UNIVERSITE CHAMPAGNE-ABDENNES DE REIMS
U.E.R. DES LETrRES ET SCIENCES HUMAINES
THESE
Pour le
DOCTORAT DE 3ème CYCLE
Mention, Anthropologie (Sociale et Potiti·que)
Présentée pa r
(Evariste) Nayirè PODA
HISTOIRE ET SOUS-DEVELOPPEMENT EN AFRIQUE
DE L'OUEST: ADAPTATION DES MENTALITE~
ASSOUPLISSEMENT DES FRONTIERES ET FEDERATION
DES ETATS COMME STRATEGIE D'EMERGENCE
Soutenue le 14 Juin 1986
Membres du JUry :
Président :
- MT. SAGET, Professeur à l'U.E.R. des Lettres
et Sciences Humaines
Rapporteur
. Mme TEBIB, Maitre de Conférences à l'I.U.T.
de Troyes
Examinateurs:
. Mr. TEBIB, Professeur à l'I.U.T. de Troyes
- Mr. le Colonel WIRTZ-RISSE.
A mon pays le BURKINA FASO
pour les sacrifices consentis a ma formation.
A mon Père et a ma Mère, trop tôt rappelés a Dieu.
"in
memoriam"
A Monique PODA née KAMBIRE
pour ton soutien constant de près comme de loin.
A SOUDA Fahiri Frédéric, SOME Laurent Magloire, SOMDA
Antony,
HIEN K.
Paul, KONSEIBO ~ean Paul
vous êtes toujours présents aux heures sombres de ma vie.
Merci
A tous mes parents, enseignants, camarades, ami(e)s en
France et dans le monde.
A toute la ~eunesse africaine,
sans distinction de couleur
ni de religion.
La construction de NOTRE continent est
un impérieux devoir collectif auquel nul ne doit se
dérober.
R E M E R C I E M E N T S
Je remercie
La FRANCE
pour m'avoir protégé durant mon séjour.
Monsieur et Madame TEBIB
Aucun mot ne peut traduire toute la reconnais-
sance que je dois vous exprimer.
Les Membres du Jury.
A V A N T
P R O P O S
Avec le lecteur de ce
document nous voudrions partager
deux idées,
deux soucis.
Le premier
souci est
que ce
travail appartient
à la
catégorie
des
«choses
humaines»
qui
passent
avec
une
vitesse vertigineuse.
En
effet nous nous sommes
étendu sur
quelques
Organisations
socio-politiques
régionales
ou
sous-régionales~
Conseil
de
l'Entente,
Confédération
Sénégambienne
etc.
Rien
ne nous
garantit
que demain
ces
Organisations
ne
disparaîtront
pas.
Dans
l'hypothèse
plausible,
que sera ce travail
dans certaines de ses larges
proportions ?
Si cette
question nous a hanté
telle une idée fixe
et que
malgré tout
nous avons
poursuivi la
réflexion jusqu'à
un
certain niveau que les normes universitaires nous obligent à
respecter,
c'est en
raison de
cette vérité
que,
seul
le
malade,
quels
que soient l'affection
et les soins
que lui
porte
l'entourage,
peut
aider
le
médécin
à
poser
un
diagnostic complet en
vue de sa guérison.
Ce grand malade,
c'est l'Afrique,
et
d'elle que de «choses»
ont été dites
et écrites par
des non-africains
!
Quelque
fois agréables,
souvent désobligeantes,
toujours sujettes
à interrogation,
voire
à introspection
et au
ressentiment.
«Me duele
la
Africa !»
(L'Afrique me fait
souffrir!)l
nous sommes-nous
souvent
écrié. Mais
aujourd'hui,
plus
que par
le
passé
certainement,
les réflexions
(qui se veulent obiectives) des
Africains sur
eux-mêmes,
de
même qu'elles
constituent une
précieuse contribution au diagnostic
complet de leur propre
mal,
apparaissent
comme
un
solide
début
d'une
réelle
liberté. Telle est la conviction,
véritable catalyse dans la
poursuite de ce travail,
que nous avons opposée à l'angoisse
trouble et
lancinante qu'engendre
cette interrogation
qui
avait tout d'une aporie.
Le
second souci
concerne le
thème du
travail et
la
discipline
dans
laquelle
nous
l'avons
traité
l'anthropologie.
En
effet l'usage
courant,
davantage
la
guerre
des disciplines
à
travers
celle des
Ecoles si
ce
n'est
celle
de
personnes,
qui
sont
tous
autant
de
déformations "scientifiques"
que de vaines
logomachie~ont
ancré dans
beaucoup d'esprits l'idée
que les
problèmes du
sous-développement
et
du
développement,
relévent
d'une
discipline
précise,
toute autre
considération
étant
vue
comme un
crime de lése-majesté.
Notre conception
est tout
autre.
Nous
avons
considéré la
victime
qui
souffre
du
sous-développement
(ou
qui peut
souffrir du
développement
(1) «Me duele La Espana !»
(L'Espagne me fait souffrir!)
Tel est le cri de désespoir que poussa un poète espagnol
devant l'horreur et le désastre de la guerre civile qui
a marqué ce pays de ses stigmates indélébiles et humi-
liantes.
Nous avons transformé l'expression que nous
avons adaptée à notre situation.
si celui-ci est
mal adapté) c'est-à-dire
L'Homme
-----------
en tant
que
«totalité».
Nous
l'avons considéré
dans toutes
ses
dimensions
historiques,
géographiques,
sociales,
politiques,
économiques,
institutionnelles,
mentales,
culturelles,
religieuses
etc. C'est
pourquoi, au-délà
des
aspects
limités de
notre discipline
ou
de notre
modeste
spécialisation
universitaire,
le
lecteur rencontrera
ceux
des disciplines
sus-citées. L'actualité
brûlante du
thème
auquel nous nous
sommes consacré (avec hélas
ce que cela
contient
d'imperfections
d'hésitations
et
de
faux_pas
inhérents bien souvent
à tout début) ne nous
permet pas de
la
«sequestrer»
dans
les
limites
étroites
d'une
discipline,
soit-elle
scientifique.
Le
caractère
"harmonique"
"global" et
"organique" de la solution proposée
au
problème
du
sous-développement
en
souffrirait.
L'anthropologie
elle-même définie
comme «étude
deI 'homme
dans sa totalité»
ne considère
nullement comme un crime de
lèse-majesté,
la possibilité reconnue aux autres disciplines
scientifiques
d'étudier
et
d'approfondir
des
parties
importantes de cette «totalité».
Le
lecteur de ce travail
ne se sera certainement pas trompé si au terme de sa lecture
i l conclut plus qU'à une piuridisciplinarité, à une sorte de
«trans-disciplinarité».
Les raisons? C'est la nature même
du thème qui les impose ainsi que l'écrit Chau Huu Nguyen.
«L'effervescence
qui
a
caractérisé
ies
études
sur
le
développement
et le
sous-développement n'aurait
peut-être
pas
atteint
une
telle
intensité,
si,
dit-il,
au
lieu
d'envisager ces problèmes à partir de principes abstraits et
de se laisser arrêter par
la distinction de l'économique et
du
non-économique
les
chercheurs
s'étaient
fait
une
conception "globale et organique" du développement»
Enfin le
lecteur pourrait trouver quelques
qualités à
ce
travail.
Nous
voudrions les
partager
aussi avec
lui.
Elles
auront
été
le
fruit
de
nombreux
contacts
et
discussions
avec
des
Africains
et
de
non-africains
en
Afrique même et
ailleurs dans le monde.
Ceux-ci auront été
mes
encadreurs
«informels»,
plus
avertis,
plus
expérimentés que
moi en matière de
recherche scientifique.
Quant aux insuffisances combien
nombreuses j'en assume seul
la responsabilité.
I N T R O D U C T I O N
- 2 -
Dans l'histoire
extérieure complexe et
mouvementée du
continent
africain,
l'observateur
peut
déterminer
trois
phases essentielles dont les deux premières se sont étendues
sur une large période, du XVè au XIXè siècle :
1 0 ) la découverte et l'exploration du continent,
2 0 )
la colonisation et la traite des esclaves,
3 0 )
la décolonisation,
les
indépendances et
la
prise
de conscience
d'un
état d'insatisfaction
profonde.
Chacune d'elles a suscité des réactions et des attitudes que
seules
l'évolution
et
la
qualité
des
rapports
entre
Africains et Européens peuvent permettre d'apprécier.
C'est
ainsi que
la
première
phase:
découverte
et
exploration du
continent a
suscité,
pourrait-on
dire,
des
réactions positives
de part
et d'autre.
En effet
du côté
européen,
la
réaction a été favorable
à
un double
titre
:
d'une part
les techniques de
navigation viennent
de faire
une fois de
plus leurs preuves,
allongeant de
ce fait d'un
maillon
l'histoire
et
accréditant
d'une
preuve
supplémentaire l'essor
prévisible de
la science
et de
la
technique.
Récapitulant les niveaux d'avancement de l'Europe
en matière de techniques diverses parallélement,
pourrait-on
ajouter,
à
l'évolution
de sa
politique extérieure,
Paul
Bairoch
note
"Il
s'agit enfin
et c'est
un point
très
important
pour l'histoire
des
deux
siècles qui
suivent,
d'une Europe tournée vers l'extérieur qui cherche et réussit
- 3 -
à
améliorer
ses
techniques de
navigation
et
d'armement
maritime, ouvrant ainsi la voie
à
ses voyages d'exploration
d'abord, de conquête par la suite"l.
D'autre part
les Européens se
sont réjouis
parce que
l'objectif visé
avait été atteint
:
ils
avaient découvert
l'Afrique et avaient pu entrer en contact avec ses peuples:
"La population dans
les pays que
j'ai
vus, révélait
Mungo
Park,
n'est
pas
très
grande
proportionnellement
à
l'étendue, à la fertilité du sol et à
la facilité que l'on a
à
s'y
procurer
des
terres.
J'ai
trouvé,
poursuit-il,
plusieurs beaux et grands districts dépourvus d'hommes et en
général
les frontières
des royaumes
étaient
ou très
peu
peuplées ou absolument désertes"2.
Du côté des
Africains la réaction pouvait
être perçue
comme
positive même
si
au départ
elle
fut empreinte
de
réserves et
de prudence
: banal
réflexe de
l'instinct de
conservation ! Cette acceptation tut prouvée par la relative
facilité
d'insertion
des
explorateurs
au, sein
des
(1)
Bairoch Paul:
Le Tiers-Monde dans l'impasse.
Idées Gallimard -
1971
page 124
(2)
Park Mungo
: 1795 cité par Jacques Giri in :
Le Sahel demain : Catastrophe ou renaissance?
Editions Karthala 1983 p. 49
- 4 -
communautés africaines.
L'explorateur
René Caillé
a visité
par exemple la
région du Sahel aux environs
de 1820, voici
ce qu'en dit
~acques Giri
:
"En bon Français, affirme-t-il,
attentif à
ce qu'il mange,
i l note soigneusement
dans son
récit les
bonnes bouillies
qui lui
sont servies,
mais i l
souffre souvent
de la faim,
non
pas qu'il soit
mal traité
par ses hôtes,
mais simplement parcequ'il est soumis au même
régime qu'eux"3.
Réaction
positive
surtout
parce
que
les
sociétés
africaines
de ce
temps
tenaient pour
"don
de Dieu
tout
étranger"
selon
les
dires
du
sage
En
s'ouvrant
ainsi
aux
gens
de
l'extérieur
sur
la
base
humanitaire
qui régissait
quasi imprescriptiblement
leurs
communautés,
les
rois
et
chefs
africains
considéraient
également cette intégration des Européens en leur sein comme
un contrat
de paix accepté par
tous.
Et c'est là
que l'on
peut
émettre
l'hypothése
d'une
incompréhension,
d'un
quiproquo ou celle de la mauvaise
foi.
En effet ou bien ces
étrangers n'avaient pas
compris ce principe,
ou
bien alors
ils
l'avaient
compris
mais
nourrissaient
d'autres
intentions. De
fait,
l'indignation
qui suivit
la deuxième
phase
de cette
histoire extérieure
ne fait
plus état
de
rapports au beau fixe entre Africains et explorateurs censés
(3)
Caillé René:
Voyage à Tombouctou.
Cité par Jacques
Giri, op. cit.
page 64.
- 5 -
être
pacifiques,
mais
indique
plutôt
qu'en-dessous
du
manteau d'explorateur apparemment innocent se dissimulait le
sabre du conquérant impitoyable,
du colonisateur impénitent.
La deuxième phase
: celle de la colonisation
et de la
traite des esclaves
a soulevé un tollé général.
De part et
d'autre
s'affichait une
grande
indignation,
notamment
au
XVlllè siècle.
Du côté des
Africains cette colonisation qui
s'imposa par la force des
armes constituait une résiliation
unilatérale du contrat d'amitié en quelque sorte passé entre
explorateurs et
hôtes africains. Cette
rupture unilatérale
du contrat,
rupture exprimée en
termes de colonisation dont
les
conséquences immédiates
furent
un
sérieux cortège
de
violences de
toutes sortes
et une
profonde désintégration
sociale,
ne pouvait être considérée
que comme une trahison.
L'indignation
et
la
déception
qui
en
résultèrent
ne
pouvaient être qu'également profondes.
Si cette réprobation
du côté
des anciens hôtes
désormais dominés
est engendrée
par une
trahison due
à
la rupture
d'un contrat
moral,
du
côté
des
Européens eux-mêmes,
une
certaine
indignation,
voire une
certaine révolte
se fit
sentir lorsqu'on
s'est
aperçu que
des
"âmes",
des êtres
humains étaient
devenus
"choses vénales"
: la
traite des
esclaves.
Les
réactions
d'horreur
et les
protestations furent
multiples dans
les
milieux politiques
et dans les
cercles d'intellectuels. M.
de
~aucourt par exemple
homme politique
du XVlllè
siècle
s'écriera
"on
dira peut-être
qu'elles seraient
bientôt
ruinées,
ces colonies,
si l'on
y abolissait
l'esclavage des
- 6 -
Nègres.
Mais quand
cela serait,
faut-il conclure
de là que
le
genre
humain
doit être
horriblement
lésé
pour
nous
enrichir et
fournir à
notre luxe
?
Que les
colonies
européennes soient
plutôt détruites
que de
faire tant
de
malheureux"4.
~ean-~acques
ROUSSEAU s'en indignera
si
profondément
qu'il verra l'espèce
humaine ravalée au dernier
rang de la
hiérarchie des êtres.
Il s'en trouvera humilié,
diminué dans
sa conscience d'homme
"Voyant la quatrième
partie de mes
semblables changée en bêtes pour le
service des autres - se
lamentait-il -,
j'ai gémi d'être homme"5.
Bernardin de Saint-Pierre, mêle quant à lui à son amère
affliction une critique
acerbe et ouverte de
la société de
consommation naissante.
"~e ne sais,
s'interroge-t-il,
si le
sucre et
le café sont
nécessaires au bonheur
de l'Europe,
mais
je sais bien que ces
deux végétaux ont fait
le malheur
de
deux parties
du monde.
On a
dépeuplé l'Amérique
afin
d'avoir une
terre pour les
planter,
on
dépeuple l'Afrique
afin d'avoir une nation pour les cultiver"6.
(4) Cité par Hubert Descha.ps : La traite _~~.Noi~~_:_de
l'antiquité à nos jours.
Fayard 1972.
(5) Op.
cit.
(6)
Bernardin de Saint-Pierre:
Voyage à l ' I l e de France.
Cité par Hubert Deschamps op.
cit.
- 7 -
Et
que dire
de Diderot pour
qui "il
ne
saurait y
avoir
d'esclavage,
pas même par droit de conquête encore moins par
celui de vente ou d'achat"
Que
dire
de Robespierre qui
lancera
comme
un
ordre
"Périssent les colonies"
Autant de réactions
en chaîne des grands
hommes politiques
face à la grave dégradation continue des relations entre les
Européens et leurs anciens hôtes dorénavant subjugués.
Ces grandes voix
qui s'élevaient contre la
colonisation et
la traite des esclaves :
véritable tragédie,
ne dénonçaient
pas seulement
l'avilissement de l'espèce humaine
soumise à
des cruautés
mais semblaient
surtout préjuger
de beaucoup
d'accusations dont
l'Europe entière ferait
un
jour l'objet
de
multiples
revendications auxquelles
elle
devra
faire
face.
Jamais
appréhensions
ne
furent
aussi
nettement
vérifiées
!
De
fait
c'est
le
sentiment
qui
s'afficha
dès
la
troiième phase de l'histoire des relations entre l'Europe et
l'Afrique
la
phase
de
la
décolonisation
et
des
indépendances,
qui
s'accompagna
d'un
profond
sentiment
d'insatisfaction quasi-totale
: le retard dans
le progrès,
et d'un sentiment de frustration.
Et
c'est dès lors que les
appréhensions
des
grands hommes
politiques
européens
se
trouvèrent
justifiées
"En
plaçant
l'expansion
de
la
civilisation technique et de la mise en valeur du monde sous
le signe de
la domination,
écrira Albertini,
l'impérialisme
- 8 -
a
créé le
sous-développement.
Aujourd'hui,
la
domination
perpétue
le
sous-développement
en
accentuant
la
désarticulation
et en
rendant
impossible la
dynamisation
interne des économies et des sociétés du Tiers-Monde"?
Cette constatation d'Albertini intervient
comme un écho aux
jérémiades et à
l'amertume
d'un intellectuel culturellement
déchiré qui met
la colonisation devant ses
forfaits en ces
termes vibrants
"Entre colonisateur
et colonisé,
i l n'y a
de place que pour la corvée,
l'intimidation,
la pression,
la
police,
l'impôt,
le vol,
le viol,
les cultures obligatoires,
le
mépris,
la
méfiance,
la
morgue,
la
suffisance,
la
muflerie,
des élites décérébrées,
des masses avilies. Aucun
contact
humain,
mais
des rapports
de
domination
et
de
soumission qui transforment l'homme colonisateur en pion,
en
adjudant,
en garde-chiourme,
en chicotte et l'homme indigène
en
instrument
de
production.
On
parle
de
progrés,
de
maladies
guéries,
de
niveaux
de
vie
élevés
au-dessus
d'eux-mêmes. Moi Je parle
de sociétés vidées d'elles-mêmes,
de
cultures
piétinées,
d'institut10ns
minées,
de
terres
confisquées,
de
réligions
assassinees,
de
magnificences
artistiques
anéanties,
d'extraordinaires
possibilités
supprimées.
On
me
lance
il
la
tête
des
faits,
des
statistiques,
je
parle
de millions
d'hommes
arrachés
à
(7) Albertini Jean Marie : Les mécanismes _du ~ous
développement.
Editions Ouvrières -
Paris 1967 p.
198.
- 9 -
leurs dieux,
à leur terre,
à
leurs habitudes,
à leur vie,
à
la
vie,
à
la danse,
à
la
sagesse.
Je
parle de
millions
d'hommes à qui on a inculqué
savamment la peur,
le complexe
d'infériorité,
le
tremblement,
l'agenouillement,
le
désespoir,
le larbinisme"8.
Si
les
deux
premieres
phases
ont
beaucoup
attiré
l'attention
d'éminents intellectuels
et hommes
politiques
soit pour célébrer
et encourager les progrès
de la science
et
de la
technique
qui
permettaient déjà
d'amorcer
des
contacts entre peuples,
soit pour dénoncer et stigmatiser le
mépris
affiché à
l'espèce
humaine
à travers
un
ignoble
"commerce des
âmes",
cette
troisième étape
quant à
elle,
aura plus
que jamais
cristallisé non
plus l'attention
de
quelques hommes,
mais l'opinion internationale tout entière.
Et
cette
communauté
internationale
est
désormais
sensibilisée à
la montée d'une
double revendication
qui a
marqué
et
continue
de marquer
cette
troisième
étape
revendication de
la liberté tout
court en
quoi consistent
les inddépendances
politiques et revendication
du progrès,
de
l'égalité
de
progrès.
Exigences
tenaces
directement
adressées
à
l'Europe
indiquée
du
doigt comme
principale
responsable
du
retard historique
multiforme
des
peuples
colonisés.
C'est
ce que Gunnar
Myrdal appelle
"le
grand
réveil
des
pays
sous-développés"
au
nombre
desquels
(8) Césaire Ai~ : Discours sur le colonialisme.
4è édition 1955.
-
10 -
l'Afrique tout entière.
Qu'en e s t - i l ? Mieux,
qu'en a-t-il
été
?
La
condition
exigée
relative
à
la
première
revendication
celle
des
indépendances
politiques
est
satisfaite. Les
indépendances politiques
sont devenues
de
nos jours un fait.
Seulement,
i l faut s'empresser d'ajouter
qu'indépendance
politique
sans
bien-être
social,
sans
progrès tout court
est une pure vacuité,
un
simple mot qui
s'envole au
souffle du
vent,
bref
une illusion,
d'autant
plus que l'on sera contraint de tendre la main à autrui;
or
"la main
tendue disait Laurent Turin, détruit
la politique
des
manches
retroussées".
Revendication
des
libertés
politiques et revendication du
bien-être social, du progrès
apparaissent
donc
comme
deux
démarches
logiquement
et
intimement liéés.
Que s'est-il alors
passé quant à
ce qui
concerne
la question
relative
au
progrès économique,
au
développement
social?
Répondre à
cette interrogation
au
niveau
global de
l'Afrique ciest
tenter
de résoudre
une
équation aux inconnues multiples~
C'est
pourquoi le
travail
auquel
nous voulons
nous
consacrer, s ' i l
essaye de répondre
à
cette
même question,
s'est
cependant circonscrit
à
une
partie
du continent
l'Afrique de l'Ouest et la
probiématique est alors formulée
a~nsi
qu'il
suit
hH~st01re
et
sous-déveioppement
en
Afrique
de
l'Ouest
adaptation
des
mentalités,
(assouplissement
des frontières)
et
fédération des
Etats
comme stratégie d'émergence".
-
11-
Une telle formulation appelle d'emblée
un certain nombre de
précisions
quant
à
l'économie
générale
du
sujet
et
éventuellement aux
raisons de la
délimitation géographique
du champ de la problématique.
Il est un
fait qu'aucun pays n'a
surgi de l'histoire,
développé.
C'est aussi
un fait
qu'aucune
nation n'est
a
priori
disposée
au
sous-développement.
Développement
et
sous-développement sont donc des situations contingentes.
En
effet
l'histoire nous
a montré
des régions
qui de
prime
abord donnaient l'émouvante impression
de ne pouvoir jamais
supporter un seul être vivant,
ni
un seu~ arbre mais qui au
fil du temps ont été transformées
de fond en comble.
L'Etat
d'Israël en est une illustration.
D'autres au contraire,
de
forêts
luxuriantes qu'elles
étaient
(le
Sahara
en 5
000
avant Jésus-Christ) sont
devenues de nos jours
de brûlants
et
implacables
déserts incapables
d"abriter
le
moindre
vermisseau.
Le
même Sahara en
2 500 avant
Jésus-Christ et
son
irrésistible avancée
(Sahel
sont des
exemples
à
portée de
main. Qu'il
s'agisse du
premier ou
du deuxiéme
cas,
l'intermédiaire louable
ou blâmable est cet
acteur de
l'Histoire:
l'homme
! Toute situation a
par conséquent un
début,
des causes,
des agents,
bref une histoire.
S'il
est
vrai
qu'aucun
espace
n'est
a
priorl
réfractalre a tout développement, s ' i l est vrai d'autre part
que
le
développement
est
avant
tout
et
surtout
"transformation"
au sens
large du
terme,
donc action
de
-
12 -
l'homme
sur
la
nature,
son
environnement
et
surtout
préalablement sur
lui-même,
sur ses structures
sociales et
politiques,
économiques
et mentales,
comment
s'explique le
sous-développement
en
Afrique
de
l'Ouest,
véritable
tragédie
?
Tragédie
en
raison de
son
ampleur,
de
son
intensité,
de ses aspects multiples. S'il est vrai aussi que
toute situation
est soumise â
la loi
d'évolution,
comment
comprendre une
certaine stagnation,
voire une
persistance
manifeste
du
sous-développement dans
l'Ouest-africain
en
dépit de
tant d'efforts fournis
par les Africains
pour en
émerger
et de
tant de
sacrifices consentis
par les
pays
étrangers dans ce
sens? Après tant d'années
de luttes,
de
précautions,
de prévisions qui se
sont soldées sinon par un
fiasco
total,
du
moins
par
des
résultats
décevants,
l'Afrique de
l'Ouest peut-elle toujours espérer
émerger de
ce fléau? Autant d'interrogations qui furent â
l'origine de
ce travail;
questions qui mettent en exergue sinon l'acuité
du phénomène,
du moins une situation "d'impasse" qui appelle
des
solutions
ponctuelles
urgentes.
Si
l'état
de
sous-développement persiste en dépit
des efforts conjugués,
c'est
que
plusieurs
hypothèses comme
le
supposait
Guy
Caire 9 peuvent être émises :
(9) Caire Guy: Commentant l'oeuvre d'
Ardant Gabriel
Le Monde en friches.
Guy Caire est cité ici par
Jacques Austrui dans son ouvrage
: J~Sc~ndale du
développement.
Editions Rivière.
Paris 1965.
-
13 -
1 0 ) Les facteurs essentiels pourraient n'avoir pas
été dégagés.
2 0 )
Des
illusions
ont
empêché
et
peut-être
continuent d'empêcher de
voir la réalité au
sein des Etats
considérés.
3 0 ) Les rapports nord-sud
(et
aussi sud-sud!) ne
sont pas objectivement et égalitairement exploités.
Si
cette
situation
d'insatisfaction
quasi
générale
nécessite des solutions ponctuelles
urgentes ainsi que nous
le soulignions
naguère,
elle
a davantage
besoin dans
une
perspective "d'éradication"
d'être objectivement
analysée.
Cette
analyse devra
prendre en
compte
tous les
facteurs
susceptibles
d'apporter
des
éclaircissements
facteurs
aussi bien internes et actuels qu'externes et historiques
ayant
occasionné
ou
occasionnant
toujours
quelque
empêchement
dirimant
au développement.
Ceci
explique
la
place
et
l'importance
du
concept
"Histoire"
dans
la
--------~----
formulation et dans la recherche
des causes du retard.
S'il
garde
toujours son
sens
habituel
de récit
événementiel,
d'étude des civilisations",
i l joue également ici un rôle de
"témoin"
des
faits,
remplit
une
fonction
particulière
importante dans
la recherche,
le recensement
et l'analyse
des
facteurs
essentiels entravants.
Cette
recherche
est
orientée
dans
deux
directions.
Recherche
des
facteurs
internes
d'abord
Structures
sociales
et
politiques,
économiques, mentales et
institutionnelles.
Recensement des
facteurs externes
et historiques ensuite
les
avatars et
-
14 -
les incidences (négatives) des
rapports passés de l'Afrique
de l'Ouest avec le monde
extérieur.
Le concept "d'h1stoire"
assume donc
une fonction de
relation et
d'explication des
faits,
autrement dit,
par son
propre biais,
l'histoire nous
permettra
de
saisir
la
genèse
de
ce
drame
qu'est
le
sous-développement
et
de
déterminer
les
causes
de
sa
persistance,
car on ne saurait combattre efficacement un mal
qu'on ignore, et le sous-développement
ne peut être compris
et efficacement combattu en déhors de l'histoire générale de
l'Afrique et de son histoire propre.
"Le sous-développement,
dira ~acques Freysine~ ne peut être compris en dehors de son
histoire et des institutions qui jalonnent le déroulement de
cette histoire"lO.
La
deuxième
précision
à
apporter
concerne
l'autre
partie de
la formulation
"adaptation
des mental1tés
et
structures
sociales
aux
exigences
du
développement
et
"fédération"
des
Etats comme
stratégie
d'emergence".
Le
sous-développement est un fait qU1 tend à devenir de Jour en
jour un drame.
Une amère
observation empirique dispense des
preuves.
Son
ampleur aussi tend
à
susciter
deux attitudes
avec leur
stratégie:
la
premiére att1tude
consisterait à
considérer
le
sous-développement
comme
un
phénomène
prédéterminé.
Perçu
comme
un
arrêt
fatidique
par
sa
(10)
Freyssine~ ~acques : Le concept de sous-développement
Collection Mouton et Cie.
-
15 -
persistance
et son
intensité,
i l
s'avère
dès lors
comme
situation irréversible.
Une telle
attitude trouve écho dans
les thèses déterministes du sous-développement telles que la
tropicalité
"intransformable"
du
continent.
Une
telle
position peut
se classer au
rang des
"fatalistes". L'aide
internationale
reste la
stratégie
de
survie selon
cette
catégorie.
La
seconde
attitude,
tout
en
reconnaissant
la
complicité de la nature dans
l'apparition et la persistance
du sous-développement
(forte tropicalité qui
non seulement
rend
les cultures
difficiles,
ma1S limite
l'introduction
d'autres cultures
étrangères,
réduit
la force
humaine par
une chaleur suffocante et en
favorisant
le développement de
complexes
pathogènes) considère
que le
sous-développement
est le produit
de l'histoire,
d'une certaine
histoire;
le
résultat d'une combinaison de facteurs complexes.
Il demeure
du
fait de
son
caractère et
de
son orig1ne
historiques
jugulable
è cond1tion
qu'on l'attaque
de
front avec
une
volonté affirmée
et les moyens appropriés.
Cette catégorie
pourrait
être
qual1fiée
de
"transformiste"
radicale
c'est-è-dire qU'il s'agira de
changer un destin apparemment
implacable en destinée parfaitement maîtrisable.
Qu'en est-il? Le
sous-développement serait-il l'expression
nue d'un
destin impitoyable,
donc difficulté
insoluble,
ou
n'est-11 que le produit endurci d'une histoire très complexe
donc
endigable è
condition que
l'on se
forge une
réelle
volonté politique?
-
16 -
Né de l'histoire et avec l'histoire d'un espace précis,
le sous-développement ne sauraît
être la manifestation d'un
destin et tout comportement,
toute
démarche visant à donner
à
ce
fléau un contenu fatidique
a fait
l'objet
de sévères
critiques
formulées
par Philippe Oecraene. En
effet
pour
n'avoir pas dénoncé
une certaine "lâcheté" dans
un certain
refus de combattre,
celui-ci semble avoir perçu en de telles
attitudes
un
défaitisme
et
une
complicité
notoires
conduisant irrémédiablement à
une
mendicité chronique,
à
un
échange
éhonté
de
la
liberté
contre
quelques
grains,
quelques miettes
de certains pays occidentaux
nantis,
d'où
l'allure de
diatribe et de
dénonciation de sa
réflexion à
l'adresse de certains
africains tentés de baisser
les bras
parce qu'en désespoir de cause
"En répétant eux-mêmes que
l'Afrique Noire est mal partie,
que la situation économique
y est désespérante,
que les
chances de développement sont à
peu
près nulles,
les Africains
contribuent
à
donner
une
image
erronnée
de
leur
continent
et
à
alimenter
des
campagnes
d'opinions
hostiles
qui
contribuent
à
son
isolement
et
donc
à
retarder
une
évolution
qui,
sous
certains
aspects,
autorise de
grandes
espérances"ll.
Le
sous-développement ne peut donc
être combattu qu'en bravant
cette
histoire (lutter
contre
l'émiettement étatique
par
exemple!).
Il est un
faux-pas de l'histoire qu'il convient
(11) Decraene Philippe:
Vieille Afrique,
jeunes Nations.
P.U.F.
1982 p.
139.
-
17 -
de
corriger
"l'avenir
du
T~ers-Monde,
dira Laurent
Turin,
n'est pas prédestiné,
i l
depend des hommes" 12. Ainsi
i l nous semble que si d'une
part le developpement existe et
fait
l'objet de
légitimes aspirations,
i l a
sans doute des
exigences en matiére de vision du monde,
de mentalités,
bref
de philosophie
auxquelles les Etats africains
ne répondent
pas ou
répondent imparfaitement so~t par
la non-perception
claire de celles-ci,
soit par simple défaut
de volonté.
Il
apparaît dés
lors comme
une nécessité
impérieuse que
ces
Etats
adaptent
menta~ités
et structures
sociales
a
ces
exigences. Cela ne se révéle pas
tâche aisée, mais sans cet
effort,
le
développement
effectif
(endogène,
concerté)
ressemblera à
un pur supplice
de Tantale
:
"l'obstacle le
plus grave et
le plus profond que
rencontre la croissance,
affirme
Turin,
est
l i é
au
fait
que
le
progrés
et
l'augmentation
de
la
production,
supposeraient
un
bouleversement des
structures sociales
et des
mentalités,
puisque structures
sociales et
mentalités sont
intimement
liées.
Or,
bouleverser
les
structures
sociales
et
les
mentalités,
poursuit-il,
c'est
une des
choses
les
plus
difficiles à
réaliser"13.
Si d'autre part
le développement
existe et
suscite des rêves,
encourage des efforts
et des
sacrifices,
i l a
aussi sans doute des
exigences en matière
(12) Turin Laurent
: pombat ~~_u..!:_~_.....d~v~Jop"p_e-",~~~_
Editions ouvrières,
1965,
p.
25.
(13) Turin Laurent:
op.
cit.
page 152.
- 18 -
d'aménagement de l'espace.
Il nous apparaît encore
que les
structures actuelles des Etats
ouest-africains ne répondent
pas hélas
à
cette condition essentielle.
Un regroupement
en
de
grands
ensembles
politiques
et
économiques
supra-nationaux
reste la
deuxième
démarche nécessaire
et
"suffisante" puisque
l'une des conditions
fondamentales du
développement
réside
dans
la
grandeur
des
dimensions
géographiques. Sur
ce point,
Turin se
montre encore
plus
explicite
"Il
est
clair,
s'exprime-t-il,
que
les
micro-Etats
ne
sont
pas
à
la
dimension
des
tâches
du
développement
et que
celui-ci postule
leur fédération
au
niveau
de
grandes
régions"14.
Réduits
à
de
minuscules
entités
politiques souvent
hostiles
les
unes aux
autres
quoiqu'abritant
des
populations
historiquement
soeurs
écartelés
d'un
côté
par l'attrait
du
modernisme
et
de
l'autre
côté par
le poids
d'une
"tradition"
qui se
veut
toujours vivace,
les Etats ouest-africains se montrent ainsi
peu
à
même de
faire
réellement
face aux
conditions
de
développement.
Il
s'agira
plutôt
d'affermir
un
vaste
mouvement de
coordination de
tous les
secteurs de
la vie
sociale,
de
réaliser
et
de
promouvoir
un
va-et-vient
constant entre la base et le sommet,
ceci en vue de dissiper
l'horribe
spectre d'une
famine
chronique,
de juguler
un
analphabétisme paradoxalement grandissant et d'améliorer une
santé séculairement passable.
(14)
Turin Laurent
op.
cit.
page 23.
-
19 -
Reconstituer
un bloc
régional
ou sous-régional
fort
longtemps
balkanisé
au profit
d'autres
peuples,
adapter
structures sociales
et mentalités quelque
peu nostalgiques
d'un passé
assez lointain,
telles nous
semblent donc
les
corrections
qu'il
convient
d'apporter
au
faux-pas
de
l'Histoire,
l'acte de bravoure qu'il
faut lui opposer. Mais
au
terme
de
ces
précisions
destinées
â
éclaircir
la
problématique
qui
nous
préoccupe,
certaines
questions
importantes
se
posent
cependant,
inévitables,
incontestables:
une
telle
solution
adaptation
des
mentalités
et
surtout
"fédérations
des
Etats
par
assouplissement
des
frontières
interposées"
a-t-elle
la
moindre chance dans une Afrique où
bien souvent le mythe du
paternalisme prime hélas!
l'idéologie supra-nationaliste?
A-t-elle la moindre chance dans une Afrique où le réflexe de
"se sauver seul par des accords préférentiels" avec telle ou
telle
puissance étrangère
prend le
pas
sur la
politique
courageuse de la concertation Sud-Sud ?
Déterminer
l'origine et
les causes
de
la persistance
du
sous-développement
dans
l'ouest-africain,
chercher
et
analyser
les
remèdes
susceptibles
de
contribuer
â
sa
résorption,
telle
est
la véritable
problématique
de
ce
travail.
Résultat de
deux. années
de terrain
: tournées,
enquêtes,
contacts informels
dans les Etats
de l'Afrique
de l'oues~
que
les
modestes
moyens
d'étudiant
pouvaient
permettre
d'atteindre,
moment
durant
lequel nous
avons
essayé
de
confronter la théorie â
la pratique,
les opinions aux faits,
-
20 -
de
vérifier
la
justesse
de
certaines
définitions
(l'adéquation
du concept
à
la
réalité),
ce travail
sera
articulé sur trois axes fondamentaux.
Nous présenterons
d'abord la géographie
et l'histoire
de l'Afrique de l'Ouest,
puis nous analyserons les causes du
sous-développement dans cette région
;
nous étudierons enfin
les perspectives d'émergence.
PREMI:ERE
PA.RTIE
============================
PRESENTATION GEOGRAPHIQUE ET APERCU DE L'HISTOIRE
DE L'AFRIQUE DE L'OUEST
- - - - - - -
C H A P I T R . . - - E
l
SITUATION
GEOGRAPHIQUE
SECTION 1
GENERALITES
AFRIQUE DE L'OUEST
CARTE DE SITUATION GEOGRAPHIQUE
160
\\14°
1120
'100
'SO
14°
.Nouokchott
M A U R I T A
N I E
M
A
L
N
G
E
R
N I G E R I A
Lomé'
1
Logos
Cotonou
Accra ..
C A M E R O U N
1 116° 114°
112°
110
18°
16°
14°
12°
10°
o
100 200
500 km
1
1
1
1
1
1
-
25 -
Nous
abordons
le
problème
du
sous-développement
en
adoptant,
notamment a travers le plan,
une méthode a tout le
moins curieuse et en donnant a notre travail une orientation
quelque
peu
paradoxale,
voire
contraire
aux
voeux
qui
émanent
de
tous
les
Africains
aujourd'hui.
Pourquoi
orientation
paradoxale,
voire contradictoire
et
pourquoi
méthode curieuse ?
Nous qualifions
cette orientation de
paradoxale parce
que
manifestement
elle
contredit
l'opinion
publique
africaine d'aujourd'hui,
s'écarte tant par
la forme que par
le
contenu
de
la
tendance
actuellement
affichée
ou
proclamée.
En
effet
au
moment
ou
"t:ous"
les
f1ls
de
l'Afrique
souhait:ent
la
réalisation
d'une
unité
continentale,
unité
qui tournerait
définit:ivement la
page
sur
les frontiéres
arbitrairement:
tracées,
avons-nous
le
droit
de proposer
et de
vouloir démontrer
le bien
fondé
d'une
formation
régionale
?
N'est-ce
pas
aller
a
contre-courant
de ces
sages
voeux
que d'entreprendre
un
travail qui prône une unité sous-régionale?
Méthode curieuse ensuite parce
qU'il n'est pas évident
que l'étude du sous-développement
doive faire immédiatement
appel a de longues explications
géographiques telles que le
prévoit ce plan
1 0 )
Géographie physique
superficie des Etats et:
études des cadres géographiques et milieux naturels
- 26 -
2 0 )
Géographie
humaine
population,
monnaies,
langues,
formes de croyance.
3 0 ) Géographie économique:
exposé sur l'essentiel
des diverses ressources et étude des systèmes culturaux.
Il se pose
alors du même coup à propos
de cette visée
apparemment
"réductionniste" voire régionaliste
et de cette
méthode
à
tout
le
moins
surprenante
deux
importantes
questions préalables
à
tout
développement théorique
de ce
travail.
10) Quelles sont les raisons de cette délimitation?
20)
Quelle est
la
pertinence
de cette
méthode,
autrement dit
à
quelles exigences
de la
problématique qui
nous
préoccupe,
répond
précisément
la
présentation
géographique
?
Importantes
par
l'enjeu
méthodologique
qu'elles
présentent,
ces
interrogations
méritent
une
approche minutieuse et des réponses précises.
- 27 -
§1
-
DEUX QUESTIONS PREALABLES IMPORTANTES :_LES RAISON~
D'UNE DELIMITATION ET LA PERTINENCE D'UNE METHODE.
AI - LES RAISONS D'UNE DELIMITATION
Le projet
d'une unité continentale
donne lieu
à
deux
attitudes :
10) Une préoccupation d'ordre purement optatif qui
reste malheureusement hélas !
trop souvent dans les strictes
limites
de
voeux
plus
pl.eux
que
matérialisables
et
quelquefois plus bruyants que convaincants.
2 0 )
A
l'opposé,
une preoccupation
qui reléverait
de
solides
convl.ctions,
d'un
certain
"mllitantisme"
et
surtout d'un
réalisme.
Convictlon dans les
possibilités de
développement de
l'Afrique;
"militantisme" pour
unir les
forces vives
;
réalisme dans les
démarches tant sur le plan
théorique que
pratique.
Sur ce dernier point,
l'obiectivité
exige
pensons-nous
-
que
notre
proiet
d'analyse
des
difficultés de
développement n'embrasse pas la
totalité du
continent
africain.
L'espace
d'étude
a
donc été
limité,
démarche qui
nous expose
du même coup
a des
reproches de
"réductionnisme"
voire
de
"régionalisme"
eu
égard
à
l'idéologie "contl.nentaliste"
actuellement proclamée.
Mais
si
nous
avons
clrconscrit
ce travail
a
une
partie
du
continent noir:
l'Afrique de l'Ouest,
et ce en dépit d'une
- 28 -
certaine propagande
panafricaniste en passe de
devenir une
mode ou une
espèce de carte d'identité
à laquelle certains
de ses porteurs ne croient
pas beaucoup c'est que plusieurs
raisons objectives nous
y ont déterminé.
1 0 ) -
Des raisons d'ordre ~atique
Un
travail de
contenu
socio-anthropologique tel
que
celui que nous souhaitons mener
Jusqu'a son terme doit être
de bout
en bout démonstratif,
c'est-à-dire
convaincant.
Il
ne peut
l'être que
sur la
base de
données concrètes.
de
preuves récentes
et objectives. Cette exigence
suppose que
nous
ayons divers
éléments,
des
preuves
de terrain
pour
illustrer nos propos
depuis le début
jusqu'à
la conclusion
et ce, quel que
soit le secteur de la vie
sociale que nous
aborderons tout au
long de nos préoccupations.
Or,
i l nous
serait difficile
voire impossible
d'avoir des
éléments de
terrain par exemple concernant la Républ1que Centrafricaine,
le Lesotho
ou la
Somalie.
En
effet à
propos de
l'espace
circonscr1t -l'Afrique
de l'Ouest-,
nous ne
disposons déjà
pas
de
données
trés
récentes
de
terrain
faute
de
déplacements suffisants
et cela pour
des raisons
que nous
avons
déjà évoquées
dans
notre
1ntroduction. Ensuite
le
caractère
quasi
inaccessible
de
certains
secteurs
qui
paraissent frappés
pour ainsi
~ire de
la mention
"secret
d'Etat"
handicape
sérieusement
les
recherches
sur
le
terrain. Cet handicap
oblige l'enquêteur à se
contenter de
données quelque peu "vieillies".
Pour avoir une idée de
- 29 -
l'avenir de tel
ou tel secteur,
i l doit
souvent passer par
la méthode probabiliste,
basée sur des calculs mathématiques
plus ou moins
généralisables.
L'illustration de ce
cas est
fournie
au chapitre
premier de
la deuxième
partie de
ce
travail
à
propos de
l'agriculture
ouest-africaine.
Mais
quelle
que soit
la
solidité de
cet
argument -
argument
d'ordre
pratique,
l'arb1tra1re
de
la
délimitation
persisterait
néanmoins
si
d'autres
raisons
ne
s'y
ajoutaient.
2 0 )
-
Des raisons d 'QJ:!!re D_isJorique et de pur
réalisme
En effet la longue agonie
de ~'O.U.A. (Organisation de
l'Unité Afr1caine)
est un
sombre tableau
politique et
un
exemple
amer
qui
oblige
tout
intel~ectuel
africain
à
réfléchir plusieurs
fois avant
d'entreprendre des
travaux
d'envergure
continentale.
I l
nous
semble
que
l'unité
continentale avait deux chances de
se réa~iser. La première
est celle qui devait advenir avant que certains responsables
africains
ne
s'aperçoivent
qU'11s
pouva1ent
avoir
des
intérêts personnels
dans le
morcellement du
continent.
Ce
serait
l'unité
par
la
voie d1recte
et
à
l'échelle
du
continent.
On y
croyait
plus
ou moins
sincèrement.
Les
multiples
contacts
entre responsab~es
a~rica1ns
de
tous
bords
politiques
et
idéologiques,
de
toutes
obéd1ences
réligieuses,
les
partic1pations
massives
aux
différents
sommets étaient des preuves p~us
ou moins convaincantes. Au
moment
où
cette
unité
avait toutes
les
chances
de
se
- 30 -
réaliser,
l'on
parlait
de
frontières
éphémères,
artificielles,
considérées
comme une avanie à
la tradition
légendaire
d'unité
africaine
et
nous
imaginons
Frantz
Fanon
naturellement
applaudi
avec
enthousiasme
lorsque
quelque temps avant sa mort
i l devait déclarer:
"l'Afrique
doit comprendre qu'il ne lui est plus possible d'avancer par
régions
que
comme
un
grand
corps
qui
refuse
toute
humiliation,
i l lui faudra avancer en totalité"l.
Quatre ans
avant la
création de
l'organisation,
lors
d'une causerie diffusée par le service français de la B.B.C.
(British
Broad Casting
Corporation)
le
3 novembre
1959,
Léopold Sédar
Senghor futur Président du
Sénégal exprimait
sa
foi en
l'idée d'une
unité
africaine en
ces termes
"l'unité
africaine
est
la seule
réponse
historique
aux
redoutables contradictions
de l'Afrique Noire"2.
Mais ceux
qui semblent
avoir aujourd'hui un
certain intérêt
dans le
morcellement
de
leur
propre
continent
se
sont-ils
brusquement aperçus qu'ils luttalent
contre eux-mêmes? Nul
ne le s a i t ! TouJours est-lI qU'un revirement vertigineux et
inexpliqué semble avoir sape et
continue peut-être de saper
les
objectifs
définis
dans
le
préambule
de
la
charte
(1)
FANON Frantz
Pour la révoJ.ution at r j.cain~-,
Maspéro 1964 -
page 219.
(2)
Cité par
Decraene Philippe
in
Vieille Afrique,
jeunes Nations.
P.U.F.
1982.
- 31 -
c'est-a-dire
"Réaliser
l'Unité africaine
a
l'échelle
du
continent ou
(et) a
l'échelle sous-régionale
dans le
but
notamment de
consolider l'indépendance
et de
combattre le
néocolonialisme
sous
toutes
ses
formes"3.
Revirement
d'autant plus spectaculaire,
si
vertigineux et inexplicable
que l'on
constate de nos
jours une
importance exagérément
accordée
aux
mêmes
frontiéres
naguére
qualifiées
d'artificielles
et
d'éphémères
à
telle
enseigne
qu'un
président de la cour suprême du Sénégal n'a pu s'empêcher de
s'étonner
"Depuis
que
chaque
territoire
est
devenu
indépendant,
remarque-t-il,
i l
est apparu que ce
qui était
considéré comme
artificiel et
éphémère est
devenu tout
à
coup
intouchable parce
que
correspondant
a un
sentiment
national profond"4. Ainsi ce premier
procédé qui consiste a
réaliser l'unité directement a
l'écnelle continentale s'est
sabordé sous le
poids de multiples raisons
dont l'Histoire
seule
peut
rendre
compte
et
l'O.U.A.
(Organisation
de
l'Unité
Africaine) apparaît
ainsi
qu'on l'entend
souvent
dire comme un simple forum de concertation où couve - comble
de paradoxe
!
-
une éventuelle
conflagration entre
camps
idéologiques adverses.
Faut-il conclure a un échec global de
l'organisation
?
A
l'échec
de
ce
premier
procédé
qui
(3) Cité par
Gonidec
(P.F.)
: Les systèmes politiques
africains
PUF 1970 p.
139-140.
(4) Revue Sénégalaise de Droit
(R.S.D.) Août 1967 p.
16
- 32 -
semblait traduire
l'impatience des
Africains de
retrouver
leur continent
reconstitué? ou faut-il simplement parler de
"tâtonnements",
"d'erreurs"
inhérents
à
tout
début
?
A travers
des propos
on ne
peut plus
péremptoires,
KOOJO,
ancien
secrétaire Général de la
dite organisation,
qui semble s'être
pose ~es mêmes 1nterrogations,
déclare
:
"Faut-il le
répéter?
l'O.U.A.
n'est
rien d'autre
qu'une
nouvelle sorte
de Diète
germanique incapable,
à
cause
de
l'attachement
de
ses
membres
à
leur
"indépendance"
et
"souveraineté" de s'engager dans la voie de l'unification de
l'Afrique.
Fruit
d'un
compromis
laborieux,
poursuit-il,
entre
tenants de
thèses
supranat10nales
et partisans
de
l'Afrique
des
patries,
défenseurs
de
"l'unité
des
objectifs",
l'organisation panafricaine
semble
condamnée,
tant par ses structures que par ses moyens,
à
être davantage
un
forum
de
concertation qu'une
institution
destinée
à
réaliser l'unité africaine"5.
A la
suite de ces
réflexions nous nous
contentons de
citer ce proverbe africain qui dit
"Quand un poisson sort
d'une rivière
et affirme que le
caiman qui s'y
trouve est
borgne, qui
peut l'en contester ?"
et si
Ede.
KOOJO
qui
vient
seulement
d'être
ancien
secrétaire
Général
de
l'organisation
en
question,
déduit un
échec
global,
i l
(5)
KOOJO Ede.
Et demain l'Afrique? Paris -
Stock 1985
P.
267.
- 33 -
serait inexact
de notre
part de
vouloir l'en
contredire.
Cependant toutes les chances de
cette noble ambition qu'est
le
projet d'une
unité africaine
ne sont
pas pour
autant
annihilées
s ' i l
est
vrai
qu'il
faut
croire
en
ses
générations
montantes
et
en
certaines
bonnes
volontés
"politiques".
C'est
cet
optimisme
pour
ne
pas
dire
"conviction"
qui nous
persuade d'opter
non
plus pour
la
première mais la seconde voie,
celle qui consiste à réaliser
"l'unité"
mais cette
fois par
étapes en
passant par
les
unités sous-régionales pour avoir été instruits des leurres,
des
illusions
du
précédent
procédé.
Comme
on
peut
le
remarquer à
travers cet
argument rapidement
exposé,
c'est
par
leçon d'histoire
et par
pur réalisme
que nous
avons
délimité
notre travail
à
une
sous-rég10n
: l'Afrique
de
l'Ouest
car
celle-ci,
même
par
sa
configuration
se
délimite
comme
un
ensemble
d1stinct.
Véritable
entité
géographique
par sa
forme,
l'Afrique
de l'Ouest
apparaît
aussi
comme
"un
bloc"
distinct
par
sa
culture,
son
organisation
sociale
et
c'est encore
là
une
excellente
raison de circonscription du champ d'analyse notamment en ce
qui
concerne
l'étude
d'un
probléme
tel
que
celui
du
sous-développement qui procède d'histoire souvent régionale,
donc particulière.
30)
-
Des raisons d'ordre socio-culturel
Le sous-développement
est loin
d'être un1quement
une
question de ressources minières,
de rendements agricoles ou
de
progrès techniques
et industriels
même
si ceux-ci
ne
- 34 -
sont
pas à
négliger.
Le
sous-développement
est aussi
et
peut-être surtout
un probléme
socio-culturel, c'est-à-dire
relevant de l'histoire d'un groupe
de personnes et de toute
son organisation
; nous incluons dans le mot
"histoire" tous
les
éléments
de
la
gamme
depuis
les
soubassements
technologiques et les organisations
institutionnelles de ce
groupe
jusqu'aux
formes d'expression
mentale,
tout
cela
ayant rang
d'ordre de
valeur qU1 confère
à ce
groupe une
individualité
propre,
une
personnalité
bien
distincte.
L'étude du
sous-développement touche
donc dans
ce cas
au
problème
et
à
la
notion
"d'aire
culturelle"
selon
l'expression
d'Herskovits,
c'est-à-dire ·une
région
dans
laquelle des cultures similaires peuvent être trouvées"6.
Or en
fait de culture,
l'Afrique n'est pas
une,
elle
est
multiple,
"duelle"
tout
au
moins.
Il
était
donc
judicieux de
ten1r compte dans
la tentative d'étude
de ce
gênant problème du retard dans
le progrès, de cette réalité
"d'aire culturelle".
De
ce point de vue,
embrasser l'étude
du
sous-développement
pour
prétendre
déboucher
sur
des
hypothèses d'èmergence,
des solutions
au niveau continental
est une entreprise
vouée a l'échec avant
ses débuts. C'est
compte tenu de la multiplicité culturelle de l'Afrique et de
l'importance
du
facteur
culturel
dans
le
processus
de
(6)
Uaque"t Jacques:
Les_c.i.vilisati_onsnoires
Marabout
Université 1981
-
p.
10.
- 35 -
développement que la proposition
de
Léopold Sédar Senghor
apparut
particulièrement
judicieuse
lorsque,
dès
les
premiers signes de faiblesse de l'O.U.A.,
i l tint devant ses
pairs
les
propos
que
voici
dénotant
la
justesse
de
délimitations
régionales.
"Le moyen
le plus
sOr pour
réaliser
l'unite africaine,
disait-il,
était la
création
d'une
communauté
économique
africaine
dans
un
cadre
confédéral,
à
laquelle
i l
conviendrait
de
procéder
progressivement par
la création des
communautés régionales
de l'Afrique du Nord,
de
l'Afrique de l'Ouest, de l'Afrique
de l'Est, de l'Afrique Centrale en attendant la constitution
d'une
communauté de
l'Afrique Australe"J.
Toute étude
du
sous-développement et de ses solutions au niveau continental
risque de s'avérer une entreprise
"mort-née" en raison même
de
la
nature
du
probléme.
En
effet
les
aspects
trop
multiples
de
ce
fléau,
liés
à
la
diversité
et
à
la
variabilité des espaces dits
sous-développés, et l'histoire
souvent particulière dont
i l procéde ne permettent
pas des
études
genérales
ni
des
solutions
qui
pourraient
ou
voudraient paraître
universellement applicables.
"Chaque pays, écrira plus tard Albertini dans cette optique,
a
ses
propres
problèmes
et
les
études
générales
sont
difficiles"a.
De son
côté
Pierre
Georges se montre
plus
explicite lorsque dans l'introduction
(7) Cité par Ubokolo Elikia : le continent convoité.
Etudes
vivantes - Paris Montréal 1980 p.
269.
(8) Albert:ini "'ean-llarie : L..e~ mècan-.J.~lIIes du sous-dévelop-
pement.
Editions Ouvrières -
Paris 1967 -
p. 257.
-
36 -
de
l'ouvrage
d'
Yves
Lacoste
développement"
i l
précise
les
rapports
entre
le
sous-développement et les espaces
dits sous-développés.
"Le
sous-dévelopement,
dit-il,
est dans le
monde d'aujourd'hui
un
phénomène
géographique
et comme
tous
les
phénomènes
géographiques i l
est indéfiniment
nuancé suivant
les ieux
respectifs des
divers facteurs qui
sont ici les
freins du
développement"9.
Ce
sont
autant
de
raisons
qui
ont
présidé
à
la
délimintation du
sujet à
l'Afrique de
l'Ouest.
Si
par sa
démarche ce travail se colore
au premier abord d'intentions
quelque peu
"réductionnistes" ou régionalistes,
i l rejoint
dans
son
projet,
dans
ses
conclusions
les
idéaux
panafricanistes qui
se veulent
réalistes.
Sa
démarche est
due à cette constatation issue
de l'expérience qu'au nombre
des
conditions
au
développement
figure
une
certaine
homogénéité au
moins culturelle
de l'espace
"candidat" au
développement. Cette
homogénéité signifie
un vouloir-vivre
en commun et
ce vouloir-vivre en commun
"suppose,
comme le
note
Hubert
Descha.ps,
un
minimum de
passé commun,
des
sentiments
et des
intérêts
semblables"lO.
Où trouver
ce
passé
commun,
cette
similitude
des
sentiments
et
des
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
(9) Georges Pierre dans l'introduction à
l'ouvrage d'Yves
Lacoste : ~éographie du sous-déve~_~~m~~_ - P.U.F.
-
Paris 1965.
(10)
Descha.ps Hubert:
Histoire générale de l'Afriq~e
Noire.
PUF 1970 Tome I
Page 9.
- 31 -
intérêts sinon dans les communautés? C'est pourquoi étudier
le problème
du sous-développement c'est
finalement étudier
certains
types
de
communautés,
c'est
finalement
faire
l'histoire
de la
non-réalisation
ou
des possibilités
de
réalisation des aspirations
profondes de tel ou
tel peuple
ou communauté dans ses rapports
complexes avec la nature et
avec d'autres peuples.
Si
donc
d'une
part
étudier
le
problème
du
sous-développement revient finalement a
appréhender un type
précis de communauté,
de peuple;
S1 c'est aussi écrire a la
longue
l'histoire
du
retard
économique,
politique
et
institutionnel de ce
peuple,
de cette communauté,
si c'est
enfin prospecter les potentialités de
son progrès,
alors i l
est
difficile
d'autre
part
de
mener
une
telle
tâche
théorique sans
apport également théorique de
la géographie
et
ce non
seulement
en
vertu des
rapports
dialectiques
qu'entretiennent l'histoire et la
géographie,
mais en vertu
d'autres raisons qu'il est utile
de préciser car elles sont
sans
doute à
l'origine
de
cette démarche
méthodologique
particulière.
BI
-
LA PERTINENCE D'UNE METHODE
Les
raisons
ci-dessus
avancées
pour
iustifier
la
délimitation du
sujet à
l'Afrique
de l'Ouest
ne dissipent
cependant
pas
toutes
les
interrogations
que
suscitent
toujours
soit
~'orientat10n,
S01t
la
démarche
méthodologique. Quand on
sait d'une part que
le contenu du
- 38 -
sujet
est
précis
-analyse
des
causes
profondes
du
sous-développement dans
cette partie du
continent africain
et recherche des
perspectives d'émergence -, quand
on sait
d'autre part
que de longs
exposés de
contenu géographique
sont
prévus
i l surgit
alors
une
question:
quelle
est
précisément la pertinence de cette présentation géographique
au regard du sujet et de
son projet ? A cette interrogation
nous
répondons
en
mettant
en
relief
deux
soucis
qui
justifient cette démarche:
un souci d'ordre méthodologique,
d'ordre logique
d'abord et un
souci d'ordre
prospectif et
analytique ensuite.
10)
-
Souci d'ordre méthodologique, d'ordre
logique
Ce travail porte sur un
probléme précis, qui est celui
d'un
espace
également
précis.
Ce
serait
manquer
de
précision,
nous semble-t-il, que de faire des développements
sur un espace à
propos d'un probléme sans que l'on n'a1t une
idée exacte
dudit espace.
Cette présentation
géographique
obéit
par conséquent
à
une
exigence méthodologique.
Elle
intervient comme une description "signalét1que" d'un inconnu
dont on parle.
Il s'ajoute à cette
exigence méthodologique
une
autre
raison
aussi importante.
En
effet
i l
semble
particulièrement difficile d'étudier un problème comme celui
du
sous-développement qui
procède
bien
de l'histoire
en
voulant
contourner l'histoire.
Difficile en
raison de
sa
complexité
dont
seule
l'histoire
justement
peut
rendre
-
39 -
compte. Or i l est encore plus dificile de faire une certaine
histoire sans
un certain espace. Gilles
Sautter avait déjà
perçu le bien-fondé de cette dialectique de l'histoire et de
la géographie
lorsqu'il affirmait:
"Comme
toute histoire,
celle de l'Afrique
ne peut être disjointe
d'une géographie
qui lui a servi de cadre et de support"ll.
Si le
sous-développement a une
histoire propre,
i l a
aussi une
géographie dans
la mesure
où cette
histoire se
déroule
dans
un
espace
déterminé.
Il
s'agit
là
d'une
certaine
logique
qui
voudrait
que
la
géographie
soit
l'aboutissement et
le prolongement de l'histoire
ainsi que
l'affirme
Pierre Georges
notamment en ce qui
concerne le
brûlant
problème
du
sous-développement.
En
effet
dans
l'introductl0n
à
l'ouvrage
d'
Yves Lacos~e 12,
]ustlfiant
l'importance et la place de la géographie dans l'étude de ce
problème
complexe,
Pierre
Georges
note
"Pour
la
géographle,
les
combinaisons
qu'elle
appréhende
sont
dynamiques
et
elles
résultent
d'une
succession
de
conjonctures.
La
géographie
est
l'aboutissement
et
le
prolongement
de
l'histoire.
Or
les
réalités
du
sous-développement ne sont pas
statiques et elles résultent
d'une longue évolution historique" 13 •
(11) Sautter Gilles:
in Histoire générale de l'Afrique
Noire
-
PUF,
1970,
p.
15
( 1 2)
op.
ci t .
(13) Georges Pierre -
op.
cit.
-
introduction.
- 40 -
Toutes ces
raisons font apparaître
cette présentation
géographique
de l'Afrique
de
l'Ouest
comme un
préalable
indispensable
au regard
de
l'objectif
fondamental de
ce
travail : recherche de toutes les
causes du retard de cette
partie du continent et des possibilités de le vaincre.
De ce
point de vue la présentation
géographique répond à un souci
de fond,
bref à un souci d'ordre prospectif.
2 0 ) -
Souci d'ordre prospectif
Par
rapport au
contenu
et au
prOJet
de ce
travil,
l'aperçu géographique ne revêt pas seulement le caractere de
pure information sur un espace
donné.
Il permet par l'étude
du milieu
phys1que,
de
la population
et de
ses multiples
composantes,
des
cadres géographiques,
des
potentialités
économiques, de se poser de multiples questions,
de chercher
a
travers
tous
ces
secteurs
les
causes
de
l'état
économiquement,
techniquement et socialement retardataire de
l'Afrique
de
l'Ouest
et
en
fonction
des
potentialités
humaines,
économiques,
des structures
mentales.
se demander
si un projet aussi ambitieux que
celui de la formation d'un
bloc
ouest-africain
est
possible.
Pour
montrer
que
cet
aperçu géographique répond
a ce souci d'ordre
prospectif-
prospectif quant au
contenu du sujet
(recherche
des causes
du
retard),
prospectif
quant
au
projet
(recherche
des
possibilités d'émergence,
de résorption du retard économique
et
social) -prenons
quelques exemples.
Ils seront
fondés
sur- quelques secteurs que nous considérons comme importants
malgré leur apparence de simples détails.
- 41 -
a )
Il est
prévu une
mention des
superficies de
ces
Etats. Quel en est précisément l'intérêt?
En
déhors de
son caractère
de
pure information
sur
l'étendue des Etats ouest-africains,
information qui répond
,
d'ailleurs
à
une
exigence
de
methode,
la
mention
des
superficies de
ces Etats se
donne pour
objectif principal
d'illustrer
l'absurdité
de certalnes
frontiéres héritées
de la colonlsation.
Les Aépubilques
du Cap-Vert,
de Gambie,
de
Guinée-Bissau
en
sont
de
tristes
cas
pratlques.
S'étendant sur dix
kilomètres de part et
d'autre du fleuve
Gambie,
la
République de
Gambie sectionne
pratiquement le
Sénégal
en
deux.
Oeuvre
des
Britanniques,
cette
balkanisation
qui s'est
opérée au
XVlIIé
siècle n'a
pas
seulement nui
et ne
nuit pas
seuiement à
la Gambie
mais
porte un
terrible coup a
l'economle de la
sous-région.
Et
malgré l'existence d'une confédération réalisée le 2 févrler
1981
entre le
Sénégal et ia Gamble,
et qUl
a pour objectif
de
conJuguer
tous
les
efforts
politiques,
toutes
les
énergies humaines et toutes les potentialités économiques en
vue
de
conjurer
une
pauvreté
multiséculaire,
cette
distorsion engendrée
au seln
de la
sous-région n'est
pas
près de
se résorber.
Il n'est pas
étonnant que
des Etats
comme le Cap-Vert,
la
Guinée-Bissau,
veritables micro-Etats
se
sentent
débordés
par
les
exigences
multiples
d'un
véritable développement concerté.
Ces
cas
pratiques
de
micro-Etats
qui
dénotent
l'impossibilité notoire d'un réel
développement incitent du
- 42 -
coup
à
une
profonde réflexion
et
montrent
l'impérieuse
nécessité de réagir de concert.
Il nous apparaît donc utile
voire indispensable
de montrer par
la présentation
de ces
superficies d'une part le non-sens économique,
politlque,
le
non-sens
tout court
de certains
morcellements et
d'autre
part que cette réaction de concert
dont i l est ici question
et
en quoi
consiste la
poursuite de
formation de
grands
ensembles,
s'avère
plus
qu'une
commode
affinite,
un
impératif vital pour les Etats ouest-africains.
b)
Une étude
de la
population
monnaies,
langues,
formes de croyance fera immédiatement suite a la mentl0n des
superficies. A quel
souci répond une telle
étude au regard
de
la
problematique
de
ce travail
?
L'étude
que
nous
envisageons de
faire de la
population et de
ses multiples
composantes a un double intérêt.
1 0 )
Se rendre
compte
du
caractère mosaïque
de
cette population,
de
la diversité de ses monnaies
et de la
complexité de ses particularismes.
2 0 ) Se
poser une question
de fond,
une question
objective
est-il
possible
de
parvenir
a
un
bloc
ouest-africain suffisamment
sollde avec tant
de diversités
dans les populations,
dans les langues,
dans
les monnaies,
dans les
conceptions philosophlques
et religieuses,
enfin
dans les options polltiques et ldeologiques,
surtout lorsque
ces diversitès
appelees normalement
a s'enrichlr
tournent
bien souvent en divergences,
lesquelles sont entretenues de
- 43 -
toutes
pièces
et
quotidiennement
aggravées
par
des
politiques qui ont intérêt a
toutes sortes de morcellements
et
de divisions
?
Comme on
peut
s'en apercevoir,
cette
interrogation
angoissante
en raison
de
l'1dée
d'1mpasse
qu'elle suscite,
s'inscrit
en dr01te ligne du
projet de ce
travail,
projet qui
est,
rappelons-le,
un plaidoyer
pour
l'adaptation
des
mentalités
et
la
formation
d'un
bloc
ouest-africain
comme seule
et
unique
voie de
sortie
du
sous-développement.
Cette
voie
de
sortie
est
possible
puisque
de
tièdes
velléités
d'unificat10n
semblent
se
transformer aujourd'hui en un
"front"
"pour"
l'unification.
Les
connexions ethn1ques
et l1ngu1stiques
que nous
avons
essayé
de
mettre
en
exergue sont
une
preuve
de
cette
possibi~ité qui doit être précédee d'une lente et courageuse
sensibilisation.
L'histor1en-géographe
~ean
Suret-Canale
s'est deJa rendu
compte de cette volonte
d'unification qui
sourd depuis longtemps,
lU1 qui tient les propos que voici
:
"Cette d1vers1te ne doit pas masquer toutefois une tentative
à
l'unification en quelques
grands ensembles,
tendance dont
on peut constater l'ex1stence dés ~'époque médiévale avec le
rôle de l'ethnie Sarakollé dans
~'empire du Ghana,
celui de
l'ethnie
Mandé dans
l'emp1re du
Mali,
celui de
l'ethnie
Sonrhai
dans
l'empire
de
Gao.
Cette
tendance
très
anciennement
perceptible se
manifeste avec
plus de
force
aujourd'hui"14.
(14)
Cana~e Suret-~ean : L'Afrique Noire. Géographie -
civilisation -
histoire.
Editions Sociales 1973
p.
64
- 44 -
c )
Le
plan
du
travail
prévoit
un
développement
relativement important
sur les cadres géographiques
et les
milieux
naturels.
Quelle
en est
la
pertinence
?
Cette
description
voudrait mettre
d'abord
en lumiére
certaines
réalités
pour
déboucher
ensu1te
sur
des
perspectives
économiques.
Il
apparaît comme
une nécess1té
d'étudier la
nature des
sols et
les types de
climats qui
régnent dans
telle
ou
telle
region.
Les
perspect1ves
économiques
interviennent dés lors
que la connaissance des
terrains et
des
différents
types
de
climats
a
détermine
les
"civilisations· agricoles c'est-â-dire les
aptitudes de tel
ou tel terrain
a supporter et â
promouvoir tel
ou tel type
de
culture
en
fonction
de telle
ou
telle
quantité
de
précip1tations.
Ainsi
dans
la
zone
climatiquement
dite
"d'action
alternée
des
masses
d'air"
les
cultures
céréalières
ont
connu
un
grand
développement
et
connaîtraient
encore le
mème
essor
si la
sechéresse
ne
s'était pas interposée.
Parlant de
cette zone carrefour qui
comporte
autant
d'avantages
que
d'inconvénients
Assane
Seck
affirme
"D'abord si
le contraste
p~uviométrique
saisonnier
interdit la
forêt ombrophile
et constitue
une
limitat10n grave
â l'agr1culture,
par contre
le contraste
s'accompagne d'un ensoleillement important qui fait de cette
zone
une
zone
de
graminèes
S1
b1en
que
l'agriculture
cérealiere
et
l'élevage
y
sont
particuliérement
développes"l~.
(15) Seck Assane et Uondjannagni Alfred
L'Afrique Occi-
dentale
Magellan 1967 -
page 44
-
45 -
Ainsi en
déterminant les types
de sols et
de climats
par
l'étude
des
cadres
géographiques
et
des
milieux
naturels,
on
détermine implicitement les types
de cultures
qui leur correspondent.
Il en est
ainsi de la grande frange
rizicole qui s'étend de la Casamance
(au sud du Sénégal) au
Bandama
en Côte
d'Ivoire
en traversant
les
Etats de
la
Rivière-du-Sud
(Guinée-Bissau,
République de Guinée Conakry,
Libéria etc).
Donc explicative sur
le plan
pédologique et
climatique,
l'étude des cadres
géographiques et des milieux
naturels permet
de prévoir et
dans une certaine
mesure de
programmer les
aptitudes des différents
terrains vis-à-vis
de leurs potentialités agricoles.
d)
Reste
à
savoir
enfin
l'objectif
visé
par
l'insistance
sur ies
aspects essentiels
de la
géographie
économique,
en
d'autres
termes ce
que
cette
ins1stance
entend
apporter à
la
problèmatique de
ce
travail ou
ce
qu'elle entend éclaircir.
Les
aspects
de
la
géographie
économique
que
nous
signalerons
dans
cette
partie remplissent
le
rôle
d'un
échantillon par rapport aux multiples et immenses ressources
(minières,
ichtyologiques,
forestières,
humaines,
bref),
économiques dont
regorge cette partie
de l'Afrique.
Et en
tant qu'échantillon,
i i est un
test dont le
résultat nous
permettra
d'apprécier le
réalisme et
les possibilites
de
mise en oeuvre
de l'ambitieux proiet de ce
travail:
celui
de
la
formation
d'un
bloc
sous-continental
en
vue
d'améliorer le sort de millions d'êtres humains.
- 46 -
Le but
que nous
visons dans
l'aperçu des
ressources
économiques et de leurs faiblesses
voudrait être une double
démonstration :
1 0 ) Une
première démonstration sur les
méfaits à
tous les
niveaux du
morcellement étatique
entraînant avec
lui
un
éparpillement
de
toutes
les
potentialités.
La
conséquence immédiate est que ces ressources ne peuvent être
pleinement
exploitées
en
raison
du
coût
élevé
de
l'exploitation;
coût que les budgets nationaux ne sauraient
supporter sans inconvenient.
L'agriculture
qui devait
être la
toile
de fond,
le
socle inamovible
sur lequel
s'appuierait le
développement
reste déséquilibrée
parce que les
quelques moyens
qui lui
sont consacrés (de bonne foi peut-être !) sont destinés à
un
tiède
développement de
l'agriculture
de rente
(l'enquête
agricole de la F.A.O.
en 1975 en fait
foi).
Quant a l'agriculture de subsistance appelée a résoudre
l'angoissant problème de
l'autosuffisance alimentaire,
elle
végète en raison de la vétusté de l'outillage,
régresse même
parce
qu'elle
ne
peut
plus
résister
aux
caprices
climatiques. Trop
petits sur le
plan de la
pure extension
géographique (Gambie,
Guinée-Bissau, Cap-Vert, Togo etc . . . ),
trop
petits
aussi
sur
le
plan
économique
(et
donc
politique
!)
en
dépit de
grandes
dimensions de
l'espace
(Mali,
Niger,
Mauritanie,
Côte
d'Ivoire)
les
Etats
ouest-africains
ne peuvent,
malgré
des efforts
évidents,
faire face tout seuls à
toutes ces difficultés.
- 41 -
Et cette
première "démonstration" voudrait
montrer et
convaincre par le grossissement d'un contraste notoire entre
les
immenses
potentialités
dont les
Etats
regorgent
et
l'extrême
faiblesse de
leur
développement,
que tant
que
persistera
cet
émiettement
étatique,
ces
difficultés
resteront de
sérieuses impasses,
de graves
apories et
le
développement sera le
supplice de Tantale. Ce
contraste de
déséquilibres,
parait
si frappant
qu'il ne
saurait passer
inaperçu
à cet
auteur
qui le
note en
ces
termes
"La
contradiction
entre
les
possibilités
de
l'Afrique
Occidentale
considérée
dans
son
ensemble
et
le
particularisme des Etats qui réduit
ces possibilités est un
des
facteurs
essentiels
des
difficultés
économiques
actuelles"16.
Par voie de conséquence -
et
c'est le 20 aspect du but
visé -
une
réaction de ces Etats s'impose,
une réact10n de
concert pour
conjurer l'épouvantable
spectre d'une
famine
cyclique, en développant au
maximum l'agriculture selon les
spécialisations des sols et selon
les types de climats.
Des
efforts conjoints
pour promouvoir les
cultures céréalières
dans la zone
d'action alternée par exemple
puisqu'elle s'y
prête;
intensifier la
riziculture dans l'importante frange
s'étendant de la Casamance (au
Sénégal) au Bandama (en Côte
d'Ivoire) .
Relancer,
toujours
par
la
conjugaison
des
(16)
Seck Assane
op.
Cit.
p.
2.
- 48 -
efforts,
la
culture
des
tubercules
dans
la
zone
subéquatoriale qui s'y offre généreusement.
Nous reviendrons
plus loin sur ces perspectives.
Pour l'heure,
i l convient de
souligner qu'au-délà
d'une certaine
déontologie "scolaire"
d'ailleurs
logique
qui
veut
que
l'on
décrive
"signalétiquement" ,
l'espace
sur lequel
porte le
problème
dont on traite, cette
présentation géographique semble nous
fournir
à
l'horizon
d'asez
solides
arguments
pour
contrecarrer
la thése
fataliste
quelquefois soutenue
par
certains pessimistes
à
propos de la
situation stationnaire
de l'Afrique.
Les contrastes entre les potentialités et leur
faible utilisation -
énormes
ressources humaines,
richesses
minières,
et des
sols
exploités
de façon
moyenne,
plus
souvent médiocre,
voire totalement
inexploités -
prouvent
que le
développement auquel aspirent légitimement
tous les
peuples
africains,
n'est
pas
seulement
conditionné
par
l'abondance de ressources mais dépend aussi et surtout d'une
certaine volonté -
politique de surcroit -
de se développer.
La force
de celle-ci
consiste à
opter résolument
pour la
voie la plus objective,
la plus coura~euse. Elle est lon~ue,
exigeante en
matière de persévérance.
Elle est
;onchée de
difficultés et de tentations multiples qu'il faudra vaincre,
mais au rebours elle parait sûre et durable.
L'histoire
des
treize
colonies
britanniques
qui
fondèrent
à
travers
mille
et
une difficultés
la
nation
devenue aujourd'hui la plus puissante
du monde sur tous les
plans
-les Etats-Unis d'Amérique-, est
là pour prouver que
le développement passe d'abord par
une volonté politique de
- 49 -
se développer et celle-ci ne
va pas,
nous semble-t-il,
sans
ce vouloir-vivre en commun.
La voie de sortie pour l'Afrique
de l'Ouest passe ou passera immanquablement par l'adaptation
des mentalités
et surtout par
la formation d'un
bloc sans
lesquelles
le véritable
développement risque
d'apparaître
toujours comme un mirage sadique.
Toutes
les
démarches
méthodologiques
entreprises,
toutes les
raisons que nous
avons avancées
comme réponses
aux questions
qui se
posaient dans
ce premier
paragraphe
tendaient
à
nous
convaincre
que
cet espace
en
question
-l'Afrique
de
l'Ouest-
a
une
"1ndividualité,
une
personnalité"
propre.
Elles
nous
en
ont donné,
de
loin
certes,
une
image.
A présent
i l faut s'approcher
de cette
individualité
et
se
rendre
concrètement
compte
de
son
étendue,
de sa population et
de ses composantes et vérifier
par
le
biais
de
sa
géographie
économique
certaines
affirmations que nous venons de faire.
- 50 -
§2 -
SUPERFICIE
L'espace qUl falt l'obJet de notre etude comprend seize
pays,
plus exactement selze entites polltlques circonscrites
dans les frontières hèritees
de la colonlsation. S'étendant
sur
plus de
SlX ml11ions
de kl10mètres
carrés (km 2 )
cet
ensemble est
limité au Nord par
le Maroc,
l'Algérie
et la
Libye, à l'est par le Tchad et le Cameroun.
Douze des
seize pays
bordent la
façade atlantique
l'archlpel du Cap-Vert se sltue a
une dlstance de 450 à 500
km des
cotes
; enfin
les trols
autres Etats :
le Burkina
Faso
(ex
Haute-Volta),
le
Mali
et
le
Niger
restent
complètement enclavéslJ.
La population
de l'Afrique de l'Ouest
est inégalement
répartie.
Quatre grands
ensembles blen
distincts tant
du
point de vue du
relief que de celui du climat,
des sols et
de la vegétation se la partagent.
En effet des Etats côtiers
du
Nord
les
moins
peuplés
(Mauritanie
par
exemple
1 634 000 habitants) on
aboutit à un véritable foisonnement
humain dans
les règions sltuées au
Sud du Golfe
de Guinee
(le Nigeria l'illustre avec 84 732 000 habitants) en passant
par les
densités variables des
pays des "Rivières
du Sud"
(Guinée-81ssau, Cap-Vert, Sierra-Leone etc.)
et des pays de
l'intèrieur
(Bu~kina
Faso,
Mali,
Niger).
Cette
inégale
rèpartltl0n
s'expllque
par
plusleurs
raisons
que
nous
essayerons
de
préclser
ultèrleurement.
Pour
l'heure
i l
convient d'lndiquer la superflcie de chacun de ces Etats.
(17)
Les chiffres contenus dans
ce
texte
sont tirés du
journal
"jeune Afrique"
numéros
1251-1252 du
26
décembre
1984 au 2
janvier
1985.
-
51
-
S U P E R F I C 1 E
Etendue
sur
six
ml.llions
de
kilomètres
carrés,
l'Afrique de l'Ouest comprend:
NOMS DES ETATS
CAPITALES
SUPERFICIE
(km 2 )
---------------------- : -------------- : -------------------
NIGER
NIAMEY
1 267 000
MALI
BAMAKO
1 240 000
MAURITANIE
NOUAKCHOTT
1 030 000
NIGERIA
LAGOS
923 768
COTE D'IVOIRE
ABID.JAN
3~2 500
BURKINA FASO
OUAGADOUGOU
274 200
(ex Haute-Volta)
GUINEE
CONAKRY
245 857
GHANA
ACCRA
238 537
SENEGAL
DAKAR
196 700
BENIN
COTONOU
112 622
LIBERIA
MONROV1A
111 329
SIERRA LEONE
FREETOWN
72 740
TOGO
LOME
56 600
GUINEE-BISSAU
BISSAU
36 125
GAMBIE
BAN.JUL
1 1 295
CAP-VERT
PRAIA
4 033*
(comprend 10 lles et
8 îlots)
*Ces chiffres sont
tirés des Quid 1981-1982-1983
et 1985
- 52 -
Comme
nous
l'avons
souligné
au
premier
paragraphe,
la
mention des superficies de ces Etats ne répond pas seulement
à
une
exigence méthodologique, mais
aussi et surtout
à
un
souci de pertinence de certaines articulations de ce travail
au regard de
l'objectif visé.
Elle met en
exergue comme on
peut le
remarquer ici les
tristes cas de
l'arbitraire qui
présida
manifestement
au
tracé
des
frontières.
Les
conséquences
d'un tel
acte politique
ne
se limitent
pas
seulement
à
l'exiguité
de
l'espace
de beaucoup
d'Etats,
premier handicap sérieux
a l'agriculture de ces
pays,
mais
se répercutent
jusqu'aux populations par la
séparation des
ethnies,
l'introduction de
différents
styles
de vie,
de
visions différentes
du monde.
Ce morcellement
des ethnies
par les
frontières artificielles a
rompu un
équilibre que
l'on
qualifie
de
légendaire.
Ce
désèquilibre
est
effectivement et principalement sensible
dans le domaine de
la monnaie,
des
langues dites officielles et
des formes de
croyance.
(V. carte de situation géographique).
-
53 -
§3 -
POPULATION
CROYANCE
Comme
la
plupart
des
contrees
sous-développées,
l'Afrique de
l'Ouest connaît
une explosion
démographique.
Dans certains de
ses Etats tels que le
Nigéria par exemple
la
population
a
doublé
en
vingt
ans.
Cette
explosion
démographique ne peut manquer de susciter des interrogations
quant à l'avenir
: que deviendra une
telle population dans
une décennie,
vu
l'exiguité des espaces dans
lesquels elle
évolue
et
les
problèmes alimentaires
auxquels
elle
est
confrontée ?
(voir tableau page suivante)
- 54 -
1
EI'ATS
POPULATIOO
DENSITE
NIGER
6 000 000 (estimation 1983)
4,06 habitants/km2
MALI
7 350 000 (
"
1982)
5,9
h/km2
MAURITANIE
1 700 000 (
"
1982)
1,6
h/km2
NIGERIA
92 700 000 (
"
1983)
90,0
h/km2
CorE D' IVOIRE
8 500 000 (
"
1982)
26,0
h/km2
BURKINA FASO
7 300 000 (
"
1982)
22,7
h/km2 et au Centre 37 à 125
GUINEE (Conakry)
6 000 000 (
"
1982)
20,0
GHANA
12 500 000 (
"
1981)
48,0
h/km2 (en 1975)
SENEGAL
6 040 000 (
"
1982)
29,5
h/km2
BENIN
3 604 000 (
"
1982)
31,7
h/km2 (en 1980)
LIBERIA
2 100 000 (
"
1983)
16,1
h/km2 (22 ethnies)
SIERRA LEONE
3 675 000 (
"
1982)
51,2
h/km2
TOGO
2 750 000 (
"
1982)
47,6
h/km2
GUINEE BISSAU
830 000 (
"
1983)
22,9
h/km2
GAMBIE
640 000 (
"
1982)
53,1
h/km2
CAP-VERT
340 000 (
"
1982)
80,0
h/km2
* Population en millions d'habitants
- 55 -
Ainsi
qu'on peut
le voir
par
les données
chiffrées
l'Afrique de l'Ouest abrite plus de 160 millions d'âmes,
160
millions de
"frères" qui éprouvent beaucoup
de difficultés
aujourd'hui
à
se
comprendre
du
fait
des
avatars
de
l'histoire.
Difficultés d'échanges
dans le
domaine de
la
monnaie,
incompréhension aussi sur le plan des langues dites
"officielles",
incompréhension
enfin en ce qui
concerne la
politique, chacun
ayant plus
ou moins
profondément épousé
celle
de
son
maître
d'hier.
Les
formes
de
croyance
elles-mêmes n'ont pas échappé à
ces incidences.
AI - LA MONNAIE
La monnaie varie
selon les zones. A
l'exception de la
guinée (Conakry) et de la
Mauritanle qui ont respectlvement
leurs monnaies (le
Sily et l'Uguya),
dans
les autres Etats
francophones,
c'est
le
C.F.A.
(Compagnie
Financière
Africaine) qui a cours. C'est le domaine de la zone "franc".
Le Mali
qui avait quitté cette
zone sous la
présidence de
Modibo Keita,
l'a
réintégrée le 1er juin
1984. Des rumeurs
persistantes font
état,
depuis la disparition
du Président
Sékou
Touré,
de
l'intention
de
la GUlnée
d'entrer
dans
l'U.M.O.A.
(Union
Monétaire Ouest-Africaine)
donc dans
la
zone "franc".
Du
côté des
anglophones on
note
la même
diversité.
Tandis qu'au Ghana c'est le
"Shilling" qui a cours avec ses
multiples divisions,
au
Nigéria par contre,
c'est
la livre
nigériane connue sous le nom de
"Naîra"
; au Libéria, c'est
- 56 -
le dollar
libérien etc
...
Les
lusophones de leur
côté ne
font pas
exception à
la régIe.
En effet au Cap-Vert
et en
Guinée-Bissau,
le
"peso" avait seul
cours.
Mais
depuis la
tentative avortée d'unification des deux entités politiques,
la
monnaie aussi
a subi
l'incidence de
la politique.
Le
Cap-Vert est
retourné à
"l'Escudo" et
la Guinée-Bissau
a
conservé "le peso".
Il convient
de noter
en conclusion
de ces
faits qui
viennent
d'être
briévement relatés
que
des
coquillages,
généralement connus sous
le nom ae
"Cauris"
servent encore
de
monnaie d'échange.
Selon la
valeur
de la
marchandise
proposée à
l'acquéreur,
une
certaine quantité
de "Cauris"
est décomptée
en paiement.
Les
'Cauris" qui
ont longtemps
servi de monnaie
continuent d'en tenir lieu.
Ils ont connu
des
fluctuations
défavorables
au contact
de
la
monnaie
moderne,
par exemple : 20 Cauris
équivalaient en 1974 à 5 F
C.F.A.,
mais
depuis 1975-1976
ils ont
connu un
regain de
valeur :
20 Cauris équivalent
actuellement
(tout
au moins
lorsque nous étions sur le terrain
en 1983-1984) à 50 F CFA.
Ce regain
de valeur de
la monnaie
traditionnelle apparaît
comme un
démenti formel aux
théses alarmistes
de certains
fatalistes qui considèrent l'hypothése d'une unification des
peuples Ouest-Africains comme une
utopie. Mais la diversité
dans le domaine de la monnaie dont nous venons de faire état
n'est que le reflet de ce qui se passe au niveau des langues
dites "officielles".
- 57 -
BI - Les langues
10) -
Langues officielles
En effet la colonisation a
introduit dans cette partie
de
l'Afrique
trois
langues
dites
"officielles"
et
la
communication s'avère
dès lors quelque peu
difficile selon
que l'on passe
d'un Etat francophone à
un Etat anglophone
ou d'un Etat anglophone à
un Etat lusophone.
C'est ainsi que
le portugais
reste la
langue officielle
dans deux
de ces
pays,
la Guinée-Bissau
et le Cap-Vert,
l'anglais
dans cinq
Etats membres du bloc Ouest africain
:
au Ghana,
au Nigéria,
en Gambie,
en Sierra leone et au Libéria ;
le français comme
langue dominante
dans le reste du
bloc.
Il semble
en être
autrement
en
ce
qui
concerne
les
langues
africaines
proprement dites.
20) -
Langues africaines proprement dites
Les langues africaines proprement
dites sont complexes
parce que
les ethnies elles-mêmes
qui les
véhiculent sont
trés voisines pour ne pas dire
des ethnies soeurs.
En effet
mosaique de peuples,
l'Afrique de
l'Ouest est également une
mosaique
de
langues.
Il est
prat1quement
impossible
de
dénombrer toutes
les langues parlées
dans cette
partie du
monde
noir.
Le
sociologue américain
George
Murdock
a
dénombré
"850
cultures
et
particularismes"
dans
cette
- 58 -
sous-région.
L'historien-géographe
français
~ean
Suret-Canale
en a identifié plus
de 126.
Parlant de cette
diversité i l tint ces propos
:
"Disons que la diversité des
groupes ethniques
comme celle des
langues,
y
est infinie.
Dans les seuls Etats de
l'ancien domaine français d'Afrique
Occidentale poursuit-il,
on ne
dénombre pas
moins de
126
langues
principales,
sans
compter
les
variantes
dialectales"lB.
Cette multiplicité fait apparaître les chiffres souvent
avancés
comme
des
indicateurs possibles,
des
ordres
de
grandeurs mais non
pas des statistiques exactes.
La preuve
nous
en
a été
donnée
lorsque
nous avions
entrepris
de
recenser les principaux dialectes
à
Diébougou (Ville située
au Sud-Ouest
de ouagadougou au
Burkina Faso). A
un niveau
plus général
voici quelques exemples de
cette multiplicité
qui
confirme
le
caractère
"probabiliste"
des
chiffres
souvent avancés
la
Côte d'Ivoire
seule comprendrait
60
ethnies
que
l'on
tente
de
regrouper
en
trois
grands
ensembles
parce
que
présentant
des
traits
communs.
Le
Nigeria
regroupe
son
foisonnement
humain
en
8
grandes
ethnies sans compter
les petits groupes isolés,
tout comme
en Côte d'Ivoire
où la classification a laissé
de côté les
petits groupes cloisonnés.
La
Guinée-Bissau abrite dans son
petit terroire de 36 125 km 2 17 ethnies.
(18) Canale Suret
(~ean)
op. cit.
pp 63-64.
- 59 -
Après leur complexité,
i l est utile de
souligner leur
connexité.
Il
est
frappant
de
noter
au-dé là
de
la
multiplicité une certaine similitude entre plusieurs d'entre
elles, similitude qui permet bien
souvent la possibilité de
leur classification en de
grands ensembles linguistiques ou
ethniques comme
c'est le cas
en Côte d'Ivoire,
au Burkina
Faso et
dans bien
d'autres Etats
encore. C'est
ainsi que
lors de nos
enquëtes,
nous avions été
agréablement surpris
de pouvoir communiquer directement en
notre langue dans les
régions septentrionales
du Ghana
et avions
été en
retour
parfaitement compris.
Nous avions noté
que le
"Mooré" une
des langues nationales
du Burkina Faso, est
fréquemment et
couramment utilisé au
Ghana.
Il est encore
plus saisissant
de remarquer
la ressemblance entre
le "Mooré" et
le Moba,
Bassa et Naudemba langues parlées au
Nord du Togo.
Entre le
Burkina Faso,
le Mali et la Côte d'Ivoire une langue commune
est véhiculée.
Elle est appelée
"Bambara" au Mali,
"Dioula"
au Burkina Faso et en Côte d'Ivoire.
En
dépit
des
appellations
différentes,
la
réalité
véhiculée dans cette langue est par~aitement sa~sisable dans
les trois
pays.
Elle
est également
courante à
Bignona en
Casamance au Sud
du Sénégal. Et l'on ne
saurait manquer de
faire remarquer qu'à la similitude
du parler correspond une
similitude d'être.
Plus au Nord
du bloc Ouest-a~r~cain, et
quoique notre
échantillon
n'ait
pas
rempli
les
conditions
qui
lui
permettraient
d'être
véritablement
appelé
tel
(taille
- 60 -
insuffisante,
insuffisance
aussi
de
données,
manque
de
vérification
approfondie)
on
peut
noter
l'identité
de
réflexe
entre
un
Sénégalais
et
un
Gambien,
entre
un
Sénégalais
et
un
Bissau-Guinéen
mais
la
transitivité
est-elle vérifiée,
c'est-à-dire l'identité
de réflexe entre
un Gambien
et un
Bissau-Guinéen est-elle
vérifiable?
La
réponse est vraisemblablement l'affirmative
sous réserve de
confirmation
sur
le
terrain
et
selon
la
nature
de
l'échantillon. ~usque-Ià, nous avons préféré travailler avec
les éléments de la masse en
laissant pour un moment de côté
les
intellectuels
qui,
dés
leurs
premières
expressions
indiquent
du doigt
leur statut
d'écartelés culturels.
Au
niveau des
intellectuels,
la question ou
l'hypothèse d'une
quelconque
identité
de
réflexe dans
le
cadre
de
cette
transitivité n'est
même pas à
émettre du seul
fait qu'ils
baignent dans
des cultures
diffèrentes d'où
ces réactions
différentes correspondant à leurs horizons culturels.
C'est pourquoi
le problème de
l'unité Quest-africaine
apparalt
possible à
condition qu'on
le pose
non plus
au
niveau des
intellectuels seuls,
mais au
sein des
grandes
masses.
Ce sont
là quelques
données de
terrain que
nous
considérons
comme importantes
et
intéressantes pour
plus
d'une raison.
La première raison
est qu'elles permettent de
se rendre compte de la multiplicité linguistique et ethnique
effective au sein de
la population Ouest-africaine.
Réalité
qui
dans
toute
entreprise
unificatrice
peut
soulever
d'importants problèmes
malgré les similitudes
qui militent
- 61 -
en faveur
de la possibilité
de cette unification,
même si
celle-ci
ne s'est
avérée,
en
aucun moment
et sous
aucun
angle,
facile.
La
deuxième raison
est
qu'elles
nous permettent
de
poser
la question
importante
sur ce
type
de paradoxe
multiplicité (ou diversité)
-
similitude. Comment s'explique
la
similitude de
ces
langues (et
donc
de ces
cultures)
au-délà
de
leur
diversité et
au-délà
des
frontières
?
Exemple :
i l existe une famille Mandé au Burkina Faso et une
famille dite
également Mandé en Sierra-Leone,
deux espaces
opposés et distants l'un de l'autre d'au moins un millier de
kilomètres.
La
première
réponse
qu'on
envisagerait
immédiatement à
cette question
est que
les deux
familles
dites
"Mandé"
ne
doivent
pas
à
coup
sûr
s'exprimer
exactement de
la même façon,
même
si elles portent
le nom
commun de
"Mandé". Ce problème
n'est pas pour autant résolu
puisqu'il
s'agira aussi
de
se
demander si
l'appellation
commune
de famille
"Mandé"
relève
du fait
du hasard.
La
réponse
à l'interrogation
précédente
ainsi qu'à
celle-ci
postule,
nous
semble-t-il,
deux
hypothèses autrement
plus
plausibles
parce
qu'elles
s'appuient
sur
des
faits
de
terrain,
des faits concrets
10) Ou bien
i l y avait de
véritables communautés
régionales
au sein
desquelles
se développaient
certaines
langues
principales
que
la colonisation
a
divisées.
Ce
serait le cas
des Dagara,
Mossé,
Gan,
Djan, du
Ghana et du
Burkina Faso. Ce serait encore le cas des Ewe du Ghana et du
Togo.
Au Nord
c'est
incontestablement
le cas
des
Wolof
- 62 -
(ouolof) du Sénégal et de la
Gambie,
ce serait aussi le cas
des Dialonké de la Guinée-Bissau,
de la Guinée (Conakry) et
de la
Sierra Leone
; des Kissi
de Sierra
Leone et
de la
Guinée (Conakry).
2 0 ) Ou
alors en
raison de
l'émigration due
aux
calamités naturelles
sécheresse,
cataclysme, du
fait des
exigences de certains métiers :
élevage nomade,
ou purement
par goût d'aventure,
les détenteurs de telle ou telle langue
l'ont
exportée dans
les
pays d'accueil
et
avec elle
la
culture, celle-là étant le prem1er
véhicule de celle-ci.
Il
en serait ainsi du Poular
(Peul),
du Haoussa. Mais était-il
nécessaire
de tant
insister
sur
les langues
dans
cette
partie du travail? L'insistance notoire iC1 sur les langues
correspond à l'importance
des raisons qui la
commandent et
que nous avons développées au premier paragraphe. Dans toute
oeuvre qui
se veut d'unification
on ne peut
contourner le
problème
ethnique
et
linguistique
et
cette
insistance
voudrait
être
la
manière
la
plus
ouverte
et
la
plus
objective
d'appréhender la
difficulté
par
sa racine.
La
carte
dite
de
"connexion
ethnique"
et
le
commentaire
ci-joints ne font apparaître qu'un aspect de la difficulté:
complexité
ethnique
et
lingu1stique. Avant
de
voir
les
formes de croyance qui restent
une composante importante de
toute étude
de population,
i l éta1t
nécesaire de
démêler
quelque peu cet écheveau que sont
les langues en Afrique de
l'Ouest.
Carte de connexion ETHNIQUE
(Voir page suivante)
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16 °
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12°
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14°
16°
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• Bassari
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Touareg
~
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..
0
Manding
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Lobi
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Bwaba
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Malinké
()
Diala
~
Badiaranké
il
Ash on ti
b
,
Ewe
Limite
d'Etat
- - -
6
Baga
0
Dialonké
]
Gan
H Haoussa
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Capitale
d'E tat
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&
Nalu
Cl
Ki ssi
0 MOSSI
Son r hOI
- 64 -
CARTE DE -CONNEXION- ETHNIQUE
LEGENDE
Cette carte dite de "connexion" ethnique, met en relief
les
ethnies divisées
par
le fait
de
la colonisation
et
maintenues séparées
les unes des
autres jusqu'aujourd'hui.
Les
similitudes
tant
du point
de
vue
linguistique
que
purement culturel restent notoires.
Quelles sont ces populations,
ces ethnies qui sont divisées
sur cette carte et dans les faits?
Sénégal-Gambie
: c'est
rigoureusement
la mème
population
divisée,
à
l'exception de
quelques étrangers venus d'autres
régions,
notamment
en Gambie
où
on
note des
traces
de
quelques immigrants venus de pays anglophones.
Sénégal-Mauritanie
Toucouleur, Sarakolé,
Bambara
Sénégal-Guinée-Bissau
Manding,
Diola, Sarakolé
Guinée Bissau-Guinée Conakry
Nalu,
Baga,
Landuma,
Konia-
gui, Badiaranké,
Bassari
Guinée (Conakry) -Sierra Leone
Dialonké, Kissi
Sierra Leone-Liberia : Mandé,
Vaï
Liberia-Côte d'Ivoire
Mandé
Côte d'Ivoire-Burkina Faso
Senoufo, Lobi, Mandé
Côte d'Ivoire-Ghana: Ashanti
Ghana-Burkina Faso
Gan,Mossi,
Dagara, Bambara,
Fra-Fra
- 65 -
Burkina Faso-Mali
Touareg
Burkina Faso-Togo
Famille Voltaïque (Mossi) au nord Togo
Togo-Ghana-Bénin
Ewe
Burkina Faso-Niger
Touareg
Niger-Mali : Haoussa,
Sonrhaï, Touareg
Niger-Nigeria
Haoussa
Nigeria-Bénin
Yoruba
Mali-Mauritanie
Maures, Manding
Mali-Sénégal
: Manding, Toucouleur
Mali-Guinée
Malinké
L'ethnie peul est présente dans
maints Etats.
Elle est
aujourd'hui comme
ces Etats
eux-mêmes,
bien
morcelée mais
garde toujours ses traditions malgré la force et les mirages
du modernisme.
Les sources de renseignement sur les ethnies sont assez
multiples.
La
plupart
proviennent
d'enquêtes
faites
au
milieu d'étudiants à Dakar (1983)
au Burkina Faso toujours
en
1983
et
des
contacts
avec
certaines
ethnies.
Les
informations
sur
le
Ghana
sont
obtenues
par
la
voie
d'enquêtes
que
nous
avons menées
assez
sommairement
en
- 66 -
1982 ; puis reprises et vérifiées en 1983 avec des étudiants
appartenant à
des ethnies
divisées.
Elles
semblaient être
déjà
confirmées,
néanmoins
en
1984
à Dakar,
nous
avons
décidé d'y revenir.
Comme nous l'avons déjà indiqué,
nous nous sommes rendu
plusieurs fois
au Ghana, cette
facilité nous a
été donnée
par
l'identité ethnique
et
culturelle
entre les
ethnies
pré-citées
du
Burkina
Faso
et
du
Ghana.
Des
contacts
réguliers
portant
également
sur
des
enquêtes
d'ordre
sociologique entre des étudiants Nigérians et nous,
nous ont
fourni
des
éléments
appréciables.
La
source
la
plus
abondante et la plus solide a été l'ouvrage commun d'
Assane
Seck
et
d'Alfred Uondjannagni
l'AFRIQUE
OCCIDENTALE.
Sans
toutefois oublier
les
géographes
étrangers qUl
ont
travaillé pendant
longtemps en
Afrique et
que nous
avons
cités
ou
citerons
à
propos
des
systemes
culturaux
ou
d'autres secteurs touchant leurs spécialités.
Enfin,
i l convient de souligner que cette carte dite de
connexion ethnique
ne prétend
à aucun
moment avoir
saisi
toutes les connexions ni avoir résolu un quelconque problème
des ethnies
divisées par
la colonisation.
Elle intervient
ici en tant que simple
illustration d'un problème complexe,
difficile peut-être,
mais non
impossible à
résoudre.
Elle
voudrait simplement illustrer l'arbitraire qui présida le 11
juillet 1885 lors du Congrès
de Berlin, au morcellement des
ethnies
à travers
celui
des
Etats. Et
si
l'affrimation
de ~ean
Suret-Canale
selon
laquelle
la
tendance
à
- 67 -
l'unification se sent aujourd'hui plus forte - mérite d'être
atténuée en raison de son caractère quelque peu péremptoire,
i l faut cependant souligner avec force que les chances d'une
compréhension
pour
évoluer
effectivement
vers
cette
unification,
sont réelles.
Le
problème de l'unification est
soluble quoiqu'il demande beaucoup de temps,
pourvu qu'on le
pose réellement avec
la ferme volonté de le
résoudre et de
la
manière
la
plus objective
possible,
c'est-à-dire
au
niveau
des peuples
eux-mêmes en
leur
faisant voir
leurs
intérêts dans cette formation de vastes ensembles. Une telle
reconstitution d'un
bloc Ouest-africain
fort,
n'impliquera
pas seulement
la suppression
des barrières
géographiques.
Elle suppose
surtout une
intégration sociale
c'est-à-dire
l'acceptation
réciproque
des
différences
ethniques
et
linguistiques ;
la tolérance dans les options philosophiques
et religieuses ; car on ne peut prétendre accepter autrui en
tant
qu'entité
ethnique,
linguistique,
morale,
sans
lui
reconnaître explicitement
le droit d'avoir sa
forme propre
de croyance. Ce qui montre
assez nettement que des domaines
de grande intimité telles que les
formes de croyance ou les
options philosophiques n'ont échappé ni
à
l'incidence de la
colonisation,
ni aux multiples
vicissitudes de
l'histoire,
formes de croyance et
options philosophiques qu'une analyse
socio-anthropologique,
quelle
qu'elle
soit,
ne
saurait
passer sous silence.
- 68 -
CI - Les for.es de croyance
D'une manière générale
on peut dire que
trois grandes
formes de croyance se partagent
cette partie occidentale du
continent noir.
Le christianisme,
l'islam et l'animisme.
Le
pourcentage de chacune de ces religions varie d'un Etat à
un
autre. Ainsi à s'en tenir
strictement à l'aspect extérieur,
au
port de
noms
sans autre
jugement
de valeur,
l'islam
prédomine
nettement,
surtout
au
Sénégal
où 99,9%
de
la
population sont des
musulmans
; en Mauritanie
avec le même
pourcentage et
au Mali. Au Burkina
Faso,
i l paraît
être à
égalité avec
le christianisme qui
s'y est
implanté depuis
l'ére coloniale. Au sein de chacune de ces religions on note
un foissonnement
de sectes qui
ne rend pas
facile l'unité
des fidéles
se réclamant
de la
même confession.
Ainsi en
est-il au
Sénégal du "Mouridisme"
et du
"Tidjanisme" dont
l'influence politique est très notoire. Au Burkina Faso,
une
rivalité
sanglante avait
opposé i l
y a
une décennie
une
partie de
la communauté musulmane
à
une autre
dénommée la
secte des "Wahabites".
Les
choses paraissent autrement pour
l'animisme
et si
nous nous
sommes
contentés d'un
rapide
survol sur l'islam et sur
le christianisme, nous ne pouvons
par contre
nous contenter du même
coup d'oeil pour
ce qui
concerne la troisième forme de croyance (l'animisme) et cela
pour deux raisons au moins
:
10)
La notion même d'animisme,
ambiguê quant à
son
contenu
exact,
a
si
fréquemment
fait
l'objet
- 69 -
d'incompréhension qu'elle
mérite d'être éclaircie
ici dans
le contexte précis de ce travail.
2 0 )
En
tant
que
pratique
traditionnelle
en
Afrique,
l'animisme
représente une philosophie,
une vision
du monde propre à cet espace précis, vision qui commande des
types particuliers de pratiques. Ces pratiques peuvent avoir
des avantages comme des inconvénients,
faciliter ou entraver
les
efforts
de
mutations
des
sociétés
dites
"traditionnelles", vers le modernisme,
le progrès,
bref vers
le développement.
1 0 ) -
La notion "d'animisme"
La notion d'animisme
a souvent soulevé des
débats qui
tournent très vite en pure
logomachie,
parce que "animisme"
est
l'un de
ces termes
les plus
vagues, c'est-à-dire
ne
faisant pas
ressortir exactement
les traits
communs d'une
pratique qui devrait être unifiée comme pratique religieuse.
Aussi
ce défaut
lui
a-t-il valu
des
définitions ou
des
synonymes
multiples
dont
certains
prennent
un
contenu
principalement
péjoratif.
Ainsi
"animisme"
est-il
fréquemment
défini
come
"fétichisme",
"paganisme",
"polythéisme"
ou "naturisme".
Si
le
terme "animisme"
ne
comporte
pas les
inconvénients du
concept
"fétichisme"
terme péjoratif
né d'un quiproquo
sur la
signification du
mot
"fétiche", s ' i l
ne
contient
pas l'équivoque
du
mot
"paganisme"
terme également
péjoratif en
ce sens
qu'il
implique d'emblée cette
idée de réligion des
paysans,
donc
- 70 -
de
pratiques empiriques,
irrationnelles,
si
enfin 11
ne
souffre pas de la restriction
de "polythéisme" qui" ne peut
s'appliquer qu'à certaines religions
africaines"19 i l a par
ailleurs
ce
désavantage
de
"décrire
incomplétement
la
réalité" ,
de
ne
pouvoir
la
sa1sir
synoptiquement
et
rigoureusement.
Pour
les
besoins
de
la
cause,
nous
retiendrons du mot
"an1misme" cette signification : religion
traditionnelle au sens où
Patrick Tort
et
Paul Desal.and
l'ont
compris.
Ils
ont en
effet
défini l'animisme
comme
"ensemble
de
croyances
selon
lesquelles
un
principe
surnaturel,
une force vitale ou "une âme"
résident dans tous
les objets naturels"20.
Ainsi défini
comme notion,
"animisme" doit
être aussi
saisi, appréhendé
comme religion et surtout
comme pratique
découlant d'une certaine vision du monde.
2 0 ) -
Animisme comme religio"-
En tant
que religion tradit10nnelle,
elle
intéresse à
plus
d'un
titre.
Elle
permet
de
sa1S1r
un
type
de
philosophie qui
a présidé des
siècles durant au
destin de
nos
devanciers
et
bien
souvent
or1enté
le
devenir
socio-culturel
et
politico-économique
des
communautés
(19) Tort Patrick et Desal.and Paul:
Sciences Humaines et
Philosophie en Afrique Hatier 1978 p.
120.
(2)
Ibidem
- 71 -
aujourd'hui
en dure
mutation.
Admettant l'existence
d'un
principe,
d'une
force,
d'une âme
dans
tous
les
objets
naturels,
l'animisme admet ipso tacto
que la nature entière
est
"truffée"
pourrait-on
dire
de
multiples
dieux,
intermédiaires entre le Dieu unique créateur et les hommes.
Ainsi le vent qui soufle,
la pluie qui tombe,
l'eau qui
ruisselle,
ne sont pas le fait du hasard, donc n'ont pas une
certaine
autonomie d'action,
de mouvement,
mais ils
sont
plutôt la
manifestation de cet
Etre suprême par
les dieux
intermédiaires respectifs. Selon
qu'on est dans un
pays de
civilisation forestière
ou de savane,
les
principaux dieux
seront ceux de la forêt,
des
champs,
etc. C'est par eux que
l'homme
peut
s'attirer les
taveurs
de
la torêt,
de
la
savane,
toutes
deux pouvant
appara1tre mystèrieuses
à
ses
yeux. Cela étant,
s'attaquer à
la nature sous quelque forme
que
ce soit
: abattage
des
arbres,
ramassage
quelconque
c'est porter atteinte aux dieux intermédiaires respectifs et
par loi
de transitivité au
Dieu suprême. C'est
pourquoi à
chaque saison importante de l'année
: période des semailles
et des récoltes,
des cérémonies rituelles sont organisées au
cours
desquelles
l'on
procède
à
de
grands
sacrifices
d'animaux. Ceux-ci visent
à
apaiser les dieux chargés de la
garde de la
forêt,
des champs,
puisque les
hommes en cette
période (s'il s'agit de la période
des cultures,
donc de la
préparation
des champs)
sont obligés
d'agresser cet
être
vivant qu'est l'environnement et tout ce qui le compose. Ces
sacrifices visent aussi à
implorer les bonnes grâces pour de
meilleures
récoltes.
Au
moment
des
récoltes
les
mêmes
- 72 -
sacrifices
se répètent
d'où
leur
caractère rituel.
Dans
l'animisme,
du
fait que
la
nature
soit habitée
par
un
principe vital,
d'un ordre
supérieur aux
pures forces
de
l'homme, cette nature
est du coup sacrée et nul
ne peut en
disposer
adlibitum sans
d'exceptionnelles précautions
ni
autorisations
de
la
part
de ceux
qui,
au
sein
de
la
communauté
sont
investis d'un
certain
"charisme".
Cette
espèce
de
culte
voué
aux
phénomènes
cosmiques
voire
météorologiques
a
valu
à
l'animisme
le
synonyme
de
"naturisme" .
Les faits que nous venons
de décrire sont des réalités
de terrain que nous avons vécues
en 1983 et que nous avions
tenu à vèrifier.
Nous étions donc repartis sur le terrain en
1984. Nous avions pu accéder a certains endroits dits sacrés
et donc interdits,
grâce a
de grandes précautions : silence
absolu
sur ladite
visite
avant comme
après
; avant
la
visite,
éviter tout contact avec l'élément féminin;
prendre
un bain froid quelle que soit la période de l'année;
ne pas
s'être querellé avec quelqu'un et éviter de garder rancune à
autrui au moment
de la visite.
L'accés nous
a été autorisé
aussi après
quelque enquête
sur nos
positions antérieures
vis-a-vis
de telles pratiques et surtout sur la finalité de
la visite.
Comme on
peut le
voir a
travers les
faits ci-dessus
relatés,
l'animisme en
tant que "religion", en
tant qu'une
certaine
vision
du
monde,
détermine
la
hiérarchie
des
êtres:
un
Etre suprême, des dieux
intermédiaires gardiens
- 73 -
l'environnement
et
enfin
l'homme.
En
tant
que
tel
i l
commande des
types précis de
pratiques,
assigne
à l'homme
-simple
roseau
aux
mains
de
multiples
divinités-,
des
rapports également précis avec
son environnement.
Il s'agit
là d'un
aspect de l'animismme,
que nous
considérons comme
essentiel et qui est ici brièvement mis en vedette.
Pourquoi
le choix
de cet
aspect
que nous
déclarons
"arbitrairement"
être le
plus important
et
à quel
souci
répond-il précisément
au regard de
l'objectif visé
par ce
travail?
Une raison
peut être
avancée pour
justifier et
préciser son apport.
L'animisme
a
été
(et
reste
encore
dans
bien
des
régions)
un
fait
caractéristique
des
sociétés
traditionnelles,
aujourd'hui
en
dure
mutation
vers
le
modernisme. Mais les efforts vers ce modernisme peuvent être
(et sont
souvent) entravés par
certaines pratiques
de ces
sociétés qui ne sont pas
encore totalement transformées.
Et
comme l'animisme
tel qu'il apparaît, demeure
encore vivace
dans beaucoup de communautés,
i l s'agira de déterminer après
l'avoir exposé au préalable dans
ses grandes lignes la part
d'entrave
au modernisme,
de
cette
philosophie:
ce
qui
rejoint la première préoccupation de ce travail. Celle-ci en
effet se résume au recencnement des points d'entrave de tous
les secteurs de la vie sociale
de cette partie du continent
africain,
en faire l'analyse
et envisager des perspectives.
Lorsque
l'on
met
en
relief
cet
aspect
important
de
l'animisme:
la
conception de l'univers et
les rapports de
- 74 -
l'homme
vis-à-vis
de
la nature,
de
l'environnement,
on
découvre
une
sérieuse
contradiction
dans
beaucoup
de
sociétés traditionnelles.
Véritable
équation,
cette
contradiction
peut
se
formuler en ces
termes:
comment concilier dans
ce cas,
un
type de traditionalisme qui affiche une conception sacrée de
l'environnement,
de la nature et de
tous ses éléments et un
modernisme
ou
développement
qui
est
avant
tout
"transformation- au
sens large du
terme tant de
la nature
que de soi-même; c'est-à-dire opérer d'abord en soi-même un
changement
qualitatif,
s'élever
au-dessus
de
son
passé
culturel,
social,
économique,
institutionnel
sans
nécessairement l'oublier
ni le
négliger,
ensuite
donner à
l'environnement une image
nouvelle de quelque chose
qui ne
soit pas
oppressive à
l'homme en
raison de
son caractère
mystérieux et que l'homme peut utiliser rationnellement sans
crainte pour son épanouissement ?
En raison de
cet aspect difficile qui
s'annonce comme
une
entrave
potentielle
qu'il
faudra
analyser
ultérieurement, en raison
aussi de sa persistance
voire de
sa
vigoureuse
résurgence
dans
beaucoup
de
communautés
africaines,
nous ne pouvions pas
nous contenter d'un rapide
survol
sur
l'animisme
comme pour
les
autres
formes
de
croyance. Avant de voir comment l'environnement,
les milieux
naturels Ouest-africains
sont scientifiquement
étudiés par
le biais de
la géographie,
l'influence qu'ils
exercent sur
les hommes,
ce qu'ils renferment de
richesses susceptibles
- 75 -
de nourrir des
esp01rs de développement,
i l
était ut11e de
savoir dans
le cadre
de la
présentation de
la population
Ouest-africaine
la
conception
que
l'on
se
faisait
et
peut-être que
l'on se fait
toujours de
cet environnement,
d'un point de vue religieux et aussi philosophique.
SECTION II
- 77 -
"Cadres géographiques
et milieux
naturels"
sont
deux
titres
que
nous
avons
empruntés
au
professeur
Gilles
Sautter qui,
dans l'oeuvre collective
"Histoire générale de
l'Afrique Noire" Tome
l ,
avait brièvement
exposé sous les
mêmes
titres,
les
grandes
lignes
de
la
géographie
de
l'Afrique au
Sud du Sahara21.
Par cadres
géographiques et
milieux
naturels nous
entendons
d'une
part tout
ce
qui
constitue un
environnement physique et soumis
d'autre part
aux phénoménes
atmosphériques,
donnant
une
"ind~vidualité"
propre a cet environnement suscept~ble
d'exercer à son tour
des influences sur l'activité de l'homme.
De ce point de vue une dialectique s'instaure entre cet
environnement
que
l'homme
est
appele
a
transformer,
a
modifier,
et l'activité humaine (type d'activ~té, nature des
moyens
utilisés),
déja
déterm~née
par
la nature
de
cet
environnement.
En
vertu de cette dialectique
entre l'homme
et
son
milieu,
i l
s'avére
~mpossible
d'appréhender
ce
problème social important, qu'est
le sous-développement par
méthode prospective et analytique et
de vouloir le résoudre
sans lui faire perdre son enjeu si nous passons sous silence
les multiples influences du milieu.
Henri Bau.ann avait déja
aperçu l'importance
de ce lien dialectique
: Homme-milieu,
lorsque dans son ouvrage i l écrivit
:
(21) SAUTTER Gilles:
Histoire générale de l'Afrique Noire
Tome 1 PUF -
1970 p.
15.
- 78 -
-Le .ilieu géographique, le
paysage, est après la
race, un
facteur déter.inant
de la
civilisation et
de la
forMation d'un
peuple. Toute
classification ethnographique
doit
tenir co.pte
de la
dépendance qui
existe entre
les
peuples et les civilisations d'une
part et l'aspect du pays
environnant,
d'une
part,
a-t-il
poursuivi.
Ce
serait
suresti. .r le
point de vue
historique, conclut-il,
que de
.éconna1tre le rôle
passif de l'h~ assujetti
â
la terre
pour
ne
voir que
son
rôle
actif
dans le
processus
de
création d'une civilisation-22.
Ces cadres
géographiques et
ces milieux
naturels que
nous passerons en revue dans
l'espoir d'en mieux saisir les
influences sur
les hommes
et sur
leurs activités,
seront
constitués de l'ensemble
relief,
climats,
sols,
végétation
et hydrographie.
(22) BAUMANN Henri
: les peuples et les civilisations de
l'Afrique.
Paris Payot 1962.
- 79 -
§1
-
RELIEF
Sur
le
plan
de
la
formation
stricte
du
sol,
le
continent africain
est qualifié
"de vieux
bouclier".
Cela
signifie que
les terres qui
constituent son socle
se sont
solidifiées en une masse résistante.
C'est ce qui fait
dire
que le continent africain est
caractérisé par sa massivité.
Si cette massivité est une caractérisation générale,
on peut
noter dans différents points de ce vieux continent,
quelques
nuances,
quelques
contrastes en ce
qui concerne
le relief
ainsi que le montre celui de l'Afrique de l'Ouest.
En
effet,
on
reconnaît
à
l'Afrique de
l'Ouest
des
reliefs
isolés
plateaux,
petits
massifs
aux
versants
escarpés,
des
falaises
abruptes23 telles
que
celles
de
Bandiagara et de
Sindou au Mali,
de
Tambaoura
(Orodara) au
Burkina Faso.
ces dispositions structurelles peu accidentées
sont groupées en 4 grands ensembles se d1stinguant nettement
selon
que
l'on
descend
de
la
bordure
Saharienne
à
l'intérieur du bloc Ouest-Africain et qu'on longe les côtes.
Ils sont dits "unités de relief"24 et sont les suivants:
10)
La bordure Saharienne de l'Afrique Occidentale
Son fait caractéristique est qu'elle
est le doma1ne de
l'action
éolienne.
La
dénudation de
la
nature
due
aux
(23)
SAUTTER Gilles: op.
cit.
p.
15
(24) SECK Assane et UONDJANNAGNI Alfred
l'Afrique Occi-
dentale Magellan 1967 p.
14
- 80 -
efforts de
la sécheresse,
laquelle sérieusement
accentuée
par
l'action humaine
déboisement
par abattage
et
par
surpâturage, donne libre cours à l'action du vent et rend le
phénomène éolien parfaitement
"logique" et
inévitable.
2 0 ) -
Les pays du golfe de Guinée
Partagent
avec
une
zone
dite
intermédiaire,
les
plateaux et les plaines.
30) -
La zone dite intermédiaire
C'est le domaine des plaines
et des plateaux : plateau
Mossi,
plateau
de
Banfora, tous
deux
au
Burkina
Faso,
plateau Manding au Mali. Cette zone
tant du point de vue du
relief que
de celui
du climat caractérise
les pays
de la
zone Soudanaise.
40) -
Les côtes qui subissent constamment les
effets conjugués du vent,
de la mer et
des fleuves
Ces indications
annoncent un relief monotone
en dépit
de
quelques
contrastes
intervenus
ici
ou
là
dont
le
développement,
ainsi que
la mention
de
la variation
des
sommets
des plateaux
et plaines
seraient de
fastidieuses
répétitions ou
des détails encombrants.
Mais si
l'on peut
parler de monotonie du relief,
en est-il de même du climat?
- 81 -
§2 - CLIMAT
Si le
relief Ouest-africain est considéré
comme assez
"monotone" en
dépit de quelques
contrastes,
le
climat par
contre est particulièrement remarquable.
Remarquable quant à
sa diversité,
remarquable aussi quant
a la vigueur
de ses
manifestations.
Diversité du cli.at
Il est aussi reconnu à
l'Afr1que de l'Ouest,
non pas un
seul climat mais
des climats. Cette multiplicité
est due à
de nombreux facteurs géographiques parmi lesquels on note la
situation entre les
deux tropiques
: tropique
du Cancer au
Nord
et tropique
du
Capricorne au
Sud.
A.
seCK et
A.
MONDJANNA6NI
ajoutent
à cette
situation
intertropicale
d'autres
facteurs plus
déterminants tels
que les
centres
d'action permanents
comme "les deux
anticyclones maritimes
des Açores et de Sainte
Hélène". Mais ces facteurs genéraux
sont secondés
dans la détermination des
nuances régionales
en quoi consistent
les climats,
par deux
phénomènes précis
selon
A. SeCK et A. ~ANNA6NI. Il s'agit de la situation
par rapport aux côtes et aux vents.
Mais
ce
qui
nous
intéresse
précisément,
c'est
de
dépasser ce
langage technique
pour ramener
ce complexe
à
l'essentiel, c'est-à-dire
appréhender le résultat
final de
- 82 -
de cette
diversité climatique pouvant aller
dans l'optique
de la
problématique de
ce travail.
Il
nous semble
que le
résultat ou les conséquences
de cette diversité climatique,
se
résument
à
la
délimitation
de
trois
régions
dites
climatiques
ayant
chacune
une
végétation
et
un
sol
correspondants. Ainsi on observerait
10) une zone presque constamment sèche au Nord
2 0 ) une zone presque constamment humide au Sud
3 0 ) une zone intermédiaire où humidité et sèche-
resse alternent25.
AI - ZONE CONSTAMMENT SECHE
Elle se
situe au
Nord.
C'est
la zone
Sud Saharienne
proprement dite.
Elle regroupe la
Maurltanie,
le Sénégal et
la
Gambie.
Elle
est
caractérisée
par
une
sécheresse
chroniquement
maintenue
par
le
strict
minimum
de
précipitations
avec
une
exception
cependant
au
Sud
du
Sénégal
(Casamance).
Les
pluies en
effet sont
abondantes
(25) ~ean DRESH, A. GUILCHER, E.F. GAUTIER, A. SECk et
A. UONDJANNAGNI, spécialistes de la géographie de
l'Afrique Noire reconnaissent cette différenciation
règionale.
Il faut cependant souligner le caractére
un peu "vieilli" des informations contenues dans
cette répartition eu égard aux perturbations clima-
tiques de ces dernières années.
En effet depuis la
tragique sécheresse,
i l est difficile de qualifier
une zone de constamment humide en Afrique de l'Ouest,
même si la situation n'est pas pour autant désespé-
rante.
- 83 -
dans cette région.
Les sols
correspondants a cette zone Sud
Saharienne sont dits
"grossiers et bruts".
De nature presque
partout sableuse,
et d'un conve~t
végétal rare,
sommaire et
piteux,
les
sols de
cette zone
Sud Saharienne
supportent
difficilement
les
cultures
tant
sous
pluie
que
celles
d'irrigation.
C'est le
domaine de la haute
tropicalité.
Le
Sud du Sénégal
(Casamance) pour ce
qui concerne les sols et
la végétation fa1t encore except10n.
en eitet les abondantes
précipitations
( 1
300
a 900-650
mm),
selon A.
SECK ont
contribué
a
la
formation
d'une
forêt
dense
et
au
développement de la riziculture.
Cette région est d'ailleurs
considérée comme la région de la civilisation du riz.
BI - ZONE DITE CONSTAliMENT HUMIDE
Nous précisons zone
"dite"
constamment humide en vertu
des remarques
contenues dans la note
25.
Mais en
dépit de
ces
remarques,
i l
y
a lieu
de
souligner
néanmoins
la
présence
d'une humidité
relativement satisfaisante.
Cette
zone regroupe les
pays de la zone
subéquatoriale (Libéria,
Côte d'Ivoire,
Ghana,
Togo,
Bénin,
et Nigéria).
Le climat
qui
s'y
développe
est
le
climat
subéquatorial.
Les
excellentes précipitations
d'antan ont
contribué à
former
d'importantes forêts.
Les sols de ces
régions forestières,
contrairement a l'impression qu'on pourrait en avoir ne sont
pas toujours favorables aux cultures,
ainsi que l'a remarqué
Jacques MAQUET.
"L'agriculture de la forêt est de rendement
modeste.
Le
sol
est
peu
fécond
quoique
la
luxuriance
- 84 -
végétale pourrait faire penser
le contraire,
les conditions
de
vie
dures
et
malsaines ... "26,
remarques
également
soutenues
par A.
SECK et A. MONDJANNAGNI qui
déclarent
à
propos
de
ces
mêmes
terres
"Les
sols
du
domaine
subéquatorial, malgré la végétation abondante qu'ils portent
ne
sont pas
riches en
humus,
la
matière organique
étant
rapidement
détruite
par
l'action
bactérienne"27.
Si
l'agriculture ne peut prospérer dans ces régions forestières
dites constamment humides à cause
de "leur pauvreté en base
et en phosphate
assimilable, de leur acidité
défavorable à
une bonne
utilisation de l'humus,
de la maigreur
de cette
couche
d'humus"28,
celles-ci
ont
en
revanche
leurs
spécialisations dont nous parlerons
dans les développements
ultérieurs.
CI
- ZONE INTERMEDIAIRE
Elle est ainsi appelée parce que située au carrefour de
deux
zones de
phénomènes différents.
elle
est dite
zone
"d'action alternée
des masses d'air".
Du Nord
elle reçoit
les masses d'air chaud et sec
de la zone Sud Saharienne.
Du
Sud elle
accueille les masses
d'air humide.
Elle regroupe
les
pays de
l'intérieur
Burkina-Faso,
Mali,
Niger
et
(26) MAOUET ~acques:
Les civilisations Noires
Marabout
université 1981
p.
104
(27) A.
SECK et
A. MONDJANNAGNI
: op.
cit pp. 35.35
(28) GOUROU Pierre:
Les pays tropicaux
P.U.F.
Paris 1948
Cité par
~. MAOUET.
- 85 -
empiète sur
les Etats
des
"Rivières du
Sud".
Ses
sols et
végétation varieront en fonction des nuances climatiques.
Du
fait qu'elle est une zone
intermédiaire,
un carrefour, elle
est intéressante pour l'agriculture
et pour l'élevage ainsi
que
l'affirme Assane
SeCK. Elle
est aussi
un
centre
de
contacts.
le
soleil
abondant
et
souvent
adouci
par
l'humidité du
Sud permet
ces contacts.
Cette faveur
dont
jouit
cette
zone
s'amenuise
d'année
en
année
avec
la
persistance
de
la
sécheresse. Ceci
n'est
pas
seulement
sensible par
les rendements médiocres de
l'agriculture,
la
destruction du
cheptel, mais aussi
par la
perturbation du
réseau hydrographique
déja suffisamment fragile
en Afrique
de l'Ouest.
- 86 -
§3 -
HYDROGRAPHIE DE L'AFRIQUE DE L'OUEST
L'hydrographie de l'Afrique de l'Ouest a également subi
le contre-coup de la sécheresse qui y sévit depuis 1972-1973
à
telle enseigne
que des
nuances
voire des
corrections
méritent
d'être faites
dans
les études
qui
lui ont
été
auparavant consacrées.
N'eût été
ce malencontreux avénement
de la
sécheresse,
l'Afrique
Occidentale était,
pouvait-on
dire,
partagée
par
deux
domaines
hydrographiques
bien
distincts
ainsi
que
l'ont
remarqué A.
SECK et A.
MON~ANNAGNI. Néanmoins,
les
deux domaines
sont
toujours
retenus par
les spécialistes
de l'hydrographie.
Il s'agit
d'un
domaine
à
écoulement
irrégulier
et
d'un
autre
à
écoulement dit régulier.
1 0 ) -
Le domaine à écoulemen~~~~égulier
Localisé
plus
au
Nord,
aux
confins
du
sahara,
ce
domaine se ramifie en deux parties.
a)
La zone Saharienne
Est caractérisée par ce que
les géographes ont coutume
d'appeler "aréisme" et
"endoréisme".
L'aréisme en effet est
l'absence
de cours
d'eau au
lit défini
due simplement
à
l'absence
de
précipitations
réguliéres.
Cette
situation
d'aréisme est pratiquement prévisible
étant donné le climat
dans cette
zone:
sécheresse
chronique maintenue
de façon
permanente
par des
précipitations
minimales;
végétation
- 87 -
rudimentaire
dénudant
le
sol
a1nsi
soum1S
à
l'action
éolienne.
De
telles conditions
excluent toute
possibilité
d'un cours d'eau au l i t défini.
L'endoréisme par
contre, est
la présence
de bassins,
c'est-à-dire
de
réseaux
fluviaux qui
aboutissent
à
une
circulation
interne.
~acques
Weulerse cite
comme
exemple
d'endoréisme le Macina dans lequel
le fleuve
"Niger s'en va
mourir"29.
b) A
cette zone
d'aréisme et
d'endoréisme,
s'opposent les OUEDS à écoulement saisonnier et qui seraient
le fait des fleuves Niger et Sénégal.
Et aux antipodes de ce
grand domaine à écoulement irrégulier,
se trouve le domaine
à écoulement dit régulier.
2 0 ) -
Le domaine à écoulemen~~_~~~~9ulier
Il comprend entièrement
le golfe de Guinée
et empiète
sur la partie méridionale de la zone intermédiaire. Avant la
longue sécheresse de 1968 et
1973 à
1976 l'écoulement était
effectivement régulier,
mais
à
partir de 1972,
les fleuves
ont connu des perturbations, une
baisse de niveau d'eau,
et
aboutissent
aujourd'hui
à
de
graves
sectionnements
dans
leurs
cours.
La
situation
actuelle
de
l'hydrographie
est-elle pour autant
si dramatique? Une
étude comparative
des precipitations sur une période de cinq ans aurait permis
de
marquer
la
trés
nette
différence
et
la
sensible
(29) WEULERSE ~acques
:
l'Afrique Noire. A.
Fayard et Cie
Paris 1934 p. 68.
- 88 -
diminut10n. A défaut,
la baisse de
la production de bois du
bloc Ouest-africain,
baisse explicable par
les difficultés
de
reboisement
dues
a
la
sécheresse,
constitue
une
référence.
La
situation
est encore
sensible
en
ce
qui
concerne la Volta Noire,
l'un
des quatre principaux fleuves
d'Afrique(la Volta Noire,
le Niger,
le fleuve Sénégal et le
fleuve Gambie).
Il y
a aussi
la Volta
rouge et
la Volta
blanche au Burkina Faso,mais de moindre importance.
La Volta
noire
qui prend
sa
source au
Ghana et
qui
est le
plus
important des
quatre principaux fleuves sus-cités,
a connu
en 1983
le record
de sectionnement de
son cours.
Pour le
compte de ce
travail,
nous nous étions rendu
sur les lieux
afin
de constater
le fait
qui
nous sert
de preuve
pour
étayer nos propositions ultérieures.
Face aux
données relatives a ces
cadres géographiques
que
nous
venons
de
passer en
revue
climats
divers,
pluviométrie
capricieuse,
sol
se cuirassant
au
fur et
mesure
que la
sécheresse étend
son
rayon,
végétation
se
dégradant
du Nord
au
Sud,
hydrographie
de
jour en
jour
perturbée,
face a un palmarès
aussi sombre,
la question que
l'on
se
pose immédiatement
est
celle
de savoir
ce
que
peuvent
être
les
perspectives
èconomiques
et
notamment
celles
de l'agriculture.
Grave
interrogation
car si
les
rendements agricoles
dépendent,
eux,
de la
régularité des
climats, de l'abondance des préc.ipitations et de la richesse
des sols
en éléments
nutritifs,
le
développement quant
a
lui,
repose en grande partie
sur l'agriculture car il n'est
pas
de
développement
véritable
la
où
les
besoins
89 -
fondamentaux
ne
sont
pas
satisfaits.
C'est
ce
côté
économique que
la section
suivante se
propose d'examiner,
côté économique qui est
intimement lié aux divers phénomènes
qui viennent d'être passés en revue
SECTION III
ASPECTS ESSENTIELS DE LA GEOGRAPHIE
- - - - .- - -- -, ---- --------
ECONOMIQUE DE L'AFRIQUE DE L'OUEST
- 91 -
§1
RESSOURCES MINIERES ET ENERGETIQUES
L'Afrique
de
l'Ouest
est
un
ensemble
qui
dispose
d'énormes
et
d'intéressantes
ressources
minières,
de
potentialités agricoles malgré les caprices pluviométriques,
des richesses halieutiques et
des potentialités forestières
qui
permettraient
une
émergence
de
l'état
stationnaire
qu'elle
connaît
si deux
conditions
essentielles
étaient
remplies
1 0 ) Si le cycle infernal
de la sécheresse n'avait
pas
perturbé
les programmes
d'autosuffisance
alimentaire
élaborés par tous ces Etats.
2 0 )
Surtout si
le
morcellement
du bloc
en
de
petits
Etats,
qui
est
déjà
un
handicap
majeur,
ne
multipliait de surcroît les difficultés de développement par
des
charges
annexes,
alourdissant
ainsi
les
dépenses
incompressibles d'entretien de ces
Etats.
C'est seulement à
titre d'exemple que nous énumérerons ici quelques ressources
parmi tant d'autres,
dont dispose l'Afrique de l'Ouest,
mais
qui sont dispersées,
inexploitées ou
"mal exploitées".
Dispersées
du
fait
du
morcellement
en
de
petites
entités,
de
telle sorte
que certains
Etats se
retrouvent
avec diverses ressources,
tandis que leurs voisins immédiats
n'ont rien
ou presque rien.
C'est ce qui
semble ressortir
d'une étude comparative
que nous avons menée
dans le cadre
de
nos
préoccupations
actuelles,
étude
comparative
des
- 92 -
ressources
minières de
la
Guinée
(Conakry) et
du
Mali.
Tandis que la
Guinée
(Conakry)
jouit d'une
gamme variée de
ressources minières,
son
voisin immédiat le Mali,
n'a pour
le
moment en
exploitation
que la
seule
mine
de sel
de
Taoudeni,
l'or de la Famelé
(toujours au Mali) étant estimé
à
peu
de chose.
Ce serait
également le cas entre
le Ghana
(qui connait
une exploitation abondante
du diamant,
de la
bauxite,
de l'or,
du
manganèse et
laisse
en sommeil
le
nickel,
le cuivre,
le
molybdène et
la
monazite que
des
récentes
prospections
ont
découverts) et
son
voisin
le
Burkina Faso
quoique le
sous-sol de ce
dernier renferme
quelques ressources intéressantes même peu variées.
Inexploitées ensuite
pour diverses
raisons au
nombre
desquelles les
déficits budgétaires
qui caractérisent
les
Etats sous-développés
et plus particulièrement
les nations
africaines.
"Mal exploitées"
enfin en
ce sens
que l'exploitation
intervient au
moment où le cours
du minerai baisse
sur le
marché in~erna~ional. C'est ainsi
par exemple que l'uranium
au
Niger
ne semble
pas
avoir
tout
a fait
répondu
aux
espoirs.
Simplement
à
cause
de
la
baisse de
son
cours
intervenue en 1980.
Il
ne
sera
pas excessif
d'affirmer
qu'en
fait
de
ressources minières,
le sous-sol
Ouest-africain ne
semble
pas particulièrement moins
fourni que les autres.
En effet
i l es~
riche en minerai de
f e r :
la Mauritanie,
la Sierra
- 93 -
Leone en extraient environ 35
millions de tonnes
par an30.
La
République
de
Guinée
pourrait
doubler
seule,
cette
production
compte
tenu
des réserves
du
Mont
Nimba.
La
bauxite reste un véritable pactole pour le Ghana,
la Guinée,
la
Sierra Léone.
Onze
millions de
tonnes
de ce
minerai
seraient produites
annuellement.
Les prospections
au Ghana
feraient état d'abondantes réserves de nickel,
de cuivre,
de
molybdène,
de
la monazite.
En plus
des réserves
estimées
appréciables
au
Burkina
Faso
(gisement
de
Tambao)
le
manganèse
est
encore
extrait au
Ghana
(300
000
tonnes
environ) et en Côte d'Ivoire.
L'or et
le diamant
constituent d'énormes
ressources,
notamment
au Ghana
où la
production est
particulièrement
prospère
au Sud-Ouest.
Au Burkina
Faso,
la
mine d'or
de
Poura exploitée sous la colonisation
a été fermée voilà des
décennies.
La Côte d'ivoire,
le
Libéria,
la Sierra Leone et
la République de
Guinée produisent également de
l'or et du
diamant.
Le Niger quant à lui,
occupe la première place dans
le
bloc Ouest-africain
et
la 5è
place
mondiale pour
la
production de l'uranium.
De 4
300 tonnes selon les chiffres
de 1982,
la production est passée
à 4 680 et
les rèserves
estimées à
40 000
tonnes.
Le Sénégal
et le
Togo tiennent
dans
cet
ensemble
Ouest-africain
le
flambeau
de
la
production du phosphate.
(30) L'hebdomadaire
"~eune Afrique" du 24 décembre 1984
au 2 janvier 1985.
- 94 -
D'autres
produits
comme
le
cobalt
(Guinée)
le
colombotantalite
(Côte
d'Ivoire)
la lignite et
le graphite
(Burkina
Faso)
demeurent
encore
1nexploités.
Il
serait
fastidieux
de
vouloir
parcourir
toute
la
gamme
des
ressources minières du bloc
Ouest-Africain.
C'est donc dire
que
l'état de
sous-développement
notamment industriel
ne
serait pas
a priori
uniquement imputable
à
un
quelconque
manque
de
ressources
mais
à
quelque
chose
d'extra-matériel,
d'extra-économique qui sera précisé en son
temps.
A
ces
richesses
s'ajoutent
des
ressources
énergétiques.
Nous
citerons le
gisement houiller
du Niger
estimé important
;
nous mentionnerons
surtout le pétrole du
Nigéria qui a
placé ce pays au rang
des grands producteurs
mondiaux,
pétrole secondé par le gaz
naturel de la ville de
Bony
(2
000
milliards
de
m3 )31.
Par
ailleurs
les
prospections ont révélé
la présence d'une nappe
de pétrole
au
Sénégal,
nappe
dont
l'importance
est
diversement
appréciée.
Si
les
causes
fondamentales
du
retard
de
l'Afrique de
l'Ouest ne peuvent
être toutes imputées
à
un
quelconque
manque
total
de
ressources
du
sous-sol,
ne
serait-ce pas
probablement du
côté de
l'agriculture qu'il
faudrait porter l'attention et l'analyse?
(31)
Les chiffres que nous donnons ici sont récents.
Certains sont la moyenne des productions de 1982
et de 1984.
La plupart d'entre eux sont extraits
de "Jeune Afrique économique" de septembre 1982,
et fin décembre 1984 -
début
janvier 1985.
- 95 -
§2
L'AGRICULTURE
Dans
la
recherche
de l'essentiel
et
par
souci
de
clarté,
nous distinguerons
les
cultures industrielles
de
l'agriculture de subsistance.
10) -
Les cultures industrielles
L'Afrique de
l'Ouest occupe une place
non négligeable
dans
le secteur
des cultures
industrielles, des
produits
d'exportation.
Le
Ghana,
la Côte
d'Ivoire,
le
Nigeria par
exemple, dominent le
marché mondial de cacao
(1 million de
tonnes). Après le cacao vient
le café qui demeure également
l'un des principaux produits d'exploitation
du Ghana,
de la
Côte-d'Ivoire, du
Togo,
de
la Rèpublique
de Guinée
;
les
chiffres récents
font état d'une
production de
l'ordre de
400 000 tonnes.
Le Sénégal,
la Gambie,
le
Burkina faso,
le
Niger,
le
Mali,
le Nigeria détiennent
incontestablement le
monopole
de
la
production
de
l'arachide.
l'exportation
globale s'élèverait à 2 millions
de tonnes.
Le Burkina faso
se fait
remarquer par l'exportation
du haricot
vert ainsi
que dans la production du coton.
Le Nigeria,
le Liberia,
la
Côte
d'Ivoire,
donneraient
ensemble 210
000 tonnes32.
Le
(32)
Les chiffres que nous donnons ici sont récents.
Certains sont la moyenne des productions de 1982
et de 1984.
La plupart d'entre eux sont extraits
de "~eunne Afrique économique" de septembre 1982,
et fin décembre 1984 -
début
janvier 1985.
- 96 -
Bénin
intervient
en
premiére
position
dans
l'ensemble
Ouest-africain pour la production des palmistes.
Il est très
concurrencé dans ce
domaine par le Nigéria.
Enfin pour les
bananes et l'ananas,
la Côte d'Ivoire intervient en première
position,
suivie du Ghana.
La "civilisation" de plantation
déjà annoncée dans les
Etats
des
rivières-du-Sud
(façade
médiane
de
la
côte
atlantique-ceinturant
le bloc
Ouest-africain)
a connu
un
important développement
(notamment forestier
jusqu'en 1972
date de
l'historique déclenchement
de la
sécheresse) dans
les Etats de la zone subéquatoriale
(Libéria,
Côte d'Ivoire,
Ghana,
Nigéria).
La
Côte d'Ivoire et le Ghana
ont connu un
développement
de la
forêt sans
précédent,
mais
l'avancée
vertigineuse du désert due aux aléas climatiques et aux feux
de
brousse,
véritable
fléau en
Afrique,
ont conduit
les
autorités concernées à en ralentir l'exploitation.
Dans
le
secteur
des
cultures
industrielles
d'une
manière
générale,
les perspectives
pourraient
être
plus
grandes et davantage prometteuses si
le brûlant problème de
la famine qui
semble avoir pris depuis
quelques années une
allure
de
cycle
était
résolu
par
une
agriculture
de
subsistance suffisante et de bonne qualité.
20)
-
L'agriculture de subsistanc~
L'agriculture
de
subsistance
est
constituée
des
productions
qui
satisfont
les
besoins
alimentaires
- 97 -
quotidiens
des populations.
Jusqu'à
une certaine
époque,
elle comprenait
d'une part
les céréales
: mil,
sorgho et
leurs variétés,
puis le maïs,
d'autre part les tubercules:
ignames,
manioc,
bananes,
plantain,
patates
douces
et
variétés ;
mais
le développement de plus
en plus important
du riz dans
certaines régions a fini par
former de grandes
régions dites
de
"civilisation
du riz".
Le grand
secteur
rizicole de l'Afrique de l'Ouest
s'étend de la Casamance au
Sud du
Sénégal au Bandama
en Côte-d'Ivoire en
passant par
les
Etats
dela
Rivière-du-Sud
(Guinée
Conakry,
Guinée
Bissau, Sierra Leone) à vocation véritablement rizicole.
Les
populations ouest-africaines se consacrent presqu'essentiel-
lement
à
l'agriculture.
Mais
en
dépit des
potentialités
agricoles et humaines,
l'agriculture demeure bien souvent le
talon d'Achille
des programmes
de développement
des Etats
Ouest-africains tant
les prévisions faites dans
ce domaine
se
sont
souvent
révélées
des
leurres
faisant
de
l'autosuffisance
alimentaire
un
rêve
dont
on
souhaite
pieusement la réalisation et rendant la dépendance vis-à-vis
de l'extérieur
inévitable et
de plus
en plus
accrue.
Ces
cuisants
échecs répétés
sont dus
selon
nous à
plusieurs
raisons
:
10) La dégradation des conditions climatiques
amorcée depuis 1973
et que l'on a
jusqu'aujourd'hui toutes
les difficultés à
juguler.
- 98 -
2 0 ) Les
méthodes culturales
et
les
outils,
malgré la
modernlsation,
restent dans leur
majorité encore
traditionnels,
voire
"archaiques".
3 0 )
L'exiguité de
certains
Etats reste
un
réel et sérieux
obstacle,
qui est,
à n'en
point douter,
la
conséquence
de ce
morcellement politique
et
l'absence
ou
l'échec
d'une
volonté
de
former
un
front
contre
l'ingratitude et
les caprices de
la nature.
Pour l'heure,
nous examinerons les méthodes culturales
et les outils,
les
autres facteurs feront
l'objet de développements ultérieurs.
Un
quelconque manque
de
potentialités humaines,
les
seuls
déséquilibres
budgétaires vis-à-vis
des
proqrammes
d'autosuffisance alimentaire,
les seuls aléas climatiques ne
sauraient
expliquer,
à
eux
seuls et
à
fond les
serieux
obstacles
que
rencontre
l'agriculture
en
général
et
l'agriculture de
subsistance en
particulier en
Afrlque de
l'Ouest.
Si une certaine déception persiste dans ce domaine,
à cause des rendements médiocres
en comparaison des efforts
considérables fournis,
i l est impératif,
nous semble-t-il,
de statuer davantage
sur la manière de produire
que sur ce
que
l'on
produit
car
la
auantlté
et
la
Qualite
des
rendements
peuvent
fortement dépendre
des
méthodes,
des
systèmes de
production.
Parmi les
différentes explications
de rendements
insuffisants de
l'agriculture,
les
systèmes
- 99 -
culturaux viennent en
premier lieu.
En effet
dans beaucoup
de
régions
des Etats
Ouest-africains,
l'agriculture
est
encore soumise à une multitude
de systèmes considérés comme
retardadaires
et
ne
permettent
plus
de
satisfaire
aux
besoins
grandissants
des
populations
en
explosion.
Le
contact
avec les
réalités
du terrain
d'une
part et
les
informations recueillies
d'auteurs tels
que G. SAVONNET33,
J.
DRESH34, A.
SECK35 et A.
MONDJANNAGNI, G.
CAZES et ~.
DOUING036 pour ne citer que ceux-là d'autre part, permettent
de
soutenir que
des
multiples
systèmes de
cultures
(de
jadis)
trois
d'entre
eux
sont
toujours
en
vigueur
et
facilement observables
pour peu que l'on
parcoure quelques
régions :
1 0 )
Le
système de
cultures itinérantes
sur
brûlis avec déplacements des champs
2 0 )
Le systeme de cultures mixtes
3 0 )
Le système de cultures intensives
Ce que nous avons pu remarquer
sur le terrain et qu'il
est
important
d'ajouter
ici
est que
même
si
tous
ces
systèmes
ont
permis
dans
le
passé
aux
populations
de
(33) SAVONNET G.
: Un système de cultures perfectionné par
les Bwaba,
les Bobo-Oulé de la région de Houndé.
Bulletin IFAN série B NO 3-4 juillet -
Octobre 1959
p.
425-456.
(34)
DRESH~. : La riziculture en Afrique occidentale.
Annale de géographie, Janvier-Mars 1949 p.
295-312.
(35) SECK A et MON~ANNAGNI A.
: op. cit.
(36) CAZES G. et DOMINGO~. : Les critères du sous-dévelop-
pement, Géopolitique du Tiers-Monde -
Editions Bréal
1975
-
100 -
subvenir a
leurs besoins
avec le
concours des
conditions
climatiques
moins
capricieuses
et
d'une
démographie
a
progression lente voire relativement
stable,
ils traduisent
aujourd'hui
un
retard
qualitatif
vis-a-vis
de
la
modernisation.
Ils ne
semblent
plus
efficaces quant
aux
rendements eu
égard au
nombre de
"bouches a
nourrir" qui
augmente quotidiennement
rendements qui devraient
résoudre
le
crucial
problème
de
l'autosuffisance
alimentaire
et
donner
aux
gigantesques
programmes
sectoriels
de
développement
(industrialisation,
éducation,
santé,
promotion
de
la
technologie) des
bases
solides
et
des
chances suffisantes
ce qui,
malheureusement n'est
pas le
cas.
Pour
appuyer
nos
propos,
essayons
d'analyser
ces
systèmes
l'un après
l'autre
en
vue de
déterminer
leurs
faiblesses.
1 0 ) Les systèmes de cultures sur brûlis avec
déplacements des champs
Il
s'agit
ici
de
cultures
itinérantes.
Elles
nécessitent
des
sols
neufs.
Sols
neufs
soit
parce
que
fraîchement
aménagés,
soit
parce
qu'enrichis
par
une
relative longue
jachère après quelques années
de cultures.
Ce
sont
ensuite
des
cultures
sur
brûlis
parce
que
l'aménagement des
sols que
ce soit en
savane ou
en forêt
finit
par
faire
intervenir
le
feu.
Ce
sont
des
caractéristiques qui
ont amené Pierre
GOUROU a définir
ce
type
de
culture
comme
"un
système
basé
sur
le
champ
temporaire,
grossièrement défriché,
puis nettoyé par le feu,
- 101 -
et
semé
ou
planté
immédiatement
aprés
l'incendie
ou
l'ameublissement superficiel du sol
à
l'aide d'outil simple
(houe)"37.
Ce type de culture ne demande
pas une forte densité de
population
au lieu
où i l
est pratiqué
car toute
poussée
démographique engendrera
un déséquilibre
par l'écourtement
des
jachères
et
donc
baisse
des
rendements
déjà
insuffisants.
En
cas
d'un
tel
déséquilibre,
deux
possibilités s'offrent aux agriculteurs.
10) soit rester sur place et défricher de nouveaux
champs mais loin,
parfois très loin du village,
2 0 ) soit déménager complètement pour rester à côté
de
ces
champs
nouvellement
aménagés.
D'où
le
fait
de
déménagement
des
champs
et
parfois
des
villages.
Au
Burkina-Faso où une sévère sécheresse s'était abattue sur le
Nord du pays,
i l y a une
décennie,
ce type de culture avait
connu une grande envergure.
Comme on peut le constater
et pouvait s'y attendre,
un
tel système indique
d'abord par sa dénomination
même,
puis
par ses procédés,
enfin par
l'insuffisance des rendements à
laquelle i l aboutit,
les faiblesses
qui lui sont inhérentes
(37) GOUROU Pierre:
Les pays tropicaux.
cité par G. CAZES
op ci t.
p.
114.
102 -
telles que son incapacité à
maintenir la fertilité des sols
en dehors des cendres et des
feux,
à nourrir une population
à
forte densité
là où
i l est
pratiqué.
A
ce système
de
culture manifestement précaire,
sans doute parce qu'adapté à
l'état fragile et traditionnel
des techniques,
s'ajoute une
autre méthode culturale dite
"système de cultures mixtes".
2 0 ) Le système de cultures mixtes
Ce système
est dit
mixte parce
qu'il intègre
en son
sein le système de cultures
intensives et celui de cultures
extensives.
En
quoi
consiste prècisément
ce
système
de
cultures
mixtes?
Il s'agit
de cultures
faites dans
des
champs différemment aménagés et différemment enrichis.
D'une
part en
effet,
de
grands jardins
s'étendent derrière
les
cases,
soigneusement
fumés.
Ils
sont enrichis
de détritus
ménagers
et de
fumier
de petit
bétail.
Ces champs
font
l'objet de cultures permanentes:
légumes,
condiments et de
plus en plus des céréales (variété
de mais dit précoce).
Ce
sont
des
cultures
qu'on pourrait
appeler
"cultures
des
concessions".
Dans
leur
ouvrage
commun G.
CAZES et J.
DOMINGO les appellent
"systèmes à auréoles concentriques" ou
"des systèmes à 3 ou 4
auréoles".
Ils les définissent comme
étant
"un
type simple qui
associe aux champs
itinérants à
longue jachère,
une ceinture de
jardins de cases,
plus ou
moins continue,
constituant un noyau cultivé
en permanence
-
103 -
par
les femmes
le
plus souvent
et
où
la fertilité
est
entretenue par les détritus ménagers et
le fumier du petit
bétail"38.
A.
SECK signale
la
pratique
de
tels
systèmes
de
cultures
chez
les
Peul du
Fouta
Djalon
(SénéQal).
~.C.
FROELICH les a constatés chez les
Kabré,
Naoudemba et Lamba
du
Togo
G.
SAVONNET, chez
les
Bwaba,
Bobo-Oulé
de
la
région de
Houndé
(Burkina
Faso).
G. CAZES et ~.DOUINGO ont
rencontré
les mêmes
systèmes
au
Mali,
dans
les
savanes
Nord-ivoiriennes
;
dans les pays
mossi
(Burkina
Faso). Au
Centre-Ouest et au Sud-Ouest de ce dernier pays,
régions que
nous avons
personnellement parcourues,
nous
avons remarqué
de fait,
la séparation des
cultures
"de concessions" et des
cultures sur brûlis des champs proprement dits.
Ainsi,
tandis
que les concessions,
les
devantures des
maisons font
l'objet
de cultures de
jardins
de cases d'une
part,
la culture
sur brülis se poursuit
d'autre part,
d'où
le caractère
mixte.
Nous
avons cherché
à
savoir.
Quant à
nous,
auprès
des agriculteurs,
les raisons
de ce
système
mixte
et
les
avantages
au
regard
des
rendements.
Les
explications
recueillies
révèlent
que
les
cultures
de
jardins de cases étaient
traditionnellement secondaires par
(38) CAZES G. et DOMINGO~. :op cit.
p.
115
-
104 -
étaient
traditionnellement
secondaires
par
rapport
aux
cultures
des
champs.
Elles
étaient
pratiquées
pour
contrecarrer
l'éventuelle
dureté
des
périodes
dites
de
soudure.
(Une période
de soudure
est
une période
située
entre
deux
récoltes
la
récolte
précédente
qui,
généralement s'épuise vers le milieu de la saison des pluies
et la récolte à venir qui demande beaucoup de patience).
Lorsque les
conditions cli~atiques
étaient favorables
et les récoltes abondantes,
ces cultures de
jardins de cases
ne
jouaient
qu'un rôle secondaire
de transition
entre les
deux périodes,
dans la
mesure où
ces périodes
de soudure
n'étaient
guère aussi
draconiennes. Mais
ces cultures
de
jardins de cases
ont acquis une importance
capitale depuis
que les
conditions climatiques
se sont
dégradées,
rendant
aléatoires
les
récoltes
donc
étendant
en
longueur
ces
périodes
de soudure
devenues
du
même coup
difficiles
à
supporter. C'est
la raison
pour laquelle,
ces champs
des
concessions qui n'étaient
aménagés que pour des
légumes et
des
cultures
de
condiments,
se
voient
aujourd'hui
"sollicités" de supporter d'autres cultures notamment celles
du maïs et ses variétés :
maïs dit
"précoce"
par rapport au
maïs ordinaire qui demande deux
à
trois mois d'entretien et
d'attente.
Ensuite l'arachide dite de
"90 jours"
par rapport
à l'arachide
ordinaire qui
dure presque
toute la
saison.
-
Enfin le haricot dit
"précoce" qui nécessite au maximum deux
mois d'attente
par rapport
au haricot
ordinaire qui
lui,
accompagne patiemment la saison jusqu'à son terme.
-
105 -
Quoiqu'il en soit,
ces systémes de cultures dits mixtes
parce qu'intégrant en
leur sein des cultures
intensives et
des cultures
extensives ne résolvent
pas mieux
le brûlant
probléme
de
l'autosuffisance alimentaire
que
le
svstéme
précédemment décrit,
même si ces iardins de cases permettent
aux
populations
de tenir
tant
bien
que mal
iusQu'à
la
moisson nouvelle.
Qu'en est-il alors
des systèmes
dits de
cultures intensives?
3 0 )
Le système de cultures intensives
Il
se caractérise
par
l'intégration
de l'élevaqe
à
l'agriculture.
Les champs plus ou moins constamment enrichls
portent annuellement
des cultures.
(Nous
disons"
plus ou
moins"
en
raison
de
la
décimation
du
cheptel
par
la
sécheresse).
Ce
système de
cultures pourrait
permettre de
meilleurs
rendements
si
toutes
les
conditions
étaient
remplies.
Il
faudrait
alors
un
élevaqe
important
pour
enrichir les champs de son
fumier.
Or cet élevaqe rencontre
depuis
plus
d'une
décennie
d'énormes
obstacles
à
son
développement.
Obstacles
essentiellement
dus
à
la
malencontreuse
sécheresse
qui
a
fait
périr
selon
les
diverses
appréciations,
plus
du
1 13
du
cheptel
Ouest-africain
les Etats du Nord
etant les plus touchés
:
"des chiffres
effarants ont
été avancés,
affirme ~. GIRl.
~ean-SURET-CANALE
a
prétendu
que
90
%
du
troupeau
mauritanien avait disparu,
des Journaux ont parlé de 80 % de
perte au Mali.
Un certain
nombre d'experts.
poursuit-il.
se
-
106 -
rejoignent
pour dire
avec beaucoup
de réserves
prudentes
qu'environ un tiers du troupeau
de bovins a disparu pendant
la phase aigüe de la sécheresse"39.
Ensuite le second handicap,
l'un des sérieux obstacles
au
rendement
élevé
que devait
permettre
ce
système
de
cultures,
est la
poussée
démographique
sur des
terroirs
exigus;
poussée qui ne permet plus d'assez longues iachères
pâturées pour
de meilleurs rendements.
Ainsi si
la famine
reste
perpétuellement une
menace
en raison
d'éventuelles
faibles précipitations,
cette menace pèse
de plus
en plus
lorsque
ces
systèmes
culturaux
fidèles
peut-être
aux
techniques traditionnelles,
font de
surcroît défaut par des
rendements
encore en-deçà
de ce
dont
les populations
se
contentaient
jusqu'ici.
Le problème
de
l'agriculture
en
Afrique
de
l'Ouest
en
particulier,
en
raison
de
son
importance et de
sa complexité ne saurait
selon nous,
être
individuellement résolu par ces Etats,
et la famine ne sera
efficacement combattue
avec de sérieuses chances
de réelle
résorption
que lorsqu'une
stratégie commune
de lutte
sur
tous les plans
lui sera opposée.
Les
Etats Ouest-africains
sont devant une alternative qui
demande beaucoup de courage
et
de réalisme
mais
en
compensation semble
porteuse
de
perspectives. Ou
l'on persiste dans
les efforts
isolés et
(39)
GIRl Jacques
op.
ci t.
p.
125.
-
107 -
l'on a
constamment la
main tendue sur
tous les
plans,
ou
alors l'on sacrifie la manie des divisions et le mythe de la
déification à
l'autel du réalisme,
et
dans ce cas avoir des
chances de regarder l'avenir avec confiance.
La gravité de l'alternative témoigne de l'importance de
ce secteur.
En
effet l'arme alimentaire est
l'arme la plus
redoutable dont peut disposer un
Etat tant pour sa sécurité
intérieure que
pour sa
politique.
Un
Etat qui
parvient à
nourrir
sa
population
est susceptible
de
connaître
une
stabilité car
rien ne saura
contenir le
déferlement d'une
population affamée.
Sur le plan
extérieur,
les
preuves de
l'efficacité de
l'arme alimentaire restent
incontestées et
incontestables.
Dans
une
réflexion
mêlant
vérité
et
arrogance,
le
Ministre
américain
de
l'agriculture ~ohn
BLOCK l'a confirmé
"l'arme alimentaire
est l'arme la plus
puissante dont nous disposons pour assurer la paix du monde.
Il en
sera ainsi
tant que les
autres pays
dépendront des
Etats-Unis pour leur alimentation,
et
hésiteront de ce fait
à
nous causer des difficultés"40.
Espérer
nourrir
des
millions de
personnes
par
des
systémes tels que ceux qui ont encore cours au]ourd'hu1 dans
la plupart
des pays Ouest-africains,
et au
prix d'efforts
(40) Cité par KOOJO Ede.
Et demain l'Afrique -
stock 1985
-
108 -
isolés,
c'est,
nous semble-t-il,
se
méprendre sérieusement
surtout
lorsqu'à ces
difficultés s'ajoute
la vétusté
des
outils.
b) -
Les outils
Malgré la vulgarisation des outils modernes (tracteurs,
charrues par exemple)
les outils agricoles restent dans leur
majorité
traditionnels
et
épuisants
(houes,
pioches,
coupe-coupe). Cela comporte deux
inconvénients majeurs dont
l'un est la conséquence de l'autre:
1 0 )
Ce
matériel
traditionnel
épuise
considérablement le travailleur agricole
et détériore de ce
fait sa santé
déjà bien fragile à
cause d'une alimentation
pauvre et du fait aussi de l'insolation.
2 0 ) Avec ce matériel
vétuste et épuisant,
le
travail ne progresse pas,
le sol est superficiellement remué
comme l'a fortement souligné Pierre
GOUROU, et le rendement
demeure logiquement faible.
Selon une enquête agricole menée
par la
F.A.O.,
peu
d'Etats Ouest-africains
disposent d'un
capital abondant de matériel agricole moderne.
Selon
cette enquête
menée en
1975,
seul le
Sénégal
disposerait
de 38
700
charrue~, le
Mali
de
80 000,
le
Burkina Faso
en compterait 8 000,
la Mauritanie 300
et le
-
109 -
Niger 176. Cette
enquête révèle par ailleurs
qu'au Burkina
Faso" 4 à 5 % des terres cultivées sont labourées par la
traction attelée"41.
Il faut souligner que la plupart de ces outils modernes
sont
presqu'essentiellement
destinés
aux
cultures
d'exportation.
L'exemple
le
plus éloquent
est
celui
du
Sénégal où
les 4/5,
voire la totalité
de ces
outils sont
concentrés
dans
le
bassin
arachidier
au
détriment
des
cultures
d'autoconsommation.
Pourquoi
ce
privilège
exagérément accordé
aux cultures
de rente
? Oublierait-on
qu'on ne saurait
parler de développement,
qu'on
ne saurait
envisage~ un quelconque développement là
où la famine sévit
ou se transforme en un cycle infernal ? Il est trop tôt pour
répondre à ces interrogations dans
cette partie consacrée à
la
présentation
géographique
de
l'Afrique
de
l'Ouest
confrontée à un
problème brûlant et préoccupant
celui du
sous-développement
dans
lequel
elle
s'enlise
et
les
perspectives
qu'elle
pourrait
envisager.
Pour
l'heure,
soulignons que si d'une part
cette famine s'intalle d'année
en
année
en force,
se
transforme
en cycle
infernal
et
brandit de plus
en plus son spectre
hallucinant,
c'est que
les efforts déployés par les
Etats Ouest-africains pour lui
résister
sont isolés.
Un
isolement
si multiforme
et
si
(41)
GIRl
(~acques)
op. cit.
-
110 -
rigoureux
qu'il
frise
bien
fréquemment
la
"désolidarisation". Si d'autre part cet
isolement se met en
relief
de
nos
jours,
parce
que
ses
conséquences
sont
notoires,
empiriquement constatables,
donc indéniables,
et
parce que lui-même
n'est qu'un moment d'un
long processus,
ses explications semblent par contre remonter très loin dans
le temps.
Il faudra
alors interroger l'histoire de
l'Afrique en
général et celle de l'Afrique de l'Ouest en particulier pour
trouver les causes non seulement à cet isolement multiforme,
mais
aussi
et
surtout
au
phénomène
global
du
sous-développement dans cette contrée Noire.
C H A P I T R E
II
APERCU DE L'HISTOIRE DE L'OUEST AFRICAIN:
- -
- -
STRUCTURES SOCIALES ET ~LEVERSEMENTS
INT~RNES
.-
-
112 -
On pourrait
d'entrée de jeu,
se poser une
question
:
celle
de savoir
le bien-fondé
de
l'étude des
structures
sociales
(précoloniales
et coloniales)
dans
un
chapitre
essentiellement consacré
à
l'histoire,
aux bouleversements
intérieurs
de
l'Ouest-africain.
A
la
suite
de
longs
développements sur
la géographie
de l'Afrique
de l'Ouest,
étude qui nous
a
permis de nous rendre
compte des diverses
potentialités de cette partie du
Continent et de prendre du
recul
par rapport
à
certaines
théses déterministes
trop
fréquemment avancées
pour justif~er
so~t un
certain refus
soit un
certain découragement
dans la
lutte contre
cette
pauvreté
envahissante,
nous
avons "interpellé"
l'histoire
pour lui demander de fournir
des explications sur la genèse
et la
persistance de
ce sévère fléau.
Il s'avere
que les
éléments d'explication de ce phénomène "social global"
selon
l'expresion
de Georges
Great s'articulent
objectivement
autour de deux grands axes :
10) Une histoire extérieure
trés mouvementée dont
le
sous-développement
lui-même
est
une
des
fâcheuses
conséquences.
20) Une histoire
intérieure véritablement trouble
caractérisée par
de sérieux bouleversements
successifs qui
ont sans doute
(c'est une hypothése a
vérifier!) favorisé
et facilité l'avénement de la pr~éden~e.
Si l'histoire
extérieure,
en
quoi consiste
principalement
l'expansionnisme
colonial,
demeure
l'explication
fondamentale
objective de
l'état
stationnaire de
l'Ouest
-
113 -
africain -
ce qui ne semble désormais plus faire de doute-il
est utile
voire nécessaire
de considérer
quelque peu
ces
bouleversements
intérieurs
à l'effet
de
déterminer
dans
quelle
mesure
ils
pourraient
avoir
ioué
et
peut-être
continuent
de jouer
un rôle
négatif dans
les efforts
de
développement:
ce qui revient en d'autres termes à préciser
la part
de responsabilité
de l'Afrique
elle-même dans
la
genèse et la persistance de son propre mal.
Il est difficile
nous semble-il, dans une telle entreprise,
de ne pas prendre
en compte les cadres essentiels de ces bouleversements
:
les
structures
sociales
c'est-à-dire
"les
cadres
durables
d'action"
qui
ont
determiné
(et
sans
doute
déterminent
encore) des
relations spécifiques entre les
divers groupes
sociaux des
communautés d'antan et d'aujourd'hui.
S'il est
difficile de contourner la prise en compte de ces structures
sociales dans
ce projet, c'est qu'elles
sont susceptibles,
pensons-nous, de fournir doublement des explications :
10)
Sur les
causes des difficultés de
passage de
l'ancien "Etat" à l'Etat moderne
indépendant et candidat au
développement.
20 )
Sur les
bouleversements
intérieurs que
les
"Etats"
Ouest-africains
(alors royaumes,
principautés
et
chefferies)
ont
connus
et
qui
les
ont
profondément
..
désorgan1ses,
désintégres et aff~blis, ce qui a perm1s a la
colonisat10n
de
s'implanter
sans
rencontrer
la
moindre
résistance unifiée.
-
114 -
C'est
donc toute
l'histoire précoloniale
et coloniale
de
l'organisation
de
ces
Etats
qui
est
ici
évoquée
et
"interpellée"
ceci
en vertu de l'ambition que
se f1xe la
problématique de ce travail (analyse
des difficultés et des
perspectives de développement) et du désir d'objectivité qui
sociétés
d'Afrique Noire,
Ferdinand
N'Sougan
Agble.agnon
parait
désormais
considérer
comme
seule
véritablement
explicative
des
difficultés
de
mutation
des
sociétés
africaines vers
le modernisme,
l'histo1re qui
ne s'arrête
plus seulement aux
faits récents mais qui
descend jusqu'au
fond,
jusqu'a
la
formation
même
de
ces
sociétés,
c'est-a-dire jusqu'a un certain niveau de la tradition
"Ce
n'est plus,
dit-il,
l'histoire
récente de
l'Afrique qu'il
faudrait
analyser,
mais
l'histoire
traditionnelle
tout
entière,
avec ses méandres et ses v1cissitudes,
c'est-a-dire
dans sa multiplicité et ses enchevêtrements"l.
Nous ne prétendons pas traiter ici un thème aussi vaste
que
la
tradition,
mais
nous
étudierons
titre
d'échantillon,
les
structures
de
quelques
communautés
(1)
Agble. .gnon N'Sougan Ferdinand : I~~~i~~ons et muta-
tions dans les sociétés d'Afrique Noir~~p_Soclologie
des Mutations.
Ed. Antropos~ 1970, p. 422.
-
115 -
Ouest-africaines et les difficultés de passage au modernisme
que
ces sociétés
éprouvent,
en
nous demandant
si
elles
peuvent
être
encore profondément
marquées
par
certaines
tares
de la
tradition.
Par
conséquent,
l'on
ne
saurait
véritablement
détecter
ces
tares,
ces
obstacles
à
la
transition
en
vue
d'y proposer
des
solutions
sans
une
descente jusqu'à
une certaine
profondeur de
l'histoire de
ces sociétés.
Pa1:r1ck
Henry, homme
d'Eta1:
americain,
ne
nous
donnait-1l
pas
raison
dans
notre
démarche
quand
i l
affirmait:
"Je ne connais d'autre
moyen de prévoir l'avenir
que l'étude du passé"2.
(2) Cité par Ede. Kodjo
Stock,
Paris,
1985.
SECTION 1
DES STRUCTURES SOCIALE~_ANTERIEURES
AUX STRUCTURES SOCIALES ACTUELLES
DIFFICULTES DE TRADITION
-
117 -
§1
• ANARCHIES ORDONNEES· OU • SOCIETES__~_~TAT·
PRECISION NECESSAIRE A LA POSITION D'UN PROBLEME
- ----._-- - - - - - - _.-
Les
sociétés
d'avant la
colonisation
ont
préoccupé
maints anthropologues et divers
spécialistes intéressés par
les
sciences
sociales,
l'ethnologie
en
particulier.
Ils
s'efforçaient de
savoir si
ces dernières
sociétés étaient
celles
dites
a
Etat
c'est-a-d1re
dotées
d'institutions
politiques et surtout de l'institution politique spécialisée
appelée
Etat
institutions dont
le
but est,
selon E.R.
Leach "d'assurer la
direction du plus
étendu des
corps du
groupe
humain
c'est-a-dire
la
société"
ainsi
que
"l'établissement et le maintien de la coopération interne et
l'indépendance
externe",
selon Isaac
Schappera. S'il
est
admis
qu'elles sont
des sociétés
a
Etat,
a
institutions
politiques,
i l
convient de
déterminer et
le niveau
de la
spécialisation
de ces
institutions (Etat
par exemple)
et
leurs formes,
ou alors la fonction remplie qui permet de les
élever
au rang
de sociétés
a
institutions politiques
et
surtout a
institution politique spécialisée
l'Etat.
Si au
contraire
rien ne
permet
de leur
concéder
ce statut
de
"Société
a Etat",
i l est
nécessaire alors
de dresser
en
fonction
de
leur
organisat1on
une
typologie
S1non
de
sociétés tout
court,
du
m01ns de
systemes politiques
qui
trouvent une place en leur se1n.~Le debat qU1 en sort1t pr1t
très vite
l'allure de celui de
spécialisations académiques
ou
plus
préjorativement
de
pure
logomachie
due
a
la
diverisité
des
acceptions
des
concepts
.. poli tique"
et
-
118 -
"pouvoir"
qui
restent,
tout
compte
fait,
les
"seules"
références
"définitionnelles
de la
notion
d'Etat.
Le
résultat d'un tel
débat,
on le sait,
a
été l'apparition de
deux
camps
quasi
inconciliables
d'un
côté
les
maximalistes,
de l'autre côté les minimalistes.
Gardant une acception large du phénomène "politique"
et
donc du
concept
"politique"
les maximalistes
lui accordent
un caractére universel.
Il n'existe pas selon eux de société
qui ne
connaisse pas
de poids
politique,
de
gouvernement
quelconque.
"Lorsqu'on
envisage
une
société,
on
trouve
l'unité politique,
et lorsqu'on
parle de
la première,
on
considère
en
fait
cette
derniére" .
Par
cette
réflexion,
Nadel,
qui reste une des
grandes figures du camp
maximaliste,
met
en relief la conception
presqu'extrême de
cette
tendance,
laquelle
va
;usqu'à
confondre
l'unité
politique avec
la société
globale elle-même.
Nous verrons
qu'effectivement,
dans
bien des
sociétés
traditionnelles
africaines,
i l n'y
a
pas de distinction
entre la structure
parentale et l'organisation politique,
particulièrement dans
la pratique.
Dans les petites
sociétés notamment où le lien
parental
est
manifestement prédominant,
le
politique
se
voulant structure autonome,
éprouve beaucoup de peine
à se
démarquer du parental.
Cette démarcation adviendra néanmoins
mais
sous
le
poids
de
facte~rs
multiples,
sociaux
en
particulier (hétérogénéité de
pl-us en plus marquée
dans la
communauté.
Une telle situation
nècessitera pour promouvoir
la coexistence pacifique par
l'action politique interposée,
-
119 -
sinon l'abolition, du moins
l'assouplissement de la rigueur
des structures familiales et parentales comme seules assises
de la communauté).
A
l'opposé
des
maximalistes,
les
minimalistes
qui
dénient
le
caractère
universel
du
fait
politique,
restreignent
du
coup
le
sens
du
mot
politique.
Ils
soutiennent
l'absence
d'organisation
politique
dans
des
sociétés sans institutions centralisées (l'Etat) et appelées
de
ce fait
"anarchies
ordonnées"
; sociétés
primitives,
archaïques etc
.. , Mais la
négation par les minimalistes de
l'Etat et
donc d'organisation
politique dans
les sociétés
qualifiées de
"primitives"
reléve-t-elle d'un
pur jugement
de
valeur
ou
au
contraire
procède-t-elle
d'une
vérité
démontrée
?
Il
est illusoire,
estimons-nous, en
sciences
sociales qui
sont d'abord
une perception
subjective d'une
réalité
extérieure
au
sujet
percevant,
de
pretendre
dissocier
rigoureusement
l'objet
du
sujet,
d'extraire
exactement l'objet
du discours
subjectif portant
sur lui.
Cela étant,
les minimalistes
apparaissent comme
pris dans
leurs propres piéges par les qualificatifs de
"primitifs· ou
"d'archaïques"
qu'ils
accollent
à
certaines
sociétés
extérieures
aux leurs.
"En effet,
écr1vait Lévy-Bruhl,
la
mentalité
primitive
est
essentiellement
mystique
l'individu sent,
mais n'abstrait
point. C'est pourquo1
ses
jugements
de
valeur
toujours ~concrets
et
particuliers,
déconcertent
nos
cerveaux
accoutumés
à
l'abstraction.
-
120 -
Faisant davantage appel
à la liaison de
données intuitives
qu'à
la coordination
de jugements
logiques,
la
mentalité
primitive est peu conceptuelle"3.
Si
en
réalité
l'Etat
(institution
politique
spécialisée)
n'est
pas
dans son
essence
une
donnée
de
l'immédiateté,
ni un
phénomene naturel
palpable, mais
au
contraire
et
avant
tout
un
artifice
intellectuel,
une
construction
de l'intelligence
humaine,
alors les
propos
ci-dessus relatés sont la destruction pure et simple de tout
postulat
d'existence
de
l'Etat dans
les
sociétés
dites
"primit1ves".
Nier
la
capacité
d'abstraction
chez
les
"primitifs· et affirmer en même temps la présence de l'Etat,
qui est essentiellement une réalité abstraite,
une opération
intellectuelle
d'interprétation du
pouvoir
dans un
corps
collectif
qu'est
la
société,
serait
contradictoire.
La
négation
par
les
minimalistes
du
fait
politique,
de
l'existence de
l'Etat dans les sociétés
dites "archaïques"
suit leur
logique mais
n'a pu
être attestée
comme vérité
universelle.
C'est
dans cette
logique
bien
particulière
qu'il
faut
penser
à Ma1inowsky à
propos
des
sociétés
australiennes,
à Mac Leod à
propos
des Yuroks de Californie
ou à Radcliff Brown concernant les Andamans d'Islande.
(3)
Bruh1-Lévy (L).
La mentalitéprimitive~9è édition.
Cité par Maurice Duverger in ~. Tra~_~~~~~ience
Politique.
Présentation de l'univers politique Tome l
Volume 1. Librairie Générale du Droit et de Jurispru-
dence p. 55.
-
121 -
Qu'en
est-il
des
sociétés
Ouest-africaines
précoloniales et coloniales,
puisqu'il
existait une variété
de formations
sociales:
royaumes
dans le golfe
du Bénin,
"Etats" dans le Mossi,
principautés chez les Haoussa, et ici
et là des chefferies ayant chacune son organisation propre ?
Il est véritablement difficile de répondre exactement à
cette question
d'abord à
cause de
la multiplicité
de ces
formations
sociales et
ensuite en
raison,
comme nous
le
soulignions
plus haut,
de la
d1fficile distinction
entre
comportements
parentaux
et rapports
politiques.
Dans
la
plupart
de
ces
sociétés
précoloniales,
la
structure
parentale
et
l'organisat10n
polit1que
coincidaient
quasi-totalement,
même si
par la
suite la
parenté et
le
système
politique
pouva1ent
très
imperceptiblement
se
démarquer
tout en
restant en
coordination pour
maintenir
leur harmonie initiale.
Ce qu'on
pourrait par
contre affirmer,
est que
nous
avons affaire
à des
sociétés stratifiées, c'est-à-dire des
sociétés qui
définissent des
statuts fondés
sur un
accés
différentiel
aux
ressources
(troupeau,
gérance
de
la
terre,diverses richesses).
Et nous soutenons pour notre part
que c'est
précisément à partir de
ce moment que
l'on peut
parler de démarcation
(du moins d'un début
de demarcation)
entre structure parentale stricte
.~or9~n1~~tion~itiqu~
pure.
Comment?
En effet,
aussi longtemps
qu'il existait
cette fusion entre système parental
et système politique ou
-
122 -
parenté et politique,
"l'accès
dlfférentiel aux ressources"
n'était
selon nous
ni
"concept" ,
ni réalité
pratique
l'autre
concept
et
réalité
de
"collectivisme"
ou
"communautarisme"
les
annulant en
vertu de
la très
nette
prédominance
du
lien
parental,
tant
dans
les
petites
communautés
(où tout
le monde se connaît
pratiquement) que
dans
les
grandes. Mais
à
partir
du moment
où
"l'accès
différentiel
aux
richesses"
apparaît
comme
une
réalité
applicable,
une
nécessité,
cela
signifie
non
seulement
l'extension
quantitative
et
qualitative
de
la
communauté-introduction
d'éléments hétérogènes
nouveaux
mais
aussi
la baisse
du
degré
de prédominance
du
fait
parental en faveur du phénoméne
politique.
Le lien parental
conservera sa trés nette influence -
comme i l en est encore
le cas
dans la
plupart des sociétés
africaines -
mais le
politique apparaîtra comme un double indice
:
1 0 )
L'indice
d'une
société
de
plus
en
plus
hétérogéne
et de
plus
en plus
large
qui
a besoin
d'un
équilibre social entre ses membres.
20)
Il interviendra comme
un régulateur social en
tentant de réduire les facteurs de dissociation.
Strictement différent du parental,
le politique dans le
cas échéant
voudrait se démarquer des
faveurs héréditaires
ou
successorales
dans
des
communautés
condamnées
à
l'hétérogénéité
et se
caractérise
par
les catégories
de
"mérite"
"compétence" etc ...
-
123 -
Autrement
dit
les
éléments
d'une
communauté
qui
ne
bénéficiaient pas d'office d'avantages
parentaux
(exemple :
fils,
filles,
neveux,
nièces,
bref les membres d'une famille
de roi
ou de chef qui,
par leur appartenance à
la famille
royale
jouissaient et
des
richesses
et donc
de
statuts
sociaux
spécifiques)
peuvent
accéder,
même
à
titre
de
stricte
exception, différentiellement aux
ressources.
Cet
accès différentiel
ne sera
plus cette
fois déterminé
par
l'appartenance à
une famille royale,
de chef,
mais plutôt
par mérite,
par émulation. Nous
allons essayer d'étudier un
exemple précis de
démarcation du politique et
du parental.
Cet
exemple
a
trait
a
une
petite
communauté
dont
l'homogénéité ethn~que
au début de son
peuplement apparait
comme une curiosité historique.
Les
royaumes Wolof et Serer
dont
nous
analyserons la
structure
paraissent
également
fournir une illustration de
cette démarcation entre parenté
et politique.
-
124 -
LA COMMUNAUTE LAONG :
le parental et
le~lltique : de la
fusion a la dissociatl0n. Essal d'an~~~~~p~ocessus
dissociatif et de l'apparition ducoD~ep~d~~~~ès
différent iel M •
Regard historique et situation 9éo~a~_~ique de la
co...unauté.
Comme la
plupart des
groupes sociaux
du Burkina,
la
communauté LAONG
(nom pluriel des
habitants:
Laomé)
tire
son origine de l'ancienne Gold-Coast,
actuelle République du
Ghana.
Elle
n'a
encore
fait
l'objet
d'aucune
étude
systèmatique,
ni des
anthropologues,
sociologues,
ni
des
linguistes,
ni des
historiens, exactement
comme la
quasi
totalité des différentes communautés peuplant aujourd'hui le
Burkina
Faso
(excepté
le
MOSS1
qU1 attira
trés
vite
l'attention
de
ces
spec1aiistes
par
son
organisation
étatique).
Ce manque gënant de
documents écrits explique la
difficulté majeure de dater avec précision les mouvements de
peuplement et les faits historico-politiques importants.
Encore relativement
peu nombreux
au Burkina
Faso par
rapport aux communautés voisines,
Dagara,
Mossi,
Gourounsi,
pour ne
citer que celles-la,
les
Laome sont
instalés
à
la
frontière du Burkina et du Ghana.
-
125 -
Ils ont un habitat généralement groupé.
Depuis quelques
années,
l'extension
sensible de ladite
communauté
tant au
long de
la frontière
qu'a l'intérieur
du Burkina,
laisse
supposer un taux de natalité relativement èlevé.
Leur langue
est appelée
le
"LAOG-NI".
Ils croient
en un
Etre suprême
créateur de
l'univers, mais
cet Etre
est secondé
par des
puissances intermédiaires chargées de
veiller sur la nature
généreuse.
Les
ancêtres
auxquels
~ls
vouent
un
culte,
constituent la
troisième hiérarchie
par ordre
décroissant
des puissances invisibles: Dieu
d'abord,
la divinité de la
nautre ensuite,
les ancêtres après,
le vivant enfin. On tend
à
les classer
soit
comme
un sous-groupe
lointain
d'une
grande famille ethno-linguistique du
Burkina:
ils seraient
apparentés semble-t-il
aux Lélé
donc au
grand groupe
des
Gourounsi,
soit alors
comme un
sous-groupe d'une
famille
ethno-linguistique du Ghana
les
FRA-FRA.
Si nous émettons
pour
notre
part de
très
sérieuses
réserves quant
à
la
justesse
et à
l'opportunité de
ce
rattachement faute
de
preuves
attestées
de
similitudes
linguistiques,
comportementales etc.
nous serions
en revanche
d'avis que
leur
nombre
extrêmement
réduit
au
départ,
proviendrait
probablement
d'une
dissidence originelle
ou
d'un
simple
détachement d'un
groupe ethnique effectivement
plus large.
Les
Laomè
sont
très
attachés à
la
terre
dont
ils
se
proclament
chefs
par~out
où
ils
s'installent,
mais
la
nationalisa~ion
en
1983
de
la
terre
a
réduit
cette
"boulimie" de la possession.
-
126 -
L'approche anthropologique de
cette communauté soulève
des problèmes
complexes dans
tous les
domaines,
problèmes
qui nécessiteraient pour
ètre éventuellement généralisables
aux
autres communautés,
slnon
une frèquentatl0n
beaucoup
plus assidue que
certains imperatifs ne nous
ont permis de
le faire,
du
moins une enquête participante
de très longue
durée.
Néanmoins,
en
isolant
un
point
précis
de
cet
écheveau:
le
processus
dissociatif
du
parental
et
du
politique pour mieux
saislr la rea~ité du
concept
"d'accès
différentlel",
nous
espérons
pouvOlr
illustrer
les
affirmations
que nous
venons de
faire à
propos de
cette
dissociation.
Le processus
"désintégrateur"
puis
dissociatif de
la
"nébuleuse" parentè-po~ltique, va s'opèrer
en trois moments
représentés
respectivement
par
trois
diagrammes.
La
différence graduelle
du volume de chaque
diagramme indique
le
grossissement
quantitatif et
qualitatif
(introduction
d'éléments
hétérogènes) de
la
communauté
et surtout
son
évolution socio-politique.
-
127 -
1ère ét:ape
- \\
Chef religieux
A
\\<------
'Responsable d e s / - / Le PA fRIARCHt;,
rites 1n1t1ati-\\==j{~
ou
ques et cultes
Chef de. la Communauté
~~
"polit1que"
ancestraux
(vertu éprouvée)
n
Chef de terre
L - -
J
Organisat:ion de la co. .unaut:ë Laong
Rigoureusement homongène.
Uniquement des Laomè.
Les
fleches
«=»
1nd1quent la
delegation
de pouvoirs
à
laquelle procède le Chef de la Communaute.
-
128 -
EX.J>.licat ion
Petite communauté rigoureusement homogène,
la structure
parentale et
l'organlsation politlque se revelent fondues en
une seule réalité régie par la
coutume et
la philosophie de
la vie de cette communauté.
La terre étalt distribuée par le
chef aux
aînés des familles
avec largesse pUlsque
le chef
devait
toujours avoir
a
l'esprlt
d'avoir affaire
a
des
parents proches
ou lointains,
tout
au moins a
des parents
d'ethnie.
Oélits
de droit
commun et
autres transgressions
aux
coutumes
etaient
Jugés
sous
une
forme
dite
de
"correction
collective".
Les modalités
de
repentir
sont
fixées par
un groupe
d'aïnes qUl
avaient a
coeur d'aider
d'abord un
parent,
et un
individu ensuite.
C'est pourquoi
dans cette
communauté on
ne parlait
pas de
" jugement"
au
sens
moderne,
mais
de
"conseils",
"de
corrections"
le
terme
"jugement
contenant
une
connotation
"d'altérité
négative",
"d'individualité"
voire
"d'indifférence".
On ne
parlait pas non plus de
"sanction"
mais de
"conseils en vue
du retour
au groupe"
le
concept
"sanction"
évoquant la
violence,
tandis que
l'expression
"conseils de
retour au
groupe"
traduit du
côté du membre fautif
le
regret et le
désir de se voir pardonner,
et
du côté de la communauté,
le
souhait
d'une
non-récidive
et
la
reconversion
dans
le
groupe,
du
membre
sanctionné,
en
homme
désormais
plus
conscient,
responsable et avisé.
Une fois de plus,
i l s'agit
là
d'un
exemple
qui
confirme la
nullité
de
la
notion
"d'individu" dans ces
sociétés.
L'individu n'a de
sens que
-
129 -
référé
a
un groupe
qui
lui
sert
de point
attache.
Le
communautarisme,
ou
le
collectivisme
dans
cette
petite
communauté
visiblement
régie
par
le
système
de primogéniture apparaissait
indéniablement
comme
un
concept pratique.
Mais comment peut-on remarquer
la fusion
du parental
et du
politique?
A plusieurs
niveaux -trois
tout au moins-.
1 0 )
Au niveau global de la communauté en guestion
sa nature
Nous avons affaire
a un groupe social
ethniquement et
culturellement
homogène
Curiosité
historique
"!
L'organisation de
ce groupe ressemble
alors a
celle d'une
famille
"cellulaire"
ou
i l est
difficile
de
distinguer
rigoureusement
un
acte
purement
parental
d'un
autre
strictement politique.
Le refus
d'employer certains termes,
comme "Jugement",
"sanction",
"pe1ne" pour éviter toute idée
de désolidarisation reste
une preuve de la
prédominance du
parental.
Mais
une
interrogation
sous-jacente
cette
constatation s'impose .
Comment expl1quer que ce
groupe se
soit
retrouvé si
rigoureusement homogène
a
un moment
de
grands mouvements
d'émigration du Ghana
vers le
Burkina ?
Nous ne
nous sommes pas
intéressés de façon
approfondie a
cet aspect de la question cependant
;
on peut rapporter une
constatation et émettre une hypothèse.
-
130 -
a)
La constatation
Selon des
milieux que
nous avons
fréquentés,
i l
est
attesté qu'au moment de ces
grands mouvements de peuples on
pouvait avoir des vagues entièrement homogènes d'immigrants.
C'est ce qui explique l'homogénéité de certains peuplements.
Il est donc probable que l'exemple laong soit de la série.
b)
L'hypothèse
En supposant que ce groupe
soit hétérogène à un moment
du déplacement
-
rencontre avec
les vagues
précédentes ou
avec les retardataires -
on peut penser qu'il ait sans doute
préféré
arrêter
sa
marche
là
où
i l
s'est
installé
jusqu'aujourd'hui parce que la terre
y abondait,
tandis que
les autres ont pénétré plus à l'intérieur.
Comme ce sont des
sociétés régies par la primogéniture,
i l suftit que le plus
vieux du
groupe,
cons1déré comme
le père de
tous,
veuille
s'installer à
un endroit
et la
marche prend
fin.
Nul
ne
conteste,
plus par condescendance que par résignation.
2 0 ) Le double aspect fondu en un ,
de_~_' ac~~..!ectoral
l'élection du ·père" du groupe
Celui
qui est
choisi
est en
effet
le
plus âgé
du
groupe.
Il est considéré comme le
père de la communauté.
Il
devra être digne
de son pére antérieurement
chef
(s'il lui
succède) ou devra
avoir été exceptionnel en
probité morale
et se montrer capable de conduire le groupe tant du point de
-
131 -
vue de ce qu'on
appelle péJorativement
"sorcellerie"
(grand
pouvoir occulte)
que par ses qualités personnelles.
En fait,
l'élection du chef est un acte
politique mais posé dans des
circonstances et dans l'esprit de famille.
On peut même dire
que
l'aspect
politique
est
neutralisé
par
l'esprit
de
famille qui préconise un choix ou une succession automatique
en la personne du plus âgé tandis que l'acte essentiellement
politique
aurait
nécessité une
concurrence
de
candidats
indépendamment
de
l'âge.
Considéré
comme
père
de
la
communauté,
le chef
se
voit
conférer tous
les
pouvoirs
exactement
comme
un chef
de
famille
jouit de
tous
les
pouvoirs
parce qU'étant
le
premier
responsable.
Dans
la
Communauté Laong,
on
ne dit pas que ie chef
commande à
ses
sujets,
mais
qu' "il
ve1lle
sur
sa
famille"
expression
révélatrice
de
la
fusion du
parental
et
du
politique.
Détenteur de
tous les pouvoirs,
i l n'est cependant
pas un
monarque ni un
autocrate mais procède à
des délégations de
pouvoirs dans un esprit de famille.
-
132 -
2è étape
Lao.è
Waalè
Petits groupes Minoritaires
Début de déMarcation
Extension quantltative de la communauté par la présence
d'un autre groupe social:
celul des Waalè.
Des difficultés
surgissent.
Le système de gouvernement quasi-essentiellement
fondé sur
la parenté et
la primogéniture doit
changer.
Le
processus dissociatif du parental et
du politique se dénote
par
:
-
133 -
1 0 ) La nature de la communauté
désormais hétérogène
Désormais
hétérogène,
cette
communauté
exige
des
aménagements
qualitatifs
de
certaines
structures
et
de
certaines
conceptions
propres
a
une
v~e
rigoureusement
homogène parce que mono-ethnique et mono-culturelle.
20)
Larges possibilités désormais de choix du candidat
Dorénavant,
l'élection
du chef
de la
communauté peut
faire l'objet
de
"ballottage"
ce qu~
s~gnifie qu'on
peut
avoir
un chef
Laong,
comme
le
cho~x peut
tomber sur
un
Waalé.
L'ancien mode
d'élection reposant
sur des
assises
familiales,
elles-mêmes
régies par une coutume
unique,
est
manifestement relégué.
30)
La répartition des pouvoirs
A l'avenir
les pouvoirs
ne sont
plus concentrés
aux
mains
d'une
seule
personne.
Il
existe
dorénavant
une
répartition
des
pouvoirs
entre
les
deux
communautés.
L'attribution
d'office
de
certains
privilèges
(faveurs
accordées aux membres des familles ~e chefs) fait
l'objet de
révision.
Les conseils et autres séances ne se tiennent plus
sur un arrière-fond exclusivement
parental.
En conclusion:
la
structure
parentale,
qui
régissait
autrefois
le
fonctionnement
du
groupe,
baisse
de
degré
d'influence.
Désormais,
on
devra
tenir compte
de
ce
qu'il
convient
- 134 -
d'appeler le fait
"politique" perçu dans ce
contexte comme
phénomène qui
marque l'autonomie de sa
structure vis-a-vis
du parental.
Tandis que la politique
dans ce cas se définit
comme ce
"quelque chose d'autre
que le
parental exclusif"
qui
veut
maintenir
et
promouvoir
l'harmonie
jadis
caractéristique
d'un
système
"monolithique"
et
de
condescendance,
mais
en
renversant
ou
modifiant
les
principes,
le politique serait cette volonté d'harmoniser la
vie
en
communauté
en
s'efforçant
de
réduire
et
de
neutraliser
ce
que
nous
appellerions
les
"antinomies
sociales"
ou
"facteurs
de
dissociations"
faveurs
de
naissance
ou
d'appartenance
familiale,
tribale
etc.
Le
mérite
devra être
le
seul
critère d'attribution
de
ces
privilèges.
Le
politique,
c'est
finalement
la
recherche
pacifique de la vie et de la survie du grand corps collectif
qu'est cette communauté devenue
hétérogène.
Dans son Traité
de science politique Georges Burdeau définit le politique en
ces termes
"Quelle
que s01t en
effet la
définition que
l'on propose du politique, on en
arrive toujours a ceci que
le politique est ce qui maintient ensemble les hommes en vue
d'une certaine fin".
Plus loin,
i l conclut
"le politique
est donc
ce pourquoi
un groupe existe
et se
développe en
tant qu'unité
collective"4. Mais
l'emploi de
ce terme
au
masculin oblige a
préciser davantage la différence
avec la
politique
:
(4)
Burdeau Georges,
Traité de science-politique :
Présentation de l'Univers politique.
L.G.D.J.
Tome 1. Volume 1.
p.
129.
- 135 -
véritable
éristique
qui
a opposé
et
oppose
encore
des
"géants" de différentes
écoles.
Pour les uns,
le politique
est une ESSENCE,
fondamentalement autonome,
indépendante des
autres
structures.
Si
néanmoins,
i l
entretlent des
liens
avec elles,
ces rapports ne s'inscrivent pas dans la rigueur
d'une
nécessité,
mais
sont
conjoncturels.
Si
notre
interprétation
de
la
pensée
de ~ulien
Freund n'est
pas
défectueuse,
i l
faut
alors
penser
qu'il
s'agit
là
de
"postulats" en vue d'une élaboration théorique captivante en
perspectlve mais qUl
du point de vue de
la pratique risque
de
poser de
sérieux
débats quant
à
la
manlere dont
le
rapport entre le polltique et les autres lnstances a pu être
observé.
En proclamant le "caractère essentlel"
du polltique
et
son
autonomie,
même
dans
l'hypothese
d'un
postulat,
Freund s'lnscrit en
faux contre
l'Ecole marxiste
precisement sur un point
celul de l'autonomie du polltique
vis-à-V1S
des
autres
structures.
En
effet
si
l'Ecole
marxiste reconnaît que
le politlque est une
"essence"
elle
ne l'isole pas,
par contre,
de l'èconomique qui le détermine
fondamentalement.
Le
politique et
l'économique restent
en
rapports dialectiques,
c'est-à-dire
capables d'influer l'un
sur l'autre,
de produire des effets réciproques décisifs qui
seraient la marque de cette dialectique.
Et ceci n'est ni un
postulat posé
dans la
perspective d'une
démonstration,
ni
même une hypothèse
à vérifier,
mais une
réalité historique
toujours
observable.
Pour
marquer
l'importance
de
la
dialectique
entre les
deux instances,
nous irons
jusqu'à
dire que l'économique et le politique sont les aspects d'une
-
136 -
réalité
socio-polltlque
dont
la
dynamlque
se
fait
par
"l'élément objectif"
et
., 1 . élément
subjectif".
Mais
si la
différence entre
le politique
et la
politique se
pose en
termes,
d'essence
et
d'autonomie,
ou
de
rapports
dialectiques
avec d'autres
instances
pour les
différents
tenants
des
Ecoles
précitées,
aux
yeux
du
constitutionnaliste Burdeau, celle-ci paraît plus simple.
En
effet
comme sommé
de préciser
cette
différence entre
le
politique et
la politique,
Burdeau écrit encore:
"Que par
ailleurs,
la politique
soit
ce qui
les
divise le
plus,
n'infirme
en rien
la
proposition
précédente, car
si
la
politique est
lutte,l'objet
de la
lutte n'en
demeure pas
moins
la
détermination
des fins
qui
rassemblent
et
de
l'autorité qui unifie"~
Pour Burdeau donc,
l'essentiel de
la
différence entre
le
politique et
la politique résiderait
dans la
"lutte",
les
"divisions",
les
manoeuvres
quelquefois
mesquines
qu'engendre la politlque tandls que
la finalité est la même
pour l'un comme pour l'autre.
Quant à
nous,
quelle
différence falsons-nous entre les
deux termes d'autant
plus que nous avons
délibérément opte
pour l'emploi du
terme poli tique au masculin à
propos de la
communauté Laong dont nous avons fait
une étude partielle?
(5)
Ibidem
- 131 -
Un
examen approfond1
nous révèle
une différence
de
contenu
et de
méthode.
Du
point
de vue
du contenu,
le
politique nous paraît être toute idée,
toute ambition,
toute
démarche
coextensives
aux
voeux et
efforts
de
maintien
pacifique et de développement harmonieux
de tout groupe,
de
toute communauté,
de
tout Etat. Cela signifie
en clair que
le politique
sert de toile de
fond à toute vie
en société
dans ses débuts,
dans son
maintien et dans ses perspectives
d'évolution.
De ces propositions nous déduisons le caractère
générique du politique.
Le politique a un
contenu beaucoup
plus large,
si étendu qu'il
est facilement
assimilable au
substantif ·social·.
Du
fait de son orientation
sociale et
de ses tendances à l'harmonie,
le politique peut être perçu
comme un
phénomène essentiellement
positif.
Son
caractère
coextensif
au social
au
sens positif
du
terme,
le
rend
souvent un concept indéfinisable c'est-à-dire indélimitable.
Ce
qui
est
notoirement
différent
de
son
autre
aspect
perverti qu'on appelle la politique.
La
politique
par
contre
semble
une
manifestation
particulière
du
politique
mais sous
une
forme
dévoyée.
L'observation quotidienne
de la politique sous
cette forme
dévoyée nous
amène à la définir
en l'imageant de
la façon
suivante :
"La politique
est un
concept en
grossesse qui
veut toujours
accoucher d'un pouvoir"
pouvoir en
tant que
capacité physique,
matérielle et pouvoir en tant qu'autorité
morale.
C'est
pourquoi,
si
elle
prétend
rejoindre
le
politique
en
matière
de
fins
sociales,
d'objectifs
nationaux,
c'est-à-dire rallier les membres d'une communauté
-
138 -
autour d'un seul objectif,
si
elle prétend
"construire l'un
avec
du
multiple"
selon la
formule
de Burdeau, elle
en
diffère
radicalement par
les
moyens,
notamment par
leur
nature et par leurs résultats
Fréquemment
et essentiellement
perçue comme
"lutte",
affrontement sans merci
ni sentiment,
la politique
tend de
plus en plus à être un domaine de la ruse,
où le mensonge se
pare
du
caparaçon
de
vérité
et
où
les
bases
d'un
hypothétique ralliement de tous les membres d'une communauté
autour
d'un objectif
global sont
souvent
ruinées par
la
brutalité ou
la mesquinerie des
méthodes.
De plus
en plus
considérée
comme
une supercherie,
comme
une
inféodation
partisane d'une fraction du groupe
social,
la politique est
du même coup appréhendée comme quelque chose d'assez négatif
-même si elle est aussi jugée
nécessaire- et les homme dits
"politiques"
passent
pour être
d'habiles flatteurs.
Cette
réflexion que voici de Colette extraite de
"Belles Saisons"
en dit
long de
la finesse négative
de cet
art et
de ses
praticiens
"Mais oui,
je suis optimiste. Si je n'étais pas
optimiste,
je
ne serais
pas un
homme politique.
Un homme
politique,
c'est un homme qui
est persuadé qu'il va reussir
où d'autres
ont échoué,
un homme
qui se croit digne
de la
tâche qu'il entreprend, qui croit au succès de ses idées".
Le
caractère
dévoyé
de
la
politique
a
ainsi
oblitéré
l'aspect scientifique qui lui était initialement inhérent.
- 139 -
Mais pourquoi
parlons-nous de
politique au
masculin,
alors que se profile inévitablement à
l'horizon la Politique
en tant que concurrence,
lutte, affrontement?
Deux raisons justifient cette option
1 0 ) La mise à l'écart du péjoratif vis-à-vis de
l'action entreprise dans cette communauté
L'évolution socio-politique et l'apparente sincérité de
ses acteurs imposent d'emblée la
mise à l'écart de l'aspect
péjoratif
de la
politique;
évolution socio-politique
en
quoi consiste la recherche assidue de
part et d'autre de la
mise en
place d'un
système de
direction de
la communauté
fondé
sur
un
effort
de
synthèse
des
particularismes
ethniques
et
culturels.
Dans
la
mesure
où
le
contenu
scientifique de la
politique est èrodé d'une part
et où la
politique
implique
une
pratique
précise,
d'autre
part,
employer ce terme dans son contenu et sa pratique restreints
à propos de
la communautè Laong,
serait
nier l'acte social
véritablement
positif qui
s'assimile
visiblement à
cette
quête exprimée d'harmonie pour tous.
2 0 ) Sur le plan de l'objectif
Le politique n'exclut
pas a priori la
concurrence,
la
lutte
seulement
il s'est trouve que
fort curieusement la
lutte
a
orienté
les
forces vers
un
objectif
commun
l'assouplissement,
voire
l'abolition
des
assisses
-
140 -
familiales,
parentales et
de la
primogéniture érigées
en
principes de direction
dans un contexte social
de moins en
moins homogéne.
Un
tel système n'avait de
chance de survie
qu'aussi longtemps
que durerait
l'homogénéité du
contexte
social (culturel,
ethnique,
coutumier etc.).
Or cet état de
fait
a
visiblement changé
; du
coup cela
engendrait deux
éventualitiés
:
a)
Un
risque
d'affrontement
intercommunautaire
dès
l'effacement
de
l'homogénéité
du
groupe,
comme cela
s'est souvent produit
(Nigéria).
Ce qui
signifierait
un
échec
de
coexistence
des
communautés
culturellement différentes,
échec qui
serait explicable par
une tentative
d'hégémonie d'un groupe
sur les autres
; ce
que
nous n'avons
pas
constaté sur
le
terrain.
Si
cette
première éventualité avait été
réalisée,
nous serions tomb~
dans la
phase dévoyée du politique
la politique
en tant
que
"boulimie" de
domination,
lutte
par
tous les
moyens
d'une
partie des
membres inféodés
ou
"agglutinés"
autour
d'une stratégie à
prétention unificatrice.
b)
La
seconde
éventualité
était
la
possibilité
de
coexistence
pacifique
fondée
sur
une
philosophie
courageuse
de
la
vie
en
communauté.
Cette
philosophie consiste en une cession
réciproque au profit du
grand
corps collectif,
de la
rigueur des
particularismes
ethniques et coutumiers qui engendrerait des disjonctions ou
désarticulations structurelles
disjonctions que nous avons
-
141 -
appelées "antinomies soclales" ou facteurs de dissociation
:
privilèges
héréditaires,
faveurs
d'appartenance et
autres
attributions sans
mérite attest~.
Or,
c'est
cette seconde
tranche
de
l'alternative
que
nous
avons
concrétement
constatée
sur le
terrain depuis
1983,
confirmée par
une
symbiose
historique
interne
de
ce
grand
groupe
social
multi-culturel.
S'il est
donc vrai
que
le politique
est
"tout ce par
quoi un groupe existe et se
développe en tant
qu'unité collective",
si
le politique est aussi
et surtout
toute démarche coextensive aux efforts d'existence pacifique
et à
l'évolution harmonieuse
de tout
groupe,
alors
i l ne
nous semble
pas excessif de
considérer comme
émanation du
politique,
et
donc de
l'appeler par
ce dernier
terme,
le
renversement pacifique
graduel des
principes directionnels
de la communauté Laong.
-142-
LAOME
•
YORUBA
•
La parenté en tant
que système de direction
de la communauté jadis
•
WAALE
hom7ne
•
PEUL
1
• KO et autres groupes
minoritaires
LEGENDE
j = baisse d'influence l décroissance
1= ascension. Renversement progressif du système parental par le phénomène
pol itique.
- 143 -
Co-.entaire
Extension de plus en plus large de la communauté par la
présence d'autres groupes sociaux.
La parenté au sens strict
du terme ne peut désormais
avoir encore d'effets réels qu'à
l'intérieur de
chaque groupe social
restreint.
Et
plus la
parenté
(en tant qu'ancien mode de
"gouvernement") baisse de
degré
d'influence,
plus
le phénomène
politique
se
fait
sentir. Celui-ci
intervient comme
facteur
régulateur
dans
une
"societé"
de plus en plus
hétérogène et appelée
de ce
fait
à
réaliser une fusion
indispensable pour obvier
à
un
possible affrontement intercommunautaire.
Quant
à
la
hiérarchie
interne
-
qui
a
quelquefois
négativement caractérisé les sociétés
stratifiées ainsi que
nous le
verrons dans les exemples
qui suivront -
elle est
ici historique et double
1 0 )
Hiérarchie
au
niveau
des
communautés
globales:
Laomè d'abord,
Waalé
ensuite,
Yoruba aprés,
Peul
enfin.
Cette hiérarchie,
nous a-t-on
laissé entendre,
ne
repose sur
aucune discrimination négative de
quelque ordre
que ce soit, mais suit l'ordre historique d'arrivée.
2 0 ) Au niveau des individus:
c'est dorénavant une
hiérarchie de mérite et de compétence.
En effet à
partir du
moment où la parenté et
la primogéniture n'existent plus en
tant seulement
que système
de direction
de la
communauté
-
1~~ -
devenue
trés
hétérogéne,
les
conditions
d'accés
aux
richesses,
conditions exprimées en
termes de mérite,
valent
aussi bien pour les membres de
la famille du chef du groupe
arrivé le premier (Laomé) que pour
ceux du groupe arrivé en
dernier lieu
(Peul).
La dissociation entre le parental et le
politique paraît donc consommée
pour l'essentiel.
Cependant
i l faut souligner le fait important suivant
la parenté est
quelque
chose
à
laquelle
l'on
attache
une
certaine
importance
car
elle
paraît avoir
toujours
été
un
mode
d'identification de l'indivldu,
son point de référence et il
aurait suffi d'une
dysfonction au niveau du
politique pour
redonner au parental toute l'ampleur de son influence à
tous
les niveaux du
fonctionnement de la communauté.
L'échec de
la coexistence
efitre le parental
et le
politique explique
les
nombreux
affrontements
ethno-tribaux
qui
affectent
fréquemment
le continent
africain.
La
communauté Laong
a
pour sa
part toujours évité
cette tare jusqu'à
nos jours.
Plus
qu'un
équilibre
des forces
des
différents
groupes
constituant la communauté en
question,
équilibre des forces
qui rendrait tout
"match" nul,
la réelle volonté de vivre en
paix et de gérer positivement les différences culturelles en
est l'explication profonde.
En
récapitulatif,
le schéma est
donc le suivant
: Le schéma 1 montre la
fusion du parental
et du politique:
état de "nebuleuse"
Le schéma
I l
indique la
baisse sensible
du
degré
de
prédominance
et
d'influence
parentales
et
l'émergence du politique:
"étape de
"bipolarisation"
- 1115 -
Le
croquis III expose
le renversement
des
rapports
le
politique
renverse
le
parental
phase
d'autonomie
consommée mille
et
une
questions restent
en
suspens dans
cet exemple
que nous
avons étudié
mais dont
nous ne voulons pas généraliser l'articulation ni le mode de
fonctionnement à
toutes les
communautés africaines.
Notre
souci était de montrer la fusion du couple parenté-politique
dans un premier temps puis de tenter d'analyser le processus
de
sa
désintégration.
L'éclatement
de
la
nébuleuse
parenté-politique
en
deux
instances
désormais
autonomes
l'une
par
rapport
à
l'autre,
entraîne
l'apparition
du
concept
"d'accès
différentiel"
que
nous considèrons
comme
concept
opératoire. Opératoire
non
seulement parce
qu'il
révèle le
mode de fonctionnement d'une
communauté précise,
mais permet de
trancher provisoirement le débat
qui oppose
les
maximalistes aux
minima listes
à
propos des
sociétés
dites
sans institutions
politiques.
En
plus des
quelques
particularités du cas bien précis que nous venons d'étudier,
i l
faut
noter
que
d'une
manière
génèrale,
l'accès
différentiel
aux
ressources
introduit
la
notion
de
"hiérarchie interne".
Et dans la
polémique qui
oppose les
deux camps, cette constatation,
intervient comme un argument
de poids en faveur des maximalistes,
du moins ils le feront
tel.
En
effet
cette
hiérarchie
interne
en
quoi
consisterait
la hiérarchie
de chaque
entitè sociale
dite
primitive ou archaïque:
chefferie,
royaume par exemple,
le
type particulier de rapports entre
les membres de l'entité,
l'importance accordée
à
l'économie
-
implique
la présence
-
146 -
d'institutions politlques selon le
camp maximaliste.
Car le
phénomène
politique ne
s'exprime
pas
seulement dans
les
institutions
spécialisées
telles
que
l'Etat,
comme
le
voudrait l'aile minimaliste,
mais aussi et surtout
à cette
époque et dans
ce type de société,
à
travers des fonctions
multiples
économiques,
religieuses
(rapports
avec
les
ancêtres et
les diverses divinités).
De ce
point de
vue,
si
l'Etat -qUl
n'est perçu
que
comme
une forme
spécialisée de
ces lnstances-
n'existait
déjà comme
au Mossi
(Moro),
i l
etait du
moins prévisible
dans les autres communautés moins blen structurées.
Une
question importante
cependant
A quelles
exigences
répondent
ces
précisions
?
Celles-ci
répondent
a
une
préoccupation d'ordre pratique.
En
effet,
en quallfiant ces
sociétés
de
"stratifiees",
nous les
revêtons d'un
cachet
particulier,
nous
faisons d'elles
des formations
sociales
qui ont une
certaine spécificité,
leur spécificité.
Et
les
précisions que
nous avons faites nous
permettent d'exposer
quelques
exemples
pratiques
de
stratification
et
de
déterminer autant que posslble les obstacles a
la transition
de ces Etats précoloniaux et
colonlaux aux Etats totalement
modernes postulant le développement.
En d'autres termes,
i l
s'aglt de préc1ser ce que les Eta~s Oues~-atrlcains modernes
sont
susceptibles de
conserver
ou
de falre
resurg1r
de
négativement
traditl0nnel et
re~ardant, tant
sur le
plan
purement structurel,
politique.
que
mental et
qui est
ou
pourrait
être
considéré
comme obstacle
dirimant
à
leur
intégration:
condition essentielle du développement.
- 147 -
§2 -
LES STRATIFICATIONS SOCIALES D'ANTAN:
.._ - _..
OBSTACLES TOUJOURS LATENTS A LA T~NSITION ?
La
stratification sociale
entendue comme
hiérarchie,
réalité
sociale
definissant
des
statuts
fondés
presqu'essentiellement
sur
un
accès
différentiel
aux
valeurs
matérielles
telles
que celles
citées
plus
haut
apparaît comme
un fait
universel.
Elle a existé
en Europe
(le noble
par rapport
au vilain
médiéval par
exemple) et
dans bien d'autres parties du
monde dont l'Afrique.
Si elle
est universelle,
elle est
cependant différemment
vécue au
fur
et
a mesure
de
l'évolution
du
temps et
selon
les
milieux.
Si ailleurs,
elle ne semble manifestement pas avoir
gêné tant du point de vue
des institutions
(cas de l'Europe
par exemple)
que de
celui des
mentalités,
le
passage des
sociétés
de type
ancien
aux
Etats modernes
actuellement
développés,
en Afrique au contraire (et
i l est important d'y
insister) cette
transition paraît diff1cilement
opérable;
difficulté
dûe très probablement
(comme nous essayerons de
le
montrer)
en grande
partie
a
la profondeur
de
cette
stratification
hier
acceptée
par
certains
qU1
en
souhaiteraient d'ailleurs
la persistance
et combattue
par
d'autres
sur beaucoup
de
ses
aspects qu'ils
considèrent
comme de
graves entraves
aux perspectives
d'évolut10n.
La
très
nette différence
entre
castes
dites supérieures
ou
.-
ordres dont
les membres jouissaient
et même
continuent de
jouir
1ndirectement,
dans
certains
milieux
bien
conservateurs
et
nostalgiques,
de
tous
les
avantages
-
148 -
sociaux, et castes dites
inferieures
(forgerons,
gr~ots par
exemple) auxquelles
l'exercice de
certaines fonctions
est
interdit, quelles que soient leurs compétences, en fait
foi.
Ces jugements
à
tout
le moins
sévéres portés
aujourd'hui
contre le
mode d'organisation d'hier
prennent dés
lors le
caractére de sérieuses hypothéses que
le double objectif de
ce travail
(objectif analytique, obJectif
prospectif) nous
oblige
à
vérifier
par
l'exposé
et
l'examen
d'exemples
concrets.
Nous
n'analyserons
cependant
pas
les
stratifications
de
toutes
les
sociétés
ouest-africaines
précoloniales ou
coloniales~ mais
seulement quelques
unes
qui
nous
paraissent
le
plus
en
relief
et
les
plus
significatives. Significatives
s01t parce
qu'elles mettent
le
caractére
entravant
en
rel1et,
s01t
parce
qu'elles
soulèvent des difficultés "intercurrentes".
10)
Les structures sociales chez les Peul
Le phénoméne des castes en
Afrique n'est pas un récit,
mais bien une réalité sociale
souvent douloureuse parce que
capable d'engendrer
des sentiments
d'hostilité à
court,
à
moyen
et
surtout
à
long
termes
au
se1n
d'une
même
population. Certaines
couches,
pour des raisons
encore mal
connues ont
fait et
cont1nuent de
faire
l'objet,
même si
c'est à
un degré réduit,
de mépris quasi
systèmatique.
Il
est constaté et touJours constatable que forgerons et griots
sont
presque partout
méprisés
et
constituent des
castes
-
149 -
endogames.
"Les
forgerons-bijoutiers,
constate Gabriel
Gosselin sont à la
fois redoutés et méprisés,
leur contact
étant encore réputé impur"6.
Et pour ce qui concerne surtout
les
griots,
Paul
Pélissier avait
déjà
fait
l'amère
constatation
"la caste qui porte
le poids le
plus lourd
des préjugés anciens
est sans conteste les
griots.
Ce sont
eux qui ont le plus difficilement
accés à
la possessl0n,
ou
du moins
a la disposition de
la terre,
et
leurs anciennes
fonctions ne nourrissent plus"7.
Considérés
comme derniére
couche
dans
la hiérarchle
des
castes dltes
lnférieures,
forgerons et
grl0ts apparalssent
tour a
tour comme perpetuellement victimes
d'un ostracisme
dans
nombre
de
soclétès
a
l'exception
de
rares
cas
cependant. Cet état de fait comporte deux grands dangers
1 0 )
Un risque d'arbitraire
consistant a attribuer
a priori une inférl0rité congénitale
a
tout forgeron malgré
des preuves contraires à ce 1ugement
que les eléments de la
caste "forgeron"
pourraient produire et ont dû produire dans
le passé.
(6) Gosselin (Gabriel)
: L'Afrique ~~~e~chan~~_~~
Editions Anthropos,
19~O, T.Il p.59
(7)
Pélissier (Paul)
: Les paysans du_§~~~~~~_~~~~~yjli
sations agraires du Cayor _~~~~sam_~~ce~. Saint-Yrieix,
Imprimerie Fabrège,
1966,
p.53.
-
150 -
2 0 )
Un risque
d'intériorisation
de ce
complexe
d'infériorité
congénitale au
sein
des éléments
forgerons
eux-mêmes.
Car un tel sentiment,
une telle conscience de sa
propre infériorité ressemblera à
une
seconde nature dont on
ne se débarrasse pas facilement.
Aussi les troubles sociaux
qui caractérisent,
i l faut
le souligner,
les Etats africains
indépendants
découlent-ils
très
souvent
de
telles
étiquettes,
de telles consciences profondément blessées dans
le passé.
Les structures
sociales chez
les Peul
que nous
exposons,
ne sont qu'une illustration de strafications parmi
tant d'autres.
En effet chez les
Peul i l existe des couches
"plan cher" et
des
couches "plafond". Au
bas de l'échelle
sociale
se
trouvent
les
forgerons.
L'historien-géographe
~ean
Suret-Canale qUl
s'est
également
intéressé
à
la
question ajoute qu'ils sont
"plus
méprisés que les serfs et
les esclaves"H.
Au-dessus de cette couche détestée
se sltue celle des Laobé
ou
artisans
du
bois.
Aprés
les
Laobé,
Vlennent
les
tisserands,
puis les coordonniers et au-dessus de toutes ces
"strates"
règnent
les griots. Mais l'on ne peut pas assister
à
une
telle
"hiérarchisation"
des
groupes
socio-professionnels ainsi castés selon un certain sentiment
sans se poser
certaines questions dont
la plus
naïve et
la
plus significative est l'explication de la place des griots.
(8) Suret-Canale (~ean)
op.
cit.
-
151 -
Celle
du
mépris
voué
a
la
caste
"forgeron"
dans
la
quasi-totalité
des
soc1étés
atricaines,
n'étant
pas
éclaircie
jusque-la,
i l
serait
intéressant
de
pouvoir
justifier
le bien-fondé
de l'estime
dont
jouit la
caste
"griot" chez les Peul.
En
replaçant
cette
interrogation
dans
le
contexte
socio-anthropologique africain (société de
l'oralité) et en
considérant la fonction d'un griot,
on obtient un élément de
réponse qui est en fait une double tentation.
1 0 )
On
tire une conclusion
trop hâtive
que l'on
voudrait
pourtant définitive,
a
partir
du rapport
qu'un
simple réflexe
de la logique
établit entre la
fonct10n du
griot
(gardien
de
la
tradition
par
sa
mémoire
dite
"infaillible")
et la
nature de
sa
société
(société
sans
écriture et
où l'éducation au sens
large du terme
se fait
en racontant)
,0)
La seconde tentation paraît 1rrésistible. C'est
celle que
nous appelerions
presomption "d'oblectiv1te",
a
justifier la place de cette caste
de griot
(et peut-ëtre de
cette hiérarchisation globale) en lU1 deniant toute velléité
d'arbitraire et ce,
toujours en référence au
rapport entre
sa fonction sociale
(dite importante
!)
et la
nature de sa
société.
Dans son ouvrage
littéraire
Djibril
Ta.sir Niane a
volontairement ou
involontairement
mis en
relief l'importance de
cette caste dans
la société
-
152 -
africaine
en
général,
Mandingue
en
particuller
et
par
ricochet
justifié le
rang de la dlte caste.
Mals ce statut
de
gardien
de
la
tradition,
trequemment
invoqué
comme
justificatif
des
communautés
qui placent
les
grl0ts
au
premier rang de la hiérarchie
sociale n'est pas unanimement
perçu
puisque chez
les Toucouleur
du
Fouta-Toro on
note
trois grandes subdivisions endogames renversant complètement
l'ordre hiérarchique précédemment établi.
2 0 ) Le cas des Toucoul~ur~~out~~I~~~
En effet les
forgerons qUl etaient cons ide rés
dans la
hiérarchie sociale comme caste intérieure,
occupent chez les
Toucouleur du
Fouta-Toro le
premier rang
social avec
les
musiciens,
tisserands, coordonnlers.
Les Laobé lnterviennent
en
seconde position.
Enfln les
grl0ts,
premlers dans
la
société
Peul, deVlennent
la caste
inférleure meprisée
et
redoutée.
"Les
griots,
affirmeGosse~in, se situent
au bas
de la hiérarchie.
Ils sont bien souvent
encore indignes de
sépulture
et
leurs
cadavres
n'ont
droit
qu'aux
arbres
creux"g.
Comment expliquer ce
complet renversement de l'ordre
si ce
n'est
par
l'arbitraire
qUl
préside
souvent
à
la
classification?
(9) Gosselin (Gabriel)
op. cit.
p.
59
-
153 -
Les exemples
que nous
avons donnés
jusque-là n'ont
trait
qu'à des artisans castés dont la promotion sociale dépendait
du
hasard,
car
faisant
partie de
la
derniére couche
du
dernier palier de
la structure sociale
le premier palier
étant la
noblesse et ses variantes.
Pour ne pas
rester au
seul niveau des artisans castés,
i l est nécessaire de donner
l'exemple d'autres
sociétés qui retiennent
l'attention par
leur degré de hiérarchisation et de la rigidité de celle-ci.
3 0 ) ~oyaumes Wolof
Ces royaumes connaissent trois types de noblesse
1 0 )
-
une noblesse d1te
"de race",
2 0 ) -
une noblesse dite
"d'épée",
3 0 ) -
une noblesse formée
de fonctionnaires
héréditaires et
dénommée pour
cela "noblesse
d'office"IO.
Cette
premiére
hiérarchie
const1tue
ce
qU'on
pourra1t
appeler le premier
paiier de la strat1~1cation
sociaie.
Le
second
palier
est
compose
de
tout
ce
qU1
se
trouve
en-dessous
:
la
couche
1nfér1eure
comprenant les
hommes
libres,
les gens
de met1ers
groupés
en castes
endogames
(c'est-à-dire où
le mariage
ne s'autor1se
fac11ement qU'à
l'intérieur du groupe: exemple
: les forgerons).
Enf1n les
captifs
quelquefois
plus
soc1alement
appréciés
que
les
forgerons ou
que les griots.
Examinons un instant,
ce que
(10)
Canale-Suret (~ean) op. cit.
-
154 -
nous
appellerions
"Les sillons
circulaires" du
premier
palier
de
la
structure
sociale
c'est-a-dire
les
ramifications de la noblesse.
La
noblesse
dite
de
"race"
comprenait
tout
naturellement la
famille du roi,
à
laquelle s'adjoignaient
selon Jean
Suret-Canale "trois
familles
princières
à
filiation utérine' 11.
Ces familles se distinguaient
par le
rôle que
remplissaient leurs
membres dans
le royaume.
Il
s'agissait précisément des familles
des "électeurs royaux',
des familles pourvoyeuses de chefs
de provinces et enfin de
celles fournisseuses de
chefs de cantons.
Elles
ava~ent du
fait
du lien
parental
avec le
roi
(parents directs
par
filiation
utérine
!)
une fonction
politico-administrative
importante.
Quant à
la noblesse dite d'epee
; elle est constituée à
n'en
point
douter
d'individus
ayant
accédé
a
ce
statut différentiellement
(et nous
retrouvons le
niveau de
démarcation entre la parenté et le polit~que dont nous avons
fait
état
plus
haut).
Ces
personnes
ont
accedé
a
ce
statut différent~ellement
dans la mesure
ou cette noblesse
est formee de
personnes rompues a la guerre.
La plupart du
temps
elles ont
été
esclaves,
puis
ont
bénéficié de
la
(11) Suret-Canale (Jean).
op.
cit.
-
155 -
magnanimité
du
roi
dont
elles
ont
const1tué
la
garde
personnelle.
Même si
elles n'ont
pas
auparavant été
des
captives
de guerre,
elles auront
été
des éléments
d'une
classe
inférieure
mais
qui,
par
efficacité,
conscience
professionnelle
ou
par
un éclat
quelconque
se
sont
vu
élevées
à
ce
statut.
(On aperçoit
aussi
la
notion
de
"mérite" qui
est inhérente à celle
"d'accés différentiel".
En ce
moment et
concernant trés
précisément ces
sociétés
africaines,
"l'accés
différentiel" à
la
promotion sociale,
qui
relevait
de
la
seule
compétence
de
l'organisation
politique passe
pour une
dérogation" accordée
à ceux
qui
peuvent
montrer des
preuves de
"capacité"
mais que
leur
origine a handicapés.
L'exemple de cette noblesse d'épée est
assez
illustratif).
Vidrovitch et Moniot
parlant
des
sociétés africaines en général
et plus particulièrement des
sociétés
Sénégambiennes et
Mauritaniennes ne
se sont
pas
trompés lorsqu'ils estiment que ce
qui frappe l'attention à
leur
propos est
le degré
de
leurs stratifications.
"Les
sociétés sénégambiennes
et mauritaniennes,
constatent-ils,
retiennent
d'abord
par
le
degré
d'élaboration
de
leur
stratification sociale apparente "ordres"
et
"castes· et du
système
des
institutions
et
règles
qui
régissent
la
désignation et
l'activité des souverains et
des détenteurs
de charges
politiques et par le
lien complexe de
ces deux
registres"12.
Ce type
de stratification
n'est pas
propre
(12) Vidrovitch-Coquery (Catherine) et Moniot (Henry)
L'Afrique Noire de 1800 à
nos jours.
P.U.F,
1974 p.91.
-
156 -
aux
seules
sociétés
sénégambiennes.
On
en
rencontra1t
presque
dans toutes
les
communautés
africaines.
Dans
la
Confédération
du
Fouta-Djalon par
exemple
deux
familles
seulement pouvaient fournir par
alternance le chef suprême,
l'Almamy : la famille des grands électeurs et la famille des
chefs
de province.
En-dessous
comme
toujours et
partout
ailleurs
sont
écrasées
les
couches
dites
inférieures
composées de personnes d'origine modeste,
d'artisans castés,
de captifs.
Plus que partout a1lleurs,
cette confédération
fut une société fortement différenciée
où les couches dites
inférieures étaient
en vérité regardées
de trés haut
-
et
les bouleversements futurs naîtront de
la -
par une poignée
de privilégiés.
Le sentiment d'une
infériorité congénitale
semblait plus
que Jamais être indélébilement
1ncruste dans
les
conSC1ences
(lorsque
toutes
les
conditions
seront
réunies,
les Peul réagiront à cette situation en déclenchant
au
Fouta-Djalon
même
une
vague
irrésistible
de
bouleversements).
"La société,
notent Vidrovitch et Moniot,
est fortement hiérarchisée et
différenciée globalement et à
chaque niveau.
Une aristocratie
de guerriers
( . . . ) et
de
lettrés, au
sommet de laquelle
sont neuf
grandes familles
dirigeantes ; dans sa mouvance,
des familles
"moyennes",
le
monde des artisans
castés, des paysans et
pasteurs libres,
enfin les travailleurs asservis,
les vaincus"13.
(13)
Vidrovitch Coquery (Catherine) et Moniot (Henry). op.
cit.
p. 94.
-
157 -
On pourrait multiplier les exemples de stratifications,
de
différenciations sociales,
depuis ceux
que nous
avons
cités
des
sociétés
Toucouleur
du
Fouta-Toro,
Peul
du
Fouta-Djalon,
des
royaumes
Wolof et
Sérère
du
Sénégal,
jusqu'aux principautés Haoussa du Golfe
du Bénin en passant
par
les
Etats
Mossi
structurés
d'antan.
Ils
ne
nous
permettraient cependant pas,
seuls,
de mettre en
re11ef le
problème
que
nous
voulons
poser.
C'est
pourquoi
nous
estimons
ces quatre
exemples suffisants
pour procéder
au
paragraphe suivant à
l'analyse,
c'est-à-dire à
la précision
des
obstacles ou
des niveaux
d'obstacles
au passage
des
Etats précoloniaux
et coloniaux aux
Etats de
type moderne
candidats au développement.
-
158 -
§3 -
DETERMINATION ET ANALYSE DES OBSTACLES A LA
TRANSITION.
Nous
avons
affirmé
que
les
Etats
Ouest-africains
éprouvent des
difficultés à
être réellement
et totalement
des
Etats de
leur temps
c'est-à-dire
des Etats
modernes
développés.
Dans notre démarche qui suivit cette affirmation
que nous considérons dès lors
comme un postulat,
nous avons
directement
mis
en
cause les
structures
sociales
comme
pouvant être à l'origine de cette difficile transition.
D'où
l'exposé
de quatre
exemples
de stratifications
sociales,
stratifications
qui
semblent
être
un !~~ de
structure
sociale très caractéristique des
sociétés africaines par sa
rigidité et les possibilités toujours grandes de résurgence.
Le
moment est
venu à
présent
de répondre
à
la
question
fondamentale suivante
quels sont précisément ces obstacles
à
la transition
des Etats
précoloniaux
et coloniaux
aux
Etats de
type moderne tournés
vers le développement
? Ces
obstacles sont,
vraisemblablement de trois ordres:
10)
Le
premier
type
d'obstacle
est
un
lourd
héritage légué par
les sociétés précoloniales aux
Etats en
voie
de
développement.
Cet héritage
s'énonce
en
termes
de rigidité de la stratification, d'hyperhiérarchisation,
de
fortes
et
incommodes
différenciations
en
cercles
concentriques.
La
confédération
du
Fouta-Djalon
dont
viennent
de
faire
mention Vidrovitch et Moniot est
un
exemple
illustrant
parmi
de
multiples
autres.
L'Etat
-
159 -
africain moderne issu d'une
telle organisation différe trés
peu de l'Etat
précolonial ou colonial.
Il
se particularise
par son
incapacité,
voire son
refus d'intégrer
toutes les
couches
sociales,
dans
la mesure
où i l
se définit
comme
autorité
manifestement
séparée
de
la
société,
planant
ouvertement au-dessus
d'elle.
Et si
l'Etat dit
moderne se
présente
encore sous
une telle
forme
c'est qu'il
émane,
sinon de l'imposition,
du moins de la
forte influence d'un
groupe social
(tribu,
ethnie par exemple)
prétendant avoir
un droit
héréditaire à
dominer.
Du
coup cet
Etat moderne
échoue dans sa
fonction d'intégrateur et de
régulateur des
divers courants
: expressions
des différentes
couches, et
légitime,
consciemment
ou inconsciemment,
directement
ou
indirectement,
l'esclavage
patriarcal
sous
des
formes
diverses et plus ou moins
mitigées.
La politique des castes
jadis
ouvertement pratiquée,
se poursuit
sous des
formes
également
mitigées
par
des
garennes
masquées
de
main-d'oeuvre
que
constituent
les
éléments
de
ces
castes. ~acques
Maquet avait
déjà souligné
à
propos
des
communautés africaines les caractéristiques qui sont en même
temps
des
dangers
de
telles
sociétés
d'allure
aristocratique.
"Au
niveau
du système
des
valeurs,
une
société aristocratique évoque
l'image d'un groupe qui
a un
sens aigu et ferme de sa propre supérior~té collective et un
mépris tranquille des autres groupes en cultivant ce qui les
'.
différencie"14.
(14)
Uaquet
(~acques) : Les Civilisations Noires. Marabout
Université,
1981, p.
150.
-
160 -
Faut-il alors conclure à une
totale et absolue
"négativité"
des
stratifications?
Nous
ne le
pensons
pas car
toute
société
est
un
organisme
composite
et
hiérarchisé.
Le
développement
lui-même
auquel
aspirent
légitimement
les
Etats
Ouest-africains
est
un
phénoméne
qui
admet
la
composition, mais une composition qui
se présente comme une
harmonie parce
que toutes les parties
composites embrayent
les unes sur les autres.
L'aspect négati~, qU'il convient de
souligner avec force,
de la
strati~ication est l'excés,
cet
excés de
la hiérarchisatl0n,
de la
différenciation et
de
leur
rlgldlté.
Repondant à
une
questl0n
qUl lui
a
éte
adressée sur
les difficultés de transformation
de beaucoup
de
sociétés africaines, Gabriel
Gosselin dans son
ouvrage
L'Afrique
désenchantée, s'est
montré
explicite
sur
le
caractére nocif de ce type
de structure
"Oisons seulement
ici,
déclare-t-il,
qu'à degré de
transformatl0n historique
égal,
plus
une société
est hierarchlsee,
mOlns elle
nous
semble ouverte aux transformations modernes"'5.
L'exemple de
société aux
structures sociales
souples,
peu
hiérarchisées qui
s'est ouverte
au monde
moderne,
est
la
société Ibo au
Nlgeria.
Cette
société
est
reconnue
par
nombre d'auteurs
comme l'une des
sociétés ouest-afrlcaines
le
plus
au
diapason de
l'évolution
du
modernisme.
Cet
(15) Gosselin (Gabriel) op.
cit.
p.
80-81.
-
161 -
avantage
est dû
â
sa structure
sociale
peu rigide,
peu
cloisonnée,
facilement
modulable
et
adaptable
aux
circonstances.
L'économiste
grec
T.
Yannopoulos et
le
sociologue
français ~ean-Pierre
Pabanel ont
souligné
cet
état
de
fait
"Leurs
structures
sociales
originales,
extrêmement peu
hiérarchisées et
cloisonnées,
parlant
des
Ibos, les
ont
très
tôt
ouverts
aux
influences
modernisatrices de
l'occident"16.
Une
telle rigidité,
une
telle
différenciation
sociale
ne
permet
pas
l'harmonie
qu'exige le
phénomène "développement" se
caractérisant par
un mouvement de "va-et-vient perpétuel entre ce qui commande
d'en haut, et ce qui jaillit de
la base,
à
travers tous les
échelons
de
la
rencontre"17.
L'absence
d'une
telle
homogénéité,
d'une
telle
harmonie
crée
le
regrettable
cloisonnement ou la fâcheuse désarticulation structurelle. A
ce
premier type
d'obstacle s'ajoute
un
second non
moins
important relatif à la mentalité qui a prévalu dans le passé
et continue de prévaloir jusque de nos jours.
20)
La
mentalité
qui prédomine
sinon
dans
la
totalité
du
moins
dans
la
quasi-totalité
des
Etats
ouest-africains
est
celle
Celui-ci
(16)
Yannopoulos (T.). cité par Pabanel (~ean-Pierre) in
Les coups d'Etat militaires: en Afri~~ L'Harmattan,
1984,
p.
61.
(17)
Lebret (Louis ~oseph) : Dynamique~ncrèt~~ develop
pement. Les Editions Ouvrières Paris,
1967,
p. 324.
-
162 -
demeure l'un des pires legs
du passé.
Le véritable problème
de
ces Etats
a
été et
reste
malheureusement cet
esprit
d'ethno-tribalisme c'est-à-dire ~ette "priorité accordée aux
liens
tenant
à
l'appartenance à
un
groupe
ethnique
et
linguistique
ou
à
des
fractions
d'un
tel
groupe
sur
l'appartenance
au
groupe
national"18.
La
plupart
des
troubles
sociaux
qui se
produisent
"endémiquement"
dans
cette
partie
du
monde
tirent leur
origine
de
ce
legs
empoisonné.
L'exemple
de la sécession Biafraise
au Nigeria
en 1966
qui fut suivie
d'un épisode sanglant
reste encore
une image
hallucinante et
celui du
Katanga au
Congo,
une
véritable
cicatrice
indélébilement
incrustée
dans
la
conscience
collective
des
populations
de
cette
région.
Malheureusement
ce ne
sont pas
des
exemples isolés.
Les
guerres civiles
de coloration
secondairement politique
et
idéologique mais initialement
ethno-tribale,
qui surgissent
ici et
là,
ajoutent à
un tableau déjà
noir d'inquiétantes
interrogations.
De
telles mentalités,
affirmons-nous,
sont
des
séquelles
de
systèmes
structurels
précoloniaux
et
coloniaux.
Essayons
de prouver
cette affirmation
à
l'aide
d'un exemple formalisé:
Supposons
la
société (ou
l'Etat)
précoloniale
"A",
exactement articulée
comme celles décrites dans
les quatre
(18) Oke
(M.F)
:
L'influence du__~~balisme sur les régimes
politiques africains in :
Le mois en Afri~~
~~vue
française d'études politiques africaines n 0 55.
Dakar,
~uillet 1970,
p.
63-72.
- 163 -
exemples
de
stratification,
c'est-à-dire
très
fortement
hiérarchisée en trois
grands paliers
:
noblesse,
castes et
la couche en-dessous des castes
(captifs,
serfs). Chacun de
ces
paliers
connait
des
différenciations
en
cercles
concentriques
d'où la force
de la différenciation
et la
rigidité de la
hiérarchisation.
Une ethnie ou
tribu "B" en
vertu de sa noblesse dite de "race" domine cet Etat.
"B1"
et
"B2"
sont
des variantes de
noblesse auxquelles
on accède,
comme
dans
la
plupart
des
sociétés
stratifiées,
différentiellement.
Ajoutons
que dans
ces
sociétés,
les
valeurs dites sociales sont
toujours unilatéralement fixées
ou choisies par
l'ethnie ou la tribu
dominante,
aux autres
groupes sociaux
d'accepter et
de s'y
référer bon
gré mal
gré.
Supposons
encore
que
par
jeux
contractuels,
par
complicité
tacite
ou
expresse
ou
par
toutes
autres
manoeuvres subtiles
avec les colonisateurs,
l'ethnie
ou la
tribu dominante "B" ait réussi à maintenir sa suprématie car
"la
puissance
coloniale,
remarque Jean-Pierre
Pabanel,
appuyait
l'administration
du
pays
sur
les
structures
sociales traditionnelles.
Ce qui
revenait,
poursuit-il,
à
favoriser
le
type
de
domination qui
existait
et
à
le
perpétuer"19.
(19)
Pabanel (Jean-Pierre)
op cit p.
60.
- 164 -
L'indépendance sollicitée est acquise
soit par la voie
pacifique,soit par
la lutte
armée.
Il
reste à
construire
l'Etat
"A"
dans un
esprit d'égalité
et d'équité,
bref de
renouveau
social
multisectoriel
(culturel,
politique,
économique,
institutionnel,
mental
etc.).
C'est
très
précisément à ce
niveau (et nous y insistons)
que se situe
la
plupart des
obstacles à
la
transition.
L'Etat
devenu
désormais
A'
en
vertu
de
son
nouveau
statut
d'Etat
indépendant
et
souverain,
apparaît
comme
une
poudrière
potentielle,
un brasier inévitable.
Pourquoi?
1 0 ) Parce
qu'il est
certain que
l'ethnie ou
la
tribu "B"
qui jouissait
quasi-héréditairement des avantages
de
sa
noblesse
dite
de
"race"
ne
s'en
laissera
pas
déshériter,
dût-elle employer les moyens les plus atroces et
les plus inhumains pour sauvegarder
ces intérêts.
Oès lors,
ce n'est plus un risque mais
une certitude de guerre civile
"un contre tous"
:
banal lot quotidien des drames sociaux en
Afrique !
20)
Il
y a
eu des groupes
sociaux qui,
sous la
domination de l'ethnie B ont été plus ou moins marginalisés,
haïs
ou disent
avoir été
tels.
Oe
larvée qu'elle
était,
cette haine
deviendra ouverte
et par
réflexe tout
à
fait
naturel,
ces groupes
se considérant
victimes de
l'ancien
-
165 -
joug envisageront
une revanche 20 .
Ce second
cas s'inscrit
dans un contexte particulier
d'affrontement
intertribal.
Il
vérifie
et
confirme
nettement
une
loi
sociologique
que Claude
Rivière
a
appelée
tendancielle" .
30) Nous avons affaire
à
un imbroglio indémelable
et déconcertant
qui introduit un
troisième risque
: celui
d'une
explosion
inhérente
a
toute
situation
nouvelle
confuse.
Dans
de
telles
conditions
l'Etat
A'
ignorera
volontairement ou
involontairement les quatre
piliers dits
théories d'intégration de
Werner qui font de
tout Etat une
entité
vivante,
fonctionnelle
et
harmonieuse
à
savoir
l'intégration
culturelle,
normative,
communicative
et
fonctionnelle.
Les conflits
internes et
les rivalités
de
toutes sortes qui déchireront
cette communauté expliqueront
le ravalement
volontaire ou involontaire
a l'oubli
de ces
conditions d'harmonie sociale.
Les
exemples
de
telle
situation
abondent
tant
en
Afrique qu'un
regard interrogateur
jeté au
hasard sur
le
passé encore récent de n'importe quel Etat africain suffit à
(20) L'exemple typique mais hors de notre zone d'étude est
celui du Congo.
En effet depuis l'éviction en août
1963 du pouvoir, de l'abbé Youlou,
rapporte Philippe
Decraene,
les membres de son ethnie,
les Lari,se sen-
tiralent marginalisés et surtout tenus à
l'écart du
pouvoir qu'ils affirment être confisqué par les eth-
nies du Nord:
Les Mbochi.
De nos jours,
le véritable
drame de ce pays est le régionalisme sur fond de
tribalisme.
- 166 -
montrer que les problèmes internes
au sein des populations,
les
difficultés
politiques
et
les
graves
et
complexes
entraves au développement
tirent tous ou presque
tous leur
origine de
ce second type
d'obstacle.
Le
Tchad,
quoiqu'en
dehors
de
notre
espace
d'étude,
nous
fournit
une
illustration ponctuelle.
En effet,
l'echec de
la tentative
menée par Tombalbaye
de réhabiliter le
"Vondo" ,
destinée à
rassembler tous
les Tchadiens
en général
et nordistes
et
sudistes
en particulier,
a
précipité
les événements
qui
continuent
de
grossir
les
colonnes
de
la
presse
internationale ou
d'occuper l'ordre du jour
des rencontres
diplomatiques. Cette "démonstration" faite sur l'Etat
"A" et
visant à préciser
la nature de ce second
type d'obstacle à
la transition
et surtout
à situer
le niveau
de celui-ci,
nous
conduit
en
droite ligne
à
la
troisième
catégorie
d'entraves
issues des
structures
sociales
:
le
problème
d'intégration.
30)
Troisième type
d'obstacle:
une
intégration
sociale
difficile.
Intégrer
une
société
c'est
faire
prévaloir
l'appartenance
nationale
sur
l'appartenance
ethnique,
tribale,
clanique,
règionale.
C'est trouver
un
"concensus"
national
c'est-à-dire
s'accorder
autant
que
possible sur l'essentiel en vue de régler et d'harmoniser la
vie collective
composée de toutes les
couches,
de tous les
groupes
et
sous-groupes
sociaux.
Ce
consensus
en
quoi
consiste l'unanimité
sur l'essentiel,
exige d'une
part la
perception claire
des intérêts communs
à tous,
et d'autre
-
167 -
part un effort civique soutenu de depassement de l'ind1vidu,
du groupe ethno-tribal vers le grand corps qu'est la nation,
ce " collect if"
qu'est la
société dans
laquelle l'individu
vit
et
trouve
sa
sign1fication
humaine
profonde,
son
épanouissement réel.
Une société
intégrée est
une société
composite
certes,
mais
aussi
et
surtout
une
société
synchroniquement fonctionnelle dans tous
ses secteurs grâce
à la souplesse de sa hiérarchisat10n d'abord et en raison de
l'idéal
commun que
tous
devront
poursuivre ensuite.
Une
telle société devient du coup
communicative dans toutes ses
dimensions,
perméable entre
le
haut et
le
bas selon
la
théorie de la dynamique de Lebre~.
Autrement dit,
au-delà des
particularismes de
chaque
groupe
et
sous-groupe ethn1que,
prédominent
toujours
la
personnalité
collective,
les
valeurs collectives,
l'idéal
commun à
la réalisation desquels
chacune de ces différentes
cultures éprouve une
certaine fierté et
joie
à
apporter du
sien.
Une
société intégrée
devient,
somme
toute,
le
seul
pôle de référence de toutes
les parties qU1 la constituent.
(Il
semble que
les différentes
tentatives de
réhabiliter
l'authenticité africaine visent un tel objectif).
Or,
la plupart
des
exemples
que nous
avons
donnés
(l'Etat A')
relatant
la situation presque exacte
des Etats
africains
ne font
réellement
pas
état d'une
integration
sociale,
condition sine qua non
de tout développement. Cela
est,
soulignons-le
encore,
le
fait
de
cette
difficile
-
168 -
transition,
elle-même due
a l'exces et a la
rigidité de la
stratification.
N'étant
vraiment
intégrés
ni
communicativement, ni
normativement,
ni
fonctionnellement,
gênés par un passé toujours plus lourd que les impératifs de
l'avenir,
ces
Etats se
présentent bien
souvent comme
des
entités en "disjonction de phase"
selon le mot de
N'Sougan
Agb1éaagnon ; c'est-à-dire socialement
désarticulés à cause
des vestiges encore tenaces
des barrieres structurelles des
périodes précoloniale et
coloniale.
Le passage au
stade de
développement et du modernisme suppose
que ces Etats soient
structurellement en conjonction de
phase. Autrement dit que
les résistances aux transformations soient levées.
Mais l'analyse des
obstacles à
la transition
a révélé
que l'organisation sociale
d'antan a donné un
certain type
de
mentalité,
de
rapports
sociaux,
de
valeurs
unilatéralement
choisies
par
un groupe
dominant
et
qui
apparaissent
comme de
sérieuses
entraves
à la
mutation.
Structures sociales, mentalités,
valeurs et rapports sociaux
forment
un
ensemble
enchevêtré.
La
nécessité
donc
de
conjoindre
les strucutres
sociales
à
mi-chemin entre
un
passé encore pesant et un avenir de plus en plus exigeant ne
doit
pas
être perçue comme une
opération isolée.
Et
si la
véritable
transition
exige
que
les
structures
sociales
évoluent
en
conjonction
de
phase
(c'est-a-dire
plus
d'hyperhiérarchisation
ni de
différenciation rendant
tout
mouvement
de
développement
dysharmonique)
les
agents
eux-mêmes
doivent
être en
"conjonction
d'intentionalité"
-
169 -
c'est-a-dire conjuguer tous les efforts
de toutes sortes en
vue de
la réalisation
d'objectifs communs
dictés par
les
impératifs d'un moment dont on a pleinement conscience de la
rigueur.
De
leur
côté,
si les
valeurs
sociales
qu'un
seul
groupe,
s'arrogeant arbitrairement un
obscur droit originel
de dominer
tous les autres,
imposait
unilatéralement,
font
l'objet
d'intégration:
on
parlera
alors de
valeurs
en
"conjonction d'harmonie". Mais i l serait inutile d'avoir des
structures sociales en
conjonction de phase,
des
agents en
conjonction
d'intentionalité,
des valeurs
en
conjonction
d'harmonie sans
une modification
profonde,
une
adaptation
réelle à
la conjoncture, de
cette variable fondamentale que
sont les mentalités.
Leur adaptation
signifie les mettre en
"conjonction
de
situation".
La
vision
du
monde,
les
différentes conceptions
des rapports
sociaux devront
être
conformes au moment qui les
secrète.
Une triple perspective
sous-tend
cette
intégration
multiforme
et
nécesaire
Intégrer dans
un premier
temps ces
entités microscopiques
séparées les unes
des autres,
en vue ensuite
et surtout de
les dépasser
politiquement et économiquement
comme entités
irréversiblement
fixées,
pour
former
enfin
un
espace
supranational aux
frontières souples
et perméables.
Cette
dernière perspective se
révèle un impératif vital
pour les
Etats Ouest-africains en ce sens qu'un ensemble politique et
économique
apparaît comme
la seule
réponse appropriée
au
défi de
la pauvreté,
de
cette équation complexe
qu'est le
-
170 -
sous-developpement dont
l'enver~ure des consequences desarme
la
seule
bonne
volonté
ou
les
efforts
isolés
d'un
micro-Etat.
Ce
difficile
passage
du
passé
au
présent,
ces
disjonctions
multiples,
sequelles
des strucutres
sociales
anciennes,
aggraveront
deux grands types
d'obstacles ainsi
que nous esayerons de le montrer
plus tard.
Le premier type
réside
dans
l'approfondissement-involontaire
peut-être-du
sous-développement
déjà existant
à
travers les
problèmes
intérieurs dont
les rivalités ethno-tribales
demeurent les
caractéristiques.
Les oppositions qui couvent dans ces Etats
pour éclater
plus tard en tragéd1e,
au lieu de
prendre la
forme moderne
de luttes de
classe à
la
manière syndicale,
glissent
très
fréquemment
sur
le
terrain
ethnique
et
prennent
aussitôt
une
résonance
tribale.
"Avec
cette
résonance
tribale,
constate Pabane~, le
conflit change
de
forme.
D'un
conflit de société à
classes (multi-ethniques)
i l
devient un
conflit ethnique.
Les anciennes
structures
sociales,
continue-t-il
resserrent leur emprise et prennent
J
la
direction idéologique
et
politique
du conflit"21.
La
coloration
ethno-tribale
ou
régionaliste
que
prennent
souvent les troubles intérieurs,
la facilité de resserrement
(21) Pabanel (Jean-Pierre)
op.
cit p.
59.
-
171 -
des
anc1ennes
structures
soc1ales
pour
constituer
une
emprise,
un
front
ethnique,
tribal,
régional,
dénotent le
caractère "madréporique" de
ces Etats,
même si,
i l faut
le
souligner aussi,
l'impératif d'intégrer les
divers groupes
sociaux est perçu et des initiatives
en ce sens sont ici ou
là prises.
Etats "madréporiques" en ce
sens qu'ils apparaissent,
faute
de
cette
véritable intégrat10n,
comme
des
"conglomérats
flottants
et
aléatoires
de
tribus
regroupées
par
les
vicissitudes de l'histoire dans des frontières territoriales
ou étatiques qui
n'ont pour ainS1 dire aucun
sens pour les
membres de ces tribus prises séparément"22.
Le second type de problème reste la non-croyance soit à
la
possibilité
d'une
formation
supra-nat1onale,
soit
à
l'efficac1té du
regroupement fèdéral
de ces
micro-Etats
état d'esprit qU1 fait de toute démarche allant dans ce sens
sinon une utopie -
si cette démarche est encore
au stade de
l'élaboration théorique- du moins
une entreprise "mort-née"
parce que déjâ minée de l'intérieur dès les premiers ;alons.
Pourtant sans
anticiper sur nos
développements ultérieurs,
ni
non plus
afficher
un
pessimisme outré,
encore
moins
prendre des allures de moraliste,
nous osons affirmer sur la
base
de
conviction
fondée sur
des
preuves
et
exemples
(22) Sylla (Lanciné)
:
Tribalisme et ~rti unique en
Afrique Noire.
Presses de la Fondation nationale des
sciences politiques,
1977,
p.
24.
-
172 -
(potentialités
des
Etats
Ouest-africains,
eXl.gences
du
développement realisables,
expériences de
pays aujourd'hui
développés)
que le
regroupement
de
ces Etats
en
grands
ensembles est leur seule voie de sortie de ce gênant malaise
dans lequel ils s'enlisent inexorablement
"Pour remédier à
la
dépendance actuelle
v1s-a-vis
des grandes
puissances,
proposent
des auteurs,
la seule
issue
paraît être
celle
d'une
entente interne,
étendue à
l'ensemble du
continent
noir,
capable de
mettre en
oeuvre l'aménagement
cohérent
d'un vaste
espace économique auto-centré"23.
Comme
on peut
le constater,
l'étude des structures
sociales a
permis de
dégager et de mettre en
relief
(ains1 que nous l'espérions)
la principale
source des
problémes intérieurs,
véritables
obstacles au développement
diff1cultés sur lesquelles nous
reviendrons
de façon
plus
analytique.
Si ces
structures
exercent toujours une pesanteur dans la transition et gênent
les efforts de
modernisation i l n'est pas
certain qu'elles
furent
"innocentes" dans
les
sérieux bouleversements
qui
affaiblirent
et
conduisirent
irréversiblement
les
communautés dans le carcan de
la colonisation. C'est encore
ce doute et ce désir de repertorier objectivement toutes les
causes de
ce bourbier social qu'est
le sous-développement,
qui nous incitent à consacrer la section suivante à
l'examen
de ces bouleversements
qui survinrent à
la
veille de l'ère
coloniale.
(23) Vidrovitch Coquery (Catherine) et Moniot
(Henri)
op. cit.
p. 438.
SECTION II
pES BOULEVERSEMENT INTERIEURS_~~
CONQUETES
COLONIALES DE L'OUEST-AFRICAIN. FIN XVIIIè
DEBUT XIXè SIECLES.
-
174 -
Analyser d'un p01nt
de vue historique la
situation de
sous-développement de
l'Afrique en général et
de l'Afrique
de l'Ouest en
particulier sans marquer un
arrêt spécial au
XVlllè
et
surtout
au XIXè
siècle
serait
une
privation
dommageable d'une source objective d'éléments d'explication.
En effet
ces deux
siecles se
sont avérés
des époques
de
successions
de
graves
événements.
Une
longue
crise
intérieure a
débouchè sur une situation
extérieure confuse
et délicate
dont l'explos10n
nécessita1t
justement
un tel
déséquilibre interne.
De tait,
des savanes
nigériennes aux
confins forestiers,
de graves
convulsions successives
ont
vigoureusement secoué
l'ensemble de l'Ouest-africain
1C1
effervescence
de
populations,
la,
bouleversements
de
vieilles civilisations,
a111eurs
manitestations d'ambitions
hégémoniques
ont
fait
du
XIXè
siècle
une
époque
particulièrement
mouvementée,
une
séquence
tristement
mémorable de l'histoire
ouest-africaine.
Epoque mouvementée
à cause de la succession et
de la violence des événements à
telle enseigne qu'
Yves
Person a pu écrire
"Dans le long
passé
de
l'Afrique
Noire,
aucun
siècle
ne
paraît
plus
dramatique que le XIXè"24.
Séquence tristement mémorable en
ce
sens que
cette
longue et
dure
crise intérieure,
les
vagues
successives de
guerres,
l'explosion
çà et
là
de
révolutions
ont
profondément
affaibli
les
Etats
(24) Person (Yves)
: Histoire générale de l'Afrique Noire.
P.U.F.,
1970, T.
II,
p. 85.
- 175 -
ouest-atricains de cette epoque et les ont alnsi prédlsposes
aux
conquêtes et
aux
anneXlons
colonlales.
Pourquoi
ces
secousses,
génératrices
de
profondes
désintégrations
sociales
surgirent-elles
Sl
spontanément
et
si
vigoureusement dans cette partie du
continent ou seules une
cohésion
sociale et
une conjugaison
des forces
pouvaient
conjurer les
menaces de l'avenir
et
juguler la
montée des
incertitudes? A cette
interrogation,
Yves person se montre
de nouveau très expliclte :
"Des rives du Sahara à celles de
l'Atlantique,
le
XIXé
siécle
a
donc
connu
de
grandes
violences
partout
liées
au
réveil
de
l'islam
ouest-africain"25.
Mais
cette
réponse
engendre
d'autres
interrogations
1 0 ) L'islam
avait-il besoin de provoquer
de tels
bouleversements pour se mettre en place ?
2 0 ) Quelles
auront été à
court et à
long termes
les
conséquences
de
tels
bouleversements
sur
les
possibilités
de
développement
de cette
partie
du
monde
Noir ?
Cette
seconde
section
essentiellement
consacrée
à
l'exposé et
à
l'analyse
des troubles
intérieurs et
leurs
conséquences sur
le retard actuel
de l'Afrique
de l'ouest
(25)
Person (Yves)
op.
ci t.
p.
117.
- 176-
s'attachera
en ses
paragraphes
1
et
a
répondre a
la
première question
en essayant de
demêler les causes
et de
préciser
l'envergure
des
révolutl0ns
musulmanes.
Son
paragraphe 3
analysera les
cas d'hégémonie
notamment dans
les
anciennes
colonies britanniques.
Le
4ème
paragraphe
réservé
a la
critique du
travail de
relation des
faits,
répondra
en même
temps à
la seconde
question posée
plus
haut.
- 177 -
§1 -
LES REVOLUTIONS MUSULMANES PEUL : STRICTE EXIGENCE
RELIGIEUSE OU SIMPLE MISE EN CAUSE INDIRECTE DES
STRUCTURES SOCIALES ANCIENNES?
La question de savoir si les troubles sociaux dont nous
allons tenter
de décrire la genése
et de mettre
en relief
l'extension
pour procéder
ultérieurement
à l'analyse
des
conséquences,
relèvent de strictes
exigences religieuses ou
d'une simple mise en cause indirecte des structures sociales
est
l'indice
d'un
doute.
Doute
en
ce
sens
qu'il
est
difficile de préciser
au premier abord des
événements s ' i l
s'agit
de
"guerre
sainte",
qui
a
longtemps
caractérisé
l'islam,
ou
seulement d'une ferme
volonté de
renverser un
ordre séculairement établi et ce par le truchement de ladite
religion.
Doute
encore quand on
sait que les
régions d'où
vont partir
les troubles qui
prennent désormais le
nom de
"révolutions"
étaient presqu'essentiellement
habitées
par
des non-musulmans.
Doute enfin quand on constate que ceux-là
mêmes qui vont devenir les propagateurs zélés de l'islam lui
étaient
farouchement
opposés.
A
ce
triple
doute,
seul
l'exposé des faits que voici,
peut apporter une réponse.
AI - LE FOUTA-~ALON
Le Fouta-Djalon
est une région située
au centre-ouest
de
l'actuelle
Guinée-Conakry.
~lle
était
habitée
avant
l'avènement de la rèvolution
musulmane par des agriculteurs
Diyalonké
(cf carte
de connexion
ethnique). des
pasteurs
-
178 -
peul la
plupart paiens.
Une complémentarité
-apparente du
moins- régnait entre ces
communautés.
Seulement,
en-dessous
de
cette complémentarité
et de
cette symbiose
apparentes
couvait un
sentiment d'infériorité,
de frustration
du côté
des
minoritaires peul.
Les raisons
très
exactes et
très
précises de
la discorde entre
ces communautés ne
sont pas
clairement élucidées
pour ce
qui nous
concerne. Cependant
les
structures
sociales
pourraient
expliquer
ce
mécontentement
grandissant.
En
effet
celles-ci
seraient
telles que
les minoritaires
Peul se
sentent marginalisés,
tenus pour des rebuts de la société et finalement considérés
comme
politiquement
négligeables.
Ils
décident
alors
de
réagir
vigoureusement
a
la
situation.
Deux
phénomènes
s'observent
qui
vont
jouer
de
façon
décisive
en
leur
faveur
:
10)
Un
phénomène
social et
religieux
en
quoi
consistent
"l'afflux de plus en plus nombreux de Peul et des
éléments
Manding
du
Nord
et
surtout
le
prosélytisme
musulman"26.
20)
La croissance
du commerce des peaux
les rend
de plus en plus importants
: phénoméne socio-économique non
négligeable. Devenus avec le temps seuls pourvoyeurs dans le
commerce
côtier
de
certains
produits
dont
la
demande
(26)
Vidrovitch Coquery (Catherine) et Moniot
(Henri)
op.
cit. p. 92.
179 -
croissait
: peaux
de
bêtes,
leur important
bétail
leur
conférait ainsi une importance économique incontestable.
"Là
où
le
commerce
a
quelque
ampleur,
constate ~ean
Suret-Canale, le
bétail est
l'équivalent monétaire,
forme
sous laquelle
s'effectue la thésaurisation et
se manifeste
la richesse"27.
Si une
prise de
conscience aiguë
de leur
situation qu'ils considérent comme
une insupportable avanie
avive de plus en plus le sentiment d'infériorité,
cette même
prise de
conscience les assure
de la possibilité
de faire
basculer
le poids
de
l'h1stoire dans
le
camp adverse
à
condition de se trouver un
cadre idéal de mobilisation.
Ils
s'aperçurent que ni l'anim1sme dont ils détendent les idéaux
avec
acharnement,
ni
l'organisation
tribale ne
pouvaient
leur créer ce cadre favorable pour deux raisons selon nous.
1 0 )
Les occasions de
mobilisation dans l'animisme
restent
assez
rares.
Cette
absence
de
possibilités
permanentes
de
mobilisat10n
provient
du
manque
d'une
certaine "structure"
du cadre animiste ou plus exactement si
"structure i l y
a",
i l n'apparaît pas au
premier abord que
cette
intervention
réponde
strictement
a
une
exigence
religieuse,
elle
a
davantage
servi
de
prétexte
à
un
mouvement dont l'objectif se précisait au fur et a mesure de
sa maturation,
mouvement dont on
aura beaucoup de
peine à
arrêter
l'extension ainsi
que l'illustre
déjà
le cas
du
Fouta-Toro.
(27) Suret-Canale (~ean) op. cit.
p.
214.
-
180 -
BI
-
LE FOUTA-TORO
Dans le
Tékrour une dynastie
s'éta1t substituée
à
un
pouvoir
théocratique.
Cette
dynastie,
en
raison
de
sa
complicité avec le
paganisme,
apparut ambiguë aux
yeux des
chefs musulmans.
Force donc
est de
lever cette
amb1guité
qui,
jointe aux
faiblesses
des
structures qualifiées
de
"juxtaposition de
pouvoirs locaux",
ternissait l'image
de
l'islam.
Pour ce
faire,
i l fallait s'inspirer
de l'exemple
de
"redynamisation"
sociale
et
surtout
politique
du
mouvement qui,
au Fouta-Djaion,
venai~ de faire ses preuves.
Les
musulmans
Toucouleur,
auxiliaires
actifs
de
la
maturation de
la révolution précédente,
renversérent cet~e
dynastie suspec~e e~
firent du Tekrour,
le
Fouta-Toro,
une
région du
Nord de l'actuel Sénégal.
Et le mouvement
ne se
limitera pas aux deux Fouta.
Il se propagera jusqu'au Soudan
(Macina) où
l'on démet
de leurs
fonctions des
chefs Peul
auxquels on reproche une indigne
veulerie et une soumission
quasi
servile aux
exactions et
vexations d'autres
tribus
telles que les Bambara.
Il
touche Djenné et Tombouctou dont
on
s'empare. C'est
précisément au
Macina
que le
Cheikh
Ha.adou Ha.idou Bari porta le mouvement à
l'apogée et tel un
mal contagieux,
i l
passe d'une région à une
autre avec une
conséquence
grave
qui
ne
saurait
laisser
aucun
témoin
indifférent
ni muet
la
désorganisation sociale
et
la
désolation qu'il draine ainsi que nous le verrons à
l'ouest.
-
181 -
En effet,
pendant que la
précédente marquait son arrèt
au Macina avec la destitution de chefs Veules et la pr1se de
Djenné et
Tombouctou,
une nouvelle
vague conduite
par
El
Hadj
o.ar devait
incessamment
entrer en
action.
Homme
de
charisme et de culture,
EL Hadj
o.ar
accéda trés jeune aux
plus
hautes hiérarchies
religieuses,
gravit
avec le
même
brio les échelons sociaux ; bref i l accomplit très jeune (23
ans) ce
que beaucoup de
chefs religieux ne
réussirent pas
très vieux.
Il afficha enfin
des qualités d'un chef d'Etat.
Ces multiples
distinctions donnaient au fil
des événements
de solides bases à son prestige
et précisément trois de ses
qualités
personnelles
que
les
chefs
musulmans
Peul
répugnaient
de voir
éclore sérieusement
en
lui seront
a
l'origine
des
graves
et
énormes
barrières
qu'il
devra
impérativement vaincre
10)
Ce prestige personnel
et surtout l'admiration
que lui vouait le public lui
vaudront ici une haine larvée,
là
une
animosité bilieuse
ouverte
de
la part
de
chefs
musulmans
qui
voyaient
en
lui
plus
un
danger
qu'une
véritable sécurité. Au Macina le
roi Peul lui réservera une
hostilité
difficilement dissimulable.
Celui
de Ségou
lui
privera momentanément de liberté, commanditera un assassinat
vainement perpétré contre lui.
20) Son désir d'unifier tous
les Etats peul en un
vrai ensemble
solide car
la confédération
du Fouta-Djalon
branlait déjà
sous les
rivalités intestines
entre grandes
familles et
autour d'individualités
politiques aussi
bien
que de styles religieux.
-
182 -
Enfin
et
surtout,
l'intellectuel
et
le
fervent
croyant El Hadj Ou.ar était doublé d'un démocrate.
Il rêvait
non seulement d'unifier les Etats
Peul en un vaste ensemble
mais
surtout
de
sortir
l'islam
du
carcan
étroit
des
charismes
prétendus
de
quelques
poignées
de
chefs
c'est-à-dire de
"démocrat1ser" la
religion en
brisant les
barrières exagérément érigées
entre le simple adepte
et le
maitre.
"La
Tidjaniya,
écrit Suret-Cana~e, brise
les
barrières,
établit
le
contact direct
entre
les
simples
adeptes et le Khalife.
Elle donne
à
tous la perspective par
le
courage
et
la
science
d'accéder
aux
plus
hautes
destinées.
Elle a de ce fait un caractère révolutionnaire et
relativement
démocratique"28.
C'est
plus
précisément
au
Fouta-Djalon à Dinguiraye que se dénouent les complicités et
qu'éclate la
guerre.
La vague
déferle.
El Hadj'o.ar marche
sur
le
Fouta-Djalon,
croise
véritablement
le
fer
au
Fouta-Toro. Affaiblie par une
garnison française massée non
loin de la et venue en renfort aux résistants du Fouta-Toro,
la troupe d'
E~ Hadj o.ar succombera,
peu de temps après,
à
la
supériorité
militaire
française.
Après
une
brève
"éclipse" cette
même troupe reconstituée s'ébranla
vers le
centre,
ruina le royaume Bambara de Ségou, subit de son côté
de sérieux revers
puis à la suite d'une
longue et ruineuse
résistance
capitula
définitivement
en
1864.
Avec
cette
(28) Suret-Cana~e (~ean) op. cit.
p.
28
- 183 -
défaite s'instaurait
désormais une
vér1table "débâcle"
au
sein
des
Etats
ouest-africains
précoloniaux
car
les
perspectives
d'unification de
ces
Etats désormais
entrés
dans
une
ére
de
perpétuelles
guerres,
se
dissolvaient
irrémédiablement
l'horizon.
Dorénavant
l'objectif
révolutionnaire en quoi consistait
le changement de l'ordre
ancien,
a fait place à
des affrontements partisans dont les
conséquences s'expriment en termes de désintégration sociale
inqualifiable.
De plus,
les
problémes se
complexifieront
avec
la
présence
des
Européens
dont
le
véritable
but
demeurait une réelle
énigme. Assombrissant de jour
en jour
l'avenir,
celle-ci
aurait pu servir
de motif de
trêve des
afrontements et
justifier un
ralliement.
Malheureusement ce
signe avant-coureur
d'une longue
et decis1ve
histoire qui
allait
débuter
son
film
d'horreur
à
l'issue
de
ces
affrontements
fratricides
et
marquer
l'Afrique
de
ses
empreintes ineffaçables
ne fut point
perçu ni
analysé.
La
vague des
bouleverments déclenchée en 1727
au Fouta-Djalon
continuera de faire ses ravages car
au moment où le Nord et
l'Ouest n'étaient plus
que ruines et désolation,
au centre
éclataient d'autres
manifestations qui
tournèrent aussitôt
en affrontements
sanglants ainsi que
l'illustre le
cas du
Soudan Central,
mais avant de relater ce fait,
un aperçu des
événements actualisés sur carte.
-
184 -
ZONES TOUCHEES PAR LES REVOLUTIONS MUSULMANES PEUL
INDICES DE LA DESORGANISATION ET DE LA DESINTEGRATION SOCIALES
LEGENDE
Zone
d' échec d' islamisation
Zone touchée par
les
révolutions
musulmanes
1 ,2,3
- 1ndique l'0rdre et 10 provenance des multipies vogues de révolutions
Indique la direction suivie par ces vogues
M. G.
Mouvements
en
gestot ion
-
185 -
REMARQUES
Cette
carte
est
extraite
de
l'ouvrage
de ~ean
Suret-Canale:
L'Afrique Noire:
Géographie, Civilisations,
Histoire
(p.
214).
Elle
y mettait
simplement en
relief les
zones de peuplement Peul.
Nous l'avons extra1te et complétée
en vue d'indiquer et les zones
de peuplement Peul et celles
touchées par les vagues de
révolut10ns musulmanes Peul.
Ces
indications
visent à
mettre en
exergue la
désintégration
sociale
: première conséquence
immédiate des affrontements.
Telle
qu'elle se
présente,
elle
cont1ent une
erreur
de
chronologie
qu'il
est
important de
souligner.
Elle
est
tracée ici sous la configurat10n des Etats actuels résultant
du découpage
du 11
juillet 1885 lors
de la
conférence de
Berlin alors que les évènements
dont nous avons voulu faire
figurer le
déroulement,
l'extension et les
conséquences se
passent à
une époque antérieure
à la conférence
de Berlin
c'est-à-dire en 1727 au moins.
En représentant les faits sur
cette
carte
moderne,
on
marque
un
décalage
entre
les
opérations
et
le
temps
des
phénoménes
d'une
époque
précisément connue qui
sont représentés sur la
carte d'une
époque non
encore arrivée. Cette démarche
semble comporter
sa propre
excuse car
si cette
carte n'était
pas disposée
sous la forme de découpage issu de 1885, on ne distinguerait
pas,
selon
nous,
les
zones de
simple peuplement
Peul des
zones touchées
par les vagues
de révolutions
puisqu'en ce
moment cette
partie du continent
était un
foisonnement de
cités-Etats,
de petites
entités plus
ou moins
autonomes,
-
186 -
qu'il était difficile de
représenter cartographiquement.
La
preuve est que les zones de simple peuplement peul et celles
touchées
par
les
révolutions
mais
qui
ne
sont
pas
représentées sous
la configuration
des Etats
actuels sont
difficiles à distinguer et à situer
: exemple le Sénégal et
le Mali se
distinguent trés diff1cilement
;
le
Niger et le
Nigéria également.
C'est
par souci de clarté
que des faits
de
1727
se
voient représentés
sur
une
carte
largement
postérieure aux événements.
-
187 -
§2 -
DU PRETEXTE RELIGIEUX A LA PRETENTION DE REFORME
SOCIALE
AI
- LE REBONDISSEMENT DE LA REVOLUTION POLITICO-
RELIGIEUSE AU SOUDAN CENTRAL : OUSMAN DAN FODIO
- - - - ------ - - - -
ET LE RENVERSEMENT DE L'ORD~E AN~lEN DANS LES
ETATS HAOUSSA ET PEUL
Le
Soudan Central
etait
constitue
d'un ensemble
de
cités-Etats
"économiquement
actlfs"
selon Vidrovitch. I l
était
habité
par
des
Peul
et
des
Haoussa. Ous.an
Dan
Fodio en
contesta
vigoureusement les
structures
sociales
qu'il
jugea
excessivement
draconiennes
et
injustes
et
formula
deux
griefs
principaux
aux
chefs,
gardiens
de
l'ordre ancien
1 0 )
Mauvais
traitements infligés
aux
esclaves,
perception d'impôts illicites et excessifs.
20) Refus délibéré d'instruire
les femmes dans la
religion du
prophète selon Suret-Canale
; Vidrovitch
et
Moniot ajoutent
qu'il
en
appelle à
la
conviction
et
à
l'orthodoxie dans l'islam.
Le contenu social de ses revendications l'éleva au rang
de sauveur des victimes de l'ordre ancien.
Mais dispose-t-il
de
moyens
logistiques
suffisants
pour
déclencher
son
processus
révolutionnaire
et
mettre
à
bas
cet
ordre
séculaire
solidement et
jalousement
gardé
par les
chefs
- 188 -
religieux? Deux atouts au moins militent efficacement en sa
faveur
:
1 0 )
Un atout personnel
: Ous.an Dan Fodio apparut
comme
un
homme
charismatique. Très
dynamique,
i l
s'est
montré irrésistible par la force de sa prédication.
2 0 ) Le caractère social
de ses revendications lui
permet
de
jouir
d'une grande
popularité
et
du
soutien
inconditionnel
des
victimes
de
cet
ordre
millénaire
paysans
tributaires,
esclaves
ravalés
au
rang
de
purs
parias,
femmes
croupissant dans
l'obscurantisme
le
plus
absolu.
Les échelons
qu'il gravit
( Cheik,
puis Khalife
) lui
conférèrent un droit
d'avis sur les décisions
relatives au
destin
de
son
Etat.
Mais
cette
percée
d'
Ous.an
Dan
Fodio gêne beaucoup
de chefs religieux
qui,
comme
pris au
dépourvu,
tentèrent de la réduire. C'est cette tentative qui
déclencha
le
mouvement
au
Soudan
Central
en
1804.
Dan
Fodio vint rapidement â bout
de ses adversaires intérieurs,
s'attaqua aux Etats
Haoussa voisins tels le
Bénoué dont i l
se
rendit
maître,
s'élança
vers
le
Sud-Est et
le
Sud,
constitua ainsi un vaste empire dont i l 1nstalla la capitale
à
SOKOTO (cf
carte précedente).
Il porta
ensu1te le
fer
jusqu'aux abords de
l'Afrique Centrale (Cameroun) où
un de
ses
fougueux
adeptes - Ada.a -
construisit
un
important
empire
auquel 11 donna
son nom
: Adamaoua.
De
Dan Fodio
à
Uoha. . .d
Bello, cet
empire
rayonna
tant
par
son
organisation politique,
son dynamisme économique que par son
-
189 -
essor culturel.
La stabilité y régnait mais à
la disparition
de ces
deux grands chefs,
leurs successeurs
se montrèrent
peu populaires.
L'empire connut
des convulsions
internes.
Les
fréquentes
révoltes
qu'ils
ne
purent
contenir,
précipitèrent
ce
vaste
royaume
dans
un
affaiblissement
irréversible qui ne lui permit pas de résister à
la conquête
coloniale britannique.
Malheureusement
pour l'unité
future
de l'Afrique
de
l'Ouest et pour son
développement,
cette désolante histoire
ne s'arrêtera pas là,
car tandis
qu'au Nord et à
l'Ouest et
de l'Ouest
à
l'Est prédominait
une profonde
confusion,
au
Sud
les
mouvements
qui
murissaient
lentement
mais
résolument,
influencés
par les précédents,
devaient
à
leur
tour exploser.
Cette fois,
i l
ne s'agit plus
de mouvement
Peul,
mais
de
révolution Dioula
que
mène
l'Emir Sa.ory
Touré.
BI - SAMORY TOURE ET LA REVOLUTION OIOULA
L'Almany Emir Sa.ory Touré était
un colporteur Dioula.
Un
simple
regard
sur
sa vie
révéle
qu'il
se
consacra
presqu'entiérement à
la guerre.
Comment put-il prendre goût
à
une telle horreur? Le moins qu'on puisse dire est que les
événements du
Fouta-Djalon qui
se sont
propagés jusqu'aux
abords
de
l'Afrique
Centrale
ont
exercé
sur
lui
une
influence certaine.
Toutefois la
trés nette
régression de
ces mouvements
révolutionnaires en
affrontements partisans
-
190 -
autour
d'obJectifs
personnels
susclte
en
lUl
des
appréhensions,
l'obllge à
reformuler un
autre Jugement et ~
se forger une autre philosophie.
Inquiet aussi des multiples
et
continuelles
guerres
que
se
livrent
les
chefs
des
principautés
à
des
fins
égoïstes,
guerres
dont
les
conséquences immédiates furent les
incessants mouvements de
populations
et
les répercussions
lointaines,
un
sérieux
risque de
dépeuplement complet,
Sa.ory se donna
alors pour
mission de rassembler tous ces Etats
en un seul pour éviter
toute récidive d'affrontements et de
former un front contre
d'éventuels envahisseurs extérleurs.
"Continuellement armés
les uns contre les autres,
note
Peroz,
par l'irrésistible
passion de s'enlever reciproquement quelques captifs,
tantôt
vaincus et décimes,
tantôt vainqueurs mais affalblis par les
combats,
ils
(ces Etats) étaient menacés
d'un dépeuplement
complet lorsque
la main
de l'Almamy
les regroupant
en un
seul royaume et
leur donnant la communauté
des intérêts,
a
arrêté le cours de ces guerres perpétuelles et leur a ouvert
une
ère
de
prospérité
relativement
grande"29.
Il
mit
immédiatement son projet à exécution en lançant une nouvelle
vague de
guerres.
La
supériorité de
son armement
lui fit
remporter de
rapides et éclatantes victoires
sur plusieurs
Etats. C'est ainsi
qu'au Sud,
i l s'arrogea
le contrôle des
pays forestiers,
se rendit maître
de la route
de Freetown
(29) PEROZ (E)
:
L'Empire de l'Almamy Emir S~~ory cité par
Suret-Canale, op.
cit.,
p.
251.
-
191 -
(Sierra Leone) à
l'Ouest,
et finalement à
l'Est les terres
libres lui facilitèrent
les mouvements.
C'est au Nord qu'il
se heurta
à
un
sérieux obstacle
:
les
troupes françaises
commandées
par Archinard.
Il
constitua ainsi
en
1886
un
vaste empire
dont les limites
s'étendent du
"Haut-Niger à
l'Ouest au royaume de SIKASSO vers l'Est et touchant au fief
de Dinguiraye et
au Fouta-Djalon aux confins
forestiers de
la Sierra Leone et du Libéria" d'après Jean Suret-Canale.
Le premier accrochage qui
se produisit entre Sa.ary et
Arch~nard intervint
comme
un
mode de
"jaugeage"
de
la
puissance de frappe de l'un et de la capacité de réplique de
l'autre.
Ce
fut
un
échec
pour Sa~ry car
les
Français
l'obligeront
à
signer
un traité
quelque
peu
humiliant,
l'amenant à
concéder à
la
troupe d'Archinard
la frontière
sur le Niger et le Tinkisso,
mais en revanche,
ce traité dit
de Kéniéba-Koura de mars 1886 l'autorise à s'emparer de deux
villes:
Souré
et Kangaba (cf carte).
L'Almamy s'ébranlera
ensuite vers
l'Est.
Il
croise le
fer que
lui oppose
une
autre armée
: celle des Ouattara conduite par Tiéba dont les
qualités militaires exceptionnelles l'auraient porté au rang
de
roi. Malgré
de
sanglantes
batailles,
l'Emir
ne
vint
cependant pas à
bout de Tiéba.
Cet échec joint au poids des
multiples guerres,
suscitera
une mutinerie au sein
même de
l'armée de Samory
à
SIKASSO en 1887-1888.
Pendant ce temps
les Français
fermaient toutes
issues à
l'Almamy désormais
traqué comme
un rat
dans un
trou et
1891
sera
une année
décisive pour l'un
et l'autre camp.
En effet
c'est en 1891
-
192 -
LE MOUVEMENT DE SAMORY TOURE
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Fouta-Djalon
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Etats de SAMORY en 1886
Etats de SA MORY en
1896
04- ............ + Frontrières
oc tuelles
o
300 km
1
1
- 193 -
qu'Archinard qui avait
longtemps
sous-estimé
Sa.ory et sa
force militaire,
lança l'attaque qu'il croyait
décisive et
surtout rapide,
mais
à
la surprise du
commandant français,
la
guerre
dura
sept
ans et
c'est
précisément
en
1898
que Sa.ory fut capturé à Guélémou par le capitaine Gouraud.
Deux
faits
restent
à
souligner
au
compte
de
la
problématique
de
notre
travail
le
mouvement
des
populations et les conséquences
lointaines. Ces populations
en
quête d'une
paix impossible
depuis
près d'un
siècle,
connaitront encore en
ce début de 19è siècle
le plus grand
déplacement
forcé
de
leur
histoire.
Elles
se
verront
obligées de changer plus de trois fois de localité sans pour
autant rencontrer la paix et la tranquilité tant souhaitées.
Le second fait est la perception enfin au niveau de certains
chefs
africains de
cette époque,
du danger
le
néfaste
éparpillement
de leurs
forces
en
de vains
affrontements
fratricides.
Cette perception
s'est revélée
bien nette
à
travers une tentative bien significative.
En effet au moment
où Archinard portait
le
coup
de grâce
à
Sa.ory et
à
sa
troupe, Ah.adou (fils
d'El
Hadj
o.ar),
qui
avait
dédaigneusement
repoussé
une offre
de
constitution
d'un
front
unique
contre d'éventuels
envahisseurs,
essaya
de
tisser une
coalition, entre Sa.ory qui cherchait à
fuir au
Libéria parce que traqué de toutes parts,
Tiéba dirigeant un
Etat
"fantôme"
parce
qu'affaibli
par
les
interminables
guerres,
et
lui-mëme
parce
que
se sentant
prochainement
victime des français qu'il considérait comme ses protecteurs
- 194 -
sûrs. Cette tentat1ve sera vaine.
Il en résultera une prise
de
conscience
trés
amére
du
manque
d'unité
entre
les
différents dirigeants.
Cette division faisait
inévitablement
de toute victoire sur les Africains une double supériorité :
1 0 )
Une
supériorité diplomatique telle
que celle
utilisée par les Français et
consistant à soutenir certains
chefs
africains en
se
portant
leurs fidéles
protecteurs
contre
d'autres
quitte
à
s'en
débarrasser
au
moment
opportun.
"Le conquérant
européen,
remarque
Suret-Canale,
n'eut qU'à
se servir des
Africains eux-mêmes
pour écraser
ses ennemis du moment,
en attendant que les ·collaborateurs·
imprudents de la veille fussent à
leur tour écrases sous le
talon de fer de la colonisation"30. C'est cette appréhension
qu'eut Ah.adou, puisque
lui-même devait
être
incessamment
démis de son statut de chef et tenu d'abord pour un individu
ordinaire et jugé ensuite comme un élément encombrant.
2 0 )
Une supériorité
matér1el1e et
technologique
qui permettait
aux envahisseurs de
surclasser en
force de
frappe
les
troupes
africaines
désolidarisées
et
rudimentairement armées.
La
capitulation
de Sa.ory et
l'occupation
de
ses
territoires marquaient
le début décisif de
la colonisation
française.
L'Afrique
(et
l'Afrique
de
l'Ouest
en
(30) Suret-Canale (Jean)
op.
cit.
p.
223-223.
-
195 -
particulier) devait subir une histoire longue et mouvementée
qui restera une
plaie dans la conscience
collective de ses
habitants,
leur
destin s'y
étant
quasi
irréversiblement
joué.
Et pendant
que du
Nord au
Centre et
de l'Ouest
à
l'Est,
la
discorde entre
chefs africains
a conduit
à
des
conséquences graves, au Sud,
l'on n'a
pas su tirer la leçon
pour
parer à
des éventualités
similaires.
L'histoire
une
fois de plus s'y répétera!
-
196 -
§3 -
LES TROUBLES DANS LE GOLFE DU BENIN
Ashanti et Fanti : des a.bitions hé9é~niques Ashanti
à
l'annexion coloniale britannique
Ici encore
le nombre impressionnant de
micro-Etats ne
manque
de
susciter
étonnement
et
interrogations.
Cette
multitude
d'entités
politiques
se
repartit
en
deux
confédérations
d'importance
inégale:
les
confédérations
Ashanti et Fanti.
La
prem1ere,
forte de
vingt
et
un Etats,
comprenait
Abeasi,
Nkoranza, Adansi,
Agona,
Asumeja,
Benda,
Bekwai,
Berekum,
Dornaa,
Ejisu, Jaman,
Juaben,
KOkofu,
KumaS1 (Etat
et capitale
fédérale),
Kumuwu,
Manpoun~. Mo,
Sunna,
Nsuta,
Ofinso, Techuma et Wench1.
La
seconde plus
souple regroupait
Mankesim,
Nkrurukum,
Abora, Abeasi,
Kwaman et Anomabo32.
Ces deux grands royaumes vont
entrer en conflit larve,
pu~s
ouvert pour
se retrouver
en fin de
compte annexés
par la
Grande Bretagne.
En effet,
la puissance
numérique Ashanti
inspirait à certa1ns de ses V01S1ns (PU1squ'en dehors de ces
deux
grandes
confédérations,
subsista1ent
d'autres
formations telles que les petites
Républiques Ewe de l'Est,
les sociétés
militaires Lobi
et les
anarchies Fra-Fra
du
(32) Sylla (Lanciné) Op.
Cit.
p. 38
-
197 -
Nord selon l'expression de Sylla et abritant les populations
Fra-Fra,
Tallensi,
Nankanni,
Nabdam)
notamment aux
Fanti
l'idée
d'une alliance
militaire
en
vue de
protéger
les
routes du commerce et sauvegarder les richesses naturelles
que convoiteraient
les puissances
étrangères.
Proposition
momentanément soutenue
gràce à
un équilibre
bien précaire
qu'un scandaleux
trafic des
esclaves tentait
vainement de
maintenir.
De
fait,
la
fragilitè de
cet accord
s'afficha
très
vite lorsqu'en
1807 intervint
la
suppression de
la
traite par les Anglais. Aussitôt
la pression Ashanti se fit
ouvertement
sentir, concrètisée
l'annee
suivante par
des
descentes massives
sur les cotes,
frisant
l'invasion,
puis
réitérèes jusqu'en 1826. Devenue alors dom~nante sur presque
tous les points grâce à ses
richesses
(or,
cola.
~vo~re) la
confédération
Ashanti,
dirigée alors
par Oséi
Kwa~, fut
influencée
par
les
événements
du
Soudan
(révolutions
musulmanes).
La
tentation devenait
irrésistible au
fil des
jours car en
conflit larve contre les
chefs traditionnels,
Oséi Kwa.e attendait un cadre doublement favorable
:
10)
Un contexte propice pour la mobilisation.
2 0 ) Un autre cadre qui
justifierait éventuellement
son déchainement.
Seul,
l'islam pouvait fournir cette double oppor~unité.
Malheureusemen~
pour ce
roi.
les
c~rcons~ances ne
~urent
guère propices,
puisqu'il sera dest~tué et remplacé par Osei
Bonsu. En dépit
d'un déséquilibre
relativement sensible
conséquence de
la suppression de
la traite, et
malgré les
-
198 -
convulsions
internes
l'Etat confédéral
Ashanti
ne
cesse
néanmoins
d'inquiéter toujours
ses voisins
par ses
actes
belligènes. Afin
d'endiguer ces ambitions
hégémoniques que
traduisent clairement ces descentes
massives réitérées avec
arrogance
et
effronterie
sur
les
côtes
ainsi
Que
les
attaques
subreptices
perpétrées
contre
les
voisins,
la
Grande
Bretagne édicta
dans cette
zone une
"juridiction"
que,
selon
Vidrovitch,
les
Fant1
accueillirent
favorablement.
Ce texte
sanctionné selon le même
auteur en
1843 par
le -Foreign ~uridiction Act- autorisait
la Grande
Bretagne
a
traiter
cet
Etat
confédéral
Ashanti
comme
"colonie" .
Pareilles
d1Spositions
ne
plurent
guère
aux
intéressés.
Désormais
tro1S
forces
sont
en
présence
Ashant1,
Anglais,
Fant1.
D'un
côtè,
les
Ashanti
s'inquiétaient
des
intentions
reelles
des
Anglais,
de
l'autre
côté
les
Angla1s
soupçonna1ent
les
Ashanti
d'intentions hegémoniques sur leurs
voisins.
Entre les deux
puissances,
l'affrontement
ne fut
plus qu'une
quest10n de
temps et d'occasion.
Mais serait-ce par excés
de fougue ou
par tactique militaire consistant
à surprendre l'adversa1re
et a
le réduire a
l'immédia redditions
?
Nul ne
le sait.
Toujours est-il
qu'en 1863 les
Ashanti violèrent
le texte
sanctionné par
le Foreign ~uridiction
Act, descendirent de
nouveau
sur les
côtes et
envahirent l'Etat
Fanti. Et
au
moment
ou
les
Fanti
numériquement
m01ns
pU1ssants
envisagerent
un
plan
de
conféderation
avec
leurs
envahisseurs,
les
Anglais
amorcèrent
résolument
la
-
199 -
prévisible et irrésistible marche vers l'annexion.
Kumasi la
capitale fédérale est
mise a sac en 1874
et le protectorat
définitif intervint en 1897.
Ici comme
ailleurs,
la
division des
différentes fractions
aura
servi
de
prétexte
a
la
réalisation
d'intentions
longtemps inavouées
: la colonisation.
L'évocation de ces faits réveille
et avive souvent une
double passion :
D'une part la rap1d1té avec laquelle on accuse les
chefs africains d'avoir facilité
la tâche aux colonisateurs
par
l'affaiblissement des
Etats dû
soit aux
continuelles
guerres entre voisins,
soit a leur politique
1mprudente de
collaboration avec les Européens au détriment d'autres chefs
africains.
D'autre part
la tentation
qui consiste
a mettre
continuellement la colonisation devant
la responsabi11té de
ses
méfaits,
de
telle sorte
que
l'hist01re de
l'Afrique
apparaît dans
b1en des cas
comme celle de
perpétuelles et
réciproques accusations.
Il semble que nous soyons tombés aussi dans l'un de ses
piéges
par notre
démarche
qui
a essent1eliement
tenu
a
mettre
en
re11ef
la
lourde
responsabilité
des
chefs
africains d'antan
tantôt par
leur inattention,
tantôt par
leur politique
de collaboration avec
"l'étranger". Comment
- 200 -
justifier
cette option
apparemment
partiale alors
qu'une
telle
problématique
(analyse
des
causes
du
sous-développement et
des perspectives d'avenir)
exige une
grande objectivité? Du fait
d'un tel glissement partial,
le
travail ne
s'en trouve-t-il
pas limité
? Une
critique de
cette démarche s'impose donc
-
201 -
§4 - CRITIOUE
L'aperçu
historique
répond
a
une
exigence
fondamentale
retracer
i'histoire
de
cette
partie
du
continent africain dans le cadre des recherches des facteurs
du blocage du développement,
car jusque-là seule l'histoire
paraît
capable
de
fournir
des
explications
sur
la
réalisation,
les
possibilités
de réalisation
ou
sur
la
non-réalisation du
développement.
Une
question en
decoule
alors
: la maniére dont nous avons retracé cette histoire de
l'Afrique de l'Ouest,
les événements
que nous avons relatés
dans le
cadre de cette
doubie investigation des
causes du
sous-déveioppement et des
perspectives d'émerqence sont-ils
suffisants
pour
déterminer
avec
les
faits
susceptibies
d'être
considérés
comme
causes
solides
du
blocage? En clair,
une telle interrogation pose le problème
de limites
du travail
de reconstitution
des faits
perçus
comme
générateurs
du
sous-développement
et
exige
la
justification du choix
dont ils ont fait
l'objet ainsi que
la démonstration de leur valeur explicative spécifique.
AI - LES LIMITES DU TRAVAIL DE RELATION DES FAITS
S'il
convient
de
parler
de
limites
c'est-a-dire
"d'insuffisance"
de
ce
qui
est
relaté
au
regard
de
l'ensemble des
faits non cités,
elles peuvent
se préciser
par rapport à deux pôles importants :
- 202 -
1 0 ) A l'histoire globale de
l'Afrique de l'Ouest
2 0 ) A la largeur du champ de la problématique.
1 0 )
Par rapport à l'histoire ~oba~~ de
l'Afrique de l'Ouest.
L'histoire
de
l'ouest
africain
est
en
effet
trop
complexe,
trop
riche
en
evènements
pour
être
ramenée
seulement a l'exposé de quelques exemples de stratif1cations
sociales ainsi
qU'à l'evocation de quelques
révolutions au
Nord,
au Centre
et au Sud.
L'Afr1que de
l'Ouest a souffert
d'un
esclavage patriarcal
puis s'est
humiliée sous
celui
instauré par les
arabes avant de subir un
troisième type
:
celui institué par les Européens.
L'histo1re ouest-afr1caine
est également
émaillée d'invasions multiples,
sans oublier
que le peuplement du continent lU1-même s'est opéré dans des
conditions particulièrement drast1ques.
Par
rapport à cette
complexité, à
cette richesse,
le travail
de relation
des
faits se révèle incontestablement réduit.
Prelever seulement
quelques événements
d'un ensemble
aussi complexe
et aussi
riche comme explicatifs d'une
situation aux causes connexes
qu'est
le
sous-développement,
s'avere
notoirement
insuffisant.
Il en
sera1t de même v1s-a-vis
de l'immensité
du champ de la problèmatique elle-même.
-
203 -
2 0 )
Par rapport à l' étendu~_du_~a~_~~_l~
problématique.
Par "champ de la problématique" nous entendons tous les
secteurs de la vie soc1ale susceptible d'ètre touchés par le
sous-développement, car
celui-ci est
d'abord un
phénomène
social global
(c'est-à-dire un ensemble de
faits connexes)
avant de
relever de
la special1té
de ~el
ou tel
domaine
scientif1que
prec1s. Cela
é~an~,
son
champ s'étend
~rès
vaste
dans la
mesure où
i l
eX1ste un
sous-développemen~
économique, culturel,
poli~ique, et . . .
"men~al". Or,
~out au
long
de
ce
chapi~re,
i l n'a
sur~out
été
question
que
d'insti~utions
internes précolon1ales
e~ coloniales
ainsi
que de poli~iques
d'ex~orsion réciproque de cap~ifs
; d'où
les nombreuses guerres en~re Etats
voisins e~ les amb1~ions
hégémoniques. Ce son~ donc des
fai~s que nous avons isolés,
des
événements que
nous avons
choisis en
ra1son de
leur
importance e~
de leur SpéC1fité dans
l'expl1cation direc~e
e~ indirec~e du blocage e~
ce malgré l'insuffisance dont ce
prélèvement peut donner l'impression.
BI - SIGNIFICATION ET IMPORTANCE OE~A:lT~--"pHOI_SIJ!
DANS L' EXPLICATION DIRECTE ET ._IN~IJI_ECTJ:__DU
SOUS-DEYELOPPe.ENT .
Les fai~s
choisis et rapportés
dans ce
chapitre nous
semblen~
d'une maniére
d1recte
ou 1nd1recte
suffisamment
explicatifs
de la
situation.
Ils
se résument
en effet
à
-~-
l'exposé des
structures sociales
et à
la description
des
bouleversements
intérieurs
qui
ont
débouché
sur
les
conquêtes coloniales.
a)
L'analyse
des
structures
sociales
(dont
l'impact
sur
le
retard de
développement
reste
sérieux)
visait un objectif
essentiel: montrer les
deux principaux
niveaux
des difficultés
d'ordre socio-anthropologique
des
Etats Ouest-africains.
Le premier palier des obstacles était
l'hypothèse de
la persistance des
structures précoloniales
et
coloniales dans
les formes
modernes
que prennent
les
Etats indépendants.
L'approche a révélé la
coexistence des
deux
formes de
strucutres:
traditionnelles et
modernes.
Cette coexistence entraîne une désarticulation structurelle,
engendre des oppositions
de tous genres et
comprime toutes
possibilités
d'harmonie,
le passé
exerçant
toujours
une
forte
influence.
D'où
ces Etats
apparaissent
comme
des
entités
structurellement
en
disjonction
de
phase,
axiologiquement en rupture d'harmonie et surtout mentalement
en
disjonction de
situation.
L'hypothèse
d'un mélange
de
genres et de conceptions
d'organisation sociale s'en trouve
alors vérifiée. Or,
le développement
qui est et qui demeure
par essence un mouvement d'ensemble,
une harmonie -
Jacques
Austruy pousse la
comparaison jusqu'à le définir
comme une
"mélodie" -
ne saurait se réaliser
dans un contexte
de si
notoires désarticulations
: deuxiéme palier des difficultés.
c'est
donc
parce que
ce
secteur
-
que
constituent
les
structures sociales - est
suffisamment complexe,
ramifié et
- 205 -
important qu'on ne saurait
prétendre répertorier les causes
de
la
stagnation
socio-economique et
politique
sans
le
prendre
en
compte.
Son
étude
équivaut
alors
a
une
investigation
des
causes
lointaines
directes
de
cette
situation de manque qu'est le sous-développement.
b) Quant
aux bouleversements
intérieurs qui
ont
débouché sur la colonisation,
ils
visaient également un but
précis.
D'abord les événements relatés ici jouent à nos yeux
un rôle d'échantillon dans l'impossibilité de redécrire tous
les faits historiques. Cette
notion d'échantillon a conduit
a extraire
ici et
là des
phénoménes décisifs
Au
Nord,
révolutions peul des deux Fouta
; au Centre,
elles eurent un
écho favorable
avec
Ous.an
Dan Fodio ;
au Sud
(golfe du
Bénin) ce
sont les tentatives hégémoniques
Ashanti suivies
de l'annexion britannique et la liste pourrait s'allonger.
La
redescription de
ces
mouvements
visait ainsi
un
triple but
:
1 0 ) Mettre en
relief J'envergure spatiale de
ces troubles.
2 0 ) Montrer
au grand
jour les
conséquences
négatives
qu'ils
ont
eues
sur
la
stabilité
et
les
possibilités d'unification:
impact que traduisent la grande
désorganisation et la profonde désintégration.
3 0 ) Préciser la part
des Africains eux-mêmes
dans la naissance de leur propre mal.
- 206 -
Ces
guerres,
ces hégémonies,
ces
oppositions
entre
grandes
familles
religieuses
avaient fini
par
donner
à
l'Afrique
une
image
de
brasier,
de
société
en
ruines
irrémédiables.
La stabilité qui caractérisait antérieurement
ces
royaumes devenait
presqu'un
mythe
et l'unité
et
la
solidarité,
une utopie.
Cet imbroglio
social dans
lequel
s'était
enfoncée l'Afrique
de l'Ouest
à
la
veille de
la
conquête
coloniale,
facilitera
largement
la
tâche
aux
conquérants qui ne
rencontreront pas de solides
et tenaces
résistances unifiées ainsi que le constate cet historien
:
"Ainsi,
à
l'aube de la conquête européenne,
l'état soclal de
l'Afrique
était tel
qu'aucun obstacle
sérieux ne
pouvait
s'opposer
a cette
conquëte.
Les
vertus
de la
solidarité
gentilice,
qui
avaient permis aux premiers
Etats afrlcains
de durer,
étaient en
train de
périr.
Les
divisions entre
peuples, autre
héritage du
passé gentilice,
non seulement
n'étaient pas surmontées, mais
étaient au contraire avivées
par le
processus en cours
de différenciation
sociale,
les
haines de peuple à peuple,
de
famille à
famille se doublant
de haines entre
dominateurs et asservis
( . . . ).
La conquête
se
heurta
à
des
résistances
farouches
prolongées
mais
qu'elle put écraser une à
une sans jamais avoir à faire face
à
une
résistance
unifiée,
nationale
que
les
conditions
sociales
excluaient"3J.
Et devant
l'histoire,
les
chefs
africains
d'antan ne
sont
pas
seulement responsables
de
(33) Suret-Cana1e (~ean)
Op. Cit.
p.
223
- 201 -
n'avoir pas su faire la paix
ni Jeter les bases d'une unité
plus
structurée,
mais
aussi
d'avoir
manqué de
vigilance
vis-à-vis des Européens. Ce "laxisme",
explicable ici ou là
par
une
espèce
de
confiance
aveugle
aux
prétendus
protecteurs
européens,
confiance
qui
s'assimile
à
la
naïveté,
a conduit
les peuples africains dans
le précipice
de la colonisation.
Les cas étudiés
dans ce travail en sont
l'illustration.
En
effet
véritable confédération,
le
Fouta-Djalon
était
aussi un géant aux pieds d'argile.
Déchiré par les rivalités
intestines entre grandes familles religieuses, ce grand Etat
ne
résistera
pas
à
l'entreprise
coloniale.
Malgré
les
traités en 1896
i l sera annexé avec
facilité.
annexion qui
sera
suivie
peu
de
temps
après
de
démembrement
de
communautés, de destitutions de chefs et de déposséss1ons de
pouvoirs.
Le
Fouta-Toro de
son côté
subira le
même sort.
Grand ensemble mal
consolidé à cause des
multiples guerres
de clocher,
i l sera démantelé en
1859,
puis annexé en 1881,
pour être
définitivement brisé dix
ans plus tard.
Dans le
Yoruba,
i l
se révele que
c'est au
moment où les
Etats du
Nord
se
sont
totalement épuisés
dans
des
affrontements
fratricides et que
les deux plus grands du
Sud dont Ibadan
et Abeokuta,
s'enlisaient dans
de vaines
oppositions,
que
les Anglais mirent la main sur la région par Lagos (actuelle
capitale du Nigeria)
en 1861. Dans les
royaumes Ashanti et
Fanti,
la même
inattention provoquera
les mêmes
erreurs.
Partout, comme cela se voi~,
l'Afrique aura prêté le flanc.
Avec la
colonisation, commence
une bien
longue et
triste
- 208 -
nuit
dont
elle
sort1ra
économiquement
et
politiquement
déprimée
et
plus
que
jamais
dépendante
socialement
désarticulée,
technologiquement retardataire,
bref,
elle en
sortira "exsangue",
sous-développée.
Pour son développement,
elle
devra
désormais prendre
sérieusement
conscience
de
l'importance
de son
unité
et
de la
nécessité
d'adapter
certaines
mentalités
aux
exigences
du
progrès.
Ceci
apparaissant comme les éléments d'un remède efficace au mal,
un
diagnostic
complet
devra
le
précéder
c'est-à-dire
répertorier tous les obstacles susceptibles de contrarier et
donc de gêner cette mutation plurisectorielle indispensable.
DEUXIEME
PART"IE
=============================
DEVELOPPEMENT ET SOUS-DEVELOPPEMENT
-----,,------- - -
EN AFRIQUE DE L'OUEST
---- - - - - -- -_.__.--_.- ---
-
C H A P I T R E
l
PREALABLES METHODOLOGIQUES
DEFINITION DES CONCEPTS
-DEVELOPPEMENT- et -SOUS-DEVELOPPEMENT-
SECTION 1
DEFINITION DU CONCEPT ~DEVELOPPEUENT·
ET
._",._--- - - - - - ' - _ .
CRITIQUES
-
212 -
S'interroger sur
la nature du développement
alors que
l'objectif de
ce travail porte sur
le "sous-développement"
ne
constitue-t-il
pas
une
en}orse à
la
logique
de
la
démarche? Est-il nécessaire de
passer par la définition du
"développement" pour saisir la
nature du sous-développement
généralement
considéré
comme
un
ensemble
de
"critères
négatifs du non-moi ?"1.
Si de
fait,
i l
paraît plus facile,
en raison
de ses
critères
habituellement
négatifs
de
décrire
le
- - - - - - -
sous-développement,
i l est
par
contre
très difficile
de
définir "scientifiquement" le développement,
c'est-à-dire de
distinguer une
pure appréciation
subjective et
une saisie
objective,
constante et générale de son contenu.
En effet la
fréquence de son emploi et la floraison d'écrits V afférents
créent souvent une impression de
maîtrise de ce terme quand
on s'embrouille
et se
fourvoie dans
la complexité
de son
contenu. A
un examen approfondi~ le
concept
"développement
se
révéle
une
notion
faussement
familière.
Faussement
familière
toutes
les
fois
que
ce
terme
évoque
unidimensionnellement
dans
les esprits
un
"développement
économique" en
oubliant que le véritable
développement est
dans
son
essence
un
ensemble
de
phénomènes
sociaux
intimement liés entre eux
et dont la dysfonction
d'un seul
secteur brise l'harmonie du
syst~me. "L'effervescence qu'a
(1)
Austruy ~acques : Le scandale du dév~loypement.
Editions Marcel Rivière et Cie.
1965,
p.
26
-
213 -
caractérisé
les
études
sur
le
développement
et
le
sous-développement n'aurait peut-être pas
atteint une telle
intensité,
pense Nguyen
Huu Chau, si,
au lieu
d'envisager
ces
problèmes à
partir
de principes
abstraits
et de
se
laisser arrêter
par la
distinction de
l'économique et
du
non-économique les chercheurs s'étaient faits une conception
Hglobale et organique" du développement"2.
Or i l est quasi impossible de
dire quoi que ce soit du
sous-développement si l'on
n'a pas une idée
assez nette du
développement
et
c'est
dans cette
conviction
que
notre
démarche
qui
consiste
à
saisir
la
nature
réelle
du
sous-développement par
une définition objective
du concept
développement,
trouve sa justification.
"Au lieu de chercher
une définition cohérente et intégrale du sous-développement,
recommande Ray.and
Aron,
ce qui
est évidemment
impossible
pour
un
concept
négatif,
demandons-nous
donc
en
quoi
consiste
ou
si
l'on
préfèr.e
quelle
conception
du
développement
implique
la
pratique
ou
la
théorie
d'aujourd'hui"3.
Nous ne
nous interrogerons
pas particulièrement
pour
l'heure
sur
la
pratique
qu'implique
la
conception
du
développement mais sur sa nature propre.
-----------------_._~-
.. ~
(2)
Chau Huu Nguyen : St ructures ,". inst i tut ions et__ dévelop-
pement dans les pays du Tiers Monde~ Librairie générale
de droit et
jurisprudence,
1964,
p.
102
(3) Aron RaYMOnd:
Dév~!Qpp.ement~_E~ti~na;i~~_~~.F~~2n
Preuves -
juillet 1963 p. 3-27.
- 214 -
§1 - QU'EST-CE ALORS QUE LE DEVELOPPEMENT ?
De
la
pléthore
de
concept10ns
et
définitions
du
"développement",
deux
nous semblent
rendre compte,
malgré
quelques
critiques auxquelles
elles se
prêtent,
de
cette
réalité qui,
jusque-là,
ne fait
pas encore
l'unanimité des
chercheurs.
Il
s'agit des
définitions élaborées
par Louis
~oseph Lebret et
par ~acques Austruy, ces
deux définitions
contenant l'essentiel de la conception de
François Perroux
et surtout
la finalité
que celui-c1
assigne au
phénomène
développement.
En
effet Lebret
définit
le
développement
comme
"la série
de passages pour une
population déterminée
et pour les fractions de populations qU1 la composent, d'une
phase moins humaine
à une phase plus humaine,
au rythme le
plus
rapide poss1ble,
au
coût
le m01ns
élevé
possible,
compte tenu de la solidarité
entre les fractions nationales
et de la solidarité entre les nations"4.
La difficulté d'élaborer une définition universellement
satisfaisante du
concept de
développement est
indéniable.
Difficulté réelle parce que le développement se rapportant à
la
notion de
bonheur,
varie selon
la
psychologie et
la
philosophie du bonheur de tel ind1vidu,
de tel peuple. C'est
ce
côté psychologique
et
philosophique
qui expose
toute
définition du concept
"développement" à certaines critiques.
(4) Lebret
(~oseph-Louis)
Développement = Révolution
solidaire.
Editions Ouvrières.
1967,
p. 82
- 215 -
§2 - CRITIQUES
Si toute définition du concept
"développement" s'expose
à des critiques,
celle de Lebret
n'a pas échappé à la règle
et ce pour deux raisons principales.
10)
Une certaine imprécisi~~
L'absence
de
tout
seuil,
de
toute
statistique,
si
approximatifs
soient-ils,
indiquant
le
passage du
"stade
moins
humain"
au
stade
dit
"plus
humain"
donne
à
la
définition
un caractère
quelque peu
trop général,
vague.
Qu'est-ce qu'une
"phase moins humaine"
et une
"phase plus
humaine" ? Ces notions ont-elles la même résonance chez tout
le monde? Autrement dit,
ce qui est
"phase moins humaine ou
plus humaine" pour un
individu,
l'est-il nécessairment pour
un autre ?
20)
Un certain excès de projecti~fl
Le
deuxième
reproche
provient
d'un
certain
excès
d'optimisme,
de confiance dans la
solidarité des hommes qui
demeure plus un souhait a formuler qu'une réalité a laquelle
i l faut
croire d'emblée.
Cette
confiance et
cet optimisme
excessifs
présentent
un
développement
optimal,
presque
idéal.
Idéal par la rapidité
de son rythme,
la mobilisation
- 216 -
spontanée,
générale
et consentante,
entln
une "régulation"
harmonieuse
de la
vie
communautalre
due à
l'abalssement
spectaculaire des coûts.
Si nous reprochons cette projection
à
cette
définition,
c'est
que,
selon
nous,
sans
nler ces
objectifs vers lesquels i l doit
tendre,
nous pensons que le
développement est avant tout un
processus,
une
"marche".
Et
en tant que mouvement de grande envergure,
qui bouleverse de
fond en comble
les "vieilles" strucutres et
doit embrasser
tous
les
secteurs,
i l suppose
un
début
difficile,
des
obstacles
à
tout
moment.
Cela
étant,
i l
nécessite
une
véritable stratégie,
une vigllance soutenue,
non seulement
pour
brlser
les
multiples
réseaux
possibles
de
forces
inhibitrices extérieures
au mouvement,
mais
pour malntenir
la cohérence et la coordination des secteurs concernés et la
continuité du
processus.
Le
développement ne
suppose pas,
selon
nous,
une
aussi grande
facilité
que
cela
semble
transparaître
de
cette
définition.
Lebret lui-même
l'a
explicitement admis
lorsqu'il écrit
"L'homme
d'Etat qUl
veut le
développement,
en vérité
se heurte à
de multiples
contradicteurs,
à
des
assauts habiles,
à
des
sabotages
prémédités.
Pour
réussir quand
même i l
lui faut
une très
exceptionnelle
fermeté,
une
inflexible
ténacité,
en
même
temps qu'une très extrême lucidite,
faute de quoi ressources
naturelles,
structures nouvelles
et planification resteront
totalement inopérantes"5.
(5)
Lebret
(~.L)
op.
cit.
p. 95
- 217 -
Du reste si cette confiance
et cet optimisme demeurent
les
constantes de
cette définition,
c'est qu'il
t1ennent
peut-être
au
statut
social de
leur
auteur
religieux
missionnaire chargé
de prêcher la confiance
et l'optimisme
aux hommes car
"dans une maniére de
dire,
constatait le Dr
Delay, se traduit une maniére d'être".
Cependant, au delà de
ces critiques,
cette définition trace
le vrai
schéma d'un
développement
intégral et
concerté
c'est en
cela
que
résident ses mérites.
BI - LES MERITES DE LA DEFINITION
Le
premier atout
est
l'ampleur
du processus
et
la
diversité
des domaines
qu'elle
est
censée embrasser.
Le
véritable
développement
est
intégral.
I l
implique
un
bouleversement
des
structures
soc1ales,
politiques,
économiques,
institutionnelles, mentales.
Ce bouleversement
ne doit
pas déboucher
sur un
pur et
simp~e rejet
de ces
structures
anciennes
mais
doit
V1ser
a
les
adapter
à
l'esprit du mouvement et aux exigences du moment.
Le
second
mérite
est
le
dynamisme
qui
fait
du
développement
un
processus
évo~utit
continu
ma1s
non
intermittent parce qu'il aurait atteint
un but quelque part
dans le temps. C'est en ce sens que la critique formulée par
Georges Balandier
contre l'expression "pays insuffisamment
développés"
reste appropriée.
En raison
de son
dynamisme
- 218 -
interne,
le
développement apparait
comme un
mouvement qui
doit s'autogénérer,
toujours tendre vers un
stade meilleur
tant en quantité qu'en qualité.
La
troisième
qualité
est
la
coordinaition,
la
concialiation
des
structures
qu'elle
suppose.
Cette
conjonction
des
structures
entretenue
par
~e
dynamisme
confère une
allure d'ensemble,
rythmique.
Le développement
doit
être
en
effet,
tel
qu'il
est
défini
ici,
un
enchaînement structurel,
activation d'abord
et conjonction
ensuite des forces,
même diversement orientées,
en
vue des
mêmes
fins.
Lebret
lui-même appelle
un
tel
mouvement
"symphonie" et Austruy "mélodie".
L'idée d'harmonie qui s'en
dégage ainsi naît de l'embrayage de
tous les secteurs de la
vie sociale les uns sur les autres.
Enfin et surtout
le plus grand atout
de la définition
est
la
finalité
qu'elle assigne
au
développement
la
satisfaction,
l'épanoulssement
de "tout l'homme et
de tous
les
hommes"
selon l'expression
de François
Perroux, même
s ' i l est difficile
de prouver qu'étant dans
telle ou telle
condition un
individu est heureux.
Et si nous
retenons la
deuxième
définition
élaborée par
~acques
Austruy et
la
faisons
nôtre,
ce n'est
pas
seulement
en raison
de
sa
capacité à
élaborer une
synthé~e de
la description
faite
par Lebret, c'est aussi et
surtout en raison de
cette idée
que tout bouleversement,
tout mouvement dit de développement
réel impliquant une certaine violence exercée sur un certain
- 219
-
ordre
établi,
trouve
a
son
terme
humaine.
Le
développement
en effet
pour ~acques
Austruy
est
"le
mouvement
qui
bouleverse fondamentalement
une
société
pour
permettre
l'apparition,
la
poursuite
et
l'orientation
de
la
croissance
vers
une
signification
humaine"6.
Quelles
réflexions
susc~te
l'expression
"signification
humaine" qui est l'objectif du véritable développement?
La signification
humaine prétend être le
sens profond
et
l'orientation sociale
que cherchent
ou
se fixent
des
mouvements
de développement
déclenchés
a
l'encontre
d'un
ordre
établi,
que
cet
ordre
établi
soit
naturel
ou
simplement mental, économique,
politique,
institutionnel.
De
ce
point de
vue la
sign~fication
humaine apparaît
comme
valeur
suprême dont
l'absence crée
un
vide collectif
et
individuel qui aura nécessite un~ recherche de satisfaction.
Celle-ci
ne
peut
se
mener
sans
bouleversement
(des
habitudes,
des
visions
du
monde,
individuelles
puis
collectives) ni une incertaine violence 7 .
La signification
(6) Austruy ~acques : Op.
Cit.
p.
103.
(7)
Le terme violence ne revêt pas d'emblée dans ce texte
un sens négatif c'est-a-dire~emploi d'une force physi-
que brutale,
arrachement d'un assentiment par objurga-
tion ou effusion de sang. Quoique cet aspect soit bien
souvent difficile a éviter,
le terme violence garde
avant tout ici un contenu positif dans la mesure où le
passage d'une situation a une autre par nécessité
implique ipso facto quelques renoncements â des habitu-
des acquises.
-
220 -
humaine
sera alors
une
juste
compensation effective
des
sa~rifices
ensemble
consentis
eile
impliquera
un
couronnement
d'efforts conjugués,
une v~ctoire
collective
remportée sur
un manque
fondamental naturel
ou simplement
provoqué.
Elle permet comme dit Gaston Leduc,
"la libération
des
contraintes
imposées
par
l'inadaptation
du
m~lieu,
c'est-à-dire l'élargissement progressif
des possibilités de
choix offertes
à l'homme
dans la conduite
de sa
vie".
Le
développement en tant que mouvement
de grande envergure qui
bouleverse nécessairement
pour intégrer logiquement
par la
suite,
n'a
et n'aura
effectivement de
portée sociale,
de
signification humaine réelle,
que s ' i l
porte dans son cours
les promesses
d'une véritable réussite. Cette
condit~on ne
sera remplie que si l'homme reste
effectivement le point de
départ
et
le
point
d'arrivée
de
ce
mouvement
de
développement,
autrement
dit la
réussite ne
sera possible
que "si la
valorisation humaine devient le
but premier qui
détermine
l'optimum".
Alors,
î e
développement
procurera
l'épanouissement à
"tout l'homme et à tous les hommes".
Armé
de ces
définitions
qui
ne différent
l'une
de
l'autre que par la concision,
nous pouvons essayer de saisir
la nature
de ce
que l'on
considére généralement
comme la
face négative du développement
le sous-développement. Mais
auparavant,
les hésitations,
les
polémiques qui ont
jalonné
~
le
choix d'un
concept
pour
traduire cette
réalité
dite
"négative" nous obligent à en faire un petit historique.
SECTION II
LE CONCEPT DE SOUS-DEVELOPPEMENT :
APPROCHES ET TENTATIVES DE DEFINITION
- 222 -
Une
approche
historique
du
sous-développement
peut
sembler
ambiguë.
S'agit-il
d'une
approche
du
concept
"sous-développement"
ou
au
contraire
de
celle
de
sa
réalité
? Cette
dichotomie
a
souvent remué
des
cercles
d'intellectuels.
Pour
notre part,
nous choisissons
de nous
pencher
plus
particulièrement
sur
quelques
fluctuations
importantes de l'évolution du concept.
L'expression
"sous-développement"
est
un
euphémisme
"consacré" au terme de
longs débats interd1sciplinaires.
En
effet,
il fallait
trouver un
concept
moins sUbjectif
et
moins ambigu
mais plus
apte à
traduire une
sisutation de
manque aux
causes multiples
et connexes.
C'est ainsi
que
Niculescu rejette
des
dénominations
telles
que
"pays
arriérés",
"pays sous-développés" car selon lui,
la pauvreté
ne saurait avoir les mêmes causes dans tous les pays.
Par de
tels termes,
on
somme les pays pauvres de
rendre compte de
situations apparemment
semblables alors
qu'elles diffèrent
profondément les unes des autres dans leurs causes.
-
223-
CRITIQUE
Deux remarques s'imposent
1 0 ) Niculescu comme tous ceux dont
i l conteste la
position est en quête d'un concept QP.ératoire ; c'est-a-dire
d'un
terme capable
soit de
saisir "scientifiquement"
une
réalité fluide,
complexe et variable
soit de
susciter des
interrogations
sur son
avenement.
Sur
ce plan
théorique,
l'argumentation de Niculescu ne
peut manquer de
reporter a
la polémique relative a la
fonction du concept c'est-a-dire
a sa capacité ou a son incapacité de saisir ob;ectivment une
réalité aux déterminants multiples.
2 0 )
Que
propose Niculescu a
la
place
de
ces
qualificatifs
"d'arriérés"
et de
"sous-développés"
qu'il
rejette?
Il leur préfere
des termes plus
descriptifs des
fai ts observés
dans l ' ensemble ~ des pays
en quest ion,
des
expressions telles que "pays a faible revenu par tête".
Qu'en dire?
Que Niculescu conteste et rejette la fonction prétendue
épistémologique et
généralisatrice du concept,
relève dans
le
domaine du
savoir d'un
droit. Cependant
i l faut
bien
~
croire que
la substitution
qu'il a
proposée n'a
pas pour
autant
mieux résolu
le crucial
problème
des termes
dans
lesquels
doit
être
posée
l'importante
question
du
- 224 -
sous-développement.
En
effet que vaut l'expression
"pays à
faible
revenu
par
tête"
du
point
de
vue
informations
objectives
?
En
réalité
cette
expression
n'est
qu'un
indicateur et i l ne manque plus qu'une donnée numérique pour
en
faire
un
indicateur statistique
presque
sans
grande
signification
parce
qu'il
indique
plus
un
niveau
approximatif de vie qu'il n'incite véritablement par quelque
désignation
stimulante
à
la
recherche
des
causes.
L'expression "pays à
faible revenu par tête"
qu'il propose
de
substituer
à
celle
de
"pays
sous-développés"
et
"arriérés "
ne
rempl1t
pas
selon
nous
la
fonction
"heuristique"
qu'il croit
lui
attribuer
à
juste
raison.
Exemple
dans
le
cas
précise
de
l'Afrique
qui
nous
préoccupe,
la République
du
Gabon
a un
P.N.B.
(Produit
national brut) de 6 100 $
(dollars) par habitantB donc égal
à
celui de
l'Italie
et deux
fois
supérieur
à
celui
du
Portugal (2352
$),
mais
faut-il pour
cela en
conclure au
développement du
Gabon? Il ne..., le semble pas,
puisque les
faits le démentiront.
A la suite de Niculescu, c'est
au tour de Hia Myint et
de Francesco
Vito de
condamner
l'ass1milation
de
"sous-développés"
à
"arr iérés" ,
le
premier
terme
se
rapportant
selon
eux
aux
ressources
et
le
second
aux
(8) D'après
Quid
1985.
- 225 -
hommes9.
Le
terme
·sous-développement~ a
fini
par
être
adopté
par
euphémisme
selon
nous,
et
selon
Freyssinet,
l'appel
au
changement
qu'il
implique
ipso
facto.
Comme
on peut
le constater,
le choix
d'un concept
adéquat
au
phénomène
"sous-développement"
c'est-à-dire
susceptible
de
rendre efficacement
compte
d'une
réalité
négative,
a suscité de
véritables polémiques. En-a-t-il été
de même quant à la définition de cette réalité?
(9)
Freyssinet
(Jacques) Op. Cit.
- 226 -
§2 -
TENTATIVES DE DEFINITION DE ·SOUS-DEVEl,...!lPPEIlENT-':"
Le sous-développement peut être défini ~~sc~i~vement
par indicateurs statistiques c'est-à-dire par désignation de
séries
de
faits ou
de
données
numériques ou
alors
par
priorité
de
secteurs
d'activité.
Ces
deux
types
de
définitions
semblent s'imbriquer
l'un
dans l'autre,
mais
chacun vise un objectif précis.
1 -
REPERAGE CRITERIOLO&lQUE OU DEFINITION PAR
INDICATEURS STATISTIQUES
La définition
par indicateurs
statis~iques permet
de
rendre compte
de l'état
d'insatisfaction par
le b1ais
de
critéres
(généralement
négatifs)
et
des
ch1ffres.
Elle
recoupe
la
définition
dite
"par
pr10rité
de
secteurs
d'activité"
mais
avec
un
accent
particulier
sur
la
"négativité"
des cr1téres.
Nombreux sont
les auteurs
qui
adoptent
ce
type de
définit10n
e~
les critères
et
les
chiffres
var1ent
d'un
auteur
à
un
autre.
Oans
l'impossibilité
de
repertorier
tous
les
critères
du
sous-développement selon tous les
auteurs avant de proposer
notre
descrip~ion
du
phénomène,
il
nous
paraît
utile
d'étudier les synthèses effectuées par deux auteurs:
- 227 -
Harvey Leibens~ein 10, qui
a exploré tous ou
presque tous
les
domaines
de
l'activité
sociale
et Yves
Lacos~e qui
rassemble
sur sa
liste
les
critères recencés
par Alfred
Sauvy, Henry ~anne etc.
(10) Leibens~ein Harvey: Economie backwardness and
economic growth.
New-York 1957,
p. 40-41.
- 228 -
DOMAINE ECONOMIQUE
1 0 )
Proportion
très
élevée
de
la
population
dans
l'agriculture:
70 à 90 %.
2 0 )
Surpeuplement absolu dans l'agriculture.
3 0 )
Important
"chômage
déguisé"
même
en
dehors
de
l'agriculture.
4 0 )
Faible capital
par
tête
et donc
existence
voisine
du minimum vital.
50)
Bas revenu par tête.
6 0 )
~pargne inexistante
dans
la
grande maiorité
de
la
population.
7 0 )
L'épargne eXistante
est
constituée
par un
clan
de
propriétaires terriens
dont les
valeurs ne
sont pas
favorables à
l'investissement dans l'industrie
ou le
commerce.
8 0 )
Les industries prima1res
(agriculture,
forêts,
mines)
sont des secteurs où s'emploie la main-d'oeuvre.
Exemples
pratiques
la
Côte-d'Ivoire,
le
Ghana
(exemples cités par nous).
90)
Le produit de
l'agriculture est constitué princ1pale-
ment de céréales et de
matières premières brutes avec
une production relativement faible de protéine.
Dans
le tableau
de consommation
de
calories et
de
protides, Yves
La
Coste situe l'Afrique
de
l'Ouest
entière au
sein des pays
dont la consommation
va de
- 229 -
2 000
à
2 500
calories et moins
de 10 9
de protides
par jour 11 •
10 0 ) La plus
grande partie des dépenses est
consacrée à la
nourriture et aux besoins de première nécessité.
110)
Les exploitations portent sur
les besoins de consomma-
tion et de matières premières.
12 0 )
Faiblesse du commerce par habitant.
13 0 )
Faible possibilité de crédit et de commercialisation.
14 0 ) Mauvais habitat.
Carac~éris~ique de base dans l'a9ricul~ure
1 0 )
Mauvais
emploi du
capital
eXistant
dû à
la
petite
dimension
des
exploitations
et
à
l'existence
de
parcelles minuscules.
2 0 )
Le niveau
des techniques agraires est
extrêmement bas
et l'équipement est limité et de nature primitive.
3 0 )
En présence de grandes propriétés les possibilites
d'une agriculture moderne orientée
vers le marché sont
limitées
par
les
difficultés
de
transport
et
l'1nexistence d'une demande effective
dans les marchés
locaux.
L'agr1culture
est
réduite
aux
secteurs
produisant
pour la
vente
sur
les marchés
étrangers
(nous
pensons à
l'arachide du
Sénégal.
au coton
de
l'Egypte et du Burkina faso i l y a quelques années).
~
(11)
Lacos~e Yves. Les pays sous-développés "que sais-je"
P . U . F.
1 960 .
- 230 -
40)
Incapacité
des
pet1ts
propriétaires
et
paysans
de
résister
à
une
crise même
de courte
durée. On
tire
alors les forts rendements du sol d'où son épuisement.
50)
Un
endettement
considérable
(nous
ajoutons
et
chronique).
6 0 ) Les
méthodes de
production pour
le marché
domestique
sont démodées et inefficaces.
7 0 )
Un
aspect néfaste
est
le
désir
de
terre dû
à
la
dimension trop petite des propriétés et à
la dispersion
des minuscules
parcelles.
(Nous pensons par
exemple à
la Gambie,
à
la Guinée Bissau,
au Bénin,
au Burkina au
regard de leur démographie galopante).
DOMaine dé.ographique
1 0 )
Taux
de fertilité
(fécondité)
élevé.
Habituellement
au-dessus de 40 %.
2 0 ) Taux de
mortalité élevé
faible espérance de
vie à
la
naissance.
30) Mauvaise nutrition et carence alimentaire.
4 0 ) Hygiéne précaire.
50) Surpeuplement rural.
DOMaine cu1ture1
10)
Education
rud1mentaire et
en général
un nombre
élevé
d'illettrés dans la populat10n.
20)
Importance considérable du travail des enfants.
-
231 -
3 0 )
Faiblesse ou inexistence de la classe moyenne.
4 0 )
Statut et position inférieurs des femmes.
50) Attitude traditionnelle de la masse de la population.
Oo. .ine technique.
10)
Faible
rendement
à
l'acre
(acre
ancienne
mesure
équivalant 50 ares).
2 0 )
Absence
ou
faiblesse des
possibilités
de
formation
professionnelle.
3 0 )
Mauvaise
communication
et
moyens
de
transport
insuffisants spéclalement dans les zones rurales.
4 0 )
Technique élémentaire.
Les
démographes
A~fred Sauvy 12
et
Yves
Lacoste
retrouvent
presqu'entièrement
leurs
critéres
dans
cette
liste.
Ajoutons "la
prise
de
conscience"
que
Lacoste
a
soulignée avec inslstance
dans s~n ouvrage 13 •
Il
s'agit la
d'un vaste répertoire.
Son envergure
témoigne,
à
n'en point
douter,
de la volonte des auteurs
de cerner jusque dans les
moindres détails,
le serieux probléme du sous-développement.
Cette volonté et cette minutle
ont quelquefois exposé cette
définition-descriptl0n à des risques de confusion ou alors à
de pures appréciations subjectives.
(12)
Sauvy A1fred
I.N.E.O. dans" :ri~rs_-Mo!l_de_:' PUF 1956
(13)
Lacoste Yves Op. Cit.
- 232 -
CRITIQUES
AI - Critiques d'ordre général
Ce type
de définition
a un double
mérite
celui de
déterminer
avec
précision
le
secteur
d'activité
retardataire:
exemple
:
le
domaine économique,
agricole,
technique,
etc.
et
celui de mettre en
évidence l'acuité de
la
non-couverture des
besoins fondamentaux
de l'homme
et
surtout l'urgence
de juguler une telle
situation.
L'acuité
est mise en relief par le degré de "négativité" des critères
et la diversité
des domaines touchés.
Ce
double mérite est
un
point inconstestablement
positif de
la définition
par
indicateurs
statistiques;
malheureusement
il est
contre
balancé selon nous,
par trois inconvénients majeurs.
1 0 ) La variation des critéres sel~~_~~ aut~urs
La
variation
actuelle
et
future
des
critères
et
indicateurs numériques d'un auteur a
un autre ne permet pas
une
synthèse
précise,
définitive
et
objective
même
concernant
un mëme
espace exploré.
L'lllustration de
ces
propos se tire
du répertoire mëme qui
vient d'ëtre dressé.
En effet a
propos de la proportion élevée
de la population
dans
l'agriculture,
alors
~e Leibenstein propose
une
fourchette de
70 à
90 %,
Lacoste s'en
tient à
une donnée
- 233 -
absolue : 76 %.
Dans la
fourchette ainsi constituée par les
deux
données maximales
de Lacoste
et
de Leibenstein,
on
rencontre des variations.
2 0 ) Forte projection d'un mode de vie sur un
autre.
L'importance accordée
à
tel ou
tel domaine
se révèle
souvent une forte projection d'un mode
de vie sur un autre.
Ainsi
la
"fécondité
maxima
dans
le
mariage"
soulignée
par Sauvy,
le
"bas
revenu
par
tête" ,
déploré
par Leibenstein,
le
"travail
des
enfants"
combattu
par Lacoste, le
"statut
d'infériorité de
la
femme",
sur
lequel
tous
se
lamentent,
témoignent
des
niveaux
de
compréhension
di~férents
selon
qu'on
est
européen
ou
africain. Nous prendrons deux exemples concrets
la fécondité maxima dans le mariage
- et le travail des enfants.
a)
La fécondité maxima dans le mariage
En Afrique
et plus
précisément en
Afrique Noire,
le
mariage occupe une place de choix
dans la vie sociale,
dans
les relations entre l'individu et
le groupe.
L'estime ou la
répulsion dont peut jouir ou êtr~
victime un individu ou un
couple est essentiellement fonction de la fécondité.
Plus un
individu ou
un couple est fécond
plus i l est
apprécié des
siens
et
de
son
entourage
et
la
"fécondité
maxima-
- 234 -
est vue là-bas comme une bénédiction exceptionnelle que Dieu
et les ancêtres
prodiguent aux bonnes gens
car en Afrique,
tout
spécialement,
"il
n'y
a
de véritable
richesse
que
d'hommes".
Le travail des enfants
qui apparaît bien souvent
à l'observateur extérieur au
contexte social africain comme
une
scandaleuse
exploitation
de
mineurs,
relève
manifestement
de
cette
différence
de
niveaux
de
compréhension.
b) Le travail des enfants.
Il convient de considérer deux notions fondamenta~es en
rapport avec le contexte social :
la notion de "trava11" et
celle "d'enfant".
Le
contenu qu'on y met
varie selon qu'on
est en Afrique ou ailleurs.
Ailleurs
et plus
précisément en
Europe, est
appelée
"travail"
toute
activité
physique
ou
intellectuelle
compensée au terme de son
accomplissement par un sala1re ou
des "émoluments" quelconques payés
à
l ' in_dividu qui peut en
disposer seul selon son gré. Ce type d'activité revient donc
aux adultes, c'est-à-dire
à
ceux qui ont au
moins l'âge de
la
majorité et
donc
se
prennent entièrement
ou
presque
entièrement en charge sans une
quelconque référence plus ou
~
moins obligatoire à la famille.
_ 235 _
En Afrique
et plus
précisément en
Afrique Noire
par
contre,
la manipulation des
concepts "travail" et
"enfant",
exige la
plus grande prudence.
En
effet à partir
de quand
n'y est-on
plus enfant,
c'est-à-dire
ne dépend-on
plus de
ses parents, de sa famille pour se prendre en charge en tant
qu'individu? Il est difficile de répondre à cette question.
La plupart des lois africaines fixent
l'âge de la majorité à
21
ans. Mais entre ce que la
loi fixe dans ce domaine et ce
qui
se
vit
en
réalité
dans
la
majeure
partie
des
populations,
i l
existe
un
grand
écart.
En
réalité
la
majorité c'est-à-dire l'âge de la
prise en charge totale de
soi
en tant
qu'entité individuelle,
ne devient
effective
qu'à
partir
du
moment où
l'individu
devient
totalement
orphelin de
père, de mère, d'oncles
et de tantes;
cequi
signifie que
la notion "d'enfant"
n'a pas le
même contenu
là-bas
qu'en Europe
et
la
quas1-nullité de
la
maJorité
fixant un
âge d'autonomie de
l'individu s'explique
par la
conception
"collectiviste"
et -: communautaire
de
la
vie.
Admettons
néanmoins
qu'avec l'évolution
des
institutions
en-deçà des 21
ans on soit "enfant" et examinons
ce qui se
passe en fait de travail.
Deux niveaux d'analyse restent à
considérer
-
Le travail manuel considéré comme seule activité
avant l'avènement de l'école.
~
Le travail
intellectuel
lié
à
la
révolution
opérée par l'avènement de l'école.
-
236 -
-
Le travail
manuel, ou
le travail
phJtsigue, ou
le
travail
tout
court
est
avant
tout
une
activité
communautaire. Son fruit
est mis en
comm~ mais géré
par
les a1nés du groupe (famille
généralement).
Le jeune garçon
dès l'âge de 7 à
10 ans est initié aux différentes activités
des hommes et du groupe.
La fillette de son côté est initiée
aux multiples
et dures tâches
de femme.
Cette initiation,
qualifiée
ailleurs de
"prématurée"
est
perçue comme
une
obligation
dont
les
parents et
tout
le
groupe
doivent
s'acquitter.
Ce travail
"prématuré" des enfants
s'explique d'abord
par une conception
de l'homme (au sens latin
de "VIR") qui
sommeille
dans
le
petit
garçon.
L'homme
("vir")
doit
essentiellement être
quelqu'un de
grandes responsabilités,
de
dure
relève.
Il
faut
alors
éveiller
trés
tôt
ce
sentiement qui
sommeille en
lui, en
apprenant à
ce futur
"vir" ses devoirs et droits.
Cel-a étant,
un garçon de 7 à
10
ans qui
ne travaille pas est
un scandale social,
un échec
d'éducation qui expose sa famille
à
de graves critiques.
Il
s'explique
ensuite
par
une
certaine
philosophie
de
la
famille et de
l'honneur. La famille forme
une personnalité
collective où doivent s'épanouir les différents membres quel
que soit leur nombre.
Il est
donc impératif de veiller à sa
survie et à
sa continuité matérielle par
un renouvellement
constant de forces
jeunes; lU~épargner de
tomber dans le
discrédit par un certain
manque qui,
inévitablement, salira
son
image,
son
identité
propre. C'est
en
ce moment
que
- 237 -
l'enfant
apparaît comme
la future
relève et
i l faut
l'y
préparer.
C'est
dans
ce
contexte
également
qu'il
faut
comprendre
la
prolifération
maxima des
enfants
dans
la
famille.
Le travail des jeunes
s'explique enfin, estimons-nous,
par la prédominance d'un "féodalisme"
foncier.
Il existe des
familles qui
disposent de grandes
surfaces de
terre.
Pour
éviter
soit de
se trouver
dans
l'obligation morale
d'en
céder
une
partie
à
un
nécessiteux,
soit
d'hypothéquer
l'intégrité du domaine
en cas de disparition
inopinée,
les
familles
initient très
jeunes les
garçons
au travail
et
surtout au travail de la terre.
Le
travail n'est
donc pas
une
activité isolée
dont
l'individu s'acquitte de façon ut11itaire,
mais i l est lié à
un ensemble de
conceptions de la vie
sociale où l'individu
et le groupe
entretiennent des~apports très
étroits. Mais
peut-on parler
toujours de
la rigidité
d'un tel
"modèle"
avec l'évolution,
notamment avec l'avènement de l'école?
-
Le travail intellectuel:
l'avènement de l'école
et l'introduction d'autres variables.
L'évolution due au
contact avec le monde
extérieur va
introduire deux var1ables 1mportantes :
l'école "des blancs·
comme on l'appelle et
"l'argent des
blancs" dont on fait un
corollaire de l'école.
Une révolution
va se faire en termes
- 238 -
de diversification
des activités sans pour
autant modifier
fondamentalement
ce
qui
constitue
le
fond
africain
en
matière
de rapports
sociaux.
C'est
ainsi que
"l'enfant"
apprend
les
métiers
modernes
menu1serie,
maçonnerie,
mécanique élémentaire. On aurait même
souligné que le Ghana
fut
l'un
des premiers
pays africains
où des
enfants sont
descendus dans les
fosses d'extraction de minerai.
Mais le
fruit
de ce
travail
:
l'argent,
l'enfant le
donne à
sa
famille qui peut en disposer en compensation des obligations
qu'elle a vis-à-vis de
lui (compensation matrimoniales lors
de son
ou de ses mariages,
legs d'un cheptel
en héritage,
etc.). Cette
espèce d'exploitation
de l'enfant
s'explique
par
le fait
qu'en Afrique
Noire i l
n'existe presque
pas
d'individu autonome au sens strict.
L'individu ne se réclame
tel
que provisoirement,
mais
dans
son intimité,
i l
est
constamment référé à un groupe social
(famille la plupart du
temps) où
il trouve sa
signification profonde.
C'est dans
cet
esprit que
le
nouveau bachelier
qui
accède pour
la
première f01s
à l'université prélève
une bonne part
de sa
première
bourse
qu'il
envoie
a
sa
famille
que
des
fonctionnaires
envoient
l'intégralité
de
leur
premier
salaire à tel ou tel oncle.
C'est dans cet esprit peut-être
qu'il faut comprendre l'échec de
l'école en Afrique jusqu'à
ces
dernières annèes.
Elle n'était
pas
perçue comme
une
institution
et
un
outil
destinés
à
combattre
l'analphabétisme et l'ignorance-mais plutôt comme une espèce
de banque
où les
écoliers jouent
le rôle
d'un capital
à
intérêts multiples
i l est
arrivé que des parents d'élèves
- 239 -
retirent
leurs
enfants
à partir
du
certificat
d'études
primaires
jugeant leur
niveau suffisant
pour chercher
du
travail dans
l'administration. A défaut,
la
force physique
compense le bas niveau d'études.
Comme on le voit,
le "travail des enfants" qui apparaît
à l'observateur
européen comme une odieuse
exploitation de
mineurs, est lié à une philosophie
très complexe de la vie,
en particulier de la vie en société en Afrique Noire.
Il est
donc
difficile de
le
considérer
rigoureusement comme
un
critère
objectif
de
sous-développement
sans
prendre
en
compte
le contexte
social.
Il
en
est de
même du
statut
social de la femme et de bien d'autres critères.
3 0 ) Risque de résolution
"mécani~~ du problème
La définition par indicateurs
statistiques engendre un
risque:
celui
d'une résolution "mécanique" du
problème du
sous-développement.
En effet cette
erreur est d'autant plus
envisageable qu'on
aura créé entre
le développement
et le
sous-développement un seuil, du reste
chiffré, même si dans
un premier
temps,
ce
seuil apparaît utile.
Mais à
trop y
insister,
i l
signifierait que le
développement a
un arrêt
dans
le temps,
un
stade à
partir
duquel
tous les
pays
antérieurement
dits
sous-développés
seraient
considérés
comme
développés
et
ceux
qu~
étaient
déjà
développés,
désormais vus comme suffisamment
développés. Conclusion que
nous rejetons car
la notion même de
développement contient
intrinsèquement
celle
de
continuité,
d'amélioration
- 240 -
constante proportionnellement a l'élasticité
des besoins de
l'homme.
Dans
problèmes des pays
sous-développés~ Georges Balandier avait
déjà
critiqué en
termes explicites,
l'expression:
"pays
insuffisamment
développés". Afin
de
mettre
ce risque
de
résolution
"mécanique"
en
lumière,
une
illustration
s'impose:
pour
montrer la faiblesse de
l'agriculture dans
les
pays
sous-développés, Yves
Lacoste compare
les
proportions des populations qui y sont employées en Afrique,
en Amérique du Nord et
en Europe Occidentale. La différence
est
considérable
de
l'Afrique à
l'Amérique
du
Nord
en
passant par l'Europe Occidentale
76
% en Afrique, 20 % en
Europe
Occidentale,
13
% en
Amérique du
Nord.
Le
risque
consisterait à conclure automatiquement
à l'amélioration de
l'agriculture africaine
aux seules variations de
la donnée
numérique 76 %.
Par
exemple de 76 % à 50 % ou
même à 30 %.
Car cette
variable peut
décroître
jusqu'à 30
% ou
même à
20
% sans
que
l'agriculture
ne connaisse
d'amélioration
fondamentale et partant le problème de la faim ne trouve une
solution appropriée et durable.
Autant de critiques qu'on peut formuler contre certains
types de définitions.
En plus de celles que
nous venons de
mettre en relief en trois points,
i l est utile d'examiner a
présent
quelques
points
de détail
qui
au-delà
de
leur
.'
apparence
négligeable
cachent
souvent
d'importantes
confusions résultant
de cultures
diffétrentes, de
visions
différentes du monde.
-
241
-
BI - QUELQUES REMARQUES DE DETAIL
Ces
remarques de
détail
sont de
deux
sortes:
une
certaine confusion
entre causes et
effets et
une remarque
sur l'insuffisance alimentaire qui,
visiblement a préoccupé
les auteurs
et préoccupe encore aujourd'hui
victimes comme
observateurs de la faim.
1 0 )
Une certaine confusion entre causes et effets
Il s'avère,
à
voir de
près, que certains critères sont
davantage des conséquences du sous-développement qu'ils n'en
sont
les
causes
profondes.
Le
Gè
critère
du
domaine
èconomique
est
un exemple
de
confusion
particulièrement
illustrant
"Epargne inexistante
dans la
majoritè de
la
population". Ce critère
peut être manipulé tout
aussi bien
comme une cause
que comme un effet,
une
conséquence; mais
dans le cas
èchéant i l apparait~plus
comme une conséquence
que
comme une
cause.
Il
est
vrai que
sans épargne
tout
démarrage allant dans le
sens d'un quelconque développement
se
révèle
presqu'une
utopie,
mais
comment
épargner
et
surtout
qu'épargner si
dès le
départ l'on
ne dispose
de
rien? C'est ici que se perçoit a1sèment le fameux phénomène
du
cercle vicieux
de la
pauvreté.
La quasi-totalité
des
critères
recensés
des
domaines
économique,
technique
intègrent parfaitement
la thèse
du cercle
vicieux énoncée
par
plus
d'un
théoricien
économiste
en
des
termes
saisissants
"ex nihilo nihil
fit"
(=
rien ne se
fit de
- 242 -
rien). Mais la remarque la
plus importante à faire concerne
le secteur agricole qui a visiblement retenu l'attention des
auteurs. Cela
ne peut
être autrement
pour toute
personne
sensible. Qu~nd on sait que l'Afrique Noire nourrissait sans
difficulté ses
populations et devait
tou;ours le
faire et
que de plus en plus la
faim prend des tournures dramatiques
voire tragiques l'on ne peut
s'empêcher de s'en émouvoir et
de se forger des explications à cette interrogation :
2 0 ) L'insuffisance de la production agricole:
tragique énig.e, condamnation du destin?
Les
critères relevés
dans
le
secteur agricole
sont
essentiellement
négatifs.
Ces
aspects
négatifs
vont
du
saisissant archaïsme
des systémes
culturaux à
la tragique
insuffisance
de la
production
en
passant par
le
niveau
rudimentaire persistant des outils.
Il
a déjà été fait état
dans les développements antérieups
de deux graves obstacles
dans l'agriculture:
l'archaïsme des modes culturaux
et la
,
desuétude des
outils.
Le
moment est
venu de
se poser
la
question suivante
Comment
l'Afrique et
plus précisément
l'Afrique de l'Ouest a-t-elle pu
nourrir sa population dans
le
temps avec
les
mêmes
systémes culturaux,
des
outils
encore plus rudimentaires et qu'auJourd'hui elle s'en trouve
incapable
devenant
du
coup
victime
d'une
émouvante
tragédie:
celle de la faim
?
La tragédie de l'insuff1sance
de la production agricole ne peut uniquement s'expliquer par
les deux types d'obstacles déjà
recensés.
Il faut y ajouter
- 243 -
un élément d'ordre politique et historique:
le morcellement
de l'espace ouest-africain combiné à des phénoMènes naturels
et humains
aggravant la situation.
Des expériences
sur le
terrain dans
le cadre
de notre
travail nous
autorisent à
proposer une explication parmi tant
d'autres à ce phénomène
hallucinant
qu'est
la
faim.
Par
souci
de
rendre
notre
explication compréhensible nous procéderons simultanéMent de
deux
manières.
D'abord
nous
diviserons
l'histoire
de
l'agriculture
ouest-africaine des
25
dernières années
en
trois grandes coupes:
de 1960 à 1965, puis de
1966 à
1971
et de 1972 à 1984.
Ensuite
les èléments dont nous disposons
seront
mis
sous
forme
mathématique.
Les
résultats
mathématiques
visent
à
mettre
en
relief
l'incommode
situation de l'Afrique aujourd'hui.
Ainsi
-Q-
représente
la
productivité
c'est-à-dire
le
rapport quantifiable entre une production agricole donnée et
l'ensemble des facteurs mis en oeuvre pour l'obtenir.
P = symbolise
la population active de
tout Etat
ouest-africain.
Pour
rendre
la démonstration
accessible,
nous
admettons
rigoureusement que toute la
population quelle qu'elle soit,
est
active, c'est-à-dire
est
ên
mesure de
produire,
de
travailler.
- 244 -
E
est la
quantité de terre disponible
pour les
cultures.
Pour faciliter
la démonstration
théorique,
nous
admettons
également
que tout
l'espace
ouest-africain est cultivalbe
c'est-à-dire
est fertile
et
se
prete donc
aux
cultures
vivrières et
d'exportation jusqu'en 1970-1971.
La sévérité
de
la
sécheresse
qui
a
engendre
la
longue
famine
jusqu'aujourd'hui
ne
nous
permet
pas
de
pousser
cette
hypothèse au-delà,
de peur de la voir frappée de non-sens.
S
= est
la part de
surface cultivable
allouée à
tout actif agricole dans l'hypothèse d'une partition.
N =
représente
ce qU'1l
convient
d'appeler
la
"norme"
positive ou négative.
Une production est dite située
dans
"les
normes
positives"
quand
elle
fournit
à
une
population
entière donnée
le nécessaire.
J'acceptable.
Elle est dite située dans
les "normes negatives"
quand elle
ne permet pas
à cette populatiorr de se
procurer le minimum
vital
(cela
peut se vérif1er
par ie test
d'échantillon de
grande taille).
C'était
le cas au Mozambique
en 1983-1984.
C'est
la
situation
de
l'Ethiopie
et
du
Soudan
en
1983-1984-1985.
Le signe mathématique
le
quan~.i..ficateur
de ~upériorité
stricte entre deux données numériques ou formalisées.
- 245 -
.~
~.
un
opérateur
d'encadrement
appelé
aussi
quantificateur de supér10rité ou
d'égalité et d'infériorité
ou
d'égalité.
Il
traduit
une
situation
intermédiaire,
d'équilibre.
Enfin,
la formule conventionnelle
(m.v)
qui signifie
"mis en valeur".
La mise en valeur d'une surface cultivable
est simplement son exploitation.
et ====> signifie
" implique" .
Il
traduit
une
logique
entre
un
effet
et
sa
cause,
une
opération
mathématique et son résultat.
1 0 ) Ainsi
de 1960 à
1965
E
===> S (
m.v)
P
Q > N (Q
strictement supérieur à
N).
Notre expérience sur le terrain
révéle ceci dans cette 1ère
coupe
: En
divisant l'espace
E
(considéré
ici pour
le
besoin de
la démonstration comme entièrement
cultivable et
p
rentable)
par
une
population
donnée
(considérée
également comme entièrement active),
on obtient une certaine
superficie
·S·
allouée à chaque
act1f agricole.
Mise en
valeur (formule
"mathémat1que"
m.v) cette
surface ·S·
fournit une productivite
strictement supérieure aux
normes
escomptées. Cela signifie qu'entre 1960 (et b1en avant cette
date) et
1965,
le
problème de'la
nourriture ne
se posait
pas,
et même
s ' i l devait
se
poser,
ce
n'était pas
avec
l'acuité qU'il connait
aujourd'hui.
Ceci a été
relaté pour
avoir été
vécu et
constaté.
Dans
un récent
et pathétique
- 246 -
diagnostic de
la situation
agricole de
l'Afrique,
Edouard
Saou.a, Directeur
de
la
F.A.O.
a
confirmé
ce
fait
à
l'hebdomadaire "jeune
Afrique" en
ces termes
"Dans
les
années quarante,
déclare-t-il,
l'Afrique était exportatrice
nette de produits alimentaires.
Durant la guerre,
elle avait
été en quelque
sorte une base pour les
al~iés avant qu'ils
ne
se
lancent
à
l'assaut
de
l'Europe,
et
elle
avait
bénéficié d'un important
apport de capitaux ainsi
que d'un
effort
de développement
et d'irrigation.
Au lendemain
du
conflit mondial,
le
continent avait également eu
la chance
de connaître une
période d'une quinzaine d'années
au cours
de laquel~e les
prix des matières premières
pouvaient être
considérés comme raisonnables"14.
2 0 ) De 1966 à 1971
E
===> S (. _.v)
p
o ~ N
(0 inférieur ou égal à N).
Dans cette deuxième phase on note une baisse quantitative et
brutale de la productivité puisque -S- mise en valeur,
donne
une quantité -Q- située en zone intermédiaire; c'est-à-dire
le
minimum vital
devient déjà
rare
et comme
on peut
le
constater,
le
quantificateur d'èvaluation ~Qu est
en passe
de
tomber
dans la
zone
des
normes négatives.
De
fait,
l'année 1968 a été le pré~ude
à la décennie 1972-1984 parce
qu'elle
a
été
une
année
marquée
par
une
sécheresse
(14) Edouard Saou. . dans
"~eune Afrique"
nO 1284 du 14
au 21
août 1985.
- 247 -
exceptionnellement
sévère.
Il
semble
que
l'Afrique
de
l'Ouest doit se situer dans cette
deuxième phase quant à
sa
production vivrière.
Si
elle ne souffre pas
pour le moment
du
dénuement total,
comme
c'est le
cas
en Ethiopie,
au
Soudan et dans une moindre mesure au Mozambique qui ne s'est
pas encore totalement relevé de la tragédie de 1983, elle ne
regorge pas
pour autant
de plethore.
Mais la
baisse dont
nous
faisons
état
dans cette
deuxième
phase
sera
plus
sensible dans la troisième.
3 0 ) De 1972 à 1984
E
===> S ( m.v)
p
o < N
(0 strictement inférieur à N).
Dans
cette dernière
tranche,
i l
est question
de
baisse
vertigineuse de la product10n.
-0-
est en effet en-dessous
de
toutes
normes
positives
puisqu'il
est
strictement
inférieur
à
-N-
Cela
signifie
que
le
strict
minimum
devient un luxe et celui qui
pa~vient à s'en procurer, fait
figure d'exceptionnel chanceux. C'est
la situation dans les
pays cites
plus haut
Ethiopie,
Soudan,
Mozambique.
Elle
menace
bien
des
pays
ouest-africains
si
une
certaine
politique n'est pas mise en oeuvre.
Comment expliquer ces situations?
Avant
de
proposer
l'explication,
i l
convient
de
souligner que ces faits que nous avons essayé de mettre sous
forme
mathématique
sont
réels.
Nous
les
avons
d'abord
observés à un
plus petit niveau : notre
région natale puis
- 248 -
dans d'autres localités du Burkina Faso.
Une enquête étendue
par
contacts
directs
avec
certains
agents
des
O.R.D.
(Organismes Régionaux de Développement)
nous a permis cette
généralisation.
Il
s'est
avéré plus
juste
d'éviter
les
chiffres qui sont souvent
des approximations très variables
(arrondissements par
excès ou
par défaut)
d'une région
à
l'autre ou d'un Etat
à
un autre. A la place
de ces données
officielles chiffrées
(dont l'obtention
reste un
problème
aussi difficile à
résoudre que leur diversité)
ce sont les
mouvements du quantificateur -0- et du signe opérateur
-<-
qui indiquent soit la baisse, soit la stagnation, soit enfin
l'augmentation de la production.
Ces baisses, stagnation et
hausse traduites par
la position encadrée de
o : < 0 < ou
non encadrée
0
<,
sont exprimées
par rapport à N qui reste
une norme fixe
; toutes les
évaluations se font par rapport
à
N, pôle référentiel unique.
Ainsi
le
drame
de
la
chute
vertigineuse
de
la
production agricole et l'avenement de la tragédie de la faim
s'expliquent par deux phénomènes importants conjugués:
1 0 ) L'explosion démographique
20) La restriction sensible des terres cultivables
due à
la sécheresse. Celle-ci à
son tour est provoquée soit
par un déboisement exagéré,
soit
par un surpâturage abusif,
soit enfin par les criminels
feûx de brousse qui deviennent
au fil des ans une réelle "endémie".
- 249 -
Cela
étant,
une
nette disproportion
se
dessine
en
réalité
entre
une
population
active
de
plus
en
plus
grossissante et
envahissante et
les terres
cultivables et
rentables de jour en jour amoindries.
La conséquence est que
non
seulement
les
quelques
surfaces
fertiles
sont
exagérément exploitées
(pas ou presque pas
d'assolement!)
mais
encore
et
surtout
ne
peuvent
plus
bénéficier
de
jachéres
pour
se
reconstituer
des
éléments
nutritifs
indispensables. C'est en
ce moment précis qu'on
perçoit la
justesse de la loi de Turgot
formulée au XVIIIé siécle. Que
dit précisément cette loi des
physiocrates? Appelée Loi de
rendements
décroissants,
elle
révéle
"qu'au-delà
d'un
certain
"seuil"
un
accroissement
du
nombre
d'actifs
travaillant une
terre d'une superficie
fixe conduit
à une
augmentation
proportionnellement
plus
faible
de
la
productivité".
L'exemple
le plus illustrant de
la véracité
de cette loi est Zinder (une ville du N~ger,. Cette ville ne
pouvait supporter au-delà de 40 à
60 habitants au Km2
(40 à
60 h/Km2).
Aujourd'hui selon Jacques Giri qui y
a séjourné
en
1983,
la
densité
y
atteint 70
h/Km2.
De
500 kg
de
céréales
à l'hectare,
le
rendement est
passé
400 kg
et
peut-être encore
moins.
"Dans les
zones les
plus peuplées
écrit Giri,
la population dépasse les 40 à 60 h/Km2. Ce qui,
avec le systéme de product~on actue~, sature l'espace. C'est
un fait
récent. A la
fin de l'époque coloniale poursuit-il,
pratiquement l'espace
n'était saturé
nulle part
au Sahel.
Maintenant i l
l'est sur
de vastes
régions du
Niger,
dans
tout le centre de la
Haute-Volta,
dans le bassin arachidier
- 250 -
du Sénégal et
de la Gambie. Cela signifie qu'il
n'y a plus
d'espace
nécessaire pour
respecter le
temps des
jachères
traditionnelles.
La fertilité des sols
n'a plus le temps de
se reconstituer
naturellement.
Et comme
elle ne
l'est pas
artificiellement non
plus,
les
nouvelles cultures
ont des
rendements
inférieurs
aux
précédentes.
Pour
survivre
conclut-il,
i l faut
cultiver plus
de
terres encore
donc
diminuer encore
les temps
des jachères
et un
beau cercle
vicieux s'amorce"15.
Comme
on
peut le
remarquer,
la
solution à
un
tel
problème ne saurait être une action isolée, mais bien plutôt
un
ensemble d'efforts
soutenus
et
conjugués car
i l
est
utopique
d'aspirer
à
un quelconque
développement
si
ce
crucial problème de la faim n'est
pas résolu et il est tout
aussi illusoire
d'espérer résoudre
le brûlant
problème de
l'autosuffisance
alimentaire avec
un
tel morcellement
de
l'espace. Pour être plus concret;
illustrons ces propos d'un
exemple concret. Si nous prenons le
cas du Togo et que nous
le
soumettons
à
notre
démonstration
mathématique,
le
problème se posera comme suit :
(15) Giri Jacques:
Le Sahel demain:
catastrophe ou
renaissance?
Editions Karthala.
Paris 1983.
- 251 -
E
===> S ( m.v)
Q ?
Cela revient à
ceci
p
56.785 km2
56.785 x 100
- - - - - - -
2.750.000 habitants
2.750.000
5.678.000 hectares
S
20,64 ha
2.750.000habitants
S
20,64 ha/h
S
(m.v)
Q >
N
Que signifie cela?
L'opération comprend deux démarches
10)
Une base de deux postulats et
2 0 ) l'application
ou la
démonstration en
vue de
tirer des conclusions réalistes.
1 0 )
Le premier postulat est que nous admettons que tout
le
territolre togolais
a
éte épargné
de
tous les
aléas
climatiques,
qu'il est
bien fertlle et donc
entièrement et
rigoureusement cultivable, exploitable.
Le second postulat est que
nous admettons d'autre part
que toute sa population est rigoureusement active.
2 0 ) Niveau:
la démonstration.
Ces deux postulats étant
accordés,
nous cherchons
dans le mellieur des
cas ce qu'un
togolais
peut
avoir
comme
'surtace
cultivable
dans
l'hypothese plausible d'une partition
d'abord et ensuite si
mise en valeur cette surface allouée à chacun est capable de
- 252 -
lui fournir une production située
dans les normes positives
c'est-à-dire si
cette parcelle
est capable
de nourrir
le
togolais et sa famille d'une saison à
l'autre.
En divisant donc la superficie totale en km2
(convertie
en hectares)
par le nombre d'hab1tants,
nous obtenons ·S·
(superficie cultivable/habitant act1f = ~O,64 hectares).
Mis
en valeur,
ces
20,64 ha peuvent-ils fournir
une production
alimentaire quantitativement suff1sante a chaque habitant et
à
sa famille
d'une
saison
à une
autre
et
ce de
façon
acceptable ?
THEORIQUEMENT :
Oui,
puisque
chaque
citoyen
(homme
ou
femme)
doit avoir selon la démonstrat10n 20,64 ha et puisque
nous admettons
que toute
la population
est rigoureusement
active
et que
le
sol
togola1s est
aussi
rigoureusement
cultivable.
La réponse est également aff1rmative du point de
vue théorique parce que
l'opération mathématique pure donne
un quantificateur d'évaluation pos1tif
: Q
> N (Q supérieur
ou
égal
à
N).
Mais
si
nous
dépassons
les
idéalités
mathématiques
pour
transformer la
question
théorique
en
interrogation concrète
la réponse est
P~T_IQUEMENT
: NON
parce que nous
avons admis dans cette
opération un certain
nombre d'hypotheses
qui ne
se conretisent
lamais dans
la
réalité.
Exemple
la
totalitè
cultivable
de
tout
un
territoire
comme
le Togo.
Le
logo
comme tous
les
pays
sahéliens a
souffert des aléas
climatiques qui ont
à coup
sûr eu une mauva1se incidence sur les surfaces exploitables.
Mais
nous avons
admis aussi
que toute
la population
est
- 253 -
active,
hypothèse également irréalisable
dans les faits.
Et
donc
en
retranchant
une
certaine
partie
·X·
de
la
population,
l'opération
s'équilibre tant
en théorie
qu'en
pratique,
nous
objectera-t-on!
L'objection ici
n'est pas
solide dans la
mesure où l'équilibre prétendu
n'est qu'une
apparence.
En
effet
si
la
totalité
de
la
population
togolaise n'est
pas hic et
nunc entiérement active
i l est
évident que la
partie non active sera
rapidement remplacée
et même
doublée vu
sa démographie
galopante (en
1977 cet
Etat n'avait que
2 millions d'habitants,
aujourd'hui
i l en
abrite
2.750.000).
Le déség.Q..iJ.i~_~ est bel
et
bien
réel
entre
la population
et la
quantité
de terre
disponible.
C'est
pourquoi
i l
est
juste
d'inverser
le
résultat
mathématique et d'écrire non plus
Q ~ N,
mais plutôt
Q
~
N, ce
qui
signifie
en
réalité
que
la
quantité
de
production
se
situe
dans
les
normes
positives
certes mais avec un glissement tendantiel vers une situation
intermédiaire délicate.
Cette tendance
pourrait précipiter
le quantificateur d'évaluation
"0" dans les normes négatives
uniquement
sous
la
pesanteur
du
déséquilibre
terres
cultivables inférieures à
la
population active grossissante
(loi de
Turgot).
Le cas du
Togo n'est certainement
pas le
pire.
Il
en est
d'autres
où
la surface
cultivable
par
habitant, en lui accordant
toutes les conditions optimales,
se révèle deux fois moindre.
L'angoisse en ce qui concerne la situation de l'Afrique
de l'Ouest,
n'est pas seulement la dure réalité de la faim à
laquelle elle est confrontée
depuis 1972.
L'angoisse,
c'est
- 254 -
aussi et surtout l'énigme qui surgit
dès que l'on prend son
courage
pour
se
poser
cette
question
Que
deviendra
l'Afrique demain et dans le cas échéant l'Afrique de l'Ouest
si
une
certaine politique
d'entente,
de
restructuration
théorique
et pratique,
de
stratégie commune
n'intervient
pas
?
Plus
d'un
Africain,
pour
ne
pas
dire
tous
les
Africains
en
mesure d'appréhender
certaines
difficultés,
s'est d'une manière ou d'une autre inquiété du vide imminent
de cet horizon.
Cette inquiétude
est une preuve irréfutable
de la
prise de conscience
du drame
du sous-développement.
Face à
une telle situation et
à une telle
angoisse,
seule
une coalition régionale ou
sous-régionale peut apporter une
réponse.
De ce
point
de vue
elle
ne
devrait plus
être
considérée comme
second terme d'une
quelconque alternative
ni d'un impératif hypothétique
mais devrait s'imposer comme
l'unique
voie tracée
par
une
certaine logique
et
comme
démonstration
d'une
réelle
volonté
de
se
sauver
par
soi-même.
Elle
seule
est
capable
de
dissuader
de
l'impression d'une
condamnation fatidique en
promouvant un
développement
intégral
et
concerté
c'est-à-dire
en
déterminant
ce
qui
est
dit
secteurs
prioritaires
de
développement
dont
le
dysfonctionnement
crée
une
hypertrophie,
tout en accordant
une importance aux domaines
jugés secondaires.
- 255 -
II - DEFINITION PAR PRIORITE DE SECTEURS
Elle met
l'accent sur tel ou
tel secteur jugé
clé du
rouage
du développement.
Ainsi
le sous-développement
est
fréquemment défini
comme
"économie
en équilibre
stable de
sous-emploi",
comme
"économie
en
stagnation,
comme
"inaptitude
à
franchir
un
seuil",
comme
"inaptitude
à
l'industrialisation",
comme
"phénomène
spatial
de
désintégration"
etc 1 6.
François
Perroux,
privilégiant
le
secteur
économique
dans tout
processus
de
développement
n'a-t-il pas
défini le
sous-développement comme
"économie
désarticulée
et
dominée"
?
Cette
définition
émane
d'expériences
vécues
par
d'autres
pays
aujourd'hu1
développés. C'est
pourquo1 certains auteurs ont
tendance à
cristalliser ces
secteurs constituant
une sorte
de schéma
unique.
CRITIQUES
A -
LES ATOUTS
L'intérêt de ce type d'approche est que celui-ci permet
de
repérer
immédiatement
l.es
secteurs
dits
clé
du
développement,
capables
ou
susceptibles
d'entraîner
les
autres secteurs mais qui
souffrent d'un dysfonctionnement:
(16)
Freyssinet ~acques
Op.
Cit.
- 256 -
"hypertrophie" quand ils sont les
seuls à être anormalement
ou
exagérement
développés
"atrophie"
quand
ils
sont
relégués au
dernier rang.
La particularité
de ce
type de
définition
est
de
mettre
clairement
l'accent
sur
les
secteurs-clé.
En est-il ainsi de l'économie,
de l'industrie,
de
l'agriculture,
du
commerce
etc.
Cependant cet
aspect
positif ne résiste
pas à un certain
nombre d'inconvénients
inhérents à la nature même de l'approche.
BI - LES FAIBLESSES
Le premier
inconvient est que
si ce
type d'approche
permet
de repérer
immédiatement les
secteurs
clé,
i l
ne
permet
pas
au
rebours
d'appréhender
le
problème
(du
sous-développement) et dans
sa globalité et dans
toute son
acuité et cela simultanément.
Les questions se rapportant au
sous-déveleppement risquent d'être orientées et ne concerner
uniquement que ces secteurs considérés.
Elles ne seront plus
des questions globales,
relatives à un problème global,
mais
se transformeront en interrogations
partiales
parce que
patielles
Ceci
est
d'autant plus
dommageable
que
la
résolution du
problème du sous-développement
nécessite une
simultanéité
d'actions
éradicatrices.
Toute
tentative
de
résolution
sectorielle
court
le
risque
d'entraîner
une
hypertrophie
du mouvement
"développement" c'est-à-dire
un
déséquilibre de
l'action "développement",
déséquilibre qui
sera caractérisé par
une trop grande importance
accordée à
un
seul secteur
parmi de
nombreux autres.
Il semble
que
- 257 -
c'est la
principale erreur des politiques
de développement
des Etats ouest-africains notamment dans le domaine agricole
où la
priorité exagérément accordée
aux cultures
de rente
tranche assez nettement avec la modicité des moyens réservés
aux cultures d'auto-consommation mettant
ainsi en relief la
fameuse hypertrophie.
Par
exemple au Sénégal la
culture de
l'arachide
bénéficie
de
plus
de
soins
que
les
autres
cultures.
Nous avons déjà souligné avec ~acques Giri que les
deux tiers
des outils
agricoles modernes
sont destinés
à
cette culture
d'exportation et par conséquent
sont stockés
dans
le bassin
arachidier
du
Sine-Saloum.
Il
n'est
pas
étonnant
que cette
région
arachidiére
concentre plus
de
70 h/km 2 .
Il est aisé dans une telle situation d'imaginer le
déséquilibre dans la politique
de développement.
Au Burkina
alors
Haute-Volta,
l'introduction
de la
culture du
coton
avait engendré
dans un
premier temps
une hypertrophie
et
perturbé
la
politique
de
l'auto-suffisance
alimentaire.
Cette
vision
partielle
et
partiale
du
probléme
expose
l'approche en
tant que
telle et
ses tenants
à une
grave
critique
: second inconvenient de ce type de définition.
La
critique qu'on
peut
formuler
contre ce
type
de
définition
et
ses
tenants
porte
sur
une
conception
linéaire
de
l'histoire.
En
effet
définir
le
sous-
développement en
mettant quasi-irréversiblement
en vedette
le dysfonctionnement de
tel ou tel secteur
considéré comme
clé,
c'est,
du premier coup
énoncer une
comparaison entre
tel processus
qui avait
conduit tel pays
ou tel
autre au
- 258 -
développement en
s'appuyant sur tel
ou tel secteur
et tel
autre
processus
qui
l'en
diffère.
Dès
lors,
i l
vient
naturellement
à
l'esprit
des
tenants
de
ce
type
de
définition
d'expliquer
la
génès~
et la
persistance
du
sous-développement
par la
différence de
processus et
des
politiques de développement
:
réflexe tout à fait logique si
jusque-là
le modèle
de
développement
des pays
européens
s'est affirmé
et s'est
imposé aux
yeux des
chercheurs et
spécialistes de
développement,
le modèle
britannique étant
en
particulier
abondamment
citè notamment
dans
ce
type
d'approche
du sous-développement.
Si
ce réflexe
apparalt
logique
i l
est
surtout
l'émanation
d'une
conception
"cyclique" ou
"unilinéaire" de l'histoire.
En effet
si le
développement de l'Angleterre par exemple
ou de la France a
pris
appui
sur
l'industrialisation,
ou
le
commerce
en
l'occurence,
i l
n'est pas certain
qu'au Mali ou
en Gambie
l'application
du
même
modèle
et
de
la
même
politique
aboutira inévitablement aux mêmes
résultats positifs car le
sous-développement
est
avant
tout
un
phénomène
humain,
social, culturel,
politique,
économique
qui se produit dans
un
espace précis
qu'il s'agisse
d'un
micro-Etat ou
d'un
espace supra-national.
Ce qui signifie
que le
complexe de
"détermin1smes"
-historiques,
gèographiques,
économ1ques,
politiques, sociologiques. culturels- dont
i l procèderait et
les déterminants de
la nature du développement,
var1ent et
doivent
effectivement
varier
d'un
espace
à
l'autre.
L'histoire
est
essentiellement
dynamique,
mouvement,
variation. Celle du sous-développement
et du développement,
- 259 -
qu'il
s'agisse
de
l'explication
du
premier
ou
de
la
détermination du
modéle du second,
n'est qu'un
maillon de
cette
dynamique,
de
ce
mouvement
et
surtout
de
cette
variation.
C'est l'oubli de ce
grand principe de l'histoire
qui a valu a WhitMan Walt Rosto. des critiques acerbes quand
i l a tenté d'élaborer sur
la base de précédents historiques
un
schéma
de
developpement qU1
se
veut
défintif17
et
surtout
unique par
lequel
toute
l'histoire des
pays
en
développement doit passer.
Définir
un
phénoméne
humain aussi
complexe
que
le
sous-développement n'est
certainement pas tâche
aisée dans
la mesure ou i l procéde d'un
complexe de facteurs divers et
qu'une définition
se veut être une
synthése généralisable.
Aprés
avoir
passé ces
deux
types
de définitions
par
indicateurs
statistiques
et
par
priorité
de
secteurs
d'activité,
au
creuset de critiques,
i l semble
juste d'en
proposer
une.
Celle-ci
comme
les
précédentes
émane
d'expériences vécues sur le terrain.
Elle est davantage une
description
de la
réalité nue
qu'une approche
académique
élaborée à distance des faits.
(17)
Rosto. (Walt WithMan)
:
Les étapes de la croissance
économique.
Paris.
Le Seuil 1963.
Nouvelles éditions
1970
-
260 -
§3 - PROPOSITION DE DEFINITION DU SOUS-DEVELOPPEMENT
------
Jexpériences de terrain)
A
la
suite
de diverses
expériences
vécues
sur
le
terrain
le
sous-développement
nous
apparaît
être
la
non-couverture,
la
non-satisfaction
permanentes
et
dramatiques des
besoins minima fondamentaux de
la majorité
d'une population donnée.
Par cette formulation,
nous prétendons mettre en relief
trois
phases du
drame
qui se
joue
concrètement dans
la
réalité
:
1 0 )
La non-satisfact1on
:
le manque 1ntolérable du
minimum vital pour la majorité d'êtres humains.
20)
L'importance de
la situation par sa
durée et
son acuité
:
la permanence et le drame.
3 0 )
L'urgence de mettre fin à
une telle tragédie.
Une
telle
définition
a par
ailleurs
la
prétention
d'obliger
à
considérer
tous
les
secteurs,
toutes
les
structures aussi
bien économiques,
polit1ques,
sociaux que
mentaux car S1
ce phénoméne procede de
tacteurs complexes,
sa
résorption implique
un
examen
min1t1eux de
tous
les
secteurs d'activité.
En effet même
si "l'économie"
est
la
première
idée
qui vient
à
l'esprit
dès qu'on
parle
de
développement
et
de
sous-développement,
ce
secteur
est
indissociablement
lié
au
politique,
au
social
et
au
-
261 -
culturel.
Et l'économique
et le politique seuls
ne peuvent
résoudre le problème du
sous-développement sans le concours
du "mental" car le développement auquel tout le monde aspire
est finalement une attitude collective,
une philosophie d'un
peuple devant un
choix,
un défi.
Le
vrai développement qui
est
avant
tout
développement d'un
peuple,
d'une
nation
quelle-qu'elle soit
suppose que les
secteurs clé
tels que
l'économique,
le politique, s'imprègnent
de la mentalité de
la
nation
se
développant,
la
corrigent,
l'adaptent
aux
exigences
de la
conjoncture.
Une
harmonie régnera
ainsi
entre les
secteurs importants
et le
développement portera
d'abord pour l'essentiel le sceau du peuple.
Le Japon en est
une
illustration. C'est
pourquoi
l'idée
de "priorité
de
secteurs" en fait de
développement et de sous-développement
doit avoir
valeur de notion
provisoire car sans
cet effet
d'entrainement
continu entre
tous
les
secteurs,
i l
y
a
hypertrophie qui engendre une désarticulation.
Que vaut cette dé~inition ?
Comme toute définition relative
à
un phénomène humain,
celle-ci est
loin de
cerner de
façon parfaite
la réalité
dont
elle
tente
de
traduire la
nature
exacte
même
en
s'imprégnant des faits de terrain.
En effet quel que soit le
degré d'émotion qu'elle essaye
d'exprimer,
cette définition
ne
peut
déterminer
universellement ce
qui
est
"minimum
vital"
pour tel
ou tel individu,
"besoin
fondamental"
pour
tel autre. Quelles données
numériques en sont objectivement
- 262 -
les seuils
de départ
et d'arrivée
?
La
difficulté de
ce
point
de
vue frise
l'impasse
ce
qui fait
que
cette
définition
est
victime
d'une
critique
classiaue
l'imprécision et un certain subjectivisme.
Il est vrai
que des seuils objectifs
c'est-à-dire des
données
mathématiquement quantifiables
et
universellement
acceptées étaient
nécessaires pour réduire
la subjectivité
qui fait la
force de cette critique
classique dans l'étude
de ce phénomène.
Néanmoins ce
défaut n'empêche pas que l'on
puisse traduire
les réalités
nues du
sous-développement:
nul
en
effet
ne
peut
rester
ind1fférent
lorsqu'une
population
entière
ne
peut
se
procurer
un
seul
repas
convenable par jour.
L'on ne peut rester indifférent face au
manque gênant
du minimum de
soins médicaux,
du
minimum de
formation
intellectuelle.
La
traduction
des
réalités
déchirantes du
sous-développement se passe
de statistiques
et
de seuils
mathématiques
quand
on s'aperçoit
que
des
populations
entières
dorment dans
de
véritables
cabanes
faute de mieux,
se vêtent rudimentairement et parcourent des
centaines de kilomètres a pied faute de moyens de transport.
e'est en cela que se trouve
le drame de la non-satisfaction
des besoins minima vitaux dont
la traduction n'a pas besoin
de seuils
quantifiés.
L'aspect posit1f de
cette définition
est
que
l'expression
de ces
rèa11tés
crues
directement
recueillies sur le terrain,
ne vise pas seulement à traduire
une émotion purement subjective ; elle se fixe un objectif
:
celui
d'inciter
à
des
interrogations
profondes.
- 263 -
Et si
la gravité
de la situation
a souvent
nécessité des
actions
ponctuelles dans
le cadre
des
solutions à
court
terme,
la recherche et l'analyse des causes de sa génèse,
de
sa persistance
et de son acuité
en vue d'une
résorption à
long
terme,
restent
une
tâche
tout
aussi
importante
qu'urgente.
C H A P
l
:r~E
n:
RECHERCHE ET ANALYSE DES CAUSES ACTUELLES__~!-~ISTORIQUES
DU SOUS-DEVELOPPEMENT EN AFRIQUE ~ L · Ol!.EST
- 265 -
Par deux fois l'Afrique a
retenu l'attention du monde.
Sa découverte
dans un
premier temps
a suscité
une simple
curiosité et dans un deuxième
temps,
l'intérêt du monde.
En
effet,
i l
s'est
révélé
que
le
continent
tout
entier
représentait
un véritable
pactole pour
les étrangers.
La
suite on
le sait,
est
émaillée de relations
orageuses qui
ont connu leur paroxysme aux XVlllè
et XIXè siècles avec la
colonisation,
la
traite
des
esclaves.
Le
dénouement,
essentiellement caractérisé
par les
indépendances massives
des anciennes colonies,
n'est
intervenu qu'en 1960. Depuis,
le continent Noir ne semble plus avoir recouvré son harmonie
d'antan.
Ce
malaise
s'étend
du
sérieux
déséquilibre
alimentaire au
vertigineux retard technologique
en passant
par les troubles sociaux,
un analphabétisme persistant et un
état de santé encore globalement défectueux. C'est alors que
l'Afrique eut droit pour la
seconde fois â
l'attention sous
une
autre forme.
La
situation
dans laquelle
elle
s'est
débattue
des décennies
durant,
sans
pour autant
sembler
"voir
le bout
du
tunnel",
fait l'objet
d'interrogations
d'abord,
de mille et une analyses ensuite. A l'ordre du jour
des
préoccupations se
pose
une question,
"inesquivable" ,
grav~
: comment
expliquer la
pérennité de
ce malaise
en
dépit des
nombreuses analyses?
Celles-ci n'auraient-elles
pas atteint les vraies causes? Les solutions que l'on tente
d'apporter ne seraient-elles pas conformes aux résultats des
analyses
?
C'est
alors
qu'experts
et
responsables
de
- 266 -
différents domaines,
d'Edouard Saou. .
à
Guy
Caire,
en
passant par
Paul Bairoch,
Molo.is~, Hopkins,
rivalisent
d'expériences et de théories.
Pour
les
uns,
ce
malaise
multiforme,
appelé
sous-développement
s'explique
par
une
inadéquation
structurelle fondamentale et un handicap pédologique initial
grave.
En
effet
après
avoir
"fustigé
les
faiblesses
structurelles,
lors
d'un
émouvant
diagnostic
agricole
comparatif,
Edouard
Saou. . , Directeur
de
la
F.A.O.*
reconnait cependant en des
termes explicites,
la complicité
de la nature dans ce déséquilibre alimentaire :
"Il faut
ajouter à ces facteurs
structurels, a"ffirme-t-il,
le fait que l'Afrique part déjà de par la nature de son sol,
gravement
handicapée.
Une
partie
de
sa
superficie
est
recouverte
par trois
déserts:
le Sahara
dans la
moitié
nord,
le Kalahari
dans la
moitié Sud
et
au centre
le
désert vert que constitue l'immense
forêt verte qui procure
sans
doute
des
richesses
mais
qui
est
défavorable
à
l'agriculture. Par
ailleurs,
la mouche tsé-tsé
continue de
sévir
sur
sept
millions
de
kilomètres
carrés
rendant
aléatoire
toute activité
agricole.
Au total,
conclut-il,
19 %
du sol africain est
propice à
l'agriculture, 4
% est
irrigué
et
21
pays
souffrent
de
mauvaises
conditions
* F.A.O.
(Food and Agriculture
Organization) = organisation
pour l'agriculture
et l'alimentaire. Grande
institution de
l'O.N.U.
(Organisation des Nations
Unies), elle est dirigée
par le Libanais Edouard Saou. . .
- 267 -
naturelles
qui
grèvent leurs
efforts"l.
Hopkins,
~acques
Maquet et
nombre
de
géographes,
anthropologues
climatologues-pédologues partagent cette
position.
Pour les
autres,
le diagnostic du malaise africain doit se poser dans
la perspective
de résorption,
de
façon tout
aussi globale
que
minutieuse
les réponses
partielles
aux
questions
partielles
ne pouvant
démêler
l'écheveau d'une
véritable
intrigue qu'est
le sous-développement
: thèse
défendue par
Guy
Caire,
Gabriel
Ardent,
Pierre
Georges et
autres
historieœ versés
dans l'étude de
ce que
nous appellerions
des
"phénomènes
sociaux
combinés".
"Si
malgré
tous
les
efforts faits en
faveur des pays sous-développés
; déclare
Guy Caire,
les résultats
enregistrés sont
insuffisants,
c'est essentiellement parce qu'un certain nombre d'illusions
ont
empêché de
voir
la réalité,
parce
que les
facteurs
essentiels n'ont
pas été dégagés et
parce que n'a
pas été
posé le problème des rapports entre pays à
stades différents
de développement"2.
Quels
sont
"ces
facteurs"
non-découverts,
ces
"illusions"
notamment
en
ce
qui
concerne
l'Afrique
de
l'Ouest
?
Répondre
à
ces
questions,
c'est
mener,
dans
(1) Saou. . Edouard dans Jeune Afrique.
nOs 1284/1285 des
14/21
aoat 1985.
(2) Caire Guy: Op. Cit.
p. 342.
- 268 -
l'hypothèse
d'une
résolution efficace,
une
investigation
serrée.
Elle
devra
être
aussi
l'analyse
des
multiples
facteurs
ainsi
dépistés
facteurs
naturels,
socio-politiques et économiques,
historiques,
technologiques
et culturels.
SECTION l
fACTEURS NATURELS
- 270 -
Chercher
des facteurs
naturels du
sous-développement
pourrait amener à croire qu'il existe des pays naturellement
sous-développés
ou
prédisposés
à
l'être,
ce
qui
serait
contraire aux
assertions faites
dans l'introduction
de ce
travail.
Nous soutenons toujours qu'il
n'existe pas de pays
naturellement
sous-développés.
Cependant
la
situation
géographique
de certains
d'entre eux,
leurs richesses
ou
leur
pauvreté
en
ressources
naturelles
(miniéres,
itchyologiques,
forestières
par exemple),
les
facilités ou
les
difficultés
de
transformation
auxquelles
les
prédisposent
leur
situation
géographique
et
leurs
potentialités peuvent
contribuer de façon décisive
soit au
développment,
soit
au sous-développement. C'est en
ce sens
qu'une recherche des facteurs naturels du sous-développement
est
aussi utile
que compréhensible.
L'Afrique de
l'Ouest
n'étant
pas un
bloc géographiquement
séparé
du reste
du
continent,
certains fléaux
qui sévissent sur elle
sont des
répercussions
directes de
ceux qui
frappent le
continent
tout entier.
- 271 -
§1
-
UN TYPE D'ISOLEMENT NEGATIF
L'isolement
du
continent
a
été
l'un
des
facteurs
naturels véritablement
décisifs.
"Isolée
par le
Sahara au
Nord,
par l'océan
à
l'Ouest et au
Sud,
l'Afrique tropicale
est
restée longtemps
un cul-de-sac"3.
Ce facteur
naturel
décisif a été renforcé par l'asséchement et la.déforestatl0n
du
Sahara
(2
500 avant
Jésus-Christ)
qui
aggravent
le
facteur
distance.
Ces
phénomènes
ont
ainsi contraint
le
continent
à
évoluer
pendant
longtemps
en vase
clos.
La
conséquence directe
a été le
retard que le
continent tout
entier
a contracté
en
matiére
de techniques
diverses
maîtrise de la
nature,
lutte contre les
agents pathogènes.
En
raison
de
ces facteurs
conjugués
l'évolution
ou
la
formation
scientifique
et technologique
a
été
retardée.
"L'Afrique
a
connu
une
évolutlon
a
vase
clos.
Les
migrations,
les
entreprises de
domination,
les
influences
venues de l'extérieur l'ont atteinte
avec retard et surtout
sous une forme atténuée"4. C'est dans le secteur agricole en
particulier
que ce
retard technologlque
se
tait le
plus
sentir.
En
effet le
nombre encore
plethorique des
outils
traditionnels très harassants dans presque
tous les pays de
l'intérieur
de
l'Afrique
de
l'Ouest,
ne
témoigne
pas
seulement ni toujours des
(3)
Descha.ps Huber~ : Op. Cit. p.
7 Tome 1.
(4)
Descha.ps Huber~. Op. Cit.
p.
21
- 272 -
difficultés financières
à
se procurer du
matériel moderne,
mais
souvent de
sa
rareté
due au
retard
technologique.
D'autre part,
la sécheresse
de 1972-1973
aux conséquences
particulièrement dramatiques,
s'est montrée
un épisode
si
marquant
que
nous
ne pouvons
la
considérer
dans
cette
investigation des
causes du retard multiforme
de l'Afrique
de
l'Ouest
comme
un
simple
phénomène
auxiliaire
à
l'isolement,
mais
bien
comme
un
facteur
naturel
très
sérieux.
- 213 -
§2 - LE SAHARA : AMORCE ET POURS_l!I,.E. DE ~
DESERTIFICATION
La
situation
actuelle
du Sahara
appelé
Sahel
dans
certaines régions,
suscite un étonnement
quand on
sait ce
qu'elle fut seulement en l'an 5
000 av.
J.
C.
Nombreux sont
les récits
et les
écrits afférents à
cette région.
Et de
cette pléthore de
"dires" et
d'écrits se dégage toujours un
avis
commun
le caractere
anterieurement
verdoyant
et
viable de la contrée.
Mais
comment expliquer aujourd'hui le
renversement
spectaculaire
de
la
situation
?
Comment
convaincre que
des populations
entiéres aient
pu V
vivre
pendant des décennies et qu'aujourd'hui le Sahara (le Sahel)
soit quasiment
incapable d'abrlter le moindre
vermisseau?
L'explication
du
retournement
de
la
situation
fait
intervenir deux
phénomènes majeurs conjugués selon
nous et
que nous appelons
:
1 0 ) Phénomène physique naturel.
2 0 )
Phénomène
humain
continu
et
diversifié,
lointain et actuel.
A) - PHENOMENE PHYSIQUE NATUREL
Il est difficile d'avancer un
chiffre exact pour dater
avec
rigueur
des
phénomènes
comme
la
désertification
naturelle qui
est un processus
à
long terme,
surtout qU'a
l'époque de la
"verdoyance" du Sahara l'ecriture
ne devait
pas
encore exister
ou,
du
moins,
ne devait
pas être
un
- 274 -
outil
à la
portée
de tout
le monde.
De
nos jours,
les
progrès de la
science permettent de dater
(carbone 14) des
faits qui se sont déroulés plusieurs millénaires avant notre
ère.
C'est ainsi
qu'il s'est révélé que ce serait
en 5 000
av.
J.
C.
que la désertification du Sahara aurait amorcé son
processus.
En
effet selon
nombre de
spéc1alistes dont
le
professeur Gautier,
le phénomène s'expliquerait
de la façon
suivante:
le Sahara s'est trouvé
un moment privé de nuages
de l'océan.
Ne
recevant plus une humidité
suffisante faute
de
précipitations
habituelles,
la
végétation
souffre
et
devient plus cla1rsemèe
; le Sahara est
désormais soumis à
l'action des alizés.
Le vent crée
par son action érosive un
déséquilibre en
affectant tous les cadres
écologiques.
Les
pluies se
raréfiant de
plus en
plus au
fil du
temps,
le
régime
des rivières
évolua
en
système lacustre
puis
en
oueds.
Le tapis
végétal
en
pâtit très
sérieusement.
Le
processus
régressif est
irrémédiablement
amorcé et
c'est
précisément en
ce moment qu'intervient le
phénomène humain
conjugué
qui
prolongera
la
désertification
jusqu'à
nos
jours.
BI - PHENOMENE HUMAIN
Phénomène humain lointain : Surp~tu~~~ désor~
donné et déboisement abusif
Le
Sahara
était
habité
par
des
populations
d'agriculteurs et d'éleveurs de grands troupeaux de bovins
et
de caprins.
Les
éleveurs lançaient
le
gros bétail
à
l'assaut
de la
végétation dont
la
luxuriance avait
déjà
- 275 -
amorcé le
déclin sous l'effet de
désagrégations complexes.
Et au fur et à mesure que
l'herbe se raréfiait au rythme de
l'espacement des
pluies et sous
la pâture du
gros bétail,
les pasteurs abattaient
les arbres pour mettre
ainsi leurs
feuilles à la
portée du petit bétail
(caprins).
L'abattage
n'étant
plus suivi
de
rebo1sement,
le desert
s'installa
définitivement. Comme
ils étaient
obligés de
faire paitre
leurs
troupeaux,
ces
habitants
semaient
pour ainsi
dire
consciemment
ou
non
les
graines
de
la
désertification
partout où ils devaient passer. Ce n'est donc pas une banale
boutade quand Henri Lhote, décontenancé
devant la situation
du Sahara s'écrie:
"Si désert i l y a,
désert
i l n'y a pas
toujours eu"5. Cette réflexion est doublement significative.
1 0 )
Elle
est
d'abord et
surtout
une
réplique
directe aux tenants
des thèses déterministes qui
à
la fois
innocenteraient
l'homme
des
responsabilités
du
sous-développement
écologique
et
le
dispenseraient
des
efforts
qu'il
est
convié
à
fournir
dans
le
sens
d'un
reboisement en insinuant implicitement l'inutilité.
20) Elle
appelle l'homme
à
reconsidérer
l'usage
qu'il fait de
son environnement naturel.
Si
les déserts ne
sont pas le fait d'un déterminisme,
ils ne peuvent être que
celui de l'homme.
(5) Lhote Henri:
L'assèchement du Sahar~ in
geographia.
42, mars 1955,
p. 20.
- 276 -
Phénomène humain actuel:
les feux de brousse
véritables crimes endémiques.
Les feux
de brousse
sont des
incendies dévastateurs,
volontaires ou
involontaires, aux
conséquences écologiques
inévitablement
néfastes.
Ils
sont
le
fait
de
deux
civilisations
(tout
au
moins en
Afrique)
en
dehors
de
quelques pyromanes.
10) La civilisation de la chasse artisanale.
2 0 )
La civilisation de l'agriculture itinérante
sur brûlis.
Les feux de brousse de la chasse artisanale
Ils sont
provoqués par
un groupe
de chasseurs.
Leur
action s'explique par la
disproportion flagrante entre leur
matériel rudimentaire
houe, arcs,
flèches
et quelquefois
des
fusils
d'un
état
d'obsolescence
notoire
et
les
difficultés
auxquelles ils
sont
confrontés
: hauteur
de
l'herbe,
densité
du
maquis.
Ne
disposant
pas
d'autre
matériel,
ils
ont souvent recours au
feu.
Dans ce
cas,
le
feu de brousse
est dit volontaire et
considéré comme crime
passible de peines variables selon les législations.
Les feux de brousse de l'agriculture itinérante
sur brûlis.
Ces feux sont inhérents à la
préparation de ce type de
culture. Que ce soit dans la forêt
ou en savane,
le feu est
l'élément primordial de défrichement.
Il s'agit d'un système
- 217 -
basé
sur le
champ temporaire,
très souvent
grossièrement
défriché à
l'aide d'une
houe,
puis nettoyè
par le
feu et
semé
ou planté
après
l'incendie
généralement suivi
d'un
léger ameublissement du
sol. Si ces feux
restaient dans le
cadre
de
ces
champs,
ils
ne
seraient
pas
"criminels",
Malheureusement i l arrive presque
toujours qu'ils dèbordent
les
limites
fixées
et
dévastent
ainsi
des
surfaces
considèrables. Dans
ce cas
nous les
qualifions d'incendie
"involontaire". Quoi
qu'il en soit,
les
répercussions sont
néfastes et de deux manières.
la
dènudation
de
la
majeure
partie
de
l'environnement
physique.
Le
bois
sec
manquant,
les
populations rurales se rabattent sur les bouses de vaches et
les tiges d'autres champs non
incendiés;
lesquelles bouses
et tiges devaient servir à enrichir les sols (fumure).
La
seconde
conséquence
?
C'est
une
simple
conclusion que nous
laissons le soin à
E.F. Schuaacher de
tirer à la suite de ces différents phénomènes que nous avons
décrits
"Etudiez quel traitement
une société fait subir à
sa terre
et vous arriverez
à
des
conclusions relativement
dignes de foi quant à
l'avenir qu'elle se réserve".
La conclusion
serait une sécheresse totale
irréversible si
le
C.I.L.S.S.
(Comitè
Inter-Etats
de
Lutte
contre
la
Sécheresse
dans le
Sahel)
n'avait
pas tiré
la
sonnette
d'alarme.
Viendra
-
t - i l
pour autant à
bout de
sa lourde
mission quand
on sait le rythme
auquel avance le
sésert?
Question difficile
à
y répondre
car dans
l'hémisphère Sud
- 278 -
les problèmes constituent une espèce
d'intrigue dont i l est
difficile
de démêler
l'écheveau et
un problème
isolément
résolu n'est
qu'un maillon qui
conduit à
la
chaîne. C'est
ainsi que
l'étude des
facteurs dits
naturels ne
conduira
strictement à
rien
dans la perspective de
solution globale
au problème du sous-développement si
elle n'est pas référée
à
cette
chaine
des
différents
handicaps
que
sont
les
obstacles socio-politigues et
économiques,
historiques,
technologiques et culturels.
SECTION II
FACTEURS SOCIO-POLITIQUES ET ECONOMIQUES
- 280 -
Si le développement implique le passage du "moins-être"
au
"plus-être"
ou
au "mieux-être,
i l
est
difficile
de
promouvoir ce progrés qui exige
un bouleversement dans tous
les domaines,
tout en restant
mentalement
,
socialement
accroché à un passé qui a besoin d'être adapté. C'est là que
naît
le
conflit
entre
un
passé
qui,
pour
avoir
été
légendaire,
se
veut
toujours vivace
et
un
avenir
qui,
pour
se
hisser
au
diapason
du
progrés,
nécessite
l'assouplissement ou
l'élimination de
certaines structures
et
de
certains
comportements.
C'est
donc
en
termes
"d'obstacles",
"d'écueils" que s'expriment ces structures et
ces
comportements
i l
convient
de les
répertorier
par
domaines et de les analyser objectivement.
-
281 -
AI -
"OBSTACLES- ISSUS DES STRUCTURES SOCIALES ET
MENTALES.
§1
- LA FACE NEGATIVE DE LA NOTION DE "LA FAMILLE
AFRICAINE- ET DE LA PHILOSOPHIE DU COLLECTIVISME
En
Afrique
de
l'Ouest,
tout
comme
en
Afrique
en
général,
la
famille
joue un
rôle de premier
plan.
Berceau
d'éclosion et
d'épanouissement,
elle constitue le
point de
ralliement de tous les membres.
Tout événement advenant à
un
individu se
répercute immédiatement
sur sa
famille.
C'est
ainsi par exemple
qu'un mariage,
une naissance,
un baptême
et surtout un décés ne concernent pas un couple encore moins
un individu mais
tous les parents proches
ou lointains. Ce
trait de
l'Afrique est
notoire et
semble avoir
survécu a
plus d'une influence,
à
plus
d'une vicissitude.
En effet,
à
un journaliste qui demandait au
poéte et homme politique de
Madagascar, ~acques
Rabe.anajar, s ' i l
avait un
souhait
à
formuler à
la jeunesse africaine,
l'écrivain répondit
"Mon
voeu est
que la jeunesse
ne renie
pas les valeurs
de nos
pays
je veux dire
que des
valeurs comme la
famille sur
laquelle j'ai insisté
tout à
l'heure ne
soient pas perdues
de vue"6.
(6)
Rabe.anajar ~acques,
au cours d'une émission
radiophonique
"confidence autour d'un micro" du
16 avril 1984 à
Dakar.
- 282 -
Un autre africain,
le Sage Ha~athé Ba , avait tenu des
propos similaires
au cours d'une
~mission "club
du Sahel"
anim~e
par
la
radio
du SAHEL
(Niger)
sur
le
thème
"itin~raire d'un fils du siècle". C'~tait en 1982.
Quand on
sait la valeur de
la famille en Afrique,
le rôle
qu'elle joue dans la vie de l'individu et du groupe comme en
t~moigne le souhait
~mis par les deux grands
sages,
y voir
une face
n~gative, n'est-ce pas
risquer une
vigoureuse et
massive r~probation ? Et en
quoi la famille africaine telle
qu'elle est v~cue est-elle un obstacle
? Si elle en est un,
par quoi faut-il la remplacer ?
La
famille africaine,
consid~rée
jusque-là comme
un
reflet de la
personnalité africaine, valeur qui
scelle des
liens intimes multiples n'est ni ne saurait être un obstacle
dans tous ses aspects. Cependant, si elle intervient dans ce
chapitre
des
obstacles, c'est
essentiellement
pour
deux
raisons :
10) Une
conception inadaptée à
la rigueur
de la
conjoncture actuelle.
20) Le risque de perpétuation d'un vice grave
le
parasitisme.
a) Une conception en retard de décalage
Ce n'est pas
la conception profonde de
la famille qui
est mise en cause mais bien
un él~ment précis: l'extention
- 283 -
monstrueuse de sa
taille à un moment de
sticte rigueur. Où
se trouve alors
l'obstacle? La difficulté se
situe à deux
niveaux :
1 0 )
Au niveau des moments et
2 0 )
Au niveau
des
possibilités
réelles (?)
de
toujours
satisfaire
aux
exigences
de
la
famille
monstrueusement élargie.
La famille
étendue est une réalité
fort
historique,
c'est-à-dire
d'un
moment
de
relatives
abondance
et
facilité.
Elle s'est
modulée
au
point
de
devenir
une
constante
intimement
liée
à
la
notion
de
"famille
africaine-. Or
de
nos jours,
la
rigueur de
la
conjoncture,
les
exigences des
idéaux que
tous se
fixent
risquent tort de
ne pouvoir aller de pair
avec le maintien
de
certaines
pratiques.
Est-il par
exemple
possible
de
résoudre encore de nos jours cette équation :
1 0 )
Epargner
pour
investir
en
vue
des
réalisations?
2 0 )
Faire
face
à
des
eX1gences
inévitables
(nourriture,
santé, éducation) ?
30)
Répondre
encore
favorablement
aux
sollicitations d'ordre matériel de la
famille au sens large
tel que
cela se
pratiquait i l
y a
seulement une
ou deux
décennies? La réponse est incontestablement la négative.
En
clair donc l'aspect de la
notion de famille est précisément
- 284 -
ceci:
l'inadéquation
entre l'extention et la
pesanteur de
la
réalité "famille"
et les
capacités
réelles du
membre
sollicité
inadéquation
imposée par
les
impératifs
du
moment. ComMe la plupart
des obstacles soulignés jusque-là,
celui-ci
engendre
une
mini-disjonction.
Il
est
donc
nécessaire,
nous semble-t-il,
d'adapter
la conception de la
famille,
surtout pour éviter un sérieux risque :
b) Le danger de perpétuation d'un vice grave
le
parasitisme
Le parasitisme
est une
vie aux
crochets d'un
tiers.
Dans le cas
échéant i l s'agit d'un non-salarié
qui vit aux
dépens
d'un salarié.
Très
souvent,
ce sont
des
parents
non-salariés qui "s'agglutinent" autour d'un membre salarié.
La notion de parenté, de famille,
en vigueur dans la région
considérée n'autorisant,
ni renvoi
immédiat,
ni
expulsion
violente de quelque manière que ce soit permet aux visiteurs
souvent
inopinés
d'avancer
des
prétextes
les
plus
rocambolesques pour justifier leur
gênante visite. Dans ces
conditions,
aucun
investissement
n'est
possible
parce
qu'aucune
épargne
n'est possible
puisque
perpétuellement
grevée:
"le parasitisme familial
inhérent à la
notion de
solidarité nécessaire
entre membres
du mêMe
milieu social
grève
lourdement les
budgets
personnels"].
Ainsi, ni
la
(7) Decraene Philippe
Op. Cit.
p. 78
- 285 -
tradition dans sa
globalité,
ni la famille
ne sont
"choses
négatives".
Elles ont simplement
besoin d'être corrigées en
certains de leurs aspects. Ce
travail de "remodelage" et de
réadaptation ne
devra pas se limiter
au seul niveau
de la
famille,
mais s'étendre
au
niveau
global des
structures
sociales.
- 286 -
§2 -
LES RETOMBEES DES STRATIFICATIONS SOCIALES
Nous avons évoqué dans les développement précédents les
difficultés des
Etats ouest-africains notamment
: rigidité
des stratifications,
prédominance
de l'esprit ethno-tribal,
non-intégration. Celles-ci
leur ont comme donné
une nature
dissemblable à celle des autres Etats d'où les dénominations
multiples
"d'Etats
à
structure
madréporique"8
selon Yves
Lacoste, de "conglomérat de
formations aléatoires" d'après
Lancine 9 ,
de
"Kaleidoscope
ethnographique
pour
Ede..
Kodjol0,
"d'ambiguité
sociologique" selon Guillaulle
Pa.bou
Tchivoundal'.
Il faut
ajouter qu'ils
se trouvent
dans des
situations
à
tout
moment
explosives
parce que
passé
et
présent
s'y
livrent
à
plusieurs
niveaux
une
bataille
d'influence,
voire
de
primauté.
Finalement
ces
Etats
apparaissent
comme
une
superposition
de
valeurs
et
de
conceptions
souvent
antagonistes,
de
mentalités
difficilement conciliables ; causes
de problèmes complexes.
Et
i l
semble
que
l'une
des
difficultés
majeures
soit
véritablement
cette rigidité
indice
indubitable de
la
forte
influence du
passé,
d'où
la
douloureuse
mutation
8)
Lacoste Yves: Op. Cit.
9) Sylla Lancine: Op. Cit.
(10)
Kodjo Ede. : Op. Cit.
(11)
Tchivounda Pa.bou Guillaulle
Essai sur l'Etat post-
colonial.
LGD~, 1982, p. 32.
-
281 -
aggravée par d'autres obstacles sous-jacents. Ainsi pourrait
se résumer
l'ensemble des problémes
antérieurement évoqués
relatifs au
cas précis
des stratifications
sociales. Mais
pourquoi y revenir si nous avons déja consacré une analyse?
C'est précisément parce que la difficulté se présente à deux
niveaux
:
1 0 )
à un
niveau supérieur
celui des
entités
politiques
les
Etats
et
leurs
désarticulations
multiformes:
sérieuse entrave à l'homogénéité globale.
2 0 ) à un niveau inférieur
: celui des individus et
en ce moment nous parlons
de retombées des stratifications.
Est-il possible de faire éclater ce probléme crucial en deux
comme si l'on pouvait opérer
une nette dichotomie entre une
entité socio-politique et économique:
l'Etat, et l'individu
qui y
vit,
la
façonnent en
fonction de
leurs aspirations
profondes? Cette
démarche répond à un
souci d'objectivité
et
de
démonstration.
C'est-à-dire
trouver
des
preuves
concrètes
(comme dans l'analyse faite
au niveau supérieur:
analyse
des
structures
de
quelques
communautés
ouest-
africaines
précoloniales et
coloniales)
des retombées
de
cette
rigidité
des
stratifications
et
en
montrer
la
nocivité.
L'importance
du
problème
justifie
donc
l'insistance,
mais
au
préalable,
la
précision
du
terme
"stratification"
employé
jusque-là
sans
être
clairement
défini,
s'impose.
- 288 -
DEFINITION
L'examen
des
conséquences
de
la
rigidité
des
stratifications impose
la nécessité de préciser
le contenu
exact
du terme
"stratification".
Comme
la définition
du
politique et
de la politique,
celle du
mot stratification
formé à
partir de
la notion de
"strate" suscite
de vives
polémiques parce qu'elle oppose deux courants de pensée fort
différents
le courant marxiste et l'école fonctionnaliste.
Le
courant
marxiste,
pour
des
beso~ns
politiques
et
idéologiques,
bipolarise
trés
nettement
le
contenu
du
concept
et
le
contexte
sociologique
auquel
i l
est
susceptible de s'appliquer:
exploiteurs-exploités. Dans ce
cas, on ne parle pas de "strate"
mais de
"classe"
; d'où la
connotation de
lutte,
la menace toujours
permanente, voire
l'imminence
irrésistible
d'affrontements
sanglants
entre
défenseurs d'intérêts divergents.
Et
c'est par "révolution"
que
Georges
Goriely
exprime
l'idée
de
cette
menace
permanente contenue dans le terme
"classe M l0. A cette école
s'oppose
le
courant fonctionnaliste
souvent
qualifié
de
conservateur et
émanant de
la sociologie
américaine. D'un
côté,
le courant
marxiste se
préoccupe
de phénomènes
de
désintégration
et
d'antagonismes sociaux
et
les
analyse
(10) Goriely Georges: Signification actuelle de l'idée de
révolution ,
in : Sociologie des mutations. Editions
Anthropos, 1970, p. 221.
- 289 -
dialectiquement en
fonction de
leur nature
contradictoire
pour
justifier
et
légitimer
éventuellement
tout
bouleversement
social.
De
l'autre
côté
le
courant
conservateur
de l'école
fonctionnaliste américaine
étudie
la différenciation sociale
stricte de m11ieux que
l'on dit
souvent intégrés,
pour élaborer
ultérieurement une certaine
théorie
de "l'intensité
graduelle à
la participation
aux
valeurs sociales".
Nous estimons
pour notre part
utile de
tenter avec Claude
Rivière une
définition
qui
cadre
globalement
avec
le
contexte
social
qui
nous préoccupe.
Ainsi
le
terme
de
"stratification,
en
rapport
d'inclusion
dans
celui
de
hiérarchie,
ne s'applique qu'aux relations de subordination,
c'est-à-dire d'ordonnance
et de dépendance
des différentes
couches
et classes
sociales résultant
de la
distribution
inégale
des droits
et
obligations
dans une
société"llet
cette
détermination
du
statut
social
en
fonction
de
"l'avoir",
d'ailleurs
inégalement distribué,
donne
à
la
stratification
un
caractère
de
brusques
et
violents
bouleversements sociaux
en cas
de rupture
de la
cohésion
artificielle et surtout
en cas d'échecs de
mutations (tels
que nous en
ont donné de douloureux exemples
le Nigéria en
1966,
le
Congo, et le Ghana
de 1978 à 1983).
C'est l'idée
(11) Rivière C1aude : Classes et stratifications sociales
en Afrique:
le cas Guinéen.
P.U.F.
Paris 1978. p. 35
- 290 -
finale
que
paraît
retenir Claude
Rivière lorsqu'il
dit
entendre
par
stratification
"l'armature
complexe
des
relations
hiérarchiques
et
interférentielles
basées
sur
différents
critères
et
comme
instrument
ambivalent
de
cohésion et de conflit"12.
Ainsi
la
rigidité
des
stratifications
sociales
en
Afrique d'une
manière générale ne
se dénote
pas seulement
par
la
lente
et
pénible
évanescence
des
structures
traditionnelles de l'environnement social
comme par exemple
les différences entre les habitations et entre les personnes
de
statut social
ou
de catégories
socio-professionnelles
antérieurement différentes.
Elle se dévoile surtout
par un
certain esprit de réticence,
de tiédeur, voire d'opposition
et
consistant
à
vouloir
tenir
encore
en
lisières
les
éléments d'une
certaine origine ethnique ou
d'une certaine
catégorie
socio-professionnelle, au
moment
où toutes
les
sociétés en
difficile mutation
ont besoin
du concours
de
tous les
bras.
Les conséquences
d'une telle
rigidité sont
nombreuses et
graves,
nous les
résumons en
trois entraves
principales :
10)
La sape des jalons de l'unité nationale.
20)
Le
blocage
des
possibilités
de
percée
intellectuelle.
3 0 )
La
perpétuation
subtile
d'un
certain
"féodalisme" foncier.
(12)
Rivière C1aude
Op. Cit.
p. 36
- 291 -
Nous
allons
tenter
d'approcher
les
deux
premières
entraves.
a) La stape des jalons de l'unité nationale
L'Etat
africain est
de
plus en
plus
perçu par
les
spécialistes
comme celui
où l'unité
nationale réelle
est
absente
ou perpétuellement
mise
en
cause. Cette
absence
s'explique
par
diffèrentes
causes.
Causes
objectives
difficultés inhérentes à tout début
Or les Etats africains
sont des Etats
"jeunes· dont l'âge de
la maturité coïncide
avec une
conjoncture internationale très
défavorable. Mais
i l
s'ajoute
à
ces
causes
objectives,
des
explications
subjectives au nombre desquelles des considérations d'autant
plus arbitraires qu'aucune réalité
ni preuve objective n'en
tapisse l'arrière-fond.
Dans de telles
conditions, l'unité
nationale reste
une utopie, en
témoigne cette
réflexion:
"Les relations entre nous Tutsi (15 %)
et eux Hutu (85 % de
la population) ont étè de tout temps fondées sur le servage.
Il
n'y
a
donc
entre
nous
et
eux
aucun
fondement
de
fraternité puisque
nos rois
ont conquis
les pays
Hutu en
tuant leurs monarques et les ont asservis"13.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - -----_.
(13)
Yannopou1os (T.) et D.
(Martin)
: B~9imes militair~~
et classes sociales en Afrique Noire.
~evue fran-
çaise de science politique. Vol. XXII,
n 0 4, 1er août
1972 p.
865.
- 292 -
Cette réflexion fai~e au
Rwanda,
tradui~ d'une manière
générale,
ce
que
l'Afrique
garde
de
négativement
traditionnel. Ainsi
observait-on i l
y a
seulement quelque
temps (et
peut-être en sourdine
de nos jours)
une ~iédeur
voire
une opposition
malhabilement dissimulée
à ce
qu'un
élément d'une
caste jadis considérée comme
inférieure soit
appelé
à des
responsabilités nationales
en
vertu de
ses
compétences.
Ces
tristes
illustrations
sont
hélas
nombreuses
et
ce
serait
injuste
de
s'étonner
de
la
non-promotion
du
développement
car
"il
n'y
a
pas
de
développement dit Lebret, là où i l n'y
a pas d'hommes assez
unis"14.
Mais s ' i l
n'était ou
s ' i l
n'est pas
nécessaire
d'appeler
les
éléments
des
castes
ou
des
catégories
socio-professionnelles dites inféreures aux responsabilités,
faut-il prendre
la peine
de promouvoir
leur développement
intellectuel
?
D'où
cer~ains
blocages
aux
conséquences
encore retentissantes.
b) Le blocage des possibilités de per~ée
intellectuelle
Le blocage des possibilités
de percée intellectuelle a
emprunté plusieurs
voies : la
voie directe et
les détours
subtils. La voie directe quelque peu difficile depuis une ou
(14)
Lebret (Louis ~oseph) : Développe.e~~__Révolutio~
solidaire. Editions ouvrières, 1970, p. 86.
- 293 -
deux décennies, consistait è
tre1ner au maX1mUM les élements
d'une
caste
ou
d'une
catégorie
socio-professionnelle
indésirable. Cette politique était encore de mise même aprés
l'indépendance
de
certains Etats
selon
les
informations
recueillies ici ou
là. Mais nous avons cherché
à
lever une
espéce de
contradiction latente et
è
en
savoir davantage.
Comment
pouvait
se
mener
cette
politique
de
blocage
puisque
1 0 )
Les Européens occupaient la plupart des postes
dont ceux de l'enseignement?
2 0 ) En ce
moment n'allait à
l'école
que l'enfant
de celui
qui était
le rebut de
la société,
l'école étant
considérée
comme
une
géhenne
parce
qu'assimilée
à
l'esclavage,
et
le chef
ou
le
noble par
contre
devant
conserver sa famille intacte et au complet ?
La réponse
à
la
première question
impose le
constat
suivant : i l
est connu que si
les Européens monopolisaient
la plupart des
postes,
s ' i l s avaient assis de
ce fait leur
autorité,
ils l'avaient toujours
fait en collaboration avec
les chefs
traditionnels.
Et pour l'essentiel
des problèmes
qui
demandaient
une
connaissance
du
milieu
et
de
ses
habitants, ces chefs étaient écoutés, voire consultés, comme
en
témoignent
l'ouvrage
antérieurement
cité
de Gabriel
Gosselin : l'Afrique
désenchantée et
tous
les
historiens
Anthropologues de l'époque coloniale.
- 294 -
La
deuxième
interrogation,
nous
met
devant
un
renversement de
situation. C'est un
fait que
n'alla~ent à
l'école que les enfants indésirables et d'indésirables. Mais
lorsqu'il s'est révélé un certain avantage matériel et moral
à
fréquenter cette
institution
(car l'intellectuel
était
perçu
comme potentiellement
"nanti",
et
du fait
de
ses
connaissances
jouissait
d'un pouvoir
inégalé),
c'est
le
phénomène inverse qui se produisit
les enfants des chefs,
des nobles frèquentaient l'école pour, dit-on,
se préparer à
la succession.
Il fallait donc annihiler toutes possibilités
et éventualités
de contestation des
faveurs en
faisant de
l'école et de
l'instruction,
le monopole des
classes dites
nobles.
La
conséquence
immédaite
est
qu'après
les
indépendances l'Afrique presqu'entière
s'est trouvée devant
un problème
important
le manque
de cadres natifs
et une
population
nombreuse
à
scolariser. C'est
ici
que
prend
racine l'intolérable analphabétisme!
Le
blocage
emprunte
aussi
et
souvent
des
voies
indirectes
: ne
doter certaines
régions
ni d'écoles
ni
d'établissements publics
à
caractère
éducatif ou
alors le
faire de manière à
perpétuer un sous-développement culturel
notoire.
L'exemple
que voici dispense de
tout commentaire.
Au Soudan
en 1965 i l Y
avait une école secondaire
dans le
Sud contre 88
au Nord
et 26
centres d'enseignement moyen
contre 175 au Nord15.
(15) Exemple rapporté par Gonidec (PF)
: ~~s systè.e~
politiques africains : les réalités du pouvoir.
Librairie Générale de Droit et de ~urisprudence.
- 295 -
Le
résultat
a
été
une
tentative
(qui
se
poursuit
aujourd'hui) de
sécession du Sud essentiellement
peuplé de
Noirs.
En Afrique
de l'Ouest,
i l n'y a pas
eu de tentative
de sécession
à
ce propos, mais
l'analphabétisme persistant
contre lequel
tous les
Etats luttent,
avait déjà
hélas!
pris de l'avance sur les
nombreuses populations. Ce mal aux
racines
historiques
profondes
devrait
être
un
exemple
permettant de prendre
du recul vis-à-vis de
nos traditions
et
d'y
porter
un
jugement
objectif
à
l'instar
de
ce
responsable
africain
"l'organisation en
castes
de
la
société, type
d'organisation qui favorise la
stagnation et
empêche les mutations révolutionnaires
source de progrès, a
fortement contribué à
l'affaiblissement interne des sociétés
africaines
du
passé.
Les
systèmes
d'éducation
et
de
transmission des connaissances se faisait à vase clos"16.
Si
la tradition
n'est
pas
condamnable en
tous
ses
points,elle n'en
est pas
non plus
pour autant
totalement
louable
et l'attachement
quasi-morbide à
certains de
ses
aspects -persistance
de vieilles structures
et conceptions
souvent entravantes- risque de
dissimuler plus une sclérose
qu'une vraie
conviction à
leur vitalité
prétendue. Si
en
Afrique
de
l'Ouest,
la
formation
de
grands
ensembles
politiques et
économiques indispensables
à
l'émergence
du
sous-développe.ent rencontre
des obstacles
décisifs, c'est
(16)
Kodjo (Ed. . )
Op. Cita p. 47
- 296 -
dû,
estimons-nous, en majeur partie
a la forte influence du
passé
a travers
de
telles
rigidités.
Il
appartient
aux
Africains
de choisir.
Il
est
indispensable cependant
de
savoir
que le
désir de
progrès
est intimement
lié à
la
volonté de vivre
ensemble et tous deux
supposent un combat
patient, ardu et décisif non seulement contre ces rigidités,
ces nostalgies,
mais encore contre la
persistance d'autres
mentalités.
- 291 -
§3 -
LA PERSISTANCE DE CERTAINES MENTALITES
UN ECUEIL
SERIEUX
En dehors
de l'esprit
de stratification
que certains
milieux
nostalgiques continuent
de drainer
ou de
vouloir
faire
resurgir
avec
force,
i l
est
encore
reproché
aux
Africains,
dans le
cadre des conditions à
réunir pour leur
développement deux autres types de comportements
:
1 0 ) Le comportement magico-religieux.
2 0 )
Une
tiédeur,
voire
une
absence
d'esprit
d'entreprise et d'épargne.
En
quoi
précisément ces
comportements
sont-ils
des
obstacles au développement ?
a) Le comportement magico-religieux
Le comportement
magico-religieux caractérise
beaucoup
"la"
mentalité africaine.
Mais
que
faut-il entendre
par
comportement
magico-religgieux?
La magie
est d'abord
un
savoir réservé,
caractérisé par la
cooptation des agents et
la
marginalité
de
l'activité,
et
dans
son
dispositif
ésotérique,
elle
prétend
par
l'intervention
d'esprits
produire
des
effets
contraires aux
lois
de
la
nature.
Exemple
le
"faiseur"
de
pluie
est
un
magicien.
Le
comportement
magico-religieux est
donc
d'après nous,
une
attitude
attributive, c'est-à-dire
tout
phénomène qui
se
- 298 -
produit
dans la
nature a
pour
agent un
esprit,
un
être
supérieur
aux
simples
forces humaines.
En
quoi
un
tel
comportement
est-il un
écueil au
progrès
alors que
nous
avons
naguère reconnu
que
cette
attitude est
un
aspect
profond de
la philosophie
de l'Africain
qui voit
dans la
nature un
foisonnement de divinités
auxquelles i l
voue un
culte
?
Ce
comportement contient
un obstacle
en ce
sens
qu'il ne
permet pas à l'esprit
de se démarquer
de l'écran
séculaire de certaines superstitions et l'emprisonne dans le
carcan
des
forces
sacrales
et
telluriques.
Oans
le
comportement
magico-religieux
l'enchaînement
de
cause
à
effet est pensé non
pas objectivement mais subjectivement,
attributivement.
Exemple
: Un
toit
qui
s'écroule sur
un
individu peut
s'expliquer par la
théorie de
la résistance
des matériaux
c'est-à-dire par le
rapport entre
la faible
résistance des
poutres et le
poids du matériel
de toiture
qu'elles
supportent.
Oans
le
comportement
de
type
magico-religieux,
l'explication
sera donnée en
référence à
une faute dont la victime se sera rendue coupable envers une
divinité.
"Alors que dans
les sociétés techniques,
l'action
et l'organisation
de l'action sont
pensées schématiquement
sous la
forme d'un enchaînement
de cause a
effet"17,
dans
les sociétés
africaines au
contraire,
tout
phénomène pour
quelque peu extraordinaire qu'il apparaisse,
est directement
(17)
Turin Laurent
Op. Cit.
- 299 -
attribué
à
des
forces
occultes
transcendantes.
Un
comportement du type magico-religieux,
n'est pas enclin aux
spéculations
scientifiques et
cet aspect
a été
vertement
critiqué
par René
Gendar.e:
·Contemplation,
fatalisme,
traditionalisme
sont des
comportements
défavorables à
la
naissance
du
capitalisme
et
induisent
à
la
sta~nation
économique. De même
on note dans le
christianisme médiéval
ou le boudhisme un certain
dédain de l'économique au profit
de
l'éternel,
l'absence
de
capillarité
sociale,
la
répugnance des inventions
ou spéculations scientifiques" 18.
Loin
de
nous
l'idée
arrêtée
d'imputer
au
comportement
magico-religieux
l'entiére
responsabilité
du
retard
multi-sectoriel
de l'Afrique
de l'Ouest.
Si nous
l'avons
cependant cité
au chapitre
des obstacles,
c'est que
pour
avoir été plusieurs fois démenti par la science moderne (qui
n'a cependant pas
encore tout expliqué!)
i l continue dans
bien des milieux
même intellectuels de tenir
toujours lieu
de
mode d'explication
et
de
conjuration de
beaucoup
de
faits. Aussi,
le regain
d'importance des marabouts, devins,
fétichistes et autres hommes dits doués de pouvoir surhumain
constitue-t-il une preuve à ces affirmations. Serait-ce pour
cela
qu'il est
encore
davantage
difficile d'épargner
et
d'entreprendre en Afrique?
(18) Gendar.e René:
La résistance des facteurs socio-
culturels au développe.ent.
Exemple de l'Islam en
Algérie,
in revue économique, 1959,
p. 220-236.
- 300 -
b) Absence d'esprit d'entreprise et d'~ar9n~
Tel
est
l'un
des
reproches
les
plus
fréquemment
adressés aux
Africains. Mais
touchant plus
précisément ce
domaine,
une confusion
pourrait naître
s'agit-il
au fond
d'absence réelle
d'esprit d'entreprise,
d'esprit d'épargne
ou simplement d'une
mauvaise gestion de son
avoir? Devant
ce
risque
de
confusion,
la
définition
des
expressions
"esprit d'entreprise
et d'épargne" s'impose.
D'une manière
générale, un
esprit d'entreprise
est un
sens d'initiative
personnelle,
une
volonté de
ne pas
se laisser
vivre,
une
détermination
à combattre
l'oisiveté
par des
occupations
rentables.
Dans
un contexte
plus précis
tel que
celui de
l'économie,
un esprit
d'entreprise est celui qui
cherche à
créer des établissements à caractère commercial, s ' i l n'en a
pas
; à
les promouvoir
s ' i l en
a
déjà et
cela sur
une
initiative volontaire.
Une telle volonté
suppose le sens de
l'épargne. Cet
esprit,
prétend-on,
est absent
en fait
de
volonté de développement chez les
Africains et constitue un
obstacle. Comment
et OÜ
se situe
exactement l'obstacle
?
D'abord,
i l
convient
de
souligner
le
caractère
pluridimensionnel
ou
l'allure
de
"cercle
vicieux"
du
reproche
:
10)
L'absence
de
cet
esprit
peut
être
une
conséquence du sous-développement.
En
effet est-il possible
d'épargner
en vue
de réalisations
si
les besoins
minima
-
301 -
nécessaires (nourriture,
logement,
santé,
éducation) ne sont
même pas satisfaits ni garantis?
Dans ce cas cette absence
est un indicateur indubitable du sous-développement.
2 0 ) Mais en revanche, elle
peut être une cause de
la pauvreté cyclique et donc nous
tombons dans la série des
reproches formulés
contre le
"gaspillage",
la
recherche de
prestige à
travers des dépenses
onéreuses à
des occasions
comme les mariages,
les baptêmes, et surtout
les décès.
Il
reste
à
souligner encore
que
l'impossibilité
d'épargner
provient
souvent du
parasitisme familial
dont nous
avons
fait état.
En Afrique,
l'extension
monstrueuse de la notion
de famille
et de parenté apparaît
aux yeux des uns
et des
autres comme une obligation d'aider et d'être aidés.
En dernière
analyse donc,
nous
ne prétendons
pas que
l'absence
d'esprit
d'épargne
et
d'entreprise
soit
un
obstacle
absolu au
progrès.
Elle
est
l'un des
obstacles
qu'il ne faut
cependant pas minimiser parce
qu'il se situe
au niveau des individus alors
que le développement national
ou
de grands
ensembles
touche
des secteurs
globaux.
Sa
mention
ici,
n'est,
non
plus,
aucunement
un
appel
à
l'abandon des
traditions "légendaires"
d'entraide qui
ont
toujours donné un
sens profond à
la
vie communautaire. Ces
traditions,
positives certes, doivent néanmoins éviter toute
idée de sclérose,
une
image de statisme
social et mental.
L'histoire de
l'Afrique doit être une
histoire ponctuelle,
synchronique à celle du monde entier afin d'être au diapason
-
302 -
du concert
des nations. Ce
dynamisme ne peut
advenir qu'à
l'issue
d'un combat
commun
trés
ardu contre
un
certain
millénarisme nocif non
seulement dans le domaine
social et
mental,
mais
surtout
dans
le
domaine
politique
et
économique.
BI - ENTRAVES D'ORDRE POLITIQUE
Les
entraves
d'ordre
politique
doivent
être
appréhendées à deux niveaux.
1 0 ) A une échelle globale
2 0 ) A l'échelon des politiques intérieures.
- 303 -
§1 - D'UN POINT DE VUE GENERAL
Il s'agit ici de souligner les entraves globales qui se
sont répercutées
ou qui
se répercutent
encore sur
chaque
Etat. Ainsi l'un
des obstacles majeurs au
développement de
l'Afrique a
été et
demeure son
triste émiettement
en une
multitude de micro-Etats.
Les conséquences
en ont été et en
restent plus que jamais
fâcheuses.
D'abord géographiquement
réduits,
ces petits
Etats sont ensuite peu à
même de faire
face tout
seuls et efficacement
à certaines
priorités qui
ont simultanément
surgi en urgences sociales
inévitables:
santé, famine,
éducation, etc.
et
de satisfaire ensuite aux
autres difficiles conditions d'un
développement endogéne et
concerté.
Il
en résulte plusieurs conséquences
dont quatre
graves :
1 0 ) Une
confusion de
priorités conduisant
à une
inefficacité de plans
de développement,
le tout
se soldant
par un démarrage économique et social plusieurs fois raté et
faisant du développement un simple mirage.
20)
Il
s'ensuit quelque fois même
une régression
économique aggravée par une
conjoncture internationale déjà
défavorable
:
récession économique générale.
30) On observe une
sévère restriction des marchés
et un difficile
mouvement des entrepreneurs d'un
Etat à un
autre,
dus à
la rigidité des frontières,
entrepreneurs qui
sont censés participer à l'impulsion du démarrage économique
et
au
progrès
social
par
leurs
investissements.
La
- 304 -
dépendance
vis-à-vis
de
l'étranger
au
grand
dam
de
l'entraide Sud-Sud en est l'aboutissement logique.
4 0 )
Le plus
grave reste
les
conflits armés
de
toutes sortes. C'est d'autant plus insupportable que ce sont
des frères quelquefois de même
ethnie qui s'entretuent pour
avoir étè arbitrairement séparés les
uns des autres par les
frontières artificielles tracées au congrès
de Berlin du 11
juillet
1885. On
comprend
alors
que ces
micro-Etats
se
battent
perpétuellement
sans
grand
succès
contre
des
endémies dévastatrices
faute de moyens efficaces
parce que
faute de
conjugaison d'efforts.
On comprend
que la
crise
économique
internationale
leur
paraisse
particulièrement
dramatique
et probablement
sans
issue, qu'ils
s'enlisent
dans un
enchevêtrement de problèmes
sociaux et
cela parce
que
réduits
à
eux-seuls par
la
balkanisation
"leur
balkanisation,
affirme Lebret, limite
leur
éventail
de
productions,
restreint
leurs
marchés,
intensifie
leur
dépendance et suscite
leurs oppositions.
Il en
va ainsi de
l'Asie du Sud-Est,
du Moyen-Orient,
de l'Afrique
Noire~ de
l'Amérique Centrale et
à un certain point
de l'Amérique du
SUd"19.
Avec
toute cette
somme
de
difficultés, on
comprend
enfin
que la
politique
intérieure
de chaque
Etat
d'une
manière
générale
en
soit
directement
ou
indirectement
affectée.
(19) Lebret (Louis-~oseph) : Dynamique Concrète du
Développement.
Editions Ouvrières, 1970, p. 430-431
- 305 -
§2 -
A L'ECHELON DES POLITIQUES INTERIEURES
Pour mieux
faire ressortir
les difficultés
des Etats
Ouest-africains
dans
cette analyse,
nous
choisirons
une
période-échantillon.
Elle s'étendra
des années
d'euphorie
des
indépendances:
1960
à
la deuxiéme
décennie
d'amer
constat
d'enlisement
voire
de
régression
1980.
Les
obstacles que nous
mettrons en relief forment
une synthèse
de
ce
qui
a
pu
être
observé
durant
ces
vingt
ans
d'indépendance au niveau de la sous-région.
Ainsi le premier
critère des difficultés de
ces Etats
aprés les
deux décennies d'indépendance
a été,
à
quelques
exceptions
près,
l'instabilité
du pouvoir.
Les causes
en
sont multiples :
1 0 )
Absence
de
cohésion
nationale
due
à
des
oppositions ethniques,
tribales. Ces oppositions proviennent
la
plupart
du
temps
de
l'héritage
d'une
société
pluriculturelle et
hyper-stratifiée où i l
est pratiquement
impossible de trouver un mythe unificateur.
Difficulté issue
du
morcellement des
ethnies
en
autant d'Etats
qu'il
en
existe en Afrique de l'Ouest.
Un
des exemples de ce type de
dificulté était récemment fourni par le
Ghana où. de 1978 à
1983, éclataient épisodiquement des
guerres ethniques entre
Kokomba et Bamabara puis entre Peki et Tchito en prenant des
proportions
graduelles.
Rappelons,
à
titre
de preuve
du
caractére
pluriculturel
de
ces Etats,
les
239
sociétés
- 306 -
traditionnelles
au
Sud du
Sahara
dénombrées
par Georges
Murdock et les 850 cultures
et particularismes recensés par
Georges
Balandier dans
les
sociétés
négro-africaines.
2 0 ) Le manque d'unité peut provenir du conflit des
générations.
La société
est alors écartelée par
ce conflit
que
se livrent
les
tenants de
la
tradition
et ceux
du
modernisme.
3 0 )
La
désunion
naît
aussi
des
oppositions
politiques et idéologiques d'une
maniére classique d'abord,
puis s'irradie en oppositions
idéologiques au sein d'élites
de même génération.
a)
Les oppositions poli~ique~
__e~
~déolo9iques class~~~_
Classiques, ces dissensions ajoutent un élément nouveau
pour le
cas de
l'Afrique:
c'est la
colorat10n ethn1que,
tribale ou régionaliste qu'elles
prennent,
c'est-a-dire que
l'enjeu ne
se déjoue
pas autour
de la
consistance ou
du
réalisme du programme soc1al de
telle ou telle organisation
politique qui
a nécessité
le Ch01X
d'une idéologie,
mais
autour de
représentants ethn1ques,
reg10naux.
L'exemple le
plus frappant a eté fourn1 par le Congo Leopoldv11le (actuel
Zaire) avant l'arr1vee
des m111ta1res au pOUV01r.
En effet
256
"partis·
politiques
s'y
sont
rudement
affrontés
selon
le journaliste
hilippe Oecraene.
Mais en
réalité
- 307 -
c'étaient les 256 tribus que comprenait cette population qui
se battaient pour la conduite du
"fourgon" du pouvoir et la
cagnotte"
qu'il était
susceptible
de
receler. Ainsi,
si
l'élaboration d'organisations politiques véritables tournées
vers
les intérêts
nationaux,
dont principalement
l'unité
nationale,
s'est bien
des fois avérée tâche
rébarbative et
sans
lendemain
c'est essentiellement
comme
l'avouait
un
observateur,
à
cause
de
fâcheuses
confusions
entre
mouvements
politiques
et
solidarité
ethnique,
dir1geant
national
et chef
tribal,
prolétariat
rural et
clientèle
paysanne.
La
situation devient
encore
plus
inextricable
lorsque
ces
oppositions
se ramifient
en
conflits
entre
élites de même génération.
b) Conflits au sein d'élite~ d~ mê.e
génération
Ces éclatements s'expliquent de diverses façons dont la
plus fréquente
réside dans l'interprétation des
textes,
de
la politique
du même
idéologue de
référence. Ce
défaut a
donné
naissance
au
cours
de
la
seconde
décennie
des
indépendances
à
une
multiplicité
de
formations
intermédiaires
radicaux,
centristes,
modérés,
qu'ils
soient de
droite ou de gauche.
Le résultat de tout
cela a
été l'instabilité institutionnelle,
le blocage et finalement
l'inexécution
des
plans
de
développement.
Le
sous-développement
aura été
un sérieux
cercle vicieux
de
1960 à 1980.
- 308 -
4 0 ) La planification proprement dite aura souffert
de
deux graves
défauts:
son caractère
théorique et
son
contenu souvent inadapté.
a) Caractère théorique
Il n'existait apparemment pas de
plans bien définis et
auxquels on
devait tenir
rigoureusement;
cela parce
que
tout apparaissait prioritaire
â
la fois ou
alors ces plans
n'étaient
pas exécutés
faute de
moyens ou
parce que
mal
étudiés.
Ils ont plutôt souvent été étudiés ailleurs que sur
place.
b) Contenu quelque fois inada~té aux
réalités sociol09ique~
Si certains
plans ne correspondaient pas
aux réalités
sociologiques du
milieu, c'est parce
que vraisemblablement
ils
étaient élaborés
par
mimétisme
â
l'Occident
qui
au
moment
des indépendances
des Etats
africains était,
lui,
très avancé en
matière de développement et
de technologie.
Il pouvait
donc se
permettre certains
luxes.
les
besoins
minima fondamentaux
de ses populations étant
satisfaits et
garantis.
Les Etats nouvellement
indépendants d'Afrique, en
voulant rigoureusement singer leurs
maîtres d'hier,
avaient
sauté une étape
incontournable et délicate:
l'étape de la
rigueur
appropriée
à
la
situation
socio-politique
et
économique
de
jeunes
nations.
Le
véritable
faux-pas
- 309 -
vis-à-vis
des
conditions
du développement
a
été
marqué
précisément ici.
Le bruit aurait couru que l'on ait voulu un
moment
donné instaler
un
métro à
Dakar.
Cette idée
est
louable
en elle-même.
Mais imag1ne-t-on
seulement ce
que
cela aurait
coûté à
un peuple
qui sort
avide de
souffle
après
deux
siècles
de
ponctions
tant
en
hommes
qu'en
matériel
? Aujourd'hui,
les transnports
en
commun
les
"OUAKAM",
ne desservent pas moins impeccab.1ement la ville en
question et
les réparations
d'un bus
ou d'un
véhicule de
transport en commun ne devraient pas tant grever les budgets
que
ne
l'auraient fait
celles
d'un
wagon de
métro.
Le
Cameroun jusqu'aujourd'hui n'a pas encore de télévision. Cet
outil
d'information
et
de
formation
utile
et
même
nécessaire,
peut
sembler
secondaire
au
regard
d'autres
urgences.
Est-ce
pour autant que
le Cameroun n'est
pas un
pays moderne
? Et à
toutes ces entraves
d'ordre politique
s'ajoutent des handicaps d'ordre économique et technologique
ce qui assombrit davantage les perspectives de développement
industriel.
On
a beaucoup
dit
et écrit
à
propos des
problèmes
économiques des pays africains. On a surtout stigmatisé leur
dette
dont le
"total
serait passé
selon
un rapport
des
Nations-Unies pour l'Afrique, de
trois milliards trois cent
millions
de dollars
en
1960 à
huit
milliards sept
cent
-
310 -
millions en
1967"20.
Les explications
qu'on en
donne sont
nombreuses
et
elles
vont
des
démonstrations
les
plus
techniques
de
l'économiste
le
plus
méticuleux
aux
constations les
plus empiriques du
brave homme de
la rue.
Nous allons
pour notre part
tenter d'analyser ce
Que nous
appelons les
déséquilibres apparents et dont
la résorption
nécessite une lutte commune plutôt que des efforts isolés et
vains.
(20) Decraene Phi1ippe : Op. Cit.
p.
127.
Le. même auteur rapporte que l'O.U.A.
affirmait que le
déficit commercial de l'Afrique à
l'égard des autres
continents s'élevait à
11 milliards de dollars
(44
milliards de francs)
soit deux fois plus qu'en 1975.
Op. Cit.
p.
132.
-
311 -
L'economie ouest-africaine apparaît
prise en tenailles
traduisant les deux grands vices qui bloquent sa croissance.
Il s'agit de sa profonde
dépendance vis-à-vis de l'étranger
et du fléau des concussions qui la maculent d'une estampille
humiliante.
Entre les
deux
pôles le
complexe
de ce
que
d'aucuns appellent les
"peccadilles" pourtant rédhibi~oires
à la promotion dudit secteur est indescriptible.
a) La dépendance vis-à-vis de l'étr~~~_~
Elle s'exprime par
1 0 ) La
fragilité de
l'econom~e elle-même.
Cette
fragilité provient
de la mon~-export~~~~n c'est-a-dire
que
les
productions
marchandes
(les
exportations)
ne
sont
orientées
que
vers
un
ou
deux
produits.
Cette
mono-exportation
peut concerner
les
produits agricoles
l'arachide du
Sénégal (2eme
d'Atrique aprés
la République
Sud-Africaine).
En effet
en dehors de la
Côte-d'Ivoire,
du
Nigéria,
celles
du Ghana ayant été
sérieusement perturbées
par les
troubles qui
se sont
succédés jusqu'en
1983,
les
autres Etats n'ont
pour le moment qU'une
seule exportation
bien
indiquée
en
matière
de
cultures
de
rente.
Cette
monotonie est imputable en partie a la sécheresse qui a sévi
voici bientô~ une décennie et
demie.
Il convien~ par contre
de
nuancer
les
assertions
pour
ce
qui
est
de
la
-
312 -
mono-exportation des produits du sous-sol
dans la mesure où
les prospections
n'ont pas
été approfondies
ou simp~ement
sont en cours.
2 0 ) Par ce
qu'on a appelé le
"boum" pétrolier de
1973 qui a
sérieusement secoué les économies
dominantes et
accentué la dépendance des faibles.
30)
Par
ailleurs
la
création
des
monnaies
nationales (Guinée, Mauritanie, Mali qui a réintégré la zone
"franc·
depuis juin
1984,
sans
oublier celles
des
pays
anglophones et lusophones)
a
réduit les chances
d'unité et
de consistance monétaires.
4 0 )
Tous
ces
obstacles
joints
à
la
fameuse
détérioration
des
termes
de
l'échange
engendrent
des
déficits budgétaires énormes et
un endettement chronique dû
au
reéchelonnement
des
dettes
que
les
"pillards"
des
ressources africaines finissent par
transformer en don d'où
un certain mutisme,
si ce n'est un baillonnement voilé. Mais
la responsabilité de l'enlisement voire
de la régression du
secteur
économique
n'est
pas
seulement
extérieure.
Une
certaine habitude que certains agents ont contractée dès que
les Africains étaient appelés à
gérer leur propre avenir,
a
engendré une
certaine faute
incompatible avec
l'esprit de
responsabilité vis-à-vis du bien public :
les concussions.
- 313 -
b) Les concussions
Ce
sont des
malversations,
des
manoeuvres visant
à
s'approprier
illicitement une
partie ou
la totalité
d'un
bien commun ou appartenant a une tierse personne.
L'économie
des jeunes
Etats africains
est constamment
victime de
ce
fléau.
Deux causes sont a l'origine:
1 0 ) Une
"boulimie" du
gain individuel
quels que
soient les moyens qu'on emploiera.
2 0 )
Le
mimétisme
morbide
des
styles
de
vie
étrangers qui nécessitent des fonds considérables.
L'exemple
de ce mimétisme morbide nous a été
donné dans un pays de la
sous-région où
un jeune travailleur
a englouti
toutes ses
économies et de lourds emprunts dans l'achat d'une "Mercédès
280"
au détriment
de
son loyer.
Résultat
: la
luxueuse
"Mercédès 280· sert
a la tois de moyen de
locomotion et de
"villa" malheureusement
peu spacieuse. Toutes
ces entraves
nous
semblent de
loin plus
explicatives
que le
reproche
classique
(valable du
reste) fait
a l'économie
africaine
d'être une économie désarticulée
c'est-a-dire d'intégrer en
son sein le secteur moderne et le secteur traditionnel. Mais
une
économie peut-elle
être
totalement
moderne sans
une
technologie appropriée?
Il semble au contact
des réalités
que dans
ce domaine
aussi, l'Afrique
souffre de
notoires
handicaps.
-
314 -
§2 -
HANDICAPS D'ORDRE TECHNOL08IQUE
Le
domaine technologique
est celui
ou
le retard
de
l'Afrique
de l'Ouest
se révéle
vraisemblablement le
plus
sensible.
Et i l semble que
du f01sonnement des causes qu'on
évoque,
les plus
profondes et les plus
explicatives soient
d'ordre
historique.
Nous
retiendrons
quatre
causes
fondamentales.
1 0 )
La première cause est,
comme souligné plus haut,
la
conséquence du long isolement du
continent tout entier.
Les
techniques mises au point sous
d'autres cieux l'ont atteint
tardivement.
2 0 ) La tragédie
de la traite des
esclaves demeure une
autre
explication valable.
En effet
les éléments
valides
ayant été ponctionnés deux siècles durant,
l'introduction de
toute technique moderne,
si élémentaire fût-elle,
a connu un
sérieux
piétinement. Ce
piétinement est
aggravé par
deux
phénomènes :
a)
L'Afrique et
notamment
l'Afrique de
l'Ouest
(comme nous
le montrerons prochainement)
vidée de
sa sève
dynamique,
i l
a
fallu
attendre
la
montée
d'autres
générations pour les y initier.
Le fossé se creuse donc avec
le temps !
b)
Au moment
venu, cette
immense population
et
cette
fraîche
jeunesse
ont
été
confrontées
à
- 315 -
l'analphatétisme.
Ce
moment
a
aussi
coïncidé
avec
les
indépendances.
La formation des
cadres autochtones a plutôt
été littéraire
et politique
au détriment
de la
formation
scientifique
et
technologique
: d'où
la
3ème
cause
du
handicap.
3 0 )
Le
piétinement des
recherches
scientifiques
et
technologiques.
Plusieurs raisons sont à l'origine de ce piétinement
a)
La simultanéité
des
priorités
fait que
par
rapport à certaines d'entre elles la recherche technologique
apparait un impératif
flexible. Au nombre de
ces priorités
figurent
la famine,
la
stagnation
du secteur
sanitaire,
l'analphabétisme grandissant. Des pays
comme l'Ethiopie.
le
Soudan,
le Mozambique (hors de
notre espace d'étude) feront
de
ces impératifs
les
premières
des priorités
quitte
à
revenir
aux
recherches
technologiques
une
fois
que
le
minimum vital sera garanti ;
b)
Les exigences
financières
des programmes
de
recherches technologiques
sont souvent
excessives et
donc
difficilement supportables
par de jeunes
économies maintes
fois contraintes de réduire des dépenses incompressibles.
c)
Le caractère
emb~yonnaire
de la
technologie
elle-même dans les pays.
La tiédeur
dans la promotion de la
technologie est
incontestable. Le brutal besoin
des cadres
natifs au lendemain des indépendances
a plutôt fait axer la
-
316 -
formation
sur
les
sciences
politiques
et
littéraires,
reléguant
de
ce
fait
-involontairement
peut-être-
les
sciences
appliquées et
la technologie
proprement dite
au
second rang. Cela
étant,
n'ayant ni une
technologie propre
et compétitive,
ni
pu promouvoir celle qui
est introduite,
les
pays
africains
tout
comme la
plupart
des
pays
du
tiers-monde
s'en
sont
réduits
à
importer
du
matériel
technologique (équipeMent)
ce qui
ne fait
que creuser
le
fossé,
faisant du retard technologique un cercle vicieux.
4 0 ) L'importation des biens d'équipement
une solution
souvent peu efficace.
Cette importation est
la démonstration la plus
probante de
ce
que
Myrdal
appelerait
"le
système
de
causation
circulaire-, le fameux
cercle vicieux de la
dépendance. En
effet elle est triplement négative.
a) Elle coûte chère et rien
ne montre que tout le
matériel livré est rigoureusement neuf.
b) Ce matériel
importé, qu'il soit de
l'Ouest ou
de l'Est a
été conçu en fonction des
zones tempérées alors
que
les pays
importateurs
(africains
en l'occurence)
se
trouvent dans
des zones de
haute tropicalité et
de sévère
sécheresse.
Transplanté hors
du climat
et
du terrain
en
fonction desquels i l a été fabriqué,
ce matériel résiste mal
<
à
son
nouveau contexte d'application d'où
son obsolescence
précoce.
- 317 -
c) Comme ces pays ne disposent généralement pas de
cadres
spécialisés
(sinon
ils
sont
expatriés)
dans
ce
domaine,
ils se voient de
nouveau contraints d'importer des
techniciens en la matière, d'où le double coût du technicien
sollicité
et
des
réparations.
C'est
pourquoi
certaines
industries
n'entraînent
pratiquement pas
ou
presque
pas
d'amorce
réelle
de
développement.
C'est
ce
que
les
spécialistes appellent
"absence d'effets induits-.
Tout
malaise
combine
dans
son
évolution
des
causes
ponctuelles
et
des
antécédents
historiques
et
si
le
sous-développement est comparable a un malaise généralisé, la
recherche
causale
ne
saurait
se
limiter
seulement
aux
explications ponctuelles
mais doit réserver une
part assez
large aux antécédents historiques
surtout si cette histoire
a connu
des soubresauts
aussi multiples
et vigoureux
que
ceux de l'histoire extérieure de l'Afrique de l'Ouest.
SECTION III
FACTEURS HISTORIQUES ET MECANISMES ACTUELS
-"-- - - - - _.'--- - - --------_..." -
- 319 -
L'investigation
causale
strictement
historique
du
sous-développement
en
Afrique Occidentale
comprend
comme
initialement annoncé
deux phases importantes :
la première
déjà
évoquée
comportait
un
regard
"scrutateur"
sur
l'histoire intérieure de
la région considérée à
l'effet de
préciser la
responsabilitè des Africains dans
la naissance
de leur propre mal.
La
seconde étape interpelle un deuxième
type
d'histoire:
extérieure
cette
fois mais
considérée
comme
davantage
explicative
parce
que
vue
comme
véritablement responsable du retard
économique et social de
cette
région. Cet~e
his~oire extérieure a fait
l'objet et
continue
de
faire
l'objet
de
vives
polémiques
entre
spécialistes versés
dans la
recherche des
explications du
sous-développe.ent. Si
tous tombent d'accord sur
la lourde
responsabilité de
cette histoire extérieure dans
la genèse
du sous-développement,
l'unanim1té n'est cependant pas fai~e
autour de la précision des
niveaux de responsabilité. Ainsi
pour
Georges
Montaigu,
la
~ontradiction
principale
du
sous-développement "est celle qui réside
dans le bas niveau
de
la
productivité
agricole
et
dans
la
sous-industrialisation, c'est-à-dire
celle qui
réside dans
le développement insuffisant des forces productives"21.
(21)
Montaigu Georges:
Les causes profondes du sous~
développe.ent.
Etudes guinéennes~ ~anvier-mars 1961
p.
10.
- 320 -
Pour Sa.ir
A.in la
situation
actuelle
de
l'Afrique
s'explique par
son statut de "partenaire
périphérique" par
rapport
à
un
bloc
central
que
constituent
les
pays
occidentaux dont
les rapports avec
les Etats
africains ne
sont pas honnêtes et égalitaires économiquement2 2 .
Et
selon Pierre '-'aIée cette
inégalité a
pour nom
la
détérioration
des
termes
de
l'échange
qui
masque
un
"pillage" massif
des ressources des économies
faibles.
Aux
multiples
"faciès" ,
ce
pillage se
dissimule derrière
des
dénominations à
connotation humanitaire
aide, assistance
technique, dons,
prêts préférentiels etc . . . 23.
Autant
d'analyses qui
traduisent indubitablement
des
options idéologiques et des
prises de positions politiques.
Mais
quelles que
soient
ces
explications "nouvelles"
du
phénomène
sous-développement
un
regard
rétrospectif
est
indispensable
sur cette
histoire extérieure
aux fins
d'y
déterminer la part de responsabilité de celle-ci.
Pour cela,
i l
convient
de la
considérer
d'un
point de
vue
global
d'abord
pour
isoler le
cas
de
l'Afrique de
l'Ouest
en
particulier ensuite.
(22) A.in Sa.ir :
L'accumulation du capit~I à l'échelle
mondiale.
Editions Anthropos,
1970.
(23) '-'aIée Pierre:
Le pillage du Tiers-Mo~de~. Maspéro, 1966
-
321 -
AI - D'UN POINT DE VUE GLOBAL DE L'HISTOIRE
EXTERIEURE AFRICAINE
L'Afrique a
connu une
histoire mouvementée
parce que
riche
en
événements.
Il devient
dès
lors
difficile
de
traiter d'un de
ces événements sans considérer
le contexte
global. Ainsi
s ' i l est vrai
que le
sous-développement est
contemporain de
l'industrialisation de
l'Europe,
s ' i l
est
vrai aussi
que l'histoire
a été
le facteur
vèritablement
déterminant
du
retard
du continent
noir,
deux
méthodes
d'investigation
des
causes
ou
de
vérification
de
ces
assertions nous
sont alors
offertes
considérer dans
un
premier temps
le découpage
macro-régional du
continent et
dans
un
deuxième
temps
une
certaine
périadisation
de
l'histoire
continentale.
Les
historiens
interprètent
diversement
ce
découpage macro-régional.
Ainsi
pour
des
auteurs comme Sa.ir
A.in dont la démarche théorique
et les
affirmations
paraissent
davantage
coller
aux
faits,
l'Afrique a été découpée en trois macro-régions importantes.
10) L'Afrique de
l'économie de
t r a i t e : Comprend
l'ex. A.O.F.
et allant du Togo a la Guinée-Bissau en passant
par la
Sierra Leone,
la Gambie
et le Liberia
en empiétant
sur le Tchad,
le Cameroun et le Soudan.
20) L'Afrique des compagnies concessionnaires
est formèe par le bloc constitué par le bassin conventionnel
du
Congo.
Elle
va
du
Congo-Kinshasa
a
la
République
Centraficaine par le Gabon.
-
322 -
3 0 ) L'ensemble oriental
et austral
forme l'Afri-
que des réserves:
i l s'étend du Kenya a l'Afrique du Sud en
englobant l'Ouganda,
la Tanzanie,
le
Rwanda,
le Burundi,
la
Zambie,
le Malawi,
le Mozambique,
le Zimbaboué,
le Botswana
et
le
Lesotho.
Quelle
est
l'opportunité
de
cette
rétrospective ? Celle-ci permet de déterminer de façon aussi
nette et objective que possible la part de responsabilité de
cette
histoire
extérieure
dans
la
pauvreté
quasi-irréversible de
certaines régions.
Après la
saignée
humaine,
le
Waalo (Nord du
Sénégal) par exemple,
se verra
contraint de fournir des produits
agricoles: coton,
tabac,
canne à sucre.
A
propos de
la périodisation,
les divergences
subsistent
aussi. Tandis que Sa.ir ~in24 la
répartit en quatre coupes
principales, d'autres
la découpent en trois
tranches25.
Il
est souvent
émis la réflexion
qU'à une certaine
époque de
leur évolution,
l'Afrique et l'Europe seraient au même stade
de
développement.
Pour
vérifi~r
la
véracité
de
cette
assertion
et réfléchir
aux
perspectives
qui sont
encore
offertes a
l'Afrique d'émerger
du fossé
ou du
retard que
l'histoire a occasionné,
force est de prendre cette histoire
africaine dans
ses aspects les
plus importants
depuis ses
(24) ~in Sa.ir :
Impérialisme et sous-développement en
Afrique.
Anthropos,
1976.
(25)
Revue "Auctores
Varii" colonisation,
décolonisation,
sous-développement,
initiation aux problèmes d'outre-
mer. Chronique Sociale de France.
1959.
- 323 -
origines jusqu'à l'intégration au système capitaliste par la
colonisation interposée afin
de mieux cerner la
région qui
nous préoccupe
ainsi
10)
Des
origines jusqu'au XVIIè
siècle l'Afrique
était
dans
la
période
dite
"prémercantiliste"
essentiellement caractérisée par ses
contacts avec le reste
du monde26.
2 0 ) Du XVIIè siècle à 1800 : c'est la période dite
"mercantiliste-. Sa particularité est la traite des esclaves
et le début d'une profonde désintégration sociale.
30)
La
troisième
tranche
s'étend
de
1800
à
1880-1890 et se distingue par
la forme industrielle achevée
que prend
le capitalisme.
Sur le
plan politique
c'est la
balkanisation du continent noir par
le congrès de Berlin du
11
juillet 1885.
40)
Enfin
la
quatrieme
coupe
celle
de
la
colonisation.
S'étant
substituee
au
mercantilisme,
la
colonisation a consacré la dépendance multiforme actuelle du
continent
émiettè en
une
pluralité d'entités
politiques.
Telles
peuvent
être
brossées
les
grandes
périodes
historiques
et
leurs
traits
soc10-po11t1ques
bien
caractéristiques.
Elles
nous permettent à
présent d'isoler
(26) Sources: Sa.ir A.in : Op. Cit.
: ~ean Sure~-Canale
Op. Cit.
Hubert Deschamps: Op. Cit.
- 324 -
un
cas particulier
: celui de__ l ' Af_r:.A!l~.~
de l~.9.uest;
et
d'analyser le préjudice que celle-ci a subi dans ce complexe
de
faits passés,
préjudice
qui
lui vaut
aujourd:hui
un
retard économique et social plusieurs fois séculaire.
BI - DU POINT DE VUE PARTICULIER
LE CAS DE
L'AFRIQUE DE L'OUEST
L'Afrique de
l'Ouest,
rappelons-le,
appartenait à
la
macro-région
dite
"Afrique
de
l'économie
de
traite"
c'est-à-dire
que
les
produits
locaux,
généralement
des
produits d'exportation
tels que
l'arachide du
Sine-Saloum
(Sénégal Oriental)
le coton du Waalo (Sénégal Septentrional)
du
Burkina Faso
etc. étaient
échangés
contre des
objets
européens
de
peu de
valeur
tels
que des
bouteilles
de
liqueur
(qui furent
les
premiers
maux exportés
par
les
Européens selon René Du.ont). En ce qui concerne précisément
l'Afrique de l'Ouest trois faits,semblent avoir contribué de
manière décisive à
sa déprime économique :
1 0 ) La traite des esclaves
20) L'avènement de la
révolution industrielle,
de
la colonisation et leurs conséquences.
3 0 ) Le "satellisme
capitalistique" aux subtilités
incontrôlables.
En
replaçant
l'Afrique
de
l'Ouest
dans
chacune de
ces grandes
périodes historiques,
nous verrons
vraisemblablement
la
courbe
de
son
déclin
social
et
économique.
-
325 -
§1
-
L' AFRIQUE DE L OUE~LA
1
LA PE-*!.!..Op~ _P1!~_"~_R~~NTIL_..çSTE
--=_
DES ORIGINES AU XVIIè SIECLE.
Cette
période
étant
caractérisée par
le
début
des
contacts
entre l'Afrique
et le
reste
du monde,
contacts
encore difficiles,
le Sahara et
l'océan isolant toujours le
continent,
l'Afrique
de
l'Ouest,
en
fait
d'histoire
extérieure
ne se
particularisait en
rien.
Une
opposition
subsiste
cependant entre
historiens.
Les
uns situent
la
phase
des
grandes
découvertes,
des
occupations
et
des
exploitations aux XVè-XVlle siècles. C'est ce qui ressort de
la chronique
sociale de
France de
1959
tandis que
les
autres,
comme SaMir
Amin,
innocentent
cette
période
et
n'observent du côté du continent
tout entier aucun signe de
faiblesse.
"A cette epoque
écrit Samir AMin,
l'Afrique dans
son ensemble
n'apparaît pas
comme inférieure,
plus faible
que le reste
de l'Ancien Monde considéré
dans son ensemble
également"27.
Op.
Cit.
p.
43.
-
326 -
§2
-
L'AFRIQUE DE L'OUEST A L'EPOQUE MERCANTILISTE
XVIIIè SIECLE A 1800.
Le
mercantilisme est
une
doctrine
économique qui
a
marqué
son
époque
d'empreintes
ineffaçables
parce
que
s'étant appuyée sur une conception
originale des fins de la
société.
Le recentrage
de l'Afrique
de l'Ouest
dans cette
époque nécessite que
le mercantilisme en tant
que doctrine
économique
soit
exposé
dans
ses
grandes
lignes
sa
philosophie d'abord,
les conditions de réussite ensuite.
a) La philosophie de la doctrine
Le mercantilisme
est une doctrlne économique
qui tire
cependant
ses origines
d'une
conception philosophique
de
l'Etat.
En
déclarant
que
"dans
un
gouvernement
bien
organisé,
l'Etat doit être riche
et les citoyens pauvres"28
le
philosophe Nicolas
Machiavel aura
été,
selon Henri
Denis, très
vite
démenti
puisqu'on
notera
à
l'époque
suivante
un
enrichissement
parallèle
de
la
bourgeoisie
marchande
et
l'accroissement
de la
puissance
des
Etats
européens.
C'est alors
qu'en opposition à
la
conception de
Machiavel cette thèse fut énoncée:
"L'Etat accroit sa force
en favorisant
l'enrichissement des citoyens".
(28) Nicolas Machiavel : Le Prince cité par Denis Henri
Histoire de la pensée économique.
P.U.F.,
1983,
p.
100.
- 321 -
Est-ce
une théorie
économique
à
vérifier ou
un
souhait
indirectement et
adroitement formulé ? Toujours
est-il que
marchands et
autres hommes
de pouvoir
financier défendent
cette nouvelle
thèse en affichant
un souci de
voir l'Etat
fort,
puissant. Mais
n'y
a-t-il pas
au
fond un
intérêt
dissimulé
derrière ce
souci de
voir
l'Etat prospérer
en
puissance
? Il
semble bien
car, constate Henri
Denis "La
plupart d'entre
eux défendent l'Etat parce
qu'ils estiment
que
la
prospérité
du
commerce
est
étroitement
liée
à
l'expansion de
la puissance
politique du
Souverain et
au
succès de ses campagnes militaires sur terre et sur mer"29.
C'est à ces réflexions que se révèle la véritable essence de
la doctr1ne
mercant1liste
"On
passe de la
concept10n de
l'Etat f1n suprême
de la v1e humaine à
la
conception de la
richesse
valeur
suprême".
Mettons
en
parallèle
ces
réflexions et
les événements historiques et
politiques qui
se
déroulent à
cette époque
en Afrique
et l'on
comprend
immédiatement
les raisons
prorondes de
la pénétrat10n
en
Afrique. La véritable nature de
cette doctrine dévoilée,
i l
reste à
découvrir les conditions
et les moyens
qu'elle se
donne.
(29)
Denis Henri
Op. Cit.
p.
100.
- 328 -
b) Conditions d'accroissement de la richesse
valeur suprême
Si la richesse devient la
valeur suprême,
la référence
essentielle dans
la vie, tout le
monde a donc le
droit de
s'enrichir,
mais tout
le
monde a-t-il
le
pouvoir de
le
faire ? NON ! Semblent
répondre les mercantilistes dont les
grandes figures
en France furent Antoine
de Montchrestien
et
le
"célèbre" Colbert. Prior1té
alors
à
la
classe
marchande
signe avant-coureur du
capitalisme caractérisé
par
une
soif
inextinguible
du
prof1t
réalisable
dans
l'entreprise privée.
Si la richesse
provient du
profit et
que
le profit
se
réalise
par la
vente
de
la masse
de
produits, deux conditions d'accroissement
de cette richesse
sont possibles
10)
L'environnement immédiat
20) Les pays lointains pour écouler ces produits.
Et comme
des entrepreneurs ne
peuvent mener
des campagnes
militaires à titre privé,
il leur
faut
l'appui de l'Etat et
surtout d'un
Etat puissant
!
Finalement
dans la
doctrine
mercantiliste,
les objectifs fondamentaux de l'Etat et de ce
qu'il
faut
bien
appeler
le
capitalisme
marchand
ou
industriel s'inversent
radicalement.
Cela
signifie que
le
développement de l'industrie
qui est pour les
marchands la
finalité
à
atteindre
(en raison
des
profits) devient
le
moyen
pour l'Etat
d'atteindre sa
propre fin
selon Denis
puisque l'Etat
vise l'abondance
des hommes
et des
biens.
- 329 -
Tandis que
cette fin
de l'Etat devient
un moyen
pour les
mercantilistes d'atteindre leur f i n :
l'abondance des hommes
abaisse
le
coût
de
la
main
d'oeuvre
et
augmente
la
production.
C'est
peut-être
ce
qui
explique
la
visée
populationniste des mercantilistes.
Comme
on
le
voit,
les
mercantilistes
se
servent
uniquement de l'Etat.
Ils ne reconnaissent son
utilité que
dans la stricte mesure où l'Etat les protége de sa pU1ssance
souveraine,
en
témoigne
cette
réflexion
de Sir
Sudley
North dans son "Discours sur le commerce":
"aucun pays n'est
jamais devenu
riche par des
interventions de
l'Etat, mais
c'est la paix,
l'industrie et la liberté,
rien d'autre qui
apporte le
commerce et la
richesse".
Replacée dans
un tel
contexte
politique
et
économique,
que
fut
l'Afrique
de
l'Ouest
?
Le
tra1t caractéristique
de
cette époque
pour
l'Afrique de l'Ouest est ce qu'on a appelé la tragédie de la
traite
des esclaves
ou
le drame
de
la saignee
humaine.
Tragédie en raison de son ampleur et de sa durée.
Elle s'est
étendue selon
les historiens de
"Saint-Louis du
Sénégal à
Quélimane
au Mozambique",
rasant
impitoyablement la
côte
atlantique
comme
l'intérieur du
continent.
L'Afrique
de
l'Ouest
dépendant de
la côte
atlantique et
la traite
se
poursuivant
au-delà
de
1800,
fut
la
plus
touchée.
Les
conséquences
immédiates
furent
le
dépeuplement,
la
désorganisation
sociale et
surtout
selon
Montaigu:
"le
recul des forces productives". C'est alors qu'apparurent les
premiers
signes de
faiblesse.
"Et
c'est à
cette
epoque
- 330 -
déclare Sa.ir Amin que remonte le premier recul de l'Afrique
Noire"30.
Economiquement déprimée,
l'Afrique
de l'Ouest l'a
aussi été
moralement car
ne comprenant rien
à
ce
qui lui
arrive ni
a l'intensité
des efforts
qu'on lui
demande de
fournir et
son recul
se généralisera
et s'aggravera
avec
l'avènement
de
la
révolution
industrielle
et
de
la
colonisation proprement dite.
Op. Cit.
p.
44.
- 331 -
§3 -
L'OUEST-AFRICAIN A L'EPOQUE DE LA B~V~~UTIO~
INDUSTRIELLE.
La révolution industrielle est un
nouvel élément de la
dynamique
de
cette
histoire
qui
pése
lourdement
sur
l'Afrique de l'ouest.
Si d'une part elle a atténué le trafic
des
esclaves
d'autre part
elle
a
ouvert
la voie
à
la
véritable exploitation.
Et
l'Afrique Noire ne se
porta pas
mieux avec
l'avènement de la révolution
industrielle qu'au
temps du mercantilisme.
En effet
les besoins de la nouvelle
industrie
se
révèlent
nombreux.
L'Europe
ne
peut
les
satisfaire tous et immédiatement.
C'est alors que l'Afrique
pour
la deuxième
fois et
notamment
l'Afrique de
l'Ouest
(l'Afrique de
l'économie de traite)
doit pourvoir
bon gré
mal gré
aux exigences de
l'industrie naissante
matières
premières,
produits
agricoles. Les
régions favorables
aux
cultures
d'exportation
ont
été
impitoyablement
surexploitées : signalons le Waalo pour
le coton,
la canne
à
sucre,
le tabac;
le Sénégal Oriental pour l'arachide
la
région Ouest du
Burkina Faso pour la même
légumineuse
le
cacao,
le
café de
la Côte
d'Ivoire,
du
Ghana;
la gomme
arabique du
Soninké (Sénégal
Oriental) pour
ne citer
que
cela.
Le
drame
s'amplifiera
à
la
consécration
de
la
colonisation dont l'acte
officiel a été posé
au congrès de
Berlin en 1885.
La naissance de l'industrie,
ses multiples
besoins,
augmentaient
l'enjeu
politique
au
niveau
des
puissances colonisatrices.
La partition de
l'Afrique était
confirmée et chaque
micro-Etat ressemblait à
une
"sorte de
- 332 -
garenne commerciale où l'on devait recommencer la chasse aux
peaux noires" comme le décrit Kar.l Marx.
De fait
la colonisation se
caractérise par son cortège
de coercitions
: travaux forcés,
lourds impôts à
payer en
espèce, terres confisquées où
l'on pratiquait exclusivement
des
cultures d'exportation
sous la
féru.le du
"commandant
blanc" selon l'expression encore courante en Afrique.
Les
ressources minières
n'étaient
pas épargnées.
La
surexploitation de la
mine d'or de Poura
(Burkina Faso) en
est une illustration;
tout
cela au rythme d'une coercition
graduelle. Traite des esclaves,
voyages à visèe mercantile,
colonisation,
étaient
autant
d'activités
qui
devaient
laisser
plus
tard cette
région
économiquement
anéantie,
exsangue.
"Du point de vue de l'Afrique,
affirme Gonidec, la
traite
des esclaves
entrava
le
développement des
forces
productives
et
entraîna
la
~esagrégation des
sociétés
politiques
africaines.
L'effet
premier
de
l'expansion
coloniale fut donc essentiellement
négatif et celle-ci peut
être considérée
comme une des causes
du sous-développement
économique"31.
Sur le
plan social
c'est la
paupérisation
quasi-totale
des
autochtones.
Des
populations
entières
fuirent leur
terroir en
quête de
lieux hospitaliers
et à
(31) Gonidec P.F. Op.
Cit.
p. 48.
- 333 -
l'abri
des brimades.
La
société traditionnelle,
durement
éprouvée,
bouleversée ne se reconnut
plus et les conditions
de pauvreté
dans lesquelles
elle s'est
retrouvée semblent
avoir
consacré
une
fois
pour
toutes
sa
dépendance
actuelle.Les
chances
d'une relève
économique
et
sociale
s'annihilaient inexorablement à l'horizon.
"La colonisation,
reconnaîtra
Paul
Bairoch,
entraîna
l'effondrement
de
quelques sociétés
avancées qui s'étaient maintenues,
et le
XXè siècle s'ouvre
sur une Afrique Noire
pour laquelle les
chances
d'une
industrialisation spontanée
déjà
extrêment
restreintes
auparavant
étaient
réduites
à
néant"32.
Un
espoir
avait
pourtant
lui
à
l'1dée
des
indépendances.
Cependant la superposition des jeunes Etats sur des systèmes
anciens,
l'intrégation
de ces Etats au
système capitaliste
formant
ainsi la
"périphérie",
l'attachement morbide
aux
frontières
héritées
de
la colonisation,
n'ont
pas
pour
autant résolu de manière décisive
le problème crucial de la
pauvreté
aggravé
par
les
dissent10ns
polit1ques,
des
oppositions
idéologiques
et
les
guerres
tribales.
L'exploitation
d'hier par
la
coercition
prend alors
des
formes
mitigées
en
empruntant
la
voie
des
subtilités
politiques et économiques souvent
inaperçues, et cela faute
d'unité,
de concertation courageuse Sud-Sud.
(32) Bairoch Paul
Op. Cit.
p. 134.
- 334 -
§4 -
LES RETOMBEES DES INDEPENDANCES ET LE -SATELLISME-
SOCIO-POLITlQUE ET ECONOMIQUE
Le trait saillant des indépendances africaines est leur
acquisition presque d'un seul trait.
En effet de 1957 à
1960
la plupart
des Etats
Ouest-africains avaient
accédé à
la
souveraineté internationale.
Si les
indépendances ont
mis
fin à des décennies d'humiliations
et de contraintes, elles
étaient et demeurent toujours
menacées par les conséquences
de la
balkanisation: piége consciemment
ou inconsciemment
tendu
par
les maîtres
d'hier
de
fait,
i l
se
révéla
incontestablement
efficace.
En
ef"tet
geographiquement
réduits,
souvent
enclavés
et
aux
ressources
minières
quelquefois
monotones,
politiquement
inexpérimentés,
socialement
désemparés
devant
des
communautés
encore
profondément traditionnelles,
hyperstratifiées
et à
l'unité
plus
que
fragile
arriérés
sur
le
plan
agricole,
économiquement
inconsistants,
~arouchement
attachés
aux
frontières artificielles,
ces Etats se voyaient
obligés de
tendre la main à ceux qu'ils venaient de repousser du revers
de
la
main.
Cette
sollicitation
nouvelle,
instante,
prévisible
et
prévue
par
la
loi
et
la
politique
de
l'émiettement étatique,
ne pouvait et ne peut recevoir qu'un
écho favorable pressant. C'est alors que le "pillage" d'hier
opéré à visage découvert et dans_la coercit10n,
emprunte des
formes mitigées
et subtiles
de coopération,
d'assistance,
d'aide,
de
prêts
constamment
rééchelonnés
qui
se
transforment
finalement
en
dons.
Dons
empoisonnés,
- 335 -
véritable
interdépendance
ou
subt1le
recolonisation
?
Le Généra1 Char1es de Gau11e a tranché
"Nous avons changé
la colonisation
en coopération". Coopération
d'autant plus
inégalitaire
et
suspecte
qu'il le
confirmera
plus
tard
indirectement par
des affirmations fracassantes
"un Etat
n'a pas d'amis,
i l n'a que des intérêts"33.
Ce cycle étant
continu,
ces jeunes Etats deviennent
des
"satellites" de la
métropole
ou
simplement
des
partenaires
politiques
et
économiques
"périphériques".
Du
coup la
vie politique
et
économique de l'Etat
"satellite" s'apparente
plus à une vie
de
"remorque" qu'à
une autonomie
véritable.
Comme on
le
constate,
la contradiction du
sous-développement n'est donc
pas levée.
Deux phénomènes intensifieront le drame.
a) La concurrence des monopoles de production
b)
La détérioration des termes de l'échange.
a)
La concurrence des monopoles de production
Il ne s'agit pas de concurrence de monopoles entre eux,
mais de
manoeuvres tendant à faire
perdre à un Etat,
à
un
groupe
de producteurs
le monopole
d'une
ou de
plusieurs
productions. Cette perte de monopole se fait de deux façons:
soit
par la
baisse irréversible
de la
production par
sa
diversification
soit
par
la
fabrication
des
produits
parallèles.
(33) Cité par Ede. Kodjo
op.
cit.
- 336 -
10)
Perte par diversification
Un exemple précis: celui de
l'hévéa.
Le Brésil en fut
pendant longtemps
le premier
producteur.
Pour
susciter la
concurrence,
les
Anglais
en auraient
"volé"
des
plants
qu'ils ont amenés ensuite en
Asie du Sud-Est.
L'essai s'est
montré concluant
et le Brésil
perdit le monopole
de cette
production.
2 0 ) Perte par fabrication de produits parallèles
Deux exemples
: le
coton est
aujourd'hui concurrencé
par les
fibres synthétiques et
les détersifs
chimiques se
substituent
aux oléagineux
dest1nes à
la fabrication
des
savons et
lessives. S1gnalons aUSS1 que
l'huile d'arachide
est sérieusement concurrencee
par celle du soja
; de telle
sorte
que
les
pays
du
Tiers-Monde
dont
l'Afrique
en
particulier ne disposent
d'aucune voie de sortie
en dehors
de
la
formation
de
grands
ensembles
politiques
et
économiques.
Ceci
est
d'autant
plus
vrai
que
la
détérioration des termes
de l'échange ne paraît
pas rendre
cette voie
"loisible,
indicative,
mais plutôt
impérative,
vitale.
b) La détérioration des termes de l~~ha~
Pour
tenter
de
comprendre la
gravité
du
mécanisme
"détérioration",
i l
nous faut savoir
d'abord ce
qu'est le
- 337 -
phénomène et l'expression "termes
des échanges".
Les termes
d'un échange
sont essentiellement
le rapport
des prix
de
l'exportation et des
prix de l'importation d'un
produit ou
d'un ensemble de
produits. S'il y a
accroissement des prix
d'exportation
par rapport
au prix
d'importation,
il y
a
augmentation des
recettes,
profit,
excédent etc.
On parle
alors d'amélioration
des termes de
l'échange,
dans
le cas
contraire on parle de détérioration des termes de
'échange.
Quelles
raisons peuvent
expliquer les
détériorations
des
termes de
l'échange
d'un produit
ou
d'un groupe
de
produits?
Quatre raisons fondamentales selon
nous peuvent
être à
l'origine.
1 0 ) Le possesseur de l'objet
peut se trouver dans
une
situation
économique
(sociale
et
politique)
très
défavorable
ou dans
une urgence
qui oblige
à
vendre
son
produit prècieux au rabais.
Exemple :
pour
soutenir la
guerre contre
Israël en
1956
l'Egypte ètait amenée à vendre au
rabais et en totalité son
coton,
principal produit d'exportation.
2 0 ) Le cours du produit
en question baisse sur le
marché soit national soit surtout international.
Exemple:
L'uranium du Niger n'a pas,
semblerait-il répondu
entièrement
aux
attentes.
La seule
explication
à
cette
désaffection est qu'en
1982 le cours de
l'uranium a baissé
sur le marché international.
- 338 -
30)
Des
accords
entre
le
possesseur
et
l'acquéreur peuvent être à
l'origine d'une telle situation.
On parle alors
d' "accords préférentiels".
Ce serait
le cas
entre
certains
pays
producteurs
de
cacao
et
leurs
consommateurs attitrés.
4 0 )
Des
contraintes
explicites
directes
ou
implicites
indirectes engendrent
souvent cette
inégalité.
Lorsqu'il s'agit de contraintes explicites directes
(de plus
en plus rares
entre Etats) ce n'est
plus une détérioration
des termes
de l'échange,
mais
une extorsion.
Exemple
: ce
n'est
pas
de
la détérioration
des
termes
de
l'échange
lorsque sous la colonisation,
le
paysan devait vendre toute
son arachide au rabais pour s'acquitter de son impôt dont i l
était
lourdement frappé.
Mais
i l
y a
détérioration
des
termes de
l'échange dans
les contraintes
implicites dites
indirectes : deux exemples : Le Mexique et le Sénégal.
Le mexique est actuellement sous la menace de cessation
de
paiement de
la
part
du
F.M.!.
(Fond
Monétaire
International). C'est-à-dire
que la Banque
Mondiale menace
de couper toute
aide financière et tout prêt
au Mexique si
ce dernier
ne rembourse pas les
dettes dont i l
détient
le
triste record.
Cela étant, tous
les produ1ts que le mexique
va écouler
sur le marché
international dans cet
esprit de
menace,
seront
au rabais.
Et i l
Y a là un
rapport négatif
entre les exportations et les importations. C'est exactement
comme si c'était
la Banque Mondiale qui fixait
le prix des
- 339 -
produits
mexicains
de
telle sorte
qu'ils
puissent
être
rapidement vendus et qu'elle récupère
son dû.
En effet lors
de la
récente catastrophe
(trémblement de
terre) tout
en
compatissant
au deuil
du Mexique,
le
F.M.I.
a
néanmoins
réaffirmé indirectement sa fermeté.
Le deuxième exemple
porte sur un pays
africain et son
produit essentiel d'exportation.
Le Sénégal et son arachide.
Soit
une
entreprise
étrangère,
française
en
l'occurence,
Eloi Lenoble. Elle
achète l'arachide a
un bon
prix
la
transforme
en
un
produit
fini
directement
consommable
: l'huile
d'arachide et
la revend
à un
prix
sélectif au
Sénégal,
c'est-à-dire
à un
prix dont
l'accès
suppose un
certain niveau social
de vie
(Ceci
est surtout
visible
dans l'industrie
de
substitution c'est-a-dire
au
lieu d'être fabriqué
en France puis transporté
au Sénégal,
le produit
est directement fabriqué
sur place a
Dakar par
une filiale mais pour une catégorie sociale précise).
Face à
cette
donnée économique,
sociologique
et politique,
sans
omettre les
frais divers qui peuvent
frapper l'entreprise
Lenoble,
la
situation
de
détérioration
des
termes
de
l'échange existe selon nous pour cinq ra1sons
:
10)
L'arachide est la
seule culture d'exportation
(mono-exportation).
Le
pays est donc
plus ou
moins coincé
dans ce domaine.
20) La
France en
tant qu'ancienne
métropole est
sinon
la
seule
partenaire
extérieure
du
moins
la
- 340 -
privilégiée, statut qui IUl permet
de faire pression sur le
prix de
l'arachide seule culture d'exportation
sérieuse du
pays.
3 0 )
Absence
d'lndustrie
nationale
de
transformation de l'arachlde en
produit fini consommable au
Sénégal d'ou
le coût des importations
de ce produit
ou de
ceux qui en sont dérivés.
4 0 )
Le Sénégal,
pays
"satellite" ou
partenaire
économique
"périphérique"
subit les
repercussions du
bloc
central capltallste par la
fillére d'accords astucieusement
léonins
dont
la
transgression
le
prédisposerait
à
des
dangers graves.
50) Même
si politiquement
i l existe
une égalité
entre les deux Etats,
le
statut d'assisté chronlque pour le
cas
du Sénégal
entraine des
retombées
incommodes sur
le
commerce du pays sattelite tel que cet exemple.
L'exemple du Sénégal ne
signifie aucunement qu'il soit
le
seul
à
subir
le
"satelllsme"
socio-politique
et
économique.
Tous
les
Etats
afrlcains
connaissent
d'une
manière ou d'une autre cette pression.
Ici,
c'est l'arachide
sur le prix
de laquelle on profére du
"chantage",
là c'est
le
cacao ou
le café
dont l'acquéreur
tout puissant
fixe
1
arbitrairement le prix,
allleurs c'est
la canne à sucre,
le
coton
ou
une
ressource
minlére
dont
on
fait
baisser
froidement
le
cours. Ainsi de l'exploitation
coercitive de
- 341 -
l'époque coloniale on
passe au p1l1age subtil
par le biais
des
dédales
politiques
et
économiques,
pillage
auquel
assistent abusés ou complices les pillés.
"Si l'Afrique
doit devenir un
Etat moderne,
i l
lui faudra
une économie de complément d'abord interne entre les grandes
zones
de
production
africaines
ramenées
à
de
grands
ensembles
économiques grâce
a une
refonte des
frontières
plus
respectueuses
de
la
géographie
que
l'arbitraire
découpage
politique
de
la
France"l.
A1nsi
s'exprimait
Ma.adou DIA,
homme
politique du
Sénégal. Quatre
ans plus
tard,
dans un second ouvrage :
l'économie africaine: études
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
et problèmes nouveaux.
i l revient et
insiste sur cette idée
de
formation
de
grands
ensembles
plus
vastes
et
plus
rationnels que les colonies
enfermées dans leurs frontières
arbitraires 2 .
En
1958
dans l'Afrique
Révoltée 3
qu'il
venait
de
publier, Albert TEVOE~RE vole poUr ainsi dire au secours de
Ma.adou
DIA en
essayant
de
montrer
que
les
formations
régionales et sous-régionales
constituent, comme l'affirme
Léopold Sedar
Senghor,
"la
seule réponse
aux redoutables
contradictions de
l'Afrique" qui s'apprêtait à
tourner une
(1)
DIA Ma.adou : Réflexions sur l'économie de l'Afrique.
Présence africaine 1953,
p.49.
(2) DIA Ma.adou : L'économie africain~_:_~~~_~~~ et problè-
mes nouveaux:
P.U.F.
1957.
(3) TEVOEDJRE Albert:
L'Afrique révoltée.
- 342 -
page
de
son
histoire:
les
indépendances
massives
qui
devaient survenir
en 1960.
Le Ghana
(ancienne Gold-Coast)
était déjà indépendant
(1957) et la Guinée
de Sekou Touré
s'apprêtait à
voter "non" au référendum
constitutionnel de
septembre 1958
organisé par
la France
sous le
Général de
Gaulle,
et
donc
devait
accéder
incessamment
à
l'indépendance,
précisément le
2 octobre de la
même année.
Ce
débat
sur
la
formation
de
grands
ensembles
socio-politiques,
économiques
était
donc
doublement
significatif et positif:
1 0 )
Il laissait transparaître
tres clairement que
les hommes politiques africains ont perçu -à juste titre- la
difficulté
maJeure
qui
se
poserait à
eux
une
fois
la
souveraineté
acquise et
par
ricochet
ils étaient
censés
adopter la
solution qui
s'imposera objectivement
d'autant
plus qu'ils en parlaient bien avant la position du problème.
20) Ils
faisaient ainsi preuve
de sagesse
et de
maturité politiques.
L'on pouvait donc
honnêtement nourrir
des espoirs fondés.
Trois
décennies après
les
indépendances,
le
constat
révèle
un échec.
Echec constatable
non
seulement par
la
stagnation voire
la régression économique et
sociale,
mais
surtout
par
la
pérennité du
debat
sur
la
const1tution
d'ensembles géo-politiques
et économiques
supra-nationaux.
Est-ce
à dire
que les
espoirs que
les peuples
africains
- 343 -
nourrissaient
de voir
surgir
enfin
un
jour
ces
grandes
"familles"
socio-politiques et économiques
ont été déçus et
doivent définitivement
s'effondrer?
Pourquoi auraient-ils
été déçus?
Y-a-t-il réellement eu tentative
de formations
supranationales? Voici des questions que notre travail -qui
se
propose en
cette
partie,
d'analyser les
perspectives
d'émergence
de la
"pauvreté"
en
Afrique de
l'Ouest-
ne
saurait contourner.
Il ne peut
les esquiver pour une raison
essentielle :
proposer pour une seconde fois la constitution
d'ensembles socio-politiques et
économiques supra-nationaux
sur la base de la démonstration
des avantages qu'on peut en
tirer alors que des tentatives
dans ce sens auraient échoué
(les Etats-Unis d'Afrique de
l'Ouest de Nkhruma et de Sekou
Touré,
la
Fédération
du
Mali
de Senghor et
de Uodibo
Keita,
l'Union
des
Etats-Africains de Sekou
Touré et
de
Uodibo Keita,
les Etats-Unis
d'Afrique Latine de Barthélémy
Boganda,
les
Etats
associés de Charles
King,
l'Union
des
Etats africains
équatoriaux) suppose que l'on
maîtrise les
motifs
de ces
échecs
successifs
pour éviter
un
éternel
recommencement.
Si
notre analyse
des
échecs
cumulés des
tentatives
antérieures
d'unification
ne
s'arréte
qu'à
i'union
Ghana-Guinée,
à
la Fédération du
Mali,
ainsi
qu'à l'union
Guinée-Mali dite
union des
Etats-Africains,
c'est
que ces
tentatives ne concernent que l'espace
d'étude que nous nous
sommes préalablement circonscrit:
l'Afrique de l'Ouest.
- 3~~ -
Y-a-t-il
eu
tentatlves
de
constitution
d'ensembles
régionaux
en
Afrique
de
l'Ouest?
La
réponse
a
cette
question est sans
conteste l'affirmative.
Si elles
ont été
nombreuses-Union
Guinée-Ghana,
Fédération du
Mali,
Union
Guinée-Mali,
Conseil de
l'Entente,
Sénégambie-,
seuls
le
Conseil de l'Entente (composé du
Burkina Faso,
du Benin,
de
la Côte
d'Ivoire,
du
Niger et
du Togo)
et la
Sénégambie
(devenue subitement effective a la suite de sérieux troubles
survenus en
octobre 1980 et
mehaçant ainsi
directement la
stabilité du Sénégal) fonctionnent aujourd'hui.
Au chapitre de
ces efforts louables de
rapprochement entre
Etats et peuples africains,
i l
faut noter les organisations
telles que
la C.E.A.O.
(Communaute Economique
de l'Afrique
de l'Ouest)
et la
C.E.D. E.A.O.
(Communauté
EconomiQue des
Etats de
l'Afrique de l'Ouest).
Ces communautés ont
vu le
jour,
i l
y a
moins
de
deux decennies.
Ces
différentes
formations
demeurent
d'incontestables preuves
de
volonté
politique,
de la perception des a~antages tous azimuts d'une
union des
forces.
Mais
a un examen
plus attentif
et plus
approfondi,
i l
semble
se
révéler
quelles
sont
les
précédentes tentatives qui se reconstituent de leurs propres
cendres. Même
si la forme
change,
le fond
garde néanmoins
une certaine constante.
La nature des crises dont elles sont
périodiquement secouées risque d'en être une preuve solide.
Ce perpétuel
recommencement sous d1fférentes
faces ne
saurait
être un
phénomène
anodin
mais bien
certainement
l'indice
de
sérieuses
difficultés
sur
lesquelles
cette
- 345 -
volonté
politique
et
ce
désir
de
surmonter
certains
obstacles majeurs achoppent.
Par conséquent,
le dépistage de
ces
obstacles
-par
l'analyse
des
anciennes
alliances
régionales et sous-régionales interposée- contre lesquels la
formation
de
grands
ensembles
politiques
culturels
et
économiques s'est
souvent sabordée
demeure une
précaution
nécessaire.
- 346 -
§5
-
L'UNION GUINEE-GHANA
Si
la Guinée
et le
Ghana ont
attiré l'attention
de
l'opinion internationale
par la
fermeté avec
laquelle ils
ont
renvoyé
leurs
anciens
maîtres
et
accédé
à
la
souveraineté,
ils ont davantage
marqué l'histoire politique
du
continent
africain
par
leur
volonté
de
réunifier
l'Afrique morcelée
en jetant
dès l'aube
des indépendances
les
bases d'un
noyau
d'Etats-Unis
d'Afrique de
l'Ouest.
Seulement
deux
catégories
de
difficultés
saperont
irrémédiablement
ces
jalons et
les
Etats-Unis
d'Afrique
restés jusque-là dans les limbes
risquent plutôt de devenir
un mythe.
Voici l'essentiel des f a i t s :
Le Ghana
et la Guinée,
respectivement
indépendants en
1957 et 1958
ont décidé de donner à l'Afrique
la place qui
devait
lui
revenir dans le
concert des nations.
Aussi,
se
résolurent-ils de
poser les
jalons de
ce qu'on
rêvait de
voir devenir"
les Etats-Unis d'Afrique
de l'Ouest"
PU1S les
Etats-Unis d'Afrique
tout court. Ainsi
dès le
23 novembre
1958,
un mois
après l'indèpendance de la
Guinée,
une union
Guinée-Ghana
fut
prononcée
"Nous
décidons,
la1ssait
entendre le communiqué,
de const1tuer entre nos
deux Etats
le noyau des Etats-Unis de
l'Ouest-africain"4.
Et aux longs
discours
mobilisateurs
se
succèdent
bientôt
des
actes
(4)
Béno~ Yves:
Idéologie des indépendances africaines.
2è édition 1972.
- 347 -
concrets.
Le premier acte décisif
se perçoit a l'article 34
de
la
constitution
guinéenne
qui
prévoit
des
cessions
partielles ou
totales de souveraineté
"en vue
de réaliser
l'unité africaine"5.
Ensuite vient
le pro;et de composition
d'un
hymne,
d'un
drapeau
communs,
d'élaboration
d'une
constitution
également
commune et
d'une
coordination
de
politique économique, selon les
témoins.
Enfin le véritable
acte concret
se dénote
dans le
fait que
les ambassadeurs
accrédités auprès des Etats
respectifs pouvaient dorénavant
assister
aux
conseils
des
ministres,
leur
statut
de
diplomates
étant
ainsi
changé
en
celui
de
ministres
délégués. Ce noyau connut une profonde harmonie,
des moments
fastes précisément de novembre 1958
a avril 1959. Le moment
était donc
bien indiqué de procéder
a son extension.
A la
suite d'un
déplacement
qu'effectua
Nkhru.a
le président
ghanéen,
une nouvelle déclaration
fixait indicativement les
conditions d'élargissement
et du
renforcement du
noyau. A
l'avenir cette
union comprendra·
"les ~tats
ou Fédérations
qui conserveront leur individualité et leurs structures mais
qui
décideront en
commun des
abandons
de souveraineté
à
faire à l'union"6.
(5) Bénot Yves
op. cit.
(6) Bénot Yves
op. cit.
- 348 -
Nous sommes en mai 1959. Jusque-là,
l'entente se montre
cordiale,
l'euphorie inextlnguible et lrrésistible parce que
l'avenir s'annonce radieux
: effet de mirage
ou exubérance
trop tôt affichée d'une victoire
non encore confirmée? Nul
ne le sait.
TouJours est-il
que les evenements ne tarderont
pas
à prendre
une
autre tournure.
Oe
tait,
au tl1
des
conférences et des réunions,
des
dlfficultés naissent et le
fer de lance de l'unité sous-régionale et continentale va se
briser
contre
deux
types
d'obstacles
majeurs
du
reste
prévisibles
:
A)
Des obstacles d'ordre intérieur
B) Une politique de sape commanditée
AI -
DES OBSTACLES D'ORDRE INTERIEUR
A
l'absence de
structures juridiques
et au
problème
strictement
linguistique signal~s
quelque peu
évasivement
par Philippe Descraene,
i l faut ajouter des visions du monde
presque
diamétralement
opposées
et
une
difficulté
de
distance entre les deux Etats.
10)
Absence de structures-iu~i~_~que~
Tandis qu'Yves
Bénot parle
de constitution
guinéenne
qui prévoit
des dispositions "juridiques"
à
l'extension du
noyau,
Phiiippe
Oecraene nie
l'existence
de
structures
juridiques,
et
explique
en
partie
par
cette
erreur,
- 349 -
l'effondrement de la future unité africaine.
Y-aurait-l1 la,
une contradiction entre les deux témoins ?
Une contradiction
se
fait
en
effet
sentir
car
parler
de
dispositions
constitutionnelles
relatives
a
une
entreprise
et
nier
l'existence de
structures jurldiQues sous le
même rapport,
pourrait
être
difficilement
acceptable.
Si
cette
contradiction
existe,
i l
faut
lUl
reconnaître un
aspect
apparent selon nous
parce que résultant d'un
quiproquo.
La
Guinée
et
le
Ghana
sont
dotés
comme
i l
se
doit
de
constitutions, mais l'union Guinée-Ghana,
en tant qu'entité
autonome,
résultat de
la fusion des deux
Etats,
ne dispose
pas de
structures juridiques comme
i l se
devait.
Pourquoi
cette
absence
de
structures
juridiques
?
Si Philippe
Decraene a
tôt fait de signaler ce grand handicap,
i l aurait
davantage
éclairci la
difficulté
en
donnant
les
causes.
Cette absence de structures juridiques s'explique selon nous
a
la
fois
par
la
précipltation
des
événements
et
l'incompréhension encore grande alors
entre francophones et
anglophones.
En effet le
23 novembre
195H,
date
de lb
proclamation
de l'union,
la Guinée
n'avalt exactement
que 51
jours de
souveraineté.
Ce
laps
de
temps
était
manifestement
insuffisant
pour
"mettre réellement de
l'ordre chez soi"
et
en même temps
élaborer une politlque extérieure
capable de
prévoir
des embûches
dans une
entreprise politique
aussi
gigantesque
qu'une
fusion
d'Etats.
L'article
34
de
la
constitution guinéenne prévoit des
cessions de souveraineté
- 350 -
à faire à l'union:
preuve
qu'on y a préalablement pensé et
si l'élaboration de cette union
a initialement fait
l'objet
de concertation
bilatérale,
l'argument de
la précipitation
s'éffondre nous objectera-t-on!
Admettons que les choses se soient passées de cette manière,
i l n'empêche nullement que la
solidité de l'objection reste
à
prouver.
En
effet
cette
objection
est
visiblement
influencée dans
sa formulation par
les conférences
qui se
sont tenues avant ou aprés les indépendances ici ou là.
Il Y
a
lieu
de signaler,
en
réponse
à
l'ob;ection,
que
ces
conférences qui se sont tenues,
se sont déroulées sous deux
cachets et en deux temps.
D'abord celle qui s'est déroulée à
Accra
en
1957
sous
les
auspices
du
président
ghanéen
Nkhru.a était
une
conférence
dite
"de
pays
africains
indépendants". Or,
à cette date.
la Guinée ployait toujours
sous le
joug colonial
et ne
pouvait donc
pas y
assister
logiquement
et
même
si
elle
y
part1cipait.
c'était
strictement à
titre d'observateur.
Ensuite, celles
qui se
sont succédées, ont eu lieu
en 1~60, date des 1ndépendances
à
la
file.
Or,
c'est
précisément
en décembre
1960
que
l'union Guinée-Ghana
s'est dissoute.
Nous ne
pouvons donc
conclure,
du
moins provisoirement que la
précipitation est
l'explication
plausible
de
cette
absence
de
structures
juridiques,
aggravée
par d'autres
barrières
encore
plus
importantes
- 351 -
20) Barrières lin9uisti~u~s
Au moment de la
tentative de fusion,
l'incompréhension
entre francophones et anglophones
était encore très grande.
L'on
peut
honnêtement
se
demander
comment
i l
eût
été
possible
d'élaborer
une
constitution
commune
viable,
composer
un hymne
commun,
véhicule
des
réalités pour
le
moins encore
très différentes
et travailler
ensemble sans
une
communauté d'outil
aussi
essentiel
que la
langue
?
Ajoutons à cela,
l'éloignement géographique qui poserait une
difficulté
majeure
au
fonctionnement
harmonieux
des
services.
Fallait-il mettre
tous les
services
à
Accra
(capitale du
Ghana)
la Guinée s'en
trouverait mortellement
privée ! ou à Conakry (capitale de
la Guinée) ? Le Ghana en
souffrirait.
Fallait-il se répartir les ministères? Certes,
mais
les
difficultés
augmenteraient
de
coefficient.
Exemple:
mettons le Ministère
de l'Education à Conakry.
On
peut
imaginer
tout ce
qui
peut
se passer
dans
l'autre
capitale Accra en dehors des difficultés d'ordre pédagogique
tels
le
choix
et l'élaboration
des
programmes.
Mettons
encore le Ministère
de la Fonction Publique,
du Travail et
des Lois
Sociales à
Accra et imaginons
un instant
ce qui
pourrait arriver à Conakry en dépit des nombreux offices qui
pourraient
acheminer
les affaires
courantes.
Ce
projet,
malgré la noblesse de ses
intentions,
pouvait apparaître de
ce point de vue comme initialement miné donc
"mort-né". Mais
la langue n'est qu'un aspect
d'une difficulté plus profonde
- 352 -
30) Des différence~sofo~des entre les deux
cultures
Nous
faisons
éclater cette
difficulté
en
barrières
linguistiques
et en
différences culturelles
parce que
la
langue,
bien qu'aspect important
de toute culture (véhicule
de
toute
culture)
peut
être
considérée
ici
comme
une
difficulté conjoncturelle
; et si
la survie de
l'union ne
dépendait
strictement que
d'elle,
ce
serait un
obstacle
vaincu.
La preuve
en
est
que les
ambassadeurs,
devenus
ministres délégués
assistaient aux conseils
des ministres.
Ce
que nous
appelons barrières
culturelles résultant
des
différences profondes
des philosophies
et conceptions,
ne
sont pas
elles,
des obstacles
conjoncturels et
ne peuvent
donc pas être
aussi facilement résolues car
elles touchent
une vaste gamme de domaines.
Les
deux Etats ayant épousé la
culture
de leurs
anciens
maîtres,
ont
par
ce fait
même
épousé leur
philosophie,
leur
psychologie,
leurs
réflexes
respectifs.
Ils
ne pouvaient
pas se
trouver au
moment du
déchaînement de
ce grand
zèle unificateur,
exactement sur
les
mêmes
longueurs
d'onde
en
matière
de
philosophie,
d'expérience
etc.
Mais
est-ce
pour
autant
qu'il
faut
systématiquement exclure des causes
de l'échec,
l'hypothèse
de la mise en avant d'intérêts particuliers? L'analyse nous
le
dira
tout
comme
elle a
mlS
en
cause
l'action
des
anciennes
puissances
coloniales
dans
l'écroulement
des
fondations de la "tour de Babel" africaine.
- 353 -
BI
-
DES MENEES DE SAPE COMMANDITEES
- " - - - - - - - - - - - - - - _._"-"- -
-_.- -
Par
"menées de sape commanditees"
11 faut
entendre les
obstacles
d'ordre
extérieur,
c'est-a-dire
.l'action
entravante
ou
inhibitrice
des
anciennes
puissances
coloniales hostiles à cette
entreprise d'unification. Cette
hostilité se manifeste
de deux façons:
la manière directe
et indirecte.
10) L'opposition directe
Elle
va de
la réserve,
voire
du mécontentement
mal
dissimulé
à
des
inslnuations
désobligeantes
et
même
outrageantes.
La
Grande Bretagne fut
en effet
la première
des deux puissances
concernées a
lancer des
brûlots contre
l'initiative
d'unification
dans un
style
mêlant
lronie,
colère et inquiétudes :
"l' oplnion britannique,
même si elle
est encline à
faire les plus expresses
réserves,
ne désire
pas
condamner
a
priori
la
première
tentative
indigène
d'organisation de
l'Afrique,
même
si l'opinion
française,
pour des
raisons qui
sont apparemment
aussi bonnes
à
ses
yeux,
voit
avec quelque mefiance
une telle
initiative.
En
fait,
i l
est
beaucoup
plus
lnquiétant
pour
l'opinion
britannique
de voir
M. Sékou
Touré
signer un
important
accord commercial avec
l'Allemagne de l'Est que
de voir se
rapprocher d'un autre Etat africaln
dont les relations avec
l'occident sont aussi bonnes que possibles"7.
(7) Déclaration faite au journal Le ~~~~e du 26 novembre
1958 par l'ambassadeur de Grande Bretagne à
Paris et
rapportée par Yves Bénot.
- 354 -
Si
l'euphorie
de
la souveraineté
retrouvée
et
les
préoccupations
d'un
projet
excitant
neutralisaient
la
superbe,
voire
le dédain
dont la
Grande Bretagne
faisait
montre,
i l
ne
fallait
jamais
considerer
comme
simples
menaces
verbales,
l'inquiétude
qu'elle
exprimait
et
à
laquelle elle conviait subtilement la
France.
Les propos du
diplomate
britannique,
au-delà
d'un
certain
dédain
mal
dissimulé constituent
un appel lancé
à la France
pour une
action concertée.
La France, soucieuse sans doute de fournir
éventuellement des
preuves à toute déclaration,
ne réagira
que
le
5
mai
1959 par
un
titre
bien
significat1f
de
l'éditorial du même journal le "Monde"
"Rêves panafricains
et réalités"
au moment où
justement l'union rencontrait ses
premières difficultés.
Jusque-là (et i l
est important de le
souligner
fortement)
la
première
et
grave
erreur
des
promoteurs
de l'unité
ouest-africaine
est
de croire
que
l'ancienne
puissance coloniale
congédiee quelquefois
avec
brutalité
et
"désinvolture"
resterait
inoffensive
ou
inactive
et donc
facilement
"écartable"
de tous
projets
d'unification
quels
qu'ils soient.
Amilcar
Cabral,
lui,
l'aura compris quelques
années plus tard
"il
ne faut pas
oublier,
déclarera-t-il en 1962, qu'aucun
de nos ennemis ne
fut
réellement
et
totalement
vaincu
et
chassé
de
l'Afrique"5.
(8) Cabral Amilcar in Partisans,_
n 0 7 novembre-décembre
1962 p.
84-85.
- 355 -
Et
de
ce fait,
si
cette
ancienne puissance
ne
pouvait
saboter directement l'oeuvre entreprise,
elle passerait par
des détours pour contribuer à l'échec du projet.
2 0 ) Les manoeuvres i~~i~~ct~s
Deux
faits
"justifiaient"
aux
yeux
des
anciennes
puissances
colonisatrices cette
volonté de
saper par
des
manoeuvres indirectes le noyau d'unité en formation
10) En cette fin de 1959,
l'allure indépendantiste
des multiples
revendications des colonies préfigure
la fin
de
la
communauté
gaulliste
en
Afrique
Noire
d'où
les
nombreuses interrogations
et tracasseries quant
au devenir
de la métropole.
2 0 )
Surtout le
rapprochement
des deux
colonies
récemment indépendantes
avec les
pays de
l'est représente
une
sérieuse
menace
pour
les
puissances
occidentales.
Laisser toute liberté d'initiative et d'influence à ces deux
Etats
indépendants, c'est
faire courir
à
l'occident
tout
entier un véritable risque.
Il s'agit donc là de deux enjeux
graves
qui ne
laisseront pas
les puissances
occidentales
inactives
ou
indifférentes.
Très
discrètement,
elles
méneront un
travail de sape
l~tent à plusieurs
niveaux et
c'est principalement
à deux
occasions que
l'on découvrira
ces menées qualifiées "d'inamicales"
- 356 -
a) à la conférence de Sanniquelie et
b)
lors du drame hallucinant de la ~uerre civile
au Congo.
a) La conférence de Sanniquelie
En
effet le
19 juillet
1959,
lors d'une
conférence
tenue
à
Sanniquelie
au Libéria,
une
déclaration
devait
répondre comme en
écho à celle du
Président Ghanéen
Kwa_é
Nhru.a
du 1er mai 1959 fixant indicativement les conditions
d'élargissement de
l'union.
La fameuse déclaration
dite de
Sanniquelie
proposait de
substituer à
l'actuel noyau
des
Etats-Unis d'Afrique de l'Ouest
"une communauté d'Etats qui
accepteraient
de
ne
pas
s'ingérer
dans
les
affaires
intérieures des autres".
Comme on peut le remarquer,
c'est une position manifestement
aux
antipodes
de
l'union
qui
préconisait
des
cessions
partielles
ou globales
de
souverainetés
pour sa
survie.
C'était
le
premier
coup
sérieux
assené
à
ce
noyau
d'Etats-Unis d~Afrique. Mais d'où pouvait venir cette idée?
Qui
en
était
au
fond
l'auteur
?
Et
que
visait-on
objectivement, car
prise telle quelle,
elle ne
prône rien
d'autre qu'un
bon voisinage
des Etats
indépendants tandis
que le projet poursuivi jusque-là
se veut plus politique et
plus dynamique ?
Parmi
les
témoins
proches
ou
lointains
des
faits,
seul Philippe Decraene a
désigné nommément
l'auteur de
ce
projet
: Charles
King, alors
délégué
du
Libéria
aux
- 357 -
Nations-Unies.
Il
proposait ainsi
la formation
des E.A.A.
(Etats
Associés
d'Afrique)
reposant
sur
une
"convention
d ' amitié" .
En
quoi ce
projet a-t-il
"peché"
?
En deux
points
selon nous
:
1 0 )
En mettant l'accent sur
la préservation de la
personnalité territoriale.
2 0 )
En
insistant
sur
la
sauvegarde
de
la
souveraineté nationale.
En effet en protégeant
ces deux points
"névralgiques".
le projet de Charles
King combat ipso facto le
principe de
cession même partielle de souveraineté à faire.
condition de
survie
et d'élargissement
du
projet d'union
Guinée-Ghana
(Etats-Unis d'Afrique
!). Ces deux
points ont
inspiré aux
zélateurs
de
la
formation des
Etats-Unis
d'Afrique,
le
qualificatif
de
"version
plus souple
mais
résultant
de
manoeuvres
américaines
du
projet
ghanéen
de
formation
d'Etats-Unis
d'Afrique".
Du coup,
l'association
proposée
par Charles King fut
accusée de
vouloir par
son amb1guité
servir ultérieurement les intérêts des grandes puissances au
détriment
d'une
coalition
africaine.
Vérité
ou
simple
accusation
?
Il
semblerait qu~
la
délégation
guinéenne
présente
à
la
fameuse conférence
de
Sannequelie se
soit
vivement émue de la profondeur
de la pénétration américaine
au
Libéria. Ce
projet
d'Etats-Unis d'Afrique.
générateur
- 358 -
d'espoir,
venait de
prendre un sérieux coup
dans la mesure
où son extension se voyait
désormais bloquée par un conflit
d'intérêts ourdi
de l'extérieur, mais
c'est dans
le drame
congolais que
ce projet
se dissoudra
irrémédiablement,
au
grand
dam
des
grands
espoirs
nourris
par
les
peuples
africains.
b) La guerre civile du Congo et
l'effpndrement des
bases des Etats-Unis d'Afrique
La guerre civile du Congo
d'une violence rare est l'un
des drames les
plus marquants parmi ceux qui
ont secoué le
continent
africain.
Né
des
multiples
contradictions
internes,
cet affrontement
fratricide
a
débouché sur
le
partage en deux du pays : le Congo-Brazzaville et le Zaïre
Il
serait
inopportun
de
s'enliser
dans
les
détails
signalons toutefois que l'événement fut
un double écueil:
1 0 ) en ce sens qu'il a
débouché sur le partage en
deux entités rivales d'un même peuple.
2 0 ) Et
parce qu'il
a été
le véritable
obstacle
contre lequel le fer de lance de l'unité africaine à quelque
niveau
que
celle-ci
pouvait
se
manifester,
s'est
irrémédiablement brisé
et ce
sous les
manoeuvres subtiles
des
puissances
"effarouchée.s"
par
les
tentatives
d'unification de
l'Afrique morcelée.
C'est ce
second point
qui nous retiendra particulièrement l'attention.
- 359 -
Lors des événements,
"l'unité de l'Afrique",
à tous les
niveaux où elle pouvait se manifester,
a été éprouvée par un
problème d'apparence
très simple
: un choix
à faire
Et
c'est
là
que
se révèlèrent
les
intentions
personnelles
jusque-là latentes,
les connivences voilées,
les hésitations
coupables,
et finalement
la
fragilité de
l'échaffaudage.
Cinq
fractions rivales
étaient
aux
prises et
donc
cinq
idéologies
différentes
selon
les
historiens.
Il
y
avait Lu.u.ba, Kasavubu,
Iléo, Uobu~u et Gizenga. De l'autre
côté, quatorze gouvernements africains avaient à
juste titre
accouru pour sauver le Congo du désastre.
S'il était question
de choisir entre les
forces nationales
congolaises et
les troupes de
l'armée coloniale
belge,
le
problème ne se serait certainement pas posé surtout en cette
année 1960 caractérisée par les indépendances massives. Mais
dès qu'il fallait
se prononcer sur cinq
fractions internes
avec
chacune son
idéologie et
sa
politique d'attirer
la
sympathie
et le
soutien
de tel
ou
tel gouvernement,
le
problème
de
choix
se
pose
en
termes
mathématiques
de
.
"factoriels" d'idéologies et de choix. Cela revient à ceci:
choisir entre Lumumba et Kasavubu,
Lumumba et Iléo, Kasavubu
et Gizenga,
Kasavubu et
Iléo, Gizenga
et Mobutu
etc.
Les
mathématiques ont
en effet
mis au
point une
formule pour
dénombrer les combinaisons possibles dans de tels cas. C'est
la
formule
probabiliste
des factor~~l~ et
dans
le
cas
échéant c'est
"5 !"
(factoriel 5). Ce qui revient à ceci
5 x 4 x 3 x 2 x 1
120
choix possibles
Ce difficile choix qu'ont laissé percevoir
- 360 -
les
Africains,
constitue
une
brèche
dont les
puissances
extérieures
hostiles
à
l'entreprise
d'unification
vont
profiter
brèche dans la mesure
où la multitude
de choix
engendre
la
diversion.
Ce
sera
le second
niveau
d'intervention des
puissances
étrangères
dans
cette
politique de sape du projet
d'unification. Quelles sont ces
puissances? Cette fois,
ce n'est
ni la Grande Bretagne,
ni
la France,
ni
même la Belgique directement
concernée, mais
une fois encore
les Etats-Unis d'Amérique par
les "casques
bleus" de
l'O.N.U.
interposés.
Pourquoi cette
immixtion?
Une explication parmi tant d'autres:
En effet
l'enjeu qui
se jouait
était de
taille.
Les
Etats
africains
qui
accédaient
à
l'indépendance
manifestaient
la ferme
volonté -du
moins apparemment-
de
former un
bloc.
Et les
anciennes puissances
coloniales en
éprouvaient une double appréhension.
10) Si les Etats africains réussissent à former ce
bloc, ce sera une puissance avec laquelle i l faudra composer
et surtout négocier.
Il n'y
aura plus de diktats politiques
ni
d'impositions
économiques.
Les
anciennes
puissances
tant sur
le plan
pourraient donc
se "trouver
à
l'étroit"
politique,
économique que commercial.
20) Dans
l'hypothèse d'un échec
de regroupement,
un
autre
danger surgit
et
l'inquiétude
est loin
de
se
dissiper:
c'est le
revirement possible
de ces
anciennes
- 361 -
colonies occidentales dans le camp
de l'Est.
La déclaration
intempestive
de l'ambassadeur
de
Londres
à
Paris
le
26
novembre
1958 en
est une
preuve.
De fait,
le noyau
des
Etats-Unis
d'Afrique,
avait
manifestement
affiché
une
propension à
la coopération
avec l'EST.
Lumumba à
qui ce
noyau
d'Etats-Unis
d'Afrique
avait
envoyé
dès
le
déclenchement
des
événements,
des
unités
armées,
était
considéré comme un élément important
du bloc de l'Est parce
que
défendant
des
idées
progressistes
et
prenant
des
positions tranchées.
Son triomphe
sous l'appui
logistique
des
unités armées
du noyau
d'Etats-Unis d'Afrique
aurait
incontestablement été une
victoire du bloc de
l'Est sur le
bloc
occidental
qui
serait
agacé
de
voir
ses
futurs
collaborateurs
indispensables basculer
dans l'autre
camp.
Derrière un drame fratricide regrettable,
se menait en fait
une guerre de blocs historiquement opposés.
LES NIVEAUX DE MANOEUVRES DU COUPLE O.N.U.-ETATS-UNIS
D'AMERIQUE.
C'est pratiquement
à
tous
les niveaux
que s'exerçait
l'influence
de
l'organisation internationale
qui
parfois
sous l'étiquette
de neutralisme joue
en sourdine
la carte
des
Etats-Unis d'Amérique.
Cette
influence,
pour ce
qui
concerne le
cas échéant
était particulièrement
sensible à
deux niveaux
: militaire et diplomatique.
- 362 -
a) Au niveau militaire.
Les témoins
de ce
drame mentionnent
que les
troupes
guinéennes envoyées au Kasaï
(Sud
du Congo) devaient rester
un moment
à
l'entière disposition
de Patrice
Lumumba. Ces
mêmes historiens soulignent que cette idée ne fit guère long
chemin puisqu'il n'en fut absolument
rien.
Pire, que toutes
les troupes envoyées de part et d'autre des Etats africains,
obtempéraient au commandement
des Casques Bleus, ce
qui en
fait
était
une
bonne
tactique si
cela
ne
cachait
pas
d'autres intentions dans la mesure
où ce ralliement sous un
seul
commandement permettait
de
limiter
les dégats,
les
pertes
humaines.
Malheureusement
le
triomphe d'une
seule
fraction
malgré la
surveillance
des
troupes de
l'O.N.U.
remettait
sérieusement
en
cause
le
neutralisme
et
la
neutralité
proclamés de
l'organisation internationale
par
les questions qu'il suscitait:
10)
Si
les
troupes
de
l'O.N.U.
avaient
pour
mission d'empêcher et uniquement
d'empêcher le prolongement
de cette tragédie en rassemblant
sous leur autorité et sous
leur autorité
seule les
diverses forces
armées étrangères
comment expliquer la
victoire d'une seule fraction
sur les
autres surtout quand les historiens témoins révèlent que des
points névralgiques comme les
aéroports,
les stations radio
étaient entre leurs mains ?
- 363 -
2 0 ) Comment
a pu
se former
et se
dégager cette
fraction
victorieuse
si
toutes
les
troupes
obéissaient
rigoureusement au commandement dés Casques Bleus ?
3 0 )
Cette fraction
victorieuse serait-elle
plus
courageuse
et
tactiquement
supérieure
aux
troupes
de
l'O.N.U. appuyées des unités
armées étrangères africaines?
Si sur ce plan,
les
secrets pouvaient encore dissuader d'un
engagement intéressé
des Etats-Unis dans le
conflit civil,
sur
le plan
diplomatique,
le
revirement spectaculaire
de
certains gouvernements
qualifiés de
progressistes à
cette
époque,
et d'une manière générale la "débâcle" ou la déroute
politique
et
diplomatique
des
gouvernements
africains,
n'avait aucune chance de dissuader.
b) Au niveau diplomatigue.
Il semble
désormais règner,
au grand
soulagement des
Etats-Unis,
une confusion et
une perplexité indescriptibles
dans
les
rangs africains.
"L'unité
africaine"
"aff1chait
clairement sa profonde fragilité.
En effet une
conférence dite de Casablanca
(au Maroc)
s'était
tenue pour
tenter un
dernier
coup d'arrêt.
Elle
regroupait,
selon
les
historiens,
cinq
gouvernements
identifiés
à
l'Afrique
progressiste. Après
deux jours
de
concertation (du 3 au 4
janvier
1961)
i l ne sortira que des
menaces
platoniques
contre
les
Etats-Unis,
des
- 364 -
recommandations sans conviction et
surtout une décision que
les historiens
qualifient de décevante
celle
de retirer
les troupes respectives du Congo désormais livré à l'appétit
vorace
des
puissances
extérieures
et
de
"leurs
valets
locaux" et Yves
Bénot ajoute:
"seul le
Ghana n'appliquera
pas cette décision toute négative".
La Guinée
et le
Ghana qui
formaient,
jusque-là
seuls,
le
noyau des Etats-Unis d'Afrique devaient connaître à l'avenir
des incompréhensions qui engageaient leur idéologie commune.
Le comportement de la Guinée
ne pouvait manquer de susciter
des
curiosités
pourquoi a-t-elle
brusquement décidé
de
retirer à
son tour
les troupes
qu'elle avait
envoyées et
mises à
la disposition de Patrice Lumumba?
Avait-elle été
comme les
autres Etats,
acquise à
la cause
américaine au
grand
dam
de l'idéologie
progressiste
africaine
qu'elle
avait
toujours
prônée
?
Son
partenaire,
le
Ghana,
en
était-il
avisé
?
Pourquoi
l'entêtement
de Nkhruma à
s'enliser au Congo jusqu'à la
fin? Autant d'interrogations
qui
disent long
quant
au
comportement des
gouvernements
africains de l'époque et à celui des puissances extérieures.
Ne pouvant plus
s'étendre au reste de
l'Afrique,
en raison
des incidents
idéologiques de Sannique11e
et diplomatiques
de Casablance au sujet du Congo,
d'une part,
et incapable de
surmonter sérieusement les obstacles linguistiques ponctuels
d'autre part,
le projet
d'Etats-Unis d'Afrique
connut une
existence bien brève: de novembre 1958 à
janvier 1961.
- 365 -
En clair,
quelles étaient
les dispositions
à
prendre
pour donner à
ce noble projet des chances
de réalisation?
Autrement
dit
que
reprochons-nous
fondamentalement
aux
promoteurs
des
Etats-Unis
d'Afrique
de
l'Ouest
dans
l'éclatement de ce noyau? En nous fondant sur le témoignage
des
historiens et
sociologues
de
l'époque et
en
tenant
compte des enjeux qui se
jouaient,
les reproches qu'on peut
formuler peuvent être de deux ordres :
1 0 ) Reproche d'ordre psychologique:
la précipi-
tation due à une joie exubérante tous azimuts
L'unité
de
l'ouest-africain (tout
comme
l'unité
de
l'Afrique globale) est une nécessité
au progrès des peuples
africains. Cette nécessité devenue condition sine qua non de
la survie,
ne peut se réaliser
que par un travail de longue
haleine,
un
travail de sensibilisation,
qui doit
se mener
sans précipitation,
au niveau des
grandes masses
mais non
pas
à
celui
de quelques
personnes seulement
même si
ces
dernières
disposent
d'un
grand pouvoir
de
décision.
Il
semble, à
suivre la naissance,
l'évolution
et l'éclatement
du noyau d'Etats-Unis d'Amérique,
que les hommes politiques
africains
de
la
première
heure,
aient
sciemment
ou
inconsciemment ignoré cette loi selon
laquelle "Tout ce qui
se fait sans le temps,
le
temps ne le respecte pas". Certes
une liberté presque
spontanée retrouvée après plus
de deux
siècles
de contraintes
et de
ponctions multiples
pouvait
psychologiquement
faire
croire
que
les
décisions
dites
- 366 -
"démocratiques" au niveau de quelques intellectuels seraient
automatiquement celles
que les peuples
auraient souhaitées
ou adopteraient
irréversiblement.
Dans le cas
échéant,
les
deux
peuples
paraissaient
conscients
de
l'erreur
fondamentale du départ
: la précipitation et des différences
profondes
des cultures
(anglophonie
et francophonie).
Le
faux-pas de
la précipitation
sera aggravé
par une
erreur
politique non moindre.
2 0 ) Reproche d'ordre politique
une certaine
naïveté.
Le simple
fait de
déclarer officiellement
deux Etats
fondus en un ne préjuge aucunément de la force économique et
surtout socio-politique
de l'ensemble "confédéré",
pour ne
pas être prudent vis-à-vis du maître d'hier éconduit presque
manu
militari.
Ensuite
les
premiers
unificateurs
de
l'Afrique ont
sans doute
cru ~
la loyauté
du combat
que
pouvaient
leur mener
ceux qui
l'ont divisée
et leur
ont
ainsi momentanément tourné
le dos.
Naïveté encore
Ils ne
se doutaient
pas qu'ils pouvaient
être poignardés
dans le
dos:
l'opposition
subtile et bien polie
de la déclaration
de Sanniquelie au projet d'unité et l'échec de la conférence
de
Casablanca
qui
précéda
l'éclatement
du
noyau
des
Etats-Unis d'Afrique
de l'Ouest sont des
démonstrations de
la
part
des anciens
maîtres
de
leur capacité
de
saper
discrètement de
tels projets en
contrariant astucieusement
les intérêts
des Africains eux-mêmes si
ceux-ci n'adoptent
- 367 -
pas une
certaine stratégie.
D'autres projets
de formation
d'ensembles régionaux s'échafauderont jusqu'à nos jours mais
leurs
promoteurs ont-ils
tiré
des
leçons des
causes
de
l'échec du précédent
? Seule l'analyse de leur
échec ou de
leur succès nous donnera des éléments de réponse.
- 368 -
§6
-
LA FEDERATION DU MALI
Un
an
après
la formation
du
noyau
des
Etats-Un1S
d'Afrique,
une autre organisation voyait le jour. Composé de
quatre
Etats:
Sénégal, Soudan
(devenu
Mali) Dahomey
et
Haute-Volta devenus respectivement Benin et Burkina Faso,
ce
regroupement prenait la dénomination de "Fédération du Mali"
en souvenir de l'illustre empire du Mali dont le rayonnement
culturel et
religieux,
politique et économique
frappa tous
les
explorateurs
de
stupéfaction
et
inspira
plus
d'un
écrivain et chroniqueur de l'histoire africaine.
Comme
ceux de
l'organisation
précédente,
les
quatre
Etats cités
pressentaient les difficultés de
toutes sortes
liées
à
l'indépendance
à
laquelle
ils
accèderaient
incessament.
Aussi
la
gravité
de
ces
problèmes
en
perspective
a-t-elle
suscité
un
préalable
qu'on
peut
qualifier de redoutable parce qu~
devenu trés vite un enjeu
socio-politique de
t a i l l e :
unité d'abord
ou indépendance
d'abord? De la sincérité et
de l'unanimité de la réponse à
cette question dépendait la
viabilité de toute organisation
commune.
La mise sur pied de
la Fédération des quatre Etats
"consacrait"
-provisoirrement-
tout au
moins pensons-nous,
l'option globale pour la premiére tranche de l'alternative:
unité
d'abord.
Interprétation
plausible
de
la
démarche
politique
liée aux
soucis profonds
de
ces fédérateurs
Théoriquement
donc,
l'on
devait
s'attendre
à
un
"échaffaudage"
politique et social
beaucoup plus solide que
- 369 -
les
autres ...
Mais
l'histolre
suivra-t-elle
jamais
la
logique des événements et exaucera-t-elle jamais un jour les
intimes voeux des
hommes ?!
C'est
le
17
janvier
1959
qu'est
créée à
Dakar
au
Sénégal
la Fédération
du Mali
à
la
suite d'une
première
concertation.
Elle était,
si l'on
peut
l'appeler par
ce
vocable,
un
"sous-ensemble"
de
la
moribonde
communauté
gaulliste
car
à
sa
création
les
quatre
Etats
qui
la
formaient n'étaient
pas encore indépendants
mais
la loi
cadre Gaston Deferre du 26 juin 1956
prêtait à une certaine
interprétation dynamique de l'autonomie des colon1es et donc
pouvait
dans
cet
esprit
tolérer
de
telles
formations.
D'aucuns
même
pencheraient
à
croire
que
ces
formations
constituaient une réplique à l'esprit dit de "balkanisation"
de cette loi ainsi qu'en témoigne
cette réflexion"
: la loi
cadre est
une régression dans
la mesure où
elle balkanise
les Fédérations d'Afrique Noire"l.
L'objectif fondamental de
la Fédération
du Mali pouvait
être résumé dans
ses lignes
essentielles par
cet adage "l'union
fait
la
force".
Force
devant
le problème
de
l'indépendance
force,
face
aux
multiples
difficultés
économiques
et
sociales.
Malheureusement,
comme le noyau des Etats-Unis d'Afrique,
la
Fédération du Mali
ne connut qu'une existence
bien brève:
- - - - - - - - - - - - - - - - - - -
(1)
Réflexion de Léopold Sedar Senghor au journal Le Monde
du 26 février 1957 et citée par Yves Benot. Op.
cit.
- 310 -
du 17 janvier
1959 au 20 aoüt
1960 soit un an,
huit mois,
trois
jours
de "vie".
Pourquoi
ce brutal
éclatement alors
que ni par
sa nature ni par son objectif,
elle ne laissait
présager
aucune
contradiction
interne
fondamentale
qui
expliquerait facilement
sa dissolution ?
La ferme volonté de
proposer
de
nouveau
une
expérience
jusque-là
peu
concluante:
les
regroupements régionaux
ou sous-régionaux,
nous obligent
è
nous
arrêter un
instant sur
ce :coup
de
théâtre"
qu'est
l'éclatement
en
deux
temps
de
cette
fédération pour tenter d'en déterminer quelques raisons.
Si nous qualifions cet éclatement
de
"coup de theâtre,
c'est
qu'il
est
un des
événements
auxquels
on
pouvait
s'attendre le moins.
Tout pouvait arriver à cette Fédération
sauf une
dissolution aussi rapide et
spectaculaire. est-on
tenté de conclure lorsqu'on étudie l'histoire des tentatives
de
regroupements en
Afrique et
en Afrique
de l'Ouest
en
particulier.
Pourquoi
une
t~lle
confiance
en
cette
Fédération
?
La
confiance était
d'autant
plus solide
et
justifiée que l'ensemble
fédéré offrait è plus
d'un niveau
une
certaine
homogénéité
qui
a
fait
défaut
è
maintes
organisations
et qui
leur
aurait
été d'un
incontestable
secours.
En effet
d'un po~nt de
vue géneral,
les
quatre Etats
qui
formaient
l'ensemble
fédéral
étaient
des
pays
francophones.
Par
conséquent
le
problème
de
langue
officielle ne se posait pas
; atout dont ne disposait pas le
- 371 -
noyau
défunt
des
Etats-Unis
d'Afrique.
Sur
des
points
particuliers on
note une
communauité d'expériences
et des
similitudes culturelles
fort caractéristiques.
C'est ainsi
que
:
a) sur
le
plan
historique
cet
ensemble
fédéral
faisait entièrement partie de ce
qu'on appelait:
l'Afrique
de
l'économie de
traite".
Il a
donc
connu une
ponction
humaine
draconienne
et
un "pillage"
sans
précédent
des
ressources.
L'expérience
historique
commune
est
donc
indéniable, ce qui devrait aider au renforcement des liens.
b) du côté
linguistique:
la
Fédération d1sposa1t,
à
peu de
choses près,
de
deux langues inter-régionales
le
Poular (langue
des Peul)
véhiculé dans
la partie
nord de
l'ensemble fédéré
(cf.
carte)
et le
Bambara ou
Dioula au
Sud.
Une
troisième
langue
devait
émerger
le
Mooré,
élargissant
ainsi
le
choix
des
possibilités
de
communication.
Enfin
l'émergence
irrésistible
d'une
quatrième langue:
le Wolof, devait opérer dans cet ensemble
une
"révolution" de la communication.
c) dans
le
domaine
monétaire:
étant
des
colonies
françaises les
Etats de
la Fédération
du Mali
évoluaient
dans
la
zone
"franc". Aucune
conversion
de
la
monnaie
n'était donc nécessaire
d'un Etat à
l'autre
ce qui était
tout
à
fait
différent
du cas
du
noyau
des
Etats-Unis
d'Afrique
car la
Guinée
avait
sa monnaie
nationale,
le
- 372 -
"Silly",
et le Ghana la sienne,
le "Shilling".
Avec
de
telles
communautés
qui
frisent
quelquefois
l'homogénéité,
comment
expliquer
la
dissolution
de
cet
ensemble
? Comment
ne
pas
s'étonner,
s'inquiéter
et
se
demander si
l'Afrique a encore
quelque chance
de réaliser
véritablement
une
quelconque
fédération?
C'est
donc
à
double titre que l'analyse de cet événement s'impose
1 0 )
Au
titre
de l'angoisse
que
suscitent
les
échecs répétés de ces tentatives d'unification en Afrique.
2 0 ) Surtout au
titre de la désagrégation
en deux
temps de cette Fédération. C'est à ce dernier titre que nous
nous arrêterons tout particulièrement.
AI
-
PREMIER EPISODE
LE DEMANTELEMENT DU AU RETRAIT
DE DEUX MEMBRES
A peine
mise sur pied,
la fédération
devait aussitôt
perdre deux
de ses membres:
le Dahomey et
la Haute-Volta
devenus respectivement de
nos jours Benin et
Burkina Faso.
Cette
défection est
si
étonnante
qu'au-delà de
certains
motifs évoqués,
i l
paraît plus judicieux d'en
chercher les
raisons profondes. Cette recherche
s'articulera autour d'un
ensemble de
raisons apparentes d'une part
et d'hyppothèses
"plausibles· d'autre part.
- 373 -
a) Une raison apparente d' ordr~olit igue :.
l'épreuve des urnes et le verdict populaire
Selon les faits
collectés ici ou la,
la défection des
deux
membres de
la Fédération
résulterait d'une
décision
populaire et démocratique. A vrai dire,
c'est à Bamako qu'un
groupe d'intellectuels s'est réuni du 29 au 30 décembre 1958
pour
réfléchir
aux
modalités
d'un
regroupement.
Cette
concertation porta
ses fruits
par la
création à
Dakar au
Sénégal au début de l'année 1959 de la dite Fédération. Mais
cette
initiative a
paru être
"officiellement" boudée
par
d'autres intellectuels qui la qualifient
de résultat de "la
conférence
des
fédéralistes"2
ce
qui
signifie
par
conséquent
l'existence
d'un
courant
anti-fédéraliste,
partisan de
la solution
indépendance d'abord,
unité "si
possible" ensuite.
A partir
de ces
premiers éléments,
il
sera plus compréhensible
que cette aile prône
la politique
de
l'indépendance
en
ordre dispersé.
Les
deux
courants
furent rapidement soumis à l'épreuve des urnes dans les deux
Etats.
Le
courant anti-fédéraliste écrasa
largement l'aile
adverse
tant
à
Ouagadougou qu'à
Porto-Novo
avec
selon
Philippe Decraene
"1.018.936 VOlX contre 254.243
pour les
fédéralistes"
et
l'auteur
de
renchérir
"le
courant
anti-fédéraliste
l'avait
emporté
à
Porto-Novo
et
à
(2) Seck (Assane) et Mondjannagni
(Alfred)
op.
cit.
p.
271
- 374 -
Ouagadougou
où
sous
la
pression
de
la
rue
dirigeants
dahoméens et voltaïques durent renoncer à
l'union"3.
Telle qu'elle est retracée par
l'auteur,
cette victolre des
anti-fédéralistes illustre
bien un verdict
populaire,
mais
quelles
raisons
pouvaient
expliquer
une
si
farouche
opposition à
l'entreprise fédéraliste
dont avait
pourtant
tant besoin
la sous-région
pour faire
face aux
multiples
difficultés
de toutes
sortes qui
l'attendaient après
son
indépendance? Autrement dit quels sont les motifs réels qui
se dissimulent derrière cette expression populaire ?
b) Des hypothèses "plausibles·
10) Un argument d' ordr_EL.B§.:Lchol_o.Jl.i_~~_et
politique: Je refus .de_ l'étiquette de
"sous-traitants politig!Jes"
Si
la
gravité
de
l'alternative
"unité
d'abord
ou
indépendance d'abord" ne pouvait~ au premier abord démontrer
clairement l'existence
d'un courant
anti-fédéraliste,
elle
laissait tout au moins
soupçonner l'éventualité de brusques
soubressauts quel que soit le camp
qui viendrait à bout des
contradictions internes.
De fait,
i l couvait
bel et
bien
dans
cette sous-région
un
courant
anti-fédéraliste
et
l'étonnant n'est certainement pas
son existence mais plutôt
(3)
Decraene Philippe
op. cit.
- 375 -
sa victoire écrasante à l'epreuve des urnes.
Cette écrasante
majorité de l'aile anti-fédéraliste nous oblige à croire que
les masses
populaires et
les intellectuels
dans les
deux
Etats partants ont
éte placés devant le fait
accompli
la
fédération décidée par
le camp
féderaliste,
ce
qui a
dû
agacer leur amour-propre d'autant plus que politiquement ils
auront
été
considérés
comme
des
·sous-traitants·,
des
adversaires
subalternes donc
négligeables.
Si
l'hypothèse
s'en trouvait vérifiée,
cet acte
aurait
été un affront,
un
défi que les anti-fédéralistes se
seraient résolus à
lever.
Et dans
une telle
situation on ne
peut alors
pas omettre
cette autre hypothése d'une propagande contre le fédéralisme
: d'où le "plébiscite" de l'a11e anti-fédéraliste. Aussi,
la
"rage" de celle-ci a-t-elle tendu à
susciter et à accréditer
un argument classique:
celui d'une divergence d'intérêts.
d'intérêts
L'âpreté de la lutte dans
laquelle se sont engagés les
deux courants
rivaux et
l'évolution socio-politique
de la
sous-région permettent
d'émettre cette hypothése.
En effet
les rapports entre la France
e~ l'ensemble de la communauté
africaine n'étaient plus au beau
fixe e~ l'on prévoyait les
indépendances -
qui effect1vemen~ surviendront dans quelques
mois -. Cette
perspective pouvait occasionner et
a de fait
occasionné des
luttes serrées
d'intérêts.
D'une
part ceux
qui pensaient
que la sous-région
ne peut émerger
de cette
nuit noire
de l'histoire
que ressoudée
autour d'objectifs
- 376 -
communs,
unie
dans la
défense des
intérêts de
tous
et
d'autre part ceux
qui mettaient ~ort discrètement
en avant
des
projets
plus
ou
moins
individuels
en
tentant
de
démontrer
la
nécessité
pour
chaque
Etat
de
faire
son
expérience
politique
personnelle.
Derrière
ces
derniers
propos se profile
une autre interprétation de
la loi cadre
mais interprétation cette fois poussée
à
l'extrême et qui a
initialement légitimé, parfois au grand
dam de l'avenir des
ensembles
régionaux
possibles d'Afrique,
cette
politique
"d'en-ordre-dispersé". En clair donc,
si l'on suit l'analyse
de
certains historiens
ou témoins
de
l'evénement, on
en
arrive à ceci:
·ce
tiraillement",
cette bataille féroce ne
font que
refléter la nature
et l'idèolog1e de
deux grands
partis
politiques
qU1
devaient
marquer
pour
longtemps
l'Ouest-africain
le
Parti
du
Regroupement
Africain
(P.R.A.) hostile à
la loi cadre dont
i l soupçonne l'esprit
de balkanisation
non seulement de
la sous-région,
mais du
contiment
entier.
Un
peu à
l'inverse,
le
Rassemblement
Démocratique
Africain
(R.D.A.)
qui tout
en regrettant
le
"dépeçage" du continent et donc
de la sous-région prendrait
d'abord -
comme -
acte du
fait accompli
et considérerait
l'indépendance
comme une
épreuve dont
chaque entité
doit
sortir individuellement
mais non pas collectivement.
Et si
cette
marche
collective
devait
se
faire,
qu'elle
soit
l'émanation de volontés libres et
consentantes mais non pas
le
fait d'une
quelconque
imposition
: curieuse
analogie
d'insinuations entre l'orientation politique
de ce parti et
le fond de
la pensée de Charles King à
l'idée de formation
-
377 -
et d'extension du noyau d'Etats-Unis d'Afrique!
On comprend
alors
que
dans
certains
milieux
l'option
"indépendance
d'abord,
unité ensuite"
soit défendue et prônée
comme l'un
des
creusets
de
l'histoire
dans
lequel
l'expérience
politique des Africains indépendants
doit être éprouvée.
Si
cette interprétation est
vraie,
nous sommes alors
en droit
de nous
demander le niveau auquel
se situe ou
pourrait se
situer le "Rassemblement"
(puisque l'idée
force de ce parti
est le Rassemblement) qui dans de pareils contextes signifie
un
enjeu
commun,
une
"communauté
de
perspectives·
déterminant
logiquement
une
"communauté
d'action".
Contradiction
? Nul
ne
le sait.
Toujours
est-il que
la
difficulté
qu'on
pourrait
éprouver
à
répondre
à
cette
question ne
peut manquer de
faire penser à
une divergence
d'intérêts comme autre cause de la surprenante désagrégation
de la Fédération.
Réduit donc
de moitié,
cet
ensemble n'avait
pas pour
autant
désarmé mais
ironie du
sort ou
maladresse de
ses
dirigeants? Une
seule certitude : i l
volera bruyamment en
éclats quelques mois plus tard.
BI
-
DEUXIEME EPISODE
L'ECLATEMENT DE LA FEDERATION
Que la
Fédération éclate
sous un
certain "gigantisme
géographique",
passe!
Bien que cet arguement ne soit pas du
tout de poids
parce que peu convaincant.
Néanmoins on peut
admettre que quatre Etats qui
décident de fédérer tout d'un
- 378 -
coup puissent
rencontrer des obstacles,
l'expérience
en ce
domaine faisant défaut. Que deux
partenaires décident de se
retirer
en
raison
d'une
incompatibilité
d'idéologies
dissimulée
derrière
une
incompatibilité
de
mini-
particularismes
culturels,
passe
encore
Quoique
cet
argument ne
fût avancé
nulle part et
de fait
personne ne
pouvait
s'y
hasarder
de
peur
d'être
vigoureusement
désapprouvé. Mais
que ce regroupement-réduit â
deux Etats,
mieux,
a
un seul
et même peuple
vivant dans
deux espaces
différents- se dissolve si bruyamment,
demeure une surprise.
Et pourtant,
c'est
ce qui s'est passé le 20
août 1960.
Les
faits exposés dans leurs grandes lignes sont les suivants
:
après la
défection des deux
partenaires du Sud,
l'union a
connu une relative
cohésion.
Logiquement,
i l ne
pouvait en
être autrement
quand on
sait les
liens multiples
qui ont
jalonné l'histoire de ces deux Etats.
Léopold Sedar Senghor
devait présider aux destinées de la Fédération,
secondé dans
la conduite
du gouvernement
fédéral par
son homologue
du
Soudan, Modibo Kéita et un autre
sénégalais
: Ma.adou Dia,
vice-président
du
gouvernement.
La
"famille"
ainsi
structurée ne
laissait -du
moins apparemment
pas- prévoir
des mécontentements. Mais très
vite le dialogue,
instrument
essentiel au maintien de la paix
et de la viabilité de tout
édifice
socio-politique,
s'instaurait
de
plus
en
plus
difficilement entre les
deux capitales Dakar et
Bamako. On
assistera bientôt â
la montée d'une tension.
Les résultats
des
multiples
et
énormes efforts
de
négociation
furent
- 379 -
maigres au nombre desquels
l'indépendance de la fédération
le 20 juin 1960.
Immédiatement
quelques
raisons
de
cette
tension
rampante se dévoilérent. On croit savoir -ce qui sera tout à
fait vrai-
que cette
atmosphére resulte
d'un affrontement
indirect larvé entre fédéralistes
et anti-fédéralistes dans
les deux Etats. A cette
cause fondamentale s'ajouteront des
incompabilités
de caractéres
trés marquées
au niveau
des
dirigeants,
ce
qui
aggrave
la
tension
au
lieu
de
la
décroître et
le 19
août,
la
déc1sion du
soudanais Modibo
Kéita de décharger "unilatéralement"
et autoritairement son
collaborateur le sénégalais Ua.adou Dia de
ses fonctions de
vice-président
du gouvernement
fédéral
sera
fatale â
la
fédération.
Aussitôt Dakar réplique en exprimant â Bamako sa
profonde désaffection
face à
ce qu'on
a désormais
appelé
"une
tentative de
coup d'Etat"
orchestrée
par Bamako
et
chacun
reprend sa
liberté. De
la Fédération
il ne
reste
qu'un héritage commun
: une promesse quelque
peu illusoire
parce que
devenue une simple
profession de
foi d'ailleurs
peu convaincante
celle d'attendre des jours meilleurs pour
mettre
sur pied
quelque
chose de
plus
viable parce
que
conforme aux voeux des peuples africains.
L'opposition
entre fédéralistes
et
anti-fédéralistes
fut une sérieuse lutte.
L'anti-fedéralisme dont la victoire
pourrait
s'expliquer
soit
par
une
maladresse
des
fédéralistes
(l'hypothèse
d'une
décision
unilatérale
à
- 380 -
laquelle
ils
auraient
voulu
"cont raindre ,.
leurs
adversaires),
soit
par
une
pure
et
simple
campagne
d'intoxication contre
le fédéralisme,
peut être
considéré
comme un
facteur solide
de dissolution
de la
Fédération.
Cependant i l faut admettre aussi
que des motifs personnels,
les
susceptibilités individuelles
qui
se sont
violemment
heurtées
y
ont
joué
de
leur
côté
un
rôle
également
déterminant. Aussi historiens et
sociologues ont-ils relevé
des deux dirigeants
de la Fédération défunte
des traits de
caractère, on
ne peut plus
diamètralement opposés
qui ont
"déteint" sur leurs conceptions politiques et idéologiques.
Ainsi
tandis que
Uodibo
Këita
se montrerait
un
homme
autoritaire,
incapable de souffrir la moindre contradiction,
Léopold Sedar Senghor,
lui,
s'afficherait comme un militant
libéral,
prônant
inlassablement
la
concertation
et
le
dialogue.
Alors
que
Modibo
Kéita
se
réclame
d'un
"marxisme
doctrinaire",
Senghor
par contre milite pour un "socialisme
démocratique".
Résultat
les
conceptions
de
l'Etat
des
deux
hommes
politiques
se
situent
aux
antipodes
l'une
de
l'autre
souffrant ainsi
de la projection
de leur
personnalité.
En
effet alors que
Bamako se cantonnerait dans
une conception
très centralisée de l'Etat, Dakar jeterait son dévolu sur un
"système fédéral
bien souple".
Avec de
telles divergences
idéologiques,
politiques et
"caractérielles",
la Fédération,
même réduite à deux Etats
historiquement liés sur plus d'un
point,
apparaissait
somme
toute
comme
une
organisation
-
381 -
"mort-née".
1960
aura
été
une
année
de
véritable
piétinement
la joie jubilante des indépendances massives a
été neutralisée par la profonde
amertume des échecs répétés
de
toutes
les
tentatives
d'unification
en
Afrique
et
notamment dans la
sous-région. Mais l'on ne
s'arrêtera pas
là car les difficultés qui pointaient à l'horizon imposaient
aux responsables africains un
inéluctable
dilemme
:
s'unir
ou
périr.
On
observera
de
nouveau
un
intense
redéploiement
d'effort
de
concertation,
de
nouvelles
tentatives d'unification car "à toute chute, devaient-ils se
dire
en guise
de
réplique au
dilemme
qui s'annonçait
à
l'horizon,
équivaut un relèvement". C'est ainsi que les deux
membres
qui
furent
les
premiers
à
se
retirer
de
la
Fédération, c'est-à-dire
le Dahomey
et la
Haute-Volta ont
formé avec la Côte d'Ivoire et
le Niger ce qu'on appelle le
"Conseil
de
l'Entente"
qui
apparemment
fonctionne
bien
jusque de nos jours.
Le Sénégal
a confédéré
avec la
Gambie.
Depuis
1981 cette
confédération donne
des preuves de
vitalité à
la
suite de
sérieuses
menaces
qui
avaient
lourdement
pesé
sur
la
sécurité
des
deux
Etats.
Le
Soudan
devenu
Mali,
autre
héritage de la
Fédération, avait sollicité à
la République
de Guinée
(Conakry)
une
union. Celle-ci
devait donner
ce
qu'on avait
appelé en son
temps l'U.E.A.
(Union
des Etats
d'Afrique).
Deux atouts devaient favoriser cette union.
- 382 -
10)
De
part
et
d'autre
de
la
frontière
Malo-Guinéenne
vivait
l'ethnie
MALINKE
sérieux
atout
qu'est cette communauté ethnique.
20) Cette tentative avait
d'autant plus de chance
que les deux pays avaient apparemment les mêmes orientations
idéologiques
un
"socialisme
marxiste"
qui
pouvait
légérement varier de
Bamako a Conakry.
En
effet alors qu'a
Bamako
le
socialisme marxiste
se
voulait
rigoureusement
"doctrinaire" c'est-a-dire
un socialisme
marxiste appliqué
tel qU'élaboré
par l'idéologue de
référence, a
Conakry au
contraire la "révolution" voulut
un moment adapter certains
aspects
de
la
doctrine aux
réalités
sociales
du
pays.
L'union ne
dura que six
mois. Au
terme de ce
délai, elle
s'assoupit comme tant d'autres dans
une léthargie totale et
finalement irréversible.
Nous voici de nouveau et toujours
au point de départ
!
Le continent
tout entier et
la sous-région
en particulier
auront cherché pendant des années mais sans véritable succès
les conditions d'une organisation commune réellement viable.
Sans succès? Et le conseil
de l'Entente qu'ont formé après
leur défection de
la Fédération,
le Bénin,
le Burkina Faso
avec
la Côte
d'Ivoire, Conseil
qui ouvrit
très vite
ses
portes au Togo, au Niger
et qui fonctionne apparemment bien
même
s ' i l n'affiche
guère
un éclat
particulier
? Et
la
Confédération Sénégalienne dont
nous venons de parler
? Et
l'O.E.R.S.
(Organisation
des
Etats
Riverains
du
fleuve
- 383 -
Sénégal) qui
1nclut en son sein
le Mali et qui
nourrit de
grands
espoirs
économiques
?
nous
objectera-t-on.
Ces
regroupements
qui se
sont pratiquement
répartis tous
ces
Etats en question sont - soulignons-le fortement - louables au
plus haut point.
Ils sont la marque
d'une conscience aiguë
de
la
nécessité
de
se tendre
la
main
dans
ce
combat
rébarbatif contre la pauvreté. Mais i l reste à nous demander
si cette multiplicité d'organisations sous diverses vocables
quoiqu'exprimant toujours la même
angoisse devant les mêmes
impératifs
résout
mieux
l'épineux
problème
du
sous-développement
que
ne
ferait
une
seule
mais
forte
coalition
qui èviterait
un
éparpillement
des forces.
Si
cette coalition a
jusque-la eu du mal a se
mettre en place
(et surtout en train),
c'est qu'on
l'a toujours voulue à un
seul niveau: à celui des sommets de chefs d'Etat seulement.
Il est
nécessaire de la
construire en
l'envisageant aussi
bien
au niveau
des responsables
mandatés
qu'à celui
des
peuples mêmes
qui mandatent.
Peut-être le
niveau politique
des peuples africains en général
à l'époque encore bien bas
a-t-il
fait prendre
l'habitude de
les écarter
et de
les
abstraire de
telles décisions.
C'est estimons-nous,
l'une
des erreurs
fondamentales qui
aient toujours
été commises
jusque-là
et
i l
serait
dommage
d'y
persister.
L'incontestable
plébiscite
de
l'aile
anti-fédéraliste
à
l'épreuve des urnes
à Ouagadougou et à
Porto-Novo en 1960,
prouve
bien
que
les
peuples
africains
(les
masses
laborieuses) pouvaient
et peuvent
comprendre politiquement
les enjeux qui se jouent et également décider souverainement
- 384 -
de
l'orientation
de
leur
avenir
à
condition
que
les
problèmes qui
sont les leurs
leur soient
obiectivement et
clairement posés.
La ténacité de
cette conviction que seule
une politique
commune peut
permettre à
la sous-région
de
faire
efficacement
face
aux
nombreux
handicaps
contre
lesquels elle butte, est un élément à souligner dans l'actif
des pionniers
des indépendances
africaines. Au
rebours il
convient
de faire
remarquer
que
si de
nombreux
efforts
(notamment
les
tentatives d'une
coalition
sous-régionale
comme
un ensemble
géopolitique et
économique:
véritable
force centripète) ne sont pas
couronnés du succès escompté,
c'est
que
estimons-nous,
en
plus
de
cette
erreur
fondamentale sans
cesse réitérée, d'autres
conditions tout
aussi importantes
restent à
remplir
car s ' i l y
a quelques
perspectives à espérer, elles en dépendent étroitement.
C O N C L U S I O N
A quelles conditions de réelles perspectives
sont-elles envisageables ?
- 386 -
Nous voici au
terme de l'analyse des
multiples causes
du sous-développement en
Afrique de l'Ouest;
analyse bien
loin
d'être exhaustive.
Et
comme
tout diagnostic,
cette
analyse nécessite la précision des possibilités d'émergence.
A quelles conditions donc de réelles perspectives sont-elles
objectivement envisageables? Logiquement,
nous répondrions:
à
condition que ces
contradictions, ces nombreux handicaps,
ces
obstacles
de
tous
bords
soient
levés.
Véritable
programme
à
la fois
d'études
théoriques
et de
mise
en
oeuvre!
Il devra s'articuler
sur trois axes fondamentaux:
d'abord
mener
une
action
sur
les
facteurs
socio-
anthropologiques
et
psychologiques
ensuite
engager
un
processus politico-juridique,
enfin
promouvoir les facteurs
de développement socio-économique. Ce programme fera l'objet
d'un autre travail,
mais pour
l'heure,
tentons d'en dégager
brièvement les modalités possibles de
mise en oeuvre et les
avantages prétendus.
AI - L'ACTION SUR LES FACTEURS SOCIO-ANTHROPOLOGlOUES
ET PSYCHOLOGIQUES : LES MENTALITES
Nous nous
sommes longuement étendus sur
les mentalités
et
les
structures
sociales.
L'interaction
des
deux
structures
est si
continue qu'il
paraît
vain de
vouloir
promouvoir une
quelconque harmonie sans
avoir agi
ou sans
agir
simultanément sur
ces deux
structures. Mais
comment
changer les mentalités ou mieux comment agir sur elles? Par
la sensibilisation à tous les niveaux.
Celle-ci portera sur
- 387 -
un double
message:
un message
de nécessité absolue
et un
message d'effort concerté qui en sera le corollaire.
a)
Le
premier tendra essentiellement à
mettre en
relief ce dilemme:
"sortir du sous-développement ou périr".
Dilemme
d'abord parce
que
les
pays développés
qui
nous
assistent ne
pourront éternellement continuer
leurs gestes
même s'ils
sont humanitaires.
Dillemme ensuite
parce qu'un
peuple perpétuellement assité est un
peuple sans liberté et
un
"peuple sans liberté,
disait l'égyptien Mustapha Ke.al,
est un peuple sans existence".
b)
Pour en
sortir
il
faut conjuguer
tous
les
efforts,
à
quelque
niveau que l'on se
trouve.
La condition
sine qua non est l'abandon de certains aspects nocifs
(de ce
millénarisme) que sont les oppositions tribales,
la gangrène
du régionalisme,
le népotisme entravant
et autres formes de
corruption. Atténuer aussi le mi~ro-nationalisme fâcheux qui
dresse bien
souvent hélas
des
fréres les uns
contre les
autres.
Par
ailleurs
tout
en
sauvegardant
les
valeurs
ancestrales
positives,
les
coutumes,
véritable ciment
et
points
d'attache
culturels
des
peuples,
y
opérer
une
certaine adaptation.
"La société africaine
contemporaine a
besoin,
pour
se
hisser
dans
le
monde
de
subir
une
métamorphose
compléte
au
plan
philosophique.
Il
s'agit
d'intégrer
à
la
conception que
les Africains
se font
du
monde,
à
l'idée qu'ils se font de la nature et de la vie,
des
aspects féconds
de la
vision prométhéenne
de l'homme.
Il
- 388 -
s'agit d'une
véritable révolution intellectuelle
et morale
dont l'objectif
consiste à créer
sans renoncements
[à nos
valeurs profondes]
une nouvelle
personnalité africaine,
une
mentalité nouvelle qui
prépare les africains à
la maitrise
du
monde".
Plus
loin
l'auteur conclut
"plutôt que
de
penser sans
cesse à
un retour sur
soi,
à
un millénarisme
dévastateur,
l'Africain doit se décider
à
prendre la nature
environnante à bras le corps pour en tirer le meilleur parti
sans
pour autant
succomber à
un mimétisme
nocif dans
le
processus de développement"l. Cette capacité de "générer" et
de promouvoir le
développement sans renoncer à
ses valeurs
profondes
est appelée
"la
nouvelle
alliance"
par
Illya
Prigogine et Isabe11e
Stengers, point de
vue qui
confirme
d'ailleurs ce fait
que
"tout développement est
toujours le
fruit d'une culture".
Lorsque
ces
facteurs
socio-anthropologiques
et
psychologiques seront
attenués,
on pourra alors
entamer la
seconde tranche:
BI -
LE PROCESSUS POLITICO-~URIDlQUE
Par processus politico-juridique
nous entendons toutes
les démarches,
toutes les
concertations au niveau politique
dont
l'aboutissement
permettrait
éventuellement
l'élaboration de structures juridiques qui donneraient ainsi
op. cit.
- 389 -
naissance
à un
ensemble
géo-polit1que
et économique.
Ce
processus
pourrait passer
par
trois
étapes graduelles
d'abord assouplir davantage les
frontiéres,
ensuite,
tenter
une
confédération
et
enfin
s'attaquer
si
l'expérience
confédérale se révélait concluante au délicat problème de la
fédération.
a) L'assouplissement des f~ont~é~~~
La rigidité
des frontiéres demeure l'un
des obstacles
les
plus
solides
auxquels
soient
confrontés
les
Etats
africains.
Elle est
à l'origine
de nationalismes
souvent
générateurs de
tensions politiques et bien
fréquemment des
conflits armés.
L'assouplissement de ces frontiéres dans une
perspective d'union aura à court
terme un double avantage:
d'abord on
se sera
attaqué à
la
racine principale
de ces
conflits
les
frontières
ensuite ce premier
pas sera de
la série et
des modalités de sensibilisation
au niveau des
populations, des instances politiques de
chaque Etat et des
organisations
culturelles des
jeunes en
vue de
favoriser
davantage le
brassage culturel. Mais comment
assouplir ces
frontiéres
?
A
qui
devront-elles
ètre
perméables
ou
rigides
?
nous
demandera-t-on. Ces
questions
seront
de
nouveau
posées
au
moment opportun
mais
pour
l'instant,
précisons que
si le projet
de formation d'un
ensemble uni
est acquis au sein des instances politiques,
les populations
respectives devront pouvoir déjà en jouir des avantages dont
celui des
frontières.
Alors qu'ainsi
se dessinera
dans sa
- 390 -
configuration
géographique
et
10inta1nement
culturelle,
l'ensemble,
au
niveau politique,
l'on
pourra graduellement
poser le problème du passage à la deuxième étape.
b) La Confédération
Le problème
de la
confédération et
de la
fédération
relève du
droit constitutionnel ou international.
Il n'est
donc
pas de
notre compétence.
Cependant
l'exemple de
la
Confédération Sénégambienne qui a donné jusque-là des signes
de
vitalité,
celui de
la
fédération
du Nigéria
qui
se
maintient malgré les sérieuses convulsions 1nternes (dont la
tentative
de
sécession
du
Biafra
en
1966)
permettent
d'aborder,
quoique
de
très
loin,
ces
questions.
Ainsi
"l'harmonie"
de
la
Confédération
Sénégambienne
confirme-t-elle la définition que
donne de la Confédération
Georges
Burdeau:
"la
Confédération
est une
association
d'Etats conservant
l'intégrité totale de
leur indépendance
mais ayant convenu de prendre
en commun certaines décisions
notamment
dans
les
relations
internationales"2.
L'intégration
institutionnelle
étant
pratiquement
très
faible
dans
un
ensemble
confédéral
l'étape
de
la
confédération elle-même apparaîtra comme une sensibilisation
politique très poussée à une construction plus dynamique.
Ce
ne
sera que
plus tard
que l'on
envisagera la
redoutable
question de la fédération.
(2) Burdeau (Georges)
Op. Cit. Tome II.
- 391 -
c) La fédération
L'idée de
fédération,
parlant
des Etats
africains,
a
toujours
traîné derriére
elle
celle
d'une utopie.
Cette
réaction est souvent
justifiée par une impression mais aussi
par un doute.
L'impression d'abord:
est que
le partage de
l'Afrique en plusieurs
Etats a fini par
engendrer dans les
consciences
le
réflexe
du
nationalisme.
Le
citoyen
s'identifie tellement a sa micro-nation que la cession de la
moindre parcelle
équivaut a l'abandon
d'une partie
de son
être intime, d'où le problème quasi insoluble de la rigidité
des
frontières en
Afrique. Cette
réaction est
observable
chez
tous
ceux
qui
ne sont
pas
spécialistes
du
Droit
Constitutionnel ou
international parce
qu'ils en
ignorent
les dispositions.
Le doute ensuite: même
si cette identification intime
poussée de l'individu à sa
nation suscite des réserves quant
à
la possibilité
d'une fédération,
ce doute
persiste aussi
et peut-être surtout au niveau des spécialistes car le Droit
constitutionnel ou
international peut poser
des conditions
réalisables mais
la volonté politique se
"rebiffer". Notre
préoccupation
n'est pour
le
moment,
ni
ne
sera dans
le
travail
à
venir,
de
trancher a
priori si le
fédéralisme
réussira ou non,
compte tenu ou non du degré de nationalisme
des Africains
concernés, mais plutôt
de voir si
ces Etats
remplissent
les
conditions
matérielles
objectives
(socio-économiques, géographiques,
culturelles etc.)
d'une
- 392 -
fédération,
et
c'est là
que la
définition du
fédéralisme
s'impose.
Derrière
un apparent
jeu de
mots, elle
fait
la
part
entre
l'impression
qu'on
a
coutume
d'avoir
du
fédéralisme et la réalité,
la différence qu'elle exprime.
En
écrivant que
"le fédéralisme
ne veut
pas dire
Unité mais
Union"3 Burdeau devrait avoir dissipé
l'idée d'arrachement,
de cession plus ou moins définitive
d'un Etat â un autre ou
à
un
groupe d'Etats.
En
effet tandis que
"Unité" contient
l'idée
d'indivisibilité,
de
totalité
organique,
de
singularité "pleine et suffisante" qui ne saurait se muer en
aucune autre
forme,
l' ·Union" au contraire
exprime d'abord
et
surtout celle
d'association
sous
quelque rapport,
de
plusieurs choses différentes.
Oe
ce point
de vue,
on peut
dire que l'Union comprend des unités.
La com~~~ment~sité des
êtres s'unissant ou
des Etats s'associant est
le fondement
de
"toute"
fédération,
en
reste
la
caractéristique
essentielle et garantit sa réussite.
C'est
cette
idée
de complémentarité
qui
nous
fait
croire
que les
Etats ouest-africains
peuvent remplir
les
conditions
de
fédération
si
l'on
considére
leurs
potentialités humaines,
socio-économiques.
(3) Burdeau (Georges)
Op. Cit.
- 393 -
CI - IMPULSION ET PROMOTION DU__D-F_VE~OP.-f.E~EJIT.. p'~NS_'y.N
ENSEMBLE UNI
Ce
problème a
souvent
provoqué
sur les
visages
un
rictus d'ironie ou
d'incrédulité,
les uns pour
des raisons
que
nous
venons
d'évoquer
plus
haut,
les
autres
par
méconnaissance
des potentialités
de
la sous-région.
Nous
allons tenter de
fonder un peu notre
ténacité, voire notre
"entêtement" dans
cette voie sur
un exemple
précis offert
par
l'étude géographique
que
nous
avons faite
de
cette
région
le domaine
agricole.
En
prenant
appui
sur
la
vocation et la spécialisation des
grandes zones, on se rend
compte
que
l'Afrique
de
l'Ouest
est
la
rég10n
où
la
complémentarité
pourrait
trouver
son
véritable
domaine
d'application. Ainsi la zone intermédiaire véritable bastion
des
céréales
(mil,
sorgho,
arach1.de,
har1cot
etc. )
compléterait les productions de la zone subéquatoriale
(riz,
tubercules,
maïs,
bananes,
pal-mistes etc.).
Si une
telle
complémentarité se
réalisait, non seulement
on d1.minuera1.t
l'onéreuse
importation
des
produits
d'auto-consommation,
mais l'on exporterait davantage.
L'élevage
jusque-là
florissant
dans
la
zone
intermédiaire (zébus
et taurins)
mais aussi
dans la
zone
sèche
(zébus surtout),
compléterait la
pêche bien
active
dans les régions des golfes de
Guinée et du Bénin (Sénégal,
Liberia, Côte-d'Ivoire,
Ghana, Bénin,
Togo, Nigéria).
Les
industries
correspondantes
pourraient
y
être
davantage
- 394 -
développées.
Dans le domaine
industriel.
la complémentarité
est similaire et même plus
prometteuse et la liste pourrait
s'allonger.
Comme on peut le
constater,
les conditions d'émergence
sont Sl complexes et le probléme de l'Union si délicat qu'il
est utile
d'y consacrer exclusivement un
travail.
N'est-ce
pas là l'utopie la plus captivante qu'on puisse construire?
A ce
propos citons
simplement la
réflexion de Nietzsche
"Les petits Etats
d'Europe,
je veux dire tous
nos Etats et
tous
nos
empires
actuels
vont
devenir
intenables
économiquement
parlant, vu
les
exigences souveraines
des
grandes relations
internationales et du grand
commerce qui
réclament l'extension extrème des
échanges universels et du
commerce mondial.
La monnaie à
elle-seule obligera
tôt ou
tard l'Europe à se coaguler en
une seule masse"4. Au moment
où le philosophe allemand écrivait ces 11gnes, on pouvait le
traiter d'utopiste,
vu la montée en Europe des nationalismes
souvent
porteurs de
guerres
et opposés
à
toute 1dée
de
coalition
politique et
économique. Aujourd'hui
l'histoire
lui
a
donné
raison
avec la
création
de
la
communauté
Economique Européenne,
expression de la volonté polit1que de
vivre
ensemble,
même
si,
pour
des
raisons
encore
mal
éclaircies,
Nikita
Khrouchtchev l'a
qualifiee
"d'union
(4) Nietzsche cité par René Dupuy (Polit~~u~_~_~Nie~zsche)
et Ede. Kodjo (Et demain l'Afr~_
- 395 -
contre-nature
où
il
n'y
a
que
des
mâles".
Les
mêmes
impératifs
contenus
dans la
pensée
de Nietzsche semblent
aujourd'hui plus que jamais peser sur l'Afrique. Et s ' i l est
vrai, ainsi
que l'affirmait
le général
de Gaulle,
qu' "il
n'y a
pas de fédération
sans fédérateurs"
il
faut ajouter
surtout
qu'il
n'y
a
pas
de
fédérations
sans
volonté
politique.
Celle-ci
se
cultive,
s'affermit
avec
les
événements et
en fonction
de l'avenir.
L'Union des
Etats
ouest-africains est possible,
reste
cependant à préciser ou
à rappeler qu'elle ne sera
pas l'oeuvre d'une,
ni peut-être
même de deux générations. Elle sera une oeuvre de pionniers,
c'est-à-dire
une
entreprise
de longue
haleine
qui
sera
jalonnée
de
soubressauts
divers,
et
dans
laquelle
on
passera, comme
le dit Ede. Kodjo,
"de crises
en compromis,
de déchirements
en concessions,
de menaces
d'éclatement en
resaisissement spectaculaire". Ceux qui entreprendront cette
oeuvre
devront se
souvenir que
le
véritable pionnier
ne
jouit pas souvent
du fruit
immédiat de
ses sacrifices mais
que la reconnaissance
des générations à venir
lui sera une
insigne satisfaction
morale.
Si le
salut des
Africains en
général et des Africains de l'Ouest en particulier se trouve
dans
une
telle
oeuvre
politique,
alors
eux
seuls
en
possèdent les matériaux.
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Editions
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Hatier,
1978
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AUTRES DOCUMENTS
Revue Sénégalaise de droit
(R.S.O.)
L'hebdomadaire
"Jeune
Afrique ,.
notamment
les
numéros
spéciaux sur
le point
de l'économie
africaine depuis
les
indépendances.
L'hebdomadaire
"Afrique-Asie".
Lecture
comparée
des
appréciations des deux
journaux des politiques africaines.
-
Le journal "Le Monde-.
- L'hebdomadaire "Afrique Nouvelle".
Et
surtout
l'hebdomadaire
"Marchés
Tropicaux
et
Méditerranéens" particulièrement
riche en
informations sur
les politiques de développement des Jeunes nations d'Afrique
du Nord,
de l'Ouest,
et d'Afrique Centrale.
-
TABLES
DES
MATYERES
Pages
AVANT PROPOS
INTRODUCTION
1
PREMIERE PARTIE : PRESENTATION GEOGRAPHIQUE ET
APERCU DE L'HISTOIRE DE L'AFRIQUE
...
DE L' OUEST
21
CHAPITRE 1
SITUATION GEOGRAPHIQUE
22
SECTION 1
GENERALITES
23
§1
-
DEUX QUESTIONS PREALABLES IMPORTANTE~
: LES
RAISONS D'UNE DELIMITATION ET LA PERTINENCE
D'UNE METHODE
27
AI - LES RAISONS D'UNE DELIMITATION
27
10) Raisons d'ordre pratique.......... . . . .
28
20) Raisons d'ordre historique et de pur
réalisme
29
30)
Raisons d'ordre socio-culturel
33
BI
-
LA PERTINENCE D'UNE METHODE
37
10) Souci d'ordre méth~dologique et logique
38
20) Souci d'ordre prospectif
40
§2 -
SUPERFICIE
···
50
I I
§3
-
POPULATION,
MONNAIES ,
LANGUE§_L..fOR~~_S D_t;
CROYANCE
.
53
AI
-
LES MONNAI ES
.
55
BI
-
LES LANGUES
• . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
57
1 0 ) Les langues officielles
.
57
2 0 ) Langues africaines proprement dites
.
57
CI
-
LES FORMES DE CROYANCE
• • . . • . • • . . . . . . . . . . . .
68
10) La notion d' "animisme"
69
2 0 ) L'animisme comme
"religion"
.
70
SECTION I I
CADRES GEOGRAPHIQUES,
MILIEU~__NATURELS
76
§1
-
RELIEF
79
§2
-
CLIMAT
:
DIVERSITE
• . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . .
81
§3 -
HYDROGRAPH 1 E
. . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . .
86
SECTION I I I
ASPECTS ESSENTIE_LS D~ LA J2EOG_R~PHJ_f;
DE L'AFRIQUE DE L'OUEST
. • . . . . . . . . . . .
90
§1
-
RESSOURCES MINIERES ET ENERGETIQUES..... . . . . .
~1
§2
-
L ' AGRICULTURE
• . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
95
1 0 ) Les cultures industrielles...
95
2 0 ) L'agriculture de subsistance..
96
a) Les méthodes culturales
..
98
b) Les o u t i l s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
108
III
CHAPITRE II
APERCU DE L' HISTOIFt~g~ _L_' O~_~S_T
AFRICAIN : STRUCTURES SOCIALES ET
BOULEVERSEMENTS ~NTERNES
111
SECTION l
DES STRUCTURES SOCIALES _~NT~BJ~~RES AUX
STRUCTURES SOCIALES ACTUELLES : DIFFI-
CULTES DE TRANSITION
116
§1
-
"ANARCHIES OROONNEESM ou_"§OCIET_~S. A_~T~T" :
PRECISION NECESSAIRE A LA~POSITION D'UN
- - -
PROBLEME
11 7
La Communauté Laong
124
§2 -
LES STRATIFICATIONS SOCIALES D'A~~~ : 9~~3~~~~§
TOUJOURS LATENTS A LA TRANSITION? .
147
1 0 ) Les structures sociales chez les Peul......
148
2 0 ) Le cas des Toucouleur du FOUTA-TORO
152
3 0 ) Les royaumes WOLOF.
153
§3
-
DETERMINATION ET ANALYSE DES OBSTACLES A~
TRANSITION
158
10) Rigidité de la stratification
158
20) Eth n 0 - tri bal i s me
1 61
30)
Intégration sociale difficile
166
SECTION II
: DES BOULEVERSEMENTS INTERIEU~_~U1LCON-=
QUETES COLONIALES DE L'OUEST-AFRICAIN ~
FIN XVlllè, DEBUT XIXè~IE~L~
173
IV
GRATION SOCIALE
OU SIMPLE MISE EN CAUSE INDIRECTE DE~_ STBUCTURES
SOCIALES ANCIENNES?
177
AI
- LE FOUTA-D~ALON
177
BI
-
LE FOUTA- TORO
180
§2 - DU PRETEXTE RELIGIEUX A LA PRETENTION DE REFORME
-
SOCIALE
187
AI
- LE REBONDISSEMENT DE LA REVOLUTI2~?9~_tTIÇ9~
RELIGIEUSE AU SOUDAN CENTRAL : OUSMANE pAN
FODIO ET LE RENVERSEMENT DE L'ORORE~NC~~~
DANS LES ETATS HAOUSSA ET PEUL .,
187
BI
-
SAMORY TOURE ET LA REVOLUTION UIOULA
189
§3 -
LES TROUBLES DANS LE GOLFE OU 8ENI~ : Ashanti et
fanti
: des ambitions hégémon1ques Ashanti à
l'annexion coloniale britannique
196
§4 - CRITIQUE
201
AI -
LES LIMITES DU TRAVAIL DE RELATION DES fAITS
BI
- SIGNIFICATION ET IMPORTANCE DES FAITS CH9ISIS
DANS L'EXPLICATION DIRECTE ET INOIRECT~_D~
SOUS-DEVELOPPEMENT
203
DEUXIEME PARTIE
DEVELOPPEMENT ET SOUS-DEVELOPPEMENT
EN AFRIQUE DE L'OUEST
,.
209
v
CHAPITRE l
PREALABLES METHODOLOGIQUES :~EFINITION
DES CONCEPTS "DEVELOPPEMENT" _~_L~' SO.yS-
DEVELOPPEMENT"
"
210
SECTION 1
DEFINITION DU CONCE~T_'~DE'LELO~J»_EtlEN1..u
ET
CRITIQUES
211
§1
- QU'EST-CE QUE LE DEVELOPPEMENT?
214
§2 - CRITIQUES
..:.....................
215
AI
-
LES DEFAILLANCES DE LA DEFINITIO~
215
BI
-
LES MERITES DE LA DEFINITION
217
SECTION II
LE CONCEPT DE SOUS-DEVELOPPEMENT
APPROCHES ET TENTATIVES DE DEFINITION
221
§1
- APPROCHE HISTORIQUE DU CONCEPT "SOUS-DEVELOPPE-
MENT"
222
§2 - TENTATIVES DE DEFINITION DU "SOUS-DEVE~gPPEUENT·
226
l
-
Repérage critériologique ou dé1~B_i~~_o_~~ar
indicateurs statistiques
226
Domaine économique
228
Agricul ture
229
Domaine démographique
230
Domaine culturel
·.·
230
Domaine technique .. ~
231
CRITIQUES
232
•
VI
AI - CRITIQUES D'ORDRE GENERAL . . . . . . . . . . . . . . .. .. . ..
232
1 0 ) La variation des critères:
un écueil à
toute synthèse objective
232
2 0 ) Forte projection d'un mode de vie sur un
autre
.. .. .. .. . . . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . .. .. .. . .. .. .. .. ..
233
3 0 ) Risque de résolution
"mécanique" du
problème
239
BI
-
QUELQUES REMARQUES DE DETAIL
241
10) Une certaine confusion entre causes et
effets
241
2 0 ) L'insuffisance de la production agricole
une condamnation du destin?
242
II -
Définition par Priorité de Secteurs
255
§3 -
PROPOSITION DE DEFINTION EN FONCTION DES EXPERIEN-
CES DE TERRAIN
260
CHAPITRE II
RECHERCHES ET ANALYSES DES CAUSES ACTUELLES
ET HISTORIQUES DU SOUS-_~~VELOP~EMENT
... 264
SECTION 1
FACTEURS NATURELS
269
§1
-
UN TYPE D'ISOLEMENT NEGATIF
271
§2 -
LE SAHARA : AMORCE ET POU~SUI~LE_. D~_ ~. Qt;.SERT]FICA-.
TION
273
AI
- PHENOMENE PHYSIQUE NATUREL
273
BI
-
PHENOMENE HUMAIN
274
VII
-
Phénomène humain lointain : surpâturage
désordonné et déboisement abusif
274
-
Phénomène humain actuel
:
les feux de
brousse
276
SECTION II
FACTEURS SOCIO-POLITIQUES ET ~~ONOUIQUES
279
AI - OBSTACLES ISSUS DES STRUCTURES~OCI~LES
ET
MENTALES
281
§1
-
LA FACE NEGATIVE DE LA NOTION DE ~_~~~LL~
AFRICAINE" ET DE LA PHILOSOPHIE QY~C9MMUTARISMEu 281
§2 -
LES RETOMBEES DES STRATIFICATIONS SOCIALES
286
a) La sape des jalons de l'unité nationale
291
b) Le blocage des possibilités de percèe
intellectuelle
292
§3 -
LA PERSISTANCE D_E CERTA):~LMENTAJ-_~.:r~§
:
un écueil sérieux
297
BI - ENTRAVES POLITIQUES
302
§1
- D'UN POINT DE VUE GENERAL
303
§2 - A L'ECHELON DES POLITIQUES INTERIEURES
305
CI - HANDICAPS D'ORDRE ECONOMIQUE ET TECHNOLOGIQUE 309
§1
-
LES DESEQUILIBRES APPARENTS
311
§2 - LES HANDICAPS TECHNOLOGIQUES
314
-
- -
- - - - - - - - -
VIn
SECTION III
FACTEURS HISTORIQUES ET MECANJSUES
ACTUELS...............................
318
§1
-
L'AFRIQUE DE L'OUEST A LA PERIODE PRE-MERCANTI-
LISTE
325
§2 -
L'AFRIQUE DE L'OUEST A L'EPOQUE MEBCANTILISTE
(XVIIIè SIECLE A 1800)
326
§3 -
L'OUEST-AFRICAIN A L'EPOQUE DE LA REV9_LYTIO_~
INDUSTRIELLE
331
§4 -
LES RETOMBEES DES INDEPENDANCES ET L~__"1iA·U:_,""-LI~-=-
ME" SOCIO-POLITIQUE ET ECONOMIQUE . . . . . . . . .
334
§5 - L'UNION GUINEE-GHANA
346
§6 -
LA FEDERATION DU MALI
368
CONCLUSION
385
BIBLIOGRAPHIE
396