- "
PANTHEON~SORBONNE
U.E.R D'HISTOIRE (09)
LES YARSE: FONCTION COMMERCIALE, RELIGIEUSE
ET LEGITIMITE CULTURELLE DANS LE PAYS MOAGA
(Evolution historique)
THE5E DE DOCTORAT TROl51EME CYCLE
Présentée par Assimi KOUANDA
Sous la direction de M. le Professeur Jean DEVISSE
. ! :,;.',/' ~'r: ~I:i
ANNEE 1984

j
1
,
A la mémo~~e de mon pè~e
A Kady e~ a Kade~

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l,
1
1 TABLE DES liATIERES 1
,
1
AVANT PROPOS
..
7
: .
!
INTRODUCTION
..
9
1
,
~,
PREMIERE PARTIE : L'EMERGENCE DES YARSE : un débat monde
1
mande et monde moaga . . . . . . . . . . . • . . . • . .
17
l
CHAPITRE l
- LE PAYSAGE DEMOGRAPHIQUE •••••••••••••••••••
18
1.1. Les domaines des Yarse . . • • • . • . • . . . . • . . . . . .
19
1.2. Quelques éléments quantitatifs............
22
!
,
1.3. La répartition géographique •••••••••••••••
29
1.4. Les tendances de l'histoire démographique
.
yarga
..
40
~
CHAPITRE II - LES ORIGINES DES YARSE ••••••••••••••••••••
47
,
2.1. L'historiographie et l'origine des Yarse..
48
2.1.1. Les thèses anciennes...............
49
2.1.2. Une "révolution" historiographique.
60
2.2. Les traditions d'origine..................
67
2.2.1. Les Yarse "venus de la péninsule
arabique"et du Mande...............
68
2.2.2. Les Yarse venus de Garnbaga avec les
Nakomse.......................................................
91
2.2.3. Les Yarse venus de l'intérieur du
Maogo.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
9 7

2.
2.3. Synthèses et problèmes....................
100
2.3.1. Des éléments de repères chrono 10-
gigues.............................
101
2.3.2. Les Yarse sont-ils d'origine mande?
106
CHAPITRE III - LES PREMIERS CONTACTS ENTRE MOOSE ET
MUSULMANS................................
112
3.1. A propos du "jihad" de l'Askia Mohammed l
contre les Maose..........................
114
3.2. Les réactions des nanamse face à l'instal-
lation des musulmans {Yarse)..............
118
DEUXIEME PARTIE
LES YARSE DANS LA SOCIETE MOAGA
JUSQU'AU XIXème SIECLE................
123
CHAPITRE l - L'EXPANSION YARGA A TRAVERS LE MOOGO.......
124
1.1. Les implantations antérieures au XVlllème
siècle......
126
1.1.1. Dans le Moogo Central..............
127
1.1.1.1. Les premières unités Yarse de
Wogdogo. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
127
1.1.1.2. Les établissements Yarse de la
région du Zit~nga................
138
1.1.1.3. Le G3nzurgu......................
140
1.1.1.4. Les anciens emplacements yarse
du royaume de Yako...............
141

3.
l
,
1.1.2. Dans le Moogo septentrional.........
143
1.1.2.1. Au Yaadt~nga......................
143
1.1.2.2. Au Rat~nga........................
145
1
1. 2. Les implantations des XVlllème et XIXème
siècles
_. . . . . . . . .
150
1
1.2.1. Vers les pays gurunsi..............
150
1,
1.2.1.1. Rakaye...........................
150

1.2.1.2. Sagabtênga.......................
152
1
1.2.1.3. B a k a t a . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
154
j
!
1.2.1.4. Les Yarse aux abords de la mine
•,
1
.,
d'or de P u r a . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
156
~,
1.2.2. Vers le Je1gogi....................
157
1.2.3. A Wogdogo : une communauté yarga
renforcée..........................
159
1.3. Les changements d'identité au profit des
Yarse...
. . . . . . . . . . . . . . . • • . . . . . ..
166
1.3.1. L'inventaire des soanda yarse......
166
1.3.2. Le processus de "yarsification"....
171
1.3.3. Le monde des Yarse et ses hiérar-
chisations . . . . . • . • • . . . • . . . . . • . . . • . .
176
CHAPITRE II - LES YARSE DANS LA VIE ECONOMIQUE DU MOOGO.
180
2.1. Les Yarse et le commerce au Moogo.........
181
2.1.1. Une apparition tardive dans les
sources européennes................
181
2.1.2. Un aspect essentiel dans les tradi-
tiens o r a l e s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
185

4.
2.2. Les réseaux du commerce yarga.............
188
2.2.1. Le réseau interne..................
189
2.2.2. Le réseau international............
194
2.2.2.1. Les grands courants..............
194
2.2.2.2. Les caravanes....................
199
2.3. Le commerce des captifs...................
208
2.3.1. Le vocabulaire.....................
208
2.3.2. Les Yarse comme vendeurs de captifs
213
2.4. Les parallélismes entre Yarse, Dyula et
Bausa...
217
2.4.1. Les éléments de ressemblances: des
histoires similaires...............
217
2.4.2. Les contrastes.....................
219
CHAPITRE III
LES YARSE DANS LEURS RELATIONS AVEC LE
POUVOIR ET LE PEUPLE MOAGA...............
226
3.1. Organisation socio-politique des Yarse....
227
3.1.1. Le Kasrna...........................
230
3.1.2. Le Yirana..........................
235
3.1.3. Le yar-naaba.......................
237
3.1.4. Le s i l e t e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
241
3.1.5. Le limam et le more................
242
3.1.6. Les interférences..................
245
3.2. Le r~le des représentants des Yarse auprès
des nanamse...............................
247
3.2.1. Un compromis sans compromission....
248
3.2.2. Au moment des intronisations.......
255

5.
3.2.3. Pendant l'exercice du naam.........
261
3.2.4. Lors des décès des nanamse.........
266
3.3. Yarse et Moose â la fin du XIXème siècle:
regards réciproques •.....•••....•......•••
268
3.3.l. Du cOté moaga
mépris et crainte ••
268
3.3.2. Du cOté yarga
mépris et orgueil. •
274
3.3.3. Une opposition culturelle ? • • • • • • • •
279
TROISIEME PARTIE
LES YARSE DANS LA SOCIETE MOAGA
CONTEMPORAINE.......................
283
CHAPITRE l
UN RAYONNEMENT MUSULMAN CONTEMPORAIN AU
MOOGO. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
285
1.1. Les Yarse comme agents d'islamisation....
285
1.1.1. Le réseau de diffusion............
287
1.1.2. Les marabouts yarse...............
297
1.1.2.1. Premier exemple.................
298
1.1.2.2. Deuxième exemple................
303
1.1.3. Des centres yarse comme aires de
rayonnement musulman..............
305
1.2. L'''islarn'' y a r g a . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
317
1.2.1. Les prosélytes jugent les Yarse...
318
1.2.2. Les appréciations â travers les
écrits "scientifiques"............
322
1.2.3. Le vécu et le prescrit ••••••••.•••
326

6.
CHAPITRE II
L'ELABORATION DE L'IDENTITE YARGA •••••••••
332
2.1. Les illusions ethniques ••
336
2.2. Les étymologies du terme ••••••••••••••••••
342
CONCLUSION.
346
ANNEXE 1 • • • • • • . • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
350
ANNEXE
II •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••
351
ANNEXE III. .............................................
353
ANNEXE
IV • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
361
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE • . • . . . • . . . • . • • • . • • . • • • • . • • • . • • • •
362
-r -r\\ ,_
o
o
0
o

7.
1 AVANT PROPOS 1
Malgré les lacunes
(investigations n'ayant pas couvert
l'ensemble du Moogo,insuffisances d'interpr~tations des données
orales) de cette étude, résultat d'un travail de recherche en-
gagé il Y a près de quatre ans,
nous pensons que la double
préoccupation dont elle est née a conservé sa validité tout au
long de notre démarche. Ces deux préoccupations sont :
- corriger l'image tenace véhiculée par une certaine
historiographie d'un pays "mossi" farouchement hostile
lA'" l;,hC.....
aux musulmans, en étudian
la minorité musulmane qui y
vit depuis près de quatre siècles.
Apporter une contribution à la connaissance de l'histoire
des groupes de populations qui composent 1 e.
e. lJr kina. Faso
à
travers l'étude de l'un d'eux: celui qui, grace à ses
activités, était le plus en contact avec les autres.
Nous n'aurions jamais pu mener cette étude à terme sans le
concours de certaines personnes ; nous voudrions leur exprimer
notre grande reconnaissance.
Nos remerciements vont d'abord tout spécialement à Monsieur
Jean DEVISSE, professeur à l'Université de PARIS l, qui a dirigé
avec une particulière attention ce travail et qui nous a apporté
une inestimable aide morale et matérielle. Ils s'adressent égale-

8.
ment a Monsieur Jean-Pierre CHRETIEN pour ses critiques et les
innombrables services qu'il nous a rendus.
Que les professeurs Claude Hélène PERROT, Michel IZARD,
Jean-Louis TRIAUD, Henri MONIOT trouvent ici notre gratitude
pour non seulement les éléments précieux de méthodologie que
leurs séminaires nous ont apportés mais aussi pour leur disponi-
bilité et pour les encouragements qu'ils n'ont cessé de nous
prodiguer.
Sans la collaboration de Madame VAN DUC, nous n'aurions
jamais pu sillonner une bonne partie de la zone étudiée. Qu'elle
en soit infiniment remerciée.
Nous avons aussi un immense devoir de gratitude a l'endroit
de tous nos informateurs. Certains d'entre eux sont déja morts.
1
Mais si la mort a pour vocation de détruire les mémoires collecti-
~!
ves, nous disons a nos informateurs disparus qu'elle n'a pas
atteint son objectif car le savoir qu'ils nous ont transmis sera
communiqué aux générations futures.
Nous nous en voudrions beaucoup si nous ne témoignions
pas une profonde reconnaissance à la famille EVRARD a Paris et
dans les Ardennes, a la famille VANDERCRUYSSEN a Fresnes, a la
famille MILLET dans le Jura, qui n'ont rien ménagé pour rendre
agréable notre séjour en France.
A tous les camarades et amis qui, a des titres divers ont
encouragé ce travail,
facilité son achèvement, nous disons grand
merci.
o
o
0

9.
I I N T R O D U C T I O N !

10.
Depuis quelques dêcennies, beaucoup de jeunes chercheurs
africains, convaincus que se conna!tre soi-m~me est l'un des
impêratifs majeurs de tout groupe humain poursuivant un destin
historique, ont consacrê leurs travaux (thèse ou mêmoire de
ma!trise)
à leur sociêtê, au groupe social auquel ils appartien-
nent.
Le choix de consacrer la prêsente êtude aux Yarse n'est
nullement une façon de sacrifier à une mode,
ni encore moins une
manière de les privilêgier par rapport aux autres. Nous estimons
que l'histoire de tous les groupes de populations qui composent
le
8vrk;n~
mêrite d'être êtudiêe. Il s'agit tout simplement
du fait que cette communautê nous offre la plus grande possibilitê
d'enquête et qu'elle n'a jamais fait l'objet d'une êtude historique
approfondie.
Sous le long titre, Les Yarse : fonction commerciale,
religieuse et lêgitimitê culturelle dans le pays moaga, cette
êtude s'est fixêe comme objectif de montrer la place des Yarse
dans la sociêtê moaga
(1), tant du point de vue politique, qu'êco-
nomique et culturel, depuis l'êmergence des royaumes "mossi" à
la fin du XVème siècle jusqu'à la pênêtration coloniale à la fin
du XIXème siècle.
Pour ce faire nous avons utilisê plusieurs sources et do-
cuments bibliographiques qu'il nous faut prêsenter très succinc-
tement.
(1)
singulier de moose.

12.
Wogdogo fourmillent d'indications sur:
la politique coloniale,
les rapports de l'administration avec les chefs,
la description
géographique du pays "mossi". Les Yarse n'y apparaissent que
lorsqu'il est question de recenser les différentes "ethnies" de
la colonie de Haute Volta. Signalons que les archives disponibles
au
6url<.i no...
sont difficilement utilisables parce qu'elles ne
sont pas classées. L'apport de ces archives dans ce travail est
donc faible.
Les deux derniers groupes, à savoir les publications et
les travaux non édités, forment l'essentiel de notre bibliographie.
Ceux de ces documents qui contiennent le plus d'informations sur
les Yarse sont de trois catégories :
-
les écrits sur les "Mossi" ou sur d'autres populations
africaines, plus particulièrement ceux traitant du com-
merce précolonial, font mention des Yarse :
-
les écrits sur l'islam en Afrique de l'ouest donnent
quelques renseignements sur cette population
-
les écrits consacrés spécifiquement aux Yarse ;
ils sont
malheureusement peu nombreux.
Le tableau suivant aide à mieux saisir l'évolution quanti-
tative des écrits sur ces groupes depuis le début de ce siècle.

11.
Les sources écrites
D'une façon générale,
le chercheur qui travaille sur le
Moogo (pays mossi)
dispose de trois séries de documents écrits
-
les fragments d'ouvrages arabes et européens écrits
entre le XV ème et le XVlllème siècle,
-
les récits des voyageurs européens du XIXème siècle,
-
les documents de la période coloniale et post-co1onia~.
Dans la première série, on ne trouve aucune mention sur les
Yarse. Cependant les informations qu'elle contient aident à une
compréhension générale de l'histoire "médiévale" de la région
Ouest-africaine. A cet égard les tarikh el Fettach et es-Soudan
sont très précieux.
C'est dans les deux dernières séries que le chercheur
trouve des informations relatives aux Yarse. Pour mieux apprécier
l'apport de ces documents,
nous les répartirons en trois groupes:
les archives,
les publications
(articles et ouvrages),
les travaux
non édités
(thèses, mémoires, rapports de fin d'études).
Les archives, coloniales ou post-coloniales, contiennent,
dans l'ensemble, très peu de renseignements directs sur les Yarse
Elles sont néanmoins très utiles pour les statistiques. Les études
sur la société moaga qu'elles renferment, souffrent en général
d'une ignorance et d'une méconnaissance de la culture locale.
Celles que nous avons pu consulter, aussi bien à Paris qu'à

13.
~ Documents d'ethno- Articles sur Mémoires et Mémoires de Thèses sur
histoire contenant
les Yarse
rapports
mattrises
les Yarse
au moins un chapi-
dans les re-
d'adminis-
sur le thème
Années
tre sur les Yarse
vues "scien-
tion centrés
des Yarse
tifiques"
sur les Yarse
"'"
1900-1909
0
0
0
0
0
-
1910-1919
2-
0
0
0
0
---
1920-1929
0
0
0
0
0
1930-1939
0
2
0
0
0
- - - - - - _ . _ - -
-
1940-1949
0
0
0
0
0
... _-~-
--
- - f----
.-- --
1950-1959
0
0
0
0
0
- -
-
1960-1969
1
0
1
0
0
1970-1979
2
1
1
0
0
-. - - - -
-
1980-1983
2
0
0
2
0
Ces statistiques indiquent que notre thème n'a pas êtê
suffisamment exploitê et explorê. Nous justifions encore une fois
pourquoi cette recherche. Dans le tableau ci-dessus, seule la deu-
xième colonne prend en compte des êcrits partiellement consacrês
aux Yarse,
les autres colonnes concernent uniquement des êcrits
qui leur sont rêservês en totalitê.
Dans l'ensemble l'apport de ces documents est apprêciable,
quoiqu'aucun ne cerne la question dans sa globalitê. Outre quelques
fragments d'informations relatives à leur origine et à leurs acti-
vitês commerciales, très peu de choses sont dites de leurs relation~
avec les Moose, de leur rOle dans le processus" d'islamisation du
Moogo engagê depuis le XIXème siècle et du fonctionnement interne
de cette communautê ya~ga (singulier de Yarse). Pour essayer de

14.
combler cette déficience,
i l s'avérait nécessaire pour nous d'en-
treprendre d'exploiter intensément d'autres sources:
les tradi-
tions orales propres A ce milieu.
Les sources orales
Il n'est pas nécessaire de nous attarder sur l'importance
des traditions orales en tant que sources de l'histoire. D'éminents
spécialistes ont longuement écrit sur ce sujet
(1).
Nos premières enquêtes dans le milieu yarga débutent en
1978. C'était dans le cadre d'une unité de valeur sur les méthodes
d'enquêtes orales. D'abord limitées A la ville de Wogdogo, elles
se sont élargies au royaume de Wogdogo, puis A d'autres ensembles
politiques moose. Sur les dix
n~r royaumes moos~l~ue distingue
Michel IZARD, nos enquêtes n'en ont touché que quatre.
Il s'agit
des royaumes de Wogdogo, de Kugpe1a, de Tênkodogo et du Ratênga.
Pour être plus précis, nous n'avons visité que quelques unes des
localités yarse de ces royaumes. Le choix des localités dans cha-
cun des royaumes ci-dessus cités, a été fonction de leur situation
géographique, c'est à dire de leur facilité d'accès, car les moyens
matériels mis A notre disposition sont très insuffisants. Mais au
fur et A mesure que l'enquête progressait,
nos choix ont cédé leur
place aux recommandations de nos informateurs.
"Si tu veux savoir
beaucoup sur les Jarse,
va dans tel village ou dans tel autre"
nous disaient-ils. Au total nous avons parcouru trente et une loca-
(1) Nous pensons aux travaux de Jan VANSINA et de Claude Hélène
PERROT.
(2) Voir Michel IZARD, Introduction à l'histoire des royaumes mossl, 1980
t
et 2. Aujourd'hui, l'auteur dénombre 20 royaumes dans son ouvrage
l
Gens du pouvoir, gens de la terre - p. 529

15.
1itês yarse en comptant avec cinq quartiers de Wogdogo fondês,
dit-on, par des Yarse.
( .)
Les villages Yarse situês hors de la zone moaga n'ont pas
êtê oub1iês, car nous nous sommes rendus dans les plus importantes
de leurs colonies du Je1gogi et du pays Gurunsi. Les enquêtes que
nous y avons menêes ont permis de procêder à des comparaisons
ayant abouti à l'importante constatation que les Yarse sont les
exportateurs du système politique moaga dans ces rêgions.
Nous venons ainsi de dê1imiter l'espace,
le champ,
le
domaine touchê par notre enquête. Les informations ont étê enre-
gistrêes au magnêtophone puis traduites en Français. Quelques unes
ont êtê transcrites en moope, et nous l'avouons avec tristesse, il
nous a êtê plus facile de travailler sur le texte traduit que sur
celui transcrit en moope. A partir de ces documents oraux, fixês
par êcrit, nous avons êtab1is des fiches thêmatiques avant de pro-
cêder à leur analyse critique.
Le Plan
Il essaie de respecter à la fois le logique et le chrono1o-
gique, mais selon les parties, les questions traitées,
le logique
a eu raison du chronologique, surtout dans la dernière partie de
l'êtude. C'est là encore une autre faiblesse de ce travail à 1a-
quelle s'ajoute l'inêga1e importance des dêve10ppements consacrês
aux diffêrents parties et chapitres.
- - - - - - - - -
(1) Comprendre ici par villages Yarse, des villages habités majoritai-
rement par des Yarse.

16.
La première partie comporte trois chapitres. Le premier
est consacré à l'analyse des données démographiques sur les Yarse,
et à l'esquisse d'une hypothèse générale de leur évolution démo-
graphique. Le second confronte les documents écrits et les récits
oraux pour rechercher les origines de cette communauté. Le troi-
sième évoque les premiers contacts des Moose avec les musulmans,
notamment les Yarse, dans le contexte historique du XVlème siècle.
Dans la seconde partie formée également de trois chapitres,
nous étudions d'abord l'histoire du peuplement yarga au Moogo,
ensuite leurs activités économiques
(surtout commerce)
et enfin
leurs rapports avec les autorités politiques et le peuple jusqu'au
XIXème siècle.
La dernière partie se propose d'étudier leur place dans
la société moaga contemporaine. L'accent est mis dans le premier
chapitre de cette partie, sur leur rOle dans la propagation de
l'islam au Moogo. Le deuxième chapitre essaie de définir l'identité
yarga en posant le problème de l'" e thnie".
o
o
0
o

17.
PREMI ËRE PARTI E
L'EMERGENCE DES YARSE
LIN D~BAT MONDE ,-tOAGA ET t10NDE MANDE

18.
1 CHAPITRE
1

19.
1 LE PAYSAGE DEHOGRAPHIQUE 1
1.1. Les domaines des yarse
Les groupes de populations que l'on désigne par le terme
yarse
(yarga au singulier)
sont installés pour leur plus grande
part dans le pays ~1ossi qui, dans la terminologie propre à ses
habitants s'appelle le Moogo
(1). Cette région qui se situe dans
l'actuelle
e,u,-k.ina
Fa SoO
occupe un espace relativement
important, à peu près le quart de la superficie totale actuelle
de cet Etat (2).
La particularité géographique du Moogo réside dans la grande
monotonie de son relief. L'altitude moyenne varie entre 250 et 300
mètres. C'est dans l'ensemble un pays assez plat,
très peu élevé,
raison pour laquelle certains géographes ont pris l'habitude de
parler du "plateau Mossi".
Cette horizontalité du relief est un facteur qui a
joué
un rôle important dans le développement des "routes commerciales"
(1)
Moogo désigne le monde des Moose, mais aussi la campagne.
(2)
La superficie totale du ~';rkjn(2 I=aso
est de 274.QOO krn 2 •
IL
est limitée au nord et à l'ouest par le Mali, à l'est par le
Niger, au sud par la COte d'Ivoire,
le Ghana,
le Togo et le
Bénin.

20.
à une êpoque bien antêrieure à la colonisation française du XIXe
siècle. Ce qui a eu pour conséquence l'ouverture du Moogo à un
certain nombre de commerçants et d'êtrangers parmi lesquels on
place habituellement les yarse.
L'appartenance du pays à
la zone soudanienne lui permet
d'avoir une pluviomêtrie qui, combinêe avec les efforts des hommes
pour s'adapter à un milieu naturel peu favorable dans l'ensemble,
expliquent en partie la densitê relativement forte
(1). Les prêci-
pitations, comprises entre 500 et 1000 millimètres par an,
dimi-
nuent à mesure que l'on s'avance vers le nord.
La relative prêsen-
ce de l'eau a une importance très grande.
Pour les caravaniers, elle facilite les liaisons rêgulières
entre les multiples points du pays,
et permet d'assurer un ravi-
taillement en produits provenant soit du nord
(essentiellement le
sel), soit du sud
(Kolas)
dont les yarse se sont rendus les spê-
cialistes.
Pour les agriculteurs
(les 1100se le sont en gênêral)
l'eau
de pluie qui tombe pendant trois mois de l'annêe est nêcessaire
pour faire pousser sur les champs, en hivernage,
le mil
(2),
le
mars,
le sorgho
(3)
et le riz. Binger remarquait à
la fin du XIXe
siècle la beautê du riz moaga,
cultivê dans les bas-fonds, qu'il
comparait au riz de Caroline
(4).
(1)
La densitê du "plateau Mossi" est de l'ordre de 40 habitants
au km 2
( 2)
Le mil sert surtout à prêparer le Babgo
(tO)
et le zom-kom
(farine de mil dêlayêe dans le l'eau)
qu'on offre aux visiteurs.
( 3)
Le sorgho sert dans la fabrication du p~am (dola, bière de mil) .
( 4 ) BINGER, Du niger au golfe de Guinêe, 1892, p. 484.

20 bis
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21.
Un paysage de savane, parsemé de baobab
(1), de karité
(2),
de néré
(3), autant d'arbres dont l'ombre offre aux marchands des
lieux de repos ou de prière pendant les longues marches journaliè-
res et dont les racines,
les écorces,
les feuilles et les fruits
sont utilisés aussi dans la fabrication de produits commerciali-
sables. On en tire notamment toute une pharmacopé~ tout aussi ef-
ficace que la médecine moderne sur certaines maladies. En outre,
avec certaines écorces, on fabrique des cordes très solides pour
attacher les animaux et parfois même les hommes.
La
faune
est abondante. On rencontre de grands herbivores
(éléphants, girafes)
et de grands carnivores
(lions, panthères).
Les peaux et les os de ces animaux sont exploités pour des raisons
thérapeutiques.
Ils sont soit découp§s en petits morceaux qu'on
suspend à l'aide d'une ficelle au cou des enfants pour les proté-
ger contre les maladies, soit bouillis dans de l'eau pour donner
aux malades la force et l'énergie comparables à celles des bêtes
en question. Les marabouts exploitent aussi ces peaux pour fabri-
quer des amulettes dites protectrices.
La présence des Yarse ne se limite pas seulement au Moogo.
On les rencontre à peu près sur l'ensemble du
ticulièrement en pays "gurunsi" oü ils sont appelés selon les en-
droits Waala,
M~-yepi(4), et à l'extrême nord en pays peul (le
(1)
AJan50niep digitida
(les feuilles servent dans les sauces).
(2)
Butypospepnum
(les noix servent à fabriquer le beurre de karité.
(3)
Papkia biglobosa
(arbre dont les fruits et les graines servent
dans la préparation des sauces).
(4)
Ces groupes WaalaetM~-yepidisent qu'ils sont des Yarse. Waala
parce qu'ils sont venus de Wa, et M~-yepi pour ceux d'entre eux
qui viennent directement du Mande.

22.
Jelgogi), région essentiellement sahélienne dont la principale
activité des habitants est l'élevage.
Après ces considérations générales sur l'espace où vivent
les yarse, essayons si possible de donner une idée globale de leur
nombre afin de voir leur représentation par rapport à l'ensemble
de la population du pays. Car les yarse ne sont pas également re-
présentés partout.
Ils sont dispersés. L'absence de statistiques
précises rendent difficiles notre entreprise. Néanmoins i l est
possible de se faire une idée de leur importance numérique parmi
l'ensemble moaga.
1.2. Quelques éléments quantitatifs
Les données chiffrées sur les groupes yarse sont peu nom-
breuses et du reste difficilement utilisables pour plusieurs rai-
sons.
Les plus anciennes statistiques datent évidemment de la
période coloniale. Or, comme on le sait, ces chiffres sont à
prendre avec précaution ~
ils ne peuvent fournir ni l'exactitude,
ni les précisions souhaitées car les conditions des opérations de
comptages administratifs, de sondages,
le sérieux des agents de
recensement de cette époque, la méfiance des populations recensées
(due aux objectifs fiscaux assignés à ces opérations), sont au-
tant d'éléments qui peuvent avoir influencé les résultats
(selon
les cas dans le sens de la surestimation ou de la sous-estimation).
Néanmoins, ils fournissent des matériaux qui, si discutables soient-
ils, peuvent tout de même être utilisés.

23.
Ces chiffres ne concernent pas toujours la totalité du
Moogo. La fragmentation des données fait qu'on ne trouve que ra-
rement des chiffres d'une m~me année pour deux régions différen-
tes, ce qui pose un problème de comparabilité de ces données. Au-
tres difficultés, elles concernent des "cercles"
(entités adminis-
tratives coloniales) qui regroupent des villages n'appartenant pas
toujours aux m~mes aires culturelles.
Les critères d'appartenance ou de non-appartenance aux dif-
férents groupes de populations vivant sur l'espace étudié ne sont
jamais définis avec clarté
(1). Sur quels critères en particulier
les enquêteurs ont-ils différencié les Yarse des Moose qui parlent
tous la même langue (le moore)
? Question cruciale pour notre sujet!
A ces limites dues à la nature même des sources,
i l faut
ajouter le fort "coefficient idéologique" influant sur la perspec-
tive des administrateurs coloniaux. En effet, d'une part les Yarse
sont dans leur majorité musulmans
(2), et il faut se demander dans
quelle mesure l'administration coloniale française qui a eu plu-
sieurs attitudes à l'égard des musulmans de ses colonies n'a pas
"forcé" les chiffres afin qu'ils justifient et légitiment sa poli-
tique. D'autre part, la volonté de voir des clivages ethniques par-
tout en Afrique, même là où ils n'existaient pas en tant que tels
rendent parfois peu crédibles les effectifs attribués à chacun de
ces groupes. Jean Pierre Chrétien pose à
juste titre le problème
en ces termes : "Avec la dimension
"ethnique", 'chappe-t-on d la
(1) Nulle part les documents n'indiquent leurs critères de classi-
fication.
(2)
Ils se présentent comme musulmans même si un certain nombre
d'entre eux ne sont pas toujours bons pratiquants ou ne le sont
même pas du tout.

24.
vision classificatoire et fig~e des naturalistes plaquée sur les
sociét~s africaines et dont le seul horizon est la domestication
par l'Etat moderne
(colonial ou post-colonial) des groupes barbares
dispers~s ou bien la pr~servation d'espèces en voie de disparition.
La question ethnique en Afrique risque encore de se r~duire à une
simple technique administrative ou à une bienfaisance exotique qui
ne serait pas sans ~voquer le mouvement philanthropique de l'Angle-
terre victorienne"
(1).
Toutes ces réserves faites,
i l convient de présenter main-
tenant les statistiques anciennes et de les confronter avec les
chiffres plus récents dont la crédibilité reste par ailleurs aussi
douteuse que celle de la période coloniale
(2).
En 1912, dans Le Noir du Soudan, Tauxier, se fondant sur un
recensement effectué en 1909, évaluait le nombre de Yarse au Moogo
(moins le Yaadtênga) et au "Gurunsi" il soixante douze mille, sur
une population totale de un million deux cent mille.
"Nous pouvons
[dit-il] donner le compte exact des Yarse dans les quatre derniè-
res r~gions : dans
le cercle m~me de Ouagadougou ils sont 61.000,
8.000 dans
la r~sidence de Tenkodogo,
3.000 dans
la r~sidence de
L~o, en tout 72.000 pour une population de 1.200.000 habitants en-
viron"
(3).
(1)
CHRETIEN "L'alibi ethnique dans les politiques africaines"
Esprit nO 7-8,
1981, p.
110-111.
(2) Il Y a eu beaucoup d'irrégularités lors du recensement de 1975.
Des ménages n'ont pas toujours déclaré tous leurs membres.
(3) TAUXIER, Le noir du Soudan,
1912, p. 415.

25.
Cinq ans plus tard,
le même auteur dans un autre ouvrage
intitulé Le Noir du Yatenga, apporte des informations chiffrées
sur le nombre de Yarse au Yaadtênga : "Il y a approximativement
3200 commerçants dans
le pays samo du cercle de Ouahigouya dont
2000 Yarse
[ ••• ]. Disons d'abord que les Yarse
(y compris
les
1200 Markas)
sont au nombre d'une vingtaine de mille environ dans
. le Yatenga.[ .•• ] Le sud-est et l'est du cercle poss~dent environ
les
46% des Yarsés du cercle,soit 9200 ~mes environ.
Le nord et
le nord-est en revanche ont peu de Yarsés
(1400 environ,
7% du
total du cercle).
Le nord-ouest
(en y comprenant le Diogore et le
Lago)
a 18%
des Yarsés du cercle,
soit 3600 approximativement.
Le sud-ouest
(pays samo)
en a 16% soit 3.200.
Enfin le sud propre-
ment dit
(Goursi,
Kasseba,
Niessega,
Boussou)
en a 13% soit
2600"
(1).
Si l'on fait l'addition on retrouve effectivement le nombre
de vingt mille avancé par l'auteur
(2). Signalons au passage que
Tauxier, pour ne pas modifier ces pourcentages a préféré inclure
dans ses opérations les ~ille deux cents Marka. Marka et Yarse
sont-ils les mêmes pour lui, ou bien,
son calcul portait sur les
"étrangers" ou une catégorie précise "d'étrangers".
Il Y aurait donc, en additionnant les deux chiffres 92.000
Yarse au début du XXème siècle au Moogo et au Gurunsi.
Inutile
(1) TAUXIER, Le Noir du Yatenga,
1917, p.
558-559.
(2)
Le nombre de vingt mille Yarse parait être une "conversion"
des vingt mille Mande Dyula de DELAFOSSE
(Haut-Sénégal-Niger)
qui vivent dans le cercle de Ouahigouya, en Yarse.

26.
d'insister sur la valeur qu'on peut accorder à ce nombre.
Il re-
présente un ordre de grandeur très peu satisfaisant. Faute de
mieux essayons de l'exploiter en souhaitant qu'il ne s'écarte
pas trop de la réalité.
A la même époque, la population moaga et gurunga est esti-
mée à 1.450.000
(1)
ce qui signifie que les Yarse représenterait
un peu plus de 6% du total. Si nous nous attardons sur ces nom-
bres, c'est parce qu'ils sont les plus anciens et ont une impor-
tance sur les origines de ces groupes et leur date de migration
au Moogo. Comment comprendre et expliquer que des groupes que cer-
tains prétendent avoir quitté leur pays d'origine à la fin du
XVlllème siècle représentent un nombre aussi élev~, après seulement
un siècle de présence en territoire étranger sans qu'aucune source
n'indique des migrations de plusieurs milliers de personnes.
D'après les résultats du recensement g~néral de la popula-
tion du
&vrkine>..- Fâ.Sl>
effectué en 1975 avec le concours du FNUAP (2),
devrait compter en 1982 un effectif de 6.360.000
habitants
(3). Les Moose qui forment l'élément dominant représen-
teraient 48% de cette population (4).
(1)
1.200.000 pour le Moogo central et méridional et 250.000 pour
le Yaadt~nga selon toujours TAUXIER.
(2) Fonds des Nations Unies en matière de population.
(3)
Recensement général de la population, Volume l
; les données
nationales, Haute-Volta, 1975, p. 133.
(4)
PALLIER, Géographie générale de la Haute-Volta,
1978, p. 61.

27.
A partir des enqu@tes menées au cours de ce recensement,
l'Institut National de la Statistique et de la Démographie a fait
para!tre quatre ans plus tard, en décembre 1979, un document inti-
tulé Fichier des Villages qui contient un certain nombre d'indica-
tions
-
un recensement général des villages, classés par ordre
alphabétique, par arrondissement, sous-préfecture et
département.
-
Des indications sur "l'ethnie" dominante dans chaque vil-
lage et l'effectif de la population résidente par village.
Le fichier ne mentionne pas les effectifs des dites
(1)
"ethnies dominantes".
- Des informations sur le nombre de postes sanitaires, dis-
pensaires et d'écoles par village.
En le parcourant attentivement, on peut dénombrer cent six
villages où les Yarse forment le groupe dominant. Ces villages
totalisent une population de 74.920 habitants. Pour que ce nombre
puisse @tre très intéressant et suffisamment parlant, i l faudrait
d'une part lui ajouter les grosses et petites minorités Yarse vi-
vant dans les autres villages, et d'autre part en soustraire les
minorités représentées par les autres groupes dans ces villages
Yarse. En l'absence de toutes ces précisions, considérons un moment,
avec tous les risques que cela représente, que la population Yarga
se chiffrait à 74.920, soit 2% de la population Moaga en 1975.
Au regard de ces données,
il faut éviter de formuler des
conclusions rapides. Cependant on peut poser déjà trois
observations
principales.
(1) Le recensement effectué en décembre 1985, ne donne aucune précision
sur les effectifs des différentes nationalités ou ethnies du Burkina
Faso.

28.
La première consiste à dire que les chiffres avancés aussi
bien par Tauxier que par le recensement sont dénués de tout fonde-
ment et ne peuvent servir à apprécier l'évolution démographique
des Yarse.
La seconde consiste à penser que les Yarse ont énormément
émigré depuis le début du siècle soit en direction des pays voi-
sins, soit à l'intérieur d~
Bvrl<..ino"
F4S0.
S'ils sont plus nom-
breux, en situation de minorité qu'en situation de majorité, cela
expliquerait alors la diminution de leur nombre, sur la base du
calcul fait à partir de l'addition des chiffres de populations des
villages où ils sont dominants,
comparé à l'effectif de 1909.
La troisième est que les Yarse seraient en voie de dispari-
tian par suite d'une intense "massification". Ce qui n'est d'ail-
leurs pas à exclure dans la mesure où l'administration, m~me post-
coloniale, considère les Yarse comme faisant partie du "groupe
e,thnique" moaga. Les exemples précis de cette poli tique de "mossi-
fication" se remarquent au moment de l'établissement des pièces
d'identité où, à la rubrique "ethnie",
les Yarse doivent faire
porter "mossi n
(1).
Le langage de l'administration est double et contradictoire.
Quand i l s'agit des opérations de recensement il y a des Yarse
qu'on accepte différents des Hoose et qui constituent un groupe
ethnique à part. Mais quand i l est question de reconnattre à ces
gens leur spécificité sur leurs propres pièces d'état civil,
il
n'y a plus que des Moose. Le critère pris alors en compte est la
langue. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce problème.
(1) C'est ce que nous ont rapporté nos informateurs et nous avons
pu le vérifier.

29.
Les villages de Yarse que nous avons visités ont très peu
d'éléments non-yarse. C'est pourquoi, en tenant compte de leur
représentation dans les autres villages -
car dans la plupart des
villages moose i l y a au moins un quartier yarga
(1)
-
nous émet-
tons l'hypothèse qu'ils sont actuellement autour de cent mille
dans
l'ensemble d" B","K,,,o.. ~c<'J.o
1.3. La répartition géographique
Les cent six villages oü les Yarse forment l'élément domi-
nant de la population sont situés, presque tous, dans la zone
moaga.
Les tableaux ci-dessous permettent de mieux saisir leur
répartition actuelle par département.
La division administrative
de la Haute-Volta, à partir de laquelle les tableaux ont été con-
çus,
n'est plus en vigueur depuis le 15 septembre 1983, date à
partir de laquelle i l y a eu un nouveau découpage organisant le
pays en vingt cinq provinces
(2). Mais nous devons tenir compte
du classement effectué à l'époque du recensement de 1975.
(1)
KAWADA, Génèse et évolution du système politique des Mossi
méridionaux,
1979, p. 26.
(2) Ordonnance nO 83.012 CNR/PRES du 15 septembre 1983. Cette ordonnance
a été remplacée par l'ordonnance 84-055 CNR/PRES du 15 Août 1984 qui
découpe le territoire en 30 provinces et 250 départements.

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30.
Dêpartement du Centre
Sous Prêfectures
Villages Yarse
Effectif population
(1975)
Kombisiri
Rakaye yarse
l
033
Wogdogo
Yamtinga
640
Sapone
Sagaltenga Yarse
l
487
Sambin
1 106
sambsin
537
Sandiba
621
Siltougdo
349
Targbo
1 182
Timaneboin
1 008
Tundu
704
Watinga
554
Yansare
874
Zegdegin
741
Tiebele
Zecco Yarse
131
Ziniarê
Andem
1 127
Bissiga
1 584
Dinianarna
649
Koada yarse
380
Moyargo
364
Urgu Yarse
825
Tampaga yarse
244
Cisse yargo
421
Manesa
2 941
-

31.
Département du Centre Est
Sous préfectures
Villages Yarse
Effectif population
(1975 )
..
Kalpéla
Boure Yarse
324
Kalmado
207
Kampoayargo
458
Nabdogo
169
Similgu yarse
1. 089
Tamesi
250
Tubuyu Segcm
593
Tenkodogo
Bane yarse
260
Besem
263
Bissiga yarse
399
Dascinê yarse
304
Bukubole
420
Kampougo yarse
821
Kiniwaga
195
Malenga yarse
456
Sakanse yarse
2.053
Tissibia
265
Zabre
Zoaga yarse
III

32.
Département du Centre Ouest
Sous Préfectures
Village Yarse
Effectif population
(1975)
Kudugu
Siton Yarse
350
Somasi
946
Yargo
1. 202
Leo
Kubunga
589
Bakata
1. 356
Yako
Bubulu
2.533
Kirsi
3.822
Yarsin
564

33.
Département du Centre Nord
Sous Préfectures
Villages Yarse
Effectif population
(1975)
Bou1sa
Gimsogo yarse
615
Konkoara yarse
1. 883
Hokin yarse
4.318
Kaya
Arouem
431
Fu11u yarse
373
Gon1gui yarse
560
Tampe1ga yarse
436
Be1gin yarse
715
Gamgargin
379
Uga yarse
1. 008
Konkoure
833
Yargo yarse
2.620
Gande yarse
836
Gombre
713
Kongusi
Bou1enga
713
Kie11a
694
Liudugu
514
Nambegin
336
Wa1a yarse
125
Siginvuse
173
Siginvuse yarse
182
Sisin yarse
170
Sogodin yarse
120
Yargo
546
Pisila
Kiemna
1. 026
Li1bure
385
Rumba yarse
383
Tibi yarse
655

34.
Département de l'Est
Sous Préfectures
Village yarse
Effectifs population
Fada
Yarsitenga
66
Département du Sahel
Sous Préfectures
Village yarse
Effectifs population
Djibo
Kelbo yarse
1. 287

35.
Département du Nord
Sous Préfectures
Villages yarse
Effectifs population
Gursy
Kanda kanda
982
Ramba
151
Tarba yarse
588
Ouahigouya
Bagaoko
467
Ganeyiri yarse
416
Goumba yarse
413
Gesum yargo
265
Kelegerima yarse
245
Nongo yarse
1. 537
Bem
1. 429
Lobere
1. 047
Samba douli
791
Sango yarse
151
Segenega
Amsunde
662
Bangasiba
262
Buga yarse
2.544
Iria yarse
840
Konkabako yarse
720
Longue yarse
193
Namasa
1. 085
Puto yàrse
307
Remene
708
Sacre
273
Sampe1a
455
Silmigu
102
Sommamere
103
Songa
nno
Toegin yarse
261
Zindinogo
1.035

36.
Sur l'ensemble dCol
B v r f...,; "Cl.-
, il Y a à peu près
7.363 villages
(1). Les villages yarse représentent 1,43% du
total, alors que la population yarga représente environ 1% de la
population totale. Si on considère leur répartition, il convient
de souligner que les plus fortes densités yarse sont présentes
dans les départements du Centre-Nord
(avec des vi~lages comme
Konkoara, Yargo Yarse), du Nord, du Centre
(Rakaye,Sagabtênga (1),
Andem)
et du Centre-Est. On ne signale aucun village peuplé d'une
majorité de yarse à l'Ouest.
A l'Est, en pays Gurma, il y a un seul petit village
yarga de soixante six habitants.
Il en est de même en pays peul
o~ seul Kelbo yarse est une grosse agglomération yarga, avec mille
deux cent quatre vingt sept habitants
(Se reporter aux tableaux
précédents).
Ces tableaux montrent une faiblesse
des concentrations
yarse. En effet sur les cent six villages, seulement vingt trois
ont une population supérieure à mille habitants, et trente et un,
entre cinq cents et mille.
Il s'agit donc de petits villages avec
un habitat relativement groupés par unités de quartier.
Certains de ces villages peuvent être distingués assez
rapidement des communautés voisines par leur toponymie.
Il s'agit
des noms qui ont une terminaison en yargo ou yar8e, quand ils ne
sont pas les radicaux. Cette caractéristique ne concerne pas
cependant tous les villages.
Ils interviennent souvent dans les
cas où commmnautés Yarse et Moose habitent des villages très pro-
(1)
Fichier des villages de Haute-Volta,
1979, PassIm.

37.
ches portant le même nom. Dans ces conditions une étiquette
correspondant à l'éthnonyme de la majorité des habitants est
accolée au toponyme.
Cet étiquetage "ethnique" peut être un indice révélateur
de l'ordre d'installation des populations et revêt alors une
grande importance historique.
Les premiers occupants des lieux,
des Moose en général, donnent le nom au village. Puis lorsque
les seconds arrivent (les yarse),
ils s'installent à cOté et ne
se mêlent pas aux premiers.
Ils forment un groupe à part. Avec
l'arrivée d'autres yarse,
le groupe s'agrandit. La communauté,
devenue ainsi importante forme un saka
(quartier)
puis
un village
(tênga)
dans le village. Elle s'organise sur ses propres bases et
fonctionne de façon presque autonome. Dès lors,
pour distinguer
les deux communautés ou précisément pour diffêrencier les en-
droits où chacune d'elles est majoritairement fixée,
on a recours
aux "ethnonymes "Yarse et Moose.
Par exemple Sagabtênga Yarse et
Sagabtênga Moose, Rakaye Yarse et Rakaye Moose. Cette division
daterait, d'après Michel Izard, de la période coloniale :"L'ad-
ministration française a procédé à un certain nombre d'aménagements
dont on rendra brièvement compte ici. De nombreux villages marqués
par une bipolarité ethnique apparente ou réelle,
ont été divisés
en deux unités villageoises distinctes considérées comme homogènes,
cette procédure ayant notamment eu pour effet de constituer en
villages autonomes les plus importants groupements yarse."(l)
(1)
IZARD, Les archives orales d'un royaume africain,
1980, p.
39.

38.
Mais nous pensons que l'administration n'a fait qu'entériner une
situation qui existait antérieurement.
Il faut noter aussi que le
processus ne se déroule pas dans un seul sens :
inversement,
lorsque ce sont les Yarse qui se sont installés les premiers
dans un village, ce sont eux qui étiquettent le quartier des
Moose.
Cependant, m~me dans le cas où les Yarse sont les premiers
implantés, cela ne leur donne pas la propriété da la terre. En
effet celle-ci appartient aux Moose et si les Yarse souhaitent
étendre leur domaine,
ils sont obligés de faire une demande au
aaaba
(roi moaga)
qui commande la région. L'acceptation est suivie
de rituels "animistes" que des musulmans rigoristes sont bien
embarrassés de suivre
(offrandes aux anc~tres et aux génies).
Tauxier signale qu'au Yaadt~nga, "quand un Yarga veut faire un
champ dans
~a brousse vierge, i~ demande ~'autorisation au chef
Mossi du vi~~age avec un pou~et ou deux.
Le chef égorge ~es pou-
~ets dans ~a brousse, à ~'endroit demandé et ~es offre à ce~~e-ci,
puis i~ mange ~es pou~ets gri~~és avec ~e demandeur.
Ce~a fait,
i~ ~ui donne ~'autorisation de défricher et ~ui souhaite bonne
récolte."
(1).
En réalité,
le problème n'est pas aussi simple car le
~aaba ne dispose pas toujours de terre ; il joue souvent le rôle
d'intermédiaire entre les Yarse demandeurs et les vrais proprié-
taires de la terre
(2). Dans ce cas c'est lui qui s'occupe éven-
(1) TAUXIER, Le Noir du Soudan,
1912, p.
789
(2)
Ce sont les buudl<.a~.""JQ.m.bo.... (chefs lignagers).

39.
tuellement de faire le nécessaire, pour les sacrifices demandés
car, avant d'adresser leur demande,
les Yarse sont allés le
saluer plusieurs fois en lui apportant des cadeaux
(noix de kola,
sel, cauris)
(1). Une fois installés,
les Yarse peuvent traiter
directement avec les vrais possesseurs de la terre en vue d'élar-
gir l'espace qui leur a été donné. En cas d'accord .C-eS derniers
informent le naaba
qui en prend acte.
Les significations des noms de leurs villages, en dehors
de celles qui indiquent des soanda
(patronymes)
des lignages fon-
dateurs
(par exemple : Bagaoko, village de Bagyan, Kondse, village
des Kuanda)
ne diffèrent pas beaucoup des noms donnês aux villages
moose. Elles renvoient aux circonstances de création du village,
à la végétation dominante ou au relief de la localité. Citons quel-
ques exemples pour
illustrer nos propos.
Siginvuse signifie littéralement "décharger pour se reposer".
Il est possible que ce village ait été à l'origine un endroit où
les caravanes yarse déchargeaient leurs cargaisons ou s'arrêtaient
quelques moments avant de poursuivre leur route
(2). De même Kele-
grima qui veut dire "écouter le ro i :" montre que les fondateurs
ont voulu traduire leur fidélité au souverain. En ce qui concerne
les noms décrivant la flore dominante, i l y a entre autres Sisin,
ROnsin, Toesin (3). Quant aux toponymes révélateurs de la morpholo-
(1)
BIKIENGA Karim, Moyargo, 12 novembre 1982
(2) Village situé sur une ancienne route de commerce en direction .
de Dori.
(3)
Sisin, endroit où il y a beaucoup de Anegeissus Leixantous.
Ronsin, endroit où il y a beaucoup de Parkia biglobosa
Toesin,
là où il y a des Adandonier digitada.

40.
gie, nous pouvons citer Bisiga
(sol sablonneux), T~nmisi (collines
rouges), Tanp~ga (au bas de la colline). Le constat de l'existence
de ces nombreux villages soulève la question de l'évolution démo-
graphique des Yarse.
1.4. Les tendances de l'histoire démographique yarga
Il serait vain de vouloir retrouver le nombre exact des
Yarse au début de leur implantation au Hoogo. Les traditions recueil-
lies à propos de leurs origines ne donnent pas toujours le nombre
des migrants. Les allusions quantitatives apparaissent dans l'utili-
sation d'adjectifs ou d'adverbes de quantités:
"Ils étaient peu
nombreux,
c'était seulement une
famille,
ils étaient en groupe."(l).
M~me avec les récits qui donnent un nombre, il est difficile, voire
impossible d'aboutir à une approximation, d'abord parce que l'en-
qu~te n'a pas touch6 tous les villages et plus encore parce que
les ascendants de tous ceux qui se prétendent yarse aujourd'hui
ne l'étaient peut-~tre pas il y a quelques siècles. D'autre part,
les chiffres fréquemment avancés,
rarement supérieurs à cent, sont
stéréotypés. Il s'agit de un, trois,
sept, neuf
(tous des chiffres
impairs)
; quelquefois ils sont multipliés par dix notamment en
ce qui concerne neuf, sept et trois;
"Quand notre ancCtre a quitté
le Mande pour venir au Moogo,
i l était avec ses deux fr~res." (2).
"Les premiers Yarse a venir au Moogo étaient au nombre de sept."(3).
(1)
C'est de cette façon que répondent certains informateurs lors-
qu'on leur pose la question de savoir qui accompagnait leur
anc~tre.
(2)
DERA Daouda, Ziniaré ,
12 novembre 1982.
(3)
KOUANDA Silamané, Kombisiri,
17 octobre 1982.

41.
Pour un autre informateur, quatre vingt dix Yarse auraient quittê
Sêgou pour venir s'êtablir au Moogo
(1). On ne peut douter que
ces nombres soient stêrêotypês. Dans toutes les sociêtês, certains
chiffres ont des valeurs symboliques. Ainsi par exemple chez les
Moose, on constate que trois et quatre sont sexuês. Trois reprê-
sente le sexe masculin, alors que quatre renvoie aux femmes. Ces
chiffres s'appliquent à des faits individuels
(prêparer un talis-
man pendant trois jours, avertir quelqu'un trois fois avant de le
sanctionner) ou collectifs
(le nouveau Moog-naaba en compagnie de
son peuple doit faire sept fois le tour du palais, les marchês ont
lieu tous les trois jours). Dans d'autres civilisations, le chiffre
sept intervient dans beaucoup de rituels. Le Hajj musulman nous
offre un exemple prêcis avec l'obligation pour le pêlerin de faire
sept fois le tour de la kaaba.
L'interprêtation que nous portons sur ces nombres d'immi-
grants yarse ne s'arrête pas au caractère stéréotypê des chiffres.
Ceux qui affirment que leur ancêtre est arrivê seul, mettent l'ac-
cent à notre avis, sur le courage,
l'aventure solitaire du mara-
bout venu pour islamiser le Moogo et en premier lieu le chef de
ce pays. En revanche,
lorsqu'il s'agit de groupes, on ne peut
s'empêcher
(connaissant les activités des Yarse)
de penser à une
caravane de marchands et surtout lorsque l'itinêraire suivi par
les mêmes ancêtres correspond à une ancienne route de commerce.
(1)
RABO Ousmane, Kongusi,
24 dêcembre 1982.

42.
De toute façon, on peut retenir l'idée qu'aux premiers
temps de leur installation,
les Yarse n'étaient pas très nom-
breux pour la simple raison qu'ils ont obtenu des privilèges
(l)
que les autorités moose ne leur auraient sans doute pas accordés
s'ils avaient été des milliers. S'ils avaient été très nombreux,
ils auraient probablement eu des conflits avec les autorités poli-
tiques moose qui auraient vu en eux des envahisseurs cherchant à se
tailler un domaine.
On pourrait peut-~tre nous reprocher de n'avoir pas tenté,
avec les chiffres du début de l'époque coloniale, un raisonnement
à rebours. Ce genre d'extrapolation comme le rappelle si justement
Christian Thibon "repose sur le postulat d'une
"population stable",
encore faut-il que les populations n'aient pas été bousculées par
des crises importantes"
(2). Or, comme nous le verrons plus loin,
les mouvements démographiques dans les milieux yarse ne sont pas
seulement liés au jeu interne de la natalité, de la mortalité,
des calamités naturelles; i l Y a aussi des apports qu'il est dif-
ficile d'apprécier quantitativement.
Si, comme nous l'affirmons plus haut,
les yarse ~taient
peu nombreux à leur arrivée au Moogo, pendant combien de temps le
sont-ils restés? En d'autres termes, peut-on déceler à travers
leur histoire au Moogo, des grandes tendances d'évolution démo-
graphique ?
(l) Nous y reviendrons plus loin.
(2) THIBON "D'mographie historique : perspective de recherches"
in CHRETIEN, Histoire rurale de l'Afrique des grands lacs,
1983, p.
225.

43.
L'examen des donnêes des enquêtes orales permet de dêcou-
per l'histoire dêmographique Yarga en trois grandes phases.
La première va en gros du règne de KUMDUMYE
(1540-1566)
?
à celui de WARGA
(1737-1744)
? Elle serait caractêrisêe par une
croissance relativement faible. Les raisons qui militent en faveur
de cette hypothèse sont multiples. Les informateurs, en êvoquant
cette pêriode,
insistent beaucoup sur l'age tardif au mariage chez
les hommes.
"Il était non seulement tpès diffieile d'avoip une
eonjointe, mais aussi poup y ppétendpe il fallait avoip quapante
ans et plus"
(1). Les difficultês dont i l est question ici, sont
surtout liêes à l'impossibilité d'aller chercher sa compagne hors
du groupe yarga. Les êchanges matrimoniaux se faisaient entre Yarse
de sondpe
(patronyme)
diffêrents.
Les exceptions se limitaient aux
quelques jeunes filles que les souverains moose donnaient aux chefs
des lignages yarse
(2). La difficultê tenait aussi au fait qu'au
dêbut,
ils n'auraient pas voulu avoir des alliances avec n'importe
quel lignage moaga, afin de prêserver ou de conserver leur "puretê".
Les vols de femmes êtaient sêvèrement punis, car l'honneur de toute
la communautê êtait en jeu.
A cette phase,
les Yarse êtaient essentiellement,comme on
le verra, des marabouts itinêrants, des colporteurs. Il est possi-
ble que ces activitês les obligeant à se dêplacer constamment leur
(1) KOUANDA Issa, Kombisiri, 16 octobre 1982.
(2)
Plusieurs rêcits font cas de jeunes filles que les nanamse
donnaient aux ancêtres des Yarse.

44.
commandaient d'avoir des familles
(au sens européen du mot)
assez
peu nombreuses. Leur accroissement serait alors uniquement lié à
la reproduction naturelle qui ne devait pas @tre très forte en
raison des facteurs déjà évoqués, mais aussi à cause d'une forte
mortalité due aux conditions de vie très précaires et aux calami-
tés. En effet, d'après Sêkénê Cissoko, du XVlème au XVlllème
siècle, plusieurs famines et épidémies ont secoué toute la boucle
du Niger
(1).
La seconde phase débute à partir du règne du Moognaaba
WARGA, dans la première moitié du XVlllème siècle. Jusqu'à la fin
du XIXème siècle, les Yarse s'implantent fortement dans plusieurs
régions du Moogo.
Ils combinent,au niveau de leurs activités,
commerce, artisanat et agriculture. Leurs relations avec les popu-
lations moose ne sont plus seulement de simples contacts entre
vendeurs et acheteurs et l'idée que les Yarse sont des étrangers
de passage fait place à celle qu'ils sont des étrangers intégrés.
En se tournant en plus vers l'agriculture,
la nécessité d'avoir
beaucoup de bras pour mettre en valeur leurs champs devient impé-
rieuse.
Ils achètent et adoptent des captifs. Les Yarse ne sont
plus uniquement installés dans les capitales politiques ou dans
les grandes places de marchés.
Ils "parsèment" les Weto
(2)
(1) CISSOKO "Famines et épidémies à Tombouctou et dans
la boucle du
Niger du XVIème au XVIIIème siècle" Bulletin de l'IFAN T. xxx
série B,
nO 3,
1968, p.
806-821.
(2)
Weto,
au singulier weogo,
indique la brousse et particulièrement;
les champs de brousse situés à une distance relativement éloi-
gnée du village.

45.
(brousses) où ils ouvrent des cultures à côté de celles des Moose,
et le soir venu,
les plus instruits d'entre eux enseignent le Coran
à leurs enfants. Le XVlllème siècle est effectivement celui où
l'islam commence à toucher le peuple moaga. La conversion de cer-
tains souverains a facilité celle de quelques-uns de leurs sujets.
Les Yarse ont désormais la possibilité de tisser des alliances ma-
trimoniales avec les familles des Moose convertis à l'islam, dans
la mesure où les convertis devenaient eux-m~mes Yarse, par le
simple fait d'avoir adopté la religion de ces derniers. La parti-
cipation de Moose aux caravanes de commerce où les musulmans
(1)
sont largement dominants les oblige à se yarsifier. Le nombre de
Yarse au Hoogo gonfle. Et les distinctions entre "vrais Yarse"
et "faux Yarse" ou Yarse d'adoption se font jour. L'homogénéité
ou plutôt l'uniformité sociale interne qui a dO exister au début
de leur installation fait place à une hiérarchisation.
La troisième phase commence avec l'intrusion coloniale
européenne dans les "territoires Volta!ques". Lorsqu'à la fin du
XIXème siècle les Français entreprirent la conquête du Moogo et
installèrent leur administration coloniale,
ils imposèrent à chaque
individu d'avoir un nom et un prénom. Dès lors il n'était plus
possible de se faire yarga en adoptant un sondre yarga. L'affai-
blissement du pouvoir politique des nanamse affecta les avantages
(1)
Le monde du commerce est un monde qui postule la religion
dominante. Dans le contexte ouest africain précolonial,quand
on fait partie des réseaux du commerce on devient musulman.

46.
acquis par les Yarse. Leurs hOtes ne trouvèrent plus intérêt à
changer d'identité lignagère. Désormais ils subissent les mêmes
facteurs d'évolution démographique, avec l'amélioration des con-
ditions d'existence, donnant une croissance forte, mais non dis-
tincte de celle des autres groupes.
S'il fallait tracer une courbe de l'évolution démogra-
phique des Yarse, son allure générale serait croissante, mais
le rythme varierait selon les époques :
relativement peu impor-
tante entre le XVIème et le début du XVIIIème, en augmentation
importante du milieu du XVIIIème au XIXème et enfin une croissance
galopante comme tous les autres groupes du e,ur k; no.
FQ..s.o. _ depuis
le début du XXème siècle.
Cette esquisse sommaire de la démographie yarga a permis
de montrer leur ventilation à travers le Moogo, et de dresser une
hypothèse générale sur l'évolution de cette population. Recons-
truction rendue particulièrement difficile à cause des facteurs
"non naturels"
(assimilation, changement d'identité lignagère) qui
influent sur cette évolution.
Il nous faut maintenant aborder les
questions relatives à leur origine. Qui sont les Yarse ? D'où
viennent-ils, quelles sont les causes de leurs migrations?
o
o
0

47.
1 CHAPITRE
II


48.
1 LES
ORIGINES DES YARSE 1
L'origine des Yarse est évoquée par quelques auteurs dans
les différents ouvrages et articles consacrés,
soit à l'étude du
commerce et de l'islam en Afrique de l'Ouest, soit à l'étude des
diverses populations du haut bassin de la Volta. Par conséquent
il est important de rappeler que bon nombre des auteurs auxquels
nous nous référons ne se sont intéressés qu'indirectement à ce sujet.
2.1. L'historiographie et l'origine des Yarse
Dans l'ensemble, on peut dégager,
à la lecture des multi-
ples hypothèses sur l'origine des Yarse,
trois thèses. La première
est celle qui soutient que les Yarse sont arrivés au Moogo au
XVIIIème siècle. Elle est la plus ancienne dans la littérature
écrite et a été formulée à la fin du XIXème siècle. La seconde
thèse est soutenue par deux auteurs qui font remonter l'arrivée
des Yarse au Moogo au XIVème siècle. Nous regrouperons les tenants
de ces deux thèses sous l'appellation de "thèses anciennes" en ce
sens qu'elles concernent surtout des écrits datant de la période
coloniale. La troisième, à laquelle s'attachent beaucoup de noms
défend que les Yarse sont arrivés au XVIème siècle. Nous la verrons
par la suite.

49.
2.1.1. Les thèses anciennes
Le premier auteur à évoquer l'origine des Yarse est Binger.
Cet illustre explorateur, dans son périple qui l'a conduit du
Niger au Golfe de Guinée s'est intéressé aux groupes de popula-
tions des régions qu'il a traversées en général, et en particu-
lier à ceux qui sont censés s'occuper du commerce. Car le but de
sa mission, ne l'oublions pas, était de rechercher des débouchés
pour les produits français.
Dans sa description, voici comment il
situe l'origine des Yarse :
"Je me bornerais d rappeler que l'on
peut diviser la population du Mossi en deux races.
L'une,
la plus
nombreuse,
est assez ancienne pour qu'on puisse
la consid~rer
jusqu'd un certain point comme autochtone;
on distingue
ses su-
jets par le nom Mor'o et Moss'i.
L'autre,
musulmane,
d'origine
mand~ est venue des bords du Niger d l'av~nement du roi Banamana
Ngolo entre
les années 1754 et 1760.
Elle est appelée par les
Mor'o
iad~ra." (1). Ce passage de Binger pr@te à confusion.
D'abord la transcription du mot "iadéra" peut laisser croire qu'il
s'agit des habitants du Yaadtênga que les Moose appellent Yaadga
au singulier et Yaadse au pluriel. Or les Yaadse sont des Moose
qui se réclament d'une origine commune avec les Moose centraux,
c'est-à-dire non pas venus du Mandé mais de Gambaga dans le
"Dagomba"
(2). Il ne peut donc s'agir ici que des Yarse d'autant
(1)
Binger, Du Niger au Golfe de Guinée,
1892, p. 491-492.
(2)
La version officielle de la Cour du Moog-naaba,
fait de Gambaga
la capitale d'un chef Dagomba, alors que actuellement, cette
localité est située en pays Mampurga.

50.
plus que l'auteur évoque non seulement l'islam comme étant la
religion de ces derniers, mais aussi laisse entendre qu'ils sont
moins nombreux par rapport au reste de la population moaga et
parle~tle moope (1). Quant à la situation à l'époque de leur
arrivée, entre 1754 et 1760, qui correspondrait au règne de Ngolo,
roi bambara de
Ségou, elle fait penser aux conflits qui ont opposé
le Yaadtênga naaba Kango et les Bambara de
Ségo~ Les dates du
règne de Ngolo varient selon les sources. Pour Mage dont Binger
tient la chronologie, les débuts du règne de Ngolo se situent
entre 1754 et 1755
(2), alors que pour Tauxier cette période cor-
respondrait au règne de Denkoro Koulibali, un de ses prédécesseurs.
Les causes éventuelles de ces guerres ont été analysées
dans le détail par Michel Izard et nous nous contenterons de tirer
des travaux de celui-ci les éléments nécessaires à la poursuite de
notre raisonnement.
L'avènement du naaba Kango sur le trône du Yaadtênga
intervient après une lutte armée qu'il mena contre naaba Wobgo
jugé usurpateur:
"Le r.gne de Naba Kango.
fils de Naba Nabas.r.
s'ouvre sur une usurpation au profit d'un fils de Naba Darima.
Naba Wobgo I
(3). Kango est décidé à reconquérir le trône qui lui
revenait, puisqu'il semble qu'il ait été régulièrement nommé
Yaadtênga naaba en remplacement de son frère aîné naaba Piga I.
Mais une fraction des nakomse
(nobles) et des dignitaires, ayant
(1)
Binger, Du Niger au Golfe de Guinée,
1892, p.
456-457.
(2) MAGE, Voyage dans le Soudan occidental, 1868, p.
401.
(3)
IZARD, Introduction à l'histoire des royaumes Moosi,
t.
2,
1970, p.
311.

51.
pris parti contre lui, a soutenu le candidat rival qui parvint à
contraindre naaba Kanga à l'exil et se fit reconna!tre roi
(1).
Dans son exil, Kango s'en fut auprès du souverain de Ségou pour
lui demander de l'aider à reprendre le pouvoir. Ce dernier accepta
et lui donna une troupe de mercenaires bambara armés de fusils à
pierre. Ayant réussi à chasser naaba Wobgo, Kango voulut discipliner
son armée en la débarrassant des éléments pillards et indiciplinés
que représentaient les mercenaires.
Il ordonna un massacre contre
eux. Le souverain de Ségou,
informé, décida de marcher sur le Yaad-
t~nga
mais fut repoussé.
Plus tard, à la suite d'une guerre civile
qui aurait éclaté à Ségou, des commerçants dyula quittèrent cette
ville pour se réfugier au Yaadt~nga parce que, nous informe Tauxier,
"la plupart des Dioula prirent parti pour Sagoné,
dans
la
lutte
contre Dabo ou Ngolo
• Mais à la mort de Sagoné,
craignant
les
représailles du parti vainqueur,
les colonies qui occupaient
le
Ségou avec une partie des Dioula du Bendougou émigrèrent à travers
le Dafina et se fixèrent dans
le Moosi"
(2).
Sont-ce les descendants de ces Bambara et de ces Dyula qui
sont devenus les Yarse ? Pour Binger la réponse est affirmative.
Pourtant au Moogo la différence est nette dans la désignation. Les
descendants de ces mercenaires sont appelés Kambwese et non pas
Yarse. Quant aux Dyula,
ils sont appelés Zulse.
Les Yarse ne sont
donc pas les descendants directs de ces deux groupes et ne sont pas
arrivés à cette époque.
(1)
IZARD,
Introduction à l'histoire des royaumes Hoosi
T.2,
1970
p.
3l!.
(2)
TAUXIER, Le Noir du Yatenga,
1917, p.
553.

52.
En 1891, le docteur Crozat, parlant de la population du
Moogo dans son Rapport sur une mission au mossi évoque à son tour,
tout comme Singer,
l'existence de deux "races" ; d'une part des
Moose et d'autre part des "Marka" dont il dit qu'ils sont conseil-
lers et marabouts 1 la cour du Moog-naaba (1). A la différence de
Singer il ne parle pas de l'époque d'arrivée de ces Marka. On peut
penser que les Marka de Crozat ne sont rien d'autre que des Yarse,
car effectivement à la cour du Moog-naaba, parmi les dignitaires
il Y a des Yarse qui jouent le r6le de conseillers, d'Imam et de
marabouts du roi. Il n'existe nulle part, dans l'abondante littéra-
ture consacrée à l'organisation traditionnelle de la cour du Moog-
naaba, une mention sur des dignitaires Marka.
Marc, qui fait para!tre en 1909 son ouvrage intitulé Le
Pays Mossi, n'apporte aucun élément nouveau sur l'origine des Yarse.
Il se contente de reprendre l'hypothèse de Singer sans la discuter
et situe l'arrivée des Yarse au XVlllème siècle. Il écrit: "C'est
probablement sa r~putation de pays paisible qui lui attira vers le
milieu du XVIIIème
siècle,
les Mandé Dioula qui sont aujourd'hui
les Yars~" (2). Il ne cache d'ailleurs pas son manque d'intérêt
pour l'histoire des Yarse en estimant que :
"l'~tude des coutumes
des Yarse pr~senterait selon nous peu d'int~r~t. Les traditions
Mand~ et les emprunts r~cents aux usages Mossi s'y m~lent à des
usages musulmans"
(3).
(1)
CROZAT : "Rapport sur une mission au Mossi" Journal officiel
de la République Française,
lB9l, p.
4847.
(2) MARC, Le pays Mossi,
1909, p.
142.
(3)
Id, Ibidem, p. 112.

53.
Aux tenants de la thèse du XVlllème siècle,
i l faut
ajouter Randau qui en 1934 dans un court article d'une page et
demie dans la Revue Anthropologique,
intitulé les "Yarcé", fait
état de "traditions locales" rapportant que les Yarse seraient
venus des bords du Niger au XVlllème
(1). Quelles sont ces tra-
ditions locales? L'auteur ne cite aucun témoignage,
aucun r~cit.
Ce qui nous permet de dire qu'il tient cette information de Binger,
c'est que sa bibliographie comporte des références aux travaux de
Binger, de Delafosse, de Marc et de Tauxier. Au regard de ses
sources, on aurait pu penser qu'il apporterait des éléments nou-
veaux ou attendre une synthèse dans la mesure où i l a aussi con-
sulté Tauxier qui ne partage pas le point de vue des autres et qui
a émis une nouvelle hypothèse.
Il n'en est rien.
Randau a préféré
s'aligner sur l'hypothèse de Singer.
Il en est de même de Brasseur
et de Le Moal qui parlant des Yarse écrivent qu'ils sont "des
Mandé qui se sont installés à partir du XVIII~me si~cle dans les
royaumes Mossi du Yatenga et de Ouagadougou"
(2).
Toujours parmi les auteurs qui situent l'arrivée des Yarse
au Moogo au XVlllème,
i l convient de signaler Cyprien Sanwidi qui
écrivant récemment en 1978, alors même que de nouvelles hypothèses
venaient d'être formulées sur la question,
nous dit ceci :
" Les
Yarse,
commerçants musulmans d'origine Mandé
(comme
leurs fr~res
Diula) mais parlant
le mooré chez
les Mossi purent s'installer
(1)
RANDAU,
"Les Yarcé" Revue Anthropologique,
1934, p.
325.
(2)
BRASSEUR et LE MOAL, Cartes ethno-démographiques de l'Afrique
occidentale,
1963, p.
16.

54.
en pays Mossi seZon Zes historiens à partir du XVIIIème sièaZe
près des marahés
(notamment Puitenga) et dans
Zes aours de aer-
tains ahefs{l). En vérité l'auteur n'a pas pris le soin de s'in-
former ou de lire les travaux récents sur le Moogo.
Il a da par-
courir quelques pages de Binger ou de Marc d'où il a tiré son
information. Aucun des historiens qui ont écrit sur le Moogo,
pas m~me oeux qui sont qualifiés par Izarj d'auteurs "des thèses
aZassiques" (qualification reprise par beaucoup d'auteurs dont
Kawada et Nacanabo)
n'ont situé l'installation des Yarse au
XVIIIè. Sanwidi accuse les "historiens" encore que parmi les au-
teurs sur lesquels i l s'appuie, i l n'y a aucun nom d'historien.
Mieux, i l se contredit lui même en affirmant
(2)
que l'insta11a-
tion des Yarse dans le royaume de Kugpe1a date de naaba Rawende,
quatrième souverain de cette dynastie. Or, si le fondateur de ce
royaume, naaba Kurita est de la m~me génération que naaba
Kumdumye
pour le royaume de Wogdogo ou que naaba Yadega pour le Yaadtênga
(3), son quatrième successeur ne peut avoir régné au XVIIIème
siècle. Quelle que soit 1~ chronologie qu'il adopte, soit celle
qui situe Kumdumye au XIVème siècle, soit celle qui le situe au
XVI ème siècle, i l ne peut arriver à situer naaba Rawende de
Kugpe1a au XVIIIème siècle.
Les auteurs que nous avons évoqués jusqu'à présent tiennent
leur erreur de Binger.
Ils n'ont pas été suffisamment critiques à
(1)
SANWIDI, Histoire du royaume de Koupee1a contés par ses griots,
1978,
(note 1), p.
2.
(2)
Id,
Ibidem, p.
27.
(3)
Génération allant de 1540 à 1560 selon l'hypothèse de Izard.

55.
l'égard de leur source, car il leur aurait fallu un peu de lec-
ture et de bon sens pour se rendre compte qu'en l'espace de si peu
de générations, c'est-à-dire entre le moment où le conflit éclate
réellement entre Ngolo et Rango, vers 11B7
(1)
et le passage de
Binger au Moogo en IBBB, il Y a en gros un siècle soit à peu près
trois générations. Ce temps est-il suffisant pour que les Yarse
aient complètement oublié leur langue au point de n'en avoir aucun
souvenir, puisque les mêmes auteurs soulignent ce fait à plusieurs
reprises.
Les défenseurs de cette "thèse du XVIIIème siècle" se sont
laissés entratner sur une fausse piste. Le Yaadtênga est la région
moaga géographiquement la plus proche du Mande Occidental et comme
les Yarse se disent originaires du Mande,
i l a fallu trouver un
événement qui pouvait expliquer leur départ ou leur arrivée. Les
relations tantOt amicales,
tantOt conflictuelles entre le Yaadtênga
et le royaume de Ségou, au XVIIIème siècle, ayant favorisé un dé-
placement de populations d'origine mande vers le Moogo,
ils en
ont déduit que ce sont elles les ancêtres des Yarse. Pour ces au-
teurs, une migration de groupe de personnes ne peut avoir une autre
cause que la guerre, surtout à cette époque d'insécurité totale où
le colonisateur blanc n'était pas encore venu faire régner la paix
Quoi qu'il en soit, cette hypothèse a été vivement critiquée
1
dès les premières decennies du XXème siècle.
(1)
IZARD, Introduction à l'histoire des royaumes Mossi T.
2,
1970,
p.
327.

56.
Lorsqu'en 1912, Tauxier publie Le Noir du Soudan,
il con-
sacre un chapitre de trente quatre pages à l'étude des Yarse
(1).
Cependant, sur toutes ces pages, cinq iignes seulement sont
rêservêes à leur origine.
"Au point de vue ethnique,
les Yarse
sont des Mandés qui sont venus s'établir jadis dans le Mossi,
puis
de
ld ont rayonné dans le Kipirsi,
le Boussancé,
le Gourounsi.
On
ne connatt pas l'époque de leur immigration.
En tout cas elle doit
~tre fort ancienne puisqu'ils ont abandonné leur langue pour adopter
la langue des Mossi"
(2).
Le reste est consacré surtout à la des-
cription des cultures pratiquêes, des fêtes cêlêbrêes, des rapports
entre Yarse et autoritês politiques moose. Tauxier qui a pourtant
lu Singer et Marc a refusé d'adhêrer à leur thèse et s'est contentê
de parler
à ce sujet d'installation fort ancienne.
Il y revient
cinq ans plus tard, dans Le Noir du Yatenga, oU i l combat ses pré-
d@.cesseurs sans pour autant donner son avis définitif sur le pro-
blème. Dans sa démarche, Tauxier qui a l'instar de ses devanciers
fait d'abord de tous les Yarse des Mande, s'attache à rechercher
leurs origines géographiques prêcises, car, dit-il,
il Y a deux
groupes de Mande. Les Mande-nord qui forment le groupe Soninke,
vivent surtout à Nioro, Gumbu, Kayes. Les Mande-sud regroupent des
Dyula qui occupent le nord de la COte d'Ivoire et du Ghana (3).
Pour lui,
les Yarse appartiendraient au groupe Soninke.
La raison avanc~e est la suivante : si les Yarse viennent de Sêgou,
(1) TAUXIER, Le Noir du Soudan,
1912, Chapitre III p.
415-449.
(2)
Id, Ibidem, p.
415.
(3) TAUXIER, Le Noir du Yatenga,
1917, p.
551.

57.
comme l'ont soutenu ses prédécesseurs,
il ne peut s'agir de Dyula
parce que, souligne-t-il,
il n'y a que des Soninke â Ségou. Se
référant à Delafosse pour l'origine des Dyula,
il constate que
celui-ci fait remonter la formation du peuple dyula aux premières
migrations Soninke du temps de la dispersion du royaume de Ouaga-
doue Ce qui l'amène â conclure que les Yarse sont un mélange de
Dyula, de Soninke et de Marka.
"Ma conclusion,
dit-il, est que la
question n'est pas encore résolue.
Mais
je tendrais à croire,
contrairement à l'avis de Delafosse qui range
les
20.000 Yarsés
du Yatenga parmi
les Mandé-Dyulas,
qu'il faut
les considérer comme
provenant d'un mélange de S~ninkés et de Markas d'une part,
de
Mandé-Dyoulas de
l'autre et je crois que dans ce mélange ce sont
les premiers qui
l'emportent"
(1).
Pour la période historique de leur installation au Moogo,
Tauxier recuse l'hypothèse du XVIIIème siècle et, se fondant sur
des informations orales recueillies par les auteurs des Monogra-
phies des cercles de Ouagadougou (2)
et Ouahigouya
(3), il situe
l'arrivée des premiers Yarse au XIVème siècle: "Hamassa,
grand
traitant,
connaissant l'occupation du Yatenga par les Moosi,
vint
s'y établir pour le trafic avec trois de ses fils,
Hayé,
Pouéré,
Nagué.
Leur arrivée dans
le Yaadt~nga date donc de l'époque où
Yadega occupait la partie nord de GourBi"
(4).
(1) TAUXIER, Le noir du Yatenga, 1917, p. 560.
(2 )
CARRIER-MOULINS, Monographie du cercle de Ouagadougou,
1909.
( 3) VADIER, Monographie du cercle Ouahigouya, 1909.
( 4 )
Cité par TAUXIER dans Le Noir du Yatenga,
1917, p.
553.

58.
Dans le Moogo central, les Yarse se seraient introduits
sous le règne du sixième moog-naaba
(Kumdumye)
et l'auteur de
poursuivre : "A cette 'poque,
dit
la tradition,
sept n'gociants
Morebanom,
Parirabo et Mari Konda traversaient
le Mossi avec des
marchandises.
Ils se pr'sentèrent au Moro-naba qui,
frapp' de
leur
intelligence,
conçut le d'sir de s'attacher à des individus auss~
sup'rieurs.
Il
les combla de cadeaux,
leur donna des
femmes
et
les installa auprès de
lui dans un quartier qui reçut le nom de
Zoron'.
C'est la post'rit' de ces hommes qui aurait donn' nais-
sance aux diff'rents groupements yars's qui existent aujourd'hui
un peu partout dans
le cercle"
(1).
Constatons qu'à la différence de ses prédécesseurs, Tauxier
fonde sa thèse sur des traditions orales, m~me s'il ne les a pas
toujours recueillies lui-m~me. Elles lui ont évité de rechercher
un événement "spectaculaire", notamment un conflit, pour expliquer
comment les Yarse sont arrivés au Moogo.
Ce passage laisse clairement voir que les Yarse sont à
l'origine des commerçants et que c'est pour des motifs commerciaux
qu'ils sont venus au Moogo. On peut rapprocher les noms des sept
négociants mandé dont il est question, aux sept portes des Yarse
(Yars rignoe yopwe) de la capitale du Moog-naaba (2). En effet
il n'est pas impossible qu'il y ait eu mauvaise transcription,
(l)Cité par Tauxier dans Le Noir du Yatenga, 1917, p.
554.
(2) Voir KOUANDA, Les conditions sociologiques et historiques de
l'intégration des Yarse, •••
1981, p.
85.

59.
puis mauvaise traduction, aboutissant ainsi à faire des sept
groupes qui disent ~tre venus différemment, un groupe de sept
personnes. Sans entrer dans les détails, i l est vraisemblable
que Ballé peut ~tre assimilé à Bore, anc~tre des Sakande, Rambéré
à Rambre, anc~tre des Dera, Parirabo à Rabo sondre Yarga, Mari
Konda à Mar Kuanda, ancêtre des Yarse Kuanda, Morebanorn à
Mormant~nga peut-~tre, Pallom à Palomtênga, Sere à Sertinga. La
confusion a été faite à trois niveaux. Les noms donnés dans le
texte de Moulins cité par Tauxier sont, soit des soanda
(Rabo,
Kuanda), soit des toponymes
(Sertinga, Palomtênga)
soit des
pseudonymes
(Bore et Dambre).
Si l'on se fonde sur la chronologie établie par l'auteur
pour la dynastie des moog-nanamse, on se rend compte que Kumdumye
et Yadega sont contemporains et ont régné au XIVème siècle. Le
règne de Kumdumye d'après Tauxier va de 1350 à 1380 et celui de
Yadega débute vers 1353
(1). Cette chronologie, comme l'a si bien
montré Michel Izard, est fondée sur la volonté absolue de faire
concorder le sac de Tombouctou par les Mouchi dont parlent les
Tarikhs, en 1337, et les règnes de nanamse
(2) dont les zabyuya
(3)
sont proches de Nasira ou de Nasere.
Si on peut donc accepter que les Yarse ou du moins cer-
tains d'entre eux sont arrivés sous naaba Yadega ou moog-naaba
Kumdumye,
il reste que ces souverains, à la lumière des travaux
récents, n'ont pas régné au XIVème siècle.
(1) TAUXIER, Le Noir du Yatenga, 1917, p. 670.
(2)
Nanamse,
pluriel de naaba
(chefs)
(3)
jabyuya :
noms de guerre.

60.
2.1.2. Une "révolution" historiographique
Les nouvelles hypothèses chronologiques sur l'histoire
dynastique des nakomse proposées par Fage, Echenberg,
Levtzion
et surtout Izard,heurtaient une tradition historique, celle qui
faisait des nakomse les vaillants conquérants ayant envahi Tombouc-
tou du temps du grand empire du Mali, et qui, un siècle et demi
plus tard, avaient résisté héro!quement au "jihad"
de l'Askia
Mohammed 1.
L'origine des Yarse, ou plus exactement l'époque de leur
installation au Moogo, allait @tre modifiée en fonction de ces
nouvelles hypothèses qui situent désormais Kumdumye et Yadega au
XVlème siècle. Cependant, avant même que ces nouvelles chronolo-
gies
voient le jour, un auteur, peu connu, proposait le XVlème
siècle comme période d'arrivée des Yarse au Moogo.
Il s'agit de
Mattei qui dans son étude intitulé "L'empire du Moro Naba,
les
chefferies"
(1), situe l'installation des Yarse au Moogo peu après
la prise de Tombouctou par les Marocains a la fin du XVlème siècle.
Cette hypothèse marque assurément une nouvelle étape dans l'histo-
riographie sur les Yarse. Elle mérite qu'on s'y arrête un instant
car elle soulève des questions importantes. Est-on snr qu'après
l'occupation de Tombouctou, des Mande ont quitté cette ville en
direction du pays moaga. C'est possible. Cependant dans les nom-
breux travaux qui existent sur l'empire du Sonrhai,
i l y a d'abon-
(1) MATTEI, L'empire du Moro-Naba, Les chefferies. Contribution a
la connaissance de l'islam en pays Mossi. C.H.P..A.M.,
1960.

61.
dantes mentions sur le désordre social qui s'est établi après
la victoire des Saadiens et le départ de certaines populations
vers des zones plus sOres et moins troublées
(1). Mais nulle part,
en dehors des mentions sur les guerres menées par quelques rois
sonrhai contre les Moose,
il n'y a d'élément qui indique une mi-
gration massive d'habitants de cet empire vers le Moogo.
Dramani-Issifou, qui a analysé avec beaucoup de talent la crise
entre le Maroc et le Sonrhai, souligne à la suite des Tarikhs,
qu'avant m@me la bataille de Tondibi le Sonrhai présentait, dans
la première moitié du XVlème siècle, un tableau social dramatique,
qu'il résume dans cette phrase :
"Epid~mies, s~cheresses et famines
provoquèrent des troubles à Djenné et surtout à Tombouctou où
l'Imam Baghavogho s'efforça pendant un an et cinq mois de maintenir
l'harmonie entre les habitants, en emp~chant de se développer les
dispositions que montraient alors les gens à se ruiner et se
dépouiller les uns les autres et à dilapider les biens des orphe-
lins"
(2). Cette situation pouvait entrainer probablement des
départs pour fuir ces calamités. L'hypothèse d'une origine "Tom-
bouct ~enne" de certains Yarse n'est donc pas impossible. D'ail-
leurs certaines traditions Yarse font de cette ville leur point de
départ, mais de là à la prendre comme la seule patrie d'origine
des Yarse, il n'y a qu'un pas qu'il faut se garder de franchir
trop rapidement.
(1) Voir par exemple le Tarikh el Fettach, p.
308.
(2)
DRAMANI-ISSIFOU, L'Afrique Noire dans les relations interna-
tionales au XVlème siècle,
1982, p. 185.

62.
L'opinion de Mattei est reprise en partie par Levtzion
qui pense lui aussi que les Yarse sont non seulement des musulmans
d'origine Mande mais qu'ils sont arrivés au Moogo dès les premiè-
res années du XVlème siècle
(1). Dans Muslims and Chiefs in West
Africa, i l écrit : "The
first group of Yarse came to Mossi in the
reign of Naba Kumdumye,
the sixth Moro-Naba probab~y at the begining
of the ~ixteenth century"
(2). Soulignons que lorsque Levtzion
parle du XVlème siècle, i l se réfère à sa propre chronologie des
dynasties nakomse et n'établit en aucune façon un lien entre la
prise de Tombouctou (fin XVlème)
et l'arrivée des Yarse
(début
XVlème). Au contraire, Bichon en 1962 et Audouin en 1978 ont par-
tagé cette interprétation qui, comme celle de thèses anciennes
a fait école pendant plusieurs années. Reprises par des chercheurs
pendant la période post coloniale, ces hypothèses sont très criti-
quables à plusieurs niveaux.
D'un point de vue général elles présentent l'émigration
des Yarse comme un déplacement de plusieurs milliers de personnes
fuyant des persécutions lors de conflits qui auraient secoué les
pays où ils étaient installés.
Il s'agirait donc d'une migration
qui se serait opérée d'un seul coup, et pour les auteurs de ces
thèses, i l fallait trouver une période unique, un événement pré-
cis dans l'histoire de la boucle du Niger qui puisse expliquer les
(1) LEVTZION "Commerce et Islam chez les Dabomba du Nord Ghana"
Annales, Economies,sociétês,civilisations nO 4, 1968, p.
724.
(2)
LEVTZION, Muslirns and Chiefs in West Africa, 1968, p.
164.

63.
raisons de la migration. On ell trouva sans grande difficulté puis-
que de toute façon les guerres sont génératrices de déplacenents
de populations
! On reconnatt les trois hypothèses. Au XVIIIème
siècle, des Dyula fuyant des représailles à Ségou se sont réfugiés
au Moogo et ont été pris un siècle plus tard pour les ancêtres
des Yarse. Au XIVème siècle, les "Mossi" ont envahi Tombouctou et
ils ont certainement ramené des Mande : donc les Yarse sont les
descendants de ces prisonniers de guerre. Au XVIème siècle, après
la bataille de Tondibi,des Mande ont quitté Tombouctou et proba-
blement sont venus s'installer au Hoogo et ont donné naissance aux
Yarse ! On dira que c'est peut-être une exagération, une caricature
de notre part des idées de ces auteurs. Pourtant c'était hélas
leur raisonnement qui a consista à lier l'arrivée des Yarse aux
seules causes politiques ci-dessus énumérées.
Ils escamotaient
ains~ les mobiles économiques, les raisons religieuses, le gont de
l'aventure que l'examen des traditions orales permet de placer au
centre de l'explication de l'arrivée des premiers Yarse au Moogo.
Autre critique que l'on peut adresser à l'endroit de ces thèses,
elles sont très réductrices et souffrent pour le moins d'un
"monogénisme". Elles veulent conte que conte attribuer une origine
unique et commune à tous les Yarse. Les différents auteurs qui
proposent des lieux géographiques précis comme points de départ de
l'émigration yarga ont parlé chacun à l'exception de quelques uns
(Tauxier et Levtzion) d'un seul endroit, Tombouctou, et d'une seule
date. Cette façon de présenter le problème suppose qu'on a en tête
que les groupes yarse sont homogènes et viennent tous de l'extérieur

64.
du monde moaga, en particulier du Mande. Les informations orales
recueillies nous obligent a beaucoup plus de prudence en nous pro-
posant plusieurs foyers originels.
L'absence dans les thèses anciennes d'une description des
itinéraires suivis et d'une explication sur l'accueil qui a été
réservé aux migrants laisse le lecteur peu convaincu. Le seul mé-
rite de ces hypothèses a été d'avoir simplifié des problèmes fort
complexes et d'avoir érigé quelquefois en certitudes des hypothèses,
contribuant a fixer et a perpétuer les erreurs.
A l'époque coloniale ce sont surtout les ethnologues qui
utilisent les sources orales parce que leur discipline se tournait
avant tout vers "les sociétés sans histoire". Dans cette conception,
les sources orales ne pouvaient apporter aucun élément sérieux,
aucun renseignement historique digne de foi.
Rappelons pour mémoire
la phrase de l'Américain Robert Lowie en 1917 : "I cannot attach
to oral tradition any historical value ~hatsoever under any condi-
tions ~hatsoever." (1).
A partir des années 1960, date des ind~pendances fo1it;qùes
pour la plupart des pays d'Afrique, l'utilisation de ces mêmes sour-:
ces avec cette fois une méthodologie claire et rigoureuse vit le
jour avec la publication de l'ouvrage de Jean Vansina
(2). Cette
période correspond en gros aux débuts des enquêtes de liichel Izard
sur l'histoire des Moose.
Il a recueilli beaucoup d'informations
(1)
LOWIE, Journal of American Folklore,
1917, p.
161.
(2) VANSINA, La tradition orale. Essai de méthode historique, 1961.

65.
sur les Yarse notamment sur leur rOle dans le commerce et i l en
tira un article intitulé "Les Yarse et le commerce précolonial au
Yatenga". Bien que n'insistant pas sur les récits d'origine,
i l
pense, à la lumière des données orales, que les Yarse sont arrivés
au Moogo dans la première moitié du XVlème siècle avant la forma-
tion du Yaadtênga
(1).
Il fonde son hypothèse, essentiellement sur
les noms des souverains moose que les Yarse utilisent comme réfé-
rences chronologiques de leur installation (Nasbire, Kumdumye,
Yadega). En outre,
il propose une nouvelle chronologie de l'his-
toire des royaumes nakomse dans laquelle les souverains cités plus
haut ont régné au XVlème siècle. Cette hypothèse chronologique
est la marque la plus nette de ce que l'on peut appeler une "révo-
lution" historiographique. Celles de Fage, Echenberg et Levtzion
en ont constitué les premiers signes.
Izard introduit une distinc-
tion formelle entre l'histoire des "Mossi" septentrionaux dont i l
est question dans les Tarikhs et celle des nakomse centrés sur la
Volta blanche. Pour rejeter la thèse de la continuité linéaire en-
tre les histoires de ces deux groupes il s'appuie sur plusieurs
arguments
- Aucun élément tiré des traditions orales ne permet de
situer le pays des "Mossi" septentrionaux et par consé-
quent de pouvoir dire exactement quelle est la partie
actuelle du Moogo qu'ils oceupaient (2).
(1)
IZARD,
"Les Yarse et le commerce dans le Yatenga précolonial"
in MEILLASSOUX,
L'évolution du commerce en Afrique de l'Ouest,
1971, p. 216.
(2)
IZARD, Introduction à l'histoire des royaumes mossi,
t . l ,
1970
p.
37.

66.
- Aucune r~f~rence explicite à des guerres entre Sonhrai
n'existe dans les traditions nakomse et aucun ~l~rnent
dans les Tarikhs ne concorde avec ces traditions
(1).
- L'absence des noms des souverains "Mossi" cit~s par les
Tarikhs dans les traditions, rend impossible leur identi-
fication.
- Le nombre restreint de Moog-naaba ou de Yaadtênga-naaba
ne permet pas de remonter jusqu'au XIVème siècle.
Nous utiliserons cette hypothèse chronologique malgr~ les
r~serves faites par certains dont le dernier en date, Dominique
Nacanabo, auteur d'une thèse sur Le royaume moaga de Yako des ori-
gines à 1896 ~crit ceci :
" Sans prétendre établir à notre tour
une relation directe entre ces groupes de Moose en raison de
la
p~rtinence de l'argumentation fournie par les tenants de la th~se
moderne,
nous nous devons de reconnattre que bien des points dans
cette argumentation sont peu satisfaisants parce qu'ils ne tiennent
pas compte des données
fondamentales
du milieu:
les parlers,
l'attitude des
n~-keemba (2) dans les rencontres publiques, les
réunions de
travail."
(3). Malheureusement il n'en propose pas
d'autre et adopte aussi cette chronologie. Dans tous les cas, en
ce qui concerne la chronologie des royaumes Moose on est encore à
J
l'~tat d'hypothèses, et tant qu'onnaura pas r~solu de façon d~fini-
tive ce problème, aucune certitude ne pourra être acquise quant à
(1)
IZARD,
Introduction à l'histoire des royaumes mossi,
t.
l,
1970,
p. 37.
(2)
Les ni-keemba:
les vieux.
(3)
NACANABO, Le royaume moaga de Yako des origines à 1896, 1982,
p. 129.

67.
l'époque d'arrivée des Yarse. Toutes les thèses sur leur origine,
la solidité des hypothèses a varié en fonction des connaissances
qu'on avait de l'histoire des Moose.
Le rapide bilan de l'historiographie indique bien que des
questions restent encore dans l'ombre. L'examen des traditions
d'origine permettra-t-il d'améliorer nos conclusions?
2.2. Les traditions d'origine
Les récits d'origine que nous avons recueillis au sein
des groupes Yarse installés dans le Moogo fourmillent d'allusions
à leurs origines mecquoise, médinoise ou yéménites. Certaines tra-
ditions font aussi référence à des origines mande, ou à des origi-
nes communes avec les Moose, c'est-à-dire à des ancêtres yarse
venus de Gambaga avec les fondateurs de la dynastie du royaume
de Wogdogo. D'autres situent leur origine à l'intérieur du Moogo
actuel. Cette diversité nous a conduit à aborder la question en
trois points, chacun correspondant à un groupe de récits relatifs
à l'une des trois zones géographiques suivantes
- péninsule arabique et MANDE,
-
pays Mampursi,
-
pays Moaga.
Cette distinction est faite simplement pour la clarté de l'exposé
car i l était possible de procéder autrement, par exemple de classer
ou de regrouper les diverses traditions selon les types d'activi-
tés et les fonctions exercés
par les ancêtres : on aurait ainsi
les traditions où ceux-ci sont présentés comme des marabouts ayant

68.
des pouvoirs magico-religieux, celles où ils sont présentés comme
des héros militaires et enfin celles Où ils sont perçus comme des
marchands. Cependant, ces deux possibilités peuvent bien se com-
biner.
2.~.1. Les Yarse "venus de la péninsule arabique" et du Mande
Les Yarse,
tout comme beaucoup d'autres groupes ancienne-
ment ou récemment islamisés de l'Afrique de l'Ouest, se donnent
une origine arabe, ou ont intégré dans leur légende des hauts
personnages de l'islam (1).
Selon un informateur (2), l'origine des Yarse remonterait
à Seidu Abubakar,
un habitant de La Mecque. Ce dernier, après avoir
vu en rêve le soleil et la lune faire chemin contraire, alla con-
sulter un marabout qui lui donna l'interprétation suivante
"Ton
r~ve signifie que Dieu enverra le ppophète Mohammed et que toi et
tes descendants,
vous sepez chapgés de propager la nouvelle reli-
gion". Au niveau du rêve apparaissent déjà des références indirec-
tes à des versets du Coran annonçant soit la fin du monde et la
résurrection, soit les preuves de la puissance divine. Par exemple
à la sourate Ya sin dont la lecture est recommandée comme étant
au coeur du Coran, celle qui contient de pressantes exhortations
aux incrédules, on peut lire aux versets 39 et 40 :
(1) Voir par exemple, ZEHP,
"La légende des griots malinké", Cahier~
d'Etudes Africaines Vol VI, nO 24, 1966, p. 611 à 642.
(2) KOUANDA Souleymane, Wogdogo,
23 juillet 1978.

69.
"Le soleil ne peut rattraper la lune,
ni la nuit devancer le
jour.
Chacun d'eux vogue dans son orbite."
(1).
Après la mort du prophète, poursuit l'informateur, Seidu
Abubakar quitta la Mecque pour aller propager la nouvelle religion
en Afrique Noire.
Il arriva à Kaaba, dans un village marka en
Guinée.
Il ne chercha pas de logeur et s'installa dans la forêt
où i l vécut sans eau et sans nourriture. Dans sa retraite, i l
pria Allah pour obtenir une pluie d'or ainsi que des poules,
qu'elles pondent des oeufs en or
(2).
Il eut satisfaction. Averti
par ses sujets de la présence de ce mystérieux étranger,
le chef
du village le fit amener chez lui et lui donna sa fille nommée
Kadiatu en mariage.
De cette union naquit un garçon, Abdul Bassiri,
qui a son tour eut un fils du nom de Seidu.
Jusque là on vit dans le mythe, et l'historicité des per-
sonnages nis en scène n'est pas évidente. On peut certes faire
des rapprochements avec des personnages historiques de l'islam.
Le nom Seidu Abubakar ne fait-il pas penser à Saidna Abu Bakr,
premier khalife qui conduisit la communauté musulmane de 632 à
634 ? Cependant dans la biographie du Khalife, rien bien sOr n'in-
dique qu'il ait mis les pieds en Afrique au sud du Sahara. Dans
l'histoire de l'islam en Afrique de l'Ouest i l y a deux autres
(1) Coran, XXXVI,
39,
40.
(2) On peut se demander si ce miracle n'est pas une référence im-
plicite à la prospérité et à la richesse aurifère de la région
en question.

70.
Abu Bakr qui peuvent avoir été ceux que la légende intègre.
Il
s'agit d'abord de l'un des chefs du mouvement almoravide après
la mort de Yahya b'Umar vers 1056,
le fameu~ Abu Bakr, qui après
avoir fait la reconqu@te de Sidjilmassa continua la guerre sainte
jusqu'au Ghana et porta dans les pays noirs la semence de l'islam
(1). Ensuite on trouve un Abu Bakr à Tombouctou,
"savant,
ascète
et charitable" d'après le Tarikh es-Soudan
(2). Quel que soit
l'individu considéré,
le mythe intègre des personnages connus
pour leur dévouement a la cause de l'islam et qui ont vécu à des
moments différents. Le conteur ou l'inventeur du mythe a certai-
nement des connaissances sur l'histoire de quelques grandes fi-
gures de l'islam médiéval et i l parait fort probable que cette
légende a été,à l'origine,
la construction intellectuelle d'un
"savant".
Poursuivant son récit,
l'informateur arrive à
la dernière
étape de la pérégrination de son anc@tre et nous dit ceci
: "Devenu
grand Seidu quitta Kaaba avec ses deux fils pour aller convertir
les Moose.
Il passa par Dar Salami,
arriva à La
(résidence du
Moog-naaba) où i l entendit une canepétière
(baRQ4go)
qui criait
et disait que dans trois ans un certain Kumdumye deviendrait le
chef du Moogo •
• Or à cette époque,
c'était Nasbire qui était
Moog-naaba.
Ce dernier ayant appris
la nouvelle
fit arr~ter Seidu
et le garda pendant trois ans pour vérifier la prédiction.
Chaque
matin,
Nasbire interrogeait Seidu qui répondait toujours
la m~me
(l) AL BAKRI, Traduction de Vincent MONTEIL, Bulletin de l'IFAN,
série B,
1968, p.
62.
(2)
SA'DI, Tarikh-es sudan,
1981, p.
53.

71.
chose,
à savoir que
le bakargo a dit que dans
trois ans un certain
Kumdumye serait Moog-naaba.
Au cours de
la troisième ann~e, dans
le but de
liquider son successeur,
Nasbire
fit pr~paper de
la nour-
riture et invita Kumdumye à manger avec ses deux fils
derrière un
petit mur.
Il avait auparavant enseign~ à ses deux fils de s'~loi­
gner du plat avant Kumdumye afin que ses sujets plac~s derrière
le mur le
fassent
tomber sur Kumdumye.
Mais ce dernier se transfor-
ma en deux personnes et quitta l'endroit avant les enfants de
Nasbire qui furent ~cras~s. Bient~t Nasbire mourut et Kumdumye,
devenu Moog-naaba,
demanda à Seidu de rester auprès de
lui.
Cette partie du rêcit, où tout se passe au Moogo, soulève
beaucoup de questions en faisant intervenir des personnages dont
l'historicité est reconnue par tous les auteurs qui ont travaillé
sur l'histoire dynastique des nakomse.
Le rêcit qui fait de Kumdumye:
le successeur immédiat de Nasbire ne nous dit pas quelles sont les
relations de filiation qui existent entre eux. Ce qui est sOr,
c'est que ce ne sont pas des relations de père-fils, sinon Nasbire
n'aurait pas cherché â éliminer Kumdumye. Michel Izard, qui s'est
intéressé aux dynasties des Nanamse estime que Kumdumye n'est
effectivement pas le fils de Nasbire mais celui de Nyignemdo
(1).
C'est probablement Yadega,
fondateur du royaume du Yaadtênga qui
est le. fi(I .."A/uB;,.,.En dehors donc du caractère anecdotique de la fin
du récit,
i l y a un moment important de l'histoire Moaga qui est
rappelé :
la prise du pouvoir par Kumdumye au détriment de Yadega
(1)
IZARD,
Introduction â l'histoire des royaumes Mossi,
t.
2,
1970, p.
283.

72.
fils de Nasbire qui a abouti à la formation du Yaadt~nga. Cette
crise peut se résumer de cette façon d'après les traditions domi-
nantes. Nasbire aurait confié l'éducation de son fils Yadega à
naaba Swida et lorsqu'il mourut, Yadega fut informé trop tard. En
arrivant à la résidence de son père, i l trouva que Kumdumye avait
été nommé Moog-naaba.
Il décida alors de quitter le royaume et,
avec le complicité de sa soeur Pabre, s'empara des autels royaux
qui fondent la légitimité du pouvoir et alla créer au Nord,
le
royaume de Yaadt~nga qui entra en rivalité avec celui de Wogdogo
dirigé par Kumdumye.
L'élimination des enfants de Nasbire appara!t comme une
punition divine à l'égard d'un roi qui veut s'élever contre la
volonté du Tout puissant que l'anc~tre des Yarse n'a fait que
transmettre. Elle donne une nouvelle légitimité à l'arrivée "anor-
male" de Kumdumye sur le trOne, et est une manière de montrer que
la tension qui a existé au moment de sa prise du pouvoir n'est que
l'expression de l'orgueil humain.
De ce fait,
ce récit participe
de l'idéologie des nanamse du royaume de Wogdogo qui prétendent
détenir toute la légitimité et tout l'héritage politique de naaba
Wubri, grand père commun de Yadega et de Kumdumye.
Une autre signification de ce récit est de mettre en va-
leur l'importance des Yarse pour les chefs Moose. Si comme nous le
soulignons plus haut,
le Yaadt~nga a représenté une menace pour
Kumdumye, comment celui-ci pouvait-il, à ce moment où i l a perdu
ses "regalia" ne pas garder à ses cOtés un marabout dont les
seules prières produisent des miracles
! Au delà de la volonté

73.
manifeste de donner une origine arabe, c'est une fonction des
Yarse qui est montrée : celle de marabouts détenteurs de pouvoirs
magico-religieux. On comprendra alors aisément leur influence
sur la classe politique moaga
(1),
tout comme au XVlème siècle
par exemple, certains lettrés de Tombouctou, considérés comme
auteurs de nombreux miracles par leurs contemporains, en ont pro-
fité pour influencer les dirigeants politiques
(2).
Le récit fait succéder trois espaces
(Arabie, Mande, Moogo)
et à chacun de ces niveaux,
le discours de l'informateur et sa
réaction aux questions qui lui sont pos6es ne sont pas les m@mes.
Aux deux premiers se rapportant à ses origines arabes et mande,
l'informateur n'admet pas les questions.
Il se contente de répon-
dre : "C'est ce que m'a rapport' mon p.re qui le tient de son
grand père".
Il n'est pas question de remettre en cause son schéma,
car cela reviendrait à enlever toute la grandeur de son origine,
laquelle lui permet en tant qu'imam de s'imposer au milieu des
autres musulmans qui sont en grande partie des Moose. Le troisième
niveau est le Moogo. Le narrateur accepte toutes les questions et
essaie à travers ses réponses de montrer que, sans les Yarse, le
pouvoir du Moog-naaba n'aurait pas été aussi puissant car, dit-il
"il Itait
le
frère cadet du T'nkodoganaaba et du Yaadt'nga-naaba,
mais gr~ce aux prières de nos anc'tres, il est devenu le plus fort,
le plus grand."
(3).
(1)
I~FRA, deuxième partie, chapitre III.
(2)
SA'OI, Tarikh-es-soudan,
1981, p.
27-30 et 79-80.
(3)
KOUANOA Souleymane, Wogdogo,
13 juillet 1978.

74.
Ce récit se rencontre dans plusieurs autres localités
avec toutefois quelques variantes, notamment au niveau du nom
de l'anc~tre, de l'itinéraire qu'il a suivi pour venir au Moogo,
du nombre de personnes qui l'accompagnaient, de l'identification
du nom de l'oiseau et m~me des circonstances de rencontre avec
Kumdumye.
Ainsi, d'après Kouanda Madi
(1),
l'anc~tre des Yarse, un
certain Seidu, originaire de La Mecque, aurait quitté son pays
pour venir convertir les Noirs.
Il arriva en Guinée où i l mourut.
Son fils, dans le but de continuer la mission de son père, vint
au Moogo avec ses enfants.
Il trouva naaba Nasbire à La. Conti-
nuant sa route pour rejoindre La Mecque,
il entendit un coq qui
chantait et disait que dans trois ans Kumdumye deviendrait Moog-
naaba. Or, poursuit-il, ce dernier n'était pas le fils de Nasbire,
et lorsque la rumeur atteignit Nasbire, celui-ci fit arr~ter le
visiteur et menaça de le faire exécuter si jamais ce qu'il préten-
dait détenir d'un coq se réalisait. Au bout de deux ans, Nasbire,
constatant que le marabout ne changeait pas ses paroles malgré
les intimidations, tenta d'éliminer Kumdumye, mais son complot se
solda par un échec, par la mort de son propre fils. Lorsque Nasbire
mourut, Kumdumye devint Moog-naaba et pria le marabout de rester
à côté de lui pour l'aider à gouverner son royaume.
~
Le fond de cette version est le m~me que la précédente.
L'ancêtre des Yarse est présenté comme un homme courageux ayant
(1) KOUANDA Madi, Wogdogo,
12 décembre 1982.

75.
des pouvoirs surnaturels. Il sait interpréter les chants des oi-
seaux. Sur les détails on note cependant quelques divergences.
Alors que dans la première version Seidu n'est pas l'ancêtre venu
de La Mecque, mais l'arrière petit-fils né ~ Kaaba en Guinée,
dans la deuxième i l est présenté comme celui qui est venu de La
Mecque. En revanche, dans ce cas, c'est le fils de Seidu, dont
on ne connaît pas le nom, qui serait venu au Moogo, alors que
dans la première version c'est Seidu lui-même. La canepétière
est devenue dans le second récit un coq et Nasbire, qui dans le
premier n'a pas menacé le marabout, apparaît dans le second comme
le méchant roi animiste qui ignore la valeur des paroles d'un
marabout: c'est pourquoi, avant même le début de la troisième
année, i l essaya de réagir contre le défi que lui lançait la
Providence, mais ne réussit pas.
L'opposition Nasbire-Kumdumye traduit l'attitude des
deux grands royaumes moose
(Yaadt~nga et Wogdogo)
~ l'égard des
musulmans. Au Yaadt~nga écrit Dia110, "l'islam n'affeate nullement
les institutions du royaume
(pas d'Imam à
la aour aomme à Ouaga-
dougou)
;
le probl~me de
la aonversion des souverains ne se pose
gu~re ••• " (1). A Wogdogo en revanche, dès le XVIIIème siècle, un
imam est nommé ~ la Cour.
La vocation idéologique de ce récit est la m~me que le
précédent.
Il s'agit pour les Yarse d'indiquer leur différence
d'origine et de croyance avec les Moose, et de faire apparattre
(1)
DIALLO, Notes sur l'islam au Yatenga jusqu'à la fin du XIXème
siècle, 1982
(N)n~''r
.. ) .

76.
leur rOle dans la consolidation du pouvoir des moog-naaba. Deux
autres versions
(1), peut-~tre plus soucieuse~de logique et qui
sont sans doute des reconstructions postérieures, font de Kumdumye
le fils aîné de Nasbire. Dans ce cas l'interprétation des cris de
l'oiseau ne fait plus de miracle car
elle ne bouleverse pas les
règles de succession. Seulement elle prédit la mort du souverain
régnant dans un délai relativement court
(trois ans).
Le marabout
qui selon ces versions repartait à La Mecque, aurait révélé la
signification du chant de l'oiseau à un chasseur et ce n'est que
deux jours plus tard que ce dernier informa le Moog-naaba qui mit
des coursiers à la poursuite du voyageur.
Ils l'auraient rattrapé
à Sankwisi et ramené auprès de Nasbire qui lui demanda de rester
avec lui pour l'aider avec la puissance mystérieuse qu'il possé-
dait. Ce marabout accepta à condition qu'on le laisse aller accom-
plir son pélerinage à La Mecque. A son retour il trouva que c'était
Kumdumye qui était au pouvoir. Il réaffirma son engagement de res-
ter et la première chose qu'il fit fut de confectionner un Kasabo
(grand boubou) et un bonnet rouge pour Kumdumye afin de le rendre
plus élégant et de rehausser son prestige car, dit l'informateur,
"les Moose avant l'arriv~e des Yarse ne savaient pas s'habiller.
Ils ~taient nus et seuls les chefs se drapaient d'une seule pi~ce.
( 2).
Ces versions, bien que sensiblement différentes, montrent
à la fois les pouvoirs magico-religieux des Yarse et deux de leurs
(1) KOUANDA Issa, Kombisiri, 15 octobre 1982.
(2)
Id, Ibidem.

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77.
activités, à savoir le tissage et la couture. Les Yarse, comme
nous le verrons ultérieurement,
tissent des bandes de coton pour
confectionner les habits des dima
(grands souverains du Moogo)
lors des cérémonies telle que l'intronisation. Le tissage était
d'ailleurs une des activités comp16mentaires du commerce.
Comme exemple de récit mythique faisant venir les Yarse
de Médine, nous pouvons citer celui que nous a livré un habitant
(1)
de Zoagna, dans lequel l'anc~tre des Yarse Sakande, un certain
Bukare, connu au Moogo sous le nom de Bore, aurait quitté Médine
dans le but de convertir les peuples païens à
l'islam. Il serait
arrivé à Tombouctou, puis à La oa i l aurait rencontré Nasbire qui,
content de voir un homme aussi brave,
lui demande de l'aider à
combattre ses adversaires nyonyose. Pour organiser l'attaque,
les guerriers de Nasbire avaient préparé des fl~ches et des lances
empoisonnées. Bore leur fit savoir que cela était inutile car lui
possédait dans sa bouche quelque chose de plus puissant que leurs
armes. Puis s'étant rendu sur le champ de bataille, "il appela
sept jeunes hommes autou~ de lui et se mit à ~éaite~ une p~i~~e.
De sa bouahe so~tait une longue ahatne qu'il faisait t~empe~ dans
une g~ande aalebasse pleine d'eau.
Il invita ahaque soldat à en
boi~e une go~gée et quand ils se lanaè~ent à l'attaque, les fl~­
ahes de
leu~s ennemis ne les touahaient gu~~e, elles faisaient
demi-tou~ et se ~etou~naient aont~e leu~s lanaeu~s. Les nyonyo6e
fu~ent battus et auaun des soldats du Moog naaba ne pé~it.N
(1) SAKANDE Mahamadi,
Zo~gna, 22 décembre 1978.

78.
Ce miracle ressemble beaucoup à celui qu'on attribue à
El Hadj lors d'une guerre contre les "Mossi" 00 i l prononça cer-
taines paroles sur du millet, invita les soldats de l'Askya à
en manger, assurant que tous ceux qui en avaient consommé n'a-
vaient rien à craindre
(1).
A Rakaye,
les Sanfo Yarse, ~ la différence des deux autres
groupes dont nous venons de présenter brièvement les traditions,
s'affirment originaires du Yémen. Leur ancêtre Zakaria, dit la lé-
gende, résidait au Yémen. Il aurait été envoyé comme "missionnaire"
en pays moaga pour répandre l'islam. Après avoir traversé la Guinée
puis le Mali,
il mourut en laissant cinq enfants. L'un d'eux,
Ibrahim, continue sa mission et arriva enfin au Moogo 00 le chef
n'était pas encore musulman. "Ibrahim souhaita le rencontrer pour
le convertir et
le bénir afin que
lui et son peuple deviennent
membre de
l'Umma.
Le moog-naaba accepta à condition que cet envoyé
reste aupr~s de lui pour lui indiquer ce qui était contraire ou
conforme aux règles de
l'islam.
C'est ainsi que nous sommes restés
au Moogo"
(2).
Si du Yémen jusqu'au Mali, l'informateur se contente de
citer comme étapes du voyage de son ancêtre des Etats actuels 00
la population est majoritairement musulmane
(Guinée, Mali)
il en
est tout autrement de l'étape Mali-Moogo 00 les détails sont abon-
dants.
"De Djenné notre anc't~e est venu à Yako o~ il est resté
(1)
SA'OI, Tarikh es-Soudan, 1981, p.
46.
(2)
SANFO Ibrahim, Rakaye,
17 février 1980.

79.
vingt ans.
Puis il s'en fut à Pilumpuku où il r~sida quelques
temps.
puis à Mane avant de venir à Wogdogo chez le moog-naaba
Warga qui lui donna une femme.
Il eut deux jumeaux nommés Hassan
et Hussein
(1).
Il repartit à Yako pour pr~senter sa femme à son
ancien logeur. mais la femme mourut peu de temps après son arri-
vé~. Il revint à Wogdogo chez le moog-naaba pour lui demander de
l'aider à élever ses orphelins"(2).
Bientôt les jumeaux grandirent et Ibrahim,
leur père,
sentant sa mort prochaine les appela et leur demanda de quitter
Wogdogo après sa ~ort pour aller s'installer "à droite" pour
crêer des êcoles coraniques et contribuer ainsi à répandre l'islam
au Moogo.
Là encore la vocation du rêcit est claire.
Il s'agit de
mettre en êvidence que les Yarse ont apportê l'islam aux Moose.
Les diffêrentes souffrances éprouvées par les ancêtres
(longues
marches, dêcès en cours de route)
visent certainement à faire
d'eux des martyrs, morts de façon êdifiante comme le prophète
Muhammad ou le Khalife AbO Bakr et par consêquent à montrer que
les Yarse descendent de personnages que Allah a comblês de bien-
faits. Justement, selon un hadith,
"Le martyr a aux yeux de Dieu
six avantages: il lui est pardonné d'emblée.
il voit immédiate-
ment le siège qui lui est assigné au paradis. il est exempt du
(1)
Remarquons qu'il y a là une rêférence indirecte au Khalife Ali
et à ses deux enfants Hassan et Hussein. Donc idêologiquement
les Yarse se rattachent-ils au chiisme ? Nous verrons ultérieu-
rement qu'ils accusent les autres de "laxisme,".
(2)
SANFO Ibrahim, Rakaye 17 fêvrier 1980.

80.
ch~timent de la tombe et de la grande terreur ; on le couronne du
diad~me de r~v~ration dont chaque rubis vaut plus que la terre
avec tout ce qu'elle porte,
on
le marie avec soixante douze ~pou­
ses aux beaux yeux et i l interc~de en faveur de soixante dix de
ses parents"
(1).
Dans les rêcits que nous venons de donner, La Becque,
Mêdine ou le Yêmen sont perçus comme les berceaux lointains des
Yarse. Le Mande est considêrê comme le premier lieu africain oa
les ancêtres se sont êtablis avant de pên§trer au f1oogo.
C'est
l'êtape oa ils auraient contracté les premiers mariages avec les
Noirs! Non seulement,
ils se rêclament d'une grande culture mu-
sulmane en rattachant leur origine aux villes saintes de l'islam,
mais en outre, en faisant de Tombouctou et de Djennê les villes oa
ont vêcu leurs ancêtres avant d'arriver au Moogo,
ils veulent
dêmontrer qu'ils viennent des premiers grands centres d'êpanouisse-
ment intellectuel et religieux de l'Afrique de l'Ouest subsaharien-
ne.
L'êpoque oa ils quittent Tombouctou ou Djennê correspond à la
pêriode oa l'islam était la religion des dirigeants de l'empire
Sonrhai qui cherchaient à êtendre leur domination à l'intêrieur
de la boucle du Niger.
Les constructeurs de ces rêcits semblent être quelque peu
renseignês sur l'histoire de l'islam et nous sommes tent§s de
croire que certains d'eux ont lu des ouvrages en langue arabe
sur l'islam en Afrique de l'Ouest aux temps des grands empires
(1)
CHARNAY,
Sociologie religieuse de l'islam, 1978, p.
198.

81.
"soudanais"
(1). En effet si on s'intêresse aux biographies de nos
conteurs, on se rend compte qu'ils appartiennent à une certaine
classe de marabouts ou sont descendants de familles considêrées
comme telles par les Moose.
Il s'agit donc d'un type de rêcits
êmanant d'une "êlite", de "savants". Ces rêcits nous ont êtê
livrês par des imams, des marabouts yarse
(2),
jouissant d'une
grande vênêration en raison de leur connaissance du Coran que
Allah a rêvêlê au nabiyama"
(3).
L'un des buts idéologiques de ces rêcits est, répêtons-le
de donner une image honorable du Yarga, de le faire respecter et
de reconnaître en lui "le père de l'islam" au ~oogo. Pour ce faire,
là où le rêcit d'origine n'est pas suffisant, on fait appel à un
jeu de mots très subtil pour essayer de convaincre. N'est-ce pas
dans cette optique que tel vieux marabout (4)
Yarga de sondre Rabo
explique que son patronyme est une dêformation de arabo (arabe),
ou bien encore qu'un grand imam de Tenkodogo
(5), appartenant au
groupe de Sana Yarse,
fait de son sondre la déformation du terme
arabe Sa na ou enfin qu'un maître coranique voit dans le mot Yarga
une dêformation du mot arabe Yara
(voir)
pour conclure allègrement
que les Yarse sont les descendants de ceux "qui ont vu" le prophète
(1) Nous pensons que certains d'eux avaient connaissance des deux
tarikhs.
(2)
Dans la prêsentation des sources, à la fin du travail, nous in-
diquerons si possible les fonctions et les situations socio-
professionnelles de nos informateurs.
(3) Mot par lequel les musulmans parlant moore désigne le prophète
Muhammad.
(4)
RABO Moumini, Kelbo,
26 dêcembre J982.
(5)
SANA Mohamadi, Tenkodogo,
12 juin 1983.

82.
Muhammad et qui respectent Dieu comme s'ils le voyaient!
Notre but n'est pas de montrer que ces généalogies sont
fausses ou vraies, mais d'essayer de comprendre pourquoi les Yarse
et plus précisément ceux de la catégorie des lettrés, se ratta-
chent au monde arabe. En d'autres termes,
il s'agit de r~pondre
aux questions quand et pourquoi ces récits mythiques sont appa-
rus. En fonction de quelles situations ces Yarse ont décidé de
fixer leur généalogie ?
Il est difficile d'avancer une date très précise sur
l'époque d'élaboration de ces récits.
Les seuls éléments de chro-
nologies restent les règnes des souverains Moose, en l'occurence
celui de Nasbire, quatrième moog-naaba
(1). Or il est vraisembla-
ble que l'apparition des récits ne date pas de cette époque, car
il n'y a pas eu forcément coincidence entre l'arrivée des Yarse
et la naissance des récits qui nous semble plus récente.
En attendant d'avoir des informations plus complètes, nous
situerons,par hypothèse,
leur naissance à peu près vers la fin
du XVIII ème et le début du XIXème siècle pour trois raisons essen-
tielles.
La première est la pénétration des Hausa au Moogo au
XVlllème siècle. D'après des informations recueillies dans les
quartiers Hausa de Wogdogo et de Kaya,
les Hausa auraient connu
une phase migrante avant de s'établir à Wogdogo sous le règne de
(1) Son règne est situé par Izard vers 1517.

83.
naaba Karfo
(1). Ces derniers, qui sont aussi commerçants et is-
lamisês, ont sans doute représentê des concurrents â la fois dans
le domaine êconomique et religieux pour les Yarse qui jusque lâ
avaient le monopole de ces activitês.
La seconde raison est la conversion "massive" des Moose
â l'islam à partir du règne de moog-naaba Dulugu (1796-1825)
?
qui a non seulement faussê la fameuse êquation entre yarga et
musulman, mais a aussi augmentê le nombre des Yarse. D'où la nêces-
sitê de distinguer les "vrais" des "faux" Yarse. Le critère de
distinction par excellence êtait la fabrication de rêcits d'origine
et de gênéalogies qui les rattachent au coeur du monde musulman,
au monde arabe.
Enfin les mouvements politico-religieux de la fin du XVlllè
et dll dêbut du XIXème siècle,
les appels au jihad de certains
leaders peul dont les Etats n'êtaient pas très êloignês des royau-
mes moose ont pu effrayer et complexer les Yarse qui, pour des
raisons économiques et politiques, ne voulaient pas quitter le
Moogo e~ se sont contentês de montrer leur appartenance â l'Umma
par la sêcrêtion de ces récits.
Il s'agissait aussi, peut-~tre, de
se prêmunir contre les effets d'une êventuelle prise du pouvoir
au Moogo par les initiateurs des jihad.
Il n'est pas impossible que ce soit dans ce contexte que
sont nês ces rêcits dont les fonctions essentielles êtaient de
lêgitimer des privilèges que les Yarse n'entendaient pas partager
(1)
DANKAMBARY Gado, Wogdogo 23 octobre 1981.

84.
avec les autres. Cependant, nous n'excluons pas la possibilité que
certains anc~tres au retour de pélerinage à La Mecque se soient
installés au Moogo et que leurs descendants aient gardé en souve-
nir cette ville comme étant leur berceau originel.
Pour une autre partie des informateurs,
les Yarse viennent
du Mande. Cette thèse,
la plus répandue, est soutenue non seule-
ment par des gens issus du milieu maraboutique mais aUssi
par
beaucoup de Yarse appartenant à des milieux paysans, commerçants.
On la retrouve dans presque tous les villages yarse avec quelques
différences importantes portant sur les lieux précis du Mande d'où
seraient partis les anc~tres, sur les motifs de leurs migrations
et sur les itinéraires. Les buts de leurs déplacements vont du
marabout qui part en pélerinage à La Mecqu~ et qui, de passage au
Moogo, va saluer le naaba
(qui le retient), au commerçant venant
régulièrement faire ses affaires et qui finit
par s'installer.
Par exemple le récit recueilli à Pal9.mt~nga (1) où il est
dit que l'anc~tre des Yarse vient du Malle €t
allait en pélerinage
à La Mecque est devenu presqu'un stéréotype qui circule à
travers
beaucoup de lignages Yarse. Notre anc~tre, affirment-ils, est
arrivé au Moogo sous le règne de naaba Kumdumye, accompagné de
ses deux petits frères et de son enfant.
Il voulait se rendre à
La Mecque. En passant pour saluer le Moog-naaba, ce dernier lui
confia la t~che de le protéger contre ses ennemis invisibles. Les
informateurs n'indiquent pas précisément le nom de la localité du
(1) KOUANDA Boureima, Palgmt~nga, 18 février 1979.

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85.
Mande d'où sont originaires leurs ancêtres.
Ils savent seulement
que c'est à l'ouest du Moogo et qu'ils parlaient dyula. C'est à
cause de leurs unions avec les femmes moose qu'ils ont fini par
adopter le moore
car, précisent-ils, ce sont les femmes qui
s'occupent de l'éducation des enfants pendant les premières années
de la vie et obligatoirement elles leur apprennent leur propre
langue.
A Léo
(1),
en revanche, des Yarse qui disent appartenir
au même lignage que ceux de Palomtênga situent leur localité
d'origine à Tombouctou et, à la différence du précédent récit,
ils indiquent que ce n'est pas le Moog-naaba qui les a retenus
mais le naaba de Nyu
(localité située entre Buse et Yako)
qui
souhaitait avoir un "peZog-soaba"
(2)
pour lui faire des doose(3).
Assurément Tombouctou fascine beaucoup des Yarse. Cette
ville fondée entre la fin du Xlème siècle et le début du Xllème
prit de l'importance à partir du XIVème siècle en raison de sa
situation au carrefour de plusieurs routes.
Aux XVème -
XVlème
siècles, elle
était devenue la capitale intellectuelle et reli-
gieuse de tout l'ouest africain subsaharien et abritait un grand
nombre d'hommes de science islamique. De ce fait,
la revendiquer
comme patrie par un musulman vivant au milieu des "païens" ou de
nouveaux convertis, n'a rien d'étonnant. Ainsi la famille des
(1)
KOUANDA Moumini, Léo
(Dyu-Yarse),
27 novembre 1982.
(2)
Littéralement "celui qui est en blanc". C'est une image qui
désigne le musulman.
(3)
Doose,
c'est le pluriel de doaga qui signifie à la fois les
bénédictions et les prières faites pour obtenir quelque chose
de Dieu.

86.
Bagyan au sein de laquelle est choisie l'imam qui siège à la
cour du Moog naaba,
se rattache à la célèbre famille Bagayoko
dont sont sortis plusieurs grands lettrés. Les auteurs des
Tarikhs ne manquent pas d'admiration et de respect pour les plus
connus d'entre eux, notamment Mahamud Bagayoko et Ahmed Bagayoko
(1). Les Bagyan Yarse sont arrivés, d'après leurs traditions
sous Moog-naaba Dulugu. Après s'être installés successivement à
Mané, à Zitênga,
leur ancêtre fut appelé par le Moog-naaba Dulugu
pour se voir confier la fonction d'Imam
(2).
D'autres versions,
reprenant les récits précédemment
cités, substituent aussi à l'origine arabe une origine Mande et
au but "missionnaire" des buts économiques.
c'est aux traditions présentant les Yarse comme des mar-
chands venus pour faire leurs affaires qu'il faut inclure le ré-
cit rapporté par Kohler dans lequel, on nous informe que l'ancêtre
des Stno Yarse de Saamba
(Yako), originaire de Yira,
est venu au
Moogo dans ce but. C'était à l'époque de naaba Boanga,
successeur
de naaba Tinguezende,
fondateur de la dynastie des Saamb nanamse
( 3) •
"Tandis que Naba Boanga,
ainsi que son nom le sugg're,
n'avait qu'un ~ne comme monture,
le Yarga était venu avec un che-
val.
Un marché fut alors conclu,
le Yarga cédait alors son cheval
(1) Voir Tarikh es-Soudan, 1981, p.
42.
(2) BAGNIAN Mahamoudou, 15 janvier 1982.
( 3) NACANr',BO, Le royaume moaga de Yako,
1982, p.
278.

87.
en ~ahange de neuf jeunes garçons à vendre aomme esalaves. Quand
Sondo voulut repartir.
i l demanda que les garçons soient ligot~s
pour éviter qu'ils ne s'~vadent en aours de route; mais le ahef
refusa et organisa leur évasion.
avea l'espoir que Sondo revien-
drait et pourrait ~tre retenu à Saamba. aupr~s de lui. Sondo re-
tourna dona ahez le ahef pour réalamer qu'on retrouVe
les fugitifs.
Le ahef aaquiessa.
mais temporisa.
Puis i l donna à Sondo sa pre-
mi.re fille
nomm~ Paloardin."
(l).
Bien que l'origine des S!no soit mise en doute par l'au-
teur du Royaume moaga de Yako, qui y voit des gens du pouvoir qui
se sont yarsifiés
(2),
le récit lui-même constitue un exemple inté-
ressant. Dans le passage cité, l'ancêtre des Yarse est considéré
comme un commerçant étranger dont les clients favoris sont les
chefs. Le paiement du cheval en captifs est une pratique courante
dans les échanges ouest-africains. Le fait que le naaba organise la
fuite des captifs, dans le but de faire rester le Yarga indique
que, dans un premier temps,
les Yarse venaient faire leurs transac-
tians et s'en retournaient. Les chefs moose ayant reconnu la néces-
sité d'avoir dans leurs Etats leurs spécialistes du trafic ont eu
recours à des ruses pour convaincre les Yarse de s'établir. Cepen-
dant si les namanse avaient besoin de spécialistes des échanges
à
longue distance pour désenclaver leur royaume et mieux tirer pro-
fit de ce commerce en essayant de le contrôler sur leur espace,
(l) KOHLER "Notes historiques et ethnographiques sur quelques com-
mandements régionaux de l'ouest Mossi" 1966, p.
59-60.
(2) NACANABO, Le royaume Moaga de Yako, p.
278.

88.
les commerçants eux aussi avaient besoin d'un marché large,
sur
lequel ils exerceraient sans trop de taxes et avec beaucoup de
garanties. D'où le compromis auquel parviennent les deux parties
(1)
Parm{ les "kuses" utilisées par les chefs moose pour rete-
nir les commerçants,
figure aussi l'achat à crédit de leurs mar-
chandises, ce qui les oblige à venir fréquemment réclamer leur
dette. Les nanamse feignant de n'être pas en mesure de payer sur
le champ leur proposent de rester quelque
temps afin qu'ils réunis-
sent les sommes nécessaires. Dans cette attente qui devient très
longue, les chefs essaient d'attacher, de "corrompre" les commer-
çants par des dons de femmes.
Le récit livré par les Derme illus-
tre bien cette tactique.
Leur ancêtre, un
certain Arzuma, originaire de Hombori,
est 'renu au Moogo pour vendre ses produits, essentiellement des
harnachements de chevaux et des armes
(lances et couteaux). Le
Moog-naaba ayant vu ces belles marchandises les achète à crédit
et demande au marchand d'attendre quelques jours pour qu'il ait
de quoi les payer. En réalité,
le souverain ne voulait pas qu'il
reparte, et chaque fois qu'Arzuma allait réclamer son argent, i l
lui donnait une femme.
Il finit par avoir des enfants, une famille
nombreuse qu'il ne pouvait plus abandonner pour repartir à HombQ-
ri
(2).
Cette ruse cache les négociations que les premiers commer-
çants étrangers ont eues avec les autorités moose avant de pouvoir
(1) Nous reviendrons sur cette importante question dans la deuxième
partie, chapitre sur les Yarse et les autorités politiques moose
(2) Dermé Issaka, Wogdogo, 19 décembre 1980. Les Dermé que nous avons
rencontrés appartiennent à la famille des bijoutiers du quartier
Niogsin (secteur 12) de la ville de Ouagadougou.

89.
s'établir définitivement. Les dons de femmes traduisent la con-
clusion d'un accord qui arrange les deux parties,
les autorités
s'engagent à ouvrir leur pays aux marchands musulmans à condition
que ceux-ci ne remettent pas en cause l'ordre établi. On voit
l'importance de l'alliance matrimoniale qui fait qu'indirectement
les Yarse sont liés au pouvoir politique. En reconnaissance de
"l'exonération" des taxes et de la liberté de circulatioh,
les
Yarse offrent des cadeaux aux chefs et les aident économiquement
( 1) •
Trois autres villes des bords du Niger sont présentés par
certains Yarse comme le point de départ de leur migration. Il
s'agit de San, de Ségou et de Gao.
Il est important de remarquer
que ces villes sont non seulement de grands centres commerciaux
fréquentés par les Yarse mais aussi
(ceci est valable pour les
deux dernières)
d'anciennes capitales politiques.
Sana Daouda (2)
indique que son ancêtre est parti de Gao
pour Monogo
(nom par lequel les Moose désignent Hombori) où il a
séjourné longtemps avant de venir s'installer à
Yargo
dans le
Ratênga à
l'époque de naaba Ratagba. Manifestement les Sana Yarse
ne sont pas d'origine mande mais Sonrhai si on se fonde sur leur
localité d'origine.
Ils sont devenus Yarse par la suite, car les
Moose ont bien un terme pour désigner les Sonrhai : Marâ Be.
Cette mutation est rendue facile par le fait même que les Marâ:se
(1)
Voir deuxième partie, chapitres II et III.
(2) SANA Daouda, Yargo,
26 décembre 1982.

90.
exercent à peu près les mêmes activités que les Yarse et sont
généralement de religion musulmane. Rien donc qu'à travers cet
exemple de changement de groupe lignager qui n'est pas unique,
nous devons nous méfier des généralisations abusives faisant de
tous les Yarse des originaires du Mande.
San est donné par Rabo Ousmane comme localité d'origine
des Yarse de son groupe
"Les Rabo viennent de San.
Au départ
de
leur migration,
i l y a eu quatre vingt dix chefs de m?nages
qui ont fait
le déplacement pour venir s'installer à Téma au
Moogo". A partir de là ils se sont dispersés. Certains restèrent
sur place, d'autres allèrent à Kongusi,
à Silmigu, à Langa pour
vendre leurs étoffes et autres marchandises, car, "nos anc'tres
étaient des colporteurs;
ils chargeaient leurs Ones de
toutes
sortes de produits et partaient.
Ils ne revenaient que
lorsqu'ils
a~aient écoulé tous leurs produits"
(1).
Il existe de nombreux témoignages oraux qui font venir
les Yarse du Mande. Mais cela nous autorise-t-il à globaliser.
Il y a certainement une part de vérité, mais de là à les prendre
tous comme véridiques serait extrêmement grave dans la mesure où
il y aurait risque de voir l'idéologie et le mythe s'emparer dé-
finitivement de la réalité historique.
(1)
RABO Ousmane, Kongusi,
24 décembre 1982.

91.
2.2.2. Les Yarse venus de Gambaga avec les Nakomse
Dans les traditions historiques livréts par les nakomse.
Gambaga, situé actuellement en pays mampursi, est le point de
départ des Moose.
Il n'est pas question pour nous de reprendre
les différentes traditions relatives à l'origine des nakomse.
Elles ont été suffisamment analysées par Michel Izard, et le lec-
te ur voudra bien se reporter à ses travaux
(1). Notre intention
est de rappeler la version la plus répandue en ce sens que quel-
ques groupes Yarse donnent aussi comme localité d'origine la même
que celle des Moose. Mieux encore ils disent être partis de Gambaga
avec les nakomse.
D'après le schéma dominant,
"Yennenga.
~a fi~~e du chef
de Gambaga est é~evée par son père comme un garçon.
Un jour son
cheva~ s'étant emba~~é. ~'entratne en brousse où e~~e rencontre
un chasseur originaire de
~a région. Ria~e. E~~e demeure auprès
de
~ui et ~ui donne un fi~s. Ouédraogo. Ouédraogo ayant grandi.
Yennenga
~e présente à son père qui donne des guerriers au jeune
homme. A ~a mort de Ria~e. Ouédraogo part pour Tenkodogo.
I~ a
de nombreux fi~s" (2).
Parmi les personnages historiques ou légendaires cités
comme enfants de Wedraogo figure le fameux Zungrana dont on sait
peu de choses. Ses fils, ou du moins ceux que les traditions pré-
sentent comme tels,
sont tous ou presque tous fondateurs de dynas-
(1)
On consultera utilement les tomes 1 et 2 de Introduction à
l'histoire des royaumes moose, 1970.
(2) TIENDREBEO, cité par IZARD, Introduction à ••• , t . l p. 126.
D'après d'autres sources Riale était un chasseur malinke.

-ITINIRAlai
SUIVI
PAR LES VARSE
VENUS DU SUD
D'APRES
LES R[CITS
D'ORIGINE

92.
ties : naaba Ratagba, naaba Zida, naaba Wubri. Les groupes Yarse
dont il sera question maintenant situent leur installation non
pas au moment où les deux fils de Zungrana
(Zida et Wubri)
fon-
dent leur royaume, mais affirment ~tre partis de Gambaga avec
eux. Ces traditions,
faut-il le rappeler, sont peu nombreuses
dans l'ensemble de notre corpus. Nous avons rencontr~ deux grou-
pes dans les régions de Zitenga-Ziniare, et nous avons eu ~cho
d'autres groupes rapportant les mêmes traditions à Bagomini
(Sapone). L'existence de ces traditions ne montre pas seulement
la diversit~ des origines g~ographiques des groupes Yarse. Elles
posent des questions dont les r~ponses ne sont pas pour le moment
~videntes.
Faut-il consid~rer ces versions comme "authentiques" ou
bien sont-elles comme la plupart des r~cits des reconstructions?
Car il n'y a pas de r~cits neutres. S'agit-il des Moose yarsifiés
ayant gardé le sch~ma historique nakomga tout en essayant de l'a-
dapter à leur nouvelle situation?
Examinons les diff~rentes traditions.
"dous sommes des Gambag-yarse,
nous avons suivi
le naaba
Wubri pour venir au Moogo.
Nous étions des
Yarse à Gambaga.
L'an-
c~tre du moog-naaba résidait dans la même localité. Lorsqu'il en-
treprit de venir occuper ce pays,
i l alla consulter des devins et
on
lui
fit
savoir que s ' i l se faisait accompagner par un Yarga,
80n
entreprise serait couronnée de
succès.
Alors
l'anc~tre des Moose
vint demander au nttre de
l'accompagner.
Ils étaient très amis et

93.
celui-ci accepta.
Arrivés au Moogo~ ils combattirent ensemble
les autochtones et sortirent victorieux.
Cette amitié allait se
renforçant quand le moog-naaba eut commerce avec la fille
de notre
anc~tre. Dès lors les liens se refroidirent et nous nous mtmes à
l'écart."
(1).
Le thème de la consultation rencontrée dans le tout pre-
mier récit se retrouve ici. Celui de la puissance magique des
Yarse est aussi sous-entendu. L'épisode des relations que le moog-
naaba Wubri a euaavec la fille du yarga nous paraît être la cause
de la yarsification de ce groupe. Et notre hypothèse consiste à
dire que ces Yarse ont été à l'origine des nakomse qui,
à la suite
d'un malentendu avec leur buudu
(2), probablement pour une histoire
d'enlèvement de femme, ont décidé de changer d'identité lignagère.
Donc tout en conservant peut-être inconsciemment la version nakanga
de l'origine des Moose à partir de Gambaga, ils ont introduit le
thème du Yarga chargé d'aider les nakomse par ses pouvoirs magiques
thème qu'on retrouve dans presque tous les récits yarse.
La signi-
fication de leur sondre Bikienga (littéralement fils aîné) et du
toponyme de leur village Moyargo
(chez les Moose-Yarse)
ne les
ont-ils pas trahi en échappant à l'idéologie?
La version des Rabo Yarse de Tigemtênga
(Manega)
fait aussi
état de Yarse venus de Gambaga non pas avec Wubri, mais avec Zida,
frère cadet de Wubri, qui était parti à la recherche de son aîné
sorti pour agrandir leur weogo : "Nous étions des Yarse marabouts
(1) BIKIENGA Karim, Moyargo, 13 novembre 1982.
(2)
lignage au sens large.

94.
à Gambaga.
Et avant de partir à la recherche de son frère,
Zida
nous a choisiJpour l'accompagner,
car tout grand chef se déplace
avec un mô~e (marabout) chargé essentiellement de lui faire
le
doaga (bénédiction,
aumene).
Gr~ce au doaga de notre anc~tre qui
le suivait partout où i l allait,
Zida a étendu ses conqu~tes jus-
qu'à la montagne de Monogo,
englobant ainsi
le pays peul avant de
venir vers Yako,
puis enfin ici à Zitenga où i l trouva la m~rt.
Nous sommes différents des autres moemba (pluriel de mô~e) qui
sont venus après s'installer auprès des nanam6e et qui ont pris
notre place"(l).
En s'élevant contre les marabouts arrivés après eux
(a~ès
Zida)
et qui ont pris leur place auprès des souverains pour deman-
der leurs grâces,
l'informateur se différencie des Yarse venus du
Mande sous Nasbire, Kumdumye ou Yadega. Par ailleurs,
plusieurs
fois au cours de notre causerie i l a fait allusion au groupe des
Wemba
(2),
pour finir par conclure qu'eux et les wemba sont les
mêmes. La seule différence se situe au niveau de la religion.
"Alors que
les uns interviennent au nom du Coran et du prophète
Muhmmad,
les autres battent des mains pour demander le 6ug~i (3)
au nom des anc~treB.
19.Ia..I~gl.
(~) Mot désignant une catégorie de personnalités traditionnelles
chargées d'intervenir auprès des chefs pour demander des grâ-
ces.
(~) Sugri désigne à la fois le toit d'une case et la grace, le
pardon.

!

95.
Pour les deux nabiisi
([princes]
Zida et Wubri), du moins
dans les traditions moose les concernant, aucune référence n'indi-
que qu'ils soient allés à Gambaga. Celui dont i l est "officielle-
ment" accepté qu'il a séjourné à Gambaga
est Wedraogo,
fils, dit-
on, de Riale et de Yennenga : "Le roi de Gambaga reçoit Ouidiraogo
qui repart vers
le nord à la t~te d'une troupe de guerriers dagomba
et fonde
Tenkodogo qu'il quitte par la suite pour s'installer plus
au nord à
la demande
des Nyonyos' qui
le veulent pour cher."
(1).
L'historicité de naaba Wedraogo n'est pas suffisamment prouvée et
Michel Izard écrit à ce sujet:
"Nous n'avons pas posé
le
problème
de
l'historicité de
Nedega.
de
Yennenga et de
Wedraogo
;
nous pré-
férons
considérer ces
"personnages" comme marquant
les étapes d'un
d'veloppement historique auxquel~
on peut associer des
s'quences
généalogiques horizontales ou g'nérations. (2).
Si l'on admet avec
cet auteur que Wubri et Zida sont situés à
la troisième génération
(la première étant celle de Wedraogo)
et qu'ils sont tous deux fils
de Zungrana
(deuxième génération), i l est possible que nos in for-
mateurs confondent les personnages. Or si justement i l y a confu-
sion, ce qui n'enlève rien au fait que leurs anc~tres soient venus
de Gambaga,
i l convient de se poser la question de savoir si à
l'époque retenue pour le départ des Moose
(XVème siècle)
i l y avait
déjà des musulmans dans les Etats Dagomba et Mampursi.
(1)
DELOBSOM, cité par,
Id,
Ibidem, p.
126.
(2)
IZARD,
Introduction à l'histoire des royaumes Mossi,
t.
l,
1970, p.
129.

96.
Une réflexion de Cardinall dans In Ashanti and Reyond,
semble indiquer que ces Etats n'ont pas accept§ les musulmans:
"L'islam ici, disait un fonctionnaire britannique vers 1920, n'a
jamais fait
le moindre progrès,
la confédération des Dagomba a été
pendant des siècles un rempart solide contre l'influence musulma-
ne."
(1). A la lumière des travaux de Levtzion i l apparaît que les
fondateurs de ces Etats n'étaient pas musulmans comme le laisse
entendre le passage suivant : "Les traditions recueillies chez
les Mampursi ne disent presque rien de
l'époque qui précède celle
de leur ancetre Na Bawa.
Celles des Dagomba disent explicitement
que leurs ancetres étaient complètement pafens jusqu'aux environs
de 1700, époque de Na Zangina dont le règne apporta une transfor-
mation radicale dans
la civilisation des Dagomba."
(2).
Il n'en
demeure pas moins qu'il existait des musulmans dès cette époque
dans le pays. En effet, dès le XVème siècle une voie commerciale
traversait ce pays pour aboutir à la région forestière Akan riche
en or. L'or était ensuite acheminé vers les métropoles des bords
du Niger par des marchands musulmans d'origine mande. Certains
d'entre eux, ayant des "hommes de religion" qui accompagnaient les
caravanes pour leur "rendre des services", ont pu s'y installer.
Les traditions moose,
lorsqu'elles évoquent l'histoire an-
cienne du Moogo à l'époque du départ de Yennenga ou de Wedraogo
de Gambaga,
ne mentionnent pas qu'ils étaient accompagnés par des
(1) CARDINALL,
In Ashanti and Reyond,
1927, p.
108.
(2)
LEVTZION,
"Commerce et islam chez les Dagomba du nord Ghana",
Annales économies, sociétés, civilisations,
nO 4,
1968, p.
726.

97.
Yarse marabouts mais plutôt par des guerriers. Si ces Yarse êtaient
partis de Gambaga avec les anc~tres des Moose, ils auraient cer-
tainement "siêgê" dans une des cours des grands dima
et auraient
êté considérês comme les premiers Yarse du Moogo, aussi bien par
les autres groupes Yarse que par les chefs moose. Ce n'est pour-
tant pas leur cas. Les nakomse nient que leurs anc~tres aient été
accompagnés par des Yarse. Mieux ils considèrent que les Yarse
se sont installés après eux et non au m~me moment.
2.2.3. Les Yarse venus de l'intêrieur du Moogo
A l'opposé de ce que semblent révéler quelques unes des
enqu~tes faites par Dominique Nacanabo, nous n'avons pas eu d'in-
formations sur une présence yarga au Moogo avant l'arrivée des
nakomse.
Sans rejeter entièrement son hypothèse lorsqu'il êcrit
"Toutefois,
abstraction
faite
aux mouvements migratoires
(car
les
Yarse
sont avec
les
Peuls
les populations
les
plus mobiles au
Moogo)
et des accidents démographiques
liés aux disettes,
famines
et aux épidémies,
nous pouvons supposer qu'ils
ont représenté une
fraction
importante de
la population prénakomse de
Yako
(1), nous
estimons qu'il y a une exagération et peut-@tre l'insuffisante
prise en considération des changements d'identité qui ont pu en-
traîner des
ninsi et des nyonyose à devenir Yarse tout en ayant
conservé de leur origine leur antériorité par rapport aux nakomse.
(1) NACANABO, Le royaume moaga de Yako ••• ,
1982, p.
257.

9 B.
L'existence de traditions faisant venir certains Yarse de
localités situées à l'intérieur de l'espace géographique moaga
prouve une fois de plus l'hétérogénéité de ces groupes et la di-
versité de leur origine.
Ces traditions peuvent être interprétées de deux manières.
D'une part i l est possible de les considérer comme émanant des
Yarse partis des premiers foyers
(Yarse)
du Moogo. D'autre part
on peut y voir des éléments Moose, qui une fois yarsifiés sont
allés s'installer à des endroits éloignés de leur lieu d'origine.
Ces deux hypothèses sont attestées par un certain nombre de témoi-
gnages.
Ces Yarse expliquent généralement leur déplacement par des
motifs commerciaux, politiques
(querelles à la suite de problème
de succession au naam), religieux (appels des chefs de village
qui souhaitent avoir à l'instar des grands dima
des marabouts
dans leur commandement).
Les Sore,Yarse
(1)
de Weog Yargo
(Manega)
expliquent qu'ils
sont originaires de Manesa. Leur ancêtre, fils aîné d'un chef, fut
mécontent de n'avoir pas été désigné en remplacement de son père
défunt.
Il décida de quitter le village paternel et d'aller s'ins-
taller loin des siens.
Il fut accueilli par le Manega-naaba qui
lui offrit un terrain pour s'établir.
Cette version a des similitudes avec celle que nous a
livrée le yar-naaba de Sisin
du Ratenga,
un yarga du même groupe
(1)
SORE Issa, Manéga,
2B décembre 19B1.

99.
"Notre anc'tre rlgnait au Manesa.
Au moment de sa prise de pouvoir
il demanda à son petit frère de lui donner son fils pour qu'il le
place devant lui.
Ce dernier ayant refusl il prit un dapwe-biiga.
Lorsque l'anc'tre mourut sans laisser d'enfants,
le tr~ne devait
normalement revenir à son petit frère.
Mais par complicitl il
alla au dapwe-biiga considlrl alors comme le fils du dlfunt.
Le
petit frère
frustré s'en alla. Après s"tre successivement instal-
lés à Mane,
Kuritenga,
il arriva chez le
Ratêng naaba qui ne vou-
lut pas le laisser partir."(l).
Si les conflits de succession (2), notamment pour le yar-
naam sont à l'origine des déplacements, on peut supposer qu'il
s'agit de migrations récentes
(XVlllème siècle), époque où le nom-
bre de Yarse était devenu important pour que les autorités politi-
ques moose instituent le yar-naam.
Le nombre de villages créés par des Yarse partis de loca-
lité tels que Zoagna, Mane,Mande-Yargo,
Sankwisin est relative-
ment important. Certains villages ont été créé par des Yarse qui
étant jeunes furent envoyés dans ceux de leurs oncles maternels
pour y ~tre éduqués. Devenus grands, ils y sont restés et sont à
l'origine d'une communauté yarga dans un village moaga où i l n'en
existait pas jusqu'alors. D'autres colonies Yarse ont été fondées
à la demande des chefs Moose, par exemple i l semble qu'il était
(1)
SORE Ousséni, Sisin,
27 décembre 1982.
(dapwe-biiga égal enfant
d'origine captive).
(2)
Un autre SORE Yarga indique que ses anc~tres étaient des nakomse
de Salago. Puis ayant échoué au naam,
ils ont préféré devenir
Yarse.

100.
courant qu'un nabiiga
(prince)
venu se faire introniser par le
Moog-naaba,
passe au retour par un centre yarga et demande un
marabout pour venir lui faire des doose ;
c'est le dêbut d'un
foyer yarga.
La lecture que nous venons de donner de chacun de ces
quatre groupes de récits
(1)
n'a certainement pas êpuisé toute
leur signification historique. Nous en sommes conscients. Cepen-
dant essayons d'êlaborer une synthèse en faisant ressortir les
êléments de chronologie pour une meilleure comprêhension de la
suite.
2.3. Synthèses et problèmes
A partir des renseignements tirés des traditions orales
et d~s sources écrites, sommes-nous en mesure de donner une appro-
che chronologique concernant les dêbuts des Yarse au Moogo et
essayer de retrouver le ou les peuples dont ils seraient issus ?
En d'autres termes,
pouvons-nous,
à
travers les traditions livrant
des noms de localitês d'origine ou des noms patronymiques de leur
groupe avant leur installation au Moogo, saisir la trame des mi-
grations et des différences entre ces groupes yarse et parvenir à
affirmer ou à défaut supposer que tel groupe yarga est à rattacher
à
tel groupe mande ou autre? Il s'agit de questions très diffici-
les qui ne connaîtront pas de rêponses absolues et dêfinitives,
(1)
Il s'agit des regroupements des quatre types de rêcits annoncês
dans l'introduction de ce chapitre.

101.
tout au moins au niveau de ce travail. Néanmoins, nous formulerons
quelques hypothèses provisoires en fonction des éléments collectés,
tout en restant conscient, comme le rappelle Vansina "qu'on ne
peut
faire
confiance à ces noms comme représentants mbme des
traces
de migrations réelles"
(1).
2.3.1. Des éléments de repères chronologiques
Si l'on s'en tient strictement aux récits des groupes
yarse qui disent venir de l'extérieur du pays moaga actuel, on
constate qu'il n'y a pas eu une seule migration yarga comme l'ont
affirmé certains de nos prédécesseurs, mais une série de petits
mouvements de groupes relativement restreints en nombre, qui se
seraient étalés sur plusieurs générations
(au moins deux siècles).
En nous fondant sur la chronologie établie par Michel Izard,
les
plus anciens groupes sont ceux qui
disent ~tre venus de Gambaga
avec naaba Wubri ou avec naaba Zida ~ la fin du XVème siècle.
Cependant, pour des raisons que nous avons du reste déj~ présen-
tées, nous pensons que ces gens n'étaient pas encore ~ cette
époque des Yarse en tant que tels. Ils le sont devenus ou plutôt
leurs descendants le sont devenus par la suite.
A la génération de Wubri et de Zida, située historiquement
par Izard à la fin du XVème siècle, est associé Ratagba,
fondateur
(1) VANSINA,
"L'influence du mode de compréhension historique d'une,
civilisation sur ses traditions d'origine:
l'exemple Kuba".
Bulletin des séances de l'Académie des Sciences Royales d'outrE
mer,
1973, p.
231.

102.
du Ratênga, présenté COffi@e le frère aîné de naaba Zida. Les tra-
ditions des Sana Yarse du Ratênga le présentent comme le souve-
rain qu'ils ont trouvé à leur arrivée dans la région. Parce qu'ils
viennent de Hombori, nous avons supposé qu'ils étaient peut-être
des sonrhai
(mar~ se) qui se sont yarfisiés ensuite. Si cette
hypothèse est exacte, chronologiquement,
les Marâ se sont venus
au Moogo avant les Yarse.
Dès lors les poussées sonrhai en pays
moaga peuvent expliquer en partie cette installation. Le Ratênga
est la partie du Moogo la plus proche de Gao, capitale de l'empire
sonrhai, et la fin du XV ème siècle coIncide au Sonrhai avec les
visées expansionistes de Sonni Ali Ber en direction du pays moaga
relatées par les Tarikhs, particulièrement le Fettach (1).
Parmi les "étrangers" musulmans qui ont été intégrés
et qui utilisent le moore comme langue,
les Marâ se sont sans
doute les premiers à s'être fixés au Moogo. Cependant la conscience
collective moaga n'a pas retenu d'eux la différence au niveau de
la religion, mais surtout leur spécialisation professionnelle.
Pour les Moose,
les Mara.se sont avant tout des artisans et prin-
cipalement des teinturiers, et un de nos informateur mar~ ga
de
_Y.âgdî l'a confirmé
(2), alors que les Yarse sont considérés non
seulement comme commerçants mais surtout comme musulmans. Cette
situation nous amène à poser des questions auxquelles nous ne
(1) Voir KATI, Tarikh el Fettach, réédition 1981, p.
85,
89, 90 ...
(2)
El Haj Hamidou MaIga,
jâ~di, 9 juillet 1983 : "Nos anc6tres
viennent de
Gacga au bord du
Niger.
Ils
ont séjourné à Hombiri
avant d'arriver au Moogo.
Ils
avaient comme activité
la
teinture
des v'tements."

103.
sommes pas en mesure de répondre.
S'explique-t-elle parce que les
Mar~ .se sont moins nombreux que les Yarse ou bien parce qu'à leur
arrivée ils n'étaient pas islamisés, ou très peu? Ou tout simple-
ment les Yarse ont-ils, en raison de leur importance numêrique,
récupéré la paternit~ . de l'islam au Moogo. Un adage moaga indi-
que bien que lorsqu'on parle d'introducteurs de l'islam on pense
aux Yarse et aux Peul.
"A
l'exception du Yarga et du Peul,
ils
ont tous mang'
le chien avant de devenir musulman." Cette phrase
souligne que dans l'esprit des Moose,
les Yarse sont musulmans de
naissance, mais aussi qu'ils sont arrivés au Moogo déjà islamisés.
Après les trois premières générations
(celles de Wedraogo,
de Zungrana et de Wubri)
correspondant à la phase des grandes con-
quêtes nakomse où il est difficile de parler d'installation cer-
taine de Yarse en tant que tels,
suit la période de la naissance
et de la formation des Etats avec des noms célèbres tels que
Nasbire, Kumdumye,
Yadega,
Kuda.
La plupart des groupes Yarse
affirment être arrivés
sous les règnes de ces souverains,
tous
situés au XVlème siècle
(1). Ils sont présentés comme ceux qui ont
favorisé l'installation yarga par leur accueil favorable.
Sous
Nasbire seraient arrivés les Sakande. Les Kuanda et les Dera s'ins-
tallent sous Kumdumye dans le royaume de Wogdogo. Au Yaadtênga,
les MaJ1Re yarse arrivent sous Yadega,
alors que la province du
Ganzurgu à l'est de Wogdogo reçoit les Sisao yarse sous le règne
(1)
Selon IZARD, on a les durées de règnes suivantes :
NASBIRE entre 1517 et 1540.
KUMDUMYE
(1540-1566)
YADEGA
(1540-1560)
KUDA
(1566-1593).

104.
du moog-naaba Kuda. Selon des traditions rapportées par Martine
Sandwidi
(1), l'ancêtre des Sisao yarse viendrait de Safan~. Il
serait tombé d'un arbre sous lequel les habitants de cette loca-
lité se retrouvaient le soir pour palabrer.
Interrogé sur le but de son arrivée,
i l leur répondit
que c'est la puissance de Dieu qui l'avait fait descendre mira-
culeusement muni d'une planchette
(2)
et d'un Coran pour faire
connaître l'islam aux habitants. Par la suite il épousa une fille
de Safané avec laquelle i l eQt trois fils.
Le premier, soucieux
de propager l'islam, vint au Moogo sous naaba Kuda.
Il se dirigea
ensuite vers le Ganzurgu et s'établit à Bado
(3).
Au XVlllème siècle, alors que les premiers venus, ou plu-
tôt leurs descendants, s'installent un peu partout à travers le
Moogo, de nouveaux émigrants arrivent. C'est le cas des Sanfo
yarse sous naaba Warga (1737-1744 ?) et des Bagya
sous moog-
naaba Dulugu (1796-1825). Cependant certaines traditions, notam-
ment celles des premiers groupes déjà évoqués, contestent leur
origine mande et voient en eux des tbngembiisi gagnés très tôt à
l'islam. Sur un problème aussi délicat que celui-ci, et parce
qu'il soulève encore aujourd'hui des passions,
notre objectif
n'est pas de trancher en faveur de tel ou tel groupe, mais de je-
ter un regard critique et serein sur les arguments avancés par
(1) SANDWIDI, Les traditions historiques des Yarse dans la région
du Ganzourgou,
1981, p.
27.
(2) C'est une sorte d'ardoise en bois sur laquelle les élèves re-
copient les versets du Coran pour les apprendre. On l'appelle
en moope Walga.
(3)
SANDWIDI, Les traditions historiques des Yarse •.. ,
1981, p.
28.

105.
chacune des deux parties. Ces arguments traduisent sans aucun
doute les rivalités qui existent entre ces différents groupes
yarse,
notamment pour la revendication de la "paternité" de
l'islam au Moogo.
Les premiers estiment avoir apporté l'islam
auxMoose et ce depuis Nasbire.
Ils seraient par conséquence les
maîtres des seconds dont les ancêtres,
selon eux, auraient été
leurs premiers élèves Moose pour l'apprentissage du Coran. Pour
les seconds les arguments des premiers sont inexacts :
ils ne
sont pas d'anciens Hoose et la preuve c'est qU'ils viennent de
Tombouctou et de Djenné.
Ils reconnaissent être arrivés après
les premiers, mais accusent ces derniers de n'avoir pas été bons
musulmans et d'avoir pratiqué un islam trop tiède jusqu'à leur
venue. C'est pourquoi les autorités politiques Moose leur ont
confié la charge d'Imam et les ont autorisés à ouvrir des écoles
coraniques qui sont demeurées les plus célèbres du Moogo :
Sagabtênga et Rakaye.
Quoi qu'il en soit, dans les traditions que nous avons
recueillies, on n'enregistre aucune arrivée de Yarse venus de
l'extérieur du Moogo après le règne de moog-naaba Dulugu. Les
seules références à des souverains postérieurs à Dulugu concernent
des migrations de Yarse quittant d'anciennes localités yarse pour
s'installer à d'autres endroits du pays moaga.
Cela nous amène à
conclure que l'arrivée des premiers Yarse se situe au début du
XVI ème siècle. A partir de ces éléments étrangers qui ont servi
de modèle,
la société moaga a secrété ses propres Yarse qui leur

106.
permettaient d'éviter de dépendre exclusivement d'étrangers au
niveau du commerce national et international.
2.3.2. Les Yarse sont-ils d'origine Mande?
De l'avis des auteurs des thèses anciennes
(1),
cette
question ne se posait pas. Leur réponse hautement affirmative
était d'une telle certitude qu'ils n'y voyaient m~me pas la néces-
sité d'introduire des nuances. A leur suite, des écrivains d'une
certaine notoriété sont tombés dans ces généralisations abusives.
Baumann et Westermann ont pu écrire dans leur synthèse sur les
peuples d'Afrique que "les Mande-dyulas sont comme
les
Haoussas
des marchands consomm~s connus jusque dans
le Yatenga et chez
les
Mossi;
ils ont fond~ des colonies et l'on
les y appelle
Yarse"
(2). Charles Monteil dans fin de siècle à Médine
(1897-1899)
(3)
voit dans les Yarse une fraction des Soninke gui, au moment de
la dislocation du Wagadu, se sont établis au Moogo. En cela,
i l
est rejoint par Urvoy qui affirme que "les Yarse sont des Sarakollés
installés au Mossi."
(4). De grands historiens dont les travaux
sont devenus des ouvrages de référence, ont reproduit ces clichés
en faisant globalement des Yarse des Moose d'ascendance mandingue
( 5) •
(1) cf chapitre l, prem1ere partie.
(2) BAUMANN et WESTERMANN, Les peuples et les civilisations de
l'Afrique,
1970, p.
389.
(3)
Cité par NACANABO dans Le royaume moaga de Yako •• ,
1982, p.
289.
(4)
URVOY. Petit Atlas ethnodémographique du Soudan: Entre le
Sénégal et le Tchad,
p.
31.
(5)
Par exemple
PERSON, Samori,
une révolution dyula,
t.
l,
1968,
p.
128 note 67.

107.
Deux thèmes ont inspiré la plupart des auteurs. D'abord
celui de la dispersion des Mande à travers toute l'Afrique de
l'Ouest depuis la chute de l'empire du Ghana, qui permet de trou-
ver effectivement dans beaucoup de sociétés ouest-africaines des
groupes mande. Ensuite celui du commerçant dyula sillonnant tou-
jours cette même partie du continent à la recherche de débouchés
pour ses produits.
En ce qui nous concerne, nous avons déjà apporté quelques
nuances en montrant que parmi les groupes Yarse, il y en a certains
qui sont d'origine sonrhai, d'autres d'origine moaga. Les groupes
yarse juxtaposent donc en leur sein des éléments très divers :
mande, sonrhai et moose. Même si le dernier élément est le plus
important en nombre,
i l n'en demeure pas moins que des éléments
mande ont été à la base de la cristallisation du modèle yarga.
La définition des Mande repose essentiellement sur un cri-
tère linguistique. Houis fait remarquer que dans cette rubrique
i l faut entendre "un ensemb~e de peup~es par~ant des
~angues appa-
rentées.
I~s constituent du point de vue ~inguistique "~e groupe
mande".
Les Manding d~signent ~e peup~e qui,
avec Sundiata,
créa
~'Etat du Ma~i ;
"manding" s'app~ique aussi au sous-groupe formé
par ~es par~ers ma~ink~, bambara et diu~a." (1). Or les Yarse,
mêlés aux Moose depuis quatre siècles, ont fini par adopter le
moore qui,
linguistiquement, appartient au groupe des langues di-
tes "voltaïques" ou gur. Adoption rendue nécessaire pour bien
(1) HOUIS "Mouvements historiques et communautés linguistiques dans
l'Ouest Africain" L'homme, vol.
l, nO 3, 1961, p.
84.

IDS.
commercer dans une société où le marchandage est une pratique
courante dans le négoce
(1).
Il est donc pratiquement impossible actuellement, si on
se fonde uniquement sur les critères d'ordre linguistique, de les
rattacher ~ un autre peuple que celui des Moose. Pourtant, si la
langue exprime une culture
(ce qui n'est pas toujours vrai dans
la mesure où la prise en compte de cette équation reviendrait à
dire que tous les locuteurs d'une langue appartiennent à la culture
dans laquelle est née la langue), elle n'est pas le seul élément.
Les Yarse se disent différents des Moose, bien qu'ils parlent la
m~me langue. Ils font intervenir d'autres critères, notamment les
origines et les patronymes qui rappellent à certains égards des
populations mande. En effet, si on jette un coup d'oeil sur les
multiples récits d'origine, notamment ceux qui donnent aux Yarse
une origine mande, on se rend compte que les localités proposées
comme foyers ancestraux sont situées dans une zone géographique
dominée par des populations mande
Kaaba en Guinée, coeur du
Mandingue ; Ségou en pays bambara
Tombouctou et Djenné villes
cosmopolites habitées par des hommes de toutes origines parmi les-
quels les Soninke. Loin de nous la tentation de croire que tous
les Yarse qui se réclament de ces localités sont les descendants
des premiers Mande venus au Moogo. Constatons tout simplement que
les manières dont sont présentés les ancêtres dans les récits, par-
ticulièrement ceux qui font état d'ancêtres marabouts se déplaçant
(l) Adoption accélérée par les alliances matrimoniales avec les
Moose.

109.
pour convertir des animistes à l'islam, rappellent par exemple
l'histoire d'un groupe mande connu sous le nom de Jakhanké
(1).
Ces derniers, dont l'origine remonte à l'empire du Wagadu, seraient
des Soninke réputés dans le maraboutisme, spécialisation "clêri-
cale" qui a tendu à faire d'eux une caste ou une ~thnie (2). Ils
se seraient dispersés,d'après Lamin Sanneh qui leur a consacré une
étude, selon trois directions à partir de leur ville d'origine qui
est Diakha dans le Macina. Un premiers groupe se dirigea vers l'est
c'est-à-dire vers le pays Hausa. Un second groupe prit la direc-
tion du sud, vers l'or de l'Ashanti et laissa des êléments en pays
moaga. La troisième direction est l'ouest, vers le Futa Jallon (3).
Il n'est pas impossible que certains soient issus de ce
groupe, d'autant plus que la ressemblance dans les activités est
manifeste : maraboutisme et voyages missionnaires. A la différence
d'autres musulmans ces marabouts Jakhanke,
tout comme les marabouts
yarse, ont une attitude passive à l'égard des populations animistes.
Ils sont tolérants et pacifiques et pour cause •••
Quelques uns des soanda yarse ont aussi une grande ressem-
blance avec des patronymes mande.
Leurs porteurs yarse n'hésitent
pas à établir des correspondances directes, même si quelquefois
les équivalents choisis sont arbitraires et relèvent du simple jeu
de mots. Ainsi il nous a êté dit à maintes reprises que les Dabo
ou Rabo
(4)
Yarse sont apparentês aux Dabo de Djenné dont certains
(1) C'est-à-dire les habitants de Diakha.
(2) SANNEH,
"The origins of clericalism in West African Islam",
Journal of African History, Vol XVII, nO 1, 1976, p.
55.
(3)
Id, Ibidem, p.
59.
(4)
Dans la langue moore, en début de mot,
le r et le d s'emploient
sans que le sens du mot ne change.

110.
anc~tres furent cadi de la m~me ville sous l'occupation marocaine.
D'après le Tarikh es-Soudan,
i l y aurait eu au moins trois membres
de la famille Dabo qui, entre 1617 et 1652, exercèrent cette fonc-
tion (1).
Il s'agit de Musa Dabo, de Ahmed Dago
(fils du précédent)
et de Abderahman Dabo,
jugé ignorant par Es-Sadi. C'était dit-il
"un ignorant,
ne sachant rien des questions Juridiques."
(2).
Les Sakande Yarse donnent comme équivalent de leur sondre
Sanogo ;
les Dera, Diara ou Tera ;
les Bagyan Yarse, Bagayoko ; les
Kuanda sont partagés entre Kunate et Kone. Cependant on ne peut
réellement prendre en compte ces équivalents car, certains des
patronymes Yarse ont une signification dans la langue moore. Par
exemples,
les traductions littérales de Sore, Sakande, Dabo, Sana
donnent respectivement
- Sore : route ou voie au sens religieux.
-
Sakande :
finir la lance ou bien la lance du ciel.
- Dabo
achat ou souhait, voeu, désir, volonté.
- Sana
étranger
S'agit-il de coIncidences linguistiques ou bien les traduc-
tions de situation historique montrant la vraie nature,
l'origine
de ces groupes souvent qualifiés par les autres de "faux" Yarse.
Nous ne le discuterons pas pour le moment parce que nous y revien-
(1) Sur la fonction de Cadi dans l'empire Sonrhai, on consultera
utilement le m~moire de maltrise de Françoise LEPAGE intitulé
Le rOle et la fonction des Cadi dans le Soudan nigerien de la
fin de l'empire mandingue à la domination marocaine, Paris VII,
1981.
(2) SA'DI, Tarikh-es-Soudan, 1981, p.
457.

Ill.
drons dans un prochain chapitre. Si l'hypothèse selon laquelle
des Mande musulmans
(marabouts et commerçants)
se sont établis
au Moogo vers le début du XVlème siècle
(époque qui co!ncide avec
la mise en place des principaux royaumes nakomse) et ont servi de
modèle pour la création d'un groupe "pluri ethnique" mais globale-
ment "uniprofessionnel" et "uniconfessionnel" est acquise, i l
faut alors examiner quels ont été les rapports de ces musulmans
étrangers avec les Moose aux tout premiers temps de leur instal-
lation.
o
o
0

112.
1 CHA P I T R E
III

113.
LES PREMIERS CONTACTS ENTRE MOOSE ET MUSULMANS
Les Moose ont été considérés dans plusieurs ouvrages,
comme un des peuples qui a résisté le plus longte~ps à la péné-
tration de l'islam sur leur sol, et même à toute influence isla-
mique. Ceci leur valut plusieurs caractérisations. Barth leur
attribue le titre de "successful champion of paganism"
(1). A
sa suite, d'autres auteurs les ont qualifiés de peuples forte-
ment attaché à ses croyances ancestrales et par conséquent ré-
fractaires à l'islam (2). On pourrait allonger la liste des qua-
lifications devenues les clichés habituels par des expressions
qui reviennent fréquemment sous la plume des spécialistes :
les
Moose sont "le versant" animiste le plus hostile à
l'islam;
les
Moose forment un bloc islamo-résistant (3).
Cette hostilité, à en croire les mêmes auteurs,
repose
sur le souci des Moose de défendre leur religion qui est un élé-
ment de leur pouvoir politique. C'est pourquoi P.
Ilboubo a pu
écrire à ce sujet que: "La religion traditionnelle des Moose
s'intègre dans
le système politique du Moogo et se présente
comme un de ses rouages essentiels.
Elle a pour objet d'apaiser
(1) BARTH. Travels and discoveries in North and Central Africa.
1849-1355, 1857, p. 603.
(2)
AUDOUIN et DENIEL.L'islam en Haute-Volta à l'époque coloniale.
1978, p. 7.
(3) BICHON. Les musulmans de la subdivi~ion de Kombissiri, CHEAM,r~~é.
1962, p.
l
(voir aussi Encyclopedia Universalis, article sur
les "Mossi").

114.
les angoisses des hommes en les intégrant dans un univers de puis-
sance gr~ce au culte et à la magie"
(1). La défense de leur cro-
yance, et plus certainement celle de leur souveraineté politique
et de leur intégrité territoriale, devaient les mettre en con-
flit avec leurs voisins du nord,
ceux dont les autorités politi-
ques, â la fin du XVe siècle étaient nominalement islamisées.
3.1.
A propos du "jihad" de l'Askia Mohammed 1er contre les
Moose
Parler des conflits entre les Moose
(les nakomse)
et le
sonrhai des Askia, suppose que nous n'avons pas exclu totalement
la possibilité que les Moose dont il est question dans les deux
tarikhs soient les ancêtres des Moose actuels. Conformément au
cadre chronologique dressé par Izard et que nous nous sommes pro-
posé de suivre,
les Moose qui ont combattu contre les soldats de
l'Askia Mohammed 1er
(1493-1528)
peuvent être aussi les Nakomse.
En effet, l'auteur, â l'opposé de Levtzion (2),
fait remarquer
qu'â partir de l'avénement de Sonni Ali Ber en 1464, les faits
relatés par le Tarikh El Fettach au sujet des guerres contre les
Mouchi peuvent concerner les Nakomse en ce sens que,
lorsque Kâti
commençait la rédaction de ce tarikh en 1519, "la partie active de
la vie de l'Askya Mohammed vient de s'achever et les événements
Cl)
ILBOUBO, Aux origines d'une église en pays mossi.
Donsin
tilungu :
1919-1938, 1979, p.
24.
(2) Cet auteur propose d'introduire une coupure radicale dans
l'histoire des l100se en distinguant deux périodes: avant et
après Sonni Ali.

us.
marquants de
son règne et de Sonni Ali sont encore dans toutes
les mémoires et ont certainement déjà fait
l'objet de relations
écrites.
Ainsi,
quand K~ti, et à sa suite, Es Sadi parlent des
Mossi de
la
fin du XVème et du XVIème
siècle,
ils se réfèrent à
un contexte géographique et historique familier
[ •.• ]n
(1).
Le tarikh es Soudan situe le "jihad" de l'Askia Mohanuned
contre les Moose en 1498, c'est-à-dire juste après son retour
du Pêlerinage à La Becque, et en dêcrit le processus de la façon
suivante :
D'abord l'Askia envGya un messager
(Mour-Sâlih-Djaura)
auprès du roi des Moose pour l'inviter à se convertir à l'islam
nIl
[Mour-S31ih] se rendit au pays des Mossi et remit
la
lettre
de son mattre qui sommait
le sultan
d'embrasser
l'islamisme.
Avant de répondre,
le sultan du Mossi déclara qu'il voulait
tout d'abord consulter ses anc~tres qui étaient dans
l'autre mon-
de.
En conséquence,
accompagné de ses ministres, i l se rendit au
temple de
l'idole du pays.
De son ceté
le Seyyid s'y transporta
également afin de voir comment on s'y prenait pour consulter les
morts.
On commença par faire
les offrandes accoutumées;
puis on
vit apparattre un vieillard ~gé. A sa vue tout le monde se proster-
na ;
ensuite
le sultan annonça
l'objet de
sa démarche.
S'exprimant
alors au nom des anc~tres, le vieillard d i t :
"jamais je n'accep-
terai pour vous pareille chose.
Vous devez,
au contraire,
lutter
jusqu'à ce que vous ou eux ayez succombé jusqu'au dernier""
(2).
(1)
IZARD,
Introduction à l'histoire des royaumes mossi ,
1970, p.62.
(2)
TARIKH ES SOUDAN, ed. 1981, p.
122.

116.
Comme la réponse du roi des Moose â l'envoyé de l'Askia
fut négative et provocante
("Retourne vers ton mattre et annonce-
Zui que entre Zui et nous iZ ne saurait y avoir que Zuttes et
combats"
(1),
l'Askia Mohammed engagea les hostilités et,
toujours
d'après le Tarikh es Soudan, "iZ
Zeur tua nombre d'hommes, d.vasta
Zeurs champs,
saccagea Zeurs demeures et emmena Zeurs enfants en
captivit••
Tous ceux, hommes ou femmes,
qu'on ramena comme cap-
tifs,
furent
Z'objet de
Za b.n.diction divine"
(2).
On peut se demander s ' i l s'agissait réellement d'une guerre
sainte ou d'une entreprise de conquête militaire â vocation plu-
tÔt politique gue religieuse. Le processus décrit par le Tarikh
en ce qui concerne le déclenchement du jihad, est celui recommandé
par le rite malékite. Dans la Risâla d'Ibn Abizayd
al-Qayrawâni
composée au Xème siècle sous forme d'une sorte de memento malékite,
commentée et étudiée par les lettrês de Tombouctou "au moyen âge",
on peut lire, au chapitre de la guerre sainte ce gui suit : "Pour
nous, MaZ.kites,
iZ est pr.férabZe de ne pas commencer Zes hosti-
Zit.s avec Z'ennemi avant de Z'avoir appeZ. à embrasser Za reZi-
gion d'AZZah,
à moins que
Z'ennemi ne prenne d'abord Z'offensive.
De deux choses Z'une : ou bien iZs se convertiront à Z'IsZamisme,
ou bien iZs paieront Za capitation,
sinon, on Zeur fera
Za guerre"
( 3) •
(1)
TARIKH ES SOUDAN, ed.
1981, p.
122
(2)
Ibid, Ibidem, p. 128-133. L'opération semble avoir échoué,
puisque, pour tout résultat,
i l n'y a eu que quelques captifs
qui furent convertis.
(3) ABI ZAYD AL CAYRAWANI. La Risâla ou Epitre sur les éléments
du dogme et de la loi
de l'islam selon le rite malikite,
1975,
p.
163.

117.
Il faut souligner que les Tarikhs, oeuvres de lettrês de
Tombouctou, sont une exaltation de l'empire Sonrhai et particu-
liêrement du règne de l'Askia Mohammed 1er. Or, sous son rêgne,
les savants musulmans êtaient associês au pouvoir. Ils l'avaient
aussi aidê à usurper le pouvoir
(1). Dans ce contexte, on com-
prend pourquoi ce conflit a êtê qualifiê de jihad. C'est une fa-
çon de lêgitimer le pouvoir de l'Askia et de le prêsenter comme
le sultan des croyants. C'est aussi une opêration de propagande
visant à montrer la ferveur religieuse de l'Askia. Sinon, comment
expliquer qu'il ait pu décider ce jihad à l'extêrieur de son
pays alors qu'à l'intêrieur de son royaume l'immense majoritê
des habitants, à l'exception de ceux de Tombouctou et des autres
grandes villes, restaient encorenpaIen~~
Cette guerre contre les Moose apparatt bien plus comme une
continuitê de la politique d'expansion de Sonni Ali que comme une
guerre religieuse. En effet, nous savons par les mêmes Tarikhs
que Sonni Ali fit plusieurs expêditions contre les Moose. En
1464, l'annêe même de son avènement, i l mit en dêroute les Moose.
Six ans plus tard, i l organisa une nouvelle campagne contre eux
dans leur propre territoire. L'Askia Mohammed dont on a souvent
vantê les qualitês de bon musulman a non seulement guerroyé contre
les Moose jugês paIens, mais a eu êgalement à combattre des Etats
musulmans, notamment le Kebbi et Katsena. Pour toutes ces raisons,
on peut dire que cette guerre est surtout le reflet de la poli ti-
(1) Jean Louis TRIAUD dans Islam et sociêtês soudanaises au moyen-
age,
1973, p. 157, indique que la victoire du coup d'Etat de
l'Askia est due au soutien rêsolu du parti musulman.

118.
que militaire de Sonni Ali "masqu.e par le voile de
l'islam"(l).
Les Moose n'ont donc pas rejeté l'Islam en tant que tel.
Ils ont rejeté leurs adversaires Sonrhai qui,
sous le couvert du
jihad, voulaient leur imposer une domination politique. Ce n'est
pas en termes de conflits religieux,
d'antagonismes entre animisme
et islam qu'il faut analyser ces hostilités, mais plutÔt en termes
de luttes entre deux Etats pour étendre leur territoire,
pour con-
trÔler des routes de commerce. Du cÔté Sonrhai,
une éventuelle
victoire contre les Moose lui aurait permis non seulement d'avoir
une réserve importante d'esclaves, mais aussi et surtout d'avoir
un accès direct aux mines d'or du pays 1obi. Du cÔté moaga,
les
poussées vers le nord à la fin du XVème siècle et au début du
XVI~ siècle, période qui correspond à la mise en place des princi-
paux royaumes nakomse, expriment leur volonté de prendre part
dans le trafic commercial ouest-africain et d'y avoir leur part.
L'arrivée des premiers groupes de yarse musulmans au dé-
but du XVlème siècle,
l'accueil favorable que leur réservèrent
les autorités politiques Moose,
prouve en tout cas que, du côté
moaga,le conflit avec le Sonrhai de l'Askia rfohammed 1er n'avait
pas été interprété comme une guerre sainte.
3.2.
Les réactions des nanarnse face à l'installation des musul-
mans
(yarse)
S'il Y a un des aspects dans les relations entre yarse et
autorités politiques moose que les traditions ne cachent pas,
(1)
DRAMANI-ISSIFOU, L'Afrique Noire dans les relations interna-
tionales au XVlème siècle,
1982, p.
88.

119.
c'est bien l'accueil favorable que leur offrirent les nanamse
A leur arrivêe au Moogo. Tous les groupes yarse que nous avons
pu rencontrer et interroger n'ont cessê d'affirmer que ce sont
les chefs moose qui leur ont demandê de s'installer, car ils
avaient besoin de musulmans dans leur royaume. Ces affirmations
vont donc A l'encontre de toutes les thèses faisant des rOIS
Moose des anti-musulmans par excellence. Parce qu'elles sont
gênérales, elles masquent d'une part les nêgociations ou plutôt
les raisons objectives qui ont conduit les chefs Moose à recher-
cher la prêsence des musulmans. D'autre part, elles passent sous
silence les conditions dans lesquelles les musulmans devaient
pratiquer leur religion. Aucun des groupes yarse n'a dêclaré
avoir êtê à son arrivêe chassê par les nanamse, parce qu'ils
êtaient de religion diffêrente
(au contraire,
ils estiment avoir
êtê priês de rester). Ne faut-il pas voir là un têmoignage des
yarse sur l'hospitalitê légendaire des Hoose ?
Les yarse, qui sont en effet les premiers musulmans et
aussi les premiers commerçants islamisês d'après les traditions
historiques du Moogo central, ont bênêficiê d'une tolêrance êvi-
dente. A travers leurs récits d'origine, que nous avons êtudiês
au chapitre II
(l), un certain nombre de leurs anc@tres sont
prêsentês comme des 'marabouts dêtenteurs de puissances magico-
religieuses. Ils ont impressionnê les nanamse par l'efficacitê et
la puissance de leur doaga. A titre d'exemple rappelons cette in-
(l)
Supra,_ chapitre II,

120.
formation dans laquelle i l est dit que lorsque l'ancêtre des
yarse, Kuanda, allait rendre visite au rtoog-naaba,
il lui fai-
sait un doaga. Celui-ci, au lieu de recueillir pour lui ce doaga,
en passant ses deux mains sur son visage après la récitation des
versets coraniques par le marabout,
les passait sur un bois sec
qu'il avait fait planter a côté de son siège. Puis un jour il
s'aperçut que le bois s'était mis a feuiller.
Il comprit alors
la valeur et la puissance que pouvait lui procurer le do aga et
depuis ce jour i l eut confiance dans les yarse
(1).
Les nanamse.
souhaitant exploiter ces sources de puissan-
ces supplémentaires, furent amenés a demander aux marabouts de
s'établir auprès d'eux pour les protéger. Nous avons déja montré
comment Kumdumye, après avoir usurpé le pouvoir et n'ayant pas
pu se saisir des "fétiches"royaux s'était confié aux marabouts
afin qu'ils le protègent contre ses ennemis
(2). Dès lors les
souverains Moose ont cherché a ménager les yarse d'autant plus
que, non seulement ils avaient des pouvoirs magiques, mais aussi
des pouvoirs économiques:
ils contrôlaient l'activité commercia-
le des royaumes Moose. Des privilèges et des honneurs leur furent
octroyés. Notamment des alliances matrimoniales se nouèrent, entre
yarse et classe dirigeante moaga. La plupart des récits parlent
des femmes que les chefs Moose donnèrent aux ancêtres des yarse.
(1)
DERA SaIdou,
Ziniaré, 12 novembre 1982.
(3) Supra, chapitre II.

121.
Cependant, ces liens n'ont pas entra!né des conversions
de la part des nanamse et Sandwidi a partiellement raison
d'écrire que malgré la confiance que les souverains moose ont
eu très vite dans les yarse, "ils ne se aonvertirent pas tout
de suite à l'islam par arainte de perdre
leur prestige vis-à-vis
des administr~s, mais favoris~rent le d~veloppement de l'influen-
ae islamique"
(1).
PlutOt que de parler de développement de l'influence isla-
mique dès cette époque, il est préférable de parler de possibili-
té pour les yarse de pratiquer librement leur religion,
car le
succès de leurs pratiques magico-religieuses,
fondamentales aux
yeux des chefs, en dépendaient. L'islam est toléré et exploité
dans son aspect magique
(2). Mais cette tolérance et cette liber-
té étaient accompagnées de mesures restrictives dont l'objectif
principal était de contenir les possibles progrès incontrOlables
de l'islam pouvant déboucher sur un prosélytisme. Les musulmans
se virent interdit le droit de se regrouper publiquement, pour
prier et pour réciter le Coran. En effet, par les prières commu-
nes,
ils pourraient se retrouver pour discuter,
"voire m'me aom-
ploter aontre
le
pouvoir dans
les mosquées"
(3). C'est aussi
pourquoi ils n'eurent pas immédiatement le droit de bâtir des
mosquées. Cependant, la volonté de faire participer des éléments
Moose au grand commerce, de créer une classe marchande moaga
(1)
SANDWIDI. Les traditions historiques des Yarse dans la région
du
Ganzourgou.l981, p.
53.
(2)
DIALLO. Notes sur l'islam au Yatenga jusqu'â la fin du XIXème
siècle,
1983, p.
l
rh~•.
(3)
Ibid, Ibidem, p. 6.

122.
d'après le modèle des premiers yarse devaient amener les nanamse
â accepter que certains de leurs sujets se convertissent â l'islam
car dans le contexte général ouest-africain, lorsqu'on veut faire
partie des réseaux du commerce, on devient musulman au moins pour
éviter d'~tre fait esclave.
L'analyse des récits d'origine nous a permis de constater
que l'identité yarga reposait essentiellement sur l'islam et le
commerce. Cette question sera approfondie par la suite.

123.
DEUX 1ËME PARTI E
LES YARSE DANS LA SOCIËTË MOAGA
JUSQU'AU XIXËME SIËCLE

124.
CHA P I T R E l
L'EXPANSION YARGA A TRAVERS LE MOOGO

125.
L'êtablissement des Yarse en plusieurs endroits du Moogo
n'a nullement pour origine une conquête militaire yarga. Cette
expansion peut avoir été indirectement liée à l'expansion terri-
toriale moaga encore que l'essentiel des conflits dans lesquels
sont impliquês les Moose depuis la fin du XVlllème siècle consis-
te en des luttes internes
(1).
La plupart des Yarse, comme du
reste tous les êtrangers vivant au Moogo,
ne sont pas proprié-
ta ires des terres sur lesquelles ils habitent.
Ils sont établis
dans des villages et dans des quartiers dont l'espace·appartient~
aux autoritês contrOlant politiquement ces zones.
Depuis l'instal-
lation des premiers d'entre eux,
installation que nous avons située
au début du XVlème siècle,
jusqu'à la fin du XVlllème siècle et
même au début du XIXème siècle,
le nombre des colonies Yarse n'a
cessê d'augmenter.
(1) Les historiens du Moogo découpent l'histoire des royaumes
moose en quatre grandes périodes
:
-
une pêriode de maturation (XVème siècle)
- une pêriode de conquête et d'expansion
(seconde moitié du
XVème jusqu'à la seconde moitié du XVI ème siècle)
- une pêriode de repli
intérieur(XVlème-XVlllème siècle)
- une pêriode de stabilisation intêrieure où dominent luttes
internes
(XVlllème-XIXème siècle).

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126.
1.1. Les implantations antérieures au XVIIIème siècle
Lorsqu'on dresse une liste des villages et quartiers
considérés comme étant les premières colonies yarse au Moogo
central en particulier, on est frappé par deux constatations.
D'une part ces villages sont inclus dans les formations étati-
ques les plus anciennes ce qui a permis à Michel Izard d'écrire
que l'histoire des Yarse est aussi vieille que celle des nakomse
(1). D'autre part elles sont situées à proximité des principales
capitales politiques, à cÔté des marchés importants le long des
routes caravanières.
Avant de passer à l'étude de quelques unes de ces locali-
tés, rappelons que notre enqu~te n'a touché ni l'ensemble des
villages yarse du Moogo central, ni l'ensemble d'aucune autre
formation étatique moaga. Elle a simplement procédé à un sondage
sur quelques unités prises en fonction de leur appartenance géo-
graphique ou de leur proximité avec des aires culturelles et poli-
tiques différentes
(2). En conséquence,
les hypothèses que nous
formulerons restent subordonnées à cette enquête personnelle.
Dans le Moogo central, les villages de deux royaumes
(le
royaume de Wogdogo et celui de Yako)
serviront d'illustration à
notre étude, alors que dans le Moogo septentrional, la Yaadt@nga
et le Rat~nga retiendront notre attention.
(1)
IZARD, Les archives orales d'un royaume africain, 1980, p.
1211.
(2) Outre les Yarse installés à l'intérieur du Moogo, nos enquêtes
ont touché quelques colonies yarse implantées en pays Gurunsi
et en pays peul.

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1• •

127.
1.1.1. Dans le Moogo Central
Du point de vue de la superficie, cette région est la
plus vaste. Elle englobe plusieurs petits royaumes reconnaissant
plus ou moins l'autorité du Moog-naaba.
Il s'agit entre autres
des royaumes de Kayao, de Konkistenga, de Bulsa, de Yako. Dans
le royaume de Wogdogo, nos recherches ont révélé essentiellement
trois points d'installation ancienne de Yarse.
Il s'agit de la
localité de Wogdogo avec les anciens quartiers de Zoâgna, Palem-
t~nga, R6sin, Bogdogo ; de la région de Zit~nga avec principale-
ment les villages de Bisiga, de Andem, de Koâda ; enfin de celle
du Ganzurgu.
1.1.1.1. Les premières unités Yarse de Wogdogo
Tous les Yarse de Wogdogo s'accordent pour reconna!tre
~ Zoagna, sa place de premier quartier yarga de ce centre. Sa
fondation remonterait au règne du Moog-naaba Nasbire, quatrième
successeur de naaba Wubri. Selon un informateur
(1),
son fonda-
teur un certain Bore est venu de Pilumpiku sous le règne de Nas-
bire. Il précise en outre que Bore était lié ~ Nasbire par une
relation de parenté qu'il ne détermine pas davantage. Ce quartier
que les Yarse appellent aussi Bort~nga (terre de Bore)
aurait
abrité le premier marché de Wogdogo. Ses anciens habitants, c'est-
~-dire les descendants de Bore portent le sondre Sakande. Levtzion
(1)
KOUANDA Souleymane, Wogdogo, 6 janvier 1978.

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128.
souligne l'antériorité de ce quartier en lui consacrant l'expres-
sion "the old Yarse ward of Wagadugu"
(1).
Quant à
l'installation
yarga dans ce quartier,
i l la situe sous le règne de Moog-naaba
Kumdumye sixième successeur de Wubri.
Cependant,
lorsqu'on interroge les Sakande eux-m~mes sur
le fondateur et l'époque de fondation de leur quartier,
leurs
réponses s'attardent peu sur les conditions dans lesq~elles
l'événement eut lieu, mais surtout sur les qualités magiques et
militaires du fondateur.
"Notre anc'tre Bore,
disent-ils,
a quitt~
La où i l a aid~ naaba Nasbire à combattre les ny~nljô&e de Pilumpiku,
de L~taga, de Isfan.
Après,
i l vint à Wogdogo avec Nasbire qui
s'installa au centre et
lui,
préféra s'installer à
l'Est.
Il n'a
trouvé aucun mangeur de criquet
(2)
sur les
lieux.
Nasbire repar-
t i t à La où i l mourut et Bore resta à
Zo~gna'3)Dans une autre ver-
sion émanant toujours des Sakande de ce quartier,
i l est dit ceci
au sujet de ses origines:
"Le
fondateur de ce quartier est Bore.
Il a suivi naaba Nasbire pour venir combattre
les N2n&i de Wogdogo.
Quand ils arrivèrent,
ils soumirent
le Wogdog-naaba et ces gens.
Bore s'installa à
l'est.
C'~tait encore la brousse. Puis un jour
i l voulut partir à La Mecque,
mais
Nasbire
lui demanda à nouveau
de
l'aider à combattre ses ennemis.
Il accepta et gr~ce à sa puis-
sance,
les villages nyônyô&e de Pilumpiku,
de
Zorel,
de
Zompuku et
de L~taga tombèrent.
"
(4).
(1)
LEVTZION, Musli~s and chiefs in West africa,
1968,
p.
164.
(2)
Expression qui signifie que l'endroit n'était pas habité.
(3)
SAKANDE Boureima, Wogdogo,
22 décembre 1978.
(4)
SAKANDE Ma·hamadi,
Ibidem.

129.
Ces deux versions qui apparemment se ressemblent,
présen-
tent en réalité des différences importantes. En effet, mis à part
les qualités attribuées au fondateur et le choix du site à l'est
de Wogdogo,
les autres points sont contradictoires. Un premier
désaccord porte sur la nature des occupants de Wogdogo à l'arrivée
de Nasbire :
pour l'informateur de la première version ce sont
des ny~ny~se alors que pour le second ce sont des Ninsi. Nous
sommes très peu renseignés sur ces deux groupes de populations.
Ce que l'on sait c'est que les mots ninsi et ny~ny~se sont utili-
sés par les nakomse pour désigner les gens qui occupaient l'actuel
pays moaga avant leur arrivée
(1). On les appelle aussi les
t~ngembiisi. D'autre part se pose le problème des conquêtes et
surtout de l'ordre de celles-ci: alors que dans la première ver-
sion on a l'impression que Wogdogo a été conquis avant les villa-
g~s ny~ny~se de la région nord-ouest, dans la seconde c'est l'in-
verse. Sur les noms des villages soumis,
l'unanimité n'est faite
qu'autour de deux noms
(Pilumpiku et Lâtaga)
et la mort de Nasbire
à La dans la première version s'oppose à son installation défini-
tive à Wogdogo dans la seconde. Outre les problèmes relatifs aux
directions des conquêtes nakomse à l'époque de Nasbire et à l'en-
droit exact de sa mort
(2)
soulevés par ces deux versions,
il y
a celui de l'interprétation de la nature du fondateur de Zoâgna.
C'est un marabout ayant des pouvoirs magico-religieux et des qua-
lités guerrières exceptionnelles qu'il met au service d'un roi
(1)
IZARD, Introduction à l'histoire des royaumes Hossi t.
l, p.
19.
Les Ninsi seraient à l'origine des Samo.
(2)
Une tradition rapportée par Y.
Tiendréléogo le fait mourir à
Surgukienga
(région de Kudugu).

130.
"paIen"en participant aux campagnes contre les ttngqmbiisi. Cette
prêsentation du personnage sous un double visage a un caractère
purement idêologique. D'une part, i l vise ~ le prêsenter comme
le premier musulman venu ~ Wogdogo
(1), et d'autre part,
sa par-
ticipation aux luttes contre les autochtones permet aux Sakande
d'affirmer leur anciennetê par rapport aux autres groupes yarse
(ils êtaient prêsents au moment de la conquête).
Si on perce l'êcran idêologique qui enveloppe ces ver-
sions, on arrive ~ se poser les questions fondamentales : qui
occupait Zoagna ~ l'époque de Nasbire ? Les Yarse y êtaient-ils
avant le milieu du XVIIIème siècle, êpoque ~ laquelle naaba Zombre
c.a.
(1737-1744)
fixe définitivement sa capitale à Wogdogo ? Les
êlêments dont nous disposons à ce propos sont très pauvres.
Ils
nous permettent nêanmoins d'êmettre deux hypothèses.
Dans l'étude
des origines des Yarse, nous avons soutenu que leur prêsence au
Moogo remonte au dêbut du XVIème siècle. Cependant nous avons aussi
soutenu que Nasbire n'a pas rêsidê ~ Wogdogo mais à La, localité
dans laquelle l'anc~tre des Sakande l'aurait rencontrê.
Il y a
peut-~tre un télescopage entre l'êpoque où ils arrivent ~ La et
celle où ils se fixent ~ Zoagna, aboutissant ainsi à une confusion
entre l'arrivêe au Moogo et l'installation à Wogdogo. Car, si comme
ils le disent leur anc~tre s'occupait de rendre des services magico-
religieux au souverain, on comprendrait très mal qu'il ait résidé
si loin de ce dernier.
(1)
LEVTZION, Muslims and chiefs in West africa,
1968, p.
164.

131.
Il est possible que Zoâgna ait êtê à l'origine un village
de t~ngembiisi ayant servi de "quartier gênêral" aux guerriers
nakomse et que les Yarse, sur la route de la Kola en aient profi-
tê, pour des raisons de sêcuritê, pour installer un campement,
transformê rapidement en un lieu de marchê.
Dès lors,
toutes les
êtyrnologies donnêes sur le nom du quartier comportant des notions
de bruit et d'animation prendraient tout leur sens.
"Le mot zo!gna vient de zoi qui renvoie au bruit caus. par
la forte animation que connaissait le quartier." (1)
"Zo!gna vient de Z6gdo nom d'un instrument de musique
utilis. par ses premiers habitants grands danseurs de
Ya~m. Le
bruit qu'ils produisaient fréquemment à l'aide des
Z6gdo finit par
spécifier le quartier."
(2)
"Zo!gna vient du bruit que faisaient
les
ka~imb-i..-i...6-i.. de
notre anc~tre en récitant les versets coraniques." (3)
De ces explications, éliminons tout de suite la dernière
en ce sens qu'à l'êpoque de Nasbire i l êtait interdit aux musul-
mans de se rassembler pour psalmodier publiquement des versets du
Coran. Voilà bien quelque chose qui fait penser à
la situation des
protestants en France au XVllème siècle. S'il s'agissait réellement
des voix de talibés, ce quartier aurait probablement été dêsigné
(l)
KOUANDA Moumini, Wogdogo,
18 janvier 1981.
(2)
KOUANDA Souleymane, Wogdogo,
6 janvier 1978.
(3)
SAKANDE Mahamoudou, Wogdogo,
12 AoOt 1977.
Kar!mbiisi désigne
les talibês.

132.
par des mots du genre mor-yi ri
(1),
mor-t~nga (2), Kar~mbokin (3).
Les deux premières versions nous semblent fournir les éléments
de réponses puisque l'animation et le bruit sont le propre de
tout marché.
Sous le règne de moog-naaba Kumdumye,
seraient apparus
trois autres quartiers : Bogdogo, Rônsin et Palemt~nga qui sont
par ailleurs voisins de Zoagna. Ces localités furent créées,
dit-on, par des Yarse ayant pour sondre Kuanda.
En ce qui concerne la première d'entre elles
(Bogdogo),
les traditions donnent comme nom du fondateur,
Seidu. Et c'est
sans doute à cause de ce nom que les autres Yarse désignent le
lignage issu de cet anc~tre par le terme Seid-t~ng-r~mba, c'est-
à-dire "les gens dl.!
vi/laJe.' de Seidu". Le récit de fondation
rp-nv~ie à celui de l'origine du groupe. L'ancêtre arrive à La, où
il trouve Nasbire, lequel meurt trois ans après. Lorsque Kumdumye
prit le pouvoir, Seidu le suivit pour venir à Wogdogo. Seidu vint
alors s'installer à côté des Sakande. Dans l'état actuel de nos
connaissances, Kumdumye n'a pas résidé Do Wogdogo mais "à Tiou,
dans
dans la région de Kudugu à la limite du pays mossi et du pays
gurunsi [ .•• l"
(4). De ce fait le télescopage entre l'arrivée au
Moogo et l'installation à Wogdogo signalé précédemment au sujet
des Sakande de Zoagna vaut aussi pour les Kuanda de Bogdogo.
(1)
Mor-yiri : chez le marabout
(2)
Mor-t~nga : la terre du marabout
(3)
KarOmbokin : site de l'école coranique
(4)
IZARD, Introduction à l'histoire des royaumes mossi,
t.
l, p.153

133.
L'étymologie du toponyme renvoie au titre qu'aurait donné naaba
Kumdumye à l'ancêtre Seidu. En effet,
il semblerait qu'après
avoir annoncé son arrivée au pouvoir,
alors qu'il n'était pas
prince héritier
(rappelons que d'après les traditions Yarse
entre Nasbire et Kumdumye il n'y a aucun autre règne)
le futur
moog-naaba Kumdumye, décida de récompenser le marabout en lui
donnant un naam. Celui-ci refusa et souhaita "avoir le bon"
(noogo) , c'est-à-dire rester en bons termes avec le souverain et
recevoir toujours de lui tous les égards: d'où l'expression
"bowdnoogo " qui serait devenu bowdogo puis transformé en Bogdogo
à
l'époque coloniale. En attendant d'y revenir, soulignons dès
à présent que cette expression pourrait être la réponse des
Yarse pour rassurer les pouvoirs politiques moose sur le fait
que jamais ils ne chercheraient à troubler l'ordre intérieur.
L'histoire de RO sin s'apparente, dans les traditions,
à celle de Bogdogo quant à la situation chronologique. Mais
elle s'en distingue profondément sur les causes et les circons-
tances qui ont prévalu à sa fondation.
Le nom du fondateur varie
Tahiru pour certains, Marmus pour d'autres. Bien que ce dernier
nom ne soit pas celui proposé par les Yarse de ce quartier, mais
par les voisins, c'est lui que nous retiendrons pour la simple
raison que l'on désigne aussi le quartier par MarmuBt~nga.
Trois versions contradictoires ou complémentaires selon
les aspects, sont à notre disposition pour comprendre les cir-
constances de sa création.

134.
"Le
fondateur de R~ sin,
un 'tranger,
habitait d'abord
dans
la cour du Moog-naaba.
Puis un jour,
à
la suite d'une m'-
sentente avec
les
femmes du souverain,
celui-ci d'aida de
lui
construire une maison dans
le champ d'une
napaga
(l)nomm'e
Sitre,
l'idêe que le fondateur rêsidait à la cour du Moog-naaba est
fort intêressante. En règle gênêrale les hOtes du souverain
ont un logeur autre que le roi lui-m~me. On peut donc supposer,
du fait que cet "êtranger" habite la cour royale, qu'il s'agit
d'un page au service du naaba.
Dès lors,
les causes de mêsen-
tentes avec les reines sont difficilement imaginables.
Il ne
s'agit certainement pas d'une tentative de sêduction,
car si
cela avait êtê le cas,
il aurait êtê mis à mort.
D'après les deux autres versions,
cette mêsentente a
êtê imaginêe de toutes pièces pour masquer l'origine nakomga du
fondateur.
En effet, dans l'une de ces versions, on apprend que
le fondateur "'tait un nakomga mis à la disposition du Bogdogo
par
le Moog-naaba en vue de
lui servir d'accompagnateur,
de
guide et de d'l'gué du roi auprès des
Yarse"
(3).
Satisfait de
ses services,
le Bogdogo demande
la main d'une
fille
des
Sakande
qu'il donna au nakomga en mariage.
On
lui construisit une maison
dans
le champ de
la reine Ro~ga et i l devint Yarga"
(4).
(1)
napaga :
êpouse d'un rOI
(2)
SAKANDE Karim, Wogdogo,
21 dêcernbre 1978.
(3)
Le lignage de cet anc~tre dêtient le yar naam, c'est-à-dire
le commandement des Yarse.
(4)
KOUANDA Souleyrnane, Wogdogo,
6 janvier 1978.

135.
Les significations du mot ro~ga ne sont pas les mêmes
dans les deux versions. Dans un cas i l s'agit d'un arbre
(très
utile parce que ses fruits sont consommés,
ses graines servent à
fabriquer une sorte d'arOme, et ses écorces sont utilisées dans la
pharmacopée), dans l'autre celui d'une personne.
Il est possible
toutefois de concilier les deux sens en ~vp~OSQnt que dans le
champ de la femme Roâga oü fut construite la maison,
i l y avait
beaucoup de r~n8e(pluriel de ro~ga).
Palemt~nga est le troisième quartier habité par des Yarse
Kuanda. Les récits de sa fondation sont très controversés. D'un
cOté,
les versions des voisins en font la plus récente unité
parmi les trois, comme en témoigne le toponyme, qui signifie
littéralement "nouvelle terre". Ces m~mes versions considèrent
que les fondateurs seraient des jumeaux venus de Pilumpiku avec
leur mère, chassés de leur lignage ny~ny~ga, au sein duquel on
ne tolérait pas les jumeaux du m~me sexe. Ayant appris qu'il y
avait à Wogdogo des gens tolérants capables de les protéger,
la
mère vint avec ses deux enfants demander refuge auprès des Yarse
de Bogdogo. Devenus grands,
ils décidèrent de rester avec ces
m~mes Yarse, prirent leur patronyme et s'établirent à cOté:
c'est le début de Palemtênga (1). L'épisode de leur expulsion
de leur lignage initial se rattache à une pratique qui n'est pas
étrangère à la société moaga concernant les jumeaux.
Il est d'ail-
leurs paradoxal de constater que dans cette société, où avoir
beaucoup d'enfants était un signe de prestige, on ne désire guère
avoir des jumeaux. Ambroise Zagre en donne l'explication suivante
(1)
KOUANDA Souleymane, Wogdogo, 6 janvier 1978.

136.
"La présence de
jumeaux dans une
famille
cause des
troubles et
donne sans cesse des inquiétudes.
Ils
sont considérés comme des
~tres qui apportent toutes sortes de maux notamment des maux
d'yeux.
des paralysies.
voire
la mort des parents.
En effet.
si
ce sont deux garçons ils tueront
leur p~re. si ce sont deux filles
elles tueront leur m~re ;
un garçon et une
fille
sont inoffensifs.
Il est légitime de
tuer les jumeaux de mbme sexe et i l faut
les
tuer tous
les deux.
car autrement
le mort viendrait se venger"
(1).
Cette conception sur les jumeaux est pratiquement un fait général
aux sociétés néqro-africaines.
De l'autre cOté, c'est-à-dire à Palemtênga même, on ne
fait guère mention de fondateurs
jumeaux. Il est plutOt question
d'un voyageur et de ses deux frères que le moog-naaba Kumdumye
installa dans un premier temps à Bogdogo avant de leur attribuer
un terrain pour construire leur maison
(2). A la femme et à ses
jumeaux, sont substitués un homme et ses deux frères.
Seul est
resté le passage à Bogdogo.
A travers l'étude de ces quatre "premières colonies"
Yarse
de Wogdogo,
i l apparaît qu'un certain nombre de questions soule-
vées sont restées sans réponses absolues. Du point de vue chronolo-
gique, nous avons vu que les Yarse utilisaient surtout les règnes
des souverains moose pour se situer dans le temps. Dans ces exemples
i l est question de Nasbire et de Kumdumye.
Il serait ainsi tentant
(1)
ZAGRE, Approche de l'enfant en milieu traditionnel VoltaIque,
1976-1977, p.
32-33.
(2)
KOUANDA Boureima, Wogdogo,
18 février 1979.

137.
de classer par ordre de fondation ces quartiers de la manière
suivante :
Zoâgna, Bogdogo, ROnsin,
Palemt~nqa. M~me si cet
ordre peut être retenu parce que conforme aux traditions domi-
nantes,
i l est difficile d'accepter que ces localitês datent de
l'êpoque de ces souverains, puisqu'aucun des deux n'a rêsidê à
Wogdogo, quoi qu'en disent les traditions Yarse. C'est pour parer
à cet anachronisme que nous avons suggêré qu'il y aurait eu con-
fusion entre l'arrivêe au Moogo et l'installation à Wogdogo.
Cependant, il n'est pas exclu que les Yarse aient repêré cet en-
droit bien situê sur l'axe Tombouctou-Salaga avant m~me que
Wogdogo ne devienne la capitale fixe du royaume.
Les fondateurs de ces quartiers sont des personnages diffé-
renciês. Mais si l'originalitê de l'ancêtre des Sakande de Zoâgna
(par son patronyme et par ses qualitês militaires)
est nette,
les trois autres se distinguent beaucoup moins
:
ils portent le
même sondre et les fondateurs des deux derniers quartiers
(ROnsin
et Palomt@nga)
ont des liens, mal dêfinis, avec celui de Bogdogo.
Ne faut-il pas y voir un seul lignage qui se serait segmenté à la
suite d'une pression dêmographique ou même d'un malentendu?
Cette hypothèse aurait êtê très commode si nous n'avions pas à
prendre en compte l'origine nakomga et tenGembiiga
(plus précisé-
ment ny~ny~ga) attribuêe aux fondateurs de RO .sin et de Pal~mtênga
par les descendants de Seidu.Compte tenu de l'influence importante
des Yarse sur le plan êconomique,
i l n'est pas impossible que pour
mieux les contrôler,
le moog-naaba ait décidé de mettre une orga-
nisation en leur sein en nommant à
leur tête un nakomga d'un cOté

138.
et un tengernbiiga de l'autre. Car, comme on le verra plus loin,
politiquement tous les Yarse du royaume de Wogdogo sont sous
"l'autorité du Jal' naaba de ROsin
(1).
1.1.1.2. Les établissements Yarse de la région du Zitênga
Au Moogo, i l y a deux Zitênga. L'un est au nord, sa
capitale est Tikare. Sur la carte dressée par M.
Izard
(2),
il
est situé entre le Yaadt@nqa au nord et à l'ouest,
le Riziam à
l'est et Tema au sud. L'autre, celui qui nous intéresse est situé
au nord de Wogdogo : c'est l'une des provinces du royaume de
Wogdogo limitrophes du Busma, dont les rapports avec ses voisins
immédiats ont été caractérisés de très belliqueux
(3). Etape très
importante sur l'axe commercial Tornbouctou-Salaga par Mane, ce
Zitênga devait connaître très tOt une implantation de Yarse dans
sa région, comme nous le confirment les traditions yarse des vil-
lages de Andem et de Koada
(Riila).
Selon Dera Hahamudu, Andem aurait été fondé par leur yaaba
(anc@tre)
à l'époque de naaba Zida qui dominait la région. Cette
affirmation permet d'imaginer que le fondateur du royaume de
Zit@nga a pu étendre ses conquêtes et sa domination jusqu'à la
province nord du royaume de Wogdogo à une époque où les frontières
entre les différents royaumes moose n'étaient pas nettes ou n'exis-
(1) Voir chapitre III, deuxième partie.
(2)
IZARD, Introduction à l'histoire des royaumes mossi, T.2
(hors
texte).
(3)
Id, Ibidem,
p.
246.

139.
taient m~me pas du tout. C'était au moment des premières entre-
prises nakomse dans ce qui allait devenir le pays moaga. A
Tigemt~nga, une tradition fait état des conqu~tes de naaba Zida
qui aurait atteint la montagne de Monogo. A l'opposé de celle
recueillie par M. Izard où Zida serait mort dans la région de
Hombori
(1), celle-ci situe sa mort au Zit~nga, après son retour
de cette campagne.
Quant aux Dera de Koâda, ils disent ~tre venus de Zoâgna
â la suite d'un accroissement de leur nombre.
D'après eux "tous
les YarBe qui arrivaient à Wogdogo
logeaient d'abord à Zo~gna
avant d'alZer s'installer ailleurs.
C'est le centre de dispersion
de tous Zes Yarse"
(2). Cette remarque est un élément qui vient
renforcer notre hypothèse selon laquelle Zoâgna a pu ~tre â l'ori-
gine un campement.
D'autres groupes de Yarse, du village de Bisiga, venus de
Mane,
font remonter leur installation â l'époque du Mane naaba
Yelle parce que ce dernier avait pris la décision de piller les
biens de leur yaaba qui était un riche commerçant.
Il y a dans
cette histoire une certaine analogie avec une autre que rapporte
Cheron (3), dans laquelle il est question d'un commerçant yarga
du Yaadt~nga venu écouler ses marchandises â Mane, et qui au
retour fut dépouillé par un fils de naaba Zabo de Busma. Cet acte
aurait été â l'origine d'un conflit entre le Busma et la chefferie
(1)
IZARD, Introduction à
l'histoire des royaume mossi T.2, p.
373.
(2) DERA SaIdou, Koâda,
12 novembre 1982.
(3) Cité par IZARD, Introduction â l'histoire des royaumes mossi,
T.2, p.
246.

140.
de Tuguya dont est originaire le Yarga. Aussi bizarre que puisse
para!tre cette affaire
(car de Tuguya à Mane,
si on prend le che-
min le plus direct on ne traverse pas le Busma), elle souligne
l'insécurité que connaissaient les commerçants yarse malgré la
protection que leur assuraient certains chefs. Cette insécurité
est considérée ici comme la cause essentielle du départ de Mane.
Leur installation à Bisiga, si elle date de Yelle est du XVlème
siècle. En revanche si elle s'est faite à
l'époque de Zabo, elle
est du XVlllème siècle.
1.1.1.3. Le Ga~zurgu
C'est une province orientale du royaume de Wogdogo qui
commence à
la Volta blanche. Sa capitale Zorgo est située à une
centaine de kilomètres de Wogdogo. Dans cette province au moins
quatre villages yarse auraient été fondés entre le règne de Moog-
naaba Wubri et celui de Kuda (c.a.
1566-1593). Il s'agit de
Tanseya, de Tangin, de Marmusyargo (1)
et de Patmatênga. Selon
des traditions rapportées par Martine Sandwidi les fondations
de Tanseya et de Tangin remontent à l'époque de naaba Wubri
(c.a.
1495-1517) et les fondateurs sont respectivement Kuraogo Tudba un
Yarga venu de Kugpela et Kuanda Musa venu de Palomtênga. Les
villages de Marmusyargo et de Patmatênga dateraient de l'époque
de naaba Kuda (c.a.
1566-1593).
(1) On retrouve dans le radical de ce mot le nom du fondateur de
RO"sin. Simple coIncidence ou existence de liens.

141.
Zorgo,
localité où réside le chef moaga qui coiffe ces
villages yarse, est une étape sur la route menant jusqu'à Pvitênga,
une des plus importantes places commerciales du Moogo précolonial
et même post colonial où se rencontraient les négociants Yarse et
Hausa, surtout à partir du XVIIIème siècle.
1.1.1.4. Les anciens emplacements Yarse du royaume de Yako
La thèse récemment soutenue par Dominique Nacanabo
(1)
sur l'ancien royaume moaga de Yako et les tableaux illustrant la
répartition spatiale des groupes yarse que nous avons présentés
au chapitre l
de la première partie de notre étude, montrent que
la région de Yako et tout le nord-ouest du Moogo regorgent de
petites localités yarse. Toesin,
La Todin, Saamba, Pilumpiku en
sunt des exemples précis. Dans la ville même de Yako,
les Yarse
occupent~A~~ quartiers qui sont: Ronsin, Zaagngese, Tange et
Nabiyargo
(2). Ce fourmillement des établissements yarse s'explique
en partie par deux raisons. D'une part Yako est située sur une
des pistes menant vers les marchés du delta intérieur du Niger et
qui dessert le Yaadtênga et surtout son gros marché de Yuba ;
d'autre part du point de vue historique, cette région a abrité les
résidences de Nasbire et de Yignemdo. On se souviendra aussi que
dans plusieurs récits d'origine,
les Yarse ont fait état de leur
installation d'abord dans cette région avant de partir pour Wogdogo
ou pour d'autres endroits du Moogo.
(1)
NACANABO, Le royaume moaga de Yako des origines à 1896.
(2)
Id, Ibidem, p. 256.

142.
L'auteur du Royaume moaga de Yako signale la présence de
Yarse à Yargo avant l'arrivée des nakomBe notamment avant Yelkuni
dont il situe le règne entre 1516 et 1530. Quelques pages plus
loin,
i l nous informe aussi de l'inexistence de marchés dans ce
royaume avant l'arrivée des commerçants Yarse. Si nous accueillons
avec beaucoup de prudence la présence yarga prénakomga, c'est
parce qu'elle pourrait laisser sous-entendre la notion d'une
"vieille ethnie yarga",une hypothèse désavouée,
sur laquelle nous
aurons à revenir. Supposons un moment qu'un t~ng'mbiiga, pour une
raison ou pour une autre ait éprouvé le besoin de participer aux
caravanes et se soit joint aux Yarse,puis que les années passant,
de génération en génération, ses descendants aient continué sa
profession et soient devenus Yarse par fonction. Que se passera-
t - i l lorsqu'on interrogera ses descendants actuels sur leur origi-
ne ? Plusieurs réponses sont possibles mais i l est probable que
la tentation serait forte d'affirmer qu'ils sont des Yarse établis
avant l'arrivée des nakomse. Sous le règne du Yako naaba Yelkuni
s'installent d'autres groupes de Yarse,
notamment les Oera.
Le Moogo central semble avoir connu des
iMplantations pré-
coces de Yarse dans plusieurs de ces régions. Qu'en est-il dans
le Moogo septentrional ?

143.
1.1.2. Dans le Moogo septentrional
1.1.2.1. Au Yaadtênga
Les informations dont nous disposons ici sont tirées
essentiellement des travaux de Michel IZARD sur ce royaume
(1)
et de l'article de Amidu Diallo sur l'islam au Yaadtênga jusqu'à
la fin du XIXème siècle
(2). De leurs analyses,
il ressort que
la présence Yarga dans cet Etat centralisé et guerrier date de
l'époque de Yadega son fondateur.
Il est même possible qu'elle
soit antérieure à la formation du Yaadtênga dans la mesure oü au
temps de Moog-naaba Nasbire, des groupes yarse venus du Mande ont
passé par les territoires de ce qui allait devenir peu de temps
après le Yaadtênga pour venir s'établir à La. Quoi qu'il en soit,
i l semble que le premier quartier fut Mande Yargo de Gursi. Le
nom du fondateur varie selon les sources. Pour Diallo,
i l s'appel-
lerait Wali alors que pour Izard i l se nommerait Sumo En ce qui
concerne le premier anthroponyme, on peut se demander si l'infor-
mateur de l'auteur, poussé par des raisons idéologiques
(signalées
déjà à propos d'autres récits)
n'a pas joué sur l'emploi du terme
arabe wa~i qui dans la théologie musulmane désigne entre autre
le protecteur, l'allié. Dans un verset coranique oü est employé
ce terme on peut lire ceci :
(1)
IZARD, Traditions historiques des villages du Yatênga. Cercle
de Gourcy, 1965.
(2)
DIALLO, Note sur l'islam au Yatênga jusqu'à la fin du XIXème
siècle, 1983.

144.
"Ne prenez ni protecteur,
ni d'fenseur parmi eux
A l'exception de ceux qui sont
les alli's d'un peuple
Avec lequel vous avez conclu un pacte,
[ ••. ]

S'ils ne combattent pas contre vous,
S'ils vous offrent
la paix
Dieu ne vous donne plus alors
Aucune raison de
lutter contre eux"
(1)
Dans ce cas,
le fondateur du quartier, qui est en m~me
temps l'anc~tre est présenté comme celui qui est venu apporter
"la bonne nouvelle", c'est-A-dire la religion musulmane aux puis-
sants'~aiens"Moose. Pour cela il dut conclure un pacte avec le
naaba parce qu'il était en minorité.
Il s'agit d'une sorte de
réponse a l'endroit des musulmans rigoristes qui ont accusé les
Yarse de s'~tre alliés aux Infidèles
(2). Le second nOM, rapporté
par Izard, provient aussi d'une tradition recueillie auprès d'un
habitant de ce quartier qui a déclaré que Sum, un yarga venu du
Mande a fondé le quartier sous le règne de Yadega (3).
De ces informations, nous déduisons que même si les in-
formateurs sont tous musulmans,
le premier semble plus "acculturé"
religieusement, m~me plus complexé que le second parce qu'il cher-
che a rev~tir son anc~tre d'un nom qui ne laisse aucun doute quant
à sa connaissance du texte coranique.
Il est possible que cette
(1)
CORAN,
IV, 90.
(2)
Il s'agit notamment de Usman Dan Fodio,
initiateur d'un jihad
a la fin du XVIIIème siècle. Nous reviendrons sur ce jugement
plus loin.
~s
(3)
IZARD. Les traditions historiques villages du Yat~nga, 1975,
p.
74.

145.
"manipulation" ne provienne pas directement de l'informateur,
mais de celui duquel il tient son rêcit. Le chercheur qui tra-
vaille sur les Yarse doit être prudent car l'idêologie n'est
jamais loin, surtout lorsqu'il s'agit de rêcits d'origine et des
noms des ancêtres. Ces noms vêhiculent l'image que l'informateur
souhaite qu'on ait de son yaaba à l'extêrieur. Sum pourrait être
une forme contractêe de Pasum,
nom que l'on retrouve beaucoup
chez certains Yarse. Les Yarse de Mande Yargo, principalement
ceux qui portent le sondre Mande jouent un rôle
(sur lequel nous
reviendrons)
au moment de l'intronisation du Yaadtênga naaba.
Ils lui donnent une jeune fille en mariage. La lecture du corpus
des traditions relatives aux villages du Yaadtênga permet de
dêceler plusieurs autres localitês yarse fondêes sous les succes-
seurs immêdiats de Yadega.
1.1.2.2. Au Ratênga
L'histoire du Rat~nga comme d'ailleurs celles de plusieurs
autres royaume nakomse est encore mal connue. Les circonstances
de sa fondation sont encore mal êclairêes et l'on est rêduit à
des suppositions. Il serait intêressant que les futures recher-
ches historiques sur les Moose accordent une place importante aux
monographies des petits royaumes. C'est de notre point de vue une
des meilleures façons et une des conditions permettant d'arriver à
une histoire gênêrale des royaumes nakomse.

146.
Le fondateur du Ratênga, Ratagba, est considéré par cer-
taines traditions comme un fils de naaba Wubri. La capitale de
cet état septentrional encerclé par de puissants voisins
(au
nord le Jelgogi
à l'est le Busma, à l'ouest le Yaadtênga) est
Zimtanga, située au bord du lac de Barn. Elle aurait abrité, depuis
sa création jusqu'à la pénétration française à la fin du XIXème
siècle, vingt quatre souverains
(1). En enquêtant dans les vil-
lages yarse relevant du commandement du Ratênga naaba, nous
avons recueilli une liste de ces rois. Elle est beaucoup plus
courte que celle donnée par Izard et comporte dix neuf noms :
Ratagba, Tuduba, S!ndo, Koboi, Raz!ga, Bande, Sigiri, Giesbedgo,
Razuri, KOglagin, Gigma, Tanga, Bulli, Saaga, P!iga, Kutu, Koom,
Tuguri et Ligdi. En nous abstenant de faire un commentaire des
deux listes, notamment en ce qui concerne l'ordre de succession,
c'est parce que notre recherche a
touché très peu les nakomse
d'une part, et d'autre part parce que c'est la seule dont nous
disposons et qui vient des Yarse
(2).
L'énumération des Ratênga naaba nous a écarté un moment
de l'implantation yarga dans ce royaume. A Kora les Yarse Sana
estiment s'être installés au moment de l'arrivée de Ratagba (fin
XVème). Yargo,
le plus important centre Yarga de ce royaume, situé
sur la route en direction de Jibo, est essentiellement dirigé par
des Yarse Sana venus de Monogo
(Hombori). Son fondateur,
un marâ ga
du nom de Musa était un grand voyageur.
"Quand i l arriva ici,
(1)
IZARD, INtroduction à l'histCli,J:'~Aes r0.Yé!um~s mossi T.2, p.375.
(2) SORE Ousséni, Sisin, Kongussi,
27 décembre 1982.

147.
naaba Ratagba le retint et lui demanda de l'aider à consolider
son tr~ne [ ••• ] Pour la construction de sa maison, il sinonait
la brousse à la recherche d'un bon endroit, quand il aperçut une
antilope morte au pied d'un tamarinier. Alors iZ d~cida de s'ins-
taller là.
C'est ainsi que commença Ze vilZage de largo. (1).
Le tamarinier est l'un des arbres considérés par les Moose
comme celui qui abrite le plus de génies. En choisissant d'ériger
sa maison à c8té de cet arbre, Musa montre qu'il est capable de
dominer les génies que les ennemis du Ratênga naaba pourraient
envoyer contre lui. Mieux,
le cadavre de l'antilope ne présage-t-il
:1t
pas le sort tous ceux qui voudront du mal à Musa et à son h8te ?
Ce tour d'horizon rapide sur quelques "anciennes localités"
yarse au Moogo nous permet de faire une constatation majeure.
L'histoire des Yarse ne peut être considérée indépendamment de
celle des nakomse. En effet l'époque d'installation de leurs an-
cêtres, celles des fondations,
des implantations dans les locali-
tés sont données par rapport au souverain moaga régnant. Cependant,
lorsqu'on dresse un tableau des nanamse évoqués, on s'aperçoit
qu'il s'agit en grande partie de fondateurs de dynastie ou de
rois qui se sont illustrés ou rendus célèbres par leurs valeurs
guerrières et par leurs qualités d'organisateurs de royaumes,
marquant ainsi l'histoire locale. Tels sont les cas de Wubri,
Nasbire, Kumdumye et Kuda pour le royaume de \\'1ogdogo, Yadega pour
(1)
SANA Salam, Yargo-Kongusi,
27 décembre 1982.

148.
le Yaadtênga et Ratagba pour le Ratênga. Sans vouloir aller contre
Ces traditions, nous nous devons de faire remarquer que les Moose
définissent leur identité par rapport aux héros de leur histoire
généalogique. De telle sorte que l'appartenance à la descendance
de ces héros constitue une justification du titre de noblesse
(nakomga). Or les Yarse, parce qu'ils revendiquent une origine
différente, une culture supérieure à celle des Moose ne peuvent
(même s ' i l s'agit d'anciens Moose)
se ranger parmi les descendants
de ces héros. Donc pour eux, une des manières de se faire un
"statut de noble" ne serait-elle pas de lier leur arrivée à des
souverains dont les règnes ont été glorieux? De plus, en affir-
mant avoir été retenus par ces derniers, ne veulent-ils pas signi-
fier que le Yarga n'est pas n'importe quel étranger, mais celui
que les plus grands nanamse ont prié de s'établir pour le bien de
leur royaume? Cette interprétation peut paraître excessive. Pour-
tant, après les fondateurs des dynasties et les quelques rares
héros du XVlème siècle, on n'enregistre plus d'installations Yarse
avant le XVlllème isècle, du moins en ce qui concerne le Moogo
central. Sur la longue période qui s'étend du règne de Moog naaba
Kuda
(c.a.
1566-1593) à celui de Warga (c.a.
1737-1744), aucune
localité yarga parmi celles oü nous avons enquêté n'a fait réfé-
rence à la dizaine de Moog-naaba qui se sont succédé entre les
deux déjà évoqués. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas eu de
nouvelles installations, mais qu'aucun groupe yarga n'a voulu se
rattacher à des rois peu connus. Ce vide qu'occupe le XVllème
siècle dans l'histoire des Yarse nous semble être le reflet de

149.
l'histoire des Moose. Michel Izard qualifie ce siècle d'obscur et
écrit:
"La mort de Naba Kuda marque
l'achèvement de
la
formation
du royaume de Ouagadougou;
la période qui s'étend ensuite de
1593/1594 ou 1599/1600 à 1729 est celle sur laquelle nous sommes
le plus mal renseignés
les deux premiers règnes.
ceux de Naba
Dawema et de
Naba
Zwetembusma.
rappellent
les règnes de Naba Kuda
et de Naba Kumdumye par la place qu'y tient
la guerre ; après
les
deux fils
de
Naba Kuda.
se succèdent plusieurs souverains dont.
faute de données.
on ne peut rien dire"
(1).
Il est vrai que les
structures des traditions orales
(on se souvient des actions des
ancêtres et de celles des chefs plus proches), permettent d'expli-
quer ce vide. Cependant, d'une manière générale et à quelques
exceptions près,
le XVllème siècle est marqué par une "dépression
mondiale" selon les historiens de l'économie
(2). Le déclin de
l'Espagne, de l'Italie et de l'empire Ottoman réduisent le com-
merce de la méditerranée. En Afrique de l'Ouest même,
la disloca-
tion du Sonrhai à la fin du XVlème siècle, le détournement des
transactions vers la cOte atlantique au profit des négriers et
autres commerçants européens, les indices d'une crise climatique
dont témoignent les famines et les épidémies qui secouèrent
la
sous région constituent autant de signes qui démontrent que le
XVllème siècle a été une période difficile.
(1)
IZARD,
Introduction à l'histoire des royaumes mossi, T.l, p. 158
(2)
FRANK, L'accumulation mondiale 1500-1800, 1977, p. 107.

150.
1.2. Les implantations des XVIIIème et XIXème siècles
La période qui s'étend du règne de Moog-naaba Warga
(c.a.
1737-1744) à celui de Wobgo est certainement celle sur laquelle on
dispose de beaucoup d'informations. Du point de vue de l'histoire
politique, c'est une période de stabilisation intérieure et de
menaces extérieures. Les frontières des royaumes sont définitive-
ment fixées et le Moogo ne connaît plus que deux types de conflits
des luttes dynastiques et des conflits entre royaumes qui n'abou-
tissent pratiquement pas à des modifications de frontières
(1).
Cette période qui s'achève avec l'intrusion coloniale est marquée
au Moogo central par le développement de l'influence musulmane,
l'instalation des Hausa et un essaimage des Yarse surtout en
direction du sud et du sud-ouest.
1.2.1. Vers les pays gurunsi
1.2.1.1. Rakaye
La Volta rouge constitue la frontière naturelle qui sépare
au sud le Moogo et le pays gurunsi. La progression yarga en direc-
tion du sud et l'importance de leurs colonies dans cette région
frontalière du pays gurunsi, apparaissent comme autant d'éléments
expliquant l'intérêt économique que les nanamse lui accordaient.
(1)
IZARD. Les archives orales d'un royaume" arricain •••
1980, p.1013.

151.
A travers les traditions des Yarse installés dans la dite
zone, il ressort que la recherche de bonnes terres pour les cul-
tures,
le souci de se rapprocher de la zone productrice de Kolas
et de captifs,
la volonté de propager l'islam sont quelques unes
des causes de leur fixation vers le sud. La plus grosse de ces
colonies Yarse est incontestablement le village de Rakaye situé
à plus d'une soixantaine de kilomètres de Wogdogo.
Fondé au XVlllè
siècle, sous le règne de naaba Warga
(c.a. 1737-1744)
par un cer-
tain Hasan,
fils d'un voyageur venu du Mande, Rakaye est aussi
réputé par l'enseignement coranique qu'on y dispense. Il semble
selon les traditions, qu'à leur arrivée, les Yarse n'ont trouvé
personne.
"Quand notre
yaaba est arriv., c'.tait encore une brousse
où vivaient des .l.phants et des buffles.
Il y avait beaucoup
d'oiseaux.
Il n'existait pas d'eau.
On ne pouvait pas cultiver.
C'.tait une région inhospitalière
[ .•• ]
Notre
yaaba fit une
prière et
l'eau jaillit [ ••. ]
.
Rakaye signifie i l n'y avait pas
[d'eau]
(1).
Sans tenir compte de l'illogisme entre la présence massi-
ve des herbivores et des oiseaux dans ce lieu et l'absence totale
d'eau qui nous permet de démystifier le miracle fait par l'anc~tre,
nous sommes tentés de croire que ce village a été créé pour les
besoins de la culture. En effet,
ses habitants à majorité des
Yarse Sanfo, affirment qu'ils avaient comme principales occupations
l'agriculture et l'enseignement coranique. Les récits de fondations
collectés ne concordent pas avec les analyses de Bichon qui fait
des premiers occupants de Rakave des Yarse'venus de Dulugu sous
le règne de moog-naaba Kom 1er
(c.a.
1784-1791). Il écrit:
"Naba
(1) SANFO Ibrahim,
Rakaye,
16 février 1980.

pilimpuku •

152.
Kom,
fiZs
de
Zombre,
permit aux Yarsé de DouZougou de
s'instaZZer
sur de nouveaux terrains
(à Rakaye où iZs sont actueZZement) et
surtout autorisé un des
Zeurs à se rendre à Yambéré
(au Ghana)
se
perfectionner dans
Za reZigion musuZmane"
(1).
A la fin du XIXème siècle, lorsque Binger visite le pays
moaga,
Rakaye était devenu un des plus grands marchés de captifs,
en raison de sa proximité avec le pays gurunsi, transformé en un
véritable vivier aussi bien par les nakomse que par les Zaberma,
et en raison aussi de sa situation sur la route directe menant à
Salaga. Idrissa Ouedraogo, auteur d'un mémoire de maîtrise intitulé
Les formes d'échanges économiques en pays mossi, en fait une grande
place d'affaire où on rencontrait des changeurs, des courtiers, des
loueurs d'anes.
Il ne manque pas d'ambiguité en affirmant qu'il
s'agit d'une ville de plaisir
(2).
1.2.1.2. Sagabtênga
Levtzion date sa fondation à l'époque de moog-naaba
Sawadogo : "During the reign of Naba Sawadogo the Yarse viZZage
of Sarabatenga was
founded north of Dakaye and became another centre
for the diffusing of 1sZam"
(3).
Pourtant les enqu~tes que nous avons
menées dans ce village placent sa création sous moog-naaba Saaga 1er
(c.a.
1791-1796)
: "Notre yaaba était contemporain de moog-naaba
Saaga 1er.
C'est
Zui qui a ins~aZZé notre yaaba à Sagabt'nga"
(4)
~~,,:
(1)
BICHON, Les musulmans de la subdivision de Kombissiry,
1962,~.4.
(2) OUEDRAOGO Idrissa, Les formes d'échanges économiques dans le
pays mossi,
1978, p.
39.
(3)
LEVTZION, Husli~s and chiefs in West Africa, 1968, p. 168.
(4) SANFO Ahmad, Sagabtenga, 16 février 1980.

153.
affirment-ils. En supposant que N. Levtzion ait fait une erreur,
celle-ci viendrait de Bichon duquel i l tient son information.
Celui-ci écrit: l "Sur Le tr~ne des Moro,
Naba Sawadogo rempLace
RouLougou.
Fait important dans
L'histoire reLigieuse mossi :
Sawadogo sembLe avoir ~t~ Le premier empereur musuLman.
Une nou-
veLLe couche d'immigrants
Yars~ s'instaLLe au sud de Ouagadougou,
à Sagabtenga au voisinage de Rakaye.
C'était vraisembLabLement
au d~but du XIXème siècLe. (1)
Pour l'étymologie du toponyme, c'est-â-dire la terre du
sagbo
(bouillie de mil), on peut se permettre d~ fe~ser
que
c'est à la recherche d'un endroit fertile pour cultiver que ces
Yarse ont quitté Wogdogo. Car la référence au sagbo, â la "terre
du sagbo", est avant tout une indication sur la qualité du sol en
matière de culture de pennisetum et de sorgho. Dès lors l'expli-
cation des causes de leur déplacement par une crise écologique
(par exemple la disette qui secoue le Moogo peu avant la conquête
européenne)
peut être retenue en observant qu'ils ont quitté
Wogdogo parce qu'ils n'avaient plus de sagbo â manger et ce n'est
qu'en arrivant dans ce village qu'ils en ont retrouvé. On relèvera
â cette occasion l'importance prise par l'agriculture dans les
motivations des Yarse â cette époque par opposition aux premières
migrations qui étaient dues essentiellement au commerce.
(Il y a
lâ un tournant dont les causes apparaîtront dans le chapitre sui-
vant).
""" 0
(1)
BICHON, "Les musulmans de la subdivision de Kombissiry:' 1962,p.4.

154.
Ne négligeons pas non plus les explications idéologiques
récentes qu'on tente de donner ~ cette 6migration en l'identifiant
au modèle hégirien. L'incompatibilité voire m~me l'impossibilité
de vivre ~ cÔtés des"pa!ens"les aurait conduits ~ partir vers une
zone inhabitée pour créer un type de village organisé à la façon
d'une cité musulmane. Nous reviendrons sur cette organisation lors-
que nous parlerons des oentresYarse comme aires de rayonnement de
l'islam à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. Cependant
faisons remarquer dès à présent que cet aspect a frappé Binger en
1888 ce qui lui fit écrire que :
"Sakhaboutenga est une aggloméra-
tion de nombreux petits villages qui s'étendent sur un espace de
près de 4 km et comptent environ 3000 habitants.
Le groupe où
habite Isaka,
ainsi que
les groupes voisins et les environs de
la
mosquée sont habités par des musulmans d'origine mandé,
mais éta-
blis dans
le Mossi depuis
trop
longtemps pour qu'ils aient conser-

les traditions se rattachant à leur migration
(1).
Rakaye et Sagabt@nga représentent, aux XVlllème et XIXème
siècles pour le Moogo,
~ peu près ce qu'ont été Tombouctou et
Djenné aux XVème et XVI ème siècles pour le Sonrhai
; à la fois des
foyers religieux et des places d'activités commerciales importantes.
1.2.1.3. Bakata
Progressivement,
les Yarse vont franchir la Volta rouge et
s'implanter en plein pays gurunsi
: c'est le cas de leur colonie
(1)
BINGER, Du Niger au Golfe de Guinée,
1980, p.
456-457.

155.
de Bakata. Il semble selon les informations recueillies dans ce
village que les premiers groupes de Yarse à s'y installer viennent
de Mane. Ils seraient partis à
la recherche de bonnes terres à la
suite d'une famine qui s'êtait abattue sur leur village d'origine.
Cette famine est certainement celle communêment appelêe la famine
de Zogore
(1832-1839). Elle a touchê tout le royaume du Yaadtênga
00 "elle a laiss' un
terrible souvenir"
(1). Son extension ayant
atteint les marges mêridionales du royaume,
i l n'est pas impossible
qu'elle ait gagnê le royaume de Mane. L'informateur date l'instal-
lation de ses ancêtres à l'êpoque de Moog-naaba Sanem (c.a. 1871-
1889). Si on accepte cette information telle quelle, durant le
demi siècle qui sêpare la dite famine et le règne de Sanem, les
ancêtres se seraient fixês à d'autres endroits avant Bakata.
D'après l'itinêraire fourni i l s'agirait de Wogdogo et de Rakaye
(2)
Les rêcits et les têmoignages donnês dans ces trois villages
insistent beaucoup sur l'activité agricole des Yarse et la qualité
de la formation dans leurs écoles coraniques. L'enseignement qui
leur attira des élèves venus d'autres localitês yarse et moose,
favorisait le développement des activités agricoles dans une zone
bien arrosée, dans la mesure 00 i l mettait aux mains des marabouts
une main d'oeuvre importante pour le travail des champs. L'activité
commerciale,même si elle était devenue secondaire, ne fut pas tota-
lement abandonnée. Au contraire elle fut combinée avec l'agricul-
ture d'autant plus que la position géographique de ces localitês
(1)
IZARD,
Introduction à l'histoire des royaumes mossi,T.2, p.383.
(2) KOUANDA Ousmane, Bakata, 15 mars 1983.

'··1
";
x _ Mouvements desyarse au xl,xl-siècie.
kelbo

\\
.,'''

156.
se prêtait à
la création de marchés intermédiaires entre Salaga
et Wogdogo.
1.2.1.4. Les Yarse aux abords de la mine d'or de Pura
Nous n'avons pas réussi à mener des enquêtes sur les
établissements yarse des environçde la Volta Noire.
La seule 10-
calité où nous nous sommes rendu est Boromo. Malheureusement,
à
deux reprises,
i l ne nous a pas été possible de pouvoir discuter
avec les Yarse de cette ville,
nos rendez-vous ayant toujours
corncidé avec des cérémonies de mariage dans lesquelles nos hôtes
étaient les principaux organisateurs. Néanmoins nous avons pu
constater une présence yarga importante à Boromo : des SanfZa
(1),
des RaabZa
(2), des Kondse
(3), des Mand-Yarse
(4).
Deux ouvrages
(le récit de Binger et la recherche de
Kiethega)
indiquent que les Yarse se sont établis dans la région
aux environs du XIXème siècle, pour des raisons économiques et re-
ligieuses. Dans son ouvrage sur L'or de la Volta noire, Jean
Baptiste Kiethega parle de commerçants moose établis d'abord dans
la région de Boromo et qui ont progressivement traversé le fleuve
pour s'établir sur la rive gauche à Pura
(5).
Le commerce de l'or
(1)
SANFLA
groupe de Xarse ayant comme patronyme SANFO
(2)
RAABLA
groupe de Yarse ayant comme patronyme RABO
(3)
KONDSE
groupe de Yarse ayant comme patronyme KUANDA
(4)
MAND-YARSE : groupe de Yarse ayant comme patronyme MANDE
(5)
KIETHEGA,
L'or de la Volta noire,
1983, p.
60-61.

157.
les aurait attirés de m~me que la relative fertilité de la loca-
lité pour l'agriculture.
Il semble aussi, d'après Binger, que les
Moose musulmans qui peuplent Boromo soient venus du Yaadtênga et
de Wogdogo dans le but de répondre à
l'appel au jihad du marabout
de Wahabu. Il écrit :
"Fervents musulmans et mJcontents de vivre
dans un pays où les naba
(chefs.
rois)
boivent du dolo et se sou-
cient peu de
leur religion.
ils ont rallié par conviction le pJ-
lerin de
Ouahabou et se sont groupés autour de
lui"
(1). S'agit-
i l de Yarse ? C'est probable, car un des Moose musulmans qui ser-
vit de guide à Binger se nommait Isa Sanfo
(2). Cependant, i l est
possible qu'il ne s'agisse pas uniquement de Yarse dans la mesure
où depuis pratiquement la fin du siècle dernier la progression du
sahel vers le sud a entraîné un mouvement des populations du nord
et du centre vers la vallée de la Volta noire.
1.2.2. Vers le Jelgogi
En introduisant ce chapitre sur les implantations des
XVlllème et XIXème siècles, nous avons mis l'accent sur leur pro-
gression vers le sud du Moogo en prenant l'exemple de quelques unes
des colonies qu'ils ont fondées dans cette direction. Cependant,
vers le nord aussi, en direction du Jelgogi,
un village peuplé
à majorité de Yarse s'est constitué au XIXème siècle:
i l s'agit
de Kelbo. Ces Yarse expliquent les motivations de leur migration
(1)
BINGER, Du Niger au golfe de Guinée,
1980, p.
427.
(2)
Id,
Ibidem, p.
428.

158.
par la recherche de meilleures terres cultivables, ce qui paraît
curieux pour des gens qui viennent du Salmat~nga (région de Kaya)
pourtant mieux arrosée que Kelbo.
Il nous semble que la volonté
de se rapprocher d'une zone riche en élevage et par conséquent
d'avoir accès à un important marché de bétail est la raison prin-
cipale de leur déplacement.
Le désir d'établir une relation avec un pouvoir islamisé
à un moment où les initiateurs de jihad peul condamnaient sévère-
ment les musulmans vivant dans des territoires politiquement domi-
nés par des aristocraties païennes, explique aussi le choix de
Kelbo situé en zone sahélienne et en pays peul. Cette hypothèse
est renforcée par la signification que donnent ses habitants au
nom du village:
"Kelbo traduit l'attitude de quelqu'un qui n'a
pas la force et qui écoute ce qui va arriver. Nos grands parents
sont venus ici pour écouter la voix de ceux qui sont plus ins-
truits"
(1). De cette explication, on peut dégager une autre si-
gnification ~ à savoir que les anc~tres fondateurs vivaient avec
d'autres Yarse moins instruits qu'eux en matière de théologie
musulmane, mais plus proches des autorités politiques moose, et
qu'à la suite d'un différend entre les deux groupes, ceux qui se
sentaient moins protégés par le naaba ont émigré vers Kelbo. Dans
ce cas le terme Kelegbo
(2)
(déformé en Kelbo)
a été donné pour
ironiser, pour se moquer de ceux qui sont restés avec les Moose.
(1)
RABO Kouka, Kelbo,
27 décembre 1982.
(2)
KeZegbo aurait été transcrit Kelbo par les administrateurs
coloniaux.

159.
Il est inutile de débattre longuement sur les étymologies
du terme, car se sont bien souvent des pistes qui ne mènent ni
très loin, ni nulle part. Dans la seconde moitié du XIXème siècle,
Barth signalait le marché de Kelbo comme une étape importante des
caravanes empruntant la route Jibo-Wogdogo par Arbinda, Kelbo,
Kaya, Busma, Mane et Yako
(1). L'importance commerciale de ce
centre a dQ s'accroître tout au long du XIXème siècle dans la
mesure où en se spécialisant notamment dans le commerce du bétail
(nous pensons aux boeufs, mais surtout aux chevaux)
il décidait
des prix des captifs. Sans anticiper sur le chapitre consacré au
commerce des Yarse, signalons que certains de leurs témoignages
attestent qu'ils ont vendu des chevaux aux Zaberma.
1.2.3. A Wogdogo
une communauté yarga renforcée
Le milieu du XVIIIème siècle ouvre une des plus belles
page de l'histoire des musulmans au Moogo. Wogdogo,
fixé définiti-
vement comme capitale des Moog-naaba par Zombre
(c.a.
1744-1784)
va connaître à la fin de ce siècle sa première mosquée ; ce qui
est un signe de l'accroissement et de l'influence grandissante
des musulmans.
Cette mosquée a été édifiée sous le règne de moog-naaba
Dulugu (c.a.
1796-1825) au milieu d'un nouveau quartier, Mwemin
(2), habité par des Yarse de sondpe Bagyan. Il semble que son
fondateur soit venu de Zit~nga et qu'il ait été le premier Imâm de
(1) BARTH, Travels and discoveries in North and Central Africa,
1849-1855, T.3, p.
203-204.
(2)
Mwemin signifie "chez les musulmans" Notons que le moope utilise
un seul mot
(mope)
pour désigner aussi bien le simple fidèle
musulman que le grand lettré.

160.
la mosquée
(1).
Son "inauguration",
à en croire certains de nos
informateurs,
fut une grande cérémonie à laquelle participa naaba
Dulugu en personne: "le moog-naaba offrit cent mille cauris,
un
boeuf blanc,
un mouton et un coq pour demander un doaga aux musul-
mans afin que son pays soit calme et prosp.re."
(2)
Il est certain que la construction de la mosquée dans la
capitale est un indice montrant que l'attitude des moog-naaba en-
vers les musulmans avait évolué positivement. Mais si l'historien
se contente de cette timide remarque,
i l n'explique pas grand
chose.
Il passe sous silence une question fondamentale:
l'autori-
sation de la construction de la mosquée,
suivie de la nomination
d'un Imâm yarga à la cour est-elle le résultat d'une épreuve de
force engagée par les Yarse contre l'autorité,
ou bien s'agit-il,
comme on l ' a souvent dit et écrit,
d'une imitation de ce qui se
passe dans les cours royales voisines, notamment dans celle du
souverain Mampurga, où venait d'être instituée la fonction d'Imâm
à la cour ? Il est difficile de répondre catégoriquement à cette
question, car les deux facteurs ont pu jouer. Faisons observer que
plus d'un historien du Moogo pense que c'est à l'instar du roi
Mampurga qui a introduit un imâm au sein de son gouvernement, que
le moog-naaba Dulugu a décidé de faire comme son père.
"The Mampursi
chief,
écrit Levtzion,
is regarded as the
"father" of the Mossi
chiefs.
Sons,
one
tradition says,
imitate
the
father ;
so when Moro
(1)
LEVTZION dit qu'il s'appelait Mustapha. Les intéressés parlent
de Relwinde ou de Mustapha.
(2)
DERME Issaka, Wogdogo,
13 mars 1981.

161.
naba Dulugu heard that the Mampursi ohief had an imam besides his
others ministers,
he wished to have an imam in his oourt as well"
(l) •
Il convient cependant de voir dans cet événement le résul-
tat d'un long processus et d'une lente évolution historique. Déjà
au XVI ème siècle les moog-naaba avaient autorisé les marabouts
yarse à s'implanter et à pratiquer,dans des conditions que nous
avons déjà précisées, leur religion. Puis sachant exploiter leurs
puissances magiques, ces marabouts sont devenus leurs conseillers
officieux. Or, ceux-ci étaient membres d'une communauté qui avait
pris une certaine importance numérique au XVlllème siècle : en
témoigne le nombre des colonies fondées,
auxquelles venait s'ajou-
ter l'installation des Hausa. La population musulmane s'étant accrue
il fallait donc que les gouvernants en tiennent compte.
De plus,
sous le règne de Dulugu la situation intérieure
du royaume de Wogdogo est dominée par le conflit avec le Busma (2).
Il n'est donc pas impossible que Dulugu, connaissant bien la force
militaire de son ennemi, ait demandé aux musulmans de le soutenir
par des prières et aussi par l'envoi de chevaux (3).
Ces derniers
ont pu répondre favorablement,
et quand il est sorti vainqueur de
la guerre,
il se rendit compte de leur importance et décida qu'ils
soient représentés au niveau des instances gouvernementales. En
(1)
LEVTZION, Musli~s and chiefs in West africa, 1968, p. 166-167
(2)
IZARD,
Introduction à l'histoire des royaumes mossi, T.2
(3)
Il est possible que les commerçants yarse aient pu favoriser
l'achat des chevaux ou même en donner au naaba.

162.
clair il fallait qu'il nomme un chef à cette communauté: un imâm,
lequel pourrait ~tre en outre le porte-parole du pouvoir au milieu
de ses coreligionnaires. Or, la nomination d'un grand imam implique
non seulement l'existence d'une communauté relativement importante,
mais aussi celle d'une mosquée.
Mais le moog-naaba pouvait-il désigner un imam qui soit
écouté m~me par des musulmans peu rigoristes, si lui-même ne deve-
nait pas musulman? Certainement pas.
Il lui fallait donc se con-
,vertir, ne serait-ce que nominalement. Cela explique que depuis
Dulugu, les moog-naaba ont toujours été musulmans et participent
aux fêtes musulmanes
(1).
Cependant, cette conversion des souverains, souvent de
bonne foi,
puisqu'il leur arrivait d'envoyer leurs enfants à
l'école coranique
(tels fut les cas des futurs moog naaba Sawadogo
(c.a.
1825-1842), Kutu (c.a.
1854-1871)
et Wobgo
(1891-1897),
n'a pas impliqué que l'islam supplante la religion ancestrale ou la
shart'a le droit coutumier. Cet aspect de la question n'a pas
échappé à Izard et nous faisons nÔtres ses conclusions :
"~'esprit
de to~érance des mogho-naba et ~a nécessité pour eux de satisfaire
aux ob~igations coutumières de
~eur fonction,
~a faib~esse de
~'encadrement musu~man, ~a résistance surtout manifeste ou ~atente
des mi~ieux traditionne~s à ~'is~am ~imiteront considérab~ement
~es progrès de ~a nouve~~e re~igion des Mogho-naba qui ne deviendra
pas
~a re~igion de ~eur royaume. Il (2) . Ce syncrétisme qui n'est
(1) Voir chapitre III, deuxième partie
(2)
IZARD,
Introduction à
l'histoire des royaume mossi,T.l, p.
169.

163.
d'ailleurs pas spécifique au moog-naaba a conduit Binger,
lors
de son passage au Moogo en 1888, à dire non sans ironie au sujet
de naaba Sanom, que:
"Les Mossi musulmans disent qu'Alassane est
musulman et qu'il
fait
ses prières à
l'abri
du regard de
ses sujets,
les f~tichistes, eux,
disent
le contraire et parlent avec orgueil
de
leur naba,
qui boit du dolo comme eux"
(1).
Les raisons qui ont guidé le choix de l'imam parmi les
Yarse paraissent simples. D'aucuns diront que cette question ne
mérite même pas d'être posée puisqu'on sait que les Yarse sont les
plus anciens musulmans du Moogo.
Il était donc normal que l'imâm
sorte de leur groupe. Pourtant ce n'~tait pas si évident puisqu'à
l'époque de Dulugu il y avait au sein de la communauté musulmane
du Moogo au moins trois composantes "ethniques" :
les Yarse,
les
Moose convertis et les Hausa. S'il y a eu compétition et si cette
compétition a tourné en faveur des Yarse
c'est, nous semble-t-il,
pour trois raisons.
La première est celle que nous avons déjà évoquée, à sa-
voir leur ancienneté.Au cours des trois siècles qui séparent leur
installation et l'autorisation de la construction de la première
mosquée, les Moog-naaba ont pu se rendre compte que les Yarse pra-
tiquaient un islam très tolérant et n'avaient pas de projets de
déstabilisation politique. Au contraire,
Comme ils le disent,
"ils ont tout
fait
pour aider les
diff~rents souverains moose ci
accrottre
leur importance"
(2).
(1)
BINGER, Du Niger au Golfe de Guinée,
1892, p.
462.
(2)
DERA Issaka, Koada,
13 novembre 1982.

164.
La seconde raison est que les Hausa, moins nombreux que
les Yarse, venaient de s'implanter seulement à la fin du XVlllème
siècle. A l'opposé des Yarse qui parlaient déjà moore et qui
connaissaient bien la culture moaga puisque certains de leurs mem-
bres en étaient issus,
les Hausa conservaient encore leur culture.
Mais s'ils n'ont pas reçu la charge d'Imam,
nous pensons que c'est
aussi à cause de leur islam,
influencé par le mouvement réformiste
et rigoriste de Usman Dan Fodio. Les marabouts yarse ont pu, non
sans crainte,
les "dénigrer" auprès des chefs.
Il n'est pas exclu
non plus que le moog-naaba Dulugu (1796-1825)
ait eu des échos
du jihâd de Sokoto en 1804 et se soit méfié des Hausa.
Quant aux Moose nouvellement convertis
(c'est la troisième
raison),
les Yarse qui prétendent être leurs ma!tres n'auraient
jamais accepté l'un d'eux comme imâm. Même de nos jours dans les
villages et quartiers majoritairement yarse, quand bien même un
Moaga est plus instruit qu'eux dans les sciences islamiques, i l
ne sera jamais désigné comme imam (1). D'ailleurs lorsque la
Communauté Musulmane du
8ur~i~Q F~~o, organisation créée en 1962,
décida de choisir le grand imam de Wogdogo en dehors de la famille
au sein de laquelle le Moog-naaba choisissait son imam,
les Yarse,
ou plutôt certains d'entre eux, furent mécontents et boudèrent la
nouvelle organisation qu'ils considèrent comme "le rassemblement
des musulmans de
la politique".
(1)
La Risâla d'Ibn Ab! Zayd al Qayrawani, p.
73 rappelle que "La
direction de
la prière des
fidèles
est confiée au meilleur et
au plus versé dans
le
fiqh
parmi eux".

165.
Si on se place à l'intérieur des groupes yarse, il faut
essayer de comprendre pourquoi le choix de cet im~m à la Cour
fut fait chez les Bagyan
(qui selon leurs récits d'origine sont
arrivés au XVlllème siècle) et non pas chez les groupes plus
anciennement installés. En dehors du fait qu'ils se rattachent
à
la célèbre famille des Bagayoko d'où sont sortis plusieurs
érudits, imam et cadi de Tombouctou, ils étaient parmi ceux qu'on
considèrent généralement comme "vrais yarse" les seuls à ne pas
avoir de représentants à la cour royale. Les autres en avaient
déjà
(1).
La politique du souverain du Moogo fut très astucieuse.
Par l'imâm il établissait une mainmise sur l'ensemble des musulmans
de son royaume. Par le Yap naaba
(chef des Yarse)
qu'il nommait,
i l évitait de concentrer trop de pouvoir entre les mains de l'imâm
qui en tant que Yarga dépendait du yar naaba.
En définitive ce sont les Yarse qui ont vu leur influence
se renforcer. Dès lors on comprend pourquoi i l était tentant pour
les Moose de se yarsifier.
(1)
Voir KOUANDA, Les conditions sociologiques et historiques de
l'intégration des Yarse dans la société mossi de Ouagadougou,
1981, p.
85 et suivantes pour de plus amples informations.

166.
1.3. Les changements d'identité au profit des Yarse
Dans la première partie de notre étude, en esquissant
l'hypothèse générale de l'évolution démographique et historique
des groupes Yarse, nous avons souligné qu'à partir du XVlllème
siècle et peut-être même avant, ces groupes ont reçu des apports
venant généralement des Moose. A travers l'analyse des récits
d'origine,nous avons montré la diversité d'origine de tous ces
gens que les Moose ont désigné par le terme Yarse qui corres-
pondait surtout à une référence religieuse et à une spécialisa-
tion professionnelle. De cette constation, i l nous a été possible
de poser l'hypothèse que des étrangers spécialisés dans le commer-
ce et dans la religion musulmane,
se sont établis au Moogo et
ont servi de modèle pour la création du groupe des Yarse.
Il
serait alors intéressant de réfléchir sur les "mécanismes" par
lesquels on devenait Yarga. Pour ce faire nous aborderons cette
question en trois grands points. D'abord une présentation d'en-
semble des différents groupes en nous fondant sur un élément
dont la fiabilité mérite discussion:
le sandre. Ensuite il sera
question du processus de Yarsification et enfin des hiérarchies,
des typologies nées à l'intérieur des Yarse.
1.3.1. L'inventaire des soanda yarse
Il Y a lieu de repréciser que l'élément choisi ici,
faute
de mieux, est ambigu et très peu pertinent. Ambigu parce que des

167.
"patronymes" généralement admis dans une région donnée conune étant
ceux des Yarse,
ne sont pas toujours acceptés dans une autre ré-
gion. Pour surmonter cette difficulté nous n'avons tenu compte
que de ceux sur lesq~els il y avait reconnaissance unanime ou
plutôt, ceux qu'on retrouve dans la majeure partie des localités
yarse. Peu pertinent parce que le patronyme unique a été imposé
par la colonisation d'une part, et parce que le port d'un patro-
nyme ne traduit pas forcément une appartenance réelle au groupe
lignager d'autre part. De ce fait la remarque que fait Michel
Izard à propos des soanda moose est valable pour les Yarse :
"Plusieurs
lignages peuvent 'tre dJtenteurs d'un m'me
sandre et.
à l'inverse un même
lignage
peut en dJtenir plusieurs"(l).
Néan-
moins l'intérêt de5 sOQnd~ pour cette partie de notre travail est
qrand puisqu'il nous permet
de démontrer que l'identité yarse
actu~lle de certains groupes procède d'une autre identité anté-
rieure.
L'ensemble des soanda rencontrés dans les villages où se
sont déroulées nos enquêtes comporte seize éléments : Bagyân,
Bikiênga, Belem, Dera, Dabo ou Rabo, Kanazoe, Kuânda,
Kuraogo,
Mande, Nabolle, Sana, Sakânde, Sanfo, Sinô, Sisao,
Sore. Tauxier
dans Le Noir du Yatenga
(appendice nO XV)
donne une liste de ce
qu'il appelle "les diamous des Yarsés du Yatenga" dans laquelle
ou.tre ceux que nous venons d'énumérer figurent:
"Zonga.
Tinta.
(1)
IZARD,
"Changements d'identité lignagère dans le Yatenga",
Journal des Africanistes, T.46,
fascicules 1-2, 1976, p.
71.

168.
Badini,
Saré,
Téra,
Fontons,
Niantéréga,
Nané,
Démé,
Kinda,
Guiré,
Ouatara,
Tardoré,
Tissé,
Diabaté,
Kamara,
Téguera,
Niaté,
Songa
et Pougourawa"
(1).
Inutile de faire le commentaire de cette liste.
Les connaisseurs du pays moaga sauront y déceler sans ambiguité de
multiples confusions et de nombreuses déformations
(2). Relevons
simplement que l'abondance des patronymes dyula, bambara et soninke
a da servir de preuves, de justifications à son hypothèse sur 1'0-
rigine mande de tous les Yarse.
Il est impossible de donner la
répartition géographique de ces soanda. D'ailleurs on les retrouve
presque tous dans les gros villages Yarse,
avec toutefois des do-
minantes qui sont généralement les Bagyân,
les Dera,
les Kuanda,
les Mande,
les Sana, les Sakande,
les Sanfo et les Sore.
Nous avons évité d'employer le mot clan à propos des Yarse.
Ce terme pose en effet des difficultés nombreuses et les récits
d'origine indiquent que ces groupes sont composés d'individus qui
ne se réclament pas toujours d'un ancêtre commun, même à l'inté-
rieur du même sondre. D'une façon générale en Afrique,
le clan
semble être une réalité à cheval entre la parenté et l'organisation
sociale sans que sa définition exacte soit donnée, d'autant plus
que ce terme désigne une réalité évolutive dans l'histoire. s ' i l
fallait trouver un terme français pour désigner les groupes Yarse,
nous proposerions volontiers le mot corporation, car il s'agit ef-
fectivement d'association professionnelle et confessionnelle et
non de clans.
(1)
TAUXIER, Le Noir du Yatenga,
1917, p.
687.
(2)
Parmi les soanda que cite l'auteur, certains sont relatifs aux
lignages des forgerons
(Kinda). D'autres sont généralement ceux
de populations appelées Ceg-ntnse par les Moose, c'est-à-dire
celles dont ils ne comprennent pas les langues.

169.
D'une façon générale, ces groupes sont patrilinéaires et
exogames pour les détenteurs du même sondre quoiqu'il arrive de
voir des couples de sondre identique. Les échanges matrimoniaux
se font dans l'ensemble avec des Yarse de patronymes différents.
Ainsi par exemple,
les Sakande épousent les filles des Dera et
vice versa.
Ils épousent aussi celle des Bagyan, des Sore, des
Rabo, des Kuanda, etc .••
Il existe aussi des alliances avec des
Moose de toutes catégories
(1),
nobles
(nakomse)
ou roturiers
(taZse)
à conditions qu'ils soient musulmans ou acceptent de le
devenir. Cependant il y a des cas où les Yarse donnent leurs fil-
les aux Moose
(notamment aux rois)
et en reçoivent sans qu'aucune
des deux parties n'abandonne sa religion.
Il s'agit alors d'un
mariage ~ caractère politique qui, au del~ de la confiance qu'il
crée de part et d'autre,
institue dans une certaine mesure "l'éga-
lité" des Yarse avec les chefs. C'est aussi un honneur pour les
Yarse, car l'alliance avec les filles de l'aristocratie moaga ren-
force leur position d'alliés du pouvoir. Cette forme de contrat
n'est pas spécifique aux seules relations yarse et nanamse. Dans
l'histoire d'autres peuples on peut retrouver des alliances analo-
gues. Par exemple la notion de Connubium dans la Rome antique
(2).
(1)
Les interdits de mariage portent généralement sur les forge-
rons et sur les Peul, interdits communs avec les nakomse.
(2)
Nous devons cette remarque à Jean DEVISSE. C'est le droit que
Rome accordait par écrit aux aritocraties des villes qui deve-
naient ses alliés.
Il permettait le mariage des filles de l'aris-
tocratie romaine avec les dirigeants de la ville alliée. Mais
~ la différence des Moose et des Yarse, les Romains n'étaient
pas polygames.

170.
Contrairement aux observations méprisantes faites par
Dim Delobsom,
la polyandrie n'est pas pratiquée chez les Yarse.
Cet auteur écrivait en 1934 que "la polyandrie est la règle dans
certains clans yarsé,q.
En effet le père de famille couche impuné-
ment avec femme de son oncle, souvent les enfants ont des re-
lations avec les jeunes femmes de
leur père.
Il suffit que l'amant
dépose ses babouches ou sa canne à la porte de la case pour que
le mari legitime, en apercevant ce signe, n'entre pas"
(1). Cette
affirmation sans fondement
(l'auteur ne précise pas dans quels
groupes et dans quels villages i l a observé ces comportements)
cache â l'arrière plan l'islamophobie de cet ancien valet de l'ad-
ministration coloniale, puisqu'elle devait lui servir d'explica-
tions au sens de certains prénoms musulnans courants chez les
Yarse. Selon lui,
le nom Suleyman signifierait "agir par dip lomatie
(SilmtnmaneJ,
parce que des visiteurs malintentionnés ont pu rem-
placer le mari au cours des visites faites à la jeune femme quand
celle-ci consommait encore sa lune de miel."
(2)
En supposant que
son affirmation soit vraie,
i l ne s'agirait pas de polyandrie mais
d'adultère.
Quoi qu'il en soit,
fermons cette parenthèse pour revenir
à
notre sujet. Les groupes porteurs des soanda cités plus haut
sont considérés comme des Yarse dont les anc~tres sont venus de
l'extérieur du monde moaga. Mais lorsqu'on se place â l'intérieur
de ces groupes, on constate que certains soanda sont r6vélateurs
des identités anciennes et antérieures à
l'actuelle.
Cl)
DELOBSOM,
"Note sur les Yarse au Mossi", Revue Anthropologique
XLIV,
1934, p.
330-331.
(2)
Id,
Ibidem, p.
331.

171.
1.3.2. Le processus de "yarsification"
Décrire et analyser ce processus est une entreprise dêli-
cate dans la mesure où elle pourrait susciter, dans certains mi-
lieux yarse, des passions. Rares sont en effet les Yarse qui
reconnaissent avoir eu pour ancêtres des Moose. Notre intention
est de rendre seulement compte d'une réalitê historique et socio-
logique souvent négligée et qui a abouti â l'identification d'une
ethnie yarga au début de l'ère coloniale.
Parmi les patronymes dits yarse, quelques uns sont consi-
dérés comme caractéristiques de groupe appartenant initialement
â l'ensemble moaga. C'est le cas de Sore dont on pense qu'il est
le résultat d'une mutation du statut de moaga à celui de yarga.
Ainsi, d'après un témoignage recueilli
auprès de h'edraogo Nobila
(un rta~om9a), "tout yarga Sore est un Moaga d'origine qui s'est
converti par la suite au ya~mdo(l). Les Yarse Sore sont des Moose
qui ont ~t~ éduqu~s chez les Yarse et se sont yarsifiés.
Sore vient
de" l'expression moo~e "a .6oota me", c'est-à-dire, i l s'est cach~"
(2). Cette explication est confirmée par d'autres témoignages
émanant des groupes yarse :
"Sore vient du terme Soole(cacher).
Les Yarse Sore sont
des Moose qui ont quitté
leur buudu (lignage) pour aller devenir
Yarse."
(3).
"Les Yarse Sore sont d'anciens
~a~om.6e" (4).
(1) Mot forgé à partir du terme yarse qui indique l'état d'être
Yarga. On dira de quelqu'un qu'il fait du Yarmdo s ' i l se com-
porte comme un Yarga, s ' i l adopte des coutumes Yarse.
(2) OUEDRAOGO Nobi1a, Manéga, 18 mars 1982.
(3)
RABO Patenema, Manéga, 28 décembre 1981.
(4)
Idem

172.
Comme il fallait s'y attendre,
les Sore interprètent
leur sondre.
ffS ore signifie la route, la voie, le chemin. Nos
ancbtres sont ceux qui suivaient la route pour aller chercher
la Kola à Salaga.
Ils étaient les mattres de
la route. De mbme
ils ont été ceux qui suivaient le chemin du prophète"
(1). On
aura observer au passage la valeur symbolique des arguments :
sore égal~voie religieuse et voie commerciale, tout ce qu'il
faut pour être un véritable Yarga.
L'important n'est donc pas de savoir qui a tort et qui
a raison mais d'observer comment on présente le phénomène de
mutation. Un autre informateur voit dans le mot sore la dé for-
mation de Sotigi car explique-t-il "nos ancbtres sont venus au
Moogo sur des chevaux: c'étaient des cavaliers"
(2). Cette ex-
plication n'enlève rien au phénomène de mutation puisque de
toute façon s ' i l s'agit de sotigi nous avons affaire à des
kambwse devenus Yarse.
Encore parmi les soanda rendant compte d'une transforma-
tian d'un Moaga en Yarga figure Rabo. Il semble que les Rabo
aient été à l'origine des captifs achetés par les Yarse, d'où le
terme rabo qui signifie achat.
Il va sans dire que ces derniers
et beaucoup d'autres groupes yarse contestent cette version.
Le dernier cas de mutation à signaler est le changement
qui intéresse le mar~ ga (teinturier) qui devient Yarga. Le
(1) Sore Ousséni, Sisin, Kongusi,
27 décembre 1982.
(2) Sore Saidou, Tampaga, Ziniare,
14 novembre 1982.

173.
patronyme qu'il portera est Sana comme l'ont indiquê nos analyses
des rêcits d'origine.
Ces trois exemples montrent que les Yarse ne forment pas
un groupe fermé. A l'intêrieur des autres patronymes qui n'ont
pas êtê citês dans ce paragraphe,
i l y a des cas de transforma-
tions de ce genre, mais qui sont plus ou moins cachês sous un
sondre unanimement acceptê comme authentiquement Yarga.
Nos en-
qu~tes n'ont pas révé1ê des mutations dans le sens inverse,
c'est-à-dire des cas où des Yarse cessent d'~tre Yarse pour de-
venir autre chose. Les recherches menêes par Michel Izard au
Yaadt~nga indiquent que cette possibilité existe (1). Mais s'il
fallait faire une évaluation chiffrêe,
i l est très probable que
le rapport soit plus grand pour ceux qui deviennent Yarse que
pour ceux qui cessent de l'~tre. De ce fait,
on peut di~e que
ces transformations ont contribuê à augmenter le nombre des Yarse.
Les mobiles qui incitent des ê1éments du groupe moaga
(notamment nakomse et t~ngembiisi) à se yarsifier sont diffici1e-
ment saisissables et nous nous contenterons d'êmettre des hypo-
thèses gênêra1es. En ce qui concerne particulièrement les nakomse
i l est possible que la perte du naam
(pouvoir)
soit la raison
primordiale. En effet lorsqu'ils sont êcartês du pouvoir, p1u-
sieurs gênêrations après,
les nakomse deviennent pratiquement des
tarse
(2), c'est-à-dire des Moose non membres du lignage royal.
(1)
IZARD "Changements d'identité 1ignagère dans le Yatenga",
Journal des Africanistes, T.46,
fascicule 1-2, p.
72.
(2)
Il s'agirait selon IZARD d'un terme quelque peu mêprisant uti-
1isê par les nakomse pour dêsigner les Moose hors du lignage
royal.
Il n'est pas pris en compte par les intêressês.

174.
Or, la situation de talga
(singulier de talse)
implique beaucoup
de devoirs et d'obligationsenvers le pouvoir
(prestations en tra-
vail)
et très peu de droits. Pour ces anciens nobles prêtentieux
et orgueilleux, se retrouver dans la condition de talga leur
para!t humiliant. L'un des moyens pour affirmer leur indépendance
relative vis à vis du pouvoir, et par conséquent êchapper aux
prestations, est de devenir Yarse. Car ~tre Yarga signifie au
moins être d'un rang supérieur à celui des talse
(l).
Il est
intéressant de noter l'idêe que des Moose sortent de leur cornmu-
nautê pour entrer dans une autre afin de trouver un meilleur rang
dans leur sociétê.
Pour les t~ngembii8i i l s'agit essentiellement d'un pas-
sage d'une forme d'activitê
(agriculture)
à une autre forme
(com-
merce).
Cette dernière étant l'affaire de musulmans,
l'adhésion
à l'islam est rendue nécessaire,
fut-ce de façon formelle.
Le cas de la mutation d'un mar~a en Yarga procède d'un
choix de spécialisation. Les Mar~e sont des musulmans d'origine
sonrhai spêcialisês dans la teinture alors que les Yarse le sont
surtout dans le tissage et dans le commerce.
S'il est possible de devenir Yarga, par quels moyens le
devient-on ?
(1)
Les Yarse écrit NACANABO,
forment une sorte de bourgeoisie
dans la société moaga précoloniale. Par cette "puissance éco-
nomique",
les autorités ont da leur accorder un certain nombre
de privilèges sur lesquels nous reviendrons dans le chapitre
III de cette partie.

175.
Pour répondre à cette question nous empruntons des élé-
ments tirés d'un travail précédentJauxquels nous ajoutons de nou-
veaux indices. Devenir Yarga, c'est avant tout devenir commerçant
et musulman. Cela est si vrai qu'avant le règne de moog-naaba
Dulugu, on établissait une équation entre yarga et musulman. Dès
lors tous ceux qui se convertissaient à l'islam soit parce qu'ils
étaient des délinquants, condamnés par la justice traditionnelle
moaga et libérés après intervention des Yarse qui possédaient un
"droit de grace", s'implantaient en milieu Yarse, adoptaient ses
coutumes et devenaient de facto des Yarse. Il en va de même pour
les captifs adoptés définitivement par les Yarse qui recevaient
le patronyme de leur ma!tre et devenaient musulmans. Le nombre
des Yarse augmentait et pouvait mettre en péril les avantages et
les privilèges que les autorités moose avaient concédés aux pre-
miers Yarse, tant i l est vrai que de tout temps les privilèges
sont dévolus à une minorité
!
La réaction des "anciens" ne se fit
pas attendre. Il fallait préserver les acquis. Pour cela i l deve-
nait nécessaire d'introduire des catégories, des hiérarchies, bref
il fallait distinguer les "anciens" des "nouveaux",
les "vrais"
des "faux" Yarse d'autant plus qu'un autre groupe minoritaire à la
fois musulman et commerçant (les Hausa)
venait au XVlllème siècle
de s'implanter au Moogo et pouvait remettre en cause les "acquis"
des Yarse.
( l ) Assimi KOUANDA
Les condi tions sociologi.<l~~_e~historiques de
l' intégr_~ti.~11 des .yaT."'§ ~é~n~_.l~à--':~QèÛ_té· mossi de Ouagadougou. Mémoire
de maîtrise - Ouaga 1981

176.
1.3.3. Le monde des Yarse et ses hi~rarchisations
Tous les musulmans sont égaux, rappelle un hadith rapporté
par AbQ DawQd
(1). Pourtant chez les Yarse où l'islam est le ci-
ment de la communauté, cette loi ne semble pas entièrement res-
pectée. Sous prétexte qu'il faut distinguer les bons musulmans
des mauvais,
les Yarse ont introduit, a partir de la fin du
XVlllème siècle, des hiérarchies en leur sein. Malheureusement
les critères choisis pour opérer ces différences ne reposent pas
toujours sur des éléments religieux.
Cette taxonomie des groupes
yarse était en réalité, en son temps,
une forme de discrimination
puisqu'elle permettait a certains de se dire supérieurs et de
juger les autres comme inférieurs.
Nous l'avons déjà souligné,
les distinctions entre "vrais"
et "faux" Yarse, entre "anciens" et "nouveaux" se sont opérées
à partir de l'accroissement de leur nombre a la fin du XVlIlème
siècle, et à l'arrivée d'autres conrnerçants musulmans. D'une ma-
nière générale, on considérait comme "vrais" Yarse
(Yars-aZaZe) (2)
tous ceux qui présentaient leurs anc~tres comme originaires d'Ara-
bie ou du Mande. Les traditions orales recueillies citent des
exemples de patronymes correspondant a ce premier groupe. Ainsi
(1)
Cité par MARIBOU et TRIAUD dans, Voila ce qui est arrivé, 1983,
p. 110.
(2)
Expression qui désigne les véritables Yarse.
Le terme aZaZe qui
semble proche du mot arabe haZal désigne ce qui est pur, licite.
Par exemple on dira d'un enfant Raya ba aZaZe" pour signifier
qu'il est le fils légitime de son père.

177.
selon Rabo Ousmane les "vrais" Yarse sont:
"Les Kuanda.
ils ne
peuvent abandonner le Yarmdo.
Les Moose ne peuvent rien faire
contre eux.
Les Rabo. oeux qui s'habillent en blanc. qu~ ne por-
tent jamais de hdche et qui n'épousent pas n'importe quelle fille
de n'importe quel lignage. Les Sakande.
groupe de Yarse puissants"
(1). A Wogdogo on ajoute quelquefois â ce triplet les Dera et
les Bagyan. Dans le Yaadt~nga les Mande viennent en t~te de liste.
Il est clair que les éléments de ce groupe dit "vrai" varient en
fonction des informateurs.
Par le biais des changements que nous venons d'évoquer en
1.3.2., ce groupe dit aussi "ancien" a accueilli des éléments
(Moose et autres)
qui ont repris à leur compte tout le discours
sur les origines arabes et mande, si bien que le sondre n'était
plus le seul élément valable.
Il fallait en plus ~tre capable
d·avoir une preuve, un manuscrit arabe où figurait au moins une
généalogie si courte soit-elle d'au moins trois grands-parents avec
des
,noms musulmans ou pouvoir se rattacher â une famille qui
en possédait une. Sinon on était classé dans la seconde catégorie,
ce qui signifierait qu'on ne pouvait plus bénéficier de certains
privilèges.
Les "nouveaux" Yarse
(les yar-kiedse)
(2),
littéralement
ceux qui sont entrés, sont considérés comme étant d'anciens Moose
venus se joindre aux premiers.
Ils sont, d'après les premiers,
les plus nombreux et ont conservé des coutumes de leur ancien
(1)
RABO Ousmane, Kongusi,
24 décembre 1982.
(2)
On parle quelquefois aussi de M~-yarse (Moose devenus Yarse).

178.
groupe d'origine parmi lesquelles les C.l c.~ ,,-,"eJ et les remariages
des veuves de leur père
à leur propre profit. Avec cette dernière
distinction on voit se dessiner une limite dans la pratique de
l'islam au-delà de laquelle les Yarse deviennent moins tolérants.
A la fin du XIXème siècle, avec le renouveau de l'islam,
ces différenciations,
sans dispara!tre complètement, occasionnèrent
l'apparition d'un autre type de clivage: les Yarse musulmans pra-
tiquants et les Yarse non musulmans ou plutOt non pratiquants qui
sont appelés désormais les yar-zaA/se (1).
Ces derniers, méprisés
par les autres,
sont accusés de faire la honte de la communauté,
et du coup, même s'ils possèdent des soanda de "vrais" Yarse, ils
sont automatiquement considérés comme des Moose qui se sont joints
aux Yarse, mais~~ l'interdiction de boire du dolo, de manger
du
gifo (viande non autorisée par le Coran), et surtout la dureté
du jeQne pendant le mois du ramadan,
ne leur ont pas permis de
cacher leurs origines devant ses obligations.
La pauvreté des informations ici est due au refus de la
plupart de nos informateurs de répondre à des questions qu'ils
jugent dangereuses et susceptibles de dénouer des alliances matri-
moniales, de "g3ter" et d'empoisonner des relations de bon voisi-
nage dans la mesure oQ, dans chaque village yarga, on trouvera des
personnes qui entreront dans chacune de ces catégories. En revan-
che lorsqu'on aborde les questions relatives au commerce,
ils
deviennent plus bavards et fournissent même des détails insistant
(1)
Les Yarse qui ne sont rien, sous-entendu, qui ne sont ni musul-
mans ni"pa!ens~

179.
surtout sur les dangers de la route,
les itinéraires empruntés
pour aller d'un marché à l'autre et enfin les produits qu'ils
vendaient.
L'expansion des Yarse à travers le Moogo peut être synthé-
tisée de cette façon : du XVlème au XVlllème siècle, ce sont
essentiellement les mobiles commerciaux qui sont à l'origine de
la création de la plupart de leurs colonies. A partir du XVlllème
et jusqu'au XIXème siècle, les mobiles agricoles l'emportent et
le phénomène de yarsification contribue largement à l'accroisse-
ment de leur nombre.
o
o
0
o

180.
/
CHA P I T R E
II
LES YARSE DANS LA VIE ECONOMIQUE DU MOOGO

181.
2.1. Les Yarse et le commerce au Moogo
2.1.1. Une apparition tardive dans les sources européennes
Les premières informations écrites faisant état de l'exis-
tence d'un commerce au Moogo viennent des voyageurs européens du
XIXème siècle et non des sources écrites plus anciennes qui si-
gnalent l'existence du peuple moaga, à savoir les tarikhs
(1).
Chronologiquement, ces voyageurs peuvent ~tre divisés en
deux groupes : ceux de la première moitié du XIXème siècle et
ceux de la seconde moitié.
Dans le premier groupe, certains auteurs, d'ailleurs très
peu nombreux, évoquent un commerce chez les Moose mais sans jamais
faire allusion aux Yarse. Peut-~tre est-il utile de rappeler que
ces informations sont recueillies très loin du Moogo, à Tombouctou,
â Sa1aga, à Kumasi, ce qui explique les imprécisions. A cela il
faut ajouter le fait que Yarse et Moose parlant la même langue
pouvaient être confondus.
Le premier ~ parler des commerçants Moose est l'Anglais
Bowdich, qui était chargé de signer un traité de commerce avec
l'Ashanti. Il écrit: "Five journeys [rom Ingwa is Mosee,
a more
warlike but
less visited kingdom
:
i t consist [rom many states,
but the
superior monarch is named BiLla and the capitaL KookoopeLla
l
place i t to the N.W.
because its merchants pasa by Ingwa,
the y
do not cross
the Karballa
(white
Volta)
nor any river which is not

182.
fordable"
(1). Dans cette citation, on peut relever au passage
deux erreurs grossières
la capitale du Moogo n'est pas Kupela
mais Wogdogo, et le nom de son roi n'est pas Billi (2). L'auteur
a sans doute recueilli son information auprès d'un habitant de la
rêgion de Kupela qui êtait venu ~ Kumasi.
DUpuis qui remplaça Bowdich en 1817 à Kumasi, signale
l'existence d'un commerce important entre le Moogo et le pays
Ashanti.
Il
remarque par ailleurs que les Hausa ont trouvé dans
ce pays un grand marché
(3).
Quant ~ Clapperton, les indications sur le Moogo qu'il a
recueilli, sernble-t-il auprès du sultan de Sokoto Mohammed Bello,
ne sont pas plus prêcises :
"The country of Mouchier or Mouchi
is situated to
the west of Ghurma.
It is vast and possess a gold
mine,
rivers,
forests and mountains.
It is inhabited by tribes of
the sudan who possess many fast
horses and large donkeys.
Their
king is called Wagagougou ;
their asses are sent down to the Gondja
to carry the drums of the army"
(4).
(I)
SKINNER, "Trade and markets among the Mossi people" in BOHANNAN
and DALTON, Markets in Africa,
1962, p.
239.
(2) Kupela est la capitale d'un royaume moaga
(situê ~ l'est de
Wogdogo)
qui abrite le marchê de Puitenga. Dans la liste dynas-
tique des nanamse de ce royaume proposê par SANDWIDI dans
Histoire du royaume de Koupeela,
il n'y a aucune mention d'un
roi ayant portê le nom BilIa.
(3) SKINNER "Trade and markets among the Mossi people" ••• p.
240.
(4) En 1821, le gouvernement britannique envoya DENHAM et CLAPPERTON
reconna!tre le cours du Niger.
Ils atteignirent le Tchad et
visitèrent Sokoto en 1825.

- - - - - - -
183.
Ici on trouve une confusion entre le nom de la capitale
et celui du roi. La description du paysage du pays des "Mouchin
ne lui confère aucune originalité particulière. La mine d~or est
probablement celle du Pura qui n'est d'ailleurs pas dans la zone
d'influence du Moog-naaba (1).
Les renseignements obtenus sur le Moogo à cette époque
sont donc très pauvres et très fragmentaires. En ce qui concerne
le commerce, aucune description sérieuse du trafic n'est donnée.
c'est avec le second groupe que les informations deviennent
plus précises. De même, elles augmentent en quantité et s'amélio-
rent en qualité. Cela tient à un fait important : cette fois quel-
ques uns des auteurs se sont rendus sur place. Ce n'est pourtant
pas le cas de Barth, un Allemand voyageant pour le compte du gou-
vernement britannique entre 1850 et 1855 qui fut un des plus grands
explorateurs de l'Afrique. Parti de Tripoli,
il sillonne les pays
HausQ, passe par Sokoto, Dori et atteint Tombouctou où il séjourne
pendant près de huit mois.
Il obtient des renseignements fort intéressants au sujet
du commerce dans le Moogo
(2). Ces informations, même si elles
sont recueillies très loin du Moogo,
restent de grande qualité.
L'auteur ayant rencontré des commerçants venus du Moogo à Tombouc-
tou puis à Dori en 1854 nous en donne la description suivante :
"Besides salt,
cotton strips,
dyed,
cloth,
kola nuts,
corn and asses
(1) Sur l'or de Pura se reporter à l'ouvrage de Jean Baptiste
KIETHEGA, L'or de la Volta Noire,
1983.
(2)
BARTH, Travels and discoveries in North and Central Africa 1849-
1855, 1965, Vol. III, p.
646.

184.
some copper manufactured chiefly into large drinking vesseZ is
also brought into the market by the people of Mo'si"
(1).
En plus de ces produits, vendus par les marchands venus
du Moogo, Barth décrit aussi les itinéraires qu'ils suivent jus-
qu'a. Tombouctou.
Krause, un Allemand, est le premier européen a. pénétrer au
Moogo. Il trouve a. Wogdogo un stock de noix de kola destiné à
~tre acheminé vers Tombouctou. Il signale l'existence d'une route
entre Wogdogo et Salaga passant par Bere.
c'est avec Binger qui visite le "pays Mossi" en 1888, que,
pour la première fois,
le terme yarga est employé.
Il le transcrit
d'ailleurs si mal que cette mention peut passer inaperçue du lec-
teur non averti. Décrivant les populations du Moogo,
i l distingue
"deu= races", les Moose d'une part et "l'autre musulmane [ ..• ]
est appelée iadêra"
(2).
Cependant, tout comme ses prédécesseurs, Binger parle des
commerçants Moose sans préciser si la seconde "race" qu'il décrit
au Moogo est spécialisée dans ce domaine.
Crozat dans son rapport d'une mission au Mossi ne parle
pas des commerçants Yarse.
Il en est de m@me pour Dubois qui,
(1) BARTH, Travels and discoveries in North and Central Africa,
1849-1855, 1965, Vol.
III, p.
204. La traduction française de
cet ouvrage étant mauvaise,
nous avons utilisé la traduction
anglaise.
(2)
BINGER, Du Niger au Golfe de Guinée par les pays de Kong et
le Mossi
(1887-1889),
1892, p.
491-492.

185.
visitant Tombouctou en 1895 décrit les caravanes moose composées
de porteurs, d'anes et de boeufs chargés de plusieurs marchandises
telles que le mil,
le riz,
le manioc,
les noix de kola,
le tabac,
les bandes de coton,
les calebasses
(1). Il faudra attendre le
début du XXème siècle,
après la conquête du pays moaga par la
France et avec les premiers travaux d'ethnolo9ie
,
pour voir
clairement dans les écrits que le commerce de ce pays est géré
par les Yarse.
2.1.2. Un aspect essentiel dans les traditions orales
Si nous nous plaçons maintenant à l'intérieur de cette
communauté,
les récits d'origine montrent que la plupart des
Yarse veulent se rattacher à des groupes de marchands bien connus
de l'Afrique de l'Ouest. Et c'est par et pour le commerce que
certains d'entre eux sont arriv§s au Moogo. Dans les traditions
orales recueillies en pays moaga,
le monde yarga appara!t essen-
tiellement comme celui des musulmans et des commerçants.
Une légende bien connue, celle rapportée par Dim Delobsom
dans L'empire du Mogho-naba
(2)
évoque, en ce qui concerne les
Yarse, le destin qui leur aurait été réservé. En voici le résumé.
Dieu a créé à l'origine quatre frères qui vivaient désoeuvrés dans
un paradis terrestre sans souci du lendemain. Puis i l fit quatre
couffins dans lesquels il plaça quatre surprises,
contenant le sort
de chacun d'eux. Le premier, c'est-à-dire l'a!né, choisit le couf-
(1)
DUBOIS, Tombouctou la mystérieuse,
1897, p.
298-304.
(2)
DELOSSOM, L'empire du Mogho Naba,
1932, p.
118-123.

186.
fin le plus lourd, le second fit comme son frère a!n~. Le troi-
sième prit le plus volumineux et enfin le plus jeune se contenta
du plus petit. Le lendemain, après une longue marche, i l d~cou­
vrirent une vaste plaine. L'a!n~ d~cida de s'y installer, les
trois autres d~cidèrent de se s~parer et chacun alla de son cOt~.
C'est alors que les surprises se rêv~lèrent :
-
l'a1n~ se trouva en pr~sence d'une modeste famille, de fer en
abondance et d'une enclume. Il comprit qu'il devait travailler
le fer:
c'est le forgeron.
- Le second vit à son rêveil des troupeaux de boeufs et de vaches,
de calebasses de l a i t : c'est le peul.
-
"Le troisi'me trouVa d son r.veil des ~nes, des charges de sel,
des charges de kola et autres articles de trafic.
Comme son
atn.
le peul, i l portait un grand boubou blanc, mais son bonnet
.tait de couleur plus fonc.e.
C'est
le Yarga"
(1).
Le quatrième trouva à son rêveil une splendide maison entourée
d'une cour et de centaines de personnes qui se prosternaient
devant lui : c'est le naaba.
La vocation de cette légende est claire:
il s'agit de
lêgitimer les hiérarchies sociales et les statuts dévolus à chacun
de ces groupes dans la société. Elle émane sans aucun doute du
pouvoir, de la cour royale. C'est un moyen idéologique qui tout en
essayant de justifier l'ordre social,
le pr~sente comme une volonté
divine. Dans le cas précis du Yarga,
la plupart de ses attributions
indiquent qu'il est destiné à ~tre commerçant: les produits (sel
(1) 8ELOGSOM, L'empire du Mogho Naba,
1932, p. 119.

187.
et kolas), les moyens de transport
(anes). Le boubou blanc nous
paratt faire référence â la religion musulmane.
Les exemples de récits d'origine où les anc~tres des Yarse
sont venus au Moogo pour faire du commerce sont nombreux
(1).
C'est un fait de la conscience collective. Les réponses les plus
simples souvent données par les Yarse eux-m~mes, lorsqu'on leur
pose la question sur ce qu'est un Yarga mettent en évidence leur
activité commerciale par opposition aux Moose qui sont agricul-
teurs, et leur religion musulmane par opposition â l'animisme des
Moose. Donnons des exemples
:
"Le Yarga.
c'est d l'origine
le
fils
d'un marabout et
n'ayant pas réussi à l'école coranique il s'est mis à faire
du
commerce"
(2).
"Le Yarga.
c'est un commerçant islamisé"
(3).
Deux éléments sont mis en relief dans ces citations. La
religion musulmane ne semble pas être la première préoccupation
de tous puisque certains affirment explicitement descendre de
quelqu'un qui a échoué dans ses études,â moins qu'il s'agisse
d'une manière subtile de justifier certains de leurs comportements
qui paraissent contraires aux prescriptions du droit islamique
(4).
(l) ~u P RA,
première partie
(2)
BIKIENGA Karim, Moyargo,
13 novembre 1982.
(3)
KOUANDA Mohamadi, Wogdogo,
18 février 1979.
(4) Nous y reviendrons dans la troisième partie.

188.
D'autre part, la clê de leur dêfinition rêside dans le
commerce. C'est pourquoi au sein du monqe moaga, on a fini par
êtablir une relation entre être Yarga et être commerçant. A ce
propos, Michel Izard êcrit :
"L'id~oZogie mossi est trop sensi-
biZis~e aux faits de division aoZZeative du travaiZ et de sp~aia­
Zisation teahnique des
Zignages pour qu'on ne soit pas tenté
de présenter Za soci~té mossi comme un système à castes qui
n'aurait pas ét~ achev~ :
Zes Yarse sont dans ce système
Zes
aommerçants et aeci est si vrai que devenir Yarga est une seuZe
et mbme chose,
ce qui permet de comprendre qu'on trouve parmi
Zes Yarse des
Zignages d'origine mossi ou autre"
(1).
Tout concourt à montrer que les Yarse s'êtaient spêcialisés dans
.
~~
les êchanges commerc~aux auss~ entre les diffêrents Etats Moose
qu'entre ces Etats et l'extêrieur.
2.2. Les rêseaux du commerce yarga
La situation intermêdiaire du Moogo entre le Sahel au
nord et les rêgions forestières au sud lui confère une place im-
portante dans le circuit commercial ouest-africain. Au XVIème
siècle, et peut-être avant m~me l'occupation de l'empire Sonrhai
par les armées marocaines,
le Moogo est traversê par de nombreuses
routes commerciales. Les êlêments tirês de nos enqu~tes sur le
commerce yarga ne nous permettent pas de remonter jusqu'au XVIème
(1)
IZARD,
"Les Yarse et le commerce dans le Yatenga précolonial",
in MEILLASSOUX, L'êvolution du commerce en Afrique de l'Ouest,
1971, p.
220.

188 bis'
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~

189.
siècle. Ils permettent tout au plus, avec le concours des sources
écrites du XIXème siècle, d'éclairer des réalités du XVlllème
siècle.
2.2.1. Le réseau interne
Les Yarse apparaissent dans plusieurs traditions, comme
les créateurs des premiers grands marchés du Moogo. Les exemples
de Wogdogo, de Zorgo,
traduisent bien ces constatations.
"Notre Yaaba.
Boré.
fut
le premier à installer un marché
à Wogdogo"
(1).
Les Yarse sont à l'origine des marchés de Salogo et de
Zorgo. A leur arrivée dans ces régions,
il n'y avait pas de mar-
ché (2).
La question de l'existence de marché au Moogo avant l'ins-
tallation des Yarse n'a pas donné lieu à des réponses affirmati-
ves parce que d'une part,l'arrivée des premiers Yarse coincide
en gros avec celle des Nakomse et d'autre part, parce que les étu-
des sur les populations prénakomse du Moogo SOftC pQ.< no",brtulès. Ce qui
a permis à certains auteurs d'écrire qu'il n'y avait pas de mar-
ché en pays"mossi"et qu'ils seraient apparus avec l'arrivée des
marchands spécialisés:
les Yarse
(3). Ou bien que les activités
(1) SAKANDE Boureima, Wogdogo,
28 décembre 1978.
(2) SANDWIDI, Les traditions historiques des Yarse dans la région
du Ganzourgou, 1981, p.
25-26.
(3)
OUEDRAOGO, Les formes d'échanges économiques en pays Mossi,
1975, p.
23.

190.
commerciales étaient quasi inexistantes
(1). Nos enqu~tes vont
dans le m~me sens. Cependant nous pensons qu'il faut voir dans
ces affirmations les effets des idéologies des Nakomse et des
Yarse conjuguées, pour mettre les populations autochtones
(les
ttngembiiBi) qu'ils ont trouvées au rang de "primitifs" et de
"sauvages·, justifiant par la même occasion leurs conqu~tes mili-
taires, leur domination politique et économique.
Quoi qu'il en soit, très tOt les Yarse ont organisé des
liaisons entre les différentes régions du Moogo. Des pistes qui
servaient initialement aux commerçants vont être empruntées aussi
par les guerriers dans les luttes internes entre les différentes
chefferies Moose.
Dans les villages où ils se sont installés, les Yarse ont
animé et dynamisé les échanges locaux. Michel Izard note que les
rares grosses places commerciales du pays moaga sont des villages
à population yarga majoritaire
(2). De l'avis de plusieurs auteurs,
les marchés villageois avaient lieu tous les trois jours
(3).
C'étaient des places où les échanges intéressaient surtout les
denrées agricoles et les produits de l'élevage. L'importance
sociale de ce type
de marché a été soulignée par Joseph Ki-Zerbo
lorsqu'il écrit que le marché au niveau local "est un ph.nom.ne
autant social qu'~conomique. Pour beaucoup c'est presque un pr.-
(1) NACANABO, Le royaume Moaga de Yako des origines à 1896. 1982,
p.
527.
(2)
IZARD, "Les Yarse et le commerce dans le Yatenga précolonial",.
p.
219-220.
(3)
ZAHAN, "Notes sur les marchés Moosi du Yatenga", Africa 24
1954, p.
370-377.

191.
texte pour se rencontrer.
demander des nouvelles.
nouer des intri-
gues sentimentales.
se signaler par de petites largesses à l'at-
tention des griots.
et.
du moins dans
les paya qui ne sont pas
très iaZamia~s. se payer des tourn~ea de
l'in~vitable bière de
miZ ou de vin de palme"
(1).
Le circuit local est lui-même branché sur un circuit
régional plus important qui l'alimente. Des routes reliaient les
marchés locaux aux grands marchés qui,
pour la plupart des cas,
étaient des capitales politiques de royaumes appartenant à des
sphères d'influence différentes. Il s'agit en quelque sorte d'un
faisceau de réseaux.
Dans le Moogo,
l'explorateur allemand Barth signale
l'existence de routes internes suivies par les marchands du Moogo
et dont les principales sont (2)
- Tênkodogo ~ Kugpela ~ Wogdogo.
- Kugpela ~ Paspa .ga ~ Tag! ~ Zorgo ~ Mane ~ Wogdogo.
- Jibo ~ Arbinda ~ Kelbo ~ Kaya ~ Busma ~ Mane ~ Yako ~ Wogdogo.
- Mane ~ Yako ~ Yaadt~nga.
- Mane ~ Tema ~ Yako ~ La.
Les marchés de Mane et de Wogdogo étaient privilégiés à
cause de leur situation géographique. Celui de Mane était parti-
culièrement au centre du pays moaga, au carrefour d'un axe qui
(1) KI-ZERBO, Histoire de l'Afrique Noire d'hier à demain, 1972,
p. 169.
(2) BARTH, Travels and discoveries ••• p. 203-204.

192.
reliait le plus grand marché du Moogo septentrional
(Yuba au
Yaadt~nga) à celui du Moogo oriental (Pvit~nga), et d'un autre
qui reliait Wogdogo à Kaya.
Ces trajets, relativement longs, ne dépassaient que très
rarement un rayon de trois cents kilomètres. Cependant Binger
signale une voie importante qui traversait le Moogo du nord au
sud. Cette route est une des plus fréquentées, dit-il
(1).
Le temps mis pour joindre deux étapes varie certainement
selon la distance qui les sépare mais,
surtout selon les condi-
tions naturelles propres à chaque région. Pour aller de T~nkodogo
à Wogdogo en passant par Kugpela,
les caravanes mettaient une
semaine d'après Barth, pour une distance d'environ cent quatre
vingt kilomètres, soit en moyenne vingt cinq kilomètres par jour.
La distance Kugpela-Wogdogo par Zorgo et Mane est par-
courue en huit jours. En admettant une longueur de deux cent
vingt kilomètres pour ce trajet, on obtient une moyenne de vingt
sept kilomètres par jour. Le parcours Wogdogo-Jibo par Yako, Mane,
Busma, Kaya, Kelbo, Arbinda,
long de près de cinq cents kilomètres
est effectué en deux semaines soit en gros trente six kilomètres
par jour. Cette vitesse moyenne générale
(obtenue par le calcul
distance parcourue divisée par le temps mis)
cache la lenteur des
caravanes sur le tronçon Kelbo-Arbinda,Djibo,
long de cent qua-
rante kilomètres et oD les caravanes mettaient huit jours, soit
(1) BINGER, Du Niger au golfe de Guinée, 1892, p.
486.

193.
seize kilomètres par jour. Ce qui rend encore plus performant
le reste du trajet.
On constate donc que dans la zone sahelienne,
la vitesse
moyenne journalière est faible. Cette lenteur s'explique essen-
tiellement par des conditions géographiques qui rendent la marche
des hommes et des animaux
(surtout des anes)
difficile. L'eau y
est relativement rare et les villages sont éloignés les uns des
autres.
En revanche, sur le plateau "mossi" presque entièrement
situé dans ~ zone soudanaise, la proximité des villages (le Moogo
est une zone de forte densité) et la relative présence abondante
de l'eau, facilitent le ravitaillement des caravanes et permet-
tent d'arriver à une vitesse importante variant entre vingt et
un P.t vingt sept kilomètres par jour.
D'autres marchés importants fréquentés par les Yarse
au Moogo sont : vers le sud Rakaye, Sagabtenga (1), Dulugu ;
vers l'est Pvitenga et Bulsa. Les enqu~tes orales fournissent
plusieurs escales dans ces directions. Selon les points de départ,
les étapes sont variables. Ainsi à partir de Rakaye i l est possi-
ble d'emprunter l'itinéraire suivant pour aller en pays Gurunsi
Rakaye, Bawiga, Sapui, Galegyiri, Rabiu, Yela, Sisili, Lam,
Kokulna
(2).
(1)
INFRA, chapitre l
deuxième partie.
(2)
KOUANDA SaIdou, Léo (Diu Yarse)
27 novembre 1982).

194.
Sur ces marchês,
les produits êchangês sont très variês.
Ils vont des denrêes agricoles cultivêes sur place aux produits
importês. Crozat en 1891 cite entre autres produits vendus sur
le marchê de Wogdogo, des êtoffes, du sel, des baguettes de cui-
vre, de la kola (1). M~me si le troc existait, les cauris ont
jouê pleinement le rOle de monnaies,
à cOtê des bandes de coton
et des baguettes de cuivre. L'or circulait très peu. Dans l'en-
semble le rêseau interne est dense et facilite par consêquent la
collecte des produits et leur distribution. Les Yarse semblent
avoir dêtenu le monopole de ce commerce jusqu'à la fin du XVIIIème
siècle. C'est pourquoi un auteur a pu êcrire qu'ils ont colonisê
le Moogo du point de vue commercial
(2).
2.2.2. Le rêseau international
Il porte sur des marchandises conteuses et des biens de
consommation
que l'on pourrait qualifier aujourd'hui de produits
de luxe. La destination de ces produits êtant des endroits loin-
tains, ce commerce demandait une organisation toute particulière.
2.2.2.1. Les grands courants
Pour ce qui est de l'espace intêressê par notre êtude, à
savoir le Moogo central,
les itinéraires de ce trafic peuvent se
(1)
CROZAT,
"Rapport sur une mission au Mossi en 1891", Journal
officiel de la Rêpublique Française, nO 274, octobre 1891, p.
847.
(2) TAUXIER, Le Noir du Soudan, 1912.

195.
résumer en trois grands axes qui convergent tous vers la capitale,
Wogdogo, et desservent des régions très éloignées. Les multiples
étapes qui existent sur ces axes tiennent lieu de "grands marchês"
on se branchent les pistes reliant les marchés locaux que nous
avons décrits plus haut.
Il y a donc une interdépendance entre
ces deux niveaux de transactions.
Le plus important axe commercial du Moogo est celui qui
relie Tombouctou,
sur la bouche du Niger, à Sa1aga en passant par
Wogdogo. Il est essentiellement contr01é par les commerçants
yarse. Sur ce sujet,
la remarque de Yves Person est significative.
"On voit donc que ces routes du kola tr~s courtes sur le haut
Niger s'allongent à mesure qu'on s'~loigne vers l'est.
Le record
est d~tenu par celle de l'Ashanti à Tombouctou qui s'~tire sur
plus de mille kilom~tres par Kintampo ou Salaga~ Ouagadougou et
Bandyagara.
Elle est aux mains des Yarse du Mossi[ ••• ]"
(1).
Les témoignages des Yarse ayant effectuê ce trajet confirment la
remarque de Person et insistent beaucoup sur la prédominance des
Yarse sur cet axe aux époques antérieures à la colonisation. A
partir de Wogdogo, en allant vers le Nord,
les itinéraires varient
en fonction des marchés que les Yarse souhaitent visiter. Mais
les "escales" essentielles sont : LaI, Yako, Mane, Yuba, Dori,
Djenne, Mopti, Sofora, Tombouctou. Sur les marchés de la boucle
du Niger,
les Yarse achetaient du sel, du poisson séché, des nat-
tes, des baguettes de cuivre à la demande de certains marabouts,
(1)
PERSON, Samori une révolution dyu1a T.1.
1968, p.
111.

196.
des manuscrits arabes. Un de nos informateurs nous a présenté
une copie manuscrite de la Risala d'Ibn Ali Zayd Al Quayrawani
que son père a ramené de Tombouctou (1). Ils y vendaient surtout
de la kola, des cotonnades, des céréales et des captifs
(2). Le
poisson séché servait à la préparation des repas les jours de
fates ;
les nattes d'importation et les barres de sel étaient
revendus au Moogo. Elles entraient aussi dans les cadeaux faits
aux souverains Moose lors des grandes cérémonies
(3).
Les ba-
guettes de cuivre servaient à fabriquer des bracelets, et toutes
sortes de bijoux. Elles étaient aussi utilisées pour fabriquer
les petites armes de défense individuelles tels les poignards car
dit-on "seuZ un poignard de cuivre peut p~nétrer Ze corps des
personnes poss~dant des gris-gris redoutabZes". Les cotonnades
tissées par les Yarse et teintes par les Mar~ .se se vendaient
cher sur les marchés du Niger parce que réputés très épaisses.
Sur le second tronçon de cet axe, en direction du sud,
c'est à dire vers la cOte, un des itinéraires suivis à partir de
Wogdogo est le suivant: Rakaye, Kombisiri, Nobere, Piga Yiri,
Pagi, Yendi, Salaga. Certains informateurs donnent un itinéraire
plus détaillé et plus sinueux. Par exemple, selon Dera Passum,
pour aller à Salaga à partir de Koâda on passe par : "Wogdogo.
Kombis ir~. Pugo.
TunboZogo.
Pagi.
Navr~saba. KuZgo. Naaga. Kokossi,
Sasi.
Komburgu.
G~ngonoore. Legtere. SiZmiyiri.
Z~ guweog Yiri.
(1) KOUANDA Souleymane,
Zogona.
(2) Nous consacrerons plus loin un paragraphe à l'étude des ventes
de captifs.
(3)
lNFIA
Chapitre III, deuxième partie.

197.
Mog yiba, Mogvudga,
T~tampo, SaZaga"
(1). A Salaga ils vendaient
du bétail, des étoffes, du sel, des céréales et achetaient de la
kola. D'après un article assez récent de Paul Lovejoy (2)
i l
s'agit de la variété dite kola nitida qui pousse dans le Worodugu
et dans le pays Ashanti. Cette variété, comme d'ailleurs les trois
autres
(la kola acuminata qui pousse dans les pays Yoruba et Iybo,
la kola verticillata en pays Yoruba et la kola anomala) contient
une forte dose de caféIne et de petites quantités de théobromine,
de kolatine et de glucose, ce qui lui permet de jouer sur l'orga-
nisme de~ effets comparables à ceux du thé ou du café
(3). Cet
excitant permet de résister à la soif. Ajoutons qu'au Moogo,
la
kola joue un r~le essentiel dans les cérémonies de mariage, de
baptême et dans les rites. Elle représente aussi un signe de l'hos-
pitalité tout comme le zom-kom
(eau farineuse offerte aux étran-
gers). Sur le chemin de retour,
en traversant le pays "guI'unsi"
les Yarse achetaient des captifs.
Le deuxième axe relie Wogdogo à Tenkogodo, capitale du
Moogo méridional. Il est très court sur l'espace moaga, mais se
prolonge en direction de l'est vers Kano après avoir traversé les
villes de Fada N'Gurma, Birmin Kebbi, Sokoto et Katsina. Cependant
les Yarse ne franchissaient que très rarement les zones échappant
à l'influence politique du Tênkodogo naaba. Au delà c'est le pays
(1) DERA Passum, Koada,
12 novembre 1982.
(2)
LOVEJOY,
"Kola in the history of West Africa" Cahiers d'Etudes
Africaines, 1980, vol. XX nO 1-2, p. 97-134.
(3)
Id, Ibidem p. 98.

198.
Gurma où les commerçants Hausa s'êtaient êtablis dès le XVIIIème
siècle. Dans sa thèse (1), Georges Madiêga estime que les pre-
miers commerçants ~ venir dans le nord Gurma le firent probable-
ment ~ partir du pays moaga. Cependant i l remarque par ailleurs
une intense activité commerciale qui est le fait des Hausa :
"Les Gbiangbiaru
(Hausa)
commerçaient de tout : noix de kola~
tis8u~ colliers [ ••• l. Les Hausa parcouraient ~galement le Gulma"
(2). Il n'est pas impossible que les Yarse aient dominê le commer-
ce dans la région ~ une êpoque antêrieure au XVIIIème siècle. La
prêsence des groupes commerçants appelês Yarmu que l'auteur iden-
tifie aux Yarse est un êlêment qui milite en faveur de cette hy-
pothèse.
Le troisième et dernier grand axe est celui qui relie
Wogdogo ~ Bobo lTu"lasso à l'ouest par Boromo. Il se branche à
partir de Bobo sur une grande route commerciale dominêe par les
D~vla, et reliant Tombouctou ~ Kumasi en passant par Djenné, Bobo,
Kong et Bonduku.
La fréquentation de ce troisième axe par les Yarse, ne
semble pas remonter au delà du XIXème siècle, et peut-être à la
fin de ce dernier ~ l'époque des guerres samoriennes
(3), comme
(1) MADIEGA, Le nord Gulma prêcolonial
(Haute Volta). Origine des
dynasties. Approche de là société. 1978, p.
424.
(2)
Ibid, Ibidem, p. 430.
(3)
L'installation des Yarse à Boromo date du XIXème siècle.
(voir le chapitre l
de la deuxième partie).

199.
para!t l'indiquer la prédominance des marchandises tels que les
chevaux et les esclaves. Le tabac faisait partie des produits que
les Yarse achetaient â Bobo. L'importance de chacun de ces cou-
rants a varié au cours des siècles, mais les Yarse accordaient
une primauté â l'axe Nord-Sud. C'est en apparence la plus vieille
route et i l ne serait pas illusoire de prétendre qu'elle a ouvert
le Moogo au monde extérieur, et cela très tOt,
dès le XVlème siè-
cleo La traversée de zones aussi vastes posait de sérieux pro-
blèmes de sécurité auxquels l'organisation en caravanes s'est
efforcée de répondre.
2.2.2.2. Les caravanes
Sur un itinéraire aussi long que celui menant par exemple
de 3alaga â Tombouctou,
une aventure solitaire ne pouvait se sol-
der que par un échec, d'autant plus que les bandes de brigands
appelés par les Yarse gitba
(1), c'est à dire littéralement les
"empêcheurs",
les coupeurs de routes, se cachaient aux abords des
pistes et attendaient les voyageurs pour les attaquer.
La défense
contre ces pillards, qu'ils soient individuels ou qu'ils s'agis-
sent de bandes travaillant pour le compte d'un chef local, imposait
que les commerçants yarse aillent par groupes,
par caravanes.
Celles-ci étaient minutieusement préparées par un Yarga appelé
Silete
(2). L'origine de ce terme est probablement moaga, car i l
(1)
gitba vient du verbe gidige
qui signifie empêcher. Dans le
langage courant,
i l peut être employé comme synonyme d'inter-
dire.
(2)
En plus de ce mot, deux autres sont employés
: Sorsoaba,
litté-
ralement propriétaire de la route et magdugu qui est d'origine
Hausa.

200.
se rapproche de l'expression "st le de" c'est A dire qui passe
après s'être assuré
qu'il n'y a aucun danger. Le silete est
donc une sorte d'éclaireur, de guide éclairé. Ce personnage est
capital pour la caravane. Il n'est pas donné A n'importe quel
qommerçant de devenir silete, affirme un de nos informateurs,
car les responsabilités qui lui sont dévolues sont énormes. De
ce fait,
plusieurs qualités sont exigées ou doivent être réunies.
Le courage et le dévouement pour sa troupe sont les plus
grandes vertus du silete.
La force magique,
la connaissance du
métier des armes, des itinéraires, des comportements des groupes
culturels des zones traversées,
l'expérience dans les affaires,
font de ce personnage le maître incontesté des caravanes. Il se
place toujours A l'arrière pour bien superviser l'ensemble, avant
de partir. Le silete prépare le voyage au moins sur trois plans
- Au niveau psychologique, i l consulte les grands marabouts,
les grands devins pour s'assurer que la route sera "bonne". Au
besoin, pour conjurer d'éventuels dangers,
i l faut des doose.
- Ensuite,
i l lance une sorte de communiqué en envoyant des
émissaires dans les marchés environnants, chargés d'informer ceux
qui souhaitent participer A la caravane sur la date et le lieu
du départ. Cette information est donnée
plusieurs semaines A
l'avance et répétée A chaque jour de marché afin qu'elle circule
le plus loin possible
(1).
(1)
Ceux qui sont venus au marché vont communiquer la nouvelle
dans leur village et ainsi de suite.

201.
- Au point de vue de l'armement, i l recommande â chaque parti-
cipant de se munir de moyens de défense
(arcs, flèches,
lances
et éventuellement fusils)
de sorte que la caravane constitue en
elle-même une espèce de petite armée autonome.
Au jour indiqué,
les commerçants se rassemblent â l'en-
droit choisi avec leurs marchandises, des tambours résonnent
pour ha ter les retardataires, puis c'est la longue marche qui
commence.
Le nombre de personnes composant chaque caravane est
très variable selon les informateurs: de dix â vingt (1), de
vingt â quarante
(2), de dix â soixante dix
(3), entre cinquante
et quatre vingt
(4), plus de deux cents
(5).
La réalité est qu'elle grossissait à mesure qu'elle tra-
versait des villages. En effet, après avoir eu connaissance de
la date de départ, les commerçants installés loin du lieu de
rassemblement mais dont les villages sont aux abords de la route
empruntée, attendaient le passage de la caravane pour s'y joindre,
car il faut le souligner, tous les villages n'avaient pas de
ailete.
(1) NABOLLE, Traditions et coutumes yarsé en pays Mossi, 1969,
p.
Il.
(2)
RABO Hamado, Lidugin, 25 décembre 1982.
(3)
IZARD, Les archives orales d'un royaume africain T. 1, 1980,
p.
135-139.
(4) ~OUANDA Silamané, Kugpéla (Dulugu),
17 octobre 1982.
(5)
KOUANDA Boureima, Wogdogo,
18 février 1979.

202.
La discipline semble avoir ~t~ très stricte et les
consignes du chef observ~es $ans discussion. En règle g~n~rale,
c'est le silete qui d~cide des temps d'arr~t pour le repos ou
pour les besoins de la prière.
On pourrait s'interroger pour savoir si dans ces cara-
vanes largement h~t~rogènes (l), où b~tes et hommes cheminent
ensemble, il Y a une place pour les femmes. Les avis sont très
partag~s. Certains estiment que de jeunes femmes suivaient leur
~poux et devaient aller chercher l'eau et pr~parer la nourriture.
Il semble aussi que de nouveaux mari~s, de crainte que leurs
jeunes ~pouses ne s'impatientent avec la dur~e du voyage et en
profitent pour s'enfuir, aient d~cid~ de les faire participer.
D'autres, au contraire, mettant l'accent sur les difficult~s et
les dangers encourus, ont rejeté toute participation des femmes.
A l'heure où les associations f~minines revendiquent l'~galité
entre les sexes A tous les niveaux, i l serait hasardeux de dire
que cette question est sans importance. Les arguments avanc~s
des deux cOt~s sont valables. Cependant, des consid~rations gé-
n~rales fort r~pandues dans les milieux commerçants yarse, qui
faisaient de celles-ci des porte-malheurs(2}
permettent de mini-
miser leur participation. Ce qui ne les emp~che pas de vendre,
d'aider leur mari A vendre la kola en d~tail, aussi bien A domi-
cile que sur les march~s.
(l) A l'intérieur de la caravane, il y avait des petits groupes
r~unissant les commerçants d'un m~me village.
(2) Les marchands consultaient des marabouts qui leur donnaient
des gris-gris pour attirer la clientèle. Ces gris-gris, sem-
blent inefficaces lorsqu'ils avaient ~t~ touch~s par des femmes

203.
La biographie de Dera Pasum, ancien SiZete, est utile
pour illustrer cette étude sur les chefs de caravane. Né d'un
père commerçant (1),
i l passa sa première enfance chez ses pa-
rents â Koada. A dix ans i l est envoyé au Kiego
(camp de circon-
cision)
00 i l est opéré par un Yarga. Il en ressort trois mois
après et regagna sa famille.
Deux ans plus tard ce fut l'école
coranique â Sagabtenga. Il y apprit quelques sourates du Coran
selon lui,
i l aurait étudié jusqu'â la sourate intitulée "Le Très
Haut". Son mattre,partit en pélerinage â La Mecque â pied,
le
confia â son frère,
lui aussi mattre coranique. Notre homme, pro-
fitant d'une maladie de sa mère, retourne dans son village.
Il
est envoyé par son père â la recherche des remèdes contre le mal
qui rongeait sa mère.
Il va â Bulsa, â Mane 00 i l profite pour
se noter de toutes sortes de gris-gris aussi bien auprès des ma-
rabouts que des guérisseurs traditionnels. De retour â Koada, et
après la guérison de sa mère,
i l aide son père à transporter des
marchandises vers Salaga, 00 i l se fait remarquer par son courage
et son endurance.
Il avait alors plus de la vingtaine d'années.
Il ne retournera plus jamais â l'école coranique et poursuit sa
vie dans le commerce.
Il découvrit après Salaga, Tombouctou,
Djenné ••• A la mort de son père,
i l devint le responsable de la
concession et continua l'activité de celui-ci.
Au retour de son ancien mattre du pélerinage,
i l alla le
saluer,
lui fit des cadeaux (sel et kolas).
Il en profita pour
(1)
Né sous le règne de Moog-naaba Sanem (1871-1889).

204.
demander des bénédictions et des amulettes protectrices et
capables d'attirer de la clientèle. Ayant obtenu satisfaction,
i l retourna dans son village et continua ses activités de commer-
ce. Au cours d'une traversée du pays Gurunsi~ la caravane à la-
quelle i l appartenait fut attaquée. Il se serait montré très puis-
sant en neutralisant les bandits. Dès lors i l prit la direction
de la troupe jusqu'au Moogo. C'est là que débuta sa carrière de
SiZete.
Lorsque les caravaniers arrivent dans les villages où
ils doivent passer la nuit, généralement un lieu de marché,
ils
reçoivent l'hospitalité du siZete de cette région qui joue aussi
le rÔle d'intermédiaire. Les grosses affaires avec les commerçants
de sa région son traitées chez lui. Enfin,
i l accompagne le siZete
qu'il reçoit pour saluer le chef de la localité,
lequel reçoit des
cadeaux de plus ou moins grande valeur selon son importance. Ces
cadeaux rassemblés
(1)
par les membres de la caravane constituent
d'une certaine façon une taxe, ou le paiement d'un droit de pas-
sage. Le négliger pouvait avoir des conséquences inattendues
pillages au sortir du village par des brigands agissant pour leur
propre compte ou avec la bénédiction du chef. Son paiement ne
garantit pas toujours la sécurité dans la mesure où les chefs
(1) AussitÔt arrivé dans le village le siZete demandait à chacun
de donner quelque chose pour le chef. Dans le cas des grands
chefs, en dehors des noix de kola ou du sel,
les commerçant
offraient des boubous et autres effets d'habillement qu'on ne
pouvait trouver au Moogo.

205.
moose n'êtaient pas toujours capables de rassembler des soldats
pour les escorter jusqu'à la limite de leur domaine. La plus grande
zone d'insêcuritê semble avoir êtê le pays Gurunsi comme l'indi-
que ce têmoignage : "La travers'e du pays "Gu~un6i" 'tait tr's
p'nible.
Ils exigeaient des taxes et mbme pay'es
les Yarse
n"taient pas à l'abri de
leur brigandage"
(1).
A vrai dire,
la caravane comptait sur elle-m~me pour se
dêfendre en cas d'attaque: chacun de ses membres était armê et
la solidaritê d'intêr~t les unissait.
Les dons octroyês aux chefs moose renforçaient l'amitié
et la confiance de ces derniers vis à vis des Yarse. Ils n'hési-
teront pas à faire appel à eux pour vendre des captifs razziês.
Il existe donc une complicitê, une entente entre les dominants
politiques et les dominants êconomiques. La question de savoir
s ' i l existe une dialectique entre ces deux types de pouvoirs,
c'est-à-dire si les uns n'ont pas cherchê à renverser les autres,
mêrite d'~tre posêe. Dans le cas prêcis du Moogo, le renversement
n'a pas lieu. Et comme nous le verrons par la suite,
les deux
types de pouvoirs arrivent à un compromis. Les Yarse,
forts de
leur pouvoir êconomique et magico religieux ont êtê appelês dans
l'appareil politique pour y occuper de hautes fonctions. Mais en
m~me temps, cette incorporation dans la classe dirigeante consti-
tuait à notre avis le meilleur moyen de les contrOler. TAUXIER
(1) GUIGMA Ibrahima, Kombissiri, 15 octobre 1982.

206.
affirme que les Yarse ont abandonné tout espoir d'établir leur
pouvoir politique dans la région
(1).
Est-il possible d'avoir une idée globale du volume de ce
commerce? La réponse est négative pour le moment. Il faudrait
des recensements complets des marchés fréquentés par les Yarse,
des enqu@tes intensives et systématiques sur tous les villages
où i l existe des communautés yarse. C'est un travail qui exige
d'importants moyens et plusieurs équipes de chercheurs. Il dépasse
la capacité d'une seule personne. C'est aussi le problème de la
quantification
des chiffres en traditions orales qui est posé.
Les quelques renseignements que nous possédons sont loin
d'@tre satisfaisants. On sait seulement que le départ des carava-
nes avait lieu surtout â la fin de la saison pluvieuse, et que
chaque village pouvait organiser au moins deux convois dans l'année.
La capacité de charge de chaque âne allait de deux â trois paniers
de Kola
(2)
ou de deux â quatre barres de sel. Quant aux autres
marchandises tels que le bétail,
les céréales et les étoffes nous
n'avons aucune idée. La durée du trajet vers Salaga atteignait
soixante dix jours
(aller-retour)
et quatre vingt vers Tombouctou
(â partir de Wogdogo). En partant du fait que chaque si~ete faisait
deux fois ces voyages par an,
on s'aperçoit que les commerçants
passaient dix mois sur douze â sillonner les marchés.
La nature des marchandises,
leur qualité et, en dernier
ressort,
leur prix, variaient aussi selon les saisons
(sans doute
plus élevé en saison humide)
et selon la localisation du marché
(1) TAUXIER, Le noir du Soudan,
1912, p.
441.
(2)
Un panier égal mille noix de kolas.

207.
(plus ou moins êloignê des zones productrices).
Par exemple Michel
Izard donne les estimations suivantes pour le Yaadt~nga prêcolo-
niaI
(1)
15 à
20 cauris pour une noix de kola
- 50
"
pour une coudêe de cotonnade
- 20.000 à 60.000 pour un boeuf
- 25.000 à 30.000 pour un ane
- 70.000 à 150.000 pour un cheval.
Ces estimations auraient êtê plus significatives si elles
êtaient suivies des prix à l'exportation et à
l'importation. Cela
aurait permis de calculer en. moyenne le profit que pouvait rêaliser
chaque marchand. Quoiqu'il en soit on peut supposer qu'ils en
rêalisaient sur le long terme car, comme l'indique Ibn Khaldun
dans la Mugadima
(2),
"Le
terme commerce a
le
sens suivant: c'est
l'acquisition des richesses par l'augmentation du
fonds
qu'on y
consacre,
quand on achète une marchandise à bas prix pour la reven-
dre plus cher,
qu'il s'agisse d'esclaves,
de grains,
d'animaux,
d'armes ou d'étoffes.
On nomme bénéfice le montant de
cette aug-
mentation.
Voici comment on cherche à l'obtenir:
on emmagasine
les marchandises et on profite de
la variation du cours
le concer-
nant,
dans
le sens de
la hausse
:
ce qui procure un grand bénéfice,
ou bien,
on la transporte dans un autre pays où elle est plus en
vogue que là
où on l'achète,
d'où encore aussi un grand bénéfice.
(1)
IZARD,
"Les Yarse et le commerce dans le Yatenga prêcolonial. •• "
p.
224-225.
(2)
Ibn KHALDUl'4,
La M~adima, 1965, p. 123.

208.
c'est pourquoi un vieux n4gociant r4pondit à qui
lui demandait
quel est le vrai sens du mot commerce :
je vais te faire
compren-
dre en deux mots
:
achète à bas prix et vends cher.
Voilà comment
a lieu le commerce"
(1).
De l'avis de certains informateurs,
les gros profits
étaient réalisés sur la vente du bétail et surtout sur les captifs.
2.3. Le commerce des captifs
2.3.1. Le vocabulaire
L'utilisation des mots esclave ou captif pose des problè-
mes. Il faut d'abord clarifier,a l'aide de la terminologie propre
aux Moose, ce qu'il faut entendre par captif. Dans la langue moore
i l Y a, a notre connaissance, deux mots pour désigner les statuts
de dépendant,
yamba et gurunga.
Le premier, yamba
(au singulier, yemse au pluriel)
indique
une catégorie de personnes ayant perdu leur liberté parce qu'elles
ont été simplement achetées par une autre personne. Cela suppose
ou sous-entend qu'elles ont forcément été capturées ou enlevées
par quelqu'un d'autre qui les a ensuite vendues. Le yamba s'oppose
au burkina
(homme libre)
(2). Celui qui achète un captif devient
son zusoaba.
littéralement le propriétaire de sa tête
(son maître).
(1)
Ibn KHALDUN,
la Mugadima, 1965, p. 123.
(2)
IZARD,
"Les captifs royaux dans l'ancien Yatenga" in MEILLASSOUX
L'esclave en Afrique précoloniale,
1975 p.
281.

209.
Il a beaucoup de droits sur le captif:
i l peut l'intégrer défi-
nitivement ou temporairement dans sa propre famille. Quel que soit
le temps qu'il devra passer dans la famille,
i l participe aux
travaux domestiques et champ~tres. La possibilité qu'il y reste
dêfinitivement dêpendra des besoins matêriels de son martre, mais
surtout de la satisfaction de ce dernier â l'êgard de son travail.
Il arrivait que des captifs très fidèles â leur martre soient
adoptês dans la famille de ce dernier. Dans ce cas, s ' i l s'agit
d'un homme,
le zusoaba lui cherchera une femme de même condition.
C'est â juste titre que Tauxier êcrit en êvoquant le statut des
"escl.aves chez l.es Yarse" que : "Quand un escl.ave famil.ial. est en
~ge d'btre marié, c'est l.e chef de l.a soukal.a qui doit l.ui procu-
rer une femme.
Jadis il. l.ui en achetait pour 50.000 ou 60.000
cauris"
(1).
Les enfants issus de cette union viennent grossir le nom-
bre des captifs du martre. En outre,
le martre pouvait marier les
filles issues de cette union â ses propres enfants et les enfants
qui na!tront de ce mariage seront considêrês comme lêgitimes et
membres à part entière de la famille,
avec les m~mes droits que
les autres enfants. Si au contraire le captif se montre peu obéis-
sant et peu travailleur,
i l sera rapidement revendu.
Mais chez les Yarse,
l'intêgration du captif, si apprécié
qu'il fat,
n'êtait jamais complète. Sa case êtait â l'êcart. Il
rêpondait à l'appel des membres de la famille,
fussent-ils des
(1) TAUXIER, Le Noir du Soudan,
1912, p.
787-788.

210.
enfants, par l'expression "€m
zusoaba", c'est-à-dire "mon mattre".
Malgré leur islamisation, les Yarse ne donnaient pas des
noms
musulmans à leurs yemse. Au contraire, ils leur attribuaient des
noms moose : boanga
(ane), Razugu
(grosse t~te), Yempoaka
(captive),
Yemdaogo
(captif). La raison était simple: i l fallait pouvoir les
revendre en cas de besoin, tout en ayant bonne conscience de n'avoir
pas enfreint les règles de l'islam. Sur cette question éminemment
juridique, la fetwa d'Ahmed Baba à propos des esclaves du bi1ad
as-Sudan est fort instructive. Consulté par les marchands du Tuat
sur la condition juridique
des Soudanais réduits en esclavage,
Ahmed Baba y répond en mettant l'accent sur le jihad qui est consi-
déré comme un moyen d'acquérir la propriété légale. Or ceux qui
approvisionnaient les marchés en captifs étaient des rois qui les
saisissaient en général "dans une guerre irr'guli.re~ non entre-
prise pour la plus grande gloire de l'Islam ••• "
(1). Mais aux yeux
des marchands,
l'infidélité est le fondement de "l'esclavage".
Et vendre ou acheter un infidèle n'a rien d'illégal. Si comme nous
l'avons déjà souligné les Yarse vendaient leurs captifs à Tombouc-
tou, on comprend qu'ils se soient gardés de les convertir à l'islam.
Le mot yamba n'a pas de consonnance "ethnique" par opposi-
tion au second terme que nous analyserons par la suite. C'est pour-
quoi, dans les traductions et les commentaires du Coran faits en
moore à aiverses occasions, l'expression "Abd Allah"
(2) est tra-
dui te par "Winaam yamba".
(1)
ZOUBER, Ahmad BABA de Tombouctou (1556-1627).Sa vie et son oeu-
vre, 1977, p. 133.
(2) C'est à dire le "serviteur de Dieu".

211.
Le second mot, gurunga(au singulier, gurunse au pluriel),
désigne des réalités plus complexes. Dans le Yaadt~nga, Michel
Izard a remarqué qu'on utilise ce mot pour désigner m~me les Moose
centraux. Par contre, chez ces derniers, les Moose du Yaadt~nga
sont appelés Yaadse et le mot gurunse s'applique aux habitants des
régions de Kudugu (sans doute à cause de leur voisinage géographi-
que avec les Lela)
et à l'ensemble du pays "Gurunsi"
(1).
Dans le langage courant, quand une personne commet une
faute ou agit contrairement aux habitudes, aux règles sociales en
vigueur, on dit qu'il agit comme un gurunga. Dans les milieux
Yarse, pour désigner quelqu'un qui n'est pas circoncis, on emploie
soit le mot moaga, soit le mot gurunga.
A travers ces exemples,
le gurunga apparaît comme celui
qui est différent soit par son accent linguistique soit par sa
civilisation (culture). C'est aussi le "sauvage" puisqu'il n'est
pas comme eux. A notre avis, son êquivalent le plus proche en
français serait le mot barbare qui a connu les m~mes fortunes.
D'abord utilisé par les Grecs, les Romains et les Chrétiens pour
désigner l'étranger, i l devait, aux XVII-XVIIIème siècles, désigner
les arriêrés,
les primitifs, les sauvages.
Il est utilisé de nos
jours pour désigner ce qui choque, ce qui est contraire aux règles,
au gont, à l'usage.
Le terme gurunse qui avait une signification idéologique
au départ a fini par dêsigner les peuples et les pays dans lesquels
(1) Ethnonyme en tant que tel récent. Les "Gurunsi" ne le recon-
naissent pas car i l est péjoratif.

212.
les nakomse allaient razzier les captifs. Lorsqu'en 1888 Singer
passa au Moogo,
son hOte Sukari Kutu,
le futur Moog-naaba Wobgo
vivait des razzias de captifs dans le pays Gurunsi. Pour subsister
et tenir un certain rang, Sukari est forcê,
dit-il "de vivre de
pillage et mtme de brigandage.
Ses cavaliers de
temps à autre font
irruption dans
la banlieue de quelque village du Gourounsi ou du
Kipirsi et s'emparent par surprise des habitants occup~s aux cul-
tures ou à chercher du bois. Jes gens vont aussi isol~ment s'em-
busquer sur les chemins et font captif tout individu qui passe à
leur port~e" (1). L'auteur poursuit sa description en indiquant
que les captifs êtaient attachês en file l'un derrière l'autre.
Trois sorts les attendaient, selon leur sexe et leur âge
(2)
-
Les enfants,
jeunes filles et jeunes gens, sont partagês
entre les guerriers. Les uns serviront de palefreniers
et seront revendus plus tard s'ils ne se montrent pas
dociles,
les autres
(les filles)
seront donnêes en mariage
aux guerriers.
-
Les femmes sont gardêes en rêserve pour acheter des che-
vaux.
Les hommes sont destinês à @tre vendus sur le marchê de
Sagabt@nga, village yarga et grand marchê proche du
Gurungo
(3).
(1)
SINGER, Du Niger au Golfe de Guinêe,
1892, p.
470.
(2)
Id,
Ibidem, p.
471
(3)
Le pays Gurunsi.

213.
Il est difficile de démontrer comment s'articulent les
deux termes. On a tendance à penser que le Yamba est un captif
appartenant au groupe moaga alors que le Gurunga est le captif
qui provient de l'extérieur de ce monde. Cette distinction ne
saurait ~tre acceptable dans la mesure où nous avons vu plus haut
que certains Moose étaient appelés Gurunsi par d~autres Moose, en
fonction de la position géographique de leur localité.
Il est
aussi hasardeux de croire qu'il existe une hiérarchisation entre
ces deux termes car les captifs sont traités de la m~me manière.
Sans prétendre donner une solution à ce problème,
i l nous semble
que le terme Yamba est le plus ancien mot utilisé par les Moose
pour désigner les captifs. Celui de gurunse a da s'imposer dès lors
que les Nakomse ont entrepris de se ravitailler en captifs, dans
les pays du sud.
2.3.2. Les Yarse comme vendeurs de captifs
Aussi bien dans les témoignages oraux, que dans les sources
écrites, une des images que l'on donne au Yarga est celle du commer-
çant en général, mais aussi celle du vendeur de captifs.
En 1909, Lucien Marc fait remarquer que les Yarse ne ven-
daient pas uniquement des Gurunsi, et qu'il leur arrivait de vendre
des Moose. "Il arrivait m8me parfois que les Gourounsi n'~taient
pas les seuls à 8tre ainsi vendus;
les Yarse se risquaient par-
fois à voler des femmes et des enfants Mossi et à les emmener en
esclavage.
Nous avons connu au Mossi deux indig~nes qui ~tant

214.
enfants,
avaient été enlevés de
la sorte et conduits à Tombouctou
jusqu'en Algérie.
L'individu qui
les emmenait les avait enfermés
dans un sac de cuir,
attaché au b~t d'un chameau. Il fut arr~té
dans un poste du sud Algérien et l'on trouva,
parait-il une demi-
douzaine d'enfants dans
le sac"
(1).
Cette citation appelle des commentaires. Sans vouloir
nier la participation des Yarse au commerce des captifs,
il con-
vient de signaler qu'ils ne razziaient pas, ou du moins, qu'ils
n'avaient pas ce droit qui êtait, nous semble-t-il, rêservê aux
nakomse et à leurs guerriers. L'auteur part d'une description que
fait Binger de la vie menêe par Bukari Kutu et que nous avons du
reste dêjà citê. Une êventuelle razzia de captifs moose par les
Yarse aurait sans doute provoquê une rêaction de la noblesse
moaga et des populations. Les Yarse n'auraient certainement pas
êtê tolêrês s'ils avaient eu de telles pratiques. Cependant, nous
n'excluons pas qu'en cas d'attaque de leurs caravanes,
ils aient
pu faire des prisonniers qu'ils transformaient en captifs.
La deuxième remarque concerne les conditions de transport
qui nous paraissent invraisemblables.Comment placer six enfants,
quelle que soit leur taille, dans un sac en peau pour faire un
trajet aussi long sans qu'ils
soient asphyxiês. Même en pensant
qu'ils s'arrêtaient de temps en temps pour prendre un peu d'air,
i l est pratiquement impossible qu'ils soient arrivês vivants.
(1) MARC, Le pays Mossi, 1909, p. 170.

215.
Mais un autre auteur signale que les Yarse vendaient des
captifs dans la région de Gemare
(Dori)
(1). Tauxier constate en
1912 qu'ils "avaient assez d'esclaves,
mais que maintenant ils
n'en ont plus beaucoup,
la plupart de
leurs esclaves s'~tant
enfuis depuis
la main-mise française
sur le pays"
(2).
Les témoignages oraux ne contredisent pas ces affirmations.
Ils nient avoir mené ou m~me suivi des campagnes de razzias, mais
reconnaissent cependant s'être procuré des captifs par achat dans
le pays "Gurunsi" et Bisa. Les moyens de paiement sont les che-
vaux dont l'élevage au Moogo et particulièrement au Yaadtênga n'a
pas manqué de retenir l'attention de Binger qui é c r i t : "Partout
où j'ai passé,
les noirs m'ont vanté la richesse de production de
chevaux et d'~nes du Mossi.
Avant d'entrer dans ce pays,
j'étais
persuadé que tous
les chevaux qu'on rencontre dans
les Etats de
Kong étaient des produits du Mossi"(3).
Les lieux de vente des captifs étaient le Moogo et les
métropoles des bords du Niger. Un informateur estime le prix d'un
Yamba à cent mille cauris
(4), et un autre donne un cheval pour
deux captifs
(5).
Si les nakomse apparaissent comme étant les premiers four-
nisseurs des Yarse en captifs gurunsi,
i l ne faut pas non plus
oublier les Zaberma qui durant les deux dernières décennies du
(1) MANGIN, Les Mossi. Essai sur les us et coutumes du peuple
Mossi en Soudan Occidental, 1916, p.
14.
(2)
TAUXIER, Le Noir du Soudan,
1912, p. 787.
(3)
BINGER, Du Niger au Golfe de Guinée,
1892, p.
484.
(4)
DERA Idrissa, Ruundé, 14 novembre 1982.
(5)
KOUANDA Issa, Kombissini,
16 octobre 1982.

216.
XIXème siècle ont fait du pays "gurunsi" un vêritable vivier
(1).
L'ampleur de leurs actions et les consêquences dêmographiques qui
en ont dêcoulê sont analysêes par Emmanuel Bayili dans sa thèse
(2).
Le commerce des captifs et des chevaux est êtroitement liê aux
guerres. La demande en chevaux des conquêrants et l'utilisation
des prisonniers comme moyen de paiement ont intensifiê ce commerce
dans la rêgion.
Il est fort probable qu'avant l'arrivêe des bandes
samoriennes et zaberma dans le gurungo,
le captif n'êtait
pas le
principal produit des échanges avec le Moogo. Cela ne signifie pas
pour autant que ce commerce n'existait pas puisque les Moose
fournissaient des eunuques et des "esclaves" au monde musulman par
l'intermêdiaire des empires soudano-sahéliens.
Les Yarse ont jouê un rOle primordial dans les êchanges
entre le Moogo et ses voisins.
Ils ont êtê pratiquement les seuls
à contrOler ce commerce jusqu'au XVIIIème siècle,
êpoque à partir
de laquelle l'expansion des Hausa dans le Dagomba et dans le
Mampursi, et celle des Dyula dans l'Ashanti et à Kong allaient les
mener vers les hauts bassins de la Volta. A ce titre,
i l est intê-
ressant de comparer ces trois groupes de marchands et voir comment
ils ont organisê dêsormais l'espace êconomique de la rêgion.
(1)
Depuis le dernier quart du XIXème siècle,
lesZaberma avaient
installê une domination militaire sur le pays gurunsi.
Ils
sont venus du Niger et êtaient islamisês.
Ils ont fait profiter
les commerçants en jetant un grand nombre de captifs sur les
marchês. Leurs plus grands chefs furent : Gazari
(1874-1885)
et Babatu (1885-1898).
(2)
BAYILI Emmanuel. Le Nord-Nuna, Paris 1983.

217.
2.4. Les parallélismes entre Yarse, Dyula et Hausa
De par leurs origines,
leurs activités,
leur religion,
les
Yarse ressemblent beaucoup aux Dyula et aux Hausa avec lesquels
ils entrèrent en contact par le biais du commerce.
2.4.1. Les éléments de ressemblance
des histoires similaires
A travers l'étude des origines des Yarse, on a pu consta-
ter que les premiers groupes sont sans doute originaires du Mande
et que progressivement,
ils ont intégré beaucoup d'éléments notam-
ment moose, qui ont éprouvé le besoin de faire du commerce. A ce
niveau, ils ressemblent beaucoup aux Dyula dont les origines
remontent jusqu'à l'empire du Ghana.
D'après des études dues à Yves Person,
les dyula sont issus
des Soninke qui dès le IXème siècle ont construit l'empire du
Ghana pour alimenter le trafic transaharien de l'or. A partir du
Xlème siècle, quand cet empire s'écroule,
les Soninke émigrent
à
travers toute l'Afrique de l'Ouest et un certain nombre d'entre
eux s'installent à Djenné où ils contribuent à la prospérité de
cette ville au XIVème siècle à l'époque du grand Mali.
Ils se
m~lent aux Bambara et adoptent leur langue. En expansion à travers
toute la boucle du Niger, ces.Soninke donnent naissance à plusieurs
sous-groupes dont "les dyulas qui parsèment un pays immense de Bobo
d Kong et aux for'ts
de
l'Ashanti"
(1).
(1) PERSaN, Samori une révolution dyula T.l, p. 96.

218.
Quant aux H~usa, appelés par les Moose Zanguweto
(singulier
Zanguwego)
leur histoire rappelle à certains égards celle des
Dyula. C'est une formation hétérogène et complexe, née au XIème
siècle de l'association de cultivateurs,
de p~cheurs et de chas-
seurs qui aurait intégré des "esclaves" et des groupes immigrants
tels que les Barebari du Bornu
(1).
Il semble d'après ~1ahdi Adamu
que la définition du Hausa
(tout comme des Dyula ou des Yarse)
pose de sérieux problèmes:
"Hause wiZZ be defined as those who
historicaZZy issued from HausaZand or their descendants through
the maZe
Zine,
or those who became cZoseZy associated with Hausa
cuZture by adopting its
Zanguage,
its customs and reZigion"
(2).
Avant le jihad de Usman Danfodio,
les cités Hausa bril-
laient par leur commerce.
Ils se répandirent sur la rive droite
du Niger et dans la première moitié du XVIIIème siècle ils attei-
gnirent le Dagomba et le Mampursi oa ils formèrent une classe mar-
chande dans les principales villes. Mahdi Adamu note que "In the
kingdom of Mamprusi,[ ••• ] the
Zocation of the Hausa zangos
foZZowed
the course of the trade routes.
By the
end of the eighteenth cen-
tury,
the Mamprusi
towns with settZed Hausa communities were Gambaga
Bawku and WaZewaZe,
and the materiaZ avaiZabZe shows that they were
estabZished not earZier than the beginning of that century"
(3).
C'est d'ailleurs à partir de cet Etat qu'ils entrèrent en
contact avec le Moogo,
zone où les activités commerciales étaient
le fait des Yarse.
(1)
NICOLAS,
Dynamique de l'islam au sud du Sahara,
1981, p. 65-66.
(2)
ADAMU, The Hausa factor in West Africa history,
1978,
p.
2.
(3)
Id,
Ibidem,
p.
75.

Xl'
-
LES GRANDES ROUTES Ou COMMERCE DYUlA HAUSA YARSE JUSQU'AU DEBUT DU XVIIIe SIEUE.
\\) t u ("
\\
_
Ha"'~Q
\\
\\
- - - - -
'f'Jr!i.e
~
\\
"" k.""
\\
\\
\\
\\ernane
"-
bobo d'lulaso.
' . k a n o
, /
..-- ..--_zaria

219.
2.4.2. Les contrastes
Le premier élément de différence est d'ordre linguistique
les Dyula parlent dyula
(Zulle en moore),
les Hausa, le Zanguwere
et les Yarse le moore.
Il faudra peut-être nuancer et dire plutOt
que ces commerçants adoptent les langues du pays .d'accueil ce qui
leur permet d'exercer plus facilement leurs activités. Chacun de
ses trois groupes marchands possèdent une langue principale, mais
pour les besoins de leur profession parlent quelques mots de lan-
gues pratiquées dans les pays où ils exercent
Cl). La différence
s'amenuise lorsqu'on examine les comportements de chacun sur les
marchés: "les Dyula font assaut d'éloquence~ les Yarse et les
Mossi de politesse~ les Hausa de bonhomie" fait remarquer un au-
te ur
(2). Ces formes d'expression du reste,
toutes positives,
sont significatives:
l'éloquence permet de convaincre le client
pour qu'il achète,
la politesse lui montre qu'on connaît les règles
de sa société et qu'on tient à les respecter,
la bonhomie traduit
la simplicité dans les manières. Les relations avec les clients,
l'art de les aborder jouent donc un rOle important dans la vente.
C'est dire que ces commerçants connaissaient le marketing avant le
mot. Qu'on se garde toutefois de "fétichiser" ces qualités
(qui
ne sont d'ailleurs pas exclusives), car elles relèvent des stéréo-
types que l'on aime plaquer souvent aux groupes humains.
Cl) Des communautés Yarse installées par exemple en pays Gurunsi
ou en pays peul parlent les langues de ces régions en plus du
moore.
(2) HANGIN, Le pays Mossi, 1916, p.
61.

220.
Les ambitions politiques de ces marchands, une fois êta-
blie leur influence êconomique sur les populations au sein des-
quelles ils exercent leurs activitês, ne sont pas les mêmes. Les
Dyula, après une domination êconomique, cherchent à dominer politi-
quement et culturellement. La "dyulaisation" des Sênoufo au nord
de la COte d'Ivoire,
le cas de Kong sont autant q'exemples qui
confirment cette tendance. De ce point de vue ils sont à l'opposé
des Yarse qui se contentent de servir le pouvoir en place par des
conseils et des bénêdictions. Leurs ambitions politiques sont très
limitêes m~me si les postes qu'ils occupent leur offrent la possi-
bilitê d'influencer des dêcisions du pouvoir.
Au XVIIème siècle,
le commerce des Yarse avec Tombouctou
et Djenne a da @tre un peu affectê par les crises politiques et
sociales qui rêgnaient dans cette rêgion : dislocation du Sonhrai,
famines et êpidêmies dans la boucle du Niger, prêsence européenne
sur la cOte atlantique africaine. Une des consêquences de ces cri-
ses a êtê le dêplacement progressif des pistes caravanières vers
l'est, c'est-à-dire vers le Bornu et le monde Hausa. Ceux-ci en
profitèrent pour installer une domination sur les axes menant vers
les zones productrices de kola et vers les mines d'or de la for~t
Akan.
Dans son ouvrage intitulê The Hausa factor in West Africa
History, Mahdi Adamu, dêcrivant les routes du commerce Hausa, inùi-
que celles qui sont aussi fréquentêes par les Dyula. A la lecture

221.
de la carte qu'il propose
(1), on s'aperçoit que le Moogo dans
son ensemble n'a pas été touché par ces groupes avant la fin du
XVlllème siècle. Cette remarque à laquelle nous souscrivons per-
met de poser les deux hypothèses suivantes : soit un blocage fait
par les Yarse, soit une entente entre marchands pour se partager
les marchés. Car n'oublions pas qu'ils se rencontraient dans les
zones productrices d'or et de kolas du Ghana actuel, et ils ont
pu conclure une entente malgré la concurrence qui existe dans le
monde des aff~ires.
La présence au Moogo des Yarse,
non seulement commerçants
mais aussi conseillers des roi, a da jouer un grand rÔle. Dans
quelle mesure n'ont-ils pas incité les Nanamse à se méfier des
Hausa et des Dyula dont la présence massive aurait pu remettre en
cause le pacte entre Yarse et souverains Moose, car ils jouent le
m~me rÔle commercial et religieux que les Hausa et les Dyula. Les
connaissances actuelles ne permettent pas d'~tre très précis.
Cependant nous pensons que les Yarse ont usé de leur influence pour
que les Nanamse "ferment" leurs royaumes aux commerçants non-yarse
qu'ils ont certainement présenté aux rois comme étant des destabi-
lisateurs d'Etat.
Ainsi,
jusqu'au milieu du XVlllème siècle,
les hauts
bassins des Volta
(l'actuel
Bvrkina
Fosc ) étaient pratiquement
coupés en trois zones d'influences: à l'est le domaine Hausa,
au centre suivant un axe nord-ouest/sud-est les Yarse, à l'ouest
(1) ADAMU, The Hausa factor in West Africa History,
1978, facing
p.
65.

222.
la zone dyula. C'est la période du chacun chez soi. Cette coupure
semble avoir été respectée en ce sens qu'elle était matérialisée
par des "frontières naturelles". A l'ouest,
la Volta Noire sépare
le domaine des Dyula de celui des Yarse. La fondation du royaume
de Kong par les Dyula au début du XVlllème siècle répondait a un
souci de contrOler la route Tombouctou-Kumasi par Bobo et Kong.
Après s'être imposés aux Sénoufo,
les Dyula de Kong soumirent la
plupart des populations"autochtones" de la rive droite de la
Volta Noire.
Devenus a la fois détenteurs du pouvoir politique et
du pouvoir économique,
ils "ponctionnèrent" les habitants,
leur
imposèrent des impOts en nature et vendirent un certain nombre.
Guy Le Moal, comparant leurs actions a ce que firent les Moose dans
le pays "Gurunsi", écrit: "Pour les Dyula,
c"tait un peu ce que
le GourounBi 'tait pour les Mossi,
c'est-à-dire pour reprendre
l'expression de Binger,
le
"vivier",
le
lieu o~ l'on allait se
ravitailler en captifs et en nourritures"
(1).
A l'est, la frontière entre Yarse et Hausa est moins nette.
Elle a probablement fluctué sur une ligne imaginaire reliant Dori
a Fada Ngurma.
A la fin du XVlllème siècle,
la situation change. Le jihad
de Sokoto permit aux Hausa d'étendre leur
commercial •
Au Moogo même, le pouvoir tombe entre les mains de souverains
nominalement islamisés
(2)
et qui ne cachent pas leur sympathie
pour les musulmans. Cette nouvelle situation favorise les Hausa
(1)
LE MOAL, Les Bobo, nature et fonction des masques, 1980, p. 34.
(2) Voir le chapitre l de cette partie.

223.
dont la frontière avec les Yarse était assez floue.
A cela i l
faut ajouter leur présence dans le Mampursi depuis le début du
XVlllème siècle, Etat voisin du Moogo. La percée Hausa par l'est
est une des raisons qui expliquent la quasi absence de nouvelles
installations yarse dans cette direction aux XVlllème-XIXème
siècles
(1).
Comment les souverains moose pouvaient-ils alors fermer
leurs territoires aux Hausa accueillis déj~ favorablement par
leurs "pères" du Mamprusi, étant entendu que les Yarse de ce pays
n'ont manifesté aucun mécontentement. Dorénavant le pays moaga,
son vaste marché est aussi ouvert aux Hausa. La concurrence entre
Yarse et ces derniers est ouverte:
cette fois c'est le début de
la période du chacun pour soi.
Les uns vont utiliser leur connaissance de la langue, de
la géographie et de la culture moaga.
Les autres vont innover.
Le
Karfo et le Nufa
(v~tements d'apparat) dont rêve tout homme moaga
fier de sa condition de ~akom ga, se trouvent sur leur marché grace
aux Hausa. Ces vêtements sont aussi fabriqués par les Hausa.
Il
n'est plus nécessaire de prier le Yarga pour qu'il en rapporte
lors de ses longues pérégrinations.
Les Yarse sont aux prises avec deux puissances économiques
(les Hausa ~ l'est et les Dyula ~ l'ouest)
productrices de textiles
de grande qualité esthétique. Les textiles Yarse sont de médiocres
qualité comparativement à ceux de leurs concurrents,
ce qui expli-
(1)
Se référer aux cartes sur les implantations yarse aux XVlllème
et XIXème siècles dans le chapitre l
de cette partie.

224.
que leur défaite à ce niveau. L'étude de René Boser sur les tissus
de l'Afrique occidentale ne fait pas une grande place aux tissus
du Moogo. Est-ce là une démonstration de la déficience de ce pays
sur le plan du textile de belle qualité?
Pour résister, les Yarse essayèrent de diversifier leurs
marchandises : à la kola, au sel, aux bandes de cotonnades et au
bétail s'ajoutent le beurre de karité,
le sumba~a (1). Les Hausa
se spécialisèrent ou plutôt tentèrent de conquérir le marché
féminin
(qui jusque là ne semblait pas avoir été directement
concerné par les produits yarse)
par l'importation de produits de
beauté
antimoine, perles, coquillages, bijoux en cuivre et en
argent (2). Ayant constaté le goQt des Moose pour le tiim (3),
les peaux d'animaux sauvages
(buffles, lions, panthères, hyènes,
éléphants, coupés en petits morceaux seront exploités à des fins
commerciales avec, à l'appui, une utilisation thérapeutique contre
les maladies infantiles : rougeole, variole, varicelle, coqueluche.
A la fin du XIXème siècle, une partie des Yarse se tourna
f~·
vers l'agriculture qui devint alors leur principale activité.
Les activités artisanales non castées particulièrement le tissage
qu'il faut mettre en rapport avec le commerce furent leur refuge.
(1)
Sumba~a sorte d'arÔme obtenu à l'aide des graines des fruits du
néré.
(2)
DANKAMBARY Aboubacar, Zânguwetin,
23 octobre 19B1.
(3)
Le tiim est ce qu'on appelle couramment le gris-gris. Au Moogo
la valeur des hommes se mesurait entre autres par la puissance
de leur tiim. La confection de certains de ces tiim faisait in-
tervenir des peaux d'animaux sauvages réputés puissants et féro-
ces.
(4) Ils ont particulièrement développé leur production cotonière.

225.
Le commerce ne fut pas délaissé pour autant.
Les plus fortunés
continueront 1 faire de "l'import-export". Les autres se conten-
teront d'être des revendeurs sillonnant les villages et les grands
marchés du Moogo en saison sèche, attendant l'hivernage pour
s'adonner 1 l'agriculture. L'installation Hausa a eu aussi pour
conséquence de revivifier la pratique islamique des Yarse et la
création des centres d'enseignement de Rakaye et de Sagabtenga
devait répondre en partie 1 ce souci.
Il ne faut pas trop exagérer l'impact commercial des mar-
chands Bausa sur leurs homologues Yarse,
car les Bausa sont restés
uniquement dans les grands centres moose.
Les villages Yarse ne
connurent presque pas d'installations de Hausa, et les marchés des
villages moose restèrent le monopole des Yarse.
Si du point de vue commercial les Bausa concurrencèrent
les Yarse,
politiquement ces riveaux n'ont pas réussi à prendre
la place des Yarse auprès des souverains Moose.
o
o
0

226.
I C H A P I T R E
III 1

\\
227.
LES YARSE DANS LES RELATIONS AVEC LE POUVOIR ET LE PEUPLE
Dans les chapitres consacrés à leur origine,
à leur
expansion à travers le Moogo, et surtout à
la place qu'ils tiennent
dans le commerce, nous avons fait quelques incur~ions dans les
relations des Yarse avec les autorités politiques et le reste des
populations au sein desquelles ils vivent. Cela nous conduit main-
tenant à étudier leur rôle précis dans les cours royales moose,
les services qu'ils rendent au Pouvoir et en contrepartie, ce
qu'ils en reçoivent. Cette analyse nous permettra de présenter
d'une part l'image globale que les Moose se sont faite des Yarse,
et d'autre part l'idée que les Yarse avaient des Moose juste avant
l'intrusion coloniale. Ces aspects ne peuvent ~tre saisis dans
toute leur importance que si on peut les insérer dans une descrip-
tion de l'organisation sociale yarga au XIXème siècle.
3.1. Organisation socio-politique des Yarse
Les villages yarse,
parce qu'ils forment les "noyaux
musulmans" du Moogo, parce que leurs habitants se réclament d'une
origine étrangère et enfin parce qu'ils sont des centres commer-
ciaux, connaissent un système d'organisation à
trois pôles de pou-
voir.
Il importe de souligner que le schéma que nous allons décrire
ne peut ~tre généralisé à l'ensemble de ces villages.
Il s'agit
simplement d'un schéma dominant constaté surtout dans leurs gros

228.
villages du Moogo central. Les colonies yarse du Yaadt~nga présen-
tent une certaine différence sur laquelle nous reviendrons au
moment opportun.
Les villages yarse sont divisés en petites unités appelées
BakBe
(1)
(singulier Baka). Les habitants du m~me saka portent en
général le m~me patronyme. Par exemple dans un village donné, on
aura le quartier des Bagyan, ceux des Dera, des Rabo, des Kuanda,
des Sakande, etc ••• L'importance de ces quartiers est fonction du
nombre total de la population du village et de la présence plus
ou moins forte des membres de chaque patronyme.
Il arrive parfois
que le découpage en quartiers ne recoupe pas la répartition spatia-
le des patronymes. Ces cas sont surtout observables dans les vil-
lages de création récente ou dans les anciennes localités yarse
intégrées à un espace
urbain loti. Quoi qu'il en soit, dans la
période qui nous intéresse ici
(le XIXème siècle),
le regroupement
des détenteurs d'un m~me sondpe dans un m~me quartier est plus
fréquent que l'inverse. La représentativité numérique des soanda
dans le cadre d'un village est très variable, mais i l y en a tou-
jours un qui est dominant (2). Par exemple à Sagabt~nga et à Rakaye
se sont les Sanfo, à Moyargo les Bikienga, à Koada les Dera, à
Kelbo les Rabo, à Bisiga les Kuanda, à Yargo (Kongusi)
les Sana,
etc . . .
(1)
Sakse
: quartiers.
(2) En règle générale i l s'agit de celui porté par les descendants
du fondateur.

229.
Rappelons que dans chaque village yarga tous les patro-
nymes ne sont pas forcément présents.
Il existe au niveau du village au moins six personnages
détenant chacun à sa manière un certain nombre de pouvoirs où si
l'on préfère de compétences, dont les limites sont difficilement
traçables parce qu'imbriquées les unes dans ~s autres. Ces person-
nages sont:
le kasma
(ainé, doyen),
le Yirana
(terme difficilement
traduisible dont nous proposerons comme équivalent le mot français
responsable),
le yar-naaba
(chef des Yarse),
le silete
(chef de
caravane et ma!tre du commerce),
le limem
(Imam)
et enfin le more
(marabout au sens du lettré mais aussi du devin-guérisseur) •
Sans céder à une simplification abusive qui risque d'occul-
ter la complexité des relations et des rapports qui existent entre
ces personnages et dont nous voulons essayer de rendre compte, nous
les regrouperons en quatre ensembles. Chaque ensemble comporte un
ou deux éléments représentant un type de compétences ou de pouvoir.
Le kasma détenant le pouvoir lignager, le yirana et le yar-naaba
le pouvoir politique,
le silete le pouvoir économique
(surtout
commercial) et enfin le limem et le more le pouvoir religieux.
Avant d'essayer de déterminer les charges de chacun d'eux,
faisons
observer qu'il y a parfois cumul de fonctions. M@me de nos jours
ces six personnages n'existent pas toujours dans un village.
Historiquement il nous est présentement difficile de situer
avec une quelconque précision l'apparition de ces pouvoirs dans
les milieux yarse. L'enqu@te est à poursuivre. M@me si certains

230.
spêcialistes de l'histoire politique du Moogo,
parce qu'ayant
appartenu a la classe dirigeante moaga se sont laissês sêduire
par l'antêrioritê du pouvoir politique
(au dêbut êtait le Pouvoir!)
sur le reste,
nous estimons qu'en ce qui concerne les Yarse ce
postulat n'est pas valable. Sur la base uniquement des informa-
tians collectêes au cours de nos enquêtes,
nous qvons tendance
a considêrer le yar naam
(1)
comme l'institution la plus rêcente
des six dans le cadre des villages. Et cela pour des raisons qui
seront exposês au moment où on êtudiera ses attributions.
3.1.1. Le Kasma
Ce terme est d'origine moaga. Dans le langage courant i l
dêsigne l'ainê par opposition au cadet
(yao)
;
entre les enfants
d'un même couple l'ainê est dit kasma et le cadet yao.
Lorsque le cadet veut dêsigner son ainé,
i l emploie le
mot k~ema au lieu de kasma; en revanche l'ainé utilisera le terme
yao.
Kasma dêsigne donc l'ainé au sens du doyen du lignage ou
plus prêcisêment de doyen des dêtenteurs d'un même patronyme. Dans
un même village yarga, i l existe autant de kasQm-damba
(2)
que de
soanda,
ce qui signifie que chaque groupe possède son kasma.
Les
Moose parlent de buud-kasma
(doY'h de lignage).
Les Yarse qui ont
(1)
C'est-a-dire la désignation de naaba chez les Yarse.
(2)
Pluriel de kasma.

231.
repris à leur compte le mot buudu
(lignage)
pour désigner actuel-
lement l'ensemble de tous ceux d'entre eux qui portent le même
patronyme utilisent d'autres termes
(roogo(l),rign~re (2»
quand
ils parlent des personnes appartenant à leur lignage.
Si dans un village donné,
il y a autant de kasQm-damba
que de soanda, l'importance de chacun d'eux n'est pas la même.
Celui du sondre majoritaire a plus d'autorité et la tendance géné-
raIe consiste à lui déléguer le titre unique de kasma du village.
Mais pour ne pas négliger les diversités,
i l s'entoure des doyens
avec lesquels ils forment une sorte de "conseil des anciens" qu'il
préside.
Il est en définitive le plus âgé de la génération la plus
ancienne du groupe majoritaire.
Les compétences se situent sur le plan lignager. C'est lui
qui négocie les échanges de femmes dans son groupe. Les autres
doyens traitent aussi indépendamment les problèmes des alliances
matrimoniales de leur groupe et l'en informent par la suite car
lorsque les "négociations" débouchent sur un mariage (furi)
(3)
c'est tout le village qui est concerné. Par exemple dans le village
de Koâda où les Yarse Dera sont plus nombreux que les Sakande,
les
(1) et
(2) Le premier terme désigne la maison et le second la
porte. L'articulation des deux termes donne l'idée d'entrée et
de sortie d'une maison.
Il ne serait donc pas illusoire de pen-
ser qu'il s'agit d'images destinées à montrer que les groupes
Yarse sont ouverts et par conséquent accueillent des "étrangers"
(3) C'est le m~me mot qui est utilisé chez les Malinke.

232.
Bagyan et les Kuanda, quand les Sakande donnent par l'intermédiaire
de leur kasma une femme aux Bagyan, aussi bien les donateurs que
les receveurs informent le kasma des Dera qui se charge de diffu-
ser la nouvelle.
Selon des sources provenant de ce village, lorsqu'un
groupe "donne" une femme â un autre,
le mariage est célébré par
l'imam soit â la mosquée soit devant la cour du Kasma. La dot
versée en dehors des cadeaux coutumiers
(l)
est de quatre cent
quarante quatre cauris et de vingt deux noix de kola (2). Pour
annoncer à la jeune fille qu'elle doit rejoindre son époux, un
de ses cousins, en plaisanterie,
lui jette un morceau de toile
blanche (3). Au delâ du fait qu'elle
constitue une sorte de mes-
sage, elle symbolise la couleur retenue pour caractériser les
Yarse, le blanc, qui révèle aussi le musulman
(peZeg-soaba
,
c'est-à-dire le porteur de vêtements blancs)
(4).
Lorsque la jeune mariée est enceinte,
la grossesse doit
être annoncée â ses parents. Chez les Bikienga de Moyargo, la
jeune mariée rejoint sa famille un samedi matin où elle prépare du
(l) Avant le mariage, le futur époux va â chaque fête saluer ses
beaux-parents avec des cadeaux.
(2)
SORE Ouesséni, Sisin, 27 décembre 1982. On observera la répé-
tition du chiffre quatre.
(3)
Il s'agit en fait d'une bande de cotonnade non teinté d'une
longueur d'une coudée.
(4)
Pour les détails des cérémonies, se reporter au travail de
Martine Sanwidi et â notre mémoire de mattrise
(cf~ références
précises dans la bibliographie) •

233.
sagbo dans la cour du Kasma et se promène de cour en cour pour
distribuer le repas. C'est l'occasion pour les membres du roogo
de constater son état et de lui souhaiter "bon déchargement"
selon une expression consacrée. Au bout de deux semaines passées
au milieu des siens, les femmes et les vieilles lui préparent un
colis contenant des condiments
: gombo, sel, piment, viande
séchée, soumbala ••• De retour auprès de son époux elle utilise le
soir m@me ces condiments pour préparer un mets à celui-ci
(1).
Quand elle accouche,
le mari va "jeter" selon le sexe du
bébé, une poule ou un coq dans la cour du kasma • Cet oiseau est
porteur de marques qui doivent permettre de le distinguer en per-
manence de ses semblables de la basse cour du kasma.
Les Rabo de Kelbo attachent trois cauris à la patte droite
du coq s ' i l s'agit d'un garçon et quatre cauris à la patte gauche
s ' i l s'agit d'une fille,
alors que les Sore de Sisin attachent
respectivement un semblant d'arc
(fait à l'aide d'un batonnet et
d'une ficelle)
et un fuseau
(2). Y a-t-il du symbolisme dans ces
objets ? En tout cas nous ne sommes pas en mesure de le démontrer.
Constatons seulement que dans le premier cas les cauris
(en dehors
du caractère sexué de trois et quatre)
représentent les monnaies
utilisées par les Yarse. C'est donc en quelque sorte les intér@ts
d'un capital placé et en dernier ressort le symbole d'une féconda-
tion. Dans le second,
le fuseau renvoie à l'activité de filature
(1)
BIKIENGA Ousmane, Moyargo, 13 novembre 1982.
(2)
RABO Kouka, Kelbo, 27 décembre 1982.

234.
réservée aux femmes,
tandis que l'arc est porté par les hommes,
et dans le cas des Yarse quand ils parcourent les routes commer-
ciales.
Le rOle du Kasma ne se limite pas au réglement des affaires
matrimoniales. Il intervient dans les domaines touchant ~ la cohé-
sion interne du groupe
(transgression d'un interdit sexuel, ali-
mentaire, conduite conforme à l'image positive que l'on se fait
des Yarse). Il règle les litiges entre les différents membres de
son groupe et veille en un mot au respect des coutumes yarse.
Il
prononce la peine de l'exclusion du roogo contre les rebelles.
Ses compétences ne se transmettent pas de père en fils.
S'il meurt c'est automatiquement celui qui le suit en ~ge qui
occupe ses fonctions.
Le Kaaamdo représente selon nous l'institu-
tion la plus ancienne chez les Yarse. C'est d'ailleurs une forme
d'organisation qui abonde en Afrique. Les Yarse ne sont pas une
exception. Chronologiquement son existence remonte aux premiers
moments de l'installation des Yarse au Moogo et correspond à une
période où leur nombre était relativement restreint car dès lors
que les groupes yarse commencèrent à prendre une importance numéri-
que,
les autorités politiques moose leur surimposeront une insti-
tution qui les intègre davantage au système politique moaga et
qui permet leur contrOle.
(l)
C'est le fait d'assumer les fonctions de Kaama.

235.
3.1.2. Le yirana
Ce terme se rencontre uniquement chez les Yarse du moogo
central. Sa dêfinition pose problème et son êtymologie nous est
inconnue. En le dêcomposant en deux mots, on arrive à êmettre une
hypothèse sur son origine. En moore yir
ou yiri dêsigne la con-
cession,
l'unitê d'habitation d'un segment de lignage, et na
est une forme contractêe de naaba. En justaposant ces deux mots
on obtient un terme proche de yirana,
yirna
qui signifierait lit-
têralement le chef de l'habitation. Les difficultês de dêfinition
de ce terme ont étê ressenties par Martine Sandwidi qui êcrit à
ce sujet:
"Cette forme d'organisation est splcifique aux larse.
Il
s'agit de
la dlnomination des chefs par le terme irana
[ ••• l. Ce
terme est difficile à dlfinir
: certains disent que ce serait pour
se distinguer des
"chefs Mossi" et surtout pour manifester leur
inflrioritl à l'Igard du Moog-naaba qui porte le titre de
"Naaba" ;
d'autres soulignent par contre que ce serait leur dogem-miki"
(1).
L'explication par l'infêriorité à l'êgard du Moog-naaba est peu
convaincante dans la mesure où parmi les six personnages citês
plus haut il y en a un qui porte le titre de yar naaba.
L'emploi du terme yirana est peut-~tre liê au nombre de
personnes qui sont sous son autoritê. En effet le yirana est le
responsable d'un quartier dont les habitants sont peu nombreux
pour qu'on désigne un yar naaba, mais suffisamment important pour
(1)
SANDWIDI, Les traditions historiques des Yarse dans la rêgion
du Ganzourqou,
19B1, p.
37.

236.
que le kasma ne puisse plus ~tre le seul dêtenteur de tous les
pouvoirs, c'est-à-dire cumuler le pouvoir lignager et le pouvoir
politique. Le yil'ana pourrait avoir êtê un "chef" de campement.
Il est nommê par le chef moaga commandant l'ensemble de
la rêgion dans laquelle est inclus le quartier ou le village de
ce responsable. Il n'est pas obligatoirement le plus âgê du li-
gnage. Ses fonctions sont moins diversifiêes que celles du kasma
mais dans une certaine mesure plus lourdes, car i l reprêsente
toute la communautê yarga auprès du chef moaga et doit lutter
pour garantir à la fois "l'indêpendance" des Yarse vis à vis des
nanamse, et le respect scrupuleux des privilèges qui leur ont
êtê accordês. Son contact
rêgulier avec le naaba lui confère un
rôle très important parmi les siens, et fait de lui le dêlêguê
des Yarse auprès du naaba. Quand un diffêrend survient entre un
Yarga et un Moaga, et si le Moaga porte plainte auprès de son chef,
celui-ci fait convoquer le yi l'ana et tout en lui exposant le pro-
blème,
lui demande d'avertir le Yarga, dans le cas où c'est lui
qui a tort. Dans le cas inverse la punition du Moaga est laissêe
aux soins du naaba. Par ses relations êtroites avec le chef,
le
yil'ana fait penser au Yidan Mole du roi dagomba que Levtzion dê-
crit comme un notable musulman venu de chez les Moose et jouissant
de rapports exceptionnellement intimes avec le roi
(1). La fonction
du yil'ana n'est pas obligatoirement hêrêditaire
(2). Ses rapports
avec le Kasma sont empreints de respect et de soumission car malgré
(1)
LEVTZION "Islam et commerce chez les Dagomba du Nord Ghana",
Annales, Economies, Sociêtês, Civilisations, nO 4, 1968, p. 733.
(2) Dans le sens de père en fils.

237.
tout, étant lui m~me Yarga, il n'échappe pas aux coutumes dont le
kasma est le garant. Ses compétences relèvent surtout des relations
des Yarse avec l'extérieur, c'est-à-dire le monde moaga.
3.1.3. Le yar-naaba
Comme son nom l'indique,
il est le chef des Yarse dans le
cadre politique d'une petite chefferie moaga ou d'un royaume.
Par
exemple chaque gros village Yarga possède son yar-naaba et celui
du village le plus ancien constitue une sorte de chef supérieur
yarga au niveau du royaume. Le yar-naam est une institution impo-
sée par les chefs moose aux Yarse,
car pour les Moose,
là où i l
n'y a pas de naaba, c'est l'anarchie
(1). Son apparition peut ~tre
liée à l'accroissement des Yarse et aux tentatives de reformes, de
réorganisation et de centralisation entreprises par le moog-naaba
Warga dans la première moitié du XVIIIème siècle. En effet ce sou-
verain est présenté comme celui qui réorganise la chefferie nakomga
en prenant d'importantes mesures telles que l'adoption des zabyuya
(2), dont l'un doit adresser des remerciements à ceux qui ont per-
mis au niveau chef d'accéder au naam. Concluant son étude sur ce
souverain, Michel Izard é c r i t :
"Le règne de
Naba Warga se aaraa-
t~rise par une tentative de restauration de l'autorit~ du Mogho-
Naba faae aux nakomse
[ •.• l,
faae aussi aux souverains des petits
royaumes p4riph4riques ••• "
(3).
(1)
KOUANDA Ousmane, Kombisiri,
17 octobre 1982.
(2)
Noms de guerre, devises.
(3)
IZARD,
Introduction à l'histoire des royaumes mossi,
t.
l,
p. 165.

238.
Le yar-naaba est nommé par le roi moaga ; i l est le repré-
sentant des Yarse auprès de ce dernier
(1). Il est choisi parmi
les membres du lignage le plus anciennement installés, en somme
parmi les descendants du fondateur. Au départ le yar-naam ne se
transmettait pas de père en fils,
et tout membre male du lignage
pouvait y prétendre. Mais de plus en plus la succession à cette
fonction a tendance à devenir patrilinéaire. Elle évolue dans le
même sens que le naam moaga si bien que son possesseur a tendance
à vouloir appliquer le schéma moaga opposant l'aristocratie au
reste. Cependant ce clivage en milieu yarga n'est pas rigoureux
dans la mesure oü comme nous l'avons déjà signalé,
les différen-
ciations et les oppositions ne reposent pas essentiellement sur
l'appartenance ou non au lignage du yar-naaba mais sur des critères
idéologiques : origine et religion. Tant et si bien que le
yar
naaba peut-être "minimisê" par des groupes qui le considèrent
comme faisant partie de la catégorie des "faux" yarse. Cela aurait
pu limiter considérablement le respect que les autres lui doivent
en tant que chef si généralement les membres de même patronyme que
lui n'étaient pas majoritaires dans le village. Le patronyme de-
vient alors un symbole de solidarité de grande portée qui sert
dans les luttes pour asseoir le pouvoir.
Le yar-naaba est en quelque sorte l'échelon supérieur du
yirana. Ses attributions sont plus importantes,
car aux compétences
du yirana qu'il possède, s'ajoutent des charges multiples dont
(1) KABORE, Organisation politique traditionnelle et évolution
politique des Mossi de Ouagadougou, 1966, p.
57.

239.
celles de pouvoir juger m~me les Moose vivant dans son village et
de veiller à ce que l'autorité de celui qui l'a nommé soit respec-
tée sans faille.
S'expliquent alors les quelques éléments des
insignes du naam moaga que lui remet son souverain au moment de
sa nomination. Généralement i l s'agit d'un bonnet, d'un grand
boubou blanc, d'un couteau et d'une paire de babouches. Mais
selon les endroits on note quelques variantes. Dans le Ratênga
par exemple, le yar-naaba de Yargo reçoit un nagpuure
(coussin),
un sabre, un kobre
(grand boubou) alors que celui de Wogdogo
reçoit un gormusga
(espèce de toge rouge)
une chéchia rouge et un
boubou blanc. A Kora
(1) on parle d'une paire de babouches, d'un
kobre, d'une chéchia et d'une canne.
Dans les villages Yarse du pays gurunsi et du pays peul,
le yar-naaba est choisi par le conseil des doyens, et le chef
local se charge de le reconnaitre en entérinant la décision du
conseil. On comprend facilement que les Gurunsi ne désignent pas
le yar-naaba parce que cette société ne connait pas une organisa-
tion de type pyramidal comme celle des Moose. Donc les Yarse sont
en quelque sorte les exportateurs de l'organisation politique
moaga dans ce pays avant les colonisateurs. En revanche l'attitude
des chefs peul du Jelgogi parait étonnante. Deux explications sont
possibles. Ou bien ils considèrent les Yarse comme les protégés
des Moose et se méfient de s'ingérer dans leurs affaires de crainte
que les souverains des royaumes du Ratênga et du Yaadtênga ne s'en
(1)
SANA Idrissa, Kora,
26 décembre 1982.

240.
servent comme prétexte pour envahir leur pays, surtout en cette
fin du XIXème siècle où le fragile équilibre politique entre Moose,
Peul du Masina et du Jelgogi pouvait ~tre rompu par un incident
quelconque
(1). Rappelons que les Yarse de Kelbo s'y sont installés
â
la fin du XIXème et â cette époque, si l'on en croit M.
Izard,
le Yaadtênga-naaba est devenu l'arbitre des conflits intérieurs
du Jelgogi et "Za seuZe puissance avec ZaqueZZe Ze DjeZgodi doive
compter"
(2).
Ou bien
(c'est la deuxième explication)
parce qu'ils
étaient musulmans, ils ont été considérés comme leurs égaux,
donc autonomes. Pour cette raison, mais aussi â cause de leur acti-
vité commerciale, l'achat du bétail des Peul qui permettait â ces
derniers, essentiellement éleveurs, de disposer de ressources moné-
taires pour s'approvisionner en divers produits. Cultivateurs en
saison humide, leur présence devait par ailleurs mettre à la dis-
position des éleveurs les céréales dont ils avaient besoin.
Si l'on s'en tient seulement â la description des fonctions
du kas ma et du yar-naaba,
l'organisation des villages et des quar-
tiers yarse n'aurait présenté aucune grande particularité par rap-
port â celle des Moose. Elle en aurait été simplement une copie
s ' i l n'y avait pas les personnages du siZete, de l'im~m et du more.
(1)
Pour de plus amples informations lire la thèse de Arnidou DIALLO
sur Les Fulbe de Haute Volta et les influences extérieures de
la fin du XVIIlème â la fin du XIXème siècle, Paris l, 1979.
( 2 ) IZARD, Introduction â l'histoire des royaumes mossi T.2, p. 352.

241.
3.1.4. Le silete
c'est le maître du commerce.
Il est aussi appelê sor-soaba
c'est-â-dire celui qui possède la route. Son importance pour les
caravanes yarse ayant dêjâ êtê montrêe dans le chapitre prêcêdent,
il nous reste â voir quelle est sa place au niveau du village et
le rOle qu'il occupe dans le maintien des liens avec les autoritês
politiques.
Des siLetse
(1)
n'existent pas dans tous les villages
yarse. Les gros centres devenus des marchês importants en possè-
dent plusieurs, alors que les petits villages en sont pratiquement
dêpourvus. Devenir siLete reprêsente toute une carrière (2)
dans
un milieu où la majeure partie des individus sont commerçants.
Peu importe son patronyme,
l'essentiel est de pouvoir conduire les
caravanes, de respecter les chefs Moose des rêgions traversêes, de
connaître les spéculations sur les différentes marchandises, ce
qui suppose un contact êtroit avec ses collègues des zones situêes
le long des routes.
Au niveau de son village,
le siLete est prêsenté comme un
g~ndaogo , c'est-à-dire quelqu'un de brave, de courageux, de fort
aussi bien physiquement que magiquement. Ces qualitês lui donnent
droit à des êgards semblables à ceux du yar-naaba ou du yirana.
Car lui aussi est en contact rêgulier avec les chefs moose aux-
quels il fait des cadeaux au nom des membres de la caravane qu'il
(1)
Pluriel de siLete.
(2)
Voir l'exemple biographique qui se trouve dans le chapitre
prêcêdent.

242.
conduit. Certains rois en arrivent â lui adresser des commandes
d'objets de prestige, et le fait de ne pas les payer après récep-
tion accro!t,dans une certaine mesure, leur dépendance économique
du moins morale vis â vis du silete et partant de la communauté
yarga installée dans leur commandement. L'audience du ailete peut
quelquefois être supérieure â celle du yar-naaba de son village,
dans la mesure où en plus des marchands de sa localité,
i l est
écouté par tous ceux des villages où i l n'existe pas de ailete et
qui se joignent à lui pour les sorties. Cependant le pouvoir poli-
tique lui échappe et la direction des esprits et des consciences
ne relève pas de son ressort.
Il reste une autorité dans l'ordre
économique.
3.1.5. Le limam et le more
Comme nous l'avons souligné à plusieurs occasions,
l'islam
est l'un des ciments de la communauté yarga. Cet islam parce qu'il
soudait des individus d'origine diverses mais d'intérêts sensible-
ment égaux se devait d'être conciliant, d'autant que ses adeptes
étaient minoritaires par rapport à ceux de la religion animiste.
Ce n'est donc pas non plus un islam doctrinaire,
si bien que pour
la plupart de ses membres l'essentiel est de se ressentir comme
musulmans et non de pratiquer rigoureusement. N'anticipons pas
sur la troisième partie, et contentons nous de remarquer que la
présence d'un imam dans les villages yarse est au moins un symbole
d'islamisation de ces milieux. L'acceptation officielle d'un imam

243.
à la cour du Moog-naaba date de la fin du XVlllème, mais il n'est
pas exclu que des groupements yarse en aient eu avant l'avènement
du naaba Dulugu, m~me s ' i l s'agissait de cas officieux dans quel-
ques villages isolês. Ce qui semble certain, c'est qu'au XIXème
siècle dans beaucoup de village yarse, il y a des imam pour diri-
ger les prières collectives, dêsormais autorisêes.
Le choix de ces derniers ne rêpondait pas toujours aux
critères dêfinis par le droit musulman. Le Zim~m des Yarse sortait
du groupe du yar-naaba. Par exemple, dans le village de Bisiga,
le yar naam
et le Zim~ngo (1)
sont dêtenus par les Kuanda
(2),
alors qu'à Koâda les deux fonctions sont occupêes par les Dera
(3).
Le premier critère est donc l'appartenance au lignage du fondateur,
donc au patronyme majoritairement reprêsentê. Viennent ensuite
l'instruction,
l'intêgritê et la tolêrance.
Il semble que leur dési-
gnation ne posait aucun problème du moins au dêbut. De son vivant
le titulaire choisissait deux remplaçants. En cas de vacance,
c'est le premier supplêant qui assure la direction, et pendant que
le second devient premier supplêant, un autre membre du roogo est
dêsignê comme second. Par la suite i l n'était pas rare que des
compêtitions au sein d'un m~me lignage aboutissent au dêpart du
perdant vers des zones non islamisêes où i l fonde alors un nouveau
foyer. Bientôt rejoints par des membres de sa famille et par des
(1)
La charge d'imam,
l'imâmat.
(2)
KOUANDA Boukarê, Bisiga,
13 novembre 1982.
(3)
DERA Daouda, Koâda,
12 novembre 1982.

244.
nouveaux convertis, le groupe dissident devient un noyau musulman
avec son Zim~m et son more.
Il existe des cas où le Zim~m ne sort pas du 80ndre majori-
taire pour des questions dit-on de respect des traditions. En effet
c~rtains patronymes sont considérés comme ceux des imams ou comme
ceux devant fournir les imam. C'est le cas de Bagyan, patronyme
du Zim~m du Moog-naaba. Le village de Tampaga en est un exemple
le yar-naam est exercé par les Sore et le Zim~ngo (l)
par les
Bagyan. D'autres sont caractéristiques ou sont censés fournir les
marabouts;
i l s'agit de Kuanda, de Sanfo, de Rabo.
Cette remarque nous permet de faire la transition avec le
dernier haut personnage des villages yarse : le more.
Il est honoré
et se distingue par ses connaissances plus ou moins approfondies
en matière de théologie et de géomancie. Le more n'est désigné ni
par le naaba ni par ses confrères yarse. Il s'affirme par son savoir
et par son "érudition". Son école coranique, souvent la plus grosse
du village, reçoit des élèves venus de partout. Il joue le rÔle
de "cadi" dans le cas oü ses connaissances transcendent celles
du Zim~m, car pour les questions qui ne relèvent ni de la compéten-
ce du kasma,
ni de celle du yar-naaba, et qui ont trait â l'islam,
c'est lui qui tranche. A partir de cette constatation, on peut dire
que les Yarse sont au centre de plusieurs droits. Les droits ligna-
gers et coutumiers représentés par le kasma,
le yirana et le yar-
naaba.
Le droit musulman représenté par le Zim~m et le more.
(l)
DERA Daouda, Ko!da,
12 novembre 1982.
(2)
BAGYAN Abdoulaye, T!mpaga,
14 novembre 1982.

245.
Le rapport entre ces droits varie en fonction des possibilités de
cumul des fonctions.
Sans être pourtant dans les institutions
officielles,
le more a, à vrai dire, une influence sur tous les
habitants du village. Les uns vont le consulter pour avoir des
amulettes les protégeant contre les sorciers, les autres souhai-
tent des doose qui les éloignent des malfaiteurs. Aussi bien yar
naaba que siZete le fréquentent.
En cas de cumul de fonctions
(Zim~m égal more), il accompagne le yar-naaba pour aller saluer
le chef les vendredis et les jours de fête
(1). Présent à tous
les grands moments de la vie des habitants, i l peut être pour le
chercheur une source de renseignements très précieux. Notons enfin
que le mot mope est la forme mossifiée du terme mori chez les
Malinkés,
lui même équivalent du mot peul modibo dérivé de l'arabe
muaZimu.
3.1.6. Les interférences
Cette forme d'organisation est spécifique des Yarse. Elle
différencie leurs localités de celles des Moose. Cependant un
parallélisme peut être fait entre les détenteurs des charges énumé-
rées ci-dessus et certains personnages des villages moose. Ainsi
localement le kasma des Yarse se compare au buud-kasma des Moose
le yar-naaba au naaba ;
le Zim~m au tengsoaba (2) et le more au
(1)
Ils sont chargés de bénir le roi. Nous reviendrons sur cette
question.
(2)
Le t~ngsoaba est le prêtre qui s'occupe de sacrifice. Générale-
ment i l appartient à la catégorie de Moose désignés sou, le
terme t~ngembiisi (autochtones).

246.
baga
(1). Seuls le silete et le yirana n'ont pas d'équivalents
possibles.
Les compétences des personnages définis
(en 3.1.)
inter-
fèrent m~me si nous avons distingué par commodité un pOle reli-
gieux,
un pOle économique, un pOle politique et un pOle lignager.
On observe une confusion entre le pouvoir lignager et politique
lorsque le kasma est en même temps yirana ou yar-naaba. Une con fu-
sion entre pouvoir religieux et politique est réalisée quand le
yar-naaba est lim~m et more. Le cas du Bogdogo naaba à Wogdogo est
illustratif. Il est "doyen" des Yarse de cette ville,
yar-naaba et
imam de son quartier, marabout du Moog-naaba
(2).
Dans ces cas c'est l'emprise des autorités politiques moose
sur le village yarga qui est renforcée, notamment quand leur délé-
gué concentre tous les pouvoirs. En réalité m~me en cas de non
cumul,
le yar-naaba a une influence énorme et cela à la satisfac-
tion des autorités moose, car les Yarse étant installés dans des
territoires qui leur appartiennent,
ils
(pouvoirs moose)
souhaitent
avoir un regard sur ce qui se passe à l'intérieur de ces communau-
tés.
La cohésion interne est assurée par la représentation de
tous les patronymes dans le "conseil des anciens" et par le con-
sens us autour d'un sentiment de différence religieuse et profesion-
nelle avec les voisins moose. Cette solidarité qui est en même
temps un facteur d'équilibre social est renforcée par les multiples
(1)
Le devin "traditionnel".
(2) Voir détails dans, KOUANDA, Les conditions sociologiques et
historigues de l'intégration ••• ,
1981, p. 91-92.

247.
alliances entre Yarse de patronymes différents et par le sentiment
de faire respecter leurs privilèges acquis depuis le temps des
anc~tres.
En guise de conclusion, notons que l'évolution historique
d~ ces six fonctions n'a pas été la m~me dans tous les villages.
Mais d'une façon générale on observe une affirmation des fonctions
du yar-naaba et du Zim~m, donc du politique et du religieux, et
un étiolement du siZete et du kasma donc du pouvoir commercial et
lignager. Une étude avec un tapis monographique plus épais serait
nécessaire pour affiner le schéma très global et très systématique
que nous avons dressé.
3.2. Le rOle des représentants des Yarse auprès des souverains moose
Par représentants des Yarse, il faut entendre ici les
yar-nanamse et les yirana qui, comme il a déjà été souligné, sont
nommés par les chefs moose et "siègent" à la cour de ces derniers.
Ces représentants ont deux missions essentielles : faire respecter
la personnalité et les privilèges des Yarse d'une part: et garantir
au pouvoir la participation des Yarse au maintien des institutions
établies d'autre part. En d'autres termes,
i l s'agit de montrer
quel type d'accords régissent les relations entre Yarse et autori-
tés politiques moose.

248.
3.2.1. Un compromis sans compromission
Un compromis entre deux groupes suppose au moins une
entente sur un minimum, entente qui peut prendre la forme d'un
pacte nêgociê, surtout lorsque les protagonistes possèdent chacun
un pouvoir dont l'autre ne peut se passer. Il en est ainsi entre
Yarse, spêcialistes de l'activitê commerciale, et autoritês moose,
responsables de" la sêcurité â l'intêrieur des zones dans lesquelles
les premiers exercent leur activitê. En analysant les rêcits d'ori-
gine nous avons montrê que les Yarse étaient une sorte de "corpo-
ration" formée par des éléments d'origines diverses. Nous avons
aussi supposé que des éléments extérieurs au monde moaga ont été
à l'origine de ce groupe après avoir obtenu l'autorisation de s'ins-
taller à certaines conditions déjà précisées. Ces conditions, dont
ont bénéficié les premiers Yarse,
indiquent que les nanamse accor-
daient une attention particulière aux commerçants et aux marabouts.
Ces accords resteront jusqu'à la pénétration coloniale en 1895, la
base essentielle autour de laquelle s'articulent les relations en-
tre Yarse et "gens du pouvoir". Le contrat qui intègre les pre-
miers au monde moaga tout en reconnaissant leur particularité
comporte des clauses de quatre natures :
juridiques, politiques,
économiques et sociales
(religieuses)
(1).
Dans le domaine juridique, les Yarse peuvent intervenir
pour faire libêrer un condamné.
Ils ont aussi la possibilité de
faire appel dans un jugement prononcé par les souverains et même
(1) SUPRA, chapitres l
et III première partie.

249.
de demander l'acquittement pur et simple du coupab~e sauf quand
i l s'agit de quelqu'un qui a séduit une femme du roi ou qui a
transgresser un interdit lignager
(1).
Ce privilège que nous appellerons droit de gr ace a
joué
un rôle considérable dans l'accroissement du nombre des Yarse et
partant de celui des musulmans, car comme nous l'expliquent Sanfo
Ibrahim et bien d'autres informateurs,
"les délinquants
libérés,
les condamnés grâciés après notre intervention nous suivaient.
Certains s'installaient quelquefois dans
notre village et se con-
vertissaient cl
l'islam"
(2).
Dans l'expression "nous suivaient",
i l faut entendre qu'ils
devenaient Yarse par adoption, ce qui leur évitait d'~tre à nouveau
inculpés. L'installation en zone yarga leur garantissait automati-
quement l'impossibilité d'être poursuivis, car le pacte prévoyait
aussi que toute personne poursuivie devait être épargnée si elle
entrait dans une zone habitée par des Yarse. Le second aspect de
la clause concerne directement les éléments des groupes Yarse.
Ils
ne peuvent être rendus en captivité et ne doivent souffrir d'aucune
humiliation publique quelle que soit la faute commise. Concr~tement,
aucun yarga ne doit être encordé ou pendu sur ordre du Pouvoir
(3).
Dans le domaine économique, notamment commercial, beaucoup
de garanties ont été octroyées aux Yarse. En se permettant un ana-
chronisme, on a l'impression que les souverains voulaient promouvoir
(1)
Interdit grave dont ~transgression est censée mettre en péril
tous les membres du lignage.
(2) SANFO Ibrahim, Rakaye,
17 février 1980.
(3)
C'est aussi un privilège des nakomse
(nobles)
Etre encordé
signifie ~tre ligoté.

250.
ce secteur en favorisant les "investisseurs étrangers" et tous
ceux qui se consacrent au commerce
(1). Ainsi fut accordée aux
Yarse la liberté de circulation à travers tout le pays moaga.
Nous avons antérieurement montré les réseaux de pistes qu'ils
empruntaient pour relier les différents marchés. Cependant i l
faut ajouter que cette libre circulation des marchands ne pouvait
@tre bénéfique que si elle était accompagnée de la sécurité.
L'escorte armée que certains chefs fournissaient aux caravanes
traversant leur territoire répondait à ce besoin. Parmi ces
clauses économiques, citons aussi l'exonération officielle des
taxes
(2)
et la non confiscation de leurs biens et de leurs mar-
chandises. Bien évidemment toutes ces mesures ne pouvaient @tre
efficaces que si l'autorité des nanamse était respectée partout
dans le Moogo. Ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas,
compte tenu de l'immensité du pays et de la faiblesse des moyens
matériels dont disposent les pouvoirs centraux
(3).
D'où l'importance des clauses politiques du contrat. Elles
insistent en effet sur la nécessité pour les Yarse d'aider à con-
solider la puissance des rois par leurs pouvoirs magico-religieux,
par leurs conseils et par leurs doose.
C'est en quelque sorte la
contrepartie des facilités et des privilèges des Yarse. C'est aussi
(1)
Rappelons que les Moose non nakomse sont essentiellement agri-
culteurs.
(2)
La taxe est versée sous forme de cadeaux aux rois au moment
de la traversée de leurs commandements.
(3) Mais ceux qui pillaient les Yarse étaient sévèrement punis si
le pouvoir mettait la main sur eux.

251.
une façon de leur faire comprendre qu'ils ne doivent pas essayer
de remettre en cause l'autorité des chefs moose, et un moyen de
les faire participer au maintien du système par les différentes
tâches que doivent effectuer leurs représentants dans les cours
royales
(1). On remarquera le poids des Yarse considérés comme
étrangers mais qui sont au coeur du pouvoir.
Au niveau religieux le contrat prévoit la pratique de l'is-
lam par les Yarse dans les limites du respect des institutions
et de la religion des autorités. Dans la mesure où la religion des
Yarse pouvait être une source de puissance supplémentaire pour les
nanamse,
il était normal que ces adeptes aient des honneurs parti-
culiers.
Ils étaient autorisés à saluer les rois sans ôter leur
bonnet et sans frapper leurs coudes contre le sol. Mieux,
leurs
animaux ne pouvaient servir à faire des sacrifices. Voilà bien qui
sauvegarde les marchandises sur lesquelles ils réalisaient les
plus grands bénéfices
!
On pourrait s'interroger sur l'origine de ces avantages.
Ont-ils été octroyés ou conquis? D'après tout ce que nous venons
de dire on peut penser que les clauses du contrat
(considérées ici
comme des privilèges)
n'ont pas été élaborées en même temps. Elles
se sont appauvries ou enrichies au fil des générations, selon les
royaumes considérés et selon les situations historiques particu-
lières, mais l'essentiel de leur contenu est toujours resté le
même à savoir mettre les Yarse à un rang supérieur par rapport au
(1)
INFRA, paragraphes nO 3.2.2. et suivants.

252.
reste des composantes de la société. Pour qu'un tel contrat ait
pu durer jusqu'à la pénétration coloniale, i l fallait qu'il soit
respecté par les deux parties. S'il s'agit d'un privilège octroyé
unilatéralement par le Moog-naaba, il serait difficile de com-
prendre pourquoi ses frères rivaux
(entendez par là les souverains
du Yaadtênga, de T@nkodogo ou du Busma) ont accordé les mêmes fa-
veurs aux Yarse. On pourrait nous rétorquer qu'au moment où s'ins-
tallaient les premiers Yarse, ces royaumes n'étaient pas encore
fondés. Mais justement leurs créateurs auraient pu se méfier des
"amis" du Moog-naaba parce qu'ils auraient pu les trahir. Ou bien
encore les fondateurs de ces royaumes auraient pu refuser d'accor-
der les mêmes avantages aux Yarse, ne serait-ce que pour affirmer
leur indépendance à l'égard du souverain de Wogdogo. Il n'en fut
rien. Dans tous les royaumes moose les Yarse avaient des situa-
tions "confortables" et Tauxier fait remarquer qu'ils s'étaient
taillés "une place,
du reste
privil4gi4e,
dans ce grand royaume
noir,
au-dessous des chefs et des nobles,
mais au-dessus de
la
masse des mossi ••• "
(1). Il ne s'agit pas non plus d'une conquête
(au sens de droits acquis par des vainqueurs après une annexion
militaire). Car les Yarse n'ont jamais fondé un royaume à l'inté-
rieur du pays moaga (2), encore moins créé une armée autonome,
pour qu'on puisse supposer que ce sont les droits reconnus aux
guerriers dans les pays du monde. Si par conquête on peut aussi
entendre un rapport de force engagé entre deux partenaires, et qui
(1) TAUXIER,
Le Noir du Soudan,
1912, p.
441.
(2) Nous avons déjà indiqué qu'ils sont sous la tutelle des chefs
moose.

253.
tourne en faveur de l'un, et de l'un seulement,
i l est encore
difficile de rendre compte de cette manière des privilèges Yarse
notamment du fameux droit de grâce dont ils disposent dans cette
catégorie. Car si l'on observe bien le contrat,
ni Yarse,
ni
nanamse ne sont perdants. Chacune des deux parties y trouve son
compte. Les Moose voulaient faire partie du monde riche. Or cela
suppose entre autres, un pouvoir fort et stable et un commerce
florissant.
Dès lors on comprend que les Yarse, marabouts et
commerçants, aient fait l'affaire des nanamse.
Il s'agit d'un
véritable compromis historique.
Ainsi, se justifie notre sous-titre sur cette question,
car si les uns sont censés pouvoir faire rentrer le Moogo dans
le monde riche,
les autres sont censés mettre à leur disposition
les moyens nécessaires. En fonction de cet accord le rôle confié
aux Yarse, notamment celui de "développer" l'activité commerciale
était d'autant plus réalisable que la situation géographique du
Moogo dans son ensemble s'y pr~tait. Notre hypothèse d'une sorte
de compromis initial avec des marchands étrangers, est renforcée
par l'idéologie du pouvoir moaga qui sépare le
naam
et le com-
merce. Les gens du pouvoir
(les nanamse et les nakomse)
ne peuvent
vendre, et les autres,
t~ngembiisi et taZse sont cultivateurs. Il
fallait donc créer une classe de marchands pour équilibrer et,
pour ce faire i l fallait accepter de privilégier ceux qui devaient
en être les promoteurs
les Yarse.
Les conditions dans lesquelles fut négocié ce compromis
restent à préciser davantage. Cependant, i l ne serait pas hasardeux

254.
d'imaginer qu'elles se soient déroulées pour l'essentiel, à
la
période correspondant aux règnes de Kumdumye pour le royaume de
Wogdogo et à celui de Yadega pour le Yaadtênga, car non seulement
la plupart des Yarse se disant originaire du Mande situent leur
installation au Moogo sous ces deux souverains, mais aussi parce
que ces rois ont été des hommes politiques soucieux de doter leur
royaume d'une puissance politique, militaire,
et économique.
La séparation entre naam et commerce est un problème qui
dépasse largement les frontières du Moogo.L'histoire ancienne de
l'Europe méditerranéenne nous offre des cas comparables. Par
exemple, dans la Grèce classique,
le cas des Métèques n'est pas
sans rappeler celui des Yarse
(1). En effet à Athènes,
ces Métè-
ques formaient une catégorie particulière d'étrangers qui moyennant
quelques obligations, obtenaient le droit de résider sur le terri-
toire de la cité et de s'y livrer à leurs activités profession-
nelles
(artisanat et commerce).
Intégrés à
la communauté ils se
distinguaient néanmoins des autochtones
(citoyens)
en ce sens que
si juridiquement ils étaient protégés contre toute atteinte,
ils
ne pouvaient par contre avoir la propriété de la terre qui reste
le privilège du citoyen.
L'arrangement par lequel Yarse et nanamse se sont fait
des concessions mutuelles évoquées de façon globale et un peu
théorique sera éclairé à l'aide d'exemples précis dans l'étude
des fonctions des représentants des Yarse auprès des chefs moose.
(1)
La comparaison peut paraître anachronique.
Il faut la prendre
sous sa forme générale.

255.
L'application concrète de ces accords,
le respect des
clauses qui stipulent les privilèges et les devoirs des Yarse
sont constamment présents dans les principales cérémonies qui
jalonnent la vie des souverains moose. Nous ne reviendrons pas
sur certains aspects, notamment ceux qui ont trait aux garanties
commerciales. L'accent sera mis sur les indices politiques et
religieux qui, tout en particularisant les Yarse,
les intègrent
dans l'appareil politique et les placent parmi les grandes per-
sonnalités des cours royales.
Il ne faudrait pas non plus s'at-
tendre à trouver de longs développements sur le déroulement de
ces cérémonies du cOté des Moose. Plusieurs études s'y sont déjà
penchées
(1). Notre objectif est de montrer les moments où inter-
viennent les Yarse.
3.2.2. Au moment des intronisations
Dans l'histoire des royaumes européens sous l'ancien ré-
gime, particulièrement en France
la vieille tradition proclamant
UZe roi n'est pZus, vive Ze roi" marquait la continuité et la per-
manence du Pouvoir.
Il arrivait alors que le successeur du roi
soit un enfant et en attendant qu'il devienne majeur, l'exercice
de ses fonctions est assuré dans le cadre d'une régence
(2). Chez
les Moose cette institution n'existait pas car aucun "mineur",
(1)
Par exemple : DELOBSOM, L'empire du Mogho-naba, 1932 et
TIENDREBEOGO, Histoire et coutumes royales des Mossi de Ouaga-
dougou,
1964.
(2)
La régence était aussi pratiquée dans les monarchies des grands
lacs
(Burundi).

256.
fut-il virtuellement "prince héritier",
ne pouvait être nommé roi.
Ceux qui arrivaient au pouvoir étaient déjà adultes. Entre la
mort du roi et la nomination de son successeur l'inter-règne
était assuré par un conseil présidé par le Wiid-naaba,
/\\1J./'oI\\Ja..r5dl.
chargé de la cavalerie qui assurait la garde du naam-tiibo,
sorte
de symbole de la continuité du pouvoir
(1). Si les rois devaient
être adultes, c'est parce qu'ils devaient avoir des qualités
d'hommes politiques mars dès leur intronisation pour être capables
d'appréhender la complexité de leurs t~ches et celle des rapports
qui les lient aux principaux groupes constitutifs de leur société.
Le rôle des Yarse est percevable
pendant les intronisations des
souverains du Yaadtênga, du Ratênga et de Wogdogo.
Au Yaadtênga nous avons déjà souligné qu'il n'y a pas
d'institution de yar-naam. Cela signifie que le Yaadtênga-naaba
ne nomme pas de yar-naaba.
Il n'empêche cependant que dans les
quartiers et les villages yarse de ce royaume,
le kasma est consi-
déré par ses confrères comme yar-naaba et à ce titre i l joue à
la fois le rÔle de chef lignager et de délégué auprès du souve-
rain. A l'intronisation du Yaadtênga naaba,
le groupe des Yarse
Mande, considérés comme les premiers à s'installer dans le royaume,
lui fabrique, entre le lever du soleil et la fin de l'après-midi,
un vêtement de coton blanc, un bonnet blanc et un turban
(2). Les
Yarse sont présentés ici sous leur fonction artisanale à savoir
(1)
C'est l'exemple du royaume de Wogdogo qui est ici considéré.
(2)
IZARD, Traditions historiques des villages du Yatenga. Cercle
de Gourcy,
1965, p.
74-75.

257.
le tissage et la couture. Le fait que ce soit eux qui sont dési-
gnés pour faire ce travail indique non seulement qu'ils en sont
les spécialistes mais aussi qu'ils ont acquis la confiance du
souverain. L'importance politique de ce travail n'est pas à
sous estimer dans la mesure oü ces v~tements sont ceux qu'il
porte lui-m~me pour recevoir son investiture sup~~me. En un sens,
il s'agit à la fois pour le nouveau souverain et pour les Yarse
de ratifier, de renouer et de reconnaître le pacte conclu depuis
le temps des anc~tres.
c'est également dans cette perspective que le nouveau roi
reçoit de ce même groupe une jeune fille qui devient sa femme et
qu'on appelle désormais la yar-poko, c'est à dire la femme yarga.
Par cette alliance, les Yarse sont assurés que leurs privilèges
ne souffriront d'aucune réduction.
L'intronisation du Rat~nga-naaba offre un exemple à peu
près similaire. Le rÔle des Yarse au moment de la cérémonie est
significatif de la place qui leur est accordée dans ce royaume.
En effet, selon des informations recueillies auprès de leurs re-
présentants, ils confectionnent le grand bonnet que le roi porte à
son intronisation (1). Il semble aussi que ce soit le yar-naaba
qui lui porte le bonnet une fois qu'il est élu. Les festivités
accompagnant la cérémonie donnent lieu à l'abattage d'une douzaine
de boeufs dont un est réservé aux sept groupements des Yarse du
royaume, désignés selon l'expression "yar-doto-yopwe"qui signifie
littéralement les "sept maisons des Yarse". Ces sept groupes,
(1)
SORE Ousséni, Sisin, 27 décembre 1982
et SANA Daouda, Yargo
(Kongusi)
26 décembre 1982.

258.
répartis en quatre patronymes, habitent des villages différents
et d'importance hiérarchique inégale. A leur t~te, on trouve le
yar-naaba de Yargo qui porte le patronyme Sana dont l'ensemble
de la devise est la suivante :
"S~an pug rawa, m6ng puga om
baowa y6re". La traduction approximative donnerait: "Z'Jtranger
[~ui] suit Z'homme, [qui] prive son ventre pour chercher sa vie".
On peut interpréter de plusieurs manières cette devise, mais par
rapport ~ notre corpus de traditions sur les SANA, nous distingue-
rons deux niveaux de compréhension. Un premier renvoie à l'idée
que ces Yarse sont des yarsifiés : dans cette conception les Sana
sont des étrangers
(au groupe yarga en tant que tel) qui sont
devenus des Yarse en suivant les activités de ces derniers et en
abandonnant la leur
(teinture), peut-~tre parce que moins renta-
ble. Un second niveau est que la devise résume le compromis
(1)
entre Yarse et pouvoirs moose :
les premiers acceptent la couver-
ture des seconds en renonçant partiellement à une pratique rigou-
reuse de leur religion, susceptible de troubler l'ordre établi,
afin d'avoir la possibilité d'exercer avec des garanties leur
profession, source de richesse et de bien-~tre.
Après le yar-naaba de Yargo suivent ceux de Tâ kuga
(des
Kuanda), de Barn (des Sore), de SOgedim (des Sise ou Sisao), de
Kora
(des Sana), de Sigin-Vuuse (des Kuanda)
et enfin de Sisin
(des Sore). Cette division en sept, des représentants des Yarse ~
la cour du Rat~nga-naaba n'est pas sans rappeler ce qui se passe
~ la cour du Moog-naaba.
(1)
Les SANA se présentent comme les premiers Yarse ~ s'établir
au Rat~nga.

259.
Sous le règne de Moog-naaba Zombre
(c.a. 1744-1784)
Wogdogo devient la capitale permanente du royaume. Ce souverain
est aussi à l'origine du zom bika, cérémonie de ré-intronisation
symbolique après trente années de règne
(l). Les dates proposées
par Michel Izard indiquent d'ailleurs l'extrême longueur de son
règne.
Il semble qu'après les trente premières années, Naaba
Zombre fut déposé et remplacé par son fils ainé Naaba Kom 1er.
Puis après s'être retiré à Biktogo
(village à une vingtaine de
kilomètres de Wogdogo),
il "obtint de son fils
et des hauts
dignitaires du royaume de remonter sur le trene tandis que Naba
Kom I recevait le commandement de Giba où devaient r~sider, par
la suite, plusieurs fils ainés de Mogho-Naba"
(2). L'installation
du fils ainé du souverain, donc l'héritier présomptif à sa majo-
rité, donne lieu à une cérémonie oü le futur Moog-naaba passe
chez les Yarse pour ratifier le pacte conclu depuis le temps des
ancêtres. A Wogdogo il existe ce qu'on appelle les Yars rignoe
Yopwe, c'est à dire les "sept portes" des Yarse dont chacune est
représentée à la cour du Moog-naaba par un délégué
(3). Ces délé-
gués sont partagés entre quatre patronymes : Dabo/Rabo, Dera,
Kuanda et Sakande. Les Kuanda forment le groupe le plus important
(l) TIENDREBEOGO, Histoire et coutumes royales des Mossi de
Ouagadougou, 1964, p. 200.
(2)
IZARD, Introduction à l'histoire des royaumes mossi, T.l, 1970
p. 165.
(3)
Voir, KOUANDA, Les conditions sociologiques et historiques de
l'intégration des Yarse dans la société mossi de Ouagadougou,
1981, p.
85 à 97.

260.
en ce sens qu'ils ont non seulement quatre délégués
(1), mais
aussi parce que deux d'entre eux jouent un rôle pendant les
cérémonies d'installation du prince héritier à Giba.
Il s'agit
~
du yar-naaba et du Bogdogo-naaba ;
l'un considéré comme chef
~
supérieur des Yarse,
l'autre comme doyen
(Kasma)
et grand mara-
bout
(more).
Le second en sa qualité de doyen, et par conséquent
gardien du pacte, reçoit le futur Moog-naaba pour renouveler
les accords conclus entre les deux parties.
"A cette occasion,
les deux hommes entrent dallB
une case et s'assoient sur une natte
neuve.
Devant eux est posé un Coran.
Le Bogdogo pose ses mains
sur ce livre,
l'ouvre en son milieu puis
le referme quelque temps
après.
Sur
la couverture du
livre saint,
i l pose une noix de
kola
blanche et prononce cette formule
:
"vous ~tes devenu à partir de
maintenant G~ba-naaba. Tout ce qui vous appartient m'appartient
a'csei.
Cela a commencé du temps de nos anc~tres. Que celui de nous
deux qui désobéit soit jugé par le Coran".
Ensuite,
i l divise
la
noix en deux,
croque une moitié et donne
l'autre moitié à son
illustre htte qui en
fait
autant.
On apporte du
zom-kom au nouveau
G~ba-naaba. [ .•. ]
La natte sur laquelle ils se sont assis pour
jurer est r?mise au G~ba-naaba qui doit
l'utiliser pour se coucher
pendant tout
le
trajet Ouagadougou-Giba"
(2).
(1)
Les représentants des "sept portes"
sont :
le Yar-naaba ;
Bogdogo-naaba
;
le Yirana ;le Morm~nt~ng-naaba ; le Riiba-naaba;
le Kutu-naaba et le Zoâgna-naaba.
Les quatre premiers sont les
KUANDA,
le cinquième un DERA,
le sixième un DABO et le dernier
un SAKANDE.
(2)
KOUANDA, Les conditions sociologiques et historiques,
1981, p.
91-92.

261.
Le Giba-naaba est accompagné ensuite chez le Yar-naaba
qui le félicite avant qu'il continue son périple.
A la cérémonie d'intronisation proprement dite,
le rOle
des Yarse se limite à aller saluer le nouveau souverain et lui
faire des doose afin que son royaume soit prospère.
Le r61e des représentants des Yarse ne se réduit pas au
renouvellement du contrat lors des intronisations des chefs moose.
Ils leur rendent des services pendant l'exercice du pouvoir et
en contrepartie les souverains leur accordent une grande confiance.
Il s'agit en quelque sorte de pérenniser le pacte.
3.2.3. Pendant l'exercice du naam
Les fonctions qu'occupent les représentants des Yarse
dans les cours des rois ne sont pas négligeables, au point qu'il
ne serait pas naïf de penser qu'ils aient pu à certains moments
inspirer des décisions politiques importantes. Car généralement
ils sont conseillers, interprêtes et protecteurs des chefs. Cer-
tains m~mes font partie des "services secrets" de renseignements.
A Wogdogo,
les Yarse se rendent chaque vendredi matin au palais du
Moog-naaba pour lui faire un doaga. Ce jour coïncide avec ce qu'on
appelle la cérémonie du faux départ au cours de laquelle le souve-
rain feint de quitter sa capitale pour se rendre à La. Les inter-
prétations historiques de cette cérémonie tendent à dire que le
souverain veut aller retirer les symboles légués par Wubri et que

262.
le Yaadtênga détient.
(Le lecteur voudra bien se reporter à la
première partie, chapitre II où nous avons expliquer le contexte
dans lequel est intervenue la fondation du royaume du Yaadtênga).
Quoiqu'il en soit, dans son obstination à partir, malgré les
sollicitations contraires qui lui sont faites par sen
e~~~rn~e"
le Moog-naaba selle son cheval. C'est alors qu'interviennent les
Yarse par l'intermédiaire d'un de leurs délégués:
le Gap-naaba
(1)
(le yarga préposé à la selle du cheval du roi).
Celui-ci
s'approche du souverain,
lui rappelle son engagement de respecter
le contrat, ou plutôt d'annuler toute décision contraire si les
Yarse le lui demandent. Le souverain accepte alors de reporter
son départ.
Comptés parmi les grands conseillers du Moog-naaba à
cauee de leur expérience acquise au cours des multiples voyages
qui les conduisaient dans les cités de la région,
les Yarse inter-
viennent indirectement dans la nomination des chefs des provinces
et des royaumes dépendants.
Il semble qu'avant d'introniser un
chef,
le Moog-naaba envoyait un Varga enquêter sur les différents
candidats. Le rapport fourni après la mission d'enquête consti-
tuait une des pièces, un des éléments destinés à guider le choix
du souverain : on pensait en effet que ce fameux rapport ne pouvait
être subjectif, puisque son auteur était supposé neutre et de
(1)
Selon des informations venant de SAKANDE Karim, qui exerçait
cette fonction en 1980, le gap-yapga est aussi chargé d'examiner
la monture afin de déjouer d'éventuels complots contre le sou-
verain. Si cette information est réelle, elle confirme à quel
point le Moog-naaba faisait confiance aux Yarse.

263.
surcroît musulman
(1). Ce rôle que jouent les marabouts yarse
dans le royaume de Wogdogo est observable dans d'autres Etats
de l'Afrique de l'ouest et semble être un privilège des mara-
bouts. Levtzion écrit à ce propos :
"Because they were them-
seZves outside the fieZd of poZiticaZ competition, MusZim cZerics
were caZZed in as arbiters, conciZiators and peace-makers [ ••• ].
Because they were considered neutraZ, MusZims pZayed part in the
process of eZecting and instaZZing chiefs"
(2).
La particularité des représentants des Yarse par rapport
aux autres dignitaires se manifeste encore au moment des saluta-
tions. Alors que les premiers se rendent au palais en principe
uniquement les vendredis matins pour bénir le souverain,
les se-
conds sont tenus d'y aller chaque matin.
Par ailleurs, l'ordre du
déroulement des salutations le vendredi indique encore une fois
que les Yarse sont considérés non seulement comme "étrangers" mais
aussi protégés du pouvoir. En effet leur déléqation salue le roi
en dernière position mais à
la différence des autres ils se rap-
prochent de celui-ci
(1 peu près 1 deux mètres alors que les au-
tres restent à plus de dix mètres)
lui font un doaga.
Au Yaadtênga, il en va à peu près de même 1 la cérémonie
du napusum. Le groupe des Yarse salue le souverain en dernier,
mais au lieu de le faire dans le samânde
(la cour)
comme les autres
notables,
ils sont accueillis à l'intérieur du palais.
Ils offrent
(1)
DANKAMBARY Aboubacar, Zangwetin, 10 novembre 1980.
(2)
LEVTZION "Islam in West Africa politics : Accomodation and
tension between the "Ulema" and the political authorities",
Cahier d'Etudes Africaines, Vol XVIII.3,
1978, p.
337.

264.
des cadeaux
(sel,
kolas,
nattes)
au roi
(1).
Le simple fait
d'être reçus à l'intérieur n'est-il pas une preuve qu'ils ont
des relations plus intimes avec le roi ? Cela ne révèle-t-il pas
qu'ils ne sont pas traités comme les autres et qu'ils sont "pris
au sérieux" ?
Au Ratênga,
la fête dite du nakiugu
(c'est à dire litté-
ralement "la lune du roi")
célébrés annuellement après les récol-
tes de céréales, est l'occasion pour les Yarse de ce royaume d'al-
1er bénir le roi et de lui souhaiter longévité.
Les paroles ri-
tuelles prononcées par le yar-naaba de Yargo à
l'endroit du roi
dépassent des simples voeux,
et sont un rappel des clauses du
pacte. Selon le yar-naaba de Sisin qui fait partie de la délégation
voici ce qu'ils déclarent au Ratênga naaba
:
NNous
voulons dire,
dire sans crainte,
que
le marabout
va bénir
le
panga (le roi) qui l'a retenu, non pas pour cultiver
son champ,
ni pour couvrir la
toiture de sa maison,
ni pour aller
à
la guerre
(2), mais pour lui
faire
le
doaga,
lui demander
le
~ugni (la gr~ce). C'est pourquoi nous voulons faire un doaga au
panga afin que Dieu donne longévité,
puissance à lui et à son
~imande, à son balôngo, à son dapoya(3), car ce sont eux qui ont
b~ti (le royaume) et nous, nous nous sommes installés.
(1)
IZARD,
Les archives orales d'un royaume africain •• ,1980,p.
940.
(2)
La majeure partie affirment que les Yarse ne sont pas recrutés
dans l'armée,
mais qu'avant d'aller en guerre les rois les
consultent pour remporter des victoires.
Il semble que si le
combat se termine en faveur des Moose,
les marabouts consultés
reçoivent une part du butin.
(3)
Sim~nde, Balengo, Dapoya sont des titres de·ministres#du roi.

265.
Nous voulons dire,
dire sans crainte par le don de
la
parole de nos anc~tres (le ya.JL-Yl.a.a.ba. Tigre,
le
ya.JL-Yl.a.a.ba. San~m,
le ya.JL-Yl.a.a.ba. S~pun,
le ya.JL-na.aba. Kanom,
le ya.JL-Yl.a.a.ba. Bedare,
le
ya.JL-na.a.ba. Pamusa,
le ya.JL-Yl.a.a.ba. K~nkirge)
et au nom de la mosquée
de
la Mecque,
de celle de Médine, de celle de Kone,
de celle de
Djenne, de celle de Tombouctou,
que Dieu donne
longue vie au pa.Yl.ga.
et fasse en sorte qu'il soit tolérant.
Que Dieu augmente sa puis-
sance afin qu'il nous protège!"
Ces paroles résument les privilèges des Yarse et la répé-
tition de l'expression "dire sans crainte" montre qu'ils sont dans
leur droit. Dans le premier paragraphe de cette citation, on in-
siste sur les droits des Yarse et leurs devoirs vis à vis des
souverains. Le second paragraphe met l'accent sur leur reconnais-
sance à l'égard des chefs, du pouvoir. Dans le dernier,
le porte-
parole en invoquant la liste de ses anc@tres, met en garde le sou~
verain contre le non-respect d'un pacte qui remonte très loin. Les
mosqup-es citées
(à l'exception de la troisième que nous n'avons pu
identifier clairement
(1),
renvoient aux lieux dont ils disent
pour la plupart @tre venus.
L'évocation de ces mosquées est aussi
une sorte d'illustration de la religion d'où ils tirent les moyens
de la puissance dont le roi a besoin. A la fin de la cérémonie,
ils reçoivent des cadeaux
(2).
En dehors des vendredis et de ces cérémonies annuelles,
les Yarse vont saluer les chefs moose lors des f@tes musulmanes,
(1)
Le TARIKH el Fettach parle d'une localité du nom de Kuna située
sur la rive droite du Bani, en amont de Mopti, au sud-ouest de
Bandiagara et au nord-est de Djenné.
(2)
Ces cadeaux se résument à trois calebasses de miel et à cin-
quante noix de kola.

266.
notamment à la tabaski et à la fête de fin de jenne (l). A ces
occasions ils offrent des cauris aux rois qui en retour leur
souhaitent bonne fête et leur donnent de la kola et du zom-kom.
Il arrive aussi qu'ils reçoivent un animal
(mouton ou boeuf).
Si les grandes cérémonies qui jalonnent la vie des souve-
rains moose donnent l'occasion aux Yarse de renouveler ou de
rappeler le compromis qui les lie aux nanamse, à la mort de ces
derniers,
le rOle qu'ils jouent est minime. La mort est la frontièrE
entre les deux parties. C'est le point limite des tolérances.
3.2.4. Lors des décès des nanamse
L'ensemble des traditions yarse recueillies ne mentionne
guère leur rOle dans les cérémonies de fin de règne. Au décès
du roi, dans toutes les cérémonies qui vont de l'annonce de la
nouvelle à l'enterrement,
les Yarse n'ont aucune action à effec-
tuer. Tout est pris en charge par les nakomse et les tengembiisi.
Il Y a là une sorte de "purification" du roi qui sa vie durant
s'est compromis avec des gens de religion différente. De ce fait,
quand il s'agit de le préparer pour retrouver ses ancêtres dans
(l)
Depuis le XIXème siècle, certains souverains participent à la
célébration des fêtes musulmanes. C'est par exemple le cas du
Moog-naaba. D'autres se rendent sur les lieux de la prière
festivale mais se tiennent à l'écart et demandent, à la fin de
la prière, des bénédictions à l'imam: c'est le cas du Têndadogo
naaba.

267.
l'Au-delâ,
i l convient d'écarter ceux qui ne croient en eux,
sur-
tout lorsque ces derniers sont des étrangers. La force des pr~tres
traditionnels prime sur celle des marabouts
(1), dans la mesure
00 la légitimité du pouvoir royal est fondée sur le respect des
croyances traditionnelles. Dans l'esprit des Yarse,
la mort du
souverain est la négation de la cohésion sociale,
le relachement
des solidarités et la suspension du pacte. C'est pourquoi aux in-
tronisations i l faut le remettre en rigueur.
Cette analyse des relations entre Yarse et autorités poli-
tiques moose met en lumière les liens qui existent entre les deux
types de pouvoirs. D'une part le pouvoir politique détenu par
les nanamse et d'autre part le pouvoir économique
(commercial)
aux mains des Yarse. Ces pouvoirs,
loin d'~tre antagonistes
(comme
c'est le cas dans d'autres régions),
se font des concessions mutuel-
les,
se sont définis non sans ambiguité des cadres d'évolution, ont
tracé des limites, des seuils au delâ desquels chacun doit éviter
les interférences. En d'autres termes ils ont défini ensemble les
règles du jeu, de façon â emp~cher la domination totale du politi-
que par l'économique et vice versa, mais â permettre une subordi-
(1)
Il serait facile de penser que ce sont les Yarse
(â cause de
leur religion)
qui ont refusé de se m~ler à des cérémonies
animistes. Pourtant,
si notre hypothèse soutient le contraire,
c'est tout simplement parce que les Yarse participent â d'autres
cérémonies traditionnelles
(intronisations,
nakiugu~ napusum).
D'après ce que nous avons pu suivre â Wogdogo,
lors du décès
du moog-naaba Kugri en décembre 1982,
les Yarse se rassemblent
au palais le matin du huitième jour du décès pour faire un
doaga.
La cérémonie est présidée par l'imam de Mwtmin.

268.
nation non contraignante des commerçants au pouvoir politique.
Les privilèges des Yarse et leur personnalité religieuse
se combinent pour faire d'eux des individus de statut particulier
au sein du monde moaga. Protégés des autorités politiques contre
lesquelles les autres groupes de la société ne peuvent rien parce
qu'ils sont dans un rapport de soumission complète, parce qu'ils
leur doivent respect,
les Yarse sont perçus de plusieurs façons
par le "peuple" moaga. Il serait donc intéressant de montrer
quelles sont les images du yarga qui y sont véhiculées et quelle
est la vision que les Yarse se font d'eux mêmes en rapport avec le
regard qu'ils portent sur les Moose d'une façon globale.
3.3. Yarse
et Moose à la fin du XIXème siècle
regards réciproques
Tenter de présenter l'image que se font les Moose des
Yarse n'est pas une chose aisée, car les sentiments et les juge-
ments ne sont pas unanimes.
Ils sont souvent contradictoires. Ce
que l'on peut noter, c'est le refus de s'identifier ~ l'autre.
3.3.1. Du cOté moaga
mépris et crainte
Lorsque les Moose parlent des Yarse,
ils le perçoivent à
travers quatre optiques: celle de l'étranger, du marchand, du
musulman et du magicien. Ces visions sont souvent combinées pour
donner,
tant6t une image méprisante,
tantOt une image positive.

269.
La première image résulte en réalité de leur situation
de privilégiés, de protégés des chefs, à laquelle s'ajoute l'in-
compréhension de leur religion. Des individus qui ne boivent pas
du dolo, qui ne jurent ni par leurs pères ni par le naaba !
En effet pour le Moaga,
le Yarga est un pibaowda c'est à
dire littéralement quelqu'un qui cherche la nourriture. Derrière
cette image se faufile l'idée de la personne qui profite de sa
position pour s'attirer des faveurs.
Dans d'autres langages, on
parlera d'opportuniste ou d'exploiteur. Car effectivement le com-
merçant yarga qui achète au ta~ga (1)
ses céréales et ses animaux
va les vendre relativement plus cher pour acheter d'autres marchan-
dises
(sel et kola)
qu'il revend au client moaga à un prix élevé.
Ce dernier ne pouvant se passer ni du sel ni de la kola, produits
utilisés dans toutes les cérémonies
(mariage, funérailles, marques
d'hospitalité),
il est plus ou moins contraint de traiter avec le
yarga. Car, m@me s ' i l lui arrivait de vouloir se lancer dans le
commerce,
il lui faut demander aux Yarse l'autorisation de pouvoir
suivre leurs caravanes.
A l'exploiteur s'ajoute l'image de l'esclavagiste. Les
Yarse
ne capturent pas d'esclaves mais ils en vendent. Cela signi-
fie qu'ils traitent avec les razzieurs qui sont entre autres les
nakomse
• Pour le peuple, Yarse et nakomse se sont entendus pour
les opprimer. Cependant si les ta~se comprennent et acceptent la
domination des nakomse,domination justifiée par la possession du
(1)
Précisons que par ta~ga, nous entendons ici tout Moaga non
nakomga et bien snr non Yarga.

270.
p~nga et légalisée par les coutumes, en revanche celle des Yarse
ne leur paraît pas fondée d'autant plus qu'ils les considèrent
comme étrangers et par conséquent en dehors des coutumes propres
aux Moose. En l'occurrence, on méprise ce que l'on jalouse et
c'est à ce titre qu'ils récoltent toute la "colère" des talse
qui n'ont pratiquement que des devoirs envers les chefs. Contrai-
rement aux Yarse, ils ne peuvent accumuler des richesses au ris-
que d'être accusés de vouloir s'égaler au roi et de se les voir
confisquer. Un dicton traduit bien cette situation de dépendance
"pondere nt pug~ teedo,
rt f~n ya robg~ so". c'est à dire que
"le crapaud et ses entrailles appartiennent aUIe..fe,J,". L'opposition
i~tJ-crapaud évoque l'opposition nakomse-talse. En mettant en rap-
port deux animaux (de force et de famille différentes) dont le
plus fort s'approprie du plus faible,
le dicton fonde le droit
Jes nakomse sur la force
(1). En effet ils prennent tout ce dont
ils ont besoin chez les talse sans pour autant @tre taxés de vo-
leurs
(2). Ils sont craints mais aussi méprisés
(3)
à cause de
leur conduite. L'image contenue dans le proverbe illustre les
rapports existant entre les gens des deux statuts :
les uns ont
des droits sur les biens et les personnes des autres.
(Le crapaud
est le talga, et les entrailles ses biens.Lel~~ est le nakomga ou
le naaba)
• Il arrive souvent que les Yarse,
privilégiés par leur
pacte avec le pouvoir, se voient confiés par les talae des biens
à protéger parce que, comme déjà souligné, ce qui appartient aux
(1)
Les nakomse vivent de guerres, de pillages et de brigandage.
(2) Cette pratique de pillage n'était pas punissable.
(3)
IZARD, "La lance et les guenilles", L'homme, p.
123.

271.
Yarse ne peut en principe ~tre saisi par le pouvoir. s'il leur
arrivait d'oublier de rendre ces biens à leurs propriétaires,
ces derniers ne pouvaient se plaindre auprès des chefs, car
cela reviendrait à se dénoncer eux-m~mes. Pris de deux cOtés,
soit par la force,
soit par la ruse ou l'escroquerie, les ta~se
ne pouvaient avoir qu'une vision négative des Yarse et des
nakomse. Mais celle des derniers ne pouvant ~tre qu'intériorisée
(et pour cause! ), c'est celle des premiers qui est dénoncée
"ouvertement".
La vision négative se conjugue avec un sentiment de peur
et de crainte:
les Yarse sont des gens du tiim
(1), c'est à
dire des magiciens redoutés. Un proverbe moaga dit ceci : "Le
Yarga n'est rien mais sa femme est une reine"
(2). L'interpréta-
tion qu'on en donne souvent consiste à montrer la force maléfique
du tiim des Yarse, en mettant en garde tous ceux qui songent en-
lever leurs femmes ou souhaitent avoir commerce avec elles. Dim
Delobsom, auteur d'un article intitulé Notes sur les Yarcé au
Mossi estime que les Yarse utilisent des gris-gris pour tuer les
amants de leurs femmes.
Il écrit: "Des Yarcé pour s'assurer de
~a fidé~ité de ~eurs femmes ont des phi~tres aux effets vraiment
terrifiants.
Outre
les procédés emp~oyés pour emp~cher ~'organe
génita~ de ~'homme de fonctionner~ c'est à dire pour en causer
~e rétrécissement au moment où i~ désire se mettre en rapport
(1)
Le mot désigne à la fois les médicaments
(remèdes pour soigner)
les amulettes et tous les obscurs procédés pour faire du bien
ou du mal à un individu.
(2) BIKIENGA Ousmane, Moyargo, 13 novembre 1982.

272.
avec ta femme,
it y a ce qu'on appette te kinkinba (gros termite).
Quetques passes diabotiques sur tes pieds ou te mont de Vénus de
ta femme suffisent pour que toute personne qui se met en retation
avec ette ait dès te tendemain matin des démangeaisons doutou-
reuses dans
ta verge ;
te mat va en augmentant,
te gtand est
ensuite dévoré par tes "kinkinba",
on aperçoit tes b'tes, mais
impossibte de tes saisir.
Le pire est qu'it faut pour en guérir
se confesser soi-m'me
ta faute au mari trompé. Seut it peut vous
donner t'antidote nécessaire"
(1).
Le même auteur, dans un autre ouvrage, fait des Yarse les
introducteurs du pebre sorte de poison utilisé "pour punir tes
ennemis ou riveaux ou tes jeunes fittes qui refusent teurs fa-
veurs aux garçons"
(2).
Les Yarse, eux-mêmes ne nient pas cette image qu'on leur
attribue, mais ils prennent soin de préciser que leur tiim sert
à leur propre protection. Toujours est-il que les Moose s'adres-
saient à eux pour se procurer des remèdes contre les sorciers et
les mauvais sorts.On dit souvent aussi que l'âne cannait le Yarga
pour signifier aux têtus qu'il y a plus entêtés qu'eux.
Les appréciations négatives sur les Yarse apparaissent dans
les clichés, employés généralement dans les plaisanteries entre
les deux 0roupes. Ainsi on parle de leur avidité en racontant
(1) DIM DELOBSOM "Notes sur les Yarce au Mossi" Revue Anthropologique,
XLIV, 1934, p.329-330
(2) DIM DELOBSOM, Les secrets des Sorciers Noirs, Paris 1934, p.14l

273.
l'anecdote suivante:
"Un
jour deux Yarse 'taient en train de
boire du
lQit dans
une calebasse,
quand un col'optère noir tomba
dans
le plat et se
trempa.
L'un d'eux
l'enleva de
la calebasse,
le suça et
le
jeta au
loin en disant
:
"tu e4 venu avee ta eouleun
noine et tu nepantina4 avee ta noineeun"
(1). En lisant cet hu-
mour au deuxième degré,
i l rejoint l'image du Yarga exploiteur, du
Yarga qui suce à la fois les chefs
(puisqu'après leurs doose à
ces derniers ils recoivent des cadeaux)
et les talse
(dans la
mesure où ceux qui s'adressent à eux pour avoir du tiim payent des
rançons en bétails et en cauris).
Un autre signe de leur image négative se trouve dans les
expressions et dans les comparaisons du genre:
"couper l'eau commf
un Yarga"
(2)
ou encore "se vanter d la manière d'un Yarga".
La
première expression signifie dire faux.
C'est une manière détour-
née,
une façon très amusante de dire à la personne avec qui on
dialogue qu'il soutient l'impossible de même qu'il est impossible
de couper l'eau avec un couteau. Quant à
la seconde, elle ne cache
rien de l'image que les Moose se sont faits des Yarse. Les termes
moore utilisés sont :
"w~gom mig Soaba wa yarga". En réalité la
traduction (par se vanter)
ne rend pas compte de toute la signi-
fication de l'expression "w~gom mig soaba" qui contient à la fois
l'idée de fierté,
d'orgueil et la notion d'irrespectabilité.
(1)
KOUANDA, Les conditions sociologiques et historiques •••
1980
p.
71.
(2)
Les Moose disent que les Yarse sont spécialistes dans l'art de
raconter des anecdotes invraisemblables.

274.
L'attribution de cette étiquette aux Yarse est certainement à
mettre en rapport avec le privilège d'honneur qui leur permet
de saluer le roi sans se décoiffer. Comment les talse pouvaient-
ils supporter cette transgression de la loi par des personnes
non-nakomse, autrement qu'en les qualifiant d'irrespectueux. Le
discours caricatural sur les Yarse mérite à lui seul toute une
étude. La richesse des images contenues dans les proverbes en est
l'aspect le plus significatif. Cependant on ne peut comprendre
entièrement ce regard négatif et quelque peu méprisant si on
ignore le discours que les Yarse tiennent sur eux-m~mes et sur
les Moose d'une manière générale.
3.3.2. Du cOté Yarga
mépris et orgueil
L'idéologie des récits d'origine des Yarse insiste beau-
coup sur leur appartenance au monde musulman qui est leur univers
"civilisé" par excellence. C'est donc à travers l'islam et les
éléments qu'il aurait apporté aux Moose
(par l'intermédiaire des
Yarse) que se fondent leurs jugements. Lorsque les Yarse parlent
d'eux-m~mes, ils insistent sur les bienfaits de la "civilisation"
qu'ils ont introduits au Moogo.
Ils estiment que les Moose étaient
des "sauvages" avant leur arrivée.
Il n'est d'ailleurs pas rare
d'entendre sortir de leur bouche cette phrase:
"Le Moaga n'est
rien,
i l ne connaissait rien". Ce jugement sévère s'accompagne
souvent d'une liste des éléments culturels et économiques qu'ils
disent avoir introduits. Font partie de cette liste,
l'islam,
la

275.
circonsision,
le vêtement,
le sel,
la kola,
le commerce à longue
distance.
Ils ont le sentiment d'être "supérieurs"
(1)
aux Moose
et particulièrement aux taZse qu'ils délivrent lorsque la justice
du prince les condamne.
En ce qui concerne l'islam,
i l est selon eux la religion
de libération pour les Moose,
à
l'opposé de la religion tradi-
tionnelle qui les asservisait. Car ceux qui devenaient musulmans
partageaient avec les Yarse le privilège de ne pas Ôter leur
bonnet devant le roi, de ne pas offrir des animaux pour les sa-
crifices annuels et de ne pas se voir confisquer les richesses.
En un mot,
ils étaient en quelque sorte "libérés" des contraintes
que les nakomse, au nom des coutumes ancestrales,
faisaient peser
sur eux.
Les discours officiels,
tant du côté des Yarse que de celui
des Moose s'accordent pour reconna!tre que la circoncision a été
introduite par les Yarse. Yamba Tiendrebeogo, dans son ouvrage
sur L'histoire et les coutumes royales des Mossi de Ouagadougou
estime que la circoncision était pratiquée par les Yarse, et que
ce n'est qu'au XVlllème siècle qu'elle se généralisa chez les
Moose. En effet l'auteur rapporte que naaba Kom 1er, dont la mère
était une Yarga,
fut circoncis dès son jeune age grace à la
complicité de sa mère. Une fois parvenu au trÔne,
naaba Kom 1er
exigea que tous les nakomse et tous les taZse adoptent cette pra-
tique
(2). Les Yarse qui soutiennent cette thèse,
traitent ironi-
(1)
Dès lors on comprend pourquoi ils sont traités d'orgeuilleux
et d'arrogants.
(2)
TIENDREBEOGO, Histoire et coutumes royales des Mossi de
Ouagadougou,
1964, p.
38-39.

276.
quement les incirconcis de "véritables moose". Aujourd'hui, cette
thèse de l'origine de la circoncision au Moogo est en train de
devenir une certitude, un acquis.
Pourtant elle nous paraît peu
convaincante. D'abord parce que le terme utilisé
(b~ngo) est
moaga
(1). Ensuite, et surtout, parce que cette constatation lin-
guistique est renforcée par le fait que la circoncision est un
élément d'un rite d'initiation qui existait dans la société
avant le XVlllème siècle. Cette initiation marque le passage de
l'adolescence à l'age adulte, de l'immaturité à la maturité.
Il
serait difficile d'admettre que la circoncision, qui en est l'élé-
ment principal, soit un apport extérieur et récent. Car toute la
philosophie de la vie des Moose
(2),
l'apprentissage des coutumes,
les exercices d'endurance sont enseignés au cours du passage dans
le camp de circoncision appelé Kiego. Si les Moose sont actuelle-
ment d'accord pour dire que la circoncision a été introduite par
les Yarse, c'est parce qu'ils la lient à
l'islam. Or la circonci-
sion "ancienne" n'a rien à voir avec celle exigée par l'islam.
Alors que la première intéresse des individus d'un age adulte
(autour de vingt ans),
la seconde concerne des enfants ou à la
limite des adolescents. Les Moose ont pu associer des Yarse à
cette cérémonie à titre de chirurgiens parce qu'ils avaient peut-
~tre des médicaments pour hâter la guérison.
(1) Nous avons tendance à penser que le mot b~ngo désigne plus
l'initiation que l'opération chirurgicale.
(2)
PACERE, Ainsi on a assassiné tous les Moosé, 1979, p. 105-106.

277.
contrairement aux images de courageux, d'invincibles
données généralement aux Moose,
les Yarse les jugent autrement.
Ils estiment que la bravoure des Moose est un mythe, et avancent
comme preuve leur incapacité de sortir de chez eux pour aller
seuls chercher au loin la kola et le sel.
Il s'opposent aux
Moose par l'activité commerciale essentiellement centrée sur
l'importation du sel et de la kola. L'ignorance du sel saharien
par les Moose avant l'implantation des Yarse est stigmatisée dans
plusieurs témoignages, dont celui-ci est le plus représentatif
:
"Les Moose ne connaissaient pas
le
sel.
Les Yarse
le
leur montr.-
rent en attachant à
leur couverture quelques cristaux.
Ils
les
consomm.rent et les
trouv.rent d'licieux"
(1).
L'évocation de la couverture au lieu des v~tements partici-
pe aussi de l'idée que les Moose ignoraient l'habillement. Cer-
tains informateurs vont m~me jusqu'à dire qu'ils allaient nus
(à l'exeption des notables)
et que la généralisation du port du
vêtement est à mettre au crédit des Yarse. Nous avons déjà signalé
dans l'étude des récits d'origine un exemple où un ancêtre Yarga
confectionne un boubou pour un chef moaga afin de le rendre élé-
gant.
Inutile d'insister sur le caractère satirique de pareilles
informations dont l'objectif principal est de mettre en valeur la
spécialisation des Yarse dans ces domaines.
Il est intéressant de constater que le regard que portaient
les Yarse sur les Moose n'était pas très différent de celui que
(1)
RABO Hamado, Lidugu
(Kongusi),
25 décembre 1982.

278.
les colonisateurs avaient sur les peuples noirs en général : des
sauvages auxquels la mission civilisatrice de l'Europe devait
assurer le progrès en leur apportant ses fruits.
Du point de vue
religieux les Yarse pensent avoir rendu un service fondamental
aux Moose en leur faisant découvrir la croyance en dehors de la-
quelle il n'y a pas de salut:
l'islam.
Les images que nous avons décrites tant du cOté moaga que
du cOté Yarga sont des stéréotypes généraux. Les jugements
auraient été certainement plus nuancés si nous avions songé à
diviser chacune des deux parties en plusieurs petits groupes,
c'est à dire à faire intervenir le critère de l'islam. Par eXEm-
ple il aurait été plus intéressant de savoir ce que pensent,
d'une part les Moose musulmans des Yarse et d'autre part ce que
pensent les Moose non musulmans. Du cOté Yarga l'analyse aurait
été plus fine s ' i l avait été possible d'avoir séparément le
regard des Yarse et celui des yarsifiés sur les Moose. Néanmoins
les dictons et les proverbes qui ont servi à l'analyse de ces
images sont suffisamment populaires pour être fiables, encore
que les enseignements que l'on peut en tirer dépendent largement
des interprétations.
Les images que Yarse et Moose se sont faites les uns des
autres vont se cristalliser et d~boucher sur une sorte d'opposi-
tion culturelle.

279.
3.3.3. Une opposition culturelle?
En considérant les regards que ces deux "communautés"
portent l'une sur l'autre, à travers les plaisanteries et les
discours humoristiques, on a le sentiment qu'elles se définissent
beaucoup plus l'une par rapport à l'autre qu'en elles-m~mes.
Ainsi nous avons souligné que des deux cOtés on assiste à un mé-
pris, mais ce mépris ne se transforme pas en haine, et Yarse et
Moose cohabitent paisiblement ensemble dans les villages. Cepen-
dant,
la volonté de chacun des deux groupes de se définir diffé-
remment de l'autre, de s'opposer à l'autre s'est affirmée au point
de créer deux univers culturels à la fin du XIXème siècle lorsque
les tendances d'un islam plus militant émergèrent avec les fameux
j ihads.
Au niveau des origines,
les Yarse sont généralement consi-
dérés comme des étrangers venus du Mande mais intégrés à la
société maaga sans être entièrement assimilés,
justement à cause
de ces différences cu~turelles. Si l'on considère la langue, les
Yarse et les Moose parlent, certes, ensemble le maare, mais on
note dans le vocabulaire quelques mots et expressions qui sont
uniquement utilisés par les Yarse. Ainsi par exemple dans le Moogo
central, les enfants Moose désignent leur père par le mot k~ema
alors que les Yarse utilisent le mot seaba. Littéralement k~ema
signifie "grand frère".
Les Yarse indiquent que s'ils désignent
autrement leur père c'est pour se démarquer des Moose et notamment

280.
de leurs coutumes qui autorisent les enfants,
les fils à repren-
dre les épouses de leur père, après la mort de celui-ci
(1).
Cette pratique est observable dans plusieurs sociétés africaines
non islamisées. On remarque que le terme s~aba ressemble à soaba
qui exprime la propriété. Les Yarse ont-ils voulu montrer le rôle
capital du père dans leurs groupes? En effet,
il était chargé
d'envoyer les enfants à l'école coranique, de les initier au tis-
sage et au commerce. On ne peut cependant pas b~tir un raisonne-
ment sérieux à partir de ces termes car linguistiquement i l n'y a
pas de rapport entre eux.
Dans les termes d'adresse, on constate que les Yarse, à
l'opposé des Moose, utilisent Ke plus prénom (2)
pour désigner
entre eux celui qui est plus ~gé. Ke est certainement une forme
réauite de K~ema (ainé)
(3).
Le sentiment d'être une minorité religieuse semble avoir
eu une telle emprise chez les Yarse qu'il influença
toute leur
vie et finit par les catactériser. Les Yarse sont musulmans alors
que les Moose sont en général animistes
(pour la période qui nous
intéresse). Ce faisant les différences dans l'habillement ou dans
l'alimentation sont notoires.
Inutile d'insister sur les secondes.
En revanche,
le mode vestimentaire mérite qu'on fasse quelques
commentaires. "Le Yarga,
affirme-t-on,
s'oppose au Moaga par ~e
port du bonnet et du boubou b~anc". La couleur blanche symbolise
(1)
KOUANDA Ousmane, Bakata, 15 mars 1983.
(2)
Par exemple:
Ke Boureima,
Ke Musa •••
(3) Nikiema, Edgom moore. La grammaire du Moore en 50 leçons,
1980, p. 80.

281.
pour l'informateur le musulman, mais aussi la propreté. C'est
pourquoi, il dépeint dans ses propos les Moose habillés en noir,
quand il ne les laisse pas nus, avec seulement un cache-sexe et
un poignard autour de la ceinture
(1). Tauxier qui comparait en
1917 les deux communautés ne cache pas sa sympathie pour les
Yarse.
Il écrit:
"Les Yarse sont de moeurs plus douces que
les
Mossi,
un peu plus civilisés et surtout plus riches.
Leurs villa-
ges sont propres,
leurs constructions plus belles,
leurs v'tement~
plus soignés.
On respire chez eux un air d'aisance qui contraste
avec la saleté et la mis.re ordinaire des villages mossi"
(2).
Ce jugement, très subjectif, présente un signe d'islamo-
philie, c'est à dire un intér~t pour l'islam conçu comme un fac-
teur de civilisation et un stade intermédiaire entre la "sauvage-
ri~" et la civilisation occidentale. Il justifie aussi les impôts
plus élevés perçus par l'administration coloniale aux Yarse sup-
posés ~tre plus riches que les Moose.
L'architecture yarga ne présente aucune différence avec
celle des Moose. On peut seulement noter la présence du z~ngo
(sorte d'antichambre à l'entrée de la concession), et du gesgo
(maison rectangulaire à terrasse)
qui sont des styles de cons truc-
tions réservées aux chefs et aux Yarse
(3).
Ce qui montre en définitive que l'opposition avec les Moose
ne se situe pas exclusivement autour des domaines religieux et
(1)
KOUANDA SaIdou, Bakata, 15 mars 1983.
(2) TAUXIER, Le Noir du Yatenga,
1917, p.
569.
(3)
C'est là encore un privilège, car les talse ne pouvaient pas
et n'avaient pas le droit de batir leurs maisons selon ces
styles.

282.
commerciaux, c'est que les Yarse ont "inventé" des danses recon-
nues par les Moose comme étant propres aux Yarse.
Il s'agit du
yarm,
du tarkaye et dans une certaine mesure du salu. Dans la
dernière partie de l'étude nous montrerons comment ont évolué
ces danses dès lors que les Yarse se verront "contraints" de
raffermir leur islam avec les mouvements massifs de conversions
des Moose et l'émergence de grands lettrés dans le monde moaga.
La place qu'occupent les Yarse dans le Moogo jusqu'au
XIXème siècle est importante. L'histoire complexe de leur peuple-
ment,
la diversification de leurs activités économiques,
leur
statut politique qui font d'eux une catégorie de privilégiés,
rendent difficile leur définition que nous essayerons d'aborder
dans la dernière partie de ce travail, mais seulement après avoir
étudié d'abord leur rÔle dans l'islamisation récente du Moogo.
o
o
0
o
" .
• -.t. . . . A
.,• ."-.
........ 1<"

283.
TROISIËME PARTIE
LES YARSE DANS LA SOC 1ETE f10AGA CONTEf1PORA 1NE

284.
1 CHAPITRE
l

285.
"
UN RAYONNEMENT .. MUSULMAN CONTEMPORAIN AU MOOGO
Au XIXème siècle,
la sédentarisation de plusieurs grou-
pes yarse est remarquable.
Les colonies qu'ils ont créées dans
la partie sud du Moogo pour des besoins agricoles sont importan-
tes. Ce choix rural s'explique en partie par la concurrence
Hausa et Dyula. Les Yarse ont perdu le monopole du commerce au
Moogo.
Dès lors ils s'orientent plus vers la création de foyers
musulmans dans lesquels les activités agricoles et l'enseigne-
ment coranique supplantent les activités commerciales. Cette
nouvelle phase de l'histoire des Yarse s'intègre, dans le con-
texte Ouest africain, dans une époque de regain de l'islam.
Elle s'intègre aussi dans une période d'interventions extérieu-
res
(européennes)
au niveau de la région. C'est dans cette con-
joncture que les jihads Usmanien et Omarien connurent un grand
écho.
Ils développèrent chez certains groupes musulmans africains
un militantisme accru. Au Moogo,
l'islam gagne du terrain
(con-
version du Moog-naaba,
nomination d'un imam à la cour, accrois-
sement du nombre des musulmans Moose)
sans avoir recours à des
entreprises de type militaire.
1.1. Les Yarse comme agents d'islamisation
Le rOle des Yarse dans l'islamisation du pays moaga
peut ~tre apprécié de façons très diverses. Selon une démarche

286.
très simplifiée divers auteurs ont exagéré l'action des mar-
chands dans l'islamisation des sociétés africaines. L'image
des courtiers dyula ou hausa répandant en marne temps que leurs
marchandises la religion musulmane a été diffusée par les pre-
miers écrits consacrés à l'histoire de l'islamisation en Afri-
que de l'ouest
(1). C'est ainsi que les Yarse, commerçants mu-
sulmans,
se virent attribuer le titre "d'agents
les plus actifs
de
l'islamisation dans
le milieu mossi"
(2). Cette vision doit
être nuancée car les marchands n'ont pas toujours le bagage in-
tellectuel et théologique nécessaire à cette tache. Mieux, en
ce qui concerne les Yarse, nous avons déjà fait remarquer qu'un
certain nombre d'entre eux ont privilégié l'activité commerciale
au détriment de l'activité religieuse et cela jusqu'à la fin du
XVlllème siècle. A partir de cette époque certains lettrés issus
de ce milieu vont jouer effectivement le raIe "d'islamisateurs"
en créant des foyers musulmans à travers le Moogo. Il importe
de souligner dès à présent que ces foyers sont presque tous
situés en dehors des capitales politiques des royaumes nakomse.
L'attitude des souverains moose consistant à renvoyer à la
"périphérie" les Yarse qui souhaitaient ouvrir des grandes écoles
coraniques, montre que le Pouvoir était informé des soulèvements
des musulmans dans les Etats avoisinants et qu'il craignait donc
que les marabouts installés au Moogo ne provoquent des agitations
(1)
Exemples : DELAFOSSE, FROELICH, NICOLAS
(voir la bibliogra-
phie pour les références complètes).
(2)
CUOQ, Les musulmans en Afrique,
1975, p.
265.

287.
susceptibles de déboucher sur une contestation et une déstabili-
sation de son autorité. Cela, d'autant plus que ces marabouts
sont considérés comme forts en tiim et capables de faire des
miracles.
Il est difficile de mesurer tout l'impact de ces mara-
bouts dans les conversions de Moose que l'on observe ~ partir du
XIXème siècle. En effet,
les conversions antérieures qui avaient
donné de nombreux yarsifiés,
étaient essentiellement motivées
par le désir de se livrer aux activités commerciales.
1.1.1. Le réseau de diffusion
Comment les Yarse ont-ils diffusé l'islam, quelles
ont été leurs méthodes de conversions, quelles ont été les
couches de populations touchées par les premiers mouvements
de conversions ?
Avant de répondre à ces questions,
soulignons que l'usa-
ge de la langue moore par les Yarse a considérablement facilité
leur tâche. En effet,
ils pouvaient se faire bien comprendre
par les gens du pays et cette communauté linguistique suscitait
chez les Moose une certaine confiance dans les Yarse qu'ils clas-
saient parmi "la race des marabouts"
(l).
L'influence musulmane dans le vocabulaire moore est
considérable. Elle s'exprime tout naturellement dans la termino-
(l)
BICHON, Les musulmans de la subdivision de Kombisiry,
1962,
p.
4.

288.
logie religieuse mais aussi dans le lexique "profane". Selon
une étude réalisée par Gaston Canu
(1),
les emprunts de cette
langue à l'arabe sont de deux sortes:
les emprunts directs
et les emprunts indirects. Dans le deuxième cas,
i l s'agit
des mots arabes qui ont subi une déformation en passant par une
autre langue négra-africaine
avant de parvenir au moore :
ces langues sont notamment le pular,
le malinke et le soninko
( 2) •
La présence dans le vocabulaire religieux des mots
d'origine arabe semble tout à
fait normale:
l'islam est né
en Arabie,
le Coran est écrit en arabe et comporte des concepts
difficilement traduisibles,
parce qu'inconnus dans la civilisa-
tian moaga. En revanche,
l'emploi de mots arabes ne relevant
pas de ce lexique,
indique soit des relations anciennes avec
des sociétés musulmanes africaines,
soit une influence de l ' i s -
lam dans la culture moaga en tant que telle. Cette influence
pourra..:.r ôt-.e "'.oe. à l'actif des Yars~3)qui par le biais du commerce
étaient en contact avec les métropoles "soudanaises", elles-
mêmes en relations avec l'Afrique du nord.
C'est probablement par les Yarse que 9ue~uesuns de ces
mots arabes se sont imposés dans le vocabulaire moore,
car
n'oublions pas qu'ils ont été pendant longtemps les seuls
moorephones musulmans dans tout le Moogo. On peut donc émettre
(1) CANU,
"Remarques sur quelques emprunts lexicaux en mo':re",
The journal of West african languages, vol.
5, nO l,
p.
25
à
34.
(2)
Ibidem,
p.
26.
,
L
(3) Il faut cependant éviter de penser à tout prix que c'est uniquement
par les Yarse que le vocabulaire arabe a pénétré au Moogo.
L'arabe
indépendamment des Yarse est une langue véhiculaire dans la zone
pnt-rp
l p
fl PII\\lP Ni opr
Pt-
l ~
fnrpt-_

289.
aJ...."'" cla-
l'hypothèse ~ueYces/mots ont circulé d'abord dans leur milieu
avant de se généraliser, et avant d'être adoptés par l'ensemble
des Moose, aussi bien musulmans que non musulmans. En voici
quelques exemples.
Vocabulaire théologico-religieux
---------------------------------------------------------------
Moore
Arabe
------_. -------------------------------------------------------
arzana
(paradis)
al jan~t
(paradis)
barka
(merci, valeur)
baraka
(bénédiction)
doaga
(bénédiction, aumOne)
du"aûn
(louange à Dieu)
~ndunia (monde d'ici-bas)
ni~
(monde d'ici-bas)
gafare
(pardon, grace)
gafur
(pardonneur)
misiri
(1)
(mosquée)
masjidul
(mosquée)
sida
(vérité)
sidiq
(véridique)
Autre vocabulaire
------------------------------------------------------------------
Moore
Arabe
------------------------------------------------------------------
arzeka
(richesse)
'arzagu
(moyens de subsistance)
abada
(jamais + négation)
"abadan
(j amais)
habale
(véritable)
h~la l
(licite)
faado
(héritage)
fadal
(part de succession)
nasaara
(européen)
nasara
(chrétien)
mrJinaafika
(colonisateur)
munafiq
(hypocrite)
kibare
(nouvelle)
jabarun
(nouvelle)
ztna
(génie)
jinn
(génies)
zamana
(époque)
zam~nun
(siècle de ••• )
(1) Misra désigne aussi l'Egypte

290.
Les emprunts lexicaux du moore à l'arabe pourraient constituer
à eux seuls un important travail de recherche en linguistique.
Sur les exemples considérés ci-dessus, on peut faire deux prin-
cipales observations. Outre la déformation du mot arabe original
(déformation due souvent à la transformation ou à l'adaptation
de sons n'existant pas en moore [exemples:
j, ~, h, q])
i l Y
a des glissements de sens. Par exemple le terme nasaara dérivé
du mot arabe nasara qui désigne dans le Coran les chrétiens,
est utilisé pour désigner les Européens. De m~me mwinaafika,
déformation de munafiq
employé dans le texte coranique pour
désigner les hypocrites est utilisé en moore pour indiquer
les calomniateurs. C'est aussi le cas du mot doaga
(du'aan en
arabe) qui ne traduit pas seulement en moore l'action de louer
Dieu, mais l'aumône et la bénédiction. De m~me,
ztna
(jinn)
veut
dire génie en moore alors que sa prononciation laisserait entre-
voir à un arabisant un sens différent
notamment l'adultère ou
la fornication. Le terme arabe baraka a pris la signification
de merci, de valeur, au détriment de son sens théologique
(béné-
diction).
On pourrait multiplier les exemples d'emprunts à l'arabe
qui ne concernent m~me pas des faits ou des notions de la civi-
lisation musulmane. Une connaissance linguistique approfondie
dans les deux langues s'impose pour mener à bien une telle étude.
Quoi qu'il en soit, l'usage de ces termes est fort répandu et
certains se sont imposés au détriment d'autres termes purement

291.
moose. Tels sont par exemple le cas du mot Zai
(jamais)
qui
est en train d'~tre supplanté par abada, et du mot kab~e
(pardon, excuse)
concurrencé par le terme gaafa~e. Il en est
de même du mot ttnk~needa (calomniateur) employé concuremment
avec muinaafika.
La généralisation de ces termes en milieu moaga n'est
pas un témoignage d'islamisation mais un élément d'influence
de la culture arabe et un signe de contacts séculaires avec des
musulmans.
Dire que les Yarse sont à l'origine de l'islam au Moogo
n'est pas une exagération. Nous l'avons déjà souligné dans la
première partie: l'islam pénètre par les cours des souverains
qui ont voulu exploiter les puissances magiques des marabouts
yarse
il touche ensuite les Moose qui se sont livrés au com-
merce et les condamnés de la justice ancestrale. L'expansion
de cette religion est aussi favorisée par la place qu'occupent
les marabouts dans les cours royales, notamment la fonction de
conseillers. Dans les compétitions pour obtenir le naam d'un
village ou d'un commandement qui opposent plusieurs candidats,
nous avons vu qu'il arrivait que le Moog-naaba délègue un mara-
bout pour aller enqu~ter sur les différents prétendants et lui
fournir un rapport. Durant son séjour le marabout se fait des
adeptes dans le village en question.
Il serait aussi très favo-
rable dans son rapport, au candidat proche des musulmans si bien
que lorsque ce dernier est élu, des musulmans pourront s'instal-

292.
1er dans son territoire et ouvrir des écoles coraniques.
Certains chefs locaux, pour imiter leur souverain,
demandent à des marabouts yarse de venir s'implanter dans leur
ressort afin de leur faire des doose.
Une fois installés, ces
marabouts recrutent des adeptes notamment dans le milieu des
jeunes, lesquels forment avec les propres enfants des marabouts,
les élèves de l'école qu'ils fondent.
Pour comprendre le succès de ces marabouts dans une
société fortement attachée à ses croyances ancestrales,
pour
expliquer les progrès d'une religion comme l'islam qui exige
de ses adeptes le respect de quelques observances
(les cinq
piliers de l'islam) et de quelques interdictions absolues
(vian-
des non rituellement abattues, porc, alcool,
représentations et
symboles anthropomorphiques ouzoomorphiques ••• ) dans un milieu
où le dola,
les idèles et les masques sont très enracinés, il
convient de s'interroger sur les motifs de la conversion de la
conversion et sur la vie pratique des convertis. Qu'est-ce qui
pousse les Moose à se convertir à l'islam, pourquoi devient-on
musulman ? Les réponses à ces questions fournissent en même
temps des éléments d'explication sur la tiédeur de leur pratique
musulmane.
Sans vouloir soutenir que les Moose ne se convertissaient
pas à l'islam par conviction,
i l faut à vrai dire reconnattre
que les premières conversions se révélaient être toutes intéres-
sées. Même si elles avaient été apparemment volontaires ~e~

293.
conversions étaient considérées comme des voies par lesquelles
on pouvait atteindre un objectif, des moyens par lesquels on
"améliorait" son statut social, économique et politique. En
d'autres termes,
i l s'agit d'étudier pourquoi et comment un
Moaga devenait musulman.
Au Moogo,
les Yarse identifiés comme porteurs de v~te­
ments blancs apparaissent extérieurement propres par rapport
aux Moose. Cette propreté est admirée, enviée; elle incite
quelques jeunes Moose à se convertir afin de ressembler aux mu-
sulmans yarse. En plus, appartenir à la communauté des musulmans
représente un prestige , une promotion sociale, dans la mesure
où ces derniers sont traités avec beaucoup d'égards par l'aris-
tocratie. Nous avons vu qu'ils étaient autorisés à saluer les
nanamse sans se décoiffer, et que leurs biens n'étaient pas en
principe confisqués. ~ependant ces distinctions de marque et
ces avantages reconnus aux musulmans ne sont pas suffisants
pour susciter à tous les niveaux d'importantes conversions,
étant donné que le désir d'imiter, de devenir comme les Yarse
est en même temps freiné par celui de l'affirmation de la diffé-
rence, c'est à dire le refus d'abandonner ce qui parait vital à
la civilisation des Moose :
les cultes ancestraux, les sacrifi-
ces. C'est dire donc que m~me une fois le passage à l'islam
réalisé, ils essayent de concilier leurs pratiques anciennes
avec leur nouvelle religion et de trouver des accommodements.

294.
Reconnus ~tre en possession du tiim plus efficaces que
ceux des guérisseurs traditionnels,
les Yarse exploitent cette
situation pour "imposer" l'islam à certains de ceux qui viennent
les consulter. Par exemple lorsqu'un Moaga va voir un marabout
à
la suite de plusieurs décès d'enfants en bas age, ce dernier,
tout en lui donnant une amulette que la femme portera pendant
sa grossesse, ne manquera pas de lui indiquer que le meilleur
remède serait de donner un nom musulman à
l'enfant dès sa nais-
sance. Car sa mort prématuraexprime sa colère contre la persis-
tance de ses parents à vouloir le maintenir dans l'animisme. Il
va sans dire que si par bonheur,
la femme accouche et que l'en-
fant survit,
le marabout a un ta~ibé en plus,
lequel pourrait un
jour convaincre ses parents de devenir musulmans.
Il arrive aussi que pour cause de stérilité,
le marabout
propose comme remède à son client de le convertir à l'islam, en
lui expliquant qu'il est suivi par de bons génies qui n'aiment
pas le dolo et les "idoles"
(1). Explication ou cause invraisem-
blables pour des rationalistes, mais suffisante pour entra!ner
un superstitieux à èmbrasser l'islam! En intervenant sur le
plan de la fécondité,
les Yarse interviennent dans un domaine
qui est au coeur des préoccupations de la population. Il y a
donc là une conjonction entre les bienfaits des Yarse et un sou-
ci primordial de la société.
La conversion peut être quelquefois liée à une demande
d'alliance matrimoniale. En effet, alors que les musulmans peu-
(1)
SANFO Ibrahim, Rakaye,
17 février 1980.

295.
vent
épouser les filles des non-musulmans,
le contraire n'est
pas possible et exige la conve~sion du prétendant.
Toutes ces méthodes sont pacifiques, mais elles compor-
tent un aspect "contraignant" étant donné que c'est souvent
dans des situations "désespérées" et "difficiles" que le Moaga
devient musulman. Ces conversions n'ont donc pas toujours pour
cause une profonde conviction. Elles sont motivées par la volontÉ
de trouver un remède à une maladie, ou une solution à un problè-
me matrimonial. Rares sont les cas où le passage à
l'islam se
fait spontanément. Encore que m~me dans ces cas, à regarder de
très près on trouvera des mobiles économiques ou sociaux voilés.
Selon divers témoignages,
la conversion en elle-même
consiste en quelques opérations. Lorsque le non-musulman se pré-
sente devant le marabout et exprime son souhait de se convertir,
le marabout réunit au moins trois de ses corélégionnaires et
leur fait part de l'intention de son visiteur. Ensuite le plus
instruit du groupe pose trois fois la question suivante au vi-
siteur
:
"Acceptes-tu de
te
convertir pour suivre
le
chemin de
Dieu et de
son prophète Muhammed
?", lequel doit répondre posi-
tivement. Au bout de la troisième fois,
le marabout demande à
ses collègues d'être
lémoins devant Dieu et devant l'Umma de
l'engagement de son hôte.
Puis on lui rase la tête. Cette opéra-
tion n'est pas sans évoquer le "bapt~me" musulman, le huitième
jour de la naissance où on rase la tête du nouveau-né avant de lu
donner un
nom.
Le futur musulman est ensuite conduit dans un

296.
coin où on lui montre comment le musulman doit prendre sa douche.
Cette douche, effectuée sous l'oeil ou sous le guide d'un mara-
bout est censée purifier le "novice", et après cette opération
il est apte à recevoir un nom musulman, élément qui le distin-
guera désormais des non-musulmans. s ' i l s'agit d'un adulte on
lui demande de choisir parmi une liste de
noms qu'on lui pro-
pose, celui qui lui plaît davantage. Au cas où c'est un adoles-
cent,
le marabout choisira pour lui le nom qu'il jugera "bon",
ou celui qui correspond au jour en question. Ceci fait, on lui
apprend sur place la formule de la shahada en arabe tout en
prenant soin de la lui traduire et de la lui commenter en moore.
Le même jour on lui montre comment i l doit faire ses ablutions
pour les prières. Un exposé sur le licite et l'illicite dans
l'islam lui est brossé. La cérémonie se termine par une bénédic-
tion et par la célébration d'une des cinq prières journalières
(selon le moment de la cérémonie)
à laquelle participe le nou-
veau. Enfin des dernières recommandations lui sont faites, afin
qu'il fréquente les mosquées et les écoles coraniques les plus
proches de son domicile, pour se perfectionner. C'est, dit-on,
la meilleure, voire la seule manière pour lui d'améliorer et
d'approfondir sa pratique. Il est aussi invité à se débarrasser
de tous les "fétiches" qu'il possède chez lui, et à prendre atta-
che avec son convertisseur pour les questions et les problèmes
qu'il rencontrera dans sa nouvelle vie. C'est là un lien de
dépendance qui est établi dès le premier jour de la conversion.

297.
En l'espace de quelques heures,
la conversion est réa-
lisée et le nouveau devient membre à part entière de la commu-
nauté.
La rapidité et la simplicité de ce rite de passage font
écrire à Jean Audouin et Raymond Deniel que "l'arbre se juge
à ses
fruits.
L'adhésion à l'islam ne peut d'aucune façon ~tre
comparée à
l'entrée dans le christianisme~ car elle est trop
facile.
Et comment pourrait-on la croire sincère quand on sait
la tactique utilisée par les agents convertisseurs. Cette tacti-
que~ les Pères s'appliquent à plusieurs reprises à la démontrer
pour en manifester l'efficacité et la supercherie"
(1). Ce
jugement sévère de la part des missionnaires chrétiens traduit
leur désarroi devant les succès remportés par l'islam,
et devant
l'influence grandissante des marabouts sur les populations moose.
Influence nettement affirmée par la conversion officielle des
moog-naaba depuis Dulugu.
1.1.2. Les marabouts yarse
Ils sont à
l'instar des chefs moose, vénérés par leur
entourage. En étudiant l'organisation socio-politique des vil-
lages yarse,
nous avons montré le rÔle qu'ils jouent au sein
des communautés. Pour mieux saisir leur importance dansladiffu-
sion de l'islam au Moogo,
leur influence tant sur les nanamse
que sur les simples croyants,
il convient de s'interroger sur la
(1)
AUDOUIN et DENIEL, L'islam en Haute Volta à
l'époque colo-
niale,
1978, p.
79.

298.
formation intellectuelle et religieuse (ces deux formations ne
seront pas dissociées dans ce cas précis)
qui les distingue de
la masse des Yarse et des croyants. Pour ce faire,
nous examine-
rons deux exemples de biographies. Bien qu'elles ne se détachent
pas des schémas habituels des biographies de lettrés musulmans
"anciens", elles constituent chacune, un cas intéressant pour
l'étude de la recherche du savoir dans la catégorie sociale que
forment les marabouts.
La présente biographie
(ou plutOt,
les éléments biogra-
phiques)
nous a été livrée par l'informateur lui-même. Nous
avons supprimé dans la présentation qui va suivre, tous les
éléments jugés très privés et ne pouvant être publiés.
Al Hajj Abubakar Kuanda, actuellement grand im~m
de la mosquée de vendredi de Zoâgna, un des quartiers populaires
de la ville de Wogdogo est né vers 1926 à Palgmtenga
(1). Avec
son père, Al Hajj Said, qui était maître coranique,
il étudia le
livre saint et dès l'~ge de sept ans il savait lire et écrire.
Son père ayant décidé de se rendre à Bakwu (au nord du Ghana
actuel)
à l'époque de moog-naaba Kom II avec ses talibés,
i l
emmena avec lui le jeune Abubakar, sur le dos d'un cheval que
venait de lui offrir le moog-naaba. Traversant tout à tour les
villages de Lanoag-yiri et de Kombisiiri,
ils arrivent à Guiba
(1)
Selon ses pièces d'identifications officielles.

299.
où le prince héritier du Moogo offre au marabout un ane. Ce
cadeau indique qu'il avait de très bonnes relations avec les
nanamse. C'est sur le dos de cet animal que Abubakar va faire
le reste du trajet, tandis que sa mère et les talibés suivent
à pied.
De Guiba,
le groupe se rendit à Manga, puis à Googo,
Bayaaga, Zurma, et après avoir traversé le pays Bisa,
il arrive
enfin à Bakwu.
Il semble, d'après notre informateur, que le voyage ait
duré plusieurs semaines à cause des longs séjours dans les dif-
férents villages traversés. Ces arr~ts étaient l'occasion pour
le marabout de se faire des adeptes, de convertir des Moose et
de tisser des liens avec les autres marabouts des villages tra-
versés. En outre,
les séjours étaient d'autant plus longs que
les nanamse des villages demandaient au père d'Abubakar de prier
pour eux, afin que Dieu éloigne de leur commandement la misère,
la maladie et la guerre.
Quelques temps après s'~tre installés à Bakwu, Said
partit à pied en pélerinage à La Mecque. Il aurait mis dix ans
(aller-retour). Revenu vers 1945, i l mourut sept ou dix ans plus
tard.
Abubakar qui avait poursuivi son instruction pendant
cette longue absence de son père, avait obtenu entre temps son
"attestation de fin d'apprentissage élémentaire du Coran~ et
avait commencé l'étude de quelques traités de droit malékite

300.
dont la Risala. Le mattre qui l'enseignait durant l'absence de
son père ne cessait de faire des références à un certain
Ibrahima Nyas, érudit et grand saint, si bien qu'après la mort
de son père i l décida d'aller approfondir ses études auprès de
ce marabout. La soif de partir le déborda lorsqu'un talibé de
Ibrahima Nyas, de passage à Bakwu lui offrit un livre écrit par
son mattre. A la lecture du livre, Abubakar résolut de se rendre
à Koalak pour y rencontrer celui qui devait devenir son grand
mattre : Ibrahima Nyas. Voici son portrait d'après Vincent
Monteil:
"L'une des personnalitls
les plus remarquables de
ces marabouts du Slnlgal est
le
tidj~ne El Hadj Ibrahima Nyas.
Fils de marabout,
i l est
le petit-fils d'un simple
forgeron du
Dyolof.
Il a
fait ses Itudes en Mauritanie et passe pour grand
savant,
auteur de nombreux ouvrages religieux.
Il vit à
Kaoladh,
dans
son fief de Médina où chaque annle
la clrlmonie
de
la Ziyara attire trente mille personnes •••
C'est un homme
~gé, imposant et majestueux, corpulent, v~tu de blanc, coiffé
d'un bonnet de
laine blanche.
Très cultivl,
grand amateur de
radio arabe,
i l comprend tout
[ ••• ].
Les jeunes disciples
(taa-
libé)
en robe verte ou bleue,
doivent se parler,
en principe,
en arabe.
La bibliothèque du marabout
[ ••• ] à première vue,
elle
renferme
les
livres de piété usuels,
les
traités de droit malI-
kite,
les Iditions courantes du Caire"(l).
Abubakar quitte Bakwu en compagnie d'un Hausa pour Wog-
dogo. Là i l prend le train jusqu'à Bobo.4 ~qrhrde. W1i..' 1J11I~>e
e.Jre-
(1) MONTEIL, L'islam noir,
1971, p.
147.

301.
dQ"~'4"(Q,,,;~,,qui l'amène à Bamako. Il prend à nouveau le train
jusqu'à Kaolak.
A sa première rencontre avec son nouveau ma!tre, Abuba-
kar s'était fait féliciter par son courage et sa soif de con-
nattre la parole divine. Le problème de communication qui
s'était posé au début de son séjour est vite résolu dès que le
mattre lui donna des cours intensifs d'arabe classique.
Il étudia plusieurs ouvrages auprès d'Ibrahima Nyas,
dont les principaux sont :
-
la Risala d'Ibn Abt Zayd
-
le Tafs'Îr de Suyuti
(1)
-
le Tafstr de Ibn Abbas
-
le recueil des hadith de Bokhari et Musli~ (2)
-
le jaw~hir al-ma'~nt (3)
-
les ouvrages de Gazali principalement le livre du
licite et de l'illicite.
Il Y apprit aussi des poèmes en l'honneur d'Al Hajj
(1)
Célèbre savant égyptien né au Caire en 1445, mort en 1505.
L'encyclopédie de l'islam le considère comme l'écrivain le
plus fécond de l'Egypte à l'époque des Mameluks, et peut-être
de toute la littérature arabe en général. Il s'est distingué
dans l'enseignement du droit, de l'exégèse coranique, des
hadith de la linguistique, de la grammaire et de l'histoire.
Son ouvrage,
le Tafstr al jal~layn est très utilisé en Afri-
que de l'ouest.
(2)
Célèbres spécialistes de hadith.
(3)
Ouvrage qui expose la biographie da Ahmad Tijani, et la doc-
trine de la Tij~niyya.

302.
Omar Tall. Initié au wipd (1)
tij~niyya douze grains, il demeura
dix ans à Médina. Abubakar aime comparer son maître à un Sufi.
De retour à Wogdogo dans les années 1960, i l fonde une école
coranique et reçoit des élèves venus du Ghana et de l'intérieur
dIA
&ur ki nC\\ -F""SCP.
Il fit le pélerinage en avion en 1978.
Invité annuellement par les marabouts de Bakwu pour faire le
commentaire du Coran pendant le mois de ramadan, Al Hajj Abubakar
ne peut plus y aller à cause de sa fonction de grand Im~m.
Ce récit est riche d'enseignements. Il montre comment
les musulmans du Moogo qui souhaitaient approfondir leur connais-
sance étaient obligés d'aller très loin. Ceci est un signe indi-
quant que m~me jusqu'à la période coloniale, les grands lettrés
n'étaient pas nombreux dans le pays moaga.
Le schéma biographique d'Al Hajj Abubakar est un classi-
que : apprentissage du Coran en famille,
approfondissement auprès
de marabouts extérieurs,
initiation au wird auprès d'un maître
de réputation intefnationale, enfin retour dans son pays pour
propager l'islam et la tapiqa de son maître.
Il est intéressant
de noter que la plus grande partie de sa formation s'est déroulée
hors du Moogo, ce qui laisse sous-entendre dans une certaine
mesure que jusqu'au début du XXème siècle, ce pays ne possédait
pas de grands UZema de réputation internationale et les meilleu-
res écoles coraniques ne dispensaient que des enseignements élé-
mentaires ou "secondaires".
(1) Oraison liturgique (en général des versets choisis dans le
Coran).

303.
Le cas d'Al Hajj Rabo Usman diffère de celui d'Abubakar
Kuanda sur bien des points. A l'opposé du précédent, celui-ci
s'est dirigé vers le Macina pour faire ses études. Le choix de
cette région traduit-il un attachement particulier aux torodbe
ou s'agit-il uniquement d'une question de proximité géographi-
que, car i l faut le rappeler, Al Hajj Rabo est originaire du
Rat~nga, royaume moaga faisant frontière avec le Jelgogi, dont
les émirs sont issus du Macina. Ce qui parait certain, c'est
que dans les milieux Yarse, ceux qui ont fait leurs études auprès
de ma!tres peul sont honorés et estimés parce que, semble-t-il,
ils prononcent très bien l'arabe. Ce détail est très important,
car bien que les Yarse disent avoir été plus anciennement isla-
misés que les peul,
ils leur reconnaissent la qualité de leur
élocution et de leur enseignement coranique. Ne faut-il pas voir
là le souvenir dans la conscience collective des mouvements de
jihad torodbe du XIXème siècle dont Usman Dan Fodio et Al Hajj
Omar furent les principaux leaders? Quoi qu'il en soit, Al Hajj
Usman est respecté ~ans doute à cause de son age, mais aussi à
cause de son savoir, de sa foi,
des expériences acquises lors de
ses voyages d'étude qui ont rempli toute sa vie d'adulte.
Né semble-t-il à l'époque du Moog-naaba Wobgo
(1889-1897)
d'un père maitre d'une petite école coranique, Usman, après avoir
été circoncis vers l'age de dix ans est envoyé cinq ans plus
tard pour poursuivre ses études coranique à Mopti. Au bout de

304.
neuf ans il apprit le Coran et les poèmes dédiés
à Ahmad ben
Ahmad, le fondateur de la Dina. Il y étudia aussi le jaw~hir
a l ma' ~n i
(1) •
Revenu dans son village alors qu'il était dans sa pleine
jeunesse, i l épousa une yarga, mais au lieu de se fixer i l pré-
féra repartir à la recherche du savoir. Cette fois c'est à Tom-
bouctou qu'il se rendit. Accueilli par un marabout du nom de
Alpha Cisse dont les connaissances, selon les dires de notre
informateur, étaient illimitées,
il demeura avec lui plus de
sept ans et étudia bon nombre d'ouvrages dont les principaux
titres sont les m~mes, ou à peu près les mêmes que ceux cités
dans le premier exemple. A nouveau de retour dans son village,
i l ne s'y installa pas, parce que, explique-t-il "son iman {foi}
n'était pas bien rempli,
parce qu'il n'avait pas encore visité
les
lieux saints de
l'islam".
Il le fera à pied et mettra huit
ans pour aller et revenir. En route i l rencontra plusieurs hom-
mes de sciences auprès desquels i l étudia encore.
Ces deux exemples de biographies ne doivent pas nous
donner l'illusion que tous les marabouts yarse possèdent cette
culture. Il s'agit de cas spéciaux, car dans l'ensemble l'ins-
truction des maîtres coraniques Yarse est faible.
Cependant leur
rôle dans l'islamisation du Moogo est important, car les élèves
qu'ils forment,
une fois de retour dans leur village, se feront
un devoir de diffuser l'islam.
(1) Ouvrage religieux où est exposée la doctrine de la ttjâniyya.

305.
Les adhésions se faisant sans beaucoup de conviction
et les ma!tres très tolérants à l'égard des non-convertis
qu'ils réussissent à attirer petit à petit vers l'islam ne
trouvaient plus aucune justification d'entreprendre un jihad.
Cela n'aurait même pas été possible,
parce que d'une part les
musulmans demeuraient minoritaires, et d'autre part le compro-
mis historique avec les pouvoirs moose le leur interdisait.
C'est sans doute pourquoi les plus soucieux de vivre plus ou
moins en conformité par rapport aux ~escriptions coraniques sont
éloignées des capitales politiques nanamse,
lorsqu'ils expri-
ment leur souhait de fonder des foyers musulmans. Ce qui n'em-
pêche pas le Pouvoir d'avoir l'oeil sur ces centres au nom du
pacte entre Yarse et gens du pouvoir et du droit de la proprié-
té de la terre.
La progression en douceur de l'islam est à l'opposé
d'un jihad impossible. Ce qui ne signifie pas comme on vient de
le voir, une absence de réflexion et de formation de ces anima-
teurs, ou une absence d'une conscience religieuse et d'un effort
pour aller plus loin.
1.1.3. Des centres Yarse comme aires de rayonnement musulman
Les villages yarse sont généralement considérés comme
des centres où l'islam est fortement implanté. Dans l'étude de
leur organisation socio-politique, nous avons montré à travers
les personnages du mere et du
limâm
le poids de l'islam dans

306.
ces communautés. Cependant si tous les villages yarse
(du moins
la plupart)
sont vus par les Moose comme des centres musulmans,
le rayonnement de l'islam n'y est pas partout le même.
Dans le Moogo central, les villages de Sagabtenga et
de Rakaye ont la réputation d'être des localités religieuses
par excellence. Il nous a paru nécessaire et intéressant d'étu-
dier ces deux foyers en mettant l'accent sur les particularités
de leur organisation et sur les aspects qui les différencient
des autres villages yarse.
Il n'est plus nécessaire de revenir sur la fondation
de ces villages. Nous en avons déjà parlé tant au niveau du
chapitre consacré aux traditions d'origine qu'à celui réservé
à
l'expansion des Yarse à travers le Moogo.
Rappelons néanmoins
que c'est au XVlllème siècle
(première moitié du XVlllème siè-
cle pour Rakaye et fin de la seconde moitié pour Sagabtenga)
qu'ils furent créés par des Yarse de patronymes Sanfo. Il exis-
terait,
selon les traditions émanant de chacun de ces deux
centres, des relations de parenté entre les fondateurs de ces
localités. Il s'agirait de deux jumeaux, fils d'un grand mara-
bout venu du Mande
(1).
Au niveau de ces deux villages, ce qui frappe l'obser-
vateur c'est d'abord la concentration des maisons dans le cadre
du quartier, ensuite la place centrale de la mosquée, et enfin
le marché situé au bord de l'axe principal menant vers Wogdogo.
(1)
Voir chapitre II, première partie.

307.
Les quartiers ici, comme dans les autres centres yarse, regrou-
pent des individus appartenant au m~me lignage ou du moins
détenteurs d'un m~me patronyme. Les mosquées construites dans
le style "soudanais" sont situées dans le quartier du Zim~m
dans chacun des deux cas et l'habitation de ce dernier est la
plus proche de ces édifices. Elles ne peuvent contenir chacune
plus de deux cents personnes, mais heureusement elles possèdent
des cours très larges.
A Sagabt~nga, i l y a sept quartiers d'importance numé-
rique inégale. Selon notre informateur, ces quartiers auraient
été fondés dans l'ordre suivant:
-
SUKA (littéralement, milieu)
est le quartier du Zim~m. Il
est le plus gros et est habité par des SANFO. Viennent ensuite
-
BERE, quartier des KUANDA
-
PADUBTENGA,
1er quartier habité par des DERA
-
BEGOMPUSUM,
2ème quartier habité par des DERA
-
ZOAGNA, quartier des SAKANDE
-
PAKSAMA,
3ème quartier habité par des DERA
-
RIBISTENGA,
4ème quartier habité par des DERA.
Contrairement à ce que pourrait laisser croire la liste
ci-dessus,
les DERA ne sont pas majoritaires à Sagabtênga. Ce
1
sont les SAFO. De l'avis de notre informateur la présence de
quatre quartiers habités par des Yarse de patronymes DERA s'ex-
plique par le fait que les DERA de la localité n'appartiennent
pas tous au même lignage, et n'ont pas,
par conséquent,
la m~me

308.
origine. Cette remarque est intéressante parce qu'elle montre
la possibilité pour plusieurs lignages d'avoir le m~me sondpe
La "particularité" de Sagabt~nga réside dans l'absence d'une
institution de yapnaam, malgré le nombre relativement important
de ses habitants. Le village est dirigé par le Zim~m en colla-
boration avec les Kasemdamba des quartiers. Le Zim~m cumule
pouvoirs religieux et pouvoirs politiques.
Il règle les litiges
entre les habitants selon le droit coranique : se faisant il
exerce la charge de "cadi". Même de nos jours, il semble qu'aucur
différend interne aux Yarse n'a été tranché par l'administration.
Les seules affaires transférées au tribunal de Saponé ont opposé
un musulman à un non musulman.
Depuis la création du village, sept Zim~mse (pluriel
de Zim~m) se sont succédé. Du premier à l'actuel on
cite (1)
- SANFO Abd Rahman
25 ans de fonction
- SANFO Hânas
3 ans
"
- SANFO Hadare
35 ans
"
- SANFO Usman
12 ans
"
- SANFO Idrissa
36 ans
"
- SANFO Suleyman
9 ans
"
- SANFO Ahmad (l'actuel) depuis 22 ans.
y
a-t-il une relation entre le nombre des quartiers et
celui des Imâm (sept dans les deux cas)? En tout cas i l est dif-
ficile de le montrer d'autant plus que le limâm est toujours
(1)
L'informateur lisait les noms sur un manuscrit.

309.
choisi dans la famille SANFO. Nous ne connaissons pas le détail
des modes de désignation pour l'ensemble.
Il semble cependant
que l'actuel ait succédé à son père Suleyman.
Si on additionne les durées d'exercice de l'ensemble
des sept imam, on obtient un total de 142 ans. A partir de ce
nombre, si peu fiable soit-il, nous tirons deux remarques prin-
cipales.
La première est que la charge d'imam n'a pas été établie
dès la création du village sous le règne de moog-naaba Kom 1er
(c.a. 1784-1791). D'abord parce que la somme des durées d'exer-
cice de cette charge par chacun des imâm ne permet pas de re-
monter jusqu'à cette époque. Ensuite parce que le nom de l'an-
c~tre fondateur (Husein) n'y figure pas alors qu'il est présenté
dans les récits d'origine comme un grand lettré.
La seconde remarque est que la fonction d'Imâm est à
mettre en rapport avec la construction de la première mosquée
du royaume de Wogdogo
(à l'époque de Moog-naaba Dulugu,
1796-
1825) dont fait partie la localité de Sagabt~nga. Cette hypothè-
se rapprocherait la somme des durées d'exercice et le nombre
d'années qui sépare le règne de Dulugu de la période actuelle.
Le village possède quatorze écoles coraniques, dont celle
de l'imâm est la plus importante. La qualité de l'enseignement
qu'on y dispense fait, dit-on,
sa réputation au Moogo, renommée
devenue légendaire depuis que le Moog-naaba Sawadogo
(c.a. 1825-
1842) Y envoya son fils,
le futur moog-naaba Kutu
(c.a. 1854-

310.
1871). Les Yarse de Sagabtênga, vus depuis comme les maîtres
coraniques des Moog-naaba, recevaient la visite des grands
princes de cette lignée de Kutu à l'occasion de la fête du
ramadan, alors que le souverain régnant allait "prier" chez
les Yarse de Zo~gna. Le témoignage de Binger sur la participa-
tion de Bukari Kutu,
fils de Moog-naaba Kutu et futur moog-
naaba Wobgo,
à
la célébration de la fête du ramadan à
Sagabtênga en 1888 cotncide avec ce qu'affirment les témoigna-
ges de nos informateurs, et confirme
le rOle de la localité en
tant que ville religieuse du Moogo central.
"Dimanche
10 juin.
D.s
la premi.re heure Boukany me
fait
dire qu'il compte bien que
je
l'accompagnerai demain à
Sakhaboutenga où i l a coutume de
se rendre
le
jour de
la
f~t e [ ••• ].
Lundi 11 juin.
Ce matin de bonne heure Boukary envoie
un cavalier à Sakhaboutenga consulter
les marabouts.
Le messa-
ger revient bient~t en affirmant au naba que le soir i l verrait
la
lune.
"Tous
les marabouts
l'ont dit" •••
Mardi
12 juin.
D.s quatre heures du matin le tam tam
résonne partout,
tout
le monde est affairé,
on se croirait
vraiment à
la veille d'un événement important.
Ce
n'est pour-
tant que vers six heures et demie
qu'on réussit peu à peu à se
rassembler et que tout le monde est pr~t (effectif total:
16 chevaux et
25 guerriers armés de
fusils)"
(1).
(1)
BINGER, Du Niger au Golfe de Guinée,
1980, p.
452-454.

311.
L'auteur poursuivant son récit arrive au lieu de prière
et nous donne la description suivante
:
"Au
~oin et dans toutes
~es directions débouchent du vi~~age de ~ongues fi~es de musu~-
mans a ~ ~an t
se réunir à ~ 'im~m pour ~a prière ;
que~ques cu-
rieux venant des environs montent des
~nes. Lq cérémonie re~i-
gieuse a
~ieu dans une p~aine à ~'est du vi~~age. c'est un
spectac~e bien imposant. I~ régnait un grand Bi~ence dans cette
assemb~ée. Les fidè~es, rangés sur une vingtaine de rang de
profondeur se prosternaient et se re~evaient avec un ensemb~e
parfait et une
~enteur imposante. De temps en temps,
~a voix
de
~'Im~m s'é~evait, et dans
~e p~us profond recuei~~ement on
entendait un amin~ (amen)
prononcé par cette assistance.
I~ Y avait environ trois mi~~e personnes des deux
sexes,
presque toutes v~tues de b~anc. Les burnus,
~es chéchias
et cet ensemb~e de faces noires donnaient à ~a cérémonie
~e
caractère grandiose des f~tes orienta~es" (1).
A la fin de la cérémonie,
l'imâm bénit Sukary et les
musulmans lui formulèrent des voeux de prospérité. Le prince
offrit à l'imâm un mouton et des cauris et Singer de poursuivre
"c'est un cadeau qu'i~ fait
tous
~es ans à ~'im~m et à Karamokho
Isa,
pour ~esque~s i~ a une grande vénération. Ce sont des hom-
mes ~gés et réf~échis qui ne peuvent que ~ui donner d'exce~~ent8
consei~s" (2).
(1)
SINGER, Du Niger au golfe de Guinée, 1980, p.
455.
(2)
Ibidem, p.
455.

312.
A Sagabt@nga, en plus du lim~m, il y a l e more. Cette
fonction est aussi détenue par un membre de la famille Sanfo.
Actuellement, la personne qui exerce cette fonction est solli-
citée pendant le mois de ramadan par le bureau de la Communauté
Musulmane dv. Burkj"cx Faso (C.M.fI
.)
à Wogdogo pour commenter le
Coran aux fidèles de la capitale.
La plupart des musulmans de Sagabt@nga sont affiliés à
la tij~niyya 12 grains,confrérie créée par le Cheikh Ahmed
Tijant au XVlllème siècle. Cette affiliation les distingue de
ceux du foyer voisin (Rakaye), adeptes de la Q~diriyya.
Le village de Rakaye est plus étendu que Sagabt~nga, et
sa population est plus nombreuse.
Il se compose de dix quartiers
dont chacun est habité par des Yarse de m~me patronyme. Le plus
gros est Mwemtn,quartier des descendants du fondateur.
(Rappe-
lons pour mémoire que c'est sous naaba Warga - c.a. 1737-1744 -
que fut créé le village). Les autres quartiers sont Bologin,
Sansin, ptstn, Bagdai, Siletin, Bolnoogo, Tandaga, Jogin et
Bagiyargo, habités respectivement par des Bikienga, des Sana,
des Dera, des Kuanda, des Gira, des Dabo, des Sore, des Sakande
et des Bagyan. (Plus un village est important en effectif, plus
les ~oanda sont diversifiés.)Tout comme à Sagabt~nga, il y a à
la t~te de Rakaye un imam "choisi par les Sanfo et parmi les
Sanfo"
(1). Ses charges ne sont pas toujours transmissibles de
père en fils.
De son vivant l'imam est secondé par un marabout
(1)
SANFO Ibrahim, Rakaye 17 février 1980. Sur l'importance des
Sanfo, voir 1ère partie, chapitre II.

313.
et en cas d'impossibilité d'assumer ses fonctions,
ce
lim~m
est remplacé par son second. En général une fois qu'on est nommé
imam, c'est à vie.
Selon la liste
(1)
de l'actuel détenteur du titre, on
compte quinze im1ims qui se sont succédés à Rakaye dans l'ordre
suivant
SANFO Zakaria
"
Ahmadi
"
Mohammadi l
"
Umaru
"
Ismail
"
Ibrahim
"
Mohammadi II
"
Ahmad
"
Abd ul Wahab
"
Mohammadi III
"
Idrisi
"
Mohammadi IV
"
Mustapha
"
Usman
"
Malik l
"
Malik II
Cette liste ne comporte pas les durées d'exercices
des charges de chacun si bien qu'il est difficile d'établir une
(1)
L'imâm possède un manuscrit renfermant la liste des imams
précédents.

314.
chronologie permettant de situer à quelle époque à été créée
cette fonction dans le village. On peut se demander si cette
liste n'a pas été volontairement allongée pour justifier la
primauté de la charge d'imâm à Rakaye par rapport aux autres
grands foyers musulmans du Moogo
(la liste de Sagabt~nga com-
porte sept noms et celle du quartier Mwemin a Wogdogo en a
dix)
(1). La fréquence du nom Mohammadi, qui revient quatre
fois,
permet le doute. Le second élément qui milite en faveur
d'un allongement est le nom de Zakaria, qui nous a été donné
comme celui de l'anc~tre qui aurait quitté le Yémen. Or dans
le m~me récit d'origine,
i l est précisé que Zakaria n'est pas
le fondateur de Rakaye. Mieux, de son temps,
le village n'étant
pas encore créé
: comment pouvait-il en ~tre le premier imâm ?
Quoiqu'il en soit,
le village est dirigé par le limâm,
mais à
la différence de Sagabt~nga, Rakaye possède un yar-naaba
issu lui aussi de la famille des Sanfo. L'impression que nous
avons eue au cours de notre enqu~te est que le yar-naaba ne
représente pas grand chose aux yeux des Yarse de ce village. Au
contraire,
le limâm qui règle les litiges entre les différents
membres du village, est vénéré. L'emprise du yar-naaba sur les
habitants est très faible.
D'ailleurs,
lorsque nous l'avons
contacté pour l'enqu~te, il nous a conduit chez le limâm et n'a
pas parlé. Ce qui révèle sans ambiguité les limites de son auto-
rité par rapport à celle de l'imam,
lequel n'a pas hésité à con-
(1)
Voir KOUANDA, Les conditions sociologiques et historiques
de l'intégration •••
1981, p. 99.

315.
sidérer la création de la fonction de yar-naaba comme une
création des blancs, ce qui explique que son rÔle consiste seu-
lement à collecter l'impôt pour l'administration.
A Rakaye on compte 12 écoles gérées chacune par un
ma!tre coranique. Celle du ~im~m accueille dix talibés venus
des environs du village, de Kaya, de Bobo, de Waiguya, de
Puitenga et de Bakwu. Rappelons ici que l'enseignement comporte
trois niveaux :
-
Premier niveau : apprentissage des versets par coeur et de
l'écriture. Selon les capacités de l'élève i l peut durer de
4 à 6 ans.
La fin de ce cycle est sanctionnée par un diplOme
bordé de figures géométriques de différentes couleurs)
sur
lesquel sont transcrits la première sourate du Coran et le
début et la fin de la sourate deux
(1).
La remise du diplOme
donne lieu à une cérémonie
(kareng-doaga)
à laquelle parti-
cipent tous les marabouts du lieu et des villages environnants.
A cette occasion les parents de l'élève offrent un mouton au
ma!tre. Après ce premier niveau,
l'élève peut repartir chez
lui et a la possibilité d'ouvrir à son tour une école.
Il peut
aussi décider de poursuivre ses études.
Second niveau :
Il étudie un peu de grammaire et apprend main-
tenant à comprendre le sens de ce qu'il avait appris par coeur.
Il étudie des extraits des biographies du prophète et des
khalifes,
i l apprend des poèmes en leur honneur et approfondit
(1)
Ces sourates sont intitulées respectivement la F~tiha (l'ou-
vrante)
et la Vache.

316.
sa culture religieuse. En règle générale avant la période
coloniale, la plupart des marabouts du Moogo n'avaient pas
dépassé ce niveau.
- Au troisième niveau, l'élève approfondit ses connaissances sur
le texte coranique.
Il entame l'étude des grands ouvrages
classiques: la RisaZa, le Sahih,
le Mokhtasar.
Il s'initie
à ce qu'on appelle là bas "la connaissance des bouts de pa-
pier" c'est à dire la magie des mots et des lettres. Selon les
compétences de son maître il peut apprendre le tafsir.
Comme on peut le constater, il n'y a aucun enseigne-
ment sur les "sciences exactes". Toutes les études sont centrées
sur l'islam. D'une façon globale,
les cours ont lieu devant les
concessions des maîtres. Les mosquées sont utilisées pour un
enseignement "public" pendant le mois de ramadan.
Sagabt~nga et Rakaye sont les deux principaux foyers
intellectuels et religieux du Moogo précolonial. Ils sont animés
par des Yarse et leur rôle dans la diffusion de l'islam dans le
Moogo n'est donc pas à sous-estimer. Malgré les appartenances ou
les affiliations confrériques différentes
(1),
il existe de très
bonnes relations entre les deux villages.
Une des limites de ces foyers réside dans l'absence de
contacts réguliers avec l'extérieur. Si les animateurs de ces
centres peuvent se rendre à l'extérieur pour se perfectionner,
aucun marabout étranger n'a pu élire domicile. Etait-ce une
(1)
Tijaniyya et qadiriyya sont deux confréries qui en Afrique
Noire relèvent du Malikisme.

317.
interdiction de la part du pouvoir central,
auquel les diri-
geants de ces foyers restaient soumis et auquel ils devaient
rendre visite à chaque moment important? Ces deux foyers sont
en relation avec un monde moaga animiste en majorité et pour se
faire des adeptes, i l était de leur intérêt de ne pas se mon-
trer trop exigeants. Les Yarse ont compris que par cette situa-
tion,
ils seront les propagandistes les plus capables d'incarner
et de répandre l'islam au Moogo.
1.2. L'"islam" yarga
Le but du travail de l'historien n'est pas de juger
mais de décrire, d'expliquer, de comprendre et d'essayer de
faire comprendre des phénomènes. En l'occurence,
i l s'agit
d'étudier la vie religieuse d'une communauté dans son contexte
historique, géographique, politique,
économique et social pré-
cis. Cette analyse doit non seulement s'efforcer de rendre comptE
des écarts entre le vécu
(les comportements)
et la norme concep-
tuelle, mais aussi, elle doit préciser les besoins auxquels
répondaient pareils comportements.
Avant de nous pencher sur la manière dont les Yarse
vivent globalement l'islam,
i l nous a paru nécessaire de faire
le point des appréciations qui ont été portées sur leur façon
de pratiquer la religion musulmane.
Nous distinguerons deux
catégories de "jugements"
: celle des prosélytes et celle des
chercheurs.

318.
1.2.1. Les prosélytes jugent les Yarse
c'est de Usman Dan Fodio, animateur d'un jihad au
début du XIXème siècle que nous vient le
jugement le plus caté-
gorique sur l'attitude que doivent prendre les musulmans vivant
au Moogo à
l'égard des souverains.
Dans un de ses écrits inti-
tulé Bayan WujOb al hirja
'ala'l t'bad,
rédigé en 1806, on
peut lire ceci :
"Le Dagomba,
tout autant que
le Mossi,
le Borgu
et
le Gonja sont des pays où
les
infidèles sont en majorité
écrasante tandis que
l'islam est rare
[ ••• ].
Tous
ces pays in-
contestablement sont des
terres d'infidèles,
car la majorité
l'emporte,
les souverains y
sont tous des mécréants,
or la loi
du souverain est celle du pays".
Tous les musulmans, conclut-
i l , doivent quitter ces pays gouvernés par des incroyants
(1).
Si on pousse jusqu'au bout sa pensée,
les musulmans
qui refusent de quitter ces pays ne sont pas de bons musulmans,
puisqu'ils acceptent de vivre sous la tutelle de rois infidèles,
mais aussi collaborent d'une façon ou d'une autre avec des
"paIens", maîtres politiques des territoires.
Du m~me coup ces
musulmans sont à combattre autant que leurs souverains. Le jihâd
contre eux est non seulement nécessaire, mais aussi légitime.
Dans l'énoncé de l'émir de Sokoto,
un problème juridi-
que est posé.
Les musulmans doivent-ils accepter d'~tre dirigés
(1)
Cité par LEVTZION "Commerce et islam chez les Dagomba du
Nord Ghana", Annales -
Economies -
Société -
Civilisatiulls,
nO 4, avril-juin 1968, p.
738.

320.
par des non-musulmans? En d'autres termes c'est le problème
de la muwOlOt avec les infidèles qui est sous-entendu. La
muwOlOt désigne les liens de solidarité et d'amitié. Dans
quelles conditions les musulmans peuvent-ils établir ces
liens ?
Dans le Bayan ma waqa'a d'Al Hajj Umar al FOti (1),
document qui expose les causes du conflit entre Umar et l'émir
Ahmad el Ahmad du Macina, on retrouve de longues références
aux différentes sortes de muwOlOt avec les infidèles selon
l'Emir de Sokoto. D'après Al Hajj Umar qui cite un ouvrage de
Usman Dan Fodio intitulé Najm al Ihwan, i l y a cinq sortes de
muwOlOt, dont seulement trois sont autorisées.
La première sorte consiste à avoir de l'amour et de
l'affection spontanée pour ses parents infidèles. Cette muwOlOt
est licite.
La seconde consiste à entretenir des relations avec
les infidèles "avec la langue et non avec le coeur à cause de
la crainte qu'ils inspirent"
(2). Elle est justifiée.
La troisième consiste à établir des relations avec
les infidèles et à leur montrer de l'affection pour avoir accès
à la fortune qu'ils possèdent. Elle est condamnée et est un
péché.
(1)
Nous nous reférons à la traduction faite par MAHIBOU et
TRIAUD intitulée : Voilà ce qui est arrivé,
1983.
(2) MAHIBOU et TRIAUD, Voilà ce qui est arrivé. Bayan ma
waqa'a,
1983, p.
128.

321.
La quatrième
(acceptée)
est de se conformer ~ la
shart'a tout en prêtant son aide aux "infidèles".
Enfin la dernière sorte de muw~l~t consiste ~ aider
les
"infidèles" contre les musulmans en les protégeant,
quand
bien même ils ne respectent pas
la shart'a
(1).
Par rapport ~ ces cinq sortes, on peut dire que Usman
classe les musulmans du Moogo et du Dagomba dans le troisième
et cinquième cas,
parce qu'effectivement ces derniers,
outre
leurs activités commerciales,
rendent des services aux souve-
rains en contrepartie de faveurs,
notamment enles protégeant
par leurs doose.
(2)
L'argumentation et le
jugement de l'Emir paraissent
d'autant plus fondés qu'une classification des péchés établie
par Abn Udhlah permet d'inclure la troisième et la cinquième
sorte de muw~l~t parmi quelques unes des catégories suivantes
"quatre par la langue/parole;
parjure.
calomnie.
faux serment.
mensonge;
trois par le ventre/digestion: boire du vin. manger
la richesse des orphelins. manger le ribâ ; deux par le sexe/
génération: adultère.
sodomie; deux par la main/fabrication
meurtre, vol; un par le pied/mobilit~ : fuite au cours d'une
bataille, une par l'ensemble du corps: irrespect envers ses
parents; quatre autres fautes ressortissent directement du
coeur. en tant que centre de compr~hension intime : polythéisme.
persistance dans un acte de d~sobéissance à Dieu, certitude de
(1)
MAHIBOU et TRIAUD,
Voil~ ce qui est arrivé, Ibidem, p. 128
(2)
Se reporter au chapitre II de la deuxième partie.

322.
Za ruse de Dieu,
d.sesp.rance du pardon de Dieu."
(1).
c'est donc une double accusation qui est adressée par
Usman contre les musulmans du Moogo. Ils commettent des péchés
graves et posent des actes d'infidélité.
Ils doivent ~tre com-
battus. Par conséquent un éventuel jihad contre eux est juri-
diquement fondé.
Il s'agit en quelque sorte pour l'Emir d'inci-
ter les plus rigoristes de ces musulmans à lever les armes
contre leurs souverains. Il ne sera pas entendu.
A l'intérieur de la communauté yarga, des marabouts
ont dénoncé certaines pratiques de leurs confrères, mais nulle
part il n'était question de remettre en cause le compromis entre
Yarse et autorités politiques moose.
Le refus de la guerre sain-
te par les Yarse, dictée par des réalités historiques,
n'est
pas sans évoquer la position des
'Ibadites qui refusent la thèse
de l'assassinat pour des raisons religieuses et qui sont très
modérés
(2).
1.2.2. Les appréciations à travers les écrits "scientifiques"
Elles sont convergentes sur le laxisme de l'islam
vécu globalement par les Yarse. Certains des auteurs vont m~me
jusqu'à affirmer que leur pratique n'est qu'un "f.tichisme
r.duit au pZus strict". Mangin trouve qu'ils ne respectent pas
l'interdiction de consommer l'alcool et i l écrit à ce propos:
(1)
CHARNAY, Sociologie religieuse de l'islam, 1978, p. 129.
(2) Encyclopédie de l'islam, nouvelle édition, voir article
"AI-Ibadiyya", p.
679.

324.
Cette pratique est désavouée par les autres groupes
Yarse et on comprend davantage pourquoi les Sore sont taxés
de "faux" Yarse.
Dim Delobsom, paraphrasant Tauxier mais en "connais-
seur" du pays moaga, nous informe que "un certain nombre d'en-
tre eux [les yarseJ sont restés ce qu'iLs étaient à L'origine,
c'est à dire des féticheurs et se révèLent grands consommateurs
d'hydromeL. ILs ne sacrifient pas de pouLets,
n'offrent pas
d'offrandes à Leurs anc~tres, mais peuvent offrir des
Libations
à des
fétiches se Lon Leur propre expression "yarg pa Koudé
mandé La koud tim".
Les moeurs des convertis et ceLLes des féti-
chistes sont restées à peu de choses près sensibLement Les
m~mes" (1).
Toutes ces relations concourent
à montrer deux cho-
ses: d'une part que tous les Yarse ne sont pas musulmans et
d'autre part que même ceux qui le sont, sont de "mauvais" musul-
mans dans la mesure où ils pratiquent un syncrétisme. Que ces
auteurs soient étonnés de ces pratiques, cela ne nous surprend
pas puisqu'ils ont considéré les Yarse dans leur totalité comme
des Mande d'origine musulmane et n'ont pas pris en compte la
possibilité de devenir Yarga. C'est pourquoi ils les ont traités
comme les survivants d'un passé à demi oublié, au lieu d'appré-
cier le dynamisme qui a assuré la continuité et l'expansion de
cette communauté.
(1)
DELOBSOM,
"Notes sur les Yarcé au Mossi", Revue Anthropologi-
que,
1934, p.
327. L'expression "yarg pa duké mandé la koud
tim" signifie que le Yarga ne fait pas de sacrifices à ses
anc~tres, mais il en fait pour ses gris-gris.

323.
"Le miel sert à
la
fabrication
du bésé sorte d'hydromel,
dont
les Yarsé
et
les peuls et
les
Hausa musulmans
sont
très
friands
et qu'ils peuvent boire bien que
ce soit une boisson fermentée
tandis que
la bière
de mil
leur est interdite
en principe"
(1).
A sa suite, Tauxier dans Le Noir du Yatenga constate qu'une
partie des Yarse ne sont pas musulmans mais qu'il est difficile
de les classer parmi les "anismistes". "Les Yarse proprement
dits
sont
loin d'~tre tous musulmans: on peut évaluer à une
bonne moitié ceux qui ne
le
sont pas.
Cela ne veut pas dire que
les
non-musulmans soient absolument
fétichistes.
Ils boivent,
i l est vrai du dola et
font
des
sacrifices,
mais
seulement à
leurs anc~tres et à Ouende.
Ils
n'ont ni devins,
ni
faiseurs
de gris-gris et montrent m~me une certaine crainte et horreur
de
ces
fétichistes"
(2).
En affirmant qu'il n'y a ni devins,
ni faiseurs de
gris-gris chez les Yarse, Tauxier va à l'encontre d'une des
images les plus répandue chez les Moose qui font du Yarga
l'homme du tiim par excellence. En revanche sur la consommation
du dolo et sur les sacrifices, des témoignages recueillis à
Manéga auprès d'un groupe de Yarse
Sore
vont dans le même sens
et l'un des informateurs a déclaré que "dans
le
temps, après
les
récoltes,
ils
fournissent
du mil pour préparer du dola et
l'of-
frir à
leurs
anc~tres" (3).
(1)
MANGIN, Les Mossi, Essai sur les us et coutumes du peuple
Mossi en Soudan Occidental,
1916, p. 9.
(2)
TAUXIER, Le Noir du Yatenga,
1917, p.
567. ~.nde désigne
Dieu en moore.
(3)
SORE Ganin, Manéga,
lB avril 19B2.

325.
Récemment Hamidou Diallo,
s'interrogeant sur l'''islam''
yarga,
le qualifie d'ignorant.
Il écrit :"il s'agit d'un islam
ignorant,
non militant, qui fait bon m4nage avec la religion
traditionnelle"
(1).
Il fait remarquer en outre,
l'absence d'une
formation islamique poussée chez les Yarse et les Mar&~se avant
le XXème siècle. L'article de René Otayex aboutit pratiquement
aux m~mes conclusions que celui de DIALLO, en mettant l'accent
sur la subordination des musulmans yarse au prince
(2).
Il n'est pas de notre intention de soutenir une thèse
contraire. Seulement leurs jugements doivent ~tre plus nuancés,
plus relativisés,
étant donné
la présence à l'intérieur des
groupes yarse de foyers d'enseignement coranique, de centres
musulmans relativement indépendants du pouvoir. Cependant on
ne peut nier le bon ménage avec les autorités moose.
D'ailleurs
nous nous sommes efforcé de le montrer dans toute la seconde
partie de notre étude, ce qui permettra de mieux comprendre les
influences culturelles moose sur l'islam vécu par les Yarse.
Ces influences nettement décelables au cours de la célébration
de certaines manifestations socio-religieuses, permettent de
saisir concrètement le rapport entre religion vécue et religion
prescrite.
(1)
DIALLO, Notes sur l'islam au Yatenga jusqu'à la fin du XIXè
siècle,
1983,
p.
9
(2)
OTAYEK, La crise de la communauté musulmane de Haute Volta,
1983, p.
8.

326.
1.2.3. Le vécu et le prescrit
Il n'est pas question dans ce paragraphe d'étudier de
façon exhaustive les manières dont les Yarse
<considérés dans
leur majorité)
vivent les devoirs rituels de l'islam. Nous
voulons, à travers quelques exemples précis, montrer les marques
culturelles de la société dans laquelle ils vivent sur la célé-
bration de certaines cérémonies musulmanes,
notamment les fêtes.
La fête du ramadan, qui marque la rupture du jeOne, est dite
noZokre, c'est à dire littéralement "détacher la bouche". Elle
est célébrée grandiosement dans tous les villages yarse, et même
les non-pratiquants retrouvent à cette occasion "la foi".
Après
la prière collective dans la matinée,
le soir, sur les "places
publiques" des villages,
les jeunes Yarse organisent des danses
yarm,
tarkaye,
saZu.
Chacune de ces danses attribuées aux Yarse n'a pas eu
la même importance dans l'histoire des Yarse. Les deux dernières
ont connue un déclin relatif depuis le début du XXème siècle,
avec la diffusion de l'islam et la volonté des Yarse de "radica-
liser" leur pratique afin de paraître,
face aux Moose convertis
et instruits, comme des mattres irréprochables.
Il semble que le yarm appelé aussi kasiniga a été la
première danse pratiquée par les Yarse.
Son développement anté-

327.
rieur serait à mettre en rapport avec la création de la fonction
de yar-naabaet de la sédentarisation des Yarse. Par les instru-
ments utilisés pour produire la musique
(tambour d'aisselle,
Kiema,
Z~gdo , Wiiga- flQte-)
par l'habillement des danseurs
(pugulmaka- bonnet pointu - banaga -chemise ample ornée d'amu-
lettes et de queue d'animaux), par les thèmes des chansons, le
yarm ressemble beaucoup au Warba des Moose. Ressemblance si for-
te qu'aujourd'hui, beaucoup de Yarse, dans leur volonté de se
différencier des Moose
(1), attribuent cette danse aux yarsifiés.
Mais le tarkaye n'a pas son équivalent chez les Moose.
Les instruments de musique utilisés sont uniquement des tam-
bours. La parure des danseurs est simplifiée : bonnets pointus
et boubous très larges. Les thèmes des chansons se rapportent
au courage des Yarse. On y développe aussi des thèmes relatifs
à
la vie quotidienne dans lesquels les Yarse caricaturent les
Moose. Cette danse est encore aujourd'hui en vogue dans beau-
coup de village Yarse.
Quant au salu,
son développement est récent.
Des Yarse
lient son origine à un acte de conversion:
"Une vieille femme
refusait de se convertir à l'islam.
Un jour,
transportant un
lourd fagot de bois, elle rencontra un talibé,
lequel l'aida
avec sa charge jusqu'à son domicile.
La vieille femme très con-
tente demanda au talibé quelle récompense elle pouvait lui offrir
(1)
Il s'agit d'effacer de leur culture tout ce qui n'est pas
conforme au Coran. Le Yarm représente pour certains un relâ-
chement de l'islam.

328.
Rien répondit
~e jeune homme, acceptez Beu~ement de VOUB conver-
tir à
~'iB~am afin d'avoir ~e paradiB. Tr~B contente,
~a viei~~e
femme
Be mit à Bauti~~er"
(1). Ce récit de l'origine du Sa~u
n'est qu'un parmi plusieurs autres. Il met en valeur le rôle
"missionnaire" de Yarse et la "bonne" éducation que reçoivent
les élèves de leurs écoles coraniques.
A notre avis, le sa~u s'est affirmé dans le contexte
récent de l'histoire des Yarse. En essayant de "purifier" leur
pratique, les Yarse ne pouvaient plus tolérer le Yarm et le
Tarkaye dont les instruments musicaux et les thèmes des chan-
sons ne sont pas sans évoquer les danses moose jugées "animis-
tes". Avec le Ba~u dont le chanteur, contrairement à celui des
deux autres danses, glorifie les actions des marabouts ou
relate les victoires des Khalifes Abu Bukr, Omar, Usman et Ali
sur les Infidèles,
les Yarse ont trouvé une manière de se démar-
quer de leurs voisins. Cette danse est exécutée uniquement lors
de cérémonies ayant trait à l'islam (fêtes du ramadan et de la
tabaski,
furi,
Zu~ukri- baptême -, cérémonies de fin d'études
coraniques, retour de pélerinage de La Mecque), alors que les
deux autres l'étaient notamment à l'occasion des intronisations
des yar-nanamse.
La célébration de la tabaski appelée Kibsa, donne lieu
à un abattage de moutons.
Le sang recueilli au moment de l'égor-
gement de la bête est mélangé à du sable pour faire des sortes
(1)
KOUANDA Adama, Bisiga, 13 novembre 1902.

329.
de boules qu'on laisse sécher au soleil. Ces boules servent
après à soigner, dit-on,
les entorses,
les luxations et les en-
flures. Cette pratique n'est pas sans évoquer les sacrifices aux
ancêtres dans lesquels le sang des animaux est versé ou répandu
sur un autel auquel on s'en remet en cas de difficultés. Tout
comme à la fête du ramadan,
la kibsa est une occasion de danses
et de visites aux nanamse.
Par exemple à Kugpela les Yarse se
rendent au palais pour y recevoir un boeuf. E. Mangin voit dans
ce cadeau le symbole de l'amitié et des bonnes relations qui les
lient au pouvoir
(1). C'est aussi le cas dans le Ganzurgu où
ils reçoivent un boeuf envoyé par le Moog-naaba
(2).
Les fêtes du gaane
(Muhud)
et du Zembende
(nouvel an
musulman)
sont moins populaires. Cependant si la première reste
uniquement l'affaire des musulmans,
la seconde donne lieu à
une liesse populaire au cours de laquelle les différents parents
à plaisanterie se jettentdè l'eau, alors que dans les mosquées
les marabouts se rassemblent pour prier et pour annoncer si
l'année sera bonne ou mauvaise,
selon le jour de la semaine qui
coincide avec la date de la fête.
S'il est vrai que ces fêtes musulmanes furent intro-
duites au Moogo par les Yarse, i l est encore plus vrai que la
place qu'y occupent les danses et autres réjouissances populai-
res est un apport du milieu moaga,
une adaptation aux manières
(1)
MANGIN, Les Mossi -
Essai sur les us et coutumes du peuple
Mossi au Soudan Occidental,
1916, p.
97.
(2)
SANDWIDI, Les traditions historiques des Yarse dans la région
du Ganzourgou, 1981, p.
80.

330.
de cêlêbrer les fêtes
"traditionnelles". Car aucun traitê de
droit malêkite ne recommande de danser lors de ces fêtes. Mieux
encore, aucune recommandation de rendre visite aux chefs
(sur-
tout lorsque ces derniers ne sont pas musulmans)
n'est pres-
crite. Le fait de recevoir des cadeaux de leurs mains constitue
aussi un acte illicite au regard des prescriptions coraniques.
Du point de vue
juridico-thêologique i l est possible
de soutenir que les bonnes relations des Yarse musulmans avec
les chefs moose sont bl~mables, parce qu'elles sont la cause
du "laxisme" dans leur pratique. On se souviendra des clauses
du pacte qui autorise les Yarse à pratiquer l'islam, mais qui
pose la condition de ne pas se servir de cette religion pour
dêstabiliser le pouvoir en place et de respecter les croyances
des Moose, d'interdire donc le prosélytisme. Mais sans ce com-
promis et cet esprit de tolérance,
l'islam n'aurait guère fait
de progrès et peut-être n'aurait jamais êtê acceptê par les
Moose.
Il convient de signaler que de nos
jours les musulmans
qui entretiennent d'importantes relations avec les autorités
coutumières sont dênoncés par les adhêrents du mouvement waha-
bite et par une bonne partie de
jeunes musulmans. Cette époque
contemporaine est marquée pour les Yarse par la perte du mono-
pole religieux.
De ce fait la tentation a été forte d'accentuer
sur d'autres plans
(comme on va le voir)
la personnalitê de la
communautê. Nous espérons avoir montrê que l'"islam" yarga a
gardê une autonomie et un dynamisme suffisant au sein de la

331.
société moaga, et face aux reproches faits au nom d'une cer-
taine rigueur dans la foi et dans la pratique,
les Yarse sont
restés en mesure d'affirmer et de manifester l'authenticité
de leur tradition musulmane.
o
o
0
o

332.
III
1 CHAPITRE

333.
1 L'ELABORATION DE L'IDENTITE YARGA 1
La conqu~te française des royaumes moose intervient
en 189S. Les lieutenants Voulet et Chanoine pênètrent le Moogo
par le nord et marchent ensuite sur Wogdogo où le moog-naaba
Wobgo tente en vain d'organiser la résistance. Il est contraint
à l'exil. Les occupants nomment un nouveau souverain après avoir
commis des crimes atroces. Un traité dit de paix, par lequel
le Moogo et le pays Bisa sont désormais placés sous le protecto-
rat exclusif et sous la souveraineté de la France, est signé en
janvier 1897 : c'est la fin du pacte entre Yarse et pouvoirs
moose.
La mise en place de l'administration coloniale rendit
caduques les privilèges des Yarse et des nakomse, et l'égalité
des habitants fut proclamée. Politiquement les rois soumis à
l'autorité coloniale voient leurs pouvoirs plus ou moins affai-
blis. Les privilèges des Yarse sont affectés.
Dans le cadre de sa politique de surveillance de
l'islam,
l'administration, peu avant la première guerre mondiale,
s'attaque aux marabouts,
jugés dangereux, et limite la création
des écoles coraniques. Il n'est pas question de faire le point
de ce que l'on a couramment appelé "la politique musulmane" de
la France en Afrique Noire. De nombreuses ~tudes y ont été con-

334.
sacrêes
(1)
et nous risquons par ailleurs de nous êcarter de
notre sujet. Disons avec Alioune Traore que : "En v'rit' la
France n'avait pas de politique musulmane clairement d'finie,
mbme si ses objectifs 'taient rest's
les mbmes durant toute
la
colonisation,
à savoir contenir l'islam,
soit en l"touffant,
soit en l'affaiblissant selon les
"exigences"
de
l'ordre colo-
nial.
Cette politique 'tait
faite d'incoh'rences nées d'impro-
visations command'es semble-t-il par un souci d'efficacit'
dans
l'administration des r'gions musulmanes.
Elle variait au
gr' des convictions personnelles des administrateurs ou en
fonction d'événements
locaux ou extérieurs.
A des époques diffé-
rentes,
elle avait ' t ' marqu'e par des orientations successives
pour faire
face aux id'ologies consid'r'es comme subversives,
tels le panislamisme,
le panarabisme et le bolchevisme entre
autre.
En vérit',
le colonisateur français
s'était toujours mé-
fi' de
l'islam,
m~me s'il avait involontairement favoris' son
expansion"
(1).
Avec la colonisation appara!t aussi au Moogo une nou-
velle religion,
le christianisme. Dans leurs tentatives pour se
faire des adeptes,
les missionnaires dênoncent les marabouts,
(1) Voir GOUILLY, L'islam dans l'Afrique occidentale,
1952.
O'BRIEN,
"Towards an islamic policy in French West
Africa"
(1854-1914), Journal of African History, VIII
(2),1967.
(2)
TRAORE, Islam et Colonisation en Afrique. Cheikh Hamaboullah
homme de foi et résistant, 1983, p. 103.

335.
les traitent de fourbes, de menteurs et d'escrocs.
Les Yarse
se sentent visés. Et s'ils ne peuvent riposter militairement
contre les missionnaires qu'ils confondent avec l'administra-
tion, ils adoptent une attitude méprisante en refusant d'envo-
yer leurs enfants a l'école coloniale perçue comme une école
de catéchisme. Au dela du fait que cette école est considérée
comme celle du Kifra
(Kafir~ l'Infidèle), elle représente une
institution rivale de l'école coranique. C'est pourquoi pendant
toute la période coloniale, aucune école ne fut construite dans
aucun village yarga. Le centre de Rakaye n'a accepté une école
publique que dans les années 1970, et la plupart des enfants
qui fréquentent cette école apprennent le soir les versets du
Coran. Certains parents vont même
jusqu'a retirer leurs enfants
de cette institution après le cours élémentaire parce que,
affirment-ils :
"~es ~ongues études dans ces éco~es favorisent
une conversion au christianisme.
Nous
~es y avons envoyé sim-
p~ement pour qu'i~s puissent par~er ~e français afin qu'on ne
nous trompe pas"(l).
L'image laissée par les auteurs des tarikhs et reprise
par certains voyageurs européens qui ont précédé la conquête
française,
d'un pays moaga presque entièreMent "animiste" est
rapidement remise en cause lorsque "l'occupation effective"
(pour reprendre les termes du Congrès de Berlin en 1885) est
réalisée.
Les administrateurs "découvrent" la présence d'une
(1)
Dans l'esprit des Yarse,
l'acceptation de l'école constitue
la négation de leur personnalité, étant donné que l'enseigne-
ment qu'on y dispense vise un seul objectif
détruire l ' i s -
lam dont ils sont les pères au Moogo.

336.
minorité musulmane parlant le moore. mais différente des Moose
sur certains points culturels. Gênés par la découverte d'une
réalité contraire a la vision habituelle,
ils sont conduits a
mettre l'accent sur une spécificité quasi "tribale". Ils vien-
nent d'identifier une "ethnie yarga".
2.1. Les illusions ethniques
Lorsqu'en 1912, Tauxier dans Le Noir du Soudan parle
des Yarse,
i l en fait une entité "ethnique" de "race" mande
(1)
et par conséquent distincte des Moose.
De même, Brasseur et Le
Moal représentant les Yarse sur leurs cartes ethno-démographi-
ques, précisent qu'il s'agit de minorités ethniques islamisées
et commerçantes
(2). Cette vision ne reflète pas exactement la
réalité, car comme nous l'avons déja indiqué dans les chapitres
précédents,
la communauté yarga est une sorte de corporation
regroupant des individus d'origines diverses.
La notion d'ethnie est en elle même très complexe. Les
éléments dont on se sert pour la définir ont sans cesse varié.
L'ethnologie elle-même naît a la fin du XVIIIème et au début du
XIXème siècle en Europe. C'est une science descriptive des cul-
tures dites primitives et sans histoire et qui s'applique aux
sociétés Indiennes d'Amérique et aux sociétés africaines consi-
dérées comme.telles. Au début de ce siècle, contre la dimension
(1) TAUXIER, Le Noir du Soudan,
1912, p.
415.
(2)
BRASSEUR et LE MOAL, Cartes ethno-démographiques de l'Afrique
Occidentale, 1963, passim.

337.
bio1ogico raciale,
le biologiste Montandon dêfendait la thèse
selon laquelle les trois facteurs essentiels pour dêfinir une
ethnie sont la religion,
la coutume et l'intêr~t commun. Les
rêcentes êtudes sur cette notion soulignent sa re1ativitê his-
torique, voire la crêation d'entitês ethniques fictives sous
la colonisation. Elles mettent l'accent dans leur dêfinition
sur les facteurs territorial et 1ignager auxquels s'ajoutent
d'autres critères notamment la langue,
les valeurs,
les coutu-
mes,
le nom et la conscience d'une identitê. En ce qui concerne
les Yarse,
ils parlent non seulement moore et sont installés
pour l'essentiel dans le Moogo.
Il n'existe pas de tatouages
proprement Yarse.
D'ailleurs le nom Yarse sur lequel nous reviendrons
est une dêsignation des Moose que les intêressês ont repris
parce qu'elle les diffêrencie du bloc moaga en gênêra1. Les
traits unificateurs de cette communautê ne relèvent pas de la
parentê car aucune relation êvidente dans ce domaine ne peut
être objectivement êvoquêe pour unir les ê1êments des différents
patronymes. Elles relèvent plutôt de l'idêo1ogie
(la religion)
et la spêcia1itê êconomique et culturelle
(le commerce). Les
groupes Yarse existent parce qu'ils affirment avoir en commun
ces é1êments culturels qui les diffêrencient globalement des
Moose. Les différences dans les modes vestimentaires et alimen-
taires contribuant à les spécifier davantage.

338.
Pourtant i l n'existe pas une homogénéité culturelle
yarga. On se souviendra par exemple des différences qui existent
entre eux sur les manières d'annoncer les grossesses et les
accouchements décrites dans le troisième chapitre de la seconde
partie de ce travail. Selon le degré d'islami~ation, on observe
des différences entre les divers membres. La possibilité de se
yarsifier,
l'absence de territoire propre aux Yarse rendent dif-
ficile de faire d'eux un groupe ethnique, d'autant plus que le
contenu, les composantes de ces groupes ont varié sans cesse
au cours de l'histoire.
L'évolution historique de cette communauté que nous
nous sommes efforcé de cerner tout au long de cette étude con-
court à montrer qu'être Yarga au XVIème siècle ne signifie pas
la même chose qu'être Yarga au XIXème siècle.
Il y a donc un
dynamisme interne avant même la période coloniale. A l'époque
de Kurndurnye et de Yadega
(XVIème siècme)
être Yarga c'est rem-
plir ces critères
- être venu du Mande, donc être étranger
- être musulman
- être commerçant.
Puis au XVIIIème siècle,
le premier critère s'estompe
au profit des deux derniers parce que la communauté s'est élar-
gie aux Moose et à d'autres individus non-mande vivant au Moogo
qui se sont mis à faire du négoce et sont devenus musulmans. Dès

339.
lors l'islam et le commerce deviennent les deux principales
caractéristiques des Yarse.
Dès lors aussi s'établit l'équation
entre Yarga et commerçant musulman du Moogo. Les "nouveaux
intégrés" à la communauté, pour autant qu'ils adoptent les élé-
ments culturels globaux reconnus aux "anciens", n'abandonnent
pas entièrement ceux de leur groupe d'origine. Numériquement
plus important,
les yarsifiés enrichissent le patrimoine cul-
turel de la communauté en y ajoutant des éléments propres à
leur groupe de départ qui ne remettent pas en cause l'adhésion
à l'islam et la participation au monde des affaires.
De la fin du XVlllème siècle jusqu'au début de la
période coloniale,
la condition de Yarga ne peut plus se définir
seulement par le fait d'~tre musulman et commerçant. Nous l'avons
vu, d'autres commerçants musulmans étrangers s'installent au
Moogo. En plus à cette époque, beaucoup de Moose se convertis-
sent à l'islam sans devenir commerçants et des Yarse quittent
le commerce pour l'agriculture. L'identité yarga se définit
alors par rapport à un patronyme reconnu comme Yarga. Elle se
définit aussi dès lors par l'appartenance à la langue moore.
Etre Yarga signifie alors essentiellement avoir eu au moins deux
à trois grands-parents musulmans,
~tre détenteur d'un patronyme
dit Yarga, parler le moore.
Cette évolution dans le jeu des niveaux d'oppositions
caractéristiques rend compte de la réalité mouvante des "ethnies"
trop figée par l'ethnologie coloniale. C'est à
juste titre que

340.
Nadel et Mercier posent le problème de l'ethnie comme une
"théorie" élaborée par une population donnée mais dont la réa-
lité est dynamique
(1). Avec eux l'ethnologie redécouvre l'his-
toire.
c'est aussi dans cette perspective dynamique que Jean
Pierre Chrétien, évoquant la dimension historique des "ethnies"
écrit :
"Si les paysages v.g.taux,
les conjonctures climatiques,
la fertilit.
des sols ou les itin.raires d'.changes ont une
histoire,
comme le montrent les travaux les plus r.cents,
la
chose est encore plus vraie des identit.s ethniques.
Leurs
d.limitations,
leurs degr.s de conscience,
leurs traits cultu-
rels m~mes, n'ont pas la rigidit. d'un baobab,
l'.troitesse de
la zone de parcours d'un gibier ni la r.gularit. du mouvement
du soleil entre
les deux tropiques"
(2).
L'exemple de l'évolution des groupes yarse illustre
éloquemment cette remarque. Terme professionnel et confessionel
au départ,
le mot a glissé vers une signification "ethnique", au
début de la période coloniale non pas parce que ceux qu'il
désigne parlent une autre langue que le moore ou habitent un
autre territoire que celui des Moose, mais parce qu'ils présen-
tent quelques différences culturelles avec ces derniers.
La
définition que donne le père Alexandre dans son dictionnaire de
(1)
NADEL, Byzance noire. Le royaume des Nupe du Nigeria,
1971,
p.
4S et
MERCIER, Tradition, changement, histoire. Les "Somba" du
Dahomey septentrional, 1968, p.
76.
(2)
CHRETIEN,
"L'alibi ethnique dans les politiques africaines"
Esprit nO
juillet, Aont 1980, p.
110.

341.
la langue moore de ce groupe,
si magnifique soit-elle ne peut
~tre retenue: "Fraction du peuple Mese d'origine mande mais
actuellement assimil~e au reste des Mese.
dont elle ne se dis-
tingue que par ses occupations commerciales plut~t qu'agricoles
et sa religion souvent musulmane"
(1).
Pour notre part nous disons que l'identité yarga se
caractérise par une continuité et une transformation et ce
faisant il est très difficile de donner une définition absolue
et adéquate qui puisse être valable pour toute la période con-
cernée dans la présente étude. Si l'on sait ce qu'ils étaient
avant la colonisation, il est plus difficile de dire ce qu'ils
sont aujourd'hui. Tout au plus peut-on expliquer ce qu'ils ne
sont plus. Néanmoins on pourrait les définir provisoirement
comme une communauté religieuse, un milieu socio-économique, un
groupe culturel au sein du monde moaga.
La tendance à la recherche de définitions de types
ethniques est le résultat d'une conjonction de deux séries de
préoccupations. Celle des colonisateurs soucieux de marginaliser
cette communauté musulmane inattendue, et celle des Yarse eux
mêmes préoccupés par le maintien de leur identité dans une so-
ciété en bouleversement, en transformation économique et cultu-
relle.
(1) ALEXANDRE, La langue More, T.2,
1953, p.
465.

342.
2.2. Les étymologies du terme
Il apparaîtrait étonnant pour certains lecteurs,
que nous ayons attendu le dernier chapitre pour étudier les
différentes étymologies données aux termes Yarse/Yarga.
La
raison est simple. Les multiples significations et origines de
ces termes qui nous ont été proposées présentent certes un
intérêt, mais sont peu convaincantes. Elles se présentent sous
la forme de justifications destinées à appuyer l'idéologie con-
tenue dans les récits d'origine et visent à rendre compte des
fonctions et du rÔle des Yarse dans la société moaga ; questions
qui ont déjà été abordées. Tout comme la plupart des "ethnony-
mes",
le terme Yarga/Yarse aurait été donné par les Moose aux
premiers étrangers mande qui se sont établis dans leurs royau-
mes et qui s'occupaient du commerce et de l'islam. Il s'agirait
d'un terme moaga, ou dans tous les cas d'un terme qui a été
bien intégré et bien assimilé par le moore d'autant plus qu'il
obéit aux règles grammaticales des marques générales du pluriel
en se dans la famille des mots dont la terminaison au singulier
est ga. On dit par exemple un Varga, des Yarse ou un Moaga des
Moose.
Du point de vue général des Yarse, on est d'accord
pour affirmer qu'il s'agit d'un terme d'origine moaga, encore
que les mots dont il serait issu ne soient pas sOrement d'origi-
ne moaga.

343.
Une première sêrie d'êtymologies fait dêriver le mot
Yarse du mot Yare,
utilisê en moore pour caractêriser les indi-
vidus ne respectant pas les coutumes. Quand on dit de quelqu'un
qu'il est yare, on signifie qu'il agit n'importe comment (et
sous-entendu de façon non conforme aux usages et aux normes
sociales en rigueur). Aux yeux des Moose,
les Yarse qui sont
d'une autre religion, qui ne mangent pas tout ce qui est "apprê-
ciê" par les Moose, qui transgressent les lois en ne respectant
pas les chefs
(puisqu'ils les saluent sans se décoiffer et
sans se jeter par terre - quel sacrilège
-)
ne peuvent ~tre
vus que comme Yare. Aussi sêduisante que soit cette explication,
i l faut faire observer que dans la langue moore,
il y a un autre
terme phonêtiquement proche du prêcêdent et dêsignant le petit
marché : Yaare.
Les Yarse sont-ils les animateurs de ces mar-
chês ?
Une seconde sêrie d'êtymologies puise dans le vocabu-
laire théologico-juridique utilisê par les musulmans du Moogo.
Selon des informations provenant des milieux maraboutiques,
le
terme Yarga viendrait du mot Yarda dêsignant le pardon,
la tolé-
rance. LesYarse, parce qu'ils ont obtenu un droit de grace leur
permettant d'intervenir auprès des autoritês politiques moose
pour libêrer les condamnês, ont êtê caractêrisês de "gens du
Yarda".
Cette philologie n'est pas convaincante non seulement
parce qu'un jeu de mots n'est pas une êtymologie, mais aussi

344.
parce qu'elle rejoint les images que les Yarse souhaitent don-
ner d'eux-mêmes, ou que d'autres veulent leur donner.
Dans la
première sêrie,
les informateurs b!tissent leur explication à
partir de la forme plurielle du terme, alors que dans la seconde
,
sêrie,
ils le font à partir de la forme singuliere. Des deux
termes
(Yape,
Yapda)
qui auraient donnê Yapse/Yapga on ne peut
dêduire des relations linguistiquement valables. Le seul point
commun êtant la prêsence du Ya que l'on pourrait supposer être
le radical.
Yapga viendrait-il de Yag~nga/yag~nse (neveu)
en ad-
mettant
(comme la plupart des récits d'origine l'indiquent)
que
les premiers Yarse ont êpousê des femmes moose
(1), et que les
enfants qui en sont issus aient êtê naturellement dêsignés par
le terme fagênse.
Hypothèse soutenable d'autant plus qu'un des
rOles du neveu dans la sociétê moaga est d'intervenir auprès
des anciens en faveur des fautifs,
et d'agir librement quand i l
se trouve dans le lignage de sa mère. Cette hypothèse si fragile
soit-elle, ne saurait être complètement êcartêe dans la mesure
où dans le pays gurma,
les Yarse sont appelês au singulier yapga
et au pluriel yapmu,
termes qui dêsignent aussi le ou les neveux.
Dans les langues mande, notamment en bambara et en
soninko,
le mot ne semble pas exister. Les termes s'en rappro-
chant phonêtiquement traduisent d'autres rêalitês. C'est par
exemple les cas de Yapeke qui veut dire en bambara disperser et
(1)
Les rêcits d'origine font êtê des femmes que les souverains
ont donnê aux anc~tres des Yarse.

345.
de yaresi qui désigne de nos jours un groupe de griots installés
dans la région comprise entre Kayes et Nioro.
Dans le Haut-Sénégal-Niger, M. Delafosse se référant
à une légende rapportée par Al Bakri au XIème siècle, parle
d'une certaine localité dénommée Yaressi,
située sur la rive
droite du Sénégal et qui aurait été la première colonie fondée
par les Mande(l). Les Yarse se considérant en majorité d'origine
mande, ont-ils été désignés par le nom de leur foyer ancestral?
Ce rapprochement s'avère trompeur car le Yaressi de M. Delafosse
est Irasni dans le texte originel d'Al Bakri, et Barisa chez
CD '" Me.
1t4 ,. i,;; 1;
Al Idrisi qui <1 ur;lis~urcèYdïAt Bakri (2).
Les problèmes étymologiques posés par l'appellation
yarse que les Moose ont sans doute forgée pour désigner au dé-
part ceux qui dans leur pays s'occupaient de l'islam et du com-
merce s'inscrivent dans un problème plus large et plus général
de l'histoire de l'Afrique de l'ouest; celui de la dénomination
des marchands. Les termes Wangara, Hausa et Dyula comportent les
mêmes ambiguités de définitions et les spécialistes polémiquent
encore pour savoir s ' i l s'agit de termes professionnels ou
"ethniques"
(3). On retrouve des débats analogues en Afrique
orientale à propos des définitions appliquées aux communautés
Swahili
(4)
depuis le milieu du XIXème siècle.
(1)
DELAFOSSE, Haut Sénégal-Niger, 1972, p.
262.
(2) Nous devons les informations sur les deux termes à Jean
DEVISSE.
(3) Voir PERSaN, Samori, une révolution dyula, T.l,
1968, p. 97.
(4) Voir l'article de EASTMAN Carol "\\'1ho are the Waswahili" Jou-
nal of the international African institute, Vol. XLI(3)
1971
et la thèse de José KAGABO, Les Swahili du Rwanda. Etude sur
la formation d'une minorité 1s1am1sêe. E.R.s.s. Par1s 1982.

346.
CON C LUS ION

347.
Au terme de cette étude,
i l ressort que l'histoire
des Yarse ne pourra ~tre saisie dans toute son importance que
lorsque des enqu~tes orales auront couvert l'ensemble de leurs
localités et lorsque les connaissances sur l'histoire des Moose
auront suffisamment progressé. Telle est la conclusion générale
que l'on peut tirer à la lecture de ce travail.
Mais les faits majeurs qui retiendront le lecteur
sont d'une part la diversité des origines géographiques des
Yarse et la présence très forte de l'idéologie dans leur dis-
cours, d'autre part l'importance de leur rOle économique, poli-
tique et culturel dans la société moaga précoloniale.
Si nos hypothèses étaient jugées audacieuses, et nos
interprétations contraires à tout un ensemble de "certitudes"
établies, ce n'est pas par un simple plaisir de détruire unique-
ment des schémas préétablis et conçus en dehors de cette société.
Elles ont été dictées par l'exploitation des sources orales
propres à ce milieu.
La reconstitution des quatre siècles du passé des
Yarse ne pouvait tenir en quelques pages. C'est dire que nous
avons privilégié quelques aspects de cette histoire.
Il s'agit
notamment des questions relatives à leurs origines, à leurs
activités marchandes et religieuses. L'histoire du peuplement

348.
yarga A travers l'espace moaga a permis de montrer les grandes
mutations opérées dans cette communauté :
le glissement de
l'activité commerciale vers l'activité agricole et le "redres-
sement"
de leur pratique musulmane en fonction des nouvelles
situations. Les relations des Yarse avec les pouvoirs politiques
locaux constituent un exemple de compromis historique qui deman-
de A être approfondi
et élargi
A d'autres groupes de popula-
tions de l'Afrique car i l est peut être possible que dans la
période précoloniale, ces types de compromis pacifiques aient
été plus importants que les dictats des conquérants sur les
"minorités".
.
Le débat dans la définition de l'identité des Yarse
a tourné autour du problème de l'ethnie. Nous avons soutenu
qu'il n'y a pas d'"ethnie" yarga, mais le paradoxe est que
c'est au moment où la définition de cette identité est le plus
marquée par des mutations qu'il y a une crispation visant à la
figer.
Et tout se passe comme si les discours contemporains
voire même actuels des Yarse et ceux des ethnologues du début
de ce siècle se soient rejoints, bien qu'ils ne poursuivent pas
les m@mes objectifs. C'est lA une question que nous essayerons
de creuser dans un travail futur,
centré principalement sur
l'évolution de l'islam dans le Hoogo depuis la fin du XVlII ème
siècle.
o
o
0
o

349.
A N N E X E S I

350.
ANNEXE 1 1
Données chiffrées sur les récits d'origines collectés.
Pays d'origine
~égions
des ancêtres Monde Arabe
Monde Mande
Gambaga
Moogo
Hombori
:le résidence
:les informateurs
Moogo central et
13
2S
2
7
2
méridional
Moogo septentrional
2
8
-
S
3
Pays Gurunsi
-
9
-
3
-
Pays Peul
S
-
-
-
-
Totaux
20
42
2
lS
S
Note
Ce tableau ne prend en compte que les informateurs yarse
qui ont donné des récits d'origine et non de simples té-
moignages.
Sa fragilité tient au fait que nous n'avons pas rencontré
le même nombre d'informateurs dans chacune des régions ci-
dessus énumérées. Le Moogo central est la zone où nous
avons le plus travaillé et par conséquent recueilli le
plus de récits.

351.
l ANNEXE III
LES YARCE, par Robert Randau, dans la Revue Anthropologique
1934 page 324 à 325.
Dans l'empire millénaire du Mossi,
réduit à ce jour à
quelques provinces et qui jadis englobait la plupart des terri-
toires de la Bouche du Niger en Afrique occidentale, la prépon-
"dérance appartenait à la caste noble, composée des nabas ou
chefs, et des nakomsé,
fils, parents et alliés des chefs. Une
armature féodale rigide, qui établissait une hiérarchie entre
les diverses classes du peuple et les catégories sociales et
qui avait à sa tête un chef suprême, le moro-naba, honoré comme
un dieu, maintenait dans la paix et l'obéissance les vastes
contrées du Soudan central. M. Dim Delobsom, fils du naba de
Sao et l'un des plus distingués fonctionnaires de la COte-d'Ivoi-
re, a donné, dans son ouvrage Au pays du Moro-Naba,
des rensei-
gnements d'un vif intérêt sur l'histoire et l'organisation de
l'empire dont Ouagadougou est la capitale. Il vient de publier
aussi, sous le titre: Les secrets des sorciers noirs, un livre
bien curieux sur les mystérieuses croyances de sa race. Nul
n'est mieux informé de celle-ci que lui. Les détails qu'il four-
nit sur elle ne sont point de seconde main et l'on ne peut révo-
quer en doute leur exactitude.
La caste des nobles est celle des conquérants,
venus au-
trefois de Gambaga en Gold coast occuper d'immenses savanes
habitées par des peuplades sauvages dont une partie fut refoulée
dans le nord et se réfugia aux falaises de Bandiagara, tandis
que l'autre partie adoptait les moeurs et la langue des surve-
nants et formait la masse du peuple mossi. Celui-ci était entie-
rement dévoué à l'agriculture et à la guerre. Il dut faire appel
aux étrangers pour les autres formes primordiales de l'activité
humaine. Des pasteurs peuhls vinrent qui s'occupèrent de l'éle-
vage des bovidés, au service des grandes familles.
Les transac-
tions commerciales furent peu à peu accaparées par les mandé-
dioula, qui venus du pays manding, se chargaient du trafic des

352.
esclaves, et allaient en caravanes acheter les noix de kola
aux frontières de la forêt dense et le sel dans la région de
Tombouctou. Nombre d'entre eux s'établirent, peut-être à une
époque reculée, au Mossi et, oubliant leur langue, adoptèrent
celle de leur nouvel habitat j quelques-uns de leurs groupes
auraient quitté, selon des traditions locales, les bords du
Niger, à l'avènement du roi bambara N'golo,
entre les années
·1754 et 1760. Ces mandés portent, en idiome mossi, le nom de
Yarcé
(au sing. yarga
j
Singer, dans son livre Du Niger au
golfe de Guinée,
écrit ce mot ia de'r'a).
Les groupements yarcé ont, bien qu'ils aient oublié le
langage de leurs ancêtres, maintenu leur autonomie en pays
mossi, parce qu'ils professent l'islam et ne se mêlent en au-
cune .façon aux animistes. Ils habitent des quartiers distincts,
dans les grosses agglomérations, et forment parfois des villa-
ges yarcé purs
j
ils ont des mosquées,
des écoles, des marabouts.
Sinon riches, du moins à l'aise, ils cultivent le sol pendant
l'hivernage et commercent à l'extérieur dès l'advenue de la
saison sèche. Leurs chefs locaux reçoivent l'investiture du
npba du canton. Jadis les yarcé dépendaient en partie du
rassoum-naba,
ministre du moro-naba, qui était le gardien du
trésor,
le maitre-bourreau et le chef des serviteurs de l'em-
pereur. Ils ne payaient pas d'impôts réguliers: ils offraient,
à certaines occasions,
des cadeaux à l'autorité supérieure et
aux nobles.
Sien que musulmans, les yarcé ont conservé certaines cou-
tumes fétichistes léguées par leurs aïeux.

353.
1 ANNEXE III r
DATE
27 novembre 1982
LIEU
LED, quartier DIU (Yar~e)
INFORMATEUR5 : KOUANDA Moumouni,
Issa, 5aidou (Yarnaaba)
5ANfO Amadou (Imam)
KOUANDA Amadou, Mahamadi
DERA 5aidou
Premier orateur
KOUANDA Moumouni
Origine et signification du nom du quartier 7
Nous sommes originaires de BOUGAGNONON,
village commandé
par le chef de SAPOUI. Nos yaaba transportaient des marchandi-
ses à LED. Ils y ont même travaillé (travaux forcés 7). De même
que nos pères. Nous-mêmes avons eu à transporter du mil et de
la paille de BOUGAGNONON à LED. La paille servait à couvrir les
habitations. On ne connaissait pas encore les tôles.
Avec l'indépendance, chacun était libre d'habiter là où
il le voulait. Comme le cercle de LED était celui que nous con-
naissions le mieux, nous sommes venus nous y installer.
A quoi servait le mil transporté 7
Il servait à nourrir les élèves et les soldats. Les com-
mandants de cercle imposaient une certaine quantité à chaque
chef de village après la moisson. Les chefs répartissaient les
quantités demandées aux villages qu'ils commandaient. Le mil
était stocké chez les commandants et servait à préparer la nour-
riture pour les élèves, les soldats et les gardes. A cette
époque il n'y avait ni automobile, ni mobylette, ni bicyclette.
Par conséquent le transport se faisait à pied. Nous portions le
mil; à pied nous quittions BOUGAGNONON pour LED.
Et la paille 7
Elle servait à confectionner les toitures de la maison
du commandant, car il n'y avait pas encore de tôles. Elle servait

354.
aussi pour les toitures des maisons des gardes de cercle. Il
y a de cela 40 ans.
Notre installation définitive dans ce quartier date de
plus de 17 ans. Cependant, nous allons rendre visite à nos
familles à BOUGAGNONON sans y rester. Nous effectuons ces vi-
sites lorsqu'il y a des cérémonies coutumières, des problèmes
de famille,
des décès, ••• Mais jamais on n'y reste pour cultiver.
Qui avez-vous trouvé dans ce quartier ?
Nous avons trouvé deux concessions seulement. Il y avait
encore beaucoup d'herbe; c'était encore la campagne.
Deuxième orateur
KOUANDA Issa
En réalité, il y a plus de 17 ans que nous sommes ici.
Les 17 ans concernent l'arrivée du premier orateur seulement.
Il y a 22 ans que nous sommes installés à DIU. Les premiers à
s'installer étaient trois YARSE dont l'un est E.H. RASMANE.
Une année après, l'orateur s'est installé (KOUANDA Issa). A
cette époque ce lieu était encore une vraie brousse.
Le nom du quartier
Il a été donné par les gurunsi. Ce nom est DIYU. Et notre
quartier porte le nom de DIYU YARSE. DIYU en Gurunsi signifie
la tête de la maison,
donc les premiers habitants.
Le premier orateur: K.M.
A quel groupe de Yar~e appartenez-vous ?
Il Y a beaucoup de groupes Vars"~ mais nous sommes des
KOANDSE
(pluriel de KOUANDA).
Signification de KOUANDA ?
Kouanda,
c'est quelqu'un dont l'origine est musulmane.
Leurs ancêtres ont toujours été musulmans. C'est une famille
de marabouts.

355.
Les activités exercées:
Les YARSE étaient des commerçants. Ils allaient à KOU-
MASSI et transportaient sur leur tête. Certains utilisaient
des ânes. Ils allaient aussi à SOFARA et MOPTI.
Les marchandises ?
Au départ, ils achetaient des moutons, des boeufs qu'ils
~llaient vendre à KOUMASSI, et achetaient de la kola. Vers
MOPTI, les Yar6e allaient vendre de la kola avec les PEULS et
achetaient le sel-barres de sel - qu'ils chargeaient sur les
ânes.
Quelles catégories de Yarse faisaient le commerce? Combien de
fois dans l'année?
Avant, les Yar~Q avaient des magdugu et des silete.
C'étaient les chefs des caravanes.
Quelle différence entre magdugu et silete ?
2ème orateur: ces deux mots présentent des différences
même s'ils désignent les mêmes réalités professionnelles; par
exemple, le capitaine et le sergent sont tous des soldats, mais
ils sont différents; ils n'ont pas le même grade. Ainsi, le
silete est supérieur au magdugu. Dans chaque caravane il y a
un magdugu et un silete. La caravane part après la récolte.
Elle met 70 jours pour l'aller et le retour, KIMASSI et WAKE.
Quand la caravane est revenue, les Yarse se reposent pendant
quelques jours avant de repartir pour SOFARA. La durée de ce
second voyage peut atteindre 40 jours, aller et retour. L'ora-
teur a fait lui-même le voyage trois fois en direction de Waêke
et six fois en direction de SOFARA.
D'où viennent les Yarse ?
Nos Yaaba viennent de TOMBOUCTOU. Notre yaaba a quitté
TOMBOUCTOU et il est venu au MOOGO.
Il voulait se rendre à
LA MECQUE, mais il fut arrêté par le naaba de NYOU, parce que

356.
dans son village il n'y avait pas de musulman (1). Nos yaaba
étaient à l'origine comme des PEULS. Le chef l'a arrêté pour
qu'il fasse des doose parce qu'il est du monde des boubous
blancs. C'est un yarga. A cette époque personne n'acceptait
(ne prenait) le doaga sauf le yarga. Il eut des enfants et
mourut à NYOU. Certains restèrent à NYOU et d'autres vinrent
à RA AYE. Et c'est de RAKAYE qu'ils sont venus à BOUGAGNONON .
. C'était après la deuxième génération après leur arrivée au
MOOGO.
Notre yaaba qui est venu à BOUGAGNONON s'appelait BOU-
REIMA. Puis ce fut PATENEMA, puis PATENEMA-BILA. Ils sont
tous de même père. Ils ont oublié et le nom de leur yaaba
qui a quitté TOMBOUCTOU et celui du chef de NYOU sous lequel
il est arrivé. Même actuellement, il y a des KOUANDA à NYOU
et ils y sont installés depuis bien avant le blanc. Les noms
de yaaba cités sont les noms de ceux qui ont été nos kasma.
Ce n'était pas des Yar-naaba. Les yar-naaba se rencontrent à
RAKAYE, à SANKUISSIN.
Premier orateur :
Nous avons nous aussi, ici, en pays gurunsi, dans notre
quartier un yar-naaba.
Comment est choisi le Yar-naaba ?
Ce n'est ni par ordre de primo-géniture, ni par patrili-
néarité. Le yar-naaba c'est celui qui s'est installé le premier
dans le village. Les yar~e n'ayant pas de fétiches sur lesquels
on tue des moutons, le kasma intervient peu.
Les itinéraires du commerce passent-ils par LED?
Certains passent par LED, d'autres par TENKODOGO, d'au-
tres par PO. La route de la kola: RAKAYE, BAWIGA, SAPOUI,
GALEGA YIRI, RABIOU, YELA, SISSILI, LED, LAM, KOKULMA, TOMU(Ghana)
(1) Nos informateurs discutent entre eux pour savoir si c'est
à l'aller ou au retour de LA MECQUE que leur yaaba a été
arrêté par le chef de NYOU.

357.
congo, KoBEYE, SAKALo, BEDoGo, BoUGHALE, WALIMBALE, WAHABoU,
KAKALINGUESSE, GUIELoYIRI, NASSA, DoANGHIN, oUSIN, MoNGZoU-
DoUGoU, GUALA, WAKE (Là on vend les animaux), KOUMASSI. A
Koumassi, on vend le reste des marchandises (moutons, soumbala,
beurre, boeufs). Après cette vente, les yarcé entrent dans la
forêt pour acheter la kola. Pour l'itinéraire, les étapes im-
pairs correspondent aux villages où ils passent la nuit
j
les
étapes pairs là où ils s'arrêtent pour se reposer. Impairs
RAKAYE, SAPoUI, RABIoU. Pairs: BAWIGA, GALEGA, YELA. Les
hommes portaient des charges, les ânes également.
Les pélerins suivaient-ils la même route?
Non, ils ne passaient pas par la même route. D'après ce
que nous avons entendu dire, certains allaient à KUMASSI, puis
à ACCRA, puis au HAOUSSA. Mais ceux qui sortaient pour LA MECQUE
n'étaient pas tous riches et par conséquent certains passaient
avec les commerçants et les aidaient à transporter moyennant
une paye. Il semble aussi que certains pélerins passaient par
NIAMEY.
Différence entre magdugu et silete ?
Les magdugu et les silete sont comme les généraux d'une
armée; ils sont comme les tansoaba au Moogo. Avant de sortir,
tous les yarse et les autres se rassemblaient chez le magdugu
et le silete. C'est le silete qui est à la tête de la caravane.
Il est suivi par le magdugu et tout le reste. Avant de partir,
le magdugu et le silete consultent des marabouts pour savoir si
la route est bonne et éviter des pillages. Ils consultent aussi
des charlatans, des voyants pour qu'ils leur indiquent les doose
nécessaires pour la bonne marche et pour éviter les attaques
ils prient Dieu pour éviter les attaques contre la caravane.
Y avait-il des femmes dans la caravane?
Oui, il y avait quelques femmes qui étaient chargées
d'aller puiser l'eau pour les hommes. Lorsque quelqu'un était

358.
malade, les femmes préparaient de la bouillie pour lui. Chacun
ne partait pas avec une femme. Si quelqu'un de la caravane
avait sa jeune femme et craignait que la durée du voyage ne
provoque sa fuite,
alors il la faisait accompagner la caravane
c'étaient donc des jeunes mariées qui suivaient.
Pratiquez-vous toujours le commerce?
Actuellement, tout a changé. Beaucoup cultivent mainte-
nant. Ils ont cessé d'aller à KUMASSI depuis leur installation
à LED.
Relations entre les YAR5E et les GURUNSI.
Avant les chefs aimaient les marabouts et voulaient des
doose. Mais les chefs GURUNSI n'aiment pas les marabouts. Ils
ne connaissent pas ce que c'est qu'un yarga ni ce qu'est son
doaga. Seuls les anciens chefs mossi l'ont compris. Les Gurunsi
ne connaissaient pas Dieu et par conséquent le doaga ne les
intéressaient pas. Avant, sous le naaba Bada des Gurunsi, il
était interdit de faire l'appel à la prière du muezzin. Cer-
tains Gurunsi jetaient du sable sur le visage des talibe qui
-
-
venaient mendier à leur porte. Avant, les Gurunsi pillaient et
frappaient les commerçants. Peu leur importait qu'il s'agisse
des yarse ou non. Les Gurunsi n'aimaient pas les Musulmans.Ils
avaient plus confiance en leurs fétiches qu'au Dieu des Musul-
mans. Tandis que les chefs mossi demandaient aux Musulmans
Yarcé et Peul de leur faire des doose pour éloigner leurs ennemis.
A gui avez-vous demandé la terre pour vous installer ?
C'est aux Gurunsi que nous avons demandé la terre. LED
était notre cercle et nous venions y travailler. Nous connais-
sions bien LED. Avec l'indépendance, la force a disparu et les
Gurunsi ont commencé à s'islamiser, d'où la facilité avec laquel-
le ils ont obtenu la terre.

359.
y
avait-il d'autres commerçants au Moogo en dehors des YAR~E 7
Les YarSe, les Zangweto, les Yadese, les Zoronse (Peuls
noirs avec de longs cheveux). Les Mossi qui souhaitaient parti-
ciper aux caravanes devaient demander l'autorisation aux Yarcé.
Les Zoronse viennent du Niger i ils consomment même les mau-
vaises noix de kola. Il~ les pilent, les font sécher au soleil
et les revendent en poudre.
~es gens sont-ils devenus Yarse à cause des privilèges des Yarse ?
Certaines personnes ont trouvé que être yarga, c'était
bien. C'est être propre. Alors certaines de ces personnes ont
donné leurs filles aux Yarcé en mariage. Les Mossi ne priaient
pas. Ces personnes donnaient leurs fils aux marabouts Yarse
pour l'école coranique. Et c'est ainsi que des chefs mossi ont
appris l'Islam avec les Yarse. Même le fils du M.N. KDM a fait
l'école coranique chez l'imâm de SARAPTENGA. Il s'appelait
Bouraima. Naba KDM a même donné sa fille à l'imâm de SARAP-
TENGA. Ceci est un exemple de relations existant entre Mossi
et Var
Que signifie le mot Varga 7 est-ce un mot moaga 7
2ème orateur
Le Varga c'est tout ceux qui viennent du
devant (l'ouest 7)
de Tombouctou. Certains d'entre eux ont
décidé de faire le commerce et c'est eux les Yarse. Ils étaient
blancs. C'est un mot moore qui signifie porteurs de boubou
blancs. A l'origine, les Yarse étaient de peau blanche.
Les Peuls et les Yarse .•. lesquels ont été les premiers à
s'installer au Moogo 7
Ce sont les Yarse. Les Peuls aussi viennent de l'ouest,
mais ce sont les YarS~ qui ont été les premiers à s'installer
au Moogo. Nos yaabas suivaient la voie de Mohammad et jus-
qu'aujourd'hui, c'est la voie que nous suivons. Nous sommes
tidjanes 12 grains et nos grands parents étaient des tidjanes.

360.
Mosquée et imamar,
Dans notre mosquée, l'imâm est un yarga. Les Gurunsi ne
fréquentent pas notre mosquée. Mais si un Gurunga arrive dans
notre mosquée et est plus instruit que notre imâm, nous lui
demanderons de diriger la prière.
V a-t-il des écoles coraniques ?
Oui, il y en a trois dans notre quartier. Il y a une
medersa dans le quartier des Gurunsi. Les élèves de l'école
coranique sont nos propres enfants et dea enfants de notre vil-
lage d'origine. Il n'y a pas d'enfants gurunsi. Les élèves sont
des petits enfants, mais il y a des grands qui étudient les ki-
tabse après le Coran. Parmi les kitabse :
- KHURTOUBI
: c'est le premier kitab
j
c'est un traité de prières
- AL AKHDARI
- AS MAWI
- ZABOUR
- BOUMAHIB
Connaissent-ils des gens qui ont fait le pélerinage à pied?
Parmi nous personne n'est allé à La Mecque à pied. Il y a
un de nos grands frères qui l'a fait mais nous ne savons pas où
il est. Il s'appelait MAHAMA. Chaque enfant qui naît porte un
nom selon le jour de sa naissance. Mais si ce nom coïncide avec
le nom de son grand père, on l'appellera l'homonyme du grand
père (Sam Yure). Le pélerin en question avait ce nom.
Il est
parti avant notre naissance.
Sont-ils en rapport avec d'autres centres tidjanes ?
Nos maîtres sont nos pères. Nous avons appris le Coran
avec nos pères. On n'a pas besoin d'être instruit pour appren-
dre le wird. Il y a des wirds longs et des wirds courts. Nous
apprenons à nos enfants ce que nos pères nous ont appris ; mais
il est possible que certains d'entre eux ayant fait la medersa
refusent notre enseignement. Ici, nous ne dépendons pas d'un
cheikh. Il y a un cheikh au Yatenga, mais nous ne dépendons pas
de lui.

361.
1 ANNEXE IV 1
Liste des moog-naaba jusqu'à la pénétration française
(d'après Michel IZARD).
1 - Wubri
2 - Soarba
3
Naskyemde
4 - Nasbire
5 - Nyingmendo
6 - Kumdumye (1540 - 1566)
7 - Kuda
(1566 - 1593)
8 - Dawema
(1593 - 1599)
9 - Zwetembuba
(1599 - 1629)
10 - Ndyadfo
11 - Nakye
12 - Namwega
13 - Kiba
14 - Kimba
15 - Koabga
16 - Zanna
17 - Girga
18 - Wubi
19 - Moatiba
(1729 - 1737)
20 - Warga
(1737 - 1744)
21 - Zombre (1744 - 1784)
(Wogdogo devient capitale)
22 - Kom 1
(1784 - 1791)
23 - Sagha 1
(1791 - 1796)
24 - Dulugu
(1796 - 1825)
25 - Sawadgo
(1825 - 1842)
26 - Karfo
(1842 - 1849)
27 - Boagho
(1849 - 1854)
28 - Kutu
(1854 - 1871)
29 - Sanem
(1871 - 1889)
30 - Wobgo
(1889 - 1897)

362.
J SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE 1
1 - Sources écrites
1.1. Archi ves
* Wogdogo (cercle de)
Enquête religieuse en Afrique noire
note expli-
cative, 31 janvier 1955
Rapport de mission en Haute Volta du 29 février
au 20 avril 1956 : "L'action rurale en Haute Volta"
- Répartition de la population par race et par reli-
gion (Ouagadougou), 1956.
- "Ouagadougou" (Rapport administratif), 21 juin 1956.
- Etude sur la toponymie des quartiers de Ouagadou-
gou, non daté.
- Rapport administratif de la sous-préfecture de
Kombissiri, 19 mars 1981.
* Yako (Les copies de ces documents nous ont été com-
muniquées par Mme VAN DUC).
- Rapport politique,
2ème trimestre 1934.
- Questionnaire envoyé par l'inspection des Colonies
N° 51 /6/2/1937.
- Circulaire du Gouverneur H. Deschamps N° 833 du
28/11/1942
- Rapport politique, 1er trimestre 1941.
- Rapport de l'opinion publique dans la propagande.
La situation de l'Islam et son attitude par rapport
à la coutume.
N° 32 Cn 1941.
- Rapport politique 1940, 2ème trimestre.
1.2. Documentations inédites (dossiers du CHEAM).
ANGELLIER Marcel, Concurrence entre islam et christia-
nisme en Afrique animiste de savane, 1958
dos.
N° 297.
AZAM Paul,
Les grandes lignes de l'expansion de l'islam
en Afrique noire,
1939. dos. N° 1014.
AZAM Paul, L'islamisation des Noirs,
1947, dos. N° 1145

363.
BICHON B., Les musulmans de la subdivision de Kombis-
siri (Haute-Volta). Notes et études sur
l'islam en Afrique noire, 1962, dos. N° 2495
CARLANDER, L'influence musulmane retarde-t-elle ou non
l'évolution économique des populations noires
du district de Léré (Tchad). dos. N° 1404.
GIUNTINI, L'influence de l'islam dans la région du Lo-
gone et du Mayo Kelbi, 1938, dos. N° 298.
MATTEI R.,
L'empire du Moro-Naba,
les chefferies. Contri-
bution à la connaissance de l'islam en pays
mossi,
1940, dos. 3326
MATHIEU M.,
Notes sur l'islam et le christianisme dans
la subdivision centrale d'Ouagadougou. Cercle
de Ouagadougou (Haute-Volta). 1956, dos.N° 2619
MORA, Les peulhs et l'islam,
1946, dos. N° 974
2 - Sources orales
Nous faisons figurer les principaux informateurs dans chaque
locali té.
2.1. Moogo Central
Dulugu
Kugpela
KOUANDA Issa, ancien "tirailleur sénégalais"
né vers 1908, 16 octobre 1982.
KOUANDA Ousmane,
Imâm né vers 1900, 17 octobre
1982, 7 mars 1982.
KOUANDA Souleymane, né vers 1902,17 octobre
1982, 5 mars 1982
Kombisiri
SANA Souleymane, môre, 15 octobre
GIGMA Ibrahima, mattre coranique,
16 octobre
1982
Rakaye
SANFO Ibrahima,
cultivateur,
17 février 1980
SANFO Abdulkadre, imâm,
17 février 1980
Sagabtênga : SANFO Ahmad, imâm, 16 février 1980

364.
Ziniare
Ko~da : DERA Issaka , 13 novembre 1982
DERA Saïdou , 12 no'vemb re 1982 (yar naaba)
DERA Daouda
12 novembre 1982
DERA Pasum, ancien silete, 12 novembre 1982
Moyargo
BIKIENGA Karim,Kasma, 13 novembre 1982
BIKIENGA Ousmane, mOre,
13 novembre 1982
Bisiga
KOVANDA Adama, Kasma,
13 novembre 1982
KOVANDA Boukare,
Imàm, 13 novembre 1982
KOVANDA Boureima, yar naaba,
13 novembre 1982
Ruunde
DERA Idrissa, Yirana,
14 novembre 1982
DERA Oumarou, notable, 14 novembre 1982
Tampaga
SORE Guébrila, yar naaba,
14 novembre 1982
BAGYAN Abdoulaye,
Im~m
SORE Saïdou, Kasma
Zitenga
Manega
SORE Ousmane,
7 février 1982
RABO Palénéma, 28 décembre 1981
SORE Soumaïla, 22 mars 1982
SORE Passum,
13 mars 1982
OUEDRAAGO Nobila, 18 mars 1982
DERA Rasmane, 17 janvier 1982
SORE Bila, 28 décembre 1981
Andem
DERA Mahamoudou,
14 novembre 1982 (yar naaba)
Wogdogo
Bogdogo
KOUANDA Souleymane, mOre,
im~m et yar naaba,
6 janvier 1978,
23 juillet 1978, 15 aout 1980
12 mars 1980
KOUANDA Amado,
cultivateur, 8 février 1981
Mwemin : BAGYAN Noufou, commerçant,
15 janvier 1982
PalQmtênga : KOUANDA Mahamadi, Yirana,
18 février 1979

365.
Rousin
KOUANDA Mahamoudou, yar naaba
KOUANDA Moumini, notable,
10 juillet 1978,
3 janvier 1981, 18 janvier 1981, 12-14 décem-
bre 1982,
Zangwetin
DAMKAM8ARY Aboubakar,
Imâm, 10 novembre 1980
DAMKAMBARY Gado
Zogona
SAKANDE Boureima, 22 décembre 1978
SAKANDE Ousmane (Imâm) 22 décembre 1978
SAKANDE Mahamadi, 22 décembre 1978
SAKANDE Mahamoudou,
12 aoQt 1977
2.2. Moogo Septentrional
Kongusi
Muwemin
RABO Ousmane, mOre, 24 décembre 1982
OUEDRAOGO SaliF, 25 décembre 1982
Lidugu : RABO
Bulenga
KOUANDA Yaya, président de la communauté
musulmane, 25 décembre 1982
Kora
SANA Idrissa (yar-naaba), 26 décembre 1982
SANA Lamine (Limâm), 26 décembre 1982
Yargo
SANA Daouda (yar naaba et Kasma) 26 décembre
1982
SANA Salam, 26 décembre 1982
Sisin
SORE Ousséni,
(yar naaba) 27 décembre 1982
KOUANDA Ali
(Limâm) 27 décembre 1982
2.3. Moogo Oriental et Méridional
Tenkodogo
SANA Mohamadi,
12 juin 1983 (Imâm)
SANA Ahmad (mOre) 12 juin 1983
Pwitenga
SANA Idrissa (Imâm) 5 juillet 1983
SANA Idrissa (yar naaba) 5 juillet 1983
WARA Rasmané (commerçant) 10 juillet 1983

366.
Kugpela
KURAOGO Salif (Imâm) 6 juillet
SORE Ousmane, 6 juillet
KOVANDA Soumaila (yar naaba) 6 juillet 1983
Niâgdi
MAIGA Hamidou, marabout, 9 juillet 1983
MAIGA Mohamed Imâm, 9 juillet 1983
2.4. Pays Gurunsi
Sakata
KOUANDA Ousmane, cultivateur, 15 mars 1983
SANGO Sayouba, cultivateur, 15 mars 1983
KOUANDA Saidou, yar naaba,
15 mars 1983
Léo
(Diu Yarcé): SANFO Hamado,
Imâm, 27 novembre 1982
SERA Saidou, cultivateur, 27 novembre
1982
KOUANDA Saidou, yar naaba, 27 novembre
1982
To
KONATA Tahirou (Imâm) 28 novembre 1982
SIEMU Issouf, 28 novembre 1982
KONATA Irroussa, mOre et Imâm, 28 novembre 1982,
16 mars 1982
2.5. Pays Peul
Kelbo
: RASO Saidou (yar naaba) 27 décembre 1982
RASO Kouka, tisserand, 27 décembre 1982
RASO Moumini, mOre, 27 décembre 1982
RASO Rasmané, cultivateur, 27 décembre 1982
2.6. Pays Gurma
Fada NGurma
KDURAOGA Abdul Salam (cultivateur)
7 juillet 1983
SANFD Labdani
(président de la communau-
té musulmane)
7 juillet 1983
KINA Salif (Imâm), 7 juillet 1983

367.
3 - Bibliographie
3.1. Etudes générales
ADAMU Mahdi, The Hausa factor in west African History,
Oxford University Press (Nigéria) 1978.
AMSELLE Jean-Loup, Les négociants de la savane, Anthro-
pas, Paris, 1977
BAKRI
(Al),
(Traduction de Vincent Monteil) Bulletin
de l'IFAN série B. 1968
BARTH Heinrich, Travels and discoveries in north and
central Africa, 1849-1855. London, 1965,3
volumes.
BRASSEUR et LE MoAL, Cartes ethna-démographiques de
l'Afrique Occidentale,
IFAN, Dakar, 1963
BINGER Louis Gustave, Du Niger au Golfe de Guinée,
réédition, Société des Africanistes, Paris,
1980.
CHRETIEN Jean-Pierre,
"L'alibi ethnique dans les poli-
tiques africaines", Esprit,
N° juillet-Août
1981.
CHRETIEN Jean-Pierre, Histoire rurale de l'Afrique des
grands lacs, AFERA,
Paris, 1983.
CISSoKo Sékéné Mody,
"Famines et épidémies à Tombouc-
tou et dans la boucle du Niger du XVlè au
XVlIlè siècle". B.I.FAN série B 30 (3) 1968
CLAPPERTON Hugh, Journal of a second expedition into
the interior of Africa, from the bright of
Benin ta Soccatoo, Murray,
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- 379 -" "
......,.
TABLE DES CARTES
Carte l - Les principaux groupes "ethniques" du Bur'kina
p. 20 bis
Carte II - Répartition des villages Yarse ......•................•..
p. 29 bis
Carte III - Les itinéraires suivis par les yarse venus de l'Ouest
d'après les traditions orales ...............•..........
p.76 bis
Carte IV -
Les itinéraires suivis par les yarse venus du Nord
d'après les traditions orales •.........•...............
p. 84 bis
Carte V -
L'itinéraire suivi par les yarse venus du Sud
d'après les traditions orales
p. 91 bis
C,-'r te VI -
Les royaumes moose en 1896 d'après Michel IZARD ........
p. 125 bis
Carte VII - Les installations yarse antérieures au XVIIlè siècle ....
p. 126 bis
Carte VIII- Emplacements des 1ères unités Yé'rse à Wogdogo ...........
p. 127 bis
Carte IX -
Les implantations des yarse au XVIIlè siècle ............
p. ] 51 bis
Carte X -
Les mouvements des yarse au XIXè siècle ................
p. 155 bis
Carte XI -
Les principales directions du commerce yarga ...........
p. 188 bis
Carte XII - Les grandes routes du commerce Dyula, Hausa, Yarse
jusqu'au début du XVlllè siècle ..........•.............
p. 218 bis.