UNIVERSITE DE NICE
U.E.R. DROIT ET SCIENCES ECONOMIQUES
L'AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE:
(LE CAS DU SAHEL)
THESE DE DOCTORAT DE 3e CYCLE
Présentée et soutenue par Monsieur Claude WETTA
Sous la direction de Monsieur Claude BERTHOMIEU
Professeur à l'Université de Nice
Avril 1983

ABREVIATIONS ET SIGLES COURANTS
AID (US) = Agence Internationale pour le Développement •.
AOF =
Afrique Occidentale Française.
A.V.V.
=
Aménagement des Vallées des Voltas.
BC =
B~O =
BDM =
BDPA =
Bureau pour le Développement deCi~ Production Agri•...
cole.
BPB =
Bourgeoisie POlitico-Bureaucratique.
CEAO =
Communauté Economique de l'Afrique de l'Ouest.
CEE =
Communauté Economique Européenne.
CFA =
Communauté Financière Africaine.
'r-
.
CFDT =
Compagnie Française pour le Développement et le
Textile.
CILSS =
Comité Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse
au SAHEL.
CMDT =
Compagnie Malienne pour le Développement et le Tex-
tile.
CRAD =
Centres Régionaux d'Assistance au Développement.
FAC =
Fonds d'Aide et de Coopération.
FED =
Fonds Economique de Développement.
t
-
-j'.
\\: ;'-"
iiiiÎii... \\

FES =
Formation Economique et Sociale.
\\\\
FSC =
Formation Sociale Capitaliste.
\\
, ,
,
""'l"
IRAT
1
=
Institut de Recherches Agronomiques TropicaleS,..~t.V'
1
de cultures vivrières.
J
MPC =
Mode de Production Capitaliste.
OACV =
Opération Arachide et Culture vivrière.
ODR =
Opération Développement Rural.
OFNACER = Office National des Céréales.
OPAM =
Office des Produits Agricoles.
ORO =
Organisme Rural de Développement.
P.I.B. =
Produit Intérieur Brut.
PMD =
Pays les mOlns Développés.
PVD =
Pays en voie de Développement.
RPSA =
République Populaire Socialiste d'Albanie.
SATEg =
Société d'Assistance Technique et de Coopération.
SAU =
Surface Agricole Utile.
-----------0-----------
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l N T RaD U C T ION
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2 -
"
'''Arme alimentaire''',
'''food power''',
'''pouvoir
\\
vert''',
'''arme verte''',
'''arme du blé,
'" arme de
'
la faim'"
••• ,
jamais sémantique guerrière aussi
\\
variée et imagée ne s'est étalée à la une de la
)
presse internationale. Pour être juste,
il fau-
,/
i
drait parler de la presse francophone.
Les jour-
naux américains et britanniques se contentent
d'évoquer, à l'occasion,
la '''guerre commerciale'"
ou la '''guerre économique!" "
(1).
Signe des temps modernes ou aveU: fi'une "civili-
sation" en plein dépérissement ? Le jargon militaire a
donc aujourd'hui franchi toutes les barrières (politiques,
économiques) pour s'installer au coeur des questions ali-
mentaires. véritable épée de Damoclès planant sur les pays
du "tiers monde", cette évolution ne peut laisser indiffé--
rent,
surtout lorsqu'on sait que l'unanimité est en train
de se faire (si elle ne l'est déjà) sur l'idée que la faim
dans les pays "sous-développés" est un fléau qui risque
d'entraîner des déséquilibres irréversibles dans le monde.
Comment d'ailleurs ne pas être sensible aux ouvrages de
,
,
-
,
,
(2)
Rene DUMONT : "Paysans ecrases, terres massacrees"
,
"La
croissance •••
de la famine,,(3),
"Paysannerie aux abois,,(4) J',
ou encore celui du Comité d'Information SAHEL
: "Qui se
nourrit de la famine au SAHEL,,(5) et enfin "SécheresseS@
famines au SAHEL,,(6) publié sous la direction de Jean COPANS
l.
"Demain l'Afrique",
n° 45., 28 janvier 1980. Paris, 16
rue Guillaume Tell.,
75017.
2.
René DUMONT. Edition Laffont., 1978.
3.
"
"
" d u Seuil.,
1975 et 1980.
4.
"
"
" d u Seuil. Collectif "esprit". Paris,::
1970.
5.
Comité d'Information SAHEL. Maspéro. Paris., 1975.
6.
Ouvrage collectif sous la direction de Jean CO~ANS. Mas-
péro, Paris., 1975.

. . . . .
1
- 3 -
-
0',.,
'1
(pour ne citer ,que cela)" ouvrages qui mèlent, leur voix à ,~ ,,~-I
la clameur générale donnant un ton particulier à cette cri-
y
se. Ce jugement de D. GAIGNEAUX est plus éloquent que tout ,
discours
"La production actuelle d'aliments est insuffisante
pour nourrir la population mondiale. Dans les pays
en voie de développement la pénurie atteint trente
millions de tonnes par an, et pourrait être de cin-
quante millions si rien n'était fait pour combattre
la disette" (1).
Malgré ces appels pathétiques,
i l n'est pas exagéré de di-,
re que le déficit alimentaire des pays "sous-développés"
\\
.
va s'accroissant
l % en 1913, 11% en 1939, 14 % en 1955~'·
• ~;.
l
i l passera à 20-25 % en l'an 2000 (2) si l'orientation ac-
:rp.our ne citer qUe- ~n"pr~ée. Un déficit permanent et crois-
.
. ,(!!eUX-la ).'
sant, des famines meurtrières, une stratégie de développe-
1
1
ment dont les résultats sont plus que douteux,
telles sont
1
l
les raisons essentielles qui ont élevé au diapason des
questions théoriques actuelles, celles de l'autosuffisan-
r
ce alimentaire. Cependant si l'autosuffisance alimentaire
constitue pour nous un objet d'interrogation, une matière
à réflexion pour certains, et non des moindres, c'est déjà
un slogan politique que nous retrouvons dans les programmes
et plans de développement.
Pour soutenir cette pensée nous
prendrons trois exemples qui sont loin d'être exhaustifs:
1.
Désiré GAIGNWi'US<-1 "Agriculture, premier impératif du dé-
veloppement". ~(lltlons Unlversltalres. Paris., 1969,
p.3'.
'1
2.
Désiré GAIGNEUX,;op.cit, p.41.

-
4
-
-
Le IIIème plan de développement économique et
social de la République de Haute-Volta affirme à la page
.,
3 de sont Avant-Projet
:
"La politique de développement agricole s'appuie sur
deux axes principaux :
-
Le développement de la production vivrière en
vue d'assurer progressivement l'autosuffisance
alimentaire des populations.
Le développement de la production de rente pour
permettre de consolider les revenus monétaires
des ruraux"
(1).
- Le "rapport de synthèse" du CILSS
(Comité Inter-
Etats de Lutte contre la Sécheresse du SAHEL) dans les "Pro...
positions pour une stratégie et un Programme de lutte contre
la sécheresse et de développement dans le SAHEL". abonde dans
le même sens
:
"Le programme proposé par le groupe (il s'agit du "grou-
pe de travail chargé de réfléchir aux problèmes de
sous-développement. de dépendance et de vulnérabilité
à la sécheresse. d'élaborer un cadre pour le dévelop-
pement à lmyen et à long terme et de proposer une
stratégie et un programme pour la région"). devait
permettre d'atteindre un objectif: assurer l'auto-
suffisanc~ alimentaire au SAHEL" (2).
~
-
En.
.1
le Vlème plan de développement sénégalais
défend le même point de vue. Les priorités de la politique
agricole du gouvernement sont au nombre de SlX dont en pre-
lieu celle de l'autosuffisance alimentaire(3). Signalons
1.
IIIème plan de développement économique et social : Avant-
Projet. Ministère du Plan et de la Coopération. Direction
Générale du Plan. République de Haute-Volta. p.3.
2.
Rapport de synthèse du CILSS. document collectif approu-
vé par le Conseil des Ministres du CILSS. réuni à Ouaga-
dougou en avril 1977. p.2.
3.
Revue "Marchés tropicaux" du 15 mai 1981. p.1356.

-
5 -
pour mémoire qu'il en est de même au Bénin et au Togo dans
la presse locale et dans les discours de mobilisation à la
Télévision et à la Radio.
Toutes ces idées convergent pour insister sur
l'importance de l'autosuffisance alimentaire et sur sa ca-
pacité à apporter une solution à court et même à long ter-
me à l'épineux problème de la faim, voire celui beaucoup
plus fondamental du développement.
Un des soucis qui guidera notre travail sera de
savoir si l'autosuffisance alimentaire constitue la pana-
cée, et si la stratégie du développement basée sur l'agri-
culture qui constitue son corollaire est pertinente. Mais
qu'est-ce que l'autosuffisance alimentaire vue sous l'an-
gle d'une production nationale? Il Y a lieu même à ce ni-
vea~de fractionner la question pour l'analyser:
- On peut imaginer un degré absolu d'autosuffi-
sance alimentaire qui indique théoriquement que toute la
demande interne d'un pays est satisfaite à cent pour cent
par l'offre de produits domestiques, quelle que soit la ca-
tégorie de produit considérée. Dans ce cas, l'autosuffisan-
ce signifie aptitude à vivre, pour ce qui concerne ce sec-
teur tout au moins, en autarcie. Ce degré est difficile
voire impossible à atteindre dans le contexte mondial ac-
tue1, marqué par des activités commerciales intenses. L'Eu-
rope de l'Ouest elle-même ne produit pas l'ensemble des

biens assurant sa propre consommation alimentaire

-
6 -
"La production y est insuffisante ,: la Belgique impor-
te les deux tiers de son blé,
les Pays-Bas luttent
~
pour accroître la superficie de leur sol,
l'Allemagne
1
de l'Ouest malgré une importante production agricole
1
ne suffit pas aux besoins de sa consommation. Quant à
l'agriculture française,
elle correspond aux besoins
du pays"
(1).
- On peut également imaginer un pays qUl a une
offre de produits domestiques nulle et qUl, grâce à ses res-
sources financières,
arrive à satisfaire sa demande interne
en s'approvisionnant sur le marché mondial. Ce cas de figure
est également, nous nous en doutons, une hypothèse d'école.
On peut enfin imaginer un degré relatif d'auto-
suffisance, qui représente un choix politique stratégiquè
et qui corresponde généralement à la réalité empirique, ob-
servab1e au niveau de chaque pays. C'est ce degré d'autosuf-
fisance relatif et voulu que nous mettons au centre de nos
préoccupations, dans cette thèse,
avec toute sa plage des
possibles (chacune ayant son prix économique, social, cu1-
ture1 et politique). Pour l'instant, nous sommes d'avis qu'il
existe pour chaque pays un degré d'autosuffisance alimentaire
stratégique. Cette autosuffisance alimentaire stratégique ,doit
permettre de produire, selon nous,
l'essentiel de ses besoins
\\
alimentaires dans son pays,
l'échange international étant pour
la demande intérieure un appoint. Vu sous cet angle,
la défi-
nition que nous venons de donner de l'autosuffisance ne lève
que le coin du voile qui concerne la production nationa1e/g10-
1.
D. GAIGNEAUX, op.cit, p.97.

,-
-
7
baIe apte à satisfaire les besoins de tous.
En d'~utres ter~
mes, nous avons opposé dans l'équation de l'autosuffisance
deux agrégats
: l'un concernant la production alimentaire
globale,
l'autre la somme des consommations individuelles et
COllectives, des fonds de réserve ou d'assurance contre les:
accidents, etc ••.
Cette définition ne touche pas encore à la question
de la répartition individuelle et à la satisfaction des be-'
soins de chaque consommateur. Nous préciserons ultérieurement
cet aspect de la définition, mais pour l'instant finissons-en
avec l'aspect de la production. La crise alimentaire qui sé-
vit dans le "tiers monde" ne doit pas être confondue avec une,'
crise agricole en général. En effet, lorsqu'on parle d'auto-
suffisance ou de crise alimentaire,
i l convient de se pencher
sur la variété des produits agricoles de consommation. Tous
les produits agricoles ne sont pas en crise de sous-produc-
tion. Avec J. CRUSOL (propos recueillis lors d'un séminaire
à l'université de Nice) nous affirmons que ce sont uniquement 1
les produits vivriers qui connaissent la crise (au sens où .
nous l'entendons, c'est-à-dire la sous-production). Les cul-
tures de rente sont en crise de surproduction et l'offre
'
excède lauvent la demande donnant à la courbe des cours une
tendance à la baisse. Comme le notent LAPPE et COLLIN :
" ,
"En k371, première année de la sécheresse complète, les
exportations de boeufs en provenance du SAHEL totali-
saient plus de 200 millions de livres, soit une augmen-
tation de 41 % par rapport ànl968 ••• De plus, au cours
de la seule année 1971, 56 millions de livres de pois~
sons et 32 millions de livres de légumes ont été expor- ,
tés à partir des pays du SAHEL touchés par la famine.;,
'

-
8 -
Le Mali "le pays le plus touché par la sécheresse" et
celui qui a reçu le plus de secours alimentaire, voyait.
sa production alimentaire (maïs, mil) baisser, alors
que dans le même temps la production destinée à l'ex-
portation a battu tous les records. Durant l'année 1971-
1972, la production du coton a atteint 68.000 tonnes,
soit une augmentation de 400 % sur la production des
six années précédentes où les pluies avaient été norma-)
les. La production d'arachides était de 150.000 tonnes
soit une augmentation de 70 % par rapport aux quatre
années précédentes. Plus d'un tiers des surfaces culti-
vées au Mali est consacré à l'arachide. La production
de riz également destiné en grande partie à l'exporta-
tion a atteint des taux records en 1972 'avec 174.000
tonnes" (1).
On peut compléter cette citation par celle de D. GAIGNEAUX
qui note que :
"Cependant les débouchés qu'offrent les pays occidentaux
sont susuffisants pour absorber les exportations qui
couvriraient les importations indispensables au déve-
loppement des pays en voie de développement. L'ensem-
ble de la demande totale des marchés de l'Occident est
inférieur à l'offre, du moins quant aux produits de
l'agriculture présentés jusqu'à présent"
(2).
Il serait donc intéressant d'analyser ce paradoxe
Sl
tant est que c'en est un.
Un bref aperçu de la situation internationale nous
permet de saisir que la crise alimentaire touche essentielle-
ment les pays "sous-développés" et notamment les cultures vi-
vrières nécessaires à l'alimentation des larges masses. La
question de l'autosuffisance est donc également une question
-
multicontinentale (Amérique Latine, Asie, Afrique) où se trou-
vent regroupés la plupart des pays "sous-développés".
1,
LAPPE et COLLIN, cité par M.
BARRILLON dans : "Contrôle'
de l'information, contrôle de surplus et relation de pou~
v01r~aint-Denis de la Réunion., mai 1979.
2.
D. GAiGNEAUX, op.cit, p.118 •
.~>.-
'i.
i~
..
"
i:."7~.~.:
.., -

, "
9
Dans le cadre de cette thèse de troisième cycle,
des contraintes de temps ne permettent pas de mener à bien
une étude englobant tous ces pays. Il fallait pour cette
première raison opérer un choix ; mais i l y a mieux, la
1
masse énorme de documents épars ruine toute initiative de
ce genre tendant à des efforts de synthèse globale. Dans
ces conditions, envisager une telle étude équivaudrait à
faire un saut périlleux dans l'inconnu. Enfin les documents
de vulgarisation relatifs aux problèmes que connaissent les
pays "sous-développés" ne doivent pas faire illusion, car
beaucoup sont plus soucieux de donner des rudiments de con-
naissance à un large public plutôt que de présenter une ana-
lyse rigoureusement scientifique à un aéropage. Toutes ces
raisons nous ont poussé à opérer un choix en faveur de la
limitation de l'ère géographique de notre étude.
A contrario, nous aurions pu nous contenter de
l'étude concernant un seul pays. Dans ce cadre restreint,
aurions-nous alors pu affiner les analyses et approfondir
les questions? Nous pensons que l'intérêt de la question
s'en trouverait du même coup limité au problème spécifique
d'un seul pays. Mais i l y a plus important car au moment,où
la "lu\\tte pour l'autosuffisance" aux yeux des représentants
des gouvernements des pays "sous-développés" devient un pro-
blème régional, avec des aspects supranationaux, nous nous
priverions du droit de saisir cet aspect de la question ;
c'est pourquoi, nous avons choisi la sous-région du SAHEL.
Les raisons profondes de ce choix font qu'en fait raisons
"
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10 --
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GRANDS ENSEMBLES CUMATIQUES DE L'AFRIQUE DE L'OUEST
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1 -.
L
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subjectives et objectives s'entremêlent. En effet pour tout
étudiant étranger fréquentant les facultés françaises.
lors-
que s'offre enfin à la fin de ses études la possibilité pans
le cadre universitaire de se pencher sur des problèmes qui
ont le double avantage de constituer un sujet de préoccupa-
tion mondiale et d'offrir un intérêt affectif, qui résiste-
rait à la tentation de se jeter sur un tel apport ? Cependant
le SAHEL. pour nous.
présente en tant que sujet deux intér~ts
intimement liés
Cette région est la nôtre. Ce fait militera en
faveur de l'engagement et de la passion. D'ailleurs. par mo-
ment.
le parti pris. la passion et la fougue prendront le

-
11 -
sur la raison; nous prions le lecteur de vouloir d'avance
nous en excuser.
- Au SAHEL plus que partout ailleurs dans les pays \\
1
l-
"sous-développés" africains,
la situation de famine est poi-
I
gnante. C'est là que les conséquences de la crise alimentai-
re se sont manifestées avec le plus d'acuité culminant avec
la sécheresse de 1973. Ce jugement du "Moniteur Africain"
est très éloquent à ce propos
:
"lors des sécheresses des années qui ont suivi 1973,
des pays du SAHEL avaient perdu jusqu'à 80 % de leur
cheptel" (1).
Mais i l y a mieux,
car la question de l'autosuffisance ne
saurait être une question uniquement conjoncturelle. ~i~st
l'objet du document que le Comité d'Information SAHEL a pu-
blié en 1975 pour informer l'opinion publique sur les consé-
quences de la faim et qui explique les raisons en ces termes
"c'est un document qui vise à informer et surtout à
analyser les causes profondes d'une situation de di-
sette chronique organique même, parce qu'inhérente
au système d'exploitation impérialiste qui sévit en
Afrique et qui a été brusquement mis à nu par la sé-
cheresse" (2).
Nous nous intéresserons donc à une région privilé-
giée (en ce qui concerne tout au moins et là malheureusement
la question de la faim).
Il s'agit aussi et surtout de mêler
notre modeste voix à celles qui tentent de démystifier les
1.!
Revue le "Moniteur Africain"., septembre-octobre 1977, ,
p. 39.
2.
Comité d'Information SAHEL"qui se nourrit de la faim en
Afrique~.Petite collection Maspéro - Paris., 1975.

-
12 -
conceptions erronées sur la question de la faim.
Comme nous
l'avons déjà souligné, qui pourrait assister impuissant à
la conspiration du silence qui pousse à l'extermination de
populations entières ?
"Selon les estimations de la F.A.O près de 500 millions
de personnes sur les quatre milliards qui peuplent ac-
tuellement la terre souffrent de malnutrition. Des mi~­
li0ns de personnes meurent de maladies provoquées par '
la faim"
(1).
Le terme générique de SAHEL est entré dans le lan-
gage courant, devenant un concentré plus expressif que tout
1
autre épithète géographique. Le terme de SAHEL a d'ailleurs
1
connu des fortunes diverses: d'origine arabe,
il signifie la
1\\
bordure,
le littoral,
le rivage.
Il a été utilisé d'abord
1
pour désigner les collines littorales d'Afrique du Nord. 'Par
métaphore et extension, on l'a appliqué aux bordures du dé-
1
sert du SAHARA. Actuellement c'est la zone méridionale en
1
contact avec le SAHARA qui hérite de cette appellation. Dans
la mesure où la sécheresse a touché l'ensemble de la zone
soudano-sahélienne, on a tendance à élargir l'aire de défini-
tion du SAHEL. Le SAHEL est par conséquent composé de huit
Etats. Dans l'étude que nous allons effectuer, nous nous con-
2
tenterons d'en étudier s i x : la Mauritanie (1.032.000 km ),
2
2
le Mali (1.204.000 km ), la Haute-Volta (274.122 km ), le Ni-
2
2
ger (1.267.000 km ), le Sénégal (201.000 km ), le Tchad
2
(1.284.000 km ). Les raisons fondamentales de ce choix sont
L
L'Hebdomadaire d'Information:
"Carrefour Africain".
N° 749 du 22 octobre 1982, p.6.
"'.~(

f

"
-
13 -
au nombre de deux :
-
les six pays sont largement représentatifs. du
SAHEL : ce sont les six pays principaux. La Gambie et la
Guinée-Bissau sont non seulement des cas exceptionnels mais
leurs difficultés ne diffèrent en rfen de celles des autres
pays du SAHEL. En effet,
la Gambie est une ancienne co~onie,
britannique qUl est limitée du Nord au Sud et à l'Est par
le Sénégal. Les discussions sur le projet de fusion entre
le Sénégal et la Gambie apporte de "l'eau à notre moulin".
Ces discussions viennent de donner naissance à une confédé-
ration : la Sénégambie.
"Le premier conseil des ministres de la cO~fédération
de la Sénégambie a été constitué le 4 novembre parle,
Président de la confédération M. Abdou DIOUF,
chef
de l'Etat sénégalais"
(1).
Quant à l'ancienne colonie portugaise la Guinée-Bissau, son
accession à "l'indépendance" est relativement récente (le
5 juillet 1975).
Les pays que nous avons choisi ont tous l'avantage
d'être francophones, d'avoir accédé à "l'indépendance" en
1960, ce qui sera, du point de vue de notre étude h±stori~
que, très important. En effet, déjà à l'époque précoloniale,
les peuples du SAHEL ont eu leur destin intimement mêlé. On
retrouve encore aujourd'hui de part et d'autre des frontiè-
res les mêmes groupes ethniques,
les mêmes familles, vesti-
ges de cette époque. C'est d'ailleurs une des raisons qui
L
Revue "Marchés Tropicaux", n° 1931 du 12 novembre 1982.

- M -
fait que les frontières sont extrêmement perméables et qu'un
courant d'échange commercial se fait quelquefois au mépris
de toute légalité. L'époque coloniale surtout,
et subsidiai-
rement l'époque postcoloniale,
a accentué cette communauté
de destin. La quasi-totalité des Etats du SAHEL que nous
avons retenus ont eu le même colonisateur et dans le cadre
de l'ancienne A.O.F (Afrique Occidentale Française),
les
sources statistiques et même certains chiffres sont communs
à ces Etats (exception faite du Tchad). Aujourd'hui encore,
tous sont sous la dépendance du capital étranger principale-
ment français. Cette homogénéité qui reste de loin l'aspect
le plus important et qui nous a guidé dans notre choix ne
doit pas occulter les différences ethnosociologiques, le
fait que certains Etats sont enclavés et que d'autres dispo-
sent d'un littoral (Sénégal, Mauritanie), ce qui aux yeux
des bailleurs de fonds compte beaucoup.
Sur le plan politique parmi le nombre impression-
nant d'organismes et de regroupements dont i l est souvent
difficile de distinguer la spécificité, on peut noter égale-
ment une hétérogénéité certaine.
- La Haute-Volta et le Niger font partie du Con-
seil de l'Entente (créé les 4 et 7 avril 1959 et le Il
juillet 1960),
-
le Niger,
la Mauritanie,
le Mali,
le Sénégal de
l'Union Douanière des Etats de l'Afrique de l'Ouest, créée le
Il juin 1959,

-
15 -
-
le Tchad de l'Union Douanière et Economique de
l'Afrique Centrale (U.D.E.A.C),
-
la Haute-Volta et le Sénégal du Conseil Africain
de l'arachide,
-
le Mali, la Mauritanie et le Sénégal de l'Orga-
nisation des Etats Riverains du Sénégal
(O.E.R.S) créée le
24 mars 1968.
Tous ces Etats font partie de la Communauté Econo-
mlque de l'Afrique de l'Ouest
(C.E.A.O), de l'O.U.A (organi-
sation de l'Unité Africaine) et de la Zone Franc;
ils ont
signé la convention de Lomé et de Yaoundé qui fait d'eux des
"associés" du Marché Commun Européen.
Au SAHEL donc les problèmes se posent en termes
particulièrement brûlant et nécessitent une solution urgente.
C'est ce à quoi les spécialistes et les différentes politi-
ques agricoles se sont déjà attelés au cours de ces deux der-
nières décennies proposant, à qui mieux mieux,
l'aide alimen-
taire ou/et des programmes de développement rural qui ont été,
dans la majeure partie des cas, desééchecs retentissants.
Le ministre malien des finances et du commerce, M.
Idrissa KEITA,
a déclaré à l'occasion d'un séminaire qui
s'est tenu à Bamako du 29 décembre 1980 au 3 janvier 1981
que
"les résultats enregistrés tant au niveau-de la commer-
cialisation qu'à celui du ravitaillement sont loin des
objectifs assignés à 1 'OPAM".

-
16 -
Depuis sa création en 1959,
l'OP~"n'a pu survivre que grâ-
1
l
ce aux interventions de l'Etat et au recours excessif au cré-
dit bancaire,,(l). Le déficit céréalier s'élévera à 508.000 T,
pour la campgage 1980-1981.
En Mauritanie le déficit céréalier atteindra .62.000.
T au cours de la campagne 1980-1981 (2).
Le déficit céréalier de la Haute-Volta s'est élevé
à 38.000 T en 1980. Au Sénégal, la situation n'est pas diffé-
rente :
"le tiers des céréales consommées est importé (surtout
riz et blé) et payé par la moitié des revenus tirés
.
de l'arachide en année moyenne. Et malheureusement la
campagne 1980-1981 a été largement en-dessous de la
moyenne, compromettant les efforts de redressement éco-
nomique" (3).
LL modèle "d'importation-substitution" ou celui des
I.A.A (Industries Agricoles et Alimentaires) qui doit être la
pierre angulaire du développement économique s'essouffle éga-
-
lement au Sénégal. Dans ce pays,
la stratégie sur laquelle
s'édifient les plans est
"celle de la spécialisation arachidière et ,du dévelop-
pement fondé sur l'industrie légère de substitution
d'importation financée par le capital étranger" (4).
Les huileries sénégalaises tourneront cette année
à 12 % de leur capacité de trituration (estimée à 850.00Q T
;Co
OPAM = Office des Produits Agricoles du Mali.
1.
Revue "Marchés Tropicaux", n° 1835 du vendredi 9
janvier
1981.
2.
Revue "Marchés Tropicaux", n° 1839 du 6 février 1981.
3.
"
"
" , n° ,1853 du 15 mai 1981.
4.
Samir AMIN, op.cit, p.51.

- 17 -
d'archide) contre 25 % l'an dernier, a indiqué le 14 février
1981 le quotidien sénégalais le "Soleil".
Devant le déficit structurel des pays du SAHEL, de
multiples causes sont avancées ;
les causes naturelles et hu-
maines sont celles qui font le plus école : des "spécialistes"
nous abreuvent, avec force détails d'études minutieuses sur
le climat, les sols, les hommes,
etc ••• Les notes et études
documentaires de la "Documentation Française" synthétisent'
bien les points de vue de ce courant de pensée lorsqu'elles
soulignent :
"si précaire et plein de périls qu'ait été l'équilibre
qui avait régné entre l'homme et la nature avant la
période coloniale, cet équilibre a été compromis sans
retour par l'expansion démographique et le développe-
ment économique et que, poùr survivre et progresser,
comme i l est hors de question d'agir sur le climat, i l
faudra rechercher un nouvel équilibre écologique et y
adapter les hommes"
(1).
Il est difficile de nier l'intérêt de ces études
mais ramener la question hautement théorique du déficit stru~-
turel du SAHEL ou la circonscrire à un déterminisme histori-
que ou géographique,
incirminersla "nature des choses" et le
"bon ordre des choses",
en invoquant de façon presque incan-
tatoire la vague "nébuleuse" de la "catastrophe naturelle"
serait faire preuve d'un fatalisme auquel un esprit, qui se
veut un tant soi peu scientifique, ne peut se rallier. Les
problèmes actuels du SAHEL ne résultent pas uniquement des
L
"Documentation Française", nO 4216 et nO 4217 du 23 sep-
tembre 1975. Les luttes contre la sécheresse.

- 18 -
conditions atmosphériques, ni de la sécheresse, ni des lnon-
dations, etc •••
"Le problème c'est la faillite d'un système social in-
capable de faire face aux défis de la nature" (1).
Mais il Y a une autre raison de fond qUl nous pousse à nou~
démarquer des solutions proposées et envisagées par les pro-
grammes et plans de développement que nous avonsé'voqués plus'
haut: c'est leur mémoire et leur vue a-historiques ou défor-.
mées des phénomènes du SAHEL.
Un illustre penseur du XIX ème siècle considérait
que, s'agissant d'étudier l'histoire des sociétés,
"le facteur déterminant,
en dernier ressort
était
la
production et la reproduction de la vie immédiate" (2 ) •
Jeter un regard sur le SAHEL précolonial par exem-
pIe signifie donc analyser la production et la reproduction
dans les sociétés sahéliennes de l'époque. L'histoire elle-
même est implacable dans ses choix, car elle nous lègue pèu
"'t>-
de matériaux ou plus exactement pas de documents du tout sur
ce que les économistes appellent aujourd'hui la consommation
dans son acception stricto sensu. La question de l'autosuffi7
sance alimentaire ne saurait donc, pour cette première raison.
être abordée sous l'angle étroit de la consommation. Mais il
y a plus important
: toutes les grandes écoles de pensée éco-
1.
LAPPE et COLLINS. cité par M. BARRILLON. op.cit, p.28.
2.
F. ENGELS
: "L'origine de la famille et la eropriété
privée et de l'Etat". Préface à la 1ère éditlon •• mai
1975. Edltlons Sociales, p.l7.

-
19 -
nomique (classique, marxiste, néo-c1assique(1)) s'accordent
pour reconnaître que la consommation et la production sont
intimement liées. En d'autres termes, sans consommation il
n'y a pas de production, car toute activité économique a
toujours la satisfaction des besoins pour mobile, mais la
production agit de façon décisive sur la consommation. C'est
dire que la question des rapports entre la production et la
consommation en général, c'est-à-dire quelles que soient les
données historiques, est l'objet central de toutes les gran~
des doctrines économiques. Cette constatation étant acquise, ,
se pose le problème de l'importance relative accordée à cha-
que concept. L'école néo-classique,
et malgré les orientations
de sa fraction autrichienne, dont le maître incontesté est E.
BOHM -
BAWERK, a été le plus loin dans la défense du point de
vue de la primauté de la consommation sur la production. Dans
l'analyse des phénomènes économiques, la consommation, les
besoins et les désirs de l'homo-économicus occupent la premiè-
re place. Les "biens économiques", en tant que produits, ne
servent pas par conséquent de point de départ de la réflexion
mais sont des quantités données a priori. Mieux,
l'ensemble
de la théorie de la valeur se trouve ainsi désigné d'avance,
comme point central du système théorique. La sacro-sainte
théorie de l'offre et de la demande, qui évacue la valeur se
1.
L'école néo-classique est représentée par l'ensemble des _
analyses remontant aux premiers margina1istes anglais et ,
autrichiens, en passant par les travaux contemporains des
écoles américaines
(Chicago et MIT), travaux qui réali-
sent la synthèse des positions orthodoxes austro-améri-
caines et des variantes hétérodoxes macro-économiques
d'inspiration keynésienne.

-
20 -
trouvant à la base des prix, substitue à l'explication du
,
phénomène de la valeur et des prix qui en résultent la des-
L
cription des variations de ces derniers ; la théorie des
frais de production qui explique les prix de certaines mar-
chandises à l'aide des prix d'autres marchandises, tourne
pratiquement dans un cercle vicieux; la théorie de l'uti-
lité qui réduit l'essentiel de l'explication de la valeur
des marchandises par leur valeur d'usage, occultant le fait
que celles-ci sont hétérogènes et qu'elles diffèrent par la
qualité et que par conséquent elles ne sont pas commensura-
bles au point de vue de la quantité.
L'un des représentants de l'école néo-classique
(que MARX a baptisé le courant de l'économie vulgaire), l'an-
glais T.R. MALTHUS (1766-1834), a prétendu que la misère des
masses inhérente au capitalisme, était le fait de la multi-
plication des êtres humains qui croissent de façon plus que
proportionnelle à l'augmentation des subsistances fournies
par l'agriculture. Selon lui,
le taux de croissance ,de la po-
pulation étant plus rapide que le taux de croissance de la
production agricole des subsistances, la famine,
la misère,
les épidémies et les guerres finissent par apparaître à plus
ou moins longue échéance. En d'autres termes,
i l pense que
la croissance de la population s'effectue au rythme d'une
progression géométrique,
alors que la croissance des subsis-
tances s'effectue à un rythme de progression arithmétique, et
que par conséquent, cette évolution entraîne toujours à plus
ou moins long terme, un surplus potentiel d'êtres humains qué

-
21 -
la famine,
les guerres,
etc •.•
doivent supprimer. Ironie
du sort ou juste retour des choses,
les thèses malthusien-
nes réapparaissent aujourd'hui,
au moment où la crise ali-
mentaire bat son plein, avec un emballage flambant neuf.
I l
est courant d'entendre parler de façon insidieuse, abusive
ou même sentencieuse, de "l'explosion démographique" qui
expliquerait à elle seule ou principalement les problèmes
du SAHEL ; du "contrôle des naissances" pour conjurer le
sort qui est jeté sur les "pauvres populations" du SAHEL.
Nous ne devons pas nous méprendre : ce sont des relents de
malthusiannisme désuet dont i l faut se démarquer.
ENGELS en
son temps avait attaqué le fond de la théorie malthusienne
en indiquant :
"cette théorie comme ses autres idées d'ailleurs,
le
pasteur MALTHUS l'a bel et bien volée à ses prédéces-
seurs : rien ici n'est de lui si ce n'est l'appli9a-
tion purement arbitraire des deux progressions. La
théorie elle-même a été ramenée depuis longtemps par
les économistes anglais à des proportions raisonna-
bles. La population exerce une pression sur les moyens
indispensables au travail et non sur les moyens d'exis-
tence;
l'humanité pourrait se multiplier plus.rapide-
ment que cela ne peut être nécessaire à la société
bourgeoise moderne"
(1).
Si aujourd'hui dans le monde,
la production est
limitée, c'est moins parce que les bornes supérieures de
celle-ci sont atteintes que parce que l'offre se module en
fonction d'une demande solvable. Même en considérant les
moyens dont l'humanité dispose aujourd'hui la production
L
F.
ENGELS, dans
: "Correspondance". Lettre à LANGE. Edi-
tions Progrès de Moscou.,
1971, p.170.

-
22 -
peut être suffisante sans qu'on ait besoin de s'en référer
aux potentialités qui végètent. Le fond de la question est
que les limites de la production sont déterminées par la
demande solvable qui agit de façon décisive sur l'offre de
produit alimentaire mais non par le nombre de ventres affa-
més. Au SAHEL, mieux que partout ailleurs,
le "contrôle des
naissances" est illusoire et inconsistant comme moyen de
lutte contre la famine. Au SAHEL,
la densité de la popula-
tion est très faible,
la mentalité est encore très natalis-
te,
enfin comme l'indique ENGELS,
l'augmentation de la popu-
lation peut et doit être source de progrès parce qu'exerçant
une pression sur les forces productives.
Mais l'impuissance théorique du courant néo-clas-
slque n'est pas seulement reconnue par les adversaires de
ce courant. A cet égard,
les aveux de J. SCHUMPETER, un des
plus ardents défenseurs du marginalisme, sont forts intéres-
sants :
"nous voyons alors (dit-il) que notre système statique
n'explique pas,
et de loin,
tous les phénomènes écono-
miques tels que l'intérêt et le gain de l'entreprise"(l)
Plus loin,
il ajoute :
"
que notre théorie dans la mesure où elle est soli-
dement fondée,
reste défaillante vis-à-vis des phénomè-
nes les
lus im ortants de la vie économi ue (souligné
par nous • De plus,
elle echoue Vls-a-V1S de tout phé-
nomène qui ne s'explique que du point de vue du déve-
1.
Jos~2h SCHUMPETER, cité dans: "L'économie politique du
renti§r" de N.
BOUKHARINE,
éd. Paris 19, p.69.

-
23 -
loppement. En font partie les problèmes relatifs à la
formation du capital et autres, notamment celui du pro-
grès économique et des crises"
(1).
Depuis ces aveux, des efforts ont été entrepris
pour prendre en compte le mouvement dans cette théorie. Née
à la fin des années 1930, la théorie néo-classique du mouve-
ment économique est devenue progressivement et notamment à
partir de 1950 le domaine privilégié du développement de l'é-
conomie politique dominante contemporaine. Le corpus théori-
que de la théorie dominante du mouvement est le fruit d'une
double filiation marginaliste et keynésienne. Les travaux de
synthèse de ces deux courants, ont été réalisés par les spé-
cialistes anglais et américains, HICKS et HARROD, DOMAR,
SAMUELSON, SOLOW, etc •••
Mais ces efforts ne sauveront pas la théorie néo-
classique qui échoue dans sont explication de la croissance
économique. En effet,
elle n'est valable que dans une écono-
mie imaginaire à un seul bien. Lorsqu'on passe d'une économie
à un seul bien à une économie à plusieurs biens, l'explica-
tion de la répartition, donc de la valeur et de l'échange,
est émasculée. La relation entre le taux de profit et la na-
ture et le choix des combinaisons productives reste en effet
indéterminée, car on peut, pour deux techniques données,
trouver trois taux de profit pour la même valeur du rapport
(capital -
travail). L'hypothèse de la monotonie de la courbe
1.
J.
SCHUMPETER dans "Das wesen und der hauptinhalt der
theoretischen nationalokonom~e". Leipzig., 1908, p.564.

-
24 -
(KIL;
r) qui donne à cette théorie sa force,
devient elle
aussi gratuite. si le taux de profit est indéterminé, les
facteurs de production ne peuvent être rémunérés à leur pro-,
ductivité marginale ; donc la détermination de la valeur
suivant la rareté des facteurs est impossible. C'est la con-
clusion que tire le Professeur C. BERTHOMIEU lorsqu'il écrit
"au terme de cette analyse,
il apparaît donc que, sauf
le cas où il n'existerait qu'un seul bien dans l'éco-
nomie,
la théorie néo-classique ne peut concevoir une
catégorie analytique unique du "capital" qui rende
compte simultanément, c'est-à-dire dans le même co~ps
analytique, des phénomènes de production et de répar-
tition du produit total ; même dans la représentation
appauvrkqu'elle retient dans son approche purement
fonctionnelle,
la théorie dominante échoue dans sa ten-
tative de fournir une explication de la détermination
du taux général (et unique) de prof it" (1).
Nous avons longuement discuté des problèmes de,la
prodl'ction en liaison avec ceux de la consommation pour ln'-
èl,(h,
.
diquer ~Qv;:autosuffisancealimentaire ne saurait être une
.le
simple question de consommation ou mieux encore de "besoin".
Nous n'avons pas encore envisagé l'autre terme qui est le
pendant de la production dans la définition d'ENGELS, la
reproduction. La question de la production ne saurait épui-
ser celle de l'autosuffisance alimentaire. La production doit
avoir deux objectifs fondamentaux:
permettre la réalisation
d'une consommation individuelle mais aussi et surtout per-
mettre la création des conditions de sa pérennité, la repro-
1.
Car~o BENET~I, Claude ~ERTHOMI~U, Jean CARTELI~ : ~~c?­
nomle classlque.Economle vulgalre". Presses Unlversltal-
res de Grenoble. F. Maspéro. Grenoble., 1975.
-';-.

- 25 -
duction. Les classiques et surtout MARX avaient saisi l'im-
portance de cette notion. C'est pourquoi cette notion et cel-
le de la production forment un couple indissociable dès que
nous introduisons la notion de temps. L'analyse de la repro-
duction présuppose celle de la répartition et donc faitap-
pel au concept de surplus et des classes sociales. La notion
de surplus est inséparable de celle du surtravail : dans le
MPC,
les conditions permissives de l'appropriation du
"surtravail ou travail supplémentaire et le surproduit
ou produit supplémentaire, c'est-à-dire la partie du
travail et du produit qui [excède] les besoins du pro-
ducteur"
(1) existent.
Cette partie du produit qui tombe aux mains des non-produc-
teurs détermine les conditions de la reproduction élargie.
On parle de reproduction simple lorsque la production permet
de recréer simplement les conditions qui ont été nécessaires
pour l'engendrer,et de reproduction élargie lorsque la pro-
duction crée les possibilités de dépasser le cadre étroit de
ces conditions. La reproduction et surtout la reproduction
élargie permettent de jeter le pont entre l'analyse statique
et l'analyse en dynamique. C'est pourquoi, la notion de sur-
plus sera au centre de nos préoccupations dans ce travail de
recherche. Qui contrôle le surplus au SAHEL? Plus spécifi-
quement le surplus agricole ? Cette notion ne doit pas faire
illusion, qui plus est, dans une société scindée en classes.
1.
Manuel d'Economie politique de d'Académie des Sciences de
l'U.R.S.S.
Institut d'Economie, op.cit, p.28.

-
26 -
L'existence du surplus dans une société peut voir ses effets
annihilés par une ponction excessive des classes dominantes
dont les dépenses sont essentiellement tournées vers la con-
sommation improductive. Dans le Mode de Production Capitalis-
te (MPC). c'est la bourgeoisie en tant que classe dominante
qui s'approprie le surplus sous forme de plus-value. Au SA-
HEL sous quelles formes apparaît le surplus? Qui se l'appro-
prie? Il est d'ailleurs paradoxal
(en apparence) de consta-
ter qu'un pays comme les Etats-unis où existe un surplus phé-
noménal. connaissent le problème de la faim. Ainsi :
"la faim existe dans un pays qui a les plus grands sur-
plus de toute l'histoire.
Plus de quinze pour cent
(15 %) des Américains ne mangent que grâce aux tickets
d'alimentation et pourtant tous les diététiciens vous
diront que même avec les tickets d'alimentation.
i l
est possible d'avoir une alimentation suffisamment nu-
tritive"
(1).
C'est dire qu'à l'opposé des néo-classiques.
les
classiques et surtout MARX et ENGELS commencent leur réflexion
théorique par une analyse de la production et de la reproduc-
tion.
Cette réflexion les conduit à une étude minutieuse de
l'organisation sociale de la production.
la répartition du
surplus entre les classes dominantes.
l'histoire de cette or-
ganisation sociale.
les relations dialectiques entre la pro-
duction.
la consommation.
la répartition et l'échange.
etc .••
Toutes choses qui placent l'analyse sur un terrain rigoureu-
sement scientifique.
En effet. dans la perspective de l'ana-
1.
LAPPE et COLLINS.
cité par BARRILLON. op.cit. p.28.

- 27 -
lyse marxiste où nous nous situons
:
"la production est directement consommation. aussi
bien sur le plan subjectif que sur le plan objec-
tif"
(l).
mais cela ne signifie pas que :
"la production,
l'échange et la consommation sont
identiques mais que chacun d'eux est l'élément d'un
tout et représente la diversité au sein d'une uni-
té"
(2).
C'est pourquoi. nous avons déjà souligné que la
question de l'autosuffisance alimentaire,
loin d'être uni-
quement une question de "besoin" ou de "répartition", est
d'abord et avant tout une question de production. Mais le
concept de production n'épuise pas non plus la question de
l ' autosuff isance alimentaire. La production peut être suff i-
sante dans un pays pour nourrir l'ensemble de la population.
mais si les classes dominantes ponctionnent un surplus exa-
géré pour les besoins de leur propre consommation ou encore
ceux d'une reproduction élargie accélérée.
la consommation
des producteurs et du peuple en général se trouvera amputée
d'autant. C'est pourquoi,
nous proposons de compléter la dé-
finition initiale. L'autosuffisance stratégique dans un pays
débarrassé des classes exploiteuses (c'est-à-dire où le sur-
plus est aux mains et est géré par les producteurs à travers
les structur~~ales représentant). c'est la capacité pour ces
producteurs de produire l'essentiel de leurs besoins alimen-
L
MARX et ENGELS
: "Socialisme utopique et socialisme scien-
tifique". Edition Sociale. p.28.
2.
Idem.

-
28 -
taires dans leur pays,
l'échange international étant pour
la demande intérieure seulement un appoint.
L'étude de la production et de la reproduction
est inséparable de celle des forces productives et des rap-
ports de production.
En effet,
l'économie politique a et
doit avoir pour objet l'étude des rapports de production
en intime liaison avec celle des forces productives. C'est
en associant l'analyse des forces productives et des rap-
ports de production qu'on peut placer les relations entre
les hommes et la nature d'une part,
et celles des hommes
entre eux d'autre part dans une perspective historique,
c'est-à-dire qu'on évite une opposition irréductible entre
la nature d'un côté et l'histoire de l'autre. Cette liai-
son nécessaire et intime entre les rapports de production
et les forces productives, cette vision historique, donc
dynamique, des rapports entre l'homme et son environnement
sont indispensables pour placer l'étude du problème de la
faim et par conséquent de l'autosuffisance alimentaire dans
une étoffe solide et scientifique ruinant et démystifiant
les thèses fatalistes sur la faim au SAHEL. La reconnais-
sance de l'existence de rapports de production capitalis-
tes dans les "pays sous-développés", même si elle ne fait
pas l'unanimité, demeure un acquis (cf.
les ouvrages de o.
AFANA, S. AMIN,
etc .•• ). Ce qui nous paraît négligé, c'est
l'analyse des forces productives en liaison avec celle des
rapports de production. Cet état de fait a permis et faci-
lité l'occupation du terrain des rapports entre l'homme et

-
29 ':'"
la nature par les thèses fatalistes
(se référer aux argu-
ties sur les accidents climatiques imprévisibles sur les
cataclysmes naturels,
l'archaïsme,
la traditionalité, l ' i r -
rationalité des comportements des Sahéliens, source de leur
démographique galopante,
le cynisme de leurs dirigeants,
etc ••• ). Mais de quoi parle-t-on lorsqu'on se réfère aux
forces productives et aux rapports de production ?
"Les instruments de production à l'aide desquels les
biens matériels sont produits,
les hommes qui mettent
en oeuvre les instruments et produisent les biens ma-
tériels, grâce à une certaine expérience de la produc-
tion et à des habitudes de travail, constituent les
forces productives (souligné par nous) de la société.
Les masses laborieuses sont la principale force pro-
ductive de la société humaine à toutes les étapes de
son développement" (1).
"Les rapports de production comprennent
:
a) les formes de propriété des moyens de produc-
tion ;
b) la position des divers groupes sociaux dans
la production qui en découle et les rapports
entre eux ;
c) les formes de répartition des produits qui
dépendent de la propriété des moyens de pro-
duction et de la position des hommes dans la
production" (2).
Ces deux définitions contiennent quelques idées-C=
force que nous tenons à préciser :
1° -
les forces productives, comme d'ailleurs les
rapports de production, constituent une catégorie transcen-
dantale vue sous l'angle de chaque mode de production pris
1.
Académie des Sciences de l'U.R.S.S. Institut d'Economie.
Manuel d'économie politique.
Editions Norman Bethune.
Moscou., septembre 1955, p.10.
2.
Manuel d'économie politique, Académie des Sciences de
l'U.R.S.S.
Institut d'Economie, op.cit, p.lO.

30 -
isolément. En d'autres termes,
les forces productives se
révèlent être une catégorie pertinente même lorsqu'on choi-
sit d'étudier l'histoire en-deça et au-delà du Mode de Pro-
duction Capitaliste (MPC). Cet élément est intéressant pour
notre étude qui tente une analyse du SAHEL précolonial, et don
de sortir des limites du MPC.
D'ailleurs, peut-on identifier
l'économie contemporaine du SAHEL à une économie du type MPC
dans son
état actuel pur ? Peut-on dire que le SAHEL est une
formation économique et sociale (FES) dominée par le MPC ?
Autant de questions sur lesquelles nous tenterons de jeter
la lumière. Les deux définitions rappelées ci-dessus indi-
quent que les rapports de production traduisent pour l'essen-.
tiel les rapports des hommes entre eux dans le cas général de
tous les modes de production tandis que les forces producti-
ves donnent la mesure du pouvoir de la société sur la nature
dans les mêmes conditions.
2° - Comme l'indique la citation d'ENGELS,
l'ac-
croissement de la population exerce une pression sur les
moyens indispensables au travail, c'est-à-dire essentielle-
ment sur les forces productives en même temps qu'il est un
élément du développement de celles-ci.
Il ne s'agira donc pas
de nier le développement en général des forces productives,
mais de contester l'orientation de ce développement. L'étude
de la question de la faim pour,
entre autres, cette raison,
est inséparable de celle des forces productives. Cependant,
la définition des rapports de production nous indique que le
développement des forces productives ne saurait, à lui seul

-31 -
être un gage de la réalisation de l'autosuffisance alimen-
taire.
3° - Dans le couple "forces productives et rap-
ports de production", quel est l'élément le plus dynamique?
Les forces productives sont l'élément le plus mobile et le
plus révolutionnaire de la production et de la reproducti?n.
Le développement de la production et le garant de la repro-
duction élargie est d'abord et avant tout un changement des
forces productives, notamment des instruments de production.
La loi de correspondance que MARX exprime dans la préface de
la "Critique à l'économie politique" en ces termes
"dans la production sociale de leur existence, les hom-
mes entrent en des rapports déterminés, nécessaires,
indépendants de leur volonté, rapports de production
qui correspondent à un degré de développement détermi- .
né de leurs forces productives matérielles" (1),
joue alors en faveur d'un changement correspondant dans les
rapports de production. Les rapports de production exercent
à leur tour une puissante action sur les forces productives.
4° - L'importance des masses laborieuses c'est-à-
dire l'importance que l'homme prend dans ce couple, témoigne
de l'importance accordée au travail et du rôle second qu'on
fait
jouer au "capital", ce qui nous situe bien dans la pers-
pective de la "valeur-travail", c'est-à-dire dans la valeur
telle que les classiques et surtout MARX l'ont analysée et
fondée.
L
K. MARX : "Contribution à la critique de l'économie poli-
tique". EditlOns Soclales - Paris., 1977, p.2.

- 32 -
Nous fondant sur l'esprit du courant de pen~ee mar-
xiste,
nous aborderons la question de l'autosuffisance ali-
mentaire en nous inspirant du fonctionnement de l'économie
sahélienne en général et du modèle global de développement
proposé aux Etats du SAHEL en particulier.
Il s'agira par
conséquent d'éviter de rechercher la détermination des con-
ditions de l'autosuffisance en soi, de nouer cette question
aux autres questions qui se posent dans le contexte général
du fonctionnement des économies sahéliennes en crise, et des
modèles globaux de développement de celles-ci. En d'autres
termes, nous tenterons de lier la question de l'autosuffisan-
ce alimentaire à celle des politiques visant d'autres besoins,
et nous nous efforcerons d'envisager toutes les dimensions de
cette autosuffisance socio-économique, politique, etc ••• Il
s'agira aussi d'éviter d'envisager un modèle fermé sans re-
lation avec l'extérieur. Cette préoccupation nous conduira à
analyser le degré d'ouverture actuel des économies sahélien-
nes vers les marchés extérieurs,
et celui de leur soumission
au capital étranger. Enfin, pour chacune de ces questions,
il
nous faudra concentrer notre attention sur les forces sociales
qui sont sous-jacentes à l'intéraction des acteurs politiques
et économiques,
et au déroulement des processus sociaux.
Cette analyse serait incomplète si elle ne se fon-
dait pas puissamment sur une connaissance profonde du proces-
sus historique qui meut les sociétés sahéliennes depuis la
période précoloniale jusqu'à nos jours.

-
33 -
Nous avons, surtout dans cette première approche
des problèmes du SAHEL, voulu faire plus un bilanstatisti-
que donc plus d'économie appliquée que de la théorie écono-
mique pure. Le souci qui nous a guidé, c'est d'éviter les
généralisations hâtives et abusives sur des questions que
nous sommes encore loin de maîtriser. c'est ainsi que nous
ferons souvent référence à des concepts tels que le produit
national brut
(P.N.B.),
le produit intérieur brut (P.I.B.),
les indices de la production,
les indices de prix, etc ••• ,
qui sont empruntés à la documentation officielle ; cependant,
nous sommes d'avis que les concepts ainsi réalisés ne sont
pas neutres. Les critiques des agrégats couramment utilisés
ont déjà fait l'objet de beaucoup d'études et certains iaU~!
teurs ont montré les limites de ces concepts. Nous en indi-
querons d'ailleurs quelques unes en les maniant; cependant,
nous les utiliserons faute de meiux. En effet, pour faire
une critique positive,
i l faudrait que nous disposions de
moyens pour faire une enquête approfondie (ce que nous n'a-
ie
vons pu faire) afin de produire de nouveaux concepts et des
chiffres plus pertinents que ceux actuellement usités. Cette
tâche est actuellement au-dessus de nos possibilités.
Ce bilan que nous avons tenté, en l'absence d'une
information économique abondante et variée, doit apparaître
avec ses zones de clarté et ses zones d'ombre. Les données
chiffrées se limitent le plus souvent à la période post-co-
loniale, parce que non seulement ce sont les seules fiables
mais également disponibles. Il est inutile de rechercher les

-
34 -
chiffres concernant la période coloniale. Pendant cette pé-
riode,
la théorie de l'assimilation et surtout l'existence
de l'ancienne A.O.F ne permettent pas de distinguer l'entité
SAHEL des autres pays en faisant partie. Même pour la période
post-coloniale,
les données sont éparses et il nous a fallu-
faire un effort de synthèse qui, certes, demeure encore ins~f~
fisant.
Une enquête sur le terrain notamment sur les habitudes
de consommation en pleine mutation nous aurait permis de
mieux apprécier les tendances d'évolution.
Il ne nous est pas paru judicieux de faire ou de
refaire une synthèse globale des théories du développement
qui, certes, plane sur tous les sujets concernant les pays
du "tiers monde", mais qui ne constituait pas dans le cas de
nos recherches un détour obligé. Nous ne pensons pas non plus
avoir pu cerner dans cette étude, tous les projets piJotes
au plan agricole dont l'avenir du SAHEL, non peut-être dans
le long terme, mais dans l'immédiat peut dépendre. Là comme
ailleurs, nous avons évité de sacrifier l'essentiel aux détar!
tails, avec l'arrière pensée d'approfondir ces questions dans
un travail ultérieur. Enfin,
le problème de l'élevage a été
à peine effleuré pour deux raisons:
les analyses sur l'au-
tosuffisance alimentaire n'insistent pas outre mesure sur
cette question; pour plus d'homogénéité dans notre étude,
nous l'avons confinée dans le cadre strict de l'agriculture.
Toutes ces considérations nous autorisent a~silà
proposer un plan en trois grandes parties : la première par-
tie essentiellement historiqlie permet de situer les limites

-
35 -
de l'économie d'autosubsistance au regard du problème de
l'autosuffisance alimentaire en tant que question d'actua-
lité. Cette économie qui conserve encore des vestiges au
SAHEL, malgré sa présence quelquefois large et multiforme,
est en pleine déliquescence. Elle a
joué son rôle histori-
que et est actuellement disqualifiée pour répondre aux exi-
gences de l'économie sahélienne actuelle qui intègre de plus
en plus et de mieux en mieux l'échange,
lequel tend à se gé-
néraliser. La caractéristique de l'économie d'autosubsistan-
ce,
est-il besoin de le rappeler,
demeure essentiellement la
faiblesse des relations d'échange. Cette rétrospective his-
torique n'est donc pas un détour fortuit mais résulte de
notre souci d'ôter,dans l'esprit de ceux qui s'aviseraient
de proposer des solutions surannées et arriérées, toute lii~u­
sion de retour au passé. L'évolution économique d'un pays ou
d'une région,
loin d'être dictée par l'importance quantitati-
ve d'un secteur et par une mentalité attardée, trouve des
ressources dans les îlots quelquefois infimes mais dynami-
ques. L'essentiel demeure de savoir qui contrôle le surplus,
quelle classe ~u coalition de classes (si infime soit-elle)
oriente le développement économique? D'autre part, dans une
économie où existent de petites unités très atomisées et
étanches qui s'autosuffisent et pour lesquelles l'échange n'a
pas force de loi, comment se pose le problème de l'autosuffi-
A
'
sance alimentaire ? Peut-on le poser dans les memes termes
que dans le cas d'une économie divisée ou que l'on divise en
trois secteurs et où l'un seulement des secteurs s'occupe de

-
36 -
l'agriculture? Les forces productives correspondant aux rap-
ports de production dans le SAHEL précolonial peuvent-elles
avoir des points communs avec celles qu'exige la situation
actuelle du SAHEL? La première partie qui traitera de l'éco-
nomie d'autosubsistance et de la faiblesse relative des for-
ces productives, sera une tentative de répondre à ces diffé-
rentes interrogations.
La période coloniale et post-coloniale introduisa
des rapports de production nouveaux; apparaissent sur l'é~
chiquier social une bourgeoisie étrangère principalement fran-
çaise avec des alliés locaux, une classe ouvrière, et de fa-
çon plus générale, un salariat dont la croissance prend le
rythme de la désagrégation de l'économie d'autosubsistance.
A la place de l'ancien s'installe le nouveau, mais cette évo-
lution demeure lente et se fait au prix d'un énorme gâchis
des forces productives (cf.
le chômage déguisé,
les ressour-
ces inexploitées, etc .•• ).
Pourquoi cette pesanteur dans
l'évolution?
N'oublions pas que nous sommes à l'époque de l'im-
périalisme, une époque où la bourgeoisie des métropoles capi-
talistes installe par la force des rapports de production ca-
pitalistes, sans pour autant libérer totalement les forces
productives. En effet,
l'installation des usines, des commer-
ces, etc .•. ,
ne s'accompagne pas d'une mutation sociale et
technique profonde à la campagne. Dans ces conditions, le dé-
peuplement des campganes, consécutif à l'exode rural est-il

-
37 -
compensé par un développement des forces productives capable
de mettre en branle une productivité et une production suscep-
tibles de satisfaire les besoins des producteurs agricoles,
des autres producteurs et des non producteurs? En Europe oc-.
cidentale, au XVrrrème sicèle,
le gnfflement des villes en
particulier et le développement du capitalisme plus générale-
ment se sont faits en liaison étroite avec la révolution in-
dustrielle qui fut une phase de gigantesque développement des
forces productives. Au SAHEL,
la situation de non correspOllë.
dance entre les rapports de production et les forces produc-
tives n'est-elle pas à l'origine donla crise structurelle qui
secoue tout le système économique et particulièrement de la
grave crise agricole? La deuxième partie,
l'intégration éco-
nomique ou une évolution bridée des forces productives, essaie
ra de jeter la lumière sur ces aspects, et d'apporter des ré-
ponses à ces questions.
La connaissance des freins ou des obstacles est in-
dispensable pour l'élaboration de propositions positives ou
normatives qui constitueront notre modeste contribution à la
recherche de solutions aux problèmes de l'autosuffisance ali-
mentaire. Nous espérons que les deux premières parties nous
auront permis de lever ces obstacles afin de laisser un ter-
rain apte à recevoir nos propositions. Faut-il laisser le ca-
pitalisme se développer à un "rythme de tortue" au SAHEL. Ou
encore, faut-il accélérer cette éVOlution, et comment ? Com-
1
ment permettre un développement ample et large des forces pro-
l ' .

-
38 -
ductives ? Ce développement est-il possible avec les rapports
de production tels qu'ils sont aujourd'hui au SAHEL, ou faut-
il les changer ? Autant de questions que nos propositions
1
normatives tenteront de cerner afin d'apporter,
ne serait-ce,
qu'un début de réponse.
-----------0-----------

-
39 -
PRE MIE R E
PAR T l
E
LA PERIODE PRECOLONIALE

- 40 -
L'histoire multiséculaire du SAHEL précolonial,
pour qui prend le soin de s'y pencher attentivement,
rec~
le de riches enseignements à même d'apporter une contribu-
tion modeste mais nécessaire à l'explication des problèmes
complexes et contemporains de cette région de l'Afrique.
Il ne s'agit pas en effet de faire l'apologie de la pério-
de précoloniale à l'instar de certains "africanistes" qui
s'emploient à dépeindre cette époque comme une période où
les Africains vivaient en autarcie (ou presque),
et pendant
laquelle tout allait pour le mieux dans le meilleur des
1
mondes. Nous nous démarquerons de cette appréciation par
1
trop simpliste pour indiquer que si la domination extérieu~
re dans son acception moderne (l'impérialisme) n'était pas
connue,
existaient tout de même des contacts avec les peu-
pIes maghrébins voire européens et des contradictions inter-
nes~CIlblées d'une certaine forme d'exploitation. L'impor-
(JolJb.l .
d
d . .
..~
1
\\
tance \\.- (§"~;s contacts et
e ces contra lctlO ns peut etrE!_Itl~~~
à nue en analysant le type d'organisation pOlitique, économi-
que et sociale de l'époque mais aussi les structures agrai~
res où l'inégalité,
l'injustice,
s'étaient déjà installées.
Dans cet ordre d'idée une question décisive qui peut éclai-
rer la question de l'alimentation, demeure celle des capa-
cités productives que libèrent les forces productives. En
effet,
l'accumulation des connaissances et des techniques
n'a jamais permis de dépasser le stade de l'outillage rudi-
mentaire et manuel. Cette arriération des forces productives
doublée de leur émiettement quasi général, rend la produc-
';..'.

- 41 -
tion relativement faible. Même dans les grands royaumes, -la
centralisation demeure faible et les structures économiques
peu intégrées.
Dans ces conditions, comment se posent les problè-
mes alimentaires ? Située à la lisière de la période préco-
loniale et coloniale, la traite, par ses conséquences et ses
effets désastreux sur la production et les structures poli-
tiques, économiques et sociales, a eu des incidences sur les
"subsistances". Quelle est l'ampleur que ce phénomène a pris
au SAHEL, et dans quelle mesure a-t-il touché l'agriculture
et l'alimentation. Le plan de cette première partie se sub-
divisera en trois chapitres :
- Chapitre l
TyPologie de l'organisation socio-
politique et économique.
Chapitre II
Les structures agraires et les
plantes alimentaires.
Chapitre III
: La traite ou la saignée.

-
42 -
1
!
1
!
1
!
CHAPITRE PREMIER
1
1
TYPOLOGIE DE L'ORGANISATION SOCIO-POLITIQUE ET ECONOMIQUE
1
i
1
!
Pour parler de l'histoire de l'Afrique, i l est de-
venu aujourd'hui nécessaire, voire indispensable, de se dé-
marquer d'une certaine école qui cherche à démontrer que
l'Afrique est restée primitive jusqu'à l'arrivée du Colon.
C'est ce point de vue qu'Hervé DERRIENNIC réfute lorsqu'il
écrit
"L'Afrique ne serait pas encore entrée dans l'histoire
ou son entrée serait récente "grâce" à l'intervention
des Européens.
Cette appréciation n'est que le résul-
tat de notre ignorance et aussi une volonté de dominer
et de justifier cette domination.
C'est oublier l'évo-
lution essentielle qui a vu passer pratiquement tout
le continent du stade de la cueillette et de la chasse
à celui de l'agriculture, avant le début de la présen-
ce européenne au XVlème siècle. C'est donc oublier les
multiples conséquences de la "révolution agricole" sur
la vie sociale et politique du continent"
(1).
L'Afrique précoloniale a été le théatre de tous les
types d'organisations politico-sociales précapitalistes, de
la petite commune "primitive" au grand empire,
en passant par
le royaume à "caractère féodal".
Quels étaient les types ou
les formes d'organisation sociale et politique au SAHEL pré-
colonial ? Que peut-on dire de la stratification interne de
la société ? Deux sections nous permettront de répondre à ces
questions
:
1.
Hervé DERRIENNIC, "Famines et dominations en Afrique Noi-
~". L'Harmattan - P,aris 1977, p.19.

- 43 -
1 - Structure des sociétés saheliennes.
2 - Stratification interne.
SECTION l
: STRUCTURES POLITIQUES DES SOCIETES SAHELIENNES.
On peut distinguer essentiellement deux grands ty-
pes de structures économico-politiques dont les vestiges sont
encore perceptibles par l'observateur attentif dans les Etats
actuels du SAHEL
: les "démocraties claniques" d'une part,
les "chefferies héréditaires" et les royaumes ou Empires d'au-I
tre part.
1
1
~
I.1. La "démocratie clanique".
Elle est bâtie autour de groupes parentaux dirigés
par le chef de famille le plus ancien, avec l'assistance et
sous le contr8le de ses pairs. Elle correspond au stade su-
périeur de la communauté primitive. Selon O. OFANA, elle se
caractérise principalement par les traits suivants
1 -
le "jus sanguinis" et l'absence d'un Etat
2 -
la gérontocratie,
la masculinité et la "collé-
gialité", c'est-à-dire la quasi égalité des chefs de famille
qui peuvent déposer leur compagnon. Le lead~rship est attaché
à des qualités personnelles,
et consacre la reconnaissance des
fortes personnalités du "sexe fort".
!
3 - L'existence de contrepoids fournis par les dif-
1
férents corps sociaux: la classe des .jeunes (représentant parI,
excellence de la puissance militaire), les associations secrè-I
1

- 44 -
tes qui ont pour but de donner au groupe force religieuse et
sociale.
4 - Grâce à ces corps constitués où les prêtres
,
jouent généralement un rôle éminent,
c'est l'opinion publi-
1
i
que,
la coutume et la tradition qui régissent la vie sociale.
1
Le mode de production lié à cette structure politi- 1
r
que brasse des forces productives extrêmement faibles,
ne
1
t
donnant aux hommes que le strict minimuml nécessaire à assurer ~,
1
leur subsistance. Dans ces conditions,
i l n'y a pas un surpro-l
1
duit qu'un individu ou une classe pourrait s'approprier en
r
permanence aux dépens des autres.
rI n'y a donc pas de possi- 1
t
bilité d'exploitation de l'homme par l'homme,
et d'existence
1
t-
de classes ~ntagonistes.
Ce type de démocratie était en voie de disparition
et n'existait plus au xrxème siècle qu'à l'état de ~estige au
SAHEL.
r.2. "Chefferie héréditaire" et royaume.
,
,
Le développement des démocraties Claniques les trans1
1
forme progressivement en royaume en passant généralement (saufl,
1
cas d'invasion par exemple) par le stade de la chefferie héré-I
ditaire.
f
r.2.1. La chefferie héréditaire
- - - - - - - - - - - -
1
l
l
Les institutions sont les mêmes que dans la démocra-I
tie Clanique, mais le pouvoir personnel est maintenant plus
stable et même souvent plus accru.

- 45 -
Le chef acquiert le pouvoir et le droit d'interve-
nIr auprès des puissances invisibles et auprès des étrangers,
de décréter la moblilisation générale, de régler les litiges
de familles et de percevoir un tribut pour les obligations de
ses fonctions pour lesquelles il s'habitue vite à recourir à
des auxiliaires professionnels
: les ministres et les fonc-
tionnaires.
L'agriculture se fait en général à la houe (l'outil-
lage, houe, hache,
etc ••• ,
est un outillage en fer qui permet
un accroissement des forces productives) et sur brûlis; géné-
ralement extensive et comportant de longues jachères, elle est
parfois intensive. Le fait majeur à retenir est que l'outilla-
ge en fer a pour conséquence une élévation de la productivité,
et l'apparition d'un surplus agricole. Le surplus agricole
pouvant être défini comme un produit additionnel par rapport
au strict minimum indispensable à assurer la subsistance.
"L'existence de ce surplus ou surproduit a permis la di-
vision du travail,
l'apparition des métiers spécialisés,
elle-même source d'une productivité accrue et du commer~
ce"
( l ) .
Nous ne devons cependant pas nous méprendre,
l'exis-
tence de ce surproduit atteste, certes,
l'augmentation de la
productivité, une meilleure performance de l'outillage, un
accroissement relatif des forces productives qui demeuren~
néanmoins encore très faibles.
~.
Ce surproduit peut être mis en réserve pour le cas
v~
de mauvai~~ ~-écolte ou de calamité, ou être consommé à l'oc-
0r
casion des fêt~'0~S funérailles, etc
Peut-on alors dans
ce cas parler d'aut~~ ~isance alimentaire?
'~oS'oS'q •
'd~oS'
S
. . .
d
"
Jean
URET-CANALE, "EssaIS
'. C/~~olre afrIcaIne. e la.Ji:~\\'("\\
trai te des Noirs au neo-col\\"b~·.s:llsme", p. l 7., 19''''', pi"à-=-"
blême, EdItIons SocIales.
~o~
-l-~
q.l:"...
..~.0q~h_

- 46 -
Nous pensons que ces situations, qui à notre sens,
ont du être d'importance extrêmement réduite du point de vue
de l'expérience historique, permettent cependant d'y recon-
naître la possibilité d'une autosuffisance alimentaire.
Il
faut néanmoins comprendre les conditions de cette possibili-
té d'autosuffisance.
Nous sommes dans un contexte où la stra-
tification sociale est relativement peu marquée. Le surproduit
ou surplus agricole est non pas un produit individuel ou en-
l
core un produit résultant de la sommation des produits indi-
!
viduels, mais un produit social.
Enfin,
ce surproduit a des
1
fonctions sociales auxquelles i l va @tre destiné ; i l n'a pas 1
été produit pour le plaisir de produi~e un surplus.
1
A contrario,
le surproduit peut être approprié ou
.
détourné au détriment de la COllectivité par certaines famil-
1
les ou individus. En général, c'est ce cas de figure qui s'im-I
pose.
C'est la source de la différenciation entre riches et
1
pauvres, de l'exploitation de la masse par une minorité et
r
f
l'introduction de la formation des classes.
1
Le développement de la productivité,
l'importance
1
du surproduit, créent les conditions de l'exploitation et de
la différenciation en classes, mais pas de façon nécessaire
et suffisante.
1
,
L'évolution s'épanouit avec la naissance des royau-
mes et des empires soit par conquête, soit par confédération
des chefferies.

-J
- 47 -
f!
Sans tomber dans un déterminisme géographique
étroit, on peut affirmer que le milieu des savanes avec son
agriculture céréalière et la nécessité (imposée par le ryth-
me saisonnier du climat) de constituer des réserves,
avec les
conditions aisées de mobilité (aussi bien;pouE_les hommes que
pour les techniques,
les moyens de production et les produits)
qu'il comporte,
se prêtait le mieux à l'approfondissement des
antagonismes sociaux.
w
Le surr~)duit existe déjà de façon permanente et
significative dans les chefferies héréditaires, permettant au
chef et à ses auxiliaires
(fonctionnaires et ministres) de
percevoir un tribut. Mais l'organisation sociale, cadre des
activités productives, héritée de l'âge antérieur, demeure
proche de la démocratie clanique. L'évolution qui conduit aUX
royaumes et aux empires, brise à
jamais cette organisation so-
ciale. L'émergence des classes sociales et la consolidation
de l'Etat qui atteste l'existence de l'esclavage, sont les si-.
gnes distinctifs de cette époque.
A partir de l'étude faite par DIOP(l), on peut pen-
ser qu'il y avait à peu près un esclave pour un homme libre
dans certains de ces empires ou royaumes.
Les grands Etats qui se constituent (empire du Ghana
du Vllème au Ixème siècle, du Mali du Xlllème au XVème siècle,l
1.
M. DIOP,
"Histoire des classes sociales dans l'Afrique
de l'Ouest". Tome l,
le MaIl., Maspéro., 1971.

-
48 -
1!
1
1
t!!
et l'empire Songhaï
du XVème au XVIème siècle, pour ne citer 1
que les plus prestigieux), s'édifient sur une division socia-
le permettant l'exploitation du plus grand nombre par une mi- 1
norité.
Pour illustrer cette division sociale, nous pren-
drons un aspect de la stratification que connaissaient ces
sociétés
l'esclavage. Schématiquement, trois catégories
d'esclaves pouvaient être dénombrées: les "esclaves-paysans",
les "esclaves-soldats" et les "esclaves-marchandises".
x ~~~_:~~~~~~~~=E~r~~~~" : sont soit laissés sur
leurs terres après une conquête, soit déplacés et réinstallés
sur de nouvelles terres où ils continuent de pratiquer leur
activité principale: l'agriculture. Mais ils l'exercent au
profit de leur maître,
les chefs de village, et exceptionnel-
lement de l'Etat. Dans ce dernier cas, ils travaillent sur des'
fermes qui sont propriété du Roi ou de l'Empereur, et sont di-
rigés par des régisseurs comme cela fut observé près de GAO à
l'époque de l'empire Songhaï(l).
X Les "esclaces-soldats"
: constituent l'armée per-
manente du royaume ou de l'empire,
armée qui permet de con-
traindre tous les vassaux.
X Les "esclaves-marchandises"
: sont avec l'or et
les épices, les principales exportations des empires du Sou-
t
1
1. J.P. OLIVER de SARDAN, dans
: "L'esclavage en Afrique pré- 1
coloniale", sous la direction de C. MEILLASSOUX : "Captifs
ruraux et esclaves impériaux du Songhaï". Maspéro., 1975.
1
1

- 49 -
dan vers l'Afrique du Nord. C'est à vingt mille esclaves ven-
dus par an en moyenne que R. MAUNY(l) chiffre ce commerce. En
échange, ce sont des chevaux qui sont importés (quinze à vingt
esclaves contre un cheval).
L'armée du Mali comptait dix mille cavaliers, ce qUl
donne une vague idée de l'importance des esclaveS troqués.
Dans l'Empire Songhaï
:
"Un domaine de deux cents esclaves était censé devoir
produire cent sounous (environ 250 tonnes) de riz, et
l'askia fournissait les semences et les sounous, grands
sacs de 250 kilogrammes environ, qui, chargé, dans les
flottilles du Kaborakay, gagnaient les greniers impé-
riaux. La structure de production était donc à ce mo-
ment basée sur le travail servile •••
Il est difficile
de savoir si la vie des "serfs" seigneuriâux ou mara-
boutiques, était plus difficile que celle des serfs
d'empire, car l'absentéisme des clercs en particulier
était très fréquent"
(2).
La caractéristique essentielle de l'évolution qui
conduit au royaume ou à l'empire est donc la division de la
société en classes ou plus exactement en couches sociales
avec la consolidation d'un Etat devenu tout puissant. Se des-
sine alors très nettement une minorité de non producteurs
qui accaparera le surproduit,
lequel n'est plus seulement
agricole. La production de ce surplus est l'oeuvre des pay-
sans libres, des esclaves et des artisans qul représentent
l'ensemble des producteurs. La production est donc suffisan-
te pour permettre au producteur de survivre mais aussi pour
1.
1,',
R. MAUNY,
tableau géographique de l'Ouest africain du
,
,,
Moyen-âge d'après les sources écrites,
la tradition et
!
l'archéologie: Mémoire de l'IFAN, nO 61 587 - Dakar, 19611
2.
Joseph KI ZERBO, "Histoire de l'Afrique Noire". Hatier,
l',
p.148.,1972.
1

-
50 -
alimenter une couche sociale parasitaire : aristocraties. clas
ses privilégiées (noblesse de naissance ou de fonctions) dont
les attributions et le mode de vie rappellent ceux des féodaux
européens du Moyen-Age. C'est dire que dans ce contexte l'au-
tosuffisance doit demeurer précaire et ne doit pas se poser
dans les mêmes termes pour les couches sociales exploiteuses
que pour celles des exploités. Les couches sociales exploitées
quoique produisant suffisamment pour se nourrir et entretenir
les couches sociales exploiteuses. consommeraient un quantum
de production proche du minimum vital. alors que les non pro-
ducteurs seraient mieux lotis en matière de consommation. En
effet. le surproduit s ' i l existe. demeure rela~ivement faible
en raison de l'importance des forces productives. mais aussi
de l'importance que prend la valeur d'usage dans le système
économique de l'époque. L'importance de la stratification so-
ciale et son incidence sur la question de l'autosuffisance
alimentaire vont nous permettre d'étudier la stratification
interne dans le SAHEL précolonial.
SECTION II
: LA STRATIFICATION INTERNE.
L'étude des~soci~f~s'saheliennesnous a permis de
montrer la complexité des structures qui y sont apparues ;
elle a étalé au grand jour les divisions auxquelles elles
sont en proie; il s'agit maintenant de préciser la signifi-
cation et la nature" de ces divisions.
Le SAHEL précolonial a connu aussi bien des divi-
sions biologiques ou naturelles du travail que nous regrou-
pons sous la rubrique des contradictions. que des divisions
sociales du travail. dont les points culminants sont les an-
tagonismes de classe.

-
51 -
II.l. Les contradictions internes.
Nous examinerons pour l'essentiel, deux genres de
contradictions
: celle basée sur la division sexuelle du tra-
vail et la condition sociale de la femme,
et celle qui repose
sur la division en caste d'age.
II.l.l. La division sexuelle du travail et la lut-
te entre les sexes
:
La division sexuelle du travail qui existe aujour-
1
d'hui encore au SAHEL,
est l'une des formes les plus simples
1
de la division du travail.
Elle se manifeste dès l'enfance de
t
la société,
et sous des formes variées et quelquefois atté-
~
nuées; elle continue d'être aujourd'hui,
l'une des formes
de la division du travail.
1
N'en déplaise au "féminisme étroit",
la division
!
sexuelle du travaîl a eu pour conséquence, un accroissement
de la productivité du travail.
Cependant, pour lever toute
équivoque,
nous ajouterons que nous ne sommes pas prêt à sou- 1
tenir la pérennité de cette division du travail. Le critère
fondamental de distinction dans cette répartition des tâches,
qui consacre en fait la suprématie de l'homme sur la femme
(patriarcat), dès la démocratie clanique,
se situe au niveau
de la production : le rôle des femmes devient plus important
que celui des hommes dans la cueillette (néré,
karité,
•••• )
dans une société qui a accompli la "révolution agricole" ; en
outre,
l'essentiel des travaux ménagers revient aux femmes à
l'exception du tissage et de la couture, qui soiif,)' apanage

- 52 -
des hommes; dans les travaux concernant l'habitation, leur
est réservé le crépissage intérieur (avec du kaolin et de
l'argile mélée de bouse de vache)
; elles font la cuisine,
puisent et sont chargées du portage de l'eau dans le domai-
ne de l'alimentation.
Les hommes, pour leur part, accomplissent dans le
domaine agricole les "travaux lourds"
(dessouchage,
labour)
de façon générale,
ils disposent d'un rôle prépondérant dans
r
le domaine de la production agricole. Dans le domaine de
J
l'habitat, ce sont eux qui construisent les murs et réparent
1
la toiture. L'activité des hommes l'emporte largement sur
r
celle des femmés dans les travaux artisanaux (forge, bijou-
1
terie, cordonnerie, tissage)
; dans le domaine de la vannerie,l
de la poterie et d'autres petites fabrications,
le soin d'as-
sumer la tâche était laissé aux femmes ; leur était confié
également le soin d'en assurer la vente. Dans le domaine com-
mercial,
l'accord du chef de famille était requis pour vendre
des produits comme le mil,
le tabac,
le coton, etc ••• Le com-
merce du soumbala, du beurre était laissé à la direction des
femmes.
Mais il n'y avait pas que la division sexuelle du
l
1
,
travail.
1
Pour schématiser, on peut dire que lesSocleEe~pré- t
·
d
. .
,
-
~
!
col onlales
u SAHEL sont dlvlsees en deux grands groupes : les
cadets et les adultes.
En général,
l'éducation des jeunes in-

-
53 -
combe aux sociétés, secrètes ou non. Groupés en classe d'âge,
ils font leur initiation le plus souvent retirés dans les
"écoles de brousse" de durée très variable : sept années con-
sécutives pour certains ou bien plusieurs stages comme chez
les Coniagnie de Guinée, alternant avec le retour à la vie nori~t
male. Au terme de cette période d'initiation,
le aeune homme
!1
qui a subi avec succès les épreuves physiques, morales,
etc ••• {
1-
acquiert droit de c i t é : i l peut désormais se présenter au mi-!
"
lieu des adultes,
se marier comme eux,
participer à certaines 1
de leurs activités, mais seulement de façon graduelle. Ceux
qui lotissent les terres,
ceux qui règlent les questions de
mariage ou exercent des fonctions culturelles, se recrutent
uniquement parmi les vieux.
Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que l'autorité
des anciens repose sur la détention des connaissances qu'ils
conservent d'ailleurs jalousement, ce qui justifie et permet
le contrôle sur le produit du travail des cadets.
i
Arrivé à ce point de l'analyse,
i l convient de pré-, 1
ciser que la division naturelle du travail constitue pour la
1
démocratie clanique la forme essentielle de la division du
travail. C'est surtout avec ces démocraties que les conflits
de sexes et de générations prennent tout leur sens, notamment !
dans les régions à forte densité. Aujourd'hui encore, des'~m~r4
chands d'illusion" tentent de présenter les conflits de géné- !î
j
rations ou entre sexes comme les contradictions fondamentales
de notre temps ; c'est là, faire preuve d'un diachronisme dé-

-
54 -
suet.
Il ne s'agit pas non plus de nier l'existence de ces
contradictions qui sont passées à un rôle de second plan à
la suite des divisions sociales du travail,
et de l'appari-
tion des classes sous l'influence de la division sociale du
travail.
II.2. La division sociale du travail.
Adam SMITH est le premier économiste à avoir abor-
dé avec profondeur cette question. Dans le chapitre premier
consacré à la division du travail, dans son fameux ouvrage
"Recherches sur la nature et les causes de la richesse des
nations",
il dit
:
"Cette division du travail, de laquelle découlent tant
d'avantages, ne doit pas être regardée dans son origi-
ne comme l'effet d'une sagesse humaine qui ait prévalu
et qui ait eu pour but cette opulence générale qui en
est le résultat ; elle est la conséquence nécessaire,
quoique lente et graduelle, d'un certain penchant na-
turel à tous les hommes, qui ne se proposent ~gS des
vues d'utilité aussi étendues
: c'est le pencnaht qui
les portent à trafiquer,
à faire des trocs et des
échanges d'une chose pour une autre"
(1).
Les conclusions essentielles de SMITH sur la divi-
sion du travail sont aujourd'hui encore une source d'inspi-
ration pour les économistes,
notamment s'agissant des expli-
cations qu'il donne de l'accélération de la productivité du
travail consécutive à la division du travail. Cependant, A.
SMITH explique la division du travail par l'échange ou enco-
1.
Adam SMITH,
"Recherches sur la nature et les causes de
la richesse des natlons".
Coll.
Idee. Galllmard -
Paris.,
1976,
p.47.

-
55 -
re la circulation des marchandises.
Pour nous,
il faudrait
partir plutôt de la division du travail pour expliquer l'é-
change, c'est-à-dire partir d'abord de l'analyse de la pro-
duction comme le fait MARX dans le Livre l
du Capital. F.
ENGELS explique ce phénomène dans l'origine de la f~llle,
de la propriété et de l'Etat
"Des tribus pastorales s'isolèrent du reste des Barba-
res
: première division sociale du travail. Les tribus
pastorales produisaient non seulement davantage, mais
elles produisaient aussi d'autres aliments que le res-
te des Barbares.
Elles n'avaient pas seulement l'avan-
tage du lait, des produits lactés et de la viande, en
plus grandes quantités ; elles avaient aussi des peaux,
de la laine, du poils de chèvre, ainsi que les fils et
les tissus dont la production augmentait en même temps
que les matières premières.
C'est ainsi que pour la
première fois,
un échange régulier devint possible"(1).
Ce qui ne veut pas dire qu'une fois établi, l'é-
change n'a pas d'influence sur la division du travail.
En ef-
fet,
l'existence de l'échange donne un coup de fouet au déve-
loppement de la division du travail qui réagit ensuite de fa-
çon fav~rable sur l'échange.
Outre la division biologique du travail,
les socié-
tés sahéliennes précoloniales ont connu la division sociale
du travail. L'élevage,
l'artisanat et le commerce ~e sont
progressivement détachés de l'agriculture.
L'artisanat était florissant au SAHEL précolonial
avant la colonisation. Au bas Moyen Age,
la plupart des peu-
ples africains savaient travailler le bronze,
le fer et l'or
1.
F.
ENGELS, op.cit, pp.167-168.

-
56 -
de nombreux faits et témoignages de valeur attestent que de-
puis longtemps,
les peuples africains avaient accompli la ré-
volution métallurgique.
A l ' or de Galam-Bambouk. vendu par le Ghana, succé-
da celui de Bouré vendu par le Mali, puis celui de Bitou par
le Sonrhay. La mine de Bitou était, selon TARIKH(l), une mine
merveilleuse où les marchands de Djenné "acquirent des fortu-
nes dont Dieu seul (qu'il soit loué) peut connaître le chif-
(1)
fre".
Les orpailleurs capables de creuser ces puits réguliers
et profonds, supposent que le niveau technique métallurgique
était élevé.
Ce témoignage de FROBENIUS montre également que les
peuples de l'Ouest africain, avaient accompli la révolution
métallurgique
"Lorsque les premiers navigateurs européens de la fin
l
du Moyen Age arrivèrent dans la baie de Guinée et abor- [
dèrent à Vaïda, écrit FROBENIUS,
les capitaines furent
1
étonnés de trouver des rues bien aménagées, bordées sur t
une longueur de plusieurs lieues par deux rangées d'ar- i
bres, ils traversèrent pendant de longs jours une carn-
f
pagne couverte de champs magnifiques, habitée par des
:
hommes vêtus de costumes éclatants dont ils avaient tis-r
sé l'étoffe eux-mêmes.
Plus loin au Sud, dans le Royau- r
me du Congo, une foule grouillante de "soie" et de ve-
i
lours de grands Etats bien ordonnés, et cela dans les
1
moindres détails, des souverains puissants, des indus-
1
tries opulentes, civilisées jusqu'à la moelle de l'os"(21
!,,
i!
1.
Le TARIKH ES-SOUDAN,
rédigé par un notaire de Tombouctou
Jl
nommé ES-SADI
(1595-l655),constitue avec le TARIKH EL FET- .•
TACH, commencé en 1519 par Mahrnoud KATI,
lettré de Tombouc
tou,
achevé par l'un de ses fils en 1665, les deux écrits l
connus et légués par des Africains lettrés de l'époque pré,
~~~o~~~~:~e~~IKH est une référence à l'un ou l'autre de i
2.
FROBENIUS, cité par O. AFANA dans
: "L'économie de 1 'Ouest l'.
Africain". Po Maspéro -
Paris., 1977, p.16.
~'
1
1
1

-
57 -
Les autres activités artisanales
: forge,
bijouterie, cordon-
nerie,
tissage, couture, poterie, etc ••• ,
n'étaient pas en
reste.
C'est ce que confirme C. VIDROVITH lorqu'elle écrit
"a contrario, en effet, une aristocratie dominante d'ori-f
gine généralement guerrière puisque capable de s'appro- t
prier arbitrairement la terre pour s'en assurer la plu- f
part des revenus, aurait encouragé la formation d'un
!
secteur artisanal à son service en consacrant les sur-
'
plus prélevés sur la terre à l'achat de vivre et autres!
biens de consommation (bijoux, tissus,
etc ••• ) et ren- 'I·
forcé le secteur agricole, dorénavant tenu de nourrir l a
population dans son ensemble, ou se servant d'une partiel
de ses revenus à l'intensification de la production
î
(route, système d'irrigation et autres travaux d'infra- ~
struct ure)" (1).
La production des artisans de Kano se vendait et
même s'exportait, et c'est en cela qu'elle (la ville de Kano)
se distinguait des autres marchés soudanais.
Pour s'en con-
vaincre, citons R.
CORNEVIN :
"elle expédiait très loin des armes et des outils, des
cuirs préparés et des sandales, mais surtout des tis-
sus et des vêtements fabriqués avec le coton local
teints à l'indigo local, brodés dans la ville avec la
soie brute importée de Tripoli"
(2).
II.2.2. Le commerce:
On peut distinguer deux genres de commerce : un
commerce continental et un commerce de longue distance.
(i) Le commerce continental
: les témoignages
des voyageurs du début du XIxème siècle qui pénètrent dans
r
!
1.
CathÉoù:ine COQUERY-VIDROVITH et Henri MONIOT, dans : "L'A- ,1
frique de 1800 à nos
jours".
PUF., 1974, p.279.
2.
Robert CORNEVIN dans
: "L' histoire de l'Afrique
: l ' Afri- 1
que précoloniale du tournant du XYlème siècle au tournant jl
du xxème siècle". Editions Paybt, p.236.
,

-
58 -
l'intérieur du continent, concordent pour révéler l'existence
à cette époque d'un trafic continental dense et bien établi,
constitué à la fois d'un commerce saharien qui transite par
Jenne, Tombouctou, Sasading, Nyoro,
etc ••• ,
et d'importants
échanges interrégionaux (cf: les témoignages de PARK en 1795-
1805, MOLLI en 1819, 'CAILLE en 1824).
Pour VIDROVITH
"C'était patent par exemple, dans le cas des Mossis en
Haute-Volta ou des Mauris du Niger : le marché permet-
tait de rassembler à date fixe,
d'une périodicité va-
riable (qui définissait d'ailleurs la "semaine" africai-
ne, généralement 4 et 9
jours), un grand nombre de gens
unis par des liens soc~aux et politiques diffus. Noeud
de la communication, oècasion d'échange et de nouvelles
et parfois aussi de rencontre des sexes,
le marché as-
surait alors la concentration et la dissémination de
l'information"
(1).
Dans ce commerce,
les produits de l'agriculture et
de l',artisanat (grain,
karité, poisson sec, coton, étoffes,
cola) tiennent une place importante:
"Les produits vivriers ravitaillaient aussi les régions
déficitaires de l'Afrique comme le Bure où, selon R.
CAILLE,
i l n'y a aucune espèce de culture et où toute
la nourriture est achetée avec de l'or,
le Cap-Vert qui
importe des grains contre le poisson sec et,
en général,
les bourgades où se constitue une population en voie
d'urbanisation"
(2),
Le Soudan était ravitaillé en noix de kola par les
populations forestières du Golfe de Guinée et de la Côte-Ouest
Les populations forestières manquaient totalement de minerai
1.
op.cit, p.279.
2.
Claude MEILLASSOUX,
"Terrains et théories".
Editions An-
thropos., 1977
p.

-
59 -
de fer,
alors qu'elles en avaient besoin pour leur activité
de première nécessité corrune l'agriculture ou la chasse.
La consorrunation de kola faite par les Soudanais,
est assez élevée pour entretenir un courant d'échange fer-
kola qui devient la base des échanges nombreux entre les deux
zones
: la savane soudanaise et la forêt tropicale. Les in-
formateurs locaux prétendent que les Vaa (ou Dioula) ache-
taient des produits vivriers tels que l'igname,
le riz et le
manioc.
En échange,
ils apportaient du savon, des condiments,
des objets de pacotille et des médicaments.
Le fer qui se présentaft;sous forme de barres de
dimension standard, appelées "Sombe" par les Jula et "Bro"
par les Guro,
ne servait pas qu'au paiement de la kola; el-
les servirent aussi de moyen d'échange contre les victuailles.
~'
Pendant les guerres de Samory par exemple,
le corrunerce des vi-r
vres devint une nécessité pour les armées de l'Almamy.
,
!
(ii) Le corrunerce à longue distance: Les echan-~f.
~
ges extérieurs dans la période précoloniale, correspondaient
non à une division sociale du travail ou une "division inter-
nationale du travail",
telle qu'elle est imposée aujourd'hui
par l'économie de marché, mais à une division géographique de
la production.
Ils touchent en effet des formations économique~
l
et sociales distinctes,
entre lesquelles i l n'y a pas de cir- f
;
culation de "travail", ni de "capital", mais seulement de "mari
chandises". Mieux, ces "marchandises" ainsi importées, n'en-
trent pas en concurrence avec la production du cru, étant don~l;

-
60 -
né gu'en_général, elle n'existe pas dans le pays importateur.
Cette absence de concurrence ôte toute possibilité d'établis-
sement d'une valeur d'échange réductible à l'ensemble des
moyens de travail et de la production mise en oeuvre.
Le négoce est un des stades du commerce à longue
distance. Il s'effectue par l'acquisition des marchandises,
non plus pour leur valeur d'usage, mais pour leur valeur d'é-
change. Il donne lieu, à travers une série de conversions, à
un bénéfice, iorque les marchandises acquises permettent d'en-
trer en possession d'autres marchandises en plus grandes quan-
tités que celles qui avaient été nécessaires pour obtenir les
premières.
Un bon qualitatif est fait par le commerce, lorsque
les échanges se font par la médiation de la monnaie comme
moyen de paiement, et que les bénéfices marchands sont suscep-
tibles de se réaliser, grâce à elle, sous forme de capital
marchand. Les symptômes de l'apparition d'un marché intérieur,
se manifestent par la mise en concurrence de produits comme
les textiles qui circulent entre régions productrices. Cepen-
dant,
l'esclavage et le troc (dominant) semblent avoir dressé
des obstacles à l'élargissement de cette tendance. La circula-
tion des esclaves ne contribuait pas à réaliser un marché du
travail,
l'esclave étant soustrait sans contrepartie à sa so-
ciété d'origine, et introduit dans le circuit économique, non
comme force de travail mais comme moyen de production. Quant
à la monnaie, elle végète encore au XIxème siècle dans la pha-
se infantile de son développement. La plus grande part des

- 61 -
échanges extérieurs se réalise à travers le troc. Certaines
marchandises fongibles et commensurables interviennent comme
monnaie de compte, comme médiat dans les échanges, soit dans
un cycle de métamorphose destiné à obtenir un objet défini,
f
~
soit comme moyen de réaliser les opérations de détail. Le cau-I
!
ris en Afrique Occidentale représente la monnaie sous sa formel,
la plus achevée. objet infiniment divisible et fongible,
le
!
cauris est aussi une monnaie fiduciaire.
Sa valeur repose pluslr
sur la confiance qu'on accorde à son pouvoir libérateur que
f
sur ses qualités propres. Sa valeur d'usage est surtout sa va-l
leur d'échange. Les cauris circulent surtout dans les zones
soumises aux influences d'un pouvoir centralisé ou sur les
places marchandes les plus importantes.
Il était su~-out en
usage par exemple au Royaume de Ségou, de Kaarta, du Macina,
du Kénédugu.
Dans ces Etats de type centralisé, c'est également
f
1
t
un instrument administratif.
Il sert au paiement du tribut
l
1
royal, des taxes sur les marchés et des droits de passage sur!,
les fleuves ;
sa valeur est alors garantie par le crédit que
l'.
lui accorde le Roi comme moyen libérateur de:.-l'imp8t et autres
obligations financières envers celui-ci
dans les "bourgs",
1
cette valeur est garantie par le crédit qu~ lui accordent les 1,
marchands eux-m~mes. Sur le marché, le cauris permet la réali-f,f
sation de bénéfices par la vente au détail, 'âinsi que l'accu- !
mulation d'un capital marchand. C'est l'or sous forme de pou-
dre qui était colporté pour servir de moyen de paiement, mais
l'or circulant pesé et non frappé,
ne jouait encore qu'un r8-
:f
1

- 62 -
le secondaire de monnaie médiate.
II.3. Les antagonismes de classe.
Il Y a eu,
i l y a encore des hommes politiques des
organisations syndicales et politiques pour supputer sur
l'importation de la "notion de lutte des classes". Dans la
revue '''Le Mois en Afrique", on peut lire ceci :
"La CGTA (1) n'a jamais développé une doctrine sYJldica-
le cohérente, mais s'est opposée à la notion de ~utte
des classes héritée des croyances traditionnelles des
Communistes français et leurs alliés de la CGT" (2).
Pour la CGTA,
"l'évolution de l'Afrique ne peut pas tirer profit d'une
telle pOlitique dans les conditions actuelles",
car le continent
"ne se formera que par la coopération des esprits des
intellectuels, des muscles des travailleurs et des pay-
sans et des cerveaux des dirigeants syndicaux et poli-
tiques" (3).
s~Ufaut se démarquer de ces conceptions aussi étroi-
tes,
i l faut aussi éviter le plagiat. La lutte des classes a
bel et bien existé en Afrique avant la pénétration coloniale,
mais cette lutte n'a pas connu en Afrique la même acuité ou
la même intensité qu'en Europe ou en Orient et en Extrême-
1.
CGTA = Confédération Générale des Travailleurs Africains,
née en 1955 d'une scission au sein de la section CGT de
l ' AOF. .
.
os
,
2 .
"Le MOlS en Afrlque"., N
180-181, Decembre 1900-Janvier
1981, p.61.
3.
Revue "Marchés Tropicaux et Méditerranéens" -
Paris, nO
602 du 25 Mai 1957.

- 63 -
orient à cause de la faible pénétration de la monnale dans
l'économie paysanne,
comme notre étude l'a fait ressortir.
Bien que prospères,
les économies africaines sont demeurées
des économies naturelles et d'autosubsistance.
"Le régime primitif,
le régime despotique et le reglme
féodal,
ont tous trois ceci de caractéristique, qu'ils
sont à la fois des régimes de subsistance et des régi-
mes naturels.
Par régime de subsistance,
il faut enten-
dre un système dans lequel le niveau de production res-
te constant,
••• c'est un système statique. Par régime
naturel,
il faut entendre une organIs~tion dans laquel-
le on produit tout ce que l'on consomme et l'on consom-
me tout ce que l'on produit sans avoir recours à l'é-
change (ou au moins sans avoir recours principalement à
l'échange). Les économistes du XVIIIème siècle conce-
vaient l'économie naturelle comme une économie f~rmée
aussi se représentaient-ils l'économie primi tive"à la
manière de celle de Robinson CRUSOE dans son île. Ayant i
observé que ce n'était pas le cas,
les ethnologues ~o-
1
~ernes.ont conclu que l'économi~ primitive n'est ,pas une
economle naturelle.
Ces deux pOlnts de vue sont egale-
.

r
ment faux.
"Economle naturelle" n'est pas synonyme
i
d'
"Economie fermée" "
(1).
!
1
Les prélèvements effectués par conséquent par les
[
classes dominantes et exploiteu~es, portaient uniquement sur
f
les valeurs d'usage et leur consommation plafonnait très sou- r
vent au niveau de celle des exploités.
!:1
"Quand la forme d'une société est telle,
au point de vue fi
économique, dit MARX, que ce n'est point la valeur d'é-
change mais la valeur d'usage qui y prédomine,
le sur-
!
travail est plus ou moins circonscrit par le cercle de
~
besoins déterminés ; mais le caractère de la production 1
elle-même n'en fait point naître un appétit dévorant"(z)!
!
,
1.
"Principes de l'ethnologie économique", par Pierre BESSAI-I
GNET -
Paris., 1966. Llbralrle Générale de Droit et de Ju-lf
risprudence.
Z.
Karl MARX,
"Le capital", Livre l
- Tome 1, p.Z3Z.

-
64 -
Quand le surproduit et même une partie du surpro-
duit nécessaire se transforme en argent,
le capital pénètre
la production. Le développement des forces productives n'est
plus limité par la consommation improductive et la thésauri-
sation des classes dominantes ;
i l est est au contraire sti-
mulé par le besoin de valoriser le capital, d'accumuler tou-
jours plus de profits. A son tour, ce besoin stimule le pro-
grès technique et son introduction à la production. C'est
pourquoi, on peut conclure que le besoin de valoriser le ca-
pital dans le cadre d'une économie marchande favorise la
stratification sociale et la lutte de classe. Or que consta-
tons-nous aujourd'hui au SAHEL? Le développement en ampleur
et en profondeur de l'économie marchande n'est plus un se-
cret pour personne. Les pages qui vont suivre seront consa-
crées à l'examen de cette question,
il n'est pas opportun de
s'étendre longuement sur celle-ci qui nous éloignerait par
ailleurs du sujet qui nous préoccupe présentement.
Ce vaste processus de pénétration de la monnaie
dans l'économie paysanne s'est déroulé sans entraves avec
toutes ses conséquences possibles et imaginables en Europe
occidentale à partir du Xème siècle après Jésus-Christ. Il
s'est ensuite considérablement accru à la faveur des méthodes
criminelles et sanguinaires dénommées par euphémismes "l'ac- }
cumulation primitive du capital". A contrario,
le développe-
ment économique et commercial que nous avons analysé, a été
entravé par l'agression et l'invasion du jeune capitalisme

-
65 -
européen. Les corollaires de cette agression sont l'importa-
tion des formes de l'exploitation (salariat, ouvriers, etc ••• )
de la circulation des marchandises (monnaie), etc ••• C'est
donc sur ces bases objectives que s'articule aujourd'hui la
lutte de classe en Afrique. Mais en attendant d'étudier ces
modifications, quelles sont les ~~lsses ou en tous cas les
~
couches sociales qui s'affrontaient dans l'arène du SAHEL
précolonial ? Nous retiendrons pour simplifier quatre cou-
ches sociales : la paysannerie,
les esclaves,
les marchands
et l'aristocratie ou la chefferie.
(i) La paysannerie: en son sein ce qui domi-
ne, ce sont les rapports de dépendance personnelle entre aî-
nés et cadets que nous avons analysés plus haut;
l'économie
est une économie d'autosubsistance en ce sens qu'elle ~st
fondée sur l'exploitation du milieu direct à la portée du
groupe ;
la paysannerie satisfait à la totalité de ses be-
soins, sans que le recours aux échanges marchands avec l'ex-
térieur soit indispensable à son fonctionnement.
(ii) Les esclaves: trois catégories d'escla-
ves peuvent être dénombrées dans le SAHEL précolonial. La
première est constituée par les esclaves domestiques
l'es-
clave est introduit dans la cellule de la production lignagè-
re comme élément dépendant, travaillant aux côtés des autres
membres mineurs de la famille ;
i l partage en retour les pro-
duits du groupe distribués par le doyen, son maître ; dans ce
cas, le produit du travail de l'esclave n'apparaît pas comme
distinct de celui des autres membres de la communauté, et
l'institution ne permet pas de mesurer la part qui lui échoit.

- 66 -
1
L'exploitation du travail de ce type d'esclave n'est
pas patente; d'ailleurs, cet esclave peut,
après quelques gé-
nérations, s'intégrer de plein droit dans la communauté.
"Dans les pays soudanais et sahéliens,
l'esclavage domes-
tique s'articule avec deux autres formes d ',exploitation
plus directement liées à la production marchande. L'une
d'elles apparaît à partir du moment où la terre est at-
tribuée à ses propres besoins et à ceux de sa famille. E
revanche,
l'esclave est tenu de fournir des prestations en
travail, mesurées en nombre de jours dûs à son maître ••
Son maître bénéficie d'une rente en travail nette, quan-
tifiée en journées conventionnelles de travail" (1).,
C'est la deuxième forme d'esclavage qui se rencon-
tre surtout en pays de savane,
en co-existence avec la pre-
mière. Le statut de l'esclave devient héréditaire quand bien
même le régime des prestations au maître se modifie avec le
temps. L'intérêt économique de l'esclave en tant que produc-
teur domine celui de reproducteur social, car l'homme-esclave
ne peut plus reproduire que d'autres esclaves.
La dernière forme d'esclavage se manifeste quand
généralement le nombre d'esclaves possédés par les lignages
ou les villages,
s'accroît au point de rendre leur insertion
dans la communauté suicidaire pour celle-ci. Les esclaves
sont regroupés en hameaux possédant éventuellement leur pro-
pre autorité, et cultivant en permanence des terres qui leur
sont assignées par les maîtres.
Ils sont tenus essentielle-
lent à des prestations en nature, représentant un certain vo-
lume ou une part convenue de la production agricole ou arti-
sanale. Le maître perçoit alors principalement une rente en
produits, assortis d'une moindre rente en travail. L'esclave
est moins,
à partir de ce moment, un dépendant personnel du
maître que membre d'une communauté dépendante (une classe).
Les filles d'esclaves peuvent à la rigueur,
lorsqu'elles p~é-
1.
C. MEILLASSOUX,
"Terrains et théories"., 1977 - Edition
Anthropos, p.236.

- 67 -
sentent des formes généreuses pour la reproduction ou le
plaisir du maître, servir pour la reproduction des ligna-
ges dominants, mais les liens de parenté entre esclaves se
renforcent au sein de leur communauté et leur donnent davan-
tage de droits sur leur progéniture.
L'importance de cette dernière catégorie est at-
testée par l'existence de nombreux villages ou hameaux d'es-
claves chez les peuples Mandingues et ;Peuls décrits par PARK
et CAILLE.
Les deux dernières formes d'esclavage sont celles
que l'on rencontrait encore le plus fréquemment à la fin du
XIxème siècle dans les régions les mieux intégrées aux cou-
rants commerciaux continentaux.
"si l'on en croît les rapports adminTs~tratifs de la co-
lonisation française,
l'esclavage touchait alors selon
les régions, de 30 à 60 % des populations de l'Afrique
Occidentale (Archives de Dakar, série K)" (1).
(iii) Les marchands: les communautés marchan-
des sont en général étrangère à la société à cause de leurs
origines septentrionales par rapport aux populations où elles
trafiquaient. Le marchand semble un étranger par sa culture,
son ethnie ou son appartenance à des groupes ethniques margi-
naux. Etranger,
le marchand l'est encore par son activité qui
sape les bases sociales de la possession traditionnelle des
richesses et du pouvoir, et à laquelle i l subordonne aussi
1.
C. MEILLASSOUX, op.cit, p.237.
1
1
1

-
68 -
-1
1
1
!
les préoccupations agricoles. Les marchands constituent en-
1
t
fin aussi partout des minoritaires et pratiquent surtout la
1
religion islamique (religion universaliste et déontologique
1r
pour eux).
"Plus diffuse apparemment là où le trafic est plus an-
cien, comme dans le SAHEL ou chez les Jula,
et là aus-
si où cette ancienne implantation a davantage répandu
l'Islam, elle (l'implantation) prend des apparences
d'agglomération plus compactes lorsque la pénétration
marchande est plus récente et demeure plus étrangère
aux moeurs et à la culture locale. Ainsi en est-il,
par exemple des Jaxanke qui sont agglomérés en villa-
ges parmi les populations Soninké ou Malinké, des Yar-
sé du Mosi groupés en quartiers distincts"
(1).
Au Moyen Age, c'est-à-dire probablement au début
de ces échanges, les marchands maghrébins vivaient aussi en
communautés séparées à Koumbi-Salem (Empire du Ghana) et dans
les principaux centres commerciaux du SAHEL. La solidarité
des marchands ne supprime pas pour autant la concurrence en-
tre eux. Les souverains exigent rarement d'eux un tribut,
mais plut6t nouent avec eux parfois des pactes (comme celui
entre le Naba et les Yarsé chez les Mosi) qui les placent
f
dans des rapports précis avec les autorités.
Pour les dépla-
1
cements, les caravanes armées
jusqu'aux dents assurent elles-II.
mêmes leur propre sécurité.
'
1
(iiii) L'aristocratie ou la chefferie: l'aris-[,
tocratie guerrière s'inscrit dans la société pOlitique comme
protectrice des communautés paysannes menacées par le vanda-
1
lisme des autres guerriers. Leur insertion dans l'économie
1
f
t
1.
C. MEILLASSüUX, op.cit, p.237.

- 69 -
demeure très limitée. Les "chefs" ne s'approprient pas les
moyens de production car ceux-ci sont laissés à la discré-
tian des lignages d'origine qui par ailleurs. conservent des
liens privilégiés avec la terre. Leur attitude à l'égard du
commerce se caractérise par sa souplesse : là où i l existe
un groupe de marchands indépendants et s'appuyant sur des
réseaux qui débordent largement leur domaine pOlitique.
ils
observent la plus grande prudence.
Ils taxent rarement ces mar
chands et en attendent plutôt des cadeaux. vis-à-vis des mar-
chands sédentaires confinés dans les limites de leur royaume,
les souverains exercent une autorité plus directe, et tendent
à les considérer moins comme des étrangers que comme des ci-
toyens taxés,
et socialement et politiquement incorporés à
l'Etat.
Dès que l'aristocratie guerrière fait Slenne les
armes arrachées à l'ennemi. que les soldats deviennent nour-
ris sur les fonds du pays. et qu'elle s'approprie le butin
pour elle toute seule (les biens de prestige et d'échange).
~
son autonomie croissante lui permet alors d'utiliser la for-
i
t
ce dont elle est investie comme un moyen de domination. d'op- If
pression et d'exploitation. Rarement cependant. utilisent-ils
~
leurs captifs à la production sauf pour satisfaire aux be-
soins de la cour. Dans les cas extrêmes, lorsque la sépara-
1
1
tian d'avec le peuple est consommée.
l'aristocr~tie guerriè-
re en devient l'ennemi déclaré en le réduisant à son tour en
1
esclave comme par exemple dans le Cayor (Sénégal). Ayant re-
~
noncé et tourné le dos définitivement à ses fonctions d'ar-
1
1
1

-
70 -
bitrage et de production qui la justifiaient pOlitiquement
comme élément du peuple,
la caste des guerriers devient
l'ennemi irréductible du peuple.
Au terme de cette analyse,
plusieurs aspects doi-
vent retenir notre attention :
L'arriération des forces productives dans le SAHEL
précolonial ne permettait pas d'assurer toujours et à tout
moment une production suffisante pour tous. L'histoire pré-
coloniale est jalonnée de périodes de disettes et de famines.
"B. BARRY, dans son histoire du royaume du Waalo du
XVllème au XIXème siècle, fait de nombreuses référen-
ces à des récits de voyageurs ou d'administrateurs
français qui décrivent les multiples famines de la
région"
(1).
Le surplus agricole qui existe, s ' i l est en bonne
partie approprié par les chefs, reste diffus. Même dans les
grands royaumes où celui-ci peut être important, l'économie
naturelle et d'autosusbsistance,
l'existence quasi exclusi-
d
d'autosub
,
ve
e la val~_~ _ ~~U~C ou encore la faible monetarisation
de l'économie,
limitent le surplus dans des proportions re-
lativement faibles.
Il faut ajouter que dans ces vastes em-
pires,
la centralisation politique demeure très lâche, l'in-
f
tégration qua&~ inexistante.
~l!
1
1.
Ouvrage collectif sous la direction de Jean
COPANS :
1
"Sécheresses et famines du SAHEL", p.30 - F. Maspéro. ,
1975.
1
!
1
i
\\
,

-
71 -
Ces éléments objectifs n'ont pas permis une accu-
mulation capable de mettre en branle les forces productives,
comment cela aurait-il été possible sur un échiquier social
dominé par des forces sociales arriérées telles que celles
proches de la féodalité ?
Comment cette arriération s'est-elle traduite au
niveau des structures agraires ?
-----------0-----------

- 72 -
CHAPITRE DEUXIEME
LES STRUCTURES AGRAIRES
L'étude de l'autosuffisance alimentaire ne peut se
passer de celle des structures foncières et agraires, tant il
est vrai que c'est principalement du degré d'organisation
agricole et technique que dépend le volume de la production.
Cette assertion prend un relief particulier au SAHEL, où plus
de 80 % de la population active vit aujourd'hui encore des
1
fruits de la terre. Selon Keba M'BAYE,
au Sénégal plus de 80 %1
de la PO~)u~.ation vit encore de la terre(l).
1
C'est au NéOlithique que l'on situe généralement les
débuts de l'agriculture dans le monde.
"Des faits identiques se retrouvent en Afrique où les
meules dormantes des stations néolithiques témoignent
du développement de la céréaliculture à ce stade de la
préhistoire"
(2).
L'agriculture africaine a donc des origines très anciennes
qui laissent supposer une longue et riche expérience accumu-
lée. Que pouvons nous retenir comme legs et acquis de cette
expérience agricole dans la période précoloniale ?
L'évolution des techniques et des structures agrai- 1
1
1.
"Régime des terres au Sénégal", Keba M'BAYE in : "Le
drolt de la terre en Afrigue"
(au Sud du Sahara -
Paris.,
1971.
2.
"Plantes alimentaires et vie aaricole en Afrique", R.
SCHNELL - Paris., 1957, p.10l.
\\

-
73 -
res a conduit à une répartition inégalitaire des terres, qui
est le reflet de la structuration politique et de la strati-
fication sociale que nous avons étudiées. Cette évolution a
également conduit certaines plantes alimentaires, à faire du
SAHEL leur terre d'élection. Les capacités nutritives de ces
plantes vont déterminer dans une certaine mesure,
les condi-
quoi,
nous nous pencherons sucessivement sur les structures
agraires et foncières au SAHEL en général. Ensuite, dans le
souci d'approfondir notre analyse,
nous étudierons beaucoup
plus en détail un cas concret, celui de la Haute-Volta. Cet
vail relèvent dans une large mesure du chef de famille.
Le
plan de ce chapitre s'articulera comme suit
Section l
Situation d'ensemble des structures
agraires ;
Section II
Etude de cas
structures agraires en
Haute-Volta ;
Section III
Les plantes alimentaires.
SECTION l
: SITUATION D'ENSEMBLE.
1
Les structures agraires dans les sociétés à "carac-
tère féodal",
pour reprendre l'expression heureuse de KOURA
Ernest(l) dans son étude des classes sociales en Haute-Volta, '
1.
KOURA Ernest, op.cit.
1
l

-
74 -
sont d'un intérêt spécial quand on aborde l'analyse de l'au-
tosuffisance alimentaire. Elles permettent en effet de mettre
en exergue le stade de développement atteint par les techni-
ques mais aussi la répartition du foncier,
en un mot,
l'in-
géniosité des peuples du SAHEL avant l'invasion coloniale.
Elles indiquent en même temps les limites et le chemin à par-
courir pour faire des structures agraires actuelles des struc-
tures modernes,
car celles-ci conservent encore aujourd'hui
des vestiges et des pesanteurs de l'époque précoloniale.
Au niveau du foncier,
le rapport de l'homme à la
terre y est essentiel puisque la communauté vit principalement
d'agriculture. Le droit à la terre y est donc à la fois une
nécessité et un truisme
en effet,
exclure un paysan du droit
à la culture (tout au moins) c'est le condamner à une mort
certaine. Au plan technique,
l'évolution des techniques agri-
coles atteinte par les peuples du SAHEL n'a rien à envier à
celle réalisée par d'autres peuples de cette époque. Enfin,
l'outillage. demeuré essentiellement manuel, a une incidence
fâcheuse sur les surfaces cultivables, donc la capacité de
ces sociétés de produire des quantités susceptible de tradui-
re l'opulence. Ce sont tous ces traits essentiels des struc-
tures agraires que nous allons essayer de faire ressortir en
examinant
la - L'outillage agricole.
2 0 -
Les techniques agricoles.
3 0 -
Les régimes fonciers.
r.l. L'outillage agricole.
L'outillage au SAHEL, hier comme aujourd'hui, se

-
75 -
caractérise par sa faiblesse.
Il constitue un des indices
qui nous permet d'affirmer l'arriération des forces produc-
tives. De tous les outils en usage aujourd'hui encore au SA~
HEL,
la houe demeure l'outil le plus caractéristique. A côté
de ce spécimen, cohabitent d'autres instruments avec les-
quels,
l'examen nous permettra de mieux nous familiariser.
"L'Afrique vit depuis longtemps à l'âge du fer.
Toutes
les recherches des ethnologues mettent en valeur le rô-
le du forgeron (celui qui fabrique les armes et les ou-
tils) dans les sociétés africaines"
(1).
Presque partout à cette époque,
les performances
n'ont jamais permis de dépasser le stade d'un outillage pure-
ment manuel.
Parmi ces instruments manuels,
le plus complexe
et le plus insolite est l'araire. Le petit Larousse donne de
l'araire la définition suivante: charrue sans avant-train.
"L'araire existe depuis très longtemps en Afrique tropi-
cale, mais est étroitement localisé à l'Abyssinie et ses
abords immédiats. La seule mention qui ait été faite
ailleurs de l'usage ancien d'un araire, par l'explora-
teur BARTH, concerne l'Aïr, massif au climat sahélien,
déjà assez fortement engagé dans le Sahara et en commu-
nication avec l'Afrique du Nord"
(2).
Par son côté pittoresque,
l'iler peut être classé
par l'observateur non avisé dans les instruments insolites.
constitué d'un fer en forme de croissant emmanché-à l'extrê-
mité et dans le prolongement d'un long manche,
l'iler est ce-
pendant un instrument courant au SAHEL.
Pour s'en servir, on
1.
G. SAUTTER,
"Les structures agraires en Afrique Tropica..,.
le"
-
Paris., 1968, p.7.
2.
~ SAUTTER, op.cit, p.8.
!
\\

-
76 -
le pousse devant soi, permettant ainsi à la lame de circuler
sous la surface du sol. Il est d'une remarquable efficacité
surtout lorsqu'on se trouve en présence de sols légers qui se
prêtent spécialement à son emploi. En Afrique, en compa-ra~~on-
de la houe, c'est sans conteste l'outil de travail le plus ra-,
t
pide. En effet, un travailleur capable de mettre en valeur
1
deux hectares avec une houe,
sera capable d'en cultiver cinq
1
avec l'iler pour parler de façon schématique. Excepté la dis- 1
continuité, on le rencontre depuis les confins de la boucle
1
!
du Niger jusqu'au Nil, autrement dit presque d'une extrêmité
à l'autre de la zone sahélienne. Au Sénégal, il est en usage
1
dans toute la moitié Nord du pays.
1
Deux réponses peuvent être retenues pour expliquer
son origine
1
1
ergs fossiles,
par conséquent des sols sableux très perméable 1"
à l'iler.
- ~o~i~l~gique : l'iler a été inventé entre le Xème 1
et le XVème sièCle, et se serait répandu avec la pénétration
des Arabes ou des populations arabisées en Afrique Occidènta-
le. L'existence de rapports d'exploitation associant schéma-
tiquement des nomades, refusant le travail du sol, et des cul-
tivateurs asservis et obligés,
non seulement de se nourrir
~
eux-mêmes, mais de pourvoir en outre aux besoins des éleveurs,!
1
entraîne la nécessité d'un outil très efficace.
!
r
Outil moins efficace que l'iler, mais outil adapté, 1
,
\\

~.
-
77 -
la houe fait partie du paysage agricole du SAHEL. Il existe
une extraordinaire variété technologique de types de houe. On
peut distinguer une typologie selon le manche : i l y a des
houes à manche très court qu'on manipule d'une seule maln.
D'autres ont le manche plus ou moins long, et obligent le cul-
tivateur à utiliser ses deux mains. On peut également faire
une typologie des fers qui présentent des formes diverses et
des systèmes d'emmanchement variés.
De cet outillage manuel et rudimentaire,
il résulte
des surfaces cultivables étroitement limitées, et par consé-
quent, une faible aptitude à produire une masse de produits
agricoles capablesd'assurer à tous et à tout moment, une ai-
sance alimentaire; c'est pourquoi,
les agriculteurs sahéliens
se sont préoccupés de développer des techniques agricoles, ca-
pables de pallier les insuffisances de l'outillage.
1.2. Les techniques agricoles.
Lorsqu'on parle de technique agricole,
i l faut non
seulement y voir les procédés d'engraissement et de maintien
des substances nutritives du sol, mais aussi, ceux qui par le
biais de l'organisation, permettent une utilisation rationnel-
le du terroir. Une agricultui~Cqui ne sait pas ménager son
t
1
terroir par une organisation adéquate, périclite et finit par r
s'éteindre. C'est pourquoi,
l'analyse des techniques agriCOlesl
!
doit faire une mention spéciale à l'endroit de l'Organisation!.
de l'espace agraire. Une organisation de l'espace ne va pas
ff1
f
1
i
1

-
78 -
non plus sans technique de régénération du sol. Ces conclu-
sions nous autorisent donc a étudier premièrement l'entre-
tien et la fertilisation des sols, et deuxièmement l'espace
agraire et son organisation.
I.2.1.
L'entretien et la fertilisation:
- - - - - - - - - - - - - -
L'étude de SAUTTER permet de retenir deux distinc-
tions essentielles pour l'étude de ce premier point: les
techniques de fertilisation "passive" et celles de fertilisa-
tion "active". La première fait appel aux moyens naturels,
c'est-à-dire, à l'au~~éneratIon du sol abandonné à la végé-
tation spontanée. La deuxième concerne les restitutions vo-
lontairement opérées par les agriculteurs, qui permettent
d'abréger ou de supprimer la période de jachère.
AI Les techniques passives
Elles se caractérisent par un mode de culture qua-
lifié souvent "d'itinérant", mot qui ne fait pas allusion né-
cessairement à la mobilité des cultivateurs (qui peuvent être
des sédentaires), mais se référant nécessairement à celle des
champs par définition. On en parlera également en termes "d'a-
griculture à longue jachère". Le principe se décompose ainsi
:.
une culture temporaire,
suivie de l'abandon des lieux a une
jachère forestière et herbacée, destinée à nourrir le sol pen-
dant une durée variable, mais toujours nettement plus longue
que celle de la phase culturale. Une analyse plus fine permet
,
de saisir une grande diversité des méthodes,
et un niveau
d'efficacité variable allant d'une exploitation rudimëntaire
\\

-
79 -
1
1
1
1
t
proche du stade de la cueillette à des formules très évo-
1
luées.
1
1
L'agriculture sur brûlis n'est pas partout et tou-
jours la règle comme le laisse supposer certaines analyses
par trop simplificatrices. Beaucoup sont les agriculteurs qui
en Afrique, préparent le sol non par incendie préalable de la
végétation, mais en l'enfouissant et en le faisant pourrir
f
dans le sol.
!
On peut établir une autre distinction technique en-I
tre deux sortes de systèmès~;
1
Dans le premier cas,
la préparation du champ con-
l'
siste à désherber, à remuer le sol à l'aide de la houe. Cette
1
méthode est de loin la plus utilisée dans les régions de la
savane sous un climat à longue saison sèche, et où le sol a
1
besoin d'être aéré.
Dans le second cas, elle consiste à abattre les ar-
bres ou à les ébrancher, puis on empile le bois en un gros
tas au milieu du champ ou par petits tas de façon à mieux pré-
parer le travail qui permet de répandre la cendre sur toute
l'étendue du champ (épandage). Enfin, on y met du feu qui pro-
VOql~ un incendie localisé mais violent ; incendie qui laisse
Qt
une épaisse couche de cendre. Les avantages d'un tel procédé
!
sont :
i!
- Sans autre préparation supplémentaire, on
j
~~
peut semer à la volé~.~
1
f
\\

-
80 -
- Il permet d'éliminer tous les parasites et
les graines des mauvaises herbes,
et d'économiser du travail.
- Enfin,
n'importe quel sol devient cultivable
car la fertilité ne dépend pas du sol, mais des arbres dont
les branches et les bois ont été accumulés et transformés en
engrais. Les inconvénients ne manquent pas cependant. Ce sys-
tème dégarnit la végétation sur d'immenses espaces pour n'en
cultiver qu'un espace réduit
(dans de très nombreux cas,
le
rapport peu aller de 1 à 20),
i l y a un gaspillage de surface
considérable qui ne s'accomoderait pas d'une densité de popu-
lat ion très forte.
La phase de préparation terminée,
i l faut passer à
la phase culturale.
Il faut,
là aussi,
souligner la diversité qui sin-
gularise les phases culturales dans le SAHEL précolonial.
On peut distinguer principalement la culture à plat
et /
ou la culture sur buttes ou billons. Dans l'Ouest agri-
cain,
notamment dans la savane,
on trouve des adeptes des deux
procédés. La culture sur buttes étant techniquement supérieure
en ce sens qu'elle permet une sorte d'assolement interne du
champ. La phase cultur~e passée, les cultivateurs laissent
leur champ en jachères.
Un distinguo peut être fait entre les champs pure-
1
1
\\

-
81 -
1
1
ment et simplement abandonnés après la culture où on ne se
préoccupe pas de savoir quelle végétation va s'installer à
la place de la culture,
nl comment elle va le faire d'une
part, et d'autre part ceux où l~ cultivateur intervient ac-
tivement pour préparer la jachère et la rendre plus effica-
ce. Une fois décrites,
les phases successives et séquentiel-
les du cycle agricole, on peut se demander comment le culti-
vateur sahélien conduit l'ensemble de ce cycle dans le temps
et dans l'espace.
- Dans le temps : en gros,
le système qu'on
qualifie de soudanais, consiste à cultiver le sol aussi lo~­
temps qu'il rémunère l'effort des cultivateurs (période s'é-
talant sur dix à vingt ans). Après quoi, l'emplacement est
abandonné pour une durée qui peut atteindre ou même dépasser
une génération. Dans ce cas,
il est à noter que le cycle cul-
ture-jachère s'allonge démesurément.
- Dans l'espace: il faut distinguer entre le
caractère désorganisé et au contraire réglé de l'exploitation.
S'il est vrai que certaines communautés africaines ne se préoc
cupent pas de programmer l'exploitation successive des diffé-
rentes portions de l'espace qu'elles ont à leur disposition,
au SAHEL a contrario,
la plupart des cultivateurs défrichent
successivement des terroirs villageois ou des domaines fami-
liaux dans un ordre déterminé, de sorte qu'ils puissent homo- 1.'.
généiser sur toute la surface,
la durée du cycle culture-ja-
1
chère. Il est évident que sur le plan technique,
le second
'
1
\\

-
82 -
comportement est supérieur au premier.
Toutes les techniques que nous venons d'examiner
s'inscrivent ~ans le cadre plus global de ce que nous avons
appelé les "techniques passives". Nous avons élucidé le sens
de cette dénomination où les moyens naturels constituent le
principal aspect; cependant, à travers l'étude vous avez pu
vous rendre compte qu'il était difficile d'ériger une "mu-
raille de Chine" entre les techniques passives et les tech-
niques actives.
BI Les techniques actives :
Ces techniques ont pour base essentielle la fumure
"bien plus répandue qu'on ne se le figurait
jadis, mais
sous des formes assez discrètes pour avoir souvent
échappé à l'observateur superficiel" (1).
i
On peut distinguer deux types de fumures
l'une
domestique et l'autre animale.
1
1
Sa pratique nécessite l'utilisation systématique
de tous les déchets, détritus,
ordures que produit la vie do-
raient inutilement autour des maisons et des villages,
et de-
viendraient à la longue encombrants. Deux utilisation en sont
faites
:
1° - On engraisse l'espace qui entoure immé-
t
!~
1.
G. SAUTTER, op.cit, p.14.
1
\\

-
83 -
diatement l'habitation et le village. Dans ce cas, nous avons
quelque chose qui ressemble à des jardins. Cette forme de fu-
mure existe même dans les agricultures africaines les plus
négligeantes.
2° - Les habitants déplacent leurs maisons de
façon à libérer pour la culture l'emplacement précédemment ha-
bité et par suite et par conséquent fertilisé.
Cette techniquel
est celle des Bouzou du Niger central qui parcourent avec leurf
habitation chaque année,
quelques dizaines de mètres dans une
direction donnée,
de sorte qu'au bout d'une dizaine d'années,
l'habitation se retransporte au point de départ.
b) La fumure animale
Cette fumure animale est très souvent d'origine bo-
vine,
et s'effectue de diverses manières
:
Quelquefois,
les cultivateurs dans les savanes à
longue saison sèche, concluent des contrats de fumure avec des.
éleveurs spécialisés. Ceux-ci viennent parquer pendant quel-
ques jours ou quelques semaines leurs troupeaux sur le champ
du contractant, qui se trouve engraissé par cette présence. Au
contraire chez les Dioula de Basse Casamance, on transporte le
fumier de la ferme au champ. Enfin on assiste souvent à la ré-
cupération d'anciens parcs à bétail pour la culture.
1.2.2. Les ~sE.a~e~ ~gE.a~r~s_et !e!:!r_0E.g~nis~tio~
L'étude de l'espace agraire englobe,
non seulement
celle des terres cultivées, mais aussi celle de toutes les

- 84 -
terres en friche qui sont partie intégrante des réserves sus-
ceptibles à tout moment d'entrer dans la sphère des terres
cultivables. Mais c'est aussi l'étude de l'habitat (nous re-
viendrons sur cette question
en étudiant le cas de la Haute-
Volta),
nous nous contenterons donc d'une brève allusion'a.
cette question dans ce point. Nous analyserons premièrement
le finage et en deuxième partie,
les terroirs.
AI Le finage :
Le petit Larousse donne du finage la définition sui-
vante
circonscription sur laquelle un seigneur ou une ville
avait droit de juridiction. si cette définition donne une idée
de ce qu'est un finage,
elle ne cerne pas tout le sens moderne
de ce concept. SAUTTER retient la définition suivante : le fi-
nage définit un "terroir sur lequel une cellule d'habitat ou
une communauté exerce ses droits agraires. Un finage peut com-
prendre un noyau d'exploitation habituellement cultivé (~ger),
qui s'oppose à une zone d'utilisation extensIve ou temporaire
(Saltus)".
Cette dernière définition,
beaucoup plus centrée sur
la question agraire, dépouille celle-ci de son caractère par
trop général (du petit Larousse),
et lui donne un sens plus
restrictif mais aussi plus précis.
On retrouve dans le paysage agraire du SAHEL, des
espaces qui répondent à cette définition, notamment ches les
Songhay (peuple paysan de la boucle du Niger). Cette réparti-
tion des terres entre les villages ou encore les "cellules

-
85 -
1
d'abitats". indique que l'espace agraire est structuré et ap- 1
proprié par de larges communautés villageoises, ce qui a pour f
1
avantage de prévenir toute confusion dans l'exercice des droiti
t
agraires. Les membres d'une communauté villageoise n'ont pas
le droit de quitter leur finage pour empiéter sur le domaine
1
1
des autres communautés villageoises. Globalement pris, dans leI
vaste cadre du finage,
c'est sur la propriété des terres du
1
i,
village que se fondent les autres droits.
Il sera cependant
!
nécessaire en affinant l'analyse, de souligner qu'à l ' intér ieul
~
,
de chaque village, chaque lignage a ses droits ; mais pour
l'instant,
examinons comment s'organisent les terroirs?
BI L'organisation du terroir :
t

On peut retenir principalement tfois types de struc-[,
tures pour caractériser l'organsisation du terroir au SAHEL.
SAUTTER les classe en
1) structure concentrique, 2) organl-
sation calquée sur le milieu, 3) aménagement en bandes paral-
lèles.
i
!i
1°) ~~~_~~~~~~~~~~_~~~~~~~~!9~~~: il en existe plu-}!
sieurs variétés ; nous nous contenterons de décrire celles quitif
sont les plus achevées et les plus caractérisEiques de cette
1
!
structure. Ches les Bambara du Mali,
les paysans désignent pari!,
le mot "so-foro",
les "champs de la maison",
pour traduire liti
!
téralement l'auréole des champs contigus au village, tandis
que celui de "Kongodian-foro" désigne les champs de brousse
éparpillés dans l'auréole extérieure. On a donc une structure i!
concentrique formée d'un noyau constitué par l'habitat au cen-I[

-
86 -
tre et de deux auréoles représentant la première, leS "so-fo-
ra" et la seconde,
les "kongodian-foro".
Le système ainsi décrit,
comporte des variantes à
travers toute la savane de l'Ouest africain qui semblent être
son domaine d'élection.
En Afrique aujourd'hui,
la structure
en auréoles opposant culture intensive au centre et culture
extensive sur le pourtour,
suppose réalisées deux conditions
essentielles : un habitat fixe et compact, et un sol homogène.
Ce dont l'organisation calquée sur le milieu se passe sans
problème.
2 0
~~~~~~~~~~~~~~_~~!9~~~_~~~_!~_~~!~~~ :
)
dans ce
cas,
les paysans recherchent simplement les meilleures combi-
naisons des éléments naturels disponibles avec leur tradition
culturale. Les habitats sont par conséquent dispersés et épou-!
r
sent le schéma de la capacité nutritive du sol.
t
,
t
30) ~~~_~~~~~9~~~~~~_~~_e~~~~~_E~~~!!~!~~: les cul-If
tivateurs partant d'une base commune, défrichent dans diffé-
f
\\
rents sens parallèles leurs champs, ce qui donne un schéma quit,,
représente une circonférence (noyau d'habitation) se prolon-
geant par des bandes parallèles.
Ici l'habitat est le même quef
~
dans les structures concentriques, mais la distinction entre
structures
champ ue v~~~dge et champ de brousse n'apparaît pas, ce qUl
rapproche cette structure de l'organisation calquée sur le mi-l
lieu.
Il ressort de cette analyse que l'espace agraire sa-I
hélien est un espace structuré, c'est-à-dire que les peuples
du SAHEL ont consacré consciemment leur savoir-faire pour or-
ganiser leur espace agraire,
et produire une technique adap-
tée à cet espace, dans l'espoir de retirer un maximum d'avan-
tage de la terre. Leur ingéniosité a donc débordé le cadre de

-
87 -
l'organisation pour déboucher dans le domaine technique où ils
ont tenté de tirer le maximum des dispositions naturelles de
l'environnement, mais aUSSl lui apportant des éléments indis-
pensables à sa régénération pour mieux lui soutirer à l'aide
d'un outillage agraire associé au travail les quantités de
subsistances nécessaires à leur survie. Cependant, avec le
seuil que nous avons,
nous pouvons mieux percevoir les limites
de cette ingéniosité qui n'a pas su exploiter toutes les pos-
sibilités offertes par exemple dans le domaine de la fertili-
sation des "techniques actives",
laissant en général une large
place aux "techniques passives", qui n'a pas toujours su in-
corporer des quantités importantes de travail dans le sol ...
S'il ressort également de cette analyse la complexi-
té des structures agraires, nous ajouterons qu'une démonstra-
tion telle que nous l'avons conduite peut laisser croire à
desstructures étanches, c'est pourquoi i l nous faut à présent
rectifier le tir. On ne trouve en effet nulle part les struc-
tures que nous avons décrites à l'état pur, mais un mélange
avec les autres structures ou encore une structure unique mais
plus ou moins développée.
En Haute-Volta, on rencontre à c8té
des structures concentriques développées ("so-foro" et "kongo-
dian-foro") des structures moins développées avec un habitat
plus disposé où chaque maison isolée ou groupe de maisons res-
treint est coiffé de ses auréoles. Cependant,
il n'est pas
exagéré de dire que partout au SAHEL,
les structures en au-
réoles dominent les autres dans le paysage agraire. 'Ce qui
signifie que les Sahéliens ont en général un habitat fixe,
en d'autres-termes, qu'ils sont des sédentaires et des agri-
culteurs. Mais cette constatation signifie aussi qu'ils con-
naissent partout les techniques de culture intensive.

-
88 -
Dans les rapports de l'homme à la nature,
les peu-
pIes sahéliens ont donc accompli des progrès sensibles pour
dompter, maîtriser les lois et les forces de la nature. Ces
progrès sont certes modestes en comparaison de ceux réalisés
aujourd'hui par les pays capitalistes développés et les véri-
tables pays socialistes
(machinisme,
tracteurs,
engrais) ;
ces progrès modestes, conjugués à l'état de domination,
se
traduisent aujourd'hui encore par l'arriération de l'agricul-
ture sahélienne. Les rapports des hommes entre eux ont subi
également une évolution remarquable,
dans le sens d'une dégra-!
dation lente mais croissante, qui implique une exploitation
!
de plus en plus grande de l'homme par l'homme; c'est là l'un ,:
des voiles de l'oppression que l'étude des structures fonciè- ~i
res nous permettra de lever.
1
1.3. Les régimes fonciers.
Le droit coutumier constitue aujourd'hui encore
l'essentiel du droit foncier en Afrique et au SAHEL, tout au
moins en pratique. L'étude de ce régime foncier,
reflet de
l'organisation socio-politique,
revêt donc une importance par-Ii,
ticulière,
parce que nous sommes à cette époque dans des so-
ciétés essentiellement paysannes mais aussi parce qu'aujour-
d'hui encore,
la connaissance de ce régime est indispensable
pour résoudre au mieux les problèmes agricoles et alimentai-
res au SAHEL.
Cette analyse nous permettra,
nous l'espérons,
d'éclairer les rapports entre l'homme et la terre qu'il "pos-
sède" ou qu'il "exploite". L'importance phénoménale que prend

.. 89 -
la terre lui a valu semble-t-il la sacralisation. Ce carac-
tère quasi mystique qui met celle-ci hors de portée du pou-
voir de possession de l'homme, que recouvre-t-il exactement?
Dans un tel contexte, comment s'effectue l'organisation du
travail agricole ? Pour traiter de toutes ces questions en
profondeur, nous avons choisi le plan suivant
AI Les caractéristiques des droits fonciers.
BI Les structures et organisation du travail agricole.
Les grands principes du droit foncier sahélien sont 1
de plus en plus connus de tous. Dans cette étude, il sera in- i1
téressant de fixer la détention des droits fonciers sur des
1
!
catégories sociales précises. Dépouillé de son voile idéolo-
!
gique,
le levier de la propriété doit paraître étincelant, ma-,
nipulé par des forces sociales aux contours assez nets. La
ii
propriété foncière connaît plusieurs grands
responsables qui
ont comme nom le chef de terre en dessous duquel se trouvent
les chefs de lignages, etc ••. Ceux-ci ne bénéficient-ils pas 1
f
des véritables droits de propriété ? Est-il vrai que personne !
II.
n'est exclu du droit à la terre? Pour étudier ces questions,
1
nous avons subdivisé notre analyse en deux parties
r
!
1° - La terre "propriété de Dieu" ?

Les droits individuels et collectifs.
1 ° )'~!:~_!:~~~~_:E~~E~i~!:~_~~_.E..i~_~~_l : Dans une so-
ciété où la croyance quasi mystique de Dieu créateur de l'u-
nivers se confond avec les vérités d'évidence, dire que la

-
90 -
terre est propriété de Dieu, c'est énoncer un truisme. Dans
les sociétés sahéliennes,
la question prend des formes plus
complexes car la terre appartient à Dieu, nonobstant la sou-
veraineté et les droits exclusifs de la part d'entité à lar-
ge base démographique : lignage, village, groupement à carac-
tère politique. Quelle signification peut donc prendre une
telle propriété abstraite ? En perçant le voile religieux,
peut-on attribuer la propriété à des groupes sociaux? C'est
ce que nous révélera l'analyse de ces deux parties: a) la
terre est "inaliénable" et accessible à tous, b) la terre
"propriété"
du lignage.
a) La terre est "inaliénable" et accessible à tous:
La terre est pour certains auteurs, une entité sou-
veraine (c'est-à-dire qui se suffit en elle-même), c'est pour-
quoi elle n'est ni appréciable ni aliénable.
Cette citation
de K. M'BAYE suffira pour nous convaincre :
"La terre est insusceptible d'appropriation. Les lois
de la cosmogonie africaine n'admettent cette appro-
priation pour aucun élément (ciel, air et mer) qui
ont servi à la création de l'univers et qui le sou-
tiennent. La terre étant à Dieu, aux Dieux et aux an-
cêtres, aucun être humain ne peut se l'approprier car
se serait commettre un acte réservé à la Divinité"(l).
Dire que la terre appartient à Dieu, traduit le
semblant de flou qui entoure la propriété foncière, mais sur-
tout sanctionne idéologiquement la dilution et l'atomicité du
1.
Keba M'BAYE, cité dans l'introduction de l'ouvrage:
"Le droit de la terre en Afrique (au Sud du Sahara)"-,
de l'Association internationale des Sciences Juridiques.,
Paris 1971.

- 91 -
droit de propriété foncière qUl semble n'être l'apanage d'au-
cun groupe social. En effet,
i l n' y a pas une "absence géné-
raIe de droits absolus et exclusifs". En réalité, s ' i l est
vrai qu'aucun individu (homo oeconomicus) ne peut s'aliéner
la terre,
i l est exagéré de prétendre que les terres en Afri-
que n'ont pas de propriétaire.
"N'importe qui ne peut pas se présenter n'importe où et
exiger sa part de terre"
(1).
si nous considérons le système à auréoles,
dominant au SAHEL,
i l faut distinguer entre les "champs de village" et les "champ~
de brousse". Les premiers,
zones de cultures intensives baséesl
1
sur la fumure,
font l'objet d'appropriation privative (ligna- !
gel en raison même des quantités additionnelles de travail qui~
sont incorporées dans ces champs. Là "droits d'appropriation
,
(2 )
;
et droits d'usage (tendent) a se confondre"
. En Haute-VoltaI
[
chez les Bwa, 98 % des Boni (jardins) sont aux mains de ceux
qui ont un droit de faire-valoir.
si nous examinons les champs~r
de brousse,
i l faut également sérier les zones de "techniques 1
,.
actives" et de "techniques passives". Les zones de "techniquesl
f
actives", en raison des quantités de travail incorporées, sont[,
à rapprocher des "champs de village". Reste bien entendu les
zones des "techniques passives" où le mode de culture itiné-
rante prédomine. Là,
l'abandon des anciennes terres,
en raisonl
des
jachères de longue période,
fait que celles-ci circulent
et peuvent passer d'un lignage à un autre, mais seulement à
1.
R.
SAUTTER, op.cit, p.145.
2.
R.
SAUTTER, op.cit,
p.143.

-
92 -
titre temporaire. A Boom-Le-Grand (Tchad),
la brousse est ré-
partie entre divers "maîtres de terre" aux domaines "reconnus
de tous". La possession de ces lieux se transmet héréditaire-
ment. Cependant, chaque villageois prend là où il le désire,
la place qu'il veut emblaver. Après la culture,
la terre re-
tombe dans le patrimoine commun. Mieux, au Sénégal,
il existe
des droits de souveraineté sur la terre qui permettent à cer-
tains membres de la communauté, de percevoir des redevances.
"Ces droits "dits assaka" dans plusieurs régions (droits
de redevance) sont en principe payés en prestation ou
en nature ••• Dans presque toutes les coutumes sénéga-
laises,
l'assaka équivaut au l/lOème de la récolte an-
nuelle"
(1).
En contrepartie de l'assaka,
ceux qui cultivènt la
terre ont un "droit de culture" qui leur permet de travailler
la terre et d'en tirer tous les fruits à leur profit. En con-
clusion, on peut affirmer qu'il n'y a pas propriété au sens
romain du terme, c'est-à-dire une propriété privée individuel-
le, mais une "souveraineté" qui s'apparente à une propriété
des sols au profit des lignages.
"Sur le plan temporel et spatial,
la terre lignagère se
réfère à l'occupation du sol par les générations passées
présentes et à venir ; elle est à la fois la terre occu-
pée par l'ancêtre fondateur du lignage,
la terre des
1.
Keba M'BAYE: "Le ré ime des terres au Séné al",
ln :"Le
droit de la terre en Afrlque
au Sud du Sahara)",- ParIS,
1971, p.137 - Association Internationale des Sciences Ju-
ridiques.

-
93 -
membres qui l'occupent actuellement et enfin la terre
qu'occuperont ses descendants à naître" (1).
Les terres mises en valeur sont exploitées par les
membres vivants du lignage ; au surplus,
le lignage conserve
des terres de réserve pour les générations futures.
Ces ter-
res en friche font partie intégrante de l'espace lignager que
délimite ici un marigot,
là quelques pierres plantées ou en-
core un arbre. La terre lignagère recouvre donc un concept
juridique précis. C'est une terre sur laquelle le lignage pos-
sède une souveraineté exclusive, car elle se transmet à l'in-
térieur de celui-ci,
et est intrasmissible à l'extérieur.
Lorsque la pression
communautaire devient excesslve,
la ter-
re périodiquement, est redistribuée entre ses membres pour
assurer une mise en valeur optimale ou encore revient, après
i
le décès de l'un de ses membres,
au lignage qui l'affecte alor!
à ceux d'entre eux qui en sont dépourvus. Dans les populationsl
!
où le droit foncier est plus personnalisé,
la terre fait l'ob-[
jet d'une transmission aux proches parents du défunt. Héritée 1
'ici par ses frères cadets, elle ne passe à la génération des
fils qu'après extinction de la génération des pères; là
i
transmise de père en fils tantôt partagée également entre eux,!
1
elle s'attribue prioritairement ou pour une grande part à l'U~
d'entre eux. Les filles ne bénéficient pas en principe de~'sa
l
f
transmission, car la terre ne doit pas sortir du cercle du li1
r
r
f
1.
R. VERDIER: "L'ancien droit et le nouveau droit foncier ~I,
de l'Afrique NOlre face au développement", dans :"le droi_
de la terre en Afrigue (au Sud du Sahara)~,op.cit, p.72.
,
i
i
1

-
94 -
gnage.
En tant qu'épouse.
la femme détient un champ person-
nel pour subvenir aux besoins de son foyer dans le lignage
de son mari. Une exception doit être faite pour les "champs
de brousse" qui circulent dans certaines limites entre les
différents lignages.
Cette circulation se fait principale-
ment de deux façons
:
- Sous une forme facilement observable èt tradi-
tionnelle dans le cadre de l'agriculture itinérante. par
l'ouverture quasi-permanente de terres nouvelles résultant
de l'abandon des anciennes. ou encore en raison des jachè-
res de longue période.
- Sous une forme plus subtile. mais cependant fon-
damentale par la pratique de la "mise en gage". aspect pres-
qu'ignoré du colonisateur français.
Certains auteurs français en ont parlé en terme
prosaïque de "dette infinie". Forme évidente de transfert de
droit sur la terre. celle-ci doit être mise directement en
rapport avec les relations de dépendance interpersonnelles
et interlignagères. Le droit à la terre peut changer de main
par le gage. Cette mise en gage des terres joue un rôle ré-
gulateur en les faisant circuler par des échanges codifiés
de services, qui traduisent l'adap~ation continuelle de la
demande aux besoins.
Il ne faut pas confondre cet acte de ga-
ge avec la vente des terres,
car i l s'agit d'un échange de
prestation (don et contre don) qui lie les deux parties aus-
si longtemps qu'existe entre elles cet engagement. Une dif-

-
95 -
férence majeure avec la vente à l'occidentale ou même l'hy-
pothèque ou
la
rente, c'est l'absence totale de limitation
de durée: l'opération n'est jamais limitée par avance. Ce-
lui qui gage une terre, conserve en principe le droit de la
récupérer, de même que ses descendants. Le bénéficiaire du
gage ne dispose en revanche pas du pouvoir d'exiger le rem-
boursement de la dette contractée. Ainsi donc,
le gageur et
le gagé demeurent liés et sont appelés à le rester, le cas
échéant, par-dessus des régénérations. On est en rupture to-
tale avec le concept de vente, où le nouveau propriétaire
n'a plus rien de commun avec l'ancien. On se trouve au coeur
des liens d'interdépendance personnelle complexe, et qui du-
rent quelquefois très longtemps.
En conclusion,
le principe de "l'exo-intransmissi-
bilité" qui est incompatible avec les prêts ou les locations
des terres,
s'oppose à la cession définitive à des étrangers
au lignage, à moins que les responsables du lignage s'accor-
dent pour accepter un tel transferf ; mais ce contrat tacite
est alors assorti d'une clause de rétrocession. L'intégration
d'un étranger au lignage est souvent précédé d'un don de ter-
re de la part du lignage qUl offre l'hospitalité.
L'analyse qui précède vient de souligner que la
terre,
loin d'appartenir à Dieu, fait l'objet d'appropria-
tion par des communautés assez larges d'hommes. Quelle place
dans ce contexte est faite aux droits individuels ? Les droits
collectifs laissent-ils un peu de place aux droits indivi-
duels ?

- 96 -
2°) Les droits individuels et collectifs: l'exa-
men du régime foncier tel que nous l'avons présenté, axé sur
la propriété collective, refoule impitoyablement les droits
individuels dans le musée des oubliettes. Il nous faut à pré-
sent nuancer ce jugement. Peut-on en effet soutenir que les
droits individuels n'existent pas en Afrique, notamment au
SAHEL ? La réponse à cette question nous sera fournie par
l'étude des deux parties suivantes:
AI Les droits collectifs.
BI Les droits individuels.
AI Les droits collectifs :
Les droits collectifs priment nettement les droits
individuels. Ils recouvrent le finage,
le droit des~lignages
et ceux du chef de terre.
Nous nous sommes déjà penchés sur l'étude du finage
et les droits du lignage, nous nous contenterons ici d'évo=
quer certains aspects. Au SAHEL,
les droits collectifs (fina-
ge et ceux du lignage),
reflets des structures politiques,
sont des droits inégaux. Tous les lignages n'ont pas les mê-
mes droits.
En principe,
l'ordre d'arrivée est essentiel dans
la primauté des droits fonciers,
cependant, d'autres critères
(étendue du lignage) peuvent modifier la répartition initiale.
Le lignage exerce un contrôle sur l'utilisation des terres.
L'enquête agricole de 1960 au Mali montre l'importance de ces

-
97 -
droits collectifs : chez les Malinké,
les champs collectifs
recouvrent 62 % de la surface cultivée totale. Chez les Bam-
bara,
la proportion atteint 75 %. Cette importance peut être
perçue à travers le rôle du chef de terre.
:*: Le chef de terre
:
----------------~ ,
"On mesure alors toute l'importance de cette fonction
de chef de terre, médiateur entre la communauté des
vivants visibles et invisibles,
en qui convergent tou-
tes les forces de vie, humaines et naturelles et en
qui la communauté villageoise trouve son unité et sa
solidari té"
(1).
En fait,
le chef de terre gère la terre pour le
compte de la collectivité.
Il attribue à des mandataires des
droits parmi lesquels figurent celui de l'utilisation du sol.
Représentant du premier occupant ou de son rempla-
çant (parfois nouvel arrivant qui a fait alliance avec lui),
le chef de terre est à la fois un prêtre et un homme politi-
que.
Il est en même temps le chef politique lorsque le grou-
pe, premièrement installé, demeure le groupe dominant. Il se
distingue du chef politique quand un groupe envahisseur, est
venu se superposer au groupe autochtone, en prenant la direc-
tian politique des affaires,
et quelquefois le contrôle de la
répartition des terres. Même si le chef conquérant s'arroge
i
des privilèges fonciers
(prestation en nature et en travail .• )l1>
i l reste généralement solidaire du représentant du groupe le
plus anciennement installé, dès lors cantonné dans sa fonc-
1.
R. VERDIER, op.cit, p.74.

-
98 -
tion de prêtre de la terre,
chargé d'accomplir, au moment
des semailles et des récoltes, des offrandes et des sacri-
fices aux esprits garants de la fécondité du sol. Etroite-
ment lié à sa communauté, le chef de terre représente véri-
tablement les aspirations de celle-ci et se cantonne à son
rôle de gestion. L'évolution peut conduire le chef de terre
progressivement à s'éloigner de celle-ci pour se transfor-
mer en maître incontesté ; dans ce cas,
les droits collec-
tifs qui lui étaient confiés,
se transforment parallèlement
en droits individuels; on s'achemine alors lentement vers
les féodalités occidentales.
Il convient de retenir néan-
moins qu'en Afrique comme au SAHEL,
l'évolution n'a jamais
été aussi loin pour permettre aux chefs politiques du royau-
me de s'ériger en maîtres incontestés du sol.
BI Les droits individuels
Ils représentent une infime-portion des droits qui
prévalent au SAHEL. Cependant,
l'individualisation est allée
se renforçant avec l'évolution. Trois genres de droits peu-
vent être retenus : celui des membres de chaque lignage, ce-
lui des femmes et enfin celui des étrangers.
* ~~_~E~~~_~~~_~~eE~~_~~_~!~~~~~ :
Les chefs de lignage distribuent aux membres du li-
gnage, des droits d'usage et de culture maisjamà.:fs de proprié-
té.
Ce qui fait qu'on trouve,
à côté des champs collectifs,
des champs individuels.
Ces droits en général, apparaissent
très limités mais moins que ceux des femmes.

-
99 -
* Le droit des femmes :
La jeune fille n'a généralement aucun droit. Son
exclusion du droit à la propriété s'explique par le fait que
la terre doit demeurer dans le cercle fermé du lignage. Ma-
riée,
elle peut avoir droit à un champ individuel dans le
lignage de son mari.
Ils n'ont aucun droit a priori
mais la pratique
de la "mise à gage" leur permet de bénéficier du droit d'u-
sage de la terre. Une conduite exemplaire peut leur permet-
tre de bénéficier des faveurs du lignage d'accueil, qui les
intègre à la communauté lignagère. Cependant, l'appropriation
individuelle et le contrôle du groupe ne se retrouvent pas
toujours. Le contrôle du groupe peut devenir flou et se ré-
duire à la perception d'une redevance qui se confond avec
l'impôt. S'effectue alors un glissement de la souveraineté
vers la propriété,
avec pour l'usager,
la possibilité de voir
son droit devenir quasi absolu.
Ce fonctionnement et la con-
solidation des droits sur le sol cultivable se manifestent
en particulier par deux signes
f
- Les droits de culture s'appliquent sur des
r
terrains parcellisés,
les limites des parcelles faisant cou-
1
ramment objet de litige.
1
1.
t
- Les terres apparaissent comme des "biens"
li
familiaux se transmettant de père en fils.
La qualité "d'hé-
ri tier" l'emporte sur celle de "membre de la communauté'(,.J;)-
1
i

-
100 -
gnagère.
"Selon les peuples,
le fractionnement se poursuit avec
les partages successoraux,
jusqu'à une véritable ato-
misation, susceptible de compromettre l'utilisation du
sol" (1).
Pour nous résumer, nous pouvons retenir la faible
individualisation qui caractérise la propriété dans le SAHEL
précolonial. La terre,
en réalité,
appartient aux différents
lignages qui acceptent l'arbitrage du chef de terre en cas
de litige.
En dernière analyse,
c'est le chef de terre qui
,
tranche l'authenticité d'un droit de propriété foncière.
En-
i
,
fin,
la primauté du droit collectif sur les droits individuel~
symbolise le caractère essentiel du régime foncier précolo-
1
,
1
1
nial. Quelle influence cet état de fait imprime-t-il aux stru9
tures et à l'organisation du travail agricole?
I. 3. B.
Le~ ~tE.u~t~r~s_ e!;. !' ~r9:a!2.i~a!;.i~n_d~ !;.r~.v~i!
~gE.ico!e :
Le panorama qu'offre le paysage agricole sahélien
fait apparaître l'appropriation collective comme l'aspect do-
minant du régime foncier.
Il s'agit maintenant de savoir si
t
j.
on retrouve ces caractéristiques dans les structures d'exploi~,
tation du sol et de travail ; ou plus précisément, les struc-
tures d'exploitation et de travail,
sont-elles le reflet des
structures foncières? L'étude de cette question nous permet-
tra d'étudier: 1) l'unité d'exploitation, 2) le travail au
bénéfice d'autrui.
1.
R. SAUTTER, op.cit, p.143.
1

-
101 -
10) ~:~~~~~_~:~~E~~~~~~~~E : l'unité d'exploita-
tion définit dans l'espace économique la cellule de base de
la production. Dans le domaine agricole, cette cellule de ba-
se comprend la taille des exploitations ainsi que le nombre
de personnes travaillant sur l'espace considéré.
Ainsi, nous avons deux parties: a) la taille des
exploitations, b) la répartition des tâches.
Les Sahéliens exploitent leurs champs en commun ou
encore de façon collective. On ne sera donc pas surpris de
constater que l'exploitation qui domine est l'exploitation
collective. La nouveauté c'est le type de cette exploitation
qui est une exploitation patriarcale. Elle est souvent insé-
parable d'un habitat individualisé qui se définit comme une
ferme enclose à l'intérieur d'un village ou encore, une énor-
me maison bloc.
Au Mali dans la Haute Vallée du Niger,
l'exploita-
tion malinké comprend en moyenne quatorze (14) personnes qui
mettent en valeur 8,53 ha(l).
Elle s'organise autour d'un
champ collectif ("foroba") géré par le patriarche. On y cul-
i
tive principalement des céréales destinées à assurer la ration!
alimentaire de base des membres de la famille,
les réserves
pour les semailles à venir et pour les divers tributs. Chaque
ménage dispose néanmoins de champs individuels, consacrés à
1.
R. SAUTTER, op.cit, p.157.

-
102 -
une production qui relève de l'autorité propre de celui-ci.
Chez les Serèr au Sénégal,
le paysage révèle la présence de
cellules ovales ou circulaires tantôt isolées, tantôt agglo-
mérées en unité villageoise.
Chaque cellule repr~sente un
"carré" ou "m'bind",
et correspond à une grande unité fami-
1ia1e réunissant 10 à 40 personnes. Chaque foyer
jouit de
son autonomie économique, ce qui se traduit par la posses-
sion d'un grenier. Mais des situations complexes sont plus
fréquentes ; dans ce cas,
le modèle ma1inké avec son champ
collectif cultivé en commun,
redevient la règle,
la référen-
ce. Ce champ est généralement celui de petit mil hâtif (champ
de pod), bordant les alentours immédiats du village, et cu1-
tivé chaque année de façon intensive (apport de fumure ani-
male). La récolte de ce champ conservée dans un grand grenier,
demeure sous le contrôle du "ya1 m'bind"
(patriarche)
jusqu'à
la saison suivante, vers le mois de Juillet pour que, durant
la "période de soudure", tout le monde mange à sa faim.
En
effet, c'est à cette période que le travail agricole exige
une bonne alimentation. Ce travail agricole prend lui aussi
des formes collectives,
et dont la répartition est loin d'êtrel
~
égalitaire.
A l'étude de cette question,
a déjà été consacrées
quelques pages dans l'étude des contradictions internes aux
sociétés sahéliennes? Nous n'insisterons donc pas outre mesu-
re sur cette question présentement. Le travail agricole est

-
103 -
réparti: selon le sexe ou encore suivant le groupe d'âge.
On dénombre trois répartitions, celle où le travail
;
est équilibré, celle où c'est l'homme qui effectue l'essentiell
du travail et celle où c'est la femme qui se charge de l'essen{,
tiel des tâches. Au SAHEL, on peut affirmer sans risque de se l
"
t
tromper, que c'est l'homme qui effectue l'essentiel des tachesf,,
agricoles. Ce travail a d'ailleurs quelquefois comme cadre lesl
groupes d'âges.
On doit distinguer dans ce cas, d'une part le tra-
.
i
vail entre les aînés et les cadets,
et d'autre part le travail!
t
collectif qui recoupe généralement les distinctions entre groul
pes d'âges.
Le travail entre aînés et cadets est un travail qUl
se fait au détriment des cadets. Les cadets travaillent géné-
ralement plus que les aînés, ce qui a fait écrire à MEILLAS-
saux que les aînés "exploitent les cadets". Nous aimerions
... t
ajouter cette réflexion: chaque cadet est promu au rang d'al-!
nés dans un avenir plus ou moins rapproché,
ce qui fait que
chaque cadet attend son heure pour récupérer ce qu'il fournit .,
en tant que cadet. C'est ce qui donne à ce système un fort ta~,
d'autorégulation ainsi qu'une large base sociale.
Les formes de travail collectif associent des per-
sonnes relevant d'exploitations agricoles différentes. Il exisj,

-
104 -
te plusieurs variétés de groupes de travail. Les plus soli-
des et les plus caractéristiques sont ceux regroupant les
jeunes gens qui ont été circoncis la même année. On peut
donc distinguer les groupes de travail spontanés et les
groupes de travail institutionnalisés qui impliquent res-
pectivement la participation volontaire, et la participa-
tion obligatoire des individus.
Il y a ainsi des groupes de
quartier, de village ou d'espace politique ou ethnique de
plus ou moins grande dimension. Ces groupes ont pour but de
permettre une plus grande productivité.
Ils sont également
l'expression d'une solidarité agissante car il n'y a pas de
contrepartie prévisible. Enfin,
ils permettent la réalisa-
tion de travaux d'intérêt collectif qu'un seul individu est
incapable d'effectuer. Tous les travaux que nous venons de
décrire, se situent dans le cadre d'une division naturelle
du travail ; voyons comment s'effectue la division sociale
du travail dans le cadre agricole.
2°) ~~_~E~~~!~_~~_~~~~~!~~_~~~~~E~!_~_~~~~E~~!~~:
tion : le travail agricole de certaines tribus
.
s'effectue généralement par des captifs. Les membres des cours!,
royales bénéficiaient également de ce travail gratuit.
a) Les esclaves et les serviteurs
:
- - - - - - - - - - - - - - -
"A travers toute l'Afrique musulmane,
le phénomène cons- ~
titué par la présence de nombreux esclaves (on parle
:
aujourd 'hui de captifs ou de "serviteurs"), représente
î
un élément essentiel du complexe agraire traditionnel"O!
1
!
1.
SAUTTER R., op.cit, p.168.

-
105 -
Chez les Songhays, ces esclaves s'appellent "bonia",
"bella" ches les Touaregs et "rimaïbe" chez les Peuls. Chez
certaines tribus Touaregs,
l'effectif des captifs dépasse 80 %
de la population globale.
Chez les Peuls du delta intérieur du
Niger,
près de 50 % sont en fait des rimaibé captifs, bons
pour les besognes d~mestiques et agricoles(l).
Quoique phénomène mlneur,
le sol fait l'objet d'ap-
propriation privative.
Le métayage a pris une importance dans la "zone la-
custre des épandages" nigériens.
Il s'agit de payer au pro-
priétaire la moitié des récoltes que l'utilisateur a obtenues.
Le propriétaire peut être un chef de famille,
un chef de vil-
lage,
etc •.. On pense que ce type de rapport s'est introduit
dans la boucle du Niger à la faveur de la pénétration de l'Is-
lam. Son importance serait en corrélation avec l'irrégularité
des crues du Niger
: alternances de séries de crues fortes et
faibles.
Le métayage serait alors le moyen utilisé pour ajus-
ter les besoins et les disponibilités des terres cultivables
quelles que soient les variations hydrauliques.
Dans la vallée du Sénégal, on rencontre deux caté-
gories essentielles de sols
: inondées et fertilisées par la
crue annuelle,
les terres de Oualo ne couvrent qu'une super-
ficie limitée surtout en amont.
Par contre,
les terres sableu-
1.
R. SAUTTER, op.cit, p.168.

-
106 -
ses riveraines sont,
elles, disponibles en quantit~ illimi-
tée.
L'étude de SAUTTER a montré que les terres du Oua-,
10 valorisées,
font l'objet d'une réglementation et d'une ré-
partition stricte et précise.
Il existe des "maîtres de ter-
res" qui n'exercent pas un droit personnel, mais qui gèrent
les terres au nom de leur lignage. Au droit de "maître de la
terre"
(Dyom Leydi) seconde celui du premier défricheur d'un
terrain et de ses descendants.
Ce droit permet à celui qui en
jouit (Dyom dyengol),
d'ensemencer et de récolter une parcel-
le : c'est uniquement un droit de culture.
Il est subordonné
au versement d'une série de redevances, dont deux demeurent
les plus connues: l'assakal, dixième partie de la récolte,
détournée de son but pour devenir une redevance foncière sans
plus ;
le tiotigou perçu par la maître de terre à la mort du
détenteur d'un ou de plusieurs champs. Le taux oscillait,
i l
y a quelques années entre 500 F et 200 F l'hectare. Jadis, le
paiement s'effectuait en nature.
j
Les détenteurs d'un droit de culture peuvent le met-!~
tre à la disposition de ceux qui n'ont pas de terre. La terre 1
1
n'est pas pr~tée mais louée. En effet, le contrat est toujoursl~­
limité,
et ne peut déboucher vers une occupation définitive dul

l
sol.
r
Les locations sont même fréquentes. Le versement le
moins onéreux représente un dixième (l/lOème) de la récolte.
Le plus onéreux qui a comme nom "rempetien" oblige l'utilisa-

-
107 -
teur à céder la moitié (~) de sa récolte. Près du quart (1/4)
des contrats sont de ce type.
"Au total,
les paYê.ans qui n'ont pas le privilège d'ap-
partenir à une famille possédante sont accablés de re-
devances lourdes et multiples"
(1).
SAUTTER en con~~~t que l'immigration toutscouleur à
Dak.ar est due à l'exister~= de ces droits privatifs.
~
-
;j
On peut ramassES les traits essentiels du régime
;j
foncier sahélien dans cetB= phrase : primauté des droits col-
lectifs sur les droits individuels. L'exploitation commune et
le travail collectif viennent compléter ce caractère qui donne
de ces sociétés, l'image de sociétés bénéficiant d'un fort po-
tentiel de solidarité et donc d'une stabilité inébranlable.
Mais notre étude a montré qu'à la lisière de ces sociétés for-
tement communautaires,
se développent avec vigueur et antici-
pation des rapports inégaux, des droits individuels qui sont
d'autant plus pernicieux que ce sont les "élites" qui en sont
les vecteurs. Cette étude a aussi confirmé une image des so-
ci étés sahéliennes qui nous est maintenant familière: l'ima-
ge que ces sociétés sont complexes et en pleine évolution. Une
autre occasion de tester cette idée nous est offerte par l'é-
tude du cas de la Haute-Volta.
1.
R. SAUTTER, op.cit, p.l73.

-
108 -
SECTION II
ETUDE DE CAS
LES STRUCTURES AGRAIRES EN HAUTE-
VOLTA.
Nous avons choisi l'étude des structures agraires
en Haute-Volta pour illustrer le fait que les sociétés afri-
caines sont des sociétés complexes, mais aussi, pour indiquer
le sens des mutations qui ont cours dans celles-ci à la pé-
riode précoloniale. Deux raisons ont guidé ce choix: l'une,
bibliographique,
et l'autre sûrement sentimentale. Dans la
bibliographie que nous avons eu le privilège de consulter,
seule l'étude des structures foncières en Haute-Volta nous a
paru digne d'intérêt. En effet,
plus que toutes les autres,
elle détaille et analyse en profondeur cette question.
Peut-
être aussi avons nous eu des difficultés à nous départir de
nos sentiments chauvins en nous laissant enfermer dans une bi-
bliographie à notre portée? C'est pourquoi,
la seconde rai-
son nous semble d'ordre sentimental.
Nous étudierons tour à
tour le système politique, puis les structures agraires et
foncières proprement dites.
I. LE SYSTEME POLITIQUE.
Ce qui frappe dans le domaine politique lorsqu'on
essaie d'établir un diagnostic de la situation en Haute-Volta
précoloniale:~ c'est la diversité des types d'organisations.
Un effort de synthèse permet de les regrouper et de retenir
trois catégories principales d'organisations politiques : le
"système segmentaire",
la "chefferie héréditaire", le "royau-
me" •

-
109 -
1.1. Le "système segmentaire" ou le stade suprême de la "dé-
mocratie clanique".
Dans ce système que BOUTILLIER appelle de type 1,
l'organisation politique est fondée sur la juxtaposition et
l'équilibre des lignages. A l'état pur, ce système se retrou-
ve chez les Bwa, Lobi et Dagari ; c'est probablement celui
qui prévalait au niveau du fond autochtone des populations
voltaïques,
et que l'on retrouve dans les types 2 et 3
(cf.
infra),
superposé à des formes d'organisations centralisées.
Dans un tel système,
l'organisation en lignages et surtout
l'égalité entre les différents lignages, montrent bien que
nous sommes en démocratie clanique. Mais l'existence d'un
chef de terre ou chef de village appartenant toujours au même 1
lignage (hérédité),
indique que l'élément qui permet le dépas-i1
sement de cette organisation sociale,
existe en son sein.
C'est
!
en effet au segment de lignage, à la généalogie la plus pro-
,
fonde,
auquel a appartenu le fondateur du village, que revient 1
t
la chefferie du village (il faut souligner que dans ce systè- 1
l
me,
le chef de village et le chef de terre sont généralement
~'
~
confondus) •
f
~
1.2. La "chefferie héréditaire", organisation de type 2.
C'est une organisation à pouvoir centralisé, mais
~
f
"'''
..{
n'englobant que de faibles populations,
groupes ou confedera- r
i
1
tians de villages.
Elle se double quelquefois d'un système de i
,
1
type 1. Elle se rencontre chez les Gourounsi qui se presentent!
!

-
110 -
comme une mosaïque de petites fédérations,
et se traduit par
une double hiérarchie de chefs politiques et de chefs de ter-
re. Dans ce système,
la chefferie héréditaire est consolidée.
La différenciation sociale, quoique faible,
s'accentue avec
la production permanente du surplus.
I.3. Les "royaumes" ou organisations de type 3.
Là aussi,
le pouvoir est centralisé, mais cette
fois la centralisation engendre plutôt des "royaumes" tels
qu'on en rencontre en
pays Mossi
(Yatenga et Ouagadougou) et
en pays Gournantché (le Noungou de Fada N'Gourma) par exemple,
selon l'étude de J.L. BOUTILLIER.
Ces systèmes résultent de la conquête du centre et
de l'Est de la Haute-Volta par des immigrants Dagomba, proba-
blement entre le XII ème et le XVème siècle.
Bien que le sys-
tème de ces groupes ne diffère probablement pas de celui des
groupes autochtones soumis par la conquête militaire,
l'im-
plantation d'une organisation administrative centralisée, a
profondément modifié le paysage social de ces régions. Parta-
gée en royaumes, cantons, villages, chacune de ces unités a à
sa tête un membre des lignages royaux (Naba)
; l'organisation 1
,
à base de parenté s'est très vite transformée en une organisa-!
tion à base pOlitico-adminIStrative, ayant certains caractèresl
[
féodaux.
!
La première forme,
celle de l'
"organisation seg-
mentaire", qui se retrouve,
ne serait qu'à l'état de vestige

-
III -
dans presque tous les systèmes politiques, est caractérisée
par l'existence d'un chef de terre représentant le plus an-
cien lignage. Son droit éminent n'est concurrencé ou dominé
que dans les types 2 et 3.
Dans ce dernier type,
le surplus permet d'entrete-
nir un Etat (armée, administration,
etc .•• ).
"Les divers types d'organisations politiques semblent
ains11 correspondre à des différences dans la réparti-
tion des droits fonciers
: de façon générale, le type
3, à pouvoir centralisé, comporte une inégalité plus
grande dans la répartition de ces droits. C'est là un
i
point très délicat à établir dans la mesure 04 en Hau-
1
te-Volta,
les types d'organisations 1 et 2 ne se trou-
1
vent que dans les régions à faible densité,
inférieure
à vingt habitants au kilomètre carré, où la terre n'est:
pas rare en termes économiques" (1).
!
,
,t
!
Nous ajouterons que la propriété n'est pas un phé-
i
[
nomène économique stricto sensu, mais relève plutôt du droit. 11
Elle est la sanction "légale" de la distribution. En effet
i
!,
1
"Loi et droit supposent la propriété dans la pleine ac-
1
ception du terme, c'est-à-dire,
la sanction juridique
d'une distribution antagonique des biens,
l'éviction
d'une partie de la population de l'accès aux richesses
qu'ils produisent: ils supposent également l'Etat et
l'imposition de règles d'organisation étatique, toutes
choses qui font défaut dans la société primitive" (2).
Plus loin,
l'auteur ajoute
i
1
1
"cependant, les peuples d'agriculteurs préparent le sol, 1
le travaillent,
font pousser des récoltes. La terre,
dans une certaine mesure du moins, y est un produit du
1
t
1.
J.L. BüUTILLIER, dans: Revue Etudes VOltaïques.,
"Les
1
structures foncières en Haute-Volta", Edition République
1
de HautE!-Volta. Centre IFAN-üRSTüM, üuagadougo~.
.
' 1
2.
Pierre ~ESSAIGNET : "Principe de l'ethnologie economlque",f
Paris., 1966, p.112.
,
i
!
,

-
112 -
travail tout comme dans notre société ••• La propriété
du sol n'a de vraie raison d'être qu'à partir du moment
où le niveau de la production agricole s'étant suffi-
samment élevé,
i l devient possible de nourrir une popu-
lation plus nombreuse que celle qui y est directement
engagée" (1).
\\
r
L'étude de la propriété foncière en pays Mossi, nousf
permettra de mieux nous convaincre de cette idée.
C'est surtout dans les parties les plus peuplées
qu'une forte inégalité de répartition des droits fonciers,
se
constate au profit du chef de terre (Tengnaba) et du Naba.
si le chef de terre dispose de plus de terre que la
moyenne des cultivateurs, c'est en vertu de son rôle de ges-
tionnaire du terroir. Les terres vacantes et sans maître lui
reviennent
le patrimoine foncier par exemple, des lignages
éteints ou celui de groupes familiaux émigrés,
lui est confié
quitte à lui, de répartir au mieux les droits sur les terres
dans "l'intérêt" de la communauté.
En principe,
le Naba est comme tout autre cultiva-
teur,
i l doit passer par la Juridiction du "chef de terre",
en ce qui concerne la terre. Cependant, deux causes d'ailleurs!
~i
interdépendantes, semblent à l'origine d'une certaine accumu- 1
lation des droits fonciers aux mains des Nabas
: le pouvoir
,
politique leur a permis de se faire attribuer des patrimoi-
1.
Pierre BESSAIGNET : "Principes de l'ethnologie économi-
'lue".
Paris., 1966. Llbralrle générale de droit et de
Jurisprudence,
p.llS.

-
113 -
nes importants qu'ils ont pu mettre en valeur par la force
de la domination sur leurs sujets.
Peu à peu, au cours de
l'histoire,
ils se sont faits concéder les terrains dont ils
avaient besoin pour les devoirs de leur charge (réception
des hôtes,
hommages aux supérieurs,
cérémonies, expéditions
guerrières).
Vu les données culturales, c'est la force de tra-
vail qui demeurait le principal facteur de production ;
les
Nabas utilisaient, pour mettre en culture les importantes
superficies,
les prestations de services que leur permettait
leur charge : ils percevaient donc une rente de travail.
Ces
deux aspects de leur pouvoir
: octroi des terres et bénéfice
des prestations de services, sont à l'origine du glissement
de l'impérium au dominium proprietalis(l), qui se présentent
comme le premier stade de la féodalité.
Une enquête agricole de OUAHlGOUYA a montré qu'un
chef de village cultive en moyenne une superficie 2,2 fois
supérieure à celle d'un cultivateur ordinaire.
II.
LES STRUCTURES FONCIERES.
L'étude historique des structures foncières doit
être l'étude de la complexité et de la superposition de cel-
les-ci. L'étude de J.L.
BOUTILLIER permet de repérer trois
grands types d'exploitations suivant les critères suivants
1.
J.L.
BOUTILLER, op.cit, p.75.

-
114 -
habitat, types d'exploitations,
forme d'appropriation et rè-
gles de dévolution des terres.
Cette étude,
à notre sens, n'a
d'intérêt qu'à l'intérieur de la classe que nous avons appe-
l~e la paysannerie. Elle exclut les rapports entre les escla-
ves,
les paysans et les souverains dans le domaine agricole.
rLl. Type L
L'exploitation correspond à un segment de lignage
localisé où prédominent des formes d'exploitations collecti-
ves. L'habitat y est collectif,
le travail se fait en commun
sur les champs collectifs. Le groupe s'approprie une portion
du terroir;
la gestion de l'exploitation est l'apanage du
chef de ce groupe lignager, à qui sont dévolus les biens à la
mort de son prédécesseur.
Divers types peuvent dériver de celui-ci avec notam~!
ment,
l'appropriation de champs individuels. Mais la prédomi- l!
nance de la culture collective sur la culture individuelle es~t
manifeste.~
f
En Haute-Volta,
il se rencontre mais rarement comme 1
le type le plus répandu saUf à l'Ouest, dans certaines région~1
Bwa (canton de Solenso), et à l'Est dans le Gourmantché. Par
~
t
contre,
il semble inconnu dans la région Mossi (sauf peut-êtr~~'
dans certains groupes comme chez les forgerons) y compris cheJ
1
les Yarcés,
les Silmis en pays Peul ou encore chez les Lobis,
etc ...

- 115 -
Si on veut faire des comparaisons,
"on peut rapprocher ce système du système de la commu-
nauté taisible, famille gentilice, groupant des famil-
,
les matrimoniales dans un foyer et sur une exploitation t
commune, disparu dans le massif central au cours du siè-!
cIe dernier et qui achève à peine de mourir dans les
!
Balkans _ (Zadruga )"
(1).
l
"La Zadruga est un groupe de quelques familles vivant en f
général isolé des autres, en habitat dispersé. Les ter- 1
res se diviseraient en terres communales (opeinas) ap-
!
partenant à toutes les Zadrugas constituant la commune :[
terres communautaires (bastinas), domaine "inaliénabre
r
et sacré" de la Zadruga et les terres individuelles
f
(oschynak)
: les premières sont surtout des pâturages
1
et des landes,
les dernières des vergers et jardins. La 1
moyenne partie des bastinas,
labourée, forme un terroir •
d'un seul tenant. Les oschynak plus dispersés mais en
r
général non clos, se définissent comme un certain nombrel
de sillons dans l'ensemble du territoire,
avec obliga-
r
tion d'assolement biennal. La Zadruga combinait,de fa-
!
çon originale, des méthodes individuelles et collecti-
!
ves"
(2).
1
!,
Dans la version voltaïque,
i l faut souligner le ca- 1
!
ractère plutôt religieux des fonctions du chef de terre et, au!,î
contraire,
l'importance des fonctions économiques du chef de
"famille".
II,2. Type 2.
C'est une exploitation où coexistent les formes COI-!
lectives et individuelles.
r
~
L'habitat est collectif,
le travail est fait en com-I
mun sur les champs collectifs. Le travail individuel ou par
!
ménage, se fait sur les champs individuels. L'appropriation
1.
J.L.
BOUTILLIER, op.cit, p.35.
2.
MEYNIER, cité par J.L.
BOUTILLIER, p.35.
1
;

-
116 -
reste collective pour une partie du terroir mais déjà,
la
différenciation des droits apparaît. Qu'il s'agisse des
champs collectifs ou des champs individuels,
l'appropria-
tion demeure collective. La gestion de l'exploitation est
partagée entre le chef de famille qui garde une certaine
prédominance et gère notamment la partie du domaine culti-
vé en commun, et les chefs de ménage qui gèrent leur propre
exploitation.
Diverses variantes de ce type peuvent se rencon-
trer suivant que l'accent est mis sur l'aspect collectif ou
l'aspect individuel de l'exploitation. Ce type se rencontre
dans la partie méridionale du pays, ethnies ou groupes dits
Gourounsi, dans la partie Sud (groupe Gouin, Sénoufou) dans
l'Ouest associé au type 1 (Bwa) ou plus pur (groupe Samo)
et aussi dans l'Est associé au type 1 (Gourma).
"Du point de vue du droit foncier,
si les terres, aussi
bien celles qui sont cultivées collectivement que cel-
les qui sont cultivées individuellement, restent pro-
priété collective du groupe familial,
il ne s'en pro-
duit pas moins une différenciation des droits.
Il ap-
paraît comme un renforcement des droits de l'individu
sur la parcelle qu'il cultive pour lui-même, et cela
d'autant plus que, dans ce type d'exploitation, ce sont
les champs aux abords des villages qui sont cultivés
individuellement et aussi de façon permanente •.• "(1).
Le renfo~~~At~du droit individuel dans ce second
type d'exploitation se traduit par : le droit de transmettre
le droit de culture de cette parcelle à ses héritiers directs,
1.
J.L. BOUTILLIER, op.cit, p.36.

-
117 -
sans passer par le chef de famille et parfois même dès son
vivant ;
le droit de prêter le droit de culture à un tiers
avec ou sans l'approbation du chef de famille.
Les conclusions à tirer de l'examen de ce deuxiè-
me type sont
:
-
la superposition des types l
et 2 implique que.
du point de vue de l'évolution historique. les vestiges du
type l
se retrouvent même lorsque le type 2 s'est imposé
comme système dominant.
L'existence du type 2 à l'état embryonnaire. dans
les régions où le "système segmentaire" est dominant tels que
celle du Lobi. du Bwa. du Dagari,
est la preuve de l'antério-
rité des structures économiques sur les superstructures poli-
tiques.
Ir. 3. Type 3.
Ici l'explOItation individualisée coïncide avec le
ménage mono ou polygame. L'habitat est individualisé.
le tra-
vail également par ménage sur les champs d'exploitation. Le
droit de culture individuelle sur la portion du terroir ap-
propriée par le lignage auquel appartient l'exploitation. La
gestion de l'exploitation est elle aussi individuelle. Les
liens économiques sont néanmoins tenus d'exister avec le chef
de famille.
L'entraide avec les autres exploitations du même
lignage. à l'occasion de certains travaux. est une autre sour-I
ce d'obligation.

-
118 -
Ce type se rencontre dans le Sud-Ouest : "rameau
Lobi", dans le Nord, groupement Peul et Touareg, mais sur-
tout,
i l est de très loin prépondérant au sein de la grande
masse Mossi.
"C'est ce type qui pose le plus de problèmes du point
de vue foncier,
et qui engendre le plus de conflits :
en effet,
i l y a comme une opposition entre les for-
mes collectives d'appropriation et les formes indivi-
dualisées d'exploitation, opposition qui n'existe pas
dans le type 1 et qui est médiatisée dans le type 2
par le rôle prépondérant du chef de famille dans l'ex-
ploitation, et neutralisée par la cohésion nécessaire
du groupe ..•
D'autre part,
ce type est certainement le plus sensi-
ble aux diverses forces évolutives, notamment celles
tendant a- 'effriter l'autorité traditionnelle au profit
d'un individualisme croissant dans la mesure en effet,
où ces forces viennent s'insérer au niveau de l'opposi-
tion structurale qui existe dans le système tradition-
nel,
elles peuvent se montrer plus efficaces" (1).
On peut retenir d'un point de vue essentiel, que
l'évolution de l'individualisme,
amorcée dans le type 1, et
qui se confirme dans le type 2,
est totalement épanouie dans
le type 3 avec l'exploitation individualisée. Apparaît alors
un agent économique jusqu'alors inconnu : "le ménage". Ce
phénomène apparaît surtout là où les terres sont rares et où
l'inégalité de leur répartition est la plus poignante,
rareté
qui a deux sources principales
: l'accaparement des terres
par les chefs de terre et les Naba ;
la croissance démogra-
phique due à la sécurité qui règne dans les Royaumes Mossi.
Mais cette évolution ne supprime pas totalement les
types 1 et 2,
là où le type 3 est dominant,
et de plus,
i l
1.
J. L.
BOUTILLIER, op.cit, pp.37-38.

-
119 -
faut percevoir que le type 3 est le plus intéressant du point
de vue de l'introduction du capitalisme en Haute-Volta.
II.4.
caractéristiques générales à tous les types (1,2,3).
Deux caractéristiques peuvent être retenues pour
les trois types
:
-
la quasi universa'llité de l'existence des "socié-
tés de culture", groupement pouvant aller de quelques person-
nes à quelques dizaines de personnes (hommes, femmes,
adultes,
enfants), se réunissant sur la base de la parenté ou du voisi-
nage pour travailler en commun,
une demi-journée ou une jour-
née sur le champ d'un cultivateur. Ce travail, accompli au
rythme d'instruments de musique et dans une certaine atmosphè-
re de fête,
n'est généralement pas rémunéré en argent,
les
travailleurs étant nourris de façon exceptionnelle, c'est-à-
dire,
avec de la viande. Fréquemment constituée, sur la base
de la réciprocité,
la société de culture va tour à tour tra-
vailler chez chacun des associés.
Ce travail journalier permet de rattraper ou de ga-
gner plusieurs journées de travail.
- Les systèmes économiques traditionnels africains
"
~
",
combinent très étroitement une vie sociale, par bien des cotes,!
communautaire, et une vie économique où chaque unité de pro-
duction est fortement individualisée. Deux exemples, qui ne
i
sont d'ailleurs pas limitatifs, nous convaincrons que ces con-!
clusions peuvent être étendues au reste du SAHEL.

-
120 ~
Dans une étude sur les formations socio-politiques
anciennes en pays Bambara, J.
BAZIN distingue, dans le royau-
me de Ségou, deux modalités d'organisation distinctes :
"un'type d'organisation communautaire et relativement
égalitaire. Les unités lignagères et villageoises for-
ment des réseaux complexes,
auxquels liens de parenté,
alliances matrimoniales, coopération et échanges éco-
nomiques, coopération religieuse, procurent une certai-
ne cohésion •..
Un type d'organisation inégalitaire et aristocratique,!
où les unités sont regroupées autour d'un centre de
prestations obligatoires.
Il y a formation d'institu~
tions pré-étatiques ou étatiques, étroitement liées à
une organisation militaire à caractère offensif" (1).
,
Au terme de cette analyse sur les structures fon-
cières et socio-politiques au SAHEL, quels éléments pouvons-
nous retenir ?
1° - Le SAHEL précolonial, théâtre d'une riche ci-
vilisation, où se sont épanouis les plus grands Empires afri-
cains, se caractérisait par des structures complexes : autour
de ces grands Empires, gravitaient en effet une mosaïque de
sociétés moins évoluées et sous leur influence. A la veille
de la colonisation,
le SAHEL est donc un complexe de structure
plus ou moins dominées et plus ou moins influencées par les
grands Empires.
2° - L'arriération des forces productives ou encore
la faiblesse des capacités productives,
les rapports de pro~
duction préféodaux et féodaux,
engendrent un surplus agricole
composé essentiellement de valeurs d'usage. Cette caractéris-.
tique du surplus détermine une accumulation quasi nulle ou en-
core ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui une croissance
zéro. Cet état quasi stationnaire de l'époque précoloniale de-
,
meure un des traits marquants de cette période mais aussi une·
des limites majeures de l'économie précoloniale. En effet, les
1.
J. BAZIN, "Recherches sur les formations socio-pOlitigues
anciennes en pays Bambara".
Etudes Maliennes, nOl.,
1970~

-
121 -
économies du SAHEL précolonial présentaient pour l'essentiel
des caractéristiques d'économies naturelles et de subsistan-
ce, c'est-à-dire des économies dont la production est tendan-
ciellement stagnante et consacrant peu de leur production à
l'échange.
3° - Une division du travail était née au SAHEL,
avec un artisanat florissant
les Sahéliens savaient tra-
vailler le bronze, le fer et l'or, tisser l'étoffe, confec-
tionne~ Ides habits brodés, etc
La production de ces ar-
tisans s'exportait même au-delà des frontières du SAHEL.
Une division géographique du travail était égale-
ment apparue permettant des échanges entre les régions ali-
mentaires excédentaires et déficitaires.
4° - Le SAHEL précolonial est donc l'arène d'une
stratification sociale dont le point culminant est la divi-
sion en classes ou/et en couches sociales : société divisée
essentiellement en hommes et femmes,
en jeunes et vieux, en
"démocratie clanique", elle connaît progressivement l'intro-
duction des métiers avant de se scinder en classes, paysans,
artisans et esclaves d'une part, aristocratie ou chefferie
d'autre part; mais contrairement à l'Europe, au Moyen-orient
et à l'Orient,
la lutte de classes qui s'y développe est at-
ténuée du fait de la faible introduction de la monnaie dans
l'économie paysanne dominante.
5° - L'exploitation des esclaves et des paysans
est caractérisée principalement par une rente en natureITtri-
but ou prestation versé au souverain) ou une rente en travail
(travail de quelques jours sur le champ du chef de village et
de ses ministres et fonctionnaires).
Dans ce contexte, Comment peut être posé le pro~lè~

-
122 -
me de l'autosuffisance alimentaire?
Comme l'analyse l'a révélé,
la production était
suffisante pour nourrir les producteurs et les non produc-
teurs.
Il est donc évident que si nous considérons le pro-
blème d'un point de vue général,
nous pouvons conclure que
l'autosuffisance était réalisée. Mais ce n'est là qu'un
point de vue superficiel,
car i l a été précisé que la pro-
duction des esclaves leur permet seulement de couvrir le
minimum vital,
une fois la rente versée au souverain.
Les paysans vivent en économie d'autosubsistance,
mais ils doivent verser également un tribut au souverain,
ce qui rend la réalisation de l'autosuffisance plus que pré-
caire.
Quant à l'aristocratie, elle ne participe pas di-
rectement à la production, mais elle vit d'une rente en tra-
vail et en nature. Sa consommation, même si elle plafonne
rapidement parce que dans l'économie,
c'est la valeur d'usa-
ge qui prédomine,
reste supérieure à celle des paysans et
des esclaves ;
on peut donc penser que la réalisation de
l'autosuffisance alimentaire est relativement aisée pour el-
le.
Somme toute, si d'un point de vue de la production,
les producteurs réalisent une production suffisante pour tous,
l'exploitation qui existe dans les sociétés sahéliennes empê-
che la réalisation de l'autosuffisance qui reste uri:phénomène
1
précaire, vue sous l'angle de la consommation et pour la popu-!

-
123 -
lation dans sa grande majorité.
L'examen quantitatif de la production et de la ré-
partition dans le SAHEL précolonial, donne une vue part~lle
de la question de l'autosuffisance alimentaire. Cette vue
unilatérale peut engendrer une fausse idée de l'opulence si
on se contente d'examiner les agrégats de la production, de
f,
la consommation, etc ••• Une vision globalement irréprochable,~
passe par l'étude du volet qualitatif, c'est-à-dire,> œl~~\\':1
Î
des plantes, de leurs valéurs nutritiv~, etc •.•
SECTION III
: LES PLANTES ALIMENTAIRES.
Un agriculteur qui mérite ce nom ne jette jamais
t
son grain n'importe où et dans n'importe quelle condition.
Il r
i
sait, par expérience ou pour l'avoir étudié, adapter les Plan-I
,
tes aux sols ambiants mais aUSSl au climat. Dire que les plan-!
tes font partie du paysage agraire, c'est donc énonae~ une la-l
palissade ; par contre, établir une correspondance solide en-
tre les plantes, le milieu et les structures agraires, n'est
i
pas à la portée du commun des mortels. Une plante qui ne tro~
ve pas son terrain d'élection, devient avare et exigeante vis-r
t
f
à-vis du cultivateur qui doit se surpasser et effectuer plus
de travail, pour obtenir un résultat pas toujours satisfai-
i
sant. L'étude des plantes alimentaires sahéliennes revêt donc ~
une importance capitale si on ambitionne d'obtenir des indica-[
tions sur leur capacité à freiner ou à défavoriser la réalisa-[,1
tion de l'autosuffisance alimentaire. Les graines qu'elles of-l

-
124 -
frent sont-elles suffisamment abondantes pour nourrir les
hommes, ou encore suffisamment riches pour donner tous les
éléments nutritifs à ceUx-ci ? Ne faut-il pas introduire de
nouvelles plantes plus performantes ? Les peuples sahéliens
connaissent-ils les techniques de conservation du grain ?
Autant de questions que l'examen des quatre sous-sections
qui vont suivre, nous permettra de mieux cerner :
I l Les généralités.
III L'agronomie des plantes.
1111 Les caractéristiques physiques et chimiques.
Ivl Les grains dans l'alimentation humaine.
111.1. Les généralités.
Les plantes alimentaires qui constituent l'alimen-
tation de base au SAHEL, sont sans conteste les céréales (mil
et sorgho). R. SCHNELL(l) donne des aliments de base, la dé-
;
finition suivante : les aliments de base sont ceux qui four-
1
1
f
nissent la quasi totalité de la ration énergétique. A côté de i~
ceux-ci, cohabitent les aliments d'accompagnement qui, adjointl
i
aux précédents, fournissent les autres éléments de la ration
(sels minéraux notamment) en même temps que les qualités gus- 1
~
tatives indispensables. Enfin,
i l existe les aliments d'apPoii
ou de disette, dont le rôle devient important en période de
i
soudure. Cette définition situe bien l'importance du mil et
;
1.
R. SCHNELL,
"Plantes alimentaires et vie a ricole en Afri-
que".
Paris., 1957.

-
125 -
du sorgho dans l'alimentation des Sahéliens. Mais, qu'est-ce
que le sorgho et qu'est-ce que le mil?
Ce sont des céréales qui ont été cultivées un peu
partout dans le monde avant d'élire domicile sur le continent
africain, notamment au SAHEL.
"Jusqu'aux XVlème et XVllème siècles, les mils et les
sorghos étaient d'usage courant en Europe méridionale
et centrale : Espagne, France, Allemagne,
Italie, Hon-
grie, Roumanie, Russie,
etc •.• "
(1).
Le sorgho viendrait du mot latin "surgo" qui signi-
fie s'élever, surgir. Cette origine est à rattacher, si l'on
ne s'abuse, à la taille que peut atteindre cette plante (3 a
4 mètres). Quant au milou millet,
i l tire son origine de
,
!
"milium". Les épis renferment un nombre impressionnant de graif!
nes, qui fait penser au nombre mille,
ce qui explique son nom. 1
i,!
Bo~aniquement, ces deux plantes appartiennent à la famille des!
i
graminées comme la plupart des céréales usuelles. Scientifi-
~
.
t
quement,
la classification des sorghos est plus faclle queceli
le des mils, qui ne correspondent pas tous à une même entité
botanique. Le mil correspond à un ensemble de graminées que
l'on groupe arbitrairement en raison de certaines ressemblan-
ces et points communs :
- Ce sont des plantes moins exigeantes que les sor-
ghos en ce qui concerne l'humidité. Ils supportent parfaite-
ment la sécheresse.
1.
Jean ADRIAN,
"Plantes alimentaires de l'Ouest Africain",
Paris., 1954.

-
126 -
- Les graines sont toujours de très petites tailles
mais varient beaucoup d'une espèce à une autre.
-
Enfin,
interviendront la fantaisie des coutumes
locales et des auteurs qui réunissent empiriquement diverses
céréales, attribuant le nom mil à des plantes diverses et par-r,
fois complètement étrangères aux graminées.
Pour certains,
le i,
fonio est considéré comme un mil(le fonio est une grarniriéi, t;t-f
répandue au Fauta Djallou).
f
L'étude de Jean ADRIAN,
qui ne sélectionne que les
catégories de "mils" couramment admises,
retient les variétés
f
suivantes : panicum, pennisetum,
setaria,
eleusine, paspa-alwm,,
Nous sommes~ti'avis avec lui que pour l'étude des aliments de
1
,
base,
i l convient de délimiter son champ d'investigation.
En
effet,
i l n'est pas question pour nous d'inclure le fonio par
exemple comme aliment de base dans tout le SAHEL. si cet ali-
ment est bien connu vers la région du Mali, en Haute-Volta au
,
i
centre et même au Sud,
les populations le connaissent tres peUj
• '" '" 1
ou quelquefois l'ignorent. Nous nous en tiendrons aux varleteS!
définies par J. ADRIAN,
qui nous paraissent répondre le mieux 1
à l'objet de notre étude.
Les plantes dont nous venons de parler ont pour la
plupart été domestiquées sur place. Le mil pénicillaire ou
mil chandelle, celui qu'on appelle dans l'Ouest africain le
petit mil (par opposition aux sorghos ou gros mils), certains
types de sorghos,
le riz (l'oryza glaberrima), qui représen-
tent un assortiment assez complet de céréales, ont été appri-

- 127 -
voisés en Afrique.
Par contre, très peu de tubercules sont
des plantes d'origine purement africaine
une igname qui
porte plutôt un nom américain, dioscorea cayennensis, deux
espèces de coleus,
la "pomme de terre" africaine. Certaines
de ces plantes domestiquées en Afrique, ont aujourd'hui un
espace cultural disjoint, c'est-à-dire, qu'elles se rencon-
trent dans des régions éloignées les unes des autres, sépa-
rées par des intervalles où on ne les trouve absolument pas.
Ceci s'explique par une régression par rapport à une exten-
sion primitive beaucoup plus large,
C}~;œijlé~~en est l'exem-
pIe le plus frappant).
La régression est due au succès que
certaines plantes, venues d'ailleurs, ont eu auprès des agri-
culteurs africains.
Les plantes venues d'autres continents (Asie et
Amérique), qui se sont montrées supérieures à celles dont
disposaient les cultivateurs africains qui les ont vite adop-
tées. Mais en outre,
"leur succès tient en somme au caractère très ouvert,
évolutif, accueillant de ces derniers (cultivateurs
africains). Contrairement à d'autres,
ils ont toujours
refusé de se laisser enfermer une fois pour toute dans
le cercle de la tradition"
(1).
L'Asie a fourni une igname, dioscoréa alata ou igname ailée
(tige carrée). On lui doit aussi le bananier et le taro. Ces
apports asiatiques sont très anciens, leur entrée rencont-re'"
au moins au début de l'ère chrétienne, singulièrement pour le
1.
G. SAUTTER, op.cit, p.4.

-
128 -
bananier plantin (aliment de base dans une partie de la fo-
rêt équatoriale et dans l'Est africain). Les plantes venues
d'Amérique ont envahi l'Afrique à la suite de l'expédltion
de Christophe COLOMB. Le maïs,
le manioc et l'arachide sont
des plantes d'origine américaine. L'adoption de ces plantes
est venue enrichir les connaissances agronomiques des culti-
vateurs sahéliens (plusieurs de ces nouvelles plantes sont
cultivées au SAHEL).
111.2. L'agronomie.
La bonne tenue des plantes dépend de l'agronomie
locale. Dans des conditions écologiques données,
les con-
naissances scientifiques humaines,
et l'outillage technique
dont l'homme dispose, déterminent essentiellement les condi-
tions de réussite d'une culture. L'intérêt de cette étude
sera de mettre en valeur les conditions naturelles suppor-
tées par ces plantes, et de montrer un aspect de l'action de
l'homme pour leur créer des conditions idéales.
III.2.1. Le~ ~.o~ditio~s_c!imati~u~s_:
Les mils et les sorghos supportent bien la chaleur.
Ils ne craignent pas non plus le froid.
Les mils poussent
jusqu'au 53ème parallèle, et les sorghos atteignent le 45ème.
Ils exigent les mêmes températures, pour germer, que le maïs.
Les pluies jouent un rôle beaucoup plus décisif que
la température dans la germination. Dans des conditions agro-
nomiques et techniques données,
les récoltes sont directement

-
129 -
proportionnelles aux précipitations annuelles. Les sorghos
demandent moins de pluies que les maïs, et les mils sont en-
core moins exigeants que les sorghos. L'examen de la carte de
l'Afrique laisse apparaître les régions à climat soudanais et
sahélien, dont les précipitations oscillent entre 1,4 et 0,4 m!(
comme les terres d'élection de ces plantes.
En dessous de 400
mm de pluies par an, on retrouve difficilement les traces de
la culture de mil.
Une étude faite au Niger confirme ces résultats :
à partir de l'isohyète 700 et en dessous,
le mil domine le
sorgho. La limite Nord de ces céréales pour ce pays, corres-
pond à l'isohyète 275. Dans les zones recevant 15 à 20 mm, on
note la présence du fonio.
C'est pourquoi, cette graminée se
classe parmi les aliments d'appoint ou de disette. Ses besoinsf
en eau sont toujours assurés même les années les plus arides.
r
L'étude d'ADRIAN indique que pour que ces plantes s'ép~nouis- i
sent au mieux,
les pluies doivent s'étaler sur deux à trois
!
mois,
avec un maximum de précipitation au mois de Septembre.
Tout
juste après les semailles,
i l faut une certaine quantité
d'eau pour aider la plante à germer et à sortir de terre. Ce
~
stade passé,
la sécheresse est moins à redouter et les chances 1
,,
~
sont immenses pour que le cultivateur s'adjuge une recolte sa-!
1:
f,
tisfaisante. A contrario,
si les semailles sont suivies d'une 1
1
période aride,
la plantule crèvera, et le cultivateur devra
reprendre son travail au début. Quelquefois, quatre à cinq
essais sont iiidispensables avant de prendre un "bon départ".
La période des pluies qui peut arriver au bout du dernier es-

-
130 -
sai, vient couronner le succès de l'opération.
Il n'est donc
pas rare que dans ces conditions,
les récoltes soient moyen-
nes ou même faibles.
La pluviométrie étant aléatoire,
les ré-
coItes le sont également. C'est la preuve que l'homme n'a pas
encore totalement domestiqué la nature et ses lois. Maîtrise-
t-il mieux les lois des~s0is-?

_o.
".
III.2.2. Les sols et la fumure:
- - - - - - - - -
En étudiant les techniques agricoles, nous avons
indiqué que la fumure existait dans les limites des "champs
de village" et de quelques "champs de brousse". Ces indica-
tions nous montrent le caractère limité de la pratique de la
fumure qui est loin d'être général: d'ailleurs,
les mils et
les sorghosne sont pas des plantes difficiles ;
"leurs exigences en ce qui concerne le sol sont aussi
modestes.
Elles peuvent se cultiver sur les sols se-
mi-arides" (1).
Ces pratiques culturales peu intensives,
influent-elles né-
gativement sur les rendements ?
III.2.3. Les rendements
Dans le contexte du SAHEL précolonial, avec son
agriculture arriérée (c'est-à-dire où les capacités techni-
ques sont limitées et quasi stationnaires d'un point de vue
temporaire),
les facteurs naturels jouent un rôle déterrni-
nant. L'étude de J. ADRIAN retient trois facteurs essentiels,
capables d'influer sur les rendements.
1.
J. ADRIAN, op.cit, p.28.

-
131 -
1 0 -
Le temps nécessaire pour arriver à la maturi-
té.
2 0
La nature du sol malS surtout la fumure.
3 0
-
Le facteur principal demeure cependant la
pluie.
Il estime les moyennes des récoltes du paysan dans
cette zone de l'Afrique à cinq (5) quintaux pour le sorgho,
et trois
(3) quintaux pour les mils par hectare. Il en con-
clut que ces rendements sont dérisoirement faibles au regard
des récoltes des céréales en France. On y obtient quarante ,---1
--1,
quintaux de blé et même plus à l'hectare. Peut-on en conclure ~,
1
que les céréales africaines sont pauvres? Examinons avec lui,l
l
l'évolution des rendements du blé.
Cette évolution indique
:
t
que les rendements du blé sont partis d'un niveau moyen assez i
l
bas (6,45 quintaux/ha). Une évolution nettement rapide se des-I;,
sine à partir de 1935 ; elle se confirme et s'accélère après
la seconde guerre mondiale. Il faut rappeler que la "révolu-
tion agricole" a lieu au XVlllème siècle dans toute l'Europe
Occidentale avec le début de la motorisation. Après la grande
crise de 1929,
l'introduction de l'engrais chimique donne à
cette "révolution agricole",
un souffle nouvea~,Autant de pro-!
grès techniques qui donnent à l'agriculture le caractère mo-
,
. ~
derne qui est le sien aujourd'hui.
Ces progrès, même les agrl-~
l
cultures contemporaines du SAHEL n'en bénéficient pas encore.
C'est pourquoi,
nous affirmons que les céréales africaines
peuvent produire davantage si on y introduit les techniques

-
132 -
de l'agriculture moder-
Tableau 1
ne (nous reviendrons sur
Années
Quintaux/ha
ces questions dans l'ana-!
1815
6,45
lyse des aspects norma-
1820
7,1
tifs).
Pour l'instant,
1830
7,9
soulignons en passant
1840
10,95
1850
11,1
qu'il faut
1860
11 ,35
-
une sélection gé-
1870
10,7
1880
1
10,9
nétique des graines.
1890
f
1
12,7
-
Un remplacement
i
1900
12,9
i
progressif du travail hu-l
1909
14,8
f,
1920
12,65
main par celui des machi-I
1930
11,55
nes (par la motorisation.!
1935
14,45
i
mécanisation, etc ••• ).
1938
19,4

l
1939
16
- Desserrer l'étau
1952
19,3
et la dépendance excessi-
1953
20,7
f
ve vis-à-vis des facteursl,
naturels (pluies) par
l'irrigation,
l'amélioration des sols (engrais chimiques et
assolement) •
- Suppression ou diminution des causes variées de
dépradation.
Une graine renferme un potentiel de vitalité. Son
maintien dans ces conditions d'humidité, de température, de
composition de l'air, en un mot dans un milieu sain, s'impose

-
133 -
pour qu'elle conserve ses facultés de germination. Cette
protection qui est une conservation stricto sensu du grain,
s'oppose à celle contre les organismes divers. La lutte con-
tre les parasites, les insectes, doit aussi la maintenir ap-
te à la germination.
Les études sur la conservation des céréales nous
autorise à classer les greniers en deux\\grands groupes
"aériens",
"souterrains" ou encore en "hermétiques" et "per-
méables à l'air".
Au Tchad,
les cultivateurs creusent dans un sol
argileux,
un trou de trois à quatre mètres de profondeur et
d'un mètre de diamètre. Le fond et les parois sont enduits
d'une couche d'argile,
puis d'une couche de cendre (qui sont
à la fois insectifuges et déshydratantes). On remplit de cé-
réales qu'on recouvre ensuite d'épis battus,
et enfin on lute
avec un couvercle d'argile. L'inconvénient majeur de ce genre
de silO,
c'est qu'il étouffe la graine et peut abaisser sa
valeur.
Les greniers "aériens" sont de petites cases, bâ-
ties sur pilotis ou tout simplement posées sur des madriers.
Dans ce cas,
l'air y pénètre assurant la respiration de la
graine, mais les céréales seront beaucoup plus facilë.ment at-
taquées par les animaux et les insectes. De tels types de
constructions se retrouvent au Tchad, au Sénégal,
en Haute-
Volta,
etc •.. Ce grenier peut être placé au-dessus des ha-
bitations comme cela se produit au Mali.
Enfin, parmi les ré-

-
134 -
serves de types "aériens", on peut noter des sortes de jar-
res en argile qui constituent des silos hermétiques. Ces ré-
cipients peuvent avoir deux mètres de hauteur et deux à trois
mètres dans les dimensions horizontales. On trouve ce modèle
au Mali et au Tchad. La diversité des silos doit être attri-
buée à la diversité des problèmes à résoudre, mais aussi aux
particularismes coutumiers qui conservent ici les céréales
sous forme de graines,
là sous forme d'épis. L'idée de fata-
lité ne peut être retenue pour expliquer la médiocrité des
rendements des céréales africains;
l'explication doit être
plutôt recherchée dans la faiblesse des forces productives.
Nous serons d'autant plus convaincus de cette idée en étudiant
les caractéristiques physiques et chimiques des graines.
III.3. Les caractéristiques physiques et chimiques.
L'introduction de certaines céréales (blé notamment)
se fait sous le couvert de leur "supériorité" par rapport aux
céréales du SAHEL.
Il s'agit d'étudier les caractéristiques
scientifiques (physiques et chimiques) de ces graines,
afin
d'infirmer ou de confirmer ce jugement.
x ~~E~~~~E~~~~9~~~_E~Y~~9~~~
Les caractéristiques physiques des graines peuvent
être saisies à travers, soit le poids de la graine elle-même,
soit des mille graines,
soit enfin de l'hectolitre.
Les sorghos et surtout les mils possèdent des grai-
nes toutes petites par rapport aux autres céréales. Le poids

-
135 -
des
(1000) mille graines nous donne la classification suivan-
te
:
Maïs
500g ou +
Blé, orge, seigle
50g ou +
Sorgho :
25 à 50g
Pennisetum
7,5g
Pannicum
5,Og
Eleusine
2,5g
Setaria
2,Og
Le poids à l'hectolitre exprimé en kilogrammes nous
renseigne sur la valeur meunière de la céréale; Le rendement
en farine est proportionnel au poids à l'hectolitre. Ce ren-
dement aus,si est fonction de l'enveloppe, ce qui nous met dé-
jà au coeur des questions relatives à la composition chimique.
x ~~_~~~e~~!~!~~_~~!~!9~~
Ces graines renferment les mêmes constituants que
les autres graines de céréales. L'amidon,
facteur principal
du grain,
est localisé dans l'amande.
Il concentre la réserve
énergétique du grain. Le germe constitue la partie la plus sa-
voureuse dans le domaine alimentaire
: i l contient des lipides
des protéines,
des oligo-éléments minéraux et organiques nom-
breux. Les enveloppes abritent l'insoluble glucide, mais s'y
trouve également une teneur élevée en minéraux.
Pour les cé-
réales qui nous concernent,
les études ont identifié 60 % d'a-
mande dans le grain et 40 % d'enveloppe. Ce pourcentage élevé
de sons provient de la petitesse du grain.
Pour le blé (graine

-
136 -
plus grosse), les pourcentages sont respectivement de 75 %
et de 25 %.
La classification scientifique range les mils
et les sorghos dans les céréales riches en matière grasse.
La teneur moyenne en lipides est de l'ordre de 3 %. Ils
présentent des teneurs protidiques analogues aux céréales
courantes. Mais en plus des protéines totales d'un aliment,
ce qui importe dans le domaine nutritionnel,
c'est l'équi-
libre entre les différents acides aminés. Là également,
les
mils et les sorghos ne sont pas moins pourvus que les autres
céréales.
x ~~~E~~~!~~~_~~~~_~~_e!~ :
a) Les sorghos et les mils sont semblables au blé
Sl
on considère : les glucides,
les protéines (aussi bien
pour le taux que pour la composition) et les minéraux.
b) Les différences se situent dans le domaine des
lipides où les sorghos et les mils sont plus riches que le
blé. Cependant,
ils ont une déficience par rapport au blé en
ce qui concerne la vitamine B.
La teneur en vitamines des graines ne vaut que
pour les graines non traitées,
avant la consommation sous
forme d'aliments.
Elles subissent en effet une série de trans-
formations avant d'être comestibles. Quelles sont les inci-
dences de cette transformation sur l'alimentation?

-
137 -
111.4. Le grain dans l'alimentation humaine.
La composition du plat au SAHEL réunit les dérivés
des céréales, mais aussi ceux extraits des aliments complé-
mentaires. Les opérations qui interviennent avant, pendant
le traitement culinaire des graines,
causent une déperdition
non négligeable de certains éléments. Autant de q4estions
qu'il convient d'analyser en détail.
Cette analyse prendra
le cheminement suivant
:

Préparation.
2° -
Composition de la préparation culinaire.
3° -
Couverture des besoins de l'homme et la ration
alimentaire.
4° - Nécessité d'un supplément alimentaire.
III.4.L
Pr~~r~tion ~u~igair~ :
Au Tchad, on préfère volontiers le petit mil parce
que,
semble-t-il,
"le petit mil donne la force,
et le gros
mil,
la graisse". Au Sénégal, on aime plutôt le petit mil hâ-
tif,
qui est supérieur au mil tardif pour des raisons de di-
gestion.
Les plats peuvent être regroupés comme suit
:
- Le Tô = plat national en Haute-Volta, au Mali,
Lorsque le grain est pilé, vanné, tamisé, on obtient une fa-
rine. Cette farine,
cuite dans de l'eau simple ou de l'eau de
tamarin, permet d'obtenir une pâte directement comestible.
Cette pâte se mange avec de la sauce.

-
138 -
- Les sauces de tô = sauces très variées, leur pré-
paration est très complexe. Elles comprennent théoriquement
de la viande (zébu, mouton, volaille,
etc ••• ), des légUmes
(oignons, manioc, choux, etc ••• ), des condiments (graines
fermentées de néré ou soumbala, du dâh, du piment, des toma-
tes,
etc .•• ), un corps gras --(du beurre de karité) et un mu-
cilage (feuilles de baobab).
- Le couscous = il est fait de la farine de mil. A
la différence du tô, qui est cuit directement dans l'eau, le
couscous cuit à la vapeur de l'eau.
Pour ce faire,
i l faut
deux récipients, un générateur de vapeur d'eau contenant une
certaine quantité d'eau, surmonté d'un autre contenant des
boulettes de farine,
généralement enveloppées dans une toile
de tissu. Les boulettes de couscous se font cuire deux fois
et sont mélangées à des sauces.
.
- Les sauces de couscous = il Y a
*: les sauces au poisson frais,
*: les sauces au poisson et aux légumes,
,
*: les sauces a la pâte d'arachide.
- Les galettes = en employant du mil, on obtient
une pâte qui fermente jusqu'au lendemain. On procède à la fa-
brication des galettes qui sont comme des crêpes
(mais beau-
coup plus épaisses).
- La bouillie = on jette de la semoule ou des bou-
lettes de farine dans de l'eau bouillante, puis on laisse

-
139 -
cuire. Elle est consommée sucrée ou avec du lait caillé.
La boule "d'acassa" = on mélange semoule et fa-
rine pour confectionner des boules que l'on jette dans de
l'eau bouillante. Après cuisson, on les saupoudre de farine.
- La bière de milou "dolo" = on laisse germer puis
sécher le sorgho,
ensuite on fait bouillir la farine des grai-
nes ainsi obtenues. On distille cette solution qu'on laisse
fermenter pendant une nuit en y ajoutant de la levure ("da-
bilé" chez les Mossi).
Au Sénégal,
i l y a le lâh sanglé qui est, semble-t-
il,
un~ genre de bouillie épaisse. Il se mange avec de la sau-
ce.
Après la présentation des principaux plats dérivés
des mils et des sorghos,
i l convient d'analyser les incidence~
de la préparation sur la composition chimique des graines.
III. 4 • 2.
~o~~siti.o.!2. de_l~ E.r3>~rati0.!2. .suli.!2.air~
En règle générale,
la préparation joue de façon po-
sitive sur la teneur en vitamines. Le rapport phosphatique de-
meure toujours médiocre après la cuisson. Le taux de lipides
est généralement fortement réduit par rapport à la céréale.
Les pertes qui proviennent du pilage et du vannage,
provoquent
souvent un déficit de 50 % et davantage. Le taux de protéines
ne subit pas une variation sensible,
et se situe entre 8 % et
Il % après ces préparations. Le déficit moyen par rapport à la
céréale se situe aux environs de 15 % (diminution due essen-

-
140 -
tiellement au vannage). En éliminant les sons riches en lipi-
des et en protides,
le pourcentage d'amidon augmente dans le
produit bluté. La transformation du grain en aliment permet
de faire des observations intéressantes, car de nombreuses
préparations subissent des fermentations plus ou moins pro-
noncées. Les micro-organismes,
responsables des fermentations,
ont la capacité d'effectuer des synthèses de vitamines B. Ce
qui accroît le potentiel vitaminique des--préparations culi-
naires. Les fermentations enrichissent donc les aliments en
vitamines B. Cependant,
le séchage des aliments au soleil est
très préjudiciable à la riboflavine et même aux autres vita-
mines du groupe B. La transformation du blé en pain donne les
résultats suivants
"le pain blanc présente des déficits en lipides, miné-
raux et vitamines qui sont de l'ordre de 50 %. Le pain
complet par contre, conserve le potentiel du grain à
peu près intact, c'est-à-dire que les apports de la le-
vure compensent les pertes dues à la cuisson" (1).
Il ajoute :
"en regard de ces résultats,
les procédés africains sont
à classer du côté du "pain complet" beaucoup plus que
vers le "pain blanc". Mais sur le plan physiologique,
les préparations sont_inférieures au pain complet; car
elles sont débarrassées (en temps normal) des envelop-
pes du grain. Elles n'offrent pas les inconvénients qui
s'attachent au pa,in complet
: acide phytique,
effet la-
xatif du son, utilisation digestive diminuée" (1).
Les procédés culinaires africains ont permis d'ob-
tenir des produits de valeur analogue=àcelle du "pain blanc"
1.
J. ADRIAN, op.cit, p.84.

-
141 -
à 85 % d' extraction ..Dans le contexte du SAHEL précolonial et
même aujourd'hui, cette solution est la plus adéquate et la
meilleure au plan physiologique. Mieux, c'est la seule qui
correspondait aux exigences de leur temps. Tant que les céréa-
les restent la base de l'alimentation et que les ressources
alimentaires ne se seront pas développées et développées, la
l
solution qui consiste,à ne pas multipli~r les facteurs de dé-
perdition est la plus lucide et la seule juste pour couvrir
l'essentiel des besoins humains.
111.4.3. Couverture des besoins de l'homme
- - - - - - - - - - - - - - - - -
J. ADRIAN suppose qu'un "indigène" dispose quoti-
diennement d'un kilogramme de mil. Ce kilogramme se transfor-
me en 800 g si on le convertit en farine et couvre les besoins
suivants :
-
les besoins azotés et énergétiques.
- Les besoins en fer.
- Les besoins en thiamine et miacine.
Les besoins en vitamines A,
en vitamines C et B2
ainsi qu'en calcium, ne'sont pas satisfaits par cette alimen-
tation purement théorique. L'organisme ne reçoit, si on s'en
tient à cette supposition, que le tiers (1/3) de calcium et
les (2/3) deux tiers de la riboflavine qu'il lui faut. Dans
;
la réalité,
le mil n'est jamais consommé en tant que tel, mais!
comme l'étude des plats nous le suggère, en liaison avec des
suppléments. On peut attribuer à ces suppléments quatre rôles
ils suppléeront la faiblesse de la céréale soit en calcium,

-
142 -
soit en vitamines C, soit en vitamines solubles, soit enfin
celle des protéines. Plusieurs ingrédients africains sont des
sources appréciables de calcium. Ils offrent pour certains
d'entre eux,
un
rapport phospho-calcique égal ou supérieur à
deux (ce qui est très élevé)
: le gombo,
la gousse de tamari-
nier, fruit et surtout feuille de baobab; cette dernière con-
tenant jusqu'à 1,3 % de calcium.
"On peut penser que chaque fois que l'indigène pourra
ajouter à son plat de mil de la feuille de baobab,
ses
besoins calciques seront couverts"
(1).
Les feuilles de baobab et ses fruits ont des concen-
trations calciques anormalement élevées. Quant aux peuples
s'adonnant à l'élevage et consommant le lait des troupeaux
(Peuls),
leur équilibre phospho-calçique se trouve encore plus
amélioré.
La carence en vitamines A a été maintes fois cons-
tatée au SAHEL.
"Le manque de végétaux comestibles, riches en caroténoï-
des dans l'alimentation de ces populations,
entraîne une
carence certaine de vitamines A. Le climat sec,
les con-
ditions de vie et d'hygiène,
associés à ce déséquilibre
alimentaire, à cette carence en vitamines A, expliquent
l'abondance des maladies des yeux au Sénégal et au Sou-
dan"
(2).
Les huiles de foie de poisson, ou tout simplement
les lipides de la chair de poisson,
permettent de combattre
ces états, car ils sont des sources remarquables de vitamines
A (poisson frais cela s'entend). Des poissons gras, comme les
1.
J. ADRIAN,
op.cit, p.85.
2.
J. ADRIAN,
op.cit, p.87.

-
143 -
élupides et les sérombidés,
fréquents sur les côtes d'Afri-
que, peuvent contribuer à la satisfaction des besoins en
facteurs liposolubles. De même.
les arachides et les fruits
de palmier ainsi que les huiles qui en sont extraites. peu-
vent apporter des quantités appréciables de caroténoïdes.
Le meilleur préventif contre une déficience en vi-
tamines C est la consommation de crudités. Les agrumes. goya-
ves. oranges. mangues.
etc •..•
complèteront la ration en
acide ascorbique.
Les sources principales de compléments azotés sont
de quatre ordres
: le lait.
la viande.
le poisson et les ara-
chides. Le lait apporte le calcium. La viande et le poisson
sont voisins et contiennent des protides.
et possèdent une
bonne répartition en acides aminés.
L'intérêt d'associer les
viandes.
les poissons et les céréales est évident lorsqu'on
sait que les facteurs limitant des viandes et des poissons.
ne coïncident pas avec ceux des céréales. L'arachide est un
des aliments végétaux les plus riches en protéines. Elle con-
tient environ 50 % de lipides,
et apporte un potentiel de vi-
tamines B intéressant.
Au total. on peut dire que la ration alimentaire
du Sahélien est surtout pauvre en protéines. Le régime ali-
mentaire de cette période, que certains auteurs caractérisent
de "primitif". était pour l'essentiel équilibré.
"Dans le régime primitif. grâce à l'alimentation variée.
grâce aux aliments frais,
la ration malgré ses déséqui-
libres, est en général qualitativement suffisante pour

-
144 -
assurer,
au moins approximativement,
l'équilibre phy-
siOlogique de l'organisme humain •..
Tous les chercheurs qui ont étudié les conditions de
nutrition de ces groupes primitifs,
sont unanimes à
affirmer qu'ils ne présentent pas de manifestations
cliniques de carences alimentaires"
(1).
La ration aliment'aire n'a cependant pas le
'"
meme
contenu en période normale et en période de soudure. Ce qui
donne à cette alimentation, un caractère saisonnier, d'où
une alternance de périodes d'abondance et de périodes de dé-
ficience. Aujourd'hui, dans les villes,
l'abondance alimen-
taire perd son caractère saisonnier pour obéir à un détermi-
nisme-d'ordre économique et social.
A Dakar,
le problème alimentaire doit être
envi-
sagé
"moins sous l'incidence saisonnlere que sous l'incidence i
économique générale,
et sous l'incidence sociale du POU-!
voir d'achat et de l'usage que l'on en fait"
(2).
Somme toute,
l'étude des suppléments alimentaires
nous a montré que ces éléments sont plus que des compléments,
ils sont nécessaires.
Les mils et les sorghos ne sont pas des aliments
complets à l'instar du lait ou des oeufs (loin s'en faut),
et
demandent des compléments alimentaires pour équilibrer la ra- i
A.
J
tion. De nombreux travaux qui ont mis en lumière les symptome~
1.
R. SCHNELL,
"Plantes alimentaires et vie agricole de l'A-
frique Noire"
-
Paris., 1957, p.23.
2.
R.
SCHNELL, op.cit, p.23.

-
145 -
cliniques des carences alimentaires, confirment ces conclu-
sions.
"Cet auteur (CORKILL) trouve que ces symptômes de mal-
nutrition peuvent disparaître, ou du moins s'atténuer
par addition au régime de deux des compléments que nous
avons préconisés en nous basant sur des tests de labo-
ratoire,
à savoir, le lait, et à la rigueur, les ara-
chides. Le premier étant supérieur au second"
(1).
Toutes ces céréales,
à des degrés divers, provoque-
ront l'apparition du kwashiorkor si elles::ne sont pas complé-
tées sérieusement en azote.
"C'est pour les citadins surtout que se pose le problème
de l'azote,
corrune d'ailleurs celui des vitamines" (2).
En conclusion,
l'examen des aliments de base et des
aliments d'accompagnement, nous indique que les plantes ali-
mentaires qui existent au SAHEL,
sont capables d'apporter la
totalité des éléments nutritifs dont les populations ont be-
soin. Dans ces conditions,
la fuite en avant qui consiste à
introduire de nouvelles plantes
(blé notarrunent), en arguant
des carences propres aux plantes sahéliennes,
ne se justifie
pas.
Il demeure cependant que la diversité croissante des
plantes, dans le cadre d'une agriculture moderne, favorise le
développement de l'agriculture.
Notre étude apporte un démen-
t i cinglant à ~eux qui pensent que les carences alimentaires
au SAHEL, sont dues à un régime alimentaire "primitif" qui
ignore les éléments vitaminiques et les autres éléments nu-
tri tifs.
En effet,
1.
J. ADRIAN, op.cit, p.89.
2.
R. SCHNELL, op.cit, p.151.

-
146 -
"la déficience alimentaire de l'Afrique Noire actuelle
est, au moins dans une large mesure,
le résultat de
l'évolution récente, elle affecte indiscutablement une
part notable de la population"
(1).
Le redressement de cette situation passe par l'aug-
mentation quantitative de la productil~ des aliments de base,
$
mais également des aliments d'accompagn~'ent qui doivent être
?Ç»
produits en quantité suffisante pour appLY~~er à chaque Sahé-
lien des éléments nutritifs suffisants.
~~
~,
,
La situation alimentaire est donc ~~lee se degra-
y.
dant avec la domination croissante de l'impéri~;sme français
4
pour les pays du SAHEL. Les condiÎir:s permissives~~e cette do-
~
mination ont été créées par la traite des Noirs qt~ a, des
~~
siècles durant,
émasculé le continent.
~
L'analyse du SAHEL précolonial serait incom~ète
Sl
nous omettions la traite.
Il est difficile en effet de se
pencher un tant soit peu, sur la période précoloniale sans
évoquer la traite des Noirs qui s'est étalée quatre siècles
durant. Mettre en relief le fait que la traite .est à la char-
..
!
ni ère de l'époque précoloniale et coloniale, servirait à mieuxl
!
1
comprendre la chute qui caractérise la période coloniale. En
;
f
attendant,
la traite est un phénomène historique inédit, une
ponction démographique sans égal dans l'histoire, mais aussi
et surtout, un facteur de régression économique et sociale
sans précédent.
1.
R. SCHNELL, op.cit, p.22.

-
147 -
SECTION IV
: LA TRAITE OU LA SAIGNEE.
Il est généralement admis que la traite commence
dans la seconde moitié du XVème siècle,
et s'achève aux en-
virons de 1865. Malgré l'arrêt aujourd'hui séculaire de la
traite, elle doit s'imposer comme l'une des clés de 1'ana-
lyse de nombreux phénomènes économiques et sociaux actuels.
Le SAHEL précolonial a atteint parfois des sommets rarement
dépassés à l'époque par le reste de l'h~anité. La traite,
par la ponction de force vive qu'elle arrache à l'Afrique,
sera un facteur de régression économique et sociale.
Nous ne disposons pas de chiffres concernant le
SAHEL. Mais pour qui connaît l'importance de la stabilité
et de la sécurité dans les phénomènes démographiques de l'é-
poque,
il est irréfutable que les royaumes du SAHEL étaient
de véritables îlots de prospérité démographique. Nous nous
référons donc aux chiffres de l'Afrique dans son ensemble
pour indiquer l'importance de la traite dans les phénomènes
démographiques passé~_-comme actuels du SAHEL. Nonobstant les
arguments que nous venons d'évoquer, nonobstant les chiffres
qui vont suivre,
la traite a eu ses défenseurs qui propa-
geaient une idéologie foncièrement raciste.
BOSSUET condamnait ceux qui mettaient en cause l'es-
clavage en ces termes :
"abolir l'esclavage, écrivait-il, serait condamner le
Saint-Esprit qui ordonne aux esclaves, par la bouche
même de Saint Pierre, de demeurer en leur état et n'o-
blige pas le maître à les affranchir".

-
148 -
Toujours au XIxème siècle,
le Père LIBERMANN,
ré-
novateur des Pères du Saint-Esprit, sans défendre l'esclava-
ge,
le justifiait comme un péché originel supplémentaire qui
pèse sur la race noire
"l'aveuglement et l'esprit de Satan sont trop enracinés
dans ce peuple et la malédiction de son Père repose sur
lui,
i l faut qu'il soit racheté par des douleurs unies
à celles de Jésus, capables d'expier ses péch~ abrutis-
sants ...
afin de le laver de la malédiction de Dieu"(l)
Il faut attendre le XXème siècle pour voir en Euro-
pe le courant dénonçant la traite devenir dominant,
et une
juste appréciation de ce phénomène commencer à se faire jour.
IV.l. Une ponction démographique inégalée.
Il est difficile d'apprécier la saignée subie par
l'Afrique, parce que les données statistiques sont fragmen-
tJ3.'ires.
Le Professeur W.E.B. Du BOIS donne une estimation
de dix millions de personnes au mrriimum effectivement trans-
portées en Amérique. Charles de la RONCIERE évalue à vingt
millions au minimum le nombre d'esclaves arrivés effective-
ment en Amérique (d'après les gocuments parlementaires bri-
tanniques) •
Aux transportés,
i l faut ajouter le nombre consiàé-
rable des-victlmès de la traite tués au cours des razzias et
des guerres -par la chasse des esclaves, ceux qui moururent
1.
G.
GOYAU,
"La France missionnaire"., 1948, t.II, p.l??

-
149 -
au cours de longues marches vers la mer,
ceux qui moururent
dans les cales des navires négriers.
Le Professeur Du BOIS estime que pour un esclave
parvenu en Amérique,
i l faut compter cinq hommes tués en
Afrique ou morts en mer.
Il aboutit à soixante millions
d'hommes arrachés à l'Afrique.
Il atteint le chiffre de cent
millions en y ajoutant la traite à destination de l'Orient.
Les travaux de Charles-André JULIEN,
de A. DICASSE,
ont évalué à cent millions,-le nombre de Noirs arrachés à
l'Afrique,
et à cinquante millions la traite entre les pays
du Nord du SAHARA et au Sud du SAHARA, c'est-à-dire, celle
pratiquée au profit des féodaux du Nord de l'Afrique et du
Moyen-Orient.
Chiffres impressionnants au regard de la démogra-
phie même contemporaine, ce qui atteste de l'importance du
phénomène à l'époque que nous considérons.
"si l'on applique la règle du dédoublement, écrivent R
et M.
CORNEVIN, on aboutit au nombre de cinquante mil-
lions,
ce qui correspond à environ le quart de la popu-
lation totale de l'Afrique Noire d'aujourd'hui. C'est
dire l'importance et les conséquences de cette saignée
prolongée de plus de trois siècles"
(1).
Plus loin, ces auteurs ajoutent
"l'action de la traite a été uniquement négative; du
fait que l'homme noir était la seule marchandise re-
cherchée par les Blancs,
i l n'y avait aucun motif pour
les Noirs de développer la production ou la transforma-
1.
R et M.
CORNEVIN,
"Histoire de l'Afrique des origines à
la 2ème guerre mondiale".
Petite Collection Payot., 1978,
pp.214-215.

-
150 -
tion d'autres biens qu'ils auraient pu vendre à des
commerçants étrangers ; pour leur propre consommation
non plus,
la fabrication d'outils ou de tissus ne se
justifiait plus puisque ces produits étaient fournis
par les Blancs. Les intermédiaires côtiers ne se ren-
dirent pas compte au début qu'en vendant des cultiva-
teurs ou des artisans, ou plus simplement des procréa-
teurs éventuels,
ils détruisaient la race noire" (1).
Au poids des prélèvements quantitatifs,
i l faut
ajouter les facteurs qualitatifs. Les négriers s'intéres-
saient aux éléments les plus dynamiques et les plus féconds
de la population
"les pièces d'Inde, c'est-à-dire les beaux adolescents
pour les plantations de sucre,
les négresses aux formes
généreuses pour la reproduction ou le plaisir des ma!-
tres et les enfants pour la "domesticité"".
Mais la traite ne fut pas seulement une ponction
démographique.
IV.2. La traite, facteur de régression et de différenciation
régionale.
Autant la traite fût un facteur de régression so-
ciale et économique, autant fût-elle aussi un facteur de dif-
férenciation entre les régions côtières et celles de l'inté-
rieur.
Dans sa thèse sur la traite des Noirs, Henri QUE-
NEUIL a écrit
"pendant près de trois siècles, l'Europe se rua sur le
continent noir et le mit à sac avec frénésie.
Partout,
1.
R et M. CORNEVIN,
op.cit, p.218.

-
151 -
les civilisés provoquèrent les chasses à l'homme, les
guerres,
la piraterie. Leur oeuvre retarda la civili-
sation et refoula bien loin dans les terres les indi-
gènes horrifiés et contraints à la vie de nomades".
R et M. CORNEVIN abondent dans le même sens lors-
qu'ils écrivent:
"la demande insatiable des négriers contraignait les
chefs noirs a'pousser leurs razzias de plus en plus
loin vers l'intérieur, d'où un état d'insécurité des
campagnes africaines,
la fuite de certaines popula-
tions vers des régions montagneuses difficiles d'accès
et la peur constante des autres devant la possibilité
d'être réduites en esclavage du jour au lendemain" (1).
Les destructions,
l'insécurIté permanente et géné-
ralisée consécutive à la traite, ont fait régresser les struc-
tures économiques, sociales et mentales du stade nettement
évolué, comme nous venons de le voir, au stade de l'économie
de cueillette pour certains peuples.
En effet, nul n'avait le
temps ni l'intérêt pour mettre en valeur de façon prolongée,'
une terre, pour entretenir ou fabriquer de nouveaux outils.
Les connaissances techniques connaitront par conséquent un
net coup de frein.
Mais ces facteurs exercèrent de façon différenciée
leur effet sur les différents pays.
"Les esclaves vinrent d'abord de Gambie et de la Côte
de l'Or, plus tard du Dahomey et du Bénin et des pos-
sessions portugaises d'Angola et du Zambèze, enfin, au
XVIIIème siècle, du delta du Niger" (2).
La traite a donc renforcé les inégalités de déve-
1.
R et M. CORNEVIN, op.cit, p.220.
2.
Charles-André JULIEN.

-
152 -
loppement entre les régions de l'Ouest africain.
Elle a ac-
centué les différences entre les peuples côtiers et ceux de
l'intérieur. Les peuples côtiers ont pu se lancer dans le
commerce et par là ~ême, se rapprocher plus tôt du stade éco-
nomique capitaliste avec toutes les conséquences qui en dé-
coulent. De plus,
la traite a avivé les compétitions inter-
ethniques et aggravé l'insécurité générale résultant déjà des
migrations et des luttes intestines,
consécutives à la course
vers l'espace vital.
Pour nous résumer,
nous pouvons affirmer que la
traite a eu pour conséquence
-
une réduction de la force de travail disponible
pour les activités agricoles.
I l est à noter que ce sont les
hommes les plus jeunes,
les plus valides et les plus intrépi-
des dans le travail qui étaient vendus,
laissant les campagnes
avec une main-d'oeuvre active réduite, ayant donc une charge
à la dimension de la saignée démographique.
- Sur le plan qualitatif,
les cultivateurs,
les ar-
tisans emportaient dans leur captivité,
leur savoir-faire et
leur expérience.
- L'insécurité qui a régné pendant toute la période
de la traite,
a entraîné des mouvements migratoires désordon-
nés où le plus important n'était pas tant la conquête de la
meilleure terre que de la meilleure cache.
- Le contact avec les commerçants européens a, dans
une certaine mesure,
commencé à introduire des habitudes de

-
154 -
1
i
1
!
1
1
,
!1
i
l
1
1
DEUXIEME
PARTIE
j
i
INTEGRATION ECONOMIQUE OU EVOLUTION BRIDEE
J
DES FORCES PRODUCTIVES

-
155 -
1
1
!
J
On peut résumer à grands traits les caractéristi-
J
1
,
ques de la dernière phase de l'époque précoloniale : une
1
grande mobilité des populations, qui au hasard des guerres,
des razzias, des alliances, étaient amenées par groupes plus
ou moins nombreux, à se déplacer dans un périmètre parfois
assez grand ; une grande insécurité dans certaines zones
(pour la Haute-Volta les zones Sud et Ouest) tendant à inci-
ter les groupes à se replier sur eux-mêmes (habitats forti-
fiés,
production et défense collectives)
; une instabilité
,
des pouvoirs politiques et leur limitation restreinte dans
l'espace et dans le temps; un système de production réduit
à sa plus simple expression en raison même de la mobilité ;
un système d'échange assez dense basé, soit sur la violence
(razzia),
soit sur le commerce de denrées, de bétails, d'ar-
mes et de captifs (commerce interrégional) et aussi un tra-
fic avec les établissements de la côte maritime. La cause
première de cette instabilité était la traite avec son corol-
laire,
les guerres intestines.
Cette déstabilisation des
1
1
structures économiques,
politiques et sociales bien que pro-
1
fonde,
se limitait cependant essentiellement aux petites uni-
1
tés sociales. Les grands royaumes,
les grands empires furent
~
1
,
1
les moins touchés par cette déstabilisation. La caractéris-
j
~
tique de l'époque coloniale,
ce fut au contraire, une accé-
l
Ji
lération de la déstabilisation qui gagna et ébranla les grands 1
1
j
empires jusque dans leur fondement,
créant les conditions de
1
j'
j
j
l'installation du pouvoir colonial. Cependant,
l'installation 1
de ce nouveau pouvoir ne s'est pas faite sans mal; en effet,
1
.~ \\
J

f
-
156 -
1
1
1
1
t
l'aube de la période coloniale a été écrite en lettres de
.1l
sang par la résistance des peuples africains qui, nonobs-
1
t1
tant la supériorité en armes de l'ennemi, ont fait montre
!
1
1
de leur capacité d'adaptation, d'un esprit de combat à la
~
'1
dimension du danger que représentait l'impérialisme occi-
J~
dental. Impérialisme qu'on peut définir essentiellement par
!
les cinq caractéristiques suivantes
:
1
11
"1) Concentration de la production et du capital par-
1
venue à un degré de développement si élevé qu'elle
a créé les monopoles dont le rôle est décisif dans
1
la vie économique ;
!
.,
2) fusion du capital bancaire et du capital industriel,
1
et création, sur la base de ce "capital financier",
d'une oligarchie financière;
3) l'exportation des capitaux, à la différence de l'ex-
portation des marchandises, prend une importance
toute particulière ;
4) formation d'unions internationales monopolistes de
capitalistes se partageant le monde et,
5) fin du partage territorial du globe entre les plus
grandes puissances capitalistes" (1).
Une fois la résistance matée,
s'ouvrira une des
pages les plus sombres de l'histoire de l'Afrique et notam-
ment du SAHEL,
avec son cortège d'humiliations : le travail
forcé,
les déportations,
les cultures forcées,
les impôts et
taxes iniques. La conquête s'achève avec la mise en place des
structures coloniales qui freinent la reproduction élargie
des rapports précapitalistes. Se met alors en place un mar-
ché capitaliste qui ne cessera de se renforcer jusqu'à au-
jourd'hui. La création des villes, des secteurs secondaires
1.
LENINE:
"L'impérialisme, stade suprême du capitalisme".
Oeuvres choisies. Editions Progrès, p.724 - Moscou.,
1975.
1

,/'1
- 157 -
et tertiaires capitalistes, apporte les conditions de l'épa-
nouissement de ce marché. La théorie classique du sous-déve-
1
loppement distingue en général un secteur moderne composé du
secteur secondaire et tertiaire essentiellement et un secteur
traditionnel. Les secteur traditionnel ne recouvre pas unique-
ment les dimensions du secteur primaire mais celui-ci demeure
son lieu d'élection par excellence. Cette distinction entre
les secteurs moderne et traditionnel peut laisser supposer
l'étanchéité du secteur agricole et son autonomie par rapport
au MPC. Malgré sa prééminence et son arryération,
l'agricul-
ture,
le secteur primaire dans son ensemble,
est un secteur
dominé par le MPC. Les rapports de production capitalistes
très corrosifs pénètrent et dissolvent in~xorablement les so-
lidarités précapitalistes et exercent leur influence sur tou- .
te la formation sociale. Le développement consécutif à l'in-
J
troduction du capitalisme et au développement des rapports de
t
production capitalistes, des forces productives,
se fait at-
l
tendre et apparaît dans toute sa nudité le caractère parasi-
l
1
taire de l'impérialisme qui "gèle" et même détruit les forces
1
productives. Ainsi ces lignes de LENINE prennent tout leur
1
sens
"L'exportation des capitaux, une des bases économiques
essentielles de l'impérialisme accroît encore l'isole-
ment complet de la couche des rentiers par rapport à
la production,
et donne un cachet de parasitisme à
l'ensemble du pays vivant de l'exploitation du travail
de quelques pays et colonies d'Outre-Mer"
(1).
1
1
1
1
1.
LENINE:
"L'impérialisme, stade suprême du capitalisme",
op.cit, p.733.

-
158 -
Quatre chapitres permettront d'étudier les caractéristiques
de l'intégration économique du SAHEL au MPC
- Il Les freins à la reproduction élargie des rap-
ports précapita1istes.
-
III Le développement d'un marché capitaliste et
la reproduction élargie du MPC.
-
1111 L'insuffisance alimentaire.
- Ivl La maîtrise relative des forces productives.
j
~
-----------0-----------
ll
î
J
1
1
ll
1
1
i-
ll
1
~
f
t
1

-
153 -
consommation et à ruiner certaines productions.
Enfin,
la traite qui exerce une insécurité géné-
ralisée et un recul des structures socio-économiques, suppri-
me le surplus agricole chez certains peuples qui retournent
au stade de la cueillette.
Les grands Empires ne font pas exception à la règle i
ils sortent de cette épreuve fortement affaiblis. L'autosuffi-
sance alimentaire précaire pour l'immense majorité (paysans,
esclaves), devient dans ce contexte un mythe.
C'est cet affaiblissement,
conjugué aux alliances de
souveraines traites à la cause de l'Afrique et à la supériori-
té en armes qui va créer les conditions d'une pénétration co-
loniale relativement facile au cours du XIXème siècle au SAHEL
-----------0-----------

-
159 -
i
CHAPITRE PREMIER
1
DES FREINS A LA REPRODUCTION ELARGIE
1
DES RAPPORTS PRECAPITALISTES
L'intégration du SAHEL dans l'économie capitalis-
te mondiale ne pouvait se faire sans mettre un frein à la
reproduction élargie des rapports de production précapita-
listes. L'étude des classes socia1es nous a indiqué l'impor-
tance du surplus et de l'Etat pour cette reproduction. Le
surplus essentiellement agricole tombait dans les mains de
la chefferie traditionnelle à l'issue de chaque procès de
production. On ne pouvait supprimer ce surplus sans neutra-
liser ou détruire cette chefferie. Quelles voies emprunte le
processus de récupération de l'institution féodale? L'escla-
vage demeure la source principale de l'extraction du surplus
dans les sociétés précoloniales sahéliennes. Quelle~era
l'attitude du colonisateur vis-à-vis de cette institution
sociale ?
Contrairement à la chefferie,
la bourgeoisie ne
peut s'épanouir sans un marché,
ce qui nécessite la concen-
tration de la population,
le développement des relations
marchandises ;
comment répondre à cette exigence nouvelle ?
Trois sections nous
permettront d'examiner ces questions

-
160 -
1
•{
J
- section l
L'Etat et la bourgeoisie sahélien-
1
ne.
Section II
:
Le salariat.
1
- Section III
: Rupture entre ville et campagne.
SECTION l
: L'ETAT
(QUELQUES ELEMENTS D'HISTOIRE).
Les structures précoloniales précédemment étudiées
se dressaient comme un obstacle maJeur à l'installation de
l'Etat colonial. Pour créer les conditions permissives de
l'émergence de cet Etat,
il a fallu faire table rase des ins-
titutions précoloniales existantes ou les subordonner aux
exigences de celui-ci. L'Etat colonial apparaît donc, entre
autre, comme un coup d'arrêt brutal donné à l'extension des
institutions précoloniales condamnées dès lors à végéter
avant de disparaître. Dans cet ordre d'idée,
l'Etat néo-co-
1
lonial n'a-t-il pas la même fonction que l'Etat colonial?
Quel a été et quel est l'enjeu économique de cette bataille
pour le contrôle des structures politiques ?
1° - L'Etat colonial :
1
1
"Dans les annales de l'histoire réelle,
c'est la con-
1
quête,
l'asservissement,
la rapine à main armée, le
i!,
règne de la force brutale qui l'a toujours emporté.
Dans les manuels béats de l'économie politique, c'est
l'idylle au contraire qui a de tout temps régné"(l).
1
!
Que nous enseigne l'histoire du SAHEL?
i
1
1
1.
Karl MARX : "Le capital", Livre 1. Editions Sociales,
Paris., 1977, p.5l8.
,1
î
1
l

J
-
161 -
Nous avons souligné dans la première partie rela-
tive à la période précoloniale que la traite avait secoué
les bases des démocraties claniques,
et même celles de cer-
taines chefferies héréditaires. Ce qui s'est traduit par
une régression sur tous les plans (social,
économique, po-
litique,
culturel,
etc .•• ) dont l'aspect le plus saillant
1
demeure la régression du stade de l'agriculture vers celui
1
moins évolué de la cueillette. L'insécurité due à la chasse
de l'homme d'abord,
la saignée démographique ensuite demeu-
rent, pour l'essentiel,
les vecteurs qui mettent en mouve-
ment ce processus de régression.
Les grands royaumes, mleux que les autres. ont
résisté à la saignée démographique ;
cependant la traite
avec toutes ses conséquences leur a ôté une force de tra-
vail importante qui leur était plus ou moins assujettie et
qui leur devait tribut. Cet affaiblissement relatif attise
les rivalités déjà vivaces entre les grands royaumes animis-
tes et musulmans. A l'aube de la période coloniale, à la
recherche de leur identité et de leur unité.
les peuples
sahéliens divisés entre animistes et musulmans, s'entredé-
chirèrent et faute de mieux cohabitent. Ces querelles intes-
tines, même si elles ont favorisé une pénétration relative-
,
ment aisée du colonisateur, n'ont en rien entamé l'esprit
"
de résistance et de lutte des peuples du SAHEL.
Des noms prestigieux des résistants africains tels
que El Hadj OMAR, Naba Boukary KOUTOU. SAMORY qui ont écrit

-162 -
en lettres de sang des pages glorieuses de l'histoire afri-
1
caine(l), la "pacification" sanglante en pleine dictature
coloniale sont autant de témoignages de l'esprit de lutte
et du refus de subir le fait colonial.
Cette histoire,
le colon a tenté de la falsifier
mais l'acte de Berlin lui-même interdit cette opération:
"Voulant régler, dans un esprit de bonne entente mu"':'
1
tuelle les conditions les plus favorables au dévelop-
pement du comrrü§!rce (souligné par nous) et de la civi-
lisation dans certaines ••...•..•.•. de 1·Afrique, ..... (2
La clarté de "l'acte de Berlin"
qui met en avant
les intérêts du commerce nous aurait dispensé de tout com-
mentaire, mais les vues unilatérales et sciemment biaisées
1
des apologistes du colonialisme exigent une mise au point
aussi brève soit-elle. Toutes les bourgeoisies européennes,
la bourgeoisie française notamment, s'est constituée pour
une part non négligeable à l'aube du capitalisme, grâce au
commerce lointain qui assurait dès le milieu du XVlllème
siècle la vente au-dessus de leur valeur des produits manu-
facturés français,
et permettait d'acquérir à vil prix des
produits locaux agricoles artisanaux, revendus très chers
en France. Seuls les thuriféraires des puissances colonia-
les reprendront en coeur, pour justifier le partage de l'A- 1
1
frique, tantôt que la colonisation avait pour mission-essen-
1.
"Les grands résistants". Histoire générale de l'Afrique,
sous la direction de Ibrahima BABA RAKE et Elikia M'BO-
KOLO. Collection Dan Franck.
2.
"Acte général de la conférence africaine", signé à Ber-
lin le 26 février 1885.

,
1
i
tielle la civilisation de peuplades maintenues dans les té-
nèbres par la pire des barbaries, tantôt qu'il s'agissait
de supprimer l'esclavage pour adoucir le sort des captifs.
Pour les plus doués d'entre eux,
les deux arguments seront
1
employés de façon concomitante. Ainsi expliquent-ils "l'ac-
cueil chaleureux", le "soulagement" et la "délivrance" que'
les Africains ont ressenti lors de l'occupation coloniale.
1
Mais si cette argumentation laborieuse tenait debout, pour-
quoi alors la "pacification" ? Pourquoi cet appareil d'Etat
quasi dictatorial ?
"La souveraineté a été entièrement confisquée au béné-
t
fice de l'Etat français,
les droits souverains qui
avaient été précédemment reconnus aux anciens Etats
africains, en la personne des chefs, par d'innombra-
bles traités, sont unilatéralement annulés en A.E.F
par les décrets fonciers de 1899, en A.O.F par le
décret du 23 octobre 1904" (1).
::;....
Il
. ,
~ ,
L'organigramme de l'Etat colonial peut se r~er
. ",.:'
grossièrement en termes suivants
:
A la tête de l'Etat impérialiste se trouve le Pré-
sident de la République française et son conseil des minis-
tres dont le ministre des colonies est une pièce maîtresse ,;
c'est lui qui, au nom du chef de l'Etat français,
exerce pra-
tiquement l'intégralité des pouvoirs dans les territoires de
son~ ressort aussi bien dans le domaine législatif que le
domaine exécutif. Au-dessous de lui,
le Gouverneur Général
de l'A.O.F (pour ce qui concerne le SAHEL) est le "déposi-
1.
J. Suret CANALE, op.cit, p.386.

164
taire des pouvoirs de la République". La hiérarchie peut s'é-
tablir ensuite dans l'ordre suivant: les gouverneurs,
les
commandants de cercle et au bas de l'échelle la chefferie ad-
ministrative.
Le gouverneur général dispose d'une véritable force
armée,
est ordonnateur du budget et est assisté d'une série
de "directions générales"
qui jouent le raIe de minist~re à
l'échelle locale;
les directeurs généraux sont nommés et ré-
vocables par le gouverneur général,
et responsables devant
lui seul. L'oppression politique et administrative devait ser-
vir l'objectif ultime qui demeure l'exploitation économique.
"Dans un premier temps ce fut l'Etat colonial qui assu-
ra l'encadrement politique permettant une exploitation
multiforme .....
(1).
1
La mainmise ,économique et politique assure à l'Etat
colonial,
donc à la classe qui le compose avec son allié 10-
cal,
le contrale du surplus.
L'Etat colonial était composé par une alliance de
la bourgeoisie étrang~re française et son allié local la chef-
ferie administrative. Qu'est-ce que cette chefferie?
Les chefs,
les empereurs qui ont opposé une résis-
tance farouche aux troupes d'occupation coloniale,
sombr~rent
avec le dernier souffle de la résistance. Même parmi ceux qui
seront, d~s les premiers instants acquis aux troupes colonia-
1.
Travaux et documents de l'O.R.S.T.O.M.
Essais sur la re-
production de formations sociales dominées.
Paris., 1977,
p.55.

-
165
1
l
1
t
les avec l'espoir d'avoir affaire à des alliés loyaux, la
1
désillusion,
le mécontentement grandira comme une traînée
l
t
de poudre, obligeant l'administration coloniale à faire ce
1
j
qu'on est convenu d'appeler par euphémisme la "pacification".
1
;
"Les chefs donc ne disparaissent pas. L'administration
1
1
française va même en créer là où il n'en existait
i
point. Mais l'institution,
lors même qu'elle possède
l
les apparences traditionnelles et utilise les mêmes
1
hommes et les mêmes familles,
a un caractère fonda-
ll
mentalement nouveau. La véritable chefferie tradition-
nelle fait place à la chefferie administrative" (1).
1
J
C'est en effet sous la haute autorité du commandant
1
j
de cercle qu'on nomme et révoque les chefs de canton et de
1
village. Le "chef" n'est donc plus qu'une pièce du rouage de
'1!
l'administration n'ayant plus rien de "traditionnel" et de
1
1
"coutumier". Les institutions collégiales ou démocratiques
qui contrôlaient et notamment élisaient les chefs,
sont soit
réduites à un rôle purement formel,
soit même ignorées et sup-
primées.
Autrefois,
le chef percevait des "coutumes" des
commerçants européens, des redevances et taxes diverses,
les
revenus de la justice qu'il rendait. Ces sources traditionnel-
les de revenus lui ont été supprimées du moins officiellement.
On lui accorde seulement une ristourne sur les impôts pour
les services rendus (c'est-à-dire au prorata de l'effort four-
ni pour faire "rentrer" les impôts) (2). Libre à lui de com-
1.
J. Suret CANALE, op.cit, ~.l05.
2.
Au Cameroun, 3 % de l'impot si la rentrée est faite au
premier trimestre, 2 % si elle est faite au deuxième,
1 % seulement après (source J. Suret CANALE, op.cit,
p.409).

-
166 -
p1éter ses IEssources en rançonnant ses administrés. On to-
lère ses exactions à condition qu'il ne se fasse pas pren-
dre.
Il continue à faire travailler gratuitement les hommes
de son canton sur les champs qu'il s'est attribué, à leur
faire construire ou réparer ses cases mais à ses risques et
périls. En effet, rien ne légalisant ce travail forcé au pro-
fit du chef, on pourra l'évoquer,
le cas échéant contre lui.
En l'occurence,
i l sera accusé d'avoir "détourné" à son pro-
fit la main-d'oeuvre qui ne peut l'être qu'au bénéfice de
l'administration. Responsable devant l'administration, mal
aimé du peuple,
la chefferie demeure un rouage indispensable
du système colonial, un moyen d'exécution important qui, au
bas de l'échelle,
constitue une courroie de transmission avec
les "populations indigènes".
Comme i l ressort de notre étude,
la chefferie ad-
ministrative demeure beaucoup plus un subordonné qu'un allié,
un agent d'exécution plus que de décision. La période néo-co-
loniale a-t-elle apporté des modifications dans les rapports
de la bourgeoisie impérialiste française avec ses alliés ?
Qu'est-ce qui a poussé à l'émergence d'un tel Etat?
2° - L'Etat néo-colonial :
Frais parce qu'indé1ibi1es dans les mémoires,
l'ima-
ge et le souvenir des résistants à la pénétration coloniale
ont, toute la nuit coloniale durant, habité le coeur des pa-
triotes africains. Après la seconde guerre mondiale, le souf-
fle de liberté qui a caressé l'esprit de tous les peuples n'a

-
167 -
1
,'~
j
1,
pas épargné les peuples sahéliens qui dès 1946. organisent
1
la résistance à travers le R.D.A (Rassemblement Démocratique
t1
Africain) et le B.D.S
(Bloc Démocratique Sénégalais) pour ob-
1
;1
tenir en 1960 les "indépendances". Ces "indépendances" sont
j
l
formelles parce qu'après le "repli tactique".
le R.D.A qui
1
1
était à la pointe de la lutte. acceptera toutes les réformes
entreprises par la bourgeoisie française (loi cadre du 23
juin
1
1956. le référendum gaulliste de 1958). préludes à l'évène-
ment du néo-colonialisme. Même la Guinée qui à l'époque rompt
!
effectivement avec la France. va se précipiter dans les bras
1
l
de l'impérialisme yankee. Mais qu'est-ce que le néo-colonia-
lisme ?
i
1
la dépendance politique peut prendre une forme moins
"
i
absolue que la dépendance coloniale ••• Cette forme de
1
dépendance repose alors sur l'étroitesse de certains
1
liens de dépendance économique ou la corruption d'une
i
partie du personnel politique dirigeants de ces pays
dépendants ••• A l'heure actuelle. on tend à désigner
ce type de dépendance. pour les pays qui viennent de
1
quitter le statut colonial. par le terme de néo-colo-
nial isme"
(1).
En fait.
la conquête de la souveraineté réelle pour
les Etats du SAHEL. n'était pas dans les adjectifs des diri-
geants du R.D.A et B.D.S. Que réclameraient-ils effective-
ment?
Ils affirmaient qu'ils voulaient l'autonomie poli-
tique car c'est "l'autonomie politique qui conditionne les
autres autonomies" dissimulant l'aspect que les autres auto-
1.
Ch.
BETTEIREIM : "Planif ication et croissance 'ccélérée".
Petite Collection Maspéro -
Paris •• 1970. p.32,.

-
168 -
nomies conditionnent en retour et dans un mouvement,dialec-
tique l'autonomie politique. D'ailleurs, l'autonomie poli-
tique véritable a-t-elle été conquise ?
"L'essence du néo-colonialisme, c'est que l'Etat qui
y est assujetti est théoriquement indépendant, pos-
sède tous les insignes de la souveraineté sur le
plan international. Mais en réalité,
son économie
et par conséquent sa politique sont manipulées de
l'extérieur" (1).
La clarté de cette citation n'autorise aucun commentaire
supplémentaire. Quelles sont les nouvelles alliances qui
se nouent et quelles ont été les concessions faites par la
bourgeoisie impérialiste française ?
Les indépendances formelles de 1960 exigeaient
que l'impérialisme délègue une partie de ses pouvoirs à ses
alliés locaux. C'est donc pour éviter la rupture définitive
avec la métropole impérialiste exigée par la pression des
mouvements de libération nationale que la bourgeoisie fran-
çaise accepte la création d'un Etat distinct de l'Etat mé-
tropolitain. Cependant,
elle s'assure de sa mainmise sur
le nouvel appareil d'Etat en confiant sa gestion à une par-
tie de la petite bourgeoisie intellectuelle, qu'elle a elle-
même formée et choisie. La petite bourgeoisie bureaucrati-
que totalement soumise à l'impérialisme (formée d'institu-
teurs, de médecins,
••• ) va se muer à l'époque néo-colonia-
le en bourgeoisie politico-buraucratique (B.P.B).
Inexistan-
1.
Kwamé N'KRUMAH : "Le néo-colonialisme, dernier stade de
l'impérialisme". Edition Prêsence Afrlcaine - Paris.,
1973, p.9.

- 169 -
te pendant la période coloniale,
la B.P.B issue de la frange
sournlse au colon est une création de la bourgeoisie impéria-
liste française.
Celle-ci économiquement faible, ne dispo-
sant d'aucun marché intérieur devait servir fidèlement l'im-
périalisme pour bénéficier de sa "générosité". Ne disposant
d'aucune base économique, seule la place qu'elle occupe dans
l'appareil d'Etat lui donne l'occasion d'en acquérir. La bour-
geoisie politico-bureaucratique est composée de hauts fonc-
tionnaires et politiciens
(députés, ministres, etc ••• ) qui
dirigent l'appareil d'Etat néo-colonial.
Dans les nouvelles alliances de classe que crée
l'impérialisme,
la B.P.B et la bourgeoisie compradore (B.C)
constituent ses alliés privilégiés. La gestion de l'appareil
d'Etat revient à la B.P.B, tandis que la B.C hérite des mai-
sons commerciales françaises et d'une partie de leur activi-
té d'import-export (sous la colonisation,
la fonction com-
pradore était assurée par les maisons commerciales françai-
ses). La B.C est donc également une création du néo-colonia-
lisme français dont les éléments s'occupaient du commerce de
gros, de demi-gros et de détail durant la période coloniale.
"Bref,
la bourgeoisie bureaucratique ou compradore a
des liens de chair et de sang avec le grand capital
étranger : ses intérêts ne peuvent exister et se dé-
velopper sans s'appuyer sur le capital étranger"
(1).
Le développement du capitalisme d'Etat menace ce-
pendant la B.C en tant que classe sociale autonome. En effet,
1.
O. AFANA, op.cit, p.116.
\\
' -

-
170 -
la B.P.B qui contrôle avec ses alliés étrangers principa-
lement français les banques, peut priver la B.C des fonds
indispensables pour ces opérations commerciales. Le déve-
loppement des industries de substitution aux importations,
la transformation sur place de certains produits, le déve-
loppement du marché intérieur,
constituent des éléments
objectifs qui poussent à l'élimination de la B.C du cir-
cuit commercial. En tout état de cause,
l'association de
la bourgeoisie locale avec l'impérialisme ressemble à cel-
le du cavalier et du cheval. Dans l'alliance des forces
qui constituent l'Etat colonial comme de l'Etat néo-colo-
niaI,
l'impérialisme demeure le maître.
"Ainsi, même en Côte-d'Ivoire, pays cependant plus
avancé que d'autres dans ce domaine,
seulement
36,88 % du capital des sociétés industrielles étaient
sous contrôle national au premier janvier 1976, et
là-dessus seulement 12,28 % étaient possédés par
le privé,
les 24,6 % restants étant obtenus par
l'Etat" (1).
Quelle place est laissée à la chefferie dans la
nouvelle alliance de classe, et quel sort lui est réservé
pour l'avenir?
La chefferie administrative, base d'appui prin-
1
cipale du colonialisme français,
voit son rôle s'amenuiser
1
1
dans le cadre de la nouvelle disposition des forces socia-
1
les. Le pouvoir de la chefferie est allé déclinant et à
terme,
cette force sociale est historiquement condamnée à
1
1.
p~erre BIJ?RNES : "L'Afrique aux Africains". Armand Co-
1
l~n - Par~s., 1980, p.27.
1
1
r
1
~. 1

disparaître. Ebranlé par le colonialisme français.
fortement
entamé par le néo-colonialisme au profit de la B.P.B et de
la B.C.
le rôle de la chefferie tendra à s'éteindre avec la
voie de "développement capitaliste" suivie par les pays du
SAHEL. En effet. pour nous comme pour tous ceux qui parlent
d'économies "sous-développées" en termes d'
"économies domi-
nées" ou "extraverties". ce phénomène résulte d'un processus
historique dont l'origine se confond avec l'intégration dans
le système capitaliste international. Les pays "sous-dévelop-
pés" suivent par conséquent la "voie capitaliste de dévelop-
pement, mais ces pays ne peuvent devenir des pays capitalis-
tes indépendants identiques à tout point de vue aux pays ca~
pitalistes avancés,
car les bases essentielles de l'essor
des forces productives y sont réduites.
c'est pourquoi les
appareils d'Etat se développent sans commune mesure avec la
,
.
(1)
base economlque
.
Certains chefs féodaux,
les plus lucides,
se sen-
tant historiquement condamnés,
essayent qui de se reconvertir
en B.P.B (ministre, député),
qui en compradores en dévelopant
des activités commerciales (import-export) ou encore tout
simplement en développant d'autres activités économiques.
La désintégration de la chefferie féodale,
la re-
1
!
conversion qui en résulte, met un terme à la reproduction mê-
1.
Cette argumentation est beaucoup plus largement dévelop-
pée dans "Les classes sociales et le développement écono-
mique en Haute-Volta". Thèse de doctorat de 3ème cycle,
soutenue par Kouka Ernest ILBOUDO -
Poitiers., 1978.
\\

-
172 -
me simple des classes dominantes de la période précoloniale.
Qu'en est-il au niveau des couches populaires?
SECTION II
DEPERISSEMENT DE L'ESCLAVE, APPARITION DU SALA- -
RIAT.
L'esclavage patriarcal (l'esclavage de case) tel
que nous l'avons étudié et tel qu'il était pratiqué au SAHEL,
constituait un obstacle majeur pour l'exploitation coloniale.
Dans ce système,
le maître, en principe, ne travaillait pas
ou travaillait très peu,
le surtravail de l'esclave lui as-
surant moins un luxe supplémentaire que la faculté de se re-
poser.
"Mais si l'esclave doit à son maître une partie de son
travail (dans des proportions fixées par la co~i~e),
le maître est tenu à son tour d'assurer la subslstan-
ce de l'esclave, de le nourrir sur les réserves cons-
tituées à son bénéfice et dont il a moins la disposi-
tion que la gestion. Ce système en circuit fermé assu-
re au maître une vie médiocre, aux esclaves une vie_
parfois misérable mais sans les exposer jamais à l'iso-
lement et au dénuement" (1).
Les anti-esclavagistes, défenseurs du système co-
lonial, prêchaient la suppression de l'esclavage non pour
adoucir le sort des captifs, mais pour jeter dans la produc-
tion le maître et l'esclave, afin de rentabiliser l'exploita-
tion coloniale au bénéfice du colonisateur. La suppression
de l'esclavage a affaibli certains peuples et notamment cer-
taines a~istocraties insuffisamment dociles. Elle a eu pour
1.
J. Suret CANALE, op~cit,
p.8l.

-
173 -
\\
conséquence immédiate d'accroître, tout au moins quantitati-
vement, les forces productives.
Cependant,
il ne faudrait pas se méprendre, l'ad-
ministration coloniale n'a jamais eu pour ambition de géné-
raliser la suppression de l'esclavage qui aurait fortement
gêné sa politique de "diviser pour régner". Jouant sur les
rivalités tribales et les conflits sociaux, la politique co-
loniale française a longtemps hésité entre deux lignes con-
tradictoires : maintien de l'esclavage et sa suppression.
Le décret de la deuxième République,
abolissant
l'esclavage aux colonies, daté du 27 avril 1848, n'avait ja-
mais été réellement appliqué au Sénégal. FAIDHERBE d'ailleurs
en 1855 fit expressément préciser par le Conseil d'Adminis-
tration de la colonie qu'il ne serait pas appliqué. En fait,
au début du XXème siècle encore,
l'esclavage sans le nom,
Dakar. Ceux-ci, pour se procurer des domestiques, achetaient
des captifs ;
ils étaient ensuite conduits au parquet où une
"patente de liberté" leur était délivrée. Après quoi,
ils
étaient confiés à leur acheteur qui recevait à cet effet la
fonction de "tuteur".
Ainsi à Bakel en 1896 où le "village de liberté"
(que les Africains avaient baptisé sans ironie le village des
esclaves du commandant) s'était gonflé à l'excès et des "trou:-
bles" avaient éclaté, on prit le parti de renvoyer purement
1
!
et simplement les captifs chez leurs anciens maîtres.
1
1

-
174 -
Malgré la circulaire Ponty en 1901 interdisant le
droit de suite (tout captif fugitif est remis par l'adminis-
tration à son maître), on s'ingénua à le partiquer pour des
raisons politiques. Le 12 décembre 1905, un décret frappant
d'amende
"de deux à cinq ans de prison toute personne convaincue
d'avoir conclu "une convention ayant pour but d'alié-
ner la liberté d'une tierce personne",fut promulgué"
t
c'était le premier acte officiel, nonobstant sa formulation
imprécise, généralisé à toute l'Afrique Occidentale interdi-
sant l'esclavage. Ce décret ne touchait cependant pas aux
droits acquis. En 1904, avant le décret il y avaient .deux mil-\\
lions de non-libres" en A.O.F pour huit millions deux cent
cinquante mille habitants.
Dans certaines régions,
la propor-
tion atteignait jusqu'à 50 %. L'esclavage dépérit cependant
progressivement. En 1908, les agents indigènes de l'adminis-
tration furent requis de proclamer la "libération" de leurs
captifs. Quelles qu'aient été les survivances de l'esclavage
jusqu'à nos jours, dans certaines régions,
l'institution
était en parfaite décomposition dès les années 1908-1909. Le
dépérissement de l'esclavage aura entre autres conséquences,
de favoriser la mobilité des nouveaux "hommes libres", qui
prendront naturellement le chemin des nouveaux pôles de dé-
veloppement, où le salariat déjà prend corps.
Le salariat constitue un témoin quasi innocent et
pur de l'évolution sociale qui ouvre à l'Afrique et notamment
au SAHEL, des perspectives inédites. L'étude des catégories
\\

-
175 -
sociales dans le SAHEL précolonial ne nous a pas permis de
déceler la présence de salariés. La période coloniale verra
l'apparition de ce phénomène qui ira s'amplifiant, et qui
est l'une des preuves tangibles de l'introduction puis de
la domination du capitalisme.
"La forme du salariat comme expression d'un contrat
entre deux "propriétaires",
l'un ayant le capital
argent et l'autre la force de travail, n'est pas
seulement l'expression juridique du rapport d'ex-
ploitation capitaliste. Elle signifie aussi que
l'ouvrier "propriétaire" de sa force de travail,
est responsable de l'entretien de celle-ci, que
c'est en principe,
lui,
et non le capitaliste qui
a la charge de la reproduire lui-même"
(1).
Le salariat est par conséquent un pur produit du
système capitaliste qui au départ,
emploie des méthodes bru-
tales et coercitives pour soumettre à son empire les tra-
vailleurs africains.
"Beaucoup d'Africains étaient entrés dans l'économie
moderne par les travaux forcés exploités par les Fran-
çais avant 1945 pour construire les routes,
les che-
mins de fer et pour d'autres travaux publics, ou même
des travaux agricoles privés. En disloquant l'économie
traditionnelle assez stable au niveau du village,
les
travaux forcés ont beaucoup contribué à fournir une
masse d'ouvriers non qualifiés prêts à prendre place
dans l'économie monétaire. Le système des travaux for-
cés a été aboli par la "loi Houphouët BOIGNY" du Il
avril 1946, mais il avait déjà· provoqué de profonds
changements des structures sociales et rurales.
Beau-
coup d'autres hommes,
en provenance surtout des colo-
nies enclavés de l'intérieur, étaient attirés vers les
Etats côtiers par les emplois saisonniers dans les
plantations, dans les ports ou dans le bâtiment, soit
comme migrants temporaires pour une période de six
mois soit, souvent, d'une façon plus permanente" (2).
L
Suzanne de BRUNHOFF,
"Etat et capital". P.U.G - F. Mas-
péro., 1976.
2.
Le "Mois en Afrique", nOs 178-179, pp.25-86, op.cit.

-
176 -
Dans une étude sur le salariat au Congo, H.
BABAS-
SANA(l) retient trois contraintes qui sont à la base de la
création et de l'extension du salariat
-
les exigences de l'impôt,
la nécessité du numéraire pour s'acquitter de
la dot et acquérir quelques marchandises de "traite", dont
on peut se passer pour la subsistance vitale, mais ayant une
fonction sociale importante pour la reproduction de la forma-
tion économique et sociale (F.E.S),
-
l'exigence de la reproduction de la force de-
travail, bien que celle-ci ne joue que partiellement et pro-
gressivement.
Les conditions d'apparition du salariat donnent à
la force de travail comme marchandises des traits originaux
qu'il convient de saisir pour éviter tout amalgame.
Le salariat au SAHEL comme en Afrique n'est pas une
catégorie économique développée.
Les travailleurs salariés
demeurent encore liés au mode de production précapitalistè
du point de vue de la production et de la reproduction de la
force de travail,
surtout pendant les premiers moments de sa
formation. Cependant, au fur et à mesure du développement du
capitalisme,
la relation salariale se dépouille de ses souil-
lures précapitalistes et se purifie. En effet,
la subsistance
du travailleur salarié ne peut dépendre de l'autoconsommation
1.
Hilaire BABAS SANA : "Travail forcé,
expropriation et for-
mation du salariat en Afrlque Noire".
P.U.G., 1978.

- 177 -
précapitaliste qu'à la condition que celui-ci vive a proxi-
mité de sa communauté d'origine.
Elle peut également relever
de l'autosubsistance si celui-ci travaille dans le cadre des
activités agricoles. A contrario,
le cas des travailleurs im-
migrés, des célibataires qui vivent dans les villes loin de
leur famille,
exclut le recours à l'autoconsommation. D~un
point de vue d'ensemble,
la localisation des unités de pro-
duction,
selon qu'elles sont en ville ou en campagne,
joue
un rôle déterminant dans les conditions de subsistance qui
agissent sur les facteurs de disparités de salaires.
Pendant la deuxième guerre mondiale, le développe-
ment des industries de l'A.O.F à cause du relâchement des
liens avec la France et de la baisse des importations en
provenance d'elle, le nombre des salariés s'est accru cepen-
dant que les salaires sont restés bloquer pendant toute la
durée de la guerre.
"Cette expansion économique se reflète clairement dans
la croissance rapide du nombre des salariés et dans la
migration à destination des villes de l'A.O.F qui a eu
lieu au cours des deux décennies allant de 1936 à
1956" (1).
1
1.
Le "Mois en Afrique", nOs 178-179 -
Paris., 1980.
!
1
1

-
178 -
Tableau N° l
: ~~~~9~~_2~~!~~~~~~~_~~~~~~!~~_l~2~L~~s~1
_S_~l_~}_é_s__e_t_ 'p_0.p_~_~t}_o_n__1.!!..?-~i_n_~
Popula-
,
Croissance ,
Croissance
tion
Sala-
. Année
annuelle
;Année
annuelle
urbaine
riés
moyenne
moyenne
des
villes
----- ------- ----------- ----- ----------- -------
1936
180.000
4,5 %
1936
+ 5,2 %
505.000
1948
276.200
(1936-1948)
1945
(1936-1945 ) 741.000
1954
372.547
9,3 %
1950
+ 6,4 %
989.000
1957
507.510
(1948-1957 )
1956
(1945-1956 ) 1266000
Source: Le mois en Afrique, op.cit, p.87.
Au cours de la décennie qui a suivi la deuxième
guerre,
le nombre de salariés a augmenté de plus de 9 % en
moyenne par an, tandis que les villes se sont développées
a une allure plus lente. Le taux annuel moyen de croissan-
ce du nombre de salariés a doublé passant de 4,5 % entre
1936 et 1948, à 9,3 % entre 1948 et 1957, tandis que le
taux d'urbanisation a progressé à peu près au même rythme.
Cette situation confirme la croissance du salariat vivant
dans les zones urbaines et la place primordiale que ce pro-
cessus occupe dans la monétarisation de l'économie. Cette
croissance demeure cependant inéquitablement répartie sur
le plan géographique et plus spécifiquement lorsqu'on con-
sidère chaque unité étatique. C'est ce que nous indique le
tableau suivant :

-
179 -
Tableau N° 2
, '-
Salariés
Croissance
!
en
1948
1956
moyenne
!
Pays
""
-
annuelle
""-
------------------- ------------ ------------ ------------
Mauritanie ......
3.100
4.800
4,1 %
Sénégal/Dakar ...
91.000
100.300
0,8 %
Soudan Français
31.000
41. 700
2,8 %
Niger . ..... .....
8.000
13.575
5,7 %
Haute-Volta
15.000
25.000
5,8 %
!
------------,
TOT A L
158.000
185.000
1,5 %

Source
Le mois en Afrique, op.cit.
si nous considérons cette décennie qui, au niveau
de l'A.O.F, constitue une période de croît salarial fulgu-
rant au niveau du SAHEL,
la croissance demeure plut8t
mo-
deste
19 % sur douze années. La répartition de cette crois-
sance profite surtout à la Haute-Volta (5,8 %), au Niger
(5,7 %)et à la Mauritanie (4,1 %). Ceci s'explique par le
fait que la mise en valeur de ces trois pays coïncide avec
la mise en place du F.I.D.E.S
(Fonds d'Investissement pour
le Développement Economique et Social) créé par l'article 3
de la loi du 30 avril 1946. La création du F.I.D.E.S corres-
pond au souci de mettre sur pied des plans de modernisation
et d'équipement de l'Union Française dont le financement re-
viendrait au Fonds.
Il est symptomatique en effet de voir
que la somme des travailleurs salariés (43.875) de ces trois
pays en 1956 ne soit qu'à peine supérieure aux 41.700 tra-

-
180 -
vailleurs du Soudan Français (aujourd'hui Mali), et qu'elle
n'atteigne même pas la moitié des salariés de la seule colo-
nie du Sénégal. A partir des années 1960 avec l'avènement du
néo-colonialisme,
le processus de diversification des capi-
taux, conjugué avec une concurrence redoublée des métropoles
impérialistes, va connaître un essor décisif à travers l'in-
tensification du processus d'exploitation des ressources mi-
nières et végétales, mais aussi celui de l'extension du mou-
vement d'implantation d'une industrie légère de substitution
aux importations. Cette phase accentue le processus de la
"libération de la force de travail" et la constitution d'un
marché. Elle permet d'établir que la "libération de la force
de travail"
(caractérisée actuellement par l'exode rural),
dont le pendant est la désintégration des procès de travail
précapitaliste dépend du degré de développement du capitalis-
me et n'emprunte pas une voie unique. A partir d'un certain
degré de développement du capitalisme,
la reproduction élar-
gie de la force de travail acquiert permanence et stabilité.
Aujourd'hui au SAHEL,
la reproduction de la force de travail
s'élargit et s'approfondit sur la base des lois de l'économie
marchande. La reproduction élargie de la force de travail si-
gnifie une présence constante du travail salarié. Plus qu'un
simple renouvellement du rapport salarial, elle commande une
extension de ce rapport.
Cependant,
le caractère unilatéral
du développement de la structure industrielle doit nous per-
mettre de ramener à de
justes proportions l'idée du marché
du travail. L'industrie dans les néo-colonies du SAHEL est

-
181 -
délibérément et unilatéralement orientée vers les branches
extractives,
celles qui font de la substitution aux impor-
tations, ce qui ne contribue nullement au développement mul-
tilatéral de l'industrie, donc à l'extension du marché in-
térieur mais favorise les marchés extérieurs. La conséquen-
ce logique qui découle,
c'est une reproduction certes élar-
gie mais étroite de la force de travail,
son instabilité
(chômage,
retour à la terre). Ceci montre bien que la domi-
nation impérialiste est inséparable de la destruction de la
force de travail.
Somme toute,
comme cela ressort de notre analyse,
l'apparition des formes économiques "modernes" ne résulte én
aucun cas du déroulement logique et simplet du passage d'une
économie sans marché à une économie de marché par le truche-
ment du "marché périphérique" et le simple jeu de la progres-
sion pacifique de la loi de l'offre et de la demande en pays
traditionnel (suivant le modèle suggéré par BOHANNAN et DAL-
TON). Le déroulement historique réel fut celui d'un heurt de
deux modes de production hétérogènes:
l'un capitaliste,
l'au-
tre complexe mais à dominante féodale (comme nous l'avons dé-
crit dans la partie relative aux SAHEL précolonial),
et le
bouleversement,
la soumission de l'un à l'autre. Pendant que
les pôles d'attraction des sociétés précoloniales se désin-
tègrent,
de nouveaux pôles émergent ralliant les nouveaux
"hommes libres". Force centripède,
champs nouveau de rallie-
ment, les villes se multiplient,
accélérant le processus de
différenciation entre campagne et zone urbaine.

-
182 -
SECTION III
L'ACCELERATION DE LA RUPTURE ENTRE VILLE ET
CAMPAGNE.
Le colonialisme a créé des villes dès l'origine de
son emprise. Depuis 1945-1950. parfois plutôt. la population
de ces zones urbaines s'est fortement accrue.
et le cro1t
s'est maintenu s'accélérant. Ces villes. vitrines du monde
qu'impose l'impérialisme seront autant de centres privilégiés
pour la mise en oeuvre de sa politique économique que pour
l'exploitation de la force de travail.
L'Afrique' précoloniale eut ses villes et ses civi-
lisations citadines : villes soudanaises (Djennée. Tombouc-
tOUt etc ..• ). villes marchandes.
politiques (Ouagadougou),
intellectuelles •
.••• depuis les empires médiévaux jusqu'au
Xlxème siècle. Le déclin de nombre de ces cites avant lq co-
lonisation.
le fait que beaucoup ne se soient pas réinsérés
dans la vague urbaine contemporaine ou ne ~'aient fait qu~a-
vec un fort remaniement d'urbanisation.
tout cela atteste.
avec l'urbanisation actuelle. de vastes régions jusq~~là'
vierges.
la nouveauté socio-historique radicale du fait ur-
bain contemporain et la coupure historiographique qui l'isole
des temps précoloniaux.
Deux besoins du colonisateur ont engendré les vil-
l e s : les unes ont suivi l'installation des centres adminis-
trâtifs et les points d'appui militaires, dès la conquête.
complétêe-Pltérieurement par l'apport du réseau de centres
~econdaires environnants. Les autres ont surgi aux points
1
.~

-
183 -
vitaux de l'emprise économique: comptoirs côtiers, puis
ports modernes,
lieux de rupture de charges : fleuves,
voies ferrées et carrefours routiers ou ferrovières selon
les sollicitations d'une nécessité économique dominante de
ramassage ou de traite et lieux d'exploitation et de trai-
tement primaire des ressources naturelles, mines surtout.
"L'énorme croissance urbaine, s'est nourrie et se
nourrit encore fortement de la migration (migra-
tion effectuée parfois à forte distance et à tra-
vers •.•
coloniales). Dans l'effritement de l'an-
cien ordre social, mobiles répulsifs aux lieux de
départ et mobiles attractifs à la ville se combi-
nent inextricablement" (1).
Nous ajouterons que les mobiles profonds de la
migration des zones rurales vers les villes sont fondamen-'
talement économiques. En effet, l'affaiblissement multi-
forme des économies rurales, les ponctions en travail con-
sécutives à la suppression de l'esclavage, celles en pro-
duits imposés par le colonisateur, conjuguées avec deux
mouvements contradictoires (d'une part le progrès des cul-
tures d'exportations aux dépens des cultures vivrières et
des sols, d'autre part après la saignée démographique qui
a marqué parfois la première génération de la colonisation,
un retournement de cette évolution qui entraîne une crois-
sance de la population) vont dégrader la situation de nom-
breux milieux dans les campagnes. L'économie monétaire ré-
sume et manifeste au mieux les besoins qui ont poussé tant
L
"L'Afrique Noire de 1800 à nos jours". Catherine Coque-
ry VIDROVITH et Henrl MONIOT, P.U.F., 1974, p.367.
\\

-
184 -
d'Africains vers la ville.
L'argent représente un pouvoir libérateur qUl per-
met de payer l'impôt et d'acheter des biens de consommation,
qui du fait de la désintégration de l'artisanat local et de
l'économie d'autosubsistance, renvoie aux relations marchan-
des. Or la ville est apparue comme un lieu de travail sala-
rié, comme une occurence de revenus plus variés et plus abon-
dants,
comme un lieu de moindre coût des productions diffu-
sées par le commerce
elle est aussi possibilité de forma-
tion et d'instruction, gage de plus de sécurité et d'aisance.
La ville contemporaine frappe aussi par ses insuf-
fisances et ses incohérences économiques. Le développement de
l'urbanisation est sans commune mesure avec celui de l'indus-
trialisation. En effet, si les rapports marchands s'y déve~
loppent compte tenu de la concentration des citadins "hommes
libres" c'est-à-dire sans moyen de production, donc obligé
de nourrir les relations marchandes,
i l demeure que la masse
urbaine semble hypertrophiée eu égard aux fonctions remplies
par la cité. L'examen de la situation montre une prédominance
du secteur tertiaire (administration et services publics, com-
merce, transports et domesticité). Ces caractéristiques sur
lesquelles nous nous pencherons plus à fond,
sont le fruit
d'économies capitalistes dominées ou "extraverties", d'une
reproduction dans les sociétés précapitalistes des structures
sectorielles du capitalisme ou plus exactement de l'impéria-
lisme, c'est-à-dire une représentation, dans des proportions
encore plus favorables au secteur tertiaire des métropoles

- 185 -
impérialistes des pays du "centre", des grands secteurs du
capitalisme mûr et déclinant ayant la capacité d'entretenir
un nombre croissant de gestionnaires. Dans ce contexte,
le
nombre des emplois disponibles est très inférieur à la de-
mande et aux disponibilités humaines, d'où un chômage total
ou partiel très important.
Ville jeune, née à partir d'un petit village pré-
colonial p1uriethnique,
installée sur les rives du fleuve Ni-
ger, Niamey capitale définitive du Niger depuis 1924, est une
ville dont le développement s'est accéléré de façon spectacu-
1aire à partir des années 1960. La population était encore de
1730 habitants en 1931 ; aujourd'hui,
elle peut être estimée
,.,
à plus de 200.000 ames.
1° - Une ville
jeune
Elle est jeune au double sens où ses habitants sont
jeunes et où sa création est relativement récente : les moins
de 20 ans constituent plus de la moitié de la population.
Un plan antérieur à 1930 prévoyait dans la pure tra-
dition coloniale une ville européenne et une ville indigène,
construite en
damier,
séparées par une zone tampon constituée
de parcs localisés le long de la vallée du Guntiyena. C'est
sur la base de ces considérations que pour l'essentiel la vi1-
le sera édifiée.
1
\\

-
186 -
Un examen approfondi révèle l'importance de l'ac-
croissement de la population de Niamey qui a été multipl~ée
par neuf entre 1931 et 1953 alors que celles de Bamako et
Dakar quadruplaient. Seule Abidjan a eu une évolution com-
parative : sa population n'a cependant été multipliée que
par sept au cours de la période considérée. A partir de 1953,
la population doublera tous les sept ou huit ans selon les
différentes estimations.
Nombre
Année
d'habitants
1931
1. 730
1953
15.710
1960
33.816
1968
72.204
1975
175.000
1980
+ de 200.000
Source: Cahier d'Outre-Mer,
complété par nous.
L'importance de l'exode rural est telle que l'on
n'est peu surpris de constater dans le tableau que 42,8 %
1.
Cahier d'Outre-Mer ,
n° 11.,
juillet-septembre 1975, p. 206.
fl

-
187 -
(moins de la moitié) seulement des Niaméens sont nés a Nia-
mey.
Tableau N° 4
: ~~~~~!~!~~~!~~_~~~_~~e~~~~~~_~~_~!~~~Y
_s_e}_o_~_l_a__d_l.!!_é_e__d_~~_éj.9_l.!!_
Proportion par rap-
port à l'ensemble
Immigrés depuis
de la population
en %
a à
1 an
13,6
1 a
2 ans
8
2 a
3 ans
5
3 à
5 ans
6,2
5 a 10 ans
la
la a 15 ans
6,6
plus de 15 ans
7,8
Nés à Niamey
42,8
Source
Cahier d'Outre-Mer, p. 208.
Cette migration urbaine n'est pas sélective. Elle
concerne toutes les ethnies.
2° - Les fonctions de la v i l l e :
;c ~e~ fo~c~i~n~ ~d~i~i~tE.a~i~e~ ~ty~litiq~e~ :
capitale, Niamey regroupe les services centraux de l'adminis-

-
188 -
tration ; chef-lieu de Préfecture et de Sous-Préfecture, com-
mune de plein exercice par ailleurs, Niamey joue un double
rôle national et régional,
au point de vue administratif,. On
y trouve par conséquent la plus forte concentration des agents
de l'Etat et des services para-publics.
je
Le~ fo~cti~n~ ~c~n~mi:.q!:!.e~ : les fonctions
commerciales sont celles dont le développement a été le plus
1
spectaculaire. Le peu d'usines qui existent dans le pays, se
sont multipliées dans une vaste zone industrielle sitéé -à-
1~
proximité de la ville.
De nouvelles maisons de commerce d'importance va-
riable poussent comme des champignons, s'ajoutant alnSl aux
maisons de commerce installées de longue date que sont Per~
sonnaz et Gardin, SCOA (Société Commerciale de l'Ouest Afri-
cain),
la CFAO
(Compagnie Française de l'Afrique Occidentale),
Niger-Afrique, etc ••• Niamey est le siège social de la majo-
rité des sociétés opérant au Niger.
Parmi les sociétés et entreprises installées à
Niamey,
citons la miroiterie de Niamey (SOMINI) construite
!
en 1964, la société des Brasseries et de Boissons Gazeuses
t
du Niger (BRANIGER), mise en service en 1969, la NITEX (So-
1
ciété Nigérienne de Textiles),
la SONARA (Société Nigérienne
de Commerce et d'Arachide),
la SONIPLA (Société Nigérienne de
Plastique), la SPCN (Société des Produits Chimiques du Niger),
la SONIFAME (Société Nigérienne de Fabrication Métallurgique), 1
l'IGN (Imprimerie Générale du Niger),
la NIGELEC distribuant
'
(

-
189 -
l'eau et l'électricité. Les industries de la construction
et du bâtiment y sont nombreuses : parmi elles,
la SONIGERAM
(Société Nigérienne des Produits Céramiques) produit des
briql;les.
"Selon les dernières estimations,
la répartition pro-
fessionnelle de la population active de Niamey par
secteur d'occupation serait la suivante : secteur
primaire: 7 % ; secteur secondaire: 23,8 % ; sec-
teur tertiaire : 68,9 %"
(1)
Ces chiffres confirment notre assertion selon laquelle la
ville est un miroir,
l'avenir du développement capitaliste.
.
~
Ce miroir apparalt cependant comme un miroir déformant et
grossissant dans le cadre d'économies capitalistes domi-
nées, c'est-à-dire une représentation des structures sec-
torfelles du capitalisme développé dans des proportions plus
favorables au secteur tertiaire.
L'évolution de la main-d'oeuvre déclarée du sec-
teur privé par branches d'activités est très significative
du développement économique de la ville de Niamey.
1.
Cahier d'Outre-Mer, op.cit, p.215.
1
1
1
1

,
-
190 -
Tableau N° 5
,
,
Branches
1963
d'activité
1964 i1965 i 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972
!
!
--------------
----!----!----
Conunerce ..... 15,9 14,6 ! 15,7 ! 13 , 3 15,6 15,6 12
13 ,3 17,2 12,8
!
!
!
Bâtiments et
,
,
TP ........... 52,1 50
·41,4·45,2 36,4 40,6 37,7 27,7 29,4 31,3
Mécanique .... 4,3
4
3,7
3,2
4
4
4,6
5,1
4,7
2,8
Hôtellerie ...
2,7
2,4
3,1
2,5
2,5
2,4
2,2
2,6
2,1
1,1
Banques et as-
surances .....
3,8
5
4,6
4,5
6
5,4
5,5
5,8
5
4,4
Agriculture
0
0
0
0
0,5
0,2
0
0
0,4
1,4
Industrie ....
5,3
5,1
7,9
8,2 10,5
9,5 15,6 21,7 24
20
Transports
10
8,8
9,6 Il,2 12,4 Il,4 10,3 Il,8 10,5
5,4
Divers ..... .. 5,9 10,1 14
Il,9 13,1 10,9 12,1 12,5
6,7 20,8
100
100
100
100
100
100
100
100
100
100
Source
Cahier d'Outre-Mer,op.cit.
Ce tableau indique clairement l'instabilité du mar-
ché de l'emploi ou encore l'extrême mobilité de la main-d'oeu-
vre qui passe sans transition d'une branche à l'autre de l'é-
conomie.
Il permet également de constater une évolution con-
tinue de l'industrie et du "secteur informel" capitaliste. Le
développement de l'industrie à partir de 1969 ne doit pasfai-
re illusion.
En effet, ce développement est le seul fait de.
l'installation de la SOMAIR (Société Minière de l'AIR), cons-
,\\

-
191 -
tituée en 1968, et dans laquelle l'Etat nigérien ne détient
que 31 % du capitaL Enfin sur les 27.000 salariés, 4000 seu-
lement se consacrent à l'industrie, soit 14,8 %.
Le volume de la main-d'oeuvre déclarée du secteur
privé de Niamey montre le poids de la capitale dans les ac-
tivités des secteurs "modernes" capitalistes, c'est-à-dire
le "secondaire et le tertiaire". Les pourcentages sont élo-
quents.
Tableau N° 6
1'_o_'-:...r:c_e_n_t_a3_e__<:!..e.:=:_ .:=:_a_l_a-.r:i_él!. _n}3_é-.r:i_e_n_s_
~~~~~~!!~~~_~_~~~~~l
T
,
,
,
Années
1964 1965 1966 1967 1968 i1970 1971 ;1972 ;1973
.
.
!
!
!
----- --- -----
----!---- ----!----!----
,
,
,
Pourcentage
68,7
67
!68,6 60,2,63,3;59,8,63,9;63,4;70,3
.
.
.
.
.
Source
Cahier d'Outre-Mer, op.cit.
Il ressort qu'une proportion importante des sala-
riés nigériens travaillent à Niamey et que les activités du
tertiaire y sont prépondérantes. Il convient de faire toute-
fois remarquer qu'il s'agit uniquement de la main-d'oeuvre
déclarée, et que de nombreux Niaméens s'occupent encore d'a-
griculture et d'élevage. Très nombreux sont également les
1
Niaméens qui s'occupent du moyen et petit commerce et qUl ne
sont pas toujours déclarés.
L'existence de la ville contemporaine comme du sa-
lariat, constitue un indice probant de l'intégration du SAHEL

-
192 -
,
dans le marché capitaliste mondial et son insertion dans la
division capitaliste du travail. L'extension du salariat sur
le plan'--quanÜ.tatif
comme sur le plan qualitatif, le gon-
flement des zones urbaines,
répondent au développement du
capitalisme. Cependant, du fait de la domination impérialis-
te,
les voies qu'emprunte la formation du salariat et des
villes, demeurent inexplorées. Reproduction élargie du sala-
riat qui reste enserré dans des limites étroites, villes hy-
pertrophiées compte tenu des fonctions économiques qui lui
sont dévolues. Autres caractéristiques,
l'extension du capi-
talisme n'élimine pas systématiquement la reproduction des
formes précapitalistes. Cependant, cette reproduction ne se
fait plus de façon élargie,
le renouvellement se fait à l'i-
dentique ou en se rétrécissant. L'influence du capitalisme
sur cette reproduction,
laisse quelquefois les formes intactes
mais modifie profondément son essence (l'exemple de cheffe-,
rie administrative). La cohabitation des modes de productions
précapitalistes et du mode de production capitaliste (même ~i
ce dernier reste très limité quantitativement) se fait sous
la direction de ce dernier.
Cependant,
le capitalisme tel
qu'il se développe au SAHEL reste étriqué et unilatéral, sa-
crifiant une part non négligeable des forces productives.
,C'est ce que le chapitre deux, sur le développement du mar-
ché capitaliste, nous permettra de préciser.
-----------0-----------
1
i1\\

-
193 -
CHAPITRE DEUXIEME
LE DEVELOPPEMENT D'UN MARCHE CAPITALISTE
ET LA REPRODUCTION ELARGIE DU MPC
La matérialisation des objectifs de la colonisa-
tion laisse apparaître deux éléments essentiels: l'inté-
gration des pays du SAHEL dans la division capitaliste du
travail et leur insertion dans le marché capitaliste. Le
marché capitaliste étant défini comme "le lieu où s'échan-
gent les marchandises,,(l). L'intégration dans le marché ca-
pitaliste confère aux pays du SAHEL essentiellement un rôle
de consommateurs des marchandises (produits finis) des mé-
tropoles capitalistes, tandis que la division capitaliste
du travail les enferme dans le rôle ingrat de fou~nisseur
de matières premières aux industries des pays capitalistes
"développés". Pour être plus juste, il faudrait quelque peu
nuancer ce jugement pour tenir compte de l'installation des
I.A.A dans ces pays. Embryonnaire au départ,
le marché ca-
pitaliste prend des proportions non négligeables, permettant
à la demande solvable consacrée aux produits finis de gon-
fIer sans cesse. L'importance de cette demande, même si on
ne dispose pas d'un instrument de mesure fiable, peut appa-
raître,avec le développement des secteurs tertiaire et'secon-
1.
Léon WALRAS
: "Eléments d'économie pure ou théorie de la
richesse sociale". Librairie Générale de Droit et de Ju-
risprudence -
Paris., 1952, nouveau tirage., 1976.

- 194 -
daire capitalistes dont le pourcentage dans le P.N.B ne ces-
se d'augmenter avec le temps.
Cependant,
le développement
unilatéral du secteur industriel,
la mainmise du capital fi-
nancier étranger, français principalement, trace les limites
du développement de ce marché.
Deux sections nous permettront qe mieux connaître
les éléments qui vitalisent et qui freinent le développement
1
du marché capitaliste
1
- Section l
développement des secteurs "tertiai-
1
re et secondaire"
capitalistes.
1
-
section II
: prédominance d'un secteur de plus en
plus soumis.
SECTION l
DEVELOPPEMENT DES SECTEURS "TERTIAIRE ET SECüN-
DAIRE" CAPITALISTES.
L'économie néo-classique admet l'existence de trois
grands secteurs d'activités dansChaque pays quels que soient
l'..·
l'espace et le temps:
"On répartit les activités d'un pays en trois secteurs':
primaire,
secondaire, tertiaire ;
-
le primaire comprend l'agriculture, la pêche et
la forêt.
- Le secondaire,
les industries,
les mines et le
1
bâtiment.
- Le tertiaire,
les services"
(1).
1
Cette distinction d'abord parce qu'elle souffre
1
d'arbitraire sur la base de ses propres présupposés, est
l,
1.
J.M. ALBERTINI
: "Mécanismes du sous-développement et dé- 1
veloppement". Editions Economie et humanisme.
Paris., 1981;
p.23.
!!
1
,
\\

- 195 -
discutable. Pourquoi le secteur minier figure-t-il dans le
secteur secondaire? N'est-ce pas une activité de la terre
comme l'agriculture? Ne fournit-elle pas à l'industrie des
matières premières comme l'agriculture? Aussi dévastatrice
que soit la critique interne,
nous n'allons pas nous y at-
tarder car la critique externe est aussi décisive. En fait,
cette distinction ne vaut que pour le mode de production ca-
pitaliste,
car dans les modes de productions antérieures au
capitalisme,
des difficultés objectives existent pour y per-
cevoir les trois secteurs. D'ailleurs au SAHEL, le secteur
secondaire connaît des frontières très floues,
ce qui a con-
duit à la qualification de ce qUl est appelé un secteur in-
formel.
Notre analyse évitera donc,
autant que faire se peut,
de s'appuyer sur cette distinction en trois secteurs. Cepen-
dant,
les statistiques,
les éléments d'enquêtes disponibles,
prennent souvent pour base cette analyse, ce qui rend ce tra-
vail de recherche tributaire,
ne serait-ce que,
de ce point
de vue, des concepts de l'économie dominante. Les secteurs
"secondaire" et "tertiaire" demeurent (cela est difficilement
contestable) le. lieu d'élection du rapport salarial. Ce rap-
port progresse-t-il réellement et quelle est son importance ?
Le développement du secteur secondaire emprunte-t-il la même
voie que celle suivie par les pays "capitalistes développés" ?
Deux sous-sections tenteront d'apporter une réponse
à ces questions :
1) Eléments de la reproduction élargie du MPC.
2) Caractère unilatéral du développement de l'in-
dustrie moderne.

-
196 -
La mise en évidence d'éléments de la reproduction
élargie du MPC,
l'idée quoiqu'encore imprécise de l'ampleur
du phénomène d'échange, donc du marché, exigeaient une étu-
de préalable du développement du salariat et celle du gon-
flement des zones urbaines. Cependant,
le MPC ne se dévelop-
pe pas seulement en ville,
et le salariat n'épuise pas, loin
s'en faut,
les formes par lesquelles le MPC pénètre l'écono-
mle sahélienne.
Dans cette sous-section, nous nous contenterons de
donner des indications chiffrées sur l'importance quantitati-
ve des "secteurs secondaire et tertiaire",
lieu d'élection du
rapport salarial.
Les données chiffrées permettent de relever deux
tendances essentielles : en valeur absolue les deux secteurs
représentent, dans presque tous les Etats du SAHEL plus de
la moitié du produit intérieur brut (P.l.B). En Haute-Volta,
ils correspondent à 54 % du P.l.B en 1978, au Mali à 66,3 %
en 1975, en Mauritanie à 72,8 % en 1975, au Sénégal à 78 %
en 1976. En valeur relative,
les deux secteurs progressent
lentement mais inexorablement.
Au Mali, partis de 50,7 % en 1969, les deux sec-
teurs atteignent 66,3 % en 1975, ce qui représente une pro-
gression annuelle moyenne de 2,6 % par an. En Haute-Volta,
c'est à 51,S % en 1972 que se chiffre le pourcentage des deux
secteurs par rapport au P.l.B ; en 1978, ce pourcentage at-
1
(

-
197 -
i
.!
1
teint 54,85 % soit une progression de 0,55 % en moyenne par
an. Au Tchad,
la progression moyenne annuelle de 0,50 % ré-
suIte d'un pourcentage des deux secteurs s'élevant à 53 %
du P.I.B en 1971 et de 55 % en 1975.
Cependant, au sein des deux secteurs (secondaire
et tertiaire) existe une disparité de progression. Favora-
ble et de loin, au secteur tertiaire depuis les années 1960,
cette disparité s'atténue progressivement au cours des années
1970.
Au Mali,
le secteur secondaire progresse de 13 %
en 1969 à 18 % en 1975. La progression annuelle moyenne cor-
respondant à cette croissance est de 0,8 %. Le tertiaire ne
progresse que de 0,2 % enregistrant en 1969 un pourcentage
de 42 % et de 45 % de la P.I.B en 1975.
En Haute-Volta, au Niger et au Sénégal, c'est une
régression qu'on note au niveau du secondaire. Haute-Volta,
de 17,2 % du P.I.B en 1972 à 13,65 % en 1978. Au Niger, de
18,8 % en 1970 à 16 % en 1975. Au Sénégal, de 39 % en 1962
à 33 % en 1976.
Au Sénégal,
le tertiaire enregistre une baisse plus
accentuée: de 42 % en 1962, il retombe à 33 % en 1976.
D'un point de vue global,
le "parent pauvre" des
trois secteurs reste le secteur secondaire qui occupe la der-
nière place sauf en Mauritanie où i l s'adjuge la première.
Cela tient essentiellement au secteur minier qui représente
une activité principalement extractive dont la place dans

-
19,8 -
le secteur secondaire, comme nous l'avons déjà souligné, est
source à discussion. Malgré sa faiblesse quantitative, le
,!
secteur secondaire revêt un caractère stratégique d'une im-
t
l
portance ind~cutable qui permet de comprendre les traits es-
sentiels du développement capitaliste dans les Etats du SAHEL
et dans les néo-colonies en général.
1
SOUS-SECTION II
: Caractère unilatéral de l'industrie.
'cf,,;,
----------------------------------
- ....,.:,;..,'
L'appréciation des caractéristiques de l'industrie
sahélienne ne peut se faire sans en référer à l'époque colo-
niale où les bases de celle-ci ont été jetées.
Industrialisa-
tion basée essentiellement sur l'apport des capitaux étran-
gers (notamment la prépondérance des capitaux français),
elle
répond aux besoins de ceux-ci. Mais pourquoi une étude su~
l'industrie? L'industrie incarne par excellence le secteur
"moderne"
: pour prendre le pouls de l'économie,
il convient
par conséquent de s'y référer ;
les objectifs de
me tels que le pillage et l'exploitation des ressources y ap-
paraissent dans toute leur splendeur. Enfin,
l'évolution de
l'industrie concentre les contradictions du régime colonial,
puis néo-colonial, mais du système capitaliste dans son en-
semble.
Le pact9 colonial assurait la quasi-monopole de
l'impérialisme français. Jusque dans les années 1960, les
capitaux "étrangers" transitaient par les sociétés françai-
ses ou à capitaux français pour être investis dans les pays
africains. Les "indépendances" de 1960 en même temps qu'elles

-
199 -
constituent une presslon des peuples qui aspirent à une in-
dépendance réelle,
signifient une moindre pression des au-
tres puissances impérialistes pour que la France ouvre ses
"chasses gardées" .
.....
les prêts et investissements privés non français
connaissent eux une progression assez forte qui leur
permet de dépasser à partir de 1964 le montant annuel
des investissements français"
(1).
La conférence de Brazzaville (1944), ouvre une nou-
velle ère dans le domaine de la politique des investissements
français en Afrique, notamment au SAHEL. Dans la première
phase,
les investissements d'Etat (par le truchement du FIDES
remplacé par le FAC en 1959) en intervenant dans les domaines
de l'infrastructure et de l'équipement, préparent et créent
les conditions d'afflux des capitaux privés. Une réglementa-
tion capable d'assurer aux capitaux des conditions exception-
nelles de rémunération et d'amortissement, mais également de
"minimiser" de façon sensible les coûts pour "maximiser" les
profits, se met en place. Cette réglementation élaborée de
façon plus systématique et notifiée dans les codes des inves-
tissements à partir des années 1960, constitue la trame du
développement industriel.
1
"En résumé,
les entreprises étrangères jouissent, en
vertu des dispositions de droit commun, d'une protec-
tion étendue identique à celle des entreprises natio-
nale et d'une égalité avec celles-ci devant la loi et
devant l'impôt ..
(2).
1.
Georges NGANGO
: "Les invest issements d'or igine ext~rieure f'
en Afrique Noire".
Edltlon Présence Africaine - Parls.,
1973, p.28r.
2.
G. NGANGO, op.cit, p.200.
\\

-
200 -
La notion d'activités prioritaires impose des choix
pour optimiser l'impact des investissements surtout étrangers
dans le processus de développement.
Il semble par ailleurs
que cette notion soit l'une de celles qui ont présidé à l'é-
laboration des codes d'investissement. Les codes voltaïques~t
sénégalais ne précisent pas la nature des activités priori-
taires,
tandis que les autres pays donnent à la priorité un
contenu si vaste (17 branches d'activités) qu'elle y perd
tout son sens. Cette absence de choix constitue une version
"new look" du "laisser-faire laisser-aller" dans le cadre des
économies sahéliennes. Cette option qui permet au capital
étranger principalement français d'agir librement, a détermi-
,
né a postériori deux sous-secteurs prioritaires : le sous-sec-
teur minier et celui des industries légères de substitution
aux importations. L'exemple du Sénégal demeure le plus ancien,
car l'industrie sénégalaise devait satisfaire le marché inté-
rieur (Sénégal et autres colonies de l'ancienne A.O.F). Cette
industrialisation faite essentiellement à partir d'une indus-
trie légère de substitution d'importation se situe dans la
presqu'île du Cap-Vert. La règle d'or de la "rentabilité" ca-
pitaliste'iait que le capital privé français qui anime cette
industrialisation se cantonne dans des domaines étroits : in-
dustries que les coûts de transport indiquaient comme les plus
rentables (huileries, emballages, conserves, ciment),
indus-
tries à coûts de main-d'oeuvre bon marché (conserves, sucre,
brasserie, tabac, allumettes,
textiles,
etc ••. ).
1
1
!
1
)

-
201 -
". •.
[ces] lAA présentent certains caractères favorables
à leur implantation dans les PMD. Comme nous l'avons
déjà mentionné, elles utilisent une matière première
généralement disponible, et le coût de celle-ci repré-
sente le plus souvent une forte proportion du coût to-
tal" (1).
~E~E~E~!~~_~~~_~~~!~E~~_eE~!~E~~
dans le coût total de fabrication
---------------------------------
T
Industries
Pourcentages
1 - Huilerie
75 -
85
2 - Sucrerie .. .. . . ........ .
70 -
80
3 - Article de cuir • . . . . . . .
60 -
70
4 - Laits et produits lai-
tiers
.
50 -
70
5 - Scierie
.
50 -
70
6 - Conserves de poisson •••
40 - 60
Source : Bulletin mensuel Economique et Statistique
Agricole de la F.A.O.
; février 1964, p.7.
"Certains lAA ont d'autre part l'avantage d'être à coef-
ficient de travail relativement élevé (industrie de
traitement de certaines matières textiles, des cuirs
et peaux, etc ••• ) de ne pas exiger une main-d'oeuvre
qualifiée importante, d'être assez faiblement adapta-
bles à des processus de mécanisation graduelle, de
1
1.
L. MALASSIS
: "Agriculture du sous-développement et déve-
loppement". Editlons Ouvrlères - Paris., 1981,
,1
.
\\

-
202 -
s'accommoder de dimensions relativement réduites, de
pouvoir être installées en zones rurales, etc •••
Lorsqu'il en est ainsi, de nombreux facteurs favora-
bles se trouvent réunis pour l'implantation d'IAA
dans les PMD"
(1).
Cet état de fait favorise les industries à bas ni-
veau de salaire et une division capitaliste et internationa-
le du travail imposant des ouvriers incultes et peu quali-
fiés,réservant le monopole des ouvriers qualifiés aux pays
industrialisés. Dans l'ensemble de l'industrie sénégalaise,
les agents de maîtrise ne représentent que 7 % des effectifs
(dont seulement la moitié est africaine) et les cadres (1,4 %
des effectifs) ne comptent que 8 % d'Africains.
Plutôt que d'acquérir des "industries industriali-
santes",
le Sénégal a fondé la possession de son arsenal in-
dustriel sur le seul critère de la rentabilité capitaliste
i
vue du point de vue étroit du capital financier étranger no-
tamment français. Ses industries ne constituent donc pas un
,
tissu dont les fils ont ététisSE!s pour en faire une toileso- il
f
lide mais des industries éparses "désarticulées" ; sur le pIani
interne, elles sont quelquefois soit soudées à l'agriculture
1
,
d'exportation dont elles ne constituent que le prolongement
(type huileries),
soit liées à la consommation finale, I-ImPor-
tant non seulement tout leur équipement, mais trente cinq pour
cent de leurs matières premières et de leurs produits semi-
finis.
Le "développement" dans ces conditions ne pouvait que
1
1
1
1.
L. MALASSIS
: "Agriculture du sous-développement et déve- 1
loppement". Edit lons Ouvr ières - Par is., 1981.
1
r
)

-
203 -
plafonner très rapidement ; avec quatorze mille salariés,
ces industries ne permettent que de satisfaire trente sept
pour cent des besoins de consommation locale de produits
industriels, soixante pour cent de la demande totale res-
tant constituée par des produits analogues importés.
Dans le sous-secteur minier,
l'exemple du fer de
Mauritanie et de l'uranium au Niger mérite de retenir l'at-
tention. La découverte dans les années 1950 d'un gis~ent
,
riche de minerai de fer au Nord du pays (les réserves sont
estimées à 150 millions de tonnes,
la teneur à 60 %) trans-
forme les conditions de l'intégration de la Mauritanie dans
le système capitaliste international. Constituée en 1959,
la Compagnie Minière du Fer de Mauritanie (MIFERMA) est de-
venue, depuis 1974, le complexe minier du Nord (COMINOR).
"La Mauritanie, malgré la nationalisation de ses res-
sources minières et la création d'une monnaie natio-
nale,
reste pratiquement sous le contrôle de l'exté-
rieur et principalement de la France qui a repris en
1974 à la Grande-Bretagne le premier rang des clients
du COMINOR avec 22 % des exportations totales du fer
mauritanien"
(1).
L'uranium du Niger dont l'exploitation commence
dans les années 1970, confirme la dépendance excessive des
économies sahéliennes envers le capital financier étranger
essentiellement français. La France détient dans la SOMAIR
(Société des Mines de l'AIR) 67 % du capital dont le Commis-
sariat à l'Energie Atomique (C.E.A) 33,S %, Péchiney 18,884
~
1.
Comité d'Information SAHEL : "Qui se nourrit de la famine
1
en Afrique ?"Maspéro -
paris., 1975,p.145.
1
1
r
~
" i
!
l

-
204 -
Compagnie Française de l'Uranium 14,66 %. Les "partenaires"
de la France sont le Niger (participation 16,75 % en voie
i,
d'être élevée à 33 %) et des sociétés allemandes et italien-
!
nes. Dans le domaine de l'uranium, la "compétition" entre les 1
sociétés impérialistes et les métropoles impérialistes demeu- !
re très vive. Au Niger en 1974, création de deux nouvelles
sociétés:
la Compagnie Minière d'Akouta
(COMINAK) et la 30-
ciété des Mines du Djado (S.M.D). La France y détient 25 %
1
par l'intermédiaire du C.E.A,
tandis que deux sociétés japo-
f
, 1
naises s'adjugent respectivement 25 % pour l'OURD
(Overseas
!
Uranium Resources Dedelopment) et 25 % pour la P.N.C (Power
!
Nuclear Fuel Development Corp).
Plus récemment, la signature
1
de nouveaux accords de recherche et d'exploitation avec une
troisième société japonaise, la "Japan Petroleum Trading Com-
pagny", atteste de la vive concurrence du capital étranger
non français et notamment de l'agressivité du capital étran-
ger japonais.
,
( 1 ) . .
,
. .
,
1
Des etudes
lndlquent que, tres llmltes en ava ,
les "effets d'entraînement"en amont sur le secteur privé 10-
cal qui fournit les produits primaires d'exportation (coton,
arachide, etc •.• ), demeurent les plus perceptibles. Cepen-
dant,
l'orientation des investissements étrangers qui néglige
le secteur "primaire" agricole où se manifeste la plus grande
concentration de producteurs,
limite singulièrement les "ef-
fets d'entraînement" des capitaux étrangers au SAHEL. Les
1.
Notamment celle de G. NGANGO, op.cit.
\\q,
1
i
\\t

-
205 -
1
1
structures productives de ce secteur ne subissent alors que
j
peu de modifications dans le sens d'une plus grande mécani-
sation ou d'une rationalisation accrue. Les "effets multipli-
cateurs"
(primaires, secondaires) réduits,
la fuite d'une
part importante des revenus induits de ces investissements,
constituent autant de freins au processus de développement.
Malgré les difficultés d'estimation de la valeur réelle, nos
recherches nous conduiront plutôt vers l'examen des divers
prélèvements des classes dominaI1t~es~prélèvements que nous
avons regroupés sous le vocable du surplus. La détérioration
1
des termes de l'échange,
l'échange inégal,
l'extorsion de la
plus-value,
l'impôt,
l'inflation locale,
sont autant de le-
viers aux mains du capital financier étranger, du capital au-
tochtone et des Etats Sahéliens pour s'accaparer le surplus.
Le secteur "primaire" nous donnera l'occasion d'examiner ces
différentes formes de prélèvements du surplus.
-----------0-----------
j
1
1
1
1
1
\\

-
206 -
SECTION II
LA PREDOMINANCE D'UN SECTEUR DE PLUS EN PLUS
SOUMIS.
Il est de notoriété publique que le secteur "pri-
maire" au SAHEL occupe une place prépondérante. En Haute-
Volta :
"le secteur rural est le moteur économique essentiel
i l contribue au P.I.B (produit intérieur brut) pour
83,5 % ; il regroupe 72,2 % de la population active
de 15 à 51 ans"
(1).
Nous n'insisterons donc pas outre mesure su~ cette
donnée, mais nous aimerions souligner la soumission de ce sec-
teur au MPC. Cette soumission qui va s'accroissant peut pren-
dre plusieurs formes que par esprit de synthèse nous avons
regroupées dans deux sous-sections (soumission directe et in-
directe). Mais avant d'aborder ces deux sous-sections, nous
délimiterons le cadre théorique de notre analyse dans la pre-
mière sous-section.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître,
les doc-
trines économiques n'ont jamais circonscrit les questions ali
mentaires pour s'en préoccuper exclusivement. Comment une
question aussi importante n'a-t-elle pu préoccuper les éco-
nomistes d'antan? Devant la théorie économique se dressaient
1. Revue Tiers Monde,
nOs 59-60 de décembre 1975, p.725.
1
1

-
207 -
des questions hautement plus urgentes,
des questions de son
temps tout simplement. Comment d'ailleurs aurait-elle pu de-
viner et résoudre nos problèmes à nous? Si à la fin de ce
alimentaire apparaissent nets et sans nuance, c'est parce
que celle de l'indépendance tout court des néo-colonies du
nomiques d'aborder cette question,
c'est en intime liaison
avec celle de l'agriculture, c'est pourquoi nous allons re-
chercher à travers l'histoire de l'agriculture celle des
questions alimentaires. Une autre motivation milite en faveur
de l'étude historique des questions agricoles en général: la
question alimentaire pose nécessairement et indubitablement
celle des problèmes agricoles. Nous n'insisterons pas outre
mesure, car nous avons montré dans nos développements anté-
rieurs les liens entre la consommation et la production. Nous
allons donc aborder ces questions sous le double angle du
mouvement (historique) et de la stabilité (théorique), l'his-
toire pour nous convaincre que c'est au regard de l'espace et
du temps que les problèmes agricoles abordés ont reçu des
1
traitements différents,
la théorie, pour donner malgré l'évo- }
!
lution,
les éléments de stabilité qui caractérisent des. so-
.... \\
ciétés séparées par le temps et l'espace, qui singulièteimentirii!
i
chaque doctrine mais aussi pour donner une base solide aux
1
1
critiques que nous allons faire du "développement rural" plus 1
tard dans ce travail de recherche.
i
t!t
1
i\\

-
20S -
Deux points nous permettront de développer plus à
fond ces éléments :
Il
Histoire de l'agriculture.
III Histoire de la pensée et des différentes théo-
ries du développement agricole.
- -IT-H29toiredè l'agriculture. .
1
1
L'agriculture n'est pas une activité spécifique du
1
mode de production capitaliste (M.P.C) ni d'ailleurs du mode
de production féodal.
Selon une étude de R.DUMONT et de B.
ROSIER :
"L'agriculture qui représente actuellement la base de
nos ressources alimentaires, apparaît dans--l'histoire
de l'humanité comme une activité relativement récente.
Les travaux des archéologues permettent en effet, de
la situer aux environs du VIII ème millénaire avant
Jésus-Christ,
à l'époque néolithique (x) ... L'agri-
culture est née au Proche-Orient des limites de "l'é-
conomie de cueillette" sous l'influence convergente
des besoins pressants des petites collectivités hu-
maines et des observations des plus avisés des hom-
mes"
(1).
Cette "révolution agricole" du néolithique se ré-
pandra à la surface du globe, au gré des migrations humaines
et gagnera l'Afrique dès cette époque. L'association étroite
de l'agriculture et de l'élevage marqua une évolution nota-
ble. L'agriculture primitive épuise la fertilité des sols;
or le fumier produit par le bétail restitue au sol les élé-
x.
Néolithique = l'âge de la pierre polie, p~riode de l'ère
quaternaire située environ entre 8000 et 2500 avant-Jésus
Christ.
1.
R. DUMONT et B. ROSIER:
"Nous allons à la famine". Edi-
tion du Seuil., 1966, p.lS.

-
209 -
1
,
1
.,
1
ments de fertilité qu'il perd à cause des pratiques arrié-
i
rées. Ces progrès ne furent à l'époque précapitaliste l'a-
1
1
panage exclusif d'aucun peuple~ €ontrairement
aux affirma-
É
,
!
1
,
tians de R.
DUMONT selon lesquelles seuls les Asiatiques et
1
les Européens connurent ces progrès. Les Africains également
1
,
ont su associer l'élevage à l'agriculture comme l'indique la
citation suivante
i1
"Pendant -les derniers siècles, en Afrique Orientale corn-Il
me en Afrique occidentale, des tribus nomades ont émi-
gré du Nord au Sud,
et des relations de nature diverse
i
se sont instaurées entre ces nomades et les CUltivateurs!
sédentaires qui pratiquaient la jachère-buisson sur les
territoires envahis. C'étaient parfois des relations
f
paisibles : certains nomades échangeaient avec les agri-,·.
culteurs les produits de leurs animaux contre les den-
rées végétales, et les cultivateurs faisaient fumer
t
leurs champs par les troupeaux de ces nomades" (1).
!t
Ces formations sociales précapitalistes, si elles
1
,
possèdent des caractéristiques communes,
se développent cha-
!
cune suivant un dynamisme interne qui lui est propre. Le mode
de production capitaliste est le premier mode de production
qui tentera de se répandre dans le monde entier par une logi-
que de conquêtes et d'annexions.
C'est pourquoi,
i l fallait
nécessairement distinguer les formations sociales précapita-
listes des formations sociales capitalistes. Les formations
sociales capitalistes ont connu une "révolution agricole" puis
une "révolution industrielle" en Europe. Cependant cette "ré-
volution agricole" ne dépouille pas l'agriculture de tous ses
éléments d'arriération. Selon S. AMIN, c'est seulement au
1.
Ester BOSERUP, op.cit, p.14l.

-
210 -
1
1
,
1
cours du XXème siècle et quelquefois après la seconde guerre
mondiale que l'agriculture européenne réalise un second bon
avec la généralisation des engrais chimiques, en un mot
I~s' industr ialTse". Pour MARX :
"un des grands résultats du mode capitaliste de produc-
tion, c'est qu'il a fait de l'agriculture 'une applica-
tion scientifique consciente de l'agronomie (dans la
mesure où cela est possible dans les conditions de la
propriété privée)alors qu'elle était une série de pro-
cédés purement empiriques et transmis mécaniquement,
d'une génération à une autre de la fraction la moins
évoluée de la société: d'une part,
i l débarrasse com-
plètement la propriété foncière de tous les rapports de
domination et de servitude et d'autre part,
i l a séparé
complètement les sols du fond
en tant que moyen de tra-
vail, de la propriété foncière ••. La rationalisation de
l'agriculture, qui seule rend possible son exploitation
sociale,et le fait d'avoir ramené à l'absurde la pro-
priété foncière : tels sont les deux grands mérites du
mode capitaliste de production. Comme tous ses autres
progrès historiques,
la production capitaliste a accom-
pli celui-ci en réalisant d'abord l'appauvrissement to-
tal du producteur direct"
(1).
~
Samir AMIN, analysant le développement de l'agricul-I!
ture depuis l'avènement du M.P.C, distingue trois étapes:
celle du mercantilisme, du XVème au XIxème siècle,
caractéri-
sée par une première transformation de l'agriculture, sa mer-
cantilisation et la désagrégation. des rapports de production
féodaux.
Celle du XIXème siècle,
caractérisée par l'achèvement
du mode de production dans l'industrie et celle du XIXème siè-
cIe, caractérisée par "l'industrialisation de l'agriculture".
Dans sa première phase,
le capitalisme se mondialise
dans son aspect mercantile. La bourgeoisie marchande d'Europe
,
i
1
l.i<. MARX, Livre III, tome 2, pp.156-l57.
1
t1
1
1
1

- 211 -
Occidentale accumule, par le monopole du commerce triangulai-
1
;
re et le contrôle de l'exploitation esclavagiste. C'est la
f
phase d'accumulation primitive, caractéristique du commerce
lointain précapitaliste. Elle se fait sur la base d'un prelè-
vement monopolistique du surtravail des esclaves d'une part
1
et la rente des féodaux d'autre part. Ce prélèvement prend
donc les canaux de la répartition du surplus féodal, mais im-
pose déjà aussi sa propre logique (une ponction sur les féo-
1
i
daux). Cette phase est aussi celle de la désagrégation des
1
f
rapports féodaux,
la prolétarisation des paysans et la mer-
;
[
,
cantilisation de l'agriculture en Europe. La rente en argent
r
r.
se substitue à la rente en nature, un marché des produits
agricoles apparaît, greffé sur l'agglomération urbaine en
l
plein développement.
La deuxième phase s'ouvre avec la "révolution in-
dustrielle". Les rapports capitalistes, apparus d'abord dans
le monde rural, embryonnaires, progressent rapidement dans
l'industrie prenant une forme achevée. L'argent se transfor-
me en capital pour former avec le prolétariat les deux faces
d'une même pièce,
le mode de production capitaliste.
Les premières machines agricoles apparaissent pour
pallier l'exiguïté du marché artisanal qui freine la crois-
sance de l'offre de produits agricoles indispensables pour
nourrir la population non agricole en augmentation rapide.
1
\\!

-
212 -
"Cette révolution industrielle s'opère par l'alliance
de la nouvelle bourgeoisie et de la propriété fon-
cière" (1).
f
La propriété privée foncière est utile au capita-
~!
lisme dans cette phase; comme l'a montré P.P. REy(2),
elle
permet de libérer l'excédent de population qui se mue en
1
prolétaires. Une distinction peut cependant s'établir entre
!
1
la forme française et anglaise : en Angleterre,
la bourgeoi-
sie s'allie à la grande propriété capitaliste de la terre
(les gentlemen farmers)
; en France, la bourgeoisie se coa-
1
1
lise avec les paysans et opère une réforme agraire plus ra-
i
,i
dicale qui crée les conditions d'émergence d'une nouvelle
r
classe rurale de type "koulaks". Le prix à payer quelle que
soit la forme de cette alliance,
correspond à la ponction
1
t
d'une fraction de la plus-value au profit de la propriété

t
"
(3)
d
.
fonc1ere. Selon S. AMIN
,
la rente
eV1ent vraiment capi-
r
taliste puisqu'elle est retenue sur la plus-value. Sur le
!
marché,
ceci se traduit par une hausse des prix des subsis-
!
1
tances,
donc des salaires accrus,
et un profit atrophié pour
l
1
1
les capitalistes. Les capitaux fuient alors l'agriculture
pour se réfugier dans l'industrie.
1
f!
La modernisation de l'industrie s'accélère tandis
que l'agriculture stagne relativement, d'autant plus que le
1
1.
. Samir AMIN,
Kostas Vergo POULOS
: "La question paysanne
et le capitalisme". Editions Anthropos -
IDEP, Par1s.,
1980, p.32.
2.
P.P. REY:
"Les alliances de classe". Editions Maspéro,
Paris., 1973.
3 •.
Samir AMIN, op.cit, p.33.

-
213 -
monopole foncier réduit la concurrence en libérant ses béné-
ficiaires de l'obligation permanente d'améliorer les techrii-
ques. La rente qui n'est pas une catégorie spécifique du MPC.
mais un héritage des modes antérieurs.
ralentit l'accumula-
tion du capital. RICARDO d'abord. Stuart MILL ensuite, ont
perçu ce phénomène de blocage.
Le capital va s'engager dans
1
la voie de la réduction progressive du poids que constitue
la rente. La nationalisation du sol est sans conteste la so-
lution la plus radicale. LENINE considérait cette mesure. non !:1
comme une réforme socialiste, mais plutôt comme une réforme
bourgeoise révolutionnaire.
La troisième époque,
c'est celle de l'industriali-
sation de l'agriculture. Elle fournit désormais une quantité
importante de produits à la population non agricole et reçoit
des produits manufacturés de consommation en échange, mais
aussi, des inputs (engrais, équipements,
énergie. etc ••• ).
La réduction de la rente est suivie par une modification des
alliances de classes internes et externes. Elle est marquée
par l'intégration de l'agriculture de la périphérie et sa do-
mination.
"Ce n'est donc qu'à partir de la troisième phase du dé-
veloppement du capitalisme esquissée plus haut que s'a-
morce véritablement la soumission de l'agriculture au
capital. Cette soumission opère d'ailleurs désormais à
l'échelle mondiale, puisque cette troisième phase coïn-
cide avec celle de l'impérialisme, c'est-à-dire avec la
constitution du système mondial dans sa forme actuelle.
La soumission de l'agriculture signifie pour l'essentiel
la liquidation de la rente foncière"
(1).
1.
Samir AMIN,
op.cit, p.44.
r
1

-
214 -
pelle période mercantiliste. Une seconde phase de domination'
des rapports bourgeois avec deux volets :
-
l'accélération et l'achèvement des rapports ca-
pitalistes dans l'industrie,
- l'industrialisation de l'agriculture.
Pourquoi le capitalisme se développe-t-il plus vite
dans l'industrie que dans l'agriculture? L'agriculture n'est
pas un secteur exclusif du MPC. Les rapports féodaux qui se
maintiennent dans l'agriculture dans la formation sociale ca-
pitaliste empêchent et freinent le développement ample et
large du capitalisme en milieu rural. Dans le cas spécifique
de l'Europe,
la rente foncière grève le taux de profit moyen
défavorisant les capitalistes qui investissent dans l'agri-
culture. Les capitaux se réfugient donc dans l'industrie, sa- I
crifiant l'agriculture.
1
Au SAHEL, l'intégration dans le système capitaliste
mondial emprunte les voies de l'économie de traite, en l'oc-
1
curence celle des cultures de rente. Mais contrairement à
1
l'expérience de l'Europe, l'agriculture,
important secteur
1l,
capable de fournir les bases d'une "accumulation primitive",
échappe au contrôle d'une bourgeoisie véritablement nationa-
le, capable d'accumuler le surplus et de réaliser les progrès
nécessaires dans l'agriculture qui engendre la "révolution

- 215 -
agricole". L'alliance entre la bourgeoisie étrangère et la
bourgeoisie locale dominée, entrave ce processus. L'agricul-
ture sahélienne arriérée, ne peut donc faire face à la crois-
sance d'une population non agricole galopante, engendrée par
l'implantation des lAA et par un secteur tertiaire en gon~
flement permanent. L'état d'arriération de cette agriculture
sahélienne vis-à-vss des rapports capitalistes dans l'indus-
trie et le commerce, conjugué avec le contrôle et la ponction
croissante du surplus produit par la paysannerie, demeure la
source de blocage des progrès dans l'agriculture, donc de
l'insuffisance alimentaire. L'évolution de la pensée économi-
que nous confortera dans cette idée.
11/ Histoire~de la pensée et des différentes théories
du développement agricole.
L'histoire de la conception des différentes doctri-
nes sur l'agriculture a évolué parallèlement aux mutations
des conditions objectives, c'est-à-dire celles des strùctures
économiques, des alliances de classes au sommet comme à la ba-
se, etc ••• Cet état de fait a donné à l'agriculture dans la
doctrine économique tantôt une place relativement excessive,
tantôt un "strapontin" ; l'analyse nous permettra de situer
ces prises de positions dans leur véritable contexte histori-
que pour une meilleure appréciation. Les préoccupations essen-
tielles de ces doctrines peuvent se résumer dans les rapports
industrie-agriculture ou encore les rapports de classes dans
l'agriculture et leur incidence sur la répartition:

-
216 -
t
1
,
L'industrie est un pur produit du MPC,
l'agricul-
~:
ture est un héritage (dans le FSC) du mode de production
[
1
féodal.
Les rapports de classe qui s'installent dans l'in-
dustrie (bourgeois et ouvriers) et dans l'agriculture (pro-
1
!
priétaire foncier,
fermier et ouvrier agricole) témoignent
!
de cette différence essentielle entre l'agriculture et l'in-
dustrie. Les différents auteurs ont-ils pris pour base cette
vérité d'évidence? C'est ce que nous allons voir. On peut
distinguer deux grandes tendances
: ceux qui accordent la
priorité à l'agriculture et ceux qui accordent la priorité
à l'industrie. Aucune Ecole mieux que celle des physiocrates
n'a défendu le point de vue de la priorité du secteur agril
cole.
Pour Michel CEPEDE
"Le Tableau exprime ce qu'était la domination de l'agri-
culture dans la société féodale,
l'équivalent de notre
revenu des cultivateurs (leur autoconsommation) est
rangé dans les dépenses d'exploitation; et le profit
des propriétaires apparaît en solde"
(1).
1
Pour Samir AMIN,
l'économie politique du mercantilisme a été
faite par QUESNAY,
la physiocratie étant l'économie
!
politique'1
f
de la transition au capitalisme. En effet, économiste d'une
période transitoire, QUESNAY ne perçoit pas nettement les
1
;
perspectives de l'économie capitaliste.
Pour QUESNAY,
1
1
"tout ce qui est désavantageux à l'agriculture est pré-
l
judiciable à la nation et à l'Etat, et tout ce qui fa-
vorise l'agriculture est profitable à l'Etat et à la
1
i
na t ion"
(2).
t;,
,
1.
Michel CEDEPE,
in : "Agriculture secteur dominé".
ISEA,
Institut de Sciences Economlques Appllquees, nOs 5-8.,
1971.
2.
F. QUESNAY:
"Tableau économique des physiocrates"., 1969, 1,
Paris, p.62.
1
}

-
217 -
!
Plus loin i l ajoute :
f
r
"nous nous sommes livrés à une industrie qui nous était
i
étrangère, et on y a employé une multitude d'hommes
!
dans le temps que le royaume se dépeuplait et que les
I
t
campagnes devenaient désertes. On a fait baisser le
prix de nos blés, afin que la fabrication et la main-
f
d'oeuvre fussent moins chères que chez l'étranger: les If
hommes et les richesses se sont accumulés dans les vil-
l e s ;
l'agriculture,
la plus féconde et la plus noble
1
partie de notre commerce,
la source des revenus du
,
royaume, n'a pas été envisagée comme fonds primitif de
1
nos richesses : elle n'a paru intéresser que le fer-·
f
mier et le paysan. On a borné leurs travaux à la sub-
1
sistance de la nation, qui par l'achat des denrées paie 1
les dépenses de la culture; et on a cru que c'était un 1
commerce ou un trafic établi sur l'industrie qui devait 1
apporter l'or et l'argent du royaume".
1
f.
Il ajoute :
"Dans cette inattention, on a préféré l'industrie à l'a-
griculture et le commerce des ouvrages de fabrication
au commerce des denrées du cru : on a même soutenu des
manufactures et encouragé des commerces de luxe au pré-
judice de la culture des terres" (1).
Cependant, lorsque QUESNAY défend l'agriculture,
i l ne défend pas l'agriculture du paysan qui cultive sa ter-
re.
"Nous n'envisageons pas ici le riche fermier comme un
ouvrier qui laboure lui-même la terre; c'est un en-
trepreneur qui gouverne et qui fait valoir son entre-
prise par son intelligence et par ses richesses. L'a-
gricult~re co~duite ~ar de riches.culti~ateu:s ~st une
professlon tres honnete et lucratlve,
reservee a des
hommes libres en état de faire des avances, des frais
considérables qu'exige la culture de la terre, et qui
occupe les paysans et leur procure toujours un gain
convenable et assuré" (2).
Comme on peut s'en convaincre à travers ces lignes,
QUESNAY donne la priorité à l'agriculture et défend le point
1.
F. QUESNAY, op.cit, pp.139-140.
2.
F. QUESNAY, op.cit, p.180.

- 218
de vue du "riche fermier" qui fait des "avances", c'est-à-
dire qui possède un capital. En dernière anal~se, c'est donc
bien un soutien à la bourgeoisIê~ruraleque praneQUESNAY. ce-
pendant,
il faut souligner que c'est le contexte historique
qui pousse l'auteur à accorder la priorité à l'agriculture.
Quel était alors ce contexte ?
Dans cette période transitoire,
le surplus capi-
taliste existe déjà (la plus-value est tirée de l'agricul-
ture capitaliste et de la manufacture). Ce surplus qui Clr-
cule est concentré principalement dans le monde rural. Cette
situation prépondérante en apparence de l'agriculture peut
donner l'illusion que l'agriculture constitue le secteur mo-
teur de l'économie. Les auteurs contemporains qui soutien-
nent les points de vue de QUESNAY et qui vont aussi loin que
lui dans le soutien à l'agriculture sont rares. En effet, des
auteurs comme D. GAIGNEAUX,
lorsqu'ils disent que l'agricul-
ture doit être le premier impératif du développement, tra-
duisent simplement l'idée que
1
"l'amélioration de l'agriculture est le point de départ -l'
(souligné par nous) qui pourra entraîner le tiers monde
hors des voies traditionnelles où beaucoup se résignent,
et l'aider à prendre le démarrage qui le rapprocherait
i
d'une économie au moins moderne".
1
,!
Plus loin i l écrit :
1
1
"C'est le secteur agricole qui a une valeur stratégique
dans les pays de développement.
Il se trouve en effet
au premier plan de la lutte contre la faim.
II offre
du travail aux chômeurs qu'une industrie naissante ne
1
peut occuper ; le seul facteur de production disponi-
ble en abondance est la main-d'oeuvre non qualifiée.
Le problème à résoudre est d'obtenir les plus forts
revenus possibles dans le cadre de la production agri-

-
219 -
1
1
1
1f
1
l
1
cole avec sa main-d'oeuvre abondamment disponible et
.
dans l'installation des industries basées sur les ma-
1
tières premières" (1).
t
~ecteur
La question du
stratégique que pose D. GAI- ,fil
GNEAUX nous semble théoriquement mal amenée. Qu'est-ce qu'un
1
secteur stratégique? c'est un secteur d'avenir, un secteur
1
au service duquel tous les autres doivent se mettre et cela
f
;
,
nonobstant sa situation présente (population active occupée
dans le secteur,
place de ce secteur dans l'économie, % du
PNB,
etc ••. ), mais aussi un "pôle de développement" pour re-
prendre la terminologie de F.
PERROUX. La définition que don-
ne F.
PERROUX permet de mieux saisir notre pensée:
"Le pôle de développement est,
avant tout,
un généra-
teur d'activité économique et son intérêt réside dans
sa puissance de multiplication"
(1).
L'agriculture sahélienne,
secteur arriéré,
est loin de satis-
faire toutes ces exigences. La théorie contemporaine du déve-
loppement n'a d'ailleurs pas hésité à mettre ce secteur au
service du développement industriel.
L'économie classique,
celle du MPC,
a pris le con-
tre-pied de l'école physiocratique. Réfutant le point de vue
de cette Ecole, A.
SMITH tire cette conclusion :
"si en représentant le travail employé à la terre comme
le seul travail productif,
les idées qu'il veut donner
des choses sont peut-être trop étroites et trop bornées,
cependant en représentant la richesse des nations comme
ne consistant pas dans ces richesses non consommables
d'or et d'argent, mais dans les biens consommables re-
1.
F.
PERROUX,
"La coexistence pacif ique II -
pôle de déve-
loppement ou natlon".
P.U.F., 1958, p.

-
220 -
1
!!
;
!
produits annuellement par le travail de la société, et, 1
en montrant la plus parfaite liberté de la société com- If
me l'unique moyen de rendre cette reproduction annuelle.
le plus grand possible,
sa doctrine paraît être à tous
égards,
aU;3s i
juste. qu'elle est grande et généreuse" (l).!
Plus loin il ajoute pour préciser son point de vue :
"Par conséquent ces systèmes qui,
donnant à l'agricultu-
re la préférence sur tous les autres emplois, cherchent
à la favoriser en imposant des gênes aux manufactures
et au commerce étranger, agissent contre le but même
qu'il se propose et découragent indirectement l'espèce
même d'industrie qu'ils prétende encourager".
Même si la théorie classique donne la priorité à
l'industrie,
ces tenants sont conscients que l'agriculture
et l'industrie sont deux secteurs indissolublement liés qui
appartiennent au MPC, c'est pourquoi le débat dès cette épo-
que, sera orienté sur la répartition du surplus entre les
différentes classes. En économistes bourgeois avisés, les
classiques savaient que le surplus agricole allaient soit à
la bourgeoisie rurale qui pouvait utiliser la possibilité de
le transférer dans l'industrie, soit au propriétaire foncier
qui consommait improductivement celui-ci. La préférence des
classiques pour accorder la priorité à l'industrie s'avérait
donc une préférence légitime dans le cadre des économies na-
tionales indépendantes de l'époque qui plus est, des écono-
mies qui dominaient le marché international.
Dans le cas des pays occidentaux,
les transferts
de l'agriculture vers l'industrie restent des transferts in-
L
A. SMITH,
"Recherches sur la nature et les causes de la
richesse des nations". Gallimard, Paris.,
1976, pp.348.
et 351.
1
1
~
1

-
221 -
ternes
(intersectoriels à l'intérieur d'un même pays), dans
le cas des pays du SAHEL,
les transferts sont externes. Une
faible partie du surplus agricole est transférée au secteur
du commerce et de l'industrie locale à travers la bourgeoi-
1
f
sie locale, cependant que la plus grande part du surplus
1
1
s'envole vers l'extérieur.
1
,
D'un point de vue pratique,
l'abolition en Angle-
'1
terre en 1846n des lois protégeant les céréales sonne le glas 1
de la doctrine donnant la priorité à l'agriculture. Depuis
!
cette époque,
la priorité à l'industrie devient incontestée
jusqu'à ce que la "théorie du développement" s'empare de cet-
te question. Lorsque cette théorie,
apparue aux alentours des
années 1950, proposa de s'appuyer sur la priorité à l'indus-
trie pour le "décollage" des pays "sous-développés", elle sa-
crifiait tout simplement la tradition. Le livre de LEWIS pu-
blié en 1953 "La théorie de la croissance", celui de ROSTOW
"Les étapes de la croissance", qui proposent tous deux des
taux d'investissement précis à réaliser pour passer d'une
technique à une autre, qui préconisent pour maximiser le taux
de croissance de mettre l'accent sur les techniques à forte
intensité en capital au détriment des techniques à forte in-
tensité de travail. Tous ces travaux proposent une industriâ-
lisation accélérée basée sur un "transfert chrématistique" de
l'agriculture vers l'industrie (pour reprendre l'expression

r
f
(1»
, .
d
.
.
.
d e D. CEDEPE
• La theorle
es "besolns essentlels" qUl se
1
!~
L
D. CEDEPE,
in
"Agriculture secteur dominé".
ISEA, op.dtl
f
f

-
222 -
veut la théorie de développement de la décennie 1980, propose
quant à elle, pour promouvoir un "développement égalitaire",
de dynamiser le "secteur informel" aux dépens du"secteur mo-
derne" considéré comme générateur d'inégalités. Selon ses te-
nants
:
"partir de l'étude des besoins fondamentaux est indis-
pensable à toute théorie du développement qui considère
comme le développement des êtres humains ; pour les au-
tres théories (et notamment celle du conditionnement
culturel),
l'ABF devient inutile et même gênante" (l).
c'est dire que:
"L'ABF constitue un effort pour couper court à toute ré-
thorique et se concentrer sur l'essentiel, le fondamen-
tal : fournir aux individus et aux sociétés un étalon
de mesure qui puisse diriger l'attention de la société
vers le bas en disant : "dites-moi combien de misère
matérielle et spirituelle vous avez au bas de la socié-
té,
je vous dirai quel genre de société vous avez""(2).
La filiation théorique de ce courant avec la théo-
rie néo-classique nous paraît évidente. La "satisfaction des
1
besoins fondamentaux" ne constitue en effet pas une nouveauté.!
Au XIX ème siècle,
les patrons des mines de charbon en Europe
1
fixaient déjà un salaire aux travailleurs qui devait permettret
~
d'acheter leur "besoin de base".
i
f
"Pour définir le coût minimal de la reproduction de la
force de travail dans l'ordre et la discipline,
les
patrons appelèrent à la rescousse des spécialistes qui
ont contribué, avec les intendants de l'armée prussien-
1.
Cahiers de l'Institut Universitaire d'Etudes du Dévelop-
pement:
il faut manger pour vivre ••.
Controverses sur
!
les besoins fondamentaux et le développement.
PUF -
Paris,l
Institut Universitaire d'Etudes du Développement. Genève,
!
1980, p.127.
1
2.
Idem.
:

-
223 -
ne,
au développement de la nutrition moderne"
(1),
La philosophie individualiste qu'elle couve,
l'ac-
cent mis sur la consommation de l'homo économicus, place la
théorie des besoins essentiels dans le champ théorique de
l'
"économie libérale classique". Cette théorie anachroni-
que qui continue de parler d'une valeur d'usage intrinsèque,
définie pour son utilité alors qu'il est de notoriété publi-
que que désormais c'est la valeur d'échange qui crée les va-
leurs d'usage des produits mis en vente sur le marché. En
fait,
"la stratégie des besoins fondamentaux participe à sa
manière à un mouvement de mondialisation du marché et
de l'Etat-Nation"
(2).
B. FOUNOU épouse le même point de vue lorsqu'il écrit
"Nous prétendons que son champ est l'ensemble du systè-
me, car elle contribue à créer les conditions nécessai-
res à la relance de la croissance économique dans les
pays du centre. Des problèmes de la pauvreté à la pé-
riphérie (champ explicite de la théorie) et des problè-
mes de la reprise économique dans les centres (champ
apparemment exclu de la théorie),
lesquels sont les
mièux cernés, parce que les plus cohérents avec les
hypothèses implicites (notamment celle de l'extraver-
sion) "
(3).
Analysant plus loin les limites stru~turelles de
1
l'autosuffisance alimentaire,
i l conclut :
1
t
[
L
Cahiers de l'Institut Universitaire d'Etudes du Dévelop-
1
pement, op.cit, p.20.
1
2 .
Idem, p.16L
"
3.
FOUNOU Tchuigoua : "L'approche. par les besoins essentiels, .
une théorie nouvelle de developpement pour la decenn1e
1980",
in : Revue Africa Development, p.37.
- -
,,
1
\\

-
224 -
"Pour prétendre renverser la tendance à la croissance
de la famine,
il faudrait non des actions ponctuelles
mais de vastes programmes de développement à l'échel-
le des pays qui en souffrent. Mais pour que de tels
programmes soient lancés,
i l faut disposer de moyensde
financement très importants du moins au départ. Si le
pays ne dispose pas d'une rente minière, c'est à l'a-
griculture de fournir ces moyens de financement néces-
saires à l'inadaptation des biens de consommation in-
termédiaire.
Il faut donc que le sous-secteur agricole
producteur de surplus, c'est-à-dire l'agriculture d'ex-
portation, soit développé au moins autant que l'agri-
culture d'autosuffisance alimentaire paysanne"
(1).
Si l'on ôte à la stratégie des besoins essentiels son voile
humaniste et sa tendance excessive à l'abstraction, on décou-
vre un projet d'élargissement du capitalisme selon des "tech-
niques gestionnaires douces".
De quelque façon que l'on prenne la question, si
l'agriculture est considérée comme un secteur central dans
la stratégie du développement économique, notamment dans les
pays du SAHEL,
c'est parce que l'histoire des nations "déve-
loppées" aussi bien que certaines expériences récentes ont
largement démontré que l'industrialisation se fait et doit
se faire à partir, essentiellement, d'un transfert de "pro-
duit net" aux dépens de l'agriculture et dans le MPC de plus-
value aux dépens des ouvriers. B. ROSIER traduit clairement
cette idée lorsqu'il é c r i t :
"Que l'agriculture, considérée en tant que "secteur éco-
nomique",soit appelée à
jouer un rôle central dans une
stratégie de développement d'une économie essentielle-
ment agricole, cela a été démontré par l'histoire des
1.
B. FOUNOU Tchuigoua, op.cit, p.53.

-
225 -
nations aujourd'hui développées aussi bien que certai-
nes expériences récentes.
Il est d'ailleurs intéressant
de noter que le rôle qu'était appelé à jouer le secteur
agricole alors que les premières nations occidentales
démarraient activement leur industrialisation, a été
clairement perçu par les premiers économistes classi-
ques. Ce sont eux qui ont introduit le concept central
de surplus agricole, qui ont vu la fonction essentielle
de celui-ci comme support de l'industrialisation, et
qui ont perçu le rôle déterminant de ses détenteurs (et
plus généralement des détenteurs du surplus économique)
dans le processus d'accumulation"
(1).
L'étude sur le financement du développement par Elias GANNAGE 1
est à cet égard d'une limpidité transparente. L'importance
,
qu'il accorde au secteur agricole repose sur la thèse suivan- 1t
te :
1
"A cette argumentation quelque peu simpliste, on oppose
une conception réaliste, qui fait du secteur agricole
1
le pivot de la croissance, on souligne son rôle indi-
rect dans le développement du secteur non agricole.
Dans une telle optique,
axée sur une croissance équi~
librée des secteurs,
i l importe de rechercher le rôle
qu'assume la taxation du secteur agricole dans le dé-
veloppement économique"
(2).
Plus loin,
il ajoute que
"La promotion de la production agricole ne suffit pas ;
elle doit être accompagnée d'une politique qui permette
de faire supporter une partie ou la totalité des char-
ges du financement de l'industrie au secteur de subsis-
tance.
Il faut faire en sorte que la totalité des reve-
nus provenant de l'expansion agricole ne soit pas gas-
pillée, mais consacrée à la formation du capital, dans
le cadre du secteur moderne. Les exemples japonais et
russes si dissemblables que soient leurs systèmes, té-
moignent des tentatives heureuses dans ce sens"
(3).
1.
B. ROSIER, cours de DESS d'économie et stratégie du dé-
veloppement rural. Aix-en-Provence., 1979.
2.
Elias GANNAGE,
"Financement du développement".
PUF.,
!
1969,
p.163.
r
3.
Elias GANNAGE, op.cit, p.163.
1
1.

-
226 -
Dans la conception qu'il défend,
les impôts sur la
production agricole doivent se substituer à l'impôt foncier
dans les pays, au début de leur développement, où prédomine
encore l'économie de susbsistance avec des structures tradi-
tionnelles, et l'analphabétisme qui imposent une forme indi-
recte d'imposition.
"Une fiscalité suffisamment lourde incitera les agri-
culteurs à rechercher des emplois plus productifs pour
l'excédent de leurs revenus dans des activités qui fa-
ciliteront le passage de l'économie de susbsistance à
l'économie de marché" (1).
Pour des pays comme ceux du SAHEL,
i l estime que :
"plutôt que de laisser échapper les petits producteurs,
il vaut mieux les atteindre en recourant à l'impôt en
nature ou par la fiscalité indirecte sur les produits
agricoles. Le recours à une fiscalité fondée sur la
production physique s'impose à un pays où prédomine une
multitude de petits fermiers qui ignorent les transac-
tions monétaires •..
si l'on veut éviter les complica-
tions administratives qui résultent de l'imposition en
nature et atteindre la multitude des petits cultiva-
teurs qui composent l'économie de subsistance, on peut
recourir à titre d'alternative à l'impôt sur la capita-
tion"
(2).
f
Toutefois,
l'impôt en nature et la capitation res-
1
tent seulement des expédients provisoires pour les premières
étapes du développement de ces pays;
l'objectif final c'est
d'arriver à taxer les revenus de la production agricole. Dans
les faits,
presque tous les pays du SAHEL recourent à l'impôt
de capitation. Il existe par conséquent actuellement au SAHEL
1.
Elias GANNAGE,
"Financement du développement". P. U.F. ,1969
P .167.
2.
Elias GANNAGE, op.cit, pp.170-l7l.

-
227 -
un transfert de "produits nets" de l'agriculture vers 'le
commerce et l'industrie. La question qui reste posée est
celle des bénéficiaires de ce transfert,
interrogation,à
laquelle l'analyse de E. GANNAGE ne répond pas. Ces con-
sidérations ont fait écrire très souvent que "l'agricul-
ture est un secteur dominé".
"Pour faire apparaître si un secteur économique est
dominant sur ou dominé par le marché,
i l suffit de
comparer l'évolution de ses prix avec l'évolution
du pouvoir d'achat de la monnaie nationale. Encore
faut-il mener la comparaison sur une période assez
longue pour ne pas généraliser une constatation pro-
visoire,
justifiable alors d'une explication circons-
tancielle et choisir une année d'origine qui ne pré-
sente pas de caractéristiques exceptionnelles" (1).
Les débats qui se sont déroulés dans les années
1920 en U.R.S.S sur les transferts de l'agriculture vers
l'industrie confirment-ils les éléments déjà recueillis?
L'U.R.S.S d'après 1917 avec une industrie faible,
mal couplée à une agriculture primitive et vaste,interpel-
lait le parti communiste bolchevik (PCB) sur des prix agri-
coles extrêmement bas, opposés à des prix industriels très
onéreux, donc la question des transferts de "produits nets"
de l'agriculture vers l'industrie. Ce transfert est-il né-
cessa ire ? si oui, à quel rythme devait-il s'effectuer?
Derrière cette question apparaissait la question de l'al-
liance de la classe ouvrière et de la paysannerie, quest.Ion
déjà discutée qui avait reçu une réponse positive. Au sein
1.
Denis CEDEPE,
ln
"Agriculture secteur dominé".
ISEA,
op. ciL

-
228 -
du parti, trois grands courants s'affrontaient : la droite
représentée par BOUKHARINE, la gauche par TROTSKI, la majo-
rité du parti se trouvant derrière son secrétaire général,
STALINE. Nous nous contenterons d'un résumé succinct de ces
débats pour éclairer nos recherches,
et pour indiquer sur-
tout que même dans le cas d'une économie socialiste, la
question du transfert du "produit net" de l'agriculture
vers l'industrie n'est pas une question dépourvue de tout
fondement.
Pour BOUKHARINE et son groupe,
la marche vers le
socialisme doit être interrompue mais très lente,
"à pas de
tortue"
(expression qui lui aura valu plus tard bien des dé-
risions).
Il ne doit pas y avoir des échanges non équivalents
au détriment des paysans pour accélérer l'accumulation indus-
trielle.
Les deux secteurs (industrie et agriculture) ont be-
soin l'un de l'autre et seule l'augmentation du Revenu Natio-
nal peut et doit accroître la part respective de chacun des
deux secteurs. BOUKHARINE n'acceptait et ne voyait pas la
nécessité d'imposer la paysannerie,
i l acceptait cependant
une vague prééminence du prolétariat. C'est pourquoi,
i l s'op-
posait au reste au parti sur la question du "tribut" et des
"ciseaux".
"Son souci de préserver l'alliance coûte que coûte et
de ne léser aucunement la paysannerie,
posé en condi-
tion sine qua non de la réussite de l'expression so-
cialiste (ne jamais entreprendre quoi que ce soit qui
n'aura d'abord été compris et accepté par le gros de
la paysannerie),
suspend la réussite à un seul facteur.
C'est la faiblesse stratégique de sa théorie. De sur-
croît, cette attitude convenait bien aux couches bour-

-
229 -
geoises du pays mais était difficilement acceptable
par l'ensemble du parti révolutionnaire"
(1).
D'ailleurs,
les conceptions de BOUKHARINE évoluè-
rent considérablement au fil des années tant et si bien
qu'il accepta de faire supporter les frais de l'accumulation
par les paysans.
L'opposition de gauche pensait pouvoir réaliser
l'industrialisation aux dépens de la masse de la paysannerie,
ce qui se traduit par un glissement vers les méthodes d'in-
dustrialisation capitaliste.
concrètement, elle préconise le
renforcement de la fiscalité imposée aux paysans,
l'augmenta-
tion des prix de vente des marchandises industrielles :
"Les yeux tournés uniquement vers l'industrialisation
qui seule, pensait-elle, pourrait "tout donner aux
paysans",
la gauche négligeait les problèmes et les
programmes agraires pratiques ainsi que la recherche
de voies et de formes originales susceptibles de
créer un mouvement socialiste authentiquement pay-
san"
(2).
Cette attitude de la gauche tendait à considérer la paysan-
nerie comme une "colonie", comme un objet d'exploitation par
l'Etat prolétarien.
"Dans ses textes précédents, PREOBRAZENSKIJ n'hésitait
pas à parler de la paysannerie comme d'une "colonie
intérieure"
du secteur socialiste. Dans son livre,
il
supprima certaines expressions,
comme "colonie" par
exemple, mais il refusa de supprimer le terme exploi-
tation"
(3).
L
M. LEWIN : "La paysannerie et le pouvoir soviétique 1928-
1930". Mouton -
Paris.,
1966.
2.
M. LEWIN, op.cit, p.145.
3.
M.
LEWIN, op.cit, p.137.

-
230 -
Pour la majorité du parti avec STALINE à sa tête,
1
"créer la base économique du socialisme, c'est associer
1...
1
l'agriculture et l'industrie socialiste à la direction
1.
de l'industrie socialiste,
organiser les rapports en-
.
tre la ville et la campagne sur la base d'un échange
!
de produits agricoles et industriels,
bloquer et liqui- !
der tous les canaux à l'aide desquels naissent les
'
classes et, en premier lieu,
le capital"
(1).
1
Cela signifie qu'il ne faut ni prélèvement, ni impôt pour la
paysannerie, mais uniquement un échange de produits de la
1
grande industrie (socialiste) contre les produits du paysan.
!
!i
C'est donc à l'aide de mesures essentiellement économiques
1
(prix) que s'effectue le transfert de "produit net".
.
i
"Est-il exact que cette surimposition de la paysannen.e
1
existe en réalité? Oui c'est exact. Comment l'appelons-
nous autrement ? Nous l'appelons les "ciseaux", le
'l'
"drainage" des ressources de l'agriculture vers l'in-
_dustrie,
en vue de hâter le développement de notre in-
!
dustrie ••• Nous devons le supprimer dès que possible
!
dansE:e;a::~é:: ::::::::e~:)~'effectue alors que la II
situation matérielle de la paysannerie est en voie d'amélio-
ration constante,
le parti communiste (bolchévik) a admis que
ce prélèvement représentait un "tribut" que la paysannerie
payait pour permettre l'électrification du pays,
l'introdue-
tion des tracteurs,
la création des conditions d'instauration
d'un crédit à long terme pour les masses paysannes, toutes
choses qui réagissent positivement sur ses conditions d'exis-
tence.
1
1.
J.
STALINE,
"Oeuvres choisies". Edition "8 Nentori" -
1
Tirana., 1980, pp.238-239.
2.
J. STALINE, op.cit, p.357.
!
i
!
}

-
231 -
Cette imposition par les prix, conjuguée avec l'ef-
fort de la classe ouvrière, doit permettre une accumulation
socialiste dont la loi se résume en ces termes : augmentation
constante en volume de la production du secteur socialiste
qui doit être relativement plus grande que celle du secteur
privé. A l'intérieur des deux secteurs, doit se produire cha-
que fois une nouvelle répartition des frais pour assurer les
conditions nécessaires à la production socialiste élargie.
Dans ces conditions,
i l est difficile de parler d'exploita-
tion de la paysannerie par la classe ouvrière ou l'Etat so-
cialiste, car l'imposition par les prix se fait dans des con-'
~i~ions d'une stabilité voire d'une baisse du niveau géqé~al
des prix,
i l y a certes une "épargne forcée" mais sans plus.
Cependant,
il faut reconnaître avec B. ROSIER que
""agriculture" et "industrie" sont des notions empiri-
ques tout à fait insuffisantes, car il s'agit d'acti-
vités économiques qui relèvent de mode de production
précis" (1).
1
La domination de l'industrie représente en fait la domination 1
du MPC.
Pur produit du MPC,
l'industrie possède les rapports
1
de production capitaliste les plus achevés,
les plus dynami-
ques. Ce qui caractérise donc la domination du MPC, se sont
les rapports de production et l'accaparement de l'essentiel
du surplus par la bourgeoisie.
1.
B. ROSIER,
cours de DESS, op.cit.

-
232 -
20 _ Les rapports de production et la réE~rti~i~~
-----------------------------------
En refusant de confiner essentiellement ltanalyse
économique sous ltangl e étroit de ltopposition empirique in-
dustrie-agriculture,
les classiques (SMITH, RICARDO,
etc ••• )
et surtout MARX, ont orienté résolument leurs recherches au
coeur des rapports de production capitaliste,
c'est-à-dire
ltanalyse de ltémergence du surplus et des voies de son ac-
caparement par une classe. Cette voie royale et scientifique
des classiques et de MARX a été abandonnée par "ltéconomie
vulgaire" qui,
sacrifiant l'analyse à 1,a description du sys-
tème capitaliste, a fait de ce qui devenait une science, un
plaidoyer en faveur de la pérennité du système capitaliste.
Une analyse des rapports de production capitaliste ne peut
aller sans cerner ltorigine et la destination du surplus éco-
nomique,
ctest pourquoi, nous aborderons d'abord cette ques-
tion. Nous insisterons ensuite sur les débats tournant autour
de la rente comme question dérivée de celle du surplus. Ce
détour obligé nous permettra de mieux cerner le statut du pe-
t i t producteur agricole au SAHEL.
Historiquement,
le concept de surplus est contempo-
rain de la naissance de ltéconomie politique. Les premiers
économistes (les Physiocrates) posent déjà en termes clairs
les bases de ce concept.
"Ltéconomie vulgaire" bradera cet

-
233 -
acquis théorique, préférant à la notion d'accaparement du
surplus celle plus neutre de la juste rémunération du capi-
tal et du travail selon la productivité marginale de chacun
des facteurs.
Cependant, les néo-classiques connaissent la
notion de "surplus". A. MARSHALL pour définir ce concept,
prend comme base d'analyse les doses successives de capital
et de travail employées par un cultivateur. La dose de capi-
tal qui rémunère tout juste le cultivateur est alors appelée
dose limite, et le rendement correspondant,
le rendement li-
mite. Le rendement de la dose employée à la limite de la cul-
ture rémunérant tout juste le cultivateur,
i l s'ensuit que
les deux facteurs employés (capital et travail) seront tout
juste rétribués.
"Tout ce qu'il obtient en plus de cela est le "surplus
de production" du sol, Le surplus reste aux mains du
cultivateur s ' i l est lui-même propriétaire de la ter-
re"
(1).
Cette interprétation du surplus agricole est en porte-à-faux
lorsqu'on considère l'esprit du concept physiocratique ou
classique de surplus agricole. B. ROSIER dans la définition
qu'il donne de ce concept est beaucoup plus fidèle à la vision
physiocratique et classique du surplus.
"Rappelons que par surplus agricole il faut entendre
cette fraction de la production qui vient au-delà des
stricts besoins d'entretien des producteurs et leurs
familles (besoin de reproduction de la force de travail)
1,
Alfred MARSHALL,
"Les JZrincipes d'économies politiques" • .
Librairie de droit de Jurisprudence et Cordon et Breach.,
1
1971, pp. 307-308.
1
l

-
234 -
1
t
•1
1
!
ainsi que des terres et des moyens de production (se-
mences, outillages, etc ••• ). En ce qui concerne les
1
"stricts besoins d'entretien des producteurs" ou con-
sommation nécessaire,
il ne peut s'agir que d'une con-
1
sommation "sociale nécessaire" déterminée par une pro-
!
cédure sociale (généralement un rapport de force) et
non par une procédure scientifique" (1).
t
1
L'analyse de C. BETTELHEIM abonde dans le même sens lorsqu'il f
écrit que la notion de "surplus" la plus simple est celle du
"surplus agricole".
Pour lui,
1
"l'histoire montre ainsi que le développement du surplus
agricole est la base première du développement des mé-
tiers,
des différenciations sociales, de l'apparition
1
des classes, de l'Etat, du commerce, de la mon-
naie ••• " (2).
i
!i
Nous sommes d'avis que la définition de B. ROSIER que parta-
1
ge C. BETTELHEIM traduit le mieux l'esprit de la définition
!
scientifique du surplus. Cette définition s'appuie sur le'?~
concept
de producteur et son anti-thèse, celui des non pro-
ducteurs,
celle de A. MARSHALL se réfère au capital et au,
travail en tant que facteur de production. D'un point de vue
d'ensemble,
le surplus c'est
"la part de production réelle non affectée aux besoins
nécessaires à la reproduction matérielle simple du
groupe.
Dans ces conditions,
le surplus ainsi défini
correspond, d'une part,
aux investissements productifs
permettant une reproduction sociale élargie, et éven-
tuellement l'apparition d'un profit à caractère écono-
mique, d'autre part, aux investissements dits "dépen-
ses improductives" dont la fonction est d'assurer la
1.
B. ROSIER,
op.cit, note de bas de page 1.
2.
C. BETTELHEIM, "Planification et croissance accélérée".
Petite collection Maspéro,
Sème édition - Paris., 1970,
p. 59.
t
t
1
,
r
,
i
\\

-
235 -
reproduction idéologique et politique dU2~uY~ir~__a~_~
niveau local des notables villageois, comme au niveau de
la nation dans son ensemble"
(1).
Malgré les insuffisances de cette définition du surplus qU1
se réfère au groupe social et non aux producteurs,
il nous
i
a semblé important de la citer pour montrer les affectations
possibles du surplus. Nous insisterons donc pour préciser
'que la notion est inséparable de celle de classe et que le
surplus produit par les producteurs est accaparé par les non
producteurs (en l'occurence dans le MPC par la bourgeoisie).
Dans le MPC,
le surplus prend la forme de plus-value :
"La plus-value est la valeur créée par le travail de
l'ou~:ier salarié en plus de la valeur de sa force
de travail, et que le capitaliste s'approprie gratui-
tement. Ainsi,
la plus-value est le fruit-du travail
non payé de l'ouvrier" (2).
En partant de la différenciation sociale qui a existé et qui
existe aujourd'hui encore au SAHEL, on peut conclure que le
SAHEL précolonial a été un lieu d'élection du surplus, ce
que notre partie relative à l'analyse historique a largement
démontré. Le surplus n'est donc pas uniquement agricole et :
"bien entendu, quand les métiers et l'industrie se sont
développés,
le surplus cesse d'être exclusivement un
surplus agricole ;
i l devient un surplus économique et
il permet une accumulation générale et, surtout, une
accumulation productive ce que ne permet pas le pur
surplus agricole" (3).
1.
Travaux et documents de l'ORSTOM."Essais sur la reproduc-
tion de formation sociales dominées".
-
Paris., 1977,
p.107.
2.
Manuel d'économie politique.
2ème édition - Moscou.,
1959, p.121.
3.
C. BETTELHEIM~ op.cit, p.59.

-
236 -
Comme nous pouvons nous en convaincre,
le surplus
1
agricole (mais surtout le surplus économique) est une notion
essentielle et stratégique dans le processus d'accumulation
nationale.
Il apparaît évident que si ce surplus est capté
par des forces sociales étrangères (notamment l'impérialis-
me ou plus prosaïquement les capitalistes étrangers),
l'accu-
mulation devient impossible à réaliser. C'est pourquoi nous
allons analyser les rapports de production capitaliste.
sociaux :
- - --
Les questions de la rente foncière qUl ont animé
longtemps les débats des économistes,
tournaient autour de
1
la répartition du surplus qui peut constituer un frein ou
i
au contraire un stimulus à l'accumulation rapide, et au dé-
veloppement de l'économie capitaliste.
Dans la formation sociale capitaliste (la rente
1
foncière devient une fraction du surplus que la bourgeoisie
1
cède au propriétaire foncier)
;
le surplus étant représenté
f
essentiellement par la plus-value. Nous avons défini la pl~- ~
:::U:eC::::t::i::eV:~:::r:::::.P::sl:u:r::a~:~:e:·::::~::iS-1
te s'interpose entre le propriétaire et le cultivateur (le
f
1
producteur réel),
il s'empare de la direction de la produc-
1
tion et devient le "maître" des ouvriers agricoles, l'eXPloi-1
teur réel de leur surtravail. Le propriétaire foncier n'en-
1
,i
r,
-,
)

- 237 -
l
tretient plus de rapport direct avec les producteurs,
il con- l
serve simplement des rapports monétaires fixés par contrat
t
avec le fermier capitaliste. La rente prend une nouvelle di-
r
mens ion
de forme normale de surplus et du surtravail qu'el-
le était, elle devient une fraction du surtravail que le fer- 1
mier capitaliste s'approprie sous forme de profit. Au lieu
!
de la rente,
c'est maintenant la plus-value qui devient la
forme normale du surplus. Dans la formation sociale capita-
liste donc, les vestiges du mode de production féodal subsis-
tent,
particulièrement la rente foncière qui représente la
f-
fraction de la plus-value que le fermier bourgeois cède a~
it
propriétaire foncier.
Cependant, contrairement à sa situation'
dans la formation sociale féodale où elle est inégale et im-
1
~
mobile,
la rente circule et tend à s'égaliser dans la forma-
tion sociale capitaliste. L'égalisation ne signifie nullement
1
qu'un taux unique de la rente s'instaure mais qu'un nombre
l
limité de taux règle désonnais les transactions immobilières. 1
Ainsi,
retrouve-t-on dans l'agriculture capitaliste 1
(
essentiellement trois grandes classes dont parlait déjà QUES- ,
NAY dans son "Tableau économique" : l'ouvrier agricole qui
r!
produit la valeur permettant de reproduire sa propre force de 1
travail et celle de sa famille, malS aussi de fournir de l a i
plus-value appropriée par le fermier capitaliste qui se trans-l
forme aussi en nerf de la société puisqu'il dispose du surplus
dont une partie est rétrocédée sous forme de rente au proprié-
taire foncier qui devient son allié. Cette alliance et le
1
paiement subséquent de la rente,
entraînent et empêchent le
{
1
\\

r
-
238 -
!r
1
développement large et rapide du capitalisme. Telle est la con- 1
clusion de RICARDO mais surtout de Stuart MILL qui estime que
la ponction d'une partie de la plus-value (la rente) est sour-
ce de décélération du rythme d'accumulation capitaliste. Ce
n'est pas par hasard si les discussions sur la rente ont souleC-
vé des passions en Grande-Bretagne plutôt qu'en France. En ef-
fet,
en Grande-Bretagne l'alliance de la bourgeoisie s'est nouée
avec les grands propriétaires fonciers
(les gentlemen farmers)
tandis qu'en France la réforme agralre pe~met à la bourgeoisie
de s'allier aux paysans riches qui se muent en bourgeoisie ru-
raIe. Ces discussions passionnées ont abouti en 1846 (Corn
Laws) à l'importation des céréales qui va progressivement rui-
ner l'agriculture anglaise et du même coup la rente foncière.
La soumission de l'agriculture au capital peut donc emprunter
la voie de la liquidation de la rente foncière,
du libre accès
du capital à l'exploitation du sol et de l'élimination de la
classe des propriétaires fonciers.
Cependant,
le capital peut
très bien s'accommoder de l'existence de la rente et du pro-
priétaire foncier;
c'est ce qu'il a fait en Europe et continue
de faire en Amérique Latine. En Europe,
la liquidation d'une
partie des propriétaires fonciers a conduit à la résurrection
d'une petite propriété paysanne soumise au MPC. Ce phénomène
constitue la base des discussions qui opposent partisans de la
"concentration de la propriété foncière" d'une part et de
l'
"émiettement de la propriété foncière" d'autre part. Nous
n'allons pas verser dans ce débat pour deux raisons:
1
1
r

-
239 -
-
les éléments que nous possédons sur cette ques-
tion ne nous autorisent pas à trancher un débat qui se situe
f
t
!
au niveau d'un aéropage,
1
-
l'objet de notre étude porte sur le transfert de
valeur de la paysannerie prise globalement vers la bourgeoisie
1
rurale et/ou la bourgeoisie industrielle. Nous ne nous attar-
1
derons donc pas sur cette question, mais nous tenons à livrer
ce jugement de LENINE
:
" •..
la thèse selon laquelle le capitalisme a besoin d'ou-
vriers libres et dépourvus de terre est souvent comprise
de façon mécaniste.
Il s'agit là d'une thèse absolument
juste en tant qu'elle définit une tendance fondamentale.
Mais la pénétration du capitalisme dans l'agriculture est
particulièrement lent et prend des formes variées. Les
propriétaires ruraux ont très souvent intérêt à ce que
des lots de terre soient distribués aux ouvriers agrico-
les et c'est pourquoi l'ouvrier agricole doté d'un lot de
terre est un type inhérent à tous les pays capitalistes"(l
Cette appréciation nous montre avec quelle précaution il faut
juger la question foncière en agriculture, d'autant plus que
l'auteur range la paysannerie dans le prolétariat rural.
"En classant la paysannerie pauvre dans le prolétariat ru-
raI,
nous ne disons rien de neuf. L'expression a déjà été
employé à maintes reprises par de nombreux écrivains" (2 ) • 1
La ponction du surplus,
notamment de la plus-value
Il
dans le MPC, nécessite quelquefois l'insertion du fermier capi- Il
taliste dans le procès de production ; cependant,
le développe-
ment des rapports de production capitaliste en agriculture,
1
t
1.
LENINE : "Le développement du capitalisme en Russie". Oeu-
1
vres deLENINE, Tome III. Edition du Progrès de Moscou.,
1908, p.185.
!
2.
LENINE,
op.cit, p.185.

-
240 -
n'emprunte pas toujours cette voie. Lorsque dans la forma-
tion économique et sociale (FES) le MPC devinet dominant,
la ponction du surplus peut suivre des voies juridiques
(fiscalités) ou économiques (prix). Dans ces conditions,
l'intervention de la bourgeoisie dans le procès de produc-
tion peut se réduire à un contrôle en amont et en aval du
procès de production qui autorise le paysan à conserver la
propriété sur la terre.
c) ~a.Y~tit~ Er~!.i~té EaJ::s~n~e_:_é~:o!uti~.n
~e~ raEP~r:!:.s_d~ Erod~c:!:.i~n_d~n~!e~ E~­
Ea~n~s_s~hélie~n~s :
Les études sur la "petite propriété paysanne" ou
encore sur la "propriété paysanne parcellaire" montre que
le MPC a soumis l'agriculture à sa logique aussi bien dans
les "pays capitalistes développés" que dans les "pays sous-
développés".
"Le système capitaliste de production à ses débuts se
trouve en présence d'une forme de propriété foncière
qui ne lui correspond pas. C'est lui seulement qui
crée la forme qui lui convient en subordonnant l'a-
griculture au capital ; par là aussi,
la propriété
foncière féodale,
la propriété de clan,
la petite
propriété paysanne avec communauté de marché sont
métamorphosées en forme économique correspondant à
ce mode de production, quelques diverses qu'en soient
les formes juridiques" (1).
L'analyse de la petite propriété paysanne en agri-
culture nécessite de se démarquer des thèses qui tendent à
1.
Le capital, tome III,
livre III, p.156., 1970.
!1l

- 241 -
f
1
concevoir la sphère de la petite production agricole de ma-
1
nière autonome. Selon l'une d'entre elles:
1
"Elle a ses présupposés,
sa structure, sa rationalité
propre;
i l n'est nul besoin pour la définir et la
1
comprendre de faire référence à ce qui lui est exté-
1
rieur. Elle ne peut entretenir avec le reste de la
formation sociale, c'est-à-dire le mode de produc-
!
tion capitaliste dans l'industrie et le reste de
1
l'agriculture que des rapports d'extériorité"
(1).
[
t
1
Il faut également éviter de considérer les petits
!
f
agriculteurs familiaux comme des capitalistes à part entière,
possédant leurs moyens de production, donc du capital, car
1
on aboutirait à la conclusion absurde que le paysan s'ex-
!,
ploite lui-même. La théorie du "capitalisme monopoliste d'E-
t
tat" qui sépare mécaniquement la production de la plus-value
1
et sa perception, oublie que ces deux phases sont l'expression 1
,
de la même réalité du capital, c'est pourquoi i l est difficilel
de retenir la thèse qui considère les moyens de travail de la 1
f
petite agriculture comme du capital. Dans le numéro quatre
~.,
f
des Cahiers d'Economie Politique,
i l a été démontré que la
r
~}
!
thèse du "capitalisme monopoliste d'Etat" et celle de la pe-
i
tite production marchande (PPM) reposent toutes deux sur le
i
même a priori théorique:
i) la propriété est synonyme d'au-
!,
tonomie ;
ii) une conception techniciste du capital.
1
"La 1;héor~e de la PPM réd~it ~~ champ d' a?plication ~u
1..
capltal a une forme partlcullere du proces de travall.
f:
L'autre commet l'erreur inverse: tout procès de tra-
r
vail se voit confié le statut de procès de valorisation,!
tout moyen de travail est alors du capital" (2)
i
1
i
1.
Cahier d'Economie politique. Paris., 1977, p.14.
2.
Cahier-d'Economie Politique, op.cit, p.42.

-
242 -
Partant de cette appréciation,
la critique des deux
courants théoriques s'édifie sur les deux principes suivants:
i) la propriété des moyens de travail n'a de sens que compri-
se historiquement;
ii) dans la formation sociale où domine
le MPC, cette historicité lui est conférée par son rapport au
capital défini comme rapport de production. La situation du
petit producteur se caractérise donc par un "état de soumis-
sibilité au capital" qui diffère de la "soumission". Cette
situation entraîne que le petit producteur ne peut ni accumu-
1er ni s'autosuffire et définit la possibilité d'une soumis-
sion au capital. Au capitaliste d'aval,
le producteur livre
un produit et non sa force de travail ; à celui d'amont il
achète des moyens de production et s'endette auprès du ban-
quier. En tout état de cause, ce sont des rapports marchands
qui lient le petit producteur au capitaliste. Tantôt vendeur
de produits, tantôt acheteur de marchandises ou prêteur d'ar-
gent,
les capitalistes n'affectent en rien, formellement en
tout cas,
son statut de producteur.
Ces constatations conduisent l'auteur à souligner
l'intégration verticale de la petite production agricole au
MPC et à l'exploitation du travail du producteur intégré.
~) L'intégration verticale de la petite pro--
duction agricole :
La petite production agricole dominée par le MPC,
constitue un maillon de la longue chaîne des rapports de

-
243 -
duction capitalistes en agriculture.
L'encadrement en amont
comme en aval par le capitaliste traduit une perte non seu-
lement de la maîtrise du procès de production, mais aussi de
la maîtrise économique du produit.
La décision de production du petit producteur in-
tégré ne lui appartient plus. La fameuse "liberté d'entre-
prendre" ne représente plus en fait qu'une obligation pour
le petit producteur intégré. La possibilité de produire est
liée aux "avances" du banquier.
Cet endettement revêt par
conséquent un caractère particulier car c'est lui qui permet
de mettre en branle la force de travail du producteur avec
la contrepartie du remboursement,
une fois le produit vendu.
1
J"
Dans ces rapports avec le capitaliste d'amont à qui
il achète ses moyens de travail,
le paysan est pris dans
l'engrenage des innovations perpétuelles qui lui sont néces-
saires pour qu'il soit compétitif; mieux, dans certains cas,
,
!
le capitaliste d'aval lui impose la technique et les normes
!
de production dès la signature du contrat de collecte. Dans
ces conditions,
i l utilise généralement le mode de rémunéra-
1
t
tion aux pièces qui constitue un moyen efficace qe contrôle
!
r
direct de la production. L'indépendance et la "liberté" de
t
f

, . , -
t
vendre son prodult se perdent du meme coup. Le paysan ne vend
r
,
plus son produit qui est vendu par l'entrepreneur ou le cOlleci
teur.
1
La spécialisation accrue,
c'est-à-dire la simplifi-
1
8
cation des tâches favorise de mieux en mieux la soumission du
!
f
1
J

-
244 -
travail du paysan au capital, qui réduit au maximum la \\~
sité" du travail, l'introduction de nouvelles techniques
étant la condition de l'intensification de l'exploitation et
de l'extraction de la plus-value relative. Tous ces éléments
permettent la séparation entre le travail de conception et
d'exécution comme dans tout procès de travail capitaliste.
o
Au niveau de l'échange,
la prédestination du pro-
duit du travail du petit producteur lui ôte la maîtrise éco-
nomique du produit, donc la capacité de se présenter comme
·possesseur de marchandises. L'échange porte non sur le pro-
duit
(transmis à l'entrepreneur par le producteur), mais sur
la capacité de travail des producteurs. Le marché se situe
en aval des entrepreneurs ou collecteurs au niveau des pro-
duits transformés. Dans une hypothèse de sous-emploi,
le
~1
contrat peut représenter un marché de dupe,
l'entrepreneur
1
ayant le loisir de mettre en concurrence les petits produc-
1
teurs et d'imposer ses vues en matière de prix. MARX analy-
sant la condition du paysan parcellaire à son époque, souli-
gnait déjà ceci :
1
~
"Pour que le paysan parcellaire puisse cultiver sa ter-
re ou en acheter,
il n'est pas nécessaire,
comme c'est
le cas dans les conditions normales de la production
capitaliste, que le prix de marché monte suffisamment
pour lui apporter le profit moyen, ni a fortiori un
excédent fixé sous forme de rente,
sur ce profit moyen.
Il n'est donc pas nécessaire que le prix du marché at-
teigne la valeur ou le prix de production produit.
C'est une des raisons pour lesquelles le prix des cé-
1
réales, dans les pays où prédomine la propriété par-
t
cellaire est plus bas que dans les pays à production
1
~
capitaliste. Une partie du surtravail effectué par les
1
paysans qui travaillent dans les conditions les moins
favorables est donnée gratuitement à la société et
n'entre pas dans la fixation des prix de production ou
1f~t!
\\

i
-
245 -
1
~!
1
f
t
dans la création de la valeur en général. Ce prix moins!
élevé résulte par conséquent de la pauvreté des produc- l
teurs et nullement de la productivité de leur t r a - '
f
va il" (1).
f1
Aujourd'hui mieux qu'au moment où écrivait MARX, l'intégra-
1
tion du paysan parcellaire est encore plus poussée dans les
pays "capitalistes développés".
La rémunération du producteur
se fait actuellement sur la base d'un forfait s'appuyant dans
le meilleur des cas sur un calcul du prix de revient du pro-
duit mais aussi, des conditions du marché qui fixent les
prix.
Il n'est donc pas exagéré de dire que le paysan est ex- 1
ploité dans la majeure partie des cas.
1
,
1
ft ) L'exploitation du travail du producteur in-I
tégré :
1
Le prlx de revient est composé de deux éléments
!
fondamentaux : le coût des marchandises consommées et lepaie-!
ment de la main-d'oeuvre. Le premier élément du prix de re-
1
vient, en l'occurence le coût des marchandises consommées, estl
avancé au producteur ; seule donc la rémunération du travail
i~
!
est effectivement payée. En fait,
en ce qui concerne le der-
1
nier élément du prix de revient,
le capitaliste achète la ca- !
pacité de travail du petit producteur,
celle-ci est payée à
t
sa valeur c'est-à-dire conformément aux exigences de la re-
1
\\,
production de la force de travail, socialement et historique-
ment située. La transaction entre l'entrepreneur et le pro-
1
i
L
Karl MARX : "Le capital",
IIIème livre, texte intégral,
1
50 mille. Edition Sociale., 1977, p.730.
1
1
\\

-
246 -
!1
ducteur s'effectue sur la base des conditions fixées par
1
l'entrepreneur. Dans ce cas,
l'extraction du surtravail du
1
petit producteur non seulement peut se faire mais de maniè-
1
re croissante en
-
abaissant la rémunération forfaitaire
(de fa-
çon nominale ou réelle),
- augmentant la productivité de travail par un
processus de modernisation continue.
Cette intégration des petits producteurs est une
forme du développement du capitalisme dans l'agriculture où
l'on retrouve la volonté de rechercher dans la production,
non seulement de la plus-value absolue mais relative. Ce-
pendant, comme nous pouvons nous en rendre compte, les pe-
tits producteurs ne sont pas encore des salariés, car le sa-
lariat confère au producteur un statut juridique particulier.
L'exemple du petit producteur agricole prouve encore une fois
que les capitalistes,
lorsqu'ils peuvent extorquer de la
plus-value en se passant de l'intégration au statut juridi-
que de salarié,
le font par des formes appropriées et tran-
sitoires. Ce statut des petits producteurs intégrés, quoique
moins intéressant pour le capitaliste que celui de salarié,
apporte des avantages certains aux capitalistes. Ces petits
producteurs acceptent plus facilement la dépendance à l'égard
du capital pour deux raisons: dans un premier temps,
l'acti-
vité intégrée n'absorbe qu'une partie de l'activité du pro-
ducteur ; par ailleurs,
elle n'entraîne pas une rupture fon-
f
1

-
247 -
1
!
1
!
damentale et brutale avec le mode de vie du petit producteur
1
qui "possède" sa ferme,
ses outils de travail,
etc ... Leur
!
situation juridique ne permet pas de faire la grève.
Cette excellente étude faite sur le statut du pe-
t i t producteur intégré en Europe, principalement en France,
appelle les conclusions suivantes
-
le capitalisme tend à liquider les vestiges de
la période féodale,
en l'occurence le rentier propriétaire
terrien, pour se retrouver omniprésent et omnipotent face à
une multitude de petits producteurs
atomisés,
donc plus mal-
léables et plus faciles à soumettre à sa domination.
- La propriété en droit de la terre ne coïncide
pas toujours avec la propriété de fait.
- L'intégration du petit producteur se trouve fa-
vorisée par la perte de maîtrise du processus technique du
procès de production et celle de la maîtrise économique du
produit.
Ce statut du petit producteur,
loin d'être un sta-
tut définitif, doit être considéré comme un statut transi-
toire qui pourra le cas échéant nécessiter le regroupement
en empruntant la voie des "coopératives" ; cependant,
le
stade achevé de cette évolution ne peut aboutir qu'au statut
de salarié;
car c'est ce dernier qui permet au capital d'ex-
traire le maximum de plus-value. Le petit producteur dépeint
plus haut ne doit pas être totalement confondu avec le paysan
parcellaire décrit par MARX dans son livre III du Capital.
\\

-
248 -
En effet pour Marx, cette propriété foncière (celle du pay-
san parcellaire) suppose que tout comme dans les formes an-
~ f
térieures,
la population rurale excède de beaucoup la popu-
lation urbaine; elle suppose que le MPC,
s ' i l existe,
est
relativement peu développé, que même dans les autres bran-
1
ches de la production,
la concentration des capitaux est res-
treinte,
la dispersion des capitaux y étant plutôt prédomi-
nante.
Elle suppose encore qu'une partie considérable du
produit agricole entre directement comme subsistance dans la
consommation de son producteur (le paysan) et son excédent
seul passe comme marchandise dans le commerce avec les vil-
les. Sur la rente dans cette agriculture, MARX écrit
"Quelle que soit la façon dont est fixé le prix moyen
de marché du produit agricole,
l'existence d'une ren-
te différentielle partie excédentaire du prix des mar-
chandises provenant des bons terrains ou de terrains
bien situés, est ici tout aussi évidente que dans le
mode capitaliste de production. Même lorsque cette
forme apparaît dans une structure sociale où il n'exis-
te pas encore de prix général de marché, cette rente
différentielle existe déjà ; elle se manifeste alors
dans le produit excédentaire. Mais elle va dans la po-
che du paysan dont le travail se réalise dans des con-
ditions naturelles favorables"
(1).
En ce qui concerne la rente absolue,
i l souligne
qu'à la rigueur dans cette forme de propriété, elle n'existe
pas, c'est-à-dire que le plus mauvais terrain ne paie pas de
rente. Le rôle primordial de l'agriculture dans l'économie
primitive étant d'assurer dans ces conditions les moyens de
1
subsistance immédiats et comme la terre en demeure le lieu
1
~
1
1.
Karl MARX,
"Le capital",
livre III. Edition, op. cit,
pp. 728-729.
!
1
1
1
1
\\

-
249 -
privilégié,
le paysan y investit son travail et son "capital"
le prix régulateur de marché du produit n'atteindra donc la
valeur que dans des circonstances exceptionnelles. Cette va-
leur excèdera presque toujours le prix de production à cause
de la prépondérance du travail vivant, cet excédent de la va-
leur sur le prix de production lui-même étant limité par la
basse compostioon organique du capital non agricole dans les
pays où l'é!~,omie parcellaire prédomine. Il conclut en mon-
~,
trant que l'exploitation parcellaire n'a pour barrière ni le
profit moyen du capital (pour autant que le paysan est un pe-
t i t capitaliste), ni la nécessité de la rente (pour autant
1
qu'il est propriétaire foncier).
Pour le petit capitaliste
1
que représente le paysan parcellaire,
la seule limite absolu~ Il
est constituée par le salaire qu'il s'attribue à lui-même, de-
~
duction faite de ses frais de production proprement dits. Donct
aussi longtemps que le prix du produit lui rapportera ce sa-
1
laire,
i l travaillera sa terre,
allant fréquemment à l'effec-
tuer pour un salaire ne dépassant pas le strict minimum vitaL
Les conditions du paysan parcellaire
que décrit MARX,
se rap-
prochent à bien des égards de celles du petit paysan du SAHEL
elles s'en approchent mieux encore que celles du petit produc-I
teur paysan de la France contemporaine. Au SAHEL prédomine en
1
effet une nombreuse population rurale,
le MPC y demeure rela-
tivement peutdéveloppé et la dispersion des capitaux constitue
un phénomène majeur ; enfin seuls les excédents de céréales
sont commercialisés. A côté de ces excédents commercialisés,
i l existe les cultures de rente qui le sont jusqu'à cent pour

-
250 -
cent. Cependant ce qui fait par-dessus tout la différence
essentielle entre les conditions décrites par MARX et le
SAHEL contemporain,
c'est l'époque historique: l'enfance
du capitalisme, où le petit bourgeois conservait beaucoup
de possibilités de se transformer en bourgeois capitaliste,
est aujourd'hui révolue. Nous sommes progressivement passés
de la phase du capitalisme ascendant à celle de sa maturité
puis surtout de son déclin,
l'impérialisme.
C'est pourquoi
au SAHEL, plus qu'en Europe,
le petit producteur ne saurait
être assimilé à un entrepreneur capitaliste. L'intégration
de ce petit producteur qui se fait lentement dans le MPC à
travers principalement les cultures de rente, mérite qu'on
s'y attarde un instant.
Globalement les capitalistes d'amont et d'aval
sont composés essentiellement d'étrangers qui possèdent des
intermédiaires (commerçants,
collecteurs, usuriers) qui
traitent avec les petits producteurs. Globalement toujours,
le processus technique du procès de travail ne se retrouve
que partiellement entre les mains du capitalisme,
car la ma-
jeure partie de ce procès continue de générer des produits
d'autoconsommation. Cette caractéristique se retrouve au ni-
veau du marché capitaliste où ne transite qu'un faible pour-
centage de la production globale.
Cependant à travers les cultures de rente,
le MpC
désagrège ce procès de travail et impose déjà sa propre lo-
gique par la diffusion des inputs agricoles. Sur le marché,

-
251 -
les produits agricoles qu'achètent les commerçants sont
payés aux producteurs à un prix correspondant aux besoins
monétaires des paysans (impôts de capitation et menus
achats) donc en-dessous de la valeur réelle du produit.
La valeur du produit n'inclut pas la reproduction de la
force de travail qu'assurent les paysans eux-mêmes par le
biais de l'autoconsommation.
L'agriculture sahélienne vit donc une période
d'intense monétarisation avant de passer à celle de l'in-
tégration complète.
"Ainsi,
tout l'effort d'équipement du jeune Etat sé-
négalais s'est fait et continue à se faire en agri-
culture comme dans les autres secteurs de l'économie,
essentiellement dans le cadre de l'économie de marché,
et à son service" (1).
Pour l'heure, malgré la domination du MPC qui
oriente le développement agricole,
la situation dans l'a-
griculture sahélienne se caractérise par une intégration
fort limitée du MPC dans l'agriculture. Les tentatives ré-
cent es pour accroître l'influence du capitalisme dans ce
secteur, y compris dans le domaine des cultures vivrières,
doivent pousser à une spécialisation accrue (cultures ma-
raîchères) donc à une intensification des échanges et de la
commercialisation qui engendrent un développement ample du
MPC dans les campagnes,
une perte de maîtrise de plus en
1.
Revue Tiers Monde,
n° 72.,
octobre-décembre 1977 :
"Economie marchande et système de culture dans les cam-
1
pagnes sénégalaises" par Claude REBûUL, p.78û.
1

-
252 -
plus grande des petits producteurs sur le procès de travail,
sur la maîtrise économique du produit, etc ..• Déjà se for-
ment des îlots de cultures maraîchères
(les jardins du lac
de Bâm en Haute-Volta,
la région de Sissoko au Mali, etc ••• )
qui se développeront
nécessairement car ils bénéficient de
soins particuliers. Les labours, au lac de Bâm se font au
tracteur ou à la charrue pour la production d'haricots verts.
"La variété est imposée. Actuellement il cultive le
"regal fin",
expérimenté par l'IRAT (;c) à la station
de Kamboinsé" (1).
Somme toute,
ces orientations se lisent déjà en filigrane
1
1
dans les programmes de "développement" rural des gouverne-
1
f
ments sahéliens.
1
1
L'analyse des questions théoriques nous a indiqué
!
que le paysan sahélien, bien que possédant ses outils de
!
travail, ne pouvait être assimilé à un capitaliste. Elle a
1
permis de comprendre que l'intégration du paysan dans le
système capitaliste s'accomplit lentement mais inexorable-
ment. Travailleur acharné,
le paysan sahélien se trouve par
1
conséquent de plus en plus privé du fruit de son travail qui
lui échappe à travers des canaux savamment posés par l'impé-
rialisme et ses alliés sahéliens.
Cette ponction du surplus
par l'impérialisme et ses alliés, demeure la cause essentiel-
;Co
IRAT:
Institut de Recherches Agronomiques Tropicales
et de cultures vivrières.
1.
Cahier d'Outre Mer, nO III : "Un îlot de cultures maraî-
chères en zone soudano-sahélienne : les jardins du Lac
de Bâm en Haute-Volta", p. 266 .
1
1

-
253 -
1
!ffi~'
le de la crise alimentaire qui sévit depuis une décennie au
l
SAHEL.
!
La pénurie alimentaire persistante puise subsidiai- t
rement sa source dans l'augmentation de la production agrico-
le au profit des cultures de rente conjuguée avec un mouve-
ment parallèle de croissance de la population en volume,
croît,
démographique dont la population non agricole demeure le plus
grand bénéficiaire.
Cependant quelles que soient les voies de
développement envisagé,
la nécessité d'un transfert de "pro"';'
duit net" de l'agriculture vers l'industrie s'impose. L'alter-
native se trouve donc entre la voie de "l'épargne forcée" q~i
oblige la paysannerie à des sacrifices inévitables mais momen-
tanés,
et celle de l'exploitation forcenée de la paysannerie
qui devient une source intarissable de profit pour la bour-
geoisie dans les pays capitalistes "développés" et "sous-dé-
veloppés".
Le deuxième terme de l'alternative nécessite la
soumission de l'agriculture au MPC. Quelles voies emprunte
cette soumission au SAHEL ?
L'existence d'un secteur agro-capitaliste. c'est-
à-dire de domaines agricoles utilisant massivement la main-
d'oeuvre salariée.
instaurant une division purement capita-
liste du travail et faisant appel à des moyens de production
importants. demeure la source essentielle de cette soumission
directe de l'agriculture sahélienne au MPC.
Ce secteur capi-
1
1
'1

-
254 -
taliste détenu soit par des capitaux étrangers, soit par des
capitaux locaux appartenant, sous la forme juridique, soit à
l'Etat, soit à titre
privé
à des membres de la bourgeoisie
autochtone, existe à côté des petites exploitations capita-
listes utilisant des techniques traditionnelles. Elles se
sont généralement constituées par une accumulation extérieu-
re à la production de l'agriculture (commerce ou salarié en
ville).
Pendant la période coloniale comme aujourd'hui, ces
rapports gardent des proportions relativement restreintes,
ce qui ne nous autorise nullement à les négliger.
Pendant la période coloniale,
les moyens indirects
demeurant en règle générale insuffisants, on recourrait aux
/
vieilles méthodes des cultures obligatoires et aux fournitu-
res taxées. Au Soudan, on n'a fait que reprendre les usages
en vigueur dans les Etats féodaux précapitalistes. En l'ab-
sence d'économie monétaire,
l'essentiel des ressources fis-
cales provenait de la contribution en nature fournie par les
villages ; à chaque campagne, un champ collectif était déli-
mité, dont le produit, fruit du travail commun, était desti-
né à l'entretien du chef et de son entourage. Désormais, ou-
tre les champs des chefs "traditionnels" maintenus ou établis
par l'administration,
les paysans avaient à cultiver les
"champs du commandant" délimités par les gardes de cercle,
contrôlés périodiquement par eux aux étapes successives de lai
culture et de la récolte.
Cependant,
cette corvée ne dispensait nullement
ceux qui l'exécutaient du paiement de l'impôt de capitation
\\

1
-
255 -
!1
1
r
qui venait s'ajouter à ce travail forcé.
La production du
"coton du commandant" était préparée par les conducteurs
1
agricoles
(fonctionnaires de l'Etat) qui effectuaient le
recensement de la population ; étaient exemptés de planta-
tian,
les patentés,
les gens exerçant
un métier à temps
complet (au service du colon),
les vieillards,
les mères de
cinq enfants et plus,
les femmes des manoeuvres travaillant
sur les plantations européennes ; étaient imposables tous
les autres adultes de quinze à cinquante ans. Le choix des
terres est l'oeuvre du "boycoton" assisté du chef de terre
ou du village.
En fonction du nombre d'imposables,
ils dé-
terminent une ou plusieurs parcelles à débrousser sans le
souci de préserver les terres à mil des cultivateurs. La
superficie de ces parcelles était fonction du nombre de
"cordes" dues par le village : la longueur de la "corde"
(côté de la parcelle à cultiver par chaque contribuable)
avait été probablement fixée à soixante et dix mètres (soit
quarante neuf ares par imposé).
Ces exigences ont entraîné
des conséquences incalculables et dramatiques au niveau du
SAHEL :
-
une faible rotation des cultures et une diminu-
tian du temps de jachères avec comme conséquences, l'appau-
vrissement des sols.
- Une baisse des superficies cultivables, une for-
te migration (cent mille Mossis vers la Gold-Coast). Au to-
tal une régression de la production vivrière,
rendant encore

!
-
256 -
!
1
!!
,,
!!
plus précaires les conditions de vie des populations. Cette
1f
exploitation brutale et sans fard au profit de l'Etat colo-
i
1
t
niaI,
a coexisté avec une tentative de mise en valeur agrico-
~
le limitée au Sénégal et à l'Office du Niger. Cette mise en
1
t
valeur avait pour cadre les "grands ensembles".
1
;
Les "grands ensembles" sont des exploitations cen-
tralisées,généralement de surface importante (supérieure à
1.000 ha),
créées de toute pièce et utilisant une technique
1
"moderne". Les quatre grands ensembles étaient: l'Office du
1
1
Niger, KAFFRINE,
la OGOT (Compagnie Générale des oléagineux
1
Tropicaux) et Richard TOLL. A côté de ces grands ensembles,
cohabitaient des regroupements plus petits : Diobwol, Guesde,
etc . . .
Selon M.
CAPET,
les ralsons de l'installation de ces
grands ensembles peuvent se résumer ainsi
: désir de créer un
pôle de développement
; désir de créer un centre de prospéri-
té à l'aboutissement du Transsaharien où il aurait été à 1'0-
1
rigine d'un fret aller-retour.
Le Transsaharien apportant les
produits finis et remportant des matières premières de l'Offi- I,'1
ce du Niger, notamment le coton. Développer certaines cultu-
!
res
: le riz,
l'arachide,
pour faire face aux besoins nourri-
clers de la population de l'AOF et aux besoins en matières
grasses ou en coton de l'Union Française. Mettre au point des
méthodes de cultures nouvelles et les diffuser dans la popu-
lation
la création de KAFFRINE a été justifiée en partie
par la diffusion des méthodes qui ne détruisent pas le sol
1
~
mettre en exploitation de nouvelles terres, dans la région de
l

-
257 -
la boucle du Niger et de moyenne Casamance.
Ces raisons qui tentent de concilier la satisfac-
tion des besoins des industries de l'Union Française (il
faut entendre "de la Métropole Française) en matières gras-
ses ou en coton, et les besoins nourriciers des populations,
laissent croire qu'il est possible de poursuivre les deux
objectifs en même temps et avec le même élan. Cependant les
exemples de produits vivriers (arachides, riz) que l'auteur
nous donne, trahissent la crédibilité et la force dont i l
tente de charger ses raisons. L'arachIde, contrairement à ce
qu'on peut penser, n'est pas une culture vivrière à propre-
ment parler, l'étude des habitudes alimentaires des popula-
tions du SAHEL (Cf. Première Partie) permet de trancher fa-
cilement cette question. Le riz est effectivement une culture
vivrière; cependant à l'époque et même aujourd'hui, sa con-
sommation reste plutôt importante dans les villes uniquement.
Nous limiterons notre étude à l'Office du Niger pour mettre
à nu les difficultés et les résultats obtenus.
Les difficultés ont commencé avec l'étude même du
projet. Elles ont porté sur le cadre géographique (le sol, le
régime des eaux,
les vents, etc ••. ),
les méthodes de cultu-
res possibles (adaptations des plantes, l'emploi du matériel,
les assolements, etc .•• ),
les fonds financiers à engager.
L'Office du Niger visait à mettre en valeur l'an-
cien delta interne du Niger. Le fleuve qui, avant sa capta-
tion par le Niger inférieur, se jetait en un delta dans le
;
1

-
258 -
1
!1
!
SAHARA, déposait des alluvions plus fins,
plus fertiles au
i
1
,
fur et à mesure qu'on s'acheminait vers le SAHARA et qu'on
1
s'éloignait de sa source. Il a donc fallu faire un barrage
sur le fleuve actuel (barrage de Sansanding) et pour main-
1
tenir la navigation, creuser un canal fluvial de dérivation
!
ensuite, pour arroser le delta,
i l a fallu aménager deux ca-
naux secondaires (du Macina et du SAHEL). La longueur de ces
1
i
canaux agrégés avec toute une série de canaux secondaires
!!
et tertiaires,
représente plusieurs centaines de kilomètres.
1
Enfin,
il a fallu aplanir les terres pour que les machines
1
puissent se mouvoir facilement,
construire des usines : des
!
usines électriques par exemple pour avoir l'énergie capable
de manier les vannes, des huileries,
savonneries, des usines
d'égrenage pour traiter les produits attendus de l'exploita-
tion, des ateliers mécaniques pour entretenir les machines et
le matériel, des centres administratifs des villages compor-
tant des cases pour servir de logis aux colons, des dispen-
saires et des écoles,
etc •••
L'examen du capital reproductible montre une nette
évolution de 1928 à 1959 : de 28 milliards en 1928 (F cFA en
,
,
valeur de 1949) ,
il passe a 39 milliards en 1939 et a 98 mil-
liards en 1959. En 1928 le chemin de fer Kayes-Koulikoro cons-
truit à la fin du siècle dernier pour la pénétration de pé-
conomie de traite, s'adjuge encore près de la moitié du capi-
tal national,
le reste étant réparti comme suit : une moitié
pour les bâtiments administratifs et l'autre moitié à l'équi-
pement des maisons commerciales. Dans les années 1930, l'ef-

-
259 -
fort se déplacera vers l'aménagement des terres irriguées:
environ 20.000 hectares, dans la région du delta central du
Niger,
en aval de Ségou, aménagés dans le cadre de l'Office
pes, devront développer la culture du coton. Les deux tiers
nagements.
L'effort s'accentua encore plus, après la guerre
avec la mise en place des programmes du FIDES: 16.000 hec-
tares supplémentaires et 47.000 hectares le long de la vallée
du Niger absorberont près de 30 % des investissements. En
1960, le capital investi dans les aménagements agricoles re-
[
l
présentait 25 % du capital national,
l'infrastructure de transi
port également 25 %, les bâtiments administratifs, sociaux et 1
~
le logement urbain 15 %, les entreprises privées (commerce et
1
transport principalement) 35 % du capital national. Durant la 1
période coloniale, la part des investissements directement
1
productifs a plafonné autour de la moitié des investissements 1
:~::::~g::::: ::.:::r:::t::::~i:: :ud::g::é:i::g:~:::i::::nt ,
de l'agriculture. Le coût élevé des équipements (500.000 F cFA~
valeur 1959 par hectare) a ôté à l'opération son intérêt éco- !
nomique,
surtout en comparaison de celui des autres aménage-
ments : 47.000 hectares
ont été aménagés à 85.000 F cFA, va-
leur de 1959 par hectare durant les années 1947-1959 dans le
A
meme pays.

-
260 -
L'action en faveur de l'agriculture traditionnelle
intéressant pourtant la presque totalité des agriculteurs ma-
liens,
se bornait à une vague action d'encadrement. Les fonds
engloutis par les investissements d'infrastructure ont repré-
senté 34 % des fonds totaux: le coût élevé de l'équipement
routier (4.000 kms durant la période 1947-1959 au prix moyen
de un million, valeur 1959 par kilomètre pour les routes de
latérites et les pistes) ne provient pas uniquement du quasi-
monopole des grandes sociétés de travaux publics, mais aUSSl
d'une orientation accordant systématiquement la préférence
aux grands axes. Avec 14 % des fonds,
les équipements sociaux
n'ont produit que des résultats fort modestes.
Le coût élevé
!
des écoles,
la priorité donnée aux centres hospitaliers au
!
détriment des dispensaires et de la médecine de masse,
indi-
1
,-1
quent que le colonisateur se préoccupait de la santé de ses
salariés concentrés dans les périmètres urbains et de .liirrs-
1
!
truction de leurs enfants. Le taux de scolarisation s'élève
1
à 6 % seulement, et l'équipement sanitaire demeure rudimen-
~,i
~
taire.
~.
La main-d'oeuvre a été intégrée de deux manières
(i) on a fait appel à des salariés, c'est le cas à Richard
TOLL ; le paysan est réduit au rôle de salarié, de manoeuvre
agricole lorsque l'exploitation est mécanisée;
i l exécute
les tâches et reçoit en contrepartie un salaire en monnaie
(ii) appel a été fait à des colons (cas de l'Office du Niger
et de Kaffrine).
Ce sont les paysans qui gèrent leurs terres
"sous leur propre responsabilité".
Leur revenu est fonction

-
261 -
de leur récolte. La responsabilité qu'exercent les paysans
est contenue dans les limites étroites d'une discipline
technique et sociale. Ainsi à l'Office du Niger, les colons
sont regroupés en villages de trois cents habitants occu-
pant environ trois cents hectares ;
les villages sont re-
groupés et l'ensemble des sections et services généraux for-
ment l'office. L'infrastructure,
la construction des routes,
canaux, viliages,
centres administratifs et leur entretien
1
1
,
est assuré directement par l'office. En principe,
le fonc-
!
tionnement dépend de l'association des paysans.
Elle regrou-
1.•
pe obligatoirement tous les paysans. Le Conseil d'Administra- ~;
1
tion est élu mais l'association demeure gérée par l'adminis-
l
tration. L'association assure:
~,
,.
1) l'encadrement technique; elle fournit le gros
outillage nécessaire pour préparer le sol,
le transport des
1
fruits et leur transformation,
elle donne aussi des conseils
1
techniques : i l y a un agent technique par section regroupant 1,
cinq villages et un agent moniteur par village.
1
2) Elle oriente la commercialisation: l'associa-
1
tion vend les produits que le paysan lui confie,
fournit les
graines, le crédit, éventuellement les produits d'importation,
le petit outillage. L'office assure au colon arrivant le lan-
cement en mettant à sa disposition, au départ, une habitation,
le cheptel, les semis,
l'engrais et l'aide alimentaire. Après
une période probatoire,
il doit en principe avoir droit à la
"possession" de la terre sur laquelle i l a tavaillé.

- 262 -
Cette modalité avait, semble-t-il, pour objectif
d'être en conformité avec les principes des droits et cou-
tumes africains qui veulent que celui qui travaille la ter-
re possède un "droit exclusif" sur celle-ci : il peut ainsi
la léguer à ses enfants mais ne peut pas la vendre. Il est
fait obligation au paysan d'être membre de l'association des
paysans, de se soumettre à une certaine discipline et d'aban-
donner une partie de sa récolte à l'office. La récolte se di-
vise en trois parties : celle que le paysan garde, celle
qu'il doit comme redevance à l'Office du Niger en contrepar-
tie de tous les services rendus et celle qu'il peut commer-
cialiser directement ou en passant par l'intermédiaire de
l'association des paysans. Les paysans qui se sont installés
à l'office étaient désignés par le chef de village.
"Au début,
l'Office du Niger a rappelé aux colons de
Haute-Volta le travail forcé. Etre désigné par le
chef de village pour aller travailler en Côte-d'Ivoi-
re chez les planteurs blancs, ou au Soudan à l'Office
du Niger, quelle différence y a-t-il 7" (1).
La résistance à l'exploitation qu'ils subissaient,
~
se traduisait par une instabilité des colons. Prétextant des
1~
problèmes familiaux ou de mariage, les immigrés partaient
!
i
pour ne jamais revenir. La promesse d'un haut niveau de vie
!
!
aux paysans n'ayant pas été tenue, les paysans conclurent 10- r
giquement à la démagogie, se révoltèrent et désertèrent l'of- !
fice.
!,
1
1.
Marcel CAPET, "Traité d'économie tropicale, les économies t
d' AOF" -
Par is. ~';'5"81"'"."':':'L~1""'b"':r:";a~1"'r;';;1;"e"""'G~e";;n..J.e~r~a~1";;e;";;;"dr.;.e~~D~r;"O-l~'
';;'t~e~t";;';';'d~e';;;' i
Jurlsprudence.
i

!
-
263 -
1
1
j
t
1
!
1
L'échec prit des allures d'une véritable catastro-
phe ce qui obligea à recourir au travail forcé. Dans les an-
nées 1954-1955,
les difficultés de recrutement se sont atté-
1
nuées. Les résultats de cette mise en valeur appellent les
!!
conclusions suivantes: l'importance des dépenses de mise en
valeur agricole est liée au fait que l'agriculture sahélienne
précapita1iste demeure essentiellement une agriculture d'au-
tosubsistance nécessitant peu de moyens de production, pour
atteindre ses objectifs d'autoconsommation. L'incorporation
du capital dans une telle agriculture dont l'objectif ultime
est la soumission du travail,
l'économie de traite qui vise
à drainer les matières premières de l'intérieur de l'Afrique
vers les côtes et les produits manufacturés de l'Europe dans
le sens inverse, exigent des dépenses d'infrastructure immen-
ses. Malgré l'échec de l'Office du Niger qu'un examen super-
ficie1 tendrait à imputer à l'agriculture mécanisée, nous
pensons qu'il n'en est rien comme S. AMIN qui nous invite à
penser le contraire :
"Mais au lieu d'envisager l'agriculture mécanisée mo-
derne qu'appelait la faible densité rurale, elle a
donné la préférence au rêve des militaires paysans
de l'armée coloniale: la création d'une "petite pay-
sannerie" à l'européenne, absolument inadaptée au ca-
dre existant" (1).
La soumission directe du paysan à l'Etat colonial
se fait dans les "grands ensembles" grâce à la possession par
celui-ci de la terre ou/et des moyens de production, ce qui
1.
Samir AMIN: "L'Afrique de l'Ouest bloquée". Editions de
Minuit -
Paris., 1971, p.53.
l-It

-
264 -
se traduit pour le paysan par un statut de salarié ou de
"paysan intégré" qui verse une partie de sa récolte à l'E-
tat colonial à travers la médiation de l'Office. Malgré
1
les difficultés,
la productivité a réalisé des progrès
sensibles • Ls surfaces ensemencées et les rendements ont
'C'
1
,
(Il
augmente.
L'expérience des "grands ensembles" se perpétue
1
un peu partout au SAHEL grâce aux "périmètres irrigués".
En Haute-Volta,
le fonctionnement de ces "périmètres irri-
1
gués" est défini par le décret n° 124/Press/Dev du 8 juillet
1
1966.
1
1
L'article premler stipule la création d'un comi-
1
!
té de gestion dans chaque périmètre irrigué et même dans
!
ceux en voie d'aménagement. L'article fixe la composition
du comité de gestion comme suit : le préfet le préside, as-
sisté par les chefs de villages intéressés,
les chefs de
terre auxquels sont adjoints trois représentants des usa-
gers. Les bénéficiaires des parcelles n'ont qu'un droit de
jouissance sur les terres qui leur sont confiées (domaine
privé de l'Etat) lié au respect des clauses définies par le
Ministère du Développement Rural. Ils doivent faire partie
Obligatoirement des membres de la coopérative patronnée
par le comité de gestion. Les clauses des charges sont con-
signées dans une convention annuelle à laquelle le paysan
est tenu de souscrire : obligation lui est faite de suivre
le plan d'assolement et le calendrier fixé par la coopérative
\\

-
265 -
1
1
1
i~[
,~
~
de posséder un certain équipement individuel,
indispensable
1
i
à la mise en valeur des parcelles. Il lui faut en outre fai-
1
t
re un versement obligatoire à la coopérative d'une redevance
1
annuelle soit en espèce, soit en nature dont le taux reste
1
déterminé par la coopérative. Le maintien du paysan sur le
1
r
périmètre demeure lié au respect de ses clauses et de leur
r
1
exécution à l'échéance prévue.
Pour mémoire,
retenons que la
paire de boeufs coûte environ 100.000 F cFA,
la charrue
40.000 F cFA,
la charrette 50.000 F cFA,
les insecticides et
les engrais 50.000 F cFA. Le remboursement de ces dettes an-
nuelles qui se fait avec un intérêt,
n'incorpore nullement
les frais de gransport que le paysan doit également payer
suivant la distance. Les "périmètres irrigués" doivent essen-
tiellement pratiquer la culture du riz et des cultures marai-
chères. L'objectif visé étant de permettre l'augmentation du
revenu monétaire du paysan, donc le développement de l'échan-
ge et du marché intérieur. La spécialisation que favorise ces
"périmètres irrigués" doit pousser plus en avant la division
sociale du travail, donc l'échange. Tout ceci se fait ~u dé-
triment de l'autosuffisance alimentaire.
A côté de ces "périmètres", existe un secteur capi-
taliste qui utilise des ouvriers agricoles. Ainsi des bour-
geois autochtones aménagent des propriétés privées capitalis-
tes avec titre foncier sur lesquelles ils font travailler des
ouvriers agricoles en nombre croissant. De même des sociétés
comme la Société Sucrière de Haute-Volta et la Société Sucriè-
re du Sourou, recrutent des ouvriers agricoles (coupeurs de

-
266 -
i
1
cannes, paysans travaillant sur les champs de cannes, etc ••• )11
Situées toutes deux dans la région de Banfora où leur implan- .!
tation a nécessité l'expropriation massive de paysans qui ont i
reçu comme indemnité une exemption d'impôt sur dix ans, soit
180 FF
(9000 F cFA au total,
compte tenu du taux annuel de
1
l'impôt de capitation en milieu rural de 900 F cFA).
Outre la canne à sucre,
au Sourou,
se développe la
culture du blé dans des conditions si favorables que les ren-
dements par hectare constituent les plus élevés du monde (400
tonnes à l'hectare). Ces deux sociétés néo-coloniales sont
liées à la SOMDIAA (Société Multinationale de Développement
pour les Industries Alimentaires et Agricoles), société fran-
çaise, succursale de deux grandes sociétés françaises
: les
Grands Moulins de Paris (GMP) et la Compagnie Financière pour
l'Outre-Mer (COFIMER). La SOMDIAA possède 10,59 % du capital
de la SOSUHV,
et conformément à la signature entre la Haute-
Volta et celle-ci d'un contrat de conseil et d'assistance
technique d'une durée de dix ans,
c'est elle qui gère effec-
tivement la SOSUHV.
La soumission directe du travail des producteurs
au MPC passe par des voies diverses:
là l'administration co-
loniale reprend à son compte les usages en vigueur dans les
Etats féodaux précapitalistes. Elle s'appuie dans ce cas sur
la propriété de la terre, sur des moyens coercitifs relevant
moins du capitalisme que des modes de production précapita-
listes pour percevoir une rente en nature ;
ici le "paysan
intégré" verse une rente en nature ou en monnaie par la mé-

!
-
267 -
!
1
1
diation de l'Office du Niger à l'Etat colonial. Cet " impôt"
1
ne se justifie que par la possession des terres et des moyens 1
de production mis à la disposition des paysans. Les méthodes
!,
coercitives reléguées au second plan, ne sont pas pour autant f
exclues ; là encore,
la possession de la terre dans les péri- 1
1
mètres irrigués,
la prescription d'un outillage et de cultu-
!
res spéciales (riz, cultures maraichères, etc ••• ), montrent
1
!
l'emprise de l'Etat néo-colonial. L'écran que constitue le
!
"comité de gestion" permet en effet à l'Etat de percevoir une
rente en nature ou en monnaie. A côté de tout ceci existe un
secteur purement capitaliste aux mains de la bourgeoisie
1
,
,
étrangère alliée à la bourgeoisie locale, de certains bour-
\\t-
geois locaux qui utilisent des ouvriers agricoles instaurant
1
une division capitaliste du travail. Cette division autorise
la perception par celles-ci d'une plus-value, surplus authen- 1
tique du MPC.
Cependant,
les méthodes que nous venons de pas- 1
ser en revue n'épuisent pas les VÜies par lesquelles le MPC
pénètre l'agriculture sahélienne.
SOUS-SECTION I I I : soumission indirecte.
--------------------
L'insuffisance des moyens coercitifs et directs,
leur impopularité dans certains cas, nécessitent le recours
à des voies médianes. La soumission indirecte émane de ce
souci, et constitue donc
un savant dosage entre le commerce
de traite,
les cultures de rente et la pénétration des rap-
ports précapitalistes par le MPC. Le commerce de traite qui
~
existe encore aujourd'hui,
avec certes des acteurs différents,!r
)

-
268 -
bénéficie de la médiation du marché pour l'exploitation des
paysans. Soumis aux "cultures obligatoires" avant 1960, les
paysans découvrent actuellement les "cultures de rente" qui
ne représentent qu'une version "améliorée" de celles-ci. En-
fin l'exemple de la confrérie des Mourides au Sénégal, qui
n'a pas la prétention de synthétiser toutes les voies de pé-
nétration du MPC, nous indiquera comment le MPC dévoye les
rapports précapitalistes.
L'autoconsommation à l'intérieur de la famille pa-
triarcale,
les échanges modestes et marginaux sur les marchés
locaux assuraient aux populations, dans le cadre traditionnel,!
une subsistance non abondante mais suffisante.
t
r,,
"Le pays Mossi a fortement impressionné les premiers
observateurs, à la fin du XIXème siècle : par sa mas-
se démographique et l'étendue des terres cultivées,
1
par l'efficacité de l'encadrement politique de la po-
pulation"
(1).
L'introduction et le développement des cultures im-
posées par le colon sans les améliorations techniques subsé-
quentes ne pouvaient s'effectuer sans limitation ou régres-
sion des cultures vivrières, elles-mêmes à peine suffisantes
à assurer la survie des populations frappées par des disettes
périodiques (la Haute-Volta traverse une succession "insoli-
te" de "cycles" de famines ou de disettes en 1908, en 1914,
en 1925, en 1930, en 1932, en 1934, dans les années 1940 et
1.
Gérard REMY dans la Revue Tiers Monde, n° 71
: "Mobilité
géographique et immobilisme social : un exemple voltaï-
que"., 1977, p.621.
.
1

-
269 -
en 1973). L'examen, même superficiel, permet d'établir une
correspondance entre ces dates et celles des grandes crises
économiques du système capitaliste. Les méthodes coerciti-
ves, notamment celles des des cultures imposées, s'atténue-
ront à la cadence de la progression de l'économie monétaire.
"A défaut d'incitation économique,
l'obligation de l'im-
pôt personnel constituait un excellent moyen de pres-
sion. Pour se procurer l'argent nécessaire à la capi-
tation (payable par tous,
femmes et hommes),
le chef
de la famille patriarcale se voyait obligé de consa-
crer une partie des champs familiaux à des produits
marchands, c'est-à-dire en règle générale des produits
d'exportation"
(1).
1
Les cultures obligatoires se limitaient essentiellement au
coton et à l'arachide,
les cultures d'exportation ou de ren-
te que les ~~ysans arrivent à écouler actuellement sur les
iJ)
marchés sont principalement ces cultures obligatoires ; cel-
les-ci avaient pour objectif ultime de favoriser le commerce
1
de traite.
1
1
Le commerce de traite traditionnel,
instauré à la
t
1
charnière de l'époque précoloniale et de la période colonia-
1
le,
se maintiendra ostensiblement et même aura tendance à
!
1
croître. A partir de 1914 par exemple,
les cotonnades pren-
f
[
nent une place prépondérante dans les importations et portent 1
1
un coup décisif à l'artisanat africain puisque cet article
i
tend à remplacer les produits locaux.
Le commerce de traite a un caractère saisonnier
1
1
comme tout commerce de produits agricoles. La "campagne de
1
!1
;i~
1.
SURET-CANALE, op.cit, p.290.
i

-
270 -
traite" s'étale dans un intervalle de quelques semaines ou
de quelques mois après la récolte.
"L'économie de traite,
écrit R. BADOUIN,
résulte de la
combinaison ou de la superposition de trois éléments
la nature des biens faisant l'objet de l'échange,
la
polyvalence du commerçant,
le comportement du culti-
vateur"
(1).
Il précise plus loin que le cultivateur cède des produits
agricoles et reçoit en échange surtout des produits indus-
triels. L'origine du produit agricole est locale,
la marchan-
dise industrielle est de provenance étrangère. L'économie de
traite introduit une série de transactions qui se situent
dans un espace intercontinental. Le traitant a donné son nom
au système. Selon lui,
le traitant demeure le personnage cen-
tral,
celui dont l'attitude et le rôle déterminent le fonc-
tionnement du système. Le traitant a la caractér1stique sui-
vante:
il est polyvalent, c'est lui qui achète au cultiva-
teur le produit de sa récolte et c'est encore lui qui vend
les biens dont le cultivateur a besoin pour la consommation
productive ou improductive. Il est aussi entrepreneur de
transport.
Il se mue en banquier accordant aux cultivateurs,
à ses clients, des prêts en argent et surtout en nature.
Nous ajouterons pour compléter cette description
idyllique et apologétique du traitant, que généralement les
traitants étaient des compagnies coloniales importantes et
que les petits traitants étaient très vulnérables. Cette ci~
1.
Robert BADOUIN,
"Economie rurale".
Collection U. Editions
Armand COllin, p.70., 1971.

-
271 -
, 1
1
!
tation éclaire mleux que tout développement, cette situa-
1
,
tion
1
"Au Sénégal et au Soudan, c'est le groupe des maisons
bordelaises qui règne à peu près sans partage : Devès
et Chaumet, Chavanal, Maurel et Prom, Delmas et Clas-
tre, Rabaud et Compagnie, Buhan et Teyssière, Assemat,
Vezia"
(1).
Le monopole des grandes compagnies se renforce en-
core un peu plus avec la loi douanière du I l janvier 1892
qui met fin au régime libéral hérité du Second Empire dont
l'objet (dans l'esprit de Jules FERRY) était de favoriser
l'exportation des marchandises vers les colonies. Cependant,
même à cette époque,
il existait de nombreux accords limitant
l'extension réelle du protectionnisme étroit. Le décret du
14 avril 1905 prendra le contre-pied de ces accords,
accen-
tuant le régime protectionniste. Dès le lendemain de la pre-
mière guerre mondiale (1914-1918),
se dessinent les traits
qui se fixeront de façon définitive entre les deux guerres,
notamment la prépondérance de
quelques
maisons : la CFAO de
Marseille,
les Bordelais (Maurel Frères, Maurel et Prom, Pey-
rissac, Devès et Chaumet, Chavanal) implantés solidement sur
l'axe Sénégal-Soudan. Enfin commence à se faire sa place, la
société Ryff Toth et Compagnie qui devient en 1907,
la SCOA.
Dès la fin du siècle dernier,
le monopole des grandes maisons
capables de barrer l'entrée du marché africain à d'éventuels
concurrents est une dure réalité. A côté de ces gros trai-
1.
SURET-CANALE, op.cit, p.18.

-
272 -
tants,
il en existe qui possèdent des moyens plus modestes :
(i) les Syriens arrivés à la fin du XIXème siècle. On dési-
gnera sous ce nom des Levantins (en réalité surtout Libanais
et principalement Chrétiens) alors sujets Otthomans~ui vien-
dront de plus en plus nombreux s'établir comme détaillants
spécialement en AOF. Le mandat français sur la Syrie et le
Liban, après la première guerre mondiale,
les mit en position
favorable pUI~u'ils devenaient désormais des ressortissants
français.
Les Syriens réussirent en quelques années à confis-
1
quer une grande partie du commerce de détail aux grandes mai- !
1
t
sons européennes.
Ils seront4. 500 en 1939 et 8.500 en 1953
r
t
pour l'ensemble de l'AOF ;
(ii) en-dessous, ou plus rarement,
~i
à côté des SyrJens il y a les traitants autochtones qui cons- t
tituent avec ces derniers les intermédiaires entre un commer-
1
ce international et une agriculture d'autosubsistance. L'éco-

i
i'
nomie de traite n'est cependant pas un simple système transi-
!tf
toire mais durable, car aujourd'hui encore,
i l demeure en vi-
r
gueur : d'un point de vue d'ensemble,
les "grandes maisons"
[
1
ont cédé leur place à la bourgeoisie compradore et à la bour-
t
f
,
geoisie bureaucratique. Au plan agricole,
l'Etat par l'inter-
1
média ire d'un Office de Commercialisation, contrôle l'essen-
tiel des transactions commerciales.
La période néo-coloniale a également réduit le rôle
des intermédiaires Syriens qui subissent une concurrence
acharnée des autochtones.
1
L'économie de traite emploie des procédés rudimen-
taires ;
l'investissement est réduit au maximum car il s'agit

-
273 -
de prendre le mOlns de risque possible. Ce modeste investis-
sement est surtout affecté au commerce et au transport des
marchandises,
et de façon insignifiante au secteur produc-
1
1
tif. En AOF,
la traite a eu pour devise "la liberté du com-
merce", mais en fait,
c'est le monopole des grandes sociétés
1
qui a prévalu. Le commerce de traite en outre, favorise au
1
Sénégal, dans la confrérie des Mourides,
l'émergence d'une
bourgeoisie commerçante qui,
forte de son autorité religieu-
1
se, se crée les conditions de l'accumulation d'un surplus.
1
i
1
!
"Les Mourides du Sénégal sont les adeptes d'une confré-
rie islamique fondée à la fin du XIXème siècle par le
prophète Amadou Bamba sur le modèle des Grandes Con-
fréries qui se sont développées dans le monde arabe et
en Afrique au Sud du Sahara à partir du Xllème siè-
cle" (1).
L'accaparement des moyens de production notamment
des terres et des moyens de travail,
constitue la base maté-
rielle de l'accumulation de la haute hiérarchie des marabouts
mourides.
Ils ont en effet acquis les droits de premier occu- 1
pant sur les terres nouvelles ouvertes à la colonisation agri-i
,
"
d h
d
.
' t
' 1 d
cole.
Place, generalement, en
e ors
u ClrCUl
commerCla
e 1
traite notamment celui de la commercialisation des cultures
de rente et de la distribution des marchandises importées, le
Marabout laisse le commerçant traitant dépendant des grandes
compagnies commerciales,
se confronter directement aux pa~-:
sans. Cependant,
ils établissent avec ces commerçants des pac-
1.
Travaux et Documents de l'ORSTOM : "Essais sur la repro-
duction de formations sociales dominees". ORSTOM -
Paris,
1977, p.39.

-
274 -
tes de coopération où les deux parties trouvent leurs inté-
rêts : les Marabouts garantissent une clientèle abondante
au commerçant. contre des avantages pour l'écoulement de leur
propre production ou l'achat de marchandises importées (prix
ou prêts avantageux).
Dans son étude sur le "Mouridisme et l'économie
de traite", G. ROCHETEAU(l) montre également les conditions
d'émergence d'un surplus et l'accumulation de celui-ci par
la haute hiérarchie des Mourides du Sénégal. Les liens de
dépendance religieuse qui peuvent aller de la Ziara (visites
religieuses plus ou moins régulières) à la Tak-der (soumis-
sion corps et âmes au Marabout) en passant par le Haddiya
(offrande rituelle au Marabout), permet de percevoir un sur-
plus, sous forme de tribut demandé à ses disciples. Il en
ressort trois formes de prélèvements du surtravail des pay-
sans en faveur des grands Marabouts.
La main-d'oeuvre des exploitations des grands
chefs Mourides se compose presqu'exclusi~ement de jeunes
"tak-der". Le recrutement se fait sur la base du volontariat,
mais la pratique montre que les travailleurs des daara sont
confiés au Marabout par leurs parents. Dans ces conditions,
ils travaillent "gratuitement",
le Marabout Se chargeant de
la reproduction de leur force de travail.
Le Haddiya repré-
sente une offrande privée et ne saurait être considérée comme
L
G. ROCHETEAU : "Mour idisme et l'économie de traite". dans
les Travaux et Documents de l'ORSTOM, op.cit.

- 275 -
un impôt (redevance obligatoire). Le calcul du montant de
cette redevance dépend de chaque donateur. A cette redevan-
ce, s'ajoutent les prestations collectives de travail four-
nies sur les "champs du mercrede"
(Tool-u-allarba) cultivés
une fois par semaine par les Talibe,
institution qui peut,
à l'inverse, être considérée comme un ~pôt forfaitaire.
f1
"On a pu calculer que l'effort ainsi consenti au pro-
fit du Marabout représentait près de 10 % du temps de
!
travail agricole des paysans mourides"
(1).
1
Une nouvelle forme de prélèvements, pratiquée de-
1
,!
puis une date relativement récente, vient d'apparaître: le
1
SAS. Dans la coutume wolof,
le SAS constitue la quote-part
!l
versée par chaque individu en vue de la réalisation d'une
opération collective ponctuelle. Récupéré par les Mourides,
1
le SAS permet le financement des grands travaux religieux
!(
(réfection des grandes Mosquées).
1
,
"Le montant global en est fixé par le Conseil des Mou-
rides, composé du Grand Khalife et des cinq ou dix
f
plus grands Marabouts, qui établissent par ailleurs
la contribution attendue des différents khalifa (li-
!
gnages maraboutiques). La perception du SAS exige
ainsi de chaque Marabout la mise en place d'une véri-
table procédure de recouvrement : établissement de
listes de "contribuables", application de taux diffé-
rentiels en fonction du niveau individuel des riches-
ses, enfin rappels à l'ordre des récalcitrants, faute
de l'existence de toute institution proprement répres-
sive" (2).
L'accumulation du surplus par les Marabouts reste
un épiphénomène aux regards de l'accumulation de la bourgeoi-
1.
Travaux et Documents de l'ORSTOM, op.cit, p.46.
2.
Travaux et Documents de l'ORSTOM, op.cit, p.46.

-
276 -
sie étrangère, notamment française,
et de la bourgeoisie 10-
cale ; cependant grâce à celui-ci,
la base économique des
Marabouts s'élargit et beaucoup représentent des grands pro-
priétaires fonciers et des bourgeois authentiques, dont le
poids est loin d'être négligeable dans le contexte du Séné-
gal.
"Le Mouridisme nous fournirait ainsi l'exemple d'une
formation sociale du capitalisme périphérique dans
laquelle une organisation politique autonome,
pro-
duite en réaction à la pénétration coloniale ayant
servi de relais dans l'absorption de l'agriculture
traditionnelle dans le mode de production capitalis-
te,
aurait trouvé dans les développements ultérieurs
1
de ses relations au système économique et politique
dominant le moyen essentiel de sa reproduction"- (1).
1
Considérée comme un des relais ayant favorisé l'ab- t
sorption de l'agriculture sénégalaise dans la formation SQ-
ciale capitaliste,
la confrérie des Mourides se reproduit
suivant les exigences du capitalisme. Tandis que les grands
chefs mourides sont des bourgeois authentiques ou potentiels,
les Talibe se transforment progressivement en ouvriers agri-
cales.
La recherche d'une épargne monétaire abondante dans les
économies sahéliennes où l' autosubsistance demeure relativement
importante,
et où les rapports marchands qui se développent
restent limités,
constitue un vain effort. Cependant, pendant
longtemps et encore aujourd'hui,
la débauche d'énergie pour
orienter les investigations dans ce sens se révèle comme un
1
1
~
1
V
1.
Travaux et Documents de l'ORSTOM, op.cit, p.52.
!
t\\.
t
1
l,
1

-
277 -
des phénomènes majeurs de la théorie du développement écono-
mique pour les pays "sous-développés". Dans le contexte ac-
tuel des économies sahéliennes, notre analyse tente de mettre
en relief les conditions d'émergence et d'accaparement du sur-
plus économique et notamment agricole. L'exploitation des ou- 1
vriers et en l'occurence des paysans, emprunte des voies di-
1
verses et l'accumulation productive ne prend pas les '.voies
1
d'une épargne monétaire telle que la connaissent les métropo- 1
les capitalistes. Le développement du capitalisme dans l'agri-I
culture sahélienne ne se mesure pas non plus uniquement au
!
1
nombre d'ouvriers agricoles car le MPC se soumet l'agricultu- 1
!
re par de multiples moyens,
notamment celui des cultures de
,
r
rente qui permet une monétarisation accrue de l'économie et
1
donc un transfert de "produit net" par la médiation du marché.
1
,
Le développement actuel du capitalisme combine donc ses effets!
f
tels que l'accaparement du surplus,
l'orientation d'un effort!
1
agricole au détriment des cultures vivrières,
bastion de l'au-!
~
tosubsistance,
l'accroissement d'une population non agricole
1
!
qui s'accompagne du maintien des structures précapitalistes
(surtout dans le domaine des cultures vivrières). La con jonc-
tion de ces effets demeure pour nous la cause essentielle de
l'insuffisance alimentaire.
1
l
1
fi
-----------0-----------
1

-
278 -
1
1
1
1
i
1
1
CHAPITRE TROrSIEME
1
!,
INSUFFISANCE ALIMENTAIRE
f
r!
r
Le déficit du Mali s'élève à 508.000 tonnes de cé-
réales pour la campagne 1980-1981, celui de la Mauritanie à
62.000 tonnes. La campagne 1980-1981 a révélé un déficit cé~­
réalier de 520.000 tonnes au Sénégal, soit un tiers des cé-
1
réales consommées qu'importe ce pays. La liste pourrait s'al- lf
longer mais pour l'instant contentons-nous de ces quelques
1
chiffres pour souligner que ce déficit céréalier existe pra-
tiquement dans tous les pays du SAHEL et, depuis une décennie
environ,
il est devenu chronique. L'examen historique a fait
ressortir que ce déficit chronique n'existait pas au SAHEL
même pendant la période coloniale ; dans la période précolo-
1
niale malgré des périodes difficiles (disettes et famines),
r
l'inégalité dans la répartition et quelquefois l'exploitation, 1
on ne peut pas parler d'un déficit chronique et structurel.
!
La période coloniale a inauguré une ère d'exploitation brutal~
et éhontée, caractérisée par une ponction systématique (im-
pôts, travail forcé,
etc ••• ) et plus élevée du surplus. Mal-
gré ces faits,
aucune analyse,
aucun auteur ayant étudié cet-
te période sombre de l'histoire de l'Afrique et du SAHEL ne
!
mentionne l'existence d'un déficit alimentaire chronique. Ph~-l1
nomène récent,
ce déficit céréalier chronique peut et doit
1
l
!
être situé historiquement en partant des éléments statisti-
ques. L'apparition de ce déficit dans la période historique
1
1
\\

-
279 -
!
1
1
récente est-elle fortuite ? A quel phénomène peut-on rat ta-
j
cher son origine? Quelle a été la place accordée à l'agri-
culture dans les plans de développement ? Nous chercherons
1
les réponses de ces questions à travers deux sections :
1
Il Bilan statistique de deux décennies de dévelop-
pement.
III orientation du développement rural.
SECTION l
BILAN STATISTIQUE DE DEUX DECENNIES DE DEVELOP-
PEMENT.
Dans ce bilan, nous serons confrontés à d'énormes
difficultés, parce que les données statistiques sont diffi-
ciles à réussir mais aussi parce que les rares chiffres dis-
ponibles relèvent d'estimations grossières. Nous aborderons
donc cette étude non avec l'espoir de donner des résultats
dignes du physicien ou du biologiste, mais celui de faire
percevolr les tendances générales d'évolution. Les questions
que nous nous poserons concerneront l'évolution dans le temps
des agrégats et non celles de discuter la valeur d'un agrégat
à une date précise. Nous ne voulons nullement prêcher le la-
xisme dans le domaine de la rigueur des données statistiques,
mais dans notre cas, même si nous avons ce souci, notre volon-
té ne suffit pas à assouvir ce désir. Mieux,
l'essentiel dans
le travail de l'économiste consiste à percevoir les grandes
!
lignes de l'évolution passée et présente, afin de faire des
1
l
projections sur l'avenir. Nous pensons donc que si nous arri- 1
vons à tracer même grossièrement ces traits,
nous aurons fait
\\
,
i
,
- ,
1

-
280 -
j
1
,
i
1
j
oeuvre utile. Nous avons également évité d'engager un débat
!
sur la valeur théorique des agrégats officiels car nous n'a-
1
[
vons pas de proposition positive à faire dans ce sens. Pour-
~
quoi une analyse statistique ? En général les données fourniesl
sont des données éparses et brutes de la matIère première,
1
cette matière première doit être traitée pour donner des pro- t
duits semi-ouvrés, voire des produits finis directement comes~1
tibles par l'immense majorité des consommateurs.
1
Il s'agit aussi de présenter des données "objecti-
ves" ou plus exactement les plus objectives possibles sur la
1
situation alimentaire, acceptable par ceux même qui ne parta-
gent pas notre analyse. C'est à cet examen minutieux et quel-
quefois fastidieux qui comportera cinq points que nous vous coni
f
vlons
:
1°_ La production agricole et son évolution.
1f
2°- La consommation et la commercialisation.
1
tr
3°- Les prix et le crédit commercial.
1
4°- Le commerce interne et d'export export.
1
5°- L'aide alimentaire.
1
1
Il La production agricole et son évolution.
1
Le concept de production agricole globale peut fai-
1
re l'objet d'une analyse et d'une appréciation critique. Com- 1
!t
ment en effet peut-on résoudre la question de l'agrégation
,
des quantités physiques ? Peut-on agréger des quantités hété- 1
1
rogènes de mil, de sorgho et de coton ? Peut-on pondérer cet- !
t
te agrégation en faisant intervenir le prix ? La reprise à
1
1
11

-
281 -
notre compte du concept de production tel qu'il existe dans
les documents officiels, ne signifie pas qu'il est exempt de
toute critique. Nous avons cherché à éviter toute critique
stérile; c'est pourquoi avec ces "acquis" théoriques, nous
avons orienté nos recherches vers la comparaison de l'évolu-
tion de la production des cultures vivrières et des cultures
de rente.
Cette évolution laisse percevoir une augmentation
en volume des cultures vivrières et des cultures de rente,
mais dans quelle proportion? Quelle signification peut-on
donner à cette disparité dans les taux d'évolution? Pour
nous permettre de répondre à ces questions, nous examinerons
les éléments suivants :
a) Les cultures vivrières.
b) Les cultures de rente.
c) Pression démographique et évolution de la pro-
duction des cultures vivrières.
Dans la totalité des Etats du SAHEL,
les céréales
(mil et sorgho) constituent les aliments de base, donc les
plus cUltivés, viennent ensuite l'arachide,
le riz et le blé.
;C Au Tchad
:
-
Le mil et le sorgho : les derniers chiffres que
nous connaissons sont de 1975-1976. La production totale de
cette campagne s'élève à 546.000 tonnes, ce qui représente
une régression de 22 % puisque la production avait atteint

t
-
282 -
!
1
1
l
en 1967-1968 les 700.000 tonnes
la baisse annuelle est donc 1
de 2,75 % en moyenne.
- L'arachide ne constituait plus au début des an-
nées 1970 qu'une culture vivrière. Mais une relance est ln-
tervenue en 1974-1975, et le Cotontchad a repris ses achats
pour l'huilerie de Moundou.
La production d'arachide est pas-
sée de 88.000 tonnes en 1967/1968 à 84.000 tonnes en 1975/
1976. En fait,
cette production a progressé jusqu'en 1969/
1970 où elle a atteint 115.000 tonnes. Depuis,
la production
a commencé à régresser et jusqu'en 1975/1976, elle n'a pas
atteint son niveau de 1967/1968.
-
L-a p-roduêHon .de riz était de 30.000 tonnes en
1967/1968 ; en 1975/1976, elle s'élève à 39.000 tonnes, soit
une progression de 30 % en huit ans ou encore une progression
moyenne de 3,75 % par an.
- Le blé constitue une céréale récemment introdui-
te en Afrique. Sa production était de 6.000 tonnes en 1967/
1968 ; en 1975/1976 elle diminue pour n'être plus que de 5.000
tonnes, soit une baisse de 16 %.
Au total,
la production céréalière a beaucoup flé-
chi de 1967/1968 à 1975/1976. Le total en volume donne les
chiffres suivants: 1967/1968 :
824.000 tonnes et en 1975/1976
674.000 tonnes. Le taux de régression annuel moyen est de
2,50 %.

-
283 -
~ Au Mali
Le mil et le sorgho représentaient une production
de 830.000 tonnes en 1967/1968. A partir de la campagne 1970/
1971, elle fléchit pour atteindre son niveau le plus bas en
1973/1974 avec 660.000 tonnes.
Cette fluctuation est à mettre
au compte de la sécheresse car,
dès 1975-1976, la production
remonte à 925.000 tonnes. Le taux annuel moyen de progression
est de 1,3 % ; le paddy est passé de 171.000 tonnes en 1967/
1968 à 280.000 tonnes en 1975/1976 ; la progression moyenne
annuelle étant de 8 %.

"1,
Dans l'ensemble,
la production céréalière a progres-!
1
sé malgré la fluctuation à la biisse due à la sécheresse. Cet-
te progression est de 20 % pour les huit années, soit une pro-
gression annuelle moyenne de 2,50 %.
Pour le mil et le sorgho,
en 1960, la production
est de 392.000 tonnes, elle tombe à 323.000 tonnes en 1973
lors de la sécheresse ; cependant dès 1975, elle remonte et
atteint son plafond
795.000 tonnes. Depuis cette année, elle
connaîtra des hauts et des bas pour ne reprêsenter que 482.000
i
tonnes en 1980. On peut retenir que dans son ensemble, la pro-t
!
duction progresse très légèrement.
i
Le maïs
de 43.200 tonnes en 1974-1975, la pcaduc- 1
tion passe à 49.000 tonnes en 1979-1980. C'est une progres-
sion légère certes mais une progression de l'ordre de Il % en
{
1~!1

-
284 -
1
CEREALES
F ECU L E N T S
1
1
1
1
ANNEES
;---------T---------T--------T-------T---------;---------T-------~--------T---------l
i
Mil
;
Paddy
;
Maïs
; Fonio;
Total
;
Manioc
! Patates iH~r;i~ots1 Total
1
1
f
!
!
!
!
!
!
!
1e es !
!
1---------- -------- ---------t--------t-------r---------I--------- --------1-------- ---------1
1949
317
44
!
14
1
376
!
51
24
1
31
106
1
!
1
1950
327
66
14
410
59
21
29
109
1
1
1951
278
51
13
345
60
32
14
106
1
1
1952
311
54
15
385
80
29
13
122
1
1
1953
351
62
19
3
435
87
31
17
135
1
1
1954
321
63
19
4
407
86
27
19
132
1
1
1955
316
62
19
3
400
86
24
18
128
1
1
1
1956
303
70
22
4
399
98
31
12
1
141
1
1
1957
358
70
33
4
465
146
23
10
1
179
1
1958
360
71
33
4
468
157
26
11
1
194
1
1959
325
79
28
9
441
178
25
14
1
217
1
1960
392
83
27
505
179
32
12
1
223
1
1961
390
84
28
505
1
1
1962
1
1
1963
1
1
1964
1
1
1965
1
1
1966
1
1
1967
1
1
1968
1
1
1969
1
1
1970
1
1
1971
1
1
1972
1
1
1973
323
37
20
380
11
1
1
1974
511
64
32
607
15
1
1
1975
795
117
43
955
22
1
1976
625
134
1
49
808
25
1
1977
554
112
1
53
729
16
1
1978
491
84
1
46
621
12
1
1979
785
127
1
49
961
13
1
1980
482
112
1
1
~ 1 BCEAO. n°. 115. complété par le n° 247 ••
(~_~i!!!~~~_~!_~~~!!)·
février 1977.

- 285 -
cinq ans ou de 2 % en moyenne par annéee
Le paddy
en 1960 la production s'élève à 83.000
tonnes, elle tombe à 37.000 en 1973 et remonte à 112.000 ton-
nes en 1980. La progression de 36 % en vingt ans donne une
progression moyenne annuelle de 1,8 % qui, somme toute, de-
meure modeste.
D'un point de vue d'ensemble,
la production de cé-
réales a légèrement augmenté. Elle est passée de 550.000 ton-
nes en 1960 à 621.000 tonnes en 1978, soit une progression de
1,2 % par an.
~ En Haute-Volta :
--------------
Au cours de la période 1970-1980, l'agriculture vi-
vrière ou plus exactement sa production a stagné globalement
en termes réels. La production de céréales (mil, sorgho, maïs)
pendant les années de 1972 à 1978-1979 montre une légère pro-,
gression. En 1972-1973, 836.600 tonnes contre 1.115.000 tonnes
en 1978/1979. La progression en six ans est de l'ordre de
33 %, soit une progression annuelle moyenne de 5,5 %. Cette
progression ne doit p~s nous faire oublier que la production
est très irrégulière d'une année à l'autre. Elle ne recouvre
pas toute la période des vingt années qui nous intéressent.
Mieux,
l'année de base 1972-1973 est une année particulière
(année de sécheresse).
1
1
f!
1
,
,
~i
1
1

-
286 -
1
Pour le mil,
au Niger,
les statistiques vont de
1960-1961 à 1977-1978. On peut distinguer trois périodes :
(i) de 1960-1961 à 1971-1972,
la progression est nette ;1
.
!
la production passe de 718.000 tonnes à 958.000 tonnes,
so~t
f
une augmentation de 33 %
,
(ii) de 1973-1974 à 1975-1976,
la production baisse :
en 1975-1976, elle atteint son niveau record 581.000 tonnes,
soit 20 % de baisse en deux ans,
c'est-à-dire la % ~e baisse
annuelle en moyenne
(iii) à partir de 1976-1977, il Y a une reprise qui
s'accentue pour plafonner à 1.128.000 tonnes en 1977-1978,
soit 92 % d'augmentation en deux ans ou 46 % d'augmentation
annuelle ;
la reprise a été fulgurante.
Le bilan globalde la période nous permet de noter
une augmentation de 57 % pour dix huit ans, soit une progres-
sion annuelle de 3,1 % en moyenne.
Les céréales (mil,
sorgho,
riz et maïs) connaissent 1
une évolution en trois périodes également. La progression est 1
beaucoup moins nette.
De 949.000 tonnes en 1960/1961, elle
passe à L 296 .000 tonnes en 1976/1977, soit 26 % d' augmenta-
1
tion en seize ans. Le taux de progression annuel est donc de
1,62 % en moyenne.
1
En résumé,
les taux de progression significatifs
1
sont ceux du Sénégal et du Niger, progression qui couvre la
j
!
1

-
287 -
1
!
période historique de 17 à 20 ans au maximum. Ces taux sont
en général inférieurs à 2 % par an (le Niger : 1,62 % et le
Sénégal: 1,2 %). On pourrait adjoindre à ces taux ceux du
Mali et du Tahad qui sont légèrement moins significatifs
puisque ne couvrant qu'une pér~dde de huit ans (le Tchad
o
2,5 % et le Mal i
: 2,5 %). Le taux de progression annuelle
le moins significatif est celui de la Haute-Volta (5,5 %)
qui s'étale de 1972-1973 à 1978-1979, soit six années. si
nous retenons les quatre taux moyens annuels les plus signi-
ficatifs,
la progression moyenne annuelle de la production
céréalière au SAHEL est de l'ordre de 0,70 % par an. Ce taux
1
est dérisoirement faible lorsqu'on le compare à l'évolution
f,~i
du niveau de consommation et au taux de croissance moyen de
1
la population, mais aussi lorsqu'on le rapproche de celui
1
de la production des cultures de rente.
r
1
\\
Il Y a principalement deux cultures de rente
l'arachide et le coton.
1
- Le coton:
la colonisation du Tchad se fera éga-,
lement par l'introduction dès 1925 de la culture du coton.
Chaque agriculteur sera tenu de cultiver une "corde" (champ
de 70 mètres de côté). La COTONFRANC se voit attribuer dès
1
!
1927 le monopole d'achat aux producteurs. Cette monoculture
!
du coton place le Tchad dès 1976-1977 au 3ème rang des pro-
1
ducteurs de cette culture, derrière l'Egypte et le Soudan,
avec 140.000 tonnes. Elle occupe près de la moitié de la po-
. 1
,
1

-
288 -
pulation active (600.000 paysans) et représente 70 % des re-
cettes d'exportation. En 1962-1963, la production de coton
fibre se chiffre à 33.495 tonnes; en 1975-1976, elle passe
à 63.126 tonne, soit une augmentation de 87 % en treize ans,
pour une progression annuelle moyenne de 6,6 %.
j
Le coton occupe une place de choix dans l'économie
[
voltaïque. Une étude de la B.C.E.A.O constate en effet:
"Bien que cette culture ait été pratiquée de longue da-
te en Haute-Volta, elle n'a pris son plein développe-
ment qu'à partir de 1950 avec l'installation de la
C.F.D.T (Compagnie Française pour le Développement des
fibres Textiles) et l'introduction des variétés allen.
De 123 tonnes de coton-graine en 1951-1952, le tonnage
commercialisé est passé progressIvement ~ 2.885 tonnes
en 1958-1959. Depuis cette date,
les progrès ont été
réguliers: 6.621 tonnes en 1962-1963, 8.048 tonnes en
1963-1964, 8.600 tonnes prévues ~Qur 1964-1965. Ces~~­
sultats satisfaisants obtenus grace aux efforts ~e ptp~
pagande-du gouvernement et à l'action technique de la
CFDT, sont en avance sur le programme de planification
gouvernemental" (1).
Plus loin,
l'étude souligne que:
"Le coton constitue une exception : le développement ra-
pide qu'a connu cette production au cours des dernières
années tend à lui conférer une place de plus en plus
importante dans l'économie voltaïque" (2).
La production de coton-graine est passée de 1.018
tonnes en 1959-1960 à 59.957 tonnes en 1978-1979. Celle du
coton-fibre de 358 tonnes à 20.099 tonnes au cours des mêmes
années. La progression au niveau de la production du coton-
graine est de 57 fois son nlveau de 1959-1960. Nous devons
1.
B.C.E.A.O, n° 117., avril 1965, p.2.
2.
B.C.E.A.O,
idem.

-
289 -
TABLEAU N° 2
1
Production
Production
Rendement
1
Superficies
Rendement
Campagnes
Coton-graine
Coton-fibre
l'égrenage
1
en Ha
Kg/Ha
en tonnes
en tonnes
en %
1
!
!
!
!
!
!
r
1-------------------1--------------1--------------1-----------1--------------1-------------,
1
1957 -
1958
!
22.015
!
3.490
!
158
!
845

33,44
1
1
1
1
1958 -
1959
25.270
2.875
113
992
34,39
1
1
1
1959 -
1960
23.355
1.018
43
358
35,16
1
1
1960 -
1961
20.560
2.772
134
966
34,76
1
1
1961 -
1962
22.925
2.341
113
802
34,21
1962 -
1963
36.000
6.600
183
2.234
33,80
1963 -
1964
45.800
8.048
186
2.696
33,48
1964 - 1965
52.500
8.769
170
2.993
34,12
1965 -
1966
49.720
7.463
137
2.522
33,79
1966 -
1967
52.355
16.296
311
5.725
35,13
1967 -
1968
65.408
17.274
264
6.232
36,07
1968 -
1969
71.648
32.027
447
11.478
35,83
1969 -
1970
84 .076
36.248
431
13.187
36,45
1970 -
1971
80.557
23.484
291
8.425
36,08
1971 -
1972
74.056
28.126
379
10.462
37,20
1972 -
1973
70.058
32.574
465
11.951
36,68
1973 -
1974
66.601
26.668
413
9.823
36,84
1974 - 1975
61.520
30.562
497
11.328
37,08
1975 -
1976
68.005
50.695
745
18.168
36,80
1976 -
1977
79.225
55.253
697
20.243
36,99
1977 -
1978
68.767
38.043
553
13.902
36,86
1978 -
1979
71, 714
59.957(le)
750/800
20.099
Source 1 Situation économique et financière de la Haute-Volta., novembre 1979.
Ministère de la Coopération (RF).
(le).
Estimation.

-
290 -
tenir compte du niveau extrêmement bas de production du dé-
part. mais i l reste que cette progression est prodigieuse.
Le taux de progression annuel moyen est de 300 %.
,i
Au Mali,
la progression de 1975-1976
(113.000 ton-
'1
nes) est trois fois supérieure à celle de 1967-1968 (38.500
1
,
tonnes). Du point de vue de la régularité,
la progression est ii
toujours ascendante ; la seule année de fléchissement est
1
l'année 1973-1974.
;.
Au total,
la culture de rente qu'est le coton pro-
i
l.
gresse de façon régulière et constante, mais surtout rapide-
f
ment. L'étude de la pente nous montrera qu'elle est presque

1
~
verticale (égale à 1). Cette progression est valable non seu- 1
!
lement au niveau de la production. mais aussi des superficies
1
et des rendements à l'hectare (cf.
les tableaux en annexes).
/t,
1
!
t
- L'arachide:
~
"Introduite au Sénégal au début du XVIII ème siècle par
des marchands d'esclaves venus du Brésil. l'arachide
n'a d'abord été qu'une culture vivrière.
C'est à par-
t i r de 1830 qu'elle a pris une réelle extension comme
culture industrielle et qu'elle a commencé d'occuper
dans l'économie du pays une place importante" (1).
Du point de vue de l'évolution quantitative., la
culture d'arachide a connu un développement spectaculaire au
cours de la première moitié du XIXème siècle. De 5.000 tonnes 1
en 1854.
la récolte atteint 125.000 tonnes entre 1902 et 1907,1
1
puis 232.000 tonnes entre 1910 et 1915. De 1925 à 1930 la
1
!
t'
1.
B.C.E.A.O. n° 207 ••
juin 1973. p.3.
!
f
::
J
1

-
291 -
moyenne des tonnages commercialisés a été de 458.000 tonnes
pour atteindre en 1937 le niveau record de 600.000 tonnes
jusqu'aux indépendances formelles de 1960. Les tonnages com-
mercialisés qui constituent la majeure partie de la produc-
tion, ont oscillé aux environs de 500.000 tonnes puis ont re-
pris leur progression pour déboucher sur une moyenne de
840.000 tonnes entre 1963 et 1968. Le Sénégal constitue donc
1
----,
!
un bastion en Afrique de la culture d'arachide depuis l'épqgue!
- co-16nlÜe:teschÏffres· que nous rappelons ci-dessp-us sont plUS!
1
,
éloquents que tout discours.
En 1960 la production est de 829.000 tonnes, tonna- 1
t
ge supérieur à celui de toutes les céréales réunies (mil, sor-I
gho, paddy, maïs, fonio),
soit 505.000 tonnes;
en 1975-1976, 1
cette production atteint son niveau record de 1.412.000 ton-
1
~-!
~-
nes, soit plus de deux fois le tonnage du mil et du sorgho
t
r
réunis (625.000 tonnes en 1975-1976). La progression se chif- 1
f
fre à 70 % pour la période 1959-1960/1975-1976, soit une haus-!
t
se annuelle moyenne de 4,3 %, ce qui est un taux relativement!
i
fort pour une production d'arachide qui date du XIXème sièCle.!,
1
,
Au Niger, la production en 1960/1961 s'élève à
150.000 tonnes. Elle évolue jusqu'en 1972/1973 pour attein-
dre 260.000 tonnes. A partir de 1973/1974 une chute brutale
ramène la production à 41.700 tonees. La reprise qui s'amor-
ce après ce plancher,
atteint 89.900 tonnes en 1977/1978. La
chute de la production correspond à 40 % pour les dix sept
années, soit une progression négative de -
2,3 % par an.

- 292 -
Les cultures de rente connaissent une augmentation
notable sauf pour le Niger qui commence à recevoir les fruits
de l'exploitation de son uranium en 1971-1972.
Essayons de rapprocher la progression des cultures
de rente de celle des cultures vivrières :
Mali
- Mil et sorgho
base 100 en 1962
755 x 100
1964 =
=
94
800
700 x 100
1966 =
=
87
800
830 x 100
1968 =
= 103
800
556 x 100
1970 =
=
69
800
705 x 100
1972 =
=
88
800
660 x 100
1974 =
=
85
800
865 x 100
1976 =
= 108
800
820 x 100
1978 =
= 102
800
- Coton:
la production de coton n'est dispo-
nible qu'à partir de 1968. Nous allons donc prendre comme an-
née de base l'année 1968. Les calculs nous donnent le résul-
tats suivants :

-
293 -
1971
= 156
1972
= 192
1973
= 187
1974
= 143
1975
= 184
1976
= 293
1977
= 363
Cou~bU. d<!'s l''ol.:ees de ~ l'roOl.wte.ë h.
de. c.ukf.u .d ck CD1:0V\\. D..Ll 11 ~ Li
,.
-

-
294 -
Les deux courbes nous permettent de voir comment
se comportent les productions des cultures de rente et des
cultures vivrières
: la courbe du mil et du sorgho est ir-
régulière et la pente est presque nulle.
Celle du coton
connaît des baisses dues à la sécheresse des années 1973 à
1975. La courbe lorsqu'elle monte, trace une pente qui se
rapproche de l'unité. Enfin, nous constatons que la courbe
du coton est nettement au-dessus de celle du mil et du sor-
gho.
~~~~~~_~~_!~_E~~~~~~~~~_~~_~~~~~~~~
(~i!L_~~~~~~L_E~~~~_~~_~~I~_1_e~~~_~QQ_~~_!~~2)
Sénégal
1973
=
75
1974
=
121
1975
=
189
1976
=
160
1977
=
144
1978
=
122
1979
=
190
1970
=
95
1971
=
70
1972
=
119
1973
=
68
1974
=
81
1975
=
118
1976
=
170

-
295 -
j
~
\\1
1
1
~1
1
1
1
j'o
1
!
1
, Jo
,
~-

-
296 -
~~~~~~_~~_~~_E~~~~~~~~~_~~_~~~
le~~~_~QQ_~~_~~~Q=~~~~l~
Niger
1970
1971
= 121
1971
1972
= 133
1972
1973
= 127
f
1973
1974
=
87
1974
1975
1
= 122
1975
1976
=
80
1976
1977
= 136
1977
1978
= 157
le~~~_~QQ_~~_~~~Q=~~~~l~
1970
1971
= 135
1971
1972
= 170
1972
1973
= 179
1973
1974
=
51
1974
1975
=
85
1975
1976
=
27
1976
1977
=
52
1977
1978
=
59
Au Niger,
la production des cultures vivrières aug-
mente plutôt qu'elle ne baisse. C'est au contraire la produc-
tion d'arachide qui s'effondre.
Il semblerait que c'est un
virus qui est la cause de cet effondrement ; cependant,
il
faut noter que le Niger produit de l'uranium et la Maurita-
nie du fer,
ce qui, du point de vue des recettes d'exporta-
1
tion, place ces deux pays du SAHEL à part. Les autres pays
1

-
297 -
1
n'ont pas de matières premières aussi prisées et exploitées
!!
à l'instar du Niger et de la Mauritanie. A~ Niger l'exPl~~ea~II.•.
t ion de l'uranium commence en 1971 et ne represente que 9 % de8'
.
recettes d'exportation, parce que les exportations sont res-
1
,
tées faibles
jusqu'en 1973. En 1972, les exportations repré-
sentent 515 tonnes ; en 1973 elles passent à 994 tonnes, plus
de cinq fois ce qu'elles représentaient en 1971. si en 1971
les recettes d'exportations ne représentaient que 9 % des re- l
cettes totales,
en 1977 ce montant passe à 70 %.
"si la Mauritanie est maintenant devenue, dans le com-
merce international le pays du fer,
elle a été, des
siècles durant, celui de la gomme et la collecte de
celle-ci conserve une place particulière dans la vie
des populations du Sud et du centre mauritanien" (1).
Jusqu'en 1963-1964, elle produisait environ 3.500
tonnes par an de gomme arabique. A partir de 1963-1964, cet-
te production devient insuffisante parce que les exportations
de fer commencent
cette
année.
·Durant l'exercice 1963-1964,
les avions d'Air Mauritanie ont transporté 470 tonnes de fer.
Le Niger et la Mauritanie constituent donc deux
pays part. icul iers lorsqu'on examine les cultures de rente et
leur évolution au SAHEL.
1.
Le taux de progression annuelle moyenne du coton
~i
~
au Tchad est de 6,6 %, en Haute-Volta de 300 % et au Mali de
i
1
24 %. L'agrégation de ces moyennes nous donne un taux moyen
r
f-
i
1
1
i
!
1.
B.e.E.A.O, nO 119.,
juin 1965, p.9.

!t!

- 298 -
annuel de progression de 110,2 % par an.
Il faut reconnaître
que cette moyenne est peu significative compte tenu de la
dispersion autour d'elle. Mais il demeure que durant les dix
huit années de la période (1960-1978),
la production de co-
ton a fait des progrès considérables.
Au niveau de l'arachide, nous avons montré que le
taux moyen annuel de progression au Niger, parce que le drai-
nage des recettes d'exportation n'est plus basé sur la mono-
culture de l'arachide, malS sur les exportations d'uranium,
la solvabilité du pays étant déterminée par les recettes de
1
cette "matière première",
le pays peut abandonner la culture
1
de l'arachide. Le seul taux significatif est celui du Sénégal,/:
4,3 % en moyenne annuellement.
l
Pour résumer, on peut affirmer que la progression
!r
annuelle moyenne des cultures de rente se caractérise par sa
régularité, sa vigueur et sa rapidité.
Elles augmentent net-
tement et relativement plus vite que les cultures vivrières
qui n'ont qu'une faible progression (0,7 % en moyenne par an)
et dont la tendance générale est à la stagnation. Comment cet-l!
te évolution réagit-elle à la pression démographique ?
c) Pr~s~i~~.n_dém29E.aE.hiq~e_e:!:.~voluti0!2 ~e_l~ E.r~­
duction des cultures vivrières :
- - - - - - - - - - - - - -
Les chiffres étudiés indiquent que la production
des cultures vivrières a tendance à rester stable ou même à
régresser. Dans cette étude,
il s'agit de rapprocher ces fai-

-
299 -
bles hausses de celles du taux de croissance démographique.
Au SAHEL,
la pression démographique est très forte,
nous re-
viendrons sur cette question.
Pour l'instant,
retenons que le
taux de croissance démographique est partout supérieur à 2 %.
Pour simplifier nos calculs,
et pour repousser les accusations
de faire de la surenchère, admettons que ce taux est de 2 %
par an.
Au Tchad le taux de progression annuelle indique
une diminution annuelle de 2,5 % ; si nous corrigeons ce taux
par celui de la croissance démographique annuelle que nous
avons retenu,
cela nous donne un taux de progression moyenne
annuelle négatif de - 4,5 % par habitant (il s'agit d'une
baisse,en fait, par habitant).
Le Mali connaît un taux de progression de 2,5 % en
moyenne par an. Le taux corrigé s'élève à 0,5 % par an et par
habitant. Le Sénégal aura son taux corrigé négatif parce que
le taux de progression annuelle moyen de la production est de
1,2 %, le taux de progression annuelle de la production par
habitant sera de -
0,8 %.
En Haute-Volta,
le taux corrigé sera de 3,5 % avec
toutes les réserves que nous avons émises en appréciant le
taux de croissance annuelle moyen de la production de céréa-
les dans ce pays.
Au Niger,
ce taux sera de 1,1 % en moyenne sur la
période étudiée. La correction que nous venons d'opérer in-
dique clairement que la production céréalière a partout bais-

-
300 -
sé et qu'au mieux, on pourrait dire qu'elle a stagné.
r
La revue "l'Année Africaine" de 1974, appréciant
J![
la production dans les pays du SAHEL, écrit :
,
"pour cette seule campagne les six pays du SAHEL occi-
dental, Mauritanie, Haute-Volta, Niger, Sénégal, Tchad,
Mali, ont connu un déficit céréalier d'au moins 500.000
tonnes et plus de 20 % du troupeau, près de 25 millions
de bovins, auraient disparu"
(1).
Le périodique "Marchés Tropicaux" publie le tableau 1
suivant(2)
:
!
1
TABLEAU N° 3
fr
1
1
1960 -
1970
1970 -
1976
[
!i
Mal i
.
1,3
- 0,8
Haute-Volta
0
+ 3,2
1
Tchad
1,8
- 1,3
1
,
Niger
3,3
- 4
1
1
,
Sénégal
.
1,9
+ 3,4
Source
Marchés Tropicaux.
L'accroissement de la production par tête entre
1960-1970, qui était de 0,03 %,
est devenu négatif pendant
1.
Revue Année Africaine de 1974, p.235. Yves PENAUT.
2.
Revue Marchés Tropicaux", nO 1718, p.2693.

-
301 -
l'intervalle 1970-1977,
soit -
1,4 %.
Ce bilan de deux décennies de développement corres-
pond quant au fond à l'analyse que nous avons faite. Stagna-
tion et régression,
tels sont les maîtres-mots de ces deux
décennies de développement agricole. Dans ces conditions,
comment les problèmes de consommation et de commercialisation
se sont-ils posés ?
III Consommation et commercialisation.
On peut trouver curieux de voir réunies la consom-
mation et la commercialisation dans une même étude, mais au
t
(autoco~so~és.
SAHEL,
la consommation de produits vivriers
Il.·
pour la plupart) se fait au détriment de la commerclallsatlon.
Inversement,
les produits commercialisés (coton,
arachide)
entrent dans la consommation des Sahéliens pour une part très
infime. Enfin,
les cultures de rente (totalement commerciali-
sées)
jouent en faveur de la baisse de la production des cul-
tures vivrières (produits d'autoconsommation par excellence).
X La consommation :
!
Pour avoir une idée exacte de l'autosuffisance ali-
mentaire, force est de confronter les chiffres de la produc-
~
~
tion et ceux de la consommation. Les données chiffrées et sur-!
l
"

1
tout les enquetes sur la consommation demeurent partlelles ou !
l
inexistantes. Cependant,
des calculs théoriques peuvent per-
i
mettre d'obtenir des estimations grossières, mais somme toute 1
.1
assez significatives. Cet exercice ne modifiera pas le fond
!
~
:
'11

-
302 -
des conclusions que nous pouvons obtenir,
compte tenu du fait
que les erreurs ou les écarts ne pourront altérer les tendan-
ces générales qui nous intéressent dans notre étude.
L'étude du cas du Niger nous paraît intéressante à
un double titre : les chiffres concernant le Niger sont les
plus intéressants parce que couvrant une période de deux dé-
cennies. De plus, c'est là où la production vivrière a le plus
augmenté ; les conclusions sur le Niger seront donc à réviser
en baisse pour les autres pays.
Soit M la population totale et c la consommation
par tête (estimée théoriquement à 250 kg par tête en moyenne
par an)
; C la consommation totale ===>
C = c x M.
De la production totale de céréales P,
il faut re-
trancher les pertes et les semences qui représentent 15 % en
moyenne. D'où la production effectivement consommable:
P e = P x
85 %
L'équilibre alimentaire (E) peut s'exprimer donc
par la condition :
~
tt
,,
\\~
1
Au Niger entre 1964 et 1966,
les besoins théoriques :1
pour la moyenne des trois ans donnent les chiffres suivants :
250 kg/h x 3. 840.000h = 980.000 tonnes

-
303 -
La production de mil et de sorgho représente
1.182.000 tonnes. D'où la production effective disponible
(p )

e
.
P
= 1.182 x 85 % = 992.000 tonnes
e
La production totale disponible égale à 1.007.000 tonnes,
si on ajoute les 15.000 tonnes de riz à P . La question qui
e
demeure après un tel calcul est de savoir si on peut ajouter
sans difficultés majeures des tonnes de marchandises diffé-
rentes. Nous pensons que dans le cas d'une analyse schémati-
que comme la nôtre,
cette homogénéisation doit être tolérée.
En fait,
la simplification que nous avons opérée trouve ses
racines dans l'hypothèse forte qui consiste à dire que cha-
que homme se satisfait de 250 kg de céréales par an. D'autre
part,
les services de statistiques des différents'pays'du SA-
HEL homogénéisent sans sourciller le mil et le sorgho (qui
sont deux céréales différentes).
Partant de ces prémisses et
n'ayant pas de proposition positive, nous avons versé certes
dans la facilité mais aussi dans le réalisme. Ceci étant pré-
cisé, on peut écrire que :
t~
E = 1.007.000t - 980.000t = 27.000 tonnes
1
d'excédent de céréales. Cet excédent est régulier jusqu'en
1
1970. A partir de 1971,
la tendance s'inverse et un déséqui-
1
libre de 98.000 tonnes entre les besoins et la production dis-
ponible apparaît.

-
304 -
En 1973-1974 et 1974-1975, ce déficit atteint le
niveau record de 443.000 tonnes; en 1976-1977 une projec-
tion nous donne un déficit de 38.000 tonnes.
C'est donc un
déséquilibre persistant qui marque toute la décennie 1970-
1980.
Au Sénégal en 1960, le déséquilibre est déjà
grand
E = 371.000 tonnes.
Au cours de la campagne 1974-1975,
la production
de mil et de sorgho est de 795.000 tonnes. La production ef-
fective disponible de mil et de sorgho est donc de 795.000
tonnes x 85 % = 675.000 tonnes.
Le total de la production disponible est de
675.000 tonnes + 22.103 tonnes = 697.103
Les besoins théoriques = 250 x 3.904.000h = 976.000 tonnes
Le déséquilibre est de l'ordre de
E = 976.000t - 697.103t = 278.897 tonnes
f
E en 1978-1979 est de 363.500 tonnes, ce qui repré- 1
sente un déficit considérable.
1
1
i
1
L'étude des différents pays et les calculs peuvent
t
ainsi nous faire apparaître un déficit quasi-permanent pour
1
la décennie (1970-1980). D'autres études faites sur la même
l1
question aboutissent aux mêmes conclusions que les notres.
"Rapprochés des besoins nationaux,
l'on voit que le Ma-
l i connaît un déficit alimentaire depuis plus de dix
1
1
1
,
,
~

- 305 -
ans. Ce déficit se transforme rapidement en famine
avec toutes ses conséquences en cas de coup dur de
sécheresse" (1).
La revue Marchés Tropicaux, dans une série de nu-
méros, apprécie l'équilibre alimentaire des pays du SAHEL
comme suit pour le Sénégal,
"
les simples besoins alimentaires sont loin d'être
couverts en année normale. Voici par exemple les chif-
fres pour 1980 (en tonnes)
:
TABLEAU N° 4
(~~_:!:~~~~~)
Céréales
Demande
Offre
Mil et sorgho
512.000
482.000
Maïs
38.000
34.000
.-------------------.---------------
Riz
!
484 .000
98.000
!-------------------!---------------
Blé
101.000
1.000
Le tiers des céréales consommées est importé (surtout
1
riz et blé) et payé par la moitié des revenus tirés
de l'arachide en année moyenne"
(2).
Le déficit céréalier en 1980-1981 s'élève à 62.000
.
.
(3)
1
tonnes pour la Maurltanle

"L'évolution de l'économie voltaïque au cours de la pé-
riode 1970-1977 peut se résumer en deux constatations
le déficit vivrier reste quasi-permanent,
la balance
commerciale accuse un déficit croissant. Nous verrons
que ces deux tendances ne sont pas encore réversibles,
1
et qu'au contraire la situation économique se détério-
rera sans doute encore pour l'année 1977-1978".
1
1
1.
Docteur TRORE N'GOLO, op.cit, p.68.
2.
Revue Marchés Tropicaux du 15 mai 1981, p.1356.
3.
Revue Marchés Tropicaux du 6 février 1981, p.306.
tit
1

-
306 -
La liste pourrait s'allonger, mais pour nous,
l'es-
sentie1 consiste à montrer que, depuis une décennie, le défi-
cit persistant et chronique n'épargne aucun pays du SAHEL.
1
Les besoins alimentaires restent donc insatisfaits, pendant
1
que les cultures de rente commercialisées pour la plupart,
1
voient leur production augmenter, créant sur le marché inter-
national une crise de surproduction.
X La commercialisation :
Les offices de commercialisation et de crédit agri-
cole forment l'ossature de l'encadrement économique. L'enca-
drement de la production et quelquefois de la commercia1isa-
tion peut être confié au Bureau pour le Développement de la
Production Agricole (BDPA), à la Société d'Assistance Techni-
que et de Coopération (SATEC), à la Compagnie Française pour
le Développement des Textiles (CFDT), à la Compagnie Interna-
tionale de Développement Rural (CIDR), ou donner lieu à l'ins-
ta11ation d'une entreprise nationale
La commercialisation des produits agricoles a été
confiée à deux organismes par le gouvernement voltaïque
l'Office de Commercialisation des Produits et la Caisse de
Stabi1isation~esPrixde Haute-Volta. L'Office de Commercia-
1isation des Produits de Haute-Volta a été créé par la loi n°
76.60 AN du 3 août 1960 et organisé par le décret n° 506/Pres/.
MF/AEP/AE du 28 décembre 1960, modifiée par le décret n° 383/
CIAEM/AE/OC du 25 août 1961. Le domaine d'action de l'office
s'étend à
toutes les productions locales (vivrières ou de

-
307 -
i
1
1
rente 1 ainsi qu'aux données provenant de leur transformation, 1
cependant,
la collecte,
l'égrenage et l'exportation du coton
1
constituent le monopole de la CFDT. L'office ne prend part à
1
la corrunercialisation que dans les zones non "encadrées" par
la CFDT, et dans ce cas,
i l livre le coton acheté aux usines
d'égrenage de la CFDT (à Bobo-Dioulasso et Ouagadougou).
1
Créée en 1964,
la Caisse de Stabilisation des Prix
1
de Haute-Volta (CSPPA) fait porter son action essentiellement
sur l'arachide,
le karité,
le sésame,
le coton, le paddy et
les dérivés de ces produits. Elle fixe un prix d'intervention
ou un prix plafond et un prix plancher en fonction des prix
d'achat aux producteurs. Jusqu'en 1974 son rôle consistait à
contrôler les contrats d'exportation entre corrunerçants voltai-
ques et clients étrangers. Depuis 1974,
la CSPPA a le monopo-
le de l'exportation des amandes de karité, des arachides et
du sésame. En 1975, le statut de la caisse a été modifié et
elle s'est transformée en un établissement public à caractère
industriel et corrunercial doté d'une personnalité civile et de
l'autonomie financière.
Le nombre de produits dont elle a le
monopole a été élargi à la gorrune et au kapok.
l
'.
Au Sénégal jusqu'en 1960,
la majeure partie de
récolte était commercialisée par les maisons de commerce :J1
niales françaises
(Maurel et Prom, Devès et Chaumet ou Chava-
nel) avec l'aide d'intermédiaires libano-syriens. Une faible
partie était vendue par l'intermédiaire du système de coopé-
ratives qui existait déjà à cette époque. Depuis 1960, c'est
,1,1i1

-
308 -
un organisme officiel qui détient le monopole de la commer-
cialisation de la récolte, ce qui permet à l'Etat néo-colo-
1
1
niaI de contrôler ce secteur très important de l'économie.
1
!
L'OCA (Office de Commercialisation) créé le 13 janvier 1960,
f
a le monopole de la commercialisation des arachides que' lui
!
livrent les coopératives et les organismes stockeurs agréés
par lui. Son monopole s'étend sur les exportations d'arachi-
des en coques et en graines, mais pas sur la vente des huiles
et des tourteaux. A côté des organismes d'Etat,
il existe un
secteur d'acheteurs privés. Les acheteurs privés, au Sénégal
(appelés les "organismes stockeurs"
(OS)),
se sont retrouvés
610 en décembre 1963,
ils étaient plus de 3.000 en 1960. Les
coopératives bénéficient de la volonté délibéré du gouverne-
ment de parvenir à une "socialisation" totale de la commer-
cialisation en aval. Depuis trois ans,
elles se sont multi-
pliées
: la totalité des coopératives est chiffrée à 727 en
1961-1962 et à 1.700 en fin 1963, dont 1.439 à vocation plus
particulièrement arachidière.
Les CRAD(l) interviennent aussi dans la commercia-
lisation avec leurs "excédents de secco".Chargés de mettre en 1
place la plus grande partie des semences nécessaires à la cam-j.
pagne, ces organismes tentent d'améliorer le "capital semences
par l'augmentation constante de la part des semences sélec-
1
tionnées et le traitement aux fongicides.
Ces semences sont
1
remboursées par le producteur après la récolte majorées d'un
1.
CRAD = Centres Régionaux d'Assistance au Développement.

-
309 -
"intérêt" en nature de 25 %, destiné à rémunérer les inter-
ventions des CRAD. Ceux-ci se procurent en outre des semen-
ces sélectionnées auprès des stations de recherche et des
coopérateurs liés par contrat et procèdent à des échanges
de semences d'une région à l'autre. L'excédent final de leurs
ressources sur les besoins dit "excédent de secco" est vendu
à 1 'OCA.
Le régime de la commercialisation des arachides
au Niger a été profondément modifié dans le courant de l'an-
née 1962 par l'intermédiaire du décret du 28 mai 1962, por-
tant organisation du marché de l'arachide et création de la
Société Nigérienne de Commercialisation de l'Arachide
(SONARA) dont les statuts ont été approuvés par le décret du
8 août 1962.
La nouvelle organisation se caractérise par une
intervention et un contrôle plus poussés que par le passé de
l'Etat néo-colonial du Niger à tous les stades de la commer-
cialisation. En effet :
-
les transactions se font obligatoirement sur les
marchés officiels dont la liste est établie chaque année par
arrêté ministériel.
-
Les achats sont effectués exclusivement par les
organismes stockeurs agréés dont le rôle consiste à effectuer
et à financer les achats quotidiens au détail sur les marchés,
à ensacher dans les sacs fournis par la SONARA, à entreposer
et à conserver les arachides sur le lieu d'achat jusqu'à la
prise en charge par la SONARA qui intervient dans un délai

-
310 -
d'une semaine environ, à qui ils doivent céder obligatoire-
ment la totalité de leur collecte en vue de l'exportation ou
de la livraison aux huileries locales.
- La SONARA, après avoir acquis les arachides des
organismes stockeurs, exerce le monopole des ventes à l'ex-
portation, et approvisionne les industries huilières locales.
L'agrément des organismes stockeurs est accordé chaque année
par arrêté du Ministre des Finances et des Affaires Economi-
ques. Au départ,
l'agrément a été accordé aux exportateurs
et intermédiaires d'antériorit~ et remplissant certaines con-
ditions : les personnes disposant de moyens financiers et ma-
tériels suffisants et pouvant souscrire au capital de la
SONARA un nombre d'actions proportionnel au quota qui leur
est attribué.
Au Mali,
l'Office des Produits Agricoles (OPAM)
créé en 1959 détient le monopole de l'exportation du riz, du
mil, du maïs et du blé. Les cultures de rente (coton, arachi-
de) sont commercialisées par les ODR (Opérations de Dévelop-
pement Rural) chargées de leur encadrement = CMDT, OACV', OHV(li)
sur la base des barêmes arrêtés par le gouvernement. Le gou-
vernement produit un décret qui fixe les prix au producteur,
uniforme sur toute l'étendue du territoire.
Au total, un monopole étatique de la co~ercialisa- 1
f
tion par l'intermédiaire d'organismes parapublics qui agissent!
1
en priorité sur les produits de rente lorsqu'il existe des
t
~
1.
CMDT = Compagnie Malienne pour le Développement des Tex-
tiles.
OACV = Opération Arachide et Cultures Vivrières.
OHV = Opération Haute-Volta.
1
~1
t!1

-
311 -
IAA (Industries Agro-Alimentaires),
capables de transformer
la matière première en produits finis ou semi-finis (cas du
Sénégal). Le monopole
étatIqUene touche pas les huiles et
les tourteaux qu'exportent les huileries aux mains du capi-
tal étranger.
Dans le cas où la culture de rente est exportée à
l'état de matière première,
le monopole étatique s'exerce
uniquement sur les produits vivriers (mil, riz, maïs, etc ••• )
c'est le cas de la Haute-Volta et du Mali. La commercialisa-
tion des cultures de rente devient le domaine réservé de la
CFDT,
de la CMDT ou OACV,
etc ••.
Le monopole de l'Etat s'exerce donc en étroite
liaison et en conformité avec l'allégeance aux sociétés i~-
périalistes (CFDT, BDPA, CMDT,
etc ••• ). Sinon comment com-
prendre que ces sociétés se situent là où les sources de
surplus sont les plus élevées ? En Haute-Volta, le premier
produit d'exportation qui représente en 1977 39,3 % de l'en-
semble, est géré par une association entre la Haute-Volta et
la CFDT. Comment expliquer que cette association qui ressem-
ble fort à celle du cavalier et du cheval,
laisse le monopo-
le de la collecte, de l'égrenage et de l'exportation à la
CFDT ? Mieux :
"Les rapports ORD/CFDT sont très étroits,
la plupart
des postes de direction sont occupés par des agents
CFDT, principalement préoccupés par la culture coton-
nière" (1).
1.
Comité d'information SAHEL, op.cit, p.llO.
!
\\

-
312 -
Au Sénégal,
"la production non commercialisée avec un développement
légèrement inférieur, aurait vu sa part diminuer dans
l'ensemble de la production globale = 16,3 % en 1959
contre 16,9 % en 1956. C'est là le signe, lent mais
progressif, d'une certaine monétarisation d'économie
sénégalaise"
(1).
La campagne arachidière de 1963-1964 s'est soldée
par des résultats un peu supérieurs à ceux de la période pré-
cédente ; la récolte a été estimée à 952.000 tonnes en pro-
grès de quelques 40.000 tonnes d'une année sur l'autre, et
la commercialisation a porté sur 798.000 tonnes, soit 31.000
tonnes de plus qu'en 1962-1963. Cette commercialisation sera
en hausse constante et parallèle à celle de la production
jusqu'en 1980.
L'analyse des chiffres relatifs à la commerciali-
sation vise un double objectif :
1° - mettre en relief l'impact du marché sur l'a-
griculture des pays du SAHEL ;
2° -
préciser encore mieux les caractéristiques des
cultures vivrières et des cultures de rente.
La caractéristique des cultures demeure la fai-
blesse de leur commercialisation. Au Mali, sur une produc-
tion de 830.000 tonnes de mil et de sorgho en 1967/1968, la
1
commercialisation représente seulement 52.000 tonnes,
soit
!
1
6 % de la production totale. En 1974/1975 elle demeure en-
~.,
1.
B.C.E.A.O, nO 94
"Développement économique du Sénégal",
p.l.

-
313 -
core de 43.000 tonnes contre une production de 925.000 ton-
nes, soit 4 % de la production. Au Niger en 1972/1973, 3.800
tonnes de mil ont été commercialisées sur une production de
919.000 tonnes,
soit un taux de commercialisation de 0,4 %.
En 1976/1977, la production monte à 977.000 tonnes et la com-
mercialisation à 43.358 tonnes, soit un taux de commerciali-
sation de 4 %. L'autoconsommation représente plus de 95 % en
moyenne lorsqu'on analyse les cultures vivrières au SAHEL.
Qu'en est-il des cultures de rente?
Au Niger en 1970/1971,
la production de coton-grai-
ne est de 9.597 tonnes, et la commercialisation de 9.597,1
tonnes, soit plus de 100 % de la production est commerciali-
sée. En 1977/1978, la production plafonne à 3.799 tonnes et
la commercialisation aussi. Là encore, toute la production
est commercialisée.
De façon générale,
la commercialisation
de la production de coton avoisine les 100 %.
Au Mali,
la production de coton représente 60.000
tonnes en 1970/1971, la commercialisation 52.700 tonnes, soit
88 % de la production globale de coton. En 1975/1976, la pro-
duction équivaut à 113.000 tonnes et la commercialisation
s'élève à 104.000 tonnes,
soit 92 % de la production globale.
Selon le comité d'Information du SAHEL, dans l'ou-
vrage "Qui se nourrit de la famine au SAHEL ?",
la commercia-
lisation de coton en 1973 est assurée à 100 % contre 0,042 %
pour celle de l'arachide et 0,007 % pour celle des céréales.
1
r!
1
1
1

-
314 -
Les cultures de rente,
notamment une "culture de
rente pure" comme le coton, ont un taux de commercialisation
très élevé. Les calculs montrent que ce taux oscille entre
90 % et 100 %. Cette culture de rente se différencie de l'a-
rachide qui est en même temps un aliment comestible.
Au Sénégal,
les taux de commercialisation de l'ara-
chide pour les quatre années 1960, 1965, 1970 et 1975, s'élè- Il'
vent respectivement à 89 %, 85 %, 76 % et 78 %, soit une
moyenne de 82 %. A l'instar du taux de commercialisation du
coton,
celui-ci demeure donc très élevé. Par contre, la pro-
gression en volume des quantités commercialisables semble très
irrégulière et relativement faible ; de 1960 à 1979, la va-
riation représente seulement 32.000 tonnes.
Elevé et même très élevé pour les cultures de ren-
te,
le taux de commercialisation demeure très bas pour les
cultures vivrières, accentuant les différences déjà très mar-
quées entre cultures de rente et cultures vivrières. En d'au-
tres termes, on peut noter que le taux d'autoconsommation est
nul pour les cultures de rente et au voisinage de l'unité pour
les cultures vivrières.
Enfin,
il faut souligner qu'en volume les cultures
vivrières devancent et de loin les cultures de rente sauf au
Sénégal, même si par ailleurs sur le plan du rythme de pro-
gression,
les cultures de rente viennent largement en tête.
!
Un exemple suffira à mieux situer notre point de vue. Au Mali 1
en 1967/1968, le mil et le sorgho représentent 830.000 tonnes
i
1
\\

- 315 -
TABLEAU N° 5 : Production et commercialisation
-------------------------------
~~_~~~E~~~~~~_~~_~~~~=~~~Z_~_~~Z~=~~Z~_~~_~~~~g~1
i~~_!:~~~~~l
,
T
Production
; Commercialisation
Campagnes
Tonnes coques
Tonnes coques
--------------------- ----------------- -----------------
1946
1947
415.000
364.000
1947
1948
598.000
452.000
1948
1949
596.000
439.000
1949
1950
572.000
429.000
1950
1951
471.000
342.000
1951
1952
571.000
443.000
1952
1953
558.000
460.000
1953
1954
635.000
551.000
1954
1955
464.000
390.000
1955
1956
603.000
539.000
1956
1957
763.000
713.000
1957
1958
900.000
831.000
1958
1959
770.000
711.000
1959
1960
829.000
744.000
1960
1961
892.000
830.000
1961
1962
995.000
901.000
1962
1963
914.000
767.000
1963
1964
952.000
798.000
1964
1965
1.019.000
870.000
1965
1966
1. 121.000
1.011.000
1966
1967
857.000
786.000
1967
1968
1.005.000
834.000
1968
1969
830.000
623.000
1969
1970
789.000
600.000
1970
1971
583.000
454.000
1971
1972
988.000
764.000
1972
1973
570.000
466.000
1973
1974
675.000
501.000
1974
1975
980.000
768.000
1975
1976
1.412.000
1. 178.000
1976
1977
957.000
1977
1978
442.000
1978
1979
776.000
Source : B.C.E.A.O, nO 115, complété ~ar les numéros 233.,
novembre 1975 et nO 242., aout-septembre 1976.

-
316 -
et le coton 38.000 tonnes. En 1975/1976, le mil et le sor-
gho progressent jusqu'à 925.000 tonnes, tandis que le coton
triple son volume de 1967/1968 et atteint 113.000 tonnes.
D'un point de vue du futur,
on peut aisément penser et pré-
vOlr si la tendance actuellement ne s'inverse pas, un rat-
trapage voire un dépassement du volume des cultures de ren-
te sur celui des cultures vivrières. Les éléments ci-dessus
permettent de souligner la progression des transactions com-
merciales,
l'élargissement du marché capitaliste qui enfonce
progressivement ses tentacules dans les profondeurs de l'éco~
nomie agricole ; cependant,
il reste encore limité et touche
une partie relativement faible de la production agricole.
L'
"économie de marché" ou plus exactement le marché capita-
liste,
s'instaure inexorablement mais n'a pas encore totale-
ment conquis
le
pan
le
plus important de l'économie des
pays du SAHEL, que constitue l'agriculture. Le développement
du marché capitaliste favorise l'eXploitation des paysans
par la procédure des prix qui représente un véritable échan-
ge inégal.
111/ Les prix et le crédit agricole.
Les prix et le crédit agricole peuvent constituer
un stimulus ou un frein pour la production agricole.
Pour
l'économie néo-classique,
le prix est la résultante de la
confrontation entre l'offre et la demande sur le marché en
concurrence pure et parfaite.
Comme nous l'avons vu dans le
cadre de la commercialisation,
ce n'est pas le libre jeu des
!
l

- 317 -
forces du marché qUl fixe le prix mais l'Etat. Quelle a été
la conséquence de la politique des prix dans les faits et
dans les chiffres ? Nous rapprocherons les prix des produits
agricoles entre eux, puis nous comparerons ces prix aux in-
trants dans la production agricole.
- Les prix des produits vivriers
j,
.~
S'il existe un prlx officiel au producteur, fixe,
1
voire généralement révisé à la baisse, les commerçants res-
!
pectent peu ou prou les prix officiels aux consommateurs.
1
TABLEAU N° 6
: !1_i}__:__c_0.!ll"p_~r_~i_s_o_n__e_n~_r_e_..PE~
__o!..fJ_c)~~~_
1•
~~_EE~~_E~~!~_~~_~2_1~~_~_~~1
!)
Prix
Prix
offi-
1
offi-
Prix réels au consommateur
ciel
ciel
sur le marché de Ouagadougou
An-
au
au
nées
pro-
con-
'----T----T--T----T--T--T----T--T--T--T----T--
somma-
t "
..
. . . .
..
01,
..
. . . .
. . . . .
duc-
J
F
!M!
A
! M ! J ! J
!A!S!O!
N!D
teur
t eur i
! ! !
! !
! ! ! !
!
- - - - - - ----T----T--T----T--T--T----T--T--T--T----T--
1973
14
26
i45 i
" 6 2 51
30
36
"
,
1974
18
30
3.~5
39
39
39
39i48'46,5'43 36 35
30
30
,
1975
22
37
30
30
30
27'27
27
26 27
27
30
1976
18
30
27
28,5 28 28,5 30
36
1977
23
35
44
50
50
49
55 72
80
1978
32
45
80
80
75
75 78
81
1979
40
57
70
Source
Situation économique et financière de la Haute-Volta.
Ministère de Coopération., novembre 1979, p.Â7.

- 318 -
Ce tableau nous indique l'importance que le gou-
vernement accorde aux producteurs d'une part et aux commer-
çants d'autre part. Les prix sont fixés de telle sorte que
les commerçants puissent réaliser un profit qui avoisine
les 75 %, ce qui donne une marge bénéficiaire assez subs-
tantielle. D'ailleurs les commerçants profitent du "lais-
ser-aller",laisser faire" pour réaliser des marges qui crè-
vent le plafond de 500 %. L'organisation des marchés crée
un "manque à gagner" pour le producteur qui revient aux com-
merçants ou quelquefois à des organismes étatiques. Ce "man-
que à gagner",
en terme clair,
est une mesure de transfert
de valeur de l'agriculteur-producteur vers le commerçant, et
de façon plus globale,
du monde rural donc de la paysannerie
vers la bourgeoisie commerçante et vers l'Etat. Partout les
prix d'achat au producteur sont dérisoirement bas.
Au Sénégal,
le prix du mil était, en 1949, de 16,6
F cFA ; en 1960, i l tombe à 15 F. En 1974-1975, le prix du
mil était de 30 F cFA le kg,
1979-1980,
i l est de 40 F, soit
une augmentation moyenne annuelle de 6,6 %. Le maïs, quant à
lui, passe de 35 F cFA en 1974 à 37 F cFA en 1979-1980, soit
1 % d'augmentation annuelle.
i1
Au Niger,
les prix d'achat au producteur ont évo-
1
lué comme suit : en 1972-1973
: 12,5 F/kg ;
en 1977-1978
1
!
,
30 F/kg,
soit 28 % d'augmentation annuelle, mais il faut re-
1
1
marquer que les prix sont partis d'un niveau très bas; d'au-
tre part,
l'évolution des prix doit être mise en parallèle
avec l'inflation qui sévit dans le pays;
enfin,
i l faut no-
1
!

-
319 -
ter la relative stabilité des prix d'achat au producteur
de 1973-1974 à 1976-1977, quatre années durant les prix
sont restés stables à 25 F cFA?
Le sorgho passe de 10 F cFA le kg en 1972-1973 à
30 F le kg en 1977-1978. Là encore, les prix restent stables
de 1973-1974 à 1975-1976 (soit trois années de stabilité des
prix aux producteurs). En fait,
la politique consiste à blo-
quer les prix pendant trois ou quatre ans, puis à les déblo-
quer.
Au Mali,
sur une période de neuf ans, nous pouvons
confirmer nos conclusions. Il y a trois hausses au total en-
tre 1967/1968 et 1976/1977 : c'est donc une hausse dont la
représentation graphique prend la forme d'une courbe en es-
calier que nous pouvons constater.
Au total,
des prix qui partent d'un niveau extrê-
mement bas et donnent l'illusion d'une progression rapide.
D'ailleurs,
cette illusion se dissipe lorsqu'on rapproche
cette hausse des prix des intrants agricoles (outilS, engrais,·
etc ••• ). Les commerçants sont les premiers bénéficiaires de
ces prix aux producteurs extrêmement bas, ce qui leur permet
d'effectuer un transfert de valeur.
Ce transfert de valeur
se double d'un phénomène de concentration du capital dissé-
miné au sein de la paysannerie dans les mains de la bourgeoi-
sie étrangère, de la bourgeoisie pOlitico-bureaucratique et
de la bourgeoisie compradore. Ce transfert de valeur est sur- f
tout important au niveau des cultures de rente.
.1[!1

-
320 -
- Les cultures de rente :
Au Sénégal, un prix unique a été institué sur tout
le territoire et pour toutes les variétés à l'exception des
arachides de bouche depuis la campagne 1971-1972 par le dé-
cret 11-1185 du 2 novembre 1971,
le système remplaçant celui
en vigueur au cours des campagnes précédentes, basé sur deux
prix différenciés.
Pour la quatrième campagne consécutive, les prix
d'achats aux producteurs, fixés pour les différents points
d'achats autorisés par le décret du 17 décembre 1963, sont
restés inchangés,
les prix de base étant les suivants
22,75 F/kg à Dakar, 22,OO/kg à Kaolaek et 21,25/kg à Ziguin-
der.
Au Sénégal, le prix d'achat au producteur d'arachi-
de d'huilerie était de 41,5 F cFA en 1973-1974. En 1978-1979,
il est encore de 41,S F cFA, soit une progression nulle en
5 ans. En 1979-1980 le prix est porté à 45,S F cFA, mais pour
combien d'années encore?
Pour le coton au Niger,
les prix sont restés blo-
qués pendant trois ans (1974-1975 à 1976-1977 à 47 F cFA/kg).
En valeur absolue,
les cultures de rente, à poids
égal,
rapportent plus que les cultures vivrières, ce qui peut
signifier dans la politique des gouvernements du SAHEL, une
incitation à la production des cultures de rente. La période
récente laisse apparaître nettement une progression rapide
des prix pratiqués par les cultures de rente. Cela signifie-
\\

1
- 321 -
1
TABLEAU N° 7 : Prix officiel d'achat au producteur
-----------------------------------
A R A CHI DES
,
·---------------T---------------
!
.
Campagnes
!
Kaolack
!
Maradi
coques
décortiquée
Sénégal
Niger
!
!
,-----------------------,--------------- ---------------
.
.
!
1955
1956
21,25
21,50
1956
1957
21,25
21,50
1957
1958
21,25
21,50
1958
1959
21,25
21,50
1959
1960
22
24,00
1960
1961
22
24,00
1961
1962
22
22,50
1962
1963
22
21,00
1963
1964
22
21,00
1964
1965
22
21,50
1965
1966
22
22,25
1966
1967
24
21,75
Source: B.C.E.A.O, nO 136.,
janvier 1967.
1
l

- 322 -
t - i l que les objectifs en matière de culture de rente sont
atteints,
et qu'aujourd'hui i l faut se tourner vers les cul-
tures vivrières ?
En fait,
d'un point de vue essentiel,
la politi-
que des prix pratiquée au niveau des cultures vivrières com-
me des cultures de rente est presqu'identique: de longues
périodes de stabilité du prix accompagnées de périodes de
hausse brusque. si pour les cultures vivrières,
le transfert
de valeur se fait essentiellement en faveur de la bourgeoi-
sie compradore, pour les cultures de rente,
i l se fait au
profit de la bourgeoisie bureacuratique. Ces hausses de prix
sont dérisoires si on tient compte de l'indice général des
prix, et principalement si on l~s compare avec le coût du
~
matériel agricole.
La majorité des producteurs ruraux faisant de l'au-
toconsommation,
la comparaison avec l'indice des prix n'a
qu'une signification limitée. Ce qui est peut-être plus si-
gnificatif, c'est la hausse des prix des intrants agricoles.
1
1
1
.,
r

-
323 -
TABLEAU N° 8
T - - - - - - - , - - - - - - ; , - - - - - - , - - - - - , - - - - - r
,
Prix
Amande de
;
Arachide
d'achat au
sésame
Coton
karité
; décortiquée
producteur
1964-1965
7
26,75
26,75
34
----------- ----------- ----------- -----------,----------
1965-1966
7
26,75
26,75
34
1
,----------- ----------- ----------- ----------- ----------
l
j
1966-1967
7
26,75
26,75
34
1967-1968
7
26,75
26,75
34
1
1968-1969
7
26,75
!
26,75
32
!
-----------!-----------
1969-1970
7
26,75
25,75
32
1
----------- ----------- ----------- ----------- ----------
1970-1971
7
26,75
25,75
32
1
----------- ----------- ----------- ----------- ----------
t
1971-1972
7
26,75
25,75
32
----------- ----------- ----------- ----------- ----------
1972-1973
7
26,75
25,75
32
----------- ----------- ----------- ----------- ----------
1973-1974
8
27,835
26, 835
35
----------- ----------- ----------- ----------- ----------
1974-1975
20
34
34
40
----------- ----------- ----------- ----------- ----------
1975-1976
20
34
34
40
1976-1977
20
39
38
40
1977-1978 .
22
45
44
55
!
Source: Ministère de Coopération, op.cit.
Prix ne concernent que ceux de Ouagadougou
fibre premier choix.

-
324 -
TABLEAU N° 9
: ~~~~~~i~~_~~~_E~i~_~~_~~~E~~~~_~~~_E~i~~iE~~
i~E~~~_~9~i~~!~~_~~_!~_~~~E~~~~_~~_!~Z~~!~Z~_~_!~_~~~E~g~~
!~Z~~!21~_~~_E~~~~~~~~~~_~~_~~!i
E VOL U T ION
---------------------------------------,
l
N T R A N T S
Base 100 en 1974/1975 pour le matériel;
Base 100 en 1975/1976 pour l'engrais
i
-------T-------T-------T-------T-------,
1974-75;1975-76;1976-77;1977-78;1978-79;
.
.
.
.
.
-------,-------,-------,-------,-------,
.
.
.
.
.
§ M A T E R I E L §
§
§
§
§
§
!
!
- Mu1ticu1teur..
100
135
267
276
236
- Charrue TM ..••
100
135
193
200
224
- Semoir
.
100
135
300
300
-
pics fouilleurs
100
135
256
256
303
-
Pulvériseurs TS
100
135
165
170
180
- Train Roves
100 km .•••••••
100
135
186
186
217
Moyenne .....••
100
135
227
231
258
------------------ ------- ------- ------- ------- -------
§
ENGRAIS
§
§
§
§
§
§
- Complexe coton
100
147
147
167
- Super simple ..
100
109
109
118
- Urée perlée ••.
100
108
108
129
- Phosphate d'am-
moniaque
.
100
173
173
286
- Super trip1e ...
100
110
110
135
- Su1phate d'am-
moniaque •..••.
100
149
149
164
- Su1phate de po-
tasse
.
100
131
131
250
Moyenne . . • . . . .
100
132
132
157
Source : Docteur TRAORE N'GOLO.

TABLEAU N° la : Evolution des prix des produits ~rj~~_~~~
--------------------------------- -
~~E~~~~_~~E!~~!~_!gZ~~!gZ~_=_!gZ~~!~Z~_~~_~
~~~~~~i~~_~~_~L_~~~~_!~~_!2Z~~!~2~
CAM P A G NES
,
,
PRO D U l
T S ;-------T-------T-------T---------T-------;
.
.
.
.
.
.
~
!1974-75!1975-76!1976-77! 1977-78 !1978-79
,
,
,
,
,
.
.
.
.
.
---------------- ------- ------- ------- --------- -------
Mil-sorgho .•.•
100
100
100
112,5
125
Maïs .. .... ...•
100
100
100
112,5
125
Paddy...... ...
100
100
100
112,5
125
- Mélangé •••
100
100
100
112,5
125
- Rouge
100
100
100
112,5
125
Coton 1er choix
100
100
100
120
126
Arachide coque
100
100
100
125
150
Moyenne
.
100
100
100
115,5
128
Source: Docteur TRAORE N'GOLO, op.cit.
On note qu'en 1977/1978, les prix du matériel ont
augmenté de 131 % en moyenne et ceux des produits agricoles
de 15 %.
Les écarts de prix entre les intrants et les prix
à la production sont révélateurs de la politique des objec-
i.
tifs que vise l'Etat néo-colonial du Mali en matière agrico-
le. Opérer un transfert de valeur de la paysannerie vers la
1
métropole mais aussi laisser des miettes aux classes bour-
1
1
- - - - - - - - - - - - - - - - - -

-
326 -
geoises réactionnaires. Ainsi la bourgeoisie compradore peut
s'adjuger quelques miettes essentiellement par le commerce
de céréales,
et la bourgeoisie bureaucratique par les cul tu-
res de rente.
La revue "Marchés tropicaux" abonde dans le même
sens lorsqu'elle écrit:
"Les prix officiels d'achat au producteur entre 1975 et
1977 n'ont pas varié.
Ils étaient pour le milou pour
le maïs de 32 FM le kilo. Or en 1975 la charrue valait
13.600 FM et en 1977, 45.600 FM ; le multiplicateur va-
lait 30.000 FM en 1975, 80.000 FM en 1977 ; le semoir
valait 18.500 FM en 1975, 55.000 FM en 1977 ; la paire
de boeufs dressés valait 75.000 FM en 1975, 150.000 FM(~
en 1977 ; l'urée valait 55 FM le kilo en 1975, 110 FM
en 1977 ;
le phosphate d'ammoniac valait 40 FM le kilo
en 1975,95 FM en 1977, etc •.• On peut arrêter là
l'énumération. Les écarts d'évolution entre les prix
des céréales produites et ceux des intrants aptes à fa-
voriser cette production ne pouvaient permettre aux
paysans d'améliorer leurs méthodes ou leurs rende-
ments" (1).
Ces constatations intéressent tout le SAHEL car on
peut noter les mêmes écarts dans l'évllution des prix des in-
trants et des prix officiels au producteur. L'exemple du
Tchad peut éclairer cette opinion.
Les coûts des insecticides ont progressé comme suit
en 1974/1975 : le peprothion passe de 515 F cFA le litre à
1192 F cFA en 1975/1976.
L'engrais passe en 1974-1975 de 69,25 F cFA à 102,20
F cFA en 1975-1976 ; pendant ce temps les prix au producteur
~.
FM = Francs Maliens; 100 FM = 1 FF (Francs Français).
1.
Revue "Marchés Tropicaux" du 21 décembre 1979, nO 1780,
p.3563.

1
1
du coton trié et du coton non trié n'ont pas ~arié et sont
1
restés respectivement à 43 F pour l'un et à 25 F pour l'au-
1i
tre durant les deux campagnes 1974-1975 et 1975-1976.
1
Il se dégage deux constatations :
1
a) une politique des prix qui ne favorise pas la
{1
l
production agricole parce que, pour la bourgeoisie étrangè-
1
re et ses alliés locaux,
l'accumulation du capital doit se
1
;
i
1
faire au détriment de la paysannerie, d'où une politique
globale de transfert de valeur du secteur primaire vers les
1
secteurs secondaire et tertiaire. Ainsi la bourgeoisie bu-
reaucratique et la bourgeoisie compradore sont, avec le ca-
pital étranger en tête (Français principalement pour ce qui
concerne les Etats du SAHEL), les premiers bénéficiaires de
ce transfert. En fait,
on ne peut condamner en soi le trans-
fert de produit net de l'agriculture vers l'industrie. Le
transfert de valeur au SAHEL se fait au profit du capital
étranger qui exporte ses profits et d'une bourgeoisie au-
tochtone non progressiste,
incapable de faire des investis-
sements productifs. L'accumulation se trouve du même coup
compromise, laissant la paysannerie dans son état d'arrié-
ration.
b) A l'intérieur de la sphère agricole,
les cultu-
res de rente sont plus favorisées pour deux raisons : ce
sont elles qui permettent l'extension du marché capitaliste
qui peut se définir au SAHEL essentiellement comme l'un des
points de passage du surtravail des ouvriers et des paysans

-
328 -
que le mécanisme des prix permet de prélever. L'échange iné-
gal est principalement dans ces conditions le moyen d'exploi-
tation accrue de la paysannerie. D'autre part, la bourgeoi-
sie étrangère et la bourgeoisie bureaucratique contrôlent le
secteur des cultures de rente ; comme leur prépondérance dans
l'appareil d'Etat ne peut être remise en cause, l'orientation
de la politique des prix va dans le sens de la défense de
leur intérêt. Pour l'instant,
la commercialisation des cultu-
res vivrières reléguée au second plan demeure essentiellement
aux mains de la bourgeoisie compradore, mais des efforts sont
faits pour briser ce monopole; d'où des contradictions se-
!
condaires entre les deux fractions de la bourgeoisie qui cher-f
1
chent chacune à contrôler une partie du marché intérieur (cel-!
1
le que leur laisse la bourgeoisie étrangère).
si l'impérialisme et ses alliés, principalement la
1
bourgeoisie bureaucratique, orientent la production dans le
l
sens qu'ils souhaitent, c'est parce que les moyens financier's
sont entre leurs mains.
L'agriculture n'est pas un secteur favorisé du cré-'
dit bancaire si on la compare à l'industrie. Cette constata-
tion valable pour les pays développés l'est encore plus pour
les pays "sous-développés", notamment ceux du SAHEL.
D'après la Banque Mondiale,
le pourcentage d'expIOi-!
tants recevant des crédits d'organismes spécialisés ne dépassel
1

-
329 -
pas 1% dans certains pays d'Afrique. Pour l'ensemble de l'A-
frique,
i l est d'environ 5 %. Il s'agit dans la plupart des
cas d'un prêt à court terme pour une saison, un an ou deux
ans au maximum.
Au Mali depuis 1960, une Société de Crédit et d'E-
quipement Rural,
la SCAER,
intervient dans deux directions :
l'approvisionnement et le crédit.
Dans sa fonction d'approvisionnement,
la SCAER dé-
tient le monopole de l'importation de l'approvisionnement des
ODR en matériels agricoles,
en fongicides et engrais. Elle
joue le rôle de centrale d'achats pour les ODR dont les prin-
cipaux clients sont la CMDT,
l'OACV.
L'essentiel du matériel et des intrants chimiques
l
}1
venant de l'extérieur,
les prix de vente sont fixés par l'Etatj
t
La fonction du crédit lui assigne de fournir au monde rural
!r
les moyens capables de favoriser le développement de l'agri-
culture, de l'élevage et de la pêche. La BDM lui accorde des
taux d'intérêt préférentiels' (7,5 % dans lAS et 10,5 % de
prorogation ou de dépassement de l'échéance fixée) lorsquè
ses propres moyens financiers sont limités.
Le système du crédit est un moyen efficace pour
contraindre les paysans à s'adonner aux cultures de rente.
Contrairement aux autres cultures (vivrières),
la culture de
coton appelle des moyens de production commercialisés (ferti-
lisation,
traitement insecticides). En outre,
elle exige un
labour profond,
très pénible à la main, nécessitant donc

-
330 -
l'adoption ~'une culture attelée par les paysans. Ces moyens
de production que la culture de coton introduit massivement,
sont presque en totalité fabriqués par des sociétés capita-
listes et importés. En Haute-Volta, les ORD accordent des
crédits gagés sur le champ de coton du paysan.
,
"Une fois le crédit accordé, le paysan est tenu de pro-
1
duire suffisamment de coton pour éponger sa dette. Les
engrais et insecticides sont remboursables à la récol-
te ; le matériel, sur deux ou trois récoltes. Le mon-
tant du crédit est automatiquement déduit des ventes de
coton quel qu'en soit le produit" (1).
1
1
: 1
Les prêts SCAER sont en général des prêts à court
f
terme. Le moyen terme est rare et le long terme n'est pas pra-!
~
tiqué.
l
Ces prêts vont surtout aux paysans encadrés, ce qui
fait que les diverses spéculations n'ont pas les mêmes avan-
tages. Là encore,
les cultures de rente sont les plus favori-
sées : coton dans la zone CMDT, arachide dans la zone OACV.
La politique de développement rural intégré permet dans ces
zones aux cultures vivrières de profiter des équipements ain-
S l
acquis.
Les ODR céréalières (OMM, ORS)(2)
: l'intervention
du crédit de la SCAER est limitée. Les paysans ne peuvent
prétendre à s'équiper que grâce à des secours de subvention.
Les conditions de prêts comportent toujours une caution. Etatt
1.
Comité SAHEL, op.cit, pp.117-118.
2.
OMM = Opération Mil Mopti.
ORS = Opération Riz Ségou.

-
331 -
donné qu'une caution individuelle ne peut être offerte par
les paysans,
les autorités ont imaginé une forme de garan-
tie solidaire par la cOllectivité : village, groupement ou
coopérative.
Le taux d'intérêt est généralement élevé, d'où un
total de crédit faible.
Les ODR sont les intermédiaires de
la SCAER pour les prêts aux paysans. Le crédit est non seu-
lement rare pour permettre la réalisation de l'autosuffisan-
ce alimentaire, mais i l détourne les paysans de la voie des
cultures vivrières.
Au Sénégal, le crédit à moyen terme est beaucoup
plus développé, mais les caractéristiques générales demeu-
rent les mêmes:
le crédit à long terme n'existe pas.
TABLEAU N° 11
: ~~~~~~~~~~~_~~_E~~~~~~_~2~~~9~~
<..e_r:..,.!l\\_~l_l}_o_~__d_e_L_c..fA)
,
,
jcrédits a court
terme
! -------1-------
!Subven-
Petits
Moyen
Total
!
tion
Total
maté-
,
terme
FMDR
riels i Vivres
et en-
!
Années
grais
! .
------- ------- ------- --------- -------
1971-1972
272,4
516,5
788,9
788,9
1972-1973
441,8
753,0
1.194,8
1.194,8
1973-1974
444,2
239,5
681,9
1. 365,9
851
2 ;217 ~3
1974-1975
441,8
3,2
537,3
1.984,3
794,7
1.777,0
1975-1976
961,5
21,8
858,4
1. 841 , 7
1.841,7
Source:
B.C.E.A.O, nO 233., novembre 1975.

-
332 -
Là encore,
l'importance du crédit à court terme est
à noter.
En Haute-Volta, les crédits à court terme demeurent
les plus importants : 30 milliards en 1978. La part des cré-
dits destinés à la commercialisation des produits agricoles
'III,
devient de plus en plus importante
alors que les crédits de
.
t
campagne n'atteignaient pas quatre milliards en 1975,
ils
f,
s'élèvent en septembre 1978 à plus de dix milliards et repré-
i
sentent 35 % des crédits à court terme. Les producteurs agri- 1
f
coles proprement dits n'ont pas grand chose.
!
Les crédits à moyen et à long terme n'atteignent
,
pas encore le niveau des crédits à court terme pour toute l'é-l
conomie. et restent concentrés dans les industrlül",J.lJM;,4
(50 % des crédits à long terme en septembre 1978).
,
f
Les rapports entre les crédits totaux accordés à
1
l'économie, de l'ordre de 40 milliards, et ceux accordés à la
production agricole de 90 millions, expriment on ne peut plus
clairement les incitations,
la volonté de l'Etat néo-colonial
!t
t
voltaïque, à favoriser la production agricole. Le tableau in- 1
dique que les crédits à court terme représentent dans les cré-I!
dits agricoles la part la plus importante :
84 millions sur
;
les 90 millions. Par contre,
l'importance des crédits accor- . 1
dés aux entreprises privées montre bien que nous sommes dans
une économie capitaliste où les "esprits animaux" sont rois.
1
1
Ceci confirme les données que nous avons retenues dans les au-I
tres pays.

-
333 -
TABLEAU N° 12
: Crédits à court terme
----------------------
Utilisations déclarées à la Centrale des Risques
------------------------------------------------
en Haute-Volta (en millions de F cFA)
--------------------------------------
!
1
1
1
; Dé- ; Dé- ; Dé-
!
!Décern-!Décern-!Décern-
~ cem-
!Branches d •
t '
. t ,; cern- ; cern-
ac lVl e. b
. b
!
bre
!
bre
!
bre
,
r e ,
re
; bre
!
! 1976
! 1977 ! 1978
; 1973 ; 1974 ! 1975 ,
,
.
.
..
------------------- ----- ----- ----- ------ ------ ------
Production agrico-
l e • . . . . . . . . . . . . • •
1
57
84
Entreprises pri-
vées
3.432 5.442 6.351 10.485 15.342 16.502
. 1 . 1 1 .
I l
• • • • •
1
~
1
Entreprises publi-
ques ou serni-pu-
bl iques
.
641 1.290 2.785
3.836
4.611
6.208'
r
~Qt~!
!1~~b~!~~b~f!~~~~~ !1~~f~ !~~~~~!f~~Zb~
!
!
!
l,
CREDITS A MOYEN TERME
1
Production agrico-
1
;
le
.
5
3
3
5
6
,
!
1
1:.
CREDITS A LONG TERME
production agrico-
1 e •.•.•....• Il Il Il Il Il
Source : Ministère de la Coopération de la République Fran-
çaise, op.cit.

-
334 -
En conclusion, nous retiendrons la faiblesse des
crédits accordés à l'agriculture en général par rapport aux
autres secteurs. L'analyse des crédits accordés à l'agricul-
qui néglige l'agriculture demeure l'un des principaux freins
à la réalisation de l'autosuffisance alimentaire. Mieux, les
aux producteurs de coton et d'arachide et donc des incitations
aux autres agriculteurs pour qu'ilS modifient les parts res-
pectives des cultures de rente et des cultures vivrières au
~
<'
détriment de cette dernière. En fait,
la nécessité de rembour-j
ser en monnaie les prêts ou encore de payer les intérêts en
t
monnaie, favorise la commercialisation des produits, et donc
1
les cultures de rente.
1
La demande des garanties de solvabilité par les ban-!
ques demeure la cause essentielle de ce phénomène qUl favorise!
le secteur d'exportation.
!
L'examen des importations et surtout des exporta-
!
1
tions nous confortera dans cette idée.
!
1
f
IV/ Les importations et les exportations.
t
Aussi paradoxal que cela puisse paraître,
les pays
du SAHEL exportent des produits agricoles ;
i l ne saurait
bien entendu s'agir de céréales car, comme nous l'avons mon-
tré, un déficit qui tend à devenir permanent commande plutôt

-
335 -
des importations, mais les produits de rente sont assez lar-
gement exportés.
Au Sénégal,
" ••• le principal acheteur de graines et d'huiles étant
la France,
l'essentiel de ces négociations est passé
dans le cadre de conventions franco-sénégalaises fixant
pour chaque campagne les contingents d'importations et
les prix garantis.
Pour la campagne 1963-1964, l'accord du 16 novembre
1963 a reconduit les dispositions prises pour la cam-
pagne précédente : le contingent total était fixé à
215.000 tonnes,
base huile raffinée, ce qui correspond
à 483.000 tonnes de graines décortiquées et à 670.000
tonnes d'arachides coques" (1).
Rappelons que la production globale au Sénégal en 1963-1964
est de 952.000 tonnes. Les toois-quarts environ de la récolte
globale sont exportés en France et les neuf dixièmes quittent
le pays.
La revue "Tiers Monde" donne une autre,p~écis~on
,
sur l'importance de l'arachide dans l'économie senegalalse
l
exportations"(~
"L'arachide représente en valeur 80 % des
f
(
f
AuN~er,
1
,
"en raison de l'importance exceptionnelle de la campa-
l
gne,
le placement des graines (coton) n'a pas été sans
'
poser un problème délicat; en effet,
compte tenu'de
1:
l'accord franco-nigérien,
le Niger ne pouvait compter

que sur un contingent de 90.000 tonnes qui a été effec- f
tivement porté, par le jeu des tolérances à l'embarque- 1
ment,
à 94.000 tonnes vendues soit sous forme de grainesl
soit sous forme d'huile" (3).
r
f
1
f
~
i
1.
B.e.E.A.O, n° 115., février 1965.
2.
Revue Tiers Monde,
n° 54, p.403.
3.
B.e.E.A.O, nO 116., mars 1965, p.7.
\\
1

-
336 -
Les 20.000 tonnes restant à placer ont été vendues
pour
2000 à la Belgique ; 2000 à la France sous opération
IMEX
10.000 à un cours inférieur à celui du prix garanti
3500 tonnes ont été placées à des conditions moyennes soit
auprés de la SIOFA, soit sur d'autres marchés européens
2500
ont été consommées localement sous forme d'huile.
1
"Comme on le voit, une proportion non négligeable de la
1
récolte a dû être vendue à un prix inférieur au prix
t
de 105 FF garanti par la France,
donc à perte" (1).
~f
Au Niger en 1970-1971, sur une production commercia-f
lisée de 9.597 tonnes de coton-graines, 4.864 tonnes ont été
.
exportées. Mais il convient de souligner que les 4.864 tonnes
sont des tonnes de coton égréné.
Comme le rendement à l'égre-
nage est de 36,19 %, les exportations représentent 7.977 ton- !I•.
nes, soit 83 % de la production commercialisée. En 1976/1977,
.
"
. . . . .
t
le pourcentage est tombe a 30 %. Au MaIl en 1972, la produc-
1
,
,
!
tion commercialisee de coton s'élève a 66.200 tonnes, la quan-!
. 1
tité exportée à 52.400 tonnes, soit 80 % de la production com-l
mercialisée. En 1975 sur les 103.400 tonnes commercialisées,
!
i
seulement 39.404 tonnes ont été exportées, soit 38 % de la
production commercialisée. Au premier plan des cultures com-
1
mercialisées en Haute-Volta se situe le coton.
Il est devenu
le premier produit d'exportation en valeur, fibre et graine,
totalisant en 1977, 39,3 % de l'ensemble.
Il est géré par
1
l'association en participation créée en 1970 entre la Haute-
1
!
,
,
1.
B.C.E.A.O, op.cit, p.7.
f

-
337 -
Volta et la CFDT, association reconduite en 1976 pour deux
ans. L'arachide également tient une place importante dans
l'exportation. La production de l'ordre de 150.000 tonnes
n'a été commercialisée en 1974 que pour 17.000 tonnes, en
1975, 18.000 tonnes,
en 1976, Il.000 tonnes et 10.000 ton-
nes en 1977.
L'arachide se situe au 3ème rang des exportations.
Le karité étant un produit de cueillette, sa production os-
cille selon la demande et les prix. L'élevage occupait jus-
qu'en 1975 la première place des produits d'exportation en
Haute-Volta.
Il se trouve maintenant deuxième derrière le
coton. Les animaux vivants et les produits dérivés représen-
tent en 1977, 36,7 % de l'ensemble des exportations.
1
Au cours de la première décennie qui a suivi les
t
in~épendances de 1960, la domination impérialiste s'est itra--1·.
dUlte dans une large mesure par la monoculture du coton et de
l'arachide au SAHEL. Les objectifs étaient alors d'élargir le 1
marché capitaliste aux fins de mieux exploiter les paysans en
sous-payant les cultures de rente. Les exportations de ces
cultures constituaient une nécessité parce qu'il n'existait
!
pas d'usines (l,A.AI. En fait, le coton surtout était exporté 1
à l'état de matière première ou de produits semi-ouvrés. De-
1
puis 1970 des I.A.A s'installent,
elles ont comme nom la Ni-
tex (1971) au Niger,
la Voltex en Haute-Volta,
la Comatex au
1
Mali,
etc •••
l
I-
li
1
1
1~
t

-
338 -
1
1
j
!
,
A N NEE S
Amande de
Sésame
Arachide
Coton
1
karité
décortiquée
,
(3)
(4)
1
:------------------------;--------------;-------------:--------------;-------------------------;
1 COlIII1ercialisation •••••• 1
694
,
2.417
1
5.700
1
8.769
1
1
1
1964-1965
l
,
"
1
l
"
1
1 Exportation
'
150
2.067
4.278
2.993
(
) 1
1
1
i------------------------~--------------:-------------:--------------i-------------------------:
1 COlIII1ercialisation. . . . . . '
18.658
,
1.659
1
8.332
1
7.463(4)
1
r
1
1965-1966
l
,
1
1
1
!
I
!
!
1
1
Exportation
!
14.872
' 1 . 6 5 9
5.786
12.522
(1.752) 1
1
1------------------------;--------------;-------------;--------------:-------------------------:
l
r Camnercialisation ..... !
90
1
2.596
,
9.510
1
16.296 (4)
,
r
1966-1967
1
l
"
!
I
l
!
,
1 Exportation
1
1
2.596
7.115
5.725
(5.025)
1
l
' 1
1
1
1
,------------------------,--------------1-------------,--------------1-------------------------1
r COJlllll8rcialisation...... '
20.819
1
2.897
,
9.752
1
17.274(4)
1
r
1 9 6 7 - 1 9 6 8 '
l
' 1
1
1
1
1
1
1 Exportation
1
14.549
2.897
1
8.8CJl
, 6.232
(5.054)
1
~------------------------I--------------:-------------l--------------:--------------(~)--------l
1 Camnercia1isation•••••• 1
14.982
1
2.730
1
1 0 . 3 3 3 '
32.027
1
,
1968-1969
1
1
"
1
l
' "
1
1
1 Exportation
1
12.128
1
2.730
,
8.984
'11.478
(12.000)1
1
!
1
1
1
1
. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - . - - - - - - - - - - - - - - . - - - - - - - - - - - - - · - - - - - - -

6
Co...ercia1isation. . . . . . '
19.784
5.288
7.804
36.248(4)
1969-1970
:
Exportation
!
16.875
5.288
6 . 0 8 6 . 1 3 . 1 8 7
(14.268)
l
' "
1
1
1------------------------,--------------1-------------,--------------1-------------------------1
1 COIIIIIlercialisation . . . . . . 1
15.407
1
3.449
1
10.031
1
23.484(4)
,
1
1970-1971
1
~
"
1
r
,
.
,
'
J
~I
, Exportation
1
9.363
3.449
1
8.400
'8.725
(8.900) 1
,
"
1
1
1
1------------------------,--------------,-------------,--------------,--------------(~)--------,
1 Commercialisation . . . . . . 1
15.804
1
3.501
1
9.565
1
28.126
1
1
1
1
"
,
1
1 9 7 1 - 1 9 7 2 ,
1
"
,
, Exportation
'
13.401
,
3.501
,
9.565
10.462
(9.937) 1
l
' 1
1
1
1
,------------------------,--------------,-------------,--------------,-------------------------1
1 Camnercialisation. . . . . . 1
4.875
1
4.589
,
15.922
1
32.574(4)
1
l
'
l
"
1
,
1 9 7 2 - 1 9 7 3 ,
l
"
,
1 Exportation•••••••••••• 1
3.373
1
4.190
1
12.558
1 9.299
(11.951)
1
l
"
1
J
r
,------------------------,--------------,-------------,--------------,-------------------------1
'Commercialisation. . . . . . 1
10.380
1
4.262
1
18.457
'9.541
9.843 1
1
1973 1974
l
,
l
'
r
,
-
,
,
l
'
1
1 Exportation
1
7.300
1
4.262
1
17.373
1 9.041
(1.353) 1
1
1
1
"
1
1------------------------1--------------,-------------,--------------,-------------------------1
1 Commercialisation. . . . . . 1
5.635
1
4.559
,
19.491
'11.343
10.963 1
1
1974 1975
1
l
' 1
1
1
-
1
1
1
1
1
1 Exportation
1
750
,
4.559
,
17.503
1 10.590
1
1
. '
1
1
J
1
1------------------------,--------------1-------------,--------------,-------------------------1
1 COIIU1lsrcialisation. . . . . . 1
48.618
1
1.717
J
14.897
'18.125
17.924 1
l
' "
1
1
1
1975-1976
1
1
1
1
1
1 Exportation
1
41.116
1
1.717
1
11.897
1 17.370
(
) 1
1
1
1
"
1
1------------------------,--------------,-------------,--------------,-------------------------,
, COIlIIIIercialisation. . . . . . J
32.402
1
3.258
1
5.896
1
1
l
' 1
1
l
,
1
1 9 7 6 - 1 9 7 7 ,
1
1
1
r
1 Exportation
1
32.402
1
3.258
,
4.741
113.735
(
)1
,
1
1
l
'
,
1------------------------,--------------,-------------,--------------,-------------------------,
1 Commercialisation•••••• 1
56.654
1
1.711
1
1. 790
,
1
l
' "
1
1
1
1977-1978
1
1
"
1
1 Exportation
1
40.591
1
1.711
1
110
1
(
) 1
1
1
1
1
1
1

-
339 -
"La production de coton est tissée à la Nitex (Niamey)
qui est, avec sept cents emplois, la plus grosse en-
treprise du pays et dont la majeure partie des capi-
taux appartient à Agache-Willot" (1).
Comme la Nitex,
toutes ces usines textiles sont
contrôlées par des capitaux étrangers principalement fran-
çais pour ce qui concerne les pays du SAHEL. L'orientation
des exportations peut, par conséquent, au cours des années
1970, changer dans la forme. Cette décennie 1970 constitue
uné période où le déficit alimentaire s'accentue, obligeant
1
à des importations massives.
1
Les importations concennent les matériels agrico-
les et les engrais qui sont presque totalement importés. Ces
importations passent aujourd'hui inaperçues à côté des im-
portations de céréales, moins parce qu'en volume les impor-
ta'tions de céréales sont impressionnantes que parce que le
phénomène est inédit.
Entre 1970 et 1977,
le déficit de la balance des
paiements a été multiplié par quatre, passant de 7.034 Mil-
lions à 28.642 millions, et le taux de couverture est tombé
de 45,8 % en 1970 à 35,2 % en 1977 en Haute-Volta. En 1980,
ce même pays a acheté 76 milliards de marchandises et vendu
19 milliards, soit un taux de couverture de 25 %. Quatre mil-
le
Frank TENAILLE,
"Les 56 Afriques", nO 2, M à Z. Petite
Collection Maspéro -
Paris., 1979, p.57.
1

-
340 -
liards de céréales ont été importées.
Le Ministre du commerce et de l'industrie voltaï-
que,
appréciant cette question,
exprime ce qui suit
"Le pro~ème du déf icit de la balance commerciale est
une q~ stion structurelle si l'on considère que de-
puis u
certain nombre d'années,
la dette extérieure
ne fai:
que s'accroître. En 1978 elle était de 37,7
milliai lS, en 1979 elle s· élevait à 52 milliards dé-
jà"
(1
C' \\ ,t là un aveu d'impuissance des gouvernements
néo-coloniaw
qui se sont succédés au pouvoir, à maîtriser
le problème ~ 1 déf icit commercial.
Une tendance qui semble se confirmer c'est l'im-
portation des céréales. L'étude des statistiques nous don-
ne les chiffres suivants au Mali :
1972 = 29 % des importations globales,
1973 = 52 %
"
"
"
1974 = 56 %
"
"
"
1975 = 23 %
"
"
"
Durant la sécheresse (1973-1974),
les importations
de produits alimentaires représentent plus de la moitié du
total des importations.
Il faut noter que, même en période
normale,
les importations de ces produits équivalent au
quart des importations globales,
ce qui est un handicap lourd
de conséquence, non seulement au niveau de la balance commer-
1.
Propos recueillis en 1981 par le journal local "L'.-.IIc
vateur",
nOs 2133,2134,
2135.

-
341 -
ciale, mais de l'équilibre alimentaire et de l'indépendance
nationale.
Au Niger en 1970, on importait pour 1.378 millions
de produits agricoles. En 1975 on en importe pour 6.626 mil-
lions, avec plus de 2.300 millions d'aides alimentaires com-
me le montre le tableau suivant
:
,
L'évolution de l'indice par groupe de produits en-
1
tre 1970-1975 au Niger (en Francs courants et constants,
ba-
l
se 100 en 1970), nous conforte dans cette idée.
1

._--------~.._>".~.~~" ...""~-~ .._---_.--~---_._.~. __..._.-~.._---~ .._---~_ ..._~ . _ - - - - _ .__..~-~_
-..~._
~."->._
,, ._--~--
..
TABLEAU N° 14
: _~v_o_1~~}_o_n__c!'e__1~}_~c!'i_c_e_..p-?.!_.9_r_o_~_e
__d_e_"p'!_0.9_~~t~__e_n~_r_~_lJJ.9 1JJ_5__~l!._!'!.~~~
J~~_~E~~~~_~~~E~~~~_~~_~~~~~~~~~_l_e~~~_~22_~~_~~lQl
,
,
" , " ' ,
,
;
;
; ; ; ; ; ; ; Evolution"
'Groupes de produits;
Indice
;
1970
;
1971
;
1972
;
1973
;
1974
;
1975
; annuelle
.
.l moyenne
F. Courants
100
92
111
115
239
481
36,9 %
Produits agricoles .---------------.-------.-------.-------.-------.-------.-------.----------
F.
Constants
100
84
98
86
157
265
21,5 %
-------f-------
F.
Courants
100
103
99
114
131
120
3,7 %
w
Produits chimiques .---------------.-------.-------.-------.-------.-------.-------.----------
~
N
F. Constants
100
101
99
105
104
83
-
3,6 %
---------------f-------
-------f-------
F. Courants
100
77
89
100
127
112
2,3 %
Produits
l
---------------f-------!-------f-------
métallurgiques
F. Constants
100
74
111
84
100
87
-
2,7 %
170
l
Il,2 %
Proo.uits indus-
F.
Courants
l
100
l
101
l
103
l
141
l
150
triels mécaniques
-------l----------
et électriques
F. Constants
l
100
l
83
l
94
l
112
l
105
103
l
0,06 %
---------------------------------------------------.-------------------------------.----------
..
F. Courants
100
96
110
122
164
203
15,2 %
TOT A L
-------f-------
F. Constants
100
85
99
101
l
108
III
l
2,1 %
l
Source : Ministère de la Coopération de la République Française.

-
343 -
L'évolution annuelle donne une croissance moyenne
plus que proportionnelle des produits agricoles par rapport
à la croissance totale des groupes des autres produits, soit
respectivement, en francs constants: 21,5 % et 2,1 %. Cette
situation illustre bien le déficit croissant que nous avons
constaté au cours de l'analyse de la consommation, déficit
qui doit être comblé par des importations croissantes.
Ces importations croissantes de produits alimentai- ~!,
res traduisent un désajustement entre l'offre et la demande
intérieures de produits agricoles. Les exportations de pro-
duits agricoles de rente, si elles se sont tassées dans la
deuxième moitié de la décennie 19 RO,
restent suffisamment im-
7
portantes ; pour justifier le paradoxe qui veut que d'un côté
on importe des produits agricoles (céréales principalement)
et de l'autre on exporte des produits agricoles (coton, ara-
chides, etc .•• ). Ce paradoxe a pour signification profonde
que la maîtrise des mécanismes économiques échappe aux forces
nationales du SAHEL, et que ceux-ci se trouvent entre les
mains de l'impérialisme et de ses alliés qui ont besoin de
débouchés pour leurs produits agricoles et de matières pre-
mières (coton, arachides) pour leurs industries. La thèse qui 1
1
tend à faire accréditer l'idée que l'exportation des produits
agricoles permet de dégager des ressources pour l'industria-
1isation, révèle toute son inconsistance aux regards de la
comparaison des importations et des exportations des produits
agricoles. En général,
la balance des importations et des ex-

-
344 -
portations des produits agricoles présente un solde négatif
dû à la faible valeur des exportations agricoles. L'indus-
trialisation se fait grâce à des capitaux étrangers ou à une
dette extérieure dont le remboursement se fait de plus en
plus hypothétique (cf.
la conférence de Toronto tenue en sep-
tembre 1982). La question de l'exportation des produits agri-
coles doit être liée à celle de l'autosuffisance alimentaire,
c'est-à-dire qu'il faut exporter mais sans sacrifier la pro-
duction intérieure de produits vivriers. Le mécanisme de l'ai-
de alimentaire traduit aussi la domination des pays du SAHEL.
VI L'aide alimentaire.
"L'aide alimentaire est la fourniture à des pays néces-
siteux de produits alimentaires bruts ou transformés
(ou de leur équivalent en espèces) à des conditions
plus favorables que les conditions du marché ; cela
peut aller de la vente à crédit jusqu'au don alimen-
taire, en passant par la vente contre monnaie locale
non convertible"
(1).
"Ce n'est qu'une fois que la consommation locale et la
constitution des StOCKS de sécurité sont couverts qu'un
Etat producteur peut songer à écouler des surplus, soit
à titre commercial, soit à titre d'aide alimentaire"(2).
Ces deux définitions placent l'aide alimentaire
dans sa véritable dimension: l'aide est le produit du reli-
quat ou des "surplus" de production alimentaires, l'aide ne
signifie pas forcément un don.
1.
Jean-Louis LAURENS, thèse sur "Aide alimentaire de la
C.E.E aux pays en voie de développement", presentee à
Toulouse, p.7., 1976.
2.
Jean-Louis LAURENS, op.cit, p.8.

-
345 -
Mais quel que soit le sens qu'on donne à l'aide,
l'importance de l'aide alimentaire dans un pays est la preu-
ve que ce pays n'arrive pas à se suffire, et qu'il se met en
état d'assisté.
Au Niger, l'aide en 1972-1973 s'élevait à 66.709
tonnes, en 1976 elle est encore de 91.000 tonnes. Ce qui
prouve que cette aide n'est pas seulement conjoncturelle et,
mieux, qu'elle va s'accroissant. Cet exemple unique suffit
pour démontrer la dépense croissante des pays du SAHEL : le
Niger, comme notre étude l ' a montré, est le pays le mieux
armé pour faire face à la pénurie alimentaire.
Cette analyse du bilan statistique de deux décen-
nies de développement nous a permis de constater, chiffres à
l'appui,
l'importance relative du secteur agricole et du sec- 1.
teur industriel. Au sein du secteur agricole,
l'importance
1
,
accordée aux cultures de rente et aux cultures vivrières,
in- tf1
dique que les premières bénéficient à tous les niveaux (cré-
1
i
dit,
inputs ou intrants,
etc •.• ) d'un soin particulier.
Il
1
l
n'est donc pas étonnant de voir stagner la production vivriè- r
re tandis que celle du coton et de l'arachide progresse quel-
quefois à des rythmes vertignieux. Ce panorama de la situa-
1
tion économique laisse entrevoir en filigrane les grandes
orientations du développement rural.
Cependant, pour ne pas
se tromper,
il convient d'éplucher la littérature du dévelop-
pement rural dans les politiques et les plans conçus à cet
effet, c'est pourquoi le chapitre deux sera consacré à l'orien
tat ion de "développement" rural.

-
346 -
SECTION II
: ORIENTATION DU "DEVELOPPEMENT" RURAL.
La littérature sur le "développement" rural dans
les pays sous-développés s'accumule au même rythme que les
échecs des politiques de même nom. Ces échecs du "dévelop-
pement rural" s'inscrivent dans le cadre de ceux plus géné-
raux des politiques de "développement" économique. Qu·est....:
ce que le développement économique ? Dans la théorie écono-
mique les deux concepts de "croissance" et de "développement"
s·opposent. En fait,
le concept de développement a été intro-
duit par les économistes "tiers mondistes" et certains "mar-
xistes" pour s'opposer au concept de croissance de l'écono-
mie dominante. La croissance prend corps dans l'évolution
quantitative des grands agrégats (PNB,
PIB par tête,
revenu
par tête,
etc ••• ), tandis que le développement implique un
changement de structure ou un changement qualitatif.
La distinction qu'en fait R.
BADOUIN constitue une
interprétation qui vide le concept de développement de ces
aspects positifs.
"La croissance désigne le grossissement du flux économi-
que; le développement est l'aptitude d'une société à
susciter l'adaptation des structures sociales et men-
tales permettant le déroulement d'un processus auto-en-
tretenu de croissance ;
la structure indique quelles
sont les proportions et les relations propres à tout
ensemble économique et social" (1).
Le "développement rural" serait, selon cette défini-
tion, un vague changement des structures sociales et mentales
L
Robert BAOOUIN,
"Le développement économique en Afrique
Occidentale". Collection U, Armand Collin., 1974, p. 9.

-
347 -
permettant le déroulement d'un processus auto-entretenu de
croissance.
Pour comprendre le sens des changements voulus
qui s'opèrent au SAHEL,
i l faut,
après l'étude statistique
qui nous a donné des indications précieuses, analyser les
théories de "développement" rural proposées et leur appli-
cation, mais aussi les moyens et les structures mis en pla-
1
ce pour faire aboutir ces politiques de "développement".
Pour ce faire,
nous allons étudier d'abord les théories du
1
!
"développement" rural ou de l'exploitation, puis les struc-
~
~--
tures et les moyens de domination.
t:
l
1.
f
Il Les théories du "développement" rural ou de l'ex-
i
ploitation.
!
La traduction du "développement rural" dans les
1
plans et sa présentation dans les doctrines économiques
1
s'accordent généralement pour donner une importance à l'a-
griculture afin de mieux privilégier les cultures de rap-
1
r
ports. L'objectif visé est de développer les transactions
1
commerciales,
source d'exploitation et de pillage des peu-
i
pIes du SAHEL.
"Ces systèmes de cultures ne sont cependant que la ma-
nifestation d'un système économique et social dans
lequel l'objectif de développement prioritaire est
celui de l'économie marchande ••• Témoignage de cette
option politique,
la priorité donnée au développement
des cultures de
rente sur celui des cultures vivriè-
res et qui s'exprime notamment par l'organisation de
la commercialisation, par celle du crédit : équipements
et vivres de soudure sont achetés obligatoirement à
crédit et remboursables en arachide à la livraison de

-
348 -
la récolte ; engrais, semences sélectionnées et pro-
duits de traitements sont déduits du prix de vente du
coton"
(1).
L'étude des plans de développement et la stratégie
qui les sous-tend, permettra de mieux affûter ce jugement.
1° - Dans les plans de développement.
t'!li
[-
"Dans l'ensemble francophone,
les pOlitiques de "plani-
r
fication nationale" prenaient purement et simplement
i
le relai des "plans de développement social" ébauchés
~
à partir de 1946, avec la mise en place du FIDES et de
1
la Caisse Centrale de la France d'Outre-Mer comme orga-
t
ne d'exécution"
(2).
,
Cette orientation fondamentale a permis aux Etats
du SAHEL d'élaborer grosso modo et en général trois plans :
1i
la Mauritanie a déjà mis un terme à l'exécution de son "IIIème
plan de développement"
(1976-1980). Avant celui-ci,
le plan
quinquennal (1963-1967) et le plan quadriennal 1970-1973
1
!
avaient produit leurs effets. La Haute-Volta doit achever l' apJ
plication de son IIIème plan quinquennal 1977-1981 cette an-
née. Avant, ont été élaborés le plan cadre 1966-1970 et le
IIème plan quinquennal dit "plan quinquennal de développement
économique et social". Le 2ème plan s'est étalé dans la pério-.
,
de 1971-1974. Après "le programme triennal de redressement
économique et financier"
(1970-1972),
le Mali s'est engagé
dans une phase de planification avec notamment la mise en
1
place du plan quinquennal de développement économique et so-
t1
t
1.
Revue "Tiers Monde", nO 72., octobre-décembre 1977, Clau-
1
de REBOUL,
dans "Economie marchande et système de culture 1
dans les campagnes sénégalaises", p.78ü.
!
2 •
Revue "Année Africaine"
: "Repenser l'économie du dévelop-!
pement en Afrique Noire", par J.M. GASTELLU., 1975, p.31O. f
1:
i

-
349 -
cial (1974-1978). Deux aspects essentiels seront étudiés pour
bien comprendre les buts en matière de "développement" rural
contenus dans ces plans :
(i) les objectifs et (ii) la stra-
tégie :
Les objectifs sont en général aussi vagues que nom-
breux. Nous citons ici les principaux qui touchent au secteur
rural :
améliorer les conditions de vie des couches
de la population les plus démunies afin d'assurer la satis-
faction des besoins fondamentaux de l'ensemble de la popula-
tion.
-
Oeuvrer vers une autosuffisance dans la pro-
duction alimentaire. Le rapport de synthèse du CILSS précisant
la conception de l'autosuffisance écrit:
"l'autosuffisance alimentaire considérée par les pays
sahéliens comme objectif prioritaire n'est pas syno-
nyme d'autarcie",
et d'ajouter un peu plus loin que le SAHEL n'aurait pas inté-
rêt,
"à produire la totalité des produits alimentaires dont
il a besoin mais qu'il devrait plutôt développer les
productions pour lesquelles i l dispose d'un avantage
relatif, exporter ces productions sur le marché inter-
national et importer le complément de produits vivriers
nécessaires à sa subsistance" (1).
1.
CILSS - Club du SAHEL,
rapport de synthèse, op.cit.

-
350 -
Cette définition repose en partie sur la théorie
du commerce international, notamment les aspects concernant
les avantages comparatifs, attribuée à RICARDO. L'interpré-
tation que donne l'économie dominante de cette théorie prê-
che une spécialisation capitaliste et une division capita-
liste du travail qui maintiennent le statu quo au plan in-
ternational.
,
f[
"En ne conservant que l'exemple du vin portugais et du
1
drap anglais,
l'idée de RICARDO selon laquelle le com-
merce international peut accroître le taux de profit,
est passée sous silence" (1).
La critique que A. HANAUT fait de la version néo-
classique de la théorie du commerce international attribuée
!
à RICARDO, s'accompagne d'une proposition pour une nouvelle
1
théorie de l'échange international, dont les bases pourraient}
être les éléments positifs apportés par les néo-ricardiens.
Cependant, des difficultés réelles existent pour la construc-
tian achevée d'une telle théorie qui se résument à la trans-
position du système de prix de production à l'économie inter-
nationale et à leur application aux questions fondamentales
1
du commerce international.
1
Dans le cas que nous étudions, la théorie du commer-
ce international dans sa version néo-classique, vise à main-
tenir les Etats du SAHEL comme débouchés des produits finis
et réservoir de matières premières
ou de produits semi-ou-
vrés.
1.
Anne HANAUT-CAZAC,
"Capital, taux de profit et théorie
de l'échange international". Thèse soutenue à Nice en
1979.

- - - - - - - - -
-
-
351 -
-
L'augmentation de la production agricole vi-
se l'auto-approvisionnement du pays en produits de première
nécessité,
rémunérateurs pour le producteur, et une distribu-
tion équitable dans toutes les régions à tout moment.
-
L'amélioration de la qualité du travail du
paysan par un encadrement suivi et par une information plus
large.
-
La réduction du sous-emploi par l'extension
des cultures de rente et d'industries, absorbant de la main-
d'oeuvre,
et par une multiplication des projets d'investisse-
ment humain,
etc
En fait,
un plan de quinze ans élaboré en Haute-
Volta et qui vise le doublement de la production agricole au
cours de la période 1962-1977, synthétise mieux ses objec-
tifs
"L'objectif poursuivi est d'obtenir un développement
important des cultures d'exportation (corps gras) ou
industrielles (coton),
sans pour autant négliger les
cultures vivrières traditionnelles destinées à subve-
nir aux besoins d'une population en croissance rapi-
de"
(1).
Les prévisions suivantes montrent bien comment les efforts
seront répartis entre les différentes cultures.
1.
B.e.E.A.O,
n° 117, p.2.

-
352 -
TABLEAU N° 15 : ~E~~~~~~~_E~~E_~~~_EE~~~~E~!~~_~~~~~E~~
~~_~~~~~=Y~!~~_1~~_~~!!!~Eê_9~_~2~~~êl
Cultures
1961
1967
1970
!
,
,
·
.
--------------,--------------,
·
.
Sorgho
350
850
!
--------------!--------------
,
Mil
290
350
·!
--------------,--------------
Coton
4
23
·
170
Source: B.C.E.A.O, nO 117.
Si la production agricole doit être multipliée par
deux, ce ne sera pas du fait de l'augmentation de la produc-
tion des céréales dont l'augmentation est inférieure à l'uni-
té, mais à cause du coton dont l'augmentation est vertiglneu-
se (plus de 42 fois sa production initiale) dans cette prévi-
sion. Les calculs statistiques que nous avons effectués con-
firment bien les idées qui se lisent en filigrane dans les
plans, mais aussi dans la stratégie.
°
o
La stratégie °
0
La stratégie globale vise à élargir le marché inté-
rieur. Le IIIème plan de développement de la Haute-Volta sou-
ligne que
"en effet, la commercialisation des produits agricoles
apparaît être jusqu'à présent la seule source d'amé-

-
353 -
lioration permanente des revenus monétaires des pay-
sans" (1).
Les objectifs réels visent l'augmentation rapide
des productions rurales et la mise en place des industries
de substitution d'importation (I.A.A = industries agro-ali-
mentaires),principalement capables d'augmenter à court terme
la productivité du secteur d'exportation et du secteur de
1
!
substitution d'importation;
ils visent aussi à axer le "dé-
1
t
1
veloppement" principalement sur la croissance du secteur pri- !
f
maire afin de dégager un surplus,
et créer la demande de mas-
1
se nécessaire au "décollage" des secteurs secondaire et ter-
tiaire.
1
Cette vision du développement a fait écrire à Guy
BELLONCLE que :
"le modèle de développement qui anime inconsciemment
les pOlitiques actuelles de planification en Afrique
Noire, est celui de la transformation de l'Europe
avec la première révolution industrielle. C'est ainsi
qu'on conçoit le développement que selon un modèle
unique,
chaque nation devant passer successivement
par des étapes par lesquelles sont passées aujourd'hui
les pays
les plus avancés le modèle des "cinq stades"
présenté par ROSTOW en 1960 est illustratif de ce
courant .•. les nations où la révolution industrielle
a démarré en premier en Europe étaient des nations en
position de domination internationale,
caractérisée
par des échanges mercantiles, permettant de larges pro-
fits,
avec les pays d'Outre-Mer,
alors que les pays
d'Afrique Noire sont actuellement des pays encore en
majeure partie dominés, où les profits sont rapatriés
dans les anciennes métropoles ; dans ces conditions,
1
i
1.
IIIème plan de développement économique et social
avant-I
projet. Ministère du Plan et de la Coopération.
~

-
354 -
on comprend que le problème .d'une "accumulation" né-
cessaire à l'industrialisation se pose en des termes
très difficiles"
(1).
Aujourd'hui dans tous les pays du SAHEL,
le sur-
plus agricole en particulier,
le surplus économique en gé-
néral par des canaux multiples quittent les pays, pour fa-
voriser l'accumulation dans les métropoles impérialistes
(au "centre" pour employer la terminologie de Samir AMIN).
Seule une faible partie de ce surplus reste dans les pays au
main d'une bourgeoisie bureaucratique et compradore qui n'a pas
toujours la force économique d'investir dans les domaines produc-
tifs d'où des investissements dans les domaines improductifs (immo·
bilier, transport, ••• let quelquefois des dépenses ostentatoires.
Les moyens de la stratégie se résument à :
-
renforcer les cadres et les institutions de dé-
veloppement pour une maîtrise de l'économie et une pïus
grande dépendance économique.
- Mise en oeuvre d'une politique économique
prix,
commercialisation,
crédit et développement du secteur d'Etat.
Ces moyens qui provoquent les effets escomptés (ri-
gidité des prix d'achat au producteur,
commercialisation ac-
crue des produits agricoles,
etc ••• ) n'autorisent pas la
conclusion selon laquelle les politiques actuelles de plani-
fication sont inconscientes et montrent à l'évidence l'oeuvre
!1
1.
Guy BELLONCLE : "Modernisation et l(0uvoir ~aysan". Revue
1
Economie et humanisme,
n° 248.,
jUlllet-aout 1979, p.314.
1
1
1
,
1

-
355 -
méthodique consciente et même patiente qui s'édifie autour
de ces plans.
Cette oeuvre, nous l'avons appelée stratégie
de 'croissance
agricole basée sur les cultures de rapports.
2° - Stratégie de croissance agricole basée sur
les cultures de rente
renforcement de
l'économie de traite.
Dans la théorie dominante du "développement éco-
nomique", celle de la croissance déséquilibrée apporte des
arguments en faveur de la priorité tantôt à l'industrie,
tantôt à l'agriculture. Dans les plans que nous venons d'é-
tudier, on découvre que la priorité est tantôt accordée à
l'agriculture, tantôt aux deux activités (agriculture et
industrie), ce qui nous transporte dans le domaine dé la
théorie de croissance équilibrée.
En fait,
on peut compren-
dre aisém~nt qu'en général la priorité soit accordée à l'a-
griculture et notamment aux cultures de rapport.
Il faut
remonter a l'économie de traite qui constitue la base des
premiers investissements consacrés au développement de l'a-
griculture dans les pays du SAHEL et qui incitait le secteur
des petits exploitants à accroître les cultures de rapport,
pour découvrir les racines du mal. Ces investissements ont
été financés par les compagnies commerciales coloniales, les
"sociétés de développement" coloniales et les métropoles im-
périalistes. L'arachide et le coton ont été introduits par
ces sociétés et compagnies avant 1960. Les objectifs visés
étaient de se procurer des sources d'approvisionnement de

-
356 -
matières premières pour les industries françaises
(surtout
celles de la région de Lille,
de les piller, d'exploiter et
de dominer les peuples des colonies. Nous allons étudier
1) Les cultures de rente,
source de matières pre-
mières des industries de la métropole et des
lAA néo-coloniales.
2) Cultures de rente, source de pillage et de do-
mination.
3) Les cultures vivrières, domaine de surexploita-
tion.
4) Aide alimentaire, source de domination.
1) Les cultures de rente
_____________________ L
source de matières
_
EE~~~~E~~_~~~_~~~~~~E~~~_~~_!~_~~~E~E~!~
~~_~~~_~~~~ê~E~~ê_~9E~=~!~~~~~~~E~ê_~~~=
coloniales :
Le système de traite est la cause de l'introduction
et du renforcement des cultures de rente. L'introduction par
les compagnies coloniales et les sociétés coloniales corres-
pondait à un besoin pressant des industries alimentaires et
textiles françaises pour le maintien à un bas prix des pro-
duits de consommations ouvrières,
afin de rendre les indus-
tries françaises plus compétitives. Le salaire de subsistance
contient l'huile, les vêtements et,
pour les produire aumoin-
dre coût,
i l faut exploiter les matières premières des colo-
nies qui sont à des prix défiant toute concurrence. Aujour-
1
d'hui ces cultures de rente ravitaillent surtout les lAA [·0-
1
j
i
1
f

o.
-
357 -
cales aux mains des puissances impérialistes et de la bour-
geoisie bureaucratiques et compradores locales. Les huile-
ries au Sénégal sont contrôlées par Lesieur, SODEe, Peter-
son.
2) ~~~_~~~~~~~~_~~_~~~~~L_~~~~~~_~~_E~~!~2~
et de domination :
En favorisant les conditions de développement d'un
marché intérieur,
l'avènement du colonialisme puis du néo-co-
lonialisme met en place un mode d'exploitation plus efficace,
fondé sur l'extraction d'une rente monétaire due à un échange
inégal de "marchndisse" provenant du système capitaliste con-
tre des lprodui~Q.·" issus de la communauté familiale. Ainsi le
~.
paysan sera SOumlS progressivement aux lois du marché inter-
national. Cette soumission aux marchés local et international 1
lui sera dictée par: l'instauration d'un impôt per capita en !
monnaie; la destruction de l'artisanat traditionnel utilitai-!
re et l'obligation d'acheter, moyennant échange monétaire des!
marchandises importées dont i l a besoin; l'introduction des
inputs et des biens de capital productif (matériel agricOle)
onéreux et importés.
Le producteur se trouve donc de plus en plus étroi-
tement dépendant du marché et de ses fluctuations à plusieurs
égards: à l'égard des prix de vente des subsistances qu'il
ne produit plus, à l'égard du prix d'achat de ce qu'il vend;
à l'égard du taux de change de la monnaie dans laquelle il

-
358 -
1
1
est payé et dans laquelle i l achète.
1
Les cultures de rente sont celles qui créent les
meilleures conditions du pillage des paysans. L'Etat égale-
ment joue un rôle important dans l'instauration des condi-
1
t
tions du pillage.
f
o
Le rôle de l'Etat dans les mécanismes du marché
_
: 1
1
L'Etat peut, par les subventions ou par les ponc-
tions, faire baisser ou hausser les prix. En 1964-1965 au
Sénégal (avant l'association avec la C.E.E), la décomposition
du prix à l'e;(.portation de l'arachide décortiquée était le
suivant
en F cFA/kg :
- Prix du kg coque :(1)
20
Total cumulé
-
Prix d'achat au producteur
30
-
Transport intérieur
1,8
31,8
Décorticage :
1,8
33,6
1
1
-
Taxes fiscales & parafiscales
5 à 6
38,6 à 39,6
1
!
L'Etat prélève un cinquième à un sixième du prix
1
r
au producteur. Ces recettes prélevées constituent une part
1f
non négligeable des recettes courantes de l'Etat. L'associa-
1
tion avec la C.E.E a conduit à une baisse du prix à l'expor-
tation ;
celui-ci a été répercuté au producteur, mais l'aug-
1
mentation du prix à l'exportation lors de la guerre du Biafra 1
n'a pas occasionné une hausse durant les deux campagnes. Seu- !
r
le une "pression" des paysans en 1970 a contraint le gouverne-I
~,
ment à "lâcher du lest".
1.
Qui se nourrit de la famine au SAHEL, l, Développement.
Exploitation,.,

t"l
r--....~

-
359 -
Il faut prendre en compte les subventions que le
gouvernement paie pour alléger la charge du prix (des engrais
en particulier) et inciter les paysans à l'utilisation des
intrants agricoles surtout pendant les premières années. En
1964-1965 les recettes directes sur l'arachide représentaient
une somme de trois à quatre milliards de francs cFA, la sub-
vention des 30.000 tonnes d'engrais d'arachide et des 5.000
tonnes d'engrais mil,
utilisés par les paysans, s'élevait à
un montant global de 220 millions de F cFA. En fait les années
suivantes ont vu s'évanouir la subvention à l'engrais arachi-
de. On en est donc arrivé à la célèbre "vérité des prix" chè-
re aux économistes bourgeois.
La bourgeoisie compradore, dans ces transactions
commerciales, ne reste pas inactive.
Possédant le monopole du
marché de gros, elle détient un véritable pouvoir économique.
Cependant progressivement pour les cultures de rente, si cette
bourgeoisie a vu ses positions grignotées par les sociétés co-
loniales ou néo-coloniales (CFDT, SATEC,
etc ••• ) ou les Etats
néo-colonialistes, elle conserve son pouvoir dans son bastion tra-
ditionnel import-export. Les ventes des produits agricoles
s'effectuent sur les marchés à des cours assez libres; elles
subissent par conséquent d'énormes variations sur lesquelles
merçants constitue "l'achat sur pied". La période de soudure
est mise à profit par les commerçants pour vendre à crédits
1
les produits vivriers ou manufacturés à des taux usuraires,
1
J
1

-
360 -
moyennant l'échat de la prochaine récolte à prix très bas.
Ils prennent donc une part importante de responsabilité dans
le déficit vivrier. En 1973 les céréales ont été achetées aux
environs de 15 F cFA et revendues 60 F cFA, puis 80 F cFA et
(1)
. , . .
même 100 F cFA dans les grands centres
• L'lmperlallsme
joue sur la détérioration des termes de l'échange qu'alimen-
te principalement le phénomène de l'inflation. Les termes de
l'échange se détériorent rapidement.
"Cette détérioration des termes de l'échange a été de
l'ordre de 20 % entre 1957 et 1966. Dans l'ensemble,
r,
cette détérioration est de l'ordre de 20 % entre 1888
et 1968 (tendance légère décroissante de l'ordre de
0,2 % l'an"
(2).
1
Les termes factoriels doubles (c'est-à-dire l'échan-!!
ge marchandise pondéré par le rapport de la productivité du
travail au Sénégal sur l'indice de productivité du travail en
France),
autorisent la même conclusion. Cette détérioration
traduit une inégalité de l'échange grandissant, au détriment
1:,::.
du paysan sénégalais qui reçoit à peine 1/7 de ce qu'il rece- ,
'
vait i l Y a un siècle, en termes de valeur contenue dans les
1l
produits échangés. Cette détérioration apporte la preuve que
i
le libre jeu des "mécanismes du marché mondial" est en ré,alitél
synonyme de "pillage".
1
,
"La valeur du coton fibre sur le marché mondial au cours
des deux dernières décennies écoulées a marqué une ten-
dance continue à la détérioration. Exprimés en Francs,
les prix de vente actuels sont inférieurs à ceux de
1
~,
1.
Comité d'Information SAHEL
"Qui se nourrit de la famine
en Afrique", op.cit.
2.
Samir AMIN, op.cit, p.30.

-
361 -
1950. Traduits en monnaie constante, on peut considérer
que ces prix ne sont guère que la moitié de ceux en vi-
gueur i l y a vingt ans, au moment où a été créée notre
société"
(1).
Tous ces éléments prouvent à l'évidence que l'éco-
nomie de traite, loin de contribuer au développement des pays
du SAHEL, a permis au contraire le pillage de l'économie et
la pérennisation de son état de domination.
3) ~~~_~~!~~~~~_~~~~i~~~~L_~~~~i~~_~~_~~~~~:
E!~~~~~~~~ :
L'encadrement agricole,
la vulgarisation,
la four-
niture de semences, de plants,
d'engrais,
l'organisation ad-
ministrative (coopératives, Caisse de Prévoyance, les socié-
1
tés rurales),
l'infrastructure commerciale et l'organisation
1
du marché, bénéficient presqu'exclusivement à la production
1
des cultures de rente.
1
si pendant la période coloniale, la reproduction de 1
la force de travail est précaire sinon non réalisée, au cours
de la période néo-coloniale,
la tendance est à la reproduc-
t
tion et même à la reproduction élargie de cette force de tra-
1
.
. "
' 1
vall sur le plan quantltatif et meme qualitatif.
!
i
Cette reproduction élargie de la force de travail
1
favorise l'exploitation des peuples du SAHEL. Cette force de
fl
travail est produite et reproduite dans le cadre de rapports
i
1.
Source CFDT., 1969.
~
1
.,
,1

-
362 -
de production non spécifiquement capitalistes qui prédominent
dans la production des subsistances. En rentrant dans la pro-
duction d'une marchandise échangée dans le cadre du marché,
une partie de cette force de travail est transférée du sec-
teur non capitaliste au secteur capitaliste. La force de tra-
vail, théoriquement, peut se concevoir comme un "bien libre",
c'est-à-dire que son prix peut-être considéré comme nul : le
paysan,
en produisant sa propre consommation,
se rémunère lui-
même. La possibilité donc existe,
dans les conditions du mar- r
ché, de surexploiter la force de travail en payant un prix
1
nettement inférieur à ce que serait le coût si sa production
"
et sa reproduction devaient se réaliser dans les conditions
1
de la production capitaliste, c'est-à-dire si les vecteurs du
travail étaient nourris,
eux et leurs familles
(enfants, fem-
mes,
dépendants),dans l'économie de marché et pris en charge
par l'économie capitaliste.
Pour que se réalise cette surex-
1
ploitation, la condition nécessaire et suffisante est que la
!
marchandise produite dans ce cas soit payée à un prix juste,
!
assez élevé pour fournir au producteur, non l'équivalent de
!
la valeur marchande du produit, mais la quantité de numéraire 1
dont i l a besoin pour se libérer de ses obligations financie=-,
res principalement l'impôt et le montant des produits qu'il
1
ne fabrique pas et qu'il doit acheter sur le marché. Ce mode
1
d'exploitation a longtemps freiné l'introduction de capital
1
f
dans l'agriculture vivrière familiale,
ce qui l'a contraint
à une productivité basse. En retardant l'introduction des mé-
canismes de l'économie capitaliste,
ce mode d'exploitation a

1
-
363 -
1
f.
1
!i,
longtemps ajourné l'expropriation de la paysannerie, lui ré-
servant un sanctuaire,
l'agriculture vivrière,
lorsque les
conditions de la production commerciale deviennent impitoya-
bles. Cette forme d'exploitation pérennise l'accumulation pri-
mitive qu'elle suscite d'ailleurs et organise.
"L'agriculture vivrière, parce qu'elle n'est pas inclu-
se de façon organique dans le processus de production
et de circulation du secteur capitaliste, parce qu'el-
le est le lieu d'une surexploitation du travail, parce-
qu'elle ne peut donc être aidée sans que disparaisse~le
bénéfice de cette surexploitation, l'agriculture vi~
vrière est vouée, malgré son importance décisive dans
i
le développement d'un pays, à une crise permanente et
f
de plus en plus profonde" (1).
1
!
C'est donc parce qu'il faut importer et vendre les subsistan-
1
1
ces à bas prix que cette surexploitation s'organise. Cette
f
vente des céréales à bas prix est une subvention de fait à
[
l'agriculture commerciale au détriment des cultures vivrières. 1
Pour maintenir les prix à leur bas niveau, les marchés céréa-
1
,
liers sont inondés par l'aide alimentaire.
i1
!
__________________ L
_
4) L'aide alimentaire
source de domination:
L'aide alimentaire,
comme nous l'avons écrit, n'é-
j,
;
quivaut pas au don et peut aller d'une vente à prix inférieurs!

. '
t
aux cours normaux,
jusqu'à une offre gratulte des prodults
i
,
alimentaires. Depuis que le déficit alimentaire est devenu
l
chronique, l'aide alimentaire est allée se renforçant. Le POid,
des importations est de l'ordre de 20 % des importations tota- 1
!
1.
Comité SAHEL
"Qui se nourrit de la famine en Afrique",
op. cit.

-
364 -
les traduisant une dépendance croissante de la région en ma-
tière alimentaire. La France en particulier, par sa pOlitique
d'aide aux Etats du SAHEL, renforce cet état de fait.
c'est
un fil de plus tissé pour lier étroitement les c~asses domi-
nantes locales,
imprégnées d'une mentalité d'assistées afin
de décourager toute velléité nationaliste.
L'aide en général,
l'aide alimentaire en particu-
lier, est généralement une aide liée :
1
i
.
" "
. "
t
"armes, bonnes paroles, farJ.ne pour bebe, ces dJ.fferents !
dons de l'aide s'échangent contre tel accès aux matiè-
,.
res premières, tel appui politique et culturel, tel mar-
ché industriel"
(1).
r
1
Pour les partisans de l'aide, elle mérite la prio-
t
rité et "il ne fait aucun doute qu'une forte injection de res-!
sources extérieures s'impose,
dans le cadre d'un programme
1
d'aide suivie·,(2). Ainsi pensent-ils pallier les carences de
!I
l'épargne interne dérisoire. Mais les sources de l'épargne
.


t
tarissent en raJ.son du pompage par les pourvoyeurs de l'aJ.de
!
~o~~
Pi~'age riChe~se. PaY~··1
qui s' en servent
levier de
des.
des
du SAHEL. Plus specJ.fJ.quement au nJ.veau alJ.mentaJ.re, ceux-cJ.
i
1
prenant l'aide comme un acquis intangible,
s'ingénuent à trou-!
~
ver les conditions favorables d'une aide "efficace". Ainsi
1
i
brode-t-on sur des thèmes tels que :
1.
B.LECONTE, Revue Economie et Humanisme,
n° 248, op.cit.
2.
Rapport de l'O.C.D.E, Paris., 1978.

-
365 -
-
la pénurie de vivres fait obstacle à la croissan-
ce ou à une répartition plus égale des revenus.
1
- L'aide se substitue aux achats que le pays devraitl
obligatoirement faire à l'extérieur.
1
-
L'aide soutient un plan de "développement" doté
d'une vaste assise, dirigé contre la pauvreté et qui favorise
la production nationale de vivres.
- L'aide doit être planifiée à l'avance et sa dis-
ponibilité doit être garantie.
- L'aide doit porter sur les produits semblables à
ceux du pays bénéficiaire; en d'autres termes,
l'aide doit
1
annihiler toute situation de "rareté"
de l'offre, source de
1
hausse des produits vivriers(l). En réunissant les conditions 1
pour que l'aide entre en concurrence avec les produits locaux,!
on prévient toute hausse en cas de pénur{e par une injection
1
massive de l'aide en vivres
ainsi l'objectif de maintenir
1
le prix des céréales à un bas prix demeure réalisé, créant
les conditions de transfert du "produit net" de l'agriculture
vers l'industrie. En effet,
les prix des céréales accuseront
une baisse si l'offre évolue plus vite que la demande sous la
pression de l'aide. Cette injection de produits alimentaires
cause un préjudice grave à l'agriculture car les producteurs
1
mal rémunérés réduiront leur production, sinon du moins, ne
Il.
seront pas incités à produire plus. On a cherché à accréditer •
[
1.
Hartmut SCHNEIDER : "L'aide alimentaire pour le dévelop-
pement". Centre de Développement de l'O.C.D.E, Paris.,
1978, p.37.
1

-
366 -
l'idée que l'aide constitue un remède palliatif. Cependant,
l'expérience prouve que le palliatif est devenu une théra-
peutique à long terme qui détruit le caractère passager de
l'aide qui est souvent mis en avant.
Il en résulte des prix
modiques pour les producteurs de céréales qui freinent la
production vivrière et la maintiennent à un niveau très bas,
une dépendance accrue vis-à-vis des métropoles impérialistes,
source de domination. Cette domination est enserrée dans
l'étau de strudutres et de moyens divers notamment finan-
, 1
ciers.
!
1
11/ L'encadrement et les moyens de domination.
1
L'existence de ces structures remonte à la période
coloniale où la puissance coloniale, en l'occurence la France,
met en place des "offices" et des "organismes" afin de déve-
lopper les cultures d'exportation. Ces structures demeurées
,
intactes pour la plupart,
se sont renforcées avec la création f,i
de structures néo-coloniales telles que les ORD ou ODR. On
peut distinguer trois grands volets dans ces structures:
1
Î.
encadrement de la production,
-
encadrement de la commercialisation,
-
encadrement du financement.
1
1
t
La politique d'encadrement après les "indépendan-
1
ces" a été conf iée à des sociétés comme le BDPA, la CFDT,
la
1
SATEC,
etc •••
au SAHEL.
)
~,

!
-
367 -
!
1
_ La CFDT (Compagnie Française pour le Développement
1
!
des fibres Textiles) a été créée en 1949 par un arrêté du
1
gouvernement français,
sous forme d'une société d'économie
1
mixte à participation majoritaire de l'Etat,
le reste du ca-
i'
f
pital étant réparti entre les grandes sociétés capitalistes
intéressées par les travaux entrepris. Cet"organisme d'inter-
vention" devenu depuis 1960 un "organisme d'assistance tech-
nique",
spécialisé en matière de vulgarisation de la produc-
tion cotonnière,
exerce son action en étroite liaison avec
IRCT (Institut de Recherche du Coton et des Textiles exot~
ques). La CFDT agit dans les domaines de la production, de la
commercialisation et de l'égrenage (création d'usines à cet
effet) afin de remplacer et de substituer aux méthodes de cul-
ture forcée que nous avions étudiées, des méthodes d' l''enca-
1
drement" et de "vulgarisation". L'exploitation brutale devraitl
être remplacée par des méthodes plus subtiles ; ce tournant
!
1
négocié après la seconde guerre était dicté par le contexte
1
i
de l'époque. La puissance coloniale est sortie très affaiblie 1
de la guerre (cf.
le plan MARSHALL).d'une part, d'autre part
les peuples africains et coloniaux sont ressortis de cette
1
guerre avec des idéaux de liberté et d'indépendance raffer-
1
mis ;
le colonisateur lucide devrait tenir compte de ces nou- !
velles données. Les méthodes "d'encadrement" et de "vulgari-
1
f
sation" de la CFDT ont été expérimentées au Tchad et elles
/
f1
s'appliquent aujourd'hui à tous les pays du SAHEL.
1
- Le BDPA (Bureau pour le Développement de la Produc- 1
tion Agricole) créé en 1950, agit à la fois comme un organis-,
1
1

-
368 -
me d'études, de réalisations sur le terrain et de formation.
Son personnel comprend près de 400 personnes dont 160 ingé-
nieurs, techniciens et experts (surtout des expatriés). Son
chiffre d'affaires, dont les bénéfices rapatriés en constan-
te expansion, a dépassé 7 millions de dollars en 1966, prend
des dimensions astronomiques. Société d'Etat, le BDPA n'est
plus subventionné depuis 1962, et contrairement à la CFDT
qui n'intervient que dans les pays d'Afrique,
son action dé-
passe les frontières du continent.
En 1967/1968 une convention (du 3/09/1967) a été
paraphée entre le secrétariat d'Etat à l'économie rurale du
Mali et le BDPA. Le directeur d'opération BDPA en même temps
qu'il dirige le projet sur les zones prioritaires, est con-
seiller technique au niveau national auprès du secrétariat
d'Etat.
"Au Tchad dans la région de Bokoro, le Bureau pour le
Développement de la Production Agricole (BDPA) fran-
çais également, met en oeuvre un autre programme de
vulgarisation agricole depuis le milieu de l'année
1962" (1).
- La SATEC (Société d'Assistance Technique et de
coopération) dispose de moyens importants pour entreprendre
une action d'
"animation" et de crédit au niveau des petits
producteurs. Créée en 1957 sous le nom de Société d'Assistan-
ce Technique et de Crédit Social, elle a été expérimentée
L
John C. de WILDE : "Expérience de développement agricole
en Afri~ue Tropicale". Collection Techniques Agricoles et
Productlon Tropicale., 1967, p.214.

-
369 -
dans les Dom et Tom.
Depuis 1963 son action est centrée sur
les Etats du SAHEL, surtout en Haute-Volta.
-
L'ORSTOM (Office de la Recherche Scientifique et
Technique d'Outre-Mer) effectue les travaux de recherches
fondamentales.
- La SCET-Coopération,
issue de la Société Centrale
pour l'Equipement du Territoire, oeuvre à la réalisation de
toutes les études intéressant la mise en valeur agricole.
A côté de ces organismes et offices d'où la bour-
geoisie locale sahélienne est exclue et où la bourgeoisie
française conserve la "pureté" du capital national,
il en
existe d'autres qui semblent être des organismes purement
sahéliens.
Ce sont entre autres les ORD en Haute-Volta,
les
ODR au Mali,
les CRAD (Centres Régionaux d'Assistance au Dé-
veloppement) au Sénégal.
Au Sénégal, deux types d'organismes d'encadrement
ont été institués :
~ les Centres d'Expansion Rurale (CER), char-
gés de la vulgarisation des techniques agricoles.
~ Les Centres Régionaux d'Assistance au Déve-
loppement (CRAD) qui étaient chargés de la fourniture du ma-
tériel agricole et des semences,
et qui assuraient la gestion
administrative et commerciale des coopératives. En 1966 en
remplacement des CRAD, est créé à l'échelon national, l'Of-
fice de Coopération et d'Assistance au Développement (ONCAD)

-
370 -
, t
dont le but est de coordonner l'ensemble des activités d'en-
cadrement. Depuis la disparition des CRAD,
l'ONCAD assume,
avec ses agences régionales l'encadrement du monde rural.
Il
est assisté dans cette tâche par la Société de Développement
et de vulgarisation Agricole (SODEVA),
société d'économie
mixte plus spécialement chargée de la mise au point de nou-
velles techniques agricoles ainsi que par la direction de la
coopération du Ministère du Développement Rural, qui a la
charge des problèmes administratifs.
it
Les organismes régionaux de développement
(ORD)
/ t
ont été créés en 1967 (sous l'appellation initiale: Offices
!!
Régionaux de Développement). Cette création réduit adminis-
\\
!
trativement du moins l'action de la CFDT qui se contente du
1
rôle de conseiller technique. Actuellement,
l'ORO de la Volta l,l,.
Noire est le théâtre du projet cotonnier de l'Ouest-Volta.
!
ORD particulièrement favorisé par sa situation géographique
1
et la richesse de son sol,
il fait partie d'un plan de déve-
!
loppement financé pour la plus grande part par la Banque Mon- i
\\
diale et le FAC (Fonds d'Aide et de Coopération). Dans ce pro-I
t
jet, seule la culture de coton est retenue.
Un organisme le
"projet Cotonnier Ouest-Volta" a été créé pour contrôler le
fonctionnement du plan,
la question de cet organisme a été
confiée à la CFDT. En fait sur toute l'étendue du territoire
voltaïque,
la CFDT et l'IRCT s'occupent du coton,
l'IRHO de
l'arachide et la SATEC depuis 1961 est chargée de mener, dans
certains secteurs, une action d'
"animation rurale", basée
sur les cultures attelées. Le gouvernement voltaïque dispose

-
371 -
d'autres structures d'encadrement,
surtout administratives.
Pour les actions intensives ou spécifiques, ont été créés
18 Centres d'Encadrement Rapprochés
(CER).
Au Mali,
les opérations de Développement Rural
(ODR) sont définies comme un ensemble d'actions constituant
"un ou plusieurs programmes orientées vers la réalisation
d'objectifs de production, conçues et gérées par un organis-
me autonome". L'opération est généralement centrée sur une
culture (coton, arachide, mil, etc ••• ). L'opération coton
dans la zone CMDT (qui est l'équivalent de la CFDT dans les
autres pays du SAHEL) montre bien les liens étroits et de dé-
pendance des organismes "nationaux" à l'égard de ceux de la
métropole. La tâche des ODR est "d'encadrer" les paysans
afin de les "former", de les "éduquer" et de les "organiser".
Des conventions seront signées en 1963 avec la CFDT et en 1966
avec le BDPA. Leur champ d'intervention couvre trois domai-
nes
: opération coton pour la CFDT, opérations arachide et
Haute-Vallée pour le BDPA.
,
t
La politique de l'ODR est dite de "culture intégrée"!
lorsque l'encadrement s'étend au développement de toutes les
1
cultures. Les subventions obtenues généralement pour le co-
1
ton peuvent, dans le cadre des "cultures intégrées",
"profi-
ter" aux cultures vivrières.
Au total, les offices et organismes régionaux de
~
développement néo-coloniaux ont permis aux organismes fran-
r
1
1
çais de se décharger des questions administratives qui sont
1
!1
1

-
372 -
l
'f,
ft
passées aux mains des nationaux, mais les sociétés d'encadre- 1
i
ment de la métropole (France) conservent la haute main sur
l'encadrement,
car la direction des projets leur est généra-
lement confiée
dans le cas contraire,
ce sont les "conseil-
lers techniques" des opérations entreprises lorsque la direc-
tion ne leur est pas explicitement confiée. Mieux,
en tant quel!
"conseillers" auprès des ministres chargés d'élaborer la POli-i
tique d'ensemble de l'agriculture,
ils influencent les grands 1
choix. Les rapports ORD ou ODR/CFDT sont très étroits, et la
1
plupart des postes de direction dans ses organismes "natio-
naux" sont occupes -par des agents de la CFDT, principalement
1
préoccupés par les cultures cotonnières.
"Les rapports ORD/CFDT sont très étroits,
la plupart des
postes de direction sont occupés par les agents CFDT
principalement préoccupés par les cultures cotonniè-
res"
(1).
C'est pour toutes ces raisons que s'est produit
l'échec des pOlitiques agricoles et avant tout la faillite de
la pOlitique des "conseillers" ou des alliés étrangers de la
bourgeoisie autochtone (principalement l'impérialisme fran-
çais) en matière de développement agricole.
Que peut-on constater au niveau de la commerciali-
sation et du financement ?
X L'encadrement de la commercialisation et du finan-
--------------------------------------------------
cement
Les structures d'encadrement du commerce et du sec-
1.
Comité d'Information SAHEL,
op.cit, p.119.

-
373 -
f
1
j
1
f!
teur financier confirmeront ou infirmeront notre point de vue [
sur la mainmise de la bourgeoisie étrangère (notamment fran-
1
çaise) et de ses alliés sur l'économie sahélienne.
1
1
f
La création des caisses de stabilisation date de
t,
1954 dans tous les Etats francophones
(décret du 14 octobre
t
1954, Journal Officiel de la République Française du 15 octo- 1
bre 1954) et la mise en place du "Fonds National de Régula-
1
tion des Cours" émane du décret du 2 février 1955.
tl
La caisse intervient sur des produits agricoles dé-
terminés,
ceux d'exportation de préférence. La caisse régule
1
les prix des produits dont elle a la charge,
et assure un re- 1·
!
venu garanti aux cultivateurs. La caisse part d'un prix d'a-
1
t
chat minimum garanti au producteur établi chaque année. Un
1
barême ou "différentiel" reprend ensuite tous les postes de
1
dépenses occasionnées entre le centre de collecte et le point 1
d'embarquement,
et détermine ainsi la valeur théorique FOB de ,
revient à partir de laquelle on obtient un prix CAF de revient 1
1
(CAF garanti).
La caisse garantit à l'exportateur cette valeur!
quel que soit le prix de vente effectif (valeur de réalisa.:~-.-;I
tion). si la valeur de réalisation est supérieure au prix CAF !
~
garanti,
l'exportateur verse la différence à la caisse. Dans
i
sa terminologie, cette opération s'appelle un "reversement".
si la valeur de réalisation est inférieure au prix
CAF garanti, c'est la caisse qui verse la différence à l'ex-
portateur. Dans sa terminologie ésotérique, cette opération
s'appelle le "soutien".
,
)

-
374 -
t
1
1
1
créée en 1964, la Caisse de Stabilisation des Prix
1
des Produits Agricoles (CSPPA) de la Haute-Volta ne s'occupe
î!
que de l'arachide, du karité et du sésame. En fait,
ces cais- 1
1
ses qui existent dans presque tous les pays du SAHEL ne se
1
;
préoccupent que des cultures d'exportation. Le "soutien" de
1
la caisse, loin de favoriser le producteur de ces cultures,
fait une part belle au commerçant qui n'est ni plus ni moins
1
1
qu'un intermédiaire. Ceci confirme encore notre point de vue
1
sur le peu d'encouragement fait aux producteurs réels pour
1
augmenter le volume de la production agricole et la grande
1
propension à développer l'économie marchande.
geoisie bureaucratique dans le domaine du commerce céréalier
nal de Commercialisation des céréales).
"La commercialisation des cultures vivrières, malgré la
faiblesse du volume échangé est l'objet d'une vive con-
currence entre secteur privé et secteur public" (1).
La commercialisation des céréales est estimée à
récolte normale de 1.000.000 de tonnes.
i
1
1
1

-
375 -
cratique. Récemment encore,
les commerçants faisaient la
pluie et le beau temps,
tandis que le gouvernement se con-
tentait de fixer les prix au producteur et au consommateur.
L'application effective de ces prix officiels étant diffici-
le à réaliser,
le négoce privé assurait l'approvisionnement
des régions déficitaires et des centres urbains, et les prix
1
étaient déterminés par la loi de "l'offre et de la demande",
t,.
l
c'est-à-dire en fait par les commerçants. La création de
l,
l'OFNACER avait pour objectif de stabiliser les prix et de
1
Ma~s
réguler l'offre.
cet organisme n'est jamais parvenu qu'à Il.
contrôler une faible partie du grain commercialisé localement
(environ 20 %). Jusqu'à une époque récente, presque tout le
grain acheté par l'OFNACER était importé. Une nouvelle poli-
1
tique définie par l'OFNACER en 1978,
lui a permis d'acheter
1
en 1978/1979, 15.285 tonnes de céréales sur le marché inté-
rieur,
soit directement, soit par l'intermédiaire des commer-
çants.
La différence entre les prix officiels et les prix
,
réels n'existe que pour certains produits agricoles. Pour le
i
f
coton,
le prix officiel au producteur coïncide avec le prix
1
[
réel. Pour les autres cultures de rente (sésame,
karité, ara-
1
chides),
la concurrence ne joue, pour les achats au produc-
1
1
teur, qu'à l'intérieur du secteur privé entre commerçants
!
agréés par la CSPPA et les commerçants non agréés ;
la caisse 1
ne pratique aucun achat direct. Jusqu'en 1974, les commerçants 1
privés pouvaient exporter directement leurs produits. Les prix!
réels au producteur étaient déterminés essentiellement en
1

-
376 -
fonction des cours mondiaux. Encore une fois,
les agricul-
teurs sahéliens subissent durement les lois et les fluctua-
tions de prix du système capitaliste. Depuis 1974, la cais-
se possède le monopole de l'exportation et achète aux commer-
çants pour revendre.
En ce qui concerne les céréales,
i l existe une
concurrence entre secteur privé et secteur public, non seu-
lement au niveau de l'achat au producteur, mais aussi du con-
sommateur. Les circuits de commercialisation sont complexes
et avantagent le commerce "traditionnel". Au niveau de l'a-
i
t
chat, celui-ci par son implantation ancienne,
ses méthodes
!
de crédit (achat sur pied) et sa rapidité d'intervention sur
1
les marchés (il n'attend pas toujours la fixation des prix
1
1
officiels d'achat au producteur), devance souvent les ache-
!
teurs de l'OFNACER.
La différence des prix entre prix offi-
,
i
ciels et prix réels indique que le commerce privé spécule,
mais l'OFNACER ne dispose pas de stocks régulateurs assez
1
importants pour peser sur les prix à la consommation.
1
"En l'état actuel de la commercialisation, les agricul-
\\I!.
teurs semblent préférer les cultures de rente notamment
le coton,
non parce que le prix payé est plus élevé,
f
mais parce que les recettes sont garanties" (1).
r
t
î
Une fois encore,
les cultures de rente (notamment le coton)
1
~
ont la faveur de la politique des prix au producteur qui a
une influence sur le niveau de la production. En effet un
1.
Ministère de la coopération de la République Française :
"Situation économique et financière de la Haute-Volta",
op.cit, p.27.

-
377 -
prix au producteur intéressant, peut avoir une influence sur
le niveau de la production : ainsi les noix de karité ont vu
leur production augmenter après la réévaluation du pri~ au
producteur. E~ ce qui concerne les prix à la consommation,
ils montent (quelquefois vertigineusement) lorsque la produc-
tian diminue mais demeurent rigides à la baisse lorsque la
production augmente.
"si l'on se réfère à la série de prix à la consommation
à Ouagadougou (la seule disponible en la matière) on
constate que globalement, les prix montent lorsque la
1
production diminue, mais qu'ils ne diminuent pas sys-
tématiquement lorsque la production augmente" (1).
1
Le"laisser faire et laisser aller" en matière de
!
1
politique des prix des Etats néo-coloniaux qui donne aux com-
merçants un rôle central dans ce domaine, demeure la cause de
ces dérapages qui sont une source de profits pour ceux-ci. Ac-
tuellement,
les capacités de stockage sont estimées à 56.000
tonnes pour l'ensemble de la Haute-Volta, ce qui est dérisoi-
rement faible pour une consommation qui dépasse le million de
tonnes.
La commercialisation du coton est faite par la CFDT
qui opère selon les termes d'un accord d'association avec le
gouvernement voltaïque. Cet accord stipule qu'une partie des
bénéfices (parce qu'ils existent et en quantité astronomique)
est affectée à un "fonds spécial de productivité pour subven-
(
1
1.
Ministère de la Coopération de la République Française
"Situation économique et financière de la Haute-Volta",
1
1
op.cit, p.27.
i
1
1

-
378 -
tionner les intrants agricoles.
La SOFITEX (Société voltaï-
que de Fibres Textiles) a été créée récemment sans modifier
la donne que nous venons de décrire;
Là comme ailleurs,
la plus grosse part revient au
capital étranger notamment français à travers la CFDT. La
production de coton, en progression constante, demeure la
!
seule production agricole dont la commercialisation se fait
t
1
à presque 100 %. La bourgeoisie bureaucratique et la bourgeoi-j
n
,
sie compradore se disputent les autres productions agricoles
ri
(notamment celle des céréales) dont la commercialisation très
faible,
s'élève à peine à 15 %. Dans cette lutte, la bourgeoi-
sie bureaucratique gagne et grignote les positions de la bour-
geoisie compradore parce qu'elle dispose d'une place privilé-
giée dans l'appareil d'Etat. L'analyse du financement nous
confortera dans cette idée.
Le "projet cotonnier Ouest-Volta" dont i l a été
question dans les pages précédentes (1971-1975), a été finan-
cé à 66,1 % par l'AID
18,6 % par le FAC ; 12,2 % par le
budget national; 3,1 % par les paysans. "L'opération arachi-
de" au Mali (1969-1970) a été financée à 80 % par le FAC ;
19 % par le gouvernement et l % par le FED. La répartition de
ces subventions est également éloquente :
1
f
1
,

-
379 -
1° - Les subventions FAC
Total
:
3.846.180 F
i
dont
:
f,
t,
personnel expatrié
L 859.740 F
48 %
!
personnel malien
445.420 F
12 %
!
.
1
matériel .
980.020 F
25 %
1
fonctionnement
561.000 F
15 %
l'
,
f
1
2° - Les autres subventions
1
.
i
Subventions engrais du FED .
14 .000 F
1
,
1
1
1
3° - La participation du go uvernement malien
1
1
.
Total
943.720 F
1
dont
:
1
personnel malien
828.720 F
87 %
~!
fonctionnement
:
115.000 F
13 %
t
1~
La répartition de ces sommes montre à l'évidence
le poids des dépenses consacrées aux personnels, notamment
au personnel expatrié. Ces sommes sont d'autant plus exorbi-
!!
:~::::::~::~:::::::::u~::::~~:~::::~::~::~::::::~~:,!~I
tion du personnel malien, ce qui confirme la conclusion que
1
nous avons tirée sur la cession par l'impérialisme à ses al-
1
liés Sahéliens de l'appareil administratif. Les dépenses CQn- 1
sacrées aux moyens de production sont relativement négligea-
!
bles.
rt
1
Au total,
nous remarquons une politique de "dévelop-I
pement rural",
inspirée, orientée et encadrée principalement
1
par l'impérialisme, notamment français,
à travers des plans
t
1
~.

-
380 -
qUl organisent le pillage. Au plan économique,
la bourgeoi-
sie étrangère (française essentiellement), à travers ses
institutions alliées à la bourgeoisie autochtone, bénéficie
d'un échange non équivalent qui leur permet des transferts
de valeur importants (inflation,
détérioration des termes de
l'échange, échange inégal). Les cultures de rente, même si
elles favorisent mieux le développement de l'économie mar-
chande,
ne constituent pas le seul domaine de l'exploitation
de la force de travail des paysans. Les cultures vivrières,
avec leur prix dérisoirement bas que favorise l'aide alimen-
taire,
représentent un domaine de surexploitation du travail
paysan.
La bourgeoisie bureaucratique qui dispose d'atout
important dans l'appareil administratif,
se bat pour supplan-
ter la bourgeoisie compradore dans le domaine de la commercia-
lisation. Les objectifs de la bourgeoisie (étrangère et au-
tochtone) sont clairs : contrôler à terme le processus de
production et de reproduction de la force de travail, faire
des paysans des salariés agricoles lorsque les conditions per-
missives existent, maintenir l'atomicité de la petite produc-
tion paysanne tant que la reproduction domestique et familia-
le coûte moins cher que la reproduction capitaliste. c'est
d'ailleurs l'orientation que prennent les mutations de l'agri-
culture aujourd'hui en Afrique,
et singulièrement au SAHEL.
Dans le cas où la maîtrise des rapports de production par le
MPC s'avère difficile,
la bourgeoisie n'hésite pas à geler les
forces productives et quelquefois, à procéder à leur destruc-
tion.

-
381
CHAPITRE QUATRIEME
UNE MAITRISE REIATIVE DES FORCES PRODUCTIVESraJ
Le progrès social que connurent les derniers siè-
cles peut se mesurer par la maîtrise croissante de l'homme
sur les forces de la nature. La maîtrise des forces produc-
tives constitue un des aspects de cette connaissance et de
la domestication croissante des forces de la nature. Cette
maîtrise, nécessairement relative des forces productives,
peut cependant être considérée comme significative ou négli-
geable ; au SAHEL,
la maîtrise des forces productives demeu-
re quasi-nulle :
"Les forces socialement agissantes, agissent tout à la
fois comme les forces de la nature : aveugles, violen-
tes,
destructives tant que nous ne les connaissons pas
et ne comptons pas avec elles. Mais une fois qug nous
les avons reconnues, que nous en avons saisi l'activi-
té,
la direction,
les effets,
i l ne dépend plus que de
nous de les soumettre de plus en plus à notre volonté
et d'atteindre nos buts grâce à elles. Et cela est par-
ticulièrement vrai des énormes forces productives ac-
tuelles. Tant que nous nous refusons obstinément à en
comprendre la nature et le caractère (et c'est contre
cette compréhension que regimbent le mode de production
capitaliste et ses défenseurs),
ces forces produisent
tout leur effet malgré nous,
contre nous, elles nous
dominent,
comme nous l'avons exposé dans le détail" (1).
La quasi autonomie des forces productives, doublée
1
de leur arriération, en fait des forces plutôb destructives
1
que constructives. Mieux,
le "Gel", voire la destruction des
1
1
1
1.
F. ENGELS
: "Anti-Duhring", Editions Sociales -
Paris.,
1973, p.316.
j

-
382 -
forces productives par l'impérialisme et ses alliés locaux,
traduit avec relief une des caractéristiques essentielles de
celui-ci : son aspect parasitaire.
Pour étudier ces questions,
1
nous examinerons dans une section l
: le "Gel" et la destruc-
f
tion des forces productives,
et dans une section II
: les pa- !
ramètres les moins maîtrisés.
1
!!,
SECTION l
LE "GEL" ET LA DESTRUCTION DES FORCES PRODUCTI-
1
/
YESo
1
1
L'introduction du MPC au SAHEL a généralement main-
'Il
tenu en l'état les forces productives,
consacrant leur arrié-
ration.
Les moyens de production sont pour la plupart ceux
!
qui datent de la période précapitaliste, alors que l'intro-
!r
duction des rapports de production capitaliste exige de mettre!t
les forces productives au diapason de ceux-ci. Dans ces condi-!
tions,
le "gel" des moyens de travail signifie une régression 1
puisque l'introduction du MPC commande une production plus
!
grande à plusieurs égards : pour nourrir une population globa-
le en pleine expansion, pour nourrir une population non agri-
cole galopante, pour satisfaire une demande croissante des
[
t
cultures de rente,
etc ••• Cette production croissante se
!!
fait au détriment de la jachère et donc détruit les sols, tan-(~.
dis que les nouvelles exigences du MPC déplacent et déciment
1
quelquefois la population. Quelles évolutions peut-on consta- 1
ter dans les structures foncières et des moyens de production {.!I..•
Comment est gérée la force de travail ? Comment traite-t-on
,
r
les sols dans cette nouvelle donne ?
1
\\

-
383 -
Pour approfondir ces questions,
nous étudierons
trois sous-sections :
Il La terre
III La force de travail ;
II~ Les moyens de production.
Il La terre.
L'étude des structures foncières nous a permis de
déceler leur complexité mais aussi le sens des mutations cons-
tantes dont elles étaient l'objet;
les périodes coloniale et
néo-coloniale ouvrent une ère de propriété étatique du sol.
Tous les auteurs qui se sont penchés sur les question agrai~
res de la période précoloniale, savent qu'il n'existe pas un
pouce de terre qui n'ait son ou ses propriétaires au SAHEL.
Dans notre analyse du processus de centralisation du pouvoir
colonial,
le décret foncier du 23 octobre 1904 a retenu notre
attention, et nous a pepmis de souligner la fin de la fiction
de protectorat et l'attribution de tout le territoire des co-

A
lonles,
et notamment "toutes les terres vacantes et sans mal-
tre" à l'Etat français. L'ignorance des droits traditionnels
ou leur restriction était donc délibérée et avait comme ob-
jectif de transformer le droit de propriété sur le sol et la
mutation subséquente des structures foncières.
Cette mutation
s'est traduite par une spoliation et une redistribution des
terres pendant la période coloniale, et une réforme du fon-
cier pendant la période néo-coloniale.
1
1
1
1
,

-
384 -
1 0
-
La spoliation des terres au SAHEL.
De la période précoloniale, nous avons fait une
analyse à deux niveaux : une analyse globale pour donner une
vision panoramique des structures agraires au SAHEL, et une
1
analyse locale pour mettre en relief certains détails.
Nous
reprendrons cette distinction afin de mieux apprécier les
1
r
transformations des structures agraires.
1
Le régime foncier du Code civil avait été intro-
duit en principe dès 1830 au Sénégal. Cependant,
i l n'y eut
1
,
1
des effets que sur quelques immeubles de Gorée et de Saint-
Louis.
Les terres acquises par les colons,
celles dont les
1
autochtones voulaient se faire reconnaître la propriété, fu-
rent soumises au régime de l'immatriculation.
Introduit au
1
Sénégal en 1900, ce régime sera étendu à toute l'AOF en 1906
ii
par un décret du 24
juillet. En AOF au lendemain de la secon-
î
de guerre mondiale, pour les seize millions d'âmes que tota-
!
lisait cette cette partie de l'Afrique, 1742 propriétaires
'rl
africains "immatriculés" possédaient 29.000 ha (propriétés
1
t
urbaines pour la plupart).
Un décret du 8 octobre 1925 organisa, sans toucher
au régime d'immatriculation,
une procédure de constatation
et d'établissement des droits fonciers.
Un décret du 15 no-
vembre 1935 abrogea et remplaça pour l'AOF le texte de 1900.
Théoriquement,
i l avait pour objet de mieux protéger les
droits fonciers coutumiers,
ignorés par le texte abrogé. En
fait,
le décret de 1935 donnait aux "terres vacantes et sans

-
385 -
maîtres", un contenu plus précis, empêchant dans la majorité
des cas, d'invoquer la propriété coutumière. L'article l
ran-
geait dans cette catégorie les "terres ne faisant pas l'objet
d'un titre régulier et légal de propriété ou de jouissance et
restées inexploitées depuis plus de dix ans". Au SAHEL, à
part les zones urbaines et forestières,
les concessions
étaient insignifiantes. Au Soudan,
leur superficie était ré-
duite à la zone de l'Office du Niger. Au Sénégal, les conces-
sions s'élevaient à 6.300 ha en 1912 et à 2.892 ha pour le
Haut-Sénégal-Niger. Le groupe Hirsch (Compagnie de Culture
Cotonnière du Niger) a obtenu en 1919 une concession de cent
mille hectares à Dire, près de Tombouctou ; cinquante mille
hectares devraient être mis en culture en vingt ans.
1
Les "champs du commandant"
(cf section II sur la
1
!
soumission directe) étaient une autre occasion pour spolier
t
r
t
les paysans de leur droit foncier.
Cette spoliation se fait
1
[
sur toute l'étendue du SAHEL et entame sérieusement le droit
1
de propriété des paysans. Quelle forme cette spoliation prend-!
i'
elle en Haute-Volta ?
,!
L'étude du cas de la Haute-Volta nous avait permis,
t
dans l'examen de la période précoloniale,
de tirer des con-
i~
clusions intéressantes,
et par bien des aspects,
représenta-
~l
tives de l'ensemble du SAHEL. L'analyse de l'ensemble des dé-
1
crets promulgués par l'administration centrale de l'AOF, ap-
!,
plicables à la Haute-Volta, nous a donné le ton des transfor-
r
mations qu'impose le colonialisme.
Comment ces textes ont-ils i!,,i!!!r

a
-
386 -
été appliqués en Haute-Volta ?
En 1950 à Ouahigouya, a été formée une commission
comprenant le commandant de cercle (aux pouvoirs puissants
à cette période de "Union Française") et les autorités cou-
tumières du Yatenga, c'est-à-dire son chef suprême, le Yaten-
ga Naba, quelques uns de ses ministres et des "notables" re-
présentant les principales populations de cette société com-
plexe : Yarsé, Forgerons, Silmi-Mossi •.• La commission s'est
fixée comme objectif de codifier,
ne serait-ce que partielle-
ment,
le droit foncier.
Elle a fait paraître un premier texte
en 1950 qui a été repris et développé en 1956 dans un document
dont l'intitulé même révèle l'ambition "coutumier Mossi du
Yatenga". S'appuyant fermement sur les décrets pris dans le
cadre général de l'AOF,
le texte précise deux éléments:
. -----
Le premier c'est sa place:
"Le co~~tmier, dans sa présentation formelle, rentrait
en qUb3que sorte dans la tradition des "coutumiers" qui
avaient fleuri dans la période coloniale de 1910 à 1930
et comprenant notamment les travaux de CLOZEL et VILLA-
MER,
coutumiers de l'Afrique Occidentale française"(l).
Le deuxième élément est une modification apportée
par le coutumier de 1950, exposée dans les termes suivants:
"afin d'éviter des contestations de terrain souvent in-
',.
solubles lorsque l'origine des droits est par trop an-
cienne, la commission décide que l'usage prolongé et
1
ininterrompu d'un champ créera un droit de p r o p r i é t é .
au profit de l'occupant actuel.
Pour pouvoir se targuer
de ce droit,
l'usager devra prouver qu'il a cultivé le
!
1
L
J.L. BOUTILLIER, op.cit, p.62.
1

-
387 -
terrain actuellement en sa possession pendant une pé-
riode de quinze ans au minimum"
(1).
Dans l'esprit du colonisateur,
les premières mesu-
res devraient surtout permettre de saper les bases des struc-
tures précoloniales,
en ébranlant les droits acquis.
Dans ce
sens l'introduction de cette prescreption est révolutionnai-
re.
L'imprescriptibilité de la terre étant un fondement du
droit foncier Mossi et d'avantage de la société voltaïque
elle-même,
cette mesure consacre encore une fois l'affaiblis-
sement des structures précoloniales. Cette mesure permet une
redistribution des droits fonciers sur près de vingt pour cent
des terres cultivées.
"C'était évidemment le but de cette réforme,et ses bon-
nes intentions dans un sens de répartition plus égali-
taire ne sauraient être mises en doute. En effet, grâce
à la prescription,
tous les détenteurs de droits d'usa-
ge précaire l'ayant obtenu depuis plus de quinze ans,
c'est-à-dire en fait,
plus du tiers des champs prêtés,
pouvaient en principe s'en faire reconnaître le droit
d'usage permanent" (2).
Sur le plan social,
cette mesure sape
les pouvoirs du chef de lignage et du "Tengsoba" (le chef de
terre).
Il a pour objectif,
sur le plan économique, de lever
1
les obstacles du foncier traditionnel qui freine l'évolution
1
i
vers un système "libéral individualiste ou collectif". Au ter-l
me de cette analyse,
nous pouvons retenir deux aspects fonda-
1
1
i-
mentaux :
l1~
1.
J.L. BûUTILLIER, op.cit, p.62.
2 •
J.L.
BûUTILLIER, op.cit, p.63.
1
t
1
1
1
t.

-
388 -
!
1
!'1
La mainmise de l'Etat colonial sur le domaine fon-
!
cler
(i) les terres vacantes depuis dix ans appartiennent
à l'Etat colonial français;
(ii) l'immatriculation et l'en~
1.
registrement par l'administration coloniale du titre de pro-
1
priété devient la forme suprême et intangible, garant de l'i- 1
naliénabilité du droit foncier.
![
Dans les conditions précoloniales que nous avons
~•
1
étudiées,
les jachères prolongées assuraient dans l'ensemble
1
la reconstitution de la fertilité des sols ne recevant pas
d'engrais. L'obligation de produire plus sans disposer de
surface supplémentaire et mieux, parfois avec des surfaces ré-
duites (concessions européennes, forêts classées), engendre
une rotation accélérée, une baisse des rendements et parfois
la ruine des sols, en même temps qu'une réduction des res-
sources pastorales. La baisse de la production vivrière est
entre autre la résultante de la destruction de cet élément
des forces productives qu'est la terre, cette destruction se
poursuivra pendant la période néo-coloniale.
2° -
La réforme du foncier.
î
Un peu partout au SAHEL, l'Etat néo-colonial tente
~!
de se rendre maître du s o l : au Niger c'est en 1976 ; au sé-
~
négal la "nationalisation" du sol remonte à'1964. L'exemple
i
de cette "nationalisation" est intéressant pour comprendre la 1
trame des réformes du foncier au SAHEL.
1
f
1
1
!

-
389 -
t,
La réforme foncière au Sénégal date du 17 juin
1
1
1964. Elle se caractérise par un pas de plus dans la direc-
i
1
tion de la suppression des régimes fonciers coutumiers et
1
t
l'appropriation de la terre par l'Etat, principalement la
t
f
bourgeoisie bureaucrate et ses maîtres,
essentiellement
1
l'impérialisme français.
l
. 1
Le premler pas dans la direction avait été effec-
1
tué par le régime colonial qui estimait que "toutes les ter-
res vacantes et sans maîtres" appartenaient à l'empire. Dé-
1
sormais les droits fonciers,
à l'exception de ceux portant
sur des terres qui font l'objet d'un titre écrit, sont affec-
tés à l'Etat.
"Cette disparition totale et immédiate des droits cou-
tumiers n'a pas pour effet de déposséder sur le champ
les occupants qui exploitent personnellement : ceux-
ci conservent l'usage de leurs terres jusqu'à la mise
en place des conseils ruraux qui auront la charge
d'affecter les droits de culture aux membres de la
communauté rurale qui exploitent"
(1).
.
En même temps que cette disposition,
les terres
sont "nationalisées".
"Le domaine national comprend toutes les terres non
classées dans le domaine public, non immatriculées,
ou dont la propriété n'a pas été inscrite à l'excep-
tion de celles sur lesquelles ont été réalisées des
constructions,
installations ou aménagements consti-
tuant une mise en valeur à caractèrepermanentt et qui
font l'objet d'une procédure d'immatriculation ou non
d'une personne autre que l'Etat,
à la date d'entrée en
vigueur de la loi" (2).
1.
R. VERDIER, op.cit, p.83.
2.
R. VERDIER, op.cit, p.83.

-
390 -
Par cette "nationalisation" de 98 % des terres,
l'Etat se donne un degré de liberté plus grand pour inter-
venir à son gré.
Les terres du domaine national sont rangées en
quatre catégories : les terres à vocation non agricole en
zones urbaines et classées,
les terres à vocation agricole
en zones de terroirs (terres exploitées régulièrement par
l'habitat rural,
la culture et l'élevage) et enfin les zo-
nes pionnières (terres non encore mises en valeur).
Les terroirs relèvent des communautés villageoi-
ses qUl devront être créés en vue de leur mise en valeur
et de leur gestion sous la haute surveillance de l'Etat. Le

rôle de ces communautés c'est "de planifier leur propre dé-
1
veloppement (répartition des terres,
réglementation des cul-
1
tures),
de développer les échanges (crédit agricole, commer-
!
!
cialisation des produits), d'autre part "d'éduquer" le pay-
san (vulgarisation technique,
animation rurale). Un conseil
rural "représentatif des intérêts des habitants" du terroir,
affectera les terres de la communauté rurale à ses différents
membres.
L'Etat distribue les zones pionnières à des orga-
nismes sous son contrôle,
et qui doivent se soumettre à ses
consignes. Cette distribution sera d'une durée plus ou moins
longue selon la mise en valeur à réaliser. La délimitation
du terroir a pour objectif essentiel de restructurer le mon-
de rural par "la base et non par le sommet". Le terroir en-

-
391 -
globe à la fois des aspects sociologiques, techniques et
économiques.
Au plan sociologique : le terroir est un ensemble
homogène de terres nécessaires au développement de la popU-
lation.
Il fallait donc procéder à des enquêtes préalables
sur les solidarités intervillageoises pour déterminer le
rayon d'influence des marchés,
coopératives, dispensaires,
lieux de culte,
etc .•• ,
et de n'établir les communautés que
sur la base de la "libre adhésion".
Il s'agit de privilégier
les rapports traditionnels pour créer des solidarités inter-
villageoises,
et d'asseoir des communautés rurales de villa-
ges qui se groupent autour d'un village centre.
Au plan technique : le terroir comprend autant que
faire se peut des terres de cultures, de jachères. de pâtura-
ges et de parcours,
ces boisements régulièrement utilisés
par les villages qu'il couvre,
enfin les terres de friches
jugées nécessaires pour son extension.
Le village est aussi un centre économique : le ca-
dre territorial de la communauté rurale doit permettre le
fonctionnement d'une coopérative agricole. répondant aux cri-
tères de la rentabilité et de la gestion optimale.
Cette réforme va se heurter à une farouche résis-
tance de la part des chefs de terre qui font les frais de la
"nationalisation" •
"Certains chefs de famille refusent de se séparer de
terres qu'ils n'utilisent pas actuellement par crain-
te de les perdre définitivement selon la nouvelle lé-

-
392 -
gislation ; d'un autre côté, des agriculteurs avisés
empruntent des terres par location ou gage et refusent
de les rendre à expiration du contrat en invoquant la
réforme" (1).
Cette réforme donne plus d'autorité à l'Etat néo-
colonial au détriment des chefs de terre. Elle va accélérer
le processus de différenciation sociale à la campagne et ren-
forcer l'individualisme.
"La notion de propriét~ privée gagne du terrain petit
a petit jusqu'aux couches paysannes" (2).
Elle se développe sous la double influence du développement
du capitalisme dans les campagnes et de l'éducation rurale.
Le régime colonial avait essentiellement accéléré la destruc-
tion de l'ancien ordre social sans finir de mettre en place
l'ordre capitaliste. La sécurité et l'assistance garanties
1
par le travail en commun
et les solidarités de groupe,s'ef-
1
fritent lentement pour faire face à une atomicité croissante
if,
,
des "agents économiques". La grande famille patriarcale, la
!
polygamie, font place à la monogamie, à l'apparition d'un
homo economicus dans les villes essentiellement, mais de plus
en plus également à la campagne favorisée par le Catholiclsme
et "l'éducation rurale".
"Le sens de l'évolution se dégage cependant nettement
en faveur des éléments modernistes rationnels,
indi-
vidualistes. A témoin l'évolution non seulement des
techniques de production, mais aussi des régimes fon-
ciers et des structures sociales" (3).
1.
R. VERDIER, op.cit, p.85.
2.
Keba M'BAYE, p.143.
3.
O. AFANA, op.cit, p.lOl.

-
393 -
L'un des phénomènes qui favorise cette évolution,
c'est l'immigration ou encore l'exode rural qui,
inexorable,
brise la famille traditionnelle par l'émancipation économi-
que des cadets vis-à-vis des aînés, l'émancipation lente
mais sûre de la femme. Ainsi le capitalisme brise les soli-
darités,
les liens ancestraux pour substituer surtout à la
période néo-coloniale, des rapports capitalistes qui se dé-
.veloppent lentement surtout à la campagne.
Le système d'éducation rurale est l'un des moyens
les plus efficaces pour implanter la mentalité individuelle
à la campagne. Selon Le THI MAMTRAN et Yvonne MIGNOT-LEFEVRE,
"Le système d'éducation rurale de Haute-Volta (qui fonc-
tionne aujourd'hui depuis plus de dix ans) constitue
une expérience dont les Etats en voie de développement,
confrontés à des problèmes analogues, peuvent tirer des
leçons fructueuses, qu'elles soient positives ou néga-
t ives"
( 1 ) •
Créé en 1961 par décret, un second système est mis
en place pour donner en trois ans dans les zones à vocation
rurale peu scolarisées "une instruction élémentaire et une
.
, , ( 2 )
formatlon rurale et clvlque"
.
1
t
f'1
Mais "l'alphabétisation réalisée en troi~ ans, cons-I
titue un
' b '
, ( 3 )
saVOlr
len fraglle"
• Pourquoi alors dlspense-t-onl
f
L
Revue Tiers Monde,
nO 5960.,
décembre 1974
: "L'éducation
rurale et la diffusion de nouvelles techniques agricoles
en Haute-Volta", par Le THI MAMTRAN et Yvonne MIGNOT-LE-
FEYRE, p. 723.
2.
Article 2 du décret de création de centre d'éducation ru-
rale (CER).
3.
Revue Tiers Monde, nO 5960, op.cit, p.726.

-
394 -
cette éducation ? Le véritable but consiste à :
"développer la créativité des jeunes ruraux,
les ini-
tier aux nouvelles techniques,
leur donner les moyens
de faire naître et diffuser l'innovation agricole, en
les mettant ainsi en conflit avec une société patriar-
c
cale fortement hiérarchisée et dirigée par'les an_
ciens"
(1).
En d'autres termes,
il s'agit de faire d'eux des ferments de
la désagrégation de la société traditionnelle en même temps
que des vecteurs et des propagateurs de l'idéologie indivi-
dualiste.
L'éducation rurale,
les cultures d'exportation,
l'exode rural,
etc "0' sont autant de facteurs qui condui-
sent à l'émiettement des agents économiques, et qui favori-
sent et développent les rapports capitalistes à la campagne.
Parallèlement à ce système d'éducation, se dévelop-
pe "l'alphabétisation fonctionnelle" qui permet une éducation
des paysans dans les langues nationales. Cette alphabétisation
permet aux paysans d'apprendre les rudiments de calculs (les
1
quatre opérations: addition soustraction,
division, multipli-
!
cation), base indispensable pour apprendre à tenir une compta-!
bilité, d'apprendre à réaliser des profits. Tout ceci vise à
1
développer l'esprit capitaliste et la recherche du profit
1
r
chez les paysans.
1
La bourgeoisie n'hésite pas à détruire les forces
f
t,
productives,
en l'occurence,
la fertilité du sol, de même
1
1.
Revue Tiers Monde, nO 5960, op.cit, p.735.
1
1
1
!1
1
f

-
395 -
qu'elle étend les rapports capitalistes dans les campagnes:
Cette destruction des forces productives se retrouve lors-
qu'on examine la situation au niveau de la force de travail.
II/ La force de travail.
Le SAHEL précolonial constitue le lieu d'élection
des grands royaumes qui parviennent à se préserver de la sai-
gnée due à la traite. Les premiers observateurs français de
la fin du XIXème siècle ont été fortement impressionnés par
l'importance quantitative du volume de la population dans le
pays Mossi, mais aussi par la cohésion politique qui y ré-
gnait. Ce constat vaut pour tous les grands royaumes instal-
lés au SAHEL.
Briser cette cohésion, quitte à détruire de fa-
çon systématique la force de travail,
tel était le but de
l'impérialisme. La Haute-Volta fournira successivement à l'é-
conomie de plantation d'abord,
à l'industrie légère ensuite,
l'essentiel de sa main-d'oeuvre active.
"A défaut d'être suffisamment productive chez elle, la
force de travail mossi est fermement sollicitée de se
mettre au service des plantations agricoles et exploi-
tations forestières ivoiriennes" (1).
Même employée dans son pays d'origine,
la force de
travail est soit détruite,
soit utilisee sans précaution au-
cune pour favoriser son maintien et son élargissement.
La population du pays Mossi paraît avoir diminué
ou est restée la même entre les deux guerres (cf les recen-
1.
Revue Tiers Monde,
nO 71, op.cit, p.626.

-
396 -
sements administratifs). La destruction de la force de tra-
vail emprunte plusieurs voies,
nous examinerons principale-
ment deux de ces formes
: le travail forcé et les déportations
et migrations.
1° -
Le travail forcé.
Le travail forcé signifiait pour les populations
du SAHEL d'être réquisitionnées par les autorités
: chefs ad-
ministratifs, militaires,
"traditionnels. Cette réquisition
n'épargnait personne : vieillards,
enfants,
femmes et surtout
hommes valides,
"marchandise de premier choix", étaient oc-
cupés, quelquefois loin de chez eux, à des travaux publics
(routes et ports par exemple),
au portage des administrateurs
ou au service personnel des colons.
"Sur le plan démographique,
le travail forcé a coûté
des centaines de milliers de vies humaines,
d'abord
parce que les travailleurs ne réussissaient pas à
s'adapter à la nourriture et au climat de leur lieu
de bagne,
ensuite parce qu'ils étaient traités plus
durement que les esclaves"
(1).
A long terme,
le travail forcé a détruit aussi bien
des familles que des villages,
en y augmentant la mortalité
infantile, tout en diminuant la natalité dans le lieu d'ori-
glne comme dans les lieux où était pratiqué ce travail forcé.
Il a accentué la dissémination du peuplement africain, en di-
minuant et dispersant de nombreux centres urbains.
1.
O. AFANA, op.cit, p.39.

-
397 -
D'un point de vue économique,
le travail forcé a
donc prolongé et accentué les bouleversements instaurés par
la traite.
"Le recrutement par contrainte, dit le père AUPIAIS,
va priver le village, au moment opportun, des bras
nécessaires au défrichement, aux semailles ou à la
"saison". Le fait de ne pas s'acquitter à temps de
ces opérations saisonnières ne peut que provoquer
la famine dans ces économies essentiellement agri-
coles. Or les survivants parmi les travailleurs
forcés sont retenus loin de chez eux pour des mois,
voire des années, quand i l s'agit de chantier comme
le chemin de fer ou des routes"
(1).
Pour la construction des chemins de fer,
les re-
crutements sont effectués principalement en pays Mossi. En
1922 la Haute-Volta doit fournir 6.000 travailleurs, renou-
velés tous les six mois pour l'achèvement du Thies-Kayes. A
ces "Mossi" s'ajoutent les Bambara recrutés au Soudan. Elle
doit aussi fournir 2.200 pour le chemin de fer de Côte-d'Ivoi-
re : cette fourniture se poursuivra avec des hauts et des bas
jusqu'en 1939. A cette époque, seule la contrainte oriente la Il
main-d'oeuvre vers la basse Côte-d'Ivoire: 28.000 en 1928 et
38.000 en 1929.
1
Les "recrutements" dont nous avons fait état, ne
1
comprenaient pas les "prestations" de travail (à raison de 10_!
à 12
jours par an en principe)auxquelles sont soumis tous les 1t
contribuables sauf rachat.
1
1
D'ailleurs ce taux officiel est généralement outre- 1!
passé
comme pour l'impôt, on "accorde" en journées de pres- !
r
1
1.
"Hiérarchie catholique et morale coloniale". Tam Tarn,
Paris.,
1954, nO 2, p.24.
!
1

-
398 -
tation chaque canton d'après sa population au recensement
officiel : les journées dues par les morts et les absents
se répartissent entre les présents.
Le travail forcé a considérablement aggravé le
mal qu'il prétendait guérir:
i l a fortement accentué la
carence quantitative de la main-d'oeuvre, mais aussi la ca-
rence qualitative, car i l a créé chez les populations afri-
caines en général et du SAHEL en particulier, un vif dégoût
pour le travail manuel.
Le travail forcé vu sous tous ses aspects, n'épar-
gnait personne. Les "recrutements" et le portage pouvaient
conduire au déplacement des populations, mais même lorsqu'on
restait sur place,
les"prestations" de travail venaient gre-
ver le temps de travail nécessaire pour ses activités person-
nelles et donc la production dans son ensemble et la produc-
tion agricole notamment.
2° -
Déportation et migration.
Les courants migratoires se développent, mûs par
deux causes
- Les migrations spontanées
: les jeunes partent
généralement pour gagner l'argent de l'impôt ou pour subve-
nir à leurs besoins multiples.
- Les migrations provoquées : aux "recrutements"
pour les travaux publics,
le chemin de fer,
l'armée, s'ajou-
tent ceux destinés aux entreprises privées, les exploitations

-
399 -
minières,
les plantations.
Les migrations spontanées sont dans la majeure par-
tie des cas, saisonnières. Les plus anciènnes et les plus im-
portantes sont celles des "Navétanes" au Sénégal et des "Mos-
si" vers la Gold Coast
(Ghana).
Le centre de gravité de la
production arachidière s'est déplacé dès 1914 du Cayor vers
le Baol, puis vers le Siné-Saloum avec le progrès de la voie
ferrée.
Dans les régions nouvellement mises en valeur,
la
main-d'oeuvre est insuffisante.
Il faut par conséquent un cou-!
rant qui draine vers elles la main-d'oeuvre des régions aux
!
sols épuisés. Le Navétane [(travailleur d'hivernage) "Navette"
en Ouolof signifie hivernage] est apparu avec cette nécessité.
En 1936 on dénombre 76.000 navétanes dont 12.000
des régions "du fleuve"
(Fouto-Toro), du Oualo devenu semi-
désertique et du Cayor. Le gros des effectifs vient de l'ex-
térieur du Sénégal. Les Bambara,
les Malinké,
les plus nom-
breux, viennent du Soudan occidental (Mali) ou de la Haute-
Gambie (environ 35.000). Excellents cultivateurs,
ils sont
fort appréciés.
r
1
Le deuxième contingent est composé de Peul du Fouta-!,
DjalOn~ Plus,précisément de la région surpeuplée du Labé. Ils 1
sont vlngt mllle en 1936.
1
,
Le navétane apporte son travail et quelques outils ;1
le "diatigui",
loueur de terre, fournit le logement la nour-
1
riture,
les semences, de l'outillage complémentaire et alloue 1
1
1

-
400 -
au navétane, pour une saison, un terrain que ce dernier cul-
tivera à son profit. Sur le champ du "diatigui", le navétane
travaille quatre "matinées" par semaine ( de 6 heures à 15
heures)
le mardi, le mercredi,
le samedi et le dimanche.
Les après-midi et les journées du lundi, du jeudi et du ven-
dredi sont laissés au navétane qui travaille son propre champ.
Ceci est valable seulement au Siné-Saloum. Dans ce cas, le
propriétaire de la terre reçoit une rente en travail.
En Casamance,
les conditions sont différentes ; le
temps de travail réservé à l'employeur peut s'élever à trois
jours par semaine, ou bien le navétane doit abandonner à ti-
tre de location, dix à vingt pour cent du produit de ses
champs personnels. Le navétane peut être contraint dans ce
cas à pratiquer des cultures intercalaires de mil, dont le
produit reviendra à l'employeur.
Ici la rente en travail est
associée à la rente en nature.
"Le navétanat est en général individuel. On cite toute-
fois quelques exemples de "tâcheronnat" : contrat con-
clu avec un navétane "contremaître", qui emploie cinq
ou six journaliers à la tâche dans le secteur pionnier
du cercle de Tambacounda"
(1).
La location proprement dite (sans prestation de
travail au loueur) est pratiquée par les jeunes du Cayor et
du "fleuve" (les "Baragnini") pendant la récolte qui viennent
se joindre au navétane.
1~~'
i
"
f,
i
1
,
1.
J. SURET-CANALE, op.cit, p.313.
r

- 401 -
D'un point de vue alimentaire,
le navétane est bien
nourri par le logeur jusqu'à la période de soudure où le lo-
geur se montre chiche vis-à-vis de lui.
Le navétanat n'est guère favorable à une agricultu-
re rationnelle.
Il ne ménage pas ou ne ménage que très peu le
champ, dont i l n'a rien à espérer après la récolte; son seul
souci est d'en tirer le maximum pour la salson,
au mépris de
l'avenir. Le revenu du navétane est généralement modeste. De
1920 à 1930,
i l a oscillé entre quelques centaines de francs
et un maximum de 2000 F cFA par an.
La migration vers la Gold-Coast représente à cette
époque un phénomène d'une ampleur non négligeable. En 1930,
plus de douze mille sujets français sont recensés en Gold-
Coast.
La migration spontanée des Mossi vers le Ghana peu
avant 1939, peut être évaluée à cent mille selon DELAVIGNETTE.
Les éléments jeunes allaient en Gold-Coast pour fuir les cor-
vées et le travail forcé,
mais aussi à cause des conditions
de travail nettement meilleures dans ce pays. En Gold-Coast
(Ghana),
les salaires varient entre deux livres dix shillings
et quatre livres dix shillings (soit 300 à 540 F) sans ration
alimentaire. Une chambre à Kumasi coûte quinze shillings par
mois, et les repas au restaurant africain, six pence par jour.
En Côte-d'Ivoire,
les salaires officiels (pas tou-
jours respectés),
compte non tenu de la retenue de pécule,
s'élèvent à 160 F par mois plus une "ration" quotidienne en

- 402 -
nature d'une valeur mensuelle de 57 F environ.
Le travailleur gagne plus en Gold-Coast et n'est
soumis ni à la retenue de pécule, ni à la servitude de con-
trat de longue durée comme en Côte-d'Ivoire. Les employeurs
pratiquent l'engagement verbal,
renouvelable à la semaine ou
au mois. Seule la contrainte oriente la main-d'oeuvre en di-
rection de la basse Côte-d'Ivoire.
La Haute-Volta a fourni huit cents mille immigrants
"temporaires" ou "définitifs", au rythme moyen annuel de
30.000 migrants durant la décennie 1950-1960 et de 40.000 la
décennie suivante.
Aux "recrutements" et aux "réquisitions" destinés
à pourvoir les chantiers, les entreprises privées et les plan-
tations,
s'ajoute le recrutement pour l'armée coloniale.
A l'Office du Niger,
c'est la colonisation agricole
indigène des terres qui demandait une main-d'oeuvre abondante
et définitivement fixée. On puisa dans les réserves démogra-
phiques du pays Mossi (spécialement dans le Yatenga plus pro-'
che). Dans le "recrutement",
la pression administrative a été
déterminante. Comme pour la conscription pendant la guerre de !
1914,
les chefs Mossi envoyèrent à ce bagne des captifs ou desl
éléments "inutilisables" et "indésirables".
!
La mission BELIME de 1919 à 1921 envisageait la
f~
transplantation d'un million et demi de Mossi au mépris de toui
,
1
tes les conséquences démographiques que ce déplacement pouvaitj
1
entraîner. En 1937, on ne parlait plus que d'en implanter huit 1
1
f
f
1
t

- 403 -
cents mille. A la veille de la seconde guerre mondiale,
les
"recrutements" répétés, n'avaient heureusement permis d'en
installer que huit mille.
Les recrutements pour la première guerre mondiale
engloutiront 211.000 hommes de 1914 à 1919. Les neuf dixiè-
1
mes de ces recrues sont originaires d'AOF,
et seulement cent
1
soixante quatre mille furent engagés sur les fronts européens;1
24.762 hommes sont ainsi "morts pour la France" sans compter
1
les disparus et ceux qui sont revenus impotents, donc inaptes
au travail. La deuxième guerre mondiale sera une autre occa-
sion pour saigner l'Afrique:
80.000 hommes seront transplan-
tés en Europe entre 1939-1940. Un nouveau contingent de cent
mille hommes y sera acheminé entre 1943 et 1945.
La période néo-coloniale n'a pas fondamentalement
changé le sens de ces turbulences migratoires. Une enquête de
1
1961 indique que 8 % de la population active masculine est
absente en pays Mossi. Une autre faite en 1972-1973 montre
que 20 % de la population masculine est absente du milieu ru-
1
ral,
et que 6 %(1) des femmes les ont suivis.
Au total, ces fléaux démographiques nous permettent
1
r
de retenir que les Etats du SAHEL les mieux pourvus dans le
domaine démographique seront délibérément dépeuplés avec les
1i
conséquences suivantes :
i~.
1
!!~
i
1
1.
Revue Tiers Monde, nO 71, op.cit.
1
1

-
404 -
1
!i
- Sur le plan quantitatif comme qualitatif,
les dé-
portations, les migrations,
le travail forcé,
entraînent une
1
r
baisse de la force de travail disponible. Le vieillissement
f
prématuré de la population qui s'en suit, avec une pyramide
- !
,
i
des âges totalement déformée,
en est la preuve évidente.
La baisse de la production vivrière (l'insuffisan-
1
ce alimentaire notamment) est le corollaire de la forte ré-
!
duction de la population active agricole.
Les mutations sociales se trouvent,
de fait,
faci-
litées et les royaumes comme le royaume mossi qui perdent
leur sève dans ces opérations, voient leur autorité s'effri-
ij
1
ter. L'apparition du salariat est en partie une conséquence
î
!,
de ces mutations sociales.
- Sur le plan régional,
les pays du SAHEL en tant
que fournisseurs de main-d'oeuvre aux pays côtiers (Ghana,
Côte-d'Ivoire, etc .•. ), sont les plus sacrifiés. Le déve-
loppement inégal des pays de l'Afrique de l'Ouest, qui se
perpétue encore aujourd'hui,
se trouve accéléré dès cette
époque. Le rôle assigné à ces pays depuis l'époque colonia-
le n'a pas sensiblement évolué;
"l'administration française attend essentiellement du
pays Mossi qu'il joue son rôle dans le dispositif co-
lonial : assurer sur place,
avec ses hommes et ses
ressources,
le fonctionnement de l'appareil adminis-
tratif et prêter main forte à la métropole en lui !---
fournissant des soldats et des produits tropicaux
utiles"
(l).
,
1.
Revue Tiers Monde, n° 71, op.cit, p.625.
~!.
f
f

- 405 -
La situation se détériore d'autant plus au nlveau agricole
que les moyens de production demeurent ceux que les paysans
maniaient pendant la période précoloniale.
111/ Les instruments de production.
Les outilS,
les pratiques culturales sont encore
aujourd'hui ceux que nous avons décrits pendant la période
précoloniale, pour l'essentiel;
les autres innovations se
situent dans le domaine de l'engraissement des sols. Malgré
ces petites améliorations,
les rendements ont en général
stagné. Certains auteurs imputent cette situation à la dif-
ficulté d'assimilation des techniques nouvelles complexes.
Nous avons souligné avec force que les paysans africains
avaient un esprit ouvert lorsque nous abordions la question
des plantes alimentaires, ce n'est donc pas un phénomène de
rejet systématique qui prédomine pour l'assimilation de ces
techniques. Restent donc les obstacles insurmontables dans
le domaine de capacité intellectuelle d'assimiler la com-
plexité de la technique occidentale. L'habilité de multiples
autodidactes (mécaniciens,
réparateurs de bicyclettes, de
postes de radio, de montres,
etc ••. ) dans tout le SAHEL,
sont autant de témoignages vivants, qui prouvent s ' i l en
était encore besoin, que l'Afriqain possède des capacités
d'assimilation intellectuelle et technique vastes, à l'ins-
tar des autres races et peuples du monde entier.
Les enquêtes réalisées en 1960/1961 dans le cadre
des opérations mondiales d'investigation statistique ont

- 406 -
porté sur 295.000 exploitations de cinq régions du Sénégal
Thies. Baal. Siné Saloum. Sénégou oriental. Casamance. à
l'exception de la vallée du fleuve.
Les résultats se présen-
tent comme suit :
TABLEAU N° 16
: ~~~ÈE~_~~~~E~~!~~~!~~~_~~_~~E~E~i~i~~
~~~~!~~~~_~~!~~~~_~~_EE~~~~~~_~~~~~!!!~g~
L'indication du tableau de la B.C.E.A.O "pas d'ou-
tils" recense ceux qUl ont les outils traditionnels (daba.
houe. etc ••• ).
Il apparaît nettement au regard de ce tableau
que l'outillage est peu développé dans les exploitations agri-!
cales : 34 % seulement des superficies sont cultivées avec
semoir. 5.6 % avec charrue et l % avec herse. La taille

- 407 -
moyenne des exploitations avec outillage est plus élevée que
la taille moyenne de l'ensemble des exploitations recensées
qui est de 3,63 ha.
Une enquête agricole en 1966-1967 recensait envi-
ron cinq labas par exploitation pour l'ensemble du Mali. Avec
l'introduction et la place prépondérante occupée par les cul-
tures de rente, nous pouvons constater çà et là l'apparition
de la traction animale et l'utilisation de l'engrais. Les
techniques agricoles sont introduites donc en fonction de la
capacité du capitalisme à soumettre à son profit le secteur
agricole. Au Mali de 1975 à 1976, le nombre de multiculteurs
est passé de 33.365 à 40.555, soit une augmentation de 21,5 %
et celui des charrues de 100.010 à 106.704 ; l'augmentation
est de 6,7 %. Les charrettes qui étaient de 407.108 en 1975
ont atteint
52.204
en 1976, soit 10,8 % de plus.
Dans la zone cotonnière, on recensait en 1974/1975
[
31.176 charrues (31,2 % de l'équipement national), 17.639 mul-j
::c::t:::: :::::a:n:: :::::n::t;:::"~: ::'::::~::::t":e:C::'_ 1
tiles) possède 44.601 charrues (41,8 % de l'équipement natio- !;
1
nal). En 1978, les 30.973 multiculteurs existant à la CMDT
représentaient 76 % environ des multiculteurs inventoriés au
.
.
(1)
nlveau natlonal
.
1.
Données statistiques du Mali.,
juillet 1977, op.cit, et
le Docteur N'GOLO TRAORE, directeur général de l'Insti-
tut d'Economie Rurale du Mali, dans : "causerie-débats"
sur le thème:
le développement rural: l'expérience ma-
lienne.

- 408 -
Au total, un outillage qui a peu évolué en raison
des minces progrès du capitalisme à la campagne, mais évolu-
tion tout de même avec la mainmise du capitalisme qui s'exer-
ce surtout sur les cultures de rente : les ventes croissantes
du matériel agricole attestant ces progrès infimes du capita-
lisme dans les campagnes. Au cours de la campagne 1975-1976,
323 charrues ont été vendues. et au cours de celle de 1976/
1977, 1.665 l'ont été.
soit cinq fois plus de ventes. Les
prévisions pour 1977/1978 font apparaître une vente de l'or-
dre de 5.500 charrues.
Les semoirs vendus en 1975/1976 ont été au nombre
-11
1
de 541 et de 1.338 durant la campagne 1976/1978. Les prévi-
1f
1
sions sont de l'ordre de 3.500 semoirs en 1977/1978.
Î
Les herses étaient 44 en 1975/1976
; en 1976/1977
!l
i l Y en avait 77 et les prévisions ont été établies pour 1977/1
1978 sur le nombre de 300 herses.
L'introduction des techni-
1
ques et du matériel agricole rencontre d'énormes difficultés,
.
i
c'est parce que le capitalisme ne raisonne qu'au niveau de la ~
demande, principalement de la demande solvable (celle qui peut!
payer). Cette demande solvable au SAHEL,
est très réduite,
1
1
surtout pour le matériel agricole qui coûte relativement cher.!
Un regard jeté sur l'utilisation des engrais montre,f
à peu de choses près, les mêmes signes.

TABLEAU N° 1 7
: .p}~_t..r}.È..~t}_o_~ _d_e_ ~_e.!lI_e_n_c:..e~J_ .!_o_niLi_c}_<:!.e~.1 __e_~g.!"_~i~__e_t_.!'!..~t_é.!"_~e_1__aiL:,:.i-.c.?_1_~
_~l!.13_é_~éiL~l__l~~ _t..0~!2.~sJ_
,
,
!
!
!
!
!
Semences arachides
!
!
,---------- ---T----------,
Fongi-
,
Engrais
,
Campagnes
.
.
Houes
!


% d
.
Semoirs
!
0
e

cides
Arachides

Tonnes
, sé1ec-
; tionnées
----------------- ------------- ----------,---------,------------,------------,------------
.
.
.
.
1964 -
1965
76.601
63,1
!
62
!
31. 214
!
7.414
!
19.269
1965 -
1966
74.335
58,6
!
66
!
28.212
!
9.000
!
16.550
!
!
1966 -
1967
78.670
59,6
!
76
!
38.281
!
21.000
!
14.127
!
!
!
!
1967 -
1968
90.775
66,7
!
62
!
48.241
!
28.000
!
17.416
:
~
0
.
25
ID
1968 -
1969
88.530
72,6
23.497
24.771
12.416
1969 -
1970
87.530
79,3
95
11, 589
16.724
7.667
1970 -
1971
88.909
84 ,2
98
6.491
6.311
2.836
1971 -
1972
101,431
84,3
81
12.287
15.895
9.297
1972 -
1973
109.509
84,1
85
20.402
22.931
13.419
1973 -
1974
117.112
20,3
68
20.938
18.522
11.146
1974 -
1975
114.920
7,5
108
28.639
26.140
16.478
1975 -
1976
134.486
68,1
108
36.893
31.724
19.278
:
Source : B.C.E.A.O,
nO 233.,
novembre 1975.
___
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"_.~~
""=_".~·,~.~_.,..,~,.,~_.,-_,
~_,
....,._..."......~o~<-.,_.,...,."''''''_'.'''''''''"

- 410 -
L'importance de l'arachide dans l'économie séné-
galaise a déjà été démontrée.
Pour l'instant, cette étude
indique l'importance des engrais et du matériel agricole
dans la culture de l'arachide, culture de rente par excel-
lence. Malgré le fléchissement dû à la sécheresse des années
1972-1974, on peut noter dans l'ensemble une légère augmen-
tation du matériel et des engrais, malgré le fait que l'ara-
chide est une culture ancienne dont la production est impor-
tante.
Au Mali également, ce sont les cultures de rente
qui absorbent l'essentiel des engrais chimiques de 1967-1968
à 1973-1974. On relève Il.205 sachets pour les céréales et
18.556 pour l'arachide en 1970-1971. Cependant, un effort
minime a été fait à partir de 1974-1975 en faveur des céréa-
les,
ce qui donne les résultats suivants en 1977-1978
les
céréales ont absorbé 53.149 sachets contre 224.000 pour l'a-
rachide.

TABLEAU N° 18
~~~~~~~~!~~_~:~~g~~!~_i~~~~~~2_~~_~~_~~~~!~i~~~_i~~~~~
~~2_~~_~~~2=~~2ê_!
_0..:.A:S..:_V_j.9'p_é.!_a.!-J_o_n3_Ar_a_cllLd_e3__~~S_u]._~~_e_s_'yJ'y-"rJ_è.!_~sJ_
,
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CAMPAGNES·
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Produits
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!
,-------T-------T-------T-------T-------T-------T-------T-------T-------T-------T-------,
;1967-68;1968-69;1969-70;1970-71;1971-72;1972-73;1973-74;1974-75;1975-76;1976-77;1977-78'
·
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
---------------------------,-------,-------,-------,-------,-------,-------.-------.-------.-------
.
.
.
.
.
.
,
,
Engrais
!
!
-
!
Tonnels
,
-
!
,
,
-
!
-
-
-
!
,
,
-
! 3,877
363
!
129
!
517
1
1
1
Arachide
i 118,50 i 320 i370,760; 124
1521
1972,00'2622,49'2356,90
3437 ,6 ; 2549,6 ; 3173, 2
.
l
,
,
1
.
!
!
-----------~-------~-------~-------;------- ------- ------- ------- ------- -------,-------,-------
.
.
.
·
·
.
!
!
!
!
1
Total
!
118
!
320
!
370
!
124
1521
1972
2622
2359
engrais
3800
!
2678
!
3790
!
~
!
!
!
!
!
!
!
1-'
1-'
!
! ! ! !
!
!
!-----------~-------,-------,-------,------- ------- ------- ------- ------- -------.-------a--_____
,
Fongicides,
,
2633
11381
13205
! 13087
20135
! 17476
! 14989
céréales
!
,
37347
,
! 44685 ! 35120
·
·
,
! 53149
,
1
1
1
1
1
Arachide
· 6982
!
i 10491
18556
; 11229
22491
i 20732 i 33482 i 36054 i 51575 i 38762 i 52224
!
!
!
!
!
!
!
!
!
--------------------------- -------!------- -------,-------.-------.-------.-------.-------.-------
!
Total
!
!
1
9615
! 21872
24316
! 29761
42626
fongicides;
! 38148 ! 48471
! 73401
! 96260
!
73882
! 105374

.
Source
Docteur N'GOLO TRAORE de l'Institut d'Economie Rurale
"Le développement rural:
l'expérien-
ce malienne".
Bamako., février 1979, p.36.

TABLEAU N° 19 : _C_0!1_s_o~_~t_~~n__~'_e_n.sL:r:..~i_s__e_t:._d-'_~n_s_e_c.!=-J_cJ_~e_~_d_e
__Jj)ÉJ 11U.9__~ _lJJ_8_-_1JJJ_
Zone C.M.D.T.
-------------
T
,
,
CAM P A G NES
Produits
- - - - - --"1 - - - - - - - T - - - - - - - T - - - - - - -1'- - -- --- T - - - ----T- - - - - --T - - - - - - - T-- - - - - - T - - - - - - -
1969-70l1970-71 l1971-72l1972-73l1973-74 l1974-75l1975-76l1976-77l1977-78l1978-79
1
l
.l:>
----------------------------------------------!-------.-------.-------.-------.---------------
t--'
N
l
l
l
l
l
Engrais
l3658,95l5196,75l8272,25l7562,85l9691,50l7116,90l9505,05l11311,2l11953,8l13420,8
en tonnes
--------------l-------
------- r------- -------!-------f-------
l
Insecticides l 387589
630741
904159
780000 l 613000 lll16109l1067000l 861660
en litres
l
970974
!
!
l
Source
Docteur N'GOLO TRAORE, op.cit, p.37.
~---'----~-'"---"--'
"7
_,.,........
,

- 413 -
L'évolution dans l'ensemble montre une progression
des engrais et des fongicides, mais cette progression demeu-
re essentiellement favorable à l'arachide qui représente ici
la principale culture de rente. La quantité d'engrais desti-
nés aux céréales est négligeable sinon inexistante entre 1967
::~:7:e;1:nq:::::::7::s::::eS~é::V:u:t::::~::::h:::~~~é::~ ',1
lution de la quantité de fongicide est beaucoup plus équili-
t
l
(
brée.
Qui profite des applications d'engrais et des pré-
bendes des services de vUlgarisation agricole mis en place
au SAHEL ?
i
"Là encore,
les cultures de rente absorbent l'essentiel
i
des activités : coton dans la zone CMDT, arachide dans
f
la zone OACV. La politique de développement rural in-
~
tégré fait que dans ces zones,
les céréales profitent
des équipements acquis grâce aux cultures de rente"(l).
1
Mieux que dans les autres sphères de l'agriculture,
1
,
,
le capitalisme a enfoncé ses tentacules dans les cultures de
1
1
, .

' .
1
rente; c'est donc a ce nlveau que les lnvestlssements produc-!;
tifs se concentrent. Cependant d'un point de vue d'ensemble,
1

"
.
.
t
les moyens de productlon sont demeures, pour 1 essentlel, ceux 1
de la période précapitaliste, donc inadéquats pour répondre
!,
aux exigences nouvelles de la production. Cette inadéquation
est propre au secteur des moyens de production.
1.
Docteur N'GOLO TRAORE, op.cit, p.55.

-
414 -
SECTION II
: LES PARAMETRES LES MOINS MAITRISES.
L'introduction du MPC au SAHEL consacre d'abord et
surtout la prééminence des rapports de production capitalis-
tes. La maîtrise des forces productives exigeant des inves-
tissements productifs importants,
l'impérialisme ne peut s'y
hasarder sans créer des mutations incontrôlables : la corres-
pondance des forces productives avec les rapports de produc-
tion capitalistes risque de briser et de réduire à néant la
position des alliés actuels de l'impérialisme, notamment des
forces féodales.
Cette évolution ne peut se faire sans créer
une bourgeoisie nationale forte,
à l'instar de la bourgeoisie
japonaise, dont les velléités d'~pépendance se transformeront 1
rapidement en concurrence acharnée avec les anciens maîtres.
Mais surtout, cette perspective peut faire craindre l'entrée
en lice d'une classe ouvrière dont la stature sociale peut
entraîner des bouleversements profonds. Ces craintes expli-
quent la mainmise de l'impérialisme dans tous les domaines
1
(économique, politique, culturel, etc ••• ) au SAHEL mais aussi 1
l'inconsistance des investissements consacrés au moyen de pro-I
duction, aux sols, à l'hydrographie. Ces variables constituent 1
1
,
. . .
. ,
. ,
l'
1
les parametres les m01ns ma1tr1ses actuellement, qU1 a
ave-
f
nir, peuvent l'être un peu mieux.
Parmi les forces productives~
la variable démographique demeure celle dont la maîtrise est
f
la plus faible.
Dans ces conditions, nous étudierons :
Il Le cadre physique.
III Les conditions humaines.

inà
- 415 -
Il Le cadre physique.
Le SAHEL à l'origine s'étend du Sud du Sahara à
l'isohyète 700 mm, mais correspond aussi à la partie septen-
trionale de la zone soudanaise. Aujourd'hui,
le déficit ali-
mentaire quasi permanent a été le prétexte pour justifier
l'extension de cette zone jusqu'à l'isohyète 1.000 mm. Les
critères purement physiques que certains auteurs utilisënt
pour caractériser cette zone,
présagent généralement l'impor-
tance qu'ilS accordent aux facteurs physiques dans la respon-
sabilité du déficit alimentaire.
Trois facteurs retiennent généralement l'attention
(i) le total des précipitations annuelles inférieur à 1.000
mm ;
(ii) la durée de la saison sèche supérieure à celle de
la saison des pluies;
(iii) l'évaporation mesurée à la sur-
face d'eaux permanentes supérieure à deux mètres par an.
Pour mémoire,
signalons que le total des précipita-
tions se situe en moyenne autour de 750 mm en France, mais ce
1
pays n'est pas considéré comme une région sèche. Cette défini- 1
!
tion étroite fixe les limites du SAHEL à l'intérieur de vastes 1
Etats (exception faite de la Haute-Volta et du Sénégal pour
1
les pays francophones),
sans grands reliefs et en majorité
1
désertiques.
t
~
f
Cette définition évite soigneusement de souligner
l'état de dépendance de ces pays pour s'en tenir à leur si-
tuation géographique; d'autres même lorsqu'ils abordent les
questions politiques et économiques relatives à ces pays,
re-

- 416 -
fusent de leur donner l'importance qui leur revient;
ils
s'obstinent à privilégier les facteurs physiques. Pour no-
tre part, nous ne minimiserons pas ces aspects, mais nous
tenons à leur donner la véritable place qui est la leur.
Hormis le Sénégal et la Mauritanie,
les autres
Etats du SAHEL sont des Etats enclavés. La Haute-Volta se
trouve à 1.000 km environ de la mer,
le Niger à 750 km,
etc ...
Les critères physiques qui caractérisent le SAHEL
recouvrent les domaines du climat, de l'hydrographie, mais
aussi de la pédologie. Nous étudierons successivement ces
trois aspects afin de mieux situer l'importance de ces fac-
teurs physiques.
1° - Le climat.
Les conditions climatiques d'un espace géographique
sont fonction de la circulation des masses d'air. En janvier
(l'hiver en Europe), deux centres de hautes pressions s'ins--
tallent au SAHEL,
l'un au-dessus du Sahara,
l'anticyclone des
Açores,
l'autre au-dessous du Sahara. Ces masses d'air conti-
nentales dominantes,
déterminent le climat de l'Afrique de
l'Ouest à cette période de l'année: c'est la saison sèche.
Le vent qui sévit au SAHEL est sec et d'origine saharienne,
i l s'appelle l'harmattan.
Le jour s'installe une chaleur caniculaire qui cède
la place à un froid nocturne. Les amplitudes thermiques sont

- 417 -
à cette époque de l'année très élevées.
En juillet (été en Europe),
les centres de hautes
presslons remontent vers le Nord. L'anticyclone des Açores
passe alors vers le Sud de l'Europe. Les masses d'air gon-
fIées d'humidité,
après passage sur l'Atlantique Sud et le
Golfe de Guinée, envahissent le continent et s'y avancent
très profondément. La saison des pluies prend le relai de
la saison sèche sur tout l'Ouest africain, c'est l'hiverna-
ge.
Deux types de climats prédominent dans le SAHEL
le climat soudanien et le climat sahélien.
Le climat soudanien
"occupe la zone située immédiatement plus au Nord, qui
s'entend dans le sens des parallèles du Sud sénégalais
jusqu'au Tchad et à l'Oubangui" (1).
Ce climat se caractérise par une alternance de sai-
son de pluies (correspondant grosso modo à l'été) et de sai-
son sèche (correspondant grosso modo à l'hiver). La saison
sèche y est longue (huit mois environ dans l'année et progres-
se au fur et à mesure qu'on s'avance vers le Nord) mais sur-
tout y demeure
plus rigoureuse (il n'y a plus une goutte de
pluies) •
C'est la savane qui est ici la formation végétale
dominante. Le tapis végétal n'y est exubérant que pendant la
L
J.
SURET-CANALE
: "Afrique Noire, géo~raphie, civilisa-
tion et histoire".
Paris., 1973. Editlons Sociales, p.28.

-
418 -
saison des pluies. L'agriculture est soumise à ce régime des
pluies : les cultures sèches pratiquées à la saison des pluies
{mil, sorgho, niébé, arachide) ont besoin d'une répa~ition
des pluies régulière au cours de la période pluviale, en rai-
son de la non exploitation judicieuse des propriétés hydrau-
liques. Altération du climat tropical,
le climat sahélien
constitue la transition avec le désert. La saison des pluies
se réduit lCl à quelques semaines. La moyenne annuelle tombe
au-dessous de 500 à 600 mm. Du point de vue de la végétation,
la savane fait place à la steppe. Les étendues herbacées do-
minent,
souvent discontinues,
laissant peu de place aux bou-
quets d'arbres ou aux arbres isolés. Les espèces sont adaptées
à la sécheresse prolongée : les herbes courtes sont plus dures
et souvent épineuses. L'arbre fait place aux arbustes. Cette
zone s'étend du Nord du Sénégal jusqu'au Tchad, bordée par le
désert.
Rigoureux dans son ensemble,
ce climat demande à
être exploité de façon judicieuse, car il appartient princi-
palement à l'homme de s'adapter aux climats, non l'inverse
(adapter son travail agricole,
ses techniques, ses cultures ;
au besoin,
i l s'agit de repousser au maximum les contraintes
climatiques).
Pour l'instant, on peut noter que le Sahélien
a assez bien réussi à s'adapter à ce climat pendant la pério-
de précoloniale (cf.
notre analyse du chapitre deux de la pre-
mière partie), car si l'alimentation n'était pas toujours
abondante, elle était globalement suffisante. D'ailleurs,

- 419 -
1
'1;
f
"le problème de l'alimentation ne peut se ramener à
une simple lutte contre une nature ingrate et ca-
pricieuse" (1).
L'incrimination simple du climat, pour justifier les problè-
mes duimentaires du SAHEL, nous paraît trop simpliste pour
mériter une discussion plus approfondie. Nous ajouterons que
1
la crise des produits vivriers qui se développe et s'ampli-
\\
fie dans le contexte actuel, dépasse largement le cadre étroit!
1
du SAHEL
mieux, posée dans les termes que nous connaissons, 1
1
,!
l'équation alimentaire ne date pas de longtemps. C'est pour-
1
quoi, autant on
doit être attentif aux aspects climatiques
!
1
de la question de la faim,
autant il faut éviter de centrer
!
,
exclusivement l'attention des observateurs sur ce que R. GI-
!
BRAT a appelé des "sophismes" tels que le climat, l'hydrogra- 1
f
}
phie, etc •••
1
2 0 -
Hydrographie.
Il existe deux fleuves au SAHEL : le Sénégal et le
Niger. Outre ces deux fleuves,
nous avons le Lac Tchad et les
trois Voltas qui convergent pour donner le fleuve Volta à
l'intérieur du territoire ghanéen.
A part ces cours d'eau,
il en existe d'autres de
moindre importance
le Sourou en Haute-Volta,
le Chari au
Tchad,
le Bakoy au Mali,
etc •.•
1.
Revue "Le monde en développement",
n° 24., 1979 : "Pro-
blèmes de cliinat et tiers monde", par Robert GIBRAT,
p.742.

- 420 -
Dans les pays du SAHEL comme dans bon nombre de
pays "sous-développés", les fleuves et les cours d'eau n'ont
pas été domestiqués : les inondations saisonnières n'y sont
pas contrôlées.
La vallée du fleuve Sénégal en Mauritanie dispose
de ressources en eaux de surface considérables mais très ir-
,
.,
(d
. .
d
3
, .
d
'
regulleres
e quelques mllllers
e m
en perlode
e crue a
3
' " )
, t . J O
, I !
1
mOlns de 10 m
pendant l'etlage
et presqu lnexploltees. L lr-r
1
~.
rigation de 80.000 à 120.000 ha selon les assolements choisis .
est possible sous réserve d'investissements très importants,
3
1
après régularisation du débit du fleuve à 300 m /seconde uti- !,1
lisable toute l'année. La Mauritanie compte environ trois
}
,
cent cinquante oasis au total. La présence de nappes d'eau
peu profondes, autorise une certaine expansion des superfi-
cles cultivées et donc des productions.
En Haute-Volta,
la nappe phréatique est de faible
puissance, discontinue et peu profonde, et les cours d'eau
ne sont pas permanents : les Voltas blanche et rouge elles-
mêmes sont réduites en saison sèche, à des séries de mares.
Dans l'Ouest cependant, la nappe est bien plus alimentée et
profonde, et il existe des cours d'eau permanents (Volta noi-
re son affluent et défluent le Sourou et le Comoe).
Les inondations saisonnières font que l'habitat
s'éloigne du l i t majeur, et la mise en valeur en souffre--;
les cultures elles-mêmes ne peuvent s'implanter qu'aux alen-
tours de certaines côtes au-dessus de l'étiage. Tel est le

- 421 -
cas du Niger, du Chari, du Lognee et des trois Voltas. Le Lac
Tchad inonde chaque année des centaines de millions d'hecta-
res,
i l en écarte les popu1atiD~s plutôt qu'il ne les y atti-
'/},
re.
Les vallées fluviales,
à l'état brut, sont souvent
des zones marécageuses,
et les couverts végétaux bordant les
rivières sont des foyers d'endémies.
En Haute-Volta,
la pré-
sence de mouches "Simili" vectrices de l'onchocercose (mala-
die ayant la faculté de rendre aveugle les populations) et de
la trypanosomiase qUl affecte surtout le bétail domestique,
réduit une partie non négligeable de la force de travail à
l'inactivité.
1
l
En conclusion,
nous pouvons retenir que des pot en-
tialités réelles existent dans le domaine hydrographique. Ce-
1
pendant,
il faut disposer de moyens financiers ou humains im-
1
portants pour mieux vaincre la compacité fréquente du paysage !
bordant les cours d'eau et l'insalubrité de ses abords et les
1
inondations fréquentes.
Ces possibilités existent-elles au ni-i~~
veau des sols ?
;
,
,~
3° - Les sols et leurs possibilités : la pédologie.
ft!
La caractéristique essentielle des sols du SAHEL
est qu'ils retiennent faiblement l'eau. Pourquoi? Parce qu'
1
1
"ils constituent une dalle continue, subhorizontale
d'oxydes de fer souvent hématisés,
recouverte d'un
manteau discontinu de cailloux, d'hématite donnant
1
!
i1
r!

- 422 -
un "reg à ferraille" imperméable où l'eau ruisselle
vers les vallées voisines"
(1).
La zone du SAHEL,caractérisée par deux saisons
opposées, voit s'alterner un processus de lessivage (pen-
dant la saison des pluies) avec un dessèchement plus ou
moins accusé pendant la saison sèche. A une certaine pro-
fondeur,
apparaissent les gravillons mêlés à une sorte de
1
cuirasse de teinte rougeâtre ou violacée. Ces cuirasses, ap-
1
pelées à l'origine "latérites", ont reçu aujourd'hui l'ap-
pellation de sols ferrugineux tropicaux.
Elles sont le ré-
sultat d'un mélange d'hématite et d'alumine hydratée, où la
silice apparaît presque absente (parfois 1 % à 2 % seule-
ment) et où l'alumine libre fait toujours défaut. Sous cet-
te cuirasse latérique, on rencontre souvent quelques mètres
1
(5 à 6 en moyenne) d'une formation argileuse tout à fait ana- ~
logue, par sa composition et sa consistance, aux sols ferra-
1
liques ; seul son aspect plus poreux et plus clair l'en dif-
1
férencie.
Cette formation argileuse s'appelle la "lithomarge".l
Ces sols sahéliens sont recouverts d'une mince cou- !
che d'humus ; le couvert végétal étant généralement insuffi-
1
sant,
l'érosion mécanique devient une menace permanente.
Il
1
y a donc ici,comme pour le climat,
la nécessité d'agir avec
1
circonspection et délicatesse pour protéger la mince couche
1
meuble des pluies diluviennes qui provoquent saisonnièrement
1.
Revue Cahier d'Outre Mer,
nO 120., octobre-décembre 1977 :
"A propos de la sécheresse et ses conséquences au SAHEL",
p.393.

-
423 -
une érosion pouvant dénuder la carapace sous-jacente dure et
stérile. Les sols ferrigineux et les sols ferralitiques que
nous avons décrits, dominent la structure des sols (5 à 8 %
de la surface totale environ)
;
ils ne sont pas les seuls.
Ces sols épais et meubles, de richesse chimique
variable, peuvent produire un bon rendement pour des cultu-
res variées (mils, arachides,
coton,
etc •.. ) si on leur ap-
porte des phosphates et de la matière organique, mais égale-
ment si on les protège contre l'érosion. A côté de ces sols,
il existe des sols moins riches, offrant une possibilité de
culture très faible,
et des sols de valeur agricole.nulle :
les sols isohumiques ou subarides,
les sols d'érosion miné-
raux bruts (cuirasses) et sols peu évolués,
des sols halomor-
phoses variés, des sols minéraux bruts et peu évolués, déser-
tiques et subdésertiques. A l'opposé, on trouve des sols plus
riches ayant une surface limitée. Les sols hydromorphes, de
richesse chimique variée,
sont saturés d'eau de façon perma-
nente ou saisonnière en surface ou en profondeur. Leur mise
en valeur nécessite un drainage préalable, qui fait d'eux les
terres d'élection de la riziculture. Les verticoles (argiles
noires tropicales) qui sont des sols riches chimiquement, mais
lourds avec un besoin d'eau élevé,
constituent des sols diffi-
ciles à travailler avec les méthodes traditionnelles. Leur
mise en valeur pourrait donner de bons rendements à des cul-
tures variées (mils, sorghos, coton,
cultures fruitières,
can-
ne à sucre) si on allie travail mécanique et irrigation. Enfin
i l existe des sols bruns tropicaux,
les plus riches chimique-

- 424 -
ment de la zone sahélienne. Ce sont des sols meubles mais pas
,
, .
"
'
.
(1)
tres profonds, donc tres senslbles a 1 erOSlon

Ce bref aperçu permet de comprendre que tous les
sols ne sont pas utiles à l'agriculture. Il faut en effet fai-
re la différence entre la superficie totale d'un pays et les
terres agricoles utiles ou surfaces agricoles utiles (SAD).
Il
faut également distinguer entre les SAD et les terres cultiva-
bles. Dans les terrez de cultures, on peut ranger d'un côté
les terres cultivées (cultures sèches et irriguées) et les
terres en jachère.
Au Mali le total des terres dont disposent l'agri-
2
culture et l'élevage est de 605.120 km • Les terres cultiva-
2
2
bles sont de 186.000 km
et 419.120 km
sont réservés aux zo-
nes de parcours. Grosso modo,
les cultures pluviales : mil,
sorgho, maïs,
arachide,
coton, mais aussi les tubercules ali-
mentaires (igname, patates, manioc), pratiquées dans la sai-
son des pluies occupent les zones de pluviométrie variant en-
tre 550/600 mm et 1.400 mm. Dans les zones au-dessous de 550
mm,
c'est l'élevage qui est pratiqu~. Au Niger, l'utilisation
e
des terres correspond au tableau suivant
1
1
!
L
Do~ées statistique~ du Min~stère de la cho~pération Fran- 1
çals, nous ont permls de falre cette synt ese sur les ca-
1
pacités des sols sahéliens en regroupant les éléments con- i
cernant chaque pays.
1
1
t

- 425 -
TABLEAU N° 20 : Utilisation des terres
T - - - - - - - - - - - - , . - - - - - - - - - - T
Utilisation des terres
Superficies en ha
Superficie du Niger •••
126.700.000
Terre agricole utile ou
SAD
."""""""""""".,,"",,.
30.000.000
Terres cultivables
15.000.000
1
Cult ures ""."""."".,,",,.
2.734.150
-
cultures sèches
2.710.575
- cultures irri-
1
guées .""" .. " .. ,,
23.575
Jachères
10.045.850
Forêts
600.000
" " " " . " " . " " " " " " ..
1
1
Divers
1.620.000
!
i
Source : Données statistiques Niger. Ministère
1
de la coopération., décembre 1978.
Ce tableau nous montre que le Niger est un grand
pays malS aussi que la majeure partie du pays est inutili-
sable pour l'agriculture. La SAU est quatre fois inférieu-
re à la superficie totale. Les terres cultivables représen-
tent cinq fois les terres cultivées. Cela situe l'importance
de la jachère dans cette zone.
En Haute-Volta en 1975-1976, les données établies
par le service des statistiques agricoles du Ministère du

- 426 -
Développement Rural donnent les chiffres suivants : surface
2
agricole utile (SAD)
: 89.150 km • Les terres cultivées re-
présentent 2.730.000 ha,
soit 30,6 % de la SAD et 10 % de la
superficie totqle.
Les superficies en mil et sorgho représentent
80,3 % des terres cultivées, soit 2.193.000 ha. Le riz re-
présente 1,5 % des surfaces cultivées. Le coton occupe déjà
2,5 % de la superficie des terres cultivées, soit 68.300 ha,
ce qui est énorme lorsqu'on sait que celui-ci a été introduit
seulement récemment en Haute-Volta. Mieux,
1
"l'augmentation des superficies cotonnières ne devrait
présenter aucun problème d'autant plus que pour ces
1
trois ORO, les valeurs du rapport : superficies cul-
[
tivées/SAD sont respectivement de 18 %, 38 % et 19 %
l
laissant en conséquence de larges disponibilités en
i
terres cultivables pour les extensions futures"
(1).
1
, 1
Cette citation confirme nos développements anté-
~,
t
rieurs sur la place faite aux cultures de rente et en l'oc-
i
curence au coton dans les plans de développement ; elle se
!1
passe de commentaire.
f
Selon la revue de la B.C.E.A.O,
l'ensemble des su-
perficies cultivées au Sénégal peut être estimé à 1.200.000
2
ha, soit guère que 6 % des 201.000 km
du pays.
En conclusion, on peut retenir que les sols sahé-
i
l
liens ne sont pas très riches, mais des possibilités existent,!
sous réserve de prendre soin des sols, pour une activité agri-!
.
.
1 • . Îrlème Plan de Développement Economique et Social., 1977-
1981 de la Haute-Volta. Avant-Projet, p.20.

- 427 -
cole prospère capable de satisfaire les besoins en aliments
des habitants. Les surfaces cultivées étant inférieures aux
potentialités, plus de la moitié des surfaces cultivables
est, soit laissée en jachère, soit purement et simplement
inexploitée. Cependant, la culture extensive doit être conju-
guée avec la culture intensive et un investissement de plus
en plus substantiel dans le domaine du maintien, voire de
fl
l'accroissement des capacités productives des sols, si l'on
,
1
ne veut pas retomber dans les travers de l'épuisement des
sols. Des possibilités existent donc pour accroître les sur-
1
faces cultivables avec comme priorité non l'augmentation des
1
surfaces cultivées du coton, mais celles des aliments de base
!
et des compléments alimentaires pour assurer une relation ali~1,,
mentaire correcte à l'ensemble du peuple. Les mils et les sor- Î,
ghos (avec plus de 80 % des terres cultivées) se révèlent être 1
i
1
les plantes auxquelles les Sahéliens accordent le plus d'im-
-1
i
portance confirmant notre analyse sur les aliments de base.
t
Une étude de l'I.S.E.A tire la conclusion suivante sur les
sols en Haute-Volta.
"Les terres basses et alluviales représentent une réser-
t'
ve potentielle très notable (souligné par nous) de fer-
r
tilité pour l'avenir: on estime généralement que les
,
étendues suivantes de ces terres peuvent être aménagées :1
environ 100.000 ha répartis en de nombreuses petites
1
plaines ou vallées dispersées j
environ 130.000 ha le
1
long des Voltas (dans un premier temps)
j
environ200.000f
ha dans le bassin du Sourou qui contient les meilleurs
[
de ces sols en réserves.
-
La productivité de ces seules terres basses aménageables
paraît au moins égale à la production agricole actuelle
de l'ensemble du pays"
(1).
1.
Cahier de l'I.S.E.A, n° 142., 1963, p.16.

-
428 -
Cette enquête, quoique datant de 1963, demeure en-
core d'actualité, car les aménagements cités ci-dessus ne
sont pas en majorité réalisés,
et aboutit à la même conclu-
sion que nous sur les possibilités énormes des sols des pays
du SAHEL.
L'analyse minutieuse des facteurs naturels ou enco-
re physiques qui freinent la croissance rapide de la produc-
tion agricole, domine la littérature sur le SAHEL pour espé-
rer faire mieux en la matière.
Nous pensons que beaucoup de
ces analyses grossissent à dessein ces facteurs limitants les
contraintes physiques et qu'il est temps de leur donner la
place qui est la leur.
"L'histoire a montré que l'homme est capable de changer
les réalités avec lesquelles i l est aux prises et, gr&-
ce au progrès technique,
les conditions sont réunies
pour éliminer la faim au cours de la décennie suivan-
te" (1).
En effet les facteurs naturels ne jouent un rôle
quasi-exclusif dans la production que dans les agricultures
arriérées (du point de vue des forces productives mais aussi
des rapports de production).
Par ailleurs:
"la production agricole a considérablement augmenté au
cours des dernières décades.
De ce développement est
résultée une intensification des défrichements; l'équi-
libre qui existait jusqu'alors entre la destruction de
la forêt et sa régénération, s'est trouvé rompu .•• Les
techniques agricoles ancestrales particulièrement avec
l'intensification des cultures et la réduction de la ja-
chère qui en résulte, aboutissent incontestablement, en
1.
Rapport de la 2ème session (Rome., 13-15 décembre 1978)
du Fonds International de Développement Agricole (FIDA),
p.14.

1
- 429 -
1
!
it
1
1
bien des reglons,
à une dégradation de plus en plus
1
profonde de la végétation et des sols,
inquiétante
,
1
pour l'avenir agricole et justement soulignée par
1
des grands spécialistes de la végétation, de l'agri-
culture et des sols.
Inversement,
l'introduction ou
!
le développement exagéré de certaines cultures, de
même que la mise en oeuvre inconsidérée de méthodes
1
culturales nouvelles non adaptées aux conditions éco-
fi
logiques locales, ont parfois eu des conséquences
agricoles, économiques ou pédologiques désastreuses.
!
c'est ainsi que la culture du coton a affamé certains
canton de la Haute-Volta"
(1).
Nous ajouterons que c'est le cas également de l'arachide ex-
1
trêmement épuisante pour les sols.
D'autre part, sous la pression de la poussée;------l
demogiaphiqi.ü~s~ produit un glissement depuis quelques décen-
nies du système extensif
(longue jachère) à des systèmes plus
intensifs, dans tous les pays "sous-développés", y compris au
SAHEL. Le rétrécissement des jachères n'est pas un trait ca-
ractéristique du seul XXème siècle.
"La recherche historique a révélé que la période de ja-
chère a été raccourcie progressivement dans l'Europe
occidentale à partir du Moyen Age, pour aboutir à la
récolte annuelle dans la deuxième moitié du XVIIIème
siècle" (2).
Certains auteurs,
en l'occurence Pierre GOUROu(3),
prétendent que les sols de la plupart des pays tropicaux ne
peuvent s'adapter à d'autres Syst~QF de culture que la lon-
gue jachère. Selon cette théorie,
lrlS les sols volcaniques
ou ceux qui reçoivent régulièrement des éléments fertiles
L
R. SCHNELL, op.cit, p.150.
2.
Ester BOSERUP : "Evolution agraire et pression démographi-
qVe". Flammatio~ - Paris., 1970.
3.
Plerre GOUROU,
ln : "Les pays tropicaux".
paris., 1947.

-
430 -
l'!
r!
(par inondation ou autrement) seraient à même de supporter une 1
culture intensive. Ce pessimisme relatif à la fertilité des
!
sols tropicaux s'accorde avec l'interprétation malthusienne de 1
la situation démographique dans ces zones.
Pierre GOUROU d'ail-I
leurs conclut que le plafond a été atteint sur le plan démo-
graphique car ces territoires ne peuvent supporter plus d'hom-
mes qu'ils n'en ont.
l
La "Conférence Interafricaine des Sols", tenue à
I
LéopOldville (aujourd'hui Kinshasa) en 1953, a refuté ce point 1
de vue ; dans des publications récentes,
Pierre GOUROU lui-
t
même et de nombreux spécialistes se montrent plus optimistes.
1
L'évolution dynamique de l'utilisation des sols qui
1
dicte le glissement de la culture extensive vers la culture
1
1
i
intensive, est une théorie nouvelle qui sape les bases des
1
conceptions malthusiennes traditionnelles. Les néo-malthusiens
ont interprété cette théorie dynamique de l'utilisation du sol 1
agricole dans le sens d'une confirmation de leur message. Nous
1
rappelons que pour MALTHUS, lorsque la population augmente
!I-
f
jusqu'à un niveau qui surclasse la capacité de production de
1
la terre,
i l s'ensuit une
élimination
du surplus de popula-
tion, soit directement par la famine,
soit par d'autres fac-
teurs qui seraient des conséquences de l'insuffisance alimen-
taire.
"La nouvelle version de la théorie malthusienne repose
sur l'idée que l'accroissement de la population provo-
que une certaine destruction des sols et que, pour évi-

- 431 -
ter la famine la population en question se déplace vers
d'autres terres, qu'elle détruit à leur tour"
(1).
Ainsi les populations croissantes exercent une pression ex-
cess ive sur un potentiel nutritif donné,
lequel, non seule-
ment ne peut croître, mais inexorablement va s'abaisser par
la suite de l'action des populations elles-mêmes.
Ces considérations prouvent que les contraintes
..
physiques,
loin d'épuiser la question, ne constituent qu'un
des paramètrex de l'équation. Dans ces conditions, peut-on se
'?<
contenter de dire que les Etats du SAHEL sont géographique-
ment situés entre le Sahara et l'isohyète 1.000 mm ? L'Etat
de domination que nous avons furtivement évoqué n'est-il pas
la caractéristique dominante ? Le bilan statistique de deux
décennies de "développement" nous a permis de voir que les
options définies par le colonisateur se sont renforcées, et
qu'elles n'ont pas été profondément modifiées. L'étude des
conditions humaines qui sont à la lisière entre les aspects
naturels et économiques,
édifiera mieux notre jugement.
11/ Les conditions humaines.
Depuis que les "économistes", préoccupés par les
mouvements multiséculaires des sociétés humaines, se sont pen-
chés sur les questions démographiques,
ils n'ont pu éluder le
problème des relations entre croissance démographique et pro-
duction
alimentaire. Pour les uns
(MALTHUS),
la production
1.
Ester BOSERUP, op.cit, p.25.

-
432 -
i
ti'
des subsistances est la variable indépendante qui détermine
1
,
1
la croissance de la population.
Cette variable étant relati-
r
vement rigide à la hausse,
i l existe un taux d'accroissement
démographique idéal et optimum.
Pour les autres, la variable
1
indépendante c'est la croissance démographique qui commande
!
les développements de l'agriculture.
Pour ce qui nous concer- 1
ne, notre souci n'est pas d'être conciliant avec les deux
1
courants, mais nous pensons qu'ils puisent tous à la même
!
source.
Pour l'un comme pour l'autre,
la vision linéaire des
1
relations entre les variables est dominante. C'est pourquoi,
1
nous pensons qu'autant l'accroissement de la population joue
un rôle essentiel dans le développement des subsistances, au- 1
tant l'accroissement de production donne un coup de fouet à
la pression démographique. Cependant,
i l n'est pas question
!
pour nous d'établir de lien mécanique entre l'accroissement
1
de la production et celui des subsistances, car ces deux va-
1
1
riables réagissent toutes deux aux forces productives et aux
i1
rapports de production du moment.
Les documents statistiques nous donnent une foule
d'informations sur la population, ses caractéristiques pour
chaque pays du SAHEL. Les traits de la population concernent
1
aussi bien les aspects quantitatifs (nombre, total, population!
f
active,
le taux de croissance,
le taux d'urbanisation, etc ••• )1,
que les aspects qualitatifs
(essentiellement linguistisques,
enseignement, santé, etc ••• ).

- 433 -
1° - Les aspects quantitatifs.
Les aspects quantitatifs embrassent les domaines
touchant au volume global de la population, à son accrois-
sement principalement.
A part la Mauritanie (1.630.000 habitants en jan-
vier 1980), les autres pays du SAHEL ont plus de quatre mil-
lions d'habitants.
TABLEAU N° 21
Nombre d'habitants
Pays
en janvier 1980
(par millions)
Haute-Volta
6.725.000
Mal i
.
6.500.000
Mauritanie
1.630.000
Niger
.
5.203.000
Sénégal
5.650.000
Tchad
4.450.000
Source : Données statistiques du Ministère
de la Coopération.
Il faut noter l'importance des jeunes dans cette
population : nous regroupons sous le vocable de jeunes, la

- 434 -
1
1
!
1
,
population âgée de 16 à 25 ans: 47,3 % sont jeunes au Mali,
en HaL.' ~-Volta 42 % sont jeunes, en Mauritanie i l y a 43 %
de jeur. \\~. Les taux de vieillards est de ltordre de 5 % en-
,
1
viron. : 's adultes actifs représentent 52 % à 53 % de la po-
pulatiol
Nous avons considéré dans cette analyse comme per-
sonnes é
tives celles âgées de 15 à 59 ans. et comme inacti-
ves cel:
s qui ont moins de 15 ans et plus de 60 ans. Au r~
gard de '~es chiffres, la charge des actifs ntest pas très
C;
lourde, ~urout lorsquton sait que les jeunes de moins de 15
ans sont également employés à faire des menus travaux. La
jeunesse d'une population est un atout important pour ltave-
nir. La répartition par sexe laisse apparaître un équilibre
!f
entre le pourcentage dthommes et de femmes.
Haute-Volta 50.2 %
de femmes contre 49,8 % d'hommes.
If
If
If
Mali
% Il
50.94
49,0 %
If
Mauritanie
50 %
"
50 %
"
"
i!
La jeunesse dtune population ne peut aller sans
1
son dynamisme dont l'un des aspects est le taux de croissance.!
!
l
TABLEAU N° 22
Taux de croissance
Pays
annuelle moyen
Haute-Volta ••.••
2
%
Mal i
.
2,3 %
Mauritanie •...••
2,1 %
Niger Il
..
2.7 %
S~n~gal .•.......
2
%

- 435 -
Au total c'est une population qui croît à un ryth-
me de plus de 2 % par an. Ce taux de croissance est re1ative-
ment rapide si on le compare aux taux de croissance des pays
occidentaux. Mais il faut comprendre que la population africai
ne est une population jeune dont le croît ne peut par principe
être lent. D'autre part,
l'étude de la densité nous montrera
que c'est une population clairsemée: que nous avons au SAHEL.
Enfin le phénomène de la traite a pendant longtemps bloqué la
croissance démographique de l'Afrique en général et du SAHEL
en particulier; aujourd'hui, ce n'est que justice que la
croissance de la population reprenne son cours.
1
TABLEAU N° 23
: ~~~!~~i~~_~~_!~_E~E~!~~i~~
~~~~!~!~_~~_~~_~~Eig~~_i~~_~!!!!~~l
Années
Afrique
Monde
1
1
-------------- ------------- ---------------
1
1650
90 - 110
500 -
550
,
1750
90 - 110
700 -
750
~.
1850
90 - 110
1.200
1
1920
130
1.800
!
r
1940
180
2.150
1
{
1950
200
2.400
J~
1960
273
3.070
r
1970
358
3.879
!
1975
410
5.000
Source : D. AFANA, op.cit, p.17.

- 436 -
1
1
Aujourd'hui l'Afrique représente le quart des ter-
1
1
res émergées et compte 8,2 % de la population du globe. Ce
!
,1
qUl prouve qu'il n'y a pas de surpopulation en Afrique. La
crainte d'une surpopulation mondiale ne s'est fait
jour que
1
i
"dès l'instant que la domination commerciale, sinon po-
!
litique, des Occidentaux n'était plus aussi absolue,
que diverses formes d'assistance quelque peu compara-
ble à la "loi des pauvres" ont vu le jour~- la crainte
de l'excès de nombre devait préoccuper les esprits" (l).!
1
Le surpeuplement est en lui-même une notion relative.
1
"Cependant ce surpeuplement ne doit s'entendre que par
1
rapport aux ressources actuelles, telles qu'elles sont
!
exploitées.
1
si on examine les ressources potentielles, c'est-à-dire 1
la production que l'on pourrait obtenir avec les techni-
ques actuelle~, soit en défrichant de nouvelles terres,
1.•
soit en utilisant mieux les terres déjà cultivées, ain-

si que les ressources minérales,
le diagnostic est fort
différent
: sous cet angle,
i l y a fort peu de pays sur-
peuplés dans le monde. L'Amérique du Sud et l'Amérique
Centrale sont faiblement occupées, ainsi que la grande
partie de l'Afrique"
(2).
En fait,
ce que les pays impérialistes redoutent
aujourd'hui est clairement exprimé par F. NOTESTEIN
"en lançant un programme de modernisation,
les puissan-
ces dominantes actuelles créeraient en fait un monde
futur dans lequel leurs propres peuples deviendraient
des minorités de plus en plus petites et posséderaient
une proportion de plus en plu~ petite de la richesse.
et de la puissance mondiale" C3).
1.
Alfred SAUVY: "Théorie générale de la population". PUF,
Paris., 1963, p.145.
2.
Alfred SAUVY, op.cit, p.273.
3.
F. NOTESTEIN : "Démographie studies of selected areas of
rapid grouth". NewYork.., 1944, cité par A. SAUVY, p.283 .
. '

- 437 -
"Dans cette conjoncture délicate, se retrouve la posi-
tion classique du dominant relatif
: i l cherche à li-
miter le nombre des dominés ou tout au moins leur pro-
gression"
(1).
D'ailleurs, les débats théoriques ont toujours opposé parti-
sans et adversaires de la limitation de la natalité. A. SAU-
VY appréciant ces débats, tire la conclusion suivante :
"Nous constatons que la diminution de la population a
été loin d'apporter aux habitants les bienfaits que
la théorie permettait de prévoir"
(2).
Plus loin,
il montre que durant les années 1800, la France a
connu un fort ralentissement démographique. Ce ralentissement
de la croissance a réduit le montant des investissements dé-
mographiques. Mais pour autant les salaires français n'ont
pas été supérieurs à ceux des autres pays qui ont connu une
croissance démographique importante tels que l'Angleterre, la
Suisse ou le Danemark.
Tant que les systèmes de culture itinérante n'a-
vaient pas accroché l'attention des économistes,
i~ semblait
!
naturel de prendre l'instrument agricole le plus repandu commel!
critère essentiel de la classification des systèmes d'agricul-l
f
ture primitive. Ainsi distinguait-on trois types :
1° - le plus primitif ne connaissant ni houe ni
charrue
.
2° - celui employant la houe ,
3° - celui employant la charrue.
1.
Alfred SAUVY, op.cit, p.283.
2.
Alfred SAUVY, op.cit, p.7.

- 439 -
le développement des forces productives, nous devons prendre
en compte l'autre face de la médaille,
la modification des
rapports de production
"Le progrès technique (ou son utilisation) et la densi-
té ou la croissance de la population ne sont pas des
variables indépendantes"
(1).
L'étude de la densité nous convaincra que la surpopulation
n'existe pas aUSAHELJ. La densité est un rapport entre le
nombre global des habitants d'un pays et la superficie totale
de celui-ci. La densité au SAHEL est en général très faible
comme nous l'indique le tableau qui s u i t :
TABLEAU N° 24
Densité en 1979
Densité en l979
Pays
2
par km
Haute-Volta •••••
25
Mali
.
5
Mauritanie •.••..
l
Niger
.
4
S~n~gal
.
28
Tchad • . . . . . . . . . .
3
Source : nous avons effectué ces calculs
sur base des chiffres que nous
avons emprunté aux données sta-
tistiques du Ministère de la Coo-
pération Française, op.cit.
1.
A. SAUVY, op.cit, p.2l.

-
438 -
Le bâton pointu qui sert à gratter et à creuser le
sol est le plus primitif de tous les instruments agricoles
et les hommes se servant de celui-ci sont les plus primitifs
des cultivateurs primitifs. A contrario,
les plus hauts ni-
veaux de civilisation pré industrielle ont été gravis par les
hommes maniant la charrue. Le développement agricole était
linéairement déterminé par un processus de perfectionnement
progressif des outils,
en accroissant le rendement de la pro-
duction, ont libéré une partie de la population pour des ac-
tivités autres que celles de l'agriculture.
Cette théorie met
l'accent sur un antagonisme dans les "sociétés primitives"
entre l'accroissement démographique et le développement agri-
cole.
La pression démographique conduit, selon cette thè-
se, à l'utilisation des terres de moins bonnes qualités, ce
qui en dernière analyse se traduit par une réduction de la
production. Le développement économique d'un pays serait di-
rectement proportionnel à l'esprit d'invention de son peuple
ou à sa capacité de maîtriser la variable technique, et donc
i
inversement proportionnel à son taux de croissance démogra-
!
phique. Cette théorie ignore le fait que le type d'outil agri-I
cole dépend aussi de la méthode d'exploitation du sol: cer-

tains changements dans les possibilités techniques ne peuvent t
s'opérer que se le système d'utilisation du sol se trouve mo- !
1
difié en même temps ; de même que certains changements dans
la manière d'exploitation du sol sont impossibles sans l'in-
troduction de nouveaux instruments. Enfin, lorsqu'on apprécie

-
440 -
1
~dis
t
cette densité moyenne ne doit pas faire illu-
~1
sion. La population, dans la majeure partie des cas, est mal
f
répartie. Dans les régions désertiques ou semi-désertiques,
1
la densité est nulle alors qu'aux abords des fleuves (Niger,
Sénégal), des régions bordant les côtes de l'Atlantique (Cô-
tes mauritanienne et sénégalaise) ou encore de la région du
plateau mossi ; elle est très élevée. Les villes également
sont des zones de forte densité.
o
Le taux d'urbanisation 0
Le taux d'urbanisation est un rapport entre la po-
pulation totale des villes et la population globale.
Villes
Nombre
Pays
%
principales
d'habitants
!
--------------,--------------
Ouagadougou
60.000 h
Haute-Volta
2 %
Bobo-DiOll.1asso,
60.000 h
!
--------------,--------------
Mali
.
5 %
Bamako
130.000 h
Mauritanie
5 %
Nouakchott
13.000 h
Niger
2 %
Niamey
40.000 h
Dakar
375.000 h
Sénégal
23 %
Kaolack
70.000 h
Thiès
70.000 h
t
Fort-Lamy
Tchad
5 %
95.000 h
(N'Djaména)
r
1

- 441 -
Les villes du SAHEL sont partis en général d'un ni-
veau assez bas,
c'est peut-être pourquoi la progression nous
apparaît prodigieuse. En 19 ans, par exemple, au Mali la po-
Années
Niamey
Bamako
Dakar
!
!
----------,--------------- --------------- ---------------
1931
1. 730
20.000
54.000
1953
15.710
80.000
228.000
1960
33.816
100.000
302.000
1968
72.204
150.000
500.000
1975
175.000
400.000
790.000
Source : Cahiers d'Outre-Mer de juillet-septembre 1975, com-
plété par nous.
Niamey était pratiquement un village en 1931. A
partir de 1960, le statut de capitale que prennent ces villes,
avec une concentration des fonctions administrative, politi~
que et économique,
leur donne un poids qu'aucune autre ville
ne possède. Les aspects quantitatifs favorables dans une lar-
ge mesure du point de vue de l'évolution s'opposent aux as-
pects qualitatifs défavorables.

- 442 -
l!1
f!
2° - Les aspects qualitatifs.
!1
Ils recouvrent l'éducation,
la conscience de la po-
~

f
pulation mais aussi sa santé ; une population malade, mal
1
nourrie,
ne peut pas fournir le meilleur d'elle-même dans
i
1
l'acte de production. Au SAHEL,
l'infrastructure sanitaire
est squelettique.
Au Niger en 1975 i l Y avait deux hôpitaux nationaux 1
ayant une capacité d'accueil de 1.475 lits. La capacité hos-
pitalière totale était de 3.577 lits. Nous pouvons donc en
1
déduire qu'il y avait un l i t pour 1.300 personnes au Niger en
1975. Au Mali on dénombre 10 hôpitaux généraux en 1974 avec Ü 1
r
une capacité d'accueil de 2.162 lits. La capacité d'accueil
1
totale est de 4.252 lits, soit un l i t pour 1.400 personnes.
r
1
Au Tchad les hôpitaux sont au nombre de quatre en 1975. En
1970,
i l y a 3.765 lits au total,
soit un l i t pour 1.060 per-
sonnes.
c'est un encadrement sanitaire léger pour ne pas
dire plus qui existe dans la plupart des pays du SAHEL. La
population est-elle mleux lotie en matière d'éducation?
Plusieurs indices existent pour l'encadrement de
la population au plan de l'éducation. Nous avons choisi le
taux de scolarisation parce qu'il parle autant que tout
au-
tre agrégat, mais surtout ces chiffres sont les plus facile-
ment disponibles. Cependant,
ces taux ne doivent pas nous
fi
faire oublier ceux de l'analphabétisme qui demeurent,
à n'en
1
1
pas douter, plus élevés. L'encadrement scolaire est défectueuxJ
1
r

- 443 -
TABLEAU N° 26
:
les chiffres parlent d'eux-
Taux de scolarisation en 1975
-----------------------------
mêmes. Les efforts faits
y---------.---------r
pour scolariser la jeunesse
Pays
Pourcentages
sont dérisoirement faibles.
!
!
!-------------- --------------
Haute-Volta •
Il Y a donc des efforts ti-
14 %
tanesques à faire dans le
Mali . . • . . . . •
20 %
sens de scolariser l'immen-
Niger
.
14,2 %
se majorité, voire la tota-
Sénégal . . . . .
30 %
lité des enfants en âge de
Tchad • . . . . . .
19 %
l'être.
Source : Données statistiques
du Ministère de la
La balkanisation de l'Afri-
Coopération Français,
complétées par nous.
que engendre des Etats de
toutes pièces, notamment au
SAHEL. L'exemple de la Hau-
te-Volta constitue le plus caractéristique. Créée en 1912,
elle est supprimée en 1932 et répartie entre la Côte-d'Ivoirè,
le Niger et le Mali. puis reconstituée en 1947. Les tracés de
frontière, véritable désastre et source de conflits perpétuels,
ont été un cadeau empoisonné laissé par le colonisateur. Ques-
tions donc pendantes,
l'unité linguistique,
l'intégration du
tissu économique, sont des édifices en construction et à cons-
truire.
La division d'un peuple.
son émiettement favorise ses
ennemis internes comme externes,
et le fait qu'au SAHEL la
plupart des Etats regroupent plusieurs ethnies (ce qui n'est
pas comme on tente de le faire quelquefois croire un ma~ en
soi) constitue un handicap qu'il faut surmonter dans le cadre
de la question nationale. La langue "nationale" ou encore la

-
444 -
langue de ciment comme l'appellent certains, demeure le Fran-
çais
(parlé par moins de 10 % en général de la population).
Au Niger,
i l y a six "ethnies" principales ; Haoussa, Djerma,
Songhaï, Peulh, Touareg et Kounouri. Au Mali on peut retenir
quatre grands groupes linguistiques : les Bambara, les Sénou-
fou,
les Sarakolle et les Touaregs. Au Tchad, on peut citer
les Arabes, les Tedas ou Toubou,
les Peulh et les Sarha. En
Haute-Volta, on peut dénombrer une soixantaine "d'ethnies",
les principales étant les Mossi,
les Peulh,
les Lobi-Dagari,
les Mandés et les Gourounsi.
Somme toute,la population du SAHEL est une popula-
tion jeune, dynamique, mais insuffisamment encadrée sur le
plan scolaire, mal soignée et dont la conscience nationale
reste à forger.
Cette population, quoiqu'inégalement répar-
tie, dispose d'un espace agricole suffisant pour satisfaire
ses besoins agricoles.
Au total,
"avec la conquête coloniale ce n'est plus par le seul
impact de la demande qu'agit l'économie européenne,
mais surtout par intervention directe du capital dans
la production des marchandises exportées vers l'Europe,
et la substitution la plus large possible des produits
du secteur capitaliste à la production locale" (1).
L'insertion du capitalisme se fait par deux voies
essentiellement:
(i) il transforme un secteur de production
à sa propre image par l'introduction du capital et de ses co-
rollaires (propriété privée des moyens sociaux de production,
1.
Claude MEILLASSOUX, op.cit, p.225.

- 445 -
salariat, etc ••• )
(ii) il s'alimente sur le secteur non
capitaliste encore existant par le mécanisme de l'accumula-
tian primitive, provoquant contradictoirement leur perpé-
tuation et leur désintégration. c'est ainsi que:
-
au niveau du commerce, malgré la baisse de son
importance (relative),
le commerce transsaharien, ou encore
le commerce à longue distance persiste : chaque année par
exemple, une caravane de plusieurs milliers de chameaux ap-
porte encore le sel de Tandenit à Tombouctou.
- Au niveau du foncier,
l'accaparement des terres
par l'Etat colonial puis néo-colonial ne remet pas encore en
cause (du moins à court terme) le droit traditionnel des pay-
sans sur les terres qu'ils cultivent. Par contre,
les terres
prêtées ou laissées en jachères deuuis une certaine durée
(dix à quinze ans) changent de propriétaires.
- Au niveau démographique, après une stagnation de
plus de deux siècles (1650-1850),
la population progresse
nettement à partir de 1920. En effet de 1650 à 1850, la po-
pulation reste constante et oscille entre 90 et 110 millions
d'habitants pour toute l'Afrique. En 1920 elle passe à 130
millions,
en 1940 à 180 millions et 200 millions en 1950(1).
Cette évolution quantitative récente, ne compense nullement
i
(loin s'en faut) les pertes énormes qu'a subies le continenti-il
r
mieux, c'est une population active qui par bien des aspects
i
,
1.
I.N.S.E.E. Etudes et conjoncture.,
1955. Tableau d'évo-
lution de la population africaine et mondiale.
c
i
,

p
- 446 -
, 1
î
!
1
1
quantitatifs
(migrations, déportations,
etc . . . ) subit des
f
turbulences qui l'empêchent de se consacrer à la production
au SAHEL. On peut donc s'apercevoir que la crise alimentai-.
1
re au SAHEL n'est pas une fatalité mais bien le résultat
1
d'une politique délibérée.Il ressort en effet que l'augmen-
tation de la production (car globalement la production agri-
cole croît) ne profite qu'aux cultures de rente alors que le
volume de la population,
notamment de la population non
agricole, ne cesse de se gonfler. La stagnation, voire la
lente progression du volume de la production vivrière engen-
dre donc la faim pour une population en croissance rapide.
Cette faillite de la politique agricole néo-coloniale (cf.
sécheresse 1973-1974) oblige légitimement les observateurs
à tourner les regards vers le SAHEL et à s'interroger sur
les véritables causes du drame que vivent les peuples de
cette région de l'Afrique. Devant l'urgence des solutions,
des causes mineures ont été décelées et surtout des pallia-
tifs ont servi de thérapeutique (envois de vivres, de médi-
caments,
etc ••• )
i l convient, dans le cadre d'une étude
plus approfondie,de dépasser les expédients pour trouver des
remèdes de fond. La troisième partie sur les aspects norma-
tifs nous permettra de rechercher ces remèdes.
-----------0-----------

- 447 -
T ROI S I E M E
PAR T l E
LES ASPECTS NORMATIFS
1
1
1
1
1
!
l
1
1
1
!
1
1
1

- 448 -
Au terme de notre analyse,
il serait surprenant de
se laisser aller à proposer des solutions miracles ou mieux
encore, un programme de gouvernement.
"Naturellement,
le débat ne porte pas, ne peut pas por-
ter sur ce "programme" de caractère utopique qui sup-
pose qU€
les principales difficultés aient été résolues.
c'est <~~contraire sur le cheminement qui amène à pou-
voir pObY~' les problèmes du développement en ces termes
qu'il peL1l.:porter"
(1).
Mieux,
la conception que nous avons de notre rôle est beau-
coup plus modeste. En nous inscrivant dans le débat sur le
cheminement et les voies qui mènent au développement économi-
que au SAHEL, nous suggérons un canevas, car convaincu que les
problèmes complexes de développement seront résolus non unl-
quement par les intellectuels, encore moins les pédants et
les férus de théorie économique, mais par l'imposant et ma-
jestueux mouvement des forces sociales. Ces forces sociales
1
1
de progrès seront animées (il est vrai) et guidées par la
!
théorie,
réSultat et synthèse de leur pratique sociale, mais
1
également et surtout par la théorie qu'ont accumulée les for-I
i
ces de progrès depuis l'origine de l'humanité. R. NURSKE con-
i
cluait de son travail sur les problèmes de la formation du
capital dans les pays sous-développés, que le capital se crée
à domicile, qu'il doit nécessairement surgir de l'int~rieur
faute de quoi le développement ne peut s'en suivre(2).
1.
"L'avenir industriel de l'Afri ue". Ouvrage colleçtif :
Samlr AMIN/Alexandre FAIRE Danlel MALKIN. Edition l'Har-
mattan ACCT, p.202., 1980.
2.
Ragnar NUR8KE : "Les problèmes de la formation du capital
dans les pays sous-développés". Cujas., 1968.

- 449 -
1
1
L'histoire économique des nations aujourd'hui dé-
l,;
veloppées malS aussi celle post-coloniale des économies afri- :
!
caines francophones,
confirme ce constat :
"L'Afrique ne se développe pas parce que, entre autres,
1
l'essentiel de son investissement n'est pas engendré
par elle-même, mais injecté de l'extérieur ••• Les
,
structures d'accueil de cet investissement et son sta-
tut sont telles que seul l'investisseur étranger en
tire réellement profit"
(1).
1
ii.
Les transferts libres de capitaux et de revenus
!
subséquents permettent aux investisseurs étrangers de drai-
1
ner vers la métropole,
l'essentiel des bénéfices de la pro-
duction abandonnant le pays hôte totalement exsangue, Les
1
maigres résultats glanés par les Etats du SAHEL pour se main-
1
tenir à un niveau végétatif, les maigres revenus distribués
1
aux travailleurs africains, les faibles effets de développe-
1
1
ment de ces investissements sur les secteurs privés et pu-
blics, tous ces faits accablent l'investissement étranger au
SAHEL en particulier, dans l'état actuel de ses mécanismes et 1
de son fonctionnement.
La stratégie de la rupture ou encore
du développement "autocentré", constitue l'aboutissement 10-
gique et la réponse au constat d'échec de la théorie du déve-
loppement par l'injection de capital étranger. Cette théorie
de la rupture est-elle homogène ? Peut-elle nous offrir des
motifs d'espérer?
Le SAHEL actuel constitue aussi une mosaïque d'hé-
ritageshéritage de la période précapitaliste, héritage du
1.
G. N'GANGO, op.cit, p.394.

-
450 -
MPC, qui mèlent leurs effets, créant un décalage entre les
rapports de production et les forces productives. L'étroi-
tesse et l'arriération des forces productives posent le
problème urgent de leur socialisation.
Comment centraliser
le surplus émietté, éparpillé ? Comment mobiliser le faible
surplus qui existe ? Comment assurer son extension pour don-
ner un coup de fouet au développement rapide de l'agriculture
et de l'économie tout entière? Cependant,
i l y a ceux qui
cherchent, croyant aux progrès,
aux capacités des peuples
du SAHEL de s'ouvrir des horizons toujours plus grands, et
qUl ne sauraient douter, un tant soit peu, des potentialités
qui couvent et qui attendent queenfin arrive l'aube de la li-
berté et de l'indépendance pour éclore, s'exprimer et s'épa-
nouir, mais aussi les éternels incrédules. Ceux qui s'inter-
rogent sur le droit des peuples d'espérer et d'aspirer à un
avenir meilleur, ceux qui crient et décèlent tout de suite
dans cette espérance un optimisme naïf et utopique.
Pour CeUX,
condamnés et damnés par le courroux des Dieux ou du Dieu tout
puissant,
les peuples du SAHEL,
ces "sauvages", méritent les
châtiments qui leur sont infligés et qui les aideront à ab-
soudre leur péché. Pour ceux-là,
point d'autosuffisance ali-
mentaire, point de développement économique.
Nous tenterons de démontrer à travers de trois cha-
pitres que, s ' i l y a des rêveurs utopistes,
i l faut les cher-
cher du côté de ceux qui se contentent de "réfléchir" et de
confier à "Dieu" la solution de leurs problèmes plutôt que du

- 451 -
côté de ceux qui sont à pied d'oeuvre jour et nuit pour don-
ner aux problèmes concrets et quotidiens de l'humanité des
solutions toutes aussi concrètes et quotidiennes.
- f~~E!~~~_~ : La nécessité de rompre le lien ombili-
cal avec le MPC.
- f~~E!~~~_~~ : L'accroissement et la mobilisation
du surplus.
- f~~E!~~~_!!~ : L'autosuffisance alimentaire.
-----------0-----------


-
452 -
1
1
!
CHAPITRE PREMIER
LA NECESSITE DE ROMPRE LE LIEN OMBILICAL
AVEC LE MPC
Notre souci constant a été de montrer comment l'a-
griculture,
en tant que secteur arriéré, subit les lois et
les fluctuations du mode de production capitaliste. C'est
dire que les autres secteurs de l'économie liés encore da-
vantage au MPC, subissent encore plus ces influences.
Dans quelque compartiment qu'on se situe, les lois
du capitalisme s'affirment omniprésentes et implacables.
Il
convient cependant de souligner avec force que le capitalis-
me qui domine, n'est pas un capitalisme national; c'est
l'impérialisme,
le capital étranger qui s'allie et se soumet
la bourgeoisie locale,
imposant par sa force et sa puissance,
l'orientation du développement
non
seulement de l ' agricultu-
re, mais de l'économie tout entière. Cette soumission de la
bourgeoisie sahélienne livre les néo-colonies sahéliennes à
la domination non seulement économique mais aussi politique.
C'est cette situation qui autorise l'impérialisme à opérer
une ponction de la presque totalité du surplus et à ne rièn
laisser sur place. Dans ces conditions, la voie qui mène à

- 453 -
]
r
t
,
que et politique ? Le seul et unique gage de cette indépen-
dance économique et politique, n'est-il pas le contrôle du
surplus ? Deux sections nous permettront de répondre à ces
questions
Section l
: Coopération réelle et non soumission.
-
Section II
Contrôle du surplus et transformations
des structures sociales.
SECTION l
: COOPERATION REELLE ET NON SOUMISSION.
Force est de reconnaître qu'aujourd'hui dans la
théorie dominante du commerce international,
l'interprétation
de la théorie des "avantages comparatifs" attribuée à juste
titre à RICARDO, se fait dans le sens du maintien du statu
quo international.
D'ailleurs dans les "Principes d'économie
politique", la thèse que défend RICARDO s'oppose frontalement
à la glose des "spécialistes" de la théorie du commerce in-
ternational. Après une longue analyse sur les traités, ou en-
core ce que nous appelons aujourd'hui les "accords", RICARDO
conclut sa démonstration de la façon suivante :
"Il est donc évident que le commerce avec les colonies
peut être réglé de manière qu'il soit en même temps
moins avantageux pour les colonies et plus lucratif
pour la métropole, qu'un commerce parfaitement libre.
De même qu'il serait désavantageux pour un consomma-
teur d'être restreint à n'acheter que dans une seule
boutique, de même est-il nuisible pour une nation de
consommateurs d'être forcée de n'acheter que dans un
seul pays" (1).
1.
D. RICARDO
: "Les principes de l'économie politique et de
l'impôt". Flammarion - Paris., 1977, p.304.

i
- 454 -
1
1
f
Sur la base d'une telle analyse,
la théorie des
"avantages comparatifs" ne saurait être étendue aux pays
dépendants (colonies) ou semi-dépendants (néo-colonies).
Mieux,
la dépendance commerciale n'est qu'un aspect de la
dépendance des néo-colonies en général,
de celles du SAHEL
en particulier. Les autres aspects ont comme nom la dépen-
dance politique, financière (plus généralement économique)
et aujourd'hui la dépendance alimentaire est venue s'y
greffer. Pour sortir de l'ornière,
les débats se sont con-
!
centrés sur la remise en cause de la division internationa-
1
le telle qu'elle existe actuellement. Les stratégies de la
!
rupture qui alimentent les débats encore aujourd'hui, peu-
1
vent se résumer en deux tendances
: la stratégie basée sur
!
l'industrie lourde et celle reposant sur la prise en compte
du secteur informel. La remise en cause de la division in-
ternationale nécessite, à n'en pas douter, la conquête de
1
l'indépendance économique, mais aussi une transformation
profonde des structures sociales. Deux sous-sections nous
permettront d'étudier ces questions:
Il Stratégie de la rupture technologique.
-
III La conquête de l'indépendance réelle.
Il Stratégies de la rupture technologique.
A. FAIRE(I),
reprenant une analyse de J. BUGNI-
COURT,
considère que le pool technologique disponible, c'est-
l.
Ouvrage collectif
"L'avenir industriel de l'Afrique",
op.cit, p.202.

- 455 -
à-dire l'ensemble des technologies existantes à l'heure ac-
tuelle, peut se diviser en quatre composantes
les technologies modernes importées,
-
les technologies occidentales modernes malS dé-
suètes dans le cadre des économies occidentales,
-
les technologies artisanales locales ou impor-
tées d'autres pays du Tiers Monde,
-
les nouvelles technologies "adaptées" issues de
la modernisation des technologies qrtisanales domestiques
ou conçues uniquement pour le Tiers Monde. De ce pool tech-
nologique, qui dans un même processus de production, peut
mettre à contribution l'ensemble des composantes, nous re-
1
tiendrons deux sous-ensembles 1 le secteur "informel" et
l'industrie lourde.
1° - Le rôle du secteur "informel".
1
,
L'analyse de J.
BUGNICOURT retient deux sous-sec-
teurs en mili~u.urbain,( et)une zone rurale homogène. Le(sous)- l,.,.
secteur transltlonnel
SST
et le sous-secteur moderne
SSM
, t
constituent les deux composantes du "secteur urbain". Toute
1
la stratégie vise à dynamiser le SST pour accro1tre la pro-
l
duction afin de satisfaire les besoins des citadins, mais
r
aussi pour accrottre le flux SST vers les zones rurales. Pour 1
permettre la fluidité de ses échanges,
il faut démanteler une r
partie du réseau commercial actuel qui repose sur les maisons 1
de commerce qui se consacrent dans leur quasi-totalité à l'im-~
1
1

.'
a
- 456 -
portation de produits finis des métropoles impérialistes ou
des industries substitutrices d'importation. La nouvelle for-
me de commerce doit emprunter ses méthodes au colportage, hé-
ritage des traditions commerciales africaines de la période
précapitaliste. Dans ces conditions,
le nombre de points de
1
1
vente sans grande installation matérielle, fournissant les
paysans à domicile (ou presque) et leur procurant des arti-
1
cles à bas prix à cause du mode d'acheminement peu onéreux
i
et de la vive concurrence qui limite les marges bénéficiaires, 1
doit se multiplier à profusion. Le SST pourrait fournir des
!
instruments de production agricole iimples : outils (daba,
.s-
1
[
pioches, pelles, scies,
etc ••• ) jusqu'au moyen d'exhaure
(poulies, éléments de noria) ou d'arrosage, de traitement et
de conservation des produits agricoles et des aliments. Le
1
1
i
SST, dans d'autres domaines de la vie quotidienne, pourrait
l
fournir des fourneaux,
des ustensiles simples de cuisine, des
!
sommiers, des moustiquaires, etc ••• L'existence de ~omités
1
de quartier sera nécessaire pour faciliter les contacts entre 1
,1
producteurs urbains et groupements villageois,
afin d'empê-
!~
cher que se forment des stocks spéculatifs permettant de pré- 'I,t.,.
lever des marges bénéficiaires excessives. La mise en plade
,
de la nouvelle donne ne peut se faire sans des ruptures: rup-!
~
ture entre l'extérieur et le SSM qui entraînera la fermeture
1
"
de certaines usines produisant des biens sans rapport avec lesl
besoins réels de la population, ou selon des prix et normes
!
1
qui s'avèrent inaccessibles au plus grand nombre. D'autres
usines seront partiellement ou totalement reconverties, afin

- 457 -
de se développer en liaison avec la kyrielle de petits mé-
tiers. Exceptionnellement quelques entreprises bien placées
dans le cadre du marché international, ne jouant aucun rôle
stratégique,
seraient maintenues pour l'exportation afin de
permettre un apport nécessaire de devises. Une rupture du
modèle de consommation de la couche supérieure de la popula-
tion devra intervenir pour compléter la première. Les véhi-
cules de ce modèle de consommation tirent leurs sources de
divers horizons: publicité,
livres,
éducation,
etc ••• Un
travail patient de filtrage des apports culturels extérieurs,
constituerait une tâche stratégique pour l'aboutissement de
cette opération. Il faut en effet choisir entre la voie tor-
tueuse et difficile du refus de l'isolement et du repli sur
soi-même,
sans tomber dans la copie et le mimétisme. Une rup-
ture avec les modèles législatifs extérieurs sera sanctionnée
par le refus de leur introduction et la révision de fond en
comble des législations déjà adoptées dites nationales, afin
de bâtir une réalité juridique nouvelle qui dynamise l'ini-
tiative populaire et traduise les véritables aspirations cul-
turelles de la population. Cependant,
le besoin d'ouverture
se fera toujours sentir : pour bénéficier de nombreux exem-
ples de savoir-faire permettant, malgré une créativité domes-
tique à initiatives multiples, d'épargner beaucoup de temps
et d'efforts,
la culture nationale doit également bénéficier
d'apports culturels de l'étranger,
ne se présentant pas comme
des images dominantes mais comme des éléments de comparaison
capables de stimuler la culture nationale.

-
458 -
1
Il faudrait également être à la pointe de la tech-
1
nologie en important la technologie la plus avancée. si on
!~
peut se passer de certaines usines textiles et mécaniques mo-
1
dernes,
il demeure indispensable d'avoir des unités fonction-
t
nant sur la base de connaissances extrêmement poussées (in-
dustries chimiques par exemple). La création de cet "îlot mo-
1
derne de pointe" nécessite, pour des raisons d'économie d'é-
chelle, une coopération régionale entre plusieurs Etats,
sur
la base d'une division du travail entre partenaires africains.
La haute qualification des travailleurs de ce secteur ne doit
pas être un prétexte à des écarts importants dans les revenus.
La production de cette unité de pointe doit s'orienter d'abord
et avant tout vers l'accroissement de la productivité et la
création de meilleures conditions sanitaires pour l'ensemble
de la population (tuyaux en plastique,
imperméables bon mar-
ché, etc •.• ). Ces unités sont incapables de fournir beaucoup
d'emplois, mais demeurent intégrés comme l'ensemble de l'éco-
nomie urbaine au tissu économique d'ensemble. Rupture avec les
flux traditionnels internes et externes de l'économie urbaine~
Les transferts du flux de monnaie du SSM vers le SST vont con-
tinuer d'exister, mais se modifier dans sa nature profonde.
,
\\
l
Le nouveau système de crédit va se modifier pour permettre un
f
échange moins inégal et une rémunération des biens et servi-
1
f
ces fournis par le SST un peu plus élevée. Le flux F
(du SST
1
2
vers le SSM) va se modifier. Le mouvement d'argent d u - 4
leSSM
va correspondre de plus en plus à l'achat de biens
",
f
d'équipement et d'outils et non à l'achat de produits de con-

-1
- 459 -
,,
,
i
1
sommation alignés sur les standards de l'extérieur.
Il s'en
suivra une baisse de la rémunération des patrons et des ca-
dres du sous-système moderne, une baisse des dépenses osten-
tatoires et de prestiges de ces derniers. L'ancien système
transitionnel va se trouver bloqué face à la raréfaction pro-
gressive des déchets,
consécutive à la réduction des activi-
tés des ports et des transports internationaux et une diminu-
tion des activités SSM. Les techniciens et cadres du nouveau
SST devront réfléchir pour réhabiliter l'utilisation de maté-
riaux locaux afin de les substituer aux déchets manquants.
!!1
A contrario,
les flux et les échanges de produits
1
semi-finis entre les deux sous-systèmes vont s'accélérer. re-
ji.
I.•.•
mettant à terme en cause la distinction entre les deux sous~
~
systèmes. Ainsi on pourrait envisager de systématiser la pra-
1
tique de la vente du matériel usagé du SSM aux clients de SSTI
et les services après vente, par l'instauration d'un système
1
i
de dépannage et de fourniture de pièces détachées à partir desf
entreprises modernes vers les ateliers qui ont hérité du ma- '
tériel usagé.
sans remettre en cause la fabrication de pièces
détachées par le SST lui-même.
L'arme de l'impôt et des subventions doit permettre
de réaliser des performances dans certains secteurs ou dans
certaines entreprises afin d'encourager la reconstitution d'un~
économie urbaine homogène. La base de l'imposition doit être
1
1
modifiée et les affectations également pour permettre au comit~,
de quartier d'utiliser à leur niveau une partie des fonds d'o-
rigine fiscale. Les instances décisionnelles existantes au

-
460 -
plan nationa~ urbain, doivent céder une marge d'autorité re-
lativement importante aux usagers au niveau des quartiers,
des entreprises et de certains groupements d'entreprises. Se
posera alors le problème de la cohérence entre les divers ni-
veaux de prise de décision, qui peut être résolu dans le cadrer
de mécanismes de concertation. Les prélèvements illégaux du
!
SSM, dans ces conditions, disparaîtront car la légalité ne
sera plus l'apanage de ce seul sous-secteur.
Il faudrait éta-
blir un contrôle populaire pour l'application de la nouvelle
législation. Les conséquences de ces initiatives entraîneront
l'étranglement de la bourgeoisie en cours de constitution, et
mettront un frein à la paupérisation d'une fraction importante
de la population.
La physionomie de la ville doit également changer.
Les édificies de prestige et de rapport doivent cesser de
1
pousser pour laisser la place à la construction de cités pour
les catégories moyennes, et à l'éménagement progressif des
b~d~nVilles nécessiten~
inst~"ations
qui
un choix de petites
1
generalisables rapidement a l'ensemble de la populatlon et
1
qui rejettent les normes des équipements urbains telles qu'el-I
les existent actuellement. La créativité populaire qui se ma- 1
!
nifeste présentement demeure l'atout majeur et décisif de ce
modèle. Cette créativité soutenue et encouragée donnera des
1
résultats insoupçonnés et inestimables. C'est pourquoi un ef- 1
I
fort organisationnel doit être fait pour créer des associa-
!!
tions diverses : clubs de jeunes, groupements d'originaires
1
t
de telle région, etc •••
1
!
1

-
461
-
J. BUGNICOURT ne veut pas que son modèle que nous
venons de traduire avec un souci d'extrême fidélité,
soit
présenté comme un modèle normatif mais un ensemble de pro-
positions cohérentes. Pour A. FAIRE,
le modèle ainsi présen-
té s'inspire largement de l'expérience chinoise et de la
stratégie des "besoins essentiels" formulée par la Banque
Mondiale et l'Administration américaine. Mais existe-t-i1
une volonté réelle de cette Administration pour promouvoir
un modèle qui comporte des risques réels? L'accent uni1até-
raI mis sur l'organisation du monde rural et le développe-
ment de l'artisanat peut-il promouvoir le développement des
forces productives? Peut-on sortir de l'ornière de la dé-
pendance technologique qu'on est supposé remettre en cause?
Les réponses sont certes à chercher dans des expériences vé-
eues en tirant les leçons afin d'apporter des solutions de
plus en plus adéquates, mais i l est permis d'en douter.
La pléthore des intermédiaires sur le plan commer-
cial,
l'atomicité des producteurs disposant de moyens de pro-
duction archaïques ou presque,
etc .•• ,
constituent des motifs
d'éparpillement du surplus. Dans ces conditions, pour promou-
voir le développement rapide,
i l faudrait trouver un moyen de
le centraliser. D'autre part, J.
BUGNICOURT
dans la version
~
qu'il donne du scénario 2 accorde un rôle important à l'inté- !
gration régionale. L'autonomie collective des régions du Tiers!
}
\\
Monde est un objectif louable,
surtout si elle prend appui sur!
f
la complémentarité financière afin de tirer le maximum d'avan-t
tages des économies d'échelles.
Pour A. FAIRE, cette autono-

- 462 -
mie collective suppose des ruptures nationales préalables à
toute tentative réelle d'organiser l'autonomie des régions
du Tiers Monde. La faiblesse des liens régionaux actuels dé-
coule du fait que la ruptures~ationales n'ont pas eu lieu.
L'ana~yse de J. BUGNICOURT prend le contre-pied de cette thè-
se pour proposer une autonomie collective pendant le proCes-
sus de rupture. Cette proposition aboutira,
selon A. FAIRE,
à consolider une division internationale du travail nouvelle
mais inégale.
certains ont cru déceler dans cette nouvelle divi-
sion du travail un phénomène de sous-impérialisme, celui-ci
étant défini comme la situation dans laquelle un des pays
d'un sous-ensemble de pays dominés, exerce son hégémonie sur
les autres. A. FAIRE rejette la conception d'impérialisme ou
de sous-impérialisme Sud-Africain, parce que la République
Sud-Africaine est une création du capital financier britanni-
que qui s'est multilatéralisé par des apports de capitaux amé-
ricains (principal moteur actuellement de la coalition finan-
cière) et allemand avec tous les éléments de concurrence et
de collaboration qui existent entre eux. Le concept de sous-
impérialisme n'est donc pas scientifique. La notion d'organi-
sation d'entités régionales vraiment intégrées est inconci-
liable avec les intérêts de l'impérialisme. Le danger de l'é-
mergence d'un sous-impérialisme dans ces conditions, reste
très réduit,
car la lutte pour la constitution même de cette
entité exclut l'impérialisme et ses sécrétions. La discussion
sur la stratégie de rupture qui passe par la voie de la dyna-

- 463 -
misation du secteur informel, montre à l'évidence des limi-
tes presqu'insurmontables. Les difficultés énormes nous in-
diquent que cette voie ne peut constituer la panacée.
i
i
2° - L'industrie lourde.
1
L'une des versions de cette stratégie préconise
1
1
1
la maîtrise des technologies modernes,
la mise en place de
grandes unités de production (difficile à apprivoiser comme
1
l'illustre l'exemple algérien) dans les secteurs de base (fi- 1
,
lières sidérurgique, mécanique, pétrochimique,
chimique,
••• )'1
Les technologies occidentales "désuètes" sont dans cette op-
1
tique rejetées comme trop coûteuses à terme (compte tenu de
1
leur productivité) et comme pouvant conduire à un échec des
tentatives de maîtrise industrielle et de dépendance techno-
logique. Cettt recherche de la technologie pose deux problè-
mes épineux:
le financement onéreux de l'importation de ces
consacrées à l'amélioration des conditions de vie des masses
paysannes ou à l'investissement dans le domaine agricole. Le
danger existe également de privilégier l'équipement agricole
plutôt qu'une réforme des structures agraires et d'aboutir à

- 464 -
1
,
1
~
un capitalisme d'Etat dans lequel l'alliance de classes fon-
~f
r
damentales(classe ouvrière et paysannerie) est rompue au
!
1
profit d'une alliance "aristocratie ouvrière-bourgeoise lo~a- [
le". Comme nous pouvons nous en convaincre,
les deux strate-
1
gies soulèvent des questions autant qu'elles en résolvent. ce-I
pendant,
la stratégie de l'industrie lourde comprise non pas
comme un besoin en soi ou encore la seule condition pour réa-
liser l'indépendance nationale, mais comme un complément des
industries légères conçues pour répondre aux besoins des mas-
ses, comporte des avantages indéniables. La constitution d'un
tissu économique intégré et solide ne peut aller sans compter
avec la stratégie de l'industrialisation (lourde et légère)
d'un pays. Les demandes des industries légères, de l'agricul-
ture, pour être satisfaites sur le plan national et surtout
sans trop de dépendance au plan trchnologique, requièrent la
création d'une industrie de biens de production. Elle seule
peut donc permettre la conquête de l'indépendance économique
véritable.
11/ La conquête de l'indépendance réelle.
"Les sociétés françaises,
par l'intermédiaire de leurs
filiales implantées au Niger, dominent le secteur des
travaux d'équipement, faute de concurrence locale, à
tel point qu'on ne compte que deux entreprises non-
françaises"
(1).
1.
Revue Marchés Tropicaux du 24 décembre 1982, p.3416.

e
- 465 -
fi!!.
~t,
Conunent un pays "indépendant" peut-il en arriver à
brader tout un secteur de l'activité économique? Dans le cas
du Niger et de l'ensemble des pays du SAHEL, c'est l'économie
entière qui est bradée. Jugez-en plutôt : la Cogéma participe
1
!
pour 26,96 % à Somaïr, pour 34 % à la Cominar et pour 50 % à
i
i
la Société Minière de Tassa.
!
!
La France est le premier fournisseur du Sénégal avec 1
63,S % en 1981, contre 10,9 % aux Etats-Unis mais aussi le
1
f
,
premier client avec 45 % en 1979. Dans les échanges avec la
France,
le coton du Tchad représentait 89 % des achats fran-
çais en 1980, soit 48 millions de Francs sur 54 millions de
Francs. Cette proportion était de 100 % en 1981 mais pour un
total moindre (31 millions de Francs). La France est le pre-
,
mier partenaire du Mali avec 27,5 millions en 1981 si on se
1
t
reporte à l'ensemble de la C.E.E. En 1980 le coton représente
f
1
80 % (70 % en 1981) des importations en provenance du Mali.
!
1
1
Enf in,
[
"la France est le premier client de la Mauritanie, dont
elle achète 30 % du fer (et celui-ci représente bon an
mal an 90 % de ses ventes à l'étranger ••• La France
reste également le premier fournisseur de la Maurita-
nie" (1).
1
1
t
,
. .
\\
Au regard de cette dependance quelquefols crolssante1
seule la conquête de l'indépendance économique peut permettre
1
,
aux économies sahéliennes d'acquérir un second souffle. cepen-I
dant,
l'indépendance économique ne va pas sans l'indépendance
ri
1.
Marchés Tropicaux du 24 décembre 1982, op.cit, p.3414.

-
466 -
politique et inversement. Les accords de coopération écono-
mique, les codes des investissements, les accords d'associa-
tion avec le Marché Commun, etc •.• , tendent à favoriser la
"liberté" de circulation des biens et des personnes.
1
"La liberté de circulation des biens tend à maintenir
1
les pays africains au stade de pays essentiellement
agricoles, fournisseurs de matières premières à bon
marché. Car cette "liberté" abolit progressivement
mais sûrement et inexorablement les tarifs douaniers
1
et les productions contingentaires nécessaires à la
protection des jeunes industries africaines .•• La
liberté de circulation des capitaux empêche les Etats
africains d'instaurer un véritable contrôle des trans-
1
ferts, capable de retenir dans le pays les capitaux
qui s'y forment. Les monopoles étrangers peuvent donc
continuer à exporter librement le surplus économique
produit par le travail des Africains et seul capable
1
d'assurer la reproduction élargie et le déveleoppement
accéléré de nos économies"(l).
La liberté de circulation des travailleurs' permet
aux monopoles français et internationaux de surexploiter la
1
te
force de travail des immigrés. Elle est aussi, quoique dans
des proportions limitées, source de chômage pour les cadres
1
~
africains dont les postes sont occupés par les "coopérants".
1
Toutes ces libertés pour le capitalisme étranger constituent
!
i-
des entraves pour les néo-colonies malgré le développement du 1
,
capitalisme d'Etat. Cependant, les restrictions que le capital ':na1.
tional" (pour être plus juste il faudrait écrire) local établit au
.
~
détriment du capital étranger ("révision" des accords de coo--I
i
pération, prise de participation du capital local dans les
!
i
entreprises néo-coloniales, africanisation des cadres, etc••• )i
1.
O. AFANA, op.cit, pp.190-191.
1
'1!ii

-
467 -
ne doivent pas faire illusion. Ces réformes adaptent la base
économique néo-coloniale à la superstructure politique. En
,
effet, nonobstant le passage de l'appareil d'Etat aux mains
r
t
de la bourgeoisie autochtone après les "indépendances", l'éco-r
nomie est restée tout entière aux mains de la bOUrgeoisie!
étrangère principalement française,
i l fallait rétablir donc
1
la correspondance entre la base et la superstructure pour te-
If
nir compte des mutations qui venaient de se produire. C'est
surtout au cours des années 1970 que ce phénomène se précise
!
au SAHEL avec l'application de ce que certains ont appelé le
1
nouvel ordre économique international (NOEI). La levée de ces
1
entraves commande la rupture des liens économiques priVilégiésl
avec la France notamment,
et par extension avec le marché in-
ternational dans lequel les pays du SAHEL sont enserrés, depuis
la colonisation. Là comme ailleurs,
la rupture totale des
liens économiques commerciaux et financiers privilégiés est
un gage pour une coopération équitable prenant en compte les
intérêts de chacun des partenaires. Le maintien des Etats du
SAHEL dans la zone franc ou dans une zone douanière,
la mono-
culture soit du coton soit de l'érachide,
seul produit qui
représente un pourcentage élevé des exportations (70 à 80 %),
1
,
les prélèvements importants opérés par le capital étranger son~1
autant de freins au processus de développement qu'il convient
1
de débloquer. Ces différentes ruptures qui doivent être le.:;;p~~t
totales possibles, ne doivent pas confiner les pays du SAHEL
1
i
à vivre en autarcie ; elles signifient que le commerce doit
!
désormais se faire sur la base du libre choix de ses partenai-!
r
1
1

- 468 -
res et que l'aide doit être acceptée en fonction de son ca-
ractère plus ou moins intéressé.
Ces ruptures doivent remet-
tre en cause le rôle hégémonique du capital financier étran-
ger, mais également les forces dominantes qui existent ac-
tuellement au SAHEL.
1
i
SECTION II
CONTROLE DU SURPLUS ET TRANSFORMATIONS DES STRUC-t
TURES SOCIALES.
;f
L'avènement du néo-colonialisme a coïncidé avec
.
jl
l'émergence d'une nouvelle classe (la bourgeoisie locale SCln-
1
dée en deux fractions, la bourgeoisie bureaucratique et la bour-l
!
geoisie compradore) étroitement liée à l'impérialisme. Cepen-
1
dant,~il faut noter le rôle essentiel que continueqtde Jouer;
même dans cette période,
les classes ou groupes sociaux carac-
téristiques des formations précapitalistes (la chefferie no-
tamment). Aussi bien la bourgeoisie locale que les chefferies
sont politiquement et économiquement soutenues par le capital
financier étranger. Le risque de courir au devant de leur pro-i
;
pre extinction ne leur autorise donc pas à s'opposer à la
1
!
ponction du surplus par ce capital qui demeure leur base d'ap- ri
pui essentiel. C'est pourquoi, une modification des rapports
t
1
de production s'avère indispensable pour le contrôle du sur-
,
plus. La rupture des liens avec l'impérialisme doit se faire
concomitamment avec la transformation des structures sociales.
Cette transformation doit prendre pour axe la remise en cause
de l'hégémonie du capital financier étranger et du capital
anti-national domestique. Les positions dominantes du capital

- 469 -
financier étranger et de ses alliés surIes plans pOlitique,
économique et social, notamment dans l'Etat,
doivent être
remises en cause. Un nouvel appareil d'Etat démocratique
doit émerger sous le contrôle de la classe ouvrière en al-
liance avec la paysannerie. Cette alliance de classes nou-
velles dont la différence avec l'ancienne est qu'elle est
nationale, démocratique et populaire,
renferme les vrais
producteurs de richesses. Le rôle pOlitique et social domi-
nant que jouait la minorité (bourgeoisie bureaucratique,
compradore et la chefferie féodale) doit être joué par l'im-
mense majorité (la classe ouvrière et la paysannerie, mais
aussi les petits commerçants, petits fonctionnaires,
etc ••• ).
Le nouvel Etat doit se doter d'un plan définissant la meil-
leure orientation possible de l'économie, compte tenu des
ressources disponibles et des contraintes techniques, écono-
miques, sociales et politiques qui s'offrent à lui. L'un des
objectifs du plan sera de drainer le surplus émietté et de
l'accumulation sur le sol national,
et de veiller à son bon
placement.
Rares sont les auteurs qui revendiquent le pouvoir
d'Etat au profit de la paysannerie. Les plus audacieux pro-
posent un syndicalisme paysan dans le cadre néo-colonial.
Alain BIROU qui prêche pour un "pouvoir paysan", fait partie
de ce dernier courant. Pour lui :
"La politique économique de nombreux gouvernements va
plus ou moins inconsciemment à l'encontre de la self
reliance paysanne : politique du commerce extérieur,
f,
{
}
,

- 471 -
pIes africains. Quelques-uns, tels que F. FANON et R.
DUMONT, vont jusqu'à classer les ouvriers africains
parmi les privilégiés du colonialisme et du néo-colo-
nialisme. Ces théories néo-populistes sont foncière-
ment érronées et en outre,
complètement démenties par
les faits,
~ar la pratique sociale des peuples afri-
ca ins eux-memes"
(1).
R. DUMONT et F. FANION constatent justement la
faiblesse du revenu monétaire de la paysannerie africaine
dans son immense majorité; l'importance numérique de la pay-
sannerie (70 à 80 % de la population voire quelquefois plus)
milite en faveur de leur thèse. Cependant,
la photographie
instantanée d'un rapport de force ne saurait à elle seule
soutenir une stratégie à long terme. L'analyse du Produit
Intérieur Brut et de SèS tendances d'évolution nous indique
que la part du secteur rural est en nette régression. Le dé-
veloppement inexorable du capitalisme crée les conditions de
désintégration de la paysannerie (exode rural) et du renfor-
cement numérique mais aussi qualitatif de la classe ouvrière.
L'examen des capacités de la bourgeoisie sahélien-
ne
à pouvoir se dégager de la tutelle du capital financier,
nous montre que celles-ci demeurent plus qu'étriquées. En ef-
fet,
le programme d'une bourgeoisie même nationale ne peut
viser qu'à une indépendance et une rupture avec les puissan-
ces impérialistes étrangères,
sans remettre en cause les
structures sociales telles qu'elles existent;
1.
A. AFANA, op.cit.

- 470 -
des productions exportables, des investissements, poli-
tique urbaine de santé,
de l'éducation, etc
"(1).
Plus loIù,il ajoute:
"Un des problèmes majeurs ordinairement occulté est ce-
l'
lui du pouvoir politique réel que devraient acquérir
r
les villages africains pour s'insérer comme force dé-
terminante dans le jeu des pouvoirs et des forces éco-
1
nomiques et politiques qui actuellement les dominent
!
et leur sont étrangères •••
Il faut que les groupes
paysans eux-mêmes puissent les déceler,
les dévoiler
!
et les réduire pour instaurer leurs propres organisa-
1
tions" (2).
[
!
L'idée de la création d'un syndicalisme rural n'est
1
,
pas une idée absurde en soi. Cependant,
la conception de Alain 1
1
BIROU qui ne touche pas au fondement du néo-colonialisme et
t
laisse l'impérialisme et la bourgeoisie locale gérer le sur-
plus,
n'est pas de nature à résoudre les problèmes graves
qu'il soulève.
Cet Etat qui ne peut donc être uniquement un Etat
paysan, doit avoir pour base l'alliance de la classe ouvrière
et de la paysannerie, parce que comme le note O. AFANA à pro-
pos de la paysannerie
"C'est une classe très nombreuse et aussi très révolu-
tionnaire parce que soumise à la quadruple exploita-
tion de l'impérialisme, du féodalisme,
de la grande
bourgeoisie naissante et de la bourgeoisie nationale.
Pour toutes ces raisons,
certains ont vu dans la pay-
sannerie pauvre, dans le semi-prolétariat rural et ur-
bain,
la classe la plus capable de conduire jusqu'au
bout la révolution nationale et démocratique des peu-
1.
Association Economie et Humanisme,
nO 248.,
juillet-août
1979. Alain BIROU, p.35.
2.
Association Economie et Humanisme, op.cit, p.35.

- 472 -
"or, ni l'impérialisme, ni les masses populaires diri-
gées par le prolétariat, ni le camp socialiste, ni
quelque force que ce soit ne peut permettre l'édifi-
cation d'une économie capitaliste dans aucun pays co-
lonial ou semi-colonial"
(1).
Cette analyse nous indique que la paysannerie joue dans l'al-
liance le rôle d'une alliée sûre,
de l'allié le plus proche
du prolétariat. Mais a-t-on le droit de parler de la classe
ouvrière au SAHEL ?
"Dans les années 60, l'évocation de la classe ouvrlere
en Afrique Noire suscitait des remarques dubitatives
et même franchement péjoratives ••• Aujourd'hui,
la
connaissance de l'histoire ouvrière du continent a
fortement progressé et surtout,
l'intervention spon-
tanée ou organisée du mouvepent ouvrier dans plusieurs
conflits révélateurs (Dakar 1968 et 1969 ; Nigéria
1971
; Bostwana 1975 etc •.• ) a
imposé son existence
aux plus sceptiques"
(2).
Le prolétariat sahélien est certes jeune, malS s'est déjà
signalé par ces luttes (Bravolta et Sosuhv en Haute-Volta)
dans les autres pays du SAHEL,
il existe également des con-
fédérations syndicales qui regroupent des travailleurs sala-
riés. Actuellement la classe ouvrière sahélienne possède en-
core une conscience de classe embryonnaire et l'autonomie de
son organisation vis-à-vis de la bourgeoisie ne lui apparalt
que très partiellement.
"Dans quasiment tous les pays africains,
les centrales
ou confédérations uniques sont plus ou moins intégrées
verticalement dans l'appareil d'Etat,
ou organisées en
parallèle, comme les partis uniques ••• Cela n'empêche
nullement les conflits dits "industriels",
les grèves
et même la conscience de classe de s'exprimer ouverte-
1.
O. AFANA,
op.cit, p.146.
2.
Le Monde Diplomatique de décembre 1982
"Les classes ou-
vrières du Tiers Monde", p. 23.

-
il '3
-
ment ; et les appareils syndicaux sont souvent des
structures contradictoires qui rassemblent formel-
lement de hauts fonctionnaires "syndicaux" (ainsi
jusqu'au début de 1982 au Sénégal,
le secrétaire
général'de la Confédération Nationale des Travail-
leurs Sénégalais (CNTS) était automatiquement Mi-
nistre des Affaires Sociales) et des délégués du
personnel très actifs et conscients de l'exploita-
tion au niveau de l'entreprise"
(1).
Cependant,
"le salarié industriel (secteurs manufacturier et mi-
nier) reste de dimension très modeste.
Son importance
dans la population active totale ne dépasse jamais
2 % (Afrique du Sud non comprise)"
(2).
A côté de ces "salariés industriels" se situent les "appren-
tis" dont la présence dans l'artisanat,
le commerce et les
divers petits métiers de rue fait autorité. Le système d'ap-
prentissage qui n'est pas un phénomène propre à l'Afrique,
subsiste grâce au maintien des structures et des superstruc-
tures qui assurent l'autorité de l'aîné sur le cadet.
Dans l'atelier,
les liens familiaux,
la dépendance
personnelle,
altèrent l'image de l'exploitation. L'idéologie
1
de la transmission du savoir des aînés qui en sont les dépositairest
vers les cadets, dans notre cas celle de la formation des ap-
1
prentis permet d'estomper les rapports d~exploitation. Le
1
paternalisme,
employé également dans les Petites et Moyennes
Entreprises,
trouve dans ces liens familiaux et dans cette
t
idéologie ambiante caractéristique du secteur "informel", une
1
source d'épanouissement.
Dans ces conditions,
le marché du
f!1
1.
Le Monde Diplomatique de décembre 1982, op.cit, p.24.
2.
Idem.
1
f
1

- 474 -
- ~-
travail classique ne peut mettre en contact le maltre et
l'apprellti qui trallsitent par un pseudo-marchô du travail
Oll
les rapports de clientèle,
de parenté ct d'alliances ma-
trirnoniales pr6clorninent.
L'c's caractéristiques de ceLte maln-
d'oeuvre se rôsument en de',lX muts
sa
jeun(~ss(~ et son lns-
tabilitô.
Cependant,
"ces t:ravaillc~Jrs non salariés forInent,
en railieu ur-
bain,
une fraction
importante
(parfoi.s m~me majori-
t-=lire)
dt?s clzisses lj:_l'..Fr.~_e!.·(?s
a.fricai:i.es lt
(1),
ce Ciui L"é.pose d'en te!lir cor;pf~e.
,
Au regard do ce~t0 ~i:~alysef tP?.lS a. :'lSS i de la ne-
cess it~? dl U!1 CÏlangerrlent pour
- '
'
en
:: ln il"
l'exploitation
de l'honnIe par l'hOrt.rne,
le pt-oJ.r:::r:ariat sahôlie~1 possèèe des
R.
DL-i1C>~'T surest. ir:lent le rôle de la pays3.r.nerle et minimi-
lis~ doit pOlivolr co11~biter au d~part avec url secle1_~r priv~.
L}i=~portance des nationalisations sera fonction des ca9acit~s
du ~oJvel Etat mis en place ~t des Gbj~cti[s que le plan doit
d~finir. Cne protection efficace de l'industrie naissante se-
- - - - - - - - - - -
1.
Le ~onde Diplomatjque d~ d~cGnbre 1982,
p.23.
\\

- 475 -
ra nécessaire,
car pour atteindre un rythme optimal de pro-
duction,
celle-ci aura besoin d'un long délai mais égale-
ment d'être à l'abri de toute concurrence. Les coûts élevés,
l'isolement d'une industrie installée dans un univers sous-
développé,
constituent certes des handicaps de départ mais
surmontables à terme. Des tarifs douaniers appropriés doi-
vent permettre de mettre à l'abri les produits de cette in-
dustrie. Tous les pays développés d'Europe (U.S.A, Japon,
etc ••. ) ont largement utilisé de telle production. Les pré-
lèvements fiscaux doivent permettre de rendre l'appareil
productif,
efficient aussi bien au niveau industriel qu'a-
gricole.
La paysannerie supporte actuellement des impôts
excessifs. En Haute-Volta,
les paysans qui vivent à la cam-
pagne doivent payer un impôt de capitation de l'ordre de 400
à 450 F cFA par an pour ceux qUl ont au moins dix huit ans.
Dans les villes et communes, cet impôt est porté à 500-550
F cFA. En plus,
ils doivent payer des impôts départementaux
qui peuvent atteindre 300 F cFA.
Lorsqu'il possède un âne,
le paysan paie 50 F cFA,
100 F cFA pour un porc,
200 F cFA pour un boeuf. La plaque
de sa bicyclette lui coûte 350 F cFA et son fusil 600 F cFA.
Ces impôts qui ne touchent pas uniquement les revenus mais
l'appareil productif, freinent l'acquisition par les paysans
des moyens de production. En effet,
les cultures attelées né-
cessitent la possession d'un ou de plusieurs ânes ou boeufs ;

- 476 -
quant à la bicyclette, elle constitue, dans la majeure par-
tie des cas, plus un véhicule de transport utilitaire qu'un
objet de luxe. L'Etat doit donc veiller à la réforme du sys-
tème fiscal en ayant pour axe de favoriser la production
agricole, ce qui suppose d'éviter de taxer les moyens de pro-
duction de la paysannerie pauvre. Toujours dans le but de fa-
vorlser la production agricole,
l'Etat doit s'assurer le con-
trôle effectif des banques. Le financement du secteur agrico-
le implique la lutte contre l'usure pour la modernisation de
l'agriculture.
Pour ce faire,
la distribution du crédit doit
se faire sur une vaste zone de petits agriculteurs dont les
méthodes de solvabilité restent à étudier.
Il faut pour cela
affronter les difficultés,
renoncer au financement exclusif
de l'agriculture moderne et des grandes exploitations.
Enfin, pour faire face aux calamités naturelles,
l'Etat doit améliorer la capacité de stockage traditionnel
en même temps qu'il créera un système de réserve, capable de
faire face aux pénuries exceptionnelles, mais aussi de servir
sa politique de prix agricoles. L'étude des capacités d'emma-
gasinage nous a permis de diviser les greniers en deux grands
groupes
: les greniers "aériens" et "souterrains". Avant de
pouvoir mettre un système moderne de réserve et de conserva-
tion des graines en place, on pourrait s'appuyer sur l'étude
des avantages et des inconvénients de chaque type afin d'amé-
liorer les performances du stockage des récoltes de la pay-
sannerie pauvre, et d'éviter ainsi des pertes énormes liées
à la conservation du grain. Le dernier conseil mondial de

- 477 -
l'alimentation à Acapul~o n'a pu parvenir à relever à douze
millions de tonnes environ les réserves céréalières destinées
à assurer au monde un minimum de sécurité contre la faim.
"Des préoccupations idéologiques ou politiques ont eu
raison des exigences humanitaires"
(1).
!•
1
Les recherches permettant d'augmenter les capaci-
i
tés de stockage nécessitent la création d'un organisme véri-
tablement national de la recherche
qui n'existe pas aujour-
1
d'hui dans les différents pays du SAHEL. Ses compétences doi-
l"
vent s'exercer dans le domaine également de l'étude de l'amé-
1
lioration des performances des plantes alimentaires. Nous avonj
mis en lumière les potentialités des plantes alimentaires dans!
[
le chapitre deux de la première partie, nulle doute que des
1
!
améliorations substantielles peuvent être apportées dans le
i
domaine des rendements,
des variétés les plus performantes.
!
!
Là comme ailleurs,
la dépendance demeure patente. En 1979,
!
c'est un chercheur de l'ORSTOM qui a découvert un système bio- r
logique fixateur d'azote très efficace:
i l s'agit d'une légu- 1
!r
mineuse,
le Sesbania Rostrata (S.R.).
Enfoui dans le sol com- !
1
me engrais vert,
le S.R constitue un engrais azoté de tout
t
}
premier ordre. Les expériences de l'ORSTOM ont montré que le
i
S.R en riziculture pouvait faire passer les rendements de deux 1
lt
à six tonnes de graines par hectare. Ces éléments de recher-
f
che sont intéressants parce qu'ils prouvent que le domaine de
1
t
la recherche demeure un champ presqu'inexploré.
Ils montrent
~!
1.
Le Monde du 7 octobre 1982, p.33.

- 478
à l'évidence la politique malthusienne qui est menée dans ce
domaine comme dans bien d'autres à cause de la dépendance des
pays du SAHEL.
Tout ceci nécessite que,
sur le plan interne,
l'ac-
croissement et la mobilisation du surplus soient un objectif.
-----------0-----------
1
••
f
1
1
!
1
t
1

- 479 -
CHAPITRE DEUXIEME
MOBILISATION ET ACCROISSEMENT DU SURPLUS
Pour expliquer les problèmes alimentaires au SAHEL
en particulier,
et l'état de "sous-développement" qui carac-
térise cette région de l 'Afrique, on entend souvent
'woquer
g-
des raisons telles que le climat rigoureux,
la surpo~llation
III
qui impose la limitation des naissances,
l'analPhabé;lsme
(véritable fléau),
les mentalités arriérées voire la ~eligion
qui développe le fanatisme musulman. Nous avons, autaL<: que
faire se peut,
essayé de donner à ces obstacles "natw.els"
une place secondaire pour consacrer la première place à la
domination et à l'exploitation des peuples sahéliens dont la
traduction sur le plan agricole se manifeste le plus nette-
ment dans les plans de développement rural. Aux obstacles
"naturels", nous avons opposé les obstacles structurels. La
mobilisation du surplus,
son accroissement,
impose de remon-
ter aussi bien les obstacles naturels que structurels. Pour
ce faire,
nous étudierons dans une section l
: la nécessité
de mobiliser et d'accroître le surplus ou le développement
des forces productives. Avant de faire dans une section II
des propositions pour un type nouveau de croissance et de
répartition, ou encore pour un développement "autocentré".
!f
1
1
1
, 1

-
480 -
SECTION l
: NECESSITE DE MOBILISER ET D'ACCROITRE LE SURPLUS.
La mobilisation et l'accroissement du surplus ont
!
toujours été dans les objectifs de l'impérialisme et de ses
1
alliés africains. Analysant cette question, B.ROSIER indique
,
que
t
"du fait de l'extension de cet ensemble de pratiques,
1
on peut dire que les groupes qui contrôlent le marché
r
mondial des produits, organisent véritablement la fui-
1
te d'une fraction du surplus hors des frontières ou
vers des activités industrielles totalement extraver-
1
,
ties" (1).
1
Cette citation montre pourquoi le surplus agricole en parti-
culier, le surplus économique en général, ne pouvaient pas
servir au développement des forces productives, et donc à une
indépendance croissante des pays du SAHEL.
Les forces productives regroupent les instruments
de production à l'aide desquels les biens matériels sont pro-
duits, mais aussi les hommes qui mettent en branche ces ins-
truments et confectionnent les biens matériels, puisant pour
ce faire dans l'expérience de la production et dans leurs ha-
bitudes de travail. Le développement des forces productives
implique donc celui des moyens de production,
l'accroissement
1
en quantité et en qualité de la force de travail, mais des
!
techniques et des connaissances scientifiques indispensables
1
à une meilleure production. Il fagdr~ait pas non plus négli- 1
ne fa~.
.
!
ger les moyens de transport et les Clrcults commerClaux.
1
1
1
1.
B. ROSIER, op.cit, p.16.
1
1
,
, f,

- 481 -
a) Le_ d~v~l~E.e~e~t _ d~s_m~~n~ deYEodu,Stio~
~n_a9.ric~l~uEe
Nous réduirons l'étude des moyens de production à
celle des instruments de production et à la mobilisation des
terres. L'étude de la force de travail sera faite ultérieure-
ment.
,
1
L'étude historique du SAHEL a révélé l'état d'arrié- !
ration des instruments de production qui sont restés dans la
1
,
1
majorité des cas des instruments de la période précoloniale
1
(daba, houe,
etc •.. ). Comment les techniques agricoles au-
raient-elles pu changer sans une mutation profonde des rap-
ports de production ? Les rapports de production nouveaux que
nous préconisions sont un peu préalable au développement lar-
ge des instruments de production.
Pour B. ROSIER, pour aller
1
vers une économie en ressource,
donc réductrice de dépendan-
!
1:
ce,
i l faut une technologie intermédiaire :
!
"Cela .si signifie pas qu'il faille faire table rase du
!
"pro';j-ès technique accumulé",mais qu'il convient de le
t
consPJérer complètement en le situant dans sa véritable

dimension, dimension globale. Qu'il convient également
.
de regarder du côté des "technologies alternatives" di-
1
tes encore "technologies douces" car non agressives vis- !
à-vis des écosystèmes"
(1).
L'application de cette technologie douce doit con-
(
{
duire à une fertilisation par un usaÇe~ large de composts et
1

f
des engrais verts, une restitution minérale modérée et la lut- ,
te contre les ennemis des cultures par l'utilisation systéma-
f
1
1.
B. ROSIER, op.cit, p.24.
1
,,
r

- 482 -
tique de la lutte biologique et du renforcement de la résis-
tance naturelle des plantes. Le développement de ces techni-
1
ques ne coïncide pas avec les intérêts des producteurs d'en-
1
il,
grais et de produits phytosanitaires, mais correspond aux
,.,
prospections nouvelles tracées par les recherches de pointe
en biologie appliquée. Samir AMIN rejette la thèse des tech-
nologies "douces" :
"Elle ne peut davantage les trouver dans le passé tech-
nologique des centres, en empruntant ses techniques de
production d'hier,
comme le suggère le thème des "tech-
nologies intermédiaires". La raison en est que le pro-
blème est ici différent, puisque l'industrialisation
doit ici permettre la révolution agricole, alors qu'au
centre elle s'est bâtie sur celle-ci".
Il conclut en soulignant que :
"la question véritable n'est donc pas celle des condi-
tions du "transfert de technologie", mais celle de la
création des conditions favorables à une créativité
dans ce domaine,
non pour des motifs de "nationalisme
culturel", mais pour des raisons objectives. De surcroît
i l faut signaler ici un problème : les technologies em-
pruntées véhiculent nécessairement les rapports de pro-
duction capitalistes alors que le cadre social exigé par
la révolution agraire et la mobilisation urbaine doit
être socialiste"
(1).
Cependant, un "développement autocentré" n'est pas synonyme
d'autarcie
les exemples de l'U.R.S.S et de la Chine (qui
représentent de vastes territoires) et ceux de petits pays
(Corée, Vietnam, Albanie,
••• ), prouvent que l'autarcie n'est
r
i
pas un objectif en soi. Elle peut être imposée de façon bruta-!
!
le et totale pour entraîner le développement autocentré, en-
!
1
1
1.
Ouvrage collectif
"L'avenir industriel de l'Afrique",
1
1
op.cit, p.3l.
1

- 483 -
traînant des coûts supplémentaires très lourds pour l'écono-
mie. Il faut donc savoir tirer parti de la théorie des avan-
tages comparatifs ; mais il faut savoir aussi que, si la di-
vision internationale du travail est inégale,
la thèse des
avantages comparés perd de sa validité.
Cette thèse de S. AMIN est limpide et traduit avec
relief l'idée que l'industrialisation de l'agriculture en
Afrique et notamment au SAHEL doit et peut devenir un objec-
tif.
Certes, l'industrie (au sens large) demeure une activité
très largement minoritaire (environ 10 % de la population ac-
tive des pays en voie de développement africains en 1970, con-
tre 7 % en 1950). Le niveau de départ étant bas, l'industria-
1isation en Afrique, au SAHEL notamment, pose et posera des
!
problèmes complexes d'ordre technique pour son développement.
i
C'est pourquoi, dire que les technologies importées véhiculent \\,i,..•
des rapports de production capitalistes, s'avère insuffisant.
[,
La connaissance de cette vérité d'évidence ne peut mettre,
f
les pays du SAHEL, à l'abri des importations de technologies.
A notre sens, elle pose uniquement le problème de l'assimi1a-
tion de ces technologies importées et la nécessité de se les
1
1
approprier afin de les mettre au service d'objectifs clairs
fl
et précis. Les industries de base (sidérurgie,
chimie, méca-
nique) constituent au SAHEL les branches les plus négligées.
1
!
Des investissements dans ce domaine nécessitent un financement 1
i"
important et des risques que le capital financier étranger
peut difficilement prendre. Ces ris~ues sont liés à un inves-
tissement lourd et de longues durées de vie dans un contexte

- 484 -
politique jugé incertain. D'ailleurs, depuis 1973-1974, des
projets certes modestes, ont été étudiés pour certains pays
du SAHEL : sidérurgie en Mauritanie, pétrochimie au Sénégal.
"Ainsi,_le statut du projet de complexe pétrochimique
de Cayqr qui devait jouer un rôle important dans l'en-
~
semble de l'industrie sénégalaise, est maintenant par-
!
ticulièrement incertain,
en raison des restrictions
r
financières iraniennes"
(1).
\\
1
L'industrialisation n'est donc pas une idée creuse
f
1
surtout si elle se développe de façon harmonieuse, aussi bien
!
sur la base d'une industrie lourde complémentaire d'une indus-II~,:,t.
trie légère qui produit pour la satisfaction des besoins des
masses. Aucun développement "autocentré" ne peut être possible
,
si le tissu industriel est lâche et incohérent. L'installa-
1
t
tion des industries légères doit dans un contexte de rupture,
II
s'accompagner de la construction d'industries de base (métal-
!
lurgique,
chimique, etc •.. ) capables de supporter les blocus
1
!
éventuels.
f
Comment cette industrialisation sera-t-elle finan-
cée, en retenant l'hypothèse du développement autocentré ?
1,
f
A. SMITH présentait déjà l'importance de la croissance de la
r
productivité agricole dans le processus de développement
!
"Le jour où, par l'amélioration de la culture de la ter-
re,
le labeur d'une seule famille permettra d'en nour-
rir deux,
le travail de la moitié de la population suf-
fira à nourrir la société tout entière. L'autre moitié
pourra donc être employée en majeure partie, tout au
moins, à fournir d'autres choses, ou à satisfaire d'au-
tres besoins et aspiration de l'humanité" (2).
L
Ouvrage collectif : "L'avenir industriel de l'Afrique".
2.
A. SMITH:
"La richesse des nations", op.cit.

- 485 -
Actuellement en Occident, une famille peut nourrir
vingt familles. Le financement de la croissance globale de
l'économie et notamment de l'industrie,
incombe principale-
ment à l'agriculture dans les pays qui ne possèdent que l'a-
griculture comme source de transfert de valeur.
Des exemples
multiples indiquent que dans les pays dits développés, c'est
l'agriculture qui a fourni la meilleure part du financement
de l'économie.
"Le rôle de l'agriculture dans le processus de dévelop-
pement du Japon constitue un exemple particulièrement
frappant. Le financement a été réalisé principalement
par l'impôt foncier,
qui représentait 86 % des recet-
tes fiscales vers 1875 et encore 45 % en 1895 ; vers
cette époque, l'agriculture qui représentait 50 % du
PNB, payait plus de 80 % des impôts" (1).
1
Notre étude sur les débats concernant les transferts de va-
leur de l'agriculture vers l'industrie dans les années 1920
1
en U.R.S.S., confirme la nécessité de faire subir au secteur
1
agricole arriéré et surtout en développement une ponction de
produit net au profit du secteur industriel. La question qui
1
reste posée et sur laquelle des divergences subsistent demeu-
1
re celle du coût que l'agriculture doit supporter et pendant
combien de temps. L'expérience prouve qu'une ponction exces-
sive bloque le développement harmonieux des deux secteurs qui
'1.·
doivent évoluer de pair. Nous sommes également d'avis que cet-
te ponction doit être limitée dans le temps.
Peut-on prévoir
à l'avance le volume et la durée de la ponction? Cette ques-
1.
L. MALASSIS
: "Agriculture et processus de développement" ,
UNESCO -
Paris., 1973, p.159.
-
,
r
1
1
t1t
1.
[

- 486 -
tion demeure difficilement soluble tant que des paramètres
plus fins ne sont pas pris en compte, et qu'une politique
globale n'est pas mise en place. La question du rythme et
du lieu de l'implantation des industries de base et des in-
dustries légères doit être fonction de plusieurs données :
(i) l'arriération du secteur agricole,
(ii) le déséquilibre
croissant entre campagne et ville au profit de cette derniè-
re,
(iii) la satisfaction des besoins des masses. Seuls ces
paramètres peuvent dicter le rythme et la répartition des
efforts dans l'industrialisation en tenant compte de l'objec-
tif prioritaire qui veut que,
sans une industrie de base,
il
n'y a pas d'indépendance technologique. Cependant,
les moyens
de production en agriculture ne comportent pas que les ins-
truments de travail.
b) ~a_mobilis~tio~ de~ te!.r~s :
Le rapport entre les terres cultivables et les ter-
res cultivées au SAHEL appelle non seulement une mobilisation
quantitative, mais aussi qualitative de celle-ci.
Au niveau quantitatif,
nous avons constaté que les
SAD représentent 10 % (au maximum) des superficies totales.
Des potentialités existent, permettant d'étendre les SAD.
D'ailleurs sur ce plan, de nombreux projets envisagent d'élar-
gir les surfaces cultivées. Le projet d'aménagement des Vol-
tas (AVV) reçoit depuis ces trois dernières années un finan-
cement moyen de huit millions de francs français par an. Celui
de l'aménagement de la vallée du fleuve Sénégal est également

- 487 -
à l'ordre du jour. Deux prêts de la Caisse Centrale de Coo-
pération Economique (3 millions de FF et 4.8 millions de FF)
ont été consentis en octobre 1982 pour l'aménagement hydro-
agricole à Matam et la culture maraîchère dans le Gandiolas.
Au Niger.
le projet agricole le plus important qui a reçu un
financement de 6.67 millions de FF entre 1979 et 1982. con-
cerne le développement intégré de Dosso. Les exemples donc
des AVY en Haute-Volta,
de l'OMVS
(Organisation pour la Mise
en Valeur du fleuve Sénégal) en Mauritanie.
l'aménagement de
la vallée du fleuve Niger au Niger. etc •••• montrent les ten-
tatives d'exploiter ces potentialités. A notre sens ces ef-
forts sont insuffisants faute de moyens financiers toujours
attendus des investisseurs étrangers.
Ces contingences font
planer sur tous les projets. l'idée de rentabilité capitalis-
te très souvent incompatible avec le développement des forces
productives au SAHEL.
C'est dire que la modification des rapports de pro-
duction ouvre là aussi des perspectives nouvelles. permettant
de multiplier la SAD sur le plan quantitatif. Cette modifica-
tion quantitative doit s'inscrire dans le cadre d'une réforme
agraire. La réforme doit avoir pour objectif de modifier les
relations socio-juridiques existantes entre les hommes. mais
également le système de
répartition
des terres. Au SAHEL où
le droit coutumier traditionnel cohabite et occupe une place
secondaire par rapport aux textes coloniaux,
la terre appar-
tient soit à l'Etat. soit au chef de terre ou de village. au
chef de famille ou encore à des propriétaires terriens qui les

- 488 -
ont fait enregistrer. Le droit de jouissance des terres doit
être transformé dans la majorité des cas en droit de proprié-
té. Le morcellement de la propriété ne doit pas rester un ob-
jectif, mais il doit permettre de briser les structures tra-
ditionnelles existantes, mais aussi de briser les aspects mo-
nopolisantset féodaux des structures capitalistes ..
L'objectif à terme doit demeurer de permettre une
coopération des propriétaires des sols sur des bases nouvel-
les.
"Dans bien des cas, on a reu pouvoir passer directement
d'un système de solidarité traditionnelle totale ou
villageoise,
à un système de solidarité coopérative.
En réalité,
ces systèmes appartiennent à des univers
mentaux différents" (1).
Les exemples de coopératives au Sénégal et en Tanzanie nous
indiqueront les limites des so~O~jarités traditionnelles face
aux problèmes d'autosuffisance alimentaire. Au Sénégal, le
système coopératif se trouve en aval de la production alimen-
taire. c'est en 1910 que l'administration coloniale créa lès
Sociétés Indigènes de Prévoyances (SIP),
sortes de sociétés
d'économie mixte, présidées par le commandant de cercle mais
dans lesquelles siégeaient des paysans "élus". Elles devraient
assurer la gestion du capital semencier, c'est-à-dire distri-
buer les semences et recouvrer le remboursement majoré d'un
intérêt de 25 %. Après la seconde guerre mondiale, pour réa-
9 ir contre le système de traite, -à. partir de 1947, sous l'im-
pulsion du parti socialiste français(2),
les paysans furent
1.
J.M. ALBERTINI, op.cit, p.219.
2.
La revue "Le mois en Afrique", nOs 194-195 de janvier-
février 1982, p.56.

- 489 -
invités à se regrouper au sein de coopératives.
"Elles étaient chargées d'effectuer la collecte et la
commercialisation primaire des produits, de tenir les
comptes des adhérents,
de recouvrir le crédit, de re-
censer les besoins des coopérateurs" (1).
Les paysans livraient leur produit à la coopérative qui drai-
nait l'arachide vers l'ONCAD (Office National de Coopération
et d'Assistance pour le Développement).
En 1971 on dénombrait 2.378 coopératives au Séné-
gal dont 1.800 coopératives arachidières,
76 % du total. Par-
mi ces coopératives,
certaines jouaient un rôle effectif,
les
autres n'avaient qu'une existence théorique et subsistaient
grâce à des considérations politiques ou régionalistes. Ac-
tuellement, le système est grippé à cause des abus perçus par
les paysans.
Ces abus peuvent être de plusieurs ordres, mais nous
en retiendrons deux exemples : en général dès la récolte,
le
paysan fait une première livraison pour obtenir de l'argent
pour ses besoins immédiats. S'il livre cinq sacs d'arachides,
la coopérative retiendra deux pour le remboursement de ses
créances et le paiement des trois autres sera échelonné dans
le temps, parce que soit les fonds disponibles manquent, soit
à cause de la volonté des agents de la coopérative de détour-
ner une partie des fonds dûs au paysan. Ainsi délivre-t-on
quelquefois un simple bon représentant la valeur de l'apport
1.
La revue "Le mois en Afrique", n° s 194-195 de janvier-
février 1982, p.56.

- 490 -
du paysan ; mais ce bon sera payé avec un abattement de 30 %
après la visite d'un intermédiaire au village qui expliquera
les raisons pour lesquelles la coopérative ne peut honorer
le paiement du bon.
Il existe également la pratique de la ba- i
f'
lance falsifiée qui autorise un prélèvement de vingt kg d'a-
t
rachides pour tout sac de cent kg livré à la coopérative. Les (
i
coopératives, dans le cas de remise de dette,
également pou-
vaient garder l'information afin de récupérer tout ou partie
1
1
de la créance avant d'annoncer la nouvelle. Ces pratiques ini-j
ques qui livrent les paysans à une exploitation féroce, sont
1
liées à la structure de la coopérative qui s'appuie sur les
!
structures traditionnelles, et donc néglige les producteurs
1
réels.
1
La coopérative doit donc se faire par association
1
des producteurs,
et donc du sol. Le village Ujamaa est une
t
tradition~
autre tentative qui essaie d'utiliser les structures
nelles comme base de la création des coopératives. Le "champ
1
du coude à coude" est formé de trois cents parcelles indivi-
1
duelles d'une acre.
Chaque parcelle est confiée à une famille
1
qui la cultive et en garde tout le profit. Ce champ est le
fruit d'un remembrement car les autorités du village choisis-
sent une portion du terroir villageois qui est défrichée pour
constituer les trois cents parcelles que chaque famille est
contrainte d'accepter. Le champ de Kalemala permet la culture
mécanisée en même temps qu'il respecte le "goût" des paysans
pour les petites parcelles privées.

- 491 -
"En 1980-1981, au moment où
j'écris,
les paysans de Ka-
lemela
n'ont pas encore planté de coton malgré la bel-
le récolte de l'an dernier •••
Ils ont surtout l'impres-!
sion d'avoir perdu leur belle liberté d'antan. Ils ai-
i
ment cultiver ce qu'ils veulent quand ils le veulent et
~
comme ils le veulent" (1).
t
"Une réforme agraire doit donc se réaliser soit dans un
!
climat politique qui mobilise les masses rurales et les !
intègre au pouvoir, soit à travers des mutations écono-
t
miques et sociales qui réorientent d'anciennes classes
1
possédantes"
(2).
f
î
La mobilisation des masses rurales qui est selon
f
i
nous la seule alternative à laquelle nous croyons vraiment,
1
,
1
doit permettre au paysan, producteur réel,
d'être non seule-
!
ment membre des coopératives mais également décideur (pour ce ri
qui concerne les plantes à cultiver,
les terres à cultiver,
1
!J
le financement,
etc ••• ).
f-
I,

" "
i
La réforme agraire dOlt egalement resoudre les pro-
1
1
blèmes de l'indemnisation ou non des anciens propriétaires, lat
!
quantité de terre accordée à chaque paysan dans la redistri-
but ion des terres.
Les conditions de succès d'une bonne réforme agrai-
re exigent que le poids financier de la réforme agraire soit
peu onéreux pour l'Etat et les paysans pauvres. Dans ces con-
ditions,
l'indemnisation,
si indemnisation il y a,
doit tenir
compte des capacités financières de la paysannerie pauvre.
Dans les pays du SAHEL où l'infrastructure est inexistante,
la mise en valeur des terres doit être un des objectifs de la
1.
B. JOINET :
"Tanzanie, manger d'abord". Edition Karthala,
Paris., 1981.
2.
J. ALBERTINI, op.cit, p.215.

- 492 -
1r
réforme agralre.
L'irrigation et le drainage des eaux doi-
1
!
vent suivre une réforme de la propriété des eaux. La mise
!
en culture des terres laissées en jachère,
la conquête de
terres en friches doivent aller de pair avec la mise en va-
leur des terres. Cette mise en valeur doit être l'occasion
de consacrer un travail mort,de plus en plus important à la
terre.
L'augmentation progressive de ce travail doit permet-
tre l'engraissement des sols (engrais verts,
fumures,
engrais
chimiques). Les petites propriétés, pour bénéficier des écono-
mies d'échelles qu'offre la grande exploitation, doivent lais-
ser la place aux coopératives et fermes d'Etat. Les investis-
sements mentionnés doivent permettre de dégager l'agriculture
des contraintes pluviométriques,
climatiques, en un mot, des
contraintes naturelles. L'agriculutre moderne ne saurait se
bâtir en laissant ses conditions de production fortement in-
fluencées par les contraintes naturelles. L'accumulation du
travail mort doit réunir progressivement les conditions d'une
agriculture industrielle, à l'abri des aléas climatiques.
L'accumulation d'un travail mort croissant, exige une mobi-
lisation importante de la force de travail.
Au SAHEL,
le contrôle des naissances ne constitue
nullement une préoccupation. Au Sénégal,
il semble que deux
raisons empêchent l'Etat d'intervenir dans ce domaine:

- 493 -
"- diminuer les naissances est une conception absolu-
ment contraire aux préceptes de la loi coranique.
Les considérations religieuses empêchent toute ac-
tion de l'Etat en ce domaine. Une politique mal-
thusienne heurterait, entre autres,
les Mourides
et les Tidjanes,
les deux confréries musulmanes
qui sont un peu des Etats dans l'Etat;
"- l'ensemble de l'Afrique francophone souffre, sur
le plan démographique, d'un complexe à l'égard du
puissant Nigéria anglophone beaucoup plus peuplé
et n'entend pas entraver le croît de population
qui pourrait, à très long terme,
combler légère-
ment cette disparité" (1).
Au-delà de ces considérations subjectives, là pres-
sion démographique se classe parmi les mécanismes d'induction
qui offre aux forces progressistes de la société, l'assurance
de s'imposer. L'accroissement démographique
"lui permettra de réussir de mieux en mieux à mobiliser
ses forces productives au service du développement, en
sorte que finalement,
l'accroissement de son produit
dépassera celui de sa population" (2).
Toutes ces idées renforcent notre analyse qUl re-
jette le contrôle des naissances comme une thérapeutique ap-
plicable dans le cadre du SAHEL pour résoudre le problème de
l'alimentation. Seuls les néo-malthisiens peuvent véhiculer
et distiller de telles thèses inconsistantes. A propos de
MALTHUS, si notre mémoire est bonne, c'est PROUDHON qui en
ironisant, écrivait que si "il n'y a qu'un seul homme de trop
sur cette terre,
ce doit bien être MALTHUS". Le fort taux de
croissance démographique que connaissent les pays du SAHEL
1.
Le mois en Afrique, nOs 194-195, op.cit, p.5l.
2.
Albert O. HIRSCHMAN,
"Stratég ie du développement économi-
que". Editions ouvrières, Economie et Humanisme - Paris.,
1974, p.207.

-
494 -
commande que l'augmentation de la production notamment Vl-
vrière soit un objectif. En effet c'est la production qui
doit s'adapter au taux de croissance démographique et non
le taux de croissance qui doit suivre docilement la produc-
tian.
Cette thèse peut se révéler dangereuse à plusieurs
égards
elle peut conduire à la paresse, à l'incitation au
repos,
à se détourner de la voie du progrès, mais aussi de
la lutte de des difficultés. Schématisée, elle peut permet-
tre d'aboutir à la conclusion que chaque fois que la produc-
tian baisse,
il faut abaisser le taux de croissance démogra-
phique et pourquoi pas à la limite envisager une diminution
de la population. Toutes choses qui freinent objectivement
les progrès de l'humanité. Résolument optimiste,
nous som-
et
mes d'avis que la population du SAHEL doit continuer à croî-
tre au taux spontané de 2 %, l'accroissement de la popula-
tian sur le plan quantitatif participant de la croissance
des forces productives. Cependant, comme dans le domaine des
sols, la coopération des différents producteurs devra être
une préoccupation au moment où les solidarités traditionnel-
les s'effritent et ne répondent plus aux exigences de l'aug-
mentation de la production.
"La coopérative suppose une prise de conscience des in-
terdépendances et du calcul économique, et une notion
du bien commun étrangère à la solidarité traditionnel-
le. La coopérative appartient au monde de l'économie
moderne, on l'oublie trop souvent. Elle suppose en ou-
tre un encadrement important, des responsables qui
soient au courant des problèpes commerciaux et une ad-
ministration intègre et qualifiée" (1).
1.
J.M. ALBERTINI, op.cit, p.219.
m

- 495 -
La coopération simple a certes connu ses heures de
gloire avec les oeuvres gigantesques des anciens Asiatiques,
des Egyptiens, etc •.•
Cependant,
"l'emploi sporadique de la coopération sur une grande
échelle, dans l'antiquité,
le moyen âge et les colo-
nies modernes, se fonde sur des rapports immédiats de
domination et de servitude, généralement l'esclava-
i
ge"
(1).
f
t
Il faut donc démocratiser la société au SAHEL ; pour les pay-
~
sans, cela signifie se libérer des chaînes des vestiges du
t
servage précapitaliste, et de celles avec lesquelles le ca-
1
pitalisme est en train de les asservir. Ainsi pourrait-on
!
bénéficier des avantages de la coopération qui sont : que la
r
somme des forces mécaniques d'un travailleur isolé diffère
1
!
i
de la force mécanique qui se développe dès qu'elles fonction-
!
nent conjointement et simultanémznt dans une opération com-
mune. La force deoductive individuelle croît dans la coopé-
1
f:
ration mais se crée par la même occasion une force nouvelle
1
ayant un caractère collectif. Le seul contact entre les tra-
!
vailleurs produit une émulation et une débauche d'énergie des
1
esprits animaux qui transcendent la capacité individuelle. La
coopération permet également un gain de temps, de disposer
1
d'une masse de travail dans un court laps de temps, ce qui
permet de résoudre des problèmes insolubles au moment déci-
1
sif. L'effet produit au moment voulu, dépend de l'emploi si-
multané d'un grand nombre de journées combinées et l'étendue
1
,
1
r
L
Karl MARX, "Le capital". Livre Premier, texte intégraL
Editions Sociales - Paris., 1977, p.245.

e
- 496 -
de l'effet utile fonction du nombre de travailleurs employés.
Ainsi le manque de coopération en Tanzanie,
à tous les ni-
veaux de la production, a pu conduire à dilapider une quan-
tité énorme de coton.
"Un tracteur vient facilement à bout de champs de cent
hectares. Oui, mais comme le planteur doit récolter
le coton à la main après l'avoir sarclé à la main, mê-
me s ' i l emploie des boeufs ou un tracteur pour labou-
rer,
lui et les membres de sa famille n'ont que deux
mains chacun· pour la récolte"
(1).
Une grande partie du coton tombe sur le sol, se remplit de
poussière,
jaunit et devient invendable. La coopération per-
met la réalisation de grands travaux tels que le déssèchement,
l'irrigation du sol, la construction des casernes, de routes,
de chemins de fer,
etc ••• ,
qui sont inimaginables en dehors
d'un travail collectif. A contrario,
elle permet de rétrécir
le champ d'exécution du procès de travail.
"Ce double effet,
levier si puissant dans l'économie de
faux frais,
n'est dû qu'à l'agglomération des travail-
leurs, au rapprochement d'opérations diverses, connexes,
et à la concentration des moyens de production" (2).
Au plan qualitatif,
i l faut retenir l'éducation, la
santé des homees. L'analphabétisme est un fléau au SAHEL, le
taux de scolarisation est généralement au-dessous de 20 %.
1
\\
Malgré cette faible scolarisation, les "déchets" du cycle
i
scolaire reprmsentènt plus de 50 % des enfants scolarisés.
!
Mieux, les programmes scolaires sont inadaptés et n'ont que
L
B. JOlNET,
"Tanzanie, manger d'abord", op. cit, p.66.
2.
K. MARX, Livre l, op.cit, p.241.

-
497 -
très faiblement évolué depuis l'époque coloniale. Autant de
faits qui dictent que l'éducation doit être repensée de fond
en comble avec pour objectif une scolarisation accrue pour
liquider l'analphabétisme. Cette lutte doit être orientée
vers les enfants sans pour autant négliger les adultes.
Cré-
er une école nouvelle permettant de lier formation et emplois
disponibles pour éliminer à
jamais les "déchets". L'adoption
de programmes adaptés et capables de donner aux élèves et
étudiants des connaissances scientifiques solides. Les objec-
tifs d'une telle éducation seront de créer un homme scienti-
fiquement nanti,
conscient de ses responsabilités.
Cependant un homme ayant une tête bien faite dans
un corps malade, ne peut fournir le meilleur de lui-même.
L'existence des maladies endémiques,
l'infrastructure sani-
taire squelettique,
etc •.. ,
sont des fléaux qui rongent les
peuples sahéliens quotidiennement jusqu'à l'os. Enrayer les
maladies endémiques,
créer une infrastructure capable de ré-
pondre aux énormes besoins des populations, telles sont les
prémices
de la création d'un homme sain, vigoureux et fort.
Cet homme sain possédant des connaissances scientifiques et
techniques profondes est en mesure de mettre efficacement en
branle les nouveaux instruments de production. Au plan du fi-
nancement, le coût de formation doit être abaissé grâce à une
réforme de l'enseignement qui aura pour objectif de raccour-
cir les cycles d'études,
et d'ôter aux programmes tous les
éléments superflus. Cependant la formation de cadres subal-
ternes au détriment des cadres supérieurs ne peut, à notre

u
- 498 -
sens, répondre aux problèmes complexes de développement qui
peuvent se poser, à moins d'envisager de faire appel à la
"matière grise" étrangère. Cette vision unilatérale et ban-
cale de la formation des cadres risque d'entretenir à terme
des goulots d'étranglement.
Il faudrait une formation com-
p1exe (de cadres supérieurs moyens et subalternes) tenant
compte des moyens financiersmmis à la disposition du secteur
éducatif. Pour une plus grande efficacité des dépenses de
l'enseignement,
il faudrait privilégier certaines filières.
Les aspects pratiques (quelles filières privilégier) doivent
correspondre avec les objectifs d'un plan d'ensemble établi
par l'Etat. La mobilisation du surplus passe également par
la fluidité des circuits de distribution.
d) Fluidité des circuits de distribution:
- - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Pour satisfaire les besoins alimentaires des masses
rurales et urbaines,
rien ne peut remplacer un réseau de dif-
fusion commerciale, capable d'assurer la circulation des den-
rées alimentaires entre industrie et agriculture (et récipro-
quement) entre ville et campagne (et réciproquement).
Pour ce
faire,
il faut un réseau de desserte nouveau liant les régions
de surplus alimentaire et de déficit.
Les grands axes routiers ou ferroviaires qui demeu-
rent aujourd'hui encore,
les voies de desserte principales
tracent l'itinéraire du commerce de traite.
Exceptée la voie
ferrée minière en Mauritanie construite en 1963,
le réseau

- 499 -
ferroviaire au SAHEL se caractérise par sa vétusté. Au Séné-
gal l'ensemble des lignes principales mesure 1.034 km,
tandis
que les voies secondaires totalisent 152 km de longueur. 35 %
des lignes ont plus de soixante ans d'âge et 20 % entre 25 et
60 ans,
ce qui a fait écrire que "ce réseau qui n'a pas pro-
1
::::S:ed:::i:l:~v:::sC::::::::é'::O::éV:::S::"::~~~L:e:é- 1
Chemins de Fer du Mali (RCFM) construit par les Françals entre 1
i!
1882-1892 a dû attendre 1926 pour être raccordé aux lignes du
Sénégal. Le réseau ferroviaire Abidjan-Ouagadougou (1.175 km)
1
i
devait permettre de transporter la main-d'oeuvre de la Haute-
ft
Volta (très peuplée) vers les plantations ivoiriennes. ~e Che- 1
~
t.
min de fer Dakar-Bamako devait permettre également le drainage 1
1
f,
de la main-d'oeuvre malienne vers le Sénégal, en même temps
1
'1
qu'il devait desservir les comptoirs commerciaux en produits
!
,
manufacturés. Depuis donc les "indépendances", dans la majeure 1
!
partie des cas, aucun bout de rail n'est venu modifier le ca-
ractère de traite du réseau ferroviaire.
f
Le réseau routier échappe-t-il à ce cruel constant ?I
Là des progrès ont été réalisés;
cependant pour l'essentiel,
1
,
l
les "routes du coton et de l'arachide" existent et prédominent!
1
toujours.
La longueur du réseau routier en Haute-Volta en 19781
couvre 16.462 km,
dont 8.702 km sontsés routes nationales, dé- 1!
partementales et régionales. Les ro':}es bitumées représentent
'
~
i,
. .
v'Y
857 km en 1978. En Maurltanle sur ~n total de 6.789 km, seule- ~t
1.
Revue "Europe-Afrique, Outre-Mer" de mai 1982, p.19.

-
500 -
ment 558 km sont bitumées en 1975. A part les routes bitu-
mées qui sont carrossables, toutes les autres routes le
sont au gré des caprices du temps.
Il existe aujourd'hui de
nombreuses régions enclavées pendant la saison des pluies, ce
qui rend actuellement la fluidité des circuits commerciaux
plus qu'improbable.
Au SAHEL existent dans chaque pays un ou deux grands
grands groupes en Haute-Volta :
-
les collecteurs individuels, véritables spécia-
listes des différentes régions, ayant leurs fournisseurs ha-
bituels et sillonnant les brousses au moment des récoltes
ils représentent des agents salariés qui prospectent pour le
compte d'une maison commerciale.
- Les grands commerçants sont installés dans les
grands centres ; souvent indépendants, ces collecteurs font
des affaires florissantes dans la capitale en gérant parallè-
lement, qui un bar, qui un restaurant, qui une boutique, qui
une entreprise de transport. Leur assise financière plus vas- t
I-
te peut leur faciliter le monopole puisqu'ils possèdent une
I~
1
L
Taladidia TH IOMBIANO ,
"Problématique socio-économique et
financement du développement
: le cas de la Haute-Volta".
Thèse pour le Doctorat d'Etat Es-Sciences Economiques,
Paris., 1976.

-
501 -
très grande capacité de ramassage. Pendant la dernière fami-
ne,
beaucoup ont saisi l'occasion pour faire fortune grâce à
la spéculation sur les denrées de première nécessité. Les
produits ainsi collectés par ces commerçants soit transitent
par les entrepôts des compagnies commerciales CITEC (Arachi-
de), CFAO, etc •.• , soit sont directement expédiés dans les
pays d'Europe (Hollande).
-
Enfin les Offices Régionaux de Développement
(ORO), à qui l'Etat a confié, pour la campagne 1974-1975, le
monopole de la collecte de céréales. Ces organismes se char-
gent de collecter la production des paysans afin de la vendre
directement sur le marché, éliminant par la même occasion la
multitude d'intermédiaires qui occasionnent des hausses de
prix abusives.
Cependant au niveau du coton, le monopole ap-
partient toujours à la CFDT qui se charge de la commerciali-
sation du pro~~it sur le marché mondial.
Pour inciter la paysannerie pauvre à la production,
il convient, du moins dans les premières années d'une réforme
des circuits de distribution,
de laisser subsister un marché
où les prix ne sont pas réglementés.
Il convient également de
limiter le pouvoir économique de la bourgeoisie et de la peti-
te bourgeoisie en créant des marchés officiels. Le marché of-
ficiel doit avoir pour objectif d'approvisionner une frange
de plus en plus importante de la population urbaine et des
campagnes grâce à des prix compétitifs. Le fonctionnement de
ce système, pour ne pas léser les producteurs réels, en l'oc-

-
502 -
currence la paysannerie pauvre, doit s'appuyer sur une sub-
vention de l'Etat permettant l'achat à un prix rémunérateur
au stade de production. La fixation des prix à la consomma-
tion doivent s'inspirer de la technique du Dumping pour rui-
ner la compétitivité de la bourgeoisie et de la petite bour-
geoisie qui resteront très actifs sur les marchés non régle-
mentés. Enfin i l faudrait créer un marché "réciproque" dans
lequel les prix fixés par l'Etat permettront à la paysanne-
rie d'échanger ses excédents de produits agricoles contre les
produits industriels (outils,
pétrole, sel, sucre, etc ••• ).
Là comme ailleurs,
les échanges doivent viser à ne pas rui-
ner la paysannerie pauvre.
Ce régime différencié aura pour
dernière fonction de soumettre le commerce des denrées ali-
mentaires à des règles strictes défiant toute spéculation.
D'un point de vue concret,
le monopole de la CFDT
et des structures de l'Etat néo-colonial doit s'évanouir avec
la liquidation de l'impérialisme et de ses alliés locaux.
Quant aux autres intermédiaires,
ils se battront et se neu-
traliseront dans le cadre du marché libre. L'objectif à terme
consiste à réduire le rôle des intermédiaires pléthoriques et
d'en faire des producteurs pour augmenter les forces produc-
tives sociales. Les points de ventes et magasins officiels
doivent progressivement se mettre en place dans tous les vil-
lages, parallèlement au développement du réseau routier et
ferroviaire.
La mise en place de cette infrastructure doit
s'accompagner d'une politique tarifaire visant à encourager
la consommation des produits de première nécessité, afin d'é-
rn
al

-
503 -
largir le marché intérieur. Enfin i l faut harmoniser la po-
litique des trois marchés afin que l'avènement du marché
unique se fasse en même temps que celui du prix unique. Les
prix des produits de base à la consommation doivent progres-
sivement diminuer sans affecter les prix à la production,
pour se situer au-dessous de leur valeur, tandis que les
produits de luxe seront grevés d'une taxe permettant de com-
penser cette politique de bas prix au profit des denrées de
premières nécessités. Dans ces conditions s'ouvrira l'ère
d'une croissance et d'une répartition nouvelles.
SECTION II
: CROISSANCE ET REPARTITION NOUVELLES.
La signification des agrégats d'un pays indépen-
dant diffère de celles d'un pays soumis et dépendant, dont
les différents secteurs "extravertis" sont liés au système
capitaliste mondial. La croissance,
c'est-à-dire l'augmenta-
tion en volume des agrégats dans les néo-colonies signifie
que l'exploitation,
la domination, se renforcent,
tandis que
la portion du surplus qui quitte le pays augmente.
La crois-
sance des agrégats dans un pays indépendant trace des pers-
pectives larges de développement accéléré et rapide. Comment
créer les conditions de ce développement accéléré ? Comment
réunir celles d'une épargne abondante au service de ce déve-
loppement ? Trois sous-sections nous permettront de répondre
à ces questions.

-
504 -
Il Nécessité d'une épargne croissante ou maximisation
des ressources internes d'accumulation.
I I I Priorités aux investissements des secteurs les plus
productifs.
1111 Rémunération correspondant a l'effort réel de cha-
que producteur.
Il Nécessité d'une épargne croissante ou maximisation
des ressources internes d'accumulation.
Une croissance accélérée des économies du SAHEL
appelle des investissements considérables qui doivent venir
de leurs ressources propres si elles tiennent à conserver
leur indépendance. Une politique judicieuse de ponction du
surplus doit s'effectuer par le canal de la fiscalité,
de la
parafiscalité, des prix et par celui des banques. Cette ponc-
tion exige par conséquent, pendant les premières années de
l'indépendance nationale, des sacrifices de tous: les mas-
ses continueront de vivre avec des sommes avoisinant le mi-
!
nimum v i t a l ;
l'Etat et les dirigeants devront réduire leurs
f
dépenses au strict minimum. La grille des salaires et traite- 1
ments doit se resserrer,
ce qui ne signifie pas que les salai-I
res doivent baisser en termes nominaux ou réels. Les imPort~-t
tions de luxe et même de demi-luxe (Mercédès, Cadillac, al-
i
cools, meubles luxueux, etc ••. ),
les dépenses somptuaires
pour la construction de palais, d'hôtels de marbre,
les fes-
tivités diverses,
les voyages incessants doivent être suppri~
més.

-
505 -
Par
le système de prlx relatifs,
l'Etat peut en
contrôlant les circuits de distribution interne et externe,
capter une partie du surplus. L'Etat peut établir d'abord
son monopole sur le commerce des principaux produits expor-
tés et sur ceux de grande consommation i
i l doit organiser
le reste du commerce avec pour objectif de supprimer au ma-
ximum les intermédiaires. Ainsi la fraction du surplus qui
va aux commerçants sera de plus en plus réduite, pour être,
en dernière analyse, contrôlée par l'Etat.
Le réseau bancaire doit être capable de drainer
la partie du surplus qui aurait échappé aux "aspirateurs"
de surplus que l'Etat aura dressés dans tout le circuit de
l'économie. Ainsi l'épargne des masses servira à financer
le développement de l'économie.
L'évolution des rendements,
le développement des
forces productives fourniront à long terme des disponibili-
tés nouvelles, permettant l'accumulation élargie et une
croissance accélérée. Le changement des rapports de produc-
tion devra créer également d'excellentes conditions d'accu-
mulation.
Car d'un côté,
le surplus dont seront privés le
capital étranger et la bourgeoisie locale. servira à élar-
glr la base de l'accumulation nationale, mais d'un autre cô-
té, une réforme agraire et l'instauration de nouveaux rap-
ports à la campagne libéreront les paysans des corvées et
lourdes charges que les féodaux leur imposent à des fins
improductives. Enfin l'aide extérieure peut devenir un ap-
point indispensable à une croissance accélérée. Cette aide

-
506 -
1
1
1
!
fraternelle ne peut venir de n'importe quel pays, et surtout
!
pas des pays capitalistes. En tout état de cause, un pays in-
1
dépendant doit savoir avant tout compter sur ses propres for-
ces afin de se prémunir contret~utes les tentatives d'inféo-
dation qu'un financement extérieur par trop excessif, peut
engendrer. Mobilisation du surplus, de l'épargne, pourquoi
faire ? Tel est le problème que nous devons maintenant abor-
der.
II/"Priorités aux investissements des secteurs les plus
product ifs".
Dans le système capitaliste, un secteur est produc-
1
1
tif par rapport à un autre si sa rentabilité lui est supérieu- t
re en termes monétaires. En d'autres termes, un secteur est
!
productif s ' i l apporte au capitaliste de la plus-value, qUl
constitue la seule forme de surplus dans le MPC. Pour O. AFANA'r
si nous tournons le dos à la rentabilité capitaliste, nous
pouvons estimer qu'un secteur est productif pour deux raisons
tout à fait différentes: s ' i l permet d'utiliser au mieux les
ressources humaines et de réaliser le plein-emploi ou si, en-
core,
il accroît la productivité du travail.
Quand l'objectif se résume en une rentabilité ma-
ximum et souvent immédiate (rotation rapide des capitaux ou
,
-1
leur amortissement,
risques minimums d'erreurs dans les cal-
,
culs des coûts et des pertes), on néglige les deux critères
\\
que nous venons d'énumérer comme l'écrit C.
BETTELHEIM:

-
507 -
"Le calcul de rentabilité exprime la préoccupation des
propriétaires des moyens de production qui aspirent à
s'approprier la part la plus importante du revenu na-
tional pour une valeur donnée de leur capital. Ceci
n'a aucun rapport avec le calcul visant à apporter au
plus haut niveau possible la productivité du tra-
vail"
(1).
Dans un pays indépendant et engagé dans la voie du
socialisme,
les critères de la rentabilité doivent être, bien
entendu,
la quantité de surplus qu'une branche est capable de
produire, mais aussi et surtout sa capacité à réaliser le
1
plein-emploi et à accroître la productivité du travail. Ce-

pendant,
la révolution de cette question n'épuise pas la ques-I
tian du secteur productif et de l'investissement productif. on!
peut procéder à des investissements extensifs ou intensifs.
1
i
O. AFANA prend la partie des investissements intensifs lors-
qu'il écrit
:
!
"Indépendamment des avantages éventuels liés à la solu-
tion des problèmes concernant la durée et le taux de
l'amortissement,
l'investissement intensif présente à
nos yeux six avantages certains et très importants" (2).
Concernant les six avantages,
i l souligne les as-
pects suivants
1° -
Il (l'investissement intensif) permet de tirer
le plus
tôt
possible les avantages de la loi des coûts dé-
croissants dans l'industrie et d'économiser le maximum de tra-
vail dans l'agriculture: ce qui traduit une productivité plus
L
C.
BETTELHEIM, "Problèmes théoriques et pratiques de la
planification". PUF -
paris., 1951, p.23l.
2.
O. AFANA, op.cit, p.178.

-
508 -
élevée.
2° -
Il facilite la production élargie parce que
plus productif.
Il induit des taux d'investissement nets
dont l'accélération caractérise une croissance rapide.
3° -
Il irrigue l'économie d'une infrastructure
nécessaire à toute croissance : les voies de communication,
les travaux d'irrigation, d'aménagement des sols, etc ••• ,
constituent des investissements non rentables en termes mo-
nétaires, mais généralement intensifs et hautement produc-
ductifs d'un point de vue d'économie collective et à long
terme.
Par contre,
l'absence de cette infrastructure consti-
tue un goulot d'étranglement capable de freiner la croissance.
4° -
L'investissement intensif peut permettre la
dispersion géographique des activités économiques et la di-
versification de l'économie: le développement de l'infras-
tructure "rapproche" les villes et les villages, et permet
d'étendre l'économie d'échange,
pendant que la reproduction
élargie entra~ne le développement parallèle des des sections
des biens de production et des biens de consommation.
5° - Les investissements intensifs entrainent de
nombreux effets induits, notamment les effets directs sur la
force de travail : engagement de la force de trc
li1 jusque-
là inemployée, mais aussi création d'une menta1~;é dynamique.
o
....,
6° -
L'investissement intensif tend e résoudre les
~
problèmes fondamentaux de la croissance : augmentation de la
productivité du travail grâce à la mentalité dynamique, au

-
509 -
1
t
[
î
développement simultané des deux secteurs de l'économie (biens 1
d'équipements et de consommation),
indépendance progressive
1,1.
vis-à-vis des paramètres de fluctuations caractérisant les
,
économies "primaires", et enfin possibilité de la satisfaction 1
!
1
nécessaire de besoins croissants.
Il conclut en soulignant
1

que
!
f
"en un mot,
l'investissement intensif constitue le levier 1
par excellence de la croissance accélérée, comme en té-
moignent ses effets propres,
sur le plan social et sur
i
le plan économique"
(1).
!
!,
Au total,
un investissement permettant de se sous-
traire aux fluctuations et aux lois du marché capitaliste, quii
f
privilégie l'accumulation à la consommation immédiate (sans
1
négliger cette dernière), qui favorise l'investissement inten- 1
sif au détriment de l'investissement extensif aux fins de cré- ir
er une croissance accélérée mais aussi harmonisé entre villes
et campagnes,
entre secteur des biens de consommation et sec-
teur des biens de production. L'une des conditions permissi-
ves de cette croissance accélérée est une bonne répartition
des revenus.
Jt.
%l.lJ:l •
El'.t-q t .
..lo
111/ RÉMUNERATIO~ oo;~ESpoNDANT A L'EFFORT REEL DE CHA-
:t-El'.s
que producteur.
~OJ:l~qJ:lt; \\q
.
d"
J. ,~
d '
b
Nous avons touJours
lstlngu<= "':f";f'.-c;. le pro Ult
rut
0.t-t;
essentiellement deux parties : celle qui permet~J. JEl'enouvelle-
ment à l'identique des forces productives (amortissem~1~~ re-
1.
O. AFANA, op.cit, p.179.

- 510 -
constitution de la force de travail),
cette partie n'assure-
rait qu'une reproduction simple. L'autre,
le surplus ou pro-
duit net,
est accaparé
généralement par les classes dominan-
tes de la société. Comme nous l'avons montré,
la plus-value,
la rente,
proviennent du surplus qui l"'st un produit social,'
Pour assurl"'r un développement et une croissance rapidl"',
le
progrès social, les revenus du capital (la plus-value) et de
la propriété (la rente) doivent être progressivement (s'il le
faut)mais purement l"'t simplement supprimés. Dans le cas des
Etats du SAHEL,
la plus-value perçue par le capital étranger
i
l"'t le capital autochtone doit être supprimél"'. I l restera·le-:-~t
.
{'
plus perçu par les petits commerçants l"'t tous les autres ln-
~
!
termédiaires qu'il faudra réduirl'" progressiveml"'nt. Le surplus
ainsi obtenu doit être concentré entre les mains de l'Etat
1
qui doit les utiliser à augmenter les investissements produc-
tifs et improductifs: financement dl'" l'industrialisation,
des équipl"'ments sociaux, éducation,
santé, etc •••
1
Nous avons souligné déjà que d'un point de vue stra- 1
tégique,
les investissements productifs devaient prendre le
1
pas sur les dépenses improductives. Néanmoins, si des distor-
f
sions apparaissl"'nt,
les dépenses improductives peuvent provi-
soirement faire l'objet d'une attention particulière. L'objec-
tif ultime de cette politique doit être avant tout d'assurer
une reproduction élargie rapide,
et la satisfaction dl"'s be-
soins du peuple.
Dans ces conditions, la rémunération des producteurs [
(car selon l'optique que nous avons décrite,
il n'existe pas

- 511 -
de parasites) doit se faire en fonction de deux paramètres
principaux :
1° -
permettre la satisfaction des produits de
première nécessité (que le peuple achète chaque jour ; ces
besoins sont par conséquent socialement et historiquPJment
déterminés. Une enquête sur la consommation permettra de ré-
soudre facilement cette question.
2° -
Prendre en compte la contribution réelle que
chacun apporte dans la production globale, notamment dans
celle du suràlus.
MARX, polémiquant avec les lassaliens, apportait
une réponse précise à cette question de la répartition : si
nous considérons la totalité du produit social (das gesells-
chaftliche Gesamtprodukt),
i l faut défalquer:
"premièrement : un fonds destiné au remplacement des
moyens de production usagés ; deuxièmement : une frac-
tion supplémentaire pour accroître la production ;
troisièmement: un fonds de réserve ou d'assurance
contre les accidents,
les perturbations dues à des
phénomènes naturels, etc •.• " (1).
Ces déductions du "produit intégral du travail"
constituent une nécessité économique incontournable si l'on
ne veut pas courir au devant de risques graves. Avant de pro-
céder à la répartition individuelle,
i l faut retrancher du
produit total destiné à la consommation,
les sommes suivan-
tes :
1.
K. MARX,
"Critique du programme de Gotha". Editions de
Pékin., 1975, p.12.

-
512 -
- premièrement les frais généraux d'administration
qui sont indépendants de la production ; comparativement à
ce qui se passe dans la société actuelle, cette fraction se
trouve d'emblée réduite au maximum et elle décroît à mesure
que se développe la société nouvelle
-
deuxièmement, ce qui est destiné à satisfaire les
besoins de la communauté : écoles,
installations sanitaires,
etc •••
; cette fraction gagne d'emblée en importance, compa-
rativement à ce qui se passe dans la société actuelle, et
cette importance s'accroît à mesure que se développe la so-
ciété nouvelle ;
troisièmement,
le fonds nécessaire à l'entretien
de ceux qUl sont incapables de travailler, etc ••• , bref ce
qui relève de ce qu'on nomme aujourd'hui l'assistance publi-
o
(1)
0
que offlclelle"

c'est seulement après ces retraits qu'on arrive au
partage des objets destinés à la consommation individuelle
entre les producteurs de la collectivité. C'est sur ce pro-
duit net restant qu'on peut appliquer la règle de l'effort
que chaque producteur fournit,
c'est-à-dire du "quantum" in-
dividuel de travail qu'il libère au profit de la société. Sur
cette base,
la grille des salaires se réduira nécessairement,
, ,
laissant apparaître des écarts plus modestes que ceux que nousll'
!
connaissons aujourd'hui. Dans ces conditions,
la réalisation
de l'autosuffisance ne saurait plus poser aucun problème.
L
K. MARX,
"Critique du programme de Gotha", op. cit, p.12.

-
513 -
CHAPITRE TROISIEME
L'AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE
L'agriculture sahélienne se trouve actuellement à
la croisée des chemins ;
les exgiences qui lui incombent né-
cessitent qu'elle soit soumise aux lois d'une agriculture mo-
derne ou qu'elle se démette. Actuellement, nous l'avons étu-
dié,
la tendance est à la démission. La soumission commande
le passage d'une agriculture extensive à une agriculture in-
tensive qui implique une base matérielle et technique solide.
Pour n'avoir pas compris cette nécessité,
la politique des
villages ujamaa est aujourd'hui dans l'impasse.
Pour la réa-
lisation de l'autosuffisance au SAHEL, nous devons donc aVOlr
des points de repère,
des axes que nous essaierons de définir
dans ce chapitre. Trois sections nous permettront d'affirmer
que l'autosuffisance est réalisable au SAHEL.
-
1/ Ujamaa ou l'impasse d'une politique d'auto-
suffisance alimentaire.
-
11/ Les lignes de force d'une politique d'auto-
1
suffisance.
1
-
111/ Agro-technique.
1
!'
SECTION l
UJAMAA OU L'IMPASSE D'UNE POLITIQUE D'AUTOSUFFI-
SANCE.
ujamaa signifie, selon M. NYERERE, Président de la
République de Tanzanie,
le partage et la solidarité non plus

-
514 -
au niveau familial, mais au niveau national.
Cette vision
s'appuie sur la "self-reliance" ou l'autogestion au plan
stratégique. La directive 28 indique la signification de
l'autogestion:
"Le développement c'est l'action qui permet aux hommes
de contrôler leurs propres affaires même si elle n'ap-
porte pas une meilleure santé ou davantage de pain"(l).
D'un point de vue pratique, chaque communauté, chaque cellule
villageoise doit se procurer ses finances pour s'autofinancer.
Ce repli sur soi-même de la cellule villageoise rappelle
étrangement (du moins en théorie) le cloisonnement de l'éco-
nomie féodale en Europe avec ses fiefs,
ses monnaies, ses
droits de douane, etc •••
Dans ces conditions,
la population rurale qui re-
présente 94 % de la population globale doit hériter des fa-
veurs de la nouvelle stratégie. La stratégie de ujamaa insiste
sur la nécessité que la priorité revienne aux paysans et à
l'agriculture. Malgré cette priorité et peut-être à cause
d'elle,
i l faut continuer à cultiver du coton, du café et du
sisal pour se procurer des devises indispensables. à 1'indus-
trialisation. La politique de ujamaa n'est pas incompatible
avec la recherche de l'aide extérieure.
"Celle-ci constitue 60 % du budget de développement. Mais
la Tanzanie protège son indépendance en diversifiant ses
emprunts" (2).
1.
B. JOlNET,
"Tanzanie, manger d'abord", op.cit, p.72.
2.
B. JOlNET,
idem, p.74.

- 515 -
Sur le plan pratique,
les sociétés étrangères peuvent s'ins-
taller dans le pays. Les industries demandant de "gros capi-
taux" telles que le textile, sont nationalisées. L'Etat a
1
repris 49 % des actions des entreprises installées avant
1967, ce qui met de nombreuses industries (pétrole, café en
poudre) sous la gestion "conjointe" de l'Etat et des sociétés
étrangères fondatrices.
Les villages ujamaa ont varié selon les époques et
actuellement selon les régions ; on peut noter des différen-
1
"
ces : certaines régions sont le site de champs particuliers
i
modestes et d'un champ collectif bien plus vaste. Sur le champ!
cOllectif, on cultive ce que l'assemblée générale du village
1
a "décidé".
Il existe d'autres villages ujamaa avec un petit
champ collectif et des champs particuliers nettement plus
grands.
~nfin il existe le champ du coude à coude formé, dans
certains villages, de trois cents parcelles individuelles
d'une acre.
Ce champ permet d'utiliser la culture mécanisée
tout en renforçant la petite propriété paysanne. La villagi-
sation signifie également le regroupement de plusieurs villa-
ges en un seul. Ainsi, huit mille villages ont été dénombrés
après le regroupement. Mais l'autorité centrale demeurant,
i l
y a nécessairement conflit de compétence : deux centres de dé-
cisions subsistent côte à côte : le village et le district.
Les champs collectifs, la mécanisation sans une ba-
se technique et scientifique solide, dans un contexte où les
forces naturelles jouent encore un rôle important, et où

l
- 516 -
1
1
fi
l'arriération des rapports de production est manifeste, ne
1
l
peut que provoquer des fluctuations sur le plan des résul-
i
tats. Ainsi dans la Tanzanie de l'ujamaa,
les pluies irré-
gulières provoquent la disette.
"Cette alternance implacable d'abondance et de disette,
due à l'irrégularité des pluies,
est le premier obsta-
cle que la Tanzanie doit surmonter dans sa lutte contre
la faim ••.• " (1).
En 1978
439.000 tonnes d'excédents,
en 1980
258.000 tonnes de déficits.
Certains ont pensé un moment que le socialisme à
"visage humain" était passé dans les faits en Tanzanie, et
qu'une "troisième voie" venait de voir le jour. Mais,
"ces boeufs trop faibles pour tirer une charrue, ces
camions qui tombent en panne faute de pièces déta-
chées, ces bureaux au personnel trop nombreux, ces
champs dévastés par la pluie ou la sécheresse, nous
pouvons les trouver sur toutes les longitudes des
Philippines à Haïti. A ce niveau,
i l faut démysti-
fier la Tanzanie"
(2).
Avons-nous alors encore une raison d'espérer?
SECTION II
LES LIGNES DE FORCE D'UNE POLITIQUE D'AUTOSUFFI-
SANCE ALIMENTAIRE.
Dans un article intitulé "Albanie = succès d'une
politique alimentaire", paru dans la revue Tiers Monde, nO 72
d'octobre-décembre 1977, C. REGNAULT-ROGER montre la nécessité
1.
B. JOINET, op.cit, p.26.
2.
B. JOINET, op.cit, p.205.

-
517 ':'"
pour tous ceux qui s'intéressent aux questions de l'autosuf-
fisance alimentaire, d'étudier l'exemple de l'Albanie. Elle
écrit
:
"L'Albanie, petit pays aux confins des Balkans, reste
trop largement ignorée. Pourtant ce pays mérite l'at-
tention de tous ceux qui s'intéressent aux problèmes
de la sous-alimentation et de la malnutrition dans le
monde: en trente ans,
l'Albanie a subi une véritable
mutation et assure désormais un niveau de vie satisfai-
sant à l'ensemble de sa population. Aujourd'hui,
les
jeunes Albanais ne connaissent plus la signification
du mot "faim". Contrée agraire arriérée en 1939, les
paysans vi vent dans une économie d' autosuff isance".
Elle ajoute :
"En effet,
l'immense effort accompli par le peuple al-
banais pour assurer le fameux "décollage" de son éco-
nomie,
dont rêvent tr"ljours la plupart des pays du
Tiers Monde,
ne peut ~tre compris s'il n'est pas rap-
proché des principes qii dirigent,
depuis la libéra-
tion le "Pays des Aigles"
(Shiperia)
: en 1946 l ' Al-
banie qui s'est libérée toute seule des occupants ita-
liens et nazis puis a repoussé les manoeuvres anglo-
américaines,
devenait une République Populaire. Le
Parti du Travail Albanais (PTA), Enver HOXHA à sa tête,
s'est appuyé pour promouvoir le développement sur la
théorie marxiste-léniniste au premier chef de laquelle
figurent le concept "d'indépendance nationale" et la
notiOn de "compter sur ses propres forces". Et c'est
dans ce cadre qu'il faut analyser la politique alimen-
taire mise en oeuvre en 1945 et les succès qu'elle a
rencontrés" (1).
Elle conclut en soulignant que le pays classé dans,
ce qu'il est convenu d'appeler aujourd' hui,
le "Quart Monde"
avant la seconde guerre mondiale, en 1970 était encore rangé
parmi les pays sous-développés. Aujourd'hui la FAO
(Rapport
FAO, Rome.,
1975) hisse l'Albanie dans les pays développés.
1.
Catherine REGNAULT-ROGER,
revue "Tiers Monde",
n° 72.,
octobre-décembre 1977, p.850.

-
518 -
f
t
t!
f
1
La politique alimentaire de l'Albanie après sa li-
1
bération en 1941, consista à édifier sur des bases tout à
t!
fait nouvelles. La réforme agraire dont les textes ont été
~
publiés le 29 août 1945 dans son article 1er, prévoyait que
1
1
f
"étaient obligatoirement expropriés et distribués aux
paysans de nationalité albanaise dépourvus de terres
1
ou qui n'en possèdent pas suffisamment: 1) les domai-
1
nes de l'Etat, 2) les propriétés confisquées, 3) les
!
propriétés agricoles privées,
compte tenu des excep-
i
tions et définitions décrétées à l'article 2, 4) les
oliviers, vignobles, vergers confisqués, les édifices
1
agricoles,
les animaux de labour et les instruments
1
agricoles qui se trouvent sur les terres expropriées".
1
Selon l'article 2,
i
"étaient exclues de l'expropriation obligatoire: 1) les
propriétés exploitées par les propriétaires en personne
et par des moyens et des méthodes de culture avancés
jusqu'à 40 hectares, 2) les propriétés agricoles culti-
vées en propre par des méthodes de culture communément
employées dans le pays,
jusqu'à 20 hectares, 3) les p~o­
priétés non cultivées en propre,
jusqu'à 7 hectares,
mais à condition que,
avant deux ans,
les propriétaires
se chargent de cultiver eux-mêmes ces terres. Les pay-
sans bénéficiaires de la réforme agraire recevraient
selon la loi 5 hectares par famille de 6 membres et un
demi hectare par membre en plus"
(1).
t
8.714 propriétaires furent expropriés entièrement
et 10.641 partiellement. Cette reèœstribution, dans un con-
texte de prédominance de rapports précapitalistes notamment
1
1
féodaux,
a permis de supprimer ceux-ci et d'installer de nou- -1
1
veaux rapports sociaux. Cette red~stribution toucha 90 % des
~
"f·t
~
terres,
50 % des oliviers et 100 % des bêtes de somme. L'Etat
~
se réserva 10 % des terres et 50 % des oliviers qui consti-
1.
Notes et études documentaires,
nO s 3555-3556., 20 jan-
vier 1969
: "L'évolution politique et économique de la
République Populaire d'Albanie
: 1945-1968", p.61,

-
519 -
tuèrent la
se matérielle des fermes d'Etat. Cette réforme
donna à la pa
3.nnerie un sursaut idéologique lui permettant
de franchir lE 1 barrières dressées par la mentalité féodale.
Dans sa premièr~ ~hase cependant, cette réforme est restée
insuffisante,
car ayant consacré un secteur privé important.
1
Ce secteur privé fondé sur une multitude de petits exp1oi-
1
tants individuels, a freiné le rythme de développement des
forces productives et par conséquent, empêché une rationa1i-
1
!
,
sation de l'agriculture qui assurerait par ailleurs secteur
1
socialiste. La coexistence de ces deux secteurs entravait le
t!
développement harmonieux du pays.
La COllectivisation appa-
!
raissait alors comme la juste réponse à ce problème.
1
r
Le processus de COllectivisation est riche d'ensei-
1
gnement en Albanie : dès 1950,
l'Etat albanais encourage par
i
1
des mesures fiscales la constitution des coopératives, po1i-
1
tique qui resta sans effet. L'analyse de l'échec fit ressor~
!
t i r deux causes essentielles :
t
1
,
La rémunération des paysans coopérateurs provenait
!
1
pour 40 % de l'importance des terres léguées à la coopérative
i
1
par le paysan, et pour 60 % du travail fourni. D'autre part,
i
le paysan coopérateur pouvait détenir un cheptel illimité et
un enclos de 0,5 ha.
Ces statuts favorisaient les paysans les
plus riches, et loin de rétrécir les écarts entre les diffé-
rentes catégories de paysans,
ils les amplifièrent.
"Le plan de développement de l'économie de 1951 et 1952
ne fut pas accompli. Le degré escompté d'amélioration

-
520 -
du bien-être des travailleurs ne fut pas atteint"
(1).
Le premier plan quinquennal
(1951-1953) réservait
en effet une part d'investissement trop grande à l'industrie
au détriment de l'agriculture. En particulier,
les prix des
outils agricoles étaient très onéreux et ceux des produits
de l'agriculture soumis à la livraison obligatoire, dérisoi-
1
rement faibles.
L'agriculture stagnait. Dès 1953, le PTA re-
dressa la barre : la proportion des investissements destinés
1
1
l
à l'agriculture et à l'industrie changea dans le sens d'un
1
meilleur rapport. Une politique d'appui sur la paysannerie
t
1
pauvre fut élaborée, permettant à ceux qui avaient le plus
intérêt à se regrouper,
de le faire.
Cette pOlitique qui de-
. [
vint vitale, permit d'élaborer des statuts plus radicaux qui
t!
stipulaient que la répartition des produits ne pouvait plus
1
s'effectuer qu'en fonction du travail fourni par chaque coo-
1
pérateur.
1
1
Des avantages fiscaux plus substantiels furent
1
accordés aux paysans coopérateurs.
!,
La COllectivisation démarra avec pour noyau les
paysans pauvres qui se réunirent dans les villages,
rejoints
progressivement par la majorité des paysans. Les mesures fis-
cales prises à l'encontre des paysans riches restés minori-
taires, brisèrent définitivement leur enthousiasme, cependant
que la limitation du cheptel à dix têtes de petit bétail, une
1.
Georges CASTELLAN : "L'Albanie". Que sais-je? P.U.F.
Paris.,
1980, p.112.

-
521 -
tête de gros bétail et des terres individuelles à trois hec-
tares en moyenne,
les privèrent de la base économique qui
avait pu faire d'eux les éléments moteurs et "dynamiques" de
l'agriculture. Enfin l'éducation donnée à leurs enfants les
priva de leur base sociale et idéologique. De cette collec-
tivisation, trois points doivent retenir notre attention :
1° -
La cOllectivisation doit être fondée sur le
libre choix: c'est un processus qui ne rallie l'ensemble
des paysans que lorsqu'il présente des avantages certains
pour e~.
2° - Un équilibre doit être trouvé entre l'inves-
tissement accordé à l'agriculture et à l'industrie: à notre
époque,
ce n'est pas à l'agriculture seule de supporter l'ac-
cumulation du capital (comme dans le processus de développe-
ment des pays capitalistes développés) nécessaire à la fon-
dation d'une industrie.
3° -
L'appui sur les couches paysannes les plus
défavorisées,
c'est-à-dire la prise en compte de leurs inté-
rêts fondamentaux, est l'un des gages de la réussite de la
collectivisation.
Actuellement trois formes d'exploitations agrico-
les existent : deux formes de coopératives et les fermes
d'Etat.
Les fermes d'Etat sont la propriété du "peuple tout
entier". Les cultivateurs qui y travaillent sont des salariés
dont le régime s'apparente à celui des ouvriers. Les fermes

-
522 -
d'Etat sont créées sur les terrains les plus ingrats.
Dans le secteur coopératif,
les moyens de produc-
tion restent la propriété privée des coopérateurs,
la terre
étant nationalisée depuis novembre 1976. La rémunération des
coopérateurs dépend du travail accompli
(pénibilité des tâ-
i
, ,,
ches,
réalisations des normes). Elle fait l'objet d'un dé-
\\
,
bat et est fixée par l'assemblée générale des coopérateurs.
t
Les grands travaux d'assainissement sont à la charge de l'E~atl
la coopérative se chargeant de l'organisation de sa productlon r~,
sociale (assolements, choix des techniques, etc ••• ). Elle
t!
doit louer les services des stations de machines et tracteurs 1
1
(SMT) .
1
,
Depuis 1979, un nouveau type de coopératives a vu
"1
le
jour
la coopérative de type supérieur. Les moyens de
production demeurent propriété des coopérateurs, mais l'Etat
ne fournit plus de crédit à long terme.
Il investit directe-
ment dans les coopératives et devient ainsi copropriétaire
des moyens de production. Les coopératives de type supérieur
autorisent donc une concentration accrue du capital. Mieux,
chacune bénéficie d'une SMT. Ces coopératives sont fondées
sur le libre choix. L'assemblée générale des coopérateurs ar-
rête ou récuse le changement de statut. Cette évolution donne
au coopérateur un revenu plus régulier, et des avantages so-
ciaux plus substantiels que dans les coopératives ordinaires.
En 1976 ces coopératives couvraient 23 % des terres cultivées,
ce qui traduit un écho favorable parmi les masses paysannes.

-
523 -
Autre avantage,
le regroupement des différentes coopératives
favorise la spécialisation et permet une production plus ra-
tionnelle des différentes cultures diminuant les frais so-
ciaux par unité de production. Le changement des structures,
des rapports sociaux, est allé de pair avec le développement
des techniques agricoles donc des forces productives.
SECTION III
: DEVELOPPEMENT DE
"L'AGRO-TECHNIQUE".
Dès le premier plan quinquennal,
l'industrie est
apparue comme le secteur stratégique sur lequel l'accent de-
vait être mis
cette priorité a été maintenue avec quelques
nuances jusqu'à nos jous.
Pour surmonter son retard économi-
que,
l'Albanie devrait franchir plusieurs étapes: transfor-
mer premièrement le pays en pays agricole-industriel et deu-
xièmement en pays industriel-agricole, et enfin en pays ln-
dustriel.
Ce développement exigeait un développement accéléré
des rythmes de l'industrialisation qui allaient servir de ba-
se à la réorganisation de l'agriculture sur des bases socia-
listes. Le taux moyen d'accroissement annuel de la production
industrielle s'élevait à 27,7 % dans les prévisions du premier!
l
plan quinquennal. Les rythmes élevés de l'industrialisation
1
ont été rendus possibles grâce à une accumulation intérieure,
mais aussi à l'aide de pays amis véritables.
i
Le rythme de développement prévu dans le secondPian1,
devait rester soutenu (non inférieur à 14 %). Comme dans tous
1

!
-
S24 -
ff
1
,
les plans, son développement devait se faire en harmonie avec
f
celui du secteur agricole. Le troisième plan promit d'avancer
~r
dans la direction de la transformation de l'Albanie en pays
t
;
1
"industriel-agricole".
Il fallait donc poursuivre avec rigueurr
r
l'industrialisation en développant prioritairement l'indus-
trie, notamment l'industrie lourde,
c'est-à-dire celle des
moyens de production. Ainsi était-il prévu de porter l'ac-
croissement de la production globale à 8,6 % (taux annuel
moyen),
tandis que celui des moyens de production s'éleve-
rait à 9 % contre 8,4 % pour celui des biens de consommation.
En outre ce plan prévoyait l'amélioration de la structure des
différentes branches du secteur industriel. Cependant,
il ne
faut pas avoir une vision mécanique de cette thèse car si,
en règle générale,
l'industrie doit se développer à des ryth-
mes plus rapides que l'agriculture,
cela n'exclut pas qu'à
des périodes spéciales,
les prévisions des rythmes de la pro-
duction agricole dépassent ceux de l'industrie.
"Cela peut être assuré par l'appui sur l'expérience du
développement économico-social de notre pays,
lorsqu'on
constate que l'agriculture retarde sur le niveau de dé-
veloppement de l'industrie"
(1).
Le IVème plan quinquennal porta le taux d'accrois-
sement du IIIème plan de 6,8 % à 12,2 %.
!!
Tandis que le Vème plan, fidèle à l'orientation
!
initiale, accorde la priorité à l'industrie notamment celle
1
i,1
1,
Besim BARDHOSHI et Theodor KARECO
: "Le développement
économique et social de la République populaire d'Albà-
1
nie: 1944-1974". Tirana.,
1974, p.llS.
\\

,
"Î'
t

-
525 -
qui produit les biens de production. Cette constance dans les
choix qui frise l'entêtement vise à réaliser l'objectif de
transformation de l'Albanie de pays industriel-agricole en
pays industriel. Le Vème plan marque un pas important dans
cette voie. En 1975, la production industrielle représente
60 % de la production industrielle et agricole réunies.
1
1
La politique de modernisation de l'agriculture s'est 1
appuyée surll'agro-technique" et l'expérimentation. Au plan
1
l'
1
quantitatif,
l'accent a été mis sur l'agrandissement des sur-
l
~
faces cultivables : 44.000 hectares de terres ont été conquis
!
entre 1946 et 1973, et 254.000 hectares de terres bonifiées
au total. Aujourd'hui, l'Albanie compte 636.000 hectares de
terres arables, soit une augmentation de 231 % par rapport à
1938. Au plan qualitatif, des hybrides de blé, de maïs, ont
r
!
été obtenus par croisement.
!
"En Haute-Volta où le sorgho et le millet-perle sont desl
aliments de base et où le paysan éprouve souvent de la
1
difficulté à tirer assez de nourriture de ses terres,
!
nous avons observé qu'on n'a pas encore développé de
1
variétés à haut rendement de ces graines, et que la
!
faible productivité de celles qui sont actuellement
;
cultivées fait que les apports d'engrais conseillés
!
par l'organisme de vulgarisation agricole sont assez
peu profitables"
(1).
Le croisement de races a aussi permis d'améliorer
la production dans l'élevage. L'emploi des engrais et des pes-
ticides s'est généralisé. La quantité de matière active par
hectare de terres travaillées a augmenté de 36 fois entre
1.
J.C.
de WILDE, op.cit, p.55.

-
526' -
r1
1
1
i
1
A
1950 et 1975 ; celle des pesticides de 63 fois pour la meme
période. L'accent a été à la fois mis sur l'emploi des en-
grais organiques et minéraux. La mécanisation a fait des
bonds fulgurants
: le nombre de tracteurs est passé de 28 en
1938 à 8.184 en 1973 ; 1.116 machines batteuses peuvent être
dénombrées à la place des 75 en 1938, tandis que le nombre
de moissonneuses-batteuses s'élève à 952.
l
Les stations de machines et tracteurs (SMT) ont
été créées en 1947. Elles ont pour rôle d'avancer le capital
1
t
nécessaire à la fabrication et à l'entretien des machines
r
agricoles ; de faire progresser le degré de mécanisation et
les rendements des cultures ; de louer leurs services aux
1
coopératives à des tarifs préférentiels (réduction pour les
f
coopératives de montages les plus défavorisées) afin de per-
1
1
1
mettre un développement harmonieux du pays. Leur mobilité
1
autorise des économies d'échelle vues sous l'angle du nombre
de machines nécessaires pour le pays tout entier. Les tra-
vailleurs des SMT sont des ouvriers d'Etat. Le brassage qui
en résulte entre les diverses couches de la population (pay-
sans coopérés et classe ouvrière) cimente l'unité toujours
croissante du peuple albanais. Avec le développement des SMT!,
la force mécanique représente actuellement 93,1 % des forces
énergétiques utilisées dans l'agriculture,
alors qu'elles ne
représentaient que 0,7 % en 1938. Cependant, les moyens tra-
ditionnels (animaux de trait) ne sont pas négligés.

- 527 -
"Conscients de la nécessité de développer l'agriculture
et l'élevage en utilisant les méthodes modernes,
les
dirigeants albanais se sont efforcés d'introduire l'u-
sage d'engraismécaniques, d'engrais chimiques, d'insec-
ticides, etc •.. "
(1).
L'agriculture albanaise remplit aujourd'hui les
trois tâches qui lui ont été assignées:
(i) assurer l'ali-
mentation du peuple albanais.
t.
"Avec une production de 803.000 t
de céréales panifia-
1
,
bles en 1975, pour la première fois de son histoire,
l'Albanie est parvenue à son autosuffisance dans le
l
domaine alimentaire"
(2).;
!!
(ii) fournir les matières premières à l'industrie agro-ali-
1
mentaire et légère. L'industrie agro-alimentaire implantée
dans tout le pays sous forme de petites unités,
se rattache
aux coopératives ou aux grands complexes (combinats). Elle
1
est parvenue à satisfaire 82 % des demandes planifiées en
f!
1974 ; (iii) Procurer des devises aU? pays par l'exportation
~v.
de produits agricoles.
En 1973, 66 % des produits alimentaires exportés concer
naient des produits transformés. Mais ces objectifs n'au-
raient pas été atteints sans une transformation au niveau
des mentalités.
Le bien-être ne peut s'apprécier uniquement en ter-
mes de biens matériels,
car il procède aussi d'un travail
patient d'éducation pour changer la conception de l'homme.
1.
Notes et études documentaires,
nOs 3555-3556, op.cit,
p. 84.
2.
Catherine REGNAULT-ROGER,
revue "Tiers Monde"., octobre-
décembre 1977, op.cit, p.856.

- 528 -
La bonne alimentation commande une réforme culinaire pour ob-
tenir des repas plus équilibrés.
Il faut dans ce domaine com-
me dans les autres, engager une lutte contre les traditions
surannées. Un repas équilibré exigeait qu'on consomme le pois-lf~
son délaissé au profit des légumes et de la viande d'animaux.
Il fallait lutter contre les pratiques religieuses éculées
qUl interdisaient la consommation de porcs, ce qui provoquait
des dérèglements nutritionnels lorsque ses incidences se con-
juguaient avec celles du carême (Ramadan). Outre ce fait,
ces
phénomènes avaient des répercussions économiques profondes et
larges qui demandaient à être maîtrisées. Les changements de
coutumes alimentaires se firent progressivement mus par :
(i) la socialisation de l'économie domestique (réseaux de
plats préparés ou semi-préparés à emporter, les restaurants
populaires, les cantines d'entreprises,
les crèches et garde-
ries d'enfants contrôlant l'alimentation infantile)
(ii )
l'éducation de masse par l'audiovisuel et l'école.
Le passage de l'Albanie de pays "agricole arriéré"
a un pays "industriel-agricole" exigeait des efforts et des
sacrifices du peuple tout entier, notamment de la classe ou-
vrière pour maintenir des rythmes élevés de développement de
l'agriculture, mais surtout de l'industrie.
"Sur ces bases synthét isées par le slogan : "penser, tra-
vailler et vivre en révolutionnaires",
l'Albanie connut
des développements sans équivalents dans les autres pays
social istes" (1).
1.
G. CASTELLAN,
"L'Albanie", op. cit, p.88.

-
529 -
!
La signification profonde de cette mutation tradui-' f
1
sait le désir et la volonté du PTA, malgré le maintien des
1
rythmes de développement élevé dans le secteur agricole, de
!
privilégier l'industrie afin que l'agriculture elle-même s'in-!
dustrialise. D'un point de vue théorique,
il s'agissait d'évi-I
ter le développement unilatéral d'un secteur, et de fournir à 1
la nation un développement économique complexe dans le sens
1
de Frédéric LIST.
j,i
Depuis 1945, les différents plans et programmes ont 1
traduit cette priorité de l'industrie, principalement de l'in-I
dustrie lourde,
sans négliger l'industrie légère et celle des 1
biens de consommation. Au départ,
le développement rapide de
1
l'industrie était rendu nécessaire pour alléger progressive-
ment la contribution que l'on réclamait à la paysannerie pour
constituer le fonds d'accumulation social. Cependant en 1971,
l'agriculture concernait encore 35 % du revenu national et
38 % de la production.
Il fallait donc améliorer la producti:
vité agricole car elle demeurait plus basse que celle de l'in-
dustrie. L'augmentation des revenus des cultivateurs a permis i
t
d'atteindre cet objectif. En effet,
de 1961 à 1970 le revenu
1
i
a connu une hausse de 26 % (contre 19,5 % aux ouvriers). D'au-l
tre part,
l'industrie doit en retour restituer à l'agriculture!
la contribut;',m que celle-ci lui avait apportée. Au cours du
-,
Vème plan,
la baisse des prix de vente des produits qu'elle
lui fournit
(engrais, machines,
énergie électrique) répondra
à ce souci.

-
530 -
"Entre 1950 et 1973,
les progrès accomplis tant dans
l'organisation de la production (réduction des frais
de production et de commercialisation) que dans le
.
volume des marchandises réalisées ont autorisé qua-
1
torze baisses des prix de produits alimentaires ;
~
seuls les prix des produits soumis aux importations
t
(blé,
riz, sucre) restant stables"
!
(1).
A la base de l'accélération des rythmes de dévelop-
t
1
pement agricole se trouve la modification des rapports sociaux!
j,
en Albanie, principalement l'instauration des rapports socia-
Il,I!,
listes à la campagne, malS aussi son développement en harmo-
1
nie avec les autres branches de l'économie.
'
La création des premkères coopératives date de 1946
1
1
et les SMT de 1947, attestant dès le départ de la volonté du
1
PCA (à l'époque) de modifier profondément les rapports de pro- 1
duction à la campagne. Le premier plan quinquennal (195l-l955)!
se fixait comme objet~'= de transformer l'Albanie de pays "agri
t
cole arriéré" en pays
~ricole-industriel". On pourra retenir
P-
,
a
'd'
b
'
,
qu au cours de ce plan, ~es efforts conSl era les ont ete
1
faits pour conquérir surtout des terres. 4.500 ha furent ré-
1
cupérés pour la culture sur les marécages du Lac Maliq. La
1
construction du canal Naun Manschi permit d'irriguer 2.500 ha, l,.,
celle du canal Myzege 7.000 ha. En 1955 on disposait ainsi de
1
83.000 ha irrigués, soit trois fois plus qu'en 1938. L'agri-
t
~-,
culture appliquait alors principalement des méthodes extensi-
t
l
ves.
Le IIème plan (1955-1959) permit de mettre l'accent
sur la transformation des rapports de production et par con-
i
1.
Revue Tiers Monde., octobre-décembre 1977, op.cit, p.858.

-
531 -
t
fl
séquent de hâter le processus de cOllectivisation des terres.
1
En 1955, 14,5 % du sol relevaient des coopératives ou fermes
d'Etat. En 1959, la proportion est passée à 83,2 %, tandis
1
que 71.000 ha supplémentaires sont défrichés. La mutation so-
1
!
ciale est donc allée de pair avec la mutation économique.
t
S'appuyant sur cet acquis,
le IIrème plan (1961-65)
1
a vu se développer les cultures intensives. La construction
de deux usines d'engrais chimiques commence par ailleurs au
1
cours de ce Irrème plan et s'achève en 1967--(IVème plan). L'a-ft
griculture commence à tirer avantage des efforts d'industria-
i
lisation qu'elle a dû cosentir : l'exemple de l'électrifica-
tion de tout le pays donne la dimension des progrès dans les
campagnes. Le secteur agricole entre 1960 et 1972 a multiplié 1
sa production par deux. Au cours de ce plan,
le développement 1
du rythme de progression au plan agricole devait non seulement 1
rester soutenu, mais plus rapide que ceux de l'industrie.
1
L'accroissement des rendements ainsi que l'extension des sur-
Il.•
faces devait permettre d'atteindre ces rythmes.
Le développement harmonieux de l'agriculture et de
if
l'industrie ne signifie pas un développement homothétique des
~
deux secteurs. Le développement harmonieux peut se-réaiiser
1
même lorsque lestaux d'accroissement industriel sont supé-
i
rieurs à ceux de la production agricole, mais aussi dans le
1
cas contraire,
c'est-à-dire avec des taux d'accroissement de
la production agricole supérieurs à ceux de la production in-
dustrielle. L'harmonie signifie que les deux secteurs accom-

-
532 -
plissent des obligations mutuelles l'un à l'égard de l'autre,
ainsi que leurs obligations envers la satisfaction des be-
soins des masses. Somme toute en 1970,
la superficie couverte
par les cultures industrielles fut d'environ vingt trois fois
j
supérieure à celle de 1938. Toujours en 1970, il Y avait un
1
tracteur (calculé en unité de 15 cv) pour 55 hectares de ter-I !
res labourées contre environ 9 hectares en 1938. Le volume desf
travaux mécanisés la même année a été multiplié par 75 par
!,
!
rapport à l'année 1950 et par 3,3 par rapport à 1960. Ces
!
données témoignent des rythmes rapides et des résultats nota- i
bles obtenus dans le développement de l'agriculture, malgré
la priorité accordée à l'industrie.
En conclusion,
on peut souligner avec force que
1
!
cette expérience s'oppose frontalement au mouvement ujamaa, aUI
i
socialisme rural, formule choisie par la seule Tanzanie pour.
1
son développement rural.
En effet,
la théorie des Ujamaa qui
1
s'est dégagée au cours des écrits de M.
NYERERE s'appuie for-
t
tement sur les vestiges des sociétés précapitalistes pour
construire le socialisme. C'est ce que traduit cette citation
"La conception de l'Ujamaa procède essentiellement de la
conviction que la famille élargie traditionnelle en
Afrique représente une forme indigène de socialisme" (1)1
Cette conception s'oppose à la théorie de MARX et d'ENGELS qui JI'
conçoivent le socialisme comme un dépassement du régime capi-
!
1
i
1.
Uma LELE,
"Le développement rural : l'expérience africaî- l'
ne", publié pour la Banque Mondiale par Economica, Paris.,
1975.
'.,

-
533 -
taliste.
D'ailleurs la politique de ujamaa ne fera pas long-
temps illusion sur sa nature "socialiste". En effet,
" •••
la collectivisation de l'agriculture semble avoir
provoqué une baisse de la productivité agricole et par-
tant du niveau de vie. On ne dispose guère de preuves
irréfutables pour étayer cette assertion, mais la pé-
nurie des denrées alimentaires qui s'est produite ré-
cemment dans de nombreuses villes donne à penser que
l'organisation des villages ujamaa a eu des effets dé-
favorables sur la productivité de l'agriculture"
(1).
Plus loin l'auteur ajoute:
"Il a été annoncé qu'à compter de décembre 1973, l'ob-
jectif de la collectivisation de l'agriculture du pays
était écarté en faveur d'un système d'attribution de
parcelles individuelles regroupées par lots" (2).
Ce qui sépare l'expérience albanaise de celle de
la Tanzanie c'est une différence essentielle (au sens fort
du terme,
celui où les deux phénomènes ont des essences dif-
férentes). La Tanzanie est un pays néo-colonial où cohabitent
les rapports de productions capitalistes et des rapports pré-
capitalistes avec la prédominance des premiers. L'Albanie est
un pays indépendant où prédominent les rapports socialistes.
Mieux, le développement spectaculaire de l'aide des pays so-
cialistes, notamment de l'URSS,
a été nécessaire et a permis
à l'Albanie d'éviter plusieurs écueils:
Le rejet de la théorie fallacieuse de la "spécia-
lisatian du travail" qui est d'un grand intérêt dans la con-
ception d'un monde idéal mais purement théorique (c'est-à-
dire idéel), et qui ne reflète pas les conditions objectives
1.
Uma LELE,
op.cit, p.213.
2.
Uma LELE, op.cit, p.215.

-
534 -
du monde actuel. La conscience aiguë de cette réalité a per-
mis de réaliser des efforts dans deux directions
:
1° -
la mise sur pied d'une industrie capable de
satisfaire la demande des autres branches de l'économie du
pays
(en particulier les branches agricoles) ainsi que celle
de la consommation de la population.
2° - Le développement d'une agriculture suffisam-
ment puissante sur le plan des cultures vivrières,
sans né-
gliger les cultures industrielles.
Cet exemple riche d'enseignement est aujourd'hui
unique,
c'est ce qui exprime3. FRELASTRE lorsqu'il écrit:
"D'après le plan adopté par cette étude générale des
pays collectivistes européens,
l'Albanie devrait être
placée à un meilleur rang,
comme étant en passe de réa-
liser cet idéal marxiste"
(1).
"A ce titre,
l'expérience albanaise nous apparaît un
cas exemplaire pour les autres peuples du monde" (2).
-----------0-----------
1.
Georges FRELASTRE,
"Paysans et cOllectivisme" .. 1977,
Editions Cujas, p.193.
2.
Catherine REGNUALT-ROGER, op.cit, p.859.

-
535 -
CON C LUS ION

-
536 -
Tout au long de nos investigations,
les conditions
de réalisation de l'autosuffisance alimentaire se dégagent
comme l'objet central de nos préoccupations : peut-on légi-
timement et péremptoirement estimer,
au moment où nous égre-
nons nos dernières pensées sur cette question, que nous som-
mes comblés ? Certains aspects non déterminants mais impor-
tants, qui méritaient d'apporter une contribution apte à
éclairer les conclusions auxquelles nous avons abouti,
sont
demeurés dans l'ombre. Au nombre de ces insuffisances nous
retiendrons l'étude de l'évolution de la consommation, qui
r
i,
même si elle apparaît en filigrane dans celle de la produc-
1
tion et des importations, méritait de retenir notre attention, 1
r
cependant en l'absence d'une recherche approfondie sur la
!
question,
i l fallait éviter de faire de notre appréciation
1
subjective,
les bases d'une analyse que nous avons toujours
f
voulue scientifique; l'analyse des organismes régionaux et
. 1
leur influence sur les pOlitiques nationales pouvaient cons-
tituer
un autre sujet de préoccupation, mais là également
nos investigations n'ont pas décelé:-~es éléments dignes d'in-
térêt. Les forces centrifuges (cf.
l'exemple des expulsions
1
des immigrés du Nigéria) expliquent la quasi-inefficacité des
1
!
structures régionales en Afrique de l'Ouest notamment au SAHEL.I
t
Composé essentiellement de valeurs d'usage,
le sur-
plus agricole apparaît déjà dans les économies naturelles et
de subsistance du SAHEL précolonial. Ces économies dont la
production demeure tendantiellement stagnante consacrent seu-
lement une fraction négligeable du surplus à l'échange: Dans

-
537 -
ces sociétés où l'atomicité des cellules économiques favorise
la réalisation de l'autosuffisance alimentaire au niveau mi-
cro-économique. des signes de dépossession des producteurs
réels déjà se multiplient : esclavage. tributs perçus par les
ir
chefs
féodaux.
apparaissent déjà à cette époque comme des
freins à la réalisation permanente d'une autosuffisance ali-
1
1
,
mentaire au plan de chaque homo-économicus. Le tribut perma-
1
nent payé sous forme de rente en travail ou en nature s'appuie 1
1
sur la division naturelle et sociale du travail. L'étude his-
1
i
torique loin de nous entraîner dand des dédales nostalgiques.
!
se manifeste comme un détour didactique~ apte à nous révéler
r
f
les voies à éviter. Etudes du microcosme économique social et
r
foncier mais aussi des valeurs nutritives des plantes alimen-
1
taires.
conjuguent leurs enseignements pour nous rappeler que
1
les questions actuelles du SAHEL doivent recevoir un traite-
1
ment historique. Les aliments de base comme les aliments d'ac- 1
compagnement demeurent pour la plupart ceux qui existent enco- 1
re aujourd'hui au SAHEL. preuve que le passé et le présent au
1
,
SAHEL parfois se confondent. Cet ensemble de plantes associé
t
judicieusement. peut se révéler apte à fournir la totalité des 1
éléments nutritifs dont les populations ont besoin. Cependant. 1
l'introduction de nouvelles plantes.
leur diversification
croissante dans le cadre d'une agriculture moderne. favorise
le développement rural. Le régime alimentaire sahélien dit
"primitif" connaît certes des limites.
cependant la déficience
actuelle résulte de l'évolution ré~nte. Pour prendre le con-
s
tre-pied de cette évolution.
la solution passe par l'augmenta-

-
538 -
tion quantitative et qualitative des produits de base, mais
aussi des aliments d'accompagnement. Enfin,
l'introduction
de nouvelles plantes non pour remplacer les anciennes. mais
pour les suppléer dans les domaines où elles sont les moins
performantes, doit constituer un apport non négligeable pour
un développement agricole prenant de plus en plus en compte
l'évolution du modèle de consommation.
L'avènement du MPC,
son épanouissement introduit
des rapports sociaux nouveaux en même temps qu'il distend les
rapports précapitalistes, et favorise leur désintégration.
Cette évolution plante progressivement le décor du mélodrame
que vivent actuellement les populations sahéliennes. Limité
dans le temps et dans l'espace,
le phénomène de crise écono-
['
f:
mique, principalement celui de crise alimentaire acquière per- Ir
manence et stabilité à partir des années 1970. L'existence de
.
f
ces crises,
le développement des villes contemporaines comme
t
du salariat constitue des signes probants de l'intégration du
1
SAHEL dans le marché capitaliste mondial et de son insertion
1
f
dans la division capitaliste du travail. L'intégration du
î
(
paysan s'effectue cependant très lentement dans le MPC car
1
l'orientation des investissements néglige le secteur primaire. JI
pôle de convergence de l'immense majorité des producteurs. Les
1
structures agraires ne se modifient donc pas dans le sens
d'une mécanisation graduelle ou d'une rationalisati9n accrue.
Le blocage du processus de développement qui en résulte tra-
duit les faibles effets multiplicateurs et d'entraînement que
les investissements même productifs induisent. Les secteurs

-
539 -
secondaire et tertiaire où se concentrent les investisse-
ments n'ont que peu d'influence sur les cultures vivrières
sur lesquelles la majorité des producteurs travaillent. Les
effets d'entraînement des investissements produisent néan-
moins en amont sur les cultures de rente des stimuli. L'é-
largissement des rapports de production capitaliste qui
étouffe les rapports sociaux précapitalistes trouvent dans
le développement de ces cultures des sources de vitalité.
Dans ces conditions, le paysan sahélien, travailleur opi-
niâtre,se voit soustraire une partie du fruit de son tra-
vail qui constitue le surplus. De façon synthétique, le
levier de la pénurie alimentaire apparaît mu par un double
mouvement : ponction du surplus au profit de la bourgeoisie
sahélienne et de ses alliés étrangers et soins accordés
unilatéralement aux cultures de rente au détriment des cul-
tures vivrières à un moment où les producteurs non agricoles
ont tendance à croître. Soumise directement ou indirectement
au MPC, l'agriculture sahélienne a permis et permet aussi
bien la ponction d'une rente en travail que d'une rente en
nature et en monnaie. La tendance à la division capitaliste
du travail permet même au niveau agricole de percevoir une
plus-value sur les ouvriers agricoles.
Sur la base de l'analyse que nous venons de condui-
re, où devons-nous rechercher les sources ou les ressources
du développement? Dans l'épargne monétaire ou en regardant
du côté du surplus économique notamment agricole ? Peut-on
d'ailleurs opposer épargne monétaire et surplus économique?

-
540 -
-1
Le surplus se monétarise progressivement parce que
1
l'économie sahélienne,
inexorablement, s'affirme de mieux en
1
mieux comme une économie monétaire. Cependant, ce qui consti-
,
tue aujourd'hui la source essentielle de l'accumulation, c'est
le surplus. L'épargne monétaire en tant que fraction du sur-
plus demeure relativement faible,
néanmoins des canaux multi-
pIes se créent, permettant de mieux monétiser le surplus qui
transite par les institutions financières
(banques, caisses
d'épargne, P.T.T., Trésor, etc .•• ) chargées de la mobilisa-
tion de l'épargne volontaire des particuliers, mais aussi de
l'épargne forcée
(impôts divers notamment). Le développement
actuel du capitalisme au SAHEL combine donc des effets divers
tels que l'accaparement du surplus,
l'orientation de l'effort
agricole au profit des cultures de rente,
l'accroissement
d'une population non agricole dans les zones urbaines qui
s'accompagnent du maintien de certaines structures précapita-
listes. Le bilan statistique de deux décennies de développe-
ment rural permet de confirmer ces conclusions
: dans le sec-
teur agricole,
les cultures de rente reçoivent le plus de
crédits (même si celui-ci reste un crédit essentiellement à
court terme), elles concentrent la majeure partie des intrants
1
agricoles. La stagnation de la production vivrière se révèle
être le fruit de ce manque d'attention qui leur est accordé.
Jeune et dynamique mais insuffisamment encadrée au
plan scolaire et sanitaire,
la population sahélienne conserve
une conscience nationale embryonnaire. L'espace agricole sur
lequel elle vit se révèle suffisant pour satisfaire ces be-
1
~,!
t
i
{

-
54.1 -
soins alimentaires. Cependant,
l'insertion dans le MPC trans-
forme les secteurs productifs à son image par l'introduction
du capital et de ses corollaires (propriété privée, salariat,
etc ••. ). Le secteur prlmalre, principalement l'agriculture,
sollicité essentiellement pour l'accumulation du capital, ali-
mente l'extension du MPC. La domination du MPC provoque deux
f
mouvements contradictoires dans l'agriculbure : la perpétua-
tion et la désintégration des rapports sociaux précapitalis-
1
tes. Ainsi peut-on constater au plan foncier le maintien pro-
Il.
visoire des droits traditionnels des paysans sur les terres
l
qu'ils cultivent, tandis que les terres prêtées ou laissées
en jachères (depuis dix à quinze ans) changent de propriétai-
re pour se retrouver essentiellement propriété de l'Etat néo-
1
colonial. L'examen des différents paramètres atteste donc que
la crise alimentaire sahélienne qui s'affirme et s'amplifie,
ne peut se justifier ni par un déterminisme géographique ni
1
par un fatalisme mystique, mais elle interpelle une politique
[
agricole délibérée.
Il...
L'augmentation de la production agricole globale
(
interdit par ailleurs une telle conclusion et révèle que le
!
1
croît en volume profite aux cultures de rente,
alors que pa-
rallèlement la population non agricole ne cesse de gonfler.
1
La stagnation voire la lente progression en volume de la pro-
!
1
duction vivrière engendre donc la crise alimentaire qui se
1
transforme en famine dès que les conditions climatiques se
1
dégradent. C'est cette faillite de la politique agricole néo-
coloniale qui alimente actuellement les débats sur les propo-
1
,"
1
!~
1
1

-
542 -
sitions normatives et positives permettant de sortir de llor-
nière.
Les problèmes que pose le développement de l'agricul-
ture au SAHEL sont complexes, mais pour sten tenir à ltessen-
tiel, nous avons centré notre analyse sur la mobilisation du
surplus et à sa capacité à induire les investissements produc-
tifs dans le domaine rural. Dans cette optique, une réforme
agraire audacieuse doit ouvrir la voie à la modification de
mals aussi les aspects monopolisants et féodaux des rapports
capitalistes. Un des objectifs de cette réforme vise à multi-
plier la SAU et à accroître l'investissement productif dans
le domaine agricole en privilégiant l'irrigation,
l'engrais-
sement des sols,
l'introduction adéquate de la mécanisation
et l'utilisation rationnelle des sols.
Pour développer les
connaissances botaniques et pédologiques, pour améliorer les
rendements,
une activité intense doit naître et s'amplifier
au sein d'instituts de recherches véritablement nationaux,
afin de leur consacrer un travail d'investigation profond et
minutieux. La nécessité de mobiliser le surplus commande la
mobilisation de la force de travail justifiant le fort taux
d'accroissement démographique que connaissent actuellement
les pays du SAHEL. L'accroissement en volume représente une
1
évolution quantitative qui participe des mécanismes d'induc-
1
tion qui offrent aux forces progressistes l'assurance de s'im- 1
poser. Cependant,
l'accroissement quantitatif sans une évolù-
1
1

-
543 -
tion qualitative dans le traiteme~t de la variable démogra-
phique, conduit indubitablement à un gaspillage des forces
1
1
productives. Actuellement, se pose pose donc au SAHEL le
1
problème de la capacité des différents Etats de pouvoir uti-
liser cette force de travail croissante à des tâches produc-
tives. Une coopération croisante et nouvelle doit promouvoir
une socialisation inédite, orientant les efforts dans le sens
d'une plus grande productivité. L'augmentation de la produc-
tivité ne peut se faire sans rechercher les objectifs d'une
production accrue et d'un marché intérieur capable d'absor-
ber celle-ci. Les réseaux routiers et ferroviaires actuels
tracent l'itinéraire du commerce de traite.
Pour renverser
la vapeur,
i l faut créer un réseau de desserte fluide pour
atteindre l'ensemble des régions, mais aussi et surtout per-
1
mettant l'échange entre les zones de déficit et d'excédent.
La réforme des circuits de distribution ne peut se faire si
1
l'infrastructure routière et ferroviaire s'y prête. L'objec-
i!
tif de cette réforme doit viser à réduire progressivement
l'f,
,
s ' i l le faut,
mais nécessairement le rôle des intermédiaires
!
pléthoriques qui captent sans grande contrepartie une portion 1
l
non négligeable du surplus agricole, et qui alime~te ~~ ~hô­
_/ ~e
1
d ,
.
' d
.
'1:e~'
mage
egulse
ans les centres urbalns. Le ~'{a~~ de la refor-
-\\:. Se
.
1
me des circuits de distribution iml"!\\8 ve~e rechercher une sym- r-r
biose entre marchés libres et marché officiel dans les pre-
[
,
miers moments afin de rendre la réforme progress~ve ; cepen-
1
t
dant, on doit veiller à terme à l'émergence d'un marché uni-
r
que grâce à une politique judicieuse et volontaire des prix.

-
544 -
La recherche d'une mobilisation optimale du surplus agricole
demeure à ce prix. De façon générale, la mobilisation du sur-
plus agricole et industriel, une meilleure mobilisation de
l'épargne doivent ouvrir l'ère d'une croissance accélérée dont
le rythme élevé doit favoriser les investissements productifs
sans négliger une juste rémunération des producteurs réels.
Une rémunération judicieuse correspondant aux efforts de cha-
que producteur demeure le meilleur stimulant pour celui-ci en
. !
même temps qui est le garant du maintien de la croissance.
Ces conditions aptes à réunir celles de l'autosùf-
fisance alimentaire créent les bases d'une agriculture moder-
ne,
s'appuyant sur des fondements scientifiques solides. Pour
n'avoir pas réuni les conditions optimales,
l'expérience tan-
zanienne produit des résultats dont les effets se révèlent
plus que fluctuants. A contrario,
la réussite du modèle alba-
nais nous apparaît comme digne d'intérêt parce ques les preu-
ves de celle-ci s'accumulent et demeurent rarement démenties.
Contemporains,
les succès du développement agricole de la
!i
RPSA possèdent également des avantages certains sur les au-
î
:
tres : le sous-développement constitue un dénominateur commun 1

entre l'Albanie d'il y a quelques décades et les pays du SAHEL~
l'étroitesse du marché intérieur les met également à la même
i
enseigne.
Comment peut-on synthétiser les secrets de cette
réussite ?
,
l
L'agriculture albanaise repose sur des bases tech-
j
nique et scientifique solides dont la matrice se situe dans
!
l

-
545 -
des rapports de production nouveaux. Le développement de l'in-
dustrie lourde s'effectue en harmonie avec l'industrie légère
qui répondent l'une et l'autre aux préoccupations d'une agri-
culture moderne sans négliger les besoins en produits finis
du marché intérieur.
Le développement de l'agriculture sahélienne en par-
ticulier,
le développement économique en général peuvent rece-
voir l'éclairage de tel analyste perspicace et pénétrant ou
encore être soumis aux fadaises d'un terne visionnaire pédant,
les progrès réels de l'humanité demeurent entre les mains des
peuples. Les peuples sahéliens éviteront-ils ce destin ?
-----------0-----------

j '
-
546 -
i
1
1
B l
B LlO G R A PHI E
t
!
1
!

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j
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555 -
r
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coopération de la République Française, Paris., 1977.
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de la République Française, Paris.,
juillet 1977.
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de la République Française, Paris., novembre 1976.
5,.
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1

-
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n° 4.,
1977.
i
l
,
,
2. Cahier d'Outre-Mer,
n° IlL,
juillet-septembre 1975, "à
1.
propos de la sécheresse et de ses conséquences au SAHEL",
n° 120., 1977.
1
1
3. Cah~er de l'I.S.E.A.
(Institut de Sciences Economiques
1
l
Appliquées),
nOs 5-8., 1971 :
1
M. CEDEPE et D. CEDEPE
: "Agriculture secteur dominé" et
1
"Productivité,
rapport de prix et domination de l'agricul-
1
ture" •
1
4. Notes et études documentaires françaises
: "L'évolution
politique et économique de la République Populaire d'Alba-
1
nle : 1945-1968", nOs 3555-3556., 20
janvier 1979.
1
5. Notes et études documentaires françaises
: "La sécheresse
1
!
1
en zone sahélienne", nOs 4210-4217., 23 septembre 1975.
rl1
6. Revue Africa Development : B. FOUNOU TCHUIGOUA : '~'appro­
j
che par les besoins essentiels, une théorie nouvelle de dé-
veloppement pour la décennie 1980 7",1980.
7. Revue Année Africaine,
n° 1974, Yves PENAUT, n° 1975, J.M.
GASTELLU : "Repenser l'économie du développement en Afri-
1
que Noire".
1
1
8. Revue de la B.C.E.A.O.
- n° 115. , février 1965,
- n° 116. , mars 1965,
1
- n° 117. , avril 1965,
,
n° 119. ,
juin 1965,
- n° 207. , juin 1973.

-
557 -
9.
Revue d'Etudes Voltaïques, J.L.
BOUTILLIER : "Les struc-
tures foncières en Haute-Volta". Limoges (France)., 1966.
République de Haute-Volta, Centre IFAN-ORSTOM.
!
10. Revue''Economie et Humanisme, ,no 248, B. LECOMTE et A.
1
i
BIROU.,
juillet-août 1979.
il
Il. Revue "Le mois en Afrique"
:
-
nOs 178-179., 1980
1l
-
nOs 180-181., décembre 1980
1
i
1
-
nOs 194-195.,
janvier-février 1982.
.1
l
12. Revue "Le Monde en Développement", nO 24., 1978, R. GI-
BRAT : "Problème de climat et Tiers Monde".
1!
13. Revue "Les Temps Modernes", nO 346.,
juin 1975, J.P.
1
OLIVIER : "Afrique : qui exploite qui 7".
1
1
14. Revue "Marchés Tropicaux"
:
-
n° 602., 25 mai 1957,
1
-
n° 1780., décembre 1979,
-
n° 1839., février 1981,
1
n nO 1850., avril1981,
1
-
n° 1853., mai 1981.
1
!
j
15. Revue "Tiers Monde"
:
-
n° 54., année 1973,
nOs 59-60.,
année 1974,
-
nO 72., décembre 1977.
i
1
-----------0-----------
f
-;
,

1
-
558 -
ii
1
[
r.
f
TABLE DES MATIERES
1
Pages
1
INTRODUCTION
1
r
PREMIERE PARTIE
LA PERIODE PRE COLONIALE
............ 39
CHAPITRE PREMIER
TYPOLOGIE DE L'ORGANISATION
SOCIO-POLITIQUE ET ECONOMIQUE
......... 42
SECTION l
STRUCTURES POLITIQUES DES SOCIETES SAHE-
LIENNES
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • • • • .
43
1.1. La tldémocratie clanique" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . •
43
1.2.
"Chefferie héréditaire" et royaume . . . . . . . . • .
44
1.2.1. La chefferie héréditaire •••.•....•.••
44
1.2.2. Royaumes et empires..................
47
SECTION II
: LA STRATIFICATION INTERNE .......... ......
50
II.1. Les contradictions internes ....... .. .......
51
II.1.1. La division sexuelle du travail et la
lutte entre les sexes ••......•...•••
51
II.1. 2 • La d ' "
d'"
~v~s~on en caste
age •....•••••
52
II.2. La division sociale du travail . . . . . . . . . . • . .
54
II.2.1. Le développement des métiers ••....••
55
II.2.2. Le conunerce
57
l
(i) Le commerce continental
57
(ii) Le commerce à longue distance •••••
59
1
II.3. Les antagonismes de classe
62
(i) La paysannerie
65
li
..
..
..
..
j
(ii) Les esclaves
65

-
559 -
Paqes
( iii) Les marchands ."""""." ... ,,""",,....
6 7
(iiii) L'aristocratie ou la chefferie..
68
CHAPITRE DEUXIEME
LES STRUCTURES AGRAIRES
" ... , .. , , ...
72
SECTION l
SITUATION D'ENSEMBLE
., ., " .. , , " , ." ., .., .... 73
1.1. L'outillage agricole.
74
I l
• • •
I l
• • • •
l ' ' ' ' '
• • • • • • • •
1.2. Les techniques agricoles , " " " " " , " "
77
". .. , , " . ., .
1.2.1. L'entretien et la fertilisation ••••••
78
1
j
AI Les techniques passives •••••••••••••
78
1
BI Les techniques actives •••••••••.•.••
82
1
a) Les fumures domestiques ••••••••••
82
b) La flUnure anrpmale ".""".""".".,,.,,.
83
i
1;
1.2.2. Les espaces agraires et leur organisa-
l1
t ion ."" .. " , , . . . , , , .. ". ", ". ". "" , , , , "..
83
1
AI Le finage .""""" .. """" .. ,, .. ,,""""",, ...
84
BI L'organisation du terroir •.•••••.•••
85
1
1°) Les structures concentriques •.••
85
1
1
i,
2°) L'organisation calquée sur le mi-
l i e u . , . , ,," , ... "" "" "" . . . . "" "" "" ".
86
3°) Les aménagements en bandes paral-
lèles .".""""""".,,""""""""""""",,.
86
1" 3"
Les rég imes f one iers "" ... """"" .. "".".,,",, .. ,,"
88
1:
~
I.3.A.
Les caractéristiques des droits fon-
Clers """.""""".,,"""""",,.,,"""""""
89
III
• • • •
1
1°) La terre "propriété de Dieu"
? ••••.
89
1
a) La terre est "inaliénable" et ac-
1
cess ible à tous . . . """".".,,""",, ...
90
b) La terre "propriété" des lignages
92
1

-
560 -
Pages
2°) Les droits individuels et collectifs
96
AI Les droits collectifs......
96
BI Les droits individuels •• .•••..•••
98
I.3.B. Les structures et l'organisation du
travail agricole
.
100
1 0) L ,
" d
unlte
' exp1
'
01 t a t 'lon
•.•.....•..••
101
a) La taille des exploitations ••.•••
101
1
l
,
b) La répartition des tâches
.
102
,
1
2°) Le travail au bénéfice d'autrui:
l'exploitation
.
104
1
!
a) Les esclaves et les serviteurs •••
104
b) Appropriation et rente du sol ..•.
105
SECTION II
ETUDE DE CAS : LES STRUCTURES AGRAIRES EN
HAUTE-VOLTA • . . . . . . • • . . . • . • . • . • . . . • . • . • . • •
108
L
~~_ê~~~~f:!I2_~Q!Œ~!9.Q~
108
LI. Le "système segmentaire" ou le stade su-
prême de la "démocratie clanique" •.••••
109
L2. La "chefferie héréditaire", organisation
de type 2
109
1.3. Les "royaumes" ou organisations de type
3 •••••.•••••••.••.•••••••••••••••••••••
110
L3.1. Situation en pays Mossi.........
112
II. Les structures FONCIERES ••...•.•.•.•.••.....•
113
-
----------------------
II.1.
Type 1 · ......... ...... .. .... .... ... ...
114
II. 2. Type 2 · ... .. .. .. .. .. ...... .. .... .. ....
115
II. 3. Type 3 ·....... .. .. .... .. .. .... ... .....
117
II.4. Taractéristiques générales à tous les
types (1,2,3)
. .
119
I l . 1 . 1
I l . 1
• • •
1
I l . .
• • • • •

-
561-
Pages
SECTION III
: LES PLANTES ALIMENTAIRES
123
111.1. Les généralités.
.. .. ..
..
124
111.2. L'agronomie
128
111.2.1. Les conditions climatiques ••.•••.••
128
111.2.2. Les sols et la flllTlure •....•...•••.•
130
111.2.3. Les rendements ...... ...... .........
130
111.2.4. L'emmagasinage et la conservation du
graln
.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
132
111.3. Les caractéristiques physiques et chimiques
134
x Caractéristiques physiques
134
x La composition chimique ........ ...... .....
135
x Comparaison avec le blé ...... .. .. .. .......
136
111.4. Le grain dans l'alimentation humaine •.•••.
137
111.4.1. Préparation culinaire ...... ........
137
111.4.2. Composition de la préparation culi-
1
na 1re
.
139
111.4.3. Couverture des besoins de l'homme ••
141
111.4.4. La nécessité de cette supplémenta-
1
1
t ion
.
144
j
SECTION IV : LA TRAITE OU LA SAIGNEE •.....•••..••....•
147
1
1
l
IV.l. Une ponction démographique inégalée
148
1
!!:
IV.2. La traite, facteur de régression et de dif-
j
férenciation
.
150
i
1
1
1
1
1

- 562 -
Pages
DEUXIEME PARTIE
INTEGRATION ECONOMIQUE OU EVOLUTION BRIDEE
DES FORCES PRODUCTIVES .••..••...•.•
154
CHAPITRE PREMIER
DES FREINS A LA REPRODUCTION ELARGIE
DES RAPPORTS PRECAPITALISTES • . . . . . . . . •
159
SECTION l
: L'ETAT (QUELQUES ELEMENTS D'HISTOIRE) •••.•
160
1 0
-
L'Etat colonial
160
1







2° - L~Etat n~o-co1onia1 . . .. . .......... ..........
166
SECTION II
DEPERISSEMENT DE L'ESCLAVE, APPARITION DU
SALARIAT • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
172
SECTION III
L'ACCELERATION DE LA RUPTURE ENTRE VILLE
ET CAMPAGNE
•••••••.••••.••••••••••••••••
182
j
X Exemple d'une ville contemporaine: NIAMEy .....
185
1 0
-
Une vi Ile jeune
.
185
1i

Les fonctions de la ville
.
187
i
- Les fonctions administratives et po1i-
1
tiques
.
187
1
1
- Les fonctions ~conomiques
188
1
CHAPITRE DEUXIEME
i
LE DEVELOPPEMENT D'UN MARCHE CAPITALISTE
j
ET LA REPRODUCTION ELARGIE DU MPC
.••••.•
193
r
,
SECTION l
DEVELOPPEMENT DES SECTEURS "TERTIAIRE ET
SECONDAIRE" CAPITALISTES •..•..•••..••.••••
194

-
563 -
Pages
SOUS-SECTION l
i
1
si!:: _~E_-!:!~s ..........•........••. 196
i
SOUS -SECTIO N II
Caractère unilatéral de l'indus-
--------------------------------
1
trie . .... . .... .. ...............
198
SECTION II
LA PREDOMINANCE D'UN SECTEUR DE PLUS EN
1
PLUS SOUMIS
l
.............................. 206
1
S
S SE
d
th '
.
OU -
CTION l
: ~~_~~_~
~~~g~ ............••
206
:•
Il Histoire de l'agriculture . ............... 208
III Histoire de la pensée et des différentes
1
théories du développement agricole ••••••
215
1° - Les rapports industrie-agriculture
216
!1
2° - Les rapports de production et la
1
répartition du surplus
.
232
a) Le surplus
.
232
1
b) La destination du surplus ou les
1
rapports sociaux
.
236
c) La petite propriété paysanne
:
j,
1
évolution des rapports de pro-
i
duction dans les campagnes sahé-
1
l iennes
.
240
~) L'intégration verticale de la
1
petite production agricole ••
242
!1
fi) L'exploitation du travail du
t
producteur intégré
.
245
1i•1
1
SOUS-SECTION II
: ~2~!~~!2E_~~E~~~~
. 253
1
1
SOUS-SECTION III
: soumission indirecte
1
---------- ----------
267
\\

-
564 -
Pages
CHAPITRE TROISIEME
INSUFFISANCE ALIMENTAIRE
. . . . . . . . . . • .
278
SECTION l
BILAN STATISTIQUE DE DEUX DECENNIES DE DE-
VEIDPPEMENT • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . • • • •
279
i
j
I l La production agricole et son évolution •.•.•••
280
1
.
.,
1
a) Les cultures Vlvr~eres . . . . . . . . . . . . . . • • . . •
281
1
b) Les cultures de rente
.
287
1
c) Pression démographique et évolution de la
!
production des cultures vivrières •.••..••
298
III Consommation et commercialisation
.
301
;c la consorrunation
.
301
* La commercialisation
306
I l
• • • • • • • • • • • •
I l
i
1111 Les prix et le crédit agricole
316
a) Les prix des produits agricoles. . . . . . ....
317
- Les prix des produits vivriers •...•••
317
-
Les cultures de rente
320
b) Le crédit agricole
li"
328
i
,
i
Ivi Les importations et les exportations •....•.••
334
1
j
v/ L'aide al imenta ire
344
li
..
1i
SECTION II
: ORIENTATION DU "DEVELOPPEMENT" RURAL •••••
346
I l Les théories du "développement" rural ou de
f
J
l'exploitation
li
..
347
1
1° -
Dans les plans de développement •.•.•.•.
348



-
565 -
Pages
2° - Stratégie de croissance agricole basée
sur les cultures de rente : renforcement
de l'économie de traite
355
1) Les cultures de rente, source de ma-
tières premières des industries de la
métropole et des industries agro-ali-
mentaires néo-coloniales . . . . . . . . . . • .
356
2) Les cultures de rente, source de pil-
lage et de domination ••..•...••.••••
357
3) Les cultures vivrières, domaine de
surexploitation .. ,,""""""""""""""""""
361
4) L'aide alimentaire,
source de domina-
t i on """"""""""""""""""""""""""""""""
363
II/ L'encadrement et les moyens de domination ••••
366
X L'encadrement de la production . . . . . . . . . . . •
366
X L'encadrement de la commercialisation et du
financement """"""""""""""""""",,"""""""""""
372
CHAPITRE QUATRIEME
UNE MAITRISE RELATIVE DES FORCES PRODUCTIVES ?
381
SECTION l
LE "GEL" ET LA DESTRUCTION DES FORCES PRO-
DUCTlVES " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " "
382
i
Il La terre """""""""""""""""""""""".,,""""""""""""
383
1
1° - La spoliation des terres au SAHEL ••••••
\\
384
t
2° - La réforme du foncier """"""""""""""""""
388
III La force de travail
395
1
- Le travail forcé """""""""""""""""""""""
396
2° - Déportation et migration. •.... .. .... •••
398

,
/ i
566 -
Pages
111/ Les
instruments de production
405
SECTION II
: LES PARAMETRES LES MOINS MAITRISES •••.•••
414
1
Il Le cadre phys ique
.
415
~j
1° - Le climat •....• ..•.••....•.•..•..••..••
416
2 0
419
-
Hydrographie
Il
Il
..
1

Les sols et leurs possibilités : la ~é-
dolog ie
421
I l ' '
Il
..
1
·1
1
11/ Les conditions humaines
.
431
1
,
1
1° - Les aspects quantitatifs •.•.•....•.•..•
433
g La population totale
.
433
1
g Le taux d'urbanisation ..............•
440
2° - Les aspects qualitatifs .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
442
TROISIEME PARTIE
LES ASPECTS NORMATIFS
4,47
CHAPITRE PREMIER
f,
LA NECESSITE. DE ROMPRE LE LIEN OMBILICAL
1!.
AVEC LE MPC
452
SECTION l
: COOPERATION REELLE ET NON SOUMISSION •...••
45'3
1
1
1/ Stratégies de la rupture technologique . . . . . . . •
454
L
.
1° - Le rôle du secteur "informel" ••••..•.•.
455
1
r
2° - L'industrie lourde
463
l
11/ La conquête de l'indépendance réelle •••.•.•.•
464
SECTION II
CONTROLE DU SURPLUS ET TRANSFORMATIONS DES
STRUCTURES SOCIALES
468

-
567 -
Pages
CHAPITRE DEUXIEME
MOBILISATION ET ACCROISSEMENT DU SURPLUS ••••
479
SECTION l
NECESSITE DE MOBILISER ET D'ACCROITRE LE
\\
SURPLUS
4 80
1
l
a) Le développement des moyens de production en
agr ieul t ure
481
b) La mobilisation des terres
486
c) La mobilisation de la force de travail
492
d) Fluidité des circuits de distribution .. .. .. .. .. .. .. ....
498
SECTION II
: CROISSANCE ET REPARTITION NOUVELLES .. .. .. .. ....
503
1/ N@cessité d'une épargne croissante ou maximisa-
téon des ressources internes d'accumulation •••
504
11/ "Priorités aux investissements des secteurs
les plus productifs"
506
111/ Rémunération correspondant à l'effort réel de

chaque producteur
509
CHAPITRE TROISIEME
L'AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE
513
SECTION l
UJAMAA OU L'IMPASSE D'UNE POLITIQUE D'AUTO-
SUFFISANCE .. .. .. .. .. .. .. .. .... .... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
513
SECTION II
LES LIGNES DE FORCE D'UNE POLITIQUE D'AU-
TOSUFFISANCE ALIMENTAIRE . . • . . . • . . . • • • . . . .
516

-
568 -
Pages
SEcrION III
DEVELOPPEMENT DE
"L'AGRO-TECHNIQUE ••••••
523
CONCLUSION •••••••• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
535
BIBLIOGRA'Pl-lIE
546


TABIE DES MATIERES
558
-----------0-----------
1
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