UNI VER S l
T E
DE
BOR DEA U X
III
U.E.R.
DE
LETTRES
ET
ARTS
*****************************
THESE DE TROISIEME CYCLE
DE LITTERATURE ET DE CIVILISATION D'EXPRESSION FRANCAISE
********
LES VOIX ISL&~IQUES
***************~***
DANS LE ROMAN DI AFRIQUE OCCIDEN :"ALE D'EXPRESSION FRANCAISE
******************************~ ,**************************
( 1950-1975)
*********
Soutenue par
Sous la direction de
M.
GO
Issou
M. Michel H A U S S E R
1984
'J,~-._-

A LA MEMOIRE DE MA MERE
***********************
"
;~,

REMERCIEMENTS
Ce travail, en dehors de la connaissance livresque
que nous avons pu acquérir, nous a beaucoup appris sur la
solidarité des hommes, leur bonté et leur spontanéité à l'en-
traide. Seul, nous aurions rencontré davantage de difficultés
pour mener ce travail à terme.
Cette thèse a été pour nous une confirmation de la
véracité du vieil adage qui dit que l'bnmme vient au monde
dans la main des hommes, il en repart dans leur main
on ne
peut jamais se passer des autres. Aussi, nous tenons à remer-
cier Mademoiselle El Békraoui Naima, pour l'aide multiforme
qu'elle nous a apportée. Nos remerciements vont égalementc.,à
Monsieur Turbet Deloof, pour ses encouragements, et ses conseils
à propos de notre bibliographie.
Enfin, que Monsieur Hausser, que nous avons
maintes
fois, indépendamment de notre volonté, dérangé, contrarié,

veuille nous en excuser, et qu'il trouve ici, l'expression
de notre gratitude pour sa compréhension, ses conseils et
son aide qu'il nous a accordée.
A tous nos amis qui nous ont aidé, d'une façon ou
d'une autre, nous dis' ans merc'i, qu'ils soient, comme le disent
les musulmans, recompensés du centuple de leurs bienfaits.

-
1 -
T A BLE
DES
MAT l E RES
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPORT DU SUJET AU TEXTE.
T.
1
I.
1. 1
I.
1.2
1.
1.3
Le nom f~ilial
I.
2
Les ti tres des romans
I. 2.1
Relation du titre à l'oeuvre
- L'Aventure ambiguë
- Le Devoir de violence
-
Xala
- Les Soleils des Indépendances
.~..

. ::,-,
I:~'~~~Y
1
- 2 -
1
1. 2.2
Relation du titre au contexte social
- Le choix d'un titre
1
- Le contexte social musulman
1.
2.3
Les titres des parties
1
II. 1
Les narrateurs extradiégétiques
II. 1.1
Pronoms et Possessifs
a) Un "nous" culturel ou "nous" musulman
b) Le "nous" inclusif
c) Les Possessifs
II. 1.2
Une voix imprécatoire, de bénédiction
et de louange.
a) La bénédiction et l'imprécation
b) La louange et la fausse prière
c) Les qualificatifs et les comparaison~
d) D'autres caractéristiques des voix
II. 2
Les narrateurs intradiégétiques
II. 2.1
Les discours de personnages
II. 2.2
La fonction des narrateurs intradiégé-
tiques
III. 1
Les signes de narrataire
III. 1.1
Le "répondant" du conteur africain
III. 1.2
La fonction testimoniale
III. 1.3
La fonction de régie
III. 2
Double lieu de réception du message
III. 2. 1
Le public étranger
- Les mots d'origine arabe
- Les mots d'origine africaine

- 3 -
III.
2.2
Le public musulman
III.
2.3
D'autres lecteurs
Les termes de la langue peul
Les termes de la langue dogon
- Les marques du terroir
DEUXIEME PARTIE : LE CONTENU DU lVJESSAGE
1.
1
L ' e spac e
1.
1.1
Dakar
1.
1.2
La Côte des Ebènes ou la Côte-d'IvoirE
1.
1.3
Le Nakem ou le Kanem ?
1.
1.4
Pays des Diallobé : un pays toucouleur
1. 2
L'islam en ville
1. 2.1
L'islam de façade
1.
2.2
L'islam matérialiste
1. 2.3
Le maraboutage
1. 3
L'islam au village
1. 3.1
La spiritualité préservée
1. 3.2
Un maraboutage favorable dans les viII,
II.
L'époque précoloniale
II.
1.1
La période pré-islamique
- L'adoration des fétiches
-
Le monde des ancêtres
- La peur des génies
II.
1.2
L'apparition de l'islam
a) Le Dj ihad
.~

~ 4 -
b) Un islam élitiste
c) L'introduction de l'écriture
II. 2
La période coloniale
II. 2.1
La reprise du Djihad
II. 2.2
Les conflits culturels
II. 3
L'époque des Indépendances
II. 3. 1
Le succès démographique de l'islam
II. 3.2
L'islam:
culture dominée
Chapitre III
~§_EE§!~~~~_~~_!~~~!§~
- ~-~~-~~~~§~-~~!!~~!~!
III. 1
Les rites musulmans
III. 1.1
Le Coran
III. 1.2
Les" cinq piliers"
La shahâda : un juron quotidien
-
La prière
- La mort du Ramadan : une malédiction
- La çadaqa pervertie
- Le pélerinage
III. 2
Des coutumes islamisées
III. 2.1
Les funérailles musulmanes
prières
ou fetivités ?
III. 2.2
Des coutumes sans âge . . .
III. 2.3
Le procès du mariage musulman: la
polygamie, le lees des femmes, la vir-
ginité.
-
A un niveau inâividuel
----------------------
IV. 1
Un islam cathartique
IV. 1.1
Fama
----

- 5 -
IV. 1.2
Salimata
IV. 1.3
Adja Awa Astou
IV. 2
L'islam comme moyen de promotion sociale
IV. 2. 1
El Adji Kader Beye
IV. 2.2
Saïf et les marabouts
IV. 3
Les musulmans intègres
IV. 3.1
L'exemplarité de Serigne Mada, de
Maître Thierno et du Chevalier.
IV. 3.2
D'autres musulmans intègres
CONCLUSION
PRESENTATION DES AUTEURS ET DE LEURS OEUVRES
;~BIBLIOGRAPHIE

- 6 -
l
N T R 0 DUC T ION
Avant la rencontre avec l'Occident, l'Afrique
avait une littérature essentiellement orale, exprimée sous
·forme de contes, di légendes, de proverbes, de devinettes •••
c'est à l'époque coloniale qu'est née sa littérature écrite
Jahnheinz Jahn, Lilyan Kesteloot, Iyay Kimoni, Jean-Pierre
Makouta Mboukou parmi d'autres,
situent ses premières mani-
.
festations aux Etats-Unis par le groupe de la "Négro-Renais-
sance"
(1918-1928) avec des écrivains comme Langston Hughes,
Claude Mackey, Jean Toomer ••. Ensuite aux Caraïbes, princi-
paIement à Haïti par Jean-Priee-Mars, Jacques Roumain ••• ,
enfin à Paris par le groupe de la "Négritude" tels que Léo-
pold S. Senghor, Aimé Césaire, Léon Damas qui se sont ren-
contrés au "Quartier Latin" autour des années 1933-1935.
Cette littérature négro-africaine était engagée
dès son origine, eu égard à la situation d'oppression et
d'asservissement des Noirs. Elle Ifv1.tedonc le culte
de l'art pour l'art, pour être une littérature de combat,
'f~
.-..--

- 7 -
une littéra~ure fonctionnelle qui s'est assignée comme but
de réhabiliter la culture africaine. En ce qui concerne la
Négritude,
sa forme d'expression privilégiée fut au départ,
la poésie qui (avec l'influence du mouvement surréaliste
français des années 1930, chez certains écrivains comme Cé-
saire), restait hermétique et élitaire.
Afin d'atteindre la plus grande diffusion pos-
sible, elle se diversifiera par la suite pour emprunter
d'autres formes littéraires telles que le théâtre, le conte,
le roman ••• On a souvent caractérisé cette littérature com-
me une littérature d'acculturation. L'acculturation est une
notion corrélative à celles de culture et de civilisation.
Il convient d'abord de l'élucider.
Au regard des différentes ùéfinitions proposées
dans le Dictionnaire de sociologie (1), on peut désigner
la civilisation par l'ensemble des acquis matériels et Jles
modes de vie d'une communauté humaine donnée, à une époque
déterminée. C'est à cause de cela qu'au cours de l'Histoire
de l'humanité,
on a pu successivement parler de civilisa-
tions agraire, pastorale et enfin industrielle; puis,
selon
la répartition géographique,
on parlera de civilisation eu-
ropéenne, arabe, africaine ••• La culture quant à elle, dé-
signe l'ensemble des acquis spirituels tels que les arts,
(1) J.
SUMPF et M. HUGUES,
Dictionnaire de sociologie
Larousse,
1973,
p.
74-81 •
._~

- 8 '<:1
les lettres, l'éthique, la religion, les coutumes ••• La
culture domine et oriente la civilisation. Si culture et
civilisation sont relatives à des milieux géographiques et
sont propres à des collectivités d'hommes déterminées, il
n'en demeure pas moins que des circonstances historiques
font qu'elles se rencontrent,
s'interpénètrent pour se fé-
conder mutuellement, et c'est cette situation d'enrichisse-
ment mutuel qu'on désigne par le terme d'acculturation.
Mais i l ne faut pas confondre acculturation
et assimilation:
on sait en effet que toute culture vivant
en vase clos, quel que soit son rayonnement, est appelée
à mourir. l'acculturation implique un choix et un échange
avec les autres cultures, tandis que l'assimilation se ra-
mène a la "digestion" pure et simple ci'une société par une
autre. c'est ce que la colonisation, notamment celle de la
France, a essayé de faire en voulant blanchir les Nègres.
La réaction de ces derniers s'est traduite dans leurs oeuvres
ou en général, leur préférence va a l'acculturation qui
leur permet de choisir les éléments qui leur conviennent
et de rejeter ce qu'ils détestent. Ce sont ces problèmes
d'acculturation que pose entre autres, la littérature négro-
africaine, et qui semble nous montrer qu'en matière ae cul-
ture, une ~rop grande fermeture mène à l'asphyxie, une trop
grande ouverture à l'assimilation. Il faut accepter de re-
cevoir mais selon des critères sélectirs, ensuite i l faut
donner soi-même.
-~

, ,"·
. ' J, .;, .
.. :-; .
l
- 9 -
1
;
1
Le problème de l'acculturation africaine ne
doit pas prendre en considération la seule culture
occiden-
J
tale, et il en ait souvent ainsi, car la rencontre de la (
culture africaine avec celles d'autres peuples comme les
1
Arabes, est bien antérieure à la colonisation occidentale.
Certains éléments de l'apport cul turel arabe, ainsi l ' islam-;
étaient à l'époQue coloniale si intégrés à la culture afri-
caine, Qu'il arrivait Que certains (même des Africains) per-
dent de vue leur origine étrangère (2).
Le roman d'AfriQue occidentale (c'est l'une
'de! régions les plus profondément marQuées par l'islam) nous
semble être, a bien des égards, révélateur de certains de
ces éléments arabes, notamment ceux Qui ont trait à l'islam.'
(2). On sait, par exemple, Que l'une des préoccupations ma-
jeures de la littérature africaine en général, et du
roman en particulier, a été la réhabilitation de la·'
culture africaine en réaction contre l'ethnocentrisme
occidental-pendant la colonisation. Des éléments cul;".
tUl'els arabes apparaissent chez certains écrivains
comme étant authentiQuement africains.: Le cas le plus
exemplaire est le récit de Cheikh Hamidou Kane où lf~
école coraniQue est présentée dans L'Aventure ambiguë
comme une école africaine par rapport à une éèole étran-
gère Qui est celle de l'Gccident. En fait, ces deux éco-
les sont toutes étrangères à la culture africaine; l'im-
plantation de l'une est simplement antérieure à celle
de l'autre •
...'._.-

-
10 -
En dépit de son origine étrilllgère, l'impact
de l'islam sur la culture africaine est d'une importance
capitale. Les mosquées poussent aujourd'hui en Afrique comme
des champignons ! La Mecque est devenue le rêve de millions
d'Africains! L'islam, plus que jamais, se répand dans tous
les coins et recoins d'Afrique. Il serait donc
erroné: de
-.~." '
considérer cette religion comme un aspect mineur et dérisoire
de la culture africaine. L'islam est au contraire une force
vitale, une source de toutes les activités culturelles pour
beaucoup d'Africains. connaître nos sociétés africaines,
c'est d'abord connaître no.s!!X:-J3.eligions. L' idéal aurait
été
~~'NE~-
évidemment de faire up~~~,e~errsI~~comPlètedes religions en
(:~ (
\\
0',\\
Afrique, à travers le~jI[o[!1é;l.'P~,1 rmâisI,qela dépasse les limites
de notre humble trava{;\\~~~~~acitésmatérielles exi-
.
:Jtl
gées sont au-dessus des ...;t}~ô~~~'E?~~r1ais,
pour parler de l'is-
.............~...;,.~J".
lam, il ne faut pas complètement ignorer l'animisme africain,
car certains éléments des religions traditionnelles ont été
transplantés dans l'islam. L'islam s'est ainsi superposé
à des structures globales pré-islamiques pour enGenùrer, un
islam africain, qui revêt des formes particulières, dans
les diverses sociétés africaines. C'est d'ailleurs pour cette
raison que d'aucuns (et non des moindres) parlent "d'islam
noir". La connotation péjorative de cette expression est
évidente, et le musulman français Vincent l'1onteil qui en est
l'auteur, a été suffisanment critiqué par ses coreligion-
naires africains au cours des différents colloques (à Abidjan
et à Bouaké) consacrés aux religions africaines. Bien que
.~

les racines de l'islam en Afrique plongent; dans l'animisme,
on ne saurait lui donner une couleur noire, la couleur du
peuple africain. L'islam en tant que religion universelle
emprunte -
comme cela a été avec l'Arabie pré-islamique -
(3)
les formes culturelles des sociétés où i l s'implante.
Hamadou Hampaté Bâ parle d' "islam principiel en Afrique"
(4·),
on pourrait parler d'islam africain tout court, car les
musulmans africains, comme leurs coreligionnaires arabes,
chinois et autres se refèrent aux "cinq piliers" a~xquels fai
allusion H. Hampaté Bâ, qui sont les fondements de l'islam
la profession de foi, la prière, le
jeûne, le pélerinage
et l'aumône.
Comment procéder pour cerner les éléments d'ac-
culturation islamique à travers le roman ?
Si nous avions choisi la tradition orale comme
source de recherche sur l'islam en Afri que, i l aurait fallu
procéder à des enquêtes auprès des dépositaires de cette
tradition, à des enregistrements de ces éléments d'enquêtes,
à des transcriptions linguistiques ••. Notre propos n'est
pas non plus un étalage d'érudition sur l'islam africain
qui aurait exigé des références à tous les ouvrages qui y
sont consacrés.
(3) H. MASSE, L'Islam,
Armand Colin,
1952 •.
L'auteur montre dans les premiers chapitres,
les traditions arabes pré-islamiques qui se son
investies dans l'islam.
Colloque sur les religions (Abidjan, 5-12 avril 1961)
Présence africaine,
1962 •.
H. Hampaté Bâ s'est attaqué
à l'expression Itislam noir ll au cours de sa communication
sur l'islam africain, afin que l'auteur y renonce.

-
12 -
Ce que nous voulons faire est un travail de
critique littéraire sur quelques romans dont la ~oile de
fond est nettement islamique.
Les méthodes d'approche du texte romanesque
sont diverses. Pour comprendre le phénomène littéraire en
général et le roman en particulier, i l est indispensable de
ne pas ignorer certaines approches que Roland Barthes ap-
pelait "critique n'interprétation" ou lIid.éologique ll , laquelle ~
rattache "à l'une des grandes idéologies du moment", comme
le marxisme, la psychanalyse .••
(5),
on parlera alors de
sociocritique, de psychocritique ••• Quoi qu'il en soit, nous
avons, quant à nous,
choisi de mener ce travail d'un point
de vue narratologique. Nous no~s proposons d'analyser les
différentes techniques narratives des récits,
évidemment
celles qui ont trait à l'islam.
Llapproche narratologique éloigne-t-elle des
problèmes fondamentaux de lloeuvre littéraire? Nous ne le
pensons pas, car le contenu peut être bel et bien fonction
de la forme,
pourvu, comme le propose Todorov à propos des
Notes d'un souterrain de Dostoïevski, qu'on parvienne lIà
voir simultanément les 'idées' de Dostoïevski et sa 'techni-
quel
sans privilégier indûment les unes ou llautre"
(6).
(5) R. BARTHES,
Essais critiques,
Seuil,
1964,
p.246 ..
(6) T. TODOROV,
Poétique de la prose,
Seuil,
1978,p.134 •

- -

-
13 -
Comme l'indique le titre ae'notre travail,
c'est le pro-
blème de la "voix", selon le terme de Genette
(ici des voix
islamique s), que nous aborderons.
La "voix" se situe dans le cadre de l'énoncia-
tion. Qu'est-ce que l'énonciation? Les linguistes la défi-
nissent comme un acte de parole par le moyen duquel un 10-
cuteur particulier énonce des paroles écrites ou orales dans
des conditions spatio-temporelles données. Les premiers fac-
teurs constitutifs d'un procès d'énonciation sont le locu-
teur et l'allocutaire. Ils sont tous deux indifféremment
nommés interlocuteurs. Mais en ce qui concerne le roman, le
problème de l'énonciation n'est pas aussi clair qu'à l'oral.
On n'a plus en effet, affaire à deux interlocuteurs qui sont
face en face,
on n'a que l'énoncé, c'est-à-dire le texte
romanesque où i l faut déceler les traces de l'énonciation
(\\~}l activité d'écriture) par des signes (élément;s qui portent
une signification) ou des indices (éléments aont le but
n'est pas de signifier mais qu'on interprète).
Quant à la "voix", on la définit généralement
en narratologie, en tant que "sujet" de l'énonciation ou
"instance narrative". Far souci de clarté méthodologique,
i l convient d'élucider la notion de sujet qui recouvre deux
"réalités", celle de l'auteur et celle du narrateur, dicho-
tomie qu'on admet depuis les différents travaux élaborés
par Todorov, Genette •••

- 14 -
L'auteur est celui dont le nom se trouve sur
la page de titre. C'est lui qui écrit le roman, puis confie
son manuscrit à un éditeur. Il peut risquer des poursuites
à cause le son roman, d'où l'usage parfois de pseudonymes.
L'exemple le plus connu àans la littérature africaine d'ex-
pression française est évidemment celui de Mongo Beti alias
Eza Boto, alias Alexandre Biyidi-Awala de son vrai nom.
Wole Soyinka,
écrivain anglophone du Nigéria, a lui aussi,
eu beaucoup de tracasseries à cause de certaines opinions
exprimées dans ses livres. Comme le premier, i l a vécu long-
temps en exil, après plusieurs séjours dans les geôles du
pouvoir au Nigéria. L'auteur peut aussi bénéficier de pré-
rogatives attachées au roman (telles que les droits d'auteurs,
les prix littéraires ••• ), mais ces avantages restent très
modestes et ne peuvent pas permettre aux écrivains africains
de vivre de leur plume.
Le narrateur est, quant à lui, un personnage
qui raconte l'histoire au roman,
sa fonction consiste à
produire un récit, et i l n'est pas toujours assimilable à
l'auteur.
Si nous considérons des romans comme Chemin d'Eu-
rope ou Une Vie de boy (7), les narrateurs se nomment res-
pectivement Aki Barnabas et Toundi,
tandis que leur auteur
est Ferdinand Oyono.
(7) F. OYONO,
Une Vie de boy,
Julliard,
1956.
Chemin d'Europe, Julliard,
1960.

-
15 -
Matragu~ par le destin contient jusqu'à deux narrateurs.
Celui qui raconte l'histoire du r~cit depuis le début jus-
qu'à la page 104 s'appelle Omar Guévane. Il est ensuite
relay~ par son ami Wali Abdou qui dit ceci avant de continuer
le r~cit jusqu'à la fin
Pour le moment,
je reprends le récit là où
Omar s'étai t
arrêté. Il me passe son cahier
et son stylo, i l s'~clipse ( .•• ), Je présente
mes excuses aux lecteurs qui auraient voulu
voir Omar continuer sur le ton direct,
son
propre récit.
(8)
Pourtant l'auteur est Amar Samb. Ces exemples
nous r~vèlent la complexité de la communication littéraire,
et plus particulièrement, celle du roman.
La question fondamentale qui se pose à travers
notre sujet est de savoir si la civilisation musulmane dont
l'importance en Afrique (ici i l s'agira plus p&rticulière-
ment de l'Afrique occidentale), a ~t~ ~voqu~e plus haut,
nIa pas produit un type de narration partic~lier saisissable
dans les romans.
Nous essayerons donc de cerner à travers la
structure particulière du message que sont les textes, les
"sujets-émetteurs" ou les "voix" dans une perspective is-
lamique.
Ce travail doit nous permettre de r~pondre aux
(8) A.
SAMB,
Matraqué par le de stin,
NEA,
1973.

-
16 ~
questions suivantes :
qui parle ? A qui parle-t-il ? Que
dit-il
(ou quel est le contenu de son message ?). Il s'ar-
ticulera autour du rapport auteur-lecteur, narrateur-narra-
taire puis le rapport du Iisujet" au contenu du message.
Notre effort consistera à mettre en relief l'impact de l'is-
lam sur les structures narratives au niveau des instances
de discours
d'une part, d'autre part sur le contenu des
textes romanesques. Autrement dit, nos analyses porteront
sur la spécificité des voix narratives islamiques ou les
"sujets" de l'énonciation romanesque qui s'expriment d'un.li.eu
idéologique musulman.
.../

-
1~ -
L E e 0 R P TI S
L'Afrique occidentale d'expression française,
héritée de l'ancienne A.O.F. de l'époque coloniale, recouvre
aujourd'hui un ensemble de huit pays: le Bénin, la Côte-
d'Ivoire, la Haute-Volta, la Guinée, le Mali, la Mauritanie,
le Niger et le Togo. Mais la plupart des écrivains maurita-
niens étant arabisants, c'est vers les sept autres pays
que s'orienteront nos investigations.
c'est surtout à partir des années 1950 que le
genre romanesque prenara de plus en plus d'importance chez
les écrivains de la Négritude. Pendant un quart de siècle
(de 1950 à 1975), on peut compter 37 romanciers environ dans
cette région de l'Afrique, dont la production tourne autour
d'une cinquantaine d'oeuvres que nous allons essayer de
regrouper en
trois
catégories dans les tableaux suivants
er
1
tableau
les romanciers musulmans ,
è
2
tableau
les romans ayant trait à l'islam
d'auteurs non-musulmans ,
è
3
tableau
les autres romanciers •

-
18 -
ROf/lANCIERS MUSULMANS
!
NOMS
,
TITRES
PAYS
,
--------------,---------------
BA Amadou Hampâté
,
L'Etrange destin de
Mali
,
Wangrin
,
BA Amadou Oumar
, Les Mystères du Bani
Mali
BADIAN Seydou
, - Sous l'orage
Mali
,
BOKOUM Saïdou
,
Chaîne: une descente
Mali-Guinée
aux enfers
DIALLO Nassifatou
- De Tilène au Plateau
Sénégal
- La Plaie
sénégal
FALL Malick
FANTOURE Alioum
- Le Cercle des Tropiques
Guinée
- Le R éci t du cirque
GOLO GO Mamadou
- Le Rescapé de l'Ethylos
Mali
- Grandes eaux noires
Niger
ISSA Ibrahim
KANE Cheikh Hamidou
- L'Aventure ambiguë
Sénégal
- Le Déraciné
Niger
KANTA Abdoua
KOUROUMA Ahmadou
- Les Soleils des Indépen-
Côte-d'Ivoi-
dances
re-Guinée
MBENGUE Mamadou Seyni
- Le Royaume de sable
Sénégal
SACKO Birarn
- Dalanda
Guinée
SADJI Abdoulaye
- Maïmouna
Sénégal
SAMB Amar
- f/latraqué par le destin
Sénégal
SANGARE Yadji
Naïssa
Mali
SEMBENE Ousmane
- L'Harmattan
Sénégal
- Le Mandat
- Les Bouts de bois de
Dieu
- Xala
Le Docker noir
- 0 Pays, mon beau peuple'
SOCE Ousmane
Mirages de Paris
Sénégal
TRAORE Isaa Baba
- L'Ombre du passé
Mali
,,
20 auteurs soit
26
romans
soit
,
,
54%
52%
,
!,

19 -
ROI/jANS AYANT TRAIT
A L'ISLAM D'AUTEURS NON-MUSULMANS
NOMS
TITRES
PAYS
BHELY-QUENUM Olympe
- Un Piège sans fin
Bénin
CISSE Emile
- Faralako. Roman d'un
Guinée
petit village africain
COULIBALY Augustin
Les Dieux délinquants
Haute-Volta
Sondé
DIAKITE Yoro
Une Main amie
Mali
DIALLO Georges
La Nuit du destin, le
Mali
cheminement d'un jeune
africain et d'une Euro-
péenne
HAMA Boubou
- L'Aventure d'Albarka
Niger
LAYE Camara
- Le Regard du roi
Guinée
- Dramouss
OUOLOGUEM Yambo
Le Devoi.r de violence
Mali
SASSINE Williams
Saint Monsieur Bhaly
Guinée
9 auteurs soit
10 romans soit
24%
20%

-
20 -
LES AUTRES ROMM~CIERS
!
!
1
NOMS
1
TITRES
PAYS
1
1
1- - - - - - - - - - - - - 1 - - - - - - - - - - - - - - -
1
ANANOU David
1
-
Le Fils du fétiche
Togo
1
1
1
ATTA KOFFI Rapha:ü
1
Les Dernières Paroles
! Côte-d'Ivoire
de Koimé
!
!
1
! :y BHELY-QUENUM OlYllpe
\\! - Le Chant du lac
!
Bénin
1
!
1
1
BONI Nazi
1
Crépuscule des temps
!
Haute-Volta
1
anciens
1
!
~~~~~~
1
DADIE Bernard
1
Cl' b"
.r"--Ài NE 0t~'";~.
1
-
lm le
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Côte-d'Ivoire
1
!
Un Nègre tà?Ha:Çi~-"~;\\ Il'
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Côte-d'Ivoire'
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1
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28 % !
!
1
1
1
.
1
1
1
I
l
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(+)
.Sourcebibliographique des tableaux: P. MERAND. Guide
de littérature africaine de langue française, L'Harmat-
tan, 1979.

-
21 -
Ces tableaux confirment ~e que noup disions
plus haut à propos de l ' importance -~:randissàntt; de
l'islam en Afrique. Une large majorité de romanciers (54%)
situés dans l'aire que nous avons choisie (Afrique occiden-
tale) sont musulmans (évidemment notre critère de distinction
n'est pas fondé sur la foi des auteurs, mais sur leur pré-
nom musulman). On trouve la même maj or i té (52 %) au niveau
de leur production d'oeuvres; mais si on y ajoute les ro-
mans qui/ont trait à l'islam, produits par des auteurs non-
musulmans (ils constituent 24% des romanciers avec 20% de la
production), on obtient un total de 72% de romans qui de
près ou de loin témoignent de l'islam.
Mais tous ces romans ne répondent pas positi-
vement à notre propos. "Des voix islamiques dans le roman
d'Afrique occidentale d'expression française" paraît un
titre très vaste et très prétentieux. En réalité, nous avons
limité ce corpus à quatre romans: Xala
de Sembène Ousmane,
L'Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, Le Devoir de vio-
lence de Yambo Ouologuem et Les Soleils des Indépendances
d'Ahmadou Kourouma. Notre choix a été orienté, compte tenu
de notre propos, par l'importance des éléments narratifs
islamiques, d'une part, d'autre part, nous avons pris en consi-
dération l'importance des problèmes islamiques évoqués par
les voix narratives.
Dans les tableaux ci-dessus, nous avons vu
qu'il y a près d'une quarantaine de romans qui ont des réfé-
rences islamiques. Si l'on prend, par exemple, les oeuvres

-
22 -
d'Ousmane Sembène, ses romans et nouvelles, et même ses
films ont toujours une certaine toile de fond islamique. Le
protagoniste du Mandat, Ibrahim Dieng est d'une très grande
piété musulmane. On trouve d'autres musulmans exemplaires
dans Les Bouts de bois de Dieu, Vehi-Ciosane, 0 Pays, mon
beau peuple (9) pour ne citer que ceux-là. L'interdiction de
son film Ceddo ne réside pas, comme on l'a prétendu, dans
une question d'orthographe de "dd" ou d'un seul "d" pour ce
mot, mais, comme le dit Vincent Monteil, "Ceddo attaque di-
rectement les marabouts et, plus subtilement, l'Islam" (10).
Si nous n'avons pas retenu ces oeuvres ainsi
que ce_ii·~que nous avons ci téci dans nos tableaux, c'est que la
narration islamique n'y a pas la même importance que dans les
romans de notre corpus. En plus de ce problème relatif à la
forme, en considérant le contenu, on se rend compte que ces
oeuvres sont consacrées à d'autres situations sociales, et
l'islam le plus souvent, y occupe une place secondaire.
Dans Xala, la perspicacité d'Ousmane Sembène
vise certes, la bourgeoisie sénégalaise, mais une bourgeoise
où l'islam occupe une importance capitale. Le héros du roman,
(9) o. SEMBENE,
Le Mandat précédé de Vehi CiGsane,
Présence africaine,
1966 •
_L_e...;s_B_o_u_t---.;..s_d_e_b__o_i_s~d.....;.,e~D..;;;i...;;e....;.;.u , Li v. Con t emp • ,. 1960.
o Pays, mon beau peuple !
Le Livre Con.... -.'
tempo~ain-, 1957.
-
' ' - ' ' .
(10)
V. MONTEIL,L'Islam noir, p.26.

- 23 -
El Adji Kader Beye, est le mari de deux femmes - les princ~~
pes islamiques lui en autorisent quatre - et c'est la célé-
bration de son troisième mariage qui constitue le noeud de
l'intrigue dans le roman. Observant toutes les pratiques
matrimoniales musulmanes, El Adji s'aperçoit au cours de la
nuit nuptiale qu'il est'-atteint de "xala", c'est-à-dire, d'une
impuissance sexuelle temporaire. On assiste alors à une pro-
lifération de charlatans-guérisseurs ainsi que de marabouts
de tout acabit. Xala est certes une dénonciation des réalités
socio-politiques du Sénégal, mais il est aussi et surtout
une révélation des croyances religieuses de ces sociétés.
Samba Diallo dans L'Aventure ambiguë est si
imprégné de son éducation musulmane que sa confrontation avec
la civilisation occidentale lui sera fatale. Ce jeune élève
enclin au mysticisme est arraché à l'école coranique pour
être jeté dans l'école occidentale. Là, s'affrontent en lui
deux mondes de conceptions différentes: d'une part, l'Oc-
cident dont la pensée se caractérise par la technique et
l'action, d'autre part, l'Afrique, tournée vers Dieu. L'is-
lam que présente Cheikh Hamidou Kane dans ce roman semble
plus rigide et moins teinté d'a~imisme que d'autres variétés
africaines.
Le Devoir de violence dont l'auteur, Yambo
Ouologuem
est le seul non musulman de notre corpus,dénonce
des réalités socio-politiques où l'islam constitue la ch~nte

- 24 -
L'histoire commence avec la .pénétration de l'islam en Afri-
que par les IlSa ïfs ll qui sont des conquérants musulmans.
C'est une critique acerbe de la violence introduite en Afri-
que, tour à tour par ces conquérants musulmans, et les co-
lonialistes occidentaux qui se sont affublés, respectivement,
des drapeaux de la religion et d'un certain "humanisme ll •
Enfin, Les Soleils des indépendances raconte
la chute d'un prince africain que les indépendances ont ré-
duit à la mendicité. L'étrange destin de Fama, le protagoniste
du roman,
est présenté comme l'oeuvre d'Allah. On assiste
dans ce roman à une coexistence paisible, à des rapports
harmonieux entre pratiques islamiques et pratiques animistes.
Très souvent même, les protagonistes observent les deux
,
pratiques en même temps.
L'intérêt de ce corpus, pour notre sujet est
que toutes ces réalités mentionnées ci-dessus,
sont expri-
mées à travers des "voix ll qui recouvrent une spécificité
islamique. Ce corpus,
sans avoir la prétention d'être ex-
haustif (nous nous référerons aux autres romans en cas de
besoin), nous permettra de découvrir cette spécificité isla-
mique à
traver~ un aspect particulier de l'énonciation
qui
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- 25 -
REM
1 E R
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RAPPORT
DU
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~._-

- 26 -
Cette première partie sera essentiellement
consacrée à l'analyse des structures narratives, avec le
souci constant de déceler les marques de l'influence islami-
que sur les signes et les indices de l'énonciation. Le sujet
de l'énonciation, nous l'avons vu, recouvre une dualité qui
est celle de l'auteur et du narrateur. Essayons de détermi-
ner cette instance de discours dans le rapport de l'auteur
au lecteur d'une part, d'autre part dans le rapport du nar-
rateur au texte puis au narrataire.
_.-
.
.')lM!
"
i

- 27 -
CHA P I T R E l
LES AUTEURS
Les références faites à des réalités soc~ales,
politiques ou religieuses dans le péritexte, c'est-à-dire,
tout ce qui entoure le texte (noms des auteurs, titres,
avertissements, préfaces ••• ) situent les auteurs dans un
contexte spatio-temporel donné qui constitue leur lieu idéo-
logique. Certains de ces éléments péritextuels nous servi-
ront ici pour cerner ces auteurs.
1.
1
Les noms des auteurs
Dans toute société humaine, chaque homme porte
un nom (ou parfois plusieurs) grâce auquel on peut l'appeler
ou l'interpeller (selon qu'il est proche ou loin), le dési-
gner au cours d'une conversation, l'évoquer quand i l est
absent. Le nom est un élément d'appartenance à un groupe,
mais bien s~uvent, il recouvre aussi une signification cul-
turelle donnée.
Si la plupart des prénoms français par exem-
ple,sont des noms de saints du calendrier chrétien, c'est
parce que la France est un pays d'une très longue tradition

-
28 -
chrétienne. Nous essayerons 'd'analyser les noms des auteurs
en distinguant leur prénom et leur nom fa~ilial ou patro-
nyme.
Les prénoms varient en Afrique d'une région à
une autr;. Chez les Akan, ce sont les jours de la semaine
qui déte:minent le prénom de l'enfant. Voici quelques pré-
noms chez les Baoulé de Côte-d'Ivoire qu'on retrouve égale-
ment au Ghana (chez les Ashanti), au Nigéria •••
Garçons
Filles
- Lundi
Kouassi
Akissi
- Mardi
Kouadio
Adjoua
- Mercredi
Konan
Amenan
- Jeudi
Kouakou
Ahou
- Vendredi
Yao
Aya
- Samedi
Koffi
Affoué
- Dimanche
Kouamé
Amoin
L'imposition du prénom se fait parfois par rap-
port au rang de naissance de l'enfant. Ainsi le troisième
enfant, garçon ou fille,
est appelé N'Guessan, le cinquième
N'Dri, le neuvième N'Goran, le dixième Brou, le onzième
Loukou, le douzième Abonoua (1). Il est d'usage aussi dans
beaucoup de régions d'Afrique, de donner un nom à l'enfant
(1) J. CAUVIN,
uL~.choix du nom" in Pirogue: Les nomS
africains,
sens, valeur, avenir (Issy les
Moulineaux, Ed. St. Paul)
nO 41
(1981)
p. 4
_.-

-
29 -
en se référant à un événement ayant marqué la vie de la
communauté, ou la naissance même de cet enfant. On nommera
un enfant [t~~Jchez les Marka de Haute-Volta en souvenir de
l'invasion des sauterelles (signification du nom) qui a ac-
compagné sa naissance ; tel autre portera le nom Cpé.R..E.J par
référence à l'arrivée du premier "père blanc" dans le vil-
lage (c'est avec les missionnaires que se fit le premier
contact entre Noirs et Blancs dans beaucoup de régions afri-
caines).
D'autres noms relèvent de la croyance animiste
ceux qui correspondent au nom d'un fétiche ou d'une divini-
té qui sont censés avoir contribué à la naissance de l'en-
fant ou assumer sa protection durant sa vie. La femme, par
exemple, qui a des difficultés pour concevoir un enfant,
peut solliciter l'aide d'un fétiche ou d'une divinité, en
lui faisant des offrandes comme sacrifice. Une fois son voeu
exaucé, l'enfant porte automatiquement le nom du fétiche ou
de la divinité.
Quoi qu'il en soit, avant l'arrivée de l'islam
et du christianisme, les Africains avaient diverses maniè-
res de nomination. Les noms musulmans et chrétiens se sont
ainsi ajoutés à ces nOms africains ou les ont purement et
simplement surplantés selon les circonstances ou l'importan-
ce de la conversion. Dans les régions où l'islamisation re-
monte très loin dans le passé, les coutumes musulmanes se

- 30 -
sont tellement enracinées que les noms africains animistes
se raréfient. Des quatre auteurs que nous étudions, seul
Ouologuem porte un prénom animiste: Yambo qui, semble-t-il,
est le nom de son grand-père. Voici un Ivoirien, homonyme
lui aussi de son grand-père, qui explique son nom:
On m'appelle Kléjyé. C'était le nom de mon
grand-père. Et comme c'était un homme respecté,
mon papa m'a donné son nom lorsque je suis né.
Jyé, c'est le nom qu'on donne au premier fils.
Klé, c'est le nom de Dieu. Mon grand-père était
l'ainé de ses frères, et son papa l'avait mis
sous la protection de Dieu par ce nom : "pre-
mier de Dieu". Moi,
je suis le troisième fils,
mais je porte ce nom Kléjyé, "premier fil s",
aveC joie, en souvenir de mon grand-père qui
est mort avant ma naissance. (2)
Yambo est dérivé de Ambo et signifie en dogon
"il est là". Ce prénom doit avoir une signification reli-
gieuse semblable au précédent (Kléjyé). En effat, attribuer
à l'enfant, le prénom de son grand-père, c'est sans doute
comme le dit Kléjyé, garder le souvenir du patriarche. Mais
c'est aussi un acte dont la portée religieuse va au-delà
du simple souvenir, car dans beaucoup de sociétés africaines,
on pense que l'âme d'un défunt, comme celui du grand-père
par exemple, peut se réincarner dans le corps d'un nouveau-nÉ
Yambo ou "le vOilà", c'est peut-être la désignation de ce-
lui qu'on croyait parti, mais qui est revenu sous une autre
forme. Il se pourrait que Ouologuem porte aussi un prénom
musulman. Nous avons vu que ses parents sont musulmans et
ont des prénoms musulmans. Mais à leur enfant ils ont pré-
féré donner un nom animiste : la foi animiste prime ici sur
Ibid
_ _ e
' , p. 1.;
~--

l'islam (à moins que leur conversion ne soit postérieure
à la naissance de Ouologuem).
Les prénoms musulmans comme les prénoms chré-
tiens,
sont des noms importés en Afrique, provenant pour la
plupart du Moyen-Orient. Si les seconds, c'est-à-dire les
prénoms chrétiens,ont d'abord transité par l'Europe avant
de parvenir en Afrique, ils sont, avec les premiers (les pré-
noms musulmans) issus de la même source biblique.
C'est pour cette raison qu'on trouve le plus
souvent dans les noms chrétiens des correspondants musulmans.
Ainsi Abraham correspond à Brahima ou Ibrahim chez les mu-
sulmans. Adam est Adama, David: Daouda, Eve est Awa, Jacob
Yacouba, Isaac:
Issiaka, Joseph: Youssouf ou Youcef,
Moïse: Moussa ••• La plupart de ces prénoms ont perdu leur
signification. Combien de gens savent que Claude signifie
boiteux, Abel veut dire buée, André: viril, Vincent: vain-
queur. ••
?
Hormis Ouologuem, tous les auteurs portent un
prénom musulman. La prononcia~ion de ces noms arabes change
d'une région à une autre, à cause de leur contact avec les
langues africaines. Dramane se dit Rasmané en mooré (Haute-
Volta) parce que les consonnes "d" et "r" sont facultative-
ment interchangeables à l'initiale dans cette langue •
'-
.

- 32 -
Ousmane se dit parfois Soumana, pour ~~med on trouvera des
variantes comme AhmaQou, Arnidou, Ahmandou •.. Pour distinguer
les divers Ahmadou d'une même communauté, on ajoute parfois
le préfixe Ma- qui désigne la mère dans beaucoup de langues
africaines ·(chez les Malinké par exemple). Ainsi certains
appellent Kourouma, Mamadou (Ma-Ahmadou)
Comment attribue-t-on ces prénoms musulmans?
En général, c'est au septième
jour après la naissance de
l'enfant que les musulmans se réunissent pour lui attribuer
ce nom individuel. La cérémonie dirigée par un imam, commen-
ce par la récitation de versets coraniques, puis on rase la
première chevelure du bébé (qui sert parfois à la confection
d'une amulette que portera l'enfant), enfin on choisit le
prénom. Normalement, c'est à l'imam qu'incombe ce choix en
se référant,
s ' i l sait lire, à des livres composés pour cet
usage,
tel celui de Cheik Kalla qui recommande de nommer
l'enfant selon le
jour de sa naissance.
On peut attribuer
à un enfant né le dimanche, l'un des prénoms suivants:
(gar-
çon)
Abdoulaye, Abdoul-Rahamane, Rafiou-Wassiou, Nafiou,
Nhour, Idriss, Askandar,
Souleymane •.•
(Fille)
: Abibata,
Kadidjatou, Ramatou,
Salimata, Rokiatou •.•
Il existe ainsi des précisions pour tous les
jours de la semaine. Parfois, ce sont les parents qui choisis-
sent le nom individuel de l'enfant et le communiquent avant
la cérémonie à l'imam. Ce prénom peut être celui d'un ami,
d'un parent ••• Quoi qu'il en soit, ces noms individuels
sont

- 33-
1
1
ceux que portaient les compagnons du Prophète, c'est-à-di-
re la première communauté musulmane.
Selon les moyens des parents, la cérémonie
se termine par un festin où plusieurs bêtes sont immolées,
on distribue de l'argent, des noix de cola, et dans la plu-
part des cas,
c'est l'irrésistible "danse" qui se poursuit
parfois tard dans la nuit. Kourouma se rappelle qu'à son
baptême, comme aux funérailles "du cousin Lacina", un per-
sonnage de son livre, cinq boeufs furent immolés. C'est que,
dans certaines sociétés africaines comme chez les Malinké
(dans le passé), l'enfant ne reçoit pas un prénom tout de
suite. On attend d'être sûr qu'il vivra,
et l'imposition du
nom individuel se fait vers six
sept ans. Dans le passé,
les Malinké appelaient Tiécoura tous les enfants d'une même
classe d'âge avant qu'on ne leur impose un nom individuel.
Kourouma s'appelait Tiécoura jusqu'à cette époque, c'est-à-
dire vers sept ans environ.
On le voit, cette pratique des
Malinké (aujourd'hui elle n'existe plus) doit s'inspirer
de coutumes animistes correspondant à certaines initiations
que subissent les enfants de six à sept ans.
Quant au mot "Cheikh" qui accompagne le prénom
Hamidou de Kane, i l s'agit d'un titre qui correspond à un
chef de tribu chez les Arabes. C'est donc en souvenir d'un
"cheikh" nommé Hamidou que ses parents lui ont attribué ce
nom. La préface de L'Aventure ambiguë, dont l'auteur est
Vincent Monteil, un éminent spécialiste de l'islam africain
révèle le prénom animiste de l'auteur (Samba) que celui-ci
n'affiche pas. De même, i l porte un sobriquet: Mbare, qui

- 34 -
comme le prénom animiste se retrouve dans le récit,
ce qui
lui donne comme le dit Vincent Monteil, une "saveur auto-
biographique".
Disons que les noms Hamidou ou Ahmadou,
Ousmane
témoignent de l'origine musulmane de ces trois auteurs.
Par le fait de naître dans telle famille ou
dans tel clan, l'enfant porte automatiquement le nom de cette
famille, de ce clan, différent de son nom individuel. Il
existe généralement un mythe, une légende pour justifier ou
expliquer le nom familial Œont l'origine, le plus souvent,
tourne autour d'un animal totémique qui aurait fait du bien
au chef fondateur du clan (en le sauvant de la mort par exem-
ple) ou qui serait lui-même le premier ascendant du clan.
Cette forme d'assimilation implicite à l'animal fait que
la consommation de sa chair est strictement interdite à tous
ceux qui portent le nom dont la transmission se fait par les
hommes ou par les femmes selon que l'on se situe dans une
société patrilinéaire ou matrilinéaire. Chez les Manding,
l'enfant prend le nom familial de son père, tanQis que chez
les Dagara en Haute-Volta, c'est le nom familial de la mere
que porte l'enfant. Le système colonial, pour des besoins
de son administration, a bouleversé ces coutumes dans bien
des enaroits, pour imposer à un groupe donné et un chef et
son nom, de sorte que la signification religieuse de certains

- 35 -
noms de famille est soit méconnue soit inexist~~te.
Le nom familial fonctionne souvent comme un
indice de localisation géographique. Le nom familial Ouolo-
guem, par exemple est dogon. Les Dogon constituent une eth-
nie qui se situe de part et d'autre de la frontière malo-
voltaïque. Kane est un patronyme toucouleur du Fouta séné-
galais,
Sembène est Lebou (pêcheur sénégalais) enfin on re-
trouve les Kourouma aussi bien en Côte-d'Ivoire (le Nord)
qu'au Mali et surtout en Guinée. Le Mali, le Sénégal, le pays
malinké ou la Guinée
(c'est ce que confirment les indications
portant sur les lieux de naissance des auteurs à la quatriè-
ma page de couverture)
sont des réglons fortement islamisées,
recouvrant une grande partie de ce que les anciens auteurs
arabes appelaient le "Bilad-ass-Sudan" ou "pays des Noirs",
situé entre la forêt au sud et le désert au nord. En plus
de la localisation géographique, ces noms familiaux ou pa-
tronymes, constituent des références culturelles des auteurs,
marquant ainsi leur appartenance aux réalités culturelles
des groupes mentionnés ci-dessus.
Si le prénom de Ouologuem révèle des réalités
socio-culturelles animistes,
son nom de famille le situe dans
un contexte social musulman qui est le Bali. Quant aux au-
tres auteurs,leur nom individuel autant que leur nom familial,
lês associent à des communautés musulmanes données.
Dans la présentation des auteurs à la quatriè-
me page de couverture,
on énumère
leurs diplômes •
.-
~ ..-

- 36 -
Pour des Africains, ces diplômes sont le témoignage d'une
culture occidentale.
En résumé, il faut reconnaître une double iden-
tité culturelle à ces auteurs: d'une part, leur appartenan-
ce à un culture africano-islamique dont la localisation a.
été possible par les indices géographiques et les références
culturelles des noms. D'autre part, leur éducation dont
témoignent leurs diplômes, les rat~ache à un contexte cul-
turel européen.
,
1. 2
Les titres des romans
S'interroger sur les titres,
singulièrement
les titres d'oeuvres de fiction,
ce n'est pas
s'abandonner à une mode ( .•• ), mais accorder
le regard qu'il mérite à un lieu privilégié
du texte.
(3)
Le titre qui est produit par l'auteur et
adressé au lecteur, fonctionne souvent comme une étiquette
commerciale ou publicitaire; c'est l'élément par lequel on
aborde le roman; il peut inciter à la lecture ou à l'achat
du livre.
Si le titre est une parole de l'auteur au lec-
teur, c'est d'abord le texte qui occasionne ce discours.
(3) M. HAUSSER,
"Sur les titres de Gracq" in
Julien Gracq,
Actes du colloque interna-
tional. Angers,
21-24 mai
1981
Presse de l'Université d'Angers (1981) p.
166

"' •
?;
1,
1
- 37 -
1!;
Un auteur en titrant son oeuvre, vise à la fois le lecteur
i
1
et le texte, du moins il oriente l'attention du premier vers
!

le second. L'analyse du ti~re sera axétd'une part, sur sa
relation avec l'oeuvre afin de saisir le double rapport
.;.
(auteur-lecteur, auteur-texte), d'autre part il conviendra
1<
de s'interroger sur l'influence que peut avoir un contexte
1
social musulman sur .les titres d'oeuvres ae fiction comme
,
le roman.
Selon l'écrivain congolais Jean-Pierre Makùuta
Mboukou, les écrivains choisissent avec soin le titre de
leur oeuvre. Chez les écrivains africains,
Celui-ci, en effet, ait-il, n'est pas indiffé-
rent ; il résume en un, deux ou plusieurs mots,
l'oeuvre tout entière. Tout comme son contenu,
le titre du roman est profondément réaliste,
c'est-à-dire qu'il vise déjà la nature réelle
de "l'objet~ en évitant de l'idéaliser. (4)
Une question se pose: les titres des romans
que nous étudions, réflètent-ils l'islam qui en constitue
le contenu. A simple lecture, on n'hésite pas à répondre par
la négative. En effet, aucun des titres ne laisse deviner
explicite'1ent qu'il sera question de l'islam. Pour mieux
nous en convaincre, passons en revue les quatre titres,
(4) J. -P. MAKOUTA MBOUKOU,
Introduction à l'étude du ro-
man négra-africain de langue
fran;;aise.
NEA,
p. 226

- 38 -
en essayant de mettre en relief,
tour à tour, leur rapport
avec le contenu du roman.
L'Aventure ambiguë
Tzvetan Todorov distingue le "roman noir" du
"roman d'aventures",
en énumérant les traits caractéristi-
ques de ce dernier,
tels que le uanger, la poursuite, le
combat ••.
(5). Peut-on classer L'Aventure ambiguë dans la
"typologie" des romans d'aventures? En fait,
qu'est-ce qu'-
une aventure? On la définit comme une entreprise hasardeuse
où se rencontrent couramment une sucession d'événements im-
prévus et surprenants. Un roman d'aventures est un roman
où le héros est sans cesse confronté à des situations surpre-
nant.es',,':-.qui recèlent parfois beaucoup cie risques. Il s'a-
git effectivement d'une aventure qu'en~reprend Samba Diallo,
et qui se noue autour d'un problème scolaire. Cet "aventu-
rier-espion" -
puisqu'il doit aller percer un secret: celui
de pouvoir vaincre sans avoir raison -
ainsi en a décidé
la Grande Hoyale, quitte l'école coranique pour l'école oc-
cidentale. Voici ce qu'en pense le héros lui-même:
Peut-être enseignerai-je en effet. Tout dépen-
dra de ce qu'il sera advenu de moi au bout de
tout cela. Vous savez, notre sort à nous autres
étudiants noirs,
est un peu celui de l'estafette.
(5) T. TODOROV,
Poétique de la prose
Seui\\,
1978,
p.
15.
~._--

- 39 -
Nous ne savons pas, au moment de partir de
chez nous,
si nous revienarons
jamais ( ••• )
Il arrive que nous soyons capturés au bout de
notre itinéraire, vaincus par notre aventure
même...
(p.
124)
Malgré cette ressemblance apparente avec le
roman d'aventures, réflétée par la relation du titre avec
le contenu du texte,
"L'Aventure ambiguë" est un titre spé-
cifique, si l'on l'envisage autrement, c'est-à-dire en 1'0-
rientant non plus vers le texte, mais vers le lecteur, car,
comme le dit Michel Hausser,
"le titre est à la fois soli-
daire du texte et indépendant de lui"
(6). Cette spécifici-
té se trouve dans l'emploi de l'article défini
(ici élidé)
qui précède le mot aventure. 11 Le 'défini'
( . . . ), article
de notoriété, en quelque sorte ( ..• ) renvoie à un référent
déterminé dont l'existence est connue ou supposée connue
du public avant la production du titre et du texte"
(7).
Le lecteur à qui s'adresse Cheikh Hamidou Kane à travers
ce titre,
est supposé connaître ce référent historique, c'est-
à-dire. l'aventure dont i l est question. Il faut effective-
ment connaître l'auteur et le contexte historique de son
l i vre pour deviner qu'il s'agit du problème c olo!Jial en
Afrique, car au-delà du problème scolaire de Samba Diallo
(son aventure scolaire), se pose un problème plus global
connu de tous
l'acculturation aans la rencontre de l'Afrique
(6) M. HAUSSER
~p. cit.
p.
169
( 7 ) Ibid,
p.
17 o.

- 40 -
et de l'Occident.
C'est ce problème global qui est visé
ici par ce titre où l'expérience particulière ne Sœ~ba
Diallo (dans le texte)
est généralisée par Cheikh Harnidou
Kane, pour devenir une réalité historique à un niveau con-
tinental,
en fait l'histoire de la colonisation.
Le Devoir de violence
Le mot "devoir" appartient aux domaines de la
morale et de la religion. Son association avec un concept
ordinairement contraire à la morale, c'est-a-dire la violen-
ce, rend ce titre intrigant. Peut-on ériger la violence en
devoir? On c01llprend mieux ce ti tre en le mettant en rapport
avec le contenu du roman. Partout,dans le roman,
s'exerce
la cruauté. La vie des personnages ne tient à rien, on la
supprime par l'aspic, le poignard, le casse-tête ou le fu-
sil. Comme le dit Hubert de Leusse, "le sang suinte à toutes
les pages du livre"
(8). Toute cette violence se
justifie
tour à tour par la religion islamique, la culture occiden-
tale et la politique de Saïf.
Islamiser les non-musulmans, même par la vio-
lence, est une prescription de la religion musulmane,
connue
sous le nom de Djihad. C'est pour accoJiplir ce devoir isla-
mique que les Saïfs vont conquérir les populations africai-
nes, notamment celle du Nakem par la violence. La seconde
(8) H. DE LEUSSE,
Afrique et Occident, Paris
Ed. de l'Orante
(1971)
p. 89

- 41 -
justification ue la violence est celle de la colonisation
occidentale.
L'homme blanc avait parlé de droit de coloni-
sation, voire de "devoir de haute charité in-
ternationale". Il fallait porter la "civili-
sation",
supprimer la traite qui brâlait tout
le continent comme une torche.
(p.
28)
Mais en réalité, cette mission civilisatrice
de l'Occident se soldera aussi par la violence.
Enfin avec Saïf Ben Isaac El Heït, la violence
est devenue une nécessité politique. Il emploie systémati-
quement la violence contre tous ceux qui tentent de gêner
son pouvoir. C'est compte tenu de toute cet~e violence, que
Ouologuem a donné ce titre à son roman.
En considérant "la relative autonomie du ti-
tre par rapport au texte"
(9), on peut l'envisager dans sa
relation avec son destinataire (le lecteur)
; c'est encore
l'article défini, et de notoriété, qui spécifie implicite-
ment le "devoir" dont il est question,
et que l'interlocu-
teur de l'auteur est censé connaître. Cet article semble
être une constante chez les auteurs africains pour dési-
gner le phénomène colonial (ici colonisation occidentale
et colonisation arabe en Afrique) qui est posé et désigné
par Ouologuem comme un "devoir"
(parce que c'est la justi-
fication que certains lui trouvent)
et comme pour leur
(9) M. HAUSSER,
op. cit.
p.
166.

-
42 -
répliquer violemment, en fait pour les contredire, il met
en relief la contradiction entre les deux termes "devoir"
et "violence" en les associant. Le devoir dont il est ques-
tion, en fait la colonisation/n'a engendré que de la vio-
lence. C'est encore l'expérience particulière (celle du
Nakem dans le texte) qui donne l'occasion à l'auteur de se
prononcer sur un phénomène plus général (la colonisation
en Afrique), qui n'a été qu'un prétexte chez certains pour
s'adonner à toutes sortes de violence en Afrique.
Xala
Quand on aborde le roman d'Ousmane Sembène,
la première difficulté qu'on rencontre est celle du titre.
Cette difficulté se situe d'abord au niveau de la pronon-
ciation : certains prononcent " zal a ", d'autres "sala" •••
Il semble d'ailleurs que l'auteur ait appréhendé cette dif-
ficul té parce qu'il a noté au bas de la page 3 : "Lisez
hâla". Dès lors, certaines questions viennent nécessaire-
ment à l'esprit du lecteur: de quelle langue vient ce mot
Quelle en est la signification ? .. Rien aux environs im-
médiats du titre ne donne de réponse à ces questions. Le
lecteur sera sans doute tenté de satisfaire sa curiosité,
en jetant un coup d'oeil dans le résumé qui se trouve sur
le dos de la couverture. Là, on peut lire entre autres, ce
qui suit:
!"Iais~e puissant quinquagénaire, au soir du

- 43 -
mariage avec sa troisième femme,
se découvre
mystérieusement et très précisément impuis-
sant. Il a le xala.
A partir de ces deux phrases, nul doute qu'on
essayera de traduire " xal a " par impuissance et,
selon tou-
te vraisemblance, par impuissance sexuelle. C'est en se
référant au récit qu'on en est assuré, car l'impuissance
d'El Adji Kader Beye
est bel et bien
une impuissance se-
xuelle qui,
semble-t-il, lui a été ;jetée comme un sort.
Xala
est une manifestation patente de l'auto-
nomie du titre par rapport au texte. Le récit qui est écrit
en français, peut être accessible à n'importe quel lecteur
francophone. Mais "xala" est un mot wolof, avons-nous dit,
langue parlée par une très grande majorité de Sénégalais.
Les difficultés de prononciation ou de compréhension évo-
quées plus haut constituent une barrière pour un éventuel
lecteur ne parlant pas wolof. En choisiss~~t
de donner un
titre wolof à son roman -
i l en fait autant avec ses films
Ousmane Sembène s'adresse d'abord et surtout à son peuple.
C'est
pour cette raison qu'on a souvent perçu à travers
ce titre (en dépassant l'aspect allégorique du xala) , une
a~taque contre la bourgeoisie sénéga~aise, en lui reprochant
son impuissance, non plus sexuelle, mais une impuissance
qui se situe sur le plan économique. Par ce titre, Sembène
veut montrer à son peuple que la bourgeoisie nationale
sénégalaise, comme atteinte de xala,
est incapable de pro-
mouvoir le développt'11ent économique du pays.

- 44 -
Jean-Pierre Makouta distingue deux catégories
de ti tres chez les romanciers africains : "les ti tres ambi-
gus ou énigmatiques" et "les titres livrant le contenu de
l'oeuvre". Il classe Les Soleils des Indépendances dans la
dernière catégorie. Pour lui "Il va s'agir des espérances que
fait naître dans les coeurs, la perspective des Indépendances
africaines. Et le titre est explicite à ce sujet" (10). Scru-
tons plus attentivement ce titre en le soumettant à lianal y -
se afin d'en cerner le sen s et l ' ori S-,-_"e. Le mot "Ioleil"
désigne un astre bien précis, ffidis 18 pluriel inhabituel,
"les", qui le précède, s'il ne déroute pas le lecteur, le
conduit à le situer dans un contexte poétique ou onirique.
Comme on peut le lire à la page 7 du roman : "l'ère des In-
dépendances (les soleils des Indépendances), disent les
Malinké", il Si agi t de la traduction Ade l'expression malinké
qu'on pourrait transcrire comme sui t
:Ct Je?àeI~~i talè} En
fait, on a l'habitude en Afrique, comme il en fut ainsi dans
beaucoup d'autres communautés ailleurs, de mesurer le temps
en se référant aux astres, surtout au soleil et à la lune.
L'usage du mois lunaire demeure encore très répandu en Afri-
que. Le soleil intervient dans beaucoup d'expressions pour
désigner les différents moments de la journée, pour compter
les jours ou situer une époque. Ainsi dans beaucoup de
(10) J. -P. }1AKOUTA, op. cit., p.229.

- 45 -
sociétés africaines, i l est fréquent d'entendre des expres-
sions du genre:
"les soleils de Samory",
"les soleils de
Soundiata Kéita 11 ,
111 es
soleils des sauterelles" •.• pour dé-
signer l'époque de Samory, de Soundiata Kéita,
ou celle où
les sauterelles ont envahi telle ou telle région. Ce titre
désigne donc l'époque des Indépendances africaines qui vien-
~
nent arracher/un vieux Malinké, dénommé Fama, les privilèges
auxquels il tente vainement de s'accrocher. Kourouma,
en
transposant une traduction l i ttérale du parler malinké ("1es
Soleils des Indépendances"),
c'est a ceux qui sont capables
d'en saisir la signification, donc en tout premier lieu les
Malinké,
que ce message s'adresse.,
,', D'ailleurs ce
sont les vieux de Togobala qui,
aux dires de Kourouma,
sont
à. l"o:rigine de ce titre. L'auteur raconte en effet, qu'après
avoir écrit son récit,
il était à la recherche d'un titre.
',Il se rendi t
entre temps à Togobala, et au cours d'une con-
versation avec certains vieux de son village,
on lui posa
une question qui est à peu près la suivante : les soleils de
Soundiata sont passés, puis ce furent les soleils de S&~ory,
aux soleils de Samory succédèrent les soleils des Blancs,
maintenant ce sont les soleils des Indépendances. Vous qui
venez de la ville vous êtes au courant de beaucoup de choses;
quand est-ce que prendront fin les soleils des Indépendances?
C'est à partir de cette conversation avec les vieux Malinké
ide Togobala,
qu'il décida de titrer son roman : Les Soleils
.des Indépendances (informations recueillies lor's d'un entre-
tien que nous avons eu avec l'auteur à Ouagadougou en juin
1983).
-

- 46 -
L'analyse (les ti tres confirme ce que nous di-
sions plus haut, à savoir l'absence d'un discours ayant ex-
plicitement trait à l'islam, en dépit du contenu islamique
des récits. Quelles peuvent être les raisons d'un tel si-
lence sur l'islam, à travers les titres? Jetons un coup
d'oeil du côté de la société.
1. 2.2
Relation du titre au contexte social
Le choix d'un titre
Si les titres de nos.quatre romans semblent
avoir une tout autre préoccupation que l'islam, il n'en de-
meure pas moins que les récits qu'ils introauisent baignent
dans un environnement islamique, qui leur donne forme et
substance. Le problème de l'école étrangère au-delà duquel
se pose celui de l'acculturation ou du métissage culturel
africain, est envisagé par Cheikh Hamidou Kane dans une
prespective musulmane, eu égard à l'éducation et à l 'envi-
ronnement islamique de son héros. La part musulmane dans
la violence que dénonce Yambo Ouologuem est significative
de l'importance que celui-ci assigne à l'islam dans son ro-
man. Dans Les Soleils des Indépendances, Fama, tel un aveu-
gle, incapable de distinguer les véritables causes de Ses
maux, croit pouvoir les conjurer avec les innombrables in-
vocations d'Allah. Enfin, El Ad ji Kader Beye, fort de l ' as-
surance que donne la position d'Ilintellectuel" en Afrique,

- 47 -
avait du mépris pour certaines croyances africaines (et
musulmanes), mais son "xala" le contraindra à renouer avec
ces pratiques religieuses.
En fait,
c'est le problème du titre d'un ro-
man qui demeure très complexe.
C'es~ l'auteur qui choisit
le titre de son roman, parfois en collaboration avec son édi-
teur, dont le rêle peut être comparable, selon Robert Escar-
pit, à celui d'un accoucheur.
Toutes proportions gardées, on peut assimiler
le rôle de l'éditeur à celui d'un accoucheur (.
sans lui, l'oeuvre conçue et menée jusqu'aux
limites de la création n'accéderait pas à
l'existence.
Ce n'est pas là que l'aspect es-
sentiel de la fonction éditoriale. Il y en a
bien d'autres, et pour que la métaphore fût
complète, i l faudrait que notre accoucheur fût
aussi conseiller prénatal,
juge de vie et de
mort sur les nouveau-nés (voire avorteur), hy-
géniste, péda&ogue, tailleur, etc •.• marchand
d'esclaves.
(11)
L'influence que peut exercer l'éditeur sur
l'auteur, on le voit, est très importante; ce n'est pas
seulement sur le titre que l'éditeur peut laisser ses tra-
ces, mais dans tout le roman.
Il existe de multiples autres raisons qui peu-
vent influencer le choix du titre, et le contexte social
n'en est pas une des moindres car, comme le déplore Robert
(11) R. ESCARPIT,
Sociologie de la littérature
PUF,
1968
p.
58-59.
-

- 48 -
Escarpit, le contexte collectif a souvent été consiaéré
"comme une sorte de décor, d'ornement a-oandonné aux curio-
sités de l'historiographie politique"
(12). Disons en clair
que l'intérêt publicitaire peut amener un auteur (sur les
conseils de son éditeur) à donner un titre "accrocheur" ou
Il sensationnel"
à son livre, comme l'éthique sociale 'peut
le faire renoncer à un certain type de sujets. Que d'encre
et de salive Réné Dumont
n'a-t-il pas fait couler par son
célèbre ouvrage: L'Afrique noire est mal pe,rtie:! Pourtant
les passions suscitées par ce livre ne proviennent-elles
pas davantage du titre que au contenu, d'ailleurs peu connu
ou peu cri tiqué? Selon son propre aveu dans la préface à
la troisième édition, Vincent Monteil a eu au mal à mainte-
nir le titre de son
livre:
Islam noir, que beaucoup de
gens souhaitaient voir disparaître
tout en ne trouvant rien
à redire au contenu du livre.
Cette
digression était nécessaire pour montrer
l'influence que le contexte social peut avoir sur les titres
des livres. Qu'en est-il de nos romans?
Le contexte social musulman
---------------------------
Il semble que Cheikh Hamidou Kane ait voulu
intituler son roman:
"Dieu n'est pas un parent ll •
Qu'il y
ait renoncé n'est pas un cas unique chez les romanciers
africains (comme chez les autres). On sait que l'un des
( 12) Ibd. J p. 6 '•.
-

1
1
- 49 -
1
titres envisagés pour La Nouvelle homance d'Henri Lopez
était Les Charognards. Dawa en Abidjan est devenu Le retour
au vilJ_8ge à sa deuxième édition, pour ne ci ter que ces deux-
là. Mais dans le cas de Cheikh Hamidou Kane, i l est néces-
saire de s'interroger sur les motifs de son renoncement,
en cherchant du côté de la société. En effet, Rooert Escarpit
dit ceci:
Depuis Taine, ni les historiens de la littéra-
ture, ni les critiques littéraires ne peuvent
plus se permettre, malgré qu'ils eu aient par-
fois, d'ignorer les üéterminations que les cir-
constances extérieures,
et nota~ment sociales,
font peser sur l'activité littéraire.
(13)
Si, dans certaines sociétés, i l semble impli-
citement permis d'associer le nom de Dieu ou de ses attri-
buts à tout propos, cela est difficilement acceptable dans
un contexte musulman,
c'est même considéré cornmeun acte;~~im-
piété. Quand on connaît l'importance de l'islam au Sénégal
et la ferveur de la foi de l'auteur,
on est en àroit de se
demander si l'éthique religieuse n'est pas la raison de ce
changement de titre. Cheikh Hamidou Kane s'est-il rappelé
ce verset coranique :
"Ne prenez point Dieu pour point de
mire quand vous jurez ü'être justes, vertueux et ae le
craindre ~ il sait et en tend tout"
(14)? Hormi s Sem bène ,
)
( 13)
Ibid.
, p. 9.,
(14)
Coran, sourate 2 t verset 224 •

- 50 -
cela reste vrai pour les autres écrivains Qui appartiennent
au même contexte social musulman, car à quelques variantes
près, le:, réali tés religieuses sont sembla-bles au I1ali, au
Nord de la Côte-d'Ivoire et au Sénégal, pays respectifs
de ces écrivains.
Il arrive que l'écrivain rejette l'influence
de la société, c'est le cas d'Ousmane Sembène dont tout le
monde reconnaît le non-conformisme, i l transgresse l'éthique
religieuse, comme le montre le titre d'un de ses romans:
Les Bou"ts de bois de
"ieu ou celui ci 'un de ses films, Dieu
du tonnerre qui peuvent paraître à un musulman puritain,
comme des titres blasphématcires. La déclaration qui suit
exprime clairement son opposition à la religion:
Je respecte tous les croyants, mais je pense
personnellement que toutes les religions sont
des opiums. Comme
je lIai souvent dit,
je suis
marxiste et athée.
(15)
Cette influence au contex"te social musulman
est due en grande partie au statut de l'islam Cians ces ré-
gions d'Afrique. Pour nous en convaincre, i l convient de
comparer nos titres avec des titres d'autres écrivains issus,
quant à eux, de régions fortement christianisées (par exem-
ple les régions de la forêt).
Effectivement, on a beaucoup
insisté sur l'anticléricalisme des écrivains africains, leur
(15) o. SEfvIBENE,
ilLe cinéma sénégalais", in L'Afrique l i t -
téraire et artistique,
nO 20 , p.
206.
-

- 51 -
attitude hostile à l'égard du christianisme. Mais une telle
campaGne de discrédit sur l'islam est plutôt rare.
C'est
que le christianisme et l'islam, deux religions étrangères
importées en Afrique,
ont usé de méthodes diiférentes. Les
griefs anticléricaux des écrivains africains portent essen-
tiellement contre les missionnaires qui ont pariois joué
un rôle négatif pendant les périoues esclavagiste et colo-
niale. Ensuite, l'ethnocentrisme occidental a pris des di-
mensions importantes dans la propagation de la foi chrétien-
ne. Les pratiques esclavagistes des Arabes en Afrique étaient
bien antérieures à l'introduction de la religion musulmane
sur ce continent, même si elles se sont poursuivies pendant
l'islamisation.
L'islam, plus que le christianisme
s'est ac-
comodé de certaines structures animistes, ce qui a fait
souvent parler d '''islam de façade".
Enfin, l'impor"tance du rôle com-ba"tif de cer-
tains esclaves noirs, dont Bilalh (ancien esclave noir deve-
nu le compagnon de lutte du Prophète et qui fut le premier
muezzin de l'islam), pour imposer la religion de Mahomed
aux Arabes animistes, a fait apparaître l'islam aux yeux
de certains Africains
comme une religion d'ancêtres. Au
Mali, par exemple, le granu empereur Soundiata Kéïta est
considéré comme un descendant de Bilalh.
1\\,

- 52 -
Bilali Bounama, l'Ancêtre des Kéïta,
était le
fidèle serviteur du propnète Noharnmadou ...•
(comme la plupart des dynascies musulmanes du
Moyen-Age, les Empereurs du Mali ont eu le sou-
ci constan~ de se rattacher à la famille du
Prophète ou tout au moins à quelqu'un qui ait
approché le Nabi.
(16)
Cette analyse qui nous a,
quelque peu,
éloigné
des titres,
était nécessaire pour comprendre la différence
entre le statut de l'islam et celui du christianisme. Ce
sent tou~es ces raisons ,parmi tant d'autres,qui font que
l'islam apparaît comme l'enfant adopté et bien intégré dans
la famille africaine, tandis que le christianisme est par-
fois perçu comme la brebis galeuse, devenu la risée des écri-
vains à tel point que certains affirment que la littérature
africaine dérange la foi.
Lire les oeuvres de nos écrivains est souvent
_une épreuve pour le croyant africain. Il se
sent interrogé : en qui a-t-il cru, à Dieu ou
au Blanc vainqueur? Ne s'est-il pas renié?
Ce qu'il a adopté vaut-il mieux que ce à quoi
il a renoncé? etc ..•
(17)
Dès lors, i l n'est plus étonnant de rencontrer
des titres qu'on peut juger de blasphématoires vis-à-vis
du christianisme, comme Le Pauvre Christ de Bomba,
(16)
D._T. NIANE,
Soundjata ou l'épopée mandingue ,
Présence Africaine
(1960).
p.
14.
(17)
F. EBOUSSI BOULAGA,
"Ecrivains africains devant le
christianisme Il in Pirogue nO 28 p.1
"
,
-

- 54 -
sur neuf pages est la petite lueur, symbole d'espoir, qui
s'infiltre dans le monde ténébreux du Nakem. Seul,le titre
de la première partie implique l t islam : "La
~égend"e des
Saifs". Saif est un mot arabe qui signifie "épée" ou "chef",
chefferie qui se conquiert on le devine, par la force de
l'épée. Effectivement, dans les guerres saintes musulmanes,
l'usage de cette arme était très répandu. C'est bien de ce-
la qu'il est question dans cette première partie du roman,
où les Saïfs, conquérants musulmans, débarquent au Nakem
pour y imposer l'isl~~ de force.
Kourouma procède à peu près de la même façon
à travers les titres des onze chapitres de son roman. Mais
la plupart de ces titres répondent négativement à notre
question. Un des titres mérite quand même qu'on s'y arrête
un peu: "Où a-t-on vu Allah s'apitoyer sur un sort ?"
(Les Soleils des Indépendances,p. 158). En fait, ce qu'on
ne peut pas clamer tout haut (à travers le titre du roman),
on le murmure plus bas (dans le titre d'un chap!tre). Est-
ce, consciemment ou inconsciemment, une façon d'éviter la
censure religieuse? Dans ce titre, effectivement, Allah
est pris à partie ainsi que la prescription coranique citée
plus haut.
De quoi est-il question dans ce chapitre ?
Il s'agit de Salimata, musulmane fervente, qui s'acquitte
correctement de ses devoirs coraniques (prière,
jeûne, au-
mône ••• ) ; ce qu'elle ne comprend pas, c'est qu'elle soit

- 55 -
stérile alors que des femmes moins pieuses qu'elle, médi-
santes et pleines d'autres défauts,
sont nanties d'une
progéniture abondante. Pis, dans ses sollicitations à la
clémence d'Allah (offrandes aux pauvres, fréquentation d'un
marabout considéré comme un homme de Dieu) elle ne rencontre
que contrariété et désolation. En effet, les mendiants, en
dépit de sa bonté à leur égard, la maltraitent et pillent
son argent,
et le marabout tente d'abuser d'elle. Salimata
se sent donc abandonnée de tous,
surtout d'Allah qui reste
sourd à son voeu de procréation.
A partir de cette expérience malheureuse de
Salimat2, Kourouma semble mettre en garde son lecteur: qui
voudrait résoudre des problèmes personnels, ferait mieux
d'en trouver des solutions lui-même, au lieu de s'en remet-
tre à Allah qui reste indifférent et inaccessible.
Nous avons vu que Cheikh Hamidou Kane a renon-
cé à un titre du même genre:
"Dieu n'est pas un parent",
autre façon de traduire l'éloignement ou l'inaccessibilité
de Dieu. D'ailleurs ce renoncement n'est pas total puisque
l'auteur fait dire à l'un de ses personnages, le Chevalier
"Dieu n'est pas notre parent.
Il est tout entier en dehors
du flot de chair, de sang ... " (L'Aventure ambiguë,P'.
175)
En fait,
i l n'y a pas une négation de la divinité dans ces
deux formules.
Il s'agit pour Kourouma d'une mise
en garde
adressée au lecteur pour lui montrer que la foi ne facilite
-~,
',l
-

,',.-.
- 56 -
rien, qu'elle n'est pas un refuge. Si Dieu n'est pas un
parent qui s'apitoie sur le sort des humains, faudrait-il
s'adresser à ces nombreuses divinités intermédiaires qui
peuplent l'Afrique, et semblent trouver des solutions aux
problèmes des Africains? On sait que le Dieu musulman,
surtout celui-ci, ne tolère aucune association. C'est un
Dieu jaloux, unique. La profession de foi ou shahâda est
très explicite à ce sujet: "J'atteste qu'il n'y a qu'un
Dieu et Ma.1Lomed est son prophète".
Deux titres intérieurs (l'un d'une partie et
l'autre d'un cnapitre) comportent quelques allusions isla-
miques qui permettent de caractériser la situation de dis-
cours de leurs autg~s (Kourouma et Ouologuem) comme un
lieu idéologique musulman.
D'autres éléments péritextuels tels que la
préface, l'avertissement, le résumé ..• peuvent aussi perme
tre de cerner l'auteur. Mais la limitation de notre propos
aux discours islamiques des auteurs exclut l'évocation de
certains de ces éléments. L'avertissement, par exemple, qui
est usité
chez les écrivains africains, ne contient aucune
allusion islamique dans notre corpus.
Quant à la préface, on y trouve aussi parfois
des réflexions de l'auteur. Mais, comme le déplore Jean-Pi
Makouta, les préfaces sont rares dans les oeuvres des écri-
vains négra-africains. Seul, effectivement, L'Aventure

- 57 -
ambiguë contient une préface. Outre les révélations qui y
sont faites sur le prénom animiste et le sobriquet de l'au-
teur que nous avions mentionnés plus haut, elle nous infor-
me aussi de l'éducation musulmane de Cheikh Hamidou Kane.
Ce sont surtout les noms et les titres qui
ont permis de cerner dans le péritexte, une dimension im-
portante:: des II su jets de l'énonciation"
: le IIje ll écrivant
ou auteur,
qu'on distingue, avons-nous dit, par clarté
méthodologique, du IIje" racontant l'histoire. Quand l'ins-
tance du discours s'identifie au IIje" écrivan"t ou à l'au-
teur, le destinataire de son message s'assimile du même
coup au lecteur.
Nous avons trouvé des indices concernant ce
lieu de réception du message à travers l'analyse des titres
tels que le mot wolof (xala), la traduction littérale de
l'expression malinké (les soleils des Indépendances) et
les références à des réalités spécifiques dans Le Devoir
de violence et dans L'Aventure ambiguë.
L'influence islamique dans le péritexte que
nous avons évoquée à travers l'analyse des noms et celle des
titres est bel et bien un problème d'acculturation. S'il n'y
avait eu contact entre culture africaine et culture arabe,
ces auteurs, hormis Yambo Ouologuem, auraient porté d'autres
noms (animistes, chrétiens ••• ).
' " " ' ; ' "
.
. . .1
-

- 58 -
CHA PIT R E
II
LES NARRATEURS
--------------
Après avoir déterminé les II su jets" écrivants,
c'est-à-dire les auteurs, à travers.les péritextes, dans
leur rapport aux textes, abordons maintenant les récits en
essayant de cerner les instances narratives ou les narrateur:.;.
Des spécialistes comme Benveniste, Genette, Weinrich ont
proposé des définitions heuristiques qui serviront ici de
canevas à nos investigations.
Benveniste distingue dans le récit: l'histoi-
re et le discours. Pour lui, le discours est tout ce qui
contient des traces énonciatives comme le rapport "je"/"tu"
ou le "je" désigne le locuteur et le "tu ll l'allocutaire. (1)
Pour Genette, le texte narratif comporte la
narration, le récit et l'histoire. La narration, c'est l'é-
nonciation, l'acte qui cousiste à écrire une histoire.
L'histoire,~'est la réalité ou la fiction des ~iénemen~s
(1) E. BENVENISTE
Problèmes de linguistigue générale,
,
Gallimard, tome 1
1966.

(- 59 -
qui ont lieu dans l'univers romanesque. Enfin, le récit
est le texte narratif, le signifiant de l'histoire.
(2)
Quant à Weinrich, il distingue le commentaire
(ce que Benveniste appelle discours) et le récit, c'est-à-
dire les événements racontés ou l'histoire chez Benveniste.(3)
Ce sont les "indices spécifiques du locuteur",
selon l'expression de Benveniste, correspondant aux termes
d'énonciation "je, ici, maintenant" qui permettront de cer-
ner les narrateurs. Ces termes ne renvoient pas à des réa-
lités extra-linguistiques, mais aux différentes circonstances
de l'énonciation, déterminant la source (je), le lieu (ici)
et le temps (maintenant) du discours. Outre ces termes, on
en trouve d'autres qui fonctionnent identiquement tels que
les possessifs, les démonstratifs •••
Si l'on définit, en tout récit, le statut du
narrateur à la fois par son niveau narratif (extra ou intra-
diégétique) et par sa relation à l'histoire (hétéro ou homo-
diégétique), on peut obtenir quatre types fondamentaux de
statut du narrateur:
extradiégétique-hétérodiégétique,
extradiégétique-homodiégétique, intradiégétique-hétérodié-
tique, intradiégétique-homodiégétique.
(4)
- ----
(2 ) G. GENETTE,
Figures III,
Seuil,
1972
(3) H. WEINRICH,
Le Temps
(Traduction M. LACOSTE) , Seuil,197
(4 ) Go GENETTE, op. ci t. , p. 255·
,'.'
~.

- 60 -
f:1
Les narrateurs que nous allons aborder ici,
sont selon les termes de Genette, des narrateurs au premier
degré, qui racontent une histoire d'o~ ils sont absents.
Ils correspondent ainsi au premier type de narrateur, c'est-
à-dire le narrateur extradiégétique-hétérodiégétique.
II.
1.1
Pronoms et Dossessifs
--------------------~---------
La personnalité du narrateur apparait parfois
dans le récit sous la forme pronominale "nous". Selon Genette,
c'est la façon dont se trouve impliquée dans le récit la
narration elle-même, c'est-à-dire l'instance narrative. Il
se produit alors un phénomène de substitution que Benvenis~e
explique de la façon suivante:
Il
'Nous' n'est pas un 'je'
quantifié ou multiplié, c'est un
'je' dilaté au-delà de la
personne stricte, à la fois accru et de contours vagues"
(5).
Par "nous", le narrateur peut ainsi associer d'autres voix
à la sienne.
A l'exception de L'Aventure ambiguë, ce type
de "nouf;" apparait dans les trois autres récits. Dans Xala,
i l n' y a qu'une seule occurrence. C'est l'exemple-qui sui t., :
Avec Adja Awa Astou, elle acceptait la vie
polygamique, mais l'introduction d'une troi-
sième, réveillait en elle cette blessure anti-
que desfe~mes musulmanes de chez nous.(p. 59)
(5) E. BENVENI STE,
op. ci t. " p. 235.

1
I~
-
61 -
1
..
De meme, dans Les Soleils des Indépenciances,
on lit
1
Pourtant, Allah et son Prophète, vous le savez,
1
vous nous avez fabriqués ainsi, aucune drogue,
aucune prière ne peut ragaillardir un vid~_
comme Fama...
(p. 29)
1
Le Devoir de violence fait un emploi surabon-
1
dant voire obsessionnel de ce type de "nous", qui revient
sans cesse dans la bouche du narrateur comme un leitmo~iv,
incitant à la prière, ou faisant des bénédictions. En voici
quelques exemples
Le nom d'Allah sur nous et autour de nous
Et pardonnez-nous Seigneur (p. 61) •
Dieu nous fasse miséricorde (p. 79).
Parfois c'est l'impératif qui est employé, ';,
p,ar','/l. ~L' narra teur :
Prions donc Dieu qu'Il nous veuille absoudre ••.
(p. 65)
Demandons au Maître des mondes santé et pro-
tection •••
(p. 1)9)
Révérons-Le
(p. 152)
Dans les exemples ci-dessus, la présence du
locuteur se manifeste par le "nous" qui est un substitut
du "je" exprimant le " mo i" de l'instance narrative. C'est
un moi, avons-nous dit, qui dépasse les limites de l'indi-
vidualité du narrateur. Le "nous" est, en fait,un moyen
pour ce dernier d'associer à sa voix
d'autres voix •
...... -

- 62 -
Par exemple, pour Le Devoir de violence, c'est la voix des
Nakemiens (peut-être celui de son narrataire aussi), que
le narrateur associe à la sienne. Les narrateurs des Soleils
des Indépendances et de Xala en font autant respectivement
avec la voix des Malinké et des Sénégalais. Cette associa-
tion du "moi" narrateur, plus "eux"
(Nakemiens,
Sénégalais
et Malinké) implique le narrateur dans l'histoire qu'il
raconte.
Un autre aspect de ce "nous", mérite qu'on s'y
attarde un peu:
c'est son caractère religieux. Ce type de
"nous" apparaît exclusivement dans un contexte religieux.
Revenons à l'exemple des Soleils des Indépendances cité
plus haut :
Pourtant, Allah e~ son prophète, vous le savez,
vous nous avez fabriqués ainsi •••
Cette invocation ne révèle pas seulBment la
proximité entre Allah et le narrateur,elle Qonne aussi une
idée des croyances religieuses des Malinké auxquelles le
narrateur s'associe.
De même, quand le narrateur de Xala parle de
"femmes musulmanes de chez nous", on peut considérer le
contexte social de l'histoire, qui est ici le Sénégal, com-
me musulman.
Dans le récit du Devoir de violence, la réfé-
rence religieuse de "nous" est encore plus patente. Il ap-
paraît effectivement dans des formules stéréotypées dont
'I.'!
;;\\

- 63 -
l'usage est très répandu dans les milieux musulmans d'Afri-
que. Ce sont ces formules de bénédiction, d'invocation
d'Allah, d'imploration d'Allah •.• donc des paroles de piété
qui jalonnent quotidiennement les conversations des musul-
mans africains et dont certains marabouts abusent parfois
comme ce narrateur.
Les instances narratives (sauf celle de L'Aven-
ture ambiguë) apparaissent donc à travers ce "nous" comme
des voix isl~~iques qui révèlent du même coup l'identité
culturelle des personnages. Le contexte culturel auquel le
"nous" se réfère dans les récits, est musulman.
Il arrive que le "nous" n'associe plus l'ins-
tance narrèo.tive aux personnages du récit, mais au narrataire.
De même qu'il a associé à sa voix, la voix d'une communauté
donnée pour s'exprimer en unous" culturel que nous avons
considéré comme un "nous" musulman, le narrateur en fait
autant avec la voix de son narrataire. La jonction du "moi"
locuteur avec le "vous" allocutaire aboutit au "nous" que
Benveniste appelle le "nous" inclusif.
Ce "nous" n'apparaît ni dans le récit de Xala,
ni dans celui de L'Aventure Ambiguë. Les narrateurs emploient
d'autres procédés pour prendre à témoin le narrataire. On en
trouve-qu'une seule occurrence dans Le Devoir de violence

-
64 -
Ici, nous atteignons le degré au-delà duquel
la tradition se perd dans la légende
(p.
11)
c'est dans le récit des Soleils des Indépendan-
~ qu'on trouve le plus grand nombre de "nous" inclusifs.
En voici des exemples.
Nous viderons dans la suite le sac de ce vieux
fauve ...
(p. 108)
Mais cela, nous nous rappelons que Balla sa-
vait le faire •••
(p.
149)
Parfois c'est le mode impératif qu'emploie ce
narrateur:
contournons les danses (. .• ) asseyons-nous et
restons autour du ngoni
(p.
149).
Souci de garder le contact avec son ïnteriocu--
teur ou de susciter l'attention de celui-ci à l'histoire
qu'il raconte à la manière des conteurs africains?
Quoi qu'il en soit, contrairement au "nous" culturel, avec
ce type de "nous", les personnages ne semblent pas être
concernés.
Hormis "nous", c'est parfois le pronom "vous"
qui indique l'association des deux interlocuteurs: nar-
rateur et narrataire.Le récit des Soleils des Indépend8~­
ces bat le record de ce procédé :
Le commandant préféra, vous savez qui?
(p. 22)
Vous savez ce qui advint?
(p. 22)
Le parti unique, le savez-vous?
(p. 23)
-

- 65 -
Avez-vous bien entendu ? Fama, étran~er sur
cette terre du Horodougou.
(p.
104)
D~~s l'exemple qui suit, l'iuentité de l'in-
terlocuteur surgit:
il s'agit d'un non-Malinké (nous y re-
viendrons dans le chapitre suivant).
Mais le sang, vous ne le savez pas, parce que
vous n'ê~es pas Malinké
(p.
147)
On pourrait allonger la l i s t e ; passons au
Devoir de violence où ce sont les phrases de type impératif,
qui sont employées.
Or voyez : Le valeureux et très brave Isaac
El Heït connut la faim •••
(p.
12)
Voyez encore: D'entre les charniers laissés
par le passage de Saïf Moché •••
L'Aventure ambiguë en donne deux exemples
particuliers, où la personnalité du narrateur se camoufle
derrière la neutralité du pronom 1I0n ll
:
Si elle avait été une histoire gaie,
on vous
eût raconté quel fut l'ahurissement des deux
enfants( ••• ).On vous eût dit...
(p.
62)
1I0n ll représente ici le narrateur, i l en exprime
la personnalité. Le "VOUS II suppose un IIje ll ,
qui est le 10-
cuteur disant "vous ll • En effet, selon Benveniste "toute
énonciation suppose un locuteur et un auditeur,
et chez le
premier, l'intention d'influencer l'autre en quelque manière ll (6
(6) Ibid
p. 242.
" .
._--
\\

- 66 -
Deux éléments indiciels trahissant la pré-
senee de l'instance narrative dans les réci~s sont ainsi
repérés : le I1nous" cul turel ainsi que le "nous" inclusif.
Ces éléments ne peuvent se référer qu'à un acte de discours
et non a une réalité objective. Notre analyse nous a per-
mis de les définir en termes d'énonciation exprimant la
personne qui énonce le discours, c'est-à-dire les instances
narratiFes.
Hormis ces pronoms (nous et vous) qu'on retrou-
ve avec des proportions différentes dans les quatre récits,
d'autres pronoms tels que le "je", le "tu", ou le "moi"
surgissent dans Les Soleils des Indépenaances
Eh bien, moi je vous le jure, et j'ajoute .•• (p.
Co •• ) je vous lé jure, on aurait jamai s osé
l'inhumer dans une terre lointaine et étran-
gère
(p. 8)
De quoi est-il question en fait? De "l'ombre"
d'un mort, Ibrahima Koné, qui a marché sur un parcours de
plus de deux mille kilomètres, qui a déplacé et arrangé ses
biens •.. Un auditeur étranger aux réalités malinké pourrait
paraître sceptique devant ces propos. Le narrateur ne peut
donc pas l'associer (en utilisant la forme pronominale "nous Ù )
à cette croyance malinké o~ les morts se comportent com-
1
me des vivants. C'est donc sur sa foi animiste de Malinké,
qu'il se fonde pour jurer en son propre nom, n'étant pas
1
sûr d'obtenir la caution de crédibilité de celui qui l'écoute
1
1
t---

1
1
- 67 -
1
(sans doute un non-Malinké).'
1
Quant à la voix qui tutoie la voici
1
Fama, tu as beau être le dernier des Doumbouya
( ••• ) tu ne valais que le petit fils de Balla.
Ignorant comme tu étais des vieilles choses
1
( ••• ) tu te devais d'écouter le vieux féticheur
(p.
152)
~Le véritable destinataire de ce discours n'est
pas le narrataire ; c'est à Fama, protagoniste du récit, que
le narrateur s!adresse. Et que dit-il au personnage? Des
conseils sur les croyances ~~imistes que Fama aurait dû sui-
vre. La voix (islamique) du narrateur, on le voit, se trans-
forme parfois en une voix animiste, par cette forme parti-
culière du pronom, soit pour révéler des croyances malinké,
soi t pour donner des conseils··à.ces.perSOIL""lages.
Disons que ces pronoms ("je", "moi", "tu") sont
quanti tativement négligeables par rapport à l'emploi de Jtnous"
et de "vous". Ces occurrences de l'instance narratiVe des
Soleils des Indépendances , apparaissent comme une forme ac-
cidentelle de la personnalité du narrateur. A travers cette
étude des pronoms, la voix qui domine dans chacun de ces ré-
ci ts est celle du "nous". On peu t donc en déduire que les
discours de ces narrateurs n'est pas un discours strictement
subjectif. On ne peut pas circonscrire la source de ce dis-
cours dans une limite individuelle. Leur individualité se
camoufle sous le couvert de "nous" pour associer ainsi d'au-
tres instances à leurs dires. C'est la manifestation d'une
volonté d'engager la responsabilité de ces derniers (narratai-

--_._-~---
- 68 -
res et personnages) par rapport aux récits.
De cette analyse sur les pronoms, i l convient
de signaler que le narrateur de L'Aventure ambiguë, nous
l'avons vu, non seulement apparaît rarement à travers les
pronoms, mais ceux-ci n'ont aucune référence islamique.fLe
discours islamique du narrateur doit être cerné à travers
d'autres éléments.
La forme pronominale est également rare dans
l'instance narrative de Xala, où i l n'y a qu'une seule oc-
currence de "nous", lequel "nous"
(accidentellement ou par
simple pratique) associe le narrateur à une commuilauté mu-
sulmane donnée.
C'est surtout chez le narrateur du Devoir de
Violence et celui des Soleils des Indépendances (beaucoup
p'lus chez le premier que chez le second) que le pronom "nous"
recouvre une caractéristique islamique. Cette spécificité
est sa référence constante à une ceraine communauté musul-
mane sur laquelle on implore la clémence ou la bénédiction
de Dieu: habitude musulmane très répandue en Afrique,
avons-nous dit, où le "nous" apparaît comme une profession
de foi, par l'association qu'il fait du locuteur disant
"nous" à la dite communauté musulmane.
c) Les possessifs
Pour qu'un possessif soit un élément indiciel
:~

- 69 -
de discours, exprimant la personnalité du narrateur, il
faut qu'il dépende du discours de celui-ci. Dans les exem-
pIes SUiV~1ts tirés du Devoir de violence, l'instance nar-
rative se pose en tant que référence temporelle par l'em-
ploi des possessifs ("notre":et "ilOS"J.
En l'an 1202 de notre ère (p. 9)
( ••• ) elle dota la légende des Saïfs de la spl
deur où somnolent de nos jours( ••• ) (p. 11)
Par cet emploi des possessifs Hnotre" et "nos",
le temps du récit et celui du discours se rapprochent et
se superposent par l'intermédiaire de l'instance narrative.
Au lieu 1.U temps, le rapprochement se fait
parfois avec le lieu. L'instance narrative abolit toute
distance entre le lieu d~ discours et celui du récit, le
premier se confondant aL ...;i avec le second. En voici des
exemples tirés de ~ et des Soleils des Tndépendances.
Il avait pour le xala d'El Adji, une voix de
gorge aux accents compatissants, comme il sied
dans notre pays lorsqu'on veut faire oeuvre
obligeante.
CP. 68)
C..• ) aussi aveugle et sourd dans le monde in-
visible des mânes et des génies que Balla l'é-
tai t da11s notre monde.
(p. 152)
Comme le "nous" culturel que nous avons déter-
1
miné pl~s haut, les possessifs situent parfois le narrateur
dans une collectivité donnée, nous révélant ainsi son iden-
1
ti té cul turelle. Ainsi les expressions "notre pays", "notre
1
1 i~\\'~iJ
~~-

- 70 -
monde" se réfèrent au contexte culturel sénégalais et ma-
linké.
Dans les deux exemples du Devoir de violence
ci-dessous, il ne peut y avoir aucun doute sur la référen-
ce religieuse de lI n otre ll et "nos":
Le Seigneur - saint est son nom - nous a ac-
cordé la faveur de faire apparaître, à l'ori-
gine de l'Empire nègre Nakem, la splendeur
d'un seul, notre ancêtre le Juif noir Abraham
El He ï t. . .
(p.
12)
Il (le Seigneur) est puissant en toutes choses
et peut exaucer tous nos voeux
(p.
L'emploi exclusif des possessifs "notre" et
"nos" par les instan," '':s rlarratives (sauf dans L'Aventure
ambiguë) confirme le refus des narrateurs d'afficher leur
individualité. Ces déterminants les situent dan$ les collec-
tivi tés déterminées pluE'~ut avec le "nous" culturel.
!!~_l~g__~~~_!~!~_!~E~~~~!~!~~L_~~_~~~~~!~!!~~
~~-~~_!~~~gg~.
a) La bénédiction et l'imprécation
- La bénédiction.
Les sentiments qui transparaissent dans les
récits, trahissent la présence des narrateurs par le juge-
1
1
ment qu'ils portent sur leur histoire. Ainsi les nombreuses
formules imprécatoires, de bénédiction ou de louange dont sont
1
truffés le récit du Devoir de violence et celui des
1
1
1--

1
1
- 71 -
1
Soleils des Indépendances, manifestent la sympathie ou l'an-
tipathie des narrateurs. Tel est par exemple le cas de Saïf
1
Isaac El Heït, pour qui le narrateur du Devoir de violence
1
semble avoir de la sympathie. Effectivement, l'évocation de
son nom, entraîne du même coup la formulation des prières du
1
genre "Dieu rafraîchisse sa couche", "Sur lui le salut .•• la
prière et la paix " , etc ••• En fait, il s'agi t d'une coutume mu-
1
sulmane qui exige qu'on formule des souhaits de bénédiction à
l'évocation du nom d'un musulman mort, surtout si ce dernier
1
est un saint de l'islam comme Saïf El Heït.
1
L'imprécation.
Par contre, certains personnages comme le sangui-
1
naire Saïf Moché Gal- 1'ai-,ont maudits par des formules impré-
toires du genre "Dieu m",_,Jisse sa royauté ll ,
"La malédiction
de Dieu sur lui" ••• C'est un sentiment d'antipathie qui est
ainsi exprimé à tra'\\!L,rS
s imprécations. L'imprécation est
aussi une habitude cour~lte chez les musulmans, elle est même
utilisée dans les livres saints de l'islam contre les cafres,.
c'est-à-dire les "infidèles". Certains musulmans comme Hampa-
té Râ expliquent cette hostilité, voire même parfois la vio-
lence à l'égard des cafres, par la persécution dont le prophè-
te Mahomed et la première communauté musulmane ont été victi-
mes de la part de ces infidèles. (7) Effectivement, Saif MochÊ
Gabbaï est tout à fait le contraire de Saïf El Heït : celui-cj
est considéré comme
(7) H. BA, Aspects de la civilisation africaine, Paris,
Présence africaine, 1972.
L'auteur en répondant aux questions d'un journaliste, sur le
djihad, le refus des musulmans de marier leurs filles à des
non-musulmans ••• donne cette justification.

•1
- 72 -
1
1
un saint, celui-là à travers sa cruauté apparaît comme
un lIinfidèle ll • Il en est ainsi pour tous les autres Saïfs
1
infidèles, tels que Saïf Tsévi, Saïf Zaccaï, Saif El Haram
qui sont maudits par le narrateur, par les mêmes types de
1
formules imprécatoires, dès qu'il évoque leur nom.
1
b)
La louange et la fausse prière.
- La louange .
1
Pour manifester sa reconnaissance à Dieu, car,
1
pour le Ilusulman, il n'y a pas de bienfait qui ne vienne
de lui, il est d'usage de le louer pour la réalisation d'un
1
souhait
Dans les ~c
nges et les invocations d'Allah,
transparaît un parti pris du narrateur des Soleils des In-
,
,
dépendances, par ra~
)ri
lX
evenements qu'il relate.
Ainsi
s'écrie-t-il
Louange à Allah! Seigneur des mondes, bienfai-
teur miséricordieux ! la hernie terrassa son
homme (de Salimata) (p. 40).
La joie du narrateur qui adresse ües louanges
à Allah pour la mort de Baffi (qu'on voulait imposer à Sa-
limata comme mari), manifeste son soutien à Salimata dans
sa lutte contre le mariage forcé.
De même à la page 10, Fama est confronté à
beaucoup d'obstacles qui entravent sa marche vers le lieu
où se tiennent les funérailles de Koné Ibrahima : le soleil
......--

1-- --
1
- 73 -
1
-'- 'avEug] e, les klaxons des voi tures aLlsi que les cris des
1
passants lui cassent les tympans. Il est obligé de bouscu-
1
ler les badauds pour se frayer un passage, ces "bâtards de
badauds plantés en plein trottoir comme dans la case de leur
1
papa" (r. 10). Fama risque donc d'arriver en retard, il
craint o'être oublié dans le partage des cadeaux offerts
1
en sacrifice par les parents du défunt. Mais il aperçoit
une maison qu'il croit ê-cre le lieu de la céré''lonie. Le nar-
rateur le soutient en s'exclamant:
Heureusement, qU'Allah en soit loué! Fama
n' avai t plus long à marcher. (p.
10)
Effectivement, quelques instants après, Fama
arrive à la dite maison, il constate qu'il ne B'est pas
trompé. Alors le narrateur loue Allah à la place du héros
Allah en soit loué, c' étai t bien là.
(p. 11)'
Diautres bienfaits que Dieu a accordés à Fama,
poussent le narrateur à le louer.
La santé et la nourriture, Fama les possédait
(louange à Allah!)
(p.
26)
Fama ne tient plus de fatigue au cours du
voyage à Togobala, son village natal. Le camion au bord
duquel il voyage, arrive à Bindia, le village de son épouse
Salimata :
Il sursauta. La ville étape, la halte d'une
nuit, la fin de la courbature. Allah en soit
loué. CP. 96)
.....--

1
1
- 74 -
1
Enfin, voici un,dernier exemple o~ le nar-
1
rateur raconte le rêve prémonitoi~e de Fama, et o~ un sin-
ge pourchassait les hommes pour s'accoupler avec eux.
1
Louanga à Allah ! le singe répugnant épargna
Fama ( p. 17 1)
1
La satisfaction qui se lit à travers ces for-
1
mules de louange exprime le soutien que porte le narrateur
des Soleils des Indépendances à Fama.
1
- La fausse prière .
1
Mais il faut émettre des réserves en ce qui
concerne la bonne foi du narrateur du Devoir de violence.
Ses form 1ües de louange ou de bénédiction, contrairement
à celles du narrateur des Soleils des Indépendances, por-
tent souvent l'empreinte du sarcasme et de l'injure, tra-
duisar\\; ainsi une certaine attitude critique à l'égard des
habitudes et coutumes islamiques qu'il
raconte. Son "ton
sérieux dissimulant la plaisanterie" (8) à travers des
formules du genre "un sanglot pour lui", "une larme pour lui ll ,
"un hymne pour elle" etc ... réflète l'humour qu'il a vis-
,
.
à-vis de la religion. Le contenu religieux de ces formules
est vidé et remplacé par des éléments ( un sanglot, une lar-
me) qui suscitent le rire eu égard aux situations pour le?-
quelles elles sont évoquées (des malheurs tels que l'incen-
die, la mort, la morsure des aspics ••• ). En voici des exemple
(8) R. ESCARPIT, L'Humour, Paris, PUF(1981)
p. 65

- 75,
Saif El Har~~ et son acolyte Abdoul Hassana
ont décidé d'instaurer une fête nationale au Nakem, à la
mémoire de Saif El HeIt, le "juste li • Nais en réalité, cette
fête est une occasion pour eux de se débarrasser de certains
notables indésirables. Ainsi, chaque année ils sacrifient
sournoisfment 18 notables en les brûlant sur des bûchers,
puis font croire à la population que leurrnort est due à des
morsures d'aspics. Par rapport à cet acte odieux, le narrateur
conclut: "un hymne pour elle" (la fête nationale, plutôt
la tuerie nationale) (p.17).
Plus loin il raconte des scènes de cannibalismef
et d'anthropophagie; pour le premier cas; il s'agit de la
consommation de la chair humaine dans un but nutritif, tandis
que dans le second cas, l'acte cçmporte une signification
religieuse (par exemple s'approprier des vertus que renferme
telle ou telle partie de l'être humain). Le coeur est géné-
ralemen t <:onçu comme le siège du courage, aussi un guerrier
pourrait (écupler le sien en mangeant celui de son adversaire.
Au Nakem, nous dit le narrateur, "les testicules du chef sont,
dans un dessein éminemment aphrodisiaque,
'dégustés' par les
femmes" (p.22). En fait, ces pratiques barbares et si émou-
i.
vantes
sc rencontraient un peu partout chez tous les peu-
1
ples guerriers du monde, même de nos jours, (vrai ou faux), on
en:entend des échos par certains mass-média, où un rescapé
1
d'un naufrage ou d'un accident d'avion, menacé de mourir
de faim, aurait mangé la chair des autres victimes. La
1
1
1 ;~
1-'---

1:'.
1
- 76 -
1
description de ces horreurs du passé
fait que le narra-
1
teur s'apitoie sur l'Afrique pour qui il fait une prière.
Mais quelle prière? "Un sanglot pour elle !"
1
En voici deux autres exemples
1.
Jacob est un prince à qui doit revenir le trô-
ne de Saif ; mais celui-ci ne possède é;.ucune quali 'té de
1
chef. Mou et rêveur, ses frères l'écartent e't prennent le
,
pouvoir à sa place. "humble et aussi sage que lumineusement
1
pauvre, à l'heure de sa mort (... ) il comptait les étoiles,
(c'est~à-dire qu'il était célibataire)"(p. 27). Alors la priè-
re que le narrateur trouve pour lui est celle-ci : "Une dé-
solation sur sa tombe" (p. 27).
L'autre exemple concerne Doumbouya que Saif
a fait assassiner par Barou, un de ses tueurs profession-
nels. Après que l'assassin ait accompli son forfait, le nar-
rateur s' écri.e : "Un encens pour le regretté négrier" CP. 86).
Parfois la formule de louange ou de bénédiction
n'est même pas déformée comme ci-dessus, mais c'est son
incompatibilité avec la situation pour laquelle elle est
évoquée, qui révèle l'humour du narrateur. Toujours dans
Le Devoir de violence, la bénédic'tion qui suit semble être
une prière normale: "Sur eux'les grâces du Très-Haut et
la plus choisie des bénédictions" (p. 10). Ce qui parait
discordant, c'est que le contexte ne révèle aucune religio-
sité. Au contraire, i.l s'agit de guerres tribales où tou-
tes les horreurs inimaginables sont commises. La prière

.1,
- 77 -
apparaît plutôt, comme une moquerie à l'égard de ceux qui
ont sté sauvagement massacrés dans ces guerres injustifiées.
Voici un dernier exemple concernant une si-
tuation ou l'on ne s'attend pas du tout à une prière. Il
s'agit de Saïf dont l'armée est défaite par les Français
qui le contraignent à signer un "traité". Devant l'abatte-
ment et la tristesse qu'affiche le protagoniste, le narra-
teur .. pour se moquer, dit la prière suivante :
"Gloire au
Seul vivant"
(p. 42).
Il s'agit ici bel et bien de l'humour tel que
le définit Lord Kames, cité par Robert Escarpit : "Le vrai
humour est le propre d'un auteur qui affecte d'être grave
et sérieux, mais peint les objets d'une couleur telle qu'il
provoque la gaieté et le rire"
(9).
Ces propos sarcastiques du narrateur du Devoir
de violence, voilés dans un semblant de prière, sont nom-
breux. Ils sont parfois exprimés dans d' aut~oes langues telles
que le dioula, le peul, le dogon, l'arabe et même l'anglais.
Il s'agit du même type de discours islamique que chez le
narrateur des Soleils des Indépendances, mais la différence
réside dans l'usage que chacun en f a i t :
l'un semble l'uti-
liser normalement et l'autre parait s'en moquer.
(9) Ibid,
p. 35 .
~~­
.';
.

- 78 -
c)
Les qualificatifs et les comparaisons
- Les qualificatifs
Comme les louanges et les imprécations, certain.::
adjectifs permettent au narrateur d'évaluer les faits ou les
situations historiques qu'ils racontent. Ainsi les qualifi-
catifs valorisants qu'on rencontre chez celui du ~evoir de
violence sont aussi une marque d'estime; il manifeste sa
sympathie à Saif El Heït. En effet, ce dernier, comme pour la
bénédiction, est qualifié de "valeu-r-eux", de Il courageux" , de
,"doux", de "pieux", de "juste", de très "dévot" etc •••
Cette valorisation du personnage est sans doute due à son
comportement modèle~ digne d'un saint de l'islam.
Par contre les autres Saïfs sont accablés d'in-
vectives par les qualificatifs qu'il leur attribue. Ainsi,
quand le narrateur du Devoir de violence qualifie la dynas-
tie des Saïfs de "noble racaille", il exprima en même temps
le mépris qu'il a pour ces rois. En effet, la contradiction
entre l'adjectif "noble" et le substantif "racaille" dénote une
forte ironie et porte un jugement axiologique. Ensuite, il
les traite respectivement de "sanguinaire", de "tyrannique",
de "colonialiste", de "machévialique" ••• C'est un jugement
dévalorisant que réflètent ces qualificatifs. Contrairement
à Saif EL Heït (le béni et valeureux), tous les autl.'6s Saïfs
paraissent à travers leur comportement, plus cafres

- 79 -
que musulmans.
- La comparaison
Outre ces qualificatifs, la comparaison aussi
est un moyen pour les narrateurs de
juger.
On peut en comp-
ter plus d'une soixantaine dans Les Soleils des Indépendan-
ces où les personnages sont tour à tour
comparés au vau-
tour,
au molosse, au bouc, au serpent, au singe, au verrat,
à l'âne, à la civette, au varan, au cougal, au francolin •••
en fait, une véritable recension de la faune africaine.
Dans I,e Devoir de violence, ces comparaisons
sont plus sarcastiques : les captifs "braillant comme des
chiens", El Hadj Abdoul Hassana "au regard de corbeau ll ,
Saif
Ali "méchant comme un âne rouge", etc ..•
Parfois la comparaison se fait sous forme de
métaphore, ce qui n'enlève rien au sarcasme du ton: les co-
lons blancs sont appelés "macaques à Ci1.-sques", les esclaves
de "lamentables théories d'hommes" •••
Evidemment, toutes ces comparaisons ne permet-
tent pas de caractériser les narrateurs comme islamiques.
En effet, la comparaison se fait parfois à partir d'une sim-
ple ressemblance. Ainsi Salimata est comparée à une tourte-
relle parce qu'elle es~ douce, Fama à un fromager à cause
de sa grande taille, à 'une panthère
(non seulement c'est
son animal totémique, mais surtout i l a la même allure,
ou

-
80 -
du moins i l imite la démarche de cet animal). Les seins de
Salimata sont comparés à deux collines de Bindia (son vil-
lage natal), pour le narrateur du Devoir de violence, ceux
d'Awa sont "tièdes et doux comme deux beaux corps de colom-
be"
(p. 71) (on le voit, la ressemblance réside d.ans la for-
me). De même, le marabout Abdoulaye est un taureau du Was-
soulou parce qu'il est gros et gras. Toutes ces comparaisons
évoquées ci-dessus,
on s'en rend compte, peuvent aussi se
rencontrer chez un narrateur non musulman.
Les comparaisons qui contribuent ici à carac-
tériser les narrateurs comme islamiques sont celles qui por-
tent la marque de l'injure. Ainsi, elles sont à rapprocher
des formules imprécatoires, des qualificatifs injurieux,
en fait les procédés discursifs employés par le musulman
pour manifester son hostilité au cafre, et dont nous avons
parlé plus haut. Lorsque le narrateur du Devoir de violence
compare les Saïfs . tour à' tour
àun corbeau, à un âne
rouge, à un buffle ••• c'est surtout pour juger la cruauté
de leurs actes, qu'il condamne par ces injures. Comme ces
Saïfs, le buffle et l'âne de surcroît rouge, aénotent la
méchanceté, disons la cruauté. Il en est de même pour le
corbeau,
oiseau de mauvais augure qui est plutôt un symbole de
la sorcellerie à laquelle s'adonnent les Saïfs, qu'un signe
musulman.
Dans Les Soleils des Indépendances,
c'est par-
ce que Balla est "l'incroyant du village,
(le cafre) que le
- ..-F:--

- 81 -
l'
narrateur le prend pour un vieux fauve, vieux clabaud,
vieille hyène" (p. 108). L'autre incroyant, le féticheur
',(-,
Tiécoura,est, lui aussi, comparé à un ouffle.
1p
Mais il arrive, que des musulmans comme Fama
l'
soient traités de la même façon: ce dernier est effective-
1
ment comparé à "un molosse avec sa déhontée façon de s'as-
seoir", le marabout Abdoulaye à un bouc. En fait, en scru-
tant attentivement le contexte où apparaissent ces injures
portant sur des personnages musulmans, on se rend compte
qu'il s'agit de leurs actes, leurs comportements non confor-
mes aux pratiques islamiques. Si Fama est comparé à un mo-
lasse, c'est parce que, souven~, il ne sait pas se comporter
en bon musulman, aux cérémonies de baptême, de mariage et
de funérailles. C'est dans un contexte analogue que le ma-
rabout Abdoulaye mérite d'être comparé à un bouc, car il
profite de son titre de marabout pour faire la cour à Sa-
limata.
Da!lS ces différents exemples, la comparaison
est un procédé par lequel les narrateurs portent un jugement
de valeur sur leurs personnages.
Deux traits caractéristiques sous-tendent ces
procédés discursifs des narrateurs: d'une part la louange
et la bénédiction pour les bons musulmans, d'autre part
l'imprécation ou l'injure pour les cafres ou les mauvais
musulmans. La louange et la bénédiction nous ont révélé cer-
taines coutumes musulmanes, tandis que l'imprécation et
....~-

- 83 -
Thierno
à propûs des punitions que celui-ci inflige a
t
Samba Diallo.
Le maître aval~ raison. La parole qui vient
de Dieu doit être dite exactement, tel qu'il
Lui avait plu de la façonner. Qui l'oblitère
mérite la ;JlOrt •..
(p.
15)
Quant à la comparaison en voici des exe'nples :
dans Xala, Yay Bineta est comparée à une araignée, les co-
épouses de NGomé à des "chiffons usés", El Adji à un "éta-
Ion" lorsqu'il était jeune et vigoureux.
Le narrateur de l'Aventure ambiguë compare la
Grande Royale à une "graine dans la gousse", au cours d'une
réunion. Le début de la rencontre de l'Afrique et de l'Oc-
cident est perçu comme un "un matin de gésine". Enfin la
.11
voix de Samba Diallo récitant le Coran est une voix de fleu-
ve" ."
Dans ces exemples, il n'apparaît aucune spéci-
ficité musulmane. Des narrateurs non mksulmans pourraient
employer les mêmes procédés.
Il arrive même que certaines comparaisons du
narrateur de Xala
le rapprochent plus d'un narrateur mar-
xiste q~d'une voix islamique. Outre le sentiment d'hosti-
lité à l'égard de la religion musulmane qui transparaît à
travers l'exemple qui suit,
on est tenté d'y voir une formu-
le marxiste bien connue.
-.--

, - 84 -
La porte qui se refermait l'isola encore, com-
me d'autres s'isolent dans la drogue. Adja Awa
Astou trouvait dans la religion sa suffisante
dose
journalière
(p. 41)
c'est à peine
si l'expression marxiste; "la
religion,
opium du peuple tl n'est pas lâchée. Avant d'arriver
à l'étude du contenu des textes qui confirmera ou infirme-
ra ce soupçon, passons à d'autres éléments de discours.
d)
D'autres caractéristiques des voix
Notre étude sur l'instance isl~niq~ej sans
avoir la prétention d'être exhaustive, ne serait pas complète,
si nous omettions d'aborder d'autres caractéristiques des
éléments discursifs à t~avers les questions, les explications
à l'intérieur des parenthèses •.•
- Les questions
Les narrateurs interViennent parfois pour po-
ser des questions dans les récits. La question suppose un
locuteur et un allocutaire. Elle fonctionne donc COinme un
indice de discours. Il serait ici fastidieux de les énumé-
rer toutes. On peut en trouver dans Xala, aux pages 18, 20,
26, 29, 46, 79, 83, 103, 115, 167 ... L'Aventure ambigue en
contient autant: pages 66, 70, 84, 86 •.. 1e nombre de ques-
tions est beaucoup plus élevé dans Les Soleils des Indépen-
dances et dans Le Devoir de violence.
La caractéristique commune à ces questions est
..
~~~II
.~--

- 85 -
qu'elles trouvent,d'une façon ou d'une autre, leur réponse
dans les récits ; parfois cette réponse vient immédiatement
après la question comme l'exemple suivant où le narrateur
des Soleils des Indépendances tient un discours politique
en jugeant les partis uniques en Afrique :
(Le parti unique le savez-vous, ressemble à une
socié~é de sorcières, les grandes initiées dé-
vorent les enfants des autres)
(p. 23) .
Les narrateurs se livrent souvent à un jeu de
dédoublement, ou leur "je" racontant l'histoire répond au
Hje ll qui. questionne le récit. En voici des exemples tirés
du Devoir de violence :
Crépuscule des dieux? oui et non. Plus d'un
rêve semblait er/train de se faner,
et il s' a-
gissait tout autant que de son tournant, de
la convulsion d'une civilisation. Avant la fin
définitive? Avant une nouvelle naissance?
ou durant une sempiternelle agonie?
(p. 44)
Révoltée? Cynique? Ignoble? Mythe vivant
d'une colère ambulante à la merci de sa légen-
de névrosée ? Sorcier raté ? non pas exclusi-
vement
Cp. 96).
Ce procédé constitue pour eux un moyen de mieux
expliquer certaines parties du récit. Ils ont conscience
de leur rôle de narrateur
; ces questions manifestent leur
souci de mieux accomplir ce rôle.
La question comporte une constance chez le
narrateur des Soleils des Indépendances,
sur laquelle i l
convient de s'attarder un peu. Effectivenent, le procédé

- 86 -
lui permet d'intervenir pour donner des explications sur
des coutumes et des croyances animistes. Plus que de simples
allusions aux croyances animistes, les nombreux exemples
comme ceux qui suivent,
confirment sa foi animiste dont nous
avons parlé dans le chapitre précédent, au nom de laquelle
i l jurait pour obtenir la caution de crédibilité de son
narra taire.
Savez-vous ce qu'était le kola de ce génie
chasseur ? Le grain de crottin du chevrotain
aquatique!
(p.
130)
Pourquoi les Malinké f&tent-ils les funérailles
du quarantième
jour d'un enterré? Parce que
quarante jours exactement après la sépulture,
les morts reçoivent l'arrivant
(p.
143).
Ce furent des funérailles pleinement réussies.
Mais pourquoi? Parce que des génies, des mânes,
des aïeux et m&me des animaux( ... ) s'étaient
ajoutés à la foule.
(p.
150)
Outre ces discours animistes prétextés par
les questions, ce qui montre que ce narrateur e'St très versé
dans l ' anü'lisme, il intervient également dans les parenthèses
pour le ~&me but.
Explications à l'intérieur des parenthèses ou
notes au bas des pages (nous y reviendrons plus loin), les
récits contiennent l'un ou l'autre procédé ou les deux a
la fois.
Ils rompent le continuum narratif et contribuent
à la mise en place d'un procès d'énonciation, relevant des
narrateurs. Comme les questions, ils fonctionnent comme un
métalangage chez le narrateur des Soleils des Indépenùances

1:.,
- 87 -
1
qui y intervient pour tenir des discours animistes sur la
1
divination (p.
68-69)
sur le deuil malinké (p.
132) .•• C'est
1
dans les notes au bas des pages que l'on trouve ce
genre
d'explications sur les éléments animistes dans le récit de
1
Xala.
1
Enfin le narrateur des Soleils des Indépendan-
ces se passe parfois de la question et de la parenthèse, et
surgit brutalement dans son récit par des expressions eom-
me
:
"disons-le",
"empressons-nous de le narrer",
"disons
vrai parce qu'Allah aime le vrai" .•• pour tenir son discours
animiste
. En voici un exemple consacré à ~ne croyance ani-
miste chez les Malinké :
Mais le sang, vous ne le savez pas parce que
vous n'êtes pas Malinké, le sang est prodigieux,
cri aI' d e t e n i v r an t.
( P • 147 )
Il est évident qu'un roman n'est pas une étude
de théologie appliquée
; la voix des narrateurs ne saurait
donc se limiter à la seule caractéristique islmnique, même
si celle-ci est la plus importante ici, du moins pour Les
Soleils des Indépendances et pour Le Devoir de violence
dont le caractère musulman dans les structures narratives
a été mi~ en évidence. Les narrateurs empruntent parfois
d'autres voix, par exemple celle de l'animisme en ce qui
concerne Les Soleils des Indépendances,une voix marxiste
dans Xala,
et les jugements politiques à travers les struc-
tures narratives dans Le Devoir de violence,
sont nombreux
_ A i R s : ,

!'.

- 89 -
l'
se taire, pour céder la parole à ce dernier locuteur. Ces
discours de personnages sont nombreux dans les récits:
c'est,
1
par exemple,dans Le Devoir de violence le discours que tient
1
El Adj Gakoré à l'assemblée des notables aux pages 59 et 60.
Ou encore les discours de Bouremi le "fou" (p. 96-97) et
celui de Sankolo le IIdrogué" qui raconte l'histoire des
"zombies" (de la page 114 à la page 126). Sery, l'apprenti
chauffeur de Ouédraogo narre l'histoire de son pays à ses
compagnons de voyage (p. 88, 89, 90, 91) dans les Soleils
des Indénendances, qui contient d'autres récits de person-
nages tels les récits de chasse de Balla, de Diamourou •••
On en trouve aussi dans Xala, au cours des réunions du Grou-
pement des hommes d'affaires (p. 8, 9,
10). Enfin le récit
.de L'Aventure ambiguë est essentiellement constitué de dis-
cours des personnages comme ceux de Samba Diallo, de Maitre
Thierno, du Fou •••
Hormis ces paroles qui sont orales, on trouve
des documents écrits que le narrateur insère dans le récit.
Ainsi à la page 79 du Devoir de violence se trouve un ordre
de félicitation écrit, adressé par Vandame à Saïf, ainsi
que l'important document juridique, rédigé par l'interprète
et greffier Karim B~ en témoignage du conflit qui a opposé
Saïf à l'évêque de Saignac, et qui s'étale sur sept pages.
Le narrateur de L'Aventure ambiguë en fait autant avec la
lettre que le chef des Diallobé a envoyée à Samba Diallo.
Parfois ces discours de personnages
se font
/.:.....-
'it\\·
.;..."
-.'i" ..--

- 90 -
sous la forme d'un dialogue dont on peut constater'
1.,' importance quan.ti ta ti vè grâce aux nombreux-' tirets que
contiennent les récits. Il arrive aussi que le narrateur
traduise indirectement sous forme de "monologue intérieur"
la pensée de certains personnages. Ces monologues ne com-
portant ni tirets ni guillemet;s, relèvent évidemment du
narrateur, mais leur source première est la conscience des
personnages. C'est, selon Genette, "le récit non focalisé
ou à focalisation zéro", qui correspond à la vision par der-
rière de Jean Pouillon où le narrateur ne coïncide pas avec
le personnage, parce qu'il en sait davantage que ce dernier.
Ces récits ou monologues intérieurs des personnages se re-
trouvent dans tous les récits, ainsi chez Fama sur sa peau
de prière à la mosquée des Dioula, chez Salimata pendant
sa nuit d'insomnie à côté de Fama, El Adji Kader Beye dans
son bureau, souffrant du xala, Maitre Thierno pend~~t ses
médi tations •••
Enfin on retrouve dans les récits
des discours
dont la source est extérieure aux textes;, elle correspond
à ce que l'on appelle au cinéma
la "voix-off". Ce sont
des sources extratextuelles et anonymes qui apparaissent
sous la forme pronominale "on"
(disait-on, affirmait-on),
ou plus singulièrement dans Le Devoi1" de violence par des
expressions comme "Et la tradition dit", "Et le griot dit" •••
On a donc plusieurs instances de discours dans
les réci~s. Le plus important, dans le cas des Soleils des

- 91 -
Indépendances et du Devoir de violence est le narrateur
extradiégétique, sous le couvert duquel, s'énoncent d'autres
instances moins import~~tes : les narrateurs intradiégéti-
ques et les instances extratextuelles. Dans les deux autres
récits (Xala et L'Aventure ambiau~) ce sont ces narrateurs
intradiégétiques qui assument l'essentiel des récits et on
s'en rend compte par le nombre impressionnant de tirets et
de guillemets que l'on trouve à toutes les pages des livres.
f!~_g~g__f§_!~g~!!~~_~~~_g§~~§!~~~~_!~!~§­
~!~~~!~9.~~~
Nous venons de voir, que les narrateurs qui
se manifestent sous la forme pronominale "nous", ne sont
pas seuls à assumer les récits. De temps à autre, ils se
font relayer par certains personnages des récits. Ces per-
sonnages qui sont des narrateurs intradiégétiques, se si-
tu~nt à un autre degré du récit que Genette appelle "le de-
gré second" ou "récit métadiégétique".
En .fait, ce procédé n'est pas spécifique Cie ces
narrateurs. Il s'agit d'une vieille technique narrative qui
date de l'antiquité grecque, et dont parlent .justement
Platon et· son '-élève Aristote, respectivement sous le nom de
"mimesis" et !limitation pure ll • Ce procédé qui consiste à
donner la parole au personnage, est un moyen pour les nar-
rateurs de rendre leur récit plus vraisemblable, but qui
nI est pas toujours façile à atteindre, car "Quand le 1 je l,
'i\\~
(0
I--~~

r·,'·
1
- 92 -
1
..
locuteur acquiert maladroitement des informations qui lui
1
sont indispensables, l'auteur est parfois
amené à créer
des situations d'invraisemblance" (11). C'est pourquoi on
1
a parfois reproché à Cheikh Ha·rJidou Kane "de distiller de
1
la philosophie à longueur de pages, et de confondre les
personnages les plus humbles de la société peulh (comme le
1
fou) avec les grands
rhétoriqueurs ••• " (12).
1
Certains discours ue personnages,dans Le De-
voir de violence, paraissent aussi invraisemblables et pous-
sent à croire que c'est le narrateur extradiégétique qui en
est la véritable source. Tel est le cas de Bouremi,le "fou"
dont le discours qui dénonce la politique démagogique et
tyrannique de Saïf, ne correspond pas à celui d'un fou. On
retrouve ce même type de discours invraisemblable chez
Sankolo le "drogué",
des pages 114 -
126, où ce personnage
illettré apparaît comme un véritable spécialiste de l'his-
toire des "zombies".
l"~
.,
Bien sûr il n'est pas toujours nécessaire de
mettre dans la bouche des personnages illettrés, du français
"petit nègre", comme dans "Chemin d'Europe" ou IILa Palabre
stérile ll (13), pour ne ci ter que ceux-là. La parole des
personnages doit tenir compte du contexte social auquel ils
(11) W. C. BOOTH, "Distance et point de vue",in Poétique
Paris, Seuil, 1970, n04,
p. 514.
(12) R. MERCIER, Cheikh Harüdou Kane, Pernanu Nathan
1967, p. 14.
(13) G. MENGA, La Palabre stérile, Clé. 1968.

- 93 -
appartiennent,
car Hune certaine érudi tian misE dans la bou-
che d'un analphabète ne rime à rien"
(14), à moins d'être un
moyen inavoué du narrateur, pour tenir son propre discours
évitant ainsi d'en assumer la responsabilité. Les jugements
que font les pauvres d'El Adji Kader Beye dans Xala,.le trai-
tant de "voleur", de "filou",
"d'exploiteur" .•• n'engagent
nullement la responsabilité du narrateur. Voici par exemple
dans le même récit, une Dakaroise illettrée qui parle comme
Voltaire incitant chacun "à cultiver son jardin"
:
"Yallah !
Yallah! i l faut labou:rer son chalnp"
(p.15). On est vraiment
~tenté d'attribuer cette phrase à quelqu'un qui connait Vol-
taire (il ne peut donc pas s'agir de cette illettrée) qui a
forgé une formule semblable à celle du célèbre écrivai::l fran-
çais, même si leur signification semble diverger quelque peu.
De plus on comprend mal,
comment cette femme, dans un milieu
musulman comme le sien, et surtout musulmane elle-même, serait
agacée par la prière adressée à Allah alors que j 'habi tud~,
nous l'avons vu,
ce sont ces types de prière dont raff~lent
les musulmans,
toutes leurs paroles en portent la marque. A
travers ces exemples, i l se passe un transfert du narrate~r
aux personnages où le premier fait assumer ses dires par les
derniers.
Mais la question essentielle demeure la carac-
téristique islamique de ces discours : en quoi ces discours
de personnages
à l'instar de ceux des narrateurs que
(14) J.-P. MAKOUTA. Introduction à l'étude du roman négro-
africain de langue française, p.366.

- 94 -
nous avons vus, représentent-ils des voix islamiques? La
majorité des principaux personnages sont des musulmans. Comme
sous
la plume des narrateurs,
on trouve chez eux les for-
mules coraniques, les bénédictions et les louanges à Dieu •••
On se rappelle, par exemple, chez le narrateur
du Devoir de violence, la coutume musulmane qui exige la
formulation d'une prière à l'intention du musulman mort
quand on prononce le nom de celui-ci. Yay Bineta, après
avoir évoqué le nom du prophète Mahomed, fait la prière sui-
vante:
"Paix sur lui et sur tout le monde"
(Xala p. 19).
Les discours des personnages de Xala, comme l'exemple de
Yay Bineta, sont truffés de ces genres de bénédiction, de
louange à Dieu (parfois exprimés en arabe où la formule la
plus fréquente est "Alhamdoulillah").
Quant à L'Aventure ambiguë, le récit (surtout
la première partie)
semble être constitué de prières. Les
discours des personnages sont constamment ponctués des priè-
res telles que 113'il plaît à Dieu ll ,
"Que la pitié de Dieu
soit sur nous",
IILa paix de Dieu soit sur cette maison ••. 11
etc ••• Mais, contrairement aux autres récits où surgissent
des formules coraniques en Arabe, ici,toutes les prières
sont traduites en français.
Afin d'éviter des redites, nous revienurons
plus loin sur ces voix islamiques dans l'analyse de l'islam
au niveau individuel des personnages; disons que la voix
islamique se rencontre aussi bien chez les narrateurs


1
- 95 -
1
extradiégétiques que chez les personnages dans Le Devoir
1
de violence et dans Les SoleiJ::; des Tndépendances. Ivrais dans
Xala et dans L'Aventure ambiguë, la spécificité islamique
1
est transférée au niveau des discours de personnages.
1
Il convient de récapituler tout ce que nous
avons dit jusqu'ici sur le narrateur. Il est certain que
1
cette étude que nous venons de mener sur les instances nar-
1
ratives
n'est pas une recension complète des signes et in-
dices de narrateur. Certains éléments discursifs ont dû pas-
1
ser à travers les mailles de notre filet analytique. Notre
effort a consisté à en mettre en relief le plus grand nom-
bre possible. Leur analyse, comme les formes pronominales,
a révélé l'implication des narrateurs dans l'histoire qu'ils
racontent, et leur appartenance à une communauté musulmane
donnée. Ces narrateurs, dans la plupart des cas,apparaissent
comme des éléments constitutifs du récit, et on doit sans
cesse se référer à eux. Ils se servent également d'éléments
comme les différentes formes de métalangage (parenthèses,
notes, questions suivies de réponses) pour donner une cer-
taine clarté aux récits. Ces éléments métalinguistiques sont
utilisés chez certains narrateurs comme celui des Soleils
des Indépendances pour tenir des discours animistes.
Les éléments discursifs varient en nombre d'un
narrateur à un autre. Il serait vain d'en faire ici une in-
terprétation statistique, car ces éléments ne sont pas limi-
tatifs. S'il peut être aisé de quantifier les différents

- 96 -
signes de narration, l'interprétation des indices demeure
variable.
Des quatre narrateurs extra-hétérodiégétiques
que nous avons cernés, on se rend compte que celui de L'A-
venture ambiguë a numériquement la plus faible apparition
par les signes et les indices de discours. On y trouve à
peine deux signes de discours sous la forme pronominale "vous"
et quelques indices tels que les éléments de modalisation,
les notes au bas des pages, les questions, que ~ous avons
interprétés comme éléments de narration. C'est que~dans la
technique de narration utilisée ici, l'essentiel du réci t
est constitué de dialogues entre personnages. Le rôle du
narrateur extradiégétique se réduit ainsi à sa plus simple
expression
~..
sa personnalité se camoufle derrière la
neutralité du pronom "on".
Peut-on considérer cette voix comme- islamique ?
A part quelques partis pris dans ses jugements favorables
aux personnages musulmans ainsi que certaines de leurs ac-
tions, rien d'autre ne l'autorise explicitement. Pourtant
le nom de Dieu revient plus de cent soixante quinze fois,
celui du Coran, qui est parfois nommé par le mot "Parole"
ou le "Saint verset", plus d'une trentaine de fois,
sans
compter les expressions qui désignent le Paradis, le pro-
phète Mahomed, l'ange Azra~l ou l'ange de la mort, ainsi
que les innombrables prières qui
jalonnent le récit. Il
semble que Cheikh Hamidou Kane ait regretté de n'avoir pas

I~
- 97 -
l'
1
écrit tout son récit sous forme de chant religieux à la
manière des imprécations religieuses de S~nba Diallo, son
héros. En fait, cet apparent effacement de l'instance nar-
rative de L'Aventure ambiguë est un choix délibéré. Contrai-
rement à l'instance narrative des Soleils des Inèépendances
qui a une obsession du IIdire ll , on le voit par les nombreuses
formules telles que (il faut le dire, disons-le ... on en
trouve une trentaine dans le récit) celui de L'Aventure
ambiguë s'abstient de dire
"Mais rien ne sera dit de tout
ce l a... ,,( p. 62\\l' "R'eserve ?" "Retenue ?" comme nous dit
Vincent Monteil, Qui caractérisent la "pulâgu" ou la manière
de se comporter comme un Peul (15). En fait, cette attitude
du narrateur, évitant autant que faire se peut, de se mêler
du jeu, de prendre ouvertement parti dans le grand débat
sur la foi, n'enlève rien au caractère islamique du récit.
En effet, ce n'est pas toujours le narrateur extradiégéti-
que qui monopolise ce que Genette appelle "la fonction idéo-
logique';, c'est-à-dire des interventions directes ou indi-
rectes du narrateur à l'égard de l'histoire et qui ne sont
pas nécessairement celles de l'auteur. Ce rôle de "porte-
parole" peut être transféré parfois à certains personnages
du récit, c'est-à-dire des narrateurs intradiégétiques. Le
caractère religieux ou la voix islamique du récit de L'Aven-
ture ambiguë, se trouve, comme nous l'a révélé l'étude des
narrateurs intradiégétiques, au niveau des personnages
comme Samba Diàllo et son père, Maître Thierno .•. à travers
leurs chants religieux, leurs prières de bénédiction ou
(15) v. MONTEIL, pre'face de L'Av
t
bO
..
p
6
'
en ur e am l gu e,



- 98 -
de louange à Dieu.
Les intrusions du narrateur dans le récit de
Xala sont nettement plus importantes, numériquement, que
celles du précédent. S'il arrive à ce dernier de s'identi-
fier par le pronom "nous" à une communauté musulmane donnée
("1es femmes musulmanes de chez nous"), rien d'autre ne per-
met de qualifier
sa voix d'islamique. Certains de ces
jugements tels que ceux que nous avons perçus comme marxistes
peuvent pousser à limiter, peut-être même à mettre en cau-
se cette association. Mais il n'en est rien. Comme dans
L'Aventure ambiguë, c'est au niveau des personnages musulm~~s
que nous avons saisi la caractéristique musulmane des dis-
cours.
Les traces laissées dans les récits par les
1
instances narratives du Devoir de violence et des Soleils
des Tndépendances, sont si âbondantes qu'il est facile de
1
les confondre avec les personnages. Nombreux sont les pro-
l'
cédés narratifs qui les impliquent dans l'histoire qu'ils
racontent, et nous avons vu comment il fallait sans cesse
1
se référer à eux dans les récits. Quelle place a occupée
1
l'islam à travers nos analyses, cians cette surabondance d'-
éléments disCUTsifs de ces narrateurs? Ces deux romans sont
l,
les prototypes mêmes du récit islamique dont la spécificité,
1
que nous avons essayé de mettre en évidence, se trouve aussi
bien au niveau des narrateurs extradiégétiques qu'à celui
1
des narrateurs intra~iégétiques.
1 ..":~l';~J
I-~-

- 99 -
La civilisation musulmane, en.racinée en Afrique occidentale
depuis plusieurs siècles, a profondément marqué les habitu-
des et les coutumes de cette partie de L'Afrique. Elle y a
produit un type d'habillement musulman, de parler musulman,
de salutation musulmane, de mariage musulman ••• mais aussi
de narration particulière à travers les récits, et indépen-
damment de la position idéologique de leur auteur, les qua-
tre romans de notre corpus sont, chacun à sa façon, une ex-
pression du genre. Comme le dit la chanson populaire dioula
Ce ne sont pas tous ceux portent le pantalon,
qui sont des commis.
Tous ceux qui portent la chemise blanche ne
sont pas des commis.
Ceux qui portent les souliers ne sont pas tous
des commis.
Il y en a qui sont des commis
Il y en a qui ne sont pas des commis.
Cette chanson, on le voit, évoque l'époque
coloniale par l'occidentalisation des Africains avec des
éléments vestimentaires comme le pantalon, la chemise •••
On pourrait, pour évoquer l'arabisation de
l'Afrique, remplacer les éléments ci-dessus par le grand
boubou (brodé ou non), le fez rouge (il s'agit d'un bonnet),
les babouches ••• et dire que tous ceux qui les portent ne
sont pas des musulmans.
Il en est de même pour le type de narration
islamique, où tous ceux qui l'emploient ne sont pas néces-
sairement musulmans. On sai t,par exemple, que Cheikh Hamidou
Kane est une grande figure musulmane dont la renommée pour

-
100 -
la défense de la foi islamique
à travers ses écrits, dé-
passe les frontières du Sénégal. Par contre, nous avons vu
que Ousmane Sembène est un adepte du marxisme; il a procla-
mé partout qu'il est athée. C'est au niveau de l'usage que
font les auteurs de cette narration
qu'on peut déceler des
différences, car la signification que donne un musulman,
aux formules de bénédiction et de louange à Dieu, ne peut
être la même chez un athée. On se rappelle,par exemple, l'in-
tention de Cheikh Hamidou Kane
de faire de son récit un
chant religieux; ce qui est indubitablement un signe de
piété. Par contre l'attitude de Yambo Ouologuem est tout à
fait le contraire: son narrateur utilise les prières isla-
miques pour faire rire et se moquer. L'usage qu'en fait
Ousmane Sembène est conforme à ce qu'il a toujours prêché
relater à travers ses écrits et ses films, "réalité" et "vé-
rité" ; c'est ce qu'on remarque à propos de la narration
islamique qui apparaît au niveau des personnages telle qu'el-
le est utilisée quotidiennement au Sénégal. Quant à Kourou-
ma (simple pratique ou par piété) les nombreuses formules
de bénédiction et de louange à Dieu sont utilisées par le
narrateur comme un soutien à certains personnages (Fama et
Salimata), dans leur malchance sous la tempête des soleils
des Indépendances.
Evidemment, on pourrait étendre les exemples
à d'autres romans d'Afrique occidentale, mais la narration··
islamique n'y a pas la même importance que dans ceux de no-
tre corpus. Presque tous les romans sénégalais que nous
l.:i:?,.--
\\.

-
101 -
avons lm (ceux de Mari~~a Bâ, d'Aminata Fall, de Nafissatou
Diallo, d'Abdoul Baïla Wane ••• ) portent les caractéristiques
de la narration islamique,
sans doute à cause de l'impor-
tance de la religion musulmane dans ce pays. Le Niger et
le Mali sont aussi des pays où le nombre de musulmans est
très élevé.
Il n'est donc pas étonnant qu'on trouve dans
le roman intitulé Gros Plan (16), du Nigérien Idé Oumarou
des formules du genre:
"Allâhou Akbar
!", "Dieu merci",
"Par la grâce de Dieu" etc ••• Il en existe dans d'autres
romans tels que dans ceux du Malien Massa Makan Diabaté,
du Voltaïque vivant en Côte-d'Ivoire, Amadou Koné .•. pour
ne citer que ceux-là.
1111 est bien évident qu'un écrivain de la Fo-
rêt diffère d'un écrivain sénégalais"
(17). L'impact de
l'islam au Sénégal
est un aspect de cette différence (peut-
être même le plus important). Mai~,de nos jours, les con-
tacts et les échanges amenuisent de plus en plus ces diffé-
rences,
et on peut trouver chez des écrivains de la "Forêt"
des traces de la narration islamique. Jean-Marie Adiaffi
est l'auteur de La Carte d ' identité. Ivoirien, i l est Agni
originaire du Sud de ce pays (ceux du Nord comme Kourouma
sont musulmans).
Ce roman a une toile de fond religieuse
très importante par la place qu'y occupent de
nombreuses
1
(16) O. IDE, Gros Plan, NEA ,1977 •.
1
(17) R. MERCIER,
op.
"t
C l . ,
p.
18 .
1
1
1

-
ïU2 -
divinités agni,
ainsi que le Dieu chr~tien à qui l'on adres-
se des prières. Malgré le prénom de l'auteur qui l'associe
à une communauté chrétienne,
(simple hypothèse)
on trouve
dans son roman des prières proches des formules musulmanes
Que Dieu te garde
!
Que Dieu sauve ton âme, 0 noble pr~nce
Rendons grâce aux mânes (18)
D8.Ils l'Homme qui vécut trois vies,
(19) dont
l'auteur,
Gaston Ouassena.n, unau·tre écrivain ivoirien,
est
de confession chrétienne, on retrouve les mêmes formules
que celles de notre corpus.
"Que Dieu nous bénisse",
"Que
(IlHeu nous protège",
"Que
Dieu veuille nous exaucer".
La frontière entre la prière musulmane et la
prière chrétienne est difficile à établir. Mais nous avons vu
plus haut que l 'habitude est surtout très courante chez les.
musulmans,
c'est un signe caractéristique de leur discours.
Comme le dit Vincent r10n te i l , l ' islam e st à la conquête de
tçut le continent africain. Cet~e conquête est multiforme:
elle ne se limite pas seulement à la conversion des africains
l
pour les amener à Allah,
elle s'étend au-delà du domaine de
la foi, pour marquer de son sceau spécifique, les habitudes
1
et les coutumes africaines. Ici, la technique narrative en
1
est un aspect important. Outre le roman,
on la trouverait
dans d'autres genres littéraires tels que le théâtre,
le
1
conte, la nouvelle •..
1
(18) J.-M. ADIAFFI, La Carte d'identité,
CEDA, p.74.
1
(19) G. QUASSm{~~.
L'Homme gui vécut trois vies,
Ed. Saint-Paul.
1
1

-
103 -
CH API T R E
I I I
LES N.-'\\.RRAT AIRES
Le but que nous nous sommes assigné dans cette
première partie de notre travail était
rappelons-le - de
répondre à cette double question
qui parle dans les récits,
qui en est le destinataire? Où en sommes-nous à l'étape ac-
tuelle de ce travail? Dans les chapltres précédents, nous
avons déterminé dans chaque récit le sujet-émetteur, recou-
vrant la dualité auteur-narrateur dont la spécificité musul-
mane a éTé mise en évidence.
Il nous reste donc,
cela va de
s o i , à cerner l'autre dimension non moins importante de
l'instance narrative, qu'on désigne habituellement sous le
nom de narrataire, celui à qui est destiné le récit, et
on
ne saurait évoquer la première sans du même coup poser la
présence de la seconde.
Comme le narrateur, le narrataire est un des
éléments de la situation narrative,
et il se
place nécessairement au même niveau diégétique
c'est-à-dire qu'il ne se confond pas plus a
priori avec le lecteur( ••• ) que le narrateur ne
se confond nécessairement avec l'auteur (1) •
Les narrateurs-personnages ou intradiégétiques
(1) G. GENETTE,
Figures III, p.
265.

-
104 -
que nous avons vus plus haut, ne nous donnent
jamais l'im-
pression de s'adresser au lecteur.
Ils s'adressent à d'autres
personnages du récit.
Ainsi El Adji Ali Gakoré s'adresse aux
notables, Bourémi parle aux passants dans la rue,
Sankolo
raconte son histoire à Vand&~e, El Adji Kader Beye s'adresse
à ses pairs,
Sory aux voyageurs ... Les notables, Vandame,
les passants, les voyageurs . . . sont comme leurs narrateurs,
des narrataires intradiégétiques. Comme le dit Genette:
A narrateur int:cadiégétique, narrataire intra-
diégétique.( ... ) Le narrateur extradiégétique au
contraire, ne peut viser qu'un narrataire extra-
diégétique.
(2)
Ce ne sônt pas les narrataires intradiégétiques
qui nous préoccupent ici. Ils sont explicites dans le récit,
en tant que personnages,
et ce rôle de narrataire qu'ils jouen
n'est que secondaire. Parfois ils constituent, avons-nous
dit, un moyen pour les narrateurs de tenir leur propre dis-
cours ou de donner une plus grande crédibilité à leur discours
Le narrataire qui nous intéresse présentement est celui qu'on
a l'habitude d'assimiler au lecteur (réel ou virtuel) c'est-
à-dire le narrataire extradiégétique. Celui-ci ne peut être
déterminé que par son rapport avec le narrateur, car ils sont
l'un et l'autre indissociablement corrélatifs.
Les fonctions des narrateurs que nous avons
(2)
Ibid.) p.
265.

-
105 -
déterminées, dépassent de loin celle de la narration. Ce/voix'l
ont aussi un souci constant d'établir ou de maintenir un
contact avec un interlocuteur, qui n'est autre que le narra-
taire. Cette volonté d'entrer en communication avec le nar-
rataire se manifeste dans Le Devoir de violence, par des
expressions comme l'adverbe IIvoici ll ,
qui traduit un geste
implicite du narrateur s'adressant au narrataire.
Or v 0 ici
( p.
28).
Voici donc
(p. 88).
"Voici ll se réfère dans ces exemples au narrateur,
et donne l'impression que celui-ci désigne de la main les
objets. C'est donc l'attention au narrataire qui est ainsi
sollicitée.
Il en est de même pour les formules à l'impé-
ratif du genre IItraduisez ll ,
"voyez",
II c on tournons ll ,
"asse-
yons-nous" . . .
qui sont des sollicitations du locuteur à son
interlocuteur, ici du narrateur au narrataire.
Ces différents éléments peuvent sans doute faire
penser à ce que Jakobson a appelé "la fonction conative du
langage", mais ils rappellent aussi le rôle d'un conteur
africain. Le rôle didactique du conte en Afrique est incontes-
table; comme ces narrateurs, le conteur africain a pour
souci primordial de garder le contact avec la foule qui l'é-
coute. C'est pour cette raison qu'il a toujours un "répon-
dant" dans la foule à qui i l peut s'adresser. C'est à ce
"répondant" du conteur africain, que ressemble le narrataire

-
106 -
de ces récits,
surtout celui du Devoir de violence ainsi
que celui des Soleils des Indépendances.
III.
1.2
La fonction testimoniale •
Pour mieux convaincre son interlocuteur de la
véracité des faits racontés, i l arrive que le narrateur in-
dique la source du discours qu'il tient. C'est ce que fait
le narrateur du Devoir de violence dans les exemples suivants
Mais ce récit ne présente rien de frappant:
bien d'autres rapportent combien l'asservissante
terreur des populations, étouffait à travers
l'Empire, la moindre tentative de rebellion.
(p.1C
Ici nous atteignons le degré critique au-delà
duquel la tradition se perd dans la légende et
s'y engloutit, car les récits écrits font dé-
faut,
et les versions des Anciens divergent de
celles des griots lesquelles s'opposent à celles
des chroniqueurs.
Selon les uns,
Isaac El Heït, avant même de
guerroyer était un seigneur puissant( .•• ),
D'autres affirment qu'il s'était engagé dans
une troupe de guerriers ( ..• ).
(p.
11)
Ces exemples montrent que le narrateur cherche
à attester la véracité de son discours en confrontant plu-
sieurs sources: Genette appelle cela la fonction "d'attes-
tation" ou "testimoniale" du narrateur. Mais son but est
(comme l ' a fait le narrateur des Soleils des Indépendances
en jurant sur sa foi animiste) d'obtenir une plus grande
confiance de la part de son narrataire.
.
celle du
Evldemment, comme _
narrateur, la présence du
narrataire dans le texte varie d'un récit à un autre. Si

-
107 -
le "vous" narrataire n'apparaît que deux fois dans le réci t
de L'Aventure ambiguë, nous avons vu qu'il est une référ.ence
constante dans celui des Soleils des Indépendances par des
"expressions du type:
"Vous semblez sceptique, moi
je vous
le jure",
"vous ne save z pas parce que vous n' ête s pas Ma-
linké" . . .
La fonction de régie du narrateur permet aussi
de cerner le narrataire. Genette définit cette fonction com-
me étant l'organisation interne du récit (articulations,
connexions, inter-relations ... ).
Comment se manifeste cette
fonction dans les récits?
Commençons d'abord par les commentaires que les
narrateurs tiennent sur leurs récits. Dans les quatre récits,
le narrateur des Soleils des Indépendances, à coup sûr, bat le
record en ce domaine.
Effectivement,
ses intrusions dans le
récit sont nombreuses. Elles lui permettent d'expliquer des
coutumes malinké, de commmenter certains événements, de ju-
ger ses personnages dans leurs différents comportements
et attitudes par des procédés tels que la comparaison, les
qualificatifs . . . qu'on retrouve aussi chez les autres nar-
rateurs. Ces commentaires que nous avons déjà analysés et
sur .lesquels nous ne reviendrons pas ici, donnent l'impres-
sion que ces narrateurs jouent le rôle d'un guide dans l'uni-
vers romanesque, par rapport à d'autres personnes qui

-
108 -
semblent étrangères à cet univers.
Ces interlocuteurs sont
bel
et bien les narrataires à qui les narrateurs sont sou-
cieux d'apporter le maximum d'information.
On retrouve cette même attitude chez les nar-
rateurs,
lorsqu'ils donnent des explications à l'intérieur
des parenthèses ou dans des notes en bas des pages. Ces
parenthèses ou ces notes ont pour fonction d'informer davan-
tage les narrataires. Au lieu de tout cela, les "questions com-
me celles que .l'on trouve dans Les Soleils des Indépendances.
Csav~z-vous" ceci _.? "savez-vous" cela? ;._.)" s~<2nt despr~,textes
pour donner des explications aux narrataires~
Même les dialogues n'échappent pas à l'emprise
des narrateurs. Ils s'y introduisent constamment par des
"formules comme :
"pensa-t-il",
"di t-il",
"reprit-il" ••• Par
ces expressions les narrateurs orientent ainsi le discours
des personnages des récits, normalem:ent destiné à d'autres
personnages,
c'est-à-dire~des narrataires intradiégétiques,
vers leur propre narrataire.
Enfin, avant de chercher à caractériser les
narrataires comme cela a été fait pour les narrateurs,
i l
convient de signaler des éléments de coord~nation comme
"cependant",
"donc",
"mais",
"puis" ••• que les narrate.urs
utilisent pour assurer une certaine clarté des récits. La
coordination J~d one" revient fr équemmen t
ehe z le ::'narrateur
des Soleils des Indépendances

-
109 -
Sous un orage pareil, personne, personne d'au-
tre ne pouvait arriver et les surprendre. Donc,
seuls, absolument seuls.
(p. 77)
Donc, pour réconquérir son pouvoir, Fama pos-
sédait un sorcier, un griot, de l'argent ...
(p.1i
Donc Fama pouvait vivre sans inquiétude,
tant
que Balla son affranchi respirait
(p.
123) •
Donc, acquise. Mariam sera sa chose
(p.
135).
Récapitulons:
donc,
exactement quatre boeufs
à tuer.
(p.
135)
Ce "donc" par lequel le narrateur récapitule
son récit, permet au narrataire d'avoir une meilleure com-
préhension de l'histoire.
III.
2
Double lieu de récention du message.
----------------------------~---------------
Les premiers écrivains négro-africains avaient
conscience de la limite de leur public en Afrique, public
qui était constitué d'une infime minorité de privilégiés
sachant lire (on les appelait "évolués" à l'époque cOlonia-
le), alors que la grande masse des Africains à cette époque-
là était analphabète; leurs oeuvres étaient donc destinées
à d'autres lecteurs,
c'est-à-dire à un public étranger. Il
y a sans doute beaucoup d'efforts qui restent à faire dans
le sens de l'alphabétsation en Afrique, mais le public let-
tré a sensiblement progressé dans bien des pays africains
par rapport à l'époque coloniale. En dépit de ce public qui

-
110 -
prend de plus en plus
d'importance, les écrivains afri-
cains : continuent d'aller d'abor~à la conquête de
lect~urs
-étrangers.
Il semble que les récits que nous étudions
soient destinés à deux types de lecteurs différents : un
lecteur étranger à certaines réalités culturelles africaines,
et un lecteur musulman.
Les narrateurs interviennent parfois pour expli-
quer certains mots dont la portée culturelle pourrait échap-
per à un lecteur étranger.
~~~-~~!~-~~~~~~~~~-~~~~~\\
Certains de ees mots sont d'origine arabe. Ainsi
en bas de la page 13 du Devoir de violence,
se trouve cette
explication du mot "Hégire"
:
"Il s'agit du XIVè siècle de
l'Hégire,
c'est-à-dire de la fin du XIXè siècle de l'ère chré-
tienne,
ou début XXè siècle". En fait l'''Hégire'' est dérivé
du mot arabe "hidjra" qui signifie Iifuite". Il marque l'ère
de l'islam qui commence en 622 de l'ère chrétienne. Un lec-
teur étranger,. non initié à certaines connaissances cora-
niques, pourrait effectivement faire la confusion entre le
calendrier de l'ère chrétienne et celui de l'ère musulmane.
C'est donc pour parer à cette éventualité que le narrateur
donne cette explication.
De même nous lisons à la page 16 du même récit

-
111 -
Ce ministrion fit dévotement un pélérinage à
la Mecque d'où i l revint au bout d'un an, paré
du ti tre de "El Adj"
(pélerin de la Terre SaintE
Le récit de Xala donne aussi
une explication
semblable (p.
11) en précisant que le féminin de ce mot est
"adja". C'est un mot arabe qui désigne la Mecque, ville sain-
te de l'islam où tout musulman est tenu de faire le péleri-
nage au moins une fois dans sa vie.
En s'y rendant, le péle-
rin porte du même coup le nom de la ville.
C'est un nom très
courant en Afrique (du moins dans sa partie musul'lane), son
explication n'est certainement pas destinée à un lecteur mu-
sulman. Le narrateur l'adresse plutôt à un lecteur étranger
qui est censé l'ignorer.
D'autres mots d'origine arabe tels que "Awa",
"Ramadan" sont expliqués respectivement aux pages 29 et 70
de Xala. Pour le premier mot, voici l'explication qu'en don-
ne le narrateur :
"preilière épouse, nom de la première fem-
me sur terre". Dans les familles polygamiques, les premières
épouses portent systématiquement ce nom.
Quant au mot "Rama-
dan", i l désigne le mois lunaire de
jeûne pour les musulmans.
Enfin le mot "chahâda" trouve son explication
au bas de la page 124
de L'Aventure ambiguë (c'est -"la -formu
le de la profession musulmane").
Ces mots d'emprunt sont nombreux.
et sont si
assimilés aux langues africaines qu'il est souvent difficile
de se rappeler
leur origine arabe.

-
112 -
Les mots d'origine africaine
Les mots sont parfois d'origine africaine. Xala
contient plus d'une vingtaine de mots wolof dont les expli-
cations sont données par les notes au bas des pages. En voi-
ci quelques exemples
Tubab signifie Européen
(p.
20).
Moomé est le nombre de
jours qu'un polygame
passe avec une de ses épouses (synonyme:
ay é )
(p. 3 2 )
.
Ay gaaf veut dire guigne
(p.
54).
Wëjë : coépouses
(p.
58).
Facc-ka~t : guérisseur
(p. 66).
Xatim :
écriture ésotérique
(p. 66)
.
Seet-katt : un voyant
(p. 81)
.
Këlë
récipient en bois
(p.
110).
Maam
grand-père.
Béèr
nom wolof de Gorée
(p.
125).
Le narrateur des Soleils des Indépendances
donne des explications semblables : ainsi "gnamokodé" signifie
bâtard, "Togobala" veut dire un grand campement, "ni Il est
l'âme de l'homme, "dja ll son double et "kala ll est son destin •••
Il est certain qu'un lecteur étranger trébuche-
rait sur ces mots wolof et malinké,
s ' i l ne trouvait pas
les explications ci-dessus dans les notes et les parenthèses.
Les explications portent aussi sur des réalités
sociales spécifiques à certaines régions d'Afrique comme

-
113 -
celles qui suivent
Laver son linge la nuit": période des menstrues.
Le linge réservé à cet usage n'est
jamais sé-
ché le jour. On le cache aux hommes
(Xala p.
16;
Il est bon d'être informé sur ce genre de vie
des polygames citadins, qu'on peut appeler po-
lygamie géographique, par opposition à la poly-
gamie en zone rurale où toutes les épouses et
les enfan~s vivent dans la même concession( .•• )
( Xal a p.
10 i,
Les expressions du type "vous ne savez pas par-
ce que vous n'êtes pas Malinké" servent au narrateur des
Soleils des Indépend2nces d'occasion pour expliquer certaines
coutumes malinké. On retrouve ces types d'explication dans
Le Devoir de violence sur des pratiques comme les tatouages,
l'excision, l'infibulation .••
Un lecteur étranger pourrait se demander ce que
c'est que la "Nuit du Coran". L'explication qui en est don-
née à la page 83 de L'Aventure ambiguë, résout cette diffi-
culté
Il était d'usage que, revenu près de ses parents,
l'enfant qui avait 2chevé ses études coraniques
récitât de mémoire le Livre saint, toute une
nuit durant,
en leur honneur.
Les exemples qui confirment le statut d'étranger
que nous avons attribué au narrataire,
sont si nombreux dans
ces récits qu'il serait fastidieux de continuer l'énuméra-
tian. Passons maintenant au public musulman.

-
114 -
Contrairement aux explications que nous venons
de voir,
on trouve dans les récits du Devoir de violence et
de Xala, de nombreuses formules coraniques que les narrateurs
ne traduisent pas en français.
On peut donc penser que le
narrataire est arabophone et qu'il en connaît le sens. Ces
formules étant tirées du Livre saint de l'islam, le Coran,
le narrataire en question doit en savoir la portée religieuse.
C'est pour cette'raison qu'on peut lui attribuer le statut
de musulman. Voici la traduction de ces termes.
Maschallah
! Oua bismillah
(p. 9)
(vouloir Dieu
et nom Dieu).
Selon la volonté de Dieu et au nom de Dieu.
Le narrateur de Xala prononce "bismilax"
(p.
112.
Ouallahi!
(p. 9),
et Dieu possessif • .
Mon Dieu!
(juron).
Al i f l am ( p • 16 )
deux lettres de l'alphabet
arabe.
Ya atrash !
(p.
27)
Hé sourd
!
Ouassalam
(p. 30) ,
Et paix. Il s'agit a'une formule qu'on énonce
à la fin d'un discours pour signifier qu'il n'y
a plus rien à ajouter.
Amin ,
Amen ou ainsi soi t-il..

-
115 -
La illaha illalah, la illaha illaha
(Négation possessif Dieu sauf Dieu négation
possessif Dieu possessif) •
Mahamadara souroulaio
(Mahomed
envoyé
Dieu).
Dieu est unique, Mahomed est son Prophète.
Allah akbar
(p. 65),
Dieu est grand.
Wakoul rabbi zidni ilman
(p. 80)
(et dis Dieu ajoute-moi culture),
Et que Dieu m'ajoute de la culture.
Allah harndoulilai rabbi alamin
(p.
80)
(Dieu louange Dieu, Dieu univers),.
Dieu, louange à Dieu, Maitre de l'univers.
Dans Xala, la transcription est différente à
cause de la prononciation:
"Alxarn ndu lilay"
(p.
65) •
Amina yarabi
(Amen, interpellation Dieu)
Ainsi soi t-il Seigneur .
Yallah al allah
(p.
207)
(interpellation, Dieu le Dieu),
Dieu le Dieu.
Il est évident que ces for:l1ules coraniques ex-
primées en langue arabe ne sont pas seules à caractériser
les narrataires comme musulmans. Leurs traductions en fran-
çais dans L'Aventure ambiguë et dans Les Soleils des

-
116 -
Indépendances,
sont des signes identifiables qui permettent
également à un musulman de se reconnaître dans ces récits.
L'auteur de L'Aventure ambiguë, nous dit Mercier,"a su mêler
avec art la forme de la narration classique et la forme ré-
pétitive noire musulmane"
(3). Effectivement, il est facile
à un musulman de reconnaître les chants traditionnels des
mendiants qu'on entend à longueur de
journée dans les milieux
musulmans d'Afrique,
et que le narrateur s'est efforcé de
traduire en français.
Hormis ces deux groupes de lecteurs (virtuels
évidemment), les lecteurs étrangers et les lecteurs musulmans,
i l existe des groupes moins L!lportants qu'on. peut.
consi-
dérer comme les sous-groupes des premiers, à qui les narra-
teurB font de temps en temps un clin d'oeil,
et sur lesquels
i l convient de se pencher maintenant.
Le récit du Devoir de violence par exemple con-
,
,
tient des termes exprimés en langues africaines que le nar-
rateur ne traduit pas.
Les termes de la langue peul
Allah karmin katamadjo
(Dieu
maudir
idiots)
Que Dieu maudisse les idiots •
Allanéou
(Dieu bien être)

(3) R. MERCIER,
Cheikh Hamidou Kane,
p.
14 •

-
117 -
Il s'agit d'une formule qu'on dit d?ns un con-
texte de mendicité. Au cas où l'on ne possède rien pour venir
en aide à un mendiant qui sollicite l'aumône, on prononce
la formule "Allanéou". Elle correspond à l'idée qui suit:
"Que Dieu nous donne le bien-~tre, afin que nous puissions
t'aider".
Karmadjo
! warmo
(p.
156)
(idiot 'vaut-rien'!
tue-le).
Houlmoh
! waar rèoudè
(p. 84)
(Aie peur
! Viens te rallier ou te soumettre,
ou encore payer ce que tu dois).
Les termes de la langue dogon:
-----------------------------'
iru turu inè turu
(p.
29)
(désir unité personne unité)
La volonté d'une personne.
amba kubo oumo agoum
(p.
29)
(seigneur)
Dieu pied attraper
J'attrape ton pied Seigneur.
c'est une formule qu'on évoque pour supplier.
iho yamoun
! Eyé yarni
(p. 84)
(exclamation, gâté, exclamation, gâté)
Une chose gâtée (sans valeur) •
Oum ibem min imbè :
ama yé guéré
(p.
155)
te (toi,
tu) aime, moi(je) aime Dieu faire
Je t'aime, aime-moi:
que Dieu fasse ainsi (se-
lon la volonté de Dieu).

-
118 -
Djoulé : homoh andi djitingal ? Djoulé
(Priez
qui connaît retrouvailles?
Priez)
Priez
qui sait quand est-ce que nous nous
reverrons ? Priez
Quant à l'expression "Ivlakari
! Makari
!" à la
page 111, i l s'agit d'un terme de supplication en dioula qui
signifie "pitié".
Un lecteur qui ne comprend
pas le dogon,
le peul et le dioula, pourra sans doute assimiler ces for-
mules à celles que nous avons considérées comme de
fausses
prières ou des formules de moquerie, mais i l n'en comprendra
pas la signification. Par contre, leur traduction chez le
"poulaphone", le "dioulaphone" ou le "dogonphone", permet
une lecture différente de celle du premier.
Les marques du terroir •
Bien que L'Aventure ambiguë ne contienne pas
de termes ou d'expressions en langue africaine,
certaines
images exprimées par des périphrases ont un ton typiquement
africain. On sait que les langues africaines ont adopté un
bon nombre de mots français,
anglais ••• pour désigner les
nouveaux objets apportés par les Occidentaux. Ainsi dans
beaucoup de langues nationales en Afrique francophone,
on
désigne la lampe par le terme [L a.-p~, la torche par [t:::>1?,SiJ
la bouteille par [butE..li) la boîte [b:tiJ .. On trouvera à coup
sûr de tels exemples d'emprunt à l'anglais dans les pays

119 -
anglophones d'Afrique. Mais selon les circonstances de la
rencontre des Africains et des Occidentaux, cette adoption
des termes français,
anglais . . . n'a pas toujours été pos-
sible, et l'on est souvent passé par des périphrases pour
désigner les nouveaux objets. En marka par exemple (il s'a-
git des Marka de Haute-Volta,
ceux dont parle Charles Monteil
se situent au Mali
(4), on désigne l'avion par la périphrase
[vu:-kuttu Je' est-à-dire "la pirogue qui vole". En dioula, le
vélo est nommé [n€..()E .sa], "le cheval de fer". Ce sont de
tels périphrases qui foisonnent dans L'Aventure ambiguë sur-
tout dans les récits du "fou" où les souliers sont désignés
par le terme "coques", la "carapace dure" pour la chaussée
goudronnée:
"Alentour, i l n'y avait aucun pied.
Sur la ca-
rapace dure, rien que le claquement d'un millier de coques
dures"
(p.
103). On trouve dans le récit beaucoup d'autres
périphrases telles que les "machines enroulées" ou "les co-
quilles" ou encore "l'étendue enroulée, qui se meut"
(p. 104)
pour désigner la voiture; la bicyclette est une "silhouet-
te qui s'appuie sur une jambe, puis sur une autre, pour avan-
cer . . . " (p.
104). Ces images qui correspondent à un parler
typiquement africain, visent sans doute un public spécifique
qui est censé s'y connaître.
Chacun reconnaît l'originalité du style d'Ama-
dou Kourouma. Bien que sa langue maternelle, le malinké,
soit
inexistante dans le récit (à part quelques trois ou quatre
termes ainsi que les chants de noces et de deuil qu'il a
tradui t~), il n'en demeure pas moins que "celle-ci affleure
' ... ~.....
::~:-
(4) Ch. MDNTEI~.
1977.

-
120 -
partout,
sous-tendant chaque phrase, chaque paragraphe, cha-
que chapitre,
tout le roman enfin"
(5). Les Malinké sont
un peuple où les griots (véritables professionnels de la
parole)
ont une importance capitale. Le récit des Soleils
des Indépendances regorgent de ces types de parole "grio..,.
tique", et en voici un exemple caractéristique reconnaissa-
ble par un habitué de ces sociétés, où l'on se croirait en
présence d'un griot généalogiste:
Fama Doumbo~ya ! Vrai Doumbouya, père Doumbou-
ya, mère Doumbouya, dernier et légitime descen-
dant des princes Doumbouya du Horodougou
(p. 9)
Les marques du terroir malin~é dans le récit
des Soleils des Indépendances, ne se 11mitent pas sèulement
au style de la parole griotique.
Bien d'autres expressions
comme celles qui suivent,
ont été puisées par Kourouma dans
son Horodougou natal :
Il Y avait une semaine qu'avait fini Gans la
capitale, Koné Ibrahima, de race malinké,
ou
disons-le en malinké : i l n'avait pas soutenu
un peti t rhume
(p. 7)'
Dehors les coqs n'appelait pas encore le matin,
le réveil du soleil.
(p. 31)
Dans l'après-midi, un palabre fut convoqué et
assis.
(p.
157)
Enfin,
on ne saurait omettre les nombreux pro-
verbes des Soleils des Indépendances, qui constituent aussi
une empreinte du terroir ancestral de l'auteur, à son
récit.
(5) J. -P. MAKOUTA
Introduction à l'étude du roman négro-
africain de langue française
p. 312

-
121 -
discrétion,
A renifler avec/le pet de l'effronté, il vous
j u g e san sne z
( p.
12 )
L'hyène a beau être édentée,
sa bouche ne sera
jamais un che'Jin de passage pour le cabrin.
(p.
16)
Quand un dément agite le grelot, toujours danse
un autre dément.
(p.
19)
A vouloir tout mener au galop, on enterre les
vivants, et la rapidité de la langue nous
jette
dans de mauvais pas d'où l'agilité des pieds
ne peut nous tirer.
(p.
20)
La tromperie d i t :
demain, dans le sac, ou après
le marigot
; mais jamais voilà ; alors que la
vérité montre et présente.
(p. 71)
Tant que le mur ne se fend pas, les cancrelats
ne s'y mettent pas.
(p.
142)
Où a-t-on vu un trou rempli de ficelles ne pré-
sentant pas un seul bout pour tout tirer? (p.15S
Le cougal a été pris au piège, quelles raisons
a le francolin de se
jeter et rouler à terre en
disant qu'il ne passera pas la nuit?
(p.
164)
Là où les graterons percent la coque des oeufs
de pintade, ce n'est pas un lieu où le mouton
à laine peut aller.
(p.
175)
Cette sagesse africaine, qui s'exprime à tra-
vers des réalités du Horodougou (le pays natal de l'auteur)
est un signe identifiable par un lec~eur malinké du récit
des Soleils des Indépendances.
Enfin, le récit de Xala est aussi destiné à
d'autres publics que ceux que nous avons déterminés plus haut.

-
122 -
Les interjections comme "jarn", les noms propres tels que
Il,Serigne'',
"Kaddu" .•• consti tuent également un clin d'oeil
du narrateur à ceux qui parlent le wolof. De même, un lec~
teur marxiste se sentirait probablement visé par les genres
d'expressions,
le "patron",
"capi tal amassé",
"révolution",
"communisme",
"embourgeoisement",
"formation bourgeoise",
"bourgeoi semen t" ••. qui abonden t
dans ce réci t.
L'écrivain en prenant sa plume a nécessairement
en tête une idée de son public,
c'est-à-dire des gens à qui
i l veut destiner son message. L'analyse des différ~ts signes
et indices du narrataire dans ces quatre récits a permis de
saisir dans sa complexité le lieu de réception du message
où apparaissent à la fois des destinataires étrangers et mu-
sulmans parmi lesquels (ou à côté d'eux)
se distinguent d'au-
tres destinataires spécifiques qui sont eensés parler respec-
tivement le dogon,
le peul, le dioula,
le malinké, le wolof.
Le caractère islamique
des narrataires,
comme celui des nar-
rateurs, varie d'un récit à l'autre.
lIse manifeste dans Xala
et dans Le Devoir de violence par les formules coraniques
exprimées en arabe,
que nous
nous sommes efforcé de traduire en
en français.
Quant aux Soleils des Indépendances et à L'Aven-
ture ambiguë,
c'est le style coranique des récits qui réflè-
te ce caractère islamique des narrataires.
Nous voici au terme de cette première partie
où notrê dérr{;!i:rtlié suivant le schéma tiâdl tlonllèl de l~r'é'om-

-
123 -
munication (un émetteur envoie un message en direction d'un
destinataire),
a mis en évidence la spécificité de la nar-
ration islamique à travers le roman. La double question quL
nous préoccupait au départ:
qui parle? A qui s'adresse
cette "voix" ? trouve ainsi sa réponse dans nos analyses
consacrées au rapport entre l'auteur et le lecteur, ainsi
qu'au rapport entre le narrateur et le narrataire. La dernière
question à laquelle i l convient de trouver maintenant une
réponse,
est celle qui concerne le contenu du message. Cette
question était, rappelons-le,
que dit celui qui parle?
Autrement dit,
quel est le contenu du message de la voix is-
lamique que nous venons de déterminer à travers les structu-
res narratives ?
-:-

-
124 -
~)
E U X
l E M
E
A R T . l
E
L E e 0 N T E N U
D UME S S AGE

-
125 -
Les références faites à des réalités politiques
économiques, religieuses .•• constituent le "lieu-idéologique"
du sujet, dans le rapport qu'il entretient avec le contenu
de son message. L'islam étant ici notre préoccupation premiè-
re, c'est sur lui que sera axé l'essentiel de nos investiga-
tions. Nous nous intéresserons d'abord à la vision synchro-
nique et diachronique de l'islam,
saisissable par l'étude de
l'espace et du temps,
ensuite aux pratiques collectives et
individuelles de l'islam
telles qu'elYes ressortent des
récits.
-:-

-
126 -
CHA P I T R E l
Avant d'examiner la,répartition spatiale de
l'islam, i l convient de déterminer d'abord l'espace où se
déroule l'action des récits. Ainsi on peut saisir les lo-
calisations géographiques (pays, régions, villes ... ) aux-
quelles se réfèrent les narrateurs.
1.
1
L'espace
--------------.
1.
1.1
Dakar.
De prime abord, il est difficile de situer sur
une carte géographique l'espace où se déroule l'action de
trois des romans: Les Soleils des Indépendances, L'Aven-
ture ambiguëet Le Devoir de violence. Mais Xala ne pose pas
une telle difficulté. Dès le début du récit, à la page 7,
apparaît la situation géographique:
Jamais, dans le passé de ce pays, le Sénégal, la
Chambre de commerce et de l'Industrie n'avait été
dirigée par un Africain.
Dès lors, apparaissent des infrastructures ur-
baines et le décor social d'une grande ville. Mais quelle
ville? C'est à la page 16 que le nom de la ville est lâ-
ché par Mam Fatou : 11_ Yay Bineta, tu es connue de tout
Ndakarou (Dakar)". Il s'agit donc, êomine on s'y attendait

-
127 -
de Dakar, la capitale 'du Sénégal.,.-.~v
Dakar, c'est aus-
si la ville à double façade:
d'un côté le quartier rési-
dentiel ou licité pour gens à gros standing". C'est là que
se situent les villas des épouses d'El Adji, les rues sont
asphaltées, les jardins bien taillés, les bennes des éboueurs
y
collectent les ordures du matin, les agents de la sécurité
y
déambulent paisiblement. Face à ce Dakar qui semble pai-
sible,
se dresse un autre Dakar dominé par la faim et la
misère. C'est le Dakar des mendiants, des gueux, des Iffacc-
katt" , des paillotes ou des baraques branlantes, aux ruelles
sablonneuses que doit sillonner El Adji pour trouver un gué-
risseur capable de soigner son xala. Puis le récit s'éloigne
de Dakar jusqu'à l ' î l e de Gorée, ainsi que dans le village
de Sérigne Mada :
liCe bourg qui n'avait ni boutique, ni éco-
le, ni dispensaire, ni aucun point d'attraction
"
(p.
108)
En gros, l'espace géographique de Xala,
que le narrateur
présente d'une façon dichotomique, recouvre la ville de Da-
kar et ses faubourgs.
Cette vue dichotomique de l'espace
révèle une vision marxiste chez le narrateur. En effet, à
travers l'opposition du quartier des riches et du quartier
des pauvres, de la ville et des faubourgs,
on devine déjà
l'antagonisme des deux classes sociales, celle des riches
et celle des pauvres, qui du reste constitueront une réfé-
rence constante du narrateur tout le long du récit.

-
128 -
Quant aux autres romans, un flou semble jeté
sur les références géographiques. ~à peut-on Yocaliser la
"Côte des Ebènes" ou la République Socialiste du Nikinaï ?
OÙ se
déroule l'action deS" Soleils des Indépendances. Le pays
dénommé Nakem-Ziuko dans Le Devoir de violence ou le pays
des Diallobé dans L'Aventure ambiguë suscitent le même em-
barras.
Ce n'est pas non plus le nom des villes qui fa-
ciliterait la localisation. D'ailleurs, la capitale de la
Côte des Ebènes n'a pas de nom,
ou son nom c'est la "capi-
tale" tout court. Comme toutes les grandes capitales afri-
caines,
elle garde encore quelques marques de la colonisation
deux quartiers nettement différenciés, le quartier indigène
et le quartier européen. Dans L'Aventure ambiguë, les parents
de Samba Diallo habitent"la petite ville de L ... " Cette ini-
tiale ne peut être d'aucun secours pour retrouver la ville.
Il en est de même pour certains toponymes du Devoi'rde v"io-
lence,
qui, s'ils ne sont pas une pure invention de l'auteur
(Goro,
Foto Zinko, Tillabèri-Bentia, Granta, Grosso, Gagol
Gosso),doivent être complètement enfouis sous les décombres
de l'histoire.
C'est avec certains détails des récits qu'on peut
émettre des hypothèses sur les horizons géographiques tra-
cés par ces récits. Ainsi, dans Les Soleils des Indépendan-
~, il est question de la mer, d'un port, et d'une lagune

-
129 -
que sillonnent des chaloupes.
Sur cet~e lagune, un pont qui
relie deux quartiers de la "Capi~ale". On peut penser à
plusieurs capitales:
Conakry, Dakar, Cotonou ou Abidjan ...
Suivons plutôt Fama, celui-ci doit se rendre aux obsèques
de son cousin Lacina,
à Togobala, dans un village situé
dans le Horodougou. Mais que représente le Horodougou ?
Voici ce qu'en dit un critique:
Ni une province précise, ni un Etat, mais une
expression géographiq~e dont la détermination
n'appartient qu'à l'histoire même du monde Man-
ding.
Il se présente d'abord comme une vaste
zone dans laquelle le monde manding se construit
vers le sud, à partir des XVè-XVlè siècles, en
suivant les pistes qui vont à la mer ... Il s'é-
tend,
ce Horodougou ou pays de la cola, de la
Sierra-Léone à la Côte-d'Ivoire,
soutenu par
des centres actifs comme Beyla, Touba, Séguéla ... (
Quant à Togobala
le même auteur écrit:
"C'est
un petit village de Guinée,
situé quelque part au-delà de
la fron ti ère (i voiro-guinéenne)
au Nord-ouest d' Abid jan"
(2).
L'espace décrit dans le récit des Soleils des
Indépendances,
s'étend au moins sur deux pays, peut-ê~re
trois. Ainsi la Côte des Ebènes qui connaît "Les Soleils du
capitalisme"
ferait penser à la Cô~e-d'Ivoire, la République
(1) Ch. G. WONDJI "Le contexte historique", in Essai sur
Les Soleils des Indépendances, NEA,p.21.
( 2) Ibid, p.
19.

-
130 -
Socialiste du NikinaI,~la Guinée. Il est aussi question d'une
autre République socialiste dont parle Konaté, autre com-
pagnon de voyage de Fama,
où existe un "investissement hu-
main",
où "l'échange de la monnaie" a ruiné les commerçants
(p. 89). Ces réalités historiques rappellent bel et bien
celles du Mali. Quant à la capitale, faut-il donc pensé~ ~ue
.c'est Abidjan. G.D. LEZOU l'affirme:
"L'espace circonscrit
par ces deux personnages (Fama et Salimata)
est un quartier
d'Abidjan, Treichville, relié au' quartier commercial, le
plateau par le pont Houphouët-Boigny"
(3).,
I.
1.3
Le Nakem ou le Kanem ?
----------------------------
Ce sont les mêmes types d'indices qui rendent
possible la localisation géographique dans le récit du
Devoir de violence, dont le narrateur procède parfois par
un jeu de mots pour camoufler le lieu. Par exemple on pour-
rait rapprocher le nom "Nakem" du nom d'un empire africain
qui existait du Xllè au XVè siècle et qui s'appelait le
Kanem. Le Kanem et le Bornou constituaient l'Empire du Kanem-
Bornou.
Le Kanem-Bornou a été avec le Mali et le Son-
ghaï, l'un des plus vastes empires des grands
siècles africains.
Son infuence dans les plus
beaux jours s'étendait de la Tripolitaine et
de l'Egypte jusqu'au nord du Cameroun actuel
et du .Nil au Niger (4)
G. D. LEZOU "rremDs. et E 9 pace." in Essai sur Les Soleils
des Indépendancés; NEA,' p. 38 •.
J. KY-ZERBO, Histoire de l'afriaue noire,
Paris,
Hatier,
1978, p.
158.

-
131 -
De plus, dans le récit le Nakem se situe au
Sud du Fezzan. On retrouve la même situation géographique
pour le Kanem chez les historiens de l'Afrique, le Fezzan
étant l'ancien nom de la Libye. De même, l'Aïr qui avait
pour capitale Agadès se situait au Nord-Ouest du Kanem-Bor-
nou
; comme le Tékrour, i l constituait un royaume vassal
de l'Empire songhaï.
Hormis cette situation géographique identique
du Nakem et du Kanem,
certaines réalités historiques font
penser que ces deux empires ne visent qu'une seule et même
réalité. C'est par exemple le nom des rois: les Saïfs. Se-
lon les historiens, le fondateur du Kanem s'appelait Saïf :
"La dynastie des Saïfs était au pouvoir
jusqu'à la conquête
du Kanem par les Français à la fin du XIXè siècle" (5).
L'esclavage
aussi est un trait commun du Ka-
nem et du Nakem. Vincent JVION11EIL explique, dans L'Islam~noir,
que l'Empire du Kanem-Bornou s'est toujours fondé sur l'es-
clavage. Un de ses rois a fait deux fois le pélerinage de la
Mecque, laissant chaque fois au Caire 300 esclaves. L'Empire
exploitait l'échange des esclaves contre les chevaux d'Afri-
du Nord (6). Nous retrouvons les mêmes pratiques esclava-
gistes dans le récit du Devoir de violence.
Les "anthroponymes" peuvent fonctionner aussi
(5) Ibid, p. 159.
(6) V. MONTEIL, L'Islam :,noir, p. 82-83 •

-
132 -
comme des indices de localisation de l'histoire. Mais la
plupart des noms ont plutôt une signification politique.
Prenons par exemple le protagoniste du roman
Saïf ben Isaac El Heït. Il s'agit d'un nom hybride formé
d'éléments empruntés à l'arabe et à l'hébreu. Saïf, avons-
nous dit,
signifie l'épée mais aussi la "force". Isaac est
une nom juif. Dans la Bible, Isaac est le fils d'Abraham.
Il a été sauvé par un ange au moment où son père allait le
sacrifier à Dieu. Saïf Isaac El'Heït, père spirituel de Saïf
ben Isaac El Heït a été sauvé aussi de la mort par ses pa-
rents. La double origine de ce nom se rattache à la fontion
que
jouent ces personnages dans le récit. D'abord l'origine
juive:
Saïf ben Isaac El Heït et son père spirituel sont
considérés comme des messies. Leur règne a été prédit par
-
l'imam Mahmoud, grand chérif de la Mecque.
Ee narrateur
parodie ainsi l~ messie d'Israël, par l'attribution de ce
nom juif aux deux personnages.
Quant à l'origine
arabe du nom,
elle traduit
le pouvoir ("la force l') qu'exercent ces deux personnages.
Si Saïf Isaac El Heït semble avoir été un vrai messie,
son
fils spirituel, Saïf ben Isaac El Heït en est un faux.
En
fait,
i l faut percevoir à travers ces personnages une satire
contre la démagogie des chefs d'Etat
africains qui mysti-
fient leur peuple en prônant le retour à un certain passé
glorieux de l'Afrique.

-
133 -
D'autres noms comme Raymond Spartacus Kamoussi,
Jean-sans-Terre Kamoussi, Fritz Shrobénius ... fonctionnent
comme ceux que nous venons d'analyser ci-dessus. Ce sont
des noms qui correspondent à ceux de personnages historiques
réels,
et le rôle que leur attribue le narrateur est celui
qu'ont
joué les personnages historiques concernés.
en
A côté de ces noms,
i~existe d'autres qui peu-
vent fonctionner comme indices de localisation de l'histoire.
Ce sont des patronymes comme Doumbouya, Niamba, Sawadogo,
qui sont très répandus en Afrique occidentale. Ce sont res-
pectivement des noms malinké
, sarno et mossi,
ethnies qui
se situent en Afrique occidentale.
Il existe donc dans les récits des éléments se
référant à des lieux géographiques réels qu'il est possible
de localiser sur une carte d'Afrique et plus précisément
d'Afrique occidentale.
C'est dans L'Aventure ambiguë qu'on rencontre
la plus grande difficulté pour localiser l'histoire. Il est
vrai que la deuxième partie du récit ne pose pas un tel pro-
blème :
"Juin tirait à sa fin et déjà i l faisait sur Paris
une chaleur accablante".
(p.
140~ Le nom de certaines rues
de Paris confirme cette localisation "Samba Diallo, lente-
ment descendait le boulevard Saint-Michel~ (p. 140~ On pré-
cise aussi que Samba Diallo avait vu Lucienne distribuer des

-
134 -
tracts communistes devant la porte de la "Sorbonne". Quand
i l s'agit de la France, le narrateur élimine le flou.
On
retrouve la même description précise et min~tieuse de Paris
dans Le Devoir de violence lorsque Raymond Spartacus s'y
est rendu pour poursuivre ses études.
c'est dans la première partie du récit que ré-
side la difficulté de localisation. Où se trouve le pays des
Diallobé ? Même les "anthroponymes"
qui auraierlt pu orienter
un lecteur pour situer ce pays,
sont effacés et remplacés
par des sobriquets, des titres ou des personnages d'un jeu
d'échecs comme le di t Vincent l'JIONTEIL :
"La Grande Royale",
"Le Chevalier",
"Le Fou", "Le Chef. 11 Seul le nom Thierno
permet d'imaginer qu'il s'agit d'un pays toucouleur. Le Thier-
no chez les Toucouleur, le kara..'TI;)go chez les Malinké, le
Sérigne chez les~:~W:>lof, le modibo chez les Peul, est un ti-
tre musulman que portent les marabouts lettrés, dont la plu-
par s'occupent de l'éducation coranique des enfants.
Les différents horizonsgéographiquesquecnous
avons ainsi saisis,
à travers nos analyses, dépassent res-
pectivement le cadre des nations que nous avons soupçonnées
plus haut:
Sénégal, Côte-d'Ivoire, Guinée, Mali, pays tou-
couleur. Ce sont des espaces symboliques de l'Afrique tout
entière,
ou les pays africains sont confrontés aux mêmes
problèmes, aussi bien pendant la colonisation qu'après les
indépendances. Cette vision globale des réalités africaines
apparait chez tous ces auteur~, par exemple,pour montrer

-
135 -
que le problème colonial ne concernait pas seulement le
pays des Diallobé, mais toute l'Afrique. On l i t ce qui suit
dans L'Aventure ambiguë:
ilLe pays des Diallobé n'était pas
le seul qu'une grande clameur eût réveillé un ma~in. Tout
le continent noir avait eu son matin de clameur"
(p. 59).
De même,pour les Indépendances, Kourouma écrit:
IIComme une
nuée de sauterelles les Inùépendances tombèrent sur l'Afri-
que ll • Enfin on l i t dans le Devoir de violence II que Saif,
pleuré trois millions de fois,
renaît san? cesse à l'histoire,
sous les cendres chaudes de plus de trente Républiques Afri-
c ai n es ••. Il
( p.
207).
Le flou
jeté sur les références spatiales, qui
semble être une pratique courante chez ces écrivains, est
la manifestation d'une volonté de dépasser les cadres natio-
naux pour envisager les réalités africaines d'une manière
globale. Même Xala,
malgré le réalisme de son auteur
qui
précise les références spatiale~ ne saurait se limiter au
Sénégal. Les réalités ainsi décrites au Sénégal s'observent
aussi en Haute-Volta,
au Mali,
en Côte-d'Ivoire ...
Outre l'intérêt manifeste noté au cours des
analyses qui précèdent, à savoir la détermination des ho-
rizons géographiques consti~uant le contexte de référence,
l'étude de l'espace peut aussi permettre de mieux localiser
l'islam qui est ici notre propos,
c'est-à-dire, cerner sa
répartition spatiale. C'est à cela que nous allons mainte-
tenant nous atteler.

-
136 -
1. 2
L ' i sIam env i Il e •
Comme les actions essentielles, c'est autour
de deux points principaux que se polarise l'islam à travers
les récits:
la ville et le village.
On a souvent considéré la ville comme un lieu
d'épanouissement de l'islam. Tombouctou et Djenné sont fré-
quemment évoqués par les historiens,
comme des cités ayant
permis à l'islam de prospérer. Mais dans les récits, l'es-
pace-ville ou le cadre urbain ne semble pas bénéficier d'une
telle appréciation favorable. Au lieu d'être un lieu de pros-
périté pour l'islam,
celui-ci y est plutôt confronté à des
problèmes comme le luxe, le matérialisme et la corruption
qui menacent sa spiritualité.
Cet islam de façade est illustré par les musul-
mans de Dakar. Le plus exemplaire est El Aaji Kader Beye,
qui "en bon musulman-nan-pratiquant
amena sa première épou-
en péle'rinage à la Mecque"
(Xala p.
11). Nous avons vu dans
la première partie qu'en Afrique le titre d'El Adji (au mas-
culin)
et Adja (au féminin)
confère à l'individu qui le por-
te, une grande importance et beaucoup de considération so-
ciale. Nul ùoute que c'est la conquête de cette considéra-
tion sociale qui a
poussé Kader Beye à se rendre à la Mec-
que avec sa femme,
alors que la prescription coranique as-
signe une signification spirituelle à ce devoir musulman.

-
137 -
D'ailleurs,on perçoit clairement la pique ironique du
narrateur par les qualificatifs contLadictoires (bon
musulman-non-pratiquant)
:qu'il lui attribue. La pré-
dilection aes musulmans de la ville pour le luxe
se remar-
que également au cours des cérémonies de mariage, de baptê-
me et de funérailles. Au mariage d'El Adji Kader Beye, c'est
l'apparat qui est mis en avant au détriment de la spiri"tua-
lité. Voici comment le narrateur présente la foule à ce ma-
riage
Les billets de banque flambaient.
Chacun, cha-
cune faisait étalage de son accoutrement, de
sa coiffure, de ses bijoux. Boubou lamé en ar-
gent, fils dorés, pendentifs, bracelets d'or
et d'argent brillaient aux rayons du soleil •.•
(Xala p.
12)
En islam "Les bijoux en or sont formellement
prohibés car 'al khâtem IiI nissâ'
"
(7). Les contrevenants
à cette prescription islamique sont nombreux
dans Xala. Aus-
si le narrateur ne manque-t-il
jamais de les indexer dans
leur compor"tement non conforme,
à cornmencer par El Adji qui
porte une "montre-bracelet en or". Ce sont surtout les fem-
mes qui raffolent des bijoux en or. Outre celles cui en font
étalage au mariage d'El Adji,le narrateur en signale une autre
plus loin~dont "le bras est chargé d'une semaine en or"
(Xala,p.
13). Cette descriytion mini tueuse du grand luxe chez
les musulioans dakarois est-elle pour le narrateur une
(7) A. BOUDHIBA, La sexualité en islam, PUF, p. 47.

-
138 -
exal tation de la sociét.é dakaroise, une cri tique au style
de vie bourgeois (surtout en ce qui concerne El Adji) ou
la dénonciation d'un laxisme religieux? Le contexte reli-
gieux -
car i l s'agit d'un mariage musulman - pousse à op-
ter pour la dernière éventualité, c'est-à-dire la dénon-
ciation du laxisme religieux,
surtout lorsque le narrateur
traite plus loin ce mariage de "coutume exhibitionniste"
(Xalap.37).
Ce laxisme des musulmans dakarois est aux an-
tipodes du puritanisme de Maitre Thierno Gans L'Aventure
ambiguë. Celui-ci croi t, en effet
,
Il
(. • . )
que l'adoration de
Dieu n'es~ compatible avec aucune
exaltation de l'homme,(que)
la foi est avant tout humilité,
sinon humiliation"
(L'Avent.
ambiguë,p. 33). C'est pourquoi lorsqu'il a vu Samba Diallo
,
,
"habillé de neuf, i l eut une colère terrible"
(L'Avent. am-
biguë p. 32). Il le dévêtit, le battit, et l'obligea à re-
vêtir des haillons.
Cet apparat est également frappant dans Les
Soleils des Indépenuances où les Malinké font étala5e de
boubous blancs, bleus, verts,
jaunes, "disons de tou~es les
couleurs"
(p.
11), conclut le narrateur.
Toutes ces toilettes
,
grandioses ne sont en fait qu'une façade. Aussi,uans leurs
pratiques religieuses, le narrateur les traite de faux mu-
sulmans :
"ces damnés de Malinké,
se disant musulmans"
(p.
17).

-
139 -
Ces différents comportemen~s d'ostentation ou
d'apparat qu'on remarque chez les musulmans de la ville ne
relèvent guère d'une pratique rigoriste de l'islam. C'est
pourquoi la voix des narrateurs des Soleils des Indépendan-
ces et de Xala s'élève contre eux en les traitant "d'exhibi-
- -
- - -
tionnistes", de faux musulmans qui sont "damnés", ou plus
ironiquement de "bon musulrnan-non-pra~iquant.
I.
2.2
L'islam matérialis~e ~
-----------------------------
Les préoccupations matérialis~es semblent être
l'une des caractéristiques de l'islam urbain. Les différen-
tes cérémonies musulmanes sont déviées de leur but religieux
pour servir des préoccupations matérialistes. ~ans la capi-
tale de la République des Ebènes, la fréquentation de ces
cérémonies est motivée par des intérêts matérialistes. Tel
est le cas de Fama et bien d' autY'es Malinké qu'on a surnom-
més "vautours", "charognards",
"hyènes", pour qui la fréquen-
tation des cérémonies religieuses consti~ue une occasion de
gagner de l'argent. A travers l'adage qui suit, le narrateur
condamne de tels musulmans en général et Fama en particulier:
Il
(
)
.
• •• ou a-t-on vu l'hyène déserter les environs des cime-
tières et le vautour l'arrière des cases"?(Soleils des In-
dépendances p.
17). L'hyène,
ou le vautour, c'est évidemment
Fama, mais aussi tous les autres Malinké qui font des funé-
railles,
baptêmes et mariages musulmans un gagne-pain.

-
140 -
Les dépenses excessives occasionnées par le
mariage d'El Avji Kader Beye, et qui feron~ péricliter ses
affaires, donnent une idée de l'importance du matérialisme
chez les musulmans de la ville : somptueux cadeaux de ma-
riage
(même une voi ture), fête grandiose ••.
Cette même vision de la ville qui écarte le
musulman de ses préoccupations pieuses ~e retrouve chez le
narrateur de L'Aventure ambiguë., Dès la peti te ville de "L",
la foi de Samba Diallo commencera à
Vaciller .. Dieu n'est
plus tellement évoqué à ~ravers les prières comme il l'était
au pays des Dialobé, mais seulement au travers des débats
philosoph;i:qu_es ~ntre.lui et son père. C'est dans la grande
ville de Paris que cette crise de foi sera ~otale : ·Dieu dB-
.
-.'
~.:.,-
vien~_complèt~ment celui des philosophes. Samba Diallo ne
se préoccup~_p~usde ~~ priè~~_9u'il oublie;~e faire et qu~­
i l refusera de faire par la suite.
Il existe plusieurs sortes de marabouts en
Afrique. Parmi eux, figure une catégorie o~ l'on ne croise
qui
parfois Que des escrocs et/pullulent dans les centres ur-
bains. Leurs prétentions sont nombreuses
: guérir les ma-
ladies les plus incurables,
éloigner le mauvais sort, ren-
dre riche,
changer des feuilles en billets de
banque .•.
Mais dans la réalité, leurs préten~iüns ne sont guère fondées.

-
141 -
Ce n'est pas El Adji Kaaer Beye qui dira le contraire, lui
qui en a connu toute une kyrielle afin de soigner son xala;
mais leurs prescriptions ne lui auront été d'aucun secours.
Au contraire, ils auront contribué à sa ruine,
en exigeant
des honoraires on ne peut plus élevés
A la vue de sa Mercedès, nous dit le narrateur,
stationnant devant les paillotes,
ou les bara-
ques
branlantes et de sa tenue européenne, cha-
que facc-katt co~prenait que son patient possé-
dait un standing élevé. ün lui demândait des
honoraires bien forts,
bien rondelets
.
(Xala p. 66)
Pourtant leurs ciires ne sont pas concordants,
ils sont si contradictoires,
qu'ils ne méritent aucune cré-
dibili~é. Le narrateur en les stigmatisant comme il suit,
montre qu'il ne s'y fie pas:
Chacun des doctes élaborait une explication.
Les uns disaient qu'il était victime de la
jalousie d'une de ses épouses (..•)une femme
de taille moyenne, voire peti te (.•. ) un autre
des charlatans usait aousivement du nom de
Yalla, puis certifiait que c'était l'oeuvre
d'un collègue (... ) un gars de forte taille, le
teint noir, pas trop.
(Xala p. 66-67).
Le "marabout-sorcier" de Salimata dans Les
Soleils des Indépendances, Hadj Abdoulaye, qui "cassait et
pénétrait dans l'invisible comme dans la case de sa maman
et parlait aux génies comme à des copains"
(Les Soleils
des Indépendances p.
66), figure dans la même catégorie.
Non seulement ce "bouc"
(ainsi l'appelle le narrateur par-
ce qu'il est débauché) ne réussira pas à guérir la stérilité

de l'hérolne, mais encore il tentera d'abuser d'elle.
La dénonciation du mensonge des uns et de la
dépravation des autres, reflète la désapprobation r';des-
narrateurs Yls-à-vis de ces pratiques _.
Contrairement à l'islam urbain confronté aux
graves problèmes évoqués plus haut, l'islam au village bé-
néficie d'une certaine faveur des narrateurs. C'est un is-
lam qui garde encore intacte sa spiritualité; en témoignent
dans Les Soleils des Indépendances, les lectures et récita-
tions coraniques des marabouts de Togobala, leurs prières
quotidiennes, leurs cérémonies dont la religiosité provo-
que même la jalousie des génies Malinké et sur laquelle le
narrateur s'extasie ~vec une certaine pique ironique.
( ••. )tous communièrent dans une seule prière
pour obtenir la clémence d'Allah et des aïeux.
Quelle solennité! quelle dignité!
quelle
religiosité! C'était si extraordinaire pour
des Malinké que leur génies s'indignèrent et
un maléfique tourbillon déboucha du cimetière( •.•
(Les Sol. des Indépend. p. 146).
Cette atmosphère d'intense religiosité se re-
trouve aussi dans le village de Serigne Mada où les prières
sont strictement accomplies:
ilLe muezzin avait appelé à la
1
prière de Takkusan, de Timis, et à celle de Géewe
(~JP.109)
1
1
1
1

-
143 -
Manquer à ce devoir musulman,
est pour Serigne Mada into-
lérable,
c'est pourquoi i l le reproche aux citadins (El Adji
et Modu)
qui ont préféré le sommeil à la prière.
La spiritualité dans le village de Samba Diallo,
atteint un sommet inégalé. Les récitations de versets cora-
niques, les litanies quotidiennes des élèves à la quête de
leur pitance, baignent le village dans une atmosphère d'in-
tense religiosité:
La paix de Dieu soit sur cette maison. Le pau-
vre disciple est en quête de sa pitance jour-
nalière. La phrase, chevrotée plaintivement par
Samba Diallo fut reprise par ses 0rois compa-
gnons.
(L'Aven0ure ambiguë p. 2))
Il n'y aucune commune mesure dans la religio-
sité entre ces chants et ceux du mendiant de Dakar. Si Samba
Diallo parvient à
émouvoir
les Diallobé par le contenu
de ses imprécations, les complaintes du mendiant de Dakar
n'ont aucun contenu religieux,
du moins le narrateur n'en
fait pas
cas. Les passants sont attirés uniquement par
la mélodie de sa voix:
"Modu goûtait avec raffinements les
passages vocalisés"
(Xala,p. 48). Il en est de même pour
le vieux Babacar qui "prêtait l'oreille au chant du mendiant.
Il étai t
charmé.
'Quell e voix magnifique',
se di sai t-il "
(Xala,p. 58). Plus loin à la page 121, le mendiant demande
à Modu :
-
Est-ce qu'El Adji est dans son bureau?

- ,Iult-
-
Ahan
-
Je vais donc baisser la voix.
Enfin à la page 151,
"Le mendian1; entonna sa
complainte, la pose distante,
fière".
Au lieu'd'émouvoir
les coeurs comme chez Samba Diallo, les complaintes du men-
diant accompagnent les pieds :
"Le chant montait en spirale,
s'élevait, puis se rabattait au ras du talus comme pour ac-
compagner les pieds des marcheurs l1
(Xala p.
48). Contraire-
ment aux complaintes religieuses,
on a l'impression ci'avoir
à faire à un véritable chant de marche (révolutionnaire ?).
Ce n'est pas par hasard que ce chant dérange El Adji,
"ie
seul qui trouvait le mendiant agaçant et qui main1;es fois
l ' avai t
fait rafler par la police Il (Xala p. 49). Nous revien-
drons plus loin sur le rôle politique du mendiant,
et la
signification de son chant. Mais i l était nécessaire de le
différencier des litanies pieuses de Samba Diallo et de ses
condisciples.
Enfin i l convient de men1;ionner les conversa-
tions des villageois, n01;amment celles du Maitre Thierno,
qui manifestent la conServation de la spritualité dans le
cadre villageois, car elles portent toujours les marques
de la religion. Dans le village de Samba Diallo, deux hom-
mes et IJjaitre Thierno IlS' étaient longuement en1;retenus des
sujets les plus divers,
mais leurs propos revenaient régu-
lièrement sur un sujet unique : celui de la foi et de la
plu s gran d e g loi r e de Die u "
( L'Aven t. am b i gu ë p.
19) •
1
1

-
145 -
!~_L~~ __g~_~§~§~~~~~g~_f§~~~§~!~_~~~
!~~-~~!!§g~~ •
Face aux marabouts-escrocs des villes, il en
existe une autre catégorie dans les villages, pour laquelle
les narrateurs manifestent de la sympathie. Ce sont des per-
sonnages charismatiques, d'un grand renom de science et de
piété, tels Serigne Mada, Maître Thierno, qui sont de véri-
tables guides spirituels pour leur communau~é. En ou~re, ils
dirigent souvent une école coranique comme c'est le cas pour
ces deux marabouts. Les narrateurs ne leur attribuent aucu-
ne caractérisa~ion péjorative comme ils le font pour ceux
de la ville. Au contraire, Maître Thierno est considéré com-
me un "saint homme" et Serigne j'iada comme un "docte". Mais
la position qu'a" Sembène su~ CB type de marabout~ge diff~re
de celle de Kane et ces deux vues paraissent même s'opposer.
En effet, l'érudition de Maître Thierno est entièrement orien-
t~e vèrs la~recherche de Dieu et méprise le corps,-t~n~is
que-
celle de Serigne Mada vise essentiellement la san-
té du corps: l'une purifie l'âme pour lui perme~tre d'ac-
soigne
céder à Dieu, l'autre/le corps pour lui procurer la santé.
L'austérité, la trop grande austérité de l'éducation de
Maître Thierno (en~re autres punitions qu'il inflige à ses
élèves, i l leur brûle la peau avec des bûches ardentes) ain-
si que les nombreuses souffrances corporelles qu'il s'impose
lui-même par macération, n'ont pas d'autres desseins que
d'alléger l'âme des faiblesses du corps afin de rendre

-
146 -
possible son ascension vers Dieu. Quant à Serigne Mada,
son prestige est dû à son don ae bon guérisseur et non à
un quelconque ascétisme.
Comme El Adji, les ge~s courent
à lui, venant de contrées lointaines pour se faire soigner
de leurs maux.
Enfin, malgré des piques ironiques de Kou-
rouma à l'égard de certains marabouts de Togobala ("le mara-
bout grogna un soufflant
'bissimilai', mais bafouilla le
titre du sourate
... grasseya le nom du verset
. . . "),
(Les Soleils des Indépendances p.
119), ceux-ci n'ont pas
de commune mesure avec les "maîtres-escrocs" de la ville.
Si leur "barka" ou charisme ne les hausse pas au niveau de
Serigne Mada o~iMaître Thierno, on reconnaît quand même leur
intention de piété à travers leurs pratiques religieuses.
De cette vision synchronique relevant de l'é~u-
de de l'espace, quel que soit le moment historique ou on se
si tue, i l ressort une dichotomie entre la ville et le villa-
ge qui sont deux lieux renfermant des réalités islamiques
différentes. Le contexte urbain est déprécié,
et l'islam
y est confronté à de graves problèmes qui menacent 'sa spi-
ritualité. On peut expliquer cette vision des narrateurs
de la façon suivante. L'Afrique dont le processus d'urbani-
sation s'est accéléré à partir de la0colonisation,
s'occi-
dentalise de plus en plus.

-
147 -
La ville demeure
ai~si un élément important de cette oc-
cidentalisation. Or l'Occident, nous ait le Chevalier dans
L'Aventure ambiguë,
"a commencé timidement, par réléguer
Dieu 'entre guillements'. Puis, deux siècles après, ayant
acqui s plus d' assuranc e,
i l décréta :
'IDieu e st mort" ".
C'était le début de l'industrialisation de l'Occident. L'in-
dustrialisation de l'Afrique aussi a commencé et c'est sur-
tout dans les villes qu'elle prend de plus en plus d'impor-
tance. Les mêmes causes engendrent les mêmes effets: l'im-
plantation d'un cadre de vie à l'occiden~ale, telle que la
ville en Afrique,
en plus des commodités qu'elle peut offrir,
comporte
également certaines conséquences inévitables.
Rien ne pourra préserver la "sacro-sainte-solidarité afri-
caine" dans les villes.
D'-ailleurs,comme en Occident,
c'est l'indivi-
dualisme qui commence à se généraliser dans les villes, c'est
pourquoi Eza Boto déplore que "l'on danse dans une case lors-
que Qans la case voisine on pleure un mort dont le cadavre
n'est pas encore mis sous terre"
(8). La prestigieuse
"grande famille africaine"
s'effrite de plus en plus au pro-
fit de la famille restreinte. Tout ceci est dû aux nouvelles
réalités sociales ainsi créées dans les villes qui ont des
exigences auxquelles il est difficile de se soustraire.
Il va sans dire que les villages africains
aussi s'occidentalisent. Mais l'impact du phénomène n'y a pas
(8) Eza BaTa, Ville cruelle, PA, p.
19-20.

-
148 -
la même importance qu'en ville. C'est pourquoi ces vill~ges
demeurent aujourd'hui encore le bastion de la culture tra-
ditionnelle africaine. Le succès de l'islam au village vient
du fait qu'il s'est enraciné sur ces vieilles croyances
qui en constituent le rempart. L'exemple de Togobala montre
bien comment fétiches et Coran se complètent pour la satis-
faction e~ le plus grand bien du musulman Malinké •
... /

-
149 -
CHA P I T R E
l
l
LA VISION DIACHRONIQUE DE L'ISLAM
---------------------------------
Comme pour la vision synchronique de l'islam
où nous avons d'abord déterminé
le contexte de référence
de l'histoire, i l est également indispensable en ce qui con-
cerne la vision diachronique d'examiner au préalable le
temps de l'histoire. Il arrive que des narrateurs précisent
le temps de l'histoire par des dates mentionnées dans leur
récit. A défaut de ces signes temporels, i l faut se réfé-
rer à des indices, tels
certains faits historiques,per-
mettant la détermination du temps de l'histoire. On y par-
vient facilement dans le récit du Devoir de violence qui
contient plus d'une trentaine de dates. L'histoire commen-
ce en "l'an 1202 de notre ère" et s'achève le soir du 17
juillet 1947, sept cent quarante-cinquième anniversaire de
la fondation de l'Empire du Nakem
(Le Devoir de violence,
p.
191). C'est donc une histoire très vaste qui s'étale sur
plusieurs siècles.
Il est difficile de déterminer avec la
même précision le temps de l'histoire des autres récits.

-
150 -
Par exemple dans Xala et dans L'Aventure ambiguë, aucune
date n'apparaît. Il faut donc se référer à d'autres points
de répère temporels.
Deux dates sont mentionnées dans le récit des
Soleils des Indépendances:
1905 et 1919. La première, c'est
la date de naissance de Fama, la seconde est un souvenir
d'enfance où Fama à quatorze ans, vit pour la première fois
le génie protecteur de son village, un serpent qu'on appe-
lait le Révérend:
"Fama se souvenait encore de l'entrée
du Révérend, un vendredi de l'hivernage 1919"
(Sol. Qes
Indépend. p.
162). Ces dates,
on le voit,
sont rétrospecti-
ves par rapport au temps de l'histoire du vieux Fama dont
i l est question.
Les contours de l'espace géographique auquel
se réfèrent ces récits - nous l'avons vu -
demeurent vagues
et i:oprécis. Le temps de l'histoire révèle la même impréci-
sion. Il sera donc plus aisé de déterminer les moments pré-
cis de l'Histoire africaine auxquels appartiennent les ré-
cits. Ces moments serviront ainsi pour dégager une certai-
ne vision des narrateurs de l'islam africain.
Le plus facile à situer aans cette histoire est
évidemment le récit du Devoir de violence. De 1202 à 1947,
ce récit traverse deux époques importantes en Afrique
l'époque prècoloniale et l'époque coloniale. Quant à

)
-
151
-
L'Aventure ambiguë, le noeud du problème étant l'implan-
tation de l'école étrangère en Afrique, i l ne s'agit que
de l'époque coloniale.
Pour localiser les deux autres romans : Les
Soleils des Indépendance's et Xala,
on doi t recourir à cer-
taines réalités des récits. Les partis uniques,
qu'ils soient
d'obédience socialiste ou capitaliste, les complots, les
coups d'Etat,
les arrestations politiques et emprisonnements
arbitraires, nous voilà de plain-pied dans l 'histoire de
l'Afrique des années soixante,
c'est-à-dire IIl es soleils des
Indépendances ll •
Enfin, une séquence rétrospective du récit de
Xala,expliquant l'origine de la fortune d'El Adji,
situe
l'histoire après l'indépendance d.u Sénégal:
IIVint l'indé-
pendance du pays. Avec son petit capital amassé,
ses rela-
tions,
i l fit cavalier seul ll
C!è,p. 9) •
Trois moments importants de l'histoire africai-
ne apparaissent ainsi à travers ces récits:
l'époque pré-
coloniale, la colonisation et l'indépendance. A chacun de
ces moments correspondra un visage particulier de l'islam.
L'époque précoloniale peut être scindée en
deux
la période pré-islamique et l'apparition de l'islam.
II.
1.1
La période pré-islamigue •
------------------------------ --

-
152 -
La période pré-islamique n'apparaît dans les
récits qu'à travers des séquences rétrospectives (souvenir
de Fama)
ou par des éléments culturels de l'animisme qui
ont survécu à l'islamisation. On peut en saisir trois traits
principaux:
l'adoration des fétiches, le monde des Ancêtres,
la crainte des génies.
C'est à travers l'histoire de la aynastie des
Doumbouya,
que Fama évoque en souvenir, qu'on peut se faire
une idée des pratiques animistes de l'époque pré-islamique.
A l'arrivée du marabout Souleymane au Horodougou pré-isla-
mique les pratiques animistes battaient leur plein. "Féti-
ches et masques dansant et criant sur les places et chemins"
(Les Sol. des Indépend.,p. 100), on proposa au marabout de
se cloîtrer pendant huit
jours, le temps que durent
les
cérémonies fétichistes. Cette croyance aux fétiches persis-
te de nos
jours même dans les milieux les plus islamisés.
C'est pourquoi à Togobala, même sous les soleils des Indé-
pendances,
"( ••. )tout le monde se dit et respire musulman,
seul chacun craint le fétiche"
(Les Soleils des Indépend. p.108~
Alors, les sacrifices et autres pratiques fétichistes sont
multiplés
par Fama dès son arrivée à Togobala.
Balla l'incroyant du village rappela à Barna
les pratiques d'infidèles. En dépit de sa foi
profonde au Coran, en Allah et en Mahomet, Fa-
ma toute la nuit dans une petite case se re-
croquevilla entre de vieux canaris et un cabot
galeux
(p. 109) •

-
153 -
Parfois ce sont des animaux qui sont adorés;
Les Malinké du Horodougou le savaient bien,
ils pratiquaient la Givination,
et pas avec
les méthodes prescrites par Allah. Parce que
musulman dans le coeur, dans les ablutions,
le fétiche Koma leur devait être interdit.
Mais le fétiche prédisait plus loin que le CO-
RAN
; aussi passaient-ils la loi d'Allah,
et
chaque harmattan,
le Koma dansait sur la place
publique pour dévoiler l'avenir et indiquer
les sacrifices. Et quel village Malinké n'a-
vait pas ses propres devins? Togobala,
capi-
tale de tout le Horodougou,
entretenait deux
oracles: une hyène et un serpent.
(Les Sol. des Indépend.~p.161)
Le narrateur des Soleils des Indépendances
stigmatise ces croyances fétichistes,
telles qu'elles sont
pratiquées par Balla et Tiécoura. D'abord le portrait qu'il
nous fait respectivement de ces deux féticheurs est si re-
poussant et épouvantable qu'il ne dénote aucune sympathie
à leur égard. Voici comment apparait Balla:
Soudain une puanteur comme l'approche de l'anus
d'une civette,
Balla le vieil affranchi était
là. Gros et gras,
emballé dans une cotte de
chasseur avec des débordements comme une rei-
ne termite( ..• )Des mouches en essaims pi-
quaient uans ses cheveux tressés et chargés
de gris-gris,
uans les creux des yeux, dans
le nez et les oreilles.
(Les Sol. des Indépend. (p.
114).
Le féticheur Tiécoura est aussi répugnant
Tiécoura Gans la réalité nue,
était un bipède
effrayant, repugnant et sauvage. Un regard
criard de buffle noir de savane. Les cheveux
tressés, chargés d'amulettes, hantés par une
nuée de mouches.
(Les Sol. des Indépend. \\p. 38) ..

-
154 -
La croyance aux fétiches,
est un moyen pour
ces deux personnages grotesques d'abuser et d'escroquer
leurs concitoyens. Par exemple,Balla est "le plus riche,
le plus craint, le mieux nourri"
(p.
116), parmi les Ma-
linké de Togobala.
Sa ruse ou son IIsecret" nous dit le
narrateur est qu'il ne manque
jamais d'occasions pour
ex-
torquer les biens de ses concitoyens :
"Pour les malheurs
éloignés ou non; pour les maladies guéries ou non; l'on
paie toujours le poulet, le bouc"
(p.11ô).
Plus qu'un escroc, le féticheur Tiécoura est
véritablement un ignoble individu, un personnage vil et cra-
croire
puleux. On a beau vouloir faire/à Salimata que c'est un gé-
nie qui l ' a violée, celle-ci reste convaincue que c'est
Tiécoura qui en est l'auteur.
Salimata avait bien vu l'ombre d'un homme, une
silhouette qui rappelait le féticheur Tiécoura.
C'était dans la case du féticheur qu'elle é-
tait couchée, i l avait rôdé toute la journée
autour "pour éloigner les chiens". Dans la nuit,
i l était revenu, avait écarté la na~te de la
porte, avait salué Salimata et la matrone qui
l'assistait. C'était quand la matrone s'était
endormie, que le sommeil avait vaincu les pau-
pières de Salimata, que la lampe avait été
soufflée, qu'on s'était
jeté sur ses parties
douloureuses
; les jambes avaient été piéti-
nées, l'ombre s'était échappée par la porte
quand Salimata avait crié.
CP. 38)
Les féticheurs dans Le Devoir de violence sont
de la même espèce que ceux que nous venons de voir. Le sor-
cier Dougouli, par exemple, est un escroc comme Balla
(il
a exigé que la pauvre Tambira lui paie un coq et deux moutons

-
155 -
pour la réussite de ses enfants à leurs examens), un cri-
minel comme Tiécoura (il a violé Tambira).
D'autres sorciers qu'on retrouve dans ce récit,.
tels Wampoulo, Kratonga,
Sankolo, ne sont en fait que des
assassins, des tueurs professionnels recrutés par SaIf.
D'ailleurs, le narrateur démyt~ifie leurs pratiques féti-
chistes à commencer par Saif qui fait croire à son invul-
nérabilité que lui procure ses fétiches.
En réalité, il
s'agit souvent d'un simple hasard que SaIf exploite pour
mystifier les Nakemiens. Ainsi il voudra faire croire à la
puissance de ses fétiches lorsqu'un "sorcier ( ..• ) tira un
coup de fusil sur lui,
et se retournant à ce moment précis
vers Toma fumante,
évita sans le savoir la décharge"
(Le
Devoir de violence p. 40). De même, le narrateur dénonce
,
par la voix de l'évêque Henry, les pra~iques des sorciers-
tueurs de SaIf
Ben Isaàc El Heït. S~lon l'év~que Henry~
ces sorciers ne sont que des "botanistes éprouvés"
: ils
élèvent des serpents qu'ils nourrissent de poison, puis
par des procédés très complexes, utilisent ces reptiles
pour assassiner leurs ennemis.
Enfin dans Xala, l'incapacité des guérisseurs
,
- -
à soigner le "xala" d'El Adji est une façon pour le narrateur
de les condamner,
surtout à cause de leur cupidité dont
nous avons parlé plus haut:
"f'lalgré leurs
'prescriptions',
leurs 'décoctions', leurs
'onguents'
et leur
'xatim' ou à
cause de tout cela, i l n'y avait aucun symptôme d'amélio-
ration"
(p~aQ).

-
156 -
Il existe d'autres pratiques fétichistes dans
les récits, qui témoignent des croyances animistes de cette
époque où l'islam n'avait pas encore conquis l~Afrique. Les
narrateurs en condamnent les aspects négatifs
à t r a -
vers leurs survivances multiformes dans la culture de l'Afri-
que moderne.
A l'inverse de ces pratiques néfastes, la divi-
nation semble
jouir d'un grand crédit chez ces narrateurs.
Bien que la position de celui du Devoir de violence ne soit
pas clairement exprimée,
on peut interpr~ier l'attitude de
ce dernier comme une tolérance sinon une faveur qu'il ac-
corde aux pratiques divinatoires. Un sorcier de ce récit,
le sorcier Dougouli, par des procédés divinatoires, promet
à Tambina le succès de ses enfants à leurs examens, à con-
dition que celle-ci accepte de coucher avec lui. Tambina
refuse en donnant une belle gifle
au sorcier qui voulait
la forcer. Mais le sorcier finit par abuser d'elle. Aus-
sitôt après,Tambina meurt. Mais tous ses enfants "furent
reçus au c erti fi cat d'étude sIr
(Devoir de vi olence p.
151)
Est-ce un simple hasard,
ou la réalisation de la prophétie
du sorcier ? La coïncidence est en tout cas extraordinaire
Mais dans le récit ue Xala, le doute n'est plus
permis. Contrairement aux caractérisations péjoratives des
marabouts,
sorciers, et autres guérisseurs dont nous avons
parlé plus haut, i l existe dans ce récit un "seet-katt cau-
riste", c'est-à-dire un voyant qui utilise le système de

-
157 -
divination par les cauris,
et pour qui le narrateur mani-
feste de l'estime et dont i l semble ca~tionner la pratique.
Le voyant est présenté comme un homme intègre. Ainsi, lors-
qu'El Adji tente de le corrompre avec de l'argent, i l ré-
plique "avec beaucoup de suffisance dans le ton; - Je ne
prends que ce qui m'est dû"
( p . 85).
Effectivement,
malgré les liasses de billets de banque qu'El Adji fait mi-
roiter sous ses yeux, i l ne réclame pour son travail que
la modique somme de "cinq cents francs CFA !". De plus ses
dires semblent crédibles. En effet, avant la consultation,
i l a remis des cauris à El Adji Il -
Prends et souffle sur
ce qui t'a amené ici( ••. )El Adji souffla sur les cauris et
les rendit"
(
8 )
A la fin de la consultation, le
p.
3

voyant dévoile à El Adji ce que celui-ci avait murmuré:
" - Tu ne m'as demandé que le nom de celui qui t'a 'noué
l'aiguillette' ( •.• ) -
Oui, c'est ce que
j'ai soufflé sur
les cauris, reconnut El Adji"
( p. 85 ) •. Encore une au-
tre de ses déclarations qui paraît vraisemblable concerne
l'auteur du xala. D'abord i l prévient El Adji qu'il ne
parvient pas à distinguer s ' i l s'agit d'un homme ou d'une
femme
(il aurait pu mentir comme les autres).
"Mais je peux
t'affirmer que c'est quelqu'un de ton entourage" ( p. 85 ).'
La fin du roman confirme également cette parole, car le
mendiant qui est l'auteur au xala,
est quelqu'un de l'en-
tourage d'El Adji. Lorsqu'El Aaji le faisait rafler par
la police, celui-ci
"revenait reprendre sa place. Un coin
qu'il semblai t
affectionner"
( p.
48)
, non loin du bu-
reau d'El Adji.

-
158 -
Le récit des Soleils des Indépendances, bat
le record dans le aomaine de la aivination. On y trouve
divers systèmes de divination:
l'oracle, le rêve prémo-
nitoire, la retraite sprituelle, l'interprétation des si-
gnes naturels ...
c'est le-système de divination par l'oracle
qui a la plus grande occurrence dans ce récit :- l'arrivée
de Moriba Souleymane au Horodougou a été annoncéepar un
oracle.
Un marabout, un grand marabout arrivera du
Nord à l'heure de l'ourebi. Retenez-le!
retenez-le
! Offrez-lui terre et case. Le
pouvoir, la puissance de toute la province
ira partout où i l demeurera, lui et ses
descendants.
(Les Sol. des Indépend. p. 99)
Cette prophétie se réalisa comme cela a été
prédit par l'oracle. Souleymane est arrivé au Horodougou,
i l a fondé la dynastie des Doumbouya à Togobala qui "s'é-
tendit, prospéra comme une termitière . . . "
(p.
100)
Le second oracle prédit à Bakary, un des des-
cendants de Souleymane Doumbouya, la puissance, le déclin
et la fin de la dynastie des Doumbouya. Bakary se trompe
sur l'interprétation de la prophétie. C'est Fama qui y
parvient: la fin de la dynastie des Doumbouya n'est pas
pour le
jour du Jugement dernier (comme le croyait Bakary)
mais elle se situe à l'époque des Indépendances où la
mort de Fama confirme les dires de l'oracle.

-
159 -
Les Malinké de Togobala entretiennent deux
oracles :
"une hyène et un serpent-boa" dénommés respec-
tivement "L'Ancienne" et "Le Révérend". Le Révérend a
annoncé la peste au Horodougou. Hais comme les habi"tants
de Togobala étaient prévenus par l'oracle, ils purent à
coups de sacrifices s'en sortir à moindres frais.
Quant
à L'Ancienne, la vieille hyène, c'est elle qui a annoncé
la mort de Balla.
L'interprétation des signes naturels est aus-
si un procédé divinatoire très répandu dans ce récit. En
voici quelques exemples
Fama décide de retourner Gans
la "Capitale" auprès de Salimata son épouse.
Mais, et cela ne s'était jamais vu en plein
harmattan dans le Horodougou, des nuages
assombrirent le ciel vers le milieu GU jour,
des tonnerres grondèrent et moururent du
côté où était par~i Fama. En vérité, conclut
le narrateur, un maléfique déplacement
!
(p.
153)
Effectivement,
à son arrivée Gans la "Capita-
le", Fama est arrêté et incarcéré.
De même la mort de Balla et celle de Fama sont
présagées par la nature. A la mort de Balla, i l avait cessé
de pleuvoir penuant qua"tre
jours,
ce qui était inhabituel.
Le cinquième jour, l'atmosphère devint étrange. Un grand
silence extraordinaire régnait sur la nature:
les oiseaux
ne chantaient plus, les vautours ne volaient pas non plus.

-
160 -
Les devins comprirent :
on alla ouvrir la porte de Balla,
le vieux féticheur était mort.
La mort de Fama fut plus tragique: Elle eut
pour consé·quenc~ une agi tation _inhabi tuelle. Lorsque. l~_-:.
crocodil.e :-le ..bl-essa,
i l pOUssa un .cri • _ ,".
Et comme toujours dans le Horodougou en pareil-
le circonstance, ce furent les animaux sauvages
qui les premiers comprirent la portée histo-
rique du cri
..• Ils le montrèrent en se compor-
tant bizarrement.
. _.~_ . ( p. 200)
Les oiseaux poussèrent aes cris sinistres,
les fauves
foncèrent sur les cases des villages, les cro-
codiles sortirent de l'eau et s'enfuirent dans la forêt ...
Il existe dans le récit d'autres systèmes de
divination dont le succès révèlent le crédit que le narra-
teur leur àccorde,
et i l serait fastidieux de les énumérer
tous. Entre autres,
on y trouve l'interprétation des rêves
prémonitoires (c'est d'ailleurs le chef d'i~culpation qui
conduit Fama en prison), la retraite spirituelle du mara-
bout Abdoulaye, qui permettra à ce dernier d'entrevoir des
déboires avec Salimata ainsi que le coup de poignard dont
il sera lui-même victime.
Comme Amar S~mb, Ouologuem,
Sembène et Kourou-
ma semblent admettre qu'il existe des "dons supérieurs" chez
certaines personnes leur permettant d'entrevoir l'avenir:

-
161
-
( ••• )Certains cris,
ou signes particuliers dans
le comportement d'animaux comme le chien oui
hurle à mort ou les rats qui quittent un bâ-
teau avant le naufrage, de tels signes prémoni-
toires doivent se trouver chez certains êtres
humains (1)
Ces modes de connaissance de l'avenir ne sont
pas spécifiques à l'Afrique. Bien qu'ils ne soient pas fon-
dés sur des cri tères scientifiquei1ent vérifiables, ils sont
admis comme tels, on les retrouve chez tous les peuples du
monde, depuis les temps les plus reculés. Mais ce sont des
pratiques qui comportent souvent de très graves dangers,
des abus contre lesquels les narrateurs semblent mettre en
garde par la dénonciation qu'ils en font,
tels que l'escro-
querie, l'immoralité des devins, parfois même l'empoison-
nement ,
~urtout qu'elles constituent les occupations fa-
rites des marabouts (2).
b)
Le monde des ancêtres
---------------------
Il apparaît dans les réci~s comme un monde
invisible aux vivants,
où reposent les mânes des morts qui
peuvent influencer de diverses manières
la vie des hommes.
Devant les difficultés de la vie qui le submergent,
Fama
implore les mânes
(1) A. SAMB
"T,ps 8vstp.mes de divination en Afrique noire"
in ~l;nlotiiques, n-o 15,' Ju{ilèi 1~tf, ·p·.}S- .
(2) Les témoignages qu'on entend souvent sur ces pratiques
divinatoires sont effrayants et parfois macabres : dis-
cordes, divorces, ruine,
empoisonnement, assassinat •••
qui en découlent,
sont malheureusement le lot quotidien
des populations africaines d'aujourd'hui. Kourouma nous
a confié qu'un de ses cousins qui réside à Abidjan se
fait passer pour un grand marabout-voyant. Il est ainsi
devenu millionnaire, multimillionnaire!
en s'enrichis-
sant frauduleusement sur le dos des ministres, députés

-
162 -
Aïeux ! grands Doumbouya !
je tuerai des sa-
crifices pour vous( •. )mais extirpez l'illéga-
lité, la stérilité, tuez l'indépendance et le
parti unique
(Les Sol. des Indépend.,(p.
121).
Dans le Horodougou, la faveur des ancê"tres s'ob-
tient avec du sang,
beaucoup de sang dont ceux-ci raffolent.
Seulement Fama devait tuer des sacrifices aux
mânes des Aïeux. Les prières coraniques et
même le Paradis sont insuffisants pour conte-
nir les morts Malinké,
surtout les restes des
grands Doumbouya. Des sacrifices, beaucoup,
beaucoup de sang
; les sacrifices sont tou-
jours et partout bénéfiques.
Ibd. ~ ( p. 123)
Les funérailles du quarantième
jour se font
dans le même dessein chez les Malinké, c'est-à-dire pour eni-
vrer,de sang les mânes des .ancêtres afin que le_nouyeau mort
bénéficie de leur faveur. Toutes ces pratiques relèvent
des croyances animistes qui avaient cours à une époque ou
l'Afrique ignorait encore l'islam et le chris"tianisme. Leur
survivance crée inévitablement un certain sync~rétisme chez
les musulmans de Togobala, que le narrateur ne voit pas
toujours d'un bon oeil, surtout les abus qui en découlent
et qu'il dénonce inlassablement. Par contre i l semble
n'avoir aucun parti pris sur les croyances elles-mêmes
comme la foi que les musulmans ont en leur ancêtres qu'ils
privilégient souvent par rapport à Dieu surtout que celui-ci
se montre plus lointain, plus inaccessible.
( 2)
Sui te
••.
et autres grands politiciens ivoiriens. Pourtant i l
savait à peine lire le Coran.

-
163 -
Avant que n'arrivent les génies ou "djins"
musulmans dont le plus redoutable est le "setane", l'Afri-
que était déjà peuplée de nombreux génies ~~imistes. Avec
les sacrifices, on pouvait bénéficier de leur faveur ou
se protéger contre les mauvais sorts de certains parmi eux,
habités par l'esprit du mal. Les Soleils des Indépendances
en montre des bons et des méchants. Par exemple, ce récit
rapporte que la mère de Salimata avait souffert de la sté-
rilité. Elle ne réussit à en venir à bout qu'en implorant
le mont Tougbé dont le génie lui avait permis de concevoir
Salimata. Mais comme elle avait oublié "de calmer la passion
du génie par une adoration spéciale", celui-ci se mit en
colère et tenta de violer Salimata au cours ae son excision.
D'autres génies se montrent aussi intraitables dans le ré-
cit : ce sont ceux qui, lors des funérailles du cousin La-
cina,
s'indignent de la trop grande religiosi té des J'ilalin-
ké et déclenchent un maléfique tourbillon.
Comment se présente le génie ? Il est dif-
ficile de le savoir; à moins d'avoir des prédispositions
particulières, comme le marabout Abdoulaye qui prétend par-
1er aux génies comme à des copains. Balla aussi dit avoir
1
bénéficie.
de ce privilège: un génie s'est révélé à lui,
au moment où i l était grand chasseur. C'était un génie
chasseur,
un ae ces génies chasseurs vivant de sang hu-
main. (•••)Le géni e renc on tré était nu, aussi
grand que Balla, le crâne ras,
sauf au milieu

-
164· -
du crâne une grosse tresse de cheveux lon-
gue et tombante comme une queue de varan.
(Les
Sol. des Indépend. p.
126)
Le génie peut,selon Balla, prendre aussi la
forme d'un ani;i1al, comme dans le combat singulier qui op-
pose celui-ci à un génie-buffle.
Il est difficile d'accorder du crédit à ces
récits de génies car le narrateur les attribue à des indi-
vidus peu recommandables, c'est-à-dire les féticheurs Tié-
coura et Balla ainsi que le marabout-sorcier Abdoulaye.
Tiécoura, pour s'innocenter de son forfait,
accuse un génie
d'être l'auteur du viol de Salimata. Pourtant les preuves
de sa culpabilité que fournit Salimata sont irréfutables.
Balla espère-t-il se faire craindre davantage par ses con-
citoyens en leur racontant ses prétendus exploits de chasse,
ainsi que ses histoires de génies, des his~oires à faire
dormir debout? L'extravagance de celles-ci, fait que l'on peu~
en douter. Quant à Abdoulaye,
si sa prétention de. causer
aux génies était vraie, i l aurait pu venir à bout de la
stérilité de Salimata. Les génies auraient donné beaucoup
d'efficacité aux talisl:1ans, gris-gris et autres décoctions
qu'il remet à l'héroïne pour la soigner. Mais i l n'en est
rien de tout cela.
Son échec,
cette incapacité de soigner
la stérilité de la femme, démontre clairement l'invraisem-
blance de ses dires, de ses promesses et de ses prétentions.
Le narrateur des Soleils des Indépendances
n'est pas le seul à suspecter la vraisemblance des histoires

-
165 -
de génies en les attribuant à des personnages douteux
(féticheurs et sorciers). Celui du Devoir de violence y
émet également des réserves en refusant d'en assumer la
responsabilité par l'usage du pronom impersonnel "on"
:
"De sorte que les génies malfaisants de ces manants con-
taminaient, affirmait-on, les eaux pour trois ans au
moins ... " (Le Devoir de violence.
p.
10).
,
Ces quelques éléments de la croyance animis-
te ainsi recensés et analysés, dont les aspects néfastes
sont condamnés par les narrateurs, nous donnent une idée
de la culture authentiquement africaine avant l'apparition
de l'islam. Ils ont survécu au temps et aux nouvelles réa-
lités
culturelles que cannait l'Afrique;
jusqu'à nos
jours, leur poids social n'est pas négligeable. C'est au
vu de l'importance de ce substrat culturel animiste sur
lequel se sont superposées les religions importées, que
l'on dit souvent que l'Africain christianisé ou islamisé
reste au fond de lui-même un animiste.
Ainsi, depuis son implantation en Afrique,
islam et animisme cohabitent,
s'adaptant l'un à l'autre
selon les circonstances diverses, non pas toujours dans
un esprit de concurrence, mais de tolérance.
Il convient de noter la singularité du ré-
cit de L'Aventure ambiguë. Comme le nom animiste de l'auteur
a été omis, toutes les traces de l'animisme sont égale-
ment effacées de ce récit. L'islamisation aurait-elle

1
1
-
166 -
détruit toutes ces croyances anciennes, à tel point
qu'aucun élément n'en subsisterait au Pays àes Diallobé ?
Le silence est aussi un indice de la position idéologique
d'un auteur. En effet, tout récit opère un choix qui con-
siste à révéler ce que l'on veut et à omettre ce que l'on
~'a pas envie d'afficher. C'est pourquoi on a souvent re-
proché à Camara Laye,
son silence sur les exactions de
l'administration coloniale dans L'Enfant noir (3) pour pré-
senter une certaine image de l'Afrique où tout semblait
aller comme dans le meilleur des mondes possibles.
Le silence de Cheikh Hamidou Kane sur l'ani-
misme africain, présentant dans son récit un certain puri-
tan1sme musulman, ne relève-t-il pas d'un choix idéolo-
gique du même ordre
que celui de Camara Laye ? Celui-ci
voulait sans doute présenter une belle image de l'Afrique
On peut se demander si Cheikh Hamidou Kane ne 'veut pas,lui
aussi,
embellir l'islam africain en l'épurant de-ses élé-
ments animistes.
L'apparition de l'islam en Afrique occidentale
remonte à très longtemps, vers la fin du premier millénai-
re. Les historiens la signalent dès le Vlllè siècle dans
le royaume du Ghana que les marchands arabes commençaient
à fréquenter.
(3) C. LAYE, L'Enfant noir,
Plon,
1953.

-
167 -
Mais i l faut attendre le XIè siècle pour qu'il
s'implante:
i l est alors imposé de force par
les Berbères Almoravides qui font la conquête
du royaume. Dans les deux grands empires
qui
succèdent au Ghana, le Mali
(XIIIè-XVè) et le
Songhaï (XVè-XVIè),
ce sont les Noirs conver-
tis eux-mêmes qui diffusent l'islam.
(4)
c'est effectivement au début du XIIIè siècle
que commence l'islamisation de l'Empire àu Nakem dans Le
Devoir de violence. A travers les deux récits qui mention-
nent le début de l'islamisation en Afrique occidentale
(Les Soleils des Indépendances,
et Le Devoir de violence)
on peut retenir trois faits significatifs:
- Le Djihad.
-
Un islam élitiste.
- L'introduction de l'écriture en Afrique
occidentale.
L'islam I1 c omme tou"tes les religions révélées,
a pénétré le continent (africain) à la pointe de l'épée des
chefs arabes ..• "
(5).
Yambo Ouologuem semble être àu meme avis, en
ce qui concerne l'Afrique occidentale. Comme les Berbères
Almoravides du XIè siècle qui ont imposé de force l'islam
dans le royaume du Ghana, les Saïfs font de même dans l'Ern-
pire africain du Nakem
(4) E. M' BOKOLO, "L '1\\f:r~gue noire.dll_.J~Q:Rh~~~n,in Demain
l'Afriaue, nO
20,
12 février
1979, p.26 .
(5)
"Musulmans d'Afrique:
cent millions de fidèles")
in Ivoire-Dimanche) nO 523,
15 févri er 1981,
p.
22.

-
168 -
"Les Saïfs -
au cri de : A la clarté du Monde
! -
ensan-
glantaient leurs sagaies de crimes et d'exactions triba-
les"
(Le Devoir de violence p. 9).
,
Si le narrateur traite les Saïfs de crimi-
nels, c'est qu'en réalité leur djihad ou "guerre sainte"
cachait des desseins obscurs, d'autres buts inavoués. Au
lieu de la propagation de l'islam, le djihad sera pour eux
un moyen d'asservissement de la population. Le plus rapace
fut Saïf El Haram qui "était à la recherche du bétail, de
la terre, de tous les biens de production disponibles, par
tous les moyens"
(Le Devoir de violence ,p.
19). Ainsi, re-
venant d'une "guerre sainte" contre les Peul, i l est "escor-
té de douze mille esclaves Toucouleur ••. "
(Le Devoir de
violence p.
15). D'avance, on devine ce que Saïf fera de
tant d'esclaves:
"Saïf intensifia, grâce à la complicité
des chefs du sud, la traite des esclaves, qu'il bénit en
sanguinaire douceureux l1
(Le Devoir de violence,p.
17).
Mais cet islam guerrier reste un fait limité
au Nakem. L'islam ne s'est pas répandu partout en Afrique
occidentale par le djihad. Par exemple, dans le récit des
Soleils des Indépendances, l'implantation de l'islam ne se
fait pas sous le signe du djihad. C'est par la prédication
pacifique que s'est faite la propagation de la foi musul-
mane par des marabouts tels que Moriba Souleymane, le fon-
dateur
de la dynastie des Doumbouya. A son arrivée à Tou-
koro, les pratiques animistes battaient leur plein:

-
169 -
Le chef de Toukoro appela son hôte( ••• ).
-
Grand marabout
! Bientôt battront les
fêtes des moissons. Que tes femmes et élèves
accumulent des provisions en eau et nourri-
ture pour une semaine( .•• ),
- Honorable chef ! Permets-nous pour la pé-
riode de la fête de nous retirer dans notre
lougan ..• répondit Souleymane
- D'accord, marabout, mais revenez apres
les fêtes, répondit le chef.
Alors Souleymane et ses Talibets bâti-
rent un grand campement appelé Togobala( ..• ) \\
Togobala s'étendit, prospéra comme une ter-
mitière, comme une source de savoir où vin-
rent se désaltérer ceux qui séchaient du
manque de la connaissance et de la religion.
La descendance de Souleymane coula prodigieuse,
vigoureuse, honorée et admirée, compta de
grands savants, de grands saints jusqu'à la
conquête du Horodougou par les Malinké musul-
mans du Nord.
(Les Sol. des Indépend. p.100-101)
On voit à travers ce passage, comment le dé-
but de l'islam dans le Horodougou fut marqué par la toléran-
ce, la cohabitation pacifique avec l'anirnisme. La guerre
n'intervient que plus tard,
très tard, par la conquête des
musulmans du Nord; Togobala était déjà une capitale de l ' i s -
La vue de Ouologuem et celle de Kourouma sur
l'apparition de l'islam en Afrique occidentale paraissent
donc se contredire. Pour le premier,
ce début fut marqué
par la violence du djihad qu'il dénonce comme un instru-
ment de soumission et d'asservissement pour les Sarfs. Le
second en minimise l'importance,
~u-point de nier son exis-
tence dans l'islamisation du Horodougou. En fait ces deux

-
170 -
points de vue sont relatifs à l'époque et au lieu de l ' i s -
lamisation. Ils confirment le point de vue des historiens
que nous avons vu plus haut, à savoir le djihad des chefs
arabes au début de l'islamisation (dans certaines régions
d'Afrique occidentale comme le Nakem), relayé par la pré-
dication pacifique des Africains convertis (ce qui devait
être le cas du Horodougou)
b) Un islam élitiste
A l'époque des Saifs, l'islam reste cantonné
à la Cour
c'est la religion des rois, des princes et des
notables. D'ailleurs, cette religion n'était qu'un moyen
pour assouvir des desseins politiques et autres. Leur "foi"
musulmane, qui n'est que de façade, ne les éloignera pas
des pratiques fétichistes.
Tel Saif Tsévi affilié à une
corporation secrète de sorciers et de magiciens dont les
actes sont des plus ignobles:
sacrifices humains, rapports
incestueux, coïts avec les animaux .•• On retrouve égale-
ment cette vision minoritaire de l'islam sur le plan dé-
mographique d2~s Les Soleils des Indépendances. Seuls Mo-
riba Souleymane et ses Tallibets le pratiquent parmi une
masse de paysans
demeurés fidèles à leur religion tra-
ditionnelle : les cultes animistes. Contrairement à l'u-
sage démagogique que fon~ les Saïfs de l'islam, les pre-
miers musulmans du Horodougou paraissent d'une très grande
piété. On peut penser que le succè~ de l'islam dont parle
le narrateur est dû aux qualités de ces premiers musulmans

-
171
-
du Horodougou.
c)
L'introduction de l'écriture
Les seuls ouvrages écrits de la période pré-
coloniale
viennent des sociétés islamisées. Ils sont ré-
digés soit en langue arabe,
soit en caractères arabes mais
dans les langues locales, tel le peul en Afrique occidenta-
le. Les deux ouvrages les plus célèbres en langue arabe
sont le "tarik el Fetach" et le "tarik es Sudan" dont par-
lent Le Devoir de violence et L'Aventure ambiguë. Voici ce
qu'en dit Vincent MONTEIL:
Les deux grandes chroniques de Tombouctou
représentent ici une source direc~e irrem-
plaçable. Le Tarikh al Fattach ( .•• )a été
écrit par Mahmoud Kâti, lettré Soninké de
Tombouctou qui fut du règne d'Askya Mohamed
et de l'invasion marocaine. Le Tarîkh
as Sûdane se termine en 1655, au moment de la
fin de la domination des Marocains. Son au-
teur As Sadi, était aussi un Africain de
Tombouctou.
(6)
Il va sans dire que l'écriture à cette épo-
que n'a pas connu une très grande vulgarisation. Elle res-
tait l'apanage de quelques lettrés de la Cour des Saïfs.
On serait tenté de croire que les universités de l'époque
pouvaient être un facteur de vulgarisation de l'écriture.
Mais dans Le Devoir de violence,
on se rend compte que ces
universités arabes
jouaient une autre fonction,
celle de
l'esclavage
(6) V. MONTEIL) op. Ci t . , p. 93.

-
172 -
Et gratitude des gratitudes, l'opération
commerciale à vaste échelle, fut marquée
par le culte apparent des valeurs de l'es-
p r i t : d'où la création d'universités arabes
(en nombre restreint
jusqu'alors), à Tilla-
bèri~ Bentia, Granta et Grosso, universités
en rapports internationaux avec le monde du
commerce et de la traite orientale( ••• ).
(Le Devoir de violence p. 25)
La tradition orale a élaboré bien de procédés
(mnémoniques par ex.
) pour la conservation de l'histoire
africaine. Mais l'introduction de l'écriture arabe en Afri-
que a été d'un apport très appréciable
pour la connaissance
historique de l'époque précoloniale. C'est avec révérence
qu'on évoque les premiers lettrés africains, comme Kâti,
et c'est ce respect
que révèle le personnage de Kane,
Pierre-Louis, qui est rès fier d'être de la lignée des Kâti.
Mon arrière-grand-père
s'appelait Mohamed
Kâti -
oui, Kâti, comme l'auteur du Tarikh
El Fettâch -
et i l était de la même région
que son grand homonyme,
du vieil empire du
Mali.
(L'Aventure ambiguë p.
142)
Bien que Yambo Ouologuem ne méconnaisse pas
la contribution de l'écriture arabe à la connaissance
historique en Afrique (il cite les ouvrages dont nous ve-
nons de parler dans son roman), i l dénonce les
exac-
tions qui ont concouru à son introduction sur ce continent,
tel l'esclavage.

-
173 -
La colonisation de l'Afrique occidentale par
les Français et les Anglais se situe à la fin du XIXè siè-
cIe. L'islam avait déjà atteint une certaine maturi~é du-
rant les sept siècles de son existence dans certains en-
droits comme le Nakem. Religion de quelques élites au départ,
cantonné essentiellement dans les cours royales, l'islam
à l'époque coloniale s'est étendu à toutes les couches so-
ciales des régions où il s'est implanté.
Outre le progrès colossal ainsi réalisé, on
peut caractériser cette époque coloniale au regard de l ' i s -
lam, tel qu'il ressort des récits, par deux faits signifi-
catifs : La reprise du djihad et les conflit culturels.
Le djihad enterré depuis le temps des premiers
Saïfs, revient qe nuuveau
à l'époque coloniale, exhumé
pour les besoins de l'heure
la lutte anticoloniale de
Saïf ben Isaac El Heït :
Cèlui-ci tenta de mobiliser contre l'envahis-
seur les énerbies du peuple fanatique( ... )II
propagea à cet effet( ••• )la nouvelle de mira-
cles quotidiens,
tremblements de terre, tom-
beaux ouverts, innombrables résurrections de
saints, vision d'archanges surgis du soleil
couchant (•..) , i l métamorphosa ,trois feuillets
du "Livre Sacré", le Coran en (~utant de co-
lombes, volant au-devant de son chemin comme
pour réclamer le dévouement des peuples à la
cause de Saïf •••
(Le Devoir de violence p. 35)

-
174 -
Par ce passage, le narrateur montre on ne peut
plus clairement non seulement la fonction politique du dji-
had chez Saif, mais surtout la mystification religieuse qui
le sous-tend. Le peuple du Nakem est frauduleusement en-
traîné dans une guerre qui n'est pas la sienne, il doit se
battre pourllla cause de Saïf". Que ce soit au début de l ' i s -
lamisation de l'Afrique ou pendant l'époque coloniale, la
prise de position de Ouologuem est nette:
il dénonce l'u-
sage du djihad par certains démagogues comme Saïf à des
buts autres que religieux. Kane n'a pas une position aussi
tranchée.
On sait seulement que les musulmans du Pays des
Diallobé Il ~••• )brandirent leurs boucliers, pointèrent leurs
lances ou ajustèrent leurs fusils ll contre l'envahisseur.
Le résultat -
on sait -
fut partout la victoire de li enva-
hisseur.
Après la victoire et une fois installé, l'en-
vahisseur tentera d'imposer sa culture en Afrique. L'élé-
ment le plus important de cette culture est, bien sûr, l'é-
cole. Le refus de Saïf est catégorique:
seuls les fils
d'esclaves iront à l'école française, pratiqueront la reli-
gion chrétienne •••
Les Diallobé aussi hésiteront beaucoup avant
de tenter l'expérience de l'école étrangère, d'y envoyer
leurs enfants. Refus ou hésitation, ce sont des tendances

-
175 -
pour protéger la culture africaine dont l'islam constitue
ici un pilier important.
Eu égard à la complexité des conflits cultu-
rels qu'entretiennent les personnages entre eux,
essayons
de mieux les cerner en les représentant par un schéma qui
regroupera les personnages par pôle culturel.
Il convient de rappeler que seuls les récits
du Devoir de violence et de L'Aventure ambiguë intéressent
cette époque. Les deux autres récits de notre corpus, avons-
nous dit, relatent des événements de l'époque des Indépen-
dances.
Les deux récits se caractérisent par trois
pôles culturels.
- Un premier pôle qui se manifeste par une
théocratie musulmane, représenté par Saïf et ses acolytes
(les notables) dans le Devoir de violence, puis le Chef et
le Maître des Diallobé, le Chevalier, Samba Diallo, le Fou
dans L'Aventure ambiguë.
- Un deuxième pôle représentant une culture
occidentale dont les principaux promoteurs sont l'Eglise
et l'administration coloniales, ainsi que les ethnologues
dans Le Devoir de violence. Quant à L'Aventure ambiguë, on
retrouve les mêmes représentants auxquels i l faut ajouter
des adeptes du communisme.
- Enfin dans le troisième pôle, figure la po-
pulation africaine (Nakemiens et Diallobé) qui subit l'in-
fluence de ces deux formes de culture.

-
176 -
Pour mettre en évidence les rapports conflic-
tuels qu'entretiennent les personnages situés dans ces
trois pôles, désignons les respectivement par les lettres
A, B, C. C'est d'abord un conflit de pouvoir qui oppose les
personnages du pôle A et ceux du pôle B. Ce conflit aboutit
à une lutte armée, et à la défaite de A qui sera ainsi
contraint de se soumettre à la colonisation de B. Des per-
sonnages comme Saif ou Maître Thierno, principaux défen-
seurs de la culture musulmane qui constitue le fondement
de leur pouvoir, rejetteront la culture occidentale en
refusant d'envoyer les enfants à l'école française.
Depuis, Saïf décida que seuls les fils de con-
dition servile seraient astreints à l'instruc-
tion française,
aux messes des missionnaires,
aux baptêmes des pères blancs, tenues françai-
ses •••
(Le Devoir de violence p.
60).
On retrouve la même attitude chez le chef des
Diallobé
-Vous-même, chef des Diallobé, ne répugnez-
vous pas à envoyer vos enfants à l'école étran-
gère ?
-
A moins de contrainte,
je persisterai dans
ce refus,
s ' i l plaît à Dieu.
(L'Aventure ambiguë p.
19).
Le mutisme dans lequel se réfugie le Maître
Thierno,
alors que tous les Diallobé attendent sa décision
pour envoyer leurs enfants à l'école française,
est signi-
ficatif de son refus.

-
177 -
L'administration française,
consciente de son
rôle de "mission civilisatrice", lutte contre Saïf pour im-
planter autant que possi ble la cul ture occidentale. "Vanda-
me, de son côté,
jouant de diplomatie, institua -
tjok ! -
l'école laïque des fils de chefs,
que les nobles noirauds
fréquenteraient obligatoirement . .. " (Le Devoir de violence,p.[
Saif ne se laisse pas non plus prendre au dépourvu : "Eh
de
quoi,
que ces macaques à casques/Blancs aillent donc civi-
liser négraillons, mauricauds et autres singes nègrement
populaciers ••• " (Le Devoir de violence p.è31). Ce conflit
culturel se situe entre Saïf et l'évêque Henry,
entre Che-
valier et Lacroix,
entre Lucienne et Samba Diallo. Le re-
cours systématique à la violence que semble légitimer Saif
qui incarne la religion musulmane,
est inlassablement com-
battu par l'évêque Henry qui,
quant à lui, représente la
religion chrétienne. Leur antagonisme se traduit à travers
les différentes discussions. L'évêque Henry finit par ga-
gner Saif à sa cause, en le faisant renoncer à la violence.
A travers leurs discussions,
Samba Diallo et son père, le
Chevalier, défendront Allah autant que possible contre le
matérialisme athée de Lucienne et de Lacroix. Mais Samba
Diallo aussi finit par s'assimiler à la culture occiden-
tale en devenant athée.
Il convient de noter égaleinent l ' opposition
du pôle C (peuple africain : Nakerniens et Diallobé) à des
personnages du pôle B. Cette opposition se manifeste dans
Le Devoir de violence
sous forme d'exploitation où les

-
178 -
ethnologues avec la connivence de Saïf, viennent dépouiller
ce peuple de ses objets d'art. Ce n'est pas non plus de
gaieté de coeur que les Diallobé accepteront d'envoyer leurs
enfants à l'école nouvelle; les pleurs de certains, tel
le maître des forgerons,
traduisent leur amertume car cette
école présage la mort de leur culture. D'autre part, i l exis-
te un rapport d'assimilation entre ces deux pôles (B et C),
assimilation qui se fait par la fréquentation de l'école
française
(les Diallobé désertent l'école coranique pour
l'école étrangère)
et par adhésion de C à la religion chré-
tienne dont Raymond Spartacus Kamouss~ .est le sy,~bole.
Enfin entre les pôles C et A, la culture isla-
mique sert de moyen de domination aussi bien pour Saïf que pou:
les notables du pays des Diallobé. On ne peut impunément
s'attaquer à la "théocratie" de Saïf. Même si "Nombre d'éru-
dits indigènes chuchotèrent tout bas( •.• ) que Saïf n'était
qu'un imposteur"
(Le Devoir de violence p. 64), personne
n'osait le clamer tout haut. Mêmes les néophytes de la foi
chrétienne sont "assez lâches pour dénoncer à demi-mots
Saïf"
(Le Devoir de violence, p .82)
• Si"-par mégarde on
élève leton en critiquant Saïf,-comme le fait Ali Gakoré,
on "explosé telle une machine infernale" comme ce dernier.
Chez les Diallobé, c'est Demba qui ose s'at-
taquer à la théocratie des nobles. Toutes les mésententes
entre celui-ci et Samba Diallo tournent autour de la no-
blesse dont est issu ce dernier et que l'autre lui reproche.

- 179 -
D'ailleurs dès qu'il est "enturbanné" comme maître des
Diallobé,
sans hésitation, i l tranche en faveur du peuple
"Tous les parents qui le voudraient, pourraient envoyer leurs
fil s à l'école étrangère"
(L ' Avent. ambiguë p.
134)
En représentant ces différents conflits, on
obtient le schéma qui suit:
c~"e-f
eHEVALIER"
J1QÎt~
fO~
A
,
J
~eAt$k»
A~
~
Dom;~dioll
~ùSS1r?1ÎLoŒvn
2)Jrn;na~ ~cle,
Cu.llureUe.-
Culhlfe({e,-
{6.-)si~fof
&5l1~ot
~i~La{l~
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d a>5in '1
C
~
Ir
r
,lItjr10ND.
ri
"
1
y\\QOp\\;.~teh
SPf/RTI1CUS 1 Dt: IRA
c~ rclier6
...D~Je:\\}Îcfence-
F(tr e",tuAe a(f]~0~
Dans le contexte culturel précédant les In-
dépendances, le peuple africain que symbolise le Nakem et
le pays des Diallobé, est victime de la domination cul tu-
relIe du pouvoir traditionnel africain, victime aussi de

-
180 -
la culture occidentale. Les narrateurs mettent ainsi en
question,
tour à tour la culture occidentale et la cul-
ture musulmane. Même l'assimilation du peuple africain
est présentée comme un fait néfaste. Par exemple dans Le
Devoir de violence, la population àu NaKem accourt vers
l'évêque de Sagnac "tant cet homme avait un beau costume"
(Le Devoir de violence p.
58), ou encore des expressions
comme "la négraille mal blanchie", mettent en relief l'as-
pect négatif de cette assimilation. La même dépréciation
apparaît chez Samba Diallo que l'occidentalisation a mé-
tamorphosé pour "l'installer dans l'hybride"
(L'Avent.
ambiguë p.
125), "dans une nature étrange,
en détresse
de n'être pas deux"
(p~~ 164) •
Mais certains éléments de la culture occiden-
tale apparaissent valorisants. Tel est le cas de l'école
qui confère à l'individu un statut social privilégié
et
le libère de sa condition d'esclave (l'exemple de Kassoumi
qui est devenu, grâce à l'école, député, en est la preuve) 0
Même les Diallobé reconnaissent une valeur incontestable
à la technique occidentale, qu'il convient seulement d'adap-
ter aux besoins de l'homme, contrairement à l'Occident qui
n'est fasciné que par son rendement. La religion chrétien-
ne aussi est valorisée par des personnages comme l'évêque
Henry et le pasteur Paul Martial, dont l'idéal est de ré-
1
habiliter Dieu dans un monde de plus en plus accaparé par
le matérialisme.
1
1
1
1

-
181
-
Ce sont les récits de Xala et des Soleils des
Indépendances qui réflètent le visage de l'islam de nos
jours. Les narrateurs en révèlent deux traits caractéris-
tiques:
son succès démographique, puis l'islam en tant que
culture dominée.
Malgré la concurrence du christianisme inter-
venue à l'époque coloniale, l'islam est devenu aujourd'hui
majoritaire sur le plan démographique dans certaines ré-
gions d'Afrique Occidentale. A Togobala par exemple,
seul
le féticheur Balla fait profession d'incroyance à Allah,
résistant autant que possible à la pression démographique
de l'islam. Il a beau être la risée de tout le monde,
"l'objet périphérique" qui occupe l'avant-dernier rang avant
les chiens aux funérailles du cousin Lacina (on lui a re-
fusé aussi d'assister à la prière aux morts
dans un cime-
tière~ Balla reste fidèle aux fétiches jusqu'à la mort.
A sa mort,
Togobala est à cent pour cent islamisé
! A Dakar
ou dans le capitale de la rtépublique des Ebènes, les gran-
des masses de fidèles que rassemblent les coutumes musul-
manes (mariage, baptême,
funérailles, ...
) attestent l'im-
portance de cette religion dans ces sociétés. Ce succès
démographique de l'islam en Afrique contemporaine et plus

-
182 -
particulièrement en Afrique occidentale, est lié à des
phénomènes historiques dont on peut saisir certains à
travers les récits. Dans Les Soleils des Indépendances,
l'islamisation du Horodougou remonte à l'époque précolo-
niale. Une telle ancienneté de la présence musulmane dans
cette région peut avoir un impact significatif dans le
progrès spectaculaire que cannait_aujourd'hui cette
relig~on. De plus, contrairement aux musulmans du Nakem
tels les Saïfs qui inspirent de 1;3. répugnance, les premiers
musulmans du Horodougou sont présentés comme des modèles.
Ces qualités exemplaires soutenues par la prédication des
grands marabouts comme Moriba Souleymane doivent avoir
exercé un attrait certain sur les populations animistes.
On peut considérer également la colonisation
comme un facteur décisif dans l'expansion de la religion
de Mahomet par le bouleversement social qu'il a occasionné
les guerres, l'urbanisation, le développement du commerce,
sont des phénomènes qui ont entraîné de nombreux dépla-
cements de populations africaines. Soldats, commerçants,
émigrés de toutes sortes vont être déracinés de leur ter-
roir ancestral, drainés vers les grands centres urbains
pour diverses raisons.
Ces déplacements n'auront pas que
des conséquences économiques. Le désarroi des émigrés a
également des sources culturelles. L'islam constitue sou-
vent un terrain propice pour ces hommes, loin de leur terroir

-
183 -
et de leurs coutumes, parce qu'ayant une organisation plus
semblable à leur communauté d'origine, contrairement au
christianisme qui ne présentent pas les mêmes facilités
d'intégration communautaire.
Pour saisir l'islam
en tant que culture do-
minée dont la vision apparaît chez Kourouma et chez Sembè-
ne, il faut se référer aux conflits culturels qu'entretien-
nent les personnages comme on l ' a fait pour l'époque colo-
niale. A l'époque des Indépendances, le pôle occidental
disparaît du conflit culturel, mais son influence demeure
grâce aux personnages assimilés à cette culture. Désignons
par A'
et C' les deux pôles restants dont les principaux
personnages pour A'
appartiennent au pouvoir laIque après
les Indépendances,
et ceux de C'
au peuple où domine l ' i s -
lam.
Les personnages du pôle A'
comme El Adji Kader
Beye et ses collègues hommes d'affaires dans Xala, le pré-
sident, le ministre Nakou, les geoliers de Fama dans Les
Soleils des Indépendances appartiennent à la culture occi-
dentale qu'ils utilisent pour
dominer les personnages du
pôle C' dont les représentants sont dans Les Soleils des
Indépendances, Fama, Salimata ; les mendiants et les han-
dicapés dans Xala ••• Fama méprise les personnages de A'
en
les traitant de "bâtards" et de "fils d'esclaves".
Salimata

-
184 -
leur reproche d'être injustes parce qu'ils ne viennent
pas au secours des déshérités en pratiquant la charité
prescrite par Allah. Le mendiant se venge d'El Adji Kader
Beye par le xala, puis l'humilie par la scène du crachat.
Certains personnages de A'
comme El Adji Kader Beye ainsi
que les ministres, les députés et autres politiciens de la
République des Ebènes,
ont souvent recours à des person-
nages de C' pour diverses raisons:
El Adji va vers eux pour.
soigner son xala, les autres pour obtenir des moyens oc-
cultes chez les marabouts comme Abdoulaye afin d'affermir
leur pouvoir. La représentation de ces conflits donne le
schéma suivant :
14w\\<;1{1-€5
Al
\\<ROEA.
.' ·u -
r-"""---:---:...;.;,-----""'l!I!:"-------r----<:;---p~"'U'O""---1t_----
om;Yla.t~1
5oÏT1~
Domi')'lo.tl~
CLlll;.l V'clle;
CuftureHe [V\\ardbolA~
0°;to.)
f
l,
C
i
Après les indépendances, l'islam change de
1
pôle: de la culture
dominante qu'il était dans le passé
avec la théocratie des saïfs et des nobles du pays des Dial-
1
lobé, i l devient une culture dominée, la culture des pauvres,
1
1
1

-
185 -
des mendiants, des chômeurs •••
Cela s'explique par les
bouleversements politiques intervenus lors de la coloni-
sation et avec l'avènement des Indépendances africaines.
En effet,
Les modèles culturels ne peuvent se concevoir
sans leur rapport au pouvoir et à la domina-
tion.
Si, dans toute société stratifiée et
divisée en classes ou couches sociales, cha-
cune de ces classes ou couches peut sécréter
des modèles culturels, toutes, cependant, ne
détiennent pas les puissants instruments qui
servent à leur diffusion. C'est la classe au
pouvoir qui les détient et contrôle, c'est elle
qui, grâce à cette position dominante, peut
et doit -
si elle veut se maintenir au pou-
voir -
diffuser ses modèles culturels vers les
autres classes.
(7)
La désertion des écoles coraniques a été fa-
tale à la théocratie des Sarfs et des Diallobé ". La nouvel-
le école apportéeen Afrique, un nouveau pouvoîr calqué sur
le modèle occidental qui est devenu la culture idéale pour
les nouveaux tenants du pouvoir au détriment de l'islam
refoulé au pôle des cultures dominées. C'est cette double
vision de l'islam: religion majori~aire sur le plan démo-
graphique, qui permettra à Sembène, nous le verrons plus
loin, de l'utiliser comme une arme contre la bourgeoisie
sénégalaise, un moyen efficace au service de la propagande
marxiste.
Quant à Kourouma, cette vision lui sert, par
(7) Abou TOURE, La Civilisation Quotidienne en Côte-d'Ivoire,
Procès d'occidentalisation.
Editions Karthala,
1981
p.
30
,

-
186 -
l'entremise de ses personnages (Fama,
Salimata •.. ),
à
vider sa bile sur les tenants du pouvoir actuel en Afrique,
à manifester son insatisfactio~ devant leur pouvoir, ce gui
est une façon d'espérer "d'autres soleils" aifférents
,
"des soleils des Indépendances".
Les prises de position sur les événements his-
toriques qui ont trait à l'islam sont rares chez Kane. Par
contre Ouologuem démythifié ces événements tels les djihad,
les universités arabes en Afrique, les conflits culturels ••.
en dévoilant les images et les explications mensongères des
Saïfs q~i ont délibérément choisi d'induire les Nakemiens
en erreur. Il ramène ainsi les choses à leurs justes dimen-
sions, à leurs valeurs réelles. î,Jes événements ci-dessus,
nous l'avons vu,n'avaient aucune visée religieuse. Leur
véritable fonction était l'esclavage, la conquête politique,
le pillage des richesses de l'Afrique.
La démystification comporte des conséquences
pour son auteur qui devient le plus souvent un "incompris":
Le démystificateur, nous dit Makouta, est
considéré
comme en marge de la réalité.
Certains mystifiés le prennent pour un déma-
gogue, un aigri qui veut régler leurs comptes
,à ses ennemis, un insatisfait, ou tout sim-
plement, pour l'amant des vaines histoires.
(8)
Ouologuem n'est rien de tout cela, c'est lui
(8)
J.-P. MAKOUTA,
Introduction à l'étude du roman négro-
africain de langue française 1,
NEA,
1980, p.
252


-
187 -
qui est dans la vérité, il hait le mensonge. Voix démys-
tificatrice, mais aussi iconoclaste, car i l est détermi-

à briser les fausses images qu'on don~e de~ événements
qui ont concouru à la pénétration et au début de l'islam
en Afrique.
.... /

-
188 -
CHA P I T R E
I I I
-
A UN NIVEAU COLLECTIF
III. 1
Les rites musulmans •
---------------------------
III. 1.1
Le Coran •
Avant d'analyser les différents rites, lois et
coutumes qui constituent les fondements de l'islam en Afri-
que occidentale, tel qu'il ressort des récits, il convient
d'abord d'examiner les usages faits du Coran qui est censé
les contenir.
Si le Coran, dans la propagation de la foi,
avait une moindre importance au départ à cause de l'analpha-
bétisme des populations africaines, au fur et à mesure de
son implantation, le Livre prendra de l'importance. Le Coran
est évidemment le premier livre de l'i81œ~1 le correspondant
de la Bible chrétienne. Selon Henri Massé:
Les savants musulmans en ont discuté la pronon-
ciation, l'origine et le sens:
coran dérive de
la racine qara'a,
"lire" ou plus fréquemment
"réciter", "déclamer"
; en d'autres
.

-
189 -
termes, la révélation que Mahomet recevait·
d'Allah et qu'il exprimait ensuite.
(1)
Ce livre saint de l'islam, dont une partie
a d'abord été révélée à la Mecque,
ensuite l'autre partie
à Médine après l'Hégire, a des usages multiformes chez les
musulmans africains. A défaut des "madersa" arabes, qui sont
encore en nombre restreint dans les villes africaines où
on enseigne le Coran, ce sont les marabouts qui en assu-
rent la vulgarisation.
Leur méthode d'enseignement consiste à reco-
pier sur une tablette en bois, en guise d'ardoise, un ver-
set du Coran que l'enfant doit apprendre par coeur en le
répétant"comme Samba Diallo"parfois "jusqu'au bord de l'in-
con sc i en ce"
( L ' Aven t. am b i gu ë p.
16). A l a fin des a for-
,
mation, l'enfant doit être en mesure de réciter tous les
versets du Coran. Ce moment de la vie du jeune musulman
est toujours
jalonné de souffrances : les nombreuses pu-
nitions qui lui sont infligées pendant les séances de ré-
citation, ainsi que les privations de toutes sortes qu'il
endure, comme on peut le constater chez Samba Diallo et
Omar (2), en disent long. Une fois que l'enfant est capable
(1) H. MASSE, L'Islam, Armand Colin,
1952, p. 70.
(2)
A.
SAMB, Matraqué par le destin, NEA,
1975. "Omar, le
héros du roman,
est comme Samba Diallo un
"talibé", qui fréquente une école de marabout,
les souffrances qu'il y vit sont indescriptibles.

-
190 -
de réciter le Coran à l'endroit et à l'envers,
c'est-à-
dire quand i l le connaît par coeur,
sans rien y compren-
dre, i l peut s ' i l le désire, bénéficier des explications
de son marabout et dans sa langue maternelle.
La fin des études coraniques constitue un
grand événement : elle est marquée généralement en Afri-
que occidentale par l'offrande d'un mouton au marabout qui
a assuré la formation de l'enfant. TIans L'Aventure ambiguë,
le mouton a été remplacé par un cheval,
sans doute à cause
du rang social de Samba Diallo.
Le but de l'apprentissage du Coran est donc
de donner à l'enfant les fondements de sa foi islamique.
En dehors de cette formation de base, la lecture du Coran
est une occupation pieuse qui permet d'affermir sa foL;
c'est ce que font le vieux Babacar dans Xala, le Maître
Thierno et le Chevalier dans L'Aventure ambiguë où la lec-
ture coranique constitue leurs plus grandes occupations.
En dehors de ces préoccupations pieuses, le
Coran est utilisé à d'autres fins.
Ainsi pour s'assurer
de la sincérité d'un serment,
on fait
jurer sur le Coran.
Telle fut la proposition faite à Fama par le comité du
Parti unique de Togobala :
"Fama devait
jurer sur le Coran
ouvert la fidélité au parti, au comité et à la révolution"
(Les Soleils des Indépendances,p.
141). De même le Maître

-
Î 91
-
Thierno "jure sur la Parole" à la page 16 de L'Aventure
ambiguë, pour convaincre les Diallobé, qu'il ne sait pas
la solution à adopter par rapport au dilemme :
envoyer les
enfants à l'école étrangère ou ne pas les y envoyer.
Certains versets coraniques, aux dires des
marabouts, possèdent des proprié~és pour guérir les mala-
dies, protéger contre le mauvais sort, procurer de la chan-
ce . . . C'est pour parvenir à ces fins,
que l'usage du
"Safara ll en wolof ou "nassidji" 'en dioula est très répandu.
C'est un "breuvage, nous dit Sembène Ousmane, que le gué-
risseur obtient par le lavage des versets du Coran, inscrits
sur les alluba (planchettes en bois)"
(Xala,p. 66). El
Adji Kader Beye a beau ingurgiter ce breuvage, il ne sera
pas pour autant guéri de son xala. Parfois le verset est
recopié sur une feuille, qu'on emballe dans une peau, le
tout,
cousu, doit être porté par le patient:
c'est le
gris-gris islamisé ("xatim" en wolof) que portent certains
musulmans africains comme El Adji. Mais ceux qui ont de la
répugnance pour la peau parce qu'elle a -une certiiineap-
parence .animiste, la remplac~ntpar'-du fil blanc avec .le-
quel ils attachent l-e papier.'oùest inscrit le verset;,:"
1
coranique après l'avoir plié plusie'urs fois.
Ce sont ces
types de gris-gris qu'Abdoulaye remet à Salimata.
1
A défaut de tout cela, la simple récitation
1
du verset est censé procurer les mêmes effets. Par exemple
1
1
1
1

-
192 -
dans Les Soleils des Indépendances,
Fama "se leva, remué
par la vision d'un affreux cauchemar"
(Les Sol. des Indé-
pend. p.
123). Alors "il récita scrupuleusement les soura-
tes qui éloignent les esprits dans la nuit"
(Les Sol. des
Indépend. p.
123).
Le Coran n'est pas seulement une nourriture
pour l'âme du croyant; les usages qu'on en fait sont mul-
tiples, ils s'étendent même comme on peut le constater
plus haut,
aux vieilles croyances traditionnelles.
En fait,
i l s'agit d'une africanisation du
message divin transmis par Mahomet aux Arabes, mais cette
arabisation n'ôte rien à
son universalité,
sa capacité de
s'adapter à
_ des
réalités culturelles différentes en
tenant compte de la vision propre du monde" dans cette so-
ciété.
Le christianisme a négligé cette africanisa';;;
.tion;
bien" souye:at;-il;:s!;y~::.~st:;niême."oppc:isé,etce n'est Clu'-
aujourd'hui qu'on parle d'africanisation du christianisme.
On a vu également que cette adaptation n'a
pas toujours été sans heurts. Comme on le dit sJuvent, là
où i l y a oppression i l y a également résistance et lutte
cela est également valable pour la culture. L'islam a été
souvent imposé à la culture africaine, i l va sans dire
que celle-ci résistera à la destruction,
cherchant à sub-
sister en revêtant parfois le manteau de l'islam. Les

-
193 -
artisans de cette subsistance sont évidemment les mara-
bouts (il Y en a des bons et des moins bons) qui tant
une véritable concurrence a ceux qu'on appelle généralement
"sorciers" , c'est-à-dire les officiants des pratiques tra-
ditionelles africaines qui sont' (m~me les penseurs de la
"raison raisonnante" les reconnaissent
comme depuis le succès
ae la méthode du placebo) de bons guér~sseurs.
Si les auteurs ne semblent pas toujours pren-
dre ouvertement pO$ition"comme Amar Samb, rien n'emp~che,
au regard des faits relatés, de procéder à des interpré-
tations. Ainsi les bassesses dont tant preuve certains
marabouts (hypocrisie, mensonge, immoralité, cupidité .•• )
traduisent une démarcation, une hostilité certaine des au-
teurs vis-à-vis de leurs pratiques. Par contre Ousmane Sem-
bène apporte implicitement une caution de crédibilité aux
pratiques de Serigne Mada qui parvient par des procédés
occultes à guérir le xala d'El Adji Kader Beye.
On ne peut pas non plus rester insensible aux
souffrances infligées à Samba Diallo pendant sa formation
coranique. Les peines de l'enfant ont-elles seulement une
valeur symbolique? (3). Elles correspondent malheureuse-
ment à une réalité des écoles coraniques en Afrique.
(3) E. MONNIN propose une in~erprétation symbolique des
souffrances de Samba Diallo dans son article : "La quê-
te mystique de Samba Diallo", in Ethiopigues,n 0 15, p.52-6I.

-
194 -
Un habitué de ces écoles,
surtout s ' i l les a fréquentées
comme Cheikh Hamidou Kane, reconnaîtra que ces souffrances
ne sont pas le lot du seul Samba Diallo, mais de tous les
élèves fréquentant ces écoles de marabouts. La brutalité
du Maître que le narrateur compare à un fauve est un signe
qui dénote une condamnation:
"
••• le maître avait préci-
pité Samba Diallo à terre et l'avait piétiné, comme font
certains fauves sur leur proie"
(L'Avent. ambiguë;;p.
17).
D'autres voix telles que celles d'Amar Samb et de Djib
,
Diédhiou (4)
se sont aussi élevées pour dénoncer les con-
,
ditions affligeantes de ces élèves qui ne peuvent laisser
personne insensible. Si, dans l'école occidentale on a con-
nu les mêmes types d'atrocités dans le passé, personne ne
peut nier aujourd'hui les améliorations qui y ont été ap-
portées, alors que rien n'a été fait pour l'école coranique.
Quoi qu'il en soit, la nécessité d'améliorer l'enseignement
coranique est impérieuse. Une trop grande austérité ne pour-
ra qu'abrutir l'enfant,
et l'apprentissage du Coran par
coeur,
sans rien y comprendre, n'est pas une garantie de la
foi:
c'est ce qu'on perçoit à travers le récit de Cheikh
Hamidou Kane,
où Samba Diallo, en dépit de cette récitation
automatique du Cora~, deviendra par la suite athée.
Les rites musulmans qui apparaissent dans les
textes sont une manifestation du dogme de cette religion,
(4) D. DIEDHlüU,
"I,e,Devoir ete l11el1<?:iç)..té" in Famille&déve-
loppement n029, 1er trimestre 1982 p.35-41 .
- - - - - ,
, .

-
195 -
qu'on résume le plus souvent en parlant des "cinq piliers".
Mais à ces obligations canoniques de l'islam,
se sont ajou-
tées certaines coutumes africaines. Examinons d'abord les
différentes vues qu'ont les narrateurs des "cinq piliers".
- La shahâda : un juron quotidien \\
------------------------------- .
Le premier des cinq piliers, est ce que l'on
appelle "shahâda" c'est-à-dire le témoignage ou la profes-
sion de foi.
Il consiste à prononcer la formule "La ilaha
illâ Allah Muhammad rasûl Allah", ce qui signifie que Dieu
est unique et que Mahomed est ·~onprophète.
Dans L'Aventure ambiguë, le l''1aitre Thierno la
prononce "peut-être pour la millionième fois de sa vie"(p. 4'])
Pour la grande piété qu'on lui connaît, cela traduit une
admiration du narrateur à l'égard de cet homme qui apparaît
exceptionnel dans sa pratique religieuse.
Mais le narrateur de Xala semble banaliser la
formule en l'attribuant à des personnages comme Yay Bineta
dont la cupidité l'emporte sur la foi religieuse. Mention
n'est faite nulle part dans le récit de sa pratique reli-
gieuse. Elle y est présentée comme l'instigatrice de toutes
les manigances pour escroquer El Adji. Ainsi en apprenant
qu'El Adji a le xala, elle s'écrie:
"- Laâ - Lahaa, illa
la ! on t ' a jeté un sort"
(Xala p. 45). Son frère, le vieux
.
i
,-J3abacar, la pronnonce également dans un c·ontexte analogue
pour·, expr imer,sÇi sll~prise (p .}O) .!" Même si ce, dê!,pier

-
196 -
semble plus assidu~dans la pratique religieuse que sa soeu:r:,
on sait ce que le narrateur pense de sa foi puisqu'il le
trai,te d' "nypocri te". La shahâda est donc passée dans les
jurons quo:tidiens,-eequi la banalise et minimise la portée
religieuse.
Quant au narrateur du Devoir de violence, nous
avons vu qu'il vide les formules coraniques de leur conte-
nu religieux et les utilise pour railler certains person-
nages du récit. A la page 44 la formule de la shahâda ré-
vèle la moquerie du narrateur à l'égard du peuple du Nakem
Conséquence inattendue: de la dictature d'une
dynastie
jadis tyrannique,
l'imagination du
peuple fit,
au retour de Madoubo, gloire et
génie ce qui était défaite,
et aligna l'empe-
reur déchu dans la cohorte de ces justes dont
la grandéur désaltère le coeur mourant de soif
au terme de son agonie. La illaha illallah, la
illaha, illaha ! Mahamadara souroulai o . . . .
Tout musulman doit cinq fois par jour faire
la prière,
salât en arabe:
à l'aube (çalât aç-çobh ou
al faàjr),
à midi (çalât az-zohr), l'après-midi (çalât al açr)
au coucher du soleil (çalât al magrhib), à la nuit (çalât
al ichâ)
(5). Le s,.Âfricéùnqll eur ont a ttri tué de s noms dans
leurs langues. Dans Xala, par exemple, le narrateur en ré-
vèle les noms wolof:. "Facjaar"
(p.44), "Tisbar"
(p.57)
- - - - - - -
,-
(5) H. MASSE,
op. cit. ,p.
117-118.

-
197 -
"Takkusan", "Timis", "Géewe"
(p.109)
qui sont pour lui
des références pour indiquer les différents moments de la
journée.
Les ablutions don~ il es~ question à la page 161
des Soleils des Indépendances, permettent aux fidèles de
se purifier avant la prière car,
si "La prière est la clé
du Paradis, la clé de la prière est la purification (les
ablutions)"
(6). L'ablution n'est pas une simple toilette
corporelle;
sa véritable fonction est de purifier l'âme
du croyant pour la prière. Or les Malinké du Horodougou,
malgré leurs ablutions n'ont pas cette pureté d'âme. C'est
à cause de cela que le narrateur leur reproche d'avoir "la
duplicité ( ..• ), ils ont l'intérieur plus noir que leur peau"
(Les Sol. des Indépend.(p.
108), malgré leurs ablutions.
Pour le lieu de la prière, à part celle du
vendredi, i l n'est pas nécessaire qu'elle soit accomplie
dans une mosouée. Maitre Thierno ainsi que le chef des Dial-
lobé ont l'habitude de prier dans leur maison. Il est arri-
vé à Fama de prier au cimetière ou en plein air lors des
funérailles du cousin Lacina.
Cette obligation religieuse est généralement
accomplie avec rigueur en Afrique et on peut s'en rendre
compte avec certains personnages des récits. Mais le nar-
rateur de L'Aventure ambiguë souligne toujours l'exemplarité
(6) Abdus S. SOOKIAS,
Plus de 200 Hadices ou Dires du
Prophète,
Imprimerie de C.I.
1975
,
,
P .1 2 •

-
198 -
de Maître Thierno : il nous apprend en effet, que "Nul au
monde à coup sûr, ne s'était,
son existence durant, accrou-
pi autant de fois que le maître des Diallobé,-car nul n'a-
vait prié autant que lui"
(p.
130). Pour celui des Soleils
des Indépendances, la prière lui permet de révéler l'état
d'âme trouble de Fama, d'extérioriser sa colère. La prière
est normalement un moment de recueillement, une intense
concentration pour communiquer intérieurement avec Dieu.
En islam,
contrairement aux prières de l'aurore et du cou-
cher du soleil qui comportent respectivement deux et trois
prosternations ou "rakat", celles de midi, de l'après-midi
et de la nuit se font en quatre prosternations où le front
doit toucher le sol. Fama au lieu de toucher,
frappe le sol
du ,front:
"par quatre fois il se_'coUrba,
's'agenoui.l-
la, cogna le sol du front,
se releva,
s'assit, croisa les
pieds"
(p.
26). Sa nervosité apparaît encore lorsqu'il fait
fonction de muezzin à la mosquée des Dioula.
Si la prière
se fait dans une mosquée, un muezzin doit l'annoncer, per-
ché au sommet d'un ~ina!et, à haute voix en E?palmodiant
des invocations à Dieu. Fama, au lieu.~de cela, monta
_.
.
..
- .
'.
~
:
dans le minaret, au sommet s'arrêta et cria de toute sa
force( ..• ~Il cria plusieurs fois( ... )il se dressa pour crier
plus haut(. .• )"
(p.
25). Les prières de Fama ont d'autres
imperfections que le narrateur signale. La prière doit être
faite normalement en arabe. Mais on sait que la langue
arabe n'est pas très répandue en Afrique .:' le-s gens qui

-
199 -
la parlent couramment sont peu nombreux.
Sa prononciation
est souvent si altérée
qu'elle devient incompréhensible
pour certains Arabes qui la confondent avec nos langues
africaines. La plupart des musulmans se servent donc, dans
le meilleur des cas, de quelques versets coraniques appris
par coeur et nécessaires pour la prière qu'ils terminent
dans leur langue maternelle. La prière de Fama en est un
exemple patent :
La prière comportait deux tranches comme une
noix de cola: la première, implorant le pa-
radis,
se récitait dans le parler béni d'Allah
l'arabe. La seconde se disait tout entière en
Malinké à cause de son caractère tout matériel ...
(Les Soleils des Indépend.,p.26)
Le narrateur de L'aventure ambiguë u~ilise la
prière pour révéler certaines lois musulmanEs.
Selon Vincent
Monteil, "au Sénégal, comme ailleurs, certains se dispen-
sent de la prière, surtout chez les citadins qui y voient
une contrainte insupportable ou en méconnaissent le sens"
(7).
C'est le cas du Dakarois "bon musulman non-pratiquant", El
Adji Kader Beye, ainsi q~~71a clique des Saïfs, plus enclins
à la violence de la politique qu'à la prière. Normalement,
le sort réservé à de tels pseudo-musulmans est très sévère.
Vincent Monteil, citant une source arabe, la Risâla, dit
que -
(7) V. MONTEIL,
Islam noir,p.
136.

-
200 -
celui qui,
sans avoir apostasié et tout en
reconnaissant l'obligation religieuse dé la
prière, dit qu'il ne prie pas, est mis en
observation jusqu'à ce que le moment légal
d'une prière soit passé.
Si alors il ne fait
pas cette prière, i l est mis à mort.
(8)
Quelle ressemblance avec le sort de Samba
Diallo ! On est tenté de croire que c'est cette loi isla-
mique qu'a appliquéale Fou, qui, après avoir mis en obser-
vation Samba Diallo,
jusqu'à ce que le moment légal d'une
prière soi t
passé, le tue parce' que celui-ci refusai t
tou-
jours de prier. On peut donc penser que Cheikh Hamidou
Kane s'est inspiré de certaines sources arabes pour écrire
son récit, dont la connaissance est indispensable pour la
compréhension de certains passages comme celui-ci.
La mort du Ramadan : une malédiction
------------------------------------ .
Chaque année les musulmans jeûnent durant le
mois lunaire appelé Ramadan,
en s'abstenant de toute ali-
mentation depuis l'aube
jusqu'au coucher du soleil. C'est
au cours de ce mois que les premiers versets du Coran fu-
rent révélés au Prophète.
Selon El Adji Lancina Traoré,
le
jeûne du Ramadan exprime un élan de piété
vers Allah. Le croyant espère y trouver une
expiation de ses fautes:
un moyen d'obtenir
au jour du Jugement la miséricorde divine.
(9)
Mourir penùant le mois du Ramadan,
est souvent
( 8 )
l bd 0
,
p. 1 35 ~
(9) L. TRAORE,
"Ramadan", in Carrefour africain,
nO 786, 8juillet 1983, p.8.,

-
201
-
vu d'un mauvais oeil, c'est même considéré comme une malé-
diction, car on pense que le croyant n'a pas fini d'expier
ses fautes pour lesquelles il sera jugé après sa mort. C'est
cette croyance populaire que le narrateur applique à Saif
El Hilah pour montrer que celui-ci est maudit."il fut mangé
vif des vers dès le douzième
jour du Ramadan, mourut le
jour vingtième du même mois"
(Le Devoir de violence p. 14-15)
- La çadaga pervertie.
La Zakât ou aumône légale est aussi une pres-
cription coranique qui imcombe à tous les musulmans,
"sous
,
forme de taxe, prélévée sur les revenus des riches et re-
partie entre les pauvres". On la pratique en Afrique, mais
elle reste beaucoup moins courante que la forme que Massé
appelle "aumône de spontanéité" ou "aumône volontaire",
çadaga en arabe,
salaka en dioula. En fait,
il s'agit de la
même charité destinée aux pauvres. Seulement, la Zakat né-
cessite une organisation spéciale au sein de la communau-
té musulmane pour en assurer la collecte et la distribution,
alors que la çadaga se fait librement et indiviauellement.
Dans Les Soleils des Indépendancés,
Salimata pratique as-
sidûment la çadaga. Pour elle,
les fous, les mendiants et les chômeurs n'ont
pas 15 francs
; ils ont la pauvreté, le chagrin
et la rancoeur mais aussi la franchise et l'a-
mitié d'Allah.~•. )La droiture est
plus que
la richesse,
et la charité est une loi d'Allah.
(p. 60)
C'est pourquoi Salimata leur distribue

-
202 -
"des assiettées
jusQu'à viaer sa cuvette,
jusQu'à la
racler"
(p. 61),
Dans L'Aventure ambiguë, la nourri~ure de
Samba Diallo est à la charge de la société,
offerte sous
forme d'aumône:
"car le disciple, tant Qu'il cherche Dieu,
ne saurait vivre Que de mendicité, Quelle Que soit la ri-
chesse de ses parents •.• " (p. 24). Une telle justifica-
tion de la mendicité par la religion, montre Que Cheikh
Hamidou Kane y est favorable.
Mais certains abusent parfois de cette cha-
rité,
surtout dans les villes où pullulent toutes sortes
de désoeuvrés Qui font de la mendicité une profession. Le
mendiant Qui est l'auteur du xala d'El Adji, n'a rien d'au-
tre à faire Que de psalmodier les versets coraniQues pour
récolter les piécettes des passants. Ainsi le vieux Babacar
,
"jeta une piecette sur sa peau de mouton et s'éloigna"
(~la,p. 61). Pourtant ce jeune homme n'a aucune infirmité
Qui l'empêche de travailler. En fait,
ce mendiant est un
cas à part
; comme son chant révolutionnaire Que nous avons
distinguécdu chant religieux de Samba Diallo, la fonction
de sa mendicité aussi apparaît plus politiQue Que religieuse.
C'est par la force des choses qu'il est devenu mendiant
le bourgeois El Adji Kader Beye l ' a spolié de ses biens et
l ' a réduit à la mendicité. Sembène fait de ce mendiant le
symbole des exploités, représentant le peuple africain
victime de l'exploitation de la bourgeoisie. Le manteau

-
203 -
musulman dont il le couvre (en psalmodiant des versets
coraniques pour demander la çadaga) n'est qu'une ruse. Son
véritable rôle est, en tant qu'exploité, et parce qu'il a
une connaissance approfondie du système d'exploitation bour-
geoise (il révèle à la fin du récit toutes les manigances
montées par El Adji Kader Beye pour le spolier), d'orga-
niser tous les mendiants, les exploités comme lui, en un
mot, les masses populaires pour s'attaquer à la bourgeoisie
afin d'instaurer une société de
justice, d'égalité et de
démocratie. C'est ce que révèle la dernière partie du ro-
man où l'attaque des mendiants et la scène de crachats peu-
vent être considéré&$comme le combat des exploités dont le
mendiant est l ' instigateur ~ il en est le véritable guide.
Pourquoi Sembène a-t-il choisi d'envelopper un tel message
(marxiste)
dans une couverture musulmane telle que la ~
daqa ?:'On peut d'abord penser que c'est à cause de l'impor-
tance de l'islam qui est la religion de la quasi-totalité
des masses populaires sénégalaises. Ensuite, la mendicité
est non seulement très répandue au Sénégal, mais surtout
elle exprime le mieux
le dénuement total de ces masses
populaires.
Les deux points de vue ci-dessus ne sont pas
concordants:
si Kane défend la mendicité en lui trouvant
une justification religieuse,
Sembène, lui, èn demande
la suppression pure et simple en préconisant l'organisation

-
204 -
des mendiants pour s'attaquer à ceux qui les ont réduits
à l'état de mendicité.
Quant à Kourouma i l en condamne seulement les
conséquences néfastes sur la société. En effet, les men-
diants se constituent parfois en véritables bandes d'agres-
seurs où se recrutent les délinquants de tout acabit. Tels
ceux qui ont maltraité Salimata et volé son argent.
Cette mendicité, inspirée d'une prescription
coranique, on le voit, se vide
de son contenu religieux,
et si on n'y prend pas garde,
elle deviendra un véritable
fléau, une pépinière de la délinquance juvénile
et du dé-
soeuvrement car, contrairement à l'école moderne, les étu-
des coraniques ne permettent aucune promotion sociale de
l'individu, parce qu'elles n'offrent aucun débouché rendant
possible son intégration au marché du travail.
Il est souvent difficile de distinguer "l'au-
mône volontairellou çadaga de certains sacrifices animistes.
D'ailleurs tous les deux sont pratiqués à la fois par cer-
tains musulmans. En dioula par exemple, les deux pratique~
portent le même nom : le pauvre vou~ demandera la çadaga
1
et le marabout ou le charlatan vous prescrira l'offrande
1
ou l'immolation d'un animal comme çadaga. En fait,
comme
les talismans ou les gris-gris, c'est le sacrifice animiste
1
qui s'est islamisé par cette forme particulière de la çadaga.
1
1
1
œ

-
205 -
Il existe, néanmoins,
quelques différences
qu'il convient de mentionner:
dans la pratique animiste,
i l s'agit d'une offrande destinée à une autre divinité
qu'Allah pour obtenir une faveur ou détourner un malheur.
Chez les musulmans, l'offrande ne devrait avoir d'autre but
que la charité, c'est pourquoi elle est destinée aux pau-
vres et aux mendiants.
La nature de l'offrande est variable,
elle peut
avoir la forme de nourriture, d'un animal vivant ou immolé ..•
Le mouton, peut-être par référence au sacrifice d'Abraham,
reste l'animal le plus prisé dans ce genre ù'aumône,
tandis
que les animistes utilisent toutes sortes d'animaux. On com-
prend maintenant la confusion que fait Salimata de ces deux
pratiques. En retour des aumônes qu'elle fait aux pauvres,
elle attend immédiatement une récompense divine. C'est pour-
quoi elle exhorte les bénéficiaires de sa chari~é à faire
des bénédictions afin qu'elle ait un enfant. La récompense
que promet le Coran est pour le
jour du Jugeillent dernier:
"Il ne feront pas une aumône petite ou grande( ••• ) sans que
tout soit inscrit, afin qU'Allah leur accorde la plus ma-
gnifique récompense"
(Coran 9,
122)
C'est au regard de ce confusionnisme si fré-
quent dans les pratiques religieuses, que le narrateur des
Soleils des Indépendances se pose des questions au sujet
des Malinké:
"Sont-ce des féticheurs? Sont-ce des musul-
mans ?"
(p.
108)

-
206 -
- Le pélerinage.
Le pélerinage est un devoir moins absolu que
les quatre autres, parce que son accomplissement peut être
entravé par les difficultés matérielles. Mais quand on a
les moyens ,il faut
s'en acqui tter au moins une foi s dans la
vie, en se rendant à la Mecque pour y accomplir les diffé-
rents rites dont le plus important est la visite de la
Kaaba, sanctuaire dont l'édific~ ressemble à un dé, et qui
daterait de l'époque d'Abraham.
Si, dans le passé, les adji
étaient rares en Afrique à cause de l'éloignement de la
Mecque, aujourd'hui leur nombre ne cesse de croître et le
développement des moyens de transport en Afrique y est pour
beaucoup. On les rencontre partout, même dans les villages
les plus reculés. A Togobala, "il y avait deux El adj" aux
funérailles du cousin Lacina.
Mais le pélerinage perd de plus en plus sa
signification religieuse, et les gens ne vont à la Mecque
parfois, que pour porter le titre d'El AdJi qui confère à
l'individu un prestige social incontestable.
C'est ce que
semble confirmer Yay Bineta dans le récit de Xala :
"El
Adji Abdou Kader Beye, tu as visité la Mecque, la maison
du Prophète Mahomed ( •.• ), tu es un homme respectable ll
(p.
19).
Entre autres choses, les adji rapportent sou-
vent de la Mecque l'eau du puits sacré appelé Zem-Zem.

-
207 -
Cette eau est très recherchée à cause des vertus mira-
culeuses qu'on lui attribue (10), El Adj Abdoul Hassana
en a rapporté au Nakem. Voici comment le narrateur s'en
moque en la démythifiant :
Sur les conseils de Saïf El Haram,
ce minis-
trion fit dévotement un pélerinage à la Mecque,
d'où i l revint au bout d'un an, paré du ti-
tre d'El Adj
(Pélerin de Terre Sainte). Dis-
pensant alors aux malades la sainte eau de la
ville du Prophète Mahomet, il crut pouvoir
sucrer le peuple sautillant, guérir les para-
lytiques, rendre la vue aux aveugles et la foi
aux mécréants. Il fallut se rendre à l'éviden-
ce : l'eua de la sainte Mecque ne lui gagna
aucun ami, ne rendit guère la vue aux aveugles,
ne guérit point les paralytiques et même -sa-
crilège - n'avait pas aux dires des mécréants,
bon goût ...
(Le Devoir de violence, p.16).
L'analyse des "cinq piliers" révèle les abus et
les perversions du dogme islamique en Afrique,
que dénoncent
(hormis Kane) ces auteurs. Il semble qu'à ces cinq piliers_
certains en ajoutent un sixième: le djihad. Nuus avons déjà
montré comment dans la vision des narrateurs,
celui-ci ap-
paraît comme n'ayant pas seulement des intentions religieuses,
mais surtout des motivations politiques. Il marque ainsi l ' i s -
lam du regrettable sceau de la violence.
III.
2
Des coutumes islamisées
-------------------------------
En plus de ces prescriptions coraniques, les
auteurs évoquent des coutumes traditionnelles que l'islam
africain a adoptées. Tentons de saisir les vues que les au-
teurs en ont.
(10)
On trouve certaines de ces vertus chez Mariama BA,
Une si Longue Lettre, NEA,
1981.

-
208 -
~!~~_g~l__~~~_f~~~E~!~~~~_~~~~~~~~~~
EE!~E~~_~~_f~~!~~!!~~ ?
Ce sont les funérailles du 7è et 40è jour que
l'on trouve chez les Malinké dans Les Soleils des Indépen-
dances, qui, du reste,
sont pratiquéès presque partout en
Afrique occidentale. La cérémonie commence habituellement
par la troisième prière, celle de l'après-midi. Après la
prière, l'imam qui dirige la cérémonie récite les quelques
versets coraniques recommandés à cet effet, puis on fait
ripaille. Cela dépend, bien sûr, du rang social du défunt,
et de la richesse de ses parents : aux funérailles du cou-
sin Lacina, dans Les Soleils des Indépendances, cinq boeufs
sont immolés. Pourtant Fama et sa famille tirent le diable
par la queue. Ces cinq boeufs leur auraient été d'un grand
secours.
Une musulmane sénégalaise, Mariama Ba s'inter-
roge sur la signification de telles festivités
L'on nous dit dans le Coran que le troisième
jour, le mort enfle et emplit sa tombe et pour-
tant, l'on nous dit que le huitième jour, i l
éclate, et l'on nous dit aussi que le quaran-
tième
jour, i l est démantelé
! Que signifient
donc ces festins
joyeux,
établis en institu-
tion,
qui accompa~ne les prières pour la clé-
mence de Dieu?
(11)
Il est vrai que les sommes fabuleuses souvent
dépensées au cours de ces cérémonies auraient dû plutôt
servir à payer les ordonnances des malades! L'Afrique
évolue certes, mais les vieilles croyances subsistent en-
core. Les Malinké expliquent ces festivités de la façon
suivante ~

-
209 -
Parce que quarante jours exactement après
la sépulture, les morts reçoivent l'arrivant
mais ne lui cèdent une place et des bras
hospitaliers que s'ils sont tous ivres de
sang. Donc rien ne peut être plus bénéfique
pour le partant que de tuer, de· beaucoup tuer
à l'occasion du quarantième
jour.
(Les Soleils des Indépend.,p.
1L
Comme dans l'islam, l'au-de-là revêt une im-
portance capitale dans les croyances traditionnelles en
Afrique. Pour faciliter l'accès du Paradis, nous avons vu
que la sourate 9, verset 122 du Coran
recommande au musul-
man de faire l'aumône. Chez les Malinké,
c'est le sang des
animaux immolés,
qui permet au défunt d'accéder au IIIVIonde
des Ancêtres". Les musulmans Malinké et,
en général, de
toute l'Afrique occidentale·
ont fusionné les deux pra-
tiques (l'aumône musulmane et le sacrifice animiste fait
pour le défunt) laquelle fusion n'a été possible Que grâce
à leur similitude.
Ainsi, dans certaines langues africaines, la
cérémonie musulmane du 40è
jour porte le nom çadaga (aumô-
ne)
ou dwa,
c'est-à-dire "prière" ou IIbénédiction". Il
s'agit donc d'une aumône spéciale faite par les parents
du défunt à la manière des funérailles traditionnelles
africaines, pour solliciter la clémence d'Allah au jour du
Jugement dernier. Mais au cours de ces cérémonies, c'est
le festin qui prime sur la prière. Le narrateur des So-
leils des Indépendances évoque ironiquement le cas des

-
210 -
Malinké de Togobala qui sont plus préoccupés par la nour-
riture que par la prière. Effectivement, i l a suffi qu'un
tourbillon renverse les couvercles des plats'de riz cuit
pour que le fumet ainsi que la vue de la nourriture chas-
sent Allah de l'esprit des croyants qui "priaient d'un
oeil et l'autre caressait les boeufs et les calebasses
pleines de riz cuit"
(Les Sol. des Indépend. 1 p.
146).
D'autres pratiques telles que la circoncision,
l'excision (respectivement l'ablation du prépuce et du cli-
toris)
et l'infibulation (coudre le sexe d'une femme),
sont
passées dans les coutumes musulmanes en Afrique. Les spé-
cialistes de ces questions comme Awa Thiam (12),
ont pro-
testé contre ceux qui tentent de les justifier par l'islam,
et ont montré que la religion musulmane n'en est nullement
la source. D'ailleurs les chrétiens et les animistes afri-
cains les pratiquent aussi. La justification que les mu-
sulmans trouvent à l'excision est semble-t-il l'allusion
qu'en a faite le Propnète uans un hadith (13).
(12) Awa THIAM,:
La'~~Parole aux Négresses, Denoël/Gonthier, 197
Elle donne une liste de 19 pays où est pratiquée
l'excision. Vincent MONTEIL affrime dans L'Islam noir que
"La clitoriaectomie est inconnue en Afrique du Nord"
(p.65).
Outre l'Algérie que mentionne Awa THIAM aans sa liste,
on
la signale aussi au sud du Maroc et même en Tunisie. Evi-
demment,
cette liste ne peut être limitative. Le sexe et
la sexualité étant tabous dans certains milieux musulmans,
i l n'est pas sûr que tout le monde la pratique au grand
jour comme en Afrique occicentale où cela se fait même par-
fois à l'hopital.

-
211
-
De plus à l'époque du Prophète, l'excision était une pra-
tique très courante et le Prophète ne l ' a pas condamnée.
Comme Awa Thiam, Kourouma et Ouploguem ont
la même attitude démythificatrice vis-à-vis de ces pratiques.
L'atmosphère fétichiste qui entoure l'excision de Salima-
ta (comme la plupart des cérémonies, celle-ci a lieu dans
une forêt,
et est supervisée par une matrone et le féti-
cheur Tiécoura)
est une façon pour Kourouma de dévoiler
les pratiques non conformes des musulmans Mal~nké tel qu'il
l'a fait pour leurs funérailles,
leur divination et les
pratiques fétichistes chez Fama ... Quant à l'excision et
à l'infibulation de Tambira, qui constituent des maillons
de la chaîne aes cérémonies du mariage musulman au Nakem,
c'est Saif que le narrateur dénonce,comme étant à l'ori-
gine de ces pratiques barbares "en proclamant un droi t
coutumier qui faisait définitivement de la femme l'outil
des hommes"
(Le Devoir de violence p.
62). Si l'on recon-
,
naît aujourd'hui une valeur hygiénique à la circoncision,
il ne sert à rien de continuer à pratiquer des coutumes
comme l'excision et l'infibulation dont personne ne connaît
réellement l'origine ni la signification. La sanglante des-
cription chirurgicale de l'infibu12tion de Tambira et de
(13) A. BOUHDIBA, La Sexualité en islam, PUF : il distingue
excision et clitoridectomie: "Celle-là
est tolérée,
celle-ci est rigoureusement
prohibée car Le Prophète, un jour voyant
Um'A~tya opérer une fillette ~ui dit:
"La circoncision est une Sunna pour les
hommes et seulement une Makruma pour les
filles. Effleurez et n'épuisez point •.• "
(p.
'216)

-
212 -
l'excision de Salimata, traduit la répulsion qu'ont
Kourouma et Ouologuem à l'égard de ces pratiques. Mais
dans la réalité, leur poids social est si important que
toutes les tentatives pour les enrayer s'avèrent vaines.
C'est ce qui explique que dans certains pays,
faute de pou-
voir les supprimer,
on a essayé d'en améliorer les condi-
tions hygiéniques.
!!!~_g~2__~~_EE~~~~_~~_~§E!§g~_~~~~!~~
!§_E~!r~~~~~~_!~ __!~~~_~~~_f~~~~~~_!§_~!E~~~~~~·
Le mariage qui est l'un des thèmes favoris
du roman africain,
comporte chez les musulmans des prati-
ques traditionnelles qu'on a essayé d'islamiser. On sait
par exemple que la polygamie en est un des traits carac-
téristiques, mais que les Africains pratiquaient bien avant
l'arrivée de l'islam. La raison économique est l'une des
plus courantes qu'on lui trouve. On sait effectivement que
la principale source de revenu d'une majoriGé d'Africains
réside dans les activités champêtres même de nos jours.
Avec plus de bras on augmente ses richesses en amassant plus
de récoltes. Il faut donc beaucoup de femmes pour avoir
le plus d'enfants possibles!
Si on a "peu de bras travail-
leurs ... " (Les Soleils des Indépendances, p.
110) comme dans
la famille de Fama à Togobala :
"Deux cultivateurs pour
remplir quatorze mangeurs"
(Les Soleils des Indépenaances
p.
110), il va sans dire que la richesse familiale sera

-
213 -
bien mince. C'est pourquoi on n'y trouve "rien de pulpeux,
rien de lourd, rien de gras"(rbd.).
D'autres raisons sont avancées,
tels le
prestige de l'homme polygame, l'esprit de solidarité fa-
miliale (lorsqu'on hérite les femmes d'un parent défunt
afin,
semble-t-il, de maintenir les enfants dans la famille p
mieux assurer leur éducation).
Quelles qu'en soient les raisons, la poly-
gamie a sans doute été un facteur favorable pour l'adoption
de l'islam par les Africains qui étaient déjà habitués,
au détriment du christianisme qui
bouleversait ces habitu-
des en imposant la monogamie. Le procès qu'en font les
narrateurs, dénotent leur désapprobation de la polygamie.
L'exemple le plus patent est celui d'El Adji Kader Beye.
Le récit de Xala
montre que la polygamie est incompatible
avec les réalités économiques de l'Afrique d'aujourd'hui.
Tant qu'El Adji n'avait qu'une femme, Adja Awa Astou,
ses
entreprises prospéraient. Son second mariage avec Oumi
Ndoye, femme trop dépensiaie
par son train de vie extra-
vagant, constituera déjà une source de difficultés finan-
cières. Le troisième mariage apportera la ruine totale.
La dislocation de la famille de Fama provien-
dra également de difficultés matérielles. Déjà avec une
seule femme,
Salimata, la vie était misérable. Mais Fama

s'entêtera à épouser Mariam et à l'amener dans la capi-
tale. Il en résultera une promiscuité insoutenable, car en
guise de maison, Fama ne possède qu'une "pièce" meublée
d'un l i t unique pour le trio.
Si Saif ben Isaac El Heit parvient à entrete-
nir un harem de 27 femmes,
c'est qu'il possède d'innombra-
bles esclaves pour travailler :
"Les nouvelles recrues et
vingt serfs vont aux champs, avec les cultivateurs escla-
ves •.• "
(Le Devoir de violence,p. 48).
Le problème de la polygamie est donc envisa-
gé par les auteurs d'un point de vue économique.
On s'en
rend compte avec le troisième mariage d'El Adji où tout
tourne autour de sa richesse: une voiture comme cadeau de
mariage, l'impressionnante fête offerte à ses amis, la villa ..
ne reflètent rien d'autre qu'un étalage de richesse. Pour-
tant mention n'est faite nulle part des femmes de certains
personnages qui ont des conditions de vie pauvre, tels Modu,
le chauffeur domestique d'El Adji, le mendiant qu'il a spo-
lié ... Même le vieux Babacar, musulman qui se montre pieux,
n'a qu'une seule femme,
sans doute parce qu'il est pauvre.
Il s'agit donc d'un problème qui est lié à la structure
actuelle de la société africaine,
et qui reflète la domina-
tion des uns par les autres.
Seuls les bourgeois compradors
comme El Adji peuvent se permettre le luxe d'épouser plu-
sieurs femmes,
alors que les pauvres qui travaillent pour

-
2-15 -
les enrichir, n'ont pas toujours la possibilité G'en avoir
une.
Il arrive que des prolétaires aussi épousent plusieurs
femmes. Mais le plus souvent, comme pour Fama, l'échec est
inévitable, car les moyens font défaut (14).
La conception du mariage chez Sembène, Ouolo-
guem et Kourouma apparaît comme une suggestion implicite
de la monogamie. En effet, les foyers conjugaux qui sont
idéalisés par ces auteurs sont les familles monoga~iques.
Dans le récit de Xala, le narrateur rappelle l'a~mosphère
de sérénité, d'amour et de bien-être qui régnait entre Adja
Awa Astou et El Adji avant les deux derniers mariages de
ce dernier, qui sont venus gâcher le bonheur familial du
couple. A la fin du récit, la famille à'El Adji est certes
ruinée, mais l'union d'antan est retrouvée après le départ
des deux autres femmes.
Alors que ces dernières et leur fa-
mille raillent
El Adji après sa ruine,
Adja Awa Astou vend
ses bijoux et autres objets précieux pour aider El Adji à
payer ses dettes et à reconstruire la famille détruite, leur
bonheur d'an_tan :
elle apparaît. comme une femme _iqéale, -_la
consolatio~ d'El Adji.
(14) M. L. N'DIR, "Reflexions surIe maria~p. et 1e divorce
en -pays mus1Jlmanl'--inAfrlque'-nocum-en-is .
ri'ôS3', '6é<·ë:a.nIer,
(1965)/ p. 251-258.
Celui-ci montre que ce n'est pas à coups de lois qu'on
pourra résoudre les problèmes du maria~e en Afrique.
L'échec de celles-ci remonte à l'époque coloniale, avec
des décrets comme le décret Mandel en 19)9, le décret
Jacquinot en 1951 qui ont, comme les lois d'aujourd'hui
tenté vainement de trouver des solutions au mariage
en Afrique et plus particulièrement à la polygamie.

- lH!>--
c'est surtout chez Rama, la fille ainée d'El
Adji que la suggestion de la monogamie est la plus patente.
Rama
m"ène
inlassablement, tout au long du récit, un
combat contre la polygamie. Elle s'oppose au troisième
mariage de son père
conseille à sa mère de divorcer pour
échapper aux souffrances de la polygamie, annonce à son
grand-père et à son fiancé qu'elle n'acceptera jamais la
polygamie .••
Il regne également un bonheur familial chez
le couple Tambira et Kassoumi, qui malgré leur condition
modeste, unissent leurs efforts pour le bonheur et la réus-
site de leurs enfants, dans Le Devoir de violence. C'est
surtout à la mort de Tambira qu'on se rend compte du degré
d'amour de ces deux conjoints, et de l'idéalisatiqn qu'en
fai -t le narrateur; ·Tambi-raést violée successivemen t ,-~et le
même
jour, par les sorciers Dougouli, Kratonga et Wampoulo.
Elle ne peut supporter cette honte,
surtout à cause de l'a-
mour qu'elle voue à son mari:
on la trouve dans les la-
trines, deux jours après, morte avec une corde au cou.
Kassoumi
(son mari) prit une corde, écarta sans
dégoût les planches, hissant le corps gluant
de sa bien-aimée, qU'il lava doucement. Il lui
arrivait parfois, au cours de la toilette de
la défunte, de lui sucer le nez, pour en recra-
cher un ver.
(Le Devoir de violence p.
151)
Enfin, dans Les Soleils des Indépendances, après
la dislocation de la famille de Fama, aucune de ses épouses

-
217 -
ne choisit de se remarier avec un polygame. Salimata re-
joint Abdoulaye, et Mariam va avec "Papillon", tous deux
célibataires.
Chez ces trois auteurs,
les familles polyga-
n:fes
échouent, et celles de la monogamie réussissent
; ce
qui peut être considéré comme une marque de leur assenti-
ment à la monogamie, comme le prône aussi le Coran qui dit
ceci
Si vous craignez d'être injustes envers les
orphelins, n'épousez que peu de femmes, deux
ou trois ou quatre parmi celles qui vous au-
ront plu.
Si vous craignez encore d'être in-
justes, n'en épousez qu'une seule.
(sourate 4, verset 3)
Enfin, un autre aspect du mariage qui mérite
de retenir notre attention,
est le problème du choix: la
femme musulmane choisit-elle son mari? Dans les récits,
la réponse semble négative
; du moins en ce qui concerne
NGomé, dans Xala, c'est Yay Bineta qui choisit à la place
de l'intéressée et qUi, par ses diverses manigances, "telle
une araignée",
tisse le lien entre la fille et El Adji.
Le premier mari de Salimata, Baffi, lui fut
également imposé. C'est au prix d'innombrables souffrances
où elle frôla plusieurs fois la mort, qu'elle parvint à re-
joindre Fama Doumbouya , l'homme qu'elle aimait.
Le problème du choix du conjoint dans le ma-
riage est toujours influencé par la société-traditionnelle
africaine où le mariage ne concerne pas seulement le couple,
mais engage aussi la responsabilité de la famille des con-

-
218 -
joints, voire celle de toute la société. Ainsi en cas de
mauvais choix, les conséquences éclaboussent plus d'une
personne. Pour éviter de telles éventualités, les parents
de la fille ou du garçon font,
bon gré mal gré, le choix
à leur place.
Pourtant le Prophète a d i t :
"La vierge ne
sera mariée qu'après qu'on aura obtenu son consentement" (15)
Ce n'est pas toujours de gaieté de coeur que les jeunes
Africains, musulmans,
chrétiens ou animistes, acceptent une
telle coutume sans âge,
surtout de nos jours '.à la cupi-
dité des parents en est la motivation principale. C'est ce
que le narrateur de Xala dénonce chez les musulmans de
Dakar, car ce n'est pas par hasard que Yay Bineta a choisi
El Adji pour épouser NGomé : plus le mari est riche comme
El Adji, plus la dot sera élevée. On voit ainsi comment
la dot,
qui dans la société traditionnelle n 1 avait qu'une
valeur symbolique, marquant l'alliance entre deux familles,
a été déformée, viciée pour devenir aujourd'hui une véri-
table vente déguisée, un moyen d'enrichissement inavoué
au détriment,. évidemment de la fille africaine. On chosifie
,
ainsi la femme,
elle devient une marchandise pour le
plus
offrant. Sinon comment expliquer "cet(;e exécrable coutume
qui veut que quand un homme meurt,
chacun de ses frères,
s ' i l en a, puisse prendre comme son propre bien, une femme
parmi les veuves du défunt ?" (16).
l
(15) A. s. SOOKIA
pp. cit.
p. 42

,
l
( 16) A. SAMB,
Q;g •
ci t ., p.
18.
1
1

-
219 -
Le legs des femmes comme un héritage est,
selon Amar Samb, "la plus ignoble des institutions que l'on
ait établies parmi tant d'autres
des plus incestueuses"
(17
Dans Les Soleils des Indépendances,
Salimata et Mariam en
ont été victimes:
Salimata s'y opposa en refusant d'épou-
ser Tiémoko, le frère de Baffi, son mari défunt. Quant à
Mariam, héritée par Fama de son défunt cousin Lacina, elle
n~ rencontrera qu'échec et désola~ion auprès de son nou-
veau mari. Refus chez l'une,
échec chez l'autre, cela mon-
tre qu'Amadou Kourouma n'est pas favorable à une telle cou-
tume.
Les coutumes traditionnelles qui ont été trans-
plantées dans le mariage musulman -
on vient de le consta-
ter -
sont très nombreuses, et la femme en est incontesta-
blement la plus grande victime. Il n'est évidemment pas
question de polyandrie pour elle,
bien qu'on lui impose la
polygamie,
sinon le harem. D'ailleurs, elle n'a pas son mot
à dire, même si elle est la première concernée par le ma-
riage
on la remet à celui qui offrira la plus grosse dot,
il en usera jusqu'à sa mort, puis cela sera le tour du frè-
re, du cousin, ou d'un parent proche ou lointain ••.
En plus de tout cela, le jour de son mariage,
elle doit être pour le plus grand bien de son mari, vierge.
Pour cette sacro-sainte virginité,
on n'hésite pas à ex-
1
hiber le livre saint de l'islam, le Coran. Mais chacun sait
l
1
1

- j.,W--
aujourd'hui, que ce soit en Afrique ou ailleurs, par quelles
supercheries passent certaines personnes pour faire croire
qu'une fille est vierge alors qu'en réalité, elle ne l'est
pas.
Les subterfuges employés par Tambira dans Le
Devoir de violence, pour tromper la vigilance de Saïf, en
disent long.
Celui-ci a,
en effet, un droit
de cuis-
sage sur toutes les femmes de ses esclaves ; gare à celles
qui sont déflorées avant qU'il·n'exerce son droit. Tambira
qui a été dépucelée par son amant avant leur mariage, réus-
sira à tromper la vigilance de Saïf en utilisant "un sachet
empli de sang de mouton" (p.63)~_
Cette pratique est également dénoncée par le
narrateur de Xala : Ra~a, la fille ainée d'El Adji n'est
pas dupe. Voici ce qu'elle pense de la virginité de sa ma-
râtre, la troisième épouse de son père
Pour ce mariage, mon père a dépensé une for-
tune, plus une voiture pour sa dulcinée à la
condition qu'elle soit vierge. Pucelle •.. Or
je suis sûre qu'elle est vierge comme moi •..
(Xala p.
77)
Le xala d'El Adji ne lui a pas permis de
constater si NGomé est vierge ou non
Mais c'est par Rama
qu'il faut saisir la vue de Sembène sur le problème de la
virginité. Pour celle-là en effet, la virginité n'a aucune
importance le
jour de son mariage, puisqu'elle semble s'en

-
221
-
être déjà déoarrassée. Ce qui importe, c'est l'amour qu'ils
se vouent réciproquement,
elle et son fiancé.
De même chez Ouologuem,
c'est Saif, le défen-
seur de cette pratique, qui est trompé, ridiculisé. Tambira,
la contrevenante triomphe,
ce qui est une façon de soutenir
celle-ci.
A l'époque du Prophète, les filles étaient
mariées très
jeunes, mais de nos
jours, les réalités so-
ciales sont tout autres. Le rôle de la fe.mme a évolué éga-
lement
; ses nombreuses obligations sociales peuvent allon-
ger son célibat.
S'il était plus facile d'appliquer cette
loi coranique à des filles de quatorze à quinze ans, i l
n'en est pas de même pour des filles dont le célibat peut
aller au-delà.
A travers cette expression sociale de l'islam,
se sont dégagés les cinq ou six piliers selon qu'on exclut
ou non le djihad, qui constituent le fondement des princi-
paux rites musulmans.
Si les récits ne s'attaquent pas a
ces rites, les écarts et les abus dans leur pratique, n'é-
chappent aux critiques véhémentes. En définitive, ce n'est
pas au dogme islamique que les auteurs en veulent, mais à
son mauvais usage, dont abusent certains musulmans. Nous
avons ensuite analysé quelques coutumes relevant des tra-
ditions animistes en Afrique. Parmi elles, il y en a qui
bénéficient implicitement de la faveur des auteurs, c'est

-
222 -
le cas des procédés de la pharmacopée africaine qui renfer-
ment de nombreuses possibilités curatives encore mal connues
et inexplorées par la médécine moderne telle la guérison
mystérieuse du xala d'El Adji. Par contre des coutumes ina-
daptées telles que l'excision, l'infibulation, la polygamie,
le legs des femmes .•. traduisent une prise de position ra-
dicale des auteurs: ils les condàmnent et veulent leur,
suppression pure et simple.
·.../
1
1
1
1
1
1

-
225 -
CHA P I T R E l V
~~-~~~~!g~~-~~-~~!~~~
~-~~-~!~~~~_!~~!~!~~~~
\\
Outre cette vision collective de l'islam, ten-
tons de saisir le comportem8nt religieux
au
niveau indivi-
duel, tel qu'il se manifeste chez les personnages essentiels
des récits. On peut en distinguer trois sortes:
- Un islam cathartique.
- L'islam comme moyen de promotion sociale.
- Les musulmans intègres.
IV. 1
L'islam cathartioue
--------------------------
Il se manifeste chez Fama,
Salimata dans Les
Soleils des Indépendances, ainsi que chez Adja Awa Astou
dans Xala.
Le passé de Fama fut prestigieux : prince du
Horodougou,
il était autrefois un riche commerçant vivant
dans l'or, l'honneur, les femmes . . . Mais,
sous les soleils

-
224 -
des Indépendances, i l est réduit à la mendicité. Les fu-
nérailles et les oaptêmes sont devenus des lieux qu'il
fréquente assidûment parce qu'il compte y réc91ter quel-
ques aumônes pour sa subsistance. Une telle déchéance ne
peut qu'inquiéter, voire traumatiser le prince du Horodou-
gou qui se trouve désormais "bafoué, provoqué, injurié"
(p.
1E:
par des fils d'esclaves. Comme "le Coran, la piété et
l'aumône l1
(p.
19) ont imprégné son enfance heureuse de prin-
ce, Allah devient alors un abri pour se protéger de la
tempête des soleils des Indépendances. C'est pourquoi, à
travers ses réflexions,
ses appels,
ses exhortations, et ses
nombreuses imprécations, apparaît toujours Allah d'une fa-
çon obsessionnelle:
"Allah en soi t
loué",
"Allah le misé-
ricordieux pardonne", "Allah fais,
fais donc ... ". Mais où
a-t-on vu Allah s'apitoyer sur une destinée? Peu importe
cela à Fama ! Ce qu'il veut, c'est la protection d'Allah
dans un monde qui lui est hostile. Par exemple, la prière
devient pour lui un moyen de défense contre les attaques
des "batârds et des fils d'esclaves" qui cherchent à l'hu-
milier. Ainsi après avoir subi l'humiliation que lui a in-
fligée Babou aux funérailles de Koné Ibrahima, i l court à
la mosquée des Dioula pour prier "car, dit-il, un musulman
conServe le coeur froid et demeure patient"
(p.
20). Ce qui
ne va pas l'empêcher de "crier très fort" la prière du
minaret "tout envahi par la grandeur divine"
(p.
25). En
fait,
la prière lui permet d'oublier son humiliation,
elle

-
225 -
lui apporte un instant de réconfort, d'autant plus qu'il
y en a de plus malheureux que lui, par exemple ces "four-
mis de malheureux"
(p.
25), les mendiants entassés au pied
du minaret à la vue desquels Fama est envahi par un "subit
contentement"
(p.
25).
C'est encore d'Allah que se servira Fama pour
se débarrasser d'un Syrien auprès duquel i l s'est "endetté
jusqu'à la gorge et même au-dessus de la tête ... " (p.
24)
Il l'exhorta à prier Allah afin que lui Fama
parvienne à s'acquitter, car pour ces durs
soleils des Indépendances,
travailler honnê-
tement et faire de l'argent tient du miracle,
et le miracle appartient à Allah seul ...
-(p. 24)
Les obstacles qui se dressent sur le chemin
de Fama sont nombreux. Ce ne sont pas seulement des indi-
vidus comme Babou, le Syrien Abdjaoudi qui entravent son
chemin, c'est contre toute la société qu'il part en guerre
et sa foi en Allah assure ses arrières :
tant qU'Allah reSldera dans le firmament même
tous conjurés,
tous fils d'esclaves, le parti
unique, le chef unique,
jamais ils ne réussi-
ront à faire crever Fama de faim
CP. 23-2i
A ces problèmes sociaux, vient s'ajouter la
stérilité de Salimata,
son épouse,
et qui est aussi une pré-
1
occupation majeure de Fama. Alors,
i l va implorer Allah
1
"Allah ! fais,
fais donc que Salimata se féconde
!"
(p. 26).
1
Mais tous les voeux de Farna sombrent dans le désespoir, car
le ventre de Salimata reste "sec comme du granit"
(p. 27).
1
1

-- 226
Fama ne peut pas co r1prendre les intentions
d'Allah où "les fatalités,
le destin, le sort, les béné-
dictions, les volontés et les jugements derniers d'Allah
descendaient,
se superposaient,
se contredisaient" (p.
120).
Pourtant i l ne peut se résigner à son sort, à son destin
d'être l'ultime héritier de la dynastie des Doumbouya :
"Allah le miséricordieux
et Mahomed son prophète
! clé-
mence
! encore clémence
!"
(p.
29). C'est au prix d'un im-
mense effort sur lui-même que Farna se rendra compte de cette
évidence: Dieu ne s'apitoie pas sur une destinée car,com-
me le disent les Peuls,
"il n'est pas un parent".
les
Allah é~ant inaccessible, les fétiches et/aïeux
Doumbouya seront son dernier recours :
un destin dur co.nme fer,
lourd comme une mon-
tagne,
se dévie à coups de sacrifices,avec
le concours des morts. Aïeux! grand Doumbouya
Je tuerai des sacrifices pour vous, mais tous,
dans la volonté d'Allah,
extirpez l'illégalité,
la stérilité, tuez l'indépendance et le parti
unique, les épidémies et les nuages de saute-
relles
!
(P. 121)
En renouant ainsi avec les pre.tiques tradi-
tionnelles,
Farna espère combler le silence d'Allah en
"tuant des sacrifices de toutes sortes, même un chz,t noir
dans un puits"
(p.
23).

-
227 -
IV.
1.2
Salimata
On observe la même pratique religieuse chez
Salimata dont la foi apparaît comme un instrument utile et
rassurant, une protection contre l'hostilité de son univers.
L'épouse de Fama est,en effet,obsédée par sa stérilité, et
toute sa foi tourne autour de "son ventre sans épaisseur,
ne couvrant qu'entrailles et excréments"
(p. 31). La prati-
que de la charité prescrite par le Ceran devient pour elle
un moyen d'obtenir un enfant.
"Il suffisait de dire
'qU'Allah
t'accorde un enfant' pour qu'elle accordât des crédits"(p. 49:
Elle aistribue également des assiettées de riz aux pauvres,
aux mendiants et aux chômeurs parce que ceux-ci ont "la
franchise et l'amitié d'Allah"
(p. 60). Mais,
comme celle de
lui/
son époux,
sa foi va se heurterà.des obstacles, et Allah de-
viendra"incompréhensible :
"Allah, le comptable du bien et du
mal, comment justifie-tu d'avoir gratifié d'aussi méchantes
créatures de progénitures,
alors que Salimata, une musul-
mane achevée
..• " (p.
59)
en cherche en vain? Toutes ses
questions demeurent vaines. Pour remédier à son insatis-
faction,
elle fera comme son mari en renouant avec les pra-
tiques animistes. Sa fréquenta~ion assidue du marabout-sor-
cier Abdoulaye
n'a d'autre
dessein
que celui d'avoir un
enfant, au moyen de divers sacrifices,
sortilèges, mixtures,
cornes de bélier et amulettes que celui-ci lui remet.

-
228 -
Enfin, le troisième personnage, ,Adja Awa Astou,
appartient au récit de Xala. "Cette insulaire, née à Gorée,
de confession chrétienne,
s'était apostasiée par amour pour
mieux partager les félicités d'une vie conjugale"
(p.
24).
A sa grande déception,
son mari lui préféra une autre fem-
me,
en épousant Oumi NDoye. .
Malgré sa vaJan té- de
taire toute haine à l'encontre ·de sa co-épouse,
car "elle
voulait être une épouse selon les canons de l'islam: les
cinq prières par jour, l'obéissance totale à son mari"
(p. 39)
sa souffrance n'en sera pas pour autant amoindrie. Comme
nous l'avons vu plus haut,
elle s'isolera dans la religion
comme certains s'isolent dans la drogue, ce qui est une
façon de dissimuler son affliction,
au lieu de recourir à
des moyens efficaces pour la guérir.
En fait,
ce n'est pas la foi de ces trois per-
sonnages qui est mise en cause, mais les pratiques déviées
qu'ils en font. Les causes de la déchéance de Fama ne ré-
sident pas dans la religion ; il faut plutôt les rechercher
dans les réalités politiques,
sociales et économiques de
l'Afrique des Indépendances. Fama est techniquement et cul-
turellement inadapté au fonctionnement des nouvelles struc-
tures politiQues, administratives e-c économiques de l'Afri-
que moderne. Il a beau "prier Allah nuit et; jour, tuer des
sacrifices de toutes sortes"
(p.
23), tant qu'il demeurera
"analphabète comme la queue d'un âne Il
(p.
23), il ne pourra

-
229 -
être ni secrétaire du parti, ni directeur d'une coopéra-
tive comme i l le souhaite. L'insertion de l'Afrique dans
le concert des grandes nations exige des cadres instruits
et techniquement compétents. Elle ne peut donc plus s'acco-
moder des vieux chefs traditionnels comme Fama, nostalgi-
ques des splendeurs du passé
et qui refusent les change-
ments nécessaires qui doivent s'effectuer.
Ce ne sont pas non plus les prières, les sa-
crifices
et autres pratiques magico-religieuses qui par-
viendront à guérir Salimata de sa stérilité. Comme pour
toutes les maladies,
i l faut des diagnostics qui permet-
tent d'~n détecter les causes afin d'e~ploye~ les remèdes
Si Adja Awa Astou refuse de uivorcer comme le
lui conseille sa fille Rama, ce n'est pas en tout cas la
,
,
religion qui parviendra à freiner ou à étouffer ses inces-
santes montées de rancoeur, de
jalousie et de haine.
Foi de charbonnier,
ou foi de pauvre, le per-
pétuel recours de ces personnages à Dieu pour résoudre leurs
difficultés personnelles révèle une forme d'analphaoétisme
qui les empêche d'analyser leurs maux.
Si la religion les
tranquilise sporadiquement comme une "drogue" selon Sembène,
elle s'avère incapable d'atteindre la racine des maux pour
la guérison totale.
Ici encore, ce n'est pas la religion
qui est mise en cause par Kourouma, mais l'ignorance des

-
230 -
personnages qui les égare, les amène à un usage cathar-
tique de l'islam. Le Coran dit en effet:
"Dieu ne chan-
gera point ce qu'il a accordé aux hommes tant qu'ils ne le
changeront pas les premiers"
(sourate 13, verset 12). Mais
comment des analphabètes comme Fama,
Salimata peuvent-ils
le savoir? Leur connaissance du Coran est constituée de
quelqu~s bribes de versets qu'ils récitent pendant les priè-
res, mais sans rien y comprenare.
Sembène ne semble pas non plue-partager le choix
d'Adja Awa Astou de "s'isoler dans la religion" comme une
droguée. Elle est victime de l'ingratitude de son mari;
c'est El Adji qui est à l'origine de toutes ses souffrances
et, au lieu de faire face à ces problèmes conjugaux,
la
religion ne fffit que l'en détourner. La suspicion est claire
la religion apparaît comme l'opium des opprimés, de ceux
qui souffrent comme Adja Awa Astou qui y a aliéné toute
sa personnalité.
El Adji Kader Beye,
Saïf Ben Isaac El Heït, les
marabouts.
El Adji Kader Beye n'a de musulman que le nom.
On se rappelle en effet la présentation ironique que le nar-
rateur faite delùi:
"bon musulman-non"'7PJ:a1:;iquanV'.

-
231
-
Pour Amar Samb,
Quand on se réclame de l'islam, on est maho-
métan ou on ne l'est pas. Dans cette religion,
il n'existe pas de dérobade qui consiste à
dire qu'on est croyant et non pratiquant. La
foi et la pratique ne se dissocient pas.
(1)
El Adji Kader Beye ne se réclame de l'islam
que pour défendre ses prérogatives.
On a vu comment son
pélerinage à la Mecque n'avait aucune significa~ion reli-
gieuse : i l lui a servi à conquérir le titre honorifique
d'El Adji,
qui,
avons-nous dit,
confère à l'individu.
con-
sidération et respect. De m~me la polygamie jouit en Afri-
que d'un grand presti~e social surtout dans les couches
sociales bourgeoises où le ènième mariage constitue une oc-
casion d'étaler ses richesses. El Adji prétend
justifier
son troisième mariage par le droit coranique:
"Je suis
musulman! J'ai droit à quatre femmes"
(Xala p. 53). Mais
~
- - ,
la villa, la voi~ure, les dix mille li~res d'essence super
ainsi que les sommes colossales dépensées montrent qu'il
s'agit bel et bien d'un étalage de richesse, une façon de
se faire valoir aux yeux de la société, de
jouer au m'as-
tu-vu. Même sa prétention de boire uniquement ae l'eau
d'Evian, pour faire croire au respect strict de l'interdic-
tion coranique des boissons alcoolisées, n'est que de fa-
çade. La réalité est qu'El Adji se cache pour boire de
l'alcool. Par exemple, dans le night-club où il a l'habi-
tude d'aIl er avec sa deuxi ème femme,
.1 El
Ad j i ( . . . ) avai t
(1) Amar SAMB, Matraqué par le destin 1
p.
138.

sa 'bouteille' de whiskyll
(Xala p.
102) •
- - )
Saif Ben Isaac El Heït se ser~ aussi de l'is-
lam à des fins inavouables. Les subterfuges camouflés sous
le couvert de l'islam, dont i l use pour gagner le peuple
du Nakem à sa cause, sont nombreux. Les pseudo-guerres sain-
tes qu'il fomente,
les coutumes barbares habillées du man-
teau de l'islam,
telles que l'e~cision, l'infibulation, le
droit de cuissage, constituent des moyens pour mieux asser-
vir la population du Nakem.
Ces deux personnages sont} en fait)des pseudo-
musulmans qui utilisent l'islam pour conq~érir ou sauvegar-
der des intérêts personnels. Il faut leur associer les ma-
rabouts qui profitent de la crédulité des gens pour s'enri-
chir malhonnêtement sur leur dos. Outre ceux qui ont con-
tribué à la ruine d'El Adji, il faut compter celui de Sali-
mata dans cette catégorie de pseudo-musulmans dont les pra-
tiques sont contraires aux prescriptions coraniques. Sembène
suspecte les premiers d'être des menteurs à cause de leurs
dires contadictoires et peu crédibles dont nous avons déjà
parlé,
et condamne leur cupidité. Kourouma a une opinion
semblable sur ce genre de marabouts :
si Abdoulaye est
"marabout pour député, ministre, ambassadeur"
(Les Sol. des
Indépend./p. 66), c'est parce que ceux-ci "pourraient se
confectionner des pagnes en billets de banque" (Ibd.).

- 233 -
!Y~_2~1
~~~~~~E!~~~!~_~~_§~~!g~~_~~~~,
de Maître Thierno et du Chevalier.
Les récits présentent, heureusement, d'autres
musulmans dont la foi est un don d'amour gratuit à Allah,
une volonté spirituelle que ni la soif du matérialisme
corrompu, ni les problèmes multiformes de la vie évoqués
précédemment chez Fama,
Salimata et Adja Awa Astou, ne vien-
nent altérer. Les procédés ésotériques par lesquels Seri-
gne Mada soigne les maladies, n'entachent nullement sa pra-
tique religieuse. Son exemplarité faisait qu'il "était la
gloire locale",
"le docte"
(Xala p.
107)comme on l'appelait.
- - ,
C'est dans L'Aventure ambiguë qu'on trouve le
plus grand nombre de musulmans de ce'tt_~ catégorie. L'in-
gérence brutale de l'
chez les Diallobé
ne réus-
sira pas à les détourner d'Allah. La quasi-totalité des
musulmans de ce pays
opposeront courageusement au matéria-
lisme athée de l'Occident une si grande volonté spirituelle
qu'ils parviendront à sauvegarder l'intégrité de leur foi
musulmane. La dévotion fervente de Maître Thierno qui frise
le mysticisme,
est un exemple de piété hors du commun. Le
Chevalier est un grand érudit; mais toute la connaissance
qu'il a de la culture occidentale, n'a aucune incidence sur
sa foi musulmane. Au contraire,
sa connaissance de la pen-
sée occidentale conforte ses convictions religieuses, qu'il

-
234 -
nourrit de lectures régulières du Coran.
D'autres personnages ,tels le Chef des Diallobé,
la Grande Royale, le Fou,
font preuve de la même rigueur
dans leurs pra~iques religieuses. Même Samba Diallo a lon-
guement préservé sa foi avant que son assimilation à la cul-
ture occidentale n'en vienne à bout. A l'invitation de son
amie Lucienne, i l refuse de boire de l'alcool, se conformant
ainsi à la prescription coranique:
"je ne bois pas d'al-
cool(. .. )ma religion l'interdit ll
(L'Avent.
ambiguë ,p.
123).
De même, lorsqu'il se
souvi'ent avoir oublier-de faire sj3.
,prière du' soir,'~il se,' lèvè tard 'dans"la" nui t" èt>l"-âéèàmpli t.
A la vue de ces pratiques individuelles de l ' i s -
lam,
on peut faire quelques remarques:
d'abord en ce qui
concerne ceux que nous avons appelés..musulmans intègres.
Hormis Serigne Mada, ils appartiennent tous au passé, à l'é-
poque coloniale. Mais tous les musulmans de cette époque ne
sont pas pour autant intègres ; SaIf Ben Isaac El Heït a
été, consid:érê comme: pseudo-musulman. De même son assimilation
,
..
à la culture occidentale
fait que Samba Diallo abandonne
les pratiques islamiques. Mais les pratiques cathartiques
et mercantilistes de l'islam semblent les plus répandues
dans Les Soleils des Indépendances et dans Xala dont les
récits se situent après les Indépendances,
c'est-à-dire à
une époque o~ l'occidentalisation de l'Afrique est de plus
en plus profonde.

- 235 -
On peut en déduire un parti pris de leurs
auteurs qui suspectent l'islam d'être une forme d'aliéna-
tion, un obscurantisme qui empêche certains musulmans de
co~prendre le bouleversement actuel de l'Afrique, entravant
ainsi le processus de progrès entamé par ce continent.
Bien que les auteurs ne préconisent pas ex-
plicitement des solutions pour y remédier, le
sort
ré-
servé
aux personnages pratiquant ces formes déviées de la
religion
dénote
une condamnation certaine. Fama, inca-
pable de s'adapter aux nouvelles réalités de l'Afrique, tente
de ressusciter le passé au moyen de la religion; il meurt
sans y parvenir. Le sort de Salimata,
son épouse n'est pas
non plus enviable. Sa pratique déviationniste de l'islam,
l'expose à toutes sortes d'humiliations:
elle est pillée
et humiliée par les mendiants, violée par le marabout Ab-
doulaye,
sans enfant,
son foyer sera disloqué par l'arres-
tation de Fama. Abdoulaye aussi aura sa punition bien méri-
tée par le coup de poignard que lui porte Salimata. Le faux
musulman El Adji Kader Beye,
en plus de son xala, doit -
suprême humiliation -
se mettre nu pour recevoir les cra-
chats d'une kyrielle de handicapés. Seul Serigne Mada est
épargné. Faut-il le considérer comme un modèle? Sa prati-
Gue de l'islam est en tout cas très lucide, dépourvue ae
toutes perversions matérialistes et névrotioues.

-
236 -
Cette deuxième partie a révélé le rapport que
les instances narratives entretiennent avec le contenu des
récits.
Il convient de souligner ici les différences que
ces "voix" ont dans l'usage qu'elles font de l'islam.
Dans Xala et dans Le Devoir de violence, l ' i s -
lam est utilisé à des fins politiques.
Le récit de Xala est une dénonciation de la
bourgeoisie sénégalaise. Pour atteindre ce but,
Sembène
met l'islam au service de la dialectique marxiste. L'allé-
gorie tourne autour, avons-nous dit,
de àeux classes anta-
gonistes : la bourgeoisie et les masses populaires déshéri-
tées.
C'est El Adji Kader Beye qui symbolise évidem-
ment cette bourgeoisie,
et c'est de l'islam que se sert
Sembène pour le dénoncer. En récapitulant les différentes
caractérisations attribuées à El Adji,
sur le plan religieux,
on obtient ce qui suit
- El Adji est un faux musulman qui ne prie pas,
ne
jeûne pas •••
-
Il se cache pour boire de l'alcool.
- Il est injuste envers sa première femme et
favorise la seconde (pourtant c'est celle-là qui l ' a aidé
et supporté lorsqu'il tirait le diable par la queue),
- Il est allé à la Mecque non pas par piété,
mais pour se "parer" du ti -cre d'El Adji.

-
237 -
-
Il est voleur parce qu'il a spolié le mendiant.
-
Il fait étalage de ses richesses (au cours
de son mariage).
Toutes ces caractérisations péjoratives ne
peuvent que susciter de la colère, du mépris de la part d'un
vrai musulman à l'égard d'El Adji.
Le mendiant lui,
symbolise le peuple, la masse
des exploités.
Il parait pieux ..
-
Il psalmodie des versets coraniques
- Contrairement à El Adji qui est voleur, il
préfère malgré sa pauvreté demander la çadaqa.
Il possède une science occulte lui permettant
de "nouer l'aiguillette" d'El Adji.
On le voit, les caractérisa~ions du mendiant
sont favorables,
et celui-ci ne peut que bénéficier de la
sympathie des musulmans.
Comment se manifeste leur antagonisme ?
-El Adji a spolié le mendiant de ses terres
et l ' a rendu pauvre. Celui-ci est donc contraint de deman-
der la çadaqa pour subsister. (L'exploitation des masses par
la bourgeoisie qui ne peut s'enrichir que sur le dos des
premiers)~
-Non content de cela, i l envoie le mendiant
en prison après l'avoir roué de coups.
(L'oppression des
masses).
-Le prétexte, c'est que les complaintes du
mendiant le dérangent. En fait El Adji ne peut supporter

-
238 -
ces complaintes, car J elles lui rappellent l'origine
de sa richesse.
(La répression: la bourgeoisie ne peut que
réagir, parfois violemment,
contre les revendications des
exploi tés, car celles-ci présagent la révolution.
.A tra-
vers

les revendications:du
. _ _
r

,
, _
~
mendiant(ici ses complaintes),
c'est la-r~volution qui g~onde et-fait trembler"le. "bourgeois"
El Adji.
-
Les autres déshérités sont solidaires avec
le mendiant pour partir à l'assaut de la bourgeoisie (La
solidarité prolétarienne) •
-
C'est le menuiant qui dirige le combat, il
en a une vision éclairée (La clairvoyance de l'avant-garde
prolétarienne par rapport à la lutte) •
- Le but du combat qu mendiant, c'est l'ins-
tauration de la justice (les pauvres réclament leur dû à
El Adji), l'égalité (chacun se sert comme bon lui semble des
objets d'El Adji) et la démocratie (tous les pauvres ont
leur mot à dire, ils prennent tour à tour la parole).
Xala est un roman d'éducation, une véritable
initiation à l'idéologie marxiste. Pour Sembène, la résolu-
tion des contradictions qui opposent les exploiteurs et les
exploités, les dominateurs et les dominés, en un mot la
bourgeoisie et les masses populaires, passe nécessairement
par la dialectique marxiste. Mais
pour que celle-ci triom-
phe en Afrique,
elle doit impérativement tenir compte des
réalités propres à ce continent. L'islam a une importance
capitale au Sénégal, i l concerne 85% environ de la population

-
239 -
en tant qu'éducateur marxiste, c'est sur lui que Sembène
se fonde pour sensibiliser les masses. Sinon i l existe bel
et bien des ouvriers au Sénégal, maçons, chauffeurs,
emplo-
yés de tous genres qui constituent une véritable classe pro-
létarienne, puissante et vigoureuse. Mais à cause de la
très grande influence de l'islam sur la socié~é sénégalaise,
Sembène a préféré substituer à ces prolétaires, des men-
diants demandeurs de çadaga, pour mieux faire passer son
message.
Bien que l'islam ne soit pas mis au service
d'une idéologie politique précise comme c'est le cas de
Sembène, Ouologuem aussi s'en sert pour dénoncer la déma-
gogie des Saïfs et plus particulièrement celle de Saïf Ben
Isaac El Heït qui utîlise l'islam comme un puissant instru-
ment de domination politique. Par la dénonciation et la
démystification des pratiques frauduleusement islamisées
par Saïf,
Ouologuem vise à libérer le peuple du NaKem, le
peuple africain du joug de la domination de ceux qui ont
un tel usage de la religion.
Avec Amadou Kourouma, le problème ne se si-
tue plus au niveau du pouvoir, c'est dans le bas peuple qu'il
descend pour s'attaquer aux pratiques obscurantistes de
l'islam chez des personnages comme Fama, Salimata ..• Si
son narrateur fait le procès des abus chez ces personnages,
on perçoit à travers le récit une faveur qu'il accorde à
certains aspects des pratiques de la religion. Contrairement

-
240 -
à l'usage égocentrique de l'islam chez un personnage com-
me Fama (il veut au moyen de l'islam réhabiliter la chef-
ferie traditionnelle,
attaquer et tuer ses nombreux enne-
mis . . . ), la pratique religieuse de Salimata l a hlène vers
les autres,
elle lui sert de moyen d'intégration, d'iden-
tification aux autres. La pratique de la çadaoa la dirige
vers les mendiants,
sa stérilité vers Abdoulaye qu'elle
croit un saint homme. Les déceptions qu'elle rencontre par-
fois ne sont qu'un accident de parcours. Par exemple, les
mendiants bénéficiaires de sa charité lui volent son argent
et la maltraitent. Mais cela ne lui fait pas renoncer à la
çadaga. Dorénavant elle "continuera a faire l'aumône mais
seulement,aux vrais nécessiteux"
(Les Sol. des Indépend.,p. 64
De même après l'arrestation de Fama,
elle rejoint Abdou-
laye qu'elle avait pourtant poignardé. C'est Fama qui meurt
(avec son islam égocentrique) et non pas Salimata : la re-
ligion qui amène le croyant vers les autres est ainsi sau-
vegardée (curieuse coïncidence avec la pratique islamique
de Kourouma).
Si Sembène consacre l'islam à une quête po-
litique, celle qui doit, nous l'avons vu,
instaurer une so-
ciété de
justice, d'égalité e~ de démocratie, Kane, lui
l'utilise pour la quête de Dieu, et c'est par Samba Diallo
que doit se réaliser son II par i". L'échec de ce dernier que
l'aliénation culturelle détourne de l'islam, du chemin de
(2)
Au Bours de l'entretien que nous avons eu avec Kourouma
(Ouaga,
juin 1983), i l nous a confié que sa pratique de
l'isllli~ lui sert comme un moyen d'intégration à la so-
ciété fJlalinké.

-
241
-
la qu~te est intolérable. Clest pourquoi il est mis à
mort par le Fou. Mais Kane gagne son "pari", puisqu'après
sa mort,
Samba Diallo se réconcilie avec Dieu. Sa "voix"
est comparable à celle d'un mystique, pour qui Dieu exis~e
bel et bien,
et i l faut le préserver, le défendre vaille
que vaille contre le matérialisme qui envahit toute la pla-
nète.
... /

-
242 -
CONCLUSION
Quand on parle de techniques narratives ou de nar-
ratmlegie, la " voix" ou l'instance narrative n'en constitue
qu'un aspect parmi bien:lÎ~autres. Nous avons choisi de mener
ce travail dans une perspective linguistique qui est celle de
l'énonciation •. Nous sommes parti du principe du locuteur et
du récepteur dans l'émission d'un message. Cette perspective
nous a amené à distinguer la notion d'auteur de celle da nar-
rateur, deux notions que l'on confond habituellement. Ainsi
les narrateurs que nous avons respectivement déterminés dans
les quatre récits de notre corpus ne peuvent pas être assimi-
lés aux auteurs qui,
quant à eux,
ont été cernés dans le péri-
texte. En effet, nous nous sommes efforcé,
tout au long de nos
analyses, de montrer la différence entre ces deux sujets de
l'énonciation romanesque.
Notre but, nous l'avons précisé dès le départ,
était
de découvrir ce qu'ont de spécifique les voix narratives isla-
miques,
et les quatre romans d'Afrique Occidentale,
que nous

-
243 -
avons chois1~s., en sont un échantillon représentatif.
L'analyse des éléments péritextuels comme les noms
des auteurs et les titres des romans a révélé un lieu idéolo-
gique musulman d'où s'expriment les auteurs de notre corpus
le pays malinké ou la Guinée, le Mali et le Sénégal ( pays
respectifs de ces auteurs
),
sont, nous l'avons vu, des
régions d'Afrique Occidentale fortement islamisées.
Quant à la spécificité de la narration isl~~ique,
elle a été mise en évidence par l'analyse consacrée aux élé-
ments discursifs,
c'est-à-dire, les signes et indices da dis-
cours laissés,par les instances narratives dans les textes.
Ainsi, le " nous" culturel que nous avons caractérisé de
" nous" musulman,
et qui associe
le locuteur disant" nous'
à une communauté musulmane donnée,
apparaît dans les habitudes
musulmanes comme une profeSSIon de foi, manifestant la soli-
darité du croyant avec ses coréligionnaires. De même, les
nombreuses formules d'imprécation, de bénédiction et de louangE
sont des traits caractéristiques de la narration islamique
que l'on rencontre,
en dehors du roman, à travers d'autres
formes da récit comme le conte, l'épopée ••• et même à travers
les chansons. Les formules de louange et de bénédiction
manifestent la piété du croyant,
tandis que l'imprécation et
l'injure reflètent son hostilité à l'égard du non-croyant ou
,de ceux qui §'écart€llt
du ~hemiD. 4~ Piey,
Il s'agit là, bel

et bien, d'un phénom~ne d'acculturation engendré par~a
pénétration de l'islam en Afrique,
qui remonte déj~ à
J " "
plusieurs si~cles. Le phénom~ne se généralise de plus en plus,
indépendamment de la foi is~amique,
s'étend à beaucoup
d'activités culturelle)en Afrique Occidentale.
Notre étude aurait été incompl~te si nous nous étion
limité ~ l'analyse des structures narratives. Il était néces-
saire d'examiner le contenu des -récits, afin de déterminer les
visions respectives qu'ont les quatre" voix" sur l'islami-
sation de l'Afrique. L'une des caractéristiques essentielles
de la l i ttérature africaine en général, et du roman en parti-
culier,
est la dénonciation de certaines situations sociales
l'esclavage et les exactions de la colonisation sont, par
exemple, des th~mes qui reviennemt:,sans cesse dans le roman
africain. De même,
certaines formes du pouvoir, ainsi que les
abus de la société traditionnelle ne sont pas épargnés par
les écrivains africains. Au.ssi, nos quatre" voix If sont una-
nimes à condamner toutes les formes de déviation ou d'abus,
~
travers l'usage de l'islam chez certains de leurs personnages.
Mais d'Ousmane Semb~ne ~ Cheikh Hamidou Kane, ou d'Amadou
Kourouma à Yambo Ouologuem, i l est certain qu'il existe une
différence dans leurs vues respectives sur l'islam. Nous avons
vu que Semb~ne et Ouologuem en font un usage politique dans
leur roman,KQU~o~a en défend quelques aspects sociaux et Kane
le consacre à une quête mystique.

- 245 -
Avant ces quatre romans,
on pouvait déplorer un
manque de l'islam dans les romans d'Afrique Occidentale,
c'est-à-dire, des romans où l'islam revêt une grande impor-
tance comme ceux que nous venons d'étudier.
Il est évident
que le roman n'est pas le seul lieu où i l est possible de
-
cerner la position des intellectuels africains sur l'isl~~,
d'ailleurs cette voix islamique à t~avers le roman n'a aucune
commune mesure avec d'autres voix africaines consacrées à
l'islam qu'on trouve dans les essais, dans les ouvrages his-
toriques et d'analyse •••

-
246 -
PRESENTATION DES
AUTEURS ET DE LEURS OEUVRES

-
247 -
OUSHANE
S E IvI BEN E
Le livre de P.
S. Vieyra (1) consacré à Sembène
Ousmane, donne beaucoup ue détails sur la biographie de
l'auteur. Né le 8 janvier 1923 à
Ziguinchor ~u Sénégal, son
éducation fut confiée à son oncle Abdou-Rlli~mane Diop, musul-
man pieux, celui-ci était instituteur à Harsassoum. Après
la mort de son oncle en 1935, Sembène fut contraint de voler
de ses propres ailes:
il s'installa à Dakar, puis essaya
plusieurs métiers manuels (mécanicien, maçon,
etc ..• ).
Très marqué par l'éducation musulmane de son oncle,
i l mena une vie pieuse
jusqu'en 1940. Ensuite, d'autres
événements, comme la Seconde Guerre mondiale,
son aventure
en France ••• lui donnèrent l'occasion de beaucoup voyager.
(1) P. S. VIEYRA,
Sembène Ousmane cinéaste
Présence africaine
(1972)

-
248 -
Autodidacte, depuis qu'il fut renvoyé de l'é-
cole en
1937, Ousmane Sembène est l'un des écrivains qui ren-
dent les plusgrandsservic:es à l'école africaine,p$.r",~7so:n;·i.m,.;,.
pressionnante production de livieè dont on trouve lese~4~
traits dans tous les manuels scolaires africains.
o E U V R E
Xala est un maillon d'une longue chaîne de pro-
duction littéraire que voici:
Le Docker noir (1956)
o Pays, mon beau peuple!
(1957)
Les Bouts de bois de Dieu
(1960)
Voltaïque
Le Mandat, précédé de Vehi-Ciosane
(1968)
Xala
(1973)
Borrom Sarret
( 1963)
Nyaye
La Noire de •..
(1966)

- 249 -
-
Le Mandat
(1968)
Taw
(1970)
-
Emitaï
(1971)
-
Xal a
( 1974)
-
Ceddo
(1977)
.../

-
250 -
A H MAD 0 U
KOU 'R 0 U M A
La plupart des documents qui mentionnent la
biographie d'Ahmadou Kourouma,
considèrent Boundiali (une
ville de Côte-d'Ivoire) comme le lieu de naissance de l'au-
teur. Mais en réalité, c'est à Togobala en Guinée, qu'il
est né en 1927. Très tôt, les parents du jeune Kourouma le
confièrent à son oncle Nankoro qui pratiquait avec ferveur la
religion musulmane, mais,
comme tout Africain en général, ce-
lui-ci se tournait de temps en temps vers les fétiches.
longue
Kourouma affirme n'avoir pas eu une/formation
coranique. Comme d'autres enfan~s musulmans, il prit le che-
min de l'école occidentale, qui le conduisit, certes dans
1
les universités françaises,
mais aussi sur les champs de
1
bataille en Indochine. En effet, à cause de certains démêlés
1
1
1

-
251 -
avec l ' admiyüstra~!-on coloniale, Kourouma fut, par sanction,
envoyé combat~re en Indochine.
Libéré du service militaire, i l reprit ses étu-
des à Paris puis à Lyon, où i l obtint le diplôme d'actuaire.
I l exerça le métier d'actuaire en France,
en Côte-d'Ivoire,
en Algérie (pendant sept ans), i l est actuellement le directci
de 1'1.
1. A.
(Institut International des Assurances) à Yaoundé
au Cameroun.
o E U V R E
~Les Soleils des Indépendances a été d'abord
publié à Montréal en 1967 par les Editions Naaman, puis par
les Editions du Seuil à Paris en 1970. Cet ouvrage a oo~enu
le prix de la Francité du Canada et le prix de l'Académie
française.
Il a été traduit en plusieurs langues étrangères.
Tougnatigui, pièce de théâtre inédite. Son titre
signifie "diseur de vérité"
(1972)
Plusieurs livres sont en préparation •
.../

-
252 -
CHE l
K H
HAM l D 0 U
KAN E
Comme le précise la préface de L'Aventure am-
biguë, c'est au Fouta, pays toucouleur au Sénégal, qu'est
né Cheikh Hamidou Kane, le 3 avril 1928. Ses parents étant
de fervents musulmans, Kane a bénéficié d'une formation co-
ranique très poussée, avant d'entrer à l'école occidentale.
Licencié en philosophie et en droit, il a occupé plusieurs
postes de responsabilité dans son pays, dont le porte-feuil-
le ministériel du plan.
o E U V R E
L'Aventure ambiguë, publié en 1961 chez JuJliard,
fut couronné par le "Grand Prix Littéraire d'Afrique noire
d'expression française". Le succès du livre, à en juger par
les nombreuses critiques qui.lui ont été consacrées, dépasse
de loin les frontières du continent africain.
. .. /

- 253 -
y A M B 0
o U 0 LOG U E M
Il est né en 1940 au Mali d'une famille super-
ficiellement musulmane. Il semble que son père Boukari Ouo-
loguem, originaire de Bandiagara, fréquente la mosquée tem-
porairement, principalement les
jours de grandes fêtes.
Sa mère Aissato Ouologuem,
également originaire de Bandiagara,
est plus fervente musulmane que son mari.
Yambo Ouologuem, en plus de son doctorat en
sociologie, a obtenu plusieurs diplômes dans d'autres disci-
plines. Licencié en
philosophie e~ en lettres, il est aussi
titulaire d'un diplôme d'études supérieures en anglais.

-
254 -
o E U V R E
Le Devoir de violence, publié en 1968 aux Edi-
tions du Seuil, a été traduit en anglais sous le titre Bound
to violence, par Ralph Manheim. La critique française fut
très favorable dès la parution du roman en 1968 ; elle lui
décerna le prix Renauldot en 1969. C'est la parution de la
version anglaise qui a suscité une grande polémique autour
du roman.
Quoi qu'il en soit,
si l'on s'en tient au grand
nombre de critiques consacrées au Devoir de violence, on
peut dire que ce roman a conféré à Ouologuem une très grande
notoriété.
Ouologuem
a
en outre écrit Lettre ouverte à
la France nègre, ainsi que des manuels scolaires:
Terres
de soleils (en collaboration avec Paul Peliep)(1969)
et In-
troduction aux Lettres africaines (en collaboration avec
Robert Pageard)(1973).
-:-

- 255 -

-
256 -
l
LES ROMANS D'AFRIQUE
OCCIDENTALE D'EXPRESSION FRANCAISE (1950-1975)
-
LE CORPUS
---------
KANE (Cheikh Hœüidou), L'Aventure ambiguë
(1961),
10/18,
1971,
192 p.
KOUROUMA (Ahmadou), Les Soleils des Indépendances (1967),
Seuil,
1970, 205 p.
OUOLOGUEM
(Yambo), Le Devoir de violence
Seuil,
(1968), 208 p.
SEMBENE
(Ousmane), Xala
- - ,
Présence Africaine,
(1973),
171 p.
-
AUTEURS MUSULMANS
-----------------

(Amadou Hampâté), L'Etrange destin de Wangrin (1973)/
10/18, 1975, 440 p.

(Amadou Oumar), Les Mystères du Bani
Monte-Carlo, Regain,
1960, 126 p.
BADIAN
(Seydou), Sous l'orage (1963)
Présence Africaine,
1972, 185 p.
BOKOUM
(Saïdou), Chaine: Une descente aux enfers
Denoël,
1974, 316 p.
DIALLO
(Nassifatou), De Tilène au plateau ,
Dakar-Abidjan, NEA,
1975, 133 p.
FALL
(Malick), La Plaie "
Albin Michel,
1967, 253 p.

- 257 -
FANTOURE
(Alioum) , Le Cercle des tropiques ,
Présence Africaine,
1972, 254 p.
Le Récit du cirque ,
Buchet-Chastel,
1975, 150 p.
GOLOGO
(Mamadou) , Le Rescapé de l'Ethylos
Présence Africaine,
1963, 378 p.
ISSA
(Ibrahim), Grandes eaux noires,
Editions du Scorpion,
1959, 125 p.
KANTA
(Abdoua), Le Déraciné,
UNESCO,
1972,
MBENGUE
(Mamadou Seyni), Le Royaume du sable
Dakar-Abidjan, NEA,
1975, 253 p.
SACKO
(Biram), Dalanda,
Dakar, NEA,
1975, 179 p.
SADJI
(Abdoulaye), Marmouna
Présence Africaine,
1958, 252 p.
SAMB
(Amar), f'latragué par le destin,
NEA,
1975, 200 p.
SANGARE
(Yadji), Naïssa
Bamako, Editions Populaires,
1972, 91 p.
SEMBENE
(Ousmane), Le Docker noir (1956)
Présence Africaine,
197), 219 p.
o Pays, mon beau peuple
(1957)
Press Pocket,
1975, 187 p.
Les Bouts de bois de Dieu
(1960)
Press Pocket,
1971, 380 p.

- 258 -
L'Harmattan
précédé de Vehi-Ciosane
Présence Africaine,
1964, 302 p.
Le Mandat
(1965)
Présence Aficaine,
1968, 191 p.
SOCE
(Ousmane), Mirages de Paris
(1955)
Nouvelles Editions Latines,
1964, 187 p.
TRAORE
(Issa Baba), L'Ombre du passé,
Bamako, Editions Populaires,
1972, 152 p.
-
LES ROMANS SE REFERANT A L'ISLM1
BHELY-QUENUM
(Olympe), Un Piège sans fin
stock,
1960, 255 p.
CISSE
(Emile), Faralako. Roman d'un petit village africain
Rennes, Imprimerie Commerciale,
1958, 190 p.
COULIBALY (Augustin Sondé), Les Dieux délinquants
Bobo-Dioulasso, Edit. Coulibaly&Frères, 1974,227
DIAKITE
(Yoro), Une Main amie
(
Bamako, Editions Populaires,
1969, 325 p.
DIALLO
(Georges), La Nuit du destin, le cheminement d'un
jeune Africain et d'une Européenne
Mulhouse,
Salvator, Paris, Tournai,
Casterman,
1969, 248 p.
HAMA
(Boubou), L'Aventure d'Albarka
Juliard,
1972 , ,

259 -
LAYE
(Camara), Le Regard du roi (1954)
Press Pocket,
1975, 252 p.
Dramouss
(1966)
Press Pocket,
1974,
254 p.
SASSINE
(Williams),
Saint Monsieur Bhaly
Présence Africaine,
1973,
223 p.
-
LES AUTRES ROM~~CIERS NON-MUSULMANS
ANANOU
(David), Le Fils du fétiche
(1955)
Nouvelles Editions Latines,
1971, 217 p.
ATTA
(Koffi Raphaël), Les Dernières Paroles de Koimé
De br es se,
1961,
1 55 p.
BHELY-QUENUM
(Olympe), Le Chant du lac
Présence Africaine,
1966,
155 p.
BONI
(Nazi),
Crépuscule des temps anciens
Présence Africaine,
1962,
259 p.
DADIE
(Bernard), Climbi é,
Seghers,
1953,
191 p.
Un Nègre à Paris, Présence Africaine,1959,21~
Patron de New York, Prés. Africaine,1964, 31~
La ville où nul ne meurt, Prés. Africaine
1969,
212 p.
DOELLE
Va-t-en avec les tiens
Grasset,
1951, 305 p.
LOBA
(Aké), Kocoumbo, l'étudiant noir
(1960)
Flammarion,
1974, 267 p.
Les Fils de Kouretcha
Editions de la Francité,
1973,
172 p.

-
260 -
Les Dépossédés
Editions de la Francité,
1973,
225 p.
NOKAN
(Charles Zégoua), Violent était le vent
Présence Africaine,
1966,
178 p.
OUSSOU-ESSUI
(Denis), Vers les nouveaux horizons
Editions du Scorpion,
1965,
190 p.
La Souche calcinée
Yaoundé,
Clé,
1973,
204 p.
~~~~~~~~-~Q~~~~-Q!~~~-~~-~!~~~~~-~~-~~~Q~~
~~_~~6!~~_~~_~~_~~~~Qg~~_Q~Qf§f~§
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(Jean-Marie), La Carte d'identité
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(Mariama), Une Si Longue lettre
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(alias Eza Boto), Ville cruelle
Présence Africaine,
1954,
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Le Pauvre Christ de Bomba
Laffont,
1956,
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(~\\
Le Hoi miraculé
Corréa-Buchet-Chastel, 1957,255
LAYE
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(récit autobiographique) (1956)
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Soundjata ou l'épopée mandingue
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(Gaston), L'Homme qui vécut trois vies
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1976,
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OUMlliqOU
(Idé), Gros Plan
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1977,
156 p.
OYONO
(Ferdinand), Une Vie de boy
(1956)
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Chemin d'Europe
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I I
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DIA
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1244 1-2
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Librairie Armand Colin,
(6è éd.),
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III -
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1973 1
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266 -
IV
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(W. C.),
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Seuil, n04 (1970) pp. 511-523
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en collaboration avec DEIvlBELE Kléjyé,
"Les
noms africains,
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Editions Saint-Paul, n041
(1981)
CHARPENTIER
(G.),
"Le Devoir de violence" in Présence fran-
cophone
n07
(Automne 1973) pp. 31-38
COSHAO
(V.) en collaboration avec J. L. DONNEUX, G. GRANGETTE,
M. HOUIS, C. ORRIEUX,
Afrique et Parole
Présence Africaine,
1969
DIEDHOU
(Dji b),
ilLe devoir de mendici té" in Famille & Dével-
loppement
n029 (1er trimestre 1982)
pp. 35-41
EBOUSSI-BOULAGA
(Fabien),
"Ecrivain9 africains devant le
christianisme" in Pirogue
Editions Saint-Paul, n028
(1978)
GUEGANE
(Jacques),
"Le Devoir de violence" in Annales de
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1970, pp. 65-66
HAUSSER
(Michel),
"Sur les titres de Gracq" in Julien Gracq,
Actes du colloque international, Angers,
21-24 mai
1981,
Presse de l'Université d'Angers (1981) pp.166-17E
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Afrioue et Occident
Editions de l'Orante,
1971,

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"Temps et Espace" in Essai sur Les Soleils
des Indépendances
Abidjan, NEll. (Coll.
"La Girafe"),
1877,
pp.
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M'BOKOLO
(E.),
"L'Afrique noire à.u ProiJhè"te" in Demain
l'Afrique
n020
(12 février
1979)
MONNIN
(Edith)
"La quête mystique de Samba Diallo" in
Ethiopiques, Dakar, Grande Imprimerie Afri-
caine, n015 (Juillet 1978)
"Musulmans d'Afrique:
cent millions de fidèles" in
Ivoire-Dimanche, n0523
(15 février
1981)
N'DIR
(Mohamadou Lamine);
"Réflexions sur le mariage et le
divorce en pays musu~m~'~n~Afrique Documents
"".
' -
li
~'"
,0"~, t!~
Dakar n083,
6è Cah§ëT ~1965)\\P~~. 251-258
C
Re 1 · ·
l '
l
t h '
,
19lon co onla e e
p
~. L-', fVl,6 .,
enomene~ ue
t~'·
~ec~~~ura ~on.
'\\-<: \\
), c"
CAPU (Coll.
"Africanité~), 19,(:38,,/?
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SEMBENE
(Ousmane),
"Cinéma sénégàl'al'sl~'±n L'Afrique litté-
raire et artistique
n020 (1972) pp: 202-208
TRAORE
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"Ramadan" in Carrefour africain
n0786 (8 juillet 1983)
WONnJI
(Ch. G.),
"Le contexte historique" in Essai sur Les
Soleils des Indépendances
Abidjan, NEA,
pp.
17-26.
-:-