UNIVERSITE DE BORDEAUX 1
FACULTE DE DROIT, DES SCIENCES SOCIALES ET POLITIQUES
LE CONTROLE JURIDICTIONNEL DE L'ADMINISTRA TION
DANS LES ETATS DU CONSEIL DE L'ENTENTE
TH,E5e
POUR LE DOCTORA T D'ETA T EN DROIT PUBLIC fONDAMENTAL
Présentée et soutenue publiquement le 13 Octobre 1981
Par BA:OO Laurent
JURY:
M. AUBY J. M.
Doyen de la Faculté de Droit de Bordeaux
Président
M. OOUENCE J. C.
Professeur à l'Université de Pau
Suffragant
M. DUCOS-ADER;R.
Professeur à la Faculté de DrQit de Bordeaux
»
et de Paris Sud
M. GAUTRON J. C.
Professeur à l'Université de Bordeaux 1
J
Directeur de l'U.E.R de Droit Public
et Sdences Politiques
M. LAVROFF D. G.
Prés.ident de l'Université de Bordeaux 1
»
M. MODERNE F.
Professeur à l'Université de Pau
J)

2
DEDICACE
A mon épouse
Marie Blanche

3
REMERCIEMENTS
Je remercie de tout cœur:
- Monsieur ROBERT DUCOS-ADER qui a bien voulu accepter de diriger mes
recherches avec dévouement et sympathie
- Monsieur TRAORE Charles SERIBA, ancien Président de la Cour Suprême,
qui a mis à ma disposition toute la documentation disponible
- Monsieur KALMOGO Ignace, Directeur de l'E.N.A., qui m'a donné le goût
de s recherche s.

4
INTRODUCTION
A la veille des indépendances, pressés par l'histoire et sans doute
mûs par un vif désir de modernisme, les dirigeants africains adoptèrent
les institutions
publiques
de
l'ex-métropole
sans
y
apporter
les
aménagements susceptibles de les marquer du sceau de l'environnement
économique, politique, social et culturel local. Ils s'étaient barricadés dans
le sentiment que l'assimilation à rebours des institutions des pays riches
était une garantie du développement économique de leurs jeunes nations.
Ainsi, les institutions administratives et juridiques furent introduites
massive ment et intégrale ment en Afrique : l'ordre ad ministratif et
juridique de la France fut substitué à l'ordre traditionnel, dans les cinq
pays du Conseil de l'Entente.
A la vérité, cette phagocytose de l'ancien par le nouvel ordre posa et
pose encore de nos jours, d'énormes difficultés hautement préjudiciables à
l'action administrative, surtout en milieu rural. Et c'est un fait que dans les
nouveaux Etats, les rapports entre l'ad ministr ation importée et les
administrés ont tous les traits d'un dialogue de sourds; un dialogue de
sourds qui n'est ni plus ni moins qu'une camisole de force à l'action de
l'Etat développeur; un Etat volontariste dont les traditions et les principes
d'action, complètement étrangers au milieu africain, en font un véritable
moloch, un nouveau léviathan qui ne sait prendre les administrés que face
à face, en boxeur, et jamais en bon judoka, dans le sens des mentalités
populaires. C'est la raison pour laquelle, tout en assimilant les institutions
administratives et j uridiq ues de l'étranger, les dirigeants africains ont
senti le besoin d'organiser "un contrôle juridictionnel de l'administration"
dans leurs Etats respectifs.

5
Tout naturellement, les Etats francophones du Conseil de l'Entente
s'inspirèrent du systè me juridictionnel français. Mais, au-delà d'un fond
commun, il existe un particularisme local découlant des contraintes
politiques, économiques ou purement administratives.
L'étude de ce contrôle juridictionnel de l'administration impose six
(6) préalables d'importance : la présentation du Conseil de l'Entente.
l'intérêt même de cette étude, les raisons de l'organisation d'un contrôle de
l'ad ministr ation
et
singulière ment
d'un
contrôle
jur idictionne1,
la
justification de ce contrôle par un juge spécial et, enfin, le bilan du
système de contrôle ...
Section 1 : Présentation du Conseil de l"Entente
En
1955,
la
défaite française
de
DIEN-BIEN-PHU,
suivie
de
l'insurrection algérienne, avait levé un vent d'indépendance sur toutes les
colonies de la France. Pour prévenir toute contagion, la loi cadre du 23 juin
1956 avait accordé l'autonomie interne à chaque territoire français
d'outre-mer. Son objectif premier était de faire participer les populations
concernées à la gestion de leurs propres affaires : l'ad ministration
indirecte se substituait ainsi, et de façon avantageuse, à la vieille règle de
l'ad ministration directe. Mais la loi cadre n'a pas été perçue de la même
manière par les leaders africains. SENGHOR et MAMADOU DIA, en la
projetant dans l'avenir, entrevoyaient une balkanisation certaine de
l' Afriq ue
indépend an te.
Ils
se
hâtèrent
de
créer
un
parti
des
indé pend an ts l, attaché à trouver les voies et moyens de l'accession à
l'indépendance future des territoires dans un cadre fédéraliste. A cette
thèse fédéraliste étaient ralliés le Sénégal, le Mali, la Mauritanie, la Haute-
Volta, le Niger et le Dahomey.
1 Parti du Regroupement Africain (PRA).

6
HOUPHOUET BOIGNY, quant à lui, jugeait la thèse fédéraliste à la fois
utopique et dangereuse: "Plutôt que l'unité de l'Afrique, il faut rechercher
l'union dans le respect de la personnalité propre à chaque Etat".
Cette attitude s'expliquait: d'abord, le leader ivoirien voyait d'un
mauvais œil "des Etats-Unis d'Afrique" qui ne pouvaient que favoriser
Dakar et rehausser le prestige du leader sénégalais, assurément promis à
la présidence de cette fédération future; ainsi, à l'adresse du SENGHOR qui
venait d'affirmer que "la communauté n'était pour lui qu'un passage et un
moyen, le moyen de restaurer deux déférations d'Afrique Noire, le moyen
de nous préparer à l'indépendance", HOUPHOUET BOIGNY avait déclaré le
dix octobre 1958 : "S'agit-il de créer un Etat d'Afrique Occidentale dont les
organes, centralisés à Dakar, délibèreront sous la pression de la rue, dans
la ville la plus agitée d'Afrique 7 Ceux qui ont l'intention de quitter la
communauté espèrent-ils aussi entraîner ceux qui veulent y rester 7".
Ensuite, le leader ivoirien ne voulait point que son pays, riche,
devienne, selon ses propres termes, la "vache à lait" des autres Etats. En
septembre 1959, il annonçait: "Nous pensons pour notre part qu'un grand
ense mble africain ne servirait pas les intérêts de notre pays, des masses
de notre pays; l'addition des misères ne fait pas l'abondance".
Enfin, HOUPHOUET BOIGNY pensait à une fédération d'une tout autre
nature : la fédération franco-africaine, dans laquelle la Côte d'Ivoire,
colonie modèle, serait appelée à jouer un rôle prépondérant. Cela avait été
clairement exprimé lors du congrès du Rassemblement Démocratique
Africain tenu à Bamako le 25 septembre 1957 et au cours duquel, il avait
été déclaré que "l'indépendance est la règle d'or de la vie des peuples et se
manifeste au XXè siècle par la constitution de grands ensembles politiques
et économiq ues".
En conséquence, il fallait, non seulement saborder la thèse de la
fédération d'Afrique noire, profitable à Dakar si elle venait à triompher,

7
mais encore lui substituer une autre formule. Celle-ci a consisté à opposer
à l'union politiq ue des Etats d 'Afriq ue Occidentale de SENGHOR, une
association de solidarité économique, "système coopératif très souple,
réunissant les Etats d'Afrique qui ont choisi la même voie que nous et avec
lesquels nous avons des intérêts communs".
Cette coopération fut mise en œuvre dès le 4 avril 1959 par la
signature d'un protocole entre la haute-Volta et la Côte d'Ivoire. Ce
protocole érigeait notamment le port d'Abidjan en un établissement public
géré par les deux Etats et mettait en régie commune l'exploitation du
chemin de fer Abidjan-Niger (R.A.N.L
Le 7 avril 1959 était signé un deuxième protocole entre la Côte
d'Ivoire et le Niger, relatif aux transports et aux communications entre les
deux pays.
En mai 1959, les Chefs d'Etat de Côte d'Ivoire, de Haute-Volta et du
Niger se réunissaient à Paris pour décider d'une convention. Cette
convention, portant création du Conseil de l'Entente, fut adoptée quelques
jours plus tard (le 29 mai 1959) par les trois pays, plus le Dahomey qui en
devenait le quatrième membre.
Le Togo ne sera admis à l'Union que sept ans plus tard, soit le 9 juin
1966.
Au demeurant, si la création du Conseil de l'Entente avait détruit la
fédération de l'Aü (celle-ci deviendra la fédération du Mali, regroupant le
Sénégal et le Mali, puis éclatera rapidement à cause de l'opposition entre
SENGHOR et MODIBO KEITA), elle n'a pas du reste permis la réalisation du
rêve Houphouetiste de fédération franco-africaine où la Côte d'Ivoire
jouerait un tout premier rôle. En accordant l'indépendance à chaque
territoire, la France, consciemment ou inconsciemment, a porté un coup
fatal au projet du leader ivoirien.

8
Paragraphe 1 : Objet et organisation du Conseil de
rEntente
Le Conseil de l'Entente s'est assigné une mission de coopération
économique et administrative dont la mise en œuvre repose sur une
structure souple et légère propre à garantir l'efficacité.
A) Objet du Conseil de "Entente
Le communiqué final publié à l'issue de la conférence d'Abidjan du
29 mai 1959 résume bien l'essentiel des missions assignées à l'Union: "Le
Conseil de l'Entente n'est pas un Etat fédéral impliquant de la part des
Etats membres un abandon de souveraineté. Il veut être uniquement un
organis me
de
coopération
et
de
coordination
économiq ue
et
administrative. Le Conseil de l'Entente se présente donc comme une
association à caractère exclusivement coopératif, limité à une solidarité
économique et à l'aménagement
en commun de certains services publics.
Il n'entre donc pas dans les attributions du Conseil de l'Entente de
connaître des problèmes intérieurs des Etats composant l'Union, encore
moins de se substituer à eux dans la détermination de la politique de leurs
gouvernements".
Cette coopération vise des
matières diverses : douanes (union
douanière étroite), fonction publique, droit du travail, com m unications,
justice et finances. A cet effet, ont été créées une commission des affaires
financières chargée de l'harmonisation des plans et des programmes de
mise en valeur ; une commission du travail pour uniformiser autant que
possible la législation sociale des Etats me mbres ; une com mission de la
justice compétente en matière d'organisation judiciaire, de conventions
judiciaires, de personnel judiciaire, de coutumes et de législation ; une
commission de la fonction publique pour l'harmonisation des différents
statuts généraux des fonctionnaires ; une commission des postes et

9
télécommunications
et enfin
une
commission chargée
des
grandes
endémies.
D) Organisation du Conseil de "Entente
Le moteur de ce système de coopération technique est le Conseil de
l'Entente qui réunit, deux fois l'an ou exceptionnellement à la demande de
deux
Etats
au
moins,
le s
Chefs
d'Etat
et
de
gouvernement des Etats membres, les Présidents et les Vice-Présidents
des assemblées et les Ministres intéressés aux questions débattues à
l'ordre du jour. Cette réunion se tient à tour de rôle/dans les capitales des
!
Etats concernés et est présidée par le Chef d'Etat d'accueil. Toutes les
décisions
sont
prises
à
l'unanimité
et
sont
exécutoires.
Sous
la
Communauté, l'inexécution d'une décision par un Etat devrait être portée
par les autres Etats devant la cour arbitrale de la dite Communauté. La
disparition de cette cour, au moment des indépendances, laisse un vide
juridique qui a besoin d'être comblé, même si, dans la pratique, aucun cas
d'inexécution ne s'est jamais produit.
Outre le Conseil de l'Entente, organe principal de l'Union Sahel-Bénin,
il existe un secrétariat administratif. Seulement, cet organisme n'est pas
permanent; il est créé chaque année par décision des autorités de l'Etat
d'accueil du Conseil de l'Entente. Le pre mier secrétariat administratif date
de mars 1960.
Au total, le Conseil de l'Entente, s'appuyant sur une organisation
souple et légère (l'imbécilité ne suit-elle pas toujours le gigantisme !) se
fixe pour objectif le développement harmonieux des Etats membres sur la
base d'une intégration économique de plus en plus poussée. Une telle
ambition ne peut manquer d'avoir des conséquences sur toute la région
concernée.

10
Paragraphe II : Place et rôle du Conseil de
l"Entente dans rOuest Africain
L'Union Sahel-Bénin qui comprend la Côte d'Ivoire, la Haute-Volta, le
Niger, le Togo et le Bénin est située au sud de l'ex AOF ; c'est un vaste
ensemble qui s'étend sur près de 1.960.000 kms (trois fois et demie la
France) et compte environ 22 millions d'habitants. Née des cendres du
projet de fédération de l'Afrique de l'Ouest et de l'éphé mère fédération du
Mali. son poids politique et économique est incontestable sur tout l'ouest
africain.
A) Au plan politique
A jeter
un regard
massif
sur
les vingt
ans
d'existence
de
l'organisation, on se rend compte que la coopération technique voulue et
affichée par les autorités des différents Etats est rigoureusement sous-
tendue par une coopération politique aussi discrète qu'efficace. Déjà, au
lendemain des indépendances, la conférence au som met des quatre, tenue
à Abidjan du 8 au Il août 1963. avait eu pour résultat l'adoption de
constitutions
identiq ues
et d'une
même
organisation
des
ar mées
nationales. En 1964, l'intégration politique a manqué de franchir un pas
important avec le projet de double nationalité entre la Côte d'Ivoire, la
Haute- Volta et le Niger.
D'une façon générale, la concertation périodique entre Chefs d'Etat et
de gouvernement constitue une occasion privilégiée pour harmoniser les
vues sur les problèmes nationaux, africains et internationaux, aboutissant
ainsi à arrêter une attitude commune face aux événements de l'heure. Et il
est évident que le leader ivoirien. de par son prestige personnel et de par
le poids financier de son pays dans le fonctionnement de l'Union Sahel-
Bénin. exerce une influence considérable sur la vie politique interne et
inter africaine des autres Etats.

Il
Sans doute, l'avènement d'un régime marxiste léniniste au Bénin (ex
Dahomey) n'ira
pas
sans changer les
perspectives en
matière de
coopération politique. La preuve est qu'à l'occasion des manifestations
organisées pour célébrer le vingtième anniversaire de la création de
l'Union, le Président béninois, MATHIEU KEROUKOU, dans une déclaration
radiodiffusée, a demandé une révision des politiques et des structures du
Conseil de l'Entente.
En fait, le danger de friction relève plutôt de l'analyse théorique.
L'idéologie marxiste-léniniste n'est, pour le Bénin, que la dernière arme
d'une raison nationale désarmée devant le tribalisme et le régionalis me
qui ont entraîné, depuis l'indépendance, une exceptionnelle instabilité
politique du pays. Le Conseil de l'Entente demeure, aux yeux du continent
et de l'étranger, un bloc d'Etats modérés, attachés au pied de l'ex-
métropole et, partant, la tête de proue des pays africains pro-occidentaux.
D) Au plan économique
A l'intérieur du Conseil de l'Entente, les niveaux de développement
économique accusent des disparités énormes. La Côte d'Ivoire est de loin le
pays le plus riche. La seule caractéristique commune aux économies des
cinq pays est la prédominance de l'agriculture com me l'indique le tableau
ci-dessous:

12
Principales eIportations du Conseil de "Entente en 1975
PRODUITS
VOLUME
(e n VALEUR
(en
millions
de
F
tonnes)
CFA)
Arachides décortiquées
22.001
2.046
Palmistes
26.312
1.305
Huile de palme
125.200
11.382
Cacao en fève s
187.534
52.979
Café vert
263.180
636.111
Graine de coton
42.312
1.056
Source : B C E A 0
Il faut noter que ce sont essentiellement les pays côtiers (Côte
d'Ivoire, Bénin, Togo) qui produisent palmistes, cacao et café vert, tandis
que les pays intérieurs (Haute-Volta, Niger) produisent les arachides et le
coton. Par ailleurs, la disparité des niveaux de production économique se
répercute sur le commerce extérieur des Etats-membres comme suit :

13
Commerce extérieur des neuf premiers mois
de l'année 1977 (en millions de F CFA)
PAYS
EXPORTA
IMPORT A
BALANCE
COUVERTU
TIONS
TIONS
RE (%)
Côte d'Ivoire
367.219
275.077
+ 101.142
136,8
Bénin
18.675
45.695
- 27.020
40,9
Haute- Volta
10.898
37.396
- 26.498
29,1
Niger
31.900
30.300
+ 1.600
104,95
Togo
39.115
69.834
- 30.719
56
Source: B C E A 0
Comme on le voit, le commerce extérieur du Conseil de l'Entente est
dans l'ensemble déficiaire. La Côte d'Ivoire et le Niger (grâce à l'uranium)
son t les seuls à avoir une balance commerciale excé dentaire. La sécheresse
qui frappe de plein fouet l'économie fragile des pays sahéliens depuis
1972 explique en grande partie cette situation du commerce extérieur de
ces pays. Toutefois, un vigoureux redressement est perceptible depuis les
trois (3) dernières années. L'évolution des budgets nationaux et les
sacrifices consentis par les Etats pour relever le niveau de vie des
travailleurs en témoignent...

14
Evolution des budgets des Etats du Conseil de "Entente
(en millions de francs CFA)
PAYS
1977
1978
AMORTISSE
MENT (%)
Côte d'Ivoire
443.373
480.418
8,35
Bénin
19.2 Il
23.211
20,82
Haute- Volta
23.123
30.580
32,24
Niger
34.175
43.404
27
Togo
55.200
60.598
9,77
Sou rce : B C E A 0
Evolution du SMIG
DATES
COTE D'IV. BENIN
HAUTE-
NIGER
TOGO
VOLTA
1975 1-1
92
45
47
48
81,354
1976 1- 1
115
45
53,50
48
51,74
1-4
..
72
..
..
"
72
..
"
1977 1-1
115
45
72
58,21
51,74
1-5
..
..
..
..
59,50
1978 1-1
143,75
45
72
58,21
59,50
1-5
..
..
..
75,67
..
Source: B C E A 0
Au
regard
de
tout
ce
qui
précède,
les
èconomies
nationales
paraissent encore vulnérables et surtout inégales, d'où l'importance et
l'utilité de la politique intégrationniste menée par l'Organisation. Cette

15
organisation économique fait désormais du Conseil de l'Entente un modèle
de communauté économique disposant de structures administratives et
d'organes ou institutions propres à promouvoir la zone entière.
Ainsi, la convention du 29 mai 1959 portant création du Conseil de
l'Entente avait prévu un fonds de solidarité, alimenté
par 1/1 De des
recettes budgétaires annuelles de chaque Etat; 2/1 De de ce fonds étaient
versés à un fonds de réserve (réserve de solidarité) ; 1/1 De était affecté
aux frais de secrétariat et de séjour des délégations au Conseil de l'Entente;
les 7/1 De restants étaient répartis entre les Etats- me mbres "suivant la
règle inversement proportionnelle" à leurs contributions : une manière
pour le pays le plus riche de venir en aide aux autres.
Par la convention du 9 juin 1966, le fonds de solidarité a été
remplacé par le fonds d'entraide, "établissement public international à
caractère économique et financier, doté de la personnalité civile et de
l'autonomie financière". Son siège est à Abidjan.
L'objet de ce fonds est double; d'abord garantir les emprunts
productifs é mis ou contractés par les Etats, les organis mes publics ou para-
publics, les entreprises privées ayant leur siège social et leur champ
d'activité principale dans l'un ou plusieurs des Etats membres, et destinés
au financement de projets industriels, agricoles et com merciaux rentables
et de projets d'infrastructures.
Le plafond des avals du fonds est fixé à dix fois le montant nominal
de ses ressources. Aucun projet ne doit absorber plus de 15 % du potentiel
d'aval du fonds. L'Etat avalisé s'engage à inscrire dans son budget, chaque
année, l'annuité de son emprunt. En cas de défaillance, le fonds avance
l'annuité à titre remboursable et sans intérêts. Mais il est impossible pour
l'Etat débiteur de demander une nouvelle garantie.
Ensuite,
promouvoir le
développement économique
des
Etats
membres. A cet effet, le fonds reçoit des subventions et des dons, peut

16
contracter pour le compte des Etats des emprunts spécifiques destinés aux
opérations
de
développement
régional.
Il
accorde
également
des
bonifications d'intérêts et des allongements de la durée des crédits pour
des prêts consentis en faveur d'opérations à caractère économique. Les
bonifications d'intérêts ne doivent pas dépasser le tiers du taux d'intérêt
consenti ; elles ne sont pas remboursables et sont financées par une
dotation budgétaire du fonds.
Quant à l'allongement de la durée du crédit, il est accordé dans les
limites des disponibilités et est financé par des subventions remboursables
un (1) an après l'amortissement normal du prêt initial.
Pour atteindre ces objectifs, le fonds dispose des ressources très
variées. En pre mier lieu, il y a la dotation constituée par les versements
annuels des Etats. Ces versements sont fixés tous les'cinq ans par le Conseil
d'administration. En second lieu, les emprunts spécifiques auprès de l'US-
AID, le Fonds d'Aide et de Coopération (F AC). la Caisse Centrale de
Coopération Economique (CCCE),
à des
conditions
avantageuses.
En
troisième lieu. les subventions et les dons d'origine américaine (US-AID),
canadienne (ACDI), française (FAC), européenne (FED). En quatriè me lieu,
les produits des placements et, en cinquième lieu, les produits de la
ré munération des avals accordés. En 1976, le fonds disposait de sept (7)
milliards de F CFA pour conduire sa politique d'investissement!
L'activité du fonds est très intense; dans les trente pre miers mois de
son existence, le montant des avals accordés par le fonds s'élevait à 1.700
millions de francs CF A dont les 2/3 avaient bénéficié au Dahomey.
L'ad ministration du fonds est assurée par trois (3) organes
un
conseil d'administration co mprenant les Chefs d'Etat du Conseil de
l'Entente et présidé par le Président en exercice de l'Union; un comité de
gestion composé de trois (3) représentants par Etat et qui reçoit délégation
de pouvoir de la part de l'organe délibérant. Dans ces organismes, les

17
décisions sont prises à l'unanimité des me mbres (d'où le risque de
blocage). Enfin, un secrétariat administratif instruit les demandes d'avals,
de bonification d'intérêt ou d'allongement de la durée des crédits.
A noter au passage que les statuts du fonds ont été modifiés le 8
décembre 1973 à Lomé en vue "de mettre les textes réglementaires du
fonds en harmonie avec sa réalité quotidienne".
Outre le fonds d'entraide et de garantie des emprunts, le Conseil de
l'Entente a mis sur pied un autre organe d'intervention de grande
importance; il s'agit de la Communauté Economique du Bétail et de la
Viande (C.E.B.V.), créée par une convention en date du 18 mai 1970 à
Abidjan. Elle a pour objet de "promouvoir en commun, dans un cadre
régional, la production et la commercialisation du bétail et de la viande:
- à l'intérieur des frontières des Etats du Conseil de l'Entente;
- entre pays membres;
- entre pays me mbres et pays tiers limitrophes ou non, notamment
ceux groupés au sein de l'Organisation Commune Africaine et Malgache
(OCAM)".
Cette communauté comprend deux organes: le Conseil des Ministres,
organe suprê me, composé de deux ministres par Etat; il se réunit une fois
l'an pour définir la politique générale de la communauté et fixer les
contributions des Etats membres. Les décisions y sont prises à l'unanimité.
Ce conseil des Ministres est assisté d 'un secrétariat exécutif, domicilié à
Ouagadougou, et qui est chargé de la mise en place d'un véritable marché
commun du bétail et de la viande entre les Etats membres d'une part et
d'autre part entre les Etats membres et les Etats associés qui peuvent
adhérer à la communauté par des conventions ou accords particuliers.
Le marché commun du bétail et de la viande ainsi institué tire son
importance de deux choses:

18
- d'abord, au niveau du Conseil de l'Entente, il apparaît être la plus
pure expression de la complémentarité des différentes économies, étant
entendu que dans ce domaine des ressources animales, ce sont les pays
sahéliens (Niger, Haute-Volta) qui sont appelés à subvenir aux besoins des
pays côtiers ;
- ensuite, au niveau de tout l'ouest africain, le Conseil de l'Entente,
par l'importance de son cheptel, définit la politique régionale en matière
de bétail et de la viande. C'est qu'en dehors du Mali et de la Mauritanie.
aucun autre Etat de l'Afrique Occidentale ne peut se suffire à lui- même en
ce domaine. Et aucun ne peut mener une lutte efficace contre les grandes
endémies ou contre la sécheresse. Or, précisément, tous les organismes de
lutte contre les maladies du bétail ou contre la sécheresse sont basés dans
le Conseil de l'Entente. On peut citer notamment l'Organisation Commune
de Lutte contre les Grandes Endémies (0 C C G E) qui a son siège à Bobo-
Dioulasso (Haute- Volta) et le Comité
Inter-Etat de Lutte contre la
Sécheresse dans le Sahel (CILSS) qui a le sien à Ouagadougou (Haute-
Volta).
L'action de ces organismes s'étend à toute l'Afrique de l'ouest. Du
coup, le Conseil de l'Entente s'arroge un rôle déter minant dans la
prod uction, la distrib ution, et la corn mercialisation ainsi que dans la
préservation des ressources animales du sous-continent.

19
Situation et perspectives du cheptel de la communauté
(en milliers)
1976
1980
1985
av.
av.
av.
Pays
BOVINS
BOVINS
BOVINS
CAPR.
CAPR.
CAPR.
Côte d'I
478
1.830,4
538
1.905
670
3.000
Bénin
-
-
-
-
-
-
Bénin
-
-
-
-
-
Hte Volt.
2.550
4.172
2.760
4.698
3.047
5.445
Niger
2.671,7
8.300,2
3.437
11.720
4.708
18.037
Togo
-
-
-
-
-
Togo
-
-
-
-
-
Source: C E B V
A côté de ses actions de promotion écono miq ue propre me nt dite, le
Conseil de l'Entente s'est assigné d'autres tâches de portée considérable. Il
faut retenir, entre autres, son action vigoureuse en matière de tourisme
intégré et de for mation professionnelle et technique. Dans le pre mier cas,
le Conseil de l'Entente a créé la Sorentente, chargée de la définition et de la
mise en œuvre d'une politique touristiquee intégrée. A cet effet, toute une
chaîne d'hôtels est entrain d'être mise en place. Et il est à parier que,
compte tenu de la qualité de la faune et de la flore des pays de l'Union, le
tourisme, cette ind ustr ie ind ustr ialisante, se revè lera être un élément
moteur du démarrage économiq ue de la sous-région.
Dans le second cas, le Conseil de l'Entente a créé deux écoles de
formation professionnelle et technique, à savoir le Centre Régional de
Formation pour l'Entretien Routier(CERFER) sis à Lomé, et le Centre
Régional d'Enseignement et d'Apprentissage Maritime (CREAM) basé à
Abidjan. Ces deux centres reçoivent, non seulement les étudiants des Etats

20
me mbres, mais aussi ceux d'autres Etats africains intéressés (Mali.
Cameroun, Zaïre, Gabon, Libéria, Madagascar, Nigéria, Sierra-Léone).
En conclusion, on peut dire que le Conseil de l'Entente est un vaste
ensemble organisé sur des bases solides : culture négro-africaine,
interpénétration ethnique 1
ethnique ,
1 langues vernaculaires communes 2
communes , économies
com plé mentaires.
Le Conseil de l'Entente tient surtout son prestige du caractère
histor iq ue de sa création, de sa grande capacité d'adaptation aux
évènements pOlitiques3
pOlitiques , de ses nombreuses réalisations économiques et
sociales.
Tout cela en fait un modèle de marché comm un qui a ouvert la voie à
la Communauté Economique de l'Afrique de l'Ouest (CEAO) regroupant la
Côte d'Ivoire, la Haute-Volta, le Niger, le Sénégal, le Mali et la Mauritanie
(le Togo et le Bénin posant comme condition de leur entrée l'élargissement
de ce marché aux anglophones) et à la Communauté Economique des Etats
de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) qui regroupe seize Etats francophones et
anglophones.
Et il n'est pas exagéré de penser qu'à l'avenir, le Conseil de l'Entente,
la CEAO et la CEDEAO, qui tous poursuivent les mêmes buts, cèdent la place
à un vaste Marché Commun de l'Afrique de l'ouest, à l'instar de la
Communauté
Economiq ue
Européenne
: le vieux
rêve fédéraliste
ressusciterait sous la for me d'intégration économique pour le meilleur des
masses africaines concernées.
1 On retrouve les ethnies mossi, gourounsi, peulh et gourmantché dans les cinq Etats
!
2 Dioula et Bambara.
3 Le Président HOUPHOUET BOIGNY est aujourd'hui le seul signataire de la convention
en fonction !

21
Section II
Intérêt de ..étude du contrôle juridictionnel
de "administration dans le cadre du Conseil
de "Entente
Si les cinq Etats membres de l'Union Sahel-Bénin ont en commun le
même passé colonial, qui a bouleversé les structures traditionnelles et
imposé de nouvelles organisations sociales similaires, en revanche,
l'évolution politique interne de ces Etats, depuis les indépendances, accuse
des différences fondamentales. En d'autres termes, l'unité des systèmes
ad ministratif et juridique va de pair avec une remarq uable diversité des
systèmes politiques et cela mérite d'être pris en compte dans l'étude du
contentieux administratif dans ces Etats.
Paragraphe 1 : Diversité des régimes politiques
De 1958 à nos jours, l'évolution politique des Etats du Conseil de
l'Entente a été marquée par deux grandes étapes: la première, qui va de
1958
à
1963
gros so
modo,
constit ue
une
période
d 'iden tité
constitutionnelle et institutionnelle ; la seconde,
a u contraire, est
caractérisée par une diversification des régimes qui s'origine dans les
options politiq ues dictées par les circonstances locales. Un survol de ces
deux périodes ne se mble pas manquer d'intérêt!
A) La phase de l"identité constitutionnelle et
institutionnelle
Sous la Communauté (1958 - 1960), les Etats du Conseil de l'Entente
avaient assimilé le régime parlementaire rationalisé de la Vè République
française. Les constitutions africaines furent, à une virgule près, des copies
certifiées confor mes de la constitution française du 4 octobre 1958. En
effet, les constitutions ivoirienne du 26 mars 1959, dahoméenne du 15

22
février 1959, voltalque du 15 mars 1959, nigérienne du 25 février 1959
et togolaise du 23 avril 1960 mettaient en œuvre:
1) Des régimes démocratiques
La devise des Etats était "Le gouvernement du peuple, par le peuple
et pour le peuple". La souveraineté appartenait au peuple qui l'exerçait
par ses représentants élus ou directement par voie de référendum
législatif ou constituant. Enfin, les préambules faisaient référence à la
Déclaration des droits de l'hom me et du citoyen de 1789 ainsi qu'à la
Déclaration universelle des droits de l'hom me de 1948.
2) Des régimes libérauI
Toutes les libertés individuelles, les droits collectifs étaient reconnus
et garantis par les constitutions: liberté d'expression, de pensée, de presse,
d'association, de grève; liberté d'entreprise ou de commerce entre autres
choses.
A la vérité, cette démocratie politique, bien endormie dans son
berceau occidental, allait s'avérer bien vite complètement inadaptée au
milieu
et incompatible avec les impératifs d'unité
nationale et de
développement économique harmonieux. La démocratie multipartisane en
effet, soit à défaut de structures d'accueil appropriés (éducation des
masses notamment) ou en raison des structures existantes (hétèrogénéité
sociale, gérontocratie etc ... ) constituait plutôt un frein qu'un moteur au
développement intégral des jeunes Etats.
Limitée par destination à une minorité élitiste au comportement
majoritaire, la vie politique interne de ces Etats ne pouvait être et n'était
en réalité qu'un théâtre d'ombres, un jeu de cirque devant des gradins
déserts. Enracinés dans les ethnies,
les partis
politiques (partis-hommes

23
et non pas partis-programmes) n'avaient d'autre objectif que d'affaiblir le
pouvoir en place, ce qui aboutissait à scléroser l'activité administrative.
C'est pourquoi, le rajustement des choix politiques était nécessaire.
Pour quelques pays comme la Côte d'Ivoire et la Guinée, il consista à
l'abandon du multipartisme en faveur du parti unique. Pour les autres, ce
fut l'option du bipartisme ou du parti dominant. Mais pour tous, ce fut, dès
l'indépendance
acquise,
une
préférence
marquée
pour
le
régime
présidentiel. Les constitutions ivoirienne du 3 novembre 1960, voltaïque
du 9 novembre 1960, dahoméenne du 2S novembre 1960, nigérienne du 8
novembre 1960 et togolaise du 9 avril 1961 furent remarquables par:
- la prééminence du Président de la République
: l'article 12 des
différentes constitutions stipulait que "le Président de la république est le
titulaire exclusif du pouvoir exécutif" ;
- la limitation de jure ou de facto des partis politiques (parti unique
de fait en Côte d'Ivoire, parti dominant en Haute-Volta et au Niger,
bipolarisation au Dahomey et au Togo).
Au Togo, le régime présidentiel avait même tous les traits du
présidentialisme, puisque le Président de la République pouvait dissoudre
l'assemblée nationale (article 39 de la constitution du 9 avril 1961).
En résumé, cette première phase est marquée de constitutionnalisme
: le pouvoir s'exerce (tant bien que maI) dans le cadre des lois ; en
revanche, la seconde phase verra l'abandon du constitutionnalisme : le
pouvoir s'exercera désormais sur la base de la crainte inspirée par le chef
ou sur la base de son charisme.
D) La phase de la diversité aJnstitutionnelle
et institutionnelle
Après les expériences communes de la démocratie parlementaire et
de la démocratie présidentielle, les Etats du Conseil, à partir de 1963,

24
allaient connaître des évolutions politiques différentes qu'il convient de
retracer ici succincte ment...
1-) Evolution politique du Bénin depuis
1963 à nos jours
La vie politique interne du Bénin a été l'une des plus mouvementées
du continent. En l'espace de dix ans (1960 - 1970), l'ancien Dahomey a
battu le triple record africain de nombre de coups ct 'Etat militaires (4), de
constitutions (5) et lie gouvernements (10).
La Révolution d'octobre de 1963 avait été le point de départ d'une
instabilité chronique qui ne prendra fin qu'avec l'arrivée au pouvoir du
lieutenant Colonel MATHIEU KEREKOU.
Le 29 octobre 1963 en effet, le colonel CHRISTOPHE SOGLO, Chef
d'Etat major des forces armées dahoméennes, prenait le pouvoir à la suite
de monstrueuses manifestations organisées par les milieux syndicaux
pendant
toute
une
semaine
contre
le
pouvoir.
La
constitution
présidentielle du 25 novembre 1960 fut suspendues, l'assemblée nationale
dissoute, le Président MAGA démis de ses fonctions. Un gouvernement fut
formé avec APITHY et AHOMADEGBE. Les raisons de Cl: coup de force
étaient multiples:
- faste excessif des dirigeants qui tranchait avec la misére populaire;
- voyages trop nombreux du Président HUBERT MAGA qui ne lui
permettaIent plus de definir et d'executer une politique economique
cohérente et profitable aux masses;
- corru ption de certains ministres;
- politique favoritiste et régionaliste du Président MAGA à l'égard de
ses compatriotes du nord;
- difficultés du marché du travail.

25
A la suite du coup d'Etat du 29 octobre
1963, une nouvelle
constitution fut élaborée et approuvée par référendum du 5 janvier 1964.
Celle-ci prévoyait notamment un Président et un vice-président, élus tous
deux pour cinq ans au suffrage universel en même temps que l'assemblée
nationale. Le Président était le chef des armées, l'arbitre des pouvoirs
publics, le Président du Conseil des Ministres. Le vice-Président était le
chef du gouvernement et avait pour attributions la détermination et
l'exécution de la politique de la nation.
L'assemblée nationale était une chambre de réflexion, comprenant
une section économiq ue et sociale et une section politique, appelée conseil
des anciens. L'assemblée nationale donnait des avis sur les projets de lois,
d'ordonnances ou de règlements à caractère politique, économique et
social.
Mais ce régime bicéphale, mettant aux prises deux vieux routiers de
la politique nationale, n'avait pas de chances réelles de durer. Et
effectivement, le 25 novembre 1965, le P.D.D. votait une motion de
défiance à l'encontre de son leader. APITHY. Celui-ci fut contraint de se
démettre de ses fonctions de Président de la République dès le 27
novembre. A son tour, l'armée força AHOMADEGBE à la démission le 29. Le
Président de l'assemblée nationale, M. CONGACON TAHIROU, fut appelé à
exercer les fonctions de Chef d'Etat.
Mais à partir du 14 décembre 1965. les troubles créés par la
coalition APHITHY-MAGA donna l'occasion au Général SOGLO de reprendre
encore le pouvoir le 22 décembre 1965. Dès le Il janvier 1966. un Comité
de Rénovation Nationale (C.R.N,), fort de 25 à 35 membres et ayant un rôle
consultatif, fut mis sur pied. Mais le 6 avril 1967, un Comité Militaire de
Vigilance (CML) fut substitué au CNR tout en conservant les attributions de
ce dernier.

26
En fait, cette rénovation ne porta pas de fruit, pas même une fleur;
en effet, la politique d'austérité du gouvernement pesa lourd sur les
travailleurs ; ils déclenchèrent une grève qui permit au commandant
KOUANDETE de prendre le pouvoir le 17 décembre 1967.
Un nouveau gouvernement, présidé par le colonel ALLEY, fut mis en
place. Sa tâche fut d'élaborer une nouvelle constitution qui fut approuvée
le 31 mars 1968. Cette constitution rompait avec les habitudes politiques.
Son article
103 stipulait que "pour favoriser l'unité nationale et le
regroupement de tous les citoyens autour d'une charte et d'un programme
d'action nationale, pour mettre fin à la haine, aux luttes fratricides et
stériles, aux actes de violence et de vendalisme qu'engendre le pluralisme
dans notre jeune Etat, le peuple dahoméen opte résolu ment et librement,
pendant une période de cinq ans, pour un parti national unique. L'article
106 à son tour définissait le rôle de ce parti unique à savoir élaborer la
J
à savoir élaborer
J
politique générale de la nation, établir un programme d'éducation et de
prise de conscience des populations, inspirer l'action du gouvernement en
fonction des aspirations profondes des masses.
A la tête de ce parti-Etat fut placé un homme neutre: le Docteur E.D.
ZINZOU. L'événement fut accueilli avec beaucoup de satisfaction en
Afrique. Mais il n'en fut rien. Le 10 décembre 1969, le commandant
KOUANDETE renversait le Docteur ZINZOU pour n'avoir pas été capable de
réaliser l'unité nationale. Dans un premier temps, un Directoire militaire
fut mis en place dès le
12 décembre. Dans un second temps, une
ordonnance en date du 26 décembre
1969 publiait une charte du
directoire qui confiait le pouvoir à trois officiers, détenant les pouvoirs
législatif et exécutif. Le directoire organisa des élections dès le mois de
mars 1970. Mais ces élections, entachées de trop d'irrégularités, furent
annulées le 3 avril 1970. Par la suite, un gouvernement d'union nationale
fut constitué, avec un conseil présidentiel de trois membres, comprenant

27
les trois chefs historiques du pays. La présidence de ce conseil était
rotative : chaque membre devait diriger le pays à tour de rôle pendant
deux ans, en accord avec le conseil. Les pouvoirs de ce conseil étaient
étendus; il était assisté d'une assemblée consultative comprenant une
section économique et une section de politique générale.
Deux ans plus tard, cette expérience unique en son genre échouait. La
seule solution à ce problème d'instabilité politique fut l'avènement, le 26
octobre
1972, d'un gouvernement militaire révolutionnaire (G.M.R.),
composé exclusivement de militaires et assisté d'un conseil militaire de la
révolution (ordonnance du Il novembre 1972) à fonctions purement
consultatives.
Le régime actuel du Bénin n'a rien de commun avec les autres
régimes
politiques du conseil de l'Entente. Le
30 novembre
1972,
MATHIEU KEREKOU définissait un programme de construction nationale
anti -i mpér ialiste. Deux ans plus tard, un nouveau pas était franchi avec
l'option marxiste-léniniste. A cet effet, un Parti de la Révolution Populaire
du Bénin (P.R.P.B.) a vu le jour le 30 novembre 1973 et le pays changea de
nom en 1975.
Le 26 août 1977 était adoptée la nouvelle loi fondamentale du pays.
Aux termes de cette constitution, la République Populaire du Bénin est un
Etat révolutionnaire, un Etat unifié multinational où toutes les nationalités
sont égales en droits et en devoirs; l'Etat doit "assurer à chacune d'elles un
plein épanouissement dans l'unité à travers une juste politique des
nationalités et d'équilibre inter-régional". Toutes les nationalités jouissent
de la liberté d'utiliser leur langue parlée et écrite et de développer leur
propre culture".
Ces dispositions constitutionnelles reflètent bien le réalisme politique
des nouveaux dirigeants: c'est une main tendue aux puissants groupes
régionaux qui, depuis 1960, ont commandé la vie politique du pays.

28
L'article 4 de la constitution indique clairement les options politiques
du pays: "En République Populaire du Bénin. la voie de développement est
le socialisme. Son fondement philosophique est le marxisme-léninisme qui
doit être appliqué de manière vivante et créatrice aux réalités béninoises".
En vertu de cette option politique "tous les organes d'Etat en
République Populaire du Bénin sont constitués et fonctionnent selon le
principe du centralisme démocratique" (article 7 de la constitution) et
"l'Etat exerce la dictature révolutionnaire dans la voie de l'instauration de
la
dictature
démocratique
populaire
sur
la
base
de
l'application
conséquente de la ligne de masse" (article 8 de la constitution).
La nouvelle loi fondamentale prévoit les institutions suivantes, par
ordre d'importance:
a) L"Assemblée Nationale Révolutionnaire
(ANR)
C'est l'organe suprême du pouvoir d'Etat de la République Populaire
du Bénin, l'unique organe législatif, composé de commissaires du peuple
élus pour 3 ans.
Ses attributions sont étendues : adoption ou révision de la loi
fondamentale, vote des lois. élection du président de la République (sur
proposition du comité central du
parti).
des
membres
du comité
permanent de l'assemblée, du président de la cour populaire centrale et du
procureur général du parquet populaire central; en outre, elle décide des
consultations populaires nationales, des questions de guerre et de paix, de
l'amnistie ; elle arrête les principes fondamentaux de la politique
intérieure et extérieure de l'Etat, fixe les impôts. donne son avis sur la
nomination des membres du conseil exécutif national, adopte le plan
d'Etat. approuve la création et la suppression des ministères ainsi que la

29
délimitation territoriale des provinces. Enfin, elle peut s'attribuer tout
autre compétence jugée nécessaire.
L'assemblée nationale révolutionnaire désigne en son sein un comité
permanent responsable devant elle. Celui-ci a des compétences propres:
organiser
et
proclamer
les
élections
à
l'asse mblée
nationale
révolutionnaire
; convoquer les
sessions
de
l'assemblée
nationale
révolutionnaire et diriger ses travaux, interpréter les lois ; contrôler
l'activité du conseil exécutif national, de la cour populaire centrale et du
parq uet populaire central ; faire modifier ou annuler les décrets, arrêtés,
décisions, instructions du conseil exécutif national contraires aux décisions
du comité permanent de l'assemblée nationale révolutionnaire ainsi que
les actes des autorités décentralisées ou déconcentrées ; décider de la
ratification ou de la dénonciation des traités; instituer les ordres et titres
honorifiq ues de l'Etat et en décider l'octroi. Enfin, le comité permanent
donne son avis sur les nominations à différentes fonctions ainsi que pour
la révocation de leurs titulaires.
b) Le Président de la République (PR)
Il est élu pour trois ans (et il est rééligible) par l'assemblée nationale
révolutionnaire, sur proposition du comité central du parti. Il est le Chef
du conseil exécutif national. Il exercer les fonctions d'un Chef d'Etat
traditionnel, mais toujours en collaboration avec le comité permanent de
l'assemblée nationale révolutionnaire.
c) Le conseil eIécutif national
(CEN)
C'est l'organe administratif et exécutif suprême. Il est responsable
devant l'assemblée nationale révolutionnaire à laquelle il rend compte de
ses activités ou, à défaut, au comité permanent de cette assemblée. Le

30
conseil exécutif national se compose du président de la République, des
Présidents des comités d'Etat d'administration des provinces.
Il se réunit en session plénière ordinaire ou extraordinaire sur
convocation du président de la République.
Ses attributions sont les suivantes: coordonner et diriger l'activité
des ministères et des organes exécutifs et administratifs des divers
échelons
; soumettre
les
projets
de
lois
à l'assemblée
nationale
révolutionnaire ; modifier ou annuler les décisions mal fondées des
ministères ou des organes exécutifs et administratifs des divers échelons;
préparer et exécuter le plan d'Etat et le budget; maintenir l'ordre public;
protéger les droits des citoyens ; prendre les mesures nécessaires à la
défense nationale ; conclure les traités ; gérer le commerce intérieur et
extérieur du pays ; approuver la délimitation territoriale des unités
ad ministratives inférieures à l'échelon provincial. Enfin, le conseil exécutif
nationale peut recevoir d'autres attributions de la part de l'assemblée
nationale révolutionnaire ou de son comité permanent.
Le conseil exécutif national a un comité permanent, composé du
Président de la République et des membres nommés par lui au sein du
conseil exécutif national;, sur proposition du comité central du parti et
après avis de l'assemblée nationale révolutionnaire. Ce comité permanent
est l'organe de direction, de gestion et de contrôle des affaires de l'Etat.
d) La cour populaire centrale (CPC) et les
tribunauI populaires locaUI
La cour populaire centrale est la plus haute juridiction de la
République. Elle se compose de juges professionnels, de juges populaires
non-professionnels. Elle comporte diverses chambres. Son président est élu
par l'assemblée nationale révolutionnaire pour une durée de quatre ans et
les autres membres sont désignés par le conseil exécutif national. Les juges

31
non-professionnels
sont
désignés
aussi
par
l'assemblée
nationale
révol utionnaire.
La cour populaire centrale est responsable devant l'asse mblée
nationale révolutionnaire ou devant son comité permanent, le Président de
la République, le conseil exécutif national.
Au niveau local, il y a un tribunal populaire à chaque échelon:
- à l'échelon du village ou du quartier de ville, ce tribunal s'appelle
tribunal populaire local (T.P.L.). C'est un trib unal de conciliation, composé
de non-professionnels et de secrétaires élus par l'asse mblée du village ou
du quartier de ville pour trois ans renouvelables;
- à l'échelon corn munal, il yale tribunal populaire de la corn mune
(T.P.C.) composé également de juges non-professionnels et de secrétaires
élus par le conseil communal de la révolution pour trois ans renouvelables.
C'est aussi un trib unal de conciliation;
- à l'échelon du district, il yale tribunal populaire du district (T.P.D.),
co mposé
q uan t
à
lui
de
juges
professionnels
et
de
juges non-
professionnels, les premiers nom més par le conseil exécutif national, les
seconds élus pour trois ans renouvelables par le conseil révolutionnaire de
district. Le trib unal populaire du district est juge de droit corn mun en
matière civile, pénale, commerciale et sociale;
- à l'échelon provincial, il yale tribunal populaire de province
(T.P.P.), composé de juges professionnels nommés par le conseil exécutif
national et de juges non -professionnels élus pour trois ans renouvelables
par le conseil provincial de la révolution. C'est une cour d'appel qui siège
en Cour d'Assises pour juger les crimes et qui est compétente en matière
administrative.
A l'analyse, l'organisation du pouvoir d'Etat en République Populaire
du Bénin est une copie conforme
du
modèle
soviétique. Elle est
remarquable d'abord par sa lourdeur qui s'origine dans l'importance des

32
structures politico-administratives ; ensuite par le systè me des délégations
de pouvoir. La cascade de délégations de pouvoir est propre à rendre le
pouvoir lui- même diffus, et, partant, à concentrer le pouvoir réel dans les
mains d'un seul organe. Le risque de l'autocratie est grand; la dictature du
prolétariat peut se révéler une dictature sur le prolétariat, malgré la liste
impressionnante des libertés reconnues et garanties: liberté de conscience,
d'expression, de parole, de croyance, de presse, de correspondance,
d'association, de manifestation de rue etc... On est d'autant plus fondé à le
penser que le juge n'est pas indépendant du pouvoir d'une part et que ses
compétences, par le système des élections, laisseraient sérieusement à
désirer.
Le
seul
espoir
résiderait
dans
la
continuité
à
travers
les
changements, étant entendu que les nouvelles institutions ont été conçues
dans l'unique but de créer "l'impossible nation dahoméenne" et qu'elles
revêtent, de ce fait, le caractère d'institutions-programmes.

33
Organisaüon du pouvoir politique d"Etat et du pouvoir
administratif d"Etat en République Populaire du Bénin
Niveaux
Org. du Pvr.
Org. du Pvr
Polit. d'Etat
Cam. Perm.
ad m. d'Etat
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Etat
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34
Organisation judiciaire en République Populaire du Bénin
ORGANES
COMPOSITION
COMPETENCES
JUDICIAIRES
Cour populaire
Juges professionnels +
centrale
juges no-professionnels
Cour de Cassation
élus
Tr ib unal populaire de
Juges professionnels +
Cour d'appel, Cour
province
juges non-professionnels
d'Assises, Trib unal
élus
Administratif
Tribunal Populaire de
Juges professionnels +
Matiére civile, pénale,
district
juges non-professionnels
commerciale et
élus (3 ans
sociale
renouvelab le s)
Tribunal populaire de
Juges populaires non-
la commune
professionnels élus (3 ans Conciliation
renouvelables)
Tribunal populaire
Juges populaires non-
local
professionnels élus (3 ans Conciliation
renouvelables)
A noter que les juges populaires non-professionnels sont élus sur la
base de la bonne moralité et de la conviction politique révolutionnaire.
Les juges professionnels des trib unaux de district et de province sont
nommés par le conseil exécutif national.
Le
Président
de
la
Cour
populaire
centr ale
est
nom mé
par
l'assemblée nationale révolutionnaire pour quatre ans.
La Cour populaire centrale est responsable devant l'assemblée
nationale révolutionnaire ou son comité permanent, le Président de la
République et le conseil exécutif national.

35
2-) Evolution politique en République
de Côte d"Ivoire
La vie politique ivoirienne a toujours été liée à celle du PDCI-RDA qui
fut créé en 1945 en remplacement du syndicat agricole africain. Jusqu'en
1950, l'alliance de FELIX HOUPHOUET BOIGNY avec le Parti communiste
français avait constitué un frein à l'essor de son mouvement, face à
d'autres formations tels que le Parti Progressiste de Côte d'Ivoire (1946),
l'Union des Indépendants de Côte d'Ivoire (I 948) et le Bloc Dé mocratique
Eburnéen (I949).
La rupture avec les communistes et l'adhésion à l'U.D.S.R. de François
MITTERAND, alors Ministre des Territoires d'Outre-Mer, allaient, par le fait
même
que
cela
créait
de
nouveaux
rapports
entre
le
PDCI
et
l'administration coloniale, per mettre le rallie ment des autres formations
au mouve ment Houphouétiste. Ainsi, aux ter mes d'un accord conclu en
1956, le PDCI-RDA était reconnu comme la seule force politique du pays.
A partir de 1956, la participation d'HOUPHOUET BOIGNY à différents
cabinets métropolitains allait consacrer son leadership. L'indépendance de
la Côte d'Ivoire fut proclamée le 7 août 1960 et, à la suite de la
constitution du 3 novembre 1960, HOUPHOUET BOIGNY fut élu Président
de la République (7 novembre 1960) ; depuis lors, le pays jouit d'une
remarquable et exceptionnelle stabilité qui ne fut troublée que par "le
complot des Ministres" en 1963 et par une tentative de coup d'Etat
militaire en 1973.
Ceci étant, la constitution présidentielle du 3 nove mbre
1960,
toujours et vigueur (elle a été modifiée seulement par deux fois en 1963 et
en 1977 en ses articles 64 et Il) connaît dans la pratique une application
différenciée:
- d'abord, il n'y a point de séparation des pouvoirs. Il y a seulement
une division du travail qui per met aux
différentes institutions de

36
participer à l'élaboration et à l'exécution du
program me législatif,
économique, politique et administratif défini par le parti;
- ensuite, les libertés reconnues par la constitution sont for melles. A
la vérité, il n'y a qu'une seule liberté, celle d'appartenir au parti unique
qui est et demeure un parti de fait, l'article 7 de la constitution stipulant
que "les partis et groupements politiques concourent à l'expression du
suffrage", qu'ils se forment et exercent leur activité librement sous réserve
de respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie
et les lois de la République;
- enfin, le parti unique, par sa superposition à l'Etat, rend caducs les
statuts de ce dernier qu'est la constitution.
La personnalisation du pouvoir apparaît être le fait dominant du
régime ivoirien. Toutefois, il faut donner à cette personnalisation du
pouvoir, à cette autocratie, son contenu proprement africain: HOUPHOUET
BOIGNY est d'abord le père de la nation ivoirienne avant d'être un Chef
incontestable. Et l'on serait mal venu de critiquer un régime qui favorise le
développement du pays et assure le mieux être des populations!
3-) Evolution politique voltaïque
a) La Haute-Volta de 1963 à 1977
La
tendance
au
monolithisme,
amorcée
au
lendemain
de
l'indépendance, allait être accentuée à partir de 1963 avec l'interdiction du
Mouvement de Libération Nationale de M. KI_ZERBO (créé en 1958 à
Dakar) et la liquidation du Parti du Regroupement Africain dont le leader,
NAZI BONI, fut contraint à l'exil à Dakar.
Au début de l'année 1965, MAURICE YAMEOGO,
Y
leader de l'Union
Démocratique Voltaïque (UDV), section du Rassemblement Démocratique
Africain, détenait un pouvoir sans partage et sans opposition légale. Sa
réélection, le 3 octobre 1965, à la magistrature suprême avec 99,98 % de

37
OUI ne fut point une surprise. Son leadership personnel, grandi par la
nouvelle légitimité, allait relever d'un degré l'autocratie du pouvoir. Mais,
en se
remariant
pompeusement dans
un
pays où
l'élite
politico-
bureaucratique était constituée dans une très large proportion par des
chrétiens (le premier établissement secondaire du pays fut le Petit
Séminaire de PABRE qui fut une véritable pépinière des cadres) et ce, au
compte du budget de l'Etat, il dressait tous les travailleurs contre les
mesures
d'austérité
prises
par
le
gouvernement
ultérieurement
(notamment, rabattement des salaires de 20 %) en vue d'assainir les
Finances Publiques.
La grève générale déclenchée le 1er janvier 1966 se transforma en
émeute le 3. Au soir de ce jour, les travailleurs firent appel à l'armée
nationale pour prendre la relève.
En décembre 1966, après onze mois d'apprentissage du pouvoir,
l'armée décida de s'y maintenir pendant une période exceptionnelle de
quatre ans. A cet effet, le gouvernement militaire mit sur pied deux
institutions d'appoint: un conseil supérieur des forces armées, véritable
organe politique, centre des décisions importantes du gouvernement; un
comité consultatif de 41 membres, dont 10 militaires, appelé à donner des
avis sur les questions à propos desquelles le gouvernement pouvait le
consulter ou à émettre des vœux ; dépouillé de toutes prérogatives, ce
comité consultatif ne se réunissait que sur convocation du Président de la
Républiq ue qui décidait à chaque fois de la clôture de ses travaux.
A la fin de la période exceptionnelle, l'armée tenait ses promesses et
remettait le pouvoir aux civils. La seconde République naissait avec la
constitution du 29 juin 1970 qui instituait un régime parlementaire
rationalisé. Les élections de fin d'année avaient donné trente sept députés
au RDA, douze au PRA, six au MLN et deux aux Indépendants.

38
Le
caractère
civil
du régime
était limité
d'une
part
par la
maintenance à la tête de l'Etat, en qualité de Président de la République,
du militaire le plus ancien dans le grade le plus élevé et, d'autre part, la
participation au gouverne ment des militaires dans la proportion d 'un tiers.
La seconde République ne dura pas le temps d'une législature. En
effet, à la suite d'une querelle entre les barons du parti au pouvoir, le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics se trouva compromis. Le
Président de la République, sur l'instigation de l'armée, délaissa les armes
constitutionnelles à sa disposition et fit un cou p d'Etat le 8 février 1974.
L'assemblée nationale fut dissoute, la constitution suspendue, les activités
politiques interdites. Un Gouvernement de Renouveau National (G.R.N,) fut
installé, avec pour mission "d'orienter ses actions vers le bien-être du
peuple, d'adopter une politique basée sur nos propres ressources et de
travailler pour la justice sociale pour tous", Le GNR se fit assister d'un
Conseil Consultatif National pour le Renouvea u (C.C.N.R,),
créé
par
ordonnance 74-44 PRES du 29 juin 1974. Fort de 65 membres, le C.C.N.R.
est composé de façon à faire
participer toutes les couches socio-
professionnelles à la gestion de la chose publique; en effet, il comprenait:
- d'es représentants de l'armée
12
- des représentants du monde rural
10
- des représentants du patronat
6
- des représentants des syndicats
8
- des représentants des organisations de jeunes
6
- des représentants des organisations culturelles
2
- des représentants des organisations féminines
3
- des représentants de la chefferie traditionnelle
4
- des représentants des communautés religieuses
3
- des personnalités désignées par le gouvernement
Il

39
En fait, cet organe de l'Etat n'avait ni prérogatives personnelles, ni
missions précises. C'est à travers le discours prononcé par le Président de
la République lors de l'installation de cette institution le 5 juillet 1974 que
le rôle de ce dernier a été perçu: "Le C.C.N.R. est, auprès des pouvoirs
publics, et plus particulièrement auprès du gouvernement, une assemblée
consultative. Par la représentation des diverses couches sociales et
organisations qu'il incarne, le conseil favorise la collaboration de ces divers
milieux sociaux et assure leur participation à la conception et à l'action du
gouvernement. Il possède une compétence consultative générale sur toutes
les matières importantes intéressant la vie nationale et sur lesquelles le
gouvernement est appelé à prendre des décisions. Il examine et donne des
avis motivés sur toutes les questions qui lui sont soumises par le
gouvernement. Indépendamment des problèmes dont il est saisi, le conseil
peut et doit prendre des initiatives constructives dans tous les secteurs de
la vie économique, politique, et sociale de la nation et formuler, à
l'intention
de
l'exécutif,
des
suggestions
et
des
reco m mandations
susceptibles de l'aider dans la réalisation du program me de renouveau
national".
En 1975, se fondant sur le consensus que le coup d'Etat du 8 février
1974 avait rencontré auprès des masses, l'armée crut devoir rassembler
toutes les forces vives de la nation (en dehors bien sûr des forces d'inertie)
dans un mouve ment uniq ue.
Le 25 novembre 1975, le Général Président annonçait la création
d'un Parti Unique dénommé Mouvement National pour le Renouveau
(M.N.R.), La réaction des milieux syndicaux ne se fit pas entendre; les 17
et 18 décembre 1975, une grève générale paralysa tout le pays. Le peuple
exigea la formation d'un gouvernement d'Union Nationale pour élaborer
une
nouvelle
loi
fondamentale
en
vue
d'un
retour
à
une
vie
constitutionnelle normale. Une commission spéciale, comprenant les

40
représentants de toutes les couches sodo-professionnelles et des partis
politiques, fut chargée de préparer un avant-projet de constitution. Ce
texte, après avoir été amendé par le gouvernement, fut soumis à l'adoption
populaire par référendum du 27 novembre 1977. Des élections législatives
furent organisées le 30 avril 1978. Les résultats furent les suivants:
- Rassemblement démocratique Africain (R.D.A.)
28 députés
- Union Nationale pour la Défense de la Démocratie(UNDD)
13 députés
- Union Progressiste Voltaïque (ex M.L.N.)
9 députés
- Union Nationale des Indépendants (U.N.I.)
1 député
Quant aux élections présidentielles, après deux tours de scrutin, le
Général LAMIZANA fut reconduit à la tête de l'Etat.
b) La constitution du
13 décembre 1977 et le régime politique
de la troisième R.épublique
La constitution promulguée le 13 décembre 1977 a été inspirée par
la constitution française du 4 octobre 1958 et par l'expérience de la
seconde République elle-même. C'est une constitution mi-parlementaire,
mi-présidentielle. Elle était remarquable par:
- La limitation des partis politiques à trois au maximum. Son article 7
alinéa 1 stipule en effet que "la République reconnaît l'existence de trois
partis politiques au maximum".
Cette
disposition
vise
à
pré server
l'unité
nationale
qu'un
multipartisme
à
l'eau
de
rose
et à
l'imagerie
d'Epinal risque
de
compromettre, quand on sait qu'il s'agit de partis-hommes et non pas de
partis-programmes. forcément assis sur l'ethnie ou la région. Seulement,
contraire ment au systè me sénégalais, il n'est pas fait obligation aux trois
partis retenus (RDA, UNDD, UPV) de se prévaloir d'une idéologie. A la
vérité, cela paraît une erreur grave. En effet, la vie politique nationale est
monopolisée jusqu'en ces jours par la vieille élite de la période coloniale.

41
Celle-ci n'est divisée qu'au plan des hommes et non des idées. Or, la
nouvelle génération, impatiente de prendre la relève, se prévaut quant à
elle d'idéologies. Le risque est par conséq uent trop grand de voir ces
oppositions nouvelles s'exprimer dans la rue. Le verrou constitutionnel mis
en place par l'article 7 de la loi fondamentale finira par sauter sous la
pression de mouvements clandestins. La preuve est qu'on dénombre déjà
cinq parties politiques de tendance marxiste-léniniste;
- la prééminence du Président de la République : le Président de la
République détient, en plus des pouvoirs de son homologue français, deux
prérogatives exorbitantes d'un régime parle mentaire : d'abord, il a
compétence pour déterminer les orientations générales de la politique de
la nation; ensuite, il peut mettre fin aux fonctions du Premier Ministre, de
façon discrétionnaire. Dans les deux cas, cela ne va pas sans danger grave:
si la détermination des orientations générales de la politique nationale est
dévolue au Président, il reste et il demeure qu'aux termes des dispositions
constitutionnelles, celui-ci est irresponsable et irrévocable; en lui donnant
donc expressément compétence pour déterminer la politique nationale,
n'organise-t-on pas de ce fait sa responsabilité politique ?
Su pposons
par
exe mple
qu'il
définisse
une
poli tiq ue
0 u
un
programme et que son Premier Ministre, responsable en droit devant le
parlement, pose la question de confiance sur cette politique ou programme
qu'il aurait exposé préalable ment; supposons encore que la confiance est
refusée et qu'à la suite, le Président dissolve l'asse mblée nationale ;
supposons enfin qu'à l'issue des nouvelles élections, la mê me majorité
hostile au program me gouverne mental soit reconduite à l'hémicycle ! on
devra en déduire que le peuple souverain, dans le conflit opposant
l'exécutif au législatif, a tranché en faveur de ce dernier. Par la théorie de
la légitimité la plus rapprochée, la volonté politique du législatif l'emporte
sur celle de l'exécutif; le Président de la République n'aura plus qu'une

42
alternative, à savoir se soumettre ou se démettre. Or, il pourra rétorquer:
"Je ne me soumets pas parce que la constitution me donne compétence
pour définir la politique ou le programme; je ne me démets pas parce que
je suis élu pour cinq ans, irrévocable".
On aurait dès lors un face à face entre la légiti mité et la légalité,
mais, en l'absence d'une procédure permettant la mise en jeu de la
responsabilité du chef de l'exécutif, il ne restera que le coup de force
comme dernière solution.
Il faut remarquer qu'en France où existe également ce dédoublement
constitutionnel, le Président de la République n'est pas compétent en droit,
pour déterminer la politique de la nation. Cela ressortit à la compétence du
Premier Ministre. Seulement, quand le Président de la République se
retrouve être le leader de la majorité parlementaire (Etat-UDR sous DE
GAULLE
et
POMPIDOU),
la
constitution
présidentielle
se
met
automatiquement en application: le Président peut s'arroger le pouvoir de
déterminer la politique de la nation, le Premier Ministre
devient
responsable devant lui et non plus devant l'assemblée nationale, la
confiance à l'exécutif est inévitable.
Mais dès que le Président perd le leadership du parti majoritaire,
c'est la constitution parlementaire qui est mise en œuvre : le Premier
Ministre
redevient
responsable
devant
l'assemblée
nationale
en
recouvrant la plénitude de ses compétences et le Président de la
République doit se cantonner désormais à son rôle d'arbitre.
En
Haute- Volta,
le
constituant
originaire
a
perdu
de
vue
l'environnement politique; et surtout, il n'a établi aucun équilibre entre la
constitution présidentielle et la constitution parlementaire; il a voulu un
exécutif puissant, il a fait un géant aux pieds d'argile et le chef de l'Etat
n'est pas à l'abri du sort de MAC-MAHON.

43
De même. la révocation discrétionnaire du Pre mier Ministre par le
Président peut être une source d'instabilité. Aux termes de l'article 22 de
la constitution. "le Président de la République est le Chef de l'exécutif; à ce
titre, il nom me le Premier Ministre ; il met fin à ses fonctions dans
11ntérêt national, ou sur la présentation, par le Premier Ministre, de la
démission du gouvernement.
L'intérêt national n'est-il pas ici l'intérêt du Chef de l'exécutif lui-
même
? En lui accordant ce privilège. dans le cadre d'un régime
parlementaire, n'ouvre-t-on pas la voie à une crise éventuelle entre
l'exécutif et le législatif? En sera-t-il autrement quand le Président de la
République
révoquera
un
Pre mier
Ministre
issu
de
la
majorité
parlementaire dont il a par ailleurs la confiance! ?
- L'extension des libertés individ uelles : le préambule de la constitution,
qui fait partie intégrante de celle-ci (art. 21 de la constitution) reconnaît
tous les droits fondamentaux de l'homme et du citoyen: liberté de parole.
de pensée, de pratiq ue religieuse, d'entreprise, de presse, d'association, de
grève, ainsi que des droits à caractère social (droit au travail, à la santé, à
l'instr uction nota m ment).
Tous ces droits sont garantis, car toute loi, tout acte contraire à la
constitution sont nuls et non avenus et tout citoyen a le droit de se
pourvoir devant la cour suprême contre eux.
Ceci dit, il est encore trop tôt pour juger du régime de la troisiè me
République. Outre les observations précédentes, il faut craindre que les
partis politiques non reconnus ne se revèlent être une menace sérieuse
pesant sur la vie politique interne à venir. La limitation des partis
politiques à trois
au
maximum est intervenue
après les élections
législatives; ces trois partis ont été ceux qui. individuelle ment, ont obtenu
le plus grand nombre de suffrages. En conséquence, deux des cinq partis

44
représentés au parlement sont appelés à disparaître et leurs députés
doivent rejoindre l'une ou l'autre for m ation reconnue.
La procédure qui a été suivie est donc critiquable. Il eût fallu que la
sélection des trois rartis s'opére préalablement aux législatives. En
obligeant des élus du peuple à s'affilier à d'autres partis, on livre la vie
politique nationale au jeu des alliances: les partis politiques non reconnus
ne manqueront pas à l'avenir de se donner un rôle d'arbitre des forces
politiques légales en présence et, partant, de bouleverser à l'occasion de
tout appel au peuple, l'échiquier politique du pays.
- Evolution poliltque en République du Niger
a) Le Niger de 1963 à 1974
Deux périodes marquent la Vie politique nigérienne depuis 1963 à
l ~ 7 4.
Entre 1963 et 1965, le pays connaît l'instabilité chronique. Le
pouvoir est sou mis à de rudes épreuves. Ainsi. en décembre 1963, le
capitaine DIALLa et M. ZaDI IKHIA tentent une rébellion qui échoue. Dix
mois
plus tard, des
membres
du parti SA WAHA
lancent
plusieurs
opérations contre des postes frontaliers ; les maquisards, for més en Chine
populaire et appuyés par le Docteur KW AME N'KRUMAH sont reprimés ;
mais ils n'abandonnent la lutte qu'à la suite du renversement du Président
ghanéen en février 1965. En revanche, l'opposition intérieure se fait de
plus en plus dure; le 13 avril 1965. le Président DIORI échappe à un
attentat à la grenade au cours de la priére à la grande mosq uée de Niamey.
C'esL st:ult:lllt:llL a parUr Je 1965 que le pays col1nuL la paix et la
stabilité; le Président de la République dira alors que son pays "est une
oasis de paix dans le désert des bouleversements politiques". Cela ne fut
possible que grâce à la consolidation du parti progressiste nigérien, section
locale du rassemb le ment dé mocratique africain.

4S
La paix retrouvée permit au Président DIORI de mener en Afrique et
dans le monde une action dynamique qui fit sortir son pays de l'isolement
et de l'oubli; il contribua notamment au rapprochement des arabes et des
africains et fut le hérault de la francophonie.
Malheureusement, la politique extérieure releguait au second plan
les problèmes intérieurs et la stabilité se fondait à la vérité, non pas sur
un consensus populaire, mais sur un Etat policier et arrogant: le régime
était près de sa ruine.
b) Le régime actuel de SEYNI KOUNTCHE
Le 1S avril 1974, Radio Niamey annonçait: "L'armée a décidé de
prendre ses responsabilités en mettant fin au régime que vous connaissez,
afin de mettre un ter me à quinze ans de règne jalonné d 'inj ustices, de
corruption, d'égoïsme et d'indifférence à l'égard du peuple auquel il
prétendait apporter le bonheur". La preuve en était encore administrée
que les régimes politiques africains meurent, non pas de mauvaise
finances, mais tout simplement de mauvaise politique.
Au lendemain de ce coup d'Etat qui porta le lieutenant colonel SEYNI
KOUNTCHE à la tête de l'Etat, un gouvernement composé uniquement de
militaires fut mis sur pied. Mais il n'était que l'organe exécutif du Conseil
Militaire Suprême (C.M.S.) qui détenait tous les pouvoirs.
Un premier remaniement, intervenu le 8 juin 1974, a vu l'entrée des
premiers civils (quatre secrétaires d'Etat) dans le gouvernement.
Le coup d'Etat du 1S avril 1974 a eu lieu peu avant le congrès du
parti unique (le premier depuis sa création!). Cela ne démontre-t-il pas le
degré d'autocratie du pouvoir? Ce défaut de vie démocratique du parti a
été pour beaucoup dans la chute du régime. La non ouverture du pouvoir
aux jeunes (il y
avait très
peu de remaniements
ministériels), la
sécheresse de 1968 à 1972 dont les effets n'avaient pas pu être enrayés

46
par les pouvoirs publics, le vif intérêt du Président porté aux questions
africaines et internationales aux dépens des problè mes intérieurs, autant
de causes qui ont expliqué le soutien populaire aux nouveaux dirigeants.
Le
régime
militaire
nigérien
est
strict.
C'est
un
césarisme
démocratique, tourné vers la satisfaction des besoins élé mentaires des
masses par la valorisation des richesses naturelles du pays (uranium
notamment) ; il soumet l'élite politico-administrative à un contrôle sévère
et permanent où les libertés de parole, de pensée, d'opinion n'ont plus de
contenu réel. Et c'est sans doute là le prix de l'unité nationale et du
développement continu et harmonieux de ce pays défavorisé par la nature.
5 -) Evolution politique togolaise
a) Le Togo de 1963 à 1967
La constitution du 9 avril 1961 avait institué un régime sui generis:
le Président de la République pouvait dissoudre l'asse mblée nationale
pendant que celle-ci ne disposait d'aucun moyen d'action contre le
gouvernement, responsable devant le Président seul.
Le coup d'Etat du 13 janvier 1963. dû à l'hostilité des gens du nord,
majoritaires dans l'armée, vis-à-vis des gens du sud, majoritaires dans le
secteur moderne, devait mettre un terme à ce régime en même temps qu'il
ouvrait en Afrique noire, l'ère des gouvernements militaires. Dès le 16
janvier, l'armée faisait appel à NICOLAS GRUNITZKY (homme du sud) et à
ANTOINE MEATCHI (homme du nord) pour former le gouvernement
provisoire.
Ce gouvernement provisoire eut pour tâche principale d'élaborer une
nouvelle constitution. Cette constitution présidentielle à exécutif bicéphale
fut adoptée le 5 mai 1963. NICOLAS GRUNITZKY sortit victorieux des
consultations populaires. Mais le bicéphalisme de l'exécutif rendait
l'exercice du pouvoir mal aisé.

47
Le 21 novembre 1966, NOE KUTUKLUI tentait vainement un coup
d'Etat: le Président GRUNITZKY en profita pour écarter le bicéphalisme et
remanier son gouvernement. Mais il ne sut faire efficacement face aux
conséquences politiques de ces modifications. Les difficultés qui en
résultèrent donnèrent l'occasion au lieutenant-colonel EYADEMA de
prendre le pouvoir le 13 janvier 1967 : la constitution fut suspendue,
l'asse mblée nationale dissoute et un comité de réconciliation nationale mis
en place.
b) Le régime EYADEMA
Seize mois après le coup d'Etat militaire du 13 janvier 1967, soit le
1S
mai
1968, l'ar mée
s'appuyait
sur
une
déclaration
des
Chefs
traditionnels pour conserver le pouvoir : "Nous félicitons, soutenons et
approuvons, au nom de nos populations, le gouvernement militaire qui n'a
rien d'une dictature; nous demandons à 'l'armée de ne pas laisser le
pouvoir aux politiciens partisans ; nous demandons au gouvernement
EY ADEMA de rester en place jusqu'à ce que l'unité et l'intégrité nationale
se réalisent".
Depuis lors, le Général feint périodiquement de se retirer (le 23
septembre 1971, il annonçait que sa mission était terminée) pour mieux
asseoir son pouvoir personnel. C'est un régime plébiscitaire, puisq ue le 9
janvier 1972, en l'absence de constitution, il se faisait élire Président de la
République après avoir institutionnalisé son parti unique dénommé
rassemblement du peuple togolais (R.P.T.) le lS mars 1971 ; le Général
exerce un pouvoir sans partage tendu vers la grandeur et le bonheur du
peuple togolais.
En conclusion, il y a autant de régimes politiq ues que d'Etats-
membres du Conseil de l'Entente. Mais ces différences n'affectent en rien
l'existence même de l'organisation sous-régionale. La preuve est que tous

48
les Chefs d'Etat étaient présents à Yamoussokro (Côte d'Ivoire) le 14 mars
1979 pour la conférence des Chefs d'Etat de l'Union. C'est que la diversité
des régimes politiques apparaît comme un épiphénomène par rapport à
l'infrastructure administrative et juridique qui est commune à tous.
Paragraphe II
Unité des systèmes juridique et
ad m.inistratif
Pour développer leurs colonies, les métropoles occidentales ont cru,
en toute bonne foi, qu'il suffisait d'y transposer leur droit et leurs
structures administratives. Les mêmes causes devant produire les mêmes
effets, elles se sont efforcées de substituer le droit moderne au droit
coutu mier d'une part, et, d'autre part, elles ont transplanté dans ces
colonies leurs propres institutions administratives.
A) Substition du droit moderne au droit
coutumier
Le droit coutumier africain se révelait, aux yeux des développeurs,
incapables de répondre aux besoins des sociétés modernes, d'être un
support du développement. Seul le droit moderne pouvait par conséquent
opérer
les
changements
quantitatifs
et
qualitatifs
nécessaires
(changements des comportements et des mentalités) susceptibles de
permettre la mise sur pied des structures d'accueil du développement: le
droit moderne, pour ainsi dire, était accoucheur de société nouvelle !
Ce point de vue trouvait aisément sa justification dans les caractères
du droit coutumier africain lui-même; en effet, le droit traditionnel est:
pre mière ment, un droit collectiviste: l'un des plus grands mérites de
la révolution française de 1789, c'est d'avoir reconnu à l'individu des
droits imprescriptibles et inaliénables, qui sont autant de moyens pour lui
de s'épanouir, d'exercer toutes ses facultés, mais aussi d'en faire le

49
premier
responsable
de
son
destin.
Les
conséquences
de
cette
reconnaissance des libertés individuelles sont multiples. Il faut retenir,
entre autres, l'égalité de tous les membres du groupe, la consécration de
l'initiative privée qui débouche sur la propriété.
Dans les sociétés traditionnelles africaines au contraire, l'individu
n'était pas la préoccupation du droit coutumier. Les sujets de ce droit
étaient plutôt le groupe, le clan, la tribu, l'ethnie ou la caste. Du coup,
l'initiative privée était inconnue et redoutée, car elle pouvait constituer un
facteur
de
déstabilisation de l'éq uilibre
social et
de
la
solidarité
communautaire. L'appropriation collective des moyens de production, des
forces de production et des produits du travail était donc de règle. Par
conséquent, si l'on voulait développer ces sociétés traditionnelles, le
premier effort devait porter sur les mutations juridiq ues. Et le droit
moderne, individ ualiste par nature et par destination, était le plus sûr
moyen d'y parvenir;
deuxièmement,
un
droit
humaniste
: le
droit
moderne
est
essentielle ment matérialiste. Tous les rapports des individus entre eux ne
sont perçus, régis que sous l'angle des biens: qui gagne quoi, où, quand et
comment 7. L 'homme occidental a une philosophie vitale dominée par cet
aspect des choses : c'est une civilisation de l'avoir, une civilisation
quantitative. L'homme africain, au contraire, est tourné vers le spirituel, le
métaphysique. Sa conception de la vie laisse la première place à Dieu, aux
ancêtres et a u "frère". C'est une civilisation de l'être. Une telle philosophie
est limitative du développement. En effet, se considérant comme un
chaînon éphémère de la chaîne de l'univers, l'homme africain n'estime pas
nécessaire ni utile de dominer le monde (d'où l'absence du développement
scientifiq ue
et techniq ue),
encore
moins
que
d'amasser
des
biens
matériels. Le travail lui-même est considéré, non point comme un facteur
de libération ou de sanctification, mais com me un mal nécessaire pour

50
assurer sa très courte existence. En conséquence, sa production est calculée
de telle façon qu'il puisse se nourrir pour un temps donné (l'entre-deux
récoltes dans les sociétés agraires) et non pas
pour accu m uler ou
thésauriser.
Ceci étant, pour que la notion de développement soit reçue, pour que
les africains prennent goût aux avantages de la civilisation technicienne, il
fallait substituer la vision matérialiste, somme toute réaliste, de l'occident,
à la vision spiritualiste de l'homme africain, c'est-à-dire, le droit moderne
au droit coutumier;
troisièmement, un droit statique: le droit coutumier, parce qu'il est
fondé sur l'être, les mythes, les tabous et les religions, présente un
caractère ab solu ment statique. Le droit moderne, fondé sur la loi,
expression de la volonté générale, est forcément dynamique : il évolue
pour s'adapter au temps, aux circonstances; il est fait par et pour l'homme,
pendant que l'homme africain est fait par et pour le droit traditionnel qui
ignore les notions de temps et de situations nouvelles.
Là encore, ce droit statique, complètement tourné vers le passé,
n'était pas susceptible de répondre efficacement aux exigences d'une
société moderne, toujours préoccu pée de l'avenir. La transposition du droit
moderne dans les sociétés traditionnelles permettrait de lever cet obstacle
majeur à la réception du développement.
C'est dire que les développeurs ont posé, à juste titre d'ailleurs, le
problème du développement des colonies en termes sociologiques, à savoir
que le développe ment n'est possible que s'il s'opère préalablement un
changement
des
comportements
individuels
et
collectifs,
lequel
changement implique une transformation des mentalités qui, à son tour,
n'est réalisable que grâce à un droit approprié. Ce droit approprié, pour les
développeurs, ne pouvait être que le droit moderne, le droit de la
métropole qui a déjà fait ses preuves.

51
A partir de ce moment, la substitution du droit moderne au droit
traditionnel a revêtu un caractère impératif. La politique de l'identification
juridique fut mise en œuvre durant toute la période coloniale ; elle fut,
contre toute attente, systématisée après les indépendances.
1-) L"assimilation juridique sous la période
coloniale
L'idée de
transposer
ses
propres institu tions
dans
les terres
nouvellement conquises ne date pas d'aujourd'hui. C'est une pratique qui
remonte aux premiers conquérants de l'histoire de l'humanité. Au 16è
siècle, RABELAIS la théorisait en ces termes : "On ne retient les pays
nouvellement conquis ni par la contrainte, ni par l'exploitation, mais en
leur donnant des lois et des édits, en propageant des religions, en rendant
la justice"l.
Appliquant strictement ce sage conseil dans l'intention de briser le
systè me juridiq ue local, la France étendit son propre droit dans ses
colonies d'Afrique noire, ainsi:
- la loi du 24 avril 1833 avait pour but d'accorder aux indigènes les
mê mes droits et les mê mes devoirs dont jouissent les citoyens français.
Elle disposait notamment que "toute personne, née libre ou ayant acquis
légalement la liberté, jouit dans les colonies françaises des droits civils et
des droits politiq ues". Dans les conditions prescrites par les lois, que "sont
abrogées, toutes dispositions de lois, édits déclarations du roi, ordonnances
royales ... et notamment toutes restrictions et exclusions qui ont été
prononcées quant à l'exercice des droits civils et des droits politiques à
'l'égard des hommes de couleur libres et des affranchis" ;
1 Tiers livre, Pantagruel, ch. l

52
- le décret du 30 avril 1946 supprimait la justice indigène en
matière pénale et imposait le code pénal français dans les colonies
françaises d'Afrique noire;
- la loi du 15 décembre 1952 instituait un code du travail dans les
territoires d'outre-mer d'Afrique noire. mettant pratiquement fin au
régime du travail forcé.
Mais cette assimilation
a rencontré des résistances. Les peu pIes
africains avaient tendance à rejeter ces législations com me des corps
étrangers. C'est ainsi que la loi du 24 avril
1833 ne connut point
d'application, les populations indigènes ayant refusé de s'y soumettre; au
contraire, le décret du 20 mai 1857 devait accorder un statut musulman
aux sénégalais; ceux du 10 novembre 1903 et du 12 mai 1910, à leur tour,
devaient faire la même chose pour les autochtones non musulmans de
l'A.O.F. et de l'A.E.F.
Ces résistances ont eu pour effet de pousser le législateur colonial à
s'inspirer désormais du droit local. Il en résulta un partage des matières
entre le droit moderne et le droit traditionnel. Ce fut le cas par exe mple en
matière de justice où. à côté des trib unaux modernes, le colonisateur a été
contraint d'organiser la "conciliation" du plus pur style africain. En 1953,
pour les seuls territoires de l'Afrique de l'Ouest, il y avait Il 354 affaires
"j ugées" en conciliation contre 10 151 affaires jugées par les tribunaux de
droit moderne !
Avec ce change ment d'attitude de la part du colonisateur, on aurait
pu penser que l'indépendance des colonies allait être la fin de la
pénétration du droit moderne dans les sociétés traditionnelles. Il n'en fut
rien. Bien au contraire, l'indépendance a été un nouveau départ de la
politique de substitution du droit moderne au droit coutumier.

53
2-) L"assimilation juridique depuis les
indépendances
La balkanisation de l'Afrique a eu pour conséquence de créer des
Etats sans nation, aux frontières naturelles des plus artificielles, à
l'intérieur
desquelles des
ethnies traditionnellement opposées
sont
appelées à coexister et à envisager un avenir commun. Le problème de
l'unité nationale apparaissait donc corn me étant le plus important et le
plus urgent à résoudre par les dirigeants africains. Pour hâter l'évènement
de l'Etat-Nation, le droit moderne, par son pouvoir uniformisateur,
apparaissait comme l'arme utile et nécessaire. Ce droit moderne en effet a
le mérite de viser deux objectifs à la fois : l'homogénéisation sociale
d'abord, l'abandon des tabous, coutumes et mœurs incompatibles avec le
déve lop pe men t ens uite.
Dans le premier cas, la règle de droit moderne, en s'appliquant à tous
les citoyens de l'Etat sans considération des religions, des ethnies et des
régions, lève les barrières entre les différentes populations et rélègue la
coutume en seconde zone.
Dans le second cas, la règle de droit moderne emporte les règles
coutumières irréductibles au progrès ; c'est le cas en matière de dot, de
funérailles, de polygamie etc...
C'est pourquoi, au lendemain des indépendances, le
processus
d'identification juridiq ue s'est accentué, voire radicalisé. Le législateur
africain était décidé à faire table rase de l'ordre juridique ancien.
A la vérité, ce volontarisme juridique était porteur d'illusions. Parce
que la règle de droit moderne n'embrayait pas sur les réalités locales, elle
rencontra les mê mes résistances de la part des sujets de droit: après tout,
une voiture conçue pour les autoroutes occidentales n'est pas assurée de
tenir durablement sur les pistes africaines. Les conséquences furent que
les institutions publiques mises sur pied demeurèrent des institutions -

54
programmes; un large fossé était ainsi creusé entre le droit et le fait, entre
les intentions officielles et la pratique. Et ce divorce s'est manifesté sur
tou s les plans :
- au plan politique, les constitutions démocratiques et libérales
connurent une application autocratique ; au multipartisme de droit se
substitua un monopartisme de fait. De la même manière, la laïcité de l'Etat
proclamée par les lois fondamentales n'empêche pas la référence constante
à Dieu ou Allah dans les discours officiels.
- au plan juridique, les législations sur la propriété, la polygamie, le
mariage restèrent des lettres mortes.
En définitive, l'esprit traditionnel devait imposer au législateur
africain une démarche plus pragmatique,
moins révolutionnaire. Le
progrès des Etats en est rendu de ce fait plus lent, mais certainement plus
sûr et cela n'est pas une mauvaise chose en soi, car, com me dit le proverbe
africain, "qui mange vite vomit vite".
D) Assimilation des institutions administratives
de "eI-métropole
L'administration coloniale a été remarquable par la centralisation et
la déconcentration administrative. L'Afrique francophone était divisée en
deux grandes fédérations, à savoir l'A.O.F. et l'A.E.F. Chaque fédération,
ayant à sa tête un gouverneur général, comprenait un certain nombre de
territoires administrés chacun par un gouverneur. Le territoire se divisait
en cercles pour l'A.O.F. et régions pour l'A.E.F
Le cercle comprenait des sub divisions, la région des districts
venaient ensuite les cantons et les villages.
La loi cadre dota chaque fédération d'un grand conseil et chaque
territoire d'une assemblée territoriale. Les centres urbains furent érigés en

55
communes de plein exercice', en communes de moyen exercice 2
exercice
et en
communes mixtes, administrées par des fonctionnaires-maires.
Sous la communauté, la Haute-Volta, le Dahomey et le Niger avaient
maintenu les découpages coloniaux. La Côte d'Ivoire et le Togo, quant à
eux, avaient re mplacé les cercles par des départe ments ou régions ; en
Côte d'Ivoire par exemple, la loi du 13 septembre 1959 avait créé quatre
départements, à savoir celui du nord (capitale Korhogo), celui du centre
(capitale Bouaké), celui du sud-ouest (capitale Daloa) et celui du sud-est
(capitale Abidjan).
Le département ivoirien était divisé en sous-préfectures, en cantons,
en villages ou communes. Mais il ne jouissait pas de l'autonomie
ad ministrative ou financière. De mé me, la région togolaise n'était qu'une
circonscription administrative, dirigée par un inspecteur de région.
A partir des indépendances, l'ad ministration territoriale allait faire
l'ob jet de
multiples et diverses
réfor mes, toutes tendues vers le
rapprochement de l'administration des administrés, et, dans une certaines
mesure, la participation de ces derniers à la gestion des affaires locales.
Malheureusement, la transposition pure et simple du modèle français
d'ad ministration
territoriale,
en
raison
de
son
inadaptation
à
l'environnement économique et culturel local, ne permit pas la réalisation
de ce double objectif. C'était donc une erreur. Une erreur que certains
justifient trop facilement; pour A. MABILEAU par exemple, "les structures
administratives, déjà enracinées pendant la colonisation, étaient des
réalités qu'il n'était pas aisé de re modeler après l'indépendance ; en ce
domaine, la continuité s'est imposée sinon comme une nécessité, du moins
comme la solution la plus sage".
, Loi française du 5 avril 1884.
2 Loi du 2 novembre 1947 et loi du 18 novembre 1955.

S6
La sagesse aurait consisté, me semble-t-il, à marquer les institutions
coloniales de l'e mpreinte culturelle locale et à donner aux nouvelles
institutions, nées après les indépendances, la dimension des mentalités
populaires: "Si, en effet, les jeunes Etats ayant acquis leur indépendance
en
douceur
étaient
bien
obligés,
pour
commencer,
de
s'installer
politiquement, administrativement et juridiquement dans les meubles
anciens hérités de la puissance coloniale, il reste qu'ils ne devaient
accepter cette succession que sous bénéfice d'inventaire avant de dessiner
les grandes lignes
du
nouvel édifice
juridiq ue et ad ministratif à
construire". La preuve en est que les premières reformes ont été très
fantaisistes :
1-) En République de Côte d"Ivoice
La loi 61-84 du 10 avril 1961 avait décentralisé les départements
les conseils généraux
étaient élus
au
suffrage
universel et leurs
attrib utions étaient celles des conseils généraux en France (article S2 et
suivant de la loi précitée). L'organe exécutif du départe ment était le
préfet, assisté d'une commission départementale corn me en France.
Mais sur le terrain, cette loi ne fut pas appliquée. Les conseils
généraux ne se réunirent jamais. La raison a été donnée en son temps par
le Ministre de l'intérieur qui répondait à une requête du préfet du
département du sud-est en date de mai 1962, tendant à demander
l'application de la loi ; le Ministre indiq uait notamment que "des raisons
d'ordre matériel et financier empêchent d'assurer un fonctionnement
rationnel de ces assemblées et de leur permettre d'assurer avec efficacité
la plénitude de leurs compétences".
Mais ces obstacles de fait n'empêchèrent pas pas la création de
nouveaux départements; une loi du 23 mars 1963 porta leur nombre de
quatre à cinq; une autre loi en date du 7 novembre 1963 les porta à six;

57
la loi 69-240 du 9 juin 1969 créa dix-huit départements nouveaux. En
1975, il Y avait en tout vingt six départements totalisant cent quarante
cinq sous-préfectures.
Et le divorce entre le droit et le fait subsiste: le département ivoirien
n'est
pas
une
personne
morale
territoriale
à
part
entière.
La
déconcentration l'emporte sur la décentralisation.
2-) En République de Haute-Volta
La constitution du 30 novembre 1960, dans son article 68, posait les
principes de la décentralisation. Mais c'est en 1963 que les premiers
départements, au nombre de quatre, furent créés: département du centre
(Ouagadougou), département de l'est (Fada), département de la volta noire
(Koudougou) et départe ment des hauts-bassins (Bobo-Dioulasso).
La loi du 29 janvier 1963 avait prévu les mêmes organes de gestion
du département qu'en France et en Côte d'Ivoire, à savoir le préfet assisté
d'une commission départementale et le conseil général. Toutefois, cette loi
avait opéré une innovation : le conseil général n'était pas élu au suffrage
universel
direct,
mais
plutôt
par
les
conseillers
municipaux
du
département. Seulement, là encore, la décentralisation ne fut pas effective
et la réforme ne dépassa pas le niveau des tiroirs.
En revanche, le premier gouvernement s'était efforcé, dès 1960,
d'approcher l'administration des administrés et de faire participer ceux-ci
à la gestion des affaires locales. A cet effet, une loi 1 avait créé des
collectivités rurales, personnes morales décentralisées, gérées par des
conseils de collectivité. Les premières élections aux conseils de collectivité
(élections au suffrage universel direct) eurent lieu le 4 décembre 1960.
Les attrib utions des conseils de collectivité étaient importantes: vote
du budget : fixation du taux de l'impôt de collectivité ; aménagement
1 Loi du 21/60/ AN du 2 février 1960, ].0. du 5 mars 1960, page 165.

58
routier; statut du personnel de la collectivité
police; réglementation des
foires et marchés; équipe ment rural.
Les décisions étaient exécutoires après approbation du Ministre de
l'intérieur ; les annulations arbitraires de ces décisions étaient portées
devant le juge administratif (conseil juridiq ue et du contentieux) statuant
en dernier ressort.
Les conseils de collectivité avaient égale ment des attrib utions
consultatives. Ils donnaient des avis sur l'organisation adminitrative de la
circonscription et sur la création de communes. Ils pouvaient en outre
émettre des vœux en toute matière.
Pour permettre de faire face à leurs charges (voirie, fonctionnement,
entretien des bâtiments administratifs, frais de perception des impôts),
l'Etat leur avait retrocédé certains biens tels que routes, pistes, bâtiments,
barrages et puits, marchés, cimetières, abattoirs et jardins publics. Leurs
ressources propres provenaient de l'impôt de collectivité, des subventions
du budget de l'Etat, des revenus des biens, des crédits et des dons.
L'expérience très intéressante du premier gouvernement de Haute-
Volta a plus ou moins survécu au coup d'Etat du 3 janvier 1966. Le
gouvernement militaire s'est hâté de dissoudre les conseils de collectivité
par décret 116/PRES/IS/DI du 26 mars 1966 et institua à leur place des
délégations spéciales pour gérer les affaires rurales.
L'administration territoriale garda son statu quo antérieur jusqu'en
1974. Sous l'empire de la constitution du 29 juin 1970, de nouveaux textes
organisèrent
le
découpage
ad ministratif
du
pays
; l'ordonnance
74/40/PRES/IS/DI du 7 juin 1974 porta le nombre des départements de
quatre à dix. L'ordonnance 75/45/PRES/IS/DI du 2 juillet 1974 portant
organisation de l'ad ministration territoriale de la République de Haute-
Volta a prévu, quant à elle, quatre échelons administratifs, à savoir le

59
département, la sous-préfecture, l'arrondissement, la commune ou le
village.
a) Le département
Le département est à la fois une circonscription administrative et
une collectivité publique décentralisée ; à ce titre, il est doté de la
personnalité morale et de l'autonomie financière.
Les organes du département sont le préfet, désigné parmi les
administrateurs civils ou par mi les officiers de la hiérarchie militaire,
assisté d'une commission départe mentale et le conseil département élu au
suffrage universel direct.
Le préfet a quatre catégories d'attributions:
- attributions politiques : il exécute les directives émanant du
gouvernement; il renseigne l'autorité centrale de l'opinion publique et de
l'état d'esprit des populations ; il informe et oriente l'opinion publique
confor mé ment
aux
directives gouverne mentales 1. En clair, le simple
loyalis me ne suffit pas et la neutralité est cou pable : le préfet doit
s'engager aux côtés du pouvoir politique ;
- attributions administratives: le préfet est chargé de l'animation, de
la coordination, de la direction générale des services départementaux, ainsi
que de la tutelle sur les sous-préfectures, les arrondissements, les
communes ou villages et les établissements et organismes publics locaux;
-
attrib utions
socio-écono miq ues
: le
préfet
est
le
pre mier
responsable du développement économique et social du département; à ce
titre, il préside l'asse mblée générale et le conseil d'ad ministration de
l'organisme régional de développement (O.R.D.), soumet au pouvoir central
des suggestions utiles en vue de la mise en œuvre des potentialités locales,
1 Article 3 du décret 741210 du 2 juillet 1974, JO. du Il juillet 1974, page 473.

60
exécute le plan d'Etat dans son département, et assure la modification des
populations pour leur participation aux actions de développement;
- attributions réglementaires: le préfet partage avec le Président de
la République, le Premier Ministre et le maire. le pouvoir réglementaire en
vue du fonctionnement régulier des services publics départementaux.
Quant au conseil départemental, la ressemblance des règles de son
organisation et de son fonctionnement, ainsi que du continu de ses
compétences
avec le
conseil général français,
dispense
de
toutes
observations particulières.
b) La sous-préfecture
Les sous- préfectures recouvrent les anciennes circonscriptions
déno m mée s
"cercle s".
Elles
sont
ad ministrée s
par
un
secrétaire
administratif ou un officier de la hiérarchie militaire, assisté d'un conseil
sous-préfectoral.
Le statut du sous-préfet voltaïque est identique à celui de son
homologue français. Quant au conseil sous-préfectoral, c'est un organe
consultatif composé des conseillers départe mentaux de la sous-préfecture,
des
députés
de
la
sous-préfecture
et
de
quatre
représentants
d'organisations socio-professionnelles. Le conseil sous-préfectoral est
appelé à donner des avis sur toutes les affaires d'intérêt local et peut
adresser, dans les matières du ressort de sa compétence, des vœux au
préfet du département.
c) L"arrondissement
Les arrondisse ments remplacent les anciennes subdivisions et les
anciens postes ad ministratifs.
Ils sont administrés par un chef d'arrondissement assisté d'un
conseil d'arrondissement qui comprend six personnalités représentatives,

61
choisie s
d ans
les
différentes
couche s
socio - profe ssionnelles
de
l'arrondissement
et
no m mées
par
arrêté
du
préfet.
Le
conseil
d'arrondissement est consulté sur toutes les affaires d'intérêt local et peut
émettre des vœux dans la limite de ses compétences.
d) Le village
Le village est l'unité administrative de base; toute agglomération de
cent habitants et plus et distante de plus de cinq kms d'une autre
agglomération. peut constituer un village, à condition également d'être
permanente et d'avoir des coutumes établies. Les campements nomades
peuvent constituer aussi des villages s'ils se déplacent avec tous leurs
habitants.
Le village est ad ministré par un chef de village nom mé par le
Ministre de l'intérieur après élections villageoises. Il est un agent de
transmission et d'animation; il a des pouvoirs de police administrative et
judiciaire et assume des fonctions administratives, économiques, sociales
et culturelles.
Le rôle du Chef du village est innovateur. C'est une reconnaissance de
la chefferie traditionnelle dont le poids politique est considérable en
Haute- Volta 1. En insérant le village dans la chaîne administrative, l'Etat a
les moyens de se faire entendre par les masses rurales, de mobiliser les
populations autour des mots d'ordre du gouvernement. C'est dans ce but
que le conseil du village est composé uniquement de notables choisis par
le chef du village et nommés par le chef d'arrondissement.
e) La commune
Les communes de Haute-Volta ont le même statut que les communes
françaises. La seule différence réside dans l'ordonnance 76112/PRESIIS du
1 Il existe un syndicat des chefs traditionnels depuis l'indépendance.

62
20 juillet 1976 qui a doté la commune de Ouagadougou (capitale du pays),
d'un statut particulier.
L'article 1er
1
de cette ordonnance stip ule en effet que "la ville de
Ouagadougou est une collectivité territoriale a statut particulier ayant des
compétences de nature communale". A ce titre, la législation sur les
corn munes lui est applicable de plein droit.
Le particularisme de ce statut concerne l'organe exécutif de cette
commune qui est, selon l'article
12 de ladite ordonnance, un haut
fonctionnaire de l'ad ministration générale, nom mé par décret en Conseil
des Ministres et qui prend le titre de préfet de ville. Il est placé sous
l'autorité directe du Ministre de l'intérieur.
L'objectif premier de ce statut particulier est de placer la gestion de
la capitale sous contrôle du pouvoir central, car l'Etat contr ib ue de façon
considérable à la réalisation, l'entretien et le fonctionnement des grands
services publics de la ville tels l'éclairage, la grande voirie et l'hygiène.
Il est à re marq uer
que
ce statut particulier de la ville
de
Ouagadougou a été inspiré par celui de Paris ... qui est redevenu entre
temps une commune ordinaire.
3 -) En République du Niger
Le Niger n'a pas repensé son administration territoriale aussi vite
que les autres Etats. C'est seulement en 1964 que la loi 64/023 du 1er
1
juillet 1964 a créé les circonscriptions administratives et les collectivités
décentralisées. Les échelons déconcentrés étaient le département, le
canton, le village ou la trib u ; les collectivités décentralisées étaient
l'arrondissement et la corn mune.
Le départe ment était ad ministré
par
un préfet assisté
d'une
commission consultative. L'arrondissement et la commune, dotés de la
personnalité morale et de l'autonomie financière, étaient administrés, le

63
premier par un sous-préfet assisté d'un conseil d'arrondissement, la
seconde par un maire. Mais cette réforme s'arrêta également au niveau
des papiers... jusqu'aujourd'hui, la décentralisation n'est pas effective.
4-) En République Togolaise
La pre mière
réfor me intervenue en
matière
d'ad ministra tion
territoriale date de 1960. La loi 60-4 du
10 février
1960 portant
réorganisation administrative avait créé quatre régions qui étaient de
simples circonscriptions administratives dirigées par des inspecteurs de
régions ; à côté
des régions, étaient prévues des circonscriptions
autonomes administrées par des chefs de circonscription et des conseils de
circonscription élus au suffrage universel direct. Les autres échelons
administratifs étaient constitués par les cantons, et les villages. Mais
comme partout ailleurs, la décentralisation prévue par les textes demeura
un vain mot.
5-) En République Populaire du Bénin
Le
décret
292/PCM/MI
du
21
octobre
1963
avait créé
les
départe ments, personnes morales décentralisées, ad ministrées par des
préfets et des conseils généraux élus au suffrage universel.
Le département était divisé en sous-préfectures, en arrondisse ments,
en villages ou coutumes.
Les attributions du préfet et du sous-préfet avaient été fixées par le
décret 304/PC/DA du 26 août 1965 tand.is que la loi 64-15 du Il août
1964 déterminait, quant à elle, l'organisation et les attributions des
conseils généraux. Dans la pratique, c'est le statu quo antérieur qui sera en
vigueur jusqu'en 1977.
En conclusion, tous les pays du Conseil de l'Entente ont la même
tendance à copier les institutions administratives de l'ex-métropole. Il en

64
résulte que le fond
institutionnel est le
même, ce qui permet à
l'organisation de survivre aux bouleverse ments politiques. Cet aspect des
choses n'a pas manqué d'être souligné par le Ministre d'Etat ivoirien
ouvrant à Yamoussokro, le 15 mars
1979, le conseil des Ministres
préparatoire de la conférence des Chefs d'Etat de l'Union. Le Ministre
MATHIEU EKRA avait notamment déclaré que "l'Union Sahel Bénin est la
plus ancienne, la plus solide et la plus crédible des organisations sous-
régionales de coopération en Afriq ue ; elle défie les avatars politiques et
constitue une voie vers la solidarité; elle est un modèle de coopération qui
reconnaît l'égalité de ses membres. n'intervient pas et respecte leur liberté
d'action".
Mais en transposant chez eux le modèle administratif français, les
Etats du conseil de l'Entente, sur cette pente, ne pouvaient qu'organiser un
contrôle de l'administration similaire ...

ADMINISTRATION
ADMINISTR.ATION
TERRITORIALE
DES
ETATS
DU
CONSEIL
DE L"ENTENTE AU 1ER JANVIER
1971
ETATS
1ER ECHELON
2E ECHELO~
ECHELO:-./
3E ECHELON
4E ECHELON
SE ECHELO~
ECHELO:-./
J
Département (6)
(6 )
Sous-Préfecture (29)
Arrondissement
Arrondisse me nt (71)
Village
Vi~
CommU:1e
Commu:1e (5)
(5 )
- Un prefet
- en
l.rn Sous-Préfet
- Un Chef
-
-
Un Chef de Village
- Un :\\1aire
:-"1aire Elu
DAHOMEY
- Un Conseil Général
- lin
t:n Conseil Sous-
d'Arrondissement
Elu
-
-
Un Conseil
Muni-
Elu
Préfectoral désigné
-- Un Conseil d'Arron-
-Un Conseil de Village
cipal Elu
disse ment
Elu
Départe ment
Département (18)
( 18 )
Sous-Préfecture
Sous-Prefecture (104)
Canton (271)
Village
Commune (9)
(9 )
COTE D'IVOIRE
- Cn
en Préfet
idem
- Un Chef de Canton
- Un Chef de Village
idem
.--
Dé par te me nt
Département (7)
_-\\rrondissement
_-\\rrondisse ment Auto-
Canton (126)
Village ou Tribu
Trib u
Commune
Corn mune (3)
(JJ
i'1IGER
i'iIGER
- Un Préfet
-
-
Cn
Ln Sous-Préfet
Sous-Prefet
idem
idem
- Cn
en ~raire
~[aire
- Une Corn
Com mission
-
-
Li.
C~ Conseil d_.i,.rron-
-
-
Un Conseil
dé parte men tale
départementate
,
, .jlS~'2::2r:.t
·ji~se :-::2nt Elu
\\runicipa.
},[unicipa. ':lu
-j
Région
Region (4)
(4 )
:.r ':):J:.'-c i r lÜ
Cantons
l:
1
: .r ':): :'~ [" i r t i Q 11 S
Cantons
VJ1lage
VIllage
Commur:e
Commur.e (71,1
,
1
- Un Inspecteur de
_..... 'J t 0
de
1 ...... 'J t <) r. :) :J: 0 S (1 7 ,1
idem
idem
-
-
Cn
en Maire
i\\laire
TOGO
Région
Region
d
C
1
- L~
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Ln C1
"
e f-
l,1er ct e Cir .
Ir.
-
-
Un Conseil
11
Cn Conseil de
\\'r
:v[ unicip al Elu
CircoC1scription
Elu
Département (4)
Collectivité Rurale
Poste Administrat.
Village
V!llage
Commune
Comm une (6)
(6 )
H..i,.l:TE-VOLTA
HAl:TE-VOLTA
-
-
L~n
l~n Préfet
Prefet
-
Cn President
- Un Chef de Poste
,
- Un
Lln Chef Vil. Elu
- Cn
en Maire
1\\1 aire
- Un Conseil
Un ':0nseil
\\~0nseil de
-
-
Un Conseil de
-
-
Un Conseil
Départe mental Elu
Collectivité
Collectivite Elu
Village nom mé
\\1unicipal
~'[unicipal Elu

66
Section III : Raisons de rorganisation d"un contrôle de
l"ad .inistration
D'une façon générale, les indépendances ont été
prises
dans
l'euphorie ou le nationalisme sans une réelle prise de conscience de ses
implications diverses. Mais bien vite, l'optimisme du départ s'est heurté à
l'impératif du développement économique et social. La tâche se révelait
immense : il fallait assurer le passage de la société traditionnelle à la
société
moderne,
briser
pour
ce
faire
les
structures
archaïques
incompatibles avec le développement. FRANZ FANON a pu écrire à juste
titre: "Combat contre le colonialisme, combat contre la misère et le sous-
développement, combat contre les traditions stérilisantes... la jeune nation
indépendante évolue pendant les premières années dans une atmosphère
de champ de bataille".
Le combat était donc multiforme. Cela tenait au fait qu"'à la
différence de l'Europe où l'Etat n'a guère créé la nation ni l'économie,
l'administration, dans les nouveaux Etats africains, devait créer l'Etat, la
nation et l'économie, et le tout en même temps". Le mot est d'Eugène
CHAEFFER. Un mot juste.
Pour atteindre ces objectifs, les dirigeants africains avaient besoin,
non seulement de moyens matériels et humains, mais encore et surtout
d'autorité
l'administration
se
devait
d'être
omniprésente
et
omnipuissante, d'où sa nécessaire soumission au contrôle.
Paragraphe 1 : Une ad.inistration o.niprésente
Encore un mot d'EUGENE CHAEFFER qui ne manque pas de pertinence:
"A u moment des indépendances, le secteur de l'économie moderne est aux
mains d'entreprises étrangères; la technologie appartient aux étrangers,
les capitaux autochtones sont rares et guère tentés par l'industrie.

67
Devant la carence en hommes et en moyens du secteur privé
national, une fois refusé le néo-colonialisme du capitalisme étranger, il ne
restait,
pour
promouvoir
le
développement,
que
l'Etat
et
son
administration".
Contrairement à l'Etat européen qui s'est cantonné dans un pre mier
temps à un rôle d'arbitre en matière économique avant d'intervenir plus
directement en vue de préserver la cohésion sociale, l'Etat africain s'est
voulu au point de départ un développeur et son administration plus
attachée à la prévision, à l'orientation et à la promotion économique qu'à la
simple gestion des services publics traditionnels. Et cette recherche du
développe ment économique a affecté la fonction ad ministrative, les
structures administratives et les méthodes d'action de l'administration.
A) La fonction administrative
L'Etat africain se devait de porter des efforts particuliers sur les trois
dynamiq ues de la croissance que sont, selon F. PERROUX, la population,
l'innovation et les institutions.
Pour la population, il s'agit, dans le contexte africain, de faire
accepter par les mentalités populaires, la notion mê me de progrès et de
bonheur matériel et de susciter par là un consensus autour de l'entreprise
étatique de promotion économique. Un Etat volontariste est forcément un
artisan de l'inutilé ; sa lutte, si elle n'est comprise par les bonnes, ne serait
qu'une
mission de sacrifice. C'est pourquoi, la première tâche des
nouveaux Etats est l'information. Et ce n'est certaine ment pas la plus aisée,
car l'administration et les administrés ne parlent ni la même langue ni le
même langage. Mais l'information est inopérante si elle ne s'accompagne
pas de la formation des populations en vue de les rendre plus aptes aux
emplois modernes et à la production moderne. Cette mission est également

68
difficile à poursuIvre à cause des obstacles psychologiques et économiques
qu'elle rencontre.
Il s'agit, en outre, d'utiliser directement les populations dans des
actions ponctuelles de promotion économique (barrage, ponts, routes,
aménagement de vallées etc... ). En Haute-Volta, la loi 6-63 du 29 février
1963, relative à l'utilisation des personnes en vue d'assurer la promotion
économique et sociale de la nation, permet à l'autorité administrative de
requisitionner les personnes en vue de la réalisation de certains travaux
cl'utilite puhlique, et cela sans hourse deliee.
En ce qui concerne l'innovation, l'Etat africain doit veiller à ce que la
technologie etrangère s'adapte à l'environnement local. La technologie doit
être assimilable; mais elle doit répondre aux atlentes du marché de
l'e mploi en au torisant notam ment l'investisse ment à ha ut coefficient de
main-d'œuvre. C'est dire que l'administration africaine doit faire preuve
d'imagination dans la recherche des solutions aux multiples problémes
posés. Les dirigeants en sont conscients; le Président de la Répu bliq ue de
Haute- Volta a insisté sur ce point lors de son discours d'orientation du 30
avril
1974
: "La
Haute-Volta
souffre
beaucoup
plus
du
manque
d'imagination de ses fils que du manque de ressources naturelles".
Ce
souci
d'innover,
d'adapter
la
technologie
occidentale
aux
conditions locales, de promouvoir la technologie traditionnelle, a été
traduit dans les faits. Le code des investissements l
investissements
invite les investisseurs
étrangers à utiliser au tant que possible la technologie locale et l'article 16
de l'ordonnance sus-mentionnée stipule que "les bénéficiaires d'un régime
privilégié sont tenus de recourir aux procédés technologiques les mieux
adaptés aux conditions
particuliéres du
pays et de
maintenir leur
exploitation dans les conditions les plus rationnelles de production".
1 Ordonnance 78/PRES d Li 3 mars] 978, JO. du 23 mars 1978 p. 178.

69
Quant aux institutions, il s'agit là aussi d'adapter celles-ci aux besoins
d'une société en transformation constante, de réduire les facteurs
d'immobilisme et de développer en revanche les facteurs de dynamisme.
L'adéquation des moyens institutionnels aux objectifs recherchés
sont la plus sûre garantie du succès de l'entreprise étatique de promotion
économique.
D) Les structures administratives
La recherche de l'unité nationale, la promotion de tous les secteurs
de la vie nationale, voilà qui explique et justifie la centralisation
administrative: l'Etat est le seul centre de prise des décisions; il en assure
l'exécution et le contrôle de cette exécution. Les autres personnes
publiq ues n'apparaissent alors que com me des relais, des caisses de
résonance de l'ad ministration centrale. La déconcentration était donc
dictée par les contraintes locales...
C) Les méthodes d "action de ."ad ministration
De l'Etat interventionniste à l'Etat totalitaire, il n'y a qu'un pas. Ce pas
est vite franchi en Afrique pour deux raisons : la pre mière tient au
pouvoir charismatique, la seconde à l'inutilisation par l'administration
africaine de la procédure ad ministrative non contentieuse.
Dans
le
cas
du
pouvoir
char is ma tiq ue,
le s
décisions
de
l'administration sont attribuées au Chef de l'Etat, père de la nation,
sauveur, rédempteur, voire nouveau Christ au Cameroun ! Aussi, les
autorités administratives inférieures ne se soucient plus guère pour ainsi
dire des notions de légalité ou de procédure; la règle de droit a toutes les
chances d'être reçue par les sujets de droit.
Quant à la procédure ad ministrative non contentieuse, elle est
pratiquement
méconnue
des jeunes administrations africaines, non

70
seulement
parce
que
la
communication
entre
l'administrateur
et
l'administré est difficile à établir, mais encore parce que cette procédure
ajouterait davantage à la lenteur et aux lourdeurs administratives. C'est
ainsi qu'en matière d'expropriation, surtout en milieu rural, les garanties
de
procédure sont absentes, l'administration
sacrifiant les intérêts
particuliers à l'intérêt général et l'administré acceptant trop facilement sa
spoliation au profit du groupe.
En
définitive.
l'omnipré sence
de
l'ad ministration
est
source
d'arbitraire. Or, il est de son intérêt que ses actes soient contestables si l'on
veut que les administrés reconnaissent en sa mission le caractère d'intérêt
général
qui
conditionne
l'acceptation
du
nouvel
ordre
social
en
replacement de l'ordre traditionnel.
Paragraphe II : Une administration omnipuissante
L'omnipuissance découle de l'omniprésence. Elle est appelée par la
mentalité traditionnelle d'une part et par le pouvoir monolithique de
l'autre.
Dans la société traditionnelle en effet, le groupe avait la prééminence
sur l'individu. Le groupe n'est autre chose dans la société moderne que
l'Etat. chargé de l'intérêt général. Serviteur au dessus du maître, l'Etat
africain exerce plus qu'ailleurs toutes ses prérogatives. Du même coup, le
droit public prend une place considérable, l'Etat développeur ne recourant
qu'aux moyens exorbitants du droit commun. C'est que l'application à l'Etat
du droit privé risque d'être un frein à son action. La règle de droit public
est impérative alors que la règle de droit privé est permissive ou
interprêtative
d'un autre côté, la règle de droit public est inégalitaire
(notion d'acte unilatéral) alors que la règle de droit privé est égalitaire
(notion de contrat). Agissant donc par décisions exécutoires en vue de la
satisfaction des besoins du groupe, l'administration ne peut manquer de

71
porter atteinte aux droits individuels, d'où le nécessaire contrôle minimal
de son activité.
Mais l'omnipuissance s'explique également par le monolithisme, la
partocratie. Le parti unique. à la vérité, fausse complètement l'application
des principes constitutionnels (il n'y a pas de séparation des pouvoirs ni
indépendance effective du juge), ainsi que des lois et règle ments en
vigueur.
La superposition des structures et des organes du
parti aux
structures et organes de l'ad ministration y est pour grand chose ; ainsi,
dans une sou-préfecture, le secrétaire général de la section locale du parti
peut donner des ordres au sous-préfet ou mettre en échec les décisions de
ce dernier. C'est le cas en Côte d'Ivoire. au Togo, au Bénin.
En conclusion, parce que tout pouvoir donne facilement dans
l'arbitraire, le pouvoir administratif absolu donne clans 'l'arbitraire absolu.
Le contrôle de l'administration apparaît alors comme un guide de
l'administration et une garantie des administrés.
Section IV - EIplication possible du système de contrôle
juridictionnel
Le contrôle de l'administration peut être exercé de plusieurs
manières : il peut s'agir tout d'abord d'un contrôle par l'ad ministration
elle-mê me ; il peut s'agir ensuite d'un contrôle par les partis politiques, les
syndicats ou la presse ; il peut s'agir enfin d'un contrôle par un juge. Ces
trois formes de contrôle n'ont pas la même qualité ni la même protée. Le
contrôle
par
l'administration
ou
les
groupes
de
pression
a
incontestablement moins d'intérêt que le contrôle par le juge...

72
paragraphe 1 - Inefficacité des contrôles politique
et administratif
On ne peut nier que la fonction de contrôle est, comme l'a écrit J.
CLAUDE GAUTRON, dans les administrations africaines, la plus difficile à
remplir. C'est que, d'une part, le contrôle interne est quasi-impossible et,
d'autre part, le contrôle externe par les groupes de pression est illusoire.
A) Difficulté du contrôle interne
Le contrôle interne est rendu malaisé pour trois raisons essentielles;
la première tient au fait partisan: dans les régimes de parti unique comme
la Côte d'Ivoire ou le Bénin, le contrôleur est désarmé devant le contrôlé si
ce dernier est influent dans le parti; dans les régimes plébiscitaire (Togo)
ou de césarisme dé mocratique (Niger), il suffit au contrôleur d'être dans
les bonnes grâces du Chef pour que le contrôle revête un caractère
inopérant, voire dangereux ; la deuxième raison tient au caractère
embryonnaire de l'ad ministration : l'élite politico-b ureaucratiq ue se
connaît; le contrôleur a toujours l'occasion de boire à la même table que le
contrôlé, bref, l'administration n'est pas encore ce monstre froid et
inhumain si décrié en Europe; la troisième raison réside dans la peur du
contrôleur d'être à l'origine d'une sanction contre le contrôlé, un contrôlé
qui
pourrait
un
jour
prendre
l'avantage
au
plan
politique
ou
gouvernemental!
Toutes ces raisons expliquent l'échec de toutes les tentatives
d'organisation du contrôle ad ministratif. La Côte d'Ivoire en donne
l'illustration; au lendemain de l'indépendance, le décret 91-10 du 12 avril
1961 avait créé une inspection générale des services administratifs (IGSA)
chargée d'assurer "un contrôle général de l'ense mble des ad ministrations,
des services et organismes de droit public et, d'une manière générale, de
tous les organismes soumis au contrôle de l'Etat". L'inspection générale des

73
services ad ministratifs disposait de larges pouvoirs d'investigation ; elle
faisait des rapports ou propositions à l'autorité compétente; elle pouvait
être saisie par tout Ministre ou par le Chef de l'Etat lui-même.
L'inspection générale des services ad ministratifs ne put cependant
pas atteindre ses missions. En 1968, après un constat d'échec, il lui fut
substitué un comité national de la réforme administrative (CNRA), ayant
vocation
consultative
et
appe lé
à
promouvoir
des
réfor mes
ad ministratives à tous les niveaux dans l'organisation, le fonctionnement
et les méthodes de travail des services publics". A ce titre, il connaissait de
tous les projets ayant pour objet de telles réfor mes ; il pouvait saisir le
conseil des Ministres ou le Ministre de la Fonction Publique ; il émettait
des propositions sur l'ordre de priorité des réformes et sur les moyens à
mettre en œuvre.
Cependant, le comité national de la réforme administrative ne devait
obtenir aucun résultat, faute de moyens, de garanties statutaires des
inspecteurs, de recrutement rationnel du personnel, et surtout, faute de
conviction.
On retrouve cette même situation dans tous les Etats du Conseil de
l'Entente. Les gouvernements en sont arrivés à créer des inspections
générales d'Etat, placées désormais sous l'autorité du Chef de l'Etat ou du
Chef de gouvernement.
D) Caractère illusoire du contrôle par les groupes
de pression
Les partis politiques, les syndicats, les organes d 'infor mation peuvent
exercer un contrôle de l'administration. Mais ce contrôle, en Afrique, est
très aléatoire. La raison tient de toute évidence à l'absence de partis
d'opposition, à la dépendance des syndicats et des organes de presse vis-à-
vis du po uvoir.

74
Le contrôle exercé par le parti unique ne vise point à faire respecter
la légalité ; c'est un contrôle de pure opportunité, tendant à renforcer
l'emprise du parti sur l'administration et à obtenir l'exécution stricte des
directives du parti.
Le contrôle exercé par le syndicat unique et la presse d'Etat est
inexistant. Le rôle de ces groupes de pression est de sensibiliser l'opinion
publique, de la mobiliser autour du père de la nation et de son grand parti.
Toutefois, cette situation ne se retrouve pas en Haute-Volta. Le
peuple voltaïque, dans son ensemble, est attaché aux libertés individuelles
et aux droits collectifs. Son goût prononcé pour la démocratie a pour effet
de donner à toutes ces formes de contrôle un contenu rée1. Ainsi, le
contrôle interne prend ici une signification particulière: l'ad ministration
étant politisée, les fonctionnaires obéïssent d'avantage aux mots d'ordre de
leur parti qu'à ceux q u pouvoir en place ; ils sont capables de mettre en
échec, ne serait-ce que par inertie, les directives du gouvernement. C'est ce
qui explique que lors de la campagne présidentielle de mai 1978, le
candidat socialiste, en la personne de M. KI -ZERBO, ait présenté son
influence sur les cadres de l'administration comme un atout majeur et une
garantie de succès pour son mandat présidentiel. En conséquence, le
contrôle administratif permet de déceler les goulots d'étrangle ment, de
forcer le contrôlé à suivre la voie tracée par les lois et règlements.
Le contrôle par les partis politiques ne cesse de prendre de l'ampleur
avec l'évolution de la vie dé mocratiq ue interne. Les partis politiques
voltaïq ues jouissent d'une grande liberté d'action et d'expression ; ils
disposent d'organes d 'infor mation propres ("La voix du peuple" pour les
socialistes, "Le dé mocrate" pour l'union nationale pour la défense de la
démocratie, "Le flambeau" pour le rassemblement démocratique africain).
Les organes de presse sont des trib unes de dénonciation des actes
répréhensibles de l'administration. Depuis l'installation des institutions de

75
la troisième République, les partis d'opposition ne cessent de critiquer les
violations des libertés syndicales et individuelles (affectations arbitraires
des fonctionnaires pour leur appartenance politiq ue, sanctions déguisées,
etc.).
Ils ont attaqué devant la cour suprême et obtenu gain de cause le
décret instituant des conseils spéciaux départementaux et comm unaux en
violation de l'article 104: de la constitution qui prévoit des conseils
généraux et municipaux élus au suffrage universel direct.
Le contrôle par la presse locale est très actif également. La Haute-
Volta est le seul pays du Conseil de l'Entente à jouir de la liberté de presse.
A côté du journal gouvernemental ("Carrefour Africain"), il y a deux
grands quotidiens ("l'Observateur" et "Dunia") et plusieurs périodiques. La
fortune de la presse privée tient au fait qu'elle permet aux citoyens
d'exprimer leur pensée politique, de publier leurs critiques, de dénoncer
les actes du gouvernement leur faisant grief. En revanche, l'administration
a recours à ces mêmes organes d'information pour s'expliquer et pour
justifier se s décisions.
Mais le contrôle
externe le
plus sévère
auquel est soumise
l'administration voltaïque est sans doute celui exercé par les syndicats. Le
syndicalisme voltaïque est très remarquable par son pluralisme (il existe
cinq centrales syndicales: Union Syndicale des Travailleurs Voltaïques
(USTV), Confédération Syndicale Voltaïque (CSV), Confédération Nationale
des Travailleurs Voltaïques (CNTV), Organisation Voltaïque des Syndicats
Libres (OVSL) et Union Générale des travailleurs Voltaïques (UGTV), son
indépendance vis-à-vis des régimes en place et son dynanisme. Comme
acquis historiques, il a été à la base de la chute du régime de Maurice
y AMEOGO ; il a forcé maints remaniements ministériels; il a tué dans l'œuf
le projet de création d'un parti unique en Haute-Volta. Son action
quotidienne se
porte sur
le contrôle
des
personnes et des actes

76
administratifs dont il oblige le retrait par des menaces de grève; ainsi en
fut-il de la décision n° 0247 IDSPI A du 12 février 1979 du Ministre de la
santé publique, dispensant de la garde de jour et de nuit. pendant la durée
du mandat de leurs conjoints, les épouses des Présidents des institutions et
des Ministres en fonction dans les services publics de la santé ; dès la
publication de cette décision qui viole, le moins qu'on puisse dire, le
principe de l'égalité des fonctionnaires concernés, le syndicat de la santé
humaine et animale (SYNTSHA) déposa un préavis de grève générale
illimitée et le porta à exécution. Le Ministre de la santé fut contraint de
reporter l'acte attaqué par décision n° 0370/SPI AS/DSP du 12 mars 1979 !
En fait, ce contrôle par les syndicats ne va pas sans danger; du fait
de leur toute-puissance, ils arrivent même à obtenir l'abrogation d'actes
administratifs confir més par le juge administratif. Dans l'affaire Dame
SANFO Alimata qui a tenu la vedette de l'actualité nationale au mois de
mai 1979, la req uérante avait obtenu de la part du juge administratif son
intégration
sur
titre
dans
le
corps
des
inspecteurs
adjoints
de
l'enseignement primaire sur la base de son certificat d'aptitude aux
fonctions d'inspecteur adjoint de St CLOUD, certificat dont la valeur avait
été contestée par l'autorité administrative compétente. Obéïssant à
l'autorité de chose jugée, l'administration avait procédé à l'intégration de
l'intéressée ; mais les syndicats exigèrent, sous
menace de grève,
l'annulation de la mesure ; le gouverne ment, soucieux de stabilité,
s'exécuta.
Est-il possible d'abandonner l'ordonnancement juridique de l'Etat en
pâture aux humeurs des groupes de pression sans donner ses chances à
l'anarchie ou à l'insécurité des situations juridiq ues ? Dans le cas de
l'espèce. les syndicats ont simple ment saisi l'occasion pour "toucher", au-
delà de la victime, l'époux de cette dernière, ex-Ministre des Finances, qui

77
ne fut point, durant ses fonctions, dans les bonnes grâces des milieux
syndicaux.
C'est dire que si cette politique syndicale se
développait, la
démocratie voltaïque. jusqu'ici bien endormie dans son berceau occidental,
risque d'être précocement bloquée. C'est pourquoi le contrôle externe par
le juge apparaît revêtir à la fois plus de sérieux et d'objectivité.
Paragraphe II : La portée du oontrôle juridictionnel
Le contrôle par le juge est un contrôle très particulier ; tendu vers
des ob jectifs précis, il s'exerce suivant une procédure préalablement
définie, dans le cadre de lois et règlements déter minés. Ces traits suffisent
pour donner au contrôle par le juge un rôle de protection des libertés
individuelle et, partant, pour en faire, notamment en Afrique, un moyen
d'intégration des masses à l'action administrative ...
A) Le contrôle juridictionnel. une garantie des
droits individuels
Le contrôle de l'ad ministration par l'administration vise les intérêts
de l'administration et non des administrés. Le contrôle interne constitue
un appui pour les autorisés administratives supérieures et un moyen de
surveillance des autorités subalternes; il est, pour ainsi dire, un point de
passage indiqué de l'exercice du pouvoir hiérarchique.
Le contrôle par les groupes de pression (si groupes de pression y a)
est trop général pour se porter garant des intérêts individuels ou
particuliers. Encore que l'administration n'est pas tenue par les résultats
de ce contrôle !
C'est donc le contrôle juridictionnel qui assure le mieux la protection
de l'individu face à l'Etat, celle des intérêts particuliers face à l'intérêt
général. Et cela est rendu possible d'une part par la sanction de la

78
conformité des actes ad ministratifs par rapport à la volonté générale, et,
d'autre part, par le contrôle sur le fonctionnement régulier et la bonne
gestion des services publics.
D) Le oontrôle juridictionnel. un moyen
d1ntégration des masses a l"action administrative
A l'intérieur des nouveaux Etats africains coexistent à la vérité. deux
sociétés distinctes: d'un côté, la société traditionnelle qui regroupe 95 %
des populations, introvertie, attachée fermement à ses valeurs; de l'autre,
la société moderne, extravertie, ouverte aux valeurs de la civilisation
technicienne; elle est constituée par une minorité élitiste, c'est-à-dire les
fonctionnaires, les commerçants et les ouvriers.
La société moderne. minoritaire, est chargée du développement
économique et social
du
pays. Son rôle
est
d'amener la
société
traditionnelle à changer de comportement et de mentalité en vue de la
réception du développement. Il y a, à la vérité, une lutte sans merci entre
ces deux groupes sociaux dont l'issue devra être la victoire de la société
moderne sur la société traditionnelle : celle-ci doit mourir pour que vive
l'hom me africain nouveau.
Mais si cette disparition de l'ancien ordre est certaine, par contre,
l'échéance l'est beaucoup moins. Or, le développement des nouveaux Etats
s'analyse en une courses contre la montre, compte tenu de l'ordre
économique mondial actuel, notamment de la concurrence internationale,
de la détérioration des termes de l'échange et de l'appauvrissement
croissant des plus pauvres.
En conséquence, les nouveaux Etats ont besoin de la participation des
masses à leurs efforts de développement. Mais cela suppose non
seulement un dialogue permanent entre l'Etat développeur et le monde
rural replié sur lui-même, ni même un consensus (Opinion necessitatis)

79
autour de l'action administrative, malS encore une pleine confiance des
ad ministrés envers l'administration de développement.
Les dirigeants le savent bien, eux qui ont assisté a ux échecs des
premiers grands projets tels l'office du Niger créé en 1932 et la riziculture
au Sénégal. Ils ont compris avec VALERY que "la faiblesse de la force est
de ne croire qu'à la force".
Tout le problè me est de savoir com ment obtenir cette confiance des
sujets de droit. Jusqu'ici, les gouvernants africains n'ont pas trouvé la
solution à ce problème. Ils ont toujours recouru plus au bâton qu'à la
carotte pour faire accepter par les masses leurs décisions.
Or aucune autorité n'est viable si elle n'a pas la justice pour elle. Le
mot
de
TOCQUEV ILLE
prend
ici
une
signification
profonde
: "Les
gouvernements en général n'ont que
deux
moyens
de vaincre les
résistances que leur opposent les gouvernés : la force matérielle qui se
trouve en eux-mê mes, la force morale que leur prêtent les arrêts des
tribunaux. Un gouvernement qui n'aurait que la guerre pour faire obéIr à
ses lois serait bien près de sa ruine. Le grand objet de la justice est de
substituer
l'idée
du
droit
à celle
de
la
violence
; de
placer
les
inter med iaires entre le gouverne ment et l'e m ploi de la force matérielle.
C'est une chose s ur prenante que la puissance d'opinion accordée en
général par les ho m mes à l'intervention des trib una ux. Cette puissance est
si grande qu'elle s'attache encore à la force j ud iciaire d ont la s ub stance
n'existe plus. Elle donne un corps à l'ombre".
La situation actuelle des Etats africains met avantageusement en
relief ce rôle de la justice dans l'instauration et le renforce ment de la
confiance entre gouverne ment et gouvernés. En effet, si, d ans les pays
européens,
le
gouvernement
démocratique
est
forcément
un
gouvernement d'opinion, en Afrique, il devait l'être double ment: parce
que les gouvernements ont d'abord besoin de se faire comprendre par la

80
majorité analphabète et de saisir les aspirations profondes de celle-ci;
c'est une tâche mal aisée, à la dimension de l'opposition entre les deux
sociétés en présence ; parce que les gouverne ments ensuite doivent
démontrer que leur action est nationale et non pas régionaliste ou
ethniq ue. C'est là précisé ment que la justice intervient comme élément
d'ordre et de cohésion sociale, susceptible d'appuyer précieuse ment la
puissance exécutive: la justice a ce grand mérite de donner la force à
l'au tori té.
Il
convient
par conséquent
de
souligner
le
respect
que
les
gouvernements doivent à l'autorité de chose jugée. Si la justice n'est pas
indépendante, si les décisions de justice ne sont pas exécutées, l'action
administrative
ad ministrative ne serait rien d'autre qu'une lutte en mission de sacrifice.
Section V - Justification du contrôle juridictionnel par
un juge spécial
Au lende main
lendemain
des indé pendances,
indépendances, l'organisation d'un contrôle
juridictionnel de l'administration dans les nouveaux Etats a rencontré un
obstacle de taille : quel juge ? Fallait-il confier ce contrôle au juge
judiciaire ou, à l'exemple de l'ex-métropole, à un juge administratif? La
solution a été modérée: compte tenu des contraintes financières d'une
part et d'autre part du manque de personnel, la justice administrative a
été confiée en même te mps
temps que la justice judiciaire à un juge uniq ue
unique
appliquant le droit administratif dans les litiges où l'administration est
partie. En d'autres ter mes, l'unicité de l'organe a été compensée par la
spécialisation de ses fonctions.
Il ne manquait d'ailleurs pas des voix pour demander la fusion pure
et simple des deux droits. Ces voix se fondaient notamment sur le
caractère historique de la juridiction ad ministrative ex-
ex - métropolitaine,
lequel paraissait étranger aux réalités africaines.

81
La juridiction administrative en effet est un produit de l'évolution
politico-administrative française. Sous l'ancien régime, les juridictions
ad ministratives étaient une garantie de bonne ad ministration, un moyen
de contrôle permanent sur les autorités déconcentrées: "j'avais eu, dit
TOCQUEVILLE, la simplicité de croire que ce que nous appelons la justice
administrative était une création de NAPOLEON. C'est du pur ancien régime
conservé". Et l'ancien régime, à la vérité, avait créé un faisseau de
juridictions ad ministratives, tels la cour des aides, la chambre des comptes,
les greniers à sel, les amirautés, la maîtrise des eaux et forêts, les tables de
marbre etc...
En
1941,
l'édit
de
St-GERMAIN
apportait
une
limitation
aux
compétences
des
tribunaux
ordinaires
à
l'égard
des
opérations
ad ministratives : "Nous faisons trés expresse défense à notre parle ment à
Paris et à toutes nos autres cours, de prendre à l'avenir connaissance de
toutes les affaires qui peuvent concerner l'Etat, l'administration ou le
gouvernement d'icelui".
En
fait,
la
j ur id iction
ad ministra tive
n' a
p as
été
acceptée
unanimement. Au moment de la révolution par exemple, certains cahiers
des Etats généraux exigeaient la suppression de toutes les juridictions
administratives pour la même raison que KEBA M'BAYE, conseiller à la
cour suprême du Sénégal, avait exposée en
1965 : "Nous voici donc
débarrassés du probléme combien absorbant du partage des compétences
entre les deux ordres de juridictions; il Y a là une économie de temps qui
devait faire réfléchir ceux que préoccupe encore cet épiphénomène ; le
juge saisi pourra désormais interprêter et apprécier la légalité des actes
administratifs" 1.
Il faut avouer que cet argument a de quoi plaire, mais pas assez pour
satisfaire; c'est, me semble-t-il, la derniére raison d'une raison juridico-
1 Cf. Etudes de clroit africain et malgache, Université de Madagascar, Cujas, 1965,
Par is.

82
administrative désarmée: faut-il en effet accepter le sacrifice de la qualité
de la justice ad ministrative à sa seule rapidité ? A laisser le soin à un
même juge d 'appliq uer selon les cas deux droits de nature différente,
n'est-ce pas à la longue en appeler à un droit de troisiè me ordre, mi-
public, mi-privé et, au point d'arrivée, dénuer de toute conséquence
juridique le fait de s'appeler Etat et d'agir par voie d'actes unilatéraux!
Ce cri de KEBA M'BAYE n'a été qu'un écho tumultueux de celui lancé
par CAUPIN DE PREFELM en 1790 à la constituante : "Le bien public
demande qu'il n'y ait qu'un seul trib unal pour tout le territoire et que
toutes les contestations, tous les procès y soient jugés, afin d'éviter les
difficultés de compétences, d'attributions, de règlements des juges ; ces
difficultés ajoutent deux ou trois procès à un procès".
Mais ce cri ne fut pas entendu en son temps. La séparation des
fonctions judiciaires et des fonctions ad ministratives, découlant de la
séparation des pouvoirs, consacre le dualisme juridictionnel et partant, le
dualisme juridique. Beaucoup de textes intervinrent d ans ce sens:
- l'article 13 de la loi des 16-24 avril 1790 stipulait que "les
fonctions judiciaires sont distinctes et demeurent toujours séparées des
fonctions ad ministratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture,
troubler
de quelque
manière que ce soit les opérations des corps
administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs
fonctions" ;
- l'article 3 de la constitution du 5 septembre 1791 : "Les tribunaux
ne peuvent entreprendre sur les fonctions administratives ou citer devant
eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions";
- et le décret du 16 Fructidor AN III: "Défenses itératives sont faites
aux tribunaux de connaître des actes administratifs de quelqu'espèce qu'ils
soient" .

83
En ce qui concerne les Etats africains, la spécialisation fonctionnelle
n'est pas qu'un hommage rendu à la dualité des juridictions! L'unicité
organique, à la vérité, a été plus vécue que voulue: le manque, au début
des indépendances, de moyens humains et financiers, l'insignifiance des
affaires, justifiaient le rejet du systè me ex- métropolitain. Mais il reste que
le juge de l'administration des Etats concernés est un juge spécial. Deux
raisons fondamentales à cette spécialisation : l'adoption d'un droit
exorbitant applicable à l'administration et le legs colonial en matière de
contentieux administratif.
Paragraphe 1 : L"adoption d"un droit eIorbitant
applicable à l"administration appelle une
spécialisation de l"organe de amtrôle
iuridictionnel
L'assimilation, par les jeunes Etats africains, du modèle administratif
français, ensemble avec ses règles d'organisation et de fonctionnement. ses
principes d'action, voire
ses structures, était inco mpatible avec la
soumission de celui-ci à un contrôle du juge judiciaire. On ne peut résister
à ce niveau au plaisir de citer le Professeur BENOITI qui donne au
dualisme juridictionnel ses raisons d'être; c'est que, selon lui:
10) "Nul n'est bon juge que de ce qu'il connaît, et pour juger
l'ad ministration, il faut donc la connaître". Il s'agit d'un problè me de
compétence qui ne s'analyse pas seulement en termes de formation
adéquate,
mais
ég ale ment
en
ter mes
d'expériences
pratiques,
de
connaissance approfondie de l'administration, de ses rouages, de ses
méthodes; or, le juge judiciaire est par étranger à la vie administrative.
Par-dessus tout, appelé à protéger les libertés individuelles, il ne voit
comme NIETZCHE dans l'administration que "le plus froid de tous les
1 F. P. Benoît, Juridiction judiciaire et juridiction administrative, jurisctasseur
périodique, 1964, l, 1838.

84
monstres froids qui ment froidement dans toutes ses langues du bien et du
mal, dans tout ce qu'il dit et vole, tout ce qu'il a".
2 0
2
"Le
juge
judiciaire doit...
s'imposer de
considérer comme
)
"Le
juge
judiciaire doit...
s'imposer de
considérer
)
strictement égales entre elles les parties en présence devant lui ; le bon
juge judiciaire est celui qui respecte cette absolue égalité des particuliers
entre eux, et qui entend donc les traiter pareillement. Au contraire, le juge
administratif a le devoir de tenir compte des différences qui existent entre
l'ad ministration et les particuliers... ". On rechercherait en effet en vain la
logiq ue entre la reconnaissance de la su périorité de l'ad ministration
chargée de l'intérêt général vis-à-vis des particuliers et la soumission de
celle-ci au contrôle du juge ordinaire.
3 0
3
"Si
des
juges
judiciaires
devaient
connaître
de s
litiges
)
"Si
des
juges
judiciaires
devaient
connaître
de s
)
ad ministratifs... ils plaq ueraient sur les problè mes ad ministratifs des
solutions de droit civil élaborées pour résoudre de tout autres problè mes".
Le risque est grand de voir disparaître le droit administratif au profit du
droit civil. Du même coup, l'administration tombera dans l'impuissance
totale, l'Etat ne sera qu'un beau géant aux pieds d'argile. Et comme le
souligne encore le Professeur BENOIT, cela mènerait à la disparition de
tout contrôle juridictionnel de l'administration, parce que le juge judiciaire
"aura toujours en face
du contentieux administratif,
des réactions
commandées
soit
par
son
inadaptation,
soit
par
son
hostilité
à
l'administration" .
C'est dire que la spécialisation fonctionnelle retenue pour des raisons
conjoncturelles au moment des indépendances, n'est et ne doit être en
principe qu'une étape vers la spécialisation organique. Le juge de
l'administration des nouveaux Etats est appelé à être un juge spécial,
appliq uant un droit exorbitant du droit comm un aux litiges administratifs.
Même en Angleterre, l'unicité du droit applicable tant vantée par des
auteurs comme DICEY n'a jamais été exclusive de l'application de règles

85
spéciales à l'administration de sa Gracieuse Majesté. Et l'expérience du
contentieux ad ministratif sous la période coloniale constitue une autre
raison de croire à la spécialisation organique, seule garante d'une bonne
justice administrative.
Paragraphe II
L"eIpérience du contentieuI
ad ministratif sous la période coloniale
L'organisation du contentieux administratif dans les Etats africains a
été un fait de la colonisation. Jusqu'en 1958, celle-ci avait transposé et
appliqué dans les colonies le système de la métropole. Entre 1958 et 1960,
sous l'effet de l'autonomie interne, chaque Etat réorganisa son propre
contentieux administratif qui coexiste avec celui de la communauté.
L'évolution en la matière comporte par conséquent deux phases : le
contentieux sous la colonisation et le contentieux sous la communauté.
A) Le contentieuI administratif sous la
colonisation directe : les conseils du contentieuI
Sous la période considérée, la justice ad ministrative était rendue par
une juridiction appelée conseil du contentieux. Il avait été institué en
général un conseil du contentieux pour chaque groupe de territoires et,
exceptionnellement, un conseil du contentieux pour un territoire donné.
Ainsi, le décret du 13 décembre 1955 avait créé un conseil du contentieux
pour l'AOF ; celui du 16 octobre 1946 pour l'AEF. Les territoires qui furent
dotés individuellement d'une juridiction administrative étaient au nombre
de trois: le Cameroun (décret du 8 juillet 1952), Madagascar (décret du 17
avril 1953) et le Togo (décret du 23 novembre 1954). Ces juridictions
ad ministratives avaient la même composition, les mêmes compétences et
suivaient la même procédure.

86
1) Composition
Le conseil du contentieux comprenait trois membres: un magistrat
de l'ordre judiciaire qui en était le président et deux conseiller membres
qui étaient des administrateurs. Dans le conseil du contentieux, les
fonctions de commissaire du gouvernement étaient remplies par un
fonctionnaire désigné par le Chef du territoires ou du groupe de territoires
(Fédération).
2) Compétences
Entrt: It:s cOils12:ils du CUllLt;llLlt;UX t;L le COllSt;Ü d'ELaL, les règles de
compétence étaient celles prévues par les dispositions des ordonnances
des 21 août 1885 et 9 février 1827.
Entre eux et les juridictions judiciaires, les compétences étaient
déterminées selon les règles de répartition en vigueur dans la métropole.
En pratique, les conseils du contentieux connaissaient de tout le
contentieux local, c'est-à-dire du contentieux des territoires et des
collectivités publiques de ces territoires, mais seulement en matière de
pleine juridiction; le contentieux de l'excès de pouvoir leur échappait (à
l'exception cependant de l'excès de pouvoir en matière de prise d'eau et
des recours en annulation formés par les agents publics locaux contre les
actes individuels relatifs à l'application de leur statut). Le reste du
contentieux administratif ressortissait à la compétence du Conseil d'Etat
statuant en premier et dernier ressort.
A la suite de la réforme de 1953, les règles de compétences avaient
été réaménagées: les litiges dont les conseils du contentieux ne pouvaient
plus connaître étaient soumis désormais au tribunal administratif de Paris
si la décision attaquée avait été prise par une autorité ayant son siège
dans le ressort de celui-ci et au Conseil d'Etat statuant directement dans
les autres cas.

87
3) La procédure devant les conseils du
contentieuI
Elle était régie par le décret du 5 août 1881. Une seule particularité à
cette procédure: les conseils du contentieux pouvaient être saisis sans
décision préalable, sauf exception légale. Le délai de recours était de trois
moisI.
D) Le contentieuI administratif sous la
communaute
Le titre XI l de la constitution du 4 octobre 1958 avait accordé
l'autonomie interne aux Etats. Par conséquent, chaque Etat était libre
d'exercer les compétences relevant de la souveraineté interne, notam ment
la justice. Deux textes allaient intervenir en cette matière: l'ordonnance du
la mars
1959 qui chargeait le Conseil d'Etat du contentieux de la
communauté et la décision du Président de la communauté en date du 12
juin 1959 qui prévoyait un contrôle minimum de la justice administrative
des Etats membres de la communauté par le jeu de la cassation des
décisions des jur idictions nationales portée devant le Conseil d'Etat. En
définitive, il coexistait d'une part un contentieux de la communauté et de
l'autre, un contentieux des Etats.
1) Le contentieuI de la communauté
Aux termes de l'ordonnance du la mars 1959 portant organisation
du contentieux de la Communauté, le Conseil d'Etat était juge de droit
commun du contentieux de la Communauté. En annulation, il connaissait
des
actes
régIe men taires
ou
ind ivid ue ls
des
dive l'ses
a utor ité s
administratives de la Communauté, c'est-à-dire les actes des Ministres
1 Cf. article Il du décret du 5 août 1881.

88
chargés des affaires communes, du secrétaire général de la Corn munauté et
des hauts commissaires 1. Les actes de ces autorités étaient appréciés par
rapport à l'ordre juridique supérieur, notamment par rapport aux
décisions du président de la Communauté.
Qu ant
au
plein contentieux
il
s'agiss ait
"des
litiges
d'ordre
1
il
s'agiss ait
"des
litiges
1
ad ministratif résultant du fonctionne ment des services propres de la
Corn m unau té" et "des litiges relatifs à la situation individ uelle des
fonctionnaires des mê mes services". Cette définition paraît ob seure de nos
jours. Elle n'établit pas une ligne de démarcation claire entre l'excès de
pouvoir et la réparation.
A côté de l'excès de pouvoir et de la pleine jur idiction, il existait tout
un contentieux de l'interprétation pour les actes des autorités de la
Communauté. Chaque gouvernement pouvait demander au Conseil d'Etat
son avis sur l'interprétation d'un texte susceptible de poser une question
préjudicielle devant les tribunaux judiciaires locaux, voire administratifs.
La procéd ure applicable dans les matières comm unes étaient celle en
vigueur devant le Conseil d'Etat: les requêtes étaient présentées, déposées,
instruites et jugées selon les mêmes for mes.
Enfin, les recours formulés dans les matières communes étaient
ouverts aussi bien aux particuliers qu'aux Etats.
2) Le contentieuI des Etats
Les Etats ont rencontré beaucoup de difficultés pour réorganiser leur
justice administrative. Plusieurs problèmes étaient posés: en premier lieu,
la faiblesse des ressources financières les obligeait à opter pour une
institution légère, sou pIe et cela, d'autant plus que le volume des affaires
ne nécessitait pas une juridiction particulièrement importante. En second
lieu, il y avait le problème du droit applicable et, par voie de conséquence,
1 A l'exception des actes du président de la communauté.

89
celui de l'unicité ou de la dualité des ordres de juridictions. Dans la
pratique, à part le Sénégal, tous les autres Etats allaient adhérer au
systè me français.
Mais à côté de ces grands problèmes plus ou moins faciles à
résoudre, il existait une foule de questions non moins importantes et qui
avaient trait à la forme de la juridiction administrative, à sa composition, à
la détermination de ses compétences. Il est intéressant de voir les
réponses apportées par les différents Etats à ces questions.
a) Les catégories de juridictions
Il y a eu deux attitudes différentes. Certains Etats ont créé une
juridiction entièrement distincte des juridictions ordinaires, c'est-à-dire
une juridiction spécialisée pour trancher les litiges ad ministratifs. C'est
ainsi que furent créés les tribunaux administratifs:
- de la Républiq ue centrafricaine: article 34 de la constitution du 16
février 1959 et loi du 8 juin 1959 ;
de la République du Gabon
article 39 de la constitution du 19
février 1959 et loi du 22 juin 1959 ;
- de la République du Congo: loi du 30 juin 1959 ;
- de la République de Mauritanie: loi du 10 juillet 1959;
- de la République du Cameroun oriental: décret du 4 juin 1959.
D'autres Etats préférèrent confier le contentieux ad ministratif à une
section
d'une
juridiction
comportant
trois
formations
en
général
(formations constitutionnelle, administrative et des comptes). Ce furent les
cas de la :
- section du contentieux de la cour d'Etat de la Républiq ue
soudanaise (article 44 de la constitution dù 23 janvier 1959 et ordonnance
du 13 février 1959) ;

90
- section administrative du tribunal d'Etat de la République du
Dahomey (article 47 de la constitution du 15 février 1959 et loi du 19 mal
1959) ;
- section du contentieux du conseil juridique et du contentieux de la
République de Haute- Volta (article 67 de la constitution du 28 février
1959 et loi du 19 mai 1959)
1
;
- section du con lentieux de J<l cour d'Etat du Niger (article 48 de la
constitution du 12 mars 1959 et loi du 24 décembre 1959).
D'autres Etats enfin n'apportèrent aucune modification au système
antérieur. Tel fut le cas de la Côte d'Ivoire et aussi du Togo qui s'étaient
contentés de donner à leur Conseil du Contentieux le nom de tribunal
ad ministratif sans en changer le fond.
b) Les différentes formules de
composition de la juridiction administrative
Pour composer la juridiction administrative, trois formules furent
utilisées
1)
la
juridiction
administrative
comprend
uniquement
des
magistrats de l'ordre administratif. Cette solution, très heureuse, ne fut
possible que dans les Etats disposant d'un personnel adéquat. Elle fut celle
de Madagascar et des Etats de l'AEF :
- Madagascar: article 3 de la loi 59/017 du 7 décembre 1959
- République centrafricaine: loi 59/14 du 8 juin 1959
- République du Congo: loi 31/59 du 30 juin 1959 ;
- République du Gabon: loi 28/59 du 22 juin 1959 et loi 45/60
du 8 juin 1960
- République du Tchad: loi du 27 mai 1959 ;
2) la juridiction ad ministrative est composée d'un magistrat de
l'ordre judiciaire assisté de deux administrateurs actifs. Ce fut le cas de la

9 1
République de Mauritanie où la loi du 10 juillet 1959 institua un tribunal
ad ministratif dont la présidence était dévolue à un magistrat de l'ordre
judiciaire, assisté de deux conseillers titulaires choisis soit par mi les
magistrats de l'ordre judiciaire, soit par mi les fonctionnaires ou agents de
l'Etat licenciés en droit "autant que possible".
De même, en République du Niger, les membres de la section du
contentieux de la cour d'Etat étaient nommés à concurrence de deux parmi
les magistrats de l'ordre administratif ou judiciaire, comptant trois ans
d'exercice de leurs fonctions, le troisiè me membre pouvant être désigné
parmi
les
personnes
possédant
une
compétence
juridique
et
administrative particulière (article 8 de la loi 59-23 du 24 décembre
1959).
3)
juridiction dont la composition ne se rattachait à aucun des types
précédents.
La Haute-Volta donna l'exemple d'une composition originale de la
juridiction administrative. La loi du 19 mai 1959 avait organisé le conseil
juridique et du contentieux de la façon suivante: la section contentieuse
de ce conseil était présidée par un magistrat de l'ordre judiciaire. L'un des
deux conseillers titulaires était un magistrat de l'ordre judiciaire, mais le
second, ainsi que les deux conseillers suppléants étaient "choisis parmi les
fonctionnaires et magistrats des administrations de la Haute-Volta". Cette
composition était par conséquent à dominante judiciaire, mais avait
l'avantage de faire participer des fonctionnaire de l'ad ministration active
au contrôle juridictionnel. Par ailleurs, le mode de désignation des
membres de la section du contentieux était également original : le
gouvernement nommait la moitié des membres et l'assemblée, l'autre
moitié.

92
c) Les méthodes de répartition des
compétences
Le problème était de savoir s'il fallait attribuer à la juridiction
administrative une clause générale de compétence ou, au contraire, une
clause restrictive de competence. La solution a été recherchée dans trois
directions :
1) 1.1 jllridiction ad ministrative est chargée
de
l'ense mble du
contentieux ad ministratif. Cette clause générale de compétence fut retenue
par la majorite des Etats de l'AEF et seulement par deux Etats de l'AOF : la
Hau te- Volta et le Mali.
En Haute-Volta, l'article 19 de la loi du 19 mai 1()59
1
stipulait que "la
section du contentieux du conseil juridique et du contentieux est juge de
droit commun en matière administrative", Et cette même loi organisait une
solution des conflits de compétences entre la juridiction judiciaire et la
juridiction administrative: chaque fois que les deux ordres de juridiction
se disputaient une competence, le chel du gouvernement élevait le conflit
qui était alors soumis à l'assemblée générale du conseil juridique et du
contentieux, c'est-à-dire, la réunion de toutes les
sections
sous la
présidence
du
Garde
des Scea u x,
Ministre
de
la
jus tice.
Au
Mali,
l'ordonnance du 13 février 1959 définissait les compétences de la section
du conten tie ux de la cour d 'Eta t en ces ter mes : "Elle est le tribunal
administratif de droit commun de la République soudanaise: à ce titre, elle
connaît des litiges d'ordre ad ministratif élevés à l'occasion d'un acte passé
au nom du gouvernement ou des litiges nés de l'exécution d'un service
public dépendant du gouvernement et, d'une
manière générale, sauf
exceptions prévues
par
un texte, de tout litige qui rentre dans le
cuntenlieux ad m inistr at if".
Bien entendu, ce dernier membre de phrase, à savoir "de tout litige
qui rentre dans le contentieux administratif" n'apportait au bout du

93
compte aucune précision sur l'étendue des competences de la juridiction. la
notion de "litige qui entre dans le contentieux administratif" posant un
problème de dèfinition ;
2)
les compétences de la juridiction administrative sont définies à
partir d'un cr itere genéral acco mpagné d'une é nu mér ation limitative des
matières. Cette méthode de répartition des compétences a été adoptée par
Madagascar et la Mauritanie. Par exemple, la loi malgache du 7 décembre
1959 disposait que "le trih unal ad ministratif est juge de droit corn mun du
contentieux
administratif"
mais elle
s'empressait d'ajouter
que
"ce
contentieux comporte le contentieux de l'annulation, celui de pleine
juridiction, celui de
l'interprétation". Etait exclu
par conséquent le
contentieux de la répression: les contravations de voirie ressortissaient à
la compétences des tribunaux judiciaires;
3) la juridiction ad ministrative avait une clause restrictive de
compétence.
Cette
limitation
des
compétences
de
la
juridiction
ad ministrative avait ete operee au Dahomey el au Niger.
Au Dahome)/ la loi du 14 mars 1960 énu merait les matières relevant
du contentieux administratif et c~lles confiées aux tribunaux ordinaires.
Entraient dans le contentieux administratif : l'excès
de
pouvoir et
l'interprétation; le plein contentieux; les réclamations des particuliers
contre les entrepreneurs et régisseurs de l'administration;
le contentieux
fiscal

l'exception des litiges concernant les
droits de
timbre et
d'enregistre ment).
Etaient
soumises
à
la
juridiction
judiciaire:
les
actions
en
responsabilité tendant à la réparation des dommages causés par un
véhicule quelconque (il s'agissait d'une référence à la loi française du 31
decembre 1957), ainsi que ceux résulLlnl des accidents de travaux publics
; les actions en responsabilité tendant à la réparation des dégâts et
dommages de toute nature résultant des crimes et délits commis à force

94
ouverte par les attroupements ; les actions en responsabilité civile
accessoire
à
une
procéd ure
pénale
engagée
devant
le s tr ib unaux
judiciaires.
Le Niger avait opéré exactement de la même façon avec la loi du 24
décembre
1959. La seule différence avec le Dahomey était que les
exceptions de compétences étaient moins nombreuses; elles concernaient
exclusivement les agents des collectivités publiq ues.
A la vérité, cette méthode de répartition des compétences avait le
mérite de la clarté et, partant, elle réduisait énormément les conflits de
compétence, ainsi que les lenteurs et les hésitations qui furent celles du
système français avant la réforme de 1953.
A côté de ces problèmes particuliers à chaque juridiction nationale,
et qui trouvèrent des
solutions
diverses, il existait des difficultés
communes à toutes les juridictions dont notamment celles en matière
d'appel et de procédure contentieuse.
d) Les difficultés communes à toutes
les juridictions administratives
Il s'agissait notam ment de l'appel et de la procédure contentieuse.
1) L'appel
Avant 1958, il existait un double degré de juridiction: l'appel des
décisions des conseils du contentieux se faisait devant le Conseil d'Etat.
Mais, à partir de 1958, avec la souveraineté interne des Etats, il fallait
organiser l'appel. Face aux nombreuses difficultés
pratiques qui se
posaient, les nouveaux Etats ont recouru à des solutions diverses:
- certains Etats, par des accords particuliers avec la France, avaient
maintenu l'appel des décisions de leur juridiction devant le Conseil d'Etat.
Celui-ci devenait pour ainsi dire un assistant technique de la juridiction

95
nationale. Ce fut la solution adoptée par les Etats de l'AEF et par la
Mauritanie;
- d'autres avaient préféré organiser l'appel sur place. En fait, ce
privilége fut celui de la Haute-Volta et du Sénégal seulement. En effet,
l'article 12 de la loi voltalque du 19 mai 1959 déférait les appels de la
section du contentieux du conseil juridique et du contentieux devant "une
section pléniére", réunissant tous les
magistrats des autres sections.
Toutefois, cette organisation corn portait une lacune d'importance : la
juridiction d'appel se composait essentiellement de magistrats de l'ordre
jud ici aire alors que la pre mière instance corn prenait des magistrats de
l'ordre administratif;
d'autres Etats enfin avaient résolu ce problème de l'appel trop
aisément: il n'y avait pas d'appel. La juridiction ad ministrative avait une
compétence de
premier et dernier ressort. Tels furent
les cas
de
Madagascar, du Dahomey (article 21 de la loi du 14 mars 1960) et du
Niger (article 20 de la loi du 24 décembre 1(59),
2) La procédure contentieuse
Les Etats africains s'étaient inspirés en la matiére des dispositions du
décret du 5 août 1881 et des textes de 1953 réorganisant le contentieux
administratif en France. Quelques points saillants de cette procédure
méri ten t d'être relevés tels la req uête, les délais de recours, l'instruction
des requêtes et l'audience.
a) La requête
Les requêtes devaient étre écrites et déposées au secrétariat de la
juridiction administrative ou elles fai~aient l'objet d'une inscription sur un
registre d'ordre, Au Niger (article 23 de la loi du 24 décembre 1959), il
était permis au requérant de déposer sa requête au greffe des tribunaux

96
de
première
instance
aux
fins
de
transmission
à
la
juridiction
administrative. Bien entendu. les requêtes devaient porter les nom,
prénom, profession, qualité, domicile du demandeur, ainsi que l'exposé
sommaire des faits, les moyens et les conclusions. Mais la plus grande
originalité par rapport au systè me français était que le requérant avait la
possibilité d'agir lui- même ou de se faire représenter soit par un avocat,
soit par un parent en ligne directe ou collatérale jusqu'au deuxiè me degré,
celui-ci devant alors justifier d'un mandat spécial. Cette possibilité était
admise au Niger, au Dahomey, au Congo. au Gabon, en République
centrafricaine, au Tchad, en Mauritanie et à Madagascar.
b) Les délais de recours
Ils étaient généralement de trois mois, sauf en Mauritanie et en
Haute- Volta où ils étaient ramenés à deux comme en France. Mais d'une
façon générale, un allongement desdits délais était prévu en raison des
distances (article 27 de la loi nigérienne du 24 décembre 1959 et article
28 de la loi dahoméenne du 14 mars 1960). De plus, au Niger et au
Dahomey, les délais normaux n'étaient pas impératifs : le juge avait la
liberté d'apprécier la forclusion, notamment en cas de force majeure. Par
ailleurs, dans ces deux Etats, la règle de la décision préalable était écartée
en matière de plein contentieux pour laquelle la seule forclusion admise
résultait
de
la
déchéance
quadriénnale
(Niger)
ou
quinquennale
(Dabomey).
c) Instruction des requêtes
L'instruction était dirigée par un conseiller rapporteur désigné à cet
effet par le Président de la juridiction dès le dépôt de la requête. Ce
conseiller rapporteur pouvait proposer la mise au rôle im médiate si la
solution de l'affaire lui paraissait d 'e mblée certaine. Dans le cas contraire,

97
il suggérait au Président d'ordonner la communication de la requête à la
partie intéressée, de fixer les délais de présentation des mémoires et
toutes les mesures d'instruction utiles. En Haute-Volta, les pouvoirs du
conseiller rapporteur étaient étend us. Il pouvait lui -mê me ordonner les
comm unications, procéder à toutes les mesures d'instruction qui ne
préjugeaient pas du fond.
d) Audience
Les audiences étaient publiques, sauf en matière de contributions
directes. Les parties étaient avisées une à deux semaines à l'avance. Elles
pouvaient s'y expliquer verb ale ment. En cours d'audience. la juridiction
pouvait ordonner des mesures d'instruction supplémentaires, notamment
expertise, visites sur les lieux, enquêtes, interrogatoires, vérifications
d'écriture, etc...
Section VI: Les résultats du contrôle juridictionnel de
"administration depuis l"indépendance à nos jours
D'une façon générale, les résultats du contrôle juridictionnel, dans le
cadre du Conseil de l'Entente, sont et demeurent minces. Un aperçu des
données quantitatives et qualitatives le confirme ...
Paragraphe 1 : Les données quantitatives
A ne considérer que le volume des affaires tant au niveau du recours
pour excès de pouvoir qu'à celui du plein contentieux, on se rend bien vite
compte que le juge administratif africain est en chômage déguisé. A
l'intérieur du Conseil de l'Entente, la Haute- Volta présente des résultats
appréciables au double plan de l'annulation et de la réparation. Ainsi, de
1965 à 1978, on dénombrait 263 recours pour excès de pouvoir et 56
recours de pleine juridiction, au total, 319 affaires en quatorze ans, soit

98
une moyenne de vingt trois affaires environ par an. Ces différents recours
contentieux se ventilaient de la façon suivante:
A) Recours pour excès de pouvoIr
Année
Nombre de
Annulations
1rreceva-
1
Rejet
Désiste ment
Divers
[eco ür s
bllitès
1965
5
0
1
3
1
0
1966
5
1
3
1
0
0
1967
5
1
2
1
1
0
1968
29
9
6
13
1
0
1969
31
13
7
9
0
2
1970
35
6
8
18
0
3
1971
33
Il
Il
8
1
2
1972
26
7
7
9
2
1
1973
21
12
3
4
1
1
1974
19
7
4
7
1
0
1975
14
7
2
4
1
0
1976
Il
5
1
4
1
0
1977
21
6
5
9
1
0
1978
8
2
2
4
0
0
Total
263
87
62
94
Il
9
Commentaire : sur les 263 recours pour excès de pouvoir, les
irrecevabilités représentaient 23 % du total (don 75 % pour forclusion); les
rejets étaient relativement élevés (35 % environ) et les annulations
tenaient le second rang avec 33 % des affaires.

99
D) Keoours de plein oontentieuI
Année
Nombre de
Annulations
Irreceva-
Rejet
Désiste ment
Divers
recours
bilités
1965
0
0
0
0
0
0
1966
1
1
0
0
0
0
1967
3
2
0
1
0
0
1968
9
5
0
4
0
0
1969
17
8
1
4
0
0
1970
7
5
0
2
0
0
1971
7
2
3
1
1
0
1972
5
1
1
2
0
1
1973
1
0
1
0
0
0
1974
1
1
0
0
0
0
1975
1
0
0
0
1
0
1976
1
1
0
0
0
0
1977
4
3
0
1
0
0
1978
3
0
0
2
1
0
Total
56
19
6
17
3
1
Une représentation graphique dé montre avec éclat le poids de la
conjoncture
politique
nationale
sur
les
recours
contentieux.
Plus
précisément, elle met en évidence que les périodes transitoires durant
lesquelles justement le pouvoir est quasi-vacant et l'autorité affaiblie
constituent des temps de libération où les citoyens, n'ayant plus rien à
craindre des gouvernants démissionnaires, ont le courage ou peut-être le
plaisir de déférer les actes de l'ad ministration devant le juge... égale ment
libéré et jouissant de la plénitude de son indépendance. Ainsi, jusqu'en
1966, les affaires sont très peu importantes ; le pouvoir personnel de M.
MAURICE YAMEOGO, appuyé par un parti unique de fait, rend les recours
aléatoires.
A partir
du
coup
d'Etat
du
3 janvier
1966, c'est le
gouverne ment
militaire. Sa pre mière année d'exercice du
pouvoir,

100
marquée par l'austérité et la remise en ordre des affaires de l'Etat, donne
au justiciable le même sentiment de crainte et de méfiance vis-à-vis de la
justice administrative que sous le régime défunt. Mais, en décembre 1966,
revenant sur sa parole, l'armée proclame sa volonté de continuer à exercer
le pouvoir pendant une période exceptionnelle de quatre ans. Cela l'oblige
du coup à se rapprocher des civils, à démilitariser pour ainsi le régime et à
susciter un consensus populaire autour de son action; 1967 apparaît par
conséquent comme le début du régime libéral par rapport au régime
autocratique de l'année 1966. Les justiciables reprennent confiance: les
recours connaissent une progression nette en 1968, et en 1969. 1970, c'est
l'année de la transition. Les militaires doivent rejoindre les casernes et les
futurs gouvernants sont inconnus ; le pouvoir est un tigre en papier; les
justiciables s'acharnent contre les derniers actes illégaux du gouvernement
partant: les recours pour excès de pouvoir atteignent leur sommet avec
trente cinq arrêts rendus pour la seule année.

101
EVOLUTION DES R.ECOURS CONTENTIEUX
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102
L'année suivante, les recours fléchissent en nombre : un parti est au
pouvoir, le R.D.A. ; il a trente sept sièges sur cinquante sept à l'hémycic1e,
monopolise l'exécutif, réprime ses adversaires par des mesures diverses:
ce n'est pas un régime de multipartisme, c'est un vrai régime dominant qui
durera jusqu'au 8 février 1974, date du second coup d'Etat militaire. De
1974 à 1976, les militaires, comme durant l'année 1966, gouvernent avec
une main de fer: les recours continuent leur fléchisse ment. Mais comme
en 1970, l'année 1977 est une période transitoire où le pouvoir n'a pas de
tenants: les deux types de recours contentieux remontent la pente (vingt
et un pour l'annulation, quatre pour la réparation). En 1978 en revanche,
les institutions sont remises en place, le R.D.A. revient encore au pouvoir,
avec ses leaders historiques, avec ses méthodes inchangées : les recours
chutent à nouveau.
Le poids du pouvoir politique sur l'indépendance du juge peut
égale men t
être
dé montré,
notam ment
en
s' ap p uyan t
s ur
une
représentation graphique des rejets et des annulations durant les quatorze
années considérées.
Ainsi,
de
1965
à
1967, les rejets sont quasi
systématiques.
En revanche,
les années
1968 et
1969 voient les
annulations et les condamnations grimper ; et cette progression n'est pas
liée à celle des recours eux-mêmes! Point du tout. La preuve est qu'en
1970, période transitoire ayant favorisé l'accès à la justice administrative,
le juge prononce très peu d'annulations (six annulations contre dix huit
rejets sur trente cinq recours pour excès de pouvoir).
L'explication paraît tenir au fait que le justiciable, dans la belle
apparence du pouvoir décadent, défère les actes de ce dernier devant le
juge sans motifs valables, sinon par simple défi. En effet, le citoyen, comme
l'écrivait déjà P. VALERY en 1937, recherche une époque tout agréable où
il soit le plus libre et le plus aidé; il la trouve vers le commencement de la
fin du système social. Et c'est vrai que "la fin presq ue toujours somptueuse

103
et voluptueuse d'un édifice politique se célébre par une illumination où se
dépense tout ce qu'on avait craint de consumer jusque là".
PRESENTATION GRAPHIQUE DE L"EVOl.UTION D~
!RRECJ:VABIL!TES. REJETS ET
ANNULATIONS
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104
Il n'y a donc plus de doute: le pouvoir politique pèse sur le contrôle
juridictionnel parce qu'il détermine l'attitude à la fois du juge et du
justiciable. Et ce poids est d'autant plus lourd qu'on se trouve en face du
parti unique. La démonstration est fournie par les statistiques partielles
du recours pour excès de pouvoir de la 2è section de la Cour Suprême du
Sénégal pour la période allant de 1961 à 1967.
Année
Affaires entrées
Affaires jugées
D.I.R.
Annulation
1961
10
6
6
0
1962
2
3
3
a
1963
1
2
1
1
1964
7
0
0
0
1965
7
5
4
1
1966
3
10
7
3
1967
1
4
0
0
Total
3 1
30
2 1
5
Source: Revue Sénégalaise de droit, 1968, n" 4.
On notera que les annulations ne représentent que 16,66 % des
affaires jugées! Et pourtant (il faut bien le reconnaître) il s'agit de la plus
vieille colonie française, donc en principe la plus marquée de l'esprit de
liberté et d'égalité et la plus pénétrée de la tradition libérale qUI a
triomphé de la tradition autoritaire ou jacobine au 19è siècle.

105
Paragraphe II : Les données qualitatives
Les recours contentieux ne sont pas limités seule ment dans leur
nombre; ils le sont également dans leur objet.
A travers les cinq Etats membres du Conseil de l'Entente, les recours
en annulation représentent environ 80 % de l'ensemble du Contentieux. Le
plein contentieux est très faible. L'explication provient des hésitations du
juge à appliq uer la théorie de la responsabilité de la puissance publique, à
adopter notam ment la responsabilité fondée sur le risq ue dans des pays
où l'Etat mê me manque de moyens pour faire fonctionner les services
publics.
Mais le contentieux de l'annulation est à son tour limité en un certain
point de vue : il n'intéresse que le droit de la Fonction Publique,
accessoirement le pouvoir règlementaire des autorités administratives
inférieures. Même dans la Haute-Volta de tradition dé mocratique, les actes
du
Pré siden t
de
la
Ré pu b liq ue
a ttaq ués
devant
la
juridiction
administrative se comptent sur les dix doigts:
- affaire capitaine SANOU : recours pour excès de pouvoir contre le
décret 69-77/PRES/DN du 5 juin 1969 reformant le réquérant par mesure
disciplinaire et l'ad mettant à faire valoir ses droits à la retraite;
- affaire Caisse de prévoyance Sociale contre gouvernement de
Haute- Volta : recours pour excès de
pouvoir contre le décret 68-
052/PRES/IS/D du 28 février 1968 accordant une indemnité de deux cent
soixante douze mille huit cent soixante quinze francs (272.875 frs) à titre
de dom mages-intérêts à la Caisse de Prévoyance Sociale de Haute- Volta et
une indemnité de cent soixante treize mille quatre cent douze francs
(173.412 frs) à titre de dommages-intérêts à M. OUEDRAOGO Komi
Wensida;

106
- affaire NAZI Boni contre République de Haute-Volta: recours pour
excès de pouvoir contre le décret l58/PRES du 7 octobre 1959 portant
dissolution du Parti National Voltaïque (affaire jugée le 10 juin 1966).
- affaire NAZI Boni contre République de Haute-Volta: recours pour
excès de pouvoir contre le décret 2/PRES du 6 janvier 1960 portant
dissolution du Parti Républicain de la Liberté (affaire jugée le 10 juin 1966
également) ;
- affaire Association des Elèves et Anciens Elèves de l'ENA : recours
pour excès de pouvoir contre le décret du 23 septembre 1968 portant
statut particulier des cadres des services agricoles.
Ceci dit, il faut ajouter à ce contentieux de l'annulation, le contentieux
électoral; seulement, le contentieux électoral, jusqu'ici, ne peut être retenu
que pour mémoire, sauf en Haute-Volta où le chef traditionnel est
désor mais nom mé après élections villageoises organisées par le chef
d'arrondissement et qui font parfois l'objet de contestations.
Mais l'appréciation des résultats du contentieux administratif au plan
qualitatif mérite d'être faite au niveau de l'application, par le juge
ad ministratif africain, du droit ad ministratif et des principes et règles de
la procédure administrative contentieuse. A cet effet, on se bornera à faire
référence à la situation voltaïque ...
A) Application du droit administratif
Le droit administratif est d'essence jurisprudentielle. C'est la plus
pure expression d'une philosophie politique donnée, d'un certain "ordre
social désirable" dont le juge est chargé d'en assurer la défense.
Ainsi, la transposition du droit d'un pays dans un autre pays ne va-t-
elle pas sans problèmes plus ou moins aigus: maîtrise de ce droit par le
juge local, adaptation de certaines constructions théoriques aux situations
locales, évolution dans le temps etc ... Problèmes qui, s'ils ne sont pas

107
résolus heureusement, constituent une menace plus grave encore, à savoir
bloquer la société entière à partir de la rupture du dialogue entre le droit
et les faits.
C'est
dire
que
le
juge
africain
a
une
lourde
responsabilité,
aujourd'hui, demain devant l'histoire et le corps social dont la volonté
générale. mise en oeuvre par le pouvoir politiq ue, requiert la vigilance du
juge, son contrôle pour empêcher la mise en cause de ladite volonté
générale.
C'est pourquoi, le droit administratif français doit être appliqué avec
circons pection
d ans
le s
nouve aux
Et ats.
Les
constr u ctions
jurisprudentielles surtout doivent être reçues avec esprit critiq ue parce
qu'elles sont relatives. Malheureuse ment, il faut se rendre à l'évidence: le
juge
africain
prend
en
son compte
toutes
les
théories
du
droit
ad ministratif français, figeant d'un certain point de vue le droit de
l'ad ministration et défigurant, par suite d'interprêtation particulière.
certains de ces éléments fondamentaux.
Dans le pre mier cas, on prendra volontiers en exemple, la théorie de
l'inexistence dont le juge voltaïque est encore friand, alors que la notion ne
présente plus de nos jours un intérêt particulier en France. Dans l'affaire
BANCE Inoussa contre commune de Ouagadougou du 12 février 1971 où le
réquérant attaquait pour excès de pouvoir l'arrêté n° 82/00 du 26 juillet
1967 du président de la délégation spéciale de la commune de cette ville,
arrêté pris en exécution d'un jugement du tribunal du second degré de
Ouagadougou rendu le 21 juillet 1967 et attribuant la parcelle A du lot 91
du quartier Goughin au sieur TIENDREBEOGO Tintibo Jean, la cour devait
déclarer:
"..... Attendu que l'arrêté du 26 juillet 1967, pris en violation du
principe fondamental de la séparation des pouvoirs, est un acte illégal ;
qu'il doit donc être tenu pour inexistant compte tenu de ce qu'il ne

108
satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence
légale, qu'en conséquence, il doit être annulé comme dépourvu de toute
valeur ... "
Et dans l'affaire GO Korpan Sylvain du 11 juillet 1975 où le réquérant
demandait l'annulation de la lettre n° 98/TFP/DFPS du 7 mai 1975 du
Ministre de la Fonction Publique l'avisant que l'arrêt rendu en sa faveur le
14 février 1975 par la juridiction ne recevra pas de suite, la cour devait
encore faire allusion à l'inexistence en ces termes:
"...
"
Attendu que la lettre n° 98 attaquée est nulle et de nul effet, que
rien ne s'oppose à l'exécution de l'arrêt du 14 février 1975".
En ressuscitant cette vieille notion d'inexistence, n'y a t-il pas un
risque, si les actes ayant ce caractère ne sont pas déterminés, d'exposer
tous les actes administratifs à l'insécurité permanente, l'inexistence,
comme on le sait, dispensant des délais du recours contentieux ainsi que
de l'intérêt direct et personnel pour agir sans compter qu'au plan des
effets juridiques, l'acte administratif est censé n'avoir jamais existé ni créé
des droits ? Cette notion est visiblement un péril pour le pouvoir
règlementaire, donc un frein à l'activité administrative qu'on ne saurait
utiliser à tort et à travers.
Le second cas peut être illustré par la théorie de la circulaire
règlementaire. La conception du juge local n'est pas sans inquiéter. Ainsi,
statuant sur le recours pour excès de pouvoir for mé par le sieur
THIOMBIANO Ba Drilbile contre la circulaire n° 9/IS/DI du 21 janvier 1965
du Ministre de l'intérieur, laquelle instituait, en matière d'élections aux
chefferies du village, la règle du quart des électeurs inscrits alors que le
décret 326/PRES/IS/DI du 28 juillet 1964 relatif au mode de désignation
des chefs de village ne prévoit pas cette condition mais dispose seule ment,
en son article 5, que "le décompte des voix obtenu par chaque candidat est
immédiatement effectué par le chef de circonscription administrative qui

109
donne lecture des résultats et "proclame élu le candidat aui a obtenu le
plus de voix", la Cour devait déclarer:
... "Attendu que la circulaire 9/IS/DI du 21 janvier 1965 ne fit l'objet
d'aucune publication régulière alors qu'elle eût mérité une diffusion
générale et publique par le truche ment du Journal Officiel pour modifier
profondément les dispositions d'un décret régulièrement publié et que l'on
ne la pouvait tenir pour une simple mesure d'ordre intérieur... ".
Autre ment dit, par cet attendu, la juridiction reconnaît le pouvoir
règlementaire aux Ministres (en France, cela n'est qu'un voeu d'une partie
de
la
doctrine)
par
le
biais des
circulaires
(la
haute
juridiction
administrative française y est hostile et ne reconnaît en principe à la
circulaire qu'une valeur interprêtative), à condition que ladite circulaire,
lorsqu'elle modifie un texte de valeur supérieure, soit publiée dans les
mêmes formes que les textes dont s'agit!
D) Application des princiPes et règles
fondamentales de la procédure
administrative contentieuse
Certaines notions, liées à la procédure ad ministrative contentieuse,
connaissent une ligne d'application tortueuse, rendant la position du juge
insaisissable. C'est le cas des notions de décision préalable, de question
préalable et de question préjudicielle:
1) Notion de décision préalable
Le principe est qu'un recours contentieux doit être dirigé contre une
décision administrative, qu'elle soit expresse ou implicite sous peine
d'irrecevabilité.

110
Toutefois, le recours est recevable si l'administration défend au
fond l
fond ; le juge administratif voltaïque l'a adopté dans l'arrêt KABORE Josue
du 8 novembre 1968 :
..."Attendu que le réquérant ne soumet à la sanction de la chambre
administrative aucune décision préalable de l'autorité administrative alors
que l'existence de cette décision est une condition nécessaire de la
recevabilité d'un recours contentieux ; que de ce fait, sa requête devait
être déclarée irrécevable .
... "Attendu
cependant
que
dans
son
mémoire
en
réponse,
l'administration n'oppose pas la fin de non recevoir tirée de l'absence de
décision préalable et défend au fond ; que cette défense au fond lie le
contentieux, le vice dont était entachée la requête se trouvant couvert.
... "Attendu que, par suite, la requête est recevable".
Et le juge administratif est très exigeant en matière de décision
préalable, notamment en ce qui concerne le plein contentieux; statuant en
effet sur le recours de pleine juridiction du sieur MALGOUBRI Louis
tendant à obtenir le versement du traitement non perçu par le réquérant
pendant la durée de sa suspension, la Cour devait déclarer:
... "Attendu que le réquérant ne soumet à l'appréciation de la Cour
aucune décision préalable de l'autorité administrative; que, comme telle,
sa req uête est radicale ment irrécevable pour la pre mière fois devant la
Cour Suprême, car l'existence de cette décision est une condition nécessaire
de la recevabilité d'un recours de pleine juridiction ; qu'il échet dans ces
conditions de rejeter pure ment et simple ment et sans qu'il soit mê me
besoin d'un examen sur le fond, la requête du susnommé ... ".
L'expression : "sa requête est radicale ment irrécevable pour la
première fois devant la Cour Suprême" a de quoi étonner. En fait, elle a
une explication. L'exigence de la décision préalable n'est pas systé matique,
1 Conseil d'Etat, 1S mars 1929, Recueil p. 326.

111
même pour le plein contentieux. Ensuite, il arrive que le juge déclare
recevable
une
demande
à
lui
directement
adressée
sans
que
l'administration n'ait été saisie, informée de quoi que ce soit par le
réquérant ; il s'agit notamment des cas où le fonctionnaire qui n'avance
pas se retourne vers le juge sans formuler une demande, voire une
demande d'explication à son administration l
administration .
Mais
l 'i mportan t,
en
matière
de
décision
pré a1ab1e,
est
la
jurisprudence dégagée dans l'affaire Mme BAZIE née KAMOUNI du 25
octobre 1968. Dans le cas de l'espèce, le recours tendait à obtenir un
rappel de solde pour la période correspondant à la suspension pour
détention de la requérante; la demande avait été adressée au juge en
l'absence de décision préalable. La Cour devait en l'occurrence recevoir la
requête en se fondant sur la fin de non recevoir que l'administration avait
auparavant opposée à une requête similaire qu'un fonctionnaire se
trouvant dans la même situation que la requérante avait formulée auprès
de l'autorité administrative ; en d'autres termes, la décision négative
rendue par l'administration, en son temps, au fonctionnaire en question,
valait de plein droit décision préalable pour la req uérante :
"...
"
Attendu qu'on ne saurait lui reprocher de n'avoir pas déposé au
préalable un recours gracieux qu'elle savait par avance devoir être rejeté
puisqu'il venait d'en être ainsi pour un autre fonctionnaire y impliqué ...",
Le caractère trop ab usif de cette interprêtation dispense ici de
développements supp1é mentaires.
2) Notions de question préjudicielle
et de question préalable
Le juge utilise la notion de question préjudicielle tantôt de façon
correcte, tantôt de façon confuse. Le premier cas est illustré par l'arrêt
1 Cour Suprême, 25 octobre 1968, NIGNAN Souleymane dit Sata.

112
TIENDREBEOGO Tigo du 13 novembre 1970. Statuant sur le recours pour
excès de pouvoir de l'intéressé, la Cour avait déclaré:
"...
"
Attendu que l'annulation demandée de l'arrêté n° 544 du 4 juin
1959 du gouvernement accordant à NIANDA Eloi le permis urbain
d'habiter...
se
fonde,
non
sur le caractère
illégal
de
l'acte,
mais
essentiellement sur la circonstance qu'il est faux par altération d'écriture à
l'aide de gommages, ratures et surcharges.
"...
"
Attendu que le faux ne peut être déféré que devant la juridiction
civile, la chambre administrative de la Cour Suprême étant une juridiction
de droit commun exclusivement en matière de contentieux administratif;
qu'il appartient en conséquence au réquérant de soulever devant la
juridiction compétente, l'exception préjudicielle de faux ... ".
Dans le second cas, le juge confond question préjudicielle et question
préalable. Ainsi, dans l'arrêt Veuve SANOGHO Farimata du 26 septembre
1969 relatif à la pension à allouer à l'ayant cause de feu TRAORET
Mamadou, la Cour devait "ordonner au tribunal de premier degré de Bobo-
Diou1asso de statuer dans les meilleurs délais sur les questions préalables
concernant la validité ou la nullité du mariage, ob jet de la déclaration n°
58 du 8 décembre 1956 et la qualité d'ayant cause de feu TRAORET
Mamadou de la requérante".
Com me on le voit, il s'agissait bel et bien d'une question préj udicielle:
le juge administratif ne pouvait apprécier la prétention de la requérante à
entrer en jouissance de la pension que l'administration devait allouer aux
ayants cause de l'agent public décédé que si le doute était levé sur la
validité du mariage de la requérante avec le défunt et, partant, sur sa
qualité d'ayant cause (précisons ici qu'il s'agissait d'un mariage polygame).
Toutes ces "bavures" indiquent clairement que le juge administratif
maîtrise encore difficilement le droit dont il est appelé à faire application.

113
Mais
cela
n'aurait
aucune
conséquence
sur
les
chances
de
développement et de perfectionnement du droit administratif s'il ne s'y
ajoutait,
et
de
façon
coupable,
certaines
habitudes
ou
pratiques
susceptibles de se retourner contre le justiciable et contre le juge lui-
même; trois de ces pratiques, dans le contexte Voltaïque, méritent d'être
dénoncées ; c'est le fait d'adresser des injonctions à l'administration, de
déclarer une requête irrécevable et de l'apprécier pourtant au fond,
d'omettre de statuer sur toutes les conclusions ou de statuer au-delà des
dites conclusions.
a) Les injonctions
Le juge administratif Voltaïque, sans doute à raison de la relative
indépendance
dont il jouit,
a tendance
à
adresser
des
ordres
à
l'administration, violant par la même le principe de la séparation des
pouvoirs. Il le fait de deux manières: tantôt l'injonction est adressée à la
suite de l'annulation de l'acte attaqué et, tantôt, sans se pencher sur le
fond de l'affaire soumise à son examen, le juge dicte à l'administration la
conduite à suivre. Quelques exemples:
- dans l'arrêt MALGOUBRI LOUIS du 13 décembre 1968 précité (le
réquérant attaquait en second lieu son reclassement décidé par un
précédant arrêt de la cour suprême, mais opéré par l'administration de
façon non confor me aux termes dudit arrêt), le juge ne s'est point donné la
peine de demander à l'administration pourquoi le reclassement n'a pas été
fait confor mé ment à ce qui avait été décidé ; il se contenta de rappeler
l'autorité de chose jugée avant de donner un ordre à l'administration:
"...
"
Attendu que s'imposent à l'ad ministration les faits constatés par
les décisions des juridictions de juge ment devenues définitives, ordonne
l'exécution de l'arrêt précédent".

114
Pourtant, le juge n'ignore pas que les reclasse ments sont parfois
techniquement impossibles à réaliser immédiatement et que certains
aboutissent, lorsqu'ils sont fait grade pour grace, échelon pour échelon, à
des changements de corps.
De même, dans l'affaire TAPSOBA Georges et huit (8) autres où les
requérants demandaient l'annulation d'un arrêté les ayant mal reclassés,
le juge, sans même penser à annuler l'arrêté attaqué, adresse une
injonction à l'administration.
L'on comprend que ces injonctions aient fini par créer une vive
tension entre l'autorité judiciaire et l'autorité administrative. Dans un
rapport n° 23/TFP/P du 4 septembre 1972 adressé au Premier Ministre, le
Ministre de la Fonction Publique dénonçait les interventions directes du
juge dans le fonctionnement des services publics. S'appuyant sur des cas
concrets, le Ministre devait écrire : "En déclarant dans l'affaire REMEN
Raphaël que l'intéressé doit être élevé à la catégorie indiciaire C, la
chambre administrative intervient directement dans le fonctionnement de
l'ad ministration qui, seule, est habilitée à procéder à une no mination de
fonctionnaire ou à une élevation d'échelon; il en va de même dans l'affaire
BANCE Alfred lorsque la chambre administrative déclare que le réquérant
"doit bénéficier". Il s'agit là d'un abus de pouvoir, car, en tant que
juridiction, elle ne peut que confir mer ou infir mer un acte pris par
l'autorité administrative ; en aucun cas, elle ne peut se substituer à cette
autorité".
En conséquence, le Ministre de la Fonction Publique avait proposé,
d'une part, que la chambre ad ministrative soit invitée une fois pour toutes,
à rester dans le champ de la légalité et, d'autre part, que tout arrêt
comportant une injonction formelle à 'l'adresse de l'ad ministration ne soit
pas exécuté.

115
Une te He liste des arrêts comportant une injonction à l'administration
pour la seule période allant du 1er janvier 1968 au 3 mai 1971
donne
l'idée de l'ampleur du problème:
1968
68/3
DAB IRE Robert du 23 février 1968
68/5
OUEDRAOGO Adama du 23 février 1968
68/21
DIALLO Mamadou du 13 février 1968
68/23
MALGOUBRI Louis du 13 décembre 1968
1969
69/2
NIKIEMA Casimir du 10 janvier 1969
69/3
TAPSOBA Pierre du 10 janvier 1969
69/4
BONI Drissa du 10 janvier 1969
69/5
TAPSOBA Georges du 10 janvier 1969
69/7
OUEDRAOGO Mathias du 10 janvier 1969
69/10
LANKOANDE Ali du 24 janvier 1969
69/21
KYELEM Albert du 25 avril 1969
69/33
SA VADOGO Théophile du 10 octobre 1969
69/41
KABRE Michel du 28 novembre 1969
69/42
TRAORE Tiandou du 28 novembre 1969
69/43
SARE Hervé du 28 novembre 1969
1970
70/6
NIKIEMA Casimir du 13 février 1970
70/18
SAW ADOGO Kibissi du 13 mars 1970
70/30
COMPAORE Marc du 23 octobre 1970
1971
71/20
TAPSOBA Georges du 28 mai 1971.
Pendant la période de référence, la chambre administrative a rendu
trente cinq (35) décisions défavob1es à l'administration, dont ces dix neuf
(19) comportant une injonction. soit 54 % de ce total!

116
Une telle pratique doit cesser. La cour elle mê me se mblait la
condamner dans son arrêt n° 24 du 24 septembre 1971 en déclarant que:
"Elle (la cour) ne saurait donc, sans violer le principe de la séparation des
pouvoirs, procéder une quelconque nomination que seule l'autorité
hiérarchique dont dépend le requérant a qualité pour le faire".
Pourtant, rien n'a changé.
b) Appréciation au fond d"une
requête déclarée irrecevable
Cette pratique, particulièrement grossière, risque de conduire le juge
dans de complications qu'il ne voulait point. La logique,serait que le juge,
s'il déclare un recours irrécevable, s'abstienne de l'apprécier quant au
fond. Or, le juge ad ministratif, après avoir déclaré une requête irrecevable
pour des raisons diverses, prend la liberté de statuer quant au fond !
Ainsi, dans l'affaire, OUEDRAOGO François du 28 août 1970 où le requérant
demandait l'annulation de l'arrêté n° 14/TFP.P du 15 janvier 1970 qui
l'admettait à faire valoir ses droits à la retraite pour compter du 1er avril
1970 en application de l'ordonnance 69/056 ramenant l'âge de la retraite
de 55 à 53 ans, le juge, après avoir déclaré la requête irrecevable parce
que for mée le 14 avril 1970 contre un arrêté datant du 15 janvier 1970,
s'est permis de statuer au fond, rejetant le recours parce que les
"fonctionnaires ne bénéficient pas d'un statut immuable; les modification
et aménagements sont immédiatement applicables ; le requérant ne
saurait exiger d'aucun droit acquis quant à l'âge de sa mise à la retraite".
Dans l'affaire Association des élèves et anciens élèves de l'EN A du 25
avril 1969 également précité, le juge avait témoigné d'une attitude encore
plus excentrique : le recours de la req uérante contre le décret du 23
septembre 1968 portant statut particulier du cadre des services agricoles
datant du 24 décembre 1968, l'administration avait soulevé, dans son

117
mémoire en défense, la forclusion frappant la requête. Le juge n'avait pas
examiné l'irrecevabilité découlant de la forclusion. Son examen s'était
porté au fond et la requête avait été en fin de compte déclarée irrecevable,
non point sur la base de la forclusion, mais sur celle de l'intérêt pour agir.
Soit! Mais qu'aurait pu faire le même juge si sa décision venait à
faire l'ob jet d'une
opposition ou d'une tierce opposition ? Si le tiers
opposant lui a intérêt pour agir, de quoi le juge se prévaudra pour ne pas
se
déjuger, étant entend u que l'opposition et la tierce-opposition
constituent en réalité des succédanés d'appel, mais appel devant le même
juge!
Il apparaît donc utile d'éviter ces incohérences susceptibles de
prendre le juge lui-même dans son piège.
c) Le juge et les a»nclusions
Face aux conclusions du requérant, le juge adopte deux attitudes
encore inexplicables, en tout cas contraires aux principes établis en la
matière: tantôt il omet de statuer sur toutes les conclusions de la requête,
tantôt il statue ultra petita...
1) Le juge omet de statuer sur
toutes les a»nclusions
Cette situation se présente le plus souvent lorsqu'une action en
annulation se double d'une action en réparation de préjudice causé par
l'acte attaqué. Le juge ne se prononce plus expressément sur le recours
pour excès de pouvoir, mais examine directement et exclusivement le
recours de pleine juridiction.
Ainsi, dans l'affaire CABORET Clément du 12 janvier 1968, deux
recours avaient été formulés par le requérant, l'un contre le refus du
contrôleur financier de viser un projet de décision régularisant sa situation

1 18
1
administrative, l'autre tendant à obtenir un rappel de solde correspondant
à cette régularisation. La cour n'a pas pris le soin d'apprécier le refus de
visa du contrôleur financier; statuant d'emblée sur le plein contentieux, il
déclara que "l'ad ministration doit accorder d'office les inde mnités lorsque
les conditions réglementaires sont réunies".
Il n'y a pas de décision plus obscure et plus vague. La défenderesse
ayant été
deboute,
il faut en déduire que le refus
du visa a été
implicitement annulé sans que cette sanction ne repose sur un motif
évident.
2) Le juge statue ""Ultra Petita""
Un exemple
parmi
d'autres
: l'affaire
T APSOBA
Pierre
du
28
novembre 1969. Le requérant avait formé deux recours distincts, l'un en
annulation contre une décision de rejet d'une demande de reclassement
conforme aux dispositions de l'article 2 du décret 218/PRES/TFP/SE du 18
juin 1966, l'autre tendant a obtenir le paie ment de la som me de 108.040
frs représentant un rappel de solde pour la période allant du 1el' janvier
1967 au 31 décembre 1968.
Recevant ce dernier recours, le juge s'arrogea le pouvoir d'accorder le
rappel de solde pour compter de
1965 alors que le requérant ne le
demandait que pour compter de 1967 :
"... Attendu que, sauf dispositions législatives ou réglementaires
contraires que, T APSOBA Pierre, à la suite de son reclassement, a droit à
un rappel de solde pour la période allant du 1el' octobre 1965 au 31
décembre 1968".
L 'exa me n des donnée s qualitatives fait claire ment ressortir que la
juridiction administrative n'est pas encore tout à fait à la hauteur de sa
mission. C'est que, de r;H sa rnrmation privatiste. le juge administratif

119
maîtrise difficilement le droit spécial applicable au service public et
adopte en conséquence des attitudes étrangères à celles d'un censeur de
l'administration. Cette incapacité de la juridiction à adapter le droit
administratif au milieu, l'absence d'une politique, d'une sagesse, d'une
jurisprudence en somme dynamisante pour l'administration enlèvent à la
décision de justice son autorité qui ne peut s'originer, au-delà des textes
formels, que dans la compétence et le sérieux du juge lui-même.
Ce point de vue est confirmé par une lettre du Ministre de la
Fonction Publique en date du 7 mai 1975 adressée au Sieur GO KORPAN
Sylvain et dont la teneur suit :
"Par lettre en date du 10 octobre 1974, vous avez, au nom de
certains candidats malheureux au denier concours professionnel d'accès à
l'ENA, saisi la cour suprême en vue d'obtenir votre admission dans cet
établissement malgré la décision du Ministre de tutelle.
j'ai l'honneur de vous informer que le conseil des Ministres, saisi de
ce problème le 30 avril 1975, a décidé de ne pas exécuter l'arrêt n° 4 du
14 février 1975 par lequel la cour suprême constate votre admission".
Evidem ment ! Si l'exécutif est en droit d'apprécier l'opportunité de
l'exécution d'une décision de justice, c'est que le contrôle juridictionnel n'a
plus que l'ombre pour lui: il est tout à fait inutile.
Au total, il peut être affirmé que le contrôle juridictionnel de
l'administration dans
les Etats du Conseil de
l'Entente
s'est buté
apparemment jusqu'à nos jours à deux obstacles de taille: la difficile
soumission de l'Etat au droit d'abord, l'allergie des administrés aux recours
contentieux ensuite.
Premièrement, la difficilee soumission dee l'Etat au droit: deux
causes à cette difficile soumission; la première, administrative, tient à la
complexification et à la diversification des tâches de l'Etat développeur. La
seconde, politique, s'origine en l'ab sence d'une dé mocratie minimale. Et

120
c'est la plus importante. Dans les nouveaux Etats, la nécessaire force de
l'exécutif a été par trop entendue, non point comme une personnalisation
du pouvoir découlant d'un leadership partisan, ou d'opinion, ou encore
d'un leadership national, mais comme son individualisation, laquelle porte
gravement atteinte à l'institutionnalisation du pouvoir et place la volonté
des gouvernants au-dessus de toute règle permanente. L'Etat individualisé
ne peut souffrir d'aucune limitation de ses prérogatives par un quelconque
bloc de la légalité ; une légalité plus subjective appelant de ce fait une
auto-limitation en dehors de toute contrainte extérieure.
Ceci dit, on ne saurait insister sur le fait que la soumission de l'Etat
au droit, en autorisant les libertés individuelles, assure une démocratie
minimale qui, loin d'être un facteur de destabilisation, est au contraire le
plus sûr moyen de prévenir les explosions de colère trop longtemps
contenue. Les coups d'Etat de la pre mière décennie des indépendances
l'ont démontré : spolier les citoyens de toutes les libertés fondamentales,
c'est inscrire un échec certain dans son programme politique...
Deuxièmement, l'allergie des ad ministrés aux recours contentieux
cette allergie est une conséquence directe de la difficile soumission de
l'Etat au droit. Privés de libertés, impuissants devant l'Etat développeur ou
l'Etat partisan, réglés et contrôlés par une ad ministration volontariste, les
justiciables voient dans la justice administrative une voie sans issue. La
faiblesse des recours contentieux en est une preuve ; l'importance des
forclusions en est une démonstration : face à un acte ad ministratif lui
faisant grief, le justiciable africain (et en cela poussé par la tradition)
cherche à régler le litige à l'amiable ; il fera intervenir ses parents, ses
amis, ses connaissances, oubliant le caractère d'ordre public des délais des
recours contentieux. C'est seulement après avoir épuisé "les voies de
recours traditionnels" qu'il s'adressera au juge... à tout hasard, sans
conviction.

121
Les recours contentieux sont par conséquent le fait d'une élite ;
précisé ment de cette élite minoritaire au comporte ment majoritaire parce
qu'en tête de la bataille contre le sous-développe ment. L'im mense
majorité constituée par le monde rural n'en est pas concernée. En Haute-
Volta par exemple, les recours formés par des paysans analphabètes se
chiffrent à trois, dont deux relatifs à l'élection de chef de village et un
contre un plan de lotissement; encore que dans ce dernier cas, il s'agissait
d'une atteinte portée par l'administration à une "chose" sacrée garantissant
la survie du groupe: le plan de lotissement prévoyait en effet une route
devant passer au travers d'un bosquet abritant les Esprits des Ancêtres.
or, pour ces sujets de droit, la disparition de ce bosquet signifiait leur
sienne propre; on comprend alors que ces analphabètes aient dominé leur
peur de l'administration pour venir contester le plan en question devant le
juge ad ministratif... qui leur a donné raison.
Ces ob servations étant faites, faut-il en conclure que "le contrôle
juridictionnel de l'administration dans les Etats du Conseil de l'Etat" n'est
qu'une de ces institutions-programmes dont se sont dotés les nouveaux
Etats en mal de rattraper, dans tous les domaines, leur retard sur les pays
développés? Il semble que non. Au contraire, il faudrait croire que le
système, mis en place au lendemain des indépendances, était un choix
prudent (Titre I) répondant à des besoins du moment et, par conséquent,
un choix appelé à évoluer (Titre II) dans le sens des nouvelles réalités
politiq ues, économiques, administratives et culturelles d'aujourd'hui. C'est
ce que nous proposons de démontrer dans les pages qui suivent...

122
PREMIERE PARTIE: UN CHOIX PRUDENT
Au lendemain des indépendances, l'organisation judiciaire des
nouveaux Etats fut repensée dans le sens d'une plus grande adaptation aux
réalités politiques et administratives du moment. Ces réalités politiques et
administratives étaient que la justice administrative n'appelait point de
structures particulières parce que, par nature et par destination. elle ne
pouvait s'adresser qu'à une minorité, la majorité analphabète étant d'une
part très peu concernée et d'autre part soumise à la justice traditionnelle.
La justice administrative apparaîssait alors comme un symbole pour
l'immédiat et comme un vaste programme pour le futur prochain; elle
témoignait avant tout de la volonté des gouvernants de soumettre l'Etat au
droit, à l'image de l'Etat ex-métropolitain, cette soumission devant être
confirmée par l'évolution politique et économique. En cela même, le
systè me de contrôle juridictionnel de l'ad ministration, élaboré à la hâte, a
constitué un choix prudent: la juridiction administrative, dépourvue au
surplus
de moyens humains et matériels, devait avoir une organisation
quasi
embryonnaire.
des
compétences
réduites
et
une
procédure
rigoureuse, le tout tendant visiblement à protéger l'administration des
attaques inopportunes et intempestives des sujets de droit.
En d'autres termes, l'organisation de la juridiction visait à sacrifier,
pour l'instant, les intérêts individuels au profit de la plus grande liberté
d'action de l'Etat développeur. Ainsi, les traits dominants de la juridiction
administrative tiennent d'abord dan le caractère embryonnaire de son
organisation et de sa composition (Chap. 1). ensuite dans la réduction de
ses compétences (Chap.I I). enfin dans la rigueur de la procédure applicable
(Chap. II O...
O

123
CHAPITRE PREMIER - UNE ORGANISATION EMBRYONNAIRE
Il existe, de
par le
monde,
quatre
types
d'organisations du
contentieux administratif : pre mier type : les litiges ad ministratifs sont
sou mis aux trib unaux ordinaires; l'administration semble n'avoir ici aucun
privilège, puisqu'elle est mise sur un pied d'égalité avec les individus. En
théorie, ce système paraît contestable. En effet, l'Etat poursuit une mission
d'intérêt général qui, loin d'être la somme des intérêts particuliers, doit au
contraire s'analyser en termes de transcendance. Cette mission d'intérêt
général place automatiquement l'Etat au-dessus de toute autre personne
physique ou morale. En assimilant l'Etat à un individu comme le font les
anglo-saxons, n'est-ce pas qu'on lui refuse les moyens de sa mission, tels
les privilèges du préalable et de l'exécution d'office? Et il est évident que
dans ce système, l'Etat a beaucoup plus de difficultés pour assurer son
arbitrage des intérêts, et moins de liberté d'action. C'est la raison pour
laq uelle les nouveaux Etats n'ont pas adopté ce type de contrôle ... même si
ses tenants, comme M. DICEY. ne lui trouvent que des avantages et le
présentent comme un symbole de démocratie réelle.
On remarquera que ce système de contrôle est étroitement lié à
l'unicité du droit applicable l
applicable
: dans la mesure en effet où l'Etat est soumis
au même droit que les particuliers, il n'y a pas de raison que le
contentieux de l'administration ne relève pas du même juge; deuxième
type : le contentieux ad ministratif est confié à un ordre distinct de
juridictions ayant des compétences exclusivement contentieuses. C'est le
cas par exemple de la la République Fédérale d'Allemagne (RFA).
L'avantage
de
ce
système
est
de
garantir
l'autonomie
du
droit
ad ministratif. Mais il implique des moyens hu mains et matériels adéquats
1 L'unicité du droit applicable souffre cependant de quelques exceptions. En Grande
Bretagne, il était fondé sur le principe que le roi ne peut mal "faire". En fait, le droit
privé applicable à l'Etat n'est pas exclusif de certaines règles exorbitantes du droit
commun. Et le juge judiciaire en tient également compte.

124
pour approcher la justice administrative des justiciables et pour assurer la
compétence des juges eux-mêmes. En revanche, l'absence de compétences
consultatives
rend
le
juge
ad ministratif
relative ment étranger
à
l'administration et en fait beaucoup plus un censeur qu'un guide éclairé;
troisiè me type : corn me dans le systè me précédent, le contentieux
administratif est dévolu à un ordre distinct de juridictions, pourvu à la fois
de compétences contentieuses et consultatives. Tout le monde s'accorde à
penser que cette formule, celle de la France, est la plus perfectionnée. Au
sommet de cette organisation, le Conseil d'Etat, à la fois juge en premier et
dernier ressort, juge d'appel et juge de cassation; puis viennent les
tribunaux ad ministratifs et enfin les juridictions spécialisées.
Le cumul de compétences fait de la juridiction administrative
française autant un guide de l'autorité ad ministrative qu'un censeur.
Guide, la juridiction ad ministrative est donneur d'avis sur les projets de
textes
certains lui sont obligatoirement soumis. C'est, en somme, un
contrôle à priori, fondé sur la régularité, voire l'opportunité des décisions
projetées. Censeur, la juridiction administrative est appelée à connaître de
tous les actes des autorités administratives.
Mais dans cette formule comme dans la précédente, outre le
gigantisme inhérent à la dualité, il yale difficile problème de la
rép arti tion
de s
corn pétence s
qui
e st
source
de
len teu r
pour
l'administration de la justice. Cela explique que les Etats africains aient
préféré une synthèse entre la première form ule et les deux autres,
consistant à l'unicité de juridiction dans la spécialisation fonctionnelle ...
quatrième type: ici, les litiges administratifs sont confiés à la juridiction
judiciaire; mais celle-ci comporte en son sein une section spécialisée pour
le s
affaires
ad ministr ative s.
La
Cour
Su prê me
a
donc
plusieurs
compétences: judiciaire, administrative, constitutionnelle et des comptes
et, à chacune de ces fonctions, correspond une chambre spécialisée.

125
Il faut dire immédiatement que cette formule s'est imposée comme
une solution de sagesse. Dépourvus de moyens humains et matériels, les
Etats africains ne pouvaient se payer le luxe de la dualité; mais ils ont été
soucieux
de
pré server
l'autonomie
du
droit ad ministratif,
d'où la
spécialisation. L'organisation de la juridiction administrative est par
conséquent marquée par cet équilibre : unicité organique et dualité
fonctionnelle ...
Section 1: L"unicité organique : La Cour Suprême
Dans les Etats membres du Conseil de l'Entente, c'est une même
juridiction qui rend la justice administrative et judiciaire : la Cour
Suprême,
qui
statue
en
toutes
matières,
à
savoir
judiciaire,
consti tutionne lIe,
ad ministr ative
et des
comptes.
Aux
ter mes
des
différentes législations, la Cour Suprême est une juridiction de l'ordre
judiciaire, au mê me titre que les cours d'appel, les cours d'assise, les
trib unaux de 1ère
1
instance et les sections de tribunal qui leur sont
rattachées, les tribunaux de travail et les juridictions d'exception. La Cour
Suprême du Bénin a été régie par l'ordonnance 21 PR du 26 avril 1966 ;
celle de la Côte d'Ivoire par la loi 61-201 du 2 juin 1961 ; celle de la
Haute-Volta par la loi 10-63-AN du 10 mai 1963; celle du Niger par la loi
61-28 du 15 juillet 1961 et celle du Togo par la loi 64-11 du 31 octobre
1964.
Si son organisation est la même, sa composition en revanche varie
d'un Etat à un autre.
Paragraphe 1 : L"organisation des Cours Suprêmes
Toutes les Cours Suprêmes comptent quatre chambres : outre la
chambre ad ministrative, il y
a la chambre judiciaire, la chambre
constitutionnelle et la chambre des comptes.

126
La chambre judiciaire, qui comprend une formation civile et une
formation pénale, connaît des pourvois en cassation formés contre les
décisions rendues en dernier ressort par les juridictions inférieures; elle
connaît également des règlements de juges, des renvois d'un tribunal à un
autre, des prises à partie et des récusations (lorsqu'elles sont de sa
compétence) et des demandes de révision.
La chambre constitutionnelle, partout présidée par le Président de la
Cour Suprême, comprend les anciens Présidents de la République, de
Conseillers dont le nombre varie d'un Etat à un autre, de personnalités
désignées concurremment par le Président de la République et le
Président de l'assemblée nationale.
La chambre constitutionnelle a des compétences consultatives et des
compétences juridictionnelles. En ce
qui concerne ces
dernières, la
chambre constitutionnelle statue sur
- la régularité des opérations de référendum et en proclame les
résultats;
- la régularité des élections présidentielles;
-
les
contestations relatives
à l'éligibilité
des candidats à la
députation (sauf dans l'ex-Dahomey où le contentieux électoral ressortit à
la compétence de la chambre administrative) ;
- les contestations relatives au caractère législatif des propositions de
lois et des amendements;
- la constitutionnalité des clauses insérées dans les engagements
internationaux.
Dans ces deux derniers cas, la chambre constitutionnelle est saisie
par le Président de la République ou le Président de l'assemblée nationale.
Les débats à la chambre constitutionnelle ont lieu à huis clos; les décisions
sont rendues en audience publique; elles s'imposent aux pouvoirs publics,

127
à toutes les juridictions et à toutes les autorités administratives et
judiciaires.
La chambre des comptes comprend un certain nombre de conseillers
(trois à cinq selon les pays) et de personnalité (sauf en Côte d'Ivoire) ; elle
est juge des comptes de l'Etat, des collectivités locales, des établissements
publics et de tous les organismes détenteurs de fonds publics. Les débats
ont égale ment lieu à huis clos.
Dans l'ex-Dahomey, la chambre des comptes a deux attributions; elle
exerce un pouvoir juridictionnel sur les comptables de deniers publics et
les comptables de deniers privés soumis réglementairement au maniement
d'un comptable public et un pouvoir de contrôle ad ministratif sur les
collectivités publiques, les établissements publics, les sociétés d'Etat, les
sociétés d'économie mixte, les organismes de sécurité sociale et les
organismes
subventionnés
par
une
collectivité
publique
ou
un
établissement public.
La différence d'avec les autres pays réside dans l'adjonction d'un
contrôle administratif à priori, donc préventif, au contrôle juridictionnel de
nature répressive.
A noter que la chambre des comptes n'a jamais fonctionné sous les
premiers régimes voltaïque et nigérien.
Paragraphe II : La oomposition des cours suprêmes
La composition de la cour suprême proprement dite est très variable
d'un pays à un autre. Ainsi:
1-) Au Bénin. la cour suprême comprend:
- un président nommé pour trois ans renouvelables par le Président
de la République, en Conseil des Ministres, parmi les personnalités connues
pour leur valeur morale et leur compétence juridique, administrative et

128
financière. Il ne peut être mis fin à ses fonctions avant l'expiration de son
mandat, sauf cas de perte de ses droits civils et politiques;
- trois présidents de chambre;
- six conseillers.
Les présidents de chambre et les conseillers sont nom més par le
Président de la République, en conseil des Ministres, sur proposition du
Président de la cour suprême. La loi ne précise pas la durée de leur
mandat; elle dispose seulement qu'il ne peut être mis fin aux fonctions
des membres de la cour suprême, à titre temporaire ou définitif, que dans
les formes prévues pour leur nomination et sur avis du bureau de la cour
pour les magistrats du siège.
- un procureur général
- un avocat général
Le Président de la cour suprême, les présidents de chambre, les
conseillers, le procureur général et l'avocat général sont choisis parmi les
personnalités, fonctionnaires et magistrats titulaires du diplô me de la
licence en droit et comptant au moins dix ans de service. Les personnalités
doivent être compétentes en
matière
judiciaire,
administrative et
financière ; elles doivent totaliser au moins douze ans de pratique
professionnelle et être titulaires du diplôme d'une grande école. Les
fonctionnaires doivent appartenir à la catégorie A 1 de la Fonction
Publique.
- un greffier en chef et des greffiers;
- des auditeurs dont le nombre ne saurait dépasser cinq. Ils sont
nommés pour deux ans par décret en conseil des Ministres, sur proposition
conjointe du Président de la cour suprê me et du Ministre dont ils
dépendent ; ils sont choisis parmi les fonctionnaires munis de diplômes
universitaires ou appartenant à la hiérarchie A1 de la Fonction Publique.

129
Les auditeurs sont répartis entre les chambres au début de chaque
année judiciaire, par décision du Président de la cour suprême. Ils
participent à tous les travaux de la cour sans voix délibérative ni
consultative. A l'issue de la période de deux ans, ils sont obligatoirement
affectés dans des fonctions judiciaires ou ad ministratives en dehors de la
cour suprême. Il y a là évidemment quelque chose d'inexplicable; à quoi
sert donc cette formation sur le terrain des auditeurs si c'est pour les
retirer de la cour suprême en vue d'autres fonctions en dehors de
l'institution !
La composition de la cour suprême du Bénin a deux traits: d'abord,
la diversité des statuts de ses membres: on y retrouve des magistrats, des
fonctionnaires de l'Etat, des personnalités connues pour leur compétence
en matière juridique, administrative et financière. Ces différences d'origine
sont un avantage, la cour étant appelée à se prononcer dans des domaines
divers.
Ensuite
la
qualité
même
de
ses
membres
personnalités,
fonctionnaires et magistrats doivent être de haut niveau confirmé par un
titre
univer si taire
et
sanctionné
par
une
long ue
ex périence
profe ssionne lle!
A la vérité,
cette
composition
de
la
cour
suprême
répond
essentiellement à la division du travail au sein de la juridiction; ce sont
ces
mêmes
personnels
qui vont
siéger
tour
à
tour
en
matière
constitutionnelle, judiciaire, administrative et des comptes! L'article 21 de
l'ordonnance stipule en son alinéa 5 que "les conseillers peuvent
indifféremment siéger à chacune des chambres de la cour" ; le Président
de la cour suprême préside, quand il le juge nécessaire, chacune des
chambres qui doivent siéger à trois magistrats au moins.

130
2-) En République de Côte d"Ivoire.
la cour suprême se compose de :
- un Président nommé pour cInq ans par le Président de la
République, sur avis du Président de l'assemblée nationale. Mais la loi n'a
pas précisé si son mandat est renouvelable ou non, ni dans quelles
conditions il peut être mis fin à ses fonctions ! Il est choisi par mi les
personnalités connues pour leur compétence en matière juridique et
ad ministrative ; il préside toujours l'asse mblée plénière de la cour
suprême ainsi que la chambre constitutionnelle; la présidence des autres
chambres est laissée à son appréciation. Le Président de la cour suprême
assure l'administration et la discipline de l'institution dont il fixe le
règle ment intérie ur.
Enfin, le Président de la cour suprême est de droit le quatrième
personnage de l'Etat, après le Président de la République, le Président de
l'assemblée nationale, et le Président du conseil économique et social. Et
bien entendu, il est me mbre du bureau politique du PDCI -RDA, Parti
Unique.
Le Président de la cour suprême est assisté de trois vice-présidents
choisis parmi les conseillers de la cour suprême;
- neuf conseillers nommés par le Président de la République, sur
proposition du conseil supérieur de la magistrature, et choisis parmi les
magistrats ayant au moins rang de président de chambre ou d'avocat
général à la cour d'appel ou les personnalités connues
pour leurs
compétences en matière judiciaire, administrative et financière, licenciées
en droit ou titulaires d'un diplôme équivalent et comptant par ailleurs
vingt années de pratique professionnelle.
Les vice-présidents de la cour et les conseillers cessent leurs
fonctions à l'âge de soix ante cinq ans ;

131
- un secrétaire général nom mé par décret du Président de la
République sur proposition du Président de la cour suprême, parmi les
magistrats de l'ordre judiciaire;
- quatre secrétaires de chambres dont la loi n'a pas mentionné le
mode de nomination ni la durée des fonctions;
- dix auditeurs désignés parmi les magistrats et fonctionnaires
licenciés en droit pour trois ans et nommés par le Président de la
République sur proposition du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice,
après avis du Président de la cour suprême. A l'issue de ces trois années,
ils
sont obligatoirement affectés
dans
des fonctions
judiciaires ou
ad ministratives en dehors de la cour suprê me. Cette disposition appelle la
même critique faite précédemment à propos du Bénin.
3-) En R.épublique de Haute-Volta
- Le Président de la cour suprê me est nom mé par décret du
Président de la République pris en Conseil des Ministres, après avis du
Président
de
l'assemblée
nationale,
pour
une
durée
de
cinq
ans
renouvelables ; il est choisi parmi les personnalités connues pour leurs
compétences en matière juridique et administrative. Les fonctions de
Président de la cour suprême sont incompatibles avec la qualité de
membre du gouvernement, l'exercice de tout mandat électif et celui des
professions d'avocat, d'officier ministériel, d'auxiliaire de justice et de
toute autre activité professionnelle privée. L'exercice de toute autre
activité publique doit être autorisée par le Président de la République
après avis du Président de l'assemblée nationale. Il ne peut être mis fin à
ses fonctions avant l'expiration du mandat de cinq ans qu'en cas de perte
de ses droits civils et politiques ou d'impossibilité absolue et permanente
de siéger, constatée par les chambres réunies sous la présidence du plus
ancien des vice-présidents.

132
A la vérité, ce statut va dans le sens d'une plus grande garantie
d'indépendance de la cour sur laquelle le Président tient la main au plan
administratif et disciplinaire. En effet, le Président de la cour suprême
préside les chambres réunies et la chambre constitutionnelle, assure
l'ad ministration et la discipline de la cour su prê me, déter mine la
composition, le fonctionne ment et l'organisation des services intérieurs de
la cour, ainsi que le rang des conseilles qu'il affecte dans les diverses
chambres; il statue par ordonnance insusceptible d'aucune voie de recours
sur les demandes en récusation d'un magistrat de la cour suprême.
- Les conseillers, dont le nombre ne saurait être inférieur à trois ni
supérieur à douze, sont nommés par décret pris en Conseil des Ministres,
pour une période de cinq ans renouvelables, parmi les magistrats de
l'ordre
ad ministra tif
ou
judiciaire.
Ils
bénéficient
d'une
certaine
indépendance par le fait même qu'il ne peut être mis fin à leurs fonctions
qu'en cas d'impossibilité absolue et permanente de siéger et après avis
conforme du conseil supérieur de la magistrature.
- Le procureur général et l'avocat général sont nommés par décret en
Conseil des Ministres par mi les magistrats, les fonctionnaires ou les
personnalités titulaires de la licence en droit. La durée de leur mandat n'a
pas été précisée.
- Le secrétaire général de la cour suprême est également nommé par
décret du Président de la République en Conseil des Ministres, sur
proposition du Ministre de la Justice ; il est choisi parmi les greffiers en
chef ou les greffiers. Le secrétaire général est assisté de secrétaires
nommés par arrêté du Ministre de la Justice, et choisis parmi les
fonctionnaires du service judiciaire.
A noter, pour terminer, que le législateur voltaïque n'a pas prévu
d'auditeurs comme dans les autres pays du Conseil de l'Entente.

133
4-) En République du Niger
Le Niger est, parmi les cinq Etats membres du Conseil de l'Entente, le
premier
à
apporter
de
multiples
retouches
à
la
législation
sur
l'organisation judiciaire et le pre mier à adopter, dès 1974, une refonte du
système de contrôle juridictionnel de l'ad ministration, avant le Bénin en
1977, la Côte d'Ivoire en 1978 et la Haute- Volta en 1979.
La cour suprême nigérienne se compose de la façon suivante
- un président nommé pour cinq ans pour décret en Conseil des
Ministres, après avis du président de l'assemblée nationale; il est choisi
par mi les
personnalités
compétentes en
matière
constitutionnelle,
juridique et administrative. La durée de son mandat n'a pas été précisée,
ce qui rend son statut précaire;
- un vice-président choisi parmi les membres de la cour suprême
appartenant à l'ordre judiciaire, dans le grade le plus élevé. Celui-ci
préside toujours la chambre judiciaire et la chambre administrative en cas
de nécessité; il exerce les fonctions du Président de la cour suprême en
cas d'absence ou d'empêchement de ce dernier;
- six conseillers choisis parmi les magistrats de l'ordre judiciaire dans
le grade le plus élevé, les personnes d'une compétence reconnue en
matière juridique, administrative ou financière, les hauts fonctionnaires,
les nominations à ceux deux derniers titres ne pouvant intervenir que
pour le tiers des effectifs;
- un procureur général choisi parmi les
magistrats de l'ordre
judiciaire dans le grade le plus élevé;
- un greffier en chef ;
- six auditeurs choisis parmi les
magistrats ou fonctionnaires
licenciés en droit, nommés pour trois ans à l'issue desquels ils sont
obligatoirement affectés dans des fonctions judiciaires ou administratives
en dehors de la cour suprême.

134
Il faut préciser que le vice-président, les conseillers et le procureur
général sont nommés pour une période de cinq années renouvelables, par
décret en Conseil des Ministres; il ne peut être mis fin à leurs fonctions
que par suite de démission, révocation sur avis du Conseil supérieur de la
magistrature, mise à la retraite.
5-) En République Togolaise
Au Togo, la cour suprême se compose d'un Président, de Présidents
de chambre, de six conseillers, de huit personnalités dont quatre titulaires
et quatre suppléants affectés moitié à la chambre constitutionnelle et
moitié à la chambre des comptes, d'un commissaire de gouvernement
auprès des chambres ad ministrative et des comptes, d'un procureur
général assisté d'un avocat général auprès de la chambre judiciaire, d'un
greffier en chef assisté de greffiers.
Le président de la cour suprême, les Présidents de chambre, les
conseillers et les personnalités sont nommés par décret en Conseil des
Ministres. Les conseillers, le procureur général, et l'avocat général sont des
magistrats de l'ordre judiciaire.
De cette composition des cours suprêmes, il apparaît:
- premièrement: Que le législateur africain a été soucieux de la qualité des
membres de la cour en exigeant pour leur recrutement un niveau de
formation supérieure, notamment universitaire, mais que cet objectif a été
seulement à moitié atteint par l'absence de spécialisation professionnelle,
notamment en ce qui concerne la chambre administrative, puisqu'il n'a pas
été prévu un corps de magistrats de l'ordre administratif;
- deuxièmement : Que les membres de la cour n'ont pas un statut
particulier autre que celui des magistrats. Ce statut des magistrats est
particulier du seul fait que le statut général de la Fonction Publiq ue ne

135
leur est pas applicable, excepté au Togo où les magistrats y sont soumis
com me les autres fonctionnaires de l'Etat.
Les traits saillants de ce statut particulier tiennent d'abord à
l'avancement automatique des magistrats (tous les deux ans en généra!), à
leur inamovibilité, ensuite et enfin à leur régime disciplinaire. La gestion
des
magistrats
relève
par conséquent du conseil
supérieur de
la
magistrature, lequel est présidé par le Président de la république et, à
défaut, par le Garde des sceaux, Ministre de la Justice;
- troisièmement: Que la composition de la juridiction administrative est à
dominance judiciaire, ce qui constitue un handicap sérieux pour l'exercice
des attributions contentieuses de la cour.
Au total, et dans la pratique, la justice administrative est rendue par
le même juge judiciaire, obligé de faire application du droit ad ministratif.
Ce point de vue est avantageusement mis en relief par la composition de la
chambre ad ministrative...
Section II - La spécialisation fonctionnelle: la chambre
administrative de la cour suprême
La chambre administrative se présente com me une section de la cour
suprême, appelée à trancher, au nom de cette dernière, les litiges d'ordre
ad ministratif. C'est ce qui expliq ue que ce sont les mêmes conseillers qui
siègent indifféremment dans les quatre chambres. Autrement dit, le même
juge fait application tantôt du droit civil ou pénal pour la chambre
judiciaire,
tantôt
du
droit
constitutionnel
pour
la
chambre
constitutionnelle; il statue également en matière administrative et des
comptes.
La composition des différentes chambres administratives relève que
la spécialisation, en fait, est un vœu pieux dans tous les Etats concernés:
elle est à dominante judiciaire. En l'absence d'un corps des magistrats de

136
l'ordre
administratif, en présence
d'une
très faible
proportion de
personnalités ou fonctionnaires dans la cour suprême, ce sont les
magistrats de l'ordre judiciaire qui ont l'appareil judiciaire en mains, d'où,
pour la juridiction administrative, sans doute l'incohérence et assurément
l'immobilisme.
La composition de la juridiction ad ministrative se présente pour
chaque Etat me mbre du Conseil de l'Entente de la façon suivante:
1°) Bénin: la chambre administrative est formée d'un Président et d'au
moins deux conseillers. Elle siège à trois magistrats.
La spécialisation ici est possible parce que les me mbres de la cour
suprême sont soit des magistrats, soit des personnalités ou fonctionnaires
ayant une formation de niveau universitaire et une longue expérience
professionnelle.
2°) Côte d'Ivoire: la chambre administrative comprend un vice-président,
deux conseillers et un secrétaire. Le vice-président et les conseillers sont
choisis parmi les magistrats de l'ordre judiciaire et les personnes connues
pour leurs compétences en matière judiciaire, administrative et financière.
La formation de juge ment comprend trois magistrats.
En fait, parmi les trois magistrats appelés à siéger, il ne peut y avoir
qu'une personnalité tout au plus, le s deux autres étants des magistrats de
l'ordre judiciaire ; c'est que les nominations des membres de la cour
suprême au titre des personnalités compétentes en matière judiciaire,
administrative ou financière ne peuvent intervenir que dans les limites du
tiers de l'effectif, limitation non retenue au Bénin ! En conséquence, le
conten tie ux
ad ministra tif est
dévolu
es sen tielle ment
à
des
juges
judiciaires, c'est-à-dire à des juristes "privatistes".
3°) Haute-Volta: la composition de la chambre administrative est
beaucoup plus favorable à la spécialisation souhaitée; en effet, l'article 27
de la loi 10-63-AN du 10 mai 1963 relative à la cour suprême stipule que

137
"la chambre administrative se compose de trois conseillers et de deux
fonctionnaires ou personnalités licenciés en droit, désignés par décret en
Conseil des Ministres et qui prêtent le ser ment prescrit aux magistrats" ;
elle siège à trois ou à cinq membres.
Comme on peut le constater, il Y a un éq uilibre entre les magistrats
de l'ordre judiciaire et les personnalités susceptibles d'apporter leur
lumière à la juridiction. Cela est d'autant bien venu que les magistrats de
l'ordre judiciaire, en Haute- Volta com me ailleurs, ne sont pas tous
titulaires de la licence en droit. Beaucoup ont accédé à la hiérarchie
supérieure par la voie de la promotion interne : à l'issue d'un concours
professionnel organisé à l'intention des cadres du service judiciaire, les
intéressés ont
suivi en France notamment
un
stage
de formation
professionnelle qui leur a permis d'accéder à la catégorie A et de devenir
des magistrats. Et il n'est pas tendancieux de dire qu'un juge non licencié
en droit ne présente pas toutes les garanties utiles à son métier ! C'est
pourquoi, l'aqjonction de personnalité compétentes en droit constitue un
remède à la lacune du système.
4 0
4
Niger : la chambre ad ministrative est composée d'un Président et de
)
Niger : la chambre ad ministrative est composée d'un Président et
)
deux conseillers. Le Président est choisi par mi les magistrats de l'ordre
judiciaire. Les conseillers sont choisis parmi les magistrats de l'ordre
judiciaire ou parmi les personnes compétentes en matière juridique,
ad ministrative
ou
financière.
Cette
com position
de
la
juridiction
administrative appelle les
même observations que celle formulée à
l'endroit de la juridiction ivoirienne.
50) Togo: la composition de la chambre administrative du Togo est
incontestablement la plus défavorable à la spécialisation fonctionnelle. Aux
termes de l'article 5 de la loi 64-11
du 31 octobre 1963 relative à
l'organisation de la cour suprême, la chambre administrative comprend un
Président et deux conseillers. Or, le Président ainsi que les deux conseillers

138
et le commissaire du gouvernement sont des
magistrats de l'ordre
judiciaire ! Les huit personnalités (dont quatre titulaires et quatre
suppléants) qUI auraient été d'un grand apport dans le contentieux
administratif sont affectés moitié à la chambre constitutionnelle, moitié à
la chambre des comptes.
En
conclusion,
et
d'une
façon
générale,
l'organisation
et
la
composition
de
la cour
suprê me
n'a
pas
réservé
au
contentieux
administratif une bien grande place. Sise dans les capitales, composée
es sentielle ment
de
magistrats
de
l'ordre
judiciaire, la
jur idiction
administrative a été pensée dans un environnement donné, dans des
contraintes ad ministratives et financières données. C'est pourquoi au
caractère
embryonnaire
de
cette
organisation
a correspondu
des
compétences réduites.

139
CHAPITRE SECOND - DES COMPEfENŒS REDUITES
La
cour
suprême
a
deux
catégories
de
compétences
: des
compétences juridictionnelles exercées par la chambre administrative et
des compétences consultatives dévolues à la chambre constitutionnelle.
Les premières posent un problè me de définition et de répartition, les
secondes n'ont pas de contenu à la fois réel et consistant.
Sous-Chapitre premier : Les compétences juridictionnelles
Au lendemain des indépendances, les nouveaux Etats ont eu à
résoudre
en tout
premier lieu le
problème
de l'organisation des
compétences; la réponse fut trouvée dans des formules d'organisation qui,
au sein du Conseil de l'Entente, peuvent se ramener à trois, aussi
différentes les unes des autres. Ensuite, il Y a eu le problè me des
mécanismes de réparation des compétences; à ce niveau, le législateur soit
n'est pas du tout intervenu, soit est intervenu de façon timide et
notoirement insatisfaisante, sans que la jurisprudence à son tour ne soit
venue combler le vide ou corriger les lacunes. Enfin, en matière de règles
de répartition des compétences, le juge répugne visiblement à accroître ses
compétences par une interprétation limitative de celles-ci et, parfois, il se
fait prendre en étau entre les lois locales et la jurisprudence du Conseil
d'Etat français dont il s'éclaire ...
Section 1 : Les différentes formules d"organisation des
compétences
Si la cour suprême, et en son sein, la chambre administrative, connaît
à quelque titre
du contentieux administratif, il reste que d'autres
juridictions sont appelées à trancher des litiges ad ministratifs, la cour

140
suprême apparaissant dès lors comme un organe de contrôle et de
surveillance vis-à-vis de ces dernières. Trois formules d'organisation des
compétences ont été utilisées au sein du Conseil de l'Entente:
- la chambre ad ministrative est juge de droit com mun en matière
administrative ; le contentieux administratif n'est pas partagé avec
d'autres juridictions. Ce système se retrouve au Bénin et en Haute- Volta;
- les juridictions judiciaires sont juge de droit comm un en matière
administrative sous contrôle de la cour suprême. Dans cette formule, la
chambre administrative connaît du recours pour excès de pouvoir en
premier et dernier ressort; en revanche, ce sont les trib unaux ordinaires
qui sont compétents pour le plein contentieux en premier ressort et en
appel, la cour suprême n'intervenant que pour la cassation. C'est la
formule en vigueur en Côte d'Ivoire et au Niger
-
une
juridiction
administrative
est compétente
en
matière
administrative sous contrôle de la cour suprême. Comme dans la formule
précédente, la juridiction administrative connaît en premier ressort du
recours de plein contentieux, la cour suprême, juge de l'excès de pouvoir,
n'intervenant qu'en appel. Le Togo est le seul pays à avoir adopté une telle
for mule. Il importe d'étudier successivement ces trois form ules.
Paragraphe 1 - La chambre administrative. juge de
droit commun en matière administrative
Le contentieux administratif est confié, dans son ensemble, à la
chambre administrative de la cour suprême, statuant en premier et
dernier ressort. En dehors du Bénin et de la Haute-Volta, cette formule a
été également adoptée au Gabon et à Madagascar.

141
A) Le contenu des compétences de la chambre
ad ministrative béninoise
L'ordonnance na 21
P.R du 26 avril 1966 portant composition,
organisation, fonctionnement et attribution! de la cour suprême, dispose
en son article 2 que" la cour suprême est la plus haute autorité de l'Etat
en matière de juridiction constitutionnelle, administrative, judiciaire et des
comptes" et en son article 31 que "la chambre administrative est juge de
droit commun, en premier et dernier ressort, en matière administrative".
Le contenu du contentieux ad ministratif a été claire ment défini par
le législateur. Il s'agit:
- du recours en annulation pour excès de pouvoir des décisions des
autorités administratives;
- sur renvoi de l'autorité judiciaire, des recours en interprétation et
en
appréciation
de
légalité
des
actes
de
ces
mêmes
autorités
ad ministratives ;
- de tous litiges de plein contentieux mettant en cause une personne
morale de droit public;
des réclamations des particuliers contre les dommages causés par
le fait personnel des entrepreneurs concessionnaires et régisseurs de
l'administration;
- du contentieux fiscal;
- du contentieux électoral.
A l'analyse, le contentieux administratif au Bénin comprend trois
branches: le contentieux de l'annulation, le contentieux de la réparation, le
contentieux de l'interprétation. En revanche, celui de la répression n'entre
pas dans les attributions de la juridiction administrative.
Mais la juridiction ad ministrative n'a pas que des compétences de
premier et dernier ressort. Elle est en outre juge d'appel des décisions
1 Loi du 19 juillet 1961, modifiée par l'ordonnance du 1er octobre 1962.

142
rendues en premier ressort par les organismes ad ministratifs à caractère
juridictionnel ; ces mê me décisions, rend ues en dernier ressort, sont
susceptibles de cassation devant la cour suprê me statuant en assemblée
plénière, la chambre constitutionnelle exceptée.
D) Les compétences juridictionnelles de la
cour suprême voltaïque en matière
ad ministrative
La
juridiction administrative voltaïque
bénéficie
d'une
clause
générale de co mpétence en matière ad ministrative. L'article 28 de la loi
10-63- AN du 10 mai 1963 relative à la cour su prê me stipule que "la
chambre administrative est la juridiction de droit commun, en premier et
dernier ressort, en matière de contentieux administratif".
Le contrôle juridictionnel de l'ad ministration se trouve confié à une
seule juridiction com me au Bénin. La différence réside dans le fait que le
législateur voltaïque a ignoré l'existence de juridictions spécialisées dont
les décisions pourraient faire l'objet d'appel ou de cassation devant la
haute assemblée. En outre, le contentieux administratif voltaïque, à s'en
tenir uniq uement aux textes, englobe les quatre b ranches traditionnelles, à
savoir le contentieux de l'annulation, celui de la réparation, celui de
l'interprétation et celui de la répression. Mais on peut faire observer d'ores
et déjà que le caractère très libéral de la formule ne va pas sans poser des
problè mes de déter mination des com pétences au plan pratique.
Cependant,
il
reste
entendu
qu'au
Bénin
et
en Haute-Volta,
l'administration est contrôlée par une seule et même juridiction, ce qui est
susceptible de favoriser l'unité de la jurisprudence, l'autonomie du droit
administratif ainsi que son adaptation locale.

143
Paragraphe II - Les juridictions judiciaires. juges
de droit mmmun en matière
administrative. sous contrôle de la
mur suprême
Outre la Côte d'Ivoire et le Niger, le Sénégal, le Congo et la Mauritanie
ont adopté cette formule d'organisation des compétences. Dans ce système,
le contentieux administratif est partagé entre les tribunaux ordinaires et la
chambre ad ministrative de la cour suprême. En Côte d'Ivoire, l'article 1er
1
de la loi n° 61-155 du 18 mai 1961 portant organisation judiciaire stipule
que "dans la République de Côte d'Ivoire, la justice est rendue en matière
civile, commerciale, pénale et administrative par la cour suprême, la cour
d'appel, les tribunaux de première instance et les sections détachées de ces
trib una ux".
La loi nigérienne n° 62-11 du 16 mars 1962 fixant l'organisation et
la compétence des juridictions dispose également en son article 1er
1
que
"dans la République du Niger, la justice est rendue en matière civile,
commerciale, pénale et administrative par la cour suprême, la cour
d'appel, les cours d'assise, les tribunaux de première instance, les justices
de paix et les tribunaux de travail". Les articles 56 et 58 de cette loi sont
plus précis ; le premier stipule que "sous réserve des compétences de la
cour suprême, de la cour d'appel et des cours d'assises et en premier
ressort des tribunaux de travail, des justices de paix, et des organismes
ad ministratifs à car actère juridictionnel, les trib unaux de pre mière
instance sont juges de droit commun en toutes matières" ; et le second, en
son alinéa 2, que "les trib unaux de pre mière instance connaissent
égale ment de l'ense mble du contentieux ad ministratif, à l'exception des
recours pour excès de pouvoir".
Dans cette form ule d'organisation des compétences, c'est le rôle de la
chambre administrative de la cour suprême qu'il convient de dégager ...

144
A) Les attributions de la chambre administrative
en République de Côte d"Ivoire
Aux termes de l'article 73 de la loi n° 61-201 du 2 juin 1961
déter minan t
la
co mposition,
l'organis ation,
le s
attrib u tions
et
le
fonctionnement de la cour suprême, la chambre administrative connaît:
10) des pouvoirs en cassation dirigés contre les décisions rendues en
derniers ressort dans les procédures où une personne publique est partie,
à l'exception des décisions rendues par les juridictions répressives,
lesquelles sont dévolues à la formation pénale de la chambre judiciaire;
2 0) en premier et dernier ressort, des recours pour excès de pouvoir
formés contre les décisions émanant des autorités administratives.
Autrement dit, le contentieux administratif se réduit au recours pour
excès
de
pouvoir
et
à
celui
de
pleine
juridiction.
La
chambre
administrative a une plénitude de compétence pour le premier, mais ne
connaît le second que de façon partielle par le biais de la cassation.
De cette formule d'organisation des compétences, il apparaît que la
spécialisation fonctionnelle, l'autonomie même du droit administratif sont
gravement menacées. Et elles le sont, tant au niveau de la réparation qu'à
celui de l'annulation.
Au niveau du contentieux de la réparation, il se pose le problème du
droit applicable: quel droit les tribunaux de première instance et la cour
d'appel doivent appliquer dans les litiges où l'administration est partie?
Une réponse à cette question a été donnée par M. F. WODIE dans un article
intitulé "Les attributions de la chambre administrative de la Côte d'Ivoire".
Le point de vue de l'auteur, à la vérité, a tout pour plaire mais... non pas
pour satisfaire ...
Tout
satisfait
qu'il est
de
cette formule
d'organisation
des
compétences. M. 'XTODIE soutient que si la cassation est dévolue à la

145
chambre administrative 1
administrative , c'est que le législateur a entendu soumettre les
personnes publiques à un droit spécial approprié aux exigences de leur
mission; il en conclut que les juridictions judiciaires doivent apprécier la
responsabilité de la puissance publiq ue selon les règles du droit public.
Comme on peut le constater, ce point de vue n'apporte aucun
apaisement sur le sort de l'autonomie du droit administratif; bien au
contraire, il soulève avec plus de réalisme, le problème de l'opportunité du
contrôle de l'administration par les trib unaux ordinaires ; en effet, si le
législateur a entendu soumettre la personne publique aux règles du droit
public, pourquoi alors cette intrusion du juge judiciaire au premier et
second degré, celui-ci étant habitué à arbitrer des intérêts particuliers et
donc à faire application d'un droit égalitaire? Pourquoi l'obliger à exercer
un droit public exorbitant du droit privé qu'il connaît moins bien de par sa
formation elle-même?
Sans doute, et il faut le concéder à l'auteur, le juge judiciaire français
peut avoir l'occasion de connaître de la responsabilité de la puissance
publique et faire application,
dans ce cas,
du droit public; l'auteur lui-
même cite en exemple l'affaire Docteur GIRY contre Ministre de l'intérieur
et Ministre de la justice, affaire dans laquelle le trib unal civil de la Seine,
appelé à apprécier la responsabilité de l'Etat, recourut aux règles de droit
public et non aux textes du Code civil, "ces textes ayant toujours en
considération les relations juridiques entre particuliers, tandis que le litige
met en
présence
un service public et
un
particulier victime du
fonctionnement dudit service" selon le mot de G. VEDEL. Un autre exemple,
cité toujours par l'auteur, est la décision de la cour de cassation en date du
23 novembre 1956 dans laquelle, censurant l'arrêt de la Cour d'appel qui
avait fait application des principes du Code civil, la haute cour avait
1 F. WODIE, Les attributions de la chambre administrative de la Côte d'Ivoire, in Revue
juridique et politique, indépendance et coopération, janvier - mars 1968, n° 1.

146
déclaré que "la Cour d'appel avait le pouvoir
et le devoir de se référer en
l'espèce aux règles du droit public"·.
Mais il convient de faire ob server que la compétence de la juridiction
judiciaire est exceptionnelle en France, incidente, alors qu'en Côte d'Ivoire,
elle est de droit commun.
Et lorsque M. WODIE, fort de ces deux exemples, en conclut que cette
solution française est transposable en Côte d'Ivoire, n'est-ce pas qu'il sous-
entend que le juge judiciaire et le juge administratif en France ont des
compétences concurrentes dans la connaissance des actes et de la
responsabilité de l'ad ministration !
Si, com me il le pense, "les juridictions civiles appliq ueront tout
autant les principes du droit civil que ceux du droit public ; l'Etat,
personne publique, se trouvant impliqué dans une cause, et la procédure
se déroulera du déb ut à la fin selon le droit public, la chambre
ad ministrative,
saisie
du
pourvoi
en
cassation,
devant
contrôler
l'application et l'interprétation faites par les juridictions inférieures du
droit public", il reste que cela relève du domaine des vœux et non ce celui
de la pratique. L'application du droit public par les tribunaux ordinaires et
le contrôle de cette application par la chambre administrative se butent en
réalité à trois obstacles de taille:
- d'abord, le juge judiciaire répugnera à appliquer le droit public
qu'il connaît moins bien. La preuve est donnée dans l'affaire Société des
Centaures Routiers du 31 mai 1967. Dans cette espèce, dont les faits seront
présentés plus loin, la req uérante avait saisi le tribunal de pre mière
instance d'abidjan aux fins d'obtenir réparation d'un préjudice à elle causé
par le service public du Bac de Moossou. Le jugement rendu par ce
tribunal le 24 mai 1962 avait été déféré en appel devant la cour d'appel
d'Abidjan. Celle-ci, dans un arrêt rendu le 8 février 1963, avait infirmé le
• Cassation civile, 23 novembre 1956, Trésor Public C. Giry, jurisclasseur Périodique,
1956, II, page 9681, note Esmein.

147
juge ment du trib una1 de
pre mière instance com me rendu par une
juridiction incompétente, car "la responsabilité
de
l'Etat,
personne
publique, ne peut être mise en cause devant une juridiction civile",
Par ce motif, la cour d'appel d'Abidjan renvoyait la requérante à se
pourvoir devant la juridiction compétente (c'est-à-dire la chambre
administrative) pour qu'il soit statué selon les règles du droit public.
Cet arrêt de la cour d'appel d'Abidjan fut déféré en cassation devant
la cour suprême. La chambre administrative, saisie du
pourvoi en
cas sation, se prononça le 3 1 mai 1967 ; elle affir m a la co m pétence de s
juridictions de droit commun par ces motifs :
"... Considérant que la loi n'a pas institué d'autre juridiction
administrative en Côte d'Ivoire que la chambre administrative de la cour
suprême; que l'article 73 de la loi du 2 juin 1961 a conféré à la chambre
administrative une compétence d'attribution pour connaître ... des pouvoirs
en cassation dirigés contre les décisions rendues en dernier ressort dans
les procédures où une personne publique est partie, à l'exception des
décisions rendues par les juridictions répressives, lesquelles sont dévolues
à la chambre judiciaire ; que les recours qui ne figurent pas dans
l'énumération dudit article 73 rentrent dans la compétence des juridictions
civiles ou pénales alors qu'ils mettent en cause une personne morale de
droit public, ou qu'ils doivent être résolus en application des règles du
droit ad ministratif ;
... Considérant dès lors que c'est par une application inexacte de la loi
que l'arrêt entrepris a déclaré la juridiction civile incompétente...
Par ces motifs, casse et annule l'arrêt n° 12 rendu par la cour d'appel
d'Abidjan le 8 février 1963 et pour être statué à nouveau, renvoie la cause
et les parties devant ladite cour autrement composée".
Cet arrêt de la cour de Cassation (chambre administrative) a une bien
profonde signification: les tribunaux civils ont une compétence de droit

148
commun en matière administrative et doivent faire application du droit
administratif; mais la décision de la cour d'appel montre en revanche que
les tribunaux de droit commun n'en veulent pas de cette compétence qui
les oblige à faire application d'un droit exorbitant qu'ils manient moins
aisément. C'est la seule explication possible au rejet, par la cour d'appel, de
la compétence du tribunal de première instance d'Abidjan, car l'article 73
de la loi précitée a établi la compétence des trib unaux ordinaire en termes
on ne peut plus de clarté cartésienne ;
- ensuite, il y a que la procédure applicable devant les tribunaux
civils statuant en matière administrative est la même pour toutes les
matières de leur compétence. La loi n° 72-823 du 31 décembre 1972 a
établi un code de procédure civile. De ce fait, ceux-ci connaissent de la
responsabilité de la puissance publique selon une procédure valable en
matière civile et commerciale! N'est-ce pas là une importante limitation
apportée au développement du droit administratif ? Au Congo, en
Mauritanie, au Sénégal, il est prévu des règles spéciales de procéd ure
devant être suivies lorsque les tribunaux ordinaires statuent en matière
administrative l
administrative
;
-
enfin,
cet
espoir
fondé
sur
le
contrôle
par
la
chambre
administrative de l'application du droit administratif par les tribunaux
ordinaires ne prête à rien dans la pratiq ue : les réalités africaines sont
encore telles que le réquérant débouté en première instance doit se faire
violence pour porter le conflit en appel; il est difficilement imaginable que
ledit réquérant, si la décision est confirmée, puisse se porter devant la
cour de cassation en vue de faire reconnaître ses droits.
En fin de compte, la Côte d'Ivoire a rejeté pour ainsi dire le sacro-
saint principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires
dans le
but d'alléger
l'organisation judiciaire et de
simplifier les
1 Cf. décret sénégalais du 30 juillet 1964.

149
procédures; cela ne serait pas une mauvaise chose en soi si le prix de cet
objectif n'était pas l'immobilisme du droit administratif, la mise en cause
de son autonomie même; une autonomie étroitement liée à l'existence
d'une juridiction spécialisée.
En
France,
c'est
le
juge
administratif
qui
a
adopté,
en les
assouplissant, certaines règles du droit civil pour tenir compte des
exigences de la vie administrative. En laissant le soin au juge civil
d'apprécier la responsabilité de l'Etat, et selon une procédure com mune, le
droit ad ministratif perd toutes ses chances de développement ; il est
appelé à se figer.
Il ne faut pas perdre de vue que c'est d ans les contrats et la
responsabilité de l'Etat que, grâce à la jurisprudence qui en a échafaudé les
théories, le droit administratif offre ses aspects les plus spécifiques. Et, il
semble
à
priori contradictoire
de
sou mettre
la
responsabilité
des
personnes publiques à l'appréciation de tribunaux ordinaire, arbitres des
intérêts égalitaires, dans des pays où l'Etat a cruciale ment besoin de
liberté
d'action
et
de
privilèges
particuliers
pour
réaliser
le
développement économique et social de la nation. L'autonomie du droit
administratif est exclusive de la compétence de droit commun des
tribunaux civils en matière administrative ... à moins de rechercher à long
terme une unification du droit.
Il est même permis de douter de la rapidité recherchée par cette
formule d'organisation des compétences; le partage des attrib utions entre
les
juridictions
civiles
et
la
chambre
administrative
peut
être,
contrairement à ce que M. WODIE pense, une source de lenteur.
Par exemple, il faut imaginer une requête contentieuse contenant
deux conclusions, l'une aux fins d'annulation d'un acte ad ministratif illégal,
l'autre tendant à obtenir réparation des dommages causés par l'acte
attaqué. On sait que dans ce cas, trois situations se présentent: le juge

150
annule sans réparer, répare sans annuler, répare après annulation; quelle
que soit la situation envisageable, la question reste de savoir comment le
réquérant va-t-il s'y prendre pour obtenir gain de cause. Devant quel juge
attaquer? Au vrai, il y a de quoi favoriser les lenteurs et décourager les
justiciables. Heureusement que dans la pratique, cette situation n'est pas
possible. La loi oblige le réquérant à choisir de préférence le recours de
pleine juridiction pour faire aboutir ses prétentions ; l'article 79 de la loi
61-201 précise en effet que le recours en annulation n'est pas recevable
contre les décisions ad ministratives lorsque les intéressés disposent, pour
faire valoir leurs droits, du recours ordinaire de pleine juridiction. La
jurisprudence française admet également ce point de vue, mais à la
différence du système ivoirien, le réquérant peut toujours attaq uer à la
fois l'acte et de mander réparation du préj udice que son exécution a
entraîné. L'article 79 de la loi ivoirienne constitue en lui-même un obstacle
au développement du contentieux de l'annulation.
En conclusion, l'autonomie du droit administratif, il faut le répéter
avec force, est menacée. Elle n'est même pas partiellement sauvegardée
par le biais du recours pour excès de pouvoir porté, quant à lui,
directe ment devant la juridiction spécialisée ; la raison est que la
spécialisation ne vaut pas ici le mot dont on l'invoque:
- inexistence d'un corps de magistrats de l'ordre administratif;
- faculté laissée aux conseillers de la chambre judiciaire de venir
compléter la chambre administrative et interdiction pour les conseillers de
la chambre ad ministrative de compléter la chambre judiciaire;
- âge limite pour la cessation des fonctions de conseiller à la cour
suprême porté à 65 ans alors que le rajeunissement périodique des
membres de la cour suprême aurait été source de dynamisme, de
compétence et d'innovation;

151
- statut politique du Président de la cour suprême, membre influent
du parti, quatrième Personnage de l'Etat; il est évident que chaque fois
qu'un acte régIe mentaire du Président de la Républiq ue sera contesté, le
Président de la cour
suprême sera "tenu", s'obligera à présider la
juridiction pour défendre ... le Père de la Nation "qui ne peut mal faire" ; il
n'y aura jamais d'espèce BAREL en Côte d'Ivoire!
C'est
pourquoi.
cette
organisation
des
compétences
devrait
s'accompagner d'une codification législative. Une branche quelconque du
droit ne
se
développe
de façon distincte,
n'acquière
une
véritable
autonomie
par rapport aux branches du droit voisines que s'il lui
correspond, à défaut de code distinct, une juridiction distincte. Le mot est
de M. M. W ALINE. Au Sénégal par exemple, le code des obligations
ad ministra tives tr aitant de la re sponsabilité et des contr a ts consacre
"l'irréductible autonomie du droit administratif, reposant sur des notions
propres à cette matière, sans équivalent en droit privé. La Côte d'Ivoire
devrait se faire sienne cette politique de codification et cette déclaration
de principe ...
D) Les attributions de la chambre administrative
en République du Niger
La chambre administrative de la cour suprême nigérienne a les
mê mes
compétences
que
son
homologue
ivoirien.
Le
contentieux
ad ministratif s 'y trouve également partagé entre les tribunaux ordinaires.
juges de droit com mun, et la section spécialisée de la cour suprême qui est
la
cha m b re
ad ministr ative.
Le s
trib una ux
de
pre mière
instance
connaissent du recours de pleine juridiction en premier ressort; leurs
décisions peuvent faire l'objet d'appel devant la cour d'appel de Niamey
la chambre administrative n'en est saisie que par voie de cassation.

152
La chambre administrative de la Cour suprême est appelée à
connaître:
1°) des pourvois en cassation dirigés contre les décisions rendues en
dernier ressort par les juridictions statuant en matière ad ministrative.
2°) en premier et dernier ressort:
- des recours pour excès de pouvoir for més contre les décisions
émanant des autorités administratives;
- sur renvoi de l'autorité judiciaire, des recours en interprétation et
en appréciation de la légalité des actes ad ministratifs.
Deux observations peuvent être faites:
- en premier lieu, les compétences de la chambre administrative
nigérienne sont plus étendues que celles de la chambre administrative
ivoirienne.
En effet,
à côté
du
plein contentieux (qu'elle connaît
partiellement comme en Côte d'Ivoire) et du contentieux de l'annulation, il
yale contentieux de l'interprétation, inconnu en Côte d'Ivoire;
- en second lieu, l'existence de ce contentieux de l'interprétation
corrige le défaut relevé dans le système ivoirien, lequel défaut, comme vu
précédemment, est une sérieuse limitation du contentieux de l'annulation.
En effet, au
Niger, les tr ib unaux
ordinaires, saisis
d'une
requête
comprenant deux conclusions distinctes, l'une en annulation et l'autre en
réparation, pourront se prononcer quant au fond, l'illégalité de l'acte
attaqué devant être appréciée par la chambre administrative par voie de
question préjudicielle; de cette façon, le recours en annulation ne sera pas
sacrifié au profit du recours de pleine juridiction, ce qui est une excellente
chose dans la mesure où le premier dénote un régime de liberté et présage
du régime démocratique lui-même.

153
Paragraphe III - La juridiction administrative. juge
de droit commun en matière
administrative sous contrôle de la
cour suprême
Cette formule a été adoptée, outre au Togo, par la R.C.A., le Cameroun,
le Mali, le Bénin entre 1965 et 1966, la Haute-Volta entre 1962 et 1963.
Dans cette formule, le contentieux administratif est partagé entre un
tribunal administratif et la chambre administrative de la cour suprême. Le
tribunal administratif connaît du recours de pleine juridiction en premier
ressort seulement; la chambre administrative de la cour suprême connaît
des décisions ainsi rendues en appel et elle se prononce souverainement
sur les recours en annulation pour excès du pouvoir formés contre les
actes des diverses autorités administratives l
administratives .
Le tribunal administratif togolais n'est rien d'autre que l'ancien
conseil du contentieux ainsi appelé désormais par la loi n° 58-33 du 3
mars 1958 relative à l'organisation de la justice; le conseil du contentieux
administratif du Togo, stipule son article 7, prend le nom de tribunal
administratif.
La composition du tribunal administratif est restée celle même
prévue par le
décret n°
54-1177 du
23
novembre
1954 portant
réorganisation du conseil du contentieux du territoire du Togo sous tutelle
française; les tribunal administratif comprend:
- un président qui est un magistrat du siège;
- deux conseillers choisis parmi les fonctionnaires comptant dix
années de services effectifs et autant que possible licenciés en droit ;
- un commissaire du gouvernement choisi également parmi les
fonctionnaires comptant dix années de services effectifs et titulaires
autant que possible de la licence en droit ;
1 Article 9 de la loi 64-11 du 31 octobre 1964 relative à l'organisation de la cour
suprê me

154
- un secrétaire.
Le tribunal comprend en outre des membres suppléants en nombre
égal à celui des titulaires et remplissant les mêmes conditions que ceux-ci.
Tous les membres du tribunal administratif sont nommés pour une durée
de deux ans renouvelables.
Ceci dit, avec cette dernière for mule, la dualité des ordres de
juridictions est presqu'atteinte et la spécialisation fonctionnelle garantie,
tout le contentieux administratif se déroulant devant des juridictions
spécialisées. Malheureusement, la composition de la Haute Cour, les
compétences des juridictions, le statut de ses membres ne vont point dans
le même sens.
Il faut en conclure que, pour tous les cinq Etats membres de l'Union
Sahel Bénin, la juridiction administrative a des compétences limitées au
double plan quantitatif et qualitatif; au plan quantitatif, il n'a été retenu
essentiellement que le contentieux de la réparation et celui de l'annulation;
au plan qualitatif, soit le juge de l'administration n'est pas formé à sa
tâche, soit le juge judiciaire concurrence le juge spécialisé, et, d'une façon
générale, il n'y a pas de double degré de juridiction, notamment en ce qui
concerne le recours pour excès de pouvoir dont le développement
f a v 0 ris e rai t
l' a ut 0 nom i e
men a cé e
du
d roi t
ad min i st r a tif.
Malheureuse ment, les
mécanis mes et les règles
de répartition des
compétences tendent à son amenuisement...
Section II : Les mécanismes de réparation des compétences
Les deux sources de répartition des compétences sont la loi et la
jurisprudence. Seulement, au niveau du Conseil de l'Entente, le législateur
a été carent et la jurisprudence insignifiante ...

155
Paragraphe 1
La répartition des compétences
par la loi
Dans le système français, il n'existe pas une loi générale en matière
de
répartition des com pétences,
seule ment q uelq ues lois spéciale s
attribuant, sans raison objective d'ailleurs, telle matière à telle juridiction.
Il en est ainsi:
- de la loi de Pluviose AN V1II
1
sou mettant à l'appréciation du juge
administratif les affaires concernant les travaux publics (contrats de
travaux publics, dommages de travaux publics) ;
- de la loi du
16 avril 1914 concernant la responsabilité des
communes pour les dommages causés par les attroupements et les
rassemblements;
- des articles 1915 à 1918 du code général des impôts qui attribuent
aux tribunaux judiciaires le contentieux des impôts indirects et des droits
d'enregistrement et de timbre;
- de l'article 375 du code des douanes qui attribue le contentieux des
douanes aux tribunaux ordinaires;
- des articles 33 et suivants du code des P. et T. confiant le
contentieux du transport des colis postaux aux tribunaux ordinaires;
- de la loi du 12 octobre 1946 concernant le contentieux de la
sécurité sociale;
- de la loi du 5 avril 1957 relative à la responsabilité des membres
de l'enseignement public;
- de la loi du
31
déce mbre
1957 sou mettant aux trib unaux
ordinaires tous les litiges résultant d'accidents de circulation, mê me
lorsqu'ils mettent en cause des véhicules appartenant à l'administration.
Dans le cadre du Conseil de l'Entente, l'unanimité est faite sur "les
matières réservées traditionnelle ment au juge judiciaire" (à savoir état des

156
personnes, violation de la liberté individuelle et du domicile, atteintes à la
propriété privée immobilière, voie de fait...).
En revanche, la répartition des compétences par la loi a engendré
deux situations différentes: au Bénin, le législateur a défini une fois pour
toutes les compétences des juridictions judiciaires et ad ministratives ;
ailleurs il est intervenu pour retirer à la juridiction administrative, au
profit des tribunaux ordinaires, l'une ou l'autre matière.
A) La clause légale de oompétence au Bénin
L'ordonnance 21 P. R. du 26 avril 1966, en son article 31, énumère
les matières entrant dans la compétence de la chambre ad ministrative de
la cour suprême. L'article 33 à son tour énumère les matières dévolues aux
tribunaux ordinaires; il stipule que "toutefois, sont de la compétence des
tribunaux judiciaires:
- les actions en responsabilité tendant à la réparation des dommages
de toute nature causés par un véhicule quelconque (référence à la loi
française du 31 décembre 1957) ;
- les actions en responsabilité tendant à la réparation des dégâts et
dommages de toute nature résultant des crimes et délits commis à force
ouverte ou par violence par des attroupements ou rassemblements armés
ou non armés (référence à la loi française du 16 avril 1914) ;
- les litiges intéressant les agents des collectivités publiq ues régis
par le code du travail ;
les actions en responsabilité civile accessoire à une procédure
pénale engagée devant eux contre l'Etat et les collectivités publiques
secondaires.
La clause légale de compétence
présente
un
avantage et un
inconvénient. Comme avantage, il y a que les conflits de compétence sont
absorbés, et partant, les lenteurs administratives.

157
L'inconvénient tient à la rigidité des clauses légales de compétences:
le juge ne peut plus sortir de son cadre général de compétence, autrement
dit, ne peut plus adapter ses attributions au temps et aux circonstances;
bref, la clause légale de compétence est une camisole de force à l'activité
juridictionnelle de la chambre administrative.
B) La répartition des comPétences par la loi
dans les autres Etats membres du Conseil
de l"Entente
Pour les quatre autres Etats, il s'agirait d'une clause générale de
compétence, assortie de q uelq ues lois spéciales dérogatoires à cette
compétence générale en matière administrative. Ainsi:
- en Côte d'Ivoire, le législateur a confié aux tribunaux ordinaires les
dommages causés par les élèves de l'enseignement public, les litiges
relatifs aux agents temporaires de l'Etat l, les litiges concernant les contrats
où le montant des fournitures ou travaux n'excèdent pas 500.000 Frs ;
- au Niger, tous les différends relevant du contentieux général de la
sécurité sociale sont soumis en première instance au tribunal du travail, et
en appel à la cour d'appel. Les arrêts de la cour d'appel peuvent être
attaqués devant la cour suprême"2.
A noter cependant que la chambre administrative reste compétente
pour les recours formés contre les décisions des autorités administratives
ou tendant à mettre en jeu la responsabilité des collectivités publiques à
l'occasion de te lles décisions ;
- en Haute-Volta. le législateur a soumis à la compétence des
tribunaux ordinaires, les litiges relatifs :
1 Article 1er de la loi du 1er août 1964 portant code du travail.
2 Article 2 de la loi du 1S mai 1965 relative au contentieux de la sécurité sociale.

158
· aux organis mes régionaux de développe ment (ORD) ; aux termes de
l'article 46 du décret 751 l14/PRES/PL/DR/ET IMF du 21
mars 1975
portant statut type des ORD, "toutes les contestations qui peuvent s'élever
pendant la durée de l'ORD et au cours de sa liquidation, sont sou mises à la
juridiction des tribunaux du siège local";
· au personnel des sociétés d'économie mixte ; l'article 26 de
l'ordonnance 74/57/PRES du 26 août 1974 portant statut général des
sociétés
d'économie
mixte
stipule
que
"le
personnel
des
sociétés
d'économie mixte est soumis aux dispositions du code du travail" ;
· aux douanes; les articles 188, 189, 190 et 266 du code des
douane si sou mettent toutes les contestations en matière douanière aux
juridictions
judiciaires : les
tribunaux
d'instance
connaissent des
contraventions douanières et de toutes les questions douanières soulevées
par voie d'exception (article 188) ; les trib unaux correctionnels connaissent
de tous les délits de douane et de toutes les questions douanières
soulevées
par
voie
d'exception
; ils
connaissent
également
des
contraventions de douanes annexes, accessoires ou se rattachant à un délit
de douane ou de droit commun (article 189) ; les tribunaux d'instance
connaissent
des
contestations
concernant
le
paiement
ou
le
remboursement des droits, des oppositions à contrainte et des autres
affaires de douane n'entrant pas dans la compétence des juridictions
répressives (article 190).
Enfin, les délits d'injure, voies de fait, rébellion, corruption ou
prévarication et ceux de contrebande avec attroupement et port d'armes
sont poursuivis, jugés et punis conformément au droit commun.
. à l'enregistre ment et au timbre;
· à la caisse de prévoyance sociale2
sociale ;
1 Loi 24/621 AN du 24 juin 1962, JO. du 7 juillet 1962. page 614.
2 Loi 13-721AN du 28 décembre 1972 portant code de sécurité sociale, JO. du 13 février
1973. page 33.

159
. aux agents temporaires de l'Etat;
. aux véhicules administratifs·.
En revanche, le législateur voltaïq ue a confié à la juridiction
administrative:
- le contentieux du personnel communal; l'article 17 de l'ordonnance
75/056/PRES/IS/DG du 9 décembre 1975 2
1975
portant statut général du
personnel communal stipule que "les litiges résultant de l'application du
présent statut, lorsqu'ils intéressent un agent statutaire sont, après
épuisement des recours gracieux auprès du Ministre de l'intérieur et de la
sécurité et du chef du gouvernement, du domaine de la juridiction
ad ministr ative" ;
- le contentieux des impôts indirects;
- les litiges relatifs au code des investisse ments : l'article 20 de
l'ordonnance 78/PRES du 3 mars 1978 3
1978
portant code des investissements
en Haute- Volta stipule que "les règlements des différends résultant de
l'application des dispositions du présent code aux entreprises agréées ou
conventionnées
et
la
déter mination
de
l'inde mnité
due
pour
méconnaissance ou violation des obligations imposées, des engagements
souscrits ou des garanties octroyées peuvent, indépendamment des voies
de recours du contentieux administratif, faire l'ob jet d'une procédure
d'arbitrage !
Ce qu'il faut faire observer de la répartition des compétences par la
loi, dans le cadre du Conseil de l'Entente, c'est non seulement la faiblesse
des lois intervenues, mais surtout l'incohérence de la législation en cette
matière.
En Haute-Volta, par exemple, le contentieux des impôts indirects est
dévolu au juge administratif pendant que les ORD, établissements de droit
1 Ordonnance 69/068 du 12 décembre 1969.
2 ].0. du 18 décembre 1975, page 957.
3 ].0. du 23 mars 1978, page 178.

160
public
de
l'Etat,
assumant
des
missions
plus
administratives
qu'industrielles ou commerciales comme il sera démontré ultérieurement,
sont soumis dans leur ensemble au droit privé!
Il faut par conséquent insister sur la nécessité d'avoir des lois
spéciales et des lois spéciales logiques. Il y va de l'intérêt du contentieux
administratif et de l'autonomie du droit ad ministratif.
C'est qu'en l'absence de ces lois spéciales, le juge est tiraillé entre la
situation juridique locale et la jurisprudence du Conseil d'Etat français: le
juge administratif voltaïque accepterait-il ou rejetterait-il sa compétence
sur la responsabilité des communes pour les dommages causés par les
attroupements et rassemblements? Il est fort à parier qu'inspiré de la
jurisprudence et de la loi française, il refuse d'en connaître alors que la
matière n'est pas réglementée dans le pays, sauf que la puissance coloniale
avait rendu exécutoire sur la colonie de Haute-Volta la loi française du 16
avril 1914 qui avait repris la loi du 10 Vendemiaire AN IV et la loi
municipale du 5 avril 1884. Et la question est la même en ce qui concerne
la responsabilité des membres de l'enseignement public.
Les autorités voltaïques ont enfin conscience de la nécessité de ces
textes spéciaux propres à clarifier la répartition des compétences: il a fallu
attendre les évènements tragiques survenus dans la commune de Kaya (au
moins de février 1979, des fractions politiques rivales ont déclenché une
é meute généralisée dans la ville de Kaya, qui a eu pour conséquence
l'incendie du marché central de la commune, la destruction des stocks de
marchandises et la perte de plusieurs vies humaines), et les nombreuses
plaintes adressées tous azimuths
(Présidence de la République, cour
suprême (chambre administrative), tribunal de première instance etc.. .)
pour que le Ministre de l'intérieur se décide enfin à préparer un projet de
loi en vue de définir les compétences contentieuses.

161
Paragraphe II - La répartition des compétences par
la jurisprudence
Le rôle de la jurisprudence dans la répartition des compétences est
irremplaçable; en effet, soit en l'ab sence de lois spéciales, soit que ces lois
soient obscures, le juge doit intervenir pour combler le vide ou interpréter
les textes. Un exemple d'interprétation courant concerne la définition de
l'agent temporaire de l'Etat. En Haute- Volta notamment, le code du travail
a donné de l'agent temporaire qui y est assujetti une définition négative,
c'est-à-dire par opposition à la notion de fonctionnaire; en conséquence,
chaque fois que le juge est saisi d'une plainte formulée par un non
fonctionnaire, il se voit obligé de statuer sur la qualité du réquérant en
vue de déterminer sa compétence. Ainsi, dans l'affaire TONDE Y. Hamidou
du 25 avril 1969, le juge administratif a procédé de cette façon: le
réquérant, ex-dactylographe en service au cabinet du Ministre du Plan et
des travaux publics, attaquait devant la chambre administrative la
décision n° l002/TFP/P du 1er octobre 1968 l'ayant licencié de son emploi
à compter du 30 septembre 1968 pour mauvaise manière de servir. Or,
l'article 1er
1
du code du travail donne de l'agent tem poraire, soumis au
droit du travail, une définition comme déjà dit négative. Le juge
administratif a donc commencé par apprécier la qualité de fonctionnaire
ou de non fonctionnaire du réquérant avant de statuer sur sa compétence:
"...
"
Attendu que l'article 1er du code du travail dispose que les
personnes
nommées
dans
un emploi permanent
d'un
cadre
d'une
ad ministration publique ne sont pas soumises audit code, qu'il en résulte
que la réunion de trois éléments: nomination à un emploi, permanence,
appartenance dudit emploi au cadre d'une administration publique, est
seule attrib utive de la qualité de fonctionnaire;
"...
"
Attendu que le réquérant, engagé comme dactylographe par
simple décision n° 128 ITFP/P du 20 janvier 1962. ne posséda jamais

162
d 'e mploi per manent puisqu'il fut toujours qualifié de te mporaire et
n'appartient pas davantage au cadre donné d'une administration publique,
qu'il n'est donc pas fonctionnaire aux ter mes de l'article 1er
1
susvisé 1 ;
"...
"
Attendu que le litige opposant les parties ressort des juridictions
du travail et que la chambre administrative est incompétente ratione
matériae pour en connaître selon l'article 4 de la loi 5/62/ AN du Il
janvier 1962".
En
fait,
la
jurisprudence,
comme
source
de
répartition
des
compétences, a une portée négligeable et parfois même, elle aboutit à des
solutions
aberrantes,
contradictoires
; c'est
ainsi que
la chambre
ad ministrative de la Cour su prê me ivoirienne se reconnaît le droit
d'appliquer à des litiges dont elle est juge, les règles du droit civil! Il en a
été ainsi décidé dans l'affaire Groupement Français d'Assurance 2
d'Assurance
; le juge
administratif y a décidé que la responsabilité de l'Etat, à la suite d'un
accident causé par l'un de ses véhicules, devrait être appréciée selon les
règles du droit civil! Autrement dit, le juge administratif, à qui la loi
reconnaît une compétence donnée, prend la liberté d'appliquer à la
matière considérée le droit commun!
Cette jurisprudence reflète admirablement la situation inconfortable
dans laquelle le juge se trouve placé, à savoir en étau entre les lois
nationales et les lois et la jurisprudence françaises; dans le cas de l'espèce
en effet, le juge administratif ivoirien a fait" application de la loi française
du 31 déce mbre 1957 attribuant au juge judiciaire une compétence
globale pour connaître de la responsabilité due pour les dommages
résultant des accidents causés par tout véhicule alors que le législateur
1 On
remarquera
au
passage,
le
caractère
léger
et
contradictoire
du
motif
fondamental présenté par la cour: "Le réquérant. .. ne posséda jamais d'emploi
permanent
puisqu'il fut
toujours
qualifié
de
temporaire"
; voilà qui ne veut
absolu ment rien dire, sinon que la cour se contente de s'approprier la qualification
donnée au réquérant par l'employeur, alors que, de bon droit, elle devrait ignorer et
méconnaître cette q u aHf ica tion.
2 Cf. Bulletin de la cour suprême, numéro spécial, 1969,
page 111.

163
ivoirien lui ne s'est pas prononcé dans ce sens. D'où il suit que c'est de son
propre chef que le juge administratif renonce à ses compétences au profit
du juge judiciaire !
La répartition des compétences entre les tribunaux ordinaires et la
juridiction administrative, dans le cadre de l'unicité des juridictions,
engendre évidemment de nombreux conflits de compétence. Pour résoudre
ces conflits, le législateur africain a prévu un "tribunal des conflits" dont la
composition, l'organisation et le fonctionnement varie d'un Etat à un autre:
- au Bénin: le "tribunal des conflits" est l'assemblée plénière de la
cour suprême, toujours présidée par le Président de la cour suprême; elle
est composée de tous les conseillers à la cour suprême; convoquée par son
Président, l'assemblée plénière ne siège valablement que si les deux tiers
de ses membres sont présents. En cas de partage des voix, celle du
Président est prépondérante.
A la vérité, le rôle de l'assemblée plénière ne se limite pas à
l'arbitrage des conflits de compétence; l'article 29 de l'ordonnance 21 P. R.
du 26 avril 1966 précitée lui accorde trois fonctions à savoir, statuer:
· sur les renvois d'une juridiction à une autre pour cause de sûreté
publiq ue ou dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, à la
requête du procureur général, sur ordre du Garde des Sceaux, Ministre de
la Justice et de la législation;
· en matière de conflit de contentieux;
· à la de mande du Président, sur proposition du Président de la
chambre intéressée, et après avis du conseiller-rapporteur, lorsqu'une
affaire pose une question de principe ou lorsque sa solution serait
susceptible de causer une contrariété de décisions.
En fait, le législateur béninois a voulu assigner au "trib unal des
conflits" un rôle à la fois préventif et curatif...

164
- en Côte d'Ivoire : le législateur ivoirien semble avoir négligé le
"trib unal
des
confIi ts"
dont
la
com posi tion,
l'org anisa tion
et
le
fonctionnement ne sont pas réglés par la loi relative à la cour suprême.
L'article 4 de ladite loi 1 se borne à signaler que le Président de la cour
suprê me préside l'assemblée plénière de la cour suprême, laquelle joue le
rôle de tribunal des conflits.
En revanche, le législateur ivoirien a été plus soucieux en matière de
règlement de juges et de renvois d'un tribunal à un autre, lesquels font
l'objet respectivement du paragraphe premier et du paragraphe second de
la section Il, chapitre III, titre III de la loi 61-201 du 2 juin 1961, ainsi
que des articles 215 et 216 de la loi 72-833 du 21 déce mbre 1972, portant
code de procédure civile, commerciale et administrative;
- en Haute- Volta: le législateur n'a pas été plus explicite qu'en Côte
d'Ivoire; il s'est borné à préciser, à l'article 13 de la loi 10-63-AN relative
à la cour suprême que "les chambres réunies statuent sur les conflits
d 'attr ib utions entre les autorités ad ministratives et judiciaires"; le
Président de la cour suprême préside cette juridiction. Le conflit est élevé
uniquement par le Président de la République.
Ces dispositions appellent trois ob servations :
- premièrement : l'intervention du Chef de l'Etat dans la procédure
administrative contentieuse risque de constituer un moyen de pression sur
le tribunal appelé à décliner sa compétence !
- deuxièmement: le tribunal des conflis paraît lourd; s'il faut entendre
par chambres réunies tous les conseillers des quatre chambres de la cour
suprême, c'est à un organisme d'au moins vingt personnes qu'il revient de
trancher les conflits de compétence!
- troisièmement: aucune procédure n'a été établie par la loi dont il s'agit :
du coup, il n'est pas possible de savoir devant quelles juridictions
1 Loi 61-201 du 2 juin 1961.

165
l'élevation de conflit est faisable. Seule la pratique aurait permis de
résoudre ce problème; malheureusement, il n'a jamais existé de conflit de
compétences ...
- au Niger: le règlement des conflits de compétence a fait l'objet,
dans ce pays, d'une législation claire, précise et concordante. C'est le titre V
de la loi 61-28 du 15 juillet 1961 qui traite des conflits d'attributions. Aux
termes de l'article 136 de la loi, les conflits d'attributions entre les
tribunaux et l'autorité administrative ou entre celle-ci et l'autorité
judiciaire sont réglés par une commission présidée par le Président de la
cour suprême et comprenant les Présidents des chambres judiciaire et
administrative.
La loi a distingué entre le conflit positif et le conflit négatif. En ce qui
concerne le
premier, le conflit peut être élevé
devant toutes les
juridictions de l'ordre
judiciaire, excepté en
matière criminelle et
correctionnelle, sauf s'il s'agit, dans ce dernier cas, d'une question
préjudicielle
dont
la
connaissance
appartiendrait
à
l'autorité
administrative en vertu d'une loi. C'est le Ministre de la Justice qui saisit la
juridiction d'un déclinatoire de compétence motivé ; le rejet dudit
déc1inatoire permet au Ministre d'élever le conflit dans les quinze jours
suivant la décision de rejet. Pendant ce délai, il est sursis à tout acte de
procédure judiciaire; après la notification de l'arrêté de conflit aux parties,
celles-ci disposent d'un délai de quinze jours pour déposer leurs mémoires
et autres pièces au greffe de la cour suprême. Le Président de la
commission des conflits désigne alors un conseiller rapporteur qui dresse
un rapport écrit; le procureur général fait des réquisitions écrites qui sont
jointes au dossier.
La corn mission des conflits a un mois suivant l'enregistrement des
pièces au greffe de la cour suprê me pour statuer; sa décision est motivée,
lue en audience publique et n'est susceptible d'aucun recours.

166
En ce qui concerne le conflit négatif, lorsque les juridictions judiciaire
et administrative se sont déclarées respectivement incompétentes sur la
même question, le recours devant la commission des conflits pour faire
régler la compétence est exercé directement par les parties intéressées.
Le recours est formé par une requête signée d'un avocat défenseur
ou par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, si le demandeur est
l'Etat. Le défenseur à qui notification a été faite du recours dispose de
quinze jours pour présenter un mémoire signé d'un avocat défenseur.
Le système accuse deux lacunes: au niveau de la procédure, il s'agit
du recours obligatoire au ministère d'avocat dans le cas du conflit négatif;
au niveau de la corn mission des conflits elle- mê me, sa corn position est à
dominante judiciaire.
- en République togolaise: les conflits d'attributions sont réglés par
les dispositions de l'article Il de la loi 64-11 du 31 octobre 1964 selon
lesquelles "en cas de conflit d'attributions, il est statué par arrêt motivé de
la cour suprême alors composée du Président de la cour, du Président de la
chambre administrative, du Président de la chambre judiciaire, de deux
conseillers et de deux membres désignés par le Président de la cour".
Cette composition est différente de celle prévue par la loi 62-9 du 14
mars 1962 relative à la procédure suivie devant la cour suprême. Sous
l'empire de cette loi, la cour suprême siégeant en qualité de tribunal des
conflits se composait: - du président de la cour suprême, - de deux
assesseurs de la section administrative de la cour suprême, - du secrétaire
général de la cour suprême, - d'un magistrat de l'ordre judiciaire désigné
par ordonnance du Président de la cour d'appel, - du procureur général
près la cour suprê me.
Cette composition
paraissait
beaucoup
plus
équilibrée
que la
nouvelle, plus "favorable" à la partie judiciaire.

167
La loi de 1964 n'a pas en outre déterminé la procédure à suivre; en
revanche,
celle
de
1962
avait
mis
sur
pied
une
procédure assez
particulière : la cour suprême statuant sur les conflits d 'attrib utions était
saisie par l'arrêté de conflit pris par le Ministre de l'intérieur, lequel arrêté
devait être pris dans les quinze jours de la notification au Ministre du
jugement par lequel le tribunal judiciaire avait rejeté son déclinatoire de
compétence.
Le Président désignait dès lors un rapporteur qui trans mettait le
dossier, après le dépôt de son rapport, au procureur général en vue de ses
conclusions.
La cour suprême pouvait
soit déclarer le conflit irrecevable pour
Vice de forme, soit confirmer l'arrêté de conflit, ce qui avait pour effet de
dessaisir définitive ment le tribunal judiciaire, soit annuler l'arrêté de
conflit, auquel cas le tribunal judiciaire reprenait définitivement la
connaissance du procès.
L'arrêt de la cour suprême devait intervenir dans les trois mois à
compter du jour de sa saisie; passé ce délai, le procès reprenait son cours
com me si le conflit n'avait pas été élevé.
Comme on peut le constater, cette procédure est loin d'être souple et
par-dessus le marché, il était fait exclusion de la saisie du trib unal des
conflits par les parties, ce qui sous-entend que le conflit négatif était
ignoré!
Section II 1 : Les règles de répartition des compétences
Les règles de répartition des compétences, comme on le sait, ont
beaucoup évolué ; cette évolution a été marquée en France par trois
phases:
- d'abord, la conception initiale résultant des textes de 1790 et
de l'AN III ;

168
- ensuite, la distinction intervenue entre les actes d'autorité, et
les actes de gestion;
- enfin, la théorie du service pub lic.
En ce qui concerne les textes de 1790 et l'AN 1II,
1
l'article 13 de la loi
des 16-24 août 1790 stipulait que
"les fonctions judiciaires sont distinctes
et demeurent toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne
pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit
les
opérations
des
corps
administratifs,
ni
citer
devant
eux les
administrateurs pour raison de leur fonction".
A son tour, le décret du 16 Fructidor AN II 1 disposait que "défenses
itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d'administration
de quelle qu'espèce qu'ils soient".
Avec ces textes, la compétence administrative était étendue au
maximum puisque tout ce qui touchait à 'l'administration était écarté de la
compétence de la juridiction judiciaire.
S'agissant des actes d'autorité et de gestion, cette distinction,
d'origine jurisprudentielle, est apparue au milieu du 19ème siècle. A cette
époque en effet, la doctrine soutenait l'idée selon laquelle le juge judiciaire
ne pouvait pas contrôler l'administration agissant par voie d'autorité, mais
qu'il était fondé à le faire lorsque l'administration agissait comme un
sim pIe
particulier.
En conséq uence, il ser a réservé
aux
tribunaux
administratifs la connaissance des actes d'autorité et aux tribunaux
judiciaires, celle des actes de gestion.
Cette
distinction aurait été
limitative
des compétences de
la
juridiction administrative, si la théorie de l'Etat débiteur, fondée sur une
loi du 26 septembre 1793, n'était pas apparue comme un contrepoids à ses
effets: interdiction était faite aux tribunaux judiciaires de connaître de
toute action tendant à une condamnation pécuniaire de l'Etat; interdiction
qui étendait donc les attributions de la juridiction administrative.

169
Quant à la théorie du service public, c'est à la fin du 19ème siècle
que la doctrine développa l'idée selon laquelle le service public était le
critère de la compétence de la juridiction ad ministrative ; on entendait
alors par service public, les activités de la personne publique, visant à
satisfaire un besoin d'intérêt général; et dès lors qu'il y avait un service
public, le litige relevait de la compétence du juge administratif.
Le point de départ de cette théorie du service public a été le fameux
arrêt Blanco du 8 février 1873, lequel a été confirmé par la suite par de
très nombreux autres arrêts, entre autres, Terrier du 6 février 1903 1
1903 ,
Feutry du 29 février 1908 2
1908 , Thérond du 4 mars 19 10 3
10 .
La doctrine expliquait la liaison entre la notion de service public et la
compétence de la juridiction administrative par le particularisme du droit
applicable au service public: le droit administratif est le droit du service
public, droit exorbitant du droit commun, en raison du but d'intérêt
général qui est le sien. Ainsi, sous l'empire du service public, relèveront de
la compétence du juge administratif, tous les litiges nés de l'organisation et
du fonctionnement du service public; le juge judiciaire n'est appelé à
connaître que les activités privées de l'administration.
La théorie du
service public avait,
une fois
de
plus,
per mis
l'extension des compétences du juge ad ministratif. Mais cette situation
allait bien vite se renverser avec la crise de la notion qui a une triple
origine:
- la jurisprudence admit dans un premier temps qu'il pouvait être
fait appel à des procédés de droit privé pour assurer l'exécution du service
public4
public ;
1 Recueil page 94, conclusions Romien.
2 Recueil, page 208, conclusions Teissier.
3 Recueil. page 193, conclusions Pichat.
4 Conseil d'Etat, 31 juillet 1912, société des granits porphyroïdes des vosges, Recueil
page 909.

170
- la jurisprudence admit ensuite que certains services publics
pouvaient être sou mis, dans leur ense mble, au droit privé 1 ;
- la jurisprudence admit enfin la gestion des services publics par des
personnes privées 2
privées .
Au total, il n'y a plus un seul critère de la compétence de la
juridiction administrative, mais plusieurs, avec toutefois une préférence
marquée pour le service public et la gestion publique. En pratique, tout
cela se résume en un principe: le juge administratif français est compétent
pour apprécier les activités administratives des autorités publiques.
Les Etats du Conseil de l'Entente ont hérité du système français avec
ses complications, ses complexifications mêmes, résultant de plus d'un
siècle d'évolution. La personne publique ou autorité publique et l'activité
administrative y sont également consacrées comme les critères de la
compétence du juge ad ministratif... mais des critères qui posent des
problèmes en raison de leur contenu infini défini par l'indéfini...
Paragraphe 1 - Le critère de la personne
publique ou autorité
ad ministrative
Le critère de la personne administrative ou autorité publique est à la
fois simple et complexe.
Simple, parce qu'on peut y ranger d'office l'Etat, le département et la
commune; tous litiges nés de l'organisation et du fonctionnement des ces
personnes
publiques relèvent en principe de la compétence de la
1 Tribunal des conflits, 22 janvier
1921, société commerciale de l'ouest africain,
Recueil page 91, conclusion Matter.
2
Conseil d'Etat: 20 décembre 1935, établisse ments Vézia, Receuil page 212 ; 13 mai
1948, caisse primaire "aide et protection", recueil page 417 ; 31 juillet 1942, Monpeurt,
Recueil, page 239; 2 avril 1943, Bouguen, Recueil page 86; 13 janvier 1961, Magnier,
Recueil,;page 33 ; etc ...

171
juridiction administrative. On peut y ranger également l'établissement
public administratif.
Mais le critère devient complexe dès lors qu'on envisage les autres
personnes publiques comme les établissements
publics à caractère
industriel et commercial, voire les sociétés d'Etat et les sociétés d'économie
mixte.
C'est que le législateur africain, la jurisprudence même, n'ont rien
fait pour clarifier le régime juridique de ces catégories de personnes. Au
contraire, il semble bien que c'est en matière d'entreprises publiques que
le législateur africain manifeste sa volonté d'uniformisation du droit au
profit du droit commun, car, entre les statuts de ces personnes et le droit
applicable d'une part, entre l'esprit de la loi et l'interprétation du juge
d'autre part, il y a un fossé énorme, des contradictions stériles qui
finissent par faire de la notion de personne publiq ue un "chaos d'idées
claires". Il importe par conséquent de voir la situation de chacune de ces
personnes ...
Sous-paragraphe 1 - L"établissement public à caractère
industriel et commercial
Dans le systè me français, c'est la jurispr udence qui a sou mlS les
établissements publics à caractère industriel et commercial au droit privé
et
à
la
compétence
de
la
juridiction
judiciaire
parce
que
leur
fonctionnement s'effectue dans les mémes conditions que les entreprises
privées similaires (Bac d'Eloka précité).
Le droit privé s'applique : aux relations du service avec son
personnel l
personnel , aux relations du service avec ses usagers2
usagers , aux relations du
service avec les tiers; les dommages subis par les tiers et imputables au
1 Conseil d'Etat, 14 décembre 1928, Billiard, Recueil, page 1316.
2 Conseil d'Etat, 13 octobre 1961, établissement companon-Rey, Recueil, page 567 et
Tribunal des conflits, 17 décembre 1962, Dame Bertrand, Recueil, page 831.

172
service, les contrats passés avec les tiers, relèvent du droit privé, sauf en
ce qui concerne les contrats contenant des clauses exorbitantes du droit
commun.
La part du droit applicable touche le personnel dirigeant du service 1,
les actes de sa création et de son organisation2
organisation , les contrats administratifs
susceptibles d'être passés avec les tiers, l'utilisation de prérogatives de
puissance publique.
Autrement dit, l'application du droit public aux établissements
pu blics
à
car actère
industriel
et
com mercial
revêt
un
car actère
exceptionnel, accessoire, et cela parce que ce service présente beaucoup de
similitudes avec les activités privées.
Cette situation française a été plus que transposée dans le Conseil de
l'Entente: la tendance à la soumission au droit commun des établissement
publics à caractère industriel et commercial y est plus à la fois nette et
plus systé matiq ue, tant au niveau du législateur qu'à celui de la
jurisprudence.
A) Au niveau du législateur
Les établissements publics à caractère industriel et commercial sont
soumis dans leur ensemble au droit privé; ce droit privé se développe de
deux manières, soit parce que le législateur qualifie trop souvent mal les
établissements publics, soit parce qu'il soumet trop arbitraire ment au droit
commun
des
personnes
qu'il
qualifie
préalablement lui-même
de
personnes morales de droit public ...
1 Conseil 'Etat, 8 mars 1957, ja1enques de Labeau. Recueil, page 158.
2 Conseil d'Etat, 10 novembre 1961, Missa, Recueil, page 636.

173
1-) Mauvaise qualification juridique des
établissements publics
On se bornera à citer l'exemple ivoirien où l'établisse ment public est
rarement bien qualifié au plan juridique, des établissements publics
ad ministratifs étant déclarés établissements publics à caractère industriel
et commercial. C'est ainsi que l'office national de for mation professionnelle
a été qualifié d'établissement public à caractère industriel et commercial
par la loi 66-614 du 23 décembre 1966 alors que sa mission consiste à
sélectionner, orienter les candidats; tout son personnel provient de la
Fonction Publique ; ses ressources sont essentiellement fiscales. Mais à
côté, il y a l'institut national de perfectionne ment permanent qui poursuit
une mission analogue et qui est qualifié à juste titre d'établissement public
ad ministr atif.
On peut se rendre compte de ces difficultés de
qualification
rencontrées par le législateur avec l'évolution des régimes juridiques de
certains
étab lisse men ts
pub lies,
tels
que
l'office
de s
postes
et
télécom m unications
(OPT),
l'office
de
la
radio diffusion télévision
ivoirienne (ORT I) et l'agence ivoirienne de presse (A IP). A leur création,
toutes ces personnes ont été qualifiées d'établissements publics à caractère
ind ustriel et com mercial ; mais dès 1964, elles ont été transformées en
régies directes ; et depuis 1974, elles sont en train d'être reconverties en
office!
Ceci dit, la mauvaise qualification n'est pas propre au législateur
africain. Même en France, il est donné de citer le cas du fonds d'orientation
et
de
régularisation
des
marchés
agricoles
(FORMA)!
qualifié
juridiquement de façon contraire à ses missions.
Mais
une
mauvaise
qualification ne
présente
pas les
mêmes
inconvénients
en
France
(vieux
pays
du
dualisme
j ur idiq ue
et
1 Tribunal des conflits, 24 juin 1968, société d'approvisionnements
alimentaires,
Dalloz, 1969, page 116, note Chevalier.

174
j uridictionneO qu'en Afriq ue, où le droit public est vivant, dynamique,
essentielle ment dans les secteurs de l'interventionnis me étatiq ue. Il est
évident que si des établissements publics administratifs par nature et par
destination sont qualifiés d'établissements publics à caractère industriel et
commercial, c'est le champ d'application du droit public qui s'amenuise
tout autant...
2-) Soumission arbitraire des établissements
publics à caractère industriel et
commercial au droit commun
Nous venons de voir que les personnes publiques secondaires sont
généralement soumises au droit commun et ce, d'autant plus que, par suite
d'une mauvaise qualification, des établissements publics administratifs
sont déclarés établissements à caractère ind ustr iel et commercial.
Ici, l'application quasi systématique du droit privé à ces personnes
résulte d'un acte arbitraire du législateur : celui-ci soumet au droit
commun des organismes qu'il qualifie lui-même d'établissements de droit
public de l'Etat et dont les statuts sont incompatibles avec cette soumission
au droit commun! L'exemple peut être pris en Haute-Volta. Dans ce pays,
les établissements publics de l'Etat bénéficient de prérogatives de
puissance publique que leurs homologues français ne connaissent pas ;
leur organisation, même interne, leur fonctionnement obéissent à des
règles particulières par rapport à celles qui régissent les entreprises
privées similaires.
L'ordonnance 74-SS/PRES/MF du 26 août 1974 1
1974
portant création de
catégories d'établissements de droit public de l'Etat et le décret 74-
29S/PRES/MF du 26 août 1974 2
1974
portant statut général de ces mêmes
1 ].0. du 5 septembre 1974, page 632.
2 Idem.

175
étab lisse men ts
mettent avantageuse ment en re lief la contradiction
existant entre les prérogatives accordées aux établissements publics en
général, aux établissements publics à caractère industriel et corn mercial en
particulier et la soumission totale de ces derniers à un régime de droit
privé.
Aux
termes
de
l'article
1er
de
l'ordonnance
"Sont
des
établisse ments
de l'Etat, les org anismes
pub lies bénéficiant de la
personnalité morale, chargés d'assurer un service public, dotés d'un
patrimoine et de moyens de gestion propres ainsi que de l'autonomie
financière
et
bénéficiant
de
prérogative s
de
droit
pub lie".
Ce s
établissements publics comprennent: l'établissement public administratif,
l'établissement public spécifique (cette troisième catégorie est bien
ob seure, tout établisse ment public étant spécifiq ue par définition) et
l'établissement public à caractère industriel et commercial.
Et ce qui est remarquable, c'est que l'établissement public à caractère
ind ustriel et commercial a les mê mes statuts que l'établissement public
administratif d'une part et d'autre part que beaucoup d'établissements
publics
à caractère
industriel et commercial
mènent des
activités
ad ministratives aussi importantes sinon plus importantes que les activités
industrielles ou commerciales.
a) Des statuts CDmmuns
Les règles d'organisation et de fonctionnement de l'établissement
public à caractère industriel et commercial sont celles-mêmes qui
régissent l'établissement public administratif:
- l'établissement public à caractère industriel et commercial est créé
par décret (ou par la loi pour les catégories d'établisse ments, depuis la
mise en œuvre de la constitution du 13 décembre 1977) ;

176
- les autorités exécutive et délibérante sont nommées par décret en
Conseil des Ministres;
- tout le personnel cadre relève de la Fonction Publique et comprend
des fonctionnaires titulaires de l'Etat mis à la disposition de l'établisse ment
et les fonctionnaires détachés au près de l'établisse ment; seul le personnel
sub alterne est recruté sur contrat de travail ;
- toutes
les ressources
de
l'établissement
public
à caractère
industriel ou commercial sont d'origine publique;
- les décisions du conseil d'ad ministration ne sont exécutoires
qu'après l'approbation expresse ou implicite de l'autorité de tutelle;
- la réglementation générale des marchés de l'Etat lui est applicable
(article 8 du décret susvisé) ;
- la procédure de mise en liquidation est purement administrative;
- l'établissement public à caractère industriel et commercial peut
exproprier et percevoir des taxes;
- la comptabilité de l'établissement public à caractère industriel et
corn mercial peut être tenue dans les for mes propres à la comptabilité
publiq ue sous la responsabilité d'un agent comptable, chef des services de
la comptabilité (article 63 du décret).
Ceci étant, si le législateur a entendu donner à l'établissement public
en général, à l'établissement à caractère industriel et commercial en
particulier une telle place, n'est-ce pas que cela im pliq ue l'application à
l'établissement public d'une large part du droit public?
La soumission de l'établissement public à caractère industriel et
commercial au droit commun est, semble-t-il, l'expression d'une servile
assimilation de la situation française,
d'une hâtive
adoption de la
jurisprudence française.
Si, en France, l'établissement public à caractère industriel et
commercial est largement soumis au droit commun et exceptionnellement

177
ou accessoirement au droit public, en Afrique en revanche, c'est le droit
public qui devrait l'emporter sur le droit privé.
Deux raisons à cela : la pre mière est qu'en France le droit
administratif est apparu au point de départ comme un moyen de
limitation du pouvoir étatique, donc une source de libertés individuelles;
il ne faut pas passer sous silence le fait que le service public est un pur
produit de la tradition libérale qui a constitué un contrepoids utile et bien
faisant au Jacobinisme issu de 1789 ! Et ce n'est pas pour rien que l'Etat a
été même défini comme un ensemble de services publics et que le service
public a été le critère idéal de l'application du droit ad ministratif.
En d'autres termes, le droit administratif est la traduction de la
philosophie libérale née de
1789, laquelle affirme la primauté de
l'individu sur le groupe et fait de l'Etat beaucoup plus un arbitre des
intérêts particuliers qu'un capitaine du jeu économique national.
En Afrique en revanche, la conception communautaire qui prévaut
commande que le droit administratif, loin d'être un frein à 'l'activité
administrative et à la liberté d'action de l'Etat, soit au contraire un moteur,
un outil privilégié de l'administration de développe ment. Dans les pays
africains sous-développés, de tradition communautaire, en guerre contre la
misère et la pauvreté, c'est le droit public qui devrait s'appliquer à toute
initiative statale ou parastale, car, comme l'avait écrit Portalis dans le
discours préliminaire au code civil, "en révolution, tout devient droit
public".
La deuxième raison tient justement au fait que dans ces pays sous-
développés, l'établissement public à caractère industriel et commercial est
l'instrument de l'interventionnisme étatique dans le secteur secondaire et
tertiaire tout com me la société d'Etat l'est dans le secteur primaire. Dans la
mesure où l'Etat doit se charger de toutes les actions de développement, il

178
faut reconnaître qu'il n'y a pas de raisons objectives de soumettre ces
personnes publiques à un droit égalitaire.
Ce point de vue est d'autant plus pertinent que l'établisse ment public
à caractère industriel et commercial se voit parfois chargé par le
législateur de missions incompatibles avec sa qualité de service public à
caractère
ind ustriel
et
com merci al.
L 'exe m pIe
peut
être
pris
de
l'ordonnance
74-67/PRES/CODIM
du
17
octobre
1974 1
1974
confiant la
com mercialis a tion
de s
prod uits
agricole s
à
de s
org anis me s
et
établissements publics de l'Etat. Cette ordonnance a réservé l'exclusivité de
la
collecte
pri maire
des
céré ale saux
org anis me s
régiona ux
de
développement (ORD), celle de la commercialisation de ces mêmes céréales
à l'office national des céréales (OFNACER). L'article 3 de ladite ordonnance
stipule par ailleurs que "Les ORD et l'OFNACER peuvent agréer des
com merçants,
sociétés
ou
organis mes
d'Etat
pour
assurer
la
commercialisation (des produits ci-dessus cités) sous leur contrôle".
Deux observations s'imposent: d'abord, un service public à caractère
industriel ou commercial qui bénéficie d'un monopole n'est véritablement
plus un service public à caractère industriel ou commercial. Il reste par
conséquent à déterminer la situation juridique de ces services jouissant
d'un monopole de droit en matière commerciale; ensuite, est-il possible
que les décisions prises par les ORD ou l'OFNACER, dans le cadre de ce
fameux
article
3
sus-mentionné,
ne
revêtent
pas
un
caractère
ad ministratif ? Le pouvoir d'agréer n'est-il pas susceptible d'un recours
pour excès de pouvoir ! Et pourtant, le législateur a soumis les ORD et
l'OFNACER entièrement au droit privé et à la compétence de la juridiction
judiciaire: c'est, il faut le dire, un non-sens grossier, susceptible de porter
d'ailleurs préjudice à 'l'action de ces personnes publiques.
1 ].0. du 17 octobre 1974, page 722.

179
b) Activités administratives aussi ou plus importantes
que les activités industrielles ou oommerciales
En dehors du secteur bancaire, tous les autres établissements publics
à caractère industriel et commercial sont souvent chargés également de
missions proprement administratives; il s'agit d'encadrer, de former, de
recycler ceux-là mêmes qui sont appelés à dynamiser le secteur considéré,
à susciter l'initiative privée jusque là carente. Il en est ainsi encore de ces
mêmes organismes régionaux de développement (ORD). Le décret 75-
l14/PRES/PL/DR/ET IMF du 21 mars 1975' qui définit leur statut type
leur assigne comme missions:
- d'étudier et de proposer au Ministre chargé du développement
rural toutes les mesures tendant à assurer et à faciliter l'exécution de la
politique du développement économique et social de la région, dans le
cadre de la politique nationale de développement;
- d'assurer l'application de ces mesures, soit par intervention directe,
soit en coordonnant et en contrôlant l'action des différents organismes
publics ou privés, en vue de promouvoir le développement économique et
social des populations de son ressort territorial. A ce titre, ils participent à
la conception et sont responsables de l'organisation et de la mise en œuvre
des programmes de développement rural.
Ce s
mis sions
ne
sont-elles
pas
ad ministra tives
?
L'activité
commerciale est bien maigre puisqu'elle consiste à vendre aux paysans
encadrés des charrues, des engrais, des semences sélectionnées, des races
d'animaux (poules, dindons, veaux, porcs etc.. J. Mais il reste et il demeure
que l'activité importante consiste à former des paysans modernes et à les
initier aux techniq ues de gestion modernes des petites entreprises
familiales.
1 ].0. du 27 mars 1975. page 209.

180
Ces activités administratives générales, communes à tous les ORD,
peuvent être développées pour un ORD, donné et apparaît comme
l'essentiel de ses missions; à cet effet, chaque ORD dont le champ d'action
recouvre un département, a un statut particulier qui précise davantage ses
buts au regard des réalités économiques, sociales et culturelles du
départe ment considéré. Par exemple, le statut particulier de l'ORD de
Koudougou (département du centre ouest) dispose en son article 5 que
TORD" a notam ment vocation pour assurer:
- l'animation et l'encadrement de la population en vue de son
association
à
l'élaboration
et
à
l'exécution
des
programmes
de
développement rural, en étroite liaison avec les représentants des services
techniq ue s concernés, les collectivités rurales, les coopératives, les
organisations professionnelles;
- la formation complémentaire, le perfectionnement, l'adaptation, la
spécialisation des cadres et des agents des services et organismes
concernés;
- l'organisation et la formation professionnelle des agriculteurs, des
éleveurs, des artisans ruraux;
- le perfectionnement des anciens élèves de l'éducation rurale
destinés à jouer le rôle d'animateurs paysans;
- en liaison avec les collectivités rurales, la préparation et l'exécution
de program mes régionaux d'infrastructures ou d 'éq uipements d'intérêt
rural. A cet effet, l'ORD peut exécuter directe ment toutes les opérations ou
en confier, sous contrôle, la réalisation à des organismes publics, privés ou
coopératifs.
Ainsi, le doute n'est plus permis sur le caractère administratif des
activités dont il s'agit. Et l'Etat lui-même a accordé à l'ORD, chargé de
promouvoir,
par
application
des
directives
gouvernementales, le
développement
local,
de
nombreuses
prérogatives.
Et
l'ORD
est

181
véritablement un établissement de droit public de l'Etat comme l'a déclaré
le législateur lui-même:
il est créé par décret et dissout dans les mêmes
formes ; le directeur est un fonctionnaire
nommé
par
décret sur
proposition du Ministre chargé du développement rural ; son conseil
d'administration, présidé par le préfet du départe ment, est composé de
directeurs des services centraux ou leurs représentants locaux. Ses
délibérations doivent être approuvées par les Ministres de tutelle : dans
un
délai
maximum
d'un
mois
après
chaque
séance
du
conseil
d'administration, une ampliation du P.V. des délibérations est déposé aux
cabinets du Ministre chargé du développe ment rural et du Ministre des
finances (article 21 des statuts). Ces délibérations peuvent être frappées
d'opposition dans les quinze jours suivant la date de remise du P.V. aux
cabinets ; elles deviennent exécutoires, soit par l'expiration du délai de
quinze jours à partir de la date de dépôt au cabinet des Ministres, soit par
un avis de non opposition des Ministres de tutelle.
En cas d'opposition, les Ministres de tutelle statuent et notifient leur
décision dans un délai de un mois à partir de l'opposition; passé ce délai,
les délibérations deviennent exécutoires.
Toutes les délibérations relatives à l'é mission des emprunts et au
placement des disponibilités ne peuvent devenir exécutoires qu'après
approbation expresse du Ministre des Finances.
Le personnel de l'ORD comprend en majorité des agents de l'Etat,
savoir les agents titulaires de l'Etat mis à sa disposition, les agents
titulaires de l'Etat détachés qui conservent leur qualité de fonctionnaire et
l'intégralité des droits et prérogatives attachés à leur statut, les agents
temporaires de l'Etat assujettis au régime fixé par la loi 50-60/ AN du 25
juillet 1960. La dernière catégorie de personnel, étrangère à l'Etat, est
constitué par les "agents recrutés dans les conditions prévues par le code

182
du travail", c'est-à-dire, dans la pratique, le
personnel subalterne
(chauffeurs, dactylographes etc).
Le contrôle de gestion est assuré par un commissaire aux comptes
nommé par le Ministre des Finances; l'ORD est soumis aux vérifications de
l'inspecteur général des Finances.
L'ORD a le pouvoir d'exproprier pour aménager les terres non
habitées ou non mises en valeur ; il exerce une tutelle sur tous les
organismes publics ou privés locaux auxquels l'Etat a confié des tâches de
promotion sectorielle.
Au regard de tout ce qui précède, il apparaît complètement absurde
de soumettre tout l'ORD au droit commun: l'ORD, établissement public à
caractère industriel et commercial, personne morale de droit public dont
toutes les ressources sont d'origine publique, est amené à édicter des actes
de nature administrative susceptibles d'excès de pouvoir et susceptibles
d'engager la responsabilité de la puissance publique.
D) Au niveau de la jurisprudence
Il n'y a pas que le législateur pour sou mettre de façon inexplicable
au droit com m un les établisse ments publics à caractère ind ustriel et
commercial, et ce, faut-il le rappeler, dans leur ensemble alors que leurs
statuts, les missions assignées, les privilèges accordés, l'organisation et le
fonctionnement n'ont pas leurs semblables dans le secteur privé. La
jurisprudence également se trompe de continent et de pays en voulant
assujettir au droit commun, et de façon globale, les personnes publiques
secondaires. La Côte d'Ivoire suffit à illustrer cette affirmation. L'article 73
de la loi 61-201 du 2 juin 1961 déterminant la composition, l'organisation,
les attributions et le fonctionnement de la cour suprême de Côte d'Ivoire
stipule que "la chambre ad ministrative connaît des pouvoirs en cassation

183
dirigés contre les décisions rend ues en dernier ressort dans les procéd ures
où une personne publique est partie".
En clair, chaque fois que les tribunaux ordinaires auront affaire à une
personne publique, ils devront faire application des règles du droit public
et la cassation de leurs décisions n'est possible que devant la chambre
administrative de la cour suprême. Le critère du droit applicable est
simple : il suffit que l'une des parties au conflit soit une personne
publiq ue; donc c'est un critère organiq ue. En conséq uence, les litiges
relatifs à l'Etat, aux collectivités publiques territoriales, aux établissements
publics doivent être réglés selon les règles du droit public. C'est ce que le
législateur a entendu.
Mais la jurisprudence entend autrement: elle délaisse le critère
organique au profit d'un critère matériel: ce n'est pas la qualité de la
personne qui est retenue comme il se devait mais l'activité menée par
celle-ci ! Du coup, l'établissement public à caractère industriel et
commercial, personne publique par définition, se trouve soumis au droit
commun à cause de son activité industrielle et commerciale.
Le juge administratif ivoirien a opéré de cette manière dans un arrêt,
au demeurant très contestable, qui a eu un écho aussi célèbre que le Bac
d'Eloka dont il prend le contre pied : il s'agit de l'arrêt Société des
Centaures Routiers ci -dessus évoqué, alias Bac de Moossou du 14 janvier
1970, par lequel la chambre administrative refusa le caractère industriel
et commercial à un service qui, en France, le présente. Les faits de l'espèce
méritent d'être explicités: le 17 mai 1961, un camion de la requérante,
après avoir effectué la traversée de la lagune dans les mêmes conditions
que dans le Bac d'Eloka, avait subi d'importants dommages lors du
déb arque ment. Le trib una1 de pre mière instance d' Abidj an, saisi de
l'action en responsabilité contre l'Etat, avait retenu sa compétence et
déboutait la requérante, par un jugement rendu le 24 mai 1962, au motif

184
que l'article 1er
1
de l'arrêté du 3 septe mbre 1958 réglementant le passage
des véhicules à bord des bacs disposait que "tout véhicule embarquant à
bord
d'un bac effectuera son embarquement, sa traversée et son
débarquement à ses risques et périls".
La cour d'appel d'Abidjan infirmait ce jugement le 8 février 1963 en
se déclarant incompétente pour connaître d'un litige où était mise en cause
la responsabilité de l'Etat. La chambre administrative, saisie pour la
pre mière fois, cassait l'arrêt de la cour d'appel et renvoyait l'affaire devant
la même cour autrement composée. La cour d'appel, saisie sur renvoi,
rendait le 26 avril 1968 un nouvel arrêt déboutant à nouveau la
requérante en se fondant, non pas comme le tribunal de première instance
sur la clause de non-responsabilité prévue par l'article 1er
1
de l'arrêté du 3
septembre 1958, mais sur le fait que dans un contrat de transport, les
dommages subis lors du débarquement sont supportés par celui à qui le
déb arq uement incombe (autre ment dit le conducteur), à moins que ce
dernier ne prouve une faute de l'autre partie ; la société des centaures
routiers, en n'établissant pas que l'administration ait commis une faute, ne
pouvait pas en conséquence demander réparation.
Saisie une seconde fois en cassation. la chambre administrative, par
l'arrêt du 14 janvier 1970. décidait que le Bac de Moossou est un ouvrage
public et que son exploitation est un service public ad ministratif, d'où la
responsabilité de l'Etat, écartant de ce fait l'arrêté du 3 septembre 1958
qui selon elle, ne pouvait avoir légalement pour effet de déroger aux
principes qui régissent la responsabilité de la puissance publique.
Ainsi, l'Etat ivoirien qui exploitait ce Bac, dans les mêmes conditions
qu'un
entrepreneur
privé,
était
déclaré
responsable
pour
défaut
d'entretien normal de l'ouvrage public.
L'interprétation faite par la juridiction et qui a abouti à qualifier le
Bac de Moossou d'ouvrage public et son exploitation de service public

185
administratif ne présente ici aucun intérêt. Ce qui importe, c'est de se
rendre compte que le juge a écarté la personne publique qui exploitait le
Bac, c'est-à-dire l'Etat, pour ne voir que l'activité elle-même (même si le
procédé a fini par donner des résultats identiques, à savoir l'appréciation
de cette responsabilité selon les règles du droit public). Et il faut redouter
que cette
jurispr udence
(q ui
a sou mis
une activité ob jectivement
industrielle et commerciale au droit public et à la compétence de la
juridiction ad ministrative), après avoir méconnu celle du Bac d'Eloka et
ressuscité celle du vieil arrêt Blanco, n'aboutisse à soumettre toutes les
initiatives publiques à un bloc de droit, puisque seule l'activité est prise en
compte.
Sous-paragraphe II : La société d "Etat
Il convient de s'arrêter en Côte d'Ivoire où les sociétés d'Etat sont
très nombreuses parce que constituent les moyens d'intervention de l'Etat
dans l'agriculture.
Les sociétés d'Etat ivoiriennes ont connu deux régimes juridiques
successifs avec la loi du 22 mars 1962 et la loi du 5 novembre 1970.
A) La loi du 22 mars 1962
La loi du 22 mars 1962 disposait en son article 1er : "Il est institué
une catégorie d'établisse ments publics, dits sociétés d'Etat, destinés à
favoriser la mise en valeur des richesses de la nation".
Seule ment, le législateur a omis de préciser le régime juridique
applicable à cette "catégorie d'établisse ments publics". Et c'est la cour
d'appel d'Abidjan qui l'a déterminé par un arrêt en date du 3 octobre
1966 en décidant que ces sociétés d'Etat n'avaient pas le caractère de
personnes morales de droit public "parce que le législateur n'a pas
expressément qualifié les sociétés d'Etat d'établissements publics". En

186
d'autres termes, les sociétés d'Etat étaient des personnes morales de droit
privé!
La solution était, là encore, aberrante; elle ne s'expliquait pas:
- d'abord, même si le législateur n'avait pas expressé ment qualifié
les socié lés d'Etat d'établisse ments publics, il de meurait qu'il avait
entendu les ranger parmi les établissements publics: "Il est institué une
catégorie d'établissements publics, dits sociétés d'Etat...". On ne voit pas
comment des personnes morales de droit privé peuvent constituer une
catégorie d'établisse ments publics
- ensuite, les règles d'organisation et de fonctionne ment de ces
sociétés d'Etat sont exorbitantes du droit commun.
A la vérité, cette solution n'a qu'une seule signification: comme dans
l'affaire société des centaures routiers, la cour d'appel exprime bien la
répugnance des juridictions ordinaires à trancher les litiges où une
personne
pu bliq ue
e st
partie
selon
le s
règle s
et
la
procéd ure
administrative.
D) La loi du 5 novembre 1970
Ce texte a tenté une mise en ordre juridique dans les entreprises
pu bliq ues.
Le
secteur
économiq ue
public englob e
selon 1ui
1
: le s
établissements publics; les sociétés d'Etat; les sociétés d'économie mixte.
Son
article
2
définit
les
sociétés
d'Etat
corn me
étant
"des
établisse ments publics à caractère industriel et corn mercial, dotés de la
personnalité civile et de l'autonomie financière". En conséquence, le régime
juridique applicable aux sociétés d'Etat est celui-même des établissements
publics à caractère industriel et corn mercia1.
Précisément en Côte d'Ivoire, les prérogatives de puissance publique
dont jouissent les sociétés d'Etat sont très importantes. Quelques éléments

187
de leur statut montrent qu'elles ne peuvent être prises pour des personnes
morales de droit privé; ainsi:
- la société d'Etat est créée et dissoute par la loi ou le règle ment;
- elle ne peut être mise en liquidation judiciaire sur initiative des
créanciers (article 18 de la loi du 5 novembre 1970) ; au contraire, les
articles 31 du décret 72-86 du 28 janvier 1972 organisent une procédure
de mise en liquidation purement administrative;
- les travaux peuvent être publics (article 6 de la loi précitée) ;
- toutes les autorités de la société d'Etat sont nommées par l'Etat
(directeur, comptable, conseil d'administration;
- les ressources sont exclusivement d'origine publique;
- la société d'Etat peut exproprier pour cause l'utilité publiq ue ;
- la tutelle administrative est organisée par le décret n° 72-08 du Il
janvier 1972 : il est prévu un contrôle à priori sur les personnes et sur les
actes, et un contrôle à postériori sur les comptes.
En conclusion, le régime juridique des établissements publics à
caractère ind ustriel et commercial et des sociétés d'Etat devrait comporter
une plus grande part de droit public, parce que ces personnes morales sont
des émanations directes de l'Etat développeur, appelées à exercer de ce
fait des prérogatives exorbitantes ; c'est contradictoire de les "charger
d'une mission de service public" (le mot est du législateur lui-même) et de
les soumettre dans leur ensemble au droit commun. On ne doit pas fermer
les yeux sur leur mission et leur raison d'être dans des pays pauvres sans
initiative privée; on doit moins le faire sur leurs statuts sans équivalents
en droit français : en droit ivoirien par exe mple, une société d'Etat peut
être constituée par l'association de personnes morales de droit public
ivoiriennes avec des personnes morales de droit public étrangères !
Autre ment dit, les établisse ments publics à caractère industriel et
commercial et les sociétés d'Etat, parce qu'ils sont chargés de promouvoir

188
le
secteur
primaire
essentiellement
et
le
secteur
secondaire
subsidiaire ment, assu ment des tâches ad ministratives importantes qui le
disputent aux activités industrielles ou commerciales.
Cela signifie une plus large soumission de leur activité au droit public
(en France, même le Tribunal des conflits a tenu ce raisonnement dans
l'affaire Guis contre office national de la navigation du 10 février 1949) l,
un droit public qui, en Afriq ue, doit appuyer l'action administrative alors
que dans l'ex- métropole, c'est le contraire qui a été recherché dans un
contexte de libéralisme économique et en présence d'une initiative privée
abondante et dynamique.
Sous-paragraphe III : La société d"éalnomie mute
Dans le cadre du Conseil de l'Entente, les sociétés d'économie mixte
ne sont pas considérées comme des personnes publiq ues ; ce sont des
personnes privées soumises entièrement au droit com mun.
Cette
sit ua tion,
plu s
logiq ue,
n' ap pe lle
a ucune
ob serva tion
particulière. En Côte d'Ivoire par exemple, est société d'économie mixte
celle où l'Etat ivoirien détient au moins 10% du capital. En Haute-Volta,
l'ordonnance 74-57/PRES/MF du 26 août 1974 portant statut général des
sociétés d'économie
mixte 2
mixte , dispose en son article 1er
1
que "sont des
sociétés d'économie mixte, les sociétés anonymes dans lesq uelles l'Etat ou
une
collectivité
pu bliq ue
intervient
en
q uali té
d'actionnaire
ou
d'obligataire et sur lesquelles il entend exercer un contrôle ad ministratif
interne dérogatoire aux règles du droit commercial".
Cela fait apparaître claire ment que le régime de droit privé
applicable n'est pas exclusif d'un droit public minimum. En effet, les
1 Recueil, page 590.
2 ].0. du 5 septembre 1974, page 640.

189
dispositions particulieres dérogatoires au droit commun sont relativement
im portantes :
- les statuts de la société d'économie mixte doivent être approuvés
par décret présidentiel, ainsi que les modifications apportées à ces statuts;
- la répartition du capital social est faite par voie régIe men taire : les
actions sont réparties par l'Etat en deux catégories ; les unes dites de
categorie
A ne
peuvent appartenir qu'à l'Etat ou a une collectivité
publique; les autres dites de catégorie B peuvent être détenues par tout
au tre associe.
Mais, 11 reste toutefois que les sociétés cl'économie
mixte sont
appelées à ob!. il' dan:--' leur ensemble aux régIes du droit corn mun.
Paragraphe II : Le critère de "activité ad ministrative
Ce critére, com me on le sait, exclut de la compétence de la juridiction
ad ministrative :
10) les litiges entre particuliers;
2 0) les litiges nés de l'activité législative (lois, actes par le mentaires,
reglements
administratifs
valides.
actes
adillinistratifs
violant
indirectement une règle constitutionnelle). En ce qui concerne les actes de
nature législative, il a été donné à plusieurs reprist.:s au juge de se déclarer
incompétent puur connaître d'une ordonnance ayant force de loi. Ainsi en
a-t-il été dans l'affaire BONKOUNGOU Honoré et deux autres contre
gouvernement de Haute-Volta du
23 octobre
1970 : par arrêté n°
l19/1S/DIIC du 24 avril 1968, les requérants avaient été reclassés dans le
corps
des
agents
municipaux
; mais
le
25
mars
1970, l'arrêté n°
86/1S/DIIC intervenait pour stipuler en son article 1er que les intéressés,
victimes d'une réductioll de traitement, conservaient, à titre personnel et
de droit acquis, le bénéfice de la sU1Je qu'ils percevaient jusqu'à ce que,
par le jeu normal ete l'avancement, ils atteignent ou dcpa<;sent cdte solde;

100
~~cUiC'lllCI1I, 1',lrlICk ~ liulill al"rcle fixait au
1er avril
{\\)70,
la date de
bencl'ice de celle solde: cette dernière dispositiun fit l'objet du recours
puur exces de II\\)Uvolr. La défenderesse, quant à elle, justifiait cet article 2
par le rail que 1\\/1 Junnance (1()-066/PRES du 28 novembre 1969 disposait
en son article 1el'
1
que "les reconstitutions de carrière des fonctionnaires
Cl u i in tervie nne nt a la su i te de décisions gracie uses ou conten tie uses n'ont
d'erret, du pllint de vue de la solde, qu'à compter du jour où son prises
le sdl tes d e('i
( ,~ !( ) n s "
1'<' JLlj:(' ~;t:>l l't'rUse de connaître de 'l'acte attaqué parce que ce
kl'llicl"
sc
IOnll,111
SUI"
une
ordonnance
ayant
valeur
<.le
loi,
clonc
insu~;ccpllblc t1c recoul"s pour l'"ces de pouvoir:
i\\llcndu (JII\\.'
::'11 c~;t permis de douter de l'opP0l"tunite de l'arrete
l'n CHlse, sa Iq.:alllC pal" cuntre ne peut étre contestee puisqu'elle decoule
de j'ordllnnance du 2X novemhre 1<J()<)
1
qui a force de loi; que la chambre
administrative, lIui n'est pas Juge de la constitutionnalité des lUIS, n'a donc
pas a exercer un col1lrole sur un texte legislatit """
3") Les litiges dccoulant du fonctiunnement de la justice judiciaire
1°) Les actes de gouvernement:
en ce qui concerne le Conseil de !'Entente, ce critère ne soulève aucun
problcme particulier, du reste rouI' le moment, le juge n'ayant jamais eu
l'occasion de sc pr()nonccr sur ces dilTerents litigc~;.
Ccci cLint, Il raut I",lire remarquer que la juridiction locale a adorté
!l'Ile llLll.'l1c la th('(liiC dile des matieres traditionnellement reservèes au
Juge judiCIaire
l,a chamhre administrative de la cour suprême de llaute Volta s'est
lleclaree incillH pctente en matière de vOIe de fait dans J'affaire ZANGRE
une clellheration n° 2/C() du 27 mars 1972, l'autorité communale avait
decide, en vlol,j[]()n totale des prc:;criptions imrèratives de la loi n° 77/AN

191
du 18 juillet 1960 portant réglementation des terres du domaine privé de
l'Etat, l'abattage des édifices des requérants. Cette atteinte à la propriété
privée constituait une voie de fait relevant de la compétence du juge
ju dici aire :
"... Attendu
que les requérants furent victimes d'une mesure
tellement illégale et arbitraire qu'elle est susceptible de constituer une
véritable voie de fait ;
"... Attendu que la voie de fait dont se put rendre coupable la
défenderesse en exécutant d'office, dans des conditions parfaitement
illégales,
une
délibération qui ne l'était
pas
moins, ressort de la
compétence exclusive des tribunaux de l'ordre judiciaire et que n'en
saurait connaître la chambre administrative ... "
En définitive, le critère de l'activité administrative est entendu de la
même manière qu'en France; et c'est, au demeurant, le critère le plus
Objectif.
Sous-Chapitee deUIième: Les compétences consultatives
Dans le cadre de l'organisation sous-régionale, des compétences
.
consultatives ont été dévolues à la cour suprême en sa qualité de juge
unique
ou
suprême
de
l'administration.
Mais
ces
compétences
consultatives, très étendues en droit, ne prêtent à rien en fait pour tous les
pays concernés ; non seulement la cour suprême est très rarement
consultée, mais encore l'attribution desdites compétences consultatives à la
chambre constitutionnelle annule tous les avantages escomptés au plan du
contrôle juridictionne1. II convient de voir le contenu des compétences
consultatives de la cour suprême avant de dégager les observations que le
système appelle de notre part.

192
Section 1 - Les contenu des compétences consultatives
Paragraphe 1 : Etendue et procédure applicable
Dans les Etats du Conseil de l'Entente, les fonctions consultatives de la
cour suprême sont, en droit, presqu'aussi étendues que celles du Conseil
d'Etat français.
En effet, la cour suprême est appelée à donner
son avis au
gouverne ment :
- sur les projets de lois, d'ordonnances ou de décrets qui peuvent lui
être soumis avant leur adoption par le Conseil des Ministres
et sur les
projets de décrets modifiant les textes de forme législative intervenant en
des matières réglementaires antérieurement à l'entrée en vigueur de la
constit ution.
Certains Etats ont même accordé à la cour suprême un pouvoir
général: au Bénin, la loi dispose qu'elle peut être consultée sur toutes les
matières administratives et juridictionnelles.
Ceci dit, les fonctions consultatives de la cour suprême sont exercées
par la chambre constitutionnelle (au Sénégal, par une assemblée générale
consultative). A cet effet, il est prévu une procédure particulière, mais plus
ou moins élaborée selon les Etats; exemples:
- en Haute-Volta, la chambre constitutionnelle est saisie par le
Président
de
la
République
mais également
par
les
me mbres
du
gouvernement pour les arrêtés émanant d'eux. Une fois saisie, la chambre
constitutionnelle, siégeant à trois membres au moins, a un mois pour
rendre son avis; en cas d'urgence, ce délai peut être raccourci par le chef
du gouvernement, sans cependant être inférieur à trois jours. La loi ne
précise pas si l'avis rendu doit être motivé et si la chambre peut exercer
un contrôle d'opportunité ou pas ; ce n'est pas le cas du Bénin où l'article 2

193
de l'ordonnance 21 IP.R. stipule que "la cour suprême ne peut se prononcer
sur l'opportunité des projets qui lui sont soumis" ;
- en Côte d'Ivoire, la procédure est plus élaborée qu'en Haute-Volta.
Saisie par le Président de la République, la chambre constitutionnelle siège
à huis clos à six membres au moins sans délai imparti; elle peut procéder,
précise la loi, à toute mesure d 'instr uction, nota m ment entendre tout
expert et se faire communiquer tous documents utiles. Elle a obligation de
donner des avis motivés, contenant la résolution finale et, le cas échéant,
ses suggestions. Les avis doivent être signés du Président et du secrétaire
général de la cour suprême ; ils sont communiqués uniquement au
Président de la République qui reste juge de l'opportunité de les rendre
publics;
- au Niger, la procédure à suivre devant la chambre constitutionnelle
est plus détaillée. Comme dans les autres cas, la chambre constitutionnelle
est saisie par le Président de la République mais ne peut délibérer
qu'après que son Président ait désigné un rapporteur et entendu le
rapport de ce dernier ainsi que l'avis du procureur général. L'avis de la
chambre
constitutionnelle,
pris
par cinq
membres
au
moins,
doit
mentionner le nom des membres qui y ont participé; il est motivé, signé
du Président et du greffier en chef de la cour suprême et communiqué
exclusivement au Président de la République Qui, comme en Côte d'Ivoire,
reste juge de l'opportunité de le publier.
Paragraphe Il : Les résultats
La saisie de la chambre constitutionnelle est facultative pour tous les
projets
de
textes
législatifs
ou
réglementaires.
Il
n'est
requis
obligatoirement qu'en matière de délégalisation des textes de forme

194
législative intervenues dans le domaine du régie ment antérieurement à
l'entrée en vigueur de la constitution!.
Ce caractère facultatif explique sans doute la rareté des demandes
d'avis. En Haute- Volta, depuis sa création à nos jours, la cour su prême a
rendu quelques avis et rien depuis le coup d'Etat de 1966.
En considérant l'importance de la législation dans ces pays
en
organisation",
cette
faiblesse
des
fonctions
consultatives
indique
clairement que les gouvernants sont les premiers à ne pas en saisir la
portée et le rôle exact.
Même dans des
pays beaucoup
plus
marqués
par le système
administratif
de
l'ex-métropole
comme
le
Sènégal,
les
fonctions
consultatives de la cour suprême demeurent un vain mot; les statistiques
des avis émis par l'assemblée générale consultative de la cour suprême
sénégalaise,
durant les huit premières
années
de son existence le
dé montrent:
ANNEE
PROJETS DE LOIS
PROJETS DE
TOTAL
DEMANDES
ET ACCORDS
DECRETS
D'A VIS
INTERNA
TIONAUX
1960(18-
20
44
64
1
10-60l
1961
68
129
197
1
1962
75
1 12
487
1
1963
69
126
195
1
1964
66
134
200
4
1965
66
1 11
177
1
1966
61
107
168
4
1967
49
116
165
1
SOURCE: Revue sénégalaise de droit, 1968, n° 4.
1 Article 28 de la loi ivolflenne 61-201 du 2 juin 1961; article 20, alinéa 2 de la loi
voltaïque 61-28 du 15 juillet 1961.

195
Au total, la cour suprême n'a pu être saisie que de quatorze projets
de textes législatifs ou réglementaires sur les 1353 élaborées en huit ans
C'est trop peu.
Section II : La valeur du système d"organisation des
compétences consultatives
Telles
qu'elles
sont organisées, les compétences consultatives
constituent d'une part un moteur à l'arbitraire de l'administration et de
l'autre, un frein à son contrôle juridictionnel. Ces deux idées peuvent
aisément être mises en relief...
Paragraphe 1 : L"organisation des compétences
consultatives. un moteur à I"arbitraire
de I"administration
On peut valablement se poser la question de savoir quel a été le but
recherché par cette organisation des compétences consultatives. L'exemple
français ne manque pas d'éclairage. En effet, en France. c'est le juge de
l'administration qui est à la fois conseiller de celle-ci : les sections
administratives du Conseil d'Etat ont pour tâche de faire la toilette des
projets gouvernementaux aussi bien en la forme qu'au fond. Bien que
l'avis des sections ad ministratives ne lie pas la décision de la section
contentieuse, et que cette dernière puisse annuler au contentieux un acte
administratif qui avait revêtu un avis favorable des autres sections au
plan de la légalité, il reste et il demeure que cet avis est en lui-même une
barrière contre les irrégularités manifestes, un garde-fou à l'arbitraire
ad ministratif. Or, dans le systè me en vigueur au Conseil de l'Entente, le
juge de l'ad ministration n'est pas conseiller de cette dernière. C'est la
chambre constitutionnelle, organe politique et non technique, qui rend ses

196
avis dans une matière qu'elle n'est pas préparée à connaître; on voit par
là même ce qui a été recherché par cette organisation des compétences
consultatives: l'administration veut éviter au maximum un contrôle à
priori de ses décisions! Ce n'est pas pour rien que dans la majorité des cas,
il est dit expressément que l'avis est communiqué au seul chef de
l'Exécutif qui "reste juge de l'opportunité de le rendre public". Il s'agit là
d'une méfiance vis-à-vis du juge administratif mais aussi d'une défiance.
Méfiance parce qu'un juge administratif qui connaîtrait à priori de la
régularité des actes administratifs par voie consultative, se refuserait
difficilement de les annuler par voie contentieuse si l'administration passe
outre à l'avis motivé.
Défiance parce que l'administration a entendu imposer au juge de
l'administration sa philosophie du droit: le droit administratif, dans le
contexte africain, ne doit point être une limitation aux pouvoirs de
l'administration, mais au contraire un renfort.
Le juge est invité à contrôler l'administration non point dans l'intérêt
des individ us, mais plutôt dans celui de l'ad ministration, chargée de
l'intérêt général. Et la recherche de cet intérêt général ne saurait être
entravée par des considérations juridiques, d'où la dévolution des
compétences consultatives à un organe politique, nécessairement lié au
pouvoir politique; et d'où également le risque croissant de l'arbitraire:
décidée à élever
un ordre nouveau
sur les ruines
de
la
société
traditionnelle, l'administration ne saurait, sans verser dans la paralysie,
laisser le soin et la liberté à son juge de tracer son plan d'action, fut-il
indicatif: ce n'est point seulement une perte de temps, c'est aussi et
surtout que la vue du "conseiller-contrôleur" n'est pas à la hauteur de celle
de l'acteur politique. L'arbitraire administratif est alors d'autant plus accru
que
l'ad ministration
d'une
part ne recourt guère
à la
procédure
administrative non contentieuse qui permet un dialogue fructueux entre le

197
législateur et le sujet de droit, et partant, prépare la réceptivité de la règle
nouvelle en suscitant l'opinio nécessitatis et, d'autre part, ne motive pas
ses actes com me le juge motive ses décisions. En som me, l'activité
administrative apparaît aux yeux des administrés comme un théâtre
d'ombres et, un théâtre devant des gradins déserts!
Et il Y a pis ... Il y a que cette organisation des compétences
consultatices constitue un frein au contrôle juridictionnel même de
l'ad ministr ation.
Paragraphe II . L·organisation des compétences
consultatives. un frein au contrôle
juridictionnel de I"administration
Il faut partir du principe que nul ne peut contrôler efficacement que
ce qu'il connaît. Or, le juge africain de l'administration est étranger à la vie
ad ministrative ! Cela est vrai, quelle que soit la formule d'organisation des
compétences; par exemple:
- en Côte d'Ivoire et au Niger, le juge judiciaire est le juge de droit
com mun de l'ad ministration. Les tribunaux de première instance et les
cours d'appel connaissent en premier et deuxième degré des litiges où une
personne publique est partie. Dans ce système, le juge est doublement
étranger à l'administration; c'est un non-fonctionnaire (le statut général
de la Fonction Publique ne lui est pas applicable) et qui n'est rompu qu'aux
techniques du droit privé; en d'autres termes, il ignore et les rouages et
les méthodes administratives ainsi que le droit applicable au service
public;
- en Haute-Volta et au Bénin, la différence d'avec les deux autres
pays est une différence de degré et non de nature ; toutefois, cette
différence de degré a son importance: la chambre administrative de la
cour
suprême
se
veut
un
organisme
spécialisé
dans
le
contrôle

198
juridictionne 1 de l'ad ministration ; les conseillers me mbres, bien que de
formation civiliste, sont appelés à faire application du droit administratif :
cela seul suffit pour les intéresser, tant soit peu, à la vie interne des
services publics; en clair, ils ont obligation naturelle de ce recycler en
approfondissant par la pratique leurs connaissances en droit public et en
communiquant quotidiennement
avec l'autorité
administrative. Par
ailleurs, la présence de hauts fonctionnaires ou personnalités connues pour
leur compétence en matière administrative et juridique au sein de la
chambre administrative favorise les échanges entre le contrôleur et le
contrôlé;
- au Togo, le système est de loin beaucoup plus favorable à la
participation du juge administratif à la vie de l'administration, puisque le
contrôle juridictionnel est dévolu au tribunal administratif et à la chambre
administrative, deux instances spécialisées et que les magistrats de la cour
suprême sont soumis au statut général de la Fonction Publique.
Il apparait donc que les fonctions consultatives ont été conçues dans
un intérêt autre que la prévision des illégalités ou la protection préventive
des droits ou libertés individuels.
Ainsi, les compétences contentieuses de la juridiction se trouvent-
elles
diminuées
qualitativement...
alors
qu'elles
le
sont
déjà
quantitativement, en raison du caractère rigoureux de la procédure
ad ministrative contentieuse.

199
CHAPITRE TROISIEME - UNE PROCEDURE RIGOUREUSE
Les compétences de la juridiction administrative se révèlent être
limitées de deux manières : par la rigidité des clauses légales de
compétences comme le témoigne le système béninois et par l'absence de
clauses jurisprudentielles de compétences, ce qui est valable pour tous les
Etats membres du Conseil de l'Entente.
En fait, cette limitation des compétences contentieuses est encore
renforcée
par la procédure administrative contentieuse elle-même.
L'examen de cette dernière indique clairement qu'on a entendu réduire au
minimum les recours contentieux, notamment le recours pour excès de
pouvoir parce qu'ils apparaissent être des entraves intolérables à l'action
administrative. Mais cela peut être également imputé au caractère importé
de ladite procédure qui méconnaît l'état culturel local ainsi qu'aux
quelques règles ou principes posés en sus par le législateur africain lui-
même.
Cette procédure peut être étudiée à quatre niveaux
l'excès de
pouvoir, la réparation, les procédures particulières et les voies de recours
contre les décisions rendues.
Sous--chapitre premier - La procédure du recours pour
eIcès de pouvoir
Le recours pour excès de pouvoir est de loin le plus important des
recours contentieux et également le plus délicat dans l'ensemble des Etats
concernés, puisqu'il tend à faire échec à la volonté exprimée de l'autorité
ad ministrative, laq ue lIe,
Ile, d'une façon générale, est confond ue avec
l'autorité politique.
Le caractère rigoureux et limitatif de la procédure se manifeste
essentiellement au niveau de la requête et de l'instance pendant que la

200
décision, en raison des pouvoirs par trop faibles du juge et de la
méconnaissance de l'autorité de chose jugée par l'exécutif, donne aux
justiciables le profond sentiment que la justice administrative est vaine et
aléatoire. Ces trois phases de la procédure ad ministrative contentieuse
méritent d'être étudiées successivement.
Section 1 : La requête
C'est au niveau de la requête contentieuse que la procédure apporte
de sérieuses restrictions à la mise en œuvre de la justice administrative et
cela dans son objet, son auteur, les délais et les formes, voire ses effets...
Paragraphe 1 : L·objet de la requête
Le recours pour excès de pouvoir doit être dirigé contre une décision
administrative, expresse, ou implicite, dont l'annulation est demandée
pour illégalité. Ce
principe, à priori simple, pose deux
problèmes
d'importance; à savoir la règle de la décision préalable d'une part et la
nature de l'acte attaqué d'autre part.
A) La règle de la décision préalable
La règle de la décision préalable, qui ne connaît pas d'application en
matière de travaux publics, s'impose aussi bien en recours pour excès de
pouvoir qu'en recours de pleine juridiction. Le juge administratif a eu, à
plusieurs reprises, à le rappeler vivement; ainsi, dans l'affaire SA WADOGO
André contre République de Haute-Volta du 28 avril 1972, la cour devait
déclarer
Attendu que, loin de déférer à l'obligation d'une décision
préalable aussi impérative pour le plein contentieux qu'en matière d'excès
de pouvoir, SA WADOGO André s'adressa directement à la chambre
administrative et méconnut cette nécessité primordiale".

201
Seulement, la rigueur de cette règle est tempérée de deux manières:
la liaison du
contentieux
par la
prise de
position au fond
de la
défenderesse et le cas de force majeure.
1) La liaison du contentieuI
En l'absence d'une décision préalable, le juge administratif peut
communiquer la requête contentieuse à la défenderesse qui, si elle prend
position
quant
au
fond,
lie
le
contentieux
administratif.
Le
juge
administratif voltaïque a adopté cette position, notamment dans l'affaire
LANKOANDE Ali contre République de Haute-Volta du 10 avril 1970 ;
"... Si, en règle générale, toute requête soumise à une juridiction
administrative doit être, sous peine d'irrecevabilité, dirigée contre une
décision administrative préalable, explicite ou implicite, la juridiction
administrative peut communiquer toute requête non assortie d'une
décision préalable au Ministre compétent dont la réponse, s'il prend
position
dans
ses observations,
vaut
décision
préalable
et
lie
le
contentieux ... "
En fait, ce principe, emprunté à la juridiction française l
française , s'il n'est pas
ap pliq ué avec circonspection, risq ue de présenter plus d'inconvénients que
d'avantages pour le contrôle juridictionnel de l'administration; ne risque-
t-il pas de rendre caduque des règles fondamentales
de procédure
avantageusement sécurisantes aussi bien pour le justiciable, le juge que
l'administration! Ce point de vue se fonde sur les considérations suivantes
: toutes les législations des Etats concernés prévoient que les requêtes
doivent être accompagnées de la décision attaquée ou de la pièce justifiant
le dépôt de la réclamation hiérarchique ou gracieuse; ainsi en est-il de
l'alinéa 3 de l'article 8 de la loi voltaïque n° 5/62/ AN du Il janvier 1962
("En cas de recours contre la décision d'une autorité administrative, une
1 Conseil d'Etat, 15 mars 1929. Seris et Conseil d'Etat, 29 mars 1923, Borou.

202
copie de cette décision est jointe à la requête");
de l'alinéa 3 de l'article
Il de la loi togolaise n° 62-9 du 14 mars 1962 ; de l'article 66 de
l'ordonnance béninoise 21/P.R. du 26 avril 1966 ; de l'alinéa 1er de
l'article 110 de la loi nigérienne n° 6 1- 28 du 15 juillet 1961 ; et de l'alinéa
81 de la loi ivoirienne n° 61-201 du 2 juin 1961.
Ainsi, l'irrecevabilité apparaît être le sort réservé à toute requête
non respectueuse de cette formalité substantielle. Or, si le juge prend la
liberté de communiquer la requête incomplète à la défenderesse et
provoque, grâce à la réponse au fond de cette dernière, la décision
préalable, n'est-ce pas que les dispositions légales en matière de décision
préalable se trouvent contournées et donc bafouées!
Bien sûr, cette observation n'a pas le poids d'une montagne pour
convaincre; mais deux considérations ajoutent à son sérieux: la première
tient au caractère facultatif de la transmission de la requête à la
défenderesse; le juge administratif en effet peut déclarer la requête
irrecevable en la forme ou la communiquer à l'administration pour
réponse; cette faculté peut être source d'injustice puisque, selon l'un ou
l'autre cas adopté par le juge, le justiciable obtiendra ou non justice; la
seconde considération relève du contexte socio-culturel local. Dans les
jeunes Etats où l'ad ministration de développement se bat contre la misère
et la pauvreté, les actes de l'autorité ne sont pas compris, encore moins
justifiés à priori; comme dans l'ex-métropole, les actes de l'administration
n'ont pas besoin d'être motivés. Ceci étant, le contentieux administratif
peut se révéler être la bonne occasion pour l'administrateur africain de
s'expliquer à l'administré, d'indiquer les raisons de droit ou de fait qui ont
présidé à l'édiction de la décision. Il se trouve qu'en procédant comme il
est dit plus haut, le juge couvre la faute comprise par le requérant qui
n'avait fait part d'aucune réclamation à l'ad ministration avant sa saisie,
donc en violation flagrante de la loi!

203
En définitive, il est préférable que le juge s'en tienne au terme de la
loi : à rejeter systématiquement les requêtes incomplètes, le juge
administratif fait une œuvre remarquable d'éducation et de formation des
justiciables africains qui ne vont devant lui que lorsque les "palabres"
n'ont pas porté fruit.
2) Le cas de force majeure
La règle de la décision préalable ne s'impose pas en cas de force
majeure. Le juge administratif voltaïque on a ainsi décidé dans l'affaire YB
Massatié Lassina où le recours tendait à obtenir
de la juridiction
administrative la transmission, par le Ministère de la santé à celui de la
Fonction Publiq ue, d'un bulletin de notes ainsi que d'autres docu ments
nécessaires à la présentation du requérant et à son avancement au grade
supérieur ainsi que son accession au grâce supérieur.
Statuant sur la recevabilité dudit recours, la cour devait notamment
décider:
"...
"
Attendu que, loin de se soumettre à la formalité de la décision
préalable, le requérant usa d'emblée de la voie contentieuse;
"...
"
Attendu qu'il résulte cependant des pièces produites au dossier
que les services du Ministre de la Santé Publique n'adressèrent pas à ceux
du personnel de la Fonction Publiq ue soit par incurie, soit pas mauvaise
volonté coupable, un bulletin de notes et plusieurs demandes; que le
même sort eût été réservé à un recours hiérarchique dont le Ministre de la
Fonction Publique, seul habilité
à connaître, aurait ignoré jusqu'à
l'existence et pour lequel il n'eût donc pu prendre une quelconque
décision;
Attendu qu'il en échet déduire qu'un véritable cas de force
majeure dispensa le requérant de la formalité de la décision préalable et
déclarer recevable son recours".

204
La
solution,
heureuse
en
apparence
puisque favorable
aux
justiciables, n'est pas
moins
ambiguë ; en effet,
dans les
jeunes
administrations africaines, il arrive très souvent que pour diverses raisons,
notamment incurie du service dont dépend le fonctionnaire ou mauvaise
gestion en général de la Fonction publique, le dossier individuel du
fonctionnaire n'est pas tenu de façon continue; ses notations ne sont pas
faites régulièrement ou ne parviennent pas à l'organisme central de
gestion, de telle manière que son avancement est retardé ou bloqué par la
faute des services administratifs compétents, Le fonctionnaire concerné est
donc obligé de s'adresser au Ministre de la Fonction Publique qui se
prévaut de la carence du service dont dépend l'agent (négligence dans la
notation ou non transmission des bulletins de notes) pour opposer le
silence à la requête du fonctionnaire. A cet égard, la jurisprudence de
l'arrêt YE Massitié Lassina est ambiguë pour une raison évidente: si le
fonctionnaire fait une réclamation et que l'administration y répond, il a
obtenu par
provocation une
décision préalable expresse qu'il peut
attaquer, le cas échéant, dans les deux mois; si l'administration par
contre
garde le silence pendant quatre mois, le fonctionnaire aurait
encore provoqué une décision préalable implicite de rejet et il a deux mois
encore pour attaquer. De ce fait, l'arrêt YE Massatié Lassina, en admettant
un cas de force majeure qui rend la règle de la décision préalable
inopérante, fait échec à la notion de décision implicite qui est bel et bien
également une décision préalable.
D) La nature de racle attaqué
Le juge administratif ne peut connaître que des actes ad ministratifs
faisant grief. Sont donc exclus de sa compétence :
- les actes des personnes privées. En France, il est admis que les
personnes privées exerçant une activité d'intérêt général peuvent prendre

205
des décisions exécutoires. En Afrique, ces personnes privées sont encore
rares et l'Etat
délègue exceptionnellement ses
prérogatives
à
des
personnes privées; il assume personnellement toutes les activités d'intérêt
général ou, à défaut, il les confie à d'autres personnes publiques tels les
établisse ments publics. C'est dire que le pouvoir réglementaire public
demeure un monopole de l'Etat et sa dévolution à des personnes privées 1
privées
n'est pas encore une réalité; l'évolution de la conception du règlement
administratif au plan organique est pour l'avenir. Un avenir à la vérité
proche, en raison de la création des ordres professionnels (en Côte d'Ivoire,
loi 59-233 du 7 novembre 1956 pour l'ordre des avocats; loi 60-272 du 2
septembre 1960 pour l'ordre des médecins; lois 70-227 et 70-488 du 3
août 1970 pour l'ordre des architectes et géomètres experts) dont on sait
que l'activité d'intérêt général revêt un caractère administratif et est
soumise de ce fait au contrôle de la juridiction administrative pendant que
la personne elle-même, son organisation interne, obéit aux règles du droit
commun; par ailleurs, certaines associations déclarées d'utilité publique
par leur ob jet reçoivent de l'Etat des prérogatives exorbitantes du droit
commun et ne peuvent par conséquent voir tous leurs actes soumis au
droit civil ;
- les actes des autorités étrangères;
- les actes des autorités judiciaires;
- les actes des autorités parlementaires;
- les actes de gouvernement;
- les actes de gestion du domaine privé;
- les actes de gestion des services publics à caractère industriel
et commercial;
- les mesures d'ordre intérieur.
1 Conseil ct 'Etat, 28 juin 1946, Morand
13 janvier 1961, Magnier
4 avril 1962,
Chevassier.

206
Les mesures d'ordre intérieur, quant à elles, posent énormément de
problémes dans le contexte général actuel des Etats africains. Dépourvus
de pouvoir réglementaire, promenant un regard myope sur l'importance
du principe de la légalité, les Ministres, voire les Chefs de service
recourent habituellement et abusivement à la circulaire pour s'arroger ce
pouvoir. Le juge administratif africain est, en la matière, aussi vigilant que
son homologue français et a adopté la même position que ce dernier l
dernier .
Mais les Ministres ou les directeurs de service ont d'autres voies; par
exemple la lettre de service. Le juge administratif voltaïque a décidé, dans
l'affaire IDO Justin du 23 novembre 1973, qu'une telle lettre de service
était un acte ad ministratif susceptible de recours pour excès de pouvoir.
Les faits de l'espèce étaient les suivants: par décision n° 191/ENIIIA du
10 mai 1973 du Ministre de l'éducation nationale et de la culture, le
requérant avait été inscrit sur la liste des candidats autorisés à concourir
aux épreuves écrites du CAP, session de septembre 1974. Mais cette
décision du Ministre n'était pas conforme à l'article 6 du décret du 20
février 1970 qui prévoyait comme condition essentielle requise pour se
présenter aux dites épreuves un âge limite de 40 ans alors que le
requérant, né le 13 août
1934, aurait à la date fixée du concours
(septembre 1974), quarante ans révolus. Seulement, pour des raisons
budgétaires, la date du concours, initialement prévue en septembre 1974,
a été ramenée en septembre 1973, soit une année plus tôt. Par lettre n°
946/PD du 1er août 1973, le directeur de l'enseignement du premier
degré faisait savoir au requérant qu'à raison de sa date de naissance (13
août 1934), il le rayait de la liste des candidats, car le concours, ramené en
septembre 1973, était censé cependant avoir lieu en septembre 1974, date
à laquelle il aura quarante ans révolu alors que le décret susvisé ouvre le
1 Cf. THlüMBIANü Babribilé du 2S mai 1973 précité

207
concours aux instituteurs adjoints âgés de moins de quarante ans au
moment du concours,
Cette lettre fut attaquee devant la juridiction administrative, le
requérant arguant qu'etant né le 13 août 1934 et que le concours ayant
lieu effectivement en septembre 1973, il remplissait la condition d'âge
requise. Statuant au fond, la cour devall déclarer:
"...
"
Attendu que la lettre n° 946/PD du 1er août 1973 n'est pas une
mesure d'ordre interieur ; quen mettant des obligations nouvelles (en ce
qu'clk raméne à moins de trente neuf ans l'âge des candidats alors que
cest moins de quarante ans qui est prescrit par décret) à la charge des
administres, elle constitue un acte administratif susceptible de faire J'objet
de recours contentieux
"... Attendu que si le pouvoIr réglementaire est libre d'apporter
toutes les modifications qu'il juge utiles à la bonne marche du service, c'est
a condition de procéder dans Je respect des lois et décrets; qu'en la cause,
cest une simple lettre du directeur du premier degré qui fit échec aux
dispositions du décret 70-027/PRES du 20 février 1970",
Il faut entendre de ces deux "attendu" que le décret ayant fixé la
datc
du
concour~
cn
septembre
1974,
J'admini:lration
pouvait
valablement avancer cette date d'une année; mais alors les candidats qui
n'auraient pas pu remplir la condition d'âge pour la date initiale du
concours se trouveraient autorisés à se présenter si. à la date avancée, ils
avaient moins de quarante ans. En d'autres termes, c'cst la date réelle du
concours qui doit être prise en compte,
La solution ne an moins est critiquahle. A supposer en effet que
l'administration, au lieu cl avancer la date du concours (1973), l'eût reculée
(1975) : puisque le juge admet ces modifications pratiques, reconnaitrait-il
un droit au requérant à concourir?

208
Paragraphe II : Le requérant
Il se pose à ce niveau le problème de la capacité et de l'intérêt pour
agir ....
A) La capacité pour agir
Le juge administratif africain a une conception moins large que le
juge administratif français en matière de capacité pour agir: ainsi, en
France, le recours d'une association non déclarée a été reçu! 1
La capacité pour agir ne pose pas de problèmes particuliers, d'autant
plus que certains législateurs ont tout mis en œuvre pour ouvrir la justice
administrative aux incapables et autres exclus pour des raisons d'ordre
juridique ou sociologique. En République de Côte d'Ivoire, pour ne citer
que cet exemple, tout requérant est libre de prendre un avocat ou de se
faire représenter par un conjoint ou un parent jusqu'au troisième degré 2
degré .
Il y a seulement lieu de regretter les cas où la capacité pour ester en
justice corresponde à la majorité civile ou pénale alors que les mineurs de
quinze ans sont soumis à l'impôt de capitation (exemple voltaïque) et que
les concours administratifs soient ouverts aux mineurs de dix-huit ans.
D) L"intérêt pour agir
L'intérêt pour agir est un rejet implicite de l'action populaire, et
partant, un moyen de sauvegarder la sécurité des situations juridiques. De
ce fait, le justiciable n'est pas recevable, s'il ne justifie d'un intérêt
matériel ou moral, direct, personnel et certain froissé.
Cette règle, dans le cadre de la constitution voltaïque du
13
décembre 1977, souffre d'une exception d'ordre constitutionnelle. En effet,
l'article 5 de cette constitution stipule que "la souveraineté nationale
1 Conseil d'Etat, 21 mars 1919, Dame Polier.
2 Cf. article 20 alinéa 2 de la loi 721833 du 21 décembre 1972 portant code de procédure
civile, commerciale et administrative.

209
s'exerce
conformé ment
à
la
présente
constitution
qui
est la loi
fondamentale de l'Etat.
Toute loi, tout acte contraire aux dispositions de la constitution sont
nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir
devant la cour suprême contre toute loi et tout acte inconstitutionnels".
L'action populaire, en droit voltaïque, est donc admise dans le cadre
du contrôle de constitutionnalité des actes. En dehors de ce cadre, la règle
de l'intérêt pour agir demeure.
Cet intérêt pour agir peut être individuel ou collectif.
1·) l'intérêt individuel
Dans
l'administration
des
nouveaux
Etats, le
favoritisme,
le
népotisme, le régionalisme sont des données courantes et permanentes.
L'autorité administrative prend facilement des mesures de faveur à
l'égard
d'un fonctionnaire
(avancement, reclassement, nomination),
pénalisant les agents du même corps. En admettant qu'un fonctionnaire
puisse valablement attaquer de telles mesures prises au profit d'un autre
fonctionnaire, la juridiction administrative africaine a fait sienne, à raison,
la jurisprudence constante de la juridiction administrative française.
Le juge administratif voltaïque a rappelé, dans l'affaire BGLY Thierno
contre République de Haute-Volta du 28 mars 1968, que le fonctionnaire
peut demander l'annulation pour excès de pouvoir des mesures positives
prises
à
'l'égard d'autres
agents
lorsqu'elles
portent
atteinte
aux
prérogatives du corps entier, constituent une faveur octroyée aux dépens
du requérant ou lui suscitent irrégulièrement, dans l'immédiat ou pour
l'avenir, de nouveaux concurrents susceptibles de retarder son propre
avancement.
Dans le cas de l'espèce, le requérant attaquait l'arrêté n" 246/TFP/P
du 7 juin 1968 ayant intégré dans son corps (corps des secrétaires

210
administratifs, classé en B échelle 1) un agent de catégorie C, en invoquant
le moyen que ce dernier ne satisfait pas aux conditions d'admission
prévues par l'article 3 du décret 511 IPRES/TFP/SE du 4 décembre 1962.
Recevant ce recours, la cour devait déclarer que le requérant était
apte, de par sa qualité de secrétaire administratif, à critiquer une
nomination dans son corps qu'il tient pour illégale et de nature à lui porter
personnelle ment préj udice. Quant au fond, la cour devait annuler l'arrêté
attaqué parce qu'aux termes de l'article 3 du décret 511, "sont reclassés
dans le corps des secrétaires administratifs (catégorie B, échelle 1) les
fonctionnaires de catégorie C titulaires du diplôme d'une ex-école normale,
alors que le fonctionnaire reclassé à ce titre n'avait que la première partie
de ce diplôme:
"... Attendu que ce diplôme dont on excipa pour procéder au
reclassement ne constitue qu'un certificat partiel et que le diplôme
terminal, seul valable selon 'l'article 3 du décret 511, était subordonné à la
délivrance d'un ou de plusieurs autres certificats constant l'admission de
l'intéressé à la seconde ou aux autres parties;
'"
Attendu que le bénéficiaire ne satisfait pas pleinement aux
conditions qu'exige ledit article 3, qu'il échet annuler les dispositions de
l'arrêté le concernant".
Il est évident que l'arrêté attaqué était une mesure de faveur: le
bénéficiaire (M. LOUA RI Pierre), tout en étant de catégorie C, était le
directeur de la Fonction Publique de Haute-Volta.
Beaucoup de fonctionnaires se plaignaient de son incapacité à exercer
cette lourde fonction et le pouvoir n'avait trouvé d'autre solution à "ce
protégé" qu'en le reclassant en la catégorie supérieure, sur la base d'un
diplô me partiel.

2 Il
En revanche, le juge administratif a déclaré que l'absence de vocation
à occuper les mêmes emplois entraîne le défaut d'intérêt l
d'intérêt , faisant ainsi
application de la jurisprudence constante française 2
française
2) Iïntérêt collectif
L'intérêt collectif est entendu dans un sens aussi restrictif qu'en
matière d'intérêt individuel. L'affaire association des élèves et anciens
élèves de l'ENA de haute-Volta du 2S avril
1969 le démontre. La
requérante
attaquait
le
décret
68/2321PRESI AGRI/ELlDDR
du
23
septembre 1968 portant statuts particuliers des personnels du cadre des
services agricoles dont elle demandait l'annulation pour excès de pouvoir
au motif qu'il préjudicie à ses membres, Le juge devait la débouter pour
deux raisons: l'association, comprenant à la fois les élèves et les anciens
élèves de l'ENA,
'les premiers, membres de l'association, non encore
intégrés dans les cadres A, B ou C de la Fonction Publique parce qu'en
cours de scolarité, ne possèdent pas qualité pour agir par suite de leur
non-appartenance à l'un de ces cadres dont ils ne peuvent valablement
défendre les intérêts" et les seconds "affectés au sein des personnels des
services agricoles avant la promulgation du décret attaqué, seraient
recevables en ce recours en leur qualité de fonctionnaires dépendant
des dits services et non en celle d'élèves" :
"...
"
Attendu que la demanderesse ne saurait, quant à elle, se
substituer à ces membres pour leur éventuelle action et qu'elle se trouve
dépourvue de tout intérêt..."
On peut relever au passage le caractère incorrect et impropre du
dispositif: le juge devait déclarer la requête irrecevable et non pas mal
fondée puisqu'il n'a pas eu à apprécier le recours quant au fond.
J
Chambre administrative, 22 septembre 1967, COULIBALY David Geguemou.
2 Cf. Conseil d'Etat, 18 janvier 1956,

212
Ceci étant, il arrive parfois que l'intérêt individuel et l'intérêt
collectif soient tellement imbriqués que le juge manifeste des difficultés
d'appréciation de l'intérêt pour agir. L'exemple est donné par l'affaire
KOULIDIATY Lucien contre République de Haute-Volta du 24 décembre
1971. Les faits de l'espèce étaient les suivants: par décision n' 136171 du
30 avril 1971, le Sieur OUEDRAOGO Kouliga Pierre, assistant de 1ère classe,
3ème échelon de la navigation aérienne, avait été nommé chef de bureau
central des transmissions (BCI). Cette nomination était opérée aux dépens
du Sieur KOULIDIATY Lucien, également assistant de 1ère classe, 3ème
échelon de la navigation aérienne, mais plus ancien dans ce grade que le
sieur OUEDRAOGO Kouliga Pierre. En conséq uence, le syndicat autonome de
l'aviation civile attaqua cette nomination au moyen qu'elle viole l'article 6
du statut général de la Fonction Publique qui interdit qu'un fonctionnaire
puisse avoir sous ses ordres un autre fonctionnaire d'un grade supérieur
au sien ou plus ancien que lui dans le même grade. Il se trouvait que le
sieur KOULIDIATY Lucien, directement lésé par cette nomination, était le
secrétaire général du
syndicat autonome
de l'aviation civile qu'il
représentait également en justice.
Le juge n'a pas été en mesure de se prononcer positivement sur la
recevabilité d'un tel recours; il se borna à adresser une remontrance au
représentant du syndicat:
"...
"
Statuant sur la requête du sieur KOULIDIATY Lucien, agissant, soit
disant au nom du syndicat autonome de l'aviation civile dont il est le
secrétaire général, mais dans la réalité, en son nom propre comme il sera
vu plus loin, aux fins de l'application intégrale de l'article 6 du statut
général de la Fonction Publique ...
Sur la qualité de l'aute ur
... Attendu que le syndicat autonome de l'aviation civile demande par
l'intermédiaire et sous la signature de son secrétaire général KOULIDIATY

213
Lucien la suppression d'une mesure préjudiciable à ce même KOULIDIATY
Lucien et à lui seul;
... Attendu qu'il échet déduire qu'unique intéressé au présent recours,
KOULIDIATY Lucien doit être tenu pour son auteur exclusif et supporter
l'entière responsabilité de la procédure ... "
Le juge aurait pu être plus clair; on inclinerait à penser avec ces
deux "Attendu" qu'un groupement n'est pas fondé à se pourvoir contre les
décisions individuelles intéressant un seul de ses membres. Il n'en est rien
pourtant: chaque fois que les intérêts du groupe sont lésés à travers une
décision individuelle, celui-ci peut ester en justice, à condition toutefois
qu'il s'agisse d'une décision individ uelle positive et non pas négative. Cette
disposition de la jurisprudence française a été adoptée comme l'indique
l'affaire syndicat
des enseignants
africains
de
Haute-Volta du
22
novembre 1968 ; statuant sur le recours de ce dernier tendant à obtenir
l'annulation de la mesure de révocation frappant un de ses membres (M.
DAH Aimé Melinanl. la cour devait le déclarer irrecevable faute d'intérêt:
"...
" Attendu
que,
loin d'intervenir
en soutien,
le
syndicat des
enseignants africains de Haute-Volta se présente comme unique auteur de
la requête et n'établit pas agir en vertu d'un mandat ad litem que lui
aurait délivré ledit DAH Aimé Melinan ;
... Attendu que, s'il est loisible aux syndicats et associations estant"
propria autoritate" d'attaquer, outre celles atteignant leurs activités
propres ou leur patrimoine, les mesures individuelles positives qui,
créatrices de droits au profit du bénéficiaire, lèsent les intérêts ou portent
atteinte aux droits de leurs
membres, ces mêmes groupements ne
sauraient par contre, par action identique, s'en prendre aux décisions
individuelles négatives refusant un avantage à celui qui en est l'objet ou
compromettant sa situation au lieu de créer un droit à son profit;

214
... Attendu que l'arrêté de révocation frappant DAH Aimé Melinan est
par essence même une mesure individuelle négative, que le syndicat
national des enseignants africains de Haute-Volta n'a pas d'intérêt pour
agir directement es qualité".
Ceci étant, il apparaît que la distinction entre mesure positives et
mesures négatives, telle qu'elle est transposée en Afrique, est hautement
critiquable. Sans doute, est-elle valable pour les recours individuels en ce
sens qu'on ne voit pas de raison objective à ce qu'un individu attaque une
décision touchant les intérêts d'un autre individu; mais au niveau du
recours collectif, elle l'est beaucoup moins et il y a trois raison à cela:
d'abord, l'importance du favoritisme, du népotisme ou du régionalisme, en
bref du pouvoir arbitraire dans les Etats dans leur contexte actuel. Il est
de notoriété publique que les administration africaines sont remarquables
par la discrimination frappant les administrés et cela à partir de
considérations d'ordre politique ou ethnique; or, l'administration étant
toute puissante et l'administré tout faible, n'y a-t-il pas intérêt à ce que la
défense de ce dernier soit assurée par les syndicats dont la force équilibre
quelque peu celle de l'autorité administrative? ensuite, la justice étant
l'expression d'un ordre social désirable et l'Etat africain se soumettant
difficilement au droit, la démocratie réelle ne serait-elle pas plus favorisée
si les groupements ou associations, par une action collective en vue de la
protection d'un intérêt individuel objectif méconnu pouvaient critiquer
l'administration agissant en dehors de la légalité ? enfin, si un acte
administratif porte manifestement atteinte à la situation juridique d'un
membre d'un corps, d'un groupe ou association, n'est-ce pas que la sécurité
de tous les membres est par là même compromise? Pour quelle raison un
corps de fonctionnaires serait admis à attaquer la mise en stage irrégulière
d'un de ses membres et pas le refus de mettre en stage un autre membre
re mplissant les conditions statutaires et régIe mentaires ?

215
Il faut en conclure que les raisons
qui ont
poussé le
juge
administratif français à refuser les recours collectifs dirigés contre une
mesure individuelle négative ne sont pas automatiquement valables en
Afrique. Il y va de la protection de la légalité et, partant, de l'intérêt de la
démocratie encore à forger, que les groupes critiquent plus facilement les
actes des autorités administratives, qu'ils soient positifs ou négatifs.
Enfin, il faut noter qu'en matière électorale, la juridiction peut être
saisie par toute autorité ou toute personne intéressée à 'l'élection. La
notion d'intérêt pour agir paraît ici beaucoup plus large.
Paragraphe III : Les délais et les formes
D'un pays à un autre, les délais et les formes accusent quelques
différences parfois d'importance. Mais pour l'ensemble des pays, il se
dégage à travers les textes une volonté plus marquée de limiter les
recours contentieux. Cette volonté est plus traduite dans les formes que
dans les délais qu'il faut examiner successivement.
Sous-paragraphe 1 : Les délais
Si les délais ont été fixés partout de façon précise, il est par contre à
remarquer que leur application par le juge et notamment le juge voltaïque
connaît une certaine complication de nature à créer la plus grande
confusion possible.
A) La détermination des délais
D'une façon générale, le délai de recours contentieux est fixé à deux
mois à compter de la publication ou de la notification de la décision
attaquée comme en France. Ce délai normal comporte des exceptions
légales ou jurisprudentielles.

216
En fait, en tenant compte du recours administratif facultatif ou
obligatoire, ce délai se trouve ou plus allongé ou plus raccourci selon les
pays. Ainsi:
1) En République Populaire du Bénin
Le délai du recours pour excès de pouvoir est de deux mois à
compter de la publication ou de la notification de la décision attaquée.
Mais il faut distinguer entre les décisions réglementaires et les décisions
individuelles. Avant de se pourvoir contre ces dernières, les requérants,
aux termes de l'article 68 alinéa 2 de l'ordonnance 21/PR du 26 avril
1966, doivent présenter un recours hiérarchique ou gracieux tendant à
faire rapporter lesdites décisions. En conséquence. le délai de recours ne
commence à courir que du jour de la notification de la décision de rejet du
recours administratif ou à l'expiration de deux mois de silence gardé par
l'autorité compétente sur ce même recours administratif.
Ainsi apparaît une différence avec le système français et la majorité
des autres Etats membres du Conseil de l'Entente où le délai valant
décision implicite de rejet est de quatre mois.
Ce délai de deux mois est très bénéfique à double titre: il oblige
l'autorité administrative à examiner diligemment la requête gracieuse
quitte à ne pas y donner suite; mais d'un autre côté, il enlève au
requérant africain son goût des palabres, des interventions, bref des
atermoie ments.
Mais la loi béninoise est muette en matière de délai valant décision
implicite de rejet des autorités délibérantes. Partout ailleurs en effet, ce
délai égale le délai normal de quatre mois de silence prorogé jusqu'à la fin
de la première session légale de l'autorité délibérante, suivant le départ de
la demande gracieuse.

217
Enfin, il n'y a pas d'exception légale ou jurisprudentielle aux délais
normaux. Les exceptions légales concernent uniquement les formes. Il faut
mentionner qu'en matière d'éligibilité, les délais de recours sont beaucoup
plus brefs: toutes les requêtes en contestation d'éligibilité doivent être
adressées à la cour dans un délai de dix jours francs à compter de la date
de dépôt de la candidature contestée.
2) En République de Côte dOlvoire et en
République du Niger
Le recours pour excès de pouvoir doit être précédé d'un recours
gracieux ou hiérarchique. Ce recours administratif préalable doit être
formé dans le délai de deux mois à compter de la publication ou de la
notification de la décision attaquée. Et le recours contentieux doit être
introduit dans le délai de deux mois à compter de la notification de la
décision de rejet du recours administratif. à l'expiration d'un délai de
quatre mois de silence gardé par l'administration, ce délai étant prolongé,
si l'autorité administrative est un corps délibérant, jusqu'à la fin de la
première session légale suivant le dépôt de la demande.
Bien entend u, dans le cas échéant, les délais du recours contentieux
se trouvent allongés, constituant un long temps de réflexion obligé pour le
requérant, voire une réelle mise en garde ...
Toutefois, il existe une exception légale à ces délais. L'article 78 de la
loi ivoirienne 61-201 du 2 juin 1961 stipule que "lorsqu'un requérant, qui
n'a pas observé les délais prévus ... invoque un cas de force majeure, la
chambre administrative peut le relever de la forclusion encourue". Le juge
ivoirien applique rigoureusement les délais de recours. Tout délai dépassé,
en
dehors
d'un
cas
de
force
majeure,
entraîne
irrévocablement
l'irrecevabilité du recou rs 1.
1 Chambre administrative, 24 avril 1974, Bagui Aka Antoine.

218
3) En République de Haute-Volta
Le recours
administratif étant facultatif, le délai du recours
contentieux est de deux mois à compter de la notification ou de la
signification de la décision attaquée ou de deux mois à l'expiration de
quatre mois de silence gardé
par l'autorité administrative sur la
réclamation, auquel cas la requête contentieuse doit, à peine de déchéance,
stipule l'article
la
de la loi S/621AN du
1er janvier
1962. être
accompagnée
d'une
pièce
justifiant de la date du
dépôt de cette
récla mation.
Ceci
dit,
le
requérant
peut
user
de
la voie
administrative
préalablement à la voie contentieuse; les recours administratifs ont pour
effet de suspendre le recours contentieux, mais ne peuvent avoir ce même
effet qu'une fois. Toutefois, ces dispositions ont été formulées de façon on
ne peut plus obscure propre à engendrer le doute sur les délais légaux des
recours. En effet, le dernier alinéa de l'article IOde la loi susvisée stipule
que "les recours gracieux ou hiérarchiques contre la décision explicitée de
rejet ou le recours hiérarchique contre la décision implicite de rejet
suspendent, s'il ne s'est écoulé, le recours contentieux. mais ne peuvent
avoir cet effet qu'une fois".
D'abord, au lieu de : "...
" suspendent. s'il ne s'est écoulé, le recours
contentieux ", lire: "...
" suspendent. s'il ne s'est écoulé. le délai de recours
contentieux ". Ensuite, c'est la disposition toute entière qui a besoin de
clarification. A la lecture, on inclinerait à penser qu'une cascade de recours
administratifs est possible, tant en ce qui concerne la décision explicite que
la décision implicite.
En effet, concernant la première, la loi dispose que "les recours
gracieux ou hiérarchiques contre la décision explicite de rejet... suspendent
le délai du recours contentieux", Or, la décision explicite de rejet n'est

219
autre chose qu'une réponse négative de l'administration à une demande
gracieuse tendant à obtenir l'annulation d'une décision faisant grief; en
faisant état "de recours gracieux ou hiérarchique contre la décision
explicite de rejet", la loi autorise un second recours administratif contre
ladite décision explicite de rejet; d'où il apparaît qu'en matière de décision
explicite de rejet, le requérant est amené à formuler deux requêtes
gracieuses consécutives. Le schéma est le suivant:
Pre mier te m ps
DeuIième temps
décision ad ministr ative
recours administratif
Troisième temps
Quatrième temps
décision explicite de rejet
recours administratif.
En clair, s'il y a décision explicite de rejet, c'est que le requérant a
d'abord usé de la voie gracieuse pour faire rapporter une mesure
ad ministrative ; et devant une décision explicite de rejet, le requérant n'a
plus qu'un délai de deux mois pour recourir à la voie contentieuse. En
conséquence, s'il y a des "recours gracieux ou hiérarchique contre une
décision explicite de rejet" c'est qu'il est permis au requérant de
renouveler une seconde demande gracieuse. Or, selon la loi, ces recours
administratifs ne suspendent le délai de recours contentieux qu'une fois. Il
y a donc contradiction résultant de l'obscurité, en la forme rédactionnelle,
de l'article lO de la loi. Et cette observation s'applique également à la
décision implicite. Il y a décision implicite quand l'administration oppose
le silence, pendant quatre mois, à une requête gracieuse. Si la loi admet
"un recours hiérarchique contre la décision implicite de rejet", c'est qu'elle
autorise le requérant à formuler un deuxième recours administratif, lequel
est pourtant déclaré inopérant pour suspendre à nouveau le délai de

220
recours contentieux. En définitive, l'esprit du texte a été trahi par la lettre.
Il faut plutôt entendre que le demandeur a un délai de deux mois pour
attaquer par voie contentieuse une décision notifiée ou publiée et qu'au
cas où il adresse un recours administratif contre cette décision, le délai de
recours contentieux s'en trouve suspendu jusqu'à l'intervention de la
décision explicite de rejet ou implicite de rejet, cette dernière résultant du
silence de quatre mois gardé par l'autorité compétente.
A noter que les délais normaux ne connaissent pas d'exception légale;
la seule exception admise est d'ordre jurisprudentiel. En effet, le juge
administratif a déclaré à plusieurs reprises que le cas de force majeure
constitue une cause suspensive du recours contentieux. L'affaire DIHAZIN
BASSOLETH Damasse l'illustre bien: par arrêté n° 718/TFP/P du 16
novembre 1967, le Ministre de la Fonction Publique et du travail avait
révoqué le requérant, garde républicain de son état. La décision de
révocation lui avait été notifiée le 1er décembre 1967 ; mais le requérant
n'avait formulé sa requête contentieuse que le Il septembre 1969, soit
près de deux ans après notification de la décision attaquée. Pour se
justifier, le requérant avait soutenu que du 20 novembre 1967 au Il
novembre 1968, il avait été hospitalisé. Statuant sur la recevabilité de ce
recours tardif. la cour avait admis que la période allant du 20 novembre
1967 au Il novembre 1968 était un cas de force majeure suspensif du
délai de recours contentieux; en revanche, elle avait estimé qu'à partir du
Il novembre 1968 courait le délai de recours, d'où le requérant était
largement forclos en attaquant seulement le Il janvier 1969 :
"...
" Attendu qu'il est loisible d'admettre que durant cette période, les
circonstances de fait lui interdisaient l'usage de toute voie de recours dans
les délais normaux et qu'un véritable cas de force majeure suspendit
lesdits délais en sa faveur;

221
... Attendu cependant qu'à partir du
Il novembre 1968, date à
laquelle il quitta définitivement l'hôpital pour rentrer dans sa famille, il
avait toute latitude d'agir et de combattre l'arrêté le révoquant par toutes
voies de droit; que suspendu du 1er janvier 1967 au Il novembre 1968,
son délai de recours commençait à courir à partir de cette date pour
expirer le Il janvier 1968 ; qu'en effet, le caractère d'impossibilité
constitutif de la force majeure n'existait plus à partir du Il novembre
1968 et une prolongation au-delà de cette date de la suspension ne serait
pas fondée ... ".
Le juge voltaïque a ainsi comblé une lacune commise par le
législateur, laquelle, si elle avait été prise comme telle, aurait apporté une
autre limitation au recours contentieux.
4) En République togolaise
Le délai de recours est de deux mois pour les personnes domiciliées
au Togo; il est majoré d'un jour pour les parties qui n'y sont point
domiciliées (article 65 alinéa 2 de la loi 62-9 du 14 mars 1962). Ce délai
court de la date de la notification ou de la publication de la décision
attaquée. En cas de décision implicite de rejet (soit quatre mois de silence
gardé par l'autorité compétente), le requérant a deux mois pour attaquer;
sa requête en annulation doit, à peine de déchéance, être accompagnée
d'une pièce justifiant de la date du dépôt de la réclamation. Enfin, comme
partout ailleurs, si l'autorité administrative est un corps délibérant, le
délai de quatre mois est prorogé jusqu'à la fin de la première session
légale suivant le dépôt de la demande.
B) L"application des délais
L'analyse
de la jurisprudence voltaïque
montre
que
le juge
ad ministratif fait une application confuse des délais nor maux du recours

222
contentieux. Elle indique par ailleurs que certaines solutions adoptées dans
les cas d'espèce sont inadaptées au contexte socio-culturellocal. Il importe
de s'arrêter sur ces deux affirmations ...
1) Application CDnfuse des délais
normauI
Le délai normal du recours pour excès de pouvoir est de deux mois à
compter de la publication ou de la notification de la décision attaquée. Le
juge administratif, dans la plupart des cas, soulève d'office la forclusion
même si la défenderesse a oublié ou omis de l'invoquer. Seulement, cette
attitude n'est pas toujours rigoureuse. En effet, le juge se permet parfois
de recevoir implicitement, en statuant au fond, des recours formulés
largement hors délai. C'est le cas par exemple de la seconde affaire
syndicat national des enseignants africains de haute-Volta du
22
novembre 1968 jugée le même jour que la première.
Le requérant, par un recours en date du 20 juin 1968, attaquait les
arrêtés numéro: 239:EN/IA et 240/TFO/P du 7 juillet 1966 ; 249 et
256/TFP/P du 12 juillet 1966;
118 et 449/TFP/P du 21 août 1967;
792/TFP/P du 8 décembre 1967 ; 793/TFP/P du 7 décembre 1967.
Ces arrêtés avaient reclassé quatre cent quarante et un (441)
enseignants avec un an de retard quant à la solde "alors qu'il n'y avait pas
lieu de dissocier l'ancienneté elle-même des avantages pécuniers y
attachés".
En l'absence d'Un cas de force majeure, le juge aurait dû opposer un
fin de non-recevoir à la requête. Il n'en fut rien! En ne se prononçant pas
sur la recevabilité, le juge a admis un recours largement forclos. Cette
attitude est déplorable, car la fantaisie qui consiste tantôt à recevoir des
recours forclos, tantôt au contraire à soulever d'office ce moyen, institue
une discrimination injuste vis-à-vis des justiciables. L'alternative suivante

223
serait par conséquent bien venue: soit le juge reçoit systématiquement les
recours forclos quand la défenderesse omet de soulever l'irrecevabilité,
soit, par une application stricte des textes, il souléve ce moyen d'office.
La même confusion se retrouve au niveau des effets des recours
administratifs. Aux termes de la loi, un recours ad ministratif proroge le
délai du recours contentieux, mais ne peut avoir cet effet qu'une fois. Le
juge, généralement, en fait une application rigoureuse. Mais le problème se
pose quand le requérant formule plusieurs recours administratifs. Il est
arrivé plusieurs fois que le juge ait admis un recours largement forclos en
tenant compte d'un deuxiéme recours ad ministratifs, donc censé avoir eu
le même effet que le premier. Deux affaires jugées le même jour en
témoignent:
- affaire ZABRE NIKIEMA Barthélémy et consorts du 23 février 1968:
les req uérants, certifiés de l'EN A, avaient été intégrés en catégorie C,
échelle 1 par arrêté du Ministre de la Fonction Publique et du Travail en
date du 25 juillet 1967, avec un rappel d'ancienneté de dix huit mois alors
que leur scolarité effective à l'ENA fut de vingt mois. Le 1er septembre
1967, ils formaient un recours gracieux tendant à obtenir le bénéfice de la
pleine ancienneté correspondant par conséq uent à la scolarité effective,
soit vingt mois au lieu de dix huit. Ce recours gracieux fut rejeté le 14
septembre. Le délai du recours contentieux expirait donc le 15 novembre.
Le 15 septembre, les requérants formaient un second recours gracieux qui
fut rejeté le Il octobre. Et c'est seulement à la suite de ce deuxiéme rejet
qu'ils formèrent le 2 décembre 1967 leur pourvoi contre les arrêtés dont
s'agit. Le juge a cependant déclaré, de façon inexplicable, leur requête
recevable. Il a donc tenu compte du deuxième recours gracieux qui a eu
pour effet de proroger pour la deuxième fois le délai de recours
contentieux, contrairement à
la loi et contrairement à
sa propre

224
jurisprudence de l'affaire SA WADOGO Yalgado Bernard du 27 décembre
1968 ;
- affaire OUEDRAOGO Adama et autres du 23 février 1968 : par un
recours formé le 4 décembre 1967, les requérants brevetés de l'ENA,
attaquaient des arrêtés du Ministre de la Fonction Publique datant de
juillet et d'août 1967 les ayant reclassés en catégorie B 1 avec un rappel
d'ancienneté de dix huit mois au lieu de deux ans effectifs de scolarité. Un
recours gracieux avait été formé le 1er septembre 1967 et rejeté le 14
septembre. Pour admettre le recours contentieux, la cour a tenu compte
d'un deuxième recours gracieux formé le lS septembre et rejeté le Il
nove mbre. Pourtant le recours ad ministratif préalable ne peut conserver
le délai de recours contentieux qu'une seule fois !
Un début d'explication aurait pu être trouvé à cela dans l'affaire
ZACSONGO Mamadou Félix Christian du 13 décembre 1968 si la cour ne
s'était pas exprimée de façon on ne peut plus obscure.
En effet, statuant sur la requête en date du 6 mai 1968 dirigée
contre l'arrêté 636/TFP/P du 24 octobre 1967 lui refusant des avantages
de carrière (droit d'avancement au grade principal), la cour devait
notamment déclarer:
"... Attendu que le requérant, après avoir régulièrement soumis au
Ministre du Travail et de la Fonction Publique un recours gracieux le 13
novembre 1967, reçut notification de son rejet le S janvier 1968, qu'il
avait donc jusqu'au S mars 1968 pour saisir la chambre administrative;
mais qu'au lieu d'ester dans ce délai comme il l'eût dû, il adressa à la
même autorité administrative un nouveau recours gracieux identique au
premier et attendit la notification du second rejet, à lui faite le 27 avril
1968, pour ne déposer sa requête introductive d'instance que le 6 mai
1968 ;

225
... Attendu que si l'on peut opter initialement entre les voies gracieuse
et contentieuse pour attaquer une décision administrative, sous réserve
d'agir dans les deux mois de sa notification ou publication, il ne saurait
être per mis, par contre, de présenter successive ment plusieurs recours
gracieux similaires de termes contre une seule et même décision en faisant
reculer chaque fois d'autant le délai prévu par l'article IOde la loi
5/621AN du Il janvier 1962 ...".
Le dernier "Attendu", comme on le voit, n'est pas un chef d'œuvre de
clarté intellectuelle! "Il ne saurait être permis, par contre, de présenter
successivement plusieurs recours gracieux similaires de termes". A la
lecture, il semblerait que la cour admettrait soit un recours gracieux et un
recours hiérarchique,
soit deux recours gracieux ou deux recours
hiérarchiques mais de termes dissimilaires. Dans les deux cas, la cour
accepterait que le second recours administratif ait le mê me effet que le
premier, c'est-à-dire, reculer le délai du recours contentieux. S'il en était
ainsi. le juge administratif serait coupable de violation directe de la loi et
apporterait à la sécurité
du
commerce
juridique
une
dangereuse
instabilité.
2) Inadaptation de certaines solutions au
mnteIte socio-culturel local
Le juge administratif a décidé: d'une part, que l'exercice d'un
recours gracieux prouve que le requérant a eu connaissance de la décision
et fait courir le délai de recours contentieux mê me en l'absence de
notification; d'autre part, que l'administration qui répond au demandeur
forclos par une lettre de rejet rouvre les délais d'actions contentieuse.
Ces solutions ne sont pas, à la vérité, adaptées en Afriq ue.

226
a) En ce qui concerne la première
solution
Statuant sur la requête en date du 28 septembre 1968 du sieur
ATTACOUE Jérôme aux fins d'annulation de l'arrêté n° 489/TFP/P du Il
octobre 1961 du Ministre du travail et de la Fonction Publique le
révoquant de ses fonctions, la cour devait déclarer:
"...
" Attendu qu'il ne résulte pas du dossier que le requérant ait reçu
notification explicite de la décision le révoq uant ;
... Attendu cependant que l'exercice d'un recours gracieux prouvait
que le requérant avait acquis connaissance de la décision et faisait courir
les délais de recours contentieux, mê me en l'absence de notification;
...Attendu que le Il novembre 1961, le requérant adressait un
recours gracieux au Président de la République aux fins d'obtenir sa
réintégration, prouvant ainsi qu'il avait acquis connaissance de l'arrêté le
révoquant; que s'il ne reçut aucune réponse explicite de rejet, il lui
appartenait, conformément aux prescriptions de l'article la alinéa 2 de la
loi 5/62/ AN du Il janvier 1962, dans un délai de quatre mois après le
dépôt de sa requête, de la considérer comme rejetée et d'exercer, dans les
deux mois suivants, son recours contentieux ... ".
Cette solution est le produit d'une très facile et très grande
assimilation de la jurisprudence française, laquelle ne saurait être valable
ipso facto dans les nouveaux Etats où le contexte et le niveau économique,
politique, administratif et culturel sont totalement différents.
En faisant ici application de la jurisprudence du Conseil de l'Etat
français 1, la cour a méconnu et la pratique ad ministrative dans les
nouveaux Etats et la nature des rapports administration-administré.
En effet, il ne faut point perdre de vue que l'administration africaine
n'est
pas
encore
ce
monstre
impénétrable
qu'on
reconnaît
à
1 Conseil d'Etat, 4 avril 1952, Guband, Sirey, 1953 - III - 97 note Auby.

227
l'administration des pays développés. Les structures n'étant pas encore
gigantesques et l'élite étant minoritaire, tout le monde se connaît et se
connaît bien: les relations humaines étant encore trop empreintes de style
traditionnel, une décision administrative frappant un particulier est bien
vite portée à la connaissance de celui-ci. En Haute-Volta, il est de notoriété
publique que mêmes les décisions prises en Conseil des Ministres sont
connues dans la rue avant que le porte-parole du gouvernement n'en face
un compte rendu officiel. De ce fait, le particulier est toujours informé bien
avant la notification de la décision. Conscient de la situation, il ne va pas
rester les bras croisés! Toujours mû par les attitudes traditionnelles, il va
s'empresser, par tous les voies et moyens à sa disposition, de faire
rapporter cette décision. Ainsi, le recours gracieux adressé par le
requérant, dans le cas de l'espèce, au Président de la République, bien
avant la notification de la décision, ne devait pas s'analyser com me un
recours administratif préalable en bonne et due forme, mais simplement
comme une intervention auprès du "père" de la nation. C'est une voie
traditionnelle de règlement des conflits qui vient se superposer à la voie
moderne. Le développement de la justice administrative aurait donc à
gagner à ce qu'on ne tienne pas compte de cette voie traditionnelle. Par
conséquent, il eût fallu retenir, comme point de départ du délai de recours
contentieux,
la notification de
la décision,
sinon
il suffirait que
l'administration, qui connaît cette mentalité africaine, recourt à ce "truc"
(informer l'administré par les voies traditionnelles de l'existence d'une
décision le concernant sans la lui notifier et provoquer ainsi ses démarches
gracieuses jusqu'à épuisement du délai de recours contentieux) et le
contentieux administratif deviendra une institution programme: l'illégalité
sera toujours couverte par les sujets de droit eux-mêmes!
Ce point de vue peut d'ailleurs être renforcé si l'on examine la
conduite de l'administration en la matière. Lorsqu'elle prend une sanction

228
et que la personne frappée vient solliciter le rapport de cette mesure ou
son aménagement, l'autorité administrative elle-même, victime des
attitudes traditionnelles, a l'habitude de dire: "Je vais voir cela; je vais
saisir le Ministre (ou le Président si c'est le Ministre qui est saisi)". Ces
promesses, faites à la manière africaine, ont cet effet de faire arrêter, au
niveau de l'intéressé, toute action récursoire: il a peur de blesser l'autorité
qui a fait montre de meilleur sentiment à son égard et il sait qu'en
attaquant, il perd toutes les chances d'un règlement à l'amiable et crèe le
risque de voir la décision de justice inexécutée si rendue en sa faveur.
En
définitive,
la
solution
adoptée
paraît
erronée.
Le
juge
administratif devrait plutôt faire une application stricte des textes en
matière de délai de recours contentieux, à savoir deux mois à compter de
la notification ou de la publication de la décision attaquée, toute initiative
du requérant, antérieure à cette notification, devant être considérée
com me un leg de la société traditionnelle sans portée ni effet en droit
moderne; on éviterait par là même les très nombreux cas d'irrecevabilité
pour forclusion qui favorisent l'illégalité.
D'ailleurs, le juge administratif voltaïque applique cette solution
empruntée à tort: il a oublié les dispositions de l'ordonnance 75-23/PRES
du 6 mai 1975 fixant les règles d'application des lois et ordonnances,
décrets et arrêtés ministériels, ainsi que les actes administratifs à
caractère individuel. Ce texte, à la vérité, modifie les données du problème
des délais de recours contentieux. Aux termes de cette ordonnance, les
textes législatifs et réglementaires ne sont applicables et exécutoires que
huit jours francs après leur publication au journal officiel, ce délai courant
à compter du jour de parution du numéro du journal officiel. Quant aux
décisions individuelles, elles prennent effet à la date de leur notification,
celle-ci étant établie par le récépissé de la partie intéressée ou, à défaut,

229
par l'originaire de la notification conservée dans les archives de l'autorité
dont émane la décision.
Il en résulte qu'en pratique les délais de recours contentieux sont
beaucoup plus longs, surtout en ce qui concerne les actes réglementaires
(le journal officiel apparaissant en moyenne avec trois semaines de retard,
auquel délai il faut ajouter les huit jours francs).
Quant aux décisions individuelles, celles-ci n'ont de valeur juridique
qu'à la date de leur notification qui doit être opérée de façon formelle. Une
décision individuelle non notifiée est censée en Haute-Volta n'avoir pas
encore d'existence et, en tout cas, non créatrice de droits. Un recours
ad ministratif for mé contre une telle décision, en l'absence de notification,
ne sa ur ait excuser la fa ute de l'ad ministra tion et pénaliser le justiciable
voltaïque ; c'est une solution qui est valable pour d'autres traditions
administratives et pour d'autres mœurs....
b) En ce qui concerne la deuIiè me
solution
Elle apparaît également inadaptée au contexte actuel des pays
africains. Le juge administratif voltaïque l'a adoptée dans l'affaire DAMA
Adama du 10 novembre 1972. Les faits de l'espèce étaient les suivants:
au cours de l'année 1965, le requérant avait assuré l'intérim du chef de
mission de la délégation permanente de Haute- Volta au Mali, en l'absence
de titulaire évacué sanitaire. A la fin de cet intérim, il avait demandé au
Ministre
des
affaires
étrangères
à
bénéficier
des
indemnités
de
représentation correspondantes, d'une valeur de trois cent soixante treize
mille huit cent trente trois francs (373.833 F).
Par lettre n° 4795/DO/TJ du 19 décembre 1966, le Ministre des
affaires étrangères avait accédé à sa demande tout en lui indiquant "qu'un
certain laps de temps s'avérera nécessaire pour la récupération préalable

230
desdites indemnités qu'avait indûment perçues le chargé d'affaires
DIALLO Daouda". Mais par lettre n° D12763 du 26 juillet 1967 non portée
à la connaissance du requérant, le Ministre des affaires étrangères
revenait sur sa décision initiale, rejetant la thèse de l'indu et informant le
Ministre des finances qu'il s'opposait à tout reversement.
Le requérant, las d'attendre et pensant que le retard était dû aux
services des finances, adressa le 25 mars 1971 une lettre de rappel au
Ministre des finances. Celui-ci ne devait y répondre que onze mois plus
tard par lettre n° 312/MFC/DB/B2 du 16 février 1972. C'est cette réponse
négative que le requérant déférait le 5 avril 1972 devant la chambre
administratif de la cou suprême pour excès de pouvoir. Statuant sur la
recevabilité, la cour devait d'abord décider que la lettre de rappel
adressée par le requérant le 25 mars 1971 au Ministre des finances
équivalait à un recours hiérarchique définitif, d'où le délai de recours
contentieux expirait le 27 septembre 1971. Mais:
"...
" Attendu qu'il eût déclaré forclos pour n'avoir introduit son recours
contentieux que le 5 avril 1972 si la défenderesse n'avait pas, nonobstant
cette forclusion, répondu par la lettre de rejet n° 312/MFC/DB/B2 du 16
février 1972 et rouvert ainsi les délais d'action qui furent cette fois
respectés, qu'il échet déclarer recevable la requête".
Cette décision est deux fois critiquable: au niveau de la forclusion de
principe, la lettre du requérant, en date du 25 mars 1971, a été considérée
à tort comme un recours hiérarchique définitif. Le Ministre des finances
n'est pas le supérieur hiérarchique du Ministre des affaires étrangères!
Le requérant, en s'adressant à celui-là, n'entendait pas demander
que les indemnités lui soient reversées; cela était un acquis sur la base de
la lettre n° 4795/DO/TJ du 19 décembre 1966 du Ministre des affaires
étrangères.
Ce
qu'il
recherchait, c'est
diligenter
la
procédure de
reversement desdites indemnités promises, d'autant plus que le Ministre

231
des affaires étrangères l'avait prévenu de la longueur de cette procédure.
C'est contre toute attente que le requérant s'est vu opposer une fin de non
recevoir par la lettre n° 312 du 16 février 1972 et, en attaquant ce refus
inattend u le 5 avril 1972, il avait agi dans les respect des délais normaux;
au niveau de la rouverture du délai du recours contentieux, le principe
selon lequel l'administration qui répond au demandeur forclos par une
lettre de rejet rouvre les délais d'action contentieuse apparaît également
inadapté au contexte actuel des Etats africains pour la raison suivante: le
requérant africain, comme il a été dit à plusieurs reprises, n'attaque
l'administration devant le juge que lorsqu'il est acculé, c'est-à-dire, sans
autre ressource. Beaucoup de justiciables préfèrent au besoin attendre que
l'autorité revienne "à de meilleurs sentiments" ou même espèrent un
changement de personne pour réintroduire leur réclamation, et ce, dans la
mesure où toute décision administrative est attribuée à un individu
("quelqu'un qui n'en veut"). Dans ces conditions, l'auteur de l'acte ou son
successeur ont toujours besoin de s'expliquer, de se justifier devant le
sujet de droit. Il s'agit d'une œuvre de formation, d'éducation des citoyens
de l'Etat
moderne, rendue d'autant plus nécessaire que les clivages
politique, régionaliste, ethnique ou religieux jouent énormément. Dans le
cas de l'espèce, la lettre de rappel du requérant était intervenue à la suite
d'un changement de gouvernement! Celui-ci pensait donc avoir plus de
chance de faire accélérer la procédure de reversement de ses indemnités;
or, la nouvelle autorité jugeait le refus de reverse ment comme fondé, d'où,
malgré l'expiration du délai de recours contentieux, sa réponse définitive
qui a permis, sinon le juge, de rouvrir ce ejélai.
En admettant donc que cet effort d'explication, de dialogue franc
entre l'administration et son administré "valide" la forclusion, le juge
compromet dangereusement la sécurité du droit.

232
En
définitive,
il
n'est
pas
bon
de
favoriser
les
attitudes
traditionnelles du requérant africain, apte "aux couloirs, aux interventions,
aux bras longs", Malheureusement, c'est ce à quoi tend cette solution
jurisprudentielle adoptée; une fois forclos, il sera toujours possible au
justiciable de provoquer l'administration bien plus tard et de s'arracher de
ce fait un nouveau délai contentieux.
Sous-paragraphe II : Les formes
La requête introductive d'instance est assujettie à un certain nombre
de formalités. Mais ces formalités n'ont pas le même contenu ni la même
portée juridique dans les cinq Etats. En effet, elles sont plus ou moins
nombreuses et lourdes, prescrites ou non à peine d'irrecevabilité. Il
convient par conséquent de les étudier au niveau de chaque Etat.
A) En République Populaire du Bénin
Les articles 64 à 67 de l'ordonnance 21/PR du 26 avril 1966
déterminent les formes auxquelles le recours pour excès de pouvoir est
soumis: la requête doit être signée du demandeur ou de son avocat;
lorsqu'elle émane d'une personne publique, elle est alors signée de
l'autorité compétente pour représenter l'Etat ou la collectivité publique
intéressée ou d'un fonctionnaire ayant reçu délégation à cet effet. La
requête doit mentionner les nom, prénom, profession et domicile du
demandeur ainsi que ceux du défendeur ; elle doit contenir en outre
l'énonciation des pièces qui y sont jointes, accompagnées, en vue de leur
communication à la défenderesse ou au défendeur, des copies certifiées
conformes, en autant d'exemplaires qu'il y a de parties au procès. Le
greffier en chef de la cour suprême doit en assurer la communication par
voie administrative ou par lettre recommandée avec accusé de réception.

233
La requête doit être accompagnée également d'une copie de la
décision attaquée et contenir l'exposé som maire des faits et moyens ainsi
que les conclusions du
demandeur.
Le
dépôt
de la requête
doit
s'accompagner également du paiement d'un droit fixe. Enfin, le législateur
béninois oblige le requérant à faire un recours administratif gracieux ou
hiérarchique préalablement au recours contentieux lorsque la requête
tend à demander l'annulation d'un acte ad ministratif individuel.
Toutefois, en République Populaire du Bénin, toutes ces dispositions
relatives aux formes des requêtes introductives d'instance, à l'exception du
recours
ad ministratif
préalable,
ne
sont
pas
prescrites
à
peine
d'irrécevabilité ; aux termes de l'article 67 de l'ordonnance 211PR, la
chambre administrative apprécie souverainement la recevabilité du
recours. A la vérité, cela ne manque pas d'intérêt certain; mais les
inconvénients qui peuvent en résulter ne sont pas moins évidents :
comment le juge pourra-t-il recevoir une requête dépourvue de moyens,
de conclusions, de copie de la décision attaquée, sans risque, dans sa
décision, d'excéder ses pouvoirs. Or, cette éventualité peut se réaliser: par
exemple, le juge est saisi d'une requête par laquelle un fonctionnaire se
plaint de ne pas avancer depuis x ans, alors qu'il a cinq femmes et dix sept
enfants à sa charge, requête non accompagnée de la décision de l'autorité
administrative, autrement dit en l'absence de décision préalable. Il suffit
que l'administration garde le silence en ne répondant pas à la requête (et
il est notoriété publique que les administrations ne font pas de mémoire
en défense et ne sont pas représentées à l'audience) pour que le juge
décide d'un avancement ou d'une nomination alors que le blocage dans
l'avancement du fonctionnaire en question peut être dû au fait qu'il a
atteint le grade principal de son corps ou qu'il ne remplit pas les
conditions pour bénéficier d'un reclassement catégoriel.

234
Il arrive par ailleurs qu'un fonctionnaire occu pant un poste de
travail techniq ue soit envoyé en stage en vue de son recyclage, de
l'actualisation de ses connaissances. Au retour, ce fonctionnaire peut se
prévaloir d'un certificat ou d'une simple attestation pour demander son
reclassement en la catégorie immédiatement supérieure. Si la requête
contentieuse ne comporte ni l'arrêté de mise en stage, ni les moyens du
requérant. et si l'administration dédaigne de répondre ou de se faire
représenter, le juge risque, là encore, d'opérer une nomination qui ne
ressortit pas à sa compétence. Pour le juge voltaïque, cette nomination
interviendra inéluctablement parce que, de jurisprudence établie dans
l'affaire KOANDA François de Sales et TRAORE Jean-Gabriel, précité, "le fait
d'envoyer des fonctionnaires en stage en leur faisant signer au départ un
engagement décennal constitue une volonté manifeste de l'administration
de les verser dès leur retour dans un corps nouveau et de catégorie
supérieure".
D) En R.épublique de Côte d"Ivoire
Les formes prescrites en Côte d'Ivoire sont les mêmes qu'au Niger. La
req uête introd uctive d'instance doit contenir les nom, profession et
domicile du demandeur et seulement les nom et domicile du défendeur;
elle doit contenir en outre l'objet de la demande, c'est-à-dire les
conclusions, l'exposé sommaire des moyens, l'énonciation des pièces dont
le requérant entend se servir et être accompagnée de la décision attaquée
ou de la pièce justifiant du dépôt de la réclamation hiérarchique ou
gracieuse.
Il faut relever d'ores et déjà deux points importants: d'abord, il n'est
pas fait mention de l'exposé de faits: on peut valablement se poser la
question de savoir comment le juge pourra-t-il découvrir "la vérité" en
l'absence de cet exposé des faits, surtout si l'annulation est demandée pour

235
illégalité relative aux motifs; ensuite, le législateur ivoirien a imposé le
recours administratif préalablement à tout recours pour excès de pouvoir:
les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les
décisions des autorités ad ministratives ne sont recevables que s'ils ont été
précédés d'un recours hiérarchique porté devant l'autorite administrative
immédiatement supérieure ou, à défaut, d'une telle autorité, d'un recours
gracieux adressé à l'auteur de la décision : ce recours ad ministratif
préalable doit être formé dans le délai de deux mois à compter de la
publication ou de la notification de la décision attaquée (article 75, loi 61-
201 du 2 juin 1961).
A la vérité, il n'y a pas que la Côte d'Ivoire qui a adopté cette
solution. Outre le Bénin, il yale Niger qui a fait de même dans des termes
identiques à la Côte d'Ivoire.
Au Bénin, il a été opéré une distinction entre les décisions de portée
générale
et
celle
de
portée individuelle.
L'obligation
du
recours
administratif préalable ne vise que les décisions de portée individuelle,
alors qu'elle est globale en Côte d'Ivoire. L'article 68 alinéa 2 de
l'ordonnance 211PR du 26 avril stipule en effet "qu'avant de se pourvoir
contre une décision individuelle, les intéressés doivent présenter un
recours hiérarchiq ue ou gracieux tendant à faire rapporter ladite décision".
A cette première différence entre le Bénin d'un côté, la Côte d'Ivoire et le
Niger de l'autre, s'ajoute une autre: au Bénin, le requérant a le choix entre
le recours gracieux et le recours hiérarchique alors qu'en Côte d'Ivoire et
au Niger, le recours
gracieux n'est formé
qu'à défaut du recours
hiérarchiq ue.
Au Niger, le recours hiérarchique ou, à défaut, le recours gracieux
obligatoire est prévu par l'article 104 de la loi 61-28 du lS juillet 1961. Il
faut souligner avec force que ce recours administratif préalable est une
grande barrière au recours pour excès de pouvoir; une barrière que le

236
juge
administratif respecte
de façon
systématique:
toute
requête
contentieuse non précédée d'un recours hiérarchique ou, à défaut, d'un
recours gracieux, est déclarée irrecevable l
irrecevable . Il s'agit là d'une volonté
manifeste d'intimider le requérant. En effet, dans des pays à régime
partocratique, ou le style du commandement ne souffre pas aisément des
velléités de contestation, l'obligation du recours ad ministratif préalable au
recours contentieux doit être considérée comme une mise en garde, un
délai forcé de méditation supplémentaire, étant entendu qu'en matière de
recours hiérarchique, le supérieur hiérarchique, autrement dit le Ministre
dans la plupart des cas, ne peut désavouer la décision prise par l'autorité
inférieure. Et comment le requérant, auquel le Ministre a conseillé de
renoncer d'une façon com me d'une autre à son action récursoire, avec
force argumentée où le bâton visiblement le dispute à la carotte comme il
est de coutume dans ces jeunes administrations, pourra-t-il passer outre à
ce "bon conseil, braver l'autorité administrative en attaquant devant un
juge soumis au pouvoir politique ou démuni en tout cas de moyen de faire
exécuter sa décision? Le recours administratif préalable ne peut que
favoriser l'esprit traditionnel: le requérant est engagé à faire les couloirs,
solliciter des interventions dont l'issue sera la forclusion.
La requête peut être signée par un avocat du barreau, auquel cas, la
signature de ce dernier vaut constitution et élection de domicile en son
étude. En revanche, si la partie n'est pas représentée par un avocat alors
qu'elle n'est pas domiciliée à Abidjan, elle est tenue de faire élection de
domicile en cette ville.
Enfin, la requête
doit être accompagnée de copies certifiées
conformes par le requérant, destinées à être notifiées aux parties en cause.
Ces copies ne sont pas assujetties aux droits de timbre ('article 82 de la loi
1 Chambre administrative, cour supréme de Côte d'Ivoire, 27 février 1974, Latté
Kolasso.

237
61-201 du 2 juin 1961)
le dépôt de la requête doit être accompagné du
versement du droit fixe.
On doit relever ici une insuffisance de taille: c'est la requête seule,
semble-t-il, qui doit faire l'objet de copies certifiées conformes et non pas
les
autres
pièces
et documents versés
au
dossier.
Le
caractère
contradictoire de la procédure ne se trouvera-t-il donc pas compromis? La
pratique seule peut apporter des corrections à ces lacunes des textes.
Ceci étant,
le
juge
ivoirien
sanctionne
plus
vigoureusement
qu'ailleurs la violation des formes prescrites. Ainsi, dans l'affaire KOFFI
Konan et autres, du 29 mai 1974, est déclarée irrecevable, une requête qui
n'a été écrite, signée et déposée ni par les parties ni par un avocat !
Seulement, à généraliser cette solution, on exclut les 9/l0ème de la
population de la justice ad ministrative : co mment l'ad ministré domicilié à
des centaines de km de la capitale, analphabète, pourra-t-il écrire, signer
et déposer sa requête ou le faire faire par un avocat qu'il ne peut atteindre
ou dans le cas échéant, dont il ne peut verser les honoraires! Les masses
rurales africaines n'ont pas les moyens pour ouvrir et suivre leurs actions
récursoires. Par la centralisation de la i ur idiction ad ministrative et par
l'écrit, on les condamne à subir les actes administratifs légaux ou illégaux.
C) En R.épublique de Haute-Volta
L'article 8 de la loi 5/62/ AN du Il janvier 1962 stipule que la
requête doit contenir l'exposé sommaire des faits
et moyens, les
conclusions, nom et demeure des parties, ainsi que l'élection de résidence à
Ouagadougou ou, innovation par rapport aux autres pays, en un chef lieu
de département de Haute-Volta. Cela per met au de mandeur habitant loin
de la capitale de saisir la chambre administrative sans avoir à supporter
des frais de déplacement.

238
En cas de recours contre la décision d'une autorité ad ministrative,
une copie de cette décision est jointe à la requête. Celle-ci, ainsi que les
mé moires, et
toutes
les
pièces
produites
à l'appui,
doivent être
accompagnées d'autant de copies que de parties visées dans la requête. Si
la décision de l'autorité administrative est implicite, la requête doit, à
peine de déchéance, être accompagnée d'une pièce justifiant de la date du
dépôt de la réclamation. En Haute-Volta, les recours ad ministratifs sont
facultatifs et le droit fixe est de 1.000 F CFA.
Ceci étant, le juge administratif veille à la présentation formelle de la
requête, mettant l'accent sur la sérénité du langage et décidant librement
de la suppression des écrits diffamatoires. Le cas type et typique est
donné dans l'affaire CABORET Clément contre République de Haute-Volta
du 13 février 1970. Le requérant s'était épandu en propos injurieux
envers le directeur de la Fonction Publique, voire le ministère tout entier.
Il avait été noté particulièrement ceux-ci :
10
1 "Permellez-moi de manifester mon indignation totale quant à la carence
notoire de notre Fonction Publique qui, non seulement ne connaît pas la
situation de certains fonctionnaires, mais ne cherche même pas à la
connaître" ;
2°) "j'ai honte quand alors je lis cette phrase de l'aide mémoire... Je n'ai pas
trouvé de qualificatif pour cette monstruosité. On voir bien à partir de là
que l'esprit n'est plus celui d'une administration mais d'une personne
cynique, aussi bornée que butée, à qui on a donné le droit de sortir de
pareilles absurdes que de confondre à dessein A et B".
3" "Eu égard à ce qui précède, la phrase "il n'est pas superflu de faire
remarquer qu'aucune hiérarchie n'a été établie entre le diplôme de la
catégorie A et celui de la catégorie B" de l'aide mémoire, loin d'être une
fierté pour notre Fonction Publique, n'est pas l'apanage de son ignoble
méconnaissance des textes confectionnés par elle-même, mettant ainsi à

239
nu l'incohérence, le désordre et l'incompétence dans le travail dont souffre
cette administration, ainsi que le bas niveau et la cupidité de ses agents".
4° "Nous sommes purement et simplement victimes de l'ignorance du
directeur du personnel du ministère de la Fonction Publique, M. LOUA RI
qui n'a aucune notion juridique ni aucun sens de jugement et qui passe
pour être le manie-tout de ce ministère en dépit de son ignorance
insolente et endé miq ue".
5° "11 n'est pas à douter que, si l'on rendait le personnel de notre Fonction
Publique seul responsable des actes qu'il confectionne, un lynchage s'en
suivrait dans les 2 4 heures".
6 ° "Je suis passé de l'aide- mémoire au contenu de la lettre 263 afin
d'essayer de vous faire ressortir clairement ce dont nous sommes victimes,
en laissant de côté toutes les autres correspondances qui sont marquées
par la confusion, la bassesse et la stupidité de notre Fonction Publique. Il
s'agit simplement, et cela, je ne peux cesser de le dire, de l'ignorance. de
l'incompétence, de la carence et du sous-développement de notre
ministère de la Fonction Publique".
7° "Que l'aide- mémoire de la Fonction Publique est dénué de toutes
rèalités et ne contient rien de vrai ni d 'honorable propre à une
ad ministration digne de ce nom; qu'il n'y a pas de ce fait à douter que
nous som mes victi mes de l'ignorance et de la carence de notre Fonction
Publique".
8 ° "La Fonction Publique voltaïq ue nous a particulière ment prouvé dans
les cas que je viens de vous soumettre qu'elle était amplement sclérosée et
mue par des agents nourris par les tempéraments partisans au détriment
des règles les plus élémentaires qui doivent régir le fonctionnement de
toute administration honorable".
Si ce cas paraît exceptionnel, par l'importante littérature diffamatoire
et injurieuse, il reste que beaucoup de requêtes contiennent des notes

240
piquantes à l'adresse du fonctionnaire à l'origine de la décision. Le recours
contentieux apparaît alors comme une tribune libre où le requérant peut
déverser sa bile et tout son ressentiment à l'égard de l'agent "qui lui en
veut personnellement et particulièrement".
Dans le cas de l'espèce, la cour a déclaré:
"...
" Attendu qu'aux termes de l'article 38 de la loi 20-59/ AL du 31
août 1959, si les écrits produits devant les tribunaux ne peuvent donner
lieu à action en diffamation, injure ou outrage, les juges saisis de la cause
sont habilités à prononcer leur suppression et à accorder des dommages-
intérêts;
... Attendu que les écrits susrelatés ne servent aucunement à une
défense plus efficace des thèses du demandeur, qu'ils relèvent davantage
du libellé ou de l'épigramme que de l'exposé normal des griefs et sont
injurieux, tant à l'encontre du Ministre de la Fonction Publique que de
certains de ses membres, qu'il échet les supprimer".
Enfin, le juge déclare systématiquement irrecevables les requêtes
dont le dépôt n'a pas été accompagné dans le mois du versement du droit
fixe (en sont cependant dispensées les administrations publiques et les
collectivités locales) ; le juge administratif en fait une stricte application:
dans l'affaire André BOUTIN contre gouvernement de Haute-Volta du 22
décembre 1972, la cour devait notamment déclarer:
"... Attendu qu'aux termes de l'article 22 de la loi 5/62/ AN du Il
janvier 1962 fixant les règles de procédure à suivre devant la juridiction
administrative, tout requérant en annulation doit, à peine d'irrecevabilité,
verser un droit fixe de 1.000 Francs dans le mois de dépôt de sa requête;
... Attendu qu'ayant introduit son recours le 27 juin, BOUTIN André
avait jusqu'au 29 juillet 1972 pour acquitter ledit droit; qu'il ne s'exécuta
jamais et méconnut, ce faisant, les prescriptions de l'article 22 dont il lui
faut appliquer les strictes dispositions".

241
D) En République togolaise
C'est la procédure de l'appel des décisions du tribunal administratif
devant la chambre administrative qui est applicable en matière de recours
pour excès de pouvoir porté devant la chambre ad ministrative. Deux
particularités propres à cette procédure: d'abord, en République togolaise,
la requête des parties doit être signée par un avocat inscrit au barreau de
la cour d'appel du Togo; ensuite, elle est soumise, ainsi que les mémoires
produits à l'appui, aux droits de timbre et d'enregistrement: il s'agit là
également de deux limitations apportées à l'action récursoire.
Au Niger et en Côte d'Ivoire, seule la requête est soumise au droit de
timbre. En revanche au Bénin, le demandeur est tenu, sous peine de
déchéance, de consigner au greffe de la cour suprême, une somme de
5.000 Francs dans un délai de quinze jours à compter d'une mise en
demeure qui lui sera faite par lettre recommandée ou notification
administrative; en cas de rejet du pourvoi ou du recours, cette somme est
acquise au trésor. Les personnes morales de droit public sont dispensées
de
cette
consignation.
En
additionnant
les
droits
de
timbre
et
d'enregistrement, le droit fixe, les honoraires d'avocats et les dépens, on
s'aperçoit que les frais de justice sont relativement élevés dans le contexte
socio-économique
des
pays,
donc
un frein
au
développement du
contentieux.
Paragraphe IV : Les effets de la requête
La requête contentieuse a un effet dévolutif et un effet non
suspensif.
- effet dévolutif: le juge ne peut pas se saisir lui-même d'une affaire;
saisi d'un recours pour excès de pouvoir, il doit statuer sur les conclusions
du requérant et examiner tous les moyens présentés à l'appui de la

242
requête. Nous
avons vu
plus
haut comment le
juge administratif,
notamment le juge administratif de Haute- Volta, enfreint régulièrement à
ces dernières règles tantôt en omettant de se prononcer sur toutes les
conclusions, tantôt en statuant ultra petita.
En revanche, les moyens d'ordre public, à savoir l'incompétence et le
champ d'application de la loi, semblent être entendus et soulevés
généralement de façon satisfaisante.
Mais l'effet dévolutif de la requête pose un problème connu en son
temps par le Conseil d'Etat français, notamment avant la réforme de 1953 ;
il s'agit de la longueur de la justice administrative. En Haute-Volta par
exemple, la durée moyenne d'une affaire est de six (6) mois deux (2) jours.
C'est trop, quand on se réfère au faible volume des recours.
L'explication doit être recherchée, non pas dans le fonctionnement de
la cour suprême, mais dans le circuit proprement administratif: les
recours introd uits à la cour suprême, une fois enregistrés, sont acheminés
au commissariat central de police qui les fait parvenir à la direction
générale de la sûreté. A son tour, celle-ci les adresse au Ministre de
l'intérieur; le cabinet du Ministre en prend note avant de les ventiler; la
requête est transmise au préfet de ville si la commune est en cause, au
Ministre de tutelle de l'établissement public incriminé ou, pour tout le
droit de la Fonction Publique, au Ministre de la Fonction Publique. Dans ce
dernier cas qui nous intéresse (la grande majorité des litiges administratifs
concernant la situation des agents de l'Etat), le Ministère de la Fonction
Publique a un service de coordination et du contentieux qui prépare les
mémoires en défense de l'administration, en collaboration avec l'autorité
dont l'acte est contesté. Ces mémoires en défense reprennent le même
circuit qüe la reqüête introductive d'instance et, comme il arrive souvent
que le requérant réplique audit mémoire, ainsi de suite, il se passe un long

243
temps entre la date d'introduction du recours et le prononcé du jugement:
la juridiction est, en d'autres termes. déjà engorgée!
- effet non suspensif: le sursis à exécution, contrepoids utile à l'effet
non suspensif des requêtes contentieuses a été expressément prévu dans
tous les pays membres du Conseil de l'Entente. à l'exception du Togo où
son application est d'ordre jurisprudentiel.
Au Bénin, le sursis à exécution peut être ordonné dans les conditions
fixées par l'article 73 de l'ordonnance 21/PR du 26 avril 1966. Cet article
dispose en effet que "sur demande expresse de la partie requérante, la
chambre ad ministrative peut, à titre exceptionnel, ordonner le sursis à
l'exécution des décisions des autorités ad ministratives contre lesq uelles a
été introduit le recours en annulation".
Le sursis à l'exécution ne peut être accordé que si les moyens
invoqués paraissent sérieux et si le préjudice encouru par le requérant est
irréparable.
Ainsi, le sursis à exécution revêt le même caractère exceptionnel
qu'en France, mais la loi béninoise est muette sur le cas des actes
ad ministratifs intéressant l'ordre public.
En Côte d'Ivoire et au Niger, si une décision administrative déférée à
la chambre administrative pour annulation n'intéresse ni le maintien de
l'ordre, ni la sécurité, ni la tranquillité publique et si une requête expresse
à fin de sursis lui est présentée. la chambre administrative peut, à titre
exceptionnel, prescrire qu'il soit sursis à l'exécution de cette décision. A la
différence du Bénin. la demande de sursis obéit à la même procédure que
celle du recours initial, cependant que l'instruction en est poursuivie
d'extrême urgence. La juridiction doit statuer par arrêt motivé rendu en
audience publique. Une copœ de larrét est. dans les 24 heures, notifiée,
dans la forme ad ministrative, aux parties en cause ainsi qu'à l'auteur de la
décision attaquée, dont les effets sont suspendus à partir de la notification.

244
En Haute-Volta enfin, l'article 21 de la loi 5/621AN du Il janvier
1962 stipule que "sauf dispositions législatives spéciales, la requête n'a
point d'effet suspensif s'il n'en est autrement ordonné par la chambre
administrative sur demande expresse d'une partie". Il est statué d'urgence
sur la demande en sursis d'exécution, le requérant et l'autorité ayant
rendu la décision étant appelés à la plus proche audience utile sans
observation de délai. Le sursis à exécution ne peut être accordé lorsque la
décision attaquée intéresse le maintien de l'ordre, la sécurité et la
tranquillité publiques.
Le juge administratif accorde le sursis à exécution quand quatre (4)
conditions sont réunies: la demande expresse du requérant; la décision
attaquée ne concerne pas le maintien de l'ordre, de la sécurité et de la
tranquillité publiques; le but visé par l'administration ne revêt pas un
caractère d'urgence; l'exécution de la décision attaquée risque de troubler
l'ordre public existant.
Il en est ainsi dans l'arrêt avant dire droit du 8 juin 1973, Zadjo
BASSOLET contre gouverne ment de Haute-Volta (collectivité rurale de
Réa). Dans cette affaire, le requérant, chef de village de Réa, faisait grief à
la collectivité rurale dudit village, de ce qu'un morcellement, non prévu
sur le plan d'urbanisme initial que l'on avait soumis à son approbation,
affectait la maison-mère de la famille BASSOLET qui, à l'instar du bâtiment
de la sous-préfecture, de l'église. du bois sacré et du cimetière, constitue
l'un des points intangibles de Réa. compte tenu de ce que:
- les divers chefs de la famille BASSOLET, qui sont aussi chefs de Réa
et des terres, y résidèrent successivement selon la coutume;
- des fétiches, enterrés en ces lieux, ne sauraient être déplacés;
- l'ethnie Gourounsi de la région de Réa attribue à l'édifice lui-même
un intérêt historiq ue et culturel qu'il convient de préserver.

245
Le
requérant
demandait
en
outre
que
soient
suspendus,
immédiatement et jusqu'au règlement définitif, les travaux de percement
des murs et d'abattage auxquels l'on a commencé à procéder en vue du
parcelle ment.
Statuant sur la demande de sursis, la cour devait déclarer:
"...
" Attendu que l'article 21 de la loi 5/26/ AN du Il janvier 1962
dispose que les recours à la juridiction administrative n'ont ordinairement
point d'effet suspensif mais qu'il en peut être autrement ordonné sur
demande expresse d'une partie et dans la mesure où la décision attaquée
n'intéresse pas le maintien de l'ordre, la sécurité et la tranquillité
publique;
... Attendu que le but visé par la défenderesse (parcellement et
aménagement de l'agglomération urbaine de Réo) ne revêt pas un
caractère d'urgence tel qu'il faille passer outre à certains intérêts dont on
doit préalablement apprécier la légitimité,
qu'une
mise en œuvre
prématurée des travaux de percement risquerait au contraire de troubler
l'ordre public existant"...
Il reste que le sursis à exécution est exceptionnel, le cas de l'espèce
constituant le premier du genre ...
Section II : L'instance
Au niveau de l'instance, trois points méritent de retenir l'attention, à
savoir le déroulement proprement dit de l'instance, l'instruction et
l'audience ...
Paragraphe 1 : Le déroulement de l'instance
Il s'agit plus précisément ici de la marche d'une affaire à l'intérieur
de la jur idiction.

246
Au Conseil d'Etat français par exemple, une affaire est examinée au
minimum par trois personnes individuellement, à savoir le rapporteur, le
réviseur et le commissaire du gouvernement et par deux formations
collégiales qui sont d'une part la formation d'instruction et de l'autre la
for mation
de
jugement. Pour
les
affaires
importantes,
il y
a les
interventions de la section du contentieux et de l'assemblée plénière.
Ainsi, il y a, selon le mot de G. BRAIBANT, beaucoup de filtres qui
constituent autant de barrières à l'erreur de jugement.
Dans les Etats membres du Conseil de l'Entente, il n'en est rien de
cela. L'organisation et la composition de la cour suprême ne peuvent
d'ailleurs pas le permettre. Les conséquences en sont que les affaires ne
font pas l'objet de multiples et différents examens, ce défaut étant aggravé
par le fait que le ou les "examinateurs" ne sont pas des spécialistes du
droit administratif dont ils ont à faire application.
Ceci dit, les différentes étapes du déroulement des affaires varient
d'un pays à un autre.
1) Au Bénin
En République Populaire du Bénin, la requête enregistrée au greffe
de la cour suprême est adressée par le greffier en chef au Président de la
cour suprême qui saisit le Président de la chambre administrative. La
première étape du déroulement est marquée par la désignation d'un
conseiller rapporteur, Celui-ci, aux termes de l'instruction, rédige son
rapport et transmet le dossier au parquet général. Le Président de la
chambre fixe la date de l'audience. La cour statue, le rapporteur et le
ministère public entendus. Ainsi, l'affaire n'est examinée que par deux
personnes tout au plus: le rapporteur et l'avocat général.

247
La procédure est bien faible et elle l'est d'autant plus que la décision
de la cour est rendue en premier et dernier ressort, sans possibilité de
cassation.
2) En Côte d"Ivoire et au Niger
Les requêtes en annulation pour excés de pouvoir sont déposées au
secrétariat général de la cour suprême où elles sont inscrites, à leur
arrivée, sur un registre d'ordre tenu par le secrétaire général et marquées
en outre, ainsi que les pièces qui y sont jointes, d'un timbre indiquant la
date de l'arrivée. Le secrétaire général délivre aux parties qui en font la
demande un certificat qui constate l'arrivée au secrétariat général de la
requête et des mémoires produits. Immédiatement après l'enregistrement,
la requête est remise au Président de la chambre administrative qui
désigne un conseille-rapporteur auquel le dossier est transmis dans les 24
heures. Celui-ci dresse un rapport écrit qui, aux termes de l'article 20 de la
loi 61-28 du 15 juillet 1961. relate les incidents de la procédure et
l'accomplissement des formalités légales, expose les faits de la cause tels
qu'ils paraissent établis par les pièces et, éventuellement, les mesures
d'instruction ordonnées, analyse les moyens des parties, énonce les points
à trancher, sans donner son avis et il se dessaisit du dossier par une
ordonnance de renvoi devant la chambre administrative.
Le rapport et l'ordonnance de renvoi sont notifiés aux parties en la
forme administrative par les soins du secrétariat de la chambre. Les
parties ont un délai de quinze (15) jours pour fournir leurs observations
écrites et déclarer formellement qu'elles entendent présenter ou faire
présenter par un avocat des observations orales. Le Président fixe la date
de l'audience où l'affaire sera appelée et jugée sur pièces, les parties ou
leurs défendeurs étant entendus le cas échéant.

248
Il n'y a donc ici qu'une seule personne qui examlne à fond l'affaire
avant le jugement. A moins qu'elle ne fasse
preuve de compétence
confirmée en droit administratif, ce qui n'est pas à priori le cas, compte
tenu de l'absence d'un corps de juges administratif spécialisés, elle ne
saurait à elle seule assurer une saine interprétation du droit et dégager
une jurisprudence cohérente et satisfaisante.
3) En Haute-Volta
Les requêtes et, en général, toutes les productions des parties sont
déposées au secrétariat général de la cour suprême. Mais à la différence
des autres pays, elles peuvent également être adressées en franchise au
Président de la cour suprême et les requêtes introduites en matière de
contributions directes ou d'élection peuvent être déposées entre les mains
du sous-préfet du domicile du requérant; dans ce cas, le sous-préfet
mentionne sur toutes les pièces la date du dépôt, en délivre reçu et en
assume sans délai la transmission à la cour suprême où elles sont
enregistrées comme les autres requêtes mais prennent effet de la date du
dépôt entre les mains du sous-préfet. Il faut reconnaître le bien-fondé de
ces dispositions qui permettent aux administrés de province de saisir la
juridiction sans déplacement coûteux.
La requête régulièrement enregistrée et présentée est transmise à
un conseiller-rapporteur désigné par le Président de la chambre. Celui-ci,
aux termes de l'alinéa 2 de l'article 9 de la loi 5/62/ AN du Il janvier
1962, peut ultérieurement pourvoir au remplacement du conseiller-
rapporteur. Cette disposition paraît également fort utile: si l'affaire, à un
moment donné de l'instruction, paraît dépasser les compétences du
conseiller-rapporteur ou susciter des complications qu'il n'est pas en
mesure de résoudre, il est juste et normal qu'il soit remplacé par un
conseiller plus apte ou plus qualifié en la matière.

249
Après avoir dressé son rapport, le conseiller-rapporteur transmet le
dossier au procureur général qui examine à son tour l'affaire, fait des
conclusion écrites. L'affaire est ensuite inscrite au rôle d'audience de la
cour.
A l'audience, il est procédé à la lecture du rapport du conseiller-
rapporteur; le procureur général est entendu en ses conclusions écrites et
orales, ainsi que les parties ou leurs défenseurs ; l'affaire est donc
examinée par deux personnes individuelles et par une formation de
jugement.
4) En République togolaise
Le déroulement de l'instance présente un particularisme plus
accentué. C'est le secrétaire général de la cour suprême qui, le premier,
examine l'affaire au fond. En effet, lorsqu'il apparaît au vu de la requête,
que la solution de l'affaire est d'ores et déjà certaine, le secrétaire général
de la cour suprême peut décider qu'il n'y a pas lieu à instruction et
transmettre le dossier au Président (de la cour suprême). S'il estime au
contraire qu'il y a lieu à instruction, il fixe le délai dans lequel les
mémoires ou les observations doivent être produits et il le notifie au
défenseur en même temps qu'il lui fait parvenir une copie de la requête et
des pièces annexes.
Lorsque l'affaire est réputée en état, le dossier est remis au
Président de la cour suprême qui désigne un rapporteur. Ce rapporteur est
la deuxième personne qui examine à fond l'affaire. Et à la différence des
autres pays, un délai lui est assigné par le Président pour établir son
rapport. La troisième personne à examiner l'affaire est le procureur
général, commissaire du gouvernement (article 69 de la loi 62-9 du 14
mars 1962) qui fait ses conclusions écrites. Le dossier définitivement
constitué est adressé par le secrétaire général au Président de la cour

250
suprême qui fixe la date de l'audience et en fait donner avis par le
secrétaire général au procureur général et aux parties ou à leurs conseils.
A l'audience, il y a d'abord la lecture par le conseiller-rapporteur de son
rapport; ensuite les parties présentent leurs observations orales; enfin le
procureur
général,
commissaire
du
gouvernement,
développe
ses
cond usions.
Il semble bien en définitive qu'une plus grande garantie de sérieux
est ap portée à l'examen des recours, préjugeant par là mê me de la sagesse
de la décision rendue.
Paragraphe II : L'instruction
L'instruction est la phase à la fois écrite et secrète de la procédure
ad ministrative contentieuse. C'est également une phase qui prévoit l'aspect
contradictoire de la procédure par la notification aux parties des pièces du
dossier et par la signification par celles-ci à la juridiction de leurs réponses
et observations. L'aspect inquisitoire tient au fait que c'est le conseiller-
rapporteur qui dirige la procédure.
L'article 51 de l'ordonnance béninoise 21PR du 26 avril 1966 le
stipule expressément. Dans ce pays, le conseiller-rapporteur qui assure
l'instruction de l'affaire a de larges pouvoirs. Il ordonne notamment
communication du dossier de l'affaire aux autorités compétentes en cas de
besoin, ce qui constitue un recours appréciable apporté au demandeur qui
n'aurait aucun moyen de détenir des pièces dècisives retenues par
l'ad ministration ; le juge d'instruction procède également à toutes mesures
d'instruction qu'il estime nécessaires. Il assigne aux parties en cause un
délai pour produire leurs mémoires; ce délai ne peut être inférieur à un
mois, sauf en cas d'urgence reconnu par ordonnance du Président de la
cour suprême, sur requête de la partie qui sollicite l'abréviation du délai.
Lorsque le délai imparti par le conseiller-rapporteur est épuisé, le greffier

251
en chef adresse à la partie qui ne l'a pas observé une mise en demeure
comportant un nouveau et dernier délai: si la mise en demeure reste sans
effet, la chambre administrative statue. Dans ce sas, si c'est le demandeur
qui n'a pas observé le délai. il est réputé s'être désisté et l'affaire est
classée; si c'est l'administration, elle est réputée avoir acquiescé aux faits
exposés dans la requête. La solution à cet égard paraît juste en ce qui
concerne le silence de l'administration. En revanche, elle le paraît moins en
ce qui concerne le particulier pour les raisons suivantes : d'abord. le
demandeur
peut estimer n'avoir
plus rien à ajouter à sa requête
introductive d'instance et que le mémoire en défense de l'administration
n'appelle de sa part aucune observation particulière. Dans ce cas, pourquoi
assimiler son silence à un désistement formel? Ensuite, les difficultés de
communication, surtout en période d'hivernage, peuvent fausser le délai
imparti à l'occasion de la mise en demeure. On pourrait seulement se poser
la question de savoir pourquoi c'est le greffier en chef qui assigne le délai
supplémentaire à l'expiration du premier délai imparti par le juge
d'instruction !
En Côte d'Ivoire et au Niger, l'instruction n'est pas toujours menée. En
effet, lorsqu'il apparaît au vu de la requête que la solution du recours est
d'ores et déjà certaine, le Président peut décider par ordonnance qu'il n'y a
pas lieu à instruction et fixer l'affaire à la plus prochaine audience. Cette
ordonnance est notifiée aux parties intéressés en même temps qu'une
assignation à comparaître.
Cette faculté laissée au Président de la cour suprême est critiquable.
Elle constitue un obstacle sérieux à l'administration d'une bonne justice
administrative. Dans quel cas en effet la solution d'un recours est d'ores et
déjà certaine, sinon que cette certitude est établie arbitrairement par une
seule personne ! Dans des pays où justement le Président de la cour
suprême est un homme politique (en Côte d'Ivoire par exemple, le

252
Président de la cour suprême est décrété 4ème personnage de l'Etat et il
est non seulement membre du PDCI-RDA mais aussi membre du bureau
politique du parti), le caractère certain de la solution ne relevera-t-il pas
purement et simplement de 1<'1 portée politique de l'affaire 7 Dans tous les
cas, cette possibilité de raccourcir la procédure contentieuse ne peut que
nuire à la qualité du contrôle juridictionnel de l'administration.
S'il y a instruction, le conseiller-rapporteur saisi du dossier rend
aussitôt une ordonnance par laquelle il prescrit la notification de la
requête à toutes les parties intéressées ou qui lui semblent telles, et fixe le
délai dans lequel les mémoires en défense, accompagnée de toutes pièces
utiles, devront être déposés au secrétariat de la chambre.
A l'expiration de ce délai, un nouveau délai peut être fixé pour
permettre la production de tous mémoires en réplique ou ampliatifs. Si ce
dernier délai n'a pas été respecté, un nouveau délai peut être accordé si un
cas de force
majeure est invoqué. A l'expiration de ce dernier, le
conseiller-rapporteur transmet le dossier au Président de la chambre
administrative qui renvoie à la plus prochaine audience pour être statué
sans convocation des parties. Dans ce cas, le demandeur est réputé s'être
désisté de son instance et l'administration est réputée avoir acquiescé aux
faits exposés dans le recours.
Les pouvoirs du conseiller-rapporteur sont étendus. L'article 88 de la
loi ivoirienne 61-201 du 2 juin 1961 et l'article 117 de la loi nigérienne
61-28 du 15 juillet 1961 stipulent que "le conseiller-rapporteur peut, en
tout état de cause, ordonner toutes les mesures qui lui paraissent
nécessaires à l'instruction de l'affaire, telles que production des pièces,
co mpar ution personnelle des parties, enq uêtes, expertises, descentes sur
les lieux, sans préjudice de celles auxquelles pourra ultérieurement
recourir la chambre administrative". Il est procédé à ces mesures suivant
les règles de la procédure civile. Les décisions prises par le conseiller-

253
rapporteur pour l'instruction de l'affaire sont notifiées aux parties en
cause, dans la forme administrative.
En Haute-Volta, l'instruction connaît deux phases successives. Dans la
premiére phase, c'est le Président de la chambre ad ministrative qui
apprécie la recevabilité de la requête. En effet, si une requête ne remplit
pas les formalités de présentation (exposé sommaire des faits et moyens,
conclusions, nom et demeure des parties, élection de domicile, copie
annexée de la décision attaquée, etc... ) le Président de la chambre
administrative fait mettre en demeure le requérant de compléter ou de
préciser sa requête dans un délai qu'il fixe. Ce délai ne peut être inférieur
à un mois. Si, à l'expiration de ce délai, la partie n'a pas satisfait à la mise
en demeure, la chambre administrative, saisie par son Président, peut
déclarer
la
req uête
irrecevable en la for me
; "Cette
déclaration
d'irrecevabilité fait tomber l'effet du dépôt de la requête". Si le Président
l'estime utile, il peut. en même temps qu'il fait mettre en demeure une
partie de compléter ou de préciser sa requête, l'inviter à comparaître aux
mêmes fins devant un membre de la chambre administrative ou devant
un fonctionnaire commis à cet effet, le procés-verbal dressé par ce
conseiller ou fonctionnaire, dans la mesure où la partie a répondu aux
questions posées, devant tenir lieu de compléments et de précisions exigés
par la mise en demeure.
Ces différentes solutions ne paraissent pas heureuses. D'abord, le
délai de régularisation d'un mois à l'expiration duquel la requête est
déclarée irrecevable sans considération aucune du cas de force majeure est
visiblement limitatif du recours pour excès de pouvoir. On peut également
s'interroger sur la signification de la disposition selon laquelle "cette
déclaration d'irrecevabilité fait tomber l'effet du dépôt de la requête". A
supposer que le requérant soit frappé d'irrecevabilité en la forme et que
cette sanction intervienne dans le délai du recours contentieux, sera-t-il

254
permis au requérant qui n'avait pas satisfait à toutes les formalités de la
requête de réintroduire une nouvelle requête respectueuse des formes?
La loi est muette là-dessus. Ensuite, le fait d'inviter la partie à comparaître
devant un membre de la juridiction ou devant un fonctionnaire en vue de
compléter ou de préciser sa requête (quelle est la qualité du fonctionnaire
mentionné ?), notamment pour répondre à des questions posées par ce
membre de la juridiction ou ce fonctionnaire. ne dissocie-t-il pas
l'instruction en deux phase distinctes ? N'eût-il pas été indiqué que cela
ressortisse à la compétence du juge d'instruction lui-même! La pertinence
de cette ob servation est confir mée par l'alinéa 4 de l'article 9 de la loi
5/621AN du Il janvier 1962 qui tipule que "les parties mises en cause
sont en même temps mises en demeure de présenter leur défense dans le
délai fixé par le rapporteur et d'élire à Ouagadougou ou en un chef lieu de
préfecture de la Haute-Volta un domicile précis". Or. précisément, la
requête peut être déclarée irrecevable en la forme pour n'avoir pas
respecté les formalités de présentation, dont notamment l'omission d'élire
un domicile précis à Ouagadougou ou en un chef lieu de département! Il Y
a donc contradiction. Ceci dit, le juge d 'instr uction voltaïq ue détient
également de larges pouvoirs d'investigation. Il procède à toutes mesures
d'instruction qui ne préjugent pas au fond. Mais la participation des
parties aux mesures d'instruction ne les prive pas du doit de proposer
devant la juridiction tous moyens et exceptions qu'elles jugent utiles.
Enfin, en ce qui concerne le Togo, la loi est complètement muette sur
les pouvoirs du juge d'instruction. Quand il y a lieu à instruction, le
Président de la cour suprême désigne un rapporteur auquel il est assigné
un délai pour établir son rapport.

255
Paragraphe III : L"audience
L'audience constitue la phase publique et orale de la procédure
ad ministrative contentieuse. Selon les législations, elle est plus ou moins
organisée. Au Bénin, elle n'est pas mentionnée formellement. Les articles
56 et 57 de l'ordonnance 211PR se bornent à stipuler que les arrêts rendus
sont contradictoires en dépit de l'absence éventuelle des parties en cause
ou de leurs défenseurs et que la cour suprême statue, le rapporteur et le
ministére public entendus.
En Côte d'Ivoire et au Niger, l'audience est en principe publique mais
elle est parfois exempte d'oralité. En effet, si les parties n'avaient pas
déclaré for melle ment qu'elles entend aient présenter ou faire présenter
par un avocat des observations orales, l'affaire est jugée sur pièces.
Toutefois, il y a une exception au principe de la publicité de l'audience. En
effet, si la juridiction estime que la publicité est dangereuse pour l'ordre
ou les mœurs, elle peut ordonner, par arrêt rendu en audience publique,
que les débats auront lieu à huis clos.
Les législateurs ivoirien et nigérien ont pris le soin de régIe menter la
tenue de l'audience dans le souci de permettre une bonne administration
de la justice. C'est ainsi qu'il est fait obligation à ceux qui assistent à
l'audience de se tenir découverts dans le respect et le silence. Tout ce que
le Président de la cour ordonne pour le maintien de l'ordre "est exécuté
ponctuellement et à l'instant". Si un ou plusieurs individus, quels qu'ils
soient, interrompent le silence, donnent des signes d'approbation ou
d'improbation, soit à la defense des parties, soit au discours des membres
de la cour, soit aux arrêts ou ordonnances, causent du tumulte de quelque
manière que ce soit et si, après l'avertissement des huissiers, ils ne
rentrent pas dans l'ordre sur-le-champ, il leur est enjoint de se retirer et
les résistants sont saisis et déposés immédiatement dans la maison d'arrêt
pour 24 heures. Ils y sont reçus sur l'exhibition de l'ordre du Président qui

256
est mentionné au procès-verbal de l'audience. Elle prévoit également que
si le trouble est commis par un indivj·lu remplissant ou exerçant une
fonction prés de la cour suprême, il peut, outre la peine ci-dessus, être
suspendu de ses fonctions. La suspension, pour la premiére fois, ne peut
excéder le terme de trois mois. Aucune voie de recours ne peut être
exercée contre les décisions prévues ci-dessus.
En Haute-Volta, l'audience a aussi son particularisme. Contrairement
aux autres pays où la publicité de l'audience n'est pas dérogée que pour
motif de trouble public, le législateur voltalque a prévu une toute autre
e,u::eption
: selon l'article
Il
de la loi 5/62/ AN, les audiences sont
publiques à l'exception de celles aux cours desquelles sont examinées les
requêtes relatives aux contrihutions directes.
En outre, luraille est de reglc puisque, au cours de l'ilLILlicnce, le
conseiller-rapporteur est appelé à lire son rapport, les parties ou leurs
représentants
à
présenter
leurs
observations
orales.
Enfin,
et
contraire ment encore aux autres pays, la cour peut ordonner, à l'audience,
soit d'office, soit à la demande des parties, toutes mesures d'instruction
soit devant la juridiction, soit un juge designé à cet effet dans les formes
prescrites par la décision qui les ordonne. On ne peut qu'estimer cette
faculté de compléter l'instruction en cours d'audience, car, d'un point de
vue psychologique, le requérant se trouve plus à l'aise devant la cour ou
devant un autre juge d'instruction pour furmules ses prétentions.
Au Togo, les textes ont la même concision qu'au Bénin en matiére
d'audience L<lrticle 72 de la loi 62-9 du 1'1 lllars 1962 stipule simplement
qu~ les séances de jugement sont publiques. Aprés la lecture par le
conseiller-rapporteur
de
son
rapport,
les
parties
ou
leurs
conseils
présen tent leu rs ob serva tian s oral es ; le procureu r l-;cné r al. com III issaire
du gouvernement, développe ses conclusions, puis l'affaire est mise en
dèlibere et l'arret est rendu publiquement à la même audience ou à une

257
auJience ultérieure. A ce nivl..lu, on aurait voulu savoir pourquoi la
clecision peut etre rendue en une auclience ultérieure; et precisement,
dans quelles conditlUns ce pouvoir de différer le prononcé de la décision
peut jvuer. De toute évidence, cela n'est pas sans inconvénients: non
seulement les membres cie la cour peuvent. avec le temps, si court soit-il.
oublier un certain nombre d'éléments importants susceptibles d'infléchir
leur opinion dans un sens, mais encore ils peuvent être amenés à modifier,
sous la pression des interventions extérieures, leur première décision; ce
qui est toujours possible dans un rcgime autocratique comme celui du
Tugo ..
Section III : La décision
Un reLwndra ~uccesslvement les furmes de la decisiun, son cunLenu eL
l'autorite de chose jugée.
Paragraphe 1 : Les formes de la décision
La composition de l'arrêt est la même, à savoir: les visas où son
mentionnés les
textes
de
référence,
les
mémoires
des
parties, les
différentes conditions; les motifs qui constituent l'argumentation juridique
de la cour (à noter qu'ils cummencent en Haute- Volta par .. Attendu ..... à la
place des "Considérant" utilisés par la plupart des autres juridictions) ; le
dispositif qui est la decision prise par la juridiction; enfin, la formule
exécutoire qui varie; par exemple:
- en CoLe d'Ivoire, il est prévu ,) for mules clifferentes , si le titre doit
être exécuté contre des personnes de droit privé : "En conséquence, le
Président de la République de Côte d'Ivoire mande et ordonnance à tous
huissiers de justice, a l'l' requis, cil' pouvoir à l'exécution du présent
jugement, arrêt, acte, etc, au procureur général et aux procureurs de la
république prés les tribunaux d'instance d'y tenir la main, à tous les

258
commandants et officiers de la force publique de prêter main forte
lorsqu'ils en seront légalement requis" ; si la décision doit être exécutée
contre l'Etat, un département ou une commune (la loi ne mentionne pas les
établissements publics) : "En conséquence, le Président de la République de
Côte
d'Ivoire
mande
et
ordonne
à
Monsieur
le
Ministre
de
Monsieur le Maire de
en ce qui
le concerne, de pourvoir à l'exécution de la présente décision" ; si la
décision doit être exécutée à la fois contre une personne de droit privé et
contre l'Etat, un département ou une commune: "En conséquence, le
Président de la République de Côte d'Ivoire mande et ordonne à Monsieur
le Ministre de
, Monsieur le Préfet de
,
Monsieur le Maire de
en ce qui le concerne, et à tous
huissiers de justice, à ce requis. en ce qui concerne les voies de droit
commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent
jugemem, arrêt. acte. au procureur général et aux procureurs de la
république près les tribunaux de l'instance d'y tenir la main, à tous
commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte
lorsqu'ils en seront légalement requis" ;
- en Haute- Volta, la formule exécutoire est unique et fait référence à
la République et non au Chef de l'Etat comme précédemment: "La
République de Haute-Volta demande et ordonne au Ministre. de ce qui le
concerne et à tous huissiers de ce requis, en ce qui concerne les voies de
droit commun contre les parties privées. de pourvoir à l'exécution de la
présente décision".
Cette formule a un défaut: elle omet la citation expresse du Ministre
concerné. Cette
citation aurait eu
l'avantage
de
mettre
l'autorité
administrative concernée devant ses responsabilités.
- le Togo a une formule exécutoire quasi-identique à celle de Haute-
Volta: "La République mande et ordonne au Ministre de
en ce qui

259
le concerne, et à tous huissiers à ce requis, en ce qui concerne les voies de
droit commun contre les parties privées, de pouvoir à l'exécution de la
présente décision".
Mais le formalisme à proprement parler de la décision tient au fait
qu'elle comporte selon les pays des mentions. Ainsi : en haute-Volta,
l'article 12 alinéa 1er de la loi 5/62/ AN stipule que les décisions de la
juridiction contiennent les nom, demeure des parties, le sommaire de leurs
conclusions, le vu des pièces principales du dossier et les lois appliquées;
au Bénin, les arrêts doivent viser les textes dont il est fait application et
mentionner les nom, prénom, qualité et profession, domicile des parties et
de leurs défenseurs; les mémoires produits ainsi que l'énoncé des moyens
invoqués et les conclusions des parties; les noms des magistrats qui ont
rendu l'arrêt, le nom du rapporteur étant spécifié; le nom du représentant
du ministère public; la lecture du rapport et l'audition du ministère
public; l'audition des parties ou de leurs representants dans le cas échéant;
la publicité de l'audience ou le prononcé de huis clos.
En Côte d'Ivoire, les arrêts motivés doivent égale ment viser les
textes dont il est fait application. Ils doivent mentionner les noms des
présidents, conseillers et conseiller-rapporteur qui les ont rendus. et, s'il y
a lieu, celui des avocats qui ont postulé dans l'instance; les nom, prénom,
profession, domicile des parties et l'énoncé succinct des moyens produits.
Paragraphe II : Le contenu de la décision
Dans les cinq (5) pays du Conseil de l'Entente, les arrêts sont rendus
par trois magistrats. Au Bénin, il est précisé que les décisions sont prises à
la majorité (article 58 Ordonnance 21/PR). En matière de recours pour
excès de pouvoir, la décision du juge consiste à annuler partiellement ou
totalement l'acte administratif entaché d'illégalité. Toutes les législations

260
disposent que "l'arrêt de la cha mbre ad ministrative annulant en tout ou
partie un acte administratif a effet à l'égard de tous".
Il convient ici d'étudier successivement les cas d'annulation des actes
administratifs d'une part et les pouvoirs du juge de l'annulation de l'autre.
Sous- Paragraphe 1
Les cas d'annulation des
actes administratifs
L'incompétence, le vice de forme, le détournement de pouvoir, le
défaut de motif légal et la violation de la loi constituent les cinq cas
d'ouverture du recours pour excès de pouvoir. Dans la pratique, le
détournement de pouvoir paraît revêtir un caractère exceptionnel (d'où il
ne sera pas examiné ci-dessous) alors que l'incompétence, le vice de forme,
le défaut de motif légal et la violation de la loi semblent être les moyens
les plus invoqués.
A) L'incompétence
Ce cas d'annulation se rencontre très fréquemment; il s'agit soit d'un
Ministre qui prend une décision à la place d'un autre Ministre, soit d'un
Ministre à la place du chef de l'exécutif lui-même.
On peut illustrer ces deux situations avec l'affaire NACRO Saidou du
25 octobre 1968 et l'affaire Jean-Marie SA WADOGO du 14 décembre
1973 ...
affaire NACRO Saidou
: le requérant attaquait la lettre n°
0759/MFC/DB/B5 du
Il
mai 1968 du Ministre des Finances et du
Com merce rejetant sa de mande de remboursement de la retenue de 6 %
subie SUL Sûd Lnütt:llleul à ia ~uile de ~a révocalion pour malversations
commises dans l'exercice de ses fonctions. Ce refus en lui-même était légal,
car l'article 41 paragraphe 2 de la loi 37/61/ AN du 24 juillet 1961
instituant le régime général de retraite édicte que le fonctionnaire

261
définitivement exclu des cadres pour raison de malversations ne peut
prétendre au remboursement direct et immédiat de la retenue subie sur
son traitement. Seulement, aux termes de l'article 34 de cette même loi. le
refus du remboursement de la retenue subie sur le traitement est
prononcé par un arrêt du Ministre de la Fonction Publique après avis du
Conseil des Ministres et celui du conseil de discipline compétent
expressément consulté; recevant le recours, la juridiction devait annuler
l'acte attaq ué au motif que
"...
"
Attendu que ces prescriptions n'ont point été respectées, le
requérant s'étant vu refuser le remboursement sollicité par une décision
du Ministre des Finances et du Commerce; qu'il n'en suit que cette
décision n'est pas conforme aux dispositions légales... ".
La décision attaquée fut par conséquent annulée pour incompétence
C..
C et vice de fore ... parce que le Conseil des Ministres et le conseil de
discipline n'avaient pas été saisis préalablement) ;
- affaire SA WADOGO jean-Marie : l'incompétence est parfois
d'appréciation mal aisée au niveau du juge surtout lorsque l'acte
ad ministratif fait
appel
à
la fois
aux
com pétences
du
chef
du
gouvernement et d'un membre du gouvernement. L'affaire SA WADOGO
jean-Marie contre République de Haute-Volta du 14 décembre 1973 est
typique en la matière. Les faits de l'espèce étaient les suivants:
le sieur
jean-Marie SA WADOGO, inspecteur du travail et des lois sociales, avait été
nommé par décret présidentiel pris en Conseil des Ministres, directeur
adjoint de la caisse de prévoyance sociale. Par suite de querelles
incessantes entre le directeur de l'établissement et son adjoint. le Ministre
de la FuncLion Pubiique eL du Travail, autorité de Lutelle de la caisse, avait
pris l'arrêté 170/FP/TP du 9 avril 1973 mettant fin au détachement de
l'intéressé auprès de ladite caisse en sa qualité de directeur adjoint pour le
réaffecter à la direction du travail et des lois sociales du Ministère de la

262
Fonction Publique et du Travail. A l'appui de son recours pour excès de
pouvoir, le requérant excipait: d'abord, que le Ministre de la Fonction
Publique n'était pas qualifié pour mettre fin à son détachement et, partant,
à ses fonctions
de directeur adjoint avant que le Président de la
République ne se soit prononcé par décision contraire (parallélisme des
compétences) ; ensuite, que l'arrêté attaqué violait les articles 15 et 17 de
la loi 131721AN du 28 décembre 1972 portant code de la sécurité sociale,
lesquels stipulaient expressément qu'il ne pouvait être mis fin aux
fonctions du directeur et du directeur adjoint de la caisse que par décret
du Président de la République,
après avis du conseil d'administration de
l'établisse ment.
La complexité du cas d'espèce tenait au fait que d'un côté, il y avait
le détachement dont la mise en oeuvre et la mise en cause ressortissaient
à la compétence de l'autorité inférieure et, de l'autre, il y avait la
nomination et la révocation au poste dont s'agit qui appartenaient
exclusivement au Président de la République. Autrement dit, lequel des
actes devait intervenir le premier ou encore l'emporter sur l'autre? La
Cour a évité de trancher le problème. Elle n'a pas retenu le moyen de
l'incompétence et s'est élancée dans des considérations vagues concernant
le détachement:
"...
"
Attendu que le Ministre de la Fonction Publique et du Travail se
préoccupa exclusivement, lorsqu'il prit l'arrêté 170/FP/TP, et comme il le
devait d'ailleurs (sic), de la situation administrative de SAWADOGO Jean-
Marie.
Attendu qu'un détachement ne fait pas perdre au bénéficiaire sa
qualilé de fonctionnaire, que ie requérant demeura inspecteur du travail
et des lois sociales durant tout le temps passé à la caisse et que son seul
supérieur hiérarchique, en l'occurrence le Ministre de la Fonction Publique
et du Travail,
responsable
de l'acte
attaq ué,
pouvait sans
risque

263
d'incompétence, mettre en oeuvre, prolonger ou arrêter ledit détachement,
prendre un arrêt se bornant à affecter ou a réaffecter un agent de son
département..."
L'argumentation,
à la vérité, est loin
de
satisfaire. Le juge
ad ministratif,
conscie m ment
ou
inconscie m ment,
consacre
un
détournement de procédure: en mettant fin au détachement du requérant,
le Ministre de la Fonction Publique a abouti à mettre fin aux fonctions de
directeur adjoint de l'intéressé au mépris des textes.
B) Le vice de (orme
Beaucoup
d'irrégularités
entachant
les
actes
administratifs
proviennent du fait que l'autorité administrative ne respecte pas les
formalités auxquelles l'acte devait être soumis. Le juge administratif
africain a la même attitude que son homologue français; il distingue entre
les formalités substantielles et les formalités non substantielles ou
accessoires. Deux cas méritent d'être cités, l'un relatif au lotissement des
centres urbains, l'autre à la procédure disciplinaire.
En matière de lotissement des centres urbains, l'autorité communale
est tenue de respecter le processus établi par les textes. Dans l'affaire
OUEDRAOGO Emmanuel et Martial contre commune de Ouagadougou du 23
juin 1972, le juge administratif a déclaré que "la loi 77/601 AN du 12
juillet 1960, portant réglementation des terres du domaine privé, a
institué, pour le lotissement des centres urbains, un certain nombre de
formalités substantielles dont une commune ne saurait e dispenser à peine
de nullité de sa décision de déguerpissement". Les requérants, occupants
coulumil:lrs àe concessions, attaquaient une délibération de la délégation
spéciale de la commune de Ouagadougou en date du 22 mars 1972,
prévoyant qu'à l'intérieur du périmètre urbain, des travaux de lotissement
et l'alignement pourront être entrepris sur les espaces non lotis d'où

264
devront déguerpir les occupants sans titre dès que lesdits travaux auront
été décidés ; à la suite de cette délibération, les concessions des
requérants, frappés d'alignement, avaient été détruites. Le recours tendait
non seulement à faire annuler cette délibération, mais encore à faire
reconstruire, aux frais de la commune, les habitations détruites ou, à
défaut, au versement d'indemnités compensatrices. La Cour devait
rappeler dans un premier temps les termes de la loi 77-601 AN du 12
juillet 1960, prévoyant en matière de lotissement des centres urbains sept
(7) formalités successives, à savoir : établissement par le service du
Cadastre d'une esquisse, puis un avant-projet de lotissement tenant
notamment compte "des droits coutumiers existants" ; rédaction d'un
procès-verbal, par la commission nationale d'urbanisme, et consignation
des observations formulées ; publication au Journal Officiel de l'avis
annonçant l'ouverture d'une enquête de commodo et d'incommodo;
ouverture de l'enquête publique et contradictoire destinée à révéler
l'éventuelle existence de droits coutu miers grevant les terrains ainsi que
leur exacte consistance; examen du dossier par une commission qui dresse
procès-verbal et rapport de ses travaux et renseignements; approbation
du plan définitif par décret pris en conseil des Ministres le déclarant
d'utilité publique et valant plan l'alignement; application sur le terrain et
engagement de la procédure d'immatriculation.
Dans un deuxième temps, la Cour devait estimer qu'en matière
d'alignement, les plans, de jurisprudence bien établie, ne deviennent
opposables aux intéressés qu'après l'accomplissement des formalités
relatives aux enquêtes et avis, formalités qui sont substantielles et ne
peuvent étre omises à peine de nullité:
... Attendu qu'il résulte d'une lettre n° 138/Cr du directeur du
cadastre que la défenderesse ne fit établir aucun plan préalable de
lotissement et ne se soumit à aucune des formalités que prévoit la loi 77-

265
60/ AN avant de prendre a délibération n° 22160 du 22 mars 1972,
décidant l'ouverture des travaux de lotissement et l'alignement sur les
espaces non encore lotis du périmètres urbain et le déguerpissement des
occupants sans titre dès la décision afférente d'exécution;
... Attendu que cette omission constitue un excès de pouvoir pour
violer les disposition de la loi 77-60/ AN, que les raisons d'urgence
invoquées ne l'excusent pas et que la délibération attaquée doit être
annulée, ainsi que par voie de conséq uence, son arrêté d'approbation n°
128/IS/DIID du 24 avril 1972".
Comme on le voit, les solutions jurisprudentielles en matière de vice
de forme ne paraissent pas appeler des observations particulières. Il est
par ailleurs remarquable et encourageant que le juge adopte une attitude
rigide pour ce qui concerne le respect de formalités prescrites par la
procédure disciplinaire. Dans des pays où, pour des raisons politiques,
ethniques, religieuses, voire personnelles, les sanctions sont prises
hâtivement
pour
des
motifs officiellement inavouables,
la
stricte
observance de la procédure réglementaire est la plus sûre garantie des
citoyens. Le juge administratif voltaïque, plus indépendant, sanctionne
systématiquement
la
violation,
par
l'autorité
administrative,
des
prescriptions légales tendant à assurer en la matière les droits de la
défense.
Bien entendu, il arrive parfois que cette rigueur fasse défaut ;
l'affaire CISSE Moussa contre gouvernement de Haute-Volta en donne un
exemple: le requérant, par lettre en date du 19 août 1971, saisissait la
chambre administrative d'une requête aux fins d'annulation pour excès de
pouvoir de la declsion n' 004326/PLIIM/CAB du 3 août 1<)71 du Ministre
du Plan lui ayant infligé un blâme avec inscription au dossier pour
indiscipline caractérisée et abandon de poste sans autorisation, en
l'absence de toute demande d'explications écrites, laquelle est prescrite

266
par le statut de la Fonction Publique. Recevant le recours, la Cour reconnaît
elle-même le caractère obligatoire de la demande d'explications écrites
préalables qui peut être verbale, mais, contre toute attente, décide que
l'autorité administrative a suffisamment motivé sa décision (c'est-à-dire la
sanction), d'où le rejet du moyen de vice de forme;
"... Attendu que les seules explications préalables du sanctionné
doivent, selon l'article 45 paragraphe 2 du statut général de la Fonction
Publique, être rédigées et que le supérieur hiérarchique peut fort bien
for mulé une invite ad hoc verbale;
... Attendu que la défenderesse motiva suffisamment sa décision en
excipant des fautes mentionnées dans le corps de l'article 1er".
Un arrêt qui ne veut rien dire, une interprétation obscure des textes,
une jurisprudence qui, si elle était soutenue, mettrait de l'eau dans le
moulin du pouvoir arbitraire.
C) Le défaut de motif légal
L'autorité administrative qui prend une décision doit se fonder sur
une règle de droit écrite, un principe général de droit, ou sur une situation
de fait. Un acte administratif sera donc illégal s'il y a défaut de base légale,
erreur de droit, inexistence matérielle des faits ou qualification juridique
erronée des faits. Le contrôle des motifs de l'acte apparaît par conséquent
comme une sérieuse limitation apportée au pouvoir discrétionnaire et une
barrière contre le détournement de pouvoir.
Malheureusement, le juge administratif africain répugne visiblement
à un contrôle poussé des motifs, contraire ment à son homologue français
qui a établi toute une gamme de contrôle comportant quatre degrés: un
contrôle minimum portant sur l'exactitude des faits ou l'erreur manifeste
d'appréciation; un contrôle moyen relatif, outre à l'exactitude des faits et à
l'erreur manifeste, au champ d'application de la loi, lequel constitue un

267
moyen d'ordre public soulevable d 'officeun contrôle normal sur la
qualification juridique des faits et un contrôle maximum pouvant avoir
tous les traits d'un contrôle d'opportunité.
Pour le juge administratif africain, le contrôle des motifs se résume
essentiellement à la vérification de la base légale. L'exemple en est donné
dans l'affaire DAMA Moussa contre République de Haute-Volta du 12
novembre 1971. Les faits de l'espèce étaient les suivants: jusqu 'en 1964,
les chefs de village étaient désignés coutumièrement et l'autorité
administrative devait seulement entériner les nominations. Le requérant
avait donc été nommé de la sorte chef de village de Nia depuis 1956. A
partir de 1964, le mode de désignation des chefs de village fut modifié. Le
décret 326/PRES du 28 juillet 1964 prévoit désor mais des élections
villageoises, les chefs nommés antérieurement et coutumièrement restant
en fonction jusqu'à leur décès ou révocation. Alors que le requérant était
toujours en fonction, l'autorité ad ministrative organisa, le 13 septembre
1970, des élections pour désigner un chef de village de Nia. Aux termes de
ces consultations, le sieur DAMA Mousa fut nommé chef de village de Nia
par arrêté 279/IS/DI du 15 octobre 1970 en remplacement du requérant.
Ce dernier sollicita du juge l'annulation des élections ainsi que celle de
l'arrêté nommant son successeur au motif que le poste de chef de village
de Nia n'a jamais été vacant.
Le juge devait reconnaître que le requérant était chef de village de
Nia jusqu'au 13 septembre 1970 date de la consultation villageoise,
puisque le décret 326/PRES n'avait pas d'effet rétroactif:
"...
" Attendu en conséquence que le poste de chef de village de Nia
n'ayant jamais été vacant, les opérations électorales qui se déroulèrent le
13 septembre 1970, en vue de le pourvoir sont illégales; d'où il suit que la
consultation villageoise du 13 septembre 1970, nullement prescrite par la

268
décret 326/PRES du 28 juillet 1964 invoqué par le chef de la subdivision
de Djibasso pour la justifier, manque de base légale et doit être annulée".
On ne saurait trop insister sur l'importance et la nécessité de
développer le contrôle des motifs : en effet, ce contrôle vise, non
seulement à réduire l'arbitraire administratif, mais encore et surtout à
éduquer et former l'administrateur: n'a-t-on déjà pas rencontré dans les
pays concernés des boys-cuisiniers nommés commandants de cercle (sous-
préfets) et des boxeurs, Ministres de l'intérieur! Ces autorités de troisième
ordre se font moins guider par le droit auquel elles ne comprennent rien
que par leur bon sens grossier: le malheur veut que le bon, en ce domaine,
ne soit jamais bon parce que trop subjectif alors que le droit se veut
objectif.
D) La violation de la loi
L'illégalité pour violation de la loi se rencontre très fréquemment.
L'acte de l'autorité administrative ne respecte pas un texte législatif ou
réglementaire, de valeur supérieure: la hiérarchie des règles de droit se
trouve dénuée de toutes conséquences. Mais le juge, dans l'ensemble,
veille au respect scrupuleux de cette hiérarchie. On peut citer en exemple,
l'affaire DAME SANFO Alimata du lamai 1974 : la requérante, institutrice
de son état, avait sollicité une mise en disponibilité qu'elle employa à
suivre, avec l'accord écrit de son Ministre, au cours de l'année scolaire
197111972, un stage de formation en France à l'Ecole Nationale Supérieure
de St Cloud en vue de la préparation à l'inspection primaire et en obtint, le
21 juin 1972, le certificat de fin d'études.
De retour, elle sollicita son intégration sur titre dans le corps des
inspecteurs adjoints de l'enseignement du premier degré. Mais le Ministre
de la Fonction Publique, par lettre 16511FP/TF du 13 décembre 1973,
rejetait sa demande au motif que la demanderesse ne satisfait à aucune

269
des conditions requises pour une intégration directe, à savoir: la qualité
de professeur agrégé, certifié ou licencié ou encore, celle d'instituteur
bachelier ayant subi avec succès un examen probatoire de sélection.
Le juge devait rejeter cet argument de la défenderesse parce que le
décret n° 67-257/PRESITFP du 26 septembre 1967 portant additif aux
articles 7 et 8 du décret 526/BIS/PRES du 15 octobre 1963, en son article
1, assimile expressément au certificat d'aptitude aux fonctions d'inspecteur
adjoint le diplôme supérieur d'aptitude pédagogique (DSAP), le certificat
d'aptitude à la direction des écoles primaires (CADEP), et les examens de
fin de stage de formation d'inspecteur adjoint de ST CLOUD, d'AUTEUIL et
d'ABIDJAN.
En conséq uence :
"...
"
Attendu que les textes sus-relatés, seuls applicables en l'espèce,
n'exigent aucunement de la part des inspecteurs adjoints les qualités
supplémentaires et préalables de professeur agrégé, certifié ou licencié,
d'instituteur bachelier ayant satisfait à un examen probatoire de sélection,
que de telles exigences non statutaires ne sont pas opposables à la
recourante qui remplit les conditions légales d'intégration et qu'il échet
annuler la lettre attaquée, entachée d'excès de pouvoir ...".
Mais l'illégalité fondée sur la violation de la loi pose, en ce qui
concerne la Haute- Volta, un problème complexe auquel il n'est pas encore
apporté un début de solution. Il s'agit de celui posé par l'article 5 de la
constitution du 13 décembre 1977 qui stipule que "la souveraineté
nationale s'exerce conformément à la présente constitution qui est la loi
fondamentale de l'Etat. Toute loi, tout acte contraire aux dispositions de la
constitution sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le
droit de se pourvoir devant la Cour Su prême contre toute loi et tout acte
inconstit utionnel".

270
La question est donc de savoir si le juge administratif acceptera sa
compétence en matière de violation d'une règle constitutionnelle par un
acte
administratif. En France. pour ce qUi est d'abord
des règles
constitutionnelles proprement dites. le juge administratif exerce un
contrôle limité: il ne connaît que des violations directes, c'est-à-dire les
contradictions
flagrantes
entre
l'acte
administratif
et
la
règle
consti tu tionne lle l, mais se refuse à connaître des violations indirectes
quand l'acte ad ministratif se fonde sur une loi contraire à une règle
constitutionnelle. Le juge administratif voltaïque adoptera-t-il cette
distinction? Dans l'affirmative. l'exercice de la justice en sera rendu plus
lourd et plus lent: le requérant. pour se voir annuler par la chambre
administrative un acte administratif violant indirectement une règle
constitutionnelle.
sera
obligé
de
s'en
remettre
à
la
chambre
constitutionnelle qui contrôlera préalablement la constitutionnalité de la
loi intermédiaire avant de se pourvoir valablement devant la juridiction
administrative contre cet acte. Dans la négative. le juge administratif sera
appelé à exercer concurremment avec la chambre constitutionnelle un
contrôle de constitutionnalité des lois.
En ce qui concerne ensuite le préambule de la constitution. le juge
administratif français ne reconnaît pas de valeur juridique à toutes ces
dispositions. Ne sont prises en compte que les dispositions précises.
susceptibles d'application im médiate 2
médiate
; sont exclues par conséquent les
dispositions vagues. insusceptibles d'application 3
d'application . En Haute-Volta, cette
distinction est inopérante. Le paragraphe XXI de la constitution stipule en
effet que le préambule fait partie intégrante de celle-ci. Il faut en conclure
que la nouvelle constitution ouvre au profit des citoyens voltaïques une
1 Conseil d'Etat. 28 février 19'56. Penglaou.
2 Conseil d'Etat. 17 mai 19'57. Simonet.
3 Conseil d'Etat. 29 novembre 1969. Talégrand.

271
véritable action populaire qui, si elle était mise en oeuvre, aboutira
incontestablement au fameux gouvernement des juges.
Sous Paragraphe II : Les pouvoirs du juge
L'analyse des arrêts rendus révèle, en ce qui concerne surtout la
Haute- Volta, que le juge s'arroge des pouvoirs exorbitants : il ne se
contente pas toujours d'annuler l'acte irrégulier, il en tire lui-même les
conséquences, apportant, non seulement une violation flagrante au
principe de la séparation des pouvoirs, mais également et surtout, en ce
qui concerne le droit de la Fonction Publique, des troubles aux structures
de celle-ci. Par exemple:
- en matière de reclassement
saisie par un recours pour excès de
pouvoir contre le refus de l'autorité de procéder à un reclassement sur la
base de simples certificats ou attestations de stage, la juridiction se permet
souvent de déterminer elle-même la valeur desdits certificats ou
attestations pour accéder à la requête du demandeur, alors qu'il existe une
commission nationale des équivalences des diplômes;
- en matière disciplinaire: appréciant les recours contre les mesures
disciplinaires, le juge ne se contente pas de vérifier les motifs de fait et de
droit. Il a la tendance fâcheuse de justifier la mesure prise. Un exemple
parmi tant d'autres: l'affaire NAGO Mamadou Bidiem du 13 décembre
1968, où
le
juge
déclara
: "De
tels
agissements
constituent des
manquements graves aux devoirs professionnels des fonctionnaires,
justifiant la sanction disciplinaire prise". Ainsi, elle outrepasse quelque peu
ses attributions; elle a le pouvoir de sanctionner l'exactitude matérielle
des faits. la réalité de la faute, mais non d'apprécier si la sanction est à la
mesure de la faute, ce qui ressortit exclusivement à la compétence de
l'autorité administrative investie du pouvoir de nomination'.
1 a. Conseil d'Etat, 12 janvier 1938, Cou1angem.

272
On ne saurait mieux présenter cette situation génératrice d'un état
de crise entre le pouvoir exécutif et l'autorité judiciaire qu'en rapportant
les termes du rapport n' 23/TFP/P du 4 septembre 1972 adressé par le
Ministre du Travail et de la Fonction Publique au Premier Ministre:
"J'ai l'honneur de saisir le Conseil des Ministres des graves difficultés
que suscite à nouveau la jurisprudence que vient de développer la
chambre administrative de la cour suprême à propos des avantages de
carrière auxquels peuvent prétendre les fonctionnaires ayant suivi des
stages
de
for mation
professionnelle
ou
de
sessions
de
formation
professionnelle. Cette matière est régie par:
1°) le décret 70-077/PRES/TFP/P du 8 mai 1970 qui fixe les conditions
dans lesquelles la commission des équivalences, saisie des difficultés
relatives à l'équivalence de certains titres avec les diplômes de base
reconnus par le statut général, émet, dans chaque cas, des propositions
motivées sur lesquelles le Conseil des Ministres statue;
2') le décret 70-215/PRES/TFP/P du 19 septembre 1970 qui stipule que
"les fonctionnaires
ayant reçu
une
formation
professionnelle
sans
référence
universitaire équivalente
pourront être automatiquement
réc1assés dans la catégorie correspondante dès qu'ils obtiendront le
diplôme universitaire requis au cours de leur carrière".
Trois décisions rendues par la chambre ad ministratives de la cour
suprème enfreignent ces dispositions réglementaires. Dans les affaires
REMEN Raphael (arrêt n' 35 du 24 décembre 1971), KOANDA François de
Salles et TRAORE Jean-Gabriel (arrêt n' 2 du 14 janvier 1972) et BAN5E
Alfred (arrèt n' 7 du 24 mars 1972), la chambre administrative de la cour
suprème a fait droit à des requètes tendant soit à l'accession de
fonctionnaires de catégorie D à la catégorie C, échelle 1, et ce malgré: les
décisions contraires du Conseil des Ministres prises sur avis conforme de la
commission des équivalences des titres et diplômes
et le fait que les

273
demandeurs soient, tout au plus, titulaires de diplômes correspondant à la
catégorie D (CEPE : affaire REMEN Raphaël, KOANDA François de Sales et
TRAORE Jean-Gabriel) : soit à un reclassement à partir d'une disposition
réglementaire qui n'était pas applicable au requérant et dont la chambre
ad ministrative a néanmoins fait application (affaire BANSE Alfred) ...".
Pour justifier sa position, la chambre ad ministrative de la cour
suprême a reconnu en effet la valeur de diplôme technique à de simples
attestations d'assiduité (affaire KOANDA et TRAORE) et à un certificat de
fin de stage (affaire REMEN Raphaël et BANSE Alfred). De plus, la chambre
administrative s'est permise de situer le niveau universitaire d'un agent
(REMEN Raphael), non par référence aux titres ou diplômes qu'il détenait
(il n'en
possède
aucun),
mais
d'après
la durée
des études qu'il a
poursuivies
;
"... Attendu que, s'il (REMEN Raphaël) ne justifie d'aucun diplôme et
surtout pas du CEPE auquel la défenderesse prètend arbitrairement
assimiler sa culture, REMEN Raphaël, faute
de se
présenter comme
bachelier de l'enseignement secondaire ou même licencié, offre un passé
scolaire tel que son niveau de qualification égale amplement celui que
prouvent les diplômes de l'enseignement du premier cycle et que l'on eût
dû tenir compte pour lui ouvrir ab initio l'accès à la catégorie c. ..".
Dans l'affaire BANSE Alfred, la chambre ad ministrative a, pour faire
droit aux prétentions du requérant, fait une assimilation abusive du
certificat obtenu par le requérant après cinq (5) mois et demi de stage
avec un diplôme qui aurait pu lui permettre de bénéficier de son
reclassement. Et le Ministre de poursuivre: "La jurisprudence qui s'est
instaurée à la suite de ces trois (3) affaires, si elle était appliquée, aurait
les conséq uences les plus fâcheuses pour l'éq uilibre de la hiérarchie de la
Fonction Publique. En effet, beaucoup de possibilités de stage sont offertes
à nos agents; nombreux sont ceux qui, en ayant bénéficié, essayeraient de

274
tirer profit de la position de la cou suprême si ces arrêts étaient exécutés.
Plus nombreux encore seraient ceux qui essayeraient de partir coûte que
coOte en ~t1lge rlp.~ lors qLl 'ils pourraient espérer L1ne promotion à la suite
dudit stage. Les corps de niveau moyen et supérieur se trouveraient du
même coup investis par des éléments d'un niveau général faible, n'ayant
reçu qu'une formation superficielle et qui, surtout, auraient une efficacité
nulle. La concurrence que ces éléments feraient aux agents normalement
formés créerait, en outre, un grave malaise psychologique préjudiciable à
la bonne marche des services. Le trouble qu'apporte encore une fois la
jurisprudence de la chambre administrative au fonctionnement des
ad ministrations (j'ai déjà eu l'occasion d'attirer l'attention du Conseil des
Ministres sur de tels troubles dans mes précédents rapports: 5/TFP/P du
31 mars 1969, 8/TFP/P du 31 mars 1970 (violation de la loi par un arrêt
de la cour suprême J, 25/TFP/P du 14 juillet 1970 (violation de la loi par
un arrêt de la cour suprême J, 20lTFP/P du 1er juillet 1971 (violation du
principe de la séparation des pouvoirs par la chamb re ad ministrative J,
211TFP/P du 2 juillet 1971 (violation de la loi par un arrêt de la cour
suprême), est d'autant plus insupportable qu'il résulte d'irrégularités
flagrantes commises par cette juridiction".
En effet, alors que le rôle du juge administratif se limite à vérifier
que le pouvoir exécutif statue dans la limite de ses compétences,
conformément à la loi et aux principes généraux du droit, dans les trois (3J
décisions précitées, la chambre administrative de la cour suprême viole le
principe de la séparation des pouvoirs en élaborant, dans des matières
relevant du seul pouvoir exécutif, une jurisprudence qui se substitue aux
décrets régulièrement pris. C'est ainsi que dans l'affaire BANSE Alfred, la
cour se substitue à l'avis de la commission des équivalences des titres et
diplômes et à la décision du Conseil des Ministres lorsqu'il assimile
discrétionnaire ment un certificat à un diplôme.

275
Dans l'affaire KüANDA François de Sales et TRAüRE Jean-Gabriel, elle
viole l'article 19 du décret 381 IFPT ISE du 10 septembre 1966, relatif aux
recrutements des ~djoints ~dministratifs, en cc qu'clle reconnaît qu'il
existe implicitement un cinquième mode d'accès à ce corps, non prévu par
les statuts particuliers: le stage de perfectionnement".
Et le Ministre de rappeler la jurisprudence du Conseil d'Etat français
qui se situe à l'opposé de celle de la chambre administrative de la cour
suprême ; pour le Conseil d'Etat, il appartient à l'autorité investie du
pouvoir réglementaire d'apprécier dans quelle catégorie, A, B, C ou D il
convient de ranger les corps de fonctionnaires et l'appréciation à laquelle
se livre ladite autorité en procédant audit reclassement n'est pas
susceptible d'être discuté devant le Conseil d'Etat statuant au contentieux 1.
Paragra~he
III : ""autorité de chose jugée
La décision de justice s'impose au juge lui-même, aux parties et aux
tiers. En droit, en fait, l'administration africaine hésite ou refuse d'exécuter
certaines décisions, soit à raison des conséquences néfastes que cette
exécution entraînerait pour le fonctionnement optimal des services
publics, soit à raison de la portée politique de la décision rendue!
En Haute-Volta par exemple, il existe une commission de révision des
arrêts de la chambre administrative, appelée à faire connaître son avis sur
les conséquences qu'entraînerait éventuellement l'exécution de certains
arrêts sur l'équilibre de la hiérarchie de la Fonction Publique. Cet avis est
trans mis au Conseil des Ministres qui, s'il l'adopte, per met de faire échec à
l'autorité de chose jugée. Devant le nombre grandissant des arrêts
"boudés" par le Conseil des Ministres, la corn mission a été amenée à inviter
le gouvernement à se soumettre aux décisions de justice, quitte à opérer
des réformes pour résoudre le problème. Ainsi. dans une lettre en date du
1 Conseil d'Etat, 5 novembre 1954, Recueil, page 573.

276
30 juin 1974 adressée à Monsieur le Ministre de la Fonction Publique et
du Travail, le Président de ladite commission disait: "11 existe un malaise
certain entre deux des plus hautes institutions de la République : le
gouvernement et la cour suprême,
En effet, le Ministère de la Fonction Publique a déjà montré l'ampleur
du malaise qui contient d'ailleurs des aspects hautement politiques,
L'inexécution des arrêts constituerait certainement un coup de force de
l'exécutif contre le judiciaire, Et l'exécutif et la commission se rendraient
coupables d'autres illégalités, car il reste à prouver qu'ils ont le droit de
déclarer d'eux-mêmes un arrêt illégal et de s'opposer ainsi à l'autorité de
la chose jugée, La commission propose par conséquent ce qui suit: pour
respecter le principe de la séparation des pouvoirs, la juridiction civile et
la jurlJictiùü aûmiui:;lralive ûuivenl êlre séparée de la base jusqu'au
sommet et chaque ordre devra avoir ses
magistrats qui sont des
professionnels ; il doit être interdit au juge, sous peine de forfaiture,
d'adresser une injection à l'administration; le juge de l'annulation devra
sanctionner les actes de l'ad ministration en laissant à celle-ci le soin de
tirer les conséquences, Le juge lui-même ne pourra déduire de l'annulation
les conséquences même les plus directes; en cas de difficultés d'exécution,
le Président de la cour suprême pourra saisir le Premier Ministre, aux fins
de donner l'ordre au Ministre intéres ser d'exécuter le juge ment.
En conclusion, la commission invite l'exécutif à faire un acte
d'honneur en exécutant les arrêts et à entreprendre les réformes
nécessaires qui pareror..t à froid à d'autres difficultés",
Pour sa part, le juge a eu à rappeler à maintes occasions la portée de
l'autorité de la chose jugée, Il a toujours déclaré qu'aucun texte législatif
ou régIe mentaire, mê me assorti d'une clause de rétroactivité, n'est
opposable à un arrêt devenu définitif avant sa promulgation et qu'une
décision devenue définitive ne peut être re mise en question, Ainsi,

277
statuant sur le recours de NIKIEMA Casimir du 13 février 1970 aux fins
d'exécution de l'arrêt rendu en faveur de celui-ci le 10 janvier 1969 par
cette juridiction et ordonnant son reclassement en grille Cl dans le corps
des adjoints des services financiers, la cour devait déclarer:
"...
"
Attendu que la chambre ad ministrative, par arrêt contradictoire
du 10 janvier 1969 devenu définitif, avait ordonné que le requérant
bénéficie
des
dispositions
prévues
par
l'article
6
du
déc l'et
512lPRES/TFP/SE du 4 décembre 1962 et soit reclassé en catégorie Cl du
corps des adjoints des services financiers;
... Attendu que les services
de la Fonction Publique refusent
d'exécuter ledit arrêt en excipant d'une ordonnance 69-18/PRES:TFP du 19
avril 1969 qui n'étendait, avec effet retro-actif, le bénéfice des deux (2)
décrets 511 et 512 qu'en faveur des ex-commis expéditionnaires recrutés
auparavant dans ce corps par concours direct;
... Attendu que le présent recours, d'objet, de cause et de parties
identiques au précédent que sanctionna l'arrêt du
10 janvier 1969,
provient de ce que le Ministre du Travail et de la Fonction Publique
méconnut l'autorité de chose jugée qu'avait acquise cette décision;
... Attendu que la sécurité des relations juridiques exige que les
jugements devenus définitifs ne puissent être remis en question et que le
plaideur triomphant exerce les entières prérogatives attachées au droit
que l'on lui méconnut;
... Attendu que, de droit établi, une décision judiciaire s'impose tant à
la juridiction qui la rend et ne la peut transformer qu'à l'administration,
que l'on ne saurait admettre à revenir devant le même juge pour obtenir
de lui une sentence différente ou à contraindre l'adversaire, par inaction
voulue ou arguties dilatoires, à rouvrir le litige;
... Attendu qu'aucun texte législatif ou règlementaire n'est, fût-il
assorti d'une clause de retro-activité, opposable aux arrèts et jugements

278
devenus définitifs avant sa promulgation, qu'en arguant du contraire et en
s'opposant à l'exécution de l'arrêt du 10 janvier 1969, les services de la
Fonction Publique attentent à l'indépendance d'une juridiction souveraine".
L'exécution des décisions de justice pose donc en Afrique un
problè me sérieux aussi bien en régime
partocratique qu'en régime
démocratique. C'est que l'autorité judiciaire est trop dépendante du
pouvoir exécutif: le contrôleur étant impuissant devant le contrôlé, les
décisions du premier ne sont exécutées que dans la mesure où elles ne
gênent pas le second chargé de cette exécution. Il en résulte une certaine
peur. Une terreur même qui pèse sur le juge. Encore que l'exécutif dispose
de moyens de retorsions ! En Haute Volta, la Cour Suprême, pour avoir
tranché la notion de majorité absolue pour les cinquante sept (57) députés
composant l'assemblée national de la troisième République dans le sens
soutenu par l'opposition, s'est vue méconnue purement et simplement en
tant qu'institution et son Président oublié dans le protocole d'Etat! Cela ne
vaut-il pas un avertissement? Un avertissement qui a été entendu: saisie
à nouveau par l'opposition pour constater la nullité de l'élection d'un
député de la majorité, la Cour Suprême a déjà reporté le jugement pour la
troisième fois de suite sans raison plausible...
A ce niveau d'ailleurs, la loi béninoise présente quelque intérêt:
l'article 81 de l'ordonnance 21/PR du 26 avril 1966 stipule qu'en cours
d'instance, si le candidat dont l'éligibilité est contextée est élu, l'arrêt
rendu s'impose à l'assemblée intéressée". Mais un intérêt bien limité
quand on sait que ce n'est pas l'assemblée qui peut faire échec à l'autorité
de chose jugée, mais bel et bien l'exécutif...

279
Paragraphe IV - Les voies de recours contre les
décisions de la juridiction
administrative
En Afriq ue, les voies de reformation, à savoir l'appel et la cassation,
sont inexistantes en matière de recours pour excès de pouvoir, sauf au
Bénin où la chambre ad ministrative connait en outre, corn me juge d 'ap pel,
des décisions rendues en premier ressort par les organismes administratifs
à caractère juridictionnel, ces mêmes décisions rend ues en dernier ressort
étant susceptibles de cassation devant la cour suprême statuant en
assemblée plénière, la chambre constitutionnelle exceptée (article 38 de
l'ordonnance 21 /PR du 26 avril 1966l.
Au Togo, en Côte d'Ivoire et au Niger, les voies de refor mation sont
prévues exclusivement en matière de recours de pleine juridiction. Dans le
premier pays, les décisions du tribunal administratif peuvent être
déférées en appel devant la chambre administrative de la cour suprême;
dans les deux autres, l'appel est porté devant les cours d'appel et seule la
cassation est ouverte devant la chambre ad ministrative de la cour
suprême. Par conséquent, il n'existe que des voies de retraction, tantôt
incomplètes, tantôt soumises à des conditions procédurales contraignantes.
Les cinq voies de retraction méritent d'être étudiées successivement...
Sous-Paragraphe 1 : L·opposition
L'opposition est une voie de retraction contre les jugements rendus
par défaut, c'est-à-dire, en l'absence d'une des parties au litige, celle-ci
ayant néanmoins présenté ses conclusions. Dans le Conseil de l'Entente,
tout comme en France, le juge administratif ne retient que le défaut du

280
défendeur, celui du demandeur étant considéré comme un désistement
pur et simple 1.
En fait, cette voie de retraction, qui oblige la juridiction à se
prononcer sur
une même affaire, n'a pas été retenue par tous les
législateurs du Conseil de l'Entente. Au Bénin, elle est implicitement
rejetée par l'article 56 de l'ordonnance 21 /PR du 26 avril 1966 qui stipule
que les "arrêts rendus sont contradictoires en dépit de l'absence éventuelle
des parties en cause ou de leurs défenseurs".
Au Togo, la loi ne prévoit
que deux voies de retraction, à savoir le recours en rectification d'erreur
matérielle (article 33 de la loi 62-9 du 14 mars 1962) et le recours dans
l'intérêt de la loi (article 44 de la loi).
En Côte d'Ivoire et au Niger, les textes donnent lieu à équivoque:
l'article 101 de la loi ivoirienne 61-201 du 2 juin 1961 et l'article 130 de
la loi nigérienne 61-28 du 15
juillet 1961
stipulent respectivement
qu"'outre les voies de recours prévues par la Section III, Chapitre III, Titre
III qui sont applicables en matiére administrative, la tierce-opposition est
recevable contre les arrêts rendus par la chambre administrative en
matière de recours pour excès de pouvoir". Or, les dispositions concernées
ne prévoient, pour la Côte d'Ivoire, que le recours en révision et le recours
en rectification d'erreur matérielle contre le s décisions de justice, puisq u 'il
est stipulé qu"'en dehors de l'opposition, lorsqu'elle est expressément
prévue par la loi, il ne peut être formé de recours contre les décisions de
justice que dans les cas suivants" (article 97 de la Loi). Il faut en conclure
que les législateurs ivoirien et nigérien ont entendu également exclure
cette voie de retraction qui, il ne faut pas l'oublier, n'est pas très opérante
même en France. C'est donc la Haute-Volta seulement qui a prévu
l'opposition ... L'article 13 de la loi 5/62/ AN précise qu'elle n'est point
1 Conseil d'Etat, 23 décembre 1954, Vernier

281
suspensive, à moins qu'il en soit ordonné autrement. L'opposition doit être
formée dans un délai de deux (2) mois à compter du jour où la décision
par défaut a été notifiée par le huissier en forme administrative, ou de la
date de son prononcé s'il n'y a pas eu élection de domicile.
Dans la
pratique, on
ne
relève
aucun
cas
d'opposition.
Rien
d'étonnant à cela: les décisions rendues par défaut aux
dépens de
l'administration ne sont pas appliquées purement et simplement quand
celle-ci en décide ainsi...
Sous-Paragraphe II : La tierce-opposition
La tierce-opposition est une voie de droit ouverte aux personnes qui
n'étaient pas présentes ou représentées dans l'instance pour remettre en
cause un jugement qui leur est préjudiciable. Elle est donc assortie de deux
conditions: ne pas être partie à l'instance. et être lésé par l'arrêt rendu.
Les effet de la tierce-opposition sont différents selon qu'elle est
reconnue fondée ou non; si elle est fondée, le juge ad ministratif modifiera
le jugement attaqué par un nouveau qui précisera la situation juridique du
tiers-opposant, sans modifier en principe la solution du premier arrêt; si
elle n'est pas fondée, l'arrêt ne sera pas modifié et continuera donc à
porter préjudice au tiers-opposant. En cas de tierce-opposition abusive, le
tiers-opposant peut être condamné au paiement de dommages et intérêts.
Dans les cinq pays membres du Conseil de l'Entente, la tierce-
opposition a été retenue seulement en Côte-D'Ivoire et au Niger. Au Bénin
et au Togo, elle est exclue. En Haute-Volta, la loi est muette à son sujet,
mais la reconnaissance de l'opposition incline à penser que la tierce-
opposition est admise jurisprudentielle ment. En Côte d'Ivoire et au Niger,
"ceux qui veulent s'opposer à des décisions de la chambre administrative
en matière de recours pour excès de pouvoir ne peuvent former leur

282
tierce-opposition que par requête en la forme ordinaire" (article 102 de la
loi ivoir ienne et article 131 de la loi nigérienne J.
Ceci étant, entre la solution voltaïque qui consiste à pr évoir
l'opposition et non pas la tierce-opposition d'une part et la solution
nigérienne et ivoirienne qui fait l'inverse, il semblerait que cette dernière
est plus opportune. L'opposition, succédané d'appel, tend à forcer la main
du juge, à le ramener sur sa décision, voire à faire échec à l'autorité de
chose jugée; ce sont les même parties qui se retournent chez le même juge
pour la même cause! Si elle revêtait un caractère opérant, l'opposition
entraînerait une instabilité chronique des situations juridiques. Dans la
tierce-opposition au contraire, ce ne sont plus les mêmes parties qui
contestent la décision rendue. Ce sont des tierces personnes qui estiment
que ladite décision leur porte préjudice. Il est donc normal
qu'elles
puissent défendre leurs intérêts méconnus par un jugement auquel elles
étaient étrangères au point de départ. L'admission de la tierce-opposition
sans celle de l'opposition paraît donc une solution logique et juste.
Sous-Paragraphe 1II : Le recours en révision
Cette voie de retraction est prévue dans tous les Etats concernés,
excepté le Togo.
Au Bénin, le recours en révision est ouvert aux parties dans deux cas:
si l'arrêt a été rendu sur pièces fausses; lorsqu'après arrêt rendu, des
pièces inconnues lors des débats, de nature à modifier la décision de la
chambre administrative, seront présentées.
Outre les parties, le droit de demander la révision appartient au
procureur général près la cour suprême; dans ce cas, la décision rendue a
effet à l'égard des parties.
En Côte-d'Ivoire et au Niger, les cas d'ouverture du recours en
révision sont portés au nombre de trois: décision rendue sur pièces

283
fausses; partie condamnée faute de présenter une pièce décisive retenue
par son adversaire; décision intervenue en violation des règles suivantes:
l'arrêt doit être rendu par trois (3) Magistrats;
il doit être prononcé en
audience publique après délibéré hors la présence des parties; il doit être
motivé et doit viser les textes dont il fait application ; il doit mentionner
les noms du Président, conseillers, et conseiller-rapporteur qui l'ont rendu
et, s'il y a lieu, celui des avocats qui ont postulé dans l'instance; les nom,
prénom, profession, domicile des parties et l'énoncé succinct des moyens
produits. Et il doit être signé dans les 24 heures par le Président, le
conseiller-rapporteur et le secrétaire.
Comme on le voit, les législateurs ivoirien et nigérien sont beaucoup
plus larges. Le dernier cas d'ouverture indique bien leur volonté de faire
appliquer par le juge lui-même la procédure administrative contentieuse
établie.
Le recours en révision est formé par requête déposée au secrétariat
général de la Cour Suprême; il est ensuite instruit et jugé selon la
procédure ordinaire.
En Haute- Volta enfin, le recours en révision est entouré de beaucoup
plus de conditions qu'ailleurs. Ouvert en cas de décision rendue sur pièces
fausses ou de condamnation d'une partie faute de représenter une pièce
décisive retenue par l'adversaire, il obéit à des conditions de forme et de
fond qui ne sont pas prévues dans les autres Etats: il doit être présenté
par un avocat exerçant en Haute-Volta;
le délai est de trois mois qui
suivent la découverte du fait donnant ouverture à révision; enfin, lorsqu'il
aura été statué sur un premier recours en révision contre une décision
contradictoire, un second recours contre la même décision ne sera pas
recevable.

284
Sous-Paragraphe IV : Le recours en rectification
Le recours en rectification constitue la seule voie de retraction
commune aux cinq (5) Etats membres du Conseil de l'Entente.
Au Bénin, l'article 60 de l'ordonnance 21/PR stipule qu'en cas d'erreur
matérielle, les décisions de la cour suprême sont rectifiées par la chambre
qui les a rendues, sur simple requête de la partie la plus diligente ou du
procureur géneral
La loi est silencieuse sur les conditions de formes à
respecter. En Côte-d'Ivoire, au Niger et en Haute-Volta, le recours en
rectification peut être exercé contre les décisions entachées d'une erreur
matérielle SUSCc l,tible cl 'avoir exercé une influence sur le jugement de
l'affaire,
Au Togo,
"les
arrêts
de
la
Cour
Suprême
sont
dans
tous
les cas
contradictoires et ne sont susceptibles d'aucun recours, si ce n'est pour
rectification d'erreur matérielle, sur les seules réquisitions du procureur
général".
Sous-Pacagraphe V: Le recours dans l"intérêt de la loi
En France, ce recours quelque peut particulier est ouvert au Ministre
et vise à faire modifier un acte juridictionnel reposant sur des moyens de
droit erronés. Il ne peut être dirigé que contre une décision définitive. Les
moyens
invoqués
à
l'appui
doivent
être
des
moyens
de
droit
exclusivement. Dans ses effets, ce recours ne concerne en rien les parties
en cause, d'où sa portée essentiellement doctrinale.
On peut assimiler à ce type de recours, les recours pour excès de
pouvoir prévus par l'article 44 de la loi togolaise 62-9 du 14 mars 1962
qui stipule que "le Ministre de la justice pourra demander au procureur
général prés la cour suprême, de déférer à cette haute juridiction les actes
judiciaires, jugements ou arrêts dans lesquels les juges de droit moderne
auront excéclé
leurs
pouvoirs". Ces
parties
mises en cause
par le

285
procureur général pourront, si elles le jugement opportun, produire dans
un délai de un mois un mémoire qui est adressé au secrétaire général de la
cour suprême. Le ministère d'avocat n'est pas obligatoire; seuls peuvent
être éventuellement constitués les avocats inscrits au barreau de la Cour
d'Appel du Togo. L'acte entaché d'excès de pouvoir sera annulé s'il y a lieu,
et l'annulation vaudra à l'égard de tous.
Il y a donc une différence importante entre le traditionnel recours
dans l'intérêt de la loi et ce recours d'excès de pouvoir qui a effet à l'égard
des parties en cause.
Sous-Chapitre deuIième . Les règles de procédure en
matière de recours de pleine
juridiction
A l'intérieur du Conseil de l'Entente, la juridiction administrative
connaît du recours en réparation à trois titres différents: en qualité de
juge de premier et dernier ressort pour la Haute-Volta et le Bénin; en
qualité de juge de cassation pour la Côte-d'Ivoire et le Niger en qualité de
juge de premier ressort et d'appel pour le Togo.
Section 1 . Le recours de plein contentieuI au Bénin et en
Haute-Volta
Dans ces deux pays, la procédure du recours pour excès de pouvoir
est applicable en matière de pleine juridiction. Il existe toutefois quelques
différences entre les deux législations. Ainsi, en Haute- Volta, le ministère
d'un avocat n'est pas obligatoire pendant que le législateur béninois
l'impose au demandeur. Par ailleurs, en Haute-Volta, les délais pour le
recours de pleine juridiction sont les mêmes que ceux prescrits pour
l'excès de pouvoir tandis qu'au Bénin, aux termes des dispositions de
l'article 71 de l'ordonnance 21/PR, "il ne peut être op posé au de mandeur

286
d'autres forclusions que celles tirées de la prescription ou de dispositions
édictant en matière de délais des règles particulières".
Mais dans les deux pays, la jurisprudence admet qu'en matière de
plein contentieux, il n'y a pas de délai pour se pourvoir contre une décision
implicite; ainsi un recours formé le 9 novembre 1968 à la suite d'un
recours administratif formulé le la décembre 1965 mais resté sans
ré ponse est déclaré recevable 1.
La procédure
du
recours
de
pleine
juridiction
est
surtout
remarquable en ce qui concerne toujours la Haute-Volta par le droit
proportionnel à verser.
Alors qu'au Bénin, le requérant est tenu de consigner une somme de
5.000 F pour tout recours devant la Cour Suprême, en Haute-Volta, il est
perçu, outre le droit fixe de 1 000 F, un droit proportionnel égal à un pour
mille du montant de la demande lorsqu'elle tend au paiement de sommes
à titre quelconque. En sont dispensées les administrations publiques et les
collectivités locales, ainsi que les recours contre les concessions et refus de
pension, les litiges individuels concernant les fonctionnaires et les litiges
en matière de contributions directes. A défaut,
par les recourants,
de
verser ce droit proportionnel dans le mois de dépôt de leur requête, la
juridiction doit déclarer les recours irrecevables et cette irrecevabilité fait
perdre tout effet au dépôt de la requête. De plus, lorsque des personnes
physiques ou des personnes morales de droit privé sont condamnées au
paiement de sommes à un titre quelconque, il est encore perçu un droit
proportionnel égal à 1/1000 des condamnations prononcées. Enfin, un
autre trait de la procédure du recours de plein contentieux réside dans les
pouvoirs du juge. Le recours de pleine juridiction tendant à obtenir la
1 Chambre administrative, 24 octobre 1969, Traoré Lallé contre République de Haute-
Volta.

287
réparation d'un préjudice matériel ou moral causé par l'administration, le
juge est appelé à apprécier la valeur de la réparation. L'expérience a
prouvé qu'il a deux attitudes différentes:
première
attitude: le juge chiffre lui-même le
montant de la
réparation sur la base des seuls éléments retenus par lui. L'exemple est
donné dans l'affaire HIEN Em manuel contre République de Haute-Volta du
22 octobre 197 l, Par arrêt avant dire droit du 23 avril 1971, la Cour avait
sursi à statuer sur la demande du requérant tendant à obtenir le
remboursement des frais de transport occasionnés par sa mutation aux
fins de lui permettre de produire préalablement toutes les preuves des
dépenses par lui effectuées.
Par la suite, le requérant avait chiffré le montant de ses dépenses à 45
000 F dont la 000 F pour "frais divers de transport" et 35 000 F comme
prix de location d'un camion appartenant à un transporteur privé.
Le juge devait rejeter cette évaluation pour deux raisons: d'abord,
aucun document ne justifie les la 000 F de frais divers que le requérant
avait décomposé comme suit :
, camion de HIEN Ambroise Dano-Bobo et retour
(650 x 2) = 1 300 F
. train Bobo-Ouaga et retour (1950 x 2 ) = 3 900 F
. nourriture et taxi = 4 800 F ;
ensuite,
ce qui concerne les 35 000 F, l'attestation dactylographiée du 22
mai 1971, et signée par le transporteur, ne revêt pas la forme commerciale
et n'est pas acquittée, d'où il suit que l'on ne saurait lui accorder la
moindre force probante. A la suite de ce rejet, le juge procéda lui-même à
l'évaluation:
..... Attendu que le requérant, marié, père de deux enfants mineurs et
classé à l'indice 290, avait, pour son déménagement de Banfora à Kampti,
droit à une indemnité destinée à couvrir ses frais d'emballage ainsi que le

288
transport de personnes et de matériel (sur une distance de 117 km), que
la chambre administrative possède des éléments d'appréciation suffisants
pour évaluer à 15 000 F le montant de la dite indemnité et qu'il échet lui
allouer cette somme à l'exclusion de toute autre ...".
deuxième attitude: le juge rejette la demande en réparation parce
que le requérant ne l'a pas chiffrée. Statuant sur la requête en date du 23
novembre 1966 du sieur BARRY Boubakar demandant un rappel de solde
et accessoire pour compter du 16 octobre 1966, la Cour devait déclarer:
"... Attendu que la demande n'est pas chiffrée; que faute d'éléments
d'appréciation, il y a lieu de la rejeter".
De même, statuant sur la requête du sieur SIDIBE Youssouf tendant à
obtenir le remboursement de la totalité des retenues opérées sur son
salaire en violation de l'article 46 paragraphe 5 de la loi 22-59-AL du 20
octobre 1959 portant statut général de la Fonction Publique, la Cour devait
déclarer
Attendu que le requérant argue du non respect à son égard des
dispositions de l'article 46 paragraphe 5 du statut général pour réclamer le
remboursement de la totalité des retenues opérées à son détriment;
... Mais attendu qu'il ne soumet aucun quantum précis et détaillé
permettant une saine appréciation de sa demande et que la chambre
ad ministrative ne saurait, sans outrepasser ses pouvoirs, se substituer à
lui pour l'établir elle-même ... ",
Ces différentes
méthodes d'investigation du
juge ne sont pas
exemptes de critiques. Dans le premier cas, celui-ci se fonde sur des
éléments qu'il omet de préciser pour évaluer l'indemnité à 15 000 F, alors
qu'il aurait pu se borner, après avoir contesté l'évaluation du requérant, à
exiger de l'administration le paiement de cette indemnité.
On ne saurait retenir en effet comme éléments d'appréciation, le fait
que le requérant soit marié, pére de deux enfants mineurs et classé à

289
l'indice 290 ! L'indemnité de transport couvre, selon la législation, les frais
de déplacement du fonctionnaire, de son ou de ses épouses, de son ou de
ses enfants à charge, et de ses biens. Et dans un pays où les fonctionnaires
mutés sont souvent obligés, à cause des lenteurs administratives, de
prendre eux-mêmes en charge les frais de leur déplacement en attendant
la régularisation, une telle appréciation aboutit à les sanctionner deux fois.
Le
deuxiéme cas et le troisième
exemple
sont
encore
plus
critiquables. S'agissant de solde et accessoire dont le juge connaît et peut
connaître le montant mensuel, il est inadmissible que la demande soit
rejetée parce que non chiffrée et incompréhensible que le juge se déclare
incompétent pour en déterminer le montant à la place du requérant. La
vérité est que le montant est fixé de façon implicite alors que dans le
premier exemple, c'est pas un acte arbitraire que le juge a établi
l'indemnité de transport à 15 000 F.
Section II : Le recours de plein contentieuI en Côte-D"lvoire
et au Niger
En Côte-d'Ivoire et au Niger, le recours de pleine juridiction est porté
en premier ressort devant les tribunaux de première instance, en appel
devant la Cour d'Appel et en cassation devant la chambre administrative
de la Cour Suprême.
Paragraphe 1 : En Côte-d"lvoire
Le pourvoi en cassation est ouvert dans des cas précis qui sont:
violation de la loi ou erreur dans l'application ou l'interprétation de la loi.
Ainsi, dans l'affaire Société des Centaures Routiers sus-mentionnée, la
chambre administrative, par son premier arrêt du 3 juillet 1967, avait
cassé la décision de la cour d'appel d'Abidjan qui, infirmant le 8 février
1963 le jugement du tribunal de première instance,
s'était déclarée
incompétente pour connaître d'un litige dans lequel était mise en cause la

290
responsabilité de l'Etat, non sans avoir rappelé que "le tribunal de droit
commun est compétent pour statuer sur les litiges administratifs et que les
recours qui ne figurent pas dans l'énumération de l'article 73 de la loi du 2
juin 1961 rentrent dans la compétence des juridictions civiles ou pénales,
alors même qu'ils doivent être résolus en application des règles du droit
administratif". La cour d'appel s'était déclarée incompétente en violation
de la loi.
Dans
son
deuxième
arrêt
du
14
janvier
1970,
la
chambre
administrative avait cassé la décision de la juridiction inférieure pour
erreur dans l'interprétation de la loi:
"... Considérant que l'arrêté du 3 septembre 1958 n'a pas pu avoir
légalement
pour effet de
déroger
aux principes
qui
régissent
la
responsabilité de la puissance publique" ; incompétence; excès de pouvoir
; violation des formes légales prescrites à peine de nullité ou de déchéance;
contrariété de décisions rendues entre les mêmes parties relativement au
même objet et sur les mêmes moyens; défaut de base légale résultant de
l'absence, de l'insuffisance, de l'obscurité ou de la contrariété des motifs;
commission de statuer; prononciation sur chose non demandée
ou
attribution de choses au delà de ce qui a été demandé.
Le pourvoi en cas sation est sou mis à des conditions et à des règles de
forme Ne peuvent se pourvoir en cassation que ceux qui ont été parties à
la décision attaquée ou leurs ayants cause. "Toutefois, si le procureur près
la cour d'appel apprend qu'il a été rendu une décision contraire aux lois,
aux règlements ou aux formes de procéder, contre laquelle aucune des
parties ne s'est pourvue dans le délai fixé, ou qui a été exécutée, il en saisit
la cour suprême après l'expiration du délai ou après l'exécution; si la
cassation intervient, les parties ne peuvent s'en prévaloir pour éluder les
dispositions de la décision cassée" (article 207 alinéa 2 de la loi 72-833 du
21 décembre 1972).

291
Le procureur général près la cour d'appel. sur la réquisition qui lui
en sera faite par l'autorité supérieure, peut soumettre à la cour suprême
les actes par lesquels les juges excèdent leurs pouvoirs. La cour suprême
annule ces actes s'il y a lieu, et l'annulation vaut à l'égard de tous".
Le pourvoi doit être formé au plus tard dans le délai de un mois à
compter du jour de la signification de l'arrêt de la cour ou du jugement du
tribunal, par une requête écrite et signée par la partie ou un avocat inscrit
au barreau de Côte d'Ivoire, ou par le ministère intéressé agissant au nom
de l'Etat, déposée au greffe de la juridiction qui a rendu la décision
attaquée. La requête doit,
à peine d'irrecevabilité, indiquer les nom et
domicile des parties et,
s'il s'agit d'une personne
morale,
de
son
représentant légal ou statutaire; contenir un exposé des faits et moyens
de cassation.
Ces formalités prescrites ont un caractère d'ordre public. Le juge en a
ainsi décidé dans l'affaire ZIAN Biyonan Jean du 27 février 1974 : le
pourvoi a été déclaré irrecevable parce qu'il ne contenait l'indication ni du
nom des représentants ès-qualité
de la RAN (Régie de chemin de fer
Abidjan - Niger) ni des moyens de cassation proposés.
Le
pourvoi ainsi constitué est transmis par le greffier de la
juridiction, dans la huitaine, au secrétaire général de la cour suprême. Les
recours en cassation ne sont suspensifs que dans trois cas: en matière
d'état des personnes,
quand
il y
a faux
incident et en
matière
d'immatriculation foncière. La chambre ad ministrative ainsi saisie procède
exactement comme pour le recours pour excès de pouvoir. Si elle casse la
décision attaquée et qu'il y a lieu de renvoi, elle renvoie le procès, soit
devant une autre juridiction de même ordre, soit devant la même
juridiction autrement composée; celle-ci doit se confor mer à la décision de
la chambre ad ministrative sur le point de droit tranchée par cette
dernière.

292
La législation ivoirienne
précise que lorsqu'une
de mande
en
cassation a été rejetée, la partie qui l'avait formée ne peut plus se pourvoir
en cassation dans la même affaire sous quelque prétexte et par quelque
moyen que ce soit. Mais cette mê me législation contient une dis position
assez curieuse: l'article 57 alinéa 2 et 3 de la loi 61-201 du 2 juin 1961
stipule qu'au cas où la juridiction rejette le pourvoi, elle doit dire, par
même arrêt, et par disposition spéciale motivée, si le pourvoi présente un
caractère abusif ou dilatoire ; dans l'affirmative, elle condamne le
demandeur à une amende-dépens qui ne saurait être supérieure à cinq
fois le montant total des frais, ni, en tout état de cause, inférieure à 10.000
Frs. Au cas de non paiement dans le délai fixé, le dossier est transmis au
procureur de la République de la résidence du demandeur et il est procédé
à la procédure pénale, laquelle ne s'applique pas si le demandeur est une
personne morale de droit public. Il est difficile de ne pas voir en ces
dispositions
une
intimidation manifeste
tendant à décourager
les
justiciables dans leur volonté d'épuiser les voies recours qui leur sont
offertes pour obtenir satisfaction.
Paragraphe II : Au Niger
Les moyens de la cassation sont au nombre de six: violation des
formes légales; violation ou fausse application de la loi; incompétence ou
excès de pouvoir; omission de statuer; contrariété de jugements; défaut,
insuffisance ou obscurité des motifs.
Le pourvoi est suspensif dans quatre cas: en matière d'état des
personnes; quand il y a faux incident; en matière d'immatriculation
foncière; lorsqu'une disposition particulière de la loi le prévoit.
Ceci dit, les conditions et les [ormes sont plus contraignantes et plus
nombreuses qu'en Côte d'Ivoire; ainsi, le pourvoi est formé, sous peine
d'irrecevabilité, par une requête écrite et signée par la partie, un avocat

293
défenseur ou un fondé de pouvoir spécial dans le délai d'un mois. lequel
court à compter du jour
de la signification de la décision, lorsq ue cette
signification a été faite à personne ou à domicile et du jour où l'opposition
n'est plus recevable lorsqu'il s'agit d'un arrêt ou d'un jugement par défaut.
Toujours sous peine d'irrecevabilité, la requête doit: indiquer les
nom, profession et domicile des parties et, s'il s'agit d'une personne
morale, de son représentant ès-q ualité ; contenir un exposé des faits et un
énoncé des moyens de droit invoqués contre la décision attaquée. En
revanche, le délai imparti au greffier en chef de la juridiction qui a rendu
la décision attaquée pour adresser à son collègue de la cour suprême le
dossier de l'affaire est plus long qu'en Côte d'Ivoire: quinze (15) jours au
lieu de huit (8), à dater du dépôt du pourvoi. Le pourvoi est soumis à
d'autres conditions; le demandeur en effet est encore tenu, à peine de
déchéance:
- de contresigner au greffe de la cour suprême, dans le mois de
l'introduction du pourvoi, une amende de cinq mille francs (5.000 F) et
d'en produire quittance, sauf s'il a obtenu le bénéfice de l'assistance
judiciaire ou s'il a été dispensé par une disposition particulière de la loi;
- de signifier sa requête au défenseur par un acte extra-judiciaire
dans un délai de deux (2) mois à compter du dépôt du pourvoi.
Quant au défenseur au pourvoi, il doit transmettre au greffe de la
cour suprême accompagné d'autant de copies qu'il y a de parties en cause,
un mémoire en défense signé de lui-même ou d'un avocat défenseur, ou
d'un fondé de pouvoir spécial dans le mois qui suit la signification de la
requête. Dès lors, le déroulement de l'instance s'effectue cam me en Côte
d'Ivoire, selon le cheminement suivant: après réception du mémoire en
défense du défendeur, le greffier en chef de la cour suprême en adresse
copie aux autres parties en cause, les avertit par la même occasion qu'elles
ont un mois pour déposer à son greffe leurs mémoires en réplique,

294
lesquels seront adressés aux autres parties en cause qui pourront à leur
tour déposer un mémoire ampliatif. Le dossier de la cassation
ainsi
constitué est transmis au Président de la chambre administrative; celui-ci
désigne par ordonnance un conseil1er-rapporteur et lui impartit un délai
pour déposer son rapport. Le consei11er-rapporteur peut demander aux
parties de compléter leur dossier dans un délai qu'il fixe. Mais, aucun
mémoire n'est recevable après le dépôt au greffe du rapport du conseil1er-
rapporteur. Le dossier est ensuite transmis au procureur général qui
dispose d'un délai de vingt (20) jours pour établir ses conclusions. Le
prèsident de la chambre administrative fixe alors la date de l'audience à
laquel1e l'affaire sera appelée et jugée sur pièces.
Section III : Le recours de plein contentieuI au Togo
En République togolaise, le recours de pleine juridiction relève en
premier ressort du tribunal administratif et, en appel, de la chambre
administrative. La procédure applicable devant le tribunal administratif
est, comme il a été dit plus haut, ceBe qui était applicable devant le conseil
du contentieux.
La procédure de l'appel devant la chambre administrative a été fixée
par les artic1es 65 et suivants de la loi 62-9 du 14 mars 1962 relative à la
procédure suivie devant la cour suprê me : le délai de l'appel est de deux
mois à compter de la publication ou de la signification de la décision du
tribunal administratif si les parties sont domiciliées au Togo; dans le cas
contraire, le délai de deux mois est majoré d'un mois. L'appel n'est pas
suspensif, sauf en matiére électorale uniquement.
La requête des parties doit remplir les mêmes conditions de forme
qu'en matière de recours pour excès de pouvoir; el1e doit notamment être
signée par un avocat inscrit au barreau de la cour d'appel du Togo.

295
Sous-Chapitre troisième - Les procédures particulières
Les
différentes législations ont
prévu
un certain nombre
de
procédures
particulières
pouvant
s'insérer
dans
la
procédure
administrative
contentieuse.
Il
s'agit
notam ment
du
référé,
de
l'intervention, de l'inscription de faux, et du décès d'une partie ....
Section 1 : Le référé
Les législateurs béninois et togolais n'ont pas expressément prévu le
référé. En revanche, celui-ci fait l'objet de dispositions spéciales en Côte
d'Ivoire et au Niger. L'article 98 de la loi ivoirienne 61-201 du 2 juin 1961
et l'article 127 de la loi nigérienne 61-28 du 15 juillet 1961 stipulent que
"dans tous les cas d'urgence, le Président de la chambre administrative
peut, sur simple requête
désigner un expert pour constater sans délai des
faits qui seraient susceptibles de donner lieu à un litige devant la chambre
administrative avis en étant immédiatement donné aux défendeurs
éventuels; ordonner toutes autres mesures utiles, sans faire préjudice au
principal ni obstacle
à l'exécution d'une
décision ad ministrative.
Notification de la requête est im médiate ment faite
aux
défendeurs
éventuels, avec fixation d'un délai de réponse".
On pourrait se poser la question de savoir pourquoi cette procédure
particulière n'est mise en œuvre qu'à la demande du demandeur! Compte
tenu de l'ignorance affirmée du demandeur africain en matière
de
procédure, le caractère inquisitoire de
la
procédure
administrative
contentieuse ne serait-elle pas heureusement renforcée si le juge, en
appréciant la situation et en déduisant les implications des faits, pouvait,
motu proprio, déclencher la procédure du référé!

296
Section II : L"intervention
Elle est prévue au Niger. en Côte d'Ivoire et en Haute-Volta. L'article
99 de la loi ivoirienne précitée et l'article 128 de la loi nigérienne sus-
mentionnée stipulent que "l'intervention est formée par requête déposée
au secrétariat de la chambre administrative", et les articles 100 et 129 de
ces mêmes lois ajoutent que "la décision de l'affaire principale qui serait
instruite ne peut être retardée par une intervention".
Le législateur voltaïque a été pour sa part plus explicite. Au termes
de l'article 20 de la loi S/62/AN du Il janvier 1962, l'intervention est
formée par requête distincte; la chambre administrative en est saisie à sa
plus prochaine audience utile, sans convocation des
parties ou du
requérant. La chambre administrative décide, soit que l'intervention est
irrecevable en tant que telle et recevra la suite d'une requête introductive
d'une instance distincte, soit que l'intervention est recevable et qu'il sera
procédé comme en matière de demandes incidentes. Le juge administratif
a eu l'occasion de préciser les conditions de l'intervention dans l'affaire
société et syndic SCOMB du 28 janvier 1972. La requérante attaquait en
excès de pouvoir l'arrêté 290/MFP.DOM du 3 mai 1971 rapportant un
précédent décret lui ayant accordé la concession provisoire d'un terrain le
15 août 1968 de 15.868 m2 , formant le lot 22 de la zone industrielle de
Ouagadougou. Le 25 août 1971, le SYNDIC de la faillite SCOMB. maître
SOME Ga11i,
intervenait en appui ès-qualité,
sollicitant, en ou tre,
l'annulation d'un arrêté n°
l26l3/PLlTP/MFC du 12 novembre 1970
autorisant la société B.P. centre ouest à installer céans un dépôt de
produits pétroliers" sur le terrain SCOMB, titre foncier n° 87, lot n° 22, rue
n° 138 de la zone industrielle à Ouagadougou, aux motifs que ce texte
annonçait le retrait subséquent. Statuant sur l'intervention, la cour devait
notamment déclarer:

297
"...Attendu que tout intervenant doit: justifier, en matière d'excès de
pouvoir, d'un intérêt certain ; adjoindre son action à une requête
principale recevable et ne pas présenter de demande nouvelle par rapport
aux conclusions initiales;
... Attendu qu'il n'est satisfait qu'aux deux premières conditions, que
la recourante attaque uniquement l'arrêté 290/MFC.DOM du 3 mai 1971,
qu'en postulant l'annulation d'un autre acte sans liens directs avec ledit, le
SYNDIC de la faillite soumet une de mande nouvelle à l'examen de la
chambre administrative ;
... Attendu
que
son
intervention
demeure
sur
ce
point
particulièrement irrecevable et ne pourra recevoir que la suite d'une
re quête in trod uctive d'une instance distincte".
Section III : L"inscription de faUI
L'inscription de faux fait, pour tous les pays membres du Conseil de
l'Entente, l'objet d'une législation précise et exhaustive.
En Côte d'Ivoire et au Niger, si une partie dénie son écriture ou
déclare ne pas reconnaître celle attribuée à un tiers, le conseiller-
rapporteur peut passer outre s'il estime que le moyen est purement
dilatoire ou sans intérêt pour la solution du litige (cette faculté laissée au
juge d'instruction n'est-elle pas en réalité porteuse d'arbitraire ?). Dans le
cas contraire, il paraphe la pièce et ordonne une vérification d'écriture,
tant par titres que par témoins et, s'il y a lieu, par expert (pourquoi
l'expertise
est
également facultative
et
pourquoi
privilégier
les
témoignages ?). Les pièces pouvant être ad mises à titre de pièces de
comparaison sont
les signatures apposées sur des actes authentiques; la
partie de la pièce à vérifier qui n'est pas déniée
les pièces de
comparaison non paraphées par le conseiller-rapporteur.
S'il est prouvé
par la vérification d'écriture que la pièce est écrite ou signée par celui qui

298
l'a déniée, il est passible d'une amende de 10.000 Francs,
sans préjudice
des dommages-intérêts et dépens.
Ceci étant, il semblerait bien que dans ces deux pays, l'inscription de
faux constitue une question préalable et non pas une question préjudicielle
ressortissant à la compétence de la juridiction judiciaire. L'article 106 de la
loi ivoirienne stipule par exemple que "la demande en inscription de faux
contre une pièce produite au cours d'une procédure devant la chambre
administrative est instruite suivant les règles établies par l'article 61 du
titre II 1. Ce dernier article prévoit la procéd ure à suivre devant la
chambre judiciaire en matière d'inscription de faux. S'agirait-il par
conséquent d'une simple référence? La juridiction administrative doit-elle
seulement statuer sur la demande d'inscription de faux en se conformant à
la procédure applicable devant la juridiction judiciaire? Cette procédure
est d'ailleurs la suivante: la demande en inscription de faux, déposée au
secrétariat de la chambre judiciaire, est trans mise d'urgence au conseiller-
rapporteur si celui-ci est toujours saisi ou au président de la formation
compétente dans le cas contraire; le conseiller-rapporteur ou le Président
fixe par ordonnance le délai dans lequel la partie qui a produit la pièce
arguée de faux doit déclarer si elle entend s'en servir. En cas de silence ou
de réponse négative, la pièce est rejetée. Si la partie déclare qu'elle entend
se servir de cette pièce, la formation compétente peut surseoir à statuer
sur le pourvoi jusqu'après le jugement de faux, soit passer outre si elle
constate que la décision ne dépend pas de la pièce arguée de faux.
En Haute-Volta, l'équivoque dont s'agit est levée: si la partie fait la
déclaration qu'elle entend se servir de la pièce arguée de faux, la chambre
ad ministrative statue soit en ordonnant qu'il sera sursis à la décision sur
l'instance principale jusqu'après le jugement de faux par le tribunal
compétent, soit en prononçant la décision définitive si elle ne dépend pas
de la pièce arguée de faux (article 18 de la loi 5/62/AN),

299
Mais c'est le législateur béninois qui est remarq uable de clarté et de
précision en matière d'inscription de faux, Dans ce pays, en effet. la
demande en inscription de faux contre une pièce produite devant la
chambre ad ministrative ou la chambre judiciaire est sou mise a u Président
de la cour suprême. Elle ne peut être examinée que si une somme de 5.000
Francs a été consignée au greffe. Le Président de la cour suprême rend,
soit une ordonnance de rejet, soit une ordonnance portant permission de
s'inscrire en faux. En cas d'ordonnance de rejet, la somme consignée est
acquise au trésor. L'ordonnance portant permission de s'inscrire en faux et
la requête à et effet sont notifiées au défendeur à l'incident dans le délai
de quinze (15) jours, avec sommation d'avoir à déclarer s'il entend se
servir de la pièce arguée de faux. Le défendeur doit y répondre dans le
délai de un mois, faute de quoi la pièce est écartée des débats. La pièce est
également écartée si la réponse est négative. En revanche, si la réponse est
affirmative, elle est portée à la connaissance du demandeur à l'incident
dans un délai de quinze (15) jours. Le Président renvoie alors les parties à
se pourvoir devant une juridiction qu'il désigne
pour procéder au
jugement de faux.
Section IV : Décès d"une partie
Le législateur voltaïque est le seul à avoir prévu expressément une
procédure particulière en matière de décès d'une partie. Aux termes de
l'article 19 de la loi 5/62/ AN, lorsqu'est déposée par quiconque au
secrétariat de la chambre administrative la preuve du décès d'une partie,
l'instance est suspendue pendant un mois. A l'expiration de ce délai, si les
ayants-cause
n'ont pas repris l'instance, le rapporteur propose à la
juridiction la désignation d'office d'un représentant ad litem du de cujus
contre lequel la procédure pourra être suivie. La décision à intervenir sera
à l'égard de la partie décédée réputée par défaut et les ayant-droits du de

300
cujus y pourront faire opposition dans le délai de trois mois de la
signification qui leur en aura été faite par huissier à la diligence des autres
parties. Est pareillement réputée par défaut à l'égard d'une partie, toute
décision de la chambre administrative rendue postérieurement au décès
de cette partie.
La procédure administrative contentieuse est, en fin de compte, très
limitative des recours contentieux, en raison des textes et en raison de la
jurisprudence elle-même. Mais ce qu'il faut le plus dénoncer, c'est
l'obligation du recours ad ministratif préalable, les frais de justice et
l'absence du double degré de juridiction, notamment en ce qui concerne le
recours pour excès de pouvoir, le tout couronné par une lenteur
inexplicable et injustifiable.
Au termes de cette présentation analytique du système de contrôle
juridictionnel de l'administration dans les cinq (5) Etats membres du
Conseil de l'Entente, il n'y a plus de doute qu'au lendemain des
indépendances, les dirigeants africains n'ont pas nourri d'ambition
particulière vis-à-vis de cette institution. Le caractère embryonnaire de
son organisation, la réduction de droit ou de fait des compétences de la
juridiction, la rigueur de la procédure applicable, tout cela, loin de
s'expliquer uniquement par la faiblesse des moyens humains et matériels
du moment, traduit une crainte de voir l'autorité de l'Etat affaiblie, un Etat
jeune, inexpérimenté, en charge de tout pour tous; précisément un Etat
qui avait besoin de force pour faire accoucher la nation et pour briser la
chaîne des traditions anti-développement.
Mais aujourd'hui, l'Etat africain a atteint sa majorité et sa maturité. Il
a bien plus besoin de dialogue et de concertation que d'autoritarisme, de
persuasion que de violence. C'est dire que le choix prudent opéré au
lendemain de l'accession à la souveraineté
internationale
se trouve

301
actuellement dépassé: aprés tout, une institution vieille de vingt (20) ans
n'est-elle pas tout à fait mûre pour le changement!
Non pas changer pour changer, oafricain n'a pas un goût particulier
pour détruire en vue de
s'offrir uniquement l'orgueilleux
plaisir de
reconstruire), mais changer pour donner à l'ad ministra tion un nouveau
souffle pour une nouvelle bataille: la bataille du progrès économique et
social, après la victoire sur l'hétérogénèité sociale. Cela est d'autant plus
nécessaire que les gouvernés commencent à suivre les gouvernants ... les
yeux ouverts: la démocratie gouvernée cède le pas à la démocratie
gouvernante.
En effet, quels que soient de nos jours l'idéologie, le régime politique,
le système politique, les gouvernants sont obligés de se fonder sur
l'opinion, leur opinion publique. Or, précisément, le meilleur ministre de
l'opinion, c'est la justice. singulièrement la justice administrative.
Le contrôle juridictionnel de l'administration dans les Etats du
Conseil de l'Entente a donc besoin d'être repensé. Sa réorganisation, dans le
sens d'un plus large accès des justiciables à la justice, de l'indépendance du
juge, du respect du principe des droits de la défense, en donnant à la
notion de légalité, base de la démocratie réelle, toute sa portée, constituera
un facteur supplémentaire de l'intégration sous-régionale tant recherchée
par les cinq (5) Etats.
C'est cette réorganisation qu'il convient d'esquisser dans la seconde
partie de cette étude...

302
DEUXIEME PARTIE
UN CHOIX APPELE
A EVOLUER
L'évolution est commandée par les nouvelles données politiques,
administratives, économiques, sociales et culturelles. Certains pays ont
déjà opéré des changements. C'est le cas de la Côte d'Ivoire, de la Haute-
Volta et du Niger. Malheureusement, ces changements n'ont pas atteint
l'institution dans son essence. Au contraire, l'analyse
des nouvelles
législations relève une volonté politique d'affaiblir le "pouvoir judiciaire",
de le mettre à genoux devant l'exécutif. Par conséquent, seul le personnel
a été visé par les nouveaux textes, l'organisation, les compétences et le
fonctionnement de la juridiction administrative restant intacts. Il importe
de voir les aménagements apportés au niveau de chacun de ces pays.
1-) En République de Côte d"Ivoire
Deux textes fondamentaux ont été édictés concernant la juridiction
administrative ; d'une part. il y
a la loi 78/663 du 5 août 1978
déterminant
la
composition.
l'organisation,
les
attributions
et
le
fonctionnement de la cour suprême l et, de l'autre, de la loi 78/662 du 4
août 1978 portant statut de la magistrature. La pre mière,
de loin la plus
intéressante, a modifié la composition de la cour suprême et quelque peu
la composition et les compétences des différentes chambres.
a) La composïtion de la cour suprême
La cour suprême ivoirienne se compose désormais de 33 membre au
lieu de 15: un président, dont le statut est inchange, sauf qu'il est investi,
1 J. O., numéro spécial du 2 octobre 1978, page 1895.

303
précise la loi, des attributions disciplinaires conférées au Ministre de la
justice et au Président de la cour d'appel; il préside l'asse mblée générale
de la cour suprême qui remplace l'ancienne assemblée pléniére ; trois
vice-Présidents, Présidents de chambre ; douze conseillers (au lieu de
neuf)
désignés
d'abord
parmi
les
magistrats
de
l'ordre
judiciaire
appartenant depuis deux ans au moins au 1er groupe du 1er grade (dans
l'ancienne législation, ces magistrats devaient avoir au moins rang de
Président de chambre ou d'avocat général à la cour d'appel), ensuite parmi
les concillers référendaires comptant au moins deux ans d'ancienneté
comme
conseillers
référendaires
du
1er
groupe,
enfin
parmi
les
personnalités licenciées en droit, comptant vingt ans au moins de pratique
professionnelle (ce délai étant réd uit à cinq ans pour les professeurs
titulaires des facultés de droit), les nominations
à ce titre ne pouvant
excéder le quart de l'effectif des conseillers (le tiers dans l'ancienne
législation)
des conseillers référendaires de 1er et 2éme groupes et des
auditeurs de 1er et 2ème groupes', le nombre de ces magistrats, affectés à
la chambre des comptes, ne pouvant excéder dix; un secrétaire général et
un secrétaire général adjoint; quatre secrétaires et un secrétaire adjoint
de chambre.
Tous les magistrats de la cour suprême sont désormais nommés par
le Président de la République, sur proposition du garde des Sceaux, après
avis du conseil supérieur de la magistrature, alors que dans la législation
antérieure, ils étaient nommés sur proposition du conseil supérieur de la
magistrature, sans l'intervention du Ministre de la justice.
, Les consel!lers referendalres du
1er groupe sOllt aSSlt1lI!C?S aux magistrats du
1er
grade, 1er groupe; ceux du 2éme groupe, aux magistrats du 1er grade, 2éme groupe.
Les auditeurs du 1er groupe sont assiml!és aux magistrats du 2éme grade, 1er groupe
et ceux du 2éme groupe, aux magistrats du 2éme grade, 2éme groupe.

304
La nouvelle loi a toujours maintenu les auditeurs; seulement, à la
différence de l'ancienne, leur nomination n'est plus facultative ; leur
nombre n'est plus limité (dix auparavant) ; ils sont nommés en qualité de
stagiaires et peuvent être titularisés après un an de stage ; ils sont
désignés parmi les diplômés de l'EN A, licenciés en droit ou en sciences
écono miq ues (dans l'ancienne législation, ils étaient choisis par mi le s
magistrats et fonctionnaires licenciés en droit).
b) Les différentes chambres de la cour suprême
Concernant la chambre constitutionnelle, deux
innovations sont
intervenues, l'une
au
niveau
du
personnel,
l'autre
au
niveau
des
attributions.
S'agissant du
personnel, les
anciens
présidents de la
République sont membres de droit de la chambre constitutionnelle, sauf
renonciation expresse de leur part, précise la nouvelle loi. Quant aux
attributions, elles sont qualitativement très importantes : la chambre
constitutionnelle est appelée désormais a constater la vacance de la
présidence
de
la République
; par
ailleurs,
dans
son contrôle
de
constitutionnalitè des engagements internationaux, elle peut, en toute
hypothèse,
indiquer
si une loi doit en autoriser la ratification: cela
facilitera sans aucun doute la tâche de l'autorité exécutive qui, dans la
pratique, manifeste des difficultés pour distinguer l'approbation simple de
la ratification, en raison même de la confusion entre traité, accord ou
convention.
Concernant la chambre judiciaire, elle comprend neuf
conseillers au
lieu de sept
précédemment et son assemblée plénière est également
constituée avec cinq magistrats au moins, ce nombre n'étant pas déterminé
dans l'ancienne législation.
S'agissant de la chambre des comptes, l'ancienne comprenait un vice-
président, trois
conseillers et un
secrétaire; la nouvelle a été étoffée en

305
personnel,
puisqu'elle
se
compose
d'un vice-président,
de
quatre
conseillers, des conseillers référendaires et des auditeurs, un
secrétaire et
un (1) secrétaire adjoint de chambre. Par ailleurs, des fonctionnaires sont
mis à sa disposition pour participer en qualité de vérificateurs aux travaux
de contrôle.
Les compétences de la chambre des comptes ont été précisées par la
nouvelle législation ; l'article Il 1 de la loi 61 - 20 1 du 2 juin 1961 se
bornait à stipuler que "la chambre des comptes juge les comptes des
comptables
publics",
c'est-à-dire,
les
comptables
de
l'Etat,
des
départements, des communes et des établissements publics à caractère
industriel et commercial, ceux-ci étant contrôlés par la chambre suivant
des modalités particulières. La nouvelle chambre a des
attrib utions
juridictionnelles et des attributions de contrôle. Les premières consistent à
vérifier la régularité
des
recettes et des dépenses
publiques et à
sanctionner les gestions de fait et les fautes de gestion. Les attributions de
contrôle sont étendues à tous les organismes publics ou privés bénéficiant
des concours de l'Etat. La chambre des comptes a un pouvoir de contrôle
sur la gestion de toutes les collectivités publiques et s'assure notamment
du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par les services de l'Etat
et par les autres personnes morales de droit public. Elle assure le contrôle
de l'exécution des lois de finances.
Le législateur ivoirien a chargé par ailleurs la chambre des comptes
de la vérifications des comptes et de la gestion des entreprises publiques
de l'Etat à caractère industriel et commercial, des sociétés d'Etat, des
sociétés d'économie mixte ou des sociétés anony mes dans lesq uelles l'Etat
possède la majorité du capital social.
Enfin, elle assure la vérification des comptes et de la gestion des
autres établissements ou organismes publics, quel que soit leur statut
juridique, qui exercent une activité industrielle et commerciale; celle des

306
sociétés, groupements ou organismes, quel que soit leur statut juridique,
dans lesquels l'Etat, les collectivités, les établissements publics détiennent
séparément ou ensemble plus de la moitié du capital ou des voix dans les
organes délibérants; celle des personnes morales dans lesquelles les
personnes morales de droit public détiennent directement, séparément ou
ensemble une participation au capital permettant d'exercer un pouvoir
prépondérant de décision ou de gestion.
Le législateur ivoirien est parti méme
beaucoup
plus loin en
soumettant au contrôle de la chambre des comptes des institutions de
prévoyance sociale, y compris les organismes de droit privé qui assurent
en tout ou partie la gestion d'un
régime
de
prévoyance
légalement
obligatoire. Toutes les attributions de contrôle sont exercées de plein droit.
A travers toute ces dispositions, il convient de voir une volonté ferme de
mettre un terme au gaspillage et aux malversations dont l'importance et la
fréquence étaient propres à gangrener la vie économique du pays.
Quant à la chambre administrative, aucune innovation n'a été
apportée à sa composition. En revanche, le législateur ivoirien a élargi
d'une part les compétences de la juridiction administrative et assoupli
dautre
part la procédure. S'agissant des
compétences,
la
chambre
administrative s'est vue confier le contentieux électoral qui, jusqu'ici, et de
façon
globale,
ressortissait
à
la
compétence
de
la
chambre
constitutionnelle.
L'article 70 alinéa 3 de la nouvelle loi stipule que "la chambre
ad ministrative
connaît
en
pre mier
et
dernier
ressort,
de tout le
contentieux électoral que la loi soumet à la cour suprême sans en réserver
la connaissance à la chambre constitutionnelle". En fait, et comme il est à
constater, le contenu de ce contentieux electoral est à déter miner. Sans
doute que la juridiction administrative sera appelée à connaître
des
élections municipales et départementales prévues pour 1980 et qui, pour

307
la première fois, seront libres, le PDCI-RDA devant s'abstenir de former
des listes.
En ce qui concerne la procédure, la nouvelle loi n'impose plus le
recours hiérarchique avant le recours grâcieux qui ne pouvait être formé
qu'à défaut de celui-là. Son article 73 stipule que les recours en annulation
pour excès
de
pouvoir formés contre les décisions
des
autorités
ad ministratives ne sont recevables que s'ils sont précédés d'un recours
administratif prealable, celui-ci résultant, aux termes de lartic1e 74, soit
d'un recours grâcieux adressé à lautorité dont émane la décision, soit d'un
recours
hiérarchique
porté
devant
une
autorité
hiérarchiquement
supérieure. Il a été démontré plus haut que le recours administratif
préalable en général, l'obligation du recours hiérarchique avant le recours
grâcieux
en
particulier,
étaient
des
barrières
rigides
au
recours
contentieux. En laissant désormais le choix au justiciable entre le recours
hiér archiq ue et le recour s grâcie ux pré alable, le législa te ur ivoirien a
sensiblement assoupli la
procédure
ad ministrative
contentieuse
et
libéralisé quelque peu le recours contentieux lui-même ... quoique l'idéal
résiderait dans le caractère facultatif des recours administratifs.
Au total, la nouvelle réforme n'a pas touché le fond et cela tient
peut-être plus au tempérament des leaders ivoiriens soucieux de la
continuité dans le changement que
de l'opportunité d'une réforme
fondamentale ....
r ) En République de Haute-Volta
La loi
organique
3/79/ AN
du
28
mai
1979
déterminant
la
composition, lorganisation, les attributions et le fonctionnement de la cour
suprême a également apporté des modifications uniquement en ce qui
concerne la composition et lorganisation de la cour suprême.

308
a) La composition
Le statut juridique du Président de la cour suprême, des conseillers,
du procureur général et de l'avocat général a été bouleversé dans le sens
d'une plus grande précarité.
Concernant le Président de la cour suprême,
s'il est toujours nommé
par décret du Président de la République pris en Conseil des Ministres,
aprés avis du Président de l'assemblée nationale pour une durée de cinq
ans renouvelables, il n'est plus choisi parmi les personnalités connues pour
leur compétence en matière juridique et administrative, mais parmi les
magistrats de l'or dre ad ministra tif ou jud iciaire (à noter cepend ant qu'il
n'est toujours pas prévu un corps de magistrats de l'ordre administratif;
sont assimilés à des magistrats de l'ordre ad ministratif et nom més par le
Président cie la République, les personnes figurant sLlr une liste dressée
par le Garde des Sceaux, Ministre de la justice, et titulaires de la maîtrise
en droit
ou
tout diplôme équivalent ou
possédant une expérience
professionnelle
leur
donnant
une
qualification
professionnelle
particulièrel. Le président de la cour suprême, en revanche, peut être
révoqué au cours de la période de cinq ans considérés. Dans la législation
antérieure, il ne pouvait être mis fin à ses fonctions avant l'expiration de
son mandat qu'en cas de perte de ses droits civils et politiques ou
d'impossibilité absolue de siéger, constatée par les chambres réunies sous
la présidence du plus ancien des vice-présidents et la cessation des
fonctions constatée par décret en Conseil des Ministre (article 5, loi
lO/63/ANl.
Or, cette disposition a été purement et simplement supprimée dans
la nouvelle loi organique, ce qui signifie que seul l'exécutif pourra mettre
fin aux fonctions du Président de la cour suprême pour des
motifs
discrétionnaires.

309
S'agissant des conseillers, dans l'ancienne législation, leur nomination
n'était soumise à l'avis d'aucun organe. Désormais, ils sont nommés et
affectés par décret du Président de la République, sur proposition du
conseil supérieur de la magistrature. Leur statut est beaucoup plus stable
que celui du Président de la cour suprême. Aux termes de l'article 8 de la
loi organique, hors le cas d'impossibilité absolue et permanente de siéger,
il ne peut être mis fin à leurs fonctions que sur avis conforme du conseil
supérieur de la magistrature. Encore que cette garantie est plus apparente
que réelle, dans la mesure où c'est le Président de la République qui
préside le conseil supérieur de la magistrature, et nomme tous ses
membres.
Quant au procureur général et à l'avocat général, auparavant choisis
par mi les magistrats ou par mi les fonctionnaires ou personnalités titulaires
de la licence en droit, ils sont maintenant nommés sur proposition du
Garde des Sceaux et choisis parmi les magistrats de l'ordre judiciaire. Deux
faiblesses ont été ainsi apportées à la situation antérieure: l'intervention
du Garde des Sceaux, Ministre de la justice, dans cette nomination ne va
visiblement pas sans attenter à l'indépendance des intéressés ; et leur
choix opére exclusivement parmi les magistrats de l'ordre judiciaire ne vas
pas
non
plus
sans
enlever
au
contentieux
ad ministratif
et
à
la
jurisprudence leur qualité au plan de l'application du droit administratif. Il
faut ajouter que le procureur général est chargé, sous l'autorité du Garde
des Sceaux, Ministre de la justice, de la discipline du parquet général près
de la cour suprême; il participe également à l'organisation du service
intérieur de la cour suprême et à la gestion des crédits. C'est dire que le
Président de la cour suprême a désormais un sérieux concurrent!

310
b) L"organisation
La nouvelle législation distingue aussi entre les quatre
chambres de
la cour suprê me. Les modifications, plus ou moins importantes, concernant
la chambre constitutionnelle et la chambre ad ministrative.
La chambre constitutionnelle conserve ces deux catégories
de
fonctions, juridictionnelles et consultatives. Ces deux sortes de compétence,
à la vérité, sont amoindries dans la nouvelle législation. En
matiére
juridictionnelle, la chambre constitutionnelle n'est plus appelée à statuer
sur la régularité des opérations de référendum et d'en proclamer les
résultats, la loi organique n'y ayant fait aucune mention. En revanche, et à
la place, elle statue sur le pourvoi que tout citoyen a le droit de former
contre toute loi ou tout
acte
inconstitutionnel,
en
application
des
dispositions de l'article 5 de la constitution. En matiére consultative, elle ne
fait connaître son avis que sur certaines lois et décrets seulement, à savoir:
- sur la conformité avec la constitution de la loi à laquelle est conféré
le caractére organique, conformément à l'article
61
alinéa 2 de la
constitution (il n'y a donc pas de contrôle de constitutionnalité de tous les
textes législatifs) ;
- sur les projets de decrets auxquels la loi confere le caractère
organique conformément à l'article 63, alinéa 3 de la constitution;
- sur les projets d'ordonnances qui lui sont soumis en vertu de
l'article 69, alinéa 2 de la constitution.
Enfin, son avis n'est même plus requis sur les décrets modifiant les
textes de forme législative intervenus dans les matières réglementaires
antérieurement à l'entrèe en vigueur de la constitution.
Pour la chambre administrative, l'innovation apportée, d'ailleurs
mineure, concerne les débats. L'article 29 de la loi 10/63/ AN stipulait que
"les débats se déroulent et les
arrêts
sont prononcés en
audience

3 Il
publique"; l'article 30 de loi organique ajoute que "les arrêts sont publiés
au Journal Officiel".
En définitive, les changements ne sont pas du tout à la hauteur des
besoins actuels. Le seul changement important tient dans l'article 14 de la
loi organique qui stipule que '"les décisions de la cour suprême ne peuvent,
en aucune manière, être modifiées ni par l'assemblée nationale, ni par le
gouvernement",
alors que
dans la législation antérieure, seules les
décisions de la chambre constitutionnelle
s'imposaient aux
pouvoirs
publics, à toutes les juridictions et à toutes les autorités administratives et
judiciaires (article 22 de la loi 10/63/ AN).
Le caractère politique des modifications apportées l'emporte sur le
caractère technique ou fonctionnel. Et cela est aussi valable pour le Niger ...
3 -) En République du Niger
Les changements concernent, là aussi. l'organisation et la composition
de la cour suprême. Au plan de l'organisation, il y a d'abord que la cour
suprême a été remplacée par la cour d'Etat par l'ordonnance 74-13 du 13
août 1974 portant création, composition, attributions et fonctionnement de
la cour dEtaL. Ensuite, la nouvelle legislation ne distingue plus entre les
différentes chambres nl au niveau des compétences, ni à celui de la
procédure.
En effet, auparavant, les compétences étaient déterminées chambre
par chambre, avec la procédure applicab le devant chacune d'elle. Cette
spécialisation n'existe plus. La cour d'Etat apparaît comme une seule
juridiction aux fonctions multiples. L'article 20 de l'ordonnance stipule que
la cour d'Etat se
prononce
: sur
les
pourvois
en
cassation
pour
incompétence, ou excès de pouvoir, violation de la loi ou de la coutu me,
omission de statuer, défaut, insuffisance ou obscurité des motifs, dirigés
contre
les
arrêts
et
jugements rendus
en dernier ressort
par
les

312
juridictions de l'ordre judiciaire, statuant en toutes matières, ainsi que sur
les décisions des conseils d'arbitrage des conflits collectifs du travail; en
premier et dernier ressort, sur les recours pour excès de pouvoir formés
contre les decisions émanant des autorités administratives
sur les
recours en interprétation et en appréciation de la légalité des
actes
administratifs, après renvoi des juridictions inférieures; sur les renvois
d'un tribunal à un autre, les règlements de juges, les récusations, lorsqu'ils
sont de sa compétence; sur les demandes en révision, les prises à partie
dirigées contre les juges, la cour d'appel, les cours d'assises, ou une
juridiction quelconque, les contrariétés de jugements, ou d'arrêts rendus
en dernier ressort entre les mêmes parties et sur les mêmes moyens par
des juridictions différentes, les poursuites pour crimes et délits dont
peuvent être l'objet les magistrats et les fonctionnaires désignés aux
articles 638 et 641 du code de procédure pénale.
Comme on le voit, les compétences judiciaires et administratives sont
confondues. Et la nouvelle cour d'Etat perd les attributions de la chambre
constitutionnelle et de la chambre
des comptes
de
l'ancienne cour
suprême: elles ne sont point mentionnées. Cela se comprend aisément en
ce qui concerne la chambre constitutlOnnelle
en ce
sens
que,
non
seulement les institutions ont été suspendues, mais que les militaires en
place depuis le 15 avril 1974 n'entendent pas remettre le pouvoir aux
civils de sitôt, mais l'est moins en ce qui concerne la chambre des comptes
qui doit participer à la gestion rigoureuse des biens publics.
On en arrive ainsi à des situations COol me celle prévue par l'alinéa 3
de l'article 21 qui, parlant des compétences consultatives de la cour d'Etat,
stipule niaisement que "les engagements internationaux peuvent être
dèférés à la cour dEtat qui vérifie leur régularité". Quelle règularité ? Par
rapport à quoi?

313
Il n'est pas étonnant que la procédure soit plus simplifiée que par
rapport au passé. La loi 21/28 du 15 juillet 1961 prévoyait une procédure
devant la chambre constitutionnelle, une procédure en matière civile, une
procédure en matière coutumière ou de droit local, une procédure en
matière pénale et enfin une procédure particulière pour le recours pour
excès de pouvoir. L'ordonnance dont s'agit a institué une procédure unique
en matière civile, administrative et pénale et une procédure spéciale pour
le recours pour excès de pouvoir, Deux innovations apportées à 1a
procédure du pourvoi en cassation: d'abord, le greffier en chef de la
juridiction qui a rendu la décision attaquée a désormais un délai d'un mois
(article 24 de l'ordonnance) et non plus de quinze jours (article 45 de la loi
61/28) à dater du dépôt de la requête pour adresser au greffier en chef de
la cour d'Etat le dossier de la juridiction, la requête ainsi que les pièces qui
y sont jointes et l'expédition de la décision attaquée. Ensuite, le demandeur
au pourvoi nest plus tenu. sous peine de déchéance, de consigner au greffe
de la cour d'Etat, dans le mois de l'introduction du pourvoi, d'une amende
de 5.000 Francs. La première innovation alourdit la procédure, la seconde
en revanche favorise le pourvoi pour la majorité des justiciables.
Mais c'est au plan de la composition que
les
modifications sont
remarquables, Tout a été mis en œuvre pour rendre la juridiction très
dépendante du pouvoir. Cette intention est d'ailleurs clairement exprimée
par le premier article de l'ordonnance qui stipule que "la cour d'Etat est
placée sous l'au torité du Ministre de la justice". Et elle est renforcée par le
statut très précaire des membres de la cour d'Etat:
- le président est nommé par décret pris en Conseil des Ministres,
sur proposition du Ministre de la justice et non plus sur proposition du
Président de l'assemblée nationale. Rien nest spécifié à propos des critères
qui président à cette nomination (compétence en matière constitutionnelle,
juridique ou administrative dans la précédente législation),
encore moins

314
à propos de la durée de son mandat qui était de cinq
ans: les conseillers,
au nombre de quatre et non plus de six sont nommés de la même manière
que le Président. Ils ne sont plus forcément choisis parmi les magistrats de
l'ordre judiciaire dans le grade le
plus élevé, les
personnes
d'une
compétence reconnue en matière juridique, administrative ou financière,
les hauts fonctionnaires,
comme le stipulait l'article 5 de la loi 61-28 du
15 juillet 1961. D'autre part. il n'est plus nécessaire que les conseillers
soient titulaires de la licence en droit et justifient de dix
ans au moins de
pratique professionnelle; le procureur général est nommé également par
décret du Président de la République sur proposition du Ministre de la
justice. Comme les conseillers, il peut être miS fin à ses fonctions à tout
moment ; le greffier en chef est nom mé par arrêté du Ministre de la
justice.
Enfin, on remarquera que le nombre des conseillers auditeurs a été
ramené de six à trois.
Au total, la spécialisation fonctionnelle au sem de l'ancienne cour
suprême a été sabordée, l'autonomie du droit administratif est condamnée
et l'indépendance du juge méconnue.
En fait, ces innovations intervenues dans les trois pays, superficielles
et négatives, revêtent un caractère circonstanciel, ponctuel. Elles ont été
conçues à terme,
pour répondre à
des
situations
exceptionnelles,
circonstancielles. C'est dire que les changements restent encore à faire. Ils
ne tarderont pas, parce qu'il existe des facteurs présents et futurs du
développement du
contrôle
juridictionnel,
d'où
inévitablement
les
réformes. Nous préciserons dans un premier temps le contenu de ces
facteurs avant d'envisager les différentes réformes utiles et souhaitables.

315
CHAPITRE PREMIER: LES FACTEURS PRESENTS ET
FUTURS DU DEVELOPPEMENT DU
CONTROLE JURIDICTIONNEL DE
L"ADMINISTRATION
L'Afrique noire connaît une évolution rapide dans tous les domaines.
Cette évolution est surtout remarquable au niveau des transformations
socio-économiques d'abord et au niveau des institutions publiques ensuite.
Le développement du contrôle juridictionnel de l'administration est lié à
ces deux catégories de facteurs qu'il importe d'analyser.
Section 1 : Les facteurs socio-économiques
En vingt ans d'indépendance, les nouveaux Etats ont pu opérer un
changement
des
comportements
individuels
ou
collectifs
tout
en
développant leur intervention en matière èconomique. Or, ce changement
des comportements a pour effet de soustraire l'homme africain de son
cadre traditionnel pour le situer dans le nouveau contexte de la société
organisée et, par là même, de placer le gouverné face aux gouvernants,
l'administré face à l'administration, d'où des nouveaux rapports non
exempts de conflits, d'opposition, donc de contentieux. Ainsi, l'évolution
des mentalités et l'interventionnisme étatique constituent deux facteurs
considérables de développement du contentieux administratif.
Paragraphe 1 : L'évolution des mentalités
L'histoire des nouvelles républiques, depuis la colonisation jusqu'à
nos jours, n'a étè qu'une guerre sans merci entre la socièté moderne et la
société traditionnelle. Par la substitution des structures modernes aux
structures traditionnelles, la vieille société a éclaté jusque dans ses
fondements
philosophiques,
économiques
et
culturels.
Elle
est

316
présentement en agome. Et la victoire du monde moderne sur l'ancien se
mesure à deux choses: le développement de l'individualisme aux dépens
de la solidarité et du collectivisme séculaires d'une part et d'autre part
celui du matérialisme, aux dépens du "spiritualisme'
Individualisme et
matérialisme, ces deux traits de la société de consommation, ne manquent
pas de répercussions sur les relations du citoyen avec le pouvoir,
A) Les implications de Iïndividualisme
La société traditionnelle
était
une
société
solidaire.
C'était
l'affirmation de la primauté du groupe sur l'individu. De ce principe, il en
découlait: au plan du pouvoir traditionnel, que l'individu n'était pas venu
à contester les décisions du chef, garant de la coutu me et des traditions
ancestrales. La règle coutumière étant statique, et surtout, d'origine non
"législative", en ce sens qu'elle n'est pas le fait d'un organe donné, mais un
legs d'un passé immémorial; elle n'avait pas besoin d'adaptation aux
circonstances, donc incontestable; au plan économique, que le groupe avait
obligation de satisfaire les besoins de tous ses membres, d'où l'approbation
collective des moyens de production et ainsi que des richesses produites
eUes-mêmes et, à l'inverse, l'absence quasi-totale de l'initiative privée,
susceptible de porter atteinte à l'homogénéisation sociale.
La société moderne, orientée vers le progrès, se devait de briser ce
verrou traditionnel en vue de libérer l'individu; deux moyens ont suffit à
cela: l'éducation et les obligations civiques des citoyens.
L'éducation est un terme génériq ue qui englobe l'instruction par les
écoles, la formation professionnelle, l'alphabétisation fonctionnelle et les
enseignements
religieux,
notamment
chrétien
et
musulman.
Cette
éducation a eu pour effet de présenter les institutions traditionnelles
comme caduques, condamnées à jamais et leurs défenseurs comme
arriérés, des sauvages mêmes. Elle a découvert brutalement aux yeux de

317
l'africain l'immense champ de ses possibilités individuelles. Et du vertige
que ce dernier en a ressenti, il en est découlé un renverse ment de l'échelle
des valeurs: l'africain, hier soumis au groupe, se dresse aujourd'hui
devant l'Etat dont il attend les services pour s'accomplir L'objet du groupe
est devenu un sujet de l'Etat moderne; un sujet qui a désormais une
conscience aigüe de ses droits et libertés. Ce point de vue ne manque pas
de pertinence. En Haute-Volta par exemple, les écoles rurales ont échoué:
les jeunes paysans, à l'issue de leur formation, refusent de retourner à la
terre, donc au village, aux coutumes, et s'en vont grossir les rangs des
chômeurs en ville, laquelle est considérée comme le sanctuaire des libertés
individ uelles.
Les obligations civiques, pour les masses analphabètes, ont le même
effet que l'éducation moderne. L'exemple en est donné par les impôts.
Dans la mesure où l'impôt de capitation est rèclamé à chaque individu,
celui-ci finit pas prendre conscience de son isole ment; il doit répondre
seul de cette obligation, subir seul les conséquences de ses faiblesses. Mais
d'un autre côté, il attend les contreparties de la part de l'Etat : sa
conscience politique s'èveille. Ainsi, les paysans, partout en Afrique,
réclament la santé, l'enseignement pour leurs enfants, les routes. Ils ont
appris à revendiquer. Si la grève des 17-18 décembre 1975 a réussi à
100% en Haute-Volta, en ce sens que non seulement le mot d'ordre fut
respecté par tous les travailleurs des villes mais aUSSi par les masses
paysannes des brousses les plus reculées, c'est parce que le peuple
unanime reprochait au gouvernement son insouciance et son incompétence
qui ont favorisé la sécheresse et partant la famine. L'individualisme est
donc entré dans les mœurs. Il se manifeste essentiellement au plan
culturel et au plan économique. Au plan culturel, l'africain s'enivre de sa
liberté d'opinion,
de culte, de
pensée et
d'entreprise,
résultant de
l'écrasement de la société traditionnelle avec ses rites, ses tabous et ses

318
mythes. A l'inexplicable règle coutumière s'est substituée la loi votée par
les représentants ; au chef de village, le chef de l'Etat, bref, il suit
désormais les gouvernants avec un esprit critique : "Plus un pays se
développe, observe HOUPHOUET BOIGNY, plus il pose de sérieux problémes
à ses dirigeants, car ses citoyens,
mieux
éduqués,
mieux
informés,
manifestent de plus en plus d'exigences. Ils veulent à tout le moins
comprendre le sens de l'action gouvernementale". Au plan économique,
l'individualisme a créé le goût de la propriété privée et la défense de cette
propriété. Il est allé même jusqu'à faire disparaître l'entraide mutuelle.
Autrefois en effet, lorsqu'un "vieux" estimais que ses "enfants" ne
viendraient pas à bout du champ commun, il allait demander à un autre
"vieux" l'aide des siens. Pour tout frais, il n'avait que le repas du midi à
offrir. De nos jours, il n'en est plus rien. L'entraide quasi-gratuite a cédé la
place au travail salarié : le propriétaire d'un champ doit payer chaque
travailleur tout en assurant sa nourriture et autres besoins (cola, boisson,
tabac), si bien qu'au bout du compte, le montant des dépenses l'emporte
de loin sur la valeur de la récolte. A ce niveau donc, l'individualisme freine
la production agricole au lieu de l'accroître. Les paysans ne sont pas sans le
savoir,
ce
qui
dénote
le
caractère
irrecevable
du
sentiment
d 'ind ivid u alis me.
En définitive, l'individualisme, qui
a pénétré
dans
la
société
traditionnelle, a le mérite pour ainsi dire de forger des cîtoyens à part
entière, conscients de leurs droits et de leurs devoirs, de leurs intérêts
personnels et de l'intérêt général. L'Etat moderne étant par nature et par
destination
l'arbitre
de
ces
intérêts,
et
cet
arbitrage
donnant
nécessairement lieu à des contestations de la part des sujets de droit, le
contentieux ad ministratif rencontre les conditions de son développement.
L'individualisme apparaît ainsi être le premier facteur sociologique du

319
développement du contrôle juridictionnel de l'administration dans les
nouveaux Etats.
B) Les implications du matérialisme
La civilisation africaine traditionnelle n'est pas une civilisation de
l'avoir, une civilisation quantitative. C'est une civilisation de l'être,
d'essence métaphysique. Pour l'africain en effet, l'univers est une im mense
chaîne dont l'homme n'est qu'un simple maillon au même titre que l'arbre,
la montagne, le ruisseau etc... L'hom me ne doit pas chercher à dominer les
autres êtres, car ils ont une même âme comme lui, et ils ont été créés par
Dieu comme lui. En somme, il vit dans l'univers comme un poisson dans
l'eau. Cette conception du monde a des conséquences pratiques: l'homme
ne doit pas chercher à dominer les autres êtres, mais à composer avec eux;
il n'a pas besoin de soumettre la nature. Du cou p, la science, en tant que
découverte des lois de la nature, est impossible et la technique, en tant
qu'exploitation de ces lois, inimaginable. Par ailleurs, pour l'africain,
l'existence terrestre est un "purgatoire" préalable au retour chez les
ancêtres. Et chaque clan a son ancêtre qui attend tous les membres dans
l'au-delà ("Kila"), à condition d'avoir mené de bonnes actions sur terre.
L'existence terrestre étant essentiellement éphémère (un simple passage),
l'accumulation des biens matériels prête à rien mais comporte plutôt un
danger de dislocation du groupe clanique. Par conséquent, le travail,
considéré comme une punition, tendra à produire juste de quoi subvenir
aux besoins de la communauté; l'idée d'accumulation est par conséquent
absente. Ainsi, la philosophie vitale de l'africain explique son retard en
matière scientifique et technique et, en revanche. son niveau élevé de
connaissance magique. Tourné vers le métaphysique, et accordant la
primauté au sensible et non à l'intelligible, au quantifiable, au mesurable,
l'africain d'hier ne pouvait pas accéder au développement scientifique,

320
technique, économique et à ses immenses bienfaits. Mais en lui apportant
le rationnalisme, la colonisation lui a ouvert la voie vers l'affirmation de
soi, vers l'individualisme et le matérialisme, en fait vers l'esprit occidental.
L'assimilation abusive des valeurs occidentales et des comportements
occidentaux
tient uniquement à cela. Et dans la mesure où l'homme
africain a la même volonté de s'affirmer, de s'épanouir, de jouir des
plaisirs procurés par les richesses matérielles, il se place désormais face à
l'Etat, au pouvoir politique, à l'administration de développement. Il est
obligé de jouer le jeu du contrat social, c'est-à-dire, exprimer sa volonté,
participer à la gestion des affaires publiques et contrôler l'action des
gouvernants. Le contrôle juridictionnel de l'administration, par le fait
même qu'il tend à faire respecter la volonté générale et garantir les droits
individuels, recueille de plus en plus une certaine "opinio neccesitatis".
C'est dans cette optique qu'il faut
comprendre
et
expliquer
l'indifférence dont les peu pIes faisaient montre à la chute des "pères de la
nation", hier élus ou réélus à 99,99% des suffrages, et acclamés la veille
même des coups d'Etat. Face aux dictatures, il se manifeste toujours un
double phénomène de rejet réel et d'une apparente considération. Rejet
par
l'esprit
moderne,
rationnel
du
pouvoir illégal ou
illégitime ;
considération commandée par un reste encore vivace de tradition qui veut
que le chef ne puisse mal agir. Seulement, de nos jours, l'esprit moderne l'a
emporté sur l'esprit traditionnel: l'africain ne veut plus subir l'autorité de
façon passive, avec sa traditionnelle patience de bovidé. Non. Il la rend
responsable de son présent et de son futur, et il veille ...
Paragraphe II
Le développement de
1"interventionnis me
L'interventionnisme ètatique s'explique de trois (3) manières
d'abord, par l'absence ou la carence de l'initiative privèe. Cette initiative

321
privée fait énormément défaut aussi bien dans le secteur moderne que
dans le secteur traditionnel. Dans le secteur moderne, elle s'origine dans le
manque de capitaux disponibles. Dans le secteur traditionnel, elle est dûe
aux
méthodes archalques de gestion et d'organisation ainsi qu'à la
prédominance de la propriété collective. En conséquence, l'Etat se présente
comme l'acteur économique principal; ses missions traditionnelles de
maintien d'ordre public et de paix sociale passent en second rang par
rapport aux missions de développement économique ; ensuite, par la
nécessité d'assurer une promotion de tous les secteurs de l'économie
nationale. L'initiative
privée étant orientée vers la réalisation
du
maximum
de
profits
dans le
minimum
de coût et
de temps,
les
investissements sont forcément réalisés dans les secteurs immédiatement
productifs, lesquels sont généralement sans effet entraînant sur l'économie
du pays. On aboutit ainsi à une croissance et non au développement,
laquelle croissance est source de desequilibres futurs. Il revient donc à
l'Etat, chargé de l'intérêt général, de promouvoir même les domaines non
im médiate ment
rentables,
comportant d 'énor mes
risques.
Il s'agit
notamment du
domaine
agricole en ce
qui concerne
les
cultures
industrielles et du domaine industriel (mines essentiellement) ; enfin, par
le souci majeur de garantir la cohésion et la concorde nationales ; le
capitalisme classique est générateur d'injustice. Il est facteurs de division
sociale; il est le cheval de Troyes de la lutte des classes. Pour sauvegarder
la solidarité traditionnelle tout en incidant l'initiative privée, l'Etat africain
s'est frayé une troisième voie de développement: le libéralisme va de pair
avec l'étatisation, l'Etat entrepreneur faisant une concurrence sévère avec
les particuliers. Par ce biais, il se donne les moyens de sa politique sociale,
les moyens de consolider l'homogénéisation sociale. Ceci explique le rejet
du socialisme par l'immense majorité des Etats africains, parce que ce
modèle d'organisation économique constitue un frein au développement

322
des nouveaux Etats. Il explique également la main-mise de l'Etat sur
l'économie en tant que condition nécessaire à l'instauration de la justice, de
l'égalité et de la solidarité.
C'est dans ce sens quil convient de prendre le mot de Philippe YACE,
Président de l'assemblée nationale de Côte d'Ivoire, à l'occasion d'un
séminaire politique tenu à Abidjan en 1960 : "Le marxisme ne saurait
assurer la naissance d'une société d'hommes libres et égaux, en raison de
son mépris pour l'homme, instrument de la société totale et totalitaire qui
l'asservit à ses desseins".
Et Aguste DENISE ajoutait : "Le communiste est une
idéologie
matérialiste et de surcroît athée qui n'a sa place dans
aucune
âme
africaine". Mais c'est le Président AHIDJO du Cameroun qui a le mieux
exprimé le dilemme dans lequel se trouvaient les africains au moment des
indépendances
et la solution la mieux indiquée à envisager : "Le
développement continu et équilibré nous écarte demblée du capitalisme
classique dont les indéniables mérites ne réussissent par toujours à
masquer l'anarchie et l'injustice sociale. Et il n'est pas question d 'opter
pour le marxisme, car ce serait renier à la fois notre personnalité africaine
et camerounaise".
Voilà les raisons qui expliquent et justifient le développement de
l'interventionnisme étatique qui se traduit par la prise en charge par l'Etat
des secteurs clefs de l'économie nationale; l'insertion du secteur privé
dans les plans nationaux de développement; la conjugaison des intérêts et
capitaux étrangers avec les intérêts et capitaux nationaux.
A) La pnse en charge par l'Etat des secteurs
clefs de réconomie nationale
Cette prise en charge se réalise au moyen de nationalisations et de
création d'entreprise publiques. A la vérité, les nationalisations ont un

323
caractère exceptionnel et concernent les entreprises étrangères qui sont
capables, par leur poids et leur dimension économique, de peser sur la
liberté de décision des gouvernements. Les pays qui ont procédé à des
nationalisations sont peu nombreux et comprennent des régimes aussi
bien révolutionnaires que modérés. On peut citer entre autres: le Congo
Brazzaville, dans les transports et l'agriculture; la Guinée, dans les mines
et les industries de transformations : le Zalre. dans les mines et les
industries de transformation; la Mauritanie, dans les mines (fer et cuivre)
et le Togo, dans les phosphates.
La
Haute- Volta,
pour
sa
part,
a
nationalisé
l'industrie
cinématographique, l'eau et l'électricité pendant que le Bénin a nationalisé
jusque dans l'industrie hôtelière l .
Mais c'est essentiellement grâce aux offices ou établissements
publics, aux sociétés d'Etat et aux sociétés d'économie mixte que s'opère la
prise en charge par l'Etat des secteurs importants. Nous avons dèjà vu plus
haut que dans les Etats du Conseil de l'Entente, les établissements publics à
caractère industriel et commercial et les sociétés d'Etat ont les mêmes
statuts juridiques. Ce sont des personnes morales publiques. La soumission
de ces personnes, dans leur ensemble, au droit privé et à la compétence du
juge judiciaire, comme le démontrent les exemples ivoirien et voltaïque,
est
l'expression
d'une
assimilation
non
pensée
du
droit et de la
jurisprudence française. Les législations africaines, il faut le répéter,
accordent à toutes ces personnes morales publiques sinon un monopole
exclusif, du moins des privilèges et des missions; donc des
statuts
incomparables à ceux de leurs homologues français. L'importance et
l'exorbitance de leurs privilèges (origine publique, biens publics, contrôle
Cf. ordonnance 75-60 du 22 août 1975 transférant à l'Etat la propriété de l'hôtel de la
Place et du Relais.

324
administratif, gestion parfois publique comme en Haute-Volta, absence de
mise en liquidation judiciaire par les créanciers, expropriation pour cause
d'utilité publique etc, etc.) s'opposent à leur entiére soumission au droit
commun.
La vérité, en la matière, est que le juge africain est pris entre la
jurisprudence française dans ce domaine et la lègislation locale (exemple
ivoirien) ; incapahle de définir une position susceptible de favoriser la
poursuite des missions assignées à ces personnes morales, le juge africain
apprécie mal, semble-t-il, la portée de la soumission desdites personnes au
droit public qui est et doit être l'accroissement des
privilèges de
l'administration de développement et non point leur réduction. Il y a donc
fort à parier qu'à ce niveau, des changements d'attitude interviennent.
Ceci dit, les Etats africains recourent aux entreprises publiques dans
deux secteurs principaux: l'agriculture et le commerce. En Côte d'Ivoire
par exemple, les sociétés d'Etat foisonnent dans le secteur agricole où elles
jouent un rôle moteur et de formation à l'égard des masses paysannes.
L'activité administrative, faut-il également le répéter, le dispute à
l'activité proprement commerciale (cas typique des ORD en Haute-Volta).
On peut citer, parmi ces entreprises pionnières ivoiriennes: SODEPAI avec
ses filiales Palmivoire et Palmindustrie ; SODEFOR ; SODEFEL ; SOCATSI
SODERIZ
SODEPRA; SODESUCRE ; SATMACI ; MOTORAGRI ; SONACO
ITIPRAT
SIPAR; SICOFROL. Les unes apportent aux paysans l'assistance
technique, les autres transforment leurs produits agricoles.
Outre la promotion du secteur agricole, les entreprise publiques
visent
la
commercialisation
des
principaux
produits
comme
les
hydrocarbures (Côte d'Ivoire
décret 75-44 du 21 octobre 1975 : Bénin:
ordonnance 74-70 du 4 décembre 1974), les mines (Niger: décret 75-67
du 2 mai 1975 créant l'office national de la recherche, l'exploitation et la
commercialisation de l'uranium) et les produits agricoles (Côte d'Ivoire:

325
décret 76-121 du 13 mars 1976 pour l'importation des VIns ordinaires de
grande consommation et décret 71-518 du 27 décembre 1971 pour la
canne à sucre; Haute- Volta: ordonnance 71-3 du 8 janvier 1971 créant
l'office national des céréales, et l'ordonnance 70-8 du
12 mars 1970
accordant un monopole de commercialisation de certains produits agricoles
à des organismes publics).
Il e~t important de ~ouligner une fois de plm le différences entre les
organismes de commerce français et les organismes de commerce africain.
En France, l'office national interprofessionnel des céréales (aNle) par
exemple est un organisme composé de professionnels; il est avant tout un
moyen de dialogue, de concertation entre les pouvoirs publics et les
professionnels du secteur privé considéré. En Afrique au contraire, ces
organismes de commerce sont des émanations de l'Etat, aux ordres de
l'Etat qui leur consent des privilèges exorbitants. Le droit public ne saurait
par conséquent être absent de leur activité.
B) L"Insertion du secteur privé aUI plans
nationaUI de développement
Il est évident que l'initiative publique, à elle seule, est incapable de
promouvoir tous les secteurs de la vie économique nationale, faute de
moyens financiers. L'épargne, dans tous les Etats africains, est très faible.
La part du budget affectée aux investissements est dérisoire (en Haute-
Volta, elle représentait 3 milliards sur les 35 du budget de l'Etat, exercice
1979 !). Il se trouve également que l'aide étrangère ne suffit pas à
financer les plans de développement qui se veulent généralement, hélàs !
très ambitieux (le plan quinquennal voltalque 1977-1981 est, en ce début
d'année
1980, au stade de sa discussion à l'assemblée nationale, les
pouvoirs publics ne disposant jusqu ici que de 100 milliards sur les 250 de
prévus). Pour pallier l'insuffisance des moyens de financement de ces

326
plans, l'Etat africain trouve dans l'initiative privée
un appoint non
négligeable. Par des mesures incitatives, il fait participer l'initiative privée
à la réalisation des objectifs prioritaires arrêtés dans le plan. Ces mesures
consistent à accorder soit des crédits au secteur privé, soit des faveurs. En
Haute-Volta, il y a d'une part l'ordonnance 78/037/PRES/CODIM du 30
mai 1978 en ce qui concerne l'initiative privée nationale, et l'ordonnance
78/010/PRES du 3 mars 1978 pour l'initiative étrangére.
1-) L"ordonnance 78/037 du 30 mai 1978
Elle porte encouragement à la création ou à l'extension de la petite
entreprise voltaïque et fixe le régime fiscal desdites entreprises en cas
d'acquisition par des voltaïques d'entreprises étrangéres existantes.
Ce texte accorde des avantages particuliers aux voltaïques désirant
créer une activité industrielle, artisanale, agricole, touristique, de pêche ou
d'élevage. Pour ce faire, la personne physique ou morale doit être agréée
par arrêté conjoint du Ministre des finances et du Ministre de l'industrie,
aprés avis d'une com mission paritaire ad hoc désignée par ces deux
Ministres. L'arrêté d'agrément doit préci~er la nature et la durée des
avantages accordés ainsi que les engagements que la personne prend en
contrepartie. L'agrément est octroyé en fonction des critères suivants:
- caractère voltaïque de l'entreprise dont la création ou l'extension
est envisagée ;
- nombre et qualité des emplois voltalques dont la création est
prévue;
- manifestation d'une volonté de la part de l'entrepreneur, par son
programme dinvestissement, de parfaire la gestion de son entreprise en
vue de la rationaliser.
Les avantages accordés sont multiples

327
- exonération des droits et taxes exigibles à l'entrée sur les matériels
de production qui ne sont ni produits ni fabriqués en Haute-Volta et dont
l'importation est indispensable à la réalisation du programme agréé;
- exonération des droits et taxes à l'entrée sur le premier lot de
piéces
d'usure, toutes ces exonérations
portant
sur
la
période
de
réalisation des investissements;
- exonération de l'impôt sur les bénefices industriels et commerciaux
pendant une période de cinq ans à compter du début de l'exploitation;
- réduction de moitié des droits de mutation sur les acquisitions de
terrains ou de bâtiments nécessaires, dans la mesure où ces droits
reviennent au budget de l'Etat;
- exonération des taxes sur le chiffre d'affaires pour les opérations
portant sur des produits ou marchandises destinés à l'exportations;
- exonération, pendant une période de cinq ans à compter du délai
d'exploitation, des droits et taxes exigibles à la sortie sur les produits
exportés à l'exception des taxes pour services rendus.
Les
engagements
de
l'entrepreneur
consistent
à
réaliser des
investissements d'un montant donné, à un délai donné. Le non respect de
ces engagements est constaté à la fin de la période de réalisation du
programme d'investissement par le Ministre de l'industrie. Il entraîne le
retrait des avantages par arrêté conjoint des Ministres de l'ind ustrie et des
finances, sans préjudice de toute autre sanction prévue par les textes en
vigueur. Le bénéficiaire de l'agrément est alors tenu de
re mbourser
totalement à l'administration fiscale le montant de toutes les exonérations
obtenues pendant la période écoulée. Et l'entreprise est désormais versée
au régime du droit commun à partir de la date de retrait.
Au total, on a affaire à de véritables actes administratifs dont
l'appréciation de légalité ressortit à la compétence de la juridiction
ad ministrative. La décision d'agrément, la décision de retrait peuvent être

328
attaquées pour excés de pouvoir, En multipliant ces régimes exorbitants du
droit commun, on étend considérablement le champ d'application du droit
public et par voie de conséquence, la compétence ratione materiae du juge
administratif.
r ) L"ocdonnance 78/010/PRES du 3 macs
Cette
ordonnance
a institué
le
code
des
investissements
en
République de Haute-Volta, Celui-ci prévoit pour les investissements
privés deux régimes différents, à savoir le régime de droit com mun et les
régimes privilégiés,
Le régime de droit commun est un ensemble de garanties générales
accordées à toutes les entreprises régulièrement ètablies dans le pays. Il
s'agit notamment: de la faculté
d'acquérir ; des droits immobiliers
fonciers, miniers, forestiers, industriels; des concessions, autorisation et
permis administratifs; de la participation aux marchés publics; de l'égalité
avec les entreprises voltaiques ; du droit de disposer librement de leurs
biens et de s'organiser à leur gré; de la libre circulation des matières
premières, matières consommables, produits finis et semi-finis et pièces
de rechange; de la liberté d'embauche et d'emploi; du libre accès aux
sources de matières premières; du droit de transférer une part des
bénéfices réalisés,
En outre, aucune mesure directe de nationalisation, d'expropriation,
de dépossession ne peut être prise que pour cause d'intérêt général et
dans les formes prévues par la loi, et contre paiement d'une juste et
préalable inde mnité,
Les régimes privilégiés sont accordés aux entreprises qui s'engagent
à créer une activité nouvelle ou à développer d'une façon importante une
activité existante dans certains secteurs tels : cultures industrielles

329
comportant transformation et conditionnement des produits, élevage,
transformation des végétaux ou des animaux, fabrication d'articles et
produits
de
grande
consommation,
activités
fruitières,
minières
,
recherches technologiques, production, transport et distribution d'énergie,
tourisme et hôtellerie.
Pour bénéficier d'un régime privilégié, l'entreprise doit en outre être
considérée par la commission nationale
des investissements comme
susceptible de contribuer au développement économique et social du pays
et cette appréciation se fonde sur une série de critères; compatibilité du
projet
avec
le
plan
de
développement
du
pays,
niveau
des
investissements, participation de
l'Etat voltaïque,
des collectivités
publiques et des nationaux au capital social, établissement du siège social
de l'entreprise en Haute-Volta, niveau et qualité des emplois créés, valeur
ajoutée supplémentaire apportée à l'économie. effet sur la balance des
paiements, effet sur le développement des échanges avec les pays voisins,
utilisation des matiéres premières, matières consom mables. produits finis
et semi-finis d'origine voltaïque.
Le régime privilégié cst accordé par décret. Il Ji a deux sortes de
régimes privilégiés: le régime A ou régime d'agrément qui comporte trois
échelles (A 1. A2, A3) et le régime B ou régime conventionnel, chacun d'eux
accordant des avantages et garanties particuliers et créant des obligations
s pécifiq ue s à l'ég ard du bénéficiaire. Le res pect de ce s ob lig ations est
contrôlé par une commission de contrôle des investissements. Le décret
accordant le régime privilégié détermine les sanctions applicables à
l'entreprise défaillante.
Le
réglement
des
différends
résultant
de
l'application
des
dispositions de ce code aux entreprises agréées ou conventionnées et la
détermination de l'indemnité dûe pour méconnaissance des obligations
imposées. des engagements souscrits ou des garanties octroyées sont

330
solutionnées soit par VOle de recours du contentieux administratif, soit par
voie
d'arbitrage.
En
soumettant ainsi tous les litiges résultant de
l'application des conventions d'établissements et tous ceux des entreprises
agréées à la compétence du
juge administratif, les
pouvoirs publics
élargissent considérablement le contentieux ad ministratif. Ainsi, l'article
Il, alinéa 3 de la convention d'établissement n° 3 signée le 28 juillet 1976
entre le gouverne ment de Ha ute- Volta et la societe voltatq ue d 'hôteller ie
et du tourisme stipule que "l'entreprise pourra exercer son droit de
recours devant la juridiction ad ministrative confor mément à l'article 2 de
l'ordonnance 70-74/PRES du 31 décembre 1970"1 de même, l'article 24 de
la convention
d'établissement
du
22
juillet
1974
signée
entre
le
gouvernement voltaïque et la société voltaïque de textile stipule que "le
règlement
des
différends
résultant
des
dispositions
du
code
des
investissements et la détermination éventuelle de l'indemnité dûe pour
méconnaissance ou violation des obligations imposées, des engagements
souscrits ou des garanties octroyées peuvent, indépendamment des voies
de recours du contentieux administratif, faire l'objet d'une procédure
d' arbi tr age ... "
C) Conjugaison des intérêts et capitauI
étrangers avec les intérêts et capitauI
natïonauI
Deux techniques sont utilisées à cet effet : la joint-venture et
l'africanisation des capitaux des sociétés étrangères. La joint-venture
consiste à conj uguer dans une même société des capitaux étrangers et des
capitaux nationaux, les uns ou les autres pouvant être d'origine publique
ou privée. Cette technique est très employée en Côte d'Ivoire.
1 Il s'agit de l'ancien code des investissements.

331
L'africanisation consiste en une participation directe au capital social
des entreprises. On touche ici à un trait particulier de l'interventionnisme
étatique: tout en affirmant la liberté d'entreprise et en apportant à cet
effet ses concours aux entrepreneurs, l'Etat s'arroge le droit de prendre
d'office des participations au capital social des en trepr ises. Cela ne par aît- il
pas contradictoire avec le principe proclamé de la libre entreprise!
En Haute-Volta, c'est une ordonnance qui est intervenue en la
matière: l'ordonnance 75/049/PRES du 30 octobre 1975 réglementant les
prises
de
participations voltaïques
dans le capital des sociétés et
organisant la voltaïsation du capital des entreprises I
L'article 1er de cette ordonnance stipule que l'Etat voltaïque peut, à
tout moment, prendre directement ou indirectement des participations
dans le capital de toute société ou de toute entreprise installée en
République
de
Haute-Volta
; qu'il peut décider que ces sociétés ou
entreprises ouvrent leur capital aux personnes morales voltalques de droit
public et aux personnes morales ou physiques voltaïques de droit privé.
On le voit bien, cette disposition est propre à créer des conflits avec
les entreprises voltaïq ues agréées ou les entreprises élrangères agréées ou
conventionnées! Ces conflits seront d'autant plus aigus que le niveau de
participations voltaïques est trop élevé. En effet, le niveau minimum de
ces participations ne pourra, précise la loi, être inférieur à 51% dans les
secteurs considérés comme vitaux ou prioritaires (ce qui vise précisément
les sociétés agréés ou conventionnées) et à 35% dans les autres secteurs.
Mais cette législation n'est pas à une contradiction près. Alors que
l'article
1er "parle"
de faculté
laissée
à
l'Etat
pour
prendre
ces
participations au capital des entreprises, l'article 5 du même texte vient
obliger les sociétés ou entreprises à ouvrir d'office leurs capitaux aux
1 ].0. du 20 novembre 1975, page 862.

332
personnes voltaïques: "Dans un délais de deux (2) ans à compter de la
publication de la présente ordonnance, les entreprises et les sociétés
exerçant leur activité en République de Haute- Volta et qui ne remplissent
pas les conditions définies aux articles 2 et 3 ci-dessus (il s'agit des articles
fixant respectivement les niveaux de participation voltaïques à 51 % et
35%)
seront tenues
d'ouvrir
leur
capital
aux
voltaïques
dans
les
proportions minimales fixées aux dits articles",
Est-ce à dire que toute société, nationale ou étrangère, créée ou à
créer après la mise en vigueur de cette ordonnance, devra ouvrir d'office
son capital aux voltaïques, en l'absence même de toute volonté exprimée
dans ce sens par les pouvoirs publics? Dans la négative, on foulerait aux
pieds le principe de légalité ; dans
l'affirmative,
on
décourage
les
investisseurs, surtout étrangers au lieu de les inciter.
Il faut ajouter que tout un programme de voltaïsation du capital est
prévu. Il a été approuvé par le gouvernement, après avis d'un conseil de
gestion des participations de l'Etat et des établissements publics nationaux
créé par décret 74-294/PRES/MF du 26 août 1974 1
En Côte dlvoire, la meme pohtlque est mise en œuvre par la loi 74-
353 du 27 juillet 1974 créant un marché financier. Son article 12 stipule
que "lors de l'émission d'actions ou de transactions boursières, il peut être
obligatoire ment réservé aux nationaux un certain nombre de titres".
Au Bénin communiste, l'étatisation de l'économie est plus poussée
en pratiq uant une politiq ue systématique de prise de participations dans
les
sociétés
privées
existantes
et
en
nationalisant
certaines,
le
gouvernement
béninois
entend
contrôler
l'ensemble
de
l'activité
économique du pays; il détient 62% du capital des onze (11) principales
entreprises industrielles; l'Etat a le monopole du commerce du sucre, du
1 ].0. du 5 novembre 1974, page 639

333
riz, du lait, du blé, du tabac, des alcools, des produits pharmaceutiques, du
ciment. C'est aussi l'Etat qui gère les différentes sociétés de transport, ainsi
que les banques nationalisées; il perçoit 51 % des bénéfices réalisés par les
sociétés d'économie mixte et 68 % de ceux des sociétés d'Etat!
Au
total,
l'interventionnisme
étatique,
qui
s'appuie
sur
une
législation importante, étend incontestablement et considérablement le
droit public: c'est que le rejet du communisme et du libéralisme classique
a débouché sur un capitalisme d'Etat, le sous-développe ment appelant le
dirigisme et le centralisme étatique, L'interventionnisme revêt
une
dimension exceptionnelle : l'Etat non seulement aide les entreprises
privées, mais il exerce également un contrôle administratif poussé sur les
bénéficiaires
de
ses concours.
En
Haute-Volta,
l'ordonnance
74-
294/PRES/MF du 26 août 1974 organise un contrôle particulier des
activités des personnes morales ou physiques bénéficiant des concours
financiers de l'Etat.
Par ces concours, il faut entendre les subventions, les prises de
participations, les souscriptions d'obligations, les prêts et avances, les
avales et garanties d'emprunts, les bonifications d'intérêts, les avantages
fiscaux liés au développement économique, les garanties de dividendes,
ainsi que le privilège de recouvrer des taxes para-fiscales. Et toutes les
personnes bénéficiaires
de ces aides, à savoir associations, œuvres,
entreprises privées civiles ou commerciales, sont obligatoirement soumises
à un contrôle des délégués de l'Etat, ou de la collectivité publique ayant
accordé son concours financier, ainsi qu'à celui des corps de contrôle d'Etat
(notamment inspection générale des affaires administratives). Cette même
loi crée des obligations pour les bénéficiaires de ces concours publics. Ils
doivent notam ment fournir à l'autorité ad ministrative une copie certifiée
de leurs budgets et de leur compte d'exploitation de l'exercice concerné et
tout documem fais am connaître ies resullats de leur aclivite ; reserver à la

334
collectivité publique détenant une participation au mOlfiS égale à 10% du
capital social un nombre de siége au conseil d'administration qui ne peut
être inférieur à deux, les représentants de la collectivité étant désignés par
décret, se soumettre aux inspections, notamment à l'inspection générale
des finances qui vérifie sur place l'utilisation donnée aux aides allouées
aux organismes non assujettis aux régIes de comptabilité publique.
Paragraphe III : L"importance des biens de l"Etat
L'interventionnisme de l'Etat est à l'origine de l'importance de ses
biens. Parmi ceux-ci, on retiendra le domaine public et le domaine privé
qui sont des réels facteurs du développement du droit public.
A) Le domaine public des Etats africains
Le domaine public comporte deux
définitions
; une
définition
théorique selon laquelle le domaine public est celui qui est insusceptible
d'appropriation privée (définition de Ducroq) ou affecté à un but d'utilité
publique (définition de Hauriou) ou encore, biens de l'administration
laissés à la disposition directe du public ou affectés à un service public
(définition de la jurisprudence). La définition matérielle distingue entre le
domaine public naturel (rivage de la mer, eaux situées à l'intérieur des
terres) et le domaine public artificiel (circulation maritime, aérienne,
terrestre: ponts, aérodromes, routes, pistes. chemins de fer. canaux ;
prod uction et transport d'énergie : barrages hydroélectriques,
lignes
électriques; communications; lignes télégraphiques et téléphoniques
défense nationale: fortifications, casernes, arsénaux et places de guerre
voire les objets mobiliers attachés à des immeubles publics (tapisseries,
statues) ou mis à la disposition du public (pièces de musée, livres de
bibliothèques).

335
La
définition théorique
a été
adoptée
en
Afrique
depuis
la
colonisation
avec les décrets du 29 septembre
1928 pour l'Afrique
Occidentale Française (AOF) et du 28 juin 1939 pour lAfrique Equatoriale
Française (AEF) : le domaine public englobe tous les biens non susceptibles
de propriété privée.
A l'analyse, tous ces biens rentrant
dans
le
domaine
public
constituent l'infrastructure, les structures d'accueil du développement.
D'où l'Etat s'emploie à les développer (moyens de
communications
notamment)
en
tant
que
conditions
indispensables
du
décollage
économique. Il s'ensuit que le domaine public des Etats africains est vaste.
Or, tous les actes de gestion du domaine public sont en principe des actes
ad ministratifs, susceptibles de recours pour excès de pouvoir et son usage
privatif est soumis à autorisation
préalable
accordée
soit
par voie
unilatérale (exemple
permis de stationnement ou permission de voirie),
soit par voie contractuelle (exemple concession en matière de place dans
les marchés).
B) Le domaine privé des Etats africains
Le domaine privé est constitué par tous les biens appartenant aux
personnes administratives et ne faisant pas partie du domaine public, Le
domaine privé est très étendu en Afrique à cause du régime traditionnel
de la propriété foncière et à cause de la politiq ue des gouverne ments. En
effet, ceux-ci ont tendance à incorporer au domaine privé les biens vacants
et sans maître d'une part et les terres insuffisamment exploitées ou
occupées de l'autre. Ainsi. la loi voltalque 29/63/ AN du 24 juillet 1963
autorise le gouvernement à réserver pour l'Etat une part des terres ayant
fait l'objet d'aménagements spéciaux et à déclarer comme biens de l'Etat
les terres peu peuplées ou éloignées des agglomérations; de même, la loi
l11gerienne 64/016 du 16 juillet 1<)b4 incorpore au domaine privé de lEtat

336
les terrains et immeubles immatriculés non mis en valeur ou abandonnés.
En Côte d'Ivoire, rentrent dans le domaine privé de l'Etat les terres
vacantes (c'est-à-dire inexploitées ou inoccupées depuis 10 ans au moins)
et les immeubles immatriculés abandonnés par leurs occupants légitimes
(article 3 de la loi de finances du 31 décembre 1970) ainsi que les terres
sans maître.
Ce domaine privé, trés vaste donc en Afrique, constitue un facteur
important du développement du droit public et ce, pour deux raisons
essentielles: d'abord, une raison théorique, tenant au régime juridique
actuel du
domaine
privé
; ensuite, une raison pratique,
tenant
à
l'utilisation par l'Etat de son domaine privé.
Concernant le régime juridique du domaine privé, il faut rappeler
qu'il a connu une certaine évolution. Selon une conception classique, la
gestion du domaine privé ne constitue pas un service public, mais une
activité patrimoniale de l'administration, dépourvue de la finalité d'intérêt
général.
Une nouvelle conception (soutenue par j. M. AUBY) est apparue qUI
assimile la gestion du domaine privé à un serVIce public à gestion privée,
dans la mesure où le domaine privé peut être le siège d'une activité
administrative revêtant un caractère d'intérêt général (travaux publics par
exemple), dans la mesure où il peut faire l'objet d'une affectation d'intérêt
général, dans la mesure où la gestion des biens du domaine privé est
souvent dominée par des considérations d'intérêt général.
Sous l'empire de la conception classique, le régime juridique du
domaine privé était donc en principe un régime de droit privé; étaient
soumis notamment au droit commun avec compétence du juge judiciaire,
les contrats comportant utilisation du domaine privé l , la réparation des
1 Tribunal des conflits, 6 juillet 1957, société Giraudy.

337
dommages résultant des actes de gestion du domaine privé l , ou causés par
des biens du domaine privé 2, L'application du droit public revêtait alors
un caractère exceptionnel; il était admis en effet que l'administration
pouvait conclure des contrats ad ministratifs (contenant des
clauses
exorbitantes de droit commun) pour la gestion du maine privé 3 et que le
juge administratif serait compétent pour connaître des dommages causés
par un travail public ou un service public exécuté sur le domaine privé 4 ,
Il faut tout de
suite
affirmer
que
cette
conception classique,
essentiellement jurisprudentielle, ne saurait être applicable en Afrique.
Elle ne saurait l'être parce que le juge français s'est laissé guidé par la
conception de la propriété privée individuelle alors qu'en Afrique, la ligne
de démarcation entre biens publics et biens privés est impossible à établir:
tous les biens de l'Etat africain sont affectés à l'intérêt général et dans la
pratique, les lègislations africaines en matière de domaine privé non
seulement vont dans le droit fil de la nouvelle conception, mais encore
démontrent que les exceptions prévues par la jurisprudence française se
retrouvent être la règle en droit africain,
Ces différentes législations sont sans équivoque sur le caractère de
droit public que revêtent les différentes opérations effectuées sur le
domaine privé de l'Etat. Deux textes voltaïques par exemple le démontrent
aisément; il s'agit de la loi 29/63/ AN du 24 juillet 1963 précitée et de la
loi 77/60/AN du 12 juillet 1960 portant réglementation des terres du
maine privé de la Haute-Volta,
1 Tribunal des conflits, 30 novembre 1952, Carcouet.
2 Conseil d'Etat, 2 juillet 1962, Epoux Cavat.
3 Tribunal des conflits, 20 avril 1959, société
nouvelle
d'exploitation
des
plages,
piscines et patinoires.
4 Conseil d'Etat, 3 novembre 1950, Gindicelli.

338
Le premier texte prévoit que dans les régions où doivent être
exécutés par l'autorité publiq ue des travaux d'assainisse ment, d'irrigation,
d'amélioration, de conservation des sols et tous autres travaux devant
accroître les superficies exploitables ou augmenter la valeur des terres,
des périmètres dits "pèrimètres d'aménagement" seront délimités par
décret. A l'intérieur de ces périmètres d'aménagement, sont distinguées
deux catégories de terres. D'un côté, les terres grevées de
droits
coutumiers et, de l'autre, les terres non objet de droits de propriété établis.
Pour les premières, les propriétaires sont tenus de les exploiter. Un arrêté
ministériel fixe la date à partir de laquelle cette exploitation est
obligatoire. Et, au cas de défaut ou d'insuffisance d'exploitation, lesdits
propriétaires sont déchus par décret pris après avis d'une commission
nationale d'aménagement du territoire. La déchéance est prononcée à
l'expiration dun délai de douze mois suivant une mise en demeure notifiée
au plus tôt deux ans après la date fixée par l'arrêté ministériel pour la
mise en valeur obligatoire. Et l'acte de déchéance comporte incorporation
au domaine privé de l'Etat des terres en cause.
D'ores et déjà, il est évident que l'acte de reconnaissance des droits
coutumiers dans ces périmètres d'aménagement (les conditions et les
formes de la constatation et de la reconnaissance desdits droits étant
fixées par décret) et l'acte de déchéance (fondé sur le non respect de
certaines obligations de la part des propriétaires de ces droits) sont des
actes ad ministratifs susceptibles de recours pour excès de pouvoir!
Pour les secondes, l'Etat en devient ipso facto propriétaire: elles sont
incorporées au domaine privé de l'Etat (article 4 de la loi). Une fois
incorporées, elles sont réparties par décret en trois (3) catégories: les
terres à vocation agricole, les terres à vocation pastorale, les terres à
vocation sylvicole.

339
Les deux dernières catégories, précise la loi, ne pourront en aucun
cas être inférieures au 1/4 de la superficie du périmètre d'aménagement
(article 5 de la loi) ! Elles doivent être exploitées par l'Etat lui-même.
Quant aux termes à vocation agricole, elles pourront en tout ou partie être
données à bail ou faire l'objet de concession à des particuliers, à des
collectivités traditionnelles ou à des sociétés coopératives ou autres en vue
de leur exploitation. Et la loi prévoit un bail-type devant contenir les
conditions générales auxquelles seront soumis les fermiers.
On retrouve ici les cas exceptionnels d'application du droit public au
domaine privé, tels que prévus par la jurisprudence française: d'une part,
le bail-type dont il s'agit est un contrat administratif, précisément à cause
des clauses exorbitantes de droit commun qu'il comporte. C'est un acte
réglementaire sous forme d'acte-type susceptible de recours pour excès de
pouvoir. D'autre part, les terres a vocation pastorale et sylvicole sont, dans
tous les cas, le siège d'activités ad ministratives d'intérêt général (barrage
dans les terres à vocation pastorale, reboisement dans les terres à vocation
sylvicole pour restituer la flore (Côte d'Ivoire) ou arrêter le désert et la
sécheresse (Haute-Volta, Niger), d'où il suit que le juge administratif serait
compétent pour connaître des dommages causés par un travail public (les
barrages eux-mêmes faisant l'objet généralement d'une concession de
service
public: cas
de la
société
O.
KANAZOE
en
Haute-Volta
(concessionnaire en matière de barrages, de routes) ou un service public
exécuté sur le domaine privé de l'Etat.
On peut donc conclure, au regard de cette législation, que le droit
public l'emporte sur le droit privé en matière de gestion du domaine privé
de l'Etat afr icain.
Le second texte voltalque portant réglementation des terres du
domaine privé de l'Etat va encore dans ce sens. Selon ce texte, les terres du
domaine
privé
de
l'Etat peuvent faire
l'objet de concessions. Ces

340
concessions sont classées en trois (3) catégories : les concessions rurales,
les concessions urbaines et les concessions industrielles.
Les concessions rurales comprennent les terrains situés en dehors
des
centres
urbains
(en
principe
à
quatre
km
des
limites
d'une
agglomération lotie) et qui sont accordées dans le but d'une exploitation
agricole, forestière ou fermière. Les concessions urbaines englobent les
terrains situés dans les centres lotis ou non et ceux situés à proximité des
lotissements. Enfin, sont considérés comme concessions industrielles, les
terrains situés soit dans les zones spécialement délimitées à ces fins, soit à
proximité des agglomérations ou d'une toute autre région et qui sont
accordées dans le but d'y installer une usine ou toute construction édifiée
dans le but de produire, de traiter ou de transformer des
matières
premières. Ces différentes concessions obéissent à des conditions générales
et chaque catégorie comporte en outre des conditions particulières avec
des obligations spéciales pour les bénèficiaires.
1) Les conditions générales
Pour obtenir une concession provisoire, il faut re mplir un certain
nombre de conditions:
- faire une demande écrite au Président du conseil, son couvert de
l'autorité administrative locale (sous-préfet, maire, etc... ) ;
- décliner son état-civil;
- indiquer sa capacité et sa qualité;
- décrire le terrain demandé (situation, limites, superficie)
- indiq uer l'affect ation de la conce ssion de tu andèe
- s'engager à respecter les textes en vigueur
réglementant les
concessions domaniales;
- indiquer les concessions déjà détenues à titre provisoire
- élire un domicile;

341
- joindre à la demande une pièce d'identitè ou un exe mplaire des
statuts pour les sociètès, un plan à l'èchelle et orientè au nord, en quatre
exemplaires, enfin un document établissant que le demandeur dispose
d'un capital suffisant pour la mise en valeur du terrain demandé (ce
document pourrait être un certificat de dépôt en banque ou d'ouverture de
crèdit, soit un engagement d'une caution notoirement solvable J.
Ces conditions réunies, la concession, quelle qu'elle soit, est accordée
à titre provisoire et onéreux (à noter que tout détenteur d'une concession
provisoire non mise en valeur ne peut obtenir une nouvelle, sauf à titre
exceptionnel ou en cas de concession de nature différente sous réserve,
dans ce dernier cas, d'avoir satisfait aux taxes et redevances afférentes à
la première concession) pour une période déterminée
par l'acte de
concession. La concession provisoire donne lieu à la perception, pendant la
durée du stade provisoire, d'une redevance annuelle calculée sur le prix
prévu par l'aliénation définitive. Ces redevances annuelles sont exigibles
sous peine de déchéance dans les deux premiers mois de chaque année de
jouissance. Le concessionnaire prend le terrain dans l'état où il se trouve,
sans pouvoir prétendre à aucune garantie, indemnité ou diminution de
redevance
soit
pour
vices
cachés,
dégradation
ou
erreur
dans
la
contenance. Il doit subir,
le cas échéant, et sans pouvoir prétendre non
plus à indemnité, toute modification de droits ou éviction totale ou
partielle qui pourrait se produire pendant la d urée de la concession
provisoire par suite de revendications reconnues fondées au cours de la
procéd ure d 'im matI' iculation. Il doit su bir égale ment, sans avoir droit à
indemnité, toute réduction dans la contenance du terrain concedé motivée
par les besoins des services publics ou l'exécution de travaux d'intérêt
général, sauf si la réduction affecte une partie bâtie ou mise en valeur,
auquel cas, il est alloué une indemnité représentative des dépenses faites,

342
fixée à l'amiable avec le concessionnaire ou par le tribunal compétent en
cas de désaccord.
Durant la période provisoire, le concessionnaire ne doit pas affecter
un autre but à la concession. L'autorité ad ministrative exerce à cet effet un
contrôle de l'exécution des clauses de mise en valeur ainsi que du respect
de~ serviturips rip pilssilge, des droit~ de~ tiers et des emprises du domaine
public, Le concessionnaire est responsable des dégradations survenues au
terrain. Il lui est interdit d'incendier les arbres, de débrousser par le feu
sous peine de s'exposer à des réparations sans préjudice des poursuites
judiciaires, Le concessionnaire peut être déchu s'il n'a pas débrousaillé ou
clos le terrain dans un délai de six mois à compter de la date d'octroi de la
concession, s'il n'a pas commencé les travaux de construction ou de culture
dans un délai de un an à partir de la même date, ou si, dans un délai de un
an à trois
ans, il n'a pas mis le terrain en valeur par l'édification des
constructions prévues et la réalisation du programme d'exploitation; ces
constructions doivent être faites en matériaux définitifs, à l'exclusion du
banco et du chaume.
La concession prOViSOire prend fin dans quatre cas:
mise en valeur
constatée, transfert de concession, renonciation volontaire à la concession,
retrait de la concession pour cause de déchéance. La mise en valeur est
constatée par une commission désignée par l'autorité administrative locale,
à la demande du concessionnaire adressée au service des domaines qui la
transmet à l'autorité ad ministrative. Cette commission dresse un procés-
verbal de mise en valeur et donne son avis sur l'octroi du titre définitif. Le
service des domaines saisi du proces-verbal par lautorité administrative
prépare un arrêté d'octroi du titre définitif de propriété à la signature du
Ministre des finances. Ce titre accordé, le concessionnaire peut être encore
déchu s'il ne paie pas, dans les trente jours suivant la notification de
l'arrêté, les droits d'enregistrement et de timbre de larrêté, les frais de

343
bornage, le remboursement des frais d'immatriculation si le terrain était
immatriculé au nom de l'Etat et les droits de mutation du titre foncier, et
enfin le prix du terrain fixé dans l'acte d'attribution. En ce qui concerne le
transfert, compte tenu du caractére personnel de la concession provisoire,
seule l'autorité l'ayant accordée peut le prononcer et dans les mêmes
for mes que celles prévues pour l'octroi de la concession. Toute cession
totale ou partielle, sans l'autorisation préalable
de
l'ad ministration,
entraîne la déchéance du concessionnaire. En cas de décès de ce dernier,
ses héritiers ont la faculté, dans un délai de six mois à compter du décés,
soit de prendre la suite de la concession en s'engageant à remplir les
obligations imposées au défunt, soit de présenter à l'administration un
acquéreur de leurs droits. A défaut de cela, l'administration peut mettre
les héritiers en demeure d'enlever du terrain, dans un délai de six mois,
les constr uctions et a mé nage ments opéres par le défunt. Passé ce délai,
l'administration reprend le terrain sans avoir à indemniser les héritiers. Le
transfert est réalisé par décret en Conseil des Ministres par suite de la
requête du nouveau demandeur et du cédant formulée dans les mêmes
formes et conditions que la première demande de concession. S'il est
refusé, la concession est retirée par l'ad ministration.
S'agissant de la renonciation volontaire, tout concessionnaire a le
droit de renoncer, quand il lui plaît, à ses droits provisoires en prévenant
l'ad ministration de son intention par lettre recom mandée. Seule ment, la
renonciation volontaire n'entraîne pas le remboursement des redevances
et prix acquittés. L'administration peut même poursuivre le recouvrement
des redevances non acquittées.
Enfin, la concession provisoire peut prendre fin par suite de retrait
prononcé pour cause de déchèance. La déchéance est prononcée soit de
plein droit, soit sur rapport de l'autorité administrative, après mise en

344
demeure faite par arrêté du Ministre des finances restée sans effet
pendant trois mois. Dans le premier cas, il s'agit:
- de l'inobservation des prescriptions du décret du 15 novembre
1953 concernant les actions et parts de fondateurs de sociétés;
d'installation d'un commerce sur une concession provisoire;
- de l'inexécution des clauses de mise en valeur;
- du non paiement des redevances et prix;
- de cession sans autorisation administrative préalable;
- de faillite ou liquidation judiciaire avant la mise en valeur.
Dans le second cas, ils 'agit :
- de la violation des prescriptions du décret du 5 mars 1921 ;
- de
l'affectation
du
terrain,
sans
autorisation
ad ministrative
préalable, à un but autre que celui auquel il est destiné
- de l'abandon du terrain pendant une annee.
Le
concessionnaire
déchu n'a pas droit à indemnité pour les
installations existantes qu'il devra enlever dans un délai de six mois à
compter de la notification de l'arrêté de déchéance. Pendant ce délai, lui et
ses ayants-droit peuvent présenter à l'administration un acquéreur de
leurs droits susceptible de prendre la suite de la concession. Le choix de
cet acquéreur doit être motivé. Aux termes de ce délai, le terrain fait
retour au domaine de l'Etat franc et quitte de toutes charges.
2) Les conditions spéciales
Pour les concessions rurales, la demande est adressée au chef de la
circonscription ad ministrative. Elle fait l'objet dune publication d'une part
par voie de tam-tam et de crieur public dans les différents villages situés
dans le voisinage immédiat du terrain choisi dont les chefs et les notables
auront été informés par l'autorité administrative quinze
jours à l'avance,
et d'autre part par opposition et maintien, pendant un délai qui com mence

345
le jour du dépôt de la demande de concession pour finir un mois après sa
publication au journal officiel, d'affiche dans les différents villages
concernés. Ces affiches mentionnent le nom des demandeurs, la nature de
l'exploitation projetée, la désignation du terrain choisi avec indication de
sa situation, de sa superficie et la date et l'heure fixée pour la palabre.
La palabre est tenue en présence du chef de canton, des chefs de
villages intéressés, des notables, du de mandeur, des détenteurs de droits
coutumiers, du chef de la terre, des représentants des services techniques.
Un
procès-verbal
de
palabre est établi. Par suite, la demande de
concession est publiée au Journal officiel. Un mois après cette insertion,
l'autorité convoque les parties pour une tentative de conciliation. Si elle
débouche sur un accord, celui-ci fait l'objet d'une convention signée des
parties. S'il n'y a pas d'accord, la demande de concession est classées sans
suite. A la suite de la convention matérialisant l'accord des parties, le chef
de circonscription transmet le dossier au Ministre des finances sous timbre
du service des domaines. Et la concession est attribuée par décret. Le
concessionnaire est soumis à un certain nombre d'obligations: payer la
redevance et les frais sous peine de déchéance dans les trente
jours de la
notification; déterminer les limites du terrain concédé au moyen de
poteaux de bois de dix centimètres de diamètre au moins et d'un mètre de
hauteur, plantés à intervalles réguliers.
Après l'octroi du titre définitif, il est interdit au concessionnaire et à
ses
ayants-cause,
sous
peine
de
révocation
de
la concession sans
indemnité, pendant une période de dix ans, d'exercer tout commerce dans
la concession à l'exception de la vente des produits de l'exploitation. Et
dans tous les cas, l'administration se réserve le droit de reprendre les
terrains ruraux abandonnés pendant dix
ans ainsi que les parcelles de
terrain nécessaires aux besoins des services publics ou à l'exécution de

346
travaux d'utilité publique, et ce, à tout moment, et contre remboursement
du prix d'achat payé par le concessionnaire.
Pour les concessions urbaines, elles sont, soit mises en adjudication,
soit accordées de gré à gré, soit attribuées aux différents services.
L'adjudication
publique
est
obligatoire
pour
les
lots
des
zones
commerciales et résidentielles dont la mise en valeur s'effectue aux
clauses et conditions d'un cahier des charges type préparé par le service
des domaines et approuvé en Conseil des Ministres. Le bénéficiaire d'une
concession urbaine est tenu en outre aux obligations suivantes:
- il doit, dans un délai de six mois à compter de la notification de
l'acte de concession provisoire faire toutes obligeances pour obtenir des
services compétents l'autorisation de construire, l'alignement à respecter
et l'approbation du modèle de clôture envisagé;
- il doit, sous peine de déchéance dans les trente jours de la
notification de l'acte de concession provisoire, payer la redevance et les
frais (enregistrement, timbre et inscription du droit provisoire au titre
foncier)
A défaut,
J'admini~tration peut, dans un but de salubrité
publique, et après une mise en demeure restée sans effet, faire édifier une
clôture aux frais du concessionnaire;
- il doit se conformer à tous les règlements constitutifs de servitudes
publiq ues, corn m unales et d'urbanisme
- il doit se soumettre à toutes les autres conditions spéciales de mise
en valeur jugées utiles par l'administration.
A la fin de la période provisoire, le titre définitif est accordé sous
réserve du droit de J'ad ministration de reprendre les parcelles du terrain
nécessaires aux besoins des services publics ou à l'exécution de travaux
d'utilité publique.
Pour les concessions industrielles. les provisoires sont accordées de
gré à gré par arrêté du Ministre des Finances lorsqu'elles portent sur des

347
terrains immatriculés d'une superficie égale ou inférieure à 2500 m2 et
par décret du Président du Conseil dans les autres cas. L'adjudication est
possible si la concession a fait lobjet de plusieurs demandes. La mise en
valeur des concessions industrielles se fait suivant les dispositions d'un
cahier des charges spéciales.
La procédure d'obtention J'une concession industrielle varie selon les
cas: s'il s'agit d'un terrain non loti et non immatriculé, c'est la procédure
prévue pour les concessions urbaines qui s'applique, Le demandeur doit
signer le cahier des charges avant la prise de la décision d'octroi.
Aux termes de cette présentation de la loi 77/60/ AN du 12 juillet
1960, il apparaît à l'évidence, que le domaine privé de l'Etat n'est pas géré
par et pour l'Etat, mais que, dans son ensemble, il est mis à la disposition
des particuliers par des actes réglementaires (actes-types) ou contractuels,
Le droit public y trouve largement son compte, entrainant la compétence
de la i uridiction ad ministrative dans les litiges à naître.
On s'en aperçoit bien d'ailleurs dans la ventilation par domaine, des
recours pour excès de pouvoir: ceux-ci concernent dabord le droit de la
Fonction Publique, puis en second lieu les opérations de lotisse ment ou
d'attribution des permis urbains d'habiter. Et dans la mesure où les villes
africaines se développent rapidement, que la campagne recule sous l'effet
de l'immatriculation,
les
différentes
opérations
administratives
s'en
trouvent accrûes, donnant par là même au contentieux administratif ses
plus sûres chances de développement.
Section II : La dynamique institutionnelle
L'assimilation, par les nouveaux Etats, des institutions politiques,
juridiques et ad ministratives de l'ex-métropole entraîne nécessairement
l'organisation et le développement du
même svstème de contrôle de
l'administration, qu'il soit purement administratif ou juridictionnel. La

348
dynamique institutionnelle garantit le contentieux administratif au plan de
son importance quantitative et qualitative
Bien entendu, toutes les institutions publiques ne jouent pas de la
même manière. Si la dynamique des institutions
administratives
et
juridiques est incontestable, celle
des
institutions
politiques
reste
negligeable
a
cause
des
corrections
et
des
adaptatlOns
que
les
circonstances locales ont imposées au système politique importé
de
l'étranger. Il convient donc d'apprécier successivement l'apport de chaque
catégorie d'institution au développement du contrôle juridictionnel de
l'administration dans les Etats du Conseil de l'Entente.
Sous-Section 1 : L"apport des institutions politiques
L'èvolution politique des Etats africains a été marquée par un long,
lent et pènible tâtonnement à la recherche
dun
système
politique
compatible avec les impératifs de l'unité nationale, du développement
économique harmonieux et de la justice sociale.
L'abandon de la démoct"è1Lie \\)arlementaire, pUIS de la démocratie
présidentielle au profit du présidentialisme a donné naissance à la
partocratie. Le parti unique était donc apparu comme le gouvernement
idéal possible. A partir de 1965, celui-ci allait se généraliser (la Côte
d'Ivoire et la Guinée ayant été les seuls pays à accéder à l'indépendance
dans ce cadre), s'imposant de force, à la seule exception de la Mauritanie
où le parti unique résulta de la fusion libre de toutes les formations
politiques. Au total, à la fin de l'année 1970, sur trente Etats africains
indèpendants (Ethiopie non comprise), on pouvait dènombrer quatorze
régimes de parti unique, sept régimes multipartistes (dont la Gambie, le
Rwanda, le Kenya, la Somalie, la Zambi, le Botswana et le Lesotho), quatre
régimes dl" parti dominant (Libéria, Ougadan, Ma!:nvi, Cameroun), le reste
étant constitué par des gouverne ments militaires sans option définie. Le

349
parti unique était consacré. Cette consécration intervenait de
deux
manières: d'un côté. les partis uniques de fait avec les exemples
camerounais (l'article 3 de la constitution du 4 mars 1960 reconnaissait la
libre formation des partis politiques; mais le gouvernement a éliminé tous
les membres de l'Union des Populations camerounaises et l'exécution
d'Ernest OUANDIE, au début de 1971, a donné à
l'Union
Nationale
camerounaise au pouvoir, le cha mp complète ment libre) et ivoirien
(l'article 7 de la constitution du 3 novembre 1960 prévoyait la liberté de
créa tion des partis) ; de l'a utre côté, le s partis uniq ue s insti tu tionna1isés,
soit en l'absence de constitution (exemple togolais où le Rassemblement du
Peuple Togolais fait l'objet d'une importante législation qui le place au-
dessus de tout autre organe politico-ad ministratif de l'Etat), soit à la suite
d'une
révision
constitutionnelle
ou
de
l'adoption
d'une
nouvelle
constitution
(exemples
zalrois
avec
le
Mouvement
Populaire
Révolutionnaire, article 18 de la constitution du 19 août 1974 ; malien,
avec l'Union soudanaise, article 18 de la constitution du 2 juin 1975 ;
malgache, avec ie From National pour la Defense de la Rèvolution, article
9-10 de la constitution du 13 décembre 1975 ; gabonais, avec le Parti
Démocratique Gabonais, article 4 de la constitution du 15 avril 1975 :
congolais, avec le Parti Congolais du Travail, article 21 de la constitution du
12 juillet 1973 ; et burundals, avec l'UPRONA, article 18 de la constitution
du Il juillet 1974).
En fait, le Parti Uniq ue ne paraît pas, loln de là, être le ter me de la
longue évolution. Depuis 1970 à nos jours, le Parti Unique fait l'objet d'une
contestation de plus en plus vive. Un phénomène de destabilisation du
système partocratique est mis en route. Les dirigeants sont obligés de
recourir à la répression
: au
Bénin, les cadres
de
l'administration
scxpatricnt ; l'Ambassadcüi" dc cc pays à l'ONU a créé un
mouvement
d'opposition. Au Cameroun, il y avait mille
prisonniers politiques en juillet

350
1976 : l'Union des Populations camerounaises et le Manifeste National pour
l'Instauration de la Démocratie - MAMIDEM - ont refait surface, pendant
que des grèves, inconnues depuis vingt ans, ont paralysé le pays de
janvier à avril 1976. Au Zalre, deux cents cinquante personnes furent
portées disparues en janvier 1976 : trois cents fusillées en février; cent
vingt en mars: coup d'Etat manqué en avril; répression de l'A.B.KO, parti
de KASAVUBU en mai: grève sauvage au Katanga en juin, la première
depuis 1944 !
Et l'on sait que l'année 1979 n'a pas été du tout favorable aux
pouvoirs absolus: en Ougadan, en Empire Centrafricain (ECA), en Guinée
Equatoriale,
les
peuples se
sont soulevés contre
l'arbitraire et le
despotisme. Année des despotes mais égale ment année des élections, avec
le Nigéria, le Ghana, le Gabon, le Bénin. le Kenya. Deux constatations
s'imposent: d'une part, on assiste à un élargissement du régime
des
libertés et de l'autre, à une ouverture vers la dé mocratie. Accroissement
des libertés publiques ou retour à la démocratie, voilà deux facteurs non
negiigeables de developpement du contentieux administratif pour les
nouveaux Etats.
Paragraphe 1 : L"extension des libertés publiques
Tout le monde s'accorde à penser de nos jours que leurs régimes
politiques africains, à la vérité, meurent plutôt de mauvaise politique que
de mauvaises finances. Avec un peuple uni dans un parti unique autour
d'un homme unique nourri d'élections à liste unique, le citoyen perd toute
liberté fondamentale; le gouvernement se fonde alors sur la répression et
non l'opinion, ce qui ap pelle la violence en retour.
Mais depuis quelques années, les gouvernants ont bien compris cela.
Ils ont cOillf)ris la néœssüè Je lc.lisst:r les citoyens exprimer leurs opinions
ou leurs critiques, et de faire entendre leurs besoins ou aspirations. Deux

351
proverbes africains, chers au Président gabonais vont d'ailleurs dans le
droit fil de cette sagesse. Selon le premier, "une seule main ne peut
ramasser la farine" ; et selon le second, "c'est quand tous les animaux sont
repus que le calme règne dans la savane". Autrement dit, l'œuvre
d'édification doit profiter à tous et non à une minorité. C'est donc pour une
raison de politique interne, mais également de politique extérieure (les
droits de l'homme ne sont-ils pas à la mode présentement !) que les
gouvernants africains sont obligés de respecter les libertés fondamentales
de l'hom me. Libertés ind ivid uelles, mais également droits collectifs.
A) Les Hbertés individuelles
La plus importante des libertés individuelles revendiquées à travers
le continent est la liberté d'expression. Pendant longtemps, cette liberté
était considérée comme un boulet attaché au pied du pouvoir politique et
sa mise en œuvre ne pouvait contribuer qu'à la
destabilisation des
régimes.
La
stabilité
du
pouvoir,
condition
indispensable
au
developpement national, a laccouchement de lEtat-Nation, exigeait le
sacrifice de cette liberté fondamentale de Ihomme.
Sacrifice utile, sacrifice justifié: au lendemain des indépendances, la
lutte contre la misère et lanalphabétisme prenaient une allure de guerre,
de circonstances exceptionnelles. Dans ce contexte, la liberté d'expression
n'avait pas de portée. C'était l'affaire de lélite minoritaire, donc de ceux-là
mêmes qui ne pouvaient l'exercer que pour affaiblir et abattre le pouvoir
en place: où était la liberté d'un cultivateur du fond de la savane? D'où il
résultait que la seule liberté valable et réelle était celle du ventre plein
que l'Etat était tenu, pour la survie même de la
nouvelle
société,
d'appliquer, autrement dit, résoudre d'abord le problème épineux du
vivari avant ..:elüi du pl111usulJllari. Or, presenLemenL, le problème du
manger se résoud, donnant à celui du penser une dimension nouvelle. Les

352
citoyens des nouveaux Etats commencent à comprendre le jeu politique
moderne, à s'arracher à la vieille société pour s'attacher à la nouvelle, bref
à être responsables, Du coup, ils suivent leurs dirigeants, .. avec moins de
docilité. Et ils les suivent d'autant mieux que l'élite minoritaire du début
des indépendances s'est considérablement élargie! Ainsi, en Haute-Volta,
le secteur moderne a passé d'une dizaine de milliers de travailleurs en
1960 à 41.837 au 31 décembre 1975. Au Zaïre, en 1977, ils se chiffraient à
1.062,000 (363.000 dans le secteur public et 799.000 dans le secteur
privé) ; en Côte d'Ivoire, au Togo, au Niger, au Bénin, la croissance
économique entraîne un accroissement du monde salarié ainsi qu'une
urbanisation spontanée, Et il faut souligner l'importance de la croissance
de la population urbaine dans le phénomène de conscientisation politique
des masses. Le rythme de cette croissance est passé de 5,3% par an en
1960 à 5,5% de 1970 à 1976. Le pouvoir politique doit donc désormais
compter avec cette minorité au comportement majoritaire, notamment les
scolaires. C'est un fait qu'à travers tout le continent, ce sont le s
mouvements
d'élèves et d'étudiants qui sont à l'origine des crises
politiques,
des bouleversements
internes,
La
chute
de
l'empereur
BOKASSA 1er le démontre. Une chute qui a brutalement levé le voile sur le
peuple profond de Centrafrique qui, lui, a soif de libertés et s'en enivre
actue lle ment.
Un intellectuel de la place a pu résumer, à l'intention du mensuel
"Afrique n' 29 de novembre 1979, la situation en termes significatifs: "Le
peuple centrafricain en est encore au stade des balbutiements politiques.
Il lui reste (et il a) beaucoup à dire. De
toute
évidence,
la liberté
d'expression est l'un des
acquis
du
21
septembre
que
le
peuple
centrafricain n'est pas prêt à s'en voir dessaisir". Au total, le doute n'est
plus pel' mis sur l'élargissement des iibertes individuelles. En l'absence de
démocratie, le pouvoir autocratique est obligé de compter avec l'opinion

353
publique. Et c'est ce qui se passe à
l'heure actuelle dans le Conseil de
lEntente.
Au Niger et au Togo, les Présidents SEYNI KOUTCHE et EYADEMA
rencontrent souvent les paysans dans les champs, les étudiants dans les
universités, les salariés dans les bourses de travail pour recueillir
directement et personnellement leurs doléances et aspirations. En Côte
d'Ivoire, le charisme d'HOUPHOUET BOIGNY ne suffit plus à obtenir la
docilité et la soumission d'un peuple de plus en plus exigeant. Depuis 1960
à nos jours, les seules manifestations publiques de mécontentement ont
été l'opposition catégorique en 1965 au projet gouvernemental de double
nationalité à l'ensemble des ressortissants des pays membres du Conseil
de l'Entente vivant en Côte d'Ivoire et réciproquement, les diffusions de
tracts en
1977 et
1978 dénonçant la
main-mise
de
létranger
sur
l'économie du pays et la marche des chômeurs en 1978. Mais depuis fin
septembre 1979, une crise de confiance est née entre le pére de la nation
et son peu pIe A l'origine, la q uintu pie crise de l'enseigne ment, de la santé,
du chômage, de l'inflation, des transports, dont l'exile politique accordé à
l'empereur BOKASSA déchu a servi d'exutoire: les ivoiriens sont indignés
de cette décision et l'expriment; ils s'enferment dans un refus obstiné,
réel,
d'accepter le fait accompli. "L'incertitude" ainsi créée provoque un
mouvement de stagnation chez les investisseurs; le chef de l'Etat se voit
contraint de réagir. A cet effet, des rencontres sont organisées dans les
quartiers, au niveau des structures du Parti, avec pour objectif, de
recenser les motifs de mécontente ment de la population
Ainsi,
la
liberté
d'expression,
prévue
par
toutes
les
lois
fondamentales, connaît un début de mise en œuvre. Les auditeurs de
Radio-Mali n'ont-ils pas été surpris d'entendre, à loccasion de la fête
nationale du mOlS de septembre 1'07'0, les interviews a chaud recueillis au
sein de la population? Les critiques,
très dures, voire virulentes, ont

354
capté l'opinion; des doutes sérieux ont été mis sur la volonté du régime de
s'attaquer de façon radicale à la corruption. Sil en est ainsi, c'est que les
libertés individuelles, notamment la liberté d'expression, hier un frein à
une politique toute tendue vers l'unité nationale, apparaissent aujourd'hui
comme un moteur du développement économique. Après tout, les libertés
politiques fècondent les libertés économiques auxquelles elles donnent
leur pleine mesure. Or, ces dernières, loin d'être restreintes, ont de tout
temps été encouragées. La privatisation de l'économie, de la santé, de
l'enseignement,
détermine
un
type
nouveau
de
rapports
entre
l'administration et les administrés essentiellement basé sur le dialogue
dont la rupture ne peut trouver d'issue que dans l'arbitrage du juge. En
accordant des libertés individuelles, ce n'est pas seulement que les
gouvernants doivent respecter l'exercice des dites libertès, cest aussi que
les gouvernés doivent en jouir dans les limites et les conditions de la loi
qui les réglemente. Un seul exemple à ce sujet. L'Etat voltaïque a
régIe menté l'enseigne ment privé par le décret 741 130/PRES/EN du 6 mai
1974. Ce texte soumet au régime de la déclaration et de l'autorisation
administrative les établissements
d'enseignement
privé
remplissant
certaines conditions de fond et de forme. L'établissement ainsi autorisé est
tenu à une longue série d'obligations. Ces obligations sont assorties de
sanctions qui vont de l'avertissement à la fermeture définitive. Un contrôle
permanent
de
l'autorité
académique,
du
service
de
santé
et de
l'administration
de
la circonscription
a été
prévu. Dans ce
cadre
d'expression, on a pu dénombrer au 30 septembre 1979, rien qu'en ce qui
concerne
les
écoles
privées
non
conventionnées,
trente
deux
établissements d'enseignement primaire et vingt neuf établissements
d'enseignement secondaire et technique!
La naissance
de la liberté d'expression, l'engouement que les
africains manifestent à cet égard, ne manqueront certainement pas d'effet

355
entraînant pour d'autre1 libertés, notamment la liberté de presse. En
Afrique, le quatrième pouvoir a etè jugè jusqu'ici comme une rèelle
menace pour les institutions publiques et, par conséquent, nié par les
gouvernants, surtout dans les pays francophones. Mais la tendance au
gouvernement d'opinion n'est-elle pas propre au changement d'attitude et
de conception!
On se laisserait convaincre par la relative liberté d'expression de plus
en plus accordée aux journalistes de la presse d'Etat, mé me dans les
régimes les plus autocratiques. Ainsi, au Zaire, cet article du journal local
"ELIMA", qualifiant: "d'impopulaire la décision des autorités de majorer, le
23 août 1979, le taux des frais scolaires pour la rentrée 1979-1980". Selon
ce journal, "les parents des six millions d'élèves du cycle primaire et
secondaire
comprennent
mal que
de
nouvelles charges financières
écrasantes soient imposées aux familles. Celles-ci doivent déjà supporter
une hausse des prix que les contrôles économiques n'ont pas, jusqu'ici,
jugulée, alors que le blocage des salaires, prévu dans le cadre du plan de
stabilisation,
est
vigoureusement
appliqué.
A cela
s'ajoutent les
abonnements de transport passés de 25 Zaires par enfant alors qu'une
famille de quatre enfants gagne en moyenne 1sa à 250 par mois et
l'obligation faite aux élèves de porter un uniforme dont le coût est
relativement élevé". Et le quotidien de mettre en cause le Ministre de
l'enseignement primaire et secondaire et de se demander si ces mesures
ne procèdent pas d'une politique délibérée de mise en place des critères
de "sélection naturelle" par l'argent, les enfants les plus défavorisès étant
ainsi pénalisés par rapport aux enfants des familles nanties.
Ce propos, jusque dans son style, est inhabituel et cela prouve que
les dirigeants africains ont compris que la presse libre, en tant que source
d'informations à la fois ascendantes et descendantes, per met aux pouvoirs

356
publics de transformer les humeurs des masses en programmes d'action
ou de correction et constitue de ce point de vue une soupape de sécurité.
En Haute- Volta, le régime de la presse est libéral. La loi 20/ AL du 31
août 1959, relative à la presse et aux délits de presse dispose que
l'imprimerie et la librairie sont libres (article 1er) et que tout journal ou
écrit périodique peut être publié, sans autorisation préalable et sans dépôt
de cautionnement, après une simple déclaration. Celle-ci est faite, avant la
publication du journal ou de l'écrit périodique, au parquet du procureur de
la République. Elle doit contenir quatre mentions: le titre du journal ou
écrit périodique et son mode de publication (quotidien, hebdomadaire,
mensuel...)
; le nom et la demeure
du
directeur
de
publication
l'imprimerie où il doit être imprimé; le tirage moyen prévu.
Elle est faite par écrit, sur papier timbré et signé du directeur de
publication.
Une telle tolérance a favorisé la prolifération des organes privés de
presse. Chaque parti politique a son journal; il existe trois quotidiens
d'opinion, à savoir: Dunia, l'Observateur, le Soleil. La Haute-Volta apparaît
ainsi com me un modéle et cet exem pIe est propre à faire tâche d'huile.
B) Les droits collectifs
L'évolution constatée en matière de libertés individuelles est encore
loin de s'amorcer en matière de libertés collectives, notamment les libertés
syndicales. C'est que les syndicats constituent avec l'armée, les groupes de
pression les mieux organisés et, partant, les plus redoutables pour le
pouvoir politique et que la grève apparaît comme un fatal coup de poing
pour les fragiles économies des nouveaux Etats. A la vérité, on ne saurait
déplorer les limitations apportées à la liberté d'association et au droit de
grève. La France elle-même, mère des libertés, n'a pas de leçon à donner à
ses anciennes colonies en la matière quand on pense que le délit de

357
coalition n'a été levé qu'en 1884, que le droit de gréve n'a été reconnu que
par la constitution de la IVè République et que sa mise en œuvre n'a été
rendue possible que grâce aux normes jurisprudentielles édictées dans
l'arrêt DEHAENNE du 7 juillet 1950 1, le législateur nayant intervenu en
dernier lieu que de façon timide en légiférant en 1963 sur les formes.
L'exemple voltaïque revèle la difficulté qu'il y a à déterminer une
frontière entre l'activité syndicale et l'activité politique, la première
n'étant que le cheval de TROYES de la seconde; un syndicalisme puissant
ou tout simplement un plurisyndicalisme risque toujours de tenir le
pouvoir politique en otage. Ainsi, la chute du régime de M. YAMEOGO en
janvier 1966 a été l'œuvre du syndicaliste Joseph OUEDRAOGO, son
adversaire traditionnel, depuis lors surnommé le "tombeur". Ces mêmes
milieux syndicaux ont forcé le retour des militaires dans les casernes en
1970 après qu'ils aient dressé un constant d'échec de leur gestion de la
chose publique. Depuis cette date, les changements de gouvernement et de
régime ont été dictés par les syndicats.
C'est la raison pour laquelle, le mouvement syndical des travailleurs
comme des étudiants a toujours été partout ailleurs intégré dans le parti.
Le rôle des syndicats n'est plus alors de revendiquer, mais de former et
d'informer les travailleurs en vue de faire passer plus facilement les mots
d'ordre du gouvernement.
Mais ce rôle dévolu aux syndicats était propre à un pouvoir
personnalisé, charismatique. Le mariage d'amour entre le père de la nation
et son peuple excluant les revendications intempestives, susceptibles de
désorienter l'action gouvernementale et d'attenter à l'économie encore
fragile du pays. Mais le temps des circonstances exceptionnelles passé (et
les deux premières décennies d'indépendance doivent être considérées
comme telles), la fidélité du peuple, sa docilitê même envers le "vieux", le
1 Recueil, page 426.

358
"sage", prend une allure commerciale: oui au chef si satisfaction des
besoins essentiels ! La raison du travailleur se substitue au sentiment,
surtout lorsque, après des efforts communs et des sacrifices communs, les
biens nationaux se retrouvent confisques au profit d'une elite dirigeante,
avide et arrogante, excellant dans la corruption et les prévarications en
toute impunité. Cette situation est exactement celle qui prévaut en Côte
d'Ivoire depuis le début de l'année 1979. Au mois de février, le Chef de
l'Etat a donné satisfaction aux nombreuses revendications de plusieurs
catègories socio-professionnelles. Ces revendications lui avaient été
exprimées depuis novembre 1978 et portaient entre autres sur
les
transports en commun; l'ivoirisation des cadres et des capitaux; le prix du
ciment; les logements; la direction de la gestion des sociétés d'Etat.
Et ce qui est révélateur, c'est le fait que les négociations ont réuni
autour de la méme table, pendant trois
mois, les travailleurs et le Chef
d'Etat en personne!
Les
décisions
intervenues
le
20
juillet
1979
(notam ment
augmentation des salaires de 25 à 40 %) n'ont pas empêché les travailleurs
d'exprimer à nouveau, depuis septembre 1979, d'autres revendications, à
savoir crise du logement,
spéculation immobilière, aug mentation des prix
sur les marchés dits de type africain, chômage croissant, délabrement des
services sanitaires, inefficacité de l'ad ministration, crise du transport
urbain,
insuffisance
des
places
dans
les
écoles,
manque
cruel de
professeurs, frais scolaires è1evés, etc. Et pour la seconde fois dans l'année,
le Chef de l'Etat se pense sur lesdits revendications; il a formé à cet effet
une commission au niveau du bureau politique.
Il n'est donc p<lS exagéré de penser que ces débuts de revendications
prélude à la revendication pure et simple du droit de grève. Un droit de
grève qui, ailleurs, est exercé de façon sauvage. Au Cameroun, les grèves,
faut-il le rappeler, ont paralysé le pays de janvier à avril 1976 : elles

359
étaient inconnues depuis 20 ans! Au Zaïre, une gréve sauvage s'était
déclenchée en juin 1976 au Katanga, la première du genre depuis 1944 !
C'est donc dire que l'évolution est irréversible, étant entendu que la
disparition des
Vieux , des peres de la nation'
aura pour effet de
bouleverser la nature des relations entre le peuple et les successeurs de la
"grande figure nationale".
Paragraphe II : L·ouverture à la démocratie
Depuis 1970, la démocratie refait un chemin dans le continent noir.
Sï elle avait été rejetée, après les premières expériences décevantes de la
communauté, au profit du parti unique, c'était pour des raisons sérieuses
et évidentes. Accoucher l'Etat-Nation, mettre en place les structures
d'accueil du développement, voilà qui justifiait largement un pouvoir
monolithique, le seul apte à rassembler les ethnies, à mobiliser les masses.
La politique, Jürant cette IJt:liude, avait un accent particulièrement
politicien. Depuis 1970 en revanche, le sentiment national est né. La
volonté de vivre ensemble est manifeste dans l'immense majorité des cas.
Les "Vieux" ont achevé leur tâche, ils doivent envisager la relève.
La politique doit changer d'orientation, et le pouvoir d'intensité et de
modalité. Désormais en effet, la politique de l'unité nationale doit céder le
pas à celle du ventre. Or, la politique du ventre ne prime plus le charisme
du chef mais bel et bien ses idées, sa capacité à gérer, à développer le
pays. Du coup, la confrontation des idées ou des idéologies se revèle
nécessaire, indispensable et utile. Et elle l'est d'autant plus que la
génération nouvelle, jusqu'ici respectueuse des privilèges de ses aînés, est
impatiente de ['rendre la releue, de prendre le javelot là Ol! les premiers
l'ont porté pour le jeter beaucoup plus loin encore.
L'on
comprend
dès
lors
pourqUOi
les
retours
à
une
vie
constitutionnelle nor male se multiplient. Après le Sénégal et la Haute-

360
Volta,
le
Nigéria et le
Ghana viennent
de
se
doter
d'institutions
démocratiques en 1979. Ailleurs, ce processus semble lentement se mettre
en œuvre: Comores, Mauritanie, Tchad, Ougadan. On peut également se
poser la question de savoir si la destitution des tyrans en Centrafrique, en
Ougadan, en Guinée Equatoriale ne présage-t-elle pas l'instauration d'un
nouvel ordre démocratique! Même pour la Côte d'Ivoire, des observateurs
inclinent à penser que l'ouverture à la démocratie n'est pas à exclure. Ce
jugement ne part pas de rien. En créant la commission mentionnée plus
haut, HOUPHOUET Boigny a donné des instructions sur les différents sujets
à examiner! Cela permet surtout d'avancer que le Chef de l'Etat est décidé
à prendre des mesures audacieuses qui vont réelle ment apporter un
changement dans la vie politique du pays. Et l'année 1980 semble tout
indiquée pour que soient prises de pareilles initiatives: les élections
municipales, les élections législatives et les élections présidentielles auront
lieu cette année, le Présiùt:lll ùt: la République na pas caché que ces
différents scrutins se dérouleront en toute liberté, sans intervention du
parti et sans aucune entrave.
En
libéralisant
ainsi
les
élections,
n'est-ce
pas
que
le
chef
charismatique est à la recherche d'une assurance tous risques! N'est-ce
pas surtout que le "Vieux" entend parachever son œuvre nationale en
donnant au pays, avant qu'il ne soit trop tard, les armes démocratiques qui
le protégeront de l'aventurisme, en même temps que les moyens de
sauvegarder son héritage? N'est-ce pas en somme offrir à la Côte d'Ivoire
la perspective d'une alternative démocratique, la seule garantie de la
stabilité de demain? En tout cas, il y est convié par son opinion publique:
"Le leader charismatique, semblable à un père de famille, craint-il tant
pour l'avenir de ses enfants après sa disparition qu'il en oublie que ceux-ci
sont devenus adultes ?"

361
Cette situation se présente au moment où les quelques expériences
démocratiques opérées ici ou là exercent un intérêt particulier et un attrait
irrésistible dans tout le continent. L'attache ment des voltaïques à la liberté
et à la democratie n'est-il pas a l'origine du choix de Ouagadougou comme
siège de nombreux organismes régionaux et interafricains 7
Mais la clef de l'ouverture vers la démocratie est incontestablement
la création, en 1977 à Abidjan, de l'Union des Parlements Africains qui
compte vingt et un membres. Elle a pour missions
de renforcer le rôle du
parlement en Afrique; d'uniformiser les législations nationales; de
promouvoir la démocratie et la justice sur le continent.
Lors de la VIème session du conseil exécutif de l'Union, tenue à
Ouagadougou du la au 12 septembre 1979, M. Philippe YACE, Président de
cette Union et Président de l'assemblée nationale ivoirienne, avait, dans
son discours d'ouverture, notamment déclaré: "Ne sommes-nous pas unis
par notre foi cummUllt; uan~ i'avt;nir ut; la démocratie représentative si
conforme aux nécessités de fonctionnement d'une nation moderne et aux
besoins fondamentaux de la culture africaine 7"
Ce mot, joint à la mission de l'UPA, enlève, tout équivoque sur les
chances de la démocratie en Afrique dans les années à venir. Notons que
l'assemblée générale de l'Union se tiendra en février 1980 au Lesotho et la
VI lè me session de son comité exécutif à Kinshasa, en mars de la même
année.
Au total, la vie politique interne des nations africaines porte quatre
marques importantes: développement des libertés publiques individuelles
ou collectives ; fin des régimes d'exception
(Togo, Mali, Bénin)
démocratie pluraliste ; dé D.lOcrat1c plurielle (au Kenya, les élections à
l'assemblée nationale du 8 novembre 1979 ont vu 800 candidats concourir
pour cent cinquante sièges à pourvoir, et en Côte d'Ivoire, les élections de
1980, à tous les niveaux,
seront également libres !). Une telle évolution

362
présage du proche avenir, et par voie de conséquence, du rôle et de la
place du contentieux ad ministratif dans les années à venir.
Sous-Section Il
L"appoct des institutions
administratives et juridiques
L'ordre administratif et juridique importé de l'ex-métropole est une
garantie du développement du contrôle juridictionnel de l'administration
africaine.
Paragraphe 1 : Les institutions ad ministratives
Au lendemain des indépendances, le manque de moyens humains et
matériels
avait
eu
pour
conséquence
de
donner
à
l'organisation
administrative
un
caractère
embryonnaire,
ou
celui
d'institution-
programme. Aujourd'hui, les conditions paraissent réunies pour donner
aux diffèrenLe~ ill~liLuLion~ auministratives leur pleine portée et en
assurer le fonctionnement optimal.
Par ailleurs, la multiplication et la diversification des tâches de l'Etat
appelle la création d'institutions nouvelles et le développement des
anciennes. On peut retenir, parmi les institutions administratives qUI
constituent des facteurs de développement du contentieux administratif,
d'abord la décentralisation, ensuite la Fonction Publique ...
A) La décentralisation
En maintenant et en multipliant les collectivités locales laissées par
le colonisateur, les dirigeants africains avaient entendu se doter des
moyens administratifs de leur politique dunité nationale. Une quelconque
autonomie
des
personnes
morales
territoriales
aurait constitué
un
succédané
de
pluralisme
politique.
Les
différentes circonscriptions
administratives,
à
savoir
département ou
région,
commune,
sous-

363
préfecture, arrondissement, servaient comme caisse de résonance du parti
et non pas du tout comme agents privilégiés de l'Etat développeur.
Seulement, de nos jours, ces motifs ne tiennent plus. La politique
cédant le pas à l'économie, l'autonomie des collectivités secondaires, au-
delà de l'apprentissage de la démocratie qu'elle instaure, est source de
dynamisme économique, si peu que soient admis les rapports entre
municipalités et développement.
La Côte d'Ivoire et la Haute-Volta ont compris cela et envisagent des
élections municipales en 1980.
En Côte d'Ivoire, une décision du bureau politique du PDCI-RDA en
date du 18 mai 1978 prévoit qu'à l'instar dAbidjan et de Bouaké, les vingt
quatre
autres
chefs-lieux
de
département
doivent
désormais être
administrés par des maires élus et non plus nommés par le parti. Elle
autorise en outre plusieurs candidatures
pour
un
même
poste. En
application de cette decision, les habitants d'Abobo-Gare, de Dabou,
Bouaflé, Guiglo, Daloa et Dimbokro avaient été appelés à se rendre aux
urnes le Il septembre 1978. C'était la premiére fois depuis l'indépendance
que les citoyens ivoiriens avaient la possibilité de choisir leurs candidats ...
librement.
En fait, les municipales de 1978 ont été annulées ... Pour une raison
non dénuée de signification; en l'absence du Chef de l'Etat, a-t-on dit, ces
consultations risquaient de ne pas se passer dans des conditions vraiment
démocratiques! C'est pourquoi, elles ont été reportées en 1980, en même
temps que les législatives et les présidentielles.
Il est alors superflu de dire que la création des com munes et leur
réelle décentralisation entraîuera un transfert ue certains pouvoirs de
l'administration centrale aux collectivités locales.
En Haute-Volta, des élections générales sont prévues pour les
conseils municipaux et les conseils généraux en 1980. En vue de cette

364
décentralisation, des nouvelles lois sont intervenues tant au niveau des
communes qu'à celui des départements,
Au niveau des communes, la loi 10/79/ AN du 7 juin 1979 a
considérablement augmenté leur nombre. Elle dispose en son article 1er
que tout chef-lieu de département acquiert de plein droit le statut de
commune de plein exercice. Cela seul porte à treize le nombre des
communes de plein exercice: onze chefs-lieux de département et deux
chefs-lieux de sous-préfecture. Mais, aux termes de l'article 2 de la loi,
tout chef -lieu de sous-préfecture acquiert égale ment de plein droit le
statut de commune ; seulement, pour cette dernière catégorie, la loi
distingue entre la commune de plein exercice et la commune de moyen
exercice, selon que ses conditions èconomiq ues et financières
sont
reconnues suffisantes pour s'administrer ou pas.
Quant aux départements, leur nombre vient de passer de dix
à onze
avec la loi 9/79/ AN du 7 juin 1979 :
- département du centre: Ouagadougou
- département du centre-ouest: Koudougou
- département des hauts-bassins: Bobo-Dioulasso
- département de la comoé : Banfora
- département du sud: Gaoua
- département de la volta noire: Dédougou
- département de l'est: Fada N'Gour ma
- départe ment du centre est: Tenkodogo
- département du plateau mossi : Kaya
- départe ment du sahel: Dori
- département du nord: Ouahigouya.

365
Au total, l'ad ministration territoriale s'établissait au 30 juin 1979
ainsi qu'il suit:
- Il départe ments,
- 75 communes de plein ou de moyen exercice,
- 75 sous-préfectures,
- 53 arrondissements (leur nombre a passé de 24 à 53 avec les
décrets
79/1h4/PRES/PMIIS/DGI/DCO
du
27
avril
1979
et
791212lPRES/PM/IS/DGIIDCP du 1er juin 1979).
La décentralisation des collectivités territoriales s'accompagne d'une
décentralisation des services centraux. Cette dernière est mise en évidence
par l'importance du nombre des agents publics servant en "brousse". Ainsi,
en ce qui concerne la Haute- Volta, servaient hors de la capitale, au 1er
janvier 1972 :
- 16% des fonctionnaires de catégorie A,
- 57% des fonctionnaires de categorie B,
- 56% des fonctionnaires de catégorie C et D,
- 16% des fonctionnaires de catégorie E.
L'effort de décentralisation reste encore à faire au niveau de la
catégorie A. En 1970, sa répartition géographique s'établissait ainsi qu'il
suit:
- 64,2% à Ouagadougou (capitale politique),
- 12,8 % à Bobo-Dioulasso (capitale économique)
- 16 % en zone rurale,
- 7% à l'étranger.

366
D) La Fonction Publique
1) Généralités sur les fonctions publiques
africaines
Deux grands systèmes de fonction publique se partagent le monde:
la fonction publique de structure ouverte et l~ fonction publique de
structure fermèe ou de carrière.
Les Etats africains francophones ont adopté, par assimilation du
modèle français, la fonction publique de carrière. Les statuts généraux des
fonctions publiques ivoirienne (loi 59-135 du 3 septembre 1959 et loi 64-
488 du 21 décembre 1964),
béninoise (loi 59-21 du 31 août 1959),
voltaique (loi 22/AL du 20 octobre 1959), nigérienne (loi 59-6 du 3
décembre 1959) et togolaise (loi 58-66 du 1er décembre 1959),
sont
plaqués sur le statut genéral français (ordonnance du 4 février 1959). Il
s'en suit que ces différentes fonctions publiques ont:
a) le même champ d'application: "Sont fonctionnaires,
les personnes qui,
nommées dans un emploi permanent, ont été titularisées dans un grade de
la
hiérarchie
des
ad ministrations
centrales
de
l'Etat,
des
services
extérieurs en dépendant ou des établissement publics de l'Etat". En sont
donc exclus:
- les magistrats de l'ordre judiciaire (sauf au Togo) ;
- les militaires de carrière;
- les fonctionnaires stagiaires
- les élèves-fonctionnaires, candidats à la fonction publique, recevant
avant leur nomination une formation professionnelle;
- les agents non fonctionnaires nommés aux emplois supérieurs de
l'Etat dont la nomination, laissée à la discrétion du gouvernement, est

367
essentiellement révocable et n'entraîne pas leur titularisation dans un
corps de l'administration;
- les agents temporaires des administrations et établissements
pub lies ad ministratifs de l'Etat, eng agés par décision ou contr at ;
- les agents des collectivités locales;
- les agents des ad ministrations, services ou établisse ments publics
de l'Etat à caractère industriel et commercial ainsi que les agents des
sociétés d'Etat, sociétés d'économie mixte et services concédés;
- les requis (militaires appelés ou mobilisés et personnes requises
par l'administration pour l'accomplissement de certaines tâches d'intérêt
national).
b) les mêmes structures hiérarchiques: les fonctionnaires sont répartis en
cadres (trente en Haute-Volta au
1er janvier
1972. en corps (cent
cinquante quatre en Haute-Volta au 1er janvier 1972 et en catégories. Les
catégories, au nombre
de
quatre comme
dans
l'ex-métropole, sont
hiérarchisées suivant les différents niveaux de formation et correspondent
égale ment à des nivea ux d 'e mploi.

368
Structure catégorielle de la fonction publigue voltaïgue
CATEGORIES
NIVEAUX DE
NIVEAUX D'EMPLOI
FORMATION
A
Al
Doctorat,
grandes conception
et
~C()iës
direction
A2
Licence + concours
B
BI
Bac + spécialisation +
concours
B2
Bac + concours
application
C
Cl
BEPC + spécialisation +
concours
Exécution spécialisée
C2
BEPC + concours
D
Dl
CEPE + concours
Exécu tion si mple
D2
E
El
Exécution
., -
cL
1(en voie d'extension)
A noter qu'en Côte d'Ivoire, depuis 1964, la catégorie A comporte six
échelles de traitement, la catégorie B quatre trois en catégorie C, deux en
catégorie D, une en catégorie E.
c) les mêmes organes de gestion: le Chef de l'Etat est le chef suprême de la
fonction publique. Celle-ci est placee SOLIS lautorité d'un Ministre, assiste
d'une direction de la fonction publique et de commissions administratives
paritaires qui jouent le rôle de commissions d'avancement et de conseils
de disciplinp

369
Les organes consultatifs principaux sont le comité consultatif de la
fonction publique, chargé d'examiner toutes questions intéressant les
fonctionnaires ou la fonction publique et le conseil médical.
Mais suivant l'importance et le poids de la fonction publique, certains
pays ont multiplié les organes consultatifs.
En Côte d'Ivoire, il exi~te, outre le~ deux organe~ consultatifs ci-
dessus, cinq autres attachés à l'un ou l'autre aspect particulier de la
fonction publique. Ce sont:
- le comité national de la réforme administrative (CNRA), créé par
décret n' 68-296 du 12 juin 1968. Son rôle est de donner des avis sur
toutes les questions générales ou particulières concernant les réformes
administratives et de se prononcer sur les études et projets relatifs à
l'organisation, au fonctionnement et aux méthodes de travail des services
publics en vue de leur rationalisation;
- le comité pour l'éducation professionnelle de la fonction publique,
créé par décret n' 60/411 du 7 décembre 1960 ; ce comité est saisi de
toute question intéressant l'éducation
professionnelle des
candidats
fonctionnaires et des fonctionnaires;
- la commission consultative auprès du Ministre de la fonction
publique, créée par arrêté n' 02/PR/CAB du 26 février 1966. Elle est
chargée
de
donner
un
avis
sur
le
classement
à
accorder
dans
l'administration aux agents ayant obtenu certains titres ou diplômes pour
lequels aucune équivalence n'a été fixée par rapport aux titres et diplômes
délivrés en Côte d'Ivoire et reconnus par le gouvernement;
- la commission des engagements des agents temporaires, créée par
arrêté n' 6736/FP/CAB du 13 octobre 1970. Elle est appelée à donner son
avis, d'abord sur le niveau de qualification dans la technique ou spécialité
professionnelle, de tout candidat à recruter, soit par décision, soit par
contrat, à un emploi de première, deuxième ou troisième catégorie ;

370
ensuite, sur l'ancienneté éventuelle à lui reconnaître dans ladite technique
ou spécialité professionnelle pour le classement à un échelon autre que
celui de l'échelon du début; enfin sur les propositions de reclassement à
une échelle supérieure de la catégorie considérée, lors du renouvellement
de l'engagement des agents temporaires ayant accompli en cette qualité,
dans une ad ministration ou un ét::lblissement public ad ministratif de l'Etat,
six
années au moins de services effectifs, ainsi que sur toute demande de
régularisation de situation administrative;
- la commission de réforme, créée par décret n° 71-301 du 25 juin
1971. Elle donne son avis sur la situation, en premier lieu, du fonctionnaire
qui a été mis dans l'impossibilité définitive et absolue de continuer ses
fonctions, soit ~par suite d'infirmité résultant de blessures ou de maladies
contractées ou aggravées dans le service, à l'occasion du service, en
accomplissant un acte de dévouement dans lintérêt public ou en exposant
ses jours pour sauver une vie humaine, soit par suite d'infirmité ne
résultant pas de blessures ou de maladies contractées ou aggravées dans
les conditions sus-mentionnées. en vue de sa mise à la retraite: en second
lieu, de l'agent public atteint d'une invalidité résultant soit d'un accident
de service ayant entraîné une incapacité permanente, soit d'une maladie
d'origine
professionnelle,
qui
sollicite
une
allocation
temporaire
d'invalidité.
La commission
de
réforme apprécie
la
réalité
des
infirmités
évoquées par l'agent, leur imputabilité au service, les conséquences ainsi
que le taux d'invalidité qu'elles entraînent.
Toutes ces institutions paraissent malheureusement relever d'un
certain gigantisme propre à alourdir le fonctionnement de l'appareil
ad ministratif...

371
d) Même carrière du fonctionnaire
Le recrutement dans les différents corps s'opère soit par concours
(directs ou externes) soit sur titre. Le concours est le mode normal de
recrutement. Il est soumis aux mêmes règles et normes jurisprudentielles
qu'en France.
Certains
Et~ts orrt pré'\\"u un troisiè me
mode
de
recrute ment :
l'intégration exceptionnelle. Cest le cas du Niger (ordonnance 59-152 du
15 août 1959 et décret 60-054 du 30 mars 1960) et au Bénin (ordonnance
6/GPRD/ME/FP du 6 janvier 1964).
La titularisation intervient seulement après un stage probatoire de
un an renouvelable. Ce stage probatoire ne vaut pas pour certaines
catégories
d'agents.
En
Haute-Volta
par
exemple,
l'ordonnance
74/070/PRES/FPT IDFP
du
21
octobre
1974 1 le supprime en ce qui
concerne les ètudiants titulaires du doctorat d'Etat.
L'avancement a lieu au choix et à l'ancienneté (avancement de grade
et d'échelon) ; il est basé sur une note chiffrée exprimant la valeur
professionnelle du fnnrtinnn~irp, sllivjp d'une ~rrréci~tinn générale sur
son aptitude à exercer l'emploi du grade supérieur.
Les
différentes
positions
du
fonctionnaire
sont
l'activité,
le
détachement, la disponibilité, le service hors cadre, la position sous les
drapeaux. La retraite est fixée à 55 ans en général, exceptionnelle ment à
60 ans pour certains corps (professeurs d'Université notamment).
e) Mêmes droits et devoirs du fonctionnaire
Concernant les droits:
- la remunèration comprend le traitement soumIS à retenue pour
pension (6%); l'indemnité de résidence (15% du traitement brut), les
prestations familiales (700 F par enfant en Haute-Volta) et indemnités
diverses (travaux supplémentaires, sujétions, risques) ;
1 ].0. du 24 octobre 1974, page 735.

CLASSEMENT INDICIAIRE ET ECHELI.F. DES TRAITEMENTS ~N FONCTION DES NIVEAUX ET DES CONDITIONS DE
RECRUTEt.oiI..NT
AU
1ER
IANVJF.){
1979
EN HAUTE-VOLTA
Point Indiciaire
2132
fR'
Niveau
Niveau
Echelle
Con~ltion C,"~riére
Indice
Traite-
Traite-
Rete'"~ue
Traite·
Indem-
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-
d'en:ploi
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de
ment
ment
pour
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nette
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brut
brut
pension
mensuel
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mensuel·
1 /
ment
,__ ~,_ _,",_~
annuel
me~Qsuel
~<:__
le
--
-
1
Doctorat
Début
430
916760
76306
4583
71813
7639
784:
~
"~ ~""
l
ou
Grande
Fin
1
1090
2323880
193656
11619
182017
19365
2034G.:
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~ ~
R
'"
t~~
Ecole
~
Lice nce +
Début
1
350
746200
62183
3730
58453
6218
64671
<1
'W
~
î
Concours
Fin
825
1758900
146575
8794
137781
14657
15243"-
1
J
-
1
-L
I
~,
h·, 1
L_.
1
- . .-
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~
Bac +
1 Debuîl
300
639600
53300
3198
50102
15"330
55432
'1
.,~
1.
Concours
f3
,'.,;
~
Spècia11- 1
Fin
1
595
1 1268540 1 105711 1
6342
1 99369
1 10571
1 109940
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1
1
~
Conço.-s
Fln
530
1129960
94163
5649
88515
9416
879,<;)
B-~
§
BEr-'Conj
Debut
220
469040
39086
2345
. 36741
3')08
4064"9'
... ~
~
.
~ '."
.
-(
cours'
~ ~
~
Spéçiall-
Fin
370
788840
65736
3944
61792
6573
68365
c
-'''
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1
1
-..
~
~
Concours
Fi n
330
703560
58630
~;517
55113
5863
6097:\\!
~ ~,~
CEPE·Con
DebJt fm
165
351.780
29315
1.758
27557
2.931
30.4 ')
'1"
~
1
cours
305
650.260
54.188
3.251
50937
5.418
56355
D
,-'0
t
j
Debut fin
155
330.460
27538
1.652
25886
2,753
28639
~ ""
QI
\\ '
~
2--
~
285
607.620
50.635
3.038
47.596
5083
52660

CLASSEMENT INDICIAIRE ET ECHELLE DES TRAITEMENTS EN fONCTION DES NlVEAUX ET DES~QNDITIONS
DE
RECRUTEMENT
AU
1ER
JAN.'
ER
1979 EN OHE D'I VO 1RE
Point Indiciaire: 2000
- - r - ....
Niveau
Niveau
Echelle
Condition
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1n d ice
Traite-
Tralte-
Reu::-nue
Traite-
Indem-
Recette
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d'emploi
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de
ment
ment
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recrute-
brut
brut
pension
me .. suel
résiden-
mensuel-
ment
annuel
mensuel
ce
le -~
1
Diplômes
Debut
930
1-360000
155000
9300
145/00
23250
168150
r
de
.\\i
lEnsei-
Fin
1760
3520000
293333
17600
275733
44000
319733
~
---------
gnement
----------
----------
-------
- -
----------
----------
----------
----------
----
------
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2.
Supè-
Déb ut
550
1100000
91667
5500
86167
13750
99'J17
')
rie u r
Fin
1450
2900000
241667
14500
227167
36250
263417
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---------
~
----------
---------
- - - ------
----------
--
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----------
----------
----------
Diplômes
Déb ut
490
980000
81667
4900
76767
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12250
8'JO 1ï
3
Fi
~
"
de l'Ensei
Fin
1225
2450000
204167
12250
191017
30625
222542
~
- ... _--
gnement
----------
----------
----------
---------
----------
----------
----------
_._--------
~
Supe
Début
405
810000
67500
4050
64450
10125
73575
)
li
rieur ou
Fin
1100
2200000
183333
l ")00
172333
27500
1998'3
,
~
- - - - - -
Di plô mes
----------
--------
----------
----------
--'--
-----
----------
---,------
-------
C"")
t
de sortie
Début
370
740000
61667
3700
57967
9250
67217
~
r--
5
de
Fln
920
1840000
153333
9200
144133
23000
l67l33
C"")
~
1 - - - - - _ .
\\'
certaines
----------
----------
----- ._----
---------
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----------
---------
- -
-- ------
Ecoles
Début
345
690000
57500
3450
54050
8625
62675
6
Fln
850
1700000
141667
8500
133167
21250
154417
--
Bac +
Dcb ut
330
660000
'15000
3300
51700
5995C
'1
Diplomes
Fin
800
1600000
133333
8000
125333
1452'3
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f - - - - - - -
reconnus
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----------
----------
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----------
----------
- - - - - - - - - -
t
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Début
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630000
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3150
49350
7875
57225
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Fin
67 5
135000Q
112500
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105750
16875
122625
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Debut
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265
530000
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2650
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6625
48142
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1
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nement
Fin
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535
1ü70000
89167
5350
83817
13375
97192
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- - - - - -
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- - - - - - -
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Dèb ut
235
47000Cl
39167
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36817
5875
42692
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Fin
480
960000
80000
4800
7",200
12000
87300

(Suite)
.
BE ou
Début
210
420000
35000
2100
32900
5250
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. ~
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BEPC ou
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1
Fin
375
750000
62500
3750
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68125
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diplôme
reconnut
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1 ---------- équiva- ------~--- --~-------- ---------- -- ------- ---------- - ._------- ---------- ----_.-----
lent
Début
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35533
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29767
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.""
'L
Fin
320
640000
58630
5517
50133
8000
58133
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175
350000
29167
1750
27417
4475
31792
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285
570000_ .
475ù.J
28')0
H650
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.
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Debut
135
27000r
22500
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21150
3375
24525
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;<
-1
fin
245
49000ù
40833
2450
38383
6125
44508
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CEPE
- - - - - - - - - -
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----------
----------
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-----------
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'2..
Début
130
260000
21667
1300
20367
3250
23617
"" ~
"<
fin
240
'~800000
40000
2300
37600
600
43600
.
-
.1.' ~
1 .'
Niveau
Début
100
200000
16667
1000
15667
2500
18167
c
~1 ~ t
~ ~ ~ j
inferieur
Fin
185
370000
30833
18jO
28983
4625
33606
~.
~.~
au CEPE
---
o;r
....
~-
,
"1

375
- les congés comprennent: le congé annuel avec traitement d'une
durée de trente
jours consécutifs pour une année de services accomplis,
avec possibilité de cumul n'excédant pas trois
mois; le congé de maladie
d'une durée de six
mois pendant une période de douze
mois consécutifs
avec totalité du traitement pour les trois
premiers mois et moitié pour les
trois autres; les congés de convalescence d'une durée de neuf mois
(accordé sur
proposition du conseil de santé) dont trois
mois avec
traite ment entier et six mois avec demi-traite ment; le congé de maternité
d'une durée de quatorze
semaines; le congé de longue durée (en cas de
maladies graves) durant lequel, le fonctionnaire perçoit son traitement
entier pendant les trois
premieres années et le demi-traitement pendant
les deux autres années; le congé pour concours et examens accordé avec
traitement aux fonctionnaires appelés à se présenter à des concours ou
examens en vue
de leur accession
aux
hiérarchies
supérieures ou
présentant un intérêt direct pour le déroulement de leur carriére ;
- le droit à la protection : l'Etat doit assurer la protection des
fonctionnaires contre les menaces, outrages, injures ou diffamations dont
ils peuvent être l'objet à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et
réparer, le cas échéant, le préjudice subi;
- liberté d'opinion en matière philosophique, politique ou religieuse
reconnue, sous rèserve que son expression soit faite en dehors du service ;
sa publication écrite est soumise a l'autorisation de l'autorité hiérarchique.
En pratique, cette liberté d'opinion n'est exercée qu'en Haute- Volta;
- la liberté syndicale et le droit de grève. Ils sont également
reconnus en droit mais leur exercice est pratiquement interdit, sauf en
Haute- Volta.
S'agissant des obligations, les principales sont

376
- la discrétion professionnelle pour tout ce qui concerne les faits et
informations dont le fonctionnaire a connaissance dans l'exercice ou à
l'occasion de l'exercice de ses fonctions ;
- l'occupation de l'emploi; dans tous les Etats concernés, il y a des
textes portant sur l'abandon de poste ou le refus de rejoindre son poste. En
fait,
l'absentéisme est une donnée
permanente des
administrations
africaines: un ministère est, dit-on, le lieu où les agents qui arrivent tard
croisent à l'escalier ceux qui repartent tôt!
- l'interdiction d'exercer des activités privées lucratives et de prise
de participations. Les exceptions concernent la production d'œuvres
scientifiques, litteraires ou artistiques, les activités d'enseignement. les
consultations ou expertises en rapport avec la qualification professionnelle
de l'agent, certaines professions libérales, ainsi que la production rurale
(ferme, maraichage)
[) Mê me régime disciplinaire
La faute disciplinaire n'est pas définie comme en France. Seul le Togo
fait exception; la faute disciplinaire est constituée par "tout manquement
à ses obligations professionnelles, toute atteinte à la discipline, toute
absence injustifiée, toute mauvaise manière de servir, tout acte qui n'est
pas compatible avec la dignité du fonctionnaire, même commis hors du
service
La procédure disciplinaire se déroule selon les règles et formes en
vigueur en France,
à
savoir
communication
du
dossier
individuel,
consultation du conseil de discipline (sauf en ce qui concerne les sanctions
du 1el' degré qui sont prononcées après demande d'explications écrites).
motivation de la décision de sanction.
Le contenu des sanctions disciplinaires est identique
- avertisse ment,

377
- blâme,
-déplacement d'office,
- radiation du tableau d'avancement,
- réduction d'ancienneté d'échelon,
- exclusion temporaire des fonctions,
- abaissement d'échelon,
- mise à la retraite d'office,
- révocation sans suspension des droits à pension,
- révocation avec suspension des droits à pension,
2) Place de la fonction publique dans le
contentieuI administratif
Le contentieux administratif, dans le Conseil de l'Entente, se limite
pratiquement au contentieux de la légalité, Or, ce contentieux concerne
essentiellement le droit de la fonction publique. Il se trouve que la
fonction publique des pays concernés revêt une importance considérable
aussi bien au plan quantitatif (nombre des agents de l'Etat), que qualitatif
(poids sur l'économie nationale). Il en résulte que le développement de
l'administration entraîne celui du contentieux administratif lui-même.
Cela peut être mis avantageusement en relief avec l'analyse de
l'administration voltaïque ...

378
a) Evolution global du nombre des agents de l"Etat de 1968 à
1972
Augmen
1968
1969
1970
1971
1972
tation en
5 ans
Fonctionnai -
7.216
7.655
8.564
9.036
9.530
+33,7%
res
(+529)
(+909)
(+472)
(+494)
Temporai-
3.634
3.754
3.941
4.305
4.466
+22,8%
res
(+120)
(+187)
(+364)
(+161)
TOTAL
10.760
11.409
12.505
13.341
13.996
+30%
(+649 )
(+1.096)
(+836)
(+655)
Augmenta-
tion annue1-
+6%
9,6%
+6,7%
+6,9%
le
Source: Ministère de la Fonction Publique, direction du personnel
En 1975, le nombre total des agents s'est èlevè à 22.639 dont 10.027
fonctionnaires et 12.612 agents temporaires.
En
1972,
les
dépenses
du
personnel
(soldes
et
indemnités)
représentaient 56,22% du budget de l'Etat. Si on y ajoute les pensions
civiles et militaires, les contributions versées à la caisse de prévoyance
sociale pour les agents temporaires ainsi que les charges récurrentes de
lassistance technique, le pourcentage passe a 61.50% 1
En 1979, ces dépenses du personnel, limitées aux soldes et indemnités,
s'élevaient à 54,28% du budget de l'Etat (19 milliards sur les 35 milliards
du budget)
En 1980, le projet de budget prévoit 25 milliards pour les dépenses
du personnel sur les 40 milliards du budget de l'Etat, soit un pourcentage
de 62,5 %.
En ne prenant en considération que les fonctionnaires moins les
enseignants, l'évolution du nombre des agents par catégorie indique
également la tendance à la forte hausse.

379
EVOLUTION DU NOMBRE D"AGENTS PAR CATEGORIE
Catégories
Pourcentage
(moins les ensei-
1969
1970
1971
1972
d 'aug mentation
gnants)
en 5 ans
A
243
286
293
333
+37,03%
(+43 )
(+ 7)
(+40 )
B
242
309
361
365
+50,8%
(+67)
(+52)
(+4 )
C
769
841
968
1.150
+49,5%
(+ 72)
(+ 127)
(+182)
D+E
4,574
4593
4.566
4.459
-0,32%
(+ 19 )
(-27 )
(-7 )
Source: Ministère de la Fonction Publique, direction du personnel
Ce dernier tableau met en évidence la pénurie de l'ad ministration
voltaïque en cadres A et B. La multiplication des écoles de formation
professionnelle (écoles des douanes, de la police, des impôts, du trésor,
ENA de Ouagadougou, etc), l'option marquée pour les formations de courte
durée (IUT), per mettront de combler cette lacune.
Mais l'importance de la Fonction Publique dans le développement du
contentieux administratif ne réside pas uniquement dans le volume du
personnel administratif. Il y a surtout que le secteur public accueille de
plus en plus des jeunes, formés à l'étranger, donc arrachés à la mentalité
de leurs aînés, laquelle est allergique aux recours contentieux et préfère la
palabre africaine à l'arbitrage du juge pendant que les jeunes sont plus
ouverts au recours contentieux pour faire valoir leurs droits froissés.

380
Pyramide des ;âges au 1er janvier 1972
Féminin
Masculin
.
.,
Plus de 55 ans
.
% global
j,
: , +
,
50 à 55
6 ;
0, l
2.02,
.,
,
,
46 à 50
2,7
lU ~
J
• I.j p
......
41 a 45
,
JI'
""
7,5
S""1-

;.

...
36 à 40
85' ;
14,5
,
• A03"./
<
3 l

,
à 3S
2. "6 !
25,4
161:j-
.'
26 a .30


26
343 :
, t6}tJ
, .
c
,
18 à 25
14,7
1q!>

·23f1
J

,,
age inconnu
3D ,
, -69
;-,----'------',
100
Total
65% des çrfec,jfs etaient donc agés de moins de trente six ans 1
Le poids oe la Fonction Publique dans la vie socio-économique des
ClOq pays membres du Conseil de l'Entente peut être établi à partir du
rapport cie ces fonctlUns puhliques a la population et au PlEI.

381
RAPPORT DES FONCTIONS PUBLIQUES à LA POPULATION
ET AU PIB (I968)
Popula-
agents
PIS en
Etats
tian (en
publ ics
milliards
millier)
(en uni-
de rrs
DIA
AID
CIA
BIC
A
tés) S
C
c.I.
4.900
35.867
320,4
7,3
136
65.387
42,2
H.V.
5.285
10.760
261
2,3
490
11.542
176,3
Bénin
2.520
17.743
57
7
142
22.619
3 11,1
Togo
1.230
14.409
43
11,7
127
23.989
335,1
France
50.000
1114000
28.000
22,2
44
57.6000
38,6
N_B_ : Il y a un agent pour 490 habitants en Haute- Volta, 136 en Côte
d'Ivoire, 142 au Bénin, 127 au Togo et seulement 44 en France
Les pays concernés sont donc sous-ad ministrés. En 1972, il Y avait
un agent pour 130 personnes actives en Haute-Volta, un pour 83 en Côte
d'Ivoire et un pour 37 au Congo.
b) Situation des agents non fonctionnaires
Les Fonctions publiques africaines sont confrontées à de sérieux
problèmes en matière d'agents non fonctionnaires. Ceux-ci comprennent
essentiellement les agents contractuels et les collaborateurs bénévoles. La
situation juridique de ces deux catégories d'agents demeure très imprécise.
1-) En ce qui concerne les agents tempocaires ou contractuels
En droit français, il existe deux sortes d'agents te mporaires ou
contractuels ; d'une part, ceux qui sont recrutés par contrat, de façon
occasionnelle ou ponctuelle pour une activité déterminée et d'autre part,
ceux qui sont de véritables collaborateurs contractuels de l'administration
à laquelle ils doivent consacrer, pour un certain temps, une partie ou la

382
totalité de leur
activité
professionnelle. Les
premiers ne
sont pas
considérés cumm.:: appad~llauL .1l'aul1ùnistratioll , ils Soüt suumis au druiL
commun du travail.
Les seconds en revanche font partie du service public et, selon le
Conseil d'Etat, le régime qui leur est applicable est mixte car leur situation
n'est contractuelle que dans les matières régies par le contrat (notamment
durée du contrat et condition de son expiration)l, le reste de leur situation
étant déterminée par voie réglementaire (obligations de service, salaire,
discipline, affectation).
Selon la
jurisprudence
du
syndicat des
services
du
contrôle
technique du 2 mars 1949, il ne saurait être question que leur situation
soit entièrement contractuelle et le Conseil d'Etat a même jugé que ce
contrat avait un caractère administratif2 et que sa rupt ure obéissait aux
règles du droit public.
A la vérité, cette jurisprudence ne se retrouve pas en Afrique, bien
que la situation des agents temporaires va dans ce sens. En effet, le
recours aux agents contractuels est habituel en Afrique alors qu'en France
il est jugé exceptionnel; en outre, les agents temporaires,
dans les
nouveaux Etats,
sont des permanents; enfin, ils sont recrutés, non pas sur
la base de contrats individuels ou mêmes collectifs, mais par voie de
décision unilatérale de l'administration: ils ont leur statut, très proche du
statut général de la Fonction Publique.
Cela est dû évidemment au fait que les administrations africaines
manquent de personnels. beaucoup plus hier cependant qu'aujourd'hui
Les contractuels se voient donc confier des emplois permanents auxquels
leurs qualifications professionnelles les ont rendus indispensables. De ce
fait, il est inadminissible que cette catégorie d'agents soit soumise
1 Conseil dEtat, 27 juillet 1937, Verchère.
2 Conseil d'Etat, 3D septembre 1955, Vi1main,

383
entièrement au droit commun du travail et à la compétence du juge
ordinaire. L'évolution ne pourra se faire que dans le sens d'une plus large
application du droit public à la situation de ces "fonctionnaires innommés".
C'est pour sortir de cet embroglio que la Haute-Volta a décidé d'intégrer
purement et simplement certaines catégories d'agents temporaires; aux
termes du décret 78/499/PRES/FPT/MF du 1er décembre 1978 :
- les agents temporaires régis par la loi n° 50/601 AN du 25 juillet
1960 et classés dans les quatre premières catègories sont intégrés dans les
cadres de fonctionnaires, selon leur spécialité et leur administration
d'appartenance; la détermination de leur catégorie d'intégration est faite
sur la base de leur niveau de recrutement, de l'ancienneté de service et du
salaire de base correspondant à cette ancienneté;
- les agents temporaires régis par le décret n060/540/PRESI AST
du
31 décembre 1960 et classés en 1ère, 2éme, 3ème et 4éme catégories,
ainsi que ceux régis par le décret 60-72/PRESI AST du 26 février 1960 et
classés en 7ème et 6éme catégories, sont également intégrés dans la
Fonction publique, les reclasse ments s'effectuant com me suit:
.agents titulaires de la Licence =
A2
.agents titulaires du BEP, BEI, BEC, BP, BAC =
B2
.agents titulaires du BT, BTS, BSEC, =
BI
.agents titulaires du BEPC et d'un CAP =
Cl
.agents titulaires de deux CAP de même série
Cl
.agents titulaires du BEPC ou d'un CAP =
C2
.au tres agents de 7 è me et 6è me ca tégor ie ou assim ilés = Dl
- une troisième catégorie d'agents temporaires (ceux des 5ème et
4éme catégories du décret n° 72/PRES/AST du 26 février
1960) ou
assimilés, seront soumis à des examens professionnels en vue de leur
intégration dans la Fonction publique.

384
En revanche, l'ad ministration devra cesser de recruter des agents
temporaires pour occuper les emplois permanents des quatre premieres
catégories de la loi 50/60/ AN du 25 juillet 1960 et des 6ème et 7éme
catégories du décret 72/PRES/AST du 26 février
1960 (article 8 du
décret).
Il n'y a pas de doute que les autres pays seront amenés, dans un
proche
avenir,
à
clarifier la situation juridique
de ces
agents
de
l'administration, appelés en fait à occuper des emplois permanents, à y
faire carrière et sont assujettis aux obligations propres aux personnels
fonctionnaires. Il s'agira donc soit de les intégrer pour régulariser la
situation, soit à défaut, de les soumettre pour partie aux règles de droit
public comme il en est en France, dans la mesure même où ils ne sont pas
"'v~cnus à C01~tCStCt les âillénâgçi'li€üts
qüe l'autorité adnllnistrativ~e juge
utiles d'apporter à leur situation dans l'intérêt et pour les besoins du
service .
Il n'est d'ailleurs pas certain que le juge ad ministra tif africain refuse
sa compétence en cas de rupture irrégulière du "contrat", son homologue
français ayant jugé qu'en la matière, ce sont les régIes du droit public qui
s'appliquent et que l'administration était tenue de réintégrer l'agent et de
reconstituer sa carrière rétroactivement!.
2-) En ce qui concerne les collaborateurs bénévoles
En Afrique, autant l'agent temporaire n'est pas temporaire, autant le
cnl13hnratPIII"
hpnpvnlp
n'p~t
r~~
un
bénévole.
Ce~t
I.lne
première
différence avec la France. La seconde tient au fait que la situation des
agents bénévoles n'est régie par aucun texte alors qu'en France cela revêt
un caractère exceptionnel.
1 Conseil d'Etat, 1er juin 1956, Leroux.

385
Les collaborateurs bénévoles sont trés nombreux en Afrique pour
deux raisons: d'abord, le manque de personnel, conjugué à la faiblesse des
ressources budgétaires, pousse l'ad ministration à recourir au bénévolat: la
tâche administrative se trouve menée sans frais; ensuite, le favoritisme:
l'autorité ad ministration, soucieuse de trouver un emploi à un parent, un
ami, commence à utiliser ses services en vue de motiver un besoin
prochain de recrutement. Le bénévolat apparaît alors com me la première
étape à l'intégration, soit à titre d'agent temporaire, soit en qualité de
fonctionnaire.
Selon le Conseil d'Etat français
l'ad ministration est responsable des
dommages que peuvent subir les collaborateurs dans le cadre de leurs
fonctions et cette responsabilité est fondée sur le risque t. La réparation est
automati4ut:, <1 lHOiU:i lïuut: IGlu~e perso1lnelle ou si l'aulllinislration peUL
se prévaloir d'un cas de force majeure 2 ; l'administration utilisatrice est
responsable vis-à-vis des tiers des actes du collaborateur bénévole tout le
temps durant de sa participation à l'exécution du service public3.
Il sera donc nécessaire pour les administrations africaines de régler
dans un sens comme dans l'autre la situation de cette catégorie d'agents au
lieu de l'ignorer au plan législatif.
Ainsi, la Fonction publique qui est le premier élément nourricier du
contentieux administratif de par son importance à la fois quantitative et
qualitative toujours croissante, est la meilleure garantie du renforcement
du contrôle juridictionnel de l'administration africaine.
Paragraphe II : Les institutions juridiques
L'assimilation des institutions publiques de l'ex-métropole s'est
accompagnée
nécessairement
de
l'adoption
de
l'élément nourricier
1 Conseil d'Etat, 30 novembre 1945, Faure.
2 Conse il d 'Eta t. 24 juin 196 l, Chevalier.
3 Conseil d'Etat, 21 octobre 1949, Mutuelle du Man.

386
desdites institutions qu'est le droit moderne. Mais ce droit moderne
importé recouvre deux réalités juridiques distinctes qui sont le droit privé
d'une part et le droit public de l'autre. Ce dualisme juridique est un facteur
incontestable du développement du contentieux administratif. A ce facteur
s'ajoutent deux autres non moins importants et qui sont le développement
de la législation et l'importance du
pouvoir réglementaire dans les
nouveaux Etats.
A) Le dualisme juridique
Il a été souvent dit que l'unification du droit était nécessaire au
développement économique et politique des nouveaux Etats. Peut-être.
Mais cette unification, est-il besoin de le préciser, ne doit point s'entendre
en Afrique l:Ulllllle Ull mdange exan Liu Liroit publil: el Liu droit privé! EHe
ne vise que la règle de droit moderne avec la règle de droit traditionnel,
dans la sauvegarde de l'autonomie de la règle de droit public.
Le dualisme juridique apparaît alors comme un acquis dont le bien-
fondé ne saurait être remis en cause. D'ailleurs, l'unicité de la règle de
droit, elle même plus adaptée dans les pays à institutions coutumières
comme la Grande Bretagne (encore que les exceptions au principe de
l'unicité y sont nombreuses i) est quasi impossible dans les autres.
La coexistence de deux droits n'est pas seulement un fait vécu, mais
également un fait voulu et souhaitable pour les nouveaux Etats. Le droit
public est appelé à survivre et à se développer et cela pour trois (3)
raisons: dabord, 8. çau~e de l'aliénation dont le légi~lateur africain a été
l'objet; formé à l'école de l'ex-métropole, celui-ci est plus soucieux d'une
juste adaptation du droit importé aux réalités locales qu'enclin à le mettre
en cause. Le civiliste et le publiciste ont chacun l'ambition de défendre sa
branche de droit; ensuite, à cause de la puissance qu'accorde le droit
public à l'Etat interventionniste ou développeur. A la vérité, soumettre

387
l'Etat, personne morale chargée de l'intérêt général, au même droit que les
particuliers, dans des pays où tout reste à faire et tout de suite, c'est ni
plus ni moins que chercher à l'affaiblir, à le vulnérabiliser. Si la volonté de
l'Etat transcende celle des individus composant le groupe, elle ne saurait
s'exprimer et s'exécuter dans les formes communes: à quoi servirait
finalement d'être l'Etat si c'est pour être obligé d'agir et de répondre de
ses actes comme une chétive individualité! Le droit public est à l'Etat ce
qu'est le bâton de commandement au prince!
Ce point de vue est d'ailleurs confirmé, quoique de façon paradoxale,
par les tenants de l'unicité de la règle de droit applicable. Dicey y trouvait
le fondement majeur de la démocratie réelle: en mettant l'Etat à un pied
d'égalité avec l'individu, les libertés
démocratiques
de celui-ci ne
pouvaienL 0Lrt: liluüèt::; par it: uèpiuiemelll dt: ia puissance de cdui-Ià. SaiL.
Mais si cela paraît convenir à des pays où l'économie est le fait de
l'initiative privée, il n'en est pas de même pour les nouveaux Etats où
l'économie et l'unité nationales restent à faire, où l'étatisation semble être
la meilleure expression moderne du collectivisme traditionnel.
L'Etat serviteur de tous doit être un serviteur au-dessus de chacun,
donc disposer de prérogatives que seul le droit public est susceptible de
conférer: enfin, à cause du rôle formateur du droit public dans les Etats
sans nation, le droit moderne, dune façon générale, est considéré comme
un accoucheur de société moderne. L'erreur en la matière consiste à
attribuer ce rôle exclusive ment au code napoléonien, c'est-à-dire au droit
ci~/il. En effet, C1i ~ l'h~bit~dc de p~~~c~ :Jous silc~cc les difficultés que le
droit privé occidental rencontre à se substituer aux coutumes: comment
par exemple concilier, par la codification, le système patriarcal et le
système matriarcal qui coexistent à l'intérieur d'un même pays? S'efforcer
d'uniformiser le droit en pareille matière, c'est faire œuvre inutile dont les
résultats tiendront uniquement en des lois de vitrine.

388
Le droit public au contraire a l'avantage de la nouveauté, du jamais
vu ; parce qu'il est le droit de l'Etat et parce que l'Etat est anonyme, il
prépare psychologiquement le nouveau citoyen au commerce juridique
moderne. Deux exemples pris en matière de responsabilité illustrent cette
vue théorique. Le premier exemple concerne la responsabilité de la
puissance
publique
pour
les
accidents
causés
par
les
véhicules
administratifs
; l'expérience
a
montré
que
devant
un
accident de
circulation causé par un véhicule privé, la victime répugne à traduire le
coupable devant le juge ordinaire: "C'est un frère, c'est un accident, ça
devrait arriver, c'est honteux de réclamer de l'argent pour ça, surtout que
je ne suis pas mort" Voilà le refrain traditionnel, pure expression de la
philosophie
traditionnelle.
En
revanche,
lorsque
le
véhicule
est
administratif, un sentiment prolond touche la victime quelle na pas
affaire à un frére, mais à cet être invisible appelé Etat dont il ne perçoit
l'existence qu'à travers l'impôt, les taxes, les lois et règlements. Et le fait
pour lui de se porter devant un autre juge (juge administratif) que celui
qu'il connaît d'ordinaire
(le
juge
judiciaire) le
réconforte
dans
ce
sentiment.
En soumettant par conséquent cette responsabilité de la puissance
publique à l'appréciation du juge administratif, selon une procédure
particuliére, c'est un considérable changement de mentalité qui est rendu
possible, Les résultats du contrôle juridictionnel de l'ad ministration, tels
que présentés en haute-Volta, démontrent non seulement que les recours
de pleine jüridictiOîi sont très '·"(èS, lù,ils encore èt surtout qu'ils sont le
fait d'une élite: sociétés, fonctionnaires, hom mes d'affaires.
Le second exemple peut être pris des accidents dûs aux services
hospitaliers; en Afrique en général, en Haute-Volta en particulier, il ne
viendra à l'esprit de personne de réclamer devant le juge la réparation du
préjudice subi du fait de l'administration hospitalière. Les ayants droit

389
d'une victime de mauvais soins médicaux (et les cas sont fréquents en
brousse), même si la faute du service public est démontrée, se refuseront à
une action récursoire: "C'est argent ne pas ressusciter mon mort
c'est
scandaleux de profiter d'une circonstance tragique pour s'enrichir
Dieu
avait fixé ce jour; etc... ".
Cette attitude s'explique : la victime ou ses ayants droit pensent
avoir affaire au médecin, à l'infirmier; et chercher réparation du préjudice
subi, c'est nier en un seul jour tous les services, tous les soins, toutes les
aides rendus par l'agent pendant des années 1 Et combien de victimes, de
parents de victimes, se sont au contraire obligés à faire des dons à l'agent
coupable pour lui manifester leur reconnaissance de s'être occupé, comme
il pouvait, de la victime! En élargissant par conséquent la responsabilité
de la puissance publiq ue, en sou mettant son appréciation à des règles et à
une
procédure exorbitante du
droit commun, on tend à leur faire
comprendre l'action administrative elle-même et l'administration en sus.
Le droit public, en définitive, est un moyen d'éveiller la conscience
léthargique de l'homme traditionnel parce que les règles du droit public
ont la vertu de le dresser devant l'Etat, en citoyen à part entière.
D) Le développement de la législation
Les pays pauvres sont ègalement des pays où beaucoup de secteurs
de la vie nationale ne font pas encore l'objet de réglementation. Cela se
comprend aisément: l'Etat ne pouvant en fait promouvoir tous les
secLeurs, il He lé15ifére <.jue uans ceux qui SUlU programmes pour ses
actions. Les autres constituent des terrains vierges ou en jachère. Fort
heureusement, ces champs incultes tendent à s'amenuiser d'année en
année. Il y a d'abord à cela, le développement économique et social des
pays qui, quoique lent, n'en est pas moins réel et irréversible, malgré le
désordre monétaire, la crise de l'énergie, la détérioration des termes de

390
l'échange.
Ensuite,
il
y
a
l'instauration,
dans
tous
ces
pays,
de
gouvernements forts; or, précisément, les assemblées ne légifèrent que
lorsqu'elles sont fécondées par des exécutifs puissants. Enfin, il yale
passage généralisé des régimes d'exception à des régimes constitutionnels.
Au
total,
les
dix
prochaines
années
verront
en
Afrique
l'affermissement du principe de la légalité, du bloc de la légalité. Les
conséquences attachées à la hiérarchie des régIes de droit joueront de
façon considérable sur le contentieux de la légalité et de l'interprétation.
Quant au contentieux de la réparation, il dépendra énormément de la
situation économique des pays, en ce sens que plus l'Etat sera en mesure
de fournir des prestations, plus sa responsabilité sera engagée. On peut
évoquer ici la législation sur les vaccinations obligatoires: en Haute- Volta,
c'est une décision du
17 nove mb re
1960 qui a rend u ob lig a toire la
vaccination antituberculeuse par le vaccin B.C.G. en scarification
pour tous
les nourrissons nés dans une maternité ou fréquentant les consultations
prénatales,
pour
toute femme
accouchant
dans
une
maternité
(et
présentant une cuti-réaction à la tuberculose négative), pour tout enfant
fréquentant un établissement scolaire public ou privé subventionné par
l'Etat.
Les certificats constatant l'existence d'une contre-indication médicale
à une vaccination antituberculeuse par le B.C.G. sont obligatoirement
établis ou visés par les médecins-chefs des maternités ou les médecins
inspecteurs des écoles. Voilà un cas de responsabilité de la puissance
publique qui ne peut être mis en œuvre et ne l'a jamais été pour des
raisons évidentes quatre enfants sur dix naissent actuellement dans des
maternités; treize enfants sur cent
sont effectivement scolarisés chaque
année; les vaccins manquent.
Autrement dit, c'est quand l'Etat sera en mesure de scolariser les enfants,
d'ouvrir des maternités dans tout le territoire national, de former des

391
médecins, de s'approvisionner en vaccins que la présente décision sera
exécutée et les conséquences de cette exécution tirées.
C) Le développement du pouvoir
réglementaire
Longtemps considéré comme un monopole de l'administration, le
pouvoir régIe ment aire a connu une évolution au plan organique et au plan
for mel.
1) Au plan organique
Le pouvoir réglementaire, à l'intérieur de l'administration, appartient
au Chef de l'Etat ou du gouvernement, au préfet et au maire. Il peut
appartenir également aux personnes privées.
a) Le pouvoir réglementaire dans
I"ad ministration
Dans les cinq Etats membres du Conseil de l'Entente, le Chef de l'Etat
est la piéce maîtresse du régime. En dehors de la Haute-Volta, qui s'est
dotée d'un régime parlementaire, les quatre autres Etats connaissent le
régime
présidentialiste
Encore
que
dans
ce
premier
pays,
le
parlementarisme est de façade
; la constitution présidentielle l'emporte de
loin sur la constitution parlementaire, puisque le Chef de l'Etat, nommé au
suffrage universel pour cinq ans (article 13 de la constitution), définit les
oflentations genera1es de la politique de la nation (article 12, alinéa 7 J,
nomme le Premier Ministre et met fin à ses fonctions dans l'intérêt
national ou sur présentation, par le Premier Ministre de la démission du
gouvernement, nomme également les autres membres du gouvernement
et met fin à le ur s fonctions (article 22), préside le Conse il des Ministres
(article
23),
détient
des
pouvoirs
de
crise
(article
30),
Selon
la

392
jurisprudence du Conseil d'Etat, les mesures prises par le Président de la
République dans le cadre de ces pouvoirs de crise ont, soit valeur
législative, soit valeur réglementaire, selon qu'elles relévent en temps
normal du domaine de la loi et du règlement!;
En Haute-Volta toujours, le pouvoir réglementaire est partagé avec le
Premier Ministre, chef du gouvernement. L'article 52 de la constitution
stipule qu"'il assure l'exécution des lois et des décisions de justice; il
exerce
le
pouvoir
réglementaire
et nomme
aux
emplois
civils et
militaires.". Le pouvoir régie mentaire de l'exécutif se trouve aussi élargi
par la distinction entre un domaine de la loi et un domaine du règlement
d'une
part
et
d'autre
part
par
l'importance
de
la
technique
de
l'ordonnance .
Concernant
la
loi
et
le
règlement,
dans
les
constitutions
parlementaires
comme
présidentielles
(seul
le
Niger
n'a
pas
de
constitution), la distinction entre les deux domaines a été introduite par
assimilation de la constitution française du 4 octobre 1958. Dans les
matières qui lui sont réservées, la loi n'a pas la même portée; tantôt elle
va jusqu'au détail en fixant les règles, ne laissant à l'exécutif qu'un pouvoir
réglementaire commis, appelé à mettre en œuvre la loi préexistante. Ainsi,
en Haute- Volta, la loi fixe les règles concernant:
- la citoyenneté, les droits civiques et les garanties fondamentales
accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques;
- la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes
matrimoniaux, les successions et les libéralités;
- la procédure selon laquelle les coutumes seront constatées et mises
en harmonie avec les principes fondamentaux de la constitution;
- la détermination des crimes et délits, ainsi que les peines qui leur
sont applicables, la procédure pénale, l'amnistie;
1 Conseil d'Etat, 2 mars 1962, Rubin de Servens.

393
- l'organisation des tribunaux judiciaires et administratifs, et la
procédure suivie devant des juridictions, le statut des magistrats, des
officiers ministériels et des auxiliaires de justice;
- l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions
de toute nature;
- le régime d 'é mission de la monnaie ;
- le régime électoral de l'assemblée nationale et des assemblées
locales;
- la création de categories détablissements publics;
- l'état de siège et l'état d'urgence.
Tantôt, la loi se borne à fixer les principes fondamentaux. Le
règlement pris pour l'exécution d'une telle loi n'est plus un simple
règlement d'exécution des lois, mais un règlement autonome de seconde
espèce l , quoique subordonné à ladite loi.
En Haute-Volta, les matières où la loi détermine les principes
fondamentaux sont plus importantes; elles concernent;
- le statut général de la Fonction publique;
l'organisation générale de l'ad ministra tion
- l'intégration des valeurs culturelles nationales;
- l'organisation de la défense nationale;
l'enseignement et la recherche scientifique
- le régime de propriété, des droits réels et des obligations civiles et
commerciales;
- le droit du travail, le droit syndical et les institutions sociales;
- l'aliénation et la gestion du domaine de l'Etat;
- le régime pénitentiaire;
- la mutualité et l'épargne;
- l'organisation de la prod uction
1 Conseil constitutionnel, 27 novembre 1959, prix des baux à ferme.

394
- le régime des transports et des communications;
-
la libre
administration
des collectivités
territoriales,
leurs
compétences et leurs ressources.
Les matières autres que celles du domaine de la loi ont un caractère
réglementaire (article 70 de la constitution voltaïque du 13 décembre
1977). On a affaire ici au règlement autonome qui, bien qu'étant une loi au
sens matériel, reste soumis à la loi et aux principes généraux de droit l ,
S'agissant de la technique de l'ordonnance, l'ordonnance est un texte
de force législative. Elle demeure
un acte administratif jusqu'à sa
ratification 2 Comme telle, la technique de l'ordonnance ira en croissant en
Afrique pour deux raisons : la première tient à l'instauration quasi
généralisée d'institutions "démocratiques", c'est-à-dire au retour à des
pouvoirs constitutionnels. Dans le cadre du Conseil de l'Entente, seul le
Niger vit sous un régime d'exception; la seconde est liée à la primauté de
la législation économique dans les Etats africains, précisément en une
matière que les parle ments, pour des raisons diverses (incompétence,
temps, etc.. ,) préfèrent confier aux gouvernements. c'est ainsi que les plans
de développement sont exécutés par ordonnance sur habilitation du
parlement (cas du plan quinquennal voltaïque 1977 - 1981).
b) Le pouvoir réglementaire chez les
personnes privées
En France, la dévolution du pouvoir réglementaire à des personnes
privées a été très remarquable. Le Conseil d'Etat l'a admise pour des
organismes en raison des prérogatives de puissance publique qu'ils
utilisent (ordres professionnels, comités d'organisation professionnelle
pour le commerce et l'industrie) ; il l'a même reconnue à des organismes
1 Conseil d'Etat, 26 juin 1959, syndicat des ingénieurs conseil;
28 octobre 1960, Martial de Laboulaye,
2 Conseil d'Etat, 24 novembre 1959, fédération des syndicats de police,

395
manifestement privés pour la mission de service public qu'ils poursuivent
(organisation professionnelle agricole, groupements de défense contre les
ennemis de la culture, service public à caractère industriel et commercial).
En
Afrique,
le
pouvoir
réglementaire
reste
un
monopole
de
l'administration, Mais l'évolution sera plus rapide qu'en France parce que,
face à l'initiative privée autochtone naissante, l'Etat sera "heureux" de
décharger une
partie de ses responsabilités aux personnes privées
poursuivant une mission de service public et de leur octroyer des
prérogatives de puissance publique
Ainsi, en Haute-Volta, il existe une législation sur les ordres
professionnels alors qu'il n'y a pas encore un seul ordre professionnel de
créé, faute de membres en nombre suffisant (ordre des médecins, des
architectes, des pharmaciens, des avocats) ; en 1979, un projet de loi
portant création de l'ordre des experts comptables et des comptables
agréés n'a pu aboutir parce qu'il n'y avait que quatre
personnes
intéressées dont aucun n'était titulaire du diplôme d'expert comptable!
2) Au plan formel
Le règlement administratif prend des formes diverses
circulaires,
instructions, actes-types,
La circulaire et l'instruction sont les
moyens par lesquels les
Ministres exercent le pouvoir réglementaire. Et en Afrique, les Ministres
en abusent considérablement. Le juge administratif voltaïque a maintes
occasions d'apprécier les circulaires réglementaires, c'est-à-dire, selon lui,
celles qui imposent des obligations nouvelles aux particuliers, non prévues
par la loi ou le règlement
le contrôle en matière de circulaires
réglementaires est très sévère
L'importance
des
actes-types tient essentiellement à celle
du
domaine privé de l'Etat qui fait l'objet de concessions. La loi 77-60 du 12

396
juillet 1960 réglementant les terres du domaine privé de l'Etat voltaïque
distingue
entre
les
concessions
rurales,
urbaines,
industrielles
et
commerciales. Chaque catégorie de concession connaît un cahier de
charges-type contenant les obligations du concessionnaire et les sanctions
encourues en cas de violation de ces obligations.
La loi 29/63/ AN du 29 juillet 1973 autorisant le gouvernement à
réserver pour l'Etat une part des terres ayant fait l'objet d·aménagements
spéciaux et à déclarer comme biens de l"Etat les terres peu peuplées ou
éloignées des agglomerations prevoit également un bail-type pour les
terres à vocation agricole, susceptible de faire l'objet de concession: "Les
terres à vocation agricole pourront en tout ou partie être données à bail ou
faire
l'objet
de concessions
à
des
particuliers,
à
des
collectivités
traditionnelles ou à des sociétés coopératives ou autres en vue de leur
exploitation. Un décret établira le bail-type contenant les conditions
générales auxquelles seront soumis dans tous les cas les fermiers·· (article
7 de la loi).
En définitive, le pOUV01r réglementaire, en raison du regain du
constitutionnalisme, la multiplication des personnes morales de droit
public, des formes mêmes du régIe ment, est assuré d'un prodigieux
développement qui aura des répercussions quantitatives et qualitatives
sur
la fonction
de
contrôle
juridictionnel.
A côté
de
ce
pouvoir
réglementaire normal, il yale pouvoir discrétionnaire qUi connaît une
grande extension en Afrique, notamment en matiére de fonction publique.
Ce
pouvoir
discrétionnaire,
trés
considérable
dans
les
régimes
partocratiques,
n·est
pas
non
plus
absent
dans
les
démocraties
multipartisanes comme la Haute-Volta. Il arrive très souvent que les
nominations ou des promotions (notamment reclassement) soient décidées
en Conseil des Ministres, à titre, dit-on, exceptionnel, par dérogation aux
règles de recrutement et d'avancement, en oubliant que l'exception doit

397
êt.re prévü,;; fJêl( uù k ..I.lt: ; Ct::> uUllùuaLions Jt: [av'eur onL t::nLrainé Ullt;
confusion totale d ans la Fonction Publiq ue de Haute- Volta et la réfor me,
entamée depuis 1974 pour adapter le droit de la Fonction Publique aux
réalités, est rendue impossible jusqu'à nos jours.
En conclusion, le rôle des facteurs et futurs du développement du
contentieux administratif est appréciable si l'on ne passe pas sous silence
le fait incontestable que depuis les indépendances, il existait un écart
entre la réalité administrative et le droit; or, cet écart, compte tenu de
l'évolution intervenue au plan politique, économique et culturel, tend
présentement à se combler. Le Président HOUPHOUET BOIGNY en était,
quant à lui, conscient de ce divorce nécessaire dés 1967 quand il déclarait
11" 25 aoüt de cette a~~ée :i Ma~tré:ll : "L':ldoptia~ officielle des structures
juridiques modernes, des cadres institutionnels nouveaux, fournit à tous,
l'image de la vie sociale de demain; l'écart entre la réalité d'aujourd'hui et
les actes du législateur indique la direction dans laquel1e doit s'engager
l'effort de tous".
Demain, c'est aujourd'hui: les institutions-programmes doivent être
dorénavant des programmes d'institution à mettre en œuvre. Et en
matiére de contrôle juridictionnel de l'administration, des réformes sont
inévitables en vue de concilier le droit aux nouvelles données ...

398
CHAPITRE DEUXIEME
DES REFORMES INEVIT ABLI~
Le système de contrôle juridictionnel de l'ad ministration devra être
repensé dans trois directions, à savoir l'organisation de la juridiction, ses
compétences et la procédure contentieuse applicable. Ces réformes sont
rendues possibles et souhaitables parce que d'une part, les contraintes qui
ont
présidé
à
la
mise
sur
pied
du
système
au
lendemain
des
indépendances n'existent plus ou ont perdu leur importance et, d'autre
part,
parce
que les citoyens
des
nouveaux
Etats,
après vingt ans
d'indèpendance, ont acquis une connaissance plus approfondie des devoirs
de l'Etat autant que de leurs droits et que le pouvoir charismatique, pour
avoir perdu sa vertu de
mobilisation inconditionnelle, établit entre
l'administration et l'administré un commerce juridique tout nu, absent de
toute docilité ou sou mission aveugle.
Ces réformes, au demeurant, paraissent de bonne politique: il s'agit
d'adapter le droit au fait, c'est-à-dire aux aspirations des hommes; or,
dans des pays où la contestation du chef se fait de plus en plus jour, il
importe que la justice administrative en soit le cadre d'expression, elle
seule pouvant exorciser le démon de l'opposition active ou passive et,
partant,
désamorcer tout bouleversement brutal, étant entendu que toute
révolution n'est que la résultat d'un divorce entre le droit en vigueur et les
aspirations populaires.
Ceci dit, les réformes a opérer ne peuvent pas être envisagées de
façon identique pour tous les cinq Etats membres du Conseil de l'Entente.
On
devra
tenir
compte
pour
chacun
d'eux,
du
niveau
de
son
développement politique, économique, social et culturel. Un fond commun
pourrait être constitué par la sauvegarde de certains principes généraux
de procédure et la nécessité d'approcher la justice administrative des
justiciables, dans la stricte indépendance du juge.

399
Section 1 : L"organisation de la juridiction
A
travers
une
réforme
organisationnelle
de
la
juridiction
administrative, c'est un ensemble d'objectifs qui doivent être recherchés
par des voies et moyens adaptés au nouveau contexte des pays concernés ...
paragraphe 1 : Les objectifs à atteindre
Le systéme de contrôle juridictionnel de l'administration, mis en
place au lendemain des indépendances, présente quatre inconvénients
majeurs; l'autonomie du droit administratif est menacée, le double degré
de juridiction qui constitue une garantie pour les justiciables est méconnu,
l~
compétence
...,..-J ........ ; ..... ;,..+ ........ t;ç
u'uUJ.J. ..U.l,.)L.J.
'-"L..l.l
laisse
à
désirer,
la
justice
administrative,
parce que centralisée, n'est ouverte
de fait
qu'aux
citadins ...
A) L"autonomie du droit administratif
Adopter les institutions publiques de l'ex- métropole, dans leur fond
autant que quasiment dans leur forme et faire application sur ces mêmes
institutions du droit commun revient à la vérité à élever un édifice
important sur du sable. Il est facile de comprendre ceux qui s'interrogent
sur l'utilité
du
dualisme
juridique, qui ne lui reconnaissent que
complexification
des
problèmes
administratifs
et
lenteurs
dans
J'administration cie 1<1 jll<;tiŒ
rp<;
~r~lImpnt<; np <;ont [1<1<; tOlit ~ [<lit [all\\'"
Seulement, à ne voir que cet aspect des choses, à précher l'unicité comme
la solution idéale, n'est-ce pas en fait sacrifier l'utile à l'agréable et
prendre l'ombre à la place du corps? Si le dualisme est aussi cela, il reste
qu'il permet d'établir avantageusement une ligne de démarcation entre la
personne publique et la personne privée, entre l'intérêt général et l'intérêt
particulier et ce n'est pas son moindre mérite. Le droit de la personne

400
publique accurl.Îe a celle l.Îerniere aUlant de Hbene daclion que de
garantie
des
droits
aux
individus.
Une
uniformisation
éventuelle
(nécessairement à l'avantage du droit commun) nuirait énormément à
l'Etat
développeur
; l'unicité
juridique
l'affaiblirait
une
unicité
apparemment capable de tout mais pratiquement bonne à rien, qui aurait
du goût dans le dégoût de l'amenuisement des prérogatives de la
puissance publique; en un mot, un défaut presque sans défaut.
En définitive, on ne saurait contester le fait qu'il y a de la lumière
dans l'unicité de la règle de droit applicable et... un peu d'ombre dans le
dualisme. Mais ne vaut-il pas mieux pour les nouveaux Etats marcher droit
dans l'ombre que de boiter dans la lu mière ! C'est en pleine et claire
conscience d~ ~,....,~ ro
ro
~
1' ...... :,.,.:..-;.
,--.... ':1
.........
~"""'"''''''''''''4
.1.1\\..1.1.1
,J
U . .:>
u
~
V .l.u...... .l L.I",..
y. U 11 .1. u. U L UU.L.1.1.1,,",!
ün sens ûu dualisme .
Malheureu se ment,
certaines
for mule s
d'organisation
de s
compétences attentent directement au dualisme juridique. En Côte d'Ivoire
et au Niger, ce sont les tribunaux ordinaires qui sont juges en premier
ressort et en appel du recours de pleine juridiction; ils doivent faire
application des régies de droit public dans les litiges où une personne
publique est partie. Et l'on sait que les tribunaux ordinaires ne reçoivent
pas cette compétence
de
gaieté
de
cœur 1. Et ils ont raison : "... La
responsabilile qui peut incomber à l'Etat pour les dommages causés aux
particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le service public
ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le code civil pour
le~ rapport~ rie fl<lrtirillier ;'1 f\\;lrtirlliier:
rette respnns;lhi1ité n'e~t ni
générale ni absolue; ... elle a ses règles spéciales qui varient suivant les
besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l'Etat avec les
droits privés; ... dès lors, l'autorité administrative est seule compétente
,
"2
pour en connallre...
.
1 Cf. Société des centaures routiers, précité.
2 Cf. Tribunal des conflits, 8 février 1873, Agnés Blanco.

401
Le Juge Judiciaire appliquant le droit exorbitant du droit commun ne
saurait assurer au droit public son développement normal. Or, le droit
administratif
est
d'essence
jurisprudentielle.
Il
conviendrait
par
conséquent
de
préserver
cet
outil
indispensable
de
l'activité
administrative en confiant le contrôle juridictionnel de l"administration à
un juge spécial et spécialisé, c'est-à-dire compétent.
B) La compétence des Juges
Le dualisme juridique n'aurait pas de contenu et la spécialisation
fonctionnelle resterait un vain mot en l"absence de magistrats formés pour
juger des actes de l"administration.
cG.i~tr61G, le jügG adrrrl:G.lstratif ne sc
borne pas à appliquer la loi: il crée des normes et proclame les principes
généraux de droit.
Le juge crée des normes d'abord en se substituant au législateur
carent. Or, le contexte africain se prête parfaitement à ce rôle parce que
tous les secteurs de la vie nationale ne sont pas encore régis par des textes
et parce que le législateur africain est plus attaché à l"animation des
masses, donc à sa fonction politique qu'aux institutions elles-mêmes. Le
juge crée des normes ensuite en interprétant la règle de droit existante. Là
encore, le rôle du
juge est indispensable en Afrique
parce que le
législateur manque de maîtrise: les textes ne sont pas des chefs d'œuvre
Haute-Volta, de rencontrer des situations pour le moins qu'on puisse dire
aberrantes, tel un texte législatif ou réglementaire en appelant aux
dispositions d'un texte législatif antérieur qui est lui-même abrogé par un
autre texte!
Les normes jurisprudentielles, on le sait, constituent une source de
droits et d'obligations; elles sïmposent à l"administration, car elles ont une

402
valeur inÎra leglslatlve malS supra decretale. Cette importance des normes
jurisprudentielles, leur place dans la hiérarchie des règles de droit,
commandent que le juge qui en est l'auteur soit apte, de par sa formation,
à exercer cette fonction "législative secondaire",
Mais il n'y a pas que les normes jurisprudentielle qui soient le fait du
juge administratif; il Y a également les principes généraux de droit qui
sont des règles non écrites, dégagées par le juge à travers les textes et qui
les impose en sanctionnant notamment les actes qui les violent.
Dans "Société des Centaures Routiers" du 14 janvier 1970 précité, le
juge administratif ivoirien a indiqué clairement qu'il entend faire
application des principes généraux de droit avec l'un de ses considérants:
légalement
pour
effet
de
déroger
aux
principes
qui
régissent
la
responsabilité de la puissance publique",
Si les principes généraux de droit sont adoptés comme sources de
légalité, n'est-ce pas que le juge qui les "proclame" doit présenter toutes
les garanties de compétence! Malheureusement encore, cette compétence
professionnelle n'est pas assurée dans tous les pays concernés. Il n'existe
nulle part un corps de magistrats administratifs (ce corps est prévu par les
textes voltalques). Les conseillers membres de la cour suprême sont des
magistrats de l'ordre judiciaire, soumis au même statut que les magistrats
des tribunaux ordinaires et au conseil supérieur de la magistrature. Sans
dnute,
nrr
~
'unl,111
rnf"ltr"~h~l-::lf"'lr~r" 1';1
nrprlnm1f"'l-::lf"lr~
-
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_ .
-
' - '
~~
~ L
~
- . '
~~
- ,
'
. .
,
L-' ..
....,
'-'
'-'
judiciaire
de 12
composition
de
la
juridiction
administrative
en
adjoignant
des
fonctionnaires de l'ad ministration active, Mais il n'est pas certain que cette
combinaison porte les effets escomptés. Il semblerait plus indiqué de
radicaliser la solution en créant un corps de magistrats des tribunaux
administratifs dont les membres seraient recrutés à un niveau élevé de
formation. En tout cas, il n'est pas exagéré d'insister sur la formation des

403
juges administratifs. Déjà, en Haute- Volta par exemple, les magistrats sont
en nombre insuffisant; il Y a deux ans, le Ministère de la justice a été
obligé de dépêcher une délégation dans les universités africaines et
françaises pour susciter des vocations chez les étudiants: les résultats se
font encore attendre! Par ailleurs, les magistrats licenciés en droit font
figure d'exception; les besoins du pays, au lendemain de l'indépendance,
ont poussé à recruter les magistrats au niveau de greffiers en chef ou
greffiers qui ont reçu une formation de courte durée, c'est-à-dire juste de
quoi tenir le rôle! Cette pénurie de magistrats en quantité et en qualité
n'est sans doute pas étrangère au fait que la présidence de la chambre
judiciaire et de la chambre administrative voit assurée depuis 1960 à nos
jUUfS p<1f Ull WUpèl<11lL fraw,:<1is i Il [aul ajouter, pour ie cas particulier du
Bénin, que la nouvelle organisation judiciaire prévue par la constitution de
1977 porte gravement atteinte à la compétence du juge administratif. En
effet, la cour populaire centrale qui remplace la cour suprême se compose
de juges professionnels nommés par le conseil exécutif national après avis
du comité permanent de l'assemblée nationale révolutionnaire, de juges
populaires
non
professionnels
désignés
par
l'assemblée
nationale
révolutionnaire sur proposition du comité central du Parti de la Révolution
Populaire du Bénin sur la base de la bonne moralité et de la conviction
politique
révolutionnaire, et d'autres
membres
désignés
selon
les
nécessités du service. Au niveau provincial, c'est le tribunal populaire de
.
.
prO\\TlnCe
q!Ji
o
C' t
("'n no"'" t"'\\ r. t n ..... t
n .....
.... ..., . . . . . . '-..J.L.L.Lt-" ......
L- .... .L.L1o.-
.... .L.L
comprend également des juges professionnels et des juges populaires non
professionnels élus pour trois ans renouvelables par le conseil provincial
de la révolution. La juridiction ad ministrative risq ue sérieusement de
gagner en caractère politique ce qu'elle perdra en caractère technique.

404
Cl L"accès des justiciables à la justice
administrative
Au lendemain des indépendances, la centralisation constatée de la
justice administrative était liée à la centralisation ad ministrative elle-
même, La juridiction administrative siégeait dans la capitale parce qu'elle
n'avait pratiquement à connaître que du contentieux de la fonction
publique. Mais dans la mesure où la décentralisation administrative est de
plus en plus réalisée, que tous les citoyens ont la possibilité d'élire ou
d'être éligibles pour gérer les affaires d'intérêt local, la centralisation de la
justice administrative ne trouve plus de raison d'être, Au contraire, elle
doit
s'adapter
à
la nouvelle
décentralisation en
tant
que
support
indispensable ae l action admmlstratlve,
Jusqu'ici, les pouvoirs publics ont manifesté leur souci d'accompagner
tout
nouveau
décou p age
ad ministra tif
d'une
nouvelle
org anisation
judiciaire: la création d'un nouveau départe ment est tou jours allée de pair
avec la création d'un tribunal d'instance, Par
contre, l'organisation
territoriale de la justice administrative n'a jamais présenté un caractère
d'absolue nécessité. Il s'agit là d'une contradiction qui a besoin d'être
absorbée de façon féconde si peu que le rôle et la place de la justice
administrative, aux termes actuels de révolution survenue depuis 1960 à
nos jours, soient appréciés à leur juste valeur. En tout état de cause, il y a
que la centralisation en matière de justice administrative institue une
discriffiir..ûtiû~~ de iûi~ entcc ci~~JÜ15 ct rÜraUA , les frais de justice étant
plus élevés pour les seconds que pour les premiers. Ainsi, un justiciable
habitant Koudougou (3ème ville de Haute-Volta, à 100 kms de la capitale
par chemin de fer) aura à dépenser, pour assister à l'audience de la
chambre administrative, un supplément de 4000 F CFA minimum par
rapport au justiciable domicilié au siège de la juridiction, Or, le revenu par
habitant et par an est de 23.500 F. S'il Y a un acte du préfet, du maire ou

405
du sous-préfet à attaquer, il sera toujours obligé de faire le voyage
pendant que ces autorités seront représentées par la direction générale du
contentieux d'Etat, rattachée à la primature : la justice ad ministrative est
par conséquent injuste pour les administrés de la "brousse".
D) Le principe du double degré de juridiction
Le système actuel de contrôle juridictionnel de l'administration est
remarquable par la méconnaissance du principe du double degré de
juridiction, En Haute-Volta et au Bènin, la chambre administrative connaît
du recours pour excès de pouvoir et du recours de pleine juridiction en
premier et dernier ressort; la seule correction apportée au système rèside
dans la laculte lalssee au requérant de faire opposition (Haute-Volta) ou à
un tiers intéressé à la décision de justice de faire une tierce opposition
(Bénin).
En Côte d'Ivoire et au Niger, le
principe de
double degré de
juridiction n'est respecté qu'en ce qui concerne le recours de pleine
juridiction, les décisions des trib unaux d'instance pouvant faire l'ob jet
d'appel devant la cour d'appel et de cassation devant le chambre
administrative, En revanche, le recours en annulation est connu en
premier et dernier ressort par la chambre administrative, Au Togo, le
recours pour excès de pouvoir échappe également au principe, Le plein
contentieux seul en connaît une certaine application, car les décisions du
tt"lb unal aÛlll1111::>Ll aL1[ v~uv~m ~U~ ùd~r~~s ~ll appd ù~Ya1H la challlbr~
administrative de la cour suprême.
Ce défaut de double degré de juridiction devrait être corrigé pour
trois (3) raisons essentielles: la première tient au fait que ce principe
constitue une garantie fondamentale pour le justiciable. Dans des pays où
l'a utor ité judiciaire (et non plu s le pouvoir judiciaire) est, de notoriété
publique, soumise au pouvoir politique, le double degré de juridiction n'a

406
pas seulement pour effet de contrôler les décisions des juridictions
inférieures, mais encore et surtout de donner confiance au justiciable. C'est
ce manque de confiance en l'indépendance du juge et à son impartialité
qui explique sans doute la place réduite du contentieux administratif; la
deuxième
raison
s'origine
dans
le
caractére
technique
du
droit
administratif.
Cette
branche
spéciale
du
droit
public,
avec ses
constructions théoriques, ses principes et leurs nuances, ses subtilités de
for me et de fond, est un appareil précieux qui ne peut être laissé aux
mains du premier venu: le droit de l'administration constitue un rite qui a
ses prêtres.
La juridiction administrative africaine a par conséquent besoin de
juges compétents. Cette compétence des magistrats doit être contrôlée et le
moyen de ce contrôle réside, semble-t-il, dans le double
degré de
juridiction. On peut dire que cela n'a pas échappé totalement au législateur
ivoirien et nigérien: la chambre administrative de la cour suprême, en
matière de recours de pleine juridiction, a pour mission de vérifier l'exacte
application des règles du droit administratif par les tribunaux ordinaires!
Il est tout indiqué d'en faire autant pour le recours pour excès de pouvoir;
la troisième raison est la crèation et la multiplication des organismes
publics à caractère juridictionnel. Les ordres professionnels en donnent
une illustration: les décisions des instances compétentes ne peuvent être
contestées que devant l'instance "juridictionnelle" locale ou nationale et
c est par VOle de Jappel ou de la cassatlOn que les declslOns de l'1nstance
en question sont connues de la juridiction ad ministrative ! Les Etats
africains ont adopté ces organismes, ensemble leur statut et leur régime
juridique ; et il est étonnant qu'ils n'en ont pas tenu compte dans
l'organisation des compètences de la juridiction ad ministrative, puisque
celle-ci, notamment en ce qui concerne le recours pour excès de pouvoir,
n'est compétente qu'en premier et dernier ressort.

407
Dans ce cas, comment la juridiction administrative pourra-t-elle
connaître et contrôler les décisions administratives de ces organismes
auxquels le juge administratif français a reconnu le pouvoir réglementaire
sans avoir eu même à les qualifier?
En cette matière, le Bénin fait mine d'exception. L'article 32 de
l'ordonnance
21/PR
du
26
avril
1966
stipule
que
"la
chambre
administrative connaît en outre, comme juge d'appel, des décisions
rendues en premier ressort par les organismes ad ministratifs à caractère
juridictionnel; ces mêmes décisions, rendues en dernier ressort, sont
susceptible de cassation devant la cour suprême statuant en assemblée
plénière, la chambre constitutionnelle exceptée". Le principe du double
degré de juridiction s'impose donc, ne serait-ce que dans le souci d'adapter
le droit aux réalités présentes.
Paragraphe II : Les moyens
La mise en œuvre de tous les objectifs sus-visés est conditionnée par
une seule et même chose: la dualité des ordres de juridictions. Par elle en
effet,
le
corps
des
magistrats
de
l'ordre
administratif
devient
indispensable, d'où la formation professionnelle des magistrats est assurée
et l'autonomie du droit administratif garantie, en même temps que la
décentralisation conséquente rapproche la justice du justiciable et autorise
pour la première fois le double degré de juridiction. Mais il faut avouer
que la solution est plus facile à formuler qu'à réaliser: comment, au plan
organisationnel, asseoir la dualité des ordres de juridictions dans la
décentralisation et le respect du principe du double degré de juridiction
sans verser dans un gigantisme injustifié ? On peut envisager deux
réponses différentes, à savoir la séparation rigide ou la séparation souple
des deux catégories de juridictions.

408
A) La séparation rigide des deuI ordres de
juridictions
L'idéal serait qu'à l'instar de la juridiction judiciaire, la juridiction
administrative constitue un ordre distinct de juridictions, jouissant d'une
organisation et d'un fonctionnement interne autonome. Au sommet se
trouverait la chambre administrative de la cour suprême, puis ensuite les
tribunaux
administratifs
et
enfin
les
juridictions
spécialisées
ou
organismes publics à caractère juridictionnel pour prendre la terminologie
béninoise.
La chambre administrative serait compétente, en premier et dernier
ressort en ce qui concerne le recours en annulation pour les actes des
autorités administratives supérieures (Président de la République, Premier
Ministre) d'ordre réglementaire ou d'ordre individuel (nomination dans la
haute fonction publique) ; et en ce qui concerne le recours en réparation,
pour les litiges où le montant de la réparation égale ou dépasse 500.000 F
CF A ; en appel, des décisions rendues par les autres juridictions en premier
ressort et
en cassation, de ces mêmes décisions rendues en dernier
ressort.
En ce qui concerne les tribunaux administratifs, juges de droit
commun en matiére administrative, deux possibilités sont offertes; soit,
dans le cadre du découpage administratif des Etats, il est créé un tribunal
administratif dont le ressort territorial recouvre plusieurs départements,
soit, en prévision de l'évolution future, tout chef-lieu de département
atteignant un seuil démographique est doté d'un tribunal administratif.
Les conflits de compétence entre ces deux ordres de juridictions
seraient alors tranchés par un tribunal des conflits qui comprendrait des
magistrats de la chambre judiciaire et des magistrats de la chambre
ad ministrative en nombre égal sous la présidence du Président de la cour
suprême.

409
Il faut noter qu'en Haute-Volta, cette séparation nette des ordres de
juridictions avait été proposée au gouvernement par la commission de
révision
des
arrêts
de
la cour suprême
en
tant
que
remède

l'incompétence de la chambre administrative". Mais pour tout le continent
africain, seul Madagascar a réalisé cette dualité des juridictions.
D) La séparation souple des deuI ordres de
juridictions
Le système précédent n'est pas facile à mettre en œuvre en raison
des
moyens
humains et
matériels
supplémentaires
qu'il implique.
Beaucoup d'Etats ne seront pas en mesure d'y faire face, encore que le
Bénin, pays pauvre, l'ait prévu dans sa nouvelle constitution puisque le
tribunal populaire de province (TPP) est à la fois cour d'appel, cour
d'assises et tribunal administratif (article l07 de la constitution) et le rôle
de la cour suprême est assumé par la cour populaire centrale qui se
compose des quatre chambres traditionnelles. Les lois organiques à venir
préciseront le profil de l'organisation de l'ordre ad ministratif.
Il sera possible d'envisager une séparation plus souple, consistant à
partager le contentieux administratif entre la juridiction judiciaire et la
juridiction administrative. La première exercerait les compétences des
tribunaux ad ministratifs précédents (actes des autorités administratives
inférieures et litiges dont le montant de la réparation ne dépasse pas
500.000 F CFA) pendant que la chambre administrative garderait ses
at tr ib utions te lles que définies ci -dess us et contrôlerait ainsi l'application
des règles du droit public par ces tribunaux
inférieurs (tribunaux
d'instance siégeant à chaq ue chef -lieu de départe ment, cour d'appel).
Les
tribunaux
ordinaires, appelés
à connaître
du
contentieux
administratif, appliqueraient une procédure distincte de la procédure

410
civile ou commerciale (exemple sénégalais) et non pas une procédure
unique cam me en Côte d'Ivoire.
Cette deuxième organisation permettrait de sauvegarder mieux
l'autonomie du droit administratif et la décentralisation de la justice
ad ministrative sans frais supplé mentaires.
Section II
Les CDmpétences de la juridiction
administrative
Dans tous les Etats membres du Conseil de l'Entente, les compétences
consultatives n'ont
pas été réellement exercées et les compétences
juridictionnelles ont été réduites à cause des critères de compétence qui
n'ont pas fait l'objet de quelque précision ni de nature législative ni de
nature jurisprudentielle. Il conviendrait d'étendre ces compétences en vue
de faire de la juridiction administrative le moteur et le régulateur de
l'activité administrative.
Paragraphe 1 : Les compétences consultatives
La faiblesse des attributions consultatives tient, semble-t-il, à la
faculté de sa saisie par les autorités gouvernementales. L'attitude de
celles-ci s'explique par les lenteurs que cette procédure implique. Or, en
adoptant la dualité des ordres de juridictions et en créant par conséquent
un corps de magistrats administratifs, ces lenteurs seront résorbées parce
que ces magistrats ne seront plus étrangers à l'administration et à ses
besoins et manifesteront moins d'hésitation à donner leur avis sur les
projets qui leur seront soumis.
La preuve est que dans beaucoup de pays africains, les compétences
consultatives de la juridiction ad ministrative sont exercées par un service
de la législation dépendant du ministére de la justice. En Haute- Volta, il a
été créé au sein du ministère délégué auprès du Premier Ministre chargé

411
des Relations avec le Parlement une direction des études et de la
documentation, chargée de donner un avis sur tous les projets de textes
législatifs ou réglementaires avant leur adoption en Conseil des Ministres.
Sa tâche quotidienne consiste à examiner lesdits projets aussi bien dans la
forme rédactionnelle que dans le fond juridique.
Pour relancer l'activité consultative de la juridiction administrative,
il conviendrait de soumettre désormais certains actes à son contrôle de
façon obligatoire; parmi les actes administratifs, il est indiqué de retenir
ceux dont la contestation devant le juge est rendue psychologiquement
quasi-impossible en raison du caractère charismatique du pouvoir, à
savoir les ordonnances (non ratifiées), les règlements relatifs aux statuts
particuliers des agents de la fonction publique, à ceux des établissements
publics, aux mesures de reclassement collectif et tous les règlements
d'exécution
des
lois
ou
autonomes
intervenant
en
matière
de
réglementation des libertés publiques.
Mais cela, à la vérité, n'aurait aucune portée si ce contrôle à priori
continue d'être exercé par la chambre constitutionnelle au lieu et place de
la chambre administrative. La chambre constitutionnelle, en effet, est un
organe mi-politique, mi-juridictionnel, qui nest pas préparee a donner
"des avis techniques" sur les projets de textes. L'adoption de la dualité des
ordres de juridiction permettra au juge administratif d'être plus préparé à
cette fonction de contrôle dans la mesure où les magistrats, spécialisés
dans la connaissance des affaires administratives, apprendront désormais
à regarder l'édifice administratif non plus en dehors, mais en dedans.
Les compétences consultatives des
juridictions administratives
régionales ou locales seront d'un appui considérable
aux
autorités
administratives décentralisées, notamment le
préfet qui a reçu des
fonctions politique, économique, socio-culturelles et réglementaires et dont
l'ardeur à combattre la misère lui suffit pour promener sur la légalité un

412
regard myope. La présence d'un tribunal administratif au milieu des
administrés de "brousse" sera un motif de confiance que les discours
officiels ne réussiront pas à instaurer.
Paragraphe II : Les compétences contentieuses
Pour que le juge administratif ait la plénitude de ses compétences
contentieuses,
il conviendrait
que
les
critères
de
compétence
soit
essentiellement arrétés par la loi et subsidiairement par la jurisprudence.
A) La définition des compétences par la loi
Il revient au législateur de répartir soigneusement les matière
ressortissant à la compétence de la juridiction judiciaire et à celle de la
juridiction administrative. Celle-ci en effet ne peut pas se substituer au
législateur, sans doute parce qu'elle n'a pas de traditions assises et parce
qu'elle hésite, en cela poussée par le défaut de maîtrise du droit public, à
débroussailler les terrains vierges. L'importance de l'intervention du
législateur est démontrée par la situation voltaïque; jusqu'ici, on ignore
quel juge est compétent pour apprécier la responsabilité des communes
pour les dommages causés par les attroupements et rassemblements, la
responsabilité en matière de dommages causés par ou aux enfants de
l'enseignement public, etc... Or, même en présence de textes législatifs
clairs, le juge administratif africain a tendance à prendre la position de la
jurisprudence française alors que les deux contextes sont différents! Qu'en
est-il donc en cas d'absence de loi! ?
Et il est absolument inutile de s'en remettre à la sagesse du juge. La
raison est que même en France, dans le silence du législateur, les
tribunaux ont toutes les peines du monde à résoudre certaines situations;
il en est ainsi pour les services publics sociaux semblables à des activités
privées, telles les colonies de vacances organisées par l'administration. On

413
se souvient que dans un premier temps, le juge administratif leur avait
attribué un caractère administratif pendant que le juge judiciaire le leur
déniait; dans un second temps, le tribunal des conflits les a soumis à la
compétence du juge judiciaire, car "si le but d'intérêt social de la colonie de
vacances organisée par une collectivité publique lui imprimait le caractère
d'un
service
public,
l'organisation
de
celui-ci
ne
présente
aucune
particularité de nature à le distinguer juridiquement des organisations
similaires relevant des personnes privees et, par conséquent, la juridiction
judiciaire devait connaître de la responsabilité de l'administration en cas
de faute commise par un moniteur dans la surveillance des enfants l ". Le
tribunal des conflits devait
même étendre cette compétence
de la
juridiction
judiciaire
aux
litiges
entre
une
œuvre
de
bienfaisance
départementale et son personne1 2
Et pourtant! Pourtant, le juge judiciaire a rejeté cette compétence à
lui attribuée et la cour de cassation, non sans une certaine ironie, déclarera
qu'elle est incompétente parce que les colonies de vacances présentaient
des
particularités
de
nature
à
les
distinguer
juridiquement
des
organisations
similaires
privées
(notamment
encadrement
par
des
instituteurs publics, financement public, etc.) ! A son tour, le juge
administratif a refusé d'en connaitre 3.
Si la solution est si difficile en France, qu'en sera-t-il dans les
nouveaux Etats qui cherchent leur voie en ayant les yeux tournés vers
l'ex- métropole ?
C'est
pourquoi, il est indispensable que
le législateur africain
intervienne, d'autant plus que les organis mes publics ou para-publics n'ont
pas leurs homologueJ en droit français. L'intervention du législateur, pour
être utile, doit reposer sur une qualification systématique des organismes
1 Tribunal des conflits, 22 janvier 1955, Naliato,
2 Tribunal des conflits, 13 janvier 1958, Dlle Berry.
3 Conseil d'Etat. 21 mars 19 SR. Salin.

414
publics, notamment la classification ordonnée des établissements publics
et sur la codification administrative.
Le législateur africain qualifie trop souvent mal les établissements
publics alors que cela a des conséquences sur le régime juridique
applicable. En Côte d'Ivoire et en Haute-Volta surtout, la confusion est
grande
du
fait
que
le
législateur
prime
l'activité
industrielle
et
commerciale quand bien même l'activité proprement administrative de la
personne publique l'emporte. En Haute-Volta, le législateur, dans la
clas sification des établisse ments pub lies, est allé jus qu'à distinguer entre
l'établissement public ad ministratif, l'établissement public à caractère
industriel et commercial et l'établissement public spécifique qUi englobe
les organismes professionnels et tous les autres organismes que le
législateur entend y inclure! Il est évident que cette dernière catégorie
n'éclaire en rien le régime juridique applicable aux organismes ainsi
qualifiés, encore qu'elle est par trop aberrante puisque tout établissement
public est spécifique par définition! C'est le législateur malgache qui s'est
montré soucieux de précision et de clarté. Il a distingué entre six
catégories d'établissements publics qui sont
l'établissement public
administratif; l'etablissement public à caractére représentatif (ex:
chambre de commerce, d'industrie et d'agriculture) ; l'établissement public
à caractére financier (ex office des changes) ; l'établissement public à
caractère
social (ex: caisse nationale des allocations familiales, office des
habitations économiques, caisse d'épargne, agence Madagascar presse,
etc.. .) ; l'établissement public de production (ex: fermes d'Etat, bureau de
développement et de promotion industrielle etc... ) et l'établissement public
de commercialisation (ex: office malgache d'exportation, office national
des coopératives, caisse de stabilisation, bureau de commercialisation des
produits agricoles). Une telle classification, plus large, a l'avantage de
"spécialiser" toutes les interventions de l'Etat et d'établir un cadre

415
juridique approprié. Quant à la codification, elle constitue un outil de
travail précieux aussi bien pour l'administration que pour le juge. Mais elle
est si difficile à réaliser que seul le Sénégal jusqu'ici, a tenté l'expérience.
D) La définition des compétences par la
jurisprudence
Pendant longtemps, le service public a été le critére de l'application
du droit public. Mais la notion a connu sa Cflse ; le service public est
recherché désormais aussi bien dans l'activité des personnes publiques
que dans celle des personnes privées. De même, le régie ment n'est plus
détenu exclusivement par l'ad ministration : il appartient égale ment aux
personnes privées poursuivant une mission d'intérêt général. Quel critère
adopter dans cet imbroglio juridique pour l'application du droit public et la
détermination de la compétence du juge ad ministratif ?
Les institutions publiques africaines et la nature du droit qui les
sous-tend militent en faveur d'un critère unique, simple. Ce critère semble
tout indiqué: il s'agit de celui des "prérogatives de puissance publique". En
effet, dans la mesure où toutes les activités de l'Etat ne constituent plus de
nos jours des services publics, ou les contrats passés par l'administration
ne revêtent le caractère administratif que par déter mination de la loi et, à
défaut, par l'existence de clauses exorbitantes du droit commun; dans la
mesure également où l'activité d'une personne privée peut constituer un
service public, soumise par conséquent au droit public et à la compétence
du juge administratif, toute activité de la personne publique ou privée qui
est menée au moyen de prérogatives de puissance publique sera déclarée
activité de service public entraînant l'application d'un régime exorbitant
du droit commun et la compétence de la juridiction administrative. Ce
critère rend compte de l'activité des personnes privées non étrangères à
l'intérêt général. Il permet surtout de distinguer entre les activités des

416
établissements publics à caractère industriel ou commercial, des sociétés
d'Etat
et
des
ordres
professionnels,
celles
qui
ont
un
caractère
administratif et celles qui ne l'ont pas. Mais par dessus tout, ce critère
élargit énormément le champ d'application du droit administratif et les
compétences du juge administratif. En Haute-Volta par exemple, les
organismes régionaux de développement, malgré l'importance de leurs
activités administratives, sont soumis au droit commun; mais en retenant
le critère dont s'agit, ces mêmes organismes (qui peuvent exproprier, lever
des taxes parafiscales, passer des marchés publics) verront certains de
leurs actes déclarés actes administratifs susceptibles de recours pour excès
de pouvoir
En
r.ôlp.
eJ'Tvnirp.
p~;llpmp.nt
lp.~ pt;lhli~~p.mp.nt~ pllh'i\\.~ ;'t
caractère industriel et commercial et les sociétés d'Etat répondront des
dommages causés aux usagers et aux tiers devant le juge judiciaire mais
conformément aux règles de la responsabilité administrative, et d'un autre
côté, la chambre administrative connaîtra de leurs actes au cas où ils
utilisent des prérogatives de puissance publique, d'où, en définitive, la
possibilité de les soumettre largement au droit public, ce qui, il faut
l'avouer, est plus confor me à leur vocation dans le contexte des pays sous-
développés.
Section III : La procédure administrative contentieuse
Telle qu'elle se présente, la procédure ad ministrative contentieuse
est un obstacle important à l'accès de l'immense majorité des justiciables
africains au juge administratif. Les aménagements susceptibles d'être
apportés doivent toucher la requête, l'instruction et la décision de justice
elle-même.

417
Paragraphe 1 : La requête
Au niveau de la requête, il n'y a rien à soulever en ce qui concerne
son objet; en revanche, le requérant, les délais et les formes ainsi que les
effets de la requête méritent d'être repensés dans le contexte socio-
culturel 10ca1.
A) Le requérant
A ce stade de la procédure administrative contentieuse, ce sont les
notions de capacité pour agir et d'intérêt pour agir qui ont le plus besoin
d'une nouvelle approche.
nnllr
.
libérale. Il faudrait permettre au requérant de se faire représenter par un
parent, voire un tiers. L'analphabétisme, l'ignorance, la peur même de
l'administration
empêchent
beaucoup
d'administrés
de
déférer
la
puissance publique devant le juge. Et dans la mesure où la notion de
parenté, de famille, de fraternité joue encore énor mément, il est tout à fait
logique et juste de permettre au justiciable de choisir un défenseur de ses
intérêts bafoués.
Certains législateurs ont pris ce point de vue en compte; en Côte
d'Ivoire, l'article 20 alinéa 2 de la loi 72/833 du 21 décembre 1972
portant code de procédure civile, commerciale et administrative autorise le
requérant à se faire représenter par un conjoint ou un parent jusqu'au
troisième degré. C'est cette faculté qu'il conviendrait de généraliser dans
tous les Etats me mbres du Conseil de l'Entente en insistant sur le droit de
subrogation du mari vis-à-vis de sa femme, celle-ci, à l'étape actuelle des
mentalités, étant mal venue à attaquer en justice. A côté de la capacité
pour agir, il y a l'intérêt pour agir notamment en ce qui concerne les
groupements ou
associations. En effet, la distinction opérée par la
jurisprudence française
entre les
mesures
positives et les
mesures

418
négatives ne convient pas en Afrique. Les unes et les autres étant les deux
faces d'une même médaille à savoir celle de l'illégalité, l'administré
africain se trouvant faible devant le juge généralement inféodé au pouvoir,
et les associations constitu ant les seules forces d 'opposi tion au pouvoir, ou
en tout cas les seuls interlocuteurs écoutés de ce dernier, il y a lieu
d'accepter que ces groupements ou associations volent au secours de leurs
membres ou protègent les intérêts de leurs corps menacés soit par une
mesure négative qui s'analyse en une sanction injuste prise à l'égard d'un
de ces membres, soit par une mesure positive qui a les traits du népotisme
et du favoritisme.
D) Les délais et les formes
En ce qui concerne les délais, trois mois au lieu de deux paraissent
plus raisonnables pour attaquer les décisions expresses; cela est justifié
encore une fois par la mentalité africaine qui donne une préférence aux
pourparlers, aux palabres et aux interventions. La démonstration en est
faite par le nombre impressionnant des forc1osions en Haute-Volta. Dans la
mesure où l'illégalité s'origine essentiellement dans le mobile personnel,
politique, le favoritisme ou son contraire, un tel délai aménage l'amour-
propre
de l'auteur
de
l'acte
qui
peut,
avec
un
peu
de
recul et
d'intervention, revenir élégamment sur sa décision.
En revanche. en matière de dècision implicite de rejet. il serait une
bonne chose de considérer comme valant une telle décision le silence
gardé par l'administration pendant deux mois au lieu de quatre. Enfin, il y
a lieu de ne pas imposer les recours administratifs préalablement au
recours contentieux; c'est visiblement un moyen de pression, une menace
même exercée sur le requérant et qui, dans le contexte actuel des pays
concernés, ne manque pas d'effets.

419
En ce
qui
concerne les formes,
trois
observations
pertinentes
pourraient être faites: d'abord, le caractère écrit de la requête opère une
discrimination entre les lettrés et les analphabètes qui sont les plus
nombreux. Un illettré dèsirant attaquer un acte administratif est obligé de
passer par un écrivain pubhc (dans les pays concernés, ces écrivains
publics ont leur "bureau" en plein air, à côté des édifices publics) ; cela
ajoute des frais supplémentaires aux frais réglementaires de justice; et
beaucoup de justiciables ressentent une certaine honte à le faire à cause
de la signature qu'on leur exige et qu'ils ne sont pas en mesure de faire.
Ensuite, il serait également juste d'écarter le droit fixe et la caution
proportionnelle
qui,
malgré
leur
faible
montant,
constituent
pour
l'immense majorité une charge insupportable. En Haute- Volta, le droit fixe
est de 1.000 F et la caution proportionnelle représente le millième de la
demande; or, le revenu annuel par habitant est de 23.500 F ! Au Bénin, la
caution est de 5.000 F ! On pourrait à la place de ces droits, relever le
montant des dépens. Ce serait une façon de décourager les requêtes
fantaisistes ou manifestement mal fondées. Enfin, la reproduction de la
requête et tous les autres documents en plusieurs copies certifiées
conformes
par
le
requérant
apparaît
également
comme
de
frais
supplémentaires limitatifs des recours pour le plus grand nombre.
C) Les effets de la requête
Le caractère dévolutif de la requête pose le problème des lenteurs de
la justice administrative. Il y a cependant des situations où la décision de
justice rendue très tardivement ne reçoit pas d'application. L'exemple est
donné en matière de discipline: si le juge se prononce plusieurs mois plus
tard sur une décision de révocation, il arri"verait que le fonctionnaire n'est
plus
pris
en
compte
dans
le
budget
de
l'année
suivante,
d'où
l'administration mettra de la mauvaise volonté pour réintégrer l'agent; il

420
suffit que ce dernier entre temps ait trouvé un emploi dans le privé et
suive par conséquent l'affaire avec plus ou moins de vigilance pour que
l'ad ministra tion "lais se passer". C'est pour quoi, il conviendr ai t d 'im partir
un délai raisonnable au juge pour trancher certains litiges comme ceux
ayant trait aux sanctions disciplinaires (à l'exclusion de celle de premiére
catégorie) et aux contestations d'éligibilité. Dans cet ordre d'idées, le sursis
à exécution devait être plus largement octroyé quand on pense qu'en
Afrique, la mentalité veut que le chef ne revienne pas sur ses décisions.
Ainsi,
il interviendrait
plus libéralement en
matiére
de
sanctions
disciplinaires, de violation des régIes constitutionnelles, d'expropriation
pour cause d'utilité publique, de contestation d'éligibilité. Ce dernier cas
est vérifié en Haute-Volta par l'affaire Zou mana TRAORE : au lendemain
des législatives du 30 avril 1978, l'opposition a demandé l'annulation de
l'élection du député Zou mana TRAORE (majorité parlementaire) ; la cour
suprême a dû reporter trois fois successivement son audience et sa
décision n'a pu intervenir qu'en janvier 1980 ; or, depuis cette élection, le
parti majoritaire, s'est hâté de nommer le député contesté Président d'une
commission parlementaire et l'a chargé souvent de missions à l'étranger!
En conséquence, le chef du parlement, leader du parti majoritaire, à
l'annonce de l'annulation de l'élection du député Zoumana TRAORE, n'a pas
manqué de déclarer que la cour suprême doit respecter les résolutions de
l'assemblée nationale (sic) et le quotidien Dunia, organe privé du pouvoir
en place, ne s'est pas gêné d'avertir l'opinion que "Zoumana TRAORE
siégera à l'assemblée nationale, advienne que pourra'. Il est évident que si
la requête contentieuse avait un effet suspensif dans ce cas précis, la
décision de la cour suprême ne rencontrera pas le même mépris ...

421
Paragraphe II : L"instruction
L'instruction est,
pourrait-on
dire,
la
partie
"sérieuse"
de
la
procédure administrative contentieuse. Si elle est négligée, c'est le
requérant qui va en patir, lui qui est déjà défavorisé par rapport à
l'administration. Malheureusement, les législations actuelles ne donnent
pas une garantie de bonne instruction. En premier lieu, il yale fait que
l'instruction n'est pas toujours menée; en Côte d'Ivoire et au Niger,
"immédiatement après l'enregistrement au secrétariat général, la requête
est transmise au Président de la chambre ad ministrative. Lorsqu'il
apparaît au vu de la requête que la solution du recours est d'ores et déjà
certaine, le Président peut décider par ordonnance qu'il n'y a pas lieu à
instruction et fixer l'affaire à la plus prochaine audience". Le secrétaire de
la chambre notifie l'ordonnance, par la voie ad ministrative, aux parties en
cause. Cette notification contient assignation à comparaître ... " (article 83 de
la loi ivoirienne 61-201 du 2 juin 1961 dèterminant la composition,
l'organisation, les attrib utions et le fonctionne ment de la cour su prê me et
article 112 alinéa 2 de la loi nigérienne 61-28 du lS juillet 1961).
Au Togo, la loi 62-9 du 14 mars 1962 relative à la procéd ure suivie
devant la cour suprême (cette loi n'est plus en vigueur) attribuait ce
pouvoir, non plus au Président de la chambre, mais au secrétaire général
de la cour suprême; son article 69 stipulait en effet que "lorsqu'il apparaît,
au vu de la requête introductive d'instance, que la solution de l'affaire est
d'ores et déjà certaine, le secrétaire général de la cour suprême peut
décider qu'il n 'y a pas lieu à instruction et trans mettre le dossier au
Président qui désigne un rapporteur et lui assigne un délai pour établir
son rapport...".
En second lieu, il manque des filtres. Le conseiller-rapporteur
apparaît être le véritable maître du jeu procédural. En aucun cas, l'affaire
est examinée par une formation collégiale en dehors de la formation de

422
jugement! Or, cela est important à la fois pour le contenu de la décision et
pour la définition d'une "politique", d'une jurisprudence globale.
En dernier lieu, l'oralité à l'audience n'est pas toujours effective. En
Côte d'Ivoire (article 91 alinéa 2 et 92 de la loi 6 1- 20 1 précitée) et au
Niger (article 120 aliné a 2 et 121 de la loi 6 1- 28 précitée), les parties
doivent antérieurement déclarer de façon formelle qu'elles entendent
présenter ou faire présenter par un avocat des observations orales, sinon
l'affaire sera appelée et jugée sur pièces. Il est tout à faire absurde
d'exiger des parties qu'elles prévoient s'il sera utile et nécessaire de
prendre la parole au jour du jugement et cela, des semaines avant
l'audience! Et il ne servirait également à rien de prendre un avocat ou
tout autre
défenseur
si c'est
pour rédiger
uniquement la requête
contentieuse du requérant...
Paragraphe 1II : La décision juridictionnelle
A ce niveau se pose, et se posera sans doute encore long te mps le
problème de l'autorité de chose jugée. Dans certains pays comme la Haute-
Volta, des textes sont intervenus pour imposer l'exécution des décisions de
justice.
La constitution
du
13
décembre
1977
dispose
que
ni le
gouvernement ni l'assemblée nationale ne doivent modifier les arrêts de la
cour suprême. Evidemment, cela ne suffit pas et l'affaire Zoumana TRAORE
sus-mentionnée le prouve. Sans doute, faut-il opter pour la solution
proposée par la commission de révision des arrêts de la cour suprême,
consistant à engager la responsabilité pénale de l'autorité chargée de
l'exécution de la décision de justice !
En fait, il appartient au chef de l'exécutif, garant de l'indépendance
de la magisLraLure, ûe veiller à l'application des décisions rendues.

423
CONCLUSION
Le sort du contrôle juridictionnel de l'ad ministration est étroitement
lié à celui de la démocratie dans les pays nouvellement indépendants. Or,
cette démocratie est encore à faire pour les multiples raisons que l'on sait.
En prenant le cas voltaique, on se rend bien vite compte que non
seulement elle est difficile à mettre en œuvre, mais encore hautement
préjudiciable au développement économique national. Difficile à mettre en
œuvre parce que chaque député a coûté 8.000.000 F CFA à la nation pour
l'année 1979, les élections aux conseils généraux et municipaux sont
reportées aux calendes voltalques à raison de leur cOllt : 400.000.000 F !
L'opposition
ne
sait
pas
Jouer
son
rôle
constitutionnel
et
institutionnel,
cherchant
plutôt
à
rendre
l'action
gouvernementale
inefficace et débilitante; un leader du Front Progressiste voltaique (FPV),
parti d'opposition, a pu dire qu'il est "le lépreux qui ne peut pas traire la
vache mais qui peut renverser la calebasse de lait".
Ceci étant, l'absence de démocratie réelle doit être comblée par un
régime fécond de libertés publiques: des libertés autant que possible, de
la démocratie pas plus que nécessaire! Et précisément, certains facteurs
nationaux ou internationaux imposent ce régime des libertés, entre autres,
l'évolution des mentalités locales et la politique des droits de l'homme.
Les nouveaux Etats doivent donc respecter les libertés individuelles
(selon l'organisation américaine Freedom House, il n'existe que trois pays
africains "libres" où les droits de l'homme sont respectés ; il s'agit du
Botswana, de la Haute-Volta et du Nigéria. Les autres pays francophones
de l'Ouest Africain sont consideres
en partie libres" a l'exception de la
Guinée)
et
ce
respect
conditionne
la
stabilité
des
régimes
et
le
développement de l'initiative privée nationale. C'est que la légitimité du

424
pOUVOir na pas besoin de passer en Afrique par le suffrage universel, la
loi absurde du nombre qui n'est, dans les conditions socio-culturelles
présentes, l'expression de l'incompétence, mais plutôt par la soumission de
l'Etat au
droit,
d'où
la
mission combien importante
de
la
justice
ad ministr a tive.
Cette mission ne sera tenue qu'à condition:
- que le droit administratif soit conçu à la fois comme un moteur et
un régulateur de l'action administrative;
- que le juge, gardien de la légalité chargé de trancher les litiges
ad ministratifs, soit indépendant et compétent;
- que la jur idiction ad ministrative soit d 'accè s facile aux justiciables ;
- que les décisions de justice soient réguliérement exécutées.
En somme, il s'agit de faire en sorte que le justiciable africain ait les
moyens
d'assurer
sa
défense
dans
les
litiges
qui
l'opposent
à
l'ad ministr ation.
Si une telle conception minimale est adoptée par tous les Etats, il va
sans dire que l'intégration économique voulue et recherchée en sera plus
facilitée ; un fond commun de libertés publiques garanties par une
soumission stricte de l'Etat au droit et l'acceptation de "l'autorité du
pouvoir judiciaire" constitueront, sans nul doute, des motifs de tolérance
mutuelle entre Etats de régimes politiques différents, étant entendu que ce
qui se ressemble s'assemble.
Heureusement, les africains disposent d'une mme inépuisable de
sagesse qui interdit de penser qu'il en sera autrement.

425
BH1LIOGRAPHIE
1 - OUVRAGES
1. Auby JM
et
Drago R.. Traite de cul1\\èntieux administratif, tome 2, 2é édition,
Librairie Genèral(de Droit et de Jurisprudence, 1975, Paris.
2. Braibant G. : Le contrôle juridictionnel de l'administration, ronéotypé,
Institut International d'Administration Publique, Paris, 1969
3 (;autron 1C
I.'Adminislr..tion sénégalaise, ronéotypé, Institut
J IlternatIOn;J! di\\dmillistration P!!hlique, Paris,
1971
4 Cautron Je
et
Bourgenin-[\\;Jnillc M. : Droit Puhlic du Sénégal, Librairie Générale de
Droit et de .Iuri~prudence. 2e cdilion. Paris, 1977
5. Gonidec F.
Les droit~ ;Jl'ricains, Evolution et Sources, Librairie Générale
de Droit et de Jurisprudence, 2e cdition, Paris, 1976
Ô. Rivéro 1
Les phenomenes d ,mitation des modeles étrangers en droit
administratil, Lil)rairie C;eneraJc de Droit et de Jurisprudence,
Paris, 1')72
Il - TIIESES. MEMOIRES
1. Granier M. : Le Conseil de l'Entente, These, Paris, 1963
2. Loshack D : Le rôle politique du juge administratif, Thèse, 1970, Paris
3. Médeiros M. : Le Conseil de i f:ntente. Mémoire, Institut des Hautes
Etudes Internationales. 1CJ()'1, Paris
4. Sord M. : Le Cunseil de [·Entente. Memoire, 1965, Faculté de druit de
Toulouse
5. Walulc J : L'applicatiun du droit prive par Je juge administratif, Thèse,
1962. Paris

426
III - ARTICLES
1. Adande A. : L'organisation judiciaire et J'evolution leg;:;Jative genèrale
au Dahomey, Pénant, n° 708 et 709, octobre-novembre-dècembre
1965, page 429
2. Aurillac M : La Cour Suprême du Senégal, Etudes et C(lCUments du
Conseil dEtat, 1961, Paris
3 Bardinet D. : La justice administrative à Madagascar, Actualité juridique,
1960, Paris
4. Bernard M.
et
Morillat R. : L'avenir du droit administratif ln Cote-dlvoire, Re. ue
Ivoirienne de droit, n' 4,1970 et nOl, 1971, Abidjan
5. Boka E. : La Cour Suprême de la République de Cote d' voire,
Pénant, 1961
6. Bockel A. : Le juge et J'ad ministration en Afrique noire francophone,
Annales africaines, 1971-1972
7. Boni A. : La nouvelle organisation judiciaire de la République dt~ Cote
d'Ivoire, Pénant, octohre-novembre-décembre 19(,1
8. Breton JM. : Le contrôle supérieur de l'Etat au Sénégal. Bulletin de
l'Institut International d'Administration Publique, n° 35, juillet-août-
septembre 1975, Paris
9. Diop M. : L'experience sén0galaise du contrôle juridictionnel de
l'administration, Revue Sénégalaise de Droit, n° 4, 1968, Dakar
10 Durupty M. : Transposition et mutations du modele ",d ministratif
français, Bulletin de l'Institut International d'Ad m inistration
Publique, n° 33, janvier-février-mars 1975
11. CaZler F.
Le" problemes specifiques de ladministr,HlOn dan:; les pays
sous-developpés, in Civilisation, 1961
12. Jouhaud Y. : L'évolution du contentieux administratif, Pênant, n° 685,
janvier-février-mars 1.961 et Pénant, n° 686, avril- mai-Juin 19lJ 1
13 Kouamer R. : La chambre administrative de la Cour :.luprème de Côte-
d'Ivoire, Pénant, juillet-août-septembre 1967 rage 279

427
1"( Lampué P. : La justice administrative dans les Etals d'Afrique,
Independance et Cooperation, n' l, Janvier-fevrier mars 1965,
page 3
15. Lippens P. : Les institutions politiques de la Haute· Volta, Indépendance
et Coopération, n° l, janvier-Février-mars 1970, page 93
16. Mangin G. : La magistrature en Afrique et a Madagascar, Penant, n'
721, juillet-août-septembre 1968, page 195
17. Marchand P. : L'organisation judiciaire en Haute-Volta, Pénant, n° 700,
janvier-Février-mars 1965
18. Mourgeonj. : A propos de quelques arrêts rendus par la chambre
administrative de la Cour Suprême, Bulletin de la Cour Suprême de
Cote-d'lvoire, 1969, Abidjan
19. Rivero j. : Le Huron au Palais Royal, Dalloz, 1962, chronique,
page 37, Paris
20. Schaeffer E : Réflexions sur le droit du developpement, Pénant, n° 745,
juillet-août-septembre 1974, page 311
21. Tiscier G. : Les Etats du Conseil de l'Entente, Pénant, n' 686, avril-mai-
juin 1961
22. Wodié F. Les attributions de la chambre administrative de la Cour
Suprême de Côte-dlvoire, Indépendance et Coopération, n' l,
janvier-Février-mars 1968, p. 63
IV - LEGISLATION
1) BENIN
- Loi 59-7 du 13 mars : 959 fixant l'organisation, les competences cl les
regles de fonctlOnnement de la section du contentieux du tribunal d'Etat.
- Loi organique 60-1 du 14 mars 1960 relative au trI!~unal d'Etat.
- Loi 60-8 du 8 juin 1960 portant création d'une chambre d'annulation au
Dahomey.
-
Lui
61-41
du
18
octobre
1961
portant
creation
d'un
tribunal
ad ministratif du Dahomey.

428
- Loi 64 28 du 9 décembre 1964 portant organisation judiciaire (j.O.N
du 1el' janvier 1965. pag() 2.
- Loi 65-5 du 20 avril 1965 portant statut de la magistrature Dahoméenne
(JO.N. = Il du 29 avril 1965. page 2.
Loi 65-3 du 20 avril 1965 fixant la composition, l'organisation et le
fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature (JON = 11 du 2.9
avril 1965. page 1).
- Loi 65-35 du 7 octobre
1965
portant organisat~on, fonctionnement
composition et attrib utions de la cour su pré me (j.O.N
= 23 du 30 octobre
1965. page 880).
- Ordonnance 21 IP.R du 26 avril 1966 portant composition, organisation.
fonctionnement et attributions cie la cour suprêmf (JO.N. = du 1er JUIO
1966. page 3921.
- Ordonnance 69-35/P.R. clu
10 novembre
1969 i:,rorogean t
certaines
tllspositlOns transitoires cie l'ordonnance 21/P.R. du 2(; avrIl ICJ6S.
2) COTE-Do 1 VOIRE
- Loi 61-1')5 clu 18 mai 1cJ61 port<lnt organisatiun juèlciaire (J Cl N = 31 clu
1er juin 1961, page 779)
- Loi 61-201
du 2
juin
1961
portant
compos,tIOn.
organisation.
fOllctionnement et attributions de la cour suprême U 0 N = 3.3 du 13 juin
1961. page 8431.
- Décret 63-270 du 12 juin 1963 portant application de la loi du 2 juin
1961 relative il la cour suprême U ü N = 32 clu 27 juin 1963. page 749)
- Ordonnance n= 1ICSP du 24 septembre 1963 portant rêglement intérieur
de la cour suprême U 0 N = 50 clu 17 octobre 1963. page 1191)
- LOI 6S 251 du 4 août 1965 portant statut cie la magIstrature IJ 0 N
13
du 9 septembre 1965, page 954)
- Décret 65-398 du 24 novembrt: 1965 portant application de la loi du 4
août 1965 portant statut de la magistrature U 0 N du 16 décembre 1965
page 1315)
- Loi 72-833 du 21 décembre 1972 portant code de procédure civile.
cam mercI ale et ad ministrative U 0 N = 7 duS févr ier l 973. page 133)

429
- Loi 78-663 du 5 aoùt 1978 déterminant la compOSJllOn, l'organisation, les
attributiuns et le fonctiOnnement cie la cour supreme U 0 N du 2 uctobre
1978, page 18(5).
- Loi 78-662 du 4 août 1978 portant statut de la magistrature
3) HAUTE-VOLTA
- Loi du 19 mai 1959 portant création et organisation du conseil juridique
et du contentieux.
- Décision du Président de la Communauté du 12 juin ;959 relative aux
conditions
générales
d'exercice
du contrôle de la justice IJ 0 de la
Communauté du 15 juin 1959 page 45).
- Loi du 11 janvier 1962 portant création du tribunal administratir de
Haute-Volta.
- Loi 5/62/ AN du 11 janvier 1962 purtant determinalion de la procedure
applicable devant le tribunal administratif (j 0 N ~ 4 du 27 janvier 1962,
page 99).
- Loi 39-62/ AN du 25 juillet 1962 portant statut de la magistrature (j 0
du 18 aOllt 1962 page 8(0)
- Loi 9/63/AN du 10 mai 1963 portant organisation judiciaire U 0 N
21
du 25 mai 1963, page 331).
Loi 10/63/AN du 10 mai 1963 relative a la cour supréme U 0 N ~ 31 du
25 mai 1963, page 333).
- Loi 34-63-AN du 24 juillet 1963 fixant l'organisati'Jn, la composition, le
fonctionnement et les attributiot".ls du conseil supérieur de la magistrature.
-
Arrête
739/TFP/P
du
24
octobre
1969
portant
crea1.Jon
dune
com mission du contentieux administratif
- Arrêté 85-8 S/TFP du 23 mars
1970, autorisant le commissaire du
Gouvelnement d'être assisté d'un commissaire adjoint représentant le
Ministre
du Travail et de
la Fonction Publique devant la
chambre
administrative de la cour suprême U 0 N = 14 du 2 avril 1970, page 218).
- Arrête 89/15/D du 27 mars 1970 créant le poste de ~epresentant adjoint
du gouverne ment pour défendre les interêts de l'Eta t devant la chambre
administrative de la cour 'Suprême U 0 N = 14 du 2 avril 1970, page 219!.

430
- Loi Organique 3179/AN du 28 mai 1979 determinant la composition,
['urganisation, L:~s attributions el le fonctiunnement de la cour ~;lIpréme
4) NIGER
- Loi 59-23 du 24 decembre 1959
- Loi 59-24 du 24 décembre 1959
- Loi 59-25 du 24 décembre 1959
- Décret 60-01 du 9 janvier 1960
- Decret 60-34 du 22 janvier 1960
- Loi 61-28 du 15 juillet determinant la composltlO11, l'organisation, les
attributions et le fonctionnement de la cour suprême (J 0 N = 5 du 31-8-
196 1 page 70) modifié par :
· Décret 62-144 du 13 juin 1962
· Loi 63-10 du 6 février 1963
· Loi 65-026 du 15 mai 1965 (J 0 du 1665 page 15)
· Loi 68-009 du 12 fevrier 1968 (J 0 du 152-68 page 12()1
· Loi 6')-4 du 18 fevrier 1969 U 0 du 1.3-) CJC'9,age 121)
- Loi 62-5 du 26 février
1962 déterminant les droits applicables aux
procédures suivies devant les chambres judiciaires et administrative de la
cour suprême U () du 7-3-62 page 83).
- Loi 62-11 du 16 mars 1962 fixant l'organisation '.'1. la com!wtence des
juridictions de la République du Niger (JO. du 1-4-62 p. 116) lllodifiée ou
cam piétée par .
- Loi 64-021 du 16 juillet 1964 (JO. du 1-8-64 p. 5)
- Loi 65 -027 du 15 mai 1965 (JO. du 1-6-65 p. 15)
- Loi 65-4 du 9 septembre 1965 (JO. du 15-9·1965 r 7)
- Loi 73-9 du 24 février [973 (J.O. du 1-3-73 p 105)
- Loi 73-28 dL: 20 septembre 1973 (JO. du 1-10-73 p 438).
- Loi 65-02.3 du 15 mai 1965 relative au contentieux de la Secul-ile SOCIale
(JO. du 1-6-65 p. 8) modifiee par la loi 67-027 du 20 fevrier 1967.
- Lui 65-025 du 15-5-65 portant modification de la hi 61-28 du 15-7-61
déterminant
la
composition,
les
attributiuns,
!'organisation
et
le
fonctionnement de la Cour Supréme (JO. du 1-6-65 p. 15)
- Loi 66-014 du 2U janvier 1066 portant statut de la '1lagistrall!re (JO. du
1-2-66 p. 5 il

131
- Ordonnance 74-13 du
13 août 1974 portant crèz,tion,
composition,
organisation, attributions ,~t fonctionnement de la Cour d'Etat.
-
Ordonnance 74-15/PC/MS
du
23
août
1974
l'(,rtant
statut
de la
Magistrature.
- Décret et 74-232/M.J du 30 août 1974 fixant les mlJdalitês dapplication
de l'ordonnance 74-15 du 23 aoùt 1974 portant statut de la magistrature.
5) TOGO
- Loi du 3 mars 1958 instituant le Tflbunal Administratif du Togo.
- Loi 61-17 du 12 juin 1961 relative à l'organisation jLJdiciaire 1.10. du 15-
6-61 p. 39) 1.
- Loi
61-19
du
25
juillet
1961
relative
au
conseil
superieur
de
magistrature (JO. N = 169 du 16 août 1961 p. 5! 8 '1
- Loi 61-26 du 1 août 1961 instituant la Cour Suprême (JO. du 1-9-61),
modifiee par la loi 64-11 du 31-10-1964 relative à lorganisatiun de la
Co urS u pré t11 e (J 0 270 cl u 1 12 - 6 4 p 784)
- Loi 62-7 du 14 mars 1962 portant statut de la magistrature 'IO.N
188
du 1-4-62 p 275).
- LUI 62-9 du 14 mars 1962 relative a la prucedure suivie devant la Cour
Suprême (j.O.N = 188 DU 1-4-1962 P. nO).

432
l'ABLE DES MATIERES
1n trud uct ion
"
.
4
Section 1 : Prt;:>entation du Conseil de l'Entente
.
5
Paragraphe 1 : Objet et orb..lnisation du Conseil de l'Entente
..
8
A) Objet du Conseil de l'Entente
.
8
B) Organisation du Conseil de l'Entente
..
9
Paragraphe II : Place et rôle du Conseil de 1 Entente dans
l'Ouest-Africain
..
la
A) Au plan politique
..
la
B) Au plan économique
.
1 1
Section II : Intérêt de l'étude du contrôle juridictionnel
de ïad ministration dans le cadre du Conseil
de l'Entente.............................................
.
.
2 1
Paragraphe 1 : Diversité des régimes po1ltiq ues.........
.
.
21
A) La phase de l'identité constitutionnelle et
institutionnelle
.
2 1
B) La phase de la diversite constitutionnelle et
insti tu tion ne 11 e.............................
.
.
23
Paragraphe II : Unicité des systemes juridique et administr<Jtij'
48
A) Substitution du droit moderne au droit coutumier.
48
B) Assimilation des institutions administratives
de l'ex-metropole
.
54
Section III : Raisons de l'organis.ltion d'un contrôle de
l'ad ministration
.
66
Paragraphe 1 : Une administration omniprésente
.
66
A) La ronction administrative...............
.
67
5) Les structures administratives
.
69
C) Les méthodes d'action de l'ad ministratinn
69
Paragraphe II : Une administration omnipuissanle
.
70
Section IV : Explication po:>sible du système de contrôle
j urid ictionl1E:l...................
.
..
71
Paragraphe 1
Inefficacite des controles politique
et ad ministratif..
.
72
A) Difficulté du contrôle interne
.
72
5) Caractcre illusoire du contrôle par lcs group(;s
de pression.
.
.
r .)
Paragraphe Il : La portee du controle juriclldionnel...
77
A) Le contrôle juridictionnel, une gal antic des d:oits

433
individuels
.
77
B) Le contrôle juridictionnel, un moyen d'intégration
des masses à l'action administrative.......
.
78
Section V : Justification du cuntrôle juridictionnel par lI;1
juge spécia1...
.
80
Paragraphe l : L'adoption d'un droit exorbitant appJical)le a
l'administration appelle une spécialisaéion de
l'organe de contrôle juridictionnel.
83
Paragraphe II
L'expérience du contentieux administratif
sous la période roloniale...............................................
85
A) Le contentieux administratif sous la colonisaticn directe
les conseils du contentieux..
.
85
B) Le contentieux adminislratif sous la communauté
.
87
Section VI : Les résultats du contrôle juridictionnel depuis
l'indépendance à nos jours..................
.
97
Paragraphe l : Les données quantitatives..........................
97
A) Recours pour excés de pouvoir..........
98
B) Recuurs de pleine juricliction................
99
Paragraphe II
Les données qualitatives.......
105.
A) Application du droit administratiL.........................................
106
B) Application des principes et régies fondamentales
de la procédure ad ministrative conttntieuse
.
109
Pre miere Partie
Un choix prudcnL. ....
122
Chapitre premier: Une organisation embryonnaire
..
12.)
Section l : L'unicité organique: la Cour Supréme
..
125
Paragraphe l : L'organisation des Cours Suprêmes
.
125
Paragraphe II : La composition des Cours Suprêmes....
..
..
127
Section II : La spécialisation fonctionnelle: la chambre H!minis-
trative de la Cour Suprême.........................
.
.
135
Chapitre second: De:; compétences réduites
..
139
So us-chapi tre pre miel' : Le s corn pétences j uri dictionnelJ es.
139
Section 1 : Les différentes formules d'organisation des
cumpetences
139
Paragraphe l : La chambre administrative, jugt' cie droi·.
commun en matiére administrative......
140
A) Le contenu des competences de la chambre
ad ministrative beninoise......
141
1)) Les cornpetences:uridicLwnnelles de la Cuur SI.. prerne
voltalOue en matiére administrative
142

434
Paragraphe Il : Les juridictions judiciaires, juges de droit
commun en matiére administrative sou:> contrôle
de la Cour Suprême
.
143
AJ Les attributions de la chambre administrative ::n
Republique de Côte d'Ivoire....................
.
.
144
B) Les attributions de la chambre administrative
en République du Niger
.
15 1
Paragraplle Jll : La juridiction administrative, juge de (l'oit
com m un en matiére ad ministra tive scus contrôle
de la Cour Suprême
. 153
Section JI: Les mécanis mes de répartition des compéte 1ces
.
154
Paragraphe J : La répartition des compétences par la loi
.
155
AJ La clau~e légale de compétence au Benin
.
156
B) La repartition des compétences par la loi dans les
autres Etats membres du Conseil de l'Entente ......
157
Paragraphe II: La répartition des compétences par
la jurisprudence
.
1\\J 1
Section III . Les regles de repartition des competences
167
Paragraphe
: Le critére de la personne publique
ou autorité administrative
.
170
Sous-pal'agraphe I : L'EPIe................
.
.
17 1
Al Au niveau du législateur
.
172
B) Au niveau de la jurisprudence
.
182
Sous-paragraphe II : La société d'EtaL
.
185
A) La loi du 22 mars 1%2
.
185
EJ La loi du 5 novembre 1970
.
186
Suus-paragraphe IIJ : La société d'économie mixte.....
.
..
188
Paragraphe II : Le critére de l'activité ad ministrative
.
189
Sous-chapitre second: Les compétences consultatives
.
1') 1
Section J : Le contenu des compétences consu Itativt:s.
192
Paragraphe 1 : Etendue et procédure applicable
.
192
Paragraphe Il:
Les résultats...........................
.
193
Section II : La valeur du systeme dorganisatinn
des competences consultatives
.
.
195
Paragraphe I : Lorganisation des compétences consulta 1ives,
un moteur à l'arbitraire de lad ministraL on
.
195
Paragr aphe JJ : L'organisation des compétences consultatives,
un frein au cuntrole jurillictlOnnel de
l'ad minis tra tion....
.
.
197

435
Chapitre troisiéme : Une procédure flgoureuse.
199
Sous-chapitre premier: La procedure du recours pour exccs
de pouvoir
.
199
Section 1 : La requéte...............................................................
..
.
200
Paragraphe 1 : L'objet de la requête........................
.
.
200
Al La régie de la décision p r é a l a b l e . . . . . . . .
.
200
Bl La nature de l'acte attaqué.....................................
..
..
204
Paragraphe II : Le requérant..
..
208
Al La capacité pour agir
.
208
Bl L'intérêt pour agir
.
208
Paragraphe III : Les délais et les formes
.
215
Sous-paragraphe 1 : Les délais
..
215
Al La détermination des delais
..
2 15
Bl L'application des délais
.
221
Sous-paragraphe II : Les for mes
.
232
Al En République Pupulaire du Bénin
.
232
Bl En Republique de Côte d'1voire
.
234
Cl En République de Haute-Volta
.
237
Dl En République Togolaise
.
241
Paragraphe 1V : Les effets de la req uête......
.
241
Section II
Limtance
.
245
Paragraphe 1 : Le déroulement de l'instance
.
245
Paragraphe II
Lïnstruction
.
250
Paragraphe III : L'audience
.
255
Section III : La dêcision
.
257
Paragraphe 1 : Les formes de la décision
..
257
Paragraphe II : Le contenu de la décision........................
.
.
259
Sous-paragraphe 1 : Les cas d'annulation des actes a\\.7ministratU"s.
260
A) Lïncom péte nee
.
260
Bl Le vice de forme
.
263
Cl Le defaut de motif légaL...
.
..
266
D) La violation cle la loi...........
.
.
21:;'8
Sous-paragraphe II : Les pouvoirs du juge
.
271
Paragraphe III: L'autorité de chose jugée
.
275
Paragraphe IV : Les voies de recours contre les décisions
cie la juridiction alinllnistl":1tive
Sous-paragraphe 1 : Lopposition
..
279
Sous-paragraphe II : La tierce-opposition...
.
281
Sous-paragrapl'e III : Le recours en révision
.
282

436
Sous-paragraphe IV : Le recours en rectification
.
284
Sous-paragraphe V : Le recours dans l'intérêt de la 10
.
284
Sous-chapitre second: Les régies de procédure en maiiere
de recours de pleine juridiction .....
285
SectIOn l : Le recours de plein contentieux au Benin et
en Haute-Volta... .
.
.
285
Section II : Le recours de plein contentieux en Côte d'Ivoire
et au Niger
.
289
Paragraphe l : En Côte dlvoire
.
289
Paragraphe rI : Au Niger.
.
292
Section rII : Le recours de plein contentieux au Togo
.
294
Sous-chapitre troisiéme : Les procéd ures particuliéres
.
295
Section l : Le référé.......
..
295
Section rI: L'intervention..................
.
.
296
Sectiun rrI
L'inscription de faux.....
.
.
297
Section IV : Le décés d'une partie..
.
.
299
Deuxiéme Partie: Un choix appelé à évoluer.
.
302
Chapi!;-e Premier: Les facteurs présents et futur:, du
developpement du contrôle juridictionnel
de l'administration
..
315
Section r : Les facteurs socio-économIques
.
315
Paragraphe r : L'évolution des mentalités
.
315
A) Les ltnplications de l'individualisme
.
316
EJ Les implications du matérialisme
.
319
Paragr aphe Ir: Le dévelop pe ment de l'interventionnis me
.
320
A) La prise en charge par l'Etat des secteurs clefs
de [économie nationale
.
322
B) Linsenion du secteur privé aux plans
nationaux de développement
.
325
C) La conj ugaison des interèts et capJlaux ctrangcrs
avec les intérêts et capitaux nationc:n:x..
.
.
330
Paragraphe Ir 1 : L'importance des biens de 1 Eta!
.
334
A) Le domaine public des Etats africains ..
334
E) Le domaine prive des Etats africains
335
Section r r : La dynamique instItutionnelle
.)1 -;
Sous-secti:.n l : L'apport des institutions poliliques ....
Paragraphe' : L'extension des libertés publiques .
350
A) Les libertes individuelles
.
351
5) Les droits collectifs........
.
, 5 .
.)
(:)

437
Paragraphe [[ : L'ouverture a la démocratie
"
,
.
359
Sous-section [1 : L'apport des institutions administrat;'res
et juridiques
.
362
Paragraphe 1 : Les institutions administratives......
.
.
362
A) La decentralisation
.
362
B) La Fonction Pub liq ue
.
366
Paragraphe II : Les institutions juridiques
.
385
A) Le dualisme juridique.........................................
.
.
386
B)
Le développement de la législation
..
389
C) Le développement du pouvoir réglementaire
.
391
Cha pitre Second : Des rHor mes inév itab les
..
398
Section 1 : L'organisation de la juridiction
..
399
Paragraphe 1 : Les objectifs à atteindre...........
.
.
399
A) Lautonomie du droit administratiL ..
399
B) La competence des juges.
401
C) L'accés des justiciables à la justice administra~ive
"
404
D) Le principe du double degré de juridiction...
.
.
405
Paragraphe II : Les moyens
.
407
A) La séparation rigide des deux ordres de juridictions
.
408
B) La separation souple des deux ordres dt:: juric:ctions
.
409
Section II : Les compétences de la juridiction administrative .
410
Paragraphe [ : Les compétences consultatives...........
.
410
r"'aragraphe 11
Les compétences contentieuses.......
..
.
412
A) La définition des compétences par la loi
"
.
412
B) La définition des compétences par la jurisprudence
.
415
Section III : La procédure administrative contentieuse ..
416
Paragraphe [ : La requde
.
417
Al Le requérant..
.
417
B) Les délais et les Cor mes
418
Cj Les effets ete la requéte.....
..
419
Paragraphe [[
L'instruction
.
421
Paragraphe III : La décision juridictionnelle
.
422
Conclusion ...
Bibliographie
,
.
425
Table des matieres......................................
..
.