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UNIVERSITE
DE
DAKAR
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Le Roman Malien

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Dé 1955· à 1978
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directeur de 'hèse:
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maître de eonferenees·," ..
ANNEE UNIVERSl! AIRE 1978 1 1979
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"Mon opinion n;est pas de "ous
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~~Zution nous presse~ nous bousaule l
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akqueZ s'est aonsacr~ le Foyer; de
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vous amener~ moi avec vou.~ d vou~
d~Zivrer et accoucher de cet e8pr~t

de verit~ que vous réaeZe. en vous ~
....,..
p#ut~t de la d4Zivr~ des ent~aves
qui Z'embrar~assent"no."e : t'opi-
.',
if nion~~ Zes in"J.4r~tis~ Zes passions",
..
:YfL4opoZd s. SENGBOR.,;.I.;~rt; l ; ~ris •.
.
~c~6 Seu~Z 1964 ; page 11) •
.lt,< .
••
,~* '.t'
La raison fondamentale qui ëi·"tiv' ce travail r'si-
de dàns le souci que nous av~~s de voir donner à la lifféra~­

re malienne de langue française une place plus importante dans
la litt~rature ~crite du c~tinent africain. Dans cette optique,
nous avo~s voulu apporter notre modeste contribution à l'étude
du roMan malien, en déliv~t la v'rité comme le dit 'Senghor ,
"d~s entraves qui l'embarrassent" •
.~\\
En effet, malgré les assertions que ~-on peut ~rou­
ver sous la plume de certains critiques, et dès plus écoutés,
la production romanesque au Mali n'est pas moins florissante
11;'
que celle d'autres pays africains francophones qu'on se ~tt
~.'i.·
j~.._,
beaucoup à citer en exemple.
/·ii".
C'est ainsi q"W0n pouvait lire dans Jeune Afrique
nQ 664 du 29 septembre 1973 : "Il faut noter à cet égard qu'~
la différence des autres pays francophones (le Cameroun pa~
exemple), le Mali n'a guère suscité des vocations de roman-
ciers. A part Le devoir.de violence de Yambo OUOLOGUEM,
.. /y

,~~[l.7~'~"-~"l" ,.:~~_\\i·· ~:~
2 _.' .:t.\\
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d'ailleurs assez controversé, les oèuvres.4rJmagination spnJ..
~;t,·"{ " / " { . , . " ~.:
encore rares tout qomme les oeuvres poét~ques quasimment ~h~
. sentes de notre r'p~rtoire"( 1) • .~.
\\:
,-
Et pourtant" cet hebdomadaire se fait un point
r
o'hçnneur d'être~l'écho fidèle de tout ce qui se passe sur
le co~tinent africain dans les domaines politique et économi-
que, .'mais aussi artistique et culturel.
Aujourd'hui donc~ nous voici abordant lVnotre tour
au rivage, apr\\s avoir emprun\\f la bat-que .laiss~e par Lilyan
KE5TELOOT en 1967, Léonard SAINVILLE en 1111, Robert PA~RD
en 1966, Janheinz JAHN en 1969, JacU.s "CHEVRIER en 1974, et
tout récemment Robert CORNEVIN
en 1976, etc ••• Dans leurs
anthologies respectives, ces critiques ne retiennent cependant
..t
que les noms de quelques trois ou quatre romanciers.
Parlant du Mali dans,: Littératures d 1Afri9Uf~noir.e
de langue française, CORNEVIN constate que "les romans sont
peu nombreux" (2). A la différence des autres néanmoins, son
inventaire des oeuvres romanesques maliennes ne comporte pas
moins d'hne dizaine de titr,es. Si nous établissons par exem-
.,.
pIe une comparaison avecfes deux pays francophones qui sem-

blent tenir la vedette dans ce domaine, (~ savoir le Cameroun
"j.~
et le Sénégal) rien ne contredira l'opinion q~~(nous avancions
dès le début, ~ savoir que le Mali, sur le pl~·.e la produc-
tion romanesque, ne fait pas figure de parent pauvre. On se
rendra compte au contraire que de grands espoirs peuvent ~tre
fon~s sur l'avenir de sa littérature. C'est ce que les pages
qui vont suivre, vont s'efforcer de prouver.
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Le Cameroun qui certes vient en tête, tant par la
quantité~ue par la qualité de sa production romanesque, compte
~, enV1ron une trentaine de titres, de 1953 à 1978.
t
. '-
M. DIOUF, faisant le bilan d'un "demi-si~cle de
,1
1
roman sénégalais", cons,tate que "depuis que les sénégalais
écrivent des romans,:,: la production n'est pas particulièrement
abondante. Entre 1920 et 1974, on compte.,t,rei2ie romanciers ct
dixhuiy.fr~ans"(:): Il e~~vrai que de~~is cette dat~, quel-
";~
ques oeU~res ont ete pub11ees en sus
~ace aux efforts des
1fJ
Nouvelles Edi tionS,Africaines (N .,E. A~) qui se fixent pour
objectif de redyn~i~~r la production littéraire africaine.
,~'
. ':'"
A\\i ~li;', la littératur~ romanesque est de date be,?-u-
coup plus récente que celle des deux pays précédemment citl~.
a:'
, 'ç
Malgré ce retard, nous av~ pu, après nos investigations,
dénombrer quelques vingt ~':t un romanciers. De plus, ''le bilan· .+
présente trois nouvelles mais dix neuf romans publiés et neuf
inédits, pour la seule période de 1955 à 1978 •
.~
A ceux-là on ~erait tenté d'as~ocier Cha!ne, une
descent,e aux •
enfers, de Saidou BôKOUM (2 )et Vingt 9inq ans d'esca-lio
i

liers, ou la vie d'un planton, de Seydou TRAORE (3)' •
Moncef Sl BADDAY écrit dans Afrique littéraire et a.

artistique que
"Saîdou BOKOUM, ressortissant guinÉo-malien,
n~ vers 1945 au Mali, a grandi en Guinée où il a fait ses étu-
,~
des sécondaires (Lycée de Conakry-Donka( /~.~ï Vit toujours en
France L~.i.7. _.
Pr~sentant le roman, BADDAY ajoute que "Chaîne" est
un livre qui dépasse le simple fait littéraire. C'e$t quelque
chose comme la somme des douleurs ~ccumulées~ Des révoltes

.~"'~
'/~
.
. ... .'
(1) Madior DIOUF ; "Un demi-si~cle de roman sénégalais" in
L'Ouest Africain
nQ 139 du 16 Février 1976, Dakar
page 37.
(2) Saidou BOKOUM ; Ch'ltne, une descente aux enfers ; Paris, Denoël 1976'"
(3) Seydou TRAORf; Vingt ~inq ans d'eeaalùJ1'8 cu "la: vie d'un p~qnton,
~
.;,db
Dakar, ~.EoA. 1978.
.".-. "
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... ;

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'"'.
..
. \\
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...
/
aussi. C'est i~.histoire d'une descen-'e aux enfer, effectuée
oomme Üne initiation. Car si l'on parle souvent de l'inhumai-
"
ne conditio' des immigr~s avec beaucoup de pertinence, aucun
~e ceUx qui les défendent n'est allé au fond du trou pour
avoir une vision de ltiftt~rieur. C'est ce voyage terrible
.'
qu'a fait Sa!dou BOKOUM"(l).
BOKOUM nous présente un monde
,
·_.lI·
de ma~ginaux, fait de pro~~cuité et de misère, un monde où
évoluent nègres et pU"ins, où il est toujours question de
~l"»

racisme et d'homosexuilité.
i!:.
L
. ~S.Ydou TRAORE, lui Aussi est né au Mali; Nara pré-
,!'i.'-'~
_
:
cisement\\.Pour "Art e~ Lettres" le supplément du Soleil, le
quotidîe~t nationals&négalais, son roman est "une oeuvre
exceptionne~:, à plü(fd'un titre. Vingt cinq ans d'escaliers,
ou la vie d 'u"ri"~nton, du charmant vieux Seydou TRAORE a la
particularité d'être écrit par quelqu'un qui avoue n'avoir
i
jamais été à l'école des Blands. Et pourtant; les Blancs,
~
Seydou ne conna1tra qu'eux f "boy", ma1tre d'hôtel, plânton,
.. "f.
il aura tout fait au service des Blancs, depuis le chef de
service de brousse jusqu'au gouverneur gén~ral en passant par
un inspecteur général de J'enseignement qui lui fera parcourir
....
presque toutes les colonies. L'étrange itinéraire de Seydou
.'
méritait bien un livre" (2).
Malheureusemea&, nous serons obligés, darts le cadre
t
de cette étude, de classer ces deux romans dans la catégorie
des oeuvres d'écrivains étrangers pour la raison bien simple
que ces auteurs ont choisi d'autres nationalités que celle
de leur pays d'origine.
.1 •
1
(1)
Moncef S. BADDAY ; "Sa!dou BOKOUM ou celui qui ne joue pas le ~
pas le jeu", in Afr{,que litt~raire et a~ti8-
tique
nQ 34 ; Décembre 1974, page 23. "L,
4
(2) "Arts et lettres" - supplément du Soleil
du lundi 1er
mars 1976, page 5.
.,

~.. '-
..
.,
L'avis de SaïdoufBOKOUM est con"tehu dans un e~t~e­
tieh qu'il a e~ avec Moncef s. BADD~Y et retran~crit par ce
delll'lier :
..
Question
"Sa%dou BOKOVM; pôurr.•is-tu, avant d'aborder ton
aventure litt~raire et "Chaîne", tOn livre, nous
parler de toi et de tes origines 1
lt· .
1 .
f
Réponse
"- Bien '10Iontier~Je me définis comme Guinéo-
malien dans la ~€sentation de mon livre,
mais
';.-
au-delà de cett~ vérité, j'ai voulu signifier
l'absurdité des frontières héritées du déco.pa-
ge colonial /7 .. 7.
Mes parents, qui étaient
commerçants, avaient des parents au Mali et en
Guinée. Après l'indépendance de la Guinée, ils
sont Ë~l~s s'installer au Mali~ Mes parents
sont morts et si je dois aujourd'hui exprimer
un attachement (ét~t réellement sans autres
attaches que c2lles de la fraternité ressentie
et partagée) c1est à la Guinée de mon enfance
(.> est nous qui
..~
soulignons).
, f
Ji
La nouvelle nation.:"'1lité de Seydou TRAORE ne fait ~
.. ~ ;.;a ~ ,~
aussi aucun doute,
car l'auteur lui-même écrit dans son livre
"Quand je me préparai à ret~urner ~
J".-

Dakar, tous.~s parents de Tanganaga V1nrent
me faire leurs adieux. Je ne devais plus les
revoir, n'étant, /p'luS7 jamais retourné à
Nara. A Bamakofoêux-jours plus tard, des
amis allaient mè dire:
:'Maintenant, M.
Seydou ne peut même pas rester une journée
à Bamako". Je lui répondrais (sic) : "Le
Sén6g2~ est devenu mon pays; j'ai mêlé mon
sang au sang du Sénégal ; le Séné~al.a fait
de moi un homme, et la nationalite de' mes
e~~ants, vous [',?CZ bien, ce qu'elle est et
ce qu'elle va continuer à
être" (2).
:1
(2)

',:
, 4 .
,4,

- ".
~.
,
.. 6 -
Cha5::ne et Vingt ci:nï?-J1_s d'escaliers ne seroI)t pas les
deux seuls romans dont on pourra nous reprocher l'ab~~nce
dans notre étude.
Nous voulons parler ici de : Le collier de ,co9u~1­
lages et Les filles de la reine Cléopâtre écrits par Ibrahima
,
. »
Mamadou OU~E ; Les mystères du Bani d' Ama.,~umar B~"
Les fi·ançailles. d'Aly Diabel d 'Amadou Coum~BA et La ~t du
~estin de Georges DIALLO. Malgré
.utes nos investigat!ipns
nous ne sommes pas parvenus a nous procurer des exemplaires de
ces romans, publiés en France en très petit nombre. Lo. ~al0nS
des bibliothèques de l'Université de Dakar, de 1 'I.F.,A.N.et
des Archives nationales du Sénégal en sont dépourvus. Le da-
placement que nous avons effectué à Bamako, pour voir les
rayons de la bibliothèque de l'Ecole Normale Supérieure, de
la Bibliothèque Nationale~ des Archives Nationales etc ••• , de-
meurera lui aussi infructueux •. Nous nJaurons pas~n plus de
c~ce du côté de la Documentation.Française à Paris, la
c6rre,pondance que nous avons tenté d'avoi~ avec ce centre
étant demeurée un vain effort. Une tentative similaire auprès
de l'Université de Paris III. qui a pris l'initiative de créer
un centre de recherche sur la littérature francophone, ne sera
pas pas plus heureuse.
Comme les ouvrages rarissimes en langue arabe~ pieu-
sement conservés par les descendants de leurs auteurs (qui ne
voudront a aucun prix s'en séparer) les romans qfe nous avons
cités plus haut doivent saremen~ figurer dans des bibliothè-
ques familiales au Mali. Et leurs auteurs continueront sans
doute a les garder
jalousement hors de la portée des "profa-
"',
.;
nés" c' est-a-dire lous ceux qui ne font pas ;'partie de la famil-
\\
le des romanciers. Il faut ajouter a<lssi que la plupart des
Maliens ignorent jusqu'aux titres des romans que nous venons
de citer. Ce n'est donc pas à eux que nous aurions pu nbus
adresser utilement.
./ .
, a

"Ir
Nous regrettons égal~ent de ne pouvoir~parler d'une
autre catégorie de romans, pour des raison~ presque ~entique.'
à celles que nous venons d'évoquer. Il s'agit de Tchagoua, né
d'un défunt de Nagognimé Urbain Dembélé;
Cette_enfant~là de
Mme Sira Diop ; Kadia, Les fétiches ne parleront plus et
Rej oins ta terre natale, de Bokar N' Diaye ; Mêl-t"iam Gou~am,
de Hamadou Tandina ; Cap sur le bonheur et Quand la dr~~ue
s'en mêle, de Issa Baba Traoré.
Tous ces ouvrages, dont la publication av~ été
confiée aux Editions Populaires du Mali, sont, ou bien ~puisés
ou bien encore inédits. Selon le nouveau Directeur de cette
maison d'édition, certains de ces textes sont sous presse,
mais la modicité des moyens financiers des Editions - Imprime-
rie fait réculer la date de leur parution.
Un f~ls de Karabali et La lune rousse (nouvelle) de
Mamadou Gologo ne seront pas non plus du rendez-vous : le
roman, parce que l'auteur n'a pas encore réussi à trouve~ un
éditeur, vu le contenu politique de l'oeuvre; 18 nouvelle,
parce qu'elle avait été pu~liêe dans le nQ 8 de Le Mali du
temps où l'auteur était lui-même Ministre de l'Information
de son pays. Après le coup d'Etat, une sorte de délire s'est
emparée d'une fraction de la population, ressemblant ~un

nfglement de comptes. On s'acharna sur tout ce qui pouvait
rappeler le souvenir de l'ancienne équipe de Modibo KEITA.
-.
A telle enseigne que plus un seul numéro de la revue Le Mali
n'existe d.e nos j m',:,s à la portée du public. Gologo lui-même"
se plaint d'avoir perdu dans la tempête beaucoup de choses
qui lui étaient personnellement chères comme l'un~ue numéro
de la revue qui contient sa nouvelle.
~
Malgré ce vide, que nous sommes le premier à deplo-
rer, l'étude de la littérature romanesque malienne que nous
avons entreprise, comporte de l'intérêt à plus d'un titre.
Et l'on s'en convaincra mioux en faisant intervenir pour en
./ .

-
8 -
juger, des critères autres que la quantité <appréoiable
d'ailleurs>. Nous pensons entre autres, aux valeurs littérai-'
res et documentaires de ces romans. C'est donc pour pouvoir
juger de l'importance de cette 'production romanesque malienne,
b~~
de ses progrès dans l'histo1rexet de ses tendances actuelles,
que nous avons entrepris ce travail d'analyse.
S'agissant du choix de notre sujet, on pourra nous
demander pourquoi traiter de la littérature malienne et non
pas mandingue par exemple ? ou négro-africaine tout court ?
En nous limitant à la seule littérature mandingue
au Mali, le travail aurait été beaucoup plus facile. En effet,
il est bien plus aisé de cerner, du point de vue culturel,
une aire ethnique qU'Ufe aire 'géograihique. Le mérite de ce
travail résidera sans ·~te dans notre refus
d'une telle so-
lution de facilité.
Nous aurions pu aussi généraliser notre travail en
tentant de parler de la littérature négro-africaine de langue
française. Madame Lilyan KESTELOOT, dans Les écrivains noirs
de langue française: naissance d'une littérature, a pu étu-
dier il y a quelques années, les diverses phases par lesquel-
les a passé la littérature noire depuis son éclosion. Pour
finir, elle s'est posée la question de savoir si, après les
indépendances,
on continuerait à parler de litt~rature négro-
africaine ou si au contraire, on assisterait à la naissance
d'une multitude de littératures nationales?
Il est peut être trop tôt pour pouvoir parler d'un
génie malien, camerounais, ou sénégalais par exemple, comme
on parle du génie français ou anglais qu'un VDltaire ou un
Shakespeare ont tenté de représenter. Il n'en demeure pas
moins que la littérature romanesque est telle dans certains
états indépendants d'Afrique, qu'on peut, à travers elle,
déceler certains caractéristiques propres à ces pays.
./ .

...
.. 9 -

l JUS cor~c l
3 q1:.e '1uelq'.:.es
thèmes ou même quslques
sous-chap:',l,~es çue no~ ti.'"'ai-' ~rons ici, ser'....nt COIT.:ne des v~­
~it€s g~ni~'l~es qu'en pourrait ~pp:~;~er ~ n'importe lequel
de nos €tats
africain au Sud du Sahara, de Nouakchott ~
Bangui et d'Abidjan ~ Librevillo (c'est-~-dire ~ tous les
territoires ~es anciens ~groupement" A.O.F.
et A.E.F.).
Cependant, s'agissant de l'€volution
politique,
l'€tude
que nous livrons ici des grands empires et royaumes
m~d~€vaux ou contemporains, certaines coutumes et même cer-
tains types d'hommes décrits dans les romans maliens, ne se
rencontrent que dans l'aire g€ographique
que nous avons dé-
limitée. S'il est vrai que l'histoire coloniale du Mali re-
coupe celle de tous les autres territoires de l'ancien empi-
re f~ançais, les crises! ~es .•évoltfs et les repressions qui
sten sont suivies, ~ dtune colonie ~ l'autre,
selon la rnentalit€
des populations "ihdig~nes" et le statut
des colonisés.
Aussi, la situation sociale c~~~e dans tel ou tel
pays africain ne peut être purement et simplement assimil€e
à celle des enssmbles A.O.F. et A.E.F •• On cont:.~tera iéi
et là quelques fa,its marqu4!nts ; des mentalit€~îorgées par
l'influence d'un chef spirituel ou rf.mporel ; uhe
situation
;.,;.;:
économique et fin2nci~re qui ccndiiionnera une politique co-
~érehte et stable ou au contraire des troubles sociaux, Autant
de facteurs qui façonnèrent des visages particuliers à chacun
des états africains, rendant impossible la g~~6ralisation
qU'Oh pouvait!t9rmet~re de faire avaht les indépehdances.
Après avoir ainsi d€fini
au doub~.point de vue
littéraire puis politique et social les raisons qui ont mot~­
v~ ce travail, résumons·..nous en disant que :t.' ":~"'G
humble
pretention est de faire cO~naItrela Mali et sa production
romahesque. Si nous hous sommes ~tendu sur cet aspect du pro-
blème culturel aU Mali, c'est parce qut~ notre avis~ celui-ci-
.
est encore mal cohnu ou m~l appréhendé.
./ ,

"
- 10 -
Pour parler des Lettres maliennes, pou~quoi commen-
cer par la date de 1955 ? Ce choix n 'cst.~l pas lui aussi
arbitraire ?
En effet, ni sur le plan politique, ni sur le plan
social, il ne s'est déroulé au Mali un événement majeur devant
"
nous permettre de retenir cette date. Cependant, sur le plan
culturel, un fait sans pr~ . Jent vient de se produire. Le
Mali, après un certain retard sur d'autres pays du continent
noir, inscrivait cette année là eq lettres capitales, le nom
~<';" d'un de ses fils sur la liste des auteurs africains franco-
phones, capables de passer de la documentation écrite à l'éla-
boration d'une oeuvre de pure affabulation, le roman~
De 1955 à nos jours, il faut ajouter C:'le, non seule-
ment Ibrahima Mamadou OUANE (puisqu'il s'agissait de lui)
. '
, 1J JJI",eA
l'J'H.lJ.IA
allait ~i'fttJtF~~8:Rt,.\\quedes érr.ules ne devaient pas
tarder à suivre ses traces" avec d'ailleurs une bien meilleu-
re fortune que lui.
Pour mieux faire connaître les Lettres maliennes,
notre étude débutera par un éclairage sur ses traits généraux.
On mesurera mieux l'importance de l~;littérature m~~ienne de
langue française si on la situe par rapport aux deux autres
littératures qui ont existé dans le pays avant elle : la
littérature orale traditionnelle et la littérature en langue
arabe.
La première partie de ce travail traitera donc de
la
littérature orale millénaire, qui charie des récits cos-
mogoniques, mythologiques et historiques d'une part, des con-
tes des lêgel 1des, des. chansons de geste d'autre part. Ces
véhicules sont les langues nationales. Le bambara, parlé par
près des 3/4 de la population, est en passe de devenir la pre-
mière langue du pays. Grâce à l'alphabétisation fonctionnelle,
.
elle est à présent écrite et a permis d'alphabétiser dans au
./ .

- 11 -
moins cinq. des sept régions géographiques que compte le Mali,
des paysans, des artisar.s et même des ouvriers dans les cen-
tres urbains. Nous parlerons des auteurs en langue bambara
et du journal "Kibaru" édité p~riodiquement et vendu A des
centaines d'exemplaires. Peut être un jour assisteron~ la
l;it.l!lissance d'une maison d' édi tion Kibaru. Puisque les popula-
tions continuent à s'instruire elles éprouveront le besoin
de s'exprimer. Cette presse éditera alors des ouvrages en
langues nationales et pourquoi pas, des romans.
A
Nous n'oublierons pas bien sur la littérature en
langue arabe. Introduite A la suite de la religion musulmane
dans le pays, elle possède des poètes, des philosophes, des
mémoQalistes, des chroniqueurs tels que les Tornbouctiens au-
teurs des Tarikhs.
Nous parlerons de ces oeuvres et de l'im-
pact de la culture arabe sur les zones sahariennes et sahé-
liennes du Mali, de son apogée et de son déclin après le pas-
sage des troupes marocaines de conquête à la fin du XVI ème
siècle.
L'allusion A ces deux formes de cultures (négro-
africaine et ~abé) nous permettra de voir quel impact elles
ont eu sur la littérature malienne de langue française et le
genre romanesque en particulier. Nous essayerons de voir ce
que le roman leur doit.
Ensuite nous mesurerons le poids de la littérature
française. La langue française a pénétré dans le pays on le
sait, à la suite des explorateurs comme Ren~
CAILLE et des
.\\ expéditions militaires du gén~ral FAIDHERBE. La première
~cole-ouvert~ sera celle des fils de chefs et de notables
à Kayes tn 1895. Mais de cette date à 1979, les effectifs
des écoles primaires, secondaires et sup~rieures ne cessant
d'augmenter, parmi les r~sultats concrets on notera la naIs-
sance de ce que nous appelons la littérature malienne de
rt-'eM
langue française, c'est-à-direXcelle écrite par les Maliens
./ .

.,,.
.
"
. .. _.~---- ~~...."
- 12 -
eux-m~mes. Ces écrivains se recruteront d'abord parmi les
élèves formés à William Ponty du Sénégal et à l'école des
fils de chefs et de notables de Kayes, puis dans d'autres
écoles de renom.
Nous recenserons dans un premier temps les oeuvres
de tous ces auteurs, qu'il
s'agisse de traduc~~urs et d'es-
sayistes, d'historiens et de géographes, de chbniqueurs et de
pamphlétaires, de conteurs, de poètes et de dramaturges.
Mais nous classerons à part le roman sur lequel nous revien-
drons plus loin.
Signalons tout de suite que ce panorama essayera
d'~tre en même temps succint et complet (ne manqueront que ...
les oeuvres qui n'auront pas été portées à notre connaissance).
Notre but sera d'établir ces premiers jalons de l'histoire
de la littéràture malienne. Cela fait nous approfondirons
notre étude sUr le roman malien~
A cette étape de notre travail, nous tâcherons de
montrer l'importance du roman par rapport aux autres genres,
(histoire, conte, poésie, théâtre notamment). C'est ainsi
que nous nous sommes posé la question de savoir s'ils avaient
les m~mes aspirations. Le roman se sert-il des poèmes et des
pièces de théâtre?
Emprunte-t-il.leurs matériaux à l'histoi-
re et au conte ?
Quelles sont enfin les influences extérieures qu'il
peut subir, si ces influences sont d'un apport bénéfique ou
si au contraire elles nuisent à l'épanouissement du genre
romanesque ?
L'importance croissante dévolue au roman sur le
plan international se vérifie-t-~ dans le cadre de la litté-
rature ma11enne ? Cette dernière question nous amènera à
examiner de près le problème de la production romanesque, de
sa publication de sa diffusion et surtout de son esthétique •
• 1.

13 "-
Nous parlerons du rôle joué par les maisons d'édition fran-
çaises puis par Présence Africaine, les Editions CLE, Bingo,
les Nouvelles Editions Africaines et enfin les Editions Po-
pulaires du Mali et autres organes de publication du pays.
La deuxième partie de notre travail portera sur les
,
,1

thèmes roma~es~s. Leur recensement et leur exp~tation nous
permettron~ de reconstituer la société malienne, dJmoins tel-
le que la voient ses romanciers. Le premier chapitre que nous
avons intitLlé"L'évolution socio-politique du Mali" regrou~
pera les thèmes qui parlent de la défense et de l'illustra-
tion du passé africain. Des romanciers maliens évoqueront la
grandeur des empires de Ghana, du Mali, de G~Ot puis ceux des
Toucouleurs d'El Hadj Omar, des Peulhs de Cheikou Amadou Bari
du Macina, ceux de l'Almamy Samory et du Kénédougou. Ils par-
leront aussi des royaumes bambaras de Ségou et du Bé1édougou.
Ils décriront leur esprit de combativité durant les guerres
de résistance Qei~e la pénér~ion coloniale française.
«.
Les romanciers o~t généralement jeté up regard très
critique sur la période d'occupation française. Sur un ton
souvent acerbe, ils feront la critique de l'action coloniale.
L'analyse de l'évolution socio-politique nous amè-
nera vers la période d'avant et d'après l'indépendance:
l'essor du nationalisme, les luttes et les revendications
sy~icales et politiques seront examinés souvent très longue-
,
ment par les romanciers •
. Si le peuple malien n'a pas lutté les armes à la
ma1n cont~~la présence prolongée des colonisateurs, il a
pris fait e~ cause pour les combattants de la liberté dans
certains pays africains. Les luttes politiques et syndicales
ont suscité beaucoup d'espoir, mais les indépendances semblent
avoir déçu les Africains. Il sera intéressant de s~7oir ce
qu'en pensent les Maliens. Les romanciers, après un moment de
./ .

-
14 -
silence, ont commencé à clamer tout haut leur déception pré-
tendant exprimer en cela l'opinion populaireJ D'où l'impor-
,
tance que nous attacherons JAux oeUvres traitant de ce problè-
me brOlant d'actualité .
......, '
~...-,'~ontrerons également que les thèmes traités
par les ro. "'~maliens se sont diversifi~s et approfondis.
Certains 0
' de la soci~té traditionnelle, de ses Va-
leurs et de ses imperfections. D'autres ont repris le débat
passionnant et pas6i'nn~ autour de la tradition et du moder-
nisme, pour marquer leur préférence pour l'une ou l'autre
tendance.
.0'
Quelques romanC1ers se sont interessés à des pro-
blèmes sociaux tels que le mariage, l'exode rural, le rôle
des fonctionnaires africains, ou, ce qui suscite aujourd'hui
le plus de controverses à travers le monde (l'O.N.U a décreté
une décennie de la femme)
: la place et le rôle de la femme
dans la société.
No~s n'oublierons point dans notre démarche, de fai-
.
re l'étude des structures romanesques :. Nous avons cru pré-
férable de ne pas la d6tacher en un chapitre distinct Mais de
l'incorporer à l'ensemble de façon harmonieuse. Nous nous~-·
vrerons donc à une étude critique d'où ressortiront les valeurs
et les lacunes des romans : les procédés du roman (structures
et composition) les procédés de narration, la technique de
l"criture et le style de chaque auteur (la façon dont ils
traitent la phrase française). Nous aborderons enfin un der-
nier point important : le rapport du romancier avec ses per-
sonnages : indépendamment des portraits et des psychologies,
dans quelle mesure les personnages sont-ils porteurs de l'idéo-
logie dU romancier?
s'identifient-ils avec lui ou non ? en
un mot, les personnages jouent-ils en miroir ou en contraste
avec leurs créateurs ?
./ .

.". ·'or .
-t
- 15 -
Ce débat sera naturellement clos par des questions
touchant à l'avenir du roman malien~ Son essor ou 40n appau-
vrissement s'inscrivant dans la perspective de la littératu-
re malien~J ~n général, nous ve~ns si des efforts sont dé-
,
:~.,
ploy~s dan~ ce
sens (par les auteurs et par le gouvernement)
et s' ils ~~PQP1;é ~t ~~: ~. J'iI~

,.
".
- 16 -

~ PRE MIE RE
PAR T 1 E
f'
.:
LE ROMAN DANS LA LITTERATURE MALIENNE
,f

-
17 -
PREMIERE. PARTIE
Le roman est le produit des réflexions d'un auteur qUl
vit forcément dans ufie société donnée. A ce titre, il reflète
certains aspects politiques, économiques, sociaux, culturels re-
ligieux, sécrétés par cette société. Qui veut donc avoir une
connaissance approfondie d'un pays, peut interroger utilement
sa littérature romanesque.
A ce titre le roman doit beaucoup à d'autres sciences
(histoire, géog~~phie, ethnologie etc •• ) et à d'autres genres
littéraires (poésie, légendes, contes, théâtre, etc).
Tout com-
me ceux-ci peuvent lui emprunter certaines informations.
Pour évaluer cette complémentarité, nous avons tenté de
fairefhis~riquedu roman malien de langue française que nous
avons située par rapport à d'autres littératures existentes dans
le pays
- la litt~ature orale qu~ est traditionnelle
- la littérature en langue arabe qui a perm~s de former
les premiers é~!ivains
m~liens.
Ce qui nous permettra de voir ce que le roman leur doit
et quelle est sa place dans la littérature malienne en généraLf

- 18 -
CHA PIT RE'!" 1
~==================
LE 'U\\LL A LA CROISEE DES CULTURES
"La cultu~e est une ~4action
~aciale de l'Homme su~ son milieu,
tendant à un équilib~e intellectuel
et mo~al ent~~ l'Homme et ce milieu".
(Léopold S.
SENGHOR ; Libe~té 1;
Le SeuiL 1964, page 11),
Pour terminêr cette définition, SENGHOR ajoute : "Comme
le milieu n'est jamais immuable, non plus que la race, la culture
devient un effort perpétuel vers un équilibre parfait, un équili-
bre divin". Il met l'accent sur deux éléments fondament~x, le
milieu et la race.
;
Dans le contours géographique que nous avons choisi,
trois races humaines ont cohabité, chacune essayant de laisser
sa marque profonde sur le milieu (qui a
souventes fois changé
de visage)ou parfois même sur les autres races.
On se souvient en effet que sur le sol du Mali se sont
édifiées quelques unes des plus prestigieuses civilisations de
llAfrique noire, soit qu'on se réf~re aux vestiges mis à jour
par ;~es multiples fouilles, soit qu'on interroge les sources
ora1és et les documents écrits en arabe et en français" Si cer-
• AI.
taines de ces civilisations se sont épanouies dans la plus hau-
te Antiquiié et au Moyen-Ag~~ d'autres à leur tour, marqueront
de leur éclat les Temps Modernes.
Successivement ou en concomitance, les empires de Ghqna,
du Mali, du Songhay ou Sonrhai, du Kénédougou et du Ouassoulou
avec Samory, ont fleuri à côté des royaumes bambara de Ségou et
celui du Kaarta ainsi que la trés mystérieuse soci~té dogon. Il
faudra y ajouter les hégémon~es peulh et toucouleur d'allure
théocratique~ qui furent l'oeuvre de Cheickou Amadou Bari du
Macina et d'El Hadj
Omar Saîdou TALL.
../ .

-
- - - -
~,..~~-.,_.,,-,
....

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~.
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..
Cette pe~10d~ de 1 'histoire du Mali
a provoque un
nombre impressionnant de chroniques, après avoir inspiré des au-
teurs africains~'~!llbord, arabes et européens par la suite. Tout
.""
",'
un pan
continue encore de nos jours à requérir la sagacité des
chercheurs (historiens, ethnologues, etc .• ). Une nouvelle géné-
ration d'écrivains tente quant à elle, d'apporter son témoigna-
ge sur l'époque contemporaine. L'essentiel sera donc sauvé de
l'oubli.
Ainsi se sont créées au Mali, deux sortes de littéra-
tures.: l'un~ orale, dont les manifestations se trouvent dans
les différentes langues du pays; l'autre écrite grâce aux al-
.
:'::.'.'1
phabets arabe et français.
La dernière est relativement la moins abondante parce
que de date plus récente que celle qui, née du fond ~coeurs
et des imaginations, de l'expérience ou du témoigna~~ut col-
portée de bouche à oreille durant des siècles.
La tradition orale a en effet longtemps servi de véhi-
cule au riche patrimoine culturel que sont les écrits initiati-
ques, les chansons de gestes, les poèmes épiques ou religieux
qui ont pris corps à côté d'une floraison de contes cosmogoni
ques et didactiques, de dévinettes, de charades et de proverbes.
Dans ce pays qui a fini aujourd'hui par s'appeler République

du Mali, ce sont les conteurs de~alent et surtout les griots
hiq~oriens ou chansonniers qui ont assuré la retransmission fi-
~tè des sommes de connaissance, de génération en génération •
•,' _v
Les enseignements reçus d'autre part des vieillards, des gens
de science et de caste (cha'sseurs, guerriers, guérisseurs, sor-
,ciers, forgerons, cordonniers, etc •• ) ont servi de compléments
d'information.
Eclipsée un moment, (durant toute l'époque coloniale)
la littérature orale a retrouvé ses titres de noblesse. Elle
connaît en effet depuis quelques décennies un regain d'intér~t.
Plus précisement depuis que l'homme noir, infériorisé par le
Blanc, a recours à elle pour se réhabiliter. On se rappelle le
./ .
_.
'~>

f".,.
-
20 .,
cri d'arlamc
d'Amadou Hampaté BA, devenu désormais un
slogan: chez nous (c'est-à-dire en Afrique noire) chaque fois,
qu'un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle. Nous
verrons plus lointij:ü'8 en nous
limitant à l'exemple du Mali,
1
ce que les intellectuels 110' ,-"'S parmi lesquels les romanciers
ont tiré comme enseignement en allant à l'école de la culture
traditionnelle.
L'homme ne vit pas seulement de pain et d'eau, malS
également de toutes substances pouvant nourrir son esprit et
son coe~r, a-t-on dit. La littérature malienne traditionnelle
-l""
compte des chanteurs professionnels tels que· Mogantafé SACKO,
Fanta DEMBA et surtout Bazoumana SISSOKO communément appelê
"Le vieux lion". Ce sont des griots dont les airs rappellent
la poésie des troubadours et des trouvères.
,
1
Au Mali, aujourd'hui, il est indéniable que leUrs chan-
sons sont plus prisées que celles de n'importe quel orchestre
moderne, qu'il soit malien ,guinéen, congolais-zairois, kenyan,
français, ou américain. (Etats Unis, Cuba, Antilles).
A c6té des chansons populaires, ces griots en forgent
d'autres dont la puissance d'envoûtement est à la mesure du sen-
timent patriotique qui vibre au coeur de tout Malien. Ces vir-
tuoses s'adressent d1autre part à plus de quatre vingt dix pour
cent de la population du pays. On I~isira toute la portée de
cette poésie orale si l'on sait que lIdans l'univers noir, orga-
nisé
et hiérarchisé par la connaissance, la musique tient une
place importante, car le matériel sonore qu'elle met en branle
a des répercussions sur la marche du monde, aussi bien sur le
plan cosmique que celui de l'activité humaine"(l).
Dans ce qui peut passer pour de la prose, la littêratu-
re orale malienne est également très riche. Les contes et les
épopées surtout sont la nourriture spirituelle de toute la couche
(1) Eno BELINGA ;Littérature et Musique popuZaire en Afrique
Noire~Toulouse; 3ditions Cujas, 1965, page 22.
il

- 21
non alphabétisée de la population. Là, Baba CISSOKO se taille

la part du l"n. Nous avons tous entendu dire que la littéra-
ture orale n'a pas d'auteur propre, que les thèmes se créent
au cours d'une circonstance (guerre par exemple) et se dévelop-
pent au fil des ans et des siècles,telle une quenouille qui dan-
se. Or Baba CISSOKO dit "Djili Baba" est un vrai créateur. L'ha-
bitude de conter aidant, il est devenu, grâce à son imagination
fertile, l'a~teur de main~contes et récits que vieux et jeunes
du Mali, l'oreille collée chaque mercredi soir à leur poste-recep-
teur, goQtent avec délice. Ils trempent ainsi leur âme dans la
tradition leguée par les ancêtres.
Signalons également dans ce répertoire, l'existence
d'un théâtre authentiquement africain, le Kotéba, dont nous au-
rons l'occasion de parler plus loin.
Et voilà que la littérature traditionnelle, lon~temps
étouffée, devient plus vivante,plus instructive que celle en
langues arabe et française ; parce que touchant un plus grand
public.
'.
Les intellectuels du pays qui le savent, se mettent
actuellement à l'écoute des anciens pour recenser, transcrire
et publier. Nous aurons l'occasion d'y revenir. A la suite de
ces spéc!alistes, l'Enseignement Supérieur(plus précisement
l'Ecole Normale Supérieure)a crée ùne section de littérature
traditionnelle. Elle envoie à présent des étudiants recueillir
de la bouche des griots d'inestimables trésors provenant du fond
culturel séculaire, pour en faire des sujets de mémoire et de
thèse.
Quant au Ministère de la Culture, après avoir lancé
KIBARU un journal en langue bambara, (parlée par les deux tiers
de la population) il encourage à présent la création individuel-
le en langues nationales. Les Editions Populaires du Mali pour-
ront bientôt publier des ouvrages de tous genres, écrits dans
ces langues. Leurs auteurs seront des hommes et des femmes ../ .

,po.
,.. 22
i
"
"",
,
~
/
1..
.~
n'ay~nt jamais appris à écrire l'a~abe et qui n'auront pas non
'''.'tt
plus eu la chance de
les bancs de l'école française.,
:.
L'avenir,dans ce domaine donc, est plein de promesse et se
seront autant de titres dont s'enrichera la littérature malien-
ne. Mais ne nous arrêtons pas à cette seule culture.
L'événement de grandes conséquences que fut l'arrivée
des Arabes dans Ghana, avec leur langue et leur écriture, a cons-
titué le deuxième temps fort dans l'histoire de la littérature
malienne. Les pélerinages des empereurs Kankou Moussa de l'em-
pire du Mali et Askia Mohamed de l'empire Sonrhaî, sont demeurés
célèbres. A cette occasion, ils ont réhaussé le prestige du Nègre
en attirant sur lui l'attention du monde extérieur. Nous retien-
drons surtout, dans le cadre de cette étude, que ces empereurs
ont ramené dans leurs bagages de pélerins des idées neuves et des
hommes capables de réaliser ces innovations. Des chroniqueurs
arabes, des architectes, des lettrés et même des savants, effec-
tueront le voyage du "Soudan occidental" et laisseront de cette
époque, des témoignages indélébiles.
Kankou Moussa et Askia Mohamed seront moins des conqué-
rants que des bâtisseurs d'empire. Ils décréteront dès leur re-
tour, la création des écoles coraniques dans tout le pays, per-
mettant ainsi à la population de pénétrer davantage la culture
arabe et de
se servir de son écriture. De grands centres intel-
lectuels verront le jour. Djénné et Tombouctou rivaliseront de
réputation,
et cette dernière ville donnera le ton à tout l'em-
pire Songhay comme nous le dit Sékéné Mody ~ISSOKO(l).
Sankoré,
la grande université de Tombouctou écrit l'historien
malien,
fut célèbre dans le monde arabe et musulman. Sa prestigieuse
bibliothèque, aa~' plus beaux de ses jours, comptait des milliers
de livres : ouvrages à caractère religieux ou profane portant
sur la littérature (poèmes surtout) les mathématiques, l'astro-
nomie, etc ••'
./ .
(1) Sékéné Mody SISSOKO
Tombouctou et l'empire Songhoy,
Dakar,
N.E.A., 1977.

- 23 -
~opold Sédar SENGHOR dans • Les plus beaux écrits de
l'Union française et du Maghreb nous parle de cette littérature.
Dans le chapitre intitulé "L'Afrique noire", l'auteur
fait une sorte de bilan de l'action de l'Islam sur les popula-
tions du Soudan occidental. Sans nier le rôle des Chrétiens ve-
nus de la Méditerranée, Senghor pense que "l'aspect intellectua-
liste" de la civilisation de cette région du Soudan est da ~
l'influence arabe. "On peut dire, exceptis excipiendis que l'ara-
be fut pour l'Afrique soudanaise ce que le gréco-latin fut pour
l'Europe" (1). L'intelligentsia
nègre du pays jouissait d'une
certaine considération à l'extérieur car, écrit Senghor citant
M. Béraud-Villars "Les écrivains du Maghreb et du Levant consta-
taient eux-mêmes que les auteurs soudanais étaient d'excellents
théologiens et que leurs travaux ajoutaient à la somme des scien-
ces islamiques" (2).
L'essor de cet humanisme négro-arabe, poursuit Senghor,
fut brutalement freiné après la défaite du Songhaï à Tondibi par
une poignée de renégats à la solde du sultan El-Mansour du Maroc.
Après l'entrée de la troupe marocaine à Tombouctou le
25 avril 1591, leur chef, Djouder ordonna le sac de la ville.
"La ville fut pillée sans pitié et de nombreux lettrés déporté~
au Maroc. Naturellement, les bibliothèques ne furent guère res-
pe tées, au contraire. Le savant Ahmed Baba se plaindra plus
tard que les "Marocains" lui aient volé 1.600 v o l . ' (3).
Malgré cependant l'acharnement des invahisseurs, ce
fond culturel a laissé des traces, parmi lesquelles des chroni-
ques appeJées
tariks. Ce sont presque les seuls témoignages du
Moyen-Age soudanais, qui ont pu échapper aux Marocains. Les ta-
riks sont des ouvrages d'autorité. Les faits qu'ils relatent ./ .
(1) Léopold Sédar SENGHOR ;in Les pZus beaux é~pits de Z'Union
fpançaise et du Magbreb;
Paris, La Colombe,
Editio~ du Vieux Colombier; 1947, page 180.
(2) et (3) Ibidem, page 180.
i_.

- 24 -
sont irrécusables et maints chercheurs encore aujourd'hui se
plaisent! les citer. Même un Yambo Ouologuem n'a pas déroge à
la règle, dans son roman à caractère historique : Le devoir de
violence.
Nous revenons encore à Senghor qui nous cite quelques
auteurs soudanais de langue arabe :
"Mohmoud Kati est le plus vieux de nos chroniqueurs.
Né en 1468, il meurt en 1593 à l'âee de 125 ans. Il était juri-
consulte de sa profession. Il n'a rédigé qu'une partie de l'ou-
vrage qui nous re s te de lui, le Tarikh el Fettach" (1). ,Commencé
en 1519, ce manuscrit (comme
Les Pensees de Pascal) est demeure
inachevé, la mort ayant surpris son auteur. Complétée par les
héritiers de Mahmoud Kati, l'oeuvre relate l'histoire des villes
et des armées du Tekrour et contient aussi une description du
faste de l'empire de Ghana.
"Abderrahman Es Sadi, né le 18 mai 1596, a écrit son
ouvrage vers 1630 sous le titre de Tarikh es Soudan
ou "chooni-
que du Soudan" ••. Notaire puis iman, es Sadi est le plus "intel-
lectuel" q~S ecri vains soudanais dont les oeuvres nous sont par-,
venues. L'auteur, dont le père était professeur à l'université
de Tombouctou nous a laissé des pages qui nous montrent que les
professeurs soudanais ne se contentaient pas de traduire "Les
auteurs du programme" ; ils se livraient à un véritable travail
scientifique, a"ec explication critique et comment~ire" (2).
Senghor signale une troisième oeuvre qui serait impor-
tante aussi mais qui n'est malheureusement pas signée. Le
Tedzkiret
en Nizgn aurait été écrit par un anonyme, originaire
du Macina au Soudan. Sorte de dictionnaire biographique plein ./ .
(1) Léopold Sédar SENGHOR, in Les pZus beaux Icrits de Z'Union
française e.t du Maghreb;
bp. cit. page 183.
(2) Ibidem; Op. cit., page 186.

.,.-
-
25 -
de vie, le Tedzkiret en Nig&.n est un "Who lS v;h8 " de tous les
pachas de Tombouctou de 1590 à 1750. "On y rencontre souvent des
portraits, voire des tableaux historiques, comme celui, pathéti-
que l'su!] la grande famine de Tombouctou en 1741" (1).
La section culturelle de L'UNESCO est à l'origine d'une
heureuse initiative tendant à restaurer l'université de Tombouctou,
Travail passionnant pour les chercheurs, mais difficile aUSS1.
La bibliothèque porte le nom de Ahmed Baba. Amadou Hampaté BA
qui a
bien voulu s'associer aux personnalités choisies pour la
circonstance, explique que l'hommage ainsi rendu à Ahmed Baba
est bien mérité. Non seulement le s~enir de son autorité intel-
lectuelle demeure vivace à Tombouctou, mais il existe encore
aujourd'hui un nombre important de ses oeuvres. Peut être qu'un
jour celles qui ont été emportées
par les Marocains viendront
rejoindre les autres, tout comme l'auteur lui-même après son
long exil, a été autorisé par le sultan du royaume chérifien à
rentrer dans son Tombouctou natal avant sa mort.
La littérature arabe du Mali a perdu de son éclat. Mais,
loin d'être relégué au musée du souvenir, l'arabe sert encore
aujourd 'h\\Ji de moyen de com;:-"~ication aux lettrés de cette vaste
portion de territoire qu'est la boucle du Niger. L'humanisme
négro-arabe a eu d'autres conséquences très importantes. A côté
de la littérature soudanaise de langue arabe a fleuri une autre
dans certaines langues nationales telles que le peulh et le kou-
mari, ou même le bambara. Mais la plupart des poèmSl religieux,
des chroniques et des articl s philosoi~ques rédigés avec l'al-
phabet arab~ demeurent inéditS'.
Et la plus grosse difficulté à laquelle se heurte le
programme de l'UNESCO (dont nous avons parlé plus haut), c'est

le refus catégorique des autbchtones de laisser des étrangers
accéder à leurs bibliothA;ues. Les oeuvres héritées du grand-
père ou même de l'aïeul, sont considérées comme des réliques.
./ -
(1)
Léopold Sédar SENGHOR; Les plus beaux écrits de L'Union
française et du Maghreè~ Op. cit., page 186.

-
26 -
,Bien qu'elles soient très souvent conservées dans des conditions
précaires qui les mettent à la po~t~e de l'humidité, des souris
et des termites, les propriétaires de ces oeuvres considèrent
comme un sacrilège le fait de devoir les confier à une biblio-
thèque nationale, ou même de les prêter.
Un problème épineux attend là, non seulement .le gouver-
nement malien, mais tous ceux qui sont soucieux d'humanisme.
Qui sait de quel sang nouveau sera l'apport de cette littéra-
ture en langue arabe, pour le roman malien?
0000000
Les missions d'exploration lancées par quelques curieux
tel René Caillé,puis l'arrivée des "volontaires" du Christia-
nisme et plus tard des expéditions coloniales anglaises et
françaises, ouvriront la voie à une ère nouvelle culturelle au
Mali.
Avec les armées de conquête coloniale arrivèrent des
chercheurs et des écrivains de fortune. Ces Européens, (de
bonne ou mauvause foi) laisseront des témoignages sur les as-
pects de la civilisation des populations "soudanaises"1u'ils
ont rencontrées. Leurs oeuvres, composant ce que l'on 2.;pelle
aujourd'nui la littérature coloniale, sont exposées dans les
rayons de la Bibliothèque nationale du Mali à Bamako. D'autres
se trouvent
à l'IFAN de Dakar et surtout à la Documentation
française et à la Bibliothèque nationale à Paris. Le Musée de
l'homme de cette ville possède lui aUSSl des documents et des
objets d'art (masques, statuettes, photographies etc) relatifs
à l'histoire du Souda~, telle que les Européens l'ont conçue.
Nous avons dit dans l'intrOduction, la tentative infructeuse
que nous avons faite d'entrer en possession de quelques romans
maliens publiés en France, en nombre limité.
La "pacification" achevée et après l'installation de
son administration, le colonisa·tc~r songea
à créer des écoles
primaires afin de pouvoir former une poignée de lettrés "indi-
gènes", capables de servir d'intermédiaires et de cautionner
.. / .

-
27 -
. ',.
la politique coloniale. ~'est dans cette optique qu'il faut
situer l'initiative qui aboutit à la création de l'école des
fils de chefs et de notables de Kayes (l'ancienne capitale du
Soudan de 1895-1901) et plus tard l'ouvertur~ des autres écoles
primaires dans le pays. L'Ecole polytechnique rurale de Katibou-
gou sera une réplique de l'Ecole Normale d'instituteurs de
William Ponty du Sénégal, institution qui avait la réputation
d'~tre"la pépini~re"des cadres de l'A.O.F.
Malgré cela, note Robert Pageard dans l'ensemble des
colonies, ".e taux
de
scolarisation dépassait rarement 10%%
aux alentours de 1950 et demeurait bien inférieur à ce chiffre
dans les territoires intérieur ••• " /comme le Soudan_ par exem-
plë!"(l). En dépit- de cette lenteur de la scolarisation (due
à la réticence des populations indig~nes) et sa faiblesse
(pour des raisons de calcul politique de la part du colonisa-
teur), cette initiative d'alphabétisation aura pour résultat
entre autres, la formations des premiers intellectuels noirs
du pays. Elle eu pour conséquence la naissance de ce que nous
appelerons le troisi~me type de littérature : la littérature
malienne de langue française.
La culture arabe, rappelons-le, n'a surtout profité
qu'à une minorité parce que l'enseignement de l'arabe~stasé plus
sur la
m~motechnie que sur l'apprentissage de l'écriture.
Dans L'aventure ambiguë de Cheikh
Hamidou KANE par exemple,
le héros Samba DIALLO déclare que le ~arabout prend toujours
son temps pour expliquer le sens des versets coraniques (donc
l'écriture) "Voulant t'apprendre Dieu, il croyait avoir, pour
cela, jusqu'à la mort",(2).
A l'opposé se situe l'école française dont le héros re-
connatt la supériorité et l'éfficacité. On y apprend tr~s tôt
à "agencer Ires signes et les f:"""_'J7 pour former des mots, à
agencer les mots pour donner naissance à la parole ••• "(3)
(4 (J) Cheikh Hamidou KANE ; L'aventure ambiguë;Op. Cit. ;
page 173.
(~et <a) IBidem, page 172"'6
(j)fY;1wrJ; ~~; ~ ~~ o..f:~.: Df- r,i). 1Af-9

-
28 -
C'est donc parce qu'en arabe on n'apprend que sur le
tard ~ "agencer les signes et les ion~" donnant naissance aux
mots qui servent ~ formuler la pensée-, que cet alphabet n'a
profité qu'à une minorité parmi les populations très islamisées
du Nord: Peulhs, Tamacheks, Maures, Sonrhaïs.
La cultur(
française, elle,généralisée tout de suite
à l'ensemble des éléves qui fréquentent les bancs de l'école,
permettra la formation de ce que nous désignerons par écrivains
maliens de langue française. Les premiers intellectuels produi-
ront des monographies, des essais de toutes sortes, feront des
traductions de contes et de légendes etc. Les poèmes, les piè-
ces de théâtre et les romans viendront s'y ajouter plus tard.
Cette production littéraire se démarque de la littéra-
ture coloniale (dont nous avons parlée plus haut) en ce qu'elle
est spécifiquement l'oeuvre de Maliens. C'est à ce titre qu'elle
seule retiendra notre attention et servira de matière à notre
étude.
Après aV01r ainsi délimité les trois cultures (orale,
arabe et française) et dit notre intention de nous limiter à la
littérature française produite par les écrivains malien~, nous
allons tenter de voir succinctement
ce qui co~pose cette
littérature.
Fallait-il regrouper les oeuvres citées par auteurs ou
d'après les dates de leur publication? Nous avons choisi la
deuxième méthode, c'est-à-dire la chronologie de la parution
des oeuvres, pour montrer le progrès réalisé par les auteurs
maliens : approfondissement des thèmes traités ou leur renou-
vellement.


éHAPITRE II
L'ECLO~ION DES
GENRES
LITTERAIRES
[V~h vo~x auto~~~éeh ~e ~ont élevéeh pou~
demande~ a l'~ntellectue! a6~~ca~n]'~lenga­
gernent dan~ la l~tté~ax.~~e t~ad~t~onnellle.
Engagement, pa~t~c~pat~on dt toute la communauté
a cette l~tté~atu~e, engagement .de cette l~~té~azu~e
dan~ La v~e, dan~ ~e~ rno~nd~e~ a~pecth».
(Mohamadou Kane "l'écrivain africain
et son public ". P~éh ence A6.1l..Lca.~Y~...
nO 58 20 trimestre 1966; page 27.
Cet appel a été largement entendu par les intellectuels
maliêns qu'il-' s'agisse'r: des premiers écrivains que nous appe'erc,"_.
les pionniers ou de la génération suivante qui va renouveler et en-
richir les thèmes traités par leurs aînées.
,; Les pionniers: traducteurs et essayistes.
C'est surtout parmi les anciens pensionnaires de William
Pont y que se recrutent les premiers écrivains maliens. La "très
fameuse" école ne fournissait p~"" ""'"'1l1eT1'1Ant à l'A.O.•.~des instituteurs,
ms égalerœnt 4es ccmnis d'administration, des nédecins tltligènes, etc ...· ~
l
'
progroamœ conportait, à côté des natières théoriques conme les nathématiques et
les sciences naturelles par exemple, un enseignenJlrJt axé sur l'étude du milieu
. ~.
africain : "Avant tout, on veut qu'ils restent dans leurs pays ; l'Afrique a une
irrlividualité et ce n'est pas le rôle de l'école de la détruire ; à elle au
contiaire revient l'honneur de développer cette irrlividualité en la révélant é3W(
irrligènes qui n'en ont pas touj ours conscience, en la leur faisant découvrir dans
la familiarité de leur vie, dans les actes les plus siJT:ples de chaque jour. Que
leurs pensées restent africaines et qu'ils ne se servent du français que pour les
expr:iJœr [ ... ] voilà l'idéalIl • (1)
(1) Education africain: n~ 90/91 a~ril-septemqre 193~ ; citée
par Robert Cornevl.n l.n Le théatlr.e en A6~-<.:que no;(.1r.~et à
Madaga~ca~. Paris le livre af~icain 1970 : page ,~.

30
C'est en vue de la rêalisation de cet "idêal" que
Moussa Travêlê, Dominique Traorê, Mamby Sidibê, Fily Dabo Sissoko
etc ... , ont pris leur plume, bien avant l'indêpendance, pour ex-
primer leurs pensêes.
Moussa Travêlê qui fut::i.nterprète de son êtat au palais du
Gouverneur à Koulouba, a êtê, sinon l'un des premiers intellectuels
maliens à êcrire en langue française, du moins le premier dont
l'oeuvre publiê a pu retenir l'attention de la critique.
Dès 1913 paraissait de lui, aux Editions P. Geuthner à
Parj&,~e Petit
dictionnaire français-bambara et bambara-français,
qu'il complêta plus tard par: le Petit manuel français-bambara,
publiê chez le même êditeur en 1955. Ces ouvrages devaient per-
mettre, dans l'idêe de leur auteur, aux Français et aux Bambaras,
d'enrichir rêciproquement leur vocabulaire. Quant aux :"Quelques
aspects de la magie africaine: amulettes et talismans dU'Soudan_
français'~,êcrit en collaboration avec Henri Labouret, c'est un
livre qui a trait à l'ethnologie. La science des sorciers et guê-
."
risseurs soudanais y êtait mise à l'honneur. Uda.tre mêrite de
Moussa Travêlê aura êtê d'avoir signalê l'existence d'un thêâtre
,.t
.,,'
bambara (traditionnel dans ses sources) dans un article de la re-
vue Africa, sous le titre "Le thêâtre mandingue. L'ouvrage parut à
Londres en 1928.
Nombre d'Europêens aoutiennent que les Africains ne
connaissaient
de thêâtre, que les manifestations à caractère litur-
gique. Le thêâtre du type grec serait d'invention exclusivement
europêenne !

Entre autres exemples, citons le colloque sur le
théâtre négro-africain (Abidjan 1970) qui est venu infirmer cette
allégation
un peu trop hâtive. En effet, à côté du théâtre tra-
ditionnel sacré qui est un spectacle à l'occasion des cérémonies
religieuses, Lilyan Kesteloot so'tl1'ignai t l'existence' d' "un genre
intermédiaire où l'aspect religieux s'estompe progressivement soit
que le rite est plus ou moins abandonné, ou qu'il évolue ... "(1)
Pour terminer son inventaire, l'auteur déclarait: "Cependant dans
la vieille tradition africaine, tout théâtre ri'était pas religieux.
Dans les villages de brousse, situés à des lieux des grands centres
urbains, il existe encore un théâtre traditionnel profane. Je pense
à une sorte de comédie de moeurs
"
appelé
"
Koteba par les Bambaras
et qu'un auteur, à cause de son style de farce et de caricature a
rapproché de la Force de Maître Pathelin" (2).
Complétant cette information, Moussa Traoré qui est
Bambara, écrivait dans : Le théâtre mandingue (que nous avons cité
plus haut;)' :
"Il ne s'agit point [ ... ] d'exhibitions banales de ma-
rionnettes, de prestigitateurs, de magicfens, de charmeurs d'ani-
maux comme il s'en trouve dans certaines parties de l'Afrique, mais
bien de véritables pièces, parfaitement ordonnées et réglées, des-
tinées à exposer une intrigue déterminée, en employant pour inter-
prètercelle-ci, des acteurs humains. On peut donc affirmer, dans
ces conditions, qu'il existe bien un théâtre soudanais" (3)
( 1) et (2) Li.lyan Ke-6teloot ; "le théâtlr..e néglr..o-a61r..i.c.ai.n tlr..ati.onne..e.;~
i.n Le théâ:tJte a6JU.c.a.ln ; Ac.tu du c.oU!lque d'Ab.idjM; avILit 1910 PIr..é.6ence.
a6JLica.<.ne 7910 ; page 43.
(31 MouMa TJr..avUé et Henlvi. LaboUlLet ; "Le théâ:tJte ma.ncUngue" .Ln A6Jr..i.ca ;
Lo~u 1928 ; page 19.

Le théâtre mandingue n'a donc rien à voir avec celui
des cultes chez les Grecs et celui des cathédrales dans le Moyen-
âge européen. Le Kotéba est une manifestation purement culturelle~
à laquelle le colonisateur français n'a pas su accorder toute
l'attention méritée au moment de l'occupation du Soudan.
Seulement, parce qu'il n'a pas donné naissance à des
piècesécrites et jouées sur scène, nous ne rangeons pas le Kotéba
dans la partie de cette étude reservée au théâtre malien d'au-
jourd'hui que nous appelerons "théâtre moderne".
Après Moussa Travélé que nous tenons pour le premier
écrivain malien de langue française, le repertoire s'est enrichi
d'autres auteu~s. Nous citerons leurs oeuvres dans l'ordre chrono-
logique de leur parution pour les raisons que nous avons données
plus haut.
C'est d'abord Un poème mystiqué.soudanais de Thierno
Bokar, que Présence Africaine a publié en 1948 mais dont nous n'a-
vons malheùreusement pas pu entrer en possession.
a
a
o

'"
. (
~
r"
.\\.
Mamby Sidibé, un des tout premiers ~tituteurs sortis
de Pont y, a aujourdhtui le mérite d'avoir façonné l'âme d'une
bonne partie des intellectuels maliens, parmi les~els des écrt-
1, ,~1;~i
vains que nous ~ârons à citer. Une grande partie de ses oeuvres s~
compose de monographies sur les Bobo de la Haute Volta parmi les-
quels l'a conduit l'exercice de ses fonctions et sur les Ma~nika
de la région de Kita sa ville natale. Octogénaire Mamby Sidibé a
continué à écrire jusqu'a ce que la mort vienne le faucher. Une
fraction importante de son oeuvre, encore inédite de nos jOU~~, ~~~~
confiée' à la Bibliothèque Nationale du Mali à Bamako. Seul o1tfé"II:~'~
collaboration avec d'autres chercheurs et écrivains, il a publié
dans le Bulletin de l'enseignement de l'A.O.F. en 1918 une Mono
graphie de Fada N'Gou~ma, puis une Monographie de la région de
Banfora en 1921 paru dans le Bulletin du Comité d'études historiques
••
et scientifiques de l'A.O.F., texte que viendra compléter une
Contribution à l'étude de l'histoire et des coutumes des indigène~
de la région de Bobo Dioulassodatée de 1927. Revenant à son pays
, ;l,"
natal, il a écrit: A propos de la gaieté du Noir d'Afrique
l
quelques manifestation de la gaieté soudanaise. Se sont des obver-
vations qutil a notées parmi ~es cultivateurs dans leur vie quoti-
dienne ou à travers la farce des "Koridjougas" sortes de bouffons-
clowns qui amusaient le peuple.
Marnby sidibé a aussi apporté sa contribution à ltétude
de l'histoire africaine et aux divers aspects de sa civilisation.
C'est ainsi qu'en collaboration avec Diango Cissé il a écrit

;]W.:

..
, ...,
. < '
"
.
34
Contes et Légendes du Mali paru aux Editions Populaires du
Mali, ainsi que Soundiata empereur du Mali, intronisé en 1230
et qui fit du pays une région vaste et prospère s'~tendant de
l' Atlantique ati~'n1ont de l'Air, des confins du C.J.hara à l'orée
de la forêt dense.
Le nom de Dominique Traoré, auteur de monogra~~ies
inédites sur les Bobos, est lié surtout à une oeuvre qui l'a
définitivement sauvé de l'oubli dans lequel tombent ceux qui
r
n'ont rien lais sé derrière eux. Médec ine_ et magie africaines::
,.,~:~.~~ -
~,1,;"
sur la pharmacopée africaine dont l'auteur nous livre quelques
.....1
bonnes recettes. Lui-mê~ s'était initié à cette médecine pendant
'r
la vie d'instituteur qu'il a vécue des années durant, en milieu
bobo. Préventive et curative surtout, cette médecine est une
science héritée des traditions séculaires et dont les derniers
dépositaires gardent jalousement les secrets. Le principal mérite
de Dominique Traoré est d'avoir su patiemment gagner la confia~ ~
ce des guérisseurs. ('n sait quelle suspicion nourrisent générale-
ment nos" paysans pour tous les intellectuels occidentalisés r -'''''.~ s:5.::')
sont noirs.
Sur les traces de les ainés, spécialistes de la tra-
dition africaine, nous retrouvons d'autres Maliens qui leur ont
emboîté très tôt le pas et qui, comme les premiers, "collectent,
enregistrent et récréent". (1)
(1) L. Ke~teloot Antkolog~e nég~o-a6~icaine Ma~about Unive~~ité
1961, page 340.

.,
' .....,
.
35
lJ
"L'initiateur et le prophête de ce mouvement, note
1
i
encore Madame Lilyan Kesteloot, est sans conteste Amadou
Hampaté Ba, dont les travaux divers sur la religion Tidjani,
l'empire du Macin,a, la poésie peule, font autorité". (1)
Historien, philosophe et théologien disciple du mystique T;erno
Bokar (sur lequel il portera un vibrant témoignage), Hampaté
Ba est aussi un ancien élêve de Mamby Sidibé et tient sans doute
du maître, l'amour qu'il porte à la transcription des récits de
source sérieuse ou même profane comme "Le Peul et le Bozo ou le
coccyx calamiteux" publié dês le 1er trimestre de 1949 par Présence
.,
..
~''';,~
Africaine· dans son numéro IV. L'auteur y raconte avec maîtrise' '&tt~'
humour, le tour penda6Ie joué par le Peul au Bozo," son cousin
~..
à plaisanterie". La même revue lui permettra de publier en mars
{
J \\".>,
1950 la Poésie Peule du Mack . L'auteur y écrit en matiêre d' intro-
t
duction : "Un pays situé sur le Niger moyen, entre Diftarabé et
,.'!
Diré, celui où fleurit la poésie peule,
où les bambâdes (musiciens, poêtes et conteurs)
.~
chantent les guerres du temps passé et les exploit"s'*
des ardos (Chef du Macina préislamique) dans une
,
langue délicatement tissée, le peul". (2)
L'auteur est un des rares intellectuels maliens qui possêdent la
maîtrise parfaite de leur langue maternelle et qui sont capables
de parfaitement se servir du français. Parlant de l'irréparable
(1) L. Ke~telpot Antholog~e nég4o-a6~~ca~ne Ma4about Un~ve4~~té -
196 9,·
pag e 11 .
l
peu e
(2)
A. Hampaté Ba"Poé~~ejdu Mac~na"
P~é~ence A64~ca~ne VIlf-IX
ma~~ 1950 page 169.
j
.-.~
'1,
;

36
"
perte que constituerait pour les Africains l'abandon des langues
locales, Lilyan Kesteloot écrivait : "Tout un domaine de la sen-
sibilité de l'homme ne peut s'extérioriser que dans sa langue ma-
ternelle. C'est la part inviolable, particulière, intraduisib~e do
toute culture. L'homme africain ne peut renoncer à ses idiomes
,
traditionnels sans ressentir une amputation grave de sa person-
j
nalité". (1)
Amadou Hampaté Ba semble nous dire, que le choix qu'il
a fait du peul comme deuxième langue littéraire n'est pas seulé-
..
ment motivé par le fait qu'il soit sa langue maternelle. DanSkt:l1e
envolée lyrique, il plaide: "Si les Peuls du Macina n'ont pas
plus que les aut~es, qe poésie écrite, leur langue présente un
caractère de souplesse et d'harmonie auquel on ne peut contester
le génie poétique. Elle est, tout entière, un long poème, quand
elle est parlée correctement". (2' •
C'est pour sauver de l'oubli les inestimables trésors de
"cette "Culture peule" (3) qu'Amadou Hampaté Ba a tant mis en Oiuvre
pour intéresser d'autres chercheurs à la cause qu'il défend. En
coll~boration avec Germaine Dieterlen et Mme Lilyan Kesteloot
il a publié deux textes initiaques peuls qui sont"Koumen"et
KaidarJ~)Parlant du premier, Robert Pageard écrit: "Ce texte nous
.
»
révèle les fortdements d'un mouvement poétique qui se manifeste dans
les qoutumes, l'art oral et l'art pictural, puisque aussi bien
{ 1J U.iuan Ke.~te.iqot; ,Antho~~aie. ~éa~-a6IU;caine. Malutbout Uttl~.ué _ D. 11
(2) Amaoou Hampate Bâ"Poé~ie. pe.ule du Mac.ina"- Op. cit ; page 173.
(3J"Culture peule" in P~é~enc.e A6~ic.aine. IX X Juin-nov. 1956.
(4) A.H. Bâ et G. Dierterlen Koumen - Mouton et Cie 1961.
, .

, .
...
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" \\
t
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~
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'"
.- ; :;:~:~ .
.
"Kol.D'œn" a m::mtré que les fresques sahariennes de la per10de bOV1-
-".,
~"
,_
:' ,'r--

,
dienne sont l'oeuvre de paste~rs peuls ou appar~tés. Les table~~~~'
de rêve aux étranges symboles, abondent dans "Koumen"" (1)jJacques
Nantet pour sa part, nous commente le second texte initiatiql~ :
{'!ir
"Amadou Hampaté Ba l'a recueilli de la bouche m3ne des graiots de son
FI
pays •.. (2) "Kaïdara", dont toutes les péripéties représentent des
all~gories initiatiques ( ... ) relate les aventures mystique ou
.;
..
didactiques de personnages humains ou divins. Les griots peuvent à
leur gré (et A. Hampaté Ba a usé de cette latitude tout au lo~g de
sa version française, véritable chef d'oeuvre littéraire) passer
de la prose aux vers, raccourcir au rallonger, interpoler des ques-
tions, des dévinett~s, des digressions botaniques, zoologiques ou
religieuses, à par'tird' un modèle dont certains éléments sont ce-
pendant immuables". (3)
Traducteur, poète, Amadou Hampaté Bâ· est. aussi historien
et fervent adepte de la Tidjania ne l'oublions pas. Cette multipli-
cité de son génie s'est traduite~ publication de deux autr1~
~
'J..
oeuvres :" L'empire peul du Macina'~écrit en collaboration avec Jean
Daget, pûblié en 1955 par l'I.F.A.N. du Soudan et réédité par Mouton
en 1963: et Tierno Bokar, le Sage de Bandiagara en collaboration
avec Marcel Cardaire, en 1957 aux éditions Présence Africaine.
Dans l'empire peul du Macina, l'auteur narre les luttes
religieuses qu.'i
da soutenir l'état théocratique peulh du Macina
à sa naissance: d'abord pour s'imposer face au redoutable royaume
\\
,
( 1) Robe.llt Page.alld j·Lbttéllatulle. Ilo-a Il,[c.a,[ne. Op. c.'[t j page. 36
"JI ]ac.que.~ Nante.t ; Panollama
e.
a
~tt Ilatulle. nO,[Ile. d'e.xplle.~~,[on
fllança,[~e. ; Fayalld - 7912 page. 50
(J.J
~1le.UIl dla'[lle.ull~ l'ouvllage. de. Nante.t e.n 6oullm,[lle.) call Hampatê
Bâ a Ilecue.,[ll,[ ce. te.xte. de. la bou.che d'Alldo Pe.mbo au Sénégal,
c.e.llcle. de. Ltnguèlle..

.. ,.
:"
"
f
de
Ségou
d'essence animiste et de sUrcroît~sor
suzerain
d'hier; ensuite pour s'agrandi~ grâce à une série de conqu~tes..
Cheikou Ahmadou Bari, après avoir réuni
autour de lui les Peulh
jadis nomadisant, en a fait un peuple sédentaire dans lequel ~:
il a su allumer la flamme de la foi musulmane. Il leur a fait bran·-
dir l'arme de la guerre sainte contre ncertaines ethnies ~nimistes~
Rarticulièrement celles des bambaras, les plus actifs résistants
à l'Islam". (1) Quittant un moment Cheikou Ahmadou et ses Peulhs
"
l'auteur s'attache longuement aux pas d'El Hadji Omar Saïdou Tall,
- 'venu un beau matin de son Tékrour natal· Il s'en fut conquéri~ le
.~ .
titre de calife en Arabie Séoudite puis reviendra plus tard avec
ses Toucouleurs bousculer le f.1acina. Le fanatisme' 'exacerbé des
Peulhs et des Tourrouleurs les alignera face à face, non plus dans
une guerre sainte, rr.ais dans un combat sans merci, dicté par la
soif de domination.
L'auteur reprend la rélation de ces luttes religieuses
dans Tierno Bokar. Il nous montre le père de ce dernier entraîné
à son corps défendant dans les guerres omariennes à caractère sacré
tandis qu~,le fils, nourrit dès l'enfance du lait et de la Parole
~.-
\\'
'"
divine, sera un pacifique marabout enseignant le Coran à une zaouia
forte de cent talibés. Tierno Bokar devient ensuite un mystique
pandant la pi~té autour de lui et prônant la Morale parmi ses
adeptes de plus en plus nombreux. L'auteur lui même est fier de se
réclamer de la pensée du "saint homme", pensée qu'il défend dans
les nombreuses conférences islamiques auxquelles on le convie. Il
,
.
aime aussi à citer son "Maître" pour éteyJr ses propres arguments
en matière de foi musulmane.
( 1)

39
Une autre
grande figure de la littérature malienne,
"dont la forte personnalité honore la vieille génération" selon
le mot de Robert Pageard, c'est Fily Dabo Sissoko. Sacrifiant à
la tradition des premiers "pontins", il a tenu à porter un té-
moignaee sur la civilisation traditiDnnelle. Ce qui nous a valu
des esquisses tracées dans Humour africain texte publié par Pré-
sence Africaine nO VIII IX mars 1950 ; Les Noirs et la culture
ou "Introduction au problème de l'évolution culturelle des peuples
africains P a été publié à New York en 1950.Sa&esse noire, sentences
. ~,""
et proverbes malinkés, publié aux éditions de ~a Tour du Guet en
1956, est une contribution à l'étude linguistique qui nous rappelle
Le petit manuel fr~nçais-bambara de Moussa Travêlê.
Quant à : Poèmes d'Afrique noire paru chez Debresse 1963~
il regroupe Feux de brous~ Fleurs et chardons Harmakhis. C'est un
recueil de poésie, comme Poèmes du terroir africain publié par la
Tour du Guet en 1955. Ces deux oeuvres reprennent en français quel-
ques chansons populaires tiréesdu folklore soudanais et dans une
veine~pique, immortalisent quelques fières figures guerrières com-'
me Soundiata Keita, le fondateur de l'empire mandingue.
! l + . . ,
Homme politique, membre fondateur du PPS (Parti Progressis-
te Soudanais) il tut aussi influent à l'intérieur du pays que
' J ,
,
. , '
Mamadou Konate le fondateur du R.D.A. (Rassemblement Démocratique
;
Africain), il était aussi très écouté à l'extérieur. De brillantes
interventions politiques et des prises de position courageuses liont
rendu célèbre. Nous pensons par exemple à celle qu'il fit à la con-
férence de Brazzaville. "Il y donna sur les problèmes abordés son
point de vue intellectuel aDTicain dans L' évolution de la coloni-
... / ...

40',.-
1
sation en A.O.F. et dans L'évolution à l'oeuvre':. (1) Ces têXtes
1
ont été publiés plus tard par la revue "Renaissances". Le probl~ms
colonial avait déjà retenu son attention ,dans Coups de sagaie.
Dans Controverses sur l'Union française qu'il fit publier par la
Tour du Guet en 1957, le visionnaire qu'il était, annonçait l'o-
rage qui se préparait dans le ciel des colonies françaises.
Auparavant, Fily Dabo Sissoko s'était viol~mment attaqué au sys-
tème ~olonial qu'il qualifiait de "faussement" humanitaire
.'
et
civilis~teur, dans Crayons et portraits, édité par Mulhouse-
\\, ;I:mprime,rie de l'Union, en 1953. L'auteur yi~~t)çait le sentiment
"""jI
~
.
.~,
raei'ste de quelques Blancs, leur cupidité et 'leur cy nisme. Une
-
,
page est tournée, parutà Dakar;l f imprimerie A. t)lop "Voix perdues!'
1959-60, ce texte annonce, comme l'indique son titre, le tournant
amorcé dans ta vie politique des pays africains francophones.
La savane rouge est sans doute la meilleure oeuvre de
Fily Dabo Sissoko, qui la dédie à la "mémoire de mon maître in-
comparable, Fernand Froger ... Il • Ce sont "des tranches de vie, note
un critique, des notes rédigées pendant vingt cinq ans (avril 1936,"
mars 1960). Elles constituent un témoignage d'une exceptionnelle
vaièur sur la carr.ière d'un Africain intelligent". (2) Les cadres
du récit sont successivement l'Ecole Normale de Gorée au Sénégal
où l'auteur
v:ent de finir ses études, puis la famille, et en
fin plusieurs, villes et villages du Soudan et de la Haute Volta,
les deux pays que l'auteur a connus durant sa longue carrière en-
seignante et sa viepQlitique.
Il) A6~~Quecontempo~a~ne - Vocument~ d'A6~~que No~~e et de
Madaga~ca~ 36 année Sept. Oct. 1964, page 41.
(2)
Compt~ ~endu ~n A6~~que contempo~a.ine 5 janv~e~-6év~~e~ 196:',
page 41.

V::, cri tique nous app:rend que "la savane roug,: "se di vi-·
se en trois parties. "Une pren,ière partie, 11 Les cheminements du
destin", am;~e le jeune normalien à travers les grands événe~ent8
.";
de sa vie jusqu'à la rencontre de cet '"~d.Joint au Commandant de
'f
cercle qui, frappé de virus pédagogique, l'a:' "le dans sa f.ormatiot .

La deuxième et la troisième parties concern~nt DQri et
~ son~.uneintéressante contribu~ion à l'histoire anecJotique du
Liptako.Les personnages (commandants de cercle, chefs tradition-
nels et autres fonctionnaires) sont décrits en de petits portraits
qui font penser aux "Caractèrese de la BruyèOJ;e. ," (1)
Après être revenu sur la carrière enseignante et poli··
"
\\ .
JJ
~.
tique de l'homme, P. r,:::'cheloud, dans un autre 4uméro d'Afrique CO:1'
temporaine, se fait/ea.Cyitique de l'oeuvre de l'écrivain. Un recen-
sement deS thèrites développés p.1r Fily Dabo Sissoko et la grande
constante qu'on peut~J:emarquer, fait dire au cr~+;ique : "Son uni·
que soucis est de laisser intacte jusqu'à sa plus infime parce11"
l'âme de son peuple et de sa tel'~e, Les nombreux voyages qu'il
ef{~~t~~ en tant que Chef de canton, puis com~e député du Soudan
~.. ~ '~.
'
.. ~j
eb', plus tard conur. -
:-linistre, ne purent atténuer en lui la s i g n : J
f'~~~~iQ~~de cette âme où brûle, à côté du feu noir originel, cet'ui
des aubes incandescentes. La simplicité de son style et de son
)-
langage fai.~·penser à ces formules !~agiques qui préparent ou oc~
,
,
,
casionnent !a venue du Dieu attendu. Fi4èle à la voie de vérité
qu'il s' est trac~ il rej ette tout ce qui pourrait être effet, S~','
poésie raconte plutôt qu'elle ne chante. Il laisse aux choses leur
------------------------------_._._-
(1)
Compte ILendu -i..n ~IL-{!J..ue c.onte·'
·~-.E--i..ne nO 5; janv-i..eIL-6évJl..-i..eIL
1963 ; pa.ge 42.

"
~.
42
( 1 )
propres pouvoir de~;.(.ie sans ~rien' y aj outer, ni rien en retrancher""
,.....
On ne saurait clore catte liste sans mentionner le nom
d'Ibrahima Mamadou Ouane. Historien de~rrière, il nous a livré
11.!
dès 1938 une.première étude sociologique sur : Les Dogons d~ Soud~0 .
..
.~
Dans : L'énigme du ~cina, ouvrage paru en lj52 aU}Ç9Edi-
'.,
..','
tions Regain de Monte Carlo, il retrace l'ori~ne des Peulhs,
j
"peuples de. pasteurs et de conquérants, apôtrES de l'Islam". un
1
Après ,: Lettre, d'un Africain, ~blié en 1955, Ouane revient à l' é-
11
'!
" t~de de
la société peulhe et de l'empire théQcratique du Macina,
1
{~tude, qui lui a inspiré: l'Islam et la civilisation française,
!
. 'Y
ouvrage publié par l'Imprimerie tlloderne en 1957·... I.e mêtn'~ éditeur
.
a fait paraître du même auteur : La pratique du '~roit musulfan ,
en 1958. Et pour clore ce chapitre sur les Peulhs et l'Islam,
.
",
Le drame d~~Deg~pibé~p. C'est un récit sur le déclin de l'empire
"omarien", ;i~ d:été!i te e~ la dispar -, '~ion à Déguinibéré du (}alife
général des T~dJanes, chef militaire et spirituel des Toucouleurs
,.
~.
~

et de certains peuples du Soudan qu'El hadj Omar avait conquis.
.
~; ,
1;.1",; ,~ '.Ibrahima Marnadou Ouane nous intéresse à plus d' un titre,
et ~ tout, premier lieu, en sa qUalité9~ornancier. Il est le tout.
..
~-'
.
-'
:,
.... '.
premief.:~teur mali-en;à s"être aventuré dans le domaine du roman.

/1.1,'
.A_ ••• "1
"

W~~~
,.;,'
,-
Bien que VODgnt un peu aD ilPpièpc après le Sénégal et le Cameroun)• •'
ce fait ne c~5titu~~as moins un événement marquant
il ouv:;,"e la
.,'
;f1t')Ut
....
.~
~.la lite~~ture romanesque malienne.
.....
(7)
P. M-iche.fpu.d -in AiJiique con:tempolla-ine ; Vocumen:t.6 d'Anll-ique et r/r>
Madaga.6call ann e ; Sepiemblle-Oe:toblle 1964 nO
15 ;
page 41.
( 21 r~llah-ima Mamadou Ouane, c-i:tê pail. Jacque.6 Nan:te:t i Panollama de
.el!. .ei:t:t~lla:tulle nO,[lle d'explle.6/)-ion nllanç.a-i.6e ; Op. C-<..:t i page 46 •
..

."
43
La verve de l'auteur n'a pas tari après son premier
essai comme cela arrive
hélas pour beaucoup de romancier:
J
~ous lui devons en ~ut, trois oeuvres que nous aurons l'oc~asion
d'évoquer plus loin.
"
Le flambeau aflumé par ces pionniers d~; la littlratura..
de
.
malienne /langue française loin de s' éteindfé.,. al1&·it passer;aux
.
• . n'
,
~.

mains d'~utres auteurs que nous appeRerons la seconde génération~
el'~'
.1
-,..
"...
~
...
-'.
1i


<'\\
î~ ,
f'
44
,:f'K' seconde ~ation : historiens. conteurs ~ etc
Des érules n' allai1=nt pas tarder à;se manifesté!'. Le chemin ~ labo-'
rieusement trac' par les aînés dont nous venons de si~ler les oeuvres, ira
en s'élargissant. Il sera bientôt emPrunté par une de~~~atégor~ d' écri-
vains ~ cài:iwnément appelée la j euri& génération. L€~~.>tent~0~:
~.: des ré?~~~,de littératut-e orale Ccontes~ épopées, lég~ndes, ~c~a:cos-,.-
",
,<
mogoniques, 'histot'iques ou mythologiques), genre privilégié de la vieille
génération, mais aussi des traités de gêogrephie et d"nistoire ~I des essais
:politiques ~ des étudelf économiqu~s sociolQgiques etc. Ces travaux seront gé-
néralement publiés par des maisons 'il' édition françaises ," parfois. africaines
(principalement à Dakar) '. Mais del'\\Üs un certain temps 'flôu~,,~ass~stons à une
1
série de publications fait~s par des presses locales! les Editions"op~aires
i
1
~~
du Mali notaDlœflt '"
1
C'est ainsi que
~
C', _ Editions fupulaires ont ~ publié
d'Amadou Ba J une
1
histoire des peùpleS: du Sahè}~ le sahel est li aire de peuplement compris' entre
' , .
';:"
'";'
le désert du sa.hara au nord et l~ zone "guinéenne au sud et qui brasse des
ethnies de meeurs et de tempéraments aussi divers que les Sarakolés (fonda-
teurs de..l,'ernpire de
Ghana)
les ÎMalinkés (fondateurs de l'empire de Mali)
les?peup~s
"
et les Toucouleurs (fond~teurs des empires théocratiques du Maci-
.'
.......'
~
na, du Tékrour et du ,Ségou de-'l' épogue omarienriê ) etc.
En 1964 a~lait' paraître chez Maspéro les dirigeants africains face à ", ,;~
leur peuple et qui valut en 1965 à son auteur Seydou Badian. le grand prix '
Littéraire de l'A. O. F . ( devenu ADELF Association des Ecrivains de Langue Fran-
'to
çaise).Robert Cornevin parlant du livre, le qualifie de courageuse prise de
"~•••• ""'Ii -..
j
t
~",
' ",",
- ,.....

45
pos~on d'un m,édecin nat~onaliste faceaus abusdes nouveaux hommes d'Etat
(1). Après avoir vanté les mérites de P.oeuvre$U!' le plan de la correction
du style, Robert Pageard en fait ainsi l'analyse: "l'exaltation du travail
,
productif et de la révolution socialiste - méfiance à l'égard des héros d'un
clan, d'une race ou d'une région. Bien que ce livre soit au premier chef une
oeuvre de combat> il contient ~ntes remarques fines sur la
,
société
,
afri-
caine". (2).
De son,côté, Daniel Cissé s'est penché sur les problèmes de l'Epargne
danS les pays en voie de développement. livre paru aux Editions Populaires
du M'3.1i.
Diango Cissé lui aussi a choisi les Editions Populaires.pour·publier
. une série d'ouvrages dont Structure des JVfalinkés de Kita,' Puis let dispersior~
des Malinkés
(qui est une relation de l'histoire de Kita" sa ville natale)
écrite en collaboration avec Massa Makan Diabaté dont nous parlerons plus
loin. Des sources au progrès et Soundiata feront eux aussi parler de Diango
Cissé. Nous avons déjà mentionné l'existence de cette dernière oeuvre à pro-
pos des travaux de Mamby Sidibé. A ces quatre publications portant sur des
études sociologi.ques, s'ajouteront Contes et légendes du Mali (en collabora-
tion encore avec Mamby Sidibé) etGéo~9.gie : Structure et évolution: amenant
r~
l'auteÛr ~diversifier ses thèmes.
L'équipe Youssouf Cissé et Germaine Dieterlen a. fait paraître Kama
aux Editions Mouton et Co livre qtU s'attache à dépeindre un aspect de la. re-
ligion traditionnelle en milieu Bambara.
1)
Robert' COPr-lev-in - LUtêJLlttuJLe d'A6Jvi.que NoitLe de tangue 6!UUtçtU6e- PaJt.i,6
RIF 1916 page 189
21 Robert Pageard - LUtéJta.:tuJLe nég1LO -a,6Jvi.C1Urte OP CU. pag el> 53 - 54

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Une ~re écIkpe::.\\ çelle de YOLlssouf Ta(a Cissé et Einil..~ud ~
" . . . . .
~."
"'1
livr~ ïe: ré:u~té1ts dtune'étude~' soci~-économiquede la Haute Vaij..ée,~U~i,- ~
ger dans Tradition et développement rural èn Afriqt!e de l'Ouest,(Editions
Populaires du Mali). La parfie soci.logique a été rédigée par Youssouf ~a
.
....
Cissé ~'~ui nous devons égalem;nt de~ articles antér:i,éùrs"~els.que tlNotes~/
sur les sociétés de Chasseurs malinké" parus en 1964àâns le N°34 ~u~-'
001 de la Soclété des Africanistes .,!L 1auteur y fait une~teressante é;ude
..'
l '~,'"
~•
du mythe sur lequel repose la société;.des différents rituels, du rôle du
"
nyama, de la vie sociale du chasseurll .(l)
Sékéné Mody Sissoko est surtout un chercheur et un ethnologue. Chargé

d'Enseignement au Département d 1Histoire de la Faculté des JettresJ.€t
Scien-
ces Humaines de l'Université de Dakar (après avoir travaillé à l'IFAN) il
..
est également Président de l'Association des Historiens Africains. Son acti-
4..c
..,.",'';'
vité littéraire_est centrée sur la rédaction d'articles relatifs aux pro-
,.
blèrnes éconorniqu~s
sociaux et politiques des empires médieooux qui ont
;
. ,
.
fieuri~tre le Niger et l'Atlantique. A ce titre nous lui devons deux btl-
c
' .
;
l '
....
vrages parus chez Présence Africaine : Documents d 'Histoire de l'Ouest A-
fricain (1965) qui étudie le Moyen Age Hsoudeilaist" du XVII au XVI siècle
et Histoire;o"'de l'Afrique Occidentale (1966) qui est une étude couvrant la
période du Moyen Age a~ ~~M loder~s" et qui fait manifestement pièce
~
.
..'". '-
,,-',",
aavee ~ prenu.er ouvrage. Ce sont des çlocuments pédagogiques destinés à l
l'enseignement secondaire. L'auteur a également songé li l'école primaire
dans Histoire de l'Afrique parue chez Présence Africaine en 1973> et des-
1)
Paule Brasseur- lUbi...i.ogJta.pfU.e. gél1éJta.te. du MaU. (1961- 19i\\?) UniVeM-Uf:
de. akM IFAI'4
Nouve.Uu EdW.on6 A6Jt.i.C.MI1U
D
I1 >aJ1 -
2 - fà.kaIr. - 1916
page. 16.
.,
"

47
..~,
binée au Cours Moyen. Quant à l 'Histoire du Sén~al publiée par le~ Nouvel~
les Editions Africaines en 1974, elle est du niveau du Cours Elémentair,.,~
~"'1Ic
.r.
~ '~,
Nombre de ses articles ont paru sur~la civilisation arabo-arricaine
notarrrnent sur l'intell:lgantsiade Tanbouctou, sur l 'Université d~~~ette ville~
etc.
Sékéné Mody Sissoko en a fait récenment une synthèse dans 'rombouctou et l'Em-
pire Songhoy. ( Nouvelles Editions Afr,icaines 1976). Selon l'auteur ._le !"a-'
~
yonnernent de cette université datant du 15e siècle (créée avant bon nombre
..
d'univeri:î.téseuropéemes) est dû à la formation d'uneélite arabisante. Vim-
pact culturel sIest étendu à toute la boucle du Niger.
.,...
.
~
,
L'etnnologue,'
qu" est: Sékéné Mody Sissoko est aussi cQnhu <;ia.ns les
.
t"
......;
milieux africains groâce notanment à une Cormnmication fait~ au 2e"congrès des
Africanistes à Dakar en Décembre 1967. L'auteur qui a été parmi les premiers
à s'irquiéter des problèmes causés par le sahel, y montrait son avance pro.:- '
~, ,
,.
greil~. dans lÇi boucle au Niger : c'est à dire la désertification qui' ga"
~t duteITain'.~ ~ sécheresse ayant durement frappé en 1973, l 'ar~'~l:\\~a
.
été repris par plusieurs journaux à travers le monde et a servi de document
..,
de base pour la recherche d'une solùtion appropriée, pour enrayer le fléau.
"~
l' Avec' Maitre Deroba Diallo nous abordons un autre domaine.
Ici c'est
le droit qui est à l yponneî.œ' dans L' Xrrique en question ouvrage paru chez

. .!l'\\
Maspé.ro en 1968.

Nous !"evenons une fois de plus à la littérature ~raditionnelle a-
vec deux auteurs qui se sont fait· publier par les Editions Populaires du
Mali.
.)
Le premier~ Massa Makan Diabaté, Directeur Général de l'Information
du Mali puis responsable de la section culturelle au
Ministère de l '.Educa-
tion Nationale de son pays, a écrit
Si le feu S'éteignait la toute p~e-X
4,
.. '... " .
,
;,.
•••.····r

''''-'--
~'.-
.
r. •
c
, - ,
1
...
48
rnière oeuvre publiée par les Editions Populaires du Mali. C'était un en-
sanble assez varié de contes et récits fraichementrecueil1is sur les l~­
vres des conteurs traditiomels. Kala Jata paru
en 1970 dans la "Collec-
tionH...ier" est un récit qui se veut fidèle aux Hchroniques mi-parlées, mi-
.' ~;-
chantées 9Ù se conserve miraculeusement l'âme invaincue:'du pays Mandé!! nouS'
dit Guy Tirolien qui a préfacé l'ouvrage. Selon lui, "L'auteur de ifSi le
feu s'éteignait ~ aborde ici avec piété l'entreprise louable et difficile
de réanimer J,. 'antre prestigieuse de Slnl Jata, sans s'écarter de la tradition
orale" (1).
Janjon et autres chants populaires du Mali valut à l'auteur
le Grand Prix Littéraire de l'ADELF en1971 J)our .. la façon dont il avait
rendu en français des éléments de tradition orale
du Mandingueif ' (2:). Paru
,
'4
chez Présence Africaine en 1970. l'ouvrage bénéficia d'une-préface de Dji-
bril Tamsir Niane, L; auteur s'est révélé être aus: i un dramaturge de talent;
nous y reviendrons plus loin.
...
Le deuxième auteur "traditionaliste est Djimé Diakitê à qui nous
t,/
-' -,.~ ,
.
,. . ......
" <". "'0,,
, 0
~ns Biritou Sarnb&.ou la veillée des êDcêtres ouvrage deJa sous pre~e.~
-;
~-""
If
Editions Populaires - Bamako.
La Fonction publique malieméa fait l'objet d'une analyse par Ou-
nm' Baba; Diarra. (Editions Populaires - Bamako)
Aux mêmes éditions ~o Doumbia enseignant à l'Institut Polytech-
"\\ ,',
nique rural de Katibougou au Mali, a fait paraître Arboriculture fruitière
.
ouvrage de vulgarisation qui aborde l'économie rurale et l'étude de quel-
ques plantes connues dans la zone sahélo-soudanaise.
1} ~lien - PJté6ac.e a Kata Ja.t.:I1
Edili.on6 Popu.ta,iJLe.6 du MAU. - Bamako
79lT page 3
2J Robert Comev1.n UttéJta.tuJr.e d' A6JL.ique. Noble. de langue 6Jtança.L6e.c
Op Ca
page 189
:~;
. ,
•.'/
.
,
!
"

49
A part sa e'très officielle mais consciencieuse Connaissance de la
République. du Mali!! (1)
publiée sous 11égide du Secr~tariat d'Etat à l'In-
formation et au Tourisme en 19n1
Bakary Kamian~ actuellement Directeur du
Blreau régional de l'Unesco pour l'éducation en Afrique (Dakark est l'auteur
\\
de nambr~uses publications
essentiellement dans le domaine de la géogra-
phie
de l'histoire et des sciences sociales. De 1957 avec "La ville de San
et ses environs Il (étude de géographie urbaine déposée à la Sorborme et repro--
duite dans -rCahier d 'Qltre-Mer à Bardeau) à 1973 avec "L'éducation tradition-
nelle, la culture ~t l'éducation moderneir ( parue dans Perspectives de l'U-
nesco.) la moisson de cet auteur est très ri~he. A cSté de titres conme
Les villes
prÉ-côloniales en Afrique Occidentale" (Présence Africaine 1958)
IiAskia r;~ohamed
empereur du Songhoy 1440- 1538 ( Essor de Bamako- 1962) His-
toire et gé0fl'aphie du r4ali que l'auteur a dé-d.ié à tous les pays du monde..J'
(Institut de géographie de Milan~Italie) et qui porte sur les sciences hu-
malnes)"nous trouvons des travaux sur les sciences sociales tels qu~ 'IPS~
·'11"
,

c~ologie comparée de la colonisation française_ et de la colonisation anglai...
sel' (parue dans l'Essor de Janvier 1960) li Les villes dans les nouveaux états
indépendants ct' Afrique Noire" ( in Revue l'Tiers Monde 1963~· Il Les eaux de
Nara" est une étude portant s1.1I' les eaux qui ont surgi dans la Va.llée du
Serpent en novembre 1965 à cirquante kilomètres au Nord-Est de Nara. A la
suite de fortes pluies" se forma. un lac de 164 km2. l'L'article paru dans
les publications du Ministère des Travaux Publics de Bamako
sera repris par
1J Robert Pageard - U;ttéJLa..tuJr.e néÇfILo -ltnJLic.lLi.ne Op Cil page 69
. ,

:4
L
se.
plusieurs journaux internationaux tels que Informations géographiquês ; aux
U.S.A ~1iations des géo@;r'aphes français. et M.archés tropicaux en Fran-
,.,
ce.
f'o'adeiI-a Keita
ex-président de 1 7Assemblfe Nationale du Mali a ;.
pcrit " Le Mali à la recherche d fun socialisme africain!'
publié par Démo.-
croatie nouvelle
dans son numéro de décembre 1960. Paule Brasseur en fait
""
ainsi l'anaJ..yse 11I..a disparition de la bourgeoisie permet de passer rapide-
,"
; 'li.
ment au socialisme' l'enthousiasme du pays permettra d 10btenir la véritable
indépendance qui est économique. Les capitaux viendront. Le rôle de la Franee
sera très limitéif (l)
Les Editions Populaires ont publié coup sur eoup en 1962 Kayes et
le Haut-Sénégal en trois tomes. L'auteur
.Madame Keit~ née Rokiatou N' Diaye
agregée de géographie y apporte sa contribution
à la connaissance de la
première région· géographique et économique du Mali. A côté des données géo-
graphiques et de l'histoire de la région
elle aborde aussi des problème~
:J:
r
"
écohamiques et culturels •
. ,
Mamadou Koné: dans Coiffuret traditionnelles et modernes ( Editions
.'!.' "'
Populaires '-. Bamako)
attire notre attention sur ~'l ~une des ITRlltiples expres-
sions de l'Art africain".
Guissé Mabendy est L'auteur de Contes et fables recueillis au Mali
Unrecueil de vingt cinq fables
publié dans le N0111de Notes_ A-
fricaines 1966. Nous lui devons un autre recueil ~ Devinettes recueillies au
Mali publié dans le N°112de Notes Africaines 1966 ainsi que Salutations) et

.,
,et voeu,x a.u Mali N° 108 de Notes Africaines 1965 et Sentences et expressions
popul~, au ~âli n0109 de Notes Africaines 1966.
LI équilibre budgétaire dans les l)ays en voie de développement d '~_
Macalou (Editions Populaires - Bamako) est un ouvrage portant sur l'anal;yse
économique dans les états nouvellement indépendants d'Afrique.
La culture négra-africaine dans son expression la plus traditionnel'
' ~.
. :'!':I.'."
.
1"
.".[\\
...
le a de nouveau vivement impressionné deux auteurs
tous édités par les E-
",.,~>
ditions Populaires du Mali. Il s'agit d ;'Ibrahirna Mariko qui nous confie dans
les empoisonneurs de nuit. ses "reflexions sur la sorcellerie au MalP.
Quant à Bokar N'Diaye
il a traduit
vingt trois contes populaires
,Il
c!Ïrculant' au Mali dans Veillées populaires au Mali ~;~~ contes
'len plus de
leur caractère mystique ( .... ) constituent également un patrimoine col1ec-
,
tif dont l'utilisation permet aux vivants de connaître le mode de vie:, les
.'
id~':et les comportements des ancêtres face à certains problèmes de' la vie ...
Au ,demeurant , il est rare qu'un problème ne trouve sa solution dans un conte
approprié
que l'un des sages du vi~1.age
raconte généralemel1t dès J.'ouver-
.,;,.
ture des ~ébats. (1) Tel est selon l"auteur
l'importance du conte dans la
"',
~~.
société tràditionnelle. Il est aussi d'~~e publique pOùrles générations
présentes et à venir :
on
il
'peut donc en déduiIJe
poursuit l'auteur
que
les contes permettent bien des fois, de ne pas réinventer' des solutions
.), ;,...
;:~
que les anciens avaient dé,j à trouvées et appliquées è.o: bon escient;'. (1 bis)
1) 1 bL\\ ) AI) ar.AJt. pIl;opo-6 dll. l' autewr. V eu&Uêy poprd.aAlt.t.6. au Mdi.; Op CU;
page. 11

52
IDans les castes au r,tl.1i
et Groupes ethniques au Mali
Bokar
N'Diaye se livre à une étude sociologique sur les Touareg
les r.'laures
les
sur
<
Peuls et les Toucouleurs
de même que !.Les JVIadingues
les Bozos 8t les
So-
It
monos ~ les Sénoufo" Miankas. Il n! oublie pas les r,10ssis et les Ouolofs
ethnies vivant dans son pays mais débordant sur la Fiaute Volta et le Séné·'
ga.l, En effet
du fait du partage colonial
la même ethnie peut se retrouver
de part et d 1autre de deux ou trois pays différents. Mais le but recherché
dans cette étude selon l'a.uteur est que 'nous 8rrivions peu à peu, par le
jeu des recoupements
à reconstitùer de façon plus précise les anciennes
civilisations de notre pays et à nous permettre ainsi de bâtir une Bociété
spécifique avec les matériaux qu" elles recèlent ". (1)
Ba.kary Dian du même auteur" reprend sur un ton différent, l! épopée
bambara que l'équipe de Lilyan Kesteloot a illustrée dans Da Monzon de Sé-
gou
et dont nous avons parlé
plus haut. ~ héros est ici nonlpas le sou-
verain Da mais un des preux du royaume bambara de Ségou
peut être le plus
vaillànt de tous, Bakary Dian. Bokar N'Diaye a aussi diversifié son talent
en é~rivant une pièce de théâtre et dea'1'CiiW15 iOuvrages sur lesquels nous
reviendrons.
Amadou Tiégoué Ouattara
dans des cours magistraux donnés à l'Ecole
Nationale d'Administration de Bamako, a brossé un tableau de la vie écono-
rnique de son pays. Les notes en ont été recueillies et publiées par les
.
Editions Populaiioes; ff:us ,le titre ~ L~s finances pUbliques du Mali. Un
autre exposé portants~.lés problèmes de l'Epargne et de l'InveBtissement
dans les pays en voie 'de développement
a fait l'objet d'un ouvrage : Epar-
~ - Investissement et croissance économique (Editiûns Populaires- Bamako

,.
53
1975). Des réflexions partant sur l'expérience politico-socio- économique
de dév~loppement de son pays ont conduit Itauteur à publier aux Editions
Populaires. Le destin du socialisme malien et Réflexion sur le progr>armne
triennal.
Yambo Oueloguem s'est impos€ :sur la scène littérâire africaine et
:,
même française avec son Devoir de violence
roman sur lequel nous reviendrdns
S'inscrivant en faux contre la tentative de la plupart des intellectuels a-'
fricains de révaloriser coûte que coûte le passé africain.o Ouologuem semble
être un révolté qui assène ses coups aussi bien à l'ex-colonisateur qu'aux
africains eux-mêmes, dans ses lettres à la France nègre; ouvrage paru chez
Edmond Nalis en 1968. On Y trouve notamnent '\\lettre aux rois nègres de pas- •
sage en France. .. lettres à tous ceux qui fréquentent les nègr>es... Lettres
aux perles de l'expansion de la culture française chez les nègr>es ...... Lettres
à tous les racistes ... lettres aux ~i!se~copie nègr>es d'écrivains célèbres (1)
Dans la même veine, sont écrites Les milles et une bibles du'~xe;autre Il
1"
' ~;
.
eXplèsion volcanique (qu'il a signée) sous le pseudonyme d 'Utto Rudolph~ en
collaboration avec Paul Pelriepll (~). Après avoir réussi cette' entrée bru-
yante dans les danaines des lettres~ de la philosophie et de la sociologie"
OUologuem a été déclaré admissible à l iEcole Normale SUpêrie~:je Paris. Tl
se destine sans doute à l'enseignement et à ce titre~ consacre une partie
de son temps à la rédaction d'ouvrages scolaires dp~t : Terre de soleil)
manuel de lecture pour le Cours élémentaire
publié par Ligel- Paris- en
r.-'
1970.

Un autre livre pédagogique~ publié ~ Editions Populaires à savoir
Histoire: classe de !Xe est l'oeuvre cette fois-ci de Mamadou Sarr.
1) Comme.ntiWt.e. au dOh de. 1.a. c.ouveJr.tU!l.e. du. UVIte. pu.bU~ pail Edmond Na.R..i6-
1968
2) Robert Cornevin - UftéltatwLe. d'A6JLique. l1.o-Ur.e. de. tangue. 6Jtança.L6 e. Op eu
page. 191-
.

54
'.
Q,lant à l yépopée soninké
elle a inspiré Diawé Simagha. Avec le
concourt de Lassana Doucouré et Claude Meillassoux. il nous a retracé La
légende de la dispersion des Kusa, oeuvre parue aux Editions Populaires-
Bamako qui ont elles-mêmes repris le trav2il préalablement fait par l' IFAN
de Dakar en 1967. LeUvre contient en substance "'f'ranscription et traduc-
tion de l \\histoire; de l'affaiblissement et de la dispersion d'une des
trois fractions soninkés à une époque difficile à déterminer- Maré Juga,
le magicien, libère les Kusa tyrannisés. Ceux-ci refusent de culti.ver pour
lui un c~ collectif. De là date leur dispersion". (1).
J .
Après l'équipe de Ulyan Kesteloot et Bokar N'Diaye, un autre au-
teur fixe de nouveau son regard sur l'épopée bambara; en renouvelant le
thème toutefois. En effet le Ségou Sikoro Balanzan de Marnadou Karamoko Si-
rnaga est un bref
,,\\.,
!!
aperçu de l 'histoire de Ségou" publié par leslEdit~
.
;i:l~
.~1
Populaires -Bamako.
Aux même éditions, Olmar Singaré a confié la publi~t.ion d'un do-
CUment pédagogique destiné à l'enseignement fondamentali Fàt:lcà'i'ib,n civique
et morale.
Les Editions Imprimeries ont mis sous presse deux autres ouvrages:
Les dieux du stade et Essence terrienne
l'un d'AbdouJ.a.te Traoré et l 'au-
-"'
, . : : ~ ,.....
Of'"
tre d'Amadou Traoré.
Fernand Nathan de son côté a publié Da M0;3onde' §§Sou l'épopée
i .
.
.
. '
bambara écrite' par Lilyan Kesteloot avec la coJ..labo~t~ aux taœs 1. II
et III d' Amadon Traoré.
.
.
Ap~'s Ibra.hina Mamadou Duane et Sékéné 'M6dy GisSQko notanment 5 An-
I
~ r·. ,

.
~.1'raoré dépeint' les étapes importantes de 1 'histoire de son pays dans
Mali~ récits historiques, destiné manifestanent' awt ~lèves de l'Ecole fon-
,~t;!t
damentale et qu'a publié Ligel en 1964.
.
.....
1J Note6 de. Paule Brasseur .in BibUo9lUtpk<.e.gé~Jtaie. du Matt Op ('~ Pagp
135

55
Trois auteurs renouent de
nouveau avec la tradition orale. L'un
Issa Traoré nous fait revivre l'atmosphère des; veillées villageoises dans
Contes et récits du terroir (Editions Populaires- Bamako) un recueil de vingt
sept contes. Ce qui fait la particularité de ce recueil selon CL=ick Dembé-
lé, professeur de philosophie à l'Ecole Normale J c'est que " Les descrip··
•tions de paysages sont bien rendus aidant à camper les personnages dont le
drame se déroule ensuite à nos yeux
comme si nous y étions! Le récit est con-
duit avec ironie et humour:. tant il est vrai que dans les situations les plus
tendues et inextricables ~ avant le dénouement ~ l'ironie et l' humour tempè-
rent l'intensité de l'attente et servent rnanentanément li d'issue de s;;cours"
(1).
Le deuxième
auteur J Issa Bélba Traoré tâche de révaloriser le pa"'
trirnoine culturel malien en interrogeant l'histoire. Il nous fait ~vivre
l'épopée glorieuse de Koumi Diossé (Editions Populaires - Bamako 1962)
le grand instigateur du soulèvement populaire du B:1...;--dougou contre. la péné-
.
.
~
"tration coloniale française. Directeur d'école puis acty.ellememt Conseiller
• of.
.:, ~'-~\\i
Technique au Ministère de l'Education Nationale de son ~kSj'IsSa Bà.ba
Traoré est surtout un enseignant. Il a fait publier par les Editions Popu-
laires un manuel : Géographie : le Mali
pour apporter" sa contribution à
>."
;
l'élaboration de documents pédagogiques approprf~B pour les écoles africai-
".,.
nes:, puis Géographie : classe de 3e année ( CE1)'
Géographie: classé de 4e année (CE2)
Mon livret .de cartographie écrit en collaboration avec BeI"J:léiI'd Aubriot et
qu'a publié Nathan en 1970.
1) Vo.bL Av~~ement ltécUgé pail Cheick Danoolé - page 5

t 1
56,
~ '~'.'" .
-:(
If côté de eès ouvrages destinés à l'enseignement fondamental, Traoreç. re-
digé de ncmbreux articles tels que : PLa divination et la Géomancie au Bé-
lédougou (Etudes Maliennes n1'\\6) Légende du Vent du Nord" (RevueJ Sankoré)
Légende de la Chauve-Souris" (Revue Sankoré). Ce sont des études sociolo-
giques que l'auteur doit à la sorrrne de connaissancœeacquises dans sa vie

d'instituteur en contact étroit avec les paysans. Il prépare actuellement
une autre enquête sociologique;;2 la demand.e de l'UNESCO : La délimuance ju-
-
vénile au Mali • En' plus de tout ceci., nous retierrlrons de lui de courtes
nouvelles et des romans dont nous étudierons plus loin quelques uns.
Le troisième autC:'~:t' 2nfin~ 3adia Traoré a rédigé un article : i:No-
tes sur le Dâdougou" (Notes Africaines W146 - 1970) , que Paule Brasseur
analyse ainsi "Histoire de la formation du royaume de Dà, en pays bobo au
sud de San; par un marabout du r.'l"'lJ1dé. Cérémonies d'investiture de ses des-
cendants (qui devaiénu,
alors être paiens) de leurs enterrements et de'
teurs funérailles différées trois ans. Fin du XVIIIe siècle avec 1 ?expan-
sion du
royaume de Ségou. Intéressant plan du village. ~'. (1).
Vacti-
vité littéraire d'El hadji sadia Traoré devait aboutir à la publication
aux Editions Populaires d'un recueil de trente huit contes et légendes dans
A l'écoute des anciens du villa.s:;e. Ces contes, l'auteur s'évertue à les
transcrire fidèlement ep. français. Il en explique aussi 'l'utilité: llLes
sèches leçons de morale, trop r~barbatives~ écorchent i'oreille et glissent
sur les coeurs ccmne l'eau sur la roche. Il faut les rendre agréables ~ afin
qu'elles soient plus assimilables. en exploitant des sujets puisés dans

·~~~----",!"""""..----....----
.. '
57
ïa: vie qui constitue toujours une vaste école inépuisable~l. (1)
Encore une fois précisons que cet inventaire n'est pas exhanstif
Des publications ont pu échapper à nos investigations et les mises au point
des uns e~ des autres permettra un
jour de domer de la littérature malien-
ne un aperçu plus complet.
Dans ce bilan des oeuvres d'auteurs maliens: nQlJs avons rargé à
part la poesie et le théâtre pour des raisons que nous damerons tout à
l'heure.
;
,
. ,
.,....

58
C) La. poesie et le théâtre
A côté donc des oeuvres ci-dessus citées. nous assistons à l'éclo-
.
,
Slon d un nombre de plus en plus important de poèmes, mais aussi des pièces
de théâtre, des romans et de nouvelles. La première catégorie de littératu -
re
est tirée de la tradition orale. de l'observation directe des faits,ou
bien basée sur des réflexions et des analyses qui ont conduit à ces travaux
à caractère scien~ifique. A présent ,nous abordons une autre ) (la poesie)
.
",i
que l'on doit à l'expression des sentiments intimes., irrlividuels ou collec-
,
tifs à moins qu l elle ne fasse une grarxie part à l'exaltfl,tion. Q..lant aux deux
autres genres littéraires que sont le thé~tr~.. et le rcman)
l'auteur doit
faire appel à l'imagination créatrice qùe l'o~ semble regretter de ne pas
trouver dans les oeuvres des 8crivains rna1:î.ens. Juganent un peu hâtif :
ccmne nous le disions dans l'introouction.
Il faut noter que dans le demaine de la poesie, après Ahmadou
Ham:-,paێ-Ba
et Fily Dabo Sissoko, la liste des poètes maliens s'est allon-
gée et enrichie de nOlNeaux ncms.
Abdoulaye Ascofaré
diplêmé d'Etudes Théâtrales de l'Institut
National des Arts de Bamako ~ puis Conseiller culturel au Ministère de la
Jeunesse dea Sports. des Arts et de la Culture: et animateur afin de pro-
grarrmes à la Radiodiffusion du Malis a fait publier aux Editions Populaires,;:
un recueil de trente six poèmes sous le titre Don1estiquer le_ rêve. Ces
poèmes se veulent un écho fidèle de notre siècle et de notre continent)
l'Afrique: "Un cinquième putsh au Sud) un génocide au Nord, une Calamité
naturelle au Centre, à l'Est conme à l'Ouest, l'assassinat de deux jeunes
1
leaders : voilà conment se présente la nouvelle me (ou mutation) de cette
dermatose collective". (1) s'inquiéte le poèt,e. Mais à lire ces poèmes, on
sent qu'ils veulent malr- ..~ tout redonner confiance" au Vieux Paysan) à
7l PItOPO.6 de t' aute.uJL- Vomutiquelt te Itêve page 71

'.
59
à l' CUvrier > au Poète et à l'Etudiant11 devant qui s'ouvre un avenir radieux
géniteur de paix et de bien être social) pour peu qu'ils unissent leurs
efforts.
1
l
Seydou Badian~ alors étudiant en Médecine à Montpellier avait fait
parvenir quelques poèmes à la revue dakaroise Corrlition Humaine ~ dont la
direction politique était assurée par Léopold Sédar Senghor. Dans la ru-
brique "Lettres' Noires" paraitront 1iPrière d'un soir" (15 Mars 1949) et
"Maoula" (29 Mars 1'49) ce dernier étant inspiré d 'un c~t soudanais .
.~. -.
Après :iCb~peur de bois 0 Terreli publié daru;lle N° 57(' de Présence
Africaine 1965, sirirnan Cissoko revient. à la poesie en 1967 avec Ressac
,"
de nous- mêmes (Présence Africaine), Jlecueil de plus de trente poèmes qu'
André Terrisse a préfacé. Ce dernier nou.s' avertit: "Certes ~ tout nt est
pas parfâit dans ce recueil~ et tel poème dont j'ai cité des vers magni-
fiques se tennine par une chute étonnanrnent élémentaire. Certes ~ le poète
ne cache pas son modèle ." (1) Hais à côté' de ses faiblesses le préfacier
nous présente les richesse des poèmes: " nous assistons ~.'" à la naissance
d'un poète nègre, qui adopte son temps. qui accepte de ranpre avec les .
trc.npettes stériles de la révolte... Ci est l'espérance: la joie, l' affir-
".
,;.;
,"" ."
,: ;,,' ._1
matigb,~"'&latent dans la poèsie de Siriman Cissoko". (2)
':,;.; .'{~_;~"I", '\\"1$-:'
'-"
..'
6à.ôUs~ou Diawara" alors à l'Université Patrice, lllmumba de Moscou où
il préParait un diplôme d'Etudes Supérieures de Lettres et d'Art dramati-
"
quel s'est éPanché dans deux recueils de poèmes lYriques: Renaissance
du Mali ( Rojdeniye Mali) publié par Izd Nanka-Moskva 1965
et les Etoi-
les noires (Cernyie zve~). publié par Detgiz -' Moskva 1966
..'
1) Re.Mac. de. noM -mêm~ - Plt~ 6ac.e. dl André TaTisse page. 10
t) lb-ide.m',page. 1

60
LilYan Kesteloot nous signale un autre poète : Boum Bakary Diouara
auteur de : Le rocher en feuilles (Présence Africaine 1966) dont elle ,a
fai t figurer l'oeuvre., sous la rubrique !;Nouvelles poesies du monde rtclii-":.
dans son anthologie de la littérature négr-o-africaine.
Al' opposée de Siriman Cissoko, Mon coeur est un volcan
de M.amadou
Gologo est le recueil de poesie plein d'ag,ressivité d'un poète qui s'en
@ÙC
(P.J(
....
prenait en 1960 à l'administration française. ~ ]~s abus et _
sequelles
, .
du colonialisme.
Que revienne la Rosée sur mes oasis oubli~es·.d'Açaoulaye Kounta est
'1"
,.....
l ' ,.."'
un recueil àe dix neuf poèmes, paru aux Ed~tions Populaires- Bamako. L'au-
teur les dédie à la terre natale, aux êtres et aux choses si chers à son
..
coeur. Entre autres poèmes, nous avons n6t~ le dernier qui a donné son ti-
"
tire au recueil. Il semble avoir été inspiré au poète par le spectacle des
ruines de Ifcmlbouctou et les souvenirs de son rayormement passé : ses maisons
architecturales
ses doctes et ses saints .. sa célèbre université Sankoré)
en un mot l'universalité de sa culture arabe.
Les Editions Populaires du Mali ont également sous presse
Mon gâ-
tEau d'h~ pauvre
un recueil de poèmes de Sian Samaké.
Di'Sçhs encore une fois que la liste tlst loin d'être close. Tout intel-
lectuel a un moment ou à un autre de sa vie, se sent· une âme de noète.
. . '
"'.
Nombreux sont donc les Maliens qui ont cultivé les muSlCS. Encouragés par
les Editions Populaires et la presse du S. N.E. C. (1) notamnent ~ de jeunes
talents ont donc enfourché leur F€[fo,se.
Hélas en dehors des critères très
serrés pour la sélection de telles oeuvres se' dresse une autre barrière
1- SNEC : Syndic.at National de l'Ei1u.c.a.tion a de la: c.ul:tuJr.e- Il po~~ède
.*(
u.ne p1tu~e dont nOM paII1.eJlOrt6 plM loi.n •

'1"

l
" L
61
celui de la vente et de la rentabilité. qui freinent les maisons d'édition.
.1
Chacune des deux que nous venons de citer) a de pleins tiroirs de poèmes
.,~:.. :'~
dont les auteurs souhaiteraient ardemment voir la publication. Cependant
force est de reconnaître qu'un recueil de poèmes se vend moins vite qu'une
pièce de théâtre par exemple • Signe des temps!
Qu'en est-il justement àu théâtre malien?
Notre démarche consistera ici à "examiner les aspects et problèmes
fascinants et p~ionnants présentés Dar ce théâtre.. pO'lJrr. leurs rapports avec
,
.
~
.
la vie des Africains,
leurs joies, leurs rêves ptof~$:' leurs désillusions
et amertumes.
Ainsi peut se dégager aisément Ùl1e. ~tique à trois directions:
!"
,~
hier. auj ourd 'hui et demain en Afrique noire ~ plus précisément encore, exal-
tation du passé
critique sévère du présent sous la forme de la satire des
moeurs politiques ou du persiflage des moeurs sociales dans le souci toujours
d'indiquer par la voie de l'art la voie d'une meilleure modernité chez les
iliicains". (1)
Les premiers dramaturges maliens, comne du reste ceux de toute i);:!:A-
~
frique.{)cciqentale francophone
se recrutaient panni les "~s", nous
l'avons dèjàdit. C'est donc dans les archives de cette école que l'on ex-
humera les premières pièces écrites et montées par des Maliens. Nous parlons
ici du théâtre négro-africain moderne à l'exception de tout autre (exemple
le Kotéba). Robert Cornevin qui en dresse la liste et en fait le bilan;,
mentionne dès le 24 février 1937 l'existence d'une pièce soudanaise la Ruse
de Diégué (t) ; la
"Dalila ,soudanaise qui entre". C'est l 'histoire (puisée
dans la légeme populair~ ) de la soeur de Soundiata qui entre dans la cour
i
'('
",
2) Robert Cdr,nevin ; Le. théâ.tJr.e. en A6lL-i.que. yw.ilte. e;t a Madaga6C'.a/L Op Ca
page. 51
1 ~ Madior Diouf; ·'Le. théâ.tJr.e. 6JriUtcophone: d'A6uque no.ilte depui,6 19~O
L'Ouut a.6·lticiin N° 148 - Janv-teJt 1977 1J1- ~1

62
de
Sasso en tant que trois cent unième épouse de ScUiIarlgourou. Son unique
dessein est d/extorquer au roi sorcier le secret qui permet d'anr.ihiler le
pouvoir de ses fétiches et de le tuer. A force.de cajolerie'et de ruse, elle
parviendra à ses fins
ce qui décidera de l'issue de la fameuse bataille
de Kirina en 1235.
M. Diouf livre du théâtre pantin en général, une critique pertinen-
te : "Il fut un théâtre historique surtout et s'attache à faire connaître
le passé africain et leé:màeurs africaines. Et le .re~ sur le passé et le
présent était critique, parfois dénigrant à l'égEird des princes d'autrefois"
E.j). Ce qui était en "harmonie avec les préoccupàtiOllS des colonisateurs,
"
~
ajoute le critique.
;"
Succédant à William Ponty . nous 'dit Robert Cornevin" des troupes
théâtrales, créées un peu partout dans l'AOF sous l'instigation des "pt,ntinsl!
CïJ't joué des pièces dahoméennes, ivoiriennes ~ sénégalaises, guinéennes et
soudanaises. Dans le cadre de cette activité
les centres culturels de
Kayes:~ Kita, Ségou, Sikasso ont joué un rôle théâtral particulièrement ïrn-
portant. Plus tard, toute une floraison de troupes théâtrales virent le
jour à Bamako telles : Jeunesse, Tarn-tamil ~ Jeunesse Théâtrale" et surtout
"Les Tréteaux". Dabs le répertoire de Il époque, Cornevin relève des pièces à
succès corrrne le Drame de Ham-dallaye
Bakary Dian
dont les traditionalis-
tes nous ont déjo conté l'histoire,
L'Appel des fétiches
qui est une illustration du heurt entre le
.~
mode de vie à l'occidentale( qui a gasné les grands centres~bains) et
la civilisation traditiofmêlle 11 fétichiste" (encore profondément ancrée
dans l'arrière pays). La pièce DoU9 assura aux "Tréteaux" un succès de
premier plan lors du Festival de la..~Jeunesse en 1958. D'une façon générale
'/,

63
,•
~
les observateurs ont remarqué .q l' opoque de Pcnty/ "Seuls le Souda.rt'~~-
partie nord du Sénégal, tout particulièrement les Toucouleurs ~ avaient une
passion pour le fresque historique qui certainement cOITespondait à leur
personnalité et à leur culture propre" (1).
Lorsque ftlt créé 'en novembre 1959 le Théâtre National du Soudan, cet-
te prédilection des Maliens pour le théâtre historique se confirmera par les
titres des pièces qui eurent du succès. L'observateur attentif aurait re-
marqué une légère orientation de ce théâtre négro-africain qui prenait son
second souffle avec la naissance de 11élan nati~liste comme le dit M.
~
.~
"
Diouf: "M:lis l'intérêt pour le passé crée 'vite. avec Fodéba Keita surtout,
,
un élan nationaliste qui se mit à crit:4:lu~r non plus le présent des mœurs
africaines mais les réalités coloniales". (2) • L'arme mise par le c?lorrl,:-
.:j,~.,,?
sateur entre les mains des intellectuels africains pour assassiner leursl','
moeurs et leurs cultures se retournait contre lui. A côté de ,la chèvre et
Karù
(cette dernière étant interprétée en bambara) on jouait particuliè-
rement Da Monzon
(épopée bambara de Ségou) jouée le 12 mars 1955 à Cua-
gadougou et publiée dans le N°S de Trait d'Union"; La rencontre secrète
de l'AJ..rœmy Samory et de Tieba fama du Kénédougou écrite par Mamadou Ouat-
tara et jouée par la troupe de Sikasso ( Trait d'Union n015
1957) . A cô-
té du siège de Sikasso et de l'échec c:dsant de Samory devant les formi-
dables murailles de la capitale du Kénédougou
la pièce illustre une tenta-
tive diunion avortée entre ces deux grands souverains et " o u roi ëe
Ségou, pour former un frQ~~corrrnun capable de freiner l'avance des troupes
françaises.
1J Charles BéBi"D V.iJle.c.:teuJl de. i l Ecole. Wu.uam PontY cLté pail RobeJr.t CO/&r,
tle.V.ln .ln Le. théatlte. e.n A6Ju:que. no~,;.,et à Madagl16c.M Op CU page. 12, .'?~,"
2J Madior DÎ'Ouf " le. théâtJte. 6!Lanc.ophone. d' A6.Ju:que. noble. de.puiJ, 1960 j ',','
L'Ouut af,tr.i..c.cUn ; Op CU; YJage.31
1

64
.f
Il faut signaler aussi ~'!ali ou Sourrliata pièce
dont 1 Vauteur se-
rait ~y Sidibé et. qui fut sélectionnée~!:la~ compaghie des ilTréfèauxl!
en février 1959.
N. S. Hopkins analyse ainsi la pièce·: " la première partie relate
,
la naissance de Soundiata et les péri~ties relatives à sa future grandeur
à son exil~ sa recherche par ses compatriotes
son retour chez lui et la
mort et l'enterrement de sa mère. L'intérêt de cette pièce ne résidait pas
dans son intrigue car elle s'inspire d'une légende P9I:?ulaire du Mali, mais
dans la narration dramatique de certains faits bien cOl1llUs de tout le oon-
de" (1)
Après le fameux Référendum de 1958. et la mise sur pied de l'éphémère
Fédération du M3.li, c'est la brouille dl avec le Sénégal et la rupture r.....-
tentissante di Août 1960 qui vont porter le Soudan sur les fonds baPti~,
~/
du futur Mali. la voie du socialisme sur laquelle les dirigeants avaient
engagé le payso exigeait de la jeune république (dont l'écrasante ma,iorité
était encore analphabète) > une prise de conscience responsable. Les diri-
geants, pour la réalisation de cet obj ectif, entreprirent de sensibiliser
la masse aux mots d'ordre du parti en lui faisant subir une formation
idéo-
logique.
C'est tcut naturellement sur le théâtre qu'ils portèrent leur re-
gard. Déj à dans un article de l'Essor hebdcmadaire de Bamako intitulé Il
Croquis du théâtre national soudanais ll un éditorialiste soulignait le but
du théâtre malien ,r Le
but essentiel du théâtre de combat que doit etre
le Théâtre national ~ c'est d'''éduquer son public: faire ou du moins forti-
..
fier ses 6.entiments patriotiques ~ développer son sens critique, lui: faire
1) N. ·S. Hfpkins" Le. thp-âtJc.e. popui.cWLe. au. Mati" PJt~~e.nc.e. A6Jdc.a.btt
1eJl .tJUmeJ:dJr.e. 1%5 53 page. 169
:
.1.

..
. 65 .
aimer
ce qui est beau" (2).
C'était en 1959.
t'• •
En 1960 les impératifs du moment visaient plus que jamais la pri-
se de conscience. Pour ce faire;, il fa] lait tirer sur la corde sensible du
nationalisme' afin de forger l'unité du pays.
Connaissant depuis de longues
dates la psychologie de leur peuple. les auteurs dramatiques maliens allaient
s'en servir en puissant à pleines mains dans les suj ets historiques. Pour
diversifier les thèmes ils choisirent aussi"des~ pièces conmentant les pro-
blèmes de la vie contemporaine. tandis que les eayœtes (étaient) volon-
tiers satiriques et traitaient des faiblesses htlrna.inesqui sont propres à
tous les tempsli ( 1) •
En 1962 conmenoe le.cycle
. des lI~nes de la Jeunesse": manifes-'
..
tations artistiques~ culturelles et sportives se déroulant annuellement à
.~"(~.
-ft,
Bamako. Après les éliminatoires au niveau des arron::lissements puis des :.çer-
cles., chaque régio~ (Kayes
Bamako) Sikasso, Ségou;, Mopti) Gao) dél~gue une
troupe pour la représenter aux compétitions au niveau national, sorte d '0-
lympiades. Comme onpelt s'en douter, la plupart des pièces écrites pour la
circonstance sont inédites. Mais il faut noter que les suj ets historiques
sont tirés .• soit de la légende (Soundiata) soit de l 'histoire locale ou ",
régionale (Da Monzon). Certains sont puisés dans les événements consécutifs
'-
à la résistance c@tii:Pe la r~nétration coloniale, et ten::lent à. dénigrer li en-
vahisseur français. C'est le cas par exemple de : Nous avons résisté à
l'envahisseur. f' Cette pièce écrite par raya Kane fut présentée par la trou-
pe de Kita en 1962. Elle résume les
combats qu' Atinadou Tall. chef de li em-
..
pire Toucouleur, à SégoU; mena contre l'invasion des Français. Nous voyons
'1!t
2J CUé pail Robert Comevin -in Le. théâtlte. e.n A6!Lfque. noâe. et à Mada9a6c.aJt
Op CU. ~e206
.
11 N.S.Hop,kins " Le. théâtlte. popu.ta...iJte au Ma.U." Op CU page. 168
~·;i'.'
.'J
,"\\,~"
.
~..
\\i
.~ J

'>0' "'''
Ahmadou faire des avances à Samory e t ' Tieba; pour une union contre les
;~o(~..,~;
,'~'
Français, appremre :la nouvelle de la mort de son père, organiser la résis-
,",'
'4'..--.
tance contre l~s Français. Puis la scène se déplace à Nioro et l'héroisme
du:combat nous est déet'it,. Nous voyons ensuite Ahmadou à Bandiagara
où il
est reçu par son peuveu','E~ efirin. nous apprenons qu'il est mort dans le
lointain Nigéria". (1).
Parlant des autres thèmes traités~ Robert Cornevin note que n dans
le combat politique mené par le Mali;, la pièce corre~'hdant le mieux à la
volonté révolutionnaire e$tppobablement Reconversion, jouée à Kayes en
<~J.; ,,; ,...:.,..
Juillet 1967 et qui est untloge de l'autoc~itique appliquée à un hôpital" .
.~ ;.......
(2).
Le titre de la pièce était en fait "'Rèconversion totale des me',1tali-'
tés pour une plus grande efficacité dans l'action".
"
Le théâtre moraliste", lui. s'attache à la "lutte contre la d~a-
vation des moeurs " ,§voquée dans une pièce donnée par le troupe rpg:i:onale de
Gao : Les fausses notes. Cette pièce pourrait être sous-titrée "Lutte contre
le Yé-Yé '1 (3).
D'autres pièces stigmatisent les préjugés encore aneré~ dans les
mentalités ç même chez les intellectuels (tel par exemple celui des castës':
Ou bien encore,; elles s'élèvent contre les traits de moeurs rétrogrades
tels que les prool§:nes de la dot et du m..9riage
celui du maraboutage etc).
La politique contemporaine n'est pas oubliée. ~i la politique in-
ternationale du M3.1i est le neutralisme l' , il s'agit bien enten:lu de neutra-·
.)
lisme positif. En effet en haut lieu on tient à préciser que ce neutralisme
~,~
n'est pas celui qui consiste>à voir brûler la case du voisin sans bouger.'
....
; '
:~.; .:théâf".Ae po~e, auMa.V.." Op CU page 110
",," "l~' . .;;","l,~
ç.
, .• Le .:théâVLe en A6JÛque nohte. e.:t a Ma.dag<uc.O/L Op
~i."
........:.,.

67
le petit
doigt". (4)
Aussi ne
s'étonnera t-on pas de voir des
choeurs
intitulés par exanple . "Tan Smith " ou des pièces illustrant la lutte de
libération des patriotes en Angola.~ en Guinée Bissao~ au Mozambique contre
le colonialisme portugais; D'autres pièces flétrissent la discrimination
raciale et l'apartheid : exemple : Le drapeau noir au Sud du berceau. C'est
le sujet traité par la troupe de Gao lors de la ~ernière biennale artisti-
que et culturelle en 1976. la pièce dénonce les problèmes raciaux auxquels
sont confrontés quotidiermanent nosJl'ères noirs ct'Afrique du Sud) politi-
.~~ ·~;'f:
que contre laquelle sIest ~levée en définitive toute la communauté in~er-
nationale. la pièce recorrmande le soutient incorrlitionn€1 de l'Afrique in...
déperrlante à ces frères de race opprimés et préconise la lutte armée pour
-'.
enrayer le fléau de l'apartheid.
Bien que ce répertoire paraisse riche" il ne faut pas oublier que
les pièces des "pontins maliens étaient du théâtre amateur, écrit et joué
par des élèves dont le niveau d'études était généralement celui du bacca-
lauréat. Lors des Serœ.ines ou Biennales de la Jeunesse" on a pris l 'habi-
tude de s'adresser à des volontaires qui n'ont souvent pas reçu de forma.-:,,-
tion d'art dramatique. On ne saurait alors trop reprocher à ces deux formes
de théâtre les faiblesses de composition~ le manque d'intrique etc.
Par contre) la mort de Chaka, éditée en 1957 par les Presses Univer-
selles et reprise en 1963 par Présence Africaine est une pièce en cinq
tableau du malien Seydou Badian qui marque modestement, selon Robert P a - ' ! ,
geard, la naissance de la tragédie négro-afric.a:'ne d'expression française P
(1). Parlant de la composition et de l'intrigue" le critique ajoute: i'JJ~'
.
, . ' - . -
-
-jj
'1 Modib!;iKElTA V,uC.O/.llU) et -i.n:teJl.ven.t.ion- Koulouba. ImplUmeJt.ie du Go~ne-~_~
ment 1965 page 22
t) Robert Comevin .in. - UftêJr.a.tWle négJLo -a.6JL.ic.a.-i.ne Op CU page 113

68
èëtte oeuvre animée d'un bon nouvement dramatique et écrite avec correction,
le chef zoulou Chaka devient le symbole de l'Afrique combattante. Il semble
nécessaire d'effectuer
une transposition et de considérer que les guerres
libératrices de Chaka correspondent de nos jours
sauf quelques' cas excep-
J
tionnels;, au combat des peuples africains pour l' indépen:iance économiqueôl (1)
D'autres maliens ont eux aussi exercé leur talent dans l'art drarna-
tique. Signalons tout de suite Le chant du Mahdi de Sidiki Dernbélé. L'au-
teur l'a écrit
en
Côte d'Ivoire dans le cadre du ''Théâtre populaire"
dans ce pays, avant
de rentrer définitivement au Mali où il travaille à
l'Office des Postes et Télécoomunications. Le suj et est le suivant: "Deux
orphelins, frère- et soeur., ont dû fuir le village natal où leubs parents
accusés d'être des mauvais genies. viennent dl être tués. Ils se réfugient
dans la forêt-, et vivent là en paix., une dizaine d'années.> oubliés du
monie. Mais un jour
un roi des environs à la recherche d'une épouse, belle
et vierge, demande à ses horrmes de battre le pays pour lui ramener cette
perle rare. Un de ceux-ci., chasseur de son état:> découvrant le refuge des
deux orphelins" propose à la jeune fille de le suivre pour la présenter
à son roi. Le frère s' y oppose. Alors le roi envoie deux cent guerriers
combattre les jeunes gens. A lui seul
le jeune honme les massacre tous.
J
mais se fait neutraliser par un sorcier envoyé sur les lieux qui l'endort
pour dix ans, dix jours. la résistance de la jeune fille est également
brisée et le mariage peut alors avoir lieu.Une belle petite princesse
naîtra de cette union, et c'est elle qui rencontra au bord de la rivière
11
Robert CornevinVt Utt~IUttwte. n~gJto-a.6JLictUne. Op CU page. 114
.~.
1


69
cet étranger" enfin revenu à la vie ~ qui chante· le chant préféré de sa
ITÈre. Le frère et la soeur se retrouvent alors après plus de dix ans de
séparation. Ami ou ennani? demande le roi à cet adversaire devenu parent.
La. réponse sera paix et amitié. Une grande fête célèbre cette concorde et
termine la pièce" (1) •
Nous devons également à cet ancien pontin" (1937) Les Hemmes pièce
jouée à Bamako et Alger en 1963; puis les Bourgeois" datant de 1964 ; e~in
Une femne
un Amour écrite en 1969. Toutes ces trois pièces sont malheureu-
J
sement inédites (2), cependant la dernière permf:t à Sidiki Dembélé d 'obte-
nir aune première chance sur les ondes;' (3).
Macono Coulibaly quant à lui, a écrit le serment de fer.
L'histoire de l'empire du Kénédougou a déjà inspiré quelques talents
Le sens élévé de l'honneur et de la dignité de ses chefs a inspiré à Massa
Makan Diabaté la pièce Une si belle leçon de patience. "Bien qu'il ait des
forces très supérie\\..lres en nombre s Ba Bemba. roi du Kénédougou J refuse de se
battre avec samory qui assiège sa capitale. Les femmes elles-mêmes s'élè-
vent contre ce qu' elles considèrent COIl1Tle un lâcheté de leur roi. Les raisons
qui dictent la conduite de Ba- Bemba ne seront révélées qu'à la fin de la
pièce et elles paraîtront d'une telle noblesse à tous que même Samory en
sera touché. Massa Makan Diabaté a su atteindre le ton de la tragédie en
mettant en scène. ces deux grands héros d'Afrique de l' Olest Î' (4).
La. piè-
ce fut couronnée par l' 0ffi'F en 1970.
Liaube des béliers de Gaoussou Diawara recevra également le troisiè-
1) Paulin VieYl"'a " Le c.hant du. MaheU" in PILue.nc.e A6!Lic.aine n" XVIII - XIX
~év!Li~-mai 1958 page 243
'l)
Richard BonneauEc.!Livaht6. c.inéct6;t~ et a/tti.M:.u ivoiJUett6 - Valuvt,- Abidjan
Lu nouveUu Ed.Ui.on6 A6lrÂ.cainu- 1913 page 55
31 Robert Cornevin LittélUttulte d' A6IÛque nohte et de. ~~ada.gct6c.a1t
Op CU: . .-
ge ~î'J
41 Commenta..iJte au do~ de R~ c.ouv~e de Une ~i b~e leçon de patienc.e
Editionh ORTF 1912

70
me prix au concours de l' ûRI'F de 1972. LI auteur aura également la chance
de voir primer une autre de ses pièces : Les chemins, par les l7premières
chances sur les ondes". en 1971. Gaoussou Diawara a écrit d'autre part de
nanbreuses pièces inédites ~ mais jouées par les élèves de son établissement
(Institut National des Arts) à chaque fin d'année à Bamako.
Avec tes hql'rnes du Bakchich, Alkaly et Diama Kaba ont re~orté le
grand prix de l' ûRrF en 1971. Monsieur Kaba est Membre fondateur de l' Asse-
ciation Malieme des Auteurs et Amis des Lettres, cependant que sa ferrrne
arrivée au théâtre grâce au contact permanent avec son mari, est professeur
d 'Histoire et de Géographie à Bamako. Leur co-production " en même temps
qu'elle évoque le très difficile mariage de raison entre l'Europe et l'Afri-
que. montre la nécessité d'une coopération sincère et loyale entre les cinq
continents" nous dit N'Tj Idriss Mariko~ parlant de la pièce. "Ce qui est
admirable dans cette oeuvre poursui-il
c'est que des auteurs réussissent
j
à présenter en six açtes la passionnante et douloureuse histoire de llAfri-
que dans ses relations avec des partenaires exigeants et inccmnod.es. Plus
que le passé, c'est le présent que nous sorrrnes invités à voir ici. L'Afri-
que indépendante est avertie qu'aucune idée n'est désintéressée, que toutes
les coopérations ne se valent pas et qu'à vouloir manger à tous les rate-
liers, on finit par être indisposé et dénaturé. Quelle belle leçon d'es-
poir enfin pour nous, Africâns d 'Aujourd 'hui .• de savoir que notre salut est
dans la fidélité à l'Afrique car Il la vie d'un être va de zéro à cent tandis
que celle d'un peuple. d'un monde, d'une civilisation. va de l'infini à
l'infini". (1)
Alkaly Kaba n'était pas à son premier succès puisqu'il s'était vu
1
l-
1: N'Tài Idrias f'Aariko P't~6ac.e aux HommeA du Bakcluc.h page. 10
1

1
1
71
décerner le premier Prix National des lettres cette même année 1971 avec
Nègres qU'avez-vous fait?
"Cela lui valut l'honneur de voir jouer sa pièce
en lever de rideau lors de la Deu.."<ième Biemale Artistique et Culturelle
des Jeunes à Bamako en juillet 1972" (1).
Le dramaturge lui-même nous
livre la substance de cette deuxième pièce " Pour atteindre de meilleures
conditions de vie. vous Nègres de par le monde ~ qu'avez vous fait?.. car
il est aisé de constater que nous les Nègres: sorrmes en lutte pour nous
élever au niveau d'un monde qu'on pense en avance sur nous
mais la grande
j
diversité des moyens, des idéaux employés par les uns et les autres, ne ;.
permettent plus de distinguer facilement la bonne voie de la mauvaise" (2)
Il s'explique ~galement sur le choix des données spatio-temporelles
qui cOI1l>0sent le décor de l'action. "Pour poser cette question de façon
plus nette" j'ai tenté à ma modeste manière de la conduire sous cette for-
me
dans laquelle je prends la vie de nos frères nodrs aux Tl.S.A en Guinée-
Bissao et en Répub}j.que de Guinée corrme des hypothèses" (2 bis).
En 1972 les Editions Populaires du Mali s'enrichiront de nouvelles
pièces de théâtre
. parmi' lesquelles nous· a~!ons .noté~
-
-.'
. . .
-
,-"~""'-=.....".=-==-- - - -
Je ne suis pas à vendre " un drame de Issa Traoré.
Il ne fait aucun dÇ)ute çue d'autres pièces viendront s' aj outer à celles,
déj à existantes. ,si' bien qu'il est permis de prédire un brillant avenir
au théâtre ffiLqlien.
Selon Bakary Traoré, le problème du théâtre est lié à celui de la
société."Il est dit que le foyers de production de la sculpture sont géné-
ra:Jement situés dans les zones de savane ( ... ) Nous avons également noté
7) N'Tji Idriss r~il{Q - Lu /iomme6 da Bakduc.h - Pltê6ac.e page 9
2) No.tu de. R..' auteJ.Vt ,in N~gJt.e. 'lu 1avez-vou.6 6cU.:t? EcU.:t<.on& Popu.R..a.,Vr.e6 - Ba
ma.ko 7912 page. 3
r

72
que ce théatre s'est surtout développé là où il y a eu de grands états c'est-
à-dire là où la cohésion sociale et politique est assez forte pour permettre
1 '§panouissement artistique"
(1)
Nous venons de le voir) le théâtre malien reproduit des prcblèmes
sociaux et s'oriente, selon le goût de son public vers les thèmes historiques
et politiques. La nultiplicité des événements seront donc autant de sources
d'inspiration pour ce théâtre.
Pour les mêmes raisons ~ l'avenir du ranan malien peut il être pro-
metteur? Après avoir examiné dans quelle mesure certains courants d'idées
peuvent avoir un impact considérable sur ce genre littéraire) nous indique-
rons le rôle que peuvent jouer les maisons d' éditior-a pour son essor.
De 1955 à 1978. les ranans maliens mis entre les maip.s du pUblic
contiement autant de titres et de thèmes que de problèmes de tous genres
que le\\lIS auteurs abordent à leur manière.
_ _ _~
J
1) Bakary TRAORE: Le. :t11éâ:tJr.e YI.~glto-apuc.aJ.n et MA 6onctlon6 AOcJ,a.tU;
Pltue.nc.e. A6Ju:.c.a,ùte. f958 ; panu 14 - 15 •.

'. - Le roman·
73
Le roman que nous présentons en dernière analyse
ne
peut pas être traité/en parent pauvre dans la littérature malien-
ne de langue française.
C'est lui qui fera plus longuement l'objet de notre
analyse.
Certes, ce fut un genre cultivé très tardivement : le
premier. roman malien porté à notre connaissance date de 1955(1)
alors que l'implantation de l'administration française remonte à
1854, lorsque le Général Faidherbe, Gouverneur du Sénégal, fit
par la région de Kayes, une percée vers le Niger. Nonobstant, la
littérature romanesque de ce pays ne compte pas moins d'une tren-
taine de titres à ce jour,
repartis
entre une vingtaine de ro-
manciers.
Certains jugeront ce chiffre insuffisant et d'autres
satisfaisant. Les romanciers prendront sur eux ce reproche du ce
compliment. Mais n'oublions pas qu'ils n'en sont pas seuls res-
ponsables.
L'abondance de la production romanesque est certes fonc-
tion des événements qui donnent une motivation aux romanciers,
(sources d'inspiration) mais aussi du génfulittéraire des auteurs.
C~ serait un tort cependant de négliger cet autre facteur que sont
les maisons d'édition. Elles jouent en effet un rôle non négligea-
ble. Sortes de câbles de transmission, n'est-ce pas à elles que
,
revient le dernier mot avant que l~dée puisse circuler de l'au-
teur au lecteur? Aussi avons-nous jugé nécessaire d'évaluer~eur
rôle dans la production romanesque malienne avant de nous pencher
sur certains courants d'idées qui ont, elles aussi, guidé ou en-
traîné les romanciers à écrire leurs oeuvres.
Un coup d'oeil donc sur les couvertures des romans ma-
liens, nous a amené à distinguer trois groupes de maisons d'édi-
tion, pour ne pas dire trois tendances, légèrement différentes les
unes des autres et de qui dépend très souvent le sort du roman.
Dans l'ordre chronologique nous citerons les maisons d'édition.
françaises, Présence Africaine ( ~ Bingo~ de façon marginale) et
enfin les Editions Populaires du Mali. Trois groupes de maisons
d'édition mais aussi trois courants d'idées qui ont influé dans
des directions différentes, sur le roman malien.
(1) Nous n'avons pas retenu le nom de Fily Dabo Sissoko en
tant que romancier. Nous y reviendrons plus loin.

74
C'est naturellement aux maisons d'édition françaises que
les premiers romanciers maliens se sont adressés. C'était à une
époque où l'instruction était encore au stade embryonnaire dans
la plupart des colonies françaises d'Afrique~ surtout dans cel-
les frappées du handicap de la continétalité. 'ILe taux de scola-
risation dépassait rarement 10 % aux alentours de 1950 et il de-
meurait inférieur à ce chiffre dans les territoires intérieurs".U)
note à ce sujet Robert Pageard.
Paris, dit-on (et la France, en général), est un haut
lieu de culture où tous les courants d'idées sont émis parce que
toutes les libertés y sont garanties. C'est ainsi que, des revues
violemment engagées de chantres de la négritude aux romans et
pamphlets de la période post-colonile, en passant par les oeuvres
ayant la fraîcheur du terroir africain, les maisons d'édition
françaises ont pris une part active à la diffusion des ouvrages
de littérature négro-africaine. Elles n'ont hélas pas toujours
accepté de tout publier pour deux raisons essentielles qui sont
évoquées à juste raison ou pas.
La première est que, comme toute activité à caractère
commercial, les maisons d~dition pour accepter de publier, tien-
nent compte du marché de l'offre et de la demande. De là, la pre-
mlere exigence: que l'ouvrage à publier soit de bonne facture.
A ce propos Nathalie Sarraute distingue deux çatégories de ro-
mans "ceux qui souffrent d' ê,tre relus et les autres". (2) Qu'un
~
.
roman pour être qualifié de "bon" soit avant tout écrit dans un
français qui respecte les règles fondamentales de la grammaire
et de la stylistique? Soit. Pourtant nous trouvons des oeuvres
comme Force Bonté de Bakari Diallo, un des premiers romanciers
sénégalais ou encore lioeuvre du Nigérian Amos Tutuola, qui lais-
sent à désirer. Dans la littérature romanesque malienne nous ci-
terons l'oeuvre de Ibrahima MamadouOuane . Peut-être, faut-il
faire remonter ces exceptions à la période où les Européens affi-
chaient un fâcheux paternalisme pour tout ce qui concerne les
écrits en provenance de leurs colonies. Tout laisse à croire
qu'ils voulaient coûte que coûte prouver par ce geste que le fait
que des Nègres écrivent~ (peu importe s'ils ne font pas exacte-
ment comme les autres) prouve Que tout en les colonisant c'est
(1) Robert Pageard. Littérature négro-afrioaine. Paris
Le ~ivre afrioain
3
2e édition augmentée "- 1966 - page 9.
1
(2) Natha~ie Sarraute. L'ère du soupçon: essais sur le roman. Paris-Galli-
mard - 1956 - page 46.,

75
l'éducation, la science et la culture qu'on leur apporte gracieu-
sement. C'est à cette époque que nous devons ce que M. Diouf ap-
n

'"
pelle la Ilterature de consentement". '(1) Au Mali, si aucun ro-
man ne fait l'apologie systématique de la colonisation, un Ibra-
hima Mamadou Ouanea pu écrire dans la préface de Fàdimâtâ qu'il
dédiait ce roman à "tous ceux qui travaillent à divers titres
pour les bienfaits de l'Afrique Noire Française au nom de l'Is-
lam,de la France et de la Civilisation, notamment à vous MM. le
Haut Commissaire de la République en A.O.F., Berriard Cornut Gentil)
le Directeur Yvon Bourges, le Professeur ThéodorE Monod, le Gou-
verneur du Soudan Français, les Administrateurs en chef MM. Tom
Amédée, Maes, H. OrtoJ±j R. Bain, L. Nativel et les Commandants
de cercles de Bandiagara, Mopti et Ségou, Niafunké, Goundam,
Tombouctou et Gao". (2) En un mot, toute cette panoplie est un
hommage à l'administration coloniale. On peut déceler chez l'au-
teur le sentiment de profonde admiratbn qu'en colonisé soumis, il
voue à ses maîtres notamment lorsqu'il écrit "car il faut le re-
connaître, la France n'est pas seulement une puissance temporelle,
elle est, en vérité, et cela seulement, une puissance d'idées.(3)
La premlere tentative est donc faite par Ibrahima Mama-
dou OUale qui se présente comme un véritable pionnier. Arrière
petit-fils du fondateur de l'empire toucou1eur, El Hadj Omar
Saidou Tall, le regretté,Ouane est né en 1908 au Mali et fut mem-
bre de l'Office Inté~national de Culture. Son premier roman
Fadimâtâ, la Princesse du désert, a paru à Avignon aux Presses
Universelles en 1955. Il ccnte
l'amour naissant puis la chute
entre les mains d'un beau jeune homme (màis simple berger méha-
riste) d'une ravissante jeune femme de classe plus élevée, puis-
qu 1 el1e est princesse des Iforas et de surcroît épouse dbn prin-
ce des Oulémas de l'Est.
Le collier de coquillages, publié à Andrézieux par l'im-
primerie Moderne en 1958 est un "roman dont le héros est un admi-
nistrateur colonial". (4)
(1) Madior Diouf: "Un demi-siècle de l'oman sénégalais" in l'Ouest africain -
Dakar - nO 139 - 16 février 1976 page 37.
(2)
(3) Préface à Fadimâtâ
la Princesse du désert. pp. cit ; page 7.
l
(4)
(5) PauZe Brasseur : BibZiogrgphie générale du Mali - IFAN - Dakar -
NEA - 1976 page 112

76
Le troisième roman que nous connaissonsde l'auteur est:
les filles de la reine Cléopâtre, édité à Paris par les Paragra-
phes Littéraires en 1961. Ce sont des "nouvelles entrecoupées
d'idées sur la colonisation et des récits historiques. La préfa-
ce est un rappel de la captivité de l'auteur au Sahara." (i)
Presque à la même période se situe la parution du roman
de Georges Diallo, la Nuit du destin, sous-titré : IICheminement
d'un jeune africain et d'une Européenne". Il parut à Mulhouse
aux Editions Salvator et Paris à Tournai - Casterman en 1969.
Par la suite, la condition requise par les maisons d'é-
dition françaises avant la publication d'une oeuvre d'auteur né-
gro-africain sera que le roman soit "intéressant". Mais dépê-
chons-nous d'ajouter qu'on exige de lui simplement qu'il satis-
fasse au goût du public européen. C'est à cette dernière exigen-
ce que nous devons sinon tous les romans qui étalent complai~am­
ment des scènes d'amour, du moins une bonne partie, surtout les
scènes de sadisme et de lubricité. Mais en général, comme nous
le constations, il y a trois ans, "La littérature négro-africai-
ne reflète des préoccupations différentes de celles des Blancs.
Elle se fait l'écho des aspirations des peuples noirs dans leur
lutte de libération politique et culturelle d'abord, économique
ensuite". (1)
Il ar.rive aussi que des maisons d'édition françaises
consentent à publier des romans négro-africains
à condition que
j
ceux-ci apportent avec eux HIe souffle du large", c'est-à-dire,
quelque chose d'exotique, en tout cas de nouveau pour étancher
la soif du public européen. C'est sans doute à ce facteur que
d'autres romanciers maliens doivent d'avoir leurs oeuvres publiées.
Ce sont: d'Amadou Oumar BA. Les mystères du Bani: roman folklo-
rique soudanais, (Monte-Carlo - Editions Regain 1960) ; d'Amadou
Hampaté BA : l'étrange destin de Wangrin ou les rcuaies d'un in-
terprête africain (Paris. Union Générale d'Editeurs 1973). Ce ro-
man
présente les rares qualités de témoignages vécus dans
cette étonnante
histoire d'un homme ayant réellement vécu et fait
des tours pendables dans le cadre de l'Afrique Coloniale". (J)
(~)~,~ ~ ~ h.aft; 0,. cJ 1 t!f- .f-4t..
(1) Voir notre mémoire de ma-ttrise présenté le ? juillet 19?6 à la faculté des
lettres de Dakar. Le marabout dans le roman Ouest Afriaan franoClf?hone~
page 7. ,
(1) R. Cornevin : Littératures d'Afrique Noire de langue française - Paris
P.U.F. 1976
- page 226.

77
De Seydou Badian, nous avons deux autres romans: d'a-
bord Le sang des masques (Paris - Robert Laffon 1976). A propos
de ce roman justement, un commentateur de l' hebdomadaire Afrique.-
Asie écrivait: "Le sang des masques est un livre important. Im-
portant par son écriture et le regard que pose l'auteur, Seydou
Badian, sur une société dans le conflit et le vertige. Ce n'est
pas un de ces livres exotiques qui disent l'Afrique de la légen-
de et du folklore, l'Afrique de l'imagerie occidentale, prise
dans l'apparence et les fantasmes de l'homme blanc". (1) Quant
â "Noces sacrées", il exalte
la religion traditionnelle, mépri-
sament appelée "fétichisme li •
Les différentes raisons alléguées par les maisons d'é-
,dition françaises, et que nous venons de commenter, expliquent
la raréfaction au fil des ans, des ouvrages des auteurs africains
dans leu~s catalogues de publications. Ce handicap avait surgi
déjà dans l'immédiat après guerre, au moment crucial où les in-
tellectuè5 africains avaient besoin de se faire entendre de part
et d'autre de la Méditerranée. C'est alors qu'intervint Présence
Africaine.
Revue culturelle créée à partir de novembre 1947 sous
l'impulsion de Monsieur et Madame Alioune DIOP à Paris, Présence
Africaine se dotera plus tard d'une maison d'édition. Robert Pa-
gea:d nous en fait succinctement Ihistorique dans ~a ~ttérature
négro-africaine. (2) Entre autres intellectuels africains, nous
savons qu'Amadou Hampaté BA a pris une part active au bon fonc-
tionnement de la revue, et tous les critiques littéraires sont
unanimes à reconnaître que la plupart des oeuvres qu'elle a pu-
bliées sont de bonne facture. Présence Africaine s'est assignée
pour tâche de faire connaître l'Afrique à travers ses écrivains.
G~âce à une activité plus dynamique d'année en année, elle a réus-
si le tour de force de publier tour à tour ou dans le même numéro,
les oeuvres des ténors de la poésie de la négritude, celles des
essayistes, des conteurs, des chroniqueurs, des historiens, des
pamphlétaires, des dramaturges et bien sûr des romanciers. Nous
retiendrons de Seydou Badian une deuxième (1963) puis une troi-
sième (1972) réédition de Sous l'orage, roman qui avait déjà été
confié aux Presses UniverEelles d'Avignon en 1957. "Fortement
-,
(1) HâJiiid Maya: "Le sang des masques" in Afrique-Asie i'ûbrique "Culture"
nO 12? - 19??, page 48.
(2) Robert Pageard : Littérature négro-africaine ,; Op. cit. pp. 25 à 27

78
teinté d'islamisme (ce roman)
end un son aussi original au sein
de la production littéraire que nous avons prise ici en considé-
ration ; il expose le conflit plus ou moins ouvert qui oppose
deux générations d'Africains, ... Nous voyons la jeunesse qui se
prépare à entrer dans la vie, s'opposer d'une façon résolue à
certaines pratiques ancestrales et surtout refuser de se soumet-
tre à la domination européenne, tout en accusant les aînés de
veulerie". (1)
De Mamadou Gologo, signalons Le rescapé de l'Ethylos
publié aussi en 1963. "Ce titre étrange pourrait faire penser
ceux qui négligeraient la référence à la chimie, à une quelcon-
que aventure maritime. Bien entendu, il n'en est rien et ce n'est
pas en tant qu'oeuvre littéraire que cet ouvrage mérite l'atten-
tion, mais comme le bouleversant témoignage d'un homme politique
malien revenu du sombre rivage de l'alcoolique". (2)
Tout récemment Madame Aoua Keita
la deuxième roman-
cière dont le Mali peut s'enorgueillir, a fait publier en 1976
&.-~
Femme d'Afrique. Comme Le rescapé de l'Ethylos~ ce roman est(aus~
si l'autobiographie d'une femme malienne, profondément politisée,
qui nous raconte son étonnante odyssée au sein du R.D.A., Parti
majoritaire au Mali comme dans plusieurs états francophones
d~frique Occidentale. SO~s le nom local de U.S./R.D.A.,la lutté
contre l'administration coloniale franç~e jusqu 1 à l'indépendan-
ce proclamée le 22 septembre 1960. Il doit sans doute pour une
grande part, sa victoire à la section féminine très dynamique
qui avait à sa tête Madame Keita.
Présence Africaine ne s'est pas cantonnée à publier les
oeuvres d'auteurs francophones. llAu bout du compte, la plupart
des intellectuels et écrivains
africains, ont utilisé les pages
de la revue, puis la maison d'édition pour se faire entendre;
ils les ont utilisées aussi bien d'ailleurs pour y exprimer leurs
accords que les désaccords et y poursuivre la discussion. L'élec-
tisme y est donc de règle". (3) Fidèle à sa vocation de panafri-
canisme, Présence Africaine, a voulu donner la parole à tous les
nègres de la diaspora en insérant largement dans ses colonnes
(1) Léonard Sainville : Anthologie de la littérature négl'o-africaine (romanciers
et conteurs négro-africains). tome II Paris- Présence africaine 1961~p. 156
(2)
'~e rescapé de l'Ethylos" in Genève-Atrique volume IV nO 2 1965~ page 300
3
(3) Yves Berrot : "Négritude
socialisme afr~cain et réalisme" in La Pensée
3
nO 121 juin 1965
pag~ 23.
3

79
les écrits des Noirs (Américains, Antillais, Africains) et des
Malgaches, qu'ils soient francophones, anglophones ou lusophones.
Un tel destin lui a permis tout naturellement de prendre une im-
portante initiative : celle de réunir cette intelligentsia nègre
en un vaste tête-à-tête pour des discussions fructueuses et une
harmonisation de leurs points de vue. Ce fut la rencontre histo"
rique du 1er Congrès des écrivains et artistes noirs~ qui eut
lieu en septembre 1956 à la Sorbonne à Paris. Les travaux ainsi
ébauchés seront poursuivis lors du deuxième Congrès du même nom,
tenu à Rome en 1959. Les comptes rendus ont été fidèlement rap-
portés par Présence Africaine dans des numéros spé~ux : nos 8,
9, 10 nouvelle série juin 1956, puis nos 14, 15
juin-septembre
J
1957 pour le Congrès de Paris ; les Nos 24 et 26 - 28 1959 pour
le Congrès de Rome. Ces deux congrès ont imprimé de façon durable
une orientation à la littérature négro-africaine.
Peu d'intellectuels maliens étaient parvenus à cette
époque à s'imposer dans le domaine de la culture. Aussi n'en
rencontrert-on pas dans les couloil's des deux augustes assemblées.
Néanmdhs, il est réconfortant de constater par la suite, qu'ils
ont tous souscrit inconditionnellement aux résolutions adoptées
par leurs frères de race~ en vue du combat pour la libération du
continent noir de toutes les séquelles du colonialisme. A Paris
puis à Rome, il fut donc dédidé de recommander à tous les intel-
lectuels noirs, écrivains et artistes, entre autres thèmes de
réflexion, de repenser celui du statu
quo colonial.
Partant du fait que le blanc avait denié tout caractè-
re humain à la race nègr~, lors de la ~onquête coloniale, cer-
tains intellectuels noirs vont s'évertuer à prouver aux aut~es
peuples de la planète que le continent africain avait, et conti-
nue à forger des valeurs de civilisations tout aussi riches que
celles des Européens par exemple. Pour leur part, les romanciers
vont largement puiser dans le patrimoine culturel africain, la
matière de leurs oeuvres. C'est le retour aux sources pour retrou-
ver et affirmer l'identité culturelle du noir, son authenticité.
Tendance que nous retrouvons dans les romans de Yoro Diakité,
Seydou Badian, etc.
Un autre groupe d'intellectuels négro-africains va
s'assgner une non moins lourde mission: il s'agira pour eux de
s'engager auprès de leurs peuples, c'est-à-dire, que par leurs

80
écrits, romans et autres, ils vont éveill~~la conscience de la
race noire asservie et exploitée, traduire les aspirations pro-
fondes de ces "Ames noires" en dénonçant le colonialisme dans
ses diverses mani~estations raciale, politique) économique, cul-
turelle et même religieux. C'est à cette tâche que vont s'emplo-
yer des romanciers comme Amadou Hampaté BA~ Mamadou Gologo,
Seydou Diarra, et Madame Aoua Keita.
Après 1950, quelques revues seront lancées en terre
africaine même, pour épauler solidement Présence Africaine dans
son rôle de diffusion de la culture négro-africaine. Nous retien-
drons entre autres le nom de Bingo, un mensuel fondé à Dakar en
1953 par le romancier sénégalais Ousmane Socé~ auteur de Karim
et de Mirages de Paris.
Bingo s'est même doté d'une maison
d'édition qui a publié d'Amadou Coumba BA les fiançailles d'Al~
Diabel, roman qui se trouve dans son numéro 95 de décembre 1960.
Dans la même année, il a fait paraître Les inutiles de
sidiki Dembélé. Selon Léonard Sainville "C'est un bon livre,
Pour être un roman de moeurs, et de tels romans sont légion, il
n'en est pas moins rempli d'originalité et c'est le seul du gen-
1
re qu'il nous a été donné de lire dans toute la littérature né-
gro-africaine". (1)
1
1
Nous avons signalé des éditions à caractère exception-
nel de Bingo qui demeure essentiellementun journal mensuel. C'est
surtout depuis 1963, avec la création du Centre de Littérature
1
Evangélique de Yaoundé, que l'Afrique Noire dite francophone
s'est vue doter d'une véritable maison d'édition sur son sol.
1
Mais ni les Editions CLE de Yaoundé, ni la co-édition ivoiro-
sénégalaise des N.E.A. (Nouvelles Editions Africaines) pour ne
citer que les deux plus importantes, n'ont publié à notre connais-
1
sance des romans maliens. Le troisième événement vraiment marquant
\\
pour cette littérature romanesque sera la naissance des Editions-
Imprimerie du Mali. (Impression, commercialisation et diffusion
d'ouvrages maliens et étrangers).
1·l
Tournant important donc que la création de la Librairie
Populaire et d.es Editions Populaires du Mali à Bamako. Pour mesu-
1
rer son rôle, il faut remonter dans le temps aux premières années
l
(1) Léona:zod Sainville: Anthologie de la littérature négro-aft'iaaine. Op. Cit.
page 49.
1

81
de l'indépendance. Ap~s son accession à la souveraineté inter-
nationale, qui fut tout aus~ôt suivie d'une période de rupture
d'avec l'ex-colonisateur, le Mali se trouva confronté à un
cruel besoin de cadres pour assurer la relève de l'assistance
technique que la France~ en se retirant, avait emportée dans
ses bagages. L~dée apparut clairement à l'Ass-emblée Nationale
et au Gouvernement de Bamako qu'il fallait promouvoir la forma-
tion de cadres nationaux, moyens et subalternes, afin de ne plus
dépendre du monde extérieur (Europe de l'Est en cette période).
Pour ce faire, il fallait donner la priorité des priorités à
,
l'enseignement, quand on sait qu'à la veille du 22 septembre 1960
"le taux des élèves et étudiants maliens ne dépassait pas les
8 %
des enfants scolarisables". (1) La décision prise àboutit à la
Réforme de l'Enseignement en 1962 qui devait ramener d'abord le
cycle normal des études dans le secondaire de dix à neuf ans :
c'est l'Enseignement Fondamental. Avec le budget de faveur qui
lui fut octroyé, ce dernier parvint à créer des écoles primaires
(trois ou six classes) au niveau de tous les arrondissements du
pays. De même toutes les grosses agglomérations (villages-mères)
seront invitées à créer avec des moyens modestes des classes pri-
maires. Au niveau des chefs-lieux de cercles et de régions, le
cycle des études sera complet: 6 ans. C'est ce que le projet
de Réforme appelait : "faire une éducation de masse et de quali-
té!l.
Outre le besoin d'enseignants ainsi provoqué, le Minis-
tère de l'Education Nationale aura à faire face à une pénurie
de matériel scolaire, dont le besoin de livres adaptés au niveau
et à l'esprit de la Réforme n'était pas des moindres. En effet,
l'objectif était aussi de "décoloniser les mentalités" en ensei-
gnant les réalités africaines et maliennes au lieu de répéter que
"nos ancêtres étaient des g-aulois" et d'apprendre à dessiner les
yeux fermés, la carte géographique de la France et de l'Europe.
La librairie Populaire s'engagea à résoudre le problème des livres
et autre matériel pédagoiique ainsi posé: Comme Présence Africaine)
elle verra les sollicitations augmenter au fur et à mesure que
s'accroîtra le nombre des écoles. Comme son aînée, ces "Editions
Populaires" seront amenées à diversifier leurs activités dans le
domaine de la commercialisation : elles iront, des livres et
(1) CMrard BraS8eU1" : "MaU" in Notes et études doewnentaires. La Doaumenta-
tion française nO 4081 - 22avrir 19'14- page 35.

82
cahiers,au quotidien
national d'information (l'Essor) en passant
par des ouvrages moins scolaires. Le but ét~nt de satisfaire le
besoin de consommation des lettrés maliens iagnés par une sou-
daine griserie de savoir.
C'est alors qu 1 à la suite de la Librairié Populaire,
les Editions Populaires furent créées en 1967. Nous avons mon-
tré plus haut l'importance d'une maison d'édition. Son rôle est
encore plus déterminant lorqu'elle est implantée sur le sol na-
tional. Ayant cédé depuis quelques années le monopole de la pu-
blication d'ouvrages scolaires à la maison d'édition créée par
le Centre Pédagogique National, et réservant l'édition des in-
formations en langues nationales (Bambara seul pour le moment)
à la pEesse du Kibaru~ les Editions Populaires du Mali se sont
orientées vers la production et la publication d~ouvrages de
l t '
culture générale. Leur but est de contribuer de la façon la plus
efficace à la diffusion et à la conservation du patrimoine cul-
turel national. Dans un premier temps, les Editions Populaires
du Mali ont donné leur préférence aux auteurs qui s'intéressent
à la culture typiquement malienne~ à l'intention desquels est
réservée "la Collection Hier", de loin la plus fournie en arti-
cles. Elle publie des ouvrages tels que : les recueils de contes
et légendes, les récits historiques des héros nationaux du temps
des empires et royaumes médiévaux ou les nobles figures qui ont
opposé une résistance farouche à l'envahisseur français. On trou~
ve également dans cette collection des études sociologiques sur
les différentes ethnies et castes qui composent la société ma-
lienne.
Les Editions Populaires ne se sont pas cantonnées heu-
reusement à la "Collection Hier". Elles ont voulu embrasser les
vastes domaines que nous avons déjà mentionnés dans la première
partie de ce travail à savoir : les essais politiques et écono~
miques, les travaux de géographie et d'histoire, la poésie, le
théâtre, le roman et la nouvelle.
"
Après la nouvelle de Mamadou Gologo "La lune rousse"
parue dans Le Mali nO 8 196G, le public malien a pu connaître
et apprécier une troisième génération de romanciers qui a fleuri
sur place. Contre huit pour les maisons d'édition françaises
(depuis 1955), quatre pour Présence Africaine (à partir seulement
de 1963) et deux pour Bingo (en 1960), les Editions Populaires
. t

" . ~
.'
.
~..
83."
.
ont porté à la connaissance du public tes oeuvré, ·~e dix foman~
"
.
.,-'·7'
,
:'
ciers maliens, (à compter de 1969) confir~t ainsi leur dou,le
vocation, à savoir :
.t'.
- promouvoir la culture malienne en diffusant des ou-
vrages qui soient à la port€e
du plus large public,
- susciter plus de vocations littéraires en encoura-
geant par tous les moyens les écrivains maliens.
C'est ainsi que pour le roman par exemple, les Editions
Populaires ont incité les auteurs à prendre position à propos de
problèmes d'ordre social qui se posent au peuple Malien depuis
son indépendance. Mais aucune contraintene leur est imposée, au-
cun sujet n'a été déclaré prioritaire sur les autres. Les Editions
Populaires acceptent même les manuscrits que les~~teurs leur ap-
portent, car elles ont conscience que la plupart des maliens
n'ont pas eu le privilège de fréquenter "la cour de Madame Reming-
ton", (1) et autres machines à écrire. De plus, elles consentent
des avances sur les droits d'auteur sur simple signature du pos-
tulant, parce qu'elles savent que le standing de vie du Malien
est précaire, que le salaire des fonctionnaires est un des plus
1
bas d'Afrique Occidentale La politique a porté ses fruits comme
nous l'a montré la liste des ouvrages publiés. (2)
Un fait tout de même notable : exception faite peut-
être de Issa Baba Traoré, et Seydou Diarra, tous les romanciers
qui se sont fait publier aux Editions Populaires sont des jeunes~
c'est-à-dire, qu'ils nappartiennent ni à la première génération
d'intellectuels comme le v.EUX sage Amadou Hampaté BA, ni à la
deuxième génération constituée par les derniers "Pontins" comme
Mamadou Gologo et par les universitaires comme~ Ouologuem
et Seydou Badian.
Généralement, la formation de ces romanciers n'a pas'
dépassé le niveau du ly~~e et la plupart ont reçu cette formation
sur pl2l~e. Nous voulons dire par là qu'un séjour à l'extérieur
a toujours cet avantage, qu'il permet de "frotter et limer sa
cervelle contre cellE
d'autrui". Consciemment ou non, cette
(1) Mamadou Goz.ogo : Le rescapé de Z. 'EthyZ.os - page 49.
(2) Voir 'la pre1'flÜl'e partie de ce travail..
~.

84
troisième génération de romancie~s a subi l~nfluenc~ des ainés
qu'el~a connus sur place (romanciers maliens) ou imités à tra-
l,·
". '~_
;:' ~~-;:
vers leurs écrits (autres romano~ere).
Ceci n'est évidemment
.:~:.
pa~ un réquisitoire ; loin de nous cette intention malveillante
D'ailleurs, aucun romancier ne peut faire exactement comme son
devancier ou son modèle. Chacun a ses propres tempérament et
style, ses propres mérites. C'est ainsi qu'à côté du courant de
l'imitation des anciens, nous en avons décelé d'autres comme ce-
lui à tendance idéologique, et le courant réformateur.
Dans la première catégorie nous retrouvons : L'ombre
du passé de Issa Baba Traoré, enseignant de son état. Ce roman
que nous sommes tentés
d'appeler autobiographie romancée, re-
trace la vie d'un instituteur de brousse aux prises avec l'admi-
. ' 1 ; " :
nistration française dans son pays, ainsiqu a,veCquelques respon-
sables locaux à la solde du Blanc. Il finira victime du colonia-
lisme. Une main amie est l'oeuvre de Yoro Diakité, militaire de
formation qui, après la campagne d'Indochine et l'aventure des
casques bleus de l'ONU au Zaire (1960) fut Directeur de l'Ecole
Militaire Interarmes de Kati et Président du Gouvernement Provi~
soire du Mali après le putsch du 19 novembre 1968. "Le roman
surprendra le lecteur. En effet, c'est l'histoire d'une jeune
française~de son mariage et de son voyage en Afrique. C'est cet-
, ~:.
te deuxième partie qui est la plus intéressante. On a souvent
lu des romans dans lesquels l'auteur européen, se met dans la
peau d'un Africain. Ici c'est l'Africain qui fait parler une
Européenne et lui fait découvrir l'Afrique". (1)
Le roman de formation idéologique est· illustré par
.,~
l'oeuvre de Seydou Diarra. La vie du premier gouvernement du
Mali qui se voulait socialiste et qui a tenté une révolution le
22 août 1967, a marqué de son empreinte certains intellectuels.
Est sorti de ce moule Le couteau d'or de Seydou Diarra, Licen-
cié en droit public et sciencœpolitique& diplômé des Hautes
Etudes Européennes (journalisme) et actuellement à la'Banque
de Développement (B.A.D.) à Abidjan. Dans sa note au lecteur,
l'auteur écrit "Mon essai est donc une oeuvre toute d'imagina-
tion. Cependant, des amis tant africains qU'E~ropéens qui ont
~. -,
lu le manuscrit m'ont dit avoir pensé en le lisant à un fait
historique précis, réel hélas : le lâche assassinat perpétré,
.....

.... ;
85
.~.
le 20 janvier 1973 à Conakry (Rép. de Guinée) ,sur la personne
d'Amilcar CABRAL, le prestigieux leader du PAIGC par des hommes
de main de la police politique du colonialisme portugais. Et là
je dois avouer mon désarroi et toute ma peine qui ont été ceux
de tous les africains en apprenant la nouvelle de la mort d'Amil-
car CABRAL. C'est cette mort atroce, inimaginable, inadmissible,
qui m'a effectivement contraint à écrire ce livre, que j'avais
d'abord sous l'empire de la colère conçu comme un pamphlet ven-
,
geurc6ntre les auteurs de cette abomination. Puis ma colère
rentrée, dominée, comme sublimée, j'ai alors élaboré le livre
comme une sorte d' hommage du "Vice à la Vertu 11. (1)
Pour certains romanciers maliens, 1960 ne devait pas
sewement nous apporter l'indépendance, mais reconvertir les
mentalités pour permettre aux uns et aux autres de s'adapter à
leur no.veau mode de vie. Yadji Sangaré~~nstituteur,estde ceux
..
là, qui a écrit Naissa un roman qui se veut réformateur. Il re-
trace dans la société malienne le passage de l'Afrique d'hier
à l'Afrique d'aujourd'hui, transition souvent brutale qui fait
des sacrifiés ou des victimes aussi bien du côté des tradition-
nalistes (les vie~) que du côté
de la génération montante,
garçons et filles cdmme Naissa, cette fille inconstante en
amour.
Le thème de l'amour douloureux et meurtri a inspiré
également l'instituteur Hamadoun Tanguina, l'auteur de Mariam
de Gourdam : la disparition brutale de sa fiancée dicf'e'-àu héros
le ton pessimiste sur lequel se termine le roman.
Quand la drogue s'en mêle est une nouvelle d'une ving-
taine de pages environ, que les Editions Populaires ont accepté
de publier. Ce sont de telles "plaquettes" (pour employer le
jargon du métier) qui ont le plus d'impact sur le public malien
qui ne lit pas beaucoup~nous a confié le Directeur co~~ercial.
La minceur du volume et la modicité du prix (cela va de soi) in-
citent davantage les iecteurs à l'acheter et surtout à le lire.
Dans cette nouvelle donc, Issa Baba Traoré tire sur la sonnette
d'alarme en vue de la r?cherche d'une solution à ce fléau moder-
ne qui ravage le milieL rural : la drogue. Ce stupéfiant est
f:autant plus nocif qu'il est prisé par les paysans parce que
se lendant u,iquem;nt au marché noir.
:
e Couteau
or: Note
auteuttJI page 10 •
..'

~'
'
~..
,,' ,
,
.1-:
86
Le professeur A. KONARE, dans un article de l'Essor
évrivait à propos de Cap sur le bonheur
"qu'elle était
l'oeuvre la plus profonde d'Issa Baba TRAORE"
c~ roman, encore inédit est selon le critique "l'his-
',11.
toire·'ct'unj'eune villageois, Mandiou, venu en ville pour par-
fairè ses conditions d'existence. Tout le récit va être.celui
d'un apprentissage qui mène Mandiou de la naïveté et de l'a-
veugle~entà la désillusion et à la lucidité. En ville l'eu-
pherie se d~fait et se retourne contre celui qu'elle avait
',:a~
~~\\
grisé. Il a bien fallu constater la 90uleureuse inéquation
du rêve et de la réalité, la fragilité des illusions irré-
médi~~~ement ~é~ruites ~ar le réel. En v~lle Mar. diou connaît
surtout l'exper1~.ce p01gnante de la so11tude, cette expres-
sion de vivre une vie flétrie, dépouillée de ses couleurs
premières. Une impression de tristesse s'empare de lui.
Mandiou éprouve dès lors un sentiment d'impatience et
de soif du retour.
/7 .• 7 L'auteu~ jette la lumière sur les
.• ",- -
"JIF
,
-:pX
horreurs multifor~s de la ville. La ville représente pour
lui Ip pésincarnation des vertus qui f~nt la force vitale
du vt~;~~" (1) •
*'~ l
f
Quant à "O~ la désobeissance devient un devoir (sous
presse aussi) c'est un roman qU1 a pour personnage ~r~jpal
~
Fatogoma. Issa Baba TRAORE parlant de son oeuvre d~~.~
Fatogoma était l'enfant chéri de ses parents. Il fuit les
bancs de l'école coranique et ceux de l'école française et
échoue finalement à la milice populaire après avoir longtemps
vagabondé. Ce corps para-militaire institué par le régime
socialiste de Modibo KEITA avait, on le sait, très mauvaise
réputation.
Une disette~évit_dans
le pays. La famille de Fato-
goma n'est pas éparQlAêe. Les femmes vendent leurs bijoux et
'.\\:
./ .
(1) A. KONARE : "Issa Baba TRAORE" un chantre de nos valeurs
morales";,chronique culturelle in L'EsBor~
la voix du peuple 1976~page 6.

87
la somme ainsi acquise permet au père d'acheter a~ marché
-j, noir un sac de riz. La milice populaire veillait .'~. fils
arr~te son père et le tance. Mais le commissaire de police
intervient, relaxe le père et lui donne un plus un~upon
if'
pour acheter de la viande pour sa famille. Les fils' invective
le commissaire qui se contente de lui rétorquer que parfois
t
~la désobeissance ~ la loi devient un devoir quand la consi-
,
gne ~st infame". Le but de l'auteur est donc ici de stitmati-
'
ser la mil~çe populaire qui s'était rendue tristement célè-
bre sous' l'ancien x;.égime. Aux dires des Maliens c'est elle
en premier lieu qui' a provoqué la révolte populaire et la
chute du gouvernement Modibo KEITA.
Nous avons exprimé dans l'introduction, notre re-
',,~
de n'avoir p~ pu entrer en posses
de certains romans
maliens publiés ou en voie
de l'être" Le motif est qu'ils
ne s9nt disponibles ni en librairie ni dans certaines biblio-
,
1
thèques (que nous avons également mentionnées dans l'intro-
.1'.{
duction) .•
On se consolera un peu en sachant que nous avons
~....~
~-, .r
eu l~~chanceJsoit de lire des manuscrits, soit de rencontrer
dés àutèurs, sur place à Bamako.
De ces contacts il apparaît que Cette enfant-là
est l'oeuvre de la première romancière du Mali. Le~~~;, de
Sira DIOP est en effet' antérieur d'au moins cinq ans" a~celui ....
de Aoua
KEITA: Femme d'btrique. Pour les raisons que nous
avons évoquées dans l'introduction, le manuscrit se trouvait
dans les tiroirs des Editions Populaires du Mali. Il ressort
des déclarations du nouveau directeur de cette maison d'édi-
tion, que le roman sera très bientôt publié; comme d'ailleurs
la plupart de ceux que nous allons citer.
Evoquanttles données spatio-temporelles, Sira
DIOP dit que son récit se situe dans un village de brousse,
dans un univers scolaire, et dans ~'immédiat après indépen·
dance.
./ .
......

88
",t.
Quant à l'action elle-même, elle se dér.9ule~­
AÙ~d
."Nré
ans une salle de classe, et meiti@ dans les rues du
village.
Dans la classe donc, les enfantsattendal~nt que
la maîtresse, comme cela se passe toujours, dispense son cours
et en donne le résumé
à recopier dans les cahiers. Mais un
fait divers e~t survenu dans le village, intéressant un él~ve.
L'institutrice qui avait été mise au courant, en profite pour
faire "qn_evl~çon oc~asionnelletl, c' est-à-dire ax~e sur ce
probl~me. Elle donn~des conseils et suscite un débat fnuc-
tueux pour l'ensemble de sa classe.
~
Plus tard au village, une vieille -dame trouve
des chiens accouplés. Scandalisée par la curiosité des enfants
~ui avaient fait cercle autour des deux animaux pour les re-
garder, elle les chasse. Survient la maîtresse qui fait re-
..
grou~ ses él~ves, leur pose des questions et en profite pour
approfondir le probl~me de la sexualité.
D'ailleurs en classe, au cours de ses leçons, la
maîtresse ne manque jamais d'aborder avec les enfants qu'elle
acha~ge\\~'instruireet d'éduquer, certaines notions essen-
tielles à leur prise âe conscience: le corps humain, l'habil-
lement, certaines questions jugées "tabous" par la $ociété
~:..:.
telle que "D'où vient l'enfant ?", etc.. •
'......',
,.w.
Cette institutrice est le personnage qui porte
l'idéologie de la romanci~re, qui plaide pour l'introduction
dans les programmes d'enseignement fondamental au Mali, le
chapitre important qu'est l'éducation sexuelle.
Sira DIOP en profite pour toucher un mot de tous
les problèmes qui font que l'enfant africain échappe à l'édu-
cation familiale et ne reçoit rien en retour de l'école. Se-
lon la romancière beaucoup de lacunes subsistent dans notre
système éducatif parce que la socié~ pense qu'il ne doit pas
,
./ .

."
89
't
exister entre parents et enfants un échange d'idées t~~chant
Centre autres) aux relations sexuelles. L'interdit, cette
barrière scandaleuse, a fait plus de tort que de bien dans
ce domaine, estime l'auteur.
On s'étonne, dit Sira DIOP, que les enfants posent
.
..
certaines questions insidieuses, qu~ prennent souvent de court
les parents. "Cette enfant-là !" s'exclamera-t-on lorsqu'on
a en face de soi une jeune fille jugée "trop curieuse". On
s'étonnera aussi -lorsqu'on apprendra le scandale survenu à
certaines filles qui n'ont pu se comporter "dignement" jusqu'au
jour de leur mariage. Savoir contrôler sa sexualité,dit en
substance la romancière, apportera la solution à to~s ces pro-
t
blèmes.
Institutrice sortie de l'Ecole Normale de Rufisque
en~947, Inspectrice de l'Enseignement fondamental du Mali
en 1961, puis directrice du lycée de jeunes filles de Bamako
jusqu'en 1966 ; conseiller technique principal de l'UNESCO à
'..
Ouagadougou en 1975-76 ; nommée ensuite comme chef de la di-
"
vision de l'alphabétisation des femmes au Ministère de l 'Edu-,~:
cation Nationale du Mali et enfin, présidente de l'Union
Nationale des Femmes du Mali, Madame Sira DIOP ~tait bien pla-
cée pour écrire ce roman. Quoi d'étonnant à ce qu'elle s'in-
teresse au premier chef
à l'éducation des jeunes ~illes ?
>~
La fillette dès l'âge de six ans dit-elle dans
Cette en{~vt;*à, est curieuse d'éducation sexuelle. Les pa-
rents se dérobant toujours aux questions touchant ce problème
(heureuse, le jeune fille qui ne reçoit pas un soufflet !)
c'est à la maîtresse d'école de mettre l'élève (et les élèves
en général) en confiance en y répondant sans détours.
L'éducatioQ sexuelle, déclare en substance Sira
.
fi
DIOP, ne doit pas être considérée comme une simple informa-
!
tion. E~le est inséparable de latformation morale et de t~ute
l'éducation en général.
.1.
1 •

. ;(
go
L'auteur de Cette enfant-là, préconise que les.<filles
auxquelles on dispensera ce cours, so~ent réparties par grou-
pes d'~ge et non systématiquement par class~s. Et pour que la
leçon ait quelque chance d'être comprise et retenue par les
élèves, il "'faut que l' insti ttitrice elle-même soit formée en
conséquence : la romancière recommande que cette formation pé-
dagogique des enseignantes se fasse dans les Ecoles Normales
f.
pour les nouvelles sortantes st dans des cours de recyclage
pour les institutrices déjà anc~ennes.
On le voit bien, Sira DIOP s'adresse à travers son
roman, non seulement aux parents mais aussi aux autorités gou-
vernementales de son pays qui, espère-t-elle, prêteront à ses
propos l'attention qu'ils méritent et prendront lesJ.Ilesures
propres à la réalisation de cet objectif primordial.
La femme se trouve au centre du récit d'autres oeu-
vres
inédites.
Le manuscrit de Mohamed Lamine CISSE est intitulé
L'espionne du roi et que l'auteur a sous-titré : Il'La diploma-
tie des rois bambaras de Ségou. Dans l'avant-propos, il fait
remonter son récit au roi Monzon DIARRA, alias MACROS-MONZON
"le seul monarque de Ségou qui ne mourut pas en cours de rè-
gne"(1). Le souverain 'conquit le Kaarta, Tombouctou, le Bélé-
dougou, le Fouladougou, le pays Dogon et une partie du pays
Mossi. Son autorité s'étendait de Kouroussa (en Guinée) à la
boucle du Niger et de Nioro du Sahel à Gotogo en Côte d'Ivoire,
qui est .devenu selon l'auteur) l'actuel Bondougou.
Mais, poursuit-il, "vers la fin du règne de Monzon,
certains suzerains du royaume de Ségou, ayant réussi à forti-
fier leurs résidenc.s et à s'assurer les services de forces
armées à la fois puissantes et dévouées à leur cause,entrepri-~~
rent de s'affranchir peu à peu du joug de leur souverain.
.,.
Koro Dougacoro, Samagnana Bassi, Diacourouna T~"~:
Tion Massa, pour ne citer que ceux-là, étaient du nombre des!./ .
(1) Note de l'auteur in L'espionne du roi
page 1.
3
,;.~r;.t

A.. , '
il'
91
i1/i..
,...
f
seigneurs '''i'hdoci1es, dé~i(lés à ""recouvrer leur ipdépendance" (1) 0
:
~~
,
A~
,Parce que le trône êhance1ait, Monzon devenu vieux
abdiqua en~a~eur de son fi1~Dah Mo~~on. Ce de~ier entreprit
aussitôt de mâter l~s provinces ~ rébellion afin de mainte-
nir la cohésion du royaume. Le récit proprement dit est axé
sur la campagrie de Dah contre Bassy Diakité, seigneur du
lt
Méguetana dont la capita~ était Samagnana.
Comme au début de chaque entreprise,
le roi consulta les devins sur la façon d'entreprendre et de
mener à bien cette campagne. On lui révéla qu'il d~,it, pour
obtenir la victoire, se procurer la première tartine du repas
de Bassy, son bonnet,et ses chaussures, afin de préparer un
sacrifice qUl rendrait les dieux favorables.
: .
Après maintes investigations et des consultations
entre le roi,les dignitaires du royaume et les généraux de
l'armée, l'oracle révéla que seule une femme inteliigente et
courageuse pouvait réussir cet exploit.
Le choix final tomba
sur Fantadjé, la célèbre cantatrice de la cour royale qui
.,
fut enthousiaste de rendre service à sa '~e. En compagnie
de sa servante et de huits Bozos qui lui servaient de rameurs,
elle réussit à s'introduire à Samagnana sans éveiller de soup-
çon. Grâce à son intelligence et à ses charmes elle parvint
à séduire Bassy, à l'amener dans sa case, à lui retirer de
la bouche sa première tartine, puis les habits et les chaus-
sures qu'il portait. A la faveur de la nuit, elle s'échappa
de Samagnana et regagna Ségou.
Grâce
à cette espionne, le roi Dah Monzon réussit
à reconquérir le Méguétana et à tuer Bassy.
Mais la leçon à tirer de ce récit, réside dans ~a
façon dont fut récompensée l'espionne. Le roi, ayant jugé . -
e
cette femme trop dangereuse pour sa propre sécurité et c~~
de Ségou, décida de la faire mettre à mort.
./ .
(1)
Note de l'auteur in:1'espionne du roi,
page 1 .
.. o ,

1
"
f,
92
Le bourreau désigné ,pour cette haute oéuvre, se prit de pitié
.
,
pour Fantadjé
et résolut dé la sauver. Il ~dmula une exécu-
tion, mais tconseilla à 1 'espionne du~~oi d' alle~-vivre loin
de Ségou. C'est l~ coeur" plein d'arrerttlme et d'ind~gnation que
Fantadjé quitta définitivement "l'ingrate t::!ii:e". On ne de-
vait plus entèndre parler d'elle.
L'histoire d'une autre femme est contée
dans
le
roman de Nagognimé Urbain Dembélé que les Editions Populaires
du Mali vont publier sous le titre de Tchagoua, né d'un dé-
funt.
La grande soeur de Chotan était promise 1 un vil-
lage voisin dans le but du renforcement des liens inter-cla-
niques. Lorsque celle-ci mourut avant le mariage projeté,
c'est sa cadette qui fut désignée pour la remplacer.tepen-
dant, certains indices physiques sur la personne de Chotan
ont fait dire par les devins, qu'un génie cruel s'attachait
à ses pas et qu'elle ferait le malheur de tout homme qUl
l'épouserait. Cette révélation jeta la consternation dans le
coeur des villageois. Puisque retourner la jeune fille aux
Slens serait une offense grave, les chefs de famille se réu-
nirent et décidèrent d'un commun accord que Chotan serait
la femme du plus vieux d'entre eux. Ce dernier, qui n'avait
plus longtemps à vivre, accepta de se sacrifier pour l'inté-
rêt de la collectivité.
Parce que tout contact physique avec un marl
cacochyme et chenu lui causait de la répulsion, Chotan se
refusa à lui et jeta son dévolu sur un jeune homme du nom
de Sedio.
A la mort du vieillard, les deux amants décidèrent
de s'enfuir loin du village pour pouvoir se marier. Ils a-
vaient conscience d'avoir commis des fautes graves: le jeu-
ne homme parce qu'il s'était approprié un bien commun, et:-;4'
jeune femme parce qu'elle s'était soustraite à la coutume
du veuvage n'avait pas attendu que le village lui choisisse
un autre mari.

. "
... ,".
93
Les ann~es passèrent et, comptant sur le temps qui
est un facteur d'oubli, Chotan et son nouveau mari revinrent
au village avec leurs enfants dont Ita!n~ s'appelaii Tchagoua.
Certains parmi les villageois les accueillir bien, d'autres
ne leur cachèrent pas leur hostilité. Les deux fautifs se
soumirent à des c~r~monies expiatoires. Puis ils d~cidèrent
d'un commun accord de n'en rien
dire à leurs enfants. Mais
le malheur allait frapper tout de m~me à leur porte : après
la maladie et la mort d'un membre de la famille, la discorde
s'installa dans leur foyer pour toujours. Tchagoua/à qui qU81-
qu'un rev~la un jour le terrible secret de ses parents, en
conçut du chagrin et de l'humiliation. Dans sa r~volte, il
d~cida de quitter et les siens et le village.
L'auteur.de Tchagoua, n~ d'un d~funt est sans dou~
te comme Seydou BADIAN, un d~fenseur de la tradition. Il a il-
lustr~ dans ce roman le sens de la coh~sion sociale et montré
qu'on ne peut impun~ment transgresser la coutume.
1 .f.- "
Le premier roman de Bokar NDIAYE parle lui aUSSl
i
du problème de la femme, plus précisement de l'exode rural
f~minin. Le manuscrit est intitulé Kâdia.
Kokè, après dix ans d'absence, revint au pays na-
tal et distribua des cadeaux aux membres de sa famille, sans
oublier bien sOr sa cousine Kadia. C'~tait la première fois
que cette dernière recevait d'aussi beaux habits. Mais le
sentiment qu'elle éprouva à cette occasion n'~tait peut être
pas la simple joie recevoir des présents de son cousin dont
le nom ~tait fr~quemment cité dans les conversations entre
la famille et des voyageurs revenant de la grande ville.
1
Kok~ de son côt~, n'~tait pas demeurê insensible
1
1
aux
marques d'attention que sa cousine lui prodiguait à:l~on­
gueur de journ~e. Mais, après un court s~jour, il pr~texta
des affaires pressante~ qui requéraient sa pr~sence à Bamako
et repartit après avoir jet~ à sa cousine,un regard qui e~,
1
1
disait long sur ses sentiments. Kadia compr~t)';après le dê~fr't
. ./ ~.
1

94
-,'
..
du citadin, qu'elle ne pourrait désormais plus vivre sans lui.
Les mois passèrent,sans que Koké daignât envoyer
de ses nouvelles ~ sa cousine et celle-ci conçut la folle et
da~gereuse idée d'aller le rejoindre. Elle s'enfuit ~ pied
du village, fit de llauto-stop et finit un jour par attérir
~ Bamako,'un babuchon sous les bras.
Elle se rendit alors compte de l ' énormi té de sa faute
lorsqu'il fallut retrouver son Koké dans cette "forêt" d'hom-
mes et de femmes aux visages hostiles ou indifférents.
Le romancier décrit ensuite minutieusement les
tribulations qui furent celles de la villageoise. Elle ren-
contra plusieurs homm~s de moralités différentes qui l'intiè-
rent au vol, ~ l'alcool, et même à la drogue.
Elle se prosti-
tua et se fit avorter, séjourna en prison et à l'hôpital R-
d
. . . , . . .
, ; "
.
K k"
vant
e retrouver, grace a une ame genereuse, son COUSln
0
e
qui prugeait lui aussi ùne peine de prison pour recel. La
sagesse visita alors les deux jeunes gens qui décid~rent de
rentrer définitivement au village où ils se marièr~t.
\\,
Bokar NDIAYE dans l'~vant propos a dit que son
intention en écrivant ce roman, était de décrire les "multi-
ples avatars qui attendent bien souvent les jeunes paysannes
~
qui se rendent dans les grandes villes pour une raison
ou
pour une autre" (1). Kadia se veut un complément des enquêtes,
des films
documentaires et des romans traitant de l'exode
rural masculin. Le plus souvent, poursuit le romancier, les
filles constituent, plus que les garçons, des "proies faci-
les pour les aigrefins
à tous crins qui les prennent en main
dès qu'elles arrivent"
(2)
dans la grand'ville.
Comme Yoro DIAKITE dans Une maln amie et Aoua
KEITA dans Femme d'Afrique, l'auteur de Kadia invite ses
compatriotes à se pench~ davantage sur ce problème créé
par la fossé qui sépare la ville et le village.
.1.·
~b
1·.' •.·.·
(12
! .
Sokar NDIAYE
Kadia, page 3.
.,'
.~.
§2$

95
R~joins ta terre natale dont nous n'avons pas
pu lire le manuscrit,
(parce que l'auteur l'a envoyé aux
Nouvelles Editions.Africaines - Abidjan pour impression)
ferait,
selon Bokar NDIAYE, pendant à Kadia
en ce qu'il
traite de l'exode des cerceaux. Le romancier veut ici donner
des conseils aux intellectuels maliens qui quittent leur
pays, attirés par la France ou des pays africains dits liri-
ches". Certains, après un sejour prolong~ à l'extérieur ne
peuvent plus revenir vivre chez eux et sont "perdus" pour
leur famille. D'autres, après avoir quitté leur pays ne don~
ne nt plus signes de vie : on les tient alors pour morts.
Aucune de ce deux catégories d'émigrés ne peut prétendre
~tre heureuse. Quoi que l'on fasse, conclut le romancler,on
sera toujours considéré comme un étranger dans le pays d'adop-
tion~ Il faut donc rejoindre la terre natale.
Bokar NDIAYE revient de nouveaux au sort de la
femme au sein de la société, dans son troisième manuscrit
intitulé Les f~tiches ne parleront plus.
penc~e
Cette fois-ci le romancier se
su: une
erreur judiciaire. Le pire a ét~ évité de justesse grâce à
un intellectuel non pas prompt à envoyer en prison malS sou-
cieux de vérité
i l connaît la mentalité des Africains qu'il
doit adminstrer.
'~ ,
Après la mort de plusieurs hommes avec lesquels el-
le s'était mariée successivement, une femme se vit taxer d~
sorcellerie. Elle fut soumise alors aux pires avanies. Le
commandant de cercle intervint et la plaça chez lui comme
cuisinière.
Les langues et les esprits se calmèrent un peu
jusqu'au jour où un rebondissement de l'affaire se produisit.
Un sorcier rôdant la nuit dans la cour de la résidence du
commandant est surpris par le garde cercle. Accul~, l'homme
prit peur et finit par révéler le nom de celui dont i l était
l'exécuteur des basses oeuvres.
On apprit ainsi que c'était
le cousin, amant malcha~ç,.eux, qui faisait emptJtisonner les
maris de la pauvre femme.

96
Plus que l'histoire d'une chefïerie, Deux jours
d'une vie de Amadou Gagny KANTE raconte les déboires d'un
chef de famille polygame.
Dans l'introduction de son manuscrit, le roman-
Cler écrit : "Pendant son règne au canton /Massa/ était très
superstitieux et de ce fait, accordait une importance parti-
culière à tout ce qui, de près ou de loin, pouvait se rappor-
ter à sa fonction, à son titre, à sa renommée. Aussi n'hési-
tait-il pas à se livrer à des immolations /même les sacrifi-
ces
de vies humaines/ que lui recommandaient ses charlatans.
Mais des nuits sombres et oppressives de la chef-
ferie traditionnelle, un jour nouveau devait jaillir, écla-
tant de justice. La forme administrative qu'exigeait cette
nouvelle ère de compréhensions vint aussitôt prouver que les
chefs de la catégorie de "Massa" n'étaient plus
aptes à
assumer des fonctions délicates basées sur des principes rl-
goureux ••• "(1).
Révoqué donc de ses fonctions, Massa ne "régna plus
que sur ses nombreuses femmes et sa multiple d'enfants"(1).
Il émigra en ville, se convertit à l'Islam CprenaI}t le nom
'"
'
'!(.
de Amara) et une nouvelle existence. Il se fit commerçant
et connut un moment de prospérité. Il réussit même à trouver
un emploi de Bureau à Mariam, la plus jeune de ses épouses,
.. ct 'une
coquetterie et d'une légèreë" de moeurs hors de
paire. Elle exigea de son mari des dépenses exceSSlves, mQlS
en retour se mit à le tromper avec une série d'amants et même
avec les chauffeurs de ces derniers.
Lorsque le scandale éclata Massa, fou de rage et
d'humiliation, se vengea de Mariam en déchargeant sur elle
son fusil.
Cheick Mouctary DIARRA s'est fait le critique de
ce roman. Selon le prefacier, qui souligne les qualités lit-
têraires de Deux jours d'une vie sans taire pour autant ses
___________....,.--.
.
..
- .__~_L.
(1) Introduction de l:~~teur ln
Deux jours d'une vie.

ses imperfections, "toutes les histoires de roi ne sont pas
bonnes à raconter. Il est des rois comme des autres hommes.
Il en est qui sont faibles,
fourbes, cruels.
ICelle c.Iï,est
l'histoire d'un homme qui, sans avoir été prince puissant,
n'en a pas moins semé terreur et désolation.
Il est monte
bien haut pour tomber bien bas"
(1).
Enfin, Mamadou GOLOGO que nous connaissons déjà,
résumant "La lune rousse", dit que sa nouvelle est bas~e sur
une croyance anC1enne.
Celle-ci prétant qu'une certaine face
de la lune, de couleur rousse, est annonciatrice de désastres
imminents. Lorsqu'on l'aperçut un jour dans un village, ses
habitants,
(apparemment les plus sages) s'attendirent à une
catastrophe prochaine. Mais les gens non initiés ne crurent
pas à cette interprétation irrationnelle jusqu'au jour où se
produisit une terrible innondation qui dévasta le village et
contraignit ses survivants à émigrer.
Le prem1er but de l'auteur est de nous conseiller
ici de prendre en considération la sagesse et la science des
anciens. Il ne faut pas tout rejeter, écrit-il en terminant
son récit, même lorsqu'on arrive pas à déceler le lien de
causalité entre les phénomènes naturels et les signes celes-
tes.
GOLOGO veut ensuite nous enseigner que, dans le
domaine de
la cosmogonie, nos ancêtres avaient des connais-
sances étendues. Il cite en exemple un groupe de savants qU1
sont parvenus à la conclusion qu'une étoile étrange fait son
apparition dans notre ciel tous les 400 ans. Or depuis des
temps immémoriaux, les Dogons se transmettent cette connal8··
sance. Sans doute arriverons nous à prouver un jour que notre
tradition a un aspect scientifique tr~s poussé.
Un fils
de Karabali du même auteur, aborde des pro-
blemes politiques dans un pays africain.
.1.
(1)
Cheick Mouctary DIARRA
preface à Deux jours d'une vie.

Un fils du village de Karabali <signifiant en
bambara la contrainte) est contraint d'aller à l'école des
Blancs pour apprendre leur langue et comprendre leur
psycho-
logie.
Il obtint son dip16me d'instituteur à William PONTY
.,
mais la guerre de 1939-45 l'obligea a interrompre son métier •
Enr61é dans l'armée, i l se fait envoyer au front pour indisci-
pline.
La guerre terminée, malgré son désir de rentrer dans
son pays, i l est contraint de rester en garnison à Fréjus.
Puis i l se fait envoyer au Vietnam
pour mâter la rébellion
dans cette colonie française.
Il est fait prisonnier, ce qui
lui fournit l'occasion de se trouver en contact direct avec
les Vietnamiens. Il se rendit compte alors que la cause dé-
fendue par ces derniers est Sl noble que tout colonisé doit
les aider. Il changea alore de camp.
Après la victoire vietnamienne de Dien-Bien Phu,
i l rentra chez lui au Soudan au moment où se tenait le con-
grès extraordinaire du R.D.A.
Il y participa et saisit l'oc-
casion pour donner son point de vue sur ce que devra être
l'avenir du pays. Il fit appel au sens patriotique de la
jeunesse qui devait s'ateler à l'oeuvre d'édification socia-
liste et exhorta les militaires à changer de mentalité.
Le romanCler poursuit en disant que le message
du fils de Kqrabali contenait une prédiction des régimes mi-
,
,en/ALfflqu~
b'
. " "
,
, "
.
l ltalres.
armee est
len structuree, blen dlsclpllnee malS
ceci ne suffit pas pour prétendre gouverner un pays. Et
GOLOGO de faire allusion dans son manuscrit aux dictatures
militaires dans l'Amérique Latine. Il conclut en disant que
tant que nous vivrons sous des régimes militaires, nos pays
n'avanceront jamais.
On comprend la réticence àes Editions Populaires
du Mali à publier l'oeuvre de cet ancien ministre socialist~.
Il faut ajouter que de surcroit le héros du roman s'appelle
Madidjan KEITA, ce qui n'est pas sans rappeler Modibo KEITA. ,-
Peut être la maison d'édition a-t-elle eu une autre raison
pour justifier son refus.
"Dans leur ensemble, les romanCler's
.1.

99
communistes n'ont pas su, pas pu, ou pas youlu échapper aux
poncifs, au grossissement épique, à l'hagiographie militants
qui donnent à tant de leurs récits le ton conventionnel et
faux des oeuvres de propagande" (1).
GOLOGO d'est tourné alurs vers les Nouvelles
Editions Africaines. Après un petit élagage,
sans doute ac-
cepteront-elles de publier ce roman qui ajoutera alors un
nom à la littérature romanesque malienne.
~
Enfin, signalons pour terminer qu'un critique,(2)
Gaoussou DIAWARA, a fait de son compatriote Fily Dabo SISSOKO
le pionnier des romanciers
maliens. Il a cité de l'auteur
Crayons et Portraits, ouvrage publié comme nous l'avons si-
gnalé plus haut en 1935. Il faut y ajouter aussi La savane
rouge (1962).
Peut être existe-t-il d'autres oeuvres de cet
auteur fécond qui seront portées plus tard à la connaissance
du public.
Nous estimons quant à nous, que Crayons et Por-
traits esqulsse des portraits de coloniaux et d'Africains,
sans s'attacher à un
personnage et sans contenir un récit
qui serait l'évolution d'un
conscience dans la durée.
Et si
Fily Dabo SISSOKO évoque sa propre vie dans La savane rouge,
i l ne va pas au fond de cette vie privée. Il ne parle non
plus, (concernant les autres personnages) d'aucune Vle privee,
étudiée dans son évolution psychologique.

Liauteur se pose plutôt en critique des moeurs de
son temps : moeurs coloniales et moeurs de ses compatriotes.
Il fait l'éloge de ses amis et des bons sans négliger la sa-
tire des méchants, des sots, etc ••• Ce qui rappelle plutôt
les moralistes du 17 siècle comme Boileau, l'auteur des
Satires et La Bruyère, celui des Caractères.
./ .
---------------------------------------------
(1) Pierre de BOISDEFFRE : Où va le roman? Op. cit. page ~5.
(2) Gaoussou DIAWARA : "L'évolution du roman malien" in
L'essor du 16 avril 1970 -
Bamako.

rOG
Quelqu'un a dit que chez Fily Dabo SrSSOKO la
politique et la plume font bon ménage. Dans ia mesure où
l'écrivain malien se livre ~ une critique politique et so-
ciale dans les oeuvres citées, il se veut un réformateur.

' ..
,.
D EUX 1 E ME
PART lE
LES THEMES
ROMANESQUES
"
'f

,...r
ro!
LES
THEMES
P.O~ffiNESQUES
Le roman peut apporter une ébauche de réponses à
nombre de problèmes qui se posent à la société ou bien susci-
ter en nous une foule de questions.,
Après leur lecture, on aimera tel et tel romans par-
ce qu'ils ajoutent quelque chose de nouveau à notre connais-
sance du pays et des hommes, ou parce qu'ils partagent notre
propre point de vue. C'est en général, ce à quoi nouR?~~ten­
dons en abordant ce genre littéraire.
Il peut arriver que certains romans déforment la
réalité ou du moins la colorent d'une teinte trop subjective.
Par exempl~; certaines idées avancées par l'auteur du : Res-
capé de l'Ethylos ou celui de : Fâdimâtâ la princesse du dé-
sert, paraîtront discutables.
D'autre part, certains romans, parce qu'ils auront
été excessifs dans leur peinture des moeurs ou qu'ils auront
dit des vérités qu'on aurait préféré taire, prqvoqueront des
protestations.
La tempête soulevée par Le devoir de violence ne
s'est pas encore calmée. Enfin, même si cela n'a pas été le
cas ici, on a ~g~~'autres cieux, des romans frappés d'inter-
diction.
"Il peut sembler dès lors naturel de demander à ce
roman, quI. évoque les moeurs et inquiète les juges, une con-
naissance ou, au moins, une approche de la réalité qu'il dé-
peint. Miroir ou écran ; miroir fidèle ou déformant ?" (1).
(1) Pierre. GUIRAL
La Soel~~~ F~ançalhe vue pa~ te~ ~oman­
ele~~ ; Paris : Armand Colin 1969 ; page 6
.f.

·1·
c'est ce que nous tâcherons de savoir, en faisant
une étude thématique du roman malien.
'.,

10,
L'EVOLUTION
SOCIO- FOLJITIQ.UE
DU
MALI
DANS
L~
ROMAN
"S'il. n'e.x.i<!J-te. pa.ô un palLattéti.ôme.
lLigoUILe.UX. e.n-tlLe. l.e..6 ~vène.rne.n-t<!J e.-t
l.' ac.-tivLté lLomane..6que., il. e..6-t -tou-t ,'*:
de. mime. c.ulLie.ux. de. c.on.6-ta-te.1L c.ombie.w
.te.<!J
que..6-tion.6 ou lLêpon.6 e..6 6olLmu.tée..6
./
paIL .te..<!J lLomanc.ie.lL.6 C.OILILe.-6 ponde.n-t à.
c.e..t.te.<!J de. .te.UIL.6 c.on-te.mpolLain.6 immé-
dia-t.6. Le. -te.mp~ de.~ a-t-ti-tude..~ mOlLa.te.-6
e..6t pa.6.6 é (ou n' e..6t pa..6 e..nc.oILe. ILe.Ve.-
nu) e.t c.'e..6t au nom de.. t'individu
.6olitailLe.~ au nive.au de.. .6e..6 lLéac.tion.6
bio.togique.~, phY.6io.togique..6, mythi-
que..6, que. palLle.nt 1.te..6 lLomanc.ie.IL~/ •••
MaulLic.e. Na.de.au- te. 1:,ërnM-.6!!-_l!.t1ç;g.i.2__de.-
p_~f~_~_~..9.~!.!.'!.~ - PalLi.6 - GattimalLd. )
Tous les romanciers maliens ont publié leurs oeuvres
â partir de cette deuxième moitié du vingtième siècle à laquel-
le nous appartenons. Or il faut suffisamment de recul dans le
temps pour pouvoir juger plus objectivement une oeuvre, sinon
on se hasarde sur un terrain trop glissant. Faut-il pour cela
attendre les bras croisés le vingt et unième siècle pour que
s'élabore une bonne critique du roman malien?
Des tentatives d'ébauche faites de nos jours seront
sQrement fructueuses pour l'avenir de la critique littéraire
malienne. Bien que nous ayons de ce fait "le nez sur notre
époque, comme le dit Maurice Nadeau, courons le risque de nous
t
tromper" (1), en essayant dans un premier temps de voir com-
ment, à travers leurs oeuvres, nos romanciers voient ou ten~
tant de reconstituer la société malienne la plus authentique
(Thème : défense et illustration du passé africain) .

Nous nous pencherons, dans un deuxième temps, sur le
dossier de la colonisation qui a été au centre des préoccupa-
tions de tous les intellectuels africains jusqu'à l'acquisi-
tion de l'indépendance (Thème: critique de l'action coloniale.
(1) Le. lLornan 6lLançai.6 de.pui~ la gUe..ILILe., Page 13
./ .

: i.
./ .
Quant au 3e sous chapitre, il regroupera les thèmes
relatifs à l'époque dans laquelle nous vivons actuellement
(Indépendance et diversification des thèmes). En effet, l'après
indépendance:, si elle a solutionné certains problèmes ou at-
ténué la rigueur de certains autres, en a créé de non moins
ardus. Nos romanciers qui le savent, tentent de nous en faire
prendre conscience lorsqu'ils ne proposent pas de solutions.

DEFENSE ET ILLUSTRATION DU PASSE AFRICAIN
"Nan, naUh n'avona jarnaih ltl ama-
zone4 du ~oi du Vahamey, ni p~inee~
de Ghana avec huit centh ehameaux,
ni doeteu~4 a Tombouetou, Ahkia te
G~and étant ~ai, ni a~ehiteeteh de
Vjenné, ni Mahdih, ni gue~~ie~h ... "
(Aimé Cé4ai~e ; Cahie~ d'un netou~
au pay~ natal ; P~éhenee A6~leaLne
1956 ; page 61
Aussi loin, dit ce pionnier de la négritude, que re-
montent dans leurs souvenirs les descendants des esclaves noirs
transplantés en Amérique et aux Antilles, ils n'ont qu'une
conscience vague de leur origine. Mais ils savent depuis un
certain temps qu'ils peuvent, comme leurs frères de race de-
meurés sur le continent africain, se prévaloir d'un passé glo-
rieux.
Ghana est le nom du premier empire noir connu au
sud du Sahara. De par son étendue, ses richesses et le rayon-
nement de sa civilisation, il contribua le prenier, à attirer
l'attention qu monde extérieur sur cette partie de l'Afrique
occidentale.
Après l'éphémère empire Sosso autour de Soumangourou
Kanté, le Mali est, à proprement parler, llempire qui prit la
relève de celui du Ghana. Il connut d'ailleurs un plus grand
prestige, grâce au fameux pélerinage de Kankou Moussa. Le
souverain déplaça à cette occasion un nombre impressionnant
de personnes composant sa suite et distribua à profusion de
l'or dans les pays arabes traversés, à telle enseigne dit la
chronique, que le cours du métal jaune baissera durant plu-
sieurs années. Quant à Soundiata Keita, Il s'imposera à la
mémoire des hommes grâce à ses conqu~tes qui étendirent à l'in-
fini les limites du Mali. Les griots, dans leurs chansons de
geste, le compare à Alexandre le Grand, rapporte Djibril Tam-
./.

·/ .
sir l'lIANE (1).
L'empire sonrhai, qui éclipsa celui du Mali, doit
sa renommée à Sonni Ali Ber (le conquérant) et à Askia Mohamed
Touré (le pieux). Ce dernier est en effGt, celui qui renou-
vellera l'exploit de Kankou Moussa et fit
comme lui le rayon-
nement intellectuol de la région : en ouvrant des écoles et en
attirant chez lui quelques sommités de la culture arabe.
Puis vinrent le royaume Bambara de Ségou auquel s'at~
tache le nom de Da Monzon, l'empire Massassidu Kaarta et
enfin l'empire du Kénédougou édifié par Tiéba Traoré et immor-
talisé pàr le fait d'arme de Babemba.
Trois grandes figures animées par une foi islamique
ardente se sont prévalues de ce prétexte pour se tailler de
grands empires, théocratiques ou prétendus tels. Ce fut d'abord
Cheikou Ahmadou Bari qui lança ses Peulhs à la conquête du
Macina. Puis arriva El Hadj Omar Saidou Tall (avec ses guer-
riers toucouleurs) qui conquit et ~éantit le Macina avant de
se fixer autour qe Nioro et Ségou. Quant à l'Almamy Samory
Touré, il doit ses victoires à la farouche combativité de ses
sofas qui l'ont imposé comme chef spirituel et empereur du
Ouassoulou.
Cette fresque historique est abondamment commentée
par les ouvrages des historiens (comme Ibrahima Mamadou Duane,
Zndré Traoré, Sékéné Mody Cissoko) des traditionalistes (tels
Mamby Sidibé, Bokar N'Diayo, Amadou Hampaté Bâ) et même par
des conteurs (exemple Massa Makan Diabaté). Elle l'est moins
dans la littérature romanesque malienne qui compte peu de ro-
f
mans à caractère historique, comme le Soundiata ou l'épopée
f
œandingue de Djibril Tamsir Niane.
f
(1) Djibril NIANE : Sound~a~a ou l'épopée mand~ngue. Paris
Présence Africaine 1960 ; page 10
./ .

./ .
10"1
Un passage de Sous l'Orage a cependant retenu notre
attention. Seydou BADIAN, par la bouche d'un de ses personna-
ges, Kerfa en l'occurence, déclare:
"Regarde, nous avons eu au Soudan trois prophètes
conquérants. Ils ont voulu implanter l'Islam, par la force du
sabre. Ils ont, certes, réussi à conquérir des régions féti-
chistes ; les peuples se sont mis à genou devant leur force,
mais ils n'ont pas su gagner les coeurs et la religion, qu'ils
ont essayé d'apporter, 'n'a pas eu la clientèle qu'ils escomp-
taient" (1).
Le romancier se fait ici l'écho des chroniques (tê-
moignages, dits-de-griots, documents écrits) relatant les di-
verses phases de l'islamisation de son pays. Fanatisées par
Cheikou Ahmadou, El Hadj Omar et Samory, des Peuls, des Tou-
couleurs et des Dioulas, qui représentaient une petite fraction
de la population, ont choisi la guerre sainte pour gagner à la
cause mohamétane leurs propres ethnies d'abord ; puis ils ten-
tèrent de convertir de force les autres communautés patennes.
Si Badian condamne la méthode employée par ces con-
quérants, il reconnatt implicitement qu'ils ont réussi à
"conquérir des régions" ; donc à fonder des empires et partant,
des sociétés structurées ayant leurs propres valeurs de civili-
sation. N'en déplaisent aux Européens qui ont prétendu que
l'Afrique, au moment de leur arrivée, était vierge de toute
culture et de toute civilisation. En effet u en toute conscien-
ce, l'un d'eux a pu écrire:
~Après tout, la civilisation n'a jamais été faite
jusqu'à présent que par des Blancs ..• " (2).
L'auteur de Femme d'Afrique, qui a eu à sillonner
plusieurs régions du Mali, ne manque aucune occasion d'évoquer
(1) Sou~ t'O~age, op. cit.
;
page 173
(2) Faguet cité par Aimé CESAIRE in Vi~cou~~ ~u~ te coioniaii~­
me ; op. cit. ; page 32
./ .

108
.1.
les pages glorieuses de l'histoire de son pays. C'est ainsi
qu'elle fera allusion (non sans fierté d 1 ai11eurs) aux empires
du Ghana, du Mali et Sonrhai, dans son roman autobiographique.
De Ghana, Aoua Keïta n'a vu que les ruines, mais au
moins elle a foulé le sol de l'ancienne capitale des Raya Magha
Cissé. Elle évoque le Wagadou-Bida, serpent sacré de 1 'empire p
dont la mort entralnera la ruine et la désolation dans le pays.
Une grande sécheresse en est résultée qui, aux dires de cer-
tains chroniqueurs, est â l'origine du désert le plus vaste du
monde, le Sahara.
" ••• le trajet suivant nous amena à Goumbou ( ... qui
fut la capitale du Ouagadou). Nous traversâmes une
forte dépression qu'on me présenta comme la vallée
du Serpent, ce fameux boa à sept t~tes d'or, qui se
nourrissait avec les plus belles jeunes filles de
la région et dont la mort fut la dissémination du
plus grand empire africain, au Ve siècle, appelé par
les historiens empire du Ghana. D'après la légende
qui se racontait aux jeunes de toutes les familles,
jusqu'à notre génération, cette dépression était un
grand cours d'eau qui était à la base de l'épanouis-
sement de l'important empire du Ghana, très riche en
toutes choses et dont la capitale était Go\\mbi Salé
ou Coumbi Sala selon les différentes prononciation~~{l).
Plus loin, l'auteur nous retrace l'histoire de la
création de Goumbou, vers le VIe siècle.
Après l'histoire du Ghana, l'auteur de Femme D'Afri-
J
que,
nous conte, à sa manière, celle de l'empire du r1a1i,
t
j
qu'on entend fréquemment de la bouche des traditionalistes de
J
son pays.
1
(1) Femme d'An~ique,
op. ci~. ; page 232
.1.
J
1

1
:tos
I-i
./.
,
.
La légende de Soundiata est la plus chantée ou reCl-
tée par les griots dans leur quête auprès des nobles :
"L . ..:/ C' était un couple harmonieux, car l' hOn'.me
jouait aussi bien que la femme chantait.Du dimanche
à vingt heures jusqu'au lundi à 3 h du matin, on ne
fit que la généalogie des Soundiata et cela depuis
Bilaly, esclave du prophète, jusqu'à la génération
de mon père. Après une heure de narration, les en-
fants commencèrent à se frotter les yeux, ~ bail-
ler comme des carpes, et finirent par s'endormir.
Etant du groupe des dormeurs, je n'ai plus rien com~
pris après le mariage de Sokolo Kanté, communément
appelée Sokolo Kourouma (ce qui veut dire : Sokolo
à bosse ou bossue, ou encore couverte de boutons) .
Toutes les imperfections physiques S0 trouvaient
chez cette personne dont la laideur légendaire est
contée jusqu'à nos jours. Cependant, c'est elle qui
donna naissance à SOQndiata, ce génie dont la renom-
mée dépassa beaucoup de frontière!" (1) .
Nous trouvons également sous la plume d'Aoua KeIta,
quelques allusions à l'empire SonrhaI. Lorsque l'auteur fut
affectée en qualité de sage-femme à Gao, son entourage se mit
à la plaindre. Cette ville, située en plein coeur du Sahara,
était considérée comme un purgatoire par les fonctionnaires de
l'époque coloniale. Pour Aoua KeIta au contraire, ce fut une
joie de PQuvoir vivre dans "la capitale des Askias". Souvent,
;..
~).
une simp'+~ phrase lui permettra d'évoquer la splendeur de cet
empire où la culture musulmane était profondément ancrée.
"Le lendemain ma1;in, la première personne, qui péné-
tra chez moi, fut le chef spirituel de Gao, Issa
(1) Femme d'A6~ique,
op. c~t.; page 230
./ .

~:ro
./ .
Alhahadi, un des fils de cette grande.amille qui
a toujours détenu l'histoire de la Mosquée des
Askias" (1), mosquée qui fait toujours l'objet de
11'
.tJ
vénération par des milliers de fidèles à Gao.
~"
"t,
~elon la romancière, le sens de l'honneur et de la
dignité, chez les Sonrhaïs, ce peuple qui a su forger une des
plus belles civilisations ouest africain~S est souvent poussé
jusqu'à son extrême limite. Aussi, dans ses rapports avec la
population de cette région du Mali, se gardera-t-elle de tout
acte susceptible de provoquer des blessures d'amour-propre:
"C'était sublime. Très touchée par le courage et
l'abnégation de ce brave camarade, je lui demandai
de rentrer. Connaissant la psychologie et la dignité
de ce SonrhaI qui m'aurait affirmé avoir dIné, même
s'il n'avait rien mang2 de toute la journée, je me
suis gardée de toutes questions • J'ai demand{j à ma
'(...
cuisinière / ...:./ de préparer quelque chose pour cet-
;...
-J
te famille qui auraité~té vexée si on lui avait
présent~ des restes" (2).
Ce qui nous amène à parler des divers aspects de la
civilisation noire, à la lumière des informations que nous
trouvons dans le roman malien.
SENGHOR, parlant de l'éthique négra-africaine, écrit~
"On le voit, l'éthique négro-africaine n'est pas la morale
.,"~.,
europée~~ Ce n'est pas un catéchisme que l'on récite; c'est
une ontologie que l'on réalise dans et par la société, et
d'abord en soi et par soi-même. Encore une fois, au contraire
du monde européen, le monde négra-africain est celui de l'uni-
1
(1)
Fe.mme: d'A6JLique., cp •. cit., page 150
f
(2) Ibidem, page 130
t
./ .
./.
1
,
1

,"'Ln
./.
té" (1). Selon l' humaniste, l'éthique négro-afri'Caine ne consi,-
dêre pas l'homme comme une fin en soi, mais comme une partie
solidaire de la "force cla nique qui, à son tour, doits' ac-
corder
,"
à l'ensemble des forces vitales de l'univers"
(2).
SENGHOR insiste donc sur les notions de "solidarit6
clan ique" et la place primordiale de la l~r€ligion" dans l'uni-
vers du négro-africain. Nous retrouvons les mêmes intentions
chez les romanciers maliens.
c'est ainsi que Yoro Diakité a vu le problème sous
le même angle que l'auteur de Liberté 1. Comme lui, il décrit
la "société africaine" en mettant l'accent sur l'unité et la
solidarité.
Dans Une main amie, il parle longuement de la famil-
le, qui est, selon SENGHOR "microcosme et cellule première que
reproduisent, par dilatation, tqus les cercles concentriques
qui forment les diverses étapes' de la société : village, tribu,
'"
royaume, empire" (3). Yoro Diak'ité nous parle des hommes, des
femmes, des jeunes filles et des enfants, de la conduite à
tenir par chacun dans la société, des droits et des obligations
qui incombent ~ chacun. Il n'oublie pas les f~tes, l'initiation;,
des groupes d'âge et de camaraderie ,symboles de la virilité
des hommes ; la virginité, symbole du la pureté de la jeune
fille dont l'éducation aura un impact considérable sur celle."
de ses enfants.
~" ,i'L' initiation a pour but, dit le roma.ncier, de créer
• chez les jeunes gens une unité de groupe. On leur
fait exécuter des épreuves où chacun, en même temps
qu'il y apporte sa pierre, doit accepter celles de
ses camarades. Le second aspect de cette formation
j~,
(1)
Lé~p0ld Sédar SENGHOR
Libe~t~ 1 : négritude et humanis-
me ; Paris : Le Seuil 1964 ; p.278
(2) Ibidem ; page 277
1
,
(3) Léopold Sédar SENGHOR
Libe~té 1 g Négritude et Humanisme
op. cit., page 268
1

------~'
"" ..
l ' .,
~ ".- .
.,
~2'
".,'"
./.
est de vaincre la peur que les jeunes gens éprouvent
devant les phénomènes de la naturel! (1).
Yoro Diakité oppose érotisme et pudibonderie lors~
qu'il aborde le problème de la puberté des jeunes gens et la
virginité des jeunGs filles
" Chez nous, nos fiancés ont des occasions de se
connaître et de s'apprécier, sans pour autant être
obligés de sortir ensemble en se tenant par la main
ou de s'embrasser dans la rue / .. ~/ Nous considérons
que l'amour est un secret et ses manifestations doi-
vent obéir à certaines règles, par pudeur pour ceux
qui nous entourent" (2).
A la lumière de cette mise au point, on comprendra
sans doute pourquoi en Afrique les scènes d'érotisme choquent
et partant, pourquoi elles ne peuvent figurer en bonne place
;~~
dans notre littérature. L'auteur du Sang des Masques parle de
Bakari comme le "Ton Kamalé" chiirgé de préserver la virginité
de Nandy jusqu'au jour de son mariage.
Comme Seydou Badian
i
l'auteur d'Une Main
Amie aborde d'autres problèmes, comme celui de la polygamie.
Selon Yoro Diakité, "Chez les Européens, la monogamie est de
rigueur parce que l'Eglise marie, mais ne divorce pas" (3).
~
• Si plusieurs auteurs attribuent la cause de la poly-
gamie e~~~frique au désir d'avoir des bras supplémentaires
pour cultiver les champs, Diakité pense au c~té religiGux, en
milieu musulman :
"Le droit à la paternité morale est capital dans
1
notre milieu et peut conditionner tout l'avenir d'un
1
l,
(1) Une Main Ami, op. eit., page 300
(2) Une Main Amie, op. eit., page 307
~
(3) Ibidem ; page 309
!
./ .
1
1
,s.
......
..~,-'
1
"

.1.
être. C'est pour éviter d'avoir des enfants nés en
?ehors du mariage, que nous appelons ici b!tards,
que les rapports entre homme
et femme ne dOri)ent se
faire que dans l'union morale et spirituelle. De
plus, certaines sanctions sont brandies sous les
yeux des éventuels récalcitrants: l'enfant illégi-
time dont ils seront les parents II ne trouvera pas
demain,
quoi qu 1 il fasse p ici-bas, le salut éternE~l
et le repos de son âme ll (2).
Quant aux hommes délinquants lU au cas où ils seraient
reconnus volages, partant infidèles à leurs femmes,
ils perdraient l'estime et la confiance de la popu'-
lation au milieu de laquelle ils vivent ll (2).
Aux Europ~ens qui tr~mpettent qu'avant leur arrivée
l'Afrique était un continent où le chaos était imminent tant
il y avait des guerres fratricides ; que la colonisation
1
c'est en fait la "pacification ll d'abord, la IIcivilisationll
"è~
ensuite ; les intellectuels noirs répliquent avec des arguments
1
solides. Selon eux, l'Europe aussi a connu des guerres san-
glantes au cours de son histoire et de la lente formation
des nations qui la composent aujourd'hui. D'ailleurs c'est
1
elle qui a exporté la guerre~d'autres contr5es et ensanglan-
té toute la surface du globe en 1914-18 et 1939-45. "L'Euro-
pe est comptable, dit Césaire, devant la communauté humaine,
"~
du plus haut tas de cadavres de l'histoire" (3).
".' irPourquoi les Africains veulent~ils à leur tour
défendre"leur passé r les us et coutumes de leurs peuples?
C'est l'auteur d'Une Main Amie qui répond
"Si la grandeur d'un peuple est souvent fonction de
son histoire, et si cette histoire est le passé du
(l)
et (2)
:
Une. Ma-in Am-ie., op. c...i.:t., pages 307 et 3:EO
(3)
Aimé CESAIRE
V..i.-6c.ou..Jt-6 -6u..Jt te. Coton-iai..i.-6me., op. c...i.t.,
pag(~ 21
.1.

.1.
peuple, il ne me semble pas, malgré l'ardent désir
de singer les autres civilisations qui hante cer-
taines gens, que le moment soit où l'Afrique, en
ayant honte d'elle-même, rejette son passé, ou ai't
honte par complexer de le hisser à la tribune des
civilisations. A l'encontre de cette pratique, on
sera d'autant plus indulgent qu'on se souviendra
que des morts sont embaumés en Europe, brOlés aux
Indes, au Laos, mis en terre dans des conditions
particulières dans d'autres régions du monde ll (1).
Ceci amène le romancier à déc:riro ~
longuement à
l'intention des peuples étrangers à l'Afrique, certaines céré-
monies comme l'enterrement, le veuvage et les autres rites qui
accompagnent le décès d'un membre de la communauté.
"
Bien sOr, tout part da la religion et se ramène à
elle. C'est Badian qui va prendre à présent la défense de la
religion traditionnelle africaine. Tous ces trois romans bei-
gnent dans une atmosphère religieuse. Les cérémonies d'invo-
cation de la protection des dieux ou des sacrifices qu'on leur
fait périodiquement, se trouvent abondamment cornmentées dans
Sous l'Orage et le Sang des Masques. Mais c'est avec ~oces
Sacrées
que Seydou Badian est allé plus loin dans sa prise de
position.
't'est à l'exaltation des civilisations nègres que
s'est livré Seydou Badian dans cette oeuvre romanesque.
Noces Sacrées, rend hommage ,,:\\ la religion de nos
ancêtres, que la poussée d~ l'Islam et du Christianisme a ac-
(1) Une MaIn Am~e, op. c~~., page 268
.1.

)115
./ .
culé dans ses derniers retranchements durant des siècles.
'!
Mais curieusement, en ce plein vingtième siècle de science
,
et de technique, elle fait résurgence.
D'ailleurs, dit le romanciür, les sanctuaires de la
religion traditionnelle
n'ont jamais été complètement aban-
donn?5s, m~me par ceux qui. se targuent
d'être "civilisés".
..- ~
Ir

./.
"PouJt m,\\ paJtt. je 6a.i,6 .e'~otoi,(.e .'
éYétémat.ique deé c.iv.it.i~at.ioné pa~
euJtopéenne.6 "
·It
Le troisième roman de Seydou Badian, Noces Sacrées
nous présente d'autres problèmes qui se posent à son pays.
Besnier, qui a occupé durant t~ois ans dans une peti-
te ville le poste de chef de subdivision à la Compagnie des
Grands Travaux, 6tait un de ces Blancs venus en Afrique pour
se faire une situation. Lui et ses semblables n'ont jamais eu
que condescendance sinon morgue pour les Africains, leurs
coutumes et leurs religions polythéistes. Par contre, les
quelques rares Européens qui tentent une intégration du mi-
lieu noir et une compréhension de ce peuple, sont violemment
critiqués par leurs compatriotes et souvent rejetés totalement
.
,
hors de la petite communaut~. C'est le cas de Soret un insti-
tuteur de brousse, acquis ~ la civilisation traditionnelle
africaine et même converti à sa religion. Quelle apostasie !
disent ses compatriot~s.
'.
Besnicr, jugeant son ami égaré, va tenter par chari~
té chrétienne, de le ramener à la raison. Pour prouver au néo-
phyte que de telles croyances constituent un tissu d'aberra-
tions, il conçut le projet de frapper un grand coup~ Tel
Polyeucte (le martyr de la foi chrétienne) saccageant les
dieux des Grecs pour leur prouver l'existence, la puissance
et l'unicité de Dieu, Besnier veut fouler au pied un de ces
"bouts de bois taillés" (1) pour donner à Soret la cinglante
preuve de leur impuissance.
Pour ce faire, il veut se procurer un fétiche authen-
tique, non pas un dieu intermédiaire tel que ceux que Soret
adore en secret che~ lui, mais un de ceux qui sont vénérés
(1) Noce.6 SacJté~&~ op. c.it., page 13
~~~.~.~!
./ . ".•>,.V'
'lrJ'
. ~f'
..~
.If

Of
'Jo!'.
'/'
dans les sanctuaires fétichistes, en l'occurence le masque

du grand N'Tomo.
Besnier réussit son projet de rapt du dieu du Kou-
roulamini par personnes interposées. Il s'est adressé à cet
effet à un compatriote, JulBs le gérant du campement, qui a
pour complice son planton noir, un ancien adorateur du fameux
sanctuaire.
Le résultat fut déconcertant ! Non seulement Soret
ne fut pas "désintoxiqué" comme l'esrérait Besnier, mais ce
dernier, à partir du jour où il a profané le Kouroulamini,
verr~ se r6aliser la terrible prophêtie que Soret a prononcé
ce jour là en guise de sentence :
"Tu ne seras plus, jamais l'homme que tu as été. Tu
ne seras plus juil.is l'homme que tu es. Tu ne seras
plus jamais l'homme que tU'ÇlIT'.bitionnes d'être.' Pas
un des projets que tu nourris ne verra le jour .•.
.,
Tu seras le véritable jouet d'un destin capricieux r
déroutant et cruel. Tu porteras dans ton esprit \\ltlc
poignée de fourmis et de termites".
(1).
Besnier rentré entre temps en France, ferq effec-
tivement" l'objet d'une sanction exemplaire" .. ;En clair, N' Toma
le tourmente, le poursuit, le fait vivre au bord de la folie.
Il vaque de la réalité aux fantasmagories et hallucinations ...
Seul, il voit et entend de certaines choses. Dans son esprit,
le surnaturel bouscule la réalité ; le dieu N'Tome le nargue,
le harc~le, l'obsède"
(2)
jusqu'à ce qu'il renonce à tout
emploi lucratif, promesses d'ascension etc. La nécessité de
soigner le malade se fait sentir de façon urgente. Sa famille
et sa fiancée volent de cabinets médicaux en cliniques psychia-
(1) Ibidem page 14
(2) Mohamadou Y~NE
Noee~ Sae~ée~ de Seydou Bad~an in complé-
ment du Soleil nO 2276 des 19 et 20 no- ,
vembre 1977 page 4
./ ...:.
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triques, sans succès. Ne sachant plus à quel saint se VOùer~~
. .
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le profanateur du Kouroulahini songe en ultime recours à re-
tourner'en Afrique, aux sources du fétichisme. Grâce au con-
cours du docteur, personnage symbolisant lVintellectuel afri-
cain de nos jours,
(de plus en plus coup6 de son milieu cul-
turel) Besnier restituera le masque ~ ses adorateurs, après
bien des péripéties. Mais le fait le plus inattendu, c'est
que le voyage "aux enfers" (non pas pour chercher quelque
Eurydice) sera très déterminant pour ces deux hommes. D'abord
pourfendeurs de la religion animiste, ils seront tour ft tour
sceptiques, puis ébranlés dans leur intime conviction. En
effet ils seront les témoins éberlués de certaines pratiques
mythiques et magiques ; les adptes du N'Toma se livrent sous
leurs yeux à quelques démonstrations fantastiques de leur pou-
voir; ils seront surpris de voir que Soret l'ancien ami, ain~
si que la plupart des fonctionnaires blancs du coin (nouvel-
lement convertis à cette r~igion primitive ou simplement as-
sociés) de même que le père Dufrane'A le chef de la mission
catholique, fréquentent tous en cachette le fameux sanctuai-
....~
re ; ils apprennent enfin que les anpiens complices de Besnicr
dans le rapt du dieu N'Tomo ont expiG leur forfait dans d'indi-
cibles souffrances. Tant d'expériences constituent à leur tour
pour Besnier et pour le docteur, leurs "noces sacrées".
A notre avis, ce serait un acte de profonge mutila-
tion que de réduire les thèmes de ce roman à un seul : la ten-
tative d'un débiteur voulant recouvrer sa créance. Selon cer~
tains critiques, Noces Sacrées ne serait qu'un simple acte de
revendication (légitime d'ailleurs) que l'Afrique adresserait
à l'Europe qui, durant la vaste nuit coloniale, a fait "main
basse sur ses fétiches" (1). Certes, le thème s'y trouve en
filigrane et nos intellectuels et nos gouvernants l'ont sou-
vent évoqué. 11ais le souci majeur de 11 auteur ne semble-·t-il
pas être ici d'administrer la preuve sinon de la supériorité
(1) Jacques CHEVRIER : Ma~n Ba~~e ~u~ fe~ Fêt~che~ ~n Jeune
Afrique nO 872 du 23 septembre 1977
page 70.
.1 .
.1

-.1 ..
J
du moins de la vitalit6 des religions et cultures africaines"?
1
,
Badian ne s'est-il pas évertué à nous prouver qu'elles sont
capables de soutenir valablement la comparaison avec la civi-
lisation européenne débarrassée de sa majuscule ostentatoire ?
1
1
j
On peut sans doute voit dans le rapt et la restitu-
tion de N'Tomo une allusion à la curée à laquelle s'est livrée
1
l'Europe colonisatrice en Afrique du 15e au 20e siècles.
t
1
i
Pendant longtemps, la puissance et la prospérité de
1
l'Occident eurent pour facteur r l'exploitation des "protec-
torats" et des colonies africaines
1
~ comptoirs le long de la
1
route du Cap vers les Indes ; commerce triangulaire etc. Bref
l'Europe d'aujourd'hui est riche de nos richesses tout comme
1
le boom économique des Etats-Unis est un peu le fruit du la-
beur acharn6 de milliers d '.esclaves noirs suant sang et eau
dans les plantations de café, coton et canne à sucre du vieux
sud américain.
~"
1
Recouvrer les richesses du patrimoine culturel pro-
"~
fané puis pillé par le colonisateur, est un rêve depuis long-
temps caressé par les pays africains. Au Mali on se rappelle
encore qu'au XVIe siècle, au moment où l'empire de~Askias
j
était à son apogée, Tombouctou et Gao avaient attlr.{:\\'appétit
.:;....
':~1
; ~'. ' ..
des Marocains grâce à leur prospérité économique ~f'-'\\leur
richesse culturelle. Un contingent de l,'armée du r~y~ume ché-
rifien, complété de mercenaires sous la houlette du Pacha
1
Djouder, ne tarda pas ~ faire irruption. Grâce à la supériori-
té de leurs armes à feu,
"ils brisèrent l'empire Sonrhai, pri-
rent Gao et Tombouctou dont la célèbre bibliothèque alors fut
pillée ••• Ce qui fait, aujourd'hui encore, l'objet"de discus-
sions entre les gouvernements de Bamako et de Rabat". (1).
(1)
Sennen ANDRIAMIRADO :"Le Mali: les ressources d'un grand
peuple" in supplément Jeune Afrique
nO 880 du 18 Novembre 1977 page 8
./ .
,,... ·

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-~,~ - - - - - - ~ ~ . . . - - ~ - - - ~
.1.:·
"
'.
Le Mali n'a pas manqué non plus d'unir sa voix à
celles des autres états anciennement colonisés pour revendi-
quer la r6trocession de nos richesses culturelles. Aujourd'hui~
elles font un peu la fortune des antiquaires d'Europe, la fier~
té de leurs collectionneurs et le côté exotique de leurs mu-
sées. Yambo OUOLOÇUEM "
a fait allusion dans Le Devoir de
Violence.
Selon Badian, certains masques et statuettes, qui
..
ressemblent à de vulgaires morceaux de bois gros~~r~ment scul-
ptés, sont en fait d'authentiques dieux des tribus païenneso
Alors que pour les vils pilleurs de ces trésors, le seul but
recherché est de pouvoir les exhiber en Europe devant un pu'>
b1ic amateur de primitivisme
"H. Walter, un de mes collègues revenu du Kénya,
m'invita à visiter avec l~~ un musée privé ... Il
tenaIt à me faire connà!trè~une merveille, assurait-
j
il ..• Autour de moi d'autr~~ visite~s. Ils ne de-
1
vaient rien sentir, rien entendre. Pour eux, il n'y
avait que des objets d'art. Ils étaient dans un mu-
r
sée d'art primitif" (l).
1
i

..(j.
!
D' autres, par curiosité touristique ramèpep.t''i~'Afri-
...
que des souvenirs qu'ils sont fiers d ' 8ta1er
devant leurs
amis, dans leurs salons ainsi affublés ,,. "bibelots, cornes
d'antilopes amenagées en cendrier, tapis en peaux de biche,
de civette, oeufs d'autriche rev~tus de cuirs" (2).
Seydou Badian a donc ét!sensib1e à ce p~blème de
','
dépradation des richesses culturelles africaines. Mais il nlen
demeure pas moins que Noces Sacrées, en définitive, fait pen-
dant aux autres romans déjà cités. On peut y déceler une sorte
de continuité du thème de prédilection de l'auteur, à savoir
,~
(1)
NOC~4 Sac~é~4, op. c~t., pages 31-32
(2) Ibidem page 35
1

.1·
1
1
.•.1iJi.•.

._--~-:mm-
.
·/-:
le conflit entre hier et aujourd'huio
Alors que dans Sous l'Orage v la rêvol te (10 ln jO'lmo
génération: s'était extériorisée sous l'aspect du refus de
soumission à l'autorité parentale jugée désuète, dans Le Sang
des Masques, elle est d'avantage intériorisée. Elle se présen-
te sous l'accent pathétique des stances des villageois qui,
au risqu,,; de "mutiler l ' homme en eux=mêmes Il, ne peuvent pas
s'adapter à la vie citadine faite de joies factices.
Dans Noces Sacrées, nous retrouvons les mêmes senti-
ments intériorisés. Besnier et le docteur étaient des incondi-·
tionnels de la civilisation technicienne européenne, bâtie
sur le principe de la souveraineté de la Raison avec une majus-
cule et de la logique cartésienne. Dès lors, on pouvait se
demander s'ils sauront se départir de leurs jugements à pri'Jri
et concilier dans leur esprit deux valeurs de civilisations
apparemment c:t~radictoires ?
Besnier est le symbole de l'Occident, ce"monde défunt
des machines et ùes canons" (1). Cette Europe-là ne croit à
rien hormis ce. qui entre dans l'optique dG sa vision de l' uni'~
vers, s'y conforme. Par conséquent, elle se meurt parce qu'el-
le n'accepte aucun dialogue, aucun apport extérieur~
BOUS dirons,
pour paraphraser CESAIRE, que l'échange 'est ici
apport d'oxygène. A vouloir se cantonner à sa "civilisation ll ,
l'Europe périra du vide culturel qu'elle aura créé, tout comme
l'antique Rome, mûttresse du monde.

Lorsque Besnier
"
surprend son ami Soret ciLtrain
d'officier ~ la manière des Africains "incroyants", sa logique
de catholique se refuse à croire n pareille hérésie
(1) Léopold Sédar SENGHOR
P4~è4e QUX MQ~que~ Chants d'ombre
Paris : Présence Africaine 1962
page 39
./'

"Soret était au milieu d'une dizaine de gens du
pays. Torse nu, assis en_tailleur, les yeux lev~s
sur les murs tapissés de masques, ils récitaient
des prières' •• /
Je me demandai
s'il avait tous ses esprits/. .. /Le
sentiment qui naquit en moi fut un mélange de mépris
et de pitié. Quelle attitude adopter vis-à-vis de
Soret ? Couper les ponts ou essayer de ramener cet
abruti à la raison? J'étais furieux parce qu'il ne
m'avait rien dit de ces choses ... Et puis, peu à peu;
tout m'apparut sous un autre angle. Soret é~ait sur
une pente dangereuse. Mon aide lui était nécessai-
re" (l) •
Basnier qui voulait plaisanter Soret et ses croyan~
ces animistes, se trouvera pris à son propre piège :
"J'éclatai de rire de nouveau. Hais cette fois pour
me donner bonne contûnancè. Soret m'avait ébranlé.
f
Dans sa voix il y avait quelque chose d'étrange.
1
l
Quelque chose qui n'était ni du théâtre ni de la
~
démence (2).
1
Rien dans la raison discursive de l'Européen ne put
lui permettre au départ de qualifier cette "chose étrange ll •
1
Hais bientôt l' insoli te commence à sc: prpduire. Quelques indi·~
ces vont d'abord intriguer Besnier
"Cette même nuit; j'entendis des gémisseIrt9ntS qui
paraissaient venir du salon. Je m'y rendf~~~ar deux
fois, rien. Pas âme qui vive. Je décidai que mon
boyau quelqu'autre garnement me faisait une farce.
f
Je me mis au lit. Infernal bruit de vaisselle. Je
t
(1)
Noe~~ Sac~é~~, op~ c~~., page Il
(2) Ibidem page 15
1\\
.1.

JI23
ne me dérangeai pas.
Le lendemain, au retour du bureau, je constatais
que le masque n'était pas dans la position où je
l'avais laissé. Il ftait bien sur le piano, mais
de biais. Cela m'intrigua. La porte était bien ver-
rouillée. Il n'y avait aucun autre accès. Fin~lcment
je me dis que j'avais dû le déplacer ... Je me cram-
ponnai à cette idée. Elle m'était indispensable (1).
Rentré entre temps en France, Besnier crut qulil al-
lait échapper à la terrible prédiction de Soret. Mais bientôt
dans son esprit se succèdent des visions fantastiques.
liMa première nuit ~ Marseille fut désagréable, re-
prit Besnier ••• Un vacarme terrible me tira du lit,
Vitres ct portes claquaient à rendre fou. Pourtant
point de vent ; ciel limpide. Après avoi.r fait le
tour des environs je revins à mon lit.
Au bout d'une demi-heure, gémissements, cris et
rires emplirent la maison. Je bondis. J'allumai tou-
tes les lampes. Je fouillai les pièces l'une après
l'autre, rien".
"C'est mon imagination qui travaille, me dis-je.
Hallucination ?n (2).
Hallucinations qui devinrent bientôt envahissantes,
obsédant le héros-narrateur
qui raconte
"Bientôt tous mes rêves turent alimentés par l'Afri-
que. Les premiers temps c'6taient de gentils rêves r
mais au fil des jours N'Toma les domina. Je me voyais
au bureau avec une délégation de manoeuvres africai.ns
dirig6s ~ar NIToli~. Nous avions des discussions
(1)
Noce& Sac~ée&, op. ci~.,
page 18
(2) Ibidem page 20
./ .
."

,,,.
I24
~.
-
./ ~
auxquelles j'étais h3bitué : sanctions à revoir,
augmentations de salaires, primes à attribuer, avan~
ces de soldes pour les fêtes traditionnelles. N'Toma
me tenait tête. Apre, supérieur, il avançait des
arguments auxquels je ne pouvais rien opposer.
J'étais battu à chaque rencontre. Je me fâchais,
bafouillais, N'Tomo, calme; ironique, me dominait,
me·ridiculisait ll (1).
:".'
Besnier poursuit qu'il se voyait avec N'Tomo à la
chasse ou dans d'autres circonstances de sa vie africaine.
Bref, il vivait avec N!Torno, se disputait avec N'Tomo, respi-
rait N'Tomo.
Ses rendez-vous oniriques s'espac~rent un rnomeht
mais après la visite du musée africain de Londres, tout allait
recommencer de nouveau. Et Besnier est sujet à des hallucina~
tions :
"La catastrophe arriva lorsque j'eus franchi le
seuil du musée. Je ne me trouvais pas devant des
masques et des statuettes, mais j'avais devant moi
des'yisages d'hommes et de femmes qui me parlaient.
~ictus, rires amers, grimaces de douleur et de déri-
sion, rires cruels. Je me sentis pris dans un uni-
vers, au milieu d'une foule
qui criait, parlait,
f
1
riait, pleurait, et chaque mot~ chaque cri, réson-
nait en moi, retentissait autour de moi avec une
1
1
1
sonorité d'angoisse ... 11 (2).
Durant trois mois, poursuit le narrateur, les images
i
cauchemardesques allaient se succéder. Toutes ces citations
(qui occupent une bonne partie du roman) sont faites à dessein
1
par l'auteur afin de prouver l'argument qu'il va avancer plus
,~,
r
(1) Noce~ Sac4~e~1 op. cit., page 28
f
(2) Ibidem page 32
.
1
/ .

loin et qui est d'ailleurs toute la raison d'être du roman .~
Savoir qu'il existe à côté du catholicisme monothéiste d'au-
tres religions basées sur la croyance en d'autres dieux.
.'
Besnier était poursuivi par la colère d'un de ces
dieux qu'il avait offensé et les derniers fantasmes qu'il dé-
crit préfigurent le châtiment qu'il va encourir:
...,;
"Cette nuit-là, je me trouvais dans un village afri-
cain abandonn6. Les ruelles vides, les cases fermées;
1
,
1
pas un homme, pas un animal. Je criais
"Où êtes-
1
vous? Il n'y a personne? Je courais de ruelle en
ruelle, de maison en maison, rien. Rien que du vide,
du silence. Epuisé, je m'assis au milieu de la rue
centrale. Tout d'un coup, une foule hurlante ':l"Sai-
sissez-vous de lui! Qu'il ne nous échappe pas 1" Je
m'élançais à toutes jambes. Mais à chaque issue, se
tenait un vieillard, brandissant un chasse-mouche g
"Pas ici 1" Volte-face: je prenais une autre piste,
,
mais au bout, le même personnage: "Pas ici 1".
Je me réfugiais alors dans une case. Mais quand je
~e c~us en sécurité N'Tomo apparut avec son ricane~
;mènt.
"Dehors! ". Je repris ma course. Les villa'-
~'g~ois s'étaient scindés en plusieurs groupes. En
fin de compte, ils me cernèrent, tous masqués : des
centaines de N'Tomo. Je me mis à hurler:
"Epargnez-moi, épargnez-moi 1". Mon domestique
Alphonse me réveilla •.• " (1).
Le deuxième personnage du roman à avoir douté des
puissances surnaturelles, est le docteur. Tout comme Besnier v
il est un symbole. Après le choG psychologique que fut la ren-
contre Europe-Afrique, le continent noir s~ trouva bouleversé,
1967 page 77
./ .
ri) ;J;U4 hr.M.e4 j f), èJ- t"-f' J9

i"-
"
.. 1.
aussi bien sur le plan politique (fin des empires et royau~es
africains) que culturel. En effet, ceux des Africains que le
Blanc contraignit À fréquenter son école dès leur jeune âge,
allaient subir systématiquement un lavage de cerveau : tenta-
tive de substituer les valeurs européennes aux valeurs ances-
trales. Au vu des résultats obtenus, on peut distinguer:
- ceux des colonisés dont Légitime Défense dénon-
çait avec virulence le comportement : Ils sont
bourrés à craquer de morale blnnche, de culture
blanche, d1éducation blanche, de préjugés blancs,
étalant dans leurs plaquettes l'image boursouflée
d' eux m~mes". fA)
Ceux qui, en réaction contre la frustratiori quoti<
dienne subie par toute une race dont le tort est
de ne pas avoir la peau blanche, ont revendiqué
leur originalité culturelle avec fierté : "Je
pousserai, dit CESAIRE, d'une telle raideur, le
grand cri nègre que les assises du monde en se-
ront ébranlêes" (t).
- Entre les premiers qui sont des assimilés, de
<~-
pâles imitateurs inconscients du modèle blanc et
les seconds qui ont choisi de faire don d'eux-
mêmes pour que leur peuple ait droit de cité,
se situe une autre catégorie de colonisés. Ceux-
là ont conscience de quelque chose, mais vague-
ment. Baignant comme Samba Diallo à mi-corps dans
deux cultures, ils n'ont pas réussi à faire une
1
symbiose. Ce sont alors des êtres hybrides: "Je
l'
1
ne suis pas un pays des Diallob6s distinct, face
J
f
(2)
Aimé CESAIRE : Cahier d'un retour au pays
"
natal
; Présence
Africaine ; page 23
~) Le Manifeste de LégitiDe ~~f;~ce cité par Lilyan Kesteloot in An#tho
--logie. négra-africaine ;:;;~i(;c~~~~ page 77
~'''~
,
"",,~,

.~
.

./ .
â un Occident distinct, et appréciant d'une tête
froide ce que je puis lui prendre et ce qu'il faut
que je lui laisse en contrepartie dira Samba Dialloo
,
Je suis devenu les èeux. Il n'y a pas une tête
.,
lucide entre deux termes d'un choix. Il y ,a une na-
ture ét..:.range. , en détresse de ne pas être deux Il (1) 0
Le docteur est de cette catégorie d'Africains. Il
aurait pu continuer à vivre paisiblement sa petite vie d'intel·'
lectuel africain, seul privilège qui lui ouvre la porte du
. cercle fermé des Blancs. L'arrivée du couple Besnier (en trai-
tement) qui fondait sur lui tous ses espoirs, va le mettre
dans une situation délicate. 1111 était perplexe".
ilLe lendemain, le docteur méditait dans son cabinet 0
Pour lui commençait une épreuve peu commune. Dans
sa carrière de médecin, il n'aurait peut-être jamais
i'1 enregistrer une aussi lIétrange histoire de mala-
die ll
j
,
comme on dit. La confiance gue ce couple lui
témoignait lui pesait. Il ne se sentait aucun
pouvoir pour faire face à la situation" (2).
j
~i
Et pour cause! Introduit dans l'univers du Blanc
par l'entremfse de l'école, le docteur a été peu à peu gagné
à sa culture et à sa conception du monde, tournant ainsi le
dos i'1 l'univers et ~ la religion de ses ancêtres. Seuls, les
évènements allaient le contraindre à revenir sur ce qu'il
.~
avait abjuré :
1
"Le docteur n'était pas fier à l'idée d'aborder son
père pour demander son assistance. Non qu'il crai-
1
gnIt un refus, mais en raison de tout un passé
qu'ils avaient en commun et dont le docteur n'avait
f
(1) Cheikh Hamidou KANE : L'Aven~u~e Amb~guë, Paris
10/18
~
1972
page 164
1
1
(2) Noee~ Sae~ée~, op. e~~., page 43
./ .
i

.1.
pas à se reJouir. En effet, dès l'âge de seize ans s
le docteur n'avait plus accepté, dans leur tota1it0;
les vues de son père sur "le patrimoine ancestral".
Les premiers temps, il l'écoutait avec poli tesse~f
':f"
rl était convaincu, comme le disait l'instituteur,
que ce qu'il entendait n'était que fruit de l'obs-
curantisme, de la superstition,' cause du retard de
l'Afrique ••• " (1).
Le docteur commença à remettre en cause les concep-
tions qu'il s'était forgées sur les pratiques fétichistes
lorsque Besnier lui eu fait le récit détaillé de ses mésaven~
tures. Celui qui venait réclamer ses bons offices, lui avait
relaté comment durant des mois, il fut hanté par le souvenir
du sacrilège qui a consisté à s'approprier le dieu du Kourou-
lamini : ce furent des nuits d'insomnie peuDlées de visions
cauchemardeuses.
Enfin, l'attitude de mystère ou de profonde préoccu-
1
pation adoptée par son père et les deux personnages les plus
influents de la communauté villageoise achevèrent d'opérer
en lui un revirement de position.
A l'annonce de ce que son fils était venu lui deman-
der, le père du docteur prit un air de profonde compassion
"N'Tomo dont 11 est question dans ton histoire est •..
l'esprit de l'ancêtre Dounarnba du Kouroulamini •.•
Seuls les plus dignes parmi les anciens ont accès
à
(lui). Comment ont-ils pu l'enlever? C'est ce
que j'imagine difficilement. Mais à l'ère 8uropéenne ç
tout est possible. On ne respecte rien. r.l faut
1
restituer aux gens leur bien. La paix de tes amis
est à cette condition. Toutefois, cela ne sera pas
facile, aucun clan ne reconnattra avoir perdu son
~f
(1) Noce~ Sac~~e~. op. cit., page 80
.1.
<1
~--------------
I

.',.
\\
·'it~
'.,
./'
1
1
dieu. C'est comme s'il criait "je suis maudit". La
difficulté se trouve là.
1
Le docteur écoutait son père avec dêfêrence. Ce
dernier fit un sourire dans lequel se lisait u~peu
de malice. Le vieux n'était pas dupe. La soudaine
conversion du docteur ne devait pas lui paraître
sincère. Le docteur avait besoin de.lui, de son ai-
de, cc qui expliquait cette attitude ll (1).
La difficulté consistait non seulement à retrouver
le marchand qui avait vendu le masque pour retrouver le clan
qui avait perdu son dieu, mais aussi à pouvoir remettre en
place ce dieu avec la plus grande circonspection avant que le
pire n'arrive à ses voleurs.
~
..'~
,~(4:
~,~
Cependant, lorsque son père lui donna l'assurance
que la quête aboutirait au but recherché p tout scepticisme
_ disparutdans l'esprit du docteur.
Une autre série d'évènements ayant des liens de cau-
salité très étroits avec la soustraction frauduleuse de N'Tomo
de son sanctuaire allait constituer pour Besnier et le docteur
la preuve matérielle de l'existence de cet esprit qui couvre
lui aussi l'au-delà comme le fait le "Jahvé" ou l'''Allah ll des
chrétiens et des musulmans.
i
D'abord un Blanc qui avait réussi à gagner la confiélll
ce des Bambaras et à s'initier ~ leur secte est mort en ten-
tant de révéler le secret :
IIBesnier, me fit-il, Gcoutez~moi bien. Ce cahier él
coûté la vie à un homme, un vienx fonctionnaire
colonial, qui s'était pris de passion pour l'univers
secret des Bambaras. J'avoue qu'il a été un peu plus
(1)
Noee~ Sae~ée~, op. eit., page 85
./'
"If
"

.1.
loin que vous. Il a cherché à se fai.:-e admettre ?a'~'­
mi les élus du sornm~t. Après sept ans de démarches,
il a fini par gagner. Mais en dépit àes nises e~, .
",'C.,
garde, il n'a pu résister à la tentation de vouloir
révéler ce qu'il avait appris. Il a péri. Comment?
De la manière la plus banale. Au retour de la pre-
mière séance de conséc~ation, il s'est mis à écrire
1,' et la mort l'a frappé le même soir à sa table d~
travail (l).
La même mort mystérieuse a frappé un musulman, afri-
cain ce1ui-1~ :
"Voyez, Besnier, ~vec quoi vous avez joué! J'ai
connu moi aussi cette maladie. J'ai longtemps été.
fasciné par Komo, la fameuse société secrète. Plus
d'une fois,
je suis arrivé daDS les villages pen-
dant ces manifestations •.. Un soir, la volonté de
passer ~ l'action me pousse, j'avance en compagnie
d'un interprète, Alassane, un musulman q~i n'avait
que mépris pour les idola~res. Soudain, au silence
fait suite un frémisEement ~le to;,':,:, ce qu:!. nous en-
toure. Des hurlements pa~tent de la nuit.
Nous
nous arrêtons, Alassane et rùoi. NO!lS écoutons une
deuxième fois et, sans un ït1ot.' ncus rebruussons
J
chemin.
j
Le lendemain, au réveil, Alassane était mort. J'ai
1
été guéri depuis (2).
1
Pour convaincre Besnier de rerne't'cre NI Toma à ses
adorateurs, son patron lui raconte encore un autre rait: ce~'
1
lui d'un sacrilège qui avait transgressé la volonté d'un dieu
1
(1) Noee~ Sae~ée~, op. eit., page 21
(2) Ibidem page 26
.1.
1~

....
- ~- ---~~--~----,.----..,.,..----
131
.1.
"Il Y a quelque vingt ans, un de mes amis s'était
trouvé dans pareille situation. Il avait acquis la
statuette d'une reine bambara qui avait ~té déca~­
tée pour sacrilège. Longtemps après sa mort, on se
rendit compte que la pauvre avait été victime d'une
machination. Ses sujets, pour apaiser son esprit,
lui firent une statuette
..
à laquelle les offrandes
étaient faites. Eh bien, durant les huit mois que
mon ami garda cette statuette, il souffrit de dou-
leurs cervicales dont aucun méd~cin ne put le sou-
. i
lager. Un de nos anciens, versé dans les affaires
africaines, lui conseilla de se débarrasser de la
1
statuette. Il en rit tout d'abord. Hais il finit
~ ;1
par céder et l'offrit à un de ses médecins. Ce mé-
decin, un mois plus tard, accusait les mêmes maux.
Instruit par ses relations, il remit la statuette à
1
notre ami. Les douleurs que celui-ci ne connaissait
plus revinrent. Notre "ancien" qu~ lui avait conseil-
1
1
lé de se débarrasser de la statuette avait insisté
auprès de lui pour qu'il ne soit pas tenté une secon-
de fois de la détruire. Mon ami fit le voyage en
Afrique, rendit la statuette à ses gens. Il se
trouva du même coup débarrassé de ce mal contre le-
quel la médecine moderne s'était avérée inopéran-
te •.• " (1) .
Ici ~e dessein manifeste du romancier est double.
la similitude de ce cas avec celui de Besnier n'est pas un pur
hasard. Le lecteur est prévenu par ce procédé cher au conteur
africain, de ce qui arrivera à la fin du récit : Besnier sui-
vra le même chemin pour retrouver sa guérison. Mais l'autre
intérêt réside dans la double insistance du romancier par
l'emploi de : "Il souffrit de douleurs dont aucun médecin ne
put le soulager" puis vers la fin du récit, il reprend "ce mal
(1) NDce~ Sac~ée~, op. c~t., page 37
·1.

,-
--~~.~ ~ ~ -
..........- -.......- ......-..,..--
132
./.
contre lequel la médecine moderne s'était avér6e inopérante".
Cette insistance est destinée à souligner la difficulté de
pouvoir guérir le mal. Badian qui est médecin de son état, ~
sait sans doute de quoi il parle quand il fait allusion au
pouvoir curatif de la médecine africaine sur laquelle le Blanc
s'était dépêché de jeter l'anathêrne pour convaincre les colo-
nisés de la supériorité de sa science.
Dans la société traditionnelle africaine, science
et religion sont intimement liées. Ce sont gén(;ralement les
vieux, versés dans l'art de ce qu'on a appelé avec une nuance
péjorative la sorcellerie ou la magie, qui co~~uniquent en
même temps avec les mânes et les esprits tutélaires.
L'auteur ne cite qu'une infime partie du savoir
détenu par les Africains. Ce n'est pas un hasard si celui qui
est son porte-parole est "le docteur". Ce dernier cite d'abord
son propre père, puis d'autres "maîtres de la science" qu'il
ne peut s'empêcher d'admirer:
11
Le docteur évoquait une foule de souvenirs qui
soulignaient le savoir de son pêre. Il se rappelait
que souvent, à travers la ville, lorsqu'on .le pré-
sentait à un vieux, celui-ci disait : "Ah ton pêre
est bien, il en sait des choses". Il revoyait les
vieux venus de la brousse s'entretenir avec son pêre
au fond de sa case : longs chuchotements entrecou-
pés d'exclamations sourdes ou aiguës. Il arrivait
même à se rappeler que son pêre donnait des recet-
tes contre les morsures de serpents et les fiêvresll{l)
Au don de guérison slajoute souvent chez ces vieux
certains pouvoirs magiques qui ne sont pas forcément employés
au service du mal comme on tend à l'accréditer:
1
(1) Noce~ Sac~ée~, op. c~~., page 88
./ .

133
.1.
"Il (le docteur) étni t revenu au pays. Son frè'r(~
1" avait pris en aparté ~
"Tu sais, un grand rnaitre
est passé l'an dernier. Il chevauchnit une hyène.
Cet homme a ébloui tout le monde. Il s'arrachait les
doigts et brandissait sa main sanglante qui, quel-
ques secondes après, redevenait une main normale.
Mais, avant toute démonstration, il rendit visite
à notre père. Il le salua avec déférence et l'appe-
la "Karamoko (Maitre). A la fin de la séance il
s'adressa à moi: "Votre père est un Maitre qui a
renoncé à tout pour l'Islam" (1).
Bnfin il faut citer l'immense savoir de Fotigui dit
encore Tiêmoko-Massa, celui qui peut passer pour l'interces-
seur entre les hommes et les dieux :
....
"A plusieurs lieux autour de B .•. ; Tiérnoko-Massa
était considéré comme un maitre. De nombreux cita-
dins, fonctionnaires et commerçants, le consultaient
pour la solution de leurs difficultés. On le chantait.
On le craignait. Un homme puissant (2).
Il était l'autorité spirituelle incontestée de tou-
te la région, de lourdes responsabilités posaiant sur les épau-
les de Tiémoko-Massa :
" TiéIT\\Oko-Massa était connu de plus de la moitié du
pays. De lui on ne savait que succès, tours de for-
ces, triomphe. Là oü d'autres n'osaient rien tenter, •
il opérait avec aisance ..• Par ailleurs, il (le doc-
teur) savait, comme tout le monde, que l'échec d'un
. Tiémoko-Hassa signifiait sa ruine: "Il est lâché
par les ancêtres. Il a perdu ses forces." Et de
bouche à oreille, de village en village, chaque hom-
(1) Noce~ Sac~êe~, op. c~t., page 89
(2) Ibidem page 101
.1.

134
.1.
me, chaque femme apprendrait là chute d'un grand.
Alors d'autres têtes obscures qui végétaient dans
les ténèbres feraient leur apparition, candidates
à la succession, avec des références, des titres
que nul n'aurait osé avancer du temps où le Maître
dominait les consciences. Alors, le Maître devien-
drait petit, plus petit qu'il ne l'avait jamais été.
Celui devant lequel on s'effaçait à vingt pas se
voyait (sic) toisé par le commun des mortels (1).
Tiémoko-Massa, comme on le verra lors de son inter-
vention pour retrouver dans la plus grande discrétion le clan
i
.
,.
d
d i
étaï~
.. d l '
d ]
..
qu
ava1t per u son
eu,
. verse
ans
art
e
.a geoman-
cie
"Le docteur retourna à la maison •.. Le vieux (Tié-
moko-Massa) tout absorbé par la lecture des signes
divinatoires sur un carré de sable, feignit de l'i-
gnorer (2).
L'auteur cite du vieux prêtre animiste .un tour de
force qu'on pourrait comparer aux mystères et aux miracles
chrétiens très fréquents dans le Moyen-âge européen :
"Le lendemain, dans l'après-midi, Besnier et sa
fiancée étaient dans le salon du docteur avec une
valisettc et la caisse qui conteBàlt
N'Tomo.
Tiémoko-Massa pointa l'index vers la caisse.
- Cette caisse reste ici. Nous ne l'emporterons pas.
Il n'y a rien là-dedans.
- Comment? fit le docteur. C'est la caisse où se
trouve N'Tomo.
Non, N'Toma est avec moi.
f
(1)
Noce~ Sac~ée~, op. cit., page 103
1
(2) Ibidem page 107
J~1
.1.
j
., ..

}+
j
135
.1.
Stupeur :
- Quoi? firent en même temps Besnier et sa fiancée.
Le docteur ouvrit la caisse. Le vieux avait rai-
son. Elle êtait pleine de morceaux de bois.
Tiêmoko-Massa cracha son tabac.
- Les Blancs sont tenaces et rusés. Nous aussi nous
savons marcher sur nos jambes.
Le docteur, Mlle Baune et Besnier sc rega~dèrent.
C'est pas vrai! dit Mlle Baune. Ah ! cette Afri-
que ! (l).
Le même apparent mystère plane sur cette histoire
v~cue par le père blanc de la mission catholique. Et cette
histoire '" ,il., la raconte ici au docteur avec autant d'émotion
que le jour oh elle s'est passée. Décidé â tout pour implanter
l'Eglise dans ce pays et dans le coeur de ses hommes, le
père Dufrane a da compter avec la tradition fortement fixée
et l'hostilité de Tiémoko-Massa. ~eul le consentement de ce
dernier pouvait permettre au missionnaire de réussir sa tâche
d'évangélisation. Après avoir répugné à cette sorte de compro-'
mission, le pèrE:~ Dufrane a da se rendre â. l'évidence. Par
exemple â Noël, le père ne put organiser sa messe qu'après
accord préalable de Tiémoko-Massa. Et comme si ce n'était
pas assez de ce demi-échec devant les pouvoirs du féticheur,
un autre fait faillit remettre en cause le déroulement de la
cérémonie : le père Dufrane ayant fait le déplacement depuis
quelques deux cents kilomètres, avait oublié d'amener sa
chasuble, manteau pastoral indispensable â la célébration du
culte. Il se trouva devant l'alternative suivante: ou annuler
la messe et perdre ses fidèles nouvellement convertis, ou
avoir recours ~ la seule personne succeptible de lui venir en
aide (c'est-à-dire accepter encore une fois de plus la com-
,
promission). C'est ce qu'il allait faire, reconnaissant ainsi
(1) Noce~ Sac~ée~, op. cit.,
page 113
.1.

136
.1.
tacitement un grand pouvoir au fétichisme. Il demanda à Foti-
gui de l'aider. Ce dernier lui dit de rentrer chez lui et
d'attendre son message. Puis quand
le Maitre fit de nouveau
appeler le missionnaire, il lui déclara :
"Ce que tu as oublié est dans ta malle.
- Ce n'est pas possible. J'ai cherché en vain.
- Tu as des vêtements de femme dans ~a mal18. Pas
vrai ? Ta blouse de prière est avec •.
Ce fut tout, pas un mot de plus. La chasuble était
belle et bien dans la malle. J'appelai Pierre. Il
écarquilla les yeux puis bafouilla :
"_, {là" terre est à lui,
le ciel
à nous. Nous avons la
vie éternelle. Il est le frère du D6mon.
- Non, Pierre, la terre n'est pas à lui. Elle est à
tous, Elle est au Seigneur. Il nous a donné une
leçon, c'est un mystère.
Je ne savais que dire en réalité. 'Personne d'autre
~ ..
que moi n'avait touché cette malle. Je l'avais fer-
~.
,.,i.,.
mée à clé. Elle était dans la seule case qui fer-
.
mait à clé,celle construite à mon intention par
les fidèles...
(l).
Bien que considérant Tiémoko-Massa comme un concur-
rent et un obstacle majeur à l'implantation du christianisme
dans le
pa1S' le témoignage du père Dufrane est assez éloquent
"Fotigui est à la fois homme de science et de religion,
Il est porteur de semences que la vie et les anciens
ont fécondées. Les dieux l'ont choisi pour interprète.
Il traduit leurs volontés et prévient leurs désirs.
Il est investi de pouvoirs surnaturels. C'est un élu.
Ce qu'il dit vient des dieux. Il voit avec leurs yeux~
(1) Noce~ Sac~ée~, op. c~~., page 61
.1.
1

I37
.1.
agit avec leurs bras. C'est un prophète. Pour le com-
mun des Occidentaux, c'est un "charlatan", un "sor-
cier ll , un point c'est touto Nais pour moi que l'Afri·'
que a instruit, je sais qu'il n'est rien de tout
cela (1).
Après la conviction acquise sur place par certains
administrateurs coloniaux sincères, les témoignages impar-
tiaux de certains explorateurs et humanistes, beaucoup d'au-
tres sociologues et ethnologues s'intéressèrent à l'art et à
la civilisation nègres comme nous le disions plus haut. Dans
ce roman, ,Sè~ou Badian a fait de Mornet leur porte-parole,
nous l'a~on6 d1t plus haut~ms8i.
A présent une autre voix autorisée s'élève ici pour
rendre ses titres de noblesse â l'esprit de la civilisation
nègre. Le père Dufrane aurait normalement dll combattre la reli·'
gion animiste intimement mêlée à tous les actes de la vie des
Africains. C'est d'ailleurs ce qu'il fait en public.
Mais tout au fond de lui-même, il reconnait que la
religion dite primitive a en fait une vision du monde et de
l'au-delà aussi convaincante que celle de toute religion rô-
vélée. D'ailleurs, comme le christianisme, la religion animis-
te a un chef spirituel qui remplit les mêmes fonctions que le
"père Blanc"
"(Fotigui) était le maitre du Komo, l'initiateur des
~
cérémonies, le seul habilité à communiquer avec les
esprits qui l'éclairen~ et le guident dans ses actes
quotidiens. Fotigui résidait dans la capitale reli-
gieuse, ceinturée du grand Bois Sacré plusieurs fois
centenaire et abritant l'antique sanctuaire, demeure
des masques, statuettes et reliques, patrimoine com-
mun à la zone. Tous les deux ou trois mois, le mal-
(1)
Noce~ Sac~ée~, op. c~t.,
page 55
.1.

;'..
138
.1.
tre effectuait comme nous des sorties au cours des-
quelles il visitait ses fidèles. Les problèmes lui
étaient soumis, il tranchait les litiges, conciliait
et reconciliait avec une autorité absolue, car ses
jugements êtaient ceux de l'anc~tre, donc irrévoca-
bles (1).
Les fêtiches et les cérémonies propitiatoires jouent
eux aussi, dans l'esprit des fidèles de cette religion, le
même r~le que par exemple la sainte croix, l'eau bénite et la
messe, pour les catholiques •
.~ COlt\\IIl6 le déclare Fotigui : "Komo est invincible.
Ceux qui'l~qdittent reviennent toujours, sinon eux, leurs
enfants et petits-enfants viendront pour renouer avec l'ancê-
tre et continuer le monde" (2).
Instruit par son expérience africaine, le père Dufra-
ne constatera amèrement :
"Ce fut pour moi une leçon qui étayait les thèses du
mattre du Komo. Les manifestations extérieures ne
sont que vernis, le tréfonds reste sous la domina-
tion du Komo, tout imprégné de l'esprit de l'ancêtre.
Ce n'était pas ~ proprement parler une découverte
pour moi. Je savais bien que les sacrifices de pou-
lets avaient lieu chez certains des nôtres dans l'obs-
curité des cases, dans les milieux traditionnels
africains ou même "primitifs" en général. Les choses
sont beaucoup plus complexes (3).
Enfin les derniers évènements qui frappèrent l'esprit
de Besnier et du docteur furent les châtiments infligés ~
(1) Noce~ Sdc~ée~, op. c~t., page 49
(2) Ibidem page S2
(3) Ibidem page SS
.1.

"
I39
.
./.
toute l'équipe qui avait organis6 et exécutG le rapt du dieu
du Kouroulamini, dont Jules, le patron du Grand campement et
"..
son cuisinier. Le docteur apprit par une IGttre la mort de
Jules :
"Jules s'est suicidé. Un coup de pistolet en pleine
tempe. Il a pensé ainsi résoudre ses problèmes •.. 1!(1).
Plus tard il en su la cause véritable :
"C'est M. Jules qui, il y a trois ans, a fait enlever
N'Tomo â son sanctuaire pour le vendre à votre ami,
~esnier. Tout a été fait pa~ l'intermédiaire de Nan-
t-qwna.,· le gardien du campement qui vient de mourir
.~,. -~
également, encorné par un taureau échappé de l'abat-
toir •••
Du jour oü M. Jules é~ eu N'Toma entre ses mains, il
n'a connu que des déboires.
Des deux camions de transport qu'il possédait, l'un
a pris feu et l'autre est tombé dans la Grande ~Lviè­
re Blanche. Son comrn(~rce péricJ.it:é." Il perdit la gé-
rance du Grand I10tel Carnp'~m::lll: ,je lél capi ta1e pour S8
voir relégué dans 1(3 campement d(~ hrouss8 où vous
l'avez connu.
Après. ses malheurs, il se et6cj.da ü consul ter quelques
grands Maîtres dont Poutignio 'rOl103 lui dirent la même
chose :
"Retrouve N' Toma, apaise les Dieu~{ et. quitte le pë..ys.
Si N' Toma ne revient pas, m3.1hcm~ à toi i tu perd:r:c3.s
l'esprit.
Si N'Toma est ra:nené pé'.r quelqu'un d'autrç~,
malheur
" "
à
toi: tu perdras l'esprit ct ceux qui t'en-
tourent seront marqués à jamais (2),
Deux autres faits, peut être nains spectaculaires
(1) Noc~~ Sac~é~~, op. c~t., page 138
(2)
Ibidem page 140.
./ .

' I
140
./.
que la cascade de châtiments ayant frappé les violateurs de
sanctuaires et de fétiches, auront néanmoins un impact psy-
chologique certain sur les deux hétérodoxes que sont Besnier
et le docteur. Ils retrouvent au coeur de la forêt le père
Dufrane et l'instituteur Soret, venus visiblement prendre pa~
~ la liturgie palenne du dieu du Kouroulamini. L'effet de sur-
prise est d'autant plus grand que les deux personnages sont
des Blancs et que l'un est m~me le chef de l'Eglise catholique
du pays :
"Lorsque le docteur parut, le Père Blanc marqua sa
surprise par "Oh 1". Le docteur le reconnut. C'était
le père Dufrane. Le docteur se dirigea vers lui.
Mais il fut devancé par Tiémoko-Massa. Le père Dufra~
ne et Ti~moko-Massa se saluèrent èn vieilles connais-
sances. Ils échangèrent quelques paroles à voix basse,
A son tour, le docteur s'irnrnobilisa, surpris .•. ? (1).
Si la vue de Soret les intrigua c'est sans doute par-
ce qu'ils le croyaient mort ou rentré en France car depuis
~
longtemps, on n'avait plus entendu parler de lui :
"Soudain, un homme s'avança vers Besnier •. C'était
un Blanc habillé de la tunique couleur terre des
vieux. Une fille le rejoignit avec une calebasse rem-
plie d'un liquide sombre. L'homme ôta son bonnet. Il
trempa dans la calebasse le chasse-mouche qu'il avait
à la main. Il aspergea Besnier.
- C'est pas vrai ••. C'est pas vrai ••• , répéta Made-
moiselle Baune, les doigts crispés sur le bras du
docteur.
L'homme •.• Le Blanc ... je croyais un albinos •..
C'est Soret, celui qui fut le compagnon d'André.
Je l'ai vu en photo. Je le reconnais.
(1)
Noee~ Sae~ée~, op. e~t., page 124
·j.

I41 ~
.1.
Sor~, murmura le doct~ur qui hocha la tête avec
un rictus.
- Oui, c'est bien lui
Sorft fit demi-t!t>ur et disparut dans la foule (l) 0;'
Apostasie ou syncrétisme religieux ? Badian nous a
apporté la preuve que le missionnaire et le fonctionnaire co-
lomial accorderlt un immense crédit au fétichisme comme d'ail-
,
~
!eurs.,~pb~~e"d'Européens ayant séjournG longtemps en Afrique
et qui· on,t étudié"
en dehors de tout esprit partisan, cette
religion su~ laquelle certains de leurs compatriotes ont jeté
l'anathème .'''. sans préventions.

Dans ce roman, c'est dont en définitive contre le
discrédit des valeurs de civilisation africaine que s'inscrit
en faux Seydou Badian qui dGcrit l'exemple malien qu'il c o n - \\
nait le mieux.
Les Africains,"n'ont jamais inventé ni poudre ni
boussole" comme le dit CESAIRE, mais ont des valeurs culturel.
les et religieuses certaines. Ici le romancier ne fait pas par- "-
ler des Africains mais des Blancs. "Ce sont des colons fran-
çais, longtemps en poste en Afrique, pénétrés des enseignements
des sociétés secrètes, célébrant dans la clandestinité les
cultes auxquels ils sont affiliés, qui disent leur foi dans
les religions traditionnelles" (2).
Honsieur Mornet pourrait symboliser ces africanis.,s,.
ces ethnologues et ces sociologues euro~ens dont les travaux
font autorité en matière de culture et de civilisation .gr~;
tels François-Victor Equilbecq, Léa Frébenius ou encore ceux
qui ont particulièrement axé leurs,travaux sur certaines eth-
nies du Mali qu'ils ont ainsi contribué a faire connaitre
t
f
1
1
(1)
Noce~ Sac~~e~, op. c~t., page 135
1
f
(2) Mohamadou KANE
"Noces Sacrées de Seydou Badian", in com-
1
p1èment du Soleil nO 2276 samedi 19 et
dimanche 20 Novembre "1977 op. cit., P 4

/
0

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'
-
'?-
"
,...~ "
...
JI•.
142
..
..,
,"
et aimer : '·C'.t avec Marcel 9ritfle et son êqu~e que la
.1
pensée noire originale f~ pour la ~remiêre fois explimée
80US une tOI'Jne li t.téraire séduisante,; La passion de là recher--
e~e~ uneobse~tion amicall et patiente de la vie africaine
villageoise caract~risent Sao légendaires et surtout Dieu
d'eau. Les chercheurs groupés autour de Griaule purent montrer
*
'
que l'ensemble des actes de la vie quotidienne ou saisonniêre
d'un peuple africain donné coreespon~J un~~certaine concep-
tion ~;monde et a une certaine évolution'mythique. L'époque
".
du pttt~~.que suge.ficie~ prenait fin. Les oeuvres capitalos
.
"
,..".
..
sonû,: ~Ur le~D~,~ns : Masques dogons de Griaule, ~s Ames
,
"," ..'"
des Dogo!}_ ae'Gij~J\\\\aine Diéterlen, Les devises des Dogons de
'''',
_'t."
Solanqe de Ganair'"
Pour les Bambaras, citons Essai sur la reli910n bam-
bara de Germaine Oiéterlen, et les travaux tout récents de
Dominique Zahan Sociétés d'initiation bambara, La dialectlçue
du verbe chez les Bambaras •••
Dans le cadre des investigations sur les D090ns,
Déborah Lifchitz publia en 1940, dans la revue Africa, une
~tude sur La Littérature orale chez le. Dogons du Soudan fran-
,
çais, qui fit connaftre des traditions historiques, des contes
et des proverb~s (1).
Dans Noces Sacrées donc, Badian fait dire a Mornet
Qui, longtemps "fasciné par Koma, la fameuse 80ciété secrète,
~ voulu sonder l 1 inconnu bambara~ (2) 1
NA mon avis, la science n'est pas tout, ou, si vou,
aimez mieux, il n'existe pas qu'une seule science,
la nOtre. Nous avons beaucoup 3 gagner en laissant
aux autres la possibilit~ de nous instruire, ear il
( ~ ) Rob«tl:'t PAGEAJtO : L.ittfJl4tu.Jr.e nl9,.,,-46JL-i.c4-i.ne, op. c-i.t. 1
page 12
Cp. d~t"
page 26
'./ .
t, ,

I43
"
.1.
f
est difficile que tout un monde, ayant vécu des siè-
cles durant isolé, coupé du courant èes échanges
universels, n'ait pas quelques vérités ~ proposer" (l).
Dans son plaidoyer pour la civilisation bambara, Mor-
net établit un parallèle entre la reliq!o~~pambara jusqu'ici
, '",",
~,'~\\:;;.,
méconnue et la religion grecque datant,ô.\\t.~fe millénaire avant
"."
.'
··1,·.. ··... -"'"
Jésus-CqJ:'ist et universellement connue dri~ ~ la littératu-
re hell~Jt.t~e :
'''i ""1i;', "/.,
"
:,'\\'.
"Komo est au sommet de la hi6rarchie des dieux. Lui
ne pardonne rien.
Celui auquel vous vous ~tes attaqués, N'Tomo, ap-
partient ~ la Jeunesse. Il n'est ni Dieu de haine,
ni Dieu de sang. Par certains cOtés, il rappelle
Dionysos. Les garçons le fêtent à la moisson. Les
filles n'osent ni l'approcher ni s'en éloigner. Le
fouet des garçons les repousse. Cependant, N'Tomo
ne peut se passer d'elles. Elles jouent le rôle
'~ •
de bacchantes d'un autre genre (2).
Cette reconnaissance implicite de la culture et de
la religion nègres n'est pas le seul fait des chercheurs euro-
péens, mais aussi de tous les autres Blancs capables de dis-
cernement. L'auteur fait de Mlle Baune (la fiancée de Besnier)
leur porte-parole. A des compatriotes qui lui
dieent. qu'en
Afrique il n'y a que superstition et barbarie elle répond:
"- Pas d'accord, monsieur. Evidemment, je n'ai de
leçon ~ donner à personne ici, au contraire. Cependant
il me semble plus sage de cherche d'abord avant de
décréter "il n'y a rien". Et je maintiens qu'un peu-
ple, quel qu'il soit ne peut vivre des siècles sur
(l)
Noee~ Sae~le~, op. e~t., page 41
(2) Ibidem page 27
.1.
.,

..
"
: :
144
./ .
<.~.:.
l1f'-
"rien". Nous pouvons apprendre des plus arriérés ...
Ce matin, au campement, la gérante m'a présenté un
vieux qui aurait soigné plusieurs morsures de ser-
pent chez des Africains et des Européens. Comment
soigne-t-il ? Avec quoi ? Il Y aurait là quelque
chose a creuser a mon avis" (l~.
La défense et l'illustration du passé culturel afri-
cain n'astpas.un thème nouveau. Bien d'autres auteurs afri-
cainl ~~t, â travers des oeuvres de toutes sortes, "fait l'a-
pologi~~ystématiquedes sociétés détruites par l'impérialisme.
Elles étaient le fait, elles n'avaient aucune prétention a
être l'idée, elles nétaient malgré leurs défauts, ni haissa-
bles, ni condamnables. Elles se contentaient d'être. Devant
elles n'avait de sens, ni le mot ECHEC, ni le mot AVATAR.
Elles réservaient intact l'espoir (2).
Cependant ce qui différencie ici Badian de ses pré-
décesseurs, c'est qu'il est allé jusqu'5 nous prouver que des
Blancs, dans leur intime conviction, sont gagnés ~ la culture
et â la religion africaines :
"- Oui, cela paraît invrqisemblable, je le conçois.
Mais vous voyez, quelques Européens partagent avec
nous les secrets du vieux monde, certains occupent
même une place importante dans la hiérarchie, tel
le gendarme qui a été admis dans la secte du Coq.
- Ce n'est pas possible. Le gendarme est fou de
chasse, je le sais, je le vois. Or, les membres de
la secte du Coq ne doivent ni tuer, ni consowmer de
la viande. Les choses ont donc changé?
- Vous savez, les Européens qui sont avec nous ont
un comportement public d'emprunt. C'est l~ un jeu
dont le but est de dérouter les gens. Les allures
(1)
Noce~ Sac~ée~, op. cit., page 74
(2) Aimé CESAIRE : Vi~cou~~ ~u~ le coloniali~me, op. cit.,
page 24
./ .

, ,
",
JI45
fi·-
./.
de personnage falot du gendarme constituent le bou-
clier derrière lequel il abrite son secret. Vous
rendez-vous compte, si ses supérieurs arrivaient à
soupçonner ce qu'il est en réalité ?" (1).
Serait-ce d'une acculturation à rebours qu'il s'agit?
Une négrification du Blanc peut-être ~oins poussée que dans
Le regard du ROI de Laye CAMARA (2). Clarence le héros du ro-
man, est rejeté par sa communauté blanche d'origine et tente
alorsd~e. a} intégrer à la communauté noire d'accueil. Ce qui
fait éérJ.re à Charles R. LARSON : "C'est la capacité du héros
à comprenàre la beauté et la complexité de son expérience afri-
caine et à se rendre compte de ce que sa propre culture n'a
plus ici de signification, qui nous fait comprendre un aspect
essentiel de ce que SENGHOR consid~re comme le dernier stade
du syncrétisme culturel, la "négritude réformée", une culture
universelle qui incorpore les éléments de toutes les cultures.
Mais au lieu d'être détruit ou de rester prisonnier entre deux
cultures, comme Medza dans Mission Terminée, le héros de
CAMARA Laye s'assimile ~ la culture africaine et trouve ainsi
son salut" (3).
Une seule nuance :les héros de Badian ne sont pas
des gueux bannis par leur communauté, mais des fonctionnaires
coloniaux, royalement installés en Afrique et pour qui les
colonisés ont les plus grands égards. La comparaison avec
le Clarence du Regard du Roi se situe au niveau de l'imprégna-
tion culturelle.
A la suite du père Dufrane, de l'instituteur Soret
et du gendarme, Besnier lui aussi se convertit à la religion
bambara. Apr~s avoir subi en guise de châtiment les rites expi-
atoires de son sacrilège, Besnier choisit librement la voix
(1)
Noee~ Sae~ée~, op. eit., page 144
(2) Laye CAMARA : Le Rega~d du Roi, Paris : Plon ; 1954
(3) Charles R. LARSON : Pano~ama du ~oman a6~ieain, op. eit.,
page 227
./.
\\

,
f
"1
146
./ .
qu'il croit être désormais celle q~i lui apportera le repos
de son âme. Il fait sa première communion, ou bien comme le
dit Seydou Badian, ses "Noces Sacrées" :
"_ Docteur, dit Doumbia, votre ami est libéré, mais
son monde ne le reverra plus.
Le docteur sursauta :
j
-
comment ? Qu'est-ce que cela veut dire ?
- Il a choisi, docteur, c'est tout.
Le silence tomba, le docteur tourna en rond.
Et sa fiancée. Qu'est-ce que je vais lui dire ? ..
- Vous n'avez rien à lui dire.
- Comment je n'ai rien à lui dire?
- Vous n'avez rien à lui dire parce qu'elle sait tout.
- Comment, elle sait tout et elle n'a rien dit?
- L'heure n'est peut-être pas venue. Vous voyez, doc-
teur, le vieux Fotigui a dit ~ "Chacun de nous a son
conteur avec son N'Tomo. Heureux celui qui arrive à
la paix. Heureux celui qui arrive à le savoir et s'en-
gage dans la voie de la paix" (1).
Dans leur désir d'exhalter le passé africain, les
romanciers évoquent les grandes figures de la résistance con-
tre la pénétration française au Soudan.
(1) Noce~ Sac~ée~, op. c~t., page 146
./.
-,...
1
..'

147
LES
GRANDES
FIGURES
DE lA
RESISTANCE
.1.
J~
Lll.
PENETRllTION
COLONIALE
"Le. gILan.d dILame. h.iJ.doIL.ique. de. t 1 A6IL.i-
que. a mo.in~ été ~a m.i~e. e.n contact
tILop taILd.ive. ave.c te. ILe.~te. du mon.d~
que ta man.ièILe. dont ce. contact a.
été opéILé".
A.imé CESAIRE - V.i~couIL~ ~uIL te. coto-
n.ia.t.i~me.. PaIL.i~ - PILë~e.nce. A6ILlcal-
ne. - 1955 - page. 25
Afin de rétablir la v5rit6 historique sur la rencon-
tre Afrique-Europe souvent falsifiée à dessein par les colo-
nisateu~s qui ont taxé notre race d'inférieure sinon de sau-
vage ; afin de lever le voile sur certains épisodes de la con~
quête sur lesquels les mémorialistes, les explorateurs et les
rapporteurs militaires (d'ordinaire si éloquents) sont demeu-
rés étonnamment silencieux: nos romanciers, à l'exemple des
poètes et des dramaturges, vont s'employer à faire toute la
lumière sur le demi-siècle qu'a duré l'occupation française
du Soudan. A la phase de la conquête succèdera celle de la
mise au pas des vaincus et l'exploitation des richesses du
pays.
"Le matin de l'Occident en Afrique noire fut constel-
lé de sourires, de coups de canon et de verroteries brillantes.
Ceux qui n'avaient point d'histoire rencontraient ceux qui por-
taient le monde sur leurs 6paules. Ce fut un matin de gésine.
Le monde connu s'enrichissait d'une naissance qui se fit dans
la boue et dans le sang" (1). Telle est la manière très objec-
tive dont Cheikh Hamidou KANE analyse la rencontre Afrique-
Europe, aux conséquences incalculables. L'occupant venu de
l'ouest, a généralement agit de la même manière un peu partout
dans le pays, affirment les romanciers. Au massacre systéma-
tique qu'affectionnaient les uns, les autres ont répondu par
une autre méthode : la résistance farouche au cours de laquel-
le s'illustrèrent quelques figures de grands patriotes. Mais
tous leurs efforts furent vains.
(1)
Cheikh Hamidou KANE : L'AventuILe. Amb.iguë, op. c.it.,
page 59
.1.

148
.1.
1er mai 1898. Ce jour-l~, ce n'est pas seulement la
formidable muraille de Sikasso qui s'écroulait sous le feu
des canons meurtriers, c'est l'ensemble du Soudan qui s'af-
faissait sous la poussée imp~rieuse de la machine de guerre
française. Mais pour en arriver l~, que d'incendies, que ùe
sang, que de vols,
que de violencesl
"
Ainsi donc, l'orgueilleux tata de la capitale du
Kénêdougou, avec'son centre le palais de ses rois encore
invainçus, représentaient le dernier rempart de sécurité con-
tre la puissance conquérante. Mamadou Gologo décrit ce qui
en restera après cette bataille mémorable :
"Tcut près du campement se dresse une espèce de ter~
tre. Ce tertre occupe paratt-il, la place du donjon
au faite duquel les rois du Kénédougou avaient cou-
tume de placer des guetteurs. Il a donc servi, jadis~
de palais royal avec miradors. Même de nos jours
sa présence ne cesse d'en imposer aux habitants de
Sikasso qui lui vouent un certain culte à la fois
d'amour et de crainte ••• Actuellement c'est un esca-
lier de pierres mal équarries qui conduit au sommet
de ce tertre symbolique qui, malgré tout, reste fier
de son passé" (1).
'.
La prise de la ville a été abondamment commentée aus-
si bien par des Européens que par nos historiens. C'est la
~,
brutalité du conquérant qui a surtout touché l'auteur d~:
~ Rescapé de l'Ethylos
"Après la prise de Sikasso par les Français vers
1898, les conquérants recoururent aux mêmes procédés
de démonstration de leur force. Ils saccagèrent et
brnlèrent le palais (du roi). Ils ramassèrent et
(1) Le Re~capé de l'Ethylo~ page 248.
·1·


- . _ _r _
- - -
_ _
~
~
~
1149'r-
.1.
entassèrent ce qui en restait et l'entourèrent de
fil de fer barbelé. Ils érigèrent ensuite au milieu
de cette enceinte une stèle aux lithographies commé'"
,
-
moratives, injurieuses et bien significatives. n~en
d'étonnant ... " (1).
Comme Troie, l'hérolque ville se fit massacrer plu~
tôt que de capituler. L'analogie avec Ilion est f~appante à
plus d'un titre. Comme les Grecs, les Français ne purent en-
trer dans la ville fortifiée qu'en usant de stratagème : ils
s'infiltrèrent de nuit dans le tata, sans doute avec quelque
complicité locale. Les habitants, l'effet de surprise passée,
affrontèrent de pied ferme les assaillants, avec un courage
et une ténacité dignes d'admiration: hommes, femmes et en-
j
1
fants défendirent avec acharnement chaque pouce de terrain,
1
quartier par quartier, rue par rue. Faisant allusion ~ l'es-
prit patriotique qui commande plutôt la mort que la compro-
mission et la soumission à l'ennemi, l'auteur du Rescapé de
l'Ethylos poursuit:
1
,1
.r
1
"Pour le fils de paysan qui lit ces inscriptions
(sur la stèle aux lithographies commémoratives)
cela signifie : voilà Cù qui est advenu de toi :
1
Ci-gtt un des plus beaux royaumes nègres. Avertis-
1
sement à ceux qui ne veulent pas se plier aux lois
du Blanc 11 ( 2) •
Après avoir décrit la brutalité de la conquête
coloniale qui se heurta au patriotisme des assiégés, Gologo
fait l'apologie des souverains du Kénédougou. L'histoire re-
1
tient le nom de Tiéba comme étant celui qui porta l'empire
du Kénédougou à son apogée sur le plan militaire, et fit sa
prospérité sur le plan économique. Il règna de 1866 à 1893.
,
.;~
/
Son demi frère Babemba qui lui succéda, ne resta sur le trône
1
!
t~
(1)
Le Re~capé de t'Ethyto~, page 248
~.
(2) Ibidem page 249
1
.1.
1

'f/ 1
i
.1 .
. .., .. ..quG cinq ans; mais eut· le temps de consolider le système mili-
taire de l'empire cependant qu'il en bouleversa tout le sys-
tème politique inaugurant une nouvelle diplomatie. Autant
l'atn~ était un grand stratège militaire et un fin diplo~ep
autant le cadet sera un impulsif guerrier et un cHef qui ne
souffrira point le partage de son pouvoir. Aussi l'hiJtoire
retiendra-t-elle davantage son nom et le nationalisme actuel-
lement à la mode, en fera un grand patriote. Dans~le Rescapé
de l'Ethylos on peut lire le parallèle suivant:
"Tiéba a da être un souverain bien faté, qui savait
jouer du violon avec tous les amateurs de cet art.
Cela veut dire qu'il savait très bien parlementer,
signer des traités à la Bismark ou à la Hitler •••
1'1ucun "parlementaire" n'a jamais pu se plaindre de
l'accueil que lui a réservé Ti~ba. Lorsqu'il mourut,
l
il laissa l'empire du Kénédougou empêtré dans le ré~
seau d'une multitude de traités apocryphes, nota~ment
ceux de non-agression et de collaboration sincère,
d'assistance, etc .•. pour ne citer que les plus cou-
rants" •
Quant'~ Babemba, il -trouva peut-être que feu son
a!né s'était tout bonnement trompé dans la manière
de tra!ter les affaires avec les "hommes aux
oreilles rouges" (1).
.'~'
.
A la différence de son a!né "il estima que jamais
deux rois ne peuvent simultanément occuper un même
trOne. Qu'un roi nègre traite seulement avec les
Blancs et il se verrait irrémédiablement évincé de
son trône, deviendrait immédiatement un subalterne
n'ayant d'autre droit que celui de se taire et de
regarder l'intrus" (2).
(1) Le Re~capé de t'E~hyto~1 page 249
(2) Ibidem, page 250
·1.

,
I51
1
i
·1·


1
Les hi-storiens écrivent que Babembùrésilia tous les
traItés signés par son frère, déclara le résident français à
1
Sikasso persona non grata, et, avant d'expulser le diplomate
1.
1
indésirable, lui infligea les pires traitements en le fa~ant
circoncire de force (voir le sens de la circonc~on dans le
1
chapitre précédent) et entailla sa figure de larges balafres.
1
,
~i dans certaines régions du Mali les balafres (dans les temps
t:.. ~'~.
~diévaux)
furent considérées comme des signes tribaux dis-
1
tinctifs (ex : au Kénédougou même) une anecdote locale racon'"
1
te que Babemba qui en portait, en fut victime une fois. Du-
j
rant le mandat de son frère, ce dernier l'avait· envoyé en
ambassade un jour ~ la cour du Macina allié. Babemba jeta son
dévolu sur une jeune fille du pays et voulut l'épouser avant
de retourner chez lui. La dulcinée se scandalisa ~ l'idée de
1
s'unir avec un homme physiquement diminué. On devine alors
1
pourquoi Babemba a fait tatouer le capitaine Maurisson (c'é-
l
tait le nom du diplomate français).
em:iui tt'
Avec force détails, Mamadou Gologo nous explique/le .-
comportement héroïque de Babemba lors du siège de Sikasso
"Lé· roi Babemba est un souverain qui a tenu à mourir
dans la dignité que lui avaient enseignée ses ascen-
dants et son peuple, celle qu'il devait aussi en
grande partie à sa volont~ de fer. Ce grand homme n'a
jamais voulu admettre que la vie puisse être vécue
sans dignité ... Vous savez sans doute ce qui lui
advint après une prise de position aussi nette. De
toute façon il tint parole, et lorsque les Françai.s
l'assiég~rent, il se défendit héroïquement et jamais,
au cours des campagnes sanglantes qui l'opposèrent
aux usurpateurs, il n'a été effleuré un seul instant
par l'idée de capituler ..• " (1).
(1) Le Re~~apé de t'Ethyto~,
page 251
1
.1.

.1.
~
·~.-,·
, i · · . " " T e l ùn
capftairîê dans le navire près de sombrer,
C < • • •
. .
lorsque wles cylindres diaboliques déchiquetèrent son tata
qui ~tait resté jusqu'alors invulnérable aux assauts les plus
redoutables" :
1
1
1
~
"Babemba (jugeant) que tout était perdu fors l'hon-
î1
neur, rassembla ce gui restait de son armée. Il déli-
1
b6ra longuement sous le feu de l'ennemi, avec les
1
quelques braves capitaine qui lui avaient juré fidé-
l
lité. Il fit apporter ses biens, en fit une juste
1
répartition entre les hommes en présence de son confi-
dent. Puis sous l'effet d'un sursaut de fierté héral~
dique (sic), caractéristique de la race nègre, il
répandit de la poudre autour de son trône, de manière
à former un cercle infernal au milieu duquel il se
plaça .•• Une mèche fut allum6e et communiquée à la
gloire d'incandescence •.. Voilà comment alla aux
cieux l'âme de Babemba" (1).
Comme dans toute geste, tout haut fait qui entre dans
la légende, il existe plusieurs versions à la mort de Babernba,
poursuit le romancier.
"Quelques historiens prétendent (j'ignore s'ils ont
raison ou non) que le roi, avant que l'incendie eût
atteint sévèrement le tata, plaça dans sa bouche le
canon de son fusil et de son gros orteil fit partir
le coup mortel. D'autres affirment qu'il ne mourut
..
pas immédiatement et qu'il eut le temps de demander
à son fidèle confident de llachever, car jamais au
grand jamais, "les oreilles rouges" ne devaient pou-
voir le toucher de leurs mains impures" (2).
(1) Le Re~capé de i'Ethyto~1 page 252
(2) Ibidem page 252
.1.

!.
r '
153
.1.
Et le romancier termine ainsi sa relat.ion des faits
"Ainsi mourut Babemba, un des rois du Soudan, un de ceux qui
n'ont jamais cru en la possibilité d'une coopération intel-
ligente et désintéressée avec les "hommes aux oreilles rou-
ges" (1). Comme Babemba au soir de sa vie, tous les rois à
travers le Soudan, verront se résoudre à leurs dépens cette
terrible équation posée par la venue de l' homme blanc : coo··
pération - colonisation.
La première tactique des Français dans ce domaine,
1
a consisté à mystifier par toutes sortes de promesses, les
...
rois et les chefs de village des pays qu'ils voulaient conqué-
rir.
Lorsque l'idée de collaboration était rejetée par
leurs interlocuteurs noirs, ils s'érigeaient alors en éléments
catalyseurs des rivalités intestines opposant entre eux des
villages, des clans ou des régions. Les "Soudanais, parce
qu'ils n'avaient pas d'expérience en la matière, signèrent
les uns à la suite des autres et fait plus grave, les uns con-
tre les autres,; des traités d'amitié et de protectorat avec
la France. Les Noirs se rendront compte
plus tard que ce
n'étaient que des chiffons de papierIÇ dont les armées de con~
quête ne se croiront nullement tenues de respecter les ~~~
aauc,
puisqu'en définitive, cela gênait leurs visées expansionnis-
tes et colonialistes.
La troisième tactique adoptée par les Français, a
été le siège et l'incendie des villes et villages "rebelles '1
à l'idée de coopération. Ce fut le cas de Sikasso comme de
tant d'autres villes et places fortes. C'est pourquoi ~a
postérité en définitive, ne retiendra que les noms de ceux
qui ont pris les armes contre les "hommes aux oreilles rou-
ges". Au Soudan, l'histoire compte des noms célèbres dont la
(1) Le Re~capé de t'E~hyta~, page 253
.1.
···s,

'.*' ,
...... ,
154
.1.
liste complète serait longue ~ énumérer. Aussinous,limltc:;rons~
nous à ~uelques exemples-types.
Evoquant le souvenir glorieux de la révolte du Bélé-
dougou, Issa Baba Traoré dans son récit historique Komi Diossé,
nous retrace les étapes de la vie des vaillants guerriers de
cette région, notamment leur chef Diossé Traoré. Il fit de Kou-
mi la capitale militaire du Bélédougou à partir de laquelle
il entreprit des opérations de représailles contre les Markas
(ou Sarakolés) du nord qui avaient l'habitude de venir piller
le pays, Puis il eut l'idée de consolider son état pacifié.
Les convoitises en pareille circonstance ne manquèrent pas
de l'opposer aux villages limitrophes ùu Bélédougou. Sur ces
entrefaites arrivèrent les Français. Cette présence inoppor-
tune allait rétrécir considérablement le champ des activités
militaires de Diossé. D'autre part, les nouvelles les plus
alarmantes sur la puissance de leurs armes ~ feu parvenaient
au Bélédougou ~ après Médine et Nioro disait-on, les Fran-
çais s'appr~taient à chasser Ahmadou et ses Toucouleurs de
Ségou, forteresse infiniment plus puissante que Koumi.
Mais une seule chose continuait à préoccuper Diossé
avant sa prise du pouvoir, les armées du Délédougou avaient
,~
plusieurs fois échoué dans leurs tentatives de prendre l'opu~.
;i, v'
,,~ ··f·~'\\; ~~ '~.
lente forteresse de Ouessébougou. Diossé renouvela l' exploi t p,
mais Ille courage bambara une fois de plus se brisa contre la
farouche résistance de la Cité des Sables Il (1) .
Alors Diossé se départissant de toute méfiance, sol-
licita l'aide des Français qui naturellement saisirent cette
aubaine. Le Colonel Archinard, après avoir pris d'assaut et
anéanti Ségou, se fit une joie de tendre la main ~ cet allié
inopiné que sera le Bélédougou. Ouessébougou fut canonnée pil~
lée et réduite en cendres. L'honneur des Bambara était sauf,
(1) Issa Baba TRAORE
Kouml Vl046Œ, Editions Populaires
Bamako 1962 page 26
.1.

'.
- ,
-w---
_ _ ~ . ~ ~ ~ ~ - - -
,

"T
15S
mais ceux-ci allaient vite déchanter.
La France sur le pied de guerre en 1914, voulut natu-
rellement associer le Délédougou à l'effort de guerre (comme
tous les autres protectorats). Il consistait en contingents
et en grains pour nourrir les combattants au front. Le pro-
cédé de conscription et de réquisition de céréales indigna
les Dambaras. Ils vidèrent leur courroux sur les messagers
français (sillonnant le pays) qui leur servirent de boucs
émissaires. Le prétexte était tout trouvé pour la France qui
avait besoin de colonies et non pas d'associés.
Les deux armées croisèrent le fer dans la plaine
dénudée du Kodialan qui deviendra par la suite le Waterloo du
Délédougou. Alors l'armée française s'apprêta à donner le coup
de grâce aux vaincus. Ce n'était qu'une question de jours.
Elle marcha victorieusement sur Koumi en administrant un châ-
timent exemplaire aux villages alliés dans la bataille du
Kodialan : ils furent saccagés. Seul, un silence de mort et
des panaches de fumée restaient après le passage du vainqueuro
Koumi fut assiggée canonnée mais ne se rendit pas. Héroïque-
ment ses guerriers (mêmes les femmes) repoussèrent les atta-
ques meurtrières des assiégeants. Mais la supériorité numé-
rique atmili taire tourna vite Èi 1 'avantage des Français.- 11.
f'
,~".,
L'issue fatale approchait. Les dernières poudres et les der-
nières balles furent collect~es et mises en tas dans le grand
vestibule du chef où se rassembla l'état major de Koumi.
Avant l'assaut final, Diossé vers qui se tournaient tous les
regards, s'écria: "Oui, ils ne me prendrcnt jamais vivant.
Plutôt la mort que la honte. C'est bien aujourd'hui que je
fête ma victoire, la dernière, la vraie. Ouessébougou n'était
qu'une défaite" (1). Solennellement, il mit le feu aux poudres
une terrible déflagration s'en suivit. Il devra recommencer
une deuxième fois, car lui-même et quelques preux venaient
(1) Koumi Vio~~é,
op. cit., page 53
.1.

·~
E
157
. l
.1.
t
miraculeusement d'échapper à la mort. Comme Babemba dans son
djonfoutou, lorsque l'armée française fut sur le point dG
prendre Sikasso.
Durant quatre jours, du jeudi 25 février au diman-
!
!
'1
che 28 février 1915, les derniers survivants continuèrent à
défendre les ruines et les cadavres contre les envahisseurs.
1
La répression fera une véritable hécatombe" :
1
"On fusillait. On fusillait tous ceux qui avaient
ou pouvaient avoir de l'influence dans Kourni. Les
j
dieux avaient soif. Il leur fallait du sang. On fu-
sillait. On fusilla le vieux Samballé. "Heureux vieil=
lard". On fusilla son fils KOUlitoU. On fusilla tous
leurs suivants. On fusilla dix chefs de famille. On
réclama le corps de Diossé. On précipita pour le
retrouver, des hommes dans la fournaise du grand
vestibule ••• On nettoya les greniers, le grain fut
mis en tas au nord de la ville, en trois énormes tas
auxquels on mit le feu. Neuf jours durant, le mil
brûla et avec lui l'espoir de tout un peuple. Les
animaux furent abattus pour la nourriture des tirail-
leurs •.. Sur toutes les routes menant à Koumi, à
, .
l'entrée même de la ville, on exposa aux regards
~
de ceux qui avaient été convoqués, les cadavres liés
deux à deux et tenus àebout épaules contre épaules.
Chaque arrivant devait passer en se pliant entre
leurs corps lac6rés. Cynique rêédition des Fourches
Caudines au vingtième siècle.
Tout cela bien entendu s'appelait pacifier et la
réussite de la "Mission Civilisatrice" 6tait à ce prix (1).
ajoute l'auteur ironiquement en fin de commentaire.
(1) Koum~ V~o~~é, op. c~t., page 58
.1.

158
. f.
L'empire toucouleur, qui s 0 étendait des.portes du
Sénégal aux flancs escarpés des falaises de Bandiagara, avait
subi, lui aussi, le même sort. "Le Khalife gén6ral des Tidja-
nes pour tout le Soudan Occidental" (1) â qui il avait fallu
de nombreuses années pour créer un état théocratique, ne pou-
vait naturellement pas souffrir la présence des Européens qui
constituait pour lui une menace à plus d'un titre. D'abord
pour des raisons militaires et politiques (les nouveaux ve-
nus sapaient les fondations de son empire), pour des raisons
religieuses ensuite. En effet, pires que des incrédules et
des profanateurs, les Français passaient pour des impies,
blasphémant contre la foi mohamétane. Aussi les colonisateurs
rencontreront-ils rarement résistance plus acharnée que c~lle
que El Hadji Omar et ses successeurs leur opposeront. Ils'
apprendront â compter avec la farouche détermination de l'ar-
mée toucouleure, sous la conduite d'Ahmadou puis d'Aguibou.
Les romanciers n'ont pas expressément dépeint cette phase de
la guerre de résistance au "Soudan". Par contre, L'étrange
destin de Wangrin nous donne la preuve qu'on ne saurait parler
de l'histoire coloniale du Macina sans faire la moindre allu-
sion à ces héros.
Le héros du roman d'~~adou Hampaté BA arrive dans la
ville de Bandiagara récemment "pacifiée", mais qui conserve
encore quelques vestiges : ce sont entre autres "les vieux
sofas, guerriers mis hors d(~ combat par les tl.1oupes du Colonel.jl'
Archinard et jetés dans une oisiveté déprimante, on n'enten-
dait qu'amères récriminations contre les Français et contre
le régime du roi Douagui (entendez Aguibou), que des circons-
tances impérieuses avaient obligé ~ s'allier avec la France
et qui était devenu roi de Diagararnba (entendez Bandiagara) (2) .
(1) Titre d'érudition et de dévotion décerné à El Hadji Omar
SaIdou TALL, a l'issue de son pélérinage ~ la Mecque et de
son long séjour dans les lieux saints de l'Islam.
(2) L'Et~ange de~t~n de Wang~~n, page 27
.f.

w---
"7·~~.-~~-----------...
'.
159
./.
. Les·· sofas se retrouvent donc quotidiennement sur la.
place publique de Bandiagara pour évoquer ensemble le souvenir
d'El Hadji Omar qui eut à son actif tant d'années de lutte
implacable contre la pénêtration française au Soudan. De même,
Sékou Ahmadou, reprenant le flambeau de son père, s'efforça
vainement de faire l'unité de tous les rois et chefs du pays
pour barrer la route aux troupes françaises èans leur pous-
sée vers IVest. Obligé d'abandonner Ségou en proie aux flam-
mes, talonné par le Colonel Archinard, il fit des replis tac-
tiques dans l'ultime espoir de rejoindre les combattants de
l'empire peulh de Sokoto (famille royale d'où sa mère est
issue), plutôt que de se rendre ~ l!enncmi. Aguibou avait lui
aussi lutté un temps contre "ces fils de démons venus de l'au-
tre rive du grand lac salé et qui, avec leurs fusils qui se
cassent en deux et se bourrent par le cul, avaient mis quel-
ques années seulement pour anéantir les armées du pays et
assujétir tous les rois et leurs sujets ll (1).
Mais le neveu d'El Hadji Omar finit par être victime
de la politique coloniale française qui consistait à enjoler
les crédules pour mieux les subjuguer ou encore à créer la
scission entre les frères de sang et les alliés d'hier afin
de n'avoir plus à combattre que des groupuscules, donc des
unités moins puissantes. Comme on peut s'en apercevoir, l'au-
teur ne nous présente pas Aguibou comme un "collaborateur"
au sens que Sartre donne au terme. Il se contente de signaler
qu'après la prise de Diagaramba (entendez Bandiagara) en
1893, le roi Bouagui (entendez Aguibou) s'installa dans le
;~
palais à l'intérieur du tata, tandis que les troupes françai-
ses allaient occuper le quartier de Hintsi qui devint plus
tard la résidence française"
(2).
Sans prendre entièrement sa défense, le romancier
va jusqu'à dire que
(I)L'Et~ange de4tin de Wang~~n, page 27
(2) Ibidem page· 30

160
.1.
"Le roi Douagui étai.t un fin politique. Il savait
largement recevoir les étrangers et rendre leur sé-
jour agréable, tant qu'ils nE se mettaient pas en
travers de sa route"
(1).
Cette habile diplomatie que l'auteur n'assimile nul~
~
lament à une compromission, aurait même valu
quelque réputa--
tion au roi :
"Dans la ville même de Diagaramba, les casqués (al-
lusion
lusion aux auxiliaires du régime colonial) étaient
considérés et même respectés, mais la grande ombre
du roi
du roi Bouagui p1ânait encore. Elle empêchait les
casqués de se livrer â des excès. qui, ailleurs,
étaient devenus monnaie courante pour eux" (2) ••.
L'histoire de Samory et de l~empire du Ouassoulou
quant à elle, s'apparente à celle dos empires toucouleur et
du K6nédougou. Peut être même que la réputation de l'Almamy
dépasse celle d'El Hadji Omar et de Dabemba. Il est en effet
celui qui donna le plus de fil à retordre aux Français. A son
palmarès il compte jusqu'à dix huit années de lutte farouche
contre la pénétration française au Soudan. Amadou Hampaté Bl\\
évoque cette figure grandiose de la résistance mais dans des
circonstances particulières que nous aborderons plus loin.
(1)
L'Et~a~ge de&tin de Wang~in, page 31
(2) Ibidem page 28
.1.

161
.1.
Détails historico-géographiques et ethnologiques sur le Mali
Le thème de l'exaltation des valeurs de civilisation
négro-africaine est souvent complété par des descriptions de
pays et des hommes qui y vivent. Ces détails historico-géogra-
phiques sont nettement plus apparents dans L'Etrange destin
de Wangrin et surtout dans Le Rescapé de L'Ethylo~. Leurs au-
teurs nous parlent: "de l'empire d'El Hadji Omar (à travers
la description de Bandiagara)
; de celui de Samori (à travers
la description de Bougouni au coeur du Ouassoulou)
de celui
du Kénédougou (à travers la description de Sikasso)
etc.
Ils évoquent aussi d'autres peuples et d'autres ré-
gions tels que les Dogons, les Peulhs, les Malinkés (de l'em-
pire du Mali) et les villes de Bamako, Ségou-Markala, Mopti
etc.
Outre l'apport personnel de Gologo à la lutte anti-
alcoolique, Le Rescapé de l'Ethylos fourmille de mille détails
1
qui permettent au lecteur d'avoir de certaines régions et de
certains peuples du Mn y, des connaissances précises et utiles.
i
C'est ainsi que dès le début du roman, l'auteur nous
donne une transcription de la légende sur la création de la
ville de Koulikoro, récit qulil affirme avoir recueilli direc-
tement de la bouche de ceux qui détiennent la clé de la mytho-
logie dans la zone sahélo-soudanaise, à savoir les griots tra-
ditionalistes.
"Diarra est le nom dont se glorifie mon village. Il
lui vient de son fondateur •.•
Bref, un lointain ancêtre de ces "Diarra" passait
pour un chasseur émérite, un des plus fameux de son
êpoque. Je tiens cette affirmation de la plupart
des griots de mon pays qui chantent ses louanges
.1.

162
.1.
pendant les nuits fraîches et humides de l'ann6e~
lorsque toute la famille sc réunit autour d'un grand
feu de bois alimenté par une marmaille au ventre en
besace, cepenàant qu'alentour, les grenouilles of-
frent une audition gratuite de leur concert noctur-
ne (l).
La légende a donné le nom de "Sikité-masson" Diarra
â cet aIeul.
Il était doué d'une grande bonté de coeur et
d'une bravoure exceptionnelle qui vont concourir à faire de
lui un chef écouté et respecté à la suite de l'aventure que
voici.
Auparavant, Sikité-masson vivait dans une communauté
villageoise qu'il quitta un jour comme à son ordinaire, pour
battre le bois à la recherche d'un gibier devenu rare et de
surcrolt rus6.
C'était en effet un chasseur émérite aimait-on dire
de lui, tout comme on reconnalt que le destin qui guide les
hommes est aussi capricieux qu'insondable. Ce jour-là ne
devait pas ressembler aux autres. Sikité-masson a-t-il été
victime d'un mauvais sort jeté sur lui par des jaloux et des
envieux du village ? ou bien a-t-il été abandonné par "Pri-
pako ll le dieu de la chasse ? Les imaginations se perdent ici
en conjecturas tandis que le conteur poursuit son récit. L'a-
venture dit-il,faillit coûter la vie au chasseur téméraire.
Un coup malencontreux partit de "Kolobakari ll son fidèle fusil
et compagnon de toujours, alors qu'il ne faisait qu'en cares-
ser la crosse
la balle lui fracassa la cuisse et il s'éva-
nouit. Revenu à lui seulement au bout du troisième jour, il
pansa sa blessure et mena à travers la brousse une existence
1
solitaire qui devait durer trois ans.
f
(1). Le Re~capl de l'Ethylo~, op. cit., pages 10 et Il
f1
.1.

J
163
./ .
1
1
Aucour~qe ce laps de temps, il choisit de construi-
J
re une paillotte et de se fixer dans un site qui l'avait s§~
duit par sa végétation luxuriante et sa situation stratégiqu~
"En face, l'horizon était fermé sur trois côtés par
une succession de pentes semi-abruptes, et seulement
derri~re elles murmurait la rivière. Sikité-masson
fut saisi d'émerveillement devant la beauté sauvage
de ce site qui lui sembla soudain répondre comme à
un de ses voeux intérieurs, un de ceux que tout hom-
me sage évite de communiquer, même à ses amis.
Il se mit à r~ver debout :
"Quel asile sûr ! Quiconque se cacherait là serait
difficile à dénicher" (1).
Il vivait ainsi sa vie paisible de Robinson africain
lorsque, un beau jour, vinrent à passer trois voyageurs épui-
sés en quête d'abri: un couple que suivait leur fille Massitan
Sikité-masson, qui avait appris à vivrG en cénobite, leur of-
frit néanmoins l'hospitalité afin de mettre fin à leur vie
d'errance. Il céda d'abord à ses hôtes une partie de son fru-
gal repas et lorsque ces derniers lui contèrent leur triste
odyssée, il se prit de pitié pour eux et leur proposa de par-
tager son modeste logis.
Il Y eut bientôt deux foyers lorsque Sikité-masson
épousa la belle Hassitan qui lui donna des enfants. La petite
communauté, qui s'enrichit de quelques cases à cette occasion.
consacra ses efforts 5 l'agriculture et à l'élevage qui pros-'
pèrèI!ent.
De chef de famille, Sikité-masson deviendra chef dû
village lorsque :
(1)
L~ R~~Qapé d~ t'Ethyto~1 op. Q~t., page 12
./ .

164
./'
"Quelques lustres plus tard." la fumée annonçant leur
village se vit de loin, ce qui ne tarda pas à attirer
dans leur direction d'autres hommes et femmes qui
les reconnurent pour les vrais chofs des lieux" (1) c
Si de nos jours, la raison de sécurité qui a motivé
le choix de Sikité-masson n'est plus de mise, on rend toujours
hommage au talent architectural du fondateur d~ Koulikoro.
Pour plusieurs raisons.
D'abord parce que le Niger (appelé ici Djoliba) qui
était auparavant "un vulgaire torrent aux manières arrogan-
'tes" (2), est vite apparu comme le poumon économique de la
région. Il alimente la ville en eau potable et fertilise ses
champs. De plus, il est navigable de Koulikoro à Anzongo (en
aval de Gao) sur près de 1400 kilomètres. C'est le point de
départ des bateaux qui sillonnent le Djoliba de juin à janvier
desservant cinq des sept régions que compte le Mali.
Il faut dire en second lieu que la ville n'est pas
uniquement un port fluvial. Le romancier ne dit-il pas qu'elle
est "assez proche de la capitale /Bamako/ dont elle est sépa-
rée par soixante kilomètres seulement/et qu~/le rail et la
route les unissent" ? (3). Koulikoro est en effet le terminus
du Dakar-Niger, le réseau ferroviaire reliant l'océan Atlan-
tique au fleuve Niger. Dans l'histoire de la construction
puis de l'exploitation de cette régie de chemin de fer, Kou-
likoro
a lié son sort, durant toute la période coloniale, à
celui de Bamako, Thiès et Dakar. Le nom des quatre villes évo-
que en effet, d'une part une longue étape de la lutte et de
la souffrance communes aux cheminots sénégalais et maliens ,
d'autre part, on y trouve inscrite une glorieuse page de la
naissance et du triomphe du syndicalisme dans cette région
(1)
Le Re~capé de i'Ethylo~, op. cit., page 29
(2) Ibidem page 12
(3) Ibidem page 9
./.
1

165
.1.
de l'ouest africain, au moment oü rares 6taümt les nôtres
qui savaient lire et écrire, donc défendre leurs droits face
au patronat blanc. Ousmane SEMBENE en a tiré le sujet de son
roman social Les Bouts-de-bois de Dieu (1).
Les habitants de Kou1ikoro ont enfin une dernière
raison d'être fiers de leur ville. Celle-ci conserve, telle
une archive vivante; une page de l'histoire du Mali, préci-
sément celle de Soundjata KeIta. Après la célèbre bataille de
Kirina en 1235, le futur empereur du Mali, voulant en finir
une fois pour toutes avec Soumagourou, le talonna dans sa
fuite jusque dans des grottes oü il disparue miraculeusement.
En effet les griots s'accordent à dire que le roi du Sosso
était un grand sorcier. Quant aux grottes, à en croire la
tradition, ce sont ces mêmes "pentes semi-abruptes" dont par~
lait Go10go plus haut et que le Kou1ikorois montre volontiers
au voyageur de passage ou au touriste avec une note nostalgique
dans la voix.
Sikasso, le troisième poste d'affectation de Go10go;
est reliée à Bamako par
le réseau routier le plus fréquenté
èu Soudan.
"C'est une vraie route inter coloniale. D'une part
elle s'ouvre sur la haute Guinée, de l'autr3, elle
débouch8 sur la Côte d'Ivoire, la Haute-Volta et le
Niger. De vrais courants commerciaux lui donnent une
importance primordiale, parce que justement ces cir-
cuits y convergent après leur traversée de l'A.O.F.
en partant du Golfe de Guin6e vers le Sahara, et du
Cap-Vert en direction des territoires situés plus
à l'est".
(2).
(1) Le~ Bout~-de-boi~ de Vieu, Paris
Le livre contemporain,
1960
(2) Le Re~capé de l'Ethylo~, op. cit., page 244
.1.

.E'
166
./ .
L'importance du trafic rout.ier ajoute l'aut.eur, s'ex-
plique par le fait que

"Ces deux cités sont de véritables plaques tournantes
'1
occupant ses deux pôles magnétiques : Bamako attire
le trafic venant du Sénégal et de la Guinée ; tandis
que Sikasso draine celui de la Côte d'Ivoire et-des
territoires limitrophes.
A Sikasso ville, la place la plus caractéristique
selon le romancier, est le tertre situé au centre ville, at-
tribut de Sikasso comme la tour Eiffel et la statue de la
Liberté le sont pour Paris et New-York. Comme la tour Eiffel:
ce monument du souvenir nous rappelle constamment tout ce que
l'homme être plein de génie est capable d'entreprendre avec
le courage et la bonne volonté. Comme la statue de la Liberté

enfin, ce tertre que surmonte aujourd'hui une tour: a symbolis0
la volonté orgueilleuse du Kéné dougou de ne jamais accepter
aucune sujétion, ou de préférer plutôt la mort à la honte. Ce
monument historique pourrait bien un jour figurer sur les ar-
moiries de la ville, quand Sikasso se décidera à en avoir.
Gologo raconte que sur ce tertre se trouvait le palais
des famas du Kénédougou dont l'histoire glorieuse auréole la
lutte sanglante de résistance des Noirs contre la pénétration
coloniale, en même temps qu'elle honore le Mali et l'Afrique
révolutionnaire.
Mais que reste-t-il de ce témoignage d'un passé célè-
bre ?
"Près du campement se dresse une espèce de tertre.
Sa hauteur varie entre vingt-cinq et trente mètres,
environ. Il est entouré de fromagers plant6s sur les
bords d'un ravin·épin€ux
qui fait lui-même le tour de
l'éminence. Ce tertre occupe parait-il, la place du
./ .
1

167
.1.
donjon au faite duquel les rois du Kénédougou avaient
coutume de placer des guetteurs. Il a donc servi,
jadis, de palais royal avec miradors •..
(1).
Nous avons déjà indiqué au chapitre précédent que
c'est du haut de ce tertre que Tiéba a présidé aux destinées
du peuple sénoufo et que son demi-frère et successeur Babcmba
y a livré une lutte héroIque aux Français avant de succomber.
Alors, les vainqueurs voulant se substituer aux rois d'hier;
y ont édifié un donjon.
"Actuellement c'est un escalier de pierres mal équar-
ries qui conduit au sommet de ce tertre symbolique,
malgré tout reste fier de son passé.
Empruntez ledit escalier. En zig-zaguant, vous débou-
chez sur une esplanade aux dimensions restreintes,
avec une surface octogonale au centre de laquelle
les vainqueurs "aux oreilles rouges" ont érigé un
genre de mausolée pourvu d'une toiture teinte en rou-
ge pourpre. Il parait que ce petit monument occupe
exactement la place du "diounfoutou" du roi Babem-
ba. ..
(2).
L'oeil du romancier y décèle des possibili tés touris~'
tiques certaines. Au rappel historique font place des descrip-
tions toutes romantiques
"Si un
jour vous avez l'occasion de visiter comme
moi les vestiges de l'ancien palais et que vous par-
veniez au sommet du tertre que je vous ai décrit, je
vous conseille de vous tenir droit et de vous hausser
sur la pointe des pieds. Ensuite, vous tournerez tout
douaement sur vous-même, jusqu'au sommet où vous
(1) Le Re~capé de i'Ethyio~, op. c~t., page 248
(2) Ibidem, page 249
.1.
1

le-
168
./.
aurez fait face à l'ouest.
Du haut de ce belv6dère, vous aurez de la peine à
embrasser du regarde toute l'étendue du panorama,
ce panorama caractéristique de là ville de Sikas-
so !
(1).
Votre regard comml:!nte Gologo, accrochera un sol ac-
cidenté comme à "l'occasion d'une colossale secousse sis~i­
que" (2). Mais les creux et les bosses s'unissent pour compo-
ser à l'ensemble du paysage un panorama enchanteur. En effet
pourquit le romancier, "l'aspect de la ville ressemble à celui
d'un immense jardin aux multiples allées verdoyantes, décou"
pant des massifs touffus et multicolores" (2 bis) •
Le climat de type guinéen (très pluvieux) explique
la présence d'arbres géants ot touffus ainsi que des palmiers
dont parle Gologo sans oublier la légendaire rivière Lotio
"00 coule toujours une eau paresseuse et limpide" (3). C'est
cette rivière qui a fait de Sikasso dans le temps, ~ne place
imprennble. La ville a tenu vaillamment devant tous les sièges
que les envahisseurs ont voulu lui imposer (Samory puis les
Français). Dans son périple à travers la région, le Lotio
ravitaille les ménagères de Sikasso, fertilise en même temps
champs et jardins potagers.
En contemplant également le panorama de la ville,
l'auteur se dit amusé par "le jeu de cache-cache auquel sem-
ble se livrer avec plaisir l'ensemble des constructions et
reliefs naturels de la capitale du Kénédougou (4).
Circonscrivant le tout, un tata aux dimensions monu-
mentales se dressait à plus de huit ~ètres de hauteur et sept
(1)
re~ Re6eap~~ de l'Ethylo6, op. e~t., page 252
(2)
Ibidem, page 253
(3)
Ibidem, page 253
(4)
Ibidem, page 254
./.

I69
.f.
mètres d'épaisseur. Sur "ce mur fortifié trois cavaliers cir-
culaient de front"
(1). Aujourd'hui, poursuit le romancier,
le tata, bien qU'8tant en ruine,
"trône sur la ville, comme jadis il contrôlait les
pulsations du vaste empire dont il a été le vivant
symbole, avant que les vainqueurs ne viennent le
disloquer" (2).
Le tata constitue l'âme soeur du tertre. A eux deux
ils résument toute l'histoire dû l'empire du Kénédougou et
représentent des valeurs touristiques certaines. Pour peu que
vous ayez la patience et l'amabilité de l'écouter, lorsqu'il
vous guidera dans votre visite de la ville votre interlocu-
teur sikassois vous retracera l'épopée des rois et généralis-
simesdes armées du Kénédougou avec la sensation de celui
qui rend hommage à ses anc~tres.
Gologo a noté aussi que la musique traditionnelle
type de Sikasso est le balafon :
"Laville de Sikasso ne vit qu'au coucher du soleil,
c'est alors que les plaintes aigrelettes des "bala-
fons" l'animent jusque très tard dans la nuit, ne
cessant que lorsque l'administration coloniale du
haut de sa tour d'ivoire, sonne le couvre-feu (3).
c'est par la musique qu'un peuple peut le mieux
extérioriser ses sentiments les plus intimes. Les notes, tan-
tOt mélodieuses, tantôt plaintives, traduisent fidèlement les
états d'âmes lorsque les coeurs veulent s'épancher: c'est-à
dire traduire leur joie ou leur ressentiment.
Pour Gologo, les Sikassois ont encore vivace dans leur
(1) Bakari ~~IAN : COtlnai~hdnce de ta Répubt~que du Mat~; op,
c~t., page 74
(2) Le Re~capé de t'Ethyto~, op.· c~t., page 254
(3) Ibidem, page 255
.f.

.1.
mémoire le souvenir amer de l~ défaite de leurs ancêtres
face aux Français, affliction qui sIest transformée en ran-
coeur, au moment où eux-mêmes subissent le même joug colon::' ..l.
Ce qui lui fait dire que :
"Tous ces instrumen"ts
(les balafons), pleurant dans
la nuit sombre, extériorisent progY-essivement les
déboires quotidiens, vestiges inoubliables des bri-
mades qui ont auréolé la dictature des chefs noirs
d'abord, ensuite celle plus perfide des chefs blancs.
Notes sourdes, discordantes, gémissantes, interpré=
tant aussi exactement que possible les contorsions
douloureuses des corps soumis aux lanières de cuir.
Notes aiguës dont les syncopes accidentelles signi-
fient le fléchissement d&finitif et inconditionnel
d'une musculature dGchiqueté8 par la douleur ..•
Le spectateur a l'impression de se trouver en face
du martyr qui tOI~e brusquement en poussant le der-
nier soupir"...
(l).
Le raisonnement du romancier devient discutable
lorsqu'il force un peu la note. I l écrit en effet:
"Jusqu'à présent 1 les citoyens du I~énédougou se mé-
fient du "Blanc" comme de la pe3te ;
jusqu'à présent
ils fuient tout nè9re qui a ?es allures de toubab.
Ils se craignent les uns l~ a.utre~ : souvenir des
périodes où les espions avaient les privilèges at-
tachés à leur métier. Ils ont peur de l'étranger en
d~pit des efforts que CA dernier entreprend pour se
les attacher •.•
les Sikassois, à force d'avoir été persécutés en
sont encore au stade des individus que la "nuit a
(1)
Le Re~eapé de t'Ethyio~, op. e~t., page 255
.1.

17][
./ .
surpris dans une région dangereuse", mais que le
lever du soleil étonne plus qu'il ne les satisfait.
Ils demeurent foncièrement soumis à la dictature
du "réflexe de la fuite" ne sachant plus que faire.
Si vous voulez contrôler de ces déclarations, rendez--
vous à Sikasso et fixez des yeux par exemple, un
brave citoyen "en vous lissant les moustaches"
vous m'en direz des nouvelles •••
(1).
(c'est nous qui soulignons) 0
Sikasso a souffert de la nuit coloniale qui y a lais-
sé des stigmates comme partout ailleurs dans les autres villes
du Mali. Ce qui peut expliquer l'attitude de ses habitants
face au Blanc. Cependant, ce raisonnement ne peut s'appliquer
~ leurs rapports entre eux et nvec les autres hnbitants du
pays.L'analyse de Gologo est d'autant plus insoutenable que
si un tel climat de suspicion rGgnait à Sikasso, elle serait
devenue à l'heure actuelle une ville morte ou en train de se
mourir. La population, au lieu d'augmenter aurait été en bais~
se constante car il n'y aurait pas fait bon vivre. Or, sur
le plan démogra~hique le romancier lui-même note que Sikasso
avait, à l'époque où il s'y trouvait q 20.000 habitants (2).
Tous ne sont sUrement pas des autochtonas. Si la population
expatriée augmente sans cesse, c'est sans doute parce que
l'étranger doit se sentir ici dans une atmosphère de chaleu-
reuse affection. N'a-t-il pas écrit plus haut que Sikasso
était "une véritable plaque tournante et un pôle d'attrac-
tion" ?
Dans Le Rescapé de 11 Ethylos. se trouve également es·-
quissé le tableau panoramique de certaines villes du Mali que
le romancier n'a fait que visiter: Bamako q ~1opti, Markala
ainsi que l'Office du Niger. Si Bamako est une ville histori-'
(1)
Le Re~capé de t'Ethyto~, op. cit.? page 256
(2) Ibidem, page 258
./ .

w,
172
./ .
que, tlopti a été édifiée sur les ruines de l'empire de Chei-
kou Ahmadou Bari'. Markala se trouve près de Ségou, la capita-
le de l'ancien royaume bambara.
~
Bamako la capitale du Mali, est battie dans l'espace
J
J
compris entre le fleuve Niger et une colline appelée Koulou-
!
ba.
(De nos jours, les quartiers s'étendent bien au delà de
1
ces deux limites naturelles). Et le pouls de la ville semble
J,
battre au rythme des caprices du fleuve aussi bien que des
l
1
décisions administratives prises du haut de Koulouba.
c'est sur cette colline en effet, que se trouvaient
le siège du gouvernement du territoire et la résidence des
administrateurs coloniaux. Ces bâtiments se sont transformés
depuis 1960 en locaux abritant la plupart des ministères de
la jeune république.
Gologo nous explique la raison qui a motivé le choix
insolite de cette altitude par les Français
"L'installation du Gouvernement sur la colline de
Koulouba date, paraît-il, de l'époque héroïque de la
fièvre jaune ! La médecine existait bien, mais les
hommes lui préférèrent la bonne sagesse qui consiste
à se mettre là où le vol des moustiques ne permet
pas à ces hideux insectes de parvenir" (1).
Sur le sommet de cette colline, mais à plus d'un kilo~
mètre de distance, le Point "G" semble avoir été construit
pour les mêmes raisons. "Vous verrez les pointes des collines
de Koulouba et du Point "G". Elles surplombent curieusement
l'ensemble des bâtiments (2). Autrefois centre médical régio-
nal, le Point "G" est aujourd'hui le plus grand hôpital du
Mali. Il s'est doté depuis peu, d'un centre hospitalier univer~
(1) Le Re~eapé de i'Ethyto~, op. eit., page 242
(2) Ibidem, page 243
./ .

./.
sitaire avec la création il y a quelques ann6es de l'Ecole
de Médecine et de Pharmacie.
A ll au tre bout de la ville, le fleuve que l'on tra-
versait en ces temps-'là grâce au concours d'un "bac Lqu!/ vous
transporte hardiment et vous dépose sur la rive droite" (1),
est ~ présent enjambé par un grand pont de près de deux kilo-
mètres.
Aprês cette rapide esquisse, le romancier une fois de
plus, sIest laissé captiver par la nature enchanteresse. Ins-
piré, il veut en faire profiter les âmes romantiques :
"Si durant votre séjour à Bamako vous avez l'occa-
sion de vous rendre à Koulouba, comme je l'ai fait,
vous pourrez dans ce cas établir une comparaison en-
tre les deux aspects de la capitale du Soudan : celui
que vous contemplerez après avoir traversé le fleu-
ve (2).
Et ll autetir présente à présent ces "pages illustrées
où sont rassemblées les autres vues de la capitale soudanai~
se" •
A partir du premier observatoire, on a de la ville
une vue plongeante avec pour couleurs dominantes le bleu et
le vert
fiA Koulouba donc, non seulement vous aurez pu remplir
vos poumons d'air frais, mais vous serez également
émerveillé en contemplant le panorama de la ville qui
s'étend à vos pieds comme une immense nappe bariolée.
Vous serez saisi par cette impression de fraîcheur
captivante qui enveloppe le paysage. Vous serez invi-
(1) Le Re~cap~ de t'Ethyto~, op. cit., page 242
(2) Ibidem, page 242
./ .

114
./.
té par le ruban bleu-vert du Niger, qui vu de haut,
ressemble à une cou18uvre géante et capr1C1euse,
cherchant à s'insinuer à travers les bois touffus
d'un verger aux dimensions colossales" (l}~).
Du fleuve par contre, le panorama qui se déroule sous
vos yeux en couches ~tagées, semble enveloppé d'une teinte
grise, ce gris caractéristique à toutes les cités du monde
des rues grouillantes se dégage une poussière fine qui se
mélange à la fumée des voitures et des usines.
"De cet observatoire, la cité vous apparaitra fondue
dans une gloire de grisaille : ciel gris saupoudré
de poussière grise; des quartiers gris s'étirent le
long des collines grises qui encerclent l'ensemble ..•
Sur leurs flancs avares en verdure, ont été derniè-
rement érigées de jolies maisonnettes blanches qui
donnent à l'ensemble vert-gris des parois rocheuses
la silhouette de gigantesque châteaux-forts à l'air
revêche et inexpugnable, semblant attendre l'occa-
sion de démontrer aux plus sceptiques qu'ils pour
raient bien se défendre et protéger tout le cOté nord
de la ville contre n'importe quelle invasion" (2).
Si du nord vous vous tournez vers l'est, alors le
tableau devient changeant : en toile de fond apparaissent les
bureaux et les pylones de l'Office de Radiodiffusion Nationale
du Mali
"Puis, si votre regard se porte progressivement vers
l'est, vous distinguerez la station territoriale de
radio dont les py10nes fusent droit vers le ciel,
reliés entre eux par un réseau inextricable de fi1so
1
(1)
Le Re~capé de i'Ethyio~, op. c~t"
page 242
(2) Ibidem, page 243
./.
~.

.
.,
,-,:
.
4.'
'
,. t'
.
.t ~
175
...~..;.,
-~·,I.
. ~-'
"
Ce fouillis de fils et de mâts subit parfois un trem-
blement presque imperceptible qui lui donne l'allure
d'une gigantesque araignée derrière sa toile (1).
l
Là-bas vers le sud, les derniers contre-forts du
Fouta Djalon se chargent de compléter le décor, un des plus
magnifiques qui soient au monde, selon l'estimation du roman-
cier :
"Ces cOteaux, aperçus de la rive droite, ressemblent
à une horde de mastodontes dévalant avec vélocité
vers l'abreuvoir scintillant quQest le Niger en cet
endroit" (2).
Bamako n'est pas seulement une capi tale poli tiç;:ue,
c'est aussi un centre comm~rcial d'envergure.
Nous avons déjà cité' plus ha-ut le témoignage de l'au·'
teur concernant le trafic routier intense qui mettait Bamako
en contact avec le Sénégal et la GuiBée. Il a fait également
allusion à l'express qu'il a pris de Dakar à Bamako au terme
de ses études de médecine. DG nos jours encore le train reste
à peu prês
(l'avion est très coûteux) l'unique moyen de trans··
port reliant Bamako à Kayes et à toute la première région éco-
nomique du r~li. Enfin le Djoliba, navigable durant les hautes
eaux de Kouroussa en Guinée jusqu'à Bamako, peut servir de
prolongement naturelle pour relier la capitale malienne au
chemin de fer qui descend jusqu'à Conakry et l'Océan Atlanti-
que.
En rejoignant Douentza son second poste, Gologo avait
transi té par Mopti, ce qui lJi a permis de d'êcrire cette vil--
le située au coeur du Macina. Harndalahi, la capitale de l'em-
pire Peulh n'est plus qu'un gros village à quelques kilomè-
(1) Le Re~capé de i'Ethyio~, op. c~t., page 243
(2) Ibidem, page 244
./ .


116
- :'.~'~
., ".'"
-1,/ •
'f
mètres de Mopti.
La capitale de la cinquième région économique du
.~.
~
Mali, ne fit pas bonne impression sur le romancier, pour des
raisons que ce dernier avoue ne pas pouvoir préciser. Pourtant
c'est l'épithète très flatteuse de "Venise des Tropiques"
qui sert à désigner cette ville, tant à cause de sa situation
géographique que de l'aspect particulièrement pittoresque de
ses maisons d'habitation.
Sur le plan topographique, Mopti se présente comme
une presqu'Ile:
"C'est une ville sinistrement gaie, particularité
urbaine bien difficile ~ homologuer. Elle est entou-
rée d'eau sur trois côtés, le quatrième la reliant
.
par un genre d'isthme artificiel aux plaines envi-
ronnantes qui sont d'un niveau supérieur à celui du
plan de la ville.

Mopti se vante donc d'une issue unique, qui luifsert
en même temps de porte d'entrée et de sortie (1).
Le charme particulier de Venise réside dans ses gon-
.
doles. L'auteur du Rescapé de l'Ethylos ne fait pas allusion
aux moyens de locomotion employés à Mopti. Un autre témoigna-
ge d'auteur la décrit comme étant une"Jolie ville située sur
la rive droite du Bani au confluent de cette rivière et du
Niger, bâtie entièrement sur trois îles entourées d'eau pen-
dant la crue et comprenant la ville administrative de Charlot~
ville la ville commerciale et des autochtones de Komoguel.
Ces Iles sont reliées entre :~les par des d~~ues. L'aggloméra-'
tion de Mopti est reliée à Sévaré (sur la route de Barnako-
Gao) par une digue de 12 JHlomètres"
(2) 0
(1) Le Re~capé de l'Ethylo!.>, op. ci;(.; page 200
(2) Bakari KAMIAN
Co nna.L~~ anc. e de la R~publl~ue du Mal~~ op,
cit.
page 62
'/ .
J

17i1
./ .
Malgr0 tout cela dit Gologo :
"J'eus la triste impression de me trouver comme em-
prisonné, et cela persista longtemps, même après que
je me fusse décidé à parcourir ses rues avares d'es-
pace. En plus j'eus la certitude que si l'on ne fai-
sait rien pour cette ville, dans un avenir très
proche, elle serait appelée infailliblement â dis-
parattrc dans cette fosse oü ses fondateurs, pour je
ne sais quelle raison stratégique, l'ont érigée sans
sourciller" (1).
Pourtant Mopti continue toujours à s'urbaniser et à
s'embellir. Centre commercial tr~s florissant, la ville passe
pour être la capitale malienne du poisson : poisson frais
pour les habitants et les environs ; poisson fumé et séché
pour l'extérieur. Mopti exporte en,effet le poisson, le riz,
le bétail et les couvertures en laine vers les autres régions
du Mali et vers le Sénégal, la Haute Volta, la Côte d'Ivoire
et le Ghana.
On ne saurait parler de Mopti sans évoquer Markala
et l'office du Ni~er, bien que situés dans la région de Ségou.
L'auteur les a visités aussi pour nous.
Sur la région des grands lacs et de l'immense nappe
d'eau, le romancier écrit:
"Dans ce pays nouveau que je parcourais, il n'exis-
tait point ce moutonnement verdoyant qui fait la grâ-
ce des régions occidentales 'jalonnant la progression
du Niger, et qui diminue à mesure que le fleuve
géant allonge ses tentacules dans la région des lacs.
Dans cette région des lacs, le Djoliba devient un
fantassin éreinté avide de repos. Il s'étale alors en
f
(1)
Le Re~capé de i'E~hyio~, op. c~~., page 200
./ .
1\\
1
1
1
1

rm
.1.
nappes hérissées d'îlots herbeux au fond desquels
il garde jalousement le secret de son périple dlun
millier de kilomètres environ" (1).
De Marka1a et de l'Office du Niger (le ?oste oü i l
fut affecté après sa guérison miraculeuse) Go10go se contente
de dire tout· simplement saDS cowmentùire que c'est un "vaste
état dans l'Etat ayant son siège à Ségou meme ...
(2).
KAMIAN nous dit que c'cst un "org~nisme considérable
créé par l'ingénieur BR1ine dans le but de remettre
en valeur par l'irrigation, de vastes terres gagnées
à l'aridité, exploitant ~ctuellement plus de 40.000
hectares, visant l'aménagement de 200.000 hectares
de riz et de coton ayant d€j2
réalisé le barrage de
Sansanding à Marka1a au temps des travaux forcés
(3) 0
Le romancier revient à présent pour nous décrire
Marka1a et le barrage de Sansanding.
Dans cette "vision avec", le lecteur n'aura de la
ville de Marka1a qu'un gros plan ~ le tableau qui se présente
au romancier quand il aperçoit la ville de loi :
"La dernière des surélévations qui agrémente ce par-
cours forme les assises de la ville de Markala.
Sitôt que vous en entarnez la montée, votre champ
visuel embrasse tout d'un coup le spectacle d'un
désordre paradoxalement harmonieux. Effectivement,
des villas blanches, jetées ça et là sur les flancs
de la petite colline vous apparai~sen~ soudain co~@e
1
d'immenses briques de marbre blanc, di.sposées sans
i1
ordre à travers un immense pré vert. Du milieu de cet
amas blanc s'élève une longue colonne grise terminée
1
(1)
Le Re~capé de l'E~hylo~, op. cit., page 202
1
(2)
Ibidem, poge 369
l
(3) Bakari KAMIAN : Connai~~anc~ de la République du Mali, op.
f
ci~. page 62.
.1.
1

11,9
.1.
par une coiffure ronde et disproportionnée. C'est
le château d'eau . . .
(1).
A Markala se trouvent les usines et les ateliers de
l'Office du Niger.
Il y a donc forcément un centre médical
pour les soins en cas d'accidents de travail dont :V'>"'..ivent être
victimes les travailleurs de l'Office. Le Directeur de l'usi~
ne fit appel alors à Gologo. :1 faut également signaler que
du temps du séjour du romancier déjà, Markala possédait un
collège moderne de jeunes filles,
transformé depuis en lycGe.
Derrière la ville se trouve le barrage de Sansan-
ding
"Lorsqu'on parvicmt au sornmüt de la surélévation,
le regard embrasse d'un coup tout ce qui se trouve
caché jusque-là : les cubes blancs deviennent des
maisons: le château-d'eau perd son profil fantasti-
que de ballon-sonde géant, et l'on se trouve immé-
diatement en face d'un des chefs-d'oeuvre du génie
technique français:
le barrage de Sansanding. En
amont, le fleuve se précipite sous les assises du
barrage, comme un combattant fur~eux se décidant
tout à coup à donner un ultlme assaut. En aval, une
eau tourbillonnante, tremblûnte de rage, révoltée
contre elle-m~me se tord, essaie des pri.ses mortel-
les, remonte à l'assaut dA celui qui vient de l'of-
fenser,
puis s'enfuit de guerre lasse, avec dans son
allure cette précipitation de la défaite dont cer-
tains se servent pour préparer une revanche
(2).
Le but de ce barrage est d'alimenter pendant la
période des basses eaux,
les bras morts du fleuve Niger, per~
mettant ainsi d'irriguer ies milliers d'hectares de terre
pour la culture du riz et du coton. Si le barrage est judi-
(1)
La R~~capé d~ t'Ethylo~1
op. ei~.,
page 376
(2)
Ibidem, page 377
.1.

-
180
.1.
cieusement exploité, le riz et le coton produits permettront
non seulement de ravitailler le Mali, mais de fournir des
tonnages importants pour l'exportùtion vers les pays limi-
trophes.
Si Gologo n'a fait qu'évoquer furtivement les monts
Manding, prolongement du Fouta Djalon (et visibles aussi bien
~ Bamako qu'à Koulikoro) il s'étend
plus longuement sur la
description des monts d'Bombori, que prolongent plus loin les
falaises de Bandiagara.
Les monts d'Hombori, qui sont une des parties les
plus accidentées du sol malien, ont retenu, à la suite des
géographes, l'attention du romancier. Mais, à la différence
des premiers qui s'étendent sur l'étude de la nature et de
la composition du terrain, spéculent sur l'altitude, exigent
des détails et des chiffres précis, le romancier, lui, dêcrit
la nature environnante vue à travers son tempérament.
La cIme des monts d'Hombori évoque dans son esprit
une "chevelure avare" tandis que la chaîne elle-même "ressem-
ble à une immense arôte de poisson fossilc v jetée obliquement
1··
sur la plaine constituant 'la boucle du Niger. Cette arête
1
se tord à partir du sud-ouest àe Douentza, jusqu'à environ
deux cent kilomètres vers le nord (suivant) inlassablement la
rive droite du fleuve ..• " Cl}.
Malgré la nudité végétale de la région due à l'aridi-
té du climat saharien, l'ensemble n'était pas dépourvu de
tout charme. En effet, Gologo a été vivement impressionné
par le contour des monts d'Hombori qui sont "tels des blocs
taillés au couteau".
Et dans une envo16e très lyrique, il poursuit :
"Quel spectacle saisissant ! Tous ceux qui ont eu
(1) Le Re6capŒ de l'Ethylo6, op~ cit., page 203
.1.

s
18I
./ .
l'occasion de voir de près ou de loin ces majestueu-
ses pentes roides n la teinte rouge-brun, se sont
probablement demandé s'ils ne s'étaient pas par
hasard égares à travers les dédales d'une ville con-
çue par des géants ... Paysage fantastique, d'un cal~
me et d'une austérité qui vous subjuguent, vous em-
poignent malgré vous, 3 tel point que vous vous croi-
riez en présence de ruines antédiluviennes. Ca et là
quelques colonnades fusent tout droit ou en se tor-
dant. On les prendrait de loin pour des donjons sur-
plombant des machicoulis, tellement leur base est
déchiquetée et ravinée. De temps à autre, une fumée
presque immatérielle s'élève au-dessus d'un de ces
dômes ou de ces pics. Elle se tient tranquille un
moment comme fig(e puis, s'0tale, pour se dissiper
soudain comme si elle eOt été soufflée par l'haleine
d'un colosse. Parfois, ce petit nuage gris-noir se fi-
xe tel un gigantesque chapeau sur une tête encore
plus gigantesque, penché à droite ou à gauche, au
gré de la tête qu'il coiffe. Je demeurai saisi,
devant ce phénomène inoui de grandeur certes, mais
de quelle grandeur austère! Je n'arrivai pas à mlex-
pliquer la présence d'une fumée sur ces roches si
effrayants qu'ils semblaient inhabités" (1).
L'auteur du Rescapé de l'Ethylos ne nous parle pas
seulement des régions qu'il
a traversées, mais aussi des
hommes qu'il a rencontrés sur son chemin. Ceux dont il a rete=
nu l'organisation sociale,. l'histoire ou le tempérament, sont
les Dogons, les Peulhs et les Sénoufos.
Cette page ethnologique s'ouvre sur l'étude d'un
peuple "taciturne" selon Gologo, peuple que l'on désigne génC-
ralement par Dogons et qu'il appelle tantôt les "Habés", tan~
f
(1)
L~ Re~capé de i'Ethyio~, op. c~t., page 202
if
\\r
1
1

182
.1.
tôt les "Kados". A ce propos, un autre auteur malien tient ~
nous apporter les précisions suivù.ntes : "Les Dogons ou Hainbé
(Kaddo au singulier) constituent le peuple type, qui, au
Mali, a le mieux conservé son originalité, son homogénéité,
ses moeurs et coutumes particulières et ses croyances sécu-
laires" (l).
L'espace géographique occupé par les Dogons du Mali:
est très bien circonscrit. Située selon le romancier au nord-
est du pays, cette "enclave territoriale est limitée ft l'est
par la Haute-Volta,
••. au nord-est par le territoire du
Niger et au nord par la boucle du Djoliba. Au sud-ouest, les
plaines du Maci.na la prolongent (2).
Expliquant leur mode de vie particulier, étrange
même pour l'observateur non averti qu'il était, Gologo écrit:
"Les IiKadosll bâtissent toujours leurs villages au
sommet des collines et le choix de l'emplacement est
toujours minutieux, et pour cause ! Vous pourrez
contourner plusieurs fois les assises de ces rochers.
mais vous ne trouverez jamais la moindre trace humai-
ne, ni le moindre sentier ! Ce gont architectural
frappe tout étranger, et l'on se demande bien pour
quelles raisons majeures des hommes éprouvent le
plaisir d'aller se nicher comme des condors améri-
cains, sans relation avec l'extérieur ll (3).
Quant aux raisons sociologiques qui leur ont fait
opter pour cette existence montagnarde, elles sont dues selon
l'auteur, à une décision d'auto·-défense prise à la suite d'un
grave conflit qui a éclaté entre les Dogons et leurs voisins
turbulents, les Peulhs. Du reste ces deux ethnies ne sont pas
(1) Bokar NDIAYE : G~oupe~ Ethnique~ au Maii, op. cit., p. 244
(2)
Le Re~capé de i'Ethyio~, op. cit., page 204
(3)
Ibidem, page 204
.1.

--
-
-
-~~-._---
I83
.1.
les seules à s'affronter en Afrique ~
"En Afrique comme partout ailleurs, commente Gologo;
les questions de champs se transforment presque tou~
jours en question"d'honneur terrien",en question de
propriété héréditaire, de biens acquis depuis la
nuit des temps ••• " (1).
A propos de l'origine de ces conflits ~'6ternels,
inexorables et incoercibles entre groupes ethniques", l'au-
teur rapporte la version suivante obtenue auprès d'un passager
voyageant dans le même camion que lui ct qui est originaire
de la région.
Les Hambés et les Peulhs cohabitent "pacifiquement"
dans les plaines fertiles, les uns se livrant à une intense
activité agricole, les autres s'adonnant exclusivement à
l'élevage des bovins, ovins et caprins, deux activités socio~
professionnelles s'excluant presque l'une, l'autre. Et la
coexistence pacifique entre les deux peuples étaient devenue
aussi précaire que de vouloir mettre en présence la chèvre et
le chou.
"Les heurts étaient inévitak:.les. La période des mois-
sons
sons corncidant avec la fin de~ transhumances, cha-
que groupement prenait ses dispo~ttions pour le règle-
ment des conflits qui n'allaient par, tarder à Gcla-
ter" (2).
Le romancier explique alors les raison~ profondes
qui ont conduit à ce ·conflit :
"Les Peulhs conduisaient leurs troupeaux à travers
les champs de leurs voisins, sans se soucier. ~p moins
du monde des torts qu'ils commettaient. Les Kados
(1)
Le Re~eapé de t'Ethyto~J op. eit. p page 206
(2) Ibidem, page 206
.1·

184
.1.
les en avertissaient, mais vainement. Lassés de se
heurter à cette incompréhension délibérée ils prirent
l'habitude de se rendre justice. Des règlements de
compte sanglants opposèrent les deux tribus durant
des années. Il arriva tout de même un temps où ce
système s'avéra comme improductif et lassa les deux
camps.
Finalement, les Kadas jugèrent plus sûr et plus pra"
tique, en face de voisins éprouvant le même plaisir
à se battre qu'à chanter, de hisser leurs biens et
leurs personnes au sommet des collines environnantes.
Ils virent juste, on ne peut le nier, car dans aucun
pays, un berger n'a jamais éprouvé de plaisir pour
les ascensions et le séjour définitif en montagne" (1).
On comprend à présent pourquoi les Dogons, ces Tro-
glodytes des temps modernes mènent une existence essentielle'~
ment sédentaire, se livrant ~ l'agriculture et dans une moin-
dre proportion à l'élevage.
L'intention de l'auteur du Rescapé de l'Ethylos n'6~
tant pas de faire une étude sociologique poussée, il ne s'é-
tend pas sur les outils et les procédés de culture des champs
chez les Dogons. Il nous decrit des champs, ce qui peut frap~
per tout hôte de passage dans cette région.
"Mais dans tout cela, qu'advint-il des champs?
(après que les Dogons aient élu domicile dans les
flancs escarpés des monts d'Hombori) La réponse à
cette question est que les Rados surent justement
faire un choix judicieux des collines sur lesquelles
ils jetèrent leur dévolu. Ils optèrent pour celles
qui possèdent des pentes poudreuses et fertiles" (2).
~-1
(1) Le Re~eapé de i'Ethyto~, op. cit.~ page 207
1
(2) Ibidem, page 207
.1.
\\t
1
1

=-
I85
./.
De leur tempérament, l'auteur nous dit également peu
de choses sauf que "Le Harnbés sont laborieux, honnêtes, réser-
vés et aiment vivre paisiblement. Décha1nés, ils daviennent de
redoutables guerriers" (1).
Au Mali, les Dogons sont devenus les enfants chéris
des chercheurs de différents pays. Ils font également faire
des rentrées substantielles de devises étrangères à l'Office
du Tourisme.
Si l'on veut en savoir plus sur ce peuple si à l'hon-
neur au moment oil la politique internationale fait du "nouvel
ordre culturel mondial ll son mot d'ordre au moment aussi oil,
dans les pays en voie de développement, il est de plus en plus
question de revalorisation des patrimoines culturels, ou pour-
ra utilement consulter le livre de Bokar NDIAYE. Et pour de
plus amples détails sur les Dogons, ce dernier conseille lui
aussi de se mettre à l'écoute de voix qui ont fait autorité
en la matière :
"D'éminents ethnologues, notamment le lieutenant
Louis Desplagnes, Tauxier, le professeur Griaule et
G. Dieterlen, nous ont déjà fourni une documentation
très fouillée et fort captivante sur la métaphysique
d'une richesse naguère insoupçonnée de ce peuple si
difficile à pénétrer et dont la vieille civilisation
a pu rester relativement pure grâce au puissant site
défensif que constituent les falaises de grès primai-
res dans lesquelles sont construits des villages
acrobatiques, et qui, blottis sur les rocs verticaux,
sont d'imprenables forteresses"
(2).
Dans le roman de Gologo, ce sont les Peulhs qui par-
tagent la vedette avec le3 Dogons. L'auteur nous apprend quÇils
vivent, à l'opposé des Hambés, dans les plaines au pied des
(1)
Le Re~eapé de {'E~hyio~, op. e~~., page 204
(2) Bokar NDIAYE : G~oupe~ e~hn~que~ au Mai~, op. e~~., p. 244
./.

ca
186
./.
monts d'Hombori et des
falaises de Bandiagara. Mais Gologo
ne délimite pas la zone géographique dans laquelle évolue ce
peuple de race blanche.
Pour faciliter la transhumance, les Peulhs vivent
dans des tentes et des huttes en paille et leurs villages
naissent et disparaissent, le temps d'une halte pour faire
paltre leurs troupeaux.
"Essentiellement nomades, ils passent toute leur
existence à pousser devant eux leurs troupeaux de
chèvres, de moutons et de boeufs" (1) •
Aussi, la cohabitation des sédentaires avec les Peulhs
s'avère-t~elle difficile sinon impossible.
En effet:"Ce n'est pas à ces messieurs qu'il
faudra s'aviser
de parler de limite territoriale ; ils les ignorent
et ne chercheront jamais à les conna!tre. Leurs ani-
maux sillonnent les plaines du delta moyen, exacte-
ment comme ils les admettent à vaquer chez eux à
travers les cases. Personne ne doit chercher à leur
interdire l'accès de quoi que ce soit, sinon ces
"hommes bruns"'diront : "Mais il est fou, ce bonhom-
me ! Pourquoi cherche-t-il à cloisonner l'espace
que le Seigneur a crêé pour tout le monde ? Il faut
vraiment qu'il soit bien pr(;tentieux de vouloir divi-
ser ce que Dieu a laissé à la disposition de tout
le monde" (2).
Ce qui conduit l'auteur à parler de leur tempérament
"Or au Soudan, il est notoire que les Peulhs ont un
esprit belliqueux et outrageusement chevaleresque.
Le sentiment de l'honneur est tellement développé
(1) Le Re~cap~ de t'Ethylo~, op. cit.,
page
(2) Ibidem, page
./ .

l87
./.
chez cette race qu'il se confond avec de la folie"(l).
"Mais les paulhs étaient toujours là, poussant devant
eux leurs troupeaux (chez eux par une surnaturelle
conjonction bêtes et propriétaires ont la même at-
titude effrontée, provocante, depuis des siècles
de vie en commun). Ce sans-gêne collectif est juste-
ment la clé qui ouvre les conflits entre les groupes
ethniques; les Peulhs sont et demeureront des gens
obstinés, même quand ils ont tort ... " (2).
L'ethnie peulh est d'autant plus difficile à cerner
qu'il existe tout aussi bien des Peulhs au teint clair (race
blanche) qu'au teint três foncé (race noire) .
Les études qui se rapportent à leur origine sont aus-
si nombreuses que controversées. C'est sans doute la raison
pour laquelle l'auteur ne s'y est pas aventuré.
Par contre l'unanimité des chercheurs et des écri-
vains se .fait autour de leur culture et de leur civilisation
Ce peuple qui "éprouve le même plaisir à se battre qu'à chan-
ter ll comme le disait Gologo, a laissé à ce propos une litté-
rature abondante: il a très tôt embrassé l'Islam et a eu ses
lettrés en arabe.
(
On retient aussi des Peulhs que, du Fouta Toro
(au Sénégal) au mont de l'Adamaoua' (au Cameroun) sans oublier
le Macina (au Mali), ils ont essaimé dans la zone en bordure
du Sahel et fondé un peuple fort, organisé et craint des voi-
sins. Une partie de ce peuple s'est sédentarisée et a créé
des empires théocratiques puissants. Celui du Macina dont
l'âme fut Cheickou Ahmadou, a inspiré entre autres auteurs,
Amadou Hampaté BA dans son Empi.re Peulh du Macina (cité plus
haut) .
(1)
Le Re~cap~ de l'Ethyloa, op. cit., page 205
(2) Ibidem, page 207
./.

-
188
.1.
Le séjour de l'auteur du Rescapé de l'Ethylos dans le
Kénédougou lui a fourni l'occasion de voil:' de près le peuple
S6noufo et de lui consacrer par la suite quelques lignes.
"La population (du Kénédougou), note-t-il, est compo-
sée de Sénoufos", de "Dioulas~, etc.
(1).
Aucun mot de l'auteur cependant sur leur origine et
la délimitation géographique de leur territoire. Bokar NDIAYE
qui leur, a consacré beaucoup plus d'attention, reconnaît que
"par ailleurs, peu d'êtuàes ont été faites sur le peuple Sé-
noufo. Parmi les rares travaux auxquels il a donné lieu,
il y a lieu de citer l'~tude faite par Maurice DELAFOSSE sous
le titre de : Le peuple Siéna ou Sénoufo qui m'a été d'une
très grande utilité" (2).
Quand Gologo consent à nous faire une description
physique des habitants du Kénédougou, c'est pour dire que
certaines individus ont "des faces tatouées" ce qui n'est
pas spécifique à ce peuple.
Alors la question qui vient tout naturellement aux
lèvres est : qui sont donc les autochtones du Kénédougou ?
"Conune pour la plupart des autres groupes ethniques
du Mali, répond Bokar NDIAYE, "il n'existe aucune précision
sur les origines exactes des Sénoufos. Nous sommes donc obli-
gés de nous contenter de ce qu'en disent les traditions ora-
les" (3).
Quant à cette tradition orale, elle est faite souvent
de versions contradictoires; mais "Quoi qu'il en soit, le
moins qu'on puisse dire de cette légende, c'est qu'elle prou-
ve d'une façon générale, que les Sénoufos semblent avoir été
f
(1) Le Re~capé de i'E~hyto~, op. c~~., page 254
(2) aokar NDIAYE : G~oupeh e~hn~queh du Mai~, op. c~~., p. 276
1
(3) Ibidem, page 278
.1.

189
.1.
les premiers à occuper leur pays actuel g rien n'ayant jus-
qu'ici indiqué que leur territoire ait eu d'autres occupants
avant eux" (l).
L'auteur du Rescapé de l'Ethylos parle aussi de "Sénou-
fos et de Piaulas" qui composeraient en majorité la popula-
tion du Kénédougou. Si les premiers sont les natifs de la
région, les seconds sont donc les émigrants.
"L'infiltration mandingue chez les Sénoufos fut
tantôt pacifique, tantôt guerrière. En ce qui concerne les
conqu~tes que firent les Ouattara, les Konaté, les Touré qui
sont tous d'origine dioula, et d'autres groupes composés
d'éléments divers chez les Sénoufos, l'auteur laisse la paro-
le à Maurice DELAFOSSE:
"Tout autre fut le résultat des conquêtes politiques
des Ouattara de Kong ... des conquêtes guerrières des
Konaté de Boro •.• des Touré de Maribadiassa ..• et
de celles de bandes cosmopolites ; mais composées
surtout de Mandingues, qui, à la suite de Kiéba, de
Babemba, de Samory, désolèrent les provinces des
Danâna, des Siénérh~, des Tagba, des Folo, des Kadlé v
des Niéné, etc ... Ces conquêtes et cette immigration
amenèrent des modifications notables dans les moeurs
et la civilisation des tribus ainsi soumises à la loi
ou aU'centact'd~6 Mandinguès ... " (2).
Pour revenir au Rescapé de l'Ethylos, on constatera
que le lecteur n'est pas plus avancé 'lorsque le romancier
dit qu'ils (les habitants du Kénédougou) montrent "des signes
certains de résignation" et qu'ils ont "les yeux ternes" (3).
Ici, Gologo fait allusion à l'effondrement du rêve de puissan-
ce et de prospérité longtemps nourri par les habitants du
(1) Bokar NOlAYE : G~oupe~ ethnique~ du Mali, op. cit., p. 279
(2) Maurice DELAFOSSE cité par Bokar NOIAYE in G~oupe~ Ethni-
que~ au Mali, op. cit., p. 281
(3)
Le Re~cap~ de !'Ethyio~, op. cit., p. 254
.1.

I90
./ .
Kénédougou, réveillés brutalement cependant un matin du mois
de Mai 1898 par les coups de canon des Français. Impuissants,
ils virent s'écrouler et leur tata et 'tant d'années d'efforts
pour édifier un empire modèle.
Donc, les détails les plus fournis dans Le Rescapé
de l'Ethylos, touchent â l'étude de géographie urbaine de la
ville de Sikasso et à l'histoire de la fin dramatique de
l'empire du Kénédougou.
Dans .L'Etrange destin de Wangrin, nous avons égale-
ment retenu des détails historico-géographiques qui
apportent
quelques lumières à notre connaissance de certaines régions et
certains peuples de l'ancien Soudan français.
La première de ces régions est celle de Noubigou,
que nous identifions à Bougouni, chef-lieu de cercle dépen-
dant de Sikasso, la troisième région économique du Mali actuel.
L'auteur en effet nous fournit quelques détails qui
1
nous ont permis de faire des rapprochements. Il décrits "les
i
lits des cours d'eau qui sont devenus les rivières et les
fleuves d'aujourd'hui, qui prennent leur source en Guinée et
COte d'Ivoire" (1).
1
t
!
1
Un coup d'oeil sur la carte géographique du Mali
,f
nous permet d'avancer avec une faible marge d'erreur, que
!
seule la région de Sikasso partage ses frontières conjointe-
ment avec la Guinée et la Côte d'Ivoire. Parlant des frontiè-
1
~
res du Mali, "toutes artificielles et issues du découpage
!
colonial" p Bakari KAMIAN écrit:

i,
Au Sud-Ouest, les Malinkés de la Haute Guinée
î
et ceux de la République du Mali ont fondé du XIIe
au XVIe siècle, l'empire du Mali .•• Après la mort de
1
(1) Dakari KAMIAN
Co~~a~~~a~e~ d~ la R~publ~qu~ du Mai~,
op. e~t., page 8
./.
\\,

k
:K91
.1.
Babemba suivie de la chute de Sikasso et de l'annexioD
du royaume du Kénédougou, le Gouvernement français
procéda au remaniement des colonies du groupe de
l'A.O.F. au détriment du Soudan qui cédait:
A la Guinée: les territoires à l'est du Fouta Djallon
consti tués par les cercles de Dinguiraye., Siguiri, ~
Kouroussa et Kankan.
A la COte d'Ivoire les vastes territoires (consti-
tués) au Nord par Bouaké, Séguela, Beyla, Kissidou-
gou, Odienné, Korhogo, agrandissant cette colonie de
moitié
(aujourd'hui Beyla et Kissidougou sont reve-
nus à la Guinée)
(1).
Ajoutons enfin, que le cercle de Bougouni est le
mieux arrosé de la région puisqu'il reçoit de la Guinée ~
le Sankarani, le Tinkisso et le Ouassouloubalé. De la Côte
d'Ivoire lui parviennent le Banifing, la Dagoué et le Baoulé.
Tous ces cour~ d'eau sont des affluents du Niger.
A côté de ces données hydrographiques, l'auteur nous
fournit des détails mythologiques sur la création du village
de Noubigou-Bougouni, dans un style plein d'humour
"Un pays où les pluies et les vents, au service des
dieux, croquèrent de leurs dents invisibles et inu~"
sables les murailles des montagnes, créant, pour les
besoins de la cause, un relief plat en même temps
que monotone" ( 2) •
L'auteur s'efface ensuite pour céder la parole à
Fodan Seni, griot traditionalistes auprès duquel il prétend
avoir recueilli ces propos sur les circonstances ayant pré-
sidé à la naissance de Noubigou-Bougouni ~
(1) Bakari KAMIAN : Connai~~ance·de.ta Répubtique du Mati,
op. cit:.., page 8
...
(2) L'Et:.4ange de~tin de Wang~in, op. cit:.., page Il
.1.

192
.1.
"SanU
le dieu roide l'or, construisit dans la
1
pla±ne une ;petite hutte appelée "Noubigou". C'est
dans cette fiuttequèiNganiba, la grande sorcière,
venait,une"fois par an rencdntrer Ninkinanka, l ' im-
mense python du Manqé,qui m~~urait sept cent trente
,
.
' . : '
, couq~es ,pe lopgueur et pesait au~ant que la"p1J:arge
dé quinze baudet's bien n6utris'~, (1) •
"
.J,
Ce pytnon ,serait .i\\ l,'origine de l '~xcavat.ion'des
.
' \\. .~.
.}""
cours d'eau qui sont
actuellement les, affluents du' Nigèr.
: :
"
. '
,.
',- '
' · · 1
, . !
..Quant à la hutte du dieli S'àrtu, elle sera,! t gardée
, . "
.. t'
parTeni.nr~ouroùmq, un passereau surnaturel> Yoor,ayo ,'lui ,.
étai t uDidieuqui,partageaiit maritalement la hutte de Nganiba;
la sor'-e~ê,re.
A ceS; personnages mythologiques s'â.j,outerait,-un~
,
;
...
"
foule q':e~prits gardic'nspour composer les premiers habi tarifs·
dès-"lieux ..
Revenant aux temps actuels, l'auteur fourriit force
déta1rlssur la vie paysanne des habitants de Noubigou-Bou-
~6rin1 : elle nediff~re en rien de l'activit~ saisonnière
a.'au1;I.::~s tég'i:ons du [Mali. Sauf que l'animisme est la religion
dominante/pOur la raison bien évidente' que nous avons êvoquée
plus haut.
,
,
Les principales divinités, sont ~ Komo, dieu ~es forge--
rons et le plus.grand d ll Mandé. Suivent deorescendQ., N'Torno-
Ntori (dieu des adolescents), Thiebleninet N'Tomo (dieux des
incirco~is). Il faut ajouter à la, liste Gongolorna-Sooké,
dieu des'· contraires et dE)s' contrastes, hérité de' la mytholo-

. '
'
;.,
j
,
gie bamba:ra, mais' auquel des"hab~tants de NoubigoU-Dougouni
cqntinuen.t, encore à vouer un cul te."
. i !
1
(1)
L'Etlla:tl.;9e. de.-6t.in de W.a.ngll.in, op."·ci:t.,.page 12
.1.
,

... ..
.'J
"
I93
.1.
-.l

Concerna~ l'h~stoire, l'auteur note que la région
de Noubigou-Bougouni a 'ourni du temps de la colonisation,
le plus gros contingent de tirailleurs à l'armée française et
que par conséquent, elle compte aujourd'hui, le plus grand
nombre d'anciens combattants. C'est parmi eux que se recru-
taient les gar~-otrcles.
..
~
Mais le plus inat~endu des informations, c'est celle
que Harnpaté BA nous livre de la vie d'un chef militaire! con-
y '
quêrant lui-même, qui pourtant à constitué un obstacle de
taille à la conquête française. Puisqu'il s'agit de la région
1
de Noubigou-Dougouni, qu'on désigne communément au Mali par
Ouassoulou, nous avons i~~ le personnage ~l'empereur
i
du Ouassoulou.
"Son pays fut le triste théâtre des longues guerres
f
du conquérant Yorsam, qui luttait contre les habi-
tants de Noubigou pour se tailler un empire, tandis
que d'un autre côté il guerroyait contre les Fran-
çais pour conserver les domaines conquis.
Les atrocités inutiles commises par Yorsam poussè-
rent les gens de Noubigou à ouvrir les bras aux
,
conquérants français. Beaucoup de jeunes gens s'enga-
gèrent dans les corps militaires constitués ~our les
indigènes. C'était l'armée des tirailleurs sénégalais.
La population avait jur6 "d'avoir" Yorsam et de le
livrer aux Blancs. Elle ne devait y parvenir qu'après
plus de quinze ans de guerre ••• " (1).
Samory vu par les historiens africains modernes et
tel qu'il est enseigné dans nos éc~es, se présente comme un
farouche natiànaliste, ennemi juré de l'impérialisme euro-
péen. Il aurait été le défenseur inconditionnel du sol afri~
cain, le protecteur de ses hommes et de leurs biens._ Autorité
q
- .
./.

.~,
Il
~:,.
;t'.,
.'
I94
./.
"
temporelle et spirituelle, il voulait combattre les exactions
et autres atrocités commises par les troupes françaises d'oc~
cupation.
Cependant selon Hampaté DA, les populations africai-'
'"
,
nes ne sont pas toutes venues se mettre sous l'aile protec-
trice de Samory. Dien au contraire :
"Il (Romo, l'interprète) avait fait pùrtie de ces
jeunes qui avaient juré de faire payer au conquérant
Yorsam les atrocités sans nom qu'il avait commises
dans la région de Noubigou. Rescapés de la première
tourmente, ils avaient fait serment de ne prendre
',1
:,
ni repos, ni répit tant que Yorsam demeurerait vi'-
"
vant ou en liberté ..... (1).
Hampaté DA ne rejoint pourtant pas la ve~3ion colo-
niale qui a dépeint S~mory EOt~r; les tr::its cl 'nn lI:cc i s::mgui-'
naire". La plupart des écrits officiels français de l'époque
se sont acharnés contre l'empereur du Ou~ssoulou. Ces récits
sentent à notre avis un arrière-goût de rancoeur contre celui
qui leur a tenu tête durant près de dix huit ans.
Le grand traditionaliste malien se veut, l~~ objec-
'.
tif. Il pense, avec les auteurs du manifer;te' de la "Negro-
l '
Renaissance", Langston Hughes, Claude Mac Kat, Countee Cul·-
len, Sterling Brown, Jean Toomer, que: "Nous, créateurs de
la nouvelle génération nègre, nous voulons exprimer notre
personnalité noire sans hont~ ni crainte ••• Nous savons que
nous sommes beaux. Et laids aussi" (2).
4'
Ces lignes sont à ce jour;' le seul témoignage d' au'=
teur africain li notre connaissance, qui ne vante pas l'empe-
reur du Ouassoulou. L'auteur décrit objectivement ce qu'il a
(1)
L'EtJtange de.6tin de wa.,,'t.f".:' op. c.it., page 118
(2) Manifeste de la "Negro';"R~n~issance" cité par L. KESTELOOT
in Anthologie n~gJto-a6Jtltaine, Bruxelles
Presses de Gé-
6
rard et C
1967, page ~}.
::.il

<.
1
I95
.1.
entendu de la bouche de témoins. Il regrette plutôt les atro-
cités commises par Samory et pour peu que l'on veuille écouter
parler les ressortissants de Bougouni ou s'attarder à regarder
quelques sites de la région, on parviendra aux mêmes conclu~
sions que le romancier.
Après Noubigou, lGitinéraire du héros du roman nous
conduit à Diagaramba qui ressemble fort à Bandiagara, la
derni~re rêsidence des empereurs de l'état édifié par El
Hadj Omar.
L'auteur évoque "une immense muraille de protection
appelêe "tata" (1) et dont les ruines sont encore visibles
aujourd'hui ~ Bandiagara.
Comme Bandiagara, Diagararnba est située dans la boucle
du Niger et arrosée par une "rivière caractérisée par une
grande poche d'eau appelée I\\'laldo, "celle qui gronde" et
désignée plus tard sous le nom àe "Hare aux caïmans sacrés" (2) 0
Comme son alter ego, Dandiagara a entre autres lieux
touristiques cette rivière Maayé et les places publiques
Eldika et Telerké, situées en plein quartier populeux et qui
..
sont éternellement grouillantes de monde.
D'Eldika "la petite pierre", l'auteur dit qu'elle se
trouvait à proximité du marché réservé aux vendeurs de colao
Il ajoute que :
"La place était devenue si célèbre que des poètes la
chantèrent. Combien d'étrangers ne venaient-ils pas
de três loin à Diagararnba dans l'unique but de pou-
".'.
voir en rentrant chez eux, dire en se vantant: "j'ai
mâché tant de noix de cola à Eldika, de Diaga-
ramba 1" (3).
(1)
-
(2)
L'E-iJta.nge. de..6;ttn'de.<'~a.ngJt-in,
op. c-i.t., page 30
(3) Ibidem, page 26
.1.
'.
III

I96
./ .
Quant à Telerké, la deuxième place publique, c'était
"une place beaucoup plus étendue où jeunes gans et
jeunes filles se réunissaient, lors des grands
clairs de lune, pour se divertir, chanter, danser et
causer ensemble.
Mais Telerké était également une arène où se rencon-
traient des lutteurs et ra scène où grands conteurs
et éminents guitaristes s'exhibaient entourés d'une
foule d'admirateurs (1).
,
Diagaramba-Bandiagara est donc un haut lieu culturel;
"
artistique et sportif. Plaque tournante, la ville a joué un
rôle très important dans l'histoire de la région. Celle que
l'auteur appelle la "capitale du Namaci" porte la trace viva-
ce de l'implantation de l'Islam, contrairement ~ Noubigou-Bou~
gouni. Ses mosquées ne sont pas sans rappeler, celles plus
célèbres de Djenné et Tombouctou. La ville est' donc un grand
..


centre religieux aussi. Diagaramba-Dandiagara est accrochée
J.
"
au flanc de la falaise qui porte son nom. C'est sur ces hau-
~. ",'
teurs que sont battis les pittoresques villages des Dogons
qui fuyaient alors les Peulhs conquérants. Les Dogons sont un
peuple pacifique ~ la culture millénaire, désormais connue
grâce aux travaux de célèhres ethnologues européens.
Quant aux Peulhs, Hampaté BA a retracé dans son ouvra-
ge L'empire peulh du Macina, la naissance, le rayonnement puis
le déclin de leur empire théocratique, sous la banière de
Cheikhou Ahmadou. Celui-ci sut rassembler les Peulhs noma-
disants et arracher pied ~ pied une vaste portion de territoi-
re de la boucle du Niger aux royaumes bambaras paIens environ-
nants. Il porta haut l'étendard de la foi et la religion
mohamétane allait être désormais la plus importante de la
région.
. -",
(1)
~hima Mamado~NE : Vllam~ Vé.9~llé, !!.P< c!It.
. . pagtf 84
./.

-,;
'..
:~
." -, '\\1.,... ' ~':.i'
./.
On ne saurait parler de Bandiagara sans lui associer
. aussi le nom d'El Hadj Omar, le conquérant toucouleur dont
l'auteur évoque le souvenir dans le chapitre intitulé "Dia-
garamba" •
Drainant une foule de Toucouleurs fanatisés depuis le
Fouta Torro, le khalife général des Tidianes (bien que prêchant
l
1·-
lui aussi la croyance en un Dieu unique, Allah) balaya l'em-
pire peulh du Macina sur son passage :
"Après quarante cinq 'ans d' existance, écrit Ibr.:ihima
Mamadou OUANE, le royaume peulh musulman du Macina
était envahi et occupé par un autre peuple musulman
de langue et de moeurs peulhes : les Toucouleurs ou
Foutanké (qui ont pour chef un saint et grand lettré
en arabe : El Hadj Omar) celui-ci rentrait dans Hame-
dallahi après une lutte terrible, dont la bataille
de Tiaéwal illustrait l'Evènement" (1).
; \\
~t·
Concernant leur règne, il faut dire que les Toucou-
leurs furent moins fortunés que les Peulhs : aux yeux des
autres peuples du Soudan qu'ils avaient dominés par la force
des armes, ils passèrent toujours pour des conquérants, donc
des étrangers. Les Bambaras, réfractaires à l'Islam, se sou-
lèveront contrè E1HâBj:t~ ctèSqué!li 'ôëtiaslonse présentera: il s'agira
de l' ébranJ.eIOO.nt de):.:' ~~e. toucouleur dll ;~. coups répétés que lui portera
l'armée française d'occupation.
"Le Macina s'était soulevé contre El Hadj Omar (écrit
1,
encore Ibrahima Mamadou OUANE) et Hamedallahi, la ca-
i
r
pitale, était aussitôt bloquée, ceci durant huit
l
mauvais mois. On avait souffert de toutes sortes de
privations. Il fallait donc à Tidiani Ahmadou ( S i C ) "
de sortir du blocus pour aller trouver dans ce Plateau '
central nigérien des partisan pour débloquer son
oncle et ses hommes" (2).
1
l
(1) Ibrahima Mamadou OUANE
Vham[ d[ Végu[mbé~é, op. cit.,
page 84
(2) Ibidem, page 93
./.

-..
.~
..,..-.-~-....-~, ---_ ..... -...,
198
./.
En effet, la conjoncture militaire avait contraint
.'..
El Hadj Omar a abandonner Nioro sa première capitale. Par
étapes successives, il arrivera à Bandiagara. Là, cerné de
toutes parts par les hordes déchaînées de ses anciens sujets,
il se réfugia dans une grotte de la ville. Ibrahima Mamadou
OUANE a évoqué cette tragique fLl d'empire dans son Drame
<'t:,~
de Déguernbéré (1).
>.
.~.
Pour certains chroniqueurs, les poursuivants d'El
Hadj Omar ne parvenant pas à le déloger de la grotte, mitent
le feu tout alentour et le chef toucouleur dQ périr dans les
flammes.
D'autres soutiennent au contraire que sa foi ardente
et sans doute sa piété lui permirent tout simplement de dis-
parattre brusquement de la vue de ses ennemis. Mystère divin
,,- ~
..
~
'
"
-,
Les successeurs d'El Hadj Omar, tels que Tidiani et
1
Aguibou (Bouagui dans ce roman) 1 affaiblis par des querelles
f
'~.
i
intestines, ne surent pas mainteni.r
,,1
1"1
l~hégémonie et l'empire
se désintégra. Hampaté BA fait ici allusion à ce même Bouagui-
,-
Aguibou qui, réduit au ~ang de simple chef de canton, ne put
résister longtemps aux troupes françaises de conquête. Contraint
de se soumettre, il fut confiné dans le rôle de vassal de la
France. Al' époque justement où W.:lngrin arriva à Diagararnba-
Bandiagara, il y trouva un Aguibou déchu quoique respecté par
la population, et qui n'était plus quiun pion entre les mains
de l'administration coloniale .
Nous allons clore ce chapitre qui est une exaltation

du passé négro-africain par dresser le bilan de la conquête
1
coloniale. Selon CESAIRE il Y eut des "sociétés vidées d'elles-
l,
mêmes, de,,$c cul tures piétinéos, des institutions minées, des
,.,~,
j
terres confisquées, des religions assassinées, des magnifis-
l
(1)
Ibrahima Mamadou OUANE
V~ame de Vé9uembé~é, op. cit.,
1
page 93
./.
1

199
.1 .

cences artistiques anéanties, d'extraordinaires possibilités
supprimées" (1).
Que les peuples ayant reçu les Européens aient bien
accueilli les étrangers ou qu'ils aient deviné à temps leurs
intentions et tenté de s'opposer à leurs desseins, la constan-
te de la politique coloniale demeurera toujours la même.
'~
•"Ceux qui avaient combattu et ceux qui s'étaient
r~n~us, ceux qui avaient composé et ceux qui s'étaient obstinés
se retrouvèrent le jour venu, recensés, répartis, classés,
étiquetés, conscrits, administrés" (2). Alors allait commencer
",'
,
'la seconde phase de la conquête coloniale, celle de l'adminis-
'~
"
'tration des pays conquis.
Cette phase, de l'avis de la plupart des romanciers,
sera aussi sombre que celle des opérations 'de ratissage des
nids de résistance à la pénétration européenne. Pour mieux ap-
' .. "
'. ;-
'.,
préhender la situation, nous allons étudier la société malien-
li-
1
ne à l'époque colonialef telle que la décrivent ses roman-
'.
ciers.
,
(1 ) Aimé CESAIRE
Vi~cou~~ ~u~ te coionidii~me, op. cit.,
page 22.
..
,,
.1.
, '1
-
.'

200
.1.
C)
LA SOCIETE A L'EPOQUE COLONIALE
La fin de la guerre de conquête et de la "pacifica-
tion" du Soudan, nous conduit à examiner la société â l'épo-
que coloniale.
"Je. d-i-6 que de ta c.oton-i.6a.t-ion à ta.
c.-iv-it-i-6 a.t-io
n, ta d-i-6.tanc.e e-6.t -in6-i-
.
"
.
t'l-<.e •••
(A-imé CESAIRE - V-i-6C.OU~-6 -6U~ te. c.oto-
t'l-<.ali-6me. -Pa~i-6 -
P~ê.6e.t'lc.e A6~-ic.a.-it'le. -
1955 - page 10)
,
, . . ;
Le but affiché de la colonisation était d'apPorter
""~_~ ...o:
aux peuples du continent noir, longtemps repliés sur eux-mê-
.'
mes, une part des avantages de tous ordres que l'Europe avait
tiré des découvertes scientifiques et techniques. Ce qui sup-
"
1
posait dès le départ un contact f~aternel entre Européens
et Africa~ns, un échange fructueux à partir de la compréhen-
sion mutuelle entre les peuples.
ft
Or, comme le dit CESAIRE, ce ne fut qu'une illusion.
Ainsi
~
la société malienne à l'époque coloniale se compo-
sait-elle de deux communautés distinctes et distantes: d'une
part, les vaincus (les martres d'hier) et 4e l'autre, les
'.
vainqueurs (les seigneurs du jour).
..,:'.
Elles cohabitaient dans la suspicion l'une de l'autre g
parfois dans une hostilité à peine voilée. Etait-ce parce que
les uns s'étaient révélés être des ingrats ou parce que les
autres n'avaient pas tenu leur promesse antérieure?
'~4
j.
Dans la réalité des faits, nous avons montré comment
le consyérant venu de la mer a pu, grâce à sa supériorité tech-
nique é~ militaire, s'imposer aux bâtisseurs des grands empi-
res et royaumes du Soudan.
,.$J
Dès lors, le Blanc sera assimilé par les animistes à
.1.

20r
une sorte de dieu descendu sur terre parmi les mortels. Son
pouvoir fut considéré comme supérieur à celui des mânes des
ancêtres et même aux forces ttt'Iaires jusqu'ici adorées.
Quant aux musulmans, l'Européen leur est apparu comme une
créature exceptionnelle,choisie et comblée par le Tour-Puissant
pour dominer ici-bas, tandis qu'aux Noirs, le Maître des
Cieux dans son équité, aura réservé toutes les faveurs de
l'au-delà, rendant ainsi le p2rtage équitable. C'est ainsi
donc qu'animistes et musulmans se soumirent au colonisateur
au même titre que les Noirs "convertis" au Christianisme par
"l'oeuvre dêsintêressêe P des missionnaires.
Profitant de ce climat psychologique au Soudan comme
< > .
partout ailleurs sur le continent, le Blanc et ses acolytes
indigênes se permettront toutes les fantaisies et ne se prive-
ront de rien. Nous ferons allusion dans ce chapitre, non seu-
lement au comportement de l'administrateur et du missionnaire,
mais également ~ celui du co~~erçant libano-syrien, du commis
africain et des autres agents subalternes mis en place par le
Blanc pour le servir: l'interprète, le garde-cercle, le
commis,etc.
Les romanciers apportent également des témoignages
sur le sort de la masse populaire, les sujets français. Si
leur sort a semblé évoluer depuis la traite négrière, elle a
stagné à une époque donnée (fin de la conquête), c~lle de
,r!
l'indigénat. Sur le plan économique, ils assisteront à l'ins-
~i4r .
tauration du reg1me des impôts et des taxes de toutes sortes
·c
.. ,
et à la mainmise des grands trusts métropolitains sur leur
production agricole. Sur le plan culturel, la colonisation
aura pour conséquences leur déracinement et leur assimilation.
D'ailleurs, ce ne sont pas seulement les hommes qui
se ressentiront de cette lourde emprise. La colonisation va
bouleverser de fond en comble les structures sociales et
familiales aussi bien dans les villes que dans les villages
./ .
•<.

202
·1·
les plus reculés de la brousse soudanaise. De cette pertur-
bation, les romanciers maliens ont retenu surtout une urbani-
sation rapide et désordonnée, la disparité entre quartier
européen et indigène, l'exode rural, d'oU découleront la détri-
balis~ion, la dépravation des moeurs et des coutumes, la
déliquescencedes religions traditionnelles, etc.
Ces auteurs reconnaissent néanmoins que la colonisa-
tion n'a pas eu que des aspects négatifs. Le colonisateur,
pour sa défense, n'aime-t-il pas à parler "de progrès, de
réalisations, de maladie guéries, de niveau de vie élev6 au
dessus d'eux-mêmes" ?
(1). Les romanciers maliens, après avoir
reconnu la part de vérité dans ce bilan de la colonisation,
insisteront nonobstant sur deux facteurs primordiaux: l'ins-
truction dispensée aux Noirs ne l'a été que de façon parci-
monieuse ; il faudra attendre l'effondrement des puissances
coloniales à la suite des deux guerres mondiales pour voir
l'instauration d'une ère nouvelle: celle dû la prise de
conscience des masses colonisées, qui conduit à la création
des partis politiques et syndicaux.
Puis, par étapes successives, on s'acheminera vers
l'indépendance
i
(1) Aimé CESAIRE
v~~cou~~ ~u~ te Coton~at~~me, op. c~~.,
.~J
page 22
-1
1
• ..·1
!
.1.
"
!

" ,i
203
./ .
LES
PRIVILEGIES
DU
REGIME
"En~~e coloni~a~eu~ e~ coloni~l, il
n'lj a de piace que pou~ la co~vle,
l'intil11ida~ion, la p~e~~ion,.la po-
lice, l'impô~, le vol, ieviol, le~
cul~~~e~ obliga~oi~e~, le mlp~i~,
la ml6iance, la mo~gue, la ~u66i­
~ance, la mu6le~ie
de~ éli~e~ décé-
~éb~ée~, de~ ma~~e~ avilie~".
(Aimé CESAIRE - Vi~cou~~ ~u~ le co-
lon~al~~me - Pa~~~
P~ê~ence A6~ica~ne
1955 pag e 2 1 )
La chute de l'empire du Kénédougou et la capture de
l'Almamy Samory marqueront pour la France, la fin de la "pa-
cification" du Soudan. Cc territoire allait rejoindre le
Bénin (ex Dahomey) la Côte d'Ivoire, la Guinée, la Haute-
Volta, la Mauritanie, le Niger et le Sénêgal dans l'ensemble
qu'on appellera désormais la Fédération de l'A.O.F.
(Afrique
Occidentale Française). Tout l'empire colonial français est
alors placé sous la tutelle directe du Ministre des colonies,
qui donnait directement ses ordres de Paris.
Bon sens. ou manque d'intérêt manifeste pour tout ce
qui touche aux affaires d'Outre-Mer? En tout cas le Ministre
des colonies se déchargea dans chaque fédération (A.O.F.,
A.E.F., Madagascar, domaines Nord-africains, asiatiques,arné-
ricains) sur ses représentants en poste dans chaque territoire.
.
,
Expliquant le fonctionnement de cette pyramide ad-
ministrative, l'historien Joseph KI-ZERBO note qu'à "la tête
de l'administration (se trouve) le Gouverneur Général. Repré-
sentant et détenteur des pouvoirs du gouvernement de la Répu-
blique, il est ordonnateur du budget familial, maltre des
forces armées, et chef des services administratifs centraux
de la fédération •.. L'échelon inférieur suivant est constitué.
par le Gouverneur, chef du territoire, qui est la réplique du
.1.

204
. J.
Gouverneur Général ..• Le Gouvernement conduisait le travail
pratique par un réseau de commandants de cercle ; ul térieure'~
ment secondés par des chefs de subdivision ll (l).
Tels sont donc évoqués les hommes sur qui reposera
tout l'avenir du système colonial, ceux qui feront la pluie
et le beau temps dans leurs fiefs respectifs, ces terres
conquises par la force des armes et qui seront administrées
comme telles.
Si les romanciers maliens font peu de cas du Gouver-
neur Général c'est sans doute parce que ce dernier r~~dait
â Dakar, capitale de la fédération. De même seront rares les
allusions au Gouverneur du Soudan, installé â Bamako dans sa
tour d'ivoire. Par contre leurs plumes acerbes n'épargneront
pas les commandants de cercle qui se sont donné les pleins
pouvoirs, dans l'arrière pays.
ilLe Comm~ndant de cercle est la cheville ouvrière
de tout le système. C'est l'homme orchestre, le maItre-Jacques
chargé de préparer les décisions et de les exécuter. Il doit
être en même temps juge, financier, ingénieur des travaux pu-
blics, agent de police et de séaprité, chef militaire, gérant
des greniers publics, inspecteur d'enseignement, agent sani-
taire ou recruteur, etc. Bref en tout et pour tout il comman-
dait. Et la distance aidant, c'était vraiment lui le "Dieu
de la brousse" (2).
Après cette énumération des attributions du person-
nage, on ne s'étonnera pas que les romanciers aient consacré
tant de pages dans leurs oeuvres ~ des commandants de cercle
aux tempéramments aussi divers que les couches sociales de la
société française dont ils sont issus. Amadou Hampaté BA,
(1) Joseph KI-ZERBO : Hi~toi~e de i'A6~~~ue Noi~e d'hie~ a
dema.in, Paris~': Ha4er 1972, page 436
(2) Ibidem, page 436
':ri'
.J.

205
.1.
dans L'Etrarge destin de Wangrin prend soin d'évoquer dès
l'abord, l'Jrigine sociale du personnage. Par exemple ~ pro-
pos de l'adjoint au commandant de cercle de Diagaramba (Ban-
diagara ?) il écrit que Jean Jacques de Villomez était (un)
comte. "Ha grande passion (fait-il dire au personnage) c'est
de MONTER en toutes choses. Cette putain de révolution fran-
çaise, mère d'une république aussi dévergondée qu'elle, m'a
frustré. Je me suis engagé à la servir avec l'espoir de vite
MONTER en grade, ce qui me permettra de satisfaire pleinement
ma passion qui est de "monter" les belles filles aussi bien
que les beaux étalons"
"
(I). Dans la. description du personnage
nous retenons entre autre que de Villomez portait, ~lion
l'estimation de son boy, "un chausse-oeil réserv6 aux'seuls
fils uniques des familles princières de France et de Navar
re .•• " Et l'auteur te=mine ainsi son portrait :' "Il faut dire
3 son honneur, qu'il ne botta jamais le derrière d'aucun
nègre et se montrait très affable avec eux" (2).
Cet autre "l'administrateur en chef, inspecteur des
affaires admi.nistratives, était un ancien commandant de
cavalerie. Aucune mort, ni violente ni douce, n'avait voulu
de lui, bien qu'il fut un grand risque-tout et un casse-cou
'.,
à plaisir •.• Né d'une famille PiPtestante et petit fils d'un
duc, il avait nom Charles de Brière, et un idéal : servir
l'humanité en reconnaissant li. tous les hommes des droits
égaux inviolables, spirituels et sociaux" (3).
L'a.uteur ajoute plus loin qu'il n'était "point de
ces Européens qui ne supportaient pas de vivre à cOté des indi-
\\
.
gènes" (4). Mais c'est le lieu de signaler ici que, contrai-
rement à 'la plupart de ses pairs, Hampaté BA évoque l'époque
coloniale sans en dresser un violent réquisitoire. D'autre
-
_
..
.. _------------------------------
(I)
L' EtlutYl.g e. de..6tù1. de. Wa.ngllin, page 73
(2)
Ibidem, page 74
(3)
Ibidem, page 86
" , )
(4) Ibidem, page 86
J'1.
.1.

206
·1.
part, 3 travers les citations que nous venons de faire, on
serait tenté de voir en lui un élève de Claude Bernard, le
pionnier de la science de l'hérédité et par conséquent aussi
un disciple de Zola qui affirme dans sa fameuse "théorie des
milieux ll , que l'origine sociale est déterminante sur le carac-
tère de l'individu. L'abondance de détails qui suit l'évoca-
tion de l'origine sociale des personnages (les commandants de
cercle) par l'auteur de Wangrin pour tâcher de justifier par
la suite leurs comportements vis-à-vis des Africains, est
un procédé qui n'aurait pas répugné au plus intransigeant des
auteurs naturalistes.
Nous ne voulons pas par là insinuer qu'Amadou Hampa-
té BA a forcément lu
et pratiqué Claude Bernart et Zola. Nous
voulons tout simpl~Ment montrer la position mitigée de cet
auteur quand il slagit de juger l'action coloniale (il dif-
fère pourtant d'Ibrahima Mamadou OUANE).
Cette petite exception n'empêche pas la confirmation
de la règle, qui fait généralement des commandants de cercle
des dieux avec tout ce que cela comporte de charges et de
prérogatives aussi. Ces inconditionnels du régime colonial
avaient une haute idée de leur mission :
1
"Ce qui irritait le plus le conunandant, c'était le
1
manque de soumission à la discipline et la propaga-
l
tion de nouvelles défavorables â l'autorité et au
~.
,
prestige de la France" (1).
Aussi prenaient-ils à coeur leur rôle. Les charges
qui leur incombaient étaient sans nul doute importantes :
"Les dem"lndeurs et les défendeurs s'engouffraient
à tour de rôle dans le bureau du commandant •••
(qui)
tranchait séance tenante ce~ta~nes affaires et en
(1) L'Et~ange de~t~n de Wangn~n,
page 35
. .1.

207
.).
renvoyait certaines devant les tribunaux indigènes.
Les plaignants venaient pour les motifs les plus di-
vers: affaires de femmes, discussion autour d'un
terrain de pâturage ou à propos d'un puits, plainte
déposée par le chef de canton ou contre lui, dégats
commis dans les champs, dettes etc •• " (1).
Deux raisons fondamentales à notre avis ont accru la
tâche des commandants de cercle. D'une part le décret colonial
du 6 Avril 1901 qui avait introduit le code pénal français
au Soudan et dans le reste des colonies de l'A.C.F. êtablis-
i
sant ainsi avec la justice traditionnelle deux ordres de juri-
1
dictions parall~les. D'autre part, ilIa France voulant des
hommes à elle, à la tête des pays composant son immense empi-
i
re" (2) avait déposé les rois et chefs indigènes jugés récal-
1
citrants. Mais COIT~e nous le dit l'auteur du Sang des Masques
"Gnamakoro, bien qu'évincé de la chefferie par le
~....'
Blanc gui lui reprochait une certaine mollesse
j
à
faire rentre~ le "droit ~ la vie" et â fournir des
,.
ho~~e3 pou~ lo~ grands travaux, avait gardé son rang
f
dans llesprit du plus grand nombre" (3).
l
1
r·léprisa':1t les chefs indigènes qui leur étaient impo-
1
sés, les So~danais préféraient en définitive s'en rapporter à
i
la justice '~:.: Blanc &ccroissant ainsi davantage le rOle de
ce dernier. La justice traditionnelle donc fut progressive-
1
,
ment vidée de son contenu, ses décisions n'étant plus sans
appel. D'ailleurs cette dualité juridictionnelle allait pren-
WI
"'4t~.....
dre fin CQr la conférence de Brazzaville contiendra dans
:~ '~ '..~

ses résolutions la snppression pure et simple de la justice
,
pénale indigène dans l'ensemble des colonies françaises d'A-
1
frique. Ainsi la loi fondamentale décrétée le 30 Avril 1946
1
décidait que seule la juridiction française y aurait cours.
'/
Seule elle allait connaître désormais tous les litiges et les
(l)
L' EtJtang e de-!>t-i.n de Wa.ngJt-i.n_ pa~~~~i'
1
(2) Ibidem, page 229
(3)
Le Sang de-!> Ma-!>qae-!>_ op. c-i.t., page 56
./ .
j

208
.1.
trancher. Les pouvoirs des commandants de cercle se trouve-
ront ainsi t.rès étendus. De sorte que q aux yeux de ceux qu'on
appelait les indigènes, "un commandant de cercle, c'est toute
l'autorité française en miniature" (1). Ceci est illustré
par le cérémonial qu'on imposait aux populations lors de son
arrivée. L'auteur de Wangrin nous décrit la réception réservée
à l'un d'eux, Jacques de Chantalba.
L'ambiance, écrit-il,était celle d'un fête avec
déploiement de boubous multicolores et déferlement de tout ce
monde endimanché vers l'habitation du commandant appelée la
Résidence ~ Mais était-ce une fête â proprement parler ?
"(Ils) devaient de gré ou de force, comme pour un jour
de revue, aller s'aligner sur les deux cOtés de l'ar-
tère principale qui traversait la ville et menait à
la Résidence" (2).
.,....~
La présence sur l'~ de réception de tout ce que
la ville et sa banlieue comptent de diversité d'instruments
de musique, l'alternance ou le mélange des sons les plus va-
riés et des chansons les plus hétérogènes, tout cela produi-
sait un bruit des plus cacophoniques, pour la bonne cause que
"l'ordre avait été donné de crier, d'agiter les mains
et les mouchoirs. Le représentant de la France ne
devai.t point lire de tristesse sur les visages de
ses administrés: ce qui aurait signifié qu'ils ne
,
'.
voulaient pas de lui. Une par ei Ile injure ne sera
pas faite â Jacques de Chantalba ••• (3).
On peut, à partir de cette situation, imaginer aisé-
ment les rapports qui régissaient les relations entre le com-
mandant et ses administrés. L'un était assimilé au gouverneur
(1)
L'Etnange de~tin de Wang~in, op. cit., page 320
(2) Ibidem, page 320
(3) Ibiàem, page 320
.1.

_.'-.",-, .. ,. .. ......-
~
~
209
.1.
du Soudan, au gouverneur général ou même au ministre des colo-
nies. Les autres n'étaient rien d'autre que des, sujets dans
toute l'acception du terme. Ils devaient s'arranger pour ne
jamais rencontrer le commandant de cercle sur leur chemin. Si
par malheur ils étaient contraints de le faire, le commandant
"
exigeait d'~tre salué à distance respectueuse, la'cDiffure
.'
à la main. Obligation était faite auss~ à tout le mqnpe de
saluer le drapeau français, salut aux couleurs qui se faisait
au son du clairon. Malheur alors â ceux qui étaient durs
d'oreille ou â ceux qui n'avaient pas les réflexes assez
prompts pour s'éxécuter. Un passage de Wangrin est assez signi-
ficatif à cet égard. Il s'agit du
"baron Arnaud de Bonneval, surnommé par la popula-
tion "commandant Piff Paff" tant il aimait cravacher
les hommes et les b~tes qu'il trouvait â portée de sa
main nerveuse/•. /Durant deux longues heures chaque
matin, il visitait ainsi tous les chantiers de la
ville avant de revenir au bureau se mettre au tra-
' ..
vail ..• Sa gestion aurait été une bénédiction s'il
n'avait eu coutume de cravacher chaque fois une ou
deux personnes et d'en ramener en prison deux ou
trois autres, coupables du crime de n'avoir pas
salué le commandant â son passage à vingt cinq,ou
trente mètres de distance" (1).
Nous serions un peutentésde voir en ce commandant
de cercle une exception, le baron paraissant dans la citation
comme un maniaque. Tel n'est pourtant pas l'avis de Hampaté
BA qui généralise :
"Un commandant de cercle à cheval, était tel un
soleil au zénith. Il n'y avait que les mauvais sujets
français pour ne pas le voir à vingt cinq, cinquante
ou même cent mêtres de distance. Certains administra-
(1)
L'EtAange de~t~n de Wangn~n, op. c~t.,
263
.1.

~
1",,' ~~~'
2][0
·1·
teurs des colonies punissaient cette faute de quinze
jOllrs de prison ferme. C'était là un avantage at-
taché à la dignité de grand et petit commandant
de cercle ll (1).
, ..~'
.'
Après avoir présenté le commandant de cercle dans
~~
son bureau {lorsqu'il expédie les affaires courantes) ét hors
de la résidence (quand il se promène à cheval ou quand il
visite des établissements publics et des chantiers) les roman-
ciers le suivent à présent à la trace lorsqu'il va en tournée
à l'intérieur de sa circonscription, évènement sans précé-
dant et riche de renseignements. Pour l'accueil du commandant
et durant son bref séjour, les villageois vont se mettre en
quatre pour lui. Dans d'autres circonstances, leurs attitudes
pourraient paraître comme dictées par le sens de la tradition-
nelle hospitalité africaine, chère au coeur de tous les Maliens.
Au< dires pourtant de certains romanciers, il semble que la
cause doit en être cherchée dans la crainte d'encourir les
foudres des cieux.
"En effet, à l'époque, mieux valait avoir sur le dos
le mont Sinaï lui-même que le moindre administrateur colonial" (2) .
D'ailleurs pour éviter toute équivoque, le commandant
de cercle avant sa tournée, se faisait annoncer bien longtemps
à l'avance. Ainsi les délinquants ne pouvaient plus préten-
dre bêriéficier des circonstances atténuantes :
......
"Le commandant de cercle au cours de la tournée qu'il
effectuait dans le pays, devait dans un jour au plus
arriver jusqu'à Tamballa et peut-être même y/passer
la nuit" (3).
..... "t'
Selon Issa Baba Traoré, les villageois en pareille
(1)
L'Et~ange de~t~n de Wang~~n, op. cit., page 263
(2) Ibidem, page 10
(3)
L'Omb~e du pa~~~, op. c~t., page 75
.1.
,'r'

2I]
.1.
circonstance, se livrent à trois sortes de préparatifs, bien
distincts les uns des autres. Il faut d'abord s'assurer la
protection des dieux tutélaires et des mânes des ancêtres
contre toute mauvaise humeur du commandant :
;,;
"Les vieux, pour se mettre il l'abri de la colère du
~,!
Blanc, firent plus d'un sacrifice: de cauris, de
cendres, de toile d'araignée ou de nid de guêpes;
ceux qui avaient des sing-sing (fêtiche protecteur
des jumeaux'et comme tel, adoré par les parents
d'enfants jumeaux) les arrosèrent de sang de pou-
let" (1).
Le deuxième type,de préparatifs consiste dans des
mesures de salubrité
"Les concessions, les ruelles, la place publique
furent proprement balayées. Le tas d'immondices qui
témoignait de l'anciennetê du village fut recouvert
de sable" (2).
ainsi que dans l'aménagement de la demeure des hOtes illustres.
"Les cinq cases construites par la population:, l' in-
tention du commandant blanc et de ses gens ~aient
été apprêtées. Toute une journée les jeunes filles,
Nandi en tête, s'en étaient occupées. Murs nettoyés
blanchis au kaolin. Plafonds libérés des toiles
d'araignée qui leur faisaient une barbe de misère
et d'abandon. Sol mouillé pour qu'il conservât de
la fraicheur. Canaris astiqués, remplis d'eau dè
boisson" (3) .
A la vue de cette demeure qui a coQté tant de. sacri-
fices aux villageois, on ne peut s'empêcher d'établir des
(1) L'Omb~e du Pa~~e, op. ~~t., page 75
(2) Ibidem, page 75
(3)
Le Sang de~ Ma~que~, op. ~~t., page 132
.1.

.. ~ ';-
212
.1.
comparaison3. Elle exerce le même attrait que dans la grande
ville, une luxueuse villa sortie de terre comme un champignon
et voisinant avec des bidonvilles :
l'Les cases des maîtres méritaient maintenant le term~
",
"pe tit bout de la ville" par lequel on les désignait.
Hé ! â les comparer au reste du village, l'épaisseur
des murs, leur taille ! On eut dit qu'un bout de la
ville avait poussé lâ comme un arbre étranger dans
la brousse familière" (1).
,>
1
En plus de ce branle-bas général, l'auteur de L'Ombre
1
du passé nous signale une troisième catégorie de préparatifs,
~
d'un genre bien particulier celui-là:
~I
.. De peur d'irriter le Blanc (ce qui était chose tr~s
,
facile) par les lugubres abois de leurs chiens et de
~J
s'attirer en conséquence une ou deux semaines de
/\\
prison ferme, les hommes, pour cette nuit que le
. l
Co~mandant passerait à Tamballa, devaient partager
la case avec ces bêtes. Quant aux ânes, trop encom-
brants et jamais maîtres de leur gosier, mê~ au
chaud dans une case, ils avaient tout simpl~ été
,
f;ji;
lJl'IIê't\\'és àan3 les hameaux de culture. Ceux qu'on avait
été obligé de garder sur place avaient eu le sphinc-
ter anal très soigneusement enduit de beurre de
karité pour les empêcher de braire. Ils devaient
d'ailleurs goûter assez mal ce mode de traitement car
ils s'agitaient toute la nuit" (2).
Preuve que messieurs les administrateurs d,es colo~ ,,'
nies étaient avant tout des hommes de formation juridique, .~
qui l'on ne pouvait rien apprendre des problèmes de responsa-
bilités.
(1)
Le Sang de~ Ma~que~, op. cit., page 132
(2)
L'Omb4e du pa~~l, op. cit., page 76
./.
"

2I3
./'
Quant à l'accueil que les ~i11ageois réservent au
représentant de la France, il n'a rien à envier à celui des
citadins. Tous travaux domestiques et champêtres cessants,
on se rassemble sur la place du village pour la grande occa-
sion :
"La foule réunie, les filles nombreuses, la petite
branchette
au coin des lèvres, des camisoles hautes
~:
en couleur, quelques colliers de perles, des foulards
ajustés, le tam-tam .•• " (1).
Et pourtant malgré cette atmosphère de fête, ici
comme dans la grande ville,
"L'homme dont les yeux éclairent l'esprit etlt vite
découvert que la danse manquait d'entrain. Le tam-
taro de chaleur. Les chants de ferveur. Il etlt perçu
sur les visages non cette joie pétillante des grands
jours, mais des masques las que n'arrivaient pas à
animer ces rires sans feuil
(2).
Le respect des plus élémentaires libertés fait obli-
gation au supérieur de traiter avec queiques ménagemeQ~s ses
,:
·'ri,'"
subordonnés. De l'avis de Seydou Badian,. le Blanc ne $~le
;..... ,.,.A
pas partager cet avis. Pour preuve, l'auteur, insistant sur la
donnée 'spatiale, déclare que :
"Dans la foule sur pied depuis le petit matin, des
murnurc.'J fu':ont ~·)I'1breuy.·•• IJe sclei1 ::u fond du ciet.
y allait de tous ses feux. Les moues devenaiep~ fré-
'I!<
quentes sur les lèvres desséchées. Les dansedrs, en-
tre deux bonds, jetaient un coup d' oeil su~:' ce côté
du village obstinément vide ... (3)
A l'heure habituelle du déjedner, la faim et la fati-
gue eurent raison de la foule sur pied depuis l'aube. Mais le
..
(1)
Le Sang de~ Ma~que~, op. c~~., page 131
1
2 et{}, Ibidem, page 131
.1.,

214
./.
" . '
.
commandant dTIt-il les faire 2~tendré jusqÛ'à la nuit, 9Ui
~serait prot8ster ? qui oncrait partir ? Il ne leur restait
.
t'~~:~.
.
plus qu'une seule al ternati V·2 :
"Parni les vi.ux, up~~s des échanges de regards
~~
interrogateurs, des J.1ochemeats ~,Ç! tête, il Y eut con-'
:}1~~
ciliùm'onles. On allû.::.t se scindér en deux groupes.
L'un restel.-ait. J.J'2..u~:re irait prendre nourriture ~t
repos. Les risql1es ét.aient moindres .•• "
(1).
Accueilli par les chasseurs qui s'êtaient postés sur
les hauteu=:,s, le co:n.m3.nc:ant fc:i:'2.. r,on entrée triomphale dans. le
village qui ùlJ.Qit lui manifester co~ ihdéfectible attachement
par une e:~plosion de joie : d ~ abol.-d les coups de feu des chas-
seurs ~mi~~nt ainsi la salv3 ~e3 vingt et un coups de canon
. auxquels O~~ droit les pe~so~nages illustres. Sur la place
publiqt".e, IIl es dan3c\\:'.rn com.:r~e an pet:i J,: matin, sr élancèrent.
.-*",
"Une rGceFtion digne de ce nom ne E3urait se conce-
voir sùns festin. Et SeyCou ~=di~n écrit d~ns Le Sang des Mas-
crues
....=..._--
"Colonne de jcun2s filles porta~t cuvettes, ~alebas­
se2 et Fa~ierA. ~i~ ~ l~ sauce, couscous, gâteau de
. hlil, v:L:mde c;r:.:.:((>2, c-:'·-f51 dm:8, lait frais et cail-
h1n8i 3e r-::::éscnte ~1 nou~ l' :'.m:::ge des commandants de
.'.
cercle, ir:lbus de leur pùuvoir e's ac1ulés pur les hommes de
paille qui forr~a~.cnt leur e:ilt.ourage. En conséquence, 1 thi~to­
rien IG-ZlmBO peu·:: note:: que "s' ils ne mouraient p~ tous du
.,
colonialisffi8, du moin:l :L..G en étaient presque tous f~appés~>
Ceux q:}.j. ont o.o:::iné leur force et ont échappé aux abus sOnt
tous simple:r.cnt des b.\\'~::' supérieures ou des héros. Mais le lot
1
(1)
Le Sang de~ MC~Que~, op. cit., page 133
t
"
(2)
Ibidem, page 133
./ .

o.· •

J.,
" ~~\\ ~(
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21ifj.
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f ~';,*,
.1.
.",
.;~;f' .,;\\,'
p l . puissant n'était pas ~ che.,rnais ''''Êmto~age. ,,.,':,
. .
:,/!'~
Chaque interpête, chaque commis, chaque garde occu-
pait auprès du Blanc une place à part ••• "
..."
..
L'installation de l'administration coloniale va favo-~
riser fatalement, coinrtl, nous le montrent l~s romanciers, la
'1'f
création d'une classe de privilé9.i~s, e~ême subdivisée en
er.ro.ent
deux sous groupes. Les premiers
"
les commis, les inter-
prêtes et les garde-cercles. Ils ,)-luissaient de faveurs ex~'tÎ,'
tionnelles du fait qu'ils se trouvaient à proximité immédiatav
du chef blanc que ce soit quotidiennement au bureau ou lors
des tournées effectuées p~riodiquement par ce dernier à l'in-
térieur du pays. Ce n'est pafi sans rais9n comme nous le ver-
0-(,'
,
rons plus loin, qu'ils' étaiebt craints de la population autant~
.'
sinon plus que le Blanc.
Quant aux cuisiniers, aux bOys et aux bonnes au ser-
vice de Madame, ils conStituaient le deuxième sous-groupe,
~
~
c'est-A-dire le menu fretin. Mais cette insignifiance n'était
qu'apparente c?r, aux yeux de la population, "le chien "tlu
roi, est le roi des chiens" (1).
Du premier sous-groupe que nous allons voir~.les ro-
manciers allèguent que son avantage primordial résideJ~~ns
l'instruction dont il a b6néfici6 sur les bancs de l'école ou
~
, " "
<
bien ~an~~les rudiments de français qu'il a reçus dans les
;
~_:-
',;.'
camps'~""~~.itaires et dans les tranchées. Ainsi donc, savoir
parler la langue française, vous fait automatiquement grimper
les échelons dans la hiêrarchie sociale des colonisés.
Considérons par exemple le cas des commis. Ils for-
maient avec les enseignants et les médecins de brousse (ou
médecins à titre indigène comme on se plaisait à les àppeler),
le personnel administratif secondaire. L'importance numérique-
ment faible des Français insta~lés dans ~C& QOloni~o Q ~~tt
(1) Ferdinand OYONO : Une V~ de Boy, Paris
page

"1#'
.'

./.
i '
'IC'
l'embauche de fonctionnaires africains dans l'administration.
">
".
et parmi ces fonctionnaires subalternes, les commis êtaient
,
les~lus nombreux. C'était le personnel administratif secon-
daire de type "petits secrétaires" et comptables. Ces conunis
sortaient des E. P. S.
(Ecoles Primaires Supérieures) qu'on pour-..\\
rait aujourd'hui assimiler à l'Ecole fondamentale. Mais la
formation, il faut l'ajouter, y était plus poussée. Les étu-
des étaient sanctionnées par la dêlivrance du B.S. (Brevet .
..
Supérieur) diplôme intermédiaire entre le B.E.P.C.
(devenu
O.E.F •. depuis 1964 au Mali) et le baccalauréat. L'auteur de
Wangrin nous apprend que "le commis de bureau est le secrétai-
re chargé de recopier les correspondances et de les expé'
dier" (1). Et Issa Baba 'TRAORE ajoute dans L'Ombre du Passé
qu'il arrive au commandant, lorsqu'il est débordé de travail
ou lorsqu'il n'ost pas d'humeur à supporter les fatigues d'une
tournée, de déléguer une partie de son pouvoir ~ son commis
en l'envoyant en ses lieu et place collecter les impôts dans
les villages de brousse. En tournée dans le nord, le commis
arriva un jour à Tamballa :
..
"Je m'appelle Ibrahima et je viens chez vous pour la
collecte des impôts.
Tout le monde avait entfmdu parler de "Commis-
Bourouma", mais personne ne l'avait encore vu. Un
ha ! unanime suivit donc sa présentation" (2).
:.)
. L'exemple type de l'interprête se retrouve dans
Wangrin où nous lisons que
"C'était le Dalamina, le "répond bouche" du comman-
dant" •
..'
Evoquant ses fonctions, l'auteur ajoute qu'il "était
le second personnage du cercle et venait immédiate-
(1) L'Et4ange de~t~n de Wang4~n, op. c~t., page 20
(2) L'Omb4e du Pa~~!, op. e~t., page ~9
'
.,.
"

1 .
217
./.
ment après le commandant. Parfois même, celui-ci
dépendait de lui. Il pouvait à volonté monter et
démonter les affaires. Qui n'allait pas chez Racou-
tié était sar de trouver un malheur sur sa route" (1).
Le garde, lui, nous fait automatiquement songer à
l'armée, "l'un des éléments les plus importants de l'autorité
(coloniale)" (2). L'origine remonte aux "tirailleurs dits séné-
galais" qui étaient recrutés dans chacun des états de la fédé-
ration, au niveau de chaque circonscription administrative.
Après une formation militaire très hâtive, ils ont servi dans
les rangs des armées deconqu~te coloniale. La "pacification"
terminée, c'est à eux que revint tout naturellement la tâche
de maintenir l'ordre en' faisant la police dans chaque cercle,
d'oil leur nom de garde-cercle. L'administration se servira
d'eux pour créer (en terme juridiCfl~. une personne morale de
droit public) la police, élément~~talement inconnu dans la
juridiction traditionn~11e, oil existaient d'autres moyens de
contrOle. Selon Hampaté BA, cet agent public agissant pour le
compte du pouvoir colonial était désigné par la popula~ion
sous le nom d'Alkati dans les régions qui connaissaient le
droit musulman. Le personnage entre en scène lorsque Wangrin
(héros du roman du même nom)a une rixe avec l'interprête :
"A ce "tftotrtèrtt "1' Alkati" arriva avec son grand sabre.
-t
~
Il donna un coup de sifflet, éparpilla la foule, puis
sépara les lutteurs" (3). Souvent il va les enfermer
en prison, surtout s'il a à faire de simples sujets
français.
c'est l'embryon de ce qui deviendra plus tard la po-
lice dans les grands centres, remplacée par la gendarmerie
partout ailleurs.
(1)
L'Et~ange de~t~n de Wang~~n, op. cit., page 32
(2) KI-ZERBO : H~~toi~e de l'A6~~que Noi~e d'H~e~ a Vemain,
op. c~t., page 438
(3) L'Et~ange de~tin de Wang~~n, op. cit., page 55

/
.....
,
,1
2'[8
.1.
Chacun des trois personnages que nous venons de pré-
senter, à savoir le commis, l'interprête et le garde, figure
en bonne place dans les romans maliens. Tout, en eux, les dis-
tingue de la population depuis la langue française qu'ils
manient avec plus ou moins de bonheur, jusqu'à leur train de
. f
r
vie qui achêve de faire d'eux des privilégiés.
Le commis par exemple disent les romanciers, occupe
un poste où certaines qualifications sont requises, entre
autres un solide bagage intellectuel. Pour occuper un tel
poste de commandement, "savoir lire et écrire n'est pas aussi
futile que des bagues pour un lépreux" (1). La population
s'était laissée convai~cre que l'instruction conférait à son
bénéficiaire, non seulement certains égards (les autres indi-
.
,
'
gênes n'ont pas besoin d'être ménagés) mais aussi la garantie
d'une vie d'aisance. Ainsi:
. .
'.>f, •
ilLe commis A.r!lqdou /nousc5nfie Seydou Badian / était
le seul fils~àu car.ton à avoir pénétré ces connais-
sances qui valaient au Blanc richesse et puissance"(2).
Le poste d'interprête ne requérait pas qu'on fasse
de longues études. Posséder les rudiments du français, pour
être en mesure de traduire simultanément en français et en
langue nationa~~'suffisait largement. Quant au garde, il
.
,~"
savai t tout au ;.pl'fis baragouiner le français. HampatA BA nous
décrit ce vocabulaire si original :
"Il n'était pas allé à l'école comme Wangrin. Il par-
lait le "forofifon naspa" ou français du tirailleur.
En "forofifon naspa" les verbes n'avaient ni temps
ni mode et les noms, prénoms et adjectifs, ni no~re
ni genre 1t (3).
(1) Ahmadou KOUROUMA : Le~ Sote~t~ de~ Indlpendance~1 Paris
Editions du Seuil 1970, page 22
(2) Le Sang de~ Ma~que~, op. c~~., page 27
(3) L'E~~ange d~~~n de Wang~~n, op. c~~., page 32
.1.

219
.1.
Mais peu importe, qu'on manie harmonieusement ou
qu'on baragouine la langue française. Comme on le dit: elle
nourrissait son homme. Le commis et le garde par exemple
s'habillaient à l'européenne en ces temps oü l'on ne pouvait
tolérer qu'un indigène porte le pantalon; la culotte et la
chemise.
.~
,t'
L'auteur de L'Ombre du Passé nous décrit "Commis-
Bourouma" à son arrivée à Tamballa, lorsque le camion stop!, e
et que l'apprenti s'adresse à lui:
"Patron- continua t-il en s'adressant à un jeune h::>m-
me à peu près ~e sôn âge, en short et chemisette
kaki, la figun{'barrée par une paire de lunettes noi-
res, qui avait pris place à ses côtés - Patron ne
te dérange pas, je te mèner~i tout à l'heure à l'éco-
le" (l).
r .'
Harnpaté BA décrit la tenue du garde :
"Un garde qui portait une vareuse bleu marine, un
pantalon de treillis blanc, des bandes molletières
blueues, des sandales à la romaine et une grande
chéchia .iouge écarlate avec gland, se leva ... " (2).
"
:.
Aux premiers temps de la colonisation donc, s'habil-
ler à l'européenne était un délit. Le privilège fut plus tard
accordé aux seuls agents auxiliaires du Blanc. En Europe, le
développement du machinisme et l'essor de l'industrie textile
contribueront plus tard à faire de ce privilège un non-sens :
les marchés métropolitains étant vite saturés, on allait dé=
verser sur l'Afrique le trop-plein de ces industries textiles
comme d'ailleurs celui des autres produits manufacturés.
(2)
L'Et~ange de~tin de Wang~in, op. cit., page 33
Cl)
L'Omb~e du Pa~~l, op. cit., page 38
.1.
"

220
./.
Mais la coiffure européenne, notamment le casque
colonial, demeurera longtemps un signe distinctif :
"En effet au lendemain de la conquête, seuls les
Tubabublen "blancs-blancs" n€s
en France et les Tuba-
bufin "blancs-noirs" africains devenus auxiliaires
immédiats et personnel domestique des premiers,
pouvaient porter le casque"
",
(1).·'·
1
Le vêtement européen et surtout le casque colonial
1
~taient des sauf-conduits, des insignes qui attiraient sur
ceux qui les portaient, respect et honneur de la part des
populations. Dès qu'un homme casqué apparaissait dans une loca-
lité les habitants cessaient toutes leurs activit€s
profes-
sionnelles tant qu'ils ne savaient pas les raisons qui avaient
motivé son déplacement.
Un tel visiteur a droit aux mêmes égards que le Blanc
lui-même. C'est ainsi que "Commis-Bourama" débarquant à Tam-
balla, fut reçu avec les mêmes ~gards que le co~~andant
..
"Des hommes un à un s'étaient eux aussi approchés.
Ils se décoiffaient de la main gauche et portaient
la droïteà la tempe en signe de salut au jeune hom-
me 1mpâ.~$'d.ble derrière ses lunettes. Le chef de vil-
lage accourut p~u après et offrit ses services à
l'arrivant" (2).
Certains interprêtes ne portaient ni le pantalon ni
la chemisette, mais leur rang social n~en paràissait pas moins
souligné :
"Un homme vêtu de blanc et dont les doigts de la
main gauche étaient chargés de grosses bagues se
(1)
L'Et~ange de~t~n de Wang~~n, op. eit., page 28
(2) L'Omb~e du Pa~~é, op. eit., page 39
./.
.
"

...<:
1,-
t
·1.
porta au devant de \\lJangrin... Quel était cet homme
habillé comme un roi •.• ?" s'interrogera le visi-
teur ?" (1).
Et ce même Wangrin devenu à son tour interprête,
tâchera d'égaler ou même de surpasser celui qu'il avait un
jour envié :
"Le lendemain, frais et dispos, Wangrin revêtit
une blouse en percale blanche sous un gilet marocain
en drap à longues manches. Ce gilet était brodé en
ganses de soie formant des arabesques entrelacées
d'un très bel effet. Par dessus le gilet il passa un
grand boubou leE../ bazin dont les dessins reprêsen-
taient des feuilles de bambou. Puis il enfila une
large culotte en étoffe imprimée appelée "limeneas"
dont les rebords étaient ~arnis de petits galons de
soie blanche. Pour compléter cette riche toilette,
Wangrin portait une belle paire de bottes brodées
et un casque tout neuf. Il tenait â la main une can-
ne en bois d'ébène sculptée ••• Il monta à cheval et,
suivi de son fidèle palefrenier, se rendit au bureau
du cercle" (2).
Il est ~~sez aisé de deviner que les seuls rémunéra-
tions de ces fonctionnaires africains ne suffisaient pas à
leur permettre de soutenir un tel train de vie. Le commis par
exemple, est eensé s'en tenir à ses paperasses, e'interprête
à sa traduction et le garde à la surveillance des locaux
administratifs. Mais comment fonctionne le service autour
du Blanc? Hampaté BA a l'occasion de l'analyser lorsqu'il
nous présente un jeune prince qui vient chercher la caution
du commandant pour succéder à son père qui vient de décéder
~spiration légitime en soi puisque la coutume le veut ainsi.
(1) L'Et~4nge de~t~n de Wang~~n, op. c~t., page 32.
(2) Ibidem, page 267
.1.
...

222
.1.
Le jeune prince charge l'interprête d'en informer le comman-
dant. Ce dernier lui demande :
"Le prix de mille cinq cents toureaux à trois cents
francs la tête, soit quatre cent mille francs ..• Cela
me permettra de faire face aux divers pourboires que
je devrai verser aux boys, cuisiniers, ramasse-
1
papier de bureaux, commis tltapeurs ~ la machine" et
classeurs de dossiers, etc." (1).
La concussion est donc déjà monnaie courante dans
l
ces milieux. Activité illégale, elle est élevée au rang de
1
tradition. Les administrateurs français devaient le savoir
mais ils préféraient fermer les yeux. Avec cet accord tacite
de leurs chefs blancs, les fonctionnaires indigènes ne devaient
plus se priver de rien. Jetant un regard inquisiteur sur la
fortune d'un de ces interprêtes, Hampaté BA écrit :
ItL'époque était pour racoutié tel
un riche hiver-
nage. Les pourboires pleuvaient nuit et jour. Chaque
, ,
>
nuit des guitaristes et des chanteurs allaient l'é-
gayer. Il mangeait et faisait manger gras. Ses fem-
mes ne savaient plus oü mettre leurs bijoux d'ambre,
de corail, d'or et d'argent. Ses deux chevaux man-
geaient du couscous fin et buvaient du lait. Il pos-
sédait un mouton de case qui dit-on, était son féti-
che. Gras comme un porc, l'animal portait aux oreil-
les deux boucles en or, et au cou un collier en per-
les d'agate rouge ... " (2).
L'auteur révèle aussi que pour toutes affaires liti-
gieuses ou même administratives que l'on réglait quotidienne-
ment au bureau de cercle, les intéressés étaient contraints
de passer la veille chez l'interprête pour lui graisser la
(1)
L'Et~ange de~tin de Wang~in, op. cit., page 213
(2) Ibidem, page 45
.1.

./ .
patte
papiers d'êtat-civil quelconque à retirer, dêclarations
etc. Quand des plaignants devaient passer en jugement, il
était
notoire que la partie qui gagnait le procès êtait cel-
le qui s'était rendue la première chez l'interprête, ou bien
celle qui lui avait offert la plus forte somme d'argent.
La maison de l'interprête tendait même â se substi-
tuer au bureau du cercle
"Bien des chefs enviaient cette maison. Elle devint
rapidement
le rendez-vous des fonctionnaires, le
centre d'espionnage local et le lieu de conciliabule
des chefs de canton et de province" (1).
Et de toutes ces tractations l'interprête .tirait
profit
"Il n'était pas pensable qu'un chef coutumier quel
qu'il fat, entrât chez Wangrin les 'mains vides. S'il
s'y rendait, c'était toujours pour y donner un bon
pot de vin, soit une information intéressante" (2).
Dans le même roman, l'auteur décrit la maison qu'habi-
tait l'interprête Wangrin pour mieux faire ressortir l'éten-
due de $a fortune. Cas exceptionnel ou semblable à tant d'au-
tres ? Quoi qu'il en soit il nous édifie:
"Wangrin subdivisa sa maison en trois quartiers. On
entrait par un grand vestibule rectangulaire qui
ouvrait sur une vaste cour pourvue d'un grand prêau.
C'est dans la première cour que Wangrin donnait de
grands dtners ou déjenners accompagnés de musique et
de chansons ... La deuxième cour desservait le thi~~
so ou maison d'homme de Wangrin .•. Il y prenait éga-
(1)
L'E.tJlange de.6.t-i.n de WangJt-i.n,
op. c.-i..t., page 62
(2) Ibidem, page 62
./ .

1 "
'·f"
L ,
.1.
lement son déjeûner ..• Le thié-so de Wangrin était
compo·,'é". de plusieurs pièces : une grande salle de
causer~
une salle de travail, une pièce secrète
(pièce où l'homme dépose ses fétiches et gris-gris
ainsi que les canaris à philtre et tout ce qui tou-
..
che à l'occultisme) une chambre à coucher avec des
'
dépendances bien aménagées pour la toilette, une
pièce de d6barras et enfin deux chambres d'amis
l'.
également dotées de toilettes •.• Cette dernière cour
(la troisième) était aussi vaste que la première.
Là se trouvaient les maisons des femmes, enfants et
autres parents proches de Wangrin avec les cuisines
et les toilettes. On y trouvait également les piquets
servant à attacher les deux chevaux de Wangrin lt (1).
L'auteur nous apprend aussi qu'il avait à son servi-
ce un gardien et deux domestiques.
Cette énumération, loin d'être fastidieuse, est révé-
latrice d'un certain état d'esprit aussi bien chez les com-
mandants de cercle que chez les africains passés à son servi-
ce.
Les romanciers n'accusent pas seulement l'interpréte.
Ils dénoncent la concussion chez le commis et le garde. Ils
reviennent à l'idée selon laquelle la hantise du casque colo-
nial était exploitée au maximum par ceux qui le portaient
"Aussitôt qu'un homme apparaissait coiffé d'un cas-
que colonial, fût-il vieux et défoncé, on ne pensait
qu'à une chose: aller chercher poulets, oeufs,
beurre et lait pour les offrir à ItMonsieur Casqué"
comme en offrande conju:~at"',:ire contre les malheurs
pouvant découler de sa présence .•. C'était un emblème
de noblesse qui donnait gratuitement droit au glte,
(1) LJEt~ange de~~n de Wang~inl op. cit.
pages 61 et 62
1
.1.

~f-- ,
.1.
~ la nourriture , aux pots de vin et, si le coeur en
disait, aux jouvencelles aux formes proportionnées
pour les plaisirs de la nuit. Les Messieurs Casqués
aimaient fort en effet, se réchauffer à la chaleur
féminine qui ne brt1le pas et cependant revigore •• "(l;.
Les auxiliaires africains de l'administration colo-
niale se livraient à la ~~ussion et à la concupiscence avec
plus de voracit~ une foits ~s de ia vue de l'administrateur.
Se sont les paysans qui ~cidffriront le plus de ces agisse-
ments. Lorsque Commis-Bourama arrive à Tamballa, les villa-
geois s'empressent de prélever sur leurs maigres ressources
lait, oeufs, poulets, ces produits de leur élevage (tradi-
tionnellement réservés pour les grandes occasions) dont ils
perdront progressivement jusqu'au gont, les gardant exclusi-
vement pour la consommation des agents de l'administration
coloniale. Mais ce n'est pas tout d'offrir aux hôtes sacrés
tant de bonnes choses, encore faut-il en faire une bonne
préparation. Problême épineux! En effet l'art culinaire n'est
pas le fort des villageoi~es. Tamballa va encore se surpalser
en commettant à cette délicate mission
"Bâ-Minata, la première femme de Yoro l'ancien ti-
railleur qui avait fait un séjour prolongé à la ville
et se piquait en conséquence de connattre quelques
recettes de table française" (2).
Si le commis renonce, nous dit Issa Baba TRAORE, au
droit de cuissage fort à l'honneur, par contre le lendemain,
il accepte bien volontiers, "une terrine de lait, des beignets
et dix noix de colas. On (lui) apportera en outre, une demi-
douzaine de poulets" (3). Et deux jours plus tard, au moment
de son départ, il se fait délivrer "une vingtaine de poulets,
trois gourdes de miel, et deux moutons grâcieusement offerts
f
(1) L'Et~ange de~t~n de Wan~n, op. c~t., page 28
1
,
(2)
(3) L'Omb~e du. Pa~~é, op. c~t., page 47
.1.

.1.
comme "bogna", cadeau de bienvenue" (1) •
1
Ce qui ri'est pas sans surprendre jusqu'au maître
d'~cole, pourtant intellectuel comme le commis et de surcroît
son ancien compagnon de classe et ami :
"- Je ne savais pas que je logeais un prince, plai-
santa Ali.
- De quoi t'étonnes-tu? N'ai-je pas tout abandonné,
moi, pour leur rendre service, à ces rustres? Et
si au lieu de venir, nous les avions convoqués au
chef-lieu ?
- C'en était alors fait de tes indemnit~s de tour-
n~e,mon gars !
- Tu parles ! Que je sorte ou pas, elles me sont
régulièrement mandatées.
- Alors je dis: vive la bureaucratie 1" (2).
Ce passage est très riche d'enseignements. Ains~
apprenons-nous que les indemnités de déplacement sont une
autre source de revenu pour les commis et qu'elles leur sont
"régulièrement" vers~es même s'ils ne font rien. C'est là
un des multiples procédés subtils par lesquels l'administra-
tion arrivait à s'attacher ces fonctionnaires subalternes
africains, les détachant par conséquent du reste du. peuple.
Certains de ces agents en arrivent ainsi a se considérer com-
me une entité distincte, face à la masse laborieuse dont ils
sont issus et qu'ils trait0nt alors de haut : "Commis-Bourou~
ma" qualifie les villageois de "rustres". Une telle mentalité
se retrouve d'ailleurs chez l'interprête et le garde.
Que les pauvres pays,ans, vivant une vie des plus
frustes se dépouillent pour le recevoir princièrement, quoi
de plus naturel pour le commis ? La quantité de vivres appor-
(1) L'Omb~~ du Pa~~é, op. ~tt., page 49
(2) Ibidem, pages 47 et 48
.1.

:':," .. ;;" t
2,27, .
1
t
.1.
tée, l'empressement à le servir, rien de tout cela ne "l'éton-
ne", parce qu'entrant dans la logique des choses
selon lui.
Comme disait l'autre dans la fable:
"Vous leur faites Seigneur,
En les croquant beaucoup d'honneur".
, ...,
·1'.:·.·.·····
' .•
Si, apparemment les gardes qui accompagnent le commis
ne sont pas reçus avec autant d'''honneur'', eux non plus ne
dédaignent pas de"croquer" leurs compatriotes. Ils sont assu-
rés de recevoir leur part, après que le commis soit servi :
"Trois hommes les suivaient et poussaient devant
eux deux beaux bêliers aux grandes cornes recour-
bées. Des poulets 1iês à un bâton s'agitaient sur
les épaules d'un quatrième" (1).
On retrouve de semblables accusations contre le com-
mandant, le commis et le garde sous la plume de Seydou Badian.
Après avoir décrit la réception dont le commandant et sa
suite ont été l'objet depuis l'entrée du village, l'auteur
du Sang des Masques énumère la diversité et la qualité des
plats qui leur sont offerts : hors-d'oeuvre, plat de résistan-
ce, dessert, "tout y était" écrivaint le romancier.
Mais que "tout" y soit, ce n'est pas l'avis des hôtes
car, après le repas, un des gardes s'approche du chef de vil-
lage
"Il nous faut àu chaud pour triompher de la nuit.
Hé •.. hé, des filles en graine, le village en regor-
ge. J'ai vu tantôt de belles plantes. Nous sommes
quatre. Il en faut une à chacun ..• Un bon chef de
lui-même doit avoir see amabilité~~iG)Le commis aura
(1)
L'Omb~e du Pa~~é, op. c~t., page 49
.1.
'.

1
.1.
une bonne opinion de toi. Et par lui, le commandant
saura que tu es un bon chef" (1).
Triste façon de respecter la voie hiérarchique, qui
illustre la façon dont étaient traités les problèmes adminis-
.~
tratifs ! On le voit, les échelons intermédiaires entre le
commandant et la population sont le commis et les gardes qui
(chacun en son degré) sont capables de faire la pluie et le
beau temps.
Les romanciers nous signalent aussi que certains
l
chefs de village (surtout ceux mis en place par l'administra-
tion) ont profité du systè::e : et des pratiques auxquelles
il donnait lieu. Loin d'être le relais, le porte-parole des
1
populations, ces chefs ont accentué la sujétion des colonisés
en tirant à eux autant qu'ils ne pouvaient, le bout de la
couverture :
"Durant la moisson, le village prêtait main-forte au
chef.
chef. Une vingtaine de solides gaillards allaient
travailler dans ses champs. Ils refaisaient ses
cases, murs et toitures. Il désherbaient les pistes,
les élargissaient ; empierraient celles que les eaux
avaient ravinées. Ils entassaient du bois mort pour
ses femmes, du fourrage pour ses bêtes. Ils curaient
les puits et accomplissaient les mêmes besognes pour
ses familiers. Ces jeunes demeuraient des mois ~ son
service, sans un sou. Certains trouvés mous se fai-
saient fouetter"
(2).
Nous avons plus haut parlé de deux sous-groupes de
collaborateurs dans l'entourage immédiat du commandant: d'une
part le commis, l'interprête et le garde. Il faut maintenant
en venir aux cuisiniers, boys et bonnes au service de Madame,
t!
(1) Le Sang de~ Ma~que~, op. ci~., page 134
1
(2) Ibidem, page 126
t
.1.
l
~"

229
.1.
l'épouse du commandant. Aucun niveau d'études n'est requis
pour cette dernière qualification. Ce sont soit des citadins
auxquels le commandant "fait appel", soit des ruraux "offerts'"
avec diligence par quelque chef de village qui remplissent
la fonction. Nous reviendrons plus loin sur ces modes de recru~
tement.
Les administrateurs se les attachaient lorsque les
domestiques leur donnaient satisfaction ; et, en cas de muta-
tion, ils les amenaient avec eux "d'une région à l'autre ou
même d'un pays à l'autre, si nous en croyons Seydou TRAORE
PIDq
l'auteur de Vingt/dns d'escaliers (1). Ce dernier raconte dans
une autobiographie à peine romancée, sa vie de planton au
service de maints administrateurs français ayant servi dans
l'ouest africain: Côte d'Ivoire, Dahomey (Benin), Guinée,
Haute-Volta, Mauritanie, Niger, Soudan (Mali), Sénégal et
Togo. Il n'était pas exclu non plus que l'administrateur,
mécontent des services de son domestique, s'en débarrassât en
quelque lieu qu'il se trouve.
Malgré pourtant ces quelques déconvenues, les roman-
ciers assurent que le sort des cuisiniers, boys et bonnes,
du point de vue matériel, était envié par certaines couches
de la population. Par ricochet, leurs proches et leurs amis
en bénéficiaient. Tel par exemple ce Zanti~i
"Il s'y !Jtait fait des amis. Le pius marquant, Ourna-
rou, boy de son ~tat, recevait de ses patrons blancs
de beaux habits et rapportait les restes de leur
succulente nourriture. Zantigui slhabillait bien,
r
mangeai t bien".
1
1
Et un autre privilège découlant de cette vie :
1
[
"Oumarou l'introduisit chez les vendeuses du petit
1
i
marché ùe quartier. La belle vie •.• Lui-même fut
!
f
(1) V~ngt~~~ d'e~cat~e~~ ou ta v~e d'un ptanton, par Sardou
TRAORE, Dakar : N.E.A. 1976
./ .

"
230
./.
instruit par Oumarou, lequel, à regarder les Blancs
et leurs femmes, avaient fini par tout savoir.
D'ailleurs Oumarou LE FAISAIT à des Blanches, sa
patronne et deux amies de celle-ci" (1).
L'administrateur et ses subordonnês n'étaient pas les
seuls à qui profitait le système colonial. Les romanciers
maliens d6.noncent aussi avec force la collusion commandant de
cercle - commerçant blanc et à un moindre degré (à cause de
la faible implantation des missionnaires chrétiens), "la
solidaritê étroite qui a uni dans leur action coloniale, le
prêtre et l'administrateur des colonies!; (2).
Nul ne conteste plus aujourd'hui que la présence
européenne en Afrique noire a êté d'abord commerciale avant
d'être militaire. Du côté français par exemple nous pensons
à la maison Régis implantée à Ouidah bien avant que la France
officielle songe à faire du Dahomey une colonie, et ceci
dès le dix-huitième siècle. La présence européenne en Afrique
t
fut longtemps limitée à certains secteurs: d'abord commer-
cial (les produits africains attiraient les Européens ;
1
rapidement s'instaura le système de troc) puis maritime (les
cOtes africaines sont sillonnées par des navires en route
pour les Indes, embarquant et débarquant uniquement) .
Rappelons pour mémoire que l'indifférence du peuple
français pour les affaires coloniales et l'incertitude des
gouvernants, incertitude due à l'instabilité politique (de
la Révolution française à 1870 la France connattra sept régi-
mes politiques) ont retardê la présence coloniale française en
Afrique. Lorsqu'enfin l'intérêt politique se manifeste, l'éco-
nomique a déjà fait ses preuves ~ ils vont se compléter en se
solidarisant. Pour étendre leur marché limité à quelques points
1
1
de la cOte, certaines sociétés n'hésiteront pas à financ er
1
,!

1
(1)
Le Sang de~ Ma~que~,
Op. eit., page 33
(2) Thomas MELONE : Ve ta Nlg~itude dan~ ta Littl~at~e Nlg~o­
a6~ie~ne, faris : Présence Africaine,
1
1962, page 100
./.
1
1

.1.
des expéditions coloniales à caractère scientifique, humani-
taire ou militaire, se dirigeant vers l'intérieur des terres.
De son cOté l'administration apportera une protection sans
réserves à ces commerçants, pour leur sécurité personnelle
mais aussi pour leur permettre de traiter avec les Africains
sur les bases qu'ils jugeront utiles à leur profit.
Comment s'explique cette collusion? L'époque du ma-
chinisme avait provoqué le grand boom économique en Europe.
En France comme a11leurs r à la suite de la révolution indus-
trielle, de grandes sociétés monopolistes se créent qui achè-
tent la plupart des usines et accaparent tous les marchés.
Mais bientôt une crise de production va les contraindre à
chercher des débouchés outre-mer pour écouler leur surplus.
Le gouvernement français autorise ou encourage ces grandes
sociétés à s'installer dans les huit colonies de l'A.O.F. Au
Soudan, elles vont s'1nplanter non seulement à Bamako, mais
ouvriront des succursales dans les capitales des régions : Gao.
Kayes, Mopti, Ségou, Sikasso, Tombouctou. On trouvera même
des magasins-témoins dans les agglomérations d'une certaine
importance démographique ou économique. Le secteur ~conomique
connaltra un regain d'intérêt après la Grande Guerre .-
Selon KI-ZERBO, Il (le secteur privé) prit en main
l'essentiel de l'activité économique centré sur la traite des
produits africains et européens. La clé de voQte du système
est 'ln réseau bancaire très intégré et quasi monopoliste, avec
la B.A.O.
(Banque de l'Afrique Occidentale), le Crédit foncier
de l'Ouest Africain, la B.C.A.
(Banque Commerciale Africaine)
et la Banque Française d'Afrique .•. Ces banques ainsi que les
holdings spécialisés, soutenaient des maisons surtout bor-
delaises (Peyrissac, Maurel et Prom) ou marseillaises (C.F.A.O
Compagnie Française de l'Afrique Occidentale: C.I.C.A. Compa-
gnie Industrielle et Commerciale Africaine). Les trois grandes
firmes qui dominaient le marché sont la C.F.A.O., la S.C.O.A.
et l'Unilever qui contrOle les corps gras, mais qui a des
·1.

23~
./ .
branches dans beaucoup d'autres secteurs et qui dispose d'ail-
leurs d'un empire pluricontinental. Ces sociétés sont en effet
souvent liées entre elles et ont des ramifications par delà
les frontières des colonies française$ .• ~ (1).
Pour épauler ces sociétés commerciales dont la pros-
périté par le je~ économique faisait sa propre prospérité, le
gouvernement français entreprit quelques timides travaux d'in-
frastructure portuaire, routière et ferroviaire. Après les
ports de Dakar, Conakry, -Abidjan, Cotonou, l'administration
coloniale se fixera pour objectif la construction de voies
ferrées reliant toutes les colonies entre-elles, pour drainer
à moindres frais les matières premières dont avaient besoin
ses industries. Ainsi verront le jour le D.N.
(le chemin de
fer Dakar-Niger) et le Daho-Niger (le Cotonou au Niger). Pour
sa part, seul le D.N. intéressera en définitive le Soudan,
puisque lui seul arriva dans le pays, les autres projets ayant
été abandonnés par la suite â cause du coat que cela occasion~
nait pour le gouvernement français. Outre ce chemin de fer
allant de Kayes à Koulikoro en passant par Bamako, il faut
signaler l'aménagement du port fluvial de Bamako afin de le
relier à l'extrémité du chemin de fer Conakry-Niger s'arrê-
tant à Kankan et la construction de routes â l'intérieur du
pays.
Mais en fonction de l'intérêt économique unique de la seule
métropole.
Pays â vocation essentiellement agricole et pastorale y
le Soudan connut l'introduction d'une activité économique
"moderne" ~ côté du secteur traditionnel. Par "moderne" il
faut entendre inconnu jusqu'à la colonisation. Ce sont des cul-
tures introduites et impos6es par le colonisateur : arachide
et coton notamment. Ces cultures seront systématiquement
développées en fonction du besoin des industries françaises
(l)
KI-ZERBO
Hi~toi~e de i'A6~;que Noi~e d'Hie~ à Vemain,
Paris: Hatier, li72, page 429
./ .

./.
de transformation. Nous reviendrons plus loin sur les métho-
des d'exploitation et de commercialisation de ces produits.
L'arachide et le coton n'êtaient pas les seuls auxquels s'in-
téressera l'industrie française. En effet on peut lire dans
Wangrin
"Le gouvernement du territoire répercuta dans tous
les cercles des instructions spéciales en vue d'in-
tensifier la campagne dite "produit de cueillette".
L'industrie de la m6tropole en avait besoin pour son
extension et son expansion (1).
A côté des puissantes sociétés commerciales et indus-
trielles ayant le monopole de l'import-export entre la France
et sa colonie, surgiront des 1ntermêdiaires pour le commerce

du demi-gros et même du détail: il s'agit des Lrbano-syriens.
Bien qu'ils ne soient pas des Blancs-Blancs nés en France",
leur statut avoisinait celui des Français.
Dans l'Ombre du Passé, Issa Baba Traoré écrit que
les propos mensongers circulaient à Tamballa sur le compte de
l'instituteur Monsieur Ali, victime du dévouement pour son
métier qu'il exerçait comme un sacerdoce. Il était injustement
accusé d'avoir fracturé le membre d'un de ses élèves qu'il
1
aurait roué de coups. On l'accusait également d'être un con-
f
cussionnaire et un libertin :
"Les échos parvinrent ii Fahroud (le commerçant liba-
nais du bourg). Il fit venir Monsieur Ali et, attn-
blé devant une bouteille de whisky, l'oeil atone et
la voi.x pateuse, le blama sévèrement au nom du "Gou-
v4nement de la République FRANcE -
Il
(2).
1
1:
i
Ainsi donc, partout où l'administrateur français se
f
f!
(1)
L'E~~ange de~~~n de Wang~~n, op. c~~., page 271
1
(2)
L'Omb~e du Pa~~é, op. c~~.J page 18
./.

23tf
.1.
trouve absent, le simple commerçant libanais, de par la cou-
leur de sa peau, peut se substituer à lui. Les effets de cet-
te substitution de pouvoir (ou délégation de pouvoir s'il y
a complicité de la part du commandant) seront incalculables
pour les Noirs. Corroborant cette prédiction, l'auteur de
L'Ombre du Passé écrit :
"Cependant, il refusa (le mattre Ali) un matin d'a-
bandonner sa classe pour s'occuper de la correspon-
dance de Fahroud. Celui-ci le tratta alors d'ingrat
ce qui acheva de les brouiller. Et depuis, le Liba-
nais avait nourri le secret désir de perdre le
mattre. Il saisit donc au vol cette affaire d'élêve
qui venait de s'offrir à lui .••," (1).
D'ailleurs poursuit l'auteur: "Fahroud était craint
à l'égal du commandant de cercle dont il était l'ami"
(2).
Le cowmerçant blanc n'oublie pas cependant sa prin-
cipale activité qui est d'ordre économique. En effet "les
Libano-Syriens qui ont des frais généraux réduits au maximum,
arrivaient à se tailler une place dans le commerce de détail
et parfois du demi-gros" (3).
Et Issa Baba Traoré dénonce là aussi la collusion
administrateur-commerçant blanc :
"La traite de l'arachide venait de s'ouvrir. C'était
l'occasion pour l'administration coloniale de mettre,
sous le fallacieux prétexte de collecter les impOts,
les paysans dans la triste obligation de livrer les
produits à bas prix à ses alliés commerçants". (4)
(1)
L'Omb~e du Pa~~é, op. c~~., page 21
(M~(2) Ibidem, page 24
~et (3) XI-ZERDO : H~4~o~~e de i'An~~que No~~e d'H~e~ à Vem~n,
. 0 p
c~~., page 430
.1.

..
,
./.
L'auteur illustre alors le pouvoir de ce commerçant
blanc
"Il fallait en effet, qu'avant huit heures les sacs
d'arachides fussent entassés dans la cour de la
factorerie, ou alors, c'était Fahroud le volumineux
commerçant libanais du bourg qui leur distribuait
de bons coups de pied" ( 1) .
La protection de l'administration et l'absence de
tout concurrent dans le secteur oü s'installe le commerçant
blanc, sont autant de facteurs qui font que le Libanais, au
mépris de toute règle de droit commercial, n'agit qu'en ac-
cord avec sa propre morale :
"Et toujours les petits ânes gris arrivaient au trot
livrer leurs charges au commerçant. Celui-ci jugeait
de la qualité du produit, en fixait froidement le
prix et le payait comme il l'entendait: quelques
billets de banque complétés soit avec quelques mètres
de percale ou de crétone, soit avec du sel et des mor-
ceaux de savon de Marseille. Le paysan n'avait pas
le choix. Comment en serait-il d'ailleurs autrement?
Fahroud était le seul à prendre les arachides de
Tamballa et des environs et depuis la dernière lune,
deux gardes avaient passé dans le pays et avaient
annoncé la très prochaine collecte des impOts" (2).
Si l'auteur critique ici les méthodes frauduleuses
du commerçant blanc, la derniêre phrase n'est-elle pas révé-
latrice du climat de complicité entre ce dernier et l'adminis-
tration ? Ce n'est pas par pur hasard que la traite des pro-
duits correspond avec la période de collecte des impOts,
il s'agit d'une. connivence,. d'une machination orchestrée:
(1)
L'Omb4e du Pa~~é, op. cit., page Il
(2) Ibidem, page 35
./.

.1.
"Chaque année il fallait payer le "droit ~ la vie".
Le Blanc reprenait les billets laissés en échange
des arachides, du miel, des cuirs et peaux, du kapok
qu'il avait emportés dans ses gros camions. Comme
si les billets fabriqués par lui n'étaient parvenus
au village que pour amuser un temps. Le chef Nango
faisait proclamer par Kotou son envoyé aux yeux
ronds : Le Maitre des deux sources de la nourriture,
la terre et les eaux, exige tant de chacun" (1).
A travers ces propos rapportés par l'auteur du Sang
qes Masques, on voit que dans l'esprit des paysans, adminis-
trateur et commerçant-blanc ne font qu'un seul et même person-
nage. L'administration ne faisait collecter les impôts que
lorsque le commerçant avait daigné donner quelques pauvres
billets aux paysans en échange des produits de leurs récoltes.
La main-mise du commerçant libano-syrien sur le
secteur agricole est à l'origine de la fortune colossale qu'il
a amassée en si peu de temps. La communauté s'agrandira par
le jeu de l'immigration, les nouveaux venus étant soutenus
et protégés par leurs compatriotes oomme nous le dit Issa
Baba Traoré
"Ce qui faisait de temps en temps dire à Fahroud que
la "draide" décidément s'annonçait bonne et qu'il
pouvait désormais envisager la possibilité de faire
venir encore un autre frère ou même un cousin éloi-
gné du Liban, qu'il installerait dans un autre bourg
avec, bien entendu, la sainte bénédiction du comman-
dant de cercle" (2).
Cette communauté devint ainsi de plus en plus forte
(1)
Le Sang de~ Ma~que~, op. cit., page 126
(2) L'Omb~e du Pa~~é, op. cit., page 36
.1.

.1.
numériquement. Elle s'est constituée en classe, formant écran
entre les compagnies françaises productrices d'articles manu-
facturés et la population soudanaise consommatrice et déten-
trice de matière premières. Lorsque les autochtones plus tard
s'adonneront à l'activité commerciale, leurs efforts tendront
non pas à essayer de ruiner le commerce des Libano-Syriens,
.
mais à lutter contre le système des intermédiaires. Nous y
reviendrons plus loin.
Nous n'allons pas clore ce chapitre sans parler d'une
dernière catégorie de Blancs : ceux qui arrivent en Afrique,
conduits par les motifs les plus divers et dont les types
varient des aventuriers à la cons.cience trouble, aux "héros"
de la coopération en passant par les "pionniers" du chris-
tianisme et les humanistes.
Par "aventuriers" nous voulons faire allusion à
tous ceux parmi les Français qui, attirés par les richesses
de l'Afrique et la facilité accordée à tous les Blancs qui y
débarquent, viennent tenter leur chance. Dans Wangrin, Monsieur
et Madame Terreau, un couple aux allures louches, en est un
. exemple. Bien que vivant maritalement, les deux individus
n'en mènent pas moins une existence des plus libertihes. Si
le "mari" se fait passer pour un entrepreneur pour qui la
mécanique auto n'a aucun secret, la "femme", patronne d'un
bar, se fait entratneuse à ses heures. Elle finit un jour par
avouer à Wangrin :
"En France j'étais secrétaire d'un grand ministre
dont j'étais également la mattresse. Mais il trempa
dans une affaire financière louche. Son gouvernement
tomba et la police s'intéressa à moi. De peur que je
ne parlasse trop, mon amant et patron me conseilla
de me faire oublier un moment. Il me confia à un
capitaine de navire en partance pour Dakar oft, m'a-
vai t-on dit, une place m'a ttendai t Il . ( 1) •
(1)
L'EtILange. de.6t-i.n de WangIL-i.y,
op.
c-i.t., page 394
.1.

.:'
.1.
D'autres émigrants comme Madame Alain et son mari
dans Une main amie, viennent en Afrique pour des affaires qui
leur permettront, tellement elles sont florissantes, d'ouvrir
un fonds de commerce à leur retour en Europe :
"Au cours de nos entretiens, elle m'apprit qu'elle
était la propri~taire du bar des Gorces du Verdon
qu'elle et son mari avaient acheté de retour d'Afri-
que. Le mari était retourné en Afrique pour des
affaires" (1).
La politique coloniale de la France évoluera comme
nous allons le voir, en revêtant un autre caractère: à l'as-
pect économique viendra s'ajouter un aspect démographique.
C'est la politique de peuplement qui a déjà fait ses preuves
en Algérie. Nous avons dit plus haut que la politique colonia-
le française en Afrique noire fut longtemps faite de tâton-
nements (installation de quelques comptoirs). ,Mais, à partir
de 1845, ce tâtonnement cesse, Les gouverneurs, tel Faidherbe,
veulent faire du Sénégal (et des autres colonies), ce que
leurs collègues ont fait de l'Algérie. C'est Madame Alain
dans Une Main amie qui nous explique tout le ressort de cette
politique :
"Jeune encore, avant de suivre les cours de l'école
commerciale de vente, il (Alain) avait suivi des cours
de moto-pompiste, avait obtenu un certificat de
spécialitê et exercé dans une usine d'eaux avant
d'~tre appèlé au service militaire ••• (A son retour)
si en Métropole cette spécialité était de peu d' impv'r-
tance, vu le nombre de gens qui l'exerçaient sans sa-
tisfaction matérielle, pensait-il, son exercice ail-
leurs, par exemple outre-atlantique, pouvait par con-
tre être une situation enviable ••• " (2).
(1)
(2) Une. Main Amie., op. cit.,
page 61
.1.

239
./.
La politique de la France consista à offrir à ses
ressortissants des postes lucratifs sans regarder de prês
leurs diplômes et leurs aptitudes. Beaucoup seront tentés
par ce qu'on appellera plus tard du nom de coopération:
"Son idée (Alain) était arrêtée dês lors. Il voulait
partir en Afrique 1•.. Il reçut des faveurs presque
exceptionnelles ; en recevant un poste de chef de
station de pompage dans la zone de Dakar, au Sénégal.
Outre les avantages de logement et des diverses com-
modités ; on lui avait laissé croire que le traite-
ment serait bénéfique. Déjà au départ il devait tou~
cher une prime importante de plusieurs centaines de
milliers de francs au titre de "départ Outre-Mer" (1) •
Au titre de cette coopération, la France déversera
sur l'Afrique, une partie de ses ressortissants qui viendront
exercer toutes sortes de professions : ouvriers, techniciens,
enseignants, médecins etc, souvent sans qualification, mais
également sans moralité. C'est ce que pense l'auteur du Res-
capé de l' Ethylos.·
Des médecins, ou de simples individus se revêtant
de ce titre, viennent en Afrique pour se faire la main,
pense le héros-narrateur qui cite un exemple :
"Un petit élêve de l'école de la banlieue de Sikasso
fut évacué sur ma formation sanitaire, par un clair
matin de mars pour "début d'étranglement hernaire" ...
Je fus aussitôt persuadé que le petit ne pouvait être
opéré que dans une formation mieux outillée. Je ju-
geais en conséquence plus salutaire de l'évacuer
immédiatement sur l'ambulance de Bobo, distance de
cent vingt kilomêtres •••
(Il s'agit sQrement dans
l'esprit de l'auteur de l'évacuer par l'ambulance
(1) Une Ma~n Am~e,
op. e~~., page 62
./.

240
./.
sur le dispensaire de Bobo) •.. Mais comme toujours
survint le Médecin-chef de la trypanosomiase. Il
était docteur en Médecine, je ne lui avais pas connu
de qualité de chirurgien ; mais comme il était blanc,
sa peau lui en donnait droit. Il me mit les bâtons
dans les roues. Délibérément, il téléphona au Com-
mandant de cercle pour lui proposer d'opérer d'urgen-
ce, le malade. Il lui précisa qu'à cet effet, il
avait demandé au médecin africain d'être son aide
et que, comme toujours, celui-ci se trouvait dans
les vignes du Seigneur" (1).
Le héros-narrateur refusa de se prêter à cette mas-
carade qui revêtait à ses yeux la forme d'un attentat:
"Mon
jeune Docteur en Médecine" ne voulut rien en-
tendre. Il voulait s'exercer sur le malade, car il
n'avait jamais encore jonglé dans une cavité péri-
tonale. Ce petit nègre devenait pour lui une chance
inespérée de se "faire la main" (2).
Donc, si ces Blancs débarquant en Afrique au titre de
la coopération sont honnêtes ou animés par la volonté de met-
tre leurs connaissances et leurs expériences au service du
continent noir, ils fini~sent, la cohabitation et la mauvaise
fréquentation aidant, par laisser corrompre leur âme noble.
S'ils travaillent dans l'administration, ils finissent par
rudoyer leurs subordonnés : ces "sales nègres" et ces "pares-
seux". S'ils font du commerce, ils finissent aussi par épouser
la doctrine du "profit à tout prix". Ceux, assez rares, qui
ont un sursaut de conscience, sont rapidement mis à l'index,
menacés ou rejetés sans ménagement
par la petite communauté
qui a son.honneur et ses intérêts à défendre. Les égarés fi-
nissent par intégrer les rangs ou bien, par toutes sortes de
tractations, on se débarrassera d'eux en les faisant rapatrier.
(1)-(2) Le Re~capé de i'Ethyto~, op. c~t., pages 270-271
...
, .,

24t
.1.
Tel sera le cas de Quinomel, un personnage que nous avons
déj~ vu dans Wangrin :
"Les Europ6ens n'aimaient pas Quinomel. Ils l'évitai-
ent après l'avoir méchamment surnommé "dame-jeanne-
vivante". Quinomel qui avait mille fois bravé la
mort, souffrait énormément du mépris de ses compatrio
tes. et fuyait devant leur dédain comme un couard.
Voulant noyer ses soucis, il se retrancha dans l'al-
cool oü son âme de ~~ fit naufrage. Ainsi devint-
il maniaque et solit .. :'re" (1).
En dehors de ces coopérants, l'Afrique noire attirait
aussi des humanistes. Selon les dires actuels des africanis-
tes, la présence èuropéenne la plus pernicieuse, fut celle
dite scientifique. Elle comprenait des Blancs de toutes forma-
tions et de toutes vertus, animés par la soif de conna!tre
l'int6rieur du continent •. Ces Européens s'enfonçaient en
vue de l'exploration de nouvelles terres, de la connaissance
des détails de géographie physique (montagne et cours d'eaux)
ou de la découverte des peuples noirs dont on parle depuis
les Temps médiévaux.
~
Si les historiens maliens citent fréquemment les
noms d'un René Caillé, d'un Mongo Park, d'un Binger, les
romanciers veulent associer à ceux-là des sociologues, des
ethnologues, des anthropologue "et autres analogues".
Yambo OUOLOGUEM parle de l'arrivêe dans la capitale'
du Nakem~d'une famille d'Allemands qu':!:l traite innocemment ..
d'''explorateurs-touristes''. Mais l'auteur du Devoir de violen-
ce
devient ironique à leur égard lorsqu'il écrit:
"Dès le lendemain, l'ethnologue transcrivit les dires
d'informateurs mandés par Saif ••• Les idées dès lors.
emplirent la cervelle des Shrobenius, et tous, ven-
~
s.
(1) L'Et~ange de~t~n de Wang~~n, op. c~t., page 129
./.

242
./.
dant de la spiritualité au mètre, se promenaient,
lit
sourcil inquiet, dans la cour des Acacias ••• 11 (1).
,
Le ton devient sarcastique lorsque l'auteur parle de
l~ fausse prétention de certains Européens A vouloir connal-
tre l'Afrique mieux que les Africains eux-mêmes et de pouvoir
par la suite en traiter
"Salf iabula et l'interprête traduisit, Madoubo ré-
péta en français, raffinant les subtilités qui fai-
saient le bonheur de Shrobenius, écrevisse humaine
frappée de la manie tâtonnante de vouloir ressusci-
ter, sous couleur d'anatomie culturelle, un univers
africain gui ne correspondait, ~ plus rien de vivant
habillé avec une élégance tapageuse de colon en fête,
riant souvent, il voulait trouver un sens métaphysi"
que à tout, jusque à la forme de l'arbre à palabres
oü devisaient les notables. Gesticulant à tout propos,
1
il étalait son "amitié ll pour l'Afrique et son savoir
orageux avec une assurance de bachelier repêché. Il

1
1
considêrait que la vie africaine étai. art pur,
1
symbolisme effroyablement religieux, civilisation
.
1
jadis grandiose - hélas victime des vicissitudes
.
.
de l'homme blanc - puis~ sitOt qu'il lu\\ fallait
constater l'aridité spirituelle de certaines manifes-
tations de ~a vie sociele, il tombait dans une sorte
de somnolence hébétée,. étant même incapable de tris-
te s se" ( 2) •
wOès le départ, l'auteur du De,.,irdi1e Violence, par ,
la seule énumération des bagages des étrang~rs "encombrés
de malles et caisses", dénonçait leur intention voilée
"(En fait) ces ethnologues voulaient acheter trois

(1)
L~ Vevo~~ d~ V~ot~nce, ~p. c~t., page 102
(2) Ibidem, page 102
~
./ .

"';,.
.... ' ,..
",~-*",,,,,,.,,,,
'.
243.
.1.
.
~.
~.
tonnes de vieux bois ~ prix cl' or, amassant masques
nègres 3 profusion (1).
j
D'autres romanciers maliens sont prêoccupéspar ce
thème, c'est notamment le cas de Seydou Badian. Présentant
!
Noces Sacrées
sous le titre de "l-1ain basse sur les fétiches",
Jacques Chévrier déclare que "Depuis que Picasso a lancé la
mode de l'art nègre, au début de ce siècle, les amateurs de
primitivisme et d'exotisme ont effectivement fait main basse
sur bon nombre de statuettes et de masques sacrés détenus
dans les sanctuaires traditionnels et dont s'enorguellit au-
jourd'hui plus d'un mus~e d'Europe ou des Etats-Unis" (2).
Décrivant la filière que prennent les masques et
:·1j
les statuettes nègres pillés en Afrique, OUOLOGUEM dévoilait
i
!
déjà dans son roman le nom des organisateurs
" .•• L'évêque de Saignac osa faire ce que des com-
merçants blancs lui conseillaient : amasser dans un
acte solennel toutes les idoles des convertis. Mais
on ne brOla de ces masques-idoles que les plus inex-
pressifs, les moins anciens. Or des soldats ••• venus
en France, eurent la surprise de constater que ces
mêmes masques, ces mêmes idoles, étaient, non point
brOlés 3 ce que prétendait l'évêque de Saignac, mais
trafiqués, vendus 3 prix d'or aux antiquaires, col-
lectionneurs, musées, boutiques. Le bénéfice en reve-
nait 3 l'Eglise, laquelle se disait ruinée au Nakem

par l'a~~ des miséreux, leur gra~de indigence, et
la modicité des crédits de l'E~li~) insuffisante
3 satisfaire tant de besoins" (3).
Ce n'est pas le seul reproche d'escroquerie que les
(1)
Le Vevo~~ de V~otence, op. c~t., page 102
(2) Jacques CHEVRIER : Ma~n Ba~~e ~U~ te~ F~t~che~, Jeune Afri-

nO 872, page 70
(3) Le Vevoùr.. de V~otence, op. c~t., pagé 91
.1·
cS'

" f
244;
.1.
r0It\\itlnciers maliens adressent à l'Eglise et aux prêtres, "sol-
l
'
dats" prétendus du Christianisme. Ils affirment à la suite
d'Aimé CESAIRE "que le grand responsable dans ce domaine (la
colonisation) est le pédantisme chrétien, pour avoir posé les
équations malhonnêtes : CHRISTIANISME = CIVILISATION ~ PAGA-
NISrm - SAUVAGERIE, d'oü ne pouvaient que s'ensuivre d'abomi-
nables conséquences colonialistes et racistes dont les victi-
mes devaient être les Indiens, les Jaunes, les Nègres" (1).
Nous avons déj~ esquissé dans notre travail de mé-
moire sur "Le marabout dans le roman ouest africain franco-
phone" le rôle de l'Eglise en Afrique noire. Nous y avons pré-
cisément cité Le Devoir de Violence. Nous y reviendrons dans
le sous-chapitre intitulé: "La parodie de l'histoire afri-
~.';.
' j
caine".
Faisant écho à Yarnbo OUOLOGUEM, Hampaté BA dénonce
à son tour le covcnant entre l'administration coloniale, la
chambre de commerce et le clergé catholique. L'auteur dit
dans Wangrin que la chambre de commerce (en la personnel de
son président et de quelques gros commerçants) ~crit un jour
' . , j
au gouvernement français pour demander la mutation d'un com-
mandant de cercle qui refusait de jouer leur jeu, c'est-à-
dire qui faisait montre de probité morale. En recevant sa
décision de mutation ce dernier
comprit l'ampleur de la caba-
!;
le montée contre lui, d'autant plus que son prédécesseur
l'avait mis en garde contre cette coalition
"Tant q~, tu auras Wangrin comme interprête et pre-
-1
..\\te. .
'~~.'" ...
mier inftirmateur, lui avait-il di~tu pourras être
tranquille. Tu n'ignoreras rien . 'li t'aidera à dérou-
ler l'écheveau politique le plus emmêlé. Il déjouera
en souriant tous les tours qu'ils viennent de liEgli-'
se ou de la chambre de commerce" (2).
(1) Aimé CESAIRE: V-iLlcOLLlL~ ~LLlL te. Coton.iai..iLlme., op. c..i:t.,
page 9
(2)
L'E:t4ange de.~:t..in de. Wang4-in, op. c..i:t., page 283
, .1.

.. -....
.1.
L'auteur ajoute en note que les pères blancs cr~aient
parfois beaucoup de difficultés aux adminstrateurs
non chrétiens.
De même Wangrin, qui avait eu un démêlé avec un au-
tre interprêtc, devait s'inquiéter de l'appui dont ce dernier
jouissait
....
"Mon commandant, dit-il, Romo est soutenu par trois
.~
administrateurs. Par ailleurs il vient de pactiser
avec l'Eglise et avec la chambre de commerce.Sa
présence ne nous amènera pas du repos"
(1).
Et pour déjouer la machination, il décide de prépa-
rer la contre-offensive :
"J'ai l'intention de m'installer comme commerçant
et croyez-moi, mon commandant, je vais devenir une
arête dans la gorge de Romo comme dans celle de la
chambre de commerce. Et soit dit entre nous, ce
" j
n'est pas moi qui irais le dimanche à l'Eglise me
confesser et recevoir la communion. Je ne tiens
nullement à dépendre inconditionnellement des "gran-
des barbes" et "chapelets au cou" Cl bis).
'.'("
(
L'ironie de l'auteur perce à travers l'emploi de
ces sobriquets servant 3 désigner les pères blancs des missions
'.;
t·~
catholiques. A la suite de ses paires, Hampaté BA insinue
ainsi que si l'Eq~ise a échoué en Afrique dans sa mission
évangélisatrice et civilisatrice, c'est qud le missionnaire
n'a jamais cherché à connattre la psychologie des Noirs, pour
savoir ce qui leur convenait dans ce qu'il leur apportait.
Il a soutenu l'administrateur et ensemble ils ont voulu impo--
ser tout de suite leur morale et leur religion, au détriment
(1)
L'E~4ange de~~ln de Wang4ln, op. cl~., page 283
..1
.1.
i
(...,

"'J<-
./.
des moeurs et des croyances ancestrales.
Et ces Noirs, qu'ont-ils pensé de la colonisation
en g~nêral, de l'administrateur, du commerçant blanc, des
autres Européens et des missionnaires en particulier ?
Si l'emprise des Europêens a continué à peser lour-
dement sur les "indigènes", le statut de ces derniers a-t-il
évolué en un demi-siècle de colonisation ?
'.~
...."... '
"'~- -
';-.~

.'
....--:-.,.~ ... ~~, ...:-

""
,1,- •
~t .
L'EVOLUTION DU SORT DES COLONISES
Les romanciers ont 6tudié, souvent sans passion, le
sort fait aux Noirs en général dans la colonie française d u '
.
Soudan, ceux qu'on désignait par: "sujets français".
,
lIIi:
L'appelation de "sujets français" couvrait deux caté-
gories d'individus formant néanmoins la population indigène.
D'un cOté, tous les intellectuels africains qui n'ont pas:
eu la chance de na!tre sur les territoires des communes de
J
Dakar, Gorée, Rufisque
et Saint-Louis; de l'autre, se trou-
<,
ve la grande masse qui regroupe pêle-mêle les petits commer-
çants, les ouvriers, les artisans et les paysans. Les seconds
enviaient les premiers alors que tous (ou a peu près) logeai-
ent a la même enseigne, du moins dans l'esprit du colonisa-
teur.
Nous allons donc examiner, à la lumière des témoi-
gnages que nous retrouvons dans les différents romans maliens,
l'évolution de la condition des habitants du Soudan français,

sur le plan politique d'abord, ensuite économique, social et
culturel. Nous livrerons également quelques jugements portés
sur le Blanc et les intermédiaires du système
colonial.
Mais, pour plus de clarté, nous avons adopté un
plan en deux points : les aspects négatifs puis positifs de
la colonisation.
La traite négrière n'est pas â proprement parler,
évoquée par les romanciers maliens. Sans doute est-ce une
étapedéja lointaine de la phase d'européanisation du conti-
nent noir.
Mais, comme séquelles de cette époque humiliante
pour le genre humain, les Blancs ont conservé l'habitude d'in-
fériorisation de tous ceux qui n'avaient pas la même couleur
./.
,
,

,.
_ ...'''''I!.
t"-·
./.
de peau qu'eux. Les Noirs, eux, ont gardé en mémoire le sou-
venir de leur défaite militaire et de la condition dans la-
quelle certains des leurs étaient enchaînés, transportés
outre-Atlantique et employés dans des conditions inhumaines
aux travaux domestiques ou dans les plantations.
Ceux qui sont demeurés sur le continent, ne devaient
pas se sentir p'lus heureux que les déportés. Quotidiennement
battus, ligotés, jet~s en prison, ils vivront dans la crainte
du Blanc. Mais, la roue de l' histoire qui tourne irréversible-
ment, entraînera un changement progressif dans le sort des
colonisés; d'abord sur le plan politique.
Dans la colonie du Soudan français avons-nous dit,
tous les Noirs étaient des "sujets français". En clair, ils
n'avaient ni le droit de vote
pour élire leurs représentan~
au parlement français, ni celui d'être consul tés lorsqu'il'"
s'agissait de décider de leur sort. Cette quasi-inexistence
des Soudanais sur le plan juridique n'était-elle pas para-
doxale en elle-même ?
La loi coloniale ne comportant aucun article pour
protéger les Soudanais, ceux-ci étaient taillables ct corvéa~
bles ~ merci. Un Blanc, quelles que soient son origine socia-
le et la fonction qu'il occupe dans la colonie, avait droit
de vie et de mort sur tous les colonisés. Amadou Hampaté DA
nous a dit dans
L'Etrange destin de Wangrin que, quelqu'en
soit le mobile, tout litige entre un DIane et un Noir, est
tranché au détriment de dernier. Et si la vérité est trop
criante, la justice coloniale tente d'étouffer l'affaire et
de muter provisoirement le Blanc fautif. Ou bien, comme nous
dit l'auteur du Rescapé de l'Ethylos, une vaste cabale est
montée, qui aboutira ~ trouver des motifs surabondants per-
mettant à la longue de condamner le colonisé. Ce fut toujours
le cas, dans les griefs qui opposaient "R.G." à des fonction-
./.

~49
.1.
naires coloniaux ou des mêdecins blancs incompétents.
La masse populaire était le plus ~ plaindre. En ef-
fet, les "indigènes", du fait qu'ils ne savaient pas "manier
la langue et l'écriture du Blanc", étaient traités comme de
grands enfants qu'il fallait corriger. Pour un motif quelcon-
que, ils s'exposaient à la bastonnade ou ~ la prison : "Ces
condamnations, relevant du code de l'indigênat, étaient pro-
noncées sans jugement" (1).
Les fonctionnaires, "indigènes" eux non plus, ne
connaissaient pas un meilleur traitement.
L'auteur du Rescapé de l'Ethylos nous parle de la
discrimination pratiquée en matièrè d'enseignement, entre
Blancs et Noirs. Dien qu'ayant subi une "importante forma~.
hospitalière", le héros-narrateur se voit attribuer un diplô-
me bâtard :
"J'étais "serglnt-infirmier êl ti!:re indigène". Sans
commentaires •.• Oui, sergent infirmier â
titre indi-
gène malgré mon. teint "n~9'rG-ara~o" et mon vaillant
l;:?etit curriculwn vi~ee· cs mllr1ccine, biep que je dus-
se remplacer un médecin commandant qui avait rempli
là les hautes fonctions de médecin traitant. Je
,
portais de ce fait, la double tunique de la respon-
sabilité et de l'irresponsabilité ••• " (2).
Le Blanc exigera par contre du fonctionnaire noir
qu'il travaille sans relâche et même que ce dernier fasse sa
besogne ~ sa place. Mais "un fonctionnaire sur dix mille est
félicité, et ce, rarement d'ailleurs, parce que tout le monde
trouvera naturel que vous accomplissez bien votre tâche .•. "(3) 0
(1) L'Et~ange de~tin de Wang~in, op. cit., page 263
(2) Le Re~capê de t'Ethyio~, op. cit., page 130
(3) Ibidem, page 196
·1.

r··~"'-~.oiIi!·;- ,
".~ ..
',-
L'auteur de Femme d'Afrique intervient pour se plain-
.~
dre d'une autre injustice'dont souffraient les fonctionnaires
1
"indigênes ll •
~;'~~
,. 1
IIAprès quelques échanges de correspondance. affectu-
~
euse, nous décidâmes de nous marier / .• ~/. A l'issue
i
de trois semaines de lune de miel, chacun rejoignit
1
son poste. Cela était tout à fait normal pour des
1
fonctionnaires autochtones sous le régime colonial.
Parfois le cynisme des colonialistes les poussait
jusqu'à diviser de vieux ménages"
(1).
Le même auteur nous cite, entre autres exemples,
la discrimination dans les moyens de transport. Aoua KeIta,
bien que fonctionnaire au même titre que n'importe qui, se
trouvera pratiquement isolé dans le bateau à bord duquel ~
voyageait. Ses frères de race étaient entassés sans égard ~
3e et 4e classes et étaient séparés, tels des pestiférés,
.~
des voyageurs blancs. Mais moralement, l'auteur ne souffrait
pas moins qu'eux.
"Les passagers de le et 2e classes étaient tous
blancs, Français ou Libano-Syriens. Sur les balcons~
dans les salles à manger
et salons, ma présence
; -. -.:.-~
mettait une fausse note â l'ambiance. Ouelques rares
hommes me disaient bonjour,
timidement /"~/' Toutes
les femmes sans exception me regardaient de travers.
Elles poussèrent leur stupidité jusqu'à demander au
commissaire du bord certaines mesures discriminatoi-
res a mon égard, comme me servir en dernier lieu à
table, m'autoriser l'accès de la salle de bains
commune en dernier lieu ••• " (2).
1
1
(1) Femme d'A6~ique,
op. ~it., page 45
(2) Ibidem, page 29
1
./ .

,
'
. '
lfil/ -4f
~,\\.1
"'l&'"
~,
La discrimination entre Blancs et Noirs s'étendait
jusque dans des détails qui peuvent parattre aujourd'hui ab-
surdes.
Citons entre autres, ce passage assez révélateur qui
se trouve dans L'Etrange destin de Wangrin.Le jeune frère de
Wangrin, déguisé en commerçant, donc manipulant les fonds qU8
son atné a accumulés dans sa carrière d'interprête, veut s'ins-
taller ~ Dioussola. Il commence à cet effet par payer la
patente de le classe qui, ~ cause de son prix, était jusqu'ici
demeurée l'exclusivité des grosses maisons de commerce. Ce
geste lui vaut quelques faveurs :
"Ainsi, tous les papiers de Fambougouri furent précé-
dés du titre de "Monsieur", grandement honol:ifique
pour tout sujet français dont le nom devait être;j~*
i~variablement précédé des mots : flle nommé". Le -f.,
titre de "Monsieur" n'était en effet donné qu'aux
Européens et aux indigènes originaires des quatre
communes du Sénégal: Dakar, Gorée, Saint-Louis et
Rufisque, qui bénéficiaient du statut de citoyens
français" (1).
Si~us examinons ~ présent le domaine économique,
~'::~"
nous constaterons que le sort des colonisés n'y était pas
enviable non plus. Les Soudanais, comme tous les autres Afri-
cains, seront entraînés ~ leur défendant, dans le vaste sys-
tème conçu et mis en place par le colonisateur. Entre autres
mesures impopulaires prises à leur égard, le système de lfin-
digénat. En plus des impOts qui devenaient de plus en plus
1
lourds et impopulaires, les romanciers ont critiqué la con-
1
cussion des commandants de cercle et des auxiliaires africains
i
qui les servaient. Nous en avons longuement parlé dans un cha-
!
,
pitre précédent. A cela s'ajoutaient la conscription et les
!
1
l
(1) L'f~4nge de6~~n de Wang~in, op. ei~.,
page 279
t
.1.
'."i.·
"~'1
J
1

· ~". ~.T;;""'" . 1
1
.. ~/···
~~
prestations décretées lors des deux guerres mondiales. A la
suite des historiens, Seydou Badian et Amadou Hampaté BA par
exemple, ont longuement évoqué ces tristes périodes dans leurs
romans.
L'effort de guerre, comme on l'appelait, consistait
en une levée en masse. Le Soudan, à l'instar des autres pays
de l'A.O.F. a envoyé au front des "tirailleurs sénégalais",
qui rappellent les engagés dans l'armée coloniale de conquête.
Ces tirailleurs, durant la guerre, serviront donc de "chair à
canon" ; expression bien connue de Napoléàn Bonaparte, pour
désigner les conscrits. "Des jeunes se sont dérobés par la
suite au service militaire, lorsque la guerre eut ramené des
mutilés, des défigurés, des diminués physiques sortis de
l'enfer de Verdun,de la somme, de la Marne Let autres lieux
célèbre~/. Il y eut même des r6voltes ouvertes, durement r~tri­
mées, comme celle du Bélédougou sous Diossé Traoré" (1). Nous
avons évoqué cette révolte historique dans la première partie
de ce travail.
Tous les conscrits ne partaient pas cependant pour
.'Î~.
"
le front; c'est le témoignage que nous retrouvons dans ~
Sang des Masques. Les "laissés pour compte", c'est-à-dire
ceux qui êt~~nt inaptes ou ceux qui devaient attendre leur
tour, étaient dirigés dans les champs des chefs de canton
comme Nango. L'auteur de : L'Etrange destin de Wangrin ajoute
que des filles étaient réquisitionnées aussi. Les jeunes gens
des deux sexes étaient employés par l'interprête à construi-
re ou réparer ses cases, à cultiver son jardin, etc.
En même temps que la constitution de ce troupeau
humain, l'indigénat permettait aussi d'arracher aux paysans,
céréales, légumes, animaux de boucherie etc, pour nourrir les
soldats engagés. Le surplus était détourné par l'interprête
ou le chef de canton.
(1) Joseph KI-ZERBO : Hi~toi~e de i'A6~ique Noi~e d'Hie~ à
Vemain, op. cit., page 438
'L..

:."
.~
f
25:3
.1.
Les romanciers dAnoncent d'autre part, la mainmise
de la France sur tous les secteurs économiques du Soudan. Ama-
dou Hampaté BA dévoile le mécanisme du commerce colonial dans
l'Etrange destin de Wangrin. L'instruction émanant du gouver-
nement du territoire était mise à ex6cution au niveau des
cercles et jusqu'aux plus petits hameaux de culture: il s'agis-
sait de la campagne dite "des produits de cueillette", qui de-
vaient alimenter en matières premières, les industries de la
métropole :
"Il appartenait aux indigènes, sous forme de corvées
camouflées, de fournir noix de karité, latex, gomme,
fibres végétales soyeuses (notamment celles du kapo-
kier) et autres produits divers. Chaque village de-
vait fou~nir une quantitê fix6e par le gouvernement
territorial en fonction des besoins de la chambre
de commerce et d'industrie. Chaque famille villageoi-
se devait envoyer ses membres petits et grands, hom-
1
mes et femmes, à travers les ronces et les pierres
coupantes, afin de ramasser les noix et les gousses
d'arbre en arbre, saigner les ficus et les goInes,
puis ramener sur leur tête la cueillette brute qu'ils
1
devaient ensuite passer de longues nuits à trier et
à ~poussiêrer au moyen de vans de fortune ou même
., .
seulement de leur souffle" (1).
Selon l'auteur, les souffrances des populations rura-
les ne s'arrêtaient pas là puisqu'elles,devaient faire achemi-
ner les produits sur leur tête ou à dos de bêtes de somme,
sur des milliers de kilomètres, jusqu'à des points précis où
les moyens de communication existants permettaient de les
faire évacuer sur la France.
Le romancier s'arrête aussi sur les cas de manoeuvres
frauduleuses grâce auxquelles les produits étaient sous-ache-
1
(l)
LI étrange destin de Wangrin . Op. Cit: page 277
. .
..,
~.
l
"


"
.,.~
~ i"\\
, .
'-".\\
254
./.
tés aux paysans. D~nonçant la collusion entre le Blanc et les
intermêdiaires locaux, Hampaté BA écrit: "Colonisateurs,
chefs de canton et gros commerçants (s'entendant à merveille)
étaient les exploiteurs de la masse paysane" (1).
Ce système d'exploitation était un mécanisme fort
simple en soi : il consistait à obliger les paysans à cueillir
ces produits (rôle du commandant)
; tandis que les matières
premières étaient achetées à vil prix, on majorait celui des
produits manufacturés entrant dans le pays (rOle des commer-
çants). En parlant de "commerçants", le romancier pense non
seulement aux Libano-Syriens, mais aussi aux chambres de com-
merce de Bordeau et de Marseille. Il ajoute que ces chambres
sont hélas,
"
plus fortes que les syndicats des administra-
teurs, plus fortes que toges, toques et brassards
des magistrats et des avocats" (2). Toujours selon
la même source, une maison comme la F.A.O. disposait
d'un capital de plus de 10 millions de francs, somme
assez fabuleuse pour l'époque,
Mais, si les Africains acceptaient (de mauvaise grâ-
ce, il faut le dire) l'implantation des grosses maisons de
\\0
commerce, c 'é'tait parce qu'elles étaient tenues par des
"Blancs-Blancs", c'est-à-dire des Français. Cependant, les
petits commerçants soudanais et le peuple avec eux, ne voyaient
pas três bien l'utilité de la présence des Libano-Syriens.
L'auteur de :Sous l'Orage nous analyse le sentiment des Sou-
danais sur la question
"Et puis, quoi vendre enfin de compte? Les Blancs
veulent tout vous vendre eux-mêmes. Le mil que nous,
cultivons, il faut qu'ils nous le revendent. Il en
est de même du riz, des arachides / •• ~/ Leurs mar-
chandises, ils les vendent d'abord aux Syriens, et
,
..1\\
(1) L'Et~dnge de~tin de Wdng~~n, op. cit., page 277

i,
, '
255
.1.
nous autres, marchands noirs, sommes obligés de ten-
'l"
dre les mains af~ que les Syriens nous permettent de
vivre. Quels bénéfices voulez-vous que nous réali-
sons ?" (l).
Cette politique discriminatoire est plus accentuée
au niveau des services de prêt pour le financement des peti-
~
tes et moyennes entreprises
~
"Quand un Blanc est ruinéj la banque peut lui avan-
;\\ltA
cer de l'argent. Mais nous, qui est-ce qui nous vient
en aide? C'est dur, c'est très dur. Les Blancs se
.,!
soutiennent entre-eux. Le commandant blanc est le
frère du commerçant blanc et un coup de téléphone
arrange tout ..• " (2).
Solidarité entre gens de même race oblige, pourrI-
t-on rétorquer, car c'est un mécanisme qui se déclenche auto-
matiquement au niveau des individus constituant une minorité.
N'empêche que les critiques formulées sont bien fondtes.
D'ailleurs, Aoua KeIta avait constaté une misère qui frOlait..
le dénuement total, au sein de la population d 'une~grande vil-
le comme Gao. Et elle écrit
"Quant aux grandes masses populaires, elles restaient
confinées dans l'ignorance complète et dans la misère
la plus noire. Leur sort n'avait subi ~cun changement
Dans le domaine socio-économique, peu ou pas d'amé-
,t
lioration. Au contraire, l'observateur attentif pou-
r~
vait sentir aisément une régression du pouvoir d'a-
1
;
chat. Les populations autochtones, surtout les villa-
geois, étaient mal nourries, mal habil16es et mal
logées. Les progrès de la science et de la technique
qui évoluaient rapidement dans les autres continents
(1) Sou~ i'O~age, ~. c~t., page 92
(2) Ibidem, page 92
.1.

256
./.
-1'
en ce plein XXe siècle, surtout en Europe et en
~"
Amérique, étaient peu ou jas connus en Afrique" (1).
L'auteur a noté également la disparité entre la ville
noire et la ville blanche â Gao et critiqué la prospérité de
..
la seconde, pour les raisons décrites plus haut.
Dans Ville cruelle, Eza BOTO écrivait â propos de la
difficile cohabitation des communautés blanche et noire de..
la ville africaine qu'il existait "deux Tanga, deux mondes,
deux destins" (2).

Nous retrouvons dans Sous l'Orage, sous une autre
formulation, la même critique de mesure discriminatoire de la
part du Blanc. Deux jeunes gens, se promènent et discutent
amicalement. Quand leurs pas les conduisent vers la ville
blanche, Samou constate :
"Quel contraste entre ce quar1lier et le nOtre. On ne
se croirait pas dans la même ville. Ici au moins les
-
yeux servent ~ quelque chose. Regarde-moi~es rues.
Elles sont larges, goudronn6es, alors que les nôtres ••.
,.
Ici, une demi-heure après la pluie, les tues sont
nettoyées et plus propres que jamais. Après la pluie,

les rues des quarti~rs indigènes deviennent des ma-
',:
res, des bourbies
. Et dire que c'est le même
administrateur qui est responsable de tout cela !
Tu te rends compte ? Je viens de compter trois lam-
pes en moins de cent mètres et, dans tout notre quar-
tier, il n'y~n a pas une seule. Non, mais il y a
de l'abus" (3).
L'accumulation des richesses dans les grandes villes
et l'attrait que le modernisme exerce sur les campagnards,
ont entralné, de l'avis de la plupart des romanciers, l'exode
(1)
Femme d'A~~~q~e, op. c~~., page 93
(2) Eza BOTO,: V~iie C~ueiie, Paris
Présence Africaine 1954,
page
(3) Sou~ l'O~age, op. c~~.,
Fage 66
./ .

./ .
rural, dont nous aurons l'occasion de parler plus loin, dans
un sous-chapitre spécial. Seydou Badian y ajoute un autre
motif, qu'il place dans la bouche d'une villageoise, dans
Sous l'Orage
"
Vous n'avez aucun ennui dans la ville et vous
vous plaignez ••• Au village, di~-elle / •. ~/ tout
voyageur qui sait lire l'écriture du Blanc est un
mattre L.~/. Nous travaillons dans le champ du Blanc.
Nous lui donnons du mil et du caoutchouc. Nous tra-
,
vaillons sur les routes et tout cela pour rien. Nos
enfants envient ceux de la ville. Ils ne pensent
qu'à fuir le village. Ceux qui vont à l'école ne nous
reviennent plus, ne nous reconnaissent plus" (1).
Les romanciers ont donc noté sur le plan économique,
que l'intrusion européenne en Afrique a provoqué des boulever-
sements considérables dont les conséquences n'en finissent pas
de se faire sentir sur la vie des
peuples colonisés.
Sur le plan social, ils reprochent à l'installation
de l'administration coloniale d'avoir entralné l'affaiblisse-
ment des pouvoirs jadis détenus par les chefs traditionnels,
lorsque ceux-ci ne sont pas purement évincés et rernplac6s par
des hommes de main du Blanc. Tel est le cas du chef Nango
dans: Le Sang des Masques.
Du relâchement des liens entre los membres de la com-
munauté villageoise ou de la cellule familiale,sont résultées
~.
la détribalisation, la dépravation des moeurs, la déliquescen-
ce des religions traditionnelles, etc.
Et les anciens accusent le Blanc d'en être le respon-
sable. N'est-ce pas lui qui a bouleversé le système géonto-
cratique, longtemps en usage en Afrique?
(1) Sou~ i'O~age, op. cit., page 93
./.

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"'.~ •. r"""~' .••. '

"L~'ch:';'~~:'~'~',.~~;~~ au viii~~~~"~~~~">~:~ g~;d~s. Il
veut qu'on le salue la main à la tempe / •. ~/. Le
Blanc nous oblige à nous découvrir pour le saluer
dites-lui que chez nous, un vieux ne se découvre pas~
Dites-lui que c'est au jeune à saluer le vieux" (1).
Le Blanc a substitu€
A la justice traditionnelle,
s,~ "Ir'pre c,... ncr~ption ,~es l' is, et sa faç.n de trancher
les li tisres. J..,t':! ù.ffaires l,-cal<;');; et mêmes les.. se-
crets les plus intimes sont ainsi étalés au grand
jour :
.....~~
"Avant, les affaires du village ne sortaient pas du
.1
village ; pourquoi nous oblige-t-il â aller au cer-
cle oü le commis nous insulte? Dites-lui que nous
ne sonunes pas bien" (2).
Les romanciers parlent aussi du bouleversement des
institutions politiques traditionnelles après l'arrivée du
Blanc. Dans les sociétés ~tatiques, le pouvoir était hérédi-
taire. Le nouveau chef était choisi parmi les proches parents
il
.·~..i
ou dans la famille du défunt, toujours parmi les notables
...
du village. Dans les sociétés anétatique, le conseil des an-
ciens se réunissait pour statuer. Mais voilà que le Blanc
a foulé au sol toutes ces organisations :
"Dans le village voisin [cite en exemple un person-
nage de Soùs l'Orage _/ il a mis un chef qui n'est
1
.
1
pas du pays, personne le ne v~ut, sauf le Blanc i les
..j
gens ont peur, alors ils tremblent" (3).
Ce système administratif mis en place pour le colo-
nisateur et s'appuyant sur des chefs locaux acquis â sa cause,
a soulevé partout au Soudan et ailleurs, la réprobation
(1) Sou~ i'O~age, op. cit., page 108
(2) Ibidem, page l~
(3) Ibidem, page 109
./.

·/.
gén6rale"des populations colonisées.
Dans Le Sang des r1asques, Seydou Badian, dans une
figure de rhétorique, déclare a propos de Kotou, un de ces
1
chefs imposés :
1
"Djala, mort depuis quelques années, dit un jour que
1
1
Kotou, pour les gens des villages, était la corde
au cou de l'esclave de jadis. Corde au noeu lâche te-
nue
au bout par le mattre ou un de ses gens, le long
d'une piste sans fin. Quelques rares fois, les pen-
sées du captif s'enfonçaient dans son passé auprès
des images d'autre temps, ou s'absorbaient dans la
.,.;
contemplation d'un beau champ, d'une nature neuve.
Il oubliait alors sa condition. Mais brutalement,
le noeu glissait, la corde le menait, le rejetant
impitoyablement dans la cruelle réalité.
Ceux qui, comme Noumouké, affirmaient à l'époque que
Djala était porté à exagérer, trouvèrent avec le terr.ps
qu'il avait vu juste" (1).
,"
(C'est nous qui soulignons).
"Piste sans fin"
est une belle comparaison entre la
sujétion et la corde. Quant à l'allégorie que nous avons sou-
lignée, elle pourrait signifier l'impossibilité de prévoir
quand prendra fin la domination française. "Beau champ et
nature neuve", sont des allégoriestpourraient symboliser la
liberté perdue, mais chère au coeur des colonisés.
Les accusations portées contre le système colonial
recouvrent également le domaine culturel. Les romanciers, ~
la suite des poètes de. la négritude, dénoncent la politique
assimilatrice de la France. Elle a provoqué entre autres, le
déracinement dont les conséquences ont été bien illustrées
par l'auteur de l'Aventure Ambiguë. Nous retrouvons les mêmes
(1)
Le Sang de~ Ma~Que~, op. e~t., page 127
.1.

~',I'C'
,
" " ' , -
, ,1".
.. ~'.;'''' ...... ,
,
...
-260
~4
1
1
qiefs sous la plume de Seydou Badian.
Dans Noces Sacrées, le personnage appelé "Docteur"
est le symbole de l'intellectuel africain qui a tourné le dos
à la culture traditionnelle.
"Le docteur n'était pas fier ~ l'idée d'aborder son
père pour demander son assistance. Non qu'il crai-
gnait un refus, mais en raison de tout un passé qu'
ils avaient en commun et dont le docteur n'avait pas
à se réjouir. En effet, dès l'âge de seize ans, le
docteur n'avait plus accepté
dans leur totalité,
q
les vues de son père sur le Ii patrimoine ancestral".
Les premiers temps, il écoutait avec politesse. Il
était convaincu, comme le disait l'instituteur, que
ce qu'il entendait n'était que fruit de l'obscuran-
tisme, de la superstition, cause du retard de l'A-
frique"
(1).
c'est cette divergence de points de vue qui est à
l'origine du conflit de générations que le même auteur a il-
lustré dans Sous l'Orage.
Même la science médicale africaine est contestée par
les détracteurs de la tradition, tel le docteur
"Quand le docteur, enfant, tombait malade, on lui
préparait des mixtures qu'il faisait mine d'accep-
ter en présence de ses parents mais qu'il se dépê-
chait de jeter dès qu'il ne se sentait plus surveil-
lé"
(2).
Les vieux et tus ceux qui n'avaient pas été à l'éco-
le, accusaient cette institution d'être à l'origine de la dé-
(1) Noee6 Sae~le6,
op. eit., page 80.
(2) Ibidem, page 80
.1 .
.....: .

,
,
l
' .." ~~ ••'-
.~"
.~
<
261
',:-
.
pravation des moeurs. Aussi, faisait-on tout pour ne pas y en-
voyer ses enfants. Dans Le Sang des Masques par exemple, l'au-
teur nous dit que l'oncle'(~'Amadou usa en vain de corruption
pour soustraire son neveu de la griffe du Blanc :
"Lorsque le Blanc le prit pour l'école, l'oncle Alou
offrit deux g~nisses à l'interprête pour le relâcher.
f.1ais le Blanc fut intraitable" (1).
De même, pour la mère d'Aoua Keita, "c'était un scan-
dale d'envoyer une fille en classe" (2)
Elle pensait, comme
0
toutes les femmes de sa catégorie, que la place de sa fille
était au foyer auprès de sa maman oü elle devait apprendre
les travaux domestiques. L!auteur poursuit :
"Ne pouvant manifester son mécontentement à mon père,
toute sa colère retombait sur moi ••• Deux ou trois
fois, elle m'empêcha carrément d'aller à l'école"(3).
se
Dans Sous l'Orage, le muezzin Fadigaidisait scanda-
lisé, non pas seulement par l'idée de voir les filles emprun-
ter le chemin de l'école, mais par la conduite contraire à
la coutume, qu'elles finissaient par adopter au contact du
Blanc :
"Kany n'était pas exactement de 1 a ~vis de son père et ~
en cela, elle paraissait donner raison ~ Fadiga le
muezzin, lequel disait à qui voulait l'entendre que
l'école était l'ennemie de la famille. Le muezzin
ajoutait que les filles qui fréquentent ce milieu
cherchent à tout résoudre par elles-mêmes et que
certaines vont jusqu'à vouloir choisir leur mari"! (4) 0
(1) Le Sang de~ Ma~que~, op. c~t., page 145
(2) et (3) femme d'A6~~qu~,
op. c~~.,
page 24
(4) Sou~ i'O~ag~, op. cit., page 22
./ .

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.",:1" .
Cornrrie nous venons dohê le voir, la grande majorité
des Soudanais voyait d'un oeil très critique la colonisation
se perpétuer dans leur pays. Généralement, les populations
prenaient le commandant de cercle pour un usurpateur de pou-
voir, gouvernant seul et pour son propre profit. L'interprê-
te, le commis et le garde leur apparaissaient comme des
"Blancs-noirs", qui formaient avec leur ma1tre, un seul et
même ennemi :
"Ne disait-on pas que le pays était comparable il un
coche tralné par deux étalons, l'un symbolisant le
roi l'autre le commandant de cercle, tandis que Romo
était le cocher de cette puissante voiture qu'il
, conduisait comme il voulait et entendait ?" (1).
Mais, si la puissance militaire et technique du
DIane a fait se baisser les têtes, les coeurs, eux, restent
altiers. Les vieux attendent des intellectuels qu'ils se fas-
sent commis pour pouvoir protéger leurs frères de race contre
certains abus du système colonial. S'ils ont assez de sagesse
pour se plier au pouvoir du Blanc, ces vieux n'acceptent pas
comme situation définitive le sort qui leur est fait. Car,
nous dit le vieux Djigui dans Sous l'Orage
"Le Blanc ne sait-il pas que quand on tremble devant
un chef, on désire secrètement le voir trembler à
son tour ?
Un chef qui fait trembler est comme une grosse pier-
re qui barre une piste. Les voyageurs l'évitent, le
contournent, puis un jour ils s'aperçoivent que le
chemin serait moins long s'il n'y avait pas la pler-
re, alors ils viennent en grand nombre et le dépla-
cent. La force ne crée pas un chef mais un adver-
saire il abattre" (2).
(1)
L'Et~a~ge de~t~n de Wang~~n, op. c~t.,
page 132
(2) Sou~ i'O~age, op. ~it., page 108
./ .

...
263
.1.·
...·*r-ious pouvons continuer' indéf~iment .~ ci ter •. Mais '.
signalons aussi,
qu'à cOté des griefs contre le système
colonial, existaient quelques témoignages de reconnaissance.
Tout n'était sans doute pas mauvais dans ce système.
i
Les Africains n'ont pas manqué d'en souligner le cOté posi-
tif, preuve de leur honnêteté.
1
Un inventaire général de la question, pourra nous
faire voir quelques nuances dans la prise de position des
romanciers maliens. A la différence d'un Yambo OUOLOGUEM ou
d'un Mamadou GOLOGO par exemple, un Amadou Hampaté BA ou un
Seydou Badian n'embouchent pas la trompette de ce que des
critiques ont appelé "la négritude agressive". Cette littûra-
ture l~, accuse violemment la colonisation de tous les mots
dont souffrent l'Afrique et la diaspora nègre. Mais, quoique
moins virulentes, leurs critiques ne sont pas moins pertinen-
tes.
L'auteur dU .:'
Sang des Masques
pense que la colo-
nisation est un mal passager. Il le dit par la bouche de Daka-
ri qui dresse le bilan àe son séjour et de ses expériences
de villageois aguéri par la ville.
Faut-il accuser le Blanc d'avoir créé la ville et le
vertige du nouveau qui y saisit l'homme?
"Le Blanc? Non, Bakari n'avait pas à s'occuper du
Blanc. Le sort de celui-ci était bien connu. Maitre
de la poudre et du fer, il rGgnerait sept fois dix
ans puis s'en retournerait chez lui, au-del~ des
grandes eaux~ •• " (1).
"Sept fois dix ans" ! Plus d'un demi-siècle de colo-
nisation. Seydou Badian prend-il pour point de départ la péné-
(1) Le Sang de~ Ma~que~, op. c~t., page 246
"'~ ,
./ .
.'.. ;.l." "oIe
••.
.. ~........

<~
-.,
.of!'"".
-
}il;'
264-
tration française au Soudan avec l'arrivée de Borgnis Oes-
bordes à Bamako en 1883, ou bien l'implantation de l'adminis-
tration coloniale après la prise de Sikasso -la dernière
citadelle" (comme dit Ojibril Tamsir NIANE) en 1898 ? Qu'im
porte.
Bakari; (bien que nous soyons encore en pleine épo-
que coloniale) est, lui, sar de ce qu'il avance. La colonisa-
tion prendra fin car
"Les vieux, sur ce point, étaient formels. Les infail-
libles l'avaient dit: "Gnanan" la colline sacrée,
"Oiby" les grandes ténèbres, "Sé" le pouvoir suprê-
me" (l).
L'auteur du Sang des Masques reconnaît que la colo-
a
nisation/cependant eu des aspects positifs, à cOté de toutes
les accusations portées contre elle :
"Vertige du nouveau ! Vertige du nouveau 1 Le villa-
ge ne niait pas les vérités de la ville. Il saluait
ses cases de pierre, ses autos, son train, ses bicy-
clettes et désirait s'initier à son langage, à ses
secrets. Sinon lui, Bakari, ne serait~il pas chez
lui ?" (2).
Sidiki Oembélé, lui, est entièrement acquis à la
cause de la modernisation de l'Afrique. Son hér~s, Kanga
Kon~, qui peut passer pour son porte-parole, exultait rien
qu'à l'idée de pouvoir quitter la petite ville de Séguela
pour venir vivre à Abidjan.
~I
"Enfin vint le jour où :l-e sort me combla. Le repré-
sentant de ma maison fut nommé au poste de directeur
1
à Abidjan. Quand il me proposa d(: l'y amener, je
t,
(1) et (2) Le Sang de~ Ma~que~, cp. c~t., page 246
./ .
\\
1
1

265
.1.
faillis lui sauter au cou, de joie. Abidjan, perle
des lagunes, Hétropo1e de la Côte d'Ivoire représen-
tait, pour le broussard que j'étais, la capitale du
modernisme occidental, ce modernisme qui m'avait
toujours fasciné et ébl~ui et au sein duquel j'allais
pouvoir m'intégrer, enfin. Aussi ma hâte de le rejoin-
dre était comparable à celle du moustique attiré
par la lumière du "pétrornax" (1).
Lorsque plus tard, les vicissitudes de la vie lui
firent quitter la COte d'Ivoire pour la France, le héros demeu-
ra absent durant six ans. A son retour, l'auteur nous dit
qu'il allait d'émerveillement en émerveillement, au vu des
transformations que la capitale ivoirienne avait subies. Dans
le ciel d'Abidjan, Kanga Koné avait déjà pu admirer "la blan-
cheur des toits d'ardoise et de tôles, le brun foncé des
tuiles" (2), au milieu de la verdure. Après le tracé des rues,
le héros s'attardera à regarder "Cocody 1 Vorguei11euse et ses
coquettes petites villas bourgeoises", le Pont Houphouët-
Boigny, les innombrables innovations dans les quartiers, mê-
me populeux.
liEn vérité, Lconc1ut Kanga Konél nulle ville, mieux
qu'Abidjan, ne méritait l'appe1ation de ville-cham-
pignon. Six ans' seulement s'étaient écoulés: à la
place des palmeraies et des marécages, des pistes
et de la brousse, s'étendait l'autoroute, se dres-
saient des bureaux, des agences, des magasins, des
garages, des brasseries ••• " (3).
A côté donc des réalisations faites gr!ce à la pré-
sence coloniale
dans le domaine de l'urbanisation, les ro-
manciers citent l'é1evation du niveau de vie des colonisés.
On se p1ait souvent à ajouter à ce bilan, la regression des
(1) Le~ Inutile~, op. cit., page 35
(2) Ibidem, page 94
(3) Ibidem, page 97
.1.
'~
"

~66
.1.
maladies et même la disparition des endémies.
Quant â l'école, si décriée par les uns, les autres
la considèrent comme l'aspect le plus positif de l'action
coloniale. Ainsi, si l'école est à l'origine du conflit de
gén~rations dans Sous l'Orage, dans Femme d'Afrique, le père
de l'héroïne, qui est pourtant de la vieille génération, en
a une conception bien différente :
n
Je remercie Dieu, par la grâce duquel les Fran-
çais ont créé une école de filles à Bamako. Je vais
de ce pas te faire inscrire. A l'ouverture de cette
école, tu iras en classe. Je te conseille la sages-
se, la politesse, le respect envers tes martres, le
travail appliqué, tout ceci dans ton intérêt et dans
celui de ta mère que tu prendras en charge après ma
mort 1 ... 1 Je compte sur toi et j'espère que tu ne
me décevras pas" (1).
Pour l'auteur du Sang des Masques, l'école permet de
't>énétrer les secrets"du Blanc. "Avoir un des siens là-bas
dans les hautes cases de pierre d'où l'on dirigeait le monde
n'était pas rien" (2).
Ceux qui, comme le père d'Aoua Keita, dans Femme
d'Afrique n'avaient pas été assez prévoyant s'en mordaient le
doigt. Tel est le cas de Nango, un personnage du Sang des
Masques
QAmadou fut reçu en premier par Nango le maitre des
villages dont pas un enfant n'avait suivi le' Blanc.
A leurs places,
trois garçons nés des esclaves.
J
Il s'en maudissait" (3).
i
f
(1)
Femme~ d'A64~que, op. e~t. page 23
!
(2) Le Sang de~ Ma~que~, op. e~t., page 147
(3) Ibidem, page 148
.1.

267
·1.
A l'aspect culturel s'ajoute d'autres avantages
le prestige et les honneurs que confère la fréquentation -..s
br CG de l'école. On acquiert alors un statut compa~able à
celui du Blanc lui-même, c'est du moins ce qu'en croient les
villageois. Et ce ne sont pas les faits qui leur donnaient
tort.
"A son nom, Icelui d'Amadou le seul enfant du villa=
ge a avoir terminé ses étude~1 bien souvent, les
gardes baissaient le fouet. La fureur s'évanouis-
sait. Sourires et mots aimables se bousculaient sur
les lèvres. Les affaires délicates trouvaient des
solutions soudaines. Du mauvais sang pour des vétil-
les. Un jaillissement de rires et de voeux saluait
la concorde. Les pistes s'êlargissaient, vous ac-
cueillaient familières. Même à distance, ses bras
vous soutenaient, son ombre vous mettait à l'abri
des tracas du "soleil blanc" (1).
L'unanimitf des Africains est également loin d'être
faite lorsqu'il s'agit de déterminer les causes profondes
qui sont à l'origine des mutations tant sociales qu'écono-
miques et politiques survenues dans les colonies d'Afrique.
Pour les uns, l'évolution est à attribuer à la con-
joncture internationale: l'Europe colonisatrice est sortie
meurtrie des deux guerres mondiales et n'étàit plus en mesure
de poursuivre sa politique de domination des autres peuples.
On ajoute que la défaite infligée aux Anglais par l'Inde de
Gandhi et la débâcle des troupes françaises dans les marais
vientnamiens, leur feront progressivement perdre le contrôle
sur leurs colonies d'Afrique.
l'accent
D'autres, sans négliger ces facteurs, mettent/sur
le rôle déterminant joué par les Africains e~x-mêmes. Les
tirailleurs noirs, qui ont vu vivre et mourir les Blancs chez
(1)
Le Sa.ng de~ Ma.~que.~,
op.
c.it., pa.ge 141
./ .

268
./ .
eux, n'accepteront plus désormais de les déifier en l~frique.
On connaIt:
entre autres exemples, le front revendicatif quI
ils ont formé et qui sera impitoyablement brisé à ~iaroye, à
te
quelques kilomètres de Dakar. Ce qui n'empêchait pas que
l'idée avait déjà germé.
On attribue aussi aux intellectuels africains un se-
cond grand rôle. Le goQt de la liberté qu'ils ont contacté en
Europe dans les grandes écoles et même dans la rue, se retrou-
vera dans leurs écrits et dans tous leurs propos. Ils tente-
ront de communiquer cette aspiration à l'ensemble du peuple
noir.
Il conviendrait enfin, d'associer les formations syn-
,
dicales et les partis politiques à cet essor du nationalisme
en Afrique.,
SEMDENE Ousmane a illustré cette prise de conscience
des travailleurs africains, face à l'exploitation dont ils
étaient l'objet, dans son roman Les Bouts-de-Bois de Dieu.
mal1ens
Certains romanciers/ont aussi évoqué ce problème.
Dans l'Etrange destin de Wangrin, nous voyons le
personnage du même nom tenter de regrouper les petits commer-
çants en un syndicat
"Wangrin fit venir discrètement chez lui dix vété-
rans acheteurs de produits qui v jusqu'alors, tra-
vaillaient pour le compte des grosses maisons euro-
péennes de commerce. Il leur tint ce discours
L ..~/ Désormais, vous profiterez- vous-mêmes de vo-
tre travail. Vous cesserez d'être des intermédiaires
qui peinent et suent sous le soleil, se font tremper
sous les pluies accompagnées de tonnerre, au profit
de messieurs qui attendent tranquillement sous leurs
./.

,~.",,-.---~.~------"'='!j~.-~-~_.~----~
._-~- .__.__. -------,------------------
269 •
./.
moustiquaires, leur verre d'apéritif au frais et à
portée de la main, que vous leur apporti~le tonna-
ge qui viendra arrondir leur capital, déj~ suffi-
samment gonflé" (1).
AouaKeita quant à elle, nous parle dans Few~e d'A-
frique, de la grève syndicale qui a paralysé l'activité pro-
fessionnelle de tous le~, services publics de l'administration
coloniale,
"L'union syndicale des travailleurs du Soudan dépo-
sa un cahier de revendications que les employeurs
.'
refusèrent d'étudier avec bienveillance! Conséquences
inévitables : mouvement de grève de trois jours,
pour fin juillet, début aoQ.t. Ayant toujours eu des
liens êtroits avec les organisations syndicales, la
direction de l'U.S.T.S. m'adressa un message rela-
tif à l'organisation de la grève" (2).
L'auteur ajoute en citant l'exemple de la ville de
Nara où elle se trouvait, que le mot d'ordre fut bien suivi,
que des discours ont été prononcés pour sensibiliser les tra-
vailleurs et les mobiliser. Résultat: des augmentations de
salaires furent arrachées au patronat blanc qui capitula le
2 novembre 1952. La romancière fait allusion aussi à une pré-
cédente grève, lancée celle-l! par le syndicat des médecins
en juillet 1945 et qui avait porté, elle aussi, ses fruits.
On pourrait s'étonner de cette brusque naissance de
mouvements revendicatifs et de leur ampleur de plus en plus
grande. Mais l'observateur averti l'est moins puisqu'il sait
que depuis un certain temps déji~'8~~ Africains ~n son propre
intérieur, re5sentai t un besoin de changement. L'exemple tye, ,i;:,
,
type nous est fourni par la conversation tenue dans un wagon
de train, dans Sous l'Orage. Plusieurs catégories 50cio-
(1) L'Et~ange de~t~n de Wang~in, op. c~t., pag~s 275 et 276
(2) Femme d'A6~~que,
op. c~t., page 252
./.

·/ .
prison sans ~tre jUg2" (1).
Et Seydou Badian décrit le délire qui s'est alors
emparé des jeunes"commè des vieux. Le baillon qui couvrait
les bouches s'était détach8. Chacun commentait librement l'é-
vènement, tous osaient parler en public.
Wc
Le paroxysme fut atteint lorsque des hommes politi-
"
gues âsèrent organiser des meetings et tenir des discours qui
contenaient un peu de tout ce que leurs compatriotes pensaient
~
au fond de leur coeur.
"C' T.-st le coup de tonnerre, poursuit l'auteur. Le
mot est "lâché, on regarde autour de soi, personne ne
bouge, les policiers sont l~ et ne font aucun geste
~ l'adresse de Makhan, ils écoutent et acquiescent
eux-aussi. L.. ~/ Makhan est là, pas en prison: déci-
dément, les temps ont changé !" ( 2 ) . f
Oui les temps avaient bien changé et plus rien ne
sera comme avant. La preuve, c'est que des Blancs s'associent
à présent aux Africains, discutent d'€lgal
~ égal avec eux et
les défendent même à l'Assemblée Nationale française. On re-
tiendra ici le rôle joué par le parti communiste, qui prendra
dans son gouvernement, des ministre africains.
(1) Sou~ l'O~age~ op. c~t., pages 134-135
(2) Ibidem, page 135
1
J

'.
iT2
L'INDEPENDANCE
L'INDEPENDANCE ET SES CONSEQUENCES AU MALI
"S-i. l e-6 peupl e.~ no -i./[.~ YI. , 0 nt 6a-i.t Cl ue.
change/[. de ma~t/[.e-6 et pa~ de Ilég~­
me, leu/[. e.xplo-i.tat-i.on cont~nue".
(l-i.lyan KESTELOOT ; Le.~ éCIl~va-i.n-6
nO,tIl-6 de :tan Il.e
/[.an a-<..~ e. i
n-<..-
ve./[.~-<.. e
~b/[.e. de
Blluxe.tle~ 4e
échelon 1911 ;
pag e 315)
Beaucoup ont salué l'accession des pays africains à
l'indépendance comme l'évènement le plus important, la vic-
toire la plus significative dans la vie des Africains en quête
de leur identitê.
Mais, ajoutaient-ils avec quelques appréhension,
c'est dans la mesure où .le changement de politique s'accompa-
gnerait d'un changement de mentalités et d'objectifs à attein-
dre.
Tâchons de voir dans quelle mesure les faits ont don·'
nê tort ou raison ~ ceux qui se livraient â de telles prophé-
ties.
Nous l'avons dit, le gouvernement socialiste en place
en France était anti-colonialiste et avait fait voter la loi-
cadre. L'idée d'indépendance était dans l'air et, après les
pays asiatiques, le vent allait la souffler sur les pays afri-
cains. "D'ailleurs les évènements vont se précipiter en 1968-
69. Le 13 mai 1968, c'est le putsh militaire d'Alger. Le
gouvernement de la IVe R6pUblique fait appel au Général de
Gaulle, qui, arrivé au pouY9ir, organise un référendum portant
à la fois sur la Constitut~on de la Ve République et sur ses
rapports avec l'ensemble d'Outre-Mer, dans le cadre d'une com~
.j.

./.
munauté comportant en Afrique des républiques autonomes .•• "{lt.
Au lendemain des consultations électorales de 1958,
si la Guinée se retrouvait seule de l'autre cOté de la bar-
rière avec un "NON" cinglant à la communauté proposée par de
Gaulle, ce pays n'était pourtant pas le seul qui fat "marli
pour r6clamer le droit d'assumer son destin. Comme l'illustre
de manière' éclatante Ousmane SErŒENE dans L' Harmattan, ll2s
peuples des colonies de l'A.O.F. ont été victimes d'une campa-
gne machiavélique savamment orchestrée par une poignée d'in-
tellectuels, de missionnaires et de marabouts tous à la solde
de la France.
Les élections partout truqu~es, aboutirent à la vic~
toire du "OUI". OUI de compromission, baillon destiné à étouf-
fer les voix nationaliStes et les légitimes aspirations des
Africains dans les pays francophones. Que s'est-il réellement
passé au Mali? La nuit a enveloppé de son manteau de mystère
cette période de l'histoire du pays, et les romanciers maliens
ne se sont pas encore'décidé à faire des investigations tou-
1
chant ce domaine.
1
~2is quelle que soit l'opacité de la nuit, l'horizon
finit toujours par blanchir. En effet, la communauté fut de
courte durée. Déjà chaque territoire (de l'ex A.O.F.) a pris
le nom de rê:?ublique autonome pour marquer l'évolution. L"his-
toire intérieure de chacun d'eux montre que les problèmes qui
se posent aux uns diffèrent de ceux auxquels les autres sont
confrontés. Chaque état devra-t-il faire cavalier seul ou bien
faut-il se donner la main au nom de la nécessaire complémenta-
rité ? La seconde solution paraissait plus viable et figurait
d'ailleurs dans la charte de la communauté qui recommandait
les regroupements régionaux. L'intérêt commun l'ex1geait:
économie embryonnaire, t!tonnement sur le plan politique et
1
bien d'autres difficultés inhérentes au processus d'évolution
1
(1) KI-ZERDO
H~~to~~e de t'A6~~que No~~e d'H~e~ à Vema~n,
op. e~~.; page 511
./ .

274
./ .
de tout dessein. C'est ainsi que certaines susceptibilités et
des tensions naquirent surtout au sein du R.D.A. nous dit Ua-
dame Aoua Keita,
"(Certaines personnalités politiques) considérant le
président du R.D.A. comme un obstacle à leur épanouis-
sement en tant que leaders africains, avaient tout
mis en oeuvre pour se séparer de lui. Le moins qu'on
puisse dire c'est qu'elles n'ont rien entrepris pour
éviter la scission du R.D.A. pour la consolidation
duquel nous avons tous donné le meilleur de nous-
même s " (1).
Mais, ajoute la romancière qui a beaucoup milité au
sein du R.D.A., "il existait des f§déralistes convaincus" qui
étaient très sincères et croyaient honn~tement que le maintien
de la fédération était le salut pour le développement de nos
la
futures nations.... Ils pensaient aussi qu,,;
présentation d'un
front uni face à la France faciliterait les négociations.
L'indépendance de nos états, suivie de la création du Conseil
de l'Entente groupant les républiques du Dahomey, de Côte
d'Ivoire, de la Haute-Volta, du Niger et du Togo, donnera un
démenti à tous ceux qui attribuaient un esprit régionaliste
mesquin au président du R.D.A." (2). Cet ensemble qui a connu
l
de rudes épreuves continue encore d'exister de nos jours mais
il
il faut ajouter que le Togo n'acceptera jamais que la s t a t u t . !.•.
d'observateur pour des raisons propres à ce pays.
Ce ne fut pas le seul regroupement régional qui vit
le jour, mais les autres ne connurent pas le même bonheur.
En effet "les tentatives du Soudan pour réaliser liunité po-'
f
litique avec la Haute-Volta, le Dahomey, la Mauritanie et le
f
Sénégal en 1957, 1958 et 1959 dans le cadre d'une vaste fédé-
'.
ration échouèrent. Ce n'est qu'avec le Sénégal qu'il réalisa
~.
sous le nom de République soudanaise, la Fédération du Mali
(1) Femme d'A64~que,
op. c~t., page 349
(2) Ibidem, page 350
./ .

,
. 7
>'
./ .
qui devait grouper les territoires de l'ancienne A.O.F. à
l'exception de la Côte d'Ivoire et de la Guinée indépendante (1) •
Si la fusion entre les deux pays eu lieu théoriquement, l'Gx~
tension à d'autres états de la sous-région ne fut jamais qu'un
voeu pieux et pour cause! Tout n'allait pas pour le mieux au
sein de la fédération nouvellement constitu6e. A leur honneur
,on peut cependant noter que les deux pays, ont tout mis en
oeuvre pour revaloriser leur passé commun dont l'histoire
avait été falsifiée par le colonisateur. C~est ainsi qu'après
la Gold-Coast (indépendante depuis 1957) qui a fait revivre
le souvenir glorieux de l'empire de Ghana, ils adoptèrent le
nom du Mali en mémoire de l'empire prestigieux dont le rayon-
nement s'étendait au XIIIe siècle des bords de l'Atlantique
aux massifs de l'Air, et des confins du Sahara à l'orée de
la zone guinéenne. A propos de ce grand évènement, l'auteur
de Femme d'Afrique écrit;
"Des évènements très importants pour la construction
de l'unité africaine se produisirent en 1959. Le
4 avril 1959 naquit la Fédération du Mali qui groupa
d'abord quatre états: le Dahomey; la Haute-Volta,
le Sénégal et le Soudan ••• " (2).
1
Parlant de l'engagement politique du peuple malien
qui saisit très vite toute la portée d'un tel regroupement sur
le plan politique et économique
la romancière poursuit ;
l
"Aussi, cette naissance fut-elle saluée avec enthou-
siasme par toutes les populations soudanaises. Les
femmes manifestèrent particulièrement leur adhésion
à
la fédération du Mali. Elles organisèrent .de
grandes manifestations folkloriques, lancèrent des
!
modes vestimentaires et des coiffures, composèrent
r
des chants, confectionnèrent des décorations dans les
1
(1)
Bakari KAMIAN : Connai~~anee de ta Répubtique du Mati, op.
!
c.it:.., page 100
(2) Femme d'A6~ique,
op. c.i~., page 392
./ .

./ .
cases etc. Les industriels étrangers profitèrent de
notre attachement à la fédération pour fabriquer
tissus divers, chaussures et sacs à main qui se ven-
daient comme des petits pains. L'adhésion des Souda-
nais était telle qu'on entendait aussi bien à Bama-
ko que dans les coins les plus reculés du territoire,
des enfants chanter à longueur de journée des "Fédé-
ration ! Mali ! Fédération ! Maaali! " accompagnés
de battements de mains ct du son produit à partir de
tout ce qui se trouvait à leur portée. Les journaux
imprimant les photographies des présidents Senghor
et Modibo passaient de mains en mains, dans toutes
les cases. A l'occasion de chacune de mes tournées
en brousse, les militants de nos campagnes m'en de-
mandaient ... " (1).
L'état unifié qui allait être ainsi créé, devait
aussi avoir un gouvernement unique ; Dakar, à cause de nom-
breux critères fut choisie à l'unanimité pour en abriter le
siège. Après la mort ùes deux grands leaders que furent Lamine
Guèye (sénégalais) et Mamadou Konaté (soudanais), trois per-
sonnalités dominaient alors la scène politique du moment avec
manifestement des divergences de points de vue. C'étaient res-
pectivement :
Modibo Keita : Président du Conseil de la Fédération
Mamadou DIA : Vice-président du Conseil de la Fédéra-
tion
Léopold Sédar SENGHOR
Président de l'Assemblée na~
tionale de la Fédération.
A propos de ces difficultés l'auteur de Femme d'Afri-
~écrit
(1)
Fe.mme. d'A6ILique.,
op.
c.i:t; page 392-
./ .
1

.1.
"Déjà en avril, au cours d'une conférence inter-
Etats dont j'étais membre, la fédération faillit
éclater autour des principes que Sénégalais et Sou-
danais qualifiaient de fondamentaux. Grâce à la
bonne volonté des deux parties
on arriva à tout col-
f
mater jusqu'à la proclamation solennelle, le 20 Juin
1960, de l'indépendance de la Fédération du Mali,
premier objectif de tous. Mais depuis avril, l'obser-
vateur le moins averti pouvait prévoir la'fin tragi-
que de cette belle oeuvre. En effet le mécontentement
général de la population de Dakar n'était point un
secret pour nous qui côtoyions les masses. Il n'était
pas rare d'entendre dans les rues de Dakar en ouolof
ou en français:
"Nous n'accepterons jamais d'être
dirigés par des "Bougnouls". Ce ne sont que des pau-
vres types peu instruits. Ils n'ont rien chez eux
et ils viennent se pavaner chez nous. "ou bien'"
Ces Soudanais-là, se fatiguent pour rien, nous ne
sommes pas des communistes et nous he le seront ja-
mais" ou bien "Qu'est-ce que c'est que le Mali? Le
Mali c'est l'hippopotame! Eh bien, que les Soudanais
ramènent leur hippopotame dans les eaux du Niger.
Il est trop sauvage pour vivre dans l'océan. S'ils
le laissent dans la mer il va se noyer" (1).
Ce passage permet de saisir, à travers l'évolution
de la situation, l'état d'esprit des populations sénégalaises.
Elles ont été le premier pays à partir duquel l'expérience
coloniale de la France a été tentée et partant, ce fut le
premier peuple d'Afrique au sud du Sahara à s'ouvrir au con-
tact de la civilisation française. On se rappelle à ce sujet
les avantages que les ressortissants des quatre communes de
Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis en ont tirés. A la lec=
ture de ce passage on peut déduire que leS Sénégalais s'at-
tendaient donc légitimement à ce que le Président de la Fédé-
ration soit un des leurs. Que les responsables politiques en
(1) Femme d'A6~~que,
op. e~~., page 393
.1.

Z'{8
./.
aient décidé autrement, eux ne pouvaient le comprendre, à
plus forte raison l'admettre!
A travers les témoignages de l'auteur de Femme d'Afri-
que, qui cite des propos qu'on lançait ç~ et là dans les
rues de Dakar, apparatt la psychologie du peuple sénégalais
il a le très net sentiment d'être une entité distincte de
celle des Soudanais. La commune appartenance au prestigieux
empire du Mali? De vains mots, dont se sont grisés uniquement
leurs dirigeants! A la différence des Soudanais, "Mali" ne
signifiait pour eux tout au plus qu'un hippopotame (c'est le
sens Littéral du mot) "trop sauvage pour vivre dans l'océan",
c'est-~-dire au Sénégal. Ce n'était pas un simple mot d'iro-
nie. Si l'on en croit cette version des faits rapportée
par la romancière malienne, il faudra attribuer l'échec de
la mise sur pied et le démarrage de la phase opérationnelle,
aux dirigeants qui n'ont pas suffisamment su politiser les
masses sénégalaises et les préparer à réaliser ce grand idéal
que devait être le regroupement régional. De telles unions.
sont la condition sine qua non de la réalisation de l'unité
africaine dont l'importance à l'heure actuelle, n'échappe à
personne dans notre continent.
Madame Aoua Keita poursuit
"Les responsables soudanais n'attachaient qu'une impor=
1
tance secondaire à ces propos qu'ils considéraient
1
comme de "simples ragots d'homme de la rue". Négli-
geant ces proverbes bambaras qui disent : "Le che-
vrot du Sahel ne répète que le cri de sa mère", ou
"Le son du petit balafon n'est que la reproduction
du grand balafon" ; les Soudanais continuaient à
préparer les structures de la Fédération du Mali en
collaboration avec les responsables sénégalais. Or,
quoique lancés par de simples citoyens, les ragots
de ce genre ont toujours quelque fondement. Ils peu-
vent ôtre mis en oeuvre pour démoraliser le peuple
./ .

Zl9
./ .
et le dêvier de son objectif, ou pour préparer ten-
dancieusement l'opinion publique ï ou encore pour
manifester la contradiction dVéternels mécontents
qui ne sont d'accord avec aucun régime .•. " (1).
Dakari KAMIAN lui, est historien-géographe de forma-
tion. Il a une version des faits un peu èifférente puisqu'il
soutient
".r.1ais des divergences fondamentales séparaient de
plus en plus le Sénégal et le Soudan. Dans la nuit du 19 eu
20 aoQt 1960, un complot appuyé par la France met fin à la
Féd~ration du Mali ; les dirigeants sénégalais procèdent ~
l'arrestation des responsables soudanais présents à Dakar,
capitale de la Fédération, proclament lVindépendance de leur
pays et déclarent le Sénégal sorti de la Fédération du Mali.
Celle-ci avait vécu. Une fois de plus, un nouvel essai vers
l'unité africaine était saboté ..• " (2).
Comme signe avant-coureur de ce sabordement de la
barque commune, l'auteur de Femme d'Afrique cite un incident
survenu au cours d'une manifestation théâtrale que les Sou-
danais avaient organisée dans la capitale de la féd6ration.
Non seulement les "artistes du Soudan en représentation reçu-
rent une pluie de tomates, d'oeufs pourris et même de pier-
res"
(3) mais la salle de spectacle fut plong6e dans une obs-
curit6 totale qui décida de l'issue de la soirée. "Il parait
que le président Senghor, fédéraliste convaincu, a déploré
et flétri ce comportement non amical" (~) écrit plus loin l'au-
teur.
1

Lorsque la brou1lle fut consommée, les responsables
soudanais connurent quarante huit heures durant un sort in-
1
certain, puis furent expulsés du Sénégal oü ils étaient venus
f
pour la conférence inter-Etats. Les conséquences qui en dé-
coulèrent, surIe plan psychologique et économique furent très
1
(1) ~n femme d'A6~~que,
op. c~t., page 394
(2) Dakari KAMIAN : Conna~66ance de la Rêpubl~que du Mal~,
op.
c~t. page 100
<.
(3) et (4)
femme d'A6~~que,
op. ~~t., page 394
./ .

..
~. .:'
'
---~'--
-~---......-----~.~~....--.~~,........,..------.
......;.; :......
./.
nombreuses : expulsion des ressortissants maliens constituant
une forte colonie au Sénégal (travailleurs dans l'administra-
tion, dans la régie de chemin de fer, les navétanes etc) ,rup-
ture de toutes les relations, dont la fermeture des frontiè-
res et l'interruption du trafic sur le Dakar-Niger. Cette voie
ferrée était considérée jusqu'alors comme le poumon économi~
que du Mali, le principal handicap du pays étant sa continen-
talité.Nous ne trouvons pas encore dans le roman malien,
trace de ces moments de tension extrême vécus par tout un peu-
ple qui, en la circonstance, allait s'imposer les plus grands
sacrifices pour survivre.
L'Union Soudanaise R.D.A.
(le parti au pouvoir) réu-
nie en congrès extraordinaire, proclama courageusement l'in-
dépendance de la République. du Mali le jeudi 22 septembre
1960. Brouille momentanée avec l'ancien partenaire qui tenta
de lui imposer une sorte de blocus. Avec la France ce fut la
rupture définitive car le Mali venait de choisir l'option so-
cialiste, ce qui en ce temps là signifiait : ouverture totale
vers les pays d'Europe de l'Est et échanges commerciaux exclu-
sifs avec eux. Quant à Mme Aoua Kei.ta, elle termine ainsi son
roman autobiographique qui est aussi l'odyssée de son parti
politique jusqu'à sa prise de pouvoir au Mali:
"L'indépendance politique fut le grand couronnement
de nos efforts et des sacrifices de nos martyrs. Mais
la lutte n'était pas terminée pour autant. Elle con-
tinuera encore longtemps pour la liberté, la démocra-
tie et la paix universelle" (1).
Le mot liberté permit de galvaniser tout le peuple.
Le 20 janvier 1961, le dernier soldat français quittait le
pays: l'armée coloniale embottait le pas à son administra-
tion. Mais la prise en charge par le pays de son destin allu-
ma malheureusement quelques appétits ou aiguisa des instincts
(1) Femme dtA6~~que,
op. c~t., page 395
./.
1

./.
qui sommeillaient. Le phénomène était d'ailleurs général à
toute l'Afrique indépendante. Partout les convoitises donrrèrent
naissance ii des partis politiques et abouti rent
à de sourdL:s
f
machinations puis à la liquidation physique des antagonistes.
Tout le continent s'en trouvera bouleversé. L'octroi de l'in-
dépendance, on le croyait, allait éteindre les foyers de ten- ,~,
~ .~'~.I.
sion, souder l'unité du pays et forger la nation.
Sur le plan politique on assiste alors (heureusement
ou malheureusement) ~ la reprise du système administratif fran-
çais : c'est la continuité adoptée comme solution de principe.
L'indépendance, qui a été octroyée partout sans effusion de
sang et création de mouvement de libération comme en Algérie,
ne comblera pas les espoirs de ceux qui s'attendaient ~ un
changement radical. Seuls les hommes au pouvoir ont changé
de poste. Les gouvernants et les fonctionnaires africains ont
gardé les systèmes ?olitiques et juridiques français, ceci
sans doute à cause de leur forte imprégnation de culture fran-
çaise. Examinant cette sorte de continuité dans le changement,
Yambo OUOLOGUEM crie à la mystification et à l'exploitation
perpétuelle des masses africaines :
"D'une exploitation à l'autre, il y eut substitution
de sceptre, et fantasia culturelle ••. Ainsi, lorsque
a coups successifs chaque nouvel arrivant frappa aux portes
de l'Afrique, l'histoire noire ragea et sortit se battre en
haillons, puis (quand se turent les armes) laissa les n€gres
bênir la couleur nouvelle de leur travestissement" (1).
Nous attendons donc avec impatience que dans les pro-
chaines années les romanciers maliens, à la suite de Seydou
Badian vérifient cette assertion.
(1) Yambo OUOLOGUEM
La M~~aventu4e a6~ieaine,
L'Afrique
littéraire et artistique nO 41, page 6
./.

..
,.;!Il."
282
./.
Au lendemain de l'indépendance déjà, l'activité cul-
turelle en général, littéraire en particulier, s'en ressen-
tait, mais de différentes manières. Essayistes et poèt~s (qui
se recrutaient par~i les intellectuels du moment) se turent,
sans doute accaparés par les tourmentes de la politique
L'intérêt pour les oeuvres passa alors au second plan. Plus
tard, l'idée d'organiser annuellement une semaine de la jcunes~'
se relancera quelque peu le sport, la musique moderne et sur-
tout instrumentale ; ce qui suscitera par la même occasion
quelques talents dramatiques. Le thêâtre populaire était né,
qui allait connattre une immense fortune sous le premier gou-
ve~nement : on lui demanda de jouer le rôle de vulgarisateur
faisait .
.
de l'idéologie socialiste. Le roman, lui,
p1ètre f1gure
pour des raisons assez difficiles ~ déterminer. Certains cri-
tiques africains ou africanistes croient trouver le pourquoi
dans la faiblesse de la scolarisation qui limite le nombre
des lecteurs d'ouvrages littéraires. Dans ceux qui sont publiés
à cette époque, on ne trouve aucune trace des évènements qui
ont marqué les hommes. Les romanciers ont-ils choisi l'impassi-
bilité qui caractérise les êtres sereins que rien ne saurait
émouvoir ? Ou étaient-ce des sages sachant se détacher des
préoccupations de l'heure et transcender toute chose? A moins
que (autre éventualité avancée par des critiques) la confisca-
tion des libertés les plus élémentaires les ait contraints
~ un silence forcé ! Toujours est-il que les oeuvres pr~uites
en ce temps-là, portent sur d'autres problèmes, d'autres pér~~
des.
Sur le plan socio-politique cependant, les convoi-
tises des puissances occidentales débouchent sur la création
de deux blocs antagonistes : communiste
et capitaliste.
qui
cherchent des sympathies en Afrique oü ils transportent leurs
luttes idéologiques. La poudrière allumée avec le coup d'état
du Togo aboutit ~ une succession d'autres coups d'Etat, avor-
tés ou réussis. Ce qui implique des fusillades, des assas-
sinats, des pendaisons, des incendies un peu partout sur le
continent.
./ .
.i:

./.
Le Mali n' est pas épa.rgné puisqu 0 il connait une preg ,
mièrc période de convulsion en 1962 avec la suppression du
PSP (parti d'opposition), l'arrestation, l'emprisonnement de
ses militants et sympathisants. Sur le plan économique le blo-
cus entraIné par l'option socialiste a des répercussions
profondes
sur la politique agricole. La politique monétaire p
avec la frappe du franc malien, était destinée ~ pallier
ces difficultés. Puis de nouveau le pays connait un réveil
brutal avec l'annonce du coup d'état du 19 novembre 1968.
Le changement d'équipe gouvernementale se voulait un
chàngement de politique et de mentalité. Sur le plan économi-
que et politique, c'est la suspension de la constitution,
la dissolution de l'Assemblée nationale, puis la mise en veil-
leuse de l'option socialiste, enfin l'ouverture vers la France.
Mais le changement est à peine perceptible sur les structures
administratives et la vie économique du pays. On prOne le
libéralisme mais on n'accorde pas leur liberté aux anciens
politiciens, devenus détenus politiques. La stabilité ne fut
pas pour autant retrouvée. ilL' équipe du colonel ~loussa Traoré,
parvenue au pouvoir après le coup d'état du 19 novembre 1968
qui a mis à l'écart M. Modibo KeIta, sans pour autant remet-
tre en cause fondamentalement les structures économiques de
son régime socialisant, a eu â plusieurs reprises â faire
face à des tentatives de destabilisation. Cela de la part des
étudiants (1969, 1971, 1972) des syndicats (1971) et des of-
ficiers de l'armée malienne (complot du capitaine Diby Silas
Diarra en 1970, des capitaines Yoro Diakité et Malick Diallo
en 1971, tentative de coup d'état manqué de l'adjudant Mama-
dou Lamine Cissoko en 1976), écrivait notamment l'Ouest-Afri-
cain dans un numéro de 1977 oi} il évoquait un autre "séisme
qui a rudement secoué le Mali au cours des derniers mois" (1)
en évoquant la grève estudiantine.
(1) Saouti HAIDARA : Mai,i : t'année. chaIL)1,ièILe., ,in .f.'Oue~.:t
A6Jr.~ca,in, nO 153, juin-juillet 1977, p.l7
./.

./ .
De telles tumultes ne sont pas sans entraîner
des conséquences. Retenons que sur le plan culturel, ce fut
en 1969 la suspension des préparatifs pour accueillir les
deuxi~mes jeux africains que le Mali devait abriter après
ceux de Brazzaville. Finalement c'est Lagos qui abritera cet~
te deuxième olympiade africaine en 1977. L'organisation annu~l­
le de la semaine de la jeunesse fut un rythme jugé trop acc6-
léré. Elle va céder la place à des biennales artistiques al-
ternant avec des biennales culturelles : c'est-à-dire que
les manifestations sportives ou artistiques auront lieu tous
les deux ans. Il est peut-être un peu tôt pour juger si ce
chahqement, conçu poür que les artistes aient le temps de
mieux préparer leurs pièces et leurs représentations, a amé-
lioré les compositions musicales et théâtrales. Mais l'on
peut dire quelques mots du roman et de la création littérai-
re en général.
Le tumulte a emporté au réduit au silence la totalité
des écrivains maliens notoirement connus jusqu'ici. Fily Dabo
Cissoko et Yoro Diakité ont payé de leur vie leur appartenance
~ des tendances politiques. Seydou Badian et Mamadou GOLOGO,
après le coup d'état de 1968 se retrouvent en prison. Hampaté
BA et Yambo OUOLOGUEM choisissent prudemment de rester à l'é~
cart ou s'exilent volontairement. C'est l'éclipse pour un
temps de la production romanesque qui ne connaîtra un nouvel
essor qu'avec la création en 1967 de la maison d'édition na-
tionale dont nous avons déjà eu à parler. "Pour satisfaire la
fringale de lecture due, selon Jacques CHEVRIER 3 une vieille
tradition bibliophile, Barthélémy Kon~ (le directeur) a entre-
pris la publication de romans et d'essais sélectionnés parmi
les centaines de manus~rits qui lui étaient parvenus depuis
la fondation des Editions Populaires du Mali. Leurs auteurs
sont à 95 % des enseignants ..• (1).
(1) Jacques CHEVRIER
./.,

·1.
Nous pensons avec AlexandreSoljenitsine, que les
pays qui ont connu ou qui vivent des bouleversements sociaux;
sont ceux qui produisent le plus d'artistes et d'écrivains
car les sources d'inspiration y sont plus nombreuses et plus
variée. Et cormne le dit l'écrivain soviétique, "Je sais que
la chose la plus simple est encore d'écrire sur soi-même,
mais j'ai cru qu'il était plus important et de plus d'inté-
rêt de décrire la destinée de la Russie .•• " (1). C'est donc
dire que nous attendons beaucoup de la production romanes··
que malienne clans les toutes prochaines années, car t1du mo-
ment qu'il regarde le monde avec des yeux d'artiste, et grâce
~ son intuition, l'écrivain découvre, avant les autres hommes
et sous des aspects inattendus, nombre de phénomènes sociaux.
C'est là que se situe son talent et un certain devoir déccule
de ce talent: il doit parler à la sociétê de ce qU'il voit,
ou ÙU moins de ce qui n'est pas bon et qui représ€ütû
un ùan-
ger" (2).
Emergeant dûs autres, deux romanciers maliens, plus
d'une décennie après l'indépendance, nous parlent des consé-
quences qu'elle a entraînées. Tout d'abord Le couteau d'or.
Seydou Diarra, bien que situant le champ d'action de
son roman dans un pays encore cn lutte pour la reconquête de
sa liberté, fait allusion ~ d'autres pays indépenàants.Ainsi il
semble que le premier acte politique pris par les gouvernants
et les peuples, soit àe se solidariser avec leurs frères de
race qui souffrent encore du colonialisme.
Les problèmes internes sont alors tus ~'iis ressur-
.gissent aussi tôt après, une fois que l'objectif préc6demment
. é
. ,
,peut
c1t
est atte1nt. C est alors que Seydou Badian ~ous donn~
La Campagne du Général, une nouvelle qui a toute la ridhe subs-
tance d'un roman.
(1) Alexandre SOLJENITSINE
Le~ d~o~th de i'é~~~va~n, Paris:
Le Seuil, 1969, page 15
(2) Ibidem, page 18

Le couteau d'or est précédé d'une note dans laquelle
Seydou DIARRA dit de sont récit que : "son contexte histori-
que est celui d'une lutte de libération nationale"(1).
Quelque part en Europe, dans une chambre d'hôtel, un
homme est en train d'écrire ses souvenirs et impressions dans
un cahier-journal. La rechnique romanesque est ici celle de la
"vision du dehors", l'auteur concédant ses pouvoirs ~ son per-
sonnage, auquel il passe sa faculté narrationnelle. Cette
~.-
technique a rendu pos sible les "retours en arrière Il qui vien-
nent faire des mises au point et éclairer le récit. C'est
un roman politique dont le contenu rappelle un événement réel,
vécu quelque part en Afrique.
Dans la capitale d'une colonie africaine, des informa-
tions dignes de foi faisaient état de l'ampleur de la rébel-
lion. L'armée des combattants pour la liberté apprenait on,
solidement implantée dans le maquis, harcelait les troupes
d'occupation. Mais depuis un certain temps, toute la direction
du Mouvement de Libération, qui préparait et coordonnait les
opérations, avait élu domicile dans la République indépendante
voisine. Le colonisateur crut qu'il frapperait un grand coup
s'il réussissait à faire assaSS1ner le chef suprême des ma-
quisards. Le Directeur des Ser 1ces fut chargé de l'exécution
de cette tâche et il entreprit de chercher un mercénaire qui
accepterait de prendre la tête du commando auquel reviendrait
cette délicate mission.
Joa ou encore Marcellino Delgazarte (ce sont des noms
d'emprunt>, bien que métis (de père Européen) avait quelque
complexe à vivre dans le milieu blanc de la capitale, où la
./ .
(1) Note de l'auteur in
Le couteau d'or;
Op. cit., page 9.

287
valeur d'un homme est fonction de la couleur de sa peau. Lui
et son père avaient abandonné sa pauvre mère comme s'ils re-
niaient la négresse qu'elle était. Malgré tout, il n'était
pas heureux. Il souffrait depuis longtemps de l'indifférence
affichée à son égard par la belle Albie.
Il rêvait alors d'un
exploit qui, en même temps qu'il ferait sa renommée, rendait
Albie sensible à ses avances. Il se proposa donc pour la hau-
te mission. Le Directeur des Services lui promit une très
forte récompense en espèces, plaça
ensuite un commando sous·
ses ordres et lui remit un couteau pour les besoins de la cau-
se.
:~
Dans ce récit fait à la première personne du singulier,
le héros
narrateur raconte comment; après une minutieuse pré-
paration digne des plus illustres services d'espionnage, il
arriva avec son réseau à la frontière de la République indé-
pendant d'Afrique. Déguisé en déserteur, il parvint à s'in-
filtrer jusqu'au quartier général des combattants pour la li-
berté. Il raconta aux gardes maquisards
<mais selon un plan
établi) comment il avait quitté les rangs de l'armée coloniale.
Il leur dit également qu'il était convaincu de la gustesse de
la cause défendue par les nationalistes.
Il fut conduit devant le chef suprême du Mouvement de
Libération, un universitaire formé en Occident. Ce dernier,
après avoir examiné ses haillons et le couteau qui pendait à
son côté, ordonna qu'on lui appliquât le "traitement nQ 4
c'était un régime sévère de surveillance destiné à tester
l'endurance et le degré d'engagement des nouvelles recrues.
Il tint bon. Ces jours passés dans le camp d'entra!nement lui
permirent d'~tudier l'organisation complexe de l'armée des
combattants pour la liberté. Au terme du temps d'épreuves,
les tortures cess~rent et il fut dirigé sur le camp "Patrice
Lumumba"~ Il reçut une tenue. Grâce à son expérience acquise
dans l'armée coloniale, il se distingua lors des séances d'en-
tra!nement et conquit l'estime du chef de camp. Ce dernier le ./ .

désigna pour faire partie de la garde personnelle du chef
suprême du Mouvement de Libération.
Progressivement, il parvint à gagner la confiance du
chef lui-même, qui l'autorisa à conserver son couteau et le
nomma premier responsable de sa sécurité personnelle.
S'il fallait donner un titre à son récit, écrit le
narrateur, il l'aurait intitulé "La Nuit" car c'est dans la
nuit du 20 janvier qu'il allait accomplit
l'acte qui allait
marquer l'histoire.
Auparavant, le vendredi 19 janvier rappelle-t-il, il
avait eu une conversation intime avec le chef suprême qu~dis­
cret et distant par nature, l'avait pourtant traité en compa-
gnon de lutte et frère de race. Cette intimité entre les deux
hommes inquiéta les autres membres du commando qui commencèrent
à douter des intentions de leur responsable. De plus, son se-
cond, Edouardo, le prit vivement à partie et le contraignit
à fixer pour le lendemain l'exécution de la mission qui leur
avait été confiée.
Ce samedi 20 janvier donc c'était l'Anniversaire de
l'indépendance. Le chef supr~me sortit de bonne heure, flan-
què
du premier responsable de sa garde personnelle. Ils ins-
pectèrent rapidement tous les camps d'entraînement qui reçurent
des instructions pour une offensive prochaine. Puis à BH 30
le chef suprême prit place dans la tribune officielle, assista
au traditionnel défilé et prononça un discours fort applaudi.
Il fit ensuite le tour des quartiers où étaient organisées
des séances de tam-tam.
L'après-midi, le chef suprême dépouilla son courr~er,
rédigea des directives pour les organes du parti avant d'aller
à 21 H. 30 à une soirée offerte à la Présidence de la R~publi­
que indépendante. Il
y rencontra un autre chef d'Etat évincé
./ .

~9
par les militaires avec qui il échangea des idées sur les
problèmes de l'Afrique.
Il rentra chez lui, tard dans la nuit, épuisé de fati-
gue. C'est alors que le narrateur, harcelé par Edouardo, re-
joignit le chef suprême dans sa chambre. Il lui planta le
fameux couteau dans le coeur puis,s'emparant d'une mutraillet-
te, abattit Edouardo qui l'exaspérait.
Le coup de feu avait alerté sans doute le camp, malS
comme toute la garde personnelle du chef suprême était compo-
sée ce soir l~ d'hommes du réseau, ceux-ci eurent le temps de
fuir. Un bateau les attendait au large. Il appareilla au mo-
ment où les poursuivants arrivaient.
C'était trop tard sans doute mais quelques hommes de
l'équipage n'avaient pas eu le temps d'embarquer. Pris et
tortur~s, ils dévoilèrent le secret et livrèrent tous les ren-
seignements~~ sur le commando
jusqu'au nom de celui qui en
était le cerveau.
A son arrivée dans la capitale de la colonie, le réseau
fut reçu avec des mesures exceptionnelles de sécurité pour
parer à toute éventualité de la part des maquisards. Le narra-
teur écrit qu'il regagna sa maison, physiquement et noralement
.
~
~
epulse.
Le lendemain, le Directeur des services l'embrassa cha-
leureusement, et lui attribua le titre de sauveur de la mère--
patrie. Il lui fit cadeau de l'arme qui avait servi à accompli
l'acte historique, qualifiant même le couteau de trophée qui
valait de l'or. Puis il lui remit la prime promise, y ajoutant
une mensualité spéciale et une récompense personnelle. Soit au
total plusieurs millions qui firent du héros-narrateur un
mercénaire riche.
./ ,

290
Pourtant, il crut décéler une nuance de mépris dans
les yeux du Directeur des Services. Pour comble
de malheur
à la place d'une Albie
qui devait tomber à ses pieds (pleine
d'admiration), il ne trouva qu'une lettre d'adieu de celle
qu'il aimait toujours. Elle ne voyait désormais
plus en lui
qu'un être abject. Alors une crise de nerfs s'empara de lui,
qui allait croître au fil des jours et des mois.
Pour soulager sa conscience, il songea à
apporter une
aide substancielle à sa mère demeurant désormais seule dans
le quartier noir de la capitale de la colonie. Contrairement
à toute attente, le narrateur fut surpris de trouver en face
de lui une femme déçue par son comportement et très digne.
Elle le renvoya avec des paroles de malédiction à la bouche.
Il s'enferma alors trois jours durant dans sa chambre,
écoutant les
imprécations diffusées par la radio de la Répu-
blique indépendante d'Afrique contre "les agents stipendiés
de l'impérialisme". Après les messages de soutien émanant de
chefs d'Etat de tous les quatre coins du monde, la radio rétrans-
mit les cérémonies des obseques du chef suprême auquel le peu-
ple entier rendit un hommage émouvant. Puis d'autres communi-
qués donnèrent le signalement précis du meurtrier et ordonnè-
rent à tous les patriotes de la rechercher par tous les moyens
et de l'abattre.
Ecarté avec dédain par le Directeur des services, re-
jeté avec mépris par sa mère, recherché par le Mouvement de
Libération, il crut sage de quitter le pays pour aller dans
la Métropole.
D'abord, il se livra avec une fureur effrênée
à tous
les plaisir possibles et imaginables. Mais les souvenirs issus
d'un passé trop ré;'ent le hantaient. Dans des visions halluci-
natoires, il se croyait poursuivi par le cadavre du chef su-
prême. Alors, il changea de capitales plusieurs fois, flâna ./ .

291
de beaux édifices en musées, bibliothè~ues et autres hauts lieux
de l'Art et de la Culture. Mais au bout de quelques jours il
lui fallait fuir, toujours fuir jusqu'à sa propre ombre, avec
la hantise de l'homme traqué qui pense qu'il finira par être
prJ.s.
Entre temps, il apprit que le Mouvement de Libération
s'était encore mJ.eux organisé et lançait avec succès de gigan-
tesques opérations contre les troupes coloniales. Il ne fai-
sait plus de doutef' la victoire inéluc~able leur appartiendra.
"On dit écrit Haedens, que certains roman-
ciers construisent leurs personnages avec des
traits empruntés à plusieurs de leurs amis et con-
naissances.
Où le romancier prend'il ses idées,
quelles sorit ses sources d'information?
Nous
répétons que celà ne nous intéresse pas. Mais nous
profitons de la circonstance pour prendre la défen-
se du romancier qui choisit pour héros des gens
qu'ils connaît et qui sont bien vivants~ On s'in-
digne quelquefois de reconnaître dans un roman, le
portrait d'un ami. Le romancier est traité d'indi-
vidu sans scrupulès quand il ne reçoit pas des in-
jures plus graves"(l).
Cet encouragement peut être prodigué à l'au-
teur du Couteau d'or, et comme le critique littê-
raire nous pensons que de tels romanciers on~ le
mérite de vivre pleinement sur notre terre et
"de ne pas saisir leurs personnages dans leur pro-
pre rêve intérieur"(2).
Ce récit, avons-nous dit, rappelle étrangement la lutte
héroique menée par les peuples de Guinée Bissao et du Cap-Vert
contre l'impérialisme portugais qui, s'entêtait à maintenir dans
la domination, des colonies entourées de toutes parts par des
états déjà indépendants. L'auteur du Couteau d'or n'aurait-il
fait qu'un simple ré'portage journalistique ? (ce fut son métier).
Seydou DIARRA s'en défend: "Dans ce contexte réel de notre exis-
tence, à nous tous
Africains, qui conditionne notre existence, ./ .
(1)
et (2) Kleber HAEDENS:
Pa~a8oxe 8UP le poman;
Paris,
Bernard Grasset 1964 ; page 54.

292
j'ai plant~ le d'cor de mon Roman. Et j'ai imagin' tout le
reste. J'insiste bien là-dessus. Les personnages, les situa-
tions, les pays, sont le fruit de l'imagination
(il a oubli'
d'ajouter les dialogues!) et c'est le lieu de le dire, toute
ressemblance avec des personnages, des situations, des pays
r'els, serait une coincidence fortuite ••. " (1).
Pourtant, comme les amis de l'auteur, nous avons cru
VOlr certaines ressemblances avec la r'ali t ' ~ "colonie" dont il dé-
crit la lutte de libération pourrait être la Guin'e Bissao ; et
la "R'publique ind'pendante d'Afrique", la Guin'e-Conakry. Le
térritoire de cette dernière république a servi, à cause de sa
situation frontalière, de base d'op'rations aux masiquards du
P.A.I.G.C. (Parti Africain pour l'Ind'pendance de la Guin'e et
des Iles du Cap-Vert). La capitale (Conakry a abrit' le quartier
g'n'ral à partir duquel la direction du "Mouvement de Libération
supervisait les op'rations de gu'rilla.
"Le chef suprême du Mouvement de Lib'ration" r'pond au
signalement d'Amilcar CABRAL qui, comme lui, a fait ses 'tudes
sup'rieures dans la M'tropole :
"Savez-vous que j'ai connu le t:hef de leur
mouvement en M'tropole, à l'Universit' ; c'est un
homme diablement intelligent et d'cid'" (2)
L'auteur faisant plus loin allusion à un ancien chef
d'Etat 'vine' par les militaires et vivant dans la capitale de
la "R'publique ind'pendante d'Afrique,", pense sûrement à
Kwame
N'KRUMAH. Ce dernier, après avoir conduit le Ghana à
l'ind'pendance en 1957 a ' t ' renvers' par un coup d'Etat mili-
taire et s'est refugi' à Conakry où il v'cut entouré des hon-
neurs dus à un chef d'Etat, jusqu'à sa
mort survenue en 1975.
A cet' des allusions directes dont nous venons de citer
quelques exemples, on note
certaines donn'es qui font que le
• 1 •
(1)
Le couteau d'or;
Op. cit. page 10.
(2)
Ibidem;
; Op. cit., page 15.

.!\\
. . . . . . . . . .
2.93
roman se démarque de l'histoire. L'auteur fait du 20 janvier
la date anniversaire de l'indépendance de la "République indé-
pendante d'Afrique" (la Guinée est indépendante depuis le 28
septembre 1958) en même temps que le jour de la mort d'P~ilcar
CABRAL. Il ne s'agit pas d'un lapsus calami, mais "c'est dans
la mesure où cette puissance de modification et de transfigura-
tion existe que le romancier devient un créateur" (1).
Tous les autres détails sont ainsi das au fruit de
l'imagination de l'auteur. Il a crée les personnages d'Albie
l'amante ou plutôt la sylophide) celui de la mère du personnage,
du Directeur des services voire celui du héros-narrateur lui-même.
Il faut y ajouter les dialogues et les détails sur la psycholo-
gie des personnages, ou si l'on ~réfère celle de l'ennemi "im-
périaliste". En fait, nous avoue Seydou DIARRA
" ••• j'ai voulu
imaginer quelqu'un, de l'autre côté de la barrière, quelqu'un
.
.
du camp de ceux qui dominent, j'ai voulu l'imaginer dans ses mo-
tivations, dans sa démarche, dans ses techniques de pénétration
pour atteindre ses objectifs. J'ai voulu VOlr un Mouvement de
libération, ses hommes, ses dirigeants à travers les yeux d'un
agent de l'Impérialisme~ (2).
Le but poursuivi par Seydou DIARRA en écrivant ce roman
apparaît clairement. Comme il le dit lui-même dans la "Note" à
l'intention du lecteur, l'assassinat d'Amilcar CABRAL le 20
janvier 1973 à Conakry, l'indignation que cette nouvelle a SUSC1-
té chez les peuples du Tiers-Monde en général, de l'Afrique en
particulier, le sentiment personnel de révolte de l'auteur ont
été ce que l'on appellerait en terme technique sa "source
d'inspiration".
En effet, selon la version que l'impérialisme (entendez
ici le colonialisme portugai, et ses alliés du pacte de l'OTAN) ./ .

(1) Pierre GUIRAL;
La sooilté française vue par les romanoiers;
Paris, Armand Colin, 2~me édition revue et mise à jour;
1969 page 7.
(2)
Note de l'auteur ln
Le aouteau d'or,
Op. cit. page 10.

294
a tentê de faire accrêditer, Amilcar CABRAL
aurait été tout
simplement victime d'un réglement de comptes, à la suite de
dissensions surgies au sein d. l'équipe dirigeante de son par-
ti. Seydou DIARRA
n'y
croit pas. Il a la conviction au con-
traire, que le nationaliste guinéen a été assassiné par des
hommes armés et payés par le Portugal qui comptait par cet
acte désespéré liquider ou du moins désorganiser le P.A.I.G.C.
(ici le "Mouvement de Libération").
Du coup, le romancier
rapproche Amilcar CABRAL de Patrice LUMUMBA et de Kwamé
N'KRUMAH, symboles de la lutte de libération en Afrique noire.
De même, nos coeurs ont "vibré 'avec les combattants du Viet-Nam
et d'Algérie" (1), écrit le romancier pour prouver la solida-
rité entre les Noirs et tous les peuples en lutte.
Dans les annales de cette lutte de libération en Afri-
que se trouve gravé le nom de Patrice LUMUMBA, immolé sur autel
des sacrifices propitiatoires de l'ex-Congo Belge. C'est-à-dire
ce Zaire des années 1962-63 déchiré par les guerres tribales
et dispute par Iffipuissances impérialistes et que LUMUMBA. a
vainement tenté de sauver de la curée. Ce n'est pas par hasard
si le plus éélèbre camp d'entrainement des nationalistes s'ap-
pelle "Camp Patrice
LUMUMBA" (2).
Quant à Kwame N'KRUMAH que d'aucuns considèrent comme
le champion du nationalisme et du regroupement africains, il
est plus que cela pour Seydou DIARRA : c'est "l'étoile polaire
de l'Afrique (3).
Du moins, celle de toute la génération du
romancier, dont la conscience politique s'est éveillée avec le
R.D.A. et les autres partis créés au lendeman de la deuxième
guerre mondiale. Parlant de N'KRUMAH dans son récit, l'auteur
écrit que c'est "un homme pour qui il avait la plus gra~de
admiration" un homme retiré dans sa grande bâtisse, ••• au mi-
lieu de sa garde fidèle où il demeure a apprendre les langues
1
• 1 •
(1) Note de l'auteur in
Le couteau d'or~ Op. cit., page 10
(2) Le couteau d'or; Op. cit. page 32.
(3) Ibidem, page 10.

295
les plus parlées dans cette partie de l'Afrique et à méditer
sur les problèmes du pouvoir en Afrique" (1).
Dès lors, nous po~yon9 dire que la logique du Couteau
d'or s'inscrit dans une double prespective
- d'une part éléver au rang de martyre les souffrances
endurées par les combattants africains de la liberté.
- d'autre part proclamer haut la victoire inéluctable qui
couronnera tous leurs efforts.
Pour évoquer le martyre de l'Afrique, l'auteur ne
parle même pas de la puissance de féu dont dispose l'occupant
cet arsenal diabolique ,qui cause une hécatombe dans les rangs
des combattants aussi bien qu'au sein de la population civile.
Il nous montre les nationalistes retirês dans le maquis : on
imagine alors les privations auquelles ils se soumettent.
L'auteur s'arrête par contre plus longuement sur la tâche haras-
sante des responsables du mouvement. Dans le roman, le "chef
suprême"
doit superviser toutes les opérations entreprises par
ses troupes. Il visite de bonne heure quotidiennement tous les
ca~ps d'entraînement (dès l'aube). Il dépouille son courrier et
rédige des directives à l'intention des divers organes du parti.
Et surtout il est conscient du danger permanent qui guette les
révolutionnaires :
"Mon frère, dira un jour le "chef suprême",
nous avons choisi d'être libres et dignes. La
mort est donc notre compagne. Elle rode en per-
manence autour de nous et peu
frapper à tout
moment. Soyons prêts à l'accueillir. De sang-
froid; oui, de sang-froid" (2).
Et quelques propos recueillis çà et là dans le camp des
forces déstabilisatrices sont eux aussi significatifs. Ainsi, ./ ,
(1)
Les inutiZes,
Op. cit. , page 48.
(2 )
Le couteau d'op;
Op. cit. page 43.

296
le Directeur des Services (personnage symbolisant la puissance
coloniale) dira-t-il, au moment de former le réseau chargé de
l'assassinat du "chef suprême" •
"Tout indique que le mouvement prend des'"
proportions inquiétantes,
( ••• ) et que bientôt
c'est le gros de l'armée-de la Métropole qu'il
faudra lancer dans la bagarre pour mâter ces com-
munistes irresponsables"(l).
Les Africains souffrent non seulement dans leur chair
malS aussi dans leur âme ~ cause de l'entreprise de
"déshuma-
nisation" de l'être de race noire ~ laquelle se livre le Blanc.
Les Noirs sont même traîtés d'''irresponsables".
Tandis que "le chef suprême" est "ignoble chef des
rebelles"(2), le peuple entier est gratifié des qualificatifs
les plus déprimants
:
"Oh, mon petit, /dira le Directeur des Ser-
vices
à l'assassin du chef suprême/ ça a da être
terrible avec ces cannibales, n'est-ce pas?
Vous avez tellement maigri ! Ces sauvages ont
failli abîmer mon bel Apollon!" (3).
Mais, à travers toutes ces citations, le but de l'au-
teur est de montrer le prix que les Africains attachent à la
liberté:
"La liberté n'a pas de prix ; ~ partir d'elle et à
travers elle, le peuple africain créera,
j'en SU1S
sûr, une forme originale de
bonheur, de joie de
vivre ; oui, mon petit frère me dit il, nous sommes
nous Africains, étonnamment doués pour le bonheur,
cet ultime objectif de toute révolution humaniste"(4).
(1)
Le couteau d'op;
Op. cit. page 14.
(2)
Ibidem, page 53.
(3)
Ibidem, page 53.
(4)
Ibidem, page
46.

297
Pour célébrer à présent la victoire des combattants
pour la liberté, le romancier insiste plutôt sur l'échec du
complot, échec qui symbolise celui de toutes les manoeuvres
destinées à liquider les acquis du peuple. La révolution des
masses opprimées viendra
toujours à bout, selon lui, de l'ab-
surde entêtement de l'impérialisme à vouloir subjuguer, comman-
der, exploiter. L'extraordinaire odyssée du personnage de
Marcellino Delgazarte dit encore Joa, illustre le ch~timent que
reçoit toujours le tra1tre. L'auteur décrit les motivations
profondes qui ont poussé le personnage à agir: la femme l'ar-
gent, l'orgueil.
"Elle eut un rire qui me transperça, dit Joa
C'est
ce rire atroce qui déclencha la décision
folle que je devais prendre. réaliser l'exploit
qU1 en imposerait à Albie, qui me valoriserait à
ses yeux" (1).
Donc ce sont uniquement des sentiments égoistes et
sordides, et non des motivations nobles et humanitaires qui pous-
sent les traîtres à agir. Le personnage a même un instant pro-
fité de la récompense qu'il a reçue:
"A présent, je l'ai déjà noté, je suis riche
de tout l'or de "l'exploit" (je me surprends à met-
tre des guillemets) que je suis censé avoir accom-
pli dans la République indépendant~ d'Afrique. De-
puis plus d'un mois je tourne en Europe, d'une
ville à l'autre. Tout est si merveilleusement dé-
veloppé en Europe, une mécanique parfaite, un cocon
doux et aseptique! Je plonge jusqu'à l'âme dans
le confort d'Europe, d'un
palace à l'autre, chan-
geant de lieux mais reTrouvant toujours le même
raffinement, cette délicate attention que provoque
l'argent que l'on a ••• " (2).
./ ..
(1)
Le couteau d'or;
Op. cit. page 15.
(2) Ibidem, page 27.

298
Derrière ce bonheur apparent, se profilait la terri-
ble réalité. En effet, à défaut du châtiment populaire que mé-
ritent tous ceux qui ont trahi la cause de la patrie (pour
divers motifs), le personnage du récit sera aux prises avec
sa conscience. Sa torture psychologique commencera déjà dans
le bateau (affrété pour faciliter sa fuitè à la minute qui
suivra l'accomplissement de son acte:
"Je passe toute la traversée dans ma cabine
ou à l'avant du navire, n'adressant la parole à
personne, ne regardant personne, la main sur
l'arme, prêt à ouvrir le feu ••. Portant je ne
sais quel deuil, notre bateau avançait comme un
convoi funèbre. Je sombrais dans la démesure et
le tragique" (1).
Ce n'était qu'un début. L'auteur va décrire ensuite
le cheminement de la pensée du personnage
jusqu'à la démence.
Bien qu'on lui ai reservé un accueil triomphal à son
retour d'expédition, bien qu'on l'ait couvert d'or, il ne par-
vint pas à sortir de son état d'abattement moral. Ses rapports
avec se,s amis et connaissances sont dévenus. "équivoques" cons-
tate -t-il lui même avec regret. Et d'ajouter:
Il
J'8tais désormais le tueur attitré,
couvert d'or, honoré et
cependant méprisé ••• (2).
Quant aux millions qu'il a reçus pour salaire de sa
traitrise, ils ne lui auront pas apporté le bonheur et le con-
fort qu'il en attendait:
"Je rentrais en toute hâte chez m01, surpr1s
peut-être de me retrouver millionnaire sans que
j'en éprouve le moindre transport, moi qui cepen-
dant ai toujours jusqu'ici (sic) vêcu d'expé-
dients" (3).
./ .
(1) Le couteau d'or ~
Op, cit.,m page 52.
(2) Ibidem, page 54.
(3) Ibidem, page 55.

En définitive, le salaire de sa traîtrise ne sera
autre chose qu'un dépit amoureux (Albie le fuit) auquel vien-
dront s'ajouter la méprisante commisération
de ses maîtres
et la haine des Africains qui le rechercheront pour se venger.
La poursuite des jouissances de son argent ne fut donc pour
Joa que l'acte désespéré d'un condamné à mort qu~ se jette à
corps perdu dans le plaisir" (1).
Sans ~tre un homme traqué, il nous donne l'impression
d'être une personne qui ne parviendra jamais à se délivrer de la
hantise de la persécution : il a toujours le presentiment que
d'une minute à l'autre, des tueurs lancés à ses trousses, vont
faire irruption dans sa chambre d'hôtel pourtant bien fermée à
clé.
Le romancier ne nous fait pas seulement détester
l'acte de l'assassin. Il n'est jusqu'au nom du traître qui ne
soit couvert de mépris. Le personnage lui-m~me compare son
nom à celui d'un Véron ou d'un Judas, deux individus tristement
célèbres dans l'histoire romaine et dans celle de la chrétienté
" ••• Ce nom d'emprunt qui me colle à la peau
comme une lèpre, ce nom qui sonnera peut être pour
l'histoire, pour l'éternité comme sonnent étrange-
ment les noms de Néron, de Judas ..... "(2).
Agrippine maudissent son démon de fils, disait à Néron:
"Et ton nom paraîtra dans la race future
au plus cruel tyran, une cruelle injure" (3).
A la fin du roman, Seydou DIARRA annonce :
"Je brOlais ainsi par les deux bouts jusqu'au
jour où apprenant par la presse que le Mouvement de
Libération avait lancé une grande offensive qui pro-
gressait victorieusement là-bas dans la colonie.~."(4)
Cette phrase proclamait donc la victoire du "Mouvement
de Libération", celle aussi (au-delà de ce récit) de toute cause
juste et noble.
Une victoire que rien ne saurait arrêter, nl
.1.
(1) Le couteau d'or,
Op. cita page 68.
(2) Ibidem, page 55.
(3) RACINE; Britannicus. UV~ ~i ~ r~
(4) Le couteau d'or,
Op. cit. page 68.

la puissante machine de guerre comme
celle que déployèrent les
américains du Viet-Nam ou les Français en Algérie, ni nêne la liquidation
physique des leaders, liquidation destinée à étouffer dans
l'oeuf le processus de liberation nationale, comme ce fut le
cas dans l'assassinat de LUMUMBA ou d'Amilcar CABRAL.
Nous retrouvons dans Femme d'Afrique, des passages
ayant traît au même thème politique. Aoua
KEITA glorifie la
mémoire des leaders volta!ques Ouezzin COULIBALY
et soudanais
Mamadou KONATE, tombés selon elle sur le champ d'honneur de la
lutte de libération. Elle écrit que leurs noms seront à jamais
associés à la phase critique des combats politiques menés par
leurs pays respectifs pour secouer le joug colonial français.
La romancière n'oublie pas non plus les femmes. Un
voyage en Guinée lui fournit l'occasion de rendre hommage à une
militante de ce pays:
"C'est sous le hangar du marché qui porte le
nom d'une des plus grandes figures du mouvement
feminnin africain que le 2ème congrès du P.D.G.
tint ses assises.~.
Rappelons que M'Ballia
Camara, intrépide
/ënnemie7 de la domination
étrangère et du féodalisme~ une des plus grandes
héroInes de son temps, dont le nom est inscrit en
lettres d'or
dans les annales de l'histoire de
l'Afrique et dans celle de la Guinée en particulier,
fut sauvagement assassinée le 9 février 1956. par
un chef féodal, SUDp~t du colonialisme qui sentant
son trône ébranlé ~ jamais, ne possédait plus le
contrôle de ses sens. Elle fut immortalisée par
le P.D.G. reconnaissant qui donna son nom glorieux
au marché le plus
important de Conakry" (1).
Comme ce marché de Conakry donc, Le couteau d'or se
se veut un acte de reconnaissance. Seydou DIARRA a composé un
hymne à la mémoire de tous les martyrs de l'Afrique, principa-
lement ceux qui sont tombés en combattant pour la libération
de leur pays, qui est corrélativement celle du continent afri-
cain
.-/ ..
(1)
Femme d'Afrique;
Op. cit. page 362.
<.

'. : .,.
"Oui, ce que je voudrais, écrit-il dans la "Note",
ardemment, c'est que mon histoire, imaginée de toutes pièces,
soit lue, entre les lignes, au second degré, comme un frater-
nel et h mble hommage indirect à Amilcar CABRAL
Comme un sour~re à Amilcar CABRAL,
Un soup~r pou~ Amilcar
Juste une larme pour CABRAL
Comme un poème en prose pour Amilcar CABRAL
••• A la gloire d'Amilcar
• • • A la mémoire de CABRAL ••• "(l).
(1)
Le oouteau d'or ~
Op. cit. page 11.·

·'
302
"Tout l'h'misph're sud est de plus en
plus domin~ par deux phénom~nes : la
liquidation des droits de l'homme et
la médiocrisation des hommes au po~voirff.
Seydou BADIAN ;
La Campagne du
g3nJraZ ; page 17.
Le couteau d'o' de Seydou DIARRA a retracé les étapes
difficiles de la lutte de libération dans les territoires colo-
niaux d'Afrique. Mais ce roman s'est arrêté au moment où la lu-
eur de l'indépendance s'apercevait au bout du tunnel. Tout com-
me Femme d'Afrigue. Chacun pouvait croire qu'il s'agissait là
d'une lueur d'espoir puisqu'il était enfin donné à chaque jeune
république africaine le droit de disposer d'elle-même.
Mais les lecteurs du continent et ceux d'ailleurs
étaient pressés de voir les romanciers témoigner sur l'après-
indépendance comme ils l'ont fait de la longue période anté-
européenne et de l'époque coloniale ensuite.
Avec La campagne du général, c'est désormais chose
faite. Seydou BADIAN est le premier romancier malien à ouvrir'
la voie, bien qu'il ne s'agisse lCl que d'une nouvelle.
1
.~
Deux étudiants africains revenant au pays, se sont
retrouvés avec plaisir dans l'avion. Ils évoquent des souvenirs
communs, notamment les débats au cours des réunions organisées
par l'assemblée des étudiants et stagiaires africains en France.
Rokhia et Souley sont tous deux
ce qu'on pourrait appeler des
militants engagés.
Au cours de ces réunions donc, on critiquait (souvent
avec v~hémence), les réalités sociales en Afrique~ Certains
s'attaquaient à la cupidité des femmes courant après villa,
voiture et bijoux, d'autres flétrissaient l'avidit~ des hommes
visant le pouvoir.
Les interventions de Nolo ~taient brillantes
en ces temps là.
./ .

, ..
. "'l'

.,-
Maintenant, les ann~es ont pass~ et Nalo ~tait devenu
.~
au pays, un pilier du régime militaire au pouvoir. Un journal,
conservé par Rokhia parlait des " a fricaneries" • il comparait
volontiers les régimes politiques en Afrique à celui de l'Apar-
theid et les militaires à Vorster. Ce parallèle choqua Souley
bien qu'il eOt ~t~ pendant plusieurs années sans nouvelles du
pays à cause d'un sejour .prolong~ en Angleterre.
.,~
Au bas de la passerelle, un gendarme vint chercher
.~
Rokhia, à la grande surprise de cette dernière. Elle fut dirig~e
vers une belle voiture dans laquelle se trouvait son cousin Sima.
L'auto s'ébranla aussitôt en direction de la ville.
Souley, lui, fut longuement retenu au contrôle de
douane où l'on s'en prit particulièrement à ses bagages. Puis,
avant qu'il ait eu le temps de le réaliser, il se retrouva entre
deux policiers qui le conduisirent au commissariat de police
où un ch8timent des plus sévères lui fut administré.
Rokhia à son arrivée chez elle, fut saluée par des
acclamations de joie. Sa famille se disait sensible au grand
honneur que leur faisait ainsi le directeur du commerce, le pa-
tron du cousin Sima. A travers les allusions faites, la jeune
.,p
fille comprit qu'elle avait été promise à cet homme du régime
qui avait déjà deux femmes. Le cousin Sima était l'auteur de
cette machination dans laquelle le reste de la famille s'était
laiss~e prendre. Rokhia en pleura d'indignation.
Plus tard, elle voulut rendre visite à Sou1ey. Elle
trouva la mère du jeune homme en pleurs. Lê. vieille femme lui
apprit que son fils se trouvait actuellement en traitement à
l'hôpital. Elle-même avait été menacée de représailles si elle
avouait à quelqu'un les sévices dont son fils avait ~t~ l'objet.
Ignorant cet avertissement, Rokhia décida de ne pas rester les
bras crois~s.
./ .

..
Que faire alors ? Les magistrats du pays taxaient de
subversion et punissaient toute tentative de porter secours à
un "suspect", La loi étant cependant faite pour le petit peuple,
Rokhia pensa que Niclou, un ancien collègue de faculté pourrait
l'aider. Ce dernier, après avoir bruyamment milité au sein de
"l'Union révolutionnaire des étudiants africairs", occupait
présentement de hautes fonctions au Ministère de l'Education.
Mais pOPY" Niclou,Souley n'était qu'un "aventuriste"
dont le régime "démocratique et populaire 11 du général n' avai t
que faire. Il conseilla m~me à Rokhia de se soumettre comme lui
afin de profiter des faveurs du régime. Niclou lui suggera aussi
d'aller voir Nalo.
L'ancien grand théoricien de la révolution proléta-
"
...
rienne sera-t-il différent ~ C"est pourtant de sa bouche que
~
Rokhia apprit
les vérités crues sur les réalités politiques et
sociales telles qu'elles existaient
dans les pays du tiers-
monde en général. Nalo était un pragmatique. Il promit son inter-
vention en faveur de Souley.
De retour chez elle, Rokhia eut à affronter toute sa
famille à cause de sa visite chez Souley. Son père emporté par
la colère la chassa de sa maison associant en m~me temps le
sort de la mère à celui de la fille. Sima son COUSln était
l'auteur de ce scandale parce qu'il avait dit que le refus de
Rokhia d'abandonner Souley à son sort couperait
à toute la
famille les subsides du directeur du commerce. Il ajouta, qu'à
cause de son geste, Rokhia ne serait plus nommée directrice du
collège, comme il en avait obtenu la promesse en haut lieu.
Quant à Souley, continua-t-il, son tort était d'avoir saboté
la campagne du général en votant "non", d'après les rapports
èe l'ambassade du pays
à Paris.
Nous avons à faire dans cette nouvelle à un "cycle
ouvert"
c 'est-l~dire qu'au terme <:.e cette lecture, il nous ./ .

·;,
.
."
105
vient à l'esprit plus de questions que nous n'avons obtenu de
réponses. Nulle doute que Seydou BADIAN aussi s'interroge comme
ses lecteurs. Qu'adviendra-t-il de Souley et de Rokhia dans
cette "République indépendante d' Afrique"? pour reprendre
le mot
de l'auteur du Couteau d'or.
A travers ces deux personnages on
peut se demander : quel genre de vie mène donc la l'majorité Sl-
lencieuse" dans les pays indépendants d'Afrique? Quel sort ~ê­
serve-t-on
à ceux qui ont le courage d'éléver la voix pour
protester contre l'injustice ou m~me l'erreur?
Jusqu'où ira
le martyre du peuple africain ?
L'auteur termine son récit par une phrase angoiss2nte :
"Souley est un ennemi de la Patrie. Mais, rassure-toi,
après ce qu'il a reçu, aux prochai~es élections il ne s'abstien-
dra pas" (1).
A présent tout devient clair: c'est parce qu'il a osé
voter contre le général que Souley a été soumis à de telles
traitements. Alors, à la prochaine parodie d'élection, que fera-
t-il ( La question reste sans réponse.
En attendant que d'autres romanciers prennent la plume,
analysons ce que Seydou BADIAN nous apprend dans La campagne du
" "
general •
Examinant la situation politique et sociale en Afrique,
Surlday Anozié écrivait: "Depuis 1966 l'Afrique occidentale vit
dans une véritable rage de mutation internes. La plupart des
gouvernements élus ont été renversés par les militaires qui leur
ont confisqué le pouvoir et la légalité" (2). Seydou BADIAN,
parlant de ces mutations internes et des conséquences qu'elles
entraînent pour le peuple, les qualifié d'''africaneries''. Il
compara les régimes militaires au système de l'Apartheid qui
prévaut en Afrique du Sud, et assimile les dirigeants militaires
à Vorster. Actuellement ce dernier n'est plus Premier ministre
./ .
(1)
La oampagne du gdn~ra l ;
Op. cit.,page 17.
( 2 )
Sunday
ANOZIE
Sooiologie du roman afrioain ;Op. cit.,
page 21.8.

306
ma~s Président de la République Sud-africaine, qui sur le
plan juridique, est un régime parlementaire. Mais, comme dit
le proverbe : "Bonnet blanc ou blanc bonnet" ...
Pour Seydou BADIAN donc, le système du développement
séparé et le ravalement de l'homme au rang de b~te pratiqués
par Voster n'est pas plus fasciste que la politique pratiquée
par les généraux-présidents en Afrique
"Pour un ou~, pour un non, c'est la tor-
ture, c'est la prison. Tout le monde est en sur-
sis en Afrique. Les généraux traitent "leurs
concitoyens" exactement comme Vorster les victi-
mes de l'apartheid" (1).
En lisant ces lignes de Seydou BADIAN on ne peut pas
s'empêcher de se demander si les "africaneries" dont il parle,
n'existent pas dans d'autres régimes dits civils ? Nous pen-
sons, entre autres exemples, à ceux décrits par
DRAMOUS (2)
de Laye CAMARA,
Perpétue et l'habitude du malheur (3) de
Mongo Béti, ou encore Rumember Ruben (4) du même auteur.
L'Homme taillé en colosse" et
"Baba Toura" dont parlent les
deux romanciers guinéen et camérounais dans leurs romans ne
sont pas sans rappeler "le général" dans la nouvelle du roman-
cier malien. Aussi pourra-t-on considérer sans trop de risque
d'être contredit, que tout ce que dit Seydou BADIAN ici est
.valable également pour la plupart des régimes en Afrique.
D'ailleurs, Daniel Ewandé n'écrivait-il pas dans son
pamphlet que: "Nos pays ... vivent sous des régimes paradisia-
ques. La crainte et la torture elle-même s'y pratiquent démo-
cratiquement (5).
./ .
"La campagne du général " in Le monde diplomatique ;
Op. cit.,
page 16.
( 2 ) Laye CAMARA ; Dpamouss, Paris ; Plon, 1966.
(3 )
Mongo BETI ; Rumembep Rub~n ; Paris, Union Générale
d'Editions, Collection 10/18, 1974.
(4) Peppétue et l'habitude du malheup ; Paris,
Editions
BUCHET/CHASTEL, 1974.
( 5)
Daniel EWANDE, Vive le ppéeident,
Paris, Albin Michel,1968.

Dans sa nouvelle donc Seydou BADIAN nous montre com-
ment, après avoir phagocité les opposants (les uns sont abêtis,
les autres stiperidiés), le général-président et son entourage
se livrent à "la fête africaine l1 pour réprendre le mot de
Daniel Ewandé. Heureusement (Badian n'est pas
aussi pessimis-
te ~ Yambo Ouloguem quant à l'avenir du continent africain),
qu'il
e x i s t e
quelques âmes non corrompues, capa-
bles de discernement malgré les apparences~ L'analyse lucide
de Nalo.prouve que le moment venu, des Africains "mettront de
l'ordre dans la maison".
Seydou BADIAN décrit donc dans un premier temps, la
manière dont le régime militaire procède pour bâillonner le
peuple. "Et (la bouche de l'auteur) sera la bouche des mal-
heurs qui n'ont point de bouches, (sa) voix la liberté de
celles qui s'affaissent au cachot du désespoir" (1).
Rares sont donc, selon le nouvelliste, les Africains
qUl osent éléver la voix ne serait-ce que pour proposer des
solutions justes et viables. Les fonctionnaires savent qu'à
~
ce jeu ils risquent leur carrière, tandis que les travailleurs
du secteur privé craignent la confiscation (ou la "nationali-
sation") de leurs biens. Le peuple en général - "la majorité
silencieuse" - est bâillonné et subit toutes sortes de priva-
tions et de vexations sans pouvoir se plaindre. La mère de
Souley qui a apprls que son fils est transporté à l'hôpital
à la suite de sévices subis en prison, n'a même pas le droit
de parler ou de pleurer :
"Ils sont venus ici, confiera-t-elle à
l' oreille de Rokhia, ils m'ont dit: si tu ra-
racontes ce que l'on vient de te dire, on le
tuera ! ••• La mère de Souley leva sur Rokhia
des yeux ncyés de larmes, elle hésitait à la
laisser parLir. Elle avait peur. Elle avait vé-
cu le c~mmencement du règne, elle avait appris
à conna!tre les hommes qui avaient arrêté son
fils" (2).
(1) Aim~ CESAIRE; Cahier d'un retour au pays nataZ
Paris,
3
Présence Africaine, 1956, page 42.
(2) La campagne du général in Le Monde dipZomatique ; 6p. cit. page 17.

~.
308
Les seules forces capables de se dresser face à l'ar-
bitraire sont les associations scolaires et estudiantines.
L'auteur de
La campagne du g~n~ral en cite deux: "l'Assem-
bl~e des étudiants et stagiaires africains en France" et
"l'Union r~volutionnaire des ~tudiants africains" qui ne sont
pas sans rappeler la FEANF
(F~d~ration des Etudiants d'Afri-
que Noire en France) fondée en 1952 et la WASU (l'Union des
Etudiants de l'Ouest Africain) qui naquit à Londres en 1926. "
"A cette derni~re ~poque, quatre associations existaient déj~,
dit Ki-Zerbo et (toutes) se plaçaient aussitôt à la pointe
du combat nationaliste africain" (1).
Or, contre toute attente ces associations, qu'elles
soient implantées en Europe ou qu'elles soient form~es sur pla-
ce en Afrique, ne semblent pas beaucoup inquiéter les mili-
taires. Ceux-ci usent à leur encontre de deux procédés.
Ceux-~ui, au cours de leurs études se révèlent com~e
des meneurs de foule ou qui portent contre le régime les
plue virulentes attaques, sont habilement "récup~rés". On
ach~te leur silence soit en leur offrant des bourses d'études

ou de fortes sommes d'argent; soit en les nommant à des hau-
tes fonctions.
Tels furent les cas de Nalo et de Niclou.
Si le premier n'~tait pas un bouillant orateur, le
second, lui, avait des id~es politiques bien pr~cises. Pour-
tant, quatre ans plus tard, Rokhia est étonnée du changement
intervenu en lui
"Niclou avait fait ses ~tudes à Marseille.
Rokhia l'y avait connu. Ils avaient milité en-
semble au sein de l'Union révolutionnaire des
étudiants africains. Rokhia connaissait les
idées politiques de Niclou. Ce dernier occupait
actuellement un haut poste : conseiller techni-
que du ministre" (2).
Quant à la deuxi~me catégorie d'étudiants, si elle
préoccupe un peu les militaires, c'est que, sans trop de .1.
(1) Joseph Ki-Zerbo;
Histoire de t'Afrique Noire, d'hier à
demain; Op. cit.; page 479.
(2) La campagne du généraZ ; Op. cit. page 17.

309
tapage, elle constitue l'opposition la plus active, la plus
constructive.
Le régime, qui ne peut pas l'acheter, use alors
à son encontre de la méthode forte. La
p~upart sont comme
Souley, "cueillis" dès leur arrivée à l'aéroport, au port, à
la gare ferroviaire ou routière.
La police, redoutablement
efficace, étend ses tentacules partout. Après la fouille des
bagages, les "indésirables" sont précipités au fond des cachots
où les traitements les plus "raffinés" dans l'art de la barba-
rie leur sont appliqués.
Seydou BADIAN nous décrit le début du
traitement qui fut reservé à Souley :
"Au poste de police, le commissaire accueil-
l i t Souley avec une gifle. Deux policiers le
poussèrent dans une petite case obscure où trois
gaillards l'attendaient fouets en main" (1).
La majeure partie de ces "détenus politiques" y lais-
sent leur vie. Ceux qui en réchappent comme Souley, n'auront
plus leur place que dans des lits d'hôpital ou dans des aSl-
les psychiatriques, s'ils ne sont pas invalides pour le res-
tant de leurs jours
"Le brigadier-chef ouvrit la porte de la
petite chambre. Souley dormait, le bras dans
le plâtre, un épais bandage autour de la poi-
trine ••• "(2).
Après avoir ainsi mlS le peuple entier "au pas", les
militaires peuvent alors, en toute impunité, se livrer à leurs
fantaisies.
Tous rivalisent de cupidité
: Ils ont de belles
voitures, de splendides villas, de magnifiques vergers pour
se reposer et surtout beaucoup d'argent.
Sans oublier le droit
de faire la pluie et le beau temps:
"Le DirecteUl:' du Commerce était un des hom-
mes les plus pui~sants. Sans sa signature, rlen
ne sortait du paY3
: ni cacao, ni bois, ni ara-
chide, ni coton,li ananas, ni poisson fumé ou
séché. Rien.
(1) La campagne du gJnJraZ"
Op.
cit. pdge 16.
(2) Ibidem, page 17.

, ......
370
Mais le Directeur du Commerce était surtout
un homme d'affaires. Une demi-douzaine de mar-
chands travaillaient pour lui. Parmi eux, Sima,
le cousin qui était venu accueillir Rokhia à
l'aéroport" (1).
Donc, selon Seydou BADIAN, ministres, directeurs de
cabinets et de sociétés, hommes d'affaires, tous, sous le ré-
glme militaire font subir une saignée à l'économie du pays.
"Nos chefs pillent le pays et se vautrent dans la jouissance"(2~.
dira Nalo. Et pour se reposer, ils pensent tous aux belles
femmes. Dès que l'avion s'était immobilisé sur la piste d'at-
terrisage, une belle voiture était venue au bas de la passe-
relle pour emporter Rokhia, selon les consignes données par
le directeur du commerce. Sima, un de ses subordonnés, la lui
avait promise :
"Mademoiselle Rokhia ? répéta le gendarme
d'une voix plus ample. Personne ne descend,
Mlle Rokhia d'abord !" (3)~ Plus qu'une exigen-
ce, c'était un ordre impératif.
Et le président lui-même? Niclou un de ses admirateurs:
nous fait son éloge :
"Le pays a beaucoup changé avec le général,
tu viens d'arriver, tu ne sais encore rien. Dans
un mois ou deux, tu seras complètement conquise.,.
Certes, le général a dissout le Parlement, les
partis politiques, les syndicats.
Il a interdit
les grèves, les réunions, les manifestations,
mais, crois-moi, c'est un vrai démocrate, i l
est si ouvert aux problèmes des autres ! Va le
voir, crois-moi ••• Il règlera tous tes problèmes~
tu seras logée tout de suite, tu auras ton véhi-
cule. Avec le régime précédent, tu auraisatten-
tendu au moins six mois !"(4).
(1) et(2) La campagne du général;
Op. cit. page 17.
(3) Ibidem, page 16.
(4) Ibidem
page 17

'1
.-
f
Bilan on ne peut plus expressif.
L'aveu est des
plus
édifiants. Mais, quoi d'étonnant en cela puisque: "Toute
cour n'est brillante que si l'on s'y amuse~ Le gaspillage
est une oeuvre de salubrité publique, comme une autre. Qui
dira encore que la frivolité dans un Etat en chantier· n'est
pas la chose la plus indispensable du monde ?" (1) persifle
l'auteur de Vive le président~ Niclou n 1 avoue-t-il pas qu'~
propos de démocratie, la vraie liberté de pensée et d'expres-
sion se mesure à l"aune du général-président 1
Elus authentiques du peuple, abstenez-vous
! si les
portes de l'Assemblée Nationale ne sont pas closes, ceux-qul
y entreront ne seront que les hommes du président.
'JI
Ensuite, point de salut, hors du parti-unique appelé
commodément le partie-état! Et pour tout corser i l n'existe
plus dans le pays qu'une parodie de syndicat: la centrale
syndicale unique.
La presse quant l
elle, est muselée pour
laisser la place ~ un insipide organe officielle~
Yambo Ouologuem, répond en écho à son compatriote
"A quoi servent les prisons politiques, les

amitiés avec Les grandes puissances ?~ •• Mon
dieu •••
Le sol ressemble de plus en plus à celui
des tranchées.
Il faut en profiter pou~ ligoter
l'opposition.
L'opposition, c'est l'homme à
abattre, c'est l'homme en vue. On pourra tou-
jours raconter des sornettes aux autres, aux
imbéciles" (2).
~Donc, cette critique généralisée de Seydou BADIAN
..1
n'est pas excessive. Dans la nouvelle, son porte-parole est
Nalo qui a~ésapprouvé en son temps les "africaneries" mais
qui s'est tu aujourd'hui.
Il a accepté de rester dans le
• 1•
(1)
DaniE1J EWANDE;
Vive le président; Op. cit. page 25,.
(2)
Yambo OUOLOGUEM ; "La :nésaventure africaine",
L'Afriqu.e
litté~aire et artiFtique,
NQ 41 ; page 3.

,
. l
"
pays, mais sa décision ne doit pas être jugée comme une déro-
bade face à ses responsabilités. Selon lui, il faut savo~r
se plier aux forces du moment pour ne pas rompre comme le
roseau :
"Pas un des camarades que tu as connus en
Europe ne lèvera le petit doigt. Ne compte sur
personne : Ici il y a trois catégories de gens
ceux, comme Souley, que l'on piétine:
clients
des prisons et des chambres de tortures, pu~
voués à la déportation et à la mort dans l'ano-
nymat ; ceux comme Nic10u et moi qui font des pa
papiers pour le général et ses copains , nous
qui avons tout abjuré, tout renié pour la villa;
la voiture les pots-de-vin, les ~rébendes et le.
reste ; et puis les t~oui11ards qui voudraient
dire "non", mais ont peur de leur ombre"(l).
Niclou, ancien étudiant comme Rokhia, ne peut s'empê-
cher d'établir un parallèle entre les conceptions européenne
et africaine de la liberté.
,
• •
"
Que me proposes-tu ~ Descendre dans
la rue. Oui je l'ai fait au quartier Latin,
nous étions ensemble dans les manifestations.
Des coups de pélérine ••• '4parfois du ma~aquage
et des bombes lacrymogènes, le panier à sa.L <::,
vérification ~identité au peste. Au bout de
deux heures, la liberté et nous par1ioDs de la
prochaine manif. Ici, c'est différent,_u rêves
Rokhia ! Ceux qui descendent dans la rue ne
remontent plus: coups de crosse, coups de feu,
arrestations, déportation puis l'exil et le
chômage •.• "(2).
A la liberté de parole et au droit de manifestation là-bas
en Euro~e occidentale, se substitue en Afrique le droit de mou-
rir ou~~ê vivre en exil. L'auteur va établir un deuxième paral-
lèle, entr~'le socialisme en Europe de l'Est et ce que l'on
appelle par ce nom en Afrique.
1.
./ .
(1) La oa~agne du général; Op. cit. page 17~
(2) Ibidem; page 17.

La tradition africaine et l'esprit communautaire que
nous avons hérité de nos ancêtres nous prédisposent peut-être
à construire des sociétés socialistes. Pourtant là aussi cons-
tate Seydou 'BADIAN, (ancien ministre'socialiste) il n'existe
aucùne commune mesure entre la dictature communiste pratiquée
en Europe de l'Est et ce qUl se passe dans nos régim&s mili-
0,
taires d'Afrique:
"Oui, Rokhia, dit Nalo, les droits de
l'homme disparaissent dans l'hémisphère-sud 8t
ce n'est même pas pour les nécessités du dévelop-
pement. Certains pays de l'hémisphère nord ont
inauguré la voie de la croissance forcée, accu-
mulation par contrainte, répartition autoritaire
du travail et du revenu etc •• Nous, fils de la
misère, pouvons comprendre de tels impératifs.
Mais chez nous il ne s'agit nullement de cela"(1),
A la lumière de ces deux constatations~ Seydou BADIAN
ne dénonce pas seulement les "africanéries" du régim~ milita;i-
re'. Il cri tique aussi la complicité coupable qui s'établie
entre les différents Etats africains, au niveau des gouver-
nants. Il déplore aussi l'expectative ou même l'indifférence
dans lesquelles se retranchent les pay~ développés et les
organisations internationales telles que l'O.U.A. et l'O.N.U.
"(Nos chefs) s'amusent, Rokhia, et c'est
l'homme leur jouet. Sais-tu ce qu'ils disent?
Nous avons de l'uranium,du pétrole, un siège à
l'O.~.U., à l'O.U.A •• Les grands sont tenus de
compter avec nous. Que les intellectuels écri-
vent contre nous dans les gournaux, on s'en fout!
Que nous fusillions dix mille types, nos voi-
sins africains nous accueilliront toujours fra-
ternellement et nos rapports de coopération avec
les Grarlds n'en souffriront nullement. Sartre et
Simone de Beauvoir peuvent gueuler ••• que peu-
vent-ils ?" (2).
(1) La campange du g'"'raL,
Op. cit. page 11.
(2) Ibidem, page 17.
~

T;':?').~
, -~
l • • ~
Comme pour faire écho de BADIAN, le "Soleil" du
~
12 décembre 1978 titrait: "NYERERE
critique vivement l'O.U.A.
"Un syndicat d'e chefs d'Etat".n Selon donc le président tanza-
nien, plus d'une décennie après les indépendances
africaines,
focce est de reconnaître que notre chartre panafricaine n'a
pas fait la preuve de son efficien~e ou du moins est devenue
anachronique. Le président a indiqué, poursuit le quotidien
sénégalais que"
c'est regrettabl~ pour une organisation de
pays qui viennent d'émerger de l'oppression coloniale, d'être
régie par une charte de ce genre. Au contraire elle devrait
soutenince mouvement d'émancipation en vue d'établir les li-
bertés individuelles.
La charte de l'O.U.A. est incapable de dénoncer un
fasciste africain, et pourtant nous en avons plusieurs ••• Quoi
que fasse un chef d'Etat africain, il peut tuer autant de per-
sonnes qu'il veut dans son pays~ il sera protégé par cette
charte. Ce document n'est pas fait pour protéger les peuples
indépendants d'Afrique, il se borne à protéger leurs diri-
geants" (1).
On se souvient encore que cette idée d'Unité pana-
fricaine rebutait Yambo OUOLOGUEM, non pas
à cause de la théo-
rie en soi
mais à cause de ce qu'elle est devenue dans la pra-
tique :
"Se
détachant sur ce tableau d'honneurs,
le sort de Saif Isaac El Heit fut d'une sin-
gularité prodigieuse; s'élevant bien au-des-
sus des destinées communes, elle dota la lé-
gende des Saifs de la splendeur.
où somno-
lent de nos jours encore, les rêveurs de la
théorie de l'unité africaine" (2).
Après une analyse très minutieuse de la situation
PQlitique et sociale qui prévaut dans les pays où les mili-
taires ont usurpé le pouvoir, l'auteur de
W. campagne du
"
genera1 peut conc 1 ure
~1) Le
SoleiL - Dakar ; Mardi 12 décembre 1978 ; page 9
(2) Le devoir de vioLence; Op. cit., page 11.

"Rokhia, il est un Etat dont Marx n'a
pas parlé: l'Etat-truand, tu auras l'occa-
sion de savoir ce que c'est ••• "(1).
Dans ces états qui ne sont ni capitalistes, ni com-
munistes, ni socialistes, qui ne sont m~me pas des étapes in-
termédiaires visant l'un ou l'autre de ces régimes, tout es-
poir est-il interdit à l'homme?
Beydou BADIAN garde un peu d" optimisme. Heureusement
dira-t-il, il reste d~s hommes comme Souley, voire comme Nalo.
M~me s'ils tombaient, leur sang qui arroserait la terre ferait
germer au sein du peuple d'autres espoirs.
Et l'on pourra un
jour préparer à l'Afrique des lendemains meilleurs. Ce sera une
Afrique où la liberté et la démocratie ne seront plus de vains
mots, où le peuple, profitera du fruit de son travail. Mais
que les Africains ne comptent sur personne d'autre que sur
eux-m~mes pour se libérer, nous conseille BADIAN. Il poursuit
"J'ai compris deux vérités, Rokhia :
le tyran doit sa force à la vénalité des uns
et à la lâcheté des autres ; un homme qui ne
sait pas mourir pour la liberté n'est pas
digne d'~tre libre" (2).
Espérons
avec l'auteur qu'il n'y aura pas qu'une
minorité en Afrique pour comprendre ces"deux
vérités".
Dans la campagne du général donc, Seydou BADIAN
exprime tout haut ce que beaucoup se répètent tout bas. Il crl-
tique les régimes militaires qui ont brusquement fait parler
d'eux, quelques années seulement après les indépendances afri-
caines. Les civils, dit il~ sont écartés du pouvoir par des
militaires cupides et concupiscents.
Mais cette nouvelle n'est qu'une esquise~ L'auteur
que nous avons rencontré, nous a confié que c'êtait là la
matière d'un roman.
(1) La oampagne du générat ;
Op. cit~ page 17.
(2)
Ibidem, page 17.
,,:t.'

" '
.,
3]6
On retrouve à peu près le m@.me thème dans "la
mésaventure africaine", un essal de Yambo OUOLOGUEM publié
par l'Afrique littéraire et artistique.
L'auteur reprend les allégations de son compatriote
selon lesquelles les pays africains, après l'indépendance, o~t
échoué dans leur tentative de s'autoadministrer et de promou-
voir leur développement. Son analyse de la situation qui pré-
vaut sur le continent noir, est une sorte de
: l'Afrique noire
est mal partie (1) de René DUMOND. Ce dernier ouvrage on se
rappelle, a provoqué une levée de boucliers et l·indignat~on
de ceux à qui l'on disait des vérités crues.
Traitant les gouvernants africains de "mercénaires
de l'arrivisme",
OUOLOGUEM se justifie
"Aussi la plupart des chefs d'Etats du
tiers-monde firent-ils en sorte que trop
souvent, ils laissèrent éclater la nouvelle
de soi-disant attentats contre leur person-
ne. Ainsi font d'ailleurs tous les hommes
ratés. N'arrivant pas à la réussite, les
ratés exagèrent et grossissent tout, pour
impressionner le monde L..~7
"Aussi bâtissent-ils l'avenir non point
a force de travail, mais par la vertu des
nuages d'encre au ronron des décrets"(2).
L'auteur dénonce aussi le népotisme des hommes au
pouvoir en Afrique, leur démission face à la tâche à accomplir
pour tirer leurs pays du sous-développement. Il fustige aussi
leur politique de la main-tendue "sous prétexte de coopéra-
tion internationale"(3).
Il déplore également l'attitude des intellectuels
qui se soumettent et collaborent avec les régimes en place,
autant que la répression qui s'abat SUI" ceux qui rejettent la
compromission et refusent de fermer les yeux SUI" les vérités
criantes qui ont nom : la démagogie, la dilapidation des de
derniers publics, etc •••
(1) Ren~ DUMOND:
L'Afrique noire est mat partie; Seuil 1962.
(2) Yambo OUOLOGUEM 't' t"La mésaventure a-friaainf?."
;
I.t'llfriqJle2'
~~
era~re e~ ar~~s~~que ;
up. Cl • pag~,~.
(3)
"La mésaventure afriaainl:"t Op. cit. page 3.
,<:
;~

3Jr1
Parlant de ceux qui collaborent, OUOLOGUEM 'crit :
"A partir de ce jour, les hommes ins-
truits et de valeur du tiers-monde, se cou-
chèrent sur le matelas qui absorbe la fati-
gue. Ce matelas, c'était la soumission"(l>'
La sympathie de l'auteur va aux victimes de la ré-
pression politique :
"Nous sommes au pouvoir, a! Be, pourq~:bi
nous encombrer bé de diplômes! d'universi~
taires ••• de ••• bé, de concurrents hein!
d'ambitieux plus instruits que nous et qui
à la moindre concession, nous prendraient
très certainement notre place,a?"(2).
Selon l'auteur,
des citoyens sont arrêtés
pour motifs politiques, l'opposition et la presse sont bail-
lonnées et ligotées.
OUOLOGUEM n'oublie pas le rôle joué en coulisse ou
au grand jour par les militaires
"Ainsi firent les présidents, qui ensuite
se marièrent à l'armée. Et dès lors, les ca-
poraux de l'armée furent colonels, et les
lieutenants furent généraux, et les intrai-
tables maréchaux" (3).
L'auteur de "La mésaventure africaine" flétrit, après
la "médiocrisation des hommes au pouvoir",
la tentative de
néo-colonisation du Blanc. qui enVOle d~s assistants techniques
dans les pays africains qu'il ~' a
quittaP qu'à regret. Le
système est subtil, écrit-il. Les hommes au pOUVOlr et ceux à
qui ils ont confié les postes-clés, sont incapables de faire
fonctionner la machine administrative. Ils se font alors secon-
der par des étudiants" hâtivement formés dans les pays de l'Est.
Ceux-ci reviennent bourrés de théorie communiste et deviennent
des soutiens inconditionnels du parti unique. Alors intervien-
nent les Occidentaux :
./ .
(1) La mésaventure africaine ~ Op. cit. page 6
(2) Ibidem; page 6.
(3) Ibidem; page 9.
'" -'.~"..~.".....,
..

~~~fT"~~-~"~'
r
• .
"Et comme l'illettré de l'Est avait bâ~'
soin d'être aidé pour comprendre en quoi- con-
sistait son travail, ce ne fut pas l'univer-
sitaire- noir qui aida l'illettré, non. Ce
fut le coopérant blanc, parachuté des pays
riches, qui, disait-on, avaient inventé le
fil à couper le beurre" (1).
Tous les fils de l'Afrique avaient pensé que l'indé-
,~endance signifierait la fin des humiliations, de la misère,
é
de la maladie, la fin de l'exploitation de l'homme par l'ho~.
Les faits palpables semblent démentir cette prophetie des années
soixante : Seydou BADIAN et Yambo OUOLOGUEM prétendent que les
abus dont on se plaignait sous la colonisation n'ont pas dis-
paru.
Donneraient-ils raison à un de leurs aînés qui écri-
vait
"On se targue d'abus supprimés.
Moi aUSS1, je parle d'abus, malS pour dire qu'aux
anciens (très réels) on a superposé d'autres (très détestables).
On me parle de tyrans locaux mis à la raison ; mais je consta-
te qu'en général ils font très bon menage avec les nouveaux
et que, de ceux-ci aux anciens et vice-versa, il s'est établi,
au détriment des peuples, un circuit de bons services et ~
complicité" (2).
Césaire parlait du colonisateur. Mais sa réflexion
pourrait s'appliquer à ceux qui l'ont remplacé au pouvoir en
Afrique.
(1) "La m4saventure africaine" ; Op ~ cit., page 9 ~
(2) Aimé CESAIRE;
Discour$ sur le colonialisme; Op. cit.,
page 23.
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CHAPITRE" II
319
AUTRES THS1ES MAJEURS
1
'Ii'
j
"Le. Jtomanc.-i.e.Jt e.<3t un têmoi.n, i.t e.6t .te photogJtaphe.
de .6on époque et .te Jtoman e.6t e.6.6ent.-i.e..t.te.ment .ta
J
pe.-i.ntuJte. deI.> moeuJt.6 [ ••• ] Le poète, .t'auteuJt de
l
tJtagld.-i.e peuvent ui.vJte en de.hoJt.6 du monde ; .te Jtoman-
t
c.-i.eJt, au contJta.-i.Jte, e.l.>t pJt.-i..6ottn.-i.eJt d'une êpoque."
IPaJtadoxe .6uJt .te Jtoman ; PaJt.-i..6-BeJtnaJtd GJta.6.6eii
1964,
pag e 95 1 •
Kléber Haedens cite André Billy dont il ne partage pas
le point de vue. Selon lui, il existe de nombreux romans retenus
(1 )
par la postérité et qui "ne doivent rien à la peinture des moeurs!!.
Michel Raimond au contraire, citant Quesné pense que
"le roman doit être la peinture naturelle des moeurs du siè~le
présent et des siècles passées", (2) Et il ajoute lui-même qu'on
n'attend pas seulement du roman qu'il se contente de développer une
intrigue sentimentale ou des aventures dénuées de vraissemblances,
mais qu'il photographie son époque.
Ces deux conceptions du roman se retrouvent dans la lit-
térature romanesque malienne. Certaines de ces oeuvres parlent de:~
vérités ~ternelles, "des puissances sécr~tes, des visions", d'autrsE
peindront les moeurs de leur époque.
(1) Kléber haedens : PaJtadoxQ .6UJt .te Jtoman ; Paris, Bernard Grasset
1964 ; page 113.
(2) Michel Raimond ; PanoJtama de.pu.-i..6 .ta Révo.tution ; PaJt.-i..6 ;
Armand Colin ; Collection "U" 1967 ; page 13.
j---------~'---------
:-

'f-.'>.,;
320
Quant au rôle de la femme, il fera l'objet d'une
étude détaillée par Yadji Sangaré et Aoua Keita .
...

321
L'évocation des diverses étapes par lesquelles a passé
la société malienne, de l'époque anté-européenne à l'indépendance~
ne constitue pas le seul intérêt des romans que nous venons de
citer. Certes, la défense et l'illustration des valeurs du passé
ainsi que le violent réquisitoire contre l'époque coloniale ap-
paraîssent au premier plan. Mais, à côté de l'évolution socio-
politique, les romanciers maliens ont évoqué d'autres problêmes
qu'ils ont tenté à leur maniêre d'étudier, de critiquer et par-
fois même de résoudre.
La diversité des thêmes est finalement la preuve de la
richesse de cette littérature, qu'on se réfêre aux romanciers qui
ont plusieurs oeuvres à leur actif ou à ceux qui ntont encore pro~'
duit qu'un seul roman.
Nous aborderons ce deuxiême chapitre de l'étude thémati-
que par un regroupement en centres d'intérêt: les problêmes que
chaque auteur a cru bon d~étudier.
Nous parlerons des civilisations africaines dans les
1
romans de Ibrahima Mamadou Ouane, Yoro Diakité et Yambo Ouologuem.
f
Le débat entre tradition et modernisme, ouvert par
!
dans Sous l'ora5e
Seydou Badian,/sera poursulvl par le même auteur dans Le sang des
masques et enrichi par Sidiki Dembélé :
D'autres problêmes sociaux seront examinés: l 'exode rura~
par Yoro Diaki té, la lutte contre l'alcoolisme par Mamadou Go logo,
le rôle des fonctionnaires africairs sous la colonisation par Issa
Baba Traoré"
et Amadou Hampaté Bâ.
... / ...
1

322
LES CIVILISATIONS AFRICAINES
C'est le thème de la société traditionnelle que nous
retrouvons dans Fàdimâtâ la princesse du désert. Malgré quelques
prises de positio~discutables, Ibrahima Mamadou Duane s'est fait
le peintre de la société targui dans ce qu'elle a de tradition-
nel et de spécifique par rapport à d'autres ethnies de la zone
saharienne du Mali.
Ainsi, ce qui retient le plus l'attention dans les ro-
mans de Ibrahima Mamadou Duane, ce n'est pas tellement leur qua-
lité littéraire. Dans son oeuvre "se fait sentir, comme dans cel-
le de Gologo, et de quelques autres écrivains de l'Afrique tro-
picale sèche, l'énorme influence de l'Islam ... ". De plus, "les
livres de Ibrahima Mamadou Duane comportent un grand contenu his-
torique ... " (1)
Nous n'avons malheureusement pu obtenir de lui, que
Fâdimâtâ la princesse du désert. Non seulement ses ouvrages ont
paru bien avant l'indépendance, comme nous l'avons souligné plus
haut, mais encore, ils ont été publiées en un nombre assez limité.
"Le désert et son peuple" : c'est par ce titre que l'au-
teur débute son récit. C'est une digression de trente et une pages
sur certains peuples du Sahara, zone climatique qui a été elle-même
longuement décrite auparavant. Le désert soudanais serait habité
selon Duane, par des Arabes, des Peulhs, des Maures et des Touarec:
ces derniers comptant parmi eux la tribu de l'héroine du roman.
Tous ces détails, malgré les nombreuses l'édites et la dose de
sub-
jectivité peraceptible chez leur auteur, sont fort intéressants.
i
(1) ~~~n~ltS~~~-i~~~.; An.tho.eogÜ de .e" U-t-téM.tu"e nég"o "6Il-ie"Üt.: 1

Dans "le dêsert et son peuple"
donc, Duane qui est
historien de carrière, nous livre des remarques sur les prin-
cipales tribus de race blanche sillonnant le Sahara soudanais.
L'auteur ne fait qu'une petite allusion aux Arabes, jadis con-
quêrants et actuellement minoritaires dans la rêgion. Ayant dêjà
consacrê de nombreux ouvrages aux Peulhs, Duane juge nêcessaire
de passer tout de suite aux Maures.
D'ascendance berbère, les Maures ont, selon lui, quel-
ques gouttes de sang
nègre dans les veines. Ce métissage s'ex-
pliquerait aisément par le fait que leur sphère d'habitation est
une
mne~tampon entre l'Afrique blanche au nord et l'Afrique noire
au sud du Sahara. Il ajoute :
"De peau jaune, la barbe peu fournie, mais soyeu-
se, les cheveux noirs flottants en broussailles,
ils forment une socièté aristocratique divisêe
en tribus, â forme esclavagiste". (1)
Le mode de vie fait d'errance perpêtuelle, a créé chez
les Maures, un tempêramment chaud et leur a inculquê l'instinct du
pillage. Ceux d'entre eux, poursuit l'auteur, qui sont demeurês
nomades se livrent toujours à l'élévage ; tandis que ceux qui sont
sêdentaires de fraîche date, (agriculteurs et ,commerçants) vivent
de la vente de la gomme arabique, des dattes, du sel, dans les
centres commerciaux du delta nigêrien, principalement â Tombouctou.
Les Touareg, en revanche, dit Duane, ne sont ni Arabes,
ni Nègres. Recherchant leur origine qui se perd dans la nuit des
temps, et face aux suppositions aussi nombreuses que contradic-
toires, Ibrahima Mamadou Duane s'appuie sur celle qui lui semble
(1) Fad~mâtâ, ta p~~nce~~e du dé~e~t ; Op. C~t. page 31.

324
être la plus plausible
"
la plus séduisante, celle qui fait des Touareg
les descendants de Croisés réfugiés dans le
désert, a pour base la forme cruciale des pom-
meaux de selles des chameaux et la poignée de
sabre ainsi que les dessins sur les boucliers
en peaux d'oryx".
(1)
L'auteur prête ensuite à ce peuple nomadisant "la manie
de bougeotte" qui fausse toutes les statistiques de la région et
rend difficile leur recensement par les autorités coloniales.
Ouane, qui a bien assimilé la leçon "acculturatrice" reçue sur les
bancs de l'école française, ajoute à leur sujet: "Ils sont en gé-
néral) sans scrupule ni valeur morale". (2)
Parlant ensuite de leur appartenance sociologique et
linguistique, le romancier croit savoir que les Touareg sont des
sémitiques comme les Berbères, mais ayant eu d'éventuels "croise-
ments" avec des ethnies africaines.
Leur territoire étant difficilement contrôlable par la
police administrative, les Touareg ont pu ainsi, selon l'auteur,
vivre impunément de pillages et échapper à toute tentative faite
pour les alphabétiser en arabe et en français ou pour les "civiliser"
Ils ont adopté la mode arabe du port vestimentaire et le genre de
vie qu'ils ménent est fruste et rustique:
"Mais les Touareg et les Arabes sont d'éternels
voyageurs. Ils vont et viennent, de place en
place, à la recherche de l'iguade nécessaire au
campement et de la maigre verdure indispensable
/.•
à leurs troupeaux dont le chameau est la mon-
ture connue ... ". (3)
(11
Fâd~mâta, la p~~nce~~e du dé~e~t ; Op. C~t. page 21.
(2) 1dem
(31 Ib~dem ; page 28.

, ,i
325
Quant à leur tempéra~ent, il est porté vers la retenue
excessive en face de l'étranger. Ils sont aussi orgeuilleux et
animés d'un nationalisme farouche
"Les Touareg ont honte devant l'étranger, c'est-
à-dire l'Arabe, auquel ils ne veulent pas être
comparés~ "tant ces rois loqueteux et hautains~
au teint basané et au regard farouche qui, de
1
Iain paraissent habillés en draperie", sont des
1
hommes étonnants, parfois dignes de respect,
i
1
[ ... ] éternellement romantiques". (1)
!1
1
L'auteur ajoute aussi que :
\\
"Depuis le temps iinmémorial, ils mènent le genre
i1
de vie que leur impose le désert, vie toute de
1.
!
misère et de brigandage. Les temps, les distances
ne sont rien pour eux ; tandis que leurs serfs
1
"les Bellahs" gardent les troupeaux, ils parcou-
rent l'espace sans fin, montés sur leurs chameaux
1
rapides qui filent jambes et cous allongés, et css
buveurs d'air battent toujours l'espace, en quête
de caravanes à piller, d'animaux à voler au pâtu"
rage Il. (2)
Ce trait explique l'extrême précarité, de l'installation
de leurs campements et l'insécurité qui plane sur ces derniers.
Ouane l'illustrera dans le récit qui va suivre.
Puisqu'il faut qu'ils soient de quelque utilité pour
la colonisation (ne sont-ils pas des sujets, au même titre que les
autres ?) l'auteur ajoute que, si les Touareg n'ont pas pu se plier
au travail de la terre, ils sont généralement d'excellents éclai-
reurs (guides pour les Blancs voyageant à travers le Sahara) et
fournissent d'efficaces goumiers à l'administration: (appelation
locale des garde-celcles).
(])fâdimâtâ, la p~ince44e du dé4e~t i Op. Cit ; page 31.
(2)
Ibidem; page 29.

326
Sur le plan religieux, l'auteur note que les Touareg,
musul mans fanatiques sans être de bons pratiquants, sont toujours
prêts à se soulever contre le colonisateur. Il cite plusieurs
mouvements subversifs touareg (notamment celui de 1916 sous l' ins"
tigation du marabout Kel-Es-Souk Mohammed Ahmed) dirigés par des
marabouts véreux "qui n'hésitent pas à leur vendre le Paradis,
"El jenatte" contre plusieurs têtes de bétail".
(1) Ce fantisme
religieux donnera au roman une saveur dramatique.
Se penchant ensuite sur la psychologie targuie, Ouane
écrit dans une sorte de digression au sein du réçit :
"Le clavier visuel des nomades n'a pas de demi--
ton. Ce peuple voit le monde sous des couleurs
primaires ou, mieux encore, en contours découpés 5
noir sur blanc. Son esprit dogmatique méprise le
doute, la moderne couronne d'épines. Il n'entend
rien aux hésitations métaphysiques des anxiétés
introspectives des Européens. Il connaît simple-
ment la vérité et la non-vérité de la croyance 2~;
de la non croyanse, sans lrindécise continuité
des nuances plus ou moins subtiles".
(2)
Ainsi préparé, le lecteur peut sans difficulté, pense
l'auteur, comprendre les motivations profondes qui font agir les
différents personnages du récit, avant d'apprécier leurs prises
de position. C'est la technique du romancier omniscient qui sait
tout et qui parvient même à répondre (à l'avance) aux questions que
peuvent se poser ses lecteurs.
Abordant le récit proprement dit, Ouane campe, dans
Fâdimâtâ, la princesse du désert, la vie des Touareg dans leurs
(1) Fâdlmâ~â, ta p~lnee~~e du dé~e~~
Op. Cl~. ; page 30.
(2)
Ibldem ; page 1,.

327
tt
habitudes de tous les jours, comme dans celles des jours de fête.
1
~
Il décrit le rassemblement à Télemsi,de bêtes et de gens venus de
!
tous les horizons. Une animation fébrile règne autour des puits.
!
1
1
Les animaux, après une privation d'eau de trois jours, boivent à
1
"
satiété tandis que les hommes se ravitaillent en prévision du temps
à mettre avant l'étape suivante. L'occasion est bonne également pour
marquer les bêtes (chaque propriétaire à 8011 sceau) et les vacciner
selon les méthodes en usage chez les nomades, depuis des millénaires.
De telles retrouvailles entre plusieurs tribus autour d'un point
f
~-
~.
d'eau, sont naturellement 'l'occasion de grand~réjouissances.
1
A cette première étude sociale se greffe une histoire
!!Î
d'amour, qui vaut au roman son titre. Fâdimâtâ, la princesse des
1
Iforas, de par sa beauté naturelle, la noblesse et la majesté de
1j
1
son port, la richesse de ses parures, rehausse par sa présence les
1
1
manifestations qui se déroulent dans la vallée de Télemsi. Teldiatte ~(l'l' 1:
f.
1
époux, est monté sur un méhari bien harnaché, acqu~s pour une som-
!
me fabuleuse grâce à l'immense fortune du couple.
Elle, est la maîtresse des tentes, des troupeaux des
serviteurs (Bellhahs), bref de la fameuse pllmeraie de Telemsi
aujourdh'ui en fête. Lui, est un prince, un Kel Dennik, descendant
des Oullimidens de l'Est qu'une guerre tribale a apposé
à leurs
frères de l'Ouest, puis dispersés. Il a été contraint d'émigrer
vers l'Est avec une partie de son peuple.
A l'arrivée de Teldiatte, chacun suspend son travail, les
instruments de musique crépitent et des chants sont entonnés à sa
louange. Sans s'attarder auprès de la foule, il rejoint son épouse
royale et l'expression d'un bonheur conjugal parfait semble irradier
de leurs deux visages. Pourtant deux taches jettent leurs ombres
inquiétantes sur la vie du couple.

328
D'abord un devoir pat~iotique attend chacun d'eux, maiG
ils n'arrivent pas à l'accompli~. Teldiatte Coit impêrativement
constituer une armée puissante 00ur aller un jour combattre ses
frères ennemis, les Oullimidem.J de l'Ouest qui avaient vaincu et
ruinê les siens, les contraignant à l'exil. 3:i1 mourait avant
di avoir vengé les ~'91 Dennik et rêtabli le p:.~estige familial, SO)'l
hêritier se devrait alors d'assumer ce devoir patriotique. Fâfi~§~i"
de son côté est confront~à une tâche immense. Son père était le
chef de toute la région de l'Adrar des Iforas. Ce dernier avait
accueilli cinq ans plus tôt, Teldiatte sous son toit. Plus tard
le prince avait réussi à supplanter t~U3 les concurrents aupr~s
de la belle Fâdimâtâ. Celle-ci aVGit reçu
en hêritage la palmeraiE;
de Telemsi. Elle se devait, non seulement de la faire prospêrer,
mais aussi de perpêtuer à travers sa descendance, le nom de sa
famille.
Au bout de quatre ans de ména~::;e, ne voyant pas l'~:'J.bre
d'une grossesse, la princesse commen~~"' à lan€();'"
Teldiatte de son
0
côtê éprouvait un chagrin analogue d'autant plus qu'il se savait
frappé d'impuissance sexuelle. Chacui1 ci 1 eux 'cê.chai t de son mieux,
de cac~3r le poj.ds qu'il aveit sur le coeur.
Pourtant, le
ra.ssemblem:.:nt de Telemsi ~ décrit plus haut
aura des consêquences énormes SU2 la vie du couple. En effet, à par'''
tir de ce jour, Fâdimâtâ tentera vainement de chasser de son espri~
l'image d'Adaghine ag Sabhey~re. LA jeuDe homme avait retenu son
attention, non seulement à cause de sa beauté et de sa prestaKc~
mais aussi )arce qu'il s'était distingué des autres méharistes par
son adreSSE: à terrasser les plus foug,''IU:Y:. des tau:,eaux et à les
immobiliser au sol, le temp3
de lel:r vaccination .
.../ ...
- - - - - - - - - - - - - - - - - - -
l
-

329
Depuis plusieurs moisà présent, l'image d'Adaghine la
hante et trouble son sommeil. Progressivement s'insinue en elle,
l'idée d'une union extra-conjugale qui pourrait être justifiée
par le désir impératif d'avoir un enfant: l'héritier tant attendu:
Teldiatte à qui son épouse a confié ses soucis de femme
sans enfant, est encore plus mortifié que jamais. Il prend alors ~-
décision d'aller le lendemain à l'abreuvoir d'Agamor. Le rassembl{;
ment des tribus autour des puits d'eau a lieu ce jour dans ce cam-
pement. Le prince espère y trouver l'ambiance de fête qui lui fera
oublïer ses souffrances intérieures.
Fâdimâtâ aussi voulut mettre à profit l'absence de son
-époux.
Prétextant une visite à rendre à Oukou une amie malade
qui se trouvait dans le campement voisin, elle s'échappa de la pal··
maraie. En réalité depuis un bout de temps lui parvenait le son de
la voix mélodieuse d'Adaghine, frédonnant des chansons d'amour.
Un trouble intérieur s'empara d'elle lorsqu'elle aperçut
au milieu de son troupeau, le jeune homme qui exerçait sur elle un
attrait irrésistible. Ne pouvant lui crier son amour, elle s'assit
alors au pied d'un arbuste et exprima son sentiment en caractères
tamachecks qu'elle traça dans le sable fin. Par ce manège elle par.
vint à attirer le jeune homme, à éveiller son désir, mais n' accep'"
tera qu'un contact furtif.
Deux jours plus tard,Teldiatte était de retour à la pal-
J
meraie.Renseigné par Tekilitti (la servante) qui avait épié sa
1
1
1
maîtresse, il eut une dispute orageuse avec Fâdimâtâ. Celle-ci dé-
cida alors unilatéralement que chacun des époux dormirait sous sa
tente. Mais le pauvre Adaghine, qui se mourait d'amour, rencontra
... / ...

330
un refus catégorique, lorsqu'il tenta nuitamment d'approcher son
"amante". Tiraillée entre son c.mour naissant et sa fidélité con-'
jugaÈ envers Teldiatte~ Fâdimâtâ eut recours à Oukou. Elle trouVi
en cette amie d'enfance une confidente assez expérimentée, parc~
que plus âgée qu'elle. Oukou mint Sakôni avait en effet beaucoup
voyagé et savait lire l'arabe et même l'écriture des Koufars
(chrétiens). Mais elle ne sut conseiller utilement la princesse
sur la conduite à adopter.
Trois mois plus tard, alors que Fâdimâtâ maintenait tau
jours sa décision de séparation de corps, le bruit courut qu'elle
était en état de grossesse. Les serviteurs exultêrent à l'idée qu:
la palmeraie aurait bientôt un héritier. Teldiatte, désemparé maj.s
désireux d'éviter toute dispute envenimée et aux conséquences im-
prévisibles, fit des sorties de plus en plus fréquentes, traînap~
sa colêre et sa douleur sur les routes menant à tous les campeme~J:
voisins où il allait séjourner.
Fâdimâtâ fit intervenir Oukou dans la 11 guerre froide Il
qui l'opposait à son mari. Une discussion à trois s'engagea mais
bientôt elle tourna court. La patronne de Telemsi s'emporta et
Teldiatte, sellant son chameau, quitta brusquement le campement,
ivre de colêre et de lait caillé, boisson qu'il avait bue plus q':~
de raison.
Ses pas le portèrent par mégarde vers un campement· de
Regueybattes, guerriers pillards descendus du Rio deI Oro en
Mauritanie puis au Soudan. Ceux-ci étaient d'autant plus redou-
tables qu'ils étaient porteurs de fusil à tir rapide, et que leur
troupe était constituée d'hommŒ de toutes moralités} dont des
Européens.
... / ...

331
L'honneur de son sang royal lui interdisant la fuite,
Teldiatte se défendit âprement. Ecrasé par la loi du nombre il fut
fait prisonnier et dut partager le sort de nombreux autres détenus.
Il connut la vie d'esclave: carcan, longues étapes à
pieds, châtiments corporels à chaque escale, rationnement alimen-
taire etc ... Quelques temps après, les Regeybattes s'installèrent
dans un campement abondonné par ses habitants et employèrent les
prisonniers à la réfection des habitations et au forage des puits
qui étaient à sec.
L'hivernage vint, et redonna au sol son tapis végétal.
Adaghine conduisant son troupeau pour un séjour dans le nord, ren-
contra un groupe de chameaux qui paissaient et reconnut parmi eux
celui qui appartenait à Teldiatte.
i
Il redescendit rapidement alerter les gens de Tilemsi et
1
ceux des campements amis.
Deux mois plus tard, l'armée levée par Adaghine et com-
posé de guerriers de chaque tribu de l'Adrar des Iforas, vint sur-
prendre les Regeybattes. Talabitte (le camp) est encerclé de nuit.
Adaghine parvint à semer la panique dans le campement (en libérant
chameaux, chevaux et boeufs, de leu~s entravEs)
et à délivrer
Teldiatte. L'effet de surprise et la fureur des attaquants eurent
raison des Regeybattes qui furent exterminés. Tandis que les ex-
prisonniers prenaient la direction de leurs campements respectifs,
Teldiatte et ses libérateurs redescendirent vers le sud. A l'abreu-
voir d'Anafis les guerriers se séparèrent après le partage du butin
Télemsi fêta le retour de son maître auquel tous attri-
buaient la paternité du garçon que Fâdimâtâ mit au monde le jour
1
• •
/
• • •
[

332
même. Le couple princier se réconcilia et garda le secret d'autant
plus facilement que Oukou (la seul témoin) avait été depuis long-·
temps emportée par sa maladie. Quant à Adaghine, il ne soupçonna
jamais que l'unique rapport qu'il avait eu avec Fâdimâtâ a~ait por-
té ses fruits.
Une joie indicible inonda le coeur des parents à voir
gesticuler et crier le petit Aguecher ag Teldiatte El Fekki, futur
successeur du prince Oullimiden et héritier, selon la coutume ma-
trilinéaire, de la palmeraie de Télemsi.
Avec fadimata~ ta p4ince~~e du d(~e4~, Ibrahima Mamadou
Onane veut porter un témoignage sur la vie que menaient les Touareg
jusqu'à la pénétration française au Soudan. Les scènes qui se dé~
roulent sous nos yeux sont celles d'un peuple en voie de "paci-
fication", bien que l'auteur ne fasse qu'une allusion indirecte à
l'influence occidentale "civilisat rice".
Les Touareg "pacifiés" s'occupent donc d'élevage de boeufs,
de chevaux et de chameaux, mais ils se déchargent généralement sur
les Bellahs (leurs serfs) de tous les travaux domestiques et agri-
coles.
Une telle structure sociale esclavagiste raçpelle celle
décrite dans
Le devoi4 de violence de Yambo Ouologuem, avec cette
différence que Ouane semble considérer la pratique comme naturelle.
D'ailleurs de nos jours encore, en ce dernier quart du XXO siècle,
nul parmi les Arabes, les Maures et les Touareg n'a encore songé
à la remettre en question.
... / ...

333
....
Les razzias aussi étaient pratiques quotidiennes. Elles
permettaient de gonfler son troupeau au détriment du voisin et
d'obtenir du bétail humain, main d'oeuvre servile. L'auteur dé-
crit le sort des prisonniers devenus esclaves :
"Ces captifs, enlevés au cours des razzias
à l'époque, ont perdu toute dignité humaine
tant est grande leur misère, née des mauvais
traitements et de la privation de nourriture
et d'habits. Ces malheureux étalent au soleil
la vermine de leurs guenilles (sic) [Ils sont]
engourdis par le froid [paro~] qu'étant nus
[et q.. 'i:ls ne peuvent] même plus se défendre
des mouches ici très voraces. Ils contemplent,
l'oeil morne, leur carcasse se démolir (sic)
d'une façon inhumaine. Personne dans cette fou-
le n'élève des mains suppliantes sans être
battu au point de rendre l'âme ... Quoiqu'ayant
faim (ils sont restés sans nourriture suffisan-
te durant des semaines et travaillent sous la
cravache et les coups de crosse), beaucoup
[ne demandent pas] d'aumône alors que les ma-
choires de certains font mine de mâcher vora-
cement une nourriture invisible et cette gri-
mace de faim animale semble s'adresser à l'i-
n=rte charité des repus ... (sic). (1)
Cette condition de vie inhumaine devient encore plus
rigoureuse si le prisonnier est issu d'un haut rang social. Tel
était le cas de Teldiatte.
"
on sait donc qu' il... ne se soumettra jamais
aux conditions serviles (auxquelles) il est
maintenant soumis. Son calme actuel n'est que
passager, un beau jour son instinct guerrier
reviendra et tout le monde en sentira le coup.
(1) Fad~mata, la p~~nc~~~e du dé~~~t Op. Cit ; page 64.

334
"Le chef le fait venir et, sans autre forma
lité, le fait mettre entre deux solides guer-
.riers ayant en main des nerfs de boeufs ; ils
mirent à le frapper jusqu'à ce qu'il ait per-
du connaissance et on lui met ensuite des fers
aux pieds et on l'enferme dans une case sans
ouverture [d'aération], en guise de cellule".Cl)
De toute cette énumération se dégage le sentiment que le
romancier veut insister sur l'idée d'insécurité perpétuelle qui pla-
nait sur les campements. Elle guettait tout Targui qui s'aventurait
au-delà des frontières de son campement. Le traitement auquel
Teldiatte est soumis change beaucoup, selon qu'il eut dans la pal-
meraie ou loin de son domaine. Selon Ouane, les luttes intestines
sont des pratiques moins courantes de nos jours. Les Regeybattes
qui mettaient la région à feu et à sang étaient des étrangers en
provenance d'un pays lointain. Leur extermination par les guerriers
Iforas venus libérer Teldiatte est signe que les temps anciens sont
révolus.
Cette lente évolution sociale vers la paix et le bonheur
est à inscrire, dans la vision de Ouane, à l'actif de la coloni-
sation française.
"Comme chez tout le monde, au Soudan (sic)
la présence française avec ses nombreux
avantages d'ordre moral et matériel, cette
vie commence à se modifier ••. " (2)
Eloquent témoignage de gratitude à la France colonisatrice!
(1) Fad~ma~â, la p~~nce~~e du dé~e~~
Op. Cit. ; page 66.
(2) Ibidem; page 30.
1

335
Un personnage du roman symbolise cette réussite de la
civilisation européenne: il s'agit de l'amie de Fâdimâtâ. Oukou,
nous dit le romancier, a vu du pays,contrairement à la plupart des
Touareg qui ne voyagent jamais au-delà des limites de leur terroiro
La jeune femme nous est présentée comme un être plein
de sagesse et d'expérience, parce qu'elle est instruite non seule-
ment en arabe, mais aussi et surtout parce qu'elle a vécu au milieu
des Blancs. L'auteur ajoute qu'elle manie la langue des Koufars
(Chrétiens) dont elle connaît également l'écriture.
Le roman pourrait d'autre part apparaître comme un dra-
me d'amour. La princesse des Iforas et Teldiatte, prince Kel
Dennik, s'aiment et le couple serait heureux sans ce nuage que
constitue la soudaine apparition d'un amant occasionnel dans la
vie de Fâdimâtâ. Mais en réalité, derrière ce fait banal se pro-
file une tragédie à la Corneille.
Teldiatte est arrivé depuis quatre ans dans l'Adrar où
ses pas l'on conduit après sa fuite de sa patrie. Une fraction de
sa tribu, les Oullimidens de l'Est a provoqué en lutte fratricide
et décimé les Oullimidens de l'Ouest. Le jeune prince a été acceuil-
li par les Iforas et a épousé la fille de l'un des chefs de la tri-
bu, la princesse Fâdimâtâ. Cependant son rêve est de pouvoir se
faire une popularité parmi ses hôtes, de lever ensuite une armée
pour aller venger la mort de ses parents. Mais c'est une inter-
vention du narrateur qui nous (permet de connaître ces détails :
"Lui, Teldiatte était à son tour obligé d'é-
migrer du pays pour deux raisons, la situation
. . .1. . .

de sa famille ruinée depuis cette guerre
entre r,rères désormais divisés en Est et
l'Ouest et la sienne propre. Quoique jeune
homme, bien fait et. brave, il nèteut plus
satisfaire [aux ~~s] du mariage; ain-
si
il n'aura pas un fils qui, demain, aiderë
(sic) à faire revivre l'honneur des Kel ,Q~nnik
en combattant leurs puissants frères mais enn(;-
mis, les Oullimidens de l'OUest. Il lui faut
partir ... partir ... partir .•• au loin dans ce
Sahara; peut-être un jour il aura (sic)
l'ami tié et la fidélité des hommes qui vien-·
dront l'aider à combattre - ainsi il aura
payé sa dette envers la famille et envers la
société ... " (1)
Par la suite aucune autre allusion
n'est faite à ce devoir patriotique, non,
pas
parce que Teldiatte y a renoncé, mais parce que
l'auteur n'a pas donné vie au personnage. Le
lecteur ne connait rien de sa psychologie~

Au co~traire, Fâdimâtâ est un être que nous sentons
vivre. C'est le seul personnage qui soit véritablement étudié de
l'intérieur. Malgré la technique du point de vue l'par derrière"
adopté par le romancier dans cette oeuvre, nous avons nettement
l'impression que le vie psychique du personnage est vécue du dedans
par Ouane.
C'est ainsi que, quoiqu'apparemment sereine, Fâdimâtâ
se révèle à nous comme un être profondèment bouleversée. D'ailleure
nous voyons tout au long-gu récit, l'auteur intervenir pour prendre
position et, justifier le comportement de son héroïne.
f
f
(1)
Fâdimâ~â, la p~inee~~e du d~~e~~ ; Op. Cit. , page 35.
J
1

}"
33'1
"Lorsque je suis sortie ce matin et que j'ai
entendu les veaux meugler, je suis redevenue
toute autre, ou plutôt, la même que j'étais
auparavant. Je me suis dit: il ~t qu'on
, -,..~
entende toujours meugler les veaux dans l'oa-
sis de Telemsi. C'était une pensée enfantine.
Pourtant je ne puis imaginer cette palme~e
aux mains d'étrangers. La famille Iforas'
l'habite depuis plus de deux siècles. Il me
semble que je trahirais tous ceux qui ont trc-
vaillé si je disparaissais sans laisser après
moi un enfant qui fût leur sang. J'en ai eu ce
matin ces pensées (sic). Elles m'ont donné une
force si grande que tous mes chagrins se sont
dissipés. Un peu comme si ceux qui sont partis
étaient revenus me défendre ... ".
(1) Voilâ
l" auteur qui se transpose dans son personnage Il
(2) •
Les chagrins de la princesse ont pour orlglne l'impossi-
bilité pour elle d'avoir un enfant dans l'union conjugalequ'elle a
contractée avec Teldiatte. Dans ces conditions, la palmeraie irait
à son époux ou à quelqu'un d'autre si elle mourrait. La princesse
se trouve partagée, écartelée même, entre son amour sincère pour
son mari et son devoir patriotique : assurer la succession matri-
$,
linéaire.
Tiraillée entre ces deux sentiments contraires, elle
.,
mesure toute l'étendue de son impuissance au moment~u choix à
faire. Mais l'hésitation ne sera que de courte durée car l'appel
du devoir sera le plus fort
"Si tu. savais, confie-t-elle à Oukou, combien
cette palmeraie de Telemsi est vide quand on
entend la voix "des enfants des autres cam-
(1) F4dim4~â, ta p~inee~~e du dé~e~~ ; Op. Cit.; ~age 52.
(2) F.L. Poels : "Le fonctionnement du style indirect libre dans
l'éducation sentimentale de Flaubert!! ; Revue de~ Seienee~
Hymaine~ nO 143 - juillet septembre 1977, page 372.

·".- r
338
pements. Elle est comme une tombe. Combien
c~ silence me pesait chaque soir et les jours
de fête. C'est alors qu'on a envie de s'en
aller en courant les bras tendus, ..çhercher
la vie où elle se trouve". (1)
Adaghine est pour elle,plus ~ un moyen de parvenir au ré~tat
qu'elle vise, qu'un amant. Ceci se ressent nettement dans la des-
cription que l'auteur fait de la montée du trouble dans le coeur
dè Fâdimâtâ :
"Pourquoi ce chanteur ne serait-il pas le pêre
de mon enfant? Mais ce serait un péché, un
double péché, maintenant que je suis mari~e.
·Et puis je ne l'aime pas, je ne le désire
même pas, je veux seulement un enfant." (2)
L'interdit coranique qui frappe l'adultère et la crainte
du scandale ont raison un moment du désir qu'éprouve la patronne
Telemsi :
"Maintenant, elle reste debout en songeant il
des choses bizarres. Dans son âme résonnent
les mots sévères [de] "l'El Fekki" (marabout):
"Qui regarde une femme et la désire commet un ;.;
adultère". Il en est de même pour une femme
.~.
pour un homme (sic)".(3)
,
Elle serait passible de lapidation publique jusqu'à ce
que la mort s'en suive, si elle éta~ surprise dans les bras d'un
amant. Fâdimâtâ décide alors d'avoir une entrevue franche avec son
époux :
" - Il faut, rétorque Fâdimâtâ, un héritier à
la p~~meraie, aux troupeaux et aux ser-


(1) Fadima~a, la p~ince44e du dlae~~ ; Op. Cit. ; page 55.
(2) Ibidem; page 38.
(3) Ibidem; page 36.

,
"
1"'.'
'..(~\\
339
viteurs ; or, vous êtes incapable d'en faire:
alors que la chose est nécessaire (sic) voil?
ce [à quoi] je pense.
-
Je savais avant d'être ici,' dit~~eldiatte. ~u~
je suis incapable de cela, mais on s'[aime] ,
je crois que cela suffit.
- Cet amour reste ajoute Fâdimâtâ, mais ta pal-
meraie de Telemsi exige un héritier du sang de
pères".
(1)
Fâdimâtâ décide donc de répondre à l'appel du devoir p~­
triotique. Elle se donne en plein air à Adaghine~ là dans le sable
fin de la rivière à sec, prête à supporter toutes les conséquences
qui découleront de son acte.
L'auteur ne donne pas à croire que son héroine soit une
femme perverse. Dans une perspective introspective il écrit:
"Une profonde mélancolie [descend] en elle, co~­
me lorsqu'une brume froide se déroule et cache
le soleil après un ouragan. Elle se sent seul:
et abandonnée, tel un oiseau égaré dans la nui~
noire du désert ...
... Ce qu'elle a fait est interdit par le Cor',;l
"
et les "paragraphes de la loi. Personne ne sau-
rait la défendre car personne ne saurait com-
prendre ; aux yeux du monde la patronne de
Telemsi, à partir d'aujourd'hui, est une fille
publique ".
(2)
Nous avons parlé de sentiment cornelien du devoir chez
Fâdimâtâ. Cependant on peut penser aussi aux héros raciniens lors-
que l'auteur fait intervenir la fatalité.
Il semble dire que nul
être crée ne peut échapper à son destin. Cette phrase qui termine
le récit est d'ailleurs signi~icative
(1) Fâd~mâtâ$ ta p~inc~~~~ du;dé~~~t
Op. Cit. ,
page 39.
(2)
Fâdimâtâ, ta p~inc~~~~ du dé~~~t ; Op. Cit.
page 45.

340
ainsi se confirment ces paroles sacrées
du Coran, chapitre LXIV, verset 15 : ... Vos
richesses et vos enfants sont votre tentation.(.1)
Que la vie normale ne soit pas une existence des plus pai-
sibles, que les Touareg soient des musulmans sans être bons prati-
quants, tout cela nous le savions déjà dans la "préface" donnée
par l'auteur lui-même. IlJais l'information complémentaire que nous
apporte la lecture de Fâdimâtâ, la p~ince~~e du dê~ekt, c'est l'or-
gueil et surtout le sens élevé du devoir qui font des Touareg de
grands nationalistes.

(1) Fâdimâta ia p~ince~~e du dl6~kt;
Op. Cit.
, page 77.

341
"
Une parodie de l'histoire africaine
le cas Ouologuem
Pendant que la plupart des écrivains noirs s'échinent
à ressusciter le passé africain et à le glorifier, Yambo Ouologuem
lui jette un regard ironique.
Le devoi~ de violenQe est une parodi0
de l'histoire africaine. Son auteur a pris position. Peu importe
qu'on l'approuve ou le désapprouve. Son oeuvre est néanmoins un
témoignage en soi.
Le devoi~ de violenQe de yambo Ouologuem prend le con-
trepied de Fâdimâtâ, la p4inQe~~e du dé~e~~.
Le romancier fait remonter son récit à 1202, à ce
13° siècle qui correspond approximativement à l'arrivée des Arabes
dans l'Afrique,au sud du Sahara. De fait, "La légende des Saifs"
est la chronique d'une de ces dynasties arabes qui aurait investi
une vaste portion de territoire de l'Ouest africain.
Pour s'imposer, les conquérants durent lutter contre les
diverses tribus autochtones que des rivalités intestines déchiraient.
Les Saifs emmurèrent vifs les résistants, égorgèrent les enfants~
éventrèrent les femmes enceintes, asservirent les vaincus. Le travail
forcé permit de bâtir cités et routes tandis que l'esclavage devenait
un commerce prospère pour les caisses royales. L'empire du Nakem
était né.
... / .. ·

342
De dictature en dictature impériale, les Saifs se
succéderont avec néanmoins quelques variantes dans les tableaux
d'horreur que furent leurs règnes. Saif Moché Gabbai par exemple;
pour sauver et sa tête et son trône, n'hésita pas ~. exterminer
tous les nouveaux-nés mâles de la capitale. Un devin lui avait
prédit la naissance cette année-l~, d'un enfant qui lui ravirait
plus tard le pouvoir. Pendant que les jeunes crânes dégoulinant dé;
sang s'amoncelaient dans son antichambre et apaisaient ses craint2s,
le fuite nocturne
permit ~ une mère de sauver son bébé, le futur
Saif Isaac El Beit.
Son accession au pouvoir confirmera donc les prédictions
du devin et inaugurera l'ère d'une nouvelle dynastie de Saifs
(métis avec une proportion de sang noir dans les veines). Saif
Isaac El Heit se signala par un fait d'éclat (pélerinage à la
Mecque) et des actes dévots (affranchissement chaque jour d'un
esclave). Son règne, long et glorieux se termina cependant par une
avanie : au cours d'une fête, son cheval qui avait choppé, préci-
pita ~ terre son cavalier. De tous ses fils présents dans la foule
muette de stupéfaction, seul Saif El Haram fit bruyamment preuve
d'irrévérence.
A la mort de son père, le fils maudit s'empara du trône
en faisant assassiner son frère et successeur désigné. Ensuite,
il inaugura son règne en épousant les quatre reines veuves parmi
lesquelles sa propre mère. Suivit alors une longue nuit de crimes
et d'horreurs. Puis le réprouvé, revenant un jour d'expédition;
subit le sort qu.e connut son père : en tombant de cheval, il dé-
chira sa culotte et étala publiquement ses parties intimes. Ecrasé
de honte et d'indignation, Isaac El Haram se vengea sur les cour-
.../ ...

,
· 4
343
tisans jugés séditieux : on en soumit à la question ; on emputa
les membres de certains. Un bûcher, où devaient se consumer les
corps de dix huit notables (jugés fidèles à la mémoire d'Isaac
El HeIt) clôtura cette macabre épuration d'envergure.
Pourtant SaIf, 6pouvanté par la perspective de châtiments
celestes, dut abdiquer "symboliquement" en faveur d'Abdoul Hassana
(esclave targui) qui n'était en réalité qu'un prête-nom. Saif Isa2c
El Haram fit faire le pélerinage à son ministrion, qui revint avec
le titre d'El Hadj : distinction qui devait attirer sur ~on titu-
laire respect et obeIssance. Cette habile politique religieuse per-
mit à Saif d'abuser le peuple naIf et fanatique. Il dressat ensuite
l'une contre l'autre les populations encore insoumises à son auto-
rité et attendit que celles-ci se décidèrent. Ce qui facilita leur
colonisation "pacifique" par le Nakem. Famine et razzias permirent
d'alimenter le marché de l'esclavage.
Pourtant,la complaisance d'Abdoul Hassama ne le mit pas
à l'abri des sautes d'humeur de l'empereur. Une nuit, il reçut la
visite d'une vipère dressée. L'homme de paille fut remplacé alter-·
nativement par plusieurs autres ministres, tous des "bénis - oui-
oui", puis par les trois fils du Saif lui-même. Après un court man-
dat, tous disparaissaient dans de troublantes circonstances.
Après la mort de Saif Isaac et l'extinction de la branche
paternelle de sa dynastie, le pouvoir passa à plusieurs autres
grandes familles du Nakem. Puis l'empire se disloqua en une multitude
de petits royaumes, autant de brêmes qui faciliteront la conquête
européenne.
A la tête du Nakem morcelé, fut intronisé SaIf ben Isaac
El Heit (nom donné en
mémoire de l'aieul Saif Isaac EIHeit~le
pieux).
. .. / ...

344
Les armés coloniales essaimèrent à travers toute
l'Afrique de l'Ouest, conquérant et "pacifiant". Elles évoquad.ent
pour se justifier un droit colonial international, lequel avalis2it~
selon le romancier, la théorie des "zones d'influence"
et légitim2it
les lldroits du premier occupant".
"L'extase et l'agonie" est le titre du second chapitre
à partir duquel commence l'odyssée proprement dite de Saif ben
Isaac El Heit. Le personnage va dominer tout le reste du récit.
Homme avisé, il se servira lui aussi de l'Islam, non pas
comme manifestation de la foi mais comme instrument afin de mieux
manupuler le peuple. Par un recrutement intensif d'hommes et la
fabrication de quantité d'armes, il réorganisa l'armée du pays.
Alors commença la tactique militaire de harcélement et de démo-
.,
ralisation des troupes françaises composées en majorité de tirail-·
leurs nègres. Mais la supériorité technique des occupants leur per-
mit de gagner une guerre où la violence des combats le disputait
aux scènes d' horreur qui suivaient chaque victoire : femmes, enfar:t 3
et vieillards égorgés ou éventrés, hommes réduits en esclavage puis
enrôlés de force, villages razziés ou incendiés, biens pillés etc ...
Même les villages alliés ne furent pas épargnés : ils seront con-
traints à fournir des contingents pour le portage, le servage et
les travaux forcés.
Avant le siège deTillabéri-Bentia, Saif ben Isaac El
Heit avait fui son palais. Dans son r~lis tactique, il pillait
... / ...

345
et incendiait lui aussi les villages alliés des Français. Il vint as-
siéger Toma, fit des sacrifices pour pouvoir,prendre la ville, maiG
échoua devant ses forteresses. Il devait plus tard faire sa réd-
dit ion en 1900. Suivant une politique qui rappelle l'''indirect
rule" des Britanniques, la France garda l'empereur vaincu à la tête
de son peuple. La "pacification" du Nakem était terminée.
Saif, contraint de signer le traité de paix, le fit en
grande pompe lors d'une cérémonie au milieu de ses ministres, de
ses courtisans, et de se~ femmes, rassemblés dans la cour du palais.
Six mois plus tard, sur invitation de la France, il consentit à
envoyer son fils Madoubo séjourner à Paris. Celui-ci, allant d'émer-
veillement en émerveillement, visita les édifices imposants de la
capitale française et assista au faste de la fête du 14 juillet.
Son retour au Nakem revêtit une signification inattendue : l~ peuple,
~
qui avait vu dans la défaite de Saif un signe de déclin de l'empire)
crut à une réssurrection de la dynastie en revoyant Madoubo.
"La nuit des géants" qui suit, nous dépeint la vie du
palais et de l'empire du Nakem, sous la double domination françaisé
et seigneurale. Tout respire l'ordre et la paix, du moins c'est
l'impression qui prévaut au premier coup d'oeil. Les esclaves nègres
s'affairent aux travaux de Saif, avec â leur tête Tambira pour les
jeunes filles et Kassoumi pour les garçons. Un vendredi, jour de
repos pour les serviteurs, les deux jeunes gens se rencontrèrent par
hasard au bord du fleuve Yamé et s'aimèrent. Plus tard, consentant
à leur mariage, Saif ne pourra exercer son droit de cuissage,
Tambira n'étant plus jeune fille. Il faudra, grâce à la médecine
traditionnelle faire des points de suture et repousser le mariage
·.. / ...

346
en attendant la guérison de la plaie vulvaire. Tambira redeviendr~
::i'
'
alors vierge pour le plaisir de son seigneur.
La France de son côté, après avoir fait construire des
bâtiments coloniaux sur la colline à trois kil9mètres de la capit21e
du Nakem, y fit installer solennellement son administration : le
gouverneur du territoire, sa famille et sa suite. L'après-midi,
c'était
au tour des représentants de la mission catholique d'être
reçus en grand apparat: l'évêque Thomas de Saignac, l'abbé Henry
et quelques autres missionnaires. La population se fit un devoir
d'accueillir "dévotement" l'évêque qui ne manqua pas de bénir sur
son passage, ce troupeau qu'il allait conduire sur le chemin du
Seigneur.
Mais Saif qui n'avait pas dit son dernier mot, convoqua
secrétement les dignitaires du régime pour leur faire partag~r ses
ressentiments à l'égard des maitres blancs.
Quelques temps après s
le gouverneur, l'administrateur et leurs familles furent emportés
"accidentellement" par des piqûres de vipères aspics, tandis que
des incendies "involontaires" décimaient des milliers de bibles des
,
missionnaires à travers tout l'empire. Saif ne manqua pas d'aller
présenter ses condoléances aux autorités coloniales, cependant que
les témoins gênants et les éléments suspects parmi sa notabilité
disparaissaient sur son ordre. Pour étouffer les murmures de mé-
contentement parmi le peuple, l'empereur promulgua un droit de l~
famille où l'homme avait des libertés exclusives sur ses épouses.
Parmi les grandes décisions qui viendront de haut lieu,
figuraient la construction des écoles françaises pour les enfants
1
du Nakem ainsi que la prestation. Saif fit célébrer à la hâte et
(
... / ...
1

347
dans tout le
pays, des milliers de mariages entre couples d'es-
'f

claves, préparant ainsi les premiers écoliers à scolariser (à IR
place des fils de chefs et de notables). Il tira aussi habilement
parti de l'indigénat et du travail forcé. Ces décisions étant ex0-
cutés au nom du colonisateur français, c'est lui naturellement
que le peuple nègre se mit à abhorrer.
C'est également sur l'ordre de Paris que Jean Chevalier,
auparavant adjoint de feu le gouverneur du Nakem) reçut une pro-
motion et l'ordre de remplacer son prédécesseur. Terribles res-
ponsabilités pour cet homme qui connaissait trop bien Saif et le
redoutait! Aussi conçut-il un plan destiné à assassiner l'em-
pereur. Il fit recruter des transfuges dans l'entourage de Saif
parmi lesquels le sorcier Bourémi. Mais son plan fut éventé par
son adversaire qui disposait d'un redoutable réseau d'espionnage.
Contre-attaquant, Saif envoya Awa, une belle négresse,
dans le lit de Chevalier avec pour mission de lui "tirer les vers
du nez". Puis il se rendit à l'invitation à dîner au cours de la-
quelle l'administrateur devait le faire empoisonner, et, grâce à ur
plan diabolique la victime présumée se mua en assasin de son hôte.
L'administrateur adjoint Vandame fut alors nommé gouver-
neur. Il se dépêcha d'envoyer au Ministre des colonies un rapport
élogieux sur Saif afin d'entrer dans les bonnes grâces de ce der-
nier. L'empereur du Nakem re~ut à cette occasion la croix de Cheva-
lier de la Légion d'honneur ainsi que des bourses d'études à Paris
pour ses fils.
Plus tard, Saif consentit à envoyer à l'école française
... / ...

"
348
enfants du peuple (qu'on fit passer pour ceux de l'aristocratie)
parmi lesquels Raymond Spartaces Kassoumi
fils des serfs Tambira
3
et Kassoumi. Et lorsque Vandame dans un sursaut de courage fit
quand même ouvir une école des fils de chefs et de notables, li el"1-'
pereur pris de court, y fit inscrire uniquement les fils des no-
tables noirs.
L'empereur du Nakem, malgré une loi française qui l'in-
terdisait désormais, continuait à voir dans la traite des esclaves)
une source de profit. L'Eglise du pays s'en indigna. Mais lorsque
Doumbouya le négrier de l'empereur futdénoncé aux autorités colo-
niales, Saif fitsupprimer ce témoin à charges par l'entremise du
forgeron Barou qui devait subir aussitôt après le même sort.
Saif venait encore de gagner, mais l'Eglise ayant à sa
tête Thomas de Saignac ne désarma pas. L'empreur monta alors contre
l'évêque une vaste campagne de calomnie et de démigrement qui con-
traindra ce dernier à quitter le pays. Et tous ceux qui osaient
variés
encore contrecarrer ses plansdisparaisaaientgrâce à des procédés/
Tel est le cas par exemple du sorcier Bouremi devenu subitement
fou et assassin.
Sur ces contrefaits arriva au Nakem l'allemand Fritz
Shrobénius et sa famille. L'ethnologie, la sociologie, l'exotisme
etc ... avaient soudainement projeté au premier plan le continent
noir, ses peuples, ses mille et un mystères. L'ethnologue venu fair~
1
sa moisson au Nakem offrit à l'empereur des malles pleines de
tissus, de joyaux et de lingots d'or. Une équipe d'informateurs
1
triés par Saif raconta à l'Allemand toutes sortes de récits faux
ou affabulés sur "la tragépie de la civilisation du Nakern et
... / ...

349
l'histoire de l'Afrique;;. On, broda, Shrobénius gonfle de satis-
faction puérile transcrivit. Ses écrits lui forgeront de la noto-
riorité et la "shrobéniusologie" regroupera toute une équipe au-
tours du maître. L'Allemagne lui décerna une "haute chaire sorbo-
nicale" et les Nègres "bons enfants" le gratifièrent de tonnes d.~,
masques et autres trésors artistiques. Ces objets d'art enrichiront
les musées de Paris, Londres, Bâle, Munich, Hambourg, New York
etc ... Des amateurs d'exotisme, des avanturiers de toutes moralitér
accoururent au Nakem et le tourisme se développa. Dans la collectio~
commerciale des objets d'art de Saif, les fausses pièces prirent la
place des vraies, sans que le prix dimuniât pour autant.
Ce qui ne fit pas non plus abondonner la traite négrière
par l'empereur du Nakem. Mais un jour, ce dernier se trouva com-
promis aux yeux de Vandame, dans une histoire de Zombies. Histoire
rocambolesque que celle rapportée à l'administration par un rescap6,
Sankolo, selon lequel Saif faisait droguer des hommes, des femmes 2t
des enfants que leur état cadavérique faisait passer pour morts. Ils
étaient alors rayés de la liste d'état-civil, puis acheminés par tout
un réseau complexe et finalement vendus en Arabie. Avec la redou-
-
table efficacité qu'on lui conna1t, Saif fit assassiner Vandarme et
sa femme (pour ne pas être dénoncé en haut lieu) en prenant les pré-
cautions nécessaires pour simuler un vol â main armée par Sankolo.
Ce dernier sera à son tour abattu. Un nouveau gou~rneur sera nommé
et le cycle infernal se poursuivra.
L'Afrique vécut, de 1914 à 1918, le' années cauchemar-
desques de la Grande guerre et paya son trib_t de tirailleurs et
de vivres pour défendre la cause de la "France-mère". Les marabouts
en profitèrent pour vendre maints gris-gr~ aux soldats s'embarquant
... / ...

350
pour le front. Saif de son côté les fanatisa, promettant le para-
dis aux martyrs. Beaucoup de recrues et de volontaires se pré-
sent~rent à la conscription, qui seront habilement acheminés pour
être vendus à khartoum, Zanzibar ou en Arabie. Nonobstant, l'em-
pereur du Nakem obtiendra pour son dévouement à la cause de la
guerre, le titre de "sauveur de la France ll et maintes décorations
lui seront décernées.
L'église de son côté n ' était pas demeurée en' reste. Pen'~
dant que les combats faisaient rage entre les troupes allemandes e~
franco-britanniques, l'abbé Henry, symbole de l'amour chrétien,
allait de village en village, soignant les malades, distribuant
vivres et médicaments aux éprouvés ... et prêchait l'Evangile avec
plus au moins de fortune.
En plus de ces souffrances collectives, le malheur devait
encore frapper la famille de Kassoumi. Sa femme, qui avait eu re-
cours aux bons offices du sorcier pour provoqu~la réussite spolair~
de ses enfants, fut d'abord violée par le charlatan au cours de
leur tête-à-tête, puis par les hommes de Saif qui les avaient\\sur-
\\
\\
pris. C'est un cadavre presque décomposé que Kassoumi chargera sur
ses épaules le lendemain en conduisant les obsèques de Tambira.
Elle n'aura pas la chance de voir ses cinq enfants réussir tous au
certificat d'études.
Cependant, seul Raymond spartacus Kassoumi pourra af-
fronter le baccalauréat et poursuivre des études supérieures en
France. Ce succès symbolise celui des premiers africains arpelés
l'élite noire. Magnanine, Saif tiendra à récompenser Raymond
... / ...

351
Spartacus en célébrant ses fiançailles avec Tata, une servante
de la cour impériale que le jeune homme aimait: une attache pour
l'obliger à revenir au Nakem !
En métropole, le jeune Kas60umi comme tous les intellec-
tuels venant des colonies, subit le déracinement et l'acculturatio:l.
Dilapidation des maigres ressources, beuveries, soirées d'orgie
dans Pigalle, telle est en résumé, la vie que mènent la plupart de3
Nègres débarquant à Paris. Pauvres éphemères piégés par la mirage
de l'Occident!
Kas60umi s'enfoncera encore plus dans cette vie dépravée
puisque le mauvais sort le conduira à coucher avec sa propre soeur:
pratiquant dans quelques maisons closes le métier de prostituée.
Anne Kadidia,. après avoir été vendue (ainsi que le reste de sa
famille) par Saif fut tour à tour domestique et fille de joie entre
les mains de plusieurs Blancs en Afrique avant de se retrouver à
Pigalle. D'ailleurs elle mourra quelques jours plus de la main d'un
sadique.
Kassoumi vagabonda ensuite dans Paris, essUya échec sur
échec aux examens et connut la faim qui le contraindra à offrir son
corps à un pédéraste richissime avant, de tomber sur une blanche
qu'il épousera.
Soudain, aussi brutale qu'inattendue, la seconde guerre
mondiale éclatera, entraînant Kassoumi en Italie puis en Province.
Après toutes sortes de vicissitudes militaires, il retrouvera en
1945 dans Paris libéré, sa femme qui n'avait pu sauver du massacre
... / ...
.(

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352
"
:~-.
nazi qu'un seul de leurs trois enfamts, Kassoum~ eut le courage
..
cependant de terminer seslétudes d'ingênieur .
. Les temps changèrent; les menta1ités a~ssi. La politique
coloniale française, qui avait pris un sérieux coup en Indochine,
se fit conciliante en Afrique. L'Union Française reconnaissait aux
Africains le droit de participer désormais à la confection des lois
Jh
régissant les colonies. L'Assemblée Nationale Française ouvrit solen-
nellement ses portes aux députés africains. Kassoumi fut préssenti
par Saif pour représenter le Nakem à cette assemblée, oh ses diplô-
mes fraîchement acquis pouvaient servir. Pour la France, les députés
africains symbolisaient la réussite de sa mission civilisatrice.
Saif également s'en félicitait mais pour d'autres raisons: cette
élite africaine, (tous les Kassoumi) ne sera rien d'autre que les
pions qu'il manoeuvrera aisèment~dans le jeu auquel il se livre avec :1
la France.
Au Nakem, Henry avait été nommé évêque. L'homme d'église~
après un si long séjour en Afrique, avait fini lui aussi parcom-
prendre que Saif était un monstre vivant sous une apparence bonhomme.
Les crimes de l'empereur du Nakem, confie-t-il à Kassoumi - le dé-
puté, ne sont restés impunis que parce qu'il dispose d'un réseau
redoutable et efficace d'espions, d'une équipe de sorciers et de
vipères dressées; bref de tout un arsenal lui permettant d'éliminer
sans se compromettre, administrateurs, missionnaires, notables et
serviteurs indésirables. Le Nakem sera longtemps encore gouverné
-t!
-par son Machiavel, dit-il en guise d'avertissement à Kassoumi qui
s'illusionnait en pen~ant qu'un jour, grâce à ses diplômes et à sa
·~d'
fonction, il pourraîîf;·sauver., son pays de cette dictature .
.../ ...

.~
353
"L'aurore" le dernier c~apitre, pour~it signifier,lR
~
lueur d'espoir qui se de.sine à l'horizon. Viendra-t-elle écl~irel'
' 4
la conscience de Saif dont la dynastie s'est toujours complue dans
,it
.....'
..
un regne despotique ? Saura-t-elle adoucir les rrfbeurs dans l' empire:
du Nakem ?
Henry se rend chez Saif sur'invitation : les deux pou-
voirs, spirituel et temporel, s'affrontent en un duel fait de mots
ouverts et de sous-entendus, pour mesurer l'intelligence et le sa-
voir de l'antagoniste. Saif comprit que Henry en savait long sur la
politique qu'il menait dans le pays depuis son avènement au trône.
L'homme d'Eglise proposa à son interlocuteur de remplacer sa polio,
tique de force et de ruse par la tolérance. Alors Saif, qui avait
projeté d'assassiner l'évêque au cours de cette rencontre, fut touché
par la profonde humilité de ce ~ernier. Et, comme preuve de sa con..iJlt
version à des sentiments plus humains, il jeta au feu la vipère
qu'il avait dressée à tuer.
Bien des choses ont été dites 'et contre-dites à p~opos
du roman de Yambo Oualoguem. Pour Robert Cornevin par exemple,
l'auteur "écrase allégrement et paillardement quelques orteils. Un
souffle d'une rare puissance traverse ce roman, l'un des meilleurs
de cette période ~algré les accusations (bien peu fondées) de
plagiat qui furent portées sur cet ouvrage" (1) Un autre critique
dans l'A6~~que l~tté~a~~e et a~t~htique pense lui aussi que c'est
"Le livre fort et par moment très beau, d' un ho~ vivant, conscien:~
du passé de son continent et soucieux de son avenir".
(2)
(1) Robert Cornevin ; L~tté~atu~e d'A6~ique noi~e 4e langue 6~ança~h~
Paris ; PUF Colpection Sup. 1976 ; page 191 .
.
..
,"
(2) l'A6~~que litté~a~~e et a~t~htique ;."Yambo Ouologuem ou l'Afrique
sans frontière". hO 1 Octobre 1968 ; page 11.

354
Yves Benet
rie veut rien entendre et s'indigne: "Le devoir de
violence de Yambo Ouologuem [n'est pas] un chef d'oeuvre. Con-
fronté avec les oeuvres lucides de Sembène Ousmane (Vol~atque,
le Manda~) tout le brillant et toute la virtuosité de Ouologuem
ne sont plus qu'une mystification". (1)
..
Pour notre part, nous ne voulons abonder dans le sens
ni des uns ni des autres ; pas plus que nous ne voulons nous ériger
en juge des sentiments de ces deux tendances de la critique. Nous
essayerons d'aborder l'oeuvre de façon scientifique en tentant
d'analyser ce que le romancier a écrit et ce qu'il a voulu dire à
1
ses compatriotes.
1
l
~
Nous avons par exemple trouvé de très nombreuses analogies
entre ce que lé romancier a écrit et l'histoire africaine. L'on
i
pourra nous rétorquer que Ouologuem a volontairement brouillé les
1
!1
cartes et que ce serait pures spéculations que d'essayer de situer
f~;.'
l'empire dont il écrit l'histoire "sanglante". Nous avons néan-
moins constaté que la mémoire de l'écrivain semble être une véri-
table bibliothèque de l'histoire de l'Afrique noire. Ainsi, lors-
qu'il écrit que le royaumë
de Nakem "atteignit le Maroc, le Sou-
dan, l'Egypte, l'Abyssimie (Ethiopie actuelle) et fut connue des
Européens, on peut par exemple penser à l'empire du Ghana, du Mali
ou du Sonrhai. Chacun d'eux eut des relations suivies avec le monde
arabe (ex : pélerinage de quelques empereurs à la Mecque). l!Les
tariks el Fetach et El Soudan" (2) en parlent. L'empire du Mali par
exemple, à son apogée, s'étendait de l'Atlantique à l'Air, des
(1) Yves Benôt
; "Le devoir de la violence de Yambo Ouologuem est-
il un chef d'oeuvre ou une mystification ?" in La Penble Revue
du rationalisme moderne nO 149 - Février ; page 131.
(2) Le devoi~ de violence; Op. Cit., page 10.

355
confins du S!hara à l'orée de la forêt vierge, tout comme le
Nakem "occupiit les fronti~res extrêmes de la côte atlantique et
se dispersait le long des savanes limitrophes de l'Afrique équa-
toriales". (1) Le fleuve Yamé qui arrose l'empire imaginaire de
Ouologuem sur "plus de deux mille kilom~tres" (2) pourrait bien
le Niger qui "a 40 % de son coürs au Mali
qui en contrôle près de
1700 km" (3). "Les arides montagnes de Goro Foto Zinko" (4) pour-
raient être assimilées à la plus haute montagne du Mali, les falai-
ses de Bandiagara dont Ouologuem est originaire.
Ainsi sans trop nous hasarder, l'empire Nakem du roman-
cier pourrait prendre place dans ce que l'on appelait (jusqu'en
1960) le Soudan occidental, qui pourra lui aussi se réduire à l'ac-
tuelle république du Mali. D'autres exemples nous montrent la frap-
pante analogie entre la fiction romanesque et les faits authenti-
ques dans l'histoire de l'ouest africain.
Tillabéri, la capitale du Nakem, construite au bord du
fleuve Yamé avec Krebbi la ville indigène et Bentia le quartier
administratif situé à trois kilomètres sur une colline, rappelle
étrangement Bamako par son site. Cette
ville, construite au bord
du Djoliba, est dominée à quelques kilomètres de là par la colline
de Koulouba qui était le siège du gouvernement colonial, tandis que
la ville indigène s'étale jusqu'au fleuve. L'auteur écrit aussi que~
dans la dynastie des Saifs, Hoché Gabbai et Honaine, sur les consei~s
d'un devin, fit périr tous les enfants mâles nés en 1420 : la pré--
diction annonçait un garçon lui ravirait le trône et le tuerait.
Seule, une mère réussit à sauver son nouveau-né.
(1) Le devo~~ de v~otence j Op. cit ; page 10
(2) gai~rM5Kamian : Conna~~~ance de ta Rlpubt~que du Mat~ j Op. cit ~
(3) et (4) Le devo~~ de v~otence ; Op. cit ; page 9.

356
O~loguem a peut être pensé à l'histoire de Moïse ou
à celle de Jésus Christ. A moins qu'il ne s'agisse d'une allusion
à l'extermination des membres de la famille royale des Keita par
Soumangourou, empereur du Sosso'o Soundiata Keita, qui a échappé
au massacre par miracle, sera justement celui qui battra Soumango
le tuera et prendra le titre d'empereur~ écrit Tamsir Niane dans
Soundia.-ta.
(1)
Toute proportion gardée, l'irrévérence dont Saif El
Haram s'est rendu coupable et la malédiction qui s'est abattue sur
lui, pourraient ressembler à l'aventure d'Askia Moussa. "Moussa
résolut de s'emparer du trône. Askia Mohamed était alors vieux et
aveugle. Son ami le plus intime essayait de dissimuler la cécité de
l'Askia. Moussa et ses partisans exilèrent l'ami. Le vieillard fut
au désespoir, mais le cruel Moussa ne s'en souciait guère.
En 1528, trois des fils de l' Askia et son neveu, Moharr.mec:
Mar, déclenchèrent une révolte contre lui. Ces traîtres défirent
l'armée envoyée contre eux.
Askia Mohamed fut contraint de remettre le trône à Moussa
son fils infidèle':. (2) Ce dernier, après avoir humilié son père
Askia Mohamed (qui a fait le pélerinage comme Saif Isaac El Heit),
l'exila dans une île déserte § la merci des crapeaux et des mousti-
ques. Puis il s'empara de tout l'héritage avant d'usurper le trône
sonrhai. L'empereur maudit devait finir ses jours dans d'atroces
circonstances.
Ouologuem s'est aussi souvenu des traités d'amitié et de
paix que certains chefs africains étaient contraints de signer avec
l'occupant français. En effet, écrit-il:
"Saïf promena lentement son regard sur tout ce monde ; SO!1
âme se fit plus tenue qu'un fil et il signa, gravement impuissant,
le traité. Gloire au Seul vivant !
Six mois plus tard, Madoubo, son fils cadet, était l'invité
des FLENCESSI. Saif en accepta l'offre ... En l'affirmation d'une bon-
ne foi et d'une amitié qui
n'existaient pas, Saif confia son fils
(1)
DJibr~l TâriîSir Niane ; Sound-t.ata ou l' êpo pe.e. mand.t.ngue. ; Paris
Présence Africaine ; 1960.
( 2 ) L. Dobler, W.A. Brown , GJta.nd6 .6ouVe.rU!L6 de. l' A6«que. d' QJ.J.t!r..e.Â0.u,;
Paris
Edition France- Enpire 1973, page 123.

357
à la mission de retour en France". (1) .
Le Slanc, dans un geste de grande amitié (en réalité,
c'étaient plutôt
des otages) prenait les fils de ses alliés afri-
cains et les envoyait à son école de fils de chef et de notable.
(K.ayes, au Mali, en a abri té une). Le colonisateur, aussi tot
le
pacte signé, invitait des membres de la famille royale à visiter
la France. C'est dans cet esprit que Madoubo arriva à Paris. Il
reviendra édifié sur la puissance française. Le romancier compare
Madoubo à Aniaba de la Côte d'Ivoire. Tout comme il pourrait s'agir
d'une allusion faite à Karamoko, le fils de l'empereur du Ouassoulol.
En effet, lorsque Samory harcelé par les troupes françaises accept~
de signer un traité de paix, ses"alliés" firent visiter la France à
son fils. Karamoko en revint plus tard, ébloui de grandeur et de
magnificence. Par la suite, il exhortait continuellement son père
â signer une paix perpétuelle avec la France. Il vantait inlassabla-
t
ment la puissance économique et militaire de ce pays, tanc et si
1
bien qu'il finit par agacer son père.
Nousrelevons également au hasard, ce passage :
"Mettant fin à la soif des hommes de l'Empire nakem, il
y aura un Saif nouveau: tu es celui là,le premier
1
Isaac El Heft,
car tu es l'eau, le sel et le pain, car
1
tu es sain et sera khalife. Après toi, descendu de la
province Tékroûr
de l'empire Nakem, viendra à la fin du
Xlllo
siècle de l'Hégire un autre khalife au règne
ensoleillé ... " (1)
Or dans son Emp~~e peulh du Macina, Amadou Hampaté Bâ.
rapporte qu'au cours de son pélerinage à la Mecque, l'empereur
sonrhaf,
Askia Mohamed, avait été averti qu'après lui, un autre
soudanien viendrait sur la terre sainte d'Arabie~t sera fait
(1) Le devoi~ de v~olence ; Op. Cit. ; page 42.
(2) Ibidem; page 13 . .
J...

358
khalife général des Tidianes pour le Soudan occidental. Ce fut plu2
~i
f
tard El hadj Omar, originaire du Tekrour. Et il eut effectivement un
1
~règne ensoleillé".
1
De même la fuite de Saif devant les troupes françaises
r
rappelle celle de Samory et le siège de Toma celui de Sikasso par
r
l'empereur du Ousso~lou qui eut lui aussi recours à des sacrifices
1
analogues à ceux décrits par Ouloguem.
1
1
Le devo~~ de v~o~ence semble pouvoir se dénommer le pa-
lt
radoxe sur l'histoire africaine.
i
ft
Le paradoxe existe d'abord dans la forme du récit. Con-
trairement à tous les autres romanciers qui limitent la durée de
~ 1
leur récit à quelques mois ou à quelques années, Yambo Ouologuem
étale le sien sur plusieurs siècles ; ce qui le fait ressembler à
1,
une chronique. Dans ce domaine également, tandis que la plupart des
auteurs occidentaux (l'oralité était contestée jusqu'à une date r9-
cente) fixent le point de départ de l'histoire de l'Afrique à l'aven-
ture européenne, Ouloguem la fait remonter plus loin dans le temps.,
Si l'on s'en tient à la source écrite, jugée souveni la seule digne
d'intérêt par les Européens,l'histoire africaine, remontrerait à l'a
venture arabe sur le continent.
1
En deuxième analyse, on voit que, contrairement à l'en-
!
semble de la littérature romanesque malienne qui peut se résumer
r
en une vitupération de la colonisation française et une exaltation
1
des civilisations anté-européennes du continent, Le devoi~ de v~oi~nc
ne voit, de quelque côté que l'on se tourne, qu'une épopée sanglanto.
.../ ...

Troisièmement enfin, tous les compatriotes de Ouologuem
(ou presque) présentent un bilan nésatif de la colonisation et
déplorent l'ignorance totale du monde extérieur dans laquelle le
Blanc a voulu tenir le Nègre sans oublier la famine, les maladies
endémiques, le bas niveau de vie (surtout dans les zones rurales).
Tandis que ces écrivains donc plaignent le sort fait à leurs frères
de race mais voient heureusement une lueur d'espoir poindre ~ l'ho-
rizon avec la période post-indépendante, Ouologuem, lui, se livre
à une autocritique. et clôt son récit sur une note pessimiste.
Nous allons tenter d'examiner à présent chacun de ces
trois points de vue que soutient l'auteur du :
Oevo~~ dl v~olenc2o
"l'Afrique était ve~re du monde et berceau de civili-
sation" (1), voilà une thèse trop récente et qui fut difficilement
admise. Nous la devons aux travaux des chercheurs et aux fouilles
des archéologues. l'Afrique pré-coloniale fut longtemps considérée
comme vierge de culture et de civlisation, donc sans histoire.
Si l'on sien tient à cette idée, que nous dit le romancier
de l'époque coloniale? L'idée essentielle que l'on retiendra ici
c'est que pour ,lui, colonisation est synonyme de longues soufranceso
Et contrairement à ce que l'on dit souvent, pour lui la première
colonisation, de lqin la plus cruelle et la plus inhumaine, est cell~
des Arabes. Elle est antérieure de plus de six siècles à celle des
Européens :
"Un récit de l'aventure sanglante de la négraille (honte
aux hommes de rien !) tiendrait aisément dans la première
(1) Le devo~~ de v~otenee ~ Op. Cit. , page 111.

.....
~
360
moitié de ce siècle ; mais la véritable "histoire des
Nègres commence beaucoup beaucoup plus tôt, avec les Salfs j
en l'an 1202 de notre ère, dans l'empire africain de
Nakem".(1)
Si dans le roman,"le récit de l'aventure sanglante de la
négraille" n'est conté que de 1202 à 1247 (date de la création de
l'Union Française), dans l'esprit du romancier l'histoire africaine
commence avant l'invasion arabe et continue au-delà de la date de
l'autonomie. En effet, bien qu'il y ait eu des intellectuels afri-
cains à qui la France entendait confierles destinées du continent,
seuls les potentas locaux tireront les ficelles. Ces intellectuels
députés n'étaient rien d'autre que des"hommes de main" formés
l'école française et missionnaire. "A travers (eux)défendant ses in-
térêts au sein de l'Assemblée nationale à Paris, la tradition Nakem
gouvernée". (2)
A cette idée de durée et de continuité s'ajoute
celle·
des tribulations. L'histoire de la"négraille", inEinue Ouologuem,
est une longue parturition dans la souffrance. L'auteur accuse la
conquête arabe d'être le point de départ des dures épreuves que le
continent noir a traversées, dans ses contacts successifs avec le
monde extérieur. Comme tous ces compatriotes, Ouologuem se livre
à une condamnation deJa colonisation, mais d'abord de la coloni-
sation arabe. Si les autres écrivains n'ont pas désavoué la présence
arabe dans l'Afrique au sud du Sahara,c'est sans doute parce que les
propagateurs de l'Islam se sont sans difficultés intégrés dans la
population autochtone. Au point que leurs descendants, nés, sur le
(1) Le devoi~ de violence, Op. Cit. ; page 9
(2) Ibidem page 188.

36]
1
continent passeront pour être des Africains au même titre que les
Noirs. Pour Ouologuem
ils sont et demeureront des conquérants.
j
t
Aurait-il raison? Nous pensons ici à l'idée d'arabité qui s'in-
t
sinue de plus en plus dans l'esprit des habitants de la partie
septentrionale du continent (Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie,
Libye, Egypte, Soudan, Djibouti, Somalie) tandis que celle d'euro-
pGanité
est présente dans la partie australe de l'Afrique (Rhodésie,
Afrique du sud). En effet, les uns revendiquent de plus en plus leur
appartenance au monde arabe et font partie de la ligue arabe, les
autres arguent de leurs liens de consanguinité avec les Européens.
Selon l'auteur du : Vevoi~ de violence donc, l'Afrique
aurait été doublement colonisée et la domination arabe serait de loin
la plus permicieuse. La plupart des écrivains présentent les Arabes
venus dans l'Afrique au sud du Sahara comme des marchands pacifiques.
Même la conquête almoravide est relatée par les historiens avec beau-
coup moins d'accusations : son but était,. dit-on, de convertir à
l'Islam. La seule présence arabe non religieuse est celle des
"marocains. Le royaume ch~rifien a envoyé une armée de renégats ayant
à leur tête un mercenaire (Djouder). Mais ce dernier était plus in-
téressé par les richesses à piller que par une occupation définitive
du nord du Mali. D'ailleurs, s'ils ont détruit l'empire sonrhai~ les
Marocains ne sont pas demeurés éternellement dans le pays.
Mais peu importe ce détail historique. L'essentiel est qu' =_'.
y ait eu une occupation arabe et le romancier présente les conqué-
rants "v€nus
d'Orient comme des êtres tyranniques :
" Mais ce récit ne présente rien de frappant : bien d'autres
rapportent combien l'asservissante terreur des popu-
~
... / ... ..

; . '
.... , ;.;., ...... :1:
362
.... lations étouffait à travers l'Empire la moindre tenta-
tive de rébellion!!.
"Suivant encore en toute patience, tout au long de deux
siècles, pareilles traces de mortification, le coeur
du Nakem chemina au milieu des bassesses ; la couronne
faisant durement avaler la vie tel un boa, une antiloppc
nauséabonde, roula de dynasties sans renom en généa-
logies sybillines - chaque bassesse la heurtant du
pied". (1)
Les hyènes suivaient à la trace le passage de leurs armés pour se
repaître de chaire humaine poursuit le romancier. Après chaque
victoire sur un village, des scènes d'une cruauté bestiale:
"Non loin des corps de la horde des enfants égorgés,
on comptait dix-sept foetus expulsés par les viscères
béantes de mères en agonie, violées, sous les regards
de tous, par leur époux, qui se donnaient ensuite, §cra-
sés de honte, la mort. Et ils ne pouvaient se dérober
à ce suicide, pour sauver la vie d'un de leurs frères=-
témoins impuissants dont le regard, empreint de l' incré··
dulité du désespoir, était jugé "éploré plus que de
raison"
ou "terrifié moins qu'à l'accoutumé". (2)
Quant à llIslam~ pour la propagation duquel les Arabes
sont arrivés, les compatriotes de Ouologuem pensent qu'il a été
toléré puis embrassé sans grande contrainte par les Noirs. Il aurait
eu aussi des apports bénéfiques sur le vie des populations conver-
ties : il a adouci les moeurs mis fin aux guerres intestines. Il a
facilité les regroupements ethniques (ex: celui des Peulhs) et a
fait s'épanouir des sociétés.
(1) Le devoi~ ~e violence; Op. Cit. , page 10.
(2) Ibidem; page 10.

363
Le rprnaneier soutient au contraire que l'Islam n'a été
q~uninstrument de conquête entre les mains des Saifs :
"Les Sa!fs (au cri de : A la clarté du Monde !)
ensanglantaient leurs sagaies de crimes et
d'exactions tribales ... " (1)
Selon lui donc, la religion mahométane n'aura servi qu'à
1
mystifier les popultations noires encore crédules ou à leur faire C~0'-"
poser les armes. Au Nakem, l'Islam a d'abord été un instrument de
domination: Sa!f El Haram par exemple en homme três rusé, utilise
"le pélerinage" hors de son contexte habituel. Pour abuser le peuple
et mieux asseoir son autorité (ébranlé par sa chute de cheval), il
envoie son premier ministre Abdoul Hassana à la Mecque acquérir le
titre de El hadji. Comme si rien n'était impossible à qui revenait
de la Terre Sainte, Sa!f fait habilement répandre le bruit que son
ministre avait le don de faire des miracles. L'auteur ajoute ironi-
quement :
"Dispensant alors aux malades la sainte eau de la ville dl)
prophête Mohamed, il crut pouvoir succer le peuple sautil-
lant, guérir les paralytiques, rendre la vue aux aveugL:'f
et la foi aux mécréants". (2)
Analysant ce chapitre du roman, Jacques Guegane conclut que "SaIf
n'est pas le chef qui fait vivre son peuple, au contraire il en est
le consommateur". (3)
(1) Le devoi~ de violence; Op. Cit. ; page 9
(2) Ibidem; page 16.
(3) Jacques Guegane ; "Le devoi~ de violence" ln Annale~ de ltUni-
v~~~i~l dtAbidjan ; Série D Tome 3 ; 1970 ; page 65.

364
L'Islam a ~tê au Nakem comme vient de le souligner le romancier,
un instrument d'exploitation. Ouologuem d'ailleurs, ne prête-t-il
pas à son sinistre personnage un nom à la résonnance sans équivo-
que ? "El Haram" en arabe signifie le péché, ce péché que le monaI"-
que n'a cessé de commettre tout au long de son règne. Rappelons pou~
mémoire que les sept péchés capitaux cités par les livres saints
sont: l'orgueil, l'envie, l'avarice, la luxure, la gourmandise,
la colère et la paresse. Ils conduisent à tous les autres vices
qui ont rendu tristement célèbres les potentats qui ont régné sur
le Nakem.
Sous couvert de la foi à respecter et du paradis à obtenir
dans l'au-delà, les Saifs
ont manoeuvré le peuple du Nakem
"Les travaux forcés furent donc réglémentés le long des
artères vitales de l'économie de chaque province de
l'empire Nakem ... L'aristocratie religieuse (coopérant
avec les notables) annonça au peuple illuminé qu'avec la
fin des travaux forcés et l'inauguration du "labeur libre-
ment consenti" tous obtiendraient "une véritable liberté
et une citoyenneté entière".
Chaque aristocrate, chaque notable donc alloua
(quoi de plus démocratique !) un lopin de terre à ses
Gerfa, lesquels devaient cultiver toute la propriété
"pour le salut de leur âme".
(1)
Beaucoup plus tard, un autre empereur, Saif ben Isaac El
Heit aura recours à l'Islam et l'utilisera à des fins militaires.
Pour arrêter l'envahisseur français, ce Saif "recherchera dans l' Islr::'l,
sa supériorité perdue".(2) Pour rallier en effet le peuple fanatiquE
à sa cause et le pousser au devant des armées coloniales, il a recours
(1) Le devoi4 de violence Op., Cit. ; page 29.
(2) Ibidem; page 36.

365
à des pratiques magico-religieuses
"Comment, pénétré de déplaisir, la bouche parfumée et
l'éloquence sur la langue, Sa!f ben Isaac El Heit tentn
de mobiliser contre l'envahisseur les énergies du peur:}:'
fanatique : comment il propagea à cet effet de par
. ;;
l'empire Nakem la nouvelle de miracles quotidiens:
tremblement de terre, tombeaux entrouv~rts, innombrables
résurrections de saints, sources de lait jaillies à son
passage, visions d'archanges surgis du soleil, seaux de
bois des villageoises remontés de puits pleins
dljll{sa!1r~
ce quiil advint lors de ses·périples quand il méta~rphosa
trois feuilles du "Livre sacré", le Coran. en autant de
colombes, volant au-devant de son chemin comme pour ré-
clamer le dévouement des peuples à la cause SaIf ... "(1)
Selon Cuologuem, l'Islam a été utilisé à chaque moment crucial dG
la vie de l'empire pour galvaniser le peuple, le mobiliser en masse
le faire se vouer corps et âme au service de Sa!f.
·it
Quelles raisons profondes ont-elles donc poussé l'auteur
duuVevoi~ de violen~eu à s'insurger contre les Arabes et leur
re-
ligion ? Il faudrait peut être interroger "les données timmédiates Q:
sa conscience". A ce sujet, il n'est peut être pas inutile de sign2"
1er que Ouologuem appartient à l'ethnie dogon.Ce peuple vivant dans
les flancs escarpés des falaises de Bandiagara, était pacifique au
départ, nous disent Ibrahima Mamadou Ouane, Mamadou Gologo et Bocar
N'Diaye. Si ces auteurs ne font pas allusion à un éventuel contact
entre Arabes et Dogon, les Peulhs (de race blanche) semblent avoir
le rôle
joué auprès des hambé,/des conquérants arabes. Il fut un temps où
(1)
Le Vevoi~ de violen~e , Op. ~i~ ; page 35.


366
ils ont cohabité pacifiquement avec les anc§tres de Ouloguem. Mais
une fois convertis
à l'Islam, les Peulhs sont entrés en conflit
ouvert avec leur voisin, au nom de cette religion à diffuser. Les
violents affrontements entre ces deux peuples pratiquant deux ré"
ligions diamétralement

opposées, ont conduit les Dogons à I:se hiss8:'~'~
.~ sur les hauteurs d~s falaises.
..
De là, viendrait sans doute la rancoeur que chaque ethnie
a transmise à ses descendants en même temps que les aûtres a~ects
de la tradition. Les Dogons se sont sentis frustrès (puisqu'ils ont
perdu face aux Peulhs) et le sentiment atâvique de cette frustration
~
peut expliquer les "imprécations du Dogon en colère" au moment oi}
Ouologuem s'est décidé à prendre la plume pour témoigner sur le
passé africain.
Mais revenons au roman.
Les Arflbes, après s'être installés dans le pays"et après avoir seFlé
partout la mort et la désolation, ont ensU'ité entretenu une I!sainte;'
terreur dans l'esprit des populations noires. Ils ont par ailleurR
. .
)l.
exploité la force de travail des autochtones pour édifier palais,et
voies de communication. Ils ont fait mettre en valeur les terres
seigneuriales que les serf., au nom de l'Islam, devaient travailler
éternellement.

Puis le romancier signale, à côté des conquérants venus de
l'Orient musulman, d'autres conquérants en provenance de
l'Occident
chrétien.
S'agissant de cette colonisation, Ouologuem souscrit aux
principales accusations portées contre les Français, par ses confrèr2s
romanciers : occupat"ions
illégales
des
terres
au
nom d'un

367
prétendu échange commercial, ou conquête pure et simple réalisée
au prix d'incendies allumées, de sang versé d'exterminations
systématique organisées.
"Tout est pris, saccagé, volé - et les captifs, au nombree
de huit mille environ, sont rassemblée en un troupeau
le colonel commence la distribution. Il écrivait lui-
même sur un calepin, puis y renonçait, clamant
"Par~
tagez-vous cela !". Et chaque Blanc obtint plus de dix
femmes noires à son choix •.. " (1)
Souvent,les prisonniers sont livrés à la bestialité des soldats
enivréepar l'odeur du sang. On ne trouve plus alors en eux aucun
sentiment humain :
"Retour au quartier général en étapes de quarante kilo-
mètres avec les captifs. Enfants, mala.des ou invalides
tués à coups de crosse et de baionnette. Et leurs ca-
davres, laissés au bord· de la route.- Une femme est trou-
vée accroupie. Elle est enceinte. On la pousse, on la
bouscule à coups de genoux. Elle accouche debout en mar-
chant. A peine coupé le cordon ombilical et jeté, sans
s'inquiét~de la mère hagarde qui boitille, délire, ti-
tube, vagissant puis tombant, cent mèt~es plus loin,
écrasée par la foule. l' (2)
Mais de l'aveu de Ouologuem, les Blancs se retrouvent
loin derrière les Arabes dans le degré de la cruauté. Si les deux
types de conquérants ont sauvagement maltraité les peuples noirs~
les Blancs, une fois la "pacification" achevée, ont tenté de sus-
citer un ordre nouveau fait de justice et de bonheur sur les cendr~s
de Itancien9~i\\~Stique : "Car, écrit Cheikh Hamidou Kane dans
(1) et (2) Le Vevo~~ de v~olence j Op. Cit. ; page 37.
1
(

368
L'aventu~e amblgul, ceux qui étaient venus ne savaient pas seule-
ment combattre. Ils étaient étranges. S'ils savaient tuer avec
efficacité, ils savaient aussi guérir avec le même art. Où ils
avaient mis du désordre, ils suscitaient un ordre nouveau. Ils
détruisaient et contruisaient. On commença dans le continent, à
comprendre que leur puissance véritable résidait, non point dans les
canons du premier matin,mais dans ce qui suivait ces canons ... !\\(1)
Dans l'empire Nakem, tandis que Saif voulait toujo~rs
régner en potentat, ses ardeurs n'ont souvent été freinées que par
la crainte d'un désavoeu des Français. C'est ainsi par exemple que
la France, après avoir voté la loi d'aboli.-tion de l'esclavage,
a essayé de bannir la traite négrière dans ses colonies d'Afrique.
Or c'est de cette pratique
honteuse que provenait une partie des
revenus perçus par les empereurs locaux. Pour s'y livrer en toute
impunité, Saif a dû chaque fois recourir à des subterfuges
exemple l'histoire des zombies ou celle du recrutement des soldats
pour la guerre : la moitié était acheminée vers la Mecque pour y
être vendue.
Quoiqu'un peu tempérées, les griefs centre le coloni-
sateur français n'en continuent pas moins. L'auteur évoque entre
autre le souvenir des deux guerres mondiales, avec leur cortège
d'incendies et de larmes. La chair du Nègre alimenta à chacune de
ces occasions les canons et son sang abreuva le sol des tranchées
pour sauver les idéaux de 1789, à savoir la liberté et l'~g8:1ité
pour tous les hommes. En guise de reconnaissance pour les services
rendus à la mère-patrie, le Blanc créa autour du Nègre, nous dit
(1)
Cheikh Hamidou Kane ; L'aventu~e amblgul ; Paris, Julliard
1961 ; page 60.

369
le romancier ; une certaine auréole :
C'est ainsi qu'on évoquait :
"
en un rusé mélange de mercantilisme et d'idéo-
logie, la splendeur de la civilisation nègre, depuis
les guerres mondiales où le
tirailleur
noir avait
éclaté de violence au service de la France, il s'était
créé une relieion du Nég~-bon-enfant, négrophile philis-
tine, sans obligation ni sanction, homologue des messi~­
mismes populaires, qui chantent à l'âme blanche allant -
la négraille telle sa main à Y'a bon, Banania".(l)
L'auteur distribue aussi quelques coups de griffes aux ethnologues,
aux sociologues, à tous les prétendus auteurs de la renaissance de
l'art et de la civilisation nègres. Chacun de ces éminents cher-
cheurs a moissonné ou tout simplement transcrit les dires d'un
témoin plus ou moins étranger au peuple nègre. L'imagination sup-
pléant au manque d'informations on a extrapolé ou inventé de toutes
pièces à partir de suppositions. Dans la note de ces auteurs, il
ressortait i~ariablement que:
"
la vie ~fricaine était art pur, symbolisme effroyablc;,·
ment religieux, civilisation jadis grandiose(-hélas vic-
time des vicissitudes de l'homme blanc-) puis sitôt qu'il
(leur) fallait constater l'aridité"spirituelle de cer-
taines manifestations de la vie sociale, (ils) tombaient
dans une sorte de somnolence hébétée, étant même inca-
pables de tristesse". (2)
Malgré la fameuse boutarde : "L'art nègre? Connais pas" de Picasso~
i
on sait que généralement les Européens qui se sont mêlés d'étudier
les civlisations nègres, ont prétendu au bout d'un mois en connaître
1
(1) Le devoi~ de vioience ; Op. Cit. ; page 189.
(2) Ibidem; page 102.

370
autant sinon plus que les Noirs eux mêmes. Avec autorité ils
parlent à la place du Nègre de~ sociétés et des rites ensevelis
sous les ruines provoquées par les guerres coloniales européennes.
Il Y eut jusqu'aux surréalistes pour écrire des arguties
à propos de la culture africaine ! Janheinz Jahn démontre,dans
son Muntu, l'absurdité de la tentative des surréalistes de vouloir
parrainer la poésie négro-africaine. Il écrit notamment que:
"Croyant trouver dans les distorsions de valeur et de
sens qu'impose Césaire aux mots du lexique français,
une application orthodoxe du credo surréaliste, Breton
l'adopta parmi ses disciples et battit le rappel autour
de lui ...
Non seulement les oeuvres de Césaire, mais
celles de Senghor, de Damas, de Roumain, de Birago Diop,'
de Rabéarivelo et de tant d'autres semblaient parachever
l'expérience du surréel en la portant à son point extrê-
me de perfection ; on les jugea donc en fonction des
transformations les plus récentes de la littérature
européenne." (1)
Ouologuem traite de"spéculateurs sur la bourse de l'art
nègre et de fabulateurs" (2) ces Blancs représentés dans le roman
par le personnage de Fritz F hrobénons, nom germanique dont la réson-'
nance rappelle celle de Léo Frobénius, allemand comme par hasard
lui aussi. On comprendra sans doute la vindicte deOuologuem lors-
qu'on saura que Frobenius a écrit une oeuvre considérable sur
l'Afrique (Occidentale et Centrale) et qu'il y évoque longuement
les Dogons du Mali.
(1) Janheinz Jahn ; Muntu ; Paris ; Editions du Seuil - 1961 -
20 trimestre ; page 159.
(2) Le devo~~ de v~olence : Op. Cit. ; page 110.

371
Ouologuem présente dès le début son personnage comme
"une écrevisse humaine". Shrobénins est aussi "habillé .avec une
élégance tapageuse de colon en fête, riant souvent, et voulant
trouver un sens métaphysique à tout,. jusque dans la forme de l'ar-
bre à palabre où devisaient les notables". (1)
Le romancier nie donc à ces chercheurs le droit de se
substituer aux Noirs pour expliquer les causes et les conséquences
s'agissant des manifestations de l'art et de la civilisation nèg~es.
Ce sont tout au plus selon l'auteur~ des apportunistes (ShrobéniVs
parvint à décrocher une chair~sorbonique) ou des gens cupides et
viles (l'allemand se fit distribuer des tonnes de masques et autres
objets d'art qu'il n'étudiera pas mais vendra plutôt à prix d'or
aussitôt arrivé en Europe).
L'auteur soutient également que, comme les Arabes, les
Européens ont €té
des fossoyeurs de la religion traditionnelle.
Conquérants et missionnaires arrivés dans le même but en Afrique,
ont pactisé pour l€
malheur du Nègre. Ouologuem affirme qûe le Chris-
tiannisme a été imposé aux masses colonisées par l'administration
française. Celle-ci avait mobilisé toute la population de la capi-
tale du Nakem pour accueillir l'évêque Thomas de Saignac. Tout le
piquant se trouve dans la façon dont le peuple, qui n'avait jamais
entendu parler de la Bible jusqu'à ce jour, s'est brusquement senti
une âme chrétienne.
"D'innombrables hommes, femmes, filles, garçons et
vieillards venaient à sa rencontre, se mettaient en tra-
vers de sa route pour lui demander l'eau du saint baptème,
manifestant des signes singuliers de véritable foi·€t
... / ...
:' §
: - -
\\.\\;,,i.
..J, .,

372
/et refusant de le laisser passer avant de l'avoir
reçue. Aussi l'évêque dût-il s'arrêter beaucoup plus
souvent pour les contenter, et se munit-il, à cet
effet, d'eau,de sel et autres choses nécessaires."
(1)
La fausseté de ces conversions est ainsi insidieusement
signalé par l'auteur: l'homme d'Eglise a été imposé au peuple.
Pour souligner la majesté du personnage et l'importance que l'ad-
ministration attachait à son rôle au Nakem, le gouverneur et sa
suite ainsi que Saif et les notables venus le saluer à sa descen-
te du bateau. La population s'est massée sur trois miles
pour
l'acclamer et recevoir sa bénédiction. Les routes, les champs et
même les arbres étaient noirs de monde. Mais on imagine aisément
que le peuple a été sommé de sortir en masse pour cette réception.
Si l'on fit aplanir les routes, aménager les pistes, recouvrir
tout le sol de nattes (afin que le "saint homme" n'ait pas à pose:!'
le pied sur la terre nue), l'auteur ajoute que ~Les populations
avaient reçu l'instruction, chacune en particulier, de se charger
d'un tronçon déterminé." (2)
Mais une fois de plus, Ouologuem se démarque des autres
écrivains africains. S'il nous montre comment, dans l'empire Nakem
l'administration coloniale a concouru à l'implantation de l'Eglise
en aidant et soutenant les missionnaires, il ne prête pas à la
religion chrétienne le rôle fénaste que ses confrères lui ont re-
proché. Pour la plupart des romanciers africains en effet,"le mis-
sionnaire apparaît comme un auxiliaire colonial qui aplanit la
route de l'administrateur en prêchant l'obéissance et la rési'-
(1) Le devoi4 de violence; Op. Cit.; page 58.
(2) Ibidem; page 58.
t

373
Dans le roman de Ouologuem, le seul personnaee ayant une
âme véritablement humaine est l'6vêque Henry. C'est durant la guerre
qu'il montrera tOŒl'amour chr6tien qui l'anime. Au milieu des bom·
bardements sanglants entre les blindés allemands et les troupes
alliées sur le front, pendant que la terreur régnait jusque dans
la brousse africaine, que la maladie frappait et que la famine
décimait, "le prêtre français Henry, personnage d'image d'Epina.l,
continue, lui, à soigner les lépreux, les tuberculeux et autres
malades" (2), à distribuer vivres et friperies aUlC nécessiteux.
Mais voilà que Le devoi~ de vioience prend carrément ses
distances par rapport aux autr~ romans maliens publiés avant lui.
Sur deux points au moins: d'abord touchant la prétendue intelli-
gence des Blancs à propos de leur mission "civilisatrice" op6rant
sur le continent africain.
Lorsque Yves Ben;t s'insurgeant contre le roman 6crivait
ironiquement: "Décidément, voilà au moins un roman qui apporte du
nouveau; entre autres, des lumi~res sur l'infinie naïveté des co10-
nialistes, ce qui est bien le seul défait qu'on ne leur ait jamais
reproché ••• " (2) il n'avait sans doute pas lu C~ayon6 et Po~t~ait~
et La ~avane ~ouge de Fily Dabo Sissoko. S'il faut rester dans le
cadre du roman, nous dirons que L'ét~ange de~tin de Wang~in n'était
pas encore publié.
(1)Lylian Kesteloot ; Le~ êc~ivain~ noi~~ de iangue 6~ançai~e ;
Université Libre de Bruxelles - 4° édition; 1971 ; page 289.
(2) Yves Benôt "Le devoir de violence de Yambo Ouologuem est-il un
chef d'oeuvre ou une mystification ?" in La Pen~~e Op. cit.
page 128.

374
En effet, ce~qui semblait être un trait sarcatique décoché contre
Yambo Ouologuem devient une remarque pertinente, mieux un hommage
à la pensée du romancier.
A propos des deux premiers ouvrages, Roger Pageard a
dit: que "Nul ne pourra faire l'histoire objective de la colo-
nisation française en Afrique sans avoir lu C~ayon~ et po~t~a~t~
et la ~a~ane ~ouge, qui ne flattent personne. Ce dernier livre,
mélange très nouveau d'autobiographie en versets, de citations de
documents historiques, de mémorial, couvre la période de 1900 à
1917." (1)
Cinq ans après la publication du V~vo~~ de v~olen~e,
Amadou Hampaté Bâ fait chorus à son devancier dans L' ét~ange de.f.,tLI
de Wang~~n. Tous deux affirment que malgré la pr6tendue sup6riorit6
intellectuelle du Blanc, ce dernier peut se tromper et
être trornp~
par les colonisés. Wangrin, le personnage du roman d'Amadou Hampats
Bâ en administre la preuve qui joue des tours inimaginables et sou-
vent cocasses aux administrateurs français sous les ordres desquels
il servait. A travers le récit on le voit souvent venir n.arguer le
commandant, jusque dans son bureau, jusque dans sa maison.
Ouologuem n'écrivait pas autre chose. Le plus rusé, sou-
tient-il, ce n'est pas le Blanc vainqueur grâce à son arme à feu.
A la puissance militaire des Français s'oppose dans l'empire Nakem s
. la puissance des ressources intellectuelles de Saifs : "l'intelli-
f
gence, écrit l'auteur, est un don du Rétributeur". (2)
1
(1) Robert Pageard L~tté~atu~e nég~o-a6~~~a~ne. ; Op. Cit. , page 16.
(2) Le devo~~ de v~ole.n~e ; Op. Cit. ; page 30.
1
1

375
Signalons pour commencer, qu'il y a une différence entre
le roman d' Hampaté Bâ et celui de Ouologuem. Tandis que "Wa.nglt-i./1'1
est un roman de caractère (peinture d'un homme exceptionnel)
Le devo-i.1t de v-i.olence se veut la peinture d'une société, depuis
les notables arabes (parfois quelques éléments du peuple) jUSqU'2
SaIf, tous intrigants et retors. Wangin escroquait les administrate ~r
les grosses sociétés françaises et les riches parmi les fonction-
naires africains, tous riches de la richesse du peuple. Enfin, trai~
essentiel, il "volait" les riches mais volait au secours des pauvre~
et des apprimés. Saif, lui, à aucun moment n'a l'impression de volE~
à qui que ce soit. Il croit en son âme et conscience prendre chez
les pauvres (le peuple) ce qui est son dû : leurs biens, leur force
de travail et au besoin leur vie.
Si Wangrin se contente de tourner en dérision les colo-
nisateurs Blancs, Saif lui, les élimine froidement pour peu qu'ils
tentent de tempérer ses ardeurs ou de contrecarrer ses proj ets di3.··
boliques.
Par contre "il y avait dans (leur) attitude \\~is-à-vis
du colonisateur comme un défi, une volonté de le narguer, autrement
dit une Espèce de revanche de l'homme, dominé, mais non soumis aux
vainqueurs blancs hais".(l) Cependant là encore, ce qui chez Wangrj~
nt est que simple "roueries d'un interprête" devient machiavélisme pu"
chef Saif, maître du Nakem. Sa rancoeur contre la France colonialiste~
il la passe sur les gouverneurs successifs nommés à la tête de l'em-
pire nakem, sur les missionnaires blancs venus prêcher une religion
autre que celle qu'il voulait imposer aux Noirs du pays, etc ...
(1) Ray Autra - "L'étrange destin de Wangrin, de Amadou Hampaté Bâ"
in "Arts et Lettres" - le Sole-i.l nO 2556 - page 2.

376
Tous les crimes qu'il commet, demeureront impunis parce
qu'il les maquille habilement en accidents dûs à l'imprudence des
victimes (ex: les piqûres de vipêres) ou aux forces imprévisibles
de la nature (ex: les incendies). Et en définitive, c'est à chaqu~
fois "le triomphe de la ruse" de l'empereur du Nakem.
L'auteur a écrit d'autre part:
"Mais ces puissances colonisatrices arrivaient trop tard
déjà, puisque, avec l'aristocratie notable, le colonia-
liste, depuis longtemps en place, n'était autre que Sa1'f"
dont le conquérant européen faisait (tout à son insu !)
le jeu. C'était l'assistance technique, déjà! Soit.
Seigneur, que votre oeuvre soit sanctifiée. Et exaltée n •
(1)
Comment s'en étonner lorsqu'on sait que Saif, d'abord militairemen~
défait a été ensuite reconnu chef du pays par le colonisateur fran-
çais. Ce ne fut donc qu'une éclipse partielle, puis de nouveau c 1 e't
le rayonnement de son rêgne. Pour l'observateur non averti, il
plus qu'une puissance intermédiaire entre le Blanc et la masse co-
lonisée~ Un auxiliaire donc ! Mais ce n'est qu'une apparence
riêre ce parapet
se j oue véritablement la tragédie du Nakem. Les
ordres viennent de Paris, sont répercutés par l'administration 10-
cale et doivent ~tre appliqués par SaifJ La France devient le pou-
voir législatif et Saif le pouvoir exécutif, mais un exécutif bier
singulier en vérité! Tout comme Wangrin s'enrichissant impunément
à l'ombre de "ses" commandants !
(l)Le devo~~ de v~olence , Op. Cit
, page 31.

377
Sarf est en dêfinitive le vrai colonisateur, le vrai
maître du pays puisque le travail forcé, 1 \\ indigenat, la conscript:i 0,"
durant les deux guerres mondiales, l'école française (destinée à ins'
truire des enfants du pays pouvant plus tard prendre la relève du
Blanc), tout lui profite. En se drapant du manteau d'auxiliaire de
l'administration française (qu'il trompe et escorque), il fait re-
tomber sur elle, tous les ressentiments des Nègres meurtris dans letE'
chair et dans leur âme.
La colonisation ne l'a pas empêché de continuer à pratiquer
le servage (sa cour est toujours pleine de serfs) et l'esclavage
(Zombies acheminês sur les marchês d'esclaves ou conscrits expédiés
en masse par les esclavagistes à sa solde pour être vendus).
Donc "l'Afrique noire n'a pas êtê asservie pendant toute
cette période par la colonisation êtrangère, française ou anglaise en
Afrique Occidentale. Non, c'est tout le contraire: les colonisateurs
n'étaient là que pour servir les intêrêts des rois et notables afri-
n'est pas autre chose que le triomphe final de cette même aristocrat~.~
africaine."(l) Mais pas le triomphe de l'Afrique! Et ceci nous amène
tout naturellement à voir le sort de l'Afrique (et des Vrais Africairs)l
cette grande absente de la table à manger oft les deux sortes de cola·'
nialistès se partagent les plats ;
se passent la balle.
i
!
"Seigneur, une larme pour la Négraille - par pitié." Telle
pourrait être la supplication par laquelle Ouologuem ouv~irait le dOR~
(1) Yves Benôt
"Le devoir de violence de Yambo Ouologuem est-il un
chef d'oeuvre ou une rnystification"in La Pe.n6~e.; Op. Cit ; page 128.

, .'.."_..-"---'
. .
.
37f3
sier bouleversant se l'odyssée nègre. Pour lui, il ne fait aucun
doute: le Nègre s'est trouvé pris entre deux feux depuis le 13°
siècle (date de l'expansion ~rabe sur le continent noir) jusqu'à
nos jours, en passant par la période de domination européenne.
Selon le romancier, aux Arabes ayant un beau jour fait
leur intrusion avec leur Islam et leur intelligence perverse, sont
venus plus tard s'ajouter (ou s'associer) les Européens avec leur
Christianismejleur science et leur technique dêconcertantes. Le Noi~
a été doublement piégé puisqu'à chacune de ces apparitions, il ac-
cueillait les arrivants en hôte complaisan~, mais sera plus tard
abusé. Chacun des étrangers a exercé sa dictature sur le peuple noir.
Même s'ils se sont affrontés un moment (période de conquête euro-
péenne et de rispote des chefs locaux) ils ont fini par trouver
entre eux un compromis ... au seul détriment du Nègre. Esclavaee,do·
mesticité, humiliation, sacrifices en vies humaines durant les
guerres, spoliation des terres fertiles, des ressources naturelles
et de richesses culturelles, rien ne sera épargné aux Kègres.
On pourrait déduire un instant que la période qui a pré-
cédé toutes les deux formes de colonisation, fut au moins un havre
de paix pour les Noirs. De l'avis cependant de Ouologuem, il n'en
est rien. L'auteur n'est pas tendre avec les civilisations négro-
africaines d'antan. Comment ose-t-on parler de civilisation (s'éton-
ne t-il) là où tout était un chaos organisé ?
"Gens cruels,[écrit-il en évoquant ce passé] dont le lan-
gage est une espèce de coassement, tueurs féroces iden-
tiques à l'homme des bois, vivant dans un état de bestia..
lité, s'accouplant avec la première femme qu'ils trouvent,
... / ...

379
de grande sature et d'aspect horrible, très velus,aux
ongles extrêmements longs, Zoulous, Jagas et Massassis
se nourrissent de chair humaine et, armés de bouclier,
dards et poignards, vont nus, sauvages dans leurs cou-
tumes, barbares dans leur vie de chaque jour, sans foi,
sans loi, sans roi, sans toit autre que de vagues cabanes
en forêt, d'où ils sortent au petit matin, détruisant
tout par le fer, le feu, pillant toutes les régions tra-'
versées de par les fins fonds de l'empire Nakem, rédui-
sant les populations de ces régions à errer, à venir à
Saif ou à mourir de faim, de maladies ou de privations ".
(1)
Et rien ne manque dans le tableau que Ouologuem dresse des sociétés
africaines ant~-coloniales. On y retrouve la liste des "faits ac-
cablants" que les Européens reprocheront aux Noirs pour proclamer
leur non appartenance à la race humaine polissée : aux guerres tri-
bales faites au moyen d'armes primitives, succédant chaque fois àes
scènes d'une sauvagerie dépassant tout entendement . Ici Ouologuem
décrit le comportement des vainqueurs vis-à-vis des vaincus :
"Et l'époux castré, paralysé par la douleur, cuisses glu-
antes de sang, regardait, impuissant, ses femmes, devenir
(debout, puis roulées à la seconde même dans la poussièro)
filles de joie du village vainqueur, dévêtues puis tour ~
tour possédées, au rythme énivrant du tam-tam, à la luc::ur
des torches, par chaque villageois, chaque villageoise ... ';
(2)
Après avoir éventrés les enfants, poursuit l'auteur, les vainqueurs
attachaient les hommes et les femmes à un poteau "jusqu'au septième
jour de leur captivité", les livrant durant tout ce temps aux in-
(1) Le devoi~ de violence ;Op. cit ; page 19.
(2) Ibidem; page 21.

380
vectives populaires. Puis venait le clou de la manifestation aux
morts ordaliques succèdent , cannabalisme et beuverie, ces marques
des âmes non chrétiennes et non musulmanes.
"Mais gorgés de vin de palme, ivres de bière de mil au
soir de ce septième jour, et braillant comme des chiens,
tous crevaient â minuit dans les craquèlements chuitant
leur graisse, crépitante sur le feu de bois et offrant
aux doigts experts des cannibales de la viande humaine
(blanche, telle la chair de cochon de lait). La moëlle
du crâne ainsi que le sexe des femmes, parts réservées,
étaient mangés par les hommes "éminents" ; les testitul'2s
du chef se trouvaient dans un dessein éminemment aphro-
disiaque, "dégustés" par les' femmes, dans leur grand
bouillon commun, arrosé de piments et d'épices fortes.
Une beuverie orgiaque couronnait cette enthropophagie,
qui, command~e par la haine, ou les instincts, la soif
du mal, ou le goût du sang et de la vengeance, ou peut-
être le désir de posséder les qualit€s
des victimes man-
gées, fut l'une des plus sinistres marques de cette Afri~
fantôme ... " (1)
De la plus haute antiquité donc aux deux périodes coloniales, lé
Nègre n'a jamais goûté â la paix et au bonheur véritable. L'ins-
truction apportée par le colonisateur européen et plus tard l'avene-
ment â l'indépendance auraient pu, normalement constituer pour lui
les lueurs d'espoir. Le vent de la liberté soufflait doucement. Mai~
là encore, intervient Ouologuem, il a fallu très vite déchanter.
Les intellectuels africains formés â l'école du Blanc, d'après le
romancier, n'ont jamais pu se couler dans les moules occidentaux,
qui n'étaient pas faits pour eux:
(1) Le devo~~ de v~olence ; op. cit ; page 22.

3DI
"Alors, parce que l'homme blanc s'était insinué en lui,
sa présence commanda les gestes, même qu'il ferait cont:r-c
elle, lui, l'enfant de la violence. Il méprisa l'Afrique
brûlant, à grandes étapes, là où il s'en était écarté;
~'abîme qui le séparait de la prestigieuse civilisation
blanche.' Mais l'impression simultanée de vingt siècles
1•...
d'Histoire, ou de leur résidu, lui restait encore imDer"
,
méable : où il fallait découvrir (éloigné soit le Malin
~
il recevait". (1)
D'après Ouologuem donc, tous les Spartacus Kassoumi (les intellectu"ls
formés à l'école française mais fils de serfs en réalité) resteront
d'éternels esclaves. Leurs révoltes implici téS comme celle du Kassourd
du roman, ou explicit~comme celle du Spartacus de l'histoire ramai
ne a conduit au 70 siècle une révolte d'esclaves contre Rome et te
nu deux ans avant d'être battu) sont des sursauts sporadiques, une
prise de conscience éphémère et inefficace. Ces révoltes seront ton
jours étouffées dans le fer et dans le sang.
Kassoumi, le fils authentique de l'Afrique, nommé député
par l'Union Française en 1947, pouvait rêver à la libération de son
peuple. Malheureusement pour lui :
"Kassoumi, habile calculateur, avait mal calculé
fort
de ses titres [diplômes acquis en France] et de l'appui
de la France, il s'était cru maître de l'ancien maître,
alors même que seul le flambeau de Saif, un instant as-
soupi pour mieux briller, plus rougeoyant que jamais,
garantissait à l'esclave l'acquisition des suffrages". (2)
Kassoumi a été "récupéré" par Saif tout comme les premiers nation-
nalistes africains seront "récupérés" malgré leurs efforts. Le, roman-
(l)Le devoi~ de violenQe i Cp. Cit ; page 22.
(2) Ibidem; page 191.

3&2
cier fait-il aussi allusion aux élites africaines qui se sont
apercues très vite que la culture occidentale acquise n'a pas sa··
tisfait les espoirs placés en elle? L'assimilation et l'accultu··
ration sont là pour le prouver. Même si l'on fait abstraction de lé1
politique actuetle qui a nom "Francophonie", on se rend compte que
beaucoup de tentatives de réduplication de la colonisation sont
faites par l'ancienne métropole, agissant avec les potentats locau::
pour "récupérer" les Africains décolonisés.
Quant à l'indépendance politique, selon Ouologuem, elle
n'a été qu'un vain mot. L'euphorie passée, on peut à présent poser
la question de savoir si vraiment 1960 a été l'année de la libératio~
politique, ou si celle-ci reste encore à conquérir? Inutile dés lors, pense
le rOll13Ilcier (qui répond par la négative), de parler de libération économique
et culturelle. La première, Sabordée aussitôt qu'acquise, est la condition sint>
qua non de la réalisation des deux dernières.
Pour l'auteur, le néo-colonialisme a succédé au colonislisrne
et
l'Afrique, malgré les apparences, est encore sous domination.
Ouologuem a écrit que malgré les spécieuses mesures de libération,
Saif, le colonisateur arabe, est toujours là à la tête du l~akem,
agissant à sa guise et exploitant le peuple. Donc à la fin de son
roman, Ouologuem "dresse le tableau d'une Afrique contemporaine en
état de malédiction, (après être) remonté au passé lointair. pour
évoquer la totàlité de plusieurs siècles d'une Afrique non moins
sombre". ( 1 )
(1) Yingiri J. Achiriya; La 4évolte de~ 4omanc~e4~ no~4~ ; Ottawa
Editions Naaman ; 1973 page 208.

383
Aprês avoir écouté clamei par des voix noires que
"Elle est debout la nêgraille
l
la nêgraille assise
inattendûment debout
debout dans la cale
1
debout dans les cuisines·
debout sur le pont
1
debout dans le vent
f1
debout dans le soleil
r:
debout dans le sang
lf
debout
r
Et
libre".
(1)
1
Le lecteur du Vevo~~ de v~olenee est amené à se demander
quand se réalisera cette prophétie de liberté, de fin de misère pou.y
le peuple noir, de bonheur enfin? Serait-ce pour demain? pour bier
tôt ? ou faut-il renvoyer cette date aux calendes grecques ?
Le Nègre serait-il dar'nés pour quelque faute commise dans
/
une époque lointaine ?
(On dit que le Noir descendrait le Cham,
le fils maudit de Noë). Ouologuem semble pencher pour cette hypo-
thèse. Ce qui expliquerait à ses yeux que toutes les tentatives
faites à ce jour par la race noire pour se libérer du double joug
1
arabe et européen aient été vouées à l'échec. Il pense, avec l'autpl
1
des Sole~l4 de4 ~ndlpendanee4 que : "Tant qu'Allah ne décollera pas
la damnation qui pousse aux fesses du nègre[ .. ]les nègres colonisés
ou indépendants, continueront à croupir et à patauger dans la mi-
sère".
( 2)
(1) Aimé Césaire ; Cah~e~ d'un ~etou~ au paY4 natal; page 33.
(2) Ahmadou Kourouma ; Le4 4ole~l4 de4 Indlpendanee4 ; Editions dù
Seuil; 1970 page 25.

~4
Le devo~~ de v~ole~ce n'est donc probablement pas une
mystification. A ceux qui seraient tenté de l'accuser de mythomanie
Ouologuem rétorquerait que les témoienages portés sur l'histoire
africaine jusqu'à ce jour, reposent sur três peu de preuves scien-
tifiques :
"Ici, nous atteignons le degré critique au-delà duquel 12
tradition se perd dans la légende
et s'y engloutit ;ccr
3
les récits écrits font défaut, et les versions des Ancie1s
divergent de celles des griots', lesquels s'opposent à
celles des chroniqueurs". (1)
Beaucoup de vestiges ont disparu à cause de la fragilité des maté-
riaux qui les composaient, ou à cause de la déperdition des cultures
traditionnelles. Quant aux genres litt~raires qui pouvaient en ren-
dre compte fidélement, ils sont souvent rebelles à la transcriptior,
On sait aussi que tout un fossé sépare oralité et chronique écrite
et qu'entre elles, les contradictions n'en finissent pas.
On a pu aussi s'indigner des scênes de violence que l'au-
teur a longuement décrites "Le devoir de violence ... est une épop63
pleine de sang et de brutalité dont l'auteur considêre qu'ils sont
au fond partie intégrante de la tradition africaine. Il est notab=_~
que ces atrocités se perpétuent tout au long des siêcles dont Ouo-
loguem se fait le chroniqueur sadique".(2) C'est le droit des âmes
sensibles d'être bouleversées, écoeurées même, par un tel déferle-
ment de vols, de viols, d'assassinats, de cannibalisme etc ...
Mais un coup d'oeil attentif sur l'histoire de l'Afrique~
qu'elle soit écrite par les Européens ou par les Africains, ne fera
(1) Le devo~~ de v~olenc~ ; Op. cit ; page 11.
(2) Charles Larson ; Panorama du roman africain ; Nouvea~Horizons
Indiana University Press; Bloomington, Indiana; 1972,page 142

385
t-il pas nuancer notre jugement sur l'oeuvre? Dans sons roman en
effet, Ouologuem n'a fait que recenser quelques scènes types pour
produire l'effet qu'il voulait. Pourquoi exiger de lui qu'il ne
parle que du Beau, du Bien? N'est-ce pas Standal qui disait qu'
"Un roman est un miroir qui se promène sur une grande route.,." ? (:1.
Celui de Ouologuem a reflété à nos yeux non pas l'azur des cieux~
mais la fange des bour~iers de la route.
.
D'ailleurs, nous retrouvons une technique analogue chez
Amos Tutuolas : Il.,, un étudiant Yor U: 'a m'a un j our confié, écrit
Charles R. Larson, avoir entendu raconter plusieurs contes et aven-
tures de L'iv4ogne dan~ ta b4ou~~e, dans les veillées dA son en-
fance ... Il Y a à peu près une douzaine d'aventures de ce genre qui
forment une histoire dans l'histoire, et une douzaine d'aventures
plus courtes, narrés en une ou deux pages et dans lesquelles l'i-
vrogne doit faire face à un adversaire ou à un obstacle .. ,Il (2)
Grâce à un habile assemblage de plusieurs contes, l'écri-
vain nigérian a pu créer L'iv4ogne. dan.6 ta b40U~~e. Qui dit assemble'
ge dit choix. Par le procédé des analogies nous avons montré que les
lieux décrits par Ouologuem ressemblent à des régions géog~aphiques
de l'Ouest africain, et que les scènes, la plupart du temps, rappel-·
lent les luttes ou intestines ou de libération en Afrique de l'Ouest.
Les personnages à peine romancées évoquent bien des figures de l'his-
toire africaine
empereurs, rois, patriotes résistants luttant contre
la pénétration européenne, administrateurs, fonctionnaires coloniaux
et missionnaires.
(1) Stendhal - Le rouge et le noir - Paris
2° partie chapitre XIX.
(2) Charles R. Larson ; Pan04ama du 40man a64icain ; Op. cit ;'
page 131.

••
386
CulofSUem n'a fait au'ooérer un choix de scènes qui ont
sorvi
permis de constituer
Le devoir de violence qui a :
• à son tour à 11-
lustrer· toutes les violences que les NèP-;r'es ont subies depuis la nuit
des temps jusqu'à nos jours.
Corrme pour apporter une cinglante réplique à ceux qui. ne lui
ont pas pardonné d'avoir écrit
Le devoir de violence. Ynmbo
Ouol~em
a publié une courte nouvelle intitulée
'1
Le triomphe de la ruse de l'em-
pereur d~ Nakem'·. (1) C'est un nouveau témoignage sur le règne des sa.!fs,
qui rejoint en définitive le rol1'Rl1.
sa!f Ezéchiel, probablement le successeur de Saïf' ben Isaac
El Heit, fait prisonnier par le seigneur Rahilhoyé, pnrvint grâce à sa •
ruse, non seulement à se délivrer mais à faire passer par les armes, toute
l'armée ennemie.
sang et larmes sont une fois de ph!s, le lot des Nè~res
(1) Le triomphe de la ruse de l' empt"U:"eur du Nakem
in L'Afrique
littéraire et artistique nO
.:I:
page Il.

3871
- Pour la coexistence pacifigue
Pour transcender les problèmes qui peuvent se poser à
l'humanit~, pour éteindre les foyers de tension et construire
une société universelle viable, l'auteur
d~ne main amle,
p~che
IlIa compréhension réciproque entre toutes les races et tous
les peuples de la planète qui doivent s'aider mutuellement r
Le point de vue de Yoro Diakité est ici à l'opposé de
eelui de l'auteur du Devoir de violence qui a promené un re-
gard très critique sur les civilisations africaines. Diakité
ne fait pas une prise de position trop partisane, mais
plaide
au contraire pour la coexistence pacifique entre toutes les
races de la terre. Il préconise l'échange fructueux
d~ns~
les domaines de la science,de la technique et de la culture
pour que se crée la "civilisation de l'Universel".
Dans la deuxi~me partie du roman, Une main amie, le
problème le plus important à notre avis, c'est celui qui trai-
te des rapports entre Blancs et Noirs.
L'auteur, pour ce faire, déplace l'action du roman de
la France vers l'Afrique et la situe en pleine période colo-
niale. Certes, il en profite pour s'élever contre les pleins
pouvoirs que s'octroyaient les Blancs, de l'administrateur de
la colonie au plus petit fonctionnaire métropolitain. Il dé-
nonce aussi la tyrannie qui s'exerçait sur les colonisés,ses
frères de race. Mais, force sera de reconnaître que ce n'est
pas là l'essentiel de son propos.
1
Au lieu de vitupérer tout de suite le colonialisme com-
me le font la plupart des romanciers ouest-africains ayant ./ .•

lt
308
f.
situé l'action de leurs oeuvres dans la même période, Yoro
1
Diakité s'est m1S dans la peau du Blanc pour pouvoir mieux
l
comprendre sa psychologie. Dans cette optique, il a choisi
de faire vivre sous nos yeux le couple Alain qu'il va surtout
1
peindre de l'intérieur.
t,
Alain débarque en Afrique ••• sans références solides.
1
Il n'a pas le diplôme qui doit faire autorité, mais un simple
~
certificat. Le métier qu'il va exercer, il ne l'a appris que
vaguement avant d'aller faire son service militaire.
il
"Jeune encore, avant de suivre les cours de
~
l'école commerciale de vente, il avait suivit des
1
cours de moto-pompiste, avait obtenu un certificat
de spécialité et exercé dans une usine d'eaux avant
d'être appelé au service militaire. A sa libération
de l'armée, le souvenir des crasses d'huile et du
1

maigre salaire qu'il touchait alors à l'usine
l'empêcha d'y retourner ••• Si en Hétropole cette
spécialité était de ~eu d'importan~e,vu ~enomb~e
1
de gens quil'exerça1ent, sans sat1sfact10n mAte-
f
rielle pensait-il, son exertice ailleurs, p~r
exemr le outre-ntlantique, pouvait par contre être
f
une situation enviable" (1).
l
Ce qui en dit long sur la qualification (et le rôle
1
social) de nombre de coopérants que l'Europe "nantie" déverse,
à grand renfort de publicité, sur les pays en voie de dévelop-
1
pement au titre de l'entraide internationale.
1
Les seules références d'Alain sont donc qu'il est blanc
et cela sùffit largement pour qu'il se prenne pour le centre
du monde, une fois en Afrique. Quoi de plus normal dans un
continent démuni de tout!
Pour se faire respecter des ouvriers
noirs, Alain voulait faire étalage de ses talents. Mais,
"Quelle ne fut pas sa surprise quand, apr~s
une semaine de vérifications laborieuses, il cons-
r-
tata que tout était en bon ordre ? Il était confon-
du devant ces jeunes noirs qui, sans ôser le contra-
i
rier, l'avaient laissé s'affairer à sa besogne,
1
./ .
(1) Une main amie,
Op. cit. page 161.

309
n'intervenant ~ue sur ses ord~es~ Finalement il
se de~anda ce qu'on l'envoyaitlfai~e ~ Makann
consid~rant par là même, que l'uèine pouv~it
marcher avec l'6q~ipe Fayo Aly, sans son con-

cours. Mais, ~ Dak~r, la direction avait un autle
point de VUE.
Pour elle, ce n'~tait pas la prGsen-
ce d'un Faye Aly, mais celle d'un Alain qUl lui
offrai t
la Tileilleu:t.'o garantie Il • ( 1.)
Et pourtant, non seulement lé} direction du chanti.er H
"Les eaux de l'A. O. F. " avait fai·t vE,"nir à grands frais AléLi.n
pour le Dlacer à la tête de cette usine, mais elle lui avait
accordé un traitement "royal Il, COIDf11.e el18 l'aurait fait pou::'
n'importe quel Blanc exerçant n'importe quelle fonction dans
la colonie
:
" ••• Il (t\\lain) reçut des faveurs presque
exceptionnelles, en l'ecevan-t un poste de chef de
station de pompage dans la zone de Dakav, au
Sén~gal. Outre les avantages de logement et les
diverses commodités, on lui avait laissé croire
l
·
.
b " f ·
D' ....
d'
,
que _ te: tral temen·t seral.-t
ene lque.
8J a au
'2pa.r-;.
i l devait toucher une prime importante de plusi;è=u."
centaines de milliers de francs au titre du
départ Outre-Mar" (2).
Le voilà qui acc~de d~ coup ~ une classe sociale dans
laquelle ni ses origines modestes ni ses capacités personnelles
n'auraient pu l'introduire.
Si Alain n,' est pa.s de la classe
bourgeoise, i l va en devenir le produit. Or, comme le disai. t
Césaire dans Cahier ct 'Un retour au pays_-22.atal, c'est 1112. c::;.vi.:t.i.
sation dite "européenne" la civilisation !loccidentale", telle
que l'ont façonnée deux si~cles de r~gime bourgeois " (3)
qUl
est responsable de l'action colQniale dont souffrira le conti-
nent africain.
Comme tous ceux qui se trouvaient placés dans cette po-
sition avant lui, Alain tcuchera un traitement substantiel,
./ .
(1) Une main amie;
Op •. cit.
page 188.,
(2) Ibidem,
page
162.
(3) Aimé CESAIRE~ Disaou~B sur le aolonialisme;Op.cit. page 7.

390
aura une villa, une nombreuse domesticité. Il bénéficiera en
plus du soutien inconditionnel de l'administration coloniale
pour tous les propos qu'il lui plaira de tenir sur la colonie
et pour tous les actes qu'il lui plaira de commettre à l'en-
droit des colonisés.
Mais, tout en exposant les agissements somme toute
condamnables des petits blancs (tous les Alain), le romancier
plaide en leur faveur des circonstances atténuantes.
Tous les Blancs, insinue Yoro Diakité, en débarquant en
Afrique ont subi à l'avance, souvent inconsciemment, une intoxi-
cation dangereuse, qui est le fait de l'administration colonia-
le .·Marie-Thér~se nous rapporte son cas :
."L'Afrique, pour moi, cela n'évoquait rien.
Je n'y avais jamais été et ne la connaissais qu'à
travers
les manuels d'histoire, de géographie et
les cartes postales. Pour moi, la revue l'Afrique
en couleurs" n'était que r~verie et j'avais promis
à ma bonne amie Anne-Marie de ne pas suivre mes
r~ves. Je redoutais ce pays d'autant plus que mon
amie d'enfance qui y avait été pour son service
militaire m'en avait fait une littérature pas tr~s
encourageante. A travers ses lettres je voyais
des fauves partout, m~me dans les rues. Je sen-
tais cet ardent soleil me brOler la peau et j'af-
frontais cette terrible susceptibilité des gens
de là-bas" (1).
L'intoxication est généralement destinée à faire croire
que les peuples de colonies ont un esprit primitif ; ce qui de-
vait largement justifier la colonisation. Elle est d'autre
part destinée à étouffer chez les jeunes qui débarquent tout
sentiment de pitié quant
au sort des colonisés. En leur in-
culquant savamment le complexe de supériorité, on parvient à
en faire des défenseurs inconditionnels du
syst~me. On leur
faisait croire que Je maintien du statu quo était le garant de
leur propre sécurité et du bonheur de tous les Blancs.
"J'étais personnellement outrée quand, (s'indigne
."
l'héroïne), en discutant des questions locales, .
certains amis du club, répondaient par un simple./ .

39I
geste de la maln en disant
"On les a trouvfis tels qu'ils sont,?~es laissera
tels!
N'~tant qti'une femme, je ne pouvais rien pour
changer ces gens; si profondfiment ancrfis dans leurs
pensfies. Alors la nausfie du dfigoût à la gorge, Itâme
~~urtrie, je ne disais plus mot. Je me rfisignais à
écouter leurs sornettes, à partager leurs opinions,
mais sans conviction ducune. Certains pensaient que
rien n'fitait possible pour changer ces villageois
et les faire penser comme nous, et disaient qu'il
valait mieux pour nous nous occuper de nos seuls
intfirêts"(1).
,L'auteur va analyser à présent, le comportement du second
persor.nage. C'est la niaiserie d'Alain et "des amis du club"
qui fait mieux ressortir l'affabilitfi de Madame Alain.
L'auteur a choisi sciemment de tirer son hfiroine de la
paysanerie, une des classes les moins nanties de la socifitfi
europédnne. Si la campagne est dfimunie par rapport à la ville,
ses habitants sont par contre moins affectfis par les produits
de la civilisation scientifique et technique. Ils sont encore
les plus près de la nature, les plus humains donc. Seule une
personne issue de ce milieu pouvait faire vibrer son coeur au
diapa30n de celui des Africains.
Au d~part de la m~tropole, elle avait la même attitude
que les autres, à l'égard de l'Afrique
"Mais pour moi que représentait ce pays ? Quel
avenir peut-il nous réserver? N'ayant de l'Afrique
qu'une connaissance rudimentaire, nous nous posions
tant de questions. C'était une aventure qu'à priori
je considérais harsardeuse (sic), mais qu'il nous
fallait tenter, en dépit des susceptibilités et des
préjug~s, car nous n'avions pas d'autres choix. Si
la promesse d'être patron à son tour, de gagner
beaucoup d'argent en même temps que l'amour d'une
femme, rejouissait le coeur de mon mari, moi, mes
inquiétudes n'étaient pas pour autant moins
grandes"(2).
(1) Une main amie; Op, cit, page 184.
(2) Ibidem; page 171,

392
Les "inquiétudes" de Madame Alain comme elle l'avoue,
sont ~ues à la perspective d'affronter l'inconnu sans y ~tre
préparée. Quant aux "susceptibilités et aux "préjugés", tous
jugements défavorables à l'endroit àu continent noir, ils
n1étaient pas de nature ~ dissiper son appréhension de l'aven-
ture africaine.
Mais lléquivoque se dissipe d~s le premier contact,c'est
à dire au moment où la jeune femme débarque à Dakar. Le couple
est accueilli à la sortie du bateau par un jeune chauffeur noir
dont la servilité étonne les arrivants,habitués à tout faire
eux-mêmes en France. A l'hôtel aussi bien qu'au restaurant, le
service est assuré par des "boys" noirs et leur empressement
autour des Blancs, leur soumission, rappelle à Madame Alain
sa propre condition lorsqu'elle était serveuse au Cheval-Blanc.
Cette communauté d'origine sociale l'am~ne à se poser beaucoup
de questions, notamment sur l'attitude de cette domesticité.
Elle comprend alors que l'apparente obséquiosité de ces
gens-là cache mal une résignation temporaire :
"Un deuxi~me point non moins important avait
retenu mon attention:
cette soumission totale et
dévote de ces boys d'hôtel. Leur attitude et leur
comportement me donn~rent tout lieu de penser qu'ils
avaient été à l'école de Monsieur Martin, cette éco-
le de sagesse où, en attendant d'avoir des forces,
ils pliaient aux conditions du moment" (1).
Et la sympathie spontanée de l'héroïne va tout naturel-
lement à ce peuple dont elle venait de sentir vibrer l'âme, ce
peuple brimé au nom de la supérîorit~ technique de l'Occident.
Elle résolut alors, durant son séjour, de vivre en communlon
de sentiments avec ceux qu'on appelle par condescendance les
"sujets français" :
"C'est seulement ~ cette heure-là que je réali-
sais et prenais la décision de réussir en dépit de
(1)
Une main amie; Op. cit. page 174.

393
tout,l vivre en Afrique. Quand il le faudra, je
renoncerais l faire prévaloir avec orgueil le pou-
voir que je tiens de mes origines.
J'étais prête l être tolérante, indulgente
envers ceux qui me comprendraient mal ou qui souf-
friraient ma présence a leurs côtés.
J'étais aussi prêtel tendre une ma~n amie
pour recevoir et serrer celles qu'avec amour et
bon coeur on me tendrait. J'étais enfin disposée
l être ouverte si on l'était envers moi. Je m'assi-
gnais la tâche difficile de forcer les coeurs qui
me seraient fermés., au moyen de la justice, de la
compréhension, et de tout mon possible. Je voulais
~tre dans un grand combat et, pour toute arme, je
n'avais pour vaincre que cette pensée de Rivarol
qui dit a peu près ceci.•
"Ceux qui professent les belles vertus, doi-
vent en ~tre les exemples vivants .• "Je me préparais
donc lêtre l'incarnation matérielle de mon amour
de tout, dans ma pensée, mes faits et gestes"(l).
Lors de sa première tentative pour s'intégrer dans le
milieu africain, Madame Alain se heurta l la méfiance de ses
domestiques, habitués l voir se dresser entre eux et leurs
patrons blancs, une barrière sociale et même raciale
"Mon expérience de la souffrance, et ce sen-
timent de l'amour du prochain qui m'animait, fai-
saient que je ne considérais pas mes domestiques
comme de simples instruments de servitude déployant
leurs énergies au prix d'un salaire, car je fus
moi-m~me serveuse dans d'autres conditions, mais
comme des être capables de sentir et d'aimer.
l:.~ Mais, ceux-ci avaient peine
~ croire l mes
tolerances. Avec Madame Rippers, ils devaient avoir
connu une tout autre vie, sans doute, et l'expé-
rience leur en était restée. C'est pourquoi, au dé-
but de notre sejour, ils évitaient le plus possible
de me donner l'occasion de leur faire des reproches.
Ils croyaient sincèrement, et cela au prix d'expé-
riences vécues, que toutes les "Madamous (déforma-
tion de Madame) étaient de nature méchante et pour
leurs domestiques, et pour leur mari!" (2)
./ .
(1) Une main amie~
Op. cit. , page 177.
(2) Ibidem; page 213.

394
Lorsque Madame Alain réussit à force de patience et de
bonne disposition à leur faire comprendre qu'elle différait
des autres "Madamous" qui l'ont précédée, le premier contact
était établi. Et Oumou, sa blanchisseuse peut lui confier :
"Pour toutes celles que nous avons connues,
c'étaient "parfois ceci, parfois cela, des viens
ici et de va là-bas", etc, qui régissaient nos
rapports. Pour
elles toutes, nous n'étions que
des serviteurs avec lesquels le dialogue ne dépas-
sait pas le cadre du vocabulaire impératif. Nous
voir travailler en sueur, sans relâche, avec quel-
quefois la mine triste, étaient leurs occasions de
joie. Elles trouvaient cela bon enfant, se plai-
saient à nous filmer ou à nous photographier dans
ces attitudes peu naturelles ••. "(l).
Le romanCler en passant en revue les liens qui ont régi
les rapports entre Noirs et Blancs dans Afrique coloniale,
égratigne quelque peu ces derniers.
Mais très vite, il revient à son idée maîtresse. A sa-
voir que la grande erreur des Blancs est de s'être repliés
sur eux-mêmes, d'avoir vécu dans des cercles intimes fermés
1
aux Nègres.
1
De l'avis de Yoro Diakité, si ce comportement est celui
de toutes les minorités, s'il est dicté par l'instinct de
conservation, il est souvent source de bien de malentendus
et dégénère immanquablement sur une hostilité, voire sur des
conflits vervaux ou armés.
Continuant sa confidence à Madame Alain, Oumou lui
suggère ce qu'auraient da être les relations entre patrons
blancs et domestiques africains :
"Nous pensons que la force brutale n'est pas
la solution aux problèmes humains. Elle ne nous
effraie pas et ne peut en aucune manière tirer de
nous le maximun. Nous méprisons ceux qui montrent
.,
(1) Une main amie ;Op. cit., page 221.

la force comme moyen de relation entre eux et nous,
et nous prenons toujours, par fait expr~s, le con-
tre-pied de ce qu'ils nous demandent de faire, pour
les tourner en ridicule. Notre fierté et notre sens
de l'honneur nous permettent rarement de nous plier
devant la violence. Mais, il est une arme contre
laquelle nous ne pouvons rien et ceux qui tiennent
cette arme peuvent faire de nous leurs esclaves.
Cette arme-ll, c'est celle que vous venez de nous
présenter; c'est-l-dire la confiance! Quand on
nous fait confiance sans supercherie, car nous
sommes susceptibles, on peut tout tirer de nous.
On peut même nous pousser l
la mort et nous y allons
sans esprit de recul, ni calcul, car nous avons
peur de trahir la confiance qu'on nous accorde"(l).
D'ailleurs, Madame Alain, porte-parole de l'auteur, ti-
rant elle même les leçons de cette vie en vase clos à laquelle
elle avait souscrit par conformisme en arrivant en Afrique,
constate qu'en agissant ainsi, elle et toute la communauté
blanche perdaient un capital précieux .: celui de la connais-
sance du monde /~ •. 7 dans lequel nous vivons" (2).
Elle conclut à l'utilité de l'ouverture, du contact
inter-communautaire. Cette attitude, qui, seule, conduit cha-
que comnunautél apprécier l'autre à sa juste valeur, permet
également de porter des jugements objectifs sur ses propres
réactions face aux événements. Une telle conduite contribue
infailliblement à faire naitre en nous l'indulgence et
l'amour du prochain~
Madame Alain, regrettant le climat de suspicion qui rè-
gne entre Blancs et Noirs l Makana, poursuit
"Et les poussières de cette incompréhension
recouvraient à la fois nos pertes en énergie, que
nous aurions pu transformer en services utiles pour
le village, tout autant qu'elles enlisaient cette
précieuse richesse africaine de vie et de moeurs;
dont la connaissance nous demeurait inaccessiblp.
Puisque nous nous comportions en indifférents,
les autres, ceux du déhors, peut-être par crainte,
(1)
Une main amie;
Op. cit., page 221.
(2) Ibidem; page 183.

396
peut-~tre par indifférence, peut-être par orgueil,
vivaient aussi sans nous. Ils avaient leurs joies
quand nous avions nos peines, leurs chagrins quand
nous avions nos festins. Des deux bords, chacun
s'ignorait" (1).
Cette réflexion de son héroïne, l'auteur aurait bien
souhaité que tous les Blancs vivant en Afrique la méditent. Ils
auraient alors compris pourquoi la colonisation dans les ver-
tus de laquelle ils croyaient, a été un demi-échec.
A en crOlre le romancier, ce qu'il aurait fallu, c'était
que les Français demandent aUSSl aux colonisés ce que ceUX-Cl
pensaient de "l'apport" de l'Occident. Au lieu de cela, leurs
efforts ont tendu vers une action en sens unique. Tout en ap-
portant aux Africains leurs acquis, les Européens auraient pu
"profiter de l'expérience de leur vie".(2).
L'Afrique, un continent vlerge de toute culture et de
toute civilisation? C'est une insinuation calomnieuse du Blanc,
une propagande destinée à légitimer la conquête coloniale,
poursuit le romancier.
Madame Alain ne constatait-elle pas dès sa descente du
bateau, combien les Européens vivant en Afrique y subissaient
inconsciemment l'influence culturelle du milieu?
"Le concierge reçut nos remerciements. Fort
heureux des compliments, il nous affirma que les
appartements étaient retenus depuis plus d'une
semaine et que tout avait été prévu pour nous re-
cevoir. Cette marque d'hospitalité fut la première
impression favorable qui nous frappa, mon mari et
moi. Pourtant, les gens qui nous recevaient, je
veux parler de la direction de l'énergie A:O.F. de
Dakar, étaient des nôtres. Ils n'avaient pas,
quand ils étaient là-bas, cette attitude de l'hos-
pitalité sacrée. Je me dis alors, réflexion faite,
que l'Afrique les avait intégrés en les disciplinant
à ses traditions, à force de temps et d'exemples"(3).
-----------------------------------_. / .
(1)
Une main amie;
Op. cit.
,page 184.
(2)
Ibidem; page 184.
(3)
Ibidem; page 174.

397
L'auteur, par la bouche de son héroîne, réfute les
arguments de l'impérialisme européen quan~au vide culturel
de l'Afrique qu'il fallait combler. L'assimilation, selon lui;
est à l'inverse de ce que lfhomme doit faire pour parvenir à
un haut stade de développement :
"Au surplus, j'étais fermement opposée à
l'idée de leur assimilation sur le plan de la pensée.
Je savais que ces hommes avaient fait eux-mêmes leur
histoire et qu'en vivant ainsi, ils obéissaient à des
principes qui, pour eux, étaient le fondement de leur
philosophie. Le gain n'aurait donc pas été, à mon avis,
de les amener à penser comme nous. Ils nous fallait
au contraire les laisser vivre comme ils en avaient
l'habitude, et essayer, au moyen du contact et de la
parole, de pénétrer leur vie profonde. Ainsi nous au-
rions capté le sens profond de leurs pensées et de
leur mode de vie ; deux éléments qui régissent tous
leurs comportements en tant qu'êtres humains ••• De la
sorte, la condition nécessaire de toute vie commune,
qui suppose communion d'intér~t, de pensée"de coeur,
de sentiment réciproque et de sympathie mutuelle, SE'"
rait remplie et il nous aurait été possible d'entrevoir
notre monde en rose" (1).
De ce fait, le message que Madame Alain a tenté sans
succès apparent de transmettre à ses compatriotes, le voeu que
le romancier a voulu formuler pour les communautés blanches
et noire, mieux, pour toutes les nations du monde, c'est celui
de compréhension mutuelle, d'indulgente attitude envers le
comportement et les convictions morales des autres. Une telle
tolérance concour~, il en est persuadé, à forger la solida-
rité agissante entre tous les peuples de la planète.
Que d'Afrique en Amérique, d'Asie en Europe sans oublier
l'Océanie les hommes se tendaient "une main amie", nous sug-
gère Yoro Diakité.
Le romancier poursuit :
"Si la grandeur d'un peuple est souvent
fonction de son histoire, et si cette histoire est
le passé du peuple, il ne me semble pas, malgré
./ .

398
l'ardent désir de singer les autres civilisations
qui hante certaines gens, que le moment soit où
l'Afrique, en ayant honte d'elle-même, rejette
son passé ; ou ait honte par complexe, de se hisser
~ la tribune des civilisations. A l'encontre de
cette pratique, on sera d'autant plus indulgent,
qu'on se souviendra que des morts sont embaumés
en Europe, brQlés aux Indes, au Laos, mis en terre
dansd des conditions particulières dans d'autres
r~gions du monde. Ce sont tant de mystères aussi,
mais tant d'éléments de civilisation que les Afri-·
cains respectent. Pour eux, seul compte le sens
profond de la civilisation, le bien-~tre qu'elle
apporte à l'homme, à la collectivité, à l'humanité.
Ils voient à travers ce sens profond de la
civilisation, en déhors des préjugés et au-delà
des frontières, que la préocQupation des,
hommes
tend vers le même but : la recherche du bonheur
et de la compréhension entre les hommes dans un
univers plus uni" (1).
La réf~~ence aux divers modes d'enterrement (il y en a
autant qu'il y a de croyances), est manifestement une invita-
tion du romancier à la tolérance religieuse.
Enfin revenant encore à son continent, l'auteur déclare
que la source des malentendus, la divergence
et la tension en-
tre Blancs et Noirs sont le fait d'une mauvaise évaluation des
valeurs culturelles de chacune des races par l'autre. n':ail-
leurs le plus souvent, il s'agit d'une m6connaissance par
l'Europe des valeurs religieuses et culturelles de l'Afrique.
Que 'l'Occident se débarrasse de son complexe de supériorité si
pernicieux aux uns et aux autres; qu'il ne voit dans l'Afri-
que, rien d'autre qu'une partie de l'humanité, moins privilé-
giée que lui certes. Qu'il lui tende enfin "une main amie"
pour l'aider à rattraper son retard technol~ique,retard dO à
des conjonctures géographique et historique indépendantes de
sa volonté.
Pourtant il faut noter, que malgré tous ses arguments
./ ..
en faveur de la paix et du rapprochement entre nations, Yoro
(1) Une main amie; Op. ci~. p~ge 268 •


399
Diakité ne se fait pas trop d'illusions.' D'ailleurs, le fait
que Madame Alain n'ait pas réussi à convaincre son mari, ~
plus forte raîson les autres membres de la communauté blanche
'de Makana, du bien fondé de sa philosophie humaniste, prouve
éloquemment que sa tâche était ardue. L'auteur en a conscience
par la même occasion.
S'il en était autrement, le monde ne serait pas en ce
dernier quart de vingti~me siècle, en train de déplorer par-
tout des tentatives de reconquêtes colonial~s et de domination,
,
des menaces chaque jour plus grandes de destructions massives.
Cependant, nous n'avons pas le droit,de désespérer.
De m~me, Madame Alain n'a pas totalement éch~u2 dans sa
noble mission en Afrique puisse qu'elle peut dire:
"En Afrique, j'ai vécu au contact des masses
t
déshéritées qui, sans fard ni prétention m'appri-
T
rent avec simplicité leurs problèmes ; ces problè-
mes de la vie et de la société, dont la connais-
sance et l'acceptation en tant qu'originalité
constituent sans nul doute le trait d'union entre
tous les hommes de la terre.
J'ai aussi obtenu fortune en Afrique, amour
et amitié, et aussi le coeur des gens de là-bas.
J'ai connu et aimé un peuple tout entier, avec
lequel j'ai partagé le rire, cette seule et com-
mune expression de la joie de vivre.
A présent, je ne suis que contente de moi-
même et satisfaite des circonstances qui m'ont con- .
duite en Afrique car, en arrivant, je lui tendis
une main amie que, dans sa traditionnelle généro-
sité, elle accepta de serrer".(1).
Cet exemple prouve qu'il existe au niveau de chaque com-
munauté humaine, des hommes sensés, des hommes de bonne volonté
C'est à eux d'abord que s'adresse l'auteur d'Une main amie.
Mais puisse en appel être entendu de tous
(1)
Une main amie; Op. cit., page 325.

~ -
- '.:
Tradition et modernisme
1
1) Pour la tradition
-----------------
400
La colonisation a mis en contact deux formes de ai-
vilisations, l'africaine et l'européenne. Il en est résulté un
heurt dont les conséquences sont évaluées par les uns et les
autres, à leur manière. Nous retrouvons généralement d'un côté,
les tenants de la tradition (donc du rejet de la civilisation
européenne) et de l'autre les défenseurs du modernisme (qui con-
damnent la société traditionnelle ou tout au moins, certains
aspects de la tradition).
avec
~
~
C' est ~ous l' or~ge que ouvre le debat, qui se pour ....
suivra plus tard dans Le sang des masques où il prendra position
pour la tradition.
Dans Sous l'orage, Seydou Badian montre comment la
culture occidentale, livrant un combat impitoyable à la culture
traditionnelle, conduit à des changements de structures socia-
les et politiques ; ce qui exige des changements de mentalités
qui enthousiasment les uns (les jeunes) mais inquiètent les
autres (les vieux).
Le père Benfa vient de décider, après un ultime en-
tretien avec les oncles dont les avis sont requis en pareille
circonstance, que Famagan épousera Kany conformément aux désirs
que ce dernier avait lui-même exprimés. Ainsi se sont mariés
nos parents et arrières grands parents et les ménages n'en ont
été que plus unis et plus prospères.
Par contre, Birama et ses deux frères cadets, té-
moins de l'amour sincère qui lie leur soeur à Samou, bénissent
de tout leur coeur le jour qui va consacrer cette union. Ce sera
le triomphe de la conception moderne et la rupture définitive
avec un passé critiquable à bien des égards.
D'un côté, le père Benfa et Sibiri (le fils aîné
qu'il n'a jamais voulu envoyer à l'école) espèrent, conformé-
ment à la tradition, livrer Kany à Famagan qui, dit-on, est issu
de bonne souche et est de surcroît un riche commerçant possédant
déjà deux épouses. Une fois leur accord de principe donné, ils
sont décidés à tout pour faire aboutir ce mariage ... contre la

40r
volonté de l'intéressé s'il le faut. L'honneur de la famille
est àce prix.
De l'autre
Birama et ses frères qui ont été à l'é-
j
cole, sont convaincus que la tradition est un frein à tout déve-
loppement social et culturel; aussi soutiennent-ils Samou, un
camarade d'école et un membre du même groupe q~ieux. Samou est
peut-être pauvre matériellement, mais il est riche de la somme
de connaissances dont il a bénéficiéeau contact de la civilisa-
tion européenne. C'est donc l'occasion pour eux de barrer la
route aux pratiques d'une coutume désuète. Ils sont décidés à
s'opposer, contre vents et marées, à ce mariage qui fera le mal-
heur de Kany, à les en croire :
"Est-ce un mariage ou un esclavage ? •• Je vous l'ai
mille fois dit : il faut absolument flanquer toutes ces moeurs
par dessus bord. Oui!
Cette situation que nous faisonsà la femme nous met-
tra éternellement en état d'infériorité à. l'égard des autres
peuples. Oui 1
Flanquons toutes ces coutumes en l'air; libérons
la femme si nous tenons à vivre. Ces coutumes font notre faibles-
se. Si nous voulons vivre
il nous faut devenir un peuple fort.
j
C'est la femme qul~arrer la société. C'est elle qui la fait
progresser. Elle est le principal agent de l'émancipation. Dé-
barrassons-nous de toutes ces vieilleries ! ~oyonsun peuple
fort .•• " (1)
Va-t-on recourir à l'arbitrage de maman Téné qui est
après tout la mère de Kany ? La coutume et les bonnes manières
en usage depuis la nuit des temps imposent à la femme de se tai-
re ; silence et soumission tel doit être son bréviaire. Ecarte-
lée entre ces deux camps antagonistes, elle ne sait plus à quel
saint se vouer. Aussi ne sera-t-elle pas d'un bon recours pour
sa fille désemparée.
Alors, Birama et Kany laissent clairement entendre
qu'ils feront obstacle au mariage projeté par leur père. p~ur
briser cette velléité de~désobéissance, le père Benfa croit avoir
trouvé une solution efficace : il enverra ces deux fortes têtes
,-
au village natal auprès de son frère aîné Djigui. Là ils feront
orage : Op. ,1.t. page 60.

j
"
~....
402
(il n'est jamais trop tard) leur apprentissage de la vie et des
conceptions tr,aditionnelles encore intactes dans la brousse
africaine. Toutes ces choses que le blanc dans son école s'éver-
tue à leur faire oublier sinon mépriser. C'est le départ pour
l'exil.
Au village donc, Birama et Kany vaent battre le
pouls de l'Afrique dans ses êtres et ses animaux, ses chants et
ses danses profanes ou sacrés. L'oncle Djigui prend à coeur la
tâche de guider et de rendre instructive "la descente aux en-
fers" des deux jeunes Orphées nègres. Aucune passion excessive
chez l'oncle Djigui. Cette modération, qui contraste avec l'at-
titude du père Benfa, cette lucidité d'esprit, il les doit à son
expérience de vieillard africain et un peu au contact franc et
direct avec l'infirmier. En effet, "Tiéman le soigneur" qui a
séjourné en Europe et qui est à même d'apprécier les qualités
et défauts de la civilisation occidentale, symbolise en lui le
mariage des cultures. Selon lui, il ne faut ni "flanquer par
dessus bord" la civilisation africaine, ni tout épouser de la
civilisation européenne. Il parle de complémentarité en des ter-
mes touchants qui finissent par ébranler Birama et Kany. De son
côté, l'oncle Djigui, au moment du retour des deux citadins à
la ville, écrit une lettre significative au père Benfa allant
dans ce sens. Ce
dernier s'incline enfin.
Voilà les deux camps renvoyés dos à dos. Les jeunes
font le premier pas et la tension baisse. L'heure est alors à
la réconciliation. Chacun souhaite de tout coeur que la paix,
un moment troublée règne de nouveau et pour toujours entre jeu-
nes (espoir de demain) et aînée (facteurs de stabilisation).
Dans ce roman, le ressort de toute l'action dra-
matique se trouve dans la violente antinomie entre les concep-
tions des jeunes et des vieux. Il en résulte des affrontements
perpétuels entre les deux générations tant que chacune reste fi-
gée dans son raisonnement et s'accroche à "sa vérité". Parmi
les pommes de discorde, l'auteur a choisi d'illustrer principa-
lement le problème de l'école et les conséquences qu'entraîne
l'instruction; la dissension à propos du mariage et enfin l'at-
titude à adopter vis-à-vis de la cputume et de la tradition an-
cestrales. L'amour KanY-Samou n'est en définitive qu'un thème
bien secondaire; il n'a servi que d'élément catalyseur à
1

~.,.'U_;.. ~ ":.~",, ... '.-"H...-:.....
.... :;.
403
l'antagonisme entre deux générations.
Le père Benfa se réjouissait auparavant d'avoir eu
de l'intuition en envoyant tous ses enfants à l'école (à l'ex-
ception de Sibiri l'aîné qui devait perpétuer la tradition).
Il s'en félicitait surtout en regardant sa fille Kany dont il
aurait voulu faire le point de mire de tout le quartier. Il la
vantait dans tous les lieux de causeries entre vieux.
"Il leur disait comment elle savait manier l'écritu-
re du blanc et avec quelle facilité elle savait lire
les lettres d'où qu'ell~vinssent. De temps en temps,
il la faisait appeler devant la mosquée, et là, au
milieu de ses compagnons, lui taisait lire et tra-
duire tout ce qui lui passait par la main. Alors,
d'un ton mystérieux, il disait:
- Elle sait lire ce qui est écrit par la machine".(1)
Mais il vint petit à petit à changer d'avis lorsqu'il
vit sa fille s'afficher en public avec les garçons à la manière
des Blancs. Ce qui est en violation flagrante avec la coutume
qui voulait toujours couvrir d'un voile de pudeur toute manifes-
tation sentimentale de ce genre. Bien plus : il en vint
à parta-
ger le point de vue de Fadiga le muezzin.
"lequel disait à qui voulait l'entendre que l'école
était l'ennemie de la famille. Le muezzin ajoutait
que les filles qui fréquentaient ce milieu cherchent
à tout résoudre par elles-mêmeset que certaines vont
jusqu'à vouloir se choisir un mari r
- Ma fille à moi ne verra jamais les portes de ce
lieu, concluait le muezzin en crachant sa cola et en
se tapant sur les cuisses". (2)
Il ne fait aucun doute que le romancier, dans son
intime conviction, pense avec Danton et les révolutionnaires de
(l) Sous z.'omge : Op. Cit. page 21.
(2) Ibidem ~ page 22.

·"t; :r"
404
1789. que l'instruction est, après le pain, le plus grand besoin
du peuple. Mais dans ce roman ni les jeunes, ni les vieux ne
sont ses porte-paroles dans les propos qu'ils tiennent sur l'ins-
truction. Cette attitude mitigée est due selon les critiques de
la littérature africaine, au fait que le roman a été écrit du-
rant la jeunesse de l'auteur. En effet, il faudra attendre treize
ans avec la publication du second roman de Badian pour voir se
préciser son intention.
Dans Sous Ibrage donc, il écrit que "Bien souvent à
propos d'école, de vaccination ou d 1 autre chose, les
jeunes n'étaient pas de l'avis des anciens et, s'ils
ne manifestaient pas leur désaccord bruyamment, c'é-
tait par égard ou simplement par crainte de repré-
sailles." (1)
Et l'auteur de citer des exemples concrets à prop06de quoi les
points de vue des deux camps demeureront longtemps inconciliables
"~ls (les jeunes) r.aient entre eux et poussaient des
exclamations parfois irrévérencieuses lorsque le père
Benfa disait que les tourbillons rouges charriaient
des graines de maladie ou que la rareté des pluies
étaient la réponse.divine à l'inconduite de la jeu-
ne génération. Ils riaient lorsque le père Benfa
faisait des offrandes pour conjurer le mauvais sort
en période d'épidémie.
De l'autr~ côté, le père Benfa et Sibirlriaient éga-
lement quelquefois. Ils riaient lorsque les ~unes
leur disaient que les maladies étaient dues à des
êtres, si petits qu'on ne pouvait les voir à l'oeil
nu.
- Et comment les as-tu v~ toi, petit
menteur? dit
un jour lE ~ère Benfa à Birama". (1)
Cet échange de propos a parfois des conséquences imprévues
"Ils riaient lorsque Birama refusait de boire dans la
,
,~
(1) Soue l'oPage : op. Cit. ~ page 25.

",
405
calebasse d'eau commune parce qu'elle contenait ces
maudits
petits êtres. Un jour, Birama reçut un
soufflet pour avoir dit qu'il n'était pas prudent
de manger a plusieurs dans le même plat." (1)
Le thème du mariage, de tout temps, a préoccupé les
écrivains. Il a donné du mordant à maintes pièces de Molière, de
Marivaux et de Beaumarchais. Des soirées récréatives de Pont y à
nos jours, on le retrouve constamment dans le répertoire théâtral
de nos dramaturges. Quant aux romanciers africains, ils ne sont
pas demeurés insensibles à la question. Ils ont souvent eu l'oc-
casion d'exprimer leurs points de vue, qu'il s'agisse:
- de la dot à verser (ex : dans Tante Bella de
Guillaume Oyono-M'Bia,
- du choix de l'époux (ex : dans Maimouna de Abdou-
laye Sadj i ) ,
- des problèmes de ménage (ex: l'abandon de la de-
meure conjugale par l'épouse dans Mission terminée de Mongo Beti).
Seydou Badian n'innove donc pas dans ce domaine, mais l'intérêt
principal, dans son roman, réside dans l'illustration qu'il fait
des antagonismes qui ne manquent jamais de naître à propos de
ce problème. Ici l'affrontement a lieu entre jeune et vieille
générations dont les conceptions du mariage sont diamétralement
opposées.

Nous en avons une scène typique dans l'entretien
Sibiri-Birama. Obéissant toujours à la tradition, le père Benfa,
après avoir reçu le consentement (indispensable) de ses propres
frères, charge son fils aîné Sibiri de communiquer la nouvelle
à ses cadets ... à titre d'information.
"La main de Kany vient d'être accordée à Famagan ;
père me charge de vous transmettre la nouvelle et
de vous pemettre ces quelques noix de cola". (1)
Lorsque les aînés prennent une décision, les jeunes
n'ont généralement pas d'objection à 'apporter. Aussi Birama va-
1
t-il choisir cette occasion pour exprimer à son père (à travers
son envoyé qu'est Sibiri) son opposition au mariage de Kany avec
Famagan.
(1) Sous 7, 'orage: Op. Cit.~ page 25.
f1/\\ ffJ.t,~
~ ~O
J

l ~ ~ ;-, ·r·--
406
A propos du choix de l'époux, Birama déclare que
"Ce mariage fera le malheur de Kany ; c'est pour ce-
la que je suis contre. Notre soeur n'aime pas Fama-
gan ; elle ne sera jamais heureuse avec lui. Et puis
il a déjà deux femmes." (1)
Au contraire pour Sibiri, porte parole de la vieille
génération,
"Que vient faire le point de vue de Kany dans cette
affaire? C'est nous qui décidons
comme il est d'u-
j
sage. C'est à Kany à suivre. Depuis que le monde est
monde, les rr.ariages ont été faits comme nous le fai-
sons.~ es trop petit pour nous montrer le chemin".(2)
Le ton monte un peu plus, lorsqu'il s'agit de dot.
Plusieurs auteurs africains ont eu l'occasion de nous révéler
que la dot, dans sa forme traditionnelle, était un symbole. Ges-
te symbolique en effet, elle traduisait le contrat, le pacte
qui allait lier désormais deux familles ou même deux clans. Mais
depuis l'arrivée des Européens et l~ntroduction de l'économie
1
monétaire en Afrique, la dot s'est rapidement dépréciées.Aussi
Birama pense-t-il, dans le cas du mariage de Kany que
"Ce n'est (d'ailleurs) pas un mali'a ge,
:nais une ven-
te aux enchères. Vous agissez comme si Kany était
non une personne, mais un vulgaire mouton. Ce qui
vous intéresse, c'est combien vous en tirez. Vous la
livrez au plus offrant, et vous ne vous soucie~ plus
de savoir ce qu'elle devient." <3 )
Sibiri réplique
\\1
~
"Tu nous parles de l'argent qu'il nous a donné. Tu
t
1
saisql.f::,~en
f
avant Famagan nous vivioŒ et nous ne men-
1
dions (sic) pas. Et puis, il faut que tu sois Birama
!
1
i
l
pour croire qu'un homme puisse être assez riche pour
1
l
i
se payer une âme. L'argent symbolise l'effort que
i
fournit Famagan pour accéder à notre famille". <_)
(1) Sous Z. 'orage : Op. Cit. pp. 53 - fit et f/é-
, \\
f:2)(3) Ibidem - page 54
(4)
Ibidem - page 55
1

.~ .
407
Ceci explique toute la solennité avec laquelle les
anciens faisaient le mariage. Les aînés, dont Sibiri est ici le
porte-parde, avaient une haute idée de la famille. Avant l'arri-
vée des Européens, les familles se surclassaient, se singulari-
saient même par les actions d'éclat de leurs membres. On ensei-
gnait aux jeunes le' sens de la grandeur qui s/illustrait à tra-
vers les grands caractères et les actions sublimes : générosité,
bravoure, dévouement, vengeance, etc ...
Le devoir de mantenir intacte cette renommée justi-
fiait, voire commandait tous les sacrifices, même celui de la
vie. On concevait volontiers que l~ntérêt de l'individu soit
sacrifié à celui de la famille.
Disons à la limite que la gloire qui élevait l'un des
membres de la famille ou l'opprobe
qui l'abaissait, atteignai-
ent tous les autres. C'est pourquoi le mariag~) une fois de plus,
était l'affaire de teus : le gendre devenait membre affilié. On
ne devait donc rien laisser au hasard :
"Oui, (déclare Sibiri à Birama) nous avons le droit
l'..
d'imposer qui nous voulons à Kany parce que Kany a
quelque chose de nous : elle porte notre nom, le nom
1
de notre famille. Il ne s'agit donc pas d'une person-
.
ne, mais de tout le monde ... Le mariage n'est pas une
1
plaisanterie, il ne peut être réglé par ceux qui ne
'.
rêvent que de cinéma, de cigarettes et de bals ... " (1)
La déliq...l.escence des valeurs religieuses, la déprava-
tion des us et coutumes, sont autant de sujets de préoccupation
pour la société africaine à l'heure actuelle. Nos aînés en rejet-
tent généralement le tort sur la colonisation européenne qui,
dit-on, ~ commencé son travail de sape le jour où elle a con-
traint les jeunes à passer par son école. Le résultat, clament-
t-ils, c'est la dâi~uance juvénile dont la proportion ne cesse
d'augmenter avec le taux de scolarisation.
Le duo d'accusations mutuelles entre Sibiri et Birama
en porte témoignage :
(1) SOus Z'D'Page : Op. Cit. page 55

.,
400
"Je ne sais ce qu'on vous met dans la tête à l'école,
lance Sibiri. Mais vous nous revenez gâtés, insolents
et irrespectueux. Dans la rue, vous feignez de ne pas
voir les grandes personnes afin de ne pas avoir à les
saluer'! (1)
Le déracinement et au pis l'acculturation et l'assimi-
lation, voilà les principaux griefs que les aînés ont contre
l'école européenne.
"Je crois que tu as perdu la tête. D'ailleurs, tout
ce que tu viens de dire cadre bien avec votre condui-
te, à vous qui avez renié votre milieu, à vous qui
avez honte de votre origine, à vous qui ne rêvez que
d'imiter vos maîtres, les -Blancs". (2)
Le point de vue du personnage recoupe-t-il celui du
romancier ?
A première vue, nous ne pouvons répondre à cette ques-
tion. La suite de la joute oratoire entre Sibiriet Birama, qui
aurait pu nous renseigner
se termine d'une façon imprévue. Badian
j
recourt à un subterfuge littéraire pour mettre fin au dialogue
entre les deux jeunes gens :
"Birama s'apprêtait à huœr lorsquientra maman Téné.
- Qu'y a-t-il? Qu'y a-t-il encore? Demanda la maî-
tresse de maison. Vous, vous me ferez mourir de cha-
grin". (3)
1
N
- t
l
.
cier.
-
ous ne conna1 rons
e p01nt de vue du roman LU1-meme
1
i
que vers la fin du récit. Nous y reviendrons plus loin lorsque
1
nous ferons une synthèse. Nous définirons les idées forces qui
traversent l'oeuvre romanesque de Seydou Badian.
1
1
,
1
1
!
Dans Le sang des masques, le regard attentif et inqui-
R
1
siteur du romancier a su déceler les bouleversements sociaux et
!
1
f,

t:
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - --î
(1) Sous l.brage : Op. Ci t . page 56
l
(2) Ibidem - page 56
(3) Ibidem - page 57

409
économiques survenus (ou en cours) dans son pays7 à la suite de
l'ouverture brutale de l'Afrique aux progrès scientifiques et
techniques de l'Europe. Selon lui, ces perturbations atteignent
jusqu'aux structures sociales
des villages les plus reculés
de la brousse malienne~ sans épargner les villes~ il va sans
dire. L'esprit matérialiste, le profit à tout prix, qui ont pé-
nétré à la suite du progrès, sont autant de vices qui corrompent
les moeurs et dressent les individus les uns contre les autres.
Le long seJour de Bakari à la ville lui a forgé une
nouvelle mentalité : acquisition de certaines expériences, nou-
velle conception des êtres et des choses. Tel un néophyte au
sortir de son premier baptême, il va regagner le village à l'an-
nonce de la
mort de son père, la tête pleine des plus belles
illusions. Mais son élan est arrêté dès le premier contact par
un mur d'hostilités dressé par les Ton-dés (les jeunes de son
groupe d'âge), jaloux du citadin. Rapidement, la tension monte
entre ceux qui combattent le citadin au nom de leur propre égoïs-
me ou bien au nom
de ce qu'ils croient être nécessaire pour la
protection des moeurs du clan contre l'intrusion du modernisme,
et ceux qui le soutiennent au nom de la solidarité de ce même
clan~ Les vieux sont fatalement amenés à prendre position derriè-
re leurs enfants et protégés. Ils se scindent alors eux aussi en
deux camps antagonistes.
Les adversaires de Bakari sont ceux dont son arrivée
va éclipser la popularité (comme Namakoro devenu en l'absence de
Bakari le meilleur lutteur de la contrée) ou réveiller la jalou-
sie (comme Zantigui qui, contrairement à Bakari, était revenu
de la ville "les mains vides, mais intarissable de vilaines et
honteuses histoires. Il ne savait aucun métier". (1) A noter aus-
si le père de Zantigui, le cruel Bantji qui passe pour détenir
un terrible pouvoir.
Le "citadin" est assuré néanmoins du soutien incondi-
tionnel des membres de sa famille, de certains compagnons de son
défunt père et bien sûr de Nandi sa Ton-mousso, c'est-à-dire,
"la jeune fille qui a choisi en lui l'ami et le protecteur, afin
de se conserver intègre jusqu'à son mariage". (2)
(1) Seydou Badian : Le sang des m:lsques : Op. Cit~~ page 32.
(2) F. Lamberot~ "Le sang des masques de Seydou Badian" in Arts et Lettroes - Sup-
pUment du Soleil nO 2101 du 22 avroil 1977~ page 2.
.

4JI:O
Bakari brise la cabale montée contre lui en infligeant
une sévère correction à Zantigui et à Namakoro : il les bat l'un
après l'autre, publiquement à la lutte. Bantji recourt alors aux
procédés les plus sordides pour le faire périr afin de venger
l'avanie fait à son camp. Il sera lui aussi tenu en échec par
les partisans de Bakari.
La conscription va mettre un terme à ce premier conflit.
Les ~unes se trouvent réconciliés face à ce fléau du régime colo-
nial qui vient bouleverser la physionomie du village : partent
souvent pour ne plus revenir les jeunes? les plus robustes et
les plus sains. Ils constitueront des contingents pour l'armée
des tirailleurs ou des équipes de bénévoles pour les travaux for-
cés. Nandi, promise au commis Amadou, a quitté~ elle aussi, le
village après son mariage, dans l'espoir de fonder un foyer et
de mener une vie heureuse à la ville.
Le second volet du roman s'ouvre donc sur la ville.
Nandi, la villageoise à la candeur naive et Bakari, le paysan
à l'air benêt, réussiront-ils à conserver leur pureté d'âme ou
vont-ils se laisser vaincre et happer par le tourbillon que cons-
titue lurbanisation ? Tel est le dilemme ou si l'on préfère le
second conflit marquant dans Le sang des masques.
Bakari, on s'en souvient,
avait essayé au courode
son premier séjqur, de se faire intégrer dans cette société aux
multiples facettes qu'est la ville. Il avait traîné dans toutes
sortes de milieux, tenté au petit bonheur toutes sortes de petits
métiers avant de finir par devenir apprenti chauffeur. A son
tour, Nandi est confrontée à ce "monde de mensonge, de tricherie
et d'hypocrisie". Elle refuse l'amitié intéressée de ses "voisi-
nes" lorsqu'elle découvre avec ahurissEment que ces femmes qui
affectionnent les toilettes chères, se livrent pour les obtenir,
au commerce de leur chair. Alors ces épouses aux moeurs décousues
réussissent à dresser un mur d'incompréhension entre elle et son
mari. Amadou, initié déjà à tous les vices de la société moderne,
(proxénétisme, goût effréné du luxe), se laisse entraîner par
Ali un commerçant concupiscent, en outre passé maître dans l'art
de faire des malversations ; il descend insensiblement au bas de
l'échelle des valeurs humaines et lorsque Ali est arrêté, celui-
ci menace de le dénoncer comme son complice. Nandi est au bord
du désespoir. C'est alors que survient Bakari qui a terminé son

4n
service sur les chantiers de travaux forcés. Il est décidé à
tout pour sauver Nandi en reconnaissance du service que sa Ton-
mousso lui a rendu au village. Bakari se livre à une étrange
séance d'exorcisme devant des masqués ancestraux qu'il a rap-
portés du village, pour invoquer la protection des mânes sur
Nandi et son mari. Et pour mettre fin au chantage qu'Ali exerce
sur le couple, il attentera à la vie du corr~erçant en poignar-
dant ce dernier dans sa prison. De nouveau, le sang va couler.
A côté de la tendance favorable à la tradition, à la-
quelle nous consacrerons tout un sous-chapitre, l'intention mora-
lisatrice de Seydou Badian qui ne fait aucun doute, se précise
davantage dans ce second roman: l'homme sage est celui qui res-
te chez lui pour cultiver son jardin. Après avoir exposé quel-
ques motifs qui conduisent les villageois à la migration vers
la ville, l'auteur s'attache longuement à décrire ce que cette
dernière représente de danger pour eux et pour l'Africain tout
court.
Fille de liadminist~ation coloniale, parfois créée de
toutes pièces, souvent implantée
à dessein dans les villages de
ceux qui ont composé avec le Blanc, la ville est considérée par
les gens restés à l'écart du progrès mais aussi des bouleverse-
ments spectaculaires, comme une ennemie qui broie impitoyable-
mnt ceux qu'elle attire dans ses tentacules géantes. C'est du
moins l'avis de Seydou Badian, et non celui de Sidiki Dembélé.
Les motivations qui poussent les villageois vers la
ville sont diverses. Nul doute que leurs aspirations soient lé-
gitimes : les progrès scientifiques et techniques ont provoqué
l'essor des villes et le dépérissement des villages. Ils seront
de plus en plus nombreux ceux qui vont s'expatrier pour vendre
la force de leurs bras. Pour le père de Bakari par exemple, son
fils:
"doit se rendre dans la grande ville, prendre le pas
convenable aux pistes nouvelles. Faire marcher les au-
tos. Il sera utile au blanc. Il connaîtra de nombreu-
ses villes, de nombreux villages.(l)
(1) Le sang des masques
Op. Cit. - page 90.

412
Kanga Koné dans Les inutiles, est attiré lui aussi
par la ville,mais pour d'autres motifs.
Mais le romancier crée aussitôt la controverse en
mettant ces propos dans la bouche de la mère de Bakari :
"La vieille détestait la ville. Si Bakari y avait mis
les pieds, c'était parce que le vieux avait décidé
sans elle ... (Après avoir analysé le comportement de
ceux qui y ont séjourné elle conclut). Au demeurant,
les anciens l'avaient prédit: "La ville gagnera le
village et tout sera forêt de·pierre". Des hommes
s'armant du mensonge pour mieux vivre ... En ville, la
parole n'était-elle pas artifice et appât ?" (1)
Hélas, rares sont ceux que cette sagesse des anciens visite.
Ceux qui ont séjourné un temps à la ville reviennent avec de
"beaux habits" et parlent "des délices de la ville" aux jeunes
démeurés au village. Ces derniers sont alors tentés par le démon
de l'aventu:ee
"la fièvre du départ, au fil des jours:; s'insinuait
dans les coeurs. On fréquentait Zantigui. On le har-
celait de questions, on buvait ses pacoles. Il deve-
nai t un dieu. (2)
Cependant, la menace proférée par les anciens n'est
pas vaine. La ville en effet, est belle et bien une "forêt de
pierre" oa s'affrontent les intérêts les plus contradictoires,
l'individualisme le plus abject, oa l'homme est quotidiennement
piégé par l'homme. La ville n'est aussi "qu'artifice et appât"
"Nombre de jeunes, revenus de la ville avec ce port
accompli, s'étaient révélés des riens confrontés à
ceux n'ay;ant jamais franchi les limites du terroir.
(1) Le Bang des masques : Op. Cit. - page 33
(2) Ibidem - page 27
1

413
La ville, nul ne l'ignorait, était mollesse et per-
dition'! (1)
Bakari Kamian, dans une étude de géographie urbaine,
explique les causes de llexode rural: "Durant la guerre, les
dizaines de milliers dè cultivateurs avaient été mobilisés.
Une fois démobilisés, la plupart ont préféré rester à la ville
où les conditions de vie sont moins dures qu'en brousse. Ils
se firent gardes de cercle, agents de police, gendarmes auxiliai-
res, aides-infirmiers, plantons, facteurs, gardiens de magasins,
acheteurs de produits de traite au compte des grandes sociétés,
chauffeurs, cheminots, maçons, artisans, etc ... " (2)
Mais l'exode d'autres paysans, tel Bakari lors de son
premier seJour à la ville, est motivê par des causes économiques.
Si la conscription et les prestations diverses ont pris fin avec
la guerre de 1939-45, la France et ses colonies sont sorties
affaiblies de l'épreuve. Les impôts
vont devenir plus lourds,
le nombre d'imposables par famille va augmenter. Le paysan devra
vendre jusquaux trois quart de sa récolte pour pouvoir s'acquit-
ter de ses impôts ; prêter quelques kilos chez le voisin plus
fortuné en promettant de rembourser à la prochaine saison des
pluies ; sacrifier une partie de sa volaille ou de son cheptel,
etc ... En désespoir de cause, nous dit encore Bakari Kamian,
lire cultivateur n'a d'autres ressources que l'immigration sai-
sonnière ou définitive à la ville. Ils (les paysans) sont sûrs
en ville de compter sur la générosité d'un ~arent ou d'une an-
cienne connaissance du village. Ils y restent pour pratiquer,
lorsqu'ils ne sont pas travailleurs spécialisés, la profession
très répandue de manoeuvres, hommes à tout faire. A la ville,
le paysan prend davantage conscience de sa misère. Après avoir
économisé de quoi payer ses impôts, acquitter ses dettes, régler
la dot de sa fiancée, s'acheter quelques vêtements en toile
qu'il ne portera qu'à l'occasion des fêtes, une charrue s'il lui
reste de l'argent, une bicyclette, du sel et quelques-uns des
multiples produits que le commerce européen étale quotidiennement
sous ses yeux, il regagne la brousse à l'approche des pluies et
des cultures. Il retournera à la ville à la fin de l'hivernage
(1) Le sgngdes masques : Op. Cit. page 27
(2) Bakary Kamian
: Une ~tude de g~ographie urbaine : "La viUe de San et
ses environs. Thèse présentée à la Sorbonne en 1967, inCahiers
d'OUtremer. Bordeaux - page 19.

:r:,:~
.
4I4
quand sa
récolte sera rentrée au village. (1)
L'auteur nous dit aussi que ceux qui, comme le Bakari
du sang des masques ont fait un premier séjour avec quelque
profit, reviennent à la ville mieux avertis. "L'expérience de
son premier séjour lui aura
appris, écrit Badian, qu'il a inté-
rêt à se spécialiser dans un métier défini, s'il veut gagner
beaucoup d'argent. L'apprentissage peut durer plusieurs années,
jusqu'à une dizaine chez les chauffeurs...
(2)
Mais la plupart des rcmanciers, tel l'auteur de Une
main amie ou Seydou Badian lui-même, critiquent l'exode rural.
Ils l'assimilent à un processus de dégradation. C'est comme si
t
l'individu qui partait du village coupait par son geste le cor-
don ombilical qui aurait dû l'alimenter toute sa vie ':
1
j oie de
vivre, chance, succès, etc ... tout le quittera.
1
"Le village était moins des cases au coeur de la brous-
f1
se qu'une façon de marcher avec les autres". (3)
1
1
~
Abandonner le village et les siens, c'est rompre les
!
liens invisibles qui rattachent l'individu au reste de la com-
munauté, voire aux ancêtres enterrés dans la terre natale et
qui passent pour être des mânes tutélaires. Bakari en a fait
l'amère expérience
"Comment oublier les premiers pas du villageois ...
Les outrages subis, les humiliations vécues? Injurié,
malmené par tous ceux qui, vêtus à la manière du blanc,
parlaient quelques mots de sa langue ou simplement che-
vauchaient une bicyclette. Fuyant les grandes places,
rasant les murs et pris de frisson
quand il ne pou-
vait éviter un de ces grands"!
(4)
(1) Ba1<ari Kainian : San et ses environs. Une ~tude de géographie urbaine.
Mbloire pr~senté à la Sorbonne en 1959, page 20.
1
( 2) (y Le Sang des masques : Op. Cit ., page 248.
i
(4) Le
1
Sang des masques: Op. Cit., page 245
1
1
f,
1
i

4I5
La ville, on le voit, est considérée par le romancier
comme un rassemblement hétéroclite d'individus venus de tous
les horizons; un conglomérat d'hommes ayant perdu leur foi et
même leur âme. Ils sont, dit l'auteur victimes d'un phénomène
"Le vertige du nouveau~ Il dévorait les hommes comme
l'acide les habits". (1)
C'est la raison pour laquelle tous leurs comporte-
ments
sont en contradiction avec les valeurs morales et soaales
de leurs tribus d'origine. Ne serait-ce pas les dieux bafoués
qui auraient envoyé à la ville les vices qui l'entachent telles
les dix plaies d'Egypte envoyées par Dieu pour punir Pharaon de
son incrédulité et de son arrogance envers Moise ?
Comme les persans de Montesquieu à Paris, Seydou
Badian fait vivre ses deux paysans (Bakari et Nandi) dans la
ville. A travers leurs regards scandalisés, le romancier analy-
se quelques-uns des maux dont souffre la société citadine :
"Puis, le patron, la grande leçon et l'ahurissement
découverte du vrai visage des choses ! Ces chefs sans
leur armure (les habits et les mots) étaient bien
moins que lui. Dire que Bakari tremblait à leur appro-
che! Misérable ... Le mensonge, la couardise, la chas-
se aux joies faciles et sales , la vertu du bruit, la
puissance du vent, le verbe abâtardi édifiant des
fortunes ...
Quitter les siens pour les rires faux, les amitiés
traltresses, les chaleurs sans feu et les fausses
lueurs !
... Tous de sales types ... Ces grands des grandes
places, ces grands des grandes cases, ces grands des
grandes pistes à la lumière de leur faux soleil!
Quand ils seront en nombre, que deviendra le village?
f
Déjà, pour eux, iJ êtait une termitière souillée."(1)
J
(1) Le sang des masques: Op. ctt., page 245
1
(1) Ibidem, page 245

4][6
,
Et Badian illustre par des exemples ce qui: Souille la:~;~,
-~ .
'"
ville : La débauche, la déshumanisation de l' homme,i :sa·; cupidité,
etc ...
La prostitutiôn est une fille de la ville affirme le
romancier. Sous prétexte de l'initier à la vie citadine, la
voisine de concession de Nandi entraîne cette dernière à sa sui-
te dans les milieux de sa fréquentation. La villageoise va fai-
re connaissance avec le genre de vie mené par les femmes de la
ville dont le groupe se dénomme "Soyons gaies". D'abord les
lieux tels qu'ils se présentent aux yeux de Nandi
"Une vaste cour vide, inquiétante. Des cases obscures,
muettes, cl.ses et mornes. Une vieille solitaire filant
1
du coton sou l'unique manguier non loin du puits. (1)
En quelques mots, l'auteur parle du proxénétisme,
mats"s'attarde sur l'initiation manquée de Nandi pour fa:i.:re- res-
&QPtlr par ce procédé sa pureté morale. Salimata qui a tout ma-
nig~hcé à son insu, l'installe sur un escabeau ei lui dit d'at-
tendre. Quelques temps après un homme se présente à Nandi
•.• "Ma petite, la ville est la vie, la v~aie. Chez
vous, on vient au monde pour attendre la mort comme
une feuille tombée de l'arbre. Il faut comprendre. La
chance te conduit. Cela n'arrive pas' tout le monde".
Ce lais n'ayant produit aucun effet sur Nandi., l' homme changea
de méthode :
... "Brutal, Ali l'attira à lui et la renyersa. Nandi
se débattit avec rage ... Ali ne souriait plus. Dur,
brutal, il lui saisit le poignet, se débarrassa de
t
son boubou et la renversa de nouveau. Nandi se débat-
tit avec plus de violence. Une lutte féroce. Ali trans-
pirait. Nandi ,gémissait. Soudain, Ali lui arracha ses
1
pagnes, son bou)~où, la découvrit nue avec une camisole
juste à la taillet .. )
~:

... Nandi hurla, s'élança vers la sortie et attei-
gnit la cour. Curieusement, la maison s'anima. Les
portes s'ouvrirent. Certaines prudemment, d'autres
avec fracas. Des têtes surgirent fouillant la cour
avec précaution. Deux femmes nues, un paquet de pa-
gnes sous le br~s, coururent vers la véranda.
Salimata parut; un minuscule pagne à mi-cuisses,
rattrapa Nandi, la gifla et la traîna" .. (1)
L'auteur réussit là aussi un autre tour de force
celui de suggérer par de courtes ptrases ce que d'autres di-
raient dans un long discours : à savoir ce ~ue les "deux fem-
mes" et Salimata viennent faire en ces lieux. Il nous dit seu-
t
lement qu.' elles sont ,t'nues") qu'elles ont un Ilminuscule pagne
à mi-cuisses", ou qu'elles ont "un paquet de pagnes sous le
bras". On comprend aisèment qu'elles sont venues là pour s' adon-
ner· ";'
en cachette au commerce de leur chair.
Devant Nandi, ahurie, Salimata va se livrer à la lé-
gitimation de sa conduite. Le discours est digne de Balzac: il
nous rappelle Vautrin qui s'évertue à inculquer des leçons de
conduite à Ratisgnac afin qu'il sache comment réussir dans cet-
te société impitoyable
pour les faibles et les honnêtes gens.
"Deux points blancs aux commissures des lèvr'es, des
éclairs dans les yeux, Salimata suffoquait. Elle vint
à une co~dée de Nandi, prête à se jeter sur elle.
- Tu n'arriveras jamais à rien
Je sais ... Tu es ma-
riée. C'est cela, petite sauvage! Le mari f Les hom-
mes, je les connais cent fois mieux que toi f Pense à
lui f Ne pense qu'à lui f Consacre-toi à lui, rien
qu'à. lui. Il te le rendra un jour, imbécile! Sais-
tu ce qui t'attend? Je vais te le dire. Quand ces
seins tomberont, quand ces yeux n'auront plus l'éclat
d'aujourd'hui, lorsque ce visage desséché perdra sa
!
lumière f Alors, lui le mari, prendra une de dix
f
huit ans, riche de tout ce que tu êur~s perdu. Une
coépouse pour se consoler de ta déchéance et récom-
penser ta fidélité. Alors dans ta case s'installeront
1
l'ombre et le vide f Bien beau d'ailleurs, s'il
(ï) fe-:!ang des masques: Op. Cit. - page 176.

4]8
accepte de te garder ... A mon premier maître, j'ai
donné deux garçons. Un jour, une je~ne fille s'est
montrée. Ses conditions: jamais deux. Et me voilà
dans la rue. A présent, j'ai compris. Je prépare mes
vieux jours. Petite sotte! C'est parce que ton genre
existe que les hommes nous piétinent. Lave-toi la fi-
gure et partonê
"(1)
Contrairement à ce que croyait Salimata~ "la villa-
geoise" ne laissera pas sa conscience tremper dans la bassesse.
Le mépris dont Nandi couvre la prostitution, est la preuve que
l'auteur flétrit cette institution qui ronge nos villes. Le
phénomène est généralisé dans toutes les villes africaines et
préoccupe donc tous les gouvernements de nos états nouvelle-
ment indépendants, écrasés par le poids de multiples problèmes.
Ces problèmes, on le sait, se résument par le sous-développe-
ment qui se caractérise par le chômage ou le sous-emploi; la
concentration démographique dans les centres urbains entraî-
nant la promiscuité; l'inflation galopante des prix des marchan-
dises d'importation et la dépréciation constante de ceux des
produits qu'offrent nos artisans.: pêcheurs, pasteurs et paysans.
Situation alarmante qui a engendré un phénomène non moins in-
quiétant : la prostitution~ sur laquelle se sont penchés nom-
bre de spécialistes délégués par nos gouvennements et les ~rga­
nismes
internationaux et qui a récemment donné lieu à une en-
quête de l'équipe de Famille et Développement.
"Les formes que revêt la prostitution en Afrique sont
multiples. A côté des professionnelles affichées, il
existe une multitude de femmes qui tirent leur prin-
cipal revenu du commerce de la chair, ou qui retirent
des "extras" de cette pratique. Ce sont
~
- des mères célibataires, divorcées ou veuveSqui,
pour payer leur loyer, assurer la nourriture et la
1
scolarité de leurs enfants, se p~ostituent à l'occa-
sion ;
- des femmes mariées dont le mari "oublie" trop sou-
1
vent de remettre la dépense quotidienne ;
- des "bonnes" dent le salaire mensuel est juste suf-
fisant pour ,p~yer le loyer qu'elles partagent avec
d'autres et pbut" s'acheter le strict minimum;
'l'
(1)
Le sang des .TTr1.sques:
Op. Cit. - page 178.

.4I9
- des élèves ou étudiantes, des petites employées de
;
;
l'administration ou du secteur privé et m~me ges
l
" .
l i '
"
"grandes dames!' qui se prostituent à l!\\'~çc~~~on pour
s'acheter ou se faire offrir le bijou, les chaussures
ou le boubou dernier cri, que les parents, leurs mai-
gres ressources ou leur époux ne peuvent leur offrir. 1I
Ce groupe, continue l'équipe d'enquête de Famille et
Développement, bien sûr, est invisible. Ces femmes ne traînent
pas dans les rues et les bars, elles ne vont pas toujours avec
n'importe qui. Pourtant, elles se font rémunérer le plaisir
qu'elles procurent.
"Des jeunes femmes se prostituent pour constituer
leur dot (Ghanéennes qui vont en Haute-Volta ... En Algérie, les
femmes de la tribu des Ouled Naïl)".
Lors de la grande' sécheresse des années 1972-73, beau-
coup de femmes nomades se sont prostituées pour survivre dans
les camps d'hébergement installés près des villes •..
Des filles se prostituent afin de pouvoir payer leurs
études.
Les filles libres (constituent) une catégorie spéciale
de prostituées. Elles-mêmes ne se considèrent pas comme des pros-
tituées. La société tolère ce genre de femmes et ne les classe
pas dans la catégorie de !lfilles de mauvaise vie". Leurs noms
locaux sont "Drianké" au Sénégal, "Ndoumba" au Congo et au
Zaïre, "Veuves joyeuses" au Cameroun, "Maîtresses" en Côte-
d'Ivoire. Ces femmes célibataires, jeunes divorcées ou jeunes
veuves, se veulent émancipées des contraintes familiales et des
préjugés. De la société villageoise, elles rejettent toute con-
trainte pour n'en garder que les aspects sécurisants ... (1)
Aoua Keita, dans Femme d'Afrique, est arrivée à des
conclusions identiques. Elle nous parle des femmes de Gao
(1) Famille et D~veloppement - revue trimestrielle africaine d'~ducation.
nO 13, janvier 1978 - CRDI - DAKAR - page 14.
t
(

420
,{
.;
"
Et cette plaie qui s'étale ,dans nos villes est le
corollaire d'une autre: l'argent qui, selon Seydou Badian,
déshumanise progressivement l'homme africain.
Après le système du troc qu'ont connu toutes les tri-
bus africaines et l'or qui eut cours dans l'empire de Ghana, le
cauri a fait son entrée en Afrique Occidentale avec les marchands
arabes descendus du Sahara. Il servit longtemps de monnaie. Les
Européens i~troduiront l'usage de l'argent qui se révélera plus
pratique. Les cauris se déprécieront dès lors
ne servant plus
j
que de parures. Mais l'usage de l'argent ne fut rendu obligatoi-
re qu'après la deuxième guerre mondiale. Que pensent nos an-
ciens de largent ? Leur porte-parole dans Le sang des masques
est la vieille Tougayi, sorte de "bouffon du roi". Ces bouffons
constituent en Afrique une catégorie socio-professionnelle non
encore dissoute dans les villages et à laquelle la société tra-
ditionnelle permet toutes les licences. Ce qui autorise la vieil-
le Tougayi â dire dans une chanson improvisée :
"Le blanc est arrivé avec son argent,
Et l'argent a bâti un monde 'nouveau,
Monde étonnant, monde déroutant, voyez
Le lâche surclasse le héros ;
Le voleur est couronné roi,
La sottise règne, domine l'intelligence.
Plus de vertu.
ll'
k
Tout a fondu.
~
f
L'argent, l'argent, notre maître à tous.
l1
Les r~rtes fermées s'ouvrent;
Les femmes pures et nobles sont aux mains des voyous.
tf
L'argent, l'argent, magie du blanc !
1
Il ouvre les lèvres
Il ouvre les coeurs
1
Mais surtout il ouvre les cuis ... " (1)
i
Ce passage qui traduit bien le règne de l'argent, il-
f
lustre aussi une forme de conflit entre la tradition et le moder-
t
nisme. "Tout a péri, poursuit la vieille Tougayi. Largent du
t
blanc a tué le vieux monde ... Tout est décomposé en moi. Ceux
1
de mon âge ne sont plus que des fourreaux vides. A part les
l
-:-::----~-----------=------I
. (.1) Le sari{} des 'TTtlsques : Op. Cit. - page 198.
1
1

42'lT
billets, plus rien n'existe désormais". (1)
L'auteur a examiné aussi les conséquences pernicieuses
de l'introduction de 17argent dans la société africaine. Il a
rendu selon Seydou Badian~ l'homme de la ville cupide, veule,
menteur, voleur~ Il attise ainsi toutes les convoitises et cor-
rompt les moeurs par conséquence.
Seydou Badian en profite pour critiquer la propension
aux dépenses excessives de ses compatriotes. Certains dilapident
leur avoir par imprévoyance tandis que d'autres> par forfanterie,
mangent leur blé en herbe, puis se couvrent de dettes. Bon nom-
bre de fonctionnaires africains (ceci est plus vrai encore au-
jourd'hui qu'hier), confondent volontiers les fonds de l'Etat
avec le fond de leurs poches. C'est notamment le cas d'Amadou,
un simple cadre auxiliaire de l'administration. Le commis, en
plus de Nandi, veut prendre une deuxième femme. Pour les démar-
ches préliminaires, il avait donné aux cadets de May de la menue
monnaie,
et quelques billets aux coépouses de sa dulcinée.
Mais les dépenses ne faisaient que commencer :
"Huit jours après, Lanciné, un frère cadet de May, se
présenta à Amadou. Il lui fallait une bicyclette. Oh !
pas luxueuse~ juste pour l'école ... Puis encore Amina
les moustiquaires étaient usées jusqu'à la corde ...
Amadou fit parvenir à la "mère" quatre pièces de tis-
sus. Amina trépignait. Un trésor à sa portée ... " (2)
Puis voulant tirer profit au maximum, Amina présenta à Amadou,
son gendre, le commerçant Ali avec qui elle était de connivence
elle exigea du jeune homme qu'il ouvre un carnet de bons, qui
permettra à tout le monde de se ravitailler, .
La famille
était nombreuse, Amadou le savait. Il fallait simplifier les cho-
ses. Ce qui serait profitable pour tous.
"Ainsi tantes, oncles, cousins et cousines de May qui
défilaient chez lui, les dents de plus en plus longues
se virent inondés de cadeaux ... (3)
(1) Le sang des masques. Op. Ci t. - page 198
(2)
"
" O p . Cit. - page 209
(3)
"
"
"
"
210
1

422
"Amina en position de force doubla ses exigences.
Pour May, en plus des habits dont elle-même choisi-
rait les étoffes, il faudrait des bijoux, un ameuble-
ment neuf. Les mères au nombre de six recevraient
plus d'argent, des boubous, camisoles et ~agnes. Il
y aurait huit jours de festin. Du mouton et de la vo-
laille. Des cadeaux de valeur aux griots de la vil-
le '! •• (1 )
Le résultat de cette lamentable situation? L'auteur le décrit
plus loin, lorsqu'il nous livre les cogitations de son person-
nage
"Ali le dénoncerait. Il en était certain. ?eut-être
l'avait-il déjà fait, le fils de chienne! Les poli-
ciers sans doute le recherchaient. Non, non ses col-
lègues le lui auraient dit. Ah ! ceux-là, tous des
voleurs. Dire que lui seul serait pris. Sidiky, le
doyen, s'était constitué une fortune. Les bijoux de
ses deux femmes valaient plus que le profit que lui,
Amadou, avait tiré de son opération. Et Lancina? Une
maison à faire rêver un commerçant. Pourquoi lui et
pas tout le monde? ... (2)
Nous retrouvons dans L'ombre du passé une semblable histoire
..t'amour impossible entre "Missié Ali" et Marie.lssa'tR~i~rê-°s~r
la cupidité de la jeune fille. Nous y reviendrons.
Les problèmes que ces auteurs évoquent ici, ont, préoc-
cupé tous les africains conscients, après l'accession à f~indé­
pendance. C'est ainsi que sur le plan juridique on a pu consta-
ter au lendemain de 1960, que les pays africains avaient repris
le système européen légué par l'administration coloniale. Mais
un fait nouveau est apparu. Si les textes relatifs à l'organi-
sation judiciaire n'ont pas été abrogés, certains articles ont
'été profondément modifiés pour les adapter au contexte du moment.
En effet, après le départ du B.lanc, bon nombre de commerç?pts
et surtout de fonctionnaires, ont cru que les tâches nouvelleS
qu'ils étaient appelés à assumer impliquaient le "laisser raire"
et le "laisser aller". Le manque de conscience profesLJionnelle,
----~--~
----=......,---_.......-
(1) Le sang des masques. Op. Cit. page 212
(2) Ibidem - page 237

4,2:3
la concussiQP, les fraudes de toutes natures, se firent pr~ti­
ques courantes.
.0","
Ila\\f~llu réagir. L'africanisation de la législation
a consisté darislé~renforDement des incriminations et des sanc-
tions. Le Mali, comme les autres pays africains, a adopté une
politique criminelle en vue de la consolidation de l'unité na-
tionale et de la réalisation du développement économique : pro-
tection des ressources naturelles et minières ; politique agri-
cole et pastorale ; lutte contre le gaspillage (création du co-
de de la famille et du mariage pour enrayer les abus de la dot,
tels qu'ils apparaissaient dans les passages que nous venons de
citer. On a pu remarquer aussi un renforcement des sanctions
pénales pour protéger l'ordre public: réduction de la four-
chette
des peines mais élevation du maximum des sanctions à
appliquer. Surtout lorsqu'il s'agit de crimes et délits contre
la chose publique : exemple les vols, les détournements de de-
niers publics, la concussion, la corruption etc ...
D'autres romanciers, après Seydou Badian, se penche-
, .
ront sur le problème. Voyons le point de vue des "modernistes".
*
-
".f""·
* ~ : *
*
*
Certains romanciers, même s'ils n'approuvent pas la
façon dont s'est opéré
le contact Afrique-Europe, estiment que
le résultat est largement positif.
Pour eux, il ne s'agit pas de condamner le colonialis-
me, mais de tirer un meilleur parti de ce qu'il nous a apporté.
C'est ce qu'estime l'auteur des Inutiles.
Dans ce roman, sidiki Dembélé part en guerre contre
les marginaux, les "inutiles" qui grèvent la société af~icaine..
et freinent son développement économique et social.
Paris -1953- Le statut des colonisés s'améliorait sen-
siblement et beaucoup débarquaient dans la capitale française
attirés autant par la liberté et la justice qui y régnaient que
par la vie facile de cette métrcpole.

424
K~a Koné était du nombre mais pour d'autres raisons.
C'étaient certains côtés rétrogrades de la mentalité ~'fricai11.e
qui l'avaient révolté et contraint à quitter sa Côtt~~Î~oire
natale. Il fallait alors partir. Partir vers des horizons plus
clémenœou moins hostiles, vers d'autres pays et d'autres hom-
mes, là où sa susceptibilité déjà à fleur de peau ne risquerait
pas d'être écorchée à tout moment. L'armée coloniale cherchait
des recrues; il's'engagea; plus par opportunisme que par vo-
cation.
Après la démobilisation, il se fixa à Paris. Employé
comme comptable dans une importante société, il menait depuis
trois ans dans la capitale française, le train de vie du cito-
?:fen J~,0:Yen. Il s'était complètement adapté à cette existence lors-
qu'un beau jour surgit du fond de sa conscience, le problème
de3 re~ponsabilités de l'homme vis-à-vis de sa société. De quel-
le utilité était-il pour la France? L'Afrique au contraire,
n'avait-elle pas besoin de tous ses fils? Après quelques mo-
ments d'hésitation, sa résolution fut prise de
retouner au
pays natal, malgré tout ce qui l'y avait reQuté.
L'hôtesse d'Air France plaça Kanga Koné auprès d'un
autre africain q~ns lequel le héros reconn~brusquement Cissé,
le garçon tyrann;que qui, à cause des brimades qu'il exerçait
sur lui, lui av~it fait garder de mauvais souvenirs de sa jeu-
nesse à l' écàlè; primaire. ro1ais quatorze anzié-es aV.aient passé,
il fallait OÙbl.i~~ cela aussi.
.
Au cours de la conversation qu'ils échangèrent, Cissé
lui apprit qu'il rentrait de mission et était fonctionnaire au
Département des Eaux et forêts du Ministère du Développement
Rural. Kanga à son tour, se confia à son ami. Ses confidenc~s
portèrent sur son Pêlssé de garçon malchanceux qui, à seizeaI,'ls,
perdit son père
emporté par l'abus de l'alcool. Il vécut av~c
sa mère et sa soeur dans le foyer où tout manquait, jusqu~a.1J, t
strict minimum. C'est alors qu'il interrompit ses études et
accepta une place de commis aux écritures dans une maison com~
merciale de Séguela.
Il put ainsi subvenir aux besoins de sa famille dont
le nombre fut réduit à deux, lorsque sa soeur épousa un mara-
bout et rentra au village. L'avenir s'annonçait sousd'heureux

auspices car son patron qui l'avait en estime fut muté à Abid-
jan et l'e~ina avec lui. Il réalisait du coup le rêve qu'il
avait longtemps caressé : vivre dans la capitale ivoirienne,
au contact du modernisme et le seul lieu où il pouvait s'épa-
1
nouir, grâce à son éducation et à son instruction acquises sur
les bancs de l'école.
1
Dans son logement de Treichville, il prit une cham-
i
bre qu'il meubla avec goût, Il s'offrit tout ce qu'un fonction-
naire africain pouvait désirer et expédia régulièrement des man-
dats à sa mère restée à Séguela. En somme, il vécut comme un
blanc sans pour autant renier les notions africaines d'hospita-
lité et de devoirs sacrés envers les siens.
Mal lui en prendra. Sa soeur, épuisée par ses nom-

breuses maternités successives et réduite à la misère, revint
en famille, suivie de ses enfants et de son mari. Ce dernier
préférait de loin les méditations religieuses et les prleres,
à tout travail rémunérateur. Les dépenses de Kanga Koné s'ac-
crurent' d'autant. En un laps de temps, toutes ses économies
s'évanouirent. La solde ne suffisant plus, il eut recours aux
ft
avances de soldes et aux dettes pour faire face à ses nouvelles
1
charges. Celles-ci s'étaient alourdies, plus à cause des exi-
gences de sa famille, que des petits cadeaux qu'il offrait à
1
Astou, une jeune institutrice du quartier.
Son humeur et sa santé s'en ressentirent. Il résolut
de raisonner les siens et alla jusqu'à~~rouver un emploi pour
son beau frère auquel il vanta les vertus du travail. Ce fut
pure perte !
Et pour comble, tous les ressortissants de Séguela
qui arrivaient à Abidjan, se faisaient un plaisir de venir lo-
i,
ger gratuitement chez Kanga, leur compatriote. Ils y demeuraient
tout le temps de leur séjour. Coutume oblige
1
t
Le jeune homme se ruina à recevoir ses compatriotes
1
encombrants qui venaient à l'improviste, s'entassaient dans
l'unique chambre, transformée en salon, salle à manger et cham-
1
bre à coucher.

426
En plus de tout cela, certains exigeaient qu'on leur
offre des distractions comme le cinéma. Criblé de dettes, Kanga
Koné vit s'effondrer tous ses rêves d'avenir. L'instruction qui
avait fait de lui un privilégié, se révélait à présent comme
la source de tous ses malheurs. Plus qu'à ses frères de race,
c'est aux ~lancs que s'adressèrent ses récriminations. Pour-
tant en reprenant courage, il réussit à se débarrasser de tous
ses hôtes exigeants. La vie reprit son cours normal et il put
enfin songer à préparer son rn~riage.
Mais là aussi des surprises l'attendaient. Les pa-
rents d'Astou envisagèrent de la donner en mariage à un commer-
çant Dioula, vieux mais riche. Ils ne découragèrent pas pour
autant Kanga Koné car de nouvelles mentalités avaient commencé
à naître en Afrique: petit à petit, le mariage d'amour sup-
plantait le mariage d'intérêt. Kanga avait des raisons d'espé-
rer •... Jusqu'au jour où ses beaux parents découvrirent avec
scandale qu'il était un homme de caste. Pour ces êtresretran-
chés derrière la traditions le jeune homme, malgré son éduca-
tion et son instruction européenn€s~ malgré la fonction qu.' il
exerçait, était et demeurait à leurs yeux un descendant d'es-
clave, indigne de leur fille. Le pire était qu'Astou se pliait
à leur volonté et souscrivait à cette pratique rétrograde.
N'étant pas parvenu à la dissuader, Kanga considéra la situa-
tion comme désespérée et fit appel aux pouvoirs occultes d'un
marabout. Après avoir monayé ses services, ce dernier lui pro-
mit qu'Astou lui re~iendra dans les tous prochains jours.
Un mois passa
en vaine attente. LYespoir fit place
J
dans le coeur de Kanga à une profonde déception puis à une ré-
volte contre l'Afrique et ses traditions empi'~iques . De dépit,
il s'enrôla dans l'armée afin de s~loigner pour toujours.
Mais le temps qui efface les pires humiliations, lui
fit prendre en même temps conscience d'un autre fait: si sa
révolte était justifiée, la réaction qui l'avait suivie, l'é-
ta:i1relle ? lIse posa aussi d'autres questions: comme celle de
savoir si' la soc iété qu'il fuyait, pouvait 'se transformer toute
seule ? Ou bien encore : vu le stade de développement atteint
par la France, de\\ quelfe utilité étaient les africains qui ve-
naient s'y agglutiner? Lui, aussi bien que tous ceux qui

42'1
débarquaient à Paris pour des motifs plus ou moins fallacieux,
n'étaient-ils pas des égoïstes, des !Iinutiles" ?
L'Afrique avait donc un pressant besoin des bras et
des cerveaux de ses enfants. Pour réparer cette faute qui avait
été un reniement de soi-même après celui de son pays, Kanga Koné
décida de rentrer au bercail.
La deuxième partie du roman commence avec l'arrivée
de Kanga Koné au pays. Son avion attérit à Abidjan. Après une
absence de six ans, il fut agréablement surpris par les trans-
formations et autres installations modernes de la capitale ivoi-
rienne, qui méritait décidément le surnom de ville-champignon.
Le progrès se remarquait dans la transformation subie
par les rues, les places, les immeubles etc ... aménagement au-
quel l'évolution des mentalités emboîtait timidement le pas.
Il n'y avait jusqu'aux comportements de la "nouvelle génération
coloniale!l (nouveaux européens) qui ne changeât.
Le lendemain, Kanga Koné trouva beaucoup de sollicitu-
de auprès du Directeur du Service Social de la Côte-d'Ivoire,
auquel un ami commun de Paris l'avait recommandé. Il fut embau-
ché et trouva également un appartement à louer.
/
Au même moment, Cissé entreprenait à l'insu de son
ami, des démarches auprès
d'Astou, pour tenter de renouer les
liens rompus entre les deux amants. Le sort avait fait qu'une
semaine seùEment après 50~ mariage, le vieux Dioula décéda. Il
laissait sa jeune veuve dont aucun candidat ne voulait, à cause
d'une autre superstition. Celle-ci insinuait qu'une femme qui
avait perdu très tôt son mari, était marquée par un destin fu-
neste et portait malheur à tout homme qui l'approchait.
Cissé encouragea Astou à affronter la
tradition et à
braver la réticence de ses parents, réticence qui, selon lui,
disparaîtra au bout d'un an ou deux, car l'amour filial sera
plus fort que leur entêtement. Pour prouve~~~a ferme détermina-
tion; Astou déménagea le soir même chez Kanga Koné. Les retrou-
vailles entre les deux ex-fiancés furent émouvantes et ils déci-
dèrent qu'ils se marieront dès le lendemain matin.

428
Le récit que l'auteur nou~ fait ici se déroule au
sein d'une société Ouest-africaine. L'on pourrait bien rempla-
cer le nom d'Abidjan par celui de Bamako que l'intérêt demeure-
rait le même
tant les me~talités ici et là sont identiques, et
3
les réactions des individus les mêmes face aux problèmes abordés
problème du mariage, relations individu-société, etc ...
Analysant les thèmes abordés par l'auteur
: rre~
inutiles, un critique a écrit que ce roman "montre quels peu-
vent être parfois les inconvénients des liens de famille à carac-
tère trib~l, sur l'existence de l'individu pris isolément. (Le
roman explique également) comment les affres d'un personnage,
en proie à la malfaisance familiale, sont essentiellement dues
au dualisme de sa vie partagée entre les concepts occidentaux
et les impératifs découlant de la morale traditionnelle afri-
caine". (1)
En effet, après le problème des castes, les sujets
auxquels Sidiki Dembélé s'attaque sont celui du parasitisme
(pratique courante dans la société africaine), et celui des
émigrés africains en Europe.
Pour comprendre le'problème des rapports entrel'indi-
vidu et la communauté (que celle-ci soit étendue à la région,
au clan, ou qu'elle se restreigne à la famille), une petite
explication est nécessaire. L'introduction de la science et de
la technique de l'Occident et surtout l'économie monétaire, ont
provoqué la dégradation des valeurs sociales et l'effondrement
du système économique traditionnel. Seydou Badian aborde le su-
jet dans Le sang des masques.
Selon tous les romanciers qui l'ont évoqué, les struc-
tures sociales traditionnelles ont éclaté ; le chef du clan ou
de la grande famille ne porte désormais plus sur ses épaules la
responsabilité de la gestion des biens collectifs, nul ne songe
plus à travailler pour le profit de tous; bref, à l'esprit com-
munautaire a succédé llindividualisme. C'est ainsi qu!à la mort
(1) Léonard Sainville : AnthoLogie de La Uttératul'e négro-africaine.
Op. Cit. - page 49.

429
du père de Kanga Roné, la famille réduite à la mère et à ses
deux enfants, vécut dans une misère extrême. Aucun membre de la
communauté ne songea à leur apporter la plus petite aide maté-
rielle ou même morale. La mère fut contrainte un jour de vendre
jusqu'à ses boucles d'oreill~pour avoir de quoi se mettre sous
les dents.
Donc actuellement en Afrique, chaque famille (réduite
souvent au ménage et à ses enfants) est obligée de vivre du fruit
de son travail. Ceux qui savent exploiter leur force physique
ou leurs ressources intellectuelles mieux que les autres, tirent
de plus grands bénéfices: qu'il s'agisse de la quantité de ré-
coltes, du nombre de têtes de bétail, de l'argent gagné dans le
commerce, dans le travail à l'usine, au chantier ou au bureau.
Très vite, la masse populaire eut les yeux tournés
vers les intellectuels, agents de l'Etat colonial. Des yeux d'en-
vie !
Sans aller jusqu 1 à appeler le corps des fonctionnaires
(formés de gens qui n'ont souvent fait que quelques années d'é-
tudes) du nom de classe bureaucratico-bourgeoise oomme on le dé-
signe sous d'autres cieux, l'auteur fait dire à son héros:
"Matériellement, j'avais renoncé à tout ce qui était
typiquement indigène. Cela en toute conscience, avec
la ferveur et l'élan de ma raison. Le sacrifice de ma
!
vie africaine toujours battu en brèche par les cours
de science, d'hygiène et autres me paraissait d'autant
plus normal qu'il découlait de la comparaison. L'Occi-
dent s'était présenté à moi sous figure d'idéal que je
m'efforçais d'atteindre coûte que coûte. Qu'en cela je
me sois fait le jouet d'un système, d'une méthode, d'u-
1
ne politique, c'était possible. Mais l'adolescent que
1
j'étais à l'époque était de bonne foi ... " (1)
Le romancier laisse entendre ici que les fonctionnai-
res ont été des privilégiés durant le régime colonial. Mais son
(1) Les inutiLes
Op. Cit. - page 37.

430
intention n'est pas de décrocher ure flèche à ces Africains cons-
tituant une classe socio-professionnelle. Par contre) son souci
sera d'examiner les rapports que l'intellectuel africain peut
entretenir avec le milieu social d'où il est issu. Il se déman-
de si cet individu peut conciler l'éthique rationaliste (venue
d'Occident) à laquelle il vient de souscrire et celle de la tra-
dition que pratiquent encore les membres de sa famille n'ayant
jamais été à l'école. Son héros, Kanga Koné, l'a en tout cas
réussi
"~ien que vivant à l'Occidental, dit-il) moralement)
l'Afrique avait èéposé en moi son éthique. l'aide aux
vieux parents, l'hospitalité et ses devoirs, la prati-
que de la religion et certaines autres croyances de-
meuraient en moi des valeurs inchangées, naturelles.
Spontanément, elles se dressaient avec l'occasion é-
mergeant au rythme de la vie quotidienne". (1)
Le t~ros envoyait régulièrement des mandats à sa mère
demeurée au village, ce qui permit à cette dernière d'oublier
les privations passées.
Ce que l'auteur reproche par contre aux parents des
fonctionnaires, c1est de s'imaginer que ces derniers ont à leur
disposition une source inépuisable d'argent, du seul fait qu'ils
travaillent aux côtés du Blanc et qu'ils sont payés par lui.
Pour l'illustrer il cite le cas du beau-frère de son héros.
La soeur de Kanga Koné s'était mariée avec,un marabout,
dont lunique occupation était la prière et la méditation. En
passant, Sidki Dembélé égratigne cette catégorie d'individus
pour qui la pratique de la religion musulmane se réduit à une
sorte d'attentisme, à un quiétisme :le détachement pur et simple
à l'égard de tous les biens terrestres et l'attente d'un bonheur
extr2~terrestre à acquérir après la mort.
Le mari ne pouvant donc subvenir aux besoins de sa pro-
pre famille, la soeur de Kanga Koné fut réduite à attendre les
mandats du jeune homme pour les partager avec sa mère. L'ironie
J
(1)
Les inutiZes:
Op. Cit. - page 38
1

431
de l'auteur perce sous l'énumération qu'il fait de l'emploi du
temps du marabout
"Ma soeur( .. )était mariée à un marabout, ft Séguéla.
L'hivernage passé, cet homme se refusait ft tout tra-
vail. Il passait le temps à vociférer, dans la cour
de sa maison~ la sainte litanie du Coran, sacrifiant
à un fanatisme spectaculaire le bien-être matériel
d'une épouse physiquement ruinée par des maternités
successives. Privée chez un mari paresseux, elle ve-
nait régulièrement frapper à la porte de notre mère".(1)
Sans scrupule, cette autre "famille'; vint s'ajouter à
la première. Kanga Koné n'avait plus deux mais huit bouches à
nourrir, sa soeur ayant traîné avec elle sonmari incapable ainsi
que ses quatre enfants. L'auteur critique l'oisiveté quasi per-
manente dans laquelle vivent beaucoup de gens, physiquement bien
portants, en milieu rural.
Mais l'exigence de la solidarité et de l'hospitalité
qui pèse sur le fonctionnaire africain prend parfois des propor-
tions plus inquiétantes encore. Grands-parents, oncles, tantes,
cousins et cousines de deuxième ou troisième degré ne daignent
se souvenir de vous, que si vous avez une situation rémunérée.
Tant que Kanga Koné végétait avec sa mère dans la misère, per-
sonne ne leur est venue en aide. Les liens de famille ne sont
évoquées que lorsqu'il s'agit de vous soutirer quelque chose. Et
Dieu sait jusqu'à quel point ces liens peuvent être élastiques.
Le héros
: Des inutiles nous explique qu'il eut à s'occuper
d'un nombre impressionnant d'étrangers, arrivant à Abidjan: ils
venaient lui impos~le devoir de les recevoir et de les nourrir
avec pour tout droit le Beul fait d'être originaires de Séguéla
comme leur hôte complaisant :
"Ils arrivaient ainsi, sans lettre d'avertissement,
sans télégramme, de jour ou de nuit, avec leurs frus-
ques ou leur cantine métallique, la natte ou la peau
de prière roulée.
- C'est ici qu'habite Kanga Koné de Séguéla ?
C'est ici.
(1) Les inutiLes
Op. Cit., page 38

432
Et ils entraient. Le reste me regardait ... " (1)
L'auteur se plaint du manque de civilité et de bon
sens de ces campagnards et semble dire que ce calvaire est vécu
par tous les fonctionnaires
"Ils mangeaient, dormaient, crachaient leur prise sur
mon beau tapis, se mouchaient et s'essuyaient les
doigts sur les murs ou les bras de mes fauteuils. Je
n'osais me plaindre ... Le soir, nous empilions les
meubles et nous couchions à la fortune dans la cham-
bre, sur des nattes juxtaposées ... " (2)
Non seulement, poursuit le romancier,le fonctionnaire
doit "renoncer à ses attitudesde civilisé!! (salon, repas à ta-
ble, plat assez consistant, habillement décent, etc ... ) mais il
doit, s'il veut vivre, contracter des dettes de plus en plus
lourdes. Sinon, il devra recourir au détournement de deniers
publics. Or il ne fait de secret pour personne, qu'à confondre
les caisses de l'Etat avec le fond de ses poches, on se retrouve
un beau matin entre quatre murs tout gris.
Au lieu donc de privilèges à tirer de leur situation
sociale, les fonctionnaires sont des êtres malheureux, de l'avis
de l'auteur:
"Qu'étions-nous, maris et fils.d'Afrique, sinon des
exploités dont le fruit du travail servait à encoura-
ger les défauts de ceux que nous aimions: ici l'or-
gueil et la vanité mal placés, là l'oisiveté, ailleurs
le manque de sens de la mesure et du possible". (3)
(1 )
Les inutites .; Op. Cit. - page 44.
(2) Ibidem
"
" 45.
(3)
"
Il
"
42.

1
433
Si l'auteur plaint les intellectuesl exploités par
leur famille élastique) il fustige ceux qui abusent de leur
bonté (sans que les exploités osent élever la voix pour protes-
ter). Ces individus, qui se refusent à pratiquer un métier et
qui attendent (exigent même) tout de la part de ceux qui ont un
peu de courage, 'Sont des parasites, des "inutiles 1i pour la so-
1
1
ciété africaine qui a besoin plutôt de bras pour sortir du sous-
développement, estime Sidiki Dembélé.
1
A défaut de pouvoir raisonner ces gens obscurantistes,
insouciants et inconscients, le romancier se tourne vers les in-
tellectuels. Dans une "visbn avec" (c'est-à-dire, l'auteur s'in-
1
carnant dans son personnage), le romancier déclare à leur inten-
1
tion :
t
1
"Et qu'est-ce que tu attends pour réagir?
- Comment réagir
avec nos coutumes, Monsieur?
- Simplement en les foutant en l'air ces sales coutu-
1
mes. Comme en France.
1
- Comment le 9ourrai-je ? Je suis en Afrique, patron.
1
Mon Directeur s'énerva.
[1
- Comment veux-tu arriver dans la vie ? Avec "vous"
t
on ne sait plus où commence et finit la famille. Tu
peux, si le coeur t'en dit, tirer la tienne aux di-
1
mensions de la Côte-d'Ivoire, mais arrange-toi comme
tu pourras. Ne compte plus sur les avances de solde".(l)
1
Donc une fois de plus, certains aspects de la coutume
f
sont la cible de Sidiki Dembélé. Mais, le romancier qui a à
i
co.eur le développement de l'Afrique, s'attaque à un autre pro-
t
blème : l'exode des bras et des cerveaux vers l'Europe.
1
Beaucoup d'écrivains se sont penchés sur la question,
les uns pour plaindre le sort des émigrés africains, les autres
1
~
pour décrire uniquement la vie que menen\\eurs compatriotes en
r
Europe. Au nombre de ceux-ci se trouvent Saidou Bokoum, Yambo
Ouologuem et bien sûr Sidiki Dembélé.
1
(1)
Les inuti les :
Op. Ci t. - page 40

434
Le premier que Robert Cornevin a appelé guinéo-malien
est l'auteur de Chaine ou Une descente aux enfers. (1) Le ro-
man décrit avec minutie et force détails le milieu des émigrés
africains, leurs combats de tous les jours pour survivre en
France. Mais Bokoum les assure de toute sa sympathie.
Ouologuem au contraire, dénonçait la conduite humi-
liante des nègres vivotant dans la Métropole, comme nous l'avons
Vil
plus haut.
Sidiki Dembélé aborde le sujet sous un autre angle.
Si l'auteur du :
~voir de violence s'étendait sur la misère
des émigrés, leurs comportements dégrandants ou même avilissants
pour la race nègre (exemple les orgies dans Pigalle), dans Les
inutiles, il s'agira d'une attaque contre ces nègres transplan-
tés Outre-méditerranée. Ils forment ce que Sidiki Dembélé appel-
le la deuxième catégorie Ild'inutiles".
Au début du roman, l'auteur parle d'une colonie de
.
f
h
.
nt
F
...
...
nOlrs
rancop ones qUl se rue vers la
rance. Desoeuvres, an-
ciens combattants,
aventuriers, étudiants, envahissBnt selon
lui, les rues de Paris, ses quartiers, ses bus, ses métros,
toutes les places, exerçant toutes sortes de métiers, gagnant
plus ou moins honnêtement leur vie.
Sur un ton ironique le romancier écrit qu'ils "colo-
raient Paris". "Noirs de toutes les Afriques, de tous les
teints, de toutes les races. Rare le quartier, la rue, l'hôtel,
la masure qui n'avait le sien" dit-il avec un agacement à peine
voilé.
Il les taxe d'assimilés, car après un court séjour en
France, ces individus tachaient de ressembler au ;EQanc et n'a-
vaient plus d'égard pour aucun nègre:
1
1
"Au début de son séjour, il (Kanga Koné) avait eu
1
quelques déceptions, quelques écorchures d'amour-pro-
1
pre. npensait que tous les noirs, dans l'exil,
(1) Saidou Bokoum : Chatne _. Une descente aux enfers;
Paris, Denoë,
1974.

435
étaient des frères. Mais très vite il s~était aperçu
qu'en général il n'y avait que des "assimilés" qui,
temporairement, peut-être, avaient perdu les bonnes
habitudes du pays. Ils vous croisaient dans le métro,
vous côtoyaient dans les cafés, les lieux publics, et
croyaient démériter en répondant, ne fut-ce que d'un
sourire, à la sympathie naturelle que vous affichiez
à leur intention".
(1)
C'est par admiration donc pour le peuple français et
ses réalisations dans tous les domaines que ces ~gres se ruai-
ent vers la France. Cependant, pense le romancier, un peu de
réflexion permettrait à ees émigrés de comprendre
que, ce peu-
ple qu'ils admirent tant, dont ils veulent profiter des réalisa-
tions, ne doit sa puissance qu'aux efforts conjugués de ses fils.
Sidiki Dembélé désapprouve également ceux qui ont quit-
té l'Afrique comme Kanga Kon§, parce qu'ils ont eu "quelques
blessures d'amour-propre ou parce qu'ils condamnent la coutume
encore en vigueur dans leur communauté. La société française
dit-il a aussi ses défauts et ses qualités.
lfNéanmoins et malgré cela, constate-t-il, j'ai trouvé
un peuple fier de son pays, de son histoire, de ses
traditions, de ses réalisations. Et ce peuple s'accro-
chait à son solJ jalousement, malgré les privations,
malgré ce qu'il y avait d'imparfait, d'amoral et par-
fois d' injuste ... Il (2)
La vie dans la société française n'est donc devenue
vivable, que parce que ses citoyens ne se sont pas dérobés à
leurs devoirs en allant vivre ailleurs. Le romancier arrive à
la conclusion que les structures sociales (coutumes et moeurs)
ne sont pas immuables. Si elles sont l'oeuvre des hommes, ceux-ci
peuvent également les changer. Encorefaut-il être assez coura-
geux pour pouvoir s'attaquer aux imperfections existant dans les
institutions. L'exil devient dans ces conditions une fuite de
(1)
Les inutiZes : Op. Cit., page 85.
(2) Ibidem - page 86

436
responsabilités, une démission devant ses devoirs.
Le romancier pense également qu'il est honteux de
constater que, pendant que des 'Noirs choisissent la vie facile
et vont vivre en France~ des Blancs à leur place, viennent cons-
truire leur pays avec seulement quelques hommes de bonne volonté
qui ont choisi de rester
"Et pour guider tout ce monde, le blanc, un expatrié
qui, en servant sa propre cause, servait celle de
l'Afrique, c'est-à-dire, la mienne. Et ~oi, (fait
dire le romancier à Kanga Koné) l'intéressé, qui de-
vrais le premier apporter à cette oeuvre ma modeste
pierre, que faisais-je à Paris? J'étais tout simple-
ment là, traînant avec moi mon égoisme et mon inuti-
lité"; (1)
Le romancier invite l'ensemble des Africains exilés
en Europe à faire une autocritique. Ceux qui, comme son héros
Kanga Koné sont .partis en Fran~e à cause d'un désespoir, d'une
contrariété passée, n'ont pas plus d'excuse que ceux dont le dé-
part a été motivé par le désir de viv~une vie facile ou l'am-
bition d'aller faire fortune. L'auteur considère leurs compor-
tements comme un reniement : reniement de soi-même et reniement
de l'Afrique. Et chaque jour, chaque mois qui passent, pour-
suit-il, ajoutent à leur parjure.
Parjure eL effet, parce que ces individus avaient tout
reçu (l'Afrique leur a donné la vie, ils sont venus profiter du
fruit du labeur des Français) et qu'ils n'ont rien donné en com-
pensation ; ils ne produisent rien. Ils ne peuvent pas prétexter
apporter leur contribution à l'édification de la Francê. Celle-
ci a pu se construire sans eux et peut tout aussi bien se passer
de leur concours. Chaque 'Africain tr.a~splanté volontaire doit
reconnaître comme Kanga :
(1)
Les inutiles : Op. cit. - page 87.
1

431
"Et dire. que nous étions une quantité à Paris et en
~rovince, dans les campagnes et dans les ports, à la
fois inutiles à la Fran~e et à l'Afrique, empêtrés
dans nos complexes et nos plastrons~ grasseyant, mi-
naudant, jouant au blanc et au civilisé, soucieux de
notre seul confort. Nous formions le bataillon de
l'Afrique dépersonnalisée, la classe improductive des
volontaires de l'aventure: autant de bras que récla-
mait le pays, autant de cerveaux qui s'épuisaient,
ici, à singer plutôt ~u'à éduquer là-bas". (1)
Ce sont donc autant d'Africains capables, pris dans
1
le mirage de la vie facile, qui refusaient de revenir dans leur
patrie. Pendant que l'Afrique manquait de tout, l'Europe regor-
geait de tout. Ces individus sont "inutiles" à l'Europe qui a
ses cadres et sont une perte pour l'Afrique qui perd ses cadres.
Il faudrait peut-être, faire une mise au point en di-
sant que l'auteur ne fait pas allusion aux émigrés saisonniers
ou temporaires, qui peinent énormément en Europe pour envoyer
des fonds substantiels en Afrique. Leurs mandats constituent
non seulement un soutien matériel pour leurs familles, mais aus-
si des rentrées de devises pour leur pays d'origine.
En conclusion, le message (DU les messages) de Sidiki
Dembélé apparaît clairement. Dans un premier temps, il dénonce
les préjugés et certains aspects de la tradition qui sont néfas-
tes à l'évolution sociale en Afrique. Il déclare à l'adresse de
ses compatriotes
"Les préjugés et les traditions, contrairement à ce
que vous croyez, n'ont rien d'immuable et de'figé.
Ils sont soumis, comme toute chose, à l'inéluctable
loi de l'évolution. Et cette loi opèrera en Afrique
comme elle a opéré ailleurs, en d'autres pays". (2)
(1)
Les inutiles : Op. Ci t. - page 87
(2)
fi
f i "
113

438
Le romancier dénonce les Interdits, les tabous qui
freinent les jeunes gens et se dressent en autant de barrières
étanches ehtre les hommes d'une même race
d'un même pays: on
J
prétend tout simplement qu'ils sont issus de castes différentes.
Pour lui, les couples mixtes, ceux qui sont issus de milieux
socio-professionnels différents, sont des exe~ples à citer et
à admirer.
Aux jeunes qui s'accrochent encore à la tradition,
qui agissent par conformisme, Sidiki Dembélé déclare :
"Quant à l'amour-propre,
... c'est à mon avis un meu-
ble encombrant dont il convient de se déb~rrasser au
seuil du mariage. L'amour-propre détruit plus qu'il
ne battit et, s'il est un conseil que je puisse voui
donner, c'est d'apprendre à y sacrifier pour la paix
de votre futur ménage". (1)
L'auteur n'outi[e pas le rôle des parents tradition-
nalistes. Pour lui, leur courroux et autres réactions violentes,
allant jusqu'au bannissement des enfants "désobéissants", sont
plus formalistes que réfléchis et irréversibles.
"Dites-moi, Madame, est-ce vous ou vos parents qui
se marient ?
- Moi, bien sûr.
- Dans ce cas, laissons aux vieux leurs idées. Ils
vous bouderont un an
si vous vous mariez contre leur
J
gré. La réconciliation viendra, croyez-moi, avec la
naissanc e de votre premier enfant". (2)
Le romancier fait remarquer que les difficultés sont
inhérentes à toute entreprise d'envergure: que les initiateurs,
les grands promoteurs ont été au départ des hommes incompris de
leur entourage ; que la légitime fierté réside dans la persévé-
rance quand on est convaincu de la justesse de sa cause :
(l)Les inutiZes: Op. Cit., page 117.
( 2 ) "
"
"

1
439
1
1
"Certes, nous rencontrerons des difficultés et des
oppositions, de l'incompréhension et de la rancune.
Il n'est d'abolition de privilèges, de renversement
de méthodes ou de situations, en un mot de révolution
sociale sans plaintes et jÉ:rémiajes~ sans protesta-
tions ou hostilité, ~ans scepticisme parfois. Le mé-
rite et la grandeur du réformateur résident justement
1
dans le courage qui l'anime et lui donne la force
d'affronter outrages et critiques". (1)
t
1
Le débat entre tradition et modernisme a préoccupé
f
beaucoup d'auteurs et fera couler encore beaucoup d'encre. Cha-
J
que clan a ses défenseurs. Seydou Badiandans Sous l'orage, a
mis en lumière cette lutte sournoise et tenace que se livrent
les tenants de chacun des deux principes. tlais il a tergiVerS~,
ne sachant à quel camp apporter sa caution. Sidiki Dembélé, lui
tranche en faveur des réformateurs de la société, qui sont prêts
à tous les sacrifices.
L'auteur
Des inutiles se tourne à présent vers
la fraction des Africains "rr,arginaux", les partisans du moindre
effort: qu'il s'agisse de ceux qui vivent aux crochets de
leurs IIparents" travailleurs ou de ceux qui "s'exilent" volon-
tairement en Europe à la poursuite d'un rêve impossible. A ces
derniers, il lance le proverbe selon leçuel "l'oiseau (finit
par) rejoindre l'éternelle branche (quel que long que soit son
rayonnement dans l'espace". (2)
A tous, il fait remarquer qu'il est indiscutable
qu'une société est la somme des comportements collectifs. Le
bonheur auuuel chacun s'attend ne viendra que du fruit des ef-
forts de tous.
1
A travers tant d'arguments développés pour tâcher de
!
conscientiser ses compatriotes sur les problèmes du continent,
!
il apparaît que l'auteur a confiance en l'avenir de l'Afrique.
Il sera radieux, estime Sidiki Dembélé :
(1)
Les inutiles : Op. Cit. - page 114
1
(2)
Il
"
16
1

440
"Quand l'instruction et la science auront fait
leur oeuvre et conquis les masses il. (1)
A son avis, une seule voie conduira à ce bonheur
réclamé
par tous, et elle devra être dès à présent emprun-
tée par tous les Africains de bonne volonté
"En attendant, il nous appartient à nous, les
premiers bénéficiaires du progrès de prendre ré-
solument parti, d'amorcer les réformes, de com-
,
battre les préjugés et les traditions nées le
f
plus souvent de l'jgnorance, du fanatisme ou de
l'intolérance. En cela nous ne ferons que
le cours de l' histoire, tant il est vrai que ré ..
grandes réformes naissent d'abord de l'initiati~;'f'~
d'tlne minorité pour ensuite secouer les hommes et
les nations ..• Les grands monuments de l'hisoire
ne sont pas toujours l'oeuvre d'une génération
seule. C'est un système de relais où chacun ap-
porte sa contribution, laissant à d'autres le
soin de terminer". (2)
Sidiki Dembélé a aussi abordé le problème du ma-
riage à la suite de plusieurs auteurs maliens. Ce qui cons-
titue l'originalité dans son récit, c'est qu'à la tradi-
tionnelle· réticence des parents, (plus intéressés par le
profit matériel) à leur refus donc de laisser la liberté du
choix à leur fille, se greffe un autre problème : celui des
castes.
C'est d'ailleurs cette considération qui fera que
le père d'Astou rej~tera la candidature de Kanga Koné, la
prenant même pour un affront. Pour lui, le prétendant est
j
coupable de parjure et sa réaction sera brutale :
f
"Dites à votre envoyeur que les traditions res-
tent malgré la civilisation". (3)
(1) (2) Les inutiles .. Op. Cit. - page 114
(3)
"
il
" 5 7

441
Il faut précis0r que le problème des castes diffère
du problème des classes, tel que le conçoit la société européen-
ne. Tous deux tirent leur origine d'une certaine forme de divi-
sion au sein de la société. Mais, tandis que dans la société
européenne il s'agit d'une répartition des revenus, dans la so-
ciété africaine c'est une répartition des tâches qui est à l'o-
rigine de tout le système.
Dans l'Europe industrielle, l'appartenance à telle ou
telle classe sociale était fonction des revenus que chacun ti-
rait du travail à la mine ou à l'usine. On devenait bourgeois ou
ouvrier selon qu'on était riche ou pauvre et alors~ on prônait
la conservation
des privilèges acquis ou la révolution. Mais
peut-on parler de "lutte des classes en Afrique" ? (1) du moirta
se présente-t-elle sous la même forme qu'en Europe? Dans la so-
ciété africaine traditionnelle, tandis que certains étaient agri-
culteurs, (ou s'adonnaient au métier des armes) d'autres se fai-
saient artisans: forgerons, bijoutiers, cordonniers, etc ... Les
premiers sont devenus les nobles, les seconds les gens de castes,
le mot revêtant plus ou mans une nuance péjorative. Chaque classe
d'artisans se communiquait techniques et secrets de génération
en génération.
Quant au cas auquel l'auteur fait allusion, il était le
résultat des luttes intestines. C'est ce que Ibrahima Mamadou U
Ouane nous dit dans Fâdimâtâ la princesse du désert.
Selon que votre clan étai t vainqu(~r ou vaincu, vous de-
veniez nobles ou esclaves
jusqu'au jour où le rapport des forces
j
était de nouveau modifié. Les temps ont changé et pourtant, selon
les parents d'Astou, "les traditions restent".
Aujourd'hui en Europe, on peut passer d'une classe à
l'autre selon les caprices de la fortune. En Afrique, les compar-
timentations sont étanches, "malgré la civilisation", malgré le
prestige ou l'argent:
"Instruction, éducation, courage et honnêteté restaient
(1) Voir à ce suj et
La Zutte des ()lasses en Afrique,
thème traité
par le Dr Kwamé N'Kruma et publié par Présence Africaine.

442
de vaines appréciations du mérite. ~out l'argent du
monde (cet écueil que je redoutais) n'eût pu parvenir
à redresser cette situation. L'ultime handicap de ma
naissance laissait le champ libre à mon vieux concur-
rent. C'était une honte! ... If (1)
De l'avis de l'auteur, devoir ses jours à des gens de
caste passe pour être une sorte de disgrâce. Et l'on peut alors
d'amour
s'attendre à tout moment, à une blessure propre de la part de
ceux qui, issus de la classe des nobles, s'accrochent encore à
l'idée de pririlèges que leur confèrent leur naissance
"Forgerons, bijoutiers, cordonniers, mUSlclens, poètes,
griots, descendants d'esclaves et tant d'autres, voilà
les parias de l'Afrique, les intouchables, les indi-
gnes que rien aux yeux de la tradition, ne peut élever
à un rang honorable. Riches ou puissants, fonctionnai-
res, ministres ou avocats, rien n'y fait
: ces hommes
demeureront des inférieurs sociaux". (1)
Sidiki Dembélé va jusqu'à comparer le sort des gens
de castes à celui des parias de l'Inde qui sont une catégorie
d'individus bannis de la société, ne jouissant d'aucun droit et
que même la religion brahmanique ne protège pas.
Pourtant, on sait que dans la société traditionnelle
1
africaine, le pouvoir
temporel n'a jamais pu s'exercer qu'avec
le concour~ des griots. Ceux-ci demeuraient de précieux conseil-
lers pour les rois, des précepteurs pour les princes, des archi-
ves vivantes pour la conservation des faits historiques et des
Constitutions. D'autre part, l'exercice du pouvoir spirituel re-
posait essentiellement sur les épaules des forgerons, des bijou-
tiers, des cordonniers etc ... , qui sculptaient masques et sta-
1
tuettes représentant les dieux locaux. Ces gens détenaient les
1
plus grands secrets religieux et avaient des pouvoirs occultes
réels. Il faut ajouter enfin que les hommes de castes ont, de-
puis la génèse des sociétés africaines, pleinement partidPé au
rayonnement et à la conservation des patrimoines culturels ainsi
(1)
Les inutiles: Op. Cit.
~ page 61.
(2)
Ibidem - page 61
1

443
qu'au développement de la communauté. Ils se sont retrouvés ~
si sur les champs de bataille, pour défendre le pays considér~"
comme la patrie de tous.
D'ailleurs, la plupart des écrivains
africains ont
jusqu'ici fait une place de choix
aux gens de caste. L'auteur
de L'enfant Noir (1) a toujours admiré l'habileté et la science
de ses parents forgerons-bijoutiers. Djibril Tamsir Niane rend
U:1. hommage mérité aux griots dans
Soundj.ataou l'épopée mandingue.
Non seulement il reconnaît leur devoir les précieux matériaux
qui ont servi à composer son roman, mais il déclare que :
"Dans la société africaine bien hiérarchisée d'avant
la colonisation, où chacun trouvait sa place, le griot
nous apparaît comme l'un des membres les plus impor-
tants de la société". (2)
Conscient de son rôle, le griot en prenant la parole
s'écrit
"Je suis griot. C'est moi Djéli Mamadou Kouyaté, fils
de Bintou Kouyaté et de Djéli Kédian Kouyaté, maître
dans l'art de parler. Depuis des temps immémoriaux les
Kouyaté sont au service des princes Keita du Manding ;
ncue sommes les sacs à paroles, nous sommes les sacs
qui renferment des secrets plusieurs fois séculaires".(3)
Ecrivant seize ans après Sidiki Dembélé, Seydou Badian
semble être d'un avis contraire au sien. La vieille Tougayi dans
son roman Le sang des masques,
vit au sein de la société comme
une joyeuse luronne. Son arrivée apporte dans les cercles, une
note de gaieté : elle est toujours accueillie par un tonnerre
f
d'exclamations et d'applaudissements. L'atmosphère la plus ten-
,
due se détend. A ses poses comiques et à ses polémiques répondent
f
1
(1) Camara LAYE :L'en!ant Noir, Paris, Plon; 1963.
(2) Dj ibril Tamsir Niane
SoundJ'ata, ou l'épopée mandingue. Op,
Cit. page 5
(3) Dj ibril Tamsir Niane
Soundjata
ou l'épopée mandigue. Op.
Cit . ; page 9,

444
des éclats de rire. Le fait cependant qu'elle s'exprime sans
aucune licence la distingue du simple beau parleur.
Et le romancier de nous expliquer la place faite à
cette femme dans
la société
"Tougayi était issue d'un des esclaves des ancêtres de
Nafi. Ses semblables, encore de nos jours, ont tous
les droits dans la société traditionnelle. Bienséance,
convenance et même morale ont peu de sens pour eux.
Ils en sont affranchis. Tout se passe comme si, pour
la paix de sa conscience, la société leur octroyait
des privilèges spéciaux.;; passe-droits faisant d'eux
les maîtres d'un genre nouveau. Leur comportement est
une révolte permanente contre la bonne règle. Malheur
à qui s'attire leur colère. Ils se déchaînent. L'as-
pergeant d'injures. Lui attribuent tous les défauts,
tous les vices. Et n'ont de cesse que lorsque l'infor-
tuné, visité par la sagesse, les couvre de cadeaux.
Répliquer à leurs injures, porter la main sur eux,
leur intenter un procès étant des signes de
déchéance". (1)
L'auteur de Femme d'Afrique abonde dans le même sens.
Rycaba Diallo écrit-elle, se réclamait de l'ascendance des es-
claves d'El Hadj Omar. En conséquence, il "parlait avec
un rare
sans-gêne "
"Cette qualité d' esclave lui permettait de dire les
pires grossièretés, sans égard pour personne. Mieux,
les gens trouvait cela normal et personne ne s'en
formalisait". (2)
Il passait pour être un clown, poursuit Madame Aoua
Keita, qui reconnaît que dans le cercle de ses amis de Gao,
Rycaba Diallo était 'le plus fort et le plus éloquent". Et si
(1)
Le sang des masques; Op. Cit.
; page 196
(2)
Femme d'Afrique;
Op. Cit. ; page 33

445
la narratrice s'effarouchait de ses propos, c'était à cause de
sa pudeur de jeune fille non initiée. Elle se contentait d'écou~
ter raconter par cet homme qui était un célibataire endurci des
faits cocasses. Il avait toujours à faire aux maris qui le sur-
prenaient la nuit dans la couche de leurs épouses. Rycaba ne
devait alors son salut qu'à la fuite. Ces maris trompés se con-
tentaient, disait
crânement Rycaba, de lui retirer ses habits
ou de le rosser de coups avant de le laisser partir. Qui aurait
songé à porter plainte, pour son propre déshonneur ?
Et
la meilleure preuve que Madame Aoua Keita ne con-
sidère pas les gens de caste comme des intouchables o'est que sa
plus grande amie à Nara était une magnamagan, catégorie socio-
professionnelle
des femnes accoucheuses et conseillères pour
les problèmes conjugaux. Cette amie ajoute la romancière, était
"une des femmes les plus respectées de Nara". Elle reconnaît
aussi le mérite de la fonction :
"Ce métier
de magnamagan s'exerce encore dans plu-
sieurs régions de notre pays ; il est uniquement fé-
minin, très souvent transmis de mère en fille et con-
siste à assister les jeunes dans les premiers jours,
voi~ les premiers mois de leur mariage. Au moment de
mon mariage, je fus assistée personneilement par une
femme de caste d'un certain âge, amie intime de la
famille Dagnouma ... Certaines de ces leçons méritent
d'être retenues et mises en application en cas de
besoin". (1)
Malgré tout ce que disent ses confrères, Sidiki Dembélé
n'en démord pas pour autant. Il est vrai que Ama~ouHampaté BA
traitait avec un peu de condescendance le griot Kountena dans
L'étrange destin de Wangrin
"Il faut dire que Kountena, bien que "Kouaté", c'est-
à-dire, griot de race, n'avait jamais réussi à maîtri-
ser la guitare, ce qui aurait pu multiplier par cent
sa valeur sociale et son audience. En effet, un griot
( 1 ) li'errme d'Afrique :
Op. Cit.
page 270.

---.- ....,-
---~
- ~ ~
446
.
qui ne sait pas jouer de la guitare ou qui en joue
I .••. ~
..
mal est considéré comme un étalon cagneux". (1)
A ce premier défaut s'ajoute la légèreté d'esprit du
personnage. Pour faire plaisir à Wangrin au service duquel il
s'était mis, il voulut vanter l'intelligence et la fortune de
ce dernier, mais ne réussit qu'à blesser l'amour-propre de l'as-
sistance. Sous le sous-titre "L'orage éclate", l'auteur écrit:
"Quelques paroles prononcées au cours d'un de ces dî-
ners mémorables allaient creuser une fissure malen-
contreuse dans l'édifice et provoquer un scandale qui
perturberait l'atmosphère politique du cercle durant
toute une année, pour aboutir à la dispersion aux qua-
tre horizons du Haut-Sénégal et Niger des fonctionnai-
res qui n'avaient pas su se tenir à l'écart". (2)
Mais ailleurs, Amadou Hampaté BA revient sur ~a fonc-
tion sociale du griot et fait chorus à ses autres compatriotes.
Ce qui fait donc la différen~e de jugement entre Si-
diki I:'embélé et ses confrères maliens c'est que ces derniers ma-
gnifient la tradition que lui, condamne avec la dernière énergie.
Dans Les inutiles, le mot "homme de caste" est une sorte d' op-
probe et selon son auteur
on l'hérite "comme l'idiot aura héri-
l
té des tares de la syphi[s". (3) Il ne comprend'pas que l'Afrique
(et le monde noir en général) qui a tant souffert durant des
siècles, des humiliations (tels que l'esclavage et la colonisa-
tion européenne) tolère des pratiques aussi avilissantes :
"Vois-tu Cissé, s'indigne son héros, la caste pour moi
est le symbole d'une contradiction, que dis-je, d'un
paradoxe. Etrange paradoxe en effet d'une Afrique
avide de progrès et d'évolution, prête à condamner en
politique tout esprit de clan mais admettant au sein
de sa propre société les sentiments de race et de
caste". (4)
(1) L'~trange destin de Wangrin ; Op. Cit. ; page 60.
(2) Ibidem - page 77
(3)LesinutiZes;Op. Cit.; page 62.
(4) Ibidem - page 62

..
441
Depuis déjà le début de ce siècle, l'Afrique réclame
à la tribune des Nations-Unies et dans toutes les occasions de
rencontre (avec des hommes d'autres continents), l'égalité entre
peuples et races. Sidiki Dembélé constate qu'il y a une contra-
diction flagrante entre
ce qu'elle revendique av€c
tant d'in -
sistance etcequ' elle tolère au sein de ses Institutions Sociales
"On ne peut à la fois sacrifier à l'immobilisme et au
progrès, plaider pour la démocratie et se complaire
dans le sectarisme, réclamer une entité égalitaire et
souscrire au parcage d'une fraction de la communauté
dans une infériorité que ne sanctionnent ni le mérite
ni la valeur". (l)
On pourrait alors se demander, si la meilleure façon
d'être libre n'est-pas de commencer par secouer soi-même son
joug? Si les hommes de castes se sentent une minorité ~ploitée,
ne pourraient~ils pas s'unir pour revendiquer leurs droits
d'hommes et de citoyens? Le romancier n'est pas de Cet avis.
Il propose une autre solution :
"Les hommes de castes ne peuvent malheureusement rien
pour eux-mêmes. Naufragés, ils attendent d'être sauvés.
L'ascension sociale qu'ils demandent ne viendra que
des hommes bien nés. A ceux-là de leur tendre la per-
che pour les hisser hors des eaux de llindignité.
C'est le geste suprême à accomplir, la tâche noble,
exaltante comme la prise d'une Bastille, digne d'une
révolution méthodique, réfléchie. Là commencerait notre
évolution, la moins spectaculaire sans doute, mais la
plus profonde". (2)
Pour le romancier, l'Afrique est coupable. Elle veut
échaffauder un palais de justice et d'égalité sans songer à bâ-
tir sur un soubassement solide. Elle a sa tête qui plafonne dans
.'
le vingtième si~cle cependant que ses pieds engJuent toujours dans
le moyen age
(1)
Les inutiles; Op. Cit.
, page 63
( 2 ) "
"
"
62

.;~ \\ •
....!
!".
, -~.
"
"On se préoccupe de p~aQl.êmes intern~tionaux en ou-
bliant son propre jardin, on proclame eh d'autres
lieux l'égalité humaine et universelle, la fr/terni--
té des nations et des races, ignorant que chez soi,
les parias sont encore légion et que ces hQmmes sont
des victimes qui ont droit, comme tout· le m6nde, à
. :
leur part entière de vie, une vie pleine, sana. hy.po-
thèque ni interdit". (1 ) ; \\
"
'"
L'auteur a en effet, raison lorsqu'il dit que c'est
un tort que de croire que l'intelligence et la faculté de gou-
verner se trouvent uniquement chez ceux qui sont issus de la
......"
classe noble. "Car un noble P.e\\lt accoucher d'un crétin, une
·i~.
mjoutière d'un génie. Donner le pas au crétin sur le génie,
voilà c~ que notre société consacre, depuis des générations".(2)
.,
Et pourtant, l'Afrique n'~~8j~idéré les gens qe cas-
te comme de~~~rias indiens pas plus qu'elle ne l~s a: .tenus à
.0(.'
.'.

,
'T'~.
..
i"
l'écart de' ~::'gestion des affaires de l'Etat, n'en, déplaise à
Sidiki Dembélé. On comprend que l'auteur veuille lutter contre
les b~rrières qui se dressent entre les hommes nobles et les
hommes de castes lorsqu'il s'agit de mariage. Mais on le suit
moins bien dans le reste de son raisonnement. Toutes les caté-
gories sociales n'ont-elles pas eu droit à l'instruction lors-
que l'heure est venue?
D'ailleurs, comme l'a montré Ouologuem dans Le devoir
de violence, c'est parmi les gens de caste qu'on a pu remar-
quer le plus fort taux de scolarisation, les nobles ayant long-
temps répugné à envoyer leurs progénitures à l'école. L'Afrique
compte aujourd'hui des enseignants, des médecins, des ingé-
nieurs, des avocats, et même des ministres qui sont des hommes
de caste.
L'auteur de Femme d'Afrique elle aussi s'était pen-
chée sur le sort des dimadjos qui étaient des esclaves sarako-
lés. Elle a, il va sans dire~ déploré la pratique de l'escla-
vage
(1)
Les i~tiZ.es ;~Op. Cit. ,page 62
(2)
Ibidem - p,&ge f64 •

.,-"
- ,
<
l1-
' "
,{)1*
"Les dimadj os continuaieht' à servir ~~c,i,).ement leurs
",.ll'
, ' ,
" ,
'\\ .. :,
-
maitres etr pl~in XIe si~cle, plus 'de èent aris après
, '
',l'abolition de l'esclavage". (1 )
La romancière ajoute cependant que leur co~ition de
v..1e' a changé
",'
.
: -~.. .
"Il faut reconnaitre et dire honnêtement que ces per-
.,
sonnes ne subissaient aucune contrainte de la part de
leurs anciens maitres. Ils jouissaient de leur pleine
liberté. Ils pouvaient se déplacer à n'importe quel
l'Q.oment de l' ann~,:.et',;aller dans n'importe quelle ville
ou village du sou<faiVou d'ailleurs en A. o. F.; sans
aucune inquiétude de la part de leurs maîtres. L'es-
sentiel était, le moment venu, de payer l'impôt et
les prestations". (2)
..
,
~
DOnPJ~e sort des esclaves, dans les ~~gio~s où li en
existe encore; n'est pas des pires. D'ailleursL;poursuivant son
analyse, la romancière constate qu'il existe u~ecatégorie d'es-
claves à qui leur statut profite bien. Réclamant pour eux les
privilèges qu'avaient leurs parents auprès de leurs maitres, ils
sont en passe de renverser ,,::t?S rôles.
Cette catégorie, dit Aoua Keita, "c'est celle qut{tout
en restant sous un semblant de domination est parfois
plus heureuse que ses maitres. Ce genre de ser~, tout
en brandissant en avant sa condition d'esclave, se
fait nourrir, loger, habiller par des maitres pour les-
quels ils nieffectuent aucun travail fatigant ... Pour
moi cette catégorie est constituée de parasites. Ce
sont les exploitants (sic) insatiables de tous ceux
que la société considère comme nobles". (3)
(1)
Ferrrne D 'Afri~ ;' '!Op. Ci t.
, page 307.
(2)
Ibidem - page:;';307
(3)
Ibidem - page 308
~,....•,.•~.

.'
'.
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~ '~:'c'" ..

'11f.'(~ .::'
..
-,
Alors, se demande· Aoua KeIta, qUl. de .,}l' eX-J'lal.tre, ou de
17ancien éSQllave exp~çlÎte l'autre? Nous tr~oifS la ~me ques- .'.'
~ionç Sé~SI la plume de l'auteur de Soundjata, qui conl1~ît b~n .,.
"
.' la soci~té~ab.~lo-soudanai$e.Il nous parle de la con~ti~:e,
actuelle 'des gr~ots :
~;' 1:, ,.~ :\\~1
"Il faut cependant, dès maintenant, lever unel'éqùl.vo-
l,,'"
que. Aujourd'hui, dès qu'on parle de gr~ots,; on pense.
~~>.\\~~
à cette '",-aste 'de musiciens prof'€ssionnels"
faite
~"'",.
,t"::
';1;-
:!>-
:~ pour vivre sur le dos des autres ; dès qu'on dU; gf'iots ' ....
on pense à.ces nombreux guitaristes qui peuplent nos
villes et vont ve~d.f;,e leur "musique\\! dans les studios -i~
."'J... ; ~ _. ~f
d'enregistrement de ,Dakar ou d'Abidjan". (1)
j i ' ,

;I~ existe donc une oetégorie d'individus fiers d'être
deslerys'de<'caste, qui vivent grâce à leur statut comme dans
l'Afriq~j~raditionnelle.Et le paradoxe c'est que, S~<-,l'f~ en
croit Aoua K~+.~~ et Tamsir Niane, des nobles te~t~t.,~dEit:;,~.e},aire
passer pour nomft'ies de caste : ce sont toutes lescategorl.es de
~,t .
,.,
': ~
griots dits "modernes" qui vendent leurs chansons et .les préten-
fI,_
dus esclaves qui vivent au crochet des niais.
r~ "
Nous en arrivons à nous poser la question de savoir
"
.
qui suivre? -Ceux qui, comm~ ~idiki Dembélé, pensent qu'il se-
. . . . .
. ~
rait honi~ux de maintenir la pratique qui distingue dans ~~';to-
ciété hommes nobles et gens de castes ? Ou ceux qui estime'rle'que
ce côté de la coutume n'est pas basé sur l'exploitation des uns
par les autres? Si la pratique de l'esclave disparaît on ne
peut pas dire autant des Ilcorporations" de griots) de forgerons,
de bijoutiers) de cordonniers) etc ... Une partie de la population
(parmi
laquelles des intellectuels et des plus écoutés même)
en est toujours fière.
D'autres ,romanciers reviendront sans doute encore sur
la question et .e,;~~~t sera plus enrichissant.
:.
"
ft!'
(1) Djibril Tamsir ~iane
Soundiata ;
Op. ctt~ , page 5.

.,
"
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Il'''~ ,.
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l,. " .
..'. ,.,
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~ '-..
~~ .~.:,,~., Pour nous résumer, nous allons emprunter la v+l'te
/ ' ; :
r
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Jacqu.es Stephel1 Alex,j-s pour dire, qu'avant l'indépendance' du
l,.
Mali, "Nos peuples aux point~·, liés, aux pieds entravés et aux
"
bouches baillonnées §vaientj"besoin de nous. ~es romanciers
ont compris~ qu'en artistes conscients de la difficulté et de
la q9lJi,~e~t~é de l'oeuvre d'a.. , '4is devaieny travailler à dé-
nongrr\\.~àlFnationraciste, colonialiste, impérialis~e". (1) .
~~";'" ~
'i-
\\>
"4' ~',(l •.
..
To~e.n' ont pas témoigné sous la colonisfltioJ~~'~~s
.'~t__ ,
..' '~'~""'''''~,' ~_
l'indépendari6. acquise fut comme une sorte deba~~~n qui venait
de sauter et le bouillonnement ir•.t§rieur se t~a~l~'hez les ro-
:./
manciers par un soudain besoin de parler, de c~iquer ce '
"'1"
.
,
. '.
qu'ils ressentaient depuis longtemps.
.'
'.,··.··p~ns
:1: le chaPitrJ}:ii-qui va S.livre, la démarche sera
légér .',;,' ". :"différente. Nous allons étudier la prise de po~\\~on
des r
' ... rs face à certains problèmes sociaux. Maintenah#
donc, "c'est la vie âpre, dure, colorée, païenne, piaffan~e, mu-
sicienne, poéti~~e, tragique, combattante, chienne et fée que
.€.as
%'011laJlOiers vontJ mettre en scène". (2)
Ils aborderont des problèmes sociaux comme l'exode ru-
ral, la lutte contre l'alcoolisme, le rôle du fonctionnaire afri-
cain, la place et le rôle de;'~ femme dans l~ société.
. .
(1l
<';: 1t.":'.
Jacques SteI?~~Alexis
fi Condition d'un ztOman na;iona~ ~he2 tes
(2J
peuples noi2's.'tozf\\t 'Le roman". Présence At'ric""
1");,--
avril-mai 1957 ; ~.i8.ge 89.
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Une main !mie de Yoro Diakité est un rO~Jn que d~ cri-
t~q~es ont qualifié de "curieusement européen" (l)f parce que
~..:
i.';~r,oineen est une b"l-ancbé! parce que plus de la moit~ du
>
!0
... récit ~:se p~è.!3'en France, et ne reflète aucune préocc~pati~n
d' ordre africaine . Mais examinons d'abord le fond du r~ç:it. 1t
.
~,
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~J!:
...
' ,
,
'un~, .j eune française, Marie-Théi'~tpar suite d'une
sit4ation familiale pénible (appauvrissem.e.pf·~l1e la, campagne, chô-
'~.'
'.
~iv"j'
';'..
".
mage et difficulté~~pécuniaires), est confrainte de quitter son ~
villa,gepour la ville, à la recherche d'un emploi. Sans l'éfêren-
ces et' sans reconunandations aucune. Pour toute économie, elle
n'est riche que de sa bonne volonté et est prête à faire n'impor-
te quoi .
".
..'~
: ' Elle qui rêvait de ihonter jusqu'à Paris, n'atteindra
que '~nnèB~Mais qu'importe pour un début. Elle déposa inutile-
ment de;de~andes d'emploi dans plusieurs maisons de la ';p~a.ce .
Puis, de gue:~~ lasse, elle fit du porte à porte, pour propo~er
ses services 'aux ménagères du quartier.
',1'
;..~...
"~ cheval Blanc" finit par être sa plapche de salut.
En effet, le travail de serveuse dans ce restaurant comblera ses
voeux et satisfaira ses bespins modestes. C'est là également
qu'elle i~' la connaissanè'e'~'Alain, un client, qui deviendra le
..
'
compagno~ de sa vie.
Après leur mariage, Alain demanda à sa femme d~ cesser
son métier de serveuse. f\\1ais au bout de quelques mois, il connut
lui aussi des lendemains incertains : dans les usines et les chan-
tiers, la compression de personnel rendait précaire la s'ituation
des employés. Ce qui imposa certaines restrictions dans les dépen-
ses de ménage du jeune couple. Parvenu presque au bord du gouffre,
Alain se voit alors contraintid'accepter un poste de moto-pompiste
proposé par une co~pagnie ayant des filiales dans des colonies
d'Afrique. LesflLait.e promis est royal de même que le seront d'a-
:;,
~'
bord l'accueil r~,Frvé au couple Alain par leur employeùr de
.',' ~fta.·:
Dakar, ensuite so~ installation à Makana (une t~pntaine de'-kïlo-
" , :\\!.,.
",.r.~;, ..
mètres de Saint-Louis). Là:! .Alain se voit conffiJ" les fonctions
t .
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~
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id"
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M'
(1) Robert hrnevin :. Litt6~~ê8 d'A!!'fque Noire
de Langue Françai8ei;'~
Pari8~ P.U.l'. 1976·; page 2f6,:'~
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453
de chef de station de' pompa~e.
..
.
" "A,u contac,t de .1' Afrique et de ses réali tés ,~' d~s diver-
~~
, .
gences fo'ndamentales de points de vue ne tardent pas à écl~ter
entre MQnsie~r et Madame Alain. A la fin, elles finissent pa~ pro-
.-:"" ..
jeter même une b~bre menaçante sur la vie conjugale du j~.~cou-
pIe. ,En effet, Alain et ses autres compatriGt~s (formant lac. com-
~.'..\\."."".
.;:r
munauté blanche de Makana) nourrissaient Ul),,'~'omplexe de supério-
,
....
rité vis-à-vis des employés noirs placés i6"~leurs ordres. Pour-
tant 4es derniers étaient plus rentables pour la société, parce
.'
f.

que fuièux rôdés par la pratique quotidienne du métier. Quant au
reste de la population noire y ces Européens les couvraient d'un
souverain mépris. Selon l'auteur (celui-ci assène ses vérités par
la bouche de son héroine Madame Alain), ils obéissent ainsi à
une volonté inconsciente : le jugement éronné a été savamment in-
culqu~ eneU;lC par une littérature coloniale méprisante ou fausse-
ment paternaliste. Madame Alain s'insurge contre la conduite de
ses compatriotes blancs. Elle tente vainement de raisonne~. son
mari, puis s~~rige en juge de leurs actes indignes~
Mat..s les "petit s blanc s" que sont c es derniers, n'en
ont cure. Chaque jour, se déchargeanGde leurs responsabilités
sur les employés noirs, ils vont à la pêche, à la ch~sse, ou se
retrouvent entre eux dans un'club fermé. Là~ ils parlent de l'Afri-
, .1
que 'avec beaucoup de légéreté ; même avec imprudence!
... On
trouvait tout banal, sans intérêt, depuis la terre jusqu'à~ der-
!
'
nier cheveu crépu qui y habite ll • (1)
i
Madame Alain semble donc être l'îlot de bon sens dans
cette mer d'illusions. La jeune femme essaie sans succès d'atti-
rer son époux dans son sillage. Puis elle finit par conquérir la
1
sympathie et la confiance de ses domestiques et, par delà eux,
1
i
l'estime du reste du village. Elle y passe par la suite le plus
clair de son temps à'écouter et à observer vivre le monde noir.
1
Elle découvre progr~ssivement la vie africaine~ ses coutumes, sa
,.
,
1.
,
tradition d'hospitalité et d'entraide communautaire. Il n'est
,~
1
1
\\'1.; ~
'i
jusqu'à la conceptlè~ religieuse des noirs qui ne soit pour"Mada-'!
~
,
me Alain d'un,grand enseignement. Elle conclut ~lors, non pas à
l'unicité mafs à l'universalité.pes cultures.
""~
(1) Une main ~e : Op. Cit., p~gê 209.


~
....,
"il', .
l''~,
....
,
, .... ~.
454
Des années' plus tard, d~ retour e~France, Madame
,
~
Alain ouvre à Fréjus le "Bàr des Gorges du Verdon" grâce aux
qu€Ùques'économies
qu'elle a pu réaliser. Son mari était reparti
..-'
seul en ...~frique "pour quelques affaires".
li
~;.. .
~f~~!l'i~
Au nombre de la clientèle assidu du bar figuraiènt des
élèves officiers venus d'Afrique pour parfai~leur formation mili-
taire à Fréjus. C'est avec eux que naturellern.ent la propriétaire
se l!~ d'amitié. Parmi ces militaires se t~bùve
l'auteur à qui
Mada~~' Alain raconte un soir toute l'histoire de sa vie: la tra-
me de ce roman.
D'aucuns prétextent leur embarras lorsqu'il s'agit de
dégager dans Une main amie un thème véritablement africain. On va
~.
jusq~'à affirmer que derrière l'acte d'écriture, il n'y a aucun
message que. le romancier puisse transmettre à ses compatriotes.
.
/
Yoro Diakité s'adresserait-il uniquement à des
Européens?
La prem1ere partie du roman, la partie jugée européen-
ne, évoque l'exode rural d'une jeune fille française. Cet éternel
cauchemar n'e#t-il pas celui que vivent tous les ruraux montant à
l'assaut de la ville pour conquérir un bonheur illusoire?
"Je n'avais que dix neuf ans à l'époque. Pauvre pay-
sanne que j'étais, j'avais quitté ma campagne pour la
ville. Je ne connaissais personne, et je n'étais re-
commandée à personne. Mon bonheur était en ville,
avais-je pensé. Aussi, il me fallait en dépit de toutes
les difficultés, aller le chercher. Jl ava is d'abord
rêvé de vivre à Paris, au milieu de ce que je cr,Qyais
être le bonheur. La joie d~ vivre dans le mond~d,.
grande ville~ avec ses élégances, ses spectacles, ses
commodités, ses activités, ses plaisirs sans nombre ni
limite, m'avait obsédée. Je croyais à cette vie que je
voulais vivre". (1)
(1) Une main amie : Op. Cit., page 24.

( .. ,
455
1
En somme, ce problème aurait bien pu être celui d'une
jeune villageoise malienne arrivant à Bamako ou dans n'importe
que1Je vil;Le., d'Afrique, tant nos centres urbains tendent à·s' ap-
parente~' à.ceux de la France et de toute l'Europe.
.-;"
~
"A mon arrivée, à Cannes, avant de prendre mon t'rain
pour Paris, je m'accordais le temps de penser à cer-
" '.
tains problèmes urgents qui se posaient à moi dès ma
descente du train. Parmi ces problèmes auxquels je de-
vais avoir à faire face, le plus urgent m'avait semblé
être celui du travail. Je devais m'assurer que dans
les tout premiers jours de mon arrivée, je trouverais
du travail. Ainsi occupée pensais-je, je trouverais de
l'argent pour mes besoins; cela m'éviterait les f1â-
neriesinuti1es qui, le plus souvent~ conduisent où
l' on sait". (1)
Ce ~hème de la jeune fille partant pour l'exode a été
repris, actualisé, africanisé si l'on veut, par B9kar Ndiaye
Kadia, roman que noussyons eu l'occasion d'évoquer plus bau.'
_.1
.
le voit donc,: le prob1~me préoccupe aussi bien les parents, les
gouverr.ants que les romanciers. On n'a pas fini de lui chercher
des solutions.
Que propose l'auteur d'Une main amie? D?abord il fait
des constations. En France, comme au Mali et partout en Afrique,
semb1e-t-i1 nous dire, l'être humain (le campagnard) arrivant
dans la grande ville, se trouve livré à lui-m~me
"La petite somme que m'avaient donnée mes parent~au
moment de mon départ s'épuisait. Il me fallait f~iire
: ; ~- ~
quelque chose de mes dix doigts, car je devais manger,
payer mes notes d!hôte1 et sortir quelquefois, comme
je le désirais tant. Alors, je me mis en quête de tra-
vail afip de pouvoir me dépanner, avant d'avoir une si-
tuatidn stable ( ... ) Pourtant je ne devais pas rester
inoccupée, au risque de me voir un jour ou l'autre
,
dans la rue:i avec mes affaires sur les bras . 'Au sur-
plus, je savais que les hôteliers ne faisaient pas
(1) Une main amie: Op. Cit. - page 24.

456
tant d'aumônes que ça et qu'ils n'accepteraient ja-
mais de me loger un jour de plus, si je ne payais pas.
Il me fallait donc ~'occuper afin de gagner qu~lque
,àrgent, ne serait-ce que temporairement pour parer au
plus urgent. Alors, je décidais de faire n'importe
quoi, tant que cela fût honnête". (1)
Pour l'auteur, la société qui co~pose la ville est
trop individualiste, voire égoïste. Elle broie impitoyablement le
les nouveaux arrivants, les faibles. Yoro Diakité fait parler
ici Martin, cuisinier de son état "ayant une femme et quatre
gosses sur le dos"
"Ici la valeur de l'homme est fonction des seuls biens
matériels dont il dispose. C'est une fâcheuse habitude,
"
car l'homme peut présenter d'autres valeurs que maté-
rielles. Mais qu'y faire
/ ... / Notre société est ain-
si. Elle acc epte que cette règle la régisse
J•••J
Mais il faut tout de même que vous sachiez quand on
est responsable d'une collectivité, ne serait-ce que
sa 'famille, on fait taire son orgueil personnel pour
le bonheur de la collectivité et on se plie aux condi-
tions du moment, le temps d'avoir des forces. (2)
A cause de ce matérialisme, les lois qui gouvernent
les rapports humains ne sont plus que des rapports de force :
"
"Celui sous lesconditions duquelles on se plie n'est
pas d'ailleurs dupe. Il sait que le jour où l'équili-
bre des forces sera rétabli, on aura un tout Autre
' .
-fi,
langage, qui ne sera pas certainement en sa râ~èur.
C'est pourquoi, nos classes sociales ont des~or;:e~~':"
tions si différentes de la vie, que leur interprita-
tion devient sinon impossible, du moins assez diffi-
1
cile. Les grands dirigEnt et vivent aux dépe,s des
(1) Une main amie : Op. Cit. - page 3 25.
(2) Ibidem: page 48.
~ .
.1.

"
457
petits. C'est une loi de la nature qu'il faut accepter,
non pas par défaitisie, mais dans l'attente de ce que
sera demain.
1... 1
..Il Y a bien une morale, qui veut que les uns et les au-
tres nous nous considérions comme frères et nous aidions
mutuellement. Mais en face de ce que nous voyons tous
les jours, nous sommes en droit de nous demander ce que
vaut cette morale aujourd'hui". (1)
,t
Cette aventure risquée que constitue l'exode rural,
présente un bilan négatif poursuit le romancier. L'arrivant est
si désorienté ou si démoralisé qu'il finirait par se laisser bro-
yer, si la providence n'intervenait en lui tendant I1Une main amie".
,,'.
" ~
Ceux qui n'ont pas eu cette chance s'en retournent au
\\or"

village, désillusionnés s le goût amer de l'expérience ratée dans
la bouche.
Ceux qui s'entêtent à rester sur place, s'en vont gon-
fler le rang des chômeurs. Au pire, les garçons deviennent des
délinquants. Et les filles?
Madame Simone Durant nous répond en citant en exemple
la tragédie de "sa famille l1 ou ce qui aurait pu être telle. Il
ressort de cette pénible confidence qu'elle est le fruit de la
folle aventure d'une jeune campagnarde. Celle-ci avait quitté le
village malgré l'opposition des siens, mais des années plus tard,
le réveil brutal sera pour elle à la mesure des rêves et des il-
lusions qu'elle avait nourris en débarquant à la ville.
Son salut aurait consisté au bout du compte
{
au village, mais hélas :
1
"Elle croyait qu'un jour viendrait où le bonheur lui
sourirait en même temps qu'elle aurait un foytt. Des
années avaient passé, et rien n'était en vue. Alors
aux prises avec les difficultés, elle s'était laissé
"
aller au train de la vie sans guide. Tant qu'~e était
encore jeune et cqquette, elle avait des séducteurs,
(1) Une 17V2in amie : Op. Ci t. - page 48.

, .
des soupirants et même des amis du moment qui, en ré-
compense de ses tendresses, lui assuraient le pain
quotidien en même te~ps qu'une existence décente.
Mais aucun d'eux n'était sérieux. Personne parmi tant
dbommes qu'elle avait connus ne pensait mener la vie
qu'elle désirait tant,
celle de famille. Suivant la
marche du temps sa jeunesse fanait, et du coup, ses
admirateurs se faisaient rares, puis l'abandonnaient
au profit de plus fraîches qu'ell~ ... Bien souvent,
elle faisait abstraction de sa dignité, de son orgueil
de femme, de son nom même et descendait sur les trot-
toirs, dans le singulier espoir de s'offrir au premier
venu qui la désirerait, en contrepartie de quelqùe
1

J.
somme d'argent. C'est dans Ces conditions-là qu·è~le
m'a accidentellement donné le jour". (1)
'".. -
1
Ne pouvant nourrir son enfant, poursuit la confesseu-
se, elle l'abandonna aux assistances publiques où, en l'absence
de leurs mamans, les malheureux pensionnaires subissent "une
éducation surannée et parfois draconienne".
Le châtiment de la pauvre femme ne sera pas moins sévè-
re
"Fatiguée, usée avant l'âge, l'âme meurtrie pour m'a-
voir abandonnée, la conscience étouffée et l'honneur
bafoué, ne trouvant plus place sur ces trottoirs au
monde maintenant trop jeune pour qu'elle aussi soit
désirée, ma mère s'était résignée à passer le reste de
,.
ses nuits sous les ponts, disputant des recoins~et~ds
.'.'.
.
.~~.
avec les clochards. Là, elle attendit la mort ,P1eAt~i-
trice, qui finit enfin par la délivrer de sonf~r~'('
deau". (2)
Malheureusement
ce cas ne constitue pas une aKception.
j
C'est le sort implacable qui est réservé à bon nombre de villa-
geoises venant s'empêtrer dans la situation inextricable qu'est
: ;'..,
(1) Une main amie ; Op. Cit. - page 56
(2) Ibidem: page 57.

la vie dans les centres urbains.
L'héroine du roman apprit
à ses d§pens que la ville
différait fondamentalement du village en ce sens que la pureté
des intentions et la seule bonne volonté ne suffisaient pas à
s'y faire
une place~ Au terme d'une longue cogitation, Marie-
Thérèse prend une décision :
','
"Alors, que me restait-il? Faire le trottoir? Il
n'en était pas question. Etant d'une éducation paysan-
ne, et de ce fait imbue du sens de l'honneur, j'avais
écarté du premier coup tous les procédés malsains et
malhonnêtes pour m'assurer mon existence. Au t~e de
ma réflexion~ comme vous le voyez, j'étais in~;~~"e,
,
.,;.~~.
car il ne me restait plus grand-chose. Je ne pouvais
choisir que le commerce. Etre vendeuse dans un grand
magasin
ou serveuse dans un café de luxe, cela me ten-
tait. Et tout compte fait, je me résolus à opter pour
l'un de ces emplois. D'avance, j'étais assurée que l'un
ou l'autre ne me priverait pas du contact que je souhai-
tais avec ce monde de Paris ...
Maintenant) il me restait à savoir la filière
qui m'y conduirait. Je ne pouvais pas me fier aux an-
"
nonces faites dans les journaux, car elles exigeaient
presque toutes des références. Jusqu'ici~ je n'avais
d'autres références que celles d'avoir été à l'étable
traire les vaches et donner du grain à la volaille". (1)
Yoro Diakité a touché ici du doigt un des problèmes dé-
licats de notre société, et qui ronge la jeunesse. En ef~e~,jl'e­
xode, en même temps qu'il gonfle la population de nos vii'réê'~.,
met les villageois en contact avec des milieux mal fanés: ,;~~s,
comment pallier le mal ? Le romancier souhaiterait que nous y
réfléchissions.
Son hércine a eu de la chance à la dernière minute ;
une âme sensible lui a tendu "Une main amie". Cette "main amie"
n'est pas symbolisée par la patronne du "Café RestauraIl"t'~du
(1) Une main amie : Op. Cit. - page 24.

460
Cheval-Blanc", comme on pourrait le penser de prime abord. La
patronne est l'expression type de la bourgeoisie avide et veule.
La main de la Providence se présente à l'héroïne sous
les traits de Madame Simone Durant, la vieille dame q~i lui a
,#"" •
trouvé la place de serveuse. La veuve bienfai trice e&t;~le type
de l'amour et de la charité chrétiennes. A Marie.Thé~~se venue
la remercier elle déclare humblement :
"Air-si va la vie. Elle est si simple qu'il suffit d'uh
peu de compréhension, de bonne volonté de la part des
uns et des autres$ pour procurer à chacun une meilleure
existence. La charité chrétienne ne cornrnande-~-e~le
"
pas à tout croyant de venir en aide à son pro~bai~ ?
Et qu'attendre, surtout quand on sent une jeune fille
comme vous en danger? Ce qui restera d'immortel après
chacun de nous sur terre, ce n'est pas tant tous les
biens matériels que nous y aurons, mais l'amour avec
lequel nous nous serons dévoués à la cause des âmes en
détresse. Les larmes de nos semblables doivent être
les nôtres. Si nous avons les moyens de les essuyer,
nous apportons un grand soulagement à nous-mêmes". (1)
~/" .
Cependant, les propositions de Madame Simone~urant
ne sont-elles pas uniquement de belles théories? D'aucûns pour-
raient en effet être tentés de préconiser le salut par l'amour
du prochain, l'obéissance aux préceptes des religions révélées
(Christianisme et Islam). Cette solution, en ce siècle de robo-
tisation et de déshumanisation de l'homme, au moment où l'on tour-
ne le dos à l'église et à la mosquée, peut-elle être le remède
".,
souverain contre le mal? A la réflexion, il semble qu'on4~~~e
i
répondre par la négative.
. .
.
Des Marie-Thérèse prennent d'assaut tous les jours les
moyens de locomotion qui les déversent dans les grandes villes.
L'auteur a su minutieusement observer le petit peuple grouillant
des quartiers populeux pour .mieux peindre son personnage.
(1) Une main amie: Op. Cit. - page 52.

·
...,~...
1~'"
\\.

L'expérience de cette fille lui sert de prétexte pour adresser
un pressant message aux ruraux :
"Et puis, quand à croire que tout le bonrteur du monde
se trouve concentré en ville, cela ne me pa~aît pas
absolument vrai~ quoi que vous en pensiez, "Les mons-
truosi~és et les déceptions qu'on ren~ntre en ville
sont plus fréquentes qu'à la campagne. Par exemple,
maintenant que vous êtes en ville, regardez autour de
vous. Visitez un peu, quand tombe la nuit, les Halle~,
sous les ponts, les hôtels à bon marché, dans les bas
quartiers, les boîtes de nuits avec leurs drogues. Ce
qu'on voit lâ n!'est guère enviable, car c'est. tout un
monde en perdition
dans lequel on peut compte~ soi-
j
xante quinze pour cent des ruraux. Ils ont pour la plu-
part échoué dans leur tentative de se bâtir un bonheur
en ville, et n'ont pas eu l'intelligence en temps op-
portun de reconnaître leur défaite et de s'en retourner
....
à leur origine. Là, avec l'aide de notre Seigneur et
des leurs, il leur aurait toujours été possible de se
refaire. Mais, ici~ ainsi abandonnés à leur triste
sort, ils vivent sans soins dans ces refuges sordides
et meurent les uns après les autres, laissant. leur
,.,:c'l';:
1
nom dans le grand oubli! ". (2)
f
A tous ces déshérités va donc la sympathie de Yoro Dia-
4"~"'''~J.$
kité. Selon lui, les eJE8àes ne sont pas blâmables. Ce sont des
conjonctures économiques et familiales qui les contraignent à
monter en ville. Ce qu'il faudra au contraire, c'est leur ten-
dre "une main amie". La solution au problème de l'exode rural
dépendra de la bonne volonté que chacun de nous mettra pour le
résoudre.
L'exode rural qui constitue le thème majeur dans la
première partie d': "Une main amie" a préoccupé également Aoua
Keita. L'auteur de Femme d'Afrique s,'est penchée sur le sort de
(1) Une main amie ; Op. Cit. - page 56 - 57.
(2) Ibidem : page 215
1

#i - ",' ';~;-;,.
cette catégorie de travailleurs émigrés que sont les navétanes.
~
Un des personnages du roman de Yoro Diakité, Samba, nous est
1
r
présenté de la manière suivante :
f
"( ... ) par wagons remplis, on les dévers~it sur le
f
Sénégal pour la culture de l'arachide. (Car) l'usage
d'alors voulait que chaque famille donne un homme pour
1ï"
l"
constituer le détachement de "navétanes", il était con-
traint de faire le va-et-vient entre le Soudan et le
Sénégal, au début de chaque hivernage et après chaque
récolte". (1)
1
Ces Soudanais é~aient contraints chaque année de venir
cultiver l'arachide au sé~êgal, pour le compte de l'administra-
1
f1
tion coloniale. Lorsque liindigenat et le travail forcé turent
supprimés plus tard, tous ces navétanes n'eurent pas le temps et
les moyens financiers de rentrer chez eux. C'est ainsi qu'on
peut expliquer aujourd'hui la présence d'une forte colonie de ces
S)udanais dans les régions arachidières du Sénégal que sont
Diourbel et Kaolac~.
A la suite de Yoro Diakité, Aoua Keita s'attendrit
sur le sort de ses compatriotes expatriés non plus au Sénégal,
1
mais cette fois-ci en Guinée-Bissao, oa ils travaillen~~~ leur
,~, .""
propre compte, comme des journaliers. Les difticul té~:q\\,tf"J.ls
•.
,f.l
:
rencontrent, sont résumés par Lassana Ùiagana, le secrétaire gé-
néral de leur association
"Ces difficultés ne sont pas d'ordre économique, car
nous sommesd&ourageux travailleurs. Les Blancs de tou-
tes les nationalités préfèrent avoir des Guinéens et
des Soudanais dans leurs services / ... / Au port; nous
sommes toujours recherchés. Il est vrai qu'à la jour-
née nous gagnons moins que les autochtones de notre
condition. Mais, à la fin du mois, nous gagnons beau-
coup plus qu'eux, pour cette raison que nous trouvons
tous les jours du travail". (2)
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - !
(1)
Une "",in amie : Op. Cit. - page 215
!
(2)
Ferrme d'Afrique:
Op. Cit. - page 185.
{
t '
1

','
Inconsciemment, cet émigré soudanais révèle à Aoua
Keita l'exploitation dont lui-même et tous ses compatriotes de
Bissao sont l'objet. A travail égal, lui dira la romancière, le
salaire n'est pas égal pour tous. Lassana Diagana l'a reconnu
implbitement lui-même, mais il croit, dans sa naïveté, que la
préférence des Blancs pour les émigrés est due à leur réputa-
tion de bons travailleurs. Malgré donc les allégations des
Soudanais, ils avaient des difficultés d'ordre économique.
Le second type de difficultés auquel les Soudanais de
Guinée Bissao sont confrontés, a sa source dans les rapports
J
intercommunautaires au sein de la masse africaine. C'est d'ailléurs 1
ce à quoi Lassana Diagana et les autres émigrés sont le plus
1
1.~,
J.
s e n s i b l e s l
i
[
"C'est donc sur l~ plan social que ces difficultés se
situent. Les habitants de Bissao, surtout ceux qu'on
1
appelle les Créoles, et qui ne sont pas allés à l'école,
nous créent toujours des histoires, car ils se croient
1
supérieurs à tous les Noirs. Ils nous provoquent jour-
1
nellement aussi bien au port, au marché, que dans les
quartiers / ... / Avant, nous avions toujours à Noêl, au
1er janvier ou à Pâques des blessés dont certains mou-
1
raient des suites de leurs blessures.
/ ... / • M~~é
"
~ i
en
1
temps normal, sur les accusations plus ou mof!l.fÎ"'gra-
tuites d'un originaire du pays, nous étions raflés,
malmenés par les age~ts, accablés d'amendes considé-
1
rables". (1)
De l'avis de Lassana Diagana, la naissance de leur
association est due à un cas de force majeure. Ayant dans un
premier temps eu recours (sans succès) aux bons offices du con-
sulat, (sans doute le consulat de France, puisqu'ils étaient
des sujets français) ils décidèrent par la suite de s'unir,
ensuite de se regrouper tous au même endroit les jours de fête
et pendant tout le temps que duraient les festivités : ils for-
mèrent ainsi, une force ayant sinon un pouvoir de protection,
du moins un pouvoir de dissuas.ion.
(1) Fe7111'le d'Afrique:
Op. Cit. - page 185.
,1

, .
{ . ';
;'
Aoua Keita pense au contraire que cette solution n'est
pas la meilleure. Elle prône les vertus du syndicalisme devant
les émigrés de son pays :
"Les paysans du Soudan français, à 95 % illétrés à
l'époque, surtout ceux du Sahel complètement enfermés
dans les traditions ancestrales, ignoraient certaine-
ment tout du syndicalisme. Ils ne connaissaient certai-
nement pas l'existence du SMIG, que tout salarié, tout
employeur doit respecter. Ils acceptaient innocemment
toutes propositions faites par les employeurs qui,
profitant de leur ignorance, les exploitaient honteu-
sement". (1)
'.'
l
'
,.
L'auteur de Femmé d'Afrique tente alors de les cons-
cientiser. Au cours de multiples entretiens avec ses compatrio-
tes et leur chef, elle attire leur attention sur le problème
de leur exploitation qui ne prendra fin qu'avec la création
d'un syndicat.
Quant à la tension entre émigrés et autochtones, elle
est due, selon Aoua Keita) à la "préférence pat'ernaliste dénuée
de sincérité" affichée par les Blancs à l'égard des premiers.
Elle intervint auprès du consulat de France afin que d~;S·~plesu­
res plus appropriées soient prises pour refréner le z~~ede la
police et protéger les expatriés.
(1)
Ferrme d'Afrique :Op. Cit. - page 186.

.....
..
.
~ -
.
x"
~\\jq..
1"
465
Rôle des fonctionnaires africains sous la
colonisation
Deux auteurs ont choisi de nous parler du rôle de
l'homme dans la scciété) plus précisèment dans un pays en voie
de développement.
L'un, Mamadou Gologo, s'élève contre l'introduction
f
des boissons spiritueuses en Afrique par le colonisateur Blanc
!
et préconise des moyens efficaces à ses yeux, pour combattre le
fléau que constitue l'alcoolisme.
j
"Toutefois, Le rescapé de l'Ethylos est un livre étran-
ge qui ne souffre guère la comparaison ... u (1) En effet, le roman
semble se composer de trois chapitres n'ayant apparemment aucun
lien entre eux, mais écrits sur un ton gai rappelant un peu
Un nègre à Paris de Bernard Dadié où Utout est dit avec aisance
et souvent avec un humour qui, sans être exceptionnellement fin,
est de nature
1
à plaire u • (2)
L'objectif du romancier remonte d'abord très loin dans
le temps pour nous présenter le film sur l'ancê~re fondateur de
la ville de Koulikoro, actuellement capitale de la deuxième ré-
gion économique du Mali.
Cet ancêtre, Siki-té-masson, était, paraît-il, doué
d'une bravoure exceptionnelle en même temps qu'il était chasseur
émérite. Ce qui devait l'exposer constamment à des risques comme
cet incident de chasse qui faillit lui coûter la vie tandis qu'il
se trouvait loin de toute présence humaine. Contrairement à toute
attente, cette conjoncture lui apprit à se suffire à la manière
d'un Robinson Crusoë, trois années durant. Puis l'heureux ·hasard
qui conduisit vers lui les pas de trois voyageurs errants, fera
de lui d'abord un chef de famille puis de village à la longue.
Kouloukoro, le village sis "Près du Rocher" (3) était né, qui
(1) Léonard Sainville : Anthologie de la litt~ratUl'e n~gro-africaine.
Op. Cit ,', - page 41.
(2) Robert Pageard
: Littéra-ture négro-africaine.
Op. Cit. - page 110
(3) Le re8cap~ de l'Ethylos;
Op. Ci t. - page 10.

466
s'agrandira au fil des siècles.
Après cette fugitive traversée des âges, le romancier
nous promène à travers lYépoque contemporaine. Son grand-père,
dit-il était originaire du Fouta Toro comme El Hadji Omar qui en
fit un capitaine d'armée. Il participa ainsi à lYédification de
l'empire théocratique et, à l'instar des descendants du chef tou-
couleur, se fixa dans la région de Ségou. Il s'y tailla un fief
de près de trois cents villages qu'il administra à la satisfac-
tion de ses sujets. Le démantèlement de l'empire "omarien" pro-
voqua la grande dispersion qui conduira la famille Golo§Pà Kou-
likoro.
C'est là que, un millénaire ou peut-être seulement
trois siècles après Siki-tè-masson, naîtra le héros-narrateur.
Quant à son père, il y a" peut-être
vu le jour lui aussi, mais
rompant avec la tradition guerrière, il a choisi de se faire
agriculteur cependant qu'il était ouvrier calfat et maçon à ses
heures.
La preuve de sa noble lignée étant faite, Gologo nous
ramène aux temps modernes, ce qui semble correspondre à la deu-
xième partie du roman. Il nous confie les souvenirs de son enfan-
ce turbulente et espiègle dans le village de Koulikoro. Ses
parents s'évertueront à lui donner une éducation conformé à la
bonne réputation de leur famille ainsi qu'aux dogmes de l'Islam
~ bien qu'ils ne sachent du Coran que quelques rudiments comme la
presque totalité des noirs soudanais. De même que la plupart des
gamins du pays, l'enfant apprit à ânonner quelques versets du
Saint Livre. Après cette période de psittacisme, vint celle de
l'école française. Il débutera ses humanités dans son village na-
tal puis les poursuivra à l'école primaire supérieure Terrasson
de Fougères de Bamako. Après bien des péripéties, il les termine-
ra brillamment à la "pharamineuse Ecole William Pont y (du Séné-
gal) la pépinière des fonctionnaires de l'A.O.F." (1)
,j
La formation reçue dans cette fameuse école permettait
d'embrasser~lus tard la carrière d'instituteur, de commis
(1) Le re8aap~ de Z'EthyZos;
Op. Cit. - page 43.
1

, ,
467
expéditionnaire, de secrétaire des greffes et parquets, d'agent
comptable, ou de médecin africain. Après bien des supputations
c'est ce dernier métier qu'il choisira d'apprendre ..• sans gran-
de conviction d'ailleurs.
Il retrace avec son humour coutumier les étapes de ses
années studieuses de formation dont trois à William Pont y et qua-
tre à l'Ecole de Médecine de Dakar. Il rêvait déjà d'une vie tou-
te rose mais le destin en avait décidé autrement. En effet, juste
quelques mois avant de prononcer le serment d'Hippocrate, un des
camarades l'invita à rompre avec sa vie casanière pour rendre
visite à une galante.
Inconsdemment, Gologo se trouvera entraîné sur les pen-
tes de l'épicurisme au mauvais sens du terme: la femme et l'al-
cool.
Plus tard la vie de caserne ne fera que développer son
penchant éthylique. Lorsqu'il quitta l'armée pour exercer à tra-
vers les villes du Soudan, sa dipsomanie alla croissante.
Mais le héros-narrateur avait hérité des siens une tra-
dition de courage dans le travail et de vertu qui lui faisait
partager les souffrances d'autrui, toutes qualités qui auraient
dû lui forger une bonne réputation. C'est ainsi qu'en toutes
occasions, il s'élèvera avec force contre les actes inqualifia-
~ bles des fonctionnaires français se conduisant en maîtres abso-
lus dans un pays conquis. Et, en ces temps où le Blanc croyait
son règne éternel en Afrique, Gologo ne réussira qulà s'attirer
les foudres de l'administration coloniale. Après des mutations
disciplinaires (de Katibougou à Douentza, puis à Sikasso et à
Rharous) destinées à le rendre raisonnable, Gologo fut rayé de
l'ordre de~ médecins et mis au ban de la société. La cabale menée
par ceux dont il voulait combattre les actes repréhensibles,
avait porté ses fruits.
Comme si ce n'était pas assez de tant de malheurs, la
femme qu'il .'avait épousée d'ailleurs que sous certaines con-
traintes, se disant lasse de le supporter, lui claqua la porte
au nez.

468
Sa mère fut alors son dernier refuge. Fine psychologue
comme savent l'être les bonnes mamans, elle seule comprit que
le mal dont souffrait son fils n'était pas tant l'effet corro-
dant de l'alcool que le manque d'affection. Elle accourut au mo-
ment où l'auteur allait sombrer, l'entoura de sa sollicitude et
entreprit de le guérir.
Cette intervention de la mère coincide avec le début de
ce dont le romancier veut faire la troisième partie de son livre.
Après lui avoir longuement rendu hommage, il nous dit qu'elle
parcourut avec lui des centaines de kilomètres jusqu'à Konina,
un village des environs de Koutiala. Là s'était rGtiré pour ses
dévotions un illustre marabout. Sa science et sa piété attiraient
vers lui des milliers de pélerins venus de tous les coins de
l'Afrique de l'Ouest, à la recherche àe la grâce, du pardon ou
des faveurs du Ciel. Le héros-narrateur qui ne tarie pas d'élo-
ges sur le saint homme, décrit longuement sa personne, son habi-
tation et ses habitudes. Puis il parle des gens (des Noirs et
même des Blancs) qu'il y a rencontrés, ainsi que des motifs di-
vers qui les y ont conduits. Enfin, il nous annonce la bonne
nouvelle : comme les autres solliciteurs, en quittant le sanc-
tuaire il emportait dans ses bagages non seulement l'espoir d'une
guérison certaine (la désintoxication), mais aussi la foi musul-
mane qu'il avait perdue depuis longtemps.
j
t
Une fois "Rescapé de l'Ethylos", il pouvait s'attendre
à sa réinsertion dans la société qui fut d'ailleurs suivie plus
tard d~ l'obtention d'un poste à la mesure de ses compétences.
On le voit, les thèmes développés par le romancier vont
de la vitupération contre le colonialisme à la façon énergique de
lutter contre la toxicomanie, ce mal endémique qui menace de dé-
cimer la jeunesse de tous les pays.
Quant à la dichotomie entre le milieu traditionnel,
d'éducation et l'univers scolaire, elle pourra servir, à travers
l'expérience vécue ici~ de point de départ pour une politique
pédagogiquecadaptée aux réalités africaines au lieu que les états
africains appliquent sans discernement ce que la France propose
en la matière.

469
L'auteur n'oublie pas l'impact considérable de la re-
ligion sur son peuple et nous en décrit les inconvénients (fana-
tisme) et les avantages (guérison et autres miracles). Mais si
l'on devait retenir un thème majeur ce serait le signal d'alarme
pour la prévention contre l'alcoolisme. Golo~o nous décrit les
étapes qui ont conduit à sa llchute" (pour nous mettre en garde),
puis nous reccmmande la thérapeutique qui l'a guéri.
Il Y a chez tout homme une propension naturelle à parler
de sa propre vie si l'on pense qu'elle peut servir d'exemple à
de plus jeunes et moins expérimentés que soi. C'est parce que
Gologo n'a pas échappé à cette règle que nous lui devons aujour-
d'hui de lire Le rescapé de l'Ethylos. Il est fort probable éga-
lement
qu'en cours de route, l'auteuraitfait chorus avec la ma-
j
jorité des intellectuels africains de l'époque qui ont dénoncé
18 colonialisme comme la pire des pestes. Ceci expliquerait sans
doute pourq,oi. plus de la moitié du roman est consacrée à décrire
les symptômes de ce mal.
Manifestement le but de l'auteur est de proposer une
recette, celle qu'il a expérimentée lui-même: à savoir le sa-
crifice de sa vie pour extirper le colonialisme
"Par contre, le Malien qui lira ce livre éprouvera une
grande fierté en constatant;. .. /que son peuple est ac-
tuellement devenu le seul artisan de son destin après
de nombreuses années de lutte anticolonialiste. (1)
Nous ne reviendrons pas sur ce thème que nous avons eu
à traiter. Si d'après le romancier le colonialisme a pris fin en
1960 avec les indépendances africaines, nous aurons tort de dor-
mir sur nos lauriers car avertit-il :
il
cette lutte n'est cependant pas encore tout à fait
terminée.
En effet, il reste à combattre le colonialisme
j.
dans un domaine plus subtil, celui où a été construit
.
son arsenal doté de ses armes les plus penèctionnées
et les plus meurtrières;. .. /
( 1) Le rescapé dra l 'Ethylos;
Op. Ci t. -page 8.

470
Il s'agit d'armes silencieuses~ opérant avec précision,
aussi nocives que les virus cachés dans un organisme
convalescent reconnu "blanchi" par les cliniciens.
Le salut de l'Afrique dépend des dispositions
qu'elle prendra pour détruire ces armes d'autant plus
dangereuses qu'elles parent sa vie contemporaine,
corrodent patiemment sa raison, son psychisme. Joyaux
d'une société dite "moderne", elles risquent d'enter-
rer la société "primitive" africaine qui tire sa force
justement de sa morale encore vierge". (1)
Gologo condamne dona le néo-colonialisme et la civili-
sation technicienne de l'Occident dont la présence en Afrique a
pour corrolaire la déperdition des valeurs africaines tradition-
nelles.
En parlant d'''armes silencieuses qui corrodent patiem-
ment la raison et le psychisme de l'Afrique", il pense sans doute
aux sc~nes dégradantes que l'on peut voir sur certaines gravures
d'histoire africaine: les Blancs vêtus avec magnificence et sur-
tout pondérés, distribuent aux Noirs dénudés mais étourdis de
joie des verroteries et bien sûr de l'alcool. Monsieur Sékéné
Mody Cissoko cite un document écrit par un portugais ayant parti-
cipé aux découvertes des terres africaines
"Les Noirs habitant cette regl0n vont nus sauf qu'ils
couvrent leurs parties inférieures avec une bande de
coton ou un morceau de "lambel" qu'ils considèrent com-
me un vêtement très honorable. Ils se nourrissent de
milho et de vin de palme, bien qu'ils apprécient davan-
tage le nôtre, de poissons, d'un peu de viande (prove-
nant du gibier) qu'ils tuent. Chaque année, le Roi
notre seigneur, arme douze petits navires chargés de
marchandises, Ils ramènent de ce royaume l'or échangé
par le facteur de son altesse. De plus, il envoie trois
ou quatre navires chargés de victuailles, du vin et
des marchandises nécessaires". (2)
(1) Le resaapé de "L'Ethy"Los;
Op. Ci t. - page 8.
(2) Sékéné Mody Cissoko : Doauments d 'histoire de "L'Ouest Africain.
Paris - Présence Africaine 1965, page 122.

..,.,. "."1
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..
'
47I
.....
Les historiens ont dénon~ c~ s~stème de troc comme
un procédé malhonnête et inhumain : !J.ystèm~ économique colo-

niaI français: il s'agit de tirer le maxi~m des terres con-
quises, de rentrer dans ses fonds ... La première "doctrine"
coloniale cohérente après Jules Ferry est celle d'Albert Sar-
rault en 1923. Il présente les colonies comme le recours déci-
sif qui relèvera la France des misères de la guerre", (1)
écrit à ce propos Ki-Zerbo.
Gologo reprend la critique à son compte et semble dire
ici que l'alcool, introduit en Afrique par le Blanc, est une des
armes les plus nocives du colonialisme puisqu'il était destiné
à abrutir nos vaillants guerriers d'autrefois et qu'aujourd'hui
il s'attaque au milieu dit "occidentalisé" et surtout à l'élite
du pays. Le but recherché alors par le Blanc est sans conteste
d'annihiler toute volonté chez les Africains et de les empêcher
ainsi de faire obstacle à la main-mise européenne sur le con-
tinent.
A ceux qui rappelleront que l'alcool de fabrication
~ locale a toujours eu sa clientèle en Afrique, le romancier pour-
} ..,.
~'ra rétorquer que l'hydromel, la bière de milou le vin de pal-
me n'étaient pas fabriqués de façon industrielle; qu'on n'en
a jamais fait une consommation abusive, et qu'ils n'ont jamais
donné lieu à des scènes de soûlerie.
Or, nous confie le romancier, "un verre de bière pris
dans l'enthousiasme, fut à l'origine de toutes les mi-
sères que jai vécues. Il me semble vous avoir déjà af-
firmé que j'ignorais quelle en pouvait être la saveur,
et à fortiori, il ne pouvait être question pour moi de
connaître celle des autres élixirs soigneusement con-
servés dans les buffets ventrus aménagés par les adep-
tes de Bacchus ... " (2)
Un soir donc, l'insistance d'un camarade à vouloir dis-
traire un peu~. Gologo de la morne solitude du campus universi-
taire a eu raison de sa volonté de rester le garçon timide et
(1) Joseph-Ki-Zerbo ; HiBtoi%'e de 1, tA i
e Noire dfHier à demain
Op. C1t. page
9.
(2)
Le Re8cap~ de 7, 'Ethy7,08 ; Op. Ci t. - page 90.
',-"
;

-\\..,'i"
-.
~\\~,i ..~,
47.2
solitaire que ce dernier allait cesher d'être ... pour son mal-
heur :
"Allons Douglas~ remue-toi un peu, que diable 1 Un hom-
me ne peut pas passer toute son existence à compter
combien de poutres
soutiennent la toiture de sa case.
Il est recommandé de se détendre de temps en temps.
Lève-toi et mets bien vite ces frusques, je reviendrai
dans une dizaine de minutes. J'espère que d'ici-là,
tu seras prêt. D'ailleurs, tu ne regretteras pas de
m'avoir accompagné: je puis te l'affirmer!
... J'ai
fait une de ces conquêtes ! Il faut que je te la mon-
tre, que tu la voies de tes propres yeux. Une vraie
beauté." (1)
En acceptant de "sortir" avec ce camarade, l'auteur al-
lait "entrer" inconsciemment dans "le corridor de la tentation"
et être happé aussitôt par deux forces magnétiques : la femme et
l'alcool. En effet, "la vraie beauté" en question s'appelait
Fatou et l'hôtesse "au teint cuivré et chaud desMauresques" ac-
.~rdera ce soir-là une attention toute particulière~ non pas à
\\;t'ami venu la "conquérir:!, mais à l'accompagnateur. Elle déploie-
ra tout l~rsenal féminin qu 1 elle possédait pour une telle offen-
sive :
"Sa méthode thérapeutique était d'une efficacité sans
pareille. Sans crier gare, elle sauta "illico prestis-
simo" sur mes genoux, se mit à me tortiller le plus
haut de mes boutons de col. Puis vint le bout de mon
nez; ensuite elle pinça mes lobes d'oreilles, ces par-
ticules charnues extrêm~en\\ensibles ! J'ignore dail-
leurs si vous avez jamais eu l'occasion de subir cette
f
expérience des mains d'une jeune femelle au châssis
drôlement rembourré ! Quant à moi, je fus persuadé sur-
1
Ie-champ que cette fameuse disciple d'Esculape ne man-
1
quai t jamais de faire des mirac les". (2)
(1)
Le re8caP~ de "l'Ethy"lo8;
page 90.
(2)
Ibidem; page 95.
1

473
Effectivement elle gagna son pari et, pour tout corser,
elle lui proposa de la bière connaissant parfaitement l'effet
qu'allait produire cette boisson:
"Je tins bon cependant dans mon obstination à ne vou-
loir prendre aucune boisson alcoolique. Mais Fatou con-
tinua à me faire l'éloge de la bière.
Elle est très nutritive, la bière, me dit-elle
Ce n'est pas une opinion personnelles mais bien celle
de beaucoup de connaisseurs, parmi lesquels se rangent
les médecins. Comme tu fais partie de cette honorable
corporation, je n'ai donc pas grand-chose à t'appren-
dre sur les vertus extraordinaires de cette "semence
de levures".
Allons, mon grand, laissons ces pauvres types
ingurgiter l'i~nonde vin rouge et savourons ensemble
ce nectar souverain contre la constipation et la fati-
gue. Tu m'en diras des nouvelles! Sois sûr que jamais
je ne te mettrai sur une mauvaise voie ... "
Fatou eut beau persister dans son désir de me
faire goûter (de) la bière, je résistai". (1)
Cependant, le samedi suivant, Fatou ne se contenta pas
de lui "lancer des oeillades capables de distraire un saint". (2)
Elle revint à la charge avec plus de tact :
"Je fus de nouveau sous le déluge charmant de ses ta-
quineries qui cette fois, m'ôtèrent toute notion de
résistance. J'y lus franchement les signes prémonitoires
de ma défaite dont la consommation ne se pouvait plus
calculer qu'& quelques secondes près. J'attendis donc
vaillamment le coup de grâce". (3)
Cette fois-ci Dalila venait de vaincre Samson, selon
l'expression du romancier lui-même. Lorsque les étreintes amou-
reuses de Fatou eurent amené son amant au paroxysme "de sa furie
(1) Le l'esaap~ de l'Ethylos;
Op. Cit. - page 99.
(2) Ibidem - page 102
(3) Ibidem - page 105

474
1
de mâle déchaîné", avec un sourire câlin, elle lui tendit de
nouveau un verre de bière. Quant à Gologo, il ne réalisera l'é-
tendue de son erreur que lorsqu'il aura vidé sa coupe:
"Je quittai Fatou ce soir-là ivre de baisers certes,
mais ayant également franchi la première marche de cet
affreux escalier qui mène au souterrain de la déprava-
tion. Et, comme la plupart des escaliers dérobés, ce-
lui que j'avais emprunté ce soir-là était affreusement
vermoulu.
Cependant} je pus vivre encore quelques mois à
l'école de médecine sans descendre au-delà de quatre
marches l'escalier de la débauche. Mais j'avoue que je
devenais de plus en plus familier avec la bière. J'en
ingurgitais maintenant sans cette répulsion du début.
Doucement donc, corr~e vous le voyez, j'avançais dans
un apprentissage qui me conduisit plus tard au diplôme
d'expert de "brasserie". (1)
Tel est l'écueil dans lequel l'auteur est tombé au
. sortir de l'adolescence. Faute d'expérience donc! Le message à
retenir de lui ici est un avertissement afin quepersonne d'autre
ne se laisse prendre à ce piège subtil :
"Je ne puis preClser actuellemeht de quelle mani~re
j'acceptai cette offre. Toujours est-il que je pris le
verre et le vidai~ tout en retenant mon souffle comme
si je m'apprêtai pour une plongée ...
Ce fut effectivement à partir de cette minute
que je faisais ma première plongée dans les abysses
de l'alcoolisme, dont l'exploration minutieuse faillit
me coûter la vie. Je vous étonnerais vrais·emblablement
si je vous apprenais qu'il me fallut ensuite trois lon-
gues années pour être en mesure de remonter à la "sur-
face".
(2)
(1)
Le rescapé de l 'Ethylos j'Op. Ci t. - page 116
(2)
Ibidem - page 110

..."
....
,Of
415
Une bonne partie du récit sera ensuite consacrée à
nousdécrire les effets néfastes de l'alcool sur l'organisme hu-,
main ainsi que les conséquences sociales qui en découlent pour
l'ivrogne:
"Inutile de vous dire qu'en même temps, je me vidai
d'un fragment de cette dignité qui fait la valeur de
tout homme raisonnable. L'alcool conduit, qu'on le
veuille ou non, aux plus lointaines limites de la dé-
gradation. Notre société moderne ne dispose, pour pa-
rer aux ravages de lalcoolisme, que des moyens hypo-
crites, dont les imperfections résident surtout dans
cet esprit même de compassion qui les entoure, dans ce
dénigrement qui les renforce, dans cette fausse solli-
citude qui les enjolive, à tel point que l'ivrogne arri-
ve rapidement, et plus vite que ne le souhaitent ni
lui-même, ni son entourage, à se rendre compte de la
piètre valeur qu'il représente au sein de la collecti-
vité. Il se trouve dans la situation de celui qu'on
plaint, qui est bafoué et vaincu par l'impression
qu'il a de vivre en marge d'une humanité sursaturée
d'institutions morales équivoques ... Il obtient au
sein de la collectivité, et que jamais plus rien ne
parviendra à le tirer de ce complexe d'infériorité". (1)
Chemin faisant, l'auteur flétrit les agissements
pseudo-philanthropiques de ceux qui pensent que !Ile mépris reste
le seul remède souverain de l'ivrognerie". (2) Il est convaincu
au contraire que de tels comportements, loin d'avoir une vertu
curative, contribuent à faire de ces cas désespérés des margi-
,naux ou même des parias. Il en est de même en ce qui concerne
les ligues anti-alcooliques.
S'il n'existe pas de recette infaillible pour combat-
tre l'éthylisme, il estime par contre que le traitement psycho-
f
logique peut dans la majorité des cas, servir à récupérer les
1
éthyliques. Sa cure de désintoxication s'annonce ainsi:
(1)
Le rescap~ de l'Ethylos;
Op. Ci t. - page 110
(2) Ibidem - page 111

476
"J'ai pu me rendre compte que seuls peuvent remporter
une victoire certaine en ce domaine, les moralistes
désintéressés, ceux qui n'hésitent pas à se substituer
sans répugnance à la personnalité du malade, de telle
sorte qu'i~parviennent à déceler chez ce dernier un
vestige de probité qu'ils s'attachent à développer et
à faire épanouir. Ceux-là partent de ce fait que cha-
que individu possède au fond de sa structure morale un
petit point particulier, parfois à peine décelable,
mais qui mérite des éloges et réclame qu'on lui accor-
de un certain intérêt. Chacun de nous possède ce "petit
quelque chose" qui est plus sensible que le reste de
son "tout" et l'homme qui arrive à le toucher est votre
parent". (1)
L'appel de Gologo semble avoir été entendu dans une
certaine mesure, lorsqu'il s'agit aujourd'hui de lutte contre
l'alcoolisme. Dans la plupart des pays, les mesures de prophy-
laxie rejoignent ce qu'il avait préconisé: ne pas rudoyer le
malade, l'humilier ou l'isoler (il s'imaginera banni de la so-
ciété), mais le soumettre à la limite à un traitement en cure
libre et en milieu ouvert. C'est ainsi que toute personne prise
en flagrant délit d'ivresse sur la voie publique est soumise à
des sanctions pécuniaires. Mais lorsque l'examen médical révèle
que l'individu est intoxiqué la sanction peut être pénale, mais
la personne sera autant que possible traitée avec une bienveil-
lante attention : elle sera mise sous une surveillance médicale
(visites périodiques) ou astreinte à suivre une cure proprement
dite. Dans tous ces cas les parents du malade seront invités à
demeurer auprès de lui jusqulàl~uérison complète; ceci afin
qu'il ne soit pas privé de tout contact affectif.
Malgré tout on peut dire, à regarder le pourcentage
grandissant de la consommation d'alcool en Afrique) que la pro-
phétie de Gologo s'est avérée juste: lices armes dangereuses,
disait-il, risquent d'''enterrer la société primitive". En effet,
une proportion inquiétante de la société "moderne" (il pense
aux intellectuels et aux jeunes) a basculé dans l'éthylisme.
(1)
Le rescapé de Z'EthyZos;
Op. Cit. - page 111

477
Malheureusement~
il semble peu probable que les pays africains
puissent disposer un jour de moyens susceptibles d'enrayer le
fléau ou même de l'endiguer.
Le romancier déclare que le Blanc a délibérément ou
intentionnellement introduit l'eau-de-vie et d'autres liqueurs
dans notre vie paisible (la société traditionnelle). Mais on se-
rait tenté de lui poser la question de savoir si c'est le colo-
nialisme qui est responsable des conséquences fâcheuses de l'al-
coolisme que nous déplorons aujourd'hui. Il semble avoir répondu
par l'affirmative en citant son propre cas. Si le colonisateur,
soutient-il, n'est pas l'agent direct de son initiation aux
joies morbides que procure l'alcool, il est sans conteste coupa-
ble d'avoir provoqué la triste performance à l~quelle il est
parvenu en si peu de temps.
Certes ~ concède~·t-il, "j'en arrivai à donner des sur-
noms aux différentes qualités de bière que je goûtais.
J'étais devenu assez compétent pour les class~r en
"jus de melon" ~ en "in'fusion de quinquéliba" et "pisse
d'âne", tout comme un vétéran ... " (1)
L'auteur est persuadé qu'il aurait pu un jour combat-
tre son mal sans l'intervention d'une force extérieure: la vie
de caserne ... autre manifestation du colonialisme!
Il soutient que dans l'armée, il n'aurait pas pu se
payer le luxe de boire vu la solde dérisoire que perçoit le Nè-
gre. Mais~ lorsqui'l fut admis (faveur exceptionnelle) dans le
"mess des sous-officiers européens", l'ambiance du lieu fit sur
lui l'effet d'un stimulant. Le milieu social dit-on, influe
beaucoup sur le comportement de l'homme; c'est la vie de Gdbgo
parmi les soldats européens qui va favoriser sa propension à
boire.
Dans le "mess li réservé généralement aux Blancs, non
seulement l'alcool ne coûtait pas c,her, mais les habitués du
bar tenaient tout le temps à offrir à leur "toubib" noir des
"apéros" ou des "digestifs!!.
(1)
Le rescapé de Z'EtfzYcs:.
Op. Ci t. -page 117

478
Et la grande accusation que l'auteur porte contre la
vie de caserne "c'est que dans l'armée, personne n'a le temps
de s'occuper de la conduite de son voisin. Il est admis que c'est
une affaire privée. Tout ce qu'on lui demande, c'est
qu'il ne dépasse pas les bornes de la bienséance.
Javais donc des possibilités illimitées, puisque dans
la coloniale, il faut savoir "être saoul". Savoir sup-
porter l'alcool est d'ailleurs une des plus belles ver-
tus de l'art militaire! Tant pis s'il existe des gars
qui ne touchent pas à l'alcool. C'est leur affaire I~"I
A mesure que le temps passait, il me devenait
de plus en plus nécessaire de me procurer un tonique
"neuro-musculaire". (1)
Désormais, avec un tel record, l'habitude était défi-
nitivement acquise. A telle enseigne que lorsqu'il arriva en
permission dans sa famille, il ne parvint pas à cacher son vice,
a fortiori, à s'en débarrasser.
"Pendant tout ce mois .flle vacances, je consommais de
l'alcool en cachette, utilisant tous les moyens nou-
veaux et anciens qui permettent de "désodoriser l'ha-
leine" embuée des relents de cognac. Je me trompais
moi-même, à la manière de tous les vicieux". (2)
L'ambiance familiale où est toujours conservée pure la
tradition musulmane a-t-elle eu à la longue une influence posi-
tive sur le jeune docteur? A notre grande surprise, il nous an-
nonce qu'à sa prise de service au dispensaire central de Bamako,
il parvint à cesser de boire. Effort louable que malheureusement
l'atmosphère de fête d'un mariage d'ami détruira: Gologo nous
raconte comment, happé de nouveau par le vice, il fit honneur à
toutes les marques de liqueurs spiritueuses à portée de sa main
et entreprit inconsciemment la conquête d'une jeune femme qui de-
vait se retrouver le même soir dans son lit.
(1)
Le rescapé de l'Ethylos ; Op. Cit. - page 133.
(2) Ibidem - page 143.

479
"Cette nuit fut à l'origine des trois quarts de la
triste série des misères qui me frappèrent ultérieure-
_.,. ..~
ment" (1), avoue·t-i1.
Lorsqu'il demanda à être muté à Katibougou~ c'était
parce qu'il avait un remord de conscience et qu'il tenait sin-
cèrement à se reconvertir : échapper aux deux principales incar-
nations du vice à savoir la femme et l'alcool.
"Pourtant, si j'avais décidé de me réfugier à Katibou-
gou, c'était uniquement parce que je voulais me sous-
traire à l'action conjuguée des vices qui confluaient
vers mon âme. Le monstrueux attrait que l'alcool exer-
..
çait sur moi se transformait insidieusement en besoin
organique, et en ajoutant à cela les conséquences
éventuelles pouvant résulter de ma faiblesse d'une
nuit à l'égard d'une femme 3 je me faisais mentalement
une opinion de l'étendue de la catastrophe qui me
gu et t ait".
( 2 )
A Katibougou, le répit ne fut que de courte durée.
Après avoir reçu une certaine lettre et plus tard des visites
impromptues, Go1ogo apprit qu'il serait bientôt père. Il avoue
alors que le profond bouleversement dû à 1 1 annonce de sa future
paternité et la perspective inquiétante de devoir un jour pro-
chain vivre maritalement avec une femme rencontrée dans une oc-
casion fortuiée, le poussèrent encore une fois à prendre "un
petit quelque chose pour noyer ses soucis". ~
Cependant, revenant à son idée premlere~ il soutient
que c'est le racisme affiché par ~ Blanc à son égard qui allait
transformer en tare ce qui n'était chez lui qu'un travers passa-
ger.
Les griefs formulés par le romancier contre les Blancs
sont de deux ordres, sans que l'on puisse pour autant les dis-
socier : la discrimination à l'égard des Noirs dans l'adminis-
tration coloniale et le comportement inqualifiable des Français
(1) Leresoapéde l'EthyÙ)s:;
Op.
cit. - pp.ge 148.
(2) Ibidem - page 156

480
vis-à-vis de la population autochtone.
Vivant dans un véritable délire de persécution, le
héros-narrateur avait pris sur lui de défendre la cause de tou-
tes les victimes du colonialisme. Une telle ligne de conduite
l'amènera à deux reprises, en confrontation directe avec les
autorités blanches de Katibougou. S'estimant alors bafouéœpar
un
Nègre qui leur donnait ainsi des leçons de justice et de
probité, ces dernieres rédigèrent contre lui un rapport qui
peut se résumer ainsi: "Médecin G.B. toujours ivre, devient de
plus en plus enclin au meurtre. Nécessité intervenir rapide-
ment".
(1)
"Cependant, se plairt Gologo, en ma qualité de fonc-
tionnaire et surtout de médecin traitant, ils auraient
dG essayer de me pénétrer davantage~ Mais en ce mo-
ment-là, le racisme battait san pein, au son de sa
cadence la plus virile et le rythme de ses pas de co-
losse se répercutaient dans les horizons les plus re-
culés de l'Afrique Noire".
(2)
1
La mutation pour motif disciplinaire ne se fit pas
attendre.
On expédia la brebis galeuse qu'il était à Douentza,
un poste médical reculé dans la brousse soudanaise. Une pratique
de l'administration coloniale que lauteur déplore, c'est le vo-
lumineux dossier accusateur qui suivait tout Nègre refusant de
se soumettre :
trJe ne suis jamais parvenu à comprendre l'utilité des
dossiers. Vous faites une erreur? D'accord! Sur la
minute, on ne vous dira jamais rien, vous non plus,
vous n'aurez rien à dire, rien à écrire! Cependant,
le service employeur aura déjà noirci une trentaine de
pages en "pseudo-confidentiels". Il y sera mentionné
que vous avez tenté d'assassiner le Consul de France à
Quito, alors que vous vous trouviez au Kenya. On trou-
vera en l'occurrence des témoins de bonne foi qui af-
firmeront vous avoir retenu le bras, cependant que
(1)
Le rescapé de l'Ethyws;
Op. Cit. - page 189.
(2) Ibidem - page 175.

481
vous brandissiez rageusement armé d'un couteau "modè-
le abattoir 55 11 • 'routes ces déclarations "indiscuta-
blement vraies 11 ~ seront ment ionnées noir sur blanc.
Elles deviendront des certitudes dûment contresignées
et incluses dans votre dossier. Essayez alors de les
réfuter et l'on fera venir, sur un simple coup de
téléphone, une camisole de force, du modèle employé
dans la prison fédérale de 'Sing-Sing". Vous serez
pr i s c omme un rat 1<. ( 1 )
Ce que l'auteur déplore le plus, c'est l'attitude
ouvertement raciste de l'admiriStrateur colonial. Si l'un de ses
compatriotes blancs se trouvait dans la situation décrite, l'ad-
ministrateur n'aurait pas hésité à le traiter avec bienveillance
écrit le romancier.
Les Nègres, moins que des riens, n'ont droit à aucune
commisération. Et Gologo cite
"Cela me conduit à faire la remarque suivante : si
après cet incident, on m'avait calmement et impartia-
lement interrogé, on m'eût J(ans doute acculé à une
confession complète. Mon âme, longuement alourdie se
serait délestée du poids qui l'étouffait. J'aurais pu
bénéficier de la franchise que jaurais mise à dévoiler
ce qui me harcelait. J'aurais pu être classé comme un
"démoralisé" un "choqué mental". J'aurais pu mériter
un peu d'assistance. J'aurais pu être réconforté et
guidé. J'aurais pu être hospitalisé dans un hôpital
tout proche, afin d'y subir une cure de désintoxica-
tion comme cela avait été fait à l'égard de certains
de mes camarades qui se trouvaient dans le même cas".(2)
Pour lui, le voile d'incompréhension
de condescendance
3
même, qui s'est tissé entre les Noirs et les Blancs (par la faute
de ces derniers), est la cause principale de l'aggravation de sa
situation. Soumettre l'ivrogne à une claustration forcenée, sou-
ligne le romancier, n'a jamais débouché sur son rétablissement.
(1)
Le rescapé de Z 'EthyZos ; Op. Cit. - page 193.
(2) Ibidem - page 192.


482
Or, c'est généralement la politique adoptée par l'administration
à l'égard des fonctionnaires Noirs.
"Pourtant, en y réfléchissant, la gravité de ma situa-
tion ne m'était pas entièrement imputable, car si
1I~1essieurs de la Direction du Service de Santé", au
lieu de chercher à m~soler comme un pestiféré, sous
prétexte que la solitude et
l~nsignifiance d'un poste
de brousse compliquaient le ravitaillement en alcool,
m'avaient tout bonnement mis en observation dans un
milieu sain, ils se seraient sans doute montrés plus
raisonnables". (1)
Et Gologo, revient avec force à son idée maîtresse,
celle qui constitue la principale accusation du roman :
"Car il n'existe pas, à travers toute l'Afrique, un
poste administratif où il soit impossible de trouver
"quelque chose à boire". Je dis et rr.aintiens que l'al-
cool suit l'administration coloniale comme les remords
s'accrochent aux flancs des requins pendant leur
périgrination". (2)
Parce qu'il ne manquait aucune occasion d'élever la
voix pour protester de façon véhémente contre les actes colonia-
listes et racistes des Blancs, le jeune médecin se verra infli-
ger plusieurs mutations successives : de Douentza il se retrou-
vera à Sikasso la capitale du Kénédougou dans l'extrême Sud du
pays
puis de nouveau il repartira pour le grand Nord, à Gourma-
Rharous "petit village situé à la porte du Sahara ... à mille
deux cents kilomètres de toute trace de vie humaine". (3)
Le héros-narrateur répète que pour la cause de ses
frères de race il n'a jamais hésité à sacrifier jusqu'à sa pro-
pre réputation. Ce qui devient un motif de légitime fierté :
(1)
Le l'escap~ de Z'EthliZoS ; Op. Cit. - page 211
(2) Ibidem - page 212
(3) Ibidem - page 286

...
"Peut-être, ai-je jouê le rôle de "chevalier protec-
teur" en des circonstances où il êtai t permis de me
considêrer comme victime d'une "aliénation mentale",
mais il n'en demeure pas moins vrai que cette aliéna-
tion a rendu pas mal de services à pas mal de gens et
cela à tel point que je ne regrette pas trop les ré-
sultats de cette "folie". (1)
A chacune de ces prises d y position, l'administration
coloniale rédigera un rapport circonstancié dans lequel êtaient
mentionnês invariablement les mêmesmotifs : l'incurie du jeune
médecin, sa prêsence permanente dans les vignes du Seigneur et,
pour tout corser, son état social dangereux pour son entourage.
Gologo regrette qu'à Douentza des Africains vils se
soient associés aux Blancs pour diriger contre lui une violente
campagne de dênigrement
"Il est vrai que déjà à Douentza, j'avais été victime
d'une cabale dont la violence était sans bornes. Vous
vous souvenez qu'elle avait êté ourdie grâce aux
manoeuvres d'un interprète un mal d'interprétation,
énergumène dont le langage ressemblait à s'y méprendre
à celui d'un pinguoin intervenant à l'Assemblée des
Nations désunies. Cabale à laquelle prirent part égale-
ment des cadis, des Imams, des notabilitês diverses,
qui avaient les uns et les autres rêdigé des motions
abracadabrantes. Je préfère passer sous silence l'at-
titude de Monsieur le Reprêsentant de la République
Française qui se trouvait alors à Douentza". (2)
Et le rapport rêdigé contre lui rêsonnait du même son
de cloche que celui qui sera libellé plus tard à Sikasso avec
pour différence essentielle que l'aêropage ne sera composê que
de hauts fonctionnaires europêens. D'où le grand crédit accordê
al,.;.
dossier :
(1)
Le resaapé de 1, 'Ethyl,os ; Op. Ci t. - page 229
(2) Ibidem - page 285
.,

484
"Monsieur G.B. était tellement ivre qu'il ne pouvait
se tenir debout. Il lui fallut s'appuyer sur la .
balustrade pendant que nous lui adressions des repro-
ches. En outre
cet énergumène est si souvent dans cet
5
état que nous considérons comme un crime de lui lais-
ser encore la liberté d'exercer un métier réclamant
tant de conscience et de dévouement!
(1)
Il n'est pas surprenant qu'à la suite de tels arguments
massues l'inculpé se voit suspendu de ses fonctions et trainé
devant le conseil de discipline de l'Ordre des Médecins. En se
présentant devant la barre des accusés, Gologo avait la convic-
tion que le verdict de son jugement était connu d'avance, mal-
gré les contre-vérités et les justifications qu'il était en me-
sure d'apporter en signe de dénégation. Il est persuadé aussi
que ces "éminences grises l1 ne se fixaient pas pour tâche de ré-
parer les injustices dont il se serait rendu coupable dans
l'exercice de ses fonctions; pas plus qu'elles ne visaient à
contraindre le fonctionnaire qu'il était à respecter la déonto-
logie médicale. Le but inavoué, écrit-il, était de tenter de
"sauver l'honneur du service de santé, même s'il était nécessai-
re de me faire disparaître", simplement parce qu'on avait affai-
re à un ennemi juré du colonialisme.
Voilà alors que l'accusé d~vient accu~ateur :
"Il n'existe rien de plus grave, de plus humiliant
pour un être pensant, que d'être convaincu de sa dé-
chéance, de se sentir définitivement avili~ d'être per-
suadé qu'il est à jamais exclu du reste de la société
Il peut être alors poussé à des extrêmités dont nul,
même lui, ne saurait entrevoir l'issue. Si quelque cho-
se de fâcheux m'était arrivé, j'en attribuerais volon-
tiers lq responsabilité à mes juges d'alors, qui étaient
tout ce qu'on voudra, sauf des juges.
Ce procès acheva de tuer en moi tout ce qui me
restait encore de dignité. Ma personnalité fut désagré-
gée, entièrement dispersée sans espoir de récupération
ultérieure". (2)
(1)
Le re8cap~ de l'Ethylos ; Op. Ci t. - page 277
(2) Ibidem - page 28~

485
L'épisode de Gourma-·Rl1arous ne sera quiune répétition
de celles de Douentza et de Sikasso. L'éloi~nement diun poste
médical des grands centres urbains, nous a déjà dit le héros-
narrateur, ni empêche pas SOl; ravitaillement régulier en alcool.
Aussi ne fut-il pas mis à la diète. Au contraire, le sentiment
de l'injustice commise à son égard le fit s'adonner davantage
à lialcoolisme. Il s'obstina à y chercher un dérivatif à ses
malheurs à telle enseigne que
"Je pris, ô extrême limite de la déchéance, l'habitude
de diluer mon approvisionnement en alcool à 95° spé-
cialement destiné au service médical. Jien bus, et
lorsqu'il manqua, je me rabattis sur l'alcool à brû-
1er! Ensuite$ vint le tour de l'alcool de menthe ven-
du en flacon sur les étals. Je terminai par de l'eau
de cologne ! (1)
Gologo va jusqu'à rendre le colonialisme responsable
des visions hallucinatoires qui troublaient fréquemment ses
nuits. Et il nous décrit ces visions afin que nous compatis-
sions à sa peine :
"Ji en étais arrivé à ne plus pouvoir fermer lloeil.
Mon esprit demeurait envahi par des rêves de toutes na-
tures, cependant que mes yeux étaient ouverts, irré-
sistiblement ouverts.
Je me voyais par exemple en train de me prome-
ner à travers des jardins enchantés du type des "Mille
et une nuit") ou bien, tout-à-coup, je me retrouvais
sur le point de livrer une lutte épique contre des
monstres dignes de l'Apocalypse. En médecine, nous
appelons cela ?izooptie" : vision hallucinatoire
d'animaux". (2)
À
l' administrat:7 _1 cependant, revenait le dernier mot.
Sa riposte énergique (jug~ en rapport avec la situation créée par
le délirqùant ) ne se fit pas attendre. Gologo fut définitive-
ment révoqué de ses fonctions de médecin, après seulement deux
J
(1)
Le8 l't:saapé de Z'Ethytos; Op. Cit. - page 218
(2) Ibidem - page 224

""4
486
ans d'un service qu'il voulaitcon3acrer entièrement il soulager
les souffrances de ses frères de race.
Il fit une crise de dépression nerveuse. L~névitable
selon le héros-narrateur) a été évité de justesse grâ~e à l'in-
tervention salutaire de sa famille :
"Comme toujours} ce fut ma famille qui, dans ce terri-
ble désarroi, me secourut cependant qu'à nouveau je
posais ma question au Destin. Ce fut cette famille qui,
malgré les vicissitudes que
lui causait ma conduite
désastreuse, élabora le programme de ma guérison com-
plète parce qu'elle était convaincue que je n'étais
pas perdu .. ," (1)
Il rend un vibrant hommage à cette famille qui restait
alors son dernier refuge, il son arche de Noë!!
..~.
"J'avais enfin réintégré ma famille après bien des
périgrinations assow~antes. Une famille ne vous repous-
se jamais ; elle seule peut se consacrer à la tâche
de vous assister jusqu'à votre mort ou votre guérison.
La société prétend être cependant une imitation de la
famille. Quelle aberration! La fMmille est une ins-
titution extraordinaire, la seule qui peut faire sen-
tir aux hommes que la solitude est leur pire ennemi.
Sans mes parents et mes amis dont le nombre
était devenu restreint (à mesure que ma bourse deve-
nait flasque), je ne serais plus propre qu'à végéter
dans un asile d'aliénés, en admettant que je ne fusse
enterré". (2)
Sa mère donc fit le voyage de Ségou (où résidait alors
la famille) à Gourma-Rharous pour venir le chercher~ puis l'en-
toura de sa chaude affection. Quelques semaines plus tard, elle
le conduisait vers Koutiala~ vers le salut.
(1)
Le l'escap~ de l. 'Ethyl.os;
Op. Ci t. - page 224
(2) Ibidem - page 300.
1

487
Gologo nous dévo·ileà présent la secrète source de· sa
guer~son. Il la doit, selon lui, à deux facteurs primordiaux
le premiér facteur nous dit-il, résidait dans sa volonté per-
sonnelle de se soustraire à l'inUuence néfaste de lalcool. Le
malade que les médecins ne désespèrent pas de sauver, c'est ce-
lui qui, tout en ayant conscience je la gravité de son cas, ne
se laisse pas aller au désespoir total
"Oui, j'étais réellement malade.
Mais un malade qui avait conservé sa foi intacte ;
cette dernière étant soutenue par la certitude qu'il
avait de pouvoir être guéri. L'idée de guérison com-
plète me hantait sans cesse. Cela signifiait que mes
racines étaient encore intactes ... , et c'est sans dou-
te ce qui m'a sauvé. Je vécus toujours dans la certi-
tude que je guérirais bien un jour. Il existait chez
moi, je l'avoue~ cette espérance de la dernière éner-
gie, qui mobilise entièrement les derniers sursauts
de la volonté et de la dignité ...
Je pense que sans elle, beaucoup de mal serait
fait".
(1)
S'agissant du second facteur ayant conduit à la gué-
rison, on penserait tout naturellement à la famille de l'alcoo-
lophile. Certes, c'est un élément qu'il ne faut pas négliger.
Mais l'intéressé avoue que malgré la promptitude de l'inter-
vention des siens, et le réconfort moral qu'il en a retiré, son
vice avait repris le dessus au bout d'un certain temps. D'ail-
leurs, au terme du voyage Ségou-Koutiala, alors que sa mère
(qui l'amenait vers le marabout) était épuisée de fatigue et
était presque sans ressource financière, GOIOg8 confesse avoir
commis le péché de lui
soustraire de l'argent pour aller dans
1
le bar d'à côté répondre à la sollicitation de l'alcool.
1
!1
~,
"J'avais oublié que j'étais sorti dans l'unique but
de chercher une subsistance quelconque pour nous deux
Je maudis cette nuit, je maudis ma personne
(1) Le resoapé de Z'EthyZos;
Op. Ci t. - page 281

qui me dégoûtait davantage en ce moment précis. Je ne
pus d'ailleurs m'empêcher de sangloter) me souvenant
que j'avais volontairement délaissé ma mère, seule dans
cette triste masure
et lui avais volé sa part de vic-
j
tuailles. J'avais misérablement gaspillé la somme
(
qu'elle m'avait remise, l'argent si durement acquis
r
Combien de temps étais-je resté sans en obtenir par
mes propres moyens? J'étais un damné chien: causer
du tort à cette pauvre femme, dilapider le peu qui
1
lui restait après l'avoir ruinée par ma conduite dé-
sastreuse ! "
(1)
, .
L'ultime espoir résidait à présent dans le recours aux
1
pouvoirs d'un marabout, mais pas n'importe lequel. Il s'agit en
l'occurence du marabout de Konina qui est présenté au lecteur
comme un homme vertueux et profondément pieux. Rien de commun
entre lui et ces charlatans et rebouteux qui courent de nos
jours toutes les régions de l'Afrique de l'Ouest,proposant aux
incrédules des médicaments dont ils sont les premiers à récuser
l'efficacité.
Ce n'est pas non plus le genre de marabouts que décri-
vent la plupart des romanciers Ouest-Africains et qui, même
s'ils possèdent quelques recettes efficientes, se livrent de
plus en plus à des spéculations sur le prix de leurs services.
"Ce qui corrobora mes prévisions quant à la réputation
de ce marabout~ c'est que je constatai par la suite
qu'il usait de procÉdée rigoureusement honnêtes. Sitôt
que vous veniez le consulter, il vous priait avant
tout de rester à ses côtés pendant trois jours pleins.
J'ignore ce qu'il pouvait faire pendant ce laps de
temps, mais au cours de ce délai, il vous faisait ha-
1
bituellement appeler pour vous confirmer si oui ou non
t
vous pouviez espérer sur (sic) un résultat positif. Je
l'ai en plusieurs occasions entendu déclarer à des
t
clients "Retournez d'où vous êtes venu. En ce
moment,
(1) Le resaapé de Z'EthyZos ;Op. Cit. - page 319
..

or --
"
489
je ne puis absolument rien pour vous. Mais~ revenez
dans un an, je serai alors en mesure de prier le
Seigneur en votre faveur. Mais actuellement n'espérez
aucune amélioration de votre situation. Soyez certain
que vous allez continuer à supporter le poids de vos
misères". (1)
Sur ce thème du marabout on pourra se reporter utile-
ment à notre Mémoire de maîtrise (cité plus haut).
Sur plusieurs pages ensuite, Gologo met toute sa verve
dithyrambique à décrire la personne du marabout (qui passerait
pour un saint) puis sa demeure et ses dépendances (qui seraient
u~~~anctuaire, un lieu de pélérinage célèbre).
Lorsqu'il reprend le fil de sa narration~ c'est pour
nous faire dire par sa mère, dans une très longue tirade, le
but qui les a conduit tous deux vers le marabout :
"
Je vous serais reconnaissante de voir ce que vous
pouvez faire pour lui (mon fils). Je vous donne l'as-
surance que nous considérons ce que vous nous direz,
comme parole émanant du Coran.
~ .. /Lntercédez en notre faveur auprès du Sei-
gneur, afin qu'Il nous donne le bénéfice de sa grâce,
récompense qu'Il attribue à tous ceux qui la lui de-~
mandent avec humilité". (2)
Au terme de ce séjour dans le "sanctuaire", quand le
marabout reprend la parole, le héros-narrateur lui fait faire
longuement l'éloge de sa propre mère et de sa descendance. Mais
l'essentiel de ce discours pourrait se résumer ainsi:
"Brave vieille femme, je vous donne l'assurance que
le Ciel a bien voulu entendre nos prières qui émanaient
d'un coeur puri.•• 1
Le cas qui nous intéresse aujourd'hui était
(1)
Le rescapé de l'Ethylos .; Op. Cit. - page 338.
(2f Ibi"dem - page 336

490
prévu. Ne vous inquiétez plus jamais. Cet enfant souf-
frira encore dans son âme, justement parce qu'il se
mettra au service des pauvres ...
... Jamais plus il ne consommera de l'alcool.
Jamais plus il n'en supportera même l'odeur ... Tout
ce que je vous recommande, et je le répète, c'est de
veiller à ce que ce jeune homme conserve la foi qui
lui a été révélée ici. Qu'il croit en Dieu et qu'il
s'acquitte de ses devoirs religieux conformément aux
1
prescriptions du Coran. Grâce à cette précaution qui
est la prière conçue pour affronter la longue étape
l
de la vie, votIBfils sera assuré de progresser désor-
i
mais sans défaillance, avec le maximum de sécurité et
de succès ...
1
... Ce que vous me devez? Rien du tout ... La
reconnaissance est une dette que seuls réclament ceux
qui font du bien avec ostentation!
(1)
Le séjour auprès du marabout de Konina n'aura donc pas
porté seulement à Gologo la guérison d'un mal qu'il traînait
comme un anathème. En repartant du "sanctuaire", il emportait
au fond de son coeur un acquit non moins précieux :
"Il fallait que ma vie changeât, dans le sens confor-
me à la vertu. La seule ressource qui me restait à
utiliser demeurait la Foi.
La Foi ? Je rai découverte pendant mon péléri-
nage. Je la conserverai durant tout ce qui me reste
encore à vivre. Je la cultiverai parce qu'elle èst à
la base de mon salut. Cela est indiscutable ... (2)
Ainsi se termine sur une lueur d'espcirce roman auto-
biographique qui nous a fait suivre toutes les tribulations par
lesquelles le héros-narrateur est passé après avoir eu le mal-
heur de se laisser tenter un certain soir par un petit verre
fl
d'alcool.
!
Des
(1~ Le l'escap~ de l'Ethylos; Op. Cit. - pages 342-343
(2) Ibidem - page 346

'\\
...
491
Des conséquences aussi imprévisibles que désastreuses
en dé.coulèrent pour le jeune médec in :
"Mon crédit dans la Banque de la Renommée médicale
était bien solide lorsque j'étais au début de ma car-
rière. Mais j'eus la mauvaise fortune, co~~e tous les
prodigues, de penser que la largesse, même en matière
de sollicitude et de compétence, comblerait éventuel-
lement le trou moral provoqué par la perte temporaire
de ma personnalité ...
La puanteur de l'alcool dégradait mes bonnes
intentions en mauvaises (sic), transformait mes bons
desseins en sentiments sordides, dénaturait ma bonne
foi authentique en complexe de culpabilité. Toutes les
couches sociales ont des ennemis. C'est une loi qui
gère la vie de notre triste humanité, sinon, la sol-
licitude serait beaucoup plus développée depuis la
création du monde. Au contraire nous constatons qu'el$:'
le est de plus en plus classée parmi les attributs
secondaires". (1)
Non seulement la société condamne sévèrement ceux de
ses membres qui s'écartent de sa logique en matière de oonduite,
mais il lui arrive parfois Ce le faire san. discernement :
"Je fus éjecté de la plupart des sociétés qu'il me
revenait incontestablement d'honorer de ma présence.
Je fus rayé avec dégoût de la liste des sympathisants
de plusieurs associations. Quant à mes mul tiple~,-"qua­...\\:
lités" de membre d'honneur de ceci ou de cela, elles
finirent par être transférées sur le répertoire du
déshonneur !
Il fut aisé à plusieurs personnes de me repérer
et classer définitivement dans le rang des vicieux
impénitents. Je vécus des heures d'obscurité après des
heures de célébrité. Il me fut faciles au cours de
cette détresse de me rendre compte, de faire entière-
ment la part de l'instabilité et de la vanité, de la
(1)
Le rescapé de l- 'Ethyl-os ; Op. Ci t. - page 269

492
bonté naturelle de l'homme) telle quielle est procla-
mée par les philanthropes contemporains ii • (1)
L'évocation de tant d'avanies ne constitue-t-elle pas
la meilleure propagande anti-alcoolique ? La profession de foi
de l'auteur, ponctuée d'aveux de culpabilité, est très touchante
en soi. L'accent devient pathétique à force de sincérité :
"Je me retrouvais encore une fois très las, déprimé,
fou de remords, dégradé et avili. Je n'avais plus
qu'une âme de bête dans un corps d'homme. Je me vouais
à tous les enfers, affirmant que ma présence dégra-
dante devait être immédiatement rayée de parmi les
hommes '! (2)
Ainsi à ses moments de lucidité, l'éthylique a-t-il un
immense dégoût de lui-même et souffre-t-il de la dégradation
des rapports qu'il devait normalement entretenir avec son en-
tourage. Constat très douloureux!
Ce n'est pas en définitive le fait d'avoir battu
un
triste record (devenir le plus grand ivrogne du Soudan en trois
ans) qui constitue un motif de fierté pour Gologo, bien au con-
traire. Le grand message qui résonne à travers ce livre, le
voici :
"J'estime qu'apr!s tout, j'ai le droit d'être satis-
J:•....•.
fait, car je peux me rendre utile aux autres en jetant
1
un cri d'alarme qui, je l'espère, sera entendu partout J'"
f
en Afrique Noire où les ravages dûs à l'alcoolisme
sont et demeureront longtemps le pire des crimes du
système colonial". (3)
Vous qui ne prenez pas d'alcool, si l'auteur a réussi
à vous faire prendre conscience malgré tout du danger que vous
pouvez courir en vous adonnant aux boissons spiritueuses ; mieux,
(1)
Le rescapé de Z'EthyZ08 ~ Op. Ci t. - page 298
(2) Ibidem - page 291
t
(3) Ibidem - page 299
1
~
1

· ,i. ;-;
493
s'il vous a iliit prendre en horreur et llalcool et le colonia-
lisme, son premier but sera atteint.
Le romancier vise un second but : adresser un message
d'espoir à ceux qui se sont laissés tenter par l~s joies morbi-
des de l'éthylisme. Se plaçant dans la situation de la colombe
pour l'arche de Noë, il leur annonce la bonne nouvelle: sachez
qu'il existe des moyens thérapeutiques sûrs pour vous guérir.
A côté des moyens médicaux de désintoxication employés dans les
hôpitaux, vous avez la possibilité (pourvu que la bonne volonté
de guérir y soit) de recourir aux pouvoirs de marabouts pieux
et désintéressés qu'on trouve encore de nos jours dans des
retraites spirituelles.
- liA toi qui ne connais pas l'alcool, fuis-le afin de ne
jamais le rencontrer sur ton chemin.
- A toi qui en consommes, que cette lecture te serve
d'avertissement.
- A toi enfin qui te sens vaincu par l'alcool,pense
que tu peux, que tu dois prendre ta revanche. La vic-
toire n'est pas au-dessus de ta volonté, et ton ennemi,
c'est celui qui te dira le contraire. Ton devoir sur-
tout, c'est de ne jamais mettre en balance ton sort
et celui de la Société Africaine.
L'Afrique doit vaincre l'alcoolisme, héritage
du colonialisme". (1)
A présent, c'est Issa Baba Traoré qui intervient pour
présenter longuement le travail accompli par les fonctionnaires
Africains sous la colonis~tion, comme l'a fait du reste Mamadou
Gologo.
Cependant, le but de Traoré est de rendre hommage au
lieu que Gologo donnait des mesures de prophylaxie sociale.
+
+
+
L'ombre du passé de Issa Baba Traoré est un roman cen-
tré sur la critique du système colonial. Bien que très préoccu-
pant, ce thème n'a pas empêché le romancier de se pencher sur
(1)
Le :rescap~ de l'Ethylos;
Op. Cit. - page 378

.'.
"
494
d'autres problèmes sociaux. Ce récit n'est pas une autobiogra-
phie. Mais pour des raisons que nous donnerons plus loin "l'é-
crivain adopte la voix de son personnage pour raconter tel ou
tel événement, il choisit d'observer une 'situation ou de juger,
selon son point de vue ... Ii (1)
A Tamballa, Fahroud le lI vo l um ineux commerçant libanais ll ,
avec la complicité de l'administration coloniale~ exploitait
bassement la population du bourg et de ses environs. Il leur
sous-achetait dans sa factorerie toute leur production arachi-
dière et les rudoyait de coups de pied et de fouet. Outre ces
scènes quotidiennes de brimade, le Libanais pouvait s'arroger
impunément d'autres droits comme celui de rendre la justice en
se substituant au commandant de cercle.
A l'inverse se situait Ali, le maître d'école. Sorti
"tout frais émoulu ll de l'Ecole Normale (où l'on formait les ins-
tituteurs indigènes), le brave enseignant était bourré de théo-
ries et de bonnes intentions. Il inculquait avec un dévouement
exemplaire, son savoir à ses jeunes élèves en même temps qu'il
dispensait avec une totale abnégation les rudiments du français
aux adultes désireux d'être alphabétisés. Au besoin, il se muait
en infirmier et en vulgarisateur scientifique pour l'ensemble
du bourg qui était à son avis, lent à s'adapter au progrès venu
de la ville. Et, au terme de sa journée harassante, l'institu-
teur n'avait pour toute consolation que les réminiscences des
moments agréables passés en compagnie de sa douce Marie, restée
à Koussana. L'amoureux~ isolé par l'éloignement, lisait et reli-
sait la correspondance adressée
par sa fiancée et ne cessait de
lui clamer sa flamme dans des lettres qu'il lui écrivait plusieurs
fois par semaine.
La seconde grande idée qui soutenait le moral de IlMous-
sé Ali ll était son désir de parvenir dans les plus brefs délais,
à reconvertir les mentalités des Tamballais, dans le sens de
leur intérêt.
(1) Gérard PI' inc e : "Pel"sonna.ges-romanoiers dans Les Faux Monnayeurs"
in French Studies, Volume XXV, 1971, page 51.

495
Tout Tamballa avait dore les yeux rivés sur ceS deux hom-
mes, qui, au départ, entretenaient de bons rapports de voisina-
ge. Mais la divergence de leurs points de vue s'accentua au fil
des mois pour devenir un fossé. "Moussé Ali" s'évertuant à ame-
ner les villageois à faire une prise de conscience face au ré-
gime colonial.
Du coup, l'instituteur allait se faire des ennemis parmi
les défenseurs du système : non seulement le commerçant liba-
nais allié inconditionnel du commandant de cercle
mais aussi
l
le chef de village et quelques notables de Tamballa tous à la
solde de l'administration.
La révolte implicite du jeune instituteur s'extériorisa
par son refus d'abandonner sa classe pour le plaisir de rédiger
les correspondances du commerçant libanais. Il critiquait éga-
lement Fahroud dont la richesse avait sa source dans le pillage
des biens du peuple. Le commerçant vit dans les actes et ~s
propos de "Moussé Ali ll la manifestation d'une politique anti-
française. Et puisqu'il incarnait le pouvoir colonial à Tambal-
la, il crut qu'il était de son
devoir de neutraliser l'insti-
tuteur séditieux.
Le colonisateur recourait à des méthodes classiques pour
liquider les fortes têtes et parmi elles, la cause occasionnel-
le qui va déclencher le début de cette lutte inégale. Elle op-
posera d'un côté le maître d'école et de l'autre le commerçant
libanais, ses amis les administrateurs et leurs complices du vil-
lage.
Un jour donc,"Houssé Ali", dans l'exercice de ses fonc-
tions d'éducateur, se v~ accusé d'avoir fracturé le membre
d'un élève (peu importe lequel) auquel il n'avait donné qu'une
giffle à cause de sa polisonnerie. En fait, il venait de tomber
dans le piège de Kamissa (la mère de l'enfant), maîtresse clan-
destine du commerçant libanais qui la manipulait en dessous.
Fahroud alerta alors contre l'infortuné instituteur
ses amis
3
et ses acolytes: toute la hiérarchie de l'administration colo-
niale et même l'inspecteur de l'enseignement. Le blâme avec ins-
cription au dossier sonna le glas de la carrière enseignante du

496
maître d'école et le coup de grâce fut donné par son incorpora-
tion dans l'armée.
Au plus fort de la tourmente qui devait l'emporter,
"Moussé Ali" chercha le réconfort dans la lecture des lettres
diamour de sa chère Marie. Malheureusement, ces dernières se
y,.
faisaient rares et de moins en moins empreintes de chaleur com-
municative. En fait, quelques mois plus tard, Marie allait lui
annoncer sans scrupule la fin de leur idylle et son mariage
avec un jeune homme plus frais et de meilleur parti. C1est la
raison pour laquelle le séjour à la caserne (où liordre avait
été donné de lui réserver les tr~ements les plus sévères) acheva
de saper le moral d'Ali et de détériorer sa santé.
Entre temps à Tamballa, il avait été remplacé par
"Moussé Boubacar" dont la conception pédagogique était à l'op-
posé de celle de son prédécesseur. De plus, il s'affichait pu-
bliquement avec sa femme, comme certains le font en ville à la
manière des Blancs ! Ce qui scandalisa le villag2 qui commença
à regretter son ancien instituteur.
Longtemps après, lorsque l'inspecteur de l'enseigne-
ment intervint, par manque de personnà, pour obtenir la libéra-
tion de "Moussé Ali", ce fut presque un fantôme qui sortit de la
caserne pour aller s'aliter ensuite à l'hôpital. Son teint hâvre
et ses gémissements déchirants préfigurèrent son agonie qui ne
tarda pas.
Un mois après cet événement, la triste nouvelle de la
mort de "Moussé Ali" parvint à Tamballa. Alors seulement "l'om-
bre du passé" pesa lourdement sur la conscience de ses ennemis
du village. Il ne leur restait plus désormais que du remords
dans l'âme et des paroles de repentir sur les lèvres. Tous com-
prirent qu'ils n'avaient été que de viles pions entre les mains
des Blancs et qu'ils ne tireront jamais profit du système mis
en place. Au contraire, réalisèrent-ils, le colonisateur s'éver-
tue à diviser les Africains pour mieux les assujettir et les
1
exploiter.
-,
On l'aura remarqué, la critique du système colonial
~
1
..

497
et de ses exactions a été l'armature qui sous-tend cette oeuvre.
Mais un autre thème peut-être sous-jacent mais digne d'intérêt
et faisant pendant au premier est celui de l'amour raté entre
Ali et Mariétou.
Mais~ à bien lire L'ombre du passé, on s'aperçoit que
si l'amour y joue un rôle important~ le drame dlAli n'aurait pas
été moins poignant quand bien même l'idylle de l'instituteur
aurait été passée sous silence par le romancier.
Comme dans la plupart des oeuvres d'auteurs négro-afri-
cains) l'amour n'est donc pas projetté au premier plan, tel
qu'il s'étale de plus en plus dans la littérature Occidentale à
la mode. Les oeuvres des auteurs négro-africains renferment
d'autres préoccupations. C'est pourquoi~ leur lecture peut dé-
router de prime abord le public européen~ ou ne pas satisfaire
la fringale de ceux qui font leur délice des scènes iid'érotisme
et de violence avec un zeste de sentimentalité bête il (1) en vo-
gue depuis longtemps dans les pays développés.
Ce roman n'est-il pas en définitive un hommage rendu
à l'apostolat de l'intellectuel africain de la période colonia-
le ? L'intelligentsia nègre en effet~ au lieu de se constituer
en classe comme la bourgeoisie française par exemple après la
Révolution~ au lieu donc de chercher à défendre ses propres in-
térêts~ a préféré s'identifier au peuple dont elle est issue.
Les souffrances de la masse des illétrés fut les siennes. Ces
!
intellectuèS rencontraient sur leur chemin beaucoup de difficul-
tés et le drame vécu par le héros ùe L'ombre du passé devient
une peinture sociale.
1
i
1
Les difficultés endurées au nom de la solidarité de
f
race par certains fonctionnaires africains de l'époque coloniale,
!
sont décrites aussi par l'auteur du Rescapé de l'Ethylos. Parmi
'1!
ces exemples celui de l'infirmier et de l'instituteur de village.
!
Selon Ma~adou Gologo~ces deux catégories de fonction-
naires sont les parentes pauvres de l'Administration.
(1) Lilyan Kesteloot
: Négl'itud~ et situation coloniale; Yaoupdé,
Editions Clé ; 1970 - page la
1

498
L'exercice de la profession est parsemé d'embûches de
toutes sortes ; les tracasseries administratives sont leur lot quo-
tidien.
L'auteur s'étend beaucoup sur le cas de l?instituteur.
Bien que considérant la profession enseignante COITme le modèle de
l'abnégation ct du sacerdose dit Gologo, beaucoup hésiteraient à
l'embrasser. Car en plein vingtième siècle,
Il
vous trouverez bien souvent, dans de nGmbreux villa-
ges des maîtres d'école en pleine activité dans des pail-
lottes, dans des hangars d'as ect honteux
qui n'atten-
dent que la première tornade pour voltiger ... n (1)
Aux problèmes de locaux s'ajoutent les problèmes pédago-
giques. Gologo rappelle à ce propos que le Blanc qui croyait avoir
pénétré la psychologie nègre, chcisissai t le contenu des programmes
à enseigner aux petits nègres ... sans en référer à l'éducateur afri-
cain! Elle est bien connue la litanie qu'en débitait à longueur
d'année scolaire studieuse : "Nos ancêtres étaient les Gaulois ...
La France est n()tre mère patrie ii •
L'instituteur, qui est souvent le seul fonctionnaire du
coin, se verra charger de tout le travail administratif, poursuit
Gologo :
11
Il sera de ce fait habilité à percevoir les impôts,
les diverses taxes. Il sera chargé de l'organisation des
différentes fêtes. Il fera l'infirmier, le météorologiste,
le commissaire de pelice, tout cela gratis; pendant que
Messieurs les titulaires seront en train de se prélasser
dans un bar du centre, éloigné de quelques kilomètres seu-
lement 1t • (2)
Aucune récompense pour ce surcroît de travail, aucune
satisfaction ou aucun enc0uragement moral. Au contraire, ajoute l'au-
teur du:
R.escapé de l' Ethylos
(1)
Le }lescapé de Z 'Ethylos ;Op. Ci t. - pQge 45
(2) Ibidem - page 46.
l

..
"Mais gare à lui si un jour~ ayant eu tout ,son temps pris
par la préparation de sa classe) il lui est impossible
d'envoyer au ch~f-lie~ le bulletin de météorologie dament
rempli, ou le reçu et les bordereaux(... )
d'expédition
des impôts perçus. Il sera à partir de ce jour, cons~déré
comme le plus grand saboteur et rebelle de la pire espèce.
Ensuite il attendra tout sagement
les sanctions consé-
quentes".
(1)
Dans L'ombre du passé, Issa Baba Traoré a pu d'autant
mieux nous sensibilier au problème de l'enseignant en fonction dans
la brousse, qu'il a eu à servir lui-même durant l'époque coloniale
dans diverses régions du Mali. De surcroît, il est instituteur de
son état.
Son héros, Ali, est le symbole vivant du fonctionnaire
accompli, compétent et totalement désintéressé. Seul son courage
lui a permis de surmonter les difficultés que constituent les pro-
blèmes de logement et de ravitaillement en provisions. Ali ne les
évoque à aucun moment.
Par contre, l'auteur insiste sur les difficultés de son
héros pour intégrer le milieu villageois, la population voyant en
lui avant tout un Noir-blanc :
"
Les paysans ... fuyaient aut3.nt que possible la com-
pagnie du "Toubab Noir". Les femmes jetaient le pilon et
couraient se cacher dès qu'il entrait dans une concession.
Les vieux cessaient toute conversation à son approche,
se décoiffaient et restaient immobiles tant qu'il était
là. Jamais il navait pu obtenir d'eux le moindre rensei-
gnement. Ali chercha lcngtemps la cause de cette méfiance,
entreprit de s'ouvrir aux jeunes d'abord, de les attirer
afin de les mieux éduquer". (2)
Ce qui rend la mission de l'éducateur assez délicate,
c'est ce que l'on nomme généralement les "risques du mé,tier" ; il
s'agit des rapports que peuvent entretenir l'enseignant et ses élè-
ves, rapports qui détermineront le degré de ses relations avec les
parents.
,.
(1) Le rescap~ de Z'EthyZos;
Op. cit. - page 46
(2) L'ombre du pass' ; Op. Cit. - page 20

,---.. ~
~.i,l·
500
4~
Ali, qui vivait malgré lui en marge de la population,
se~a chargé de tous les crimes possibles : il sera traité de bour-
reau d'enfants, de concussionnaire et de concupiscent. La campagne
fut déclenchée contre lui le jour oü~ ne pouvant plus se retenir,
il giffla un élève taquin et impoli qu'il aVl.it vainement essayé
de rai.3onner.
"Cormne une traînée de poudre, la nouvelle se répandit
dans tout le village de Tamballa. Chacun alors la rappor-
ta à sa manière.
Tiéniouman aurait été roué de coups par son maître. Il
aurait eu une fracture, du bras ou de la jambe, peu im-
portait le membre~ pourvu
seulement qu'il y ait eu frac-
ture. Dianfing, quoique riche, aurait refusé de faire des
cadeaux à Moussé Ali qui en exigeait de lui. Ou encore,
l'instituteur aurait vainement tenté de rouer certaines
relations peu louable avec Kamissa, ou avec sa soeur ca-
dette Nanténin, depuis plus d'un an en abandon de domici-
le conjugal. Bref
on n'y comprit rien". (1)
j
Dans la postface du roman, Ferdinand Diara analysant le
conflit discerne "une évolution psychologique (qui) naît précisé-
ment de la confrontation de la forte personnalité du jeune institu-
teur avec un milieu social il OÜ les langues sont trop longues et les
têtes trop vides l1 ••• " Ce malentendu navrant, poursuit-il, ce divor-
ce entre l'individu et la société à laquelle il ambitionne de s'in-
tégrer pour- accomplir pleinement son rôle d'éducateur
c'est là le
j
noeud du drame, le point de convergence de divers problèmes moraux
et sociaux, personnels et collectifs". (2)
L'instituteur avait une haute idée du rôle quiil devait
jouer au sein de son peuple. Pour lui en effet~ la noble mission qui
lui incombait, ne dev~it pas seulement se limiter à dispenser des
cours aux élèves rassemblés dQDS une salle de classe. L 1 écrasante
majorité de la population africaine, toute celle qui n'avait eu ni
les moyens, nl la possibilité d'aller à l'école, devait être soute-
nue et prctégée contre les vexotiüns du Blanc qui n'avait' de res-
pect que pour ceux qUl parlaient sa 12ngue. Très souvent, cette
(1)
L'ombre du passé; Op. Cit. - page 18
(2) Ferdinand Diara ; postface au roman - page 144.

.~. \\
501
masse n'avait pas conscience de son vide culturel~ de son re-
~;J~/..~
1
.~ tard. Il incombait aux intellectuels de tous les milieux sociaux,
les fonctionnaires formés à 11école du Blanc. de se faire les
gardiens de leurs frères. Ils devaient les conscientiser. Ali
lise promettait, dans les deux années à venir, une révolution dans
1
1
la vie du bourg". (1)
t,
Pour ce faire. l'instituteur ne reculera devant aucun
sacrifice. Il voulait motiver au maximum ses frères de race en
touchant à tous les problèmes qui se posaient au bourg.
Fin psychologue .. ;;Moussé Ali ll comprit que pour ne rien
brusquer. il lui fallait s'attacher d'abord la jeunesse. Il par-
vint, "à force d'amour et de patience, à grouper tous les jeunes
gens de son âge au sein d'une seule association à la fois éduca-
tive et récréative".
(2) Ses efforts furent payés de retour, puis-
qu1il acquit ainsi de la popularité, selon le romancier.
Pour la révolution culturelle. sociale et économique
qu'il ambitionnait d'apporter au bourg, le jeune instituteur ne
se contenta pas seulement d'une belle théorie élaborée dans son
esprit. Il se dépensa en énergie, se fit un stimulateur:
"Ali se multipliait. Il était tantôt maître d'école et
apprenait les rudiments du françaB à ceux qui n'avaient
pu aller en classe. Tantôt, il était infirmier, appre-
nait à désinfecter les plaies, à arrêter une hémorra-
gie, à appliquer les principes fondamentaux de l'hygiè-
ne. Aux vieux et aux jeunes) il fit voir tout le pro-
fit qu'on peut tirer de l'emploi raisonné de la char-
rue, de la fumure, des semen~es sélectionnées. Les pro-
duits du jardin potager entretenu non loin de la mai-
son d'école, étaient là et faisaient liorgueil des élè-
ves et l'admiration du bourg ... Ce jardin était gardé
à tour de rôle par les écoliers, contre les déprada-
tions des rétives chèvres naines du village. Le soir,
vieux et jeunes venaient y prendre des leçons. Avec
eux, Ali toucha à tous les problèmes économiques et se
donna à tous. Il agissait, il vivait n • (3)
(1) L'ombre du passé; Op. Cit. - page 19
".
(2t Ibidem - page 20
C3.I

502
Le Blanc ayant perçut ce que voulait faire Ali, mit en
:, marche contre lui sa machine infernale de dépersonnalisation et
..,..•.
., de liquidation physique. Cependant, cette cabale orchestrée par
le colonisateur (en la personne du commerçant libanais) et in-
consciemment soutenue par quelques éléments é~arés du village,
nVaura pas totalement raison du courage du jeune instituteur.
Abandonné par l'ensemble du village au plus fort de son affron-
tement avec le colonisateur (sans doute par peur des représail-
les du Blanc), révoqué de ses fonctions et incorporé dans l'ar-
mée des tirailleurs, Ali ne continuait pas moins â mettre toute
sa f
.
l"
, l
Cet ter .
.
d'
0



Ol dans
ldea
qU'lI vlsalt.
Ol en un avenlr ra leux
est demeurée intacte.
Quant à ceux qui ont aidé le Blanc, les valets du colo-
nialisme) lice sont peut~'être des victimes encore plus que des
bourreaux, les victimes d'une aliénation dont ils n 1 0nt pas
conscience,'l (1) écrit Ferdinand Diara. Ali~ poursuit le criti-
que, était sur la bonne voie ,,;, et son échec doit être regardé
comme une leçon réconfortante, une leçon de réalisme optimis-
te iV •
(2)
On peut donc dire que dans ce roman, Issa Baba Traoré
rend ici un hommage mérité aux fonctionnaires consciencieux et
dévoués à la cause publique (comme Ali à Tamballa), Des Tambal-
las~ il en existait des centaines dans chaque circonscription
administrative du Soudan français. Et nombreux sont les fonc-
tionnaires de l'époque coloniale qui ont; comme Ali, inscrit de
bonnes actions à leur actif,
Aujourd 'hui, on se rend compte que la tâche d'alphabé-
tisation, d'éducation sanitaire> d'enseignement agricole etc,
entreprise par les Ali, est loin d'être terminée. Peut-être,
même ne fait-elle que commencer depuis 1960, année où nous avons
commencé à assumer notre propre destin.
Peut-être aurions-nous été indépendants plus tôt si
nous avions eu un plus grand nombre d'intellectuels" de 1i r évolu-
tionnaires" comme Ali, En tout cas; nous aurions été moins ex-
ploités~ moins avilis pendant tant d'années.
(1) 'F d'
.
er lnand Dlara : postface au roman
L'ombre du passé; Op.
(2
Cit. - page 145.
'fil.,

":,.
503
Ali a connu le sort de tous les précurseurs
il a eu
raison trop tôt. Il ne pouvait à lui seul transformer les esprits
en quelques mois. Les préjugés que des siècles avaient patiem-
ment établis ne pouvaient sieffacer du revers de la main ( ... )
Mais l'incompréhension à laquelle s'est heurté cet esprit luci-
de disparaîtra dès lors que l'éducation scientifique et politi-
que des masses amènera 11 en s emble du peuple à prendre conscience
de sa situation propre dans le monde moderne. Nos traditions

répensées dans une perspective nouvelle ne laisseront aucune
<~ ..•
possibilité à l'impérialisme de perpétuer ses manoeuvres de
division". (1)
Serait-ce trop exagérer que de rapprocher la tragédie
d'Ali de celle du roi Christophe? Tamballa, (sur une mdhdre
échelle sans doute) n' est'~ce pas Haiti ? Et tous deux ne pour-
raient-ils pas symboliser la race nègre ?
Ali et Christophe ont tenté, esprits clairvoyants au
milieu d'une masse abrutie chaque jour un peu plus par les pra-
tiques vexatoires, les traitements aliénateurs et l'éducation
assimilatrice, d'atteler leurs boeufs au char en détresse de
leur race.
Ils escomptaient au bout du chemin, guérir les
nègres
des tares traumatisantes dues à des siècles d'esclavage et d'in-
dignité humaine. Ils voulaient faire en sorte que leur race,
sans tourner le dos aux techniques de l'Occident (voyez l'action
entreprise par Ali à Tamballa et l'oeuvre gigantesque amorcée
par Christophe à Haiti), se débarrasser et de l'influence euro-
péenne et de la sujetion, pour que la race nègre assume sa res-
ponsabilité de peuple et de nation. Hélas,
c'était trop exiger
des nègres en ces temps-là. Liinco~préhension et l'impréparation,
plus que la trahison, ~erJnt les armes qui vont les abattre.
Mais
L'ombre. du passé se termine sur une note d'espoir.
Ce n'est pas d'un simple constat d'échec qu'il slagit dans ce
roman. Ali a disparu prématurément, mais sa disparition même
fut le début de la prise de conscience pour l'ensemble du peu-
ple.
1

504
En effet
lorsque, les traits défaits à force d'avoir
9
pleuré celui qu'il était sans doute le seul à comprendre, Bâ-
Diawoye vint annoncer à liassemblée du village la mort d'Ali,
ce fut comme un coup de gong qui préluda au réveil des conscien-
ces :
BUn silence lourd~ oppressant, silence peuplé de maca-
bres visions. Un soupir~ un profond soupir, plutôt un
râle et Dianfing se mit à trembler comme pris d'une sou-
daine fièvre.
Il est mort balbutia-t-il. Nous liavons assassiné.
Dianfing ! hurla Famakan.
Mais Dianfing n'écoutait plus personne. Il tremblait
toujours et noyait son regard dans le vide.
Oui, ma femme et moi l'avons assassiné. Voilà ce
que nous a valu l'amitié de Fahroud : un homicide! Le
Libanais s'est servi de nous, vils et complaisants
bourreaux, pour abattre un innocent et satiafaire ses
égoistes intérêts .
... C'est peut-être moi qui l'ai tué; protesta Mody.
Dans mon désir de plaire à Fahroud et au Commandant,
j'ai été dans le mal plus loin qu'on ne le pense ... Ii (1)
C'est là incontestablement un hymne à la mémoire de
ceux qui sont tombés sur le champ de bataille. La bataille pour
la libération politique; culturelle et économique de la race
noire.
Issa Baba Traoré rend également un hommage mérité à
tous ceux qui, durant l'époque coloniale, ont consenti les plus
grands sacrifices pour demeurer au contact de leur peuple. Un
hommage à tous les intellectuels africains qui ont permis la len-
te prise de conscience qui va déclencter le processus de libéra-
tion des états coloniaux.
Après l'auteur de L ~ombre du passé~ Amadou Hampaté BA vient
à son tour nous parler d'une catégorie de fonctionnaire africain
de l'époque coloniale: l'interprète du Commandant.
L'étrange destin de ~la;ngrin semble se placer en dehors du
(1)
L'ombre du passé:;
Op. Cit ... pa!,e 141.

'.<
.h.- .;
505
1
conflit de générations que nous avons signalé dans le deuxième
1
sous-chapitre. L'auteur décrit le comportement d'un homme, qui
lutte pour se faire une place au soleil. Tel Vautrin~ il est
J
plus préoccupé par son sort que par celui de la société.
1
La technique du romancier est ici "une vision par der-
1
rière". Sans aller à dire comme Michel Butor dans ,jL iusage des
1
pronoms personnels dans le roman" que: IIL'observateur est abso-
lument indifférent, devant une sorte de passé stabilisé et par
1
rapport auquel le narrateur voit tout "par derrière li
!
(1),
nous
remarquerons que le héros ici~ joue en contraste avec le roman-
cier.
Comme Seydou Badian, dautres romanciers Maliens ont
choisi de faire revivre l'ère ccloniale qu'on peut dénommer la
belle époque pour l'administrateur Blanc et les fonctionnaires
1
africains qui sont à sa solde. Par contre, ce fut une période
de iidécérébration" pour les masses Africaines; et "d'avilisse-
ment'! pour leur culture et leur civilisation.
Parmi les témoignages se trouve celui d'Amadou Hampaté
BA,
auteur de L'étrange destin de Wangrin.
D'aucuns penchent plutôt pour la biographie pure ou la
chronique lorsqu'ils font allusion à cet ouvrage,
Hampaté BA lui-même !Vavertitlt le lecteur dès la première
page que
"Ce livre est le fruit d'une promesse faite à un hnmne
que je connus en 1912. J'étais écolier et niavais que
!
douze ans. Lui était interprète du grand commandant de
1
mon pays.
Il se prit d~mitié pour moi pour deux raisons. En
1
premier lieu parce qu'il était très lié avec mon oncle
1
maternel, Hammadoun pâté et, en second lieu~ à cause du
1
!
grand nombre de contes que je lui rapportais sur sa
demande ... It (2)
1
(1) Michel Butor : "L'usage des pronoms personnels dans le roman"
in Les temps modernes ... nO 178 - février 1961· - page 938.
!,
(2) L fétrange destin de Wangrin;
Op. Ci t. - page 7.
1

"
506
Et l'auteur d'ajouter en notes en rh de livre
1
i
"Il /c'est-à-dire, l'interprètel avait été chargé de
1
,
recueillir des contes et fables africains pour le comp-
te d'un fonctionnaire colonial, Monsieur Equilibecq qui
devait les publier par la suite ... (1)
11
Nous savons de source sûre que François Victor Equil-
becq a publié en 1913 quelques deux cent soixante quinze contes
(275) dans son recueil intitulé Contes indigènes de l'Ouest
français.
(2)
Quant aux rapports ayant pu exister entre lui et un
certain interprète soudanais, ils ont laissé aussi des traces.
Maurice Delafosse dans sa ilContribution à l'étude du théâtre chez
les Noirs", reproduit un document
fourni par tIJoussa Travelé,
interprète à Bamako dans le Haut-Sénégal et Niger. Il écrit:
liA l'occasion d'un travail consacré aux aventures dramatiques du
héros peul Samba Guéladio Diégui, Monsieur l'administrateur
Equilbecq se trouva exprimer des doutes sur l'existence chez les
Noirs de quelque chose se rapportant à l'art du théâtre. L'in-
terprète Moussa Travelé~ présent à la conversation, affirma au
1
contraire que cet art était pratiqué au Soudan, et à l'appui de
ses dires, fournit à M. Equilbecq le scénario d'une sorte de co-
médie qu'il avait vu présenter dans son pays ... 11 (3)
1
Wangrin et Moussa Travelé sont tous deux interprètes
;1
de leur état et originaires du "Haut-Sénégal et Niger'1. Curieu-
,
sement tous deux ont servi soœles ordres de M. Equilbecq et lui
ont fourni des contes; commepar'"hasard. Douze ans seulement
f
après la fin de la conquête coloniale, des W~ngrin et des Moussa
'. ~ ,
Travelé étaient encore rares au Soudan. Il n'y a donc qu'une
!
courte distance pour nous empêcher d'identifier l'un par l'autre.
Nous hésitons néanmoins à la franchir.
J
Respectons donc la règle du jeu prescrite par lauteur.
f
D'ailleurs, Wangrin lui avait fait promettre de ':i ne pas mention-
1
_n_e_r_m_o_n_v_r_a_i_n_o_m_,_a_f_i_n_Q_' e_~
_1
v_i_t_e_r_à_m_e_s_p_a_r_e_n_t_s_t_o_u_t_r_l_·_s_q_U_e_d_e
~1
(1)
L'étrange destin de Wangrin,
Op. Cit. - page 429
(
(2) Robert Pageard :Littêraturenégro-africaine;Op. Cit, page 10
t
(3) Maurice Delafosse
: flContribution à ], 'étude du théâtre chez ],es Noirs"
'.:....
in Mémoires et Annales du Comité d'Etudes Historiques de
t
l'A.O.F. 1916 - page 352.
1

"',
501
complexe de supériorité ou d'infériorité ... Tu utiliseras l'un
de mes noms d'emprunt;) ce lui qu~.; j'affectionne le plus :
Wangr inli. (1)
Nous voilà donc introduits dans l'univers de la fic-
tion romanesque. Restons-y pour apprécier l'art du romancier qui
a réussi à nous faire revivre l'Odyssée de son héros. Nous vou-
lons oublier un moment l'évidente modestie avec laquelle il dé-
clare que l'oeuvre a été écrite presque sous la dictée de son
personnage.
Comme la plupart des romanciers Africains qui emprun-
tent la forme du récit auto-biographique, Hampaté BA éprouve le
besoin d'évoquer la naissance et l'adolescence de son héros.
Wangrin est donc né au coeur du Soudan français~ dans une zone
sylvo-pastorale sillonâée par des rivières et des fleuves. Il est
issu d'une modeste famille de paysans à Noubigou et sa mère n'a
pu
"lui infliger la vieil qu'au prix de la sienne.
Son enfance aurait été banale s'il n'avait pas été
turbulent et belliqueux. Adolescent, il fit le choix fatidique
de "Gonkoloma Sooké" comme fétiche-protecteur. Ce dieu fabuleux
ne pouvait être ni mouillé par l'eau nl être dessécher par le
soleil. "Le sel ne pouvait le saler, le savon ne pouvait le ren-
dre propre. Mou comme un mollusque,' pourtant, aucun métal ne pou-
vait le couper. Il se èervait de l'obscurité de liéclipse pour
Berner la terreur dans le coeur des "hadama denw Yi ou fils
d'Adam. .. (2)
Par contre, Gonkoloma Soodè assurait, la protection à
ceux qui l'adoptaient pour dieu, et leur Proc~italors le bon-
heur sur terre. CÎest à ce dieu omnipotent que'Wangrin doit ctlavoir
f
!
eu une vie aussi ~eu commune. Il connut une ascension fulgurante
~~
et une existence matérielle aisée et enviée. Après avoir obtenu
son certificat d'études primaires indigène à l'école des fils
1f
d'otages de Kayes (césame pouvant ouvrir toutes les portes de
!
1
l'administration coloniale), Wangrin se vit hisser au poste de
J
moniteur d'enseignement. C'était là aussi la plus haute distinc-
f
tion pour un intellectuel 110gre.
t
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - \\
(1) L'étrange destin de Wangrin ;; Op. Cit. - page 8
(2) Ibidem - page 21
1

508
Deux ans plus tard, par un de ces plus purs hasards,
il était appelé à remplacer u~interprète empêché~ celui du
commandant de cercle de Diagaramba, ce qui était aussi son pre-
mier poste. Ce devait être là son Pactole. Grâce à ce concours
l'
1
de circonstances, mais aussi grâce à son intelligence, Wangrin
allait voir son étoile briller longtemps au firmament de l'inter-
j
prétariat ; "Il venait de mettre son pied dans l'étrier d'or
~.
~
~.
que constituaient les fonctions d'interprète 1'. (1)
j
~
En poste successivement à Diagaramba, Goudougaoua et
1
f
surtoutYagouwahi et Dioussola, Wangrin ne s'embarrassera d'au-
i
cun scrupule pour s'enrichir. Son immense fortuneaurga source
!
dans l'exploitation du peuple illétré et à la merci
de IItout
t
homme casqué". Son intelligence au service du mal lui permettra
j
d'escroquer aussi les autres fonctionnaires Africains (tel l'in-
f
~
terprète Romo Sibedi), et même de jouer des tours pendables à
1
!
certains
administrateurs coloniaux (tel le comte de Villermoz).
En retour, l'ingratitude de Wangrin suscitera autour
l
de lui la haine implacable de ceux qu'il aura abusés: ses amis
d'hier deviendront ses ennemis mortels. Le comte de Villermoz le
t
traînera même jusqu'à Dakar devant la plus haute instance de la
!
justice coloniale. Wangrin~ écrit l'auteur, ne dut son salut à
cette occasion, qu'à la prière fervente de quelques marabouts
1
~
~
(bien qu'il soit athée) et à la protection de GonkObma Sookè.
[
Il faut ajouter à la décharge du personnage qu'il
,~
n'était pas si vil qu'il le paraissait. Il était même d'une gé-
nérosité, sans doute calculée~ mais qui émouvait ses collabora-
t1
teurs, ses adorateurs et tous ceux qui sollicitaient de lui aide
et protection. Tel est entre autre le cas desJTerreall, un curieux
i
couple de Français que Wangrin a ramené de Dakar pour l'aider à
gérer son fonds de commerce. En effet, il avait fini par aban-
!
donner la fonction d'interprète devenue trop risquée.
f
Les plus belles aventures connaissent souvent les pi-
f
res dénouements. Tant que Wangrin pouvait compter sur Gonkoloma
f1
Sookè, il pouvait continuer à faire le luron. Or, cette divinité
t
i
'...
_e_x_i_g_e_a_n_t_e_e_t__
j_a_l_o_u_s_e__i_g_n_o_I_'é'_"'"_i_t_l_â_m_i_s_é_r_l_'c_o_r_d_e_l_o_r_s_q_u_u_n_d_e_s_e_s
(1)
L'é-tPange destin de Wangrin ;; Op. Cit. - page 58.
I••1

, .
,
509
protégés oubliat de lui faire le sacrifice rituel auquel elle ~ait
droit. Ciest pourtant l'omissiçti dont Wangrin se rendit coupable
lors d'un séjour dans son Noubigou natal.
Cette fatale erreur exposera de ce jour
le frêle chê-
j
ne qu'i~ était devenu aux furies vengeresses de son dieu.
Wangrin connut prQgressivement la déchéance physique
et morale. Son commerce périclita; puis le couple Terreau~ après
l'avoir mené à la banqueroute~ s'enfuit un matin avec le reste de
la trésorerie. Très philosophe~ Wangrin crut pouvoir noyer son
chagrin dans l'alcool
mais sa fierté repoussa tout sentiment de
j
pitié qu'on lui témoigna. Il se complut dans l'état d'un job sur
son fumier~ dépouillé de tout : richesse~ honneur
etc. Il devint
j
éthylique et gueux, puis un lendemain d'orage
il est retrouvé
j
noyé au fond d'un fossé. Paradoxalement, ses funérailles rassem-
blèrent toute la ville de Dioussola. Amis et ennemis se retrou-
vèrent dans un même élan de solidarité humaine faite d'amour et
de pardon, pour lui rendre un dernier hommage.
Reléguant au second plan le procès systématique de la
colonisation française ~u Mali, Amadou Hampaté BA aborde le pro-
blème des intermédiaires entre le gouvernant et les gouvernés~
c1est-à-dire
le Blanc et la population autochtone. Son roman
j
met donc en exergue les agissements des interprètes appelés com-
munément les 1I 0re illes du BlancH. Nous avons vu dans le chapitre
précédent qu'ils paraissaient tout aussi puissants que les com-
mandants eux-mêmes, ces !idieux de la brousse H( Vt qu i ils étaient
pnrfois plus craints que ces derniers. Profitant donc de cette
situation privilégiée~ les interprètes ont exercé sur le petit
peuple, une tyrannie parfois plus cruelle que celle des chefs lo-
caux déposés lors de la conquête coloniale.
Cependant, la particularité de L'étrange destin de
Wangrin c'est qu'il nous montre dans les détails le caractère

singulier du .ersonnage de Wangrin. Les comportements du héros
1
sont parfois déconcertants, Face à certains événements ou aux
situations qu'il~ a délibérement créées, ses réactions sont tou-
jours imprévisibles.
(1) Ce terme devenu courant est tiré du livre Terre c'ébène du
grand reporter-écrivain Albert Londres, selon Ray Autra;
if
L'étrange destin de Wangrirt"'de Amadou Hampa té BA in Arts et Lettres,
Le Soleil .du vendredi 13 octobre 1978 - page 1

5IO
En nous collant au texte, nous allons essayer d'étudier
l'attitude du personnage face à la religion, puis ses défauts
et éventuellement ses qualités.
Pour avoir sous-titré son roman ;~Les roueries d'un
interprète Africain", rauteur a voulu mettre l'accent sur l'ha-
bileté machiavélique de son personnage, qui semblait avoir vendu
son âme au diable.
Wangrin n'avait donc ni foi, ni loi. En effet, sur le
plan religieux, le romancier annonce un Wangrin, à la foi dou-
teuse :
"
Quelle est ta religion ? / lui demanda-t-on /.
... Je n'en ai pas de bien définie, répondit Wangrin.
{
,
En tant qu'interprète, je dois ménager tout le monde.
1
Aussi suis-je autant à mon aise dans la mosquée que
dans le bois sacré des villages animistes'i.
(1)
1
Wangrin est né à Noubigou (Bougouni ?). Selon l'auteur,
le village a été créé par Sanu le dieu-roi de lior. Dioù le fait
que ses habitants aujourdhui soient profondément animistes, foi
que liIslam,venu beaucoup plus tard, ne pourra entamer qu'à moi-
tié. Ce syncrétisme religieux explque pourquoi Wangrin à sa
naissance a été placé sous la protection du dieu tutélaire
Gonkoloma-Sookè.
Ce qui ne lBmpêchera pas, le moment venu, de demander
liaide de marabouts réputés;
l'Abougui Mansou tendit les deux mains vers Wangrin et
lui dit : ilMets tes mains dans les miennes l • Wangrin
s'exécuta avec beaucoup d'humilité. Abougui Mansou ré-
cita le premier chapitre (ou Sourate) du Coran appelé
Fatiha (liOuvrante"l C'était là le scellement de leur
pacte de mutuelle assistance devant le témoin qu'était
1
Kountena
î
i l .
(2)
i
l
Une fois de plus Wangrin aura recours à ces interces-
seurs entre les créatures et le créateur Allah, au moment d~ller
1
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - {
(1)
L'étrange destin de Wangrin ;Op. Cit. - page 130
1
(2) Ibidem - page 48
1
i

l
511
1
comparaître devant la cour d~appel de Dakar pour concussion.
Sur sa demande~ le marabout Tierno siddi entra en
"Khalwa H : réclusion pour de piéJ.ses méditations. Puis) après
maintes récitations de Coran et traçage de signes cabalistiques
sur le sable, il déclara à son solliciteur
"La grâce d'Allah et son pouvoir aidant;} tu reviendras
sain et sauf de ton expédition;J car ciest une vérita-
ble expédition que tu vas entreprendre;;. (1)
En résumé, l'auteur déclare
"Wangrin n'étaie pas un fidèle fervent. Il pratiquait
plutôt une sorte d'opportunisme qui lui permettait
d'embrasser, sans gêne, la foi de ceux dont il souhai-
tait l'aide ou le silence, mais il ne s'en cachait
nullement, ce qui ôtait à son attitude tout caractère
d' hypocrisiel~.
Ainsi le personnage n'évoquera-t-il les puissances
religieuses (animistes comme musulmanes) que pour nuire aux
autres ou pour se protéger contre leurs ripostes éventuelles.
On dit que l'a tti tude de l' homme fac e à la religion
éclaire souvent son comportement social. Wangrin lui;} semblait
avoir plus de défauts que de qualités. Nous en retiendrons ici
les principaux.
Dans le chapitre intitulé "Où le malheur des uns ... ",
le personnage apparaît déjà comme un être foncièrement égoiste
et cupide.
En 1914, le début de sa fonction d'interprète va coinci-
der avec le déclenchement de la première guerre mondiale. La
France envahie décrète la conscription et la réquisition jusque
dans ses colonies d'Afrique. A Diagaramba, l'opération est dé-
clenchée par le commandant àe cercle qui demande aux populations
de lui fournir en plus de l'impôt ordinaire, mil, riz, matières
(1 )
L f étrange destin de flangrin .; Op. Ci t .
page 1311.•.;··
~~-~~.-.

512
grasses et animaux de boucherie au titre de l'effort de guerre.
Le tribut à payer sera lourd pour le Soudan : les tirailleurs
tombant sur les champs de bataille en Europe n\\auront droit
quiaux pleurs de leurs veuves et de leurs orphelins
le pays
sera livré à la famine après que les paysans et les pasteurs fu-
rent dépouillés de leurs biens.
L'adjoint du co~mandant de cercle~ Jean Jacques de
Villermoz~ parce qu'il avait confiance en Wangrin, lui avait
confié les registres de réquisition. Mais l'avide interprète,
loin de slapitoyer sur le sort de ses concitoyens~ vit plutôt
tout le parti qu'il pouvait tirer de cette situation. Il détour-
na d'abord quelques dizaines de têtes de bétail quiil fit vendre
à prix d'or en Gold Coast. Puis, slavisant du fait qu 1 il pouvait
faire de cette opération malhonnête un Pactole, il soustraira
de plus en plus de feuilles de réquisition signées en blanc par
le comte de Villermoz qui se reposait sur lui dans cette affaire.
Il se constitu2 ainsi un immense troupeau qui lui rap-
portera de substantiels revenus. Mais son immense fortune finit
par le faire suspecter. Confondu
enfin de fraude, Wangrin devait
s'attendre aux pires sanctions de la justice coloniale. En ef-
fet, liaffaire jugée fort complexe par Bamako, fut portée devant
le barreau de Dakar.
La situation semblait sans issue lorsque Wangrin con-
çut l'idée hardie de compromettre un Blanc. Il savait d'expé-
rience
qul!Une affaire dans laquelle un Blanc se trouve juste-
ment ou injustement impliqué s2rait bien difficile à
trancher à la colonie.
Sans doute, préférerait-on étouffer n'importe
quel crime, plutôt que de condamner un Européen, à
plus forte raison
si ce dernier était un agent de l'au-
j
torité. Il en allait du prestige des colonisateurs et
la polŒique menée en ce domaine ne s1 embarrassait pas
de problèmes de c onsc ienc eH. (1)
A Dakar. Wangrin se présenta à ses juges comme un pau-
vre innocent n'ayant tiré aucun profit dans "liaffaire des boeufs",

· ,,~
,
; ...
.
513
puisqu'il n'a été qu'un simple exécutant des ordres reçus. A la
limite) il n'aura été que le complice involontaire du comte de
Villermoz dont il présenta la signature au bas de toutes les
feuilles de réquisition. Après avoir exercé sur Wangrin de vai-
nes pressions pour l'amener ~ plaider coupable. force fut à
l'administration de classer l'affaire sans suite.
Un nègre venait de gagner un procès contre un Blanc
Wangrin en sortit auréolé de prestige aux yeux del'opinion
publique indigène. Quant au profit quiil en a retiré, il s'éle-
vait à deux mille six cents têtes de bétail, soit l'équivalent
de deux millions et demi de francs au taux de change de la mon-
naie anglaise de l'époque.
Mais le comte abusé, n'avait pas dit son dernier mot
"Peu de temps après~ le comte de Villermoz s'arrangea
pour rencontrer Wangrin. S'approchant de lui; il lui dit
- Espèce de sale nègre! Tu as gagné
mais tu me paye-
j
ras cela un jour. Qu1il ne sorte jamais de ta mémoire que
partout dans le monde où je te rencontrerai
je t'abat-
j
trai comme un chien. Mais je te fais trop d'honneur en
te comparant à un chien. Cet animal ne trahit jamais son
maître ou son bienfaiteur alors que toi~ tu ne mords que
la main qui t'a nourri. Salaud!
--Partout où vous me rencontrerez, Monsieur le Comte,
répondit Wangrin, je serai sur mes gardes et je saurai
me défendre tout aussi énergiquement". Cl)
La suite de llhistoire nous montrera comment des années
plus tard, les deux personnages, que le hasard fera muter dans
la même région, se livreront une lutte sournoise mais sans merci.
Apparemment; c'était le pot de fer contre le pot de terre.
Wangrin fut contraint même de changer précipitamment de postes
et à la longue de métier pour échapper à la vengeance du comte.
Mais toujours sur le qui vive, il sut parer à toutes les éven-
tualités grâce à son intelligence et à sa ruse.
Le comte ne fut pas la seule victime de Wangrin. Comment
qualifier sinon d'ingratitude, cet autre acte par lequel il a
(1)
L'étrange destin de Wangrin""
Op. Cit. - page 112

514
payé de retour les bonnes dispositions d'un collègue à son
égard ?
Romo Sibédi~ originaire comme Wangrin de Noubigou, était
interprète à Yagouwahi :
"Mieux logé qu'un chef de province, Romo vivait dans
une telle opulence que Wangrin ne pouvait en croire ses
yeux. Il était si obéi qu'à part les chefs~ personne ne
lui parlait debout ou n'élevait la voix en sa présencel?(l)
Wangrin venait d i êt1:e affecté à Goudougaoua. En route
pour son poste, il passa par Yagouwahi où Romo se mit en frais
lui
,,~
..
t
pour rendre ce bref sejour agreable. Il logea son collegue e
compatriote dans sa propre maison~ ainsi que ses ferrmes, ses
enfants et ses serviteurs. Jusqu'au jour du départ des hôtes~
1er ~ets et les boissons de toutes sortes, de même que les me-
nus
hors-d'oeuvre défilèrent quotidiennement à table. Chaque
nuit
une séance de musique était organisée pour bercer leur
j
repos.
Pour avoir reçu tant d'honneur et vu tand de faste~
Wangrin estima que, comparé à Diagaramba~ Yagouwahi pouvait fi-
gurer un petit Eden. Il jugea par conséquent inutile d'aller
chercher plus loin le bonheur terrestre qui se trouvait à portée
de sa main. Cette convoitise étouffa dans son coeur le sentiment
de gratitude pour l'hospitalité offerte par Romo. Wangrin conçut
donc liidée de lui ravir carrément sa place et se paya même le
luxe de le dire ouvertement à son Amphitryon
"Je dois te remercier de ta genereuse hospitalité. Je
ne me suis jamais aussi bien amusé. Je te dois beau-
t
coup de m'avoir fait découvrir cette ville ... Car je
viens grâce à toi~ de constater qu'il existe sur terre
1
~
cert,ains endroits privilégiés qui ne saurient être au-
tre chose qulune dépendance de l'Eden.!
r
'1
Tu ne saurais donc m'en vouloir si je fais tout mon
!
possible pour revenir servir ici en ton lieu et place ..• "
. .. Il serait inconvenant qu'un il gouj a t'; se pavanât
1
dans un paradis~ y assourdissant tout le monde avec
!
(1 )
LIétrange destin de Wangrin":
Op. Ci t. - page 119
1

....,
515
les accents de son Hforofifon naspa'·i) alors que des
hommes lettrés, sur qui doivent descendre bénédiction
et miséricorde du ciel et de la France) peinent dans
l'enfer de la pauvreté ...
C'est pourquoi, j'ai décidé de revenir ici comme
interprète. Je sais que tu ne voudras pas partir de
plein gré. ô'est pourquoi je te co~pare à Adam et moi
à l'ange-gendarme. Mais ~is tranquille~ je ne me ser-
virai pas de flammes pour te chasser d'ici. Je n'aurai
besoin que de quelques lignes d'écrftur~ couchées sur
un papierde format 21 x 27. Cela s'appelle au cas où
tu ne le saurais pas, une décision~l. (1)
Effectivement, le lendemain de son arrivée à Goudou-
gaoua, Wangrin dressa ses b&tteries. Tout d'abord il déploya
une offensive de charme en direction du chef du personnel adminis-
tratif. Dès le premier contact il tâcha d'être symapthique à ce
dernier tant il est vrai que des premières impressions dépendent
souvent les futures relations entre' patron et employé ou entre
personnes appelées à cohabiter. Wangrin réussit donc à entrer
dans les bonnes grâces de Quinomel et en profita pour lui deman-
der un service qui, dit-il, lui tenait à coeur :
"Mon souhait personnel serait de servir à Goudougaoua,
car c'est au chef~lieu que l'on s'instruit le mieux.
Néanmoins, ciest à Yagouwahi que je rendrai le plus de
services au gouvernement. Or, je tiens à cela plus
qu'à mon désir propre. Je ~arle toutes les langues
usuelles de Yagouwahi et je connais bien tout le pays,
qui est limitrophe avec le cercle de Diagaramba où
j'ai servi longtemps li. (2)
Wangrin ne sien tint pas au seul chef du personnel,
mais multiplia sourires et ca,j oleries à l'intention de "la jolie
fille peule qui partageait la vie de Quinomel il (3») sans nublier
le commis expéditionnaire) le secrétaire particulier du gouver-
neur) etc ... Il fit également appel aux trois plus grands
(1)
L'étrange destin de Wangrin"
Op. Ci t. - Page 121 - 122
(2) Ibidem - page 131
(3) Ibidem - page 131

, j
5I6
marabouts de la ville afin que par leurs prières~ ils prédis-
posent le gouverneur et tous les chefs Blancs (dont l'avis sera
requis) à accepter de prendre la décision de mutation.
Wangrin réussit ainsi donc à évincer Romo. Après la
passation de service et au moment de quitter définitivement
Yagouwahi, ce dernier ne put contenir le flot diindignation
impuissante qui bouillait en lui :
"Ainsi, fils de putain) tu es arrivé à tes fins cri-
minelles. Tu as osé payer ma bonté de la plus noire
des ingratitudes. Je te jure que je niaurai de repos
jusqu'au jour où Je tarrêterai de mes propres mains
pour te conduire en tôle. Ta prison sera douloureuse)
car je veillerai à ce que tu y manges tes excréments
et y boives ton urine. C'est avec grand plaisir que
je verrai ton ventre enfler comme une outre et crever
comme un ballon.
Oh ! oh ! mon cher grand frère et compatriote, je
vois que c'est une déclaration de guerre en bonne et
1
due forme que tu me fais là. Tu as tort, car je me
1
tiendrai sur mes gardes. Le jour où tu viendras pour
m'arrêter, ce jour -là je te jouerai un tour plus
terrible encore que celui qui maintenant te fait sortir
de ton paradis et tu nauras pas la joie de me conduire
en prison. Tu peux par avance, de dépit, t'en mordre
le doigt jusqu 1 à la dernière phalange". (1)
A partir de cc jour les deux interprètes vécurent à
couteau tiré, Wangrin réussissant à faire échouer toutes les
tentatives de vengeance de Romo et au contraire lui jouant les
plus vilains tours dont il avait seul la recette. Pourtant, le
jour des obsèques de Wangrin, c'est un Ro~o Sibédi, magnanime
1
qui viendra spontanément présider à toutes les cérémonies :
f
lIQuand le messager vint lui faiJte part de la mort de
son vieil adversaire, Romo, tout tremblant d'émotion,
se leva et dit : "Oh ! pauvre frère Wangrin ! Celle
qui n'épargnera personne t'a terrassé comme elle me
(1)
L'étrangedestindeWangrin.;
Op. Cit. - page 134
1

J
517
me terrassera immanquablement un jour ... "
Il annonça la nouvelle
1
à ses femmes et à ses
t
enfants
1iAllez pleurez notre parent~ leur dit-il~
et restez auprès de ses femmes et de sa fille".
(1)
De plus, dans un accès de clémence
Romo tint person-
j
nellement à prononcer l'oraison funèbre du défunt en ces ter-
mes :
"Selon la tradition, tout différend doit cesser avec
la mort. Il appartient au survivant de veiller à ce
qu'il en soit ainsi. Mon frère Wangrin et moi nous
1
vécûmes en ennemis acharnés. Ma folle jalousie m'amena
1
à souhaiter sa mort et aurait presque armé mes mains
pour le tuer.
1
Maintenant qu'il ni est plus) mon
l
l' coeur profond",
t
que la jalousie avait submergé et étouffé, reprend ses
t
droits et me fait comprendre que si j'appelais cette
J
mort, je ne pouvais foncièrement la souhaiter.
r
Mon coeur a raison:; car la mort de .• Wangrin m' a remué,
~
affligé et quelque peu tué moi-même ...
t~
Il déclara solennellement qu'il pardonnait toutes les
. offenses que le défunt lui avaient ~aites. De même~ il espérait
!
que la mémoire de 1Nangrin lui pardonnerait. Puis il aj ou ta :
~
f11
lI,Je sais que si j 1 avais été le premier à mourir,
Wangrin aurait tenu à ~es funérailles le même dis-
,1
.
cours.
1
C'est en frère mortifié que j'ai conduit l~ deuil
de mon frère Wangrin, et c'est en parent contrit que
1
je Pleurerai notre gra:1d disparu jusqu 1 à ma mort". (2)
f
Ainsi donc, la primauté de ses intérêts personnels a
i
été la constance de la philosophie de Wangrin. Dans son audace
f
et son cynisme, le personnage ne s'est embarrassé d'aucun sen-
f
timent d'amitié ou de grat.itude. On ne slétonnera donc pas qu'il
:1
soit parvenu à étouffer en lui tout scrupule tant qu'il y avait
1
un profit quelconque à tirer d'une situation. Il n'hésiterait
1
(1)
L1étrange destin de Wangrin '"
Op. Cit. - page 423
(2) Ibidem - page 426

~
5I8
pas no~plus à pactiser} s l il le fallait~ avec le diable. Sa
concussion a consisté à extorquer céréales, volâille,
animaux
sur patte, or~ argent ete,., à tous ceux qui, demandeurs ou dé-
fenseurs
voulaient se faire entendre
du
commandant: il
j
fallait au préalable passer par son interpr~te.
Un cas typique aura retenu 11attention du lecteur,
qui montre l'irrévérence impie de Wangrin : il sVagit de l'aven-
ture débutant par !lIa mort d l un grand chef et ce qui s'ensuivit".
Brildji Madouma Thiala, chef de province de Wintou et
de Gouban venait de décéder, laissant sa succession ouverte
entre deux tendances irréductibles.
'!
Son fils Loli avait fait procéder la nuit meme du dé-
cès, à son inhumation comme le veut la coutume musulmane. Le
lendemain, un de ses emlssaires était venu en aviser l'inter-
prète, à Jharge pour ce dernier d'informer le co~mandant de cer-
cle et les autres notabilités de la ville de Yagouwahi. L'admi-
nistrateur, qui tenai~ en haute estime l'a1cie~ chef de province,
délégua Wangrin pour présenter ses condoléances à la famille
éplorée, et le représenter aux cérémonies fun~bres ~ui
allaient
avoir lieu.
En chemin, une idée démoniaque germa dans ll espr it de
1Iinte;rprète. Le vieux chef n'a été inhumé nui tarrunent et prée ipi-
tamment que parce qu1il ne tenait pas à ce que son demi-fr~re
(à cause de certaines dissensions entre eux) assiste ~ ses obsè-
ques, En effet, Kartbou Sawali était prétendant légitime ~ la
chefferie de Wintou et de Gouban. Le demi-frère dissident, cnar-
gé nagu~re d'administrer la province de Gouban avait manifeste-
~ent fait sécession et convoitait ouvertement tout le trône que
Brildji destin2it, 1ui~ à son fils Loli.
"Wangrin, qui sav3.it tirer parti de tout et de rien, ...
allait exploiter cette querelle intestine, dresser l'un contre
l'autre Loli e~ Karibou Sawali, afin d'en tirer un nouveau grand
profit". (1)
(1)
Lfétrange destin de rvangrin.,
Op. Cit. _. page 215

: \\~
,
l
5I9
!
En route pour Wintou, Wangrin fit une halte prolongée
à Gouban
décidé à jouer là~ ses premiêres cartes :
j
1
"Comment pourrais-,tu
kIit··il au demi~'frêre de Brildj i
en privé l prétendre remplacer un chef qui fut ~terré
sous ton nez et à ta barbe) et sans toi (sic) ? Non,
Karibou Sawali. Il faut réagir,
et àe la maniêre la
plus violente~ pour prouver que l'autorité d'un hom-
me, si puissant fut-il, cesse avec llextinction de
1
son souffle. Tu est le chf'i'de la famille royale des
1
Thiala. Il faut le prouver en frappant un grand coup.
f
-
Quel coup puis~.je frapper, après avoIr perdu la
\\
l
1t
face devant tout le monde ?
--Puique nous sommes entre amis, je me dois de te
1
1
dire la vérité. Je ne puis pas venu à Yagouwahi pour
Ilfaire de la religion'"
en vue d'un paradis situé dans
lau-delà, mais pour gagner de l'argent, et je suis
disposé à servir celui qui saura me payer bien et dis-
crêtement .
... Quel est le coup que tu comptes me faire frapper
si je te paie bien?
#
... Je ferai exhumer feu ton frêre. Ainsi tout le monde
saura que tu es le chef. Tu méneras son deuxième enter-
rement et conduiras sa dépouille à un lieu que tu
choisiras.
__ Combien me demandes-tu pour cela ?
-
Cent taureaux de chacun dix ans \\1. (1)
Aveuglé par la perspective d'une revanche sur son
ainé
Karibou accepta le marché. Wangrin, très retors, lui fit
j
payer le prix en or (dix kilos), espèce moins encombrante et sur-
tout plus discrète; dit-il, que la centaine de taureaux.
l
A son arrivée le lendemain & Wintou, Wangrin ne témoi-
j
gna qu'un semblant de sympathie à la douleur de la famille en-
f
deuillée. Il se présenta plutôt comme l'envoyé spécial de la
1
France, du gouverneur du territoire et du commandant de cercle.
t
En cette qualité; il exigea devant toute la population rassemblée
t
l'exhumation de Brildji à fin d'autopsie; un deuxième enterre-
f
ment sien suivra, dit-il) qui sera présidé par lui-même, le
{
le
-(-1-)-L-?-é-t-%'an-g-e-d-e-8-t1..-·n-d-e-~l-an-g-r-1..-·n-", -Op--.
----1
-C-i-t-.---p-a-g-e-1-7- - - - - - - - - , . - ·
4

l
520
1
représentant de l'autorité suprême) ayant à ses côtés Karibou
{
t
le demi-frère et successeur du vieux chef décédé. Ce dernier
exhultait
à l'idée de faire essuyer une avanie aux gens de
j
Wintou.
Quant à Wangrin~ il ~vait réussi, au mépris de la mo-
rale et de la religion, à jeter la consternation dans le coeur
i
de Loli. Ayant brandi publiquement le spectre de l'exhumation
de Brildji, il contacta secrètement le fils du défunt et, après
d'habiles tractations, parvint
j
à lui soutirer une grosse taba-
tière remplie de poudre d'or et le prix de mille cinq cents
,
taureaux, soit quatre cent cinquante mille francs qu'il arrondit
à cinq cent mille. Il en exigea le payement en or~ fidèle à sa
stratégie de discrétion. Wangrin promit alors à Loli de surseoir
à son macabre dessein. La première phase était terminée. A pré-
sent, il lui fallait trouver le moyen de se tirer d'embarras,
puisqu'il se voyait engagé entre le marteau et l'enclume.
Le rusé interprète entreprit de manoeuvrer Karibou en
inventant une histoire :
"Comme convenu) lui dit-il, j 'Gd fait venir le grand
Imam Souleymane et lui ai dit de se tenir prêt pour
assister à l'exhumation du corps de Brildji. L'imam
fut si troublé par mes paroles que je crus) à voir son
air hagard et inquiet, qu'il venait d'être pris d'une
crise d'épilepsie ...
Lorsqu 1 il eut complètement retrouvé ses esprits
je lui demandais le modf de son évanouissement. Voici
ce qu'il me dit:
... Je suis arrivé, me dit-il, aux trois quarts de ma
quatre vingtième année. Je n'ai jamais oui de mes
oreilles une chose aussi abominable que celle que tu
1
viens de me proposer : exhumer un cadavre ! Satan lui-
f11
même s'en garderait bien. Il est écrit, dans les tex-
!
tes sacrés, qu'un destin funèbre sera, sur cette terre~
1
la part de celui qui ordonnera l'exhumation d'un cada-
Il
vre. Et les enfers septièmes seront la demeure de celui
1
qui prendrait plaisir à voir exhumer un cadavre 1i • (1)
!
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - l
(1)
LYétrange destin ~~WangY'in
Op. Cit. - page 2 ü 7 " i i
... t
:<

521
Wangrin parvint ainsi à ébranler le naif prétendant à
la chefferie de Wintou. En lieu et place de l'exhumation venge-
resse lui suggéra-t-il, il usera de tout son pouvoir pour amener
Loli à présenter publiquement d~s excuses à son oncle. Ce sera
là une compensation et l'autorité et le prestige de ce dernier
en sortiront grandis. Il devait par la suite adopter la même
stratégie à l'égard du fils de Brildji. Karibou et Loli se lais-
sèrent prendre au jeu Je la parodie de réconciliation proposée
par Wangrin. Ch~cun était convaincu que la tactique n'était des-
tinée qu'à endormir la méfiance de l'adversaire.
Wangrin promit ensuite à chaque parti diintercéder en
sa faveur auprès de llautorité coloniale à qui revenait finale-
ment la décision de nommer un successeur à feu Brildji.
De retour de sa mission~ il eut recours à toutes les
ressources de sa diabolique imagination pour brosser au comman-
dant"de cercle, puis ensuite au gouverneur, un tableau de la
situation complexe qui prévalait à Wintou. Laffaire avait trainé
à Yagouwahi avant d'être renvoyée à Goudougaoua) la capitale du
territoire, sur les propres conseils de Wangrin.
L'auteur de ces machinations sera-t-il un jour confon-
du d'agiotage? Non, car au bout de plusieurs mois d'habiles
intrigues il parvint à convaincre en coulisse le commandant de
cercle de Goudougaoua de prendre la seule décision à ses yeux
opportune
l'Il serait illogique que Loli~ fils ainé de Brildji,
soit dépouillé du co~~andement et des biens de son
père. Loli est un engagé volontaire. Il a fait quatre
ans de guerre contre l'Allemagne. C'est un sous-offi-
cier de valeur. Il a versé son sang pour la France.
Celle-ci doit donc le défendre contre une coutume que
l'Islam a d'ailleurs rendue caduque. Loli et Karibou
1
!
sont tous deux mJsulmans pratiquants. Il n'y aurait
f
,
donc aucun 2bus â leur appliquer la loi d'une religion
l
qu'ils ont embrassGe sans contrainte.
1
Et pourtant; ne rien donner à Karibou Ee~ait une
très mauvaisE ~olitique. Il pourrait fuir en Gold
1
Coast avec une grande partie de la population. En
..
1
, ~

",\\'
"';.-
522
toute hypothèse~ s'il était évincé~ il créerait une
forte opposition et la paix intérieure du cercle tout
entier en souffrirait énormémenti .. 1
... Que la chefferie de la province soit attribuée à
Karibou tandis que les biens laissés par Brildji iront
à son fils Loli et à ses frères. Quant aux veuves de
Brildji~ elles épouseront qui elles voudront ll • (1)
Cette suggestion que, pensait-on, Wangrin avait faite
dans
l'intérêt supérieur du pays:; fut donc adoptée par le com-
mandant de cercle et ent§rinée par le gouverneur.
Avant la notification officielle, Wangrin se précipita
tour à tour chez les deux protagonistes, les amadoua longuement
en disantàchacun tout le parti qu' il ~ouvait tirer de la déci-
sion gouvernementale, essentiellement prise à son avantage. Il
dit à Karibou que Loli, écervelé, aura bientôt vIte fait de di-
lapider les fonds paternels ct quiil ne tardera pas à venir se
~
traîner à ses pieds. Il fit entrevoir à Loli que grâce à son
intelligence, à ses expériences acquises au contact du Blanc du-
rant la guerre et à la fortune de son père) qu'il devra employer
judicieusement, il réussira rapidement à se faire une telle po-
pularité qulil n'aura a~cun mal à évincer son oncle et à prendre
le pouvoir. Il les assura tous deux respectivement de son sou-
tien moral
inconditionnel 0
Yi Ainsi
préparés et disposés" Loli et Karibou se pré-
sentèrent au bureau politique où le commandant Réardris,
avec cérémonie, leur annonça la décision du gouverneur,
ajoutant quielle avait été prise dans IVintérêt même
de la tranq~illit~ publique au sein de la province.
Ensuite, le gouverneur en personne reçut les
deux protagonistes. Il les exhorta à la discipline,
au respect de la loi et du droit des hommes.
Par ailleurs, non seulement il félicita Wangrin,
mais il lui attribua un témoignage officiel de saûS-
faction et le décora de la médaille d'honneur du tra-
vail:; en argent Il. (2)
( 1)
L yétr>ange destin de Wa:ngr>in
Op. Cit. - page 229 ,
(2) Ibidem - page 233

523 ~.
L 1 interprètc finaud venait de réussir le tour de force
de ménager la chèvre et le chou. Un personnage qui sait bien ce
qu'il dit, nous dépeint Wangrin en ces termes:
"1tlangrin est une crapule de grande dimension~ un com-
binard de grand talent. mais c'est également et para-
doxalement} un chevalier sur les bords. Incontesta-
blement, c'est un coriace qui n'a peur ni de Dieu, ni
moins encore du diable l1 •
(1)
En effet, personnage complexe, Wangrin réunissait en
lui un mélange de vertu et de bassesse. Nul mieux que lui, n'a
symbolisé en sa personne ce que l'auteur des Fleurs du Mal a
désigné par "postulation simultanée ll et qui existe en tout hom-
me, à toute heure: il sïagirait d'une sorte de double sollici-
tation, l'une vers Dieu~ llautre vers Satan, et qui se présen-
terait à notre esprit spontanément chaque fois que nous allons
agir.
Wangrin n' a-t'-il pas connu cette courte hésitation au
moment de toute action importante à entreprermre ? Mais il faut
avouer que dans ce combat titanesque, l'esprit maléfique l'a le
plus souvent emporté sur le raisonnement d'inspiration divine.
C'est ainsi qu'au moment d'évincer Romo, l'Amphitryon
convoité, sa conscience s'était insurgée au départ
"Un drame intérieur plongea Wangrin dans un assombris-
sement qu'il ne pouvait cacher. Tout le f~ste que
Romo avait déploY2 pour lui être agréable n'avait fait

~u'aViver l'égoisme et la cupidité qui lui rongeaient
j
e co;~r~~~scicnce et sa concupiscence se livrèrent
1..•.·
en lui une lutte dêsespérée. Mais en un rien de temps,
t
le mauvais penchant terrassa le bon. La voix de sa
1
conscience naturelle fut étouffée~ devint un lointain
i
écho puis alJé s'amenuisant jusqu'à s'évanouir tota-
t
1
_ _ _ _ _1_e_m_e_n_t_'_._(_2_)
J!.•
(1) L'étrange de3tin de Wangrin ; Op. Cit. - page 203

(2) Ibidem - page 121
1
1
t
t

J
524
1
Mais il faut lui concéder qu'il est arrivé que l'écho
de la voix divine domine en Wangrin la sourde rumeur chuchotée
1
â son oreille par l'ange du péché. C'est pourquoi on aompte à
son actif quelques bonnes actions. D'aucuns pourront même soute-
1
nir·que ses qualités contrebalancent le mal qU'il El fait à une
.~
minorité d'exploiteurs. DRns ce cas, Wangrin n 1 aura fait que
rendre gorge à ceux qui se sont livrés à la curée. Le personna-
ge apparaitrait à la limite comme une sorte de Mandrin, de ban-
dit au grand coeur, qui pillait les riches pour venir au secours
des pauvres :
17Vlangrin était filou
certes, mais son âme n'était
3
pas insensible. Son coeur était habité par une intense
volonté de gagner de l'argent par tous les moyens
afin de satisfaire une convoitise innêe, de générosité
et même de gr~ndeur . Les pauvres et tous ceux aux-
quels il était venu en aide dans le secret en savaient
quelque chose. Son comportement, cynique envers les
puissants et les fsvorisés de la fortune, ne manquait
cependant jamais d1une certaine élégance 1i •
(1)
L'accueil réservé aux visiteurs de toutes les couches
sociales, dans la maison de Wangrin~ illustrait son sens de
l'hospitalité africaine poussée jusqu'à la singularité: "Mangeait
chez Wangrin qui se trouvait ]à aux heures des repas 11, (2)
nous
dit l'auteur pour souligner ses libéralités. Puis il ajoute:
"Par contre, aucun griot, aucune femme de noeÙ.rs légè-
res, aucune vieille entremetteuse, aucun marabout,
aucun mendiant" aucun
solliciteur, ne sortait de
chez Wangrin les mains vides.
Certes, Wangrin savait demander et même exiger
des cadeaux de la part de ceux que la vie avait lar-
gement pourvus. This il faut noter à sa décharge qu'il
donnait be~ucoup aux pauvres et aidait les malheureux,
sans pour autant leur demander quoi que ce fût ll •
0)
(1)
L'étrange destin de Wangrin
Op. Cit. - page
.J
197
(2 ) Ibidem - page 61
0) Ibidem - page 62

525
-~
Amadou Hampaté BA nous a déjà dit combien la justice
coloniale était loin d'être équitable. Chacun à son niveau,
grands et petits commandants de cercle se livraient à des abus
parmi lesquels
"des détentions irrégulières de pers'nnes ou
le maintien de certains jugements bien qu'ils eussent été cas-
sés par l'instance supérieure;;. (1)
Devant de tels cas flagrants d'injustice et d'abus de
pouvoi~, Wangrin n'hésitera pas à voler au secours de ses mal-
heureux compatriotes;) dénommés méprisamment 1i su jets français".
HL i affaire des boeufs ", qu'il avait déclenchée devait faire des
victimes innocentes, comme ce nommé Samba Bouri~ messager que
le comte Villermoz avait m2ndaté auprès de Wangrin pour récupé-
rer les feuilles de réqliEition compromettantes. Après avoir re-
mis solennellement les documents à l'envoyé, Wangrin avait dé-
pêché à sa suite un autre 2gcnt pour les lui subtiliser. Rentré
bredouille auprès du comtc~ Sammba Bouri se fit sur le champ
jeter dans une cellule noire et étoite d'oQ la mort seule aurait
pu le faire sortir.
\\fUn autre agent que l.'langr in entretenait 1]. Zadoum vint
lui dire que le meséager du comte se mourait en pri-
son et que si lion ne faisait rien pour le sortir de
là, il ne vivrait pas trois mois.
Wangrin se sentit coupable à son égard et décida
de tenter quelque chose. Il consulta Abougui Mansou
en vue de trouver un moyen de signaler au commandant
Galandier la détention illégale du messager ll •
(2)
Wangrin réussira non seulement à le fajr2 sortir de
sa geôle~ mais à le faire dédo~mager.
Notre héros savait aussi maintenir vivantes certaines
pràtiques coutumières encore en honneur en Afrique chez les per-
sonnes conservatrices. Le père qui voulait donner à ses enfants
une bonne éducation et surtout une certaine force de caractère,
les confiait toujours à un proche parent ou à un ami, en tout
cas loin de leurs mères. Le geste consolidait les liens inter-
(1)
L~étrange destin de Wangrin ~
Op. Cit. - page 89
(2)
Ibidem - page 96

526
familiaux et cette sorte dYéducation durait parfois jusqu'au-
delà de l'âge de puberté des enfants
HUne jeune fille nommée Tenin vivait à Dioussolal... f
Le père de Tenin li~vait confiée~ tout enfant, à
Wangrin. Celui~ci l'avait élevée, lui avait fait faire
de bonnes études de couture~ et l'avait lancée dans le
monde des relations comerciales oü elle faisait mer-
veille. C'était elle qui H lar ç::iÏ t)l ses étoff -2S ou cer-
tains de ses articles féminin&... f
Tenin vouait un respect filial et quasi religieux
à vITangrin. Bien que lui fournissant chaque mois de
belles étoffes et des parures) celui-ci ne lui en de-
mandait jamais le payement, ni en espèces et encore
moins en nature ... H (1)
Enfin, comme dernier témoignage de la grandeur d'âme
de son personnage, li2.uteur cite quelqùes faits survenus au dé-
clin de la vie de Wangrin devenu flclochard et philosphe".
Lorsque la déchéance physique et morale se fut emparée
de Wangrin, dit-il, celui~ci; démuni de tout jusqu'à la pitance
journalière, était devenu un gueux écumeur de marché. Il s'ap-
prochait des passfrntes et brusquement leur arrachait ce qu'il
trouvait à fortée de sa main. Mais, 10iD de le sanctionner, on
usait de complaisance à son égard.
Un jour, il venait d'arracher quelques billets exposés
dans le van d'une f'ermne. Alors:
"Un homme qui passait par là dit à la femme : "combien
avais-tu diargent ?1I La femme lui indiqua la somme.
L'homme lui en donna un peu plus et lui dit : liWangrin
que tu vois là, mien avait jadis donné cent fois plus !"
Quant à Wangrin, il partagea son,butin en deux.
Une part alla dans sa poche pour payer les tournées
du cabaret, il distribua l'autre aux enfants et aux
aveugles Il.
(2)
(1 )
L'étrange destin de WanfJ2'ùl.>
Op. Ci t. - page 311
(2)
Ibidem - page
416

, .'.~-.
527
Et l'auteur de terminer
"Durant six à huit mois, il vécut de ce petit bri-
gandage. Non seulement personne ne voulut jamais por-
ter plainte, mais bien au contraire~ de braves gens~
qui' voulaient aider Wangrin en reconnaissance de ses
bienfaits passés et qui ne pouvaient lui faire accep-
ter le moindre secours, utilisaient ce procédé de
l'argent sur le van pour l'aider d'une façon détour-
née".
(1)
Tel est donc l'homme ~ paradoxe que Amadou Hampaté BA
a tenu à nous présenter.
1
i
-(-1-)-L-é-t-r-an-g-e-d-e-s-t-1,-'n-l-d-e-v;,-cm-b--rr-''/--'n--O-p-.-C-j-t-.----p-a-g-e-4-1-6------------:.;
V
Il
t

52G
Place et rôle de la femme dans la société
On a beacoup parlé de la femne. En bien corrme en mal. Les mouvements
,,·.:f"'eministes font cêPIpagne ~ les autres ne font pas moins de tapage.
L'O.N.U. a decreté une décemie de la femne après une amée de la
femne qui, aux dires de certains a sensibilisé l'opinion publique sur la
place dévolue à la femme et contribué du coUP) à améliorer son sort. On cite
avec fierté les nans de femmes
~Ivedettesl! de l'actualité. de la politique
etc : carme Indira G:mdhi de l'Inde, Golda Meir d' Israël ~ Bandaraké du Sri-
lanka etc.
Il se troove aussi des gens pour dire que la campagne a été un échec
l
total. Les femmes disent-ils, ont troD compris et ont donné da~s l'excès
f!
contraire.
Le débat est loin d'être clos~ on le voit bien. Dans le ranan malien,
1
1
B:>uS avons retem les propos de deux auteurs; réfletant les deux catégo-
ti
ries d'opinions sur la femne.
t
i~
~r,
j
/.
J[
1
1
.~.

529
Naissa
est un roman qui traite de problèmes sociaux mais le
thème abordé par l'auteur se m.pporte à un suj et qui préoccupe un peu tous
les pays : le relâchement des moeurs. N~arnnoins.. si l'on continue à lui cher-
.~
.. ~ .
'cher des solutions. Cellesqu'on tente de lui appliquer sont aussi peu satis-
faisantes les unes que les autres. Parmi elles, celle de Yadji sangaré.
Naissa, une jeune fille à la taille gracile et à la beauté notoire:
était la coqueluche du quartier Dj ambour ~ voire de toute la ville. Bien que
se sachant aimée de Mady un jeune infirmier ( qui s' anprêtait à l i épouser) ,
elle voulut profiter de sa jeunesse et vendre ses charmes à plusieurs garçons
à la fois. Si elle ne dédaignait pas par exemple Bandjougou un jeune comner-
çant" c'était essentiellement à cause de l'argent de ce dernier. Par contre)
ce qui l'attirait vers Karim~ Cl était la tenue ex,centrique et les manières
désinvoltes de ce jeune premier.
Finalement c'est ce Don Juan qui va profiter d'elle. Mais,. Ilheure
de la désillusion soma pour Naissa lorsqu'elle tomba enceinte) conme on
pouvait s 'y attendre. EIJ,..e va chercher alors à attribuer tour à tour à chacun
des jeunes gens la paternité de l'enfant qui allait naître.
~~y; déçu par le caractère volage et la conduite indigne de celle
dont il se croyait aimé) rompit brutalerœnt leurs fiançailles. Bandiougou
méfiant, prit pruderrment Bes distances. Quant a. KarilJ1 .. l'auteur de l'acte
illicite , il se montra sous son vrai jour : celui.d 'un séducteur inconscient
et cruel. Alors l'inecnstante Naissa se retrouva seule avec son enfant bâtard
dans son sein. Elle tenta vainement de se faire avorter.
Lorsque le scandale éclata au ~and j our ~ le père de Naissa ne son-
gea plus qu'à sauver l'honneur de sa famille. Il renia sa fille; la chassa
de chez lui et s dans sa ~lère répudia la mère l'instant d'après, co~ble

", ..
530
à ses yeux d'avoir failli à sa tâche d'éducatrice.
c'est alors que Bandiougou, pris de pitié
résolut de faire expier
son forfait à Karim. Il parvint avec quelques anùs à lui tirer les vers du
nez, puis à le traîner au cornnissariat de police.
En présence de son propre père et de celui de Naissa, convoqués
tous deux par le conrnissaire. Karim fut obligé de passer aux aveux. Il accep-
1
ta de reconnaître son enfant mais non d'épouser la mère. D'ailleurs le jour
suivant., au petit matin, le Don Juan prit le train à destination d'un pays
voisin (le Sénégal). On n'entendra plus j arrais parler de lui.
Cependant tous ces événements n'avaient pas altéré l'amour de Ban-
diougou. Il fit part de ses bonnes intentions au père de Naissa. Ce dernier,
revenu à de meilleurs sentiments~ avait fini par pardonner à sa fille. Lors-
que quelques mois plus tard~ toutes les tentatiVes faites pour retrouver
Karim se révélèrent vaines et que Naissa accoucha d'un enfant mort-né _ plus
r:lén ne s'opposait à son rmriage avec Bandiougou.
Si l'on tenait compte de la légalité strictement juridique~ le
roman de Yadji Sangaré ne prêterait-il pas le flanc à la critique? Le
commissaire par exemple semble être allé au-~elà de ses prérogatives : il
y aurait abus de pouvoir. Conment l'officier de police judiciaire, qui
connait sans nul doute les textes de loi ne s'est-il pas aperçu que dans
la tâche qu'il sIest asSignée,
il s'est substitué au juge? En effet,
la police n'est pas un organe de justice. Elle n'a pas à décider de la cul-
pabilité des
suspects
mais doit se contenter de rassembler les preuves
j
qu'elle met à la disposition du juge d1instruction. Or ici, sur de simples
préscmptions (de J3a.njiougou) le cormri.ssaire inculpe le présumé coupable et
tranche le litige.
1
,
i

· .. \\
- 531-
Dfautre part. dans la recherche de la preuve, les éléments versés
1
au dossier par la partie civile ( en l 'occurence Bandiougou)) paraissent
bien minces. Ce dernier, dans son désir di établir la culpabilité de, Karim)
allègue pour toute preuve que
" Et Karim nous a dit, je l'ai noté et je le cite .... " (1)
:~!-
Mais l'intérêt principal de ce rée1flréside avant tout dans les i-
dées véhiculées par le roman. Ce sont elles: en définitive,. qui méritent d'ê-
tre retenues.
Dans ce roman donc, un thème se détache et relègue tous les autres
au second plCln : celui de la délinquance juvénile qui a déjà préoccupé Seydou
Badian. Yadji 3angaré, après l'auteur du : ~~ des masques, apporte son
eau au moulin.
Son roIŒ'lll attire l.l attention sur un malaise, malaise qui serait dû
à des craquements dans l'ossature de l'organisation sociale. Certains croient
,.
savoir que le tort incomberait à la jeunesse. Les aînés s 1qcccmodent mal sa
nouvelle conception de penser
et d'agir~ qui conduit de plus en plus vers
une remise en question des institutions mêmeftle la société. Les lois) disent-
ils, qui gouvernaient le clan~ le village, étaient prises par les ainés à
cause de leur expérience. Privilège qui leur permettait d'assumer toutes les
responsabilités et de dicter leur conduite aux jeunes.
Nous relevons par exemple dans le roman cet écp.ange de propos entre
deux personnages :
H
·~--Oui. Pourquoi obliger unI jeune hœme à épouser la fille
qu'il ne connait pas et qu'il n \\aime pas?
----'--Un jeune horrme sait-il choisir sa ferrme? Toute fille qu'il
aime n'est forcément pas faite pour lui convenir dans le ména-
gel ,; (2)
1) Ncü,Ma ; Op. Cit. page 63
2) Ibidem; Op. Cit. page 85

532
'If
Ce~i est très révélateur d'un certain état d'esprit!
L'on ne s'en portait pas lTIr'll, diront les traditionalistes. Nais leurs
détracteurs leur rétorquerorit que le~ parents ont tort de s'entêter à vou-
f,".
•. loir conserver un tel statu quo. D' autant plus que parmi les jeunes, cer-
tain&t ont fait de hautes
études ou bien ont voyagé beaucoup plus que les
aînés. Or conJl1e le disait un dRS personnages. d,ans Le sang des masques : ''Un
jeune qui a connu cent villages peut affronter l'ancien aux cent pluies.
Ils sont de même taille l' • ( 1)
Le débat
on le voit, est lcin j1 etre clos.
Dans le roman de Yadji Sangaré sont réfletées ces deux tendances.
Le drame que l" auteur nous conte. se joue autour de trois jeunes horrmes et
tme jeune fille. f'llais si Mady et Bnndiougou figurent la bonne graine, l' é-
lément conservateur (ou mcdéré)" Karim et Naissa symbnlisent l'ivraie, la
> '
jeunesse contestataire.
Ma.cly et Bandiougou appartiennent à deux corps professionnels ayant
de grands rôles à jouer dans la sociét[. malienne dl auj ourd 'hui :1 'un est
fonctionnaire:. l'autre', exerce une profession libérale. Si la fon~ion put li-
que est l'organe par lequel le gouvernement fait exécuter les décisions et
'.
les travaux allant dans l'intérêt public, le commerce est un des secteurs
clés de l'économie malienne.
Mady a pour lui l'instruction qui fait des jeunes d 'aujotU~d 'hui des
interlocuteurs valables face aux ~iens qui n'ont p8.S été à l'école :
f1
-_··--
MadY était un g8.rçon sÉ'rieux et sympathique. Grace à
une conduite faite de respect et de dévo~nt il avait
,,;'
"J
conquis l'estime de tous ceux qui le connaissaient. Infinnier
de son métier (sic), il était modeste. Si son sens de
l'é-
conomie le fit passer pour avare aux yeux de cert3ins de ses
call13rades, il lu:ivalut cependant le mériœ indéniable d la-
1) Le -6a.l1g du mMquu :, Op. cit. page 90

..~.
!;I
533
voir r6pAré et embelli la chambre q~ lui fut affectfe au
sein de la maison paternelle et l'achat d'une motocyclette
qui émerve4rlla bea~oup Naissa. ri ( 1 )
~:~ ';
".
'.:
..~ ,
~~dy est également respectueux des traditions car non seulement sa
conduite est exemplaire, mais il soutient aussi la coutume. Respectant l 'hon-
neur de jeune fille de Naissa. il s! est refusé tout conmerce charnel avec
elle jusqu'au j our de leur mariage. Corrme le faisaient les aînés!
Bandiougou lui, n'a pas fait d' études scolaires. Mais grâce li l' exer-
de
.~~îce de son métier/ comnerçant. il a :lcquis de l'expérience. Et les termes
qui le décrivent sont aussi élogieux que ceux de tIJady :
"Ce dernier (Bandiougou); s'il n'était pas instruit -' pos-
sédait une chambre contenant tout ce dont peut rêver un
jeune hcmne en passe de se marier. De plus il avait une
vespa grâce À. l!3quelle il n'aurait jamais manqué de com-
pagnon s'il n'avait eu pour Naissa un amour profond" aussi
sincère. Tout cet argent que Bandiougou. posséda;it était le
fruit d '\\ID comnerce prospère." <2 )
Il est aussi respectueux des traditions que le jeune infinnier. C'est
d'ailleurs son intervention qui permit au père de Naissa de sauver la face
lorsque la jeune fille eut bafoué la coutume et déshonoré sa famille. En ef-
fet, Bandiougou a. accepté d'épouser Naissa;; d'endosser la responsabilité de
l'inconduite de la jeune fille: de donner son propre nam à l'enfant qui al-
..
lait naître afin qu'on ne dise pas de ce dernier qu'il est un bâtard. Avec
la perte de la virginité;< cette épithète est la pire des l1umiliations qu'une
t;5:l1e puisse infliger à sa famille. Grâce ,q Bandicugou donC, Naissa, désavouée
par son père, puis exhérédée~ retrouva sa rlace au sein de safemille.
1)
NalMa.;
Op Cit. page 10
2)
NtÜÂlla.; Op. CitA page 11

..
~,
. ",
..,'
'
-\\~"\\
534
Aux' antipooes de Mady et de Bancliougou se siwent Karim et Naïssa,
personnages vis-à-vis desquels le romancier prend ses distances.
Karim appartient à~ette jeunesse fanfaronne et oisive qui constitue
une véritable plaie pour la soci6té actuelle. Il n'exerce aucun métier et
l'auteur ne nous dit pas non plus qu'il va à l'école. Au contraire, le
portrait physique et moral qu'il fait du jeune horrme est très peu flatteur.
L'extravagance du goût de Karim est comnnme à tous ceux qu'on appelle vul-
gairernent les \\lZazous li
"Karim avait un physique remarquable.
ilLe port ct 'habits étroits qui moulaient parfaite-
ment son beau corps, lientretien d'une chevelure
abondante et soyeuse~ la facilité du verbe avaient
1

,
fait de lui un concurrent redouté."(1)
1
4
Quant à sa conduite elle dénote une éducation manquée mais malgré
1
j
tout~ Karim est très infatué de lui-même :
1
!!Ceperrlant il avait une manière détesta.Qle de se
1
1
donner en spectaclépar un rire sonore et entrecou-
!
pé, ainsi que par des gestes dont la spontanéité
1
et l'extrême gaucherie tenaient plutôt de la sotti-
se que d'une quelconque envie de plaire. En ville,
le spectacle était plus grand. Allongé plutôt qu'as-
sis sur sa moto, un bruit sans nan vous mettait du
plomb dans l'oreille si vous n'aviez tôt fait de
·vous écarter bien loin de son chemin. Ce bruit hélas
n'était pas fait pour ralentir sa course car Karim
roule touj ours il tombeau. ouvert. Karim est un de
ces garçons pour qui la vie n'est que plaisir.
1) Nal6~a ; Op. Ilt-'
.. "":p:-::ag'=,e:::-:i'1"'2-----------------

1
l
535
\\
1\\
1
Ses parents ont tout fait pour lui mais l'enfant
l1
nia jamais reconnu par un quelconque travail bien
l
j
Î
accanpli leurs sacrifices de tous les jours. Malgré
l
cela il fallait veiller sur luis même si cela pou-
1
j
l
vait paraître inopRrant. Il fallait aussi le ména-
1
1
1
ger parce que Karirn était le seul garçon de ses pa-
!
j
f
rents. '1(1)
l
"
A l'ironie de tout à l 'heure fait place la satire lorsque l 'au-
.-teur s'efface derrière ses personnages qui parlent de Karim et le jugent
à leur tour :
", •. Ce Karim" c'est bien celui qui fait en ville
un grand tapage avec sa moto? Celui qui est réputé
comne un l'Don Juan" du quartier et même de la ville?
Est-ce oelui là
enfin, dont les cheveux longs font
,~
.
de lui un singe plui?ô.:t' cu 'un horrrne ?
----OUi; Bandiougou~ c'est celui-là même.
Karim pour ses pare~s et Cheis~ pour ses co-
pains . fI (2)
Le complexe des cheveux crépus poussait certains colonisés à les vouloir
longs. Karim:, corrme beaucoup d' autres ~ les a sans doute défrisés au peigne
chaud ou grâce à certains produits de maquillage. Tout ceci dans la veine
tentative de ressembler aux Blancs!
Ces tristes individus., ces f1singes du 1Blanc" ~ ont été si vive-
ment pris à partie par~eurs compatriotes désireux de les soustraire à l'ac-
: ..,.,
'culturation occidentale. que leur nombre a diminué. On se rappelle encore
i
de très 1>elles pages
DU
l'''lanï;feste de Légitime défense ou
de Peau
j) NtÜ6.6a.
; Op. Cit. page 12
2) Ibidem ; page:,1t7
l11
J
,1,j

.,'-.
,
,
!
536
noire, masques blancs; l'un.des auteurs antillais
l'autre de Frantz Fanon.
Quant au surnom de Cheissmann que Karirn s'est donné (nom tristement
célèbre, QÎns les annales de la criminologie aux U.S.A.), il rélève du même
délire de mégalomanie qur le fait "rouler à tombeau ouvert;' à travers les
rues de la ville. Nous n 'y trouvons pour toute explication qu'un désir de ne
pas passer inaperçu o la prétention d'en imposer aux autres garçons et de
se donner des airs auprès des filles.
Hélas, une fraction de plus en plus importante de la jeunesse ma-
lienne, surtout celle des villes J se reconnaîtrafq.cilement à travers cette
",
·~t;
description du romancier. Il fût un temps où le colonialisme avait bon dos.
Mais à présent, parents et éducateurs rej ettent tm.ltuellement les uns sur
les autres la responsabilité de ce manque de surveillance et de cette mau-
vaise éducation. Yadji Sangaré se refuse à prendre position.
En effet, le propos du romancier se situe ailleurs. Il veut mettre
en garde les jeunes gens contre les conséquericès néfastes de cette incondui-
te. Le cas de Karirn peut en effet constituer un avertissement.
Non seulement il reçut une sévère correetion de ~a part du père
de Naissa et de son propre père mais aussi il fut traîné au conmissariat de
police et humilié en présence des camarades qu'il avait pour seul souci
d'épater. De plus, Karim se verra contraint de quitter sa ville natale et
les siens :
"Cette nuit J Karim était là à réfléchir dans son
l it lorsqu'une solution lui apparut, salutaire.
'Demain, de bonne heure; il quitterait sa ville na-
tale .~. son nays; il partirait loin, très loin des
conmérages et des calozmies les plus odieuses et
s'en irait pour un pays qu'il voulait voir et al-
lait certes y rencontrer des difficultés, mais ...

;'''- .
537
il fallait partir. Tristesse! Il aurait voulu demeu-
rer encore auprès çies siens et continuer à jouir de
la tendresse maternelle 3 mais il fallait partir fuir
la honte et l 'humiliation" partir pour ne revenir que
lorsque les esprits se seraient calmés et qu'on l'au-
rait oublié. Il (1)
, ,
Ainsi ~ l'acte honteux auquel Karim s' est livré St:B la personne ~è '
Naissa (perte de sa virginité et acte de conception) est sanctionné par
l'exil. Or, note Sunday Anozié "Toute forme d' eill comporte lffie notion d' é-
loi$;nement physique et de négation sociale de l'individu affecté" (2) .
Ce départ forcé pourrait sans doute symboliser le châtiment suprême
pour le jeune délinquant : le bannissement de l' individu qui a transgressé
les lois de la communauté dans laquelle il vivait.
La femne, qui a joué un rôle important' dans toutes les sociétés con-
nues à ce j our
a fait l' obj et d'une attention particulière de la part des
écrivains. D'ailleurs. elle prend une part de plus en plus grande dans les
romans,
que ceux-ci soient écrits par ses consoeurs ou par ceux qu'on apel-
le les féministes. Tel est le
cas de Yadj i Sangaré et le titre donné à son
récit prouve le rôle que la ferrnne y joue. Mais il ne s'agit pas de l'épouse
vertueuse te lIe une Nandi dans Le sang des masques. Ce n'est pas non plus
la mère consciente de son rôle d'éducatrice ou pleine de sollicitude pour
ses enfants) telle l'image que l! auteur de : Le rescapé de 11Ethylos nous
donne de sa mère.
1)
,,NlLÜ-6a~ Op. Cit. page sr;
,.,
~) Sunday O. Anazié .~ SocA.o.f.ogie. du JLoman a~JLic.ai11 ;Op. Cit. page 132
, .. J:.

538
Naissa appartient 8 la génération actuelle, soucieuse de "flanquer
toutes les moeurs par dessus bord" (1). Naissa~. c'est la version féminine
J
de Karfm la jeunesse délinquante.
1
L'auteur n'use pas~ lorsqu'il s'agit de Naissa, du même vocabulai-
re ironique qui a servi à décrire Karim.
"Naissa venait d'avoir seize ans; l'âge où les
jeunes filles deviennent l'objet d'une atte~tÎqn
,
particulière de la part de leurs parents, l'âge
où elles font l' admiràtion des hommes. Voilà plus
de deux ans qu 'i elle avait franchi les étapes du
..
cycle primaire; élève brillante, elle n'avait
jusque-là perdu son temps dans aucune classe. '! ~)
A ces qualités morales (bonne éducation et int~~ence enviable)
la jeune fille j oignait les qualités physiques qui caract~risent généralemel'!t "c'
lès héros et les héroines dans les contes :
"Dans cette famille une fille était née et avait
grandi; la beauté de son corps et de son visage
ainsi qu'une démarche souple et natureolle faisaient
l'objet de toutes les conversations parmi les jeu~
nes du quartier: cette fille c'était Naissa. Ponc-
tuelle et soucieu~ de son travail{ elle s 'était~:.:'"
~.
levée avec le j our et s'apprêtait maintenant à
partir peur l'école."(3)
fT
Durant toute la première partie du récit nous nous trouvons sous
l'anpire de cette féerie qui caractérise
le conte africain : un monde i-
déal d'où sont exclus le J.aid. et le maL Dans sa narration, l'auteur revient
1)
SOM.e. ' Oltag e. ; Op. Cit. page 69
2) Na"Ü,J.Ja; Op. Cit. page 9
3)
Ibidem; page 9
f1f
1
-.. tl

539
sans cesse pOUlf nous dire qu'au début tout était pour le
mieux dans le
'.s meilleur des mondes
~
Le repas du soir était terminé et J comme d 'ha-
bitude
Makan sl~tait retiré sous la véranda de sa
chambre. Il s\\y trouvait un hamac attaché qui lui
.
, , . :
permettait de se reposer chaque JOur apres le repas.
autorité, Sa famille était unie et ses enfants cons-
tanment surveillés. car Maka.n tenait à leur donr:€l'
'"
une excellente édtication. Tout le monde(.,s 'accordait
.,~,'
1;<.~.
'
1. .
dal1§ le quartier 2. leur reconnaître un avenir I,'a;- ,.,;. .:-:.:;t ;
,
-
._, .....~4•

;.o,,1f., . .
..-*.
'~""""'..~~
dieux
d autant plus que les premie~s de .ê!fentariti\\:'j3~~; .~,
;;,;~
. ';! 1',r~~:;, :''''~'': ':·';,,~~·~,:'.:<r' ..
. garçons aussi bien que filles
avaient jusq~ f~~i-::.:;~i\\\\!",f~(': .,
'\\: '::, :,;, ~~è~:;,;}: ",
fai t honneur à leur famille et à leur hom par. uhè'" " ,?:?~.. '
~.< .~ ,t:/~~~·
corrl;,dte faîte d'obéissance
de dévouem~t etslê < "'<\\;,;i .
.
\\;./~"u!·~?r~:~,~~~
respect,' (1)
l,
' .
;,~.. ,*, .~.
~:
,
1" ( ,
"
L'auteur insiste sur la beauté de la jeune fille et nous dit"~uê "ii~ ·t'
Naissa "avait beaucoup d iadmirateurs" (2). Et comme elle était d 'une bO~~:~";':~
:
.
-!
.... ,,~'
éducation on,; s'attendrait a ce iUe le n~at~ nous dise qu ~ elle a rencon!\\ ;' •
.~
tré un j our le prince channant qui va à son tour demander sa main à ses
... t
",,'If!--
'
j
parents, Et le récit se te~erait sur cette phrase bien connue : Il Ils
'1.'"
.....
--------------------oj'*"r.-.'- - - - - -
'.AI
'li"!
H~'f
••
1)
Op. Cit. page 34
\\ _~'t
·/i~p". 1
2;' C.F. le roman d' Abdoula~e ~ i Maimouna
Présence Africaine
I~;,
f

.
;
Il
~r
'....
.
·;,·/t
'
i(~t
, !

'.
540
eurent beaucoup d'enfants et vécurent heureux' .
Seulement le merveilleux sera rompu par la faute de la jeune fille
qui> contne tout À l' heure Karim.. a voulu iInpunément braver les siens et la
coutume
Ainsi ce roman n'est pas une vision toute neuve des problèmes de
la sociétp. africaine et plus précisément de ceux de la femme. Ici c'est
l'éternel thème d'Eve qui arrive grâce à son intelligence et à ses intri-
@;\\.les
à triompher et à parvenir A ses fins, Tout conrne elle peut' échouer et
se trouver prise à son propre piège rarce qu: elle aura mal utilisé sès a'~
touts féminins. Tel est le cas de Naissa qui fait penser fi la Mairnouna d lAb-,
doulaye Sadj i .
Il s :agit de la jeune fille parvenuE: à llâge de la puberté et à
laquelle il faut trouver un bon mari afin qu.lelle ait un bon foyer.
Aucun
prétendant n'est imposé
8 ces héroines. Contrairement è se qui se fait
dans la majorité des cas. Il est généralement admis que la fille qui refu-
sera l'époux choisi par ses parents finira mal ( c. f. le conte que nous
trouvons dans Fernne d' Afrique
de_Aoua Keita. ' page 16 à 19).
L'autorité parentale qui pèse d1habitude sur la ,jeune filleafri-
caine surtout en milieu musulman
n '~st pas apparente dans le cas de tiJaissa
et de Maîmouna, Cette autorité empêche généralement la jeune fille de ffi~
panouir. Maïmouna était entourée des soins .les plus attentifs de la part,. <:le
sa vieille m~re
et rien ne semble indiquer le contraire dans le cas de
Naïssa. Après avoir brossp. un tableau idyllique de la Ville au lever du sp./.i ,
leil
Yadji ,Sangaré écrit :
7,
Une famille y habitait qui était connue pour sa gran-
deur et la bonne moralité de ses membres;' (1)
veut sans doute évoquer par là l'aisance matérielle
dans~.lâWi1m~~~~~!itw,ala famille de Naissa ainsi que l'éducation harmo-
1
) •


...
.. -
541
nieuse dispensée aux enfants. Plus loin
il précise que la fille a été ,§le-
vée dans la dignité et l'honneur:' et que ses parents lui ont donné 11tout ce
dont elle a besoin;! (1).
l
f
Tout corrrne Sadj i s' étendait sur les mille attentions que Yaye Daro
i
i
,~
attachait aux gestes et aux rfactions de sa petite Maimouna et s'enthousias-
1
mait devant la poussée de ses seins.
t
L'apparition de la puberté coincide chez les deux personnages avec
le désir d'émancipation. Pour Maimouna
il slagissait de s'affrànchir de la
tut?lle maternelle qui lui apparaissait llL8intenant comme une contrainte tan-
dis que la case où elle dormait et le bourg de Louga où elle avait jusque
là vécu
lui semblai.ent une prison. Naissa elle . voulut se prouver à elle-
méme qu'elle était majeure' qu'elle pouvait se passer des sages conseils de
ses parents
qu'elle pouvait enfin en imposer au jeune horrme qui était son
fiancé :
1:
Est-ce
.q dire que ce noble comportement du jeune hom-
me Atait pour freiner les caprices de la jeune fille char-
mante et avide de liberté qu'était Naissa ? Non. certes.
Corrme toutes les ,j eunes filles de son age. elle trouvait
un malin plaisir à chagriner son ami À propos d 'un~ dis-
cussion assez banale ou d'une insignifiante incompréhen-
sion souvent dictée p2I' un innocent état de jeunesse. Peut-
être pour mieux affirmer sa dignit~ de jeune fille
ou son
égalité v.is-·a-vis de fl'Iady!·
(a
Si la liaison fiTaimouna-Doudou fut un amour Èi la sauvette (car la
soeur de la jeune fille n'aurait jamais donné son accord)
les rel~tions
intimes entre Naissa et JI.'!ady étaient connues des d8UX familles.
f)
NlÜ6.M.; Op~ cit ~ pare "31
~ Ibidem
page 10

-
...
--
"':'~- ',~
"
542
Celles'ci ayant donné leur consentement pbur les fiançailles
le mariage
n'était plus quçune question de temps.
Mais contrairement à Maimouna
c; est Naissa qui abusera son partenai-
re. Consciente de sa beauté elle voulut jouer avec ses charmes et se faire
entretenir par plusieurs garçons à la fois .
"Ainsi
Bandiougou ne pouvait Dlus causer à loisir avec
Naissa et tirer d'un tel entretien plaisir et joie~ sauf
lorsque la. jeune fille lui demandait de l'accompagner au
marché; à l'école
chez une mnie ou alors
nécessiteuse ve-
nait chez lui pour lui prendre une part de son argent
A ce
0
moment là
Naissa ne paraissait plus la même: son visage sié-
panouissait dans un charmant sourire qui laissait entrevoir
une sf'CluisBnte dentitiOn. Les paroles étaient pleines de
douceur mais les gestes de retenue. l~ (1)
Plus loin, dans un entretien avec 1'lJady son fiancé elle reconnâit
'lU n" as j arnais eu aucun bonheur que tu n'aies partat'é avec
moi
tu m! as protér~e corrme une mère poule et tu nias j arnais
hésité à me satisfaire chaque fois que je te demandais quel-
que chose que tu étais en mesure de me donner .•1(2)
Cdb
~
~~
SfI:1e affich~ est le défaut que l'on déplore le plus chez les
filles de, nos jours. Il est la négation
.
même de l'amour au sens originel du
terme. Aussi est-il affligeant de constater que les ~ssa sont légion" surtout
dans les villes. On les reconnaît à leurs manières sophistiquées : toilette
recherchée
fard, démarche calcuJ..:?e et volontairement provocante-';; clin d'oeil
1) Na.L6.6a
Op. Git. page 11
2) Ibidem
page ~2

.:':-.-
(
"
,
"
5~3
1fi'
et sourire Dervers' etc. Tout est mis en'oeuvre pour attirer le maxirmml de
p;arçons
qui sont autant de sources de financement. Certaines filles ne ré-
pugnent pas à s'afficher avec n'importe quel garçon pourvu quYil ait l'air
d:un fils à papa. Ou avec n?importe quel homme pourvu qu'il nit une situation
1
i
bien rémunérée.
Cette conception des rapports entre l'homme et la femme conduit à
ct autres constatations. Par exemple le spectacle est fréquent de jeunes fil-
les qui
à peine pubères
veulent s'affranchir de la tutelle familiale. Elles
n'écoutent plus les sages conseils de leurs p8rents
prodigués avant tout
pour sauvegarder leur propre dignité" Elles trouvent que les parents sont
rétrogr~des. Le mot d'égalité entre l homme et la femme est ltn slogan à la
mode. Nos soeurs veulent l'illustrer en se comportant souvent conme certains
garçons volages
tel Karim.
Mais ( .• ) après elle
as-tu fréquenté d'autres
filJ.es ?
_.-
A la ~onne
voyons! Tu '.e sais d 1ailleurs mieux
que quicorque
répondit Karim avec fierté Il. (1)
C'est ainsi q~le ~Jaissa se complaisait dans son raIe de séductrice
:! Naïssa
dont le visage ne ~uait pas de charme
et le corps de douceur et de grâce
avait beaucoup
1
d'admirateurs ... " (21
j
La jeune fille s'épuisait 8. jouer le double .Jeu
faire senblant
de filer le parfait amour avec son fiancé cependant qu'elle se rendait chez
d'autres garçons. Et la première dES conséquences de cette inconduite sera
la perte de sa virginité. En milieu traditionnel
le constat de cette chas-
,
!
1) NcW,/ja
Op. Cit. page 53
t1
~
2) Ibidem
page 11
1
f1
1
\\

·f~.: '.,
1,
544
,
!
1
tete le j our du mariage est une occasion Jg.e fierté pour la jeune fille.
A travers elle
l 'honneur en rejaillit sur toute sa famille. Si de· nos jours~
:;~
cette coutume est de moins en moins observée (parce que les parents n'ont
plus les moyens de leur politique éducative). Naissa nlen subira pas moins
t
le châtiment qu 1appelait son inconduite'
li
Ce fut une année toute différente des autres, une année triste.
1
Tous les
maitres tombèrent d'accord pour reconnait~ que Naissa
n'i5tait plus la jeune fille attentive et courageuse dans le
1
travail. Elle passait ses heures à réver en classe pour s'hu-
t
1
milier ensuite lorsqu'elle était surprise par une question que
i
lui .posait son maître pour la tirer de sa torpeur, Les leçons
t
n'étaient plus apprises comme elles llétaient encore llan der-
nier
aussi les résultats ét?ient-ils médiocres. ce qui n'éton-
na ni maîtres ni élèves," (1)
1
L1auteur touche là un des problèmes épineux de l'éducation: non seule-
ment le pourcentage des filles scolarisées est plus "'aible que celui des gar-
çons(à cause de ln traditionnelle~éticenceà voir les femmes ailleurs qu'au
11
foyer) mais le petit nombre ~li v~ à llécole rencontre d'autres difficultés.
1
Pour plusieurs raisons les filles sont êmenées à inte~~re leurs études.
Toos les espoirs que la famille de Naissa avait placés en elle se trouvent
1
1
envolés à cause de la légèreté de la jeune fille,
1
.,-,
1
Les eiintiis ne faisaient pourtant que commencer Cfl.I' II inévitable allait
~
se produire
Qu1était-il donc arrivé à cette fille que le
destin semblait ~voir comblé? Etait-ce une malé-
diction du ciel ou alors le temps avait-il seule-
1)
Ncü.AM.' Op. Cit. pé'ge 13

l~
1
1
f
,-
m~nt raffermi 1:amour ~ e Mady ?
1
Un matin corrme cela ne lui était jamil.S<~ivé,
Naissa ressentit des douleurs dans le~entre.
1
A ces douleurs intermittentes venaient· s iajou-
1~-
ter des vomissements dont la nature jeta le
trouble dans le coeur de la j e~.fille. ~s .
ce ne fut que quelques jours plus tard que la
mère Sira et sa co-épouse réalisèrent avec stu-
péfaction la grossesse de leur enfant. r; (1)
Bien que l'avorterrent soit formellement interdit par la loi et la
religion, il est très souvent pratiqué par les membres du corps médical ou
par les guérisseuses traditionnelles. Pourtant
le destin avait décidé de
retirer à Naissa jusqu'à la chance de recourir à cette solution extrême.
Maintenant
il ne restait plus d'autre alternative à la pauvre fil-
le que la résignation. Elle pleura toutes les larmes de son corps: d'amer-
turne et dt: honte. Puis
il fallut attendre 1 7échéane;e fata.le pour accoucher
d'un bébé qu'elle n\\avait ni prévU ni souhaité avoir.
L'expérience de certaines filles (qui se sont trouvées dans la même
.
~
situation) a prouv.§ à Naissa que les parents réagissaiei! violerrment en ap-
prenant la nouvelle, Bien que bénéficiant déjà de la complicité de sa mère
"Naissa aff.-ait (se mettre) à la recherche de celui qui était le père de l'en-
fant qu'elle attendait."
(2)
Tentative désespérée qui ne portera pas d'ailleurs de fruit.
Marly
se dis2.nt ~;déçu'f par le mam.ue de fidélité et de sincérité
de sa fiancée
lui ôta toute illusion quant à leur futur rœriage :
:0 Nw.6a. . Op•..Cib. page 14
1) Ibidem
page 16

546
i Pour Issiaka
pour nos deux familles et pour tout
le monde
nous nous aimions et nous étions faits
l'Un pouru. li autre. Mais après tu RB changé, tu ne
ml ai.mRis plus et tu ne m'en
as rien dit. Je com-
prends et excuse le fait qu'une fille de seize ans
aime un garçon aprps avoir vécu longtemps avec un
autre
mais je n'admets pas qu'elle veuille se livrer
alors à un jeu double
préjudiciable aux intérêts
du premier. Pour moi
tu étais j eW1e. innocente. et
je t 'ai crue hormête ; mais voilà que tu me tronpes
et que tu me déçois
hélà-s t Je t'aimais
mais à
présent je ne t iaime pas et ne t! aimerai plus j arnais •
Va et rejoins ce garçon qui t'a mise dans l'état
où tu es.
(1)
Bandiougou s'indigna de la rnc1Iloeuvre de NaIssa tendant à l'incrimi-
ner mllS demeura compréhensif :
~~
Tu sais que Jet' ai touj ours aimée ~ Naissa :.) et
$
• •
que jet" ai même souvent proposé le mariage ~ mais
mets toi ceci dans la tête
c'est que pour rien au
monde reconnaître cet enfant ne saurait être pour
moi la con1ition irrlispensable à sa réalisation. Je
tu
ni irél.i pas voir ton père et toi;rr'lè dira.s le nan de
celui qui t;a mise dans cet état ...
Je t'attends
Naïssa, Dis-moi quel est ce garçon?
Pas de peur
pas de honte
jet'aime et si tu fais

tf
1
!
ce que je te dis
le garçon reconnaîtra son
1
enfant et nous nous marierons
tu verras. dans
1
1
une allégresse qui te ~aît impossible à pré~
!t
sent". (:l)
1
1
Qlant à l ïauteur de l'acte
sa réaetion fut sans équivoque; attitude
1
à laquelle Naissa ne s' attend?.it iSvidenrnent pas. Plein d'ironie
Karim lui
!i
lança ,
1
,,: _., --Compréhension et entente, deux grands
iJ.~
mots! répondit Ka.r!im braillard et ironique.
Dis-moi qui t'a mise dans l ~ état où tu es .
alors sE)ulement nous nous comprerrlrons et l ten-
tente sera parfaite. Du reste, laissons tanber
et va
t-en afin que je puisse mieux respirer ~
ajouta-t-"il mena.çant et rageur. fi (2)
Pour comble de malheur
le père de Naissa ne réagira pas moins
vive-
ment. Dans la tradition africaine
Itintérët de l'individu doit être sacri-
fié à celui de la famille. de la collectivité ~
"Sortez de chez moi
fille dénaturée et mère
inconsciente. ni ma famille ni moi-même ne
ferons les frais d1un acte dont vous êtes les
seules responsables. Allez chercher asile ail-
leurs et ne remettez plus jamais les pieds dans
cette maison qui se veut digne et respectable.
Tu n' es plus ma fille Nélissa
et toi, Sira j
cherche··toi désormais un mari qui veuille 00-
mettre R coeur joie (sic) un acte aussi avilis-
sant dont tu te fais le défenseur. Du reste)
1)
N~~a· Op. Cit. pages 45 et 46
?) Ibidem' page 17

1

548
Ji
it
tout discours est inutile
sortez l': <i)
Dans llétude de ce thème
Yadji Sangaré a bien observé la pratique
1
qui a cours dans la société rnalien11e ct 1auj ourel 'hui. A travers l'exemple de
Naissa
c 7est une vigoureuse mise en garde qu'il lance aux jeunes filles:
qu'elles se méfient des paroles lénifiantes des garçons. Aux fausses promes-
ses qu'ils font se j oint chez, certains
une volonté consciente d'abuser des
filles afin de pouvoir plus tard s'en targuer. Tel est le cas de Karim ;
j
I"L 'autre .j our elle est venue !ne voir pour me
1
faire querelle à cause d'un enf8nt que je lui
aurais donné. Je sais qu" avant de nous sépa-
1~
rer
il Y a bientôt trois mois, nous avons
i
fait lit ensemble et plusieurs fois~ IIk.-D.S de
là à reconnaître l'enfant et épouser la mère!
1
Je ne le pense pas ~ car je n'en suis tout
1
ct 'abord pas capable et.si je le pouvais., je
craingrais de rendre l'ne fille malheureuse
pour le reste'de sa vie en n'ayant pas la cer-
titude de l7airner convenablement. Elle se cher-
chera un mari affectueux et à l'enfant un père
capable' c'est ce que je lui ai dit et) depuis;,
je ne l'ai plus revue. Il ( ~
Faut-il alors s'en remettre aux caprices du destin? C'est-à- dire
prier ~u Dieu ou les manes des ancêtres afin de n'avoir que des garçons pour
enfants:
1
,- ... Souvent
j'entends les hormnes dire lors-
t,-
,
!1
que leurs fenrnes accouchent: "Je prie Dieu
i
1
pour que 1 j enfant que je vais avoir soit un
1) NIÜ6.6a; 0p.;. CiL... r?age. 45
1
2)
Ibidem- page 55
\\
1

garçon~'. Ils aiment à ce que leurs femmes aient
des filles mais la quantité les effraie. Deman-
dez-leur pourquoi ils pensent ainsi et ils
vous répondront qu "autant de filles l'on pos-
sède
autant d'ennuis l'on a. Ils ont peut ê-
tre raison ces gens-12. Penses-tu pouvoir res-
ter tranquille
toi lorsque ta maison est plei-
ne de jeunes filles et que les garçons ne ces-
1
sent der défiler à ta porte. de t importuner
1
i
avec des sifflements et des bruits sonores
1
et intermittents de moteur? Non
oncle; tu
serais touj ours sur tes nerfs et l'inquiétude
1!
ne te quitterait jamais. ,. (1)
A qui incomb€rait
alors le noble acte de procréation dans un monde
sans femmes? On le'voit
la religion ne saurait être ici d'un grand secours.
Le. déterminisme et l'attentisme qu'elle prone, sont aussi pernicieux qu'a-
léatoires.
Nous revenons une fois de plus à la grande question de savoir conment
enrayer ou endiguer le mal? Les parents (et surtout le père)
ont généralement
la réaction que l:auteur fait adopter au père de Naissa. Le chef de famille
injurie la mère et maudit la fille ' il divorce d 'avec la prem!ère et dés-
hérite la seconde" Mais il semble hélas que le remède soit encore pire que
le mal. En effet l'attrait du "tabou" que constitue l'acte sexuel est aussi
fort chez les jeunes filles que la tentation qu'exerçait sur Eve le fruit
défen::lu.

550
Faut-il alors recouvrir À une éducation sexue}le~ à incorporer si
besoin dans les programmes scolaires? C'est la solution que nous propose
r,'fadame Sira Diop. auteur de Cette enfant-là. Nous y reviendrons plus loin.
Yadji 3angaré donne un dénouement inattendu au drame : il fait mou-
rir psychologiquement Karim (son exil au Sénégal) et physiquement l'enfant
!1
de Naïssa. Ces deux obstacles étant levés, Bandiougou peut enfin épouser
f
celle pour qui son coeur n
b
1 a jamais cessé de battre. Elle-mëme se voit ain-
~
si soustraite au désespoir qui hî rongeait.
r
1
1
1
Empressons-nous d'ajouter
que cette solution est une éventualité qui
j
se produit· très rarement. Elle n 1appartient en vérité qu'au domaine du con-
1
te merveilleux. Mais ce n'est pas non plus un encouragement de l'auteur au
tr
!
vice. Le romancier a voulu tout simplement mettre les filles en garde, car
il vaut mieux dans tous les cas
prévenir que f':Uérir. Naissa~ l'héroine
1
du ranan, n'est pas le inodèle que propose l'auteur mais qu \\il désapprouve
1
plutôt. Le persomage j'Olle en contraste avec le rcmancier.
1
la recherche d'une solution ~ cette forme nouvelle de prostitution
!
incombe à tous : parents. éducateurs et gouvernements. En effet., que voit-
t
on souvent? Si quelques-unes de ces malheureuses filles trouvent ccmne
1
Naissa un Bandiougou qui
par pitié accepte de les épouser;; la plupart
~
d'entre-elles finissent leurs jours dans une existence des plus ternes
i
elles deviennent ccmnes Maimouna d'éternelles mère-célibataires .
f1
Tirera donc profit de l'enseignement qui voudra!
l'
t
i
Le thème de l'amour se retrouve dans l'anbre du passé
et y joue
2
f
un rôle assez important
bien qu'on ne puisse pas le placer au premier rang.
!
Cet amour est sensé lier deux jeunes gens ayant été sur les bancs de l'éco-
1
1
le française. Ali
sortant de llEcole Normale d'instituteurs~ avait des
1
f,
motifs de se sentir heureux ' en effet il avait eu auprès de Mariétou (é-
1
1
t
lève 8 l'Ecole Africaine de Hédecine et de Pharmacie), plus de chance que
1
1
d'autres soupirants qui l'avaient précédé auprès de la volage petite assi-
!
1
1

l
551
milée'
Après son succès au Certificat d'Etudes Pri:rnai-
res Elémentaires et son entrée q l'Ecole Africaine de
Médecine et de Pharmacie
elle avait elle~meme tour
1
2 tour promis de se marier avec Dj ibril. puis avec
1
Karemoko. Le premier était un riche conmerçant q1Ü a-
J
vait consentiR lui faire de grosses dépenses d'ar-
gent. Le second_ commis auxiliaire au Cercle avait à
1
sa demande répudié sa femme et avait sollicité et
1
obtenu sa mutAtion après son abandon. Le Normali~n
1
Ali avait été un peu plus heureux que ses prédéces-
seurs. Les lëttres passiofuîéês -.~ qu! ils avaient échan-'
1
gées
l'accord tacite de leurs mamans et tous les
1
serments qu'ils s'étaient faits semblaient avoir dé-
finitivemeDt scellé leur amour." (1)
"'..es lettres qu'ils éch..1r3èrent au départ f 'rent-elles enflamnf:es
pu bien (plus objectivement) enflamnèrent~'elles Ali seul? Perdu dans un
coin de brousse
ce dernier ne trouvait de plus grande o:::>nso19.tion i'i son
J
sort ~ que dans la lecture de cette correspondance amoureuse :
"Elle m' écrit régulièrement ~ reprit Ali:i presqu'à
chaque courrier.
de tendres lettres. Le soir j je
passe de longues heures à les relire
à en savourer
le doux parfum et mi en trouve revigoré pour quelques
jours. Elle est vrairœnt gentille ma petite Marie!1I(2)
Le proverbe f:Loin des yeux
loin du coeur" trouve ici toute sa vé-
rification. Avec le temps
les relations épistolaires entre les deux jeunes
1)
L'omb~e du p~~é
Op. Cit. page 117
:) Ibidem: page 45
f!1
!
1

1
552
f
ij
~
gens se relàchèrent. Du moins
du côté de Mêrie
occv'")ée à. se faire
cont.er
1
fleurette par d'autres gal~nts. Quant q Ali:
;'Ses lettres 8. son amie devirrr'ent plus fré-'Quentes
et plus abondantes
~lfais il ne cornprenait pas pour-
0
quoi Marie n'était plus aussi prompte dans ses répon-
ses qu'au début de l~année. Souvent il se surprenait
8 douter de sa fidélité. Il écartait aussitôt ces noi-
~
res pensées et se tançait en secret. Non! Marie ne
pouvait pas l'abandonner. Ses lettres' •. ~ témoignaient
1
assez de la profonde sincérité de
son amour.~ •. )
f1.t
Ûne petite indisposition quelconque
ou un sur-
t
croit de travail corrrne on en voit souvent à l'inter-
t
nat
l'aurait peut-être empêchée de répondre à temps
1
~ ses lettres.Il reconnaissait d'ailleurs qu'il écri-
vait un
peu trop _ n'ayant plus à Tamballa persome
à qui se confier désormais.
(1)
Lorsque Ali comnença ~ connaître des déboires avec 1 "administration
coloniale (qui l'expédiera dans un camp militaire) l\\1ariétou ... plus intéressée
par le profit matériel que par un amour sincère~ ne s'embarassera pas de scru-
pule :
'lDepuis les histoires de Temballa, depuis l'annonce
du blâme
l'inconstance féminine était apparue chez
Marie qui SI était j et~e dans les bras de Lamine: un
autre Normalien. mais plus jeune et plus chien que
son Ali. Pour ëlle
le mc1.ître n1était désonnais plus
qu "un"ours mal léché-
un amoureux _te.ue-être J mais~
L'OmbILe. du pM.6 2
Op: Cit. page 94

553
un ffilloureux assez fade
sans conviction et sans chaleur.
Elle regrettait fort de s'être promise à lui dans la
folie d'un moment. Que ne pouvait-elle effacer de sa
mémoire ce è·§sagréable souvenir! Elle si jeune et si
fraîche, elle
sollicitée de tous les côtés;" se lais-
ser séduire Dar cette brute! Quelle aberration! Jamais
elle ne pardonnerait cet affront à Ali! "(il
Elle
s i afficha donc avec Lamine pour finalement convoler en noces
avec lui. C'est p la caserne quiAlit reçut
la lettre de rupture que l'ému-
le de Cléopâtre lui adressa en même temps qu'elle lui annonçait son mariage
avec Lamine :
.. Mon cher Monsieur Ali
Je J'il' en vounrais de rester sans vous' parler de certains
événements qui ont profondément modifié le cours de ma.
vie et qui) j'en suis persuadée, n'auront pas grande
incidence f lI' la vôtre . Je velS sais assez philosophe
pour ne pas vous laisser abattre pour un rien~ .. )
J'ai compris un peu tard il est vrai
et je m'en excu-
se beaucoup auprès de vous
que nous n'étions pes faits
li un et l'autre pour envisager l'avenir ensemble. Pour-
quoi tenter en effet une expérience qui, dès le départ
s'averait impossible? Pour vous épargner de la peine,
j ai pris sur moi la responsabilité de rompre tout
lien avant que nous ne nous soyons tous deux engagés.
Vous êtes jeune
tous les espoirs vous sont permis.
Prenez courage et refaites votre vie sans plus atten-
dre.
1) L 'OmMe. du f'MJ.,·é· ~ Op. cit; page 112

554
Si seulement de temps en temps vous' aviez quelques
bonnes pensées pour celle qui fut votre Marie aimée,
~1arie qui connut les premiers frissons de 11 amour à
vos cotés, ce serait
quant à moi
ma seule consola-
tion de vous avoir perdu
car croyez-le bien~ je re-
grette vivement cette séparation ••.. "; (1)
1
Et la lettre était ironiquement signée"Madame Viakité née ~i&tQJX'~
1
L'expéditrice l'avait fait parvenir au moment où Ali avait le plus
besoin d: elle, L'amoureux déçu. que le souvenir seul de Marie soutenait
1
dans les dures épreuves qu'il traversait 'à la caserne
s'alita. Il devait
1
s'éteindre misérablement
à la fleur de l'âge, loin des siens et de sa ville
t
natale.
!~
Cet exemple que le romancier nous donne ici
. constitue
une ana-
lyse du concept d'amour dans la société africaine d 'aujourd 'hui. En effet
le matérialisme que nous enseigne l'Occident
semble avoir provoqué partout
la dégér~rescence des liens de l'amour
tels qu'il·'. étaient conçus dans la
société africaine traditionnelle. L'assimilation À tout prix
a fait perdre
à la femme le sens de la noblesse de son raIe social. Elle est devenue vile.
Marie en constitue un exemple vivant .
;i • • ••
A leur retour
les rnair:6 pleines de bouquets de
fleurs qu'ils s'étaient mutuellement offerts:- ils
cousèrent mariage, Harie parla encore de son trousseau
de frigidaire
de machine à coudre et de beaucoup
d\\autres objets. selon elle de toute première néces-
sité. I,(1.Tl1ine s effraya devant la liste chaque jour
allongée de ces objets. Il prit ses amis à témoins
et soutint qu'il leur
fallait avant tout lme coquet-
1) L'omb~e du ~~é : Op. Cit. page 132

555
te villa. Sans une Illê.ison pour l'abriter, à quoi
servirait en effet
tout cet appareillage dont
parlait Marie? Mais celle-ci s'obstina dans sa
détermination et de peur de friction
ils changè-
rent de sujet de conversation ••.. " (1)
Cet exemple ne doit pas pourtant froisser la gent féminine
car
le sexe dit fort n \\a nas une bien meilleure image dans Naissa . En effet un
1
1
des personnages y dr.clarait .
H ------Mais . • . ..
Marty
les e;Rrçons aussi font des
bétises. Que penses:-tu de celui qui~ non content
1
de ne pas voulc.ir épouser une fille qu'il met en
t
état de grossesse
mpconnait l'enfant qui est vrai-
i
,
ment sien et rejette sa mère? De cet autre qui a
préféré au travail le vol et l'escroquerie) souil-
lant ainsi le nom de la sa famille ? Les exemples
en foiscnnent. Mady. Accure les jeunes filles
je
J
suis d" accord avec toi
mais reconnais que dans le
domaine des conduites
filles et gar.çons sont à_éga-
lité en ce moment. II '2)
Les inutiles
de Sidiki Dembélé
est aussi· na ramand'amour.
Deux jeunes gens s'aiment. s'envccient des lettres enflarnrraes quand ils
sont éloignés l'un de llautre.; se jurent rutuellement amour et fidélité
quand ils se retrouvent pour écrtffEiuder ensemble deI3Pro;eêsd·t aienir. C~est
là un thème banal. Le récit parait classique aussi lorsqu'on nous dit que
les parents ont projeté de donner leur fille en mariage à un hOlTl!le dC:;:'lt elle
"pourrait être la fille'. (3)
1)
L' "",bile. du pM.6~;
Op. Cit. page 123
2)
NMMd; Op. Cit. page 32
3)
Le..6 blLl.ti..R..u 7 Op. Cit . ~ page 56
'.~

556
Mais il Y a autre chose.
Dans Naissa de Yadji Sangaré
le problème se présente d lune façon
légèrement différente. Aucune contrainte s:est exercée sur la jeune fille
dans ce roman.
Les parents de Naissa ne se proposent d'intervenir que pour
célébrer le mariage avec le jeune horrrne qu'elle se sera librement choisi. Dans
Les inutiles par contre la jeune fille doit s'effacer devant la volonté paren-
tale, Tel le veut la coutume ~
" Tu sais qu'on ne me dertmlde pas mon avis, C" est con-
traire aux usages, On m'informe d'une éventualité. A
moi de me faire une raison et de laisser rrn.l!'ir l' i -
dée'. (1)
Seydou Radian
lui. dans: ~ sang des masques'
loue Nandi pour s'ê-
tre pliée q cette coutume. A l'en croire
la jeune fille obéissante attirera
bénédiction
santé et chance sur elle~mème et sur les enfants GlU 'elle mettra au
ronde.
Seydou Badian semble porter sa prpférence sur la ferrme obéissante
envers ses parents. mais respectueuse également envers son mari. L'auteur lui
laisse l'entière responsabilité de l'éducation et du comportement qu'adopteront
les enfants) car dit-il :
?'Ceux nés des entrailles de Nandi auront la baarka.
Les enfants prennent leurs forces dans les qualités
d 1épouse de la mèrell • (2)
Le romahcier oppose ensuite le caractère de cette villageoise à
celui de la majorité des ferrmes de la ville. Ces dernières
par leur incon-
duite attirent la malédiction sur elles·mernes et sur leur descerrlance :
"De tels mots au mari? Etait-ce vraiment sa femme?
1) Le.6 ,[nu;t{i.u, : Op. cit. page 57
2)
Le -!lMg dru, mMqaM
Op. Cit. page 224

1
557
1
1
;
1
L'horrme dont elle portait les enfants? Nandi était hor-
t
rifié. •• Peut-être un j our défigurée carme Salirnata des
mots semblables tomberaient-ils de ses lèvres. Tout s'é-
clairait à présent. Les enfants insolents pervertis) a-
1
vaient leur source 18 .•.•. (1)
1
Quant à l'auteur.
: des Jtnutiles .. il critique plutôt la vénalité de
!
certains parents et surtout certains aspects rétrogrades de la coutume.
1
Après cette série de critiques, souvent acerbes de la femne (langage ..
!
01JVert
geste .. matérialisme, prostitution etc ... ) le débat est largement! sur la pla-
ce et le rôle
de
" nos soeurs et nos femues dans la société actue Ile.
1
Aoua Kéita intervient à présent pour prendre la défense de ses corrpa-
1
~riotes. Elle nous donne de la femme
un visage plus souriant.
1
&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&
1
t
Fenrne d'Afrique est un roman autobiographique et carme tel J on peut lui
!~
reprocher la tenuité de l'affabulation" seul y existe, disait Victor Bol la
.~
1
narratrice ou le personnage central. ],es autres ne sont guère que silhouettes.
!1
Peu de complexité psychologique, pas ou guère de caractère dont on présente
la richesse intérieure. Le milieu social (dans lequelS'rneuvent les person-
nages) ne semble pas décrit en profondeur dans ses lignes de forces essentiel-
les et dans son épaisseur, mais par touches et traits séparés qui composent
bien rarement un tableau avec sa profondeur et ses perspectives", (2)
Mais cette autobiographie est bien particulière en ce seps qu'Aoua Kéita
a choisi de couvrir d'une voile de pudeur sa vie sentimentale et privée pour
ne parler que de sa vie publique. Ce qui place ce roman aux antipodes de Naissa ,
ce sont
les idées qui y sont développées. Si tous deux parlEmt de la ferrrne
dans ce deuxième roman, "Eve" est we sous un jour moins sanbre. Ferrme d'Afri-
~ c'est une réplique aux propos de Yadji Sangaré en quelque sorte.
Dans cette oeuvre uR7ll.touffue, la romancière administre magistralement
un exenple d'amour (pour son pays et pour les siens) d'abnégation(dans l'exer-
cice de ses fonctions)et de volonté inébranlable (combat politique et coura-
ge de ses opinions).
1) Le. .6a.ng du mMquu ; Op Cit. page 182
2) Victor P. Bol :" Lu 60Junu du Mman A6JL.i.c.a.ùz l: in collogue sur la littéra-
ture africaine d'expression françaises; Dakar - Faculté des Lettres 26, 29
Mars 1963 page 54.

1
558
1i!1:,
f.i
M'ne Aoua Keita brosse d 1abord un tableau de la vieille Bamako, telle
l
que la ville apparaissait dans les premières années de son adolescence. Elle
1
en fera autant
pour certaines régions et villes du Soudan où elle séjournera.
L'héroine évoque ensuite la concession où elle a vu le jour et grandi. Elle
nous plonge ainsi dans l'atmosphère d; éducation traditionnelle qui fut c e .
de son enfance : initiation aux travaux rnéna~ers conseils de propreté, le-
çons de morale appuyées sur des exemples ou sur àes contes. etc.
La narratrice
bien que de père polygame et issue d'une famille nam-
(p...b9'
b~use
fut l'unique enfant de ses parents à avoir accédé 3llX sphères de la
f
culture française. Son nère
très prévoyant
misait (pour li avenir) sur l t ins-
truction et le bien-être matériel qu: apportait UTjA fréquentation studieuse
d'-. BMMI8 de l récole.
Il fit sans doute bien car de l'é'cole de jeunes filles de Bamako
(futur
lycée de jeunes filles) a l'Ecole de f1édecine de Dakar (future facul'"
té de Médecine et de Pharmacie)
Aoua Kéita se fit remarquer par son intelli-
gence et s l'adjugea les premières r"llaces lors des classements et les meilleurs
trophées lors des distributions de prix,
Elle fut catarultée À Gao pour son premier poste d'affectation en
sa qualité de première s~e-fernme africaine du Soudan. Ce fut pour elle le
début d'une carrière aussi mouvementée que riche en expériences de toutes
sortes. Son zœtier lui fer8 parcourir ensuite diverses autres régions du
Soudan ~ ~ du Sénégal, Il la mettra en contact direct avec (les popu-
lations aux moeurs aussi vnriées que les "Sonrhais. les Bambaras
les Malin-
kés. les Kassonkés
les Samokos
les Peulhs
les Sarakolés
les Bobos, les
Maures et mémes. les 01010fs. les Sérères et les Diolas du Sénégal. Avec un
dévouement exemplaire
Aoua. Kéita se consacra ~ sa tache d'éducation sani-
i
1
1

559
taire
de soins pré et post natRls
de conseils aux m?ùi1ans
etc. Elle était
prête à n'importe quelle heure de la journée ou de la nuit à intervenir 811-
près des ferrmes en parturition,
Qu'importe si parfois les rêcommandations de la sage-femme sont
foulées au pied par quelques femmes bornées ou attachées aux pratiques ances-'
traIes désuètes! Aoua Kéita n'a nas regretts le sacrifice de sa vie (consenti
pour une plus grande protection maternelle et infantile ç1ans son pays. En
définitive elle
a triomphé de tous les obstacles et les populations récon-
naissantes ont fini nar lui rendre un hOIlIIJage mérité.
Aoua Kéita. ce n'est pas seulement la s~.ge<t:errrne soucieuse d'apnor-
tep des soins ct des conseils aux mPJmRnB et aux bébés africains. C1est aussi
l'intellectuelle consciente de ses responsabilités vis··à·vis de ses compatrio-
tes illéttrées. Elle se fit ~ ce titre
porte-parole de toutes les femmes
soudanaises
qui lorsqu'elles se résolvent
[1 s'engager aux cotés de leurs
J
J
~~
époux:, apportent alors leurs contributions ~ la lutte anti-colonialiste de-
~
vant aboutir à l'indépendance de lc:urs pays. Son acti:m fut circonscrite au
;
sein du ~.D.. ~ qui était une des formations politiques du Soudan. Ce parti
j
partageait l'électotat avec le PS.P.
le B.D.S.
lIA.P, et le Sylverore.
1
De son baptéme politique 8 Niono en 1946
l
i'i
sa nomination au poste
1
de député ?t l'Assemblée Nationale de la R6publique Soudanaise le 17 mars 1959;.
1
i
Aoua Keita entendra bien des sucrés et des salés au cours de ses activités
politiques. Elle affronter3. COImle il fallait s 'y attendre
les Blancs omni-
potents dans la colonie. Ces derniers 6taient prompts à ridiculiser les Hnè-
t
i
1
groes émancipés" et avaient recours au besoin q leur mMOet4\\Te de déshumanisa-·
1
1
1
1
!
tion de l'homme noir.
f
1
Mél.iS les réprésailles ne parvinrent pas ? la :'_échir
pas plus qu 1elle
1
!
ne se décoUI'agea face 8. l'incompréhension de ses compatriotes femmes. Aoua
f!,
1
1

560
Kéita : dû affronter et vaincre lE. réticence de la plunart di entre elles
parce que l'idée d'infériorité par ranDort 3 l'homme était ancrée dans
leur mentalité, Elle les arœnera progressivement;:; assumer leur rôle aux
cotés de leurs époux et au sein du R.D,A.
dans la lutte chaque jour plus
ardue contre le pouvoir colonial oppresseur, Elle fut aussi en butte 'aux
railleries et parfois aux sarcasmes de se compatriotes hcmnes habitués à
contnander aux fenmes et r n° être ni contrffi'iés ni contredit fi.
Aoua Keita
fut mutée arbitr airement par le colonisateur dans les
coins les plus reculés et les plus démunis du Soudan et même exilée un temps
au Sénégal. Du coté des fenmes
on lui attribua toutes sortes de mauvaises
intentions. Comme celle de vouloir une ségrégation entre les salariées et les
illettrées majoritaires, Elle se fit houspiller et conspuer au cours de ses
carnpa,gnes électcrales dans certaines régions par des homnes qui. ne poùvad.ent
se faire à l'idée d'égalité entre l~homme et la femme.
Les luttes de l auteur sont
~ l'image de celles du R.D.A., son
parti. D'abord mincritaire et le seul, farouchement anti-colonialiste ( c'est
elle qui le dit)
le Rél.ssemblement Démocratique Africain dut. avant de tricm-
pher. comnter avec l'administration coloniale qui le présentait aux yeux de
la population comne W1 parti anti- français (ce qu~ n' était pa grave) mais
aussi anti~religieux et anti-social parce que prônant le ccmmmisme contne
doctrine.
L'héroine et les autres militants du R.D.A. ont donc oeuvré mainr
dans la main dans la difficile bataille t'olitique. Selon elle. le parti
eut à eSffilyer les assauts de ses adversaj~es politiques :'actes de sabota-
gef) de calomnie
de fraudes électorales
etc, sans oublier les affrcntements
sanglants. Ils eurent aussi à 9atir des brimades du gouvernement français.
de la colonie : mutations arbitraires
emprisonnements
morts. etc. Tout

561
était fait pour torpiller les efforts louables c'l.u R.D.A .. mais paradoxalement
tout concourut? sa maturité politique et ~ la victoire finale remportée par
ce parti. Et si la :~édération du M2.1i a déçu les espoirs de regroupement ré-
gionale
la proclemation de la R(:.publiqu2 du Mali le 22 Septembre 1960 fut
le couronnement de tous les sacrifices consentis par fl ce parti d 'av:mt-garde" ,
conclut fièrenJent la romancière.
Le public des lecteurs a déploré le fait que Mme Aoua Kéita se soit
tue sur toute la période oui 2. suivi l iirr3.épendance de son pays .. bien qu 1elle
ait continué 0. en être actrice et témoin, Deux raisons nous paraissent devoir
expliquer ce silence volontaire ou forcé.
La. surabondance de détails ( parfois sunerflus) qui a fait gonfler~ le
récit~ a peut-etre ernreché la raomancière de continuer sa narration. Mais
ntaurait-elle pas pu écrire un deuxième et un troisième tomes? Le lecteur
qui s' attendait donc (~ trouver dans cette oeuvre le bilan du travail accorn-
pli par le R.D.A, 8, la tete du rays
restera sur sa fâim. L'auteur aurait
sans doute éclairé la lanterne c'l.8 ceux qui se posent des questions sur le
1
bien fondé du Bo~ialisme tel qu'il a été conçu et appliqué nar le R.D.A.
1
pour sortir le Mali du sous'··développement. Elle n' aurait sûrement pas man-
1
qué de justifier certaines prises de position de son gouvernement et certains
l
de ses actes jugés sévèrement par l'ensemble du peuple et même par les
1
observateurs étrangers.
t
1

La deuxième raison àu silence de la romancière peut s'interpréter
f1
t
par le fait que la Yaneur qui a été renversée depuis le
coup d'Etat de
i
f
1968
a écarté le R.D.A. de la scène politique. L'exultation populaire qui
a salué ce coup de boutoir donn6 par les militaires a-t-il démenti les pré-
1
tentions du R.D.1\\.. a etre le seul parti de masse au service du peuple? II.
1
1
moins que les maîtres du jour
en criant haro sur le R.D.A .. n'aient aussi
1
tl

562
retiré leur liberté aux membres de l'anciEm parti au pouvoir. Ce qui aurait
pu les cORtraindre ~ l'effacement et ~ l'expectative.
L'auto-biographie de r1me Aoua Kéita présente néannoins de 1'/ intérêt à
plus d'un titre. Ccmne l'auteur du':
. Rescapé de l'Ethylos _ la sage-ferrme
et militante R.DA. ne nous Et laissé ce témoignage de sa vie que parce qu'elle
pense qu'il pourrait servir d'exemple O. ses soeurs plus jeunes et
moins expéri-
mentées qu'elle,
L'héroine nous décrit rninutieusanent le travail qu'elle a accanpli
sur le plan professionnel aussi bien (lUe sur le plan politique et mentionne
à côté
les obstacles de taille qu'elle a. eu ~ surmonter.
Sur le plan professiorrr.el
l'auteur nous parle de la tâche ardue qui
était la sienne, On l 'expédiait ~0néralement dans des postes sanitaires qu'el-
le était la première sage-farme ?: faire fonctionner. On comprend dès lors que
les premiers mois
son rale se réduise a~x soins post-natals
les femmes se
faisant touj ours prier pour se présenter à la maternité. Son travail se limi-
tait
nous dit, elle alors "~.ux soins q donner fi. la femne et ,q l'enfant après
l'accouchement: . section du cordon ombilical
désinfection des yeux, minu-
tieux examen du placenta
toilettes de la l'11ère et de l'enfant." (1)
Mais lorsqu/elle était parvenue?; force de patience A faire ccmpremre
aux femmes enceintes tout l'intfrêt (JU elles avaient p se faire suivre et
traiter avant et après l'accouchement
la praticienne finissê~t par avoir
cl.ans chaque localit0 un emnloi du temps c'!.es plus chargés ~
~Après trois bons mois de tâtonnements, j'étais ar-
rivée:::: organiser: mon emploi du temps de la manière
suivrmte ~
- - premières heures de la rratinée consacr2es aux
soins il domicile (accouchées et bébés)
le reste du
1) Femme d; A6IÛqu.e . Op. cit. page 32

563
1
temps consacré AU travail du dispensaire (injec-
1
tions de toutes sortes, soins gynécologiques,
1
traitements des nourrissons).
1
_... L? après··midi. consultations pré-natales'
1
.
.
consultations gynécologiques~ pesée des nouris-
1
sons
trois fois
~
par semaine. Les autres après-
mit1is de la sennine furent réservés au dépistage des'
fenmes enceintes qui faisaient tout pour ne pas
se montrer. Li établissanent ries liens cordiaux
entre moi
les accouchées et leurs familles
1
d'une part
et les jeunes de la ville d' autre
1
part
contribua dans une grande mesure 2 une
1~-
meilleure compréhension. Mais la confiance en
f
1
la sage-ferrnne ne se crée qu'après quelques inter-
f
ventions spectaculaires . curage digital en cas
[
d'hémorragie 8.près avortement artificielles _ réa-
f
1
nimation des enfants nés en état de mort appa··
r
rente
etc; (1)
!
Si la praticienne mettait tout en oeuvre pour obtenir la confiance des
t
fenmes
cela ne l
t
j empêcœ.it
pas de veiller correctement au bon fonctionne-
!
ment de son service. G'est ainsi (]u ~ il Niono elle entreprit une action éner-
gique afin d'obtenir c::ue dans la maternité et ses abords imnédiats
le
1
silence et la tranquillité nécessaires saient assirées au repos des accouchées:
1
, Sous préteRte de tenir canpagnie aux accou·"
1
,
chées
les épouses qui n 1ét~ient pas de cuisine
1
et celles dont les maris étaient absents. ve-
r
t
1)
Femme. d' A~M.que.
Op. Git, page 32
1

1
(
564
1
!ii
naient soit pour filer du coton
soit pour faire
f
d'autres travaux peu bruyants
parfois pour jouer
r
les cauris ou plutôt consulter les cauris sur l'a-
venir ou sur leurs préoccupations. A ma. prise de
1!
service
pour le repos des mamans et des enfants,
l1\\
j'avais interdit l'accès de la maternité entre
~
12 et 15h ..••. (1)
Aoua Kéita écrit également qu'après avoir passé plusieurs années
dans divers postes sanitaires du Soudan" elle fut de nouveau mutée à Gao.
Durant son absence de la capitale des Askias: la maternité était restée li-
vrée li elle--même par manque de sap;e-ferrrne. CVest avec ahurissement
que l' an-
cienne patronne des lieux constatera l'état de délabrement et d'insalubrité
des salles :
'!Les murs étaient noirs de crachats
de traces de
karité
de sauce
etc. Le plafond était couvert
de toiles d'araignées. Les portes et les fenêtres
étaient toutes en mauvais· état. Les lits ni étaient
que des ferrailles recouvertes de matelats effron-
drés
déchirés et tachés. Dans les berceaux, les
enfants avaient laissé la place aux plats vides"
aux ré:cipients à savon ou à beurre, ou encore au
,
services à thé
le tout disputant la place avec
J
!
les chiffons et les serviettes hygféciques. Sur le
f
sol traînaient des seaux des cuvettes" des plats
1
tt,1
contenant des restes d'aliments
et aussi des mor-
ceaux de canaris rerrplis de sable qui servàient
de .cnachoirs. Chaque passant avec son boubou ~ ren-
1) Ibidem
page 67

565
!
versait ces morceaux de canaris qui répandaient
peu
leur contenu! un partout. Les moustiquaires de toutes
fonnes allaient du blanc ou gris noir, tellement
elles étaient sales.
C'était écoeurant de donner le nom de maternité
à un lieu dans un pareil état ••• ;l (1)
Le dispensaire .. lui
n'était pas mieux entretenu. Si la salle affec-
tée aux malades européens était proprette et meme coquette ~ dans c8lle assi-
gnée aux indigènes ( au sens péjoratif du terme):: la promiscuité et la misè-
re s'étal aiel1t .part'OUt :
Cette salle était l'exposition ou
l :étalage d lune
véritable misère humaine dans toute sa noirceur.e. . )
Les malades traînaient un peu partout.c. . ) Il se dé-
gageait de ce pavillon une odeur très désagreable.
Dès qu ~ on entrait dans une salle, une nuée de
mouches se soulevaient
rôdaient. puis se repo-
saient imnédiatement. soit sur les pansements, soit
sur des plaies puantes ou sur des plats qui traî-
naient çà et là
Ces malades toujours en surnombre,
partageaient le même W.C. avec les accouchées. Ce
w. C. n" était autre chose qu ~un trou à ouverture
restreinte entouré d lunmur d'un mètre et demi sans
toit .. Il n' était pas rare de voir des selles déposées
tout le long du rwr '.(2)
<,
Vu la modicité du bud~et dont disposait son service
la sage-femme
1
ne pouvait espérer dans l'immédiat la possibilité de se pourvoir en maté~iel
1
1)
Femme d'A6~.que!
OP; Cit. page 92
2) Ibidem ; Op. Cit, page 92
t
1

566
-1'-:
"
l.~··f:',"".r:
~(.
t
adéquat. I l n vy avait en j eu que le sort des Nègres! Elle était convaincue
ée qu'on pouvait attendre d'un service de santé
ce sont la saleté et
d'autre part
que contrairement à Iles exhalaisons émanant des lieux qui con-
couraient ~ condanner les malades, plus qu à les sauver.
Aussi
la première tâche urr-;ente que la praticienne s'assigna fut
de donner le coup de bôJai et de chiffon dans les locaux avaient un si grand
besoin. Mais détail plus :in:portant
Aoua Kéita comprit qu 1elle devait porter
le gros de ses efforts sur une éducation sanitairE;: en we de faire respec-
ter les règles élémentaires de propreté et d'hygiène'
~. Ii~€5 efforts ont abouti à. diminuer les cra3$e~.·';
!.;;.~ lr~>· ';;'
et surtout à empêcher l8ur augmentation.
Les lits
et les berceaux infestés de punaises furent désin-
fectés. les moustiquaires lavées
les matelats furent,
refaits
recouverts de toile cirée et de draps qui.
en nombre suffisp~t moisissaient dans les armoires.
Ensuite j'exigeais l'occupation des lits et ber-
ceaux
p3r ceux pour lesqt·.üs ils avaient été ins-
tallés, J'ai formellement interdit de garder dans
les salles tout ce qui ne servait pas aux soins, , .
Toute personne faisaYlt une tache ~ ou j etMt un obj et
queLqu'il soit était mise en demeure de nettoyer
ou de rannsser. Une surveillance sévère était me-
née par mes collaboratrices et moi-meme •••.
Après trois bons mois de critiques auquelles je suis
restée inser~ible voire indifférente
sans pour
autant fléchir diun dégré
la population devint
compréhensible et la situation se nonnalis?'(1)
1)
femme d'A64ique ' Op; Cit, page 95

567
Le champ des activités de la s8,P"e-fenme s'éterrlit bien entendu au··
delà des hmites de la maternité et du dispensaire. Elle résolut de ne plus
se contenter de donner -,;8S soins
aux femues enceintes
aux accouchées et à
leurs bébés. Pour qu ~une éducation sanitaire d'enverp:ure porte ses fruits
il faut qu'elle se fasse en profondeur
que toute la couche féminine de la
population sensibilisée à cet effet
se sente concernée par les efforts dé-
ployés par la sage-femme.
Mais lorsque les points de vue divergeaient
la praticienne se fi-
xait d'abord pour tache de conscientiser les feIJ111<.?s. C: est ce qui. se passa.
lorsque Aoua Keita partit en guerre contre une pre.tique coutumière ayant à
son avis un aspect rétrograde. Il s agissait de l'activité des magnamagans
(fe~s accoucheuses et conseillères pour les problèmes de mén:îge). Ces
ferrmes sont prEilsque exclusivement ch:.1rg;ées de préparer (psychologiquement)
les jeunes filles aux cérémoDies nuptiales et à leur faire adopterdœ'-eœJPrte-
ments de futures mariées. r·:cus l~initiation
telle qu1elle était appliquée.
parue excessive à Aoua Kéita .
L'initiation des filles de cette année a commencé.
~.rr,
,
depuis début
décembre., Tous les matins
j e ~~s rem-
t
f
plir d'eau fraîche quatre canaris à large ouverture.
l
f
fabriquées spécialement pour la circonstance ....
f
A partir d'une heure que je pense etre le milieu
t~1
de la nuit
j'installe les jeunes filles en quatre
t
,-
!
;
,~
groupes, Ainsi assises en rond
je fais prendre à
"
i
toutes une douche froide de la manière suivante
!
i
}
avec les tiges d'une h2rbe qui pousse un peu partout
t
,it:> forme d(~s balais à bout touffu dont quatre seule-
1
1
ment me servent pour l' opération Pél.r groupe. Je trem--

568
pc la partie fournie du balai, c' est-a.··dire la
touffe
d.ans 1" e2U et je la secoue en direction des
filles ~> •• )
Elle (la m1gnarnagan) ?~semble les tiges et en
fait des mottes qu'elle attache en récitant des mots
magiques. Ces gouttes provenant d'une erlU exposée
toute une nuit au vent sont aussi glacées que
,~,
l'eau de la I11c3.chine du médecin ( le frigidaire
1
i
l
il pétrole) . 'i (1)
l
Cette opération~ qui est inlassablcr:1.ent répét.§e chaque nuit
poursuit
j
la narratrice
dtrre en principe quatre mois. Le résultat escompté est double
~
§
D'abord obtenir l'endurance physique·
J
1
i
"Comne tu le' sais
il fait excessivelTh?nt froid
à Nara. de décembre à mars. Alors
le vent gla-
1
1
cial du Nord aidant
toutes les filles se mettent
l
1
à trembler deL-'l tête aux pieds. Dans cet état
•ii
et sans se couvrir avec le moindre ~tement
~
p.lles consomment la bouillie qui
elle aussi.
est glacée. (2)
Mais le but le plus recherché est une sensibilité sexuelle sans doute
fort appréciée des maris s8..rakolés
Ensuite il y a la période d îessayage au cours
de laquelle la rnagnamagan jouant le rôle du
nari
chatouille l'élève pour s iassurer du
résultat obtenu après cinq mois d'enseignement.
1)
Femme d'A6~que : 00. Cit. page 283
~\\ 1bidem . page 2B4
1

569
En cas de succès
l'initiée fait les mouvements
corrrne si elle venait de recevoir une douche gla'-
cée. (1)
Il s'agit là dlune forme traditiormelle d'éducation sexuelle. qui peut
avoir ses défenseurs et ses détracteurs. Nous retrouvons une description ana.-
logue sous la plume de Seydou Badian dans Le sang des masques au moment du
mariage de Nandi . S3nS doute Aoua Kéit~ ne condanrrk~it-elle pas en bloc cette
coutume. Elle voulait néanmoins attirer l 1attention des mP~ans (de toutes
les fenmes avec elles)
sur le danger que comporte le maintien. des filles, de
façon très prolongée
dans le froid mordant de la nuit et du petit matin.
"Fièvre
rhume
toux fluxion de la poitrine
par ~xemple" (2) peuvent en
résulter, s;inquiète -t-elle.
Seulement
pour combattre effica.cement la prA.tique
il aurait fallu que
l
f
. . . . . l tt
t
les
. t'
t
d
l 'h'
a sa~e- emme p~rvlerne a
u
er con re
conV1C lons
enaces
reçues
e
e-
ritnge séculaire et renforcées par le détermisme religieux ~
,,_.. _- Non
Aoua
lui confie en privé une amie (ma-
gnamagan)
ce traitement que tu qualifies de ri-
goureux
ne l est pas pour une fille sarakolée
qui se respectE' et qui tient '8 conserw')r son mari.
Bien entendu
il y a des filles qui tombent rnala-
des et qui guérissent au cours de la période d'ini-
tiation. Certcines meurent. Cela est tout à fait nor-
mal car ChaCW1 a sa destinée. S 1il est écrit qu'une
fille doit aller à Dieu au lieu et place de la mai-
son conjugale
c'est ce qui se proouit. Persorme
n'y peut rien, ill!eme les médecins "toubabs:' ne
1) F~nme dtA6~qu~
Op. Cît
page 284
2) Ibidem ~ page 287
1

570
de
peuvent pas en;~echer une fille/mourir si elle est
appelée par le Tout--Puissant (1)
Aoua Kéita déploya de mu].tiples efforts et entreprit une campaelle
de
sensibilisation auprès de la population. Si elle parvint à rassembler
toutes les lllae.~namagans de Nara et à leur exposer ses inquiétudes sur le sort
fait aux filles nubiles
elle se heurta tout de suite après son exposé
à
tm nur de désapprobation silencieusE.:
En effet. c1était un dialogue de sourds, J'étais
la seule ?i parler, r'~es interlocutrices se contentèrent
de Ill' écouter religieusement, Seule
Sokna (l" amie de
l'auteur)
prononça quelques rares paroles. Personne
ne prit mes conseils en considération. Les douches
continuerent de plus belle en 1955( et 1956
dernière
année de mon séj our: (2 )
La T1.TITatrice laisse entendre heureusement que cet échec ne la dé-
couragea pas, Au lieu de faire machine 2.YTière
ellt; cor,çut au contraire
quelques temps après
un rrogre.mme à' action sociale, Touj ours dans le soucis
d1être utile à ses soeurs soudanaises'
i~ Au cours de mes six années de séjour à Kita, j'a-
vais arnris les techniques du tricot grâce à la gen-
tilless0; et à la large compréhension des religieuses
de la mission catholOQJ.e, J:ai d'ailleurs enseigné ces
techniques
à bon nombre de femmes autochtones~~3)
Confections et broderiAs se révelsrent pour elle un travail manuel
pratique et doublement profitable
1) femme: d'A6Jt{qu.e. ; Or; Cit
page 287
2)
Ibidem; page 281'\\_
3) Ibidem . page 70

571
\\1
PendélYlt les heures non ouvrables et cn dehors
de toutes campagnes électorales. j'avais une ac-
tivité intense sans laquelle il aurait été dif-
ficile à la ferrrne seule que j'étais devenue de
vivre dans cc pays, (Nara) . .Je confectionnais
boubous. grandes 'camisoles et tailles-·basses,
Je brodais nappes
napperons
draps de lit et taies
d'oreiller, Non seulement cela constituait pour
moi une distraction qui m'épargnait tout ènnui
et m'évitait de prendre part aux intenninables
papotages touj ours négatifs des femmes _ mais
j'en tirais aussi un revenu appréciable en ven~
dant ma production,' (1)
Dans toutes. les formations sanitaires où elle sera appelée à servir~
elle initiera beaucoup de femmes à ces techniques. Elle partait du principe
que la ménagère soudanaise
surtout celle qui n'est pas salarié e lait face
à de trop lourdes responsabilités . les seins (et les frais oue cela occa·-
sionne)
l'habillement des enfants
sans oublier leurs netits besoins à sa-
tisfaire. etc. Certaines femmes sont obligées de nrendre en charge une par-
tie des dépenses fe.milia10s (dans les m§n~.g(!s polygames) Il n'est de secret
pour personne que souvent en Afrique
la plupart des femnes
(pas seulement
en milieu rural) se voient contraintes àe se ravitailler elles-~èmes en con-
diments. Le lilP..ri se contente généralement de donner une sonrne symbolique
pour tout le mois.
En leur apprenant à broder et à triccter
la sage-·femme permettait
1)
Ibidem
rage 262

572
à certaines femnes de lutter contre l'oisivetr: et Je chômage. La majorité
d'entre elles devenaient par ce biais éCOYlomiquement rentables pour le pays
et financièrement indéDendantes vis-à- vis de leurs époux.
Si la carrière d'J\\0ua Kéita fut laborieuse
le chemin qui y mène
fut semé d'embuches de toutes sortes. Les difficultés qu'elle allait affronter
carmencèrent le j our de sa prEmière n'Jmination.
Nous nlcn voulons pour preuve que la mauvaise réputation qui s'at-
tachait à Gao
perçue PV1S comme une prison que comme une ville :
" Diplomée de 1 iEcole de médecine de Dakar en no-'
vembre 1931
je me trouvais à Gao vers la fin de
décembre. Dès
notification de la décision rn/affec-
tant dans cette ville considérée comme un autre
monde par les Bamakois
lcs parents et amis furent
tous pris d'une profonde émotion. On consèilla à mon
nère d'user de ses pouvoirs et relations pour faire
revenir le méctccjn- chef du Soudan fr~J1çais sur sa
décision, f' (1)
La nBrratrice fait non seulement preuve de courage exemplaire. mais
montre par la meme occasion tout l'amour qu elle porte à son pays:
"'I!r
l·Jél d"t
e
.
t'
,ernuna lon "t't
e al
sans . . '
equlvaque pour deux
,
r8..l-
s'Jns ; d'abord parce que j t avais confiance en moi·-
meme et en l avenir. ensuite
je me sentais atti-·
rée vers cette belle partie de mon pays par je ne
sais quel phénomène enchanteur ou quelle divinité.
En apT"'renant la décision
je n'ai éprouv8 aucun

573
sentiment d' éloignement
dU contraire j 1 ai eÙ.
l'impression heureuse d etre mise à la disposi-
tion des populations d'une deuxième ville natale
\\
où ,j e devais découvrir une deuxième famille. r'.,;
nouveaux amis. En un mot
j'étais heureuse et fiè-
re d· aller mettre mes modestes connaissances élU
service d'une population qui n'avait jamais su ce
que c' est qu'une sage-'ferrnne? J'ai dema.rrle donc
à mon père de ne pas intervenir et de me laisser
re.i oindre mon poste à Gao. 1 (1)
Et dans la !11upart des formations sanitaires où elle sera "parachu-
tée". si l'on peut parle.r ainsi. elle se heurteréè àbe~ncoup d 'obstacJ.e~1 parmi
lesquels les problèmes de logement et de nourriture.
Du matériel sanitaire dont elle avait un pressant besoin
jusqu 1aux
médicaments de première nécessité
tout lui faisait défaut dans la plupart des
postes où elle fut appelôe 2 servir. Il lui fallait écrire d'interminables
demandes
réclamer verbalement
se disputer au besoin
avant de recevoir le
stricte m.in:i.num de la part de l' administrati(TI coloniale. Celle-ci se sou··
ciait peu des indigènes que la sage~'ferrrne avait le devoir
elle
de soigner
'Comme dans toute entreprise susceptible de modi-
fier tant soit peu les habitudes des habitants
d une région ou d 1une ville le d8but ne fut point
facile. Il n' y avait ni maternité
ni matériel
d .. obstétrique, Le médecin-chef malp;ré sa bonne
volont8 n"avait pu mettre à ma disposition que
deu.x pinces
une pajre de ciseaux
Ul11 flacon de
1)
Femme d'l\\fluQU.e.
Op. Cit. page 27

teinture
un peu d; éÜCO(>l à bruler
du coton" des
ccmnresses
des bandes ... !! (1)
A cette série de difficultés qlÙ attendaient la courageuse sage-
fem:ne
il faut ajouter une autre de taille " le problème de la langue,
Il est notoire que., pour se faire des amis
et avoir une certaine
audience auprès d1une popu~ation pour pénétrer la Dsychologie de ses habi-
tants: bref pour s'intégrer dans un milieu
le meilleur moyen est de parler
la langue du terroir.
Les romanciers ouest'''a.fricains par exemple soutierment que si la
religion musulmane a fait rapidement du chEmin
dans les pays de la région~
c'est parce que les marchands arahes ont su s'intégrer aux populations qu'ils
voulaient islamiser, Et dans cette entreprise comme daDS bien dfautres
la
connaissance de la langue constitue un sauf~c(Jnduit. Elle plaide en faveur
de votre cause plus que tout autre rrocéclé
Aoua Kéita s <' en aperçut en ar-
rivant l1 Gao
en pays sonrhay .
l' JI étais sérieusement har-licanée par la langue. Je
ne parlais que bmnbéJra
franç::ds et un peu de ouo-
lof appris à D3.kc1r lors de mes études." (2)
Malgré tout
la grande détermination dont l'héroine fit nreuve ar-
riva à bout de teus les obstaclesqy;mt surgi durant la trentaine d'an-
nées que dura sa carrière _ Elle apprit à parler les lar,gues, s'adapta à
toutes les situations.
De 1931 à 1960 donc, ce fut une vie professionnelle fleurie et Aoua
K(>ita T'eut légi.timement en tirer un motif de fiert'%. Ses qualités d'infir-
1) Ibidem ~ page 31
2) Femme d'A6~que,
~). Cit: page 31

575
mière ont été unanimement apnréci6es
merne par le colonisateur, En effet;
. l'inspecteur de la Santé en A.O.F. lui adressera ces paroles élogieuses
'~'Mad8me niawara (ntm de son premier mari) vous êtes
une bonne nraticienne
vous avez eu de très bennes
notes en une période donnée de votre carrière admi-
nistrative. Encore 8 présent vous avez d'excellentss
notes sur le p18~ professionnel.
Cependant
la plus grosse dette de récennaissance lui sera payée
par ses compatriotes soudanais
ceux pour lesquels elle a consenti tous les
sacrifices. L'hommage auquel elle sera le plus sensible
sera 1!accu6il
populaire_ extrernement spontané et enthousiaste
reçu au début de son second
séjour R Gao :
1)
Femme. d;A6lt.ique ' Op' CiL rage 8~

576
témoignaient de la r:,ratitude des habitants de Gao pour leur ancierm.e sage-
fenme :
"Partis en netit nombre de l'hètel
nous étions plus
de cent en arrivant devant la maison de Guindo où
une foule dense était tô.ssée, En moins de quifl2}e mi-
nutes
la foule avait doublé
toutes les rues envi-
ronnantes regorgeaient de monde. De tous les cotés
de tous les Quartiers
les hommes
les femmes
les
jeunes et les vieux accouraient
à la manifestation,
On me tirait de tous les côtés ~ qui me souhaitant
la bienvenue
qui
me présentant un jeune horrme
une
J
jeune femme ou un adolescent à la naissance duquel
j'avais assisté
élpportant mon modeste secours: qui>
me reprochant de les avoir abandonnés si longtemps
en faveur des ferrrnes bambaras. l~ (1)
Nul doute que c'est l'enthousiasme débordaYlt qui provoque l'il"'3pi-
ration: quelques paroles furent prononcées d'abord, qui donnèrent naissance
à une cw...nson vantant 11 action héroique de la j·;Idjergnal. .. (la mère cle nos
enfants) .
Les femmes auront d'autres occasions de manifester leur soutien mo-
ral à leur sage-ferrme. Ce sera nntarrment le cas lorsque
par mesure disci-
plinàire
elle sera amenée à quitter Gao. Moins par nécessité administrati-
ve que par décision politique.
La politique justement a occupé une place de choix dans la vie
d'Aoua Kéita. Elle s'y trouva melée de la façon la plus banale: au contact
1)
Femme d'A64ique . Op. cit, page 84

577
de son mari Monsieur Diawara (médecin lui aussi) et grace aux points de
vue qu'ils échang:eaient le soir en famille ~
" Les femmes n'avaient pas encore obtenu le droit de
vote. Mais malr~é cela Diawara me faisait toujours
part de ses prises de position
ce qUl m2 permit de
m'intéresser tm peu à la politique. Avec lui j'ai com-
mencé à suivre d;assez loin de déroulement des événe-
ments qui:)pposèrent l'empire d'Ethiopie aux Italien,?
Avec lui j'ai appris à connaître et à condamner les
agresseurs. :(1)
La lecture des rares journaux de l'époque permit à Aoua Kéita de
suivre le déroulement des élections qui aboutirent 2 la nomination du premier
député africain à l'Assemblée Natio~~le Fr8ncé~8e le sénégalais Galandou
Diouf. La circonstance qui a nrovaqué sa prise de conscience politique fut
sans doute l'agression faciste de ~llssolini de Mussolini contre lïempire du
Négus. En tant qu i africaine
Aoua Keita sentit"battJ"'e son coeur au rythme de celui
de ses frères Ethiopiebs. Elle se révolt.'3, intérieurement au moment où l'Ethio-
pie se souleva contre 11 envahisseur. Tout corrme elle anplaudira à la victoire
de cette dernière lorsqu'elle boutera les Italiens hors se son territoire:
" Par les journaux je pus suivrc la dernière campagne
électorale aVDnt la p;uerre et au cours de laquelle
i"l. Galandou Diouf fut élu député des territoires d'Ou-
tre -Mer .• ,
Je crois que c1est à oartir de cette période seule-
ment que ma conscience politique s'éveilla peu à peu.
En 1938
lors des événements d'EthiPPie
j ;appréciai
1)
Femme d:A6~que
. Op, Cit. page 46

578
le Négus 'Jour son courage pt lui souhaitai vic"~oire
sans DOur autant être en mesure de comprendre les
raisons Droforrles du problème éthiopien" (1)
QJ.wt à ce que la narratrice appelle proprement son "baptème politi-
que'!
il se situe en 1946 ;
ne 'était la période des réunicns tantôt avec les
électeurs du premier collège
qui nous fnsaient une
cour assidu en faveur de Sylvendre
tantôt avec les
rares partisans de Konat.?
. . . Je n'assistais pas
aux r€,unions
qui se pRssaient entre horrmes ~ mais
j e suivais le tout. car j'étais régulièrement in-
'd" ..
formée par mon époux qui m'e toujours c<?~J!.eree;,~n
égal. Je vota3.s pour la première fois le 2 Juin 1946,
car je me trouvais au S.?négal en congé de convales-
cence." (2)
Ce fut aussi une année historique clans les annales du R.D.A. (Ras-
semblement :D2mocratique Africain). En effet
au mois ct 'Octobre
se tiendra
à Bamako le congrès constitutif qui mettra ce parti sur les rails, Ayant
réuni des délégués venus de tous les pays de l'A.O.F., le congrès eut à
définir les positions conmmes il adopter face au pouvoir colonial et aux
partis qu lil soutenait ~" Parti Soudanais du Progressisme
Bloc Démocrati-
que Soudamlis
Action p~ et parti Sylvendre" (2)"
• Le congrès étudiera aus-
si les formes sous lesquelles sera menée la campagne de sensibilisation des
masses ~icaines colonisées et exploitées.
Après avoir esquissé un bilan des travaux du· congrès du R.D.A . .
1) Femm~ d A~~qu~~ OP. Cit. paGe 46
2) Ibidem ' page 50

579
l?auteur cite les noms prestigieux de quelques oos des leaders du parti et
fait plus loin leur éloge. De la liste E.mergent : Felix Houphouet Boigny
de la Côte d~Ivoire (chef de file) Sékou Touré de la Guinées Gabriel d'Ar-
boussier du Sénégal. Ouezzin Coulibaly de la Haute Volta,. M9madou Konaté
du Soudan
etc.
Elle poursuit en indiquant que r'1onsieur Diawara adhéra au R.D.A.
et qu'elle-même éoousera ses oninions nolitiques. Elle s'assigna plus tard
pour tâche de rf:iunir (au.x heures creuses de la journée il va sans dire»)
les pensionnaires de la maternité et d'essayer par le biais des causeries;)
d'intéresser ces femmes? la vie politique ne leur pays. Sans oublier bièn
sûr les soins qU'elle {tait sensée de leur donner officièllement. Elle
faisait ainsi d'ooe pierre deux COUDS
Mais les soins et les consultations se donnant
rarement aux mémes heures
il nous était facile de
concilier le tout. C'est précisement dans cette salle
que Diawara. le secrétaire général du parti à Nionc,
me surprit un j our
en réW1ion avec les femues. C' é-
tait nour lui aussi bü;n que pour nous une réunion
clandestine. Je dis bien clandestine
parce que
mon !T1élri connaissant' mon tempérament:t m' avait à
~
maintes reprises..;~
de' ne pas faire dans
l'immédiat de Politique.' (1)
Il n'en demeurait Das moins que pour le couple Diawara. le R,D.A.
était le seul parti d'avant-~le, celui qui refusant les compromissions j
était véritablement enp:agé drms la lutte pour la libération du Soudan du
joug colonial.
1)
Femme d'A~que
Op. Cit. page 65
1!t!,~1.

580
Cet en~agement politique conduira lC,couple ~ condamner le systpme
college
du double collège électoral . si le 2e / pele-mêle., regroupait
tous les
sujets français
avec le minimum de droits
le 1er collège était strictement
réservé li ceux qui avaient la nation'1.1ité française. Il comprenait les Fran-
çais de France et les Africains nrivilégiés. L!appartenance à ce collège,
faut-il le rappeler
conférait honneur et pré~cgatives multiples.
lorsque
Ce fut un acte extrêmement courageux pour 1; époque !l..es Diawara déci-
dèrent de renoncer à leur citoyenneté française et aux "indemnités forfai-
taires que touchaient les citoyens franç3.is. Ces allocations étaient accor-
dées aux fonctionnaires de toutes les catégories mais dans le but:, selon
l'estimation des DiRwara
de les rallier à la cause de l'entreprise coloniale.
Le couple considérait cet argent comne mal acquis et ayant un rapport direct
avec l'exploitation du peuple.
Conme ils pouvaient s'y attendre
ce refus fut le prélude aux diffi-
cultés de tous ordres dont sera semé le long chemin de leur lutte politique
!l'
Ce fut d'élbord une
campagne sourde d"intoxication
auprès de tous ceux qui profitaient de cette situation;
surtout aunrès de nos collègues médecins et sages-
femmes. On s .ingénia à leur faire croire que les
Diawara
anciens fonctionnaires possèdent leurs prin-
cipalats
ayant suffisarrment économisé le long de leur
carrière
donc n'ayant plus besoin d'arr:ent~ avaient
les indemnités forfaitaires qui avaient toujours été
octroyées à certaines catégories de travaill€~s de
l Office du Niger. Aussitôt la Direction obtint le
but récherché. Tous les collègues servant à l'Office
, l'~
d~
,
~.
a
epOQue., "nous
€Sê..DnrOUverent "-systematlquement . "Les
uns nous envoyèrent des lettres de désaporobation) les
autres se contentèrent de nous critiquer ~ *

581
dans les maternités et f""lI'tout autour des v?rres
de "Berger'; boisson fort appréciée à l'époque." (1)
En guise de représailles
le pouvoir colonial intervint en séparant
le counle : l'un et l'8utre furent mutés dans des postes différents. D'ail-
leurs la réaction la nlus courante de lladministration à cette époque consis-
tait 2 récourir 2 des mutations arbitraires
qualifiées de disciplinaires.
C'est ainsi qW? Aoua Kéita de Gao son premier poste
se retrouvera successi-
vement à Niono
Kita
de nouveau ~ Gao
puis ensuite à Nara
~ù{o_ Kati,
et dans d'autres postes R travers le Soudan, Ces mesures n'étant pO.s parve-
nues 8 la dissuader de lutter au sein du R,D.A.
le Gouvernement Général saisi
de son dossier
tenta de l'écarter de l~ scène nolitique. On voulut frapper
un coup fort pour intimider la militante trop zélée en l'expédiant hors de
sa patrie
ce Soudan qu'elle aimait de toutes ses forces. Elle apprendra
plus tard la sanction envisagée p son encontre :
PAlors
le Soudan slétant débarrassé de vous
le
gouvernéGlent général m'avhit proposé de vous envo-
yer en Afrique équatoriale françE'ise, ou dans un
des territoires sous mandat français. Mais après
avoir pris connaisséillce de votre de~·eier {~ , ~ j ;ai
préféré après quelques tentatives sans succès
suivies de mUres réflexions
vous affectaient au Sé-
nép;a.L ... ,. (2 )
Mais c 1P.tait mal connaïtre et mal évaluer la canacit;; d i endurance
de la militante
Partout où elle se trouvera
Aoua Kéita ne ménagera aucun
effort. Elle semblait s'être donné pour mot d'ordre de provoquer la prise de
conscience des fenmes. Elle n'avait qu'une seule consolation:!1Le drapeau du
1)
Femme d'A6~que
Op . Cit page 60
2)
Femme d'A6~que
Op. Cit. na~e 190

58&.
R.D.A. flntterê, sur tout le territoire du Soudan
Incha Allah;' (1). E1l8
en était convaincue et travaillait .q ce but.
OUtre les représailles de l'administration coloniale contre les mili-
tants et les sympathisants R.D.A.
d'autres problèmes rétardaient la réalisa-
tion de Ipur objectif. La tàche la plus
subtile semblait être la lutte contre
les mentalités Traditionnellement
le raIe attribué à la femme est de demeu-
rer au foyer. Etait-il possible et meme souh8itable qu'elle délaisse ses ca-
lebà.Sses
et son mortier pour faire un travail généra.lement dévolu à l 'honrne ?
Aoua Kéita voulait int8resser les femmes à la discussion des problèmes de la
communauté. ~out de suite des barrières se dressèrent devant elle ;
-'Au lieu de sa.luer cette prise de conscience des
femmes de Gao
les Européens en question (ceux de
Gao) les condamnèrent presque toutes~ tenant des pro-
pos désobligeants. Les uns disaient: "Elles exagèrent,
ces nouvelles citoyennes. Et dire qu'elles ne savent
meme pas t-,ourquoi elles vI)c"nt! "D'autres disaient:l
Regardez corrrne elles jubilent. Elles sont fières de
se croire les égales
des hommes
elles font çà avec
enthousiasme.
Si on les laissait faire certaines voteraient dix fois
croyant ainsi dépasser l'égalité' (2)
Mais les railleries des Européens n'étaient pas plus pernicieuses
8. l'action féminine que l' attitude des j\\fricains eux-mernes. Les maris ~ pour
la plupart
étaient intraitables sur la quesUon. Enctulcorée le plus souvent
scienrnent
celle-ci était présentée sous une forme ironique: verra-t-on un
jour les horrmes céder leur nlace aux ferrmes ?
1)
Ibidem
page 139
2)
Femme dlA6~que ~ Op. cit. page 122

583
Je me rappelle encore la flèche indirecte
qu l un compatriote du Sahel m'a lancée un jour
lorsque j'essayais de parler de politique avec
son épouse récerrrnent rentrée de la maternité.
Ayant entendu le nom de Marnadou Konaté
il s'é-
cria
s'adressant à son épouse bien sUr ~ i~
ferais mieux r.l -,' aller faire ta cuisine au lieu
de t'occuper de l'action , d 1autrui
la politi-
qU8
c'est l'affaire des hommes et non la tien-
ne, :',4ussitot la ferrrne
prise de peur
ID 1 aban-
donna presque avec dédain
comne si je lui ap-
portais la IT1c').lédiction ". (1)
Du côté des femnes elle:::;-·Ii1i..,es ..la tache d IAoua Kéita ne s:annonçait
pas facile
car la sage-femme savait que .
<Les ferrmes sarakolés
peuJ.hes
maures, bamba-
ras
liées par un mari~ge ou ayant subi \\;-1.e union"
ITk''lis divorcées' et par voie de conséquence con-
sidérées corrrne maj cures
n •avaient .1- l'époque
ni le droit de participer aux rassemblements
rrùxtes ni celui de se trouver en tète-i'i-·tête
Ilvc:c un horrrne étrélllp,er à. leurs fêmilles, Toutes
celles qlli le faisaient
étaient considérées
comme des femmes égarées et légères; même si
elles avaient une bonne conduite' narler en pu-
plie à haute voix étai t un sacrilège pour une
femme de bonne famille, Meme dans lL'1 groupement
1) Femme d'AMU:é; Op. Cit. page 56

584
de femmes
elles se servaient toujours de femmes
ou d1homnes de caste qui com:nuniquaient~eurspen-
sées 8 l'assemblée, Très souvent
leurs interven-
tions se l~itent aux échanges de courtoisie en-
tre feMlles nobles et aux éloges de ces dernières'. (1)
Aoua Kéita se devait donc de donner 2 toutès les femmes IJexemnle
4
.
de ce que devrait être ~ son avis le comportement futur de la soudanaise.
Elle
se fit un devoir d;entrer en contact avec ses soeurs. soit pas le
biais des soins qU'elle leur administrait ~ la maternité
soit ~n se ren-
dent directement à leurs domiciles. A toutes les luttes r<~vendicatives de
libération nationale
ou pour le d6velopDement éconorrique et social". (2)
Pour une meilleure illustration de ce qu1elle alléguait
Aoua Kéi-
ta prenait la direction locale du D<Jrti
dirigeait le bureau de vote
super-
visait les élections
etc. En dehors des péricdes électorales
elle essa-
yait d'intéresser les femmes 8. la politique par le biais des journaux. Bien
que ce --éhicule privilégié de l" pensée soit inac-essible 8 presque t Jutes
les autres ferrmes (parce qu 1elles sont illettrées ou n'ont nas les moyens de
se le payer), Aoua Kéita la militante
lisé:tit et ccmmentait pour ses cama-
rades les articles qu 1elles-'memes jug<:.ient intéressants
Entre 13h et 15h
c~étaient les femmes qui ve-
neient et après 18h les hommes. Ces rassemble-
ments avaient pour but soit l'écoute des infor"
ma.tians
soit la lecture des revues que je rece-
vais : 'Noir et Blanc
Réalités. Femmes du monde
1)
Femme d' A6JUQu.e. . 00. cit. pae:e 297
2) ihidem . page 339

585
entipr
Marie-Claire. et l'Essor. La plupê.'''t ne
sachant nas lire
(les femmes surtout). se con-
tentaient de feuilleter les revues pour admirer
les images. Souvent ce rronde ccharmant me deman-
dait quelques explications sur telles ou telles
i.Inages qui. pour lui
sortaient de l i ordinaire ...
Je lisais les 3rticles et en faisais une tra-
duction intégrale il mes camarades des deux .
sexes
(1)
Estimant avoir amorc? le départ ~ ACiUa Kéita se devait .1 présent d'al-
ler jusqu'au hout :montrer aux ferrrrnes dans un oreIT'ier temps
ce dont chacune
d velle est capable en faisant preuve d'un peu de courage et de bonne volon-'
té.
Dans chacune des villes où elle se trouvait
elle ne manquait pas
de silloner les quartiers
informant et s'informant auprès des militantes
et les encourageant au besoin 3. persevérer, Elle el1trenrenait missi des
déplacements dans (les villages ~ l'anproche des campagnes électorales ou y
envoyait des délégués, Elle recevait les élus du parti (Ouezzin Coulibaly;
Mahamane Alhassane Aidara
futur président
de l Assemblée Nationale" etc)
et organisait des meetings à cette occasion pour faire véhiculer les mots
d'ordre du R.D.A. Il lui arrivait ainsi de rentrer le soir chez elle
ter-
j
rassée de fatigue, mais c \\était pour reprendre le lendemain ses activités
politiques~ plus décidée que jamais.
Le deuxièITl8 obj ectif i.T:Jnortant aux yeux de la. militante) était de
pouvoir infOrmer l! opinion généralement peu favorabll
que les hommes se
faisaient de la femme en matière de discussion des affaires publiques
1) Femme d'AslÛllue. ; Op; Cit ; page 322

586
'f
Côté conj ugal., certains époux conservateurs!l
c'est-"'dire féodaux
très jaloux de leurs préro-
gatives ,; de lT',,-'ütres absolus:, nous prirent irnmédia-
tement en p:rippe, Dès lors!/ une sourde campagne de
de
découraGement et/division fut entreprise avec des
arguments de ce genre: '1 Les femmes n'ont pas besoin
de syndicat car nous sonrnes assez grands) assez in-
formés pour ctéfendre leurs intérêts. (1)
C/est pourquoi
lors de la grève syndicale du 2 novembre 1952~ qui
a touché ryer son ampleur toute l "étendue du territoire soudanais .. JI.oua Kéita,
par son cSYnami.sme ;' contribuera p la Tili)hilisation de tous les travailleurs de
Nara. Il fallait selon elle
que les horrmes se rendent compte de la nouvelle
prise de conscience des femmes. Dans son intervention
elle invita tout le
monde à partici;;Jer massivement:". ce mouvement lancé par l'Union Syndicale
des Travailleurs du Soudan et dont le but était l'amélioration des conditions
de vie des travailleurs. En torminant son intervention, nous dito-elle
J'en nrofitai pour mettre l'accent sur la néces-
sité impérieuse de réussir ce mouvement dont llé-
chec ::;. cette époque
où la lutte des peuples tra-
versâit un tournant décisif ~ pouvait avoir des con-
séquences graves sur le dévelonnement des organi-
sations syndicales·' (2)
Parallèlement n cette lutte syndicale floua Kéita s'est dépensée pour
la lutte Dolitique. C1est ainsi qu n linstar des responsables-hommes!/ elle
1) F0mme d'A6~que : Op. Cit, paf-c 340
2)
F"~tnme. d A6~que: Op. Cit. page 291

li
587
1~~
1
1
1
1
a dirigé des réunions mixtes. Chaque réunion était l'occasion pour les mi-
1
litants de faire leur fonnation nolitique. Des causeries-débats étaient ins-
f
taurées mais Aoua l':éita sut leur faire éviter le d:mger du verbiage et sur-
t'
1.
tout des critiques stériles. Le débat politique
selon elle
devait déboucher
f
sur des actions sociales concrètes.
Le bureau des fetrrnes de Bat-nako qu 1elle eut ? diriger par exemple;;
s'était assigné des taches précises ~
'~'1al.gré toutes les mesquineries inimaginables.i
llorganisation s'attela à la mission qu'elle s'é-
tnit assimée.
l -. Particination t~ffective 2. la lutte de la libé-
ration et au développement socio-économique du
r>a,ys.
2 - Alphabétisation en collaboration avec LiInter-
syndicat des ferrrnes travailleuses qui fournissait
les enseignantes et nous les auditrices
les cau-
series sur l hygiène
la puériculture étaient con-
fiées q la commissaire ~ l'organisation des fem-
mes R.D.A .
Grâce au soutien du Parti touj ours soucieux




0
de l' émanci~ation rapide de la fenme ~ cles coopé-
rations de tissages créées dans les quartiers: bé-
néficièrent cl 1importants prëts ... !
(1)
Si dans les régions
les burea1.Lx locaux mis sur nied par Aoua Kéita avaient
but
des: moyens r·üs modestes. il n'en demeure pas moins que partout 1 leI social
1)
Ibidem' page 384

1
588
f
primait sur la politique.
Dans le caètI'e de la lutte contre les injustices. nrônées. par son
parti
Aoua Kéita. par des actions 8 'éclat
eut ,::-. défendre la liberté de
vote et le secret du scrutin. Elle avait constaté que la fraude électorale
était partout monnaie courante au Soudan. Aussi
nartout où elle se trouvait
allait-elle tenter d'y rérœdier
en surveillant scrupuleusement les votants.
Elle eut alors le courage, (excentionnel A cette époque)". d'expulser du bu-
reau de vote des officiers de l'armée française qui; après avoir accompli
leur devoir de citoyens
demeuraient néanmoins dans la salle. Par leur pré-
sence
ils tentaient d'orienter le v()te de leurs soldats.
Pratique instituée depuis de longues dates semble-t-il!
Promptement
Aoua Kéita intervenait pour faire respecter la loi élec-
torale
'"Furieux
le capitaine se :r. "ira en prononçant quel-
ques paroles désagréables qui n'eurent aucun effet
sur moi. Le résultat de cc t :incident :insignifiant
se fit sentir inmédiatement. Tous les soldats noirs,
gradés et hommes de troupe votèrent en masse pour
le R.DJL" (1)
Elle nihésita ~as non plus? s;en prenr~e au cornmanrJant de cercle de
Gao
ce dernier ayant
fait irruntion dans la bureau de vote
intimidait
par son regard tous ceux qui nassaient près
de lui pour aller déposer leurs
bulletins dans les urnes. Il agissait manifestement en violation de la loi
électorale. Jlussi
en vertu du droit que lui conférait son rôle de membre
1)
Femme d'A6kiqu~ . Op; Cit. p~e 1i9

589
du bureau de vote
Aoua Kéita VL'1t courageusement rappeler au représentant
de la France ~ Je caractère illégal àe son attitude :
....._ _ Je me moque totalement de vos procurations. Je
suis dans mon bureau et j'entends y demeurer tant que
je le voudrai, Est·,·ce vous qui COITi!'1andez Gao ou moi?
- _._- Monsieur, Dorsonne ne conteste votre ccmnandement ~
en tout cas pas mc.·i. C', est· une prétention que je n'ai
j aImis eue. Tout ce que je sais qu'en temps normal:> Vous
corrmandez l'ensemble ou cercle de Gao. Mais en ce jour
d'élections
c'est Monsieur Rots
ingénieur des travaux
prpsident du bur'cau de vote. assisté des sécretaires,
des a.ssesseurs et des représentants des partis politiques
qui dirigent les opérations. Ce sont eux qui. par voie
de conséquence
gouvernent cette salle. Durant la j our-
née d? auj ourr:1 ;hui
cette salle appartient .3. ce peuple
pour lequel '.rous n'avez aucune considération. Donc, Mon-
sieur sortez ou. ,i e fais arrêter les opérations. Il (1)
Elle s' oposera aussi ~. une ferme de fraude électorale qui avait cours
dans les cêIDnngnes. Dans les faubourgs en effet
des chefs locaux (à la solde
de l'administration faisaier.t fausser le résultat des votes en rassemblant
par eX'?Jnple les bulletins de tout un village chez une seule personne. Sous
prétexte de libérer les paysans (qui ne
devaient s'cC'cuper que de leurs
travaux champêtres)
un délégué venait le jour du vote remettre teus les
bulletins au chef cu regponsable de la localité en le priant de vr~ter au nom
du village "'empêché!'. Ainsi
il n'y avait plus de ris.que que ces' illettrés"
se trompent dans leur choix. Aoua K6ita intervenait alors en confisc;:uant tous
1)
Femme dA64ique Op
Cit. pag~ 122

590
.tu
paquets de bulletins dont les propriétaires ne se présentaient pas.
Lorsque la répression guidée par les pouvoirs centraux corrmença à
s'abattre sur les milit?...nts du H.D.1\\.. ( le seul parti hostile à la politi-
que coloniale selon la narratrice)
Aoua Kéita se mobilisa
également pour
la défense de ces opprimés. Elle faisait organiser des secours diurgence
à distribuer aux villageois chassés de leurs terres à, cause de leur sym-
pathie pour le R.DJ\\.
Elle fit plus
~' Mais cette victoire relative de notre parti,
qui en présageait d" autres plus importantes ~ ébran-
la les tenants du j ('ur
aussi la répression ne se
fit-elle
pas attendre.
Quelques jours après les élections. certains
chefs nomades
militants R.D.~. furent convoqués
par qui de droit. Il s'agissait des autorités admi-
nistratives qui tenaient à leur infliger des amen-
des pour avoir voté et fait voter en masse pour l'
USRDA.
un pm-ti considéré coume étranger au Sou-
dan' un parti parachuté par la clique de Konaté et
dont les membres étaient eux-mêmes apparentés au Par-
ti comrmmiste français dirigé et financé par MoscouIl • ( 1)
La cc?Jl1é:;rade responsable locale du parti n 'hésita pas à entrer dans
le bureau du corrrnandant pour prendre la défense dt:e
supporters. Elle fit
observer au chef de la circonscription que la sanction qu'il s 1apprêtait
à infliger n'étant pas administrative mais d'ordre politiqlle
sortait ainsi
de la légalité. Elle menaça de porte:r1' affaire en haut lieu et les pauvres
nomades furent relachés.
1)
Femme d'A6hique
On. Cit. r~;e 126
>

591
Mais
si dans l'ensemble
par son attitude courafeuse:; Aoua Kéita
nrovoqua l\\admiration des honnêtes gens. elle se fit aussi des ennemis irré-
ductibles. A l'instar des autres responsables de son parti. elle a été vic-
time de bien des injustices et des brlllli~des de la part du pouvoir colonial.
Tout canme son parti a souffert des calomnies~. des actes de sabotages, des
provocations et des rixes de la part des adversaires politiques.
En plus de tout cela
la narratrice rapporte avoir enduré personnel-
lement des avanies. Elle affime avoir su garder toute sa sérénité face aux
insultes grossières et aux menaces de ses adversaires :
., Le dimanohe 24 Juin
les responsables du parti ad-
verse organisèrent des manifestations pour fêter leur '
victoire ... Le riteux cortège se déplaçait de conces-
sion en concession. C'étaient des vivats et des hommages
devant les m8isons des responsables "P.S.P. Devant cel-
les de la nrésidente et du camélrade Houssa Maiga, c'é-
taient des injures parfois t"'ès grossières suivies des
11A
has Konaté! 2 bas Aoua Kéita! Aoua Kéita, tu parti-
ras ct' ici
que tu le veuilles ou non! On te fera ceci;;
en te'fera celait
enfin des énormités que seuls les
Sonrais de cette région peuvent pronon((r~ (1)
Des femnes menèrent contre elle de sourdes machinations. Elle fut parfois aus-
si
accusée injustement de népotisme.
A Bamako une cabale d'intellectuels lui attribua l'idée de vouloir
pratiquer une ségrégation entre femnes lettrées et analphabètes :
!!
Les ferrmes lahorieuses. insinuait-on dans les esnrits
ont constitué un syndicat. Elles n'ont aUCltne considé-
ration DOur vous
ou nlutôt considèrent corrrne quantité
1
Femme d'A6~que . On- Cit. nage 129

592
négligeable toutes les icnorantes
raisorill pour
lesquelles vous n'avez été ni consultées~ ni à fo~-
tiori associ(§es au mouvement. Leur syndicat s' ap-
pelle "Intersyndicat de femmes travailleuses". Comme
vous êtes des fainéantes
vous ne pouvez pB.S y par-
ticiper
fainéantes étant contraire de travail-
leuses; vous 8tes des bonnes-à- rien~ etc", (1)
Si l'on sait que 90% des. fE.mnes soudan<lises
sont analphabètes~ on
comprendra le but visé par cette campagne diabolique.
Du coté des horrrnes. Anua Kéit'l se heurta R d'autres difficultés. Par
eX8lïlDle la traditionnelle réticence des Soudanais R se voir égaler ou com-
mander par une femne,
Certains passaient à la menace directe pour dissuader leurs épouses
d'adhérer au mouvement ~
contre les hommes. Tu peux aller aux réunions si
le coeur d 1en dit
mais si jamais mon repas n'est
pas prêt aux heures habituelles
tu auras à faire
à moi
et ce n'est ni Aoua
ni Aissa qui pourront
te venir en aide. Il ( 2)
Souvent 11 auteur vivait en hostilité permanente avec certains fonc-
tionnaires. La plupart n'acceptaient jamais de discuter politique avec elle.
Pour remédier par exemple à cet état de fait A Nara
Aoua Kéita avait fâit
venir de Bamako des journaux syndicaux et politiques
tels Btlrekéla et l'Escor
dans l espoir de motiver ses collè,Q;tles, Elle déplorait à leu... :üveau l'abse!1-
'1. .....
, -, i
Femme d'A64ique . On. Cit. paGe 340

593
ce d'intfrét pour tout ce qui éteit culture. Aussi ~it-elle du porte-à- por-
te pour tâcher dl écouler ses journaux. En pure perte de temps! Si certains
la recevaient poliment chez eux
c ;6tait pour la reconduire froidement. D'au-
tres ne prenaient pas de gants avec ene
;1

Je ne sais que faire de vos feuilles de choux J
Madame! C1est avec le contenu de ces chiffons que
vous tenez à intoxiquer Nara
conme vous avez intoxi-
qué Gao. Mais
pour ce qui concerne Nara _ vous per-
dez votre temps"~: (1)
De telles scènes de provocation devenaient fréquentes. Mais l'hosti-
lité la plus marquée est celle que la militante rencontrait dans les campa-
gnes, dans les fiefs electoraux de ses adversaires politi-ues.Des chefs de
village refusaient de recevoir chez euxii toute délév,ation conduite par une
fernne"
faisant allusion bien entendu à Aoua Kéita. C'est ainsi que voulant
réparer ce qu 1elle croyait être de ; simples erreurs de jugement -' elle insis-
ta pour .:>e faire recevoir par un chef et discuter é.Jec lui. rvT..al lui en pren-
dra .
f~ Le chef de village un ancien ccmtattant de.1!Armée
française me reçut en hurlant en français J bambara
et miank:t.
'Sors de mon village
fenrne audacieuse.
!III faut que tu sois non seulEment audacieuse mais
surtout effrontée nour essayer de te mesurer aux
honrnes en acceptant une place d'hornne. Mais tu n'as
rien fait. Ciést la faute des fous dirigeants du R.
D. A. qui bafouent les homnes de notre pays en faisant
1)
Femme d'A6~que ' page 295

594 .
de toi leur égale, Hé! population de Singné_
vous voyez ça? Koutiala
un pays de vaillants
GUerriers
de grands chasseurs
de courageux
anciens COlJ12~"'..·(o~r.ui:;s;de: 1 1P.nnée française _ avoir
une "etite rame de rien du tout à sa tête? Non,
ras possible. Si les hcmnes du R.D.A. se moquent
de nous
nous saurcns nous faire respecter. Moi.,
sergent··chef de 1 1Année française ayant combat-
tu les Allemands
accepter d'être coiffé par une
femme? Jamais,' (1)
Non seulement Aoua Kéita se vit interdire le pa.ssage pour accéder
au bueau de vote
mais anrès sen invective. le chef de village harangua la
foule et ordonn'l de la lanider
Elle ne dut son salut que dans la fuite pré-
cipitée.
Cependant
les résultats d.§finitifs obtenus étaient à la mesure
des souf"'rances endurées. Ce C]uj
de l;avis de la 'arratrice
est un T2confort
moral qui peut inciter d; autres femmes 8 consentir des sacrifices pour leurs ~
proches r:>arents et pour leur nays surtout,
Cuant à Aoua Kéita
elle vit ses efforts progressivement récom-
pensés. Ellp. finira par occuper une fonction
,jusque là du domaine exclusif
des horrmes :
" La promotion continuant
je fu5 désignée en
décembre membre du comité constitutionnel de la
République soudanaise ..•
A,u cours de sa réunion du 17 mars 1959
le
j
1)
F0mme d'A6nique
Op Cit . . nage 389

595
Buree". politique me pori-a sur la liste du T'3.rtL
C'est tm8 promotion à
laquelle je ne m1atten-
dais pas du tout.
Croyant le rôle de député difficile
jl avoue avoir
eu beaucoup d! appréhension'. " (1)
Son grand reve s'est réalisé aussi. Le R.D.A. après des victoires~
remporta le vote de 1956 :
r:Mamadou Konaté et Modibo KéitPl. étaient élus
avec tme large majorité
contre \\ID seul en 1951.
Le parti adverse
male--::ré le soutien sans faille
du gouvernement calonial
réussit de justesse
à faire élire deux Jîersonnes. Ainsi parti de zé-
ro aux premières élections (1945)
puis de l
en 1946 et 1951
l~US2DA avait deux députés en
1956, C1était tme grav;de victoire ... li (2)
Après donc s'être imPosé cormne parti ma~o:,itaire au Soudan, le parti
de Aoua Kéita devait conduire le pays
~ la suite du référendum de 1958
à la Fédération puis à l:indépendance du Mali le 22 septemhre 1960. Le pre-
mier gouvernement du :Mali sera ainsi dirigé na.r le R.D.A. jusqu'en 1968.
Le rom:m autobiograrhique d/Acua Kéita nous a relaté l'existence mouve-
mentée d '\\IDe iifemme d' Afrique F
de la ·pé::.~i"'de coloniale à l' indépemance.
Pour elle. il semble que la vie n'a de sens que si on lui assigne un but
que l' on doit atteindre ensuite vaille que vaille. " J~.io~e que doit
advien-
ne que pourra': semble etre le message qu 1elle adresse .?i. ses soeurs malien-
nes et africains. C'€tait
une gageure de taille à l'2poque de ces faits,
--------------------- - - - - - - - - - - - - - - -
1)
Femme d!A6~qu~ . Op. Cit. ~ase 38~
2)
Femme d'A6~quc.
Op' Cit. page 320

596
Elle l'a gagnée sur le plan politique et sur le plan social.
La romancière exhorte toutes les femmes 2Sricaines à faire autant si-
non plus qU'elle, Elle Dense Que l"octroi de l'égê~ité entre l'homme et la
femme est q ce prix. Une telle prise de conscience et un tel engagement per-
mettront aussi à la femme de contribuer ~ la libération Dolitique. éconami--
que et culturelle de continent africain.

59'7'
PERSONNAGES
l T
IDEOLOGIE
DES
ROHANCIERS
t}ue dire en résumé de l analyse thêmatique des romans rnaliens que
nous venons de faire ? Simplement que ces oeuvres
tout COTIIne
les romans
modernes dl auteurs africains ( .. ".) ne se limitent pas au pur plaisir de
la narration. Seulement ils ont
contrairement D la poésie (par exemple),
un thème. Jmnais l'élément individuel ne se trouve en exergue., tout y a va-
leur d?exemple, AUClID personnage n'est considéré pour son intérét exclusive'"
ment Dsychologiqtle
ses e~)f.rience~ personnelles
aucune situation n 1est rete~
nue pour elle-meme- 1 auteur poursuit toujours un but didactique qui soutend
le
déveloDpement de lé! narration, Encore faut· il s' entendre sur ce mot di·-
dactique : jarrtais l-auteur a.fricajn ne nrocpde raI' d6monstrations. il ignore
cette sècheresse qui s'attache C1uelque fois au,'I. ('::)(positions pédagogiques des
auteurs européens. car il sai.t qu il n est de conviction profonde
qu' en-
gendrée par la l'TlE..r:sie du Verbe et la fascination des im.'lges. (1)
C'est ainsi que
dans les romans m'llienf:'
les personnages qui sont
bien CaID;.c"'s
sont des t:'lnes. A cc titre
ils sont 1Jrteurs de l'idéologie
du romancier,
On peut distinguer deux catépories de personnages " ceux qui jouent
en miroir
et ceux qui jouent
en contreEte avec leurs créa.teurs.
Ceux qui jouent
en f:liroir
sont les plus attachants' nous en ci_te~'
l'ont quelques lms.
Par exempl.~ éiaYJs J.' ombre (lu T'lass6 d(~ Issa Baba Traoré
li auteur s j i·
dentifie ~ son hr.;ros.
j'Toussé Ali
s;)n'~bolise le tvne de l instituteur (ou
du fonctionnaire) accompli
tel 'lue le romancier lia étp ou tel qu'il aurait
souhaité étreo Consciencieux et dévoué? la tache
Ali est conscient de la
responsabilité qui est la sienne. Il s' R.fit en l \\occurrence d amener pror-;res"
1) .Tanheinz .Tahn
PariR Editions du .Seuil" 2e trimestre 1961
nage 168

598
sivement tout le villae;e (ou tout le peuple Cifricain)~ s instruire et Èt pren-
dre conscience de l aljn~ation culturelle qui ppse sur lui' de meme que de
Ijavilissement dans lequel le Blanc veut le tenir nernétuellement,
Le romanci9r est convaincu que la prlse de conscience se fera en son
temps
reutétre même plus tbt que ne le pense le colonisateur. Cette prophe-
tie
Issa 'Baba Traoré la nlace
dans la bouche des habitants de Tamballa
3
l 'heure du repc'ntir. La mort d'Ali devient alors un ITlc~"'tyre.
Kanp:'a Koné joue le mèmc rolc dans le roman de Sidiki Dembelé' Les inu--
tiles. L'auteur
comme son héros
est ~artisan du modernisme. il va plus loin
que tous ses compatriotes écrivains dans l accusation portée contre la tra-
dition. Selon lui
et il le dit Dor la bouche de Kanp"a Kon':;
1\\ esprit de caste
qui Drovogue une certaine scission au sein de la société. fait d'une partie
d·'esprit
de la population
des marp:inaux involontaires. L'auteur attribue à cet état /
tous les maux dont souffre la sociié"'ti5 africB.ine, Ouant Fi la pratique exagérée
du communautarisITlE: ct l'hospitaljt,S africaine
elles sont aussi des notions
contre lesquelles il fai.t s'f?lever son héros,
Toujours selon Del"1helé
il n!y a en Afrique ni crise de l zemploi~ ni.
crise de la main d oeuvre
mais par(:?sse et parasitisme, ft. ces maux s i aj outent
l'insouciance ou l'inconsciAlce d~ quelques ~lémentR qui préfërent s'exoder
pour r:r~vcr des sociétés plus nanticf: qUe? la leur
au lieu d'employer leurs
propres ressources nhysiques et intcllectue1l0~s?: la construction de 18ur pays"
Le 'but didactique
auquel f\\ffi.l~ ftvons fait ;;11usi6n àu.'(jêbut de :êé"·'eh!).pitre
est:1.~~.9int lorsque, 18.uteur, 8 b. pb.CC: dp h-:\\'IUX disçours fait pa.sser _por
héros p~ ·1' étape do- l '. inconsci(~nc(' (il 8. vP,c-Hf: des 2n!1nes à Peris)
,
nuis par celle de la nrise de conscience, Parti d Afrique pour l 1Europe , Kanga
Koné fait ~ r\\3bours la m~me itinéraire pour assumer les responsabilités qu :il
avait
fuies
Ci est 1-IDe invitation de l
auteur ? sef; comnatriotes implantés
en France à revenir servir 1 Afrique f,ur le' sol même du continent,

599
Dans les oeuvres de Seydou Badian
si aucun personnage n j émerge véri··
tablement pour tenir la. vedette (le personnap:e central) on y remarque toute··
fois un phénomène assez r~.re dans le rcman malien : c ~est le problème de
li actant . 'L'actant
selon une critique, Arme Ubersfeld
c'est le personna··
re dans la mesure oi) il exerce une fonetior'. dramatique. N7importe quel per-
soI1Tl.afc n; est pas actant (" ,). Dans cl:'rtains cas
il y a des actants qui ne
sont pas des personna...,cs
Exemple . Dieu dans 'Atba1ie
(1)
C est ainsi que dans ~oces sacrées
tout part de NTomo et se rmnène
apparenment
À. lui"
les autres perSOnrlél.[':es gravitent autour de lui : quoi-
qu lil ne soit Daf: sur scène sa Y)rés'.Jnco ne SE:' fait pas moins sentir tout au
long du récit, Eh faisant allusion ?'ï. N''l'omo
l'auteur veut parler de la scien-
ce mystique d::' l'Afrique traditionnelle, Cette science
,q travers ses mani"
festations (liturp;ie
asnects o.IT'atifs et occultisme) est porteuse dans une
certain3 mesure, de 1'idi501or::ie de l' "lUt.:;,ur. Le message du romancier est clair
Ëi côté de l! lslam et du christianisme? monothéistes
il existe des reliE'ions
basées sur la croyance en plusieurs dieux. Et ces dieux
bien que contestés
par les partisans de la raison discursive, existent quand même. Ils frappent
quar.d ils sont offensés
mais soiment
cuérissent et protègent, Pour prouver
l'efficacité ct î une telle religion le roma'1cier fait recruter ses adeptEs parmi
les Noirs et meJl1C Parmi les Plancs
et cite des détails abondants de la mani~
festation de ces dieux.
Il serait aussi intérr::ssant d, (~xamjner le personnage du
fou
dans
l oeuvre romanesque do Seydou Badi.an
du moins dans Sous 1 '. orage et Le s mg
ges maf:qUl':? L auteur usp 1?: aus8:5. de la t.':chnj.quc; du reflet chère il certains
grands romanciers europc;ens et qui est la forme du roman dans le rOITlc'1n, Selon
1) Anne Uhersfelè
cité Dar Jacques Carre
Af,(.('tOnte.me.n:t. d(JÂ c.)'cu,.6e.6 e;t
CAéa-t.ion f.ilt·~Â(;r...iJIP.
.L'.nnales de lUnivc:rsité de Besançon
pagl'; 42

600
H: DioUf';
'en littérature cela prend la forme d une scène centrale dans
l'oeuvre (1)
Citallt Jlndré Gide
le critique a..i oute que c" est le procédé
0
du blason qui consiste dans le Drcmic~r à mc~ttre un second
en abîme (2)
Dans les deu..x rom-ms de Seydou Badian que nous avons cités
Kerfa
et Souley Ront traités de fous. L"auteur nous dit dc~ liun et de liautre qu1ils
fréquentent les ainés dont ils subissent par conséquent l'influence tradi-'
tionalistc
S?..DS pour autant etre fonciprcm~?nt des conservatetU"'s. Ils 8.p-"
paraissent dans des c.:;rcles intimes
t?streints R un f'Toupe ct' amis ; chambre
avec ornements, musique
cip;arfotte etc
On évoque les problèmes de la so-
0
ciété
les procos mont.?nt. On constate dans les deux oeuvres la memt:' atti··
tude de concentration
de cov,itation et l irrmohilisme pendant que le
fou'
prêche. Après son oraison
ce dernier s Yen va laissant une atmosphère lour~'
de peser sur le groupe. Au total
le fou
ne reste sur scpne qu'un batte-
ment de cils et dans Sous l'ora~e comme dans L2 Sanf, des hLqsques
l;assis-
J
tance fera semblant de condamner son 'discours,
Kerfa dars SOl.l0 l orage:
invite ses caInP.rades ,~ ne PRS vouer aux en-
fers la tradition
2 ne pas se dresser en adversaires contre les ainés
mais plutot [l, rechercher la cOPl)')ré-)hension qui débouchera sur une solution
de compromis qui arr::mgera tout Jl'> monde.
Soulcy d::ms ~~: sanp' d\\~f; mas0.ucx1
sc: dit dPfOùté de la vie dcc: débauche
de menso~e de vol
de fêberie que ffifnent les ,j eunes de la ville, prin-
ciprüement les intellectw,'ls et tous les cadres destinés à prendre la relève
du Blanc. Il dénonce av(~c véhérnenc(~ les tarr:'s
les instincts les plus camou-
fIés. tout ce que les uns et les E"tUtl',?S n osent pas s \\avouer 8 eux'mernes.
1. et 2) ~1adior Diouf
L'J C'_omro-6i.t..LoY/ 2.11 ,:Û'0t1e. drt~ :tltoM Jtoman,6 -6énéga.-
0
'
R.cU.6
in Etudes litt6ra-ires
leE Prosses de l'Université Laval décembre
1974 page 421

60!
Il eSD8re au bout du. cOITlpte
qu une prise de conscience resp:>nsable decêtte
catégorie de citoyens DOUITa faire 0viter le pire au pays dont ils seront
~rErgés de la destinée.
Chez Kerfa comme chez Souley donc
se sont des conseils de
GE'..gesse
qui sortent de leur bouche et non pas cl.es élucubrations! Sur lm ton de modé·-
ils invitent tous 2 orienter leurs jugementR et leur ~onduite. Ainsi
le caractère insoIite de ces persopnar"t:8 '?st voulu par l'auteur dont ils
sont
15 la limite les porte-narole.
En effet
Les scènes en "ah~m1c neuvent naraitre un clin d· oeil de 1;écri··
vail1 i" son lecteur et etrc é'insi diversement jugées en Darticulier comme une
forme de didactisme
(j)
f\\ travers 1(~8 discours tenus par lf":3
'fous
dans
la sCÈ'ne en al:P-op
Scydou BacHnn semble nous ('lire que ce sont 18 les modestes
conseils au i l veut persom1ellement donnpr ?; 18. jeunesse
cette jet.:ncsse
sur' laquelle ll\\frique (fJui. se cherche) r::st en droit de fonder tous les es--
pairs,
Cette modestie de l'auteur expliquerait la concision de détails sur
le personnage c1ufou
(c est un personnage dont on se sa.it rien ou presque)
comme si c"est Badian lui nent' qui se mettait en scrn8. Elle se traduit aussi
par le choix de l' épitliète peu fJ.a.tteuse qui sert 2 désigner le personnage
d;abord Kerfa
18 fou
'. Jai passe mon temrs aunr?s des v~eux. Vous mavez traité de fou parce que
je suis touj ours en cOlnrx:1p::nie des vi('uX ou des fE'DS de mon village (.2)
., Ensuite Souley .
·Tu es fou. 'J'out 1r,' monde le di t t;t c· est vrai
Oui
je suis fou. ,Te suis fier de cotte folie
f\\d1.eu!'· (3)
1) Madior Diouf
La c.ormM,u--i.oYl. '!J' aLI',t'e_ d.cic% t/wJ.A Jwman6 ~ fné~!t~i~Aj,
Op Cit. pap:€
422
2) , SOU6 f.- oll.age.
Or. Cit D8.r>;e 1hO
3) Le ~al1p deA r10.f.,qu.u
Op rit. paf,e' ?20

602
F.n fait
qui est le véritable fou
la 30ciété en voie de perdition
ou celui <lU' elle tax:c; dE: folio ~ Pômadou Gologo no disa.it· il pas dans Le
rescapé de l EthYJ-os que pOLIr pouvoir dire leur vérité aux prands de CE: monde,
il faut se f3.ire paSf,(?r pour un fou ?
Dans les romé11lS ffi.îlicns
certA.ins porsonna-res jouent en contraste a"·
vec leurs créateurs.
Naîssa
dDns l'oeuvre de Y8dJi Sangaré
n est pas le mod(~le de j eillle
fille que' l~~ romancier propose ? 80S soeurs dans la société malienne. A aucun
moment du récit
il ne prend Dosition DOur elle
au contraire il lÎaccable
de souffrances
perte de sa virginité
ç;rosscsse
mépris des f';2I'ÇOns qu'elle
voulait s6duirc ct exploiter et morne exhédération par son pÈ-rE:" C'est là
semble dir'? Yaclji SCl.!lgoré
le sort oui nttend toutes les filles qui veulent
se corrnlorter corrrne Naissa"
aussi prend ses d.istéll1ces vis' :':,'vis de son per-
sonnage
der;s J1' I?tr:mge destin de l/an8'5.n. ,si l auteur n étr lui aussi interprè--
de ;,r-'mn"'in
i l n ,':1 pas fa.it é!J? p2rti pris en
te durant l ":noque coloniale et n'me un mni nersonncl -te tajs2.l1t sur les dé-
fauts de son héros
Par 10': chatiT1lcnt suprerne qui a été celui de hfanr;rin et
merne par la :f9.çon dont il (,:,pt mort
1(," ronnncier ser1ble nous dire que Dieu
veille toujours ct tr::üt.e chélcune d(' ses crÉ'8.tures COl1'Jt1le (:;11e le mérite.
Si nous devions ?': "'r'éscnt dire euelqt.F::S mots
touch?J1t? l étude sty-
listique
nous reprendrions L: point de vue' de la plupart def; critiqw-'?s littai·'
l'es selon lcsquc.::ls lE' t::llent cl un putCUI' murit ,"vec l';hé"bitude d'écrire, Il
existe bien sUr des écrivains qui atteignsnt la mnturitf: avec leur première
oeuvre. meis ce sont des (:xcf'ptions. Nous ne; pourrons donc p8.S nous aventurer
plus loin ~i critiquer définitivement le; styl.:; des rOJmnciers maliens qui niont
donnéS- au nuhlic qu t.mc seule oeuvre, P8.;,T f\\utr2, pélr exemple Cl parlé de la qua.. ·

603
nous avons cités (1), M, Yên2 a constat0 Lme cert~ins 6volution chez SeydGu
n. d'
~ S
J
).."
;:; t-TO"::le' C'~ -'r" -,<", ('1)
~"lon lui
Clé: rom2ncier sc livre
n3. lan
CIC ~O~~-:':?'('-f,e_·
~,_:-.l__ ...,_~,.L ~~t.;.)
' . '
',,'c'
"
à une bonne recherche stylistique:.
Ou:mt 8. 1 écriture;; de Y2J'1bo OUC,lOC'J"ll·.::m
elle FI retenu l 2.ttc~ntion sourcil-
l~;use rlE".'mc de SES clétrnctcurs. Sossou Phél.t',,,ü Dzedzer tr2.ite Le d:::voir de
violence
de
div:'Wl.tionG d6c13!"'D.toires rJ un Prix Ren~udot et s'élève co:r:tre
l' 2bus de: l:1l'\\f'lce 2t la cpcit6 ct, Ouolor-;ucm lorsque ce è~rnier traite dl:) l ohis'
toire 2.fricainc. J',~2.is s'il crit iqu.~ le f'~)nd de l oeuvre; et Je sty le du rOJ11ên-
cier qu'il trouv.; ;-:mph2.tique
il r,';c,ormn.it implicitement 1,,· qU<J.litê de son
écriture" mélTh? lorsqu' il écrit que
Yambo !)uo1or'uem 1 "/2. nrirc un évid.~ont plaisir 2 décliner sur toutes
les ondes
<.'Jens les journ2ux
ses titr>:::s univGrsitélirc:s fr2nçais (3).
Yves Benat s'' nst lui 3ussi Rch2rn::--' contre Ouolop:ucl1'1 qu il tpaite
de
pl'lf'io.irc. Selon lui
le rom~n est
une ?ntholc~"ie ct' écriturCf> ,:~t une lGCture
de Gatti aussi (cr'lui du di8.1op.t!:C de l,~ prostituée avec Erice P2rëin) S'lrlS oublier
l'écho déformé de 1.:: . nép1"'flille
0U ~.?-~·d.i::C ct' un rr.::tour au pGY::; ne..t::ü dG Cesaire
de bien ct autres encore très nrob"',hl;::nent " (LI),
~bis d2DS le même tE'mps
ce critique .".voue corrme ffi':JJr:;ré lui .
fJJais je
n .entends p2G mettre ici en quest ion 1;:
qu,':'..Jit0 li tt6r2.ire
de l' Oèuvre, Ce
qui m' :importc; :,n rCNé'nche et !'1C n~:r"'~t appc12r une I11ise'lu point Ci c~st la vision
inédite de ], histcirc de 1 'f\\fric:uc (lU (ù1e prétend imposer
(c::)
:l.) I.&'. <>o.P.e.JJ
l'Jo 25!;~
Op
rit
,t1. p t
ct l.(;ttrc
r:1<1.r~c; j
2) Le Sof..cUè
N° 2e76
trt et IJi-:ttres
0r- Cit
P""['"'J
. '., ", .') "-~
I~
3) Sossou Ph,crao D?;edzer
Le~ dJ..l'1(l(P...t{,0I1.lJ C!(ic.f('r~('j~o..ute.~ ri. ,UYi PrJ..x. Fe.VL(w..do:t"
il1 L' étl!c'vi.",.nt d A6hA..que V1.oi!l.('
.Jr"llvic,:l" 1.0.6<; D:'ge lq
ln et 5) YV23 Be"10t
I.e de.\\JoJ.A ,Ir> v;'otÇ'jf'..(~c. de. ~hnho OflOla('ue.r1 ()--6/:".i.f. utl c.hen
d; oe.uvJz.e. Olt o.V((? ·"fj'J.JU(.1..c rJ.;tJ..oI1? '00
Git. \\.'::~gC' nO

604
Les noints dl" VUE' cJ ""utrcs critiques ont ét6 moins défavorables
et
:neme élcr,ieux 2 l 6P-2Td du Devoir de violence:
et de son éluteur"
Il n y ,:1 pas si lono::tC::E1JS
/ écrit Thprèscê
Eno Delinr,Cl P3rattc '/
Le :r<rm:le,'ais cultivé inb·rror:::6 StU" le littératu.,..,e d 'M'rique noire ré"
D
.
d
. l
au J eVOl.rc V1C' cree
du rlP.l:Lcn Y'1mlx, Ouologuem ~l,j outi::1t récemmi::nt tm
nom" (1)
Cette fcmrle critique n est n'1E, 1". seule r fcirc cet honm:ur 2U rcman-'
cier lTh:üien en 1(; ~Ü2c0nt sur JF ni0c1csttll R ccté des somites de lc~ litté-
rature n8pr(}2.fric~üné?
nôrn:rci S'OW,":? nous F!.PDortc lui 0.us~n un t0rnd.Q1DçrC assr:;z éloquent.
Il Écrit que
"crs du CD~zrPf) de 'Tc'ntrfal de l oflP
or[T~mis§ par les
africcmist2s Ct:'J1élc1iens i.:n collabor.'J.ticn :wec leurs hO!'1clorrucs ,3.r'!pricains
1"':
nrésid(;nce cl hormeur fut confi6: ,3 rJ~on DC~.]11.r:S
dont les oeuvres notai~·
t'ornent connus ont contribut en leur tcmns
3. liél,;'cil de la. conscL::nce nègre"
Nais ojGut;:; 12 rnp:ocrt:~ur c est Y:mbo OuC)lc:~e!'1 qui brilla. ?Jl. cours des
conférences prononcp,;s
]Jnr 1:". (1unlitl' d,-.' ses int('rvé:ntions. Il tC;rmJne en
dis8Ilt cu,,:
Ouc:'..opuem
(n sno.lys.J..nt S~'. s:îtu2.tion d '0crivain afric8.in de 10,
pênémtion m_:ntcmt,~
s étnit DJ.."!CP cl embl{;c sur le plAn univers,;l
(2) •
non seulement d~ns
le p8r~~
èoxe Clue 1I0Ufj C'VOD:J C()~st ....tf d2.n8 le2 Dr,)DCS dos différents critiques litté-
Son pcritur~è 5::ns tr':').t.ir les rÈ~idcs 0.(' };-1. s:tylistj que
e:::t unc~; innov,\\tion
dans le dorn::d.nc du rn]i18n .':.f'ric.-d.n
(' (est ~ 1': li"l'J.ite lm êTtiste nouvc:"u seT'1"
hIc nC'us dire ct. T'k~?l dp.m:' 2'". nr"r,.,c,:' ~ IL". rfvclti~ des rom"nciers nci1's
1) Thérè:::;e Enc, D,Un:,:," E:;rO.ttt:
B,[b-e,ù:rl'L1lplUe. dt.6 rtlLteU/t.6· a.61U.c!ï.iI1-6~ e.f;,
rra.lqac.heh de. lc(Y/au.e. 6Jr.anç-f'..i..f., e P"ris
on.'T' F. 1072
2) Cférnrd Tou~rts
Lu Z~CJU~vn.in6 cf C'..x.''"iju,')',~io Y! ~J[rHÇ.rr,{.A e. e.:t f.a. F/TfU';.C.,z.,
Pqris
flenoe l 191'3' p:'.gc 70

605
de Jinf!iri !\\cr.irig2.
, ". l ouvrQge du °
J ·:?une

ma len n 0 b"e °t
l
'
t"
a~uncune C8. e-
p:oric rO!'1f:y,esque h~bituollc~
son :-,rt est ém'::Ilcipé trmt en ce qui concerne la
synt3xe qne le trcwc du récit .' "(1.)
Sundpy J'nnzif
lui
vr> jusou';::. f"lin: de Devoir de violence A.lnsi
que de . The bCêl.utiful 0nc's ffi'F~ not yet Born
de .i',yi Kwcü Armôh. uno (;squis"
---_.__ __
.
.
se du nOUV'2PU rOITk?n".fri c'l.in
Deux rom".rlS ont poru
depuis 1967 /.,,1
qui fré'nchiss8nt un0 ncuveHc pt'1D(~ d'\\.ns 16volutioD de 1'1 litt~rG.ture rnrrn."'
nesque un tfrique ct r8nfDrcent encore 1:-: ccnclusion ~. 1':quelle nous:':.vions
abouti fi s?voir que le roTIV'.-..n ~fric8in s' in8(:ro d':'.lls le voie ct un DOUVe2.U reo..-·
lisme'i, (3)
Ou' iJ. fnit ohj ecté~l ou rp'llist!:
1;:: rOIDélIl ln:'l.lien nous nerrnet donc
de suivrc [j. 10. tr.....,c8 l'évolution fJocio c;Jlit ique du r~?li et 1 i évolution du
genre rOTI1c:'1I!esqt.h: éinns ce PDYS_
1) r:!
.
'T
l
--.p~....
1
.'
0-1
1


Op
COt
-:'eor~es ll,ge.
. pre.! cce él
.•:1 /!.?VO,-,~'2
(èQ.;'
Jtom(~Y1u.eJt.~ n.o-</t.6
_ ...1 v ,
?) Stmday f'nnzié
S,oc..iof.o(l,«(!. du. }tO"~r.U1 OC'lA.C-,::J.Jl
Op Cît. v'.r:e 250

".
,"
.
....«
606
CON CLUS ION


"Le romancier donne une voix 4
tout, aux ~tres comme aux chosss; il'
pr~te une ~me ~ Za mati~re, une r4aZité
à l'~me. Le roman, c'est le Pandemonium

universel,
le Diorama figitif où 8'ins~
crivent ~ la fois la vie et la survie,
le passé et l'avenir,
l'instant et
l 'Au-DfJl~".
(Pierre de Boisdeffre : Où va te romant)
PARIS; Editions Mondiales 1972; page 12.
. '"
'
"';'.~...
On dit souve~t que tel grand homme de lettres at ae
,\\
t
pens~e en Europe ou en A5ie symbolise le génie de son peuple,
auquel on donne des car~ctères spécifiques. En Afrique, cel~
paraît ble~ difficile pour la ~aison évidente que la
nation
de type ~od~rne est récente et a du mal ~ s'imposer. Cela de~,..
mande sans doute un long processus qui ne peut voir son accom-
.,
.
1 " "
plissement en une decennie ou deux. Il sera1t alor~
premature
~.
'
de vouloir dégager pour chacun des états africaIns, un génie
vraiment national. Le partage colonial rappelOn$Fl,~ a rassem-
blé une mul ti tudé,'~è peuples aux moeurs souvent h~terogènes.
Ce qui ne signifie pas que toute démarche faite dans ce sens
soit d~pourvue d'intérêt, et c'est là que notre tentative de
parler de la littérature malienne de langue fr~nçaise et plus
spécialement du roman malie~ trouve sa justifi~ation.
Nous avons essayé de montrer que la littérature d'un
li:.
peuple constitue son miroir fidèle comme le disait ~ Pie~~e
de Boisdeffre dans la citation que nous donnions de lui plus
haut. A côt~ de la littérature orale largement majoritaire en
.
.
Afrique no~e, la littétature écrite commence à jouer un rôle
nQP n~gligeable. De plus, eile~st appelée à prendre la Jremi~­
re place dans un avenîr très proche. C'est pourquoi les Afri-
cains lui accordent de plus en plus une importance capitale, en
.1 •
. ,"
~,'
....
Jp,

. -,
""-.
...,~_.:,
T
-.
-'.1 ~.,.....-
r;,.
"
.' '.....
;-;'" '. '-
"~;4~
"
ri····,.
<i;-.:,
'
,.
....
;,
l'intégrant aux programmes scolair.es.
La
littérature écrite est sollicitée pour "appol"'-
ter les réponses"
(1) à tous ceux qui sont curieux de connaî-
tre le passé africain, ses coutumes et ses moeurs ; en cela
elle est l'héritière de la littérature orale dont elle traduit'
ou transcrit les thèmes.
Il sera demandé encore à la littérature écrite de
"troubler notre conscience" (2) en abordant les angoissantes
questions que nous nous posons concernant notre sort pr~e~t
et notre avenir dans un monde sans cesse attiré vers l'ascen-
sion irrésistible, mais aussi vers les bouleversements ~:çc~-
culaires •
;•• '}.
1
..
A côté donc des dits-de griots, des écrits de Sou-
l'
danais e~ 1~gue arabe, se trouvent des ouvrages historiques,
lI"
..,.,
des essais, des contes des oeuvres appartenant à d'autres geni,
res en langue française. Nous avons dit que la poésie, le thé-
âtre, et le roman se développaient avec des for~i~. diverses.
Si les genres lyrique
et dramatique ont battu l~ me, ure dès
~.
la formation d'un~ ~lite lettrée, la littérature~anesque,

'~':~. 't
,w-.
'"
depu~s quelques t~~s, donne le ton, cependant que le septieme
art en est encore ~ ses premiers
balbut~_ments sur le conti-
nent africain.
C'est tout naturellement au roman di~c que nous· nous
sommes adressé pour tenter d'étudier l'histoire, les traditions,
l'état d'esprit, bref l'ensemble des valeurs de civilisation
d
peuple malien.
.' ..
~isi donc, en nous cantonnant au domaine littéraire,
~us avons ~etrouvé dans les romans maliens, des allusions aux
é"nements d'~rdr:'e social et politique qui se sont déroulés
dan~ ce pays appelé par les Français d'abord Haut-Sénégal et
Niger, puis Soudan, et devenu République du Mali depuis 1960.
./ .
,.. J.'
2
",( 1) et (2) Andre Gide ci té par Thomas WELONE
in De 'la n~gri­
tude dans 'la 'littérature n~gro-afriaaine ; Présence
Africaine 1962 ; page 13.



:
"""""
J,J.
..... --,,'.
"~t,~,'1;,; i,
608
""1-
~~~ .~ ,

-<.;<l'l'<ol'
Les romanciers sont remontés jusqu taux temps médiévaux,
mais
c'est à partir de la pénétration coloniale française que leurs
souvenirs deviennent plus précis. Les détails sont devenus plus
abondants en effet quand il s'est agi de parler de la conquête
coloniale èt des guerres de résist~ce livrées par leurs compa-
triotes disparus. Ils ont parlé des bouleversements soc~aux
résultant de la rencontre
Europe-Afrique.
Le tempérament
d'un auteur est fonction dl milieu
dans lequel il vit: c'est pourquoi les récriminations contre
:It'",
le colonisateur ont constitué le thème majeur dans les oeuvres
des romanciers maliens qui ont dans leur majorité vécu c~tte?
époque. Ils ont poursuiv~ leur analyse de la situation ;r~p~!~
fi
,
gnant d'abord les souffrances endurées par les Africains pen-
dant les d~ux guerres mondiales ensuitek ,montée d'un nationa-
.'~
. .
lisme queJlCques Stephen ALEXIS a décrit comme étant
"l'ex-

,
pression commode d'une revendication fondamentale de nos peu-,
ples qui veulent que soient exprimées, reconnues et célébrées
toutes les dimensions de leurs personnalités : ~i~terique, éco-
nomique, sociale, culturelle et spirituelle. Ma~' eSiientielle-
ment la dimension politique qu~ conditionne la
"'"
Itb~e~manifesta-
11
;....
tion des autres" (~à.
C'est ainsi que les romanciers maliens se sont éten-
dus sur la création des partis syndicaux et pol~\\iques et sur
.1'\\• •
le rôle qu'ont joué ces partis dans les dernie~s soubressi'U(S
qui allaient conduire au réferendum gaulliste de 1958. Les au-
teurs se sont ouvertement inscrits contre la perpétuation de la
domination française.
L'indépendance se profilait à l'horizon. Elle allait
..
bouleverser d~ nouveau les structures sociales et politiques
~ \\.
,
d~ pays. Au~~attres blancs, ont succédé à la tête des jeunes
l
~
républiques africainQs, des i.tellectuels formés dans le silla-
ge du COlonisateur, qu'on s'était uni pour combattre.
./ .
il,j
(1) Jacques Stephen ALEXIS: Condition d'un roman national chez
l
les peuples noirs:
Où va le roman ? in Présence Afri-
caine
NQ 13,
Avril-mai 1957, page 81.
1
1

..
'.'
.
..
~
--'
~
. '
.
.~ ,~~
!J:'i
609
Divergences politiques et luttes d'influence vont marquée
l'histoire du Mali. Puis au gouvernement civil va succéder un
autre, issu du "putch" militaire du 19 novembre 1968. Mais, à
partir de cet événement, les bruits de bottes dans les coulis-
ses ne cesseront plus se traduisant par des grèves ouvrières
et estudiantines, ainsi que par des tentatives de coup d'Etat
réels ou supposés.
Sur le plan économique et social, les romanciers
vont parler des difficultés nées forcément de l'apprentissage
de la souveraineté et de la prise en charge de
la destinée du
pays par ses fils. Une bonne partie de la pop~lation disent
les romanciers, s e - = d;;çue. La masse paysanne
alI Mali
~en ~ beaucoup'
.
d'abord à cause d'une tentative
malheureuse.de socialisation des secteurs de l'éco~omie. On a
assisté à.l~ création du ~ranc malien et à sa dévaluation quel-
ques années plus tard. La prédominance de l'agriculture sur les
autres secteurs de l'économie malienne, la continentalité du .
pays les rigueurs climatiques résultant de la dése~ification
(Sahara et Sahel former.t
à peu près 80% du terr1toir. du Mi"üi) ,
ajoutées au déséqui+ibre de la balance des paiements et à la
montée du cout de Ta vie, tout cela a fait dire à certains ro-
manciers maliens tels que Seydou BADIAN
et Yambo OUOLOGUEM,
que les objectifs fixés au lendemain de l'indépe~dance ont été
ratés et que les dirigeants africains, en génér,~~ont échoué •

De fait, plusieurs courants traversent la littéra-
ture romanesque malienne
Après le courant de l'ex~altation et de la réhabili-
tation des valeurs du passé africain, nous avons retrouvé dans
les romans mal~ens le thème connu
du procès de la colonisation.
A ~résent, nous venons de voir
celui de la contestation èt
de la remise en caus~ de l'in~pendance.
Nous avons signalé
que ce dernier courant n'a pas encore suscité une oeuvre roma-
nesque élaborée ma~s seulement une nouvelle et un essai ayant
.1.

"
"
6JIO
tous deux la riche substance d'un roman. Nous ne serions pas
t
surpris de voir dans les prochaines années des
oeuvres plus
étoffées de romanciers maliens en
la matière. Des auteurs
1
ont déjà jeté les bases de ce qui constitue une sorte de foyer
insurrectionnel dont l'activité, pensent-ils, est de nature à
influer sur la conscience des masses populaires.
Il existe aussi dans les romans maliens, un autre
courant que Edaly GASSAMA a défini comme étant celui de "la ré-
forme sociale visant à changer les mentalités et les co?\\porte-
ments aussi bien en ville qu'en brousse, pour am~liorer la
société (1).
C'est ainsi qu'après une analyse des oeuvres, nous
avons pu dégager les thèmes majeurs traités par les romanciers
maliens.
."
Trois auteùr~,je sont particulièrement f~eressés
au val~urs de civilisation africaine.
La société traditionnelle targuie a été examinée
par Ibrahima Mamadou OUANE.
Fatimâta, la prince~se du désert.
traite üe l'amour du terroir, de la fidélité et de l'attache-
ment aux valeurs ançestrales chez les Touareg.
Mais l'auteur du Devoir de violence s'est inscrit
en faux contre ces valeurs de civilisation. Son roman se veut

une parodie de la vaste histoire de l'Afrique nôtre; OUOLOGUEM
proteste contre tout ce qui a été dit et écrit sur ce conti-
nent encore mal connu. Il plaint le sort des Nègres colonisés
par les Européens et surtout par les Arabes. Sa nouvelle:
"Le triomphe de la ruse de l'empereur du Nakem" vient renforcer
ce sentiment.
j
Un autre auteur vient prendre le contre-pied de ce
qu'avance OUOLOGUEM. Dans Une main amie, Yoro DIAKITE sans se./ .
1
(1)
Edaly GASSAMA : "Là
littérature camérounaise d'expression
française"
in
Annales de l'Universit' de Dakar~
- Lettres nQ 5, 1975
page 60.
j
1!

\\
,,\\,'
,1',
..... ,,;.
6n
v·;.
limi ter comme OUANE à une s""ule e·thnie, se li vre à un plaidoyer
pour les valeurs culturelles africaines. Il conclut cependant
en lançant au monde entier un appel à la coexistence pacifique.
Le second grand thème dans les romans maliens est
le débat autour de la tradition et du modernisme. Examinant
les prises de position divergentes des romanciers ayant abordé
ce thème, nous avons constaté que: dans Sous l'orgage (que
Seydou BADIAN avoue être une oeuvre de jeunesse) le romancier
renvoie dos à dos, éléments conservateurs (les vieux) e\\ élé-
ments progressistes (les jeunes) de la société. Il n'y a alors
ni vainqueurs, ni vaincus dans la lutte sournoise que se li-
vrent les défenseurs des deux camps.
Dans Le sang des mas gues du même auteur,,~ous
avons

la sensation d'entendre .un cri d'alarme. BADIAN no~s#prévient
que si1hous n'y prenons pas garde, bientôt sonnera le "crépus-
cule pes moeurs anciennes';. Le romancier déplore la déperdition
des vàleurs sociales et religieuses dans une Afrique en pleine
crise de mutation.
.~,
Par la suite, il se montre plus op~imiste dans Noces
sacrées, qui est une apologie de la religion traditionnelle.
La tradition vivifiée et magnifiée, dit Seydou BADIAN est indis-
pensable à toute idée de progrès sur le continent noir. Il
conseille de ne pas tourner le dos à l'Afrique des mystères et
de la science empirique séculaires sous prétexte de progrès.
Il ne faut selon lui, prendre de la technologie européenne que
1
ce qui est adaptable aux réalités africaines.
1
Au contraire, proteste l'auteur des Inutiles, ce
sont les moeurs et les coutumes. africaines qui sont la cause
1
1
.f.
1
l

---.---,-----,-- ~ -- -'~j"if--~"""l~,-'l"""- •. -
,.....
- ,
.
6I2
-
~,
du retard technologique de l'Afrique. Siè:ki
DEMBELE plaide,
pour y rem~dier, pour une reconversion"des structures sociales
traditionnelles et des mentalit~s des Africains qui doivent
vivre avec leur siècle.
Certains auteurs se sont preocupés des problèmes sociaux
dans lesquels se débat le peuple malien.
Quelques uns d'entre eux se sont pench~s sur l~ problè-
me de l'exode rural et ont examiné les maux qu'il eniendre.
Yoro Diakit~ lui, en a fait le thème central de la première
~~
partie de son roman. L'auteur d'Une main amie a examin~ à
fond le phénomène qui gonfle nos centres urbains, entraîne le ~
,,
dhômage, multiplie les vices, etc •• Il termine, comme certains
li?
de ses confrères, en nous faisant des suggestions'~rsonnelles.
_<
, t
Mamadou Gologo, se SOUCle en premier lieu de lutte contre
l'alcoolisme et les stup~fiants. Le rescap~ de l'Ethylos peut se
r~sumer en des conseils donn~s par un ancien disciple de Bac-
chus. Il propose aussi de prendre, au nlveau national, des me-
sures de prophylaxie g~n~rale et de protection sociale.
,;
D'autres auteurs n'ont pas manqu~ d'examiner et de dis-
cuter du rôle de l'homme et de la femme dans la société.
C'est ainsi que Amadou HAMPATE
BA et Issa Baba TRAORE
ont analysé le rôle jou~ par les fonctionnaires africains du-
rant l'époque coloniale.
L'étrange destin de Wangrin depeind
un interprète excep-
tionnellement intelligent de cette époque, singulier dans son
cynisme et dans sa rancoeur quand il est confront~ aux admi-
nistrateurs coloniaux et aux parvenus africains ; singulier
aussi dans sa bonté et dans s~ mansuétude
quand il s'agit de
./ .

,'.
,",0
. )
,._:;r,
'~~fF
..'
: \\ }t'
~~i ~ )~,
6I.3
traiter avec la masse populaire
les pauvres et les oppr1-
més dt.. régime.
L'ombre du passé par contre, est un hommage à l'oèuvre
apostolique de tous les fonctionnaires africains ayant servi
durant la période coloniale et qui ont été victimes de leur
dévouement pour la cause de leur peuple.
Parmi les détracteurs, il faut citer Yadji SANGARE qui
fustige les jeunes filles aux moeurs d~cousues. NaIssa en

effet, traite du probl~me de la délinquance juvénile. Le
"*
romancier y brandit la sanction qui est, selon lU~., le
salaire de la déso~issance et de la révolte contre·l'autori-
té parentale et les valeurs sociales établies.
En retour, Femme dTAfri~nous
présente un meilleur
visage de la femme. Le romRn d'AOUA KEITA se veut une illt's-
tration de ce que peuvent les femmes du tiers-monde, dans la
lutte de libération politique de leurs pays. Sans elles, pour-
suit la romanci~re, aucun état économiquement et socialement
viable se saurait se construire.
.,~.. '
Les romanciers maliens ont également abordé le problème"
épineux de la politique nationale et africaine.
Le couteau d'or de Seydou DIARRA est un hymne à la mé-
m01re des Africains qui, dans la lutte de libération politique,
sont morts pour la patrie.
1
1
1
La campagne du général de Seydou BADIAN qui enchaïne,
'}..\\
fait l'autopsie des dictattlr~~civiles et militaires qui écra-
l
sent les peuples, un peu partout dans les républiques ind~pen­
1
dantes d'Afrique.
./ .

61"4
Yambo OUOLOGUEM, dans "La mésaventure africaine" fai.t
chorus
à BADIAN en disant que "l'Afrique n'a jamais été aussi
colonisée que lorsqu'elle se vit indépendante".
Nous avons également donné les raisons pour lesquelles
nous n'avons pas voulu suivre le critique littéraire Gaoussou
DIAWARA, qU1 fait de Fily Dabo SISSOKO le prem1er romancier
malien.
A côté de l'étude thématique, nous avons parlé des
formes du roman malien.
Concernant les techniques du récit, nous avons dit, tou-
chant aux donnés temporelles, que la plupart des romans nous
plongent en pleine époque coloniale et que dans las derniers
seulement, on sent;e passage progressif de l'état {d~ dépen-
dance totale vis-à-vis du Blanc, à celui du libre exercice
de sa souveraineté par le peuple malien.
Concernant les données spatiales, nous avons noté, dans
beaucpLp de romans maliens, le cycle vill~-village-ville ou
village-ville. C'est la civilisation européenne qui va à la
conqu~te de la tradition. Dans la plupart des romans, la pre-
mière finit par învestir la seconde. Seule,chez BADIAN on
assiste à l'effet contraire. Quelques rares romans contiennent
le cycle Europe-Afrique. Ils établissent alors une comparai-
~;
son entre les civilisations occidentale et africaine.
Nous avons aussi parlé des personnages, surtout ceux qui
sont des types et qui représentent les Africains d'hier et
d'aujourd'hui. Certains sont porteurs de l'idéologie de leurs
créateurs et à ce titre, jouent en mirQir ou en contraste avec
les romanciers~
../ .

615
Dans certains romans maliens, l'action ne comporte ?as
de développement dramatique
important. D'autres au contraire
peignent une crise aiguë et débouchent sur un dénouement
tragique.
Passant aux techniques de l'écriture, nous avons noté
des insuffisances et parfois même un relâchement de style
chez certains auteurs. En compensation; nous avons remarqué
un net progrès chez ceux des romanciers qui ont produit plus
d 'une oeuvre ; pour
.
termlner nous avons de~crl·t le phe~nom'ene
Yambo OUOLOGUEM : l'écriture chez cet auteur est remarquable.
Concernant la technique du point de vuej ~qui traite
des rapports du narrateur avec le monde et les autres ; si-
multanément des rapports des autres avec le monde et le
narrateurs" (1), nous avons signalé d~ux catégories de romans:
ceux qui sont écrits à la première personne et ceux qui le
sont à la troisième personne du singulier. L'importance de
cette distinction nous a permis de dire que lorsque le roman-
cier choisissait de raconter son histoire à travers la cons-
oience d'un narrateur, ce dernier devenait comme un "coeur
de
cristal" vibrant et rayonnant au centre de tout, comme di-
sait Victor Hugo en parlant de la mission du poète. En un mot,
l'autobiographie a tendance aU grossissement
des faits, à l ' exa-
gération ; du moins chez les romanciers maliens qui ont jus-
qu'ici adopté cette ~eefifiique~ ~~
Avec la "vision par derrière" au contraire, l'attitude
du romancier est celui d'un être omniscient, qui sait tout
et voit tout: il fait c~ défait, crée et recrée son récit à
volonté. Les points de vue développés par l'auteur sont alors
authentiques et convaincants ou bien prêtent à discussion.
Dans notre analyse des thèmes romanesques nous avons eu
.,
./ .
(1) Jean Yves TADIE
Proust et le roman;
Paris-Gallimard
1971 ; page 34.

6][6
l'occasion parfois
de donner notre propre point de vue sur
les prises de position et les témoignages des romanciers ma-
liens.
Certains de ces auteurs ont réussi à adopter la techni-
que de "la vision du dehors" ; qui est une forme dérivée des
deux précédentes mais qui contient des "retours en arrière".
Le personnage revit son passé~x.Le couteau d'or; Le sang des
masques) ou celui des autres
(ex. Le devoir de violence).
S'il nous fallait présentement nous prononcer sur l'a-
venir de la production littéraire malienne et singulièrement
celui du roman, nous dirions qu'à notre avis deux points doi-
vent être pris en considération: la quantité, puis la qua-
lité.
S'agissant du prenier point nous avons noté que, malgré
son éclosion tardive, le genre romanesque malien accuse une
certaine vitalité.
Aucun roman n'a été écrit avant le vote
de la loi à l'Assemblée Nationale française qui a aboli l'in-
digénat et "toléré" la liberté de parole. On a alors noté
dans les romans maliens, à partir de cett.~ date importante,
une sensibilité introvertie due au colonialisme. Après l'in-
dépendance, (dès les premières années) la production romanes-
que malienne s'est accélerée. La sensibilité alors extrover-
tie est à mettre au compte du nationalisme. Les romanciers
ont eu le courage de dire ce qu'on avait peur d'évoquer pen-
dant la colonisation. Les auteurs sont alors marqués par cet-
te soudaine possibilité de critiquer, offerte à tous les
Maliens.
L'euphorie de l'indépendance passée, on a noté un certain
tarissement de la production romanesque. Ce n'est pourtant
pas parce que les événements manquaient et manquent encore
.1.
1

617
aujourd'hui. Saidou BOKOUM énumère non sa~s humour quelques
sujets de réflexion : "Prenez garde mes frères ! Car elles
sont loin d'être finies ces litanies sur les champs de coton.
Ça continue encore la culture. Simplement les grains ont chan-
gé. Plantations. Chants. Y a bon Banania, y a bon café, y a
bon cacao, y a bon arachide, y a bon diamant, y a bon cobalt,
y a bon pétrole, y a bon uranium, y a bon bauxite, y ~ bon
stratégie, y a bon sècheresse, y a bon immigration, y a bon
discours présidentiels, y a bon troubles, y a bon procès, y a
bon vite, y a bon pendaisons publiques, y a bon pleurer monu-
ments aux-morts, surtout, surtout, y a bon continué comme ça :
y a bon Koopération" (1).
Pour justifier ce silence des romanC1ers dans les années
qui ont suivi l'indépendance, peut être faut-il dire comme
certains critiques, que les impératifs de développement ont
accaparé l'attention de la plupart. Fonctionnaires comme les
autres, il leur fallait travailler d'arrache-pied pour combler
la place laissée vide par le colonisateur. Il fallait assurer
la relève. Quelques écrivains, tels que Seydou BADIAN, Mamadou
GOLOGO, Amadou
Hampaté BA, ont eu à assun.er des tâches poli-
tiques écrasantes qui ne leur donnaient aucun moment de loisir
pour prendre la plume.
Il faut dire aussi que ces romanciers ont sans doute
illustré l'adage qui dit qu'on ne peut être juge et partie. Ils
ne pouvaient critiquer un système politique dans lequel ils
jouaient des rôles de premier plan. Mais il existe des thèmes
autres que les thèmes politiques
En guise de consolation, nous avons loué les efforts
de certaines maisons d'édition africaines, notamment les Edi-
tions Populaires du Mali. Elles ont permis d'insuffler une ar-
deur nouvelle à la production littéraire en général et au
.
t
~
/ .
1,
-(-l-)-S-a-ï-d-o-U-B-O-K-O-U-M---C-h-a-t-n-e-,--u-n-e-a-e-s-a-e-n-t-e-a-u-x-e-n-f-e-l"-s-;-p-a-r-i-s------ f
Denoël 1974 ; page 273.

6ID
roman en particulier. Des émules de plus en plus nombreux
des premiers romanciers ont profité de ce"ete circonstance pour
se faire publier sur place.
Même si chez ces "jeunes" auteurs on note "une constan-
te préoccupation, une volonté systématique de se démarquer de
Ireur7
univers romanesque, de prendre ~IëurT distance.
/même s'II7/laissent souvent l'impression qu'~rl~ ne veulent
pas se mouiller avec cet univers de compromis et de "fou-
tus ••• "(1), il ne reste pas moins que, quantitativement, la
production romanesque a pris de l'essor.
Sur le plan qualitatif, nous dirons aux romanC1ers,
malgré les réserves qui ont été faites, malgré les critiques
qui ont été formulées sur leur style et leur composition,
qu'ils ne se découragent pas. En effet, "il serait bien dom-
mage que les incompréhensions quelque peu tapageuses découra-
gent ces talents et sensibilités littéraires réels dont nous
pouvons raisonnablement attendre des chefs d'oeuvre"(2).
Ce qui n'est pas une exhortation à la facilité. "Nous
demandons aux romanciers de prendre une conscience exacte de
la dignité de leur art. Nous leur demandons d'être sévères
pour eux-mêmes et surtout d'être ambitieux. Qu'ils ne lais-
sent pas borner étroitement l'immense domaine qui leur appar-
tient /~.~.Celui qui n'a pas le courage de prendre le lar-
ge pour s'approfondir longuement dans la solitude créatrice
et dans le dédain absolu de tous les commentaires, celui-là
n'a pas conscience de la grandeur de sa tâche"(3).
Si ces encouragements étaient pris en considération par
les rommciers rral.iens, si les sages conseils prodiguées par les
voix autorisées que sont les critiques littéraires cités ./ .
(1) Thomas MELONE:
Mongo Beti :
l'homme et le destin;
Présence Africaine 197..
page 252.
(2) Madior DIOUF:
"Un demi-siècle de roman sénégaZais" in
L'Ouest Africaine;
Op. cit. ,page ••••
(3) Kleber HACDENS
Paradoxe sur le roman;
Op. cit. page 3.

6][9
étaient entendus, nous assisterons alors bientôt à une flo-
raison plus grande et plus belle de la production romanesque
dans ce pays.
Nous avons dit que beaucoup de romans et nouvelles
étaient sous presse ou déjà déposés chez les éditeurs. Dans
ces oeuvres nous retrouvons encore les thèmes étudiés dans
cette thèse.
Mais l'indépendance du Mali n'a ~ême pas encore deux
décennies. Son impact se fera sentir peut être plus fortement
dans les années qui viennent et sera considérable. Peut être
sera-ce en bien,peut être en mal. Un jour prochain les roman-
ciers nous le diront. Il est trop tôt pour le leur demander
sans doute, car "L'oeuvre littéraire demande du recul, un
certain "désengagement" de l'événement, un talent enfin, qui
1·•..
visent, non à restituer la réalité dans ses caractéristiques
.•
superficielles, confuses et hasardeuses, mais à en donner
l'équivalent sensible qui la restituera dans sa nature profon-
de. Cette réalité est trop vaste, trop écrasante, /7.~7 pour
que les hommes qui la vivent, en aient totalement conscience,
pour que l'expérience intime qu'ils ont prise d'elle suffise
à constituer la matière de l'oeuvre littéraire. Il faut d'a-
bord reprendre ses esprits" (1).
En plus du nombre croissant d'auteurs maliens, nous
avons signalé les efforts des maisons d'édition tendant à
encourager ces écrivains. Le gouvernement et des organismes
internationaux tel que l'UNESCO viennent épauler cette poli-
tique. Le résultat le plus immédiatement perceptible est un
essor de la production littéraire et du roman malien en par-
ticulier.
Nul dout qu'avec la critique littéraire qui s'élabore
aussi, la qualité des oeuvres viendra s'ajouter à la quantité
pour donner au Mali une place de choix dans la littérature
négro-africaine.

(1) Maurice NADEAU
Le roman français depuis ta guerre;
Op. cit. page 37.

TABLE
"DTIS! Ut.TIERES
******************
mTROL'JCTION
••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• • ];>8.ge l
Premére
partie: LE
ROl1AN
DANS
LA
LITTERATURE
MALIENNE
********************************************
A -
LE
Nali
à
lafrcisée
des
cultures: (l'héritage
reçu) page I6
a)
La li ttéra:ture
orale
traditionnelle
contes ;légondes ; épopées;
alphabétisation fonctionnelle et naissance d'une littéra-
ture oorlte en baobara;
b)
La littérature en langue arabe
•••••.........
~.go 20
-- pélerinago des enpércurs et arrivée d'érudits ct de sa-
vants arabcs ;
--l'Université Sankoré de Tombouctou: poesie; essais; ta-
rikhs; etc
c)
La littérature en langue française: .•••••.•.•••••.
pagc24
-- conqu8te colonialœ et inplantation de l'école française;
-- de
Williao
Ponty à l'école ~lienne d'aujourd'hui
B --
L'ECLOSION
DES
GENRES LITTERaIRES
(en langue française)
--------------------------------------
a) Les pionniers : traducteurs et essayistes
page 29
b)
La seconde génération: historiens, conteurs, juristes,
écononistes, ~tc
•.••.••••..•••••
page 44
c)
La poesie et le théâtre
Dodome
•••••.•••••••••••••• page 56
d)
Le reDan (son évolution)
•..•......•....•.••••
page 73
rôle des maisons d'édition française
rôle des oaisons d'édition africaines
(Présence Africaine; Bingo;CLE; N.E.A.)
~le des Editions Populaires du Mali
impact de cortains courants d'idées sur le ronan
le roman malien de I955 à nos jours
~~e partie: LES
THEMES
ROMtùŒSQUES
***************M"" •• "~.*********
A -L'évolution
soc1o- politique
du Mali dans 10 l"!="IJal] ••••••••••• page IOI
---------,-------------------------
a)
Défence et illustration du passé africain
-les grands empires ot royaunos
•• '•••••••••••• '!l8-ge 106
--exaltation
des civilisations nègres
•••••••••
page II4'
-- les grandes figures de la résistance à la
pénétration coloniale ;;; •••••••••••.••..•••• ;page I47
détails hietoncù-géographiques et ethnologiques •• p
I6I
SUasso et l' erapire du Kénl§dougou ; Badiangara ct l' en-
pire d'El hadji Onar ; Eougouni et les guerres de Sa-
mor,y;
Mopti; Baoako ; Ségou et l'Office du Niger;
.tAo 0-&-ffO'W.I ~

b)
Critique do l'action coloniale
lus privilégiés du régine
••.••••••••.•••• ; page 203
le coonandant dü eercle
le cOLIDorçant libano-syrien ; 10 éissi0nnaire ;
l~explorateur ; etc
--les auxiliaires africains de l'adninistration ••••• page
213
l'int-.prète ; le courus; le gardc-carcle;
le boy ; le cuisinior; la bonne
0) L'évolution du sort dos autres colonisés
•••••••••• page
240
les fonctionnaires "indigènes" ; le petit peu-
ple ;
le travail forcé et la conscription
la ville et le village
forna:t;inn de~ partis politiquQS et syndicaux
d)
L'indépendance
l'indépendance et sus consÉ{uences au Mali •••••• page 274
la"guerre de libération clans certail:lCs colondes ••• p
207
coups d'Etat et ,contestation des régiDos civils
et nilitaires en Afrique •••••••••••••••••••••• ~~gc 30'
B -
Autres
t . e s œjours
dans los roIJF1.ns
a)
Los civilisations africaines
la société tre.di tionnolle
••••••••••••••••••••• page 322
une parodie de l'histoire africaine: le cas
Yanbo OUOLOGUEM •••••••.•.•.•...••••.•••••••••••• page 341
pour la coexistence pacifique
•••••••••••••••••• page 307
b) Tradition et nodern@1ane
pour la traditon : dénonciation do la dégraiationde
la dot; de la prostitution ; d~ la délinquance
ju-
vénile ; do la soif do profit et de pouvoir•••• ~ •• page 400
pour 10 nodernisce : dénonciation de l'exploitation
per les nenbre de la"fanille "~t
du pro bIDe de
caste; encouragenent au travail productif •••••••• page 423
c) Autres problènes sociaux
l t exa de mm.l
Il8-ge
Ct
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
452
lutte contre l'alcoolisoe et les stupéfiants •••• page 465
hOIJIJAg"e aux fonctionnaires "indigènos·
•••••••• page
493
un interprète bien singulier
•••••••••••••• page S04
place et rêle de la ferJDü dans ln société
l'éducation de la jeune fille ••••••••••••••• l~ge
SIl
la fenne dans le circuis écononique et l~liti-
que •••••••••••••••••••••••••••••• ••••••••••• ];)a.ge 529
1
d) Personnages et idéologie des ronanciers
•••••••••••• page 597
-- personnages jouant en Diroir aveu leurs auteurs
l~rsonnages j9uant en contraste avec leurs auteurs
-
réception du roœn oalien par la critique
CONCLUSION
• •• • .. • • .. •

" • • .IlB.ge 606

1 IEXIOOE DES ECRIYfINStMALIENS lit LANGUE FRANCAISE
(~ l'extQu~ion des rananciers)
"Pdoulaye ASCOFARE
.'
Danestiquer le rêve (recueil de poèmes) Editions Populaires-
Bamako
Arœdou BA
Histo:iJte des peuples du Sahel - Editions Popu!aires- Bamako
Amadou IiPPaté BA.
';r.e Ptul et le Bozo ou le coccyx calamiteux: in Présence
~icaine 1er trimestre 1949
!"
l'
La poesie peule du ~cina' Présepee Africaine.VII - IX
mars 1950
";
J'
Culture peule'"
Présence Africaine IX et X juin- No-
vembre 1956
"
,~ L! empire Deule du MacÎl'J! (collaboration de Jean Daget)
édité ~ar l'IFAN du Soudan 1955 - Réédition ~tCl'l et Cie
1963·
Tierno Bokar" le ~a de Bandiagara (collaboration de Mar'-
cel Cardaire) Présence Africaine 1957
Koumen.t texte initiatique des pasteurs peuls (collabora-
tion de Gennaine Dieterlen) ~on - Paris- La Haye .1961
.'.
11
Kaitlara> texte initiatique des pasteurs PeUls {col1ab8ra-
tion de Lilyan Kesteloot) - Paris- Julliard 1968
Seydou Bactian
"Maoula" inspiré d'un chant soudanais (Poème ) Dakar-Lctcon_
dition Humaine 29 Mars 1949
,

"
"Prière d'un soir" (poème) Dakar'"t Condition Ilmlaine- 15
mars 1949
Présence Africaine 1963
"
Les dirigean~s africains face à leur peuple (essai) Maspé-
ro 1964
2e édition 1966
..
"
.:./~..
..:~ ...
'.\\ .,:,.~ '. . d:r~''''''~·.'~.i·,·. 10 "7
Daniel CISSE
L'épBfl!1e dans les pays en voie de développement

Diango CISSE
Structure des Malinkés de Kita
Editions Populaires- Bama-
ko
"
La. dispersion des Mandéka (collaboration de Massa Makan
Diabaté) Editions Populaires - Bamako
"
Contes et légend~s du Mali ( collaboration de Mamby Sidibé)
Editions Populaires- Bamako
"
Des sources au progr~s (étude sociologique) Editions Popu-
laires Bamako
"
Soundiata (collaboration de Mamby Sidibé) Editions Popu-
laires- Bamako
"
Géologie, Structure et évolution Editions Populaires - Ba-
mako
Joussoof CISSE
Komo
(collaboration de. Germaine Dieterlen) Editions Mouton
et Cie
'oussouf Tata CISSE
Tradition et développement rural en Afrique de l'OUest:
i
étude socio-économique de la Haute Vallée du Niger (colla-
boration d'Emile Leynaud)
Fily Dabo CISSOKO "Hl.uŒ>ur africain" Présence Africaine VIII- IX mars 195<)"
rr
"Les noirs et la culture", (1950)
"
Poèmes du terroir (recueil de poésie) La. Tour du Guet 1955

"
Sagesse noire a sentences et proverbes malinkés - La Tour
du Guet 1956
Il
Pœnes ct'Afrique noire - Debresse - 1963
"
"L'évolution de la colonisation en A.O.F."t Renaissances in
Il
"L'évolution à l'oeuvre'
1 Contenporaine-
1 Documents d'A-
I frique noire et
1~e Madagascar
13ème annêe Sept-
IOCtobre 1964
F,i.ly Dabo CrSSOKO
Crayons et portraits -r.tùhouse Inprimerie de 1 '~on 1953
"Une page est tournée" Dakar Impri.m:?rie A. Diop
1959 (Sé-
rie "Voix perdues")
2è série ''Voix sans échos") 1960
La. savane rouge Avignon - Les Presses Universelles 1962

Sékéné Mody CrSSOKO
Documents d'Histoire de l'Ouest Africain- Présen-
ce Africaine 1965
"
Histoire de l'Afrique Occidentale Présencê Africaine
-
.. .
1967
"
Histoire de l'Afrique (Cours rvbyen) Présence Africaine
1973
"
Histoire dü Sénégal (Cours Elémentaire) Collaboration
de Tamsir Ba) Dakar- Nouvelles EditioI1S Africaines
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Mon gâteau ct' hœme pauvre ( recueil de poésie) Editions Populaires
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Editions Populaires Bamako 1970
Je ae puis pas ~dre
il<tItions Populaires Bamako 1976
Issa Baba 'l'RAORE
Koumi Diossé
Editions Populêüres - Bamako 1962
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classe de 4è ann~._ ( Œ2)
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Cheminement d'un jeune africain et d'une Euro-
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Mlle Diop (Sira) Cette enfant-là
Gologo (Mamadou) : Un fils de Karabali
Kanté (Anadou) Gagny : Deux jours. d'~yi:.e
N'Dia8e (Bokar) Kadia
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Les fétiches ne parleront plus
ft
ReJ oins ta terre natale
Ta!'lC1.i.na (Hamadoum) Mariâm Goundan
Traoré- {lBsa BabaJ Quand la drogue s'en rrêle
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C§!p sur le bonheur
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Où la désobéissance devient un devoir

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Camara (Laye)
L'enfant noir - Paris - Pl~n 1953.
- Camara (Laye)
Le regard du roi - Paris - Plon 1954.
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(Aimé) : Cahier d.'unretour au pays natal; Pr§sence
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Vivre le Président - Paris - Albin Michel 1968.
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Armand Colin - 2° eG1 10n revue e
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- Niane (Djibril Tamsir) : Soundiata ou l'épopée mandingue; Préser:
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- Racine (Jean) Britannicus - Editions Bordas 1965.
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Senghor (Léopold) : "Prière l'lUX masques" in Chants d'Ombre
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-
Ha!dara (Saouti) : "Mali
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~~,J ~.' ~ i'.w..Af(;D .;.,.tJ~~ /t? ''''
- ~C~) ,2~ -~.~~g...~
,
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~Cfl.k) :"(. ~a..~-"".J'.-f.wv-~ ,r>KVIIJt/)lI}( ~
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