UNIVERSITÉ JEAN MOULIN
(LYON III)
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CONSeil AFRICAlN H MALGACHE \\
POUR 1:ENSEiGNEMENT. SU?t:RlEUR \\
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Le thème de la vie
dans la culture africaine
ou
LA PHILOSOPHIE VITALISTE
NEGRO-AFRICAINE
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de Doctorat de 3e cycle
présentée devant la Faculté de Philosophie
par
Editions ~'HERtv\\È5
31 rl1~ Pèsteur 69007 LYOi'·J

- 4 -
A ma f errnne :
"Eerrnne nue, femme n01re
Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qU1 est beauté
Femme nue, femme noire
Je chante ta beauté qui passe, forme que Je fixe dans l'Eternel".
L.-S. SENGHOR:
Chants d'ombre.
éd. du seuil, 1945.
A la mémoire de
t Blê~on,
ma fille qui, "cormne une fleur" ...
t GUIBADO KOUEYOU Mathurin,
mon "plus-que-frère".
t TROH BAILLY Sévérin
mon intime.
"Ceux qui sont morts ne sont jamais partis
... Les mor te vne sont pas morts"..
birago DIOP
in L.-S. SENGHOR
Anth~logie de la nouvelle
poésie nègre et malgache.
Paris, P.U.F.
1948, p.
144

- 5
REMERe 1Er~ENTS
Qu'il me soit perm~s d'exprimer d'abord ma profonde grati-
tude à Monsieur le Professeur BOURGEOIS, qui a accepté de diriger ma
thèse. et qui ne cessera de m'étonner en me conseillant même de choisir
un sujet portant sur la pensée africaine - chose rare, il est vrai _.
s~ l'on se réfère au préjugé qui consiste à se Gemander avec ironie
quel profit l'on pourrait bien tirer de la culture africaine.
Je me sens auss~ très obligé envers Monsieur le Professeur
DAGOGNE~ à qui je dois d'avoir été admis dans la bibliothèque de l'Uni-
versité d'Abidjan, et ce, au plus fort de mes difficultés dans les
recherches bibliographiques.
Je remerc~e également. non mo~ns sincèrement d'ailleurs,
Monsieur Harris MEMEL-FOre pour ses conseils donnés lors de mon séjour
à Abidjan, ma~s surtout pour sa "foi" dans la pensée africaine, éveil-
lant ainsi mon intérêt pour celle-ci.
Je dois ensuite des remerciements au personnel de la biblio-
thèque des Oeuvres Pontificales Missionnaires de Lyon, en particulier
à Madame la Documentaliste en Chef de cette institution
et à tous
ceux, enfin, qui m'ont aidé dans mon travail de quelque manière que ce
fut, car,
"Que suis-je et que pU1.-S-Je sans les autres ?
En arrivant j'étais dans leurs mains;
En m'en allant je serais encore dans Leux-e mains".
dicton Peul
(Sénégal).

lllTRODUCT ION
PROLEGor1ENES
ET
POSITION DU PROBLEME
.

- 7 -
. ;
PROLÉGOMÈNES
'~ucune race ne possède le monopole
de l' inte II ùqenoe ",
Aimé CESAIRE
Cahier d'un retour au pays
natal. Paris (1939), 1956, p.85
Peut-on parler de philosophie négro-africaine? Pour beaucoup,
.. la question est choquante. Le problème réel semb l e r a i t bien plutôt
de savoir si la mentalité du Nègre, prélogique ou en tout cas étrangè-
re au concept et à l'abstraction, pourra jamais accéder à la philoso-
phie. La philosophie négro-africaine serait alors un non-sens, une con-
tradictio in termis, l'invasion du rationalisme d'un Socrate, d'un
Descartes, d'un Hegel, d'un Marx, par cette mentalité primitive dont
parle Lévy-Brühl. Le royaume de la philosophie, de la pensée sous sa
forme la plus haute, resterait définitivement interdit aux Négro-Afri-
- c ai.n s , Ainsi. s'est. ancré dans les esp.r i.t s un préj ugé qui fait que le
Négro-Africain qu~ veut parler philosophie est considéré comme se me-
lant de ce qui ne le regarde pas.
Or, si la raison est universelle, selon Descrates lui-même,
si elle a toujours existé, mais pas sous la même forme, selon Marx lui-
même, si la partagent les hommes de toutes les classes sociales comme
le démontre Socrate lui-même dans le Menon, ou les hommes de toutes les
cultures comme l'atteste Lévy-Brühl, dans ses Carnets, si comme l'affir-
me Hegel lui-même, la raison se retrouve dans toutes les instances de

- 8 -
la culture, meille le religion, alors l'entreprise peut et dait être ten-
tée de la découverte de la philosophie négra-africaine ; si toutefois
elle n'existe déjà.
Mais l'Afrique n'a pas cessé de nous étonner; c'est comme s~
elle avait vite fait de dépasser le stade des tentatives dans sa "quê-
te philosophique". En effet, la plupart des Universités africaines ont
institué un nouvel enseignement: l'enseignement de la philosophie
africaine.
L'histoire des philosophies, - c'est un truisme aujourd'hui -,
est, davantage que l'histoire d~s systèmes et des penseurs, l'histoire
des sociétés, porteuses de ces penseurs et inspiratrices de ces systè-
mes. L'institution du nouve~ enseignement de la philosophie africaine
n'a pas d'autre fondement. Quelle est la légitimité d'un tel enseigne-
ment?
Dans l'Afrique contemporaine, cette institution est un pas
dans un mouvement général de recherche et d'enseignement, - mouvement
d'autodétermination -, d'ailléurs annoncé de manière prophétique par le
Docteur NKRUMAH, lorsqu'il montrait comment, par l'effet du colonialis-
me, i'étudiant africain "dont l'enracinement dans sa société naturelle
était systématiquement sapé, était initié à l'histoire grecque et ro-
maine, aux origines de l'Europe moderne, et poussé à estimer que ce
chapitre de l'histoire universelle est, avec la suite de l'histoire
européenne, le seul digne d'intérêt", il évoquait par la même occasion
Ce moment où "l'histoire de l'Afrique pourra guider et inspirer l'action
des Africains".
(1)
Il y a, en effet, une école bantu, née des travaux du Révé-
-rend Père Placide TEMPELS et qui connaît une floraison aujourd'hui au
Rwanda, au Zaire (ancien Congo belge), au Cameroun, avec pour symbole
l'Abbé Alexis KAGAME.
(1) - NKRU~H (Kwamé), Le Consciencisme, Payot, Paris, 1965, p. 15s.

- 9 -
Il Y a une école du Bénin, issue des études futthropologiques
d:~ Léo FROBENIUS, des études de développement dahoméen et nigerian et
dont Adebayo ADESANYA peut être retenu comme représentant.
Il Y a une école mandingue, liée aux r-echerches fameuses des
professeurs Marcel GRIAULE, Madame DIETERLEN, Madame PAUL~Œ, Dominique
ZAHAN, Louis-Vincent THOMAS et dont le symbole reste le sage Amadou
Hampaté BÂ.
Il Y a une école akan , animée par des chercheurs comme
Kodjo ABRAHMS du Ghana.
Le nouvel enseignement radicalise une triple révolution dé-
clenchée par l'orientation africaine de la recherche universitaire, en
sociologie, en géographie, en histoire, en littérature, en linguitique,
pour ne citer que les disciplines des Facultés des Lettres et Sciences
Humaines.
Révolution dans l'objet. A côté d'objets abstraits:
l'Europe, l'Amérique, l'Asie, un objet concret :. l'Afrique. Ce n'est
pas le déplacement sur un objet purement et simplement substitué, c'est
de l'horizon sur un objet élarg{. Plutôt qu'un provincialisme culturel,
·la perspective anthropologique et humaniste.
Révolution dans la méthode. D'abord au plan zététique. De mê-
me que le griot malinké et le rhéteur sénoufo, agni, bété ou baoulé
peuvent venir fournir mati~re i des travaux pratiques d'histoire, ou de
linguistique africaine, de même le vieux sage pourra, de vive voix, in-
troduire les jeunes chercheurs i
la pensée de son peuple et répondre à
leurs questions sur la condition humaine.
Mais, dans la montée de cette nouvelle force culturelle ou
plutôt, en nous humiliant au niveau de cette force vive, ce n'est pas
seulement notre pédagogie traditionnelle qui est subvertie, c'est aus-
si la vieillè relation enseignant-enseignë qui est démystifiée. La le-
çon du penseur vivant et le dialogue avec lui initient les étudiants à
la recherche sur le terrain, et dégagent le vrai rôle de l'enseignant

-
10 -
en philosophie: chercheur lui-c~me, interprête des maîtres lointains,
coéquipier des étudiants.
Car, au fond, il y a révolution dans les principes. En effet,
la r€volution
dans l'objet, pr~cipit~e par l'av~nement de la nation,
est une manière de révolution copernicienne où les jeunes Africains re-
couvrent, en même temps que la personnalité culturelle de l'Afrique,
leur centre d'initiative historique et de créativité. La révolution
dans la méthode développe la démocratisation de la recherche et du sa-
voir scientifiques et applique la dialectique de la relation d'ensei-
gnement. Quand l'Araignée voulut transporter au ciel toute la connais-
sance du monde dans une hotte sur le ventre, il ne put grimper qu'une
fois la hotte mise au dos selon le conseil~fils. Car, dit Kùffi
-
_ .
.6\\~~'-\\jf.~ .
Konan Aw"RONDO de la Cote d' rvo i r e , "le ~eillard ~'hS~eI.gne à l'enfant,
et l'enfant au"i en,eigne au Vieilla~~ ~~~
\\0 \\~) J:~
Dans le fait, cette censée F~~oluti.on est ~étitablement, pour
,/,"
~;'0"'J!
les Africains, vue de l'intérieur, épous~~lÎès av~e
e mouvement natu-
-/gnement
.
rel de leur culture, une culture, où généralëment,
et ceci est vraI.
des sociétés à Etat comme des sociétés sans Etat - le peuple ensemble
crée ses connaissances, ses arts et ses techniques, ensemble accède aux
vérités initiatiques et, où, dans le roulement, les générations, toute
l'existence durant, reçoivent, en même temps qu'elles donnent et vivent,
la culture.
Cet état de choses, l'enseignement de la philosophie afri-
caine le radicalise en ce qu'il réexplicite la justification théori-
que et pratique de la recherche.
D'un point de vue théorique, cette recherche est légitime
pour deux raisons.
- La première, d'ordre épistémologique: il n'est pas d'autre or1.-
gine de la connaissance que le sujet. Mais, fait sociologique, le su-
jet absolu, c'est la communauté culturelte, condition de la pensée et
de la personnalité individuelles, et qui garde par rapport à chaque
membre un primat ontologique.

-
Il -
r'Ç,ue S"U..&s·-,Je, d§·;eloppe un dicton, et que puis-je sans Les QL<tY'es ,
en atnri.oant , j'itais dans leurs mains; en m'en allant .je ee rcn..';i
eneoY'e dans Leur-s mains".
,\\
......
••USS1..
!J1.en, la conna1.ssance de la société et de la culture
africaine~ condition de notre existence humaine et de notre connais-
sance des choses, est-elle une nécessité naturelle. Mais cette nécessi-
té s'impose comme un impératif catégorique à qui ne veut pas être mys-
tifié et mystificateur: aux paysans, aux littéraires (juristes. his-
toriens, philosophes), mais aussi aux physiciens et mathématiciens.
ces spécialites par excellence de l'universel.
Socrate enseignait, oraculaire et impératif : "Gnôthi seautôn.
connais-toi. toi-même". Les Bambara apportent une justification à cette
connaissance de soi : "Quiconque ne se connaît pas a nem : "Meurtrier
de soi-mêmel!. Quand on sait quelle fut, à l'époque moderne, l'Odyssée
des peuples et des cultures. ~ègres. on rendra cette justice que la con-
naissance de soi, pour les jeunes générations. est mieux que régénéra-
trice, elle est salvatrice.
La seconde raison qui légitime cette recherche, elle, est de
nature a tologique. D'une part. conformément à la mission de toute Uni-
versité, la connaissance,
déjà ancienne et originaire des autres Cl.-
vilisations, principalement de la civilisation européenne, continue,
intensive et extensive, jusqu'à englober, un jour, les civilisations
peu connues, ici, les civilisations arabes et les civilisations asiati-
ques. D'autre part, dans la connaissance de la société et de la culture
africaines. comme il en va de tout particulier, nous accédons à l'uni-
versel, sous sa forme scientifique (aux lois sociologiques) ou sous sa
forme philosophique (aux problèmes généraux de la condition humaine.)
Culture de la sociologie et de l'histoire d'Afrique, cultu-
re des langues Africai~es, voilà, pour la philosophie, les conditions
sine qua non, les moyens de la recherche et de l'enseignement.

-
12 -
Mflis, m~eux que la théorie, c'est la pratique qui légitime
cette recherche africaniste: c'est la vie. Cette légitimation s'entend
. surtout au sens sociologique et historique. Quand partout, dans l~ mon-
de contemporain, on rappelle la fonction sociale des Universités,c'est
d'elle qu'il s'agit. Quand dans les pays dits sous-développés, en par-
ticulier l'Afrique, on précise que l'Université n'est pas une fin en
soi mais un moyen humain, que la fin de l'Université est hors d'elle,
dans la société qui l'a inventée par besoin, la société dont elle est
une modalité culturelle d'existence, une expression, la fonction cogni-
tive et réflexive, une société qui l'entretient de ses ressources, qui
la remplit de jeunes gens, boulimiques de savoir, une .société qu'elle
alimente, en retour, en hommes de savoir et de savoir-faire, c'est
d'elle qu'il s'agit.
Serait-ce une mort de la recherche que cette conciliation
obligée de la théori~ et de la pratique'? La recherche appliquée reste
immortelle comme recherche tant que l'application reste fille de la re-
cherche. La recherche y trouve ses droits, en vérifiant ses hypothèses
et en imposant son utilité théorique dans la culture af r i.c a i ne , Ses
erreurs constituent alors, dans la pratiques, des déchets de ta vie.
Mais, si, aux expériences de riziculture et de greffe de
coeur, d'électrification et d'humanisation de la lune, de planification
économique et sociale, si on voit bien l'inaltérable utilité de la bio-
logie, des sciences physico-mathématiques et des sciences humaines,
celle de la philosophie traditionnelle reste obscure, si n'étaient les
postes d'enseignement où les futures professeurs de philosophie afri-
cains iront gagner la vie de leurs familles.
Ce n'est n~ le lieu, ni le moment, de chercher une légitima-
tion à la philosophie en général, cette aiscipline, qu'on répute cultu-
re de l'indépendance d'esprit, culture iconoc1aste, régicide et déici-
de, école d'anarchie et de contestation.
D'un point de vu.e économique, la plldilosophie africaine a l'u-
tilité d'un auxiliaire des sc~ences humaines. Par l'étude des systèmes

- 13 -
métaphysiques et moraux et la salSle des modèles d'humanité que ceux-ci
recèlent, elle contribue à la connaissance des idées, des croyances,
des attitudes, bref des idéologies, qui constituent pour les projets de
développement des freins ou des accélérateurs. Par là, dans cette sal-
son du monde, où l'Afrique est à la fois fébrile de se libérer et de
progresser et soucieuse de préserver sa sanLé et ses trésors, elle con-
court à la définition de pédagogies nouvelles, économiques de temps,
d'argent, d'arbitraires et de morts, qui paraissent utiles aux techni-
ciens de la transformation sociale.
Pourtant, le problème de la recherche et de l'enseignement de
la philosophie africaine traditionnelle n'est pas d'abord un problème
pratique. Pour..: le che rcheur ; i lr es t, d"erltrée,'oun problème théorique.
La théorie du Nyama (la vie) 'la nous offrir maintenant la ma-
tière pour introduire la légitimation d'une pensée philosophique dans
la culture négro-africaine.

-
14 -
POSITION DU PROBLÈME
Deux raLsons commandent l'examen de la notion de V1e
une
ra1son théorique et une raison idéologique.
a) Raison théorique
D'abord. la ra1son théorique. La notion de V1e occupe une
place importante dans la conscience collective des Africains et dans
la littérature relative à l'Afrique. Il est donc légitime de réfléchir
sur la question pour l'élucider.
b) Raison idéologique
Ensuite. la ra1son idéologique. Il est d'autant plus néces-
sa1re de situer théoriquement que l'Afrique n'est pas la seule à pro-
duire une théorie sur la vie.
A l'époque moderne l'Europe a développé une théorie de la V1e
à caractère biologique. une idéologie de la vie à des fins ~olitiques ;
cette idéologie c'est le racisme. On a coutume de la rattacher au déve-
loppement de la biologie.
Or. une telle idéologie qU1 porte préjudice à l'humanité
tout homme voudrait y voir clair. On peut voir dans l'attitude des pen-
seurs européens un motif de se rassurer : les ethnologues ont reconnu

-
15 -
cette idéologie. Mais il faut lier ~ette attitude au contexte histori-
que et considérer les choses du point de vue du devenir.
-"L',anthropologies'est épanouie par le. f a.i t ide l'autonomie de
la SC1ence dans un contexte tout de même colonial, dans lequel l'Afri-
que fttait sous tutelle, réifiée, vidée de toutes ses substances sous le
rapport de la science ou de la politique, parce que, simplement et de
façon gratuite d'ailleurs, "des Blancs s'estiment supérieurs aux Noirs",
l'expression est de Franz FAJ.'lüN. Ce préjugé raciste n'est pas fondé en
dépit des démonstrations quasi-savantes apportées par les "racistolo-
gues", - si nous pouvons nous permettre ce néologisme pour désigner
"les maîtres· en racisme" - parfois à grand renfort d'érudition.
Le préjugé raciste'est justifié sur des arguments, tantôt
"racistes", tantôt purement culturels. Le préjugé de supériorité cultu-
relle ne résiste pas à l'analyse parce que fondé sur aucune base soli-
de. En effet, il n'existe aucun étalon de valeur universelle au moyen
duquel il serait possible de juger qualitativement une culture : cha-
cune devrait être jugée en fonction de ses propres échelles de valeurs,
supérieure à toutes les autres, tant il est vrai que "Vérité au deçà
des Pyrénées, erreur au-delà".
Il en est de même des arguments purement "racistes". Nous
leur reconnaissons toutefois un caractère plus subtil. Ils sont le plus
souvent inconscients ; on les trouve chez des personnes absolument 1n-
demmes de préjugés en la matière. Ils se dissimulent volontiers sous
l'apparence de la bonne volonté, des conseils non sollicités, de l'at-
titude protectrice de l'éducateur. On les retrouve tous dans ce seul
langage connue pour dire: "Je suis le Seigneur ... Et tu feras ceci ... "
Tel est le langage de l'officier, ma1S aussi de l'industriel, du com-
merçant, du fermier, du touriste, du chasseur de grands fauves, et,
plus, malencontreusement encore, de l'explorateur des continents inté-
rieurs, l'homme de culture, lorsqu'il se penche sur d'autres conceptions
que la sienne. Il leur faut à tout prix parler comme s'ils devaient
choisir entre exploiter l'Afrique ou la sa~ver. Ils vont et viennent
d'un bout à l'autre du continent, baptisant au nom du Père, au nom de

-
16 -
la Civilisation, au nom d~ l'Economie, au nom de la Démocratie. au nom
du Co=unisme.
L'intéressé, c'est-à-dire l'Africain, on se garde de lui de-
mander son avis ! Liberté? Egalité des droits? Oui - mais lorsque
vous baptisez ainsi au nom du Père, au nom de la Civilisation, au nom
de l'Economie, au nom de la Démocratie, au nom du Communisme - c'est
presque toujours en fonction de votre profession de foi. Car tous ces
dieux sont les enfants d'un même père, celui qui dit: "Je suis le Sei-
gneur ... Et tu feras ceci ... "
On fait des plans, on élabore des programmes, on écrit des
livres - on règle ce qU1 doit être le de s t i.n de l'Afrique. Mais on ou-
blie la plupart du temps les Africains dans l'affaire. Presque tous les
auteurs qui one touché à'ce sujet écrivent, parlent, font des prévi-
sions, et disposent du sort des principaux intéressés, car ils pensent
"Je suis le Seigneur ... Et tu feras ceci ••. "
''Et c'est i ci. une véritable mm Lui-ion copernicienne qu'il faut
imposer" écrit Aimé CESAIRE, "tant est enracinée en Europe , et
dans tous les partie , et dans to~ les domai.,nes, de l 'extrê~e­
droi-te à l'extrême-gauche, L 'hobi t ude de fa1.-re pou» nous, L ha-
bitude de disposer pour nous, l'habitude
~ ~en~~r .P~W: .nous, .
bref
l'habitude de nous contester le dxai t: a l1.-n1.-t1..aT;1.-Vequt-
est, ~en définitive, le droit à la personnalité" (2)
Sans nous arroger pour le m01ns le droit de l'avocat de la
haine. nous constatons seulement que, si l'on fait exception des gar-
diens professionnels des intérêts privés, il
~ntre
dans cet état
de choses davantage d'ignorance que de mauvaise volonté. Nous nous som-
mes quelque peu étendu sur le préjugé raciste pour n'en montrer sim-
plement que son caractère banal.
D'ailleurs, force nous est de constater que cette Afrique est
en voie de dér~ification, comme nous le soulignions tout au début :
elle manifeste ses initiatives dans tous les aomaines, tant dans le do-
maine politique que celui de la pensée théorique. Et c'est bien
{2} ~ CESAIRE (Aimé), Lettre à Maurice THOREZ, Paris, 1956, p. 12. s

-
17 -
précisement dans ce nouveau contexte qu'il paraît urgent que s'instau-
re uni réflexion sur la vie. La connaissance d'une part et la politi-
que d'autre part justifient toute r~flexion sur la vie.
~Je l'idée de V12 ait une piace importante dans la pensée et
la culture africaines, c'est là ùn lieu commun aujourd'hui. D'abord,
l'anthropologie culturelle en t~moigne. Dans ce cadre, cette idée présen-
te trois dimensions. Elle est générale, très ancienne et permanente.
Le premier foyer où l'anthropologie culturelle a m1S en évi-
dence cette notion, c'est le foyer bantu. En 1945, dans son ouvrage
"La philosophie bantoue" le Ré.vérend Père TEMPELS émet l'hypothèse que
la force vitale est non seulement fondamentale à la pensée baluba,
mais encore à toutes les cultures apparentées à la pensée bantu (Les
Bantu se composent des populations de l'Afrique centrale, australe et
orientale).
Cette hypothèse devait se trouver vérifiée par les chercheurs
postérieurs. En 1955, lors d'une soutenance de thèse vincent MULAGO
confirme cette hypothèse en ce qui concerne les Bashi, Banyarwanda et
Barundi. En 1957, Jacqueline ROUMEGUERE-EBERHARDT dans les "Cahiers de
l'Homme", la vérifie également chez les Bantu
du Sud-Africain, c'est-
à-dire, les Venda, les Tsonga, les Sotho et les Zulu. Huit ans plus
tard, dans "Un Humanisme africain" Dominique NOTHOMB confirme les vues
de MULAGO en approfondissant la notion chez les Rwandais.
Le deuxième foyer c'est le foyer soudanien. En 1948, Marcel
GRIAULE dans la série d'entretiens avec le vieil aveugle OGOTOMMELI dé-
voile cette notion dans la culture dogon. En 1951, Madame DIETERLEN
opère la même reconnaissance chez les Bambara. De son côté, Louis-
Vincent THOMAS atteste également l'importance de la notion chez les
Dio1a de basse Casamance ; il en fait le rapprochement avec la pensée
baluba et la pensée dogon.
Plus loin, dans le nouveau Monde le Professeur Melville
HERSKOVITS observe que les idées de Tempels se retrouvent non seulement

-
18 -
dans les cultures du Golfe de Guinée, ma~s encore et surtout dans ~es
cultures des Noirs BU Brêsil et â Haiti.
Enfin, une artiste américaine de race noire, Maya DEREN dans
"Dieux vivants de Haiti" (Divine Horsemen), argumentera en faveur de
la thèse du Professeur HERSKOVITS.
On voit donc~qùè cette notion est assez étendue dans les cul-
tures négra-africaines.
Outre son universalité, cette idée parait très ancienne puis-
qu'elle se retrouve même dans la civilisation de l'Egypte ancienne. A
la parution de l'ouvrage de Tempels, l'~gyptologue Jean CAPART soutint
que la notion de vie donne à la civilisation égyptienne toute sa valeur.
Plus tard, Cheick Anta DIOP témoignera de la même parenté dans son ou-
vrage d'érudition '~ntériorité des civilisations n~gres : mythe ou réa-
lité historique 7"
Enfin cette notion est permanente. On la retrouve chez les
modernes. La littérature néo-africaine porte témoignage de cette per-
manence dans la poésie, le roman, le conte, etc ... Par ailleurs tous
les arts modernes en témoignent de façon éclatante (l'Afrique considé~
rant les arts comme une littérature orale comme nous nous attacherons
à le montrer ultérieurement).
On peut donc se poser les questions suivantes pour une no-
tion aussi importante :
- Quel est son contenu 7
Quel est son champ d'application 7
Quelle est la signification de la notion dans le système de
pensée où elle occupe une place cardinale 7
Ces trois questions renvoient aux trois articulations de no-
tre étude. D'après la logique de nos prolégomènes, force nous sera, à
terme, de dégager de la théorie ce qu'elle contient d'universel au
sens où Lévi-Strauss constitue l'anthropologie.

-
19 -
Au terme de cette introduction, il nous 52mble indispensable
d'~claircir le problème linguistique afférent à cette étude. Comme il
s'agit de la pensée africaine, et non d'une variété de la philosophi ..
européenne, il serait évidemment "périlleux" de couler cette pensée
dans le moule du vo c abu l air e philosophique européen. Aussi u r i I iserons-
nous abondamment du vocabulaire des langues africaines pour mieux ex-
primer les concepts qui diffèrent de ceux des langues européennes. Mais
nous en donnerons toujours l'explication approximative en français
(ces concepts étant souvent riches lorsqu'ils sont placés dans leur con-
texte d'origine).
En outre, l'orthographe de la plupart de ces termes est pho-
nétique. Par exemple, Muntu-au lieu de Mountou, Rwanda au lieu de
Rouanda, lulu au lieu de Zoulou. La plupart de ces noms restent inva-
riables au pluriel, exception faite des mots dont le pluriel donne
lieu à un autre terme; c'est le cas de Muntu dont le pluriel change
complètement et qUl est Bantu, de même' que le pluriel de Kintu donne
Bintu (les choses), etc ..•
Le langage n'est-il pas fait pour nous aider à nous compren-
dre ? Les mots qui composent les phrases doivent alors avoir un sens
précis accessible à tous. Sinon, comment serait-il possible d'oeuvrer
à la compréhension de la pensée africaine par des non-Africains si cette
pensée est strictement développée dans les langues africaines ? Ces
remarques étant faites, il devient alors loisible d'entamer cette étu-
de de la pensée africaine.

.A LA RECHERCHE
DE LA NOTION DE VIE·

- 21 -
CHAPITRE l
APPROCHE DE LA NOTION DE VIE
'~a vie est un terme biologique
mais d'usage métaphysique 1/.
Harris MEMEL-FOrE :
Discours à la rentrée solen~elle
de l'Université d'Abidjan, le
Il nov. 69.
L'idée de "vie" est à la base d'une littérature abondante,
V01re amplifiée et orchestrée à tel point qu'on ne parle plus de "né-
gritude" ou "d'africanité" ou de culture africaine sans aV01r à évo-
quer constamment le mot "vie".
Or il se fait que dans les langues et la mentalité européen-
nes le concept de "vie" est un des plus vagues, des plus imprécis du
vocabulaire. Il est appliqué à des réalités si différentes que l'ana-
logie y est difficilement discernable. Ainsi, on parle de "vie écono-
mique", de "vie intellectuelle", de "vie pleine" ou de "vie chère", de
la "vie des affaires" comme de la "vie de l'âme", de la "vie de Picasso"
et de celle des atomes ...· Une classe est vivante, mais une peinture
aussi, un récit, une conversation, ou une plante, un poisson; un en-
fant ... On éduque "dans la vie, pour la vie et par la vie", on "gagne
sa vie", on aime la "vie dure", on s'exclame, soupirant ou exultant,
"ça c'est la vie !" ... et chaque fois il s'agit d'autre chose. Alors
la notion d.e "vie" devient un fourre-tout, et en faire l'explication
de la pensée africaine c'est ne plus rien expl~quer aux esprits occi-
dentaux et verser dans l'équivoque ou le bavardage.

- 22 -
Si l'on veut saV01r à quoi s'en tenir. force est de se sou-
iJlettre à une analyse serrée du concept de vie. Pour ce qUi. concerne la
pensée occidentale, le dénominateur commun de tous les usaJes les plus
divers du mot "vie" est l'idée de mouvement: vit a est in motu, dit le
vieil adage.
Mais pour l'Afrique. que signifie le mot?
Pour le savoir, nous l'étudierons dans deux de ses cultures
la cul-
ture Rwandaise et la culture Adioukrou (Côte d'Ivoire). C'est un pro-
blème de connaissance, car nous nous sommes volontairement limités à
ces deux exemples, faute de beaucoup de documents. Du rapprochement de
ces deux cultures, nous retiendrons les idées connexes de la V1e.
AI CULTURE RWANDAISE
Du point de vue historique ce sont principalement les cher-
cheurs de l'Afrique centrale et australe qui nous apportent les pre-
miers des indications sur cette notion. et notamment dans leur cul tu-
Ore Rwandaise.
Dans celle-ci trois termes traduisent la notion de V1e : ce
sont UBUZIMA, UBUGINGO et fu~GARA. On pourrait ajouter un quatrième en
prenant le verbe KUBAHO dans sa forme substantive : UKUBAHO. Mais il
ne désigne pas directement la vie, mais l'existence. l "'être-là". Or
dans la langue rwandaise le concept "vivre" et le concept "exister" ne
c01ncident pas. C'est si vra1 qu'il y a des êtres qui existent vrai-
ment sans être vivants. C'est l'exemple d'une pierre dont on peut di-
re qu'elle existe mais qu'elle ne vit pas. C'est la même chose pour
ceux qui ont perdu ce que les Rwandais appellent la vie. ou qui ne
'l:'ont pas, a l.c r s vmême. qu'ils agissent et se tneuven t -: les défunts.
I l Y a d'autres verbes qU1 expriment l'idée de vivre, mais
chaque fois avec des nuances qui empêchent de les utiliser indifférem-
ment. Ainsi KURAMEA et KU~~ qui désignent une longue étendue, que ce
soit dans la durée (vivre longtemps) ou dans l'espace. Egalement
(GUTUNGWA), qui se t r adu i t parfois par "vivre" mais alors dans le sens

- 23 -
"d'être soutenu dans son exister de vivant", C'est ce raot qu'il faut
employer, par e xernp l.e , dans l'ex,?ression: "l'honnne vit: de pain". Il
ne. s'agit dOLC pas des termes propres que nous cherchons et nous ne
retiendrons donc que les trois premiers termes, savoir, UBUZlMA,
UBUGINO et Al.V.AGARA.
a) Notian d 'UBUZ niA .
D'abord, UBUZL~. C'est un concept essentiellement zoologi-
que, c'est-à-dire. qu'il ne. s'applique pas aux végétaux. Les arbres ou
les herbes ne possèdent pas l'UBUZI~1A : ils sont là, ils existent;
mais on ne peut pas dire qu'ils "vivent". Si l'on veut distinguer, par
exemple, un végétal que l'occidental appelle "vivant" d'un végétal
qu'il appelle "mort", il fa~t utiliser d'autres catégories que celles
de vie: celle de viridité, de sécheresse, de croissance. Un arbre ver-
dit, pousse, il ne. IIv i t " pas, bien qu'il "existe". Mais l'arbre "mort",
lui aussi, "est-là" : on dira qu'il est sec.
C'est une exclusion ontologique en ce sens que le concept ne
s'applique pas non plus aux défunts. Ce sont desBAZlMU : l'UBUZlMA les
a quittés. Ce sont des "êtres privés de vie", mais ils existent, ils
"sont là".
Par contre, les animaux et les hommes, aussi longtemps qu'ils
ne sont pas morts, possèdent l'UBUZIMA et peuvent être qualifiés de
- ZI~1A. Mais alors, en quoi consiste exactement cet UBUZlMA ? L'Abbé
KAGAME en définit ainsi le sens: "l'union de l'âme animale avec le
corps" (3), la dissolution de cette union constituant la mort.
L'UBUZlMA est donc un principe agissant qui décrit comment la vie se
réalise dans l'ordre biologique en général: possède l'UBUZlMA, l'être
corporel aussi longtemps qu'il respire, qu'il est animé par un souffle
intérieur. Supprimez soit le corps, soit le souffle, et vous enlevez
la possibilité de posséder l'UBUZlMA.
(3) -
Abbë Alexis KAGAME, dans "La Phi loeophie Bantu-R1Jandaise de
1:, "être" éd. Académie Roya le des Sciinces Co Lorii a les, Classe des
Sciences Morales et Politiques, Bruxelles, 1956, p.
163.

- 24 -
Dominique NOTHOMB ajoute meme qll2 l'UBUZIHA coneot2 "l'idée
de bonheur, de joie, de prospérité, d'épanouissement".
(4)
b) Notion d'UBUGINGO
---_.
Quant au second substantif UBUGINGO, c'est un concept histo-
rique .. UBUGINGO veut dire "à l'instant". ;. les' MAGINGO (pluriel de UBU-
GINGO) sont les "moments", les "laps de temps", et l'UBUGINGO désigne
une longue vie, de "nombreux jours". Monsieur l'Abbé KAGMŒ définit ce
concept: "la durée de l'union de l'âme animale avec le corps, ou l'é-
vitement du trépas".
(5)
Les mêmes restrictions sont à faire que pour UBUZlMA. Ni les Bazimu (dé-
funts). ni les végétaux n'ont d'UBUGINGO.
c) Notion d'AMAGARA
Il reste un troisième terme : AMAGARA. Le mot est suscepti-
ble de deux sens distincts. D'abord. il désigne la force physique, l'é-
nergie. l'embonpoint; en somrn~ une modalité d'être. C'est un concept
anthropozoologique : il s'applique aux hommes comme aux animaux. C'est
là le sens large de la notion d'AMAGARA.
Mais au sens strict, c'est une certaine vie qUl ne peut se
retrouver que chez les howmes. Il s'agirait alors de "l'union vitale du
corps avec une âme qui a l'intelligence" (6), s'il faut en crOlre Mon-
Sleur l'Abbé KAGAME. Dans ce cas, on peut dire que AMAGARA est un con-
cept de spécification : ni les végétaux, ni les animaux, ni les bazimu
ne possèdent AMAGARA. C'est uniquement l'homme qui en jouit.
(4)
Dominique NOTHOMB dans "Un humanisme africain". Valeurs et pier-
res d'attente, Bruxelles, Lumen Vitae, 1965, p. 62
'. (5)
KAGAME op. cit. p. 182
(6)
KAGAME, op. cit. p. 208

- 25 -
Lequel homme possède une. double un i o n vitalisante : celle d'UBUZIMA,
~
7 -
. . ,
ave c
Laille an i ma ie
(ou "ombre") donc le signe
est le souffle ; et celle ci' AI1ACAR."- qui es t l'union du corps avec un
principe vital "non-nommé" contenant l'intelligence.
L'UBUGINGO de l'homme est la durée de ces deux unions vita-
lisantes. Dès que la mort intervient, la double unIon est dissoute et
cesse instantanément l'UBUGINGO. Au moment du trépas, le principe "non-
nonnné"qui contient.l'intelligence reçoit un nom,
celui de HUZlMU auquel
on ne peut attribuer ni UBUZlMA, ni UBUGINGO, mais qui cependant con-
tinue à "exister", "être-là" à sa manière non vivante. On ne peut nier
cependant que le second sens d'AMAGARA rebondit sur le premier et que
AMAGARA propre aux honnnes leur confère cette vigueur et ce contentement
physique inscrits dans le premier sens du mot.
NOTHOMB essaie de synthétiser toutes ces vues lorsqu'il écrit
'~a vie est donc une réalité intérieure à l'animal et surtout à l'hom-
me, palpable dans le souffle, inviscérée dans le corps et soutenue par
la nourriture qu'absorbe celui-ci, réalité qui apporte bonheur et force
qui permet de traverser la durée du temps et d'éviter le trépas
pos-
sédée personnellement mais reçue par génération, elle doit être trans-
mise par procréation". (7)
Ainsi plusieurs éléments interviennent dans l'approche du
mot vie. Il y a d'abord un support matériel de la vie: le corps. La
vie est définie aussi dans sa structure : le souffle. Un troisième élé-
ment en constitue sa source : la nourriture. Le quatrième élément en
est sa conséquence: la force et le bonheur. Enfin, son dernier élément
en demeure le fondement, c'est-à-dire, la génération et la procréation.
En fait, la notion de vie s'étend au domaine biozoologique .
. ('l)
-
NOTHOMB~ p. 64

- 26 -
B! CULTURE ADIOUKH.oU
Dans la culture Adioukrou, plusieurs notions désignent la v~e,
savoir, ~~~) OWR et ~.
~rn désigne l'être en général. Il s'applique à tous les êtres
vivants.
OWR qu~ connote auss~ la v~e, désigne plus l'idee de nouveaU-
té ou de fraîcheur.
Enfin, ~ désigne plus particulièrement la face, le visage.
Il a davantage rapport avec -L" humani té.
Comme on peut le percevo~r, il s'agit davantage ici de con-
cepts descriptifs que plus élaborés. L'être vivant, en effet, est un
être qui a un visage ou une face fraîche (ou neuve).
Cependant, nous remarquons que ces concepts s'appliquent non
seulement aux humains et animaux, mais aussi aux plantes. Dans les deux
derniers cas, il s'agira bien sûr d'expressions symboliques, quand on
sait l'importance de la symbolique dans la pensée négra-africaine (sym-
bolique que nous ne manquerons pas d'étudier d'ailleurs).
Ainsi, comme dans la culture Rwandaise, la notion de v~e de-
meure ici un concept biologique, qui est en rapport donc, avec la zoo-
logie, la botanique et l'anthropologie.
cl LES IDEES CONNEXES DE LA VIE
Dans le cadre du rapprochement de la culture Adioukrou et de
la culture Rwandaise, nous mentionnerons pour l'heure, de façon empi-
rique, les notions connexes de la vie telles que les a synthétisées
Dominique NOTHOMB pour en dégage~ leurs sens généraux ; ce sont les no-
tions d'homme, de sexe, de fécondité, de génération et de mort.
'>,

- 27 -
a) Notion ci "homme
D'abord, la notion d'homme. La notion d'homme s'opère par rap-
port à la notion d'animal. L'homme c'est l'être doué d'intelligence,
mai.s d' une i.ntell i genee particulière) théorique, rationnelle.
Pour faire la distinction entre l'intelligence de l'homme et
l'intelligence de l'animal, les Rwandais disent: "l'animal connaît
l'intelligence (Kumenya ubwenge)". Dans cette expression la fonction ap-
paraît comme un objet, et une fonction est située en dehors de l'être.
Cette situation donne à la fonction un sens particulier : UBWENGE dési-
gnant alors l'habileté.
Dans le cas de l'homme, on dira qu'il est l'intelligence. La
fonction apparaît comme une propriété interne, comme un instrument de
connaissance. Monsieur l'Abbé KAGk~ remarque qu'un certain nombre de
fonctions spécialisées sont attribuées à la fois aux animaux et aux
hommes:
ce sont avoir la propension, choisir, désirer, chercher et se
rappeler. Mais il en est trois autres qu~ ne sont jamais appliquées aux
animaux: la réflexion, la comparaison et l'invention qui sont spécifi-
ques à l'homme.
En somme, l'intelligence de l'animal apparaît comme une at-
tribution métaphorique. C'est un certain type de comportement de l'ani-
mal qui ressemble au même comportement de l'homme. Ce comportement in-
telligent de l'animal s'exerce essentiellement sur des objets concrets,
c'est-à-dire, accessibles aux sens.
L'homme au contraire dépasse le cadre c~ncret et exerce son
intelligence sur des objets abstraits. On peut dire alors que l'intel-
ligence de l'animal est une intelligence pratique alors que l'intelli-
gence de l'homme est théorique .
.,

- 28 -
Il Y a une. seconde. d t e rmi na t i ou de l' homme, c'est le nOID.
é
e/est un concept impo, tant parce que le nom est inséparable de l'être
dans. la pensée négra-africaine. Par le nom les êtres absents subsistent
ils continuent l'existence par l'attribution de leur nom: c'est la
théorie cie la réincarnation. Celui qui porte le nom participe d'un grou-
pe générique, homonywe dont la racine remonte très loin dans le passé.
La troisième détermination peut être dite "sociale". L'hom-
me exerce, en effet, une fonction dans l'économie du monde: soit cul-
turelle, soit politique, soit religieuse.
La quatrième détermination est psychologique. L'homme est
doué de volonté; il choisit, agit avec raison, assume une responsabi-
lité qui s'attache à son nom.
b) Notion de sexe
Quant à la notion de sexe, elle est plus générale que la no-
tion d'homme. Dans tout règne vivant, il y a une dualité spécifique:
homme-femme, mâle-femelle. Cette notion de dualité sert pour la çom-
préhension de la cosmologie.
c) Notion de fécondité
Elle peut être définie comme la capacité, l'aptitude qu'a l'ê-
tre sexué de se multiplier et d'entretenir la vie. L'être incapablè,
inerte à cette multiplication est stérile: il n'a pas une dimension
temporelle, le futur.
d) Notion de génération
La notion de génération se réfère à la réalisation pratique,
à l'application. Engendrer, c'est mettre au monde conformément au pro-
cessus vital, surtout chez les animaux. Ce pr~cessus, c'est l'accouple-
ment d'où résulte la conception qui se termine par la na~ssance.

-
29 -
e) Notion de mort
L'être vivant est un êt~e historique, délimité dans le temps:
tI naît, se-développe et meurt.
La notion de Vle apparaît donc essentiellement comme un ter-
me biologique.
Ainsi s'achève l'expression ~omme toute empirique de ces no-
tions connexes de.la vi.e et-qui? seront-indisperrs.ables-pour-l'intelli-_
--gence
du text e.
Après cette recherche terminologique, la question se pose de
savoir s'il n'existe pas d'autres cultures où la notion de vie requiert
-urie-: acception p Lus . large, .vo ir-e uué taphysique.

- 30 -
CHAPITRE II
L'ONTOLOGIE DE LA NOTION DE VIE
Certes, la notion de V1e est un concept biologique ma1S d'u-
sage métaphysique que nous qualifions ici d' "ontologique" car, il
,
.
l
- l'''~
"d
. -
s agi.t pour nous de. toucher a ors a
etre
e cette no t i.on a travers
d'autres cultures. Deux cultures consacrent cet usage : la culture ban-
tu et la culture dogon. Tels sont les deux exemples que nous examine-
rons successivement.
AI L'ONTOLOGIE BANTU
L'ontologie bantu comporte à son tour deux systèmes: le sys-
tème du Révérend Père Tempels et le système de Monsieur l'Abbé KAGfu~.
L'un est mystificateur, l'autre plus concret et plus élaboré.
a) Le système mystificateur de Tempels
Le père Tempels part du postulat que tout comportement hu-
main repose sur un système de principes. Aussi fait-il remarquer que,
de même qu'en Europe, la souffrance et la mort ramènent à l'ultime mo-
ment bien des égarés à la traàitionnelle sagesse chrétienne, de même,"
selon lui, bien, des Bantu "évolués" retournent à leurs comportements
anciens chaque fois qu'ils sont sous l'emprise des ennuis ou de la
souffrance. Pour lui, cet exemple montre 4ue ce qui fonde un système
logique n'est autre que la permanence des attitudes à travers des siè-
cles, car le comportement ne peut être universel pour tous, ni perma-
nent dans le temps, s'il n'y a à sa base un ensemble d'idées,

- 31 -
une philosophie complète de l'univers, de l'homme et des choses environ-
nantes. S'agissant des Banc.u, ies ?ratiques coutumières ne trouvent
d'explication satisfaisante que dans la présence d' "un système philo-
sophique. relativement simple et primitif, dérivé d'une ontologie cohé-
r errt e ". En quoi consiste donc cette ontologie ?
Elle est bien sûr, vitaliste puisqu'elle repose sur la force
vitale. ce "principe unique" seul connu des Bantu :
"Tl est dans La. bouche des Noi.re , écrit Tempels, des mots C[U1.- re-
iri ennent: sans cesse. Ce sont ceux qui expriment les supnémee va-
leurs. Tl e sont comme des »ax-iai.ione eùr un Lei imotrui qui se re-
trouve dans leur langage~ leur pensée et dans td~s leurs faits
et gestes. Cette valeur supT'ême est la force~ vivre fort, ou for-
ce vitale" (8)
La force n'est pas pour eux une réalité adventice, accidentel-
le ; elle est plus qu'un attribut de l'être, bref l'être s'identifie à
la force: IfL'être est la force, la force c'est l'être." (9) C'est par-
ce que tout est force, et n'est qu'en tant .que force. que cette catégo-
rie force embrasse nécessairement tous les êtres : Dieu. les hommes v~­
vants et trépassés, les animaux, les plantes et les minéraux.
En outre. entre ces êtres-forces existent diverses connex~ons
régies par des lois générales dites de causalité vitale et qui s'expri-
ment ainsi
/11° - L "homme (vivant ou trépassé) peut directement renforcer un
autre horrune dans son être.
- La force vitale humaine peut influencer directement dans
leur être même des forces inférieures (animaux~ végétaux ou
minéraux).
.
JO - Un être raisonnable peut agir indirectement sur un autre rai-
sonnable par l'intermédiaiT'e d'une force inférieure (animal~
végétal ou minéral.) ", (JO)
(8)
R.P. TEMPELS (Placide), La Philosophie Bantoue~ Lovania~ 1945~p. 27
(9)
TEMPELS op. cit. p. J2
(10) - TEMPÈLS op. cit. pp 20-21

- 32 -
Ainsi cette ontologie se trouv~ systémaci5~e autour de l'idée
de force vitale et des notions connexes de hiérarchie et d'influence
vi tales, intui tians somme toute justes mais dont l'arrière-fond n'en
demeure pas moins équivoque; ou ce qui revi2nt à dire la même chose
le système et les Lntentioûs de Tempe~s ne coincident pas lCl.
N'est-il pas cu r i e ux , en effet, de constater, que cette "pen-
sée" q ui. pèse sur les Bantu connue un "atavisme", les meut comme "une
force déterminante" - l'expression est de Tempels lui-Œ~me - domine et
oriente enfin leur comportement, n'affleure pas dans Le- langage de ces
sujets parlants.
"Nous ne prétendons certes pas que les Bantous soient à même de
nous présenter un traité de phi Losophi e exposé dans un vocabulai-
re adéquat. C'est à nous qu'il appartient d'en faire le déoel-œr-
pement: systématique. C'est nous qici: pourrons leur dire d'une fa-
çon p ré ciee çsquel.Le est leur conception intime des êtres ...
" (la)
Tel est le paradoxe: ce système est entièrement inconscient
et s'exprime en un vocabulaire inadéquat et sans cohérance ! Comment ma-
nifestera-t-il celle-ci, même en ce langage absolu que l'observateur -
en l'occurrence le Père Tempels - croit détenir? Il n'y a pas de mé-
diation de l'un à l'autre. L'effort du Père Tempels se définit alors
comme une transposition déficiente, puisqu'elle veut exprimer l'inex-
primable à soi-même. Elle sera discours sur l'ineffable, redoublement
d'une "conception" qui par nature ne peut se déployer, s'expliquer elle-
même. Bref, de la pensée bantu à la compréhension qu'en a Tempels, il
n'existe aucun intermédiaire objectif, aucune médiation intellectuelle
qui nous garantisse la validité de sa démarche. Nous ne savons et nous
ne pouvons savo~r s~ la pensée mythique, par exeœ~le, signifie quelque
chose pour lui. Elle peut devenir telle que s'il descend de sa pos~­
tian surplombante, situé qu'il est dans le royaume de cette connais-
sance inaccessible aux Bantu. Le Bantu est donc muet et Tem~els dis-
court : voilà la mystification!
(10) - TEMPELS op.
ci t: pp 20-21

-
33 -
Qu'est-ce à d i re s i non que , vue sous cet angle, l'oncologie
b an t u 2S t incii f f r en
é
te aux 02.ntu ~ux-même.s. La réali ré e.s t; 52.U l emen t
"bonne à manger" (Lévi-Strauss) et non à pensee et à dire. Le Bantu
de Tempels est un être aliéné au regard de la raison. Le concept chez
lui n'est pas parvenu au LI!êwe degré de rati onal i t ê
que chez le "civi-
lisé". Ce qUl revient à dire que, a contrario, Tempels en conclut à la
primitivité de la pensée b an t u, Et de fait, il en est ainsi. La "philo-
sophie bantoue" est le simple fruit de l'imagination de ces primitifs,
un simple "phantasme" en quelque sorte - l'expression étant encore de
lui -, et qui ne tient pas du point de vue purement rationnel.
A pelne émergés du néant, ces "malheureux honnnes" ne sont-ils
bons qu'à la rééducation. En-effet, "la philosophie bantoue" s'adresse
d'abord aux coloniaux, juges, administrateurs (11). Ils ont charge
d'honnnes, ils ont une réelle "mission civilisatrice". Or, ce qui est en
crise après la deuxième Guerre Mondiale, c'est cette action de civili-
sation. Cette crise est décrite en termes d'ébranlement, de perte d'o-
rientation :
"Nous perdons la piste : comment faire à présent pOUX' conduire nos
Noirs.? (12)
Comme on le voi t, Tempels "cogi te" dans le cadre de la géogra-
phie coloniale. Sa théorie est née de l'inqui~tude pour l'échec é~entuel
de la IDlSSlon civilisatrice et se met au service de cette cause. Comme
il le déclare sans ambages, il veut "corriger, trier ce qui possède une
vrale valeur puisse servir immédiatement à l'éducation et à la civilisa-
tion de ces primitifs".
(13) C'est ici que se dévoile le présupposé fon-
damental de la pensée de Tempels, celui qui fonde et justifie la mission
civilisatrice. Vue sous cet angle, la soi-disant "philosophie bantoue"
n'est en dernière analyse qu'une véritable idéologie de l'impérialisme
occidental, du IDDlns elle se situe dans son sillage.
(11)
Tempe Le op. ci:t: p.
142
(12)
Tempe la p. 137
(13)
Tempe Le p.
139
'.;

- 34 -
Cependant, reconnaissons un mérite au Père Temp eLs meme. si.
ses intentions one quelque peu vici~ son projet, celui d'avoir rêveil-
I l , les Bantu en particulier et les Africains en gênêral, de leur
"sommeil dogmatique". Contrairement à sa révendication de la paternité
de ce système ontologique - qu'on lui. concède seulement oou r sa mi s e
en forme dans une langue étrangère à la Langue b an t u - ce système n'en
demeure pas moins l'oeuvre des Bantu eux-mêmes. L'erreur de Ternpels fut
de croire qu'il tendrait en un miroir quelque peu "magique" toute l'ima-
ge future et passée des Bantu dans 500 ontologie.I'Car, enfin, de qui
pouvaient-ils attendre l' "être", s i non d'eux-mêmes ?ll
On alléguerait peut-être que, n'ayant pas d'écriture (14),
comment est-ce que leurs "phantasmes" pourraient-ils se muer en systè-
mes de pensée cohérent? Cette réplique serait elle-même sujette à
caution, car, comme l'affirme le sage peul Tierno BOKAR : "L'écriture
est une chose et le saV01r en est une autre. L'écriture est la photo-
graphie du savoir, mais elle n'est pas le savoir lui-même. Le savoir
est une lumière qui est en l'homme. Il est l'héritage de tout ce que
les ancêtres ont pu connaître et qu'ils ont transmis en germe, tout
comme le baobab est contenu en puissance dans sa graine" (15). L'écri-
ture n'est donc pas la marque du savoir: elle n'est pas une fin mais
seulement .un moyen parmi d'autres d'accêder au savoir. L'écriture,
quels qu'en soient les nombreux bienfaits, n'actualise pas nécessaire-
ment un acc~s à un niveau supérieur de la connaissance..· La littérature
grecque n'a-t-e1le pas produit ses plus grands chefs-d'oeuvre, l'Iliade
et 1'Odysée, à une époque 8 à 9 siècles avant notre ère, où la parole
dominait largement l'écriture. Et Jésus? et Socrate? qu'ont-ils écrit?
(]4)
-
cf chapitre : "Champ cœtistique"
et paragraphe "2 0 " z: Musique
Outre le tambour (tam-tam), forme d'écriture universelle dans
toute L.'Afrique, s-i qnalone l'existence de certains systèmes;'de
transcription : symbo les ns ibi di des Ibo (Nigeria), alphabei:e
vai (Sierra Leone), bamun (Cameroun), mende, toma, guerze (Li-
beria, Guinée) ;
traductions en graphismes cœahes des récits
halp ularen (Peul du Eutœ-Irial lon en .Guùnée ; du Macina, au Ma-
l i ;
du Futa Toro au Sénégal).
(15) .-
BOKAR (Tierno), in "Pratern i té-Matin" quotidien d' In fo Y'TTIat ion
de la Côte d'Ivoire, en date du 28 septembre 19?1 dans sa ru-
brique des arts, p.
8 ,

- 35 -
Et pourtant on les considère comme des so~~ités de la pensée universel-
le. Et c'est ainSi qu'un vieux chasseur devenu aveugle â la suite d'un
accident, le "sage" Ogotommêli, fit appeler auprès de lui le Professeur
français Marcel GRIAULE en octobre 1946 (la date ici a son importance
puisque l'évènement en question se s i cue J. la même époque de la pub li-
cation de l'ouvrage du Père Tempels) et Lui exposa, au cours de conver--
sations qui durèrent 33 jours, le système du monde, la métaphysique des
Dogon :
"lbi systèrœ du monde dont la connaieean ce bouleversa de fond en.
comble les idÉes reçues concernant la treni.al.i té noire comme la
menbal.i té pi-imi t i ve en qéné ral.",
(lô)
Ogotommêli n'eut pas besoin qu'un démiurge l'introduisît au faîte de
ses connaissances, fût-il ur Tempels, avant d'exposer son savoir de
.:-façon systématique, dans un~ langue poétique et imagée; l'ethnologue
n'eut .besoin que, d'écrire sous sa dictée et de traduire en français
les ~extes ainsi recueillis.
Ainsi le déniement de la ra1son aux gantu par Tempels se
trouve définitivement réfuté. L'ontologie vitaliste bantu n'est qu'en
fait leur système de pensée. Dès qu'il y a conscience, l'image du mon-
de qui était objet de croyance, d'intuition et d'expérience vécue, se
transforme en philosophie."Toute chose a sa philosophie" écrit Friedell,
"plus exactement: toute chose est philosophie. La tâche de l'homme
esc de rechercher l'idée qui se trouve cachée dans chaque fait, de
poursuivre dans chaque fait la pensée dont il n'esc qu'une simple for-
me." (17) Et de fait, l'image du monde des Bantu est celle de la vie
perçue comme une "force vitale",
Cette "intuition", Tempels a beau la dénier aux Bantu, il n'en
demeure pas moins qu'elle reste vivace dans leur esprit. Et c'est l'un
des leurs, l'Abbé Alexis KAGAME, parce que lui-même d'origine Bantu -
mais ô ironie du sort! c'est aussi un prêtre} -"depuis Melchisédech",
(16)
- .GRIAULE (Marcel-), Dieu d'eau. Paris, 1948 p. 9
(17)
FRIEDELL (Egon), Kul-turgeschichte der Neuzeit, MUnchen, 1946,
vol: 1 p. J

-
36 -
de la Tr s Haute et Loyale E:g lise de Rome, tout l'phantasme" se trou-
ê
vant ainsi 2xclu de son 2laboëation du système bantu, puisque par
profession et donc par "p r i nc i p e " il se trouve être au service de la
"Vérité" au même titre que 'î emp e Ls lui-même - qui s'attachera à le
démontrer. l'étude de lè philosophie occidentale l'ayant préparé à ana-
lyser scientifiquement le système conceptuel dont il a ét~ pétri de-
puis le berceau.
b) Le système de KAGAME
KAGAME part d'une analyse linguistique. Il étudie la séman-
tique et la morphologie de sa langue maternelle, le Kinyarwanda. Corrr
me toutes les langues Bantu~ ce l Le-rci est une langue à "classes",
c'est-à-dire que les êtres y sont répartis en une classe pour les
êtres humains et les êtres animés de vie - parmi lesquels les arbres -
en une autre pour les animaux, en d' aut res encore pour les liquides,
les lieux, les abstractions, etc .•• et non entre genres masculin, fé-
minin ou neutre, comme dans les langues sémitiques ou indo-européennes.
L'indice formel caractéristique de chaque "classe" est cons-
titué par un son ou groupe de sons qui précède la racine du mot, indi-
ce que KAGAI1E préfère appeler "déterminatif" plutôt que "préfixe" cour
me chez les grammairiens. Car. selon lui, un préfixe, au sens courant.
peut être séparé de la racine qu'il affecte sans que le mot perde né-
cessai rement tout sens, contrairement aux langues Ban t u où. une r a c i.ne
nue - c'est-à-dire un mot formé sans déterminatif - n'apparaît jamais
comme telle dans le discours.

-
37 -
K...~GAJ-iE d êriotnb re -3l.nSl
Il
classes
singulie r:.
OlUl .21
- ' - - -
1ère cl. u-mu-n t u =: 1 'homme
a-ba-ntu
(1es-)
2e
cl. u-mu-horo
la serpe tte
i-mi-horo
(1es-)
Je
cl. u-· u-tügu
l'épaule
i-n-tügu
(1es- )
4e
cl. l- n-ka
=:
la vache
I-n-ka
(1es- )
Se
cl. i
- buye
le caillou
a-ma-buye
(les-)
6e
cl. i-gi-ti =: l'arbre
i-bi-ti
(1es- )
7e
cl. u-iku-r gur u
la j ambe
a-rna-guru
(1es-)
8e
cl. u-bü-shyo
le troupeau
u-bii-is hyo
(les-)
ge
cl. a-ka-buye = le- pe t i t cai llou
u-tu-buye
(1es- )
lOe
cl. u-ru-gabo
1 'homme gigantesque
i -bi-gabo
(1es- )
Il e
cl. a-ha-ntu =: le lieu
Cependant KAGfu~ ne retiendra que 4 concepts fondamentaux pour
mettre en évidence son ontologie :
- MUNTU
Etre humain (p l. Bantu).
2 - KIN TU
la chose
(p l. Bintu).
3
HAN TU
lieu et temps.
4 - KUN TU
la modalité.
Muncu, Kintu, Hantu et Kuntu sont les 4 catégories de l'on-
tologie bantu. Tout "étant", toute essence, sous quelque forme qu'elle
se présente, peut se ranger dans une de ces catégories. En dehors
d'elles, il n'y a que l'impensable.
Comme il Y a Il "classes" dans la langue de KAGAt'1E, les dé-
terminatifs-ne correspondent pas nécessairement à l'appartenance à
une de ces catégories, mais tous les mots, quelle que soit leur clas-
s e ç se laissent ranger dans l'une de celles-ci. Ainsi "MUHANGA" (lettré')
appartient à la première classe et à la catégorie Muntu (être humain),
"RUHfu'J'GA" (front) à la troisième classe et à la catégorie Kintu (la
chose), "MAHANtilill (pays étranger) à la cinquième classe et à la caté-
gorie Hantu (lieu), "BUHANGA Il (conn ai s s an ce spécialisée) à la huitième
classe et à la catégorie Kuntu (la modalité).

-
38 -
Tout "étant", b i en (].u'il do i.ve ob l i g at oi r-crne n t ap p a r t eni r à
une de ces 4 catégories, n'est c.2~èndéint pas pe ns
avec le .s t at ut, de
ê
substance. L'homme est une force, les choses sont des forces. L'homme
et la femme (catégorie Muntu)
le chien et la pierre (catégorie Kintu),
l'Est et l'hier (catégorie Hant u) ,
la beauté et le rire (catégorie
Kuntu) sont des forces et, comme telles, apparentées entre elles. La
parenté entre ces forces s'exprime sémantiquement par l'élément radi-
cal commun "NTU" qui apparaît après le déterminatif spécifique dans
les termes désignant chacune des catégories fondamentales.
NTU est la force universelle en tant que telle. Sémantique-
ment parlant, NTU est une forme radicale et ne se présente jamais
dans le discours en dehors de ses soécifications concrètes Muntu,
Kintu, Hantu et Kuntu. NTU, c'est donc l'être même, la force cosmique
universelle, que seule la pensée moderne a voulu abstraire de ses ma-
nifestations phénoménales. NTD est la force au sein de laquelle l'être
et l'étant coincident. NTU fait penser àce "point lointain" à l'ori-
gine de la création auquel aspirait Paul KLEE:
"Je cherche un point Loi.nt.ai.n, à l'origine de la cré ation , où je
preeeene iune [oxmul.e unique .pour L'honme,
Lt ani.mal.,
la p lant:e,
-Le [eu; t'air et toutes Lee fOY'ces qui nous ent-ourent:",
(18)
NTU est ce que Muntu, Kintu, Hantu et Kuntu sont en commun.
NTD ne désigne pas cependant l'action de ces forces, mais leur être.
Elles agissent sans cesse, continûment. Il faudrait que la vie s'arrê-
tât pour que NTD se révèle en dehors de toute détermination concrète.
Mais que recouvrent donc ces catégories fondamentales ?
-
Muntu.
D'abord Muntu. Au sens strict, Muntu signifie "être humain"
Outre les vivants, le concept s'étend aussi aux morts et à Dieu, si
bien qu'au sens large, il faudrait bien p l ucô t le traduire par "une for-
ce douée d'intelligence", mieux une "force à laquelle appartient la
UB) -. KLEE (PauL) j
Second manifeste du surréalisme. Ed, du Sagittai-·
Y'e ~ 1930.

-
39 -
me t ri s e GU Ve rbe " ..
î
- Kintu
Ensuite Kintu. Kintu désigne les forces qui ne peuvent
agir de leur propre œo uveme n t et D'entrent en ac t i on que par l'inter-
vention d'un Muntu (un être vivant, un défunt ou Dieu).' Dans cette ca-
tégorie entrent les animaux, les plantes, les minéraux, les outils,
les objets utilitaires qui sont des Bintu (pl. de Kintu). Tous les
Bintu sont dépourvus de volonté propre; tout au plus sont-ils animés
d'une impulsion venant de l'Etre créateur. Les Bintu sont donc des
forces "figées" qui sont-à la disposition du Muntu. Il n'y-a d'excep-
tion que pour certains arbres qui, tel le Poteau-Mitan du Vaudou, sont
considérés comme le "chemin des Dieux". C'est qu'en eux court le ver-
be des prémonitions
ils sont la voie de communication des défunts
avec les vivants, les "reposoirs des déifiés" (ancêtres parvenus pres-
que au statut de Dieu). C'est la raison pour laquelle les Bantu ran-
gent les noms de ces arbres dans la classe Muntu. Mais il faut bien
comprendre que lorsqu'on fait un sacrifice, à "un arbre", l'offrande
ne s'adresse pas à la plante, mais aux esprits du type Muntu qui circu-
lent en lui. C'est encore le cas du bois dans lequel sont sculpcées-
les statues ; la force des ancêtres leur a donné une consécration par-
ticulière puisqu'elles sont censées les représenter.
- Hantu
Vient ensuite Hàntu. Hantu est la force qU1 localise dans
le temps et dans l'espace tout événement, tout "mouvement" - car tout
"étant" es t force, donc touj ours en mouvement. Si l'on pose la ques-
tion : "Où as-tu vu cela? ", _on peut recevoir pour réponse: "Où j'ai
vu pareille chose ?, mais, sous le règne de X !" (19)
;
autrement dit,
à une question de lieu, on peut répondre en précisant le temps où se
(19)
-
KAGAME (ALexis), ra Phi Loeoplvie Bantiu-Raandai.ee de L'Etre,
p. 267

- 40 -
situe l'événêliie.nt. Si
l'on de mande par contre: "Quand as-tu vu cela ?"
la réponse correcte sera: "Quand j'ai vu p a r e i Ll e chose? Dans la
barque, sous le pont de X." (20)
L'e~emple de la montre nous en cionne l'explication. Lorsqu'on
regarde sa montre, on y lit l'heure d'apr~s la position ries aiguilles,
c'est-à-dire qu'on déduit une donnée temporelle à partir d'une indication
d'ordre spatial.
- Kuntu
Enfin Kuntu. S'il peut paraître aisé à un espri~ étranger de
comprendre à la réflexion pourquoi Muntu, Kintu et Hantu sont représen-
tées comme des forces par ia pensée bantu, il n'en sera sûrement pas
de même pour Kuntu, la "force modale". La beauté, par exemple, que la
philosophie occidentale considère comme une modalité de la substance,
uri accident ou une propriété, est, aux yeux des Ban t u , une force:
"Ce mme ieur, écrit Amos TUTUOLA, était si be au, que~ sur le
. champ de batai l le , aucun ennemi ne le tuerait ou ne le ferait
prisonnier; et si des bombardiers l'apercevaient dans une ville
où ils devraient lancer leurs bomaee , ils ne les lâcheraient pas

aussi longtemps qu'un gtre si beau serait ~à~ prêsent~ et s'ils
les lâchaient~ les bombes n'éc~ateraient pas jusqu'à ce qu'il
soit sorti de la in l le , tellement il était beau... " (21)
Il en est de même du rlre qui lui aussi est personnifié.
C'est encore Arnos TUIUOLA qui nous en fournit l'exemple. Or, TUTUOLA
n'est pas Bantu mais Yoruba (Nigeria). C'est la preuve de l'unité cul-
turelle africaine qui déborde largement les cadres géographiques "hé-
rités" du système colonial' Avec TUTUOLA donc on peut saisir concré-
tement la représentation du "rire" corruue Kuntu. comme "modalité-force":
(20)
KAGAME .op;. c·it. p. 247 à 278
(2V
TlJI'UOLA (Amos)~ Buveur de Vin de Palme. Londree , 1952~ p. 25

- 41 -
"No7..{S appi>z..meS cei.t:e m.J;I:~-Zà. à aortncii irre le P-i~e en pereonne ,
car Loreque chacun d'ev-x,:m 2Ût f'{ni de r'ù'e de nous. Le r'LI'2
ne cessa pas et cela pendant de uc: heures. 'I'andi» que le Hire
riait de nous en cette n ui-t.r l à , ma [enme et mai , nous oub l i ions
nos eou j'j'ran cee et nous riions avec Zui ' car il riait avec des
J
ixn.s: é i ran qee que nous n' airi one de i oui:e notre vie jamais ijue-
qu'alors ent.en due,
:V07.W ne
eûmes [amai.» Le iettoe que nous l'es-
tâmes ainsi à :rire avec Lui: J cm' nous r""~ions seulement du rire
du Ri re , et quiconque Z'aurait entendu r-i.re n'aurait pas pu ne
pas rire.
De sorte que , si quelqu'un continuait à rire auec le
Hire Zui-même~ celui ou celle qui tèrait cela tomberait à la
finrmrt ou incn ùré à force de rire~ car le rire est l'unique
oc~~ation du Rire et c'est cela qui le fait vivre. Ensuite ils
se mirent: à supplier le Rire de cesser de t-i.re , mais il ne pou-
vait pas • . . Il (22)
Ainsi la détermination essentielle de la force - nous di-
rions de la vie - telle que. l'a systématisée l'AbbéKAGAME se trouve
être l'universalité.
Cette même détermination se trouvait d'aiÎleurs dans le sys-
tème du Père Tempels.
Mais dans les deux cas, c'est comme si leur perspective pa-
raissait mo i ns dynamique par rapport à la perspective dogon. C'est ce
que nous allons montrer maintenant avec le système 40g on .
. BI L'ONTOLOGIE DOGON
Pour les Dogon, toutes les choses -ou si vous préférez, tous
les "étants" - ont en commun quelque chose, le Nyama, l'énergie ou le
souffle vital. Ou encore tout est doué de vie, ou plutôt tout est perçu
sous l'aspect de la vie définie comme une énergie. C'est le Nyama qui
est la substance de l'être, c'est-à-dire une énergie qui sous-t2nd tous
les étants, voire les minéraux, tous les phénomènes et accidents de la
nature, et qui est·susceptible de croissance et de diminution, d'enri-
chissement et d'altération. C'est une ontologie dynamique.
(23)
(22)
TlffUOLA op. ci t: p.
45
(23)
Exception faite du système de KAGAl1E~ l'ontologie décrite par
Tempe l e demeure el.Le aussi plus dimamique.

- 42 -
c'est dire que l'être est en équilibre instable. Non seule-
ment il peut croître ou diminuer, mais encore s'enrich_Lr ou Si altérer,
se dêsagrêger.
DJ~tant, il p~ut devenir un existant, croître et s'en-
richir jusqu'à devenir un être dans sa plénitude: " un plus-être" com-
me le disêit Teilhard de Chardin
mais aussi glisser dans le mouve-
ment contraire, pour "œour ir'] nu e ux pour renaître.
(14)
c'est dans et par ses mouvements divers, que l'existant se
transforme, passant de l'homme au cactus, au grain de sable, ou inver-
sement.
Du fait de ces différents mouvements du Nyama,
les Dogon en
viennent à une classification des êtres dans 22 catégories différentes,
soit le double de celles des Bantu. Qu'il nous suffise seulement de si-
gnaler que dans ce sys t ême ç. 1 'homme et le Dieu Suprême occupe une place
de choix.
Le Nyama rappelle donc le kâ égyptien, cette énergie un~ver­
selle qu~ habite chaque être.
Il faudrait dire non pas universalisme du Nyama, mais totqli-
tarisme, car le Nyama, comme nous venons de le voir, est dans la tota-
lité, c'est-à-dire dans et en dehors de tous les êtres. c'est bien cet-
te détermination totalitaire que Marcel GRIAULE met en évidence lors-
qu'il écrit:
"lA3 Nyama est une énergie en instance i mpereonnel le ;
ùnconeci en te ,
xép art-ie dans tous les hommee ~ ani maux, végé caux, dans lee êtres
surnatUr'els, dans les choses de la natUr'e et qui tend à faire per-
sévérer dans son être le support auquel elëe est affectée terrporai-
rement (être mortel) ou éternellement (être
immol~el) : c'est
aussi que le ciel, les
morts~ les génies~ les autels, le fumier,
les arbres~ la graine~ la fièvre~ les bêtes, la couleUr' T'Ouge, les
hommes ont du MJama." (25)
(24)
La mort comme nous le développerons plus loin est une nouvelle
vie, une re-naissance et non la fin de la vie.

(25)
-
GRIAULE (Marcel), Masques Dogons. Institut dt ethnoloqce, 1938,
Paris <ch, IV, p.
16D S.

- 43 -
Cet te énergie, ê c r i t
encore Mdrce l GRIAULE,
"fait penser à la f01.:8 à .. euas t ance , n0."lD"e ou caractére dt un
t re , [Lui de , force iri i.al.e , et encore cl ré ali eatrion de l'essen-
ê
ce dans la matière". (26)
Qu'il s'agisse. àe "force vita.le"
(Tempels), ou simplement àe
"force"
(KP.G.:-\\_NE).
ou encore cl' "énergie" (Dogon), dans son essence donc.
la vie -est' une substance e t une valeur,
un fait et un idéal. Tous les
êtres aspirent à sa conservation et à sa croissance. en eux.
'';'
,~;
(26) - GRIAULE (Marcel), Masques Dogons.
Institut d'ethnologie, 1$38,
Pans- ch.
IV, p.
160 S.

DEUXI H1E PÀRUE
CHAMPS D'APPLICATION
DE LA NOTION DE VIE

-
45 -
"Le même ,fleuve de vie qui court
Lrauere mes veines nuit et
à
jour court à travers le monde et dane eren pul.eazions Y"jthmées.
C'est cette même vie qui pousse à travers La poudre de la
terre
sa joie en i.nnonbrob les brins d 'herbe et éclate en fougueuses
vagues de feuilles et de fleurs.

c'est cette même vie que balan-
cent [Lux et re fl.ux dans l'océan-berceau de la naissance et de
la
mort. Je sens mes membres glorifiés au toucher de cette vie
universelle. Et je
m'enor~ueillis~ car Le grand battement de la
vie des âqee , c'est dans non sang qu'il danse en ce moment".

RABINDRANATH TAGORE
"Gi t anj ali"
Après avoir cerné la notion de V1e et dégagé sa portée mé-
taphysique, force nous est de pousser plus loin l'analyse pour l'exa-
miner dans les domaines où elle peut ou a pu se manifester. Ce ·sont
trois domaines principaux - le domai~e cosmologique, le domaine an-
thrologique, le domaine artistique - que nous examinerons successive-
ment.

CHAPITRE L
CHAMP COSMOLOGIQUE
Le champ cosmologique concerne l'examen de la notion de mon-
de. Cette notion de monde est très claire dans beaucoup de cultures
africaines. Dans la notion de monde, nous trouvons la
notion de Vie
explicite au niveau de l'origine. Mais cette conception du monde n'est
pas sans analogie avec l'image qu'en donne la science contemporaine.
Al SIMILITUDE DE LA CONCEPTION AFRICAINE DU MONDE ET DE
L'IMAGE DU MONDE DE LA SCIENCE CONTEMPORAINE.
En effet, la conception africaine du monde rejoint de nos
jours l'image qu'en donne la science contemporaine; et ceci sur deux
points: en introduisant la notion de structure; en mettant l'accent
sur le momen z .ac t i f de la connaissance.
La notion de "structure", au sens actuel du terme, véhicule
une philosophie, une phi losophie dont la catégorie' fondamentale n'est
plus celle d'être, mais celle de relation. Le lieu de cette orientation
avec le caractère "opératoire" de la connaissance est aisément décelab le
si la réalité ne peut se définir en dehors des opérations techniques ou
intellectuelles par lesquelles nous la comprenons et la manions, la gran-
de affaire du savoir n'est plus de parvenir à la contemplation d'éléments
pr~miers ou de principes ultimes, mais de construire l'hypothèse, le mo-
dèle ou la structure g Iob a Lej r'p a r
laquelle chaque momentprend un sens
et une réalité en fonction du rôle qu'il joue à l'intérieur de la totali-
té.

-
47 -
Ai ns i , de. i a vconc ep t i on moda rne , opérationnelle de la rai-
son, découle né c e s s a i r emen t
l'idée maîtresse du s truc t u r a l i sme
celle de la primauté de la relation par rapport â llâtre
et du tout par rapport aux parties. Car il ne s'agit plus de remonter
à des éléments premiers pour ne concevoir la relation que comme un rap-
port extrinsèque et subordonné aux éléments, ma1S au contraire de recon-
naître que ce qu'il est convenu d'appeler l'élément, n'a de sens et de
réalité que par le noeud des relations qui le constituent. Le structu-
ralisme q u i. succède à l'atomisme rejoint donc la saisie africaine de la
nature.
Pour l'Africain en général, la nature est un champ de forces
qu'à des degrés divers d'intensité anime une énergie unique. Le problè-
me est de capter ces forces éparses et de former avec e Ll e s un noyau de
réalité plus dense.
La SC1ence en train de se faire (et non pas la SC1ence déjà
faite, déjà ordonnée dans un manuel), ne procède pas de "faits" déjà
faits à des lois qui les relieraient et à des théories qui relieraient
ces lois en système.
La SC1ence procède, comme l'a montré Bachelard, d'une maniè-
re inverse, elle ne commence jamais par "un donné" et une constatation,
mais au contraire par un acte, avec tout ce qu'il comporte d'initiative,
de risque, de postulat. Elle va au devant du prétendu "donné", avec ses
hypothèses. ses théories, ses modèles, que l'expérience vérificatrice
peut infirmer définitivement ou confirmer provisoirement. De tâtonne-
ments en vérifications, elle construit ses faits et ses lois, jusqu'à
ce qu'elle soit contrainte de les défaire et de les reconstruire selon
un autre modèle, et cela dans une dialectique sans fin.
Dans cette conception moderne de la connaissance. où l'on
reconnaît l'impossibilité de saisir l'objet indépendamment des actes
créateurs du sujet. de sa projection d'hypothèses et de modèles, l'on
retrouve la nécessité de la synthèse entre ce que SENGHOR appelle "la
raison-vision" et "la raison-étreinte". Et la démarche proprement

- 48 -
afr i c a ine de l'étreinte du [Londe n'est pas i n f
r i e u r e en di gn i r
et
ê
ê
en efficacité â la dêmarche grecque ou renaissante de la vision.
Car si le concept est mise en ordre du~passê, et l'expérien-
ce sensible contact avec le pr§sent, le mythe (ou la légende) est anti-
cipation--de- l'avenir, initiative de la pensée.,-acte créateur par lequel
le possible devient-rêel.
BI LA CONCEPTION AFRICAINE DU MONDE
De Kacou-Ananzê, l'Araignée des Légendes (27) et des contes,
nous faisons ici le symbole du tisserand, archite0te d'une totalité,
d'une structure unitaire:
la. toile, " sa maison". Telle est l'architec-
tonique de cette toile., que le tremblement d'un fil se communique auto-
matiquement à tout "l'édifice. Cette toile, c'est l'image du monde.
Quant à Opunga
-
Le Vent (28), moteur et mobi le perpétuel, il symbo-
.~
lise le mouvement dans la toile et hors d'elle: la vie, immanente et
transcendante.
A entendre les Bété (peuple du Centre-Ouest de la Côte
d'Ivoire), l'unité est une _loi ontologique, une loi de relation, une
loi de mouvement. Elle désigne d'abord l'être-ensemble et s'applique
à une totalité. Elle désigne ensuite l'avoir-en commun et s'applique
aux relations internes à la totalité. Elle désigne enfin la communau-
té d'activités et s'applique au mouvement de la totalité vers un but.
Mais être-ensemble ne consiste pas ici en une position statique, il
est une motion : Woa-bli-niê, disent les Bété. Des choses et des êtres
qUI sont ensemble, on dit qu'ils "marchent ensemble, ils s'accompagnent
les uns les autres" : images dynamiques. Ainsi la totalité unie est
perpétuellement en marche: c'est un monde dynamique.
De cette image du monde, il appert que cette totalité cons-
titue
-une stucture, la Toile d'Araignée;
<une structure en devenir, ou "en marche"
-une structure riche en contradietions, au moins apparentes.
(27) -
Bernard Dadié : Légendes Africaines, Seqhere 1966, Paris.
(28) - A. Raponda-WaZker : Contes Gabonais, Présence Africaine 1967,
."
Paris.

-
49 -
Le monde - que les Akan nomment: mâ, les Malinké: dûnia,
les Bambara: dyê,
les Duala: wase, les Mina: agbemê et les Bête:
péo -
le monde apparaît d'abord corume lieu de résidence, habitat des
choses, singulièrement de l'homme.
Relativement à l'enclos ex~gu de l'individualité, de la mai-
son, -du Li gna ge ou du villa.ge, i l désigne - le concept de péo en fait
foi - un lien i.nfiniment spacieux, impersonnel, illimité.
Dans l'espace, le monde paraît fini. Telle est l'opinion
des Dogon lorsqu'ils le disent analogue à un panier d' argi le renversé ou
celle, des Yoruba quand ils l'assimilent à une calebasse - voyez la for-
me du firmament à l'horizon - flottant sur les eaux. Dans cette finitu-
de, le monde est le plérôme de tout ce qU1 existe, Dieu non compris :
astres, minéraux, plantes, an1maux, hommes, génies. Avec Dieu, le monde
compose la totalité.
b) La structure de la totalité ("La Toile")
La totalité développe son caractère de toile d'Araignée à
travers une multitude de relations internes. Le Professeur Louis-Vincent
THOMAS (29) en rélève quatre types: appartenance, correspondance, iden-
tité, analogie. Sous les relations d'analogie, de hièrarchie et d'action
réciproque, nous les retrouvons toutes.
Entre le grand monde et les petit& mondes qu'il agglomère,
il y a analogie. Par exemple, l'homme est un microcosme et le cosmos a
l'organisation de l'homme, comme nous le verrons. Les sociétés d'initia-
tion bambara -
les dyov -, qui constituent entre elles une t o t a l i.t
or-
ê
ganique, représentent des "organe s de l'homme et de l'univers" en même
temps que les "fonctions essentielles d'un "homme" idéal identifié à
(29) -
L.
V. THOMAS Présence Africaine tnrim,
1961-p. 48-86

- 50 -
llunivers ll ,
(30) Le n l domo-idyov dés incirconsc"1.s -- correspond au pied,
au sens de
t'orientation et à la conscience de soi
le k c:mo, à La b0 u-
che, au toucher et à l'enseignement de la connaissance en soi. 1e nama,
allié aux organes génitaux et à l'odorat enseigne le mariage de l'âme
et du corps, cie l'homme et de la femme, c'2st-à-dire la vie sociale.
Le.
kon o , c'est le nez, les oreilles et le goût: l'initié lui doit La con-
naissance de la nature de l'homme et la conscience morale. Le tyiwara
représente la main et l'ouie ; en enseignant l'agriculture, il initie
aux rapports avec le cosmos; Enfin, lié au cerveau et à la vue, le ko-
ré, suprême dyo, introduit à la connaissance suprême, celle de Dieu.
1a h~érarchie, ontologique et axiologique en même temps, dis-
pose les êtres en pyramide. 'Au s ummum : Dieu, puis les génies, les morts
avec les fondateurs de tribu à leur tête, les chefs d'Etat,
les chefs de
lignages, les autres hommes, enfin les animaux, les plantes, les végé-
taux.
Horizontalement, l'action réciproque an~me, de façon à la
fois directe et indirecte, les êtres de même échelle d'existence et de
valeur, par exemple des animaux, des hommes, et parmi ces derniers, des
hommes de même caste, de même âge, de même sexe. Verticalement,
l'action
des supérieurs comm~,~que ses effets suivant deux modalités : soit direc-
tement, par exemple de Dieu à un homme, soit indirectement, par exemple
de Dieu à un homme par la médiation des morts. De bas en haut, cette ac-
tion reste toujours médiatisée. D'OÙ. dans la société, le rôle important
des intercesseurs: digne de respect pour un ordre ontologique. "Rien ne
se meut dans cet univers de forces sans influencer d'autres forces par
son mouvement, écrivait Tempels. Le monde des forces se tient comme une
toile d'araignée dont on ne peut faire vibrer un seul fil sans ébranler
toutes le s mai 11 es". (31)
(JO)
Dominique ZAHAN : Sociétés d'initiation bambara, ,110 ut on et Cie
(31)
Tempe le , dans La Philosophie bantoue , Lovani a; 1945, p. 40

- 51 -
'~lalGgie, hiérarchie, action réciproque entre 12s choses,
entre les êtres, mais aussi entre valeurs, entre ChOSèS et valeurs, 2[1,-
tre choses et êtres, entre êtres et valeurs. A cette structure, le temps
est lié de façon très matérielle malS avec le même arrière-fond métaphy-
sique que,celui du Thlnde ou du devenir.
c)
Le devenir de la toile
la question du devenir du monde se pose ici en trois termes
-question de l'origine du monde
-question de l'évolution du monde
-question du sens de cette évolution.
Trois positions principales répondent à la question de l'ori-
gine. La première, naturaliste, celle des Bassouto, affirme le monde in-
créé, la toile sans Araignée. La deuxième, créationniste, veut que le
monde soit issu de l'acte fabricateur d'un Dieu, Maître-Araignée: Immana
des Munya-Rwandais, Ngai des Kikuyu du Kenya, Amma des Dogon du Mali,
Koulo Tyolo des Sénoufo, etc'.. : La troisième, que nous devons aux Bamba-
ra, décrit une cosmogénèse procédant par autocréation d'un vide original
fu ou glâ.
Les schémas d'évolution qui découlent de ces principes d'expli-
cation présentent les mêmes articulations progressives: il y a la sub-
stance matérielle, il y a les génies (chez les Dogon), vient l'espace a-
nimale, vient enfin le genre humain. C'est l'idée de primogéniture des
plantes et des anImaux qu'illustrent les mythes où les hommes sont dit
provenir, soit des plantes (le papayer des Fali), soit des animaux, qui
leur enseignent, par ailleurs, des gestes et d'es techniques de civilisa-
tion.
Dans le temps, le monde marche vers toujours plus de beauté,
c'est-à-dire richesse d'être, santé et joie. Arnma détruit le premler
monde qu'il avait ouvr agé , l'estimant "mal -arrangé", trop surchargé.
Ailleurs, chez les Kono-Guerzé, les Bambara, les Karounga de l'Angola,
des divinités secondaires (Alantaga, Faro) interviennent pour les

- 52 -
t r avac x de
Einitio':i.. Chez les Ab ou rê de Côte d'Ivoire, ce sont les hom-
mes e ux-rnême s , qui font des motions, négocient au cours de s i x grandes
journées d'entrevue avec Dieu et obciennent 3UX choses mal- créées des
amélioratlons qu'on appelle nuit et sommeil, lune et soleil, saisons sè-
cnes et 3èisons des pluies, COUeS d'~au et océan.
Pour l'avenir, le monde est inachevé.
Il progressera, soit
dans l'ordre matériel, selon les Bambara, par avènement d'autres mondes
meilleurs, soit dans l'ordre spirituel, selon les Diola (Sénégal), par
renouvellement des âmes issues des réserves inépuisables de Dieu. Le
sens de beauté du monde est transcendant par rapport au monde, mais im-
manent à la totalité et à la vie.
PourLarit; cette totalité-en-devenir et qui connaît l'embel-
lissement progressif comporte des contradictions, au moins apparentes.
Contradictions d'abord dans la structure. On les trouve dans
l'ordre de la nature des êtres: Dieu et échec de la première création
(Dogon), androgynie des Dieux et des Hommes, anthropomorphisme ou divi-
nité des animaux. On les trouve également dans l'ordre de la valeur. En
effet
la sorcellerie est une puissance d'attentat à la vie et elle
,
est affirmée originaire et étendue au règne végétal et au règne ani-
mal (les Adioukrou de Côte d'Ivoire).
Contradiction aussi dans l'histoire du monde. Un vide auto~
créateur et créateur des choses selon les Bambara
la substitution de
la mort à l'immortalité (les Dogon en ont attribué une fois la malice à
Amma, dans le mythe: "la Vente de la Vache pour la mort") ; enfin l'in-
ceste divin (Amma s'accouplant avec la terre, sa créature).
~is ces contradictions sont apparentes ; car la vie en tant
qu'unité substantielle du monde annule ces contradictions.
Ces contradictions étant vraiment apparentes, la première
conséquence est la fraternité qui règne entre les êtres du monde; en-
tre l'homme et l'animal, entre l'animal et la plante, entre la plante

- 53 -
et le nri né r a l ,
Entre
Le minéral et
la plante et l "homme .
La seconde conséquence, c'est la métamorphose des choses
les
unes dans les aut r e s .
Si parei 11 e mê tamorphoseest logiquement conce-
vable, si le b aye fwé ou le mul o j i
(32) 1 c.'esc-à-dire le sorcier,
a la
capacité de 52. t r ans fo rtne r en vent,
animal ou plante, si le défunt e n
Egypte peut devenir "faucon, serpent, disque solaire, tamaris,
tour à
tour toutes les divinités du Ciel et du Monde inférieur" (33), c'est
parce que, par postulac, il y a identité substantielle de
tous les
êtres.
Ainsi le monde est un
tissu de
forces vivantes qui s'inter-
pénètrent, s'organisent, mais autour d'un noyau, qui est l'honune.
(32)
Muz..oji: eoreie» en Baluba (af R. P. Tempe 7,::)
(33)
Grégoire K.OLPAKTCHY : Livre des morts des Aneiens Egyptiens,
éd. des Champs ELYSEES
1954 - Paris- p. 18

-
54 -
CHAPITRE II
CHAMP ANTHROPOLOGIQUE
Le champ anthropologique est un champ d'exte"nsion du con c ept
de Muntu (c'est-à-dire l'holITme), car non seulement il comportera l'exa-
men de la notion de Muntu
mais aussi de celle de Dieu qui est considé-
t
ré comme le Grand Muntu.
AI LA NOTION DE DIEU OU LE GRAND MUNTU
D'abord
Dieu
pour une question de l'ordre des ra~sons. La
t
t
caractéristique principale de la notion de Dieu
c'est sa complexité:
t
le terme de Dieu a de multiples significations ; le contenu de la no-
tion a une quadruple source: physique, psychologique, sociologique et
biologique.
a) Source physique
La scurce physique se révèle lorsque nous exam~nons la no-
tion de Dieu dans son rapport avec l'espace. Tantôt la notion de Dieu
se trouve associée à la notion de lieu. Cette association trouve plu-
.
sieurs explications. D'abord
en termes d'identité. Chez les Baoulé de
t
Côte d'Ivoire
la notion de Dieu peut être traduite par Dieu - Voûte Cé-
t
leste; d'autres disent le Grand Lac contemporain des choses. Mais cet-
te assoéiation peut traduire aussi-la résidence. Dieu n'est plus le fir-
mament, Dieu habite le firmament.
Chez les Bambara
il y a une autre i-
t
mage: Dieu est le fils unique de
la voûte céleste, c'est à proprement

- 55 -
parler le soleil. Cette association peut traduire au contraire l'analo-
gie : Dieu est alors dit carrefour, c'est-J-dire, llespace de rencontre,
centre du monde, pivot. Enfin, cette association peut traduire la posi-
tion. En ef fet, NOTHO!-ili note que chez les Rwandais, le terme Immana
(Di e u)
voudrait di.r e prerm.e r ou e n c o re qui habite avec.
Mais ce ne sont là que des images. Cependant certains "théo-
riciens" trouvèrent là une o c c as i on de qualifier les Africains de natu-
ristes ; le naturisme, selon eux, se réduisant en adoration de la nature.
Ou bien, ce qui voudrait dire la même chose, les forces cosmiques sem-
bleraient devoir provoquer une impression. d' "écrasement". En réalité,
les défenseurs de la théorie naturiste partent d'une fausse conception
de la psychologie négro- africaine: celle-ci n'instaure pas d'emblée
une cuupure entre le moi et le non-moi, entre le monde et l'homme. L'at-
titude première serait plutôt le cosmomorphisme dans laquelle, pourrait-
on dire, l'homme est dans le monde et ne fait qu'un avec lui. De fait,
la relation de
l'homme avec le contexte géographique et biologique n'est
pas de nature oppositionnelle:
loin de se séparer de
l'environnement,
l'homme ne fait qu'un avec lui; il le nomme, il l'anime.
Les phénomènes naturels, bien vite asiimilés par les mythes,
localis2s-et spécifiés par la cosmologie, déterminés (en tant que forces)
par la métaphysique, ne peuvent de près ou de loin, s'assimiler au tre-
mendum et au fascinans, pas plus qu'ils ne provoquent la stupeur ou l'an-
goisse. La succession des jours et des nuits, les cycles lunaires, les
mouvements du soleil n'offrent à l'Africain rien de mystérieux. Quant à
l'orage, non seulement il n'a rien de terrifiant, mais encore il est
l'annonciateur de
la pluie bienfaisante.
Le monde n'a r1en d'un spectacle redoutable, étranger;
il
est plutôt un complexe de signes motivés ou symboles. Ce complexe hom-
me-monde aboutit à une hominisation de l'univers (l'image de la projec-
tion de l'homme dans
le monde et dans les quatre secteurs du monde -
selon une giration sinistrogyre telle que la conçoit le Fali dù Came-
roun - en est un exemple illustre) qui nous mène à l'antipode du natu-
r i sme ,

-
56 -
,
D'ailleurs, ce n'est" pas la Qat~re tout entiêre q u i, devient
la base du cuIre, mais certa~ns ~L~ments aD La puissance du numineux
se dévoile avec clarté. Si le "Ny ama" est une
force inhérente à la cho-
se ou à l'être qui la révèle, il n'a pas le même pouvoir en tout lieu
ec en tout objet. Tout s2cré esc farce, mais toute force n'est pas sa-
crêe cane qu'elle ne devient pas source de vie fêconde, tant qu'elle
n'est pas susceptible d'accroîtTe le potentiel vital du fidèle,
tant
qu'elle n'est pas douée d'intention et de volonté. Or rien de tout ce-
ci ne caractérise le firmament ni La voûte céleste. Mais ces éléments
peuvent participer d'une force qui les dépasse, qui, peut-être, habite
en eux ou plutôt dont ils sont le symbole. Loin de diviniser la nature
en SOl, le Négro-Africain lui confère une dignité indirecte dans la me-
sure où elle participe d'une d vi n i t
i
ê
transcendante. Cette idée a été
bien vue. par G. GRJ..l'lAI: "Pour q u l une concep t ion n a t u r i s te se déve lop-
pe, il est nécessaire que l'idée d'esprit soit dégagée, qu'elle devien-
ne transcendante par rapport aux choses dans lesquelles elle s'incarne
ou, dans une perspective plus élaborée, par rapport aux choses dont elle
justifie l'existence".
(34)
(Naturisme correspond ici à l'attitude cos-
momorphique, c'est-à-dire à la saisie du monde èomme ensemble de signi-
fiants, comme langage, comme tissu de messages divins à interpréter).
Dieu est Soleil, firmament, vo ût e céleste et Vie, il est dans
le ciel.
C'est pourquoi le Mossi de Haute Volta fait de son Dieu une divinité so-
laire
mais il n'adore pas le Soleil. Le Diola qui pratique la rizi-
culture a besoin de la pluie qui est vie, fécondité~ et qui tombe du
ciel: son Dieu a donc pour nom la pluie, mais le Diola n'adore pas la
pluie. Il serait vain de multiplier les exemples de ce genre. Ici, ce
qui a égaré le défenseur de la théorie naturiste, c'est le processus
psychologique du transfert (transfert de localité: Dieu et soleil; de
fonction:
Dieu et pluie;
transfert verbal qui recouvre 'tous les autres).
En définitive, ce qui devient objet du culte, ce sont les réalités, sup-
ports de forces éminentes, susceptibles de renforcer l'homme et le grou-
pe social, et qui, sans être Dieu, se présentent comme des manifestations
de la force de Dieu.
(34) -
G.
GRANAI, in Les Religions d'Afrique Noire de L. V. THOMAS
Fauard - Denoë l , Paris, 1969, p.
13
-,

- 57 -
ce ne sont que des allégories. Par exemple, le s yrnb o l.e du ciel signifie
l'immensité.
Il y a là une idée de transcendance'p2r rapport à la terre.
Le cenere peut traduir-e soit l'omnipréses.ce, soit llunité. L1image du
Soleil, d'abord, llid~e de clart~, d'illumination
en outre l'id§e de
royauté ou d'aînesse.
Ces significations nous renvoient à leur- tour- à des idées
d'origines différenLes. L'idée ci'iIT~ensité est une idée de grandeur,
d'essence mathématique. L'idée d'omniprésence, de clarté traduit des
qualités. De ces qualités se dégage la relation entre l'esprit et l'es-
pace: clarté dans l'espace (origine physique). L'idée d'aînesse cu de
royauté, des rapports sociaux.
Mais la notion de Dieu s'associe à d'autres éléments de la
nature physique, et notamment à l'idée de feu. Chez les Bambara, Yori
(Dieu) est tour à tour fournaise, flamme de feu, celui qui absorbe, qui
brû-le, dessèche l'âme, transforme la maison et la postérité. Mais la
notion peut être associée à celle de végétation: Yori, c'est la sava-
ne d'herbes, la savane blanche.
Or que signifient ces images de feu et de végétations? -
Elles traduisent l'idée de la puissance de Dieu. Cette puissance est de
se renouveler et de renouveler. Or au sens rationnel que désigne la puis-
sance de Dieu? -
Seulement l'idée d'activité, de grande activité. On
peut intégrer à cette notion de grande activité, celle de clarté, d'il-
lumination.
b)
Source psychologique
La source psychologique se révèle lorsque nous examlnons la
notion dans son rapport avec l'esprit. L'idée de Dieu est révélée par
des images de caractère purement psychologique. Il y en a trois:
-D'abord, l'idée de la sagesse comme produit de l'activité.
Dieu, c'est le devancier de la connaissance, la connaissance originaire
le connaissant primordial.

- 58 -.
-Ensuite,
l'idêe de la c2nsiorr de l'esprit. La divinité est
repr§senc~e par l'esprit tendu
ce qui représente l'énergie divine.
Par cette image, Id divinit~ est une sarce de vigilance continue, de
s o uverri r pe rmanen t.
-La troisième id~e, c'est ~211e de l'attente du coeur. Cecte
idée signifie maîtrise de soi, persévérance, constance. Dans la pensée
Bambara, c'est de la maîtrise de soi que dê cou l e la divinité.
c) Source sociologique
La source sociologique se révèle dans l'image de l'aînesse er
de royauté. L'aîné occupe d~ns le lignage la position respectable de
premier héritier. C'est le Contre-maître de la maison. Mais ce statut
dé- l-'aîné est porté à l'absolu par l'idée de roi, qui dêp as se ce tte der-
nière. Le r01. occupe dans la sociét~ la position du chef sacr~ avec tous
les pouvoirs absolus j
et dans la mesure où c'est la même dynastie, on
peut dire que le roi est immortel. L'idée de Dieu contient ainsi l'idée
d'une hégémonie dans le monde analogue à 1'hégémon·ie du-roi dans la so-
ciété.
A ce n1.veau on peut "hasarder" une nouvelle notion qU1. va
synthétiser toutes les autres:
la notion de personne. Dieu est un Mun-
tu, un grand Muntu, c'est-à-dire que Dieu est la Force Vitale Suprême,
tisserand de la toile du monde. "Dieu, diraient les Bantous, possède
(ou mieux, Il est) La Force Suprême, complète, parfaite; Il est le
Fort en Soi et par Soi~ Il a sa cause existentielle en Soi. Par rapport
à ses créatures, Dieu est considéré par les Bantous comme lecausateur,
COTIlIIle le s us t en t eu r . des forces contingentes (comme leur causecréat rice)".
(35) Ou encore, comme le conçoivent les Beti du Cameroun, et les Fang et
Bulu du Gabon: "Dieu est un Etre Suprême, créateur transcendant, doué
d'unicité, rigoureusement personnifié, à la fois omniscient et omnipotens
source et principe de la vie".
(36)
(35)
Tempels op. ait. p.
76
(36)
in Les Religions d'Afriques Noi-re de L.-V. THOMAS p. 9

-59 -
cl) Source biolo~iaue
-~._---------~--~~~._-
La source biologique se révèle à l'2xamen des rapports entre
la notion de Dieu et la notion de Sexualité. Déjà, dans son rapport
avec l'espace, on pouvai r déj·à supposer que d'un aspect physique, (figu-
ré, certes), n'est pas absent l'idée d'o::"Exualité. La notion de Dieu est
donc celle dlun être vivant. Mieux, l'idée de Dieu est celle d'un être
vivant sexué.
De grand~ dieux sone représentés par couples indissocia-
ble : Nyamiê-Assiê (chez les Baoulé), Oglié-Atetié (Galla d'Ethiopie)
Faro-Pemba (Bambara). Cette idée de sexualité connote aussi l'idée de
paternité : Amma est père du chacal et des premiers génies dogon, les
Nommo ; Ododoua, père de Shango, chez les Yorouba (Nigeria)
; Nyamiê,
celui d'Alokopon en Ashanti. De même, la théorie cosn~gomique décrit,
tantôt, la génèse du monde à partir d'un oeuf, tantôt, une morphologie
organique avec placenta et nombril. lfé est ainsi le nombril du monde
des Yorouba.
Mais cette idée de la sexualité peut faire sursauter les
croyants intégristes. Ne serait-ce pas prêter à Dieu, des sentiments peu
compatibles avec sa dignité, voire prêter aux dieux des comportements
humains ? Au regard des' développements ci-dessus mentionnés sur la no-
tion de Dieu, il pourrait sembler que la pensée africaine conçoive exac-
tement Dieu sur le même modèle que le Dieu créateur du christianisme.
Cependant, Tempels lui-même - Prêtre, et donc un authentique représen-
tant de ce christianisme -, signale que les généalogies Bantu remontent
par-delà les ancêtres, jusqu'à Dieu lui-même, qui aurait engendré, non
créé ceux-ci.
Sartre avait déjà souligné cette différence entre la théogo-
n~e créationniste du christianisme et la vision africaine des origines,
dans son ana lyse du lyri sme néo-africain : "Pour le techni c i.e n blanc '"
Dieu est d'abord ingénieur. Jupiter ordonne le chaos et' lui prescrit des
lois ; le Dieu chrétien conçoit le monde par son entendement et le réa-
lise par sa volonté: le rapport de la créature au Créateur nlest ja-
mais charnel, sauf pour quelques mystiques que l'Eglise tient en gran-
de suspicion. Encore l'érotisme mystique nla-t-il rien de commun avec
,.~

- 60 -
La fêcondité
: c'est l'attente ~oute paSSIve d'une p~nêtration stêri-
le. Nous sommes pê tr is de limon: des s t at ue c t e s sorties des mains du
divin sculpteur. Pour nos poêtes noirs, au contraire, la création est
un énorme et perpétuel ac co ucn emen t
;
le mon de est chair et fils de la
chair; sur la mer et da ri s le ciel, sur les dunes, sur les pierres,
dans le vent, le Nè gre r2trouve la velouté de la peau humaine , il se
caresse au ventre du sab le, aux cuisses du ciel : il est "chair de la
chair du monde" (37) ; il est "poreux à tous ses souffles" (38) , il est
tour à tour la feœelle de la nature et son mâle
et quand il fait l'a-
mouravec une femme de sa race, l'acce sexuel lui semble la célébration
du Mystère de l'être. Cette religion spermatique est comme une tension
de l'âme équilibrant deux tendances complémentaires: le sentiment dy-
namique d'être un phaLlus qui s'érige et celui, plus soùrd, plus pa-
tient, plus féminin, d'être une plante qui croît".
(39)
A la lecture de cette analyse de Sartre, comme pour se don-
ner bonne conscience, le R.P. Tempels s'efforcera de revenir sur ses
premières révélations, représentant alors Dieu, non comme un ancêtre,
mais comme un esprit créateur.
Mais cet effort de bonne conSCIence fut vain. On trouve dans
le livre de KAGfu~ de nombreuses citations qui viennent à l'appui de la
position défendue par Sartre, par exemple celle-ci: "On ne se vante pas
du "j'ai engendré", c'est Dieu qui engendre".
(40). "N'engendre vraiment
que Dieu, les hommes ne font qu'éduquer".
(41)
Nous voici donc en présence de trois thèses en apparence in-
conciliables: Dieu créateur, Dieu ancêtre ou Dieu fondement de l'Etre.
(37)
CESAIRE~ in SeNGHOR : Anthologie de la nouvelle poésie nègre et
malgaehe~ Paris; 1948 p. 59
( 38)
CESAIRE.op. ait. p. 59
(39)
SARTRE~ in SENGHOR~ op. ait. p. XXXII S.
( 40)
KAGAME : op. cit. p. 531
( 41) - cp.' ait. p. 351

-
61 -
En effet: ou bien Il est l'auteur de toutes choses, l'ordonnateur pro-
videntiel et la vo10ncê supr~me qui rêgit le monde; ou bien Il est le
premier géniteur, l'initiateur et l'impulseur des lignêes g~n~alogiques,
pure force fécondante, phallus primordial et clé de voGte d'une religion
du sperme, ainsi que l" i n t e rp t
t e j.P.
Sartre; ou bien enfin Il est
ê
le Nyama I~i-m~me) l'Etre, ~ la fois force et matiêre non séparées, non
particularisées, pu~ssance latente et cou@e en sonmeil, potentialité en
attente du Ny ama qui seul peut l'actualiser, l'introduire dans le cycle
de la vie.
D'après KAGfu~, la plus haute divinité du panthéon primitif
(ici, au sens noble) Rwandais est Nya-Murunga. Ce nom signifie "le vrai,
le grand géni teur".
(42) Enfin, et sur tout, en nous report ant aux r ê vê la-
tians d'Ogotommêli, il devient possible de lever la contradiction: le
-vi e uxis ag e -Dogon tmn t ra comment":dans .UIL~t..ellp- perspective de pensée,
se rejoignent la création spirituelle et la procession charnelle. Dans
le mythe Dogon, lorsque le Dieu un i q '..Je Amma créa la terre, il la fi t
femme et s'accoupla ensuite avec elle. Sa semence, le Nyama est eau,
feu, sang et sperme tout à la fois : Nyama est la puissance de vie char-
nelle et spirituelle qui éveille toute force latente, qui appelle à
la
vie et la chair et l'esprit.
On ne peut donc pas plus parler de "religion du sperme" que
de "religion spirituelle" ; Dieu n'est pas le Ny ama , il est, comme dit
Tempe l s , le "grand Muntu'~ (43) Créateur primordial et Cê né r at e ur p r i mo r-:
dial en même temps.
Mais Dieu n'est pas seulement un être sexué, mais un être
qui n'a n~ père, ni mère
c'est un être qui échappe à la génération et
partant à la corruption. Lê dieu de Pahouin Mebee se dégrade lui-même :
"O. mon fils, je "n'ai pas: decommencemen.t •. pas de f i n , je suis celui qui
dure". L'idée d'incorruptibilité de Dieu signifie en propre l'éternité
de Dieu.
(42) -
KAGAME~ op. cit. p. 328-338
(43)
cf Tempels in Janheinz JAHN : MUntu p.
116

-
62 -
De p l us , Dieu
l
C
2S t
l'être pré-mon:el, i111.eUX,
l'être tharia-
t o gê ne,
facteur de mor t ..
Dieu est r e s pon s eb l e de
la mo r t
de plusieurs
façons
: il l'est à t r ave r s les messages manqués (cf ZAHAJ.~ : Sociétés
d'initiation Bambara) ; les Kono de Sierra Leone racontent que les
p remi.e r s hommes v i v a i en t
avec les morts. Les Hende du même Sierra Leone
r acon.c en c que
le.
ch i e n et
le cr ap aud ava i e ·~t étê ch ar gés d'un message
par Dieu : la lenteur et la r ap i di té se trouvent a i ns i confondues. Les
Nuba racontent que les morts s'endormaient.
Tous ces mythes renferment la meme idée que l'état originel
de l'homme a pu être celui de l'immortalité. Les hommes étaient d'abord
immortels;
la mort est un phénomène dérivé d'un certain type de rap-
port que les êtres eurent a~ec la divinité. C'est ce que soutient ZAHAN,
lorsqu'il affirme que c'est de la communication que dérive la mort. Mais
l'idée de l'immortalité de Dieu peut être illustré par le thème de la
maîtrise de l'univers physique. L'univers n'est vivant que parce qu'il
dérive d'un Dieu, Géniteur Primordial.
-B/- LA -NOTIOW DE "MUNTU"
Après avoir montré comment Dieu était le "Grand Muntu", il
nous reste alors à analyser la notion de "Muntu" lui-même, c'est-à-dire
--de la personne humaine-;partant des éléments constitutifs de la person-
ne jusqu'à la symbolique de ceux-ci.
a) Les éléments constitutifs de la personne humaine
Les Bantu appliquent le concept de Muntu à tout être person-
nel, vivant. La force personnelle qu'est l'homme est une unité composée
de divers éléments qui sont de trois ordres :
-L'élément corporel
-Les éléments spirituels
-Les éléments sociaux.
"

- 63 -
L'élément corporel est constitué par le corps qu~ est lui-mê-
me cOffi[)vsé de divers organes. Le. corps est..la.partie·visible de· l'homme et
le pBle d'attraction de ses princioes spirituels. Comme toutes choses
existant au monde, la substance Ge ce corps est composée cie 4 éléments
eau (le sang et les liquides du corps), terre (squelette), air (souffle
vital) et feu (chaleur animale).
Le corps est le siège d'échanges biologiques et de manifes-
tations psychiques, inséparables pour les Négro-Africains des réactions
physiologiques qui les traduisent ou les accompagnent. C'est également
le corps qui est le support matériel de la parole, dans laquelle la plu-
part des organes jouent leur rôle. Le corps forme donc un ensemble.
Mais les Dogon poussent encore plus loin l'analyse et voient
que cet ensemble corporel est différencié en un certain nombre de par-
ties, marquées par les articulations, dont l'importance est si fonda-
mentale que leur somme (vingt-deux) est considéré comme le nombre-clef
de l'univers, la base de toutes les classifications d'espèces.
Ce
compte est obtenu de la manière suivante: on distingue 9 parties es-
sentielles, auxquelles correspondent autant d'articulations, soit en
allant de bas en haut:
1° les pieds (orteils)
; les mollets (chevilles);
3° les cuisses (genoux)
4° les reins (région lombaire)
; 5° le ventre
(bassin) ; 6° la poitrine (côtes) ; 7° les bras; 8° le cou; gO la tê-
te. A ce'n~mbre s'ajoutent les 10 doigts (on compte seulement la pha-
lange du milieu) ce qui donne dix-neuf; somme é lémentai re du corps ;
on y ajoute trois, chiffre du sexe mâle,
(44) ce qui donne vingt-deux.
(44) -- La femme n'entre pas en ligne de compte ici pOÙY' La e imp l.e rai-
son qu'elle ne peut Jamais devenir prêtre totémique;
l'homme
idéal-étC::"1.tl' ancêtre mythique Nommo ,
la somme des parties du
corps est alX1Y!t tout celle de tout son corps J démerrbré par le
sacrifice; le culte totémique honore les parties de ce corps
démembré; signalons que quatre est le chiffre du sexe femelle.

- 64 -
Les Dogon expliquent l'importance qu'ils attachent aux ar-
t i.cu La c i.on.s
par le fait QU2,
?enT~p.ttaIit le TI1üUV2Etent et le travail,
elles sont le signe de la condition humaine
de plus, des 3xticuLa-
tions souples sont le privilège des vi van t s
les morts sont raides e r;
ne peuvent plus plier les membres ; leurs articulations cassent Sl on
veut les forcer.
Le jeu des a r t i cu t a t tons c1é':erwi.L18 la démarche propre
à chacun et dont l'obset"vacion aide à définir le c a r ac t
r e de la person-
è
ne. Enfin l'on considère qu'elles jouent un rôle important dans les rap-
ports sexuels et la procréation.
Ainsi décric, le corps humain demeure l'une des 2omposantes
essentielles de la personnalité humaine.
2°) L~s éléments spirituels
Viennent ensuite les éléments spirituels q ui, sont au nombre
de trois
-l'âme que les Bambara désignent par Ni et les Agni (Côte
d'Ivoire), EkaLi ;
-le double que les Bambara désignent par Dya et les Agni par
Woa-woê ;
-et enfin, le Nyama ou souffle vital.
L'homme partage le Nyama et le dya avec les autres êtres vi-
vants. Le Dya (double), c'est en quelque sorte l'ange gardien des autres
religions non africaines. C'est une notion multivoque dont on saiSlra la
portée lors de sa séparation d'avec le corps au moment du décès.
Le souffle vital, parfois non différencié de l'âme (Ekala)
est perceptible dans la respiration; il suffit à entretenir la vie hu-
maine, singulièrement durant la période de "mort-en-instance". Tout se
passe comme si la vieillesse coïncidait avec l'affaiblissement de ce
Nyama,
tandis que la mort consiste en sa rupture d'avec le corps. Le
Nyama possède ainsi une autonomie.
Enfin, l'âme elle aUSSl est multivoque: on distingue l'âme
légère (ombre) de l'âme lourde. C'est à l'âme lourde qu'il faut la plu-
part du temps imputer la responsabilité de la mort. Sa caractéristique

-
65 -
o r i.n ci p a l.e est 1.' i mœort a l i r
Les B2rrtu e xp r i me n t cela de mani r e i ma-:
è

è
gée
"Dane l thommeç L]. y a ·invisible. un. aui re petit hoame",
(45)
Et
ils ajoutent:
TIL 'homme qui est caché de i-ri ère la [o rme extérieure vi-
sible con tririue à exister lorsque le biun i.u. s'écarte des vi.van te ", (46)
Cette idée à'immortalité appelle deux observations. D'abord,
la mort apparaît comme un changement de localité -
"lorsque le Muntu
s'écarte des vivants", dit le Bantu - celle-ci ne met pas fin à la vie,
à l'existence humaine.
Ensuite l'idée d'immortalité connote la réincarnation ou
l'idée de reviviscence des ancêtres dans les naissances à venir ou dé-
jà faites. Lorsque la mê r e corrunence à sentir la vie dans son sein, les
Négro-Africains pensent qu'il y a déjà là un ancêtre. Tempels rapporte
une anecdote à ce propos.
"Interrogeant ~ne femme chrétienne pour qu'el-
le me dise comment elle savait que l'enfant qu'elle me présentait au
baptême était MON GA , elle répondit
"Tandis que j'étais enceinte j'ai
rêvé plusieurs fois que feu MONGA me poursuivait en me disant "Unsele,
Unsele" (porte-moi, porte-moi) et a i n s i
j'ai su que c'était lui qui me
suivait pour renaître en moi".
(47)
Pour déterminer quel ancêtre qUl renaît, l'on recourt aUSSl
à une cérémonie qu i
s 'înscri t dans le cadre de ce lles auxquelles donne
lieu une naissance. L'exemple des Fon du Dahomey suffira à illustrer
les caractéristiques de cette croyance.
Il s'agit de la cérémonie "Joto".
Elle cons i s te dans la consulta tian du génie "Fa" dans le but de dé ter-
miner quel est l'ancêtre qui renaît pour ainsi dire dans l'enfant. Le
"Jota" en effet, si nous nous en tenons à l'analyse sémantique, c'est.
le·rère "ta", celui qui exerce la fonction de génération, "Jo" de l'en-
fant.
Ce n'est pas une réincarnation pure et simple, malS c'est tout
comme.
(45)
- TEMPELS : La Philosophie bantoue p. 27
(46)
TEMPELS op. oit. p. 27
(47)
TEMP,gLS op. cit. p. 87

r r
-
00
-
Le "Joto" définit ce i u i q-u i
d
~:>r8c~clé, pour 2JPSL dire, à la génèse de
l'eniant et qui se continue ainsi en lui. On voit son image dans L'en-
fant.
Celui-ci a droit à toutes les marques de déférence dues aux an-
cêtres. Si c'est le grand-père, par e xe mp l e , qui est "joto", on donne-
ra 50U nom à. 1'2nfant. Et tout en f an t qu1tl est, on s'agenouillera d û -
van t lui pour le saluer, comme on le .f e r ai t
pour le grand-père. On se
gardera de le battre ou de
l'injurier, car l'insulter c'est insulter
le grand-père.
Les ancêtres sont a~nSl âvec Dieu et les conjoints les dis-
pensateurs de la vie (ou force vitale); C'est l'un de' ces rapports que
les "défunts-ancêtres" (48) entretiennent avec leurs descendants qui
contribue- il. la perdurabi lité' du clan, et partout, à celle de l'âme Lrrr-
mortelle.
3°) Les éléments SOClaUX
Viennent enfin les éléments sociaux : le nom,
le prénom et
la devise. La personne est instaurée socialement, "assise" (suivant la
terminologie dogon) par l'imposition de ses nom et prénom et l'octroi
des d~vises auxquelles elle a droit.
-Le nom et le prénom
D'abord, le nom.
Le nom peut être considéré comme une sorte
de définition de l'individu, un instrument par lequel la personne est
appréhendée par la société.
Dire le nom de quelqu'un, c'est amorcer une
communication avec lui.
(48)- Nous' faisons observer pour ['instant, ne serait-ce qu'à titre in-
dicatif, que t out: dé f'unt: n'accède pas automatiquement au statut
d'ancêtre. Ce sont les rites funérai~es qui y contribuent : tel
est leur bien-fondi. En procédant rrrinutieusement
à toutes les cé-
rérronies funéraires du clan, on agrège l'âme du défunt au rronde
des ancêtres.

- 67 -
Les Nê g ro-r Af r i c ai ns p os s den t
·:lU.
mo in s
t r o is
è
1
plus génê!""dle-
ment 4 noms individuels,
Le dernier étant plut6c un pr~nom (ou sobriquet)
donné par les camarades de la même classe d'âge: "nom secret" donné [Jar
le pr~tre totémique; nom de famille indivise, du nom de clan et de ce-
lui de la tribu donné par le patriache cie la grande famLlle indivise
pate-melle- -; "nom de la mère" conféré par les utérins.
Les impositions
successives de ces noms et prénom sont des actes fondamentaux qui con-
fèrent au nouveau-né son statut à La. fois spi rituel et social.
L'usage de ces noms et prénom comporte cependant des restric-
tions
les différents noms d'un indiviàu ne sont pas prononcés au ha-
sard; leur usage est réservé à certaines catégories de personnes. Le
"nom secret" ne peut être employé que par le prêtre totémique qui l'a
imposé, et en l'absence de tout témoin. Le "nom de la mère" est réservé
à la famille maternelle de l'intéressé. Le sobriquet ne Joie être pro-
noncé que par les camarades de classe d'âge, jamais devant les parents
ni même dans le village.
Cene interdiction s'explique par le fait qu'au-
cun surnom ne peut être employé entre personnes appartenant à des géné-
rations différentes, même de la plus âgée à la plus jeune, car tout sur-
nom a un caractère de plaisanterie ou de moquerie; il n'y a pas de sur-
nom entre mari et fennne, entre parents et enfants. Ce "mélange des géné-
rations" constituerait une inconvénance.
D'une façon générale, c'est une grande inconvénance de dire
le nom d'une personne plus âgée que vous sans le faire précéder d'un
terme de politesse. Par exemple, Kofi est le petit fils d'Amadou, pour
p.OIŒ:Er Amadou le
petit fils Kofi dira "père" tout court. Prononcer un
nom implique toujours qu'on se trouve vis-à-vis de l'intéressé dans une
situation particulière d'intimité, d'égalité ou de supériorité. On a
beaucoup épilogué sur la valeur "magique" et contraignante du nom qu'il
suffit de prononcer pour aVOlr prise sur l'individu dont il constitue
ainsi une sorte de double.
On voit tout de-suite que ces 4 n')IDS correspondent à une
structure sociale, aux 4 principales divisions de la société, saVOIr,
l'appartenance totémique, la famille paternelle, la famille maternelle

- 68 -
et les c ama r ad e s dt'âge ..
Nous ZJOL1\\rOnS donc déd'lire de ces données que les
4 noms correspondent aux attitudes psychologiques différentas des indi-
vidus devant ces 4 aspects des relations sociales.
Examinon s mai n t en an t ce Ci ue si gn i fi en c ces correspondances
pour chaque nom particuli.er, et nots.mment dans la culture dogon.
Le nom secret est mlS en rapport sur le plan organique avec
Ifl a tête de foie",c'est-à-dire avec la oar t i.e affective et intuitive de
la personne. Le prêtre qui le confère
~t lui-même un individu à prédo-
minance affective et intuitive, un "inspiré". Le nom ne pouvant être
employé que par le prêtre et sans témoins, sa prononciation établit une
sorte de complicité entre le ne.mman t e t
l e nommé. Celui-ci se sent heu-
i
v
reux, ce que les Dogon expriment en disant que "son Nyama augmente".
Car le nom correspond à ce qu'il y a de secret, d'inexpliqué dans la
personne, nous pourrions même dire à son côté mystique. Le prononcer
équivant à faire appel au principe féménin de l'homme et à le réunir
momentanément au principe mâle de raison, réalisant pour un court ins-
tant la complétude de la personne.
Le nom usuel (également "nom des ancêtres", puisqu'il repré-
sente les rapports de l'individu avec sa famille paternelle) est en
rapport avec l'intelligence et la raison. C'est un nom mâle, connu et
employé de tous, qui s'adresse à la partie claire et équilibrée de la
personne. I l correspond au coeur, si~ge de la parole d'autorité du pa-
triache. Le nom courant fait appel au sentiment de solidarité familiale,
à la notion de collectivité. Prononcer le "nom des ancêtres" rappelle à
l'individu nommé qu'il fait partie d'une communauté familiale, d'où le
sentiment de satisfaction qu'il ressent.
Quant au "nom de la mère", d'essence féminine, est une allu-
sion subtile aux querelles, jalousies et rancunes qui s'accumulent sou-
vent entre familles alliées, et dont les utérins sont tenus pour respon-
sables. Ce nom est associé aux organes utérins. Donner ce nom à l'enfant
représente que l'enfant est unis en rapport avec la Terre et la mère.

-
69 -
Le 'r app r och emen t; de. la mère av e c la Terr~ ITl'2t e.n évidence le rôle de
nourricière de la famille Dar la mère. Lorsqu'on ap~elle du nom de la
mêre cela signifie que l'individu prospêre dans son corps, qu'il a ét~
nourri par la mêre
il subit une augmenr3tion de Nyama.
Le sobriquet concerne les rapports avec la classe d'âge, les
camarades. Employé contre les règles (c'est-à-dire les parents de l'in-
téressé ou devant des personnes âgées), "il fait diminuer le Nyama de
l'appelé, ce qui signifie que celui-ci se sent mécontent, gêné,
ridicu-
le. Son sobriquet lui fait à ce moment l'effet d'une insulte. Par con-
tre l'échange de ces surnoms entre camarades provoque la gaieté et le
contentement des intéressés.
Nous voyons donc que le nom est inséparable de l'être mÊme
de la personne aux différents niveaux des relations sociales. Aussi en-
gendre-t-il des attitudes sociales dont la finalité psychologique a'é~
chappe à personne. Nommé à juste titre, l'individu se sent à sa place
dans la société à ses àiffére~ts nIveaux; mal nommé, il en éprouve un
sentiment de déséquilibre social.
-La devise
Ensuite la devise. Elle met aUSSI en rapport avec les atti-
tudes sociales de la personne , mais à un niveau quelque peu "artisti-
que". La devise en effet, a pour effet de rattacher l'individu au grou-
pe par l'évocation d'un passé prestigieux; elle le classe aux divers
niveaux de la société, y compris l'appartenance à un groupe technique
ou religieux.
Elle est une manifestation de politesse qui -intègre l'indi-
vidu au passé de la société mais aussi un encourâgement au dynamisme :
"On met
l'interpellé en demeure de se tourner vers l'avenir. Les devi-
ses sont des appellations au sens strict du mot: elles appellent l'in-
téressé à continuer à être, à persévérer dans'son état et elles donnent,
au moins momentanément, la force de l'accomplir".
(49)
(49) -
S. de GANAY
Les devises des Dogons. Travaux et -M2moire de l' Ins-
titut d'Ethnologie, tome XLI, Paris, 1941, p.
157.

- 70 -
L= devise r at t ach e don c d
l l h i s t o i r e du groupe, nous vou-
drions d i.re cl ~'l·~é.popée·' de C~ groupe.
Lan.ii s que
les noms
r ar t ache n t
l'individu â des groupes relativement restreints, les d~vises le rat-
tachent â des groupes de plus en plus étendus et deviennent parfois de
véritables'loms collectifs. ~'f2E'le 1.:::. de vi se pe r s onne l l e , gé nê r a l e men t
hérit~e, caractérise l'individu en tant que maillon d'une chaine de
membres du groupe qui se sont distirtgués dans son histoire. C'est clarte
la partie "épique" de la personnalité qui est exaltée dans la criée de
la devise.
Ainsi les éléments soc~aux (la devise, les noms) sont des
composantes autant importantes que les composantes corporelle et sp~­
rituelle de la personnalité humaine.
b ) "ta "symbolique" des éléments constitutifs de la personne
humaine
Mais, entre ces divers éléments il y a une unité.Ce n'est
pas seulement une unité d'être ensemble et de concourir â la vie per-
sonnelle, il y a une unité ontologique entre les éléments: d'une
part, il y a correspondance entre les éléments spirituels et les diffé-
rentes parties du corps; d'autre part, il y a une étroite relation en-
tre les éléments spirituels et ies éléments sociaux,débouchant ainsi
sur la seigneurie de l'homme.
}O)
Correspondance entre les éléments spirituels et les par-
ties du corps.
Correspondance entre les divers éléments spirituels et les
différentes parties du corps. Les éléments spirituels sont pris ici au
sens le plus large, désigrtant ainsi la pensée en général. Dans cette-
correspondance il y aurait localisation organique de la pensée.
Il en
est ainsi chez les Diola, où divers sens participent aux sentiments et
au foie, cie même qu'au souff~~ et âla poitrine. Parfois cette corres-
pondance aboutit à une identification de l'organe et de la fonction
spirituelle. C'est le cas, par exemple, des Tonga de Zambie:
le mot

- 71 -
chibendji dêsigne ~ la fois la patience et le foie; il rêsulte de cet-
ce allégorie que L'O o a t i e n c e réside Gans
le f o i e
;
le mot l ibe n go dési-
gne à la fois la haine et la rate : ils remarquent éinsi que la haine
est placée dans
ia rate; ou encore le mot lipfalu qui désigne à la fois
la conscience et le diaphragme : la conscience serait ainsi dans le dia-
phragme.
La correspondance est souvent poussée plus loin: il y au-
rait alors correspondance entre la hi§rarchie des organes et la hiérar-
chie des fonctions spirituelles. C'est la chéorie Dogon qui va illustrer
cette correspondance.
Pour les Dogon, par exemple, la tête est le summum de
l'in-
dividu (cela s'entend, bien sûr, au sens symbolique). La tête serait le
lieu de coordination et de commandement. Au sens psychophysiologique,
la tête c'est le siège de l'intelligence. L'homme intelligent, c'est ce-
lui qui a la tête alors que l'imbécile, est l'homme qui n'a pas de tête.
Du point de vue physiologique moderne, il faut entendre par tête, tout
le système nerveux qui commande aux différents organes ; ce qui expri-
me non seulement l'idée de coordination mais aussi celle de relation ou
de commandement.
Le coeur, lui, serait, au sens symbolique, le foyer de
l'or-
ganisme. Au sens psychologique, il est dit être le siège de
la volonté
et des émotions. C'est le coeur qui apporte à l'intelligence "le feu".
Le coeur est ainsi défini comme un centre, un carrefour: à la fois
point de départ et point d'arrivée. 'Le centre définit donc la raison.
Du point de vue- moderne il faudrait voir le coeur comme l'élément de
liaison entre le haut et le ~as des parties du corps. Il est donc cen-
tral. C'est un régulateur: dans certaines émotions, les gens disent
qu'il a eu le coeur coupé. Mais
l'on sait aussi que le coeur assure la
nutrition de
tous les tissus.
Enfin le foie.
Il serait la racine de l'organisme. Ce con-
cept botanique implique l'idée de relation vitale et nutritive.
Du
point de vue moderne, on a dit du foie qu'il est un véritable labora-
toi re.

- 72 -
Le r o i e fabrique cie l'urée: c'est la f on c ti on antitoxique ou UUJjJCHe-
tlque ; il fabrique de l'~cici2 urique (fonctio~ gLvcogénique)
i l Ei-
xe, élabo12 ou détruit des graisses
(fonction adipogénique)
il fabri-
que du fibrinogène pour lutter contre la coagulation:
le foie détruit
les globules
rouges, c'est La foncti-on hêmato Log i.que . Le. foi.e favorise
la fonction martiale
il fixe le fer et intervient dans la manutention
de la chaleur.
C'est donc une véritable usine.
Or ces fonctions de commandement, de régulation ou relation,
de nut.r i c i.on sn t r e t îennen c- la vie dans
l! o r gan.i srne; Ce sont donc des fonc-
r
tions capitales, essentielles. Dire que la tête, le coeur et le foie rem-
plissent ces fonctions, c'est dire que ces organes du corps humain rem-
plissent aussi des fonctions tout aussi importantes.
On pourrait peut-être rétorquer ici que ce symbo l i sme est "su-
perflus~ Il nous faut donc élucider cet usage du symbolisme de la pensée
africaine.
Remarquons d'abord que le symbole est une voie de connaissan-
ce au même titre que le mythe. Mais si le mythe peut paraître long dans
son énoncé,
le symbole, lui, es t un condensé de la connaissance, un "di-
gest", en quelque sorte.
Car en effet, faute d'archives durables le Négro-Africain ré-
sume sous url faible volume toute une série de concepts. C'est un "modè-
le souple" de la connaissance (l'expression est de Marcel GRIAULE). Le
symbole ne peut exister qu'en petite quantité; il peut être remplacé
par un être ou un objet similaire ou déclaré tel, être évoqué verbale-
ment sans rlen perdre de son efficacité. Aussi est-il fréquemment à la
base des milliers de proverbes africains. Ainsi, le symbole jouera-t-il
'.;
le rôle d'administrateur de la connalssance.
Il aura conduit l'homme à accumuler dans sa mémoire des maté-
riels et des actions, mais surtout il l'aura familiarisé avec les jeux
de l'abstraction. C'est le cas des Dogon. Chez eux,
le symbole est dit
"parole du monde". II·Par· le moyen des signes dessinés, classés et hié-
rarchisés, production la plus intellestualisée du symbole,
le Dogon ex-
prime qu'entre Sirius (l'animal totémique) et le sacrifice, le mariage

-
73 -
. ' .
. -
et
l'aunergiae,
les L1.enS sont -ELeOiCS, 32!-~ t i s , e .f E-i. C ~"".L ces et que les
cloisons sene vaines qui sont dress~es par nous entre Les faits rell-
gieux, techniques Ou de g2rmination, entre les mouvements des astres et
les changements de-structure ch e z certains an i maux'".
(50)
La valeur et l'efficacité du symbole sont telles, dans cet-
te V1S1on du monde, que les Dogon déclarent que ce n'est pas la chose
elle-même mais que "c'est le symbole qui seul est essentiel".
(51)
Ainsi, la pensée Négra-Africaine est o r i en t e vers un s avo i r
é
qui peut parfois se confondre avec une connaissance adéquate, mais qui,
le plus s ouve nt est une sophie, au sens étymologique de ce t e rme , Cette
pensée fait de l'univers un ensemble ordonné, où l'idée de loi est moins
présente que celle d'harmonie préétablie, sans cesse troublée, et con-
tinûment réordonnée. Chaque partie de cet ensemble est un résumé du tout.
L'idée de Muntu, par exemple, connote l'organisation du monde à l'inté-
rieur du corps de l'homme comme un microcosme.
Il n'y a ni sujet ni ob-
jet, mais des choses liées dans un seul règne. En conséquence,
les Afri-
cains établissent un réseau d'équivalences entre toutes les choses par
le moyen d'un appareil de sy~~oles qui, par jeux harmonieux et glisse-
ments insensibles, conduit de la harpe au métier à tisser, du vêtement
au verbe créateur, du démiurge au détritus. Car, il s'agit en quelque
sorte d'une métaphysique théorique et pratique qui, d'une part, expli-
que l'univers, répondant ainsi au besoin inné de comprendre et qui, d'au-
tre part, forme l'armature spirituelle de la vie des hommes.
Du fait du postulat établissant des catégories et des corres-
pondances entre elles, tout est signifiant, tout est signe, dans la réa-
lité de la vie quotidienne et jusque dans le rêve. Ne laissant point de
place à ce que l'on nomme le hasard, chaque élément, chaque évènement,
chargés de sens)-se trouvent en rapport d'interactions avec d'autres, à
la fois dans l'espace et dans le temps présent et à venir.
(50)
GRIAULE Ma roe l , dans Réflexions sur des sYnÙJoles soudanais p. 26
(5])
GRIAULE op.
ci t; p.
28

-. 74 -
En effet, il ne slagic pas icj d'une analyse de fàits stati-
ques, malS l'appréhension de quelque Lhose de vivant, envisagé sous un
. '
an l
fi
l'
l '
, .

g. e o t.o ro gi que , L un i ve r s tout en t i e r vs e meut;
ho mme sur la terre
se meut, et la vie â l'intérieur du pLus petit grain de cérêale - et a
fortiori à l'intérieur de l'organisme humain - se meut. Et en l'occur-
rence,' Les co r r e s p on dance s établies entre la tête,
le coeur, le foie et
t
les ê Lément s s pi r i t ue l s n l cn t d I aut re but, en définitive, que de révéler
r
cette loi ontologique de llunité GU monde.
On pourrait même pousser plus loin en disant que cette loi
de relation - nous dirions ce symbole en lui-même - donne la vie aux
catégories corresponàantes, leurs r app o r t s avec l'homme et· le monde,
c'est-à~dire la façon dont l'univers a été organisé et fonctionne au-
jourd'hui, autrement dir,' vivant.
2;0 Correspondance étroite entre les éléments spirituels
et les éléments sociaux
De même qu'il y a correspondance entre les éléments spIrI-
tuels et les parties du corps, de même il existe une relation très é-
troite entre les éléments sociaux et les éléments spirituels. Les
Bambara vont même plus loin quand ils identifient les éléments spIrI-
tuels aux éléments sociaux. En effet, pour les Bambara, les Ni (les
âmes) sont des éléments sociaux;
l'âme est un élément social. Les for-
ces spirituelles, on les puise dans le "réservoir" familial: elles
sont donc i mmo r t e l Les ; ·Les âmes constituent le patrimoine de la socié-
té. "Doués d'âmes que nous sorrnnes, affirment-ils, nous sommes des héri-
tiers".
Ainsi dans l'idée d'héritage, nous trouvons déjà incluse l'i-
dée de vie. Il y a quelque chose qui précède l'individu des forces de
Vie qui sorrt déjà- l à :
les ames, dans le résérvoir de la famille, de la
société. C'est l'idée de nyama "définie comme une énergie impersonnelle
répandue dans l'univers".

-
ï5 -
Entre la Vle spirituelle et le nyama, il y a l e niveau bio-
logique où l'homme est lié à la vie au sens plus précis. Tout être hu-
main est sexué, mieux, il est bissexu~. Chaque individu est contradic-
taire: à la fois mâle et iemelle. Et c'est pour restituer à l'individu
son unité sexuelle qu'on pratique la circonscision et l'excision.
Il est très significatif que les Négra-Africains attachent
beaucoup d'importance à ces rites.
Ils n'ont d'autre but que de révé-
ler à l'homme qu'il est un Muntu, c'est-à-dire un être vivant. Car il
ne suffit pas d'être une force vivante,
encore faut-il perpétuer cette
force. Les Africains se repr~sentent la création comme un engendrement,
comme nous l' avoirs" montré ci' ai l l.e ur s
Dieu, auteur de cette création
n'es t-i l pas di t le grand géni teur, le grane! Muntu.
L'engendrement, c'est l'acte originaire que se doit de conti-
nuer l'homme, et ce, parce qu'il est un être sexué. Par l'engendrement,
l'homme devient l'égal de Dieu, c'est~à-dire dispensateur de vie, un
,-créateur :. "Le créateur crée .en engendrant", af fi rmec l e sage dogon
OGOTOMMEL1.
Ainsi, l'homme est-il la force suprême, c'est-à-dire la plus
puissante parmi les autres êtres créés : il domine alors les animaux,
les plantes, les minéraux, bref tout l'univers.
3°)
La seigneurie de la personne humaine
L'enseignement capital de ce pan-vitalisme africain, c'est la
seigneurie de l'homme dans le monde.
D'une part, il est vrai, sans le
monde ·pas 7j'hormne-. Le cosmos préexiste. Cependant l 'homme est la condi-
tion de son existence et de sa liberté, en quelque sorte il est auto-
créateur. Mais la notion de péa insinue l'idée d'un milieu d'air et de
lumière où l 'homme trouve de l'oxygène, une conn a i s s an ce de longue por-
tée et par rapport à ses solidarités biologiques, une certaine-indépen-
dance. Il y a ainsi entre l'homme et le monde une sorte de consanguinité,
doublé d'un pacte de sang.·

- 76 -
Mais, d'autre ?art;--r'homme, à la fois force phy s i q ue , SPI-
rituelle et sociale, et partant force vitale consciente de soi est cen-
t r e du monde . Cette idée comporte au mo i ns
deux interprétations. Pour
les Ban t u t hê i s r e s , "la création est c en t r èe sur l'homme",
l'homme,
ce t t a'U'p ar ur e du monde", selon les Bamb ar a, Cet anthropocentrisme esc
par exemple celui, passif, de l'enfant sans parole ou incirconscis,
dans l'état symbolique de régence du monde où il se trouve. Mais, lors-
que, l'homme a ~ris possession de SOD habitat, maîtrisé le verDe (les
Africains accordent une autonomie au langage, comme nous le verrons tan-
tôt) et subi l"initiation, un troisième niveau de monde s'institue où
l'évolution, l'origine, et le sens du monde, sont des questions indivi-
ses, résolues dans un centre de vie: l'homme. Cet homme s'assimile alors
au monde - atti tude co smorno rph i.q ue où le monde est saISI "comme ensem-
ble de signifiants" en même temps qu'il avait, au premier abord, sponta-
nément, assimilé le monde à lui, dans une attitude anthropomorphique.
Ainsi, les divers éléments que nous venons d'étudier mettent
en lumière la seigneurie de l'homme. Mais, parmi ces éléments, et notam-
ment parmi les éléments sociaux, (52) se trouve un qui joue un rôle pri-
mordial, c'est le langage. Le langage, en effet, n'est-il pas à la base
de la création artistique, l'autre domaine où la notion de vie trouve
son appiication ?
(52) -
La liste des divers éléments constitutifs de L 'homme que nous ve-
nons d'étudier n'est pas exclusive. E.t not-amment: parmi les élé-
ments SOciCiUXj en peut ranger la paro le .. qui n'en demeure pas
moine l'une des composantes importantes des éléments eoci aux.

C'est d'ailleurs du fait de cette importance que nous l'examinons
à part. L'homme.. en effet.. manifeste son humanité par la parole;
c'est el.Le qui le distingue de l'animal et de l'objet "inarrùré ",

- 78 -
La parole est à la fvis le prln~lpe de l'être et le moye~ de
l'action
telles sont sa nature et sa fonction profondes.
a) Nature du
i. an g2. g e
Le
langage est ex-pression, par excellence de l'être-force,
déclenchement des puissances vitales et principe de leur cohésion. Ainsi
chez les Dogon, nous venons de le voir, nommer quelqu'un c l e s t
exprimer
son " moi intérieur", son être tandis que la devise provoque la "force
vitale",. le Nyama. Ce la revient à di re que, sur le plan mé taphysique, le
verbe est créateur par la parole ~~·Dieu-~t création continuée par le
souffle humain, le Nyama.
\\
Si le Créateur cree en engendrant, i I. faudrait préciser que
le Créateur engendre par la parole. Les Négro-Africains se représentent
la création comme un engendrement. Or, dans l'engendrement il n'y a pas
de médiation: l'effet résulte de la cause de façon immédiate. Mais
pour que la médiation soit possible, il faut l'intervention de la paro-
le.~Et de fait, la parole ~st douée de vie, dont les éléments (eau, sa-
live) sont les symboles mêmes de la Vie: "La force vitale de la terre
est l'eau", dit Ogotommêli. "Dieu a pétri la terre avec de l'eau.
De me-
me, il fait le sang avec de l'eau. Même dans la pierre, il y a cette for-
ce , car l'humidité est dans tout". (53)
La parole est donc à l'origine de la création. Ailleurs,
n'es t-i l pas écri t
"Au c ommen ce ment étai t le Verbe... et le Verbe
était Dieu. Toutes les choses ont été faites par lui, et sans lui, rien
n'a été fait".
De même que c'est le pouvoir efficient du Verbe qUi fait
dire au Dieu d'Israël: "que la lumière "soit",-pour que naisse la lumiè-
re ; de même KOMo-DIBI, le chantre malien de la société d'initiation ré-
pond à la question "qu'est-ce que la parole ?":
(53) -
GRIAULE (MarceZ), Dieu d'eau, p. 25

- 77 -
CHAP lIRE 1II
CHAMP ARTISTIQUE
En Afrique la primauté du langage ne fait aucun doute.
La
civilisation africaine procède avant tout du verbe, qu'il soit parole,
rythme ou symbole. Il suffit pour s'en convaincre, de rappeler les iné-
vitables causeries qui, à l'heure de la sieste, sous "l'arbre à pala-
bres", 'ou le soir, autour du feu, réunissent plusieurs dizaines d'assis-
tants en des collogues animés, parfaitement réglés,· ét interminab les.
Généalogies·, rêc i t s h i s t o.ri.co-r l genda.i re s , -; con t e s
ê
ç-
f ab les,· proverbes,
énigmes et mythes constituent l'ossature de cette littérature orale,
dont on commence seulement à apprécier la richesse.
Mais
les N~gro-Africains voient dans le langage plus qu'un
instrument de communication : ils en ont une vision métaphysique qui
révèle sa nature et sa fonction profondes.
De plus, ils considèrent le langage comme un art; cet art
de la parole c'est la poésie.
Par ailleurs, les Négra-Africains pensent que l'oeuvre d'art
elle-même véhicule un certain langage, une certaine idée.
Tels sont les trois points en rapport avec le langage que
nous examinerons successivement.

-
ï9 -
"L<2 parole eei: t outz,
EZZ2 coupe
écorche.
J
El. Le modè le ~ trodul.e ..
Elle pe rcube ,

rend fou .
. Elle guérit ou tue net.
elle a.r:rpZ·if"'-;~e.) GÎ)(.lisB8 sel.on 5Q' charge.
El Le ea:c: t:e ou calme Lee L~eB ",
( E,4)
Non seulement la parole rythmée est à l'origine du monde,
mais encore' elle constitue le tissu ontologique dont est fait l'univers.
:Et,re, -For c e , 'llerbepTeFillen-t i.c i
l'allure, de s ynorryme s > Il Y a donc des
degrés, dansrl e s__ mani f e s.t at.i one de- la' pa r c-Le co r-r espondant. và la hiérarchie
des êt-res~forces-:-."La"p-arole'" di s en t ,les Bamb ar a , est aussi ,"longue" que
l'humanité; celle-ci atteint les dimensions cosmiques, puisque l'homme
est, dans son essence, l'expression éminente du monde. C'est dIre que le
verbe et l'univers s'identifient dans un certain se~s ... Pour ces Souda-
nais, l'immensité du Verbe est son attribut fondamental. Aussi, en di-
sant, par exemple, qu'une parole est "trop grande" pour la bouche de l'ê-
tre humain, se rapportent-ils à cet aspect incommensurable du dire dis-
proportionné à son utilisateur. Le verbe intégral est le patrimoine de
l'humanité e~, par delà elle, de la divinité. C'est pourquoi, plus un
mot, une expression ou un discours approchent de la généralité et de la
synthèse, plus ils relèvent du domaine de l'être représentant l'universa-
l i té, et moins l' indi viduali té humaine est apte à les prononcer".
(55)
b)
Fonetion du langage
Si le verbe demeure l'expression de la V1e dans sa nature
même, sa fonction quant à elle peut être dite "magique", c'est-à-dire
transformatrice. N'était l'action de la parole, les forces se sclérose-
raient, il n'y aurait ni métamorphoses, n1 V1e. Car la parole met en
branle le cours des choses, elle les fait~antresj elle est le pouvoir
de métamorphose.
(54)
L.-V. THOMAS: Les religions d'AfT'iqüe Noi re , Eag ard-Denoë l ,
Paris, 1969 p. 17
(55) -
L. -V.
THOMAS: op.
cit. p.
18
,
;

- 80 -
"E\\.I.LSSéinCe de la p,J,:-o1.e en Afri q ue Noire"
(56), écrit SENGHOR.
~.,
Ci ê S t
llefficacicé de la parole qui e~t â l'origine de ccute transforma-
tian et de toute conception. "Je 'sème par le monde '", écrit le poète et
romancier Bernard DADIE de la Côte d'Ivoire (57). Semer ne suffit pas à
faire germer et croître le mar3 ; il faut qu'intervienne le die ou le
chant, car c'est le mot qui fait germer les graines, croître les rnoi s son s ,
mûrir les fruits, c'est la parole qui vend les vaches pleines et leur
fait donner du lait. Même- dans les activités manuelles de l'artisan, le
verbe est nécessaire pour les rendre effic-aces. Dans son roman L'Enfant
noir, Camara LA.YE montre son père façonnant un bijou en or ;
l'or fond
avec un faible sifflement, les soufflets ronflent, mais l'orfèvre silen-
cieux. "Mais si- mon père ne prononçait pas de parole, écrit l'auteur, je
sais bien qu'intérieurement il en formait, Je L'apercevais à ses lèvres,
qui remuaient tandis que, penché sur la marmite, il malaxait l'or et le
charbon avec un bout de bois, d'ailleurs aùssitôt enflammé et qu'il fal-
lait sans cesse renouveler. Quelles paroles mon père pouvait-il bien for-
mer? Je ne sais pas, je ne sais pas exactement: Rien ne m'a été commu-
niqué de ces paroles.-·Mais qu'eussent-elles été, sinon des incantations".
(58).
Les incantations de l'orfèvre ne suffisent pasà provoquer le
double miracle de l'or et de son retour à l'état solide. Il y faut la
puissance du griot, ce-maître en paroles: "Le griot qui, durant toute
la métamorphose, n'avait cessé d'accélérer son débit précipitant le ry-
thme, précipitant les louanges et les flatteries à mesure que le bijou
prenait forme, portant aux nues le talent de mon père. Au vrai, le griot
participait curièusement, mais j'allais dire
directement, effectivement
au travail. Lui aussi s'enivrait du bonheur de créer; il c l amai tr s a J01e,
il pinçait sa harpe en homme inspiré, il s'échauffait comme s'il eut été
l'artisan même, comme si le bijou fut né sous ses propres mains".
(59)
(56)
SENGHOR~ Présence Africaine VIII""Xr Pari e , 1956~ p. 58
(5?)
DADIE Bernard, La ronde des JOurs ~ Paris ~ 1956 ~ p. 15
(58)
Camara LAYE~ L'Enfant noir~ Paris ~ 1953~ p. 32
(59)
Camara LAYE op. cit. p.
39
-,

- 81 -
le
qu'il
cit
l'éicgé!
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p l u t ô t
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r é
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q u e
c h
a n
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g r i o t
c
a n
d
s
travaille l'or, la danse du forgeron à la fin de l'opératLon, c'est tout
cela - poème, chant, danse - qui, au-delà des gestes de l'artisan, ac-
comp Li t
et an f a i t un chef-cl r iJEUVTë l' .
(60)
On le voit,
la maîtrise du verbe confère une véritable pu~s­
sance et un réel pouvoir de domination sur les choses. Mais de la maîtri-
se à l'usage maléfique il n'y a qu'un pas. Le verbe, [orce de vie se
transforme 210rs en force destructrice, en force de mort.
On comprend, en effet, que si la parole est s u f f i s ammen t
forte, elle recèle le terrible pouvoir de tuer. Ainsi, les Sara du Tchad
distinguent-ils le Ta, la bouche, les paroles en l'air, et le Nadji, le
verbe, la vérité par excellence. "Le Verbe a un caractère psycho s o c i o Lo-:
gique de réalité lui conférant une grande efficacité. L'imprécation tue
lorsqu'elle est assez violente pour que les paroles qui en procèdent
aient suffisamment d'existence et soient Nadji. Il suffit pour jurer,
d'assurer que son propos est Nadji. Ce qui est dit sur une tombe, sur
un mort, a cette même force. Maudire est un meurtre: encore faut-il gé-
néralement pour que l'~ffet soit décisif que l'imprécation vienne d'un
membre de la famille".
(61)
C'est pourquoi on doit éviter d'entendre,
même involontairement, les paroles interdites pour lesquelles on n'est
pas initié;
il faut de même se méfier des serments faits à la légère,
des malédictions ou des' anathèmes-qui peuvent engendrer brutalement le
décès .'
Il serait fallacieux de croire, toutefois, que la force de
mort est uniquement dans le langage; il vaut mieux dire que le langage
est 't~ signe qui manifeste l'action de l'influence vitale et la fait
connaître à des tiers; ou mieux encore, la force qui, tel-un cataly-
seur, met en branle les autres forces.
(60) - SF:N6~OR' t : L'8Spr>it de la oi.vi.l.i eation ou tee- l-oisde la cul.cu-
re né qro-ajs-icaine , in Présence Africaine VIII-X~
Paris~ 1956 p. 56
(61) - JAULIN (Rober-t.ï , La mort sara~ Pl.on , 1967~ pp. 233-255.

- 82 -
C1 e s t a i n s a q u e iE: \\l~gr>',}-}..':::.-i_r:ain 2. la f e rme convi c t ion que
le ve rb e pe.ut tuer à d i s c an ce : c!est la sorcellerie.
cLe-,It-sorcier". en p r en an t le.mot dans son sens étroit et tech-
q
se
t
de
ses
onu i
t
cie S2 maîtrise du
dans
m
u e
,
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c
a
s
s
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c e
s
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v e
r b
e
,
n
o n
l'intérêt de la commun au t
mais il des fins personnelles maléfiques.
ê
,
C'est un as s o i f fé de pu i s s an ce q u i, fait tout pour diminuer, détruire et
v
t
réduire la force vitale de ses semblables en semant l'effroi pour le
seul plaisir d'effrayer.
En Haiti, par exemple, on croit qu'il existe des "sorciers"
qui ont le pouvoir de priver autrui de sa force'vitale et d'en faire un
Zombi, un cadavre ambulant privé de toute vie et de toute volonté pro-
pre; le Zombi est entièrement soumis à la volonté du sorcier qUl s'est
rendu maître dt:::>'.s-on- être et ne cesse de lui obéir au doigt et à l'oeil
que Sl on lui fait ingurgiter du sel : car le sel est la vie des ali-
ments. Pour mieux dissimuler ses crimes, le sorcier met sa victime en
état de mort apparente:
la famille procède alors aux funérailles et
rend les honneurs au défunt. Mais le sorcier veille, et fait sortir la
nuit le Zombi de sa tombe et le fait travailler pour lui. C'est pourquol
on entend dire que le sorcier "éveille" le cadavre. En réalité. le sor-
cier n'éveille pas, il ne fait que détruire.
Il transforme le sens de
la vie en son antithèse, il détruit volontairement l'harmonie et la
structure de l'ordre cosmique; aussi, son châtiment sera-t-il exemplai-
re s' il es t démasqué pour ses forfai t s . Contrai re.nerrr à- tous' Le s autres
hommes, q u i, ont dr oi t iâ des obsèques dignes après leur décès, le cada-
vre du sorcier est inhumé, soit dans l'indifférence générale à la tombée
de la nuit, soit qu'il est jeté en pâture aux hyènes comme cela est de
coutume au Kenya. Car il ne faut pas qu'il survive de l'existence des
défunts, il doit devenir la proie du néant. Un poème d'Alfred David
MBEBA, du Nyassaland, place cette confession dans la bouche d'un sar-
Cler :

-
83 -
"Na
1)Oi8,
lTt)';1
Ù2!i.lXi"1e
de ."TtL:Y>-(;
E"!J!!'œ"7;gr~a;it
la Loi .
~.
!~iT'. tenant ,ron sort eet: fixd
Les hyènes seront ma descendance:
1~~Pir ainsi~ seul~ est mon juste lot~
MCJ1't
d' ani.mal:~ comme meurent: les bêtes dGJ1.S la Jungle".
(ô2)
Le "sorcier" est l'unique è'!untu auquel. il il 'est pas permis
de survivre. Ou. l'assimile aux fauves et on le rejette dans le néant,
dans l'espace vide des choses; condamné qu'il est à la mort des ani-
maux, c'est-à-dire que rien ne s ub s i s ze de Lui après sa disparition.
Il ne se manifestera plus dans l'univers des forces.
c'est pour empêcher que l'on mésuse ainsi de la puissance
du verbe que les confréries d"initiation bambara ne laissent pas à la
disposition de tous les "paroles empreintes de puissance créatrice". A
la limite, le pouvoir du verbe est tel que le silence devient de mise.
Celui-ci, nous di t Dominique ZAHAJ.~, "occupe une place fondamentale dans
l'expression de la pensée BaIDbara.
Les Maliens sont persuadés que la pa-
role n'est efficace et ne se valorise pleinement qu'à condition d'être
enveloppée d'ombre; qu'elle ne conserve son intégralité que proportion-
nellement à son degré de carence. En poussant les choses jusqu'au para-
doxe, on pourrait même dire que, pour ·les Bambara, le verbe vrai, la
"parole" digne de vénération est le silence".
(63)
Ainsi la parole est la force vitale efficace: elle crée, ap-
, pelle à la vie, donne l'être et l'existence. c'est bien là "maz i e "
et
'"
)
',la- "mag i e" du verbe, c'est la poésie, le mot étant pris ici dans son
sens étymologique, c'est-à-dire au sens de création de réalités nouvel-
les.
(62)
MBEBA~ ~n JAHN : Schwarzer OYpheus~ MUnchen 1955~ p. 41
(63)
Dominique ZAHAN in L. -v. THOMAS p.
29"

- 84 -
~.
-"
"
.
"Il - ~
l'
t"
La poes le a f r i c ai ne n es t J amai s Jeu gr at ui t,
. a r t pour
ar
J
poésie irresponsable. La poésie. ic~, 3~gnifie l'acte d'engendrer des
I~alit~s nouvelles. Le verbe du p0êo2 :~~ fait pas quJappeler les choses,
, .
il Les engendre: en écoutant le gr~û[ débiter les vers ou en
.
r i s an t
ceux-cL, nous voyons les choses;
le poète les crée pour nous dans la
parole:
"le ai.s , fleu.ve entiai l.l:e,
éno rme ,
ét.reint:e , dans les noindree ma-
rais ~ eau force, [o rcenn arii: aus vert e [Tes ~ car a-L'ec Lee ZCIJ71es neu-
ves~ je t'ai construite en [Leuue'', (64)
Pour celui qui les appelées à l'être, les choses sont des
alliées, soumises à ses ordres ;. c' es t encore CESAIRE qui le montre
dans un autre passage :
"tëee aurores boréales mes soeurs mes bonnes amiee
ô 1)OUS toutes mes amitiés mexroei l leusee , tron ami, tron amoux,
ma
nvrt~ mon accalmie~ mes choléras~
mes rimes lunaires".
(65)
L'homme est apparenté en profondeur avec toutes ces forces
qu'il engendre: l'homme et les choses sont autant de spécifications de
la force fondamentale Nyama et se trouvent de la sorte dans un rapport
de fraternité. "Ma soeur, l'étoile filante, écrit CESAIRE, mon frère le
verre pilé, mon ami le milan, mon amie l'incendie". (66)
Le poète commande à toutes ces choses que commande son verbe.
CESAIRE écrit encore :
"Vienne de dauphins une insurrection perlière brisant
la coquille de la mer
Vienne un plongeant d'iles
Vienne la disparition
des jou:rs de chair novt:e dans
la chaux vive des rapaces
Viennent les ovaires de l'eau où le fut~ agite sa petite tête
Viennent les loups qui pâturent dane les orifices sauvages du
corps où à l'ecuherge écliptique se rencontrent
ma lune et ton soleil". (67)
(64)
-
CESAIRE~ Poignards du So lei.l , Heùdelberq, 1956
(65)
CESAIRE~ in SENGHOR~ Anthologie de la nouvelle poésie nègre~
Paris~ 1948~ p. 52
(66)
CESAIRE~. Soleil cou coupé~ Paris~ 1948 p. 186 S
(67) - CESAIRE~ Cahf.e» d'un retour au pays natal Paris (l9J9) J
1956~ D. ?1

-
85 -
"Venez par ?.-C'L
notr8 herbe est gr~sse
Venez les faons...
Venez 'Les faons
par ici la souplesse des ma~ns
et Le sa:rz(J Lar-vé DaY' Ù.->i".
(i58)
Cette poésie dont le verbe engendre, évoque, ordonne, s'exprime tout
naturellement à l'impératif: il est de son essence de commander. Et
même là où elle err~runte les formes grammaticales àu futur, du présent,
voire du passé narratif, elle reste oroEondêmen t impérative dans son
contenu implicite. Lorsque, par exemple, Bernard DADIE de la Côte d'I-
voire, écrit ces lignes:
"Les astres à p rofus ion , purs comme des yeu:r; de Sages, seront
aussi bx-i l.l.an te que le destin des h07TlJl7i3s" (69)"
il s'agit moins de la description d'un événement futur que d'un appel,
d'une évocation magique. Il prescrit aux astres de briller. L'événement
est engendré par la vision. La vision est un impératif assigné au temps,
elle ordonne, elle commande au futur ce qu'il doit être. Car le temps
comme l'espace son t des forces, et comme telles sont ordonnées à l' ins-
tar de toutes les autres forces aux décisions du poète. Le verbe concré-
tise une réalité d'ordre visionnaire, comme dans ces vers de CESAIPg :
'~h ! j'écoute à traveY's les fissures de ma cervelle ...
Tl. monte, i l nan te , i l tron t:e des profondeurs de la terre ...
le
flot noir nont:e
des vagues de hurlement... des marais de sen-
teurs animales
l'orage écumant de pieds nus ... et il en
grouille toujours d'autres dé valant: les sentiers des nomes ... "(70)
L'évocation est en même temps métamorphose. De même que nous
avons vu le père de CA}~RA LAYE transformer en bijou une pépite d'or,
dans le poème le verbe transforme chaque chose - qui essentiellement
est une force. -
au fur et à mesure qu'il l'engendre en là plaçant dans
~;rapport de tensions avec les autres choses qu'il engendre dans le
même temps. Voyons cela de plus près dans le dernier vers de CESAIRE.
(68)
TCHICAYA U Tam'si" Feu de bxoueee , Paris" 1957 p. 48
(69)
Bernard DADIE" La ronde des jours" Paris" 1956" p.
34
(70)
CESAIRE" koT;'Afrique" in Poésie 46" nO 33 Paris" 1946" p.
3

., .'
-
co -
compLi t au fil cie la succession 025 idt~lge.s. "J'écout:"-" s s t le poin t de
départ du processus;
"a. travers les fissures" ... - nous voyons le poè-
te épier à travers des fissures de rochers. Mais voici maintenant :
tes des rochers dev i enne n t
fissures .i ans sa propre cervelle, le théâtre
de l'action se transporte dans sa tête. Cette sorte d'intériorisation au
sens le plus physique lui permet de 3 approprier de façon totalement
'
concrète son activité, comme SI le poète était assis, en train d'épier,
tout entier à l'intérieur de sa prop~e cervelle.
Le processus de transmutation se poursuit sans cesse. Le ver-
be engendre image sur image,les métamorphose, ce faisant, le poète lui-
même qui, loin d'opposer sa propre identité et sa permanence personnelle
au flux incessant des choses, participe lui auss~, force parmi d'autres
forces, à ce mouvement perpétuel de transformation qu'il a m~s en bran-
le. Les choses' sont s emb l ab l.e s à lui, il est semblable aux choses et
soumis avec elles à un perpétuel changement: "La faiblesse de beaucoup
d'hormnes est qu'ils ne savent devenir ni une p i er r e , n i, un arbre" (71),
écrit CESAIRE. Il faut savo~r se métamorphoser, il y a une joie de l'au-
to-métamorphose: "Pour moi, Je m'installe parfois des mèches entre les
doigts pour l'unique plaisir de m'enflammer en feuilles neuves de poin-
settias tout le soir".
(72)
Comment comprendre cette transmutation volontaire? On pour-
rait vo~r dans ces poèmes les sentiments individuels de leurs auteurs,
leurs états d'âme ou leur ressentiment. Mais ce n'est pas à son mo~ que
's','intéresse en premier lieu le poète négra-africain. Il est Muntu, l 'hom-
me qui parle et soumet à son pouvoir par la parole le monde des choses,
qui les dirige et entreprend de transform~r le monde. Sa parole a d'au-
tant plus de forte qu'elle ne parle pas que pour lui, mais pour les siens,
vivants ou défunts. Poète, il est l'interprète de tous: interprète de
tous, il est poète. Et s'il met en oeuvre toutes les forces dont
(71)
CESAIP.E Soleil cou coupé , Pax-ie , 1948
p. 81
3
(72)
CESAIRE op. .ci:t: p. 81

- 87 -
il dispose, c'est ~o1jr 2.tt.eiuôre le but commun à tous
la c.aptation
des forces immanentes de
la nat ur e ,
La poésie africaine est ainsi un accumulateur d'énergie in-
camant et renforçant le ?<'.crimoine culturel de la cO§TIunauté. La ooé-
sie, n'est-ce pas, "une des p r i n c i.p a l e s c i t ade l Les de l'âme indigène"
(73), comme l'a affirmé l'Abbé Ki\\.GAHE. On peut d i reç s ans exagérer, que,
r
parmi les formes de l'Art produit par cette culture, celle de la poésie
en particulier tient la toute première place. La faveur dont jouit enco-
re dan~ toutes les couches de la population les déclamations narratico-
poétiques est une preuve incontestable de l'importance de la poésie
dans la culture africaine. Pour une civilisation de tradition orale, la
poésie africaine est une sOrte de bibliothèque où l'on remise les archi-
ves du peuple: mêtno i r e étonnante, en', effet, de s.es rhapsodes qu.i conser-
vaient presque intacts, les milliers de vers de centaines de poèmes; de
ces gard~ens de traditions dynastiques qui retenaient des listes généa-
logiques et les règlementations minutieuses de codes ésotériques ; de
ces"troubadoursqqui colportaient de collines en collines. maints chants,
hymnes guerriers, récits légendaires, farces humoristiques.
Une tradition orale, toujours en activité, permet al.nsl. une
circulation intense des trésors de la pensée et de la sagesse de toute
la communauté. La poésie est ainsi le tabernacle du patrimoine sapien-
tiél vivant où, par le soin des siècles, a été déposé le fruit de l'ex-
périence collective des ancêtres.
La poésie africaine est au preml.er chef fonctionnelle,
c'est-
à-dire collective. Le poète européen exprime ses relations avec la natu-
re, ses amours, ses' souffrances, ses joies ... Le poète africain, lui,
n'exprime pas sa position devant la nature, il met la nature en oeuvre
en l'éveillant à la vie, en la di~igeant, en la manipulant. Dans un poè-
me d'amour, il n'exprime pas son amour, mais l'amour qui est une force
à
laquelle il participe. De même,
le poète n'exprime pas son deuil, mais
(73) -
Abbé Alexis KAGAME
La di vine p as t oral.e ,
Ed, du tâaraie , Bruxel.Lee ,
3
1952
p.
17
3

- 88 -
le de u i l . Car, écrit SENGHOR, "toute 'TIdni.festation d'art est co lLe c t i-:
ve , faîte o o ur tous avec p art i c i p a t i'ou de tous. Parce que f on c t i orme i s
et collectifs, la litt~rature et l'art négro-africains sont engagés.
Ils engagent la personne et non seulement l'individu".
(74)
Le poète européen, lui, es t
un individu et e xp r i.me ce GU'U.
vit, pense, veut ou ressent. Le poète africain est la personne humain",
dmlS son intêgralit§, il est magicien, mage, savant et éducateur. Il
exprime ce qui doit être.
Il parle à la communauté et pour elle. Il a
une mission sociale à remplir, qui lui réserve dans la communaut
une
ê
fonction sociale;
ce n'est pas un hasard si parmi les plus célèbres
poètes Négra-Africains, CESAIRE, SENGHOR, RABEMANANJARA et tant d'autres
ont rempli "o u 'remp Li s s en t des f onc t i o ns politiques ou officielles.
Certes, ce caractère fonctionnel n'empêche en r~en le poète
d'exprimer son mo~ de manière très authentique, mais s'il lui arrive
de dire Je, c'est toujours d'un Nous qu'il s'agit et ce Je prend alors
la solennité impérieuse d'une voix prophétique, d'une vo~x qu~ pres-
crit, engage et ordonne.
Il s'ensuit de tout cela que la poésie africai-
~e ancienne ou nouvelle, versifiée ou en prose, est toujours déterminée
par l'assomption d'une responsabilité. "Ici la vie est captée et' redis-
tribuée selon la règle du chant et la justice de la danse", comme écrit
Aimé CESAIRE. C'est dire que la poésie africaine est une réaffirmation
et une actualisation des forces diverses qui inspirent le poète, ayant
pour but de vivifier la communauté toute entière.
Cependant, on pourrait s'imaginer que la poésie africaine est
seulement utilitaire et que le Négra-Africain n'a pas le sens de la beau-
té. La beauté serait un plaisir libre et àésintéressé. Mais pour être
intéressé, un plaisir n'ê~ est pas moins un plaisir. Même fonctionnelle,
la beauté reste la beauté. A la lumière de l'esthétique africaine, la
beauté désintéressée, très précisément, n'est pas beauté, puisqu'elle
n'a ni signification, ni efficacité réelle, et que ce qui n'a ni
(74) - SENGHOR: Les lois de la culture né çro-af'x-icaine, Présence Africai-
ne. Pari e , VIII-X 1%6, p. 56

- 89 -
signification, nL efficacic§ ~e peut oas ~tre beau, malS seulement Vl-
de : "rien".
.
L'esthétique
- '
ar r i ca i.ne repose sur l'harmonie de
la signifi-
cation e~ du rythme, du sens et de La forwe. Ceci ressort clairement du
fait que, dans presque toutes les langues de l'Afrique Noire; le même
mot signifie à la fois beau et Don: "Lorsque je dis que c'est Don, é-
crit KAGAJ.'1E, ici le terme comporte également la signification de beau".
(75) La beauté esc identifiée à la qualité, en premier lieu 2 la force
de réalisation efficace. Par conséquent, Si le rythme, la répartition
des accents, ne correspond pas à la signification, alors l'art échoue.
Là où fait défaut la réalisation efficace, l'art, au- sens d'un idéal de
beauté fonctionnel, est impossible. C'est dans l'action que l'oeuvre
d'art est achevée et démontre sa valeur de réalisation: en l'occuren-
ce, le poème durant sa récitation: la parole rythmée.
Qu'est-ce à dire, s t.non que le rythme demeure le critère su-
prême de toute l'esthétique africaine. "Qu'est-ce que le rythme? écrit
Senghor. C'est l'architecture de l'être, le dynamisme interne qui lui
donne forme,
le système d'ondes vitales, ondes qu'il émet à l'adresse
des Autres, l'exPression de la force vitale. Le rythme, c'est le choc
vibratoire, la force qui, à travers les sens, noùs saisit à la raCine
de l'être. Il s'exprime par les moyens les plus matériels, les plus
sensuels:
lignes, surfaces, couleurs, volumes, en architecture, sculp-
ture et peinture ; accents en poésie et musique ; mouvements dans la
danse. Mais, ce faisant,
il ordonne tout ce concret vers la lumière de
l'esprit. C'est dans la mesure même où il s'incarne dans la sensualité
que le rythme illustre l'esprit".
(76) Le rythme est, 'éornme'on le voit,
la manière d'être du verbe, mais une manière d'être- agissànte. C'est le
rythme qui rend le verbe actif. Le rythme est la composante procréatrice
de la parole. C'est le rythme qui lui donne sa plénitude efficac~, qui
(75) -
KAGAME~ La Phi loeoptn:« Bantnr-Raandai ee de Z'Etire , Bruxe l les ,
1956~ p. 385.
(76)
SENGHOR.,- Les Laie de La cul tiure né qro-afx-i caine, Présence Afri-
caine Paris VIII-X 1956 p.
60 S.

- 90 -
"Ciest le verbe de Dieu, clest-~-d.irë la o ar o l e rythmée, q ui. créa le
mende" .
LI ar t
p a r ol a , c'est d onc la parole
rythmée,
c ' e s t - à-
dire la poésie au sens de l'esthétique dfricaine. Ainsi, on peut dire
que la poésie alest rien d'autre que le mode d'expression privilegié
du langage, car en Afrique, la prose elle-même est assimilée au poème.
"Primauté donc de la parole". NOI1 seulement expression de la IHe et de
la force,
la parole de me ur e aussi une forme préférée du beau.
\\\\
"
cl LES AUTRES ARTS VEHICULENT UN LAJ.'lGAGE
Certes, la poésie demeure le mode d'expression
privilégié
-..
de la vie, ma~s ce mode d'expression n'est pas exclusif. La vie se ma-
-nifeste -aussi .d an s Le s. oeuvres ci"art; et les. autres arts verbaux, sa ...
voir, la musique et la danse.
a) Les arts non verbaux
D'abord, la sculpture. Dans la statuaire africaine, il y a
deux tendances: une tendance réaliste et une tendance symboliste ou
expressionniste.
La tendance réaliste est en quelque sorte la monographie dlun modèle
concret, historique: ce sont l'art égyptien, l'art Bakuba, l'art d'lfé,
du Bénin, l'art Pongué (Gabon), l'art Gouro et Baoulé (Côte dllvoire).
Les oeuvres de ces arts sont de terre cuite, de pierre, de bronze, de
bois, d'ivoire ou d'or. Telles sont les statues sempiternelles des Pha-
raons Egyptiens qui font cet été l'objet d'une exposition à Paris:
TOUTANKHAMON, TOUTMESS III, RAMSES rI, DJESER. Ce sont des statues dans
lesquelles on peut re~onnaître un individu. De même, nous pouvons re-
connaître les ro~s Yoruba (Nigeria), KUBA (Congo).
Quant à la tendance symboliste, Cheick Anta DIOP classe les
oeuvres d'art de celle-ci en trois groupes
1)le groupe à forme creuse:
statues géométriques qu~

-
91 -
(Congo), 3rt Machona (Zarrillie).
2)le groupe à forme plane
art Dogon, art Fang (Gabon), art
Sénoufo (Côte d'Ivoire).
J) le groupe à forme CUD 1-5 t e
u t Dar: (Côte ci! Ivoi re).
Ces oeuvres d'art sont des oeuvres monumentales, dynamiques,
abstraites
(parce qu'elles expriment une
idé~. Ces sculptures sont fai-
tes dans le bois;
la fo rtne cylindrique impose que toute la s t a tuet t e
soit droite, statique, raide. dans une certaine mesure.
Et néanmoins
dans cette masse, l'artiste réussit à créer des rythmes c'est-à-dire,
soit de 'la symétrie, soit des articulations du corps, soit une dispro-
portion dans les parties du corps.
. ,
Le rythme parcourt toute oeuvre d'art africaine. C'est le
i;.',
rythme qu~ soude en une seule unité toutes les parties et qui en orga-
.. ~
nise les rapports. SENGHOR montre bien cette fonction unifiante à pro-
'.j
pos d'une statuette féminine Baoulé: "Deux thèmes de douceur y chan-
tent un chant alterné. Fruits mûrs des seins. Le menton-et les genoux,
la croupe et les mollets y sont également fruits ou selns. Le cou,
les
bras et les cuiss·es, des colonnes de miel noir".
(77)
Devant un masque
Bambara représentant une antilope, SENGHOR est à l'écoute d'un chant
..
. ~:
"Strophes des cornes et des oreilles, antistrophe de la queue et du
cou".
(78)
Mais l'oeuvre d'art est davantage qu'un morceau de bois sty-
lisé, il faut qu'elle véhicule une signification. Rythme et sens sont
les deux composantes de l'esthétique africaine. L'oeuvre d'art africai-
ne, qu'il s'agisse d'un poème ou d'une musique, d'une sculpture ou
d'un masque, n'.est considérée comme achevée que si elle "fonctionne".
Elle perd toute valeur dès que cesse son rôle fonctionnel.
"Parce qu'en--
gagé, écrit SENGHOR, l'artisan-poète ne se soucie pas d'oeuvrer pour
(77)
SENGHOR Les lois de la cultuve négro-africaine p. 63
(78)
SENGHOR op. dt. p. 63.

- 92 -
prit et le style, on se~dépêche de r e mo l a ce r l'ancienne - en L'<ac t ua-
lisant - dès qu'elle se démode ou se d>?-trui.t ll •
(79) Cette façon de
traiter l'oeuvre d'art a DU faire croire à certains Européens que les
Noirs mép ri s en e ou i gno ren c La v a l eu r ?c'Jpre:Eenc artistique ci1une o e u-
vre eC ne connaissent qu'un art fonctionnel, non "l'art pour l'arc".
Donc il n'y aurait pas en Afrique d'art véritable, mais tout au plus
des arts décoratifs, artisanaux.
c'e~t que en mati~re de jugements esthêtiques en général,
on peut adopter deux points de vue profondément différents : celui du
créateur, ou celui du consommateur-spectateur. Ce qui touche le plus
immédiatement l'artiste, c'est le processus créateur lui-même
le
spectateur s'intéresse à l'objet terminé. Or, l'art est passé depuis
plusieurs siècles en Europe sous la coupe du consommateur-des collec-
tionneurs, pour ne pas dire des marchands~-ce que recherche l'artiste,
c'est d'augmenter à ch~que nouvelle oeuvre son pouvoir de communica-
tian et son potentiel de. créativité
l'oeuvre finie,
lui apparaît né-
cessairement corr~e une étape, une transition, un moment de son évolu-
tion pevsonnelle. Rétrospectivement, il n'y voit plus qu'un exercice
préparatoire. Pour le colle~tionneur, au contraire; l'oeuvre d'art est
un objet en soi, qu'il classe, compare et étalonne, et sur lequel il
s'appuie pour formuler des jugements de valeur somme toute personnels,
entendez par là, "subjectifs" et partiaux.
Mais nous savons de nos jours que ces jugements sont démen-
tis dans les faits.
Des artistes européens de premier plan - un Kir-
chner, un Braque ou un Picasso - aussitôt qu'ils découvrirent la sta-
tuaire africaine; comprirent la magie créatrice des Africains. De son
côté, l'Exposition Egyptienne 1lRA.'1SES II'' à Paris en témoigne. L'oeuvre
d l a r t e s t davantage. qu'un.. objet en' soi, il est pourvu d'un rythme et
r
d'une signification. En. Afrique, l'art n'est jamais un objet, mais tou-
jours un acte, un mode d'existence.
(79) -
SENGHOR op. cit.. p. 57

- 93 -
..Ai nsi la s r ar ue peut d'a.Dnrd e xp r i mer une i dê e 'sociale) par
exemple la maternité:
l'idée de Li. femme portant un enfant.
De même que
l'id~e de la chefferie, de maladie, d'hospitalité ou de divination. Ou
encore la statue de l'anc~tre. La statue peut aussi exprimer une idée
morale ou
r e l ig i e u s e ~
l'idée de goût ou de gl:J~rre chez les Fang du _Oa-
homey. Le lionceau est le symbole du roi CHEZO du Dahomey. Sous les ap-
parences du lion, de l'éléphant, de l'hyène, du crocodile, du lièvre,
de la vieille dame, nous lisons clairement les structur2s sociales et
les passions. Les objets sculptés sont décorés de mocifs que l'on re-
trouve continuellement à cause de leur symbolisme ~ le lion est le 51.-
~e de la robustesse et partant dé la royauté au même titre que la pan-
a
thère et l'éléphant;
l'hyène, la couardise·;
le serpent, la force et
la so uo l e s s e . Le caméléon, par sa démarche précautionneuse, son mimé-
tisme, représente l'univers en formatiJn. Et la liste pourrait s'allon-
ger indéfiniment. Mais la statue peut exprimer aussi un Withe, mieux
encore, une cosmogonie comme dans les statuaires Bambara et Dogon.
Chez les Bambara, nous avons un cimier en forme d'antilope qui symboli-
se un être semi-humain qui a enseigné l'agriculture aux premiers ancê-
tres. Aussi, les jeunes gens portent-ils ce cimier et dansent-ils pour
encourager les travailleurs qui sarclent le mil. Le masque lorsqu'il est
porté remplit sa fonction mythique. Le masque Kanaga (Bambara) est d'a-
bord le symbole de l'homme, puis celui de la création.
Les Sigi (Dogon) sont des masques très hauts que les danseurs portent,
représentant ainsi la maison des 80 premiers ancêtres. Le plus grand
d'entre eux représente le serpent mythique. Il rappelle l'immortalité
des ancêtres puisque le serpent survit à ses mues. A l'origine, les hom-
mes ne mouraient pas; quand ils étaient très vieux ils se transformaient
en serpent. Les' Dogon racontent qu'un vieux ayant rencontré des jeunes
qui portaient le masque leur a parlé le langage divin. Ce langage étant
incompris des Jeunes, ils ont fini par tuer l'ancêtre pour se venger de
lui. Tous les 60 ans, on exhibe le grand masque et.on répète le rituel
Sigi en souvenir de cet ancêtre mythique. Le masque traduit un sens en
symb~les visibles.
En somme,
toute la sculpture est l'expression de la vie vé-
cue. Mais les autres arts n'en demeurent pas moins l'expression de la
vie, telles que la danse et la musique.

- 94 -
10 1 a danse
D'abord la danse. Si le poème se dit dans le langage parlé
(p r os e poê t i c ue ou ve r si f i
e ) ou chanté (le poème n'est pas accompli
é
s'il n'est chanté, comme d'ailleurs nous l'avons vu), la danse peut se
dire le langage du corps.
Il est un autre mode d'expression de la vie:
-â- -La fois,
source et ·erre t de l'émotion, nous voud r i.on s. 'di re du ry t hme ,
Car le ry chme est 2>lCOr2" a.1us. rnan i Ees c e dans la dan s e ,
La danse africaine répugne au contact des corps. En revan-
che les mouvements rychmés du corps et les souples contorsions des mus-
cles s'avèrent l'expression de la vie même, le symbole de sa plénitude
et de sa richesse d'être. La danse incarne et renforce, en émotion et
en intensité, les intensités et les requêtes profondes de l'âme. On dan-
se pour dire et produire la joie, la certitude d'être-soi, l'admiration,
la communion, le courage qui naît, renaît ou s'écoule,
la force qui se
transmet, attaque, triomphe ou s'élargi.t,
l a fécondité q ui
augure ses
fruits et qUi les obtient. Labours, mOissons, chasses, chants, divina-
tion parfois, apparition du premier croissant de lune, mariages, impo-
sition du nom aux enfants, naissances de jumeaux, mais aussi toute oc-
casion de réjouissance, de gaîté, de joyeuse surprise, tous ces événe-
ments donc sont chaque fois et spontanément des provocations à la dan-
se. En même temps que l'émotion se dépose ou émerge dans l'âme, elle
met en branle les muscles, sans que la conscience réfléchie et la volon-
té impérative aient à intervenir.
Danse spontanée, partiellement improvisée, elle n'est toute-
fois nullement désordonnée. Le ryth~e des mouvements et l'harmonie de
l'ensemble commandent les étapes successives de son déroulement. SENGHOR
montre bien cette h a rrnon i e lorsqu'il parle d'une danseuse Sénégalaise:
"Le balafong de ses pieds ... "
(En Afrique,
le balafong est l'ancêtre de
la guitare moderne). C'est dire que la danseQ'est pas laissée au hasard
des détentes ou des caprices des muscles, elle obéit à des impératifs
ressentis"intérieuremen~par le danseur; c'est-à-dire que le danseur
est en harmonie avec le ,rythme de la danse. C'est comme s'il a la danse
"dans le sang".

- 95 -
cIe et qu'il observe non seulement les ex§cutants attitr€s
mais cous
ceux qui y prennent part par leurs yeux captivés, les gestes de
leur
v~sage et du corps entier, et surtoue les battements de leurs mains,
qu'ils regardent ou admirent, mais une
ac t i.on commune à laquelle tous
participent. La danse est communion harmonieuse de l'individu et de
la communauté, du coeur et du corps. Par ce biais, la distinction en-
tre esprit, émotion; corps er: muscles est bien tranchée. Autrement
dit, toute danse récèle une .signification.
Une fois de plus, rythme et sens se trouvent être les com-
posantes de cet art chorégraphique. Concernant la danse, en réalité,
le sens est conssubstantiel au rythme, car le danseur par le corps in-
terprète des significations qu'il faut deviner, àécouvrir. Bref, les
ges tes du danseur -
le rythme - t r adu i se n t
ées sens. Un p re mi.er exem-
ple nous est fourni p~r la danse Attigbla des Akan de la Câte d'Ivoire.
Le danseur fait la roue pour montrer son opulence. Tantât, il éclabous-
se le public de la poussière de ses pas: cela traduit le mépris du ri-
che pour les pauvres. Tantât, il joue à la chasse, ici c'est l'entrepri-
se du conquérant:
le chasseur qui tue le gibier est victorieux.
-Le'·second exemple- est la danse du masque Dogon, Sigi. Le
masque ma~son à étages danse le mythe cosmogonique. Lorsque le danseur
saute, il exprime la descente de l'arche du monde. Lorsqu'il tourne sur
lui~même, c'est le tour du monde qu'il fait. Lorsqu'il salue les quatre
points cardinaux, il réédite la marche du soleil, ou prend à travers
cette marche possession de l'univers.
I l Y a aussi l'exemple de la danse du masque de la "femme
Peul". Les Dogon y font la satire de la fenune Peul. Tout Européen, qui
a vu danser le masque "fenune Peul" a interprété sa danse conune expri-
mant la grâce, l'élégance, la coquetterie, voire une certaine minauderie,
et la mise en rapport avec la beauté et le charme des fenunes de ce peu-
ple. Le spectateur Dogon y voit autre chose : une moquerie dirigée con-
tre la paresse si caractéristique (à leurs yeux) des Peul en général

-
96 -
et de leurs fE-rrrrnes en o a r c i cul ie r ,
Tous les mouvements du masque "femme Peul ll sont en rapport
avec cette idée de paresse :_ e l l e se La i s s e tomber sur le sol comme S1.
elle refusait de danser;
il
faut la r21ev2~ et lui frotter le dos pour
l'encourager à continuer; elle saute en pliant la jambe en arrière pour
montrer qu'elle "recule" devant le travail; elle saute d'un pied sur
l'autre pour divorcer et s'en aller;
le geste des mains vers les relns
e xp r i me à la fois 'JU' elle est fatiguée et qu'elle "en a assez" de
tra-
'lai 11er ...
Avec la danse du masque "j eune fille" (Dogon), nous voyons
se manifester l'antagonisme des sexes, l'orgueil et la "mauvaise volon-
té" des femmes (vue sous l'angle masculin). Le masque tourne la tête de
côté pour dire non au mari qui vient la chercher, habitude courante des
filles Dogon lorsqu'elles sont encore au stade préconjugal ; puis il
saute en faisant un grand geste du bras qui "chasse le mari".
La danse est donc une littérature, du mOlns elle en contient.
Tantôt littérature mythologique, tantôt littérature gnomique;
tantôt
littérature sociale qui exprime soit l'antagonisme des Ethnies (le ~as­
que "ferrnne Peul" oppose les Dogon aux Peu 1), soi t l'antagonisme des
sexes, soit des rivalités socio-économiques: les riches et les pauvres.
Il y a de la parole dans la danse. Cette littérature est plus ou moins
ésotérique: il comprend un sens profond accessible aux initiés et un
sens artificie 1 "percep tib le" par le grand pub lie. L'émotion es thétiq ue
est toujours-lié à ces sens.
2° la muslque
Quant à la musique enfin, elle véhicule elle aUSSl un langa-
ge. La musique est liée à la parole et à la dans e çr.s ûr emen t plus au poè-
me qu'à la danse. Quand on sait d'une part, que le premier des arts en
Afrique est la poésie, non la sculpture, et que d'autre part, c'est la
musique q ur ac compague i t o u t.i poèma , on peut affirmer que la musique de-
meure avec la poésie, la base de toute littérature africaine: c'est ce
qu'a bien voulu exprimer Amos TUTUOLA en écrivant: "Et lorsque de lui-

- 97 e-
me me "Tareb cu r " se mie ii b a t t r e ,
tous les ge n s
qU.L
ét aien t
morts depuis
de s centaines ci f annê e s .se levèrent. p o u r 2tre r êmo i n s de cet êvènerI:eIlt :
"Tambour" qui nattait le t amhou r ... " (80) Quel est ce tambour qui f a i t
tant l'unanimisme des vivants et des morts sinon qu'une écriture qui
Une des deux fonctions de l'écriture c'est de conserver ce
qui fut pensé à un moment du ~assé.
(81) Là ou des conditions climati-
ques la permettent, at là où il y a des pierres à profusion, il est pos-
sible de conserver des rouLeaux de papyrus, souvent intacts ou presque,
à travers des millénaires. Ce qui fut le cas dans les pays européens.
Mais au Sud du Sahara, la pierre est rare, friable et se prête mal au
transport qu'au travail du c~seau. On eût pu certes tirer parti du papy-
rus ou du cuir tanné comme support de l'écriture, mais quel intérêt ce-
la pouvait-il présenter dans un pays où les conditions climatiques et
zoologiques condamnent ces matières à une prompte disparition?
Quel sens pouvait-il y avo~r alors à confier les pensées des
hommes à un matériau qui n'eût pas, 1 ',expé r i en ce le mont rai t à chaque
instant, survécu ou à pe~ne au scripteur. Même au sens matêriel, la pa-
role, en Afrique, est plus puissante et plus durable que touees choses.
Par ailleurs, la conservation des connaissances acquises n'est
qu'une fonction secondaire de l'écriture. Plus importante en tout cas
apparaît sa fonction de moyen de cowmunication. Voici la définition de
l'écriture: signes dessinés, peints ou imprimés qu'emploient les hom-
mes pour transmettre un message. L'écriture est le mode de transmission
des nouvelles le plus important qu'utilise aujourd'hui encore la cul-
ture occidentale, qui durant des millénaires n'en avait èonnu aucun au-
tre. L'Afrique, par contre, n'éprouvait aucunement le besoin de recou-
rir dans ce but à un procédé graphique, car en ses lieu et place e l l e ·
(80)
Amos TlffUOLA i7;.' JAHN : l'1untu p. 211 .
tei)
Gravée dans
la pierre ou figurée sur les rouleaux de papyrus ou
de parchemin, l'écriture s'es t remarquab Lement: acquittée de cette
tâche dans l'ancienne Egypte.

- 98 -
avait ciêveloppê au ma~lillUlli ~2S
s so u r c e s de.
la
l an gue des
t am--t ams
(ou
tambours; s laquelle à plus d'clil ~g2.:rd: surpasse l'§criture inoy e n e f f i c a-:
ce de transmettre les mes s age s . Plus rapide. qu'Lm messager monté à ch e-:
val,elle p er me t en outre de transmettre un message à un grand nombre
d l h ommes
et p2ut les atteindre en
cous
l i e ux qu ' ils se t r o uven t
dans
un
rayon déterminé, ce en quoi ses limitations sont moindres rnême que cel-
les du télégraphe ou du téléphone. Il a fallu à"l'époque la plus récen-
te l'invention de la radiophonie pour qu'apparaisse un moyen de trans-
mission réellement s unê r i e u r il. celui-là.
Si, approfondissa~t're'con~ept-d'écriture,nous consentons
à le définir, non par ses modes de réalisation matériels ·tels que les
reflète l' étymo logie du mot dans les l an gue s européennes, mais plutôt
par la finalité assignée à ses signes "employés par les hommes en vue
de transmettre un messages nous pouvons même dire que la langue des
tam-tams est, en ce sens) urie- forme d'écriture:
l'une serait alors ca-
racté risée par la possession d'une "écriture graphique" formée de carac-
tères, l'autre par la possession d'une forme "acoustique" d'écriture
reposant sur les possibilités de transmission des instruments à percus-
s i on , A parler rigoureusement, on ne peut pas dire que la culture afri-
ca i ne soit une culture sans écriture.
(cf note 14)
Chacun des deux types d'écriture se recommanderait alors par
un avantage spécifique découlant de la nature de son matériau
l'écri-
ture graphique par son aptitude à la conservation prolongée des messages,
l'écriture acoustique par ses possibilités de transmission plus rapide
à longue distance, ce q u t ne présente pas peu d' importance sur un con-
tinent où les distances sont à l'échelle de son immensité. Beaucoup de
langues africaines sont des langues à t~Ds dont il est délicat et malai-
sé de transcrire les pho~èmes au moyen de l'alphabet latin. Cep~ndant la
langue du tam-tam n'est pas une sorte de code Morse comme l'imaginent
la plupart des non-Africains. La langue du tambour est la traduction na-
turelle et immédiate de la langue, une "ê cr i t ur e " directement compréhen-
sible pour tous les sujets parlants utilisant cette langue, mais qui
s'adresse non aux yeux mais à l'oreille.
-,

- 99 -
Quelle p rê c i s i on ac c rue présente la lan ;~~r.~ du tam--t2ffi \\115-
à-vis des procédés classiques de vers i f i c at i on
Çriœe s , c on tre-r ri mes ,
allitérations et rythmes)
: ce n'est pas seulement le rythme et la mé-
lodie qu'elle met au service de la conservation mnémique du texte can-
c eru é ,
c l e s t
lr~~:s(=tTIbte.-_dlI débit ve rb aI q u i
trouve un aux.i l i.a i r e ~lé-
mo t e chni q ue Lmmé di e t e men t donné dans la structure des langues à tons.
T:'Hêcritu-re- tam-tam" par formules de bat tements appe Ile aujourd t hui en-
core les Loas au Vaudou en Haïti et les Kor€
au Komo, dans les confré-
rléS
d!initiation négra-africaines. De même Le tamrtaru ordinaire
rassemble des toules aux mêmes occaSLons que celles cle la clanse (men-
tionnées ci-dessus) ,eL le plus so uven ti
l'o:ccasion du deuil.
â
En Afrique, le batteur de tam-tam officiel n'est pas seule-
ment celui qui transmet les nouvelles:
les épopées du passé, les nou-
velles des ancêtres, c'est lui qui les proclame dans les occasions so-
lennelles. Chez les Akan du Ghana,
il est appelé le "divin batteur de
tam- tam". Sur ses· connaissances, son- rang social, des e thno logues afri-
cains nous rense-ignent ~ - ainsi' Le : Dr. DANQUAH : "Les batteurs de tam--
tam doivent être familiers des actes héroiques de nos ancêtres.
Ils doi-
vent connaître les traditions de notre pays, sinon ils ne pourraient pas
présenter en public les poèmes lyriques, les épopées, les hymnes, qUl
sont évoqués au tam-tam. Pendant qu'il bat le tambour, le batteur est
considérée comme une personne sacrée. Il jouit de L' i mmun i cé contre tou-
te agression, il né peut être lésé, et i l ne doit pas être interrompu".
(82) NKETIA dê pe i n t 1 a condi tion sociale du bat teur de tam-tam officie 1 ;
"Le batteur de tam-tam officiel se trouvait être le plus près des es-
prits du chef de la tribu.
Il jouissait de privilèges et il lui était
même permis de dire, sur le tam-tam, des choses désagréables au chef
de la tribu, sans avoir à compter sur des châtiments".
(83) Les bat-
teurs de tam-tams officiels sont les historiens de l~Afrique, déposi-
taires attitrés, donc, de la civilisation Négra-Africaine. Ils peuvent
être comparés à de vastes bibliothèques dont les multiples rayons sont
entre eux par toutes les générations des ancêtres, comme le montre si
(82)
DANQUAH, J. B. : Akan LaùJS and Customs, London, 1928 p.
51
(83)
NKETIA, J.H.
: The Role of the l1rwnmer in Akan. Society, î,n Afri-
can Music I, 1, Roodepoort (Transvaal),
1954, p.
36 S.

-
100 -
si b .1. er! le-- C ::lm-- t 2.ITl~ IJU 1
1. e 3
dé fun t s à
la Vie.
50-
f o n c t i o n
i
e
(c'est l'3~lpel1acion'officielle des
t t e
de
t
c
a
l
d e s
g r i o t s
o
a
u r
s
a n r -
tam) esc si fondamentale à la sociêt€
o~ ils vivent, que la dispari-
tion de l'un d'entre eux oe u t être qualifiée de "calamité nationale".
Pour p a r od i e r 1<:', belle e xp r e s s i cn du sage :\\madou Hamp a t è
BA, cet .:Uri-
cain membre du Conseil Exécutif de l'Unesco, lorsqu'il s'inquiétait de
la disparition des vieillards en Af r iq ue , nous pourrions affirmer
quand un griot meurt, "c'est une bibliothèque qui brûle ... "
Hais au plan musical proprement dit,
la mus i q ue est davanta-
ge qu'un sim~le mode de transmission de messages
elle est reconnue
comme l'expression par excellence des rythmes au sens de l'esthétique
africaine.
Le génie musical des Africains n'a pas été aUSS1 unaninement
reconnue que leur génie dans la sculpture malgré l'influence très répan-
due qu'ils ont exercée sur la musique dans le monde. Grande, en effet,
est leur aptitude à inventer des rythmes. Partout où les Noirs d'Afri-
que sont passés, la trace dè leurs rythmes s'est fait sentir. Aux Etats-
Unis, la mus1que des esclaves africains a été la seule musique folklo-
- r ique amêr i c a i na , et c'.est à c-e-jour l-a contributiona.rtistique la
plus belle et la plus typique qu'elle ait à offrir au monde.
Des trois éléments utilisés en musique,
la mélodie, l'harmo-
n1e et le rythme, le premier n'a relativement qu'une très petite place
dans la musique africaine. "Dans la musique négra-africaine, le rythme
prime la mélodie, fait remarquer SENGHOR. C'est que le but de la musi-
que, est mo1ns de charmer les oreilles que de ren-forcer la parole, de
la rendre plus efficace. D'o~ la place accordée au rythme, aux chutes
brusques, inflexions et vibrati". (84)
De l'harmonie on doit dire que le Noir a une connaissance-et une intui-
tion instinctives. Dans les chants des Noirs-Américains eux-mêmes se
(84) - SENGHOR op.
dt. p.
63.

-
101 -
rêvêle le sens de l'harmo~ie. La réputation qu'on accorde traditionnel-
lement aux chanteurs noirs est due pour une grande part à l'enchante-
ment produit par la spontanêité de leur m~se en harmonie. Il faut ajou-
ter à cela le trémolo vibrant d'émotion qui est le propre de la vo~x
des Noirs. Cette qualité mystérieuse donne à leurs chants grâce et cou-
leur. Remarquons aussi que quelques-uns possèdent une étonnante virtuo-
sité. BURCHELL, un célèbre anthropologue du XVIIIe siècle, dans son li-
vre "Voyages à l'intérieur de l'Afrique du Sud", décrit le chant mélo-
dieux des Bechuana.
Quelquefois l'un d'entre eux menait l'orchestre et
les autres s'y joignaient à des intervalles différents et, guidés seu-
lement par l'oreille, accordaient leurs vo~x en une juste harmonie. Les
garçons plus âgés dont les voix étaient d'un timbre plus grave chantaient
la basse tandis que les plus jeunes chantaient dans le registre plus é-
levé du soprano.
Il démontra que les Bechuana chantaient également à
plusieurs voix. La mélodie de leurs chants est assez simple, consistant
principalement en tierces montantes et descendantes, tandis que les
chanteurs ont une conna~ssance suffisante de l'harmonie pour chanter à
deux voix.
Dans le domaine du rythme, le talent démontré par les Afri-
cains quant à l'invention des rythmes les plus variés tient du prodige.
Le docteur Henry KREHBIEL, après une visite au village Dahoméen de l'ex-
position universelle de Columbia qu~ eut lieu à Chicago en 1893, écrivit
"Un témoignage plus frappant du don musical des Dahoméens fut les danses
guerrières qu'ils présentaient chaque jour à plusieurs reprises le ma-
tin et l'après-roidi. Ces danses étàient accompagnées par un chant choral
et par le battement harmonieusement cadencé des tambours et des clochet-
tes;
la partie était chantée à l'unisson. L'harmonie consista~ten un
accord majeur de trois tons, rythmé d'une façon extrêmement complexe et
ingénieuse. Les instruments étaient accordés avec une saisissante préci-
v
sion. Le diapason était fourni par un tambour fait d'un cylindre de bois
creusé, long de trois pieds environ et recouvert de peau d'un seul côté
celui qui en jouait, de la paume des mains, ~emble être le chef d'or-
chestre quoiqu'il ne donnât visiblement aucun signal de direction. Di-
vers autres tam-tams plus petits, dont certains n'avaient qu'une peau,
se jouaient soit avec les doigts, soit avec des baguettes.

-
102 -
Les clochettes au nombre de qUJtre étaient en fer.
On les tenait ren-
versées et on les frappait êvec des bâtons. Les joueurs faisaient preu-
ve d'un sens rythmique et d'une virtuosité remarquable.
"Berl.ioz , dans sor! e f'[oi-t: sup rême , avec son artré e de tiamaoune , ne
produisit rien de comparable en ~aleur artistique avec le batte-
mentrhartron ie ux dee tam-::a.J1S d3 ces sauvages. L'effet fon.damental
tait une comb-iriai eon de mesures à deux ou trois temps ~ les premi
é
è -
res exécutées par les chanteurs 3 les secondes par les batteurs;
mais il est impossib le de donner une i.dée de toute la gamme de
rwances que ces derni.ere peuvent: obten i r des uari.at i onc Y"JtJzrrriques 3
de la syncope~ ou deux à La iois
ainsi que d'autres techniques
3
tout aussi dynamiques ",
(85)
On s'aperçoit alnSl que merne des ensembles folkloriques ne
produisent pas une orgle de sons désordonnés. Bien au contraire, ils
atteignent à une qualité rythmique très remarquable, avec un mouvement
subtil, qui reste en parfaite harmonie avec l'extase quasi "religieuse"
qui s'y manifeste. A ce titre, ces rythmes des t anr-t arns. de jadis sont
d'incontestablevaleui artistique.
Pour ce qUl est de la muslque moderne, rien n'a ?lus profon-
dément marqué notre époque que l'apparition du jazz, ~2 rythme qui tire
son origine de l'Afrique. Un fait qui aurait semblé impensable à quicon-
que vers les années 30 est l'admission du jazz dans les programmes uni-
versitaires : les études de jazz sont sanctionnées par un diplôme à l'U-
niversité de Boston et à celle de Los Angeles, aux Etats-Unis.
Un autre
fait non moins important: dans les villes connues pour avoir réagi très
froidemen t lors des vis i tes de dip lomates américains - Karachi, Is tanbul
et Belgrade, .par exemple -
l'orchestre de jazz du trompettiste Noir Louis
A&~STRONG a reçu un accueil délirant. Ces résultats ont été obtenus
grâce à la vigueur magnétique et la puissance exaltante qUl sont le pro-
pre du jazz. Le "rock'n'roll" n'est rien d'autre que le sous-produit du
jazz; èt pourtant c'est lui qui a le plus d'emprise sur le public d'au-
jourd'hui, car il provoque une véritable hypnose.: Les psychiatres y ont
(85) -
Dr. KREHBIEL~ H. in Présence Africaine : ~uxième Congrès des
Ecrivains et Artistes Noirs~ Paris~ 1959
Tome I I p.
295.
3

-
IOJ -
meme découvert un nouveau champ d'6.tude. Ils font allusion à "la flam-
bée spontanée de cette jeunesse qui veut à tout prix s' affirmer", ou
bien à "ces enfants émancipés qui se sont passionnés pour le rythm and
blues, le charleston, le swing, le boogie et le·'pop, et qui pourtant se
sentent encore frustrés", ou encore à "l'inévitable exubérance de la
jeunesse". Avec le jazz et ses sous-produits, les rythmes négra-afri-
cains ne peuvent que drainer des foules et gagner en envergure artis-
tique. C'est un"mécanisme" fait homme.
'Par'arlleurs, la mus~aue dewEDreune forme de la pensée.
:El1o'·un.sens, elle. est Li parole superieure •. Chez les Dogon, elle
possède une signification religieuse et cosmique. Dans la musique il y
a le message de ceux qui on~ organisé l'harmonie dans le monde: le
Nommo, par exemple. Mais dans la musique, il y a auss~ le message des
ancêtres qui ont organisé la société, les i~stitutions : ce sont eux
qui parlent à travers les battements des taITïtams, ce sont eux qu~ ~n­
troduisirent les rythmes fondamentaux dans la culture.
Mais ces messages sont traduisibles en paroles humaines.
Ainsi, ~es instruments de musique sont le symbole des voix humaines.
Le systèree musical repose sur des conceptions humaines de mariage, de
dialogue, d'échange et de communication. Ce qui s'exprime dans la varié-
té des formes musicales, ce sont les situations psychologiques des hom-
mes aux prises avec tous les problèmes de la vie sociale.
Comme la ?a~
raIe, mais à un degré supérieur, la musique favorise les rapports so-
ciaux, réconforte les affligés, suscite les unions, les rend fécondes
bref, la musique renforce les rapports sociaux. On le.voit, la musique.
est la forme la plus achevée du langage; "c'est la parole de science",
disent les Dogon:, allusion f a i t e a la langue du t anr-t arn , vestige de la
i
connaissance séculaire. Ainsi, en définitive, la musique est la forme
éminente de la connaissance.
Allons plus loin encore, dans l'explication de la démarche
artistique des Nê g r o-Af r i c a i ns . Avl a différence de la conception euro-
péenne des rapports entre l'ho~e et la nature, qui s'expriment dans
les techniques et les arts de l'Europe depuis la Renaissance,
• >

-
!04 -
conception selon laquelle la nature es( un chantier lnerte auquel seul
l'homme donne la 'He en lui i mpo s an t
son ordre, la con ce p t i on qui s'ex-
prime à travers tout l'art africain, de la poésie à la sculpture, cie
la danse à la musique, est celle d'une nature considérée comme un tissu
de forces vivantes. Le problème, qui n'est pas seulement un problème
artistique mais un "problème de vie" ,.: est de.· c ap t e r. ces forces éparses
et de former avec elles un noyau de réalité plus dense. La poésie, la
musique, la sculpture, la danse, sont a~nq~ des accumulateurs d'éner-
gie incarnant et renforçant l'énergie de l'ancêtre ou des dieux pour
Lai t r ans met t r e à la commun au t é •
Ai ns i. est suscitée une présence et une
force supérieure à celle de chacun des participants et même à la sim-
ple addition de leurs forces individuelles.
Les caractères esthétiques de cet art africain découlent de
sa finalité fondamentale: il s'agit, en dansant ou en sculptant le
bois, non de chercher à imiter un-e apparence sensible, mai s de dorme r
une forRe visible à une présence invisible. S'approprier la puissance
ou la vitesse de l'animal à sculpter, exige non une copie littérale
mais la saisie du mouvement ou du rythme qui anime la bête ; réactiver
les vertus de l'ancêtre n'exige pas que l'on évoque la ressemblance de
son corps ou de son ·visage mais la tension qui était en lui et qui
s "exp r i me-, de façon prodigieuse dans l'agencement des rythmes des vo lu-
mes , ·la tension -i n t e rne des. formes.
La. volonté -de créer un noeud ou un
noyau plus dense, au maxi~um.de leu~·tension, condui~.au dépcuillement de
tout ce qui est anecdotique, accidentel, afin de communiquer cette for-
ce : d'où le caractère monumental d'oeuvres même de petit format, leur
uni té rythmique.
L'attitude du sculpteur noir est ici radicalement opposée à
celle du, scu1pteur grec par exemple. Juan GRIS, q u t
a poussé jusqu'à
son terme l~ logique du cubisme synthétique, a très bien discerné le
sens de cette grande inversion : le sculpteur noir va de la force de
l'ancêtre à la forme qui en est le réceptacle, alors que le sculpteur
grec cherche à exprimer le divin par un passage à la limite à partir
des figures humaines dont il s'est inspiré. Cette grande inversion n'a
pas seule~ent transformé l'art européen en mettant en cause tous

-
105 -
les postulats sur lesquels il se fondait depuis
La Renaissance, et m~­
me depuis l'êpoque classique grecque: par la conception du monde sur
laqu~lle il repose, l'art africain rejoint l'image que la science la
p lus mode me nous donne de la nature.
La physique nucléaire et relativiste ne conçoit plus la ma-
tière comme un ensemb le d'atomes, part i cu l.i e s: cornpac tes ou bi Iles ins é-
cab les dans lesquelles il ne se passerait rien
et liée entre elles par
r
des relations externes, à la manière des atomes de Lucrèce ou des pla-
nètes de l'Univers newtonien, mais comme des champs d'énergie dans
les-
quels se nouene et se dénouent, en des points singuliers, comme se font
et se défont les vagues dans la mer, des forces et des tensions qu~
parcourent le champ tout entier. Ce qui rejoint la vision fondamentale
de la nature dans l'expérience africaine des arts èt de la vie, de la
culture qui les sous-tend.
Dans une telle perspective l'homme est en continuité avec
la nature et soucieux de son harmonie avec le milieu où il vit. Lors
du dernier colloque sur la Négritude, M. Assane SECK donnait un exem-
ple éclatant de ce souc~ : "Quand les forgerons de Basse Casamance, di-
sait-il, eurent l'idée de ferrer le bout de la pelle en bois qui ser-
vait à la culture, la collectivité Diola, bien que tout de suite con-
va~ncue de l'efficacité du nouvel instrument, ne l'accepta que lors-
qu'elle fut assurée que son emploi n'entraînerait aucun déséquilibre
fâcheux ni dans le sol, ni dans le milieu social. C'est alors seule-
ment que la société l'intégra dans le patrimoine général. Le souci de
l'harmonie est l'un des éléments les plus précieux de no~re héritage
culturel".
(86)
Il Y a là une démarche culturelle fondamentale, qu~ est ma-
lheureusement perdue ën Europe et aux Etats-Unis depuis des siècles, et
dont l'objectif majeur est de permettre l'épanouissement de l'homme
(86) -
ASSANE SECK~ in- Présence -Africaine~n c spécial. -19?:3~ "Hommage
à KWAME NKRUMAH"~ p. 117.

- loa -
avec le mili~u oG il vit. Cette approche esthétique de la VIe est â
l'opposé du grand rationalisme de Socrate, de Leibniz ou de Hegel, et
du petit rationalisme positiviste d'Auguste Comte, pour lesquels rien
n'a de sens nI meme d'existence réelle en dehors de ce qui peut être
ramené à la raIson, à ses concepts et à ses discours.
Dans la tradition
occidentale; la compo s an t-e- esthétique est con s i.dê rêe comme résiduelle.
Nulle place n'est laissée à ce que, par exemple, le taoisme appelle le
IInon-savoi;:'(S6 bis) c'est-à-dire,en ré al i cê un savoir non médiat, llacte
ç
de participation par lequel nous coïncidons avec le mouvement de l'être.
Si l'Occident a eu l'habitude, depuis Socrate, comme l'a montré Nietzsche,
de sous-estimer l'importance de ce qui échappe au réseau des démarches
purement intellectuelles, aux hypothèses, aux déductions, aux vérifica-
tions, aux dialectiques de ses concepts et de ses langages, l'expérien-
ce e s t hê ti q ue aide cependant à cerner les réalités majeures qui échap-
pent à cette emprise :. lorsque j'ai analysé un tableau, il ne m'est pas
possible d'établir par voie démonstrative qu'il est beau et doit vous
émouvoir, t.ou tvau vpLus puis-je vous conduire jusqu'au point où c'est
vous seul qUI éprouverez tout ce que je n'ai pu dire. Cela est plus é-
vident encore d'autres arts comme la musique et la danse: dans la tra-
gédie grecque primitive le choeur se mettait à chanter et à danser
pour exprimer et transmettre ce que les mots ou le mime ne pouvaient
exprimer et transmettre. L'angoisse de la mort, ou le désir, ou l'amour,
ou la foi qui fait joyeusement affronter le s ac r i f i ce au croyant comme
au militant révolutionnaire, ou l'émotion devant la beauté d'un site ou
d'un être humain, demeurent irréductibles au concept. Ce n'est point
signe de déchéance: les actions utilitaires, techniques, et les objets
qu'elles construisent peuvent s'exprimer par les concepts et les lan-
gages tout comme le mouvement des astres ou des atomes. Mais toute ex-
périence vi tale- Olt. tout: acte' spécifiquement humain qui transcende la
connaissance ou la pratique quotidienne exige, pour s'exprimer que soit
tran~cendé ce langage: c'est ce que disent la musIque ou la danse, la
sculpture ou la poésie africaines, -
des arts dont les oeuvres ne sont
pas un luxe, mais "des oeuvres d'arts" dans le sens de l' esthétique a~
fricaine, oG la beauté est une force vitale efficace - des arts dont la
tâche, disait Paul KLEE, est de "rendre v i s ib Le l'invisible".
(86 bis) - Concernant Le t aoieme, on peut coneul te r avec intérêt L"ou-
vrage du "maitre" LAO TSEU~ eauoir , "Tao Te King" (le Li-
vre du Tao et de sa vertu) .. aux éditions De mnj-Li vres , Paris ..
1951.

TROISIEME PARTIE :
SIGNIFICATIO~ DU VITALISr1E AFRICAIN

-
108 -
La vie ne s'échange pas contre dee centaines de vaches.
Abbé Alexis KAGAME
La Philosophie Bantu-Rwandaise de
l'Etre, p.
183.
L'enseignement des arts africôins, c'est la pass~on pour les
rythmes, nous dirions.de la vie) cette vie qui s'est manifestée en ou-
tre dans les.. domaines cosmologique et anthropologique (comme nous les
avons étudiés). Force nous· est de dégager maintenant la signification
. de- celle-ci, si elle n'est.déjà impliquée dans celle-ci.
Les Africains exaltent la v~e pour trois raisons.
Il~ cons~­
dê ren tvd I abo rd la vie comme une
réalité positive. Ensuite, ils se la re-
présentent comme une valeur suprême. Enfin, ils l'assimilent à l'éterni-
té. Telles sont les significations profondes de la vie que nous examine-
rons successivement. Par ailleurs, nous en esquisserons l'explication so-
ciologique.

-
109 -
CHAP l TRE l
LA VIE EST UNE RÉALITÉ POSITIVE
Par un curieux paradoxe, chez les Négro-Africains, c'est la
oort qui "octroie" à la vie sa positivité. Or, tout aussi universelle
que la vie, elle semble plus radicale envers-l'espèce humaine. La mort
reste l'événement inéluctable par excellence: "la seule chose dont nous
soyons vraiment certains, bien que nous en ignorons le jour et l'heure,
le pourquoi et le comment, est que l'on doive mourir", écrit le profes-
seur Louis-Vincent THOMAS dans son ouvrage "An t h r cpo logie de la mort".
La mort s'offre ainsi comme la négation de la vie, dè façon irrécusable.
En bref, c'est un événement fatal qui met un terme à la vie.
Pourtant, le Négro-Africain ne se laisse pas obsédé par elle,
encore moins terrorisé, contrairement à la pensée occidentale qui adop-
te une position de fuite et de négativité à son égard. "Parler de la
mort en effet manifeste, nous dit REBOUL, un "état d'esprit morbide, con-
tigu du macabre".
(87) Le Noir, lui, la transforme en événement qui ne
porte que sur l'apparence individuelle, car elle n'interrompt que pro-
visoirement l'existence de l'être singulier. Ce qui lui permet non seu-
lement de l'accepter et de l'assumer, mieux de l'ordonner selon le mot
de JAULIN en l'intégrant dans son système culturel (concepts, valeurs,
rites et croyances), mais encore de la mettre partout, ce qui est le
meilleur moyen de la maîtriser ou de la transcender.
(87) -
H.
REBOUL~
"Le dùecoure du viei l.Lard sur la mort". L'informa-
tion psychologique~ 44~ 4e trimestre 1971~ p.
75.

-
110 -
Il est intéressant de noter que le Négro-Africain n'ignore
pas la mo r t , il ne minimise pas sa portée toute-puissante; b i e n au
contraire, il l'affirme démesurément (nous venons de dire qu'il la met-
tait partout), chez lui, vie et mort, bien qu'antinomiques, s'avèrent
curieusement indissociables: "Nous sommes les habitants d'ici-bas,
nous s omme s aUSS1 ceux de l' 2u-de là", comme le fai t si bien remarquer
ce dicton populaire du Rwanda. "La mort est la V1e, perdan te, mal jouée.
La vie est la mort domptée non point d'abord au niveau biologique ma1S
social".
(88) Qu'advient-il alors de la personne dans la mort?
AI LA MORT ET LES ELE~ŒNTS CONSTITUTIFS DE LA PERSONNE HU-
MAINE
La mort apparaît comme une séparation des éléments constitu-
tifs de la personne humaine. Alors que l'être vivant est, chez les Agni
(Côte d'Ivoire), l'unité d',m ekala (l'âme), d'un woa-woê (double), d'un
aônâ (corps)
(89), la mort dissocie ces principes. Alors que l'être V1-
vant manifeste de la chaleur, du mouvement, une présence visible, le
mort es~ froid, inerte, invisible. Mais cela n'est qu'apparence, la vé-
rité est tout autre, en vertu de la vision métaphysique africaine du
monde.
Chez le Noir, l'être ne se conçoit pas en dehors de l'alté-
rité cosmique (nous avons déjà évoqué longuement la communLon de l'hom-
me avec l'univers) et sociale. Il est authentiquement (pour reprendre
l'expression d'E. SOURIAU dans "Les divers modes d'existence") "suspen-
du en abaliété". Selon une dialectique temporelle, les éléments consti-
tutifs du "moi" peuvent se rapprocher ou s'éloigner, se disperser ou
s'agglomérer sans dowmage pour la personne totale. Dans l'espace, cer-
tains constituants se localisent volontiers en dehors de l'individu
(arbre, mare, autels), soit temporaire~ent, soit de façon définitive
(88)
JAULIN~ R.~ La mort sara~ Plon 1967~ 'p. 64
(89) - AMON d'ABY : croyances religieuses et coutu~es juridiques des
Agni de Côte d'Ivoire~ Laro~e~ 1960~ Paris~ p. 20.22.

-
111
-
'Ve pousse~ CO~~E une plante
sans renards e,; sens gauchissement
vers les heures dénouée s du [our
pur et SÛl' comme une plan te
sans cruci f'iemer.i:

,,'ez's les heures dénouéee du soir".
(90) ~ di t encore le poète.
Donc les éléments du moi résident en dehors de la personne. Des muta-
tions s'avèrent possibles, par exemple entre l'âme (ni) et le double
(dya) , notamment chez les Bambara (Mali). Des substitutions partielles
s'organisent (transformation du sorcier en animal, pactes de sang, pac-
tes d'union dans la mort) et des métamorphoses fondamentales s'opèrent,
singulièrement lors des initiations ou s'il s'agit de sociétés secrètes
(hommes-léopards). Ces "mut a t i ons !", nullement incompat ib les avec la prise
de conscience de soi, font que la personne n'est jamais entièrement V1-
vante (degrés dans la mort), ni entièrement morte (degrés dans la vie),
qu'elle demeure toujours elle-même et autre chose qu'elle~même, qu'elle
est toujours ici et en même temps ailleurs, ~agabondage de l'âme, bilo-
cation des mort~. Nous sommes, ici, sans aucun doute, à l'antipode du
monadisme leibnizien. Ce sont ces croyances qui jettent-une lumière nou-
velle sur la compréhension du problème de la mort à travers la pluralité
de ses aspec~s et la diversité des destins post-mortem : ce sont
les
rapports entre la mort et le double, d'une part, entre l'âme et la mort
d'autre part; ensuite entre la mort et le principe vital, et enfin entre
la mort et le corps.
a) La mort et le double.
Si l'on entend par double l'animal totémique (l'EWUUM diola,
par exemple), la parenté de destin flagrante entre l'homme et son double
symbo lique : la mort de l'un entraîne irrévocablement -La dispari t ion de
l'autre(participation ontologique et existentielle). D'où la stricte
interdiction de tuer son "totem" et à plus forte raison de s'en nour r i r ,
Quand le double qualifie l'ombre on peut rapprocher celle-ci de "l'âme
légère" ou de "l'âme-oiseau" : lorsque l'ombre se raccourcit, pensent
les Zulu du Natal ou du Transval (Afrique du Sud), c'est que la mort
approche;
le double se contracte alors en quelque chose de très petit
(90) - CESAIRE
Les Armes miraculeuses~ Paris~ 1946~ p. 21.

-
112 -
le cadavre ne conserve plus qu'une "omb r > minuscule" qui disparaîtra
avec lui. Enfin, le double se définit co@ne élément fondamental de
l'ho@ile
tel est le cas du dya des Bambara (Mali), à la fois souffle,
"jumeau de l'être humain", "ombre sur le sol","reflet dans l'eau" ...
etc; il faut y voir, en dernière analyse, à la fois ombre, un princi-
pe vital et une aille légère qui voyage durant le sommeil (celui-ci s'ap-
parente à la mort), quitte le corps au momeGt du décès et se réincarne
sous forme inversée (le dya devient ni, c'est-à-dire âme, le ni se fait
dya). En f a i t.ç. il existe plusieurs variétés de doubles ou d'ombres.
Soit l'exemple du Dahomey.
Les y'
ru, na ,_
les Fon, les Gun parlent du' YE,
"grande ombre, ombre claire et lointaine", qui toujours suit le corps,
même la nuit quand elle est -invisib le, et du wêsagû, "ombre opaque", le
noyau même de l'ombre, messager qui annonce à Mawu (Dieu)
le trépas de
l'homme. YE et wêsagû, souvent con fon du s , retournent généralement vers
l'Etre Suprêœe lors du décès, sans cesser de surveiller étroitement les
vivants.
b)
La mort et l'âme.
Il faut parler aussi des ames au pluriel. Perdre momentané-
ment l'âme légère, apparentée parfois à l'ombre, n'a rien de grave puis-
que tel est l'état normal du sommeil (pseudo-mort), du rêve qui l'ac-
compagne ou seulement de la rêverie ; encore que durant ses pérégrina-
tions, l'âme légère risque de se heurter au sorcier ou à de multiples
ennuis : les traumatismes du cauchemar qui expriment ces rencontres peu-
vent, dans certains cas provoquer le trépas. C'est encore au départ pro-
visoire de l'âme légère qu'il faut imputer les évanouissements, les syn-
copes, certaines folies et les états cataleptiques si familiers aux rl.-
tes de la mort symbolique. Quant à l'âme proprement dite, elle reste, la
plupart du temps, l'unique responsable de la mort en instance ou mort-
en-train-de-se-faire. Plusieurs possibilités se présentent. Dès le début
de l'agonie, le lindon des Fon (Dahomey)
abandonne le corps pour reJOln-
dre le Dieu Mawu quelques jours ou quelques heures avant la mort effec-
tive. En pays Dogon (Mali), c'est trois an~ avant la mort physique que
l'âme abandonne son enveloppe pour entreprendre un grand voyage, visite
la mal.son des femmes en règles, erre dans la brousse et se repose sous

-
113 -
l'arbre gobu (le premler créé et qUl servait d'abri aux hommes avant
l'invention des cases). Quant aux Pygmées de l'Afrique du Centre, ils
croient en l'existence des Yate, âmes voyageuses qui se désincarnent
pour s'emparer d'autres âmes et se les soumettre
les corps, privés
de principe ~itai ~ar leurs maléfices, finissent à plus ou mOlns long
terme, par péri r , La mort donc ne se conço i t pas en dehors de la sépa-
ration de "l'âme lourde" - égorgée par Amma (Dieu), disent les Dogon -
et du corps, la ~islocation du lieu qui unit les âmes entre elles n'in-
tervenant que de manière seconde.
c) La mort et le prlnClpe vital.
Le prlnclpe vital, parfois non indifférencié de l'âme, suf-
fit à entretenir la vie hum~ine, singulièrement durant la période de
mort-en-instance. Tout se passe comme si la vieillesse c o nc i d a i t avec
Ï
l'affaiblissement de ce nyama, tandis que la mort consiste en sa ruptu-
re d'avec le corps. Pour les uns, le principe vital quitte le premler
le corps de l'homme,
tandis que l'âme reste encore autour du cadavre:
c'est le cas du hunde des Songhaï du Niger. Pour les autres,
l'âme se
sépare du corps avant que le souffle vital s'en aille (Dogon, Serer,
Pygmées). Enfin, dernière éventualité, l'âme et le principe vital aban-
donnent simultanément leur enveloppe charnelle lors de la mort effecti-
ve (Diola). Bien que le principe vital soit souvent unique,
il n'en ré-
sulte pas moins du rassemblement de plusieurs parcelles issues des en-
gendreurs, PU1S des ancêtres et de l'être incarné, des initiations su-
bies. Deux exemples illustrent ces cas. Le megbe ou force vitale des
Pygmées se dichotomise : une partie s'intègre à l'animal totémique;
l'autre ~st recueillie par le fils aîné qui se penche sur son père, la
bouche ouverte afin de recueillir son dernier soupir, c'est-à-dire son
âme. En pays Ashanti (Côte d'Ivoire, Ghana), la force vitale qui vient
de la mère se réincarne en-ligne utérine et celle qui procède du père
en ligne masculine; quant au souffle vital émanant de Dieu, il y re-
tourne.

-
1 14 -
d ) Le corDs et la mort.
Partout .le corps apparaît un peu comme le laissé-pour-comp-
te ; c'est lui qui subit la mort puisque celle-ci résulte de la dispa-
rition du principe vital qui l'animait: "il n'a plus d'eau ni de sang,
il est émi ne mmen.t "sec", disent les Dogon.
Le
corps gît par terre, pros-
tré, inanimé. Certes, il ne s'agit jamais d'une rupture brusque; le
corps pourra présider ses propres funérailles, il sera l'objet de SOins
délicats - pour peu de temps, il est vrai -; plus tard certaines parties
nobles deviendront l'objet d'un cu l t e (tibias, crâne)
; il est même as-
s uré d'une survie partielle par héri tage : "tout homme a le sang de sa
mère et les os de son père", disent les Ashanti. En somme, le corps n'en
est pas moins valorisé en dépit du sort qui est le sien.
Il symbolise
cette présence-absence du disparu qui va entamer le cycle irréversible
de la thanatomorphose.
Voilà ce qu'il en advient de la personne dans la mort. Vise-
t-elle à des fins destructrices-totales ou partielles- des éléments cons-
titutifs de la personne humaine? La mort pose donc le problème de l'ané-
antissement ou de la survie de la personne.
BI LA MORT, LA PERSONNE ET SON DEVENIR
La mort négro-africaine se définit avant tout conmeune rup-
ture d'équilibre entre les éléments constitutifs de la personne, suivie
ou· non de la destruction immédiate.ou progressive, totale ou partielle
de l'un deux (corps, double, ombres
éventuellement âmes;
très rare-
ment principe vital).
Il peut ainsi y avoir une perte ontologique au
moins apparente;
toutefois la mort, si elle est la destruction du tout
ou -s ornme vdescê léments, elle n'apparaît jamais comme- la dest ruction de
tout puisque la. plupart des éléments en que.stion.p~.u~ent connaître soit
globalement (ce qui est le cas le plus fréquent), soit de .façon séparée
un nouveau destin, par exemple s'agglo~rer d'une autre manière avec
d'autres éléments pour réaliser .une nouvelie personne.

-
115 -
La mort n'esc donc pas la négation de la Vle, ~ais plutôt
un changement d'état, un passage à la fois on t o l o g i q ue et existentiel,
une réorganisation des éléments de l' arrc i enn e personne (séparation,
adjonction ou disparition; destruction ou récréation). Ce changement
suppose en fait la continuité temporelle d'ordre ontologique ou, pour
le ~Dins, la ressemblance qui en est l'aspect symbolique. Le R.P. Tem-
pels l'a souligné clairement: "Ce qui subsiste après' la mort n'est
pas désigné chez les Bantous par un terme indiquant une fra~tion de
l'homme. J'ai entendu les anciens le nommer "l'homme même", lui-même,
"àye
.
.. II
iil'NLne
.
(91)
Sans doute ne s'agLt-il que d'une éventualité extrême.
Sans doute y a-t-il des destructions réelles : quand le sorcier dévo-
re l'âme; ou, s'il y a un déf~~t sans descendance. Mais, dans la ma-
jorité des cas,
la changement signifie la permanence de
la vie que son
extinction. Ce qui subsiste de l'état ancien dans l'état nouveau n'est
pas conçu de la même manière, certes, dans toutes les ethnies (âme ou
fraction d'âme, double (ombre), principe vital). Toutefois, le nouveau
est très souvent répétition symbolique de l'ancien; la vie dans l'au-
delà reste identique à la vie d'ici-bas (les morts mangent, boivent,
cultivent leurs champs) ":
le nouveau-né r appe ne les traits de l' ancê-
tre qu'il réincarne.
Reprodùction intégrale (identité chez les Bantu) ,
affinité ontologique (identité partielle: Oiola, Wolof du Sénégal),
voi re symbo l i.que (pa r t i c i p at ion : partout en Afrique tradi t ionne lle) ,
ou simplement appartenances, caractérisent cette continuité fondamenta-
le qui se traduit par le port du même nom quand il y a réincarnation
reconnue; c'est à cette continuité que songe Aimé CESAIRE lorsqu'il
écri t :
"L 'AfriqUE est la terre
Ov. la mort est belle dans la main
Comme un oiseau eaieon de lait "3 (92)

ou de manière plu& explicite encore, Birago DIOP lorsqw'il ~éclame
(91)
Tempe le:r La philosophie Bant-oue, Prés. Afrie. 1949
pp. 37-38.
3
(92:."·
CESAI.RE..-::~"kl'Afrique3 in Poésie 46
nO 33
Paris 1946
p. 3.
3
3
3

-
116 -
"Ecoute p Lus SOUVer, i:
les choses que lee
t xee
ê
la voix du feu quù s'entend
entend la voix de l'eau.
Ecoute dans le 7Je:'1.t
le buiss~a en sanglots :
c'est le souffle des ancêtrres ...
Ceux qui sont tro ri:« ne sent Jœnais p artn:s ,
Ils sont dans L 'ombre O.7A~ s'épaissit.
Les no rt:e ne eoni: pas sous la terre
i le s~at dans l' arb re qui [ré rrri t ~
ils sont dans le bois qui qémi t ,
ils sont dane
l'eau qui coul.e ,
.i le s ont: dans l'eau qui dort ,
ils sont dans la case~ ils sont dans la foule~
les morts ne sont pas mrrt e ...
. Ceux qui sont tro rt e ne sont jamais partis :
ils sont au/!s le sein de la femn~~
ils sont dans l'enfant qui »aqi t ,
et dans le tison qui [J'enflamme.
Les no rte ne sont pas sous la terre :
ils sont dans le feu qui s 'étieùnt ,
ils sont dans les herbes qui p leurent ,
ils sont dans le rocher qui qeint.,
ils sont dans la [orë t , ils sont dans la demeure ,

les no rte ne sont pas mai-t e ... " (93)
Les morts sont ainsi partout.
Van der Leeuw explique merveilleusement
cette vision de la mort: "Il en est à peu près du mort c ornrne du vi-
vant ; il n'a perdu ni la donnée, n~ la possibilité. Sa surv~vance va
de soi, précisément parce que les rites le garantissent ... L'enterre-
ment marque ainsi le commencement de la vie nouvelle ... La mort n'est
pas un fait, mais un état, différent de celui de la vie ... La différen-
ce entre l'état antérieur à la mort et la survivance n'a rien de plus
surprenant que celle qui distingue de l'âge adulte l'existence précé-
dant l'initiation à la puberté ... Mais essentiellement la mort n'est
qu'un passage comme un autre et le défunt n'est pas un individu rayé
des rôles ... Il e~t tout au plus quelqu'un qui revient et, en r~gle gé-
nérale, quelqu'un qui est présent".
(94)
(93) -
Birago DIOP~ in SENGHOR~ Anthologie de la nouvelle poésie nègre
et mal.qache , Pari.e ,

1948~ p. 144 S.
Par ai l.Leure , notons que Bi raqo DIOP est W1 poète Séné qanb ien,
(94) -
Van der LeEUW~ La religion dans son essence et ses manifesta-
tions.
Payot~ 1955~ pp. 206-207.

-
117 -
Parmi les mec an t s me s de mort décrits tantôt, on peut discer-
ner trois aspects fondamentaux cl'.l devenir po s t mo r t e m : un système cy-
r
clique avec réincarnation de fait,
un système linéaire avec réincarna-
tion nominale ou formelle, un système mixte empruntant aux deux autres.
- Un exemple du premier esc donné par les Serer du Sénégal.
Dieu a créé
pour l'homme deux corps, un corps dans le monde des vivants, un corps
dans le monde des morts. Le passage de l'un à l'autre se fait selon des
états intermédiaires qui commencent pour le monde des vivants avant la
n-aissance et se terminent dans le monde des morts pour recommencer le
cycle.
Dans ce cas particulier, en dehors de l'aspect du retour cycli-
que, la mort n'est pas du tout destruction mais récupération de tout
et surtout de l'expérience humaine vivante, même physique. - Un exem-
ple du deuxième système, linéaire, est celui des Bantu. Le défunt de-
meure ici éternellement dans le monde des morts. Quand vient la mort,
UBUZlMA (union du corps et de. l'âme) touche à son terme, l'ombre (ki-
zima) se dissout, le corps se putréfie. UMUZlMA (l'existant-d'intel-
ligence-vi van t ) devien t lTHUZ 1HU (l' exis tant-d'in te l Li gen c e-ip ri vé-de-
vie). UMUZlMU ne sera plus jamais dans le monde des vivants, mais il
reste en liaison avec sa descendance et peut faire bénéficier celle-ci
de sa force vitale. L'ancêtre qui rentre dans un exister sans fin est
une concentration de vi e spirituelle; si le père engendre le nouveau-
né, l'ancêtre participe à cette co-fécondation et sa part n'est pas né-
gligeable. L'existence des défunts est soumise ..a. leurs relations avec
les vivants: celui qui ne peut plus entretenir ces relations serait
parfaitement mort, ne pouvant échapper à une diminution ontologique de
l'être, et se fond dans la communauté anonyme des âmes dont le souve-
n~r s'est effacé de la conscience des vivants. Mourir sans descendance
est a~ns~ le plus grand de tous les malheurs pour un être humain. - Un
dernier exemple, celui des Diola de Casamance (Sénégal)', participe des
deux premiers systèmes
la vie est l'union du corps, de l'âme et du
principe vital. A la mort,
le corps pourrit au cimetière, mais son dou-
ble continue d'exister. Ce double s'unit à l'âme pour accéder au monde
des morts. Ce qui reste. de cette unité duelle (âme + souffle vital),
après séparation, peut se réincarner de piusieurs façons.

-
118 -
Ainsi d3ns la TIDrt, cettë négation de la vie n'est-elle
qu'apparente. Tou[e mort implique, certes, une destruction partielle,
une libération partielle et une recomposition partiel~e des éléments
constitu~ifs de la personne humaine. Si nous laissons de cSté les ava-
tars du corps, force nous est de constater que cette destruction par-
tielle est compensée par l'accroissement de la force d'être du dispa-
ru résultant des rites dont il est l'objet de la~part de la communauté.
La mort ne frappe en définitive que l'individu et non l'être fondamental
en participation qu'est le groupe, celui-ci ayant à sa disposition les
moyens qui assurent sa permanence.
La mort, donc, décrite comme un voyage, comme un changement
d'état, ne fait que réaliser, d'après les théories, une autre forme de
vie, une vie nouvelle -"sujet de joie" (95) -
où les défunts mènent une
existence analogue à celle d'ici-bas] (les morts mangent, boivent ... ).
La mort-anéantissement est une idée purement occidentale.
L'exemple de l'aile marchante de l'existentialisme athée de Heidegger-
Sartre en est l'illustration marquante. Son postulat apodictique est
constitué par le concept d'une mort totale, univoque et absolue. La
mort, nous dit-on, comme la vie est absurde, mais la mort plus encore
que la vie puisque arbitrairement elle rend mon achèvement impossible
et,_que "l'on-meurt toujours par-dessus le marché", selon l'expression
de Jean-Paul SARTRE. Une telle absurdité engendre la passivité : on
meurt et puis après? Après, rien! Par l'effet d'une mort coupant net
le fil de l'existence "absurde", l'homme devient un "être pour la mort".
Cette philosophie, on le sait, capable des plus hasardeux échafaudages
métaphysiques, se refuse donc à reconnaître à la mort ne serait-ce que
le caractère d'une potentialité polyvalente. Pour le Négro-Africain,au
contraire, la mort quotidienne, familière, apprivàisée, s'intègre fort
bien dans le système de pensée, trouve toujours un sens ou une légiti-
mation. La mort est un changement d'état, mais ce changeœent signifie
tout autant la permanence de la vie que sa destructic~. Ici la mort est
pensée en~rmes de vie, celle-ci devenant ainsi une expérience riche et
variée, une réalité positive.
(95) -
DADIE.. B. Légendes Africaines .. Seghers 1966.. Paris.

-
119 -
CHAPITRE Il
LA VIE EST UNE VALEUR SUPRËME
.~ais:réalité p os i tive"-;o: La.ivie '-.est· ·aussi. -l-a- valeur.' suprême ,.
le souveraln bien. D'une part, elle est la source, des autres valeurs,
soit qu'elle les crée naturellement (cas de beauté naturelle), soit
qu'elle crée les fonctions qui les produisent (sensibilité et intelli-
gence). D'autre part, et surtout, sous la forme de la connaissance,
celle des sorciers, des prêtres et d~s initiés, sous la forme de l'art,
de la politique, de la religion (culte des ancêtres et des génies),
toutes ces valeurs ont leur finalité et leur raison d'être dans la vie.
Enfin, la suprématie de la valeur-vie, justifie le prix que les Afri-
cains donnent aux autres fonctions de la vie (fécondité, procréation,
aux institutions qui s'y rattachent (mariage et polyga~ie), aux valeurs
morales qui leur sont liées (natalisme. pudeur. etc ... ). Pour leur si-
gnifications caractéristiques, nous ne retiendrons pour notre analyse
que les rites d'initiation. le culte des ancêtres et la conception de
la fécondi té.
AI L'INITIATION
La Vle de tout individu comporte trois moments solennels
naissance. initiation, mort. La mort. on l'a vu, met un terme à la Vle
.d'ici-bas·. Quant à la naissance, et par extension. l'enfance. elle con-
note l'i·dée d'immaturité et d'inactivité. De. fait. toute la vie repose
sur l'initiation, car elle "commence .d anâ; le berceau et finit dans la
t ombe!", selon-l'expression Peul.

-
120 -
L'initiation est une pédagogie, mai s une' pédagogie,tradition-
nelle pratiquée sous une forme rituelle. Au niveau du rituel, l'initia-
tion comporte généralement trois temps. Tout d'abord, un rite de sépa-
ration: les futurs initiés vivent à l'écart, coupés du village et me-
nant une existence fruste. Ensuite un rite de transformation: il s'a-
git,par le truchement d'une cérémonie symbolique, de provoquer le pas-
sage à'un état inférieur à un état jugé socialement supérieur. Enfin
un rite de réintégration
après diverses cérémonies l'initié rentre au
village, ce qui est le prétexte à des fêtes parfois grandioses. Le tout,
évidemment, s'accompagnant de sacrifices multiples, de jeux, de chants
et danses.
Sous son aspect rituel, l'initiation signifie l'entrée dans
la v~e pour rendre son sens étymologique au mot latin, c'est-à-dire
"commencement". Avant la circoncision -
considérée habituellement com-
me le début de toute i.n i t i at i onv--.v l l en f an c (ou l'adolescent) n'est pas
encore Muntu
une personne. Les Bantu le s i t uen t même dans la classe
nominale des "choses". S'il vient à mourir il est enseveli en secret:
sa mort n'est pas pleuréè. Il n'était pas un être social. Avec la cir-
concision, d'adolescent qu'elle était, la personne devient "complète"
dans toute l'acception du terme, c'est-à-dire adulte. La personne est
alors apte à assumer son rôle .da- pro-créateur, et à exercer son rôle so-
cial: pratiquer l'entr'aid~e~,servir de main-d'oeuvre pour les tra-
vaux durs: semailles, moissons, réfection des cases etc ...
L'initiation a également une valeur éducative de premier or-
dre. En Afrique, par exemple, la~circoncision est une école de courage
crier pendant l'opération est un déshonneur qui poursuit le d~linquant
jusqu'à sa mort.
De même, durant leur pê ri o de de réclusion, les initiés
subissent d'autres pénibles épreuves sans "broncher" : jeûnes, brimades,
coups de fouet chez les Dogon et les Venda de l'Afriquë du Sud. Il faut
encore apprendre la soumission inconditionnelle aux ordres des aînés,
ne pas se révolter contre leurs désirs ou leurs ~é~isions. A ~haque ins-
tant, l'initié' _riait se convaincre de la nécessité" de fa vie collective
et du rôle social du courage (devant le danger ou au travail). Deux
mots caractérisent sur ce point la circoncision: résistance et obéissance.

-
121 -
Douleurs et brimades ont plusieurs sens
: elles facilitent la destruc-
tion de l'ancienne personnaLité en faciLitant l'~tre nouveau: elles
accroissent les forces vitales de l'inicié, développant son courage et
sa résistance à la douleur, lui donnant le sens de la discipline socia-
le. En même temps, il se crée entre les initiés qui ont lutté ensemble
non seulement une amitié solide qui durera jusqu'à la mort, mais des
liens de parenté étroits pouvant aller jusqu'à l'interdiction d'épou-
ser la soeur d'un compagnon de circoncision. Sous cet aspect, l'initia-
tion est authentiquement une socialisation sans dépersonnalisation.
Mais il est Un autre sens de l'initiation non moins impor-
tant:
l'enseignement. Les connaissances s'acquièrent par paliers suc-
cessifs comme chez les Bambara (où existent six degrés du savoir: le
ndoIDO, le komo, le nama, le kono, le tyiwara et le kor@) ou les Peul
(qui ne comptent pas moins de 33 "paliers initiatiques"). Mais avec
l'exemple dogon, nous retrouverons les principales caractéristiques de
cet enseignement traditionnel.
Chez les Dogon, il débute à partir de la circoncision, d'a-
bord collectivement, pendant la retraite qui suit l'opération. A ce mo-
ment, on initie un garçon ou une fille à l'existence d'un système du
monde, mais de façon superficielle. Après la sortie, il apprendra géné-
ralement de son père, les lois de la tribu ou du clan. Ces connaissan-
ces s'acquièrent également au cours des expériences personnelles de
l'intéressé, et de par les fonctions qu'il accomplit au sein de la so-
ciété. L'exercice de l'autorité familiale ou de la prêtrise, les grades
qu'il gravit dans les associations auxquelles il participe (chasseurs,
devins, sociétés des masques, sociétés de danse et chant, sociétés de
lutte, etc.), concourent à lui permettre d'intégrer ces traditions. La
pénétration de l'individu dans l'un ou l'autre de ces groupes ou asso-
ciations s'accompagne d'enseignements ou d'explications donnés par les
chefs responsables du groupe : interviennent des cérémonies et un maté-
riel dont on explique le symbolisme. C'est aLnSL que l'apprenti devin
apprendra de ses aînés le sens profond des gestes qu'il effectue: tou-
te une série de séquences du mythe seront illustrées par des figures di-
tes "d'instruction" exécutées sur les tables de la divination.

-
122 -
D'autre part, les r i t e s cc l l e c ti f s et les c omme n t ai r e s qu'ils
suscitent mettent progressivement à la port~e de chacun un niveau supê-
rieur de connaissance; en effet, la partie àu mythe qUl se rapporte à
telle ou telle cérémonie est commentée au cours des réunions qui suivent,
ou lors des conversations qui se tiennent sous l'abri des how~es (to-
guna)
On le relate ainsi,peu à peu, et toujours par fragments. Le de-
voir de l'initié est de faire lui-~ême les raccords et la synthèse:
l'instruction demande un effort permanent de sa part car le silence de
l'instructeur, à certains moments, est de rigueur.
Il ne fait pas un
cours, il dirige une sorte d'enquête et la guide, le postulant devant
faire preuve d'initiative et intervenir activement dans le "débat".
Les Dogon, qu~ ont tout classé, ont établi une hiérarchie
par paliers de l'enseignement aux initiés. Leurs connaissances s'éche-
lonnent selon quatre degrés qui sont, dans l'ordre d'importance cro~s­
sante, le giri s6, le benne so, le bolo s6, et le s6 dayi.
"Le giri s6,"parole de face", est un p re nu e r s avo i r i.rnpli-
quant les explications simples où les personnages mythiques sont sou-
vent travestis, leurs aventures simplifiées et affublées, les uns com-
me les autres n'étant pas raccordés. - Il porte sur les choses et les
actes visibles, sur les rituels et matériels courants.
Le benne so, "parole de cô t
comporte l'explication ap-
ê
"
profondie de certaines parties des rites et représentations. La coor-
dination n'apparaît qu'à l'intérieur des grandes divisions de la con-
naissance dont un certain nombre n'est pas révélé.
Le bolo sô , "parole de derrière", complète le s avo i r précé-
dent d'une part, et fournit les synthèses s'appliquant à des vastes en-
sembles~ d'autre part.
Le sô dayi, "parole claire", concerne l'édifice du s avo i r
dans sa complexité ordonnée la plus secrète". (96)
(96) -
GRIAULE Harce l , Le Savoir des Doqon , p.
27.

-
123 -
Mais l'initiation n'est pas seulement accumulation de con-
na~ssances ni même une philosophie, une manière de penser. Elle est
davantage encore; par son caractère vital, en faisant comprendre les
structures de l'univers, elle amène progressivement l'initié à une ma-
nière de vivre aussi consciente et complète que possible dans la nature
et à l'intérieur de sa société et dans le monde. C'est ainsi que l'ini-
tié bambara, parvenue à la fin du Kor~ (dernière étape de l'initiation),
retourne dans sa famille et reprend l'exercice de sa profession: "En
somme, affirme le professeur ZAHA.L~ dans son ouvrage "Religion, Spiri-
1
tualité et Pensée africaine", l'expérience initiatique ici ne détruit
r i en de la vie quotidienne de 1 "'extasié" ; elle lui donne une d i men-
s~on nouvelle sans laquelle la perspective de l'humanité se trouverait
réduite à des proportions d'une exiguité angoissante".
Ainsi l'initiation forme l'homme, le modèle, en même temps
qu'il assimile le savoir qu'elle distribue progre$sivement au cours des
séances. Sa finalité, c'est donc d'atteindre à la plénitude physique,
sociale et intellectuelle de l'homme pour en faire réellement le centre
de l'ùnivers.
BI LE CULTE DES ANcETRES
La valeur de la v~e s'exprime aussi dans le culte des ancê-
tres. Il importe de séparer, d'une part, le culte des morts - conduite
funéraire serait une appellation plus juste - dont l'accomplissement vi-
se à intégrer le défunt au monde des ancêtres, devenant ainsi le support
d'un rite authentique, et d'autre part, le culte des ancêtres proprement
.dit. Cette attitude, cette fois clairement religieuse vis-à-vis des morts
se.
fonde comme l'a souligné JENSEN, sur l'idée fort ancienne "que 1 'hom-
me est un élément du divin, qu'il soit fait à l'image de Dieu, ou qu'il
ait reçu de la divinité une entité spirituelle qui est sa véritable subs-
tance vitale, ou encore qu'il descende directement de la divinité par
la chaîne de ses ancêtres et participe au divin par le miracle de la
gênê r at i on et de la naissance. Ce sentiment d'un·lien entre la divinité
et l'ho~_ mène logiquement à certaines croyances concernant
...

-
124 -
les relations entre les vivants et les morts".
(97)
Le culte des ancêtres est la plus antique religion pratiquée
par les Chinois. Mille ans avant notre ère, alors que les tisserands
jouaiwt.un rôle social prépondérant, que la femme possédait la maison
et que le mari était avant tout un gendre, seuls pouvaient se réincar-
ner les ancêtres maternels à qui se destinait le culte. Quand, ultérieu-
rement, les forgerons s'imposèrent, une mutation profonde s'effectua au
bénéfice des ancêtres paternels dont on ~é;lèbre 8.ncore le souvenir par
des tablettes placées sur leurs autels:
les offrandes sont déposées
par le patriarche du groupe familial. L'ancêtre reste le modèle à sui-
vre et chaque fois qu'un v i van t.c ac comp I i t un exploit, c'est l'ancêtre
qu'on décore. Enfin, tout homme s'efforce d'avoir de nombreux enfants
afin, quand il aura rejoint les défunts, d'être honoré comme il se doit.
De son côté, le culte des ancêtres négro-africain revêt une
réelle importance: soit qu'on évoque les morts de manière anonyme et
cullective (ancêtres lointains) ou qu'on les interpelle en les nom-
lllanL'{ancêtres immédiats, ancêtres mythiques divinisés pouvant être
;
le premier homme, le démiurge ou le moniteur associé à Dieu dans l'ac-
"
te créateur, un ancêtre tribal accédant au panthéon)
soit que le cul-
te s'adresse à l'ancêtre comme fin unique (nombreux Bantu, Kabre du
Togo, Zulu d'Afrique du Sud), ou à Dieu par la médrat i on de l' ancêt re
(Bakongo de l'Inkisi, Bwa de Haute Volta, Serer du Sénégal), ou au gé-
nie, c'est-à-dire à la divinité seconde créée par Dieu pour le bénéfi-
ce de l'homme, par le truchement de l'ancêtre (Diola)
; soit qu'il
s'agisse seulement d'invocations verbales, de cérémonies sacramentelles
ou d'offrandes simples, individuelles ou familiales.. ; ..soit que 1 'homme
seul détienne le couteau du sacrifice ou que la femme puisse partici-
per au rite, éventuatité assez rare, il est vrai; soit, enfin, qu'on
rende le culte sur un autel, sur une tombe, sur une pierre levée, en
un lieu déterminé de la brousse, en n'importe quel endroit, etc. L'om-
niprésence des ancêtres - "les semblables à Dieu", comme les appelle
SENGHOR - ne fait plus de doute: aucun travail dans les champs, au-
cun mariage, aucune cérémonie de la puberté ne peuv-~nt avoir lieu sans
(97) -
JENSEN) A.-E.) Mythes et cultes chez les peuples primitifs)
Paris) Payot) 1954.

-
125 -
qu'on se mette en relation avec les anc~tres. Ainsi non seulement, ils
continuent à faire partie de la co~ûunauté des vivants, mais ils en sont
l'élément le plus important.
Pour se faire une idée de La signi fication du culte des an-
cêtres, l'examen d'un exemple suffira: celui du Dogon (Hali). On dis-
tingue a Lor s. cinq. fonctions principales àévolues aux ancêtres
1° réorganiser l'équili~re des forces spirituelles que la
première mort mythique a pe r t ub
afin d'assurer l'ordre ontologique et
é
régénérer le groupe;
tel est le but du culte de l'Al-JA (98) ou du grand
Sigi qui~fait· intervenir les masques fonda~entaux ;
2° assurer le phylum social en relation avec la filiation
clanique
c'est l'objet du culte du Binu lequel nous introduit au
coeur du totémisme ; (99)
3° favoriser la fécondité de la terre en réalisant, par l'in-
termédiaire du grand prêtre Hogon, le rituel des semailles:
le culte
du Lébé trouve là sa finalité essentielle;
4° multiplier les contacts et maintenir la bonne harmonie
entre les vivants et les morts, la société vï'sible et la société invi-
sible et permettre la cohésion et la perdurabilité du village: ainsi
doit s'entendre le culte du Wagem
5° satisfaire les besoins matériels, demander pour SOL et
sa famille richesse, santé et surtout paix: c'est à cela que se réduit
le culte que chaque Dogon rend à ses autels personnels en relation di-
recte avec le principe de vie des ancêtres.
En tout cas, si le sacrifice, quel qu'il soit, ne s'adresse
. pas au Dieu Suprême Amma, ce lui -ci n'en cons t i tue pas moins la toi le
(98)
ArlA est une société des masques ~ chargée entre aut.res du culte
rendu au premier mrrt:~ l'ancêtre mjtihi.que Dyonger<f Sé rou.
(99) -
Dans le Binu,
l'interdit animal (ou végétal) se trouve en étroi-
te correspondance avec ~'ancêtre du clan. Les interdits se trans-
mettent en ligne pat-erne He et sont en .ropport: avec l' exoqami e,
D'autre pari ,
l'organisation te mn tori ale a des rapports étroits
avec le système totérrrique.

. -
126 -
de fond de toute l'activitê culturelle. Les anc~tres sont essentielle-
ment des chaînons dans le chemein de la 'Ile qui passe du dieu créateur
aux nouveau-nés. Ce sont avant tout des médiateurs entre les vivants
et Dieu, ou encore des gardiens des traditions et de la 'Ile.
.,
..,
.;
Cl LA FECONDITE
Si la valeur de la 'Ile s'est révélée à travers l'initiation
et le culte des anc~tres, cette valeur devient plus explicite encore
dans la fécondité dont la finalicé est d'accroître et de prolonger la
'Ile. Dans un monde où la nécessité de survivre mobilise le plus clair
des énergies du groupe, le natalisme trouve toute sa justification.
Il n'y a pas de frein à la fécondité
le frein est CO~TIe une maledic-
tian: rlen ne saurait arriver de plus grave à la société des ho~es
. f·
que de ne plus avoir d'enfants.
Dans cette optique, la situation de la femme stérile est la
plus dramatique qu i, soit: "La stérilité est la négation de la fémini-
té et de la vie. La ferrnne stérile est infâme et morte dans la vie".
(lOO)
En pays Bambara, on dira d'elle: "c'est un homme !" De même, c'est
une humiliation profonde pour l'ho~~e impuissant à engendrer. On sait,
par ailleurs, la désolation que suscite la disparition d'un veillard
qUl ne laisse pas de descendant. De sa mort on dira qu'elle est stéri-
le : c'est le comble de la déchéance
!
L'importance de la fécondité est telle, qu'elle sous-tend la
p r at i.que de la "dot". Ce serait une erreur d'y voir le "prix" de la fem-
me.
Il s'agit en réalité de "gages d'alliance" entre les familles des
futurs conjoints. On se fonde sur l'idée que la jeune fille est puis-
sante et riche en fécondité.
En échange, la famille du futur époux doit
fournir présents et services à la ~amille de la jeune fille. Cette dot
constitue la prise de possession juridique de la fécondité de l'épouse
au profit de la famille de son époux. La fenune doit engendrer, mais
(100) - t1E,~L FOTE, H, : La civili$ation animiste in Colloque sur les
Re ligions, "Pré sence AÎricaine ", 1962, p. 40.

-
127 -
sa progéniture revient de droit à sa famille d'origine tant que, par
l'acceptz"tion de la dot, sa féconcilt.é n'ait été juridiquement cédée à
la famille du mar~. C'est si vral que les enfants nés avant que les
gages d'alliance n'aient été échangés, restent dans la famille de leur
mère, pu~sque la fécondité de celle-ci n'avait pas encore été cédée.
Ainsi par la dot se scelle une alliance dont l'enjeu est
une question de vie à transmettre plus que d'échanges marchands entre
~.
familles.
Le but principal et essentiel du mariage réside dans la pro-
création. Le bien, c'est d'avoir des enfants: vOtlà la richesse pre-
mière, co~~e l'indique le chant Fon (Dahomey)
"Qu'y a-t-il de plus avantageux dans le monde?
C'est l'enÏant !
·Tu as beau être' riche~
Tu as beau posséder or et arqen t ,
Tu as beau te bâtir maison en tôle
Maison à

tages
é
~
Tu as beau posséder de multiples champs~
Tout cela n'est rien
Si tu n'as pas dt en fan t .
Car la richesse c'est l t en f'an i ",
(101)
Pour cette ra~son, personne, semble-t-il, ne peut raisonna-
blement se soustraire à la nécessité du mariage. "La Vle sociale, écrit
ME~ŒL FOTE, est une création continue. Vivre, c'est être créateur. Tout
vivant dort,.par suite, coopérer à.cette vie: c'est une nécessité na-
turelle qui devient obligation morale. On ne conçoit pas ici qu'un être
se dérobe à procréer.
Le mariage est obligatoire et le célibat volontai-
re, un phénomène pathologique, hormis les cas exceptionnels de sacerdo-
ce. Le mar~age apparaît ainsi à la fois comme un devoir social, un fac-
teur de survie individuelle et collective et comme le signe d'un équi-
libre social et moral".
(102) Se marier c'est donc entrer dans ce ser-
vice de la vie auquel chaque homme est naturellement appelé.
LLû l ) - Chant F01. in Abbé I.
DE SOUZA : Bible et Culture AÏricaine~
Confé rence p ronon cée le 26.11~ 1968 à Abidjan~ inédit.
(102) - MEt1EL FOTE~ H : op. cit. p.
39.

-
123 -
crest par a i i l e ur s as s u r e r à son groupe familial àe me i l Leu-
res conditions d'existence. ~on pas seulement parce que les enfants à
naître en accroîtront la renommée et, par là, la puissance, mais parce
que le mariage, fondant une alliance entre deux clans, deux lignages
jusqu'à présent étrangers et, par là, virtuellement hostiles, les as-
socie dans un réseau étroit drintérêts et de solidarité. Chaque famil-
le devient alors par la force de ses alliés et par l'échange des fem-
mes, un groupe socialement valorisé et métaphysiquement vitalisé.
Ainsi par le mariage, la fécondité est ordonnée à la perpé-
tuation de la vie et du clan, la vie à conserver et à transmettre et,
par là, assure la cohésion sociale. La fécondité n'est donc pas dési-
rée pour elle-même. Son rôle, on le voit, est primordial pour la sur-
Vie du groupe: ce qui justifie l'attachement que les Négra-Africains
accordent à ses animateurs.
Certes, la femme seule ne peut engendrer, le concours de
son époux lui est indispensable. Mais le rôle de la femme dépasse cet-
te activité proprement sexuelle: La-femme est avant tout mère. La
,
grande promesse qu'on puisse faire à une jeune fille est l'espoir de
,
.
sa prochaine ma
~
t e rni té
"Coneo le-toi, rmi'! en j'ant:...
Je te ré serve une euro ri ee
Je te montrerai ton éDOUX
Faiscm.t dé fi Ler des vaches laitières ...
.. . Et S& ce n'est pas assez ce Gue Je dis,
Songe qu'un Jour tu seras mère
Comme ta mère et ta qrcnd/mêre ... " (103)

Et qu'est~ce une mère Sinon que c'est elle qUi conçoit, por-
te et met l'enfant au monde, cet enfant qu'elle ne cessera d'entourer
de soins, de
tendresse, bref, de son amour maternel. On remarquera qu'il
s'agit, à ce niveau, des obligations inhérentes à la maternité. Mais
l'amour maternel dépasse ces "usages". A ce point qu'une femme ayant rms
(103) - RUGA!~A, C., Les chansons de chez nous, Monographie inédite,
Nyakibanda, 1959, texte 35.

-
)29 -
au monde un ètre difforme ou infirme ne
cesse, parce qu'elle est mère,
de
l'aime r avec p ré d i lect ion
celle qui aur ai t mis au monde un cada-
vre décomposé
le
lècherait encore, dit un dicton Rwandais.
La materni-
té est avant tout une oeuvre d'amour qui donne et qui s'oublie: quel-
les que soient
Les
infirmités d'lIn enfant, sa mère
l'aime parce qu'el-
le
l'a engendré.
La maternité demeure donc,
parmi les ~ctivités humaines, une
des plus hautes et des plus nobles.
C'est ainsi qu'en Afrique,
la [.,m-
me est surtout considérée dans cette dignité-là, et l'épouse se. sent
plus
la mère de ses enfants que la compagne de son époux.
Aussi
la fem-
me-mère est-elle l'objet de beaucoup d'attention.
On l'envie; elle
occupe le premier rang dans la famille.
C'est cela qui
justifie la po-
lygynie.
Une
fe~e qui n'a pas d'enfant autorise le mari à prendre une
autre femme qui
lui donnera des enfants.
Par ricochet,
les
fonctions vitales et les personnages qUl
représentent ces
fonctions sont
respectées.
La mère c'est un person-
nage sacré: on peut injurier un
individu mais pas sa mère.
Quand l'en-
fant meure, on ne peut l'enterrer à l'absence des parents maternels:
tout se passe comme si on restitue
l'enfant à la mère.
Ainsi la richesse,
les enfants,
la palX et
la pérennité
sont les idéaux en rapport avec la fécondité,
avec la Vle.
Le plus
grand crime c'est l'attentat par la sorcellerie,
parce que c'est l'at-
tentat à la vie.
Aussi toute
la communauté mène-t-elle une
lutte con-
tre la sorcellerie
; ou ce qui revient à la même chose
:
dans le cas
de l'attentat par sorcellerie c'est la communauté
tout entière qui
prend fait et cause.
Dans certaines sociétés Un homicide par .. sorcellerie est s ub s-:
titué à_ un vendalisme, ou bien on échange contre un autre membre de
la famille en cause.
Cependant,
la sorcellerie, puissance de voir dans
le surréel et d'agir,
pouvoir de détruire autant ·que de conserver,
n'est pas en soi une anti-vie.
C'est
l'usage seul qui
fait d'elle une
valeur positive ou une contre-valeur.

-
130 -
La p~rsonne est sacree.
La Vie est la valeur supreme.
Aussi
des rites de
purification s lavèrent-Lis nécessaires après un meurtre.
Ceux qui ont
tué sont consiùérés comme des gens impurs, même s'ils
l'ont fait de façon "légale", Ceux qui reviennent de
guerre doivent
être traités avant d'ineégrer la vie.
On peut aller plus
loin et dire
que ces rites constituent le culee de
la Vie,
car d.'ap-rès
les Venda de
l'Afrique du Sud,
la vie doit être "continue, sans
fin".
Nous débou-
chons là, sur
la quintessence de
la vie, c'est-à-dire l'éternité.

-
131 -
CHAPITRE III
LA VIE C'EST llËTERNITË
Il Y a dans la totalité, et au regard de la totalité, une
loi de conservation de la vie, telle que la mort, au sens absolu,
n'existe pas. Ce qui est le plus frappant dans le vitalisme africain,
'c'est que l~ problème de la fin du monde ne s'y pose pas en obstacle.
En d'autres termes, la destruction totale et définitive de tout-
l'anéantissement final de l'univers -
la mort d'un monde, suppose tou-
jours l'existence, ailleurs, d'un autre monde.
Deux types d'" e s chato-
logies" illustrent cette idée.
La première, proprement cosmologique, affirme que l'univers
actuel devra laisser la place à un monde nouveau. Lorsque le premier
r ui.s s e llement. recouvri t le sol, affi rmen t
les Bambara (Mali), Faro
(Dieu de l'eau) ne permit qu'à l'eau primordiale de s'épa~dre ; douze
eaux restèrent cachées qui surgiront pour submerger la terre. Les paro-
les qu'elles contiennent seront révélées, et le monde à venir, pensé
par le Dieu Suprême Yo, sera réalisé. Les hommes pourront éviter l'ané-
antissement s' ils ont pris soin de se muni r de p i r o g-re s. (pêcheurs) ,

-
LH -
de gourdes (bergers). de navettes (c i s s e r an ds ) . Cette cosmologie escha-
t o Lo g i q ue nous
révèle aisni que le concept de "fin du monde" esc à la
fois absent et vide de sens dans cette tradition Bambara.
Quant à
la seconde "eschatologie", elle concerne le cadre
plus général de ia loi de conservation de la vie (que nous évoquions
plus haut). En effet, le monde, dans le cadre de cette loi, est mouve-
ment perpétuel, échange' ?ermanent des forces, circulation de pouvo~rs
et de paroles: "Dieu, disent les Diola du Sénégal, tient en réserve
l'infinité des âmes à naître qui, un~es, aux âmes réincarnées, vien-
dront renouveler indéfiniment la surface de la terre".
(104)
L'idée
d'une fin de monde n'apparaît ainsi, à notre connaissance, nulle part
. »
le monde, en tant que monde, n'a pas de fin.
D'abord, Dieu, Force Vitale primordiale, est éternel. Le
Dieu Pahouin, Mebée, le proclame: "0 mon fils, je n'ai pas de conunen-
cement, pas de fin, je suis celui qui dure".
Ensuite, la mort de l'homme, nous l'avons montré, est un
changement d'état et de localité, une autre et nouvelle vie.
Par rap-
port à cette nouvelle vie, l'idée d'une autre mort,
la mort e s ch a t o l o-:
g~que, n'apparaît elle-même nulle part, à notre connaissance. L'homme
vit et revit au rythme incessant de la nature (jours, mois, saisons,
années)
; naissance, mariage, procréation, mort, entrée dans la compa-
gnie des défunts, éventuellement réincarnation. Même le cas-limice du
sorcier défunt reconnu coupable de ses forfaits, ne donne pas lieu à
une disparition totale des rapports entre l~s vivants et les morts. Par
sa faute,
le sorcier est condamné à errer de par le monde dans un temps
illimité: ce sont les fant6mes qui parfois terrorisent les vivants qui,
à leur tour, s'efforcent d'apaiser leur courroux.
(04) -
in THQ!.1AS~ L. -v.
Anthropologie de la mart., Pauo i , Pari e ,
1[.75
p. 24.
:!

-
133 -
Ce qui se profile i nf ai Ll i b I e me n t
derrière ces représenta-
tions, c'est l'idée de régé'léracion ou de
transformisme universel.
L'apparition d'un monde nouveau d an s les cosmologies Bambara et Diola
n'a pas d'autre rondement.
En outre, on retrouvait déjà chez les an-
ciens Egyptiens l'idée que,
le défunt po uvai t devenir "faucon, serpent,
disque solaire, tamaris, cour â tour toutes les divinités du Ciel et
du Monde inférieur". Mais cette ignorance de
revitalisation se retrou-
ve aUSSi plus près de nous, dans
les festivités officielles de la cornr
munauté, avec ses moments de p ar o xy srne , ses licences mu l ti p les
Cre o as
abondants), ses projections hystériques.
Par ces festivités,
le groupe
usé par la routine se libère enfin des pulsions trop longtemps contenues,
éprouve intensément le sentiment de son unité tout en y puisant un sur-
croît de forces. Ai.ns-i la grande fête annuelle du Diepri chez les Abidji
de---'.Câte d'Ivoire connote à la fois la renaissance de la nature (elle
correspond à la période des semailles),
la fécondité des ferrones et la
renaissance spirituelle. C'est donc le renouveau par excellence de la
nature, de l'homme et de la société qui se trouve exalté au milieu des
chants, des danses, des rythmes endiablés des tarnrtams ; ou si l'on pré-
fère, c'est la v i c to i r e de La vie sur la mort qui es t ai nsi célébrée.
r
t
La vie c'est éternité.
La première conséquence, psychologique, de l'éternité de la
vie c'est l'optimisme, acte de confiance dans le destin de
la co~~unau­
té sociale et dans la générosité de la vie. L'individu est bien cons-
cient de son insuffisance face à la nature, d'où son recours à la famil-
le (ou clan), cette dernière à la société. La solidarité devient donc
un principe éthique. Tout, dans la communauté africaine traditionnelle,
est expression en actes de cette cosmogonie selon laquelle l'homme n'at-
teint sa plénitude humaine que par sa participation au groupe. C'est
ainSi que, d'une part, l'initiation, le culte des ancêtres et l'at-
taèhement à la fécondité, et d'autre part,
les danses africaines et
la musique de jazz avec ses produits, se situent au-delà du double
dualisme de l'individu et du groupe,cc~IDe de l'esprit et du corps,
et sont l'une des expressions les plus profondès de cette unité. Il
en est de même pour la poésie -
forme première et fondamentale de
la
communication et de la participation unifiante à la parole - et qui
prolonge dans le dialogue intime entre la base

-
134 -
et le s crnrue t , par ie IT:DUVeITl2r1C (je 'J1e q u i, con ce n t re les
n e rg i e s
de
ê
tous dans les noyaux de
force olus denses de l'art.
Ainsi le contraste est frappant entre la conceDtion indi-
v i d ua Lis t e , qui est celle lie
l:':'Jt"ope dep u i s la Renaissance et la
révolution française,
et la con~eption communautaire -
cet optimis-
me dans le destLn de
la co~munauté, disions-nous -, qu~ est celle
de
l'Afrique tout entière et que le Docteur NKRU}ffiB préfère appeler
le Cotnmun a r i sme .
(104. bis)
La seconde conséquence, c'est le primat de
la joie, qu~
donne ses droits à l'art et principalement à la danse, elle-même
expression et analogue des rythmes, nous dirions de la v~e.
':',":
.,','
...
~
,
"
J
'..
(104 bis) - Notons que le communarisme~ tel que le conço&& Ze Docteur
NKRUMAH~ diffère du commurii.sme à L "occi dent al.e , dont celui-
.. ,;
ci dériverait du mrine le Doct eur NKl?UMfJJi le pense
(cf NKRUMAH: Le Consciencisme. 'Pax-ie , Pauat ,
1964).

-
135 -
CHAPITRE IV
ESSAI D'EXPLICATION
LA SOCIOLOGIE DE LA PHILOSOPHIE VITALISTE
Il Y a lieu, à ce niveau, de se poser une question rarement
posée
comment s'explique cette conception vitaliste ou dynamiste du
monde?
A VOir le caractère organique d2s rapports que les Africains
entretiennent avec le cosmos et celui, naturel, qu'ils donnent à l~ur
vie sexueLle, à voir l'usage exubérant, exalté et exaltant, qu'ils fone
de leur corps dans la danse, la musique et le spore, certains théori-
ciens invoquent on ne sait quelle causalité raciale. Leur sont alliés,
racistes inconscients, les Africains qui croient trouver dans ces ma-
nifestations les attributs d'une essence ou d'une âme nègre.
Or, si la théorie raciste était fondée,
le brassage des ra-
ce~ sur le continent aurait dû éroder cette conception et cette concep-
tion appartenir à la seule race nOire dans le monde.
Deux faits qu'on
ne voit pas. Au contraire, l'antiquité de cette conception - puisqu'el-
le exubère déjà en Egypte -
sa permanence, et son extension, détermi-
nent à penser que,
par-delà la race, des conditions socio-culture11es
ont oeuvré à son établissement.

-
136 -
Ces conditions, par ailleurs actives crans la formation de l'unité
cu l t ur e l i e de lIAf[ic:u~ n oi r e , le s o c i o l o g ue Jacques l"ù\\QUI::T les
voit dans la base maté-rielle et l'hiscDire. "L'unité culturelle de
l'Afrique noire; dit-il avec r a i s on , ne r e po s e pas sur une mys t é r i e us e
âme africaioe, sur une essence idéale ou une sensibilité émotionnelle
particuliêre, mais sur une base matêrielle : lasimilaritê des techni-
gues à'acquisition et de ?roductionet leur faible rentabilité. Elle ne
se limite pas â cette base, car â partir de celle-ci se construisent des
cultures, certes di fférentes, mais q u i. cependant la reflètent",
(105)
En regardant dans cette perspective sociologique, on perçoit
l'infériorité matérielle des ho~mes par rapport â leurs besoins et par
rapport â une nature physiquement écrasante et rebelle
on comprend
"
la nécessité de structures intellectuelles, élément de stratégie, qui
décuplent l'énergie des communautés, assurent leur équilibre et leur
survie. L'unité de
la pensée collective et la conception unitaire du
monde reflète, par ailleurs, l'état de sociétés synthétiques où l'éco-
nomie,
le droit,
la morale,
la politique,
la religion et l'art sont in-
divises cou@e ces dyow, sociétés d'initiation bambara que nous évoquions.
Que la théorie sociologique est vraie, c'est l'observation
de la société contemporaine qui nous en convainc.
Déjà,
les changements
sociaux d'ordre matériel ont entamé l'ancienne vision des valeurs.
Voilà qu'en effet, sous les offres de difficultés économiques -
telle
la scolarisation - de larges couches de
la population des villes met-
tent en question le bien-fondé de l'antique natalisme. M~me si elles
n'ont pas encore opté pour le contrôle des naissances et la répression
officielle de la vie sexuelle, elles commencent à trouver pénible le
fait d'avoir de nombreux enfants, attitude scandaleuse et sacrilège
.dans . la tradi tian.
(105) - MAQUET~ J.~ Africanité traditionnelle et moderne~ Présence
Africaine~ 1967~ Pavi.e , p. 36.

-
138 -
"Avant: d'être en l.evée et déportés comme esclaves en Ané ri que ,
écri t Ri chard \\~RIGHT, nous avicms possédé en A{y>ique notre pro-
pre ci vi.l ieat-ion, Nous [o rqi on» le [e r , nous avions nos dane ee
et nos chants popul.ai cee ; nous nous eniendi one à s cul.trce r le
bois et modeler Le feY'~ ci filer Le coton et la laine~ ci tisser,
à tresser la vemneY~e. NotY'e commerce était mieL~ qu'un troc~
nous battions ~onnaie d'or et d'argent~ nous connaissions la
poterie et La cout:e l.le ri:e, Nous [obr-iquions nos propres outi Le

et nos ustensiles domestiques~ utiLisant le laituf7.~ le bronze~
l'ivoire" le quart:z , et le granit; nous avions not re pY'opre
terminologie juridique" notre re l.i qi.on , notre s ci en ce et nos
rréthodes d'enseignement".
Richard WRIGHT
Twelve Million Black Voices,
New York,
1941, p.
13.
Si nous réfléchissons sur la v~s~on africaine de la v~e,
théorie de l'unité du monde, quatre caractéristiques saillent au n~­
veau de l'intention, de l'objet, de la méthode et du bilan.
L'intention est théorique et pratique: il s'agit de situer
le monde, l'homme dans ce monde et que l'howIDe agisse avec bonheur dans
ce monde.
L'objet
la totalité, son or~g~ne, son développement, sa
fin.
La méthode est composite
observation, raisonnemen t, symbo-
lisme, mythologie.
1
Le bilan, c'est l'intuition d'unë unité substantielle, une
théorie du Nyama, vie ou force, expliquant tout ce qui existe.

CONCLUSION
LEGITIMITE
D'UNE PENSEE PHILOSOPHIQUE
DANS LA CULTURE NEGRO-AFRICAI~E
,
i
J
. ~

-
139 --
Une fois
le postulat admis,
les conséquences sont c ohê r err-
tes dans l'enseIT!ble. Toute chose trouve dan s ce système, comme toute
chose dans une totalité ou structure, une place ifltelligible : graln
de mil et chacal, royauté et castes, tambour et initiation, sorcelle-
rIe et 80rt. L'action obéit aux principes de la conception du monde et
remet SénS cesse l'ho~ue en amitié avec lui-même, avec la communauté
et avec le cosmos.
Cette intuition totalisante, et cette méthode unifiante,
c'est une intention et une méthode philosophiques. L'usage pratique de
la pensée, destiné à donner une heureuse assise à l'homme dans l'assiet-
te de l'existence, c'est la sagesse. La philosophie négra-africaine
traditionnelle, philosophie non abstraite, non spéculative, philosophie
agie, est d'abord une sagesse. Au terme d'un Essai d'anthropologie phi-
losophique sur la mort,
le professeur Louis-Vincent THOMAS en témoigne
"Pni.loeophei-, a.-t-on di t , c'est apprendre à bien in.ore , afin de
bien nour-i r, Pré ci eément., si le Né qro-Af'r-i cain a bâti une mita-
physique qui est avant tout le culte de la vie~ de la force, de
la ~:chesse uatologique~ il n'a pas manqvÉ par contraste - cu
mieux~ à titre dE corollaire ~ d'élaborer~ au moins dE man~ere
implicite~ une 'philosophie de la rf/orto Celle-ci sans doute n'est
pas toujours élaborée en tant que système; e l.Le connaî:t: de nom-
breuses variantes se Zan les groupes
; e LLe subi t enfin i ' assa.zcc
des forces accul.i.ucan tes. Tout ce la ne faci litait pas notretâ-
che. Néanmoine , il est possible de la redécouvrir, voire de La
recone t rui.re (à pairti r des attitudes ou des compoiri emen i s , dee

mythes et des crouances , des troin.uatrione pro fonoe s ) ~ d î en sai-
sir les principales lignes de force , d'en œfinir certains in-
uari-ant:s, Tout ccn ue rçe al.ore pour nous noni.re r que la prii ioeo-

phie né qro-at'ri caine de la trai-t: est une sagesse authentique".
Sagesse collective.
Sagesse première.
Il n'est de sagesse
personnelle que développée sur le fond de
cette sagesse-là.
A la re-
cherche de demain - qUl n'est que commencée (car,
les ethnologues étu-
diaient jusqu'alors les sociétés globales,
leurs cultures, et leurs
systèmes de pensée collectifs, ils n'étudiaient pas les penseurs indi-
viduels) -
à la recherche,
il appartient d'attester si la sagesse que
,
prône le vieil aveugle Ogotommêli est une sagesse personnelle ou la
sagesse co l Le c t i ve des Dogon.
Il est donc "légitime que nous commencions

-
140 -
à
la sagesse première, à La ph i l o s op hi.e pre mi r e .
(l06)
ê
Mais dans l'histoire universelle, les plus célèbres philoso-
phies qu~ se sont dédoublées dans les sociétés de classes et à écriture
en philosophies des grandes individualités littéraires et en philosophies
traditionnelles du peuple, prennent dans la quête de la sagesse leur
point de départ: c'est par exemple la philosophie chinoise, avec un
Conficius ou un Mencius, c'est la philosophie grecque. Chez les philo-
sophes grecs, ce sont, au delà des métaphysiques, des morales de la vie
endémonisme, hédonisme, ataraxie.
Amis ou ennenns de la sagesse collective, les penseurs grecs
découvrirent, par la raison spéculat{ve, la substance primordiale, l'Un.
C'est l'eau, dit Thalès;
l'air, selon Anaximène;
le feu, pour Héra-
clite d'Ephèse.
"Il est sage d'é coute r, non Das m:J1.,.~ mais iron verbe et de confes-
ser que toutes choses sont -l1n/~ (lO?) écrit Héraclite.
Mieux! avec le Platon du Timée, les anc~ens Stolciens pos-
tulèrent comme substance primordiale la vie, "l'âme du monde" : pne uma,
Chez eux, écrit Br êh i
r (108), "tout corps, animé ou inanimé, est conçu
ë
à la manière d'un vivant
il a en lui un souffle (pneuma) dont la ten-
s~on retient les parties
les divers degrés de cette tension expli-
quent la dureté du fer comme la solidité de la pierre. L'univers dans
son ensemble (comme le Timée, si imprègné d'idées médicales) est auss~
un vivant dont l'âme, souffle igné répandu à travers toutes choses, re-
tient les parties".
(]06J
Dans la philosophie européenne traditionnelle (Aristote~ Des-
cartes)
~ la philosophie première est ontologie: étude des Dre-
miers principes des choses.
LLû?} - J.
BURNET: L'aUl'oY'e de la philosophie grecque~ Pauot., 19S2~
p.
148
(108) - E. BPEHIER
Histoire de la philosophie~ Alcan~ T. 1.

-
14 \\ -
Dans les cie rni r e s Li gn e s de "La Dialectique du verbe chez
ê
les Bambara", le professeur Do min i q ue Z.·\\HAN vo i t jusque dans
la logi-
que et l'étoique la similitude encre la pensée négro-africaine 2C le
stoIcisme grec.
Il écrit :
"Cel'tains é Lément:e ?OC> nos D?'OD"{'es ù,-Jes7:-ê-ga-c1-ons nous pe rmect.ent.
d'établir) par eX217'{Jle)
'o ree et: r.!i:jà) d-ivers rcppoz-t:» eni.re la
â
cul.i ure DaJTIDara et ce que nous conn aiseone de la Grèce du ILle
siècle avant not.re ère) ccn ce rn an t: en pavt i cul.ie r la philosophie
et.oî cienne, Le 17Onc12 d' aroumervt at ion de ces Soudancie rese enb le
é t ranqemen i:
à celui en uoçue chez les echo l.arquee de la pé r-i.ode
dénoncrée hel.lérii.e t icue,
Les [)l'~:f1.,-;~pe.s [ondamen t aux de la morale
barbara offrent en oui-re CES sl>dlituaes frappa:'ltes avec ceux
que prônèren t: les [on dai.eure di"
s coî ci eme et les Cyniques". (109)
Visée de la totalité, sagesse, théorie générale de l'unité,
voilà ce que philosophiquement parlant, la pensée négro-africaine,
dans cette théorie du Nyama -
théorie spéciale de la vie -
révèle de
commun avec d'autres cultures, voilà l'universel dans le particulier.
On peut aller plus loin.
Dans
la mesure où la pensée moder-
ne et contemporaine développe une
théorie de l'unité et du dynamisme,
tant au niveau de la matière, des êtres vivants que du psychisme, on
peut dire qu'il y a, dans la pensée traditionnelle africaine, des 1n-
tuitions modernes.
Universel dans le particulier, modernité dans la tradition,
sa1S1S sans un aspect particulier de
la pensée négro-africaine. Cela,
n'est-ce pas la preuve de l'unité du monde, en tout cas des civilisa-
tions et de l'histoire de la pensée humaine? N'est-il pas légitime
alors de parler de Philosophie vitaliste négro-africaine?
(l0 9) -
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11 nov.
1969).
La pr~sente Bibliographie ne prétend pas être exhaustive, me-
me SL elle s'accompagne d'un Supplément.
Elle ne fait donc pas état de toutes les publications que
nous aurions pu consulter, et qui sont en rapport avec notre sujet en
particulier et la vie en général.
La finitude étant notre lot, force nous aura été de nous li-
miter aux ouvrages qUL nous ont été accessibles, car le risque d'em-
brasser d'un coup la totalité - en l'occurrence tous les ouvrages en
rapport avec la vie -
aurait pu renvoyer purement et simplement la
rédaction même de ce "travail" aux "calendes grecques", qui sait?
Enfin, il paraît vraiseuilllable que de nouvelles publica-
tions, en question, ont vu le jour ou sont sur le point de la vOLr,
au moment même où nous poursuivions nos recherches, car selon La bel-
le expression du Recteur GARAGNON, alors en poste à ABIDJAN:
"L'Afrique doit être un vaste chantier de recherches".
Ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.

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--,

ANNFXE
DOCur11ENTS

I/La pensée est "le plus qvand homme";
Koffi Ko n an A\\.,?-Œmo
(CG ce d'Ivoire)
Eh marge de cette étude,
il peut être ::1téressant de citer
quelques textes concernant des mythes, contes et ?roverbes, par souc~
de fournir au lecteur une documentation, mieux un "faisceau" de preu-
ves venant encore à l'appui de nc~re thèse, savoir, la légitimité
d'une pensée philosophique dans la culture africaine. Projet ambitieux,
n'est-ce pas?
Histoires "puiériles" ou "nàïves", ces mythes, contes ou pro-
verbes? Ou au contraire, sagesse, cette sagesse que nous disons col-
lective et qui est impliquée dans ces textes?
Il appartiendra au lecteur d'en juger ... Pour notre part., en
effet, il y a là une intuition philosophique, car la pensée n'est-ce
pas une détermination essentielle de l'homme. C'est à ce sujet que le
sage ivoirien Koffi Konan AWRONDO se plaisait à répéter comme un leit-
motiv : "La pensée est le plus grand homme", attestant ainsi de notre
propre légitimation de telles "intuitions" dont la théorie du NYA!"[A
nous en aura fourni la matière.
Enfin, ces documents, nous les devons au Professeur Louis-
Vincent THO~~S, en ce qui concerne les mythes et contes dans son ouvra-
ge "Les r e l i g i on s d'Afrique noire", écrit en collaboration avec R.
Llli~EAU et J.-L. DONEUX, et qui correspond au numéro 140 de notre biblio-
graphie.
Quant aux proverbes, ils sont tirés de l'ouvrage de B. HOLAS
"L'image du monde bété" qui n'est autre que le numéro 68 de cette même
bibliographie.

-
163 -
Aperçu, SUT1&n mythe dogon de ta création
« Dieu (Am ma) a créé les étoiles en jetant dans l'espace des boulettes
de terre; il créa le soleil et la lune en modelant deux poteries blanches,
l'une entourée. d'une spirale de cuivre rouge, l'autre de cuivre blanc.
Les Noirs sont nés au soleil, les Blancs sous la lune, D'un autre boudin
de terre glaise, Arnrna forma la terre, qui est une femme, allongée
du nord au sud; une fourmilière est son sexe, une termitière son
clitoris, Dieu s'unit à elle en abattant le clitoris (première excision),
et elle donna naissance au chacal. Puis naquirent les génies Nomma,
aux yeux rouges, au corps vert, aux membres souples. Un Nomrno,
voyant sa mère nue, apporta, pour la vêtir, dt~S fibres cn torsades qui
représentent l'eau. Le chacal. cependant, pénétra dans la fourmilière,
commettant l'inceste et faisant apparaître le sang menstruel qui teignit
les fibres. C'est le péché originel ; la terre est devenue impure. Dieu
créa alors directement des êtres humains, tirés de l'argile. Ils ont
chacun en eux les deux principes male ct femelle, mais on leur apprend
la circoncision et l'excision qui distingueront !es sexes.
« Les huit ancêtres primordiaux sont l'origine de la division du
peuple dogon en huit familles'. Un Nomme reçut le verbe ct l'apprit.
ainsi que le tissage. à la fourmi qui l'enseigna aux hommes. Huit
graines d'espèces ciinércntes furent réparties ent.re les huit ancêtres;
mais quand elles se trouvèrent épuisées, les deux premiers ancètres
consommèrent le ionie qui ne leur avait pas été accordé. Ils durent
alors s'enfuir du ciel; ce fut l'occasion, pour le premier ancêtre, de
construire le système du monde.
Il
Sa forme est celle du panier dogon : fond carré, ouverture plus
large, et ronde, mais un panier d'argile et renversé, le fond formant
terrasse. La base symbolise le soleil, la terrasse le ciel. Sur chaque
côté est un escalier de dix marches. L'escalier du nord porte les hommes
et les poissons, celui du sud les animaux domestiques, celui de l'est
les oiseaux, celui de l'ouest les animaux sauvages, les végétaux et les
insectes. L'ancêtre vola le feu et installa sur la terrasse Lt première
forge. Les Nomme le bombardèrent et cassèrent ses n.cmbrcs qui,
jusque-là souples. furent désormais articulés, Il descendit alors de la
terrassé et créa le premier champ.
Il
Ensuite descendirent les autres ancêtres. Mais le huitième arriva
avant le septième qui, courroucé, se changea en serpent. Les hommes
le tuèrent ct le mangèrent. Il s'était volontairement sur ri t:l'· pour leur
salut. Le huitième ancêtre. maître Je: la parole, est le Lébe. Il mourut ct
fut avalé par le serpent, septième ancêtre, qui le déglutit sous forme
de pierres. Le Lébé ainsi réincarné: a le neuvième rang; c 'l'st une nou-
velle créa tian 1. D
.-
I. Cité par H. DESCH.\\~,lPS : OllVT, cité. pp, 45-47. Sans pouvoir nous attarder
sur ce point, rappelons l'iuiportance de la symbolique des nombres (8). des
couleurs (rouge, vert), des graines (3 graines. Ionio}, des animaux (chacal. poisson,
serpent...), des objets (paniers. fibres en torsades}, etc.

-
164 -
Aperçu sur les mythes bambara de la création du monde
« Au début il y a glan, le vide originel et le mouvement universel.
Il s'enroule en deux spirales de sens inverse, en dégageant une force, ZO,
dont procède l'esprit, '.la. Celui-ci, en tournoyant aux quatre coins
cardinaux, conçoit quatre mondes, dont un actuel (le troisième), et
un futur. Le monde ainsi conçu est réalisé par la vibration (yereyereli). Il
Après ces préliminaires commence la création. On voit s'ordonner
vingt-deux éléments qui sont les caractères généraux des êtres, les
idées. Une masse lourde, Pemba, tombe en tourbillonnant et donne
naissance à la terre; en même temps une portion d'esprit se lève;
c'est Faro qui construit le ciel. Il tombe ensuite sur la terre, sous
forme d'eau et y amène la vie: on voit apparaître successivement
J'herbe, les scorpions, certains poissons, les crocodiles et autres animaux
aquatiques. L'homme aussi, au début, est aquatique; il a donné
?
naissance aux pêcheurs bozo, qui sont les premiers humains.
r
,.
i
« Pemba se transforme en graine de balanza (Acacia Albida) et son
double devient sa femme, Mousse Koroni. Les hommes nés de Faro
,
adressaient alors des prières au balanza. Ils étaient immortels redeve-
1
!-
nant à cinquante-neuf ans des enfants de sept ans. Ils vivaient nus, ne
k
travaillaient pas et ne proféraient que des grognements. Le balanza
exigea que toutes les femmes s'unissent à lui. Mousse Koroni, folle de
jalousie, courut à travers le monde, mutilant les parties sexuelles des
hommes et des femmes l ; elle sema le désordre dans la création, y
introduisit le malheur et la mort; elle inventa les techniques agricoles
pour subsister; mais, à son contact, la terre devint impure. Enfin
~Iousso Koroni mourut. Pemba-arbre découvrit la valeur énergé-
t,
tique du sang en déflorant une vierge; dès lors il exigea des hommes
l'offrande de leur sang. CClix-ci, épuisés, eurent recours à Faro; il leur
f
donna les tomates qui, dans leurs corps, se transformaient en "a115 et
!
en fœtus; puis il engagea la lutte contre Pemba, qui iut vaincu. Le
1
culte du balanza cessa, mais l'arbre annonça aux hommes que désor-
1
mais ils devraient mourir.
e Faro, l'esprit vainqueur de la matière et du désordre, réorganisa
le monde. Il créa le jour et la nuit, les saisons, les sept cieux, les sept
parties de la terre. Il répartit les hommes en races ct en castes, indiqua
les interdits, donna les huit grains nourriciers. Il est le dieu de l'cau et
tient en réserve les douze eaux qui submergeront un jour la terre pour
faire place au monde futur. Il se déplace en spirale tous les quatre
cents ans pour surveiller le monde. Il est représenté par un chapeau
tressé en spirale, à huit spires, qui était autrefois réservé au roi 2. ~
1.
Origine de la circoncision et de l'excision,
2.
Cité par H. DESCILUIPS, ouvr. cité, pp. 43-19.
o

?,\\.l~l'·" .
.Ç/:,:.'
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-
165 -
.. ' .
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1
f., ,
v
L'origine de la mort : conte Bamun
Voici maintenant la version bamun, où les rôles sont inversés, le camé-
léon portant le message de mort, ce qui est plus rare; mais on remar-
quera que même lorsqu'il porte le message de vie, il est responsable
de la mort des hommes, soit qu'il tronque le message, soit que, par
niaiserie, il se laisse devancer par son compagnon. Une autre version
camerounaise, celle des Beti, est construite sur ce dernier fait.
A l'origine les hommes ne mouraient pas. Un jour le crapaud et le
caméléon se mirent à délibérer sur la destinée humaine. Le crapaud
avança que les hommes deva-ient

mourir temporairement, et revenir
ensuite à la oie. Le caméléon. s'y opposa, en disant que les hommes devaient
mourir une fois pour toutes. La discussion iut longue et sans issue.

Pour trancher cette affaire, le crapaud proposa de mettre un ndom
(tambour Il ulle peau) à une certaine distance conventionnelle, pour que
chacun d'eux coure d'un point commun, t!.galementconventionnel. pour
aller le sonner, mais que l'opinion de celui qui aura sonne le premier
ce tambour soit ado-ptee sans deoat,
Le caméléon, quoiqu'ii jlit inquiet de sa lenteur naturelle, accepta
i,
celte proposition. .'vIais sachant combien son collègue etait iriand de
nguo' (termites ailds) , il eut.La ueill« du iour i:: iLl course vas le tambour,
l'astuce de mettre trois paquets de ces termites sur te traiei à parcourir
qu'ils avaient fixé : te premier -paouei [ut mis non tain il' ',ôoint de
départ, le deuxième au milieu du iraiei, et le iroisicme non loin dit iamoour,

Tout cela se passa dans une grande discrétion, pendant la nuit. Apr;;s
quoi il rentra elie: lui et s'endormit.
Le lendemain, de bon matin, les deux animaux se rencontrèrent au
rendez-vous et se mirent à courir, comme cela auaii dit!. convenu, vers le
tambour. Le crapaud sautilla très vite et ddpassa aussitôt le lent caméléon
incapable de se diplacer en vi/esse. II ais, à peu de distance du point de

départ, il trouva lm paquet de termites ailés, et sans meme S'eH demander
t
,
la provenance, il se mit à les manger avec Lm appétit glouton, comptant
1
r
1

-
166 -
trop sHr sa rapidité naturelle, et croyant fermement battre son pauvre
concurrent condamné à la lenteur.

Mais alors le cameleon l'atteignit sans bruit, le dépassa doucement, et
;.
-~
essaya de se hâter de son mieux, pour arriver le premier au but. Par
hasard, le crapaud leva la tête, le uit s'avancer, il se relança alors préci-
pitamment en route, sautilla de plus belle, le rejoignit et le dépassa à
nouveau.

Mais ail milieu de son trajet, il trouva encore un deuxième paquet de
termites ailés, et sûr de ses qualités de coureur, il se mit à manger ces
bêtes comme tout à l'heure, sans s'inquiéter du tout d'arriver en retard.
Cependant le caméléon le rattrapa, le dépassa et continua sa route vers le
tambour, avec l'espoir d'arriver le premier, malgré la rapidité du crapaud
q1u"
H'échapperait pas à la tentation des termites dont il est si [riand,
Levant encore sa tête pour mieux avalerune bonne bouchée de termites,

le crapaud revit le caméléon avancer et, laissant malgré lui le paquet de
termites ailés, il le poursuivit, le rattrapa et le dépassa encore, en espérant
qu'il ne serait plus retardé par quoi que ce soit
eH chemin.
Voici qu'à peu de distance du tambour, un troisième paquet de termites
ailés attira son attention, A i:euglé par l'idée de sa su-périorité par rapport
1
1
al' caméléon, il se mit à s'en « eJJlp~jjrer)J sans envisager le ws d'IIIL echec
f
possible. Sans tarder, le cameleon vint le Cl doubler» lout doucement, hâla
~
la marche de son mieux, et. arrivé près du tambour et ne voyant pas le
r,
crapaud apparaître, il iut sûr de son succès, sursauta de joie et sonna
,
r
ce tambour de toutes ses [orees en disant Il hauie voix :
1
;
( Que l'homme mettre l'ne [ois POUT ioules ! Que l' honune meure :me
jois pour ioules ! Que l'homme meure une jois pOilr toutes ! ~
51'7pris par le son die tanioour , te crapaud cessa brusauenient de
ma-nger les termites ailes, courut vers ce tambour, mais helas ! l'i narriua
que trop tard. Le cameleon avait déjà gagné la pariie. Le moi d'ordre
revint de ce fait à celui-ci.

C' est pour cela que, deP11/'S lors, les hommes sont condamnes à mourir
U1le jois pour toutes 1.
1
1
1
,
1
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167 -
Récit de la création du monde,
des races humaines et de l'origine de ta mort
Au début, il n'y avait rien.
Seuls, dans l'obscurité de l'lmivers, vécurent Hâ, la mort, air:
lemme et sa fille.
Pour auoir où tnure, Hd, par des moyens occultes.fabriqua une imr: '
mer de boue.
Un [our, apparut Ala Tangana qui alla rendre visite à H â.
."
" Lorsqu'il vit sa triste demeure boueuse, Ala Tangaua reprocha (, .'.
de viue voix: cs. Comment as-tu pu te faire une demeure si pt"toyable,'
arbres et sans herbes, sans
lm seul être uiuani, sans lumière altCUô-
Pour en corriger les défauts. Ala se mit lui-même à l'œuvre.
Il commença par solidifier la boue. Ce lut la terre.
'"A{ais la terre sembla à Ala trop aride. Alors il créa la végétation
aninunix de toutes espèces.
. H â, satisjai; de cette amélioration, se lia d'wne grande amiti.
Ala, et lui offril IOle large hospitalite.
A ft bout d' tin certain temps, Ala Tan gana, qui était célibataire, d.:
da à Hâ la main de sa fille.
.
'.
, Cela dépllit à Hâ, égoiste et avare, et il irouua d'abord maintes e.'·
puis rejusa la proposition.
Alors Alla, oubliant qu'il était l'hôte de Hâ, décida d'enlever [."
Il s'entend:'1 avec eite, en secret.
Puis le couple se st1u,:a dans la lXl.rtie la pll/s dloigll.ée de la
\\
Là, ils uécurenl heureux, ei el/rem quatorze enjanis, sept gare"
sept filles.
De ces sept garçons, quaire etaient blancs et trois noirs.
Il y avait egaiement q:liUri! !-ii/",' bianches ei trois noires.
..
A la déception des par::JI!s, chacun 011. chacune de feurs enianis >
il
une langue difjùente. I!s ,n:? se comprenaient guère..·Ua Tanga'
la mère ne les com-prenaient plus.
",;::
Ennuyé d'iin. tel état de doses, Ala, bon gré mal gré, se vi,
d'avoir recours à la science de fI â,
A ussiiôt diczâé, il se mit en route.
Après un long voyage, il arriva enfin chez son beau-père, la
Il lui fit part de son malheur et demanda aide.

."IU
Hâ dit alors à son gendre: « Eli Mw, c'est moi qui t'ai ainsi , \\:d
pour m'avoir ignoblement trahi. Tt, ne devras jamais com-prenr'
quele disent tes enfants. D

f·:F:'-:,
t< c, _- .
t:. '.
r
-
168 -
« A{ais quand meme fe donnerai de l'intelligence à tes enfants blancs,
el du papier blanc peur qu'ils y portent leurs idées.
« A. tes enfants noirs, je donnerai la boue, le sabre d'abatis et la hache
pour se 1!ourrir , fabriquer ce qu'il fa-lit et vivre contents. II
Ensuite, le sage Râ recommanda cl Ala : « Veille à ce que les enfants
blancs ne se marient qu'entre eux, et que les enfants noirs [assent de
même. Il
Ala Tangana accepta, remercia Hâ et rentra chez lui.
Le jour suivant, il fit liter les mariages.
Les nouveaux mariés quittèrent "ensuite la maison paternelle et se dis-

persèrent dans tous les coins da monde.
.
De ces premiers ancêtres sont alors nés des enfants innombrables.
Nous les connaissons auiourd'hui sous les noms Français, A nglais,
ItaliensvAllemands, et Kano, Guerzé, J'v!ana, Y'acouba, Toma, M alinké,

de.
Le monde ainsi peuplé continua cependa-nt de vivre dans une obscurité
complète.
Pour l'exercice de leurs métiers, les Iionimes avaient besoin de la
lumière, et ils prièrent Ala Tan gana de leur en donner.
Q~le [aire donc?
Embarrassé une [ois de plus, AIa dut s'adresser à Hâ.
Mais, honteux, il chargea le toutou l et le coq (tè hinè] de porter le
message à sa place.
H
accueillit bien. les deux envoyés et leur répondit : « Rentrez tout
â
droit à la maison, Je V01lS donnerai le chant, il par ce chant vous appellerez
chaque matin le jour. Il vous donnera la lumière. »
Les animaux obéirent et retournèrent chez Ala. Celui-ci. déjà impatient,
leur demanda des nouvelles: « Que vous a-t-il donc dit, mon beau-père,
la mort? li
• Rien de clair, lui répondirellt le toutou et le coq, n01tS n'y aVOltS rien
compris. li
• Misérables ! s'ecria alors A!a en colère. Je vous avais donné de
l'argent et de la nourriture pour ce voyage et pourtant VOliS avez abusé
de ma bonté. Vous méritez Hne puniiioll. li
Néanmoins, la colère passée, .-lIa Tangana finit par pardonner aux
cou-pables.
Le coq se retira dans la basse-cour, et le rollier s' envola, le cœur léger,
dans la
savane.
I. c Un oiseau fouge très matinal a, selon la définition du narrateur. II s'agit
probablement du .gros rollier des savanes. Le même mot existe d'ailleurs dans la
langue guerzé voisine; d'après le R. P. CASTHELAI:-.', le tutu serait le coucal,
zool. Centropus ,\\JOflacI1:4S occidentalis, appelé improprement e coq des pagodes '.

168 bis
{c'
.,.
Il arriva cependant au toutou de pousser un cri de [oie. Sortilège
de tu.
En même temps, le coq entonna son premier cocorico.
El voilà qu'tm miracle se prodw'sit : le soleil, réveillé par les chants, se
leva; éblouissant, et commença son voyage dans le firmament.
Mais le soir, jatigué de sa longue promenade, il va se coucher de l'autre
côté de la terre. Aussi, chaque matin, le toutou et le coq doivent-ils chanter
pour le rappeler.
Les humains ne cessèrent cependant pas de se plaindre, car la nuit
leur semblait trop sombre.
H
leur donna alors la
â
IWIe et les étoiles pour qu' elles éclairassent leurs
chemins et leurs travaux.
Les hommes avaient alors tout : le jour et la nuit, le soleil et la lune,
l'intelligence et les outils nécessaires à leur subsistance.
L'œuvre [ut finie, et Hâ appela Ala Tangana.
Il lui dit: cc Tu m'as pris mon enjant unique et, en retour, je t'ai [ait
du bien ainsi qu'à tous tes enfants,
e A toi de me rendre serinee.
e Je suis sans enjants et tu devras me donner un des tiens chaque [ois
que j'en aurai envie. Je les choisirai moi-même en leur [aisant voir lin
dans leurs rêves. II .
-
Que répondre? Ala ne PHt que consentir.
Ainsi, parce que le père ne l'avait pas [ait, les enjants paient de leur
vie le PTt'x de leur mère l~
r , Recueilli par B. Helas et reproduit dans: Le Culte de Zié, Éléments de la
religion Kano [Haute-Gui nëe française), Dakar (IFAX), 1959. pp. ï9-S:!.

-
169 -
A. Hommes.
l'enfant tète les seins de sa mère même s'ils sont pourris. \\1 fcut
,
l'on a, ccce pter au besoin une condition
se conlenter o e cc c,:.Je
~
sociale àdavorable.
Aux fUlléraii!cs d'un bossu, on ne parle pas de boss::
Si tu diiJlc...ucs avec une veuve. cU(~ p',ns".:ra que lU 1 cpouseras .
..,
On ne regarde pas le ciel quand il pleut.
N'accroche pos tes vieiues frusques trop haut. Ne cherche jamais
à te mesurer avec un supérieur.
Les doigts n'ont pas la même longueur. En droits aussi bien qu'en
devoirs, les hommes ne sont jamais égaux. Il y a toujours gouver-
nants et gouvernés.
v
Seul son coiffeur peut toucher la tête du roi. Pour profiter de
quelqu'un, il faut d'abord se faire son ami.
Quand le doigt ne sait aller, il entre dons le nez. Trop de loisirs,
d'inactivité, conduit l'homme à faire n'importe quelle bêtise.
L'homme prestigieux ne dépasse jamais la cime du fromager. Le
fromager, ou
kapokier (bof. Ceiba pentandra de la famille des
malvacées) compte parmi les plus heurs arbres d'Afrique.
Choque œil s'enfle selon sa grosseur. On ne vii que dans la mesure
de ses moyens.
On ne regarde pas le cadavre si l'on n'a pas envie de mourir. I,raltirez
pas le mouvais sort.
/1 (out porter secours à celui qui s'apprête à couper les testicules
de ton ennemi. Pour éliminer des difficultés doris la
vie,
il
fcut
savoir aider le d~stin au bon moment (ailusion à la vieille coutume
bété d'émasculer l'ennemi vaincu).
Le revenant soit qui effrayer. On s'ctlcque toujours au plus faible.
Lorsque l'œil pleure, le nez ne se réjouit pas. Si un parent ou un
ami se trouve en danger, on ne reste pas indiffér ent.
C'est la gronde stature Qui s'empare du mcncbe de ia hache. En ces
de conflit, la médiation. la r ésoiutio n reviennent à la per-sonne la
plus
influente.
Les
Bélé
utilisent
en
loccurr cnce
ie xpr cssion
kwélé itè, signifianl « gronde figure ».
Quand on n'a rien ci donner à sa belle-mère, o~ fa porte sur le dos.
" convient foujours de bien se concuir e envers une pe rscnrie dont
on est recevable. Allusion à la lourdeur des chorges G'Ji incombent
ou gendre à "égard de sa belle-rnèr e . à lcquelle il doit le respect
et des presto lions. mais qui se montre souvent trcp. exigeante.
Dès que l'or:gle et fa gale s'opposent, le scng jaillit. Toute querelle
peut avoir des conséquences désagréables.
Si l'aisselle scnz r/louvais, l'anus sent encore dcvantage. Il n 'y a
jamais des choses assez mauvaises pour qu'il ne puisse pcs en être
de pires.
On ne brûle pas la maison J'ur. menteur, on la détruit, Car il courrait
pr étc ndr c qlJ~ des biens énormes o nt été dclruus dans: 'incendie
c:! \\".'<'9,:r en rnl:ce L'r: dé-:onln,agcn!cnf cxasér0.

-
170-
·10'·
;~.. ,
La (olie ne finit pas si elle o'otiocuc qu'une seule personne. Ma:s la
..-:
collccltvité . saisie de folie -
c'est-à-dire bouleversée par un événe-
ment grave -
peul êtr e sauvée grâce à la sagesse de quelques
individus. Contre un trouble-fête il faut sévir avec la même force:
au besoin, pour le dompter par ses propres armes, il convient
de se montrer {ou comme lui..
,-'
A cause de sa bonté, le sexe d'une femme a été emporté par un chien.
Une personne trop confiante sera toujours abusée par des escrocs.
La douleur de la plaie ne prend fin qu'avec sa cicatrisation. Les
conséquences d'un mérait ne disparaissent qu'opr s l'expiation.
è
L'oreille ne surpasse jamais la tête. Rappel du respect hiérarchique.
Dans la bagarre, un gros membre viril ne garantit pas en lui seul
fa victoire. Pour réussir, il faut joindre J'intel!igence à la force
physiq ue.
La faim ne tue pcs, dit le rassasié.
Tu portes la sauce tu n'as pas apporté du taro. Dans Io vieille
pratique familiaie, lorsqu'une ménagère préparait un plat de laro,
elle devait en offrir à tous les membres-commensaux de son lignage:
alors, certaines jeunes filles chargées de la distribution porto ient
la sauce, et d'autres, à leur tour. les poquets de pâte cuile de taro.
Ce proverbe es! une allusion à ce que chacun doit é<]'Jilab!err.ent
jouir de tous les droits que lui assure son rang social. Le coutumier
exige qu'aucune erreur ne soit commise dans son application.
-,
~
On croit toujours que les dents carriées sont molles: mais elles sont
.[
dures en réclité. Il o 'est pas bon de se laisser tromper par ces
r
apparences.
On ne quitle pas le forgeron pour cller redresser le machette avec
- ses propres dents. Il es! scge de ne pas dédaigner une 'Jj.jc d'autrui
quand on se trouve dans le besoin.
Qui applaudit ou mensonge, craint: la guerre.
L'étranger a de gros yeux mois ne voie rien.
La mort du propriétaire ne regarde ~/us le voleur. Un fait res:e
un fail même si les rciscns ont c;'wngé.
i
Le cadavre ne remplit pas le tombeau; il Y resle toujours de la place.
(
, -
t
Pour siffler, il {eut arrondir les lèvres. Afin dcrr iver au but. il
convient d'employer des moyens appropriés.
,-
l-
Tu ne sois ai: jeter tes excréments, et tu manges trop.
I
. Qui s'amuse avec le feu se brûle.
i;
La patience, c'est la l'raie bonté.
l
L'ct.ïcn: allume le [eu, les oduttcs sen rècliouîicoz,
f
r
1
1
1
1
1

- - -~---~--~~~~~._---~~-=~.
-
17\\ -
De celui qui, par son caractère insociable, se cause des ennuis,
on dit qu'il dépose ses ordures sur sa couchette.
S; le bros de l'adulte ne peut f>én~trer dans le bracelet d'un enîont,
sa nourriture entre bien dans toutes les bouches.
C'est derrière la maison d'un imbécile que l'on tient des propos
désobligeants.
L'amitié tue. Surtout si un ami exploite les senlimenls de sympathie.
Le dernier dit: la peur me vient du dos; le premier répond: la peur
me vient du devant. L'extstence humeine est comparée ici à une file
.'
r
de voyageurs qui s'avancent sur le sentier dans la nuit: les deux
qui se trouvent aux extrémités ne se sentenl pas en sécurité. "attaque
par un fauve pouvant survenir d'un côté aussi bien que ce l'autre.
Les difficultés de ~a vie n'épargnent pcs moins le vieux que le
jeune, ni le riche par rapport au pauvre.
Le célibataire s'accouple même d un vagin pourri. En cas de détresse.
tous les moyens de secours sont bons.
r
Le villagene tue pas. Dans un conflit généralisé. la partie attaquée
l:
trouve toujours un défenseur pnr rni les assaillants. Allusion à la
solidarité qui impose l'obligation d'aider les alliés.
,.
On n'orque pas les pieds avant que la danse ne soit bien animée.
f
Il ne faut jamais se réjouir d'avance ni anticiper sur ies événements.
Arquer les pieds (gli kpâtèké!èlè boy est une expression rappelant des
pas caractéristiques qu'exécutent, dans un
état de frénésie, les
participants lorsque lu danse c::eint son comble.
~
Quand on ne parvient pas à épouser une femme à teint clair, eh bien,
"
on s'y résigne. Autour d'une femme à teint clair, pa:-ficulièrement
cotée chez les Bété, s 'enqcqe toujours une compétition se rr éc cie
1
prétendants, et les Ïrc is cl 'un te! mariage sont tres élevés : elie
t
symbolise ici un bien rare que tout le monde souhade ccquér lr.
f
,
Cc qui se trouve dons les yeux du rabatteur, :.In revenant lui enleve,
La formule nécess i!e une explication: elle foit allusion à le cnes se
!
collective aux filets de cc otu r e , au cours de le eue ile il o rrrve ''::il:X
porticlocnts de prendre à leur enqin , hormis le gi':;ier, ~n se~ic
h
ou un revenant cyar.t choisi un arbre creux. un fourré, pour leur
demeure. Alors, fâché. celui-ci se venge en lib éro nt les vidimes et
en brouillant "esprit du coupcble.
Tu ignores qui a exécuté (cs scarircaUons sur ta figure. Car l'opéra-
tion coutumière a lieu dès le tendre enfance. Il existe, cons la nature
aussi bien que dans l'être humeir., des secrets Indéchiffr cblcs.
B, Animaux.
Qui poursuit deux proies (mangoustes) à la (ois, mangera de !a
banane sons viande, On ne devrcil jamais vouloir faire p iu s que ses
forces OIJ ses o ptüudcs le po r mcttcnt.
1
1
1

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r.
r-f.'~~
-
172 -
1"
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.'
Le corbeau dit q:le l'acquiescement ne fatigue pas Je cou. Il est plus
facile de dire oui même si lon n'est pas d'accord.
Si, en demandant la main d'une [emeile, le chimpanzé a une :nine
(art laide, il rnonrre un visage plus vilain encore lorsque, [oit: (OC1,
iJ réclame aux beaux-parents le remboursement du prix de l'épousée.
Le coq étranger ne chante pas. C'est un a~ertissement aux invités
de ne pas essayer de se donner :rop d'importance auprès de leurs
hôtes, mais de sarder une ottitude de modestie telle que la pres-
crivent les lois de l'hospitclité et ['étiquette civique.
Dormir c'est mourir, affirme le conard. Ce volatile est réputé de
ne jamais dormir. de peur de mcurir. L'inierprétation de ce prc-
verbe est à peu près la suivante: ne pas réagir devant les rne no ces ,
pourrait encourager encor-e l'adversaire; alors, il faut secouer sc
,
torpeur. quiller sen silence (le silence étant comparé ici cu sommeil)
~
el riposter, si l'on ne veut pas périr.
t.
je n'ai pas souffert du choc qui m'a jetée sur dcs épines, affirme Jo
tortue, ni des coups que /.'0.'1 m'a assénés sur le dos, ni des brûlures
du
(eu dans lequel on m'a jetée; mais c'est l'ami qui, pris dc pi~ié,
me retira du {eu cr versa de l'cau sur ma corapccc qui me tua, car
ma maison a éclaté. Une aide, même si elle est dictée par la meilleure
volonté. doit event tout être réfléchie et efficace.
C'est le choc qui a mangé de t'iiuiu: de palmier qui a les lèvres
luisantes. Toujours. une mauvaise action se trnhit.
Mêmc s'il en doic mourir, le poisson se lave la bouche. Quoique
cela coûte, en face d'un cdve rso ir e rcdoutc b!e. il faut avoir le
courage de dire ia vérité.
Quand un cc(ard tombe cens la sauce, Il [au: le ma,;gcr avec te sauce.
/1 vauf mieux ccccpter ies ennuis qui font po r tie cie la vie quotidle nne.
Ne pleure pas les larmes de sanglier. Autrefois. au stcde pc r c di-
siaque du monce, les cnirncux cultivcie nt en commun un (hCii~?
d'ignames.
,'v'ais,
:rop voraces
et
égc;s:.~s. les sonclter s, sc ns
attendre le le rn ps ce [(1 récolte. déter rèr cnt une nuit to cs les tuber-
cules à peine rnùr s. Bien qu'ils eussent ::Jji el"! grlJnc secret ct dans
l'obscurité, ils furent vus par le vigilan! kpakpanl'inidiépc, insecte
de la Conscience (258)_ Alors, repcsi:".ais inquiets, ils r entr èrent
aussitôt au
village et pour tenter d'éc~lcpper au châtiment. se
mirent à sc lamenter sur !e rnc incur , Pcr sonns ne fut cependant
dupe de leur Gupiiciié. cela va de soi. Morali:é : la faute vient à
jour, inuriie d'avoir recours à :0 dissimulation.
le rac qui ne ,'cue pas '{l:rUer son trou, gonfle son ventre. Chacun ::!
le droit cc d·:Jcfldrc un bi'::n c cqu is,
Lcs cru;>]uds ce CCelsser:t qu~ q'Jand
l-
il pic.u, Cn ne peut être "eu!",~vx
I1

-
173 -
que quand les circcnstcnces sont favorables. Chcque chose a son
temps.
Le chien regrette qu'on ne puisse partager le gibier event de l'avoir tué.
Le proverbe rejoint la locution familière à l'Occidental. d'après
laquelle on 'ne peut pas vendre 1'3 pccu d'un ours qui cauri toujours.
A force de se taire, le croce n'eue pas la têre. Ce crustacé passe
pour être dépourvu de tête depuis les origines du monde. Un mythe
raconte qu'ô le distrtbulion des têtes par Dieu, tous les animaux
se pressaient à demander leurs têtes. Seul
le crabe, indolent,
tardait et lorsqu'il se décida enfin, il n'y eul plus de têtes dispo-
nibles ... La moralité : pour réussir, il ne faut être ni sirnide ni
cpothique.
fllieux veut élever des poussins que des pincadeaux. Lorsque les
manions, fourmis carnivores, envahissent la bo sse-cour , les pinta-
deaux, ô peine cppr lvoisés , se souvent les premiers pour rejoindre
leur brousse natale -
alors que les poussins, domestiqués depuis
de longues générations, restent. malgré le danger, à la maison.
Ce qui veut dire que les enfants cdcptifs , parfois ingrats à ['égard
de leurs tuteurs, ne valent jamais les enfants du même sang.
Le corbeau déclare : seul celui qui a confiance en soi-même est
capable d'ovaler la noix de raphio. En effet, le fruil de palmier, par
sa forme et sa dureté, se prêle mal à être absorbé par voie
buccale...
Le perce-bois avait voulu enterrer sa mère OO.1S un cercueil de pierre
-
et, à /0 mort de celle-ci, il eut la bouche tout enîïèe. il est ridicule
de se vanter par eve nee d'une future réaiisetion.
Ses nouveaux testicules ont (ait tomber 'e oucc!e 00r.S un trou.
L'association tesficules-Irou doit. selon route pr o bcbih!é. évoc ue r
"acte dcccouplerne nt. Ce or over be est fondé sur un récit rnyihique :
quand le Créateur distr ibucl: aux animaux des or9G~~s se xue is ,
le buba!e (espèce de grande cntilope à cornes en lyre) élai: cbsent ,
vagabondant quelque par! dans la forêt. Plus tcr d , lorsqu'il SQ
pr ésentc , se confondent en excuses. le bon Dieu lui en donne !a
dernière peire. Le bubale en était tellement heur eux. contemplant
fièrement ses nouveaux nttr ibuls , la têle baissée et scutillcnt. qu'il
Iornbo dans un trou. Voici comment la chance, obscurcissant le
jugem::n! et troublant les sens, peut parfois mal tourner.
Il ne [out pas s'effrayer d'un python à cause de solongueut. I! s'agil
évidemment du grand ?ython de Sébo , repiil? non venimeux et non
agressif. mais qui peu: cttcindr c plu> de hu~1 à neuf mètres. Le se ns
de ce proverbe sc ppliqcc à ceux qui se le isse nt impressionner par
des cppor cnc cs.

-
174 ..:.
Les mouches préfèrent l'exctème»: (rais. La moralité conce r ne les
individus profiteurs qui doivent toujours rechercher de nouvelles
amitiés pour en abuser.
Dès que l'agame trouve sa place au soleti, il s'y réchauffe, L'o9ome
est 'ln
lézard de 20 à 3D centimètres de long, appelé commu-
nément
«mŒrgouil:at ». Son
cornporfeme nttillustr e , justement,
le conseil horccien carpe diern : jouis de
ia 'lie iant qu'il
est
temps.
Dans mon ventre il y a toujours du souffle, dit le bœuf. Que de pensées
passent à travers nos têtes !
Ne travoiîie pas pour les chiens de I)awéa ! Dawéa est le nom
d'un homme ayant jadis vécu dcns je région de Ga9nc~J. Il pcs sèdc i!
beaucoup de chiens qui d évor o ien! les pouies de s voisins. C~ qui
nous apprend qu'il ne faut jamais tr cvo iller pour rien, sans intclli-
gence.
Si les chenilles viennent toutes seules, il faut les manger. " est que stio n
d'une sorte de chenilles grégcires, de couleur rousse, comesncics
(intervenant. séchées, dans des sauces), dent les migrations scison-
nières constituent un apport bienvenu au menu quotidien du pcpan.
Moralité: saisis à tout moment chaque occcsion qui s'offre.
La civette esr convaincue qu'il {out avoir, comme elle, un crès gros
vagin, car il se peut qu'un é!épnan. vienne en visite un jour. en d'autres
mots: les lois de "hospiiali:é c.:i pr évoycnce ccrnrncnde nt de SG.rd"::r
toujours assez de provisions dans le grenier pour le ces d'une
.visite à l'improviste.
Ne te précipite pas comme le coq. Selon une fcbie , le coq un jour
se maria. La coutume voulut ~'Je le jeune époux dansèt e n l'honneur
de
('épousée ovont d'avoir des
r elorions coniuSClies cve c e ile.
De sang chaud, le coq, ébloui pc:- ie cncrrne dé' sa coule. ne sut
plus se dominer et, sur le champ, enfreignit la rèS!c' Alors, cutr o qée.
la jeune mariée de s'écrier: pourquoi n'as-tu pas dense pour moi?
Et le coq de fui répondre: je vais le faire mc inlcn c nt. Ii se mit
donc à danser ... mois trop tcr d. Il est mauvais de renverser l'orcre
des choses.
Les pieds appe!f:s marchent ,blus vite, dit le ch le n , he oilué à 0 béi r
aux ordres. Un invité se sent plus à l'aise qu'un intrus.
Pour lin bouc, on ne donne pas un bouc. La COUfU:11C rnor c!e proscrit
la loi du laI ion : il est défendu de pratiquer le principe « œil pour
ccil, dent pour den: ».
Le songlier tccommondc de porter les testiclc: en arriere. Il s 'agi~
~OiU doute du pctcmcchère. Ie su.dé co~ranl ces (::Jr~~s bé:«. cu

-
175 -
pelage roux, qui répond effectivement à celte parlicularité anato-
mique. Une fable po oulctr e r cconte que le potamochère, nouvelle-
ment marié, de cr cinte que sa belle-mère ne lui reprenne sa fille
sous prétexte d'un manquement à la pudeur, préféra placer ses
testicules leut cu bout de son corps. En présence de sa belie-mère,
l'homme doit montrer beaucoup cie discrétion et de courtoisie.
Le crabe ne quitee pas la rivière pour olier demander de l'eau à un
aouya. L'aouya, autremeni dit daman des arbres, estun petit mammi-
fère
parlant
le
nom
scientifique
Dendrohyrax dorsalis
: il joue
fréquemment un rôle dans le folklore. C'est un animal menant une
vie nocturne qui appartient à une faune typiquement Ier r cstr e.
Le python, ne voulon: pas racer une si bonne occasion, s'est couché
dans une trappe.
Le mouton met ses taches il lui plolt: Le vent souffle où il veut.
Quand la perdrix ne revient pas ou (oyer voir ses perdreaux, c'est
qu'elle est prise au piège..
On dit qu'il est comme un pou, de celui qui se montre collant,
qui cherche toujours à se meftre e a vafeur.
1/ (rappe les mouches sur les prunelles de mes yeux: d'un supérieur,
il faut bien tout supporter, surtout lorsqu'il prétend agir pour
votre bien.
Après avoir ravi l'épouse du gbakètéhonhi, ne t'étonne pas de 'loir
portoc: se briser le bois mort. Le gbakèeéhonhi est le nom que les
Bété donnent à la larve de certains insectes névroptères (les phry-
ganes, vrciscrnblcble ment) qui,
pour assurer sa protection,
se
construit autour deile un fourreau de brindilles ou autres débris
végétaux; ce qui l'a fait sur nornrncr dans le lcngcge popuiaire
traîne-bûches.
Le bâton qui s'entête è chercher l'escargot, finit par trouver une
vipère.
Ce ne sont pas tcures les souris dans ïe grenier qui ma"sent 'es ncix
de palmier à l'huile. Dcr.s !a vie, les bonnes choses sont réservées
à quelques pr iviléqiés.
C. Choses.
La [orê: a des oreilles. Il suffit de remplccer le mot « forêt» par
«mur» pour comprendre qu'il s'agit d'un conseil à ra prudence,
à la discrétion, au respect du secret.
Qui porte le panier trcioe 10 corde. Toute prise de posifion entraîne
inévitablement des conséquences.
Si le roseau avaie les racines du chêne, le monde serait inhabité.
Aucune chose, aucun être ne doit dépasser sa mesure, sa conditicn

. :~~~'.:.;'
"r,."· -
•,~,} "
, '
-
176 -
naturelle, afin (le s'ij~lé9~sr cens Ior dr e '9'12;;':(.1 et permeflre à
tou> une cohob iictio n pc.sible.
La noix de pcfrnier précendit qu'elle ne pourr,;."r pas être roulée :
elle (ut ernporiée POl· Je (curant. dès fa première ~:.tl.}{~. Il n'est pas bon
de se fier Îrol) Q sa o roor e c stuce. De ir crr.; eur on cie'lien, fGci!e-
l I ,
1
rne fi t :r ,,:. ;"';"1 ;:-- .~ •
\\_}
Si i'o« en~pfuje un Sf:rJ; pat ,Qour tou-es (è'5 cuisines, son rond [mi:
par rougir. Employée d 'une façon dés':;rdonn~'~ er iniil~errürnpue,
loufe énergie s'épuise.
En p(Jnant sur to f.êr.e une calebasse, on re ïcnc» po> de pierrc
à" autrui, Ne \\fOUS er'9c~;~z pas dtïilS un c,:)\\,fli( dant lIOUS savez
qu 'Il pour r o il perier ~r2~ur3ice CLUX. vôtres.
L'arbre mort ne -produit pas de [ruit:
Dès que le rond .de [a rivière qu'on rroverse devient trop creux, on
rebrousse chemin. Evite le r isque dès le premier o vertissement.
. Même en présence -Ju pime.':t, I'eoîont: p!":èure. Pour soigner un
enfant malade. ou pour le punir d't.:nc faute. les parents GVG.ien!
jadis recours au procédé suivant: la mere pilait d 'c bor d dars le
mortier des feuilles s éc hé es ou des écorces auxquelles elle ajouieit
une dose massive de piment. puis elle délaye!! la poudre ainsi
obtenue dc ns de "eau. Alors, on scisissci! k
?c!d récalcitrant el
on
lui administreit le :iquide par la bouche c: po r les narines.
Encore ionqtcrnps c pr ès , lenfcn! res sen! de vives brûlures. Ce qui
devrait êtr e compris dC;ls le sens que, f1lG1sré le! pr és erice d'un
plus fort, il n'est pm in~c:-Gil de chercher è faire valoir son point
de vue dans une cffctr e 'tous concernant.
On soute le ,!Jc!is',;(Jde ,j ï'etuirci: !~ moins hO/I!. Suivez la foi du
moindre effort. (in s'0fiGquc toujours o u x pl:.;s i:J:oles.
L'cou chaude ne crùie pc> io :i1Ci50n. Les ini'-fre,. les '/ccirérc;ions
t
l
r:

l
,'..

1
peuycn • ce r ie s , iO'P, (1U mc . mers eues ne ,UE~I v~rson,iC.
Devant le (rone du poir;;;er tomor: d'Jn, on ext tai: Je 'lin. on ne se
tape pas la mein cve c le kpa;;l'. Le kpcnc est 'Jn peri! coc:,cr en fer
forgé dont on se se r i. fous les mc tins. ?cur r.cr:ojcr k
Ire:) Ge
palmier d 'où sort la sève; après j'opération, pour enlever iè$
morceaux de pulpe cui restent collés ci la lame, les récolteurs o n!
coutume de secouer l'o:.1:iI contre la po ume. L !n'a~c sur laq:Jcl!c
est cons lr uil (0:; prove ro c eST. certes. diffic:k à sc is ir ;;OUI" ce/'Ji qui
o 'cst pas familiGrisé avec le >uiie des gcste:; du 1"6(01:eur, r.l~:S
cl.c veuf dire que: éCVGll1 u n problème. il '1aui mieux c!!c~ drci:
0\\1
uut. en brüknf G'.) besoin les
étopc s pour vc c rc ssc r au plus
"av! n.".ponsob!c,

-
177 -
. TABLE DES r1AT IERES'
Dédicace
"..... ..
.. .. .. ..
.. .. ..
..
4
Remerciements.....................................
5
INTRODUCTION..............................................
6
- Pro lé gomènes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . .
7
-ras ieiondu problème.............................
14
PREMIÈRE PARTIE-: A LA RECHERCHE DE LA NOTION DE
VIE
20
l -
APPROCHE DE LA NOTION DE VIE..
. . . • . . • . • . .
21
A -
Culture Rwandaise . . . . . • . . . . . • . . . . • . . . . . . . . . ;..
22
a -Notion d'Ubuzima..........................
23
b -Notion d'Ubugingo.........................
24
c -No tion d "Amagar a. . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. .
24
B -
Cul ture Adioukrou
". '.' . . . . . • • . . • . . . . . . . . .
26
C -
Les idées connexes de la v i e . . . . . . . . . . . . . . . . . .
26
II -
L'ONTOLOGIE DE LA VIE.......
..•.••.•
30
A -
L'ontologie B a n t u . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
30
a -Le système de Ternpels. . • . . . . . • . . . . . . • • . • . .
30
b- -Le sys.tème de KAGAME . . . . . . . • • • • . . . • . . ~ . • • .
36
B -
L'ontologie Dogon . . • . . . . . . . • • • . • . . . . . • ~ •••••.••
41
...

-
]78 -
-DEUXIÈME PARTIE: CHAMPS D'APPLICATION DE LA NOTION
DE VIE································
44
l
-
CHAMP COS~'!OLOG IQUE. .••.•.••••.••..••••••••••••••••••
46
A - Similitude de la conception africaine du monde
et de l'~mage qu'en donne la science contempo-
raine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . _.•.....
46
B -
La conception africaine du monde
.
48
a -La notion de monde
.
49
b -La stucture de la totalité ("La toi.le")
.
49 . -
c -Le devenir de la toile .. ,
.
51
II -
CHAMP At'lTHROPOLOGIQUE ••••••.•••••••••••••••••••••••
54
A - La notion de Dieu ou le Grand Muntu
.
54
a -Source physique
.
54
b -Source p3ychologique
.
57
c -Source sociologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . •
58
d -Source biologique
.
59
B -
La notion de "Muntu"
.
62
a -Les éléments constitutifs de la personne
humai ne
.
62
]0
L'élément corporel
.
63
20 Les éléments spirituels
; ..
64
3 0 Les éléments soc~aux
.
66
b -La symbolique des éléments constitutifs de
la personne humaine
.
70
]0
Correspondance entre les éléments spi-
rituels et les parties du corps
.
70
20 Correspondance étroite entre les élé-
ments spirituels et les éléments so-
ciaux
.
74
3 0
L
.
.
d
l'h
a se~gneur~e
e
omme
.
75
III -
CHA}fP ARTISTIQUE .••••••••••••••••••.••••••••.•••••
77
A - Vision métaphysique du langage . . . . . . . . . . . . . . . •
78
a -Nature du langage . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . .
78
b -Fonction du langage
; ..........••....
79
B - L'art de la parole : la poésie
.
84

-
179 -
C - Les autres arts véhiculent un "langage" . . . . . . . .
90
a -Les arts non verbaux ...•...•••.••••..•••••.
90
b ~Les arts verbaux .........•.••••••••••••••..
94
,0 Ladanse •.....• :'o•••••••••••••••••••••• 94
2° La musique............................
96
TROISIÈME PARTIE
SIGNIFICATION DU VITALISME AFRI-
CAIN
107
l
-
LA VIE EST ù~E REALITE POSITIVE ...••...••...••.••.•••
109
A - La mort et les éléments constitutifs de
la per-
sonne humaine •.•••••....••..•••••.•••••••••••..
110
a -La mort et le doub le. • • • • • • • • • . • • • • • . • • • . ••
11 1
b -La mor t e t
l ' â m e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1 12
c -La mort et le principe vital.
113
d - Le co rp s e t 1 a mor t. . • . • . • • • • • • . • • • • • • • • • ..
1 14
B -
La mort,
la personne et son devenir
; ••
114
II - LA VIE EST UNE VALEUR SUPRfHE •.•••••••••••••••••••••
119
A - L' in i t i a t i on .•...•••.•...•.•.........••••••..••
119
B - Le culte des anc~tres•....••.••.......•......•.
123
C - La fécondité ...••. '.•.•••.., •.•"•.••....••..•..•....
126
_
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. ' , : - x :
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III
LA VIE C EST L ETE fu'J TI E • . •\\;. .. • .._._.' .'. 7.~\\. • • • • • • • • • • • •
131
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IV -
EXPLICATION
SOCIOLOGIQ §.OE LA P~ILOS~~~IE VITALIS-
TE
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~ ( ~.\\'J\\" .\\.,
...................... t; "~~,.
._.-........-: .. E'
. 135
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CON CL US ION·
'I Of • • • • • • •~<;\\.• • • • • • • • • • • • • • •
137
!'$j' 'Lne Cf'
,
Bibliographie . . . . • . . • • • . . . . . • . . • •-•••.•••.•••••..•..
142
Supplément de bibliographie ...•••••••.••.•••••..•.•
158
.Anne xe ::, documen ts .•. L' ~ •••••, ••••.•.••' •••••••••••••••
161
Table des matières ...•••...••....•...••••••.•.....•
176