UNIVERSITE DE PARIS X
«NANTERRE »
THE5E
pour le
DOCTORAT DE 3ÈME CYCLE
~GES CO!(fES· POPULGAIRE8
gOURO
Sous la Direction
de Monsieur le Professeur Claude ABAST ADO
Novembre 11980

A la mé.mo.vr.e. de.
...
A
KOUASSI - BI - TCHESSE Boad-<'
," -

A .ta. mé.mo.ue.
d'OKRO NOMEL
Co~t~ d~ p~ g~an~,
~agique.me.~t d~p~u
-
Ato~~ que. te. GRTO dé.couv~ait a pe.i~e. e.~ lui, u~ d~
Ma2tJr.~ de. .ta. T~a.ditio~.

A .ta. mé.moi».e. de.
.#
VABLE J o-6e.ph-MaJt-te.
No:tJr.e. c.amaJtade. du GRTO,
Souda.-tne.me.nt 6~appé. paJt .ta. mo~t, a.lo~-6\\ qu'an-imé.
paJt .ta. pM-6-ton de. .ta. Re.c.hMC.he. c.omme. noU-6 .e.' é.üoM
tou» au G~oupe.,
I.e. p~o6e.-6-6a.-<.t.e.e.-6 Le.t:tJr.e.-6 au Lyc.é.e.de. Boua6.e.é..

,
KOUASSI-BI GOHORE
Po~' qu~ notke ~n~~on au Savo~ tkad~onnel
p~~ait avant tout~ Qho~~
M~ qu~ n'eut p~ le temp~ d'aQhevek ~on oeuv~e
qu'il av~ Qomme.nQé.e. •.•••••

A~ mémo~e de KOFFI-LE-GROS
No:tJr.e petit nJtVre :tJr.op tôt di-oplL'w.

A nocce. mèJre., à. Yl.O-6 nltèJre.-6,
A tOU-6 Yl.O-6 p~e.Yl.t-6 qu~, ~ve.Q Yl.OU-6, OYl.t -6U~V~ p~e.mme.Yl.t
te. Qhe.m~Yl.e.me.Yl.t de. Qe.tte. tOYl.gue. ~YI.~OYl. à. ~
Nouve.lle.. EQote..

A tOU4 no~ Am~,
Auxque~ noU4 ~omm~ ~econn~ant
d'-<'nnomb~ab.e.~ mMqu~ ·d'am-<'ûé..


A no~ ane~~~ eamakad~ du GRTO ~t ~. e~ux qu~ eon~nu~nt

A MOM.te.u!t GU.1f MICHAUV
A MOM.te.u!t G~aAd LEZOU
-
-
Qu..(, fO~4qu.e no~e ~.tvée p~é~.tp.ttée en F~an~e ~ou.leva
de nomb~eu.4~ d.t66.t~ulté4, 6a~.(f.tt~ent no~e .tM~.tpt.(on
à. .e.' Un-ivVt.6aé de NanteMe.

A Mademo~eile Hélène N'GBESSO
La. 6u:tJJ.Jte c.ompagne de no.f.l jOUlt.f.l,
dantle c.oUlta.Qe, l'annec.t.i.on et le.f.l c.oMe.(L~
l'LOU.f.l on-t pVtm.w de. menVt à. tVtme ce :tJr.avw.

A MOn4~euA Claude ABASTAVO,
Notlte V-ûtec teUlt de Rec.hvr.c.he,
-6an.6 le-6 c.oY/...~eili et le-6 enc.oUlta.ge.men.t-6 de qu~ ce
-
-
:tJr.a.vaJ..1. YI.' 0J.Ur.a.il j amw vu le [oun ,

"Olt, -<'ntVtplté.tVt, Mga.n-<'.6Vt, lé.g-<'fuVt,
.6ont autant de. ma.n-<'è..Jr.u de. pltoduVte. du
.6e.M. Toutu lu nOnc.ÜOM de. .ta. pe.n-
.6é.e. c.on6lue.nt donc. da.n.6 c.e. lté..6ulta.t :
pltoduVte. du .6e.M et: à. pa.Jtw du .6-<.-
cgn-<'Mc.a.tioM pltodu-<.tu, Mga.n,wVt ou
lté.oltga.n.,wVt lu lta.ppMU du hommu
e.ntJte. aux et: a.ve.c. la. natuns:";

cAl{4NT - PROPOS

2
Lorsqu'on examine l'ensemble des critiques consa-
crées à l'analyse des contes, on est frappé par un fait:
beaucoup, volontairement ou non, situent les contes populai-
res en dehors de l'art, en dehors de l'esthétique: Pour les
unes, ce sont tout simplement d'inépuisables mines d'infor-
mation sur la vie des peuples. Pour les autres, ce sont des
matériaux que la critique, comme en biologie, dissèque pour
y découvrir des "lois d'organisation" qui ne font pas tou-
jours ressortir l'aspect esthétique des productions.
Or, si onne peut nier que le conte soit un docu-
ment historique, une serte d'archives des peuples, ou qu'il
soit régi par des lois, on ne peut non plus ignorer qu'il
n'est pas une parole ordinaire, une parole de tous les jours.
Et même on peut dire que parce qu'il est document historique
et régi par des lois spécifiques, l'esthétique littéraire
n'y manque jamais. Les multiples préoccupations de narration
que prennent les conteurs pour exposer leurs récits en sont
un témoignage, tout comme son organisation interne elle-même
le place sur le terrain de la littérature.
Production littéraire, c'estl'esthète ou le sty-
listicien ou le "critique littéraire" que son étude intéresse
au premier chef.
Le proj~~ de la présente étude est né en grande

3
partie de cette tentative de déplacer pour la première fois,
dirions-nous, le centre dlintérêt de la critique des contes.
Notre matériau de travail à cet effet est consti-
tué par les contes populaires gouro.
Les Gouro sont un peuple habitant le centre-ouest
de la Côte-d'Ivoire. Peuples de cultivateurs, ils vivent
partie en forêt, partie en savane.
Leur société, lignagère, est organisée autour de
1 lidée de parenté.
Sur le plan de l'art, comme chez tous les peuples
africains, l'art de la parole est recherché.
C'est aupr s dieux qu ven 1975 et. en 1978, nous
è
avons recueilli sur bandes magnétiques soixante-dix contes
qui composent la base matérielle de notre travail.
Le corpus constitué est en fait le fruit de deux
sortes de rencontres avec les conteurs : une en groupe et
une, seul a seul avec les artistes.
La première, conduite par le Groupe de Recherche
sur la Tradition .Orale (G R T 0) alors intégrée à 1 'Univer-
sité d'Abidjan, s'est effectuée auprès des Gouro-des-Savanes,
précisément a Bangofla et à Douanzra. La seconde fut orga-
nisée par nos soins, en région forestière, dans le village

4
de Konéfla.
Ce qui caractérise ces rencontres, ~~~st qu'en
groupe, la lointaine provenance des chercheurs -des"étudiants
venus de três loin, a la recherche de paroles anciennes"-
et le genre de respect qui l'accompagne, ont souvent affec-
té la marche générale du travail par un encadrement trop
rigoureux de l'assistance pour les besoins d'un ordre par-
fait. Résultat : lesmanifestationsd~ l'assistance, si
importantes dans les arts de masse que· sont les contes po-
pulaires, furent souvent comme censurées.
Au contraire, a Konéfla, notre appartenance au
milieu -il s'agit de notre village natal- a fait que les
soirées se sont déroulées sans trop de protocole, de façon
détendue, cela garantissant, réserve faite du bavardage
inopportun de certains auditeurs, la richesse des enregis-
trements.
Mais il convient de souligner que d'une façon
générale, les textes livrés sont tous valables, livrés
qu'ils furent en toute disponibilité et avec une admi~a~­
ble bienveillance.
Aussi, nous remercions M. le Directeur de 1 'E P P
de Zuénoula qui offrit un premier abri aux membres du Groupe
à leur arrivée à Zuénoula ; M. Vanié-Bi-Djê Gilbert de

5
Vouéboufla qui servit de guide au Groupe; M. Boti-Bi
(Lycéen) qui servit bénévolement de guide-interprète ;
M. Goré Sylvain de Douanzra. Nous remercions le conteur
Vanié-Bi-Pôh Augustin et sa troupe.
Dans la Tribu Nannan, nous remercions les conteurs
Nékalo-Bi Grab1i Valentin; Yao-BiSianmi Gilbert, Djessan
Bi Krablé Etienne, le vieux Kôté Gaston, Gohoré-Bi Zomamboué,
Gohoré-Lou Séhéné Henriette, Kodjané-Lou Brottin, Kouassi-Bi
Touboui Avion, Lia-Bi Djégoné Denis; les étudiants dont
la fête culturelle nous a permis en 1976 d'assister à une
soirée de contes exceptionnelle.
Nous remercions aussi notre jeune frère Lia-Bi
Douayoua Théodule qui, alors que nous nous trouvions retenu
à Paris, conduisit pour nous, avec Mlle Hélène- N'Gbesso
(recherche en Tradition orale), la seconde tranche de nos
enregistrements; Irié-Bi Tié Bernard qui, gouro-des-savanes,
nous servit d'informateur à Paris pour la compréhension par-
faite et la traduction de quelques-uns de nos textes d'ori-
gine des Savanes; Tchessé-Bi Gohoré Jean qui nous aida avec
Grabli Valentin à comprendre le symbolisme des récits; no-
tre jeune frère Dja Bi Séri Raoul qui, à Paris, facilit~
notre intégration au monde du travail ouvrier
et d'une fa-
çon générale, tous les habitants des villages de Bangofla,
de Douanzra et de Konéfla.
Que le Ciel prolonge leurs jours ...

6
Les textes obtenus sont présentés dans un volume à
part, avec une introduction posant quelques problèmes d'or-
dre linguistique.
Dans cette présentation, la grande majorité des
textes figure sous la forme de simples résumés. Nous nous en
excusons auprès du lecteur, assuré qu'il comprendra que c'est
la seule formule pour imprimer la masse que constituent les
cont~s recueillis, contes dont la plupart sont naturellement
longs, et que notre méthode de transcription et de traduc-
tion par Uversets rythmiques" a contribué à allonger encore
plu s .
Enfin, le système de' transcription utilise l'alpha-
bet de phonétique internationale (A P 1).
Il n'est pas nécessaire de prêter réellement at-
tention aux accents écrits qui marquent certains textes ori-
ginaux : il s'agit la tout simplement de la transcription
graphique des tons qui rend possible la lecture et la com-
préhension de ces textes, et qui nous a permis souvent d'ef-
fectuer, une fois achevée la transcription d'un récit, sa
traduction ai sée sans recouri r à nouveau à l'écoute magné-
tique.

qNTRODUCTION

8
Le précepte est né désormais de dire qu'un vieil-
lard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle. Ce qui
est une vérité irréfutable. Mais a cela il faut ajouter que
'l'ardeur des collectes jamais ne doit occulter les n ce s s
ë
saires moments diarrêt devant permettre de "tourner et re-
tourner" les matériaux entassés, autrement dit, de réfléchir
sur les documents collectés. Annotations, analyses, classi-
fications, et méme, enseignement des acquis doivent être
l'aboutissement nécessaire de ce travail de sauvetage cul-
turel ...
Nous nous sommes proposé, dans la présente étude,
de tenter cette analyse d'ensemble des contes populaires
gouro en tant que productions littéraires.
Beaucoup de chercheurs, et non des moindres, ont
déja abordé l'étude des contes d'autres régions d'Afrique
ou du monde. Deux noms sont marquants parmi ces pionniers
Vladimir Propp et Denise Paulme.
L'importance de ces deux savants dans ce domaine
réside\\ dans le fait que le premier inaugure une méthode
d'approche systématique des contes fondée sur la pertinence
de leur morphologie: "Les éléments constants, permanents,
du conte sont les fonctions des personnages, quels que
soient ces personnages et quelle que soit la manière dont
ces fonctions sont remplies. Les fonctions sont les parties

9
constitutives fondamentales du conte.
"Le nombre des fonctions que comprend le conte
merveilleux est 1imitê" : Il y en a en tout trente et une ...
( 1 ) .
Denise Pau1me, à la suite du folkloriste russe,
rel e van t ses i ns uf fis a nces, dé fin i t uns ch éma à 1 1 usa ge des
contes africains: " ... nous voudrions ici, en prenant pour
objet d'ana.1yse des contes africains, considérer si l'en-
semble de la démarche de Propp ne peut être retenu, à condi-
tion d'assouplir sa méthode et d'observer quelques distinc-
tions" (2).
Selon elle, sept types principaux constituent ces
contes: type ascendant (manque - amélioration - manque
comblé) ; type' descendant (situation normale _. détérioration
- manque) ; type cyclique: " ... à partir du manque ini-
tial. .• le héros, ayant atteint un état satisfaisant ... ne
sait pas se contenter de ce qu'il a re~u, il désobéit et
trouve son chStiment" ; type en spirale, type en miroir,
type en sablier, et enfin, type complexe.
Si on ajoute à ces deux méthodes celle définie par
(1) PROPP Vladimir: Morphologie du conte; Seuil
1973
p. 31.
(2) PAULHE Denise: La mère dévorante: Essai sur la morpho-
logie des contes africains; Editions Gallimard, 1976.

10
Claude Levi-Strauss dans le domaine général du mythe - "Nous
ne prétendons pas montrer comment les hommes pensent dans les
mythes, écrit l'anthropologue, mais comment les mythes se
pensent dans les hommes a leur insu" (1) - on a une vue glo-
bale des principales grilles d'analyse du "folklore" des
peuples en général, et des contes en particulier.
Ce sont, en soi, des façons incontestables d'ap-
préhender les contes, et qui constituent des apports ines-
timables dans la problématique de l'étude de ces productions.
Mais il faut noter chez ces chercheurs l'insuffi-
sance d'avoir toujours tenu les contes pour de simples struc-
tures abstraites, sans liens concrets avec les problèmes ex-
plicitefuent posés par ces derniers, et en négligeant le fait
qu'ils se situent dans un domaine littéraire, artistique.
/Î\\êA77VE~~",,,
/",,5 l'
f}tt;'~
A~~")\\
C~' est e n ter mes d 1 e,s~t'h'é t i que q,u e \\ sep 0 sel e pro -
ffè ~ A rvl F \\ {
b1 me de l' a ppr c i a t ion des <:: o.;n \\N-'-e s t -: <e pas ce qui a t tes -
ë
ë
te chez les Gouro eux-mêmes, ~:~;·0na-t-u.r-e~e~·1·a "critique lit-
"<'S'-,
s~~
"''.''.~,e:~~
téraire" ?
La critique chez ces peuples, fondée sur le princi-
pe philosophique de la nécessaire utilité des choses, est
une interrogation -tacite il est vrai- sur la nature des
(1) LEVI-STRAUSS Claude: Le cru et le cuit in Mythologiques.
Edition du Seuil,
Paris.

11
messages inclus dans les oeuvres et les moyens d'expression
qui permettent de les rendre efficients, opérants sur leurs
destinataires.
Ce qui, dans la pratique, revient à saisir dans
le matériau d'analyse, des états problématiques.
,
En effet, suivant un principe également bien connu
des Gouro, et que traduit l'expression de "w i kl
la pa-ro1e,
ô
v
,
et d'une' manière générale toute chose est constituée d t a r t t>
culations permettant son appréhension logique.
Ik1ô" désigne la ou les articulations en général.
C'est l'indice de l'organisation essentielle des choses et
du savoir, le point nommé oQ sont censés lise casser", lise
trancher" les faits. Et précisément, celui ou celle qu'on
désigne du terme de Iwik1ôdôzan" (ou "widôzan"), c'est celui
qui agit ou parle, non pas a tort et a travers, ou "tout
en largeur" (comme un fleuve en crue, disent les Gouro),
mais vise toujours les articulations des faits, fait tou-
jours ressortir les problèmes qu li1 développe et leur suite
cohérente.
Et le verbe "wik1ôdôtchi" (ou "widôtchi"), signi-
fiant "être sage", "être sensé, intelligent", veut dire
d'abord littéralement: "savoir reconnaître les articulations
de la parole, savoir reconnaître les problèmes dans les

12
Ce principe, appliqué a l'art, conduit toujours a
rechercher dans les productions imagihaires, les problèmes
qui y sont développés et dont le décodage permet li accès à
la compréhension.
C'est suivant cette perspective qu'on a pu établir
la méthode dlanalyse de la présente étude.
*
La question fondamentale posée est donc celle de
dé fin i r' une gr i l l e d:~ ~ ppro che pe r met tan t lia na lys e s ysté ma -
tique des contes populaires.
On a pu adopter, pour ce faire, dans la perspec-
tive de la critique traditionnelle définie, d~ soumettre
les récits a un e- étude sémantique par le biais de leur-
. thématique.
Les thèmes, dans les contes sont en effet des in-
dices de "problèmes" donnés, des "articulations" par les-
quelles se nouent et se dénouent des crises dans ces pro-
ductions.
Présentation schématique de la vision du monde,
"lié, dit Foté Memel, aux mythologies et aux cosmogonies
nègres", le conte est un projet d'explication des choses au

13
moyen de crises fictives que rêvèlent les thèmes; Par ces
derniers t on peut donc saisir la signification des situa-
tions dont ils sont les noeuds manifestes.
Mais cela appelle du même coup la nêcessité de
s t t nt e r r oqe r sur le mode d'expression par l eque l , dans la
pratique t les messages ainsi rêvélés se manifestent t s'ex-
têriorisent.
*
Ces deux grandes articulations de l'analyse (la
signification-messages et son mode d'expression)t sur le
plan pratique, font naître un ensemble de questions qui se
donnent comme les principales hypothèses de travail. Ces
questions: 1°) au niveau de l'étude de la nature du conte-
nu des récits t comment concilier la recherche des signifi-
cations et le besoin d1appréhender les "types" d'actions
des personnages? Et d'autre part t comment passer de ce
contenu a sa forme expressive (ou ênonciative)t sachant que
dans le domaine des contes populaires où la narration est
a la fois parole t gestes t et diverses interventions dans
le processus narratif d'êlêments autres que le Narrateur-
la forme n'est pas seulement la forme du texte des récits t
mais celle de la reprêsentation scênique tout entière t
celle du cercle de contes? Autrement dit, en quels termes

14
se définit le rapport entre le fond et la forme? Et 2°) au
niveau de ~ette formé énonciative, sur quelle base s'unissent
les différents facteurs de l'énonciation tant ceux d'ordre
" tex tue 1" que ce ux i s sus de las pé ci fic i té de l '·0 r 9a ni sa t ion
scénique? Et par ailleurs, comment étudier le "comique" qui,
par sa présence marquée dans les récits, donne souvent l'im-
pression de n'être lié concrètement à aucun autre élément de
la forme expressive?
*
Or, comment apprêter à une étude systématique,
une narration constituée d'éléments disparates?
Les contes populaires sont tributaires de tout un
ensemble d'éléments narratifs relevant d'une mise en scène
. particulière, le "cercle de conte" qui donne aux récits
leur existence concrète.
Considéré schématiquement, le "cercle de conte"
(ou "soirée de contes") réunit en effet un NARRATEUR, son
AUDITOIRE et, afin de ponctuer la parole du Narrateur, une
sorte de "répondant", l'AGENT RYTHMIQUE, ainsi dénommé selon
l'expression particulièrement explicite du chercheur ivoirien
Bernard Zadi. C'est à l'intérieur de ce "cercle tripolaire"
et par lui que s'élaborent, que se constituent en substance
concrète les contes populaires.

15
Fort de ces premières indications, essayons de
suivre l'élaboration, la "génèse" d'un conte donné. Il s'a-
git de voir de quel amalgame narratif découle un récit, et
donc, de noter comment se forme 1a réa 1i té concrète de l' oeu-
vre.
Assistons pour cela au spectacle du jeune conteur
1
VANIE-BI-POH, du village de Bangof~, à Zuénou1a.
Lorsque se produit le "spectacle de contes" de
,
VANIE-BI POH, le cercle des auditeurs se forme sur la place
du village ou dans une cour spacieuse: cercle pour assurer
à tous une audition et une vision équitables du spectacle
mais aussi, cercle, symbole de la continuité,du monde, de
la communion totale.
Au centre, se tient l'artiste. Il accompagne la
partie musicale de la narration à l'aide d'une guitare de
fabrication traditionnelle.
Un peu en retrait de ce centre, avoisinant le
bord intérieur du cercle, l'Agent rythmique, sorte d'épi-
centre de la narration, côtoie l'Auditoire.
Enfin, sur le bord du cercle, faisant corps avec
la foule, le choeur composé de chanteurs, d'un joueur de
tambourin et d'un autre musicien maniant la percussion ryth-
mique au moyen d'une bouteille frappée à l'aide de bâtonnets.

16
Une chanson symbolique (quelquefois précédée d'une
explication ~ valeur de proverbe), et voil~ embrayée la nar-
ration d'un récit.
~Aucune cho~e n'd~~ive ~dn~ qu'il y dit quelqu'un
"pou~ id commence~. Lo~~que ndZt un nouvedU dive~­
"ti~~ement, il d ~on initidteu~.
"Ce de~nie~ voLt: en ~êve le dive~ti~~ement, et le
"lendemdin, en pd~le.
"'Ld ~o~c..elle~i..e qui exi~te ~u~ te~~e, que nul ..(.c..(.
"n'i..gno~e a coup ~~~,
"C'e~t pd~ le Chien qu'elle 6ut i..nt~oduite chez le~
"homme~. Pd~ le Chien.
"C'e~t celd que je udi~ chdnte~" (1).
La chanson, précisons-le, livre à grands traits
la trame des récits. Symbolique, elle suggère à l t ava nc e la
teneur des événements devant se produire. Chanter, dans l'u-
nivers des contes populaires, c'est évoquer les faits, les
donner ~ saisir par ricochet:
"C ' e~t pd~ id Vi..eille que je 6LL6 initié
"0 Goza 1 a ~di..~on de mdnge~ Goza 1... "
Ces versets, ~ la mélodie légère et vivace, repris
(1) Conte n° 2.

17
un nombre incroyable de fois, chauffent l'Auditoire: chacun
est prêt alors, non seulement à suivre le Narrateur dans l'u-
nivers mouvementé des contes, mais à prendre une part active
~ leur réalisation.
C'est par la forme rituelle "A-a-toba-a 1" (formule
~ val~ur évocative : "C~est tombé 1 C'est la chute 1... ")
que pre nd fin cet tep art i ti 0 n . .
musicale. Le silence s'é-
tab1it, tendu.
Alors, comme on s'enquiert des nouvelles du village
ou du pays de l'étranger qu'on accueille, l'Agent rythmique
lui demande les motifs qui
l'amènent (du lointain pays 00
est censé se situer le drame à conter).
C'est ~ne question "rituelle" dans le spectacle
de' POH. E11 e est l' i nvit e e xpres se fa i te à 1 ' art i ste de dé-
vider son art, d'entrer dans le vif du sujet.
"- Quelle nouvelle t'dmlne ?
"8dti Ill, ~fpond-il, que peut-il ~ dvoi~ de mdl ?
" l l
~ d vo.it un villo.g e
"Vdn~ ~e villdge, il ~ o.vo.it une Vieille 6emme ... "
(1) Déformation linguistique de "Baptiste". C'est le prénom
occidental de l'Agent rythmique du conteur.

18
Et le conte part, élaboré à toutes participations,
co mm e l'e st une bât i s ses 0 us l' e f f etc 0 nj ugué de mu 1t i pl es
contributions.
C'est la génêse de la sorcellerie dans la société
des hommes.
Par quels relais successifs cette pratique s'est
propagée parmi les humains, c'est cela le thème du récit.
Et précisément, c'est la Vieille Femme qui en fut le premier
relais, l'initié primordiale, initiant à son tour sa petite-
fille, pendant que le Chien demeure le détenteur originel
de la pratique, le grand-maître de l'Initiation.
Au Narrateur revient la charge de l t es s e nt i e l de
l'exposé.
"Narrateur" désigne le conteur considéré du potnt
de vue ponctuel de la relation des récits. On le distingue
ainsi du terme générique de "conteur" dénommant toutes per-
sonnes sachant conter, et ainsi désignées, même en dehors
de l'activité narrative.
Dans le processus de narration donc, le Narrateur
joue le premier rôle. C'est lui qui rapporte les faits et
se doi t de gagner ch acun à l' intérêt du réc i t . Pa r sa per-
formance (qualités oratoires, talent de comédien ... ), il doit
fasciner, captiver pour provoquer la participation du public

19
~ l'accomplissement du drame.
Images fortes, utilisation habile du débit de la
parole, des ressources vocales, clarté de l'exposé (tant au
plan lexical qu'au niveau de l'articulation heureuse de la
pensée et de la progression du récit), tout cela concourt
alors non seulèment â établir la substance "textuelle" du
récit, mais aussi â susciter l'intérêt du public.
La psychologie de la Vieille Femme se trouve ainsi
présentée avec grande force d'imagination.
Envieuse des pouvoirs extraordinaires, surnaturels
que déploie le Chien pour se procurer du gibier, elle est
en proie â l'agitation frénétique. Aussi apparaît-elle volu-
bile à faire la demande de ce pouvoir. Ce que rend non seu-
lement le flot de paroles émises par le Narrateur â cet ins-
tant précis, mais aussi la longueur des versets supportant
la pensée.
Et quand elle fut mise â l'essai, ce fut aussitôt
un coup de maître:
"En jeune 6Ltle elle s es :
pltopltement tlta.n~6oltmée,
ï
"lta.ppoltte le Naltlta.teult,
et ~e tient debout tout là-
"ba.~".
"
Que di~-tu ?!"

20
s'étonne l'Agent rythmique, tandis que les spectateurs,
reconnaissant trait pour trait dans cette description, lli-
mage habituelle que 1 'on se fait du sorcier, se retiennent
à grand'peine de pouffer de rire (1).
Et le conteur
"Un touJt Jtap-i.de ~ou~ quelque bu-i.~~on, et la vo-i.la
"de nouveau tJtan~60Jtm~e en ~oldat, en un ga-i.llaJtd
"de ~oldat maJttelant le ~ol glo ! glo ! (21 ave~
"tie»
bJta~elet~ en Lv ocn « au bJta.6 ... ".
Ainsi progresse le conte jusqu'à sa phase finale:
la Vieille Femme est initiée par le Chien au prix du sacri-
fice rituel de son fils unique Gozo (3). Elt~__fn i t t e à son
4ArNÈ~
ç'~\\~.:-
r1.p.~,
tour sa peti te-fi 11e au pri x du sacri f~1~~e~~
de--so-n~'~~~mier ma
7~
\\
ma ri. . .
ICI
CAM E
\\--
~,u_ ------~
) .. '
,_
~_~ I_
Le travai 1 de captation de 1 'A"udi to-i-re <.a(~ drame
,.,~:,~ f1e\\TIe~7
~
en cours, de son implication dans le processus d'élaboration
(1) Cela constitue une déformation importante au plan esthé-
tique; et que nous expliquerons plus loin. En bref, or-
dre ayant été donné par les autorités de ne point trou-
bler le travail d'enregistrement des chercheurs du G R T 0,
1e pub1 i c a s ubi, à 1a na rra t ion de cep rem i e r con te, 1 e
supplice de ne pas pouvoir rire!
(2) Onomatopée suggérant le bruit des pas d'une personne por-
tant de puissantes chaussures.
(3) Ce sacrifice se situe sur un plan purement mystique. Ainsi,
la consommation de Gozo dont il est question dans le récit,
n'est point physique, mais mystique. De même celle du pre~
mier mari de la fille.

21
de l'oeuvre, est ainsi le fait des propres qualités du Narra-
teur. Mais d'un autre côté, ses chanc~s actuelles de se sur-
passer, d"'exploser" ne peuvent venir que des différentes
réactions, de l'intérêt manifeste que le public porte à la
représentation.
Ainsi, Narrateur et Auditoire s'impliquent mutuel-
lement.
Mais par principe (relevant de conceptions philo-
sophiques des peuples gouro), ce rapport entre le Narrateur
et l'auditoire s'articule nécessairement autour de la fonc-
tion de l'Agent rythmique (1), lequel se présente à la fois
comme la réplique du Narrateur, oeuvrant à intéresser le pu-
blic, et comme intercesseur de ce public auprès du Narra-
teur en exprimant la plupart de ses sentiments (interroga-
tions, divers ressentiments, etc.)
(2).
De la sorte, d'une part, la substance textuelle
évoquée plus haut n'est pas le fait de la seule partition du
Narrateur, mais de tous les éléments parallèles (AR et Audi-
toire) contribuant à l'accomplissement de la représentation;
et d'autre part, la participation de ces éléments parallèles
(1) Nous mentionnerons désormais l'expression en abrégé
AR
pour en rendre la graphie aisée, moins longue.
(2) Nous l'étudierons en détail dans un chapitre consacré à
l'étude de l'énonciation des récits.

22
confère de façon essentielle au IIcerclell de conte, une struc-
ture à trois dimensions, à l'étude de laquelle sera consa-
cré un chapitre.
Cette organisation de la scène n'est pas spéciale
au type de spectacle que présente VANIE-BI POH, avec un
conteur unique monopolisant théoriquement la scène et le
"d r oi t de c ont e r " tandis que l'assemblée des individus pré-
sents fait office de spectateur. Elle est également présente
dans les soirées de contes où la narration accorde relative-
ment moins d'importance au spectacle en tant que tel. Là,
on le sait (car c'est pratiquement la façon universelle),
les contes se narrent assis; et l'on conte à tour de rôle
IIVoici
venir mon conte! - Nous le tenons!
- Etant allé
longtemps, je tombe sur ... II .
Mais comme dans la représentation avec conteur
unique, on note la présence d'un Agent rythmique s'interpo-
sant entre le conteur et son public. De sorte qu'ici aussi
(et lion pourrait généraliser le fait à toutes séances de
contes), d'une part, la narration est tripolaire, et de
l'autre, la substance textuelle est constituée de l'amalgame
d'éléments issus d'au moins trois sources essentielles.
C'est pourquoi se pose toujours le problème d'u-
niformisation des textes narrés.

23
C'est une question de typographie, d'organisation
spatiale par l'écriture, de faits d'oralité. En somme, il
s'agit de dire comment doivent être disposés les divers élé-
ments de langage de la narration collectés (paroles articu-
lées : celle du Narrateur, celle de l'AR'>, c e l l e de l'Audi-
toire ; chansons, gestes A valeur de parole, expressions de
sentiments, bref tous les langages pertinents de la narra-
tion (du cercle de contes), afin de les rendre homogènes
pour les besoins d'une étude systématique.
Mais- avant de répondre, à cette que s t t on, il nous
faut faire' deux remarques sur' la nature du "t ex t e " produit
oa.r- 1e' cercle' de- conte: 10 ) 1e· cercl e- de conte évoque som-
mairement· l'org~nisation dela scène théâtrale. Comme elle,
d'une' par t.; un certain nombre· d'individus sont impliqués
dans la représentation des récits (quoiqu'au. niveau du
ce r c.l e de' conte, la "répartition des r l es " entre lesindi-
v
ô
vidus ne- soit pas 1a même qu 1 au théâtre, l'AR et 1 1 Audi toi re
n'interprétant pas à proprement parler les rôles de person-
nages des pièces, cette fonction étant tenue par le seul
Narrateur, l'AR se limitant pour sa part à coordonner la re-
présentation, tandis que· l'Auditoire constitue le destina-
taire des messages et le juge, le critique d'art de la re-
présentation) .
Et d'autre part, les interventions de ces indivi-
dus impliqu~s dans la représentation, sont régies par une

24
parfaite chronologie qui contribue à structurer, à unifier
et à rendre intelligible la narration par-aelà l'amalgame de
ses composantes.
Ainsi, le texte produit par le cercle de conte ap-
para't composé en lui-même, uniforme.
Et 2°) l'essentiel des propos émis au cours du
processus de narration se présente sous forme- de " ve r s 1 i--
b r e s." définis par le rythme respiratoire des émetteurs.
En" effet·, soumis à un c ar t ai n état (llétat. poéti-
que de tout barde) lui
permettant de communier- étroitement
avec: les' différents personnages qu'il joue",. c:'est par- jets
rythmiques', que le, Narrateur- libère ses pr o pc s ; Quelquefois
b.r-efs, d;lautres, fois longs selon l t e.ff e t: à produire', le' sen-
t.i me nt: à' exprimer, ces. propos sont parfaitement. des "jets
respiratoires" servant de supports à la parole.
Dans; une certaine mesure, tous les autres élé-
ments du texte· narratif sont régis par cette régularité, par
cette netteté: expressions ponctuelles de sentiments de
l'Auditoire, répartis lapidaires de l'AR ...
C'est par rapport à ces traits qulil faut présen-
ter, sur le plan typographique, le texte narratif. Ce sont
les éléments organiques de la présentation des textes.
En clair, dans un agencement faisant apparaftre

25
la chronologie des différentes partitions de la narration,
il convient de transcrire et de traduire sous forme de ver-
sets (ou vers libres) délimités par des pauses vocales, tous
les éléments narratifs du conte (1).
Un regard rapide sur les textes de notre corpus
permet de se faire une idée de cette vérité de la narration
et de sa présentation typographique. Ces textes, établis sur
la base de ce schéma défin:i~.. forr~;a'ppara;tre, dans la chrono-
l oqt e. de la progression de la narration, la' partition du Nar-
ra.teur, c e lle de l'AR et celle de l'Auditoire' (se. limitant
généralement: à l'expression de sentiments: rires, acquiesce-
ments ou. dénégations, etc, ou à de promptes réparties.
Ainsi deux grandes parties a r t i cu l en t l'ensemble
de 1a démarc he.
La première est consacrée a ce que dit le conte, à
ce qui se dit dans le conte, la deuxième a l'énonciation (ou
( 1 ) Calame-Griaule dans son ouvrage intitulé "Pour une étude
ethnolinguistique des Littératures orales africaines",
(Langages, 1970, avril, mai, juin), et Roland Colin dans
"Littérature africaine d'hier et de demain", (ADEC, 1965),
donnent des indications sur cette question de présenta-
tion des textes d'oralité africaine. Elles nouj ont servi
à établir notre schéma typographique.

26
formulation) du récit. Chacune d'elle se développe en plu-
sieurs points :
- 1re Partie
Le Dit des récits.
Dans ce premier volet, on vise à mettre au jour
ce que dit le conte, c'est-à-dire ce qu'est sa significa-
tion au-delà de toutes réalités formelles. Cela revient à
étudier 1°) L~ quête de la vie communautaire, et 2°) Le sa-'
v0 i r' et ses pri nc i paux fa c te urs .
_. 2e: Par t i e : Ryth me et énonci a t ion dur écite
La: sig ni fi ca t ion des ré c i t s é t ab 1 i e , 0 n env i s'a ge
dans. ce' second volet de la démarche', par quels facteurs
spëc.if t ques. l es récits s e formulent, s'énoncent et donc par
quel s: outils esthétiques le' contenu (ou messages des' contes)
s'extériorise. Dans ces conditions, . quatre questions pr i nc i -
pal es son t: dé bat tue s dan s cet tep art i e : 10) 1a' pro po s i t ion
d' une thé 0 rie' de l' exp r es si 0 n r yth mi que, 1 e ry t hm e a ppar ais-
sant comme le fondement de l'énonciation narrative; 2°) la
détermination des diff!rents agents (ou supports) du rythme,
considérés par rapport à leurs fonctions esthétiques; 3°) le
rapport entre ces supports rythmiques et le comique; et
4°) l'impact de l'expérience rythmique sur la narration.
*
*
*

epREMIERE PAR.TIE
LE DIT DES RECITS
********************
1
.

28
La symbolisation, mode de création essentiel
dans le domaine du conte, consiste à créer, à partir de
la vie réelle, c'est-à-dire à partir des préoccupations des
hommes et de leur cadre de vie, un univers stylisé, refa-
çonné qui renvoie à telles ou telles composantes de l'uni-
vers réel.
Il
s'agit donc de l'établissement d'une corréla-
tion entre des faits signifiants (1 'univers imaginaire ainsi
créé ou symboles) et un signifié ou un ensemble de signifiés
(les composantes de l 'univers réel ou significations, ou
encore messages) : le symbole est "ce qui représente autre
chose en vertu d'une correspondance analogique".
C'est un jeu de codes, d'encodage qui
confère aux
contes un caractère énigmatique.
Deux types de symboles constituent les contes po-
pulaires : d'une part, les symboles retraçant des situations,
et de l'autre, les symboles évoquant simplement la vision
dU'monde des
peuples.
Les symboles situationnels mettent en scène des
personnages dont les intérêts sont impliqués dans une situa-
tion donnée, et dont les actions, énigmatiques, destinées à

29
expliquer telles ou telles vérités, sont les symboles cons-
titutifs des contes.
Les symboles de la vision du monde, spontanément,
en dehors de toute action, évoquent les vérités à démontrer.
C'est le cas des chiffres et des nombres par exemple que
l'on trouve dans les contes.
Alors que les symboles situationnels donnent à
saisir les messages par le biais d'un' mécanisme objectif
(mise' en s c.ë ne de. personnages pour démontrer- des vérités-
messages), les symboles de' la vision du monde ne mettent en
place, aucun- në ca nt s me.
De· so r te que, sans que les. symboles de la vision
du; monde' soient négligeables, les véritables. leviers de la
progression' des récits sont constitués par les symboles' si-
tua t ion ne 1s'. .
Mais d'une façon générale, les deux catégories de
symboles sont les éléments fondamentaux des contes. Ils sont
la raison d'être des récits.
En raison de leur caractère énigmatique, les con-
tes populaires donnent à saisir les choses par ricochet. Les
messages des situations en effet ne sont jamais livrés direc-
tement. Les contes, de façon constante, présentent des actions
(ou comportements sociaux), y portent un jugement approprié,

30
et par le biais de ce jugement, font apparaître les signi-
fications des actions en cause.
Le sens des récits est donc au bout de ce méca-
nisme, tributaire du rapport entre l'action du personnage
et l'appréciation qu'en font les peuples au niveau de chaque
situation.
L'appréciation portée sur une action donnée consis-
te à faire un rapprochement entre l'action du personnage (son
comportement social) et la dynamique du milieu 00 elle s'o-
rigine ... Ce qui revient à dire en fin de compte (et pour
préctser~t~~rêgle de création des contes précédemment énon-
cée), que' toujours, 1es contes proposent un comportement. so-
cia.T (divers rapports entre les personnages dans le cadre
du. maintien- de la vie dans la communauté), comparent impli--
citement: ce comportement avec: la dynamique de la société glo-'
bale, et que de ce rapprochement, surgit la signification
du comportement du personnage.
Et' cette signification est aussi celle du réc.it
cons i déré .
On peut résumer cette démarche par la formule
suivante

31
(A.
P.) R (O.
S.) "+- S.
(Action des personnages en Rapport avec la
Dynamique sociale, donne Signification).
La dynamique sociale est l'ensemble des principes,
des valeurs sur' lesquelles repose la vie sociale, et qui as-
surent la cohésion des groupes et leur permettent de se main-
te n i r et des ur vi vr e a di f f é r ent s écu e ils •
C'est 1a; force de développement de 1a soci été.
Enfin, (dernière question théorique liée â la na-
ture' des symboles), le: c ont e ne révèle· pas explicitement: le
rapport entre: le comportement- des personnages et la dynamique
s oc.i al e, ce-l l a-ct n'étant pas elle-même systématiquement
développée' de' façon que puisse apparaître la relation en-'
tre' el le' et. les' comportements en cause .. Le rapport est tou-
jours implicite.
De sorte que c'est au critique' qu t i l revient né-
cessairement de systémati~er dans le contexte de chaque ac-
tion dramatique, les données de la dynamique sociale, et
de réiéler son 9~en avec les actions.
Toutes ces remarques amènent â poser le principe
qu1étudier les contes populaires, c'est montrer surtout
par quel mécanisme ces oeuvres établissent les messages

32
(significations des actions et des récits) qu'elles se pro-
posent de faire saisir par les hommes, et par voie de con-
séquence, quelle est la nature des différents messages qui
découlent de ce mécanisme.
D'autre part, dans la pratique, les deux éléments
de signification (quête de la vie communautaire et question
du savoir) indiqués plus haut sont des données thématiques
issues de l'interprétation des actions des personnages. De
sorte que -et l Ion peut préciser encore la méthode d'analyse
des contes- la recherche de la signification des récits
n'est en fait que la vérification des interprétations des
actions données par l'intermédiaire des thèmes en tant que
simples hypothèses.
En clair, un thème comme l '"égolsme" par exemple,
découle, entre autres, de l'action suivante: "Araignée va
manger son boeuf loin dans la for~t."
Et il n'est thème de cette action que parce qu'il
est son interprétation.
Mais cette interprétation, s'opérant instantané-
ment, apparaît subjective, par conséquent, donnée à cette
étape comme hypothèse d'analyse. Elle doit être soumise à

33
vérification.
Telle est l'étude du conte qui consiste alors à
expliciter, par l'examen de l'action d'Araignée et de toutes
celles qui peuvent s'assimiler à elle, comment le thême-
interprétation est bien leur signification, et, partant,
celle de tels ou tels récits.
Ce qui re vi en t à
- présenter, sbus forme de brèves définitions in-
diquant: en quelque' sorte: leur "typologie",. les actions des
perso nn age s ;
- à les rapprocher, pour faire appara'tre leurs
significations,. des conditions anthropologiques 00 elles
s;'originent. et susceptibles de permettre· leur compréhension
1a, plu s. par f ait e pos s i b1e .
- Enfin, on illustrera chacun de ces rapports
actions l.dynamique sociale, par le destin de chaque per-'
sonnage, le sort que lui réserve le conte, le destin des
personna.ges étant l'indice, la preuve explicite de la na-
ture (répréhensible ou susceptible d'être cautionnée), de
leurs comportements.
On parachêvera donc la démonstration du fonction-
nement du schéma soit par le châtiment qu'encourent les
personnages (ridicule, mort ... ), soit par la caution de leurs

34
comportements (succès, gloire et toutes formes de triomphes).
Mais pour ce faire, il aura fallu regrouper les
thèmes eux-mêmes, regrouper 11 ensemb1 e des réci ts sous 1es
différentes rubriques thématiques indiquées plus haut.
Le thème est le sujet, l'idée, la proposition qu'on
développe dans un discours, un ouvrage didactique ou litté-
raire. C'est donc le centre dlintérêt d'un développement,
l'ensemble des questions traitées qui forment l'ossature
des; pr oduc.t t o ns écrites ou orales.
Ce" qui
permet pa r conséquent· de 1es repérer', de
les. dé1i mit e r à l' i nté rie ur' d' un ré c i t.
Et,. plusieurs d'entre eux exprimant toujours les
mêmes; réa'lités" ils peuvent: être- finalement rassemblés au-
tour d'un nombre réduit d'idées qui
leur permettent de
s' associer' mutue11 ement.
C'est ainsi que des thèmes comme : l"égoïsme~, la
Ucruautt", la "haine pour les déshérités" ... , différents en
apparence, peuvent, en vertu d'une similitude essentielle ef-·
fective, s'associer dans un ensemble thématique plus large,
celui de la "Nécessité de la vie communautaire".
C' est, sy nt hé t i s é de cet t e fa ç 0 n , que l' e nse mb 1e
disparate des thèmes permet d'obtenir les deux grandes données

35
thémàtiques annoncées plus haut, qui constituent les éléments
du "dit des récits" et dont il convient â présent de vérifier
1 'hypothèse en tant que significations du conte.
*
*
*
1 - LA VIE COMMUNAUTAIRE
Dans son 1 ivre intitulé Les Africains (1), Basil
Davidson souligne le caractère particulièrement élaboré des
sociétés traditionnelles africaines.
Il écrit
"Se.ule. l''<'JtJtupt'<'on du monde. mode.Jtne. dé.6oJtdonnée.,
"déch'<'Jtante., a bJt'<'.6é le. moule. de. ce.tte. aJtch.<.te.c-
"tuJte. .6oc'<'ale. tJtè.6 é.laboJtée."
(1).
C'est indiquer le caractère spécifique de la con-
ception de ces sociétés.
Et de ce fait, dans bien des cas (sinon dans tous),
il s'agit de diverses formes d'organisation d'un certain
"socialisme communal" telles que le révèlent les travaux de
(1) DAVIDSON Basil
Les Africains, Editions Seuil
1971.

36
Claude Meillassoux dans le cas des "Go u r o de Côte d t Ivo i r e "
( 1 ) •
Cette expérience de II s o cialisme ll vise à rendre fonda-
mentalement homogènes les différentes catégories composant la
société: c'est un effort d'égalisation de tous devant l'acti-
vité productive.
En effet, face aux difficultés qu'oppose le milieu
physique, et parallèlement, avec la faiblesse technologique
qui caractérise cette
civil isation de paysannerie, pour ga-
rantir la subsistance, la grande solution, historiquement, fut
l'intuition d'une société sans privilèges fondamentaux devant
la production et la répartition des biens. Vieux et jeunes,
hommes et fe~mes, prêtres, notables, tous participent à des
degrés divers à la production du nécessaire vital
pour la
IIcommunautéll.
Il y a ainsi un état de relative égalité sociale.
Certes, dans le domaine de la répartition des biens,
on note souvent qu'à la classe d'âge des Aînés
(les plus âgés
des
lignages), revient ce qu'on peut appeler les "b i e ns de
pr e s t t qe "; les "r i c ne s s e s " du lignage. Mais en fait,
ces II r i -
chesses ll constituent le patrimoine de tous, les A'nés ne pré-
sidant qu'à leur gestion.
Et cela se vérifie dans
les grands
(1) MEILLASSOUX Claude: A~thropologie économique des Goura
de Côte-d'Ivoire; Editions Mouton, 1964.

37
moments de la vie, à l'occasion de mariage, de décès ou de
quelque dommage causé
à
un tiers par un membre du clan
dans ces occasions, apparaît en évidence le caractère collec-
tiviste de la propriété et des richesses.
Dans le cas des peuples gouro qui
intéressent plus
particulièrement la présente étude, ce "s oc i a l i s me " (ou so-
ciété communautaire) s'organise concrètement sur la base de
la "p a r e nt
conçue comme "u ni t
de production", comme or-
é
"
é
ganisme par/et dans lequel
s'effectue l'activité productive.
Ce cadre qui, schématiquement, met en rapport Aînés,
Cadets et catégorie des Femmes, peut également se ramener, à
la structure sociale suivante (que suggère d'ailleurs comme
on pourra le montrer, le rapport des différentes catégories
sociales aux valeurs fondamentales de la société)
: cette
structure est la suivante:
1. Un "centre de décision" constitué par la classe
d'âge des Aînés.
2. Une masse de "dépendants-travailleurs" composée
par la classe d'âge des Cadets et la catégorie des Femmes.
Mais il convient cependant de noter que dans ce
système, malgré leur position à la tête de la communauté,
les Aînés ne forment pas une classe oisive vivant du travail
ou du surtravail des autres catégories sociales. Comme on l'a
précédemment indiqué dans le cadre général
de cette conception
~e la société, les Aînés s'astreignent comme tout le monde, à

38
tous les niveaux des tâches, aux activités productives, tant
que l '~ge et la vitalité le leur permettent.
c'est ce que révèle d'ailleurs ce témoignage d'Alain
Marie à propos des rapports de productions dans les sociétés
lignagères :
"Elle (c.ette 60Jtme de domin.ation.) n.'impliQue auc.un.
"tJtavail ali~n.~ pouJt le6 c.adet6, auc.un.e extoJt6ion.
"d'un. !:luJttJtavail c.adet paJt de6 aZn.~6 n.on.-pJtoduc.teuJt.6.
"L'ob.6eJtvation. de la pJtatique Quotidien.n.e e!:lt a c.et
U~gaJtd Jt~v~latJtic.e : elle n.e 6ait pa6 appaJtaZtJte de
UtJtl!:l gJto.6.6e.6
di66~Jten.c.e.6
en.tJte le.6 Quan.tit~.6 de tJta-
uvail 6ouJtn.ie.6 paJt le.6 c.adet.6,
d'un.e paJtt,
paJt le.6
UaZn.~!:l d'autJte paJtt.
Elle mon.tJte m~me c.e!:l deJtn.ieJt!:l
Uoc.c.up~!:l
aux ac.tivit~.6 pJtoduc.tive.6 et n.'Y Jten.on.ç.an.t
"que pJtogJte!:l.6ivemen.t a me.6uJte du d~c.lin. de leuJt
"6oJtc.e u (7).
C'est donc à défaut de termes exacts et par souci de
schématisation que nous
posons la distinction entre "centre de
décision" et "masse de travailleurs".
Mais en raison du caractère hétérogène de ces compo-
santes (catégories des Aînés, des Cadets, des Femmes), et sur-
tout à cause de la façon particulière dont est réalisé ce
(1)
MARIE Alain: Rapports de parenté et rapports de production
dans les sociétés lignagères in l'Anthropologie économique;
François Maspéro, 1976 ; p. 106.

39
regroupement (les Cadets, comme on le développera plus loin,
ne sont liés aux Aînés que parce que clest à ce prix que
ceux-ci peuvent ~eur doter une femme ... ), en raison de ces
réalités, cette structure communautaire apparaît fragile.
Elle risque à tout moment d'éclater, de se dissocier et dis-
perser le capital
de force de travail que constituent les
individus.
Dans ces conditions, le souci
permanent de la so-
ciété communautaire est d'une part, de maintenir la cohésion
en son sein, et d'autre part, de veiller à la permanence de
l'homme, à sa valeur prépondérante dans la communauté, au
titred'agent producteur de biens.
Ces préoccupations expliquent la thématique des
contes.
En effet, conçus
pour analyser la société et aider
à socialiser les individus,
les contes, comme on lia indiqué
plus haut, ne formulent des problèmes que par rapport aux
préoccupations essentielles de la communauté.
Aussi peut-on relever dans les récits, dans la pers-
pective de cette organisation sociale, et en rapport avec le
thème de la Vie communautaire, d'une part, la question de la
cohésion sociale, et de l'autre, l 'idée de l 'importance capi-
tale de l 'homme dans le système communautaire.

40
A - La cohésion sociale: l'altruisme.
=================================
On peut déceler d'emblée au niveau des structures
de la société, l'existence de la cohésion sociale: sur le
plan politique, la nécessité de défendre en commun le "ter-
ritoire écologique", sorte de "patrie" léguée par les Ancê-
tres ; sur le plan idéologique, la référence commune a un
ancêtre commun, et dans le domaine social et économique, le
regroupement des composantes de la société sur la base du
système dotal.
Mais a ces différents niveaux, la cohésion reste
un fai~ de structure, une réalité puremen~ théorique malgré
le' caractère souvent concret de ces niveaux.
Lié e· a l a na tu r e de l 1 0 r gan i s a t ion, elle ne pe r met
guère de vérifier' si e·lle se traduit dans le comportement
des individus. A ce niveau des structures, elle est distincte
de la pratique.
Or en réalité, c'est au niveau du comportement des
individus que l Ion peut observer s'il y a véritablement cohé-
sion parmi les membres de la société ou~non.
Les membres de la société ont-ils une pratique quo-
tidienne conforme a la cohésion structurelle définie par
l'idéologie, la politique, etc? Telle est en effet la question.
Seul l'altruisme, niveau pratique de la conception
de la vie communautaire permet à la société de la résoudre.

41
Don de soi à la "c a us e " collective, tout autant
que
disposition à partager avec un tiers le nécessaire vi-
tal,
il
naît, dans les contes populaires, de la satire de
l'égoïsme.
L'aftJr.u-t;.,me- ou pJ1.-tVl.c-tre de-.fa c.ohé.;,,-toYl. ;.,oc.-tafe- !l;.,t
fa ;.,at-tJ1.e- de- f'_~Z~m~
e-t ~e-;., vaJ1.-taYl.te-~
L'égoïsme est un repli sur soi motivé par la vo-
lonté de ne pas partager.
Il est généralement représenté par
l'isolement physique du personnage. (lest ce qu'indique l'e-
xemple suivant extrait de notre corpus
ARAIGNEE obtient de DIEU un boeuf.
Il décide d'al-
1er le manger loin, dans la forêt,
en un endroit où pas même
une mouche ne toucherait à la viande!
(1).
('est une fuite hors du monde.
Et précisément, allant toujours plus loin, il pénè-
tre dans la forêt la plus luxuriante, la plus calme et la
plus immobile qui se puisse imaginer, dit le conte: il
pénè-
,
tre dans la contrée de la Mort. Sa rencontre avec DJE (Géant
des forêts, dévoreur de chairs, et qulon nomme aussi
la Mort),
en est un témoignage.
Mais surtout, l'allégorie figure la mort de l'indi-
vidu, la mort d'ARAIGNEE qui coupe de la communauté ses attaches
(1)
Contes N° 6 et 44 qui sont en fait des variantes l'un de
l'a ut re •

42
essentielles, et bien plus encore,
la mort de la communauté
elle-même (représentée par l'entourage immédiat d'ARAIGNEE),
la communauté elle-même qu'affame le comportement du per-
sonnage.
Mais aussi, si
le personnage affame, s'il ne peut
consentir à partager le nécessaire vital, clest bien qulil
est capable du pire: clest un coeur endurci, inhumain:
un meurtrier en puissance .•.
Le comportement d'ARAIGNEE est donc un cas de me-
nace directe pour la vie communautaire, une menace ayant la
double puissance virtuelle et effective de miner l'ensemble
du clavier de l'existence.
Aussi est-il sévèrement condamné.
1
Tout d'abord, DJE étant survenu au moment où
, ARAIGNEE s'apprêtait à festoyer,
notre héros n'obtint rien
au II pa r t a ge ll de la viande de son boeuf.
En effet, réclamant coup sur coup et sans ménage-
ment les différentes parties du gibier au titre de la II pa r t
1
du s ur ve na nt " (1), DJE engloutit tout seul
la totalité des
viandes.
Mais surtout, le conte ridiculise ARAIGNEE.
(1)
Une pratique chez les Gouro veut que soit aSSOClee au
: partage des produits de la chasse toute personne sur-
venant au moment du partage.

43
Lui qui voulut disposer tout seul de son boeuf se
trouve finalement dans la position de ne pas goOter à la
moindre parcelle de cette viande.
Et dans l'esprit du conte, ce destin qui parachève
son comportement, à savoir le ridicule, a une valeur de ch~
timent suprême: le rire est un châtiment équivalant à la mort.
Dans l'univers réel, le rire est doté d'une force,
d'un pouvoir véritable.
Parole liquéfiée, parvenue au seuil de l'indicible,
il renferme la puissance originelle du verbe lui-même.
"La paJtole- e--ôt tout
"Elle- c o u p e ,
éc.oJtc.he-.
"Elle- mo d t e ,
mo du i.e ,
ë
"Elle- pe-JttuJt b e ,
JtV1.d 60 u
"Elle- guéJt.-i.t ou tue- ne-t
"Elle- e.xc Lt:e. ou c o.t.me. le--ô
âme--ô"
(1).,
dit de
1 a parole Komo-Dibi, prêtre totémique de la société
du KaMa en pays malinké au Mali.
(1)
Rapporté par L. Senghor dans: La Parole chez Paul Claudel
et chez les Négro-Africains; NEA, Dakar, 1973.

44
Ce pouvoir formidable reconnu au verbe, tous les at-
tributs qui
le définissent, sont aussi ceux du rire.
Comme le verbe, outre qu'il apaise et crée la vie,
le rire tue net.
Réponse fluide mais à forte charge de significa-
tion, il est lié aux travers qu'il met en évidence.
Ainsi frappe-t-il
1 'individu dans son être social.
En effet, l 'individu, objet de rire, c'est-à-dire
aux dépens de qui
1 Ion déclenche le rire, est atteint dans
son honorabilité même. Sa position sociale est frappée et se
trouve souvent compromise à plus ou moins longue échéance, et
avec l'importance du ridicule plaqué sur sa personne. Il est
déclassé, socialement mort.
Etre objet de rire, c'est être tué sur le plan so-
ci a 1.
C'est dans cette même perspective que dans les
contes populaires l'on manie le rire: outre son pouvoir de
divertissement, le rire a fonction de servir d'instrument de
châtiment suprême pour les comportements répréhensibles.
Ainsi, tout personnage affublé de ridicule est
consciemment destiné par le conte à la mort, même si l'issue
du drame ne consacre pas concrètement, physiquement cette
mort:
humilié (au sens étymologique de " r abaissé au niveau
de la terre"),
il est donné comme ne devant plus survivre

45
dans la conscience des auditeurs.
Ainsi dans le conte n° 6 en question, ARAIGNEE
ridiculisé est voué en fait à la mort. Il
fut ridiculisé
au terme de son aventure, tout comme le conte l'eût fait
mourir. Ce qui explicite, prouve, si besoin en était, le
caractère parfaitement négatif de son comportement.
De même, dans le conte nO 32, la Vipère égoïste
est tuée par l'Aigle.
En d'autres termes, la satire de l'égoïsme met
en évidence aux yeux de chaque membre de la communauté, la
nécessité objective d'être altruiste, de se porter~ prati-
quement d'instinct, vers l'autre, vers la communauté orga--
nisée, de sceller la cohésion sociale.
Après ces exemples, il serait intéressant d'exami~
ner d'autres comportements qui, malgré des formulations dis--
tinctes, et soumis au jugement du conte, mettent en évidence,
comme la critique de l'égoïsme, l'idée de cohésion de la
société globale.
Dans cette catégorie, on étudiera l'individualisme,
l'envie, la gourmandise .••
Un même trait caractérise fondamentalement ces com-
portements: tous apparaissent comme des attitudes visant à
donner le pas à l'individu, à l'ego, sur l'existence de la
collectivité organisée: ce sont des variantes de l'égoïsme.

46
L',ndividualisme est, de toutes les variantes de
l'égoïsme, celui qui se trouve le plus explicitement ratta-
ché à ce comportement. Dans les contes, il garde toute la
connotation morale que lui confère l'apparentement avec
l'égoïsme.
De fait, chez les Gouro, on ne sépare jamais fon~
damentalement égoïsme et individualisme. Ces deux comporte-
ments sont une seule et même chose. Tous deux sont négatifs.
Ce sont des valeurs stériles, des ant1-valeurs.
Les récits présentent généralement l'i ndividual is-
me comm~ le fait d'un personnage outrancièrement attaché à
sa personne, préoccupé par sa propre personne, au détriment
de son entourage: accaparement de biens censés ëtre d'usage
collectif, utilisations diverses de l'entourage pour assou-
vir des besoins personnel~ préservation exclusive de sa per-
sonne dans des situations générales de crise, etc.
C'est un tel comportement que présentent les con-
tes N° 3, 58 et 65 de notre corpus. Mais analysons plus en
détail
la situatio~ N° 3.
HYENE malade, doit être soignée par la CHEVRE.
Mais celle-ci, pour allumer le feu indispensable
à la préparation des remèdes, demande la tête de la PANTHERE
qui faillit la tuer quelques instants plus tôt, la tête de
la PANTHERE pour constituer le troisième support d'un foyer~

47
trépied. La PANTHERE, consciente du danger que représente pour
elle cette expérience, tente d'opposer un refus. Mais catégori-
que, autoritaire, HYENE l'y oblige.
Voici la situation présentée par M. Gilbert SIANMI
qui rapporte le récit:
" Il 6aut de. u x. ~ u pp0 Jtt-6 0 Jt d-i. na.i»: es
"- Ou-i. !
"Et une. tite. de panth~Jte. comme. tJto-i.~-i.~me. -6UppoJtt.
"
Eh ou-i. !
"- RIRES •••
"A-i.n~-i. on au.Jta tJto-i.~ s u.p aons:«, OJt -i.l n'!! a po-i.nt
"de. tite. de. panth~Jte. -i.c-i. ; c'e.~t pou.Jtquo-i. [e • •• je.
"m'-i.nqu-i.~te un pe.u.
"- Ou-i., je ne -6a-i.~ comme.nt 6a-i.Jte.
"Ma-i.~ la Panth~Jte. e.~t la, voyon~
"Qu'e.~t-ee. que. tu. a~ a •••
"Ce. qu'e.lle. poJtte., la,
ce. n'e.-6t pa~ une. tite. ?
"- RIRES •••
"Comment donc ! La PanthlJte. e.~t be.l e.t b-i.e.n la,
"de.bout ; e.lle. poJtte. une. tite. ;
"- Eh ouÂ..
"S-i. tu compllte.~ te~ d aux .s u ppo Jtt.~ de. 60y e.Jt ave.c
"ce.tte. tite.,
,
"Ca ne. 6e.Jta pa~ tJto Ls ~ uppoJtt~
?"
"Et la Panth lJt e. de. la tite. de. qu.-i. on paJtl e , d-i.t

48
"Non! attendez un peu! Heu ... j'ai vu un jou~
"une t~te de panthl~e ld-ba~, dan~ le~ ma~ai~ !
"- Que di~-tu ?!
"Attendez que j'aille la che~che~ !"
"Alo~~ Hylne : "Ah ça ! je ~e~ai dljd mo~t 11) avant
"ton ~etou~ !!
" - P0 u~ ~ Û~, j e ~ e~ ai dl j d m0 ~t !
"Si on doit p~oclde~ de cette 6açon, je .6 e~ai déjd
"mo~t avant que tu ne ~evienne~
"Comment ! mett~e tout ce temp.6 pou~ alle~ che~che~
"une nouvelle tlte de panthl~e ld-ba~ !!
"ne ~e~ai-je pa~ déjd mo~t ?
"- RI RES • • .
"Et toi-mlme ? Cette t~te ma~~ive que tu po~te.6,
"ce n'e.6t pa.6 une t~te ?
"_: RIRES •.•
"AII ez , cou che - toi, 0 tu.
au lieu de ~aconte~ de.6
"ba.live~ne~ !:: •• "
Comme l'indique cet extrait, le caractère de HYENE
est pénétré de l'obsession de sa propre personne. Ce qui le
préoccupe, c'est SA guérison. Qu'importe par quels moyens elle
doit se réaliser! Doit-elle porter préjudice à un tiers dans
(1) On emploiera souvent le masculin pour certains personnages
ayant nom féminin, mais remplissant des fonctions sociales
d'hommes, de mâles.

49
son procès, cela nia pas d'importance. Pourvu qu'elle se réa-
lise et que vive HYENE pour sa part!
En fait, cet attachement à suérir à tout prix sur-
le-champ, résulte du fait que ce guérisseur, la CHEVRE, arri-
ve vraiment à point nommé pour HYENE. C'est une aubaine. Et
qui
sait, après la guérison, le convalescent pourra se mettre
quelque chose sous la dent
1
. ...
Et de plus, ce guérisseur n'est pas du tout diffi-
cile comme il s'en trouve! Point d'ingrédients impossibl~s
à
réunir pour' confectionner les remèdes!
I l ne demande que
des choses à porté~ de la main: deux pieres banales et une
tête de panthère, celle-ci étant déjà là !
C'est une chance à ne pas rater: chance d'être
soigné sans problème, et de festoyer ensuite à bon- compte .••
Toutes ces perspectives.portent rapidement son
obsession de guérir à son paroxys~e et durcissent du même
coup son sentiment d'individualité, son égoïsme.
Dès lors il peut regarder la vie de PANTHERE comme
ne méritant pas la moindre attention, et à l'opposé, sa
propre personne comme l'objet naturel de tous les soins, de
toutes les préoccupations, de tous les sacrifices.
Ainsi, il n'a cure de ce qui peut arriver à PANTHERE
au terme de l'opération de confection des remèdes (sa tête
subira dlatroces brûlures, dit le conte) ; mais lui, HYENE ne

50
cesse de faire valoir la perspective de sa mort que PANTHERE,
décidément indisciplinée risque d'occasionner avec les condi-
tions qu'elle pose. "Je serai déj! mort", fait-il comprendre
comme un refrain; "Pour sOr, je serai déj! mort !", "Mettre
tout ce temps ••• ne serai-je pas déjA mort ? •• ".
De même, alors qu'il tient férocement à la vie, la
lutte désespérée que livre
PANTHERE pour sauver sa tête,
passe! ses
yeux pour des "ba l i ve r ne s ";
Enfin, et c'est l'expression la plus claire de
l'individualisme, ses propos foisonnent en pronoms person-
nels se rapportant exclusivement! lui: "J.E serai mort ..•
ne serai-JE pas mort ••• ".
Dans sa vision des choses, tout se ramène à lui,
tout converge vers lui: il est au centre de tout •••
Et cela, naturellement, est propre! affaiblir,
! saper l'idée de communauté, la communauté pour laquelle
le centre de tout, la base et le point de convergence de
tout est elle-même: la communauté.
HYENE est rudement pris à partie
il est r t d i cu-
li s ë •
C'est sous les traits d'un personnage profondément
stupide, naïf qu'il nous est présenté.
HYENE, dans les contes, tout comme la PANTHERE,

51
l'ELEPHANT et tous ces "grands" de la Brousse, symbolise les
"grands" du monde traditionnel. Sa place de grand Fauve dans
la hiérarchie animale réelle le destine à assumer cette ana-
logie.
Pièçe maîtresse de la société donc (représentant
un Ancien ou un chef de clan, ou quelque autre notable de la
place), on s'attend à voir
en lui un détenteur privilégié
de la sagesse dans ses représentations essentielles. De sorte
que lorsqu'un hiatus existe entre cette haute position so-
ciale et la sagesse, cela provoque tout simplement le rire.
"La. méc.ha.nc.eté, ta. .ootti..A e et t'a.utoltl.té e xc es s cv e
"- .6 Il.Jtt 0 Il.t: t 0 Jt.6 que c et t e - c.-i é c hou e 9Jtâ.'c. e a. Il. x Jtu..6 e.6
"d'un tout pet-it- pJtitent en e66et a Jt-iJte, éc.Jt-it
"Cota.Jtdette-O-ia.JtJta..o.6ouba.. On ne .6' a.ttend pa..o a voLn:
"un Jto-i déjoué pa.Jt ptu.o· 6a.-ibte que tu..(., enc.oJte mo-in.o
"du c.ontJta..ote"
(1).
HYENE, grand notable ou patriarche, ("capable de
frapper la PANTHERE", dit le conte) a cependant les caractères
d'un niais: il prête à rire.
Et de fait, l'élément rire dans la narration de ce
(1)
COLARDELLE-DIARRASSOUBA : Le lièvre et l'Araignée dans
les contes ouest-africains; Coll. 10718 ; 1975 ; p. 98.

52
conte occupe une place importante, le narrateur y ay~nt mis
tout son art.
On voit HYENE accepter sans la moindre réflexion,
les services (en réalité la ruse) de la CHEVRE de le guérir.
La CHEVRE, échappant à peine à la PANTHERE' pour
tomber entre 1es pattes de HYENE, joue ce matin-là la carte
la plus terrible de son destin. Elle ne peut avoir son salut
qu'à l'issue d'une altercation entre ses deux ennemies. Il
convient donc pour elle de les opposer en opposant leurs in-
térêts ; en faisant dépendre en l'occurrence la guérison de
HYENE de l'acceptation de PANTHERE de laisser cuire sa tête
à vif ! ...
Cette ruse de l'opposition des deux assaillants,
HYENE, pas' pl us que la PANTHERE, ne l'a comprise.
Obsédé par le désir de guérir, il s'en prit à la
PANTHERE, se fourvoyant ainsi et laissant le champ libre à
la CHEVRE •••
Ensuite, c'est sans voile aucun qu'il étale son
individualisme: un individualisme primaire, grotesque, à
la manière des simples d'esprit, comme on l'a montré précé-
demment.
Enfin, quelques instants plus tôt malade, "tcha !
tcha ! tcha ! ... " il s'élance avec grande vivacité à la pour-
suite de 1a PANTHERE, laissant démasquer le faux malade qu'il

53
était, et le sottqu'il est a présent également de pourchas-
ser la PANTHERE en oubliant après lui sa proie.
Sous les traits d'un (notable) sot, HYENE indivi-
dualiste est donc châtié (1). Il est ridiculisé, "mis a mort".
Et le fait que la
CHEVRE dont il aurait pu éven-
tuellement se régaler lui ait échappé, ajoute a ce châtiment
final.
Et, dans une certaine me s ur e ; un autre aspect de
l'individualisme se dégage du comportement de la CHEVRE dans
le même conte N° 3.
Abandonnant les siens au village (dans la misère
pcobablement), elle tentait d'aller se repaftre toute seule
dans les champs
i ndiv i dua lis me. Cie ste e qu ' a t tes te- l a m0 -
ralité du conte
"C'est auprès de ta mère, auprès de son
foyer que tu dois consommer ce que tu as. La Chèvre a voulu
aller manger sa nourriture dans les champs, la Panthère
faillit la tuer" (2).
(1) Ces mêmes châtiments serviront a expliquer d'autres as-
pects du caractère de HYENE. Parce que tous les compor-
tements du personnage constituent un tout, sa "person-
nalité".
(2)
Il est vrai que cette moralité constitue également une
mise en garde contre le
caractère aventurier que traduit
aussi le comportement de la CHEVRE, et qu'on analysera
plus loin, au chapitre de la Sagesse. Mais cela souligne
le caractère sémantiquement labile, pluriel d'un comporte-
ment donné dans les contes, tel qu'un même châtiment, un
même jugement explique ses différents aspects.

54
Et le fait pour elle d'avoir eu affaire à la
PANTHERE et à HYENE, d'être passée donc à deux doigts de
la mort, constitue un avértissement sévère, une punition
en soi, et donc le procès de l'individualisme.
Les autres aspects de ce trait de caractère évo-
quent de façon plus subtile, voilée, l'idée d'individualisme
dans les contes, tout comme dans la réalité.
Mais en fait, ces manifestations se trouvent tou-
jours sous-tendues par la présence de l'idée d'individuali-
té : telle est la gourmandise.
Dans la gourmandise (ou intempérance), il y a deux
tendances négatives de visées par la critique. D'une part,
1e fa i t pou r 1 1 i ndiv i du des' a ppro prie r une qua nt i té j ugée
excessive des biens de subsistance collectifs, privant ainsi
son entourage de sa part (ou d'une part convenable)
; et
d'autre part, sa tendance à faire primer sa personne sur la
réalité de l'ensemble organisé, appropriant ou rêvant d'ap-
proprier les biens à sa personne exclusive.
Obnibulé par cette idée d'appropriation exclusive,
par les cris du ventre, dirait-on, le personnage devient
absolument limité du point de vue des capacités intellectuel-
les: la prévoyance, notamment, en lui, se trouve anihilée.
On a ainsi affaire à un personnage profondément naïf, sot,
que la sottise, l'imprévoyance fait tomber dans quelque piège
(souvent tendu par lui-même), finissant ainsi (et c'est aussi
l'expression du châtiment), finissant comme victime propre de

55
son penchant à la gourmandise, c'est-à-dire victime de vou-
loir sevrer en fin de compte la communauté.
C'est ainsi que dans le conte nO 4 de notre corpus,
ARAIGNEE dut rentrer bredouille d'une pêche pourtant fr.uctueu-
se avec TaNNIN (1).
Acceptant chaque jour l'idée (émise par TaNNIN) que
la pêche qu'ils sont allés faire, leur ferait prendre beaucoup
plus de poissons le lendemain, poissons qui, s'il voulait lui
laisser ceux d1aujourd'hui, lui reviendraient en totalité, il
finit par ne garder pour lui aucun poisson jusqu'à la fin de
la pêche.
Ainsi, fasciné pa~ lA perspective de posséder plus,
il n'obtint rien du tout: procês dans les normes de la justice
communautaire.
Mais l'allégorie invite également à toujours asso-
cier gourmandise et sottise. C1est ce qu'explique l'incapacité
d'ARAIGNEE à se détacher du vécu immédiat pour envisager des
perspectives de long terme, c'est-à-dire pour prévoir. C'est·
également ce qu'évoque le fait qu'il ait pu être dupé par
TaNNIN connu cependant comme partenaire dramatique particuliè-
rement sot.
(1) Sorte de bovin sauvage considéré dans
les représentations
animalières gouro comme particulièrement "sot".

56
De même, dans le conte n° 37, la gourmandise em-
pêche Araignée de faire sa plantation
fasciné par une
belle igname à l'huile rouge reflétée dans l'eau, il passe
la saison entière à repêcher cette igname.
Enfin l'envie, le caractère envieux est également
combattu (1).
L'envie, comme la gourmandise et comme la jalousie,
amè ne l ' i ndiv i du à met t r e un a c ce nt par tic u1i e r sur sap r 0 pre
personne qui, selon lui, mérite autant, sinon plus, le sort
heureux que connaissent les autres. Dans les mentalités popu--
laires gouro, elle est souvent attribuée à des détenteurs de
pouvoirs maléfiques ou "sorciers".
Selon la même conception, elle se manifeste par des
agitations frénétiques de l'individu devant l'objet du désir.
C'est précisément sous ces traits qu'elle est pré-
,
sen tee par 1es con tes •
Et, en tan t que pe rte de con t r ô 1e de l' i ndiv i dus ur
sa personne à force de désirs égocentristes, elle porte en
elle sa propre sanction: le ridicule.
Ainsi dans le conte n° 8, ARAIGNEE, fasciné par
le "vouivoui" d'ELEPHANT (plat d'igname pétrie à 1 'huile de
(1) On se limitera à ces exemples P?ur il lustrer le combat de
la société contre l'égoïsme quot qu e maints autres carac-
tères comme la jalousie par exemple s'inscrivent dans
cette lutte.

57
palm~, s'agite frénétiquement.
"Il va Lc.L,
vient là, t ounr:« ~uJt lui-mê.me",
à la vue de ce mets,
dit le conte.
Patriarche (c'est son attribut) ébranlé par
une vulgaire nourriture parce qu'attaché au désir de sa-
tisfaire coûte que coûte sa personne, il est ridicule. Et
c'est de justesse qulil échappe à ELEPHANT: il passe à
deux doigts de sa fin. C'est un avertissement, un simple
avertissement qui montre que par r a ppo r t à ELEPHANT, il a,
cette fois, plus ou moins la caution du système ...
De la même façon, le caractère envieux de la
VIEILLE FEMME du conte n° Il est ridiculisé.
Ebranlée devant les pouvoirs extraordinaires du
CHIEN en matière de chasse, pouvoirs qu'elle désire ardem-
ment obtenir, cette VIEILLE est présentée sous des traits
burlesques, grotesques.
Témoin ce court extrait relatant son voyage au
village marital de sa petite-fille.
"A s o n a n.n.Lvê.». dan~ c e village, le touJtbillon de
"vent qui l'a pJtéc.édée
"N'a épaJtgné .6uJt le~ gJtenieJt~ auc.une vieille
"vanneJtie
"tout 6ut balayé,
pJtéc.ipité hoJt.6 du village,

58

ndana la b40uaae pa4 l'ou4agan.
n_
RIRES ••• '".
Enfin, de la même manière, Araignée est ridiculisé
dans les contes n° 58 et 65.
En d'autres termes, et ce sera pour conclure sur
cette- première série d'analyses,
l'altruisme nait de la sa-
tire de l'égoïsme en général, c'est-à-dire de
tous comporte-
ments visant d'une façon ou d'une autre à faire primer les
droits de l'individu, la réalité de
l'ego sur- les prérogati-
ves, la présence première et régulatrice de
la collectivité
organisée.
Cet t e sa tir e i n vit e 1 es i ndiv i dus, sur 1 e pla n d e
l'imaginaire comme dans la réalité, à: se porter les uns vers
les a ut r e s ; à sceller' par la pratique quotidienne la cohé-
sion sociale: seule la communauté globale- a une réalité.
Mais cela implique éga lement la place prépondérante
de l'homme dans le système ainsi
organisé.
Le problème crucial
du monde traditionnel
est d'or-
dre technologique. C'est celui
de la lutte contre le milieu
naturel.
On a montré plus haut comment il a pu originellement
amener les hommes à donner une structure communautaire à leur

59
société pour "égaliser" les individus et collectiviser
l'activité productive. Il s'agit en effet d'arracher au
milieu naturel les moyens de subsistance, c'est-à-dire,
en termes clairs, de trouver à manger: problème de tou-
jours, problème universel.
Et le milieu naturel, en pays gouro (comme ail-
1eu r s s ur 1e con tin en t n0 i r ), est à bi end e s é ga rd s cel ui
d'innombrables contrariétés: sécheresses mémorables (fi-
xées d'ailleurs par la littérature orale) ; plui~s et di-
vers. autres grands bouleversements naturels, auxquels s'a-
joute, dans le domaine concret de l'exploitation, la ré-
sistance même du milieu physique.
Et le niveau technologique, ici comme ailleurs,
s e. caractérise par une profonde disproportion d'avec 1es
difficultés de ce milieu.
Dans ces conditions, la mobilisation des hommes,
des énergies musculaires est apparue, à court terme, cofume
l'issue relativement efficace pour la solution du prob lème
de subsistance.
Il s'agit d'atteindre par elle, non seulement
une certaine qualité de force de travail, mais aussi et en
premier lieu, une quantité appréciable de bras à la tâche.
De la sorte" ce qui importe en réalité dans le
système communautaire gouro (et cela explique l'importance

60
de l'être humain), ce sont les effectifs humains. Face à
l'âpreté du milieu naturel, la puissance numérique tient
lieu de puissance technologique et assure la survie de la
communauté. Nombre et activité productive sont étroite-
ment liés.
Dans les contes populaires, cette importance des
hommes est exprimée par la satire de tous comportements so-
ciaux consistant soit à agresser la vie humaine, à tuer les
individus, soit à refuser d'intégrer les "d s nè r i t s " du
ë
ê
clan, soit enfin à s'opposer au mariage de sa fille.
Il
L'impo/ttanc.e de l'homme e~t exp/timée pa/t
la ~ati/te de toute~ ag/te~~ion~ c.ont/te la
vie humaine
Mais l'agression peut être, soit une cruauté bru-
tale, sans feinte, soit au contraire un piège subtil, soit
enfin l'action des "s o t-ct e r s ? •
- L'a9/te~~ion e~t une c./tuauté. b/tutale
c.onte~ 1, 3, 32, 56.
Dans ce type de situation, comme châtiment à leurs
co mp0 rte men t s , les pers 0 nnage s dé fin i S comn-e a gr e s s ifs fin i s -
sent en général
par être vaincus par quelqu'un de leurs oppo-
sants. De tempérament violent, mais esprits limités pour cela
même, ils échouent devant quelques congénaires lucides et

61
pleins d'"audace".
C'est le cas. dans le conte n° 1 de notre corpus.
de la situation relative au mariage de la fille de PANTHERE.
PANTHERE devant marier sa fille. ne savait sur
qui. parmi les prétendants. porter son choix, tant la grande
beauté de sa fille avait ameuté de prétendants. Alors, de
colère, il impose cette épreuve qui est moins un simple re-
fus que l'expression d'une cruauté raffinée:
"VOU.6 tOU.6
a..6.6e.mblé..6,
pllé.te.nda.nt.6 de. ma.. 6ille.,
<uc-u . ce.lui qui pui.6 e. a.ve.c ce.tte. pe.tLt.e.
"ca.le.ba..6.6e. ma. bouillie. de. Iliz que. voilà.,
"Qui la. ve.Il.6e. de. 6a.ç.on continue. da.n.6 .6a. bouche.,
" qui 1 a. b 0 i.:t a.i n..6 i ,
"La. 6e.mme. que. voici, é POU.6 e.1la. e e.lui -la !"
Le comportement est puni.
D'abord l'excès de ce père irascible, par son ca-
ractère cru et stupide, ne fit que rendre le personnage gro-
tesque, risible.
Ensuite et surtout, màlgré ses efforts pour évin-
cer, écarter les prétendants de sa fille, il s'en trouva un
qui, usant de ruse et de fine adresse, enleva celle-ci:
ARAIGNEE.

62
Mais l'allégorie révèle entre autres
l'idée que
t
d'une part
il existe toujours un lien étroit entre la vio-
t
lence inconsidérée et la sottise
et d'autre part
que le
t
t
menu peuple représenté par ARAIGNEE
a toujours
face aux
t
t
"grands" de ce monde
une arme puissante, irréductible
t
le bon s e ns , l'intelligence paisible et raffinée.
On peut citer également dans ce type de situations t
celle qui met en scène la CHEVRE, la PANTHERE et l'HYENE
dans le conte n° 3 déjà examiné sous d'autres rapports:
ici également, il s'agit de la satire d'individus féroces
HYENE et PANTHERE.
Cruels et profondément stupides, ils échouent
devant le bon~sens aigu, l'esprit d'a-propos de leur oppo-
sant, la CHEVRE.
Enfin, dans le conte n° 56, Phacochère et les au-
tres cruels sont vaincus par Araignée.
Mais l'agression peut être également le résultat
calculé dtun piège ingénieux, subtil, tendu par des person-
nages à leur entourage.
~~e~~ion e~t un piège ~ubtit
Qonte.~ n CI g et 9
Dans ce type de comportements, l tagresseur tue sa
victime en ayant pris soin de la soumettre auparavant.à une

63
épreuve à caractère insoluble. Et la subtilité de la démar-
che tient au fait que la victime n'ayant pu satisfaire à
l'épreuve (1), sa mort, dès lors, se trouve jetée sur le
compte de cet échec: elle a l'apparence d'une "s a nc t t o n"
méritée (surtout si le piège est tendu sur la base d'un
interdit ... ). Et en général, l'agresseur finit par tomber
sur un congénaire qui, soit qulil manie adroitement la ruse,
soit qu'il bénéficie d'une aide providentielle, soit que
l'âge le dispose à la maîtrise de l'expérience, de la sages-
se, le terrasse à son tour.
Dans le conte N° 8, ELEPHANT dispose d'un mets des
plus appétissants, des plus "accrochants", le vouivoui que
lorsqu'on mange, il faut être capable ensuite d'abattre à
l'aide de son sexe (de son mâle sexe), son iroko ances-
tral (2). Sinon ...
"
voici donc ce vouivoui mien, dit Eléphant.
"Le mange qui veut.
A condition qu'il m'abatte
"à l'aide de .6on phallu.6 l'Ltr.oko que voilà,
"hé/litage de mes a.Ee.u x ,
"Et .6'il ne le peut ... ".
(1) On montrera au niveau d'autres analyses, cette subtilité
des comportements en les étudiant sous un autre rapport:
le refus.
(2) L'iroko -en Gouro, gôwôlè, gôhôrè- est un arbre, une es-
sence des forêts tropicales. Dans la vision du monde chez
les Gouro, il est doté d'une puissance jugéebénéfique :
c'est un arbre sacré. Du point de vue de ses dimensions
... / ...

64
Comme l t t ndt que ce court extrait, on a affaire à
de la cruauté, une cruauté qui se veut camouflée.
Les trois points de suspension à la fin de.l'ex-
trait correspondent à une suspension de voix du narrateur
lui-même.:. ELEPHANT évite ainsi de se présenter lui-même
comme un "t ueur ". Mais il ne nie pas pour autant le fait
seulement, de son point de vue, il ne tue que parce que
l 'individu, ayant consommé son mets, ne parvient pas A abat-
t r e. e nsui t e à l' a ide des 0 n s exe, son i r 0 k 0 ! Un pi ège i né-
vitable, fonctionnant sans faille si l'on considère d'une
part le caractère envoûtant du vouivoui-appât, et de l'au-
tr-e., la nature- insoluble de l'épreuve de l'abattage de l'ar-
bre.
Ainsi donc, dit le conte, ELEPHANT Il ••• tuait les
ani ma ux ,. tua i t les a ni ma ux e t tua i t les a ni ma ux Il • • •
Comme dans les situations déjA étudiées, l'acte
est jugé sévèrement.
En effet, ELEPHANT, puissant parmi les puissants,
tuant pratiquement sans que nul ne bronche, et tuant sans
scrupule (donnant ainsi l'impression d'être au-dessus de
( ... f ... (1) et de sa résistance, on peut le rapprocher du
chêne rouvre des pays tempérés : extrêmement dur ; peut
atteindre 50 m de haut et 5 m de pourtour.

65
la peur), dut s'élancer dans une fuite éperdue à la simple
feinte faite par ARAIGNEE sur la présence dans les parages,
d'un maitre-chasseur d'éléphant: il fut tourné en ridicule.
Mais à cela s'ajoute surtout le fait que pour une
fois, pour la première fois, il fut disposé impunément de
son fameux mets: défi de taille lancé par ARAIGNEE à l'en-
nemi de tous.
A ce propos, arrêtons-nous un instant pour exami-
ne r de" pr ès 1a que st ion du des tin des pers 0 nnage s .
ARAIGNEE, personnage négatif par excellence ~ans
la' philosophie des contes populaires gouro, parvient à
triompher dans certaines situations, emportant donc apparem-
ment le- crédit et la caution du conte, du système social:
sim p1e e f f e t :~::>-~.;: con t ra d i c toi r e 0 u exp r e s s ion d' une v; s ; 0 n
particulière des choses? En d'autres termes, à quel moment
un personnage (négatif) n'est pas sanctionné, (ou, d'une
façon générale, sur quelle base statue le principe de la
sanction), et quelle règle sous-tend une telle pratique?
Le destin des personnages des contes est conçu
suivant le principe de la relativité des choses.
Dans la société gouro, et d'une façon générale,
chez les peuples africains, l'idée que les êtres, les phé-
nomènes et les choses n'existent qu'en entretenant des

66
rapports les uns avec les autres, est fortement ancrée
dans les mentalités. C'est un des principes fondamentaux
de la philosophie africaine
tout est rapports, inter-
actions dynamiques.
Et ce sont les rapports qui déterminent selon
1e ur dynami que pro pre e t à des m0 men t s pré c i s,la pré émi -
nence d'une chose sur une autre chose, d'un fait sur un
autre fait.
Et- cela n'est possible que pa r c e que toute chose
comporte en soi deux aspects (dpposés) dont un, suivant les
conditions dans lesquelles se manifeste la cho s e., parvient
à dominer l'autre aspect.
C'est-la' prédominance de cet
aspect qui déterm.ine par la suite la prépondérance d'une
chose sur une autre chose, d'un fait sur un autre fait.
Dans le- domaine éthique, domaine de la quête de
1a' pe r f ec t ion, de 1 1 i dé a1i sa t ion po s i t ive, c' est lia s pect
positif des choses qui prédomine en principe (quoique ce
principe ne soit pas toujours respecté - on en dira deux
mots à la fin de cet exposé théorique ... ).
L'aspect positif prime et fait dominer un compor-
tement sur un autre comportement, un personnage sur un au-
tre personnage, les deux entités opposées seraient-elles
toutes deux négatives.

67
C'est que dans la perspective globale de la psy-
cho10gie des personnages de contes, il n'existe pas de per-
sonnages absolument négatifs, ni de personnages absolument
positifs. Il Y a toujours une part latente de caractère po-
sitif dans une· psychologie réputée négative, et vice-versa,
èaractère positif latent qui, suivant les circonstances,
suivant la question particu1 ière à démontrer par l'oeuvre,
peut ressortir, percer.
Ainsi, le personnage d'ARAIGNEE réputé, négatif
dans l'esprit des contes populaires gouro, récè1e sans doute
dans sa psychologie globale, une part latente de caractère
positif. Citons pêle-mêle quelques-uns de ses at~ribuis qui,
considérés en soi, apparaissent acceptables: il est rusé
et même intelligent, même si la plupart du temps le lot de
ses défauts (notamment la gourmandise et l'égoïsme) écrase
et anihi1e cette qualité.
Or précisément, bien des critiques lui nient de
façon systématique toute intelligence.
Ainsi, pour Maurice De1afosse, "sa ruse et sa ma-
lice sont g~ossières et souvent cousues de fil blanc ... " (1).
(1) DELAFOSSE Maurice (Introduction au roman d'Araignée chez
les Baoulé de Côte-d'Ivoire), cité par Co1arde11e-
Diarrassouba.

68
Dans cette même lancée, Co1arde11e-Diarrassouba
fait valoir qui "En fait, si lion analyse les ruses de
1 'iraignée, elles sont en général grossières ll (1).
Cependant, il est certain que poser de cette fa-
çon la question de l'intelligence de ce personnage, c'est
considérer unilatéralement les choses.
ARAIGNEE est certes cousu de défauts. Etnotamment,
il tombe la plupart du temps dans les noeuds de ses propres
pièges.
Cette ruse est toujours simple. Aussi fait-elle
pens er qui i 1 nie s t pas pos s i b1e qui elle par vie nne à pi éger
1es vi ct i me s .
Mais il convient de savoir que d'une part, cette
simplicité apparente vient du fait que les auditeurs que
nous sommes, connaisseht d'avance les issues des pièges ten-
dus
que d'autre part, elle est nécessairement proportion--
née à l'univers réel des animaux dont se sert le conte pour
démontrer des vérités, et qu'enfin, le genre lui-même ne
(1) COLARDELLE-DIARRASSOUBA
op. c t t . , p. 52.

69
s'embarrasse jamais en fait de camper des personnages à
psychologie dense, extrêmement fouillée. Genre didacti-
que parvenu à la perfection pédagogique sans conteste,
c'est par la simplicité à valeur scientifique que s'ex-
prime le conte, qu'il définit des types psychologiques,
et qu'il présente les situations qu'il donne sciemment
comme des pièges.
Par conséquent, d'une malice simple comme l'exi-
ge l'idéal pédagogique du conte, ARAIGNEE est rusé.
C~ qui
jette cependant le trouble sur son compte,
c.'est que la fantaisie de la crtation imaginaire fait co-
habiter en lui, dans une situation psychologique ambigu~
et fort intéressante, la sottise et- la finesse d'esprit.
"Qu'est-ce qu'il est bête, Araignée !" disent les
Gouro. Mais ils disent également:
C'est au moyen de cette ruse qu'il piège ses
congénaires, et q~'opportunément il se tire souvent de si-
tuations difficiles.
Autres attributs i il est docte en paroles, véri-
table maître du discours ensorceleur (pour l'univers du
conte) : conte n° 63. Ce qui le rend redoutable.

70
Il est adroit, c'est-à-dire habile chasseur comme
pas un seul dans son pays. C'est ce que révèle le conte
N° 19 00 il obtient, à la suite d'une épreuve de tir à
l'arc la belle femme arrivée dans le village.
Il est également connu dans 1 'imagerie populaire
gouro comme étant grand artiste: dans les contes n° 23
et 26, c'est à lui que revient le privilège de jouer du tam-
tam pour des cérémonies exceptionnelles; il est élégiaque
dan s 1 e con te' n° 33, j 0 ua nt du k0 k0 a (i nst ru men t à Pe r cu s -
sion) avec grande ma'trise comme l'indique la voix du Nar-
rat e ur ; en fin, i 1 env 0 ûteE LEP HAN Tet ses en fan t s dan s 1e
conte n° 28.
C'est un chef militaire. Ainsi, dans le conte n° 9,
1a GAZ EL LE lia b0 r dan t , l e sa 1ue, par- cet t e f 0 rm u1e r e s pec -
,
tueuse: "Sal ut ! TCHIETI ! (Père de-l'Ancienneté), na t r e
î
des parades guerrières! Il (Entendons
grand capitaine).
Mais par-dessus tout, c'est un Ancien.
Son nom GOGO-TROEN, ou plus exactement, son sur-
nom de GOGO l'indique.
"Gôgô", qualificatif, signifie
"De-maintien-sec-
et que-point-n'entame-le temps".
C'est un patriarche malgré sa vivacité juvénile.

71
Son épouse porte également le nom révélateur de
TCHIEBOU (Mère de l'Ancienneté, du Plus-vieux), ce qui
in-
dique parfaitement 1 'extrème ancienneté de ce couple mythi-
que.
Tout cela confère théoriquement à ARAIGNEE l'apa-
nage de l'expérience, mais qui n'est jamais de sagesse.
Donc_ ARAIGNEE est un caractère essentiellement
complexe: il est l'ambiguité même.
C'est un champ de lutte permanente entre deux
tendances opposées dont la prédominance revient toujours,
il est vrai, à la tendance négative de sa psychologie glo-
bale. Cependant, suivant la dynamique particulière des si--
tuations, suivant la nature- du problème à démontrer par
tel ou tel récit, il arrive que la tendance positive latente
de la psychologie fasse surface et domine.
Dans ces circonstances, il l'emporte.
C'est ce qui explique sa victoire dans les contes
n° 3, 8, 28,36 ...
Dans le conte nO 8, confronté à ELEPHANT, tueur
notoire, il a sur son compte, certes, sontéternel défaut de
gourmandise. Mais il manifeste une intelligence vivace, op-
portune, alors qu'au même moment, son adversaire, pour sa

72
part, campe lourdement dans l'attente béate d'une proie à
emporter: il se surpasse, anihile son défaut du moment (1a
gourmandise) et soumet cet adversaire stupide: il repré-
sente la communauté globale réagissant par son entremise,
contre les exactions d'ELEPHANT.
/
De même, dans le conte n° 3 déjà abordé, la CHEVRE
est individualiste, aventurière, imprudente ...
Mais elle manifeste un brillant esprit d'!~propos
e 1Tes e sur pas se, e t de c e fa i t , sou met- 1a_ v0 ra c i té na f ve
de HYENE et de PANTHERE. C'est la lutte-entre l'intelligence-
et: la sottise, la démonstration de la suprématie de l'intel-·
1 i ge nc e- sur 1 1 i ndiv i d ua li s mes a ngui nair e-' e t b0 r né: 1a CHE VRE
manifeste la dynamique sociale contre les forces contraires,
obscures qu.i tendent à la freiner.
Donc dans l'uni vers des contes popul aires, 1es
personnages réputés négatifs (mais peut-être faut-il
faire
...
des rés er ve s pou r 1e cas des pers 0 nnage s co mm e- 1a PAN THE RE,
1 'HYENE, etc ... , connus toujours exclusivement comme sym-
boles de la cruauté, de la sottise, etc ... ), les personnages
réputés négatifs peuvent triompher dans certaines situations
suivant la nature de la question ou des questions particu-
liêres que les récits se proposent de développer en mettant
l t a cc e nt sur 1est end a nces pos i t ive s,le s Il fore e s de pro -
grês" qui
se manifestent en eux comme en tout être.

73
Ces forces positives mises en relief dans un
contexte psychologique largement négatif ont toujours trait
en général à la ruse, à la finesse de l'esprit, de sorte
que pour les exprimer, on recourt le plus souvent à ARAIGNEE
comme on aurait pu s'adresser à tout autre animal reconnu
malin dans la réalité.
A cette question de relativité dans la conception
des personnages, il faut ajouter qu'en fait, dans la philo-
sophie des contes populaires, les peuples demeurent toujours
pragmatiques, évitant de tomber, par extrémisme, dans le
moralisme: le Bien en effet,nne l'emporte pas toujours sur
le Mal; ceci découlant d'ailleurs du jeu dynamique des ten-
dances contraires animant les choses. Malgré le désir de
pe r f ect i on; de' posi tif, dan s 1a phi los 0 phi e des con tes,
les exigences de la vie l'emportent, contrariantes et invi-
tent à, ne pas considérer- les choses sous le seul aspect fa-
vorable, comme l'atteste cette affirmation de Roland Colin:
"Pa~6oi~ l'all~go~ie p~end ~o~p~ ; elle donne v~e
"et mouvement à de~ notion~ mo~ale~, mai~ ~an~
"jamai~ tombe~ dan~ le mo~ali~me : le Bien ne
"t~iomphe pa~ toujOUti du Mal ~omme dan~ le~ 6ilm~
"am~~i~ain~ de ~l~ie ~ou~ante ; la ~it~ de~ homme~
"e~t envahie de t:ou.6 le~ dé 6aut~, c o mme Le:s toit~
"ile» c as e s de toute~ le~ a~aignée~ de la ~~éation

74
"c ' e.4t a l' homme. a.v.ü é de. 4a.VOÙt xue»: t.e» a.Jta..i.-
" 9 né e.s " 11 ) •
Ceci étant, revenons aux agressions précédemment
définies comme subtiles, et particuliêrement A la situation
d'ELEPHANT et ARAIGNEE (conte n" 8)
: ELEPHANT, avons-nous
dit, est tourné en ridicule par ARAIGNEE, autrement dit,
conspué par la société comme individu opposé A sa survie,
rédu.isant les effectifs humains.
De même, dans 1e conte- n° 9, ARA IGN EE meurt pour
s~être- érigé en tueur, et ce, en utilisant avec malignité
un interdit promulgué par le DIEU DES ANIMAUX.
Le DIEU DES ANIMAUX ayant décrété d'inter~it le
nombre dix, ARAIGNEE y trouve son compte. Il dispose dix
tubercul es d' ignames qu' il pri e chaque- acheteur de compter'
auparavant, afin de s'assurer de ne pas perdre au change:
"Compte-les, dit-il A la BICHE. Si ça ne fait pas le nom-
bre, je t'en rajoute".
C'était un piêge largement infaillible, inévita-
ble comme celUi du conte n° 8 précédemment étudié.
(1) COLIN Roland: Littérature Africaine d'Hier et de Demain
ADE C, 1965 ; p. 89.

75
En effet, comment demander à des animaux de se
souvenir (car ici, il faut constamment jouer sur deux re-
gistres : la vision symbol ique et l'aspect purement brut
du règne animal) ; comment requérir donc des animaux qu'ils·
se souviennent?
Et par ailleurs, comment se souvenir réellement
quand la faim tenaille les estomacs? - "Il n'y a rien de
particulier. Comme j'ai très faim, dit la GAZELLE, c'est
pourquoi je viens acheter des ignames pour me faire à man-
ge rOI •
Ainsi, dit le conte, "ARAIGNEE avait tué et mangé
beaucoup d'Animaux".
Ce qui lui coûta la mort, amené à cette fin tra-
gique par la TORTUE.
Que signifie cette allégorie?
C'est le châtiment réglé d'un individu ayant por-
té un coup meurtrier à la vie de la communauté.
Mais cette mort d'ARAIGNEE donne à saisir·ce qulil
en coûte d'entretenir avec la Tradition, des rapports mal
intentionnés.
La Tradition est une "force agissante", comme le
conçoivent les peuples gouro : c'est la force du

76
consensus (1).
Elle se manifeste positivement suivant le sens de
sa dynamique propre. Mais détournée detcette dynamique, ma-
nipu1ée à l'encontre de sa "t ra j ect o t r-e ", elle frappe à re-·
bours le "fau t.t f " à la manière d'un boom-rang (2).
On comprend dès lors les dessous de la mort
d'ARAIGNEE.
Utilisant la "f or-c e " de la Tradition (l'interdit)
à des fins d1extermination de ses congénaires, autrement
dit, manipulant la Tradition à l'encontre de son objectif
propre, ce11 e-ci lise retourne contre 1ui Il •••
On peut également analyser cette "force" du point
de vue de la mort des Animaux victimes du piégeage d'ARAIGNEE.
(et nous anticipons en fait sur d'autres thèmes)
oublieux
de· la Tradition, ces Animaux durent mourir, ceci démontrant
(1) Il s'agit en réalité de phénomènes psychanalytiques. Les
Goura, et en général, les peuples africains connaissent,
bien avant que Freud ne la systématise la psychanalyse
dont les effets constituent en grande partie les fonde-
ments de la Tradition, et permettent la régulation des
rapports humains.
(2) Idem.

77
que, vides de cette "personnalité" intellectuelle et vita-
lisante qu'est la Tradition, ils ne pouvaient demeurer en
fait en vie ...
Mais également, cette allégorie peut être perçue
comme la représentation de la lutte entre les deux aspects
dialectiques permettant à la Tradition de survivre à elle-
même, de perpétuer.
La Tradition, selon le principe de la dualité in-
terne des choses, comporte en son sein, deux tendances con-
tradictoires que nous présenterons théoriquement en termes
de polarités:
une positive, une négative.
Réalisant leur unité dialectique, ces deux pola-
rités permettent à la Tradition d'exister, de se maintenir.
Quand domine la tendance négative (c'est-à-dire
la manifestation de tous les comportements étrangers à
l'Expérience des Ancêtres), la Tradition est menacée de mort,
de perte. Par contre, elle est prospêre quand prédomine la
tendance positive.
Dans le conte n° 9 en question, ces deux tendan-
ces de la Tradition sont représentées par ARAIGNEE et la
TORTUE.
La TORTUE, calme, patiente, incarne les valeurs
positives de la Société. Dans la piêce d'ailleurs, elle

78
attend longte~ps, observe patiemment les exactions d'ARAI-
GNEE et n'intervient qu'à point nommé.
Par sa longévité biologique dans la réalité, elle
se présente également comme le symbole vivant de tout ce
qui défie le temps et détient en lui la somme d'expérience
que confère l'âge: c'est un Ancien, aspect positif de la
Tradition.
ARAIGNEE, avons-nous dit plus haut, est aussi
un Ancien, un détenteur de l t Expé r i e nc e , mais dans ce qu'elle
a d'obscur, de néfaste pour la marche de la Société. Il
représente l t es pec t négatif de la Tradition.
Confrontés (autour" du problème de la Vie -
ARAIGNEE veut en disposer, la TORTUE veut la sauver), ils
donnent la mesure des chances de progrès de la Tradition,
de la" communaut~.
Et en fait, ARAIGNEE meurt à l'issue de cette
confrontation. Mais ce nlest là qu'une simple éviction
dialectique signifiant la prépondérance des forces positi-
ves de la Société
la Tradition se maintient: elle sur-
vit à elle-même.
1
"
Actualisée, l'allégorie se présente comme la sa-
tire des hommes de main du colonisateur à l'époque colo-
niale.

79
Le contexte sociologique répond parfaitement à
cette hypothèse et permet d'ailleurs de périodiser ce
conte
ARAIGNEE "ve nd des t qname s ". Les Animaux viennent
les lui lI ac het e r " ... C'est la période de l'économie de
marché: nous sommes approximativement à l'époque colo-
niale, la pré-coloniale, en gros, usant principalement
du système de troc (ou échange-don) entre partenaires
parentaux et alliés ...
Il faut alors comprendre que dans ce cadre colo-
nial, les hommes de main du cobo nt s a t eur (ARAIGNEE)-ils
étaient légions aux dires des Vieux, et plus féroces que
le- colonisateur 1ui-même-usaient des prérogatives que leur
conférait la présence coloniale (Interdit du nombre Dix par
DIEU), pour se livrer à de multiples formes d1exactions
(les Animaux transformés en gibier par ARAIGNEE).
Ils ne meurent pas comme le personnage du conte
au terme de leurs méfaits. Mais chacun était conscient (et
c'est un aspect de la sanction d'ordre psychanalytique),
chacun était conscient que sur eux pesait le Sang de la
Communauté qu li1s contribuaient à abattre ...
Enfin (et on pourra se limiter à ces quelques
niveaux d'analyses), 1e paradoxe de 11 inte11 igence néfaste
dlARAIGNEE dans ce conte et de son intelligence quelquefois
positive, comme dans le conte n° 8 par exemple, (il éloigne

80
définitivement ELEPHANT), oblige à proposer un élément de
réponse au problème général de l'intelligence tel qu'il
apparaît dans le conte: l'intelligence est à double tran-
chant.
C'est cette vérité qu'illustre la duplicité
d'ARAIGNEE.
Insaisissable, caractère paradoxalement double
dans un même univers narratif, tantôt victor;e,.ux (quoique
très rarement), tantôt décevant, ARAIGNEE ne pouvait pas
être mieux choisi pour symboliser la duplicité de l'intel-
ligence, le caractère redoutable de~ la Raison humaine.
En conclusion, ces agressions. à caractêre camouflé
symbolisant les conflits de la vie réelle,. s ont désapprouvées.
par l'idéâl éthique du conte, et cette attitude critique
met en évidence l'importance sociale de l'homme.
A ces deux types d'agressions (agressions directes
et agressions camouflées) on peut ajouter celles tout aussi
problématiques des "sorciers".
- L'ag~e~~ion e~t une a~tion de ~o~~elle­
~ie
1ln' est pas aisé d'aborder la questi on des sorci e r s..:
et de la sorcellerie. Car le sorcier, c'est comme l'Arlésien-
ne : on en parle toujours, on ne le voit jamais! Tout le

81
monde en parle, mais personne ne le connaît vraiment
Il faudrait en effet, pour le connaître, posséder
d'immenses masses de savoir, de documentations, et peut-être
même appartenir a ce "monde mystérieux" ! ...
Mais de toutes les façons, notre propos ne visera
essentiellement qu'a expliciter les données du conte. C'est
pourquoi nous essayerons d'établir seulement les principaux
éléments de cette matière (la sorcellerie), permettant de
comprendre les récits qui s'y rapportent.
Deux traits retiendront alors notre attention:
premièrement,. les Gouro conçoivent dans leur vision du mon-
de: que "les sorciers sont des mangeurs d'hommes" - on ex~
pliquera ! quoi renvoie cette expression ...
C'est que ces peuples donnent l'ensemble des re-
présentations ésotériques sous la forme d'un univers clos
(boui~a) comprenant deux tendances principales: la sorcel-
lerie (ganman), et ce que nous appellerons la contre-
sorcellerie (yuêghiyitchi - littéralement: "capacité de
voir au-dela des yeux"). Cette dernière tendance est asso-
ciée a la vie, notamment dans la pharmacopée des guérisseurs,
dans le domaine de la sculpture, etc.
La tendance dite "sorcellerie" est génératrice
de mort. C'est la plus redoutée, et. la seule redoutée en
fait.

82
En effet, le "sorcier" est considéré comme doté
d'un pouvoir échappant pratiquement au contrôle de tous, et
de surcroît, "mangeant li homme".
Mais cette idée qu'on a de lui qu'il est porté à
consommer de la chair d'homme n'est qu'une simple métaphore
destinée à exprimer une réalité mystique, métaphysique. Car
le fait est que le sorcier n'agit que sur la "force vitale"
des individus.
La conception suivant laquelle la vie est fondée
sur l'existence, en chaque être, d'une certaine force, d'une
II réalité invisible mais suprême ll ou IIforce vitale" (1), est
largement partagée par les Négro-Africains.
Systématisée chez les Bantous par le Révérend père
Placjde Tempels, elle est la substance fondamentale, l'es-
sence des êtres chez les Africains en général, et permet
d'expliquer toutes fluctuations pouvant intervenir dans la
vie, dans la vitalité des hommes.
Manifestation à effets physiologiques, elle est
capable d'évoluer, d'amplifier, ou au contraire de s'amenui-
ser, et de s'éteindre dans le pire des cas.
(1) R. P. TEMPELS Placide
Laphilosophie-~antoue
Présence
Africain~ ; 1949.

83
En somme, elle a une vie et une fin dans les êtres.
Principe de la vie, son anéantissement est aussi
celui des êtres qu'elle "anime". Agir sur la force vitale
d'un être donné, c'est anéantir l'être lui-même suivant
l'intensité de l'action exercée.
Ainsi, les sorciers agissant sur la force vitale
des hommes, "déforcent" ces derniers, et les conduisent à
la mort physique ou à tout autre préjudice. De là vient la
conception populaire qu'ils se nourrissent d'hommes ...
Par" conséquent, (et c'est le second point à rete-
nir dans l'ordre. de cette problématique), l'action des sor-
ciers est à tout moment capable de produire des effets phy-
siques. Clest ce qu'atteste cette attitude mentale des la-
gunairesde Côte-d'Ivoire rapportée par Marc Augé, et selon
laquelle si toute cause de maladie n'est pas forcément une
cause d'agression de sorcellerie, toutefois, "toutes actions
de sorcellerie sont censées avoir un effet physique (muti-
lation, maladie, mort)" ... (1).
Ainsi, l'action des sorciers est toujours considé-
rée comme une agression au même titre que tout autre meurtre
1
(1) AUGE Marc: Les Croyances à la sorcellerie; in La Cons-
truction du Monde; Editions François Maspéro, 1974 ;
p.
60.

84
dans la société, et par conséquent, avec le même statut
juridique que toutes violences contre la vie humaine.
Dans les contes populaires, elles sont présen-
tées sous cet aspect: pouvoirs maléfiques, atteintes à la
vie humaine, elles sont réprimées au nom de l'idéal éthique
de la société.
Il
en est ainsi de l'aventure de la VIEILLE FEMME
dans le conte n° 2.
Bien des traits caractéristiques du sorcier chez
les Gouro définissent cette VIEILLE FEMME, ou du moins la
prédisposent à la sorcellerie: le conte la présente en ef-
fet comm~ profondément envieuse, au point d'être ébranlée
par le që ni e (en réalité la s or c e l l e r-t e ) du CHIEN en ma-
ti ère de c:ha s se.
Ensuite, elle appara't comme friande de chair:
"Voyons ! à l'aide de quoi
tues-tu tant de gibier? s'émeut-
e-l1e devant le CHIEN. Donne-moi un peu de ce pouvoir tien !"
Et plus loin, plus explicitement
Il
si ma ré-
putation de chasser atteint la tienne ... ".
Mais surtout, elle est présentée comme le type
mêm~ d'individu au coeur dur, en marge de toute tendresse
maternelle: elle parvint en effet à offrir son fils comme
prix de son initiation à la sorcellerie.

85
Détail frappant et significatif
son fils unique 1
Clest cette vérité de la sécheresse de coeur quia
voulu faire ressortir l'Agent rythmique du conteur en se
laissant aller à cette interrogation aussi indignée que
surprise: IIQue dis-tu ?1 son fils unique ?1 11
On notera que le caractère dramatique du compor-
tement de la VIEILLE FEMME se lit parfaitement dans la
voix et dans l'expression du visage de l'Agent rythmique.
Cette sécheresse de coeur, la vieille sorciêre
en fera encore la preuve quand, impitoyable, elle exige de
sa petite-fille effarée, sentimentale, d'offrir a son tour
son mari qu'elle avait promis comme prix de son initiation.
du temps qu'elle était adolescente.
n
Voyon~! g~and'ml~e ! dit la 6ille
nA P~opo~. du 6étic.he que je ~ui~ allé.e c.he~c.he~
"c.hez toi
n_
Oui
"Si tu étai~ a~tuc.ieu~e, tu ~e~ai~ venue d'abo~d
"me ~end~e un e ~impl e vLs Lt:«,
"Ain~i, ~i mon ma~i e~t un homme mauvai~ ou un
"homme bon, tu au~ai~ 6ait ~a c.onnai~~anc.e.
"En~uite, tu ~e~ai~ pa~tie pou~ te déc.ide~ en
" c 0 n~ é q u en c e " .

86
"Quelle e6t la Vieille qui peut entendILe ç.a ?
"- Et ~omment peut-elle entendILe ç.a ?
"Je ne veux pa6 ! dit-elle,
plILemptoilLe".
Enfin, et surtout, à la manière des sorciers, elle
Il man gel 1 homm e Il
:
"Et ~'e6t la viande de GOZO o66eILt qu'elle et le
"CHIEN étaient en tILain de mangeIL ... ".
C'est donc un danger pour la communauté. Aussi
est-elle prise à parti:par le conte: elle est ridiculisée.
Tous ses gestes, tous ses agissements sont gros-
sis, caricaturés à dessein, rendus grotesques.
Ainsi, entre autres faits, le conte rapporte que
pou r i nit i e-r sap e t i te - f il 1e, il ne 1 ui a s uff i que de
frotter vigoureusement sa main sur le visage de celle-ci
pour ouvrir ses yeux à la voyance!
Une telle prouesse n'est pas en fait rapportée
pour montrer la puissance de la VIEILLE. Le conte entend
plu tôt me t·t relia cc e nt sur 1e car ac t ère fi na ud des 0 n
maléfice. Et c'est cette curieuse habileté qui
prête à rire.
De même, la sorcière est rendue grotesque lors-
que sa puissance maléfique provoque une véritable tempête
de vent à son arrivée dans le village marital de sa petite-
fille. C'est un comique déjà analysé en rapport avec d'autres

87
problêmes précédents: être humain annonçant sa présence
par des tourbillons de vent, se faisant précéder par la
fuite désordonnée de divers objets, précipités hors du
village ... elle crée une situation qui
prête également à
rire.
Le même sort est réservé par le conte n° 5 aux
sorciers dont il analyse le comportement.
Eux aussi, envieux, jaloux, coeur sec à tuer un
bi errf a i t.eu r ; se trouvent confondus/dans la situation risi-
bl e d'avoir' inutilement "foudr oyë " un arbre (le· KLaRa), en
croyant tuer l'HOMME qui, selon eux, les provoqua en van-
tant devant eux ses richesses et sa position sociale (1).
En' d'autres termes, cette critique des comporte-
ments v i o l e.n ts vis-à-vis des hommes (viS-à-vis des person-
na.qe-s imaginaires symbolisant les hommes), met en évidence
pa-r ri cochet, 11 tmp ort a nce de 1 1 homme.
Mais cette importance peut également s'exprimer
par la satire de tous comportements tendant à refuser l' in-
têgration des déshérités de la communauté.
(1) LIHOMME, comme on le constate en lisant le récit, prit
soin de faire croire que ses richesses en question et
toute. la protection dont il jouit sont l'oeuvre de son
KLORO.

88
2)
L' impolttanc. e de t' ho mme e~ t
e xpltimé e palt
la ~atilte du lte6u~ d'intégltelt le~ dé~héltité~.
Dans le fonctionnement de la vie communautaire,
l'intégration des individus apparait comme une véritable
structure faisant partie de toutes les dispositions qui
rè-
glent l'existence de la société.
C'est qu'intégrer, c'est renforcer les effectifs
de la communauté.
Cela consiste essentiellement a manifester de
l'affection les uns à l'égard des autres, et particulière-
ment, le~ bien-portants, les ma,tres des situations fami-
liales, à l'égard de ceux qu'on peut appeler les "déshéri-
tés ll •
Clest en effet l'affection, cette part de sen-
sibilité, de chaleur humaine dans la sécheresse générale
des structures sociales, qui aide les membres des lignages
à s'enraciner véritablement, à se lier à la terre ances-
trale, à se sentir chez eux malgré leur état éventuel.
L'affection, c'est-à-dire l'intégration, renforce
'ainsi la globalité des effectifs humains des lignages.
Ces effectifs, en général, dans le cercle du
lignage, ne sont limitatifs ni en qualité (malgré leur
fonction économique), ni en quantité. En dehors des sorciers

89
malfaisants bannis en principe de la communauté, la société
ne distingue pas cet ensemble d'individus que, faute de ter-
mes exacts, nous appellerons dans les présentes analyses
les "déshérités", A savoir les invalides, les orphelins,
dans une certaine mesure, les célibataires endurcis, etc.
Tous les individus des lignages font partie in-
tégrante de la comm~nauté.
Les grands malades, les invalides ne peuvent être
rej eté s.
Certes, A la longue, finissent-ils par lasser la
bonne volonté de chacun et par devenir de véritables poids
morts, encombrants par leur inutilité relative et par les
soins qu1ils réclament malgré cette inutilité. Mais dans
1 ' e.s prit de 1a vti e co mm una ut air e, ils de me ure nt mal gré to ut
des "parents", c'est-A-dire se référant au même ancêtre que
tous, et donc dans le statut juridique et social d1être ac-
cepté par la communauté, surtout avec l'importante excuse
de leur état vis-a-vis de la question d'utilité.
L10rphelin dont le père ou la mère ne sont plus
pour le protéger de l'injustice du foyer ou du clan, et qui,
par conséquent, semble sans appui immédiat dans la communau-
té, étranger parmi les siens, ne peut être objet d'e mépris.
Il en est ainsi de tous ceux qu'on peut appeler

90
IIdéshérités ll parce que n'ayant concrètement personne pour
les défendre contre la société, ou ne pouvant être utiles
de quelque façon à la communauté à cause de leur état.
Tous doivent nécessairement être intégrés.
Ils forment, avec les autres éléments de la popu-
lation, les effectifs globaux et indissociables de la com-
munauté.
S'opposer d'une façon ou d'une autre à cette in-
té gr at ion, c ' est a ppau vr i r 1a co mmuna uté -d e sap 1us 9ra nde
richesse: l'homme.
C'est tendre à disperser, à "d r a c i ne r " les com-
é
posantes sociales.
La critique d'un tel
comportement constitue un ap-
pel
à la bienve·illance de tous
à
l'égard de chacun, mais
égal ement, l'express ion de 11 importance accordée à 11 homme
dans l'organisation de la vie communautaire.
Cette vérité est exprimée dans les contes popu-
laires en général par la critique, la désapprobation de la
malveillance de la "ma r â t r e " à l'égard de l'orphelin ou de
l'orpheline de sa d~funte coépouse.
L'enfant, n'ayant plus sa mère, dans le foyer,
semble sans "r a c t ne :", sans attaches, coupé du lot d'assurance

91
que donne la présence maternelle, et qui forge les premiers
éléments de sa personnalité. Il semble étranger.
La marâtre, jalouse, songeant au futur partage
de l'héritage du foyer entre l'orphel in et ses propres fi l s ,
profite de la situation de l'enfant.
Elle est toujours sévèrement prise à partie par
le conte.
Clest une situation classique dans la problémati-
que de l'intégration des déshérités.
Un e.x e mpl e i né dit de cet te a.n a 1ys e est don né, a ve c
le conte n° 13 de notre corpus, par la critique des habitants
d'un Village en lutte contre un ORPHELIN: ils décident de le
dêoo s s de r de l' héritage de son père.
ë
En ré-alité, c'est un problème juridique que pose
ce co nte.
Par une allégorie montrant la "raison pour laquelle
on ne dépossède pas un orphelin de 1 'héritage de son père",
il révèle que dans la coutume gouro, c'est toujours au fils
que revient l'héri tage de son père, et "non aux autres habi-
tants du vi l l a qe ".
Le conteu~, introduisant son récit, l'annonce

92
"Qutlndune. pe.Jt.6onne. me.uJtt, .6on héJtitage., auque.l
"pouvait pJtlte.ndJte. n'impoJtte. qui tlutJte.6oi.6,
"C ' es t: c e. la que. j e. m' e. n v«Ls
v0 U.6 e. x. pli q u e.Jt .
"Ce.t héJtitage. dont le. pJte.mie.Jt v e n u ne. pe.ut plU.6
" di» pO.6 e.Jt
"$i c.e. n'e..6t c.e.lu-i. qui na2t pJtopJte.me.nt de. toi,
"C ' es t: c e.la que. je. m' e. n va Ls
v0 u.6 e. x.pli q ue.Jt . "
Et,.,à la fin de la pièce, quand les HABITANTS DU
VIL.LAGE, sont chàtiés de leur comportement, la moralité de la
démonstration indique encore le problème juridique:
"C'e..6t pouJtquoi n'impoJtte. qui ne. pe.ut plu.6 di.s pos e«
" de. ton hé. Jtitag e , .0 i
c e. n 1 e..6 t: c e.l u-i. qui nai.t pJt 0 -
"pJte.me.nt de. toi".
Il s'agit donc e f f e ct t vemen t d'un enseignement du
droit coutumier, du droit de succession.
M'a·is ëqa l eme nt , cette analyse sociale pose le pro-
blème du rapport des individus avec les orphelins, avec les
déshérités dans la cDnception du système communautaire.
C'est une caractéristique du conte et en général
de's oeuvres symboliques que de présenter des situations,
des comportements sociaux souvent riches de significations.
Au cours de maintes démonstrations précédentes, 1 'utilisa-
tion multiple qu'on a pu faire de quelques mêmes

93
comportements, telle l'expression de la cruauté interpré-
tée aussi comme un refus, ou l'action d'ARAIGNEE dans le
conte n° 9, l'atteste.
C'est que, symbolique, c'est-a-dire densément
enrichi au plan sémantique par les peuples, chaque action,
chaque comportement de personnage dans les contes, appa-
raît en général "q or qê " de sens. Aussi, donne-t-il
lieu a
plus d'une possibilité d'interprétation (mais ce, essen-
tiellement dans la perspective de la vision du monde par-
ticuliêre des peuples concernés, ce qui évite toute tenta-
tive de critique purement spéculative), et cela confêre aux
personnages une richesse psychologique inoule.
Ainsi, le comportement des HABITANTS DU VILLAGE
du conte, outre qu'il développe un thême juridique, peut
!t.re également analysé comme un problême d'intégration so-
ciale des déshérités.
En effe·t, 1 'enf~nt (le héros de la situation),
rr'ayarrt plus son pêre pour préserver ses droits et lises
i n-të r ê.t sv , se présente comme sans appui matéri el, non en
me sure de bé né fic i er 1é gi t i me men t de l ' a f f ec t ion qui
Il e n -
racine ll ceux qui, dans le lignage, sont en passe de déses-
pérer de la vie. Et les HABITANTS DU VILLAGE décident
d'exploiter cette situation a leur profit: ils rejettent
l'enfant.

94
"Il l'te Jt.ec.evait Jt.iel't a mal'tgeJt..
"Famélique et maigJt.e il était
"Le~ c.hique6 avaiel'tt mil'té 6e6 pied6
"- Oui !
"La 6ai mie t: on.:uJt.ait BJt.o U6 ail l eu x. étai e l'tt
"6e6 c.heveux. !
"Il l'te Jt.ec.evait Jt.iel't a mal'tgeJt.",
dit le conte.
Ma;i s mie ux que ce r e fus des 0 i ns é 1é men ta ire s à
l'enfant, les HABITANTS DU VILLAGE envisagent de l'éliminer
physiquement pour disposer librement de ses biens.
Et là-dessus, ferme est leur détermination.
Il s prévoient en effet pour l'enfant, une mort
parfaite, inéluctable
c'est à une "ê p r e uve i mp o s s i bl e "
qu'ils le so.umette nt.
Ce qui caractérise les "épreuves impossibles ll
( 0 u Il Pi è ge. s") ,
a von s - n0 usd i t plu s ha ut, c ' est qu' e 11e s
consistent à mettre en rapport, deux réalités de nature·s
incompatibles, et dont l'une doit cependant transformer,
anéantir nécessairement l'autre. De sorte qu'elles appa-
raissent insolubles (en principe) et donnent pour inéluc-
table5 les sanctions qui leur sont liées.
C'est à~une telle épreuve (une telle série d'é-
preuves) qu'est soumis l'ORPHELIN.

95
Il doit trier en une seule nuit, le mélange des
grains de deux sacs de riz
l 'un contenant du riz décorti-
qué, propre, l'autre, du riz non décortiqué, le tout mélan-
gé ...
La nuit suivante, il dut subir l'épreuve de cueil-
lette de centaines de fruits d'un rônier plusieurs fois cen-
tenaire.
Le rônier est un arbre des savanes tropicales.
Semblable au palmier et au cocotier, mais au tronc plus vo-
lumineux, il produit des fruits comestibles (quoique peu
consommés e.n général). Sa hauteur peut avoisiner les vingt
mètres.
Clest un tel arbre que doit grimper le famél ique
gamin ...
Enfin, le troisième jour, ce futl 'épreuve de la
mis·e a mort d'un boeuf par la simple parole!
Comme on le voit, il y a une parfaite différence
de nature entre l'enfant (ses capacités) et les travaux qulil
doit exécuter pour sauver sa tête:
- dans le premier cas: L'ORPHELIN, un être humain,
surtout enfant, et surtout, de nuit/séparer des grains pro-·
pres de riz, des grains non décortiqués, de deux sacs de riz

96
- dans le deuxième cas: un gamin, affamé, chétif/
grimper un rânier géant, y cueillir des centaines de fruits
de la grosseur de noix de coco, en une nuit;
- dans le troisième cas: un être humain, ordinai-
re, et surtout, un enfant/mettre un boeuf à mort par la
simple parole.
Ce sont des épreuves impossibles.
L'échec à les réaliser est sanctionné par la mort
L'ORPHELIN doit donc mourir inéluctablement.
Et si, secouru par la providence, par la divinité
cam me i 1 1e fut, l'e nfan t pa rv i nt à rés a udr e ces di f f é r e n -
tes énigmes, il ne reste pas moins qDe les HABITANTS DU
VILLAGE ont cherché fermement, scrupuleusement, inexorable-
ment sa mort: c'est le rejet d'un déshérité: les villa-
geois emportent le châtiment du conte.
Contrariés de bout en bout par l'épreuve de force
qu'ils ont instaurée avec l'ORPHELIN, ils ressortent profon-
dément humiliés, parfaitement ridiculisés.
Et de fait, le rire, ici comme ailleurs, est un
important facteur de la narration du récit. Il a pu lui
donner une allure légère, gaie et soutenue, et surtout, il a
rendu plausible la démonstration envisagée par le conte

97
l 'humiliation des HABITANTS DU VILLAGE.
Tout d'abord, leurs efforts pour tuer sûrement
L'ORPHELIN se trouvent minimisés de bout en bout par l'ap-
parente facilité avec laquelle l'enfant résoud les énigmes
qu'ils lui posent.
Acharnement d'un côté, amusement anodin de l'au-
tre, le rire, ici aussi na't du contraste.
En effet, fébrilement, les HABITANTS DU VILLAGE
tiennent conseil pour déterminer le mode le plus sûr, le
plus efficace pour faire périr le gamin. Chacun fait des
propositions, s'explique, s'applique. Puis on choisit en-
fin un modèle qui
suscite l'approbation et l'enthousiasme
de tous. On y soumet l'enfant à la tombée de la nuit, le
lendemain matin, la solution exigée est là. Avec une fa-
cilité déconcertante, l 'ORPHELIN a apprêté les résultats.
Mieux: les épreuves arrivent dans un ordre à
difficultés croissantes, celles-ci étant garanties par
l'âge et l'expérience de celui qui
fait la proposition.
Les épreuves sont donc successivement retenues au niveau
dei tranches d'âge croissant. Ainsi, c'est un jeune homme
qui propose le triage des grains de riz. Puis vint le tour
d'un homme plus âgé, un homme mûr, avec l'épreuve de la
cueillette des fruits du rônier. Enfin, un patriarche,
"jusque-là demeuré profondément silencieux", donne l'idée

98
de la mise à mort d'un boeuf par la parole: on l'acclame.
Unanimement, on trouve qulen réalité, les épreuves pré-
cédentes étaient humainement réalisables; que cette der-
nière était vraiment la trouvaille géniale qu'il fallait.
On y soumet le gamin en plein jour
il
la résoud
au vu de tous.
"Renforcé", c'est.-à-dire "{n i tt
à T' t s s ue de
ê
"
trois rencontres providentielles avec des lIêtres surnatu-
rel s "; il démontre sa "p ui s s e nc e ", vainc ses assaillants
qulil tourne en ridicule.
Ce ridicule atteint son seuil suprême quand le~
HABITANTS DU VILLAGE, spontanément, prenrrent la fuite de-
va.nt ce g'a·min.
Ici ~galement, il s'agit du rire de contraste
a cha r nés q.u e1que te mps' plu s tôt à cal cul e r 1a m0 r t de
L'aW~H'ELIN, ces villageois donnent 1 'impression d'être fa-
miliers avec la mort. On s'attend à ce qu'ils montrent un
c.o ur-a qe paisible devant elle. Or, voilà que, craignant que
lie xt ra 0 rd i na ire gami n 1est ue net par sap a r ole co mme i 1
le fit au boeuf, ils se débandent, laissant voir leur peur
extrême de la mort.
Enfin, leur plus grand châtiment est certainement
d'être restés sur leur soif de richesses, de possessions.

99
L'appétit aiguisé par l'acharnement à l'expropria-
tion de L'ORPHELIN, ces HABITANTS ont vu d'abord l'annonce
d'une vie dorée.
De cet espoir à la désillusion, la déception est
lourde, retentissante. Clest un châtiment de taille.
Ces diverses sanctions appliquées par le conte,
indiquent sa désapprobation des HABITANTS DU VILLAGE, dé-
montrent ce qu'il en coüte de détester les déshérités, et
révèlent du même coup l'importance accordée à l'être hu-
main.
Cette vérité est également démontrée par les rap-
ports des gens valides avec les malades et autres déshéri-
tés. Ici aussi, le désintéressement à l'égard de cette ca-
tégorie d'individus, est sévèrement sanctionné par le
c on te.
Clest ce que révèle le conte n° 12 de notre cor-
pus: les parents de deux frères invalides sont désapprou-
vés d'avoir négligé d'entretenir ces malades.
Absorbés par les travaux champêtres, les parents
cessent de laisser de la nourriture aux jeunes malades en se
rendant au travail. Ceux-ci, l'un aveugle, l'autre paralyti-
que, se sentant abandonnés et s'étant rendus péniblement aux
champs pour leur propre compte alors, y rencontrent leur

100
chance: l t a ve uq l e recouvre la vue, le paralytique, l'usage
de ses jambes.
Ainsi, cette allégorie est fort révélatrice
le voyage champêtre des deux malades étant en réalité une
réaction réprobative contre leurs parents, et s'étant soldé
par une issue aussi heureuse pour eux, cela signifie qu'ils
ont la caution du conte.
Cette caution peut être due â leur courage exem-
plaire, et leur guérison serait la récompense de ce courage.
Elle peut être due également â leur esprit d'entr'aide (ils
se' sont supportés mutuellement pour- se rendre aux champs),
et la guérison serait la récompense de cet esprit de coo-
pération, etc.
Mais elle peut être motivée aussi par le fait
qu1ils sont laissés abandnnnés â eux-mêmes par leurs pa-
rents. L~ur guérison, même si elle constitue un événement
he: ure 1J x pou r t 0 us, a ppar a ; t a i nsic 0 mm e un r e pro che pou r
les parents: elle les confond.
Ces divers exemples indiquent, au-delâ de la cri-
t i que des co mp0 rte men t set par l' en tr emis e de cet tee rit i -
que, l'importance capitale de l'homme dans la conception
de la vie communautaire. Elément fondamental de cette or-
ganisation de la société â plus d'un titre, chaque indivi-
du du lignage doit être retenu au clan par la force

101
positive des sentiments de tous.
Aucune dérogation, aucune excuse nlont cours
dans cette pratique.
Enfin, la critique du refu~ de mariage permet
également de poser le problème de l'importance de l t homme ,
3)
L'-<'mpoJt:tanc.e de l'homme e.6:t expJt-<'mée paJt
la .6a:t-<'Jte du Jte6u.6 de maJt-<'aEe.
e· Ce Jte6u.6 e.6:t :toujouJt.6 c.amou6lé
Parents des filles à marier (en général le père),
ou la fille elle-mëme, jamais ne livrent le fond de leur
pensée. Ils sont opposés au mariage, mais donnent llimpres-
s ion a ux pré te ndan t s de lia c cep te r .
Ainsi, soumettent-ils ces derniers à des épreuves,
comme pour ch~rcher par ce biais, à déterminer en toute
conscience le futur époux.
Mais ~n réalité, les épreuves imposées sont par-
faitement "impossibles" à réaliser, et cependant, de leur
solution dépend l'acquisition de la fille: c'est un refus
déguisé.
e Un :tel JteOu.6 .6e pJté.6en:te .6ou.6 deux
6oJtme.6
: une première, bien que camou-
flée, apparaît sous une expression simple du point de vue de

102
sa structure: l'épreuve y est bâtie autour d'une condition
à
remplir et d'un seul enjeu, à savoir la femme. Nous l'ap-
pellerons la "première forme de refus".
La seconde, elle, associe à la condition exigée,
plus d'un enjeu (en général deux)
: la femme convoitée, à
laquelle vient s'ajouter, amenée par la nature particulière
de la condition exigée, une autre réalité dont l'acquisition
s'avère en fin de compte, plus importante que celle de la
femme, motif apparent de l'épreuve. On appellera cette
forme:
"deuxième forme de refus", ou "refus-abus".
PREMIERE FORME OE REFUS
Llépreuve imposée pour l t ac qu t s t t t o n de l'objet
convoité est irréalisable (plus loin, on montrera comment
elle l'est). Mais aucune exigence autre que cet objet con-
voité ne vient se surajouter à lui. Le prétendant nia donc
à conquérir que l'objet convoité.
Ce qui laisse entendre que son échec ne pourra
entraîner que la non-acquisition de l'objet de l'enjeu, et
.,
rien d'autre.
Bien des comportements de personnages illustrent
ce type de situation.
Ainsi, dans le conte n° Il de notre corpus, la
fille à marier:

103
HMoi ? lpou~e~ un homme pa~eil ? Un homme au~~i
Hlaid ?
H... Moi Je vou~ l'ai dlja dit: HJe veux lpou~e~
( Il
"un homme qui n' a pa~ de c.ic.at~ic.e~ ! H
Et PANTHERE aux prétendants de sa fille (conte
HVOU~ tou~ a~~embll~, p~ltendant~ de ma 6ille !
"c.elui qui pui~e avec. e e.t t:e petlie c.a.leba.~~e ma
"bouillie
(bouillante)
de Itiz que voila,
"Qui la ve~~e de 6açon c.ontinue dan~ ~a. bouc.he,
"qui la boit ain~i,
(2 J
"La 6emme que vo Lc.L lpou~ e~a c.elui-la !"
Enfin, l'HOMME, le père ainsi nommé dans le conte
HMa 6ille que voi.Lâ , c.elui qui l'lpou~ e , dev n.a
Hêt~e tul le jou~ de ma mo~t. Celui qui e~t d'ac.-
(3)
"c.o s:«, qu'il la p~enne !"
Schématiquement, ces situations s'énoncent
1.~Si tu n'as aucune cicatrice, je t'épouse.
,
2. Si tu bois ma bouillie bouillante, tu épouses
ma fille.
3. Si tu acceptes la mort, tu épouses ma fille.

104
Ainsi, comme il a été précédemment indiqué, chacune
de ces situations ne met en relation qulune condition et un
enjeu à la fois.
C'est-à-dire:
1. Tu nias aucune cicatrice~ je tlépouse
2. Tu bois ma bouillie
tu épouses ma fille
bo u il la nt e - - - - · - - - - -
3. Tu acceptes la mort-----+
.. tu épouses ma fille.
Et, en examinant le revers
de la proposition, c t e.s t >
à-dire
dans l'éventualité d'un échec du prétendant, on s'a-
perçoit que l'échec n'occasionne que la seule non-acquisition
de la femme. C'est-à-dire:
1. Si
tu as des cicatrices,
je
ne t'épouse pas; 2.
Si
tu ne
peux boire ma bouille bouil-
lante,
tu n'épouseras pas ma f i l l e ;
3. Si
tu n'acceptes
pas la mort,
tu n'~pouseras pas ma fille.
te. FORME OE REFUS
REFUS-ABUS
Ici, à la condition exigée se rattachent deux
enjeux
l'objet convoité et une autre réalité à conquérir
ou plus exactement à sauvegarder. Car il
s'agit pour le
prétendant de sauver sa tête.
En effet, dès qu'il
accepte la compétition, l'é-
preuve exigée par le père de la fille convoitée, le préten-
dant pl ace de 6acto sa Il tête sous hypothèque". De sorte que

,105
lorsqu'il concourt pour la conquête de la femme, il est aussi
et surtout engagé à sauver sa tête. Ce qui place le rapport
entre prétendants et parents de filles à marier sous une ten-
sion extrême absente dans la " pr emière forme" précédemment dé-
crite.
Et cela laisse comprendre que l'échec dans la con-
quête de l'objet convoité devra entraîner aussi
la perte de
la vie chez le prétendant.
Cette situation est illustrée par la confrontation
d'ELEPHANT et ARAIGNEE dans le conte N° 8 déjà analysé sous
d'autres rapports.
"VoJ..c.J.. c e va u.cv c UA. mJ..en,
dJ..t Etéphant.
"Le mavl.ge quJ.. veut.
A c on di.r.Lor: qu'J..t m'abatte
"a t'aJ..de de ~on phattu~, t'J..~oko que voJ..ta,
"héJtJ..tage de me,~ a.cc ux •
"Et ~'J..t ne te peut .•• ".
Plus haut, on a pu montrer comment la dernière
idée de cette attitude d'ELEPHM1T, à savoir "Et s'il ne le
peut ... ", constitue l'élément-clé du comportement du per-
sonnage. Clest à ce niveau en effet que se situe l'expression
du deuxième enjeu pour lequel doit c onco ur tr le prétendant:
sa tête, sa vie.
Et l'épreuve, schématiquement, s'énonce
SJ.. tu abat~ mon J..Jtoko a i'aJ..de de ton phatiu~,

106
tu mange6 mon vouivoui (ou tu l'au~a6 man9~ g~ati6),
et tu au~a~ la vie 6auve (en plMl
Autrement dit
Je te donne mon vou~vou~
Tu abat6 mon i~o~o ...
Je t'~pa~gne ta vie lqui
~tait ".oou.o hypothè.que")~
Et cela signifie précisément, en examinant le revers
de la proposition
Si, à t'aide de ton phallu.6 tu n'abat6 pa.o mon i~o~o,
[tu n'au~a.o pa.o mon vouivouil
(et de même) tu n'au~a.o plu.o ta vie.
~1 ais en réa 1 i té, i 1 fa ut note r que 1e pro pr i é ta ire
de l'objet convoité, le père de la fille en l'occurence, ne
fait plus grand cas du premier enjeu qu'est sa fille, mais
du second qui 1 'obsède et devient l'enjeu unique.
Le premier
ne sert plus que d'appât.
Car son véritable intérgt se trou-
ve dans l'acquisition de ce deuxième enjeu de l'épreuve.
Quand cette situation fut examinée plus haut sous
le rapport de l'agression et du piégeage des congénaires, on
a pu déterminer comment ce "deuxième enjeu", c'est-à-dire la
vie des Animaux, procurait à ELEPHANT, du gibier.
Dans la présente hypothèse du Refus de mariage, cet
enjeu, sans nul doute, constitue l'état d'éventuelles presta-

107
tions matrimoniales (cadeaux, arrhes sur dot, travaux ef-
fectués pour les beaux-parents .•• ) qui ne seront point rem-
boursées même si
le mariage n'a pas lieu.
Il s'agirait d'une
escroquerie: un refus de mariage doublé d'une escroquerie.
Ce qui justifie bien notre hypothèse formulée par
les termes de II r ef us - a bus ll .
Mais arrêtons-nous un instant à l'analyse de ces
épreuves pour nous interroger sur leur statut de "r-e f us :' .
Autrement dit, comment ces comportements peuvent-
ils être appréhendés comme des II r e f us ll ?
Mais avant d'étudier cette question, examinons
rapidement la véri table nature de l'enjeu qui met en confron-
tation ELEPHANT et
ARAIGNEE dans la situation précédemment
analysée comme étant un exemple de "r ef us ea bus " (conte N° 8).
Cette situation est-elle susceptible d'~tre rangée parmi
celles qui traitent de mariage? En d'autres termes, le
II vo u i vo u i ll
d'ELEPHANT est-il une fille à marier symbolisée
par ce mets
?
On peut le considérer comme tel.
Le vouivoui
(llfoufou ll) ailleurs, est un plat ré-
gional.
Igname cuite écrasée, pétrie à l 'huile de palme,
il a un teint doré.

lOS
Mais par ailleurs, les Gouro rangent parmi leurs
critères de beauté, le teint doré, bronzé qu'on traduit cou-
ramment par "teint clair".
L'homme beau, la femme belle sont entre autres,
"rouges", c'est-à-dire dorés comme l 'huile de palme, autrement
dit, de "teint clair".
Et le qualificatif "beau" lui-même, est couramment
re ndu par l e t e r met r è s sig nif i c a tif de" 9non non mi" (1 i t t ér a-
lement "homme-d'huile", l'huile étant le monème "9nonnon").
(lest que l 'huile de palme possède ~lus d'une qua-
lité, plus d'une connotation esthétique aux yeux des peuples
goura.
En effet, luisante, couleur d'or vif l 'huile séduit
le regard. Onctueuse, douce, elle câline le toucher et harmo-
nise en le lubrifiant, le fonctionnement de tous mécanismes.
Utilisée dans la pharmacopée traditionnelle, elle constitue
un traitement antitétanique efficace.
Mais aussi et surtout, elle est source d'appétit,
donnant un attrait irrésistible aux plats qu'elle accompagne
( 1 ) .
(1) La plupart des offrandes en nourritures faites aux divini-
tés êt aux mânes des Ancêtres sont pétries à l 'huile rouge,
l'huile de palme.

109
L'huile de palme se présente ainsi comme une véri-
table cristallisation de la beauté totale, un parfait symbole
du Beau.
De la sorte, il
n'est pas abusif de considérer le
vouivoui qu'elle maraue de la plupart de ses attributs, comme
la représentation, la désignation symbolique de la femme,
cristallisation elle aussi de la douèeur, de l'attrait irré-
sistible, de la vie .•• c'est-a-dire de la beauté totale.
Il faut comprendre alors, pour en revenir a notre
récit,qulELEPHArn avait une fille d'une beauté irrésistible,
au teint d'huile de Da1me ..•
Du reste, l'afflux des Animaux auprès d'ELEPHANT
pour tenter leur chance, atteste la beauté et l'attrait de
cette
jeune fille. A sa vue, dit le conte (et l'on doit se
situer ici sur le plan de l'hypothèse de la IIfi11e a ma r i e r ") ,
"Ar-a i qn e va ici,
vient la, tourne sur lui-même" ..•
é
Mais en fait, on pouvait pratiquement voir, d'entrée,
qu li1 s'agissait d'une question de conquête de la femme. L'é-
preuve du "sexe-outil" suggérait le fait.
En eff~t, cette épreuve, dans une production didac-
tique comme le conte, ne pouvait pas être un simple propos
grivois, mais bien la démonstration d'une vérité ayant trait
a la problématique de la sexualité: la conquête de la femme.
Ceci étant, qu'est-ce qui permet de définir ces

110
comportements comme des "refus" ?
L'incompatibilité fondamentale entre la nature de
la tache â réaliser et le moyen exigé pour le faire rend
les épreuves parfaitement inso1uh1es (quoique dans des condi-
tions particulières que nous analyserons plus loin, quelques
concurrents parviennent toujours â réaliser ces tâches).
Examinons brièvement l'état de ces diverses incom-
patibilités en formant, a partir des quatre exemples de si-
tuations précédemment énoncées, des couples relationnels â
l t a i de de chaque tâche â accomplir et de son "rnoy e n d'exécu-
tion ll :
Conte N° 8
abattre un a rb r e z
l
ê
t a i de
du phallus.
Conte N° 1
bouillie bouillante â boire/par un
t r e huma in",
un être vivant.
"
ê
Conte N° Il
Ne
pas avoir de cicatrices/alors qu'on
est de l'espèce humaine.
Conte N° 10
accepter d'être tué plus tard ... /a1ors
qu'on est en pleine possession de ses
facultés ...
Ce tableau fait apparaître que les lI out i 1s 11 (au sens
large) : phallus, être humain, etc, sont détournés par les
exigences des épreuves, de leurs objets et de leurs attributs
naturels propres.
Ils doivent, dans les conditions des épreuves,

III
s e .tJtan.6noJtme.Jt en autres choses qu'eux-mêmes, prendre la na-
ture des outils réels qui, habituellement, remr1issent les
f 0 nc t ion s qLIi lie urs 0 ntas sig nés ici. C' est - à - d ire r e s pe c -
tivement :
le phallus doit se transformer en hache (doit être
hache)
; le prétendant de la fille de PA~THERE doit
se transformer en récipient ou en tout cas, ne plus
être s~nsib1e au chaud; le prétendant de LA FILLE
du conte N° Il doit être de la nature des êtres sans
cicatrices (~énies, animaux, etc.), enfin, le préten-
dant de la fille de L'HOMME doit être sans la moindre
conscience des choses ...
Et, tan t que ces Il t r ans f 0 rrn a t ion s Il n Ion t pas 1i eu,
les tâches demeurent irréalisables, et le mariage, impossible.
Et, que les
épreuves soient insolubles, que le ma-
riage soit problématique, les parents des filles à marier ne
l'ignorent pas. Clest une énigme sciemment posée par eux: ils
s a.ven t qLI 1 ils de man den tau x pré t end a nt s der éa 1 i s e r ce qu' i 1
n'est pas en leur nature de faire
ils savent qu'ils deman-
dent l'impossible,
l'irréalisable
c'est un refus.
C'est cette "f mp o s s t bi l i t ê ? ,
cette insolubilité re-
lative des tâches (on désigne habituellement ces contes du
terme dlllEpreuves impossibles ll ou IIEpreuves diffici1es ll),
c'est cette insolubilité des tâches qui rend fatale la mort
des concurrents lorsque la situation est analysée comme un

112
"p t oe ", mais qui constitue un refus pur et simple, refus
ë
quelquefois doublé d'escroquerie, lorsqu~on se place sur le
terrain des hypothès~s du mariage dans les contes.
Et précisément, (et essentiellement, faut-il
no-
ter), il est question de refus de laisser épouser sa fille,
ou de se laisser épouser (dans le cas où clest la jeune
fille qui doit faire un choix)
ceci excluant la thèse sou-
vent défendue selon laquelle les épreuves ont pour objet de
désigner celui des prétendants qui serait "va l a b l e :", capa-
ble de
faire le bonheur de la fille à marier.
Il
ne peut s'agir d t un tel
test.
t1ais
il faut savoir pour cel a ce que lion entend
par "f a i r e le bonheur de la f i l l e ? ,
L'idée du bonheur conjugal est assurément toute
relative, comme toutes les valeurs liées à la vie et aux
connaissances humaines. El le revêt des sens spécifiques,
implique des réalités particulières selon qu t i l s'agit d'un
peuple ou d'un autre, d'une civilisation ou d'une autre.
Et de fait, dans
la société gouro, et certainement
chez bien des peuples africains, l 'idée de bonheur conjugal
de la femme est surtout liée à la capacité de cette dernière
à
se faire accepter rar sa famille maritale.
Et précisément, dès lors qu'elle est féconde, qu'elle
est travailleuse, pleine de jouvence, et qu'el le a la bonté

113
du coeur, elle est sûre d'être intégrée par sa famille d'al-
liance : elle a le bonheur, l'essentiel du bonheur.
Théoriquement donc, la question du bonheur futur
de la fille ne tourmente pas fondamentalement les esorits,
ou du moins, se pose-t-elle dans des perspectives spécifi-
ques à la société gouro.
Clest un bonheur
ié à l'intégrabilité de la fem-
me : le bonheur ici, est une acquisition des structures so-
ciales.
Pour se réaliser donc, un mariage ne peut susciter
expressément, particulièrement -même dans une vision symboli-
que des choses- un test d'aptitude à faire le bonheur, sauf
à vérifier
(sans idée de comoétition, et de toutes les façons
au profit des parents et non de la fille),
les qualités hu-
maines du futur gendre
disposition à rendre service, ar-
de urau t ra vail, etc.
Tout au rlus, les éoreuves des contes peuvent-elles
renvoyer à des objectifs précis comme par exemple celui de
démontrer les capacités de l'intelligence "huma i ne " par le
biais d'allégories, ou de retracer allusivement des proces-
sus lIinitiatiques" (quoiqu'existent à côté de ces catégories
de contes, des contes proprement initiatiques), etc.
En revanche, ce qui est certain, c'est que l'objet
de ces épreuves est souvent d'exprimer un refus de mariage.

114
PANTHERE qui impose aux prétendants de sa fille
l'épreuve de boisson de bouillie bouillante, oppose, ce fai-
sant, à ces jeunes gens, la force d'un moyen dissuasif: il
esoère décourager les intentions de mariage de ces jeunes.
Il en est de même de L'HOMME du conte N° 10, de LA
FILLE du conte
N° Il, d'ELEPHANT dans le conte N° 8, des
PARENTS dans le conte N° 30. Tous, par le truchement d'épreu-
ves llimpossibles ll, cherchent à faire fuire les prétendants,
comme l'attestent d'ailleurs ces propos recueillis dans le
conte n° 10 :
"ToU-6
.e.e-6
pJtétendar/.-t-6
v-Z.ertrt ertt
"
,\\la-Z.-6
o u an d -Z.f...6
entendent paJtf..eJt d'ê.tJte tué-6
"pf..U-6
t.a n.d èt r.a
moJtt du beau- pè.Jte
"1 f..,!l
n.e:» u.Jtrt ertt c he z eux.".
Enfin, une dernière preuve de l'existence de ce
refus peut naître du jeu de correspondances analogiques en-
tre le caractère "insoluble" des tâches et le sens au'attri-
buent au comportement des prétendants (leur volonté d'épouser
les filles),
parents et filles à marier.
En clair, la nature
des tâches est une réplique analogique aux démarches des pré-
tendants, lesquelles démarches auront pu passer pour des "de-
mandes-impossibles-à-satisfaire" aux yeux des
parents et fil-
les à marier. Autrement dit, parents et filles à marier auront
j~gé excessif (voire impertinent) le fait que les prétendants
veuillent les amener à se séparer de leurs filles (ou à perdre
leur liberté de célibat).

115
Dans cette éventualité, ils auront conçu l'idée des
épreuves impossibles pour amener les prétendants a comprendre
le caractère lIexcessifll et lIimpossib1e-a-satisfaire ll de leurs
démarches.
Raisonnement possible a cet effet: IIEtant donné que
ces jeunes gens me demandent de faire l'impossible (diraient
les parents des filles ou les filles elles-mêmes), étant donné
qu'ils me demandent de faire l'impossible, a savoir me séparer
de ma fille (ou me marier), je vais à mon tour leur demander
de faire l'impossible: ils comprendront dieux-mêmes qu'on ne
peut faire l'impossib1e ... II .
Ainsi, dans tous les cas, lorsqu'il s'agit de ma-
riage, les comportements des personnages consistant a soumet-
tre des prétendants a des épreuves conçues comme impossibles
a mener a terme, sont toujours des expressions de refus de
laisser épouser ces filles, refus couverts du voile dlun as-
sentiment apparent comme il apparaît dans ces propos volon-
tairement ambigus du père de la fille du conte N° 10
"
V0 u-6 -6 a v e. z ,
ma J.,
j e.
ne. v 0 U-6
dJ.-6
pa -6
de. ne.
"pa-6
épou-6e.Jt ma
6J.l!..l!..e..
MaJ.-6
c.e.l!..ui qui e.-6t d'ac.c.ofLd
"paufL ê.tfLe. tué
l!..e. [our:
de. ma. mo n.t: ,
ou'il!.. ë.a. r.:>fLe.nne
"e.t l!..'e.mpofLte.
}".
Refus de mariage, leurs auteurs sont punis en con-
séquence. Outre les châtiments habituels
(maintes fois rele-
vés déja au cours des analyses: ridicule, etc), ELEPHANT

116
( con t e
~1 0 8), L' Har~ ME (c 0 nt e N°l a), PAN THE RE (c 0 n t e N°l)
et LA
F ILLE (conte N° 11) subissent le désagrément, 1 a
contrariété de perdre malgré leur détermination, les objets
de leur lutte.
ELEPHANT et L'HOMME voient leurs filles respectives
finalement éoousées lIimpunément ll , alors qu'ils s'attendaient,
suivant le schéma de leurs stratégies, à tirer de ces situa-
tions des avantages bien précis: L'HOMME (ou plutôt ses hé-
ritiers, orqanisat~urs de ses funérailles) attendaient la mort
du gendre en 1 'honneur du beau-père; ELEPHANT, la mort
d'ARAIGNEE (mais entendons par là l'acquisition indue par
ELEPHANT, de quelques
avantages matrimoniaux non remboursa-
bles ... ).
PANTHERE, pour sa part, voit ARAIGNEE emporter sa
fille malgré toutes combines tissées sous les pas des pré-
tendants.
Ayant publiquement lié l'acquisition de sa fille à
la capacité des individus à boire de la bouillie bouillante,
et APAIGNEE ayant satisfait à cette épreuve, il
n'eut plus
l'opportunité de nier éventuellement l'évidence, de oe r s i s-
ter outre
mesure dans l'acharnement à empêcher le mariage
de sa fille.
Il est contrarié dans son immense désir de gar-
der celle-ci auprès de lui.
Et il en est de même des parents de la fille du
conte N° 30 échouant devant la BICHE ROYALE qui
épouse finale-
ment leur fille.

117
Enfin, LA FILLE du conte N° Il finit par être épou-
sée malgré ses capricieuses machinations, malgré sa répugnan-
ce manifeste pour le mariage.
Mais comme pour que soit surdéterminé son destin,
comme par surplus de châtiment, c'est un génie (transformé
en un splendide jeune homme sans cicatrices-un Boa) qui
l'é-
pouse ...
Ainsi, la sagesse populaire triomphe
"Tu ne. ve u x pa..o
qu'un homme. t'épou.oe.
"E.ot-c.e. un a../tb/te. qu;' va.. t ' épou.oe./t ?
"E.ot-c.e. un a..n;'ma..l qu;' va.. t'épou.oe./t ?
"E.ot-c.e. la.. ,\\fo/tt qUA.. v;'e.nd/ta de. la ôo/têt t'épou-
" .0 e./t
?"
(1).
Et de fait,
la Tradition dit:
"0_uaHd UH homme. e.nôaYlte. une. ô;'lle.,
c ' e..ot un homme.
" q u;. l' é po U.o e "
(2).
Entendons: une fille est faite pour être épousée ..•
Ce type de contes traitant du refus de mariage cons-
titue en général
la satire de certains "grands" de la société
(réels ou hypothétiques), lesquels, non sans mépris, et eu
(1) Dicton à valeur d'imprécation, usité chez les Gouro.
(2) Moralité du conte N° 10.

118
égard à leur rang social, répugnent à voir les petites gens
épouser leurs filles •.. Mais dans cette épreuv~ de force
qu'ils instaurent, confrontés à la dynamique de la société
tout entière représentée par des personnages-petites gens
au bon sens aigu, à l'esprit retors (tel ARAIGNEE), ou tout
simplement secourus par la divinité (comme le gendre de
L'HOMME dans le conte N° 10), ils finissent toujours par
perdre la partie.
Ainsi est combattue toute opposition au mariage
enta nt qli e te 1 •
Dans le m~me ordre de choses, est mal vue et punie
toute
mentalité de nature à empêcher, à compromettre l'ins-
titution elle-même.
Dans les contes populaires, 1 'expression de telles
mentalités est généralement illustrée par des manifestations
d'llinsoumission ll de la femme.
En réalité, c'est toujours autour de la femme qu'est
posée et débattue cette question de pratique du mariage. Con-
sidérée comme devant être toujours disponible-à-être-épousée,
la femme ne peut avoir un caractère rebelle: de la sorte,
son insoumission, menace grave pour le système communautaire,
est activement combattue.
Le problème, toujours se pose de la façon suivante:
la femme a un caractère difficile (soit qu'elle soit difficile

119
à faire un choix donné, par excès de caprices, soit qu'elle
s'avère intransigeante, rigide sur les principes, sur ses
dë.c i s i on s . • .) : elle est a 1ors pr i se à parti e par 1e conte.'
L ' e..6 8ft;'t, .6 0 u.6 .e.' e. 66e.t de. c.a. 8ft;' c. e..6, .6 e.
montfte. d;'66;'c.;'.e.e. a 6a.;'fte. un c.ho;'x da.n.6
une. .6J.tua.tJ.on donnée. :
Clest le cas dans le conte N° Il.
Ce conte a été déjà envisagé comme posant le pro-
blème du refus de mariage: cela est e~ fait un sens possible
du comportement de son personnage central. Mais ce comporte-
ment peut être compris également comme l'expression d'un es-
prit capricieux, faisant difficulté à fixer un choix.
La jeune fille en cause ne veut épouser qu'lI un-
homme s a ns c t c a t r t c e s " ! ~1ais quel être humain échappe à
e
e
cette sorte de fatalité? Chaque homme a en effet, ne serait-
ce que la cicatrice ombilicale qui marque son entrée au monde
Donc: toujours une cicatrice.
Mais, d'autre part, qui a jamais exigé une pareille
dot
Une dotation aussi curieuse?
C'est, visiblement, un trait de caprice, une preuve
de fantaisie qui dénote d'avec la gravité des choix de la
société.
Aussi, est-elle runie.

120
('est un animal-génie qui l'épouse comme on lia
déjà noté: la société lutte ainsi contre l'esprit difficile,
le caractère compliqué chez la femme.
De la même façon, l'intransigeance est combattue.
('est qu'elle se présente toujours comme une sorte
d'antichambre de l'insoumission, un premier pas vers la ré-
bellion.
Elle peut être soit un entêtement à refuser ce
qu'habituellement tout le monde accepte facilement, soit un
entêtement à exiger.
L'int~an~iQeance e~t un entêtement à
('est ce qu'illustre la situation présentée par
l e con t e ~! 0 1 5 .
Oans cette situation, des jeunes filles "b l e s s e nt "
un PETIT MARGOUILLAT (1) qui
demande à être "s oi q n
par
ê
"
elles en guise de réparation du IIdommage ll •
Or en fait,
le PETIT ~1ARGOUILLAT n'est pas blessé
comme il le prétend.
Il cherche tout simplement un moyen pour
( 1) Pet i t r e pt i l e de l a fa mil l e des l za r ds. r~ â le, i l a l a
ë
tête rouge. Trait
caractéristique: joue de la tête,
rythmiquement, de bas en haut. Longueur: 30 cm environ.

121
abuser (sexuellement) des jeunes f i l l e s - ce que signifie
ici
"s o t
ne r "
ç
"
t.e.s je.u.n.e.-6 ù'<'lle.-6 lu.'<' de.man.de.n.t.J ai.o n» qu.''<'l
"z e pla'<'n.t qu.e. c.e.lle.-6-c.'<' on.t bJt'<'-6é. t.o uce s le.-6
paJt-
"t'<'e.-6 de. -60n. c.oJtp-6
: "V'<'-6 do ne; ! te.lle.-6 qu.e.
"xour.es z es
paJtt'<'e.-6 te.
non.t mal,
qu.e.l «emê d e ve.u.x-
"tu. qu.'on. t'adm'<'I1.'<'-6tJte. au. [iis t:« ?"
pe.t.<.t MaJtgou.'<'llat .s
ùau.6'<'le.,
6au.6'<'le.,
pu.'<'-6
" C e
e
s
e
"-6 ''<'mmob'<'l'<'-6 e. n.e.t de.s s o u.s le.-6
jambe.-6 d e.s [eune s
"6'<'lle.-6.
"Là., .<..e lâ.c.he. u.n.e. c.ou.Jtte. én.oJtm'<'té.
"Ve. la s ont:e.,
c.omme.n.t '<'l doi t: ê.tJte. -6o'<'gn.é 6u.t
"c.o mpJt'<'-6 d' e.f.le.-6 t ou.te.-6 • "
Toutes administrêrent le remède.
Une seule, ayant compris
la supercherie de MARGOUIL-
LAT, refuse dl " a dm t nistrer un tel
r em d s " :
è
"
Ah bon. ! -6'éton.n.e.-t-e.lle.. C'éta'<'t don.c.
"c.e.tte. h'<'-6to'<'Jte. '<'mpe.Jtt'<'n.e.n.te. e.t: éc.oe.u.Jtan.te. ? Ca
"aloJt-6
! c ' e.s : la 6aç.on. de. le. s oLon e.« qu.'<' e.-6t
"a'<'n.-6'<',
c.e. -6ale. r-e.t'<'t-MaJtgou.'<'llat-v'<'e.'<'llot ?
"Je. c.Jtoya'<'-6 qu.''<'l étaLt. or.e.s s «; OJt c.'e.-6t e.xpJtè-6
"q u. ''<'l 9 ém'<'t !
"J e. n. e -6 u.'<'-6
r-a-6 là po u.Jt ç a
"u.n. tel Jte.mède }".

122
Ferme sur sa décision, elle regagne le village où,
même devant ses parents, devant tout le monde assemblé, elle
persiste dans son obstination:
"GOENAN
que..6 e. pa.6.6 e.-t-Lt ? der.an de. .ta mèJte.
"iYl6oJtm~e. paJt .te..6 autJte..6 6i.t.te..6. PouJtquoi Jte.6u.6e..6-
"tu de. .6oigYleJt ee. pe.tit MaJtgoui.t.tat ?
" N'a - t - 0 Yl Pa.6 dit que. c ' es t
.t e. MaJt 90 ui.t.t at du
"Che.n ?
"Tu Jte.6 u.6 e..6 de. .tui admiYli.6tJte.Jt des n.emë.d e»
! Tu
"ve.JtJta.6 eomme.Ylt .t'a66aiJte. .6e.Jta gJtave. ! Lève.-toi
"va .tui admiYli.6tJte.Jt de..6 Jte.mède..6 1".
Bien sûr, tout le monde (la mère, le frère et
tous les autres habitants du village alertés) ignore la na-
ture du r ern de à "a dm i n t s tr e r
è
?

Mais même s'ils l'avaient su,
ils se seraient contentés, bien que gênés par le spectacle
de cette "më dt c a t t cn ", de prier l'impertinent "rna l a de " et
sa "s o i q na nt e " de s'éloigner "p o ur faire
a ", comme l'atteste
ç
cette furieuse repartie du grand-frère:
"Di.6 dOYle ! voei6èJte.-t-i.t. Si e'e..6t ee..ta,
a.t.te.z-
"VOU.6 - e.Yl ! a.t.te.z- vOU.6 - e.Yl .tà.- ba.6,
daM
i.o: bJtou.6.6 e. ! ... "
C'est donc de bonne foi malgré tout, profondément
soucieux de voir le dommage causé au PETIT MARGOUILLAT être
réparé, que tous, par la voix de la multitude, tentent de
faire plier la jeune fille:

123
"
Vi-6
doYl.c.
! AdmiYl.i-6tJte. t.e «emê.de ,
vOIJOYl.-6
! ...
"Admini-6 tJt e. t.e Jt e.m è de. !... di-6 e.Yl.t .t es 9 e.Yl.-6 •
" Et e..t.te, : "NaYl. ! ] e. Yl. e. t.e 6ai-6 pa-6
ï
"
Le grand-frêre dut Même intervenir avec toute son
autorité, tant est choquant l'entêtement de la soeur:
"
Eh! Goë.Yl.aYl. ! Qu'e.-6t-c.e. que. tu vie.Yl.-6
de. dLn»: ?
"A.t.te.z ! Va admiYl.i-6tJte.Jt .te. Jte.mède. au Pe.tit
",'AaJtgoui.t.tat ! Ave.c. ta ft c.ompoJtte.me.Yl.t, s I: .t' a6 6aiJte.
"de vi.en ;
gJtave. pouJt Yl.ou-6,
que. diJta-6-tu ?"".
L'attitude de l' IIhéroïne ll est condamnée.
Certes,
le comportement du PETIT MARGOUILLAT, celui
d'inventer une "r a i s o n " pour abuser des jeunes filles est
répréhensible. na t s au regard de l'insoumission de l'llhéroï-
ne ll ,
cela passe pour fort peu de chose. Surtout parce que,
d'une part, c'est précisément L' e nt êt e me n t
de la jeune fille
que le conte se propose de démontrer, et que d'autre part,
sur le plan IIjuridique",
l'on trouve de toutes
les façons
le PETIT MARGOUILLAT dans
ses droits:
il a été blessé par
les jeunes filles,
il a subi
un dommage:
Il • • •
lorsque tu
viens à blesser l'enfant de quelqu'un,
tu lui
présentes des
ex cu ses
pen dan t que t 0 us,
vou ses s a y e z de les 0 i 9 ne r " ,
dit le conte.
Ainsi, c'est le caractêre de la jeune fille qui
pose
un problême.

124
Ce caractère apparaît comme un véritable abcès au
nerf sensible de l'édifice communautaire: c'est la négation
même de l'attitude générale de la femme dans
la société.
Aussi est-il réprimé.
Suivie jusqu'au village par le PETIT MARGOUILLAT,
comme par souci
pour le conte de la faire talonner pour tou-
jours pa r son "{n c ond u t t e " afin qu'elle en sente continuel-
lement le reproche,
1I1 ' hé r oï ne ll dut porter sa part de II médi-
cation ll en public, sous les yeux de tous profondément choqués
par ce spectacle.
On a pu voir plus haut l'effet
de colère produit
par le grand-frère de la fille, à la vue de cette "mêdi ca-
tion ll insolite.
Et, que ce spectacle ait choqué de la sorte les
témoins, indique combien la jeune fille dut en être humiliée.
Ainsi, le refus entêté, le penchant à ne pas être
conciliant est "rn a l vu "; puni au besoin.
Mais il faut noter que ce type de messages (qu'ils
mettent en scène la Femme, ou découlent des attitudes d'in-
transigeance des IIJeunes ll
(ou "Ca de t s") devant les lIâgés ll
(ou "A'î n s ") ne s'adressent pas qu'aux seules Femmes, mais
é
aussi à cette catégorie des "Ce de t s " que l'organisation du
système communautaire IIsoumetll à la catégorie des
IIAînés ll ,

125
comme est "soumise" (mais a un autre niveau), la catégorie
des Femmes.
Femmes et "Cadets", théoriquement, doivent être
pétris d1une parfaite docilité, d'une parfaite maléabilité.
Dans le même ordre des choses, l'entêtement a
exiger est sévèrement critiqué chez la femme
- L'int~an~igeanee e~t une inetination
a ex.iqe~ :
Clest le cas dans le conte N° 5.
Dans ce conte, une femme voulant être louée, con-
gratulée par son mari, et nulle part ailleurs qu1en public,
fut "foudroyée" en l'espace d1une nuit, par arbre interposé,
par des sorciers.
Ce châtiment est en fait celui de la vanité qui
caractérise fondamentalement et plus clairement la femme en
ca use.
Mais les personnages des contes étant, comme il a
été indiqué plus haut, un "agr'égat" de traits psychologiques
particul iers, le châtiment de l t or qu e i l , ici, constitue éga-
lement un châtiment de l'exigence outrée de la femme.
Et ici également, ces mêmes situations visant a
discipliner la Femme, sladressent, par jeu d1assimilation
symbolique, aux "Cadets" (quoique des situations spécifiques

126
existent dans la gamme des contes pour poser cet autre pro-
blème, tell léchec du Benjamin-des-Sept devant ses frères
aînés et son père dans le conte N° 7, l'aventure des Jeunes
gens dans les contes N° 46, 53 ... ).
Ainsi, de toute évidence, il y a une nette diffé-
rence entre les rapports des femmes aux valeurs essentielles
de la société, et ceux des hommes-atnés a ces mêmes valeurs.
En clair, il existe dans la société goura (et
peut-être chez bien des peuples africains), une certaine
conception de 1 I"éducation" de la femme, une certaine orien-
tation des mentalités qui ne concerne que la femme (et la
classe d1âge des cadets). Clest une éducation visant avant
tout a la docilité comme on 1 la précédemment indiqué.
La docilité, selon les peuples goura, est une ver-
tu cardinale de ia femme. Elle apparaît même comme la pre-
mi ère de tau tes.
Une femme peut réunir en elle toutes les qualités
sociales connues (fécondité, ardeur au travail, etc), mais
dès lors que lui fait défaut 1 lattribut de la docilité, de
la douceur compréhensive, son intégration dans
sa famille
d la11iance se trouve compromise à plus ou moins long terme.
La docilité est ainsi une valeur essentielle, un
des tout premiers facteurs de l'existence et de la stabilité
du système communautaire.
D'où vient cette importance? D'où vient, autre-

127
ment dit, l'importance de la femme dans le système commu-
nautaire ?
Et comment, objectivement, apprécier cette valeur
quand elle situe la femme dans la société, comme cela appa-
raît dans les contes?
La femme est, d'un point de vue théorique, l'arti-
culation principale du système communautaire.
La société communautaire, comme on a pu le montrer
plus haut, vise essentiellement à organiser un cadre large
et relativement efficace pour l'exploitation de la vie écono-
mique et sociale. Et cela signifie concrètement la mise en
rapport, autour de cette question, de toutes les catégories
composant la société, et principalement la rencontre des deux
classes d'§ge auxquelles incombe la responsabilité d'un li-
gnage donné: les Aînés et les Cadets.
Il s'agit très précisément pour la catégorie des
Aînés, en remontant aux sources probables de cette formation
sociale, d'ohtenir l'alliance des Cadets, de regrouper au-
tour dieux cett~ réserve de force de travail, théoriquement
importante par le nombre et par la qualité.
Or un tel regroupement, pour être efficace, ne
peut se réaliser sur la base de simples sollicitations de
bonnes volontés. Dans l'optique, on ne peut en effet deman-
der par l'effet de simples discours, quels qu'ils soient, à

128
la IIjeunesse ll toujours bouillonnante de vie, souvent médiocre
conformiste pour cela même, et surtout dans la perspective de
servir en quelque sorte de main-d'oeuvre a la vie des clans,
de se placer délibérément sous la tutelle des Aînés.
On dut recourir a l'Il a ppât ll que constitue le désir
de mariage chez les cadets.
En clair, les Cadets pour avoir fe~me a épouser,
doivent nécessairement demeurer liés a leurs clans d'origine.
C'est que l'acte de mariage, précisément dans
cette perspective d'organisation, est régi, conditionné par
l'acquittement préalable d'une dot versée par l'homme, ins-
.
titution étendue a toute l'aire culturelle gouro et établie
parallèlement a la prohibition de l'inceste.
Et son taux global fixé par les Aînés, est parfai-
tement hors de portée
des jeunes hommes qui, par ailleurs,
ne
peuvent directement avoir "a c c s " aux "b i e ns de presti-
ë
ge ll qui constituent le patrimoine commun des membres des
lignages, et dont la II circulation ll se trouve sous le II contrôle ll
exclusif des Aînés.
A ce propos, Claude Meillassoux écrit:
"PouJt c.on.6eJtveJt à R..'aJtgent
[nouveR..R..ement i.-ntJtodui.-t
"tian»
t.e .6U.6tème do t.at. et dont on peut en 6ai.-t .6e
"pJtoc.uJteJt paJt le c.ommeJtc.e et R..e .6aR..aJti.-at] , .6on
"c.aJtac.tèJte di.-.6c.Jti.-mi.-natoi.-Jte,
et à fa dot .6a 6onc.ti.-on
"c.on.6eJtvatJti.-c.e, R..e.6 anc.i.-en.6 devai.-ent exi.-geJt de.6

129
"z o mme s
éle.vée.-6,
c.ompat-ible.-6 ave.c. le.-6 Jte.ve.Yl.U-6
"globaux d'uYl.e. c.ommuYl.auté Jte.c.ue.-ill-i-6
raJt le.-6 aZYl.é-6
"et: ave.c. la tJté-6oJte.Jt-ie. qu'a-6-6uJte. la c.-iJtc.ulat-ioYl.
"d e.s do t»
e.Yl.tJte. le.uJt-6 ma-iYl.-6,
ma-i-6
e.Yl.c.oJte -iYl.ac.c.e.-6-
"-6-ible.-6 aux.
j eun es homme.-6 e.t: aux dépe.Yl.daYl.t-6"
(1).
Ainsi, impuissants devant la réalité de la dot,
mais désireux de IIconstituer un foyer ll (ce désir est dlail-
leurs activé par les Atnés eux-mêmes), les cadets se trouvent
dans la situation de sien remettre objectivement aux Atnés :
"
"pouJt le.-6
aZYl.é-6
paJtc.e. que. -6e.ul-6
c.e.ux-c.-i OYl.t le.
" pou v 0 i. Jt d e. l e. uJt pJt0 C. u Jte. Jt u Yl. e. ê. p0 u-6 e "
(2).
Mais ce qui importe, surtout, ce qui nous intéres-
se immédiatement au niveau de cette organisation ainsi dé-
cr i t e , c'est la place qu'y tient la femme.
Piêce ma' tresse de la connexion sociale entre Atnés
et Cadets, la femme est la pierre angulaire de l'édifice com-
munautaire, l'élément dont le retrait entratne théoriquement
l'effondrement certain du systême.
Cette position dans la structure de la société,
(1) MEILLASSOUX Claude: Anthro~ologie économique des Gouro
de Côte-d'Ivoire; Mouton,
964; p. 220.
(2) ~ln.RIE Alain
op. c t t . , p. 108.

130
complétée par l'importance d'autres facteurs tels que le
pouvoir de la femme de reproduire les effectifs sociaux
(de reproduire les producteurs), et par ailleurs de parti-
ciper elle-même à la production des biens, explique pour-
quoi
le "rno de l a qe " des structures mentales chez la femme
constitue une des
plus sérieuses préoccupations de la so-
ciété traditionnelle.
Il est question qu'à tout moment, la femme soit
lIépousable ll, disponible-à-être-épousée, c'est-à-dire non-
intransigeante, non-exigeante, etc. 0'00 la critique de tou-
tes attitudes contraires à ces IIvaleursll.
Enfin, par ailleurs, la place de la fel"ilme dans
1 1 0 r 9a ni sa t i on dus ys t ème et 1e t r a va i l i dé 0 log i que qui
lia c-
compagne, permettent de dire qu'il y a, entre la catégorie
des Hommes et celle des Femmes, un état de rapports de nette
op posi ti 0 n , mal gré lia pp are nt e uni for mité soc i ale
d'un
côté, la femme, soumise à une certaine "v i o l e nce " de "mod a-
lage ll idéologique et qui, en fin de compte d'ailleurs, est
persuadée d'appartenir à un II monde à part ll•
De l'autre côté, le "mo nde " des hommes, mais sur-
tout des hommes-aînés: alors qu'est soumise la femme à un
affinage particulier dans la société, il échappe quant à lui,
pour l'essentiel, à l'effet d'un tel
travail. r'lais mieux
c'est lui qui
impose cette perspective: il est théoriquement
dans la position de IIdomination ll• Et on comprend cette vérité
en réalisant qu'en fait,
l 'homme-aîné a la haute main sur les

131
réalités dominantes du milieu traditionnel, à savoir le con-
trôle exclusif de la circulation des
II richesses ll , et parti-
culièrement l'appropriation de la plus importante de toutes
les effectifs humains, c'est-à-dire l'acquisition des pro-
ducteyrs de biens économiques par le biais de l'institution
dotale et ses répercussions sur les rapports entre progéni-
tures
et chefs de lignages ...
Ainsi, il existe un véritable hiatus entre la ca-
téaorie des hommes et la catéaorie des femmes, hiatus que
-
~
précisément, le travail idéologique de la société à la charge
d'étouffer, de "p a ns e r " à mesure qu'évolue le système.
La solution patiente des contradictions sociales
dans
le monde traditionnel crée effectivement une parfaite
cohésion au sein de la communauté. C'est d'ailleurs la rai-
son pour laquelle il convient toujours de manier avec une
extrême prudence les notions de IIdomination ll ,
de II s oumis-
sion ll , de II violence ll , etc. qui
tablent ici sur des réalités
modifiées par de nombreux facteurs, de nombreux paramètres
spécifiques.
Ces considérations ont pu amener, semble-t-il, un
chercheur comme Cath~rine Coquéry-Vidrovitch ~ émettre l'idée
qu'existe un "mo d l e " africain de société ...
è
Revenons cependant à notre hypothèse relative au
caractère exigeant chez la femme~: la femme est exi~ente ?
Elle est sévèrement critiquée par le conte.

132
Attitude en rapport étroit avec l'institution et la
pratique du mariage, l'exigence est considérée dans son es-
sence comme un frein à ces réalités, autrement dit, une ten-
dance à nuire au fonctionnement de cette structure primordiale
d1acquisition de l 'homme dans la communauté: elle est com-
battue en conséquence, ce qui constitue une invitation à cha-
cun et particulièrement à la femme traditionnelle à se corri-
ger ou à se défier de telles aptitudes, et révèle, ce faisant,
l'importance accordée à l'être humain dans la conception de
la vie communautaire.
A ces différentes dispositions démontrant cette im-
portance, s'ajoute une défiance formelle à l'égard de toute
attitude individuelle (telle l'imprudence: contes N° 25, 33,
40, 41) capable de porter préjudice à la vie de l'individu ...
*
Il
faut maintenant conclure sur ce premier volet de
notre analyse des récits. Mais avant cela, faisons une brève
mise
au point sur la nature exacte du rapport entretenu par
l'individu avec la société, ou, d'une façon plus concrète, par
les individus entre eux.
En effet, dans notre tentative d'élaboration de
schémas exrlicatifs, nous avons pu établir nécessairement un
lien de causalité entre l 'imoortance de l'individu et son

133
activité -en particu1ier- productive au sein de la communauté
ce qui laisse voir une société bassement utilitariste, où
mécaniquement, l'individu apporte sa part d'utilité et il est
accepté, il nia rien à proposer à la collectivité, et il est
rejeté.
En réalité, il ne s'agit pas d'un tel échange aussi
machinal, désincarné et spéculatif.
La société dispose en effet de tout un système de
régulation affectif, très développé, comme on a pu le cons-'
tater à l'occasion de l'analyse de maints comportements de
personnages, développé du fait de la quête consciente et
acharnée de la cohésion sociale, et qui assouplit la raideur
et la sécheresse des dispositions structurelles, leur of-
frant ainsi un revêtement II c ha r ne 111•
De plus, l'uti1itarisme n l e s t point ici une valeur
méprisable. Bien au contraire, il est l'expression de la
conception m~me de la vie communautaire, du ~ociali~me t4a-
ditionnel.
En réalité, 1 luti1itarisme n'est méprisable que
dans les sociétés humaines fondées sur l'individualisme. Dans
ces sociétés où l'individu prime dans l'activité productive
et la répartition des biens, est inexistante l'idée de cohé-
sion qui associe les hommes dès les fondements de la forma-
tion sociale.

134
De la sorte, l'individu est singulier même dans la
masse. Aussi, ne s'attend-il jamais (sauf à titre égoZ~te),
à
ce qu'ayant donné, on lui donne en retour, à titre de test
de solidarité à 1 'éqard de l'autre.
Dans ces conditions précisément, on conçoit la pos-
sibilité d'actes gratuits, d'actions pour elles-mêmes, de
comportements sociaux considérés comme "d s i nt r es s s " ...
é
è
è
cette attitude mentale allant, comme on le sait, jusqu'à la
conception, dans le domaine de l'esthétique, d'un art gra-
tuit, sans destination, un "a r t pour l t a r t " ...
Au contraire, 1 'utilitarisme consid~ré comme va-
leur sociale positive (et dans ce cas, il convient de le
désigner par le terme particulièrement heureux des anthro-
pologues, celui d!lI efficacité ll ) , l'utilitarisme ainsi conçu,
n'est avant tout qu'un test fondamental de solidarité en
matière de pratique communautaire.
En effet, du point de vue de cette attitude men-
tale, la vie sociale étant fondée sur la cohésion primor-
diale des individus, non seulement 1 Ion s'appuie, en toutes
occasions, les uns sur les autres, mais aussi et surtout,
chacun veille au maintien de la cohésion sociale, voire
cosmique, en exigeant des partenaires de la communauté, le
don-en-retour.
Exiger des partenaires sociaux qu'ils donnent en

135
retour de ce qu'ils ont reçu, c'est en effet les amener à
manifester, tout comme on l'a fait soi-même en donnant, leur
solidarité
les amener à entretenir la cohésion inter-
J
individuelle indispensable à la vie communautaire.
Ainsi, dans cette démarche, ce qui importe en réa-
lité, c'est moins l'objet "contre-donné" que l'esprit qui
sustente l'action.
Et c'est cela qui explique qu'en général, on ne
s'attende jamais à recevoir gros du contre-donateur: l'acte
seul, même symbolique
(et en fonction des capacités du contre-
donateur) suffit. Preuve de solidarité, il est valable en lui-
même avant de l'être en tant que procurateur de biens.
Nécessité pour les individus (et d'une manière
générale pour toutes choses) de jouer un rôle social, autre-
ment dit d'être efficaces, l'utilitarisme ne peut donc être
halssable.
Il est l'expression pratique de la conception com-
munautaire de l'organisation sociale, recherche permanente
de la cohésion inter-individuelle, expliquant ainsi du reste
la vision du monde des peuples gouro et des peuples africains
en g!néral, et fondant en théorie leur idée de l'Esthétique.
Ceci étant, concluons sur le premier volet de notre
analyse des récits: il ressort de ces premières analyses
qu'une des significations d'ensemble des contes populaires
gouro est la vie communautaire, c'est-à-dire la volonté pour
les individus de vivre en communauté.

136
Par diverses situations et par la démonstration de
divers principes liés à 1 lidée de communauté (recherche de
la cohésion sociale et conscience de l'importance de l'être
humain), les contes développerrt cette signification qui est
aussi 1 lexpression d'un ensemble de comportements sociaux,
de rapports inter-individuels, que doivent nécessairement
compléter de ce fait les aptitudes purement individuelles,
la valeur intrinsèque des individus, sans lesquelles la vie
communautaire est pratiquement impossible, et que nous étu-
dierons sous le titre global de "Savoir".
rI - LE SAVOIR ET SES PRINCIPAUX FACTEURS
Le savoir (ou sagesse) est un ensemble de dispo-
sitions mentales individuelles qui éclairent la pratique
communautaire et sa vision du monde.
Les contes populaires le présentent comme une
réal ité à deux composantes essentiell es dont 11 une peut être
référée à l'aspect purement profane du monde, et l t au t r e à
sa fac e és 0 té r i que : 1 1 i nt e1l i ge ncee t l 1 in; t i a t ion .
Dans les contes, suivant le schéma de la mise en
évidence des significations des récits par le rapprochement
entre les comportements ou les attitudes des personnages et
le jugement du conte-·(D. S.) R (A. P.) -+- S-le problème de

137
l'intelligence est lié à la satire de l'incompréhension,
de la carence de mémoire et
du défaut de bon sens prati-
que d'une part et de la satire de l'ignorance et de l'im-
maturité d'autre part.
II L'..tYlte.ll..tge.rtc.~ e..&t e.xpJl..tmée pa.1t la.-6a.t..tlte
del'Ùtc.omplté,heYl'&..toYl, de la. c.a.Jte.rtc.e de. mé-
mo..tlte, du dé.6a.ut de bort· -6e.rt.6,
etc..
Deux possibilités s'offrent à l'analyse
~~_~,!,~~_~'~_I'le~ ~:~~~f~~~
Deux personnages sont mis en confrontation dans
une situation nécessitant le recours à l'intelligence,
c'est-à-dire la compréhension, le démêlage des relations se-
crètes qui
lient les choses. Il s'agit en général d'une
"ën i qme " posée par l'un des deux protagonistes à l'autre
au sujet d'un "o bj e t " sur lequel se croisent leurs inté-
rêts. t1ais, alors que celui à qui l'énigme est posée la ré-
soud, celui qui l'a posée n'est pas en mesure de comprendre
la façon {toujours habilement pervertie) dont sa "c ol l e " a
été résolue: il échoue dans la confrontation et reçoit les
châtiments du conte~(perte de l'objet disputé, ridicule ... ),
tandis que
l'Ilintelligent ll emporte le trophée et toutes
formes d'admiration et d'éloges.
De sorte que pour la réflexion théorique,
contrairement aux autres situations déjà étudiées, la va-
leur recherchée ne découle pas uniquement de l'échec du

138
"héros" de la situation, mais
bien de cet échec auquel
s'a-
joute, comme pour le matérialiser par son revers, la réalité
de l'intelligence concrètement triomphante.
Autrement dit: 1°) le personnage qui échoue est
sot et son échec, qui est aussi sa critique, sa réprobation,
donne à comprendre l'importance de l'intelligence pour la
maîtrise de la situation en question et dans la vie en gé-
néral
; 2°) Cette intelligence que l'allégorie invite à sai-
sir à travers la représentation dramatique, est toute don-
née en réalité par la victoire du second personnage du con-
flit. Ce personnage et sa victoire concrétisent la valeur
recherchée.
Il s'agit ici de la démarche que nous avons suivie
jusqu'à présent, et du traitement d'un second aspect de l'in-
telligence : la carence de mémoire.
Une situation illustrant la sottise (c'e~t-à-dire
ici: la faillite de la mémoire, l'imprévoyance, etc) est
présentée. Ce nlest pas une confrontation entre deux indivi-
dus, mais
l'évolution ordinaire d'un personnage dans son mi-
lieu, ou mieux, par rapport à son milieu. Oublieux, imprévo-
yant ou autrement sujet à l'absence d'intelligence, il est
critiqué par le conte, désapprouvé par le biais de son échec
et de son châtiment.
Ce rapport des choses donne à saisir alors la

139
valeur recherchée par le conte
l'intelligence.
Illustrons ces schémas, et d'abord le premier
Deux personnages (ou deux groupes de personnages)
aux intérêts opposés sont mis en confrontation. Au terme de
ce conflit, le plus intelligent l'emporte sur l'autre, les
deux protagonistes définissant ainsi, l'un par la négative,
l'autre par l'attitude positive, l'intelligence. C'est le
cas dans le conte N° 8 déjà étudié sous d'autres rapports.
ARAIGNEE doit abattre, à l'aide de son sexe, l'i-
roko géant d'ELEPHANT. Sinon il doit mourir.
L'enjeu est donc la personne d'ARAIGNEE, la vie
d'ARAIGNEE. ELEPHANT veut en disroser, ARAIGNEE veut la sauve-
garder. Il y parvient en déterminant judicieusement l'objet
vé rit a bl e des a Il con dam na t ion Il, l a ré ali té qui don ne à son
épreuve sa raison d'être: ELEPHANT; et en l'éliminant par
son Il an ti dot e Il :
un cha s s eu rd' é l é Phan t •
Il s'agit donc clairement de toute une suite de
raisonnements, de rapprochements de faits slapruyant sur le
bon sens, qui mettent en fuite ELEPHANT, élément principal
de l'épreuve et qui annulent ainsi cette dernière et du même
coup, l'opportunité d'abattre l'arbre: c'est une preuve
d'intelligence, d'esprit d'à-propos.
r"l ais cet tell pré sen c e duc ha s s e urd' é1 é Phan t Il ,
ELEPHANT ne put en saisir le caractère simulé (retiré derrière

140
un buisson avec la permission d'ELEPHANT, ARAIGNEE feignit
un dialogue avec un chasseur)
; et surtout, il ne put établir
le lien entre l'impossibilité d'abattre son arbre et le fait
que curieusement, retiré derrière un buisson, il ait subi-
tement rencontré un chasseur dont personne nia senti
l'ap-
proche! .•.
Clest une preuve de sottise que le ridicule (déjà
étudié) qui l'accompagne, disqualifie.
La même situation se présente dans le conte N° 3,
avec l 'opposition de LA CHEVRE au duo PANTHERE-HYENE.
LA CHEVRE, pour échapper à ses assaillants, les
met habilement en confl it en opposant leurs intérêts, et
particulièrement en conditionnant la satisfaction des be-
soins du plus fort par le martyre du plus faible (ceci pour
rendre inévitable le conflit). LA PANïHERE, on le sait, doit
accepter de porter sa tête au feu,
dans une opération de
confection de remèdes destinés à soigner HYENE, grand chef
craint de tous.
Dès lors, occupés à régler à leur niveau, ce nou-
veau conflit, les deux assaillants laissent le champ libre
à
LA CHEVRE qui sauve sa tête: clest une preuve d'intel-
ligence, de prompte appréhension des rapports entre les cho-
ses, à laquelle sloppose la sottise d'HYENE et de LA PANTHERE
qui nlont pu faire le rapprochement entre la position

141
dramatique de LA CHEVRE qui, proie dans cette situation,
était clairement suspecte de chercher à se tirer d'affaire,
et cette curieuse médication dont la préparation nécessite,
comme par hasard, la tête d'une panthère, alors que PANTHERE
venait de pourchasser à mort la soignante 1....
Enfin, de cette même manière, ARAIGNEE, dans le
conte n° 1, épouse, contre le gré du père, la fille de
PANTHERE.
Pour "tirer à lui Il cet enjeu, PANTHERE, on le
sait, impose aux prétendants, l'épreuve de boisson de la
IIbouillie bouillante ll • Mais stupide, la vigilance endormie
par le manque naturel de bon sens, il échoue dans cette
confrontation 00, usant d'audace et de finesse, ARAIGNEE
tourne les choses à son avantage.
Le pro b1è ln e que p0 s e e n réa 1i té lié pre uve est,
pou r 1e s con c ur r e nt s , de pou v0 i r r e f roi d i r 1a- "b 0 ui 11 i e
b0 u i 1 1a nte" pou r 1a b0 ire. ~1 ais, a 10 r s que t 0 us pe r ç 0 i ven t
ainsi quelle e~t la nature du problème, aucun, ARAIGNEE
excepté, n'a l'intuition de la manière dont il faut ~rocéder
à
l'opération sans se faire disqualifier pour la compétition.
Il s'ag-it en fait dans la circonstance, de pouvoir
meubler par des réalités qui s'associent naturellement aux
conditions de l'épreuve établies, le temps mort nécessaire
pour annuler ce qui confère à la situation sa principale

142
difficultés à savoir le caractère bouillant de la bouillie.
ARAIGNEEs par l'éloquences par le sens de l'arts et par une
bonne maîtrise de la psychologie collectives parvient à meu-
bler ce temps mort au terme duquel refroidit la bouillie.
Prenant à dessein quelques spectateurs à témoin pour vérifier
que la bouillie était parfaitement chaudes il crée aussitôt
un véritable phénomène de curiosité collective: chacun tint
absolument à tester par lui-même l'état de cette bouillie.
Il
n'eut plus qu'à agrémenter cette diversion par des refrains
entraînants qui emportèrent la foule
"Alolt.6
Klto-Alta-<'gYl.ée. .6 e. plté,~e.Yl.ta,
d-<.t le. c oa z z .
"Il Ite.m pl-<.t la pe.t-<.t e. c.o.t: e. b a.6.6 e. de. b0 u-<. ll-<' e. q u-<.,
"gôlou
! gôlou
! gôlou ! bou-<'lla-<.t,
m~me. d àns la
"c.ale.ba.6.6e..
Il t-<'e.Yl.t c.e.lle.-c.-<' daYl..6
.6a ma-<'Yl.,
" Et d-<.t
: "li 0 Il e. z do Yl. C.
! li 0 Ue. z !" Al 0 1t.6 -<. l -6 1 altlt ê.:t e.
"de.vaYl.t te.l v-<'e.-<'llaltd c.héYl.u e.Yl. c.haYl.taYl.t (UYl.e. c.haYl.-
".60Yl. de..6
plU-6
ga-<'e..6
e.t de..6
plu.6
e.Yl.tltaZYl.aYl.te.-6)
"Tc.hal<.omaYl.-é-ê.-e
!
"Tc.hal<.omaYl.-é-ê.-ê.-
!
"Tc.hal<.amaYl.-o
! Tc.hal<.ômaYl.-o
"Tc.hal<.ômaYl.-tc.hal<.ômaYl.
! ... "
(1).
"Alolt.6 -<'l pa.6.6 e. e.t lte.pa.6.6 e , mOYl.tltaYl.t c e zz e bou-<'ll-<'e.
"de. It-<'z.
(1) Mots intraduisibles.

143
"
Eh oui
! Le. -6' altltête. de.vant te.f.. c.ompèlte.,
"de.vant te.f.. autlte..
"Lolt-6qu'if.. e.-6-6aie. de. oo s.t.e»: f..a boaif..f..ie. a -6a bouc.he.,
"Te.f.. a-6-6i-6tant f..ui f..anc.e.
:
"Vie.n-6
donc. me. montlte.lt,
"a moi aU-6-6i, f..'intéltie.ult de. eet.t:e c.af..e.ba-6-6e. /"
"Af..olt-6
if.. montlte. f..'intéltie.ult
e.n c.hantant.
"If.. Ite.paltt,
-6'altltête. de.vant te.f.. autlte.,
montlte.
"f..'intéltie.ult de f..a c.af..e.ba-6-6e. e.n c.hantant,
"Et ta u-6
paltte.nt e.n dan-6 e ,
pe.ndant que. f..ui,
"ltythme. e.t dan-6e. de. f..a tête.".
Cette situation définit également l'intelligence:
négative avec PANTHERE qui nia pu déceler une supercherie en
plein jour, triomphante avec ARAIGNEE qui parvint à "r-ou l e r "
toute une foule, et à arracher à un pêre plus-que-difficile
sa fille pour son foyer.
Mais l'intelligence peut être également déduite,
non plus d'une confrontation entre des personnages aux intérêts
divergents, mais de situations se rapportant tout simplement
à
la vie quotidienne des individus. Certes, ces situations
mettent en scêne des courles de personnages, mais ici
l'ac-
cent se trouve moins mis sur 1 'opposition de leurs intérêts
que sur le fait qu'ils doivent résoudre des problêmes immé-
diatement posés par le milieu (la nature physique, les au-
tres congénaires, etc.).
Clest le cas dans le conte N° 14 où l'imprévoyance
dl~R~IGNEE est critiquée.

144
Grand ami d'ELEPHANT, il se rend chez ce dernier
et, usant ou plutôt abusant des droits que lui confère sa
qualité d'hôte et de grand ami, il exige de manger et de dor-
mir dans le ventre d'ELEPHANT.
Il meurt quand, ce dernier, quelque temps plus
tard, en visite chez lui, exige d'être reçu dans la ligne
de l'amitié qulil a tracée: c'est une critique de l'esprit
accaparé par l'instant présent, incapable d'imaginer l'ave-
nir, de s'y projetêr : une critique de l'imprévoyance définis-
sant l'intelligence humaine par son revers.
L'intelligence déduite de la confrontation du per-
sonnage avec son milieu, c'~st également le cas dans le conte
N° 16 00 les Cynocéphales, pris dans le principe de leur pro-
pre jeu dangereux (se frire mutuellement), ne purent déceler
les intentions d'ARAIGNEE qui, les entassant dans une marmite,
les
fait frire pour de bon ...
Ici aussi, critique de l'imprévoyance, de la mauvaise
appréhension des conséquences des choses, qui définit a contra-
rio la réalité de l'intelligence et son utilité pratique.
De même, dans le conte N° 56, ARAIGNEE amène
PHACOCHERE et les autres puissants à détruire toutes leurs
plantations de maTs; dans le conte N° 39, PANTHERE stupide,
naïf, se laisse ligoter par ARAIGNEE qui dispose alors libre-
ment de tout son maïs.

145
E~fin, dans
les contes HO 9 et 63, les ANIMAUX,
oublieux des interdits promulgués, et donc, oublieux de la
Tradition, meurent •••
En d'autres termes, dans les contes populaires,
l'intelligence est définie par la satire de la sottise et
également la caution de tous comportements manifestant sa
présence, quoiqu'elle soit toujours systématiquement relé-
guée au plan des anti-valeurs dès qu'elle se trouve utili-
sée à des fins
incompatibles avec l'importance et la perma-
nence de la vie, comme le révèlent les châtiments réservés
aux personnages "tendeurs de pièges sociaux" (étudiés plus
haut dans la problématique de l'importance de l'homme).
~·lais la mise en évidence de l'existence de l'in-
telligence peut être aussi, comme il a été précédemment an-
noncé, le fait de la satire de l'ignorance et de l'immatu-
rité par le conte.
t)
Ltint~llige"~e .e~t ~~p~imle pa~ la ~~itique
de: l'igYloJta"~e
et· de. l'immatuJt.itl.
Clest un double problème que pose à ce niveau rrécis
la connaissance traditionnelle: celui de la maîtrise de la
"culture" par les individus d'une part, et de leur imprégna-
tion idéologique d'autre part.
Cependant, "culture", "être cultivé", "être inculte",
- - - - - - - - - - - - - - - - - - -
-

146
tout cela apparaît singulier, voire incongru à lier avec
le monde traditionnel
le préjugé de l'écriture, de la
Nouvelle Ecole veut que la "c ulture", comme naguère la
"civilisation", soit du côté de la "mo der nt t
et l'in-
ê
v
,
culture, l~igno~ance, le lot des campagnes, du monde tra-
ditionnel. La mentalité "mo de r ne :", c'est aussi, pour bien
des "l ettrés" africains, celle de l'idée qu'existe entre
le concept de culture et la réalité du monde traditionnel,
une incompatibilité totale.
En réalité, si le monde traditionnel
ignore la
Iett~e et la culture qu'elle transmet, il possède cependant
sa culture à lui, que d'ailleurs les générations de la Nou-
velle Ecole, t~ès souvent, ne possèdent que grossièrement.
Cette culture se définit d.'une part, par la con-
naissance des institutions et de l'organisation de la so-
ci-été, l'assimilation de l'histoire des clans et des
tribus,
la connais.sance du milieu physique et la pratique de tout
ce qui cr e et entretient la vie (l'art, l'artisanat, l'a-
ê
griculture, la më de c t ne, etc)
; la connaissance de la philo-
sophie pratique, etc; et elle se définit d'autre part par
deux modes de transmission: la littérature et les arts d'une
part, l'initiation, de l'autre.
Et l'assimilation de ce contenu de savoir confère
aux individus (absolument nombreux du fait du caractère

147
populaire de la culture ici, en dehors de sa phase excep-
tionnelle qu'est llinitiation à base "s l ec t i vet ) , ce con-
ê
tenu confère aux individus le statut de IIconnaisseurs-des-
c hos e s " (Ilconnaisseurs-de-parolell), c'est-à-dire de "s a qe s :",
d1llassagis ll, autrement dit, de "cu l t t vê s :", en terme occi-
dental.
Cette culture définit une attitude mentale, qui
e·st celle de l'adéquation des individus avec la vérité de la
civilisation traditionnelle (ou imprégnation idéologique),
les deux niveaux (culture et dispositions idéologiques)
constituànt ainsi les deux articulations essentielles du
problème de la connaissance traditionnelle, et leur mise en
relief, 1 lobjet de la critique de l'ignorance et de l'imma-
turité par le conte.
L'ignorance, dans les récits, est en général
igno-
rance des institutions, ce qui donne aux individus sujets à
une telle défaillance, un aspect dtadulte~ ~ot~ et constitue
une véritable dissonnance dans la société.
C'est le cas d'ARAIGNEE qui, dans le conte N° 17,
ayant épousé une nouvelle femme, répudie tranquillement l'an-
cienne : c'est ignorer, dans le cadre de l'institution ma-
trimoniale, le rôle prépondérant de la polygamie.
La société traditionnelle gouro, avons-nous dit,

148
repose sur la force du nombre de bras que procurent deux
structures principales: l'institution du mariage et la né-
cessité d'intégration sociale des individus des lignages.
Ces structures, surtout l'institution du mariage,
connaissent des réglementations particulières qui les ren-
dent efficientes au mieux. Ainsi, pour que le mariage rem-
plisse efficacement son rôle d'institution apportant le ma-
ximum de bienfaits en effectifs humains, conçoit-on que
dans la communauté toutes filles en âge de se marier ne re-
fusent pas la vie conjugale (contes étudiés plus haut), que
la vie conjugale elle-même connaisse·une relative stabilité
( l a femme en fugue d u dom i ci l e con j ugal do i t être Il ama d a uée Il
par quiconque la rencontre, et remise ~ son homme après un
jugement équitable du litige: conte N° 1).
Mais la ol us importante de c.es différentes dispo-
st tto ns de mult.iplication sociale est la polygamie. Elle
procure aux clans la puissance sociale et économique en~ef­
fectifs humains d'abord par le nombre des épouses, ensuite
par celui des
progénitures, en proportion du nombre des
é pous.e s .
Ainsi, la polygamie, qui n'a pas en réalité un ca-
ractère obligatoire, mais qui est cependant ardemment con-
sei11é, (quoiqu'il ne soit pas toujours aisé de faire face ~
plusieurs nécessités de dot), la polygamie apparaît comme un

149
principe, une "institution" au nombre des plus importantes.
Et, suffisamment populaire, son existence dans la
société est connue de tout adulte, comme est reconnue sa
valeur en tant que disposition efficace pour assurer durable-
ment la survie de la communauté.
De la s~rte, lui préférer la monogamie (toutes
considérations relatives â la cherté de la dot étant mises
de côté), c'est faire preuve
d'ignorance et de stupidité,
ne pas percevnir" la nécessité de multiplic.ation sociale.
ARAIGNEE dans le conte N° 17 en question, se dé-
finit de cette façon:
il n1apprêhende pas le problème du
ma r-t a qe au sein de son système social et ses rapports avec
l'activité productive.
Cel a expl ique son châtiment fi na 1.
Nivea'u menta.l et "c ulturel" en discordance avec
son rang dans la hiérarchie sociale (ARA1GNEE symbolise un
adulte), il est attaqué par le conte, d'abord par le biais
du ridicule dont il est accablé par ce dernier, ensuite par
la fin dr~matique que conna't son aventure avec sa nouvelle
femme, celle-ci n'étant en réalité qu t un "a nimal-vengeur"
(entendons: un génie) venu 1 'épouser sous les traits d'une
belle femme.

150
De même, dans le conte N° 7, un PERE qui expulse
de son toit ses sept fils qu'il juge laids, est présenté par
le conte, dans sa partie chantée, comme un "benêt fourvoyé
en plein jour" (lI y eï y e ï lou ... drikôlê lou" -en réalité:
"ye; djéïn i louou ... drikôlê i louou"- c'est-à-dire: "En
plein jour, tu t'es fourvoyé,
tu es dupe ! ... (Homme) rude,
sot ! tu t 1es fourvoyé,
tu es dupe !").
C1est en effet ignorer l'importance de l t homme .
Borné à des considérations de surface (l'esthétique,
l'apparence), le PERE ne put appréhender l'aspect essentiel
de ses fils
leur efficacité sociale, terrain véritable
sur lequel, à juste titre, les jeunes bannis replacent le
problème de leur existence en défrichant dans leur exil, la
portion de forêt familiale que l'âge avancé ne permettait pas
au PERE d'apprêter pour les cultures saisonnières.
Et si, au terme de l'histoire, ce père n'a pas été
o bj et de ch ât i men t c 0 mm e de rè g1 e, c en' es t pas que sas tu :-
pidité ne soit pas reconnue comme telle (la partie chantée du
récit le prou ve ) ; c'est simplement parce que l t o bj ec t i f
visé par le conte ici, est de révéler le principe que quelle
que puisse être l'attitude des IIAinés" et particul ièrement
du père (dans les rapports père-enfants), quelle que soit la
nature de l'erreur qu'ils peuvent commettre par défaillance
de jugement à l'égard des "c a de ts ? , des enfants, ils doivent

151
toujours être pardonnés, car surtout -surtout- ils ne tardent
jamais à reconnaitre leur faute et à s'amender, comme le ré-
vèle la fin du récit: second aspect de cette question de
l'expulsion des sept enfants. Il révèle la nature des rap-
ports immuablement définis entre les catégories sociales,
autrement dit la permanence de la hiérarchie au sein de la
communauté, hiérarchie au sommet de laquelle se détache la
c1a s s e d 1 âge des Ain é s. Et: Pui s i l don ne 1a mes ure de 1 1 i -
gnorance et de la sottise de quiconque (les Cadets en gé-
néral) se rend coupable d'irrespect vis-à-vis du droit
d'aînesse.
En effet, l'ignorance est également critiquée
dans le domaine du respect de la hiérarchie sociale (Aînés-
Cadets-Femmes) qui constitue le fond~ment de la vie commu-
nautaire en pays gouro.
Clest ce que révèle l'échec du BENJAMIN-DES- SEPT
tenant tête à son père dans ce même conte N° 7.
Cet échec exprime à la fois la toute-puissance des
Ai'né·s dans le système communautaire et la sottise qu'il y a
à slopposer à eux.
En général, la prééminence des Aînés est démontrée
par des situations où, les "Jeunes", mécontents des "Vieux",
récriminent contre eux, se séparent dieux d'une façon ou d'une

152
autre, jusqu'à ce qu'acculés par un problème quelconque de
la vie nécessitant l'expérience pratique, ils se tournent
à nouveau vers le Vieux Village: contes N° 46 et 53.
Dans le conte N
7, cette prééminence (et en d'au-
tres termes 11 ignorance et 1a sottise de l'enfant) sont
exprimés par le fait que le BENJAMIN, bien que dans ses bons
droits, reçoit paradoxalement la correction du conte.
Théoriquement en effet, c'est avec raison qui il
agit: répondant à des sollicitations parfaitement humaines,
à des ressentiments propres à quiconque a un peu de dignité,
il se refuse crânement à servir un père qui, chassant de
son toit ses enfants pour "c a us e de l e i de ur
non seulement
v
,
les priva de sa succession, mais blessa à vif leur sentiment
de l'honneur: c'es.t profondément humiliés que les enfants
d~vront désormais passer le reste de leurs jours.
C'est. pourquoi le BENJAMIN, pièc~ sensible du
groupe, réagit.
Il tente à plusieurs reprises de gagner ses frères
a'nés à sa cause (à leur cause). Et, à la fin du récit,
quand la MERE intervient en arbitre pour solliciter leur
pardon à l'égard du PERE et pour les amener à réintégrer le
toit paternel, lucide, constamment égal à lui-même, impla-
cable, il oppose un dernier refus:

153
"Tu nou~ demande~ de vefti~
~i ftOU~ venon~ au village,
"Que t~ouve~a-t-il a 6ai~e maintenant de nou~,
"pui~qu'il n'a pa~ be~oin de n ouë
?
"demande-t-il a ~a ml~e.
"Il ne veut pa~ de nou~. C'e~t toi ~eule qui veux
"de nous : mai;., toi, tu ft' es qu' une ~imple 6emme !"
Mais cAest ignorer la réalité dans laquelle il
vit: le père et d'une façon générale, la classe d'âge des
A'nés est inattaquable.
Au sommet de la hiérarchie sociale, avons-nous
dit plus haut, les A'nés tiennent la destinée de la commu-
na ut
Ils ont entre leurs mains, les principaux "pouvoirs"
ê

Il
pou v0 i r é con 0 mi que"; Il pol i t i que ", Il j udici air e ", quo i que
ceux-ci soient exercés en gènéral en toute équité, avec
esprit démocratique ("11
n t y a pas de fonctions trop s pe -
ë
rées entre gouv~rnants et gouvernés, dit un article de
Barthélémy Kotchy et Memel-Foté, les classes d'âge prenant,
toutes, part ~ la décision et échangeant les rôles politi-
ques") (1).
(1) KOTCHY Barthélémy et MEMEL-Foté : La Critique tradition-
nelle in Le Critique africain et son peuple comme pro-
ducteur de civilisation: Colloque de Yaoundé 16-20 avril
1973 ; Editions Présence Africaine; p. 164.

154
En d'autres termes, la classe d'âge des Aînés est
le centre-directeur de la vie communautaire. Elle gouverne se-
lon des principes éprouvés par le temps, dans une perspective
également éprouvée par les générations.
De la sorte, on ne peut s'opposer à elle sans être
considéré comme individu incapable de reconnaître ce qui a
un caractère vital, autrement dit, comme quelqu'un d'insensé.
Et même lorsque l'opposition, le grief est théo-
riquement justifié par- quelque erreur effective des Aînés,
des Il âgés ", lie s prit r e be 11 e ne peut cep end a n t être t olé ré.
On attend plutôt, comme l'ont démontré les six frères aî-
nés du BENJAMIN, que le Cadet lésé amène pacifiquement l'Ainé
à prendre conscience de sa
faute, étant entendu qu'il fait
toujours amende honorable comme le prouve l'aveu pathétique
du Père à la fin du r!cit
IIC l e s t
la bouche mauvaise qui-
m'avait trahi. Accordez-moi donc grâce !"
Procéder autrement, surtout brutalement à l'encon-
tre de la préservation de la communauté ~st considéré comme
une incom~réhension pure et simple.
On saisit donc les raisons de 1 'échec du BENdAMIN.
Mais, à cette époque où les politiques nationales
sur le continent, procédant par amalgame, s'évertuent à
,
exiger des gouvernes une compréhension indulgente à la "ma-
nière africaine ll ,
un assentiment inconditionnel de leur

155
pratique politique, il convient de lever l'équivoque en
expliquant pourquoi telle conduite sociale valable hier,
ne l'est plus aujourd'hui.
Il Y a en effet une différence fondamentale
entre la "politique 'sociale et économique" de la société
traditionnelle et celle mise en place par les "Indépendan-
ce s" .
Dans l'Afrique traditionnelle (qu'on ne loue pas
ici, en nostalgique singulier, loin de là), même si lla-
bondance ne régnait pas dans les Villages et les Tribus (cela
était parfaitement impossible en un milieu humain 00 l'or-
ganisation productive était des plus précaires), même si
1 labondance ne régnait pas, la communauté assurait à chacun
de ses membres l'essentiel vital comme l'indiquent les
structures sociales séculaires. Le profit et la domination
par le cumul individualiste des biens étaient relativement
inconnus.
Certes, à la téte des lignages, pouvaient se dê-
tacher des personnages exceptionnellement nantis
Mais aux
dires des Anciens eux-mêmes, ces "richesses" étaient le pa-
trimoine de tout un lignage, gérés par quelques individus,
jamais l'instrument d'asservissement ou d'organisation de la
famine des partenaires sociaux.

156
Enfin, même la femme, lésée au départ dans cette
édification de la société communautaire par le fait qu'elle
est objet d'échange dans le système dotal, la femme est par-
faitement intégrée à l'ensemble social, partageant les joies
et les peines de son lignage d'alliance sous la garantie
protectrice de l'absence de profit dans la communauté, et
de 1a pe r ma ne nc e de l ' a f f e c t ion cha 1e ure use pou r l' ê t r e hu-
main dans cette société traditionnelle.
A cette réalité spécifique d'organisation sociale
à
1a que 11e s 1 ide ntif i ent les peu p1es, d'a ns 1aque 11e les i n-
dividus se reconnaissent, 1 'Histoire a substitué un peu par-
tout en terre nègre, une conception de la vie f~ndée sur
la prééminence de l'individu sur la collectivité, la loi du
profit et de l'élitisme ... même au niveau de pratiques so-
ciales souvent intitulées "socialisme à l t a f r ic a i ne " : le
monde africain se tr·ouve basculé à son propre ant~pode, na-
vigué à l'encontre de sa dynamique propre.
On ne peut user de sage patience, de douceur bien-
veillante comme au temps des rapports sociaux traditionnels,
à
lié ga rd de te 11es réa lit é s , pa r c e que t r è s pré c i s é men t ,
elles ne peuvent assurer, même au sein de l'abondance, le
bonheur du plus grand nombre des individus; parce qu'elles
ne sont point dans la ligne juste pour la sauvegarde de la
vie. On ne peut: car la sagesse africaine, quelque pragma-
tique qu'elle soit, nlest jamais cependant l'art de se

157
concilier avec ce qui menace ou détruit la vie.
Par~contre, dans le contexte traditionnel, s'op-
poser d'une façon ou d'une autre à la société communautaire
qui garantissait à tous un certain bonheur, c'était compro-
mettre la vie et la survie de la collectivité (sauf à vou-
loir la transformer véritablement par un projet d'organisa-
tion plus "scientifique", plus efficace, et dans la ligne
de sa dynamique propre - or les conditions objectives ne
s'y prêtaient guère alors ... ).
La- patience, la douceur compréhensive à l'égard
de ceux qui
président aux destinées de tous, étaient plus
que salutaires: elles assuraient une certaine prospérité.
De la- sorte, l'esprit chagrin, le ressentiment
pe-rsonnalisé et outré, en un mot, l'esprit contestat-aire
était un grand mal.
Il
donnait lieu à des manifestations
(réelles ou théoriques) rebelles sans motif essentiellement
valable, le système étant censé être un modèle vital, por~
teur de vie, ce qui
présente l'esprit rebelle comme par-
faitement égar~, profondément insensé.
C'est ainsi que se définit le BENJAMIN en cause.
Violemment opposé à son père, il donne l'image
d'un jeune "inconscient" imprudemment agressif à l'égard de
son géniteur, mais surtout, ignorant les leviers essentiels

158
de la vie qui l'entoure et auxquels est étroitement liée
l'existence del'édifice social: clest un jeune insensé.
Et le ton bienveillant de la narratrice (une fem-
me de cinquante ans environ), à son égard tout au long de
la narration, suggêre cette idée que ce fautif ne pêche que
par jeunesse, par ignorance, qulil a besoin d'être compris
comme tel, et qu'il lui faut apprendre les réalités de la
vie. Son ignorance et son petit orgueil ferme lui coGtent
néanmoins de voir ses frères a'nés, docilement se mettre,
contre son gré et contre son immense rancoeur, au service
de leur pêre injuste, et de devoir se mettre à nouveau, con-
tre son gré toujours, sous la coupe du PERE en réintégrant,
sur l'intervention de leur mè r e , le toit paternel.
Ainsi, cette situation exprime la nature des rap-
po r t s en t r e Il âgé sile t "m 0 i ns âgé s ". l es ra p por t s e nt reg é -
nérations, c'est-à-dire en fait, la prépondérance "économi-
que" et sociale des A'nés dans le systême géronto-phallocra-
tique (ou systême lignager). Mais du même coup également,
c'ette prépondérance permet de définir, à partir des rapports
entre catégories sociales, et par la critique de l'ignorance,
la nécessité pour les individus cadets de reconna,tre la ca-
tégorie des A'nés comme une classe d'âge fondamentale dans
le systême social.

159
Enfin, dans les contes populaires, l'intelligence
(ici, au sens large de sagesse), est exprimée par la cri-
tique de l'absence, chez les individus, des valeurs indis-
pensables pour la construction de la société communautaire,
autrement dit, par la critique de l'immaturité idéologique
des
individus.
Et il s'agit en fait de toutes les valeurs et anti-
valeurs critiquées par le conte et dont les analyses ont
fait l'objet des développements précédents et de ceux qui
vont clore ce chapitre. Rappelons-les brièvement: l'égo'sme
et toutes ses tendances dérivées, le mépris de la vie humai-
ne, le fonctionnement des capacités intellectuelles et le
degré de culture (profane ou ésotérique) des individus.
Toutes constituent, selon la manière dont le conte a pu po-
ser le problème, des états d'inadéquation ou d'adéquation
avec la Tradition, et leur critique, désapprobation ou cau-
t ion, met en é vi den cel es pri nc i pes tr ad ui san t 1 1 ad é qua t ion
idéologique ave c le mo nde traditionnel, c'est-à-dire: l'al-
truisme, le res pect de la vie humaine, l'importance du bon
fonctionnement des capacités intellectuelles et la maîtrise
de la culture ancestrale, profane ou ésotérique.
Et, très précisément, c'est l'expression de cette
adéquation qui, dans les contes populaires, apparaît au ni-
veau des comportements ou des attitudes considérés comme
positifs, comme l'extrême générosité (conte N° 19 où deux

160
amis rivalisent en générosité, l'un offrant sa belle fiancée
à son ami, l'autre, en retour, se tranchant à vif le poi-
gnet pour libérer un bracelet récalcitrant qu'il veut prê-
ter à son ami)
; des comportements positifs comme la mani-
festation par la femme de sentiments générateurs de vie
(conte N° 7 00 la mère des sept enfants intervient dans le
conflit entre les enfants et leur père pour les réconcilier)
des comportements positifs comme le fait d'une compréhension
parfaite des lois du mariage en pays gouro (conte N° 3 où
ECUREUIL-TERRESTRE, arrêtant en chemin la femme d'ARAIGNEE
en fugue du domicile conjugal, règle le litige et réconcilie
les deux époux), et d'autres encore: l'intuition profonde:
conte N° 31, la sagesse parfaite: contes N° 48 et 49 ; etc.
Les valeurs positives ainsi mises en évidence soit
par la caution des comportements positifs, soit par la désap-
probation des actions négatives, constituent l'ensemble des
valeurs d'adéquation à la Tradition, d'imprégnation avec la
Culture traditionnelle, c'est-à-dire l'ensemble des princi-
pes indispensables pour le progrès de la vie communautaire.
Ainsi donc, l'intelligence, tout autant disposition
mentale que forme concrète d'un contenu de savoir, est expri-
mée par la critique de toutes attitudes dénotant une incom-
préhension, un manque de bon sens; par la critique de l'i-
gnorance des réalités essentielles de l'organisation sociale

161
et de la vie, et par la critique de tout défaut d'imprégna-
tion idéologique en matière de Valeurs traditionnelles.
Mais d'un point de vue pratique, elle est tou-
jours disposition â "repérer l'aspect problématique de
toutes situations possibles ll , â "poser tous problèmes avec
justesse" et â "les trancher judicieusement", ce qui
slap-
pelle "wiklôdôtchi ou widôtchi" (notion développée plus
haut), c'est-â-dire en fin de compte, l'art de résoudre
correctement différentes situations critiques pour perpé-
tuer l a vie.
Mais en réalité, elle n'apparaît â tout moment,
aux yeux des peuples gouro, que comme un fragment d'un
savoir â double volet associant l 'objectif et le subjectif,
le profane et l'ésotérique, et qui reste forcément incom-
plet sans son aspect ésotérique, forcément insignifiant pour
le chercheur sans l'étude du "renforcement t n t ti a tt q ue" et
le savoir qu'il confère.
des connaissances surnaturelles
=;==:=~=.='=.=.=== === ==== = = =====.=.=.=.=.==
Ce que nous appellerons "renforcement", c'est la
pos s i bi lité, selon les peu ples go ur 0, d'" a cc é der â lia u- de l â "
de l'espace physique, de "voir" ce qui se situe au-delâ du
rée l e t d' Y Il agi r " : cie s t un pOU v0 i r de" qui t ter san at IJr e Il
pour intégrer celle d'autres étants pour slassurer la maîtrise

162
des choses. Les chasseurs, à ce qui semble, utilisent
couramment cette pratique! ...
Théoriquement, cette opération s'appuie sur la
conception de l'unité essentielle du monde: de la réalité
visible au monde invisible, on conçoit en effet qu'il existe
une parfaite continuité, une parfaite unité. De ce fait, le
passage du monde visible au monde invisible et inversément,
est tout à f~it possible. Et, d'une manière générale, et par
ce principe de continuité, l t t nt e r-ch anqe ab t l t të des choses
est tout également dans l'ordre des choses: toute chose,
tout être peut intégrer une forme autre que sa forme pre-
mière. Toute chose peut se transformer.
Nantis de tels pouvoirs, les individus peuvent
" voir" l'au-delà des choses et y " a g i r " , ou réaliser des
ch 0 s es Il ré put é e's i mp 0 s s i b1es Il
:
ils son tin i t-i és .
Dans les contes populaires, ces réalités se ma-
nifestent en général par l'intervention de la providence
dans le cours de la vie des individus par l'intermédiaire
des animaux ou d'autres êtres.
Par de telles interventions qui
sont toujours la
r!compense de certaines qualités qui distinguent les indi-
vidus, ou la consolation de quelque situation sociale pré-
caire due au rejet d'un membre de la communauté par son

163
entourage, les personnages peuvent accéder à 1 lau-delà des
choses et résoudre des énigmes à caractère humainement im-
possible: ils sont secourus, renforcés.
Mais surtout, ce renforcement, dans les contes,
nlest pas présenté, décrit pour lui-même, mais pour indi-
quer à l'attention de la société réelle qu'il est utile,
voire indispensable d'y recourir pour assurer la maîtrise
des individus sur le réel.
Ainsi, cette nécessité découle d'une part de la
domination des "r-enf or c s " sur le réel, et d'autre part, de
é
la crainte qu'inspirent ceux qu'on désigne du terme de
"t ê t ev f or t e " .
1.
La néc~~~ité d~ ~~nno~c~m~nt (ou initiation)
~~t ~xp~imé~ pa~ ta domination d~~ ~~n6o~cé~
~u~ t~ ~é~t :
Mais elle peut se faire soit par un procédé expli-
cite, soit par une démarche tacite .
•' ~ s_~ s~ 6q~ s~ ~ g.~~ _~ ~-{.~ _~~ _t'~ Qs~~ ~ ~~ _s~ t'~-{.:
cit~
Cela met en scène un lIinitiateur ll (Animal, Revenant,
Gé nies . . .) qui
sou met 1e pers a nnage à une é pre uve de cou ra ge ,
d'~ndurance, ou apprécie quelque autre qualité qui le distin-
gue.

164
Ce qui donne la structure actantielle suivante
1.
Le personnage rencontre 11 Initi ateur qui, de
diverses manières, cherche à lui faire peur, ou le soumet
de toute autre façon à une épreuve.
D'une manière générale, il appara,t apté.
2. L'Initiateur l'initie, le renforce: don d'a-
mulettes protectrices (quelquefois à ingurgiter)
; révéla-
t ion de fo r mu 1e s à pou v0 i r Il sur - na t ure 1Il, etc : c ' est 1a
r~vélation de la connaissance.
3.
Le personnage "vo i t " l'au-delà des choses et
est en mesure de les ma l t r t s e r , (aussi longtemps qu'il peut
man t fes.t.er- les qualités conditionnant le renforcement).
Et ma'·trisant un domaine insolite, capable de
contrecarrer toutes attaques, qu'elles soient objectives ou
i mm a té ri elle s,le pe r son na ge es t don né commes emi - div i n i té
(dans la même acception que le IIhéros ll , demi-dieu chez les
Grecs anciens) : comme tel, il appara,t comme objet d'admi-
ration: c t e st , pour le conte, une exhortation à l'initia-
tion, au renforcement.
C'est le cas, dans notre corpus, du CHASSEUR du
conte N° 18, initié par la MUSARAIGNE.

165
1er temps: le CHASSEUR rencontre la MUSARAIGNE
qui, sous les formes successives du PYTHON, du LEOPARD et
de l'AIGLE, le soumet à des séances atroces de probation
de courage qu'il réussit.
Ayant demandé au CHASSEUR de '1 attendre, la
MUSARAIGNE s'éloigne et disparaît dans la forêt. C'est alors
que commence l'initiation annoncée par le retour, sur ses
tr ace s , d' une Il mus a rai gne b1an che, t 0 ut e b1an che", qui 0 b1i -
qua et d i s pa ru t
: sig ne de l' e nt ré e dan s 1e mon de é s 0 té r i que
(la couleur blanche est celle de l'ésotérie).
Puis vint le PYTHON.
"Longte.mp~
apJtè.~ ~on dé.paJtt,
dJ..t le. c.onte., l'homme.
"e.nte.nd un bJtuJ..t c.ontJ..nu, J..n~olJ..te.
"Va-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a 1"
"- Qu'e.~t-c.e. que. c.'e.~t ?
"EnoJtme. e.t é.noJtme., dé.me.6uJté.,
maJ..~ aloJt~ dé.me.~uJté.
"étaJ..t le. Python quJ.. ~'ame.naJ..t !
"- QuoJ.. ??!
"Un Python é.tonnamme.nt gJ..gante.~que.
Il 6'ame.naJ..t
"- MaJ..~ !! ...
"PoJ..nt J..l ne. c.he.Jtc.haJ..t a é.vJ..te.Jt l'homme. a~~J..~
"Van6 ~a dJ..Jte.c.tJ..on, tout dltoJ..t, tout dltoJ..t, J..l
"~ , a me. naJ..t , l e. Pyth 0 n 9J.. 9ant:e. 6 que. !
"- Mal: ~ ! 1• • •

166
"Avec de~ jet~ de langue menaçant6 et e66~oyable~,
"A.l ~'amenaA.t
"- Ho~~eu~ !!
"Ho~~A.ble, A.l ~'amenaA.t
"Tout d~oA.t, A.l vA.nt et a quelque~ pa~ de l'homme,
"~'A.mmobA.lA.~e et dne s s « 6a tê.te 1
"- A-a-a-aZe III
"L'homme clA.gna de» yeux,
"- RIRES ...
"Se~~a ~ 0 n 6u~A.l
"- Et comment 11
"Le Python 6A.xa da:n-6 ~e~ yeux s c n ~ega~d A.nten~e
"et A.nten-6e.
"L' homme n' eus: pa.s peu~.
Le PYTHON parti, un LEOPARD, toute fureur, toute
violence arrive a son tour
"B~utalement et avec 6o~ce, A.l atte~~A.t a 6e~
"pA.ed-6, 6'a~~A.t en P06A.tA.On de ga~de.
"Ve s es yeux ho~~ de la tê.te, A.l le 6A.xa mécham-
"ment, g~A.nça de6 den~-6, découv~A.~ ~e~ c~oc~
"A.nnomb~able~ et éno~me-6,
"- RIRES,
"Banda ~e-6 mu~cle~ comme poun: bondA.~ ~oudaA.n
"L' homme n' eut pa~ peu~".

167
Puis ce fut le tour de l'AIGLE
"Loultd et pU.{..6.6artt, gout'{' l! '{'t atteltlt.{.t
"It batt.{.t e66ltoyabtemertt de.6 a'{'te.6 !
"-
V.{..6
do rte. !!
" L ' h amm e n ' eut pa.6
pe ult .
Mais au courage du CHASSEUR, il faut ajouter sa
patience extrême. En effet, la MUSARAIGNE ayant demandé qu'il
lia tt end e, a s sis à l a mê me pla ce, i l dem eu ra l à jus qui a ux
heures de midi, alors que les deux se rencontrèrent au petit
matin.
Il e~t de plus en plus convaincu que le temps lui
manquerait pour sa partie de chasse, mais il demeure là tout
de· même, à attendre le retour de la MUSARAIGNE.
Et même, lorsque celle-ci revint enfin pour re-
partir aussitôt sans dire mot de son curieux c~mportement,
li homme ne se découragea pas. 1l pati enta.
"
V'O!yo ns ! C' es t a ta e.ha.6.6 e , et rt art ert
"pltomertade,
que je .6u.{..6
vertu;
POUIt e.helte.hel[ du
"g.{.b.{.elt,
d.{.t-.{.t.
"Je rt'a..{. erte.olte pa.6 e.ha.6.6é
" Le .6 at e'{'t es t
palt vert u au z é rt.{.t h
"Et e.ette MU.6alta.{.grte,
e.epertdartt rte Itev.{.ertt pa.6.
"Que 6a.{.l[e ?

168
"Bon.
J'uae~ai de patience en ~etenant mon 60ie.
"Je ~eate~ai ici d attend~e la Muaa~aigne".
Enfin, l 'Homme est généreux.
Il sauva en effet la MUSARAIGNE de la mort.
Celle-ci, torturée par les siens, ligotée à mort
et abandonnée,ne trouva son salut que dans l'arrivée oppor-
tune du CHASSEUR sur les lieux. L'homme ne fit aucun pro-
bl ème pou r lib é r er l 1 i ncon nue .
2e temps: La MUSARAIGNE, satisfaite de ses dif-
férente-s qualités, l'initia, le renforça. Toujours sous sa
triple forme (qui correspondent en réalité à trois paliers
d'initiation), le PYTHON, le LEOPARD et l'AIGLE, elle lui
fit ingurgiter cinq amulettes destinées à le conforter à
j am ais dans l' art de l a ch as se. LeP YTH 0Net l e LE0PAR D,
a pr ës la récitation de formules rituelles, lui donnèrent
chacun deux amulettes.
L'AIGLE, grand domina-teur de la brousse, ma tr-e
î
incontestable de la chasse lui en livra une en "r c t t a nt "
ë
cette formule de clôture:
"Vana ce paya nôt~e, la B~ou.6.6 e où. nouf! chaf!.6 ons ,
"il n'exi.6te pe~.6onne capable de me. vainc~e
"Point le léo pan d ne. peut m' abatt~ e
"- Eh oui

169
"Le. python point ne. pe.ut m'a.ba.ttJte.
"- Oui !
-Lllllpha.nt point ne. pe.ut m'a.ba.ttJte. !
"C'e.~t mo-<.. qui domine. e.t qui a.ba.t~ !
"- Oui
"J e. vie.n~ à bout du python
"En une. pui~~a.nte. de s e.en t:e ~uJt ~on c ou ,
me.~ ~e.JtJte.~
"que. v o Lc.L, le. tJta.n~pe.Jtc.e.nt es: le. voilà tJta.n~poJttl
"da.n~ t.es a i.s»
"Qu'il ~'a.gi~.6e. même. du Llopa.Jtd tJta.nquille.me.nt
"a.Jt"Jtêt(, i l ~u66it que. je. m'a.ba.tte. pui~.6a.mme.nt .6uJt
"~a. n uqu e , pouJt qu'à t.o u» le..6 c o ups ,
"- Je. l'a. ba.tt e. !!
(1)
"Nul ne. pe.ut me.
va.inc.Jte.
"A ya.nt a.va.ll c.e.tte. a.mule.tte. mie.nne., tu e..6 dl.6 oJtma.i~
" moi, ,:: Ai g l e.
"- Eh oui !
"Si,
a.u c o uJt~ de. xes pa.Jttie.~ de. c.ha.~~ e , tu tiJte..6
"<!IuJt l'lllpha.nt,
"Qu'il te.nte. de. te. tue.Jt,
a.u~~itat, tu e.~ a.igle.,
"pe.Jtc.hl a.u ~omme.t de.~ a.JtbJte..6
!
(1) Formule répétée en choeur par L'Aud i t o i r e .

17 a
"- Sauvé !
"S'it e.s t: c.apabte. de. gJtimpe.Jt, «Lon s i t auJta tout
"toi.6iJt de. te. oaiJte. !
"- Eh oui!
"Et .6'it .6e. oait que. tu le. bte..6.6e..6 tout .6impte.me.nt
"e.t qu'it c.he.Jtc.he. a pJte.ndJte. ta ouite., tu t'e.nvote.Jta.6
"aigte., tu tui c.oupe.Jta.6 ta Jte.tJtaite., tu te. c.haJtge.Jta.6
"a no uv e. au j u.6 qu'a c e. qu'a t» u.6 t es c 0 up.6 ,
"
Tut' abatte..6 !!
(1 1
"Auc.une. divinité n'Cf pouJtJta Jtie.n
"c t es : pouJt e e.t: U.6age. que. je. te. donne. c et.t:« amute.tte..
"C'e..6·t tout.
rIVe. ta pJtopJte. moJtt .6e.ute., tu mouJtJta.6.
"Je. paJt.6".
3e temps: Désormais, le CHASSEUR est investi du
pouvoi r dl intégrer toutes formes,
de se "trans-former", et du
même coup, de sonder la nature des choses, de " voir"au-delà des choses
et de sien méfier ("Quand,
là-bas,
par exemple,
vous tirez un
c.oup de fusil, que les animaux l 'entendent,/De ce côté~ci, ils
d.e vi e nrren t termitières, pierres, arbres,
lui enseigne la
MUSARAIGNE ;/Et vous dites, étonnés, que
le gibier est rare
dans les lieux").
( 1)
For mu 1er pété e e n c h
é
0 e ur
par liA udit 0 ire .

171
Mais considérons de près la formule rituelle de
llAigle : elle révèle par sa forme le processus de l'acquisition
de la connaissance.
Au commencement (au commencement du rituel),
il n'y
a vait que lui, l' Ai g le. Tou tel a pre mi ère par t i e (II Dan s c e
pays nôtre ... Nul ne peut me va i nc r e
toute cette première
v
)
,
partie l'indique. C'est l'expression de sa toute-puissance,
des a s upré mat i e : Il Cie s t moi qui dom i ne e t qui a bat Sil; Il Nul
ne peut me vaincre ll
;
IIJe viens à bout du python ll ;
IIQu'il
s'agisse même du léopard ... il suffit que je m'abatte puissam-
ment sur sa nuque pour q u t
tous les coups/Je l'abatte III
à
Puis, s'effectue son propre IIdédoublement ll en la
personne du CHASSEUR par l' ingurgitation de sa puissance (son
amulette) par celui-ci. Désormais,
le CHASSEUR "e s t " aigle:
IIAyant avalé cette amulette mienne, tu est désormais moi, Aigle!lI.
Cette transition du pouvoir de l'AIGLE à l 'homme est
indiquée du reste, par le passage du IIJe ll de la fonction de
Chasseur, de la puissance de celui-qui-abat-tous, à IITu ll dans
la même fonction,
"Tu " qui, désormais, peut "a ba t t r e " lui aus-
si, Il à t 0 us les cou pS Il
:
Il... tut' env e l 0 ras a i gle. .. jus qu' à
ce qu 1 à tous l es coups/Tu l'abattes ! Il
Désormais, le CHASSEUR, comme l'AIGLE, est grand do-
minateur de la Brousse. Réunissant en lui le Léopard, le Python
et llAigle, le plus grand de tous, plus rien ne sera capable de
le vaincre, ou même de lui résister.
Il pourra venir à bout,
même de l'éléphant.

172
Mieux
aucune divinité ne pourra s'opposer à sa
volonté.
La mort seule - e t encore, ce ne sera pas n'importe
quelle mort, provoquée par qui que ce soit- seule sa propre
mort l'emportera !
Il a la connaissance (symbolisée par 1 1ingurgitation
des amu1ettes- ingurgitation: simple métaphore spatiale pour
exprimer' la possession, la maTtrise intime, désormaus, des cho-
ses) .
Désormais, il peut reconnaTtre les choses au-delà des
choses, sonder l'essence des êtres, "v o i r " le gibier "d e r r i è t e "
le végatal ou le minéral
Ainsi, sous la conduite de la MUSARAIGNE, déchargeant
son fusil
sur' un énorme rocher entouré d'autres rochers, il
met en débandade une colonie de phacochères: première expéri-
mentation des principes: les rochers, c'étaient des phacochè-
res !
~Il ~'~~~lte, dit le conte, et ~u~ cette pie~~e domi-
"na.nte, dé.ch~~ge un te~~ible coup de 6u~il
-
"L~ pie~~e, ~vec violence, ~ebondit, et ~u moment de
"~etombe~, ~etombe ph~cochl~e !
}!jIoilà. 1!
~Celle ~u~ l~quelle il po~~ le pied pou~ ti~e~ le coup,
~gooum ! gooum ! gooum ! gooum ! ~'é.l~nce ph~cochl~e,
~ -
A - ~ - ~ - ~.z e !!

173
"Telle pie~~e ~lo~~, gooum
gooum
gooum
gooum
"dé..t~le ic.i,
"Telle ~u.t~e, gooum
gooum
gooum
gooum
dé..t~le
"là.. !"
Ainsi, par ce rituel, l 'homme acquiert la plus haute
connaissance cynégétique, rituel dont la formule retrace d1ail-
leurs en son sein, toute la démarche initiatique: première
partie de la formule = 1er temps
de la démarche initiatique
l 'homme est soumis à la décharge déclamatoire de l'Aigle, dé-
charge ampoulée de toute sa superbe: il ne sien offusque pas.
Il boit la parole du maTtre.
Deuxième partie de la formule du rituel
("Ayant avalé
cette amulette mienne, tu es désormais moi, Aigle") = 2e temps
de l 'initiation ~ l'AIGLE confère la puissance, c'est-à-dire la
connaissance à l'homme.
Troisième partie dela formule ("Si au cours de tes
parties de chasse ... Je pars") = 3e temps:
l'homme â la con-
naissance. Il pourra se transformer en aigle; vaincre, même
l'éléphant, soumettre la divinité .....
Mais au-delà de la démarche initiatique, qu'est-ce que
le conte donne à saisir? Autrement dit, que signifie ce récit?
On éliminera, comme étant une solution insatisfaisante,
la réponse qui consiste à dire que ce récit est un conte initia-
tique. Une telle réponse n'explique pas le conte. Elle constate
tout simplement son état ponctuel.

174
Or, est-ce possible que les peuples concevant un
art, créant leurs récits,
visent à démontrer que ces productions
~ont tout simplement initiatiques par exemple, nlont de la fi-
nalité que dlêtre vues comme des oeuvres initiatiques? Cela
est peu probable.
Certes, au niveau des contes dits "initatiques",
la
morphologie peut suggérer la démarche initiatique réelle comme
clest le cas du résit n° 18, dont l lanalyse se poursuit; elle
peut suggérer la démarche, quoique cette action soit toujours
tardive,
superfétatoire,
la thématique. révélant immédiatement la
teneur de 11 oeuvre.
Et
la suggestion en question nrest jamais une explica-
tion du récit. Celle-ci doit plutôt consister à démontrer ce
que
le récit donne à comprendre, pas même par la description
de la démarche initiatique en tant que telle, mais par llimpact
de l linitié du renforcé sur le réel.
Là est la prise en compte
du symbolisme du conte.
Mais il
semble que si
la confusion est possible, si
l Ion croit pouvoir privilégier la structure formelle du récit
comme porteuse du sens de celui-ci, clest qu'avec le dévelop-
pement de la science linguistique,
la critique littéraire, fai-
sant sienne la méthode d'approche de cette nouvelle science, a
perdu de vue ce qulest une signification dans le domaine de la
littérature, et particulièrement au niveau de la littérature
dite symbolique.

175
la signification dans le domaine de la littérature
symbolique, n'est pas la vertu des signes de produire n'importe
quel sens.
On aboutirait sinon, à la situation où n'importe quel signe
serait un projet symbolique, et où l 'i nterprétation symbolique
même disparaîtrait sous l'effet de la spéculation arbitraire.
Car le projet symbolique, répétons-le, est une cons-
truction consciente dans laquelle est fixé,
par une sorte d'in-
sémination culturelle, un ou des sens donnés.
Ne pas viser à déterminer ces sens par le démontage de
leur mécanisme propre, c'est se détourner de la signification
des récits pour leur attribuer arbitrairement ce qu'on croît être
leur sens, ou ce qui n'est leur sens qu'accessoirement.
Ainsi donc,
le conte n° 18 est une exhortation à l'ac-
quisition de la science ésotérique:
les prouesses finales
du héros sont révélatrices à ce propos: elles constituent une
complicité avec le héros sur le bien-fondé du renforcement ini-
tiatique. En d1autres termes,
le conte vise à provoquer l'admi-
ration du héros initié, admiration qui se manifeste d'ailleurs
à vif, ouvertement au cours de la narration du récit.
On en jugera par les réactions de l'Auditoire et de
l'Agent rythmique, et par le style dépréciatif du Narrateur à
l'encontre des adversaires du CHASSEUR initié.
la narration est en effet marquée par une suite extrê-
mement riche de manifestations d'approbation de tout ce qui a
trait à la II pu i s s anc e ll de l'Initié.

176
Ainsi, quand llAIGLE déclame au cours du rituel de
l'initiation,
l'Auditoire et l'Agent rythmique soutiennent sa
par 0 lep a r des Il Oui ! Il, des Il Ehou i ! Il, qui ne son t pas des
signes dlacquiescement innocents, mais l'expression d'un ac-
cord profond avec le personnage.
De même, quand le Narrateur dit:
Il
• • •
La pierre,
avec violence rebondit et au moment de retomber, retombe pha-
co ch ère Il,
l 1 Age nt r y t hmi que, a vecu ne e xt r ê mec on vic t ion, a pp ré -
cie:
"Voilà !II, ce qui signifie IIC lest très bien! C'est bien
fait!
I l ,
conviction que nous tâchons de rendre graphiquement
par un double point dlexclamation, et qui est, pour l IAgent ryth-
mique, une prise de position.
Enfin, quand les pierres-phacochères se débandent à
l i a t t a qu e de 11 initié, on entend dans l'auditoire
"A - a -
a - aïe 1". Cri
de joie et d i r on i e à la fois:
il signifie à
v
peu pr ès:
Il Ban de
d' i mbé cil es! Vou s v0 i l à dé mas q ué s , r i d i cul i -
s é s 1 Il
Cie s t af fi r mer son a t tac hem en tau pou v0 ire t à l a vic-
toire du CHASSEUR.
La narration est également l laffirmation ouverte de
la puissance liée au renforcement initiatique. Ainsi,
lorsque
le Narrateur présente théoriquement le CHASSEUR initié se déga-
geant grâce à son pouvoir, d'une situation critique face à
l'éléphant,
l'Agent rythmique avec promptitude et par un signe
de soulagement personnel et de sympathie pour la délivrance du
hé r 0 s , s' é cri e : '1 Sa uvé ! Il (s é que nc e de liA l GLE) .

177
De même, il y a une unanimité spontanée (il est vrai
que la construction de la phrase en Gouro y est pour quelque
chose, mais l'unanimité est tout de même révélatrice) pour at-
tester en un refrain retentissant et plein de conviction que rien
ne peut résister à l'initiateur comme à l'initié:
Il
jus-
qu'à ce qu'à tous les coups /-Je l'abatte !II, Il ••• jusqu'à ce
qu'à tous les coups /-Tu l'abattes lll:
IIJe l t ab a t t e " et IITu
l a be t t e s " étant énoncées en choeur par l'Auditoire, l'Agent
v
rythmique et le Narrateur.
Enfin le Narrateur disqualifie les phacochères:
l'o-
nomatopée IIgooun l gooun
! gooun
!
... 11 exprime
la course lour-
de, maladroite et ridicule d'un sujet jugé balourd, stupide
et ridicule: c'est déprécier ces adversaires ésotériques
de 11 initié, et faire monter ce dernier en flèche par la même
occasion.
En d'autres termes, ces attitudes prises sur le vif,
dans la réalité, sont révélatrices: elles expriment une ~dmira­
tion manifeste du fait de renforcement initiatique.
Il en est de même dans les contes n° 43 et 47 où les
Devins font des prouesses qui
les présentent comme de grands
1nit i é s , de s sem i - div i nit é s .....
Au total,
l'initiation dans les contes peut suivre
une démarche explicite avec un Initiateur, un initiab1e et une
épre uve, de marc heau ter me de 1aque 11e l ' i nit i é a c qui e r t 1a con-
naissance
c'est-à-dire 1 a faculté de "v o i r " au-delà du monde
visible. Cette variété de contes initiatiques, semb1e-t-i1,
est assez rare dans le panorama des contes populaires gouro

178
Mais
il est probable (d'autres récits du même type sont à
chercher), il est probable que tous, pour ce qui est du processus
de l'initiation, satisfassent au schéma précédemment mis en
évidence.
Une toute autre variété de ces contes est celle où
la démarche initiatique est télescopée, tacite.
Il nly a pas d'épreuve à proprement parler. L'Ini-
tiateur constate tout simplement des qualités humaines, des
preuves de vertu chez 11 initiable qui a dû manifester à son
égard ces qualités, ou qui, victime de quelque injustice, a
besoin d'être secouru.
Précisément, à ce niveau,
il
nly a pas à proprement
par l e r dl" 0 uv e r t ure d 1 yeu x au mon dei n vis i b l e Il
(q U 0 i que cel a
puisse être supposé dans la vision symbolique des choses)
:
il y a tout simplement aide providentielle.
Ici s'explicite le
terme de "renforcement".
*
*
*
L'individu est vertueux, généreux. Par ses qualités
hum a i nes,
i l a f ait bon ne i mpre S S ion sur l 1 I nit i a t e ur (.A n i mal ,
Revenant, Génies
... ) : il est initié.
(lest le cas de l 'HOMME
(conte n° 17) renforcé par un
REVENANT.

179
Dans la forêt oD il s'est rendu à la recherche de la
queue-en-diamant du roi des E1éphants,
il évite à un REVENANT
une II mor t ll sûre et certaine en rangeant spontanément sous
un hangar à l'approche d'un orage, les "f t i c he s " de ce dernier
é
absent de son campement, fétiches qU'aucune goutte de pluie
ne devait toucher sous peine d'une mort fatale du propriétai-
re.
Avec la joie immense de celui qui a échappé de jus-
tesse à la mort,
le REVENANT offre à 1 'HOMME une amulette
protectrice, Attoungbké.
Avec l'aide de cette amulette, 1 'HOMME peut trancher
la queue du roi des E1ép~ants malgré une terrible fortifi-
cation autour de ce dernier, fortification faite de sept hautes
murailles concentriques d'éléphants superposés. Par ses con-
sei1s j de prudence et de vigilance à 1 'HOMME, celui-ci peut éga-
lement échapper à la poursuite vengeresse des E1éphants.
Plus tard, enfin,
il parvint à tenir pendant longtemps
en échec son épouse dans une série d'attaques ordonnées, son
épouse qui n'était autre qu'un éléphant vengeur venu à lui sous
les apparences d'une femme.
Sa perte ne sera causée que par son
imprudence et son manque d'organisation -
ayant laissé par mé-
garde Attoungbké à la portée de sa femme-ennemie, celle-ci la
détruisit par le feu,
ce qui transforma 1 'homme en charognard.
Comme on peut le constater, ce conte est extrêmem2nt
riche en symboles:
la perte de 1 'homme par l'imprudence, la
perte par le biais de la femme,
l'affirmation de la sagesse des

180
Vieux (les Eléphants jeunes
avec fougue se ruèrent à la poursuite de
t
1 'HOMME; un seul parmi eux
vieux
pour sa part
prit la
t
t
t
route longtemps après le départ bruyant des jeunes
et en arrière-
t
garde plus que 1ucide
marcha à pas précautionneux
passant
t
t
la brousse au peigne fin par sa vigilance)
; etc. Mais aussi
des symboles plus spécifiques:
le chiffre sept (sept murail-
les concentriques)
; le Charognard (en tant que valeur cosmogo-
nique) etc ...
On ne les étudiera pas tous.
On retiendra seulement (et dans la perspective de
la problématique présente) que 1 'HOMME renforcé par la puissance
de son amulette
parvint à réaliser des prodiges qui font de lui
t
un objet d'admiration pour la société rée11e
et qui
t
t
par voie
de c o ns q ue nc e , constituent une invitation à une telle "protec-
é
t ion" .
On notera également dans ce domaine que le renforce-
ment de l 'HOMME s'effectue avec l'acquisition de l'amulette et
non longtemps après
à la suite de sa conquête des sept murail-
t
les et de la queue-en-diamant (quoique cette victoire
symbo1i-
t
quement
le renforce).
t
La conquête des sept murai1les
bien qu'elle ressemble
t
à une progression initiatique
ne décrit pas en réalité un pro-
t
cessus d'initiation comme il a été précédemment défini. Elle
constitue tout simplement l'expérimentation de la puissance ac-
quise par 1 'Homme. Le nombre des murai11es
hautement symbolique
t
t
il est vrai
néanmoins
n'indique que l'importance de la diffi-
t
t

181
cu1té devant certifier par contre-coup, la puissance du rfn-
forcement de 1 'HOMME.
Aut rem e nt dit, dan s cet t e c a t é g0 rie d(~ con tes, i 1
faut toujours distinguer nettement entre le moment de l'initia-
t ion, a us s i br e f soi t - i 1 etc e qui nie ste n I~ é a 1 i t é qu' une 0 r -
ganisation de l'essai de cette initiation, aussi semblable
qu'elle puisse être à la démarche initi~tique elle-même .
.'
L'individu est victime de l'injustice des siens
sans épreuve,
il est renforcé,
secouru par la providence.
Les "prodiges" qu'il réalise, ne sont pas à propreme1t parler,
de lui, mais découlent de l'action directe, mais c2mouf1ée
de l'Initiateur-providentiel.
Cependant, ds ns la pensée symbolique, on réalise
qu'une telle aide constitue en elle-même une initiation, une
acquisition de connaissance.
C'est le cas de l'ORPHELIN dans le conte nO 13
déjà analysé sous d'autres rapports.
Maltraité par les siens, men2cé de perdre le bénéfi-
ce de 1 'héritage de son père,
l'ORPHELIN rencontre successi-
vement les FOURMIS-MAGNANS,
le SINGE et la VIPERE qui, génies
tutélaires en réalité,
lui prêtent leur concours dans la solu-
tion des énigmes des HABITANTS DU VILLAGE.
Par cette aide,
l'ORPHELIN "peut trier" les grains décortiqués des grains non
décortiqués de deux sacs de riz,
"récolter" des centaines

182
de fruits d'un rônier g{ant et "faire mourir de sa seule voix"
un boeuf.
L'enseignement, ici également est clair: on peut
compter sur l'aide de la Providence; l 'homme, en société, peut
et doit recourir au renforcement.
Mais il faut noter que le renforcement,
ici, ne vient
que concrétiser une victoire théorique du gamin sur le Vil-
lage.
En effet, menacé de perdre la vie, victime de l'injus-
tice des hommes, dans un contexte social oD les maTtrés-mots ~0
sont la vie communautaire, l'importance de la vie humaine ... ,
et oD la tradition elle-même est en pleine gestation, toute
portée vers la recherche des principes de vie (il s'agit, dans
le conte, de l'élaboration de principes juridiques réglant
la sucession), victime de 11 injustice dans u~,lontexte global,
l'enfant s'insère dans la ligne des forces de progrès. Il est
dans ses droits, comme on dit, et donc théoriquement én posi-
tion de l'emporter sur les Villageois.
Mais jeune et surtout, seul contre tout le Village,
sa victoire reste toute théorique, jusqu'à ce que la rende
concrète, le concours opportun des génies-protecteurs (MAGNANS-
SINGE-VIPERE), concours qui est l 'octroi symbolique de con-
naissance au renforcé, mais aussi
j 'expres~ion
de la victoire
toujours fatale des bonnes causes

183
De même, un HOMME dans le conte n° 10, est secouru,
renforcé par un CRAPAUD et un MARGOUILLAT.
En chemin pour les obsèques de son beau-père qui
lui avait arraché la promesse de se laisser couper la tête à
sa mort,
il rencontre l'un après l'autre le CRAPAUD et le
MARGOUILLAT qui
lui promettent leur aide face à ses beaux-
parents. Ainsi,
le lendemain, jour de son exécution, l'homme)
par des "prodiges" parvint à échapper à la mort. Priant les
,
Villageois de le laisser interroger auparavant la Terre et
le Ciel sur la valeur de cette pratique instituée par ses
beaux-parents, il obtint de ces deux divinités
(du CRAPAUD et du MARGOUILLAT en réalité),
la réponse que
jamais une telle ~ratique n'avait été enseignée par elles
aux hommes:
"Non! Ô non! dis-je [", répond la Terre-
Cr "- pau.d ; "r~ 0 n ! ô non ! dis - je! " . Je
nia i j amai s mis cel a
sur les lèvres des hommes !", répond le Ciel-Margouillat.
Ainsi, l'homme put
rester en vie et se présenter
finalement comme ayant épousé i~punément la fille de ce père
qui exigeait, pour lorsq~'il mourrait, la tête de qui voulait
être son gendre:
Il • • •
lâchons cet homme l " d i s e n t
les Vi11a-
geois pe n t qu s . 1111 interroge la Terre et la Terre répond".
é
Et l'Agent rythmique du Narrateur, attestant cette
vérité
Il
_
Eh ou-<.
t"
Et l'Auditoire, manifestement soulagé par la réussi-
te progressive des plans d'action de l'HOMME:

184
" - 0 c.ha..n.c.e. !
"
Me.Jtc.'<'!
Ô me.Jtc.'<' '<'n.6'<'n.'<'me.n.t
!"
Diverses manifestations de joie et de conviction
n'exprimant pas seulement la sympathie pour un héros infortun~
victime des hommes, mais aussi
lladhésion profonde aux pouvoirs
Il sur - na t ure 15"
qui 1er e nfor c e nt, CRAPAU D e t ~1 ARGOUI LLAT de van t
être
considérés ici, non pas comme de vulgaires animaUX de fa-
bles parlant comme les hommes, mais situés sur un plan cosmogo-
nique et pris comme des apparitions "sur-naturelles", des génies
tutélaires dont la protection est l'expression symbolique d'un
octroi de pouvoir, de connaissance.
(lest donc ici également l' illustration des bienfaits
du renforcement providentiel.
Mais examinons le détail de la façon dont a pu s'o~
pérer la victoire de l 'HOMME sur ses beaux-parents, autrement
dit,
la mani~re dont s'est manifestée concrètement la puissance
de renforcement.
Le renforcement ici, comme dans le conte précédent
(conte nO 13), concrétisa une victoire théorique; celle de
l 'HOMME sur ses beaux-parents, victoire des forces de progrès
sur les principaux freins de la Tradition.
Menacé de perdre la vie pour avoir épousé la fille
de son beau-père défunt, l 'HOMME a la charge de sauver sa tête,
de défendre la vie: sa tâche est un aspect de l'orientation
générale de la société traditionnelle.

185
Les beaux-parents, imposant à . qùiconque épouse
leur fille de s'apprêter à mourir,
incarnent une autre tendan-
ce virtuelle de la Tradition.
Confrontées,ces deux tendances nlont d'arbitre,
de juge que la perspective générale de la Tradition elle-même.
Celle-ci dans cette phase critique de son évolution,
tiraillée entre sa propre dynamique et la force qu'impriment
tous ceux qui méprisent la vie humaine, a cependant comme princi-
pe central constant, l'importance de 1 'homme.
De la sorte, toute validité se trouve ôtée à 1 'orien-
tation instaurée par les beaux-parents, tandis que les condi-
tions en place donnent consistance et poids à la position de
l'HOMME.
En effet, risquant sa tête dans une procédure de ma-
riage pervertie, généreux à offrir soixante unités de choses
(ll s o i xa nt e fêll)-pagnes funéraires,
produits de bétail, numé-
raire etc-pour les obsèques de son beau-père;"", 1 1HOMME s'ins-
crit dans la ligne des forces vitales de la société. Face aux
beaux-parents qu'affaiblitet disqualifie une position contraire
à la vie,
il représente la force principale de la confrontation:
il est théoriquement en position de l'emporter.
Mais pris au piège de sa parole donnée, face à l'ex-
trême détermination de ses beaux-parents, sa victoire ne peut
se concrétiser: il a besoin d'un supplément d'être.

186
Aidé par le couple CRAPAUD-MARGOUILLAT symbole
de la vie (Crapaud: utilisé dans la pharmacopée traditionnel-
le, Margouillat: également utilisé dans la pharmacopée,
mais aussi, symbole de virilité .. . ), aidé par ce couple, il
l'emporte définitivement, ouvertement.
Et cela constitue une victoire de la Tradition sur
elle-même.
Les forces décadentes anihilées par sa volonté d'en-
tretenir la vie, elle se surpasse, fait un pas en avant.
Enfin, sans épreuve particuli~re, le JEUNE PARALYTI-
QUE et le PETIT AVEUGLE dans le conte n° 12, obtiennent une
peut
guérison telle qU'on/les classer dans la catégorie des renforcés.
Né g l i gé spa r leu r en t 0 ur age (II... qua nd les ge nspa r -
tent à présent pour les champs,
ils ne réservent plus de nour-
rit ure s pou r eux, a upr s d' eux Il ), né g l i gé s , ils déc ide nt des e
è
rendre eux-mêmes aux champs pour se trouver à manger.
Dans les champs,
ils trouvent un crapaud que le
JEUNE PARALYTIQUE,par malignité, essaya de faire manger au PETIT
AVEU3LE et dont le jus, jaillissant dans les yeux de ce dernier,
le guérit, tandis que le paralytique recouvre l'usage de ses
jambes par la simple perspective de voir que le crapaud allait
être lancé sur lui par son compagnon.

187
Ce récit, malgré quelques traits spécifiques qui
le
distinguent du schéma de renforcement des déshérités victimes
d'injustice, s'inscrit cependant dans cette catégorie de contes.
L'Initiateur (la Providence) ici, en effet, n t a i de
pas à résoudre, comme dans les cas précédents,
la question
apparente qui tourmente les initiables, la faim, mais un problè-
me indirect, apparemment inopportun et qui constitue en réalité
la cause souterraine de leur état dlaffamés : leur infirmité.
Par ailleurs,
il nia pas une présence concrète, ac-
tive dans le récit comme clest le cas dans les contes précédents:
on le devine IIderrière ll le crapaud et son action thérapeutique
sur les deux jeunes infirmes.
Cependant, ce récit s'analyse comme tous les autres
ayant trait au renforcement par suite d'injustice.
En effet, aidés par l'action bienfaisante du crapaud,
ils recouvrent la santé, c'est-à-dire la possibilité de prendre
part désormais à la vie de la communauté et de se mettre à l labri
du besoin.
Et on peut considérer que cette guérison (acte de
"tr ans-tormatton ,II en quelque sorte) représente aussi une acquisi-
tion de connaissance dans la vision symbolique des choses.
Clest ici également l 'illustration et llenseignement
de la vérité de l'intervention de la Providence dans la vie des
hommes.

188
Au total,
les initiés, les renforcés dominent sur
1e rée 1, a c co mpli s sen t des Il pro d i ge s Il
par sui te de lia c qui s i -
tion symbolique de connaissances "sur-naturelles" ; ce qui cons-
titue pour le conte, une exhortation indirecte à 1 1adhésion à
la pensée ésotérique et à la pratique de II r e nforcement".
Mais, comme il a été annoncé plus haut, cette exhor-
tation s'exprime également par la crainte qu'inspirent ceux
qu10n désigne du terme de IItête-forte".
l. La. né.c.e..o.o-tté. de. -"te.noü oJtc.e.me.nt e..ot ~xpJt-tmé.e. pa.Jt ,fa.
c.Jta.-tnte. Qu'-tn.op-tJte.nt ,fe..o tête..o noJtte..o
Les Il
tête-forte"
(wouotà p1êp1êmàn), dans la vision
des choses chez les Gouro, sont les individus qui, de naissance,
ont des dispositions ou des prédispositions à la "voyance",
"Favorisés" par leur II c h i f f r e de naissance", ou de toutes autres
manières,
ils apparaissent comme des II r e nf or c é s nature1s ll •
Les facteurs d'un tel renforcement relèvent d'un sym-
bolisme tout à fait particulier, directement lié à la vision du
monde des peuples, tels que leur étude, nécessitant d'autres ty-
pes d'informations préalables, ne pouvait être en fait envisagée
dans la rubrique des II s ymbo 1e s dramatiques ll ,
rattachés eux,
aux actions des personnages et qui constituent 1 'objet essentiel
de notre propos.
Bon nombre d'entre eux, cependant, conditionnent im~
médiatement la compréhension de certains aspects particuliers
des récits et intriguent littéralement par leur fréquence

189
dans les contes : don de c~nq amulette~ au chasseur (conte
n° 18)
; interdit du nombJ1.e dJ..x. (conte n° 9)
; Ille MARGOUILLAT
répondit tJ1.oJ..~ 6oJ..~ lui a us s i " ; les "Sept Enfants-aux-
clavicules-creuses ll ,
etc ...
Avec l laide précieuse d'informations collectées dans
le village de Konéfla (Tribu Nannan, sous-préfecture de Sinfra),
on essaiera de les comprendre parce qu'ils serviront à définir
dans un prochain chapitre, les fondements théoriques de l'énon-
ciation des contes populaires, et à élucider dans l'immédiat,
certains thèmes de récits, comme particulièrement, le conte nO]
de notre corpus.
Celui-ci met en scène, on l la vu plus haut, un enfant,
un gamin en révolte ouverte contre son père à propos de ce qu'il
a pu juger comme une injustice profonde.
Il échoua
mais chose
étonnante dans ce contexte social où la "d v
é
i an c e " à l'égard
des principes de la Tradition est sévèrement critiquée, écartée
pratiquement sans compromis, on perçoit une certaine complicité
du conte avec l'enfant, cela pouvant se lire, même dans le style
de la narration, dans la
bienveillance maternelle de la narratri-
ce.
Autrement dit,
l 'enfant est terrible, défiant en
fin de compte,
les hiérarchies traditionnelles. Mais
il est
l 'objet d'un certain ménagement. On ne songe pas à le contra-
rier. On perçoit en lui quelque chose qui
le dépasse et qu10n
tient pour principal responsable de son
impétuosité juvénile.
De sorte que s'il échoua au terme du conflit, ce fut visiblement
pour une question de principe routinier propre à tout conserva-
tisme social. Car le problème que posent les relations de l'en-

190
tourage avec lui, est plus spécifiquement la crainte indéniable
qulil
inspire vaguement à tous.
Septième enfant,
le BENJAMIN-DES-SEPT est considéré
comme un renforcé, et comme tel, ménagé.
Clest que, dans la vision des choses chez les Gouro,
le chiffre II sept ll est un des plus ésotériques. Comme IItrois ll ,
comme "cinq" et comme "neuf"
... il
"renferme" le "dû" des
Défunts Ancêtres,
la "part espérée" de Ceux-d'Au-delà.
Clest un réceptable des "forces vitales" des "Initia-
teurs" en généra 1.
Tout comme "trois" qui
indique en fait la structure-
type de ce système, il est donné comme la réalisation d'un par-
tage entre trois éléments possibles (deux "peuples belligérants
à réconcilier" et le monde des Ancêtres), partage ou la part de
ces derniers,constituée par une unité symbolique et leur concours
mêmeJsont d'une importance capitale.
Clest ce qui apparaît dans les explications dlun de
nos
informateurs, M. Tchessé-Bi Gohoré (38 ans environ; village:
Konéfla) .
Pour ,la compréhension de quelques symboles spécifiques
des contes populaires (ceux qui ne relèvent pas des actions des
personnages), nous avions posé aux habitants du village suscep-
tibles de nous éclairer,
la question suivante:

191
"Ùn ~a.J.t que. -f.e. c.onte. e.~t un ~ymbo-f.e. ["un gJr.a.nd pJr.o-
ve.Jr.be."J
pouJr. e.x.p-f.J.que.Jr. que.-f.que. c.ho~e.. Qua.nd J.-f. e.~t
na.Jr.Jr.é, on ~a.J.~J.t, pa.Jr. un Jr.a.ppJr.oc.he.me.nt a.na.-f.ogJ.que.
de.~ 6a.J.t~,
c.e. qu~ e.~t donné a c.ompJr.e.ndJr.e..
Ma.J.~, a.-f.oJr.~,
que. ~J.gnJ.6J.e.nt tou~ -f.e.~ a.utJr.e.~ "pe.tJ.t~
~ymbo-f.e.~"
quJ. .s e tJr.ouve.nt a -f. 1 ùt:téJr.J.e.uJr. : pa.Jr. e.x.e.m-
Jr.e.mè-de.~
âan s -f.a. bouc.he. de. te.-f. homme." ; "A te.-f. pe.Jr.~on-
na.ge. une. que.~tJ.on a. étt po~ée. tJr.oJ.~ 60J.~ ; J.-f. a. Jr.épon-
du tJr.oJ.~ 60J.~ "; "Te.-f. c.ha.~~e.uJr.a. Jr.e.ç.u d'un GénJ.e.,
Ùu e.nc.oJr.e. -f.e.~ a.n~ma.ux. C.Omme.
AJr.a.J.gnée., Hyè-ne.,
Pa.n~hè.Jr.e., TonnJ.n (1 J, TOJr.tue., e.tc. ...
Que. ~J.gnJ.6J.e. tout c.e.-f.a. da.n~ -f.e.~ c.onte.~ ?"
(2J.
Réponse de l'informateur à propos des chiffres
"Au te.mp~ où. -f.e.~ TJr.J.bu~
~e. 6a.J.~a.J.e.nt -f.a. gue.Jr.Jr.e.,
"-f.oJr.~que. ·le.~ ho~tJ.-f.J.té~ éta.J.e.nt te.Jr.mJ.né.e.~, et: qu'on
"de.va.J.t ~e. Jr.é.c.onc.J.lJ.e.Jr., toJ. quJ. a.spJr.ovoqué. -f.e. dé.-
"~a.~tJr.e., t.o ; quJ. a.~ tOJr.t, tu a.c.quJ.tta.J./!:J une. a.me.nde.
"de. tJr.oJ.~ unJ.té.~ de. ch ose» ("6ê. ya. a. " -
"TJr.oJ.~ ch ose s"
" -
b0 vJ.n.s , a. u L'1. e. ~ pJr. 0du J.. t: ~ d e. bé. ta. J.. -f. ...)
(1) Animal de la famille des bovidés; pelage gris-clair.
(2) Enquête conduite par M. Lia-Bi Douayoua Théodule et Mlle
Hél~ne N'Gbesso, Eté 79.

192
"Ce..6 tJto,Lo un-<..té.-6 de. cho se:s ,
on .f.e.-6 paJttage. é.qu-<..ta-
"b.f.e.me.nt e.ntJte. .f.e.-6 de.ux paJtt-<..e.-6 qu~ -6e. -6ont c.ombattue.-6.
"Ma-<"-6 on pJté.vo-<"t une. autJte. paJtt -6lJmbo.f.-<"que. pouJt .f.e.-6
"Anc.~tJte.-6.
CaJt -<...f.-6 pJté.-6-<"de.nt au Jt~g.f.e.me.nt 6-<"na.f. de.
".f.a pa~x. On donne. .f.e.uJt paJtt. C'e.-6t pouJtquo-<" on de.man-
"de. tJto-<"-6 un-<..té.-6 de. c.ho-6e.-6 a c.e.ux qu-<" ont .f.a c.au-6e.
"mauva-<"-6e..
"Et m~me. -6-<" on de.mande. -6e.pt un-<..té.-6 de. c.ho-6e.-6 a que..f.-
"qu'un qu-<" a .f.a c.aU-6e. mauva-<"-6e., on 6a-<..t é.qu-<"tab.f.e.me.nt
".f.e. paJttage. e.ntJte. .f.e.-6 de.ux paJtt-<..e.-6 e.n d-<"-6c.oJtde. e.t on
"donne. un pe.u pouJt .f.e.-6 Anc.~tJte.-6.
"C'e.-6t c.e..f.a qu-<" 6a-<..t que. .f.oJt-6qu'on ac.c.omp.f.-<"t que..f.que.
"eh ose. que. c e so c; -
d' -<"mpoJttanc.e. -
.f.e.-6 "tJto-<"-6" et
"ou txe s ne manquent [amai.s'",
"C'e-6t a-<"n-6-<" que -6ont c.e.-6 c.ho-6e-6-.f.a".
Cette déclaration nlest pas un mythe
mais plutôt
t
une 1égence
c'est-à-dire une production non-imaginaire
rela-
t
t
tant des faits historiques.
Cependant, il n t e s t pas douteux que cette légende
puisse avoir une version véritablement mythique que nous ignorons.
E11ea en effet, du mythe,
la fonction essentielle de servir
de schéma explicatif à la vie et à la conception du monde des
peuples gouro.
Dans sa présentation sommaire, elle constitue une
véritable "t h o r t e
d
e s s e nc e des relations
é
v
,
i
un e part, de l v
humaines toujours "tri-latérales" et de l'autre, du symbolisme
des nombres. On exploitera plus loin le premier aspect de cette
"théorie".

193
Retenons pour llheure, les vérités suivantes en
rapport avec le symbolisme des nombres
1) Lallpart ll des Ancêtres et de tous IICeux du monde
invisible ll est une petite portion, une parcelle infime des
choses: c'est une unité symbolique:
Il
• • •
on donne un peu
pour les Ancêtres ll.
Théoriquement, clest l ·unité qui reste lorsque le
par ta ge a fin i d 1 ê t r e e f f e ct ué Il é qui ta b lem en t Il
:
c ' est - à - d ire
Il 1 11
dan s lep art age e nt r e deux, de Il 3 Il,
Il 7 Il,
e tau s s ide Il 5 Il ,
119 11, et en fait,
de tous les impairs. Ce t t e s un i t
appartient aux
é
IIInvisibles ll.
2) Elle associe symboliquement Ancêtres et Génies
tutélaires
à la vie des Vivants, au point que ceux-là II prési-
dent" à cette vie.
3) Ainsi, elle charge intensément de sens les chif-
fres 113 11, 115 11, 117 11, 119 11, et bien des nombres impairs,
les distin-
gue des chiffres et nombres pairs et fait des impairs, des chif-
fres et nombres éminemment ésotériques --dlaucuns diraient
IIsacrésll.
A la lumière de ces vérités que, bien entendu,on
peut encore creuser, approfondir, on comprend pourquoi II ci nqll
amulettes furent offertes au CHASSEUR dans le conte nO 18, c'est-
à-dire pourquoi, alors que le PYTHON et le LEOPARD ayant gratifié
l 'homme de deux amulettes chacun,
l'AIGLE se contenta de n1en
donner qu'une seule.

194
Cette amulette unique en r~alit~, est celle qui fait
entrer en cet homme la manifestation des génies,
la puissance
des d t vi n i t
s . Clest elle qui, associant les puissances "sur-
é
na tu rel 1es Il, po rte à 1 1U 1t im e pe r f e ct ion, 1e pro ces sus in i t i a t i -
que entam~ par le PYTHON et le LEOPARD, symboles de la phase pu-
rement "humaine" de l'initiation. Elle explique que l'AIGLE)
de tous les maltres de la Brousse, est le plus grand, celui qui ,
dans le IIdétriplement ll de la MUSARAIGNE, repr~sentant
la "part"
~sot~rique des Invisibles, est ~troitement associ~ à la puissan-
ce des divinit~s. Et cela r~vèle qu1avec son intervention, le
CHASSEUR put acqu~rir la phase achev~e de la connaissance cyn~g~­
tique.
Les v~rit~s du symbolisme des nombres permettent ~ga­
lement de comprendre bien des r~f~rences pr~cises au chiffre
"3", le plus fr~quent de tous dans la parole du conte: ces r~­
férences visent à placer les faits dans un contexte ~sot~rique
et, de cette façon,
à leur donner une certaine validit~ et crédi-
bilit~ par la vision du monde qui soutend le chiffre.
Elles expliquent également ce que signifie, dans le
conte n° 9, 1 'interdit du nombre "10" par le DIEU DES ANIMAUX:
le conte vise à attirer une attention particulière sur le chif-
fre "9 11 comme valeur ~sotérique, nettement plus chargé de signi-
fications que le nombre 1110" (le Dieu des Animaux ayant perdu
son dixième enfant,interdit aux Animaux
toute r~f~rence au
nom br e dix : 1e chi f f r e Il 9 Il do i t ê t rel 1u1 t i me, 1e se u i 1 in f r a n-
chissable 2n tous domaines)
: le conte met 1 laccent sur llimpor-
tance de toutes neuvièmes choses, et singulièrement des neuvièmes
prog~nitures : elles abritent la IIpr~sence" des "Invisibles" ....

195
Cette vision philosophique des nombres explique éga-
lement pourquoi, malgré son caractère terrible,
le BENJAMIN-DES-
SEPT est ménagé par son entourage: clest un réceptable des
divinités, une sorte de II r e nforcé naturel li.
Septième enfant, il a en lui,
la parcelle de vie éso-
térique qui associe naturellement les êtres à la puissance du
monde invisible.
Et cette association,
ici, apparaît particulièrement
étroite, renforcée:
le chiffre II s e pt ll, hormis le nombre 114911
(qui est en fait sept fois sept, -
"s e pt , sept, sept f o i s "
disent les Goura),
le chiffre II sept ll est considéré comme le plus
ésotérique de tous.
Dans sa composition ontologique telle qu'elle fut
précédemment analysée,
il renferme en effet, à la différence avec
les chiffres 113 11, 115 11, et 119 11, trois II pa rts ll, trois II présences li
intimes des IISurnaturelsll.
Ana lys a b l e en Il 3II e t Il 3 Il e t
Il 1 11 ,
les de u x Il 3 Il r est e nt
encore décomposables en unllpartage ll où apparaissent deux autres
Il uni tés
s ym bol i que s "; de ux au t r es Il par t s Il des Il In vis i b les Il •
Ainsi, de naissance,
le BENJAMIN a des dispositions
qui 11 lIassocientli avant toute initiation véritable à la II présen-
c e " des divinités, des Initiateurs. Et cela explique pourquoi
il est l'objet d I une certaine crainte, d t un ménagement.
Llentourage ne le brusque pas. On estime qulil con-
vient de llamener à la patience, à la raison par la douceur,
la conciliation.

196
Ainsi, cette tentative de ses frères aînés de
le raisonner:
"Eux.,
.lu-i. d-i.-6e.n.t, Jr.appoJr.te. .le.c.on.te.uJr.
"Tu -6a-i.-6,
" Ce. pè.Jr. e. n. ôtJr. e.
"Nou-6 paJr.alt tout -6-i.mp.le.me.n.t -6tup-i.de..
"I.l a eu un. c.ompoJr.te.me.n.t -i.n.-6e.n.-6é.. c i e.s: tout.
"S-i.n.on., -i.l n.'a pe.Jr.-6on.n.e. d'autJr.e. pouJr. tJr.ava-i..l.le.Jr. pouJr.
".lu-i.
"I.l e.-6t de.ve.n.u v-i.e.ux..
"
Eh ou-i. !
"LoJr.-6qu' -i..l v-i.e.n.t au c.hamp, -i..l tJr.ava-i..lle. a pe.-i.n.e.
"CompJr.e.n.oY/.-6 don.c. : c.omme.n.t dan.-6 c.e.-6 c.on.d-i.t-i.on.-6
"NotJr.e. mè.Jr.e. tJr.ouve.Jr.a a man.ge.Jr. ?
"Ca». n.oDte. mè.Jr.e., e..l.le., n ' est: pa-6 6aut-i.ve. !"
Mais mieux que cette attitude des frères aînés
alors qu'il ne profère que des paroles terribles, des paroles
graves, outrageantes (IlVoyez donc! mon père et ma mère - père
taillé en toute beauté, sans défaut, mère taillée en toute
beauté, sans défaut - ils arrivent !~, alors qu'il ne profère
que de telles injures qui d'ordinaire méritent correctjflns, on ne
voit rien dans le conte qui vise directement à le contredire sur
un tel chapitre.
Et la narration elle-même est révélatrice à ce pro-
pos
: alors que le récit se veut quelquefois dur pour l'enfant
1I1'enfant t e r r i b l e ? ,
Ille sorcier lll, 1I1'intenable ll , etc ... sont
ses attributs-les intonations narratives qu'il est dommage

197
qu'on ne puisse pas rendre autrement,
indiquent pour leur
part une bonne affection secrète pour le BENJAMIN, affection
qui ne fait que traduire les senti.ments des personnages eux-
mêmes.
Tout cela amène à dire que
l'enfant a un certain
ascendant sur son entourage, même si cela nia pas l'intensité
des "p ouvo i r s " qu'exercent sur leur milieu ceux qu'on considère
comme véritablement
lIinitiés ll.
Enfin, on comprend également pourquoi dans le conte
n° 59, c'est le septième jeune homme que
le GENIE-DE-MORT initia,
et qui obtint la main de la jeune fille que tous courtisaient.
Toutes ces démarches visent à présenter l'ésotérisme
comme valeur positive. Ainsi donc,
l 'hexhortation à cette prati-
que peut s'exprimer dans les contes populaires par l'effet que
les renforcés naturels ou tête-forte produisent sur leur entou-
rage.
Au total, dans les contes populaires, l'encoura-
g'e men t à lac 0 nnais san ce é sot ri que rés u1te d
é
1 une
par t, de
lalldomination ll des initiés et des renforcés de l'univers ima-
ginaire des récits sur le réel et d'autre part, de l'ascendant
que peuvent avoir dans le même conteste, les tête-forte sur leur
milieu social.
Par l'initiation ou par le renforcement-profidentiel
considéré également comme une accession à cette connaissance
seconde, les personnages, forts de cet ordre de savoir, peuvent
sonder l'essence des choses et les soumettre.

198
Cette vérité est renforcée par le conte en une dé-
monstration a contrario par le fait que se trouve soumis aux
choses tout personnage ignorant cette connaissance seconde,
sur-naturelle, ou la possédant avec des défaillances relatives
aux qualités requises dans le domaine. Ainsi, on a pu voir que
dans le conte n° 17, l 'HOMME, parce qu'il était sujet à l'im-
prudence, à la surexcitation et au désordre pratique, avait fini
par être la proie facile de son
lIépouse ll ,
éléphant vengeur des
Eléphants, venu à lui sous les apparences d'une femme
plus que la révélation des défaillances - qui
- tuent - l'initié,
clest la démonstration d'une insuffisance de connaissance au
nive a u de l ' h0 mme.
Dans le même ordre d'idées, on peut comprendre
qu'ARAIGNEE n'est pas au fait de la subtile connaissance seconde,
lui qui, dans le conte n° 19, épousa sans méfiance aucune, une
femme-Biche vengeresse, et qui reçut de cette dernière, dans
une impuissance absolue, forces corrections et humiliations pen-
dant la nuit de noce~.
Ainsi, par ces démonstrations, les attitudes des
personnages initiés ou renforcés sont données par le conte
comme des II modè l e s ll tout comme au niveau des autres valeurs
étudiées dans la première partie du chapitre, les comportements
une fois passés au crible du jugement du conte.
Enfin, les deux catégories sous lesquelles sont ran-
gés les personnages (initiés, ceux qui accèdent à la connaissance
seconde par une démarche particulière, explicite; renforcés,
ceux qui reçoivent une aide providentielle directe - considérée

199
également comme une acquisition de connaissance), ces deux
catégories, par leur réalité, obligent à revoir la définition
classique de ces contes en question.
Ils sont habituellement définis comme des "c ont e s
initiatiques ll •
Mais, à llévidence, cette définition apparaît
toute restrictive. Elle exclut notamment tous les contes ne
présentant pas une IIdémarche initiatique explicite ll •
On palliera à cette insuffisance en présentant plus
largement ces contes comme des contes ésotériques.
En effet, qu t e l l e s soient explicites ou " t
t e s c o pée s ",
é
toutes ces démarches initiatiques, qui ne sont en fait que des
actions des personnages, des comportements ou attitudes des
actants, constituent une seule et même idée exprimée par diffé-
rents modes de développement, une seule et même donnée thémati-
que:
l'ésotérisme.
Cette définition avec l'indice thématique qui
la pré-
cise, éviterait à la critique de ranger dans la catégorie des
II c ontes initiatiques ll bien des contes qui, cependant ne dévelop-
pent aucune idée ésotérique, aucune question dlaccession à la
con nais san ce Il sur - na t ure l l e Il •
Cependant, comment définir de nos jours la probléma-
tique de l'ésotérisme dans la vie sociale ?-
*
*
*

200
Dans le milieu traditionnel gouro,
l'ésotérisme est
une valeur positive:
il
permet une prise directe sur le réel.
Mais à l lapprécier objectivement, on comprend son
rôle parfaitement néfaste sur le développement de la civilisa-
tion du monde paysan: c'est l'un des tout premiers facteurs de
la faiblesse technologique de cette civilisation. Il exprime
en effet la faillite de la rationalité face aux grands problè-
mes de l'existence. Certes, nul ne peut nier au monde tradition-
nel,
l'usage de l'intelligence objective. Clest une nécessité
de la vie humaine, un attribut essentiel de l'homme.
Mais coexistant avec la possibilité-de-recours-à-
la-Providence, aux puissances surnaturelles, celle-ci prime
sur elle et la supplante littéralement.
Le recours aux puissances surnaturelles -
que l i a n-
thropo1ogie classique désigne du terme de II r eligion ll ou de
IIsacréll- est une action non médiatisée par quelque moyen maté-
riel extérieur que ce soit: une action immédiate sur le réel.
C'est une communion avec les choses.
I lof f r e a i ns ide s Il fa cil i tés Il 0 Pé rat 0 ire s rel a t ive s
et suscite un engouement.
Dl un usage développé, et surtout, appliqué dans maints
secteurs vitaux
de l'existence, dans la II s o1 ution" de questions
importantes comme la quête de prospérité sociale et économique,
il se constitue en une deuxième faculté d'appréhension des
choses et affecte et détermine le mode de pensée qui se donne

201
comme ~~~at~onne~.
On a pu voir à cet effet, au niveau des ana-
lyses précédentes, des contes (contes n° 10, n° 13), où,
se substituant à l lintelligence rationnelle,
il permettait aux
personnages en situation critiques, de résoudre des énigmes don-
nés comme impossibles.
Communion avec les choses, il exclut opposition opé-
ratoire aux choses lors même qu'elles doivent être réduites,
transformées; mais surtout, et pour cette raison,
il annihile
le besoin de recherches actives et de développement des moyens
matériels objectifs de lutte pour la transformation de plus
en plus poussée du milieu.
Cet état de chose (et plus spécifiquement l'anéantis-
sement du besoin de développer des moyens objectifs d'exploitation
du milieu), conjuguant ses effets avec le conservatisme social
de l'organisation de la vie,permet d'expliquer schématiquement
le mécanisme de la faiblesse technologique du monde traditionnel
gouro et d'une façon générale la faiblesse technologique de la
civilisation paysanne africaine.
L'enseignement à tirer de cette conception des cho-
ses, clest que l'esprit positif est le tout premier élément, la
modalité fondamentale du développement des civilisations histo-
riquement compétitives.
Ceci est d'autant plus vrai que les civilisations
techniciennes modernes dont la prospérité technologique et éco-
nomique force de nos jours l'admiration, tant qu'elles ont vécu
dans des structures mentales dominées par la II pe ns é e magique ll

202
par la communion avec le milieu environnant (jusqu'âu Moyen
Age environ pour l 'Occident européen), connurent un développement
aussi médiocre que celui présenté par la civilisation tradi-
tionnelle africaine considérée dans le contexte historique ac-
tuel. Elles n'accèdent à la prospérité sociale, économique et
militaire qu1avec l'appropriation et le développement systémati-
que de l'esprit positif (à partir de la seconde moitié du Ile
siècle pour l'Occident français).
Le même développement des structures mentales (par
le progrès de la scolarisation et par l'éducation civique des
masses, d'une part, et de l'autre, par la lutte contre toutes
formes de pensée ~agique, traditionnelles ou modernes, des égli-
ses ou des sectes), permettrait de placer la civilisation afri-
caine en général dans une perspective cohérente pour la percep-
tion exacte du problème essentiel qui est à l 'heure actuelle, le
sien et la juste solution de celui-ci.
La pensée magique, en invitant à la communion avec
les choses, à la communion avec des situations de crise, égare
les énergies opératoires. De plus, elle ne résoud pas les con-
tradictions de l 'existence des hommes mais oeuvre à adapter les
individus à leurs situations, à leur conditions, ce qui n1em-
pêche pas pour autant celles-ci d'évoluer,
lesquelles peuvent
effectivement évoluer plus rapidement que l 'adaptation des hom-
mes, au point de les rendre totalement impuissants.
D'un point de vue philosophique donc,
la pensée magi-
que appliquée à la solution des contradictions et considérée
comme modalité de développement des civilisations, est une erreur

203
d'appréciation des choses, et comme telle,
les résultats de son
action a, sur la vie des hommes,
de lourdes conséquences.
L'esprit positif (scolarisation, mais aussi éduca-
tion politique des hommes) peut seul, dans le cas des peuples
africains amener les hommes à déterminer et à résoudre effica-
cement le problème fondamental
de leur développement:
la fai-
blesse technologique, mais aussi, et avant d'en arriver à cela,
la solution préalable de cet autre problème venu
se superposer
au premier: celui de la libération véritable de l'emprise
étrangère.
*
*
Il faut maintenant conclure sur l'ensemble de cette
première partie de notre étude. Rappelons-en l 'hypothèse de
départ:
la signification des récits est fonction de la criti-
que IIcomportementalell de ces derniers visant à mettre en lumiè-
re par leur fonction,
les principes cardinaux de la vie sociale.
Deux catégories de réponses, de résultats ont pu ain-
si apparaître au jour: d'une part, la validité du schéma
théorique permettant le traitement des significations, et d'au-
tre part, la nature intrinsèque de ces significations, autrement
dit, des principes sociaux eux-mêmes.
Différentes situations ont permis de démontrer
la manière dont la signification, par la critique des comporte-
ments des personnages, apparaît par contre-coup.

204
De cette opération, résultent les diverses significa-
tions des récits correspondant à des valeurs éthiques recher-
chées par la société. La critique du conte, satirique ou laudati-
ve, vise en effet dans son processus, à dégager des modèles
idéaux, des archétype~ ayant impact sur la structuration et
la consolidation des mentalités, et orientant ainsi les compor-
tements individuels vers une dynamique unitaire collective.
Ces significations - valeurs éthiques se donnent
sous deux grands aspects:
la quête des principes de la vie com-
munautaire présentant la conception global e de l 'organisation
pratique de la société (le" régime" en terme mode r nâ , et l'en-
couragement au développement inpeccable des valeurs individuel-
les intrinsèques d'ordre moral,
intellectuel et psychique
facilitant la vie communautaire.
Il convient donc à présent de s'interroger sur le mo-
de d'expression, ou mieux, d'émission de tels messages.

CVEUXIEME PARTIE
LE RYTHME ET L'ENONCIATION
********************************

206
L'énonciation est l'acte par lequel le conte prend
corps. C'est la formulation du conte.
Elle a pour substance organique le rythme autour du-
quel s'édifie l'ensemble de l'expression, et qui, concrètement,
permet son analyse.
Et le rythme lui-même n'est que le "mouvement" exécuté
par le contenu de signification des récits dans son processus
d'extériorisation, d'émission en direction des usagers des contes.
Ainsi, l'énonciation est fondamentalement ce mouvement
par lequel sont transmis les messages des
récits. Du Narrateur
à
l'Auditoire, en passant par l'indispensable Agent rythmique,
le discours ne se manifeste en effet que p~r une suite de mou-
vements à caractère rythmique.
Telle étant l'énonciation, il convient de la décrire
plu sen d ta i l s ur un cor pus de con tes pop u lai r e sen mon t ra nt
è
10) son fo nde men t t bé 0 ri que, 20)
l a na t ure des e s d i f f r e n t s fa c-
é
teurs, 3°) son lien avec l'aspect ludique du conte, et 4°) son
illustration dans la narration prise sur le vif.

207
1 - FONDEMENT DE L'EXPRESSION RYTHMIQUE
On peut rattacher la pratique rythmique à l'existen-
ce, chez les Gouro, de la Médiation dans le déroulement des
affaires importantes de la vie. Le rythme, ou mieux, tout sup-
port rythmique, dans l 'élaboration de la parole, et particu-
lièrement, dans la narration du conte, remplit la fonction dé-
volue, dans la vision du monde, au Médiateur dans le procès
d'une question importante donnée.
Le Médiateur est celui qui
"e r bi t r e ", facilite les
telations entre deux individus ou deux groupes d'individus,
quelle que soit la nature (conflictuelle ou cordiale) de ces
relations.
Cette pratique courante chez les Gouro, s'appuie ori-
ginellement sur la vision cosmogonique selon laquelle les Morts,
les Défunts Ancêtres, bâtisseurs des clans et des Tribus, dé-
tenteurs primordiaux de la cordialité, artisans de la cohésion
sociale, sont censés interférer dans le cours des événements de
la vie humaine. En leur qualité d'ainés des afnés, drainés des
sages, ils interviennent pour sceller la paix:
Il • • •
ils prési-
dent au règlement final
de la paix ll , dit la légende à valeur my-
thique rapportée plus haut.
Clest que les relations humaines chez les Gouro ne
sont jamais binaires. Elles ne mettent pas en contact deux in-
dividus
ou deux groupes d'individus, mais plutôt une triade
d'éléments relationnels.

208
En effet, bien qu'en apparence, elles impliquent
deux pôles, deux parties, elles prévoient toujours en réalité
la participation symbolique et opportune des Défunts Ancêtres
qui, sages de tout temps, pacifient les climats de discorde,
ou consacrent et intensifient l'entente.
Ain si, 1e s rel a t ion s huma i ne s, che z les Go ur 0, f 0 nc-
tionnent toujours selon un schéma triadique (1) à l'intérieur
duquel
les Morts jouent un rôle déterminant par leur interven-
tion, leur médiation qui confère aux relations une structure
spécifique, et par leur "a c t t on co nc r t e " qui contribue à faire
è
aboutir les effets de la Parole primordiale
la cohésion.
Mais dans la vie pratique marquée par un souci aigu
de pragmatisme, la médiation symbolique des Morts est représen-
t
e par l'action directe et réelle d'un agent humain, d
é
l
un Hé-
diateur vivant qui, dans le cours des événements, tenant le rôle
d'arbitre-intercesseur entre les deux parties en relation
( con f l i ct ue 1l e 0 u cor dia le), élu cid e les fa i t s , les sou me t 0 b-
jectivement à un traitement pour leur permettre de s'accomplir
dans le sens du maintien de la cohésion sociale.
Cètte pratique qui nlest en fait que la recherche de
l'Esthétique vitale, de l'Esthétique primordiale, appliquée à
l'art, fonde en théorie, la narration du conte.
(1)
Thè~e développée pa~ Be~na~d Zadi (~he~~heu~ ivoi~ien), dan~
la p~oblématique de la pa~ole a6~i~aine.

209
Sur le modèle du schéma triadique des relations hu-
maines, les supports rythmiques, jouent "e nt r e " le Narrateur
et l'Auditoire, un rôle de médiation en embellissant par tous
les niveaux d'élucidation, de clarification, la parole du conte.
Médiatiseurs de la parole du Narrateur, en position
médiane entre le Narrateur et son public, ils apparaissent
comme les éléments-clés de l'organisation de l'énonciation.
Par eux, doit transiter le message qui est ensuite répercuté
sur l'Auditoire après avoir subi
un certain traitement, une
certaine transformation (au sens thermo-dynamique du terme),
un certain embellis~ement.
Il en est ainsi de l'Agent rythmique, le plus appa-
rent des supports du rythme.
Interposé entre le Narrateur et
l'A ud i toi r e, i l a lac ha r ge der end r e exp l ici te s, c lai r s à l a
compréhension, au fil
de la narration, les messages des ré-
cit~ en êpluchant toutes les perspectives de leur appréhension.
De même, les autres supports du rythme (les éléments
ry th mi que ste xtue l set 0 ra ux, e t dan sun e ce r t a i ne mes ure, l' Au-,
ditoire quand il joue le rôle d'Agent rythmique), par des actions
spécifiques, vi~ent à traiter eux aussi
le propos dans le sens
de sa perception impeccable, de sa compréhension parfaite.
Cependant, rythme n'est pas ici forcément synonyme de
régularité, de cadence.
Il n'est pas en effet nécessaire que
l'action des supports rythmiques s'effectue à périodicité régu-
lière.

210
Ceci
n'est vraiment indispensable que dans le domaine
de la poésie chantée. La,
le support du rythme, représenté par
le choeur et les instruments a percussion, amène le poème a
son accomplissement en servant de guide à son élaboration.
Clest lui qui, en effet, doit empêcher les "pr t nc t-
pa l e s " partitions (celles du chanteur "p r i nc i pa l " et des ins-
truments "p r t nc i pa ux ") de s'égarer, de se déporter a chaque
instant hors du Jtythme..
C'est pourquoi d'ailleurs, tandis
que toutes ces autres partitions peuvent varier de tempo, de
rythme, momentanément, de contenu de signification, a la re-
cherche d'improvisations rares, lui, demeure régulier, inva-
riable : clest lui qui devra indiquer aux éléments principaux
de l'orchestration, après leurs diverses recherches stylisti-
ques, le rythme, la cadence.
Il
en va de façon légérement différente de la narra-
tion du conte. Le support rythmique n'est pas ici
un guide de
la cadence.
Il n'est pas indispensable qu'il
sectionne réguliè-
rement le fil
de la narration.
Il suffit que se fasse sentir a point nommé son ac-
tion devant faire éclater à tout moment l'oeuvre a la compréhen-
sion ou à la sensibilité.
Après l'exposé de ce schéma théorique, étudions à
présent les différents agents du rythme et leurs fonctions es-
théti q ues.

211
II - AGENTS DU RYTHMIQUE ET FONCTIONS RYTHMIQUES
Par "f onc t i ons ry t hm i qu e s ", on entend ici le rôle
par lequel se manifestent les différents facteurs du rythme
que sont l'Agent rythmique, l'Auditoire dans
la position de
ce dernier et les éléments rythmiques textuels et oraux.
L'Agent rythmique, personne de chair, est le plus
apparent des supports du rythmique dans la narration du conte.
Par rapport aux autres supports liés à la textualité ou au
fait phonatoire, ou encore à l'organisation de la narration,
il apparaît comme un rythme "s pa t i a l t s ë ".
Sa présence dans les soirées de contes est une né-
cessité esthétique:
lorsqu'on tient à donner à la narration
toutes ses dimensions esthétiques, on a toujours souci d'as-
socier à la séance, un agent qui doit rythmer les propos.
Une anecdote en liaison avec notre propre expérience
de terrain confirme cette vérité.
En septembre 1976, pendant la première séance de
veillées organisées dans le village de Konéfla, dans le cadre
de nos collectes de contes, M. Gilbert Sianmi (conteur) s'annon-
ce le premier pour entamer la soirée. Le silence se fait. Chacun
attend la formule rituelle d'introduction des contes. Mais les
premières paroles que lance le conteur nlont rien à voir avec
la formule attendue.

212
IIQui rythmera ?" dit-il.
Littéralement:
IIQui chante la (partition de) base ?II
ou encore IIQui tournera et retournera (les propos) ?II
Cette anecdote indique à l'évidence l'importance de
l'Agent rythmique, dont les artistes eux-mêmes ont pleinement
conscience.
Et même lorsqu'il se fait qu'à la narration d'un
conte, il n'est pas expressément désigné, sa participation se
réalise tout de même, spontanément par les multiples interven-
tions de l'assistance attentive à acquiescer ou à dénier les
propos, à répondre brièvement aux questions du Narrateur, ou
même, à en poser elle-même.
En fait, comme il a été indiqué dans la partie théo-
rique de ces analyses, la conception de l'Agent rythmique s'é-
tend, chez les Gouro, à de multiples domaines de la vie sociale.
Notamment, aucune séance d'une certaine importance
ne peut se tenir sans qu'il y ait recours à celui qui devra en
articuler la progression, à celui qui devra y assurer la régu-
lation de la parole.
A cet effet, l'Agent rythmique, se tenant au centre
ou à mi-centre du cercle des débats, est la personne (souvent
jeune) connue pour son bon sens et sa ténacité à maîtriser la
parole publique.

213
D'un point de vue théorique, intermédiaire entre les
différents orateurs et l'assistance, il a tâche, à chaque ins-
tant, de se saisir des propos de chaque intervenant, et de le
retransmettre à l'assistance, après les avoir châtiés pour ce
qui est surtout de leur intelligibilité. En effet, il n'est
pas donné à tout le monde d'avoir la pensée cohérente, la pa-
role adroite dans
les prestations en public.
Clest également lui, llAgent rythmique qui
maintient
l'ordre au cours de la séance.
Ni interprète, ni
"avocat" comme cela se conçoit dans
les civilisations occidentales, clest celui qui épluche et po-
lit instantanément toutes les données des assises pour les dis-
poser à une organisation cohérente de la recherche des voies et
moyens d'aboutissement des choses.
Au niveau des relations pacifiques, des rapports d1en-
tente,
(entre fiancés par exemple), l'IIAgent rythmique" (ou in-
termédiaire, ou confident), c'est celui qui, attentif aux aspi-
rations du fiancé (nous sommes en pays gouro), soumet à traite-
ment d'affinage, diverses commissions, divers propos, ou seconde
au besoin le fiancé dans ses prestations à ses futurs beaux-
parents, et qui, ce faisant, donne poids aux intentions du fiancé
aux yeux de sa future belle-famille, de sorte que l'ensemble de
ces relations finit par aboutir.
Dans le domaine particulier des arts de la parole, il

214
tient son importance de l'effet qu'il produit sur l'artiste
il le galvanise.
En effet, l'interrogeant sans cesse, exprimant briè-
vement ses impressions, ses sentiments, ou tout simplement,
demeurant attentif à acquiescer ou à dénier opportunément, il
donne la preuve encourageante d'une intelligence vivace, d'un
intérêt évident à l'oeuvre qui
s'élabore; la preuve de l'é-
veil de l'Auditoire qu'il représente. L'artiste alors, selon
ses capacités oratoires et selon les circonstances, s'enflamme.
Il libère de plus en plus de parole.
L'Agent rythmique, médiateur de la parole entre le
conteur et son public, joue ce rôle: il porte à un haut seuil
de vitalité le Narrateur et la narration tout entière.
C'est cela qui explique ses nombreuses interventions
dans
les récits en cours d'élaboration.
Certes, bon nombre de ces interventions se réduisent
à de simples acquiescements n1ajoutant pas
grand'chose à la
pensée du Narrateur. Mais, l'essentiel à son niveau dans
la
narration, est de rester "éveillé" par un signe ou par un au-
tre, afin de tenir en éveil l'assistance et la dynamique de
compréhension des messages: il maintient en vie la représen-
tation.
Mais plus spécifiquement, il apprête à llintérieur
du circuit narratif le message à la compréhension en l'éluci-
dant, en le polissant à mesure que se dévide la parole du

215
Narrateur. Clest ce qu'atteste cette définition de Bernard Zadi
"T ant que. palt.t e. .t e. d e.J.> tA.. nat e. Ult, A...t It!.l t: hme. J.> a pait ot: e
"( ••• ) LoltJ.>que. c.e..tUA..-c.A.. c es s e d ènco de n , .t'age.nt
ï
"ltythmA..que. J.>e. c.onve.lttA..t e.n J.>on c.ontltaA..lte. e.t de.vA..e.nt
"éme.tte.ult.
I.t J.>'e.mpalte. du me.J.>J.>age. qu'A...t n'a ces s ë
"d'é.tuc.-tde.lt, de. po.t-tlt pe.ndant .ta plte.m-tèlte. phaJ.>e. e.t:
".te. tltanJ.>me.t au de.J.>t-tnata-tlte. à. .t'-tnte.ntA..on de. qu-t
"palt.ta-tt.te de.J.>t-tnate.ult. S'-t.t ve.iu: palt.te.1t à e o n t.o u«,
".te. de.J.>tA..nataA..lte. ne. pe.ut n-<.. ne. doA..t -tgnolte.1t .t'age.nt
" c. uA.. t: 6e.1t mé." (1).
Clest en complétant la pensée du Narrateur, en levant
toutes ambiguités de ses propos, en achevant une pensée qulil a
commencé à exposer, en l'aidant à trouver une idée, en faisant
ressortir toutes les dimensions d'un sentiment, etc, que l'Agent
rythmique du conteur élucide les messages des récits et les porte
à
une compréhension parfaite de l'Auditoire.
1.
La c..talti6A..c.at-ton
Quand, dans la pensée du ['jarrateur, se glisse une
omission risquant de brouiller la compréhension du message,
l'Agent rythmique, souvent par une question à valeur d'affirma-
tion, ou de toute autre manière, complète la pensée.
Le Narrateur
(1)
ZAVI Zaoultou Be.ltnaltd : ExpéltA..e.nc.e. a61t-tc.aA..ne. de. .ta palto.te.
Anna.te.J.> de. .t'Un-tve.ltJ.>ité d'Ab-tdjan ; J.>éltA..e. V (Le.ttlte.J.»,
Tome. 7;
1 9 7 4 •

216
alors, reprend l'idée à son compte. Clest le cas dans le conte
N° 20 de notre corpus.
ARAIGNEE doit accomplir une mission difficile auprès
d'AIGLE que PANTHERE veut attirer chez lui pour le tuer. Afin
de décider coDte que coOte AIGLE à venir chez PANTHERE, ARAIGNEE
devra lui faire croire que son meilleur ami PANTHERE est mort.
Envoyé censé être inconsolable, il doit faire, une fois chez
AIGLE, des démonstrations de profonds ressentiments: s'enduire
de défécations, en consommer au besoin, etc .•. Il prépare pour
cela une pâte d'arachide avec laquelle il s'enduit le corps pour
duper AIGLE ...
Mais pendant la narration, le Narrateur omet de pré-
ciser que cette pâte d'arachide demandée par ARAIGNEE à sa fem-
me, devait lui servir pour se jouer d'AIGLE.
Alors l'Agent rythmique, opportunément
"
Et le I~arrateur
"C ' eJ.Jt c.eia
" 6é c.aieJ.J !"
De même, à la narration du conte N° 12, l'Agent rythmi-
que complète, par une question opportune, la pensée du Narrateur.
Celui-ci, n'ayant pas suffisamment fait ressortir

217
l 1 idée de guérison -de guérison miraculeuse- permettant à
l'auditeur moyen ou distrait de comprendre da ns quelles cir-
constances le JEUIH PARALYTIQUE "s e l èv e et cour t net", l'Agent
rythmique interroge et s'étonne
Le Narrateur
"Ai.oltJ.J i.e. .Je un e Paltai.yt-<'que. J.Je. di..t : "Q.uo-<' ?! Ce. J.Jai.e.
"c.ltapaud Lai.d ,
c ' e.J.Jt c.e. que. c ez homme. ve.ut bai.anc.e.1t
"J.JUIt mo..{. ?!" Et voi.Lô: que. i.ui.. auJ.JJ.J-<' J.J e. lè.ve.,
c.oultant,
"n ez !"
Et l'Agent rythmique:
"Quo-<'?! i.e. Je.une. Paltalyt-<'que. a n.e.c ouv n.ë: J.Je.J.J
jambe.J.J
?!"
Quelquefois, ce sont les ambiguïtés que liA R s'emploie
à lever des
propos du conteur. Soucieux de la clarté de l'ensem-
ble du discours, il veille et redresse systématiquement la pa-
role.
Ainsi, dans la narration du même conte N° 12 précé-
demment cité, LE PETIT AVEUGLE et le JEUNE PARALYTIQUE ayant
décidé de se rendre dans les champs, sortent de leur cabane.
L.'aveugle se baisse pour que sur ses épaules, se hisse le para-
lytique. Hais l'ambiguïté du pronom personnel gouro, troisième
personne du singulier "è" qui ne signifie jamais "c el ui-ci", ni
"c el ui-là", mais seulement "il", nia pu permettre, dans les
propos du Narrateur, de savoir, qui, de l laveugle o~ du paraly-
tique siest baissé pour que sur ses épaules, se hisse son compa-
gnon.

218
Par une interrogation à l'adresse du Narrateur, liA R
indique à l'Auditoire que clest le PETIT AVEUGLE qui
siest bais-
s é .
L'Agent rythmique:
Il L'A ve. u9le.
.6' es t
ba,t.6 ,!l é ? Il
2.
La .6timulation de. la na~~ation
Souvent aussi, certaines phrases de la narration ne
peuvent souffrir de "c a s s ur e ", Elles doivent s'accélérer,
être alertes, tendues pour que s'accomplisse la progression
intelligible du drame. En pareilles circonstances, l'Agent
rythmique embo'te la parole à celle du Narrateur en une nar-
ration dualiste, dialectique. Le Narrateur relancé, poursuit
alors avec conviction.
Clest le cas dans l lexposé de la situation suivante
extraite du conte flO 12 :
Le Na rra te ur
Il
Et i l e..6t de.bout
(l'Ave.ugle.) te.nant le.
Il C. ~a pa ud • • • Il •
L'A R :
Il
... Te.nant le. c.~apaud pou~ le. balanc.e.~ .6u~ le.
"Pa~alytique. I"

219
Et le Narrateur
"Ex.acte.me.nt
PouJt le. balance.Jt .ouJt le. PaJtalytique. 1"
De même, dans la narration du conte N° 1, liA R em-
boîte la parole à celle du Narrateur dans la situation suivante
Le Narrateur
"Vou.o t.ou» as s e.mb Lê.«,
pJtéte.ndant.6 de. ma 6ille. (dit
"Panth~Jte.I, ce.lui qui pui.6e. ave.c ce.tte. pe.tite. cale.-
" ba.6 .6 e. ma b0 ui l li e de. Jti z que. v0 i là. • • "
Alors llAgent rythmique:
"
qu~ la ve.Jt.6e. de. 6açon continue. dan.6 .6a bou-
"che. • • • " .
Et le narrateur
"
qui la ve.Jt.6e. de. 6açon continue. dan.6 .6a bouche.,
" q ui la b0 i t: ai n.6 i.,
"La 6e.mme. que. voici épou.oe.Jta ce.lui-la 1"
En fin, da. ns lem ê mec 0 n te, cet a ut r e cas de dua lit é
narra ti ve
Le Narrateur
"L'Eléphant .oaute., atte.JtJtit ave.c 6oJtce.
" Et dé. cl an: e. : " Ce.tt e. b0 ui l li e. qu' il a b ue , j e. .0 ui.6
"al l é .6 0 u 66l e.n: d e..6.6 u.6 al' in.6 tan t me.; c ' e.s t: p0 uJt quo i
1
1

220.
Et l'Agent rythmique:
"
Alors le Narrateur:
"
Ce procédé confère vivacité et intérêt à la narration.
Phénomène de répétition, il a, sur le plan stylisti-
que, la particularité d'offrir à la compréhension, un discours
intensif, harcelant.
3.
La co-tabo~a~~on
Que l que foi s a us si, liA Rai de l e l'~ arr at e ur à t r 0 uver
instantanément une image frappante, une idée juste. Il devient
co-laborateur du Narrateur. Le procédé est sensiblement le même
que le précédent
même dualité narrative où le Narrateur re-
prend à son compte 11 idée que lui propose liA R.
C'est le cas dans la narration du conte N° 5
Le Narrateur
"Tou.~ te..6 deux. a qan ;
pO.6é te.~
ye.u.x. .6u.~ te. ~omme.~
" d u. 12 t 0 ~ 0, t 1 Hom me. d~ ~ :
" Ce. 12 t a ~ 0, qu.' e. ~ ~ - ce. q u.~
"a b~e.n pu. tu.~ a~~~ve.~ ?1"
Et l'Agent rythmique

221
"
Eh oui ! ~e~ 6euille~ jonchent le ~ol 1"
Alors le Narrateur
"Le~ voila qui ~e d~ve~~ent toute~ ~eule~, abondam-
"ment, b~u!Jamment !"
4.
La ~év~lation
et l'inten~i6ication de~
~ enti meYlt~
Enfin, -mais les types de fonctions de liA R sont
nettement plus nombreuses que ces quelques exemples- liA R
fait ressortir toutes les dimensions d'un sentiment: la ter-
reur, l'ironie, la pitié, la joie, etc.
Le r~arrateur exprime l'idée. Lui, liA R, la reprend,
llemplit d'une seconde charge affective
et ainsi, L' i n-
tensifie.
_. La do uleu~
c'est le cas dans la narration du conte n° 21.
Un homme, pour faire acte de générosité et de re-
connaissance à un ami à lui qui
lui offrit autrefois de bon
co~ur sa propre fiancée à épouser, voulut prêter à cet ami un
bracelet en ivoire. Mais le bracelet est récalcitrant à sortir
de son poignet. Il
tranche alors à vif celui-ci pour libérer
le bijou.
C'est une action de grand héroïsme, mais
surtout ter-
rifiante.

222
Cet aspect, c'est l'A R qui 1e révéla aux specta-
teurs, dans la narration du conte
Le Narrateur
"It entJte da.n~ ta. ma.i~on, a.igui~e ~a. ma.tc.hette"
"Le v oLt:« pos an t: .s o n bJta.~ ~uJt une bûc.he,
en ptein
"c.entJte de ~a. ma.i6on. D'un c.oup, gba. ! i t ~e tJta.n-
"c.he te poignet!"
Et l'Agent rythmique
"
Quoi ?!
Son pJtopJte bJta.~ a vi6 ?!"
L' iJtonie
Suivant le même procédé, l'A R peut faire ressortir
l'ironie d'une situation - fonction ludique qu'on étudiera
plus loin.
Ainsi, dans la narration du conte N° 3
La PANTH·ERE poursuivant la CHEVRE, tous deux arrivent
a la cour de HYENE qui leur demand~ des nouve~les de chez eux.
Puis, les informant a son tour des nouvelles de chez lui, il
dit avoir mal au ventre.
Or chacun dans l'assistance, sait que cette colique
de HYENE n'est due quia sa voracité, et que surtout, il ne

223
s'empêchera pas tout à l'heure de sauter sur la CHEVRE: si-
tuation virtuellement cocasse. LIA R la fait éclater en met-
tant habilement l'accent sur l'hypocrisie qu'elle recèle (ce
qui fait d'ailleurs exploser de rire l'assistance)
:
Le Narrateur
"AloJt-6 Hyèrte dit: "Chez moi -<-CA.. , ça va biert.
"
"Sau6 que j'ai tJtè-6 mal auverttJte aujouJtd'hui !"
"
TJt è-6, tJt è-6 mal !!"
ajoute, moqueur, l'Agent rythmique.
Autre exemple d'ironie révélée grâce à liA R : on
le trouve dans la narration du conte N° 1, au niveau de cette
situation déjà analysée sous un autre rapport et mettant en
sc è ne l ' ELE PHA NT:
Le Narrateur
"L'fléphartt .6aute, atteJtJtit avec. 6oJtc.e
"Et déc.laJte : "Cette bouillie qu'il a bue, je .6ui.6
"al!é -6ou661eJt de-6.6U.6 a l'irt.6tartt mlme ; c.'e-6t pouJt-
"quoi elle -6' es t: Jte6Jtoidie ! ... "
Et l'A R, faisant mine de cautionner cette absurdité,
appuie ironiquement l'idée, qui
fait rire:

224
"
•.. c.'e~t c.e.ta. qui 6a.it qu'AJta.ignée .t'a. bue J"
- La. détJte~~ e
Il arrive également que l'intervention de liA R
exprime la détresse, la pitié.
Donnant écho à une situation de détresse décrite par
le· Narrateur, il en répercute le désespoir au-delà des pro-
pres capacités expressives de celui-ci.
Ainsi dans la narration du conte N° 12
Le Narrateur
"Leva.nt .ta. tite c.omme c.i,
" (L'Aveug.te-guéJti)
voit.te c.Jta.pa.ud da.n.6 .6a. ma.in
'~Jta.pa.ud que .6011 c.ompa.gnon, PJt06ita.nt de .6a. c.éc.iti,
"que c./éta.it une .6ouJti~)
; a..toJt~ i.t dit: "0 mi~èJte J ••• "
"-
.•.
0 mi.6 èJte J"
r per c ut e l'Agen't rythmique, donnant à cette invocation tragi-
ê
que un second accent de détresse infinie.
Enfin, liA R peut se faire la fibre sensible de tous
autres sentiments, telle la joie - la joie d'un personnage cau-
tionné par le public: le personnage est en difficulté, et la

225
situation ne cesse d'empirer
de se tendre
de tous ses res-
t
sorts. Mais avec bonheur
le personnage y trouve un début de
t
solution: chacun se sent libéré peu à peu ...
Clest le cas dans le conte N° la où le MARGOUILLAT
et le CRAPAUD ayant porté secours à 11 HOMME dans une si tuation
où ce dernier était à deux doigts d'être exécuté
lorsque
t
t
grâce à ce secours
les premiers signes de victoire slannon-
t
c r e nt , liA R e xpr i ma , avec toute l'assistance explosant sou-
è
dainement
la joie, la satisfaction que le héros lui-même est
t
censé ressentir:
"0 c.hanc.e. 1"
lance-t-il, avec un espoir évident pour la victoire totale de
l ' Homme.
De même
dans la narration du conte N° 18, le Narra-
t
teur ayant placé le CHASSEUR en phase d'initiation, dans une
situation théorique particulièrement dramatique (l'affrontement
a vec lié l é Phan t ) t
l 0 r s que fin ale men t t gr â ce à l' amulet t e de
liA IGl E, i l put sur na tu r e 11 emen t sel i bé r e r. liA R jus qui a l or s
pénétré tout entier dans le drame
lança soudain
t
"- Sauvé
1"
-
La c ot.ën e
D'autres sentiments, telle la colère - la colère de
l'assistance contre les personnages désavoués.

226
Ainsi dans la narration du conte N° la, cette impré-
cation faisant écho à l'exposé du Narrateur, imprécation à
l'adresse des habitants du village complices des beaux-parents
de l'HOMME:
Le Narrateur
" L' Homm e (a yan t
6ai..t "palt..te.1t. .ta Te.1t.It.e " J, di..t a
"nouve.au
"Sa.tut a vo u.6 !"
"Et .ta 6ou.te. de..6 ge.n~ a~.6e.mb.t~.6
It.~c.tame. .te. .6i...te.nce.
"POUIt. qu'on e.nte.nde. .te..6 palt.o.te..6 de. c ez homme.. Ve.
"palt.tout, on e.nte.nd : "Vu ca.tme.
0 du ca.tme. ! Ecoute.z
"donc! Vu ca.tme. ! Ecoute.z donc
Plt.êton.6 .t'Olt.e.i...t.te.
"a ce. qu'i...t di..t !"
Et dans un ressentiment extrême contre ces villa-
geois qui étaient sur le point de laisser s'accomplir un for-
fait, l'Agent rythmique, et toute l'assistance:
"- Suit. vou~, .ta ma.t~di..cti..on
Poult.quoi.. plt.ête.1t. donc
".t ' 0 It.ei...t.t e. a pit. ~ .6 e. nt ?"
Telle est essentiellement la nature des fonctions
de l'Agent rythmi que.
Mais, véritable articulation de l'énonciation, tout
autant écho sensible des impressions diverses de l'Auditoire

227
que réplique dialectique du Narrateur, c'est en lui que se
convertit celui-là pour prendre part à l'élaboration des piè-
ces.
Destinataire du message parfaitement conscient de
ses choix esthétiques, il se fait critique du discours émis
à son adresse par le Narrateur: il se fait critique d'art.
Et pour cela, il faut qu'il
trouve des dispositions
s tr uc tu rel 1es, qu.' i 1 a i t
IJne
pos s i bi 1 i té d 1 i nt e r ven i r dan s 1e
cours de la narration: c'est en se constituant en Agent ryth-
mique (agent rythmique prime), disposition esthétique en place,
qu'il effectue cette acti~n.
Il joue ainsi sur plus d'un clavier à la fois
il
es t complexe en lui-même.
1.
L'Auditoi~e-agent ~uthmique
Converti en Agent rythmique, l'Auditoire remplit les
mêmes fonctions que ce dernier, utilisant ses principaux procé-
d.és d'action rythmique sur l'écoulement du discours.
Mais on n'entrera pas dans le détail de ces analyses
qui se présenteraient comme d'interminables reprises des fonc-
tions de l'Agent rythmique lui-même.
On retiendra simplement que L'Au d t t ot r-e-ca qe nt rythmique

228
peut exprimer la colère, la terreur, la joie, la pitié, etc,
donner le même caractère dualiste au processus narratif, par-
ticipant à diverses recherches du narrateur.
Mais incontestablement, son action la plus authen-
tique est la critique.
Quatre traits principaux caractérisent la critique
de l'Auditoire: premièrement, en tant que tributaire de la
structure d1agent rythmique, elle est immédiate, se faisant
séance tenante. Deuxièmement, elle s'opère suivant des cri-
tères inhibés en chaque membre de la communauté, d'apparence
subjective, mais rigoureusement rationnels entre les mains de
leurs usagers. Troisièmement, elle a un caractère démocrati-
que, n t
pa r qna nt , pas même l'age.
ê
L'allure volontairement anodine, l'allure de "simple-
amusement" qui définit la conception du conte, permet cette
extension des limites d1action de la critique.
Faisant momentanément fi de toute susceptibilité,
fondu dans 1 latmosphère de rire et de spontanéité, chacun,
sans distinction de classe d'âge, entre dans le jeu du conte
et accueille avec la même bonne humeur approbation et désap-
probations des auditeurs: contestation d'enchaînement de
rel les ou telles situations, interrogations pouvant révéler

229
1 'obscurité de la pensée du Narrateur, relais, par un tiers,
de tel ou tel piètre conteur égaré dans le cheminement des
intrigues, etc.
Enfin, quatrièmement, dans son processus, elle em-
brasse deux cibles à la fois:
le Narrateur et les personnages
des récits.
Trois moyens essentiels sont à sa disposition dans
la pratique:
- La parole articulée
C'est par elle que s'expriment diverses interroga-
tions, diverses contestations d'ordre esthétique, etc.
- La distraction, 1 'ennui, la lassitude; ou au
con·traire, la participation, l'enthousiasme, l'euphorie:
par ce couple antithétique d'appréciation, l'Auditoire se pro-
nonce sur telles ou telles performances, comme le révèle notre
système de traduction.
- Enfin, et surtout, le rire - le rire persifleur
Parole liquéfiée parvenue au seuil de l'indicible,
le rire renferme l'intelligence aiguë mais contenue des choses.
Il donne des situations, la mesure immédiate de leur degré
d'accomplissement. Il nie distraction et désintéressement.
C'est l'expression de la vitalité même des soirées

230
de contes.
Dans un même élan, il se donne à la fois comme le
signe, sur le plan purement esthétique, de l'approbation du
Narrateur, et dans la plupart des cas, comme celui du blâme
des personnages pour leur désaccord idéologique avec la so-
ciété.
Tel est l'Auditoi re dont la nature et les fonctions
esthétiques contribuent, comme l'Agent rythmique, à parfaire
la parole du conte.
*
Au total, Agent rythmique et Auditoire constituent
d'importants facteurs d'embellissement de la narration des ré-
cits. Ils font éclater à la compréhension, degré suprême de
la beauté du langage, la parole du conteur. Ce sont des
r y
II
t h-
mes externes", spatialisés que prolongent dans la texture pro-
prement dite des récits, les éléments rythmiques textuels et
oraux.
l'énonciation
-C~-=~ -
:= c =__ ~
Ces éléments sont d'une part la répétition et les
figures rhétoriques (ou images), et de l'autre, l'accentua-
tion (ou insistance vocale) et le débit oratoire. Ce sont ceux

231
des éléments de l'énonciation qui sont liés à la textua1ité
proprement dite et à l'oralité. Embe11isseurs de la parole
du Narrateur. et donc. "s oc l e s de répercussion" de T' obj et
du discours. ils tiennent le même rôle que l'Agent rythmique.
Ce sont ceux exprimés par des mots ; on étudiera
ici la Répétition et les Figures de rhétorique.
La Répétition dans l'acte de parole est d'un usage
extrêmement développé chez les Gouro. et d'une façon générale.
chez les peuples africains. C'est une réalité pertinente et
essentielle dans la définition de la parole africaine. telle
que quelques-uns de ses emplois particuliers 1 lassocient.aux
critères généraux de détermination de la poéticité nègre.
On la trouve aussi bien dans la parole de tous les
jours qu'au niveau des développements proprement artistiques.
De sorte que d'un point de vue méthodologique. il est toujours
indispensable de distinguer répétition mécanique. habituelle.
et répétition artistique.
La première est l'effet d'une certaine attitude cul-
turelle devenue courante. commune. à pertinence stylistique
émoussée; la seconde obéit à un choix volontaire du parleur.

232
de l'artiste, en vue de produire certains effets précis en
rapport avec la compréhension de l'objet du discours.
De telles répétitions sont fréquentes dans l'éla-
boration des contes populaires. Elles n'y possèdent pas le
même caractère marquant, la même décharge affective sur les
individus que dans le cadre de la poésie; cependant, inté-
grées à la structure particulière de chaque récit, elles res-
tent pertinentes et relativement dynamiques en suggérant les
choses; en les donnant à appr~hender par leur seule manifes-
tation.
Quatre fonctions les définissent: la révélation du
sens des choses, l'actualisation, la stimulation de la narra-
tion et la substitution à l'action dans certains cas de des-
criptions.
Elle peut se· révéler par l'accumulation de certains
termes, de certaines expressions, d'oO surgit la signification
de telle ou telle situation.
Ainsi, dans la narration du conte N° 18, le seul ef-
fet de répétition donne une dimension supplémentaire de compré-
hension à l'épreuve imposée au CHASSEUR par le PYTHON:
"Longtemp~ ap~l6 le d~pa~t (de la MU6a~aignel,
"l'homme entend un b~uit continu, in~olite.

233
"Va-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a 1"~
"- Qu'e6t-ce que c'e6t ?
"Eno~me et lno~me, dlme6u~l, mai6 alo~6 dlme6u~l
"ltait le Python qu..i 6'amenait 1
"- Quo..i ??1
"Un Python ltonnamment gigavtte6que
Il 6'amenait
"- Mai6 1! ...
"Point il ne che~chait a lv..ite~ l'homme a66..i6
"Van6 6a d..i~ectiovt, tout d~oit, tout d~o..it, il6'a-
"mevta..it, le Pythovt g..igante6que !
"- Ma..i6 11 ...
"Avec des [er s de langue menaç.ant6 et e66~oyable6,
"il 6 'amenait !
"- H0 ~~ e u~ !!...
"Ho~~ible, il.6'amenait
"Tout d~oit, ..il v..int et a quelque.6 pa.6 de l'homme,
".6'..immob..ili.6e et dn.e s s:« .6a tête!
"- A- a - a - a-<' e !! ...
Comme un refrain, comme un leitmotiv, le verbe
"s'amener" traverse par sa fr-êque-nc e la tirade tout entière.
Sur les huit versets qui composent celle-ci (si lion
e xc e pte 1es brè vesin ter ven t ion s de l' Age nt r y th mi que), 1e
verbe en question revient à cinq reprises, soit à raison d'un
retour par verset, à raison d'une présence de ce verbe dans
chaque verset, pratiquement.

234
C'est qu'il s'agit non seulement d'exprimer une im-
minence du danger, mais aussi et pour cela, de créer une atmos-
phère d'effroi, de terreur telle que si
le CHASSEUR parvient
à y résister,
il apparaisse automatiquement comme un héros.
L'impressionnante accumulation du verbe indique
donc à l'assistance combien le chasseur a des motifs plausi-
bles d'être frappé d'effroi
et de prendre la fuite.
Et, cette organisation du discours a une telle puis-
sance d'évocation que d'ailleurs, dans la réalité, l'Agent
rythmique qui excella à rendre l'effet de panique, tout comme
l'a s sis ta ncee 1 1e - mê me, 0 f f rit 1 e s p e c ta c 1e d' une s pri t dés e m-
paré:
"Quoi
??! ... "
"Mais
!! ... ", "Horreur !! ... II sont les
seuls mots qui
purent échapper de sa gorge.
Parole nouée, pa-
role hachée par l'émotion extrême:
l' homme fort du conteur
"a peur"
: le CHASSEUR doit être terrifié! ...
A cette évocation du verbe, s'ajoute l'effet de la
reprise effrénée des termes comme "python", "énorme"
(au su-
pe r lat if), Il dé mes uré"
(é g a le men tau s u pe rl a tif ), Il g i 9 a ntes que" ,
"effroyabl e" ...
Par l'insistance qu'ils expriment par leur accumula-
tion, tous visent à présenter le caractère terrifiant du PYTHON.
Ainsi,
par le seul
effet de répétition, le conteur
parvient-il à créer une atmosphère dramatique, extraordinaire,

235
destinée à tester le courage du CHASSEUR.
Par le même procédé, dans la narration du conte
N° 3, se trouve mis en place un cadre tendu où vont s'affron-
ter la CHEVRE et la PANTHERE
"La Chèvlte. que. n c us c.onna.i.6.6on.6 bie.n,
qUA.. vit ave.c.
"n ou.s au vLf.lage.,
"- Eh bie.n ?
"C 1 es t: e.ll e. qUA.. mit ba.6
"- Oui.
"Alolt.6
e.lle. e.st: e.n mate.ltnité.
"- 0 ui .
"Et i l Y a dan.6 la bltou.6,~e. un animal qui s e nomme.
"Panthèlte.
"- Eh 0 ui
"Elle. aU.6.6i mit ba.6
"- Oui !
"Elle. au,Hi e.s t: e n mate.ltnité.
"Et la Panthèlte.,
POUIt .6a mate.ltnité,
déc.ide. d'alle.1t
"e.n quê.te. de. noultltitulte. dan.6 le. village. d e.s
homme..6.
"Elle. es t: e.n c.he.min POUIt .6' Y Ite.ndlte..
"- Eh 0 ui
"Et la Chèvlte. dê c Lâe. d'alle.1t dan.6 Le s c.hamp.6 POUIt s e
"lte.paitlte. de..6 tube.ltc.ule..6 d'igname..6 de. .6e..6 maitlte..6.
"Elle. aU.6.6i e.s t: e.n c.he.min POUIt .6'y Ite.ndlte. .•. ".
Situation tendue.

236
Deux personnages en position d'ennemis naturels, la
CHEVRE et la PANTHERE sont sur le point de se rencontrer.
Le balancement de l'un à l'autre, des mêmes termes
"rn i t ba s ? ,
"ma t e r ni tê
lien chemin ...
v
,
11
les situe d'emblée dans
une sorte de face à face que leur nature d'ennemis mutuels tend
i ne xOrabl ement.
Le jeu des termes indique ainsi qu'un conflit se pré--
pare, que deux ennemis vont s'affronter.
Souvent aussi, la relation intégrale des mêmes faits
à diverses étapes de la progression des
récits, indique l'im-
portance de ces faits.
C'est le cas des formules à pouvoir surnaturel que
le Narrateur fait réciter au personnage concerné, à diverses
reprises, ou des rituels initiatiques que le conteur reprend
autant de fois qu'il est nécessaire, sans jamais les abréger,
sans jamais les mutiler.
Reproduits ainsi, ils sont donnés en eux-mêmes comme
des faits essentiels.
Ainsi, dans la narr~tion du conte N° 18 par exemple,
alors que les paroles introductives des Initiateurs,PYTHON,
LEOPARD et AIGLE dans le rituel d'initiation sont pratiquement
similaires, le conteur, infatigablement, les exposa cependant

237
chacune à leur tour.
La tentation est toujours grande en effet, une fois
exposée une intervention comme celle de PYTHON, de dire pour
le reste: " ... Le Léopard vint à son tour, lui parla et lui
offri~ deux amulettes. Enfin, l'Aigle vint lui aussi, lui par-
la comme les autres et lui donna une amulette ... ".
Le~ véritables conteurs, ceux qui ont une conscience
aigu~ de la valeur spécifique de la répétition dans un récit
d.onné, ne recourent jamais aux raccourcis, aux résumés.
Inlas-
sablement, intégralement, ils exposent les faits autant que
l 'e~ige la néce·ssité de leur compréhension totale.
Ainsi, trois reprises de formules initiatiques jalon-
nèrent toute la seconde étape de la progression du conte N° 18.
Leur signification: faire comprendre l'importance des formules
récitée~ dans ce cadre initi~t;que, la nécessité de le~ prendre
comme telles, et le devoir d'éviter toute légéreté à leur égard,
et en fait, à l légard de toutes réalités semblables inextrica-
bl~ment mêlées aux questions importantes de la vie.
Enfin, le r~tour périodique des mêmes faits dans la
narration d'un récit indique la permanence de ces faits, perma-
nence qui est alors harcelante (en mal ou en bien).
Ainsi, dans le conte N° 9, la reprise, comme un re-
frain, du décompte des ignames d'ARAIGNEE et de sa formule

238
"Voilà que tu as violé l t t nt e r dt t "}" dénote la permanence du
" piège" tendu aux Animaux et le caractère harcelant pour eux.
De même, les récriminations du BENJAMIN, qui
tra-
versent tout le cours du conte N° 7, révèlent d'une part le
degré de ressentiment de l'enfant, et d'autre part, l'aspect
insupportable de son caractère pour son entourage.
Au total, la Répétition, par elle-même, sans jamais
formuler expl icitement l'idée qu'elle se propose de donner à
saisir, exprime dans les contes, la signification des choses.
Elle suggère le sens de différents faits, de différentes si-
tuations.
Par ce même procédé, elle actualise et perpétue les
messages des récits.
2°;
L'actuali~ation
Soumises à une reprise inlassable, les chosess'im-
posent à l'esprit, et de la sorte, demeurent dans les préoccu-
pations globales de la société: elles s'immortalisent.
Ainsi, la répétition des données thématiq'ues d'une
par t , et de lia ut r e, 1a réé dit ion des con tes d' une soi ré e à
une autre, font imposer les contes et la Tradition à l'imagi-
nation collective, contribuant à structurer les mentalités, à
mettre en place l'archétype de la vision du monde: la Tradi-
tion s'immortalise.

239
écrit Léopold Senghor.
Par la suggestion également, la Répétition stimule
la narration.
Comme par une sorte d'osmose, la Répétition porte à
un haut seuil d'enthousiasme l'assistance et le conteur lui-
même. Ici, elle se fait cadence d'intervention des conteurs
dans une veillée de contes: les orateurs se succédant, se
relayant sans fin, offrent l'image d'un retour ininterrompu
du "parleur", mais surtout, du parleur qui, ayant ses propos
activement rythmés, son intervention immédiatement prolongée
par celle d'un autre intervenant, sent se décupler ses capa-
cités oratoires, trouve en lui la vitalité qui saisit chacun
à
la racine de l'être: le cercle tout entier vibre: "
11 intérêt et l'attention de l'assistance sont stimulés par la
compétition des conteurs" (2).
La vitalité du cercle de contes elle-même incite à
la participation, à la succession ininterrompue des conteurs
( 1 J SENGHOR
L.
:
La Paltole. c.he.z Paul Claude.l e.t ë.he.z le.~ Néalto-
Anlt"<"c.aÙ1-6
;
N.
E.
A.
Va/zalt ;
1973.
(2)
ZAHAN VomÙ/."<"que., La d..<..ate.c.tique. du vvr.be. c.he.z leJ.J BambaJta j PaJt-w,
1963, p. 99.

240
conception classique du cercle de contes, devant laquelle se
dresse le cercle sous forme de spectacle à conteur unique et
donc appauvri en quelque sorte de la dimension des interven-
tions rotatives: deux conceptions de la représentation du
conte qu t i l sera intéressant d'examiner pour clore l'étude du
rythme et de l'énonciation.
Enfin, sous la forme d'occurrences répétitives de
chansons, la répétition, souvent, tient lieu d'action et
concourt à la progression du récit.
L~s chansons intervenant en lieu et place de cer-
taines phases du récit dont la relation serait fastidieuse
et
sans intér~t particulier pour la compréhension du conte,
(réalisation de diverses activités de la vie courante), elles
remplacent les actions, non par leur contenu de signification,
mais par le se ul . f a i td e leurs occurrences régulières.
Ainsi, dans le conte n° 7, la chanson des fils ban-
nis, outre qu'elle prépare la réceptivité de l'assistance et
relance opportunément son intérêt, elle exprime l'exécution
des travaux par les enfants. Les paroles introductives de ces
interventions des chansons (ou la mise au travail) l'attes-
tent : "Ll e i né en position de travail entonne ... u ; ou bien:
"Le s autres viennent, attaquent le travail ... u ( ... Et suit la
chanson) ; ou encore: "Le s six autres se mettent au travail;
L'aîné entonne ... '",

241
Que cette intervention régulière de la chanson dans
la relation des faits ait valeur d'action, c'est surtout la
fin des travaux ainsi exécutés par son biais, qui
l'atteste
IIIls abattent ainsi toute la forêt, vaste et va s t e ", Ou en-
core: "Ils dévastèrent toute la portion de forêt, le désher-
bage prit ainsi fin.
Ils abattirent les arbres, puis sarclè-
rent tout le champ ... 11.
La chanson régla le rythme des travaux et constitua
concrètement leur acte d'exécution:
Le conteur
"Le.6 autJte.6 viennent, attaquent le tJtavail
"PJt0nonde.6
et pJtononde.6 me.6 c..e.avic.u.e.e.6,
pJtétend mon
"pè-Jte !
"Vé.nJtic.hon.6 e o n c.hamp !
"PJt0nonde.6 et pJtononde.6 me.6 c..e.avic.u.e.e.6,
pJté.tend mon
"pèJte 1
"VénJtic.hon.6
o n c.hamp !
ë
"PJto-60nde.6,
c..e.avic.u.e.e.6
pJt060nde.6
"Vé.6Jtic.hon.6 .6on c.hamp !
"V Jt L k. ô.e. ê-l 0 u ! ps: 0 n0 nd es et p): 0 ~ 0n d es t es c..e. a vic. u.e. es
"Vé.nJtic.hon.6 .6on c.hamp
,
"PJt0nonde.6 c.lavic.ule.6,
dé.nJtic.hon.6 -6on c.hamp 1".

242
De même, dans la narration du conte N° 15, l'occur-
rence de la chanson tient lieu d'action dans cette curieuse
II mé d i c a t i o n li
du PETIT MARGOUILLAT, médication dont nous sa-
vons qu'elle symbolise en fait la consommation d'un acte se-
x ue 1 .
Ainsi le conteur
" U.1. e.o dt.s ent
"Eh bien, c.'e.ot c.omplti.o. Pltend.o
"patienc.e 1
"Nou.o a1.1.on.o t'admini.otltelt c e Itemède 1"
"E1.1.e.o vont .oe c.onc.elttelt
"Pui.o une d'entlte e1.1.e.o altltive. E1.1.e d.it
"0 Petit Maltgou.i1.1.at 1 appltoc.he donc. que je t'ad-
"m.ini.otlte ton méd.ic.ament ! Peut-êtlte. giiéltilta.o-tu ?"
"Faite.o voilt donc. qu'au pet.it Maltgou.i1.1.at,
j'admi-
"ni.otlte d es Ite.mède.o 1 Peut-êtlte guéltilta-t-i1. ?
"Qu'au Maltgoui1.1.at j'admin.i.otlte de.o Itemède.o 1
"
t
-t
~.
t ' 0
?
"
peu -e Ite gue.It..(.lta- -..(.-<. ••••••••••••••••••••••••••••
Et il en est ainsi des contes 27, 30, 40, 42, 47,
etc.
Cette utilisation de la chanson se caractérise chez
le conteur Vanié-Bi Pôh par le fait qu'en général, c'est par
la chanson qu'est introduit le conte lui-même: c'est la

243
présentation préalable d'un élément capital qui devra articu-
ler et faire progresser le récit en se substituant à des ac-
tions.
Au total
la Répétition, par son pouvoir de suggé-
t
rer les choses, amène les contes à un accomplissement parfait
elle exalte la sensibilité des auditeurs, fait pénétrer en
eux, comme par une douce friction, l'essentiel des messages
des récits, c'est-à-dire, en définitive, la Tradition elle-
même qu'elle contribue ainsi à perpétuer.
Prccédé de style embellissant ainsi la parole du
conte, son action est complétée dans la narration par les
Figures de rhétorique.
Elles sont nombreuses dans les contes populaires.
Attributs essentiels du langage articulé, ils émail-
lent en fait de leur présence, tous les discours de la vie
quo t-i d Î"e nne .
Mais, alors que certaines sont d'un usage réelle-
ment conscient, d'autres, telles la synecdoque par exemple -le
fait de prendre la partie pour le tout; la métonymie, le
fait de prendre le contenant pour le contenu; etc- sous l'ef-
fet d'un usage constant dans la vie de tous les jours, ont
fini par perdre de leur pertinence esthétique et ne peuvent

244
produire un véritable effet affectif sur l'auditeur.
Seules la métaphore, l'exclamation, 1 'hyperbole
et dans une certaine mesure, la comparaison gardent leur
puissance d'expressivité artistique. Pour cela, et en raison
de leur fréquence relative dans le processus de narration,
on choisira de les étudier plus particulièrement.
1°/ La MétaphoJt.e
C'est une figure de rhétorique procédant par trans-
f~rt de sens. Elle consiste a faire passer un terme concret
dans un contexte abstrait en vertu d'analogies qui lient les
choses.
Dans les contes, elle est recherche de prégnance
d'une pa~t, et de cla~té d1autre part .
. RecheJt.che de pJt.éanance
- - - - - - - - ~ - - -
Ce qui, dans les récits, peut être considéré comme
Métaphore, toutes proportions gardées, c'est le symbole.
Comm~ la Métaphore en effet, le symbole, pour ré-
véler les messages, use du mode analogique, de transfert de
sens, ou encore se donne comme comparaison sans terme compa-
ra tif.
Ce qui a pour conséquence d'imposer ces messages a
l'esprit, et d'exiger d'autre part attention soutenue et

245
recherche active de la part des individus pour leur compré-
hension : les messages, de la sorte, sont prégnants.
Clest le cas des situations\\ décrites par les
contes, situations qui toutes, sont symboliques, autrement
dit, métaphoriques.
Clest également le cas des
personnages eux-mêmes
Le personnage d'ARAIGNEE impose en effet à la compréhension
-à une compréhension active- ses nombreuses significations
étudiées dan~ le premier chapitre de ce travail
: égo'sme~;
gourmandise
imprudence; imprévoyance, sottise, stupidité
mal i ce, bon s e. rr s ; t ra; tri se; etc.
Le personnage de la PANTHERE
cruauté, voracité,
sottise.
La JEUNE FILLE: caprice, caractère difficile, in-
transigeance, beauté; etc.
De même leurs noms, leurs dénominations visent en
gén·éral à être prégnantes, à révéler par ricochet un ou des
messages donnés. On les étudiera dans la "métaphore descrip-
t i ve " en raison de leur caractère marqué à se présenter comme
recherche de clarté.
A ces métaphores liées à la structure du conte, il
faut ajouter celles qui sont du ressort du style du Conteur.
Clest le cas des "s t l enc e s na r r at i f s " qui
révèlent les messages

246
par ricochet et les imposent à la compréhension.
Ainsi en est-il de la narration du conte N° 12 où
le Narrateur observe des moments de silence pour que l'Audi-
toire ait une saisie personnelle et aiguë des réactions du
PETIT AVEUGLE subitement rendu à la vue et s'apercevant du
mauvais tour que lui joua son compagnon, le JEUNE PARALYTIQUE
(Les points de suspension indiquent les silences)
"Levant la tête c.omme c.i,
"Il voit le c.ltapaud dan~ ~a main et dit
"0 mi~è.lte
"- 0 mi~è.lte
"N'a'yant pa~ me~ yeux, v oLc.L c e que ...
"0 mal d' yeux! Maladie ~up!tê.me
"- Comment! c.e c.hien de Paltalytique ! ...
"Ce jeune homme aux patte~ pendante~, c.'e~t lui
"qui. ..
!"
De même, dans la narration du conte N° 15, le
silence fait suite à la colère du frère de la jeune fille de-
vant l'insolence grivoise du PETIT MARGOUILLAT, et contribue
à
l'enrichir diversément dans l'esprit des auditeurs du conte
"en !
"Allez-vou~-en là.-ba~,
dan~ la bltou~~e
"Mai~ ç.a palt exemple !
"Il e~t vltaiment e66ltonté. c.e petit Maltgouillat !
"C ' es t: ma ~ 0 e ult que...
!"

247
Mais s ur t out vt l.e Narrateur utilise des métaphores
de con s t r uc t ion s ynta xi que
"Et c'e.-6t .ta chailt de. Gozô o66e.ltt qu'e..t.te. e.t .te
"CHIEN étaie.nt en tltain de. con-6omme.lt" (conte N° 1).
Ou encore dans le même récit
"Ve. -6a main, tout -6imp.te.me.nt, e..t.te. 6ltotte. 6oltte.ment
"Le. vLs ag e de. .ta 6i.t.te. ; au-6 -6itôt .t zs ue.u x. de. ce..t.te.-
"ci -6'ouvlte.nt pe.ndant qu'un moltce.au de. viande. e.-6t
"6ix.é ne.t .tà-haut".
Ces constructions décrivent, comme on l'a dit au dé-
but de l'étude, des réal ités mystiques: ce sont des métapho-
res et qui pour cela, imposent leur signification.
Ainsi, la fonction de prégnance fait du conte un
outil pédagogique efficace. C'est ce qui vaut cette apprécia-
tion de Colardelle-Diarrassouba :
"1 ... ) .te. Itilte. condamne. .te Ma.t 6ai-6ant palt .tà me.me
"appalta,t'tlte. .te. Bien ( ... ).
Le. pltocédé e..6t)f.!ubti.t
"palt'ce que. beaucoup p.tU-6 e.66icace.. Je. lti-6 de. .t'hyène.
"qui e.-6t punie poult av oLn: été méchante. et je. -6ai-6
"palt .tà même. où e.-6t .te. Bien"
(1).
(1)
COLARVELLE-VIARRASSOUBA
op. cU.,
p.
127.

248
Mais outre cette prégnance, les récits visent à la
câa r t ê •
Elle est le fait des formations métaphoriques lexi-
cales que sont les onomatopées.
Les onomatopées sont innombrables dans la langue
gouro et, semble-t-il, dans la plupart des langues africaines
en fait.
Elles servent à désigner le réel par imitation pho-
nétique destinée à suggérer ce dernier de cette façon.
Plus
qu1jn simple mot donc, l 'onomatopée est une véritable construc-
tion symbolique, une métaphore évoquant les choses. Clest ce
qui explique que Roland Colin les définisse comme "des groupes
de syllabes dont la sonorité doit produire un choc émotionnel
correspondant à l'essence intime de l'objet décrit" (1).
Et dans la langue gouro, elles sont toujours gorgées
de sens, de nuances les plus subtiles et les plus diverses:
ce sont des agrégats de significations, à la manière même des
s.y mbol es.
Ainsi, dans les contes, suggèrent-elles en une seule
émission, une foule d'idées, voire de situations éclairant la
(1)
COLIN Rotand,
c~té pa~ Cota~dette-V~a~~a~~ouba
op. c~t.,
p.
ï
l i ,

249
progression des récits.
Il s'agit pour le conteur d'établir
des descriptions aussi riches que possibles dans une situation
donnée.
C'est le cas dans le conte N° 12 où est décrit le
déplacement du PETIT PARALYTIQUE
"TJtê.lê.
:tJtê.lê.
:tJtê.l ê. !" a LL "Pl ê.lê.
plélê. !"
qui
signifie
- avancer
- par petites étapes successives
- en se traînant.
Dans le même conte, la description de la chute d t un e
grosse souris (d'une toiture, sur le sol) :
"Wôlzô s»
qui
renvoie à
- chute
- de quelque chose de gras
- (avec un brui t nourri).
Dans le conte N° 21, la description d'un bracelet
qu'on retire énergiquement du poignet:
"Vla
!"

250
- bruit que fait un objet qu'on arrache d'un en-
droit (boueux) où il était solidement fixé
- l'objet est enduit de matière gluante (ou l'en-
droi t où il est fi xé est boueux)
- (il est creux)
- il est arraché énergiquement.
Dans le conte rlo l , la description de la bouillie
de riz en train de cuire sur le foyer
"Gbê.iê.
gbê.iê.
! gbê.iê.
!" 0 u. "GôLo u.
gôiou.
gôiou. !"
- bruit que fait une matière pâteuse,
- qui bout
_. avec furie (nuance perceptible dans le débit ora-
toire).
Enfin -mais les exemples sont nombreux- dans le
conte N° 21 déjà cité, l'évocation d'un choc violent:
"Gba !"
- bruit sec (coup sec)
- violent
- (lorsqu'on tranche quelque chose).

251
La dénomination des personnages même joue également
un rôle descriptif. Elle joue sur les caractéristiques natu-
relles ou supposées telles des personnages
WEIWEITI-GOGO-TROEN (Araignée)
- vif, alerte
- vieillot, patriarche.
BEllA (Biche) :
- (mangeuse de) feuilles.
BABOLOU-BI-LEGRE-BANBAN (Gazelle)
- tacheté - blanc
- trompette, cor, clairon
(Aut.rement dit: Gazelle-La-Tachetée-en-blanc-
sonneuse-de-trompette) .••
Ainsi donc, la Métaphore contribue a assurer aux
messages des contes une certaine richesse de représentation,
une certaine coloration qui facilite l lappréhénsion des choses.
Mais comme on l la annoncé plus haut, bien d'autres
procédés révèlent d'autres aspects de la compréhension des ré-
ci ts .
2°/ L'Ex~tamat~on
.6 e.nt~me.nt.6
Domaine de la spontanéité par excellence, la narration

252
des contes fourmille en exclamations qui expriment les états
d'âme du cercle.
Et de fait, elle exprime les sentiments les plus
variés.
-
La c.o n. vi c.tio n.
Elle r s ul te surtout des di fférentes réponses de
ë
l'Agent r y t hmi o ue (ou de l'Auditoire) au fil
de la narration.
Ces réponses
(acquiescements ou dénégations), tou-
jours sous une forme exclamative, donnent aux propos du conteur,
un caractère de vérité convaincante.
Ainsi dans le conte N° 5, la plainte de la femme de
LIHom'lE, appuyée par liA R :
La Feri me (p a r l e i~ ar rat e ur) :
":\\!ême te-6 c.ôte-6 o nz beau jaLtR.iJr. de ton. C.Oltp-6
"au point qLLe tout R.e mon.de R.e-6
voie pUltemen.t,
"c cz !Lomme ne te 6éR.ic.ite pa,!:,
!
" -
Ef1 0 ui: !"
Ou encore dans le même conte, l'HO~1~1E vantant l'im-
mensité de ses propriétés, de ses possessions, est appuyé dans
ses propos par l'Agent rythmique:
" .•. Si VOU-6
voyez que i.o ns o u»: tout R.e mon.de an.n.on.c.e,
"avec. R.a s o rd.i:« de R.a n o uv e.t.t e R.un.e, R.e pa-6-6age de
"R.'Haltmattan.,
que je. -6~me du ni.z , iR. don.n.e et don.n.e au

253
"point que. de s pe.up.e.e..6
e.ntivt.6 ac.c.ouJte.nt Jte.te.niJt
"iie s main.6, toute..6 c es montagne..6
de. paddy qu...<. me.na-
"c.e.nt de. .6 '~c.JtOU.e.e.Jt •••
"
Eh oui l "
s i e xc l ame l 'Agent rythmique.
Et même dans ce conte, toute la tirade de l'HOMME
( ti ra de c i t ée plu s ha ut) , , n ' est e n fa i t q u' une sui t e die xc1a -
mations. ('est le propre de la déclamation: tête haute, le re-
gard balayant lentement les alentours, de droite et de gauche,
le geste des bras ample, la tête rythmant le propos avec déter-
mination, on vise a y montrer toute l'importance de sa position
sociale et de celle des siens, toute la magnificence de son li-
gnage (si celui-ci fut effectivement transcendant).
Aussi, est-ce toujours une série d'exclamations qui,
précisément, se veulent 1 1 i ns t r ume nt de la conviction de 1 'ora-
te ur.
- b'~xf.e.~m~tfo~ exprime également
1 'étonnemerit qui
se présente toujours comme un véritable ahuris-
sement, ce qui
mêle indissolublement e xc l a rnet i o n et interrogation.
Ainsi, dans le conte N° 21
"Ce.t homme. avait be.au éJtotte.Jt du n'Ji .6uJt s o n bn.a s ,
"i.e. avait be.au .6 1 e. 6éOJtc.e.Jt ••• i.e. ni e.ut pa.6 Jt~pon.6 e.
"po.6itive.
"- Quoi ? f "

254
Ou encore, dans le conte N° 12, la surprise inter-
rogative du même Agent rythmique entendant les propos à peine
croyables proférés par le PARALYTIQUE:
Le personnage (par le Narrateur)
"Et te.
PaJta.tyt-i.que. a j o ut.». : "S-i. Yl.OU.6 Yl.'ét-i.oYl..6 pa..6
".6e.Ut6
s L pa»: ha..6a.Jtd j'a.va.-i..6 UYl. b-i.e.Yl.6a.-i.te.uJt qu-<.
"pouva.-i.t me. poJtte.Jt .6uJt .6e..6 épa.Ute.6
pouJt me. eOYl.du-i.-
"Jte. a u x eha.mp.6, je. m' y Jte.Yl.dJta.-i.t f"
interroge L' Aqe nt rythmique qui
n'en croit pas ses oreilles.
De même, dans le conte N° 21 précédemment cité, la
même surprise interrogative, mais avec, ici, une nuance d'hor-
re ur, lie xplo s ion d 1 U ne ter r e ur bru ta l e
"Le vo-i.ta pO.6a.Yl.t 60Yl. bJta.6 6UJt UYl.e. b~ehe.,
eYl. pte.-i.Yl.
"ee.Yl.tJte. de. 6a. mài.s o n , D'uYl. c.o u p , gba. ff -i.t.6e.
"tJta.Yl.ehe. te. po-i.gYl.e.t
"- Quo-i. ? f .60yl. pJtopJte. bJta.6 a v-i.6 ?!
- b'~x.~t~m~t~o~ peut r!véler
également la douleur. Ainsi, les gémissements du PETfr MARGOUIL-
LAT dans le conte N° 15.
"A~e. moYl. c e c
a.le. m(L./i bJta..6
é
"Oh me.6 ye.ux. ! Ah ma. t~te. ! a.~e. moYl. ee.e-i.
a.-<.e. moYl.
"ee.ta. !".

255
-
La co t.ë»:«
"
Eh 1 Goënan 1 qu'e.~t-c.e. que. tu v~e.n~ de. d~lte. ?
"Atte.z
1 va adm~n~~tlte.1t te. Ite.mède. au Pe.t~t Maltgou~t-
"tat 1"( con t e N° 15).
Ou encore cette réaction du PETIT AVEUGLE quand,
subitement guéri, il comprend le tour que lui joua son compa-
gnon :
"- Comme.nt 1 Ce. c.h~e.n de. Paltatyt~que.
1 •••
"Ce. [eun e. homme. aux patte.~ pe.ndante.~, c.'e.~t tu~
" 0 u-t • • • " •
-
La dé.ttr..e.~ ~ e.
Ainsi, dans le conte N° 12, la complainte du PETIT
AVEUGLE et du JEUNE PARALYTIQUE
"0 ye.ux.
"0 ue.ux, s u.opons; de. t'homme. 1"
Et le Paralytique
"0
j amb es
~((PpOltt de. t'homme.
Ou bien encore, l'AVEUGLE
"0 mi<nl"n
1
li'
.Jo
",-1.)
"-L"-
• • • •
;~
ayan-L ra~ me s ye.ux,
vo i.c.L c.e. que. .••
"0
mat d' u e.u:x.
matad-te. ~urlt~me. 1".

256
Enfin, l 'Exclamation peut exprimer la noblesse, la
prestance comme on a pu le voir à propos de la déclamation de
l'HOMME au cours de son expérience avec les sorciers du Villa-
ge. Et du reste, ce ne fut que cette arrogante prestance affi-
chée par l 'HOMME, qui rendit immédiate et implacable la réac-
tion des sorciers.
3 0 /
L' H1fpe.Jtbo.te.
('est une figure de style consistant à mettre en
relief une idée au moyen d'une expression qui
le dépasse.
Exagération, elle l'est dans les deux sens extrêmes
des choses, dans le sens du "mal ", du négatif, comme dans celui
du "bien", du positif.
Dan s les con tes, en gé ri ér al, e l lev i se à r end r e mar'-
quants, voire choquants les différents éléments des situations
dramatiques afin que chaque auditeur des contes, chaque membre
de la communauté en soit profondément impressionné et organise
sa conduite sociale par rapport à eux.
En réalité, elle affecte la structure même des cont~s.
('est en effet l 'ensemble constitué par les situa-
tions et la psychologie des
personnages qui, dans la conception
des contes populaires, se trouve soumis à l'exagération-insistance.
Dans cette même perspective, le langage, (celui par
lequel
le Narrateur dépeint les personnages et les situations,

257
et celui qui est censé sortir de la bouche des personnages),
apparaît tout aussi outré que la structure des récits: il
s'agit de réaliser, sur le plan littéraire, l'indispensable
harmonie entre les données psychologiques des situations et
leurs moyens d'expression.
L'excès en mal est la perspective des choses où les
personnages considérés sont négatifs dans la plus grande majo-
rité des contes, et ce, sans l'expression d'une réserve nota-
ble dans chaque situation.
C'est le mode de loin le plus usité dans la concep-
tion des contes: c'est que ce genre vise essentiellement à ré-
soudre en théorie, des crises sociales, à réduire des états
problématiques.
L1excès en bien est la perspective où les personna-
ges considérés apparaissent toujours positifs dans toutes les
circonstances dramatiques, incarnant sans réserve, les valeurs
admises par la société.
L'excès en mal se relève dans le personnage d'ARAIGNEE.
Dans tous les contes de ce "cy c l e "; le personnage
se révèle en effet négatif, si 1 'on excepte les rares situations
oü il dêmontre un esprit d'à-propos et triomphe d'autres person-
nages plus "co mp r omi s " que lui, à ce moment précis.
L'exagération en mal caractérise également le person-
nage de la PANTHERE, de HYENE, etc qui, à cause de leur cruauté,

258
se présentent comme la négation de la vie et de la sociabilité,
et donc, comme fondamentalement négatifs.
Leurs propos qui extériorisent leurs tendances pro-
fondes, aussi bien que les appréciations descriptives du conte-
nu, s'avèrent toujours outrés, choquants
Il • • •
celui qui est
d'accord pour être tué le jour de ma mort, qu'il prenne (ma
fille) et l'emporte ll ,
di t par exemple l'HOM~1E dans le conte N° la.
Mais notons que cet excès dans le langage, dans les
moeurs nia presque jamais trait a la valeur stylistique des
propos des personnages (sauf lorsqu'un personnage envisage d'im-
pressionner d'une façon ou d'une autre son interlocuteur). L'e-
xagération indique uniquement le fait que les propos tenus ne
sont pas porteurs de valeurs positives, mais réflètent l 'inten-
sité extrême dlun caractère nègatif. Ainsi a-t-on remarqué le
trait choquant des propos a-sociaux de PANTHERE invitant les
prétendants .de sa fi lle (conte IljO 1) a consommer sans broncher,
de la "o oui l l t e oou t l l an t e ",
L'excès en mal définit enfin, mais de façon acces-
soire, ELEPHANT pour quelques-unes de ses démonstrations de
cruauté, 1 'HOMME pour sa méchanceté et son ingratitude.
Le procédé hyperbolique se vérifie également dans un
sens positif, au niveau de personnages caractérisés par leur
assimilation totale avec les valeurs admises.
Clest le cas de la TORTUE pour son expérience, du

259
GECKO pour sa sagesse, etc.
Et précisément, ces deux niveaux hyperboliques
constituent des grossissements mettant l'accent sur tel ou
tel aspect de la vie des hommes et de leur vision du monde.
Enfin c'est ce principe littéraire de l'exagération
qui, d'une façon générale, rend possibles toutes catégories
de personnages, toutes variétés de situations dramatiques
laideur physique absolue, beauté incomparable, bonté sans 1i-
mite; personnages de Géants, etc.
Ite.c.he.ltc.he. de.
En réalité, la Comparaison, comme la plupart des
procédés de création d'images chez les Gouro, souffre dlun
épuisement en valeur esthétique à force dlusage dans les cir-
constances quotidiennes de la vie. Clest qu'elle est l'instru-
ment principal de la clarté que recherchent avant tout les lan-
gues africaines. Et à ce titre, elle tient une place de choix
dans la prose littéraire où elle évoque des images jetant un
éclairage particulier sur les situations: elle est recherche
de précision en tous domaines.
- Ainsi
la précision dans la distance':
"I.€..6
.6e. lève.Ylt e.t.,
à UYle. di.6taYlc.e. c.omme. d'ic.i à
"not/te. l\\fol1-tagYle.
(7),
VOYlt .6'établilt"
(conte N° 7).
(1)
Le. MOl1t
N'GoZ, a UYle. dizaiYle. de. ~ilomètlte..6
du village. oa a
Li.e.u le. C.OVlte..

260
Ou encore, dans le conte N° 3
"La Pan.thè-Ite. étan.t altlt-<-vée. à un.e. dL6tan.c.e. c.omme.
"d'-<-c.-<- à la n.ouve.lle. ma-<-~on. qu'on. vo Lt: là,
"Et la Chèvlte. .6' altltêtan.t à un.e. d-<-.6 tan.c.e. c.omme. -ccc ,
"Le..6 de.ux. s e Ite.n.c.on.tlte.n..t, .6épaltée..6
pan: c ez z e d.i.s>
"tan. c.e." •
- La précision dans les dimensions
" Ne. va -<-.6 - t: u pa,~ l es
j amb es
é n. a It me..6
e.t é n. Olt me.s ,
"ltude..6 e.t: nu d e.s que. j'a-<- ?
"- Comme. de.s moltt-<-e.It.6
!"
Etc.
Au total, les éléments discursifs du rythme contri-
buent à parfaire la narration en lui conférant des possibilités
supplémentaires d'expressivité et de prégnance.
Dans les contes populaires, ils sont étroitement liés
aux facteurs d'oralité.
2.
Fœc.t~ult.6 ltythm-<-que.6 oltaux.
Il s'agit de l'Accentuation (ou Insistance vocale)
et du Débit oratoire.
Elle est mise à contribution pour produire des effets
particuliers dans l'élaboration des oeuvres orales. Ceux des

261
conteurs qui
ont une grande maîtrise de la parole en général,
qui connaissent le secret des effets du discours, ne négligent
jamais d'en faire usage tout au long de leurs partitions. L'A-
gent rythmique n'est-il pas la, symbole vivant du rythme, de
1 'insistance, pour rappeler à tout instant la nécessité d'in-
sister sur chaque chose?
Elle ponctue ainsi, rythme ainsi
les récits.
Mais les difficultés de sa matérialisation par l'é-
criture rendent incommode sa manipulation dans un domaine autre
que celui de l'audio-visuel: on se contentera donc d'énoncés
théoriques tablant néanmoins sur l'expérience de notre corpus
de contes enregistrés sur bandes magnétiques.
Comme le phénomène de répétition, elle suggère les
choses.
Elle constitue pour le conteur un instrument ef-
ficace de définition de l'importance des faits, mais surtout,
de stimulation de l'intérêt de 1 lAuditoire.
Emise suivant une certaine fré~uence, suivant une
cadence serrée (mais alors le conteur aboutit aux confins de
la poésie - et précisément, bien des situations y portent
1 'orateur de talent), elle exalte le cercle de conte; chacun
vit intensément telles ou telles péripéties des récits, irré-
sistiblement porté vers la parole qui se dévide
l'insistance
est désir de participation, principe d'adhésion.

262
Ce n'est pas un fai t de hasard si
l'Agent rythmique,
par ses interventions, stimule l'intérêt de l'Auditoire, l'in-
cite ardemment à la participation. C'est une insistance maté-
rialisée, une accentuation permanente et automatique de la nar-
ration transposée sur un plan spatial, et que prolonge justement
l'Insistance vocale.
Celle-ci partage li as pect spéci fiquernent voca 1 de
l'énonciation avec ce que nous désignons du terme de débit ora-
toire qui
est en fait son expression à une fréquence extrême.
b)
Le débit ona.roLn.« : Lo: ~a~c.inatioYl.
et
-----------------------~-------------
Le Débit oratoire continu, bien qu'essentiellement
vocal, est matérialisable par l'écriture. Ecoulement "ininter-
rompu" de parole, il marque l'organisation même du discours
(alors que l'insistance vocale n'affecte que l'apparence des
termes, et qui sont souvent isolés). Ainsi, il est transcripti-
ble et perceptible à l'expérience visuelle.
Cadence serrée de mots, la parole y est comme liqué-
fiée et avoisine la chanson. C'est une des expressions de la
parole belle par excellence. Elle relève du domaine de la poésie.
Mais ceux des conteurs qui possèdent la fine fibre poétique en
usent toutes les fois qu'ils envisagent de toucher à vif l'audi-
toire, ou, dans le même ordre des choses, lorsqu'ils mettent en
scène des personnages qui doivent fasciner leur interlocuteur

263
par la puissance du verbe.
Dans ces circonstances, la voix du Narrateur passe
du timbre neutre, linéaire et pauvre, dirait-on, à une inten-
sité accrue, à une emphase impressionnante: il déclame et fas-
ci ne.
Clest le cas dans la narration du conte N° 5.
Un HOMME veut démontrer à sa femme les dangers de
l'orgueil dans la société. Il choisit pour cela de narguer les
sorciers -mang~ur's~ de force vitale en se vantant copieusement
devant eux, attendu que ces derniers, dans leur susceptibilité
~xtrgme, ne pardonnent jamais de tels affronts. Mais pour parer
les coups, pour mettre malgré tout, sa vie à l labri du décha~ne­
ment prochain des sorciers, il
leur désigne astucieusement un ar-
bre, le kloro luxuriant, devant sa maison, comme étant la source
providentielle de toutes les félicités qu1il avait inventoriées
et célébrées en leur présence.
Il slagit donc pour le personnage de porter à incan-
descence la susceptibilité des sorciers afin que soit prompte et
radicale l~ur réaction.
C'est alors que le Narrateur déclame, de plus en plus
excité par son Agent rythmique
nRega~dez mon ~lo~o que voila. Si vou~ voyez que
nlo~~que je plan-te de~ -i;gname~, même ap~è~ ~ai~on,
nil~ donnen-t, ~empli~~en-t de:s hanga~~ au poin-t qu'on

264
"e.n dê.ve n.s e: de s quantité.J.J J.JouJ.J te.J.J aUVe.VLtJ.J
;
"Si vo u.s v o uez que. toJtJ.Jque. tout te. monde. annonc.e.,
"ave.c. ta J.JoJttie. de. ta nouve.tte. tune.,
te. paJ.JJ.Jage. de.
"t' HaJtmattan,
que. je. J.Jè.me. du n.i.z , i t donne. e.t donne.
"au POiVLt que. de.s
pe.upte.J.J e.ntie.JtJ.J ac.c.ouJte.nt Jte.te.niJt
"iie:« mainJ.J, xout e» c es montagVLe.J.J de. paddy qui me.na-
"c e nz de. J.J' é.c.Jtoute.Jt ••• (1).
"- Eh 0 ui !!
"Tout c e qlU me. touc.he. e s t: pJtoJ.Jpè-Jte. ; c.'e.,~t pouJtquoi
"t 0 JtJ.J Ci u e. j e. 9a 9 VL e. de. t' aJt9 e. nt,
c e. J.J 0 ri t
t 0 uj 0 uJtJ.J
de. J.J
"Quand j'é.pou,~e. une. ne.mme,
c.'e.J.Jt une. épou~e. impoJ.Jante.,
"aux 6oJtme.J.J opute.n,te.J.J
"TJtônant ave.c. pJte.J.Jtal'lc.e. daVLJ.J moVL Doye.Jt !
"- Et xo ut te. mo nde. a Jte.gaJtd J.J uJt e.tte. !!
" Bati
( 2 ) •
" - 0 ui , Guti Yl
( 3 J •
"•••
Si tu v oi.; que. J.JOVLt be.tte.J.J t.o ut.e» Me.J.J poJ.JJ.Je.J.JJ.JiOVLJ.J,
"e.t: que. moi-m~me. je. J.JuiJ.J t.aitté J.Ji 6iVL~me.VLt - ne. me.
"vo ue z-v oas paJ.J ? Me. vo q e z vo us t.o ut: co uv e.n: de. gate.J.J
r
( 1)
Le.J.J poivl.tJ.J de. J.JUJ.J pe.VLJ.JioVI. a ta nin de. c.e.JttaiVLe.J.J phJtaJ.J e.J.J e.t: au
dé.but d'autJte.J.J,
maJtque.VLt UVLe. JtuptuJte. de. c.oVLJ.JtJtuc.tioVL c.aJtac.té.-
JtiJ.Jtique. daVLJ.J ta poé.J.Jie. déc.tamatoiJte..
Ette. e.J.Jt é.gate.me.VLt noté.e.
paJt de.J.J tiJte.tJ.J quaVLd c.e.ux-c.i Yle. J.Je. c.oVLnoYlde.VLt pa~ ave.c. te.J.J
tiJte.tJ.J de.J.J iVLte.JtVe.VLtioVLJ.J de. t'A R, Jte.c.oVLYlaiJ.JJ.Jabte.J.J à ta bJtiè.-
ve.té. de.J.J
pJtopoJ.J de. c.e.tui-c.i.
(2)
PJtêVLom "oc.c.ide.VLtat" de. t'A R
dé.6oJtmatioVL tiVLguiJ.Jtique. de.
BaptiJ.Jte..
(3 J
PJtéVLom "oc.c.ide.ntat" du i'JaJtJtate.uJt

265
"Ce.tte. -6-i.mple. ba.Jtbe. que. Jta-6e.nt 1e.-6 homme.-6,
"Ce.-6 bouton-6 du me.nton,
10Jt-6que. je. 1e.-6 Jta-6e.,
mo~,
"l'on cJto-i.Jta.-i.t que. -6uJt mon me.nton j'a-i. pa.-6-6~ du ny-i.
"ne. me. voye.z-VOU-6 pa.-6 xo «: be.a.u a s.a vi»: ? Eh b-i.e.n,
"tout ce.la v-i.e.nt de. mon kloJto que. vo-i.la
"-
Ce.-6 -6oJtte.-6 de. baJtbe.-6 a.ve.c de.-6
bouton-6 ~noJtme.-6,
"jama-i.-6 ne. pou-6-6e.nt che.z mo-i. !!
"
Jama-i.-6
er.t.e.s ne. pOU-6-6e.nt cn e z mo-i.
"
Si: v0 Ld
v0 ue z que. j e. -6 u-i. -6 -6 -i. b e. a. u ,
CC ue. t.o Jt-6 que.
" je. paJtle., t.o ut le. mo nd e. -6' ê. cJt-i. e.
"0 u-i.
Ca,
c ' e.,~ t:
"q ue.lq u ' un q u-i. a paJtI~
!"
"- He.Ù1.
?!
"
Que. ce. -6o-i.t la paJtole. de. ma bouche.,
e.lle. pla-t.t
"Que. ce. s oi:t: ma pe.Jt-6onne.,
e.lle. pla-t.t ! -
PouJtquo-i.
"j'a-i. tant de.
60Jt.:tune.-6,
pouJtquo-i., Lon s o u« je. pOJtte. un
"ha.b-i.,t, mlme. banal, -i.l me. -6-i.e.d a Jtav-i.Jt,
"C'e..6t gJtéice. à ce. kloJto que. vo uë
vo q e z ,
"C ' e. -6 t: lu-<.,
mo rt
6~ t-i.che. - -6 a u ve. UJt •
" 0 Jt,
-6 -i. j e. n' e. xpl i que. pa.-6
c e. la. e. t: que. j e. paJt.:t e. che.z
"V-i.e.u,
de.ma.-i.n,
"Ce.lu-i. de. me.-6 h~Jt-i.t-i.e.Jt-6
qu-i. -6e.Jta. e.n tJta.-i.n de. conna-t.tJte.
"la. vi:e: du n:e.,
ne. d-i.Jta.-t--i.1 pa-6 que. j'a.-i.
6a.-i.t acte. de.
"m~chance.t~
de. mon v-i.vant ?
"- PouJtquo-i. ne. le. d-i.Jta-t--i.1 pa-6
?
"Ne. d-i.Jta- t--i.l pa-6
: "N0-6 pèJte..ô ne. 6uJte.nt pa-6 pe.u
" rt an t-i.-6
;
ClU'IJ a - t: - -i. l don c po uJt qu'a no t: n. e. xo uJt no u-6
"ne. pu-i.-6-6-i.on-6
pa.ô n.ou-6
e.nJt-i.ch-i.Jt no U-6 au.ô-6-i. ? !"
"La. cau.ô e , Jte.gaJtde.z b-i.e.n : la vo Lt:« : ce. kloJto
!"

266
Débit impressionnant de la parole
Mais pour l'apprécier de façon objective, il con-
vient de savoir que cette tirade est constituée de versets
tels qu'ils furent définis dans le premier chapitre, c'est-a-
dire de jets de parole supportés par le rythme respiratoire et
se terminant donc par une pause ou une suspension de la voix.
Ce qui signifie que les ponctuations a l'intérieur
des versets ne correspondent qu'a la seule syntaxe de la langue
française.
Les versets sont ainsi marqués par des majuscules
initiales qui
les introduisent. Ainsi, le pre.mier commence par
Il Reg a rd e z
mo n kl 0 r 0 ••• Il
;
1e sec 0 nd , pa r Il Si v0 us v0 ye z ... Il
Ain s ide sui te .
Autrement dit, le premier verset commençant par
"Re ç a r de z .•. II , se termine par Il ••• sous les a uven t s " ; le se-
cond commençant par IISi vous voyez ... II ,
se termine par Il ••• qui
menacent de s t èc r o ul e r " ; le troisième qui commence par "To ut
ce qui
me touche .• .'fI, se termine par Il ••• des sommes impression-
na nte Sil; etc.
Or, s'il en est ainsi, (mais en restant malgré tout
conscient du fait que l'importance quantitative des phrases en
Gouro et en Français n'est pas toujours proportionnelle), il
faut convenir de la masse impressionnante de parole émise d'un
seul
trait!
Tel est le débit oratoire poétique.

267
Et qu li1 vienne fleurir en plein domaine prosaique,
nia rien d'étonnant.
Genre composite, le conte amalgame les catégories
de productions les plus diverses: chansons (clest-a-dire un
ensemble de mélodie et de poésie), virtualités chorégraphiques
(quand il y a rythme, la danse n'est pas loin), ma xi me s , pro-
verbes, etc.
De la sorte, y cohabite le mode poétique et le mode
prosaïque, le passage de l'un a l'autre n'étant qu'une question
d'opportunité de situations et de dispositions intellectuelles
de l'orateur.
Le mode poétique est rare cependant dans les contes
populaires, et même, n'y existe que~sous une forme qui
se dis-
tingue de la véritable forme poétique. Mais en réalité, c'est
vers lui que tend tout conteur quand il veille a châtier l'en-
semble de son é~onciation.
Son pouvoir de suggestion et de fascination est ex-
tr~me : les Sorciers du conte en question, cbauffés a blanc,
r
a qt s s en t aussitôt et de façon foudroyante:
liA l'heure où le
ë
jour se lève, Le feuillage tout entier du k1oro mourut subite-
me nt! Il •
Mais au-de1a de cette puissance oratoire de 1 'HOMME,
du personnage du conte, c'est la parole du conteur lui-même qui
fascine, qui pénètre.

268
Il en est de même de la narration du conte N° 63
oû Araignée subjugue ses congénères par sa parole.
La déclamation, qu'elle se situe dans les contes
ou dans un contexte2proprement poétique, fait dresser les che-
veux, affecte le rythme respiratoire de l'auditeur, soulève
irrésistiblement ses entrailles et le porte vers la parole,
vers l'orateur, tout comme l'intensité du rythme des
tam-tams
arrache du sol
le spectateur etle jette dans le cercle de danse.
Le débit poétique dans le conte ou ailleurs, est une
force. Elle est source de participation, d'adhésion.
Mais le rythme ordinaire de la prose, le débit linéai-
re et froid de la narration a sa puissance: lentement, patiem-
ment, mai~ irrésistiblement, il pénètre son objet.
Précisément, bien des narrateurs, souvent, maitri-
/
sen t m di 0 cre me nt l' art dur i re
(s t ad e s upr ê me dur y th me dan s
ë
la narration des contes, lié au fonctionnement des figures de
rhétorique) ; ils peuvent ignorer également l'art des poètes,
( de. s bar de:s ), Il embras eu r s Il des
fou les. Cepend a nt ~ par une par 0 l e
nette, par un débit régulier, alerte, chaleureusement tendu par
le souci constant de faire progresser le récit, ils parviennent
à ca pt ive r
l' i nté r t de lia s sis tan ce : que l q u ' i l s
ê
0 i t ,
l' i nca -:0'
pacité d'entretenir la dynamique de progression ex~eptée, le
Débit oratoire des contes populaires prend possession de l'Audi-
toire par simple suggesti.on.
1
(

269
Au total, les autres supports du rythme .(Répétition,
Accentuation vocale, Débit oratoire et Figures rhétoriques) sug-
gèrent diverses idées enrichissant la compréhension des récits.
En fait, on distingue souvent l'image du rythme,
fondant ce dernier sur l'idée exclusive de cadence, de découpage
des textes en parts régulières.
Cependant, ces deux phénomènes sont une seule et
même réalité, une seule et même fonction de transformation et
de répercussion des messages: un même rythme.
Il n'est pas nécessaire en effet que les différents
supports du rythme se définissent par l'idée de cadence, de
régularité ou de sonorité pour qu'ils acquièrent le statut de
rythme. Il suffit surtout qu'à la narration, ils servent d'ins-
truments d'appréhension, de modes d'extériorisation du discours.
Cie s t à cet i t r e d' ail leu r s qui ils j 0 ue nt 1er ô l ed 1 Il age nt s
rythmiques ll (ou supports du rythme) ayant fonction de révéler
la façon dont le conte, production artistique, pénètre son ob-
jet.
Ainsi, Agent rythmique, Auditoire et autres supports
du rythme constituent le .mode par lequel s'effectue l'accès
aux niveaux purement sériBux des prestations des récits, niveaux
qui, dans la narration,r~vèlent toujours leur propre revers
dialectique -l'amusement, le ri re- conférant au conte sa dimen-
!
sion ludique.
/

270
"
III. RYTHf1E ET COMIQUE
LA DIMENSION LUDIQUE DU CONTE
Le comique joue un très grand rôle dans la concep-
tion des contes populaires. C'est lui qui
leur donne leur ca-
ractère supportable pour les hommes.
En effet, il n'y a pas de doute que le conte serait
un recueil austère de morale, de leçons de bonne conduite si
le rire ne venait l'adoucir, le "b an a l i s e r un pe u'", y intro-
duisant un air de distraction. Son étude est donc une des
pièces maîtresses de la critique des récits.
Quelle est son essence? Quelles sont les formes et
quelle est sa portée?
Le rythme, ou plus précisément, deux supports ryth-
miques principaux constituent la source du comique: l'Agent
. rythmique et les Images (ou Figures de rhétorique). Ce sont
eux qui, par leurs manières spécifiques, font apparaître le
comique dans la narration, avant que celui-ci n~ puisse se clas-
sifier en des formes différentes.
7. L~ com~qu~ d~ t'Ag~nt ~vthm~qu~
Rythme vivant, humain, c'est par le langage articulé
etc el ui du 9est e qu' i l fa i t r i r e. t,l ais i 1 fa ut pré c i s e r que
pour cela, il doit avoir l'essentiel des qualités du conteur
l ui e-mê me
esprit d'à-propos, bonne maîtrise de la parole et
surtout, sens du comique.

271
Par ailleurs, on étudiera sous sa coupe les inter-
ventions à caractère comique de l'Auditoire, les deux éléments
de la narration, dans la théorie du rythme, se ramenant, comme
on l'a déjà indiqué, à une seule et même fonction d'agent ryth-
mique.
Les mots ou expressions comiques de l'Agent rythmique
et de l'Auditoire dans la narration des récits sont nombreux.
Ce sont en général des sentiments feints
(à l'égard
du personnage décrié), et par lesquels ils ironisent sur son
sort :
-
L'étonnement
C' est l e ca s par e xe rn p1e da ns l e co nt e I,j 0 2 où, l'A R,
par un étonnement feint, fait ressortir au mieux le caractère
~aléfique a faire rire de la VIEILLE FEMME qui annonce son ar-
rivée au vi l l a qe marital de sa petite-fille par un ouragan.
"A .6on aJUtivée dan.6 ce village, le toultbillon de
"vent qui l'a pltécédée,
n'a lai.6.6é aucune vie.ille
"vanne.ltie .6ult le.6 gltenie.lt.6
: tout 6ut balayé,
plté-
"cipité ho n» du village dan.6 la bltou.6.6e"
rapporte le conteur.
Et l'Agent rythmique, ironique
"- Ca alalt.6
,.,.... ".

272
- Souvent aussi, le sentiment est une conviction
feinte et donc ironique.
Clest le cas dans le conte N° 3 00, la PANTHERE et
la CHEVRE s'expliquant devant HYENE, la PANTHERE dit qu'elle
veut manger la CHEVRE parce qu l e l l e a f a t m. : J'ai mis bas et
jlai faim, c'est pourquoi je veux la tuer pour la manger
Et un me nb r e de l'Auditoire, raillant la cruauté
bru te de l' a 0r e s s e ur
"-
Eh o u«,
ilotons que le comique ici, vient du fait que l'in-
tervenùnt feint de prendre la CHEVRE comme quelque chose de
tout à fait banal, à croquer, tout comme la pre nd la PANTHERE.
Quelquefois aussi, la feinte se rapporte à une
douleur, à un dÉsarroi.
Ain s i dan s c e mê mec 0 nt e il ° 3, c e cri d 1 Un me mbr e de
l'Auditoire "A-a-aïe ! !l •.• " e xp r i rna nt bouleversement et moque-
rie à l'encontre de la PANTHERE qui
détale lorsque le feu de la
médication de la CHEVRE commença à rôtir sa tgte.
- r1 ais i l peu t s' agi rd' une pré ven a nce f e i nte.: Ain s i
ce conseil ironique de liA R à la VIEILLE du conte N° 2,
tombée
d'admiration devant les prouesses cynégétiques du CHIEN.
La VIEILLE (par le Narrateur)
"
S-i.. ma JLépu-ta-t-i..on dctYJ.~
-f'aJL-t de. c.ha~~e.JL a-t-te.-i..YJ.-t
"La -t-i..cYJ.YJ.e. gJLâc.e. à
c e
&é-t-i..c.h.e.

273
"
Eh
VIEILLE
At.:te.n:tJ..on 1"
dit promptement liA R, avec une diligence feinte.
- Souvent également, il s'agit d'une affirmation
qui donne à comprendre la stupidité du personnage. Celui-ci
alors, du fait de cette affirmation du contraire de ce que
pense l'Agent rythmique, apparaît ridicule.
Clest le cas dans le conte N° 12 00 le PETIT PARALY-
TIQUE ayant servi à manger un crapaud à son compagnon L'AVEU-
GLE, et ayant fait croire à ce dernier qu'il ne découperait
pas sa part de gibier -une souris- ceci afin que l'AVEUGLE
consomme du crapaud sans sien apercevoir - l'Agent rythmique
lance à l'attention du public, pour railler la stupidité de
l'AVEUGLE :
"
L' au t.n e. au,s,sJ.. dJ..,t qu' J..t mange.fta ta ,sJ..e.nne. ,san,s
"ta dé QO upe.ft
1"
- Enfin, -on peut se limiter à ces exemples- l'ex-
pression comique dans la prestation de l IAgent rythmique peut
être une imitation injurieuse: Ainsi, dans le conte N° 1, un
membre de l'Auditoire, pour se moquer du nez d'ELEPHANT et de
la mésaventure qui arrive à ce dernier pendant l'épreuve de la
bouillie bouillante, souffle violemment du nez comme l leDt fait
EL. EPHA r'J T : bi en fa i t pou r ce Il nez Il bê t e men t l 0 ng,
brD l é e n son
tr-ë f o nd par la boui 11 ie
sembl e di re 11 intervenant. .•
Par ces prestations, l'Agent rythmique participe ainsi

274
à l'élaboration de l'aspect ludique du conte. Mais son jeu
s'étend au-delà du champ du langage articulé.
Ici se situe le cadre des performances purement
théâtrales.
Mimique, gestes de la tête, des bras, de tout le
corps sont censés se réaliser de façon à provoquer le rire.
Comme le comique de mots, les gestes comiques de
l'Agent rythmique sont nombreux dans les contes populaires.
Cad~e de la spontanéité artistique,
le cercle des
contes est propice à l'expression de bien des
tal ents - si
les individus ont des prédispositions à l!art, bien sûr .••
i~ais l'écriture et l'enregistrement magnétique, nos
seuls outils, ne pouvant rendr"e compte de la dimension ges-
tuelle de la narration, on se limitera à ces quelques remar-
ques théoriques.
Au t 0 ta l , lIA ge nt r y th mi que, co mm e l e con t.e url ui -
même, oeuvre à détendre la trop didactique atmosphère des soi-
rées de contes. Le comique est un de ses attributs qulil
veille
à manipuler opportunément.
Mais son action serait bien limitée si elle n'était
prolongée dans le corps même des récits, par celle des Images
(ou Figures de rhétorique).

275
L
Com-ique de-6
Ima.ge-6
Le comique est un attribut de certaines images is-
sues de l'ensemble des Figures de rhétorique. Alors que par
le mode du sérieux précédemment étudié, celles-ci expriment
des états de fait neutres, par son biais, les idées, les mes-
sages se trouvent chargés d'une intention manifeste de provo-
quer le rire:
les images se donnent comme comiques.
Telles sont les Métaphores, les Comparaisons, les
Exclamations et les Hyperboles.
a)
La.
_.
'\\féta.lJho
l,,; _.
/te_
Elle joue sur deux types de comiques
le comique de
situation et celui de mots.
La métaphore, avons-nous indiqué plus haut, est l'at-
tribut essentiel de la structure des contes populaires. C'est
dire que tous les contes, théoriquement sont comiques. Ce sont
toujours des situations censées faire rire a priori, ou en tout
cas, pleines d'humour: ARAIGNEE, en visite chez son ami ELEPHANT,
exige de dormir dans le ventre de ce dernier, lequel, à son tour
chez lui, le fait périr en essayant de pénétrer dans son ventre.;
ELEPHANT exige que, pour qu'on consomme son mets (pour qu'on
épouse sa fille), on abatte un arbre à l'aide du phallus; ur-l
HOMME veut conférer l'immortalité: à condition qu'on lui apporte

276
la queue en diamant du roi des Eléphants
etc.
La philosophie des contes se ramène en effet a
faire la satire la plus acerbe des moeurs et travers quoti-
diens des individus sans que personne ne se sente vexé, tan-
dis que d1un autre côté, tous les auditeurs des récits puis-
sent absorber intensément par le biais du rire, les enseigne-
ments dispensés.
Les contes évoquent donc, par la conception de leurs
configurations, des images drôles.
Par ailleurs, les différentes situations mises en
sc!ne se cristallisent da~s la psychologie de certains person-
nages centraux, tels que la simple évocation de leurs noms
préparent déja au rire.
I l en est a i nsiri 1 ARAI GNEE .
Le seul fait d'annoncer q u t i l va s'agir de lui, dé-
clenche déjà tout un mécanisme de connotations: chacun est
prêt pour le rire, slil ne l'a déjà entamé.
Et l'on rit sans fausse retenue tout au long de la
narration, pour peu que le conteur soit habile créateur d'ima-
ges, autrement dit, bon conteur: l'on rit de to.ut son être.
Clest un trait caractéristique des peuples africains:
la vi-
talité, la jouvence, chez eux, ne s'exprime pas ~utrement ...
Com~que de mot~
Il s'agit ici des formations métaphoriques lexicales

277
que sont les onomatopées.
Parmi
plusieurs idéès émises par la formation onoma-
topéique pour décrire une situation, une a valeur d'idée comi-
que. Elle domine toutes les autres nuances et détermine la mé-
taphore qui se donne comme comique.
C'est le cas, dans le conte N° 18, de la description
de la course des Phacochères en débandade :
"Goaun.
[)OO un.
[) 00 un.
!"
- course
- par rebonds successifs
- maladroits et comiques
- exécutée par un individu sot, gros et gras.
(Si l'individu était minuscule, avec les mêmes nua n-
ce s dép ré ci a t ive s,on au rai t dit : Il Co 0 un! co ou n ! co ou n ! Il
(avec en plus, l'idée d'un physique ramassé, rebondi), ou IICÔOU
côou ! côou !II
(avec une nuance de faiblesse physique).
De même, dans le conte N° 12, la description de coups
qu·on donne. Mais le comique ici, est lié à tout un contexte in-
terne au récit, auquel renvoie la métaphore.
"Bo
bo!"
- bruit de coups qu'on donne
- ce sont de grands coups
(en général, les consonnes

278
sonores indiquent une amplitude ou une intensité maximum dans
ce type de formations
linguistiques, tandis que les sourdes in-
diquent une intensité minimum)
;
- ce sont des coups donnés avec acharnement (perçu
dans le débi t)
- l'objf.t utilisé est gros, large.
(Il s'agit en l'occurrence
du plat de la main du JEUNE
PARALYTIQUE qui,
hypertrophié par le haut, possède de larges
mains disproportionnées d'avec les pieds, et qui prêtent à rire).
Dans le même conte, la description de coups qu'on se
donne pour se débarrasser d'un objet incommodant tombé sur soi
"Bla
bla !"
- coups qu'on se donne
- furieusement et fébrilement (perçu dans le débit)
- au moyen du plat de la main ou d'un objet large.
Dans le conte N° l,
la description d'un liquide dé-
versé par un sot :
"Glau. ! glou.
g la u
!"
liquide versé
- en grande quantité
- par un sot qui ne se soucie pas de la ~esure.

279
( Ils 1 a 9i t e n l' 0 c c urre nce d'E LEP HAi~ T qui, vou l a nt
con c ur r e nce r ARAI G[1 EE dan s lIé pre uve de l a II b 0 ui l lie b0 ui l -
lante", et étant trop sot pour comprendre que ce dernier a usé
de malice pour parvenir à consommer la bo ui l l t e , se sert à son
tour sans réserve, sans circonspection, ce qui
le rend ridicule).
Dans le conte ~Io 3, la présentation du feu que la
CHEVRE allume en y soufflant, alors ~ue la tête de la PANTHERE
qui
faillit la tuer quelques instants plus tôt, sert de troi-
sième support de foyer:
"Bnnn li 8666 li"
- bruit qu'on fait en soufflant sur le feu pour l'al-
lumer
- exécuté rageusement
(la CHEVRE souffle le feu, de façon que la chaleur
et la flamme s'orientent vers la tête de la PANTHERE et la
brûlent. ••
situation burlesque).
Enfin, dans les contes N° 1.5 et 18, la description
dlune course:
"Tc.ha
tc.lta· 1" ou "Tc.lla
tc.ha
tc.ha
tc.ha
t ch:a
1
Il
....
- Indication d'une course (avec le bruit sonore et
ferme des pa s)
- course exécutée allègrement, mais avec détermination.

280
(le comique, ici, est lié aux circonstances de
la course
conte N° 15 : le PETIT MARGOUIllAT dont on a dé-
couvert les intentions amoureuses ("le Petit r~argouillat a
fr 0 i d", dit lad eux i ème ch él nson), et qui
fut cha s s
a ve c la
ê
jeune fille,
poursuit galamment celle-ci: grivoiserie burles-
que; conte N° 18 : la CHEVRE qui
voulut aller manger en
brousse (alors que sa part de nourriture est au village, dit
le conte),
regagne pr c i pt t a mme n t à présent le village, après
é
être passée à deux doigts de la mort ... ).
Arrêtons-nous à ces exemples.
Tous
indiquent la façon dont la métaphore lexicale
est créatrice d'idées comiques.
Ce comique peut être révélé par diverses modalité~
phonétiques de l'onomatopée; ou bien, celle-ci peut y ren-
voyer, dans
un ensemble de. contexte du récit.
Aux métaphores comiques, il faudrait ajouter -comme
étant tout d'abord des métaphores, et ensuite, comme étant
créatrices d'images c omi que s e, les imitations,
tant verbales que
gestuelles (la voix d'ARAIGiJEE est censée être fine et le per-
sonnage, censé escamoter les mots, comme sous l'effet d'une
atrophie de la langue; celles de HYENE, de PANTHERE et des
personnages de Géants sont comiquement caverneuses
; les
personnages de VIEIllES FE~MES précipitent les mots, articulés
un i q ue me n t au niveau des lèvres, sous l'effet de l'absence des
dents ... le mime ajoute également une dimension comique à la

281
narration: ainsi par exemple, le conte N~ 22, essentielle-
ment grivois, conté et mimé par le vieux Kôté du village de
Konéfla (fribu Nannan), mit l'assistance en liesse d'un bout
à l'autre de la narration ..• ).
Il faut également considérer comme des métaphores
comiques les injures, les imprécations, etc, véritables compa-
raisons sans termes comparatifs quelquefois, et dont le rôle,
comme toutes les autres formes de métaphores comiques, est de
suggérer dans la douceur du rire, diverses idées à la compré-
hension.
C'est de cette façon, dans cette douceur du rire que
la Conparaison révèle également les choses.
C0 mmeau nive a u de l a i,1 é ta ph0 r e, une i nte nt ion ma -
nifeste de faire rire, de divertir aux dépens d'un tiers, vient
renforcer la simple suggestion des idées:
c'est le cas, dans
le conte N° 1, de la peinture d'ELEPHArlT lors de l'épreuve de
la bouillie.
Le Uarrateur, en comparant son ventre à un bloc de
foyer,
le raille volontairement pour sa sottise
"Le. s o t: d'Eté.p!lant,
a v z c ~on abdome.n ballonné. c.omme.
"u.n 6olje.tr.. de. ma,{.~on •••
"- R,{.tr..e.~ de. l'A u.d,{.;to,{.tr..e. • • •
"
.s e r tr.. é ~ e nt a " •

282
De même~ dans la narration du conte N° 12~ 00 le
JEU~E PARALYTIQUE porte sur ses épaules le PETIT AVEUGLE~
clest avec une volonté ~anifeste de faire rire que le conteur
compare l'AVEUGLE à un vélo monté par le PARALYTIQUE:
"Il. c.ont-inua de. b/taque./t .ôa tê.te. c.omme. un v ê.Lo ,
"c z t.o us de.ux pa/tv-in/te.nt à l.'ent/té.e. du c.i1em-in de.s
JI c.hamp.ô JI •
Il faut classer dans cette catégorie stylistique,
les injures dont l'expression peut recourir également à des
outils grammaticaux de comparaison.
Ainsi donc, la Comparaison est un des facteurs du
c omi q ue dans les contes. Il en est de même de l'Exclamation.
C'est le cas dans le conte N° 15 par exemple, 00 un
auditeur, devant le caractère "a mb i qu" de la médication exigée
de la jeune fille par le PETIT tiARGOUILLAT (il s l a ç t t , on s'en
souvient, dlune histoire amoureuse), exprime un "è t o nn e me nt "
qui a pour le moins une valeur comique, démasquant ainsi l t a t t t-
tude curieuse du personnage :
Le personnage (par le Narrateur)
:
JI Ma-i.ô
l. e. Pe.t-it ,\\\\ a/t 90 u-i.t.t at dé. c..ta/t e. :
" ;'J 0 n ! é..t0 -i 9n 0 n..ô -
"n c ue un pe.u
a.t.ton..ô
dan..ô .te..ô
6ou/t/té..6,
à
.t'o/té.e. du
JI v-i .t.t age
JI Là,
no U.ô
po u/t/to 11..ô
na-i/t e. ! JI

283
"... ECLATS VER IRES•••
Puis l'exclamation
"
Ca ai.oJt~
Il ••• ''
pleine d'humour.
de moeuJt~
_________ L
de caJtactèJte •••_
L'Hyperbole, avons-nous dit plus haut, est une sorte
de gros plan sur les situations pour les rendre plus visibles,
pl us r e ma r qu ab l es.
Cependant, cette fonction se double souvent de celle
de faire rire:
les faits grossis le sont en outre pour amuser.
Ce sont des caricatures aux caractéristiques absolues:
laideur
inimaginable, voracité hors du commun, sottise sans égal, etc,
qui déterminent les comiques de situation, de moeurs, de carac-
tère, de mots et de gestes, le comique naissant du contraste,
c'est-a-dire du fait que les faits rapportés jurent manifeste-
avec
ment/la réalité.
• Comique de~ ~ituation~ hypeJtboi.ique~
Les situations comiques du fait de l'exagération
abondent dans les contes populaires.
C'est le cas dans le conte N° 25 00 il est question
d'un homme laid. Un GEANT lui ayant donné la beauté et lui ayant

284
interdit de paraître dès lors sous la pluie, il est surpris
par un orage au cours d'une partie de chasse: il devient en-
core plus laid. En fait,
laid comme il n'est pas possible de
"Zoan
!
LoJt.6qu'une. goutte. de. pluie. toue.he. que..tqu'un
"de. .6e..6 ongle..6,
e.e.t ongle. ,~e. noue.
!
"-
ECLATS DE RIRE •••
"LoJt.6que.,
.6uJt e.e.t ongle. nou~, tombe. une. goutte. de.
"plui e , i l .6 e. .6 uJtno ue. !
"- RIRES •••
"Se..6 11 aJti Il e s
6uJt e.llt boue. ft é es
"- RIR.ES •••
"Se..6 qe u x. 6uJte.nt boue.hé..6.
" S
j a mb
i rt e. uJt é
e
s
e
s
:
v
e
s
"S ui.6 ma 11 Jte.g an d
1
1 "
...'. .
rapporte le conteur.
Une situation cOlï1ique égalelï1ent pour cause d'excès
le conte N° 22 parlant de la femme de DIEU: des milliers de
gardes la surveillent, mais elle réussit à tromper son mari
DIEU avec ARAIGNEE.
De mê rne , "Zaklo", cloche mythique dans le conte N° 33
qui
menace de cerner le cou de l'imprudent qui se laisserait
prendre à sa parole mielleuse, est énorme comme une paire de
barriques, ct les cordes qui
le retiennent, "comme les câbles
d'acier des machinistes" (conducteurs de caterpilard).

285
Enfin--et en réalité, tous les contes à personnages
négatifs presentent des situations hyperboliques-comiques--
dans
le conte N° 8, la victoire d'ARAIGNEE sur ELEPHANT fait
rire parce qu'ARAIGNEE ne fait que profiter de la sottise sans
bornes dl ELEPHArn.
Dans la logique littéraire des contes, ces comiques
ceux
de situation appellent/des moeurs et des caractères •
• i
Ca m-i.q ue..o de. ma e.ult.o e.t de. c.altac.tèlte.
Il s'agit en général de la peinture des comportements
de tous les personnages définis plus haut comme agresseurs. Exa-
gérés à souhait, ces comportements chatouillent pratiquement le
bon sens, la raison.
c'est le cas lorsque la PANTHERE, dans le conte ~o 1,
fait boir~ de la bouillie de riz chaude aux prétendants de sa
fi 11 e •
De même, on rit des excès d'extravagance, sinon de
cynisme d'ELEPHANT qui demande qu'on abatte son arbre à l laide
du phallus pour qulon épouse sa fille.
Comique aussi l'excès de caprices qui amène la JEUNE
FILLE a exiger un mari-sans-cicatrice; etc .
• Enfin, on peut ajouter à ces variétés
de comiques par exagération, ceux de gestes - gestes du Narrateur,
de lin 9e nt r y t hmi que e t mê fil e de liA udit 0 ire sou ven t sig nif i ca tif s
dans la stylisation caricaturale, mais qu'il est impossible d'é-
tudier ici pour des raisons déjà évoquées - ceux d'intonation -

286
ARAIGNEE par exemple, avons-nous signalé plus haut, est censé
avoir un parler comique, la PANTHERE avoir une voix caverneuse,
etc- ceux de mots, particulièrement les onomatopées qui sont
de véritables descriptions caricaturales en ce qu'elles révè-
lent souvent dans la peinture du sujet, des traits injurieux
de sa morphologie.
En d'autres termes, les facteurs du comique sont
nombreux dans les contes populaires. Sortes de catalyseurs
du discours, ils tempèrent la narration de son excessif sé-
~ieux didactique.
Et précisément alors, on est fondé à se demander
quels sont les différents niveaux de sa portée en tant que
production au service des hommes.
B. Portée du comigue
Q==~~-~~~~
Tel que se manifeste
le comique dans les récits, on
peut situer son importance à trois niveaux essentiels: il a
une portée pédagogique, une portée idéologique et une portée
philosophique.
Sur le plan pédagogique, le rire contribue de façon
essentielle à l'assimilation aisée du legs culturel ancestral
par les individus.
Par lui en effet, seuil suprême de l'accomplissement
de la parole du conte, la suggestion dont le rythme est le
facteur fondamental, atteint son point culminant d'efficience

287
bon gré, mal gré, le message pénètre l'auditoire et prend
possession de son être.
Mais pour cela, il joue un rôle idéologique de
premier plan dans la pacification permanente de l'atmosphère
soc i ale. Au tan t i l b0 usc ule, bru ta lis e lac 0 nsc i en ce, au tan t
il rassure, endort toutes velléités de dissidence par rapport
à la ligne ancestrale.
En fin, il es t man i f e s te de vie.
Se rencontrer pour rire ensemble en résolvant des
~rnblèmes les plus graves quelquefois, c'est f~ire foi dans
la vie ...
*
Que conclure de ces analyses du rythme énonciatif?
Le rythme est le s upport de l'énonciation, la s ubs -
ta rrc e de l t orqe ni s a t t o n de la forme expressive.
C'e.st Te mouvement d'accomplissement de la parole
qui confère au conte toute apparence extérieure.
Ainsi, est-ce par lui, par son biais qu'est possible,
et raisonnable aussi, l'étude cohérente de la formulation des
contes populaires. Il détermine l'énonciation.

288
Il se manifeste diversement, consiste à reprendre
et à répercuter sur leur destinataire, des propos développés
par un émetteur, ou à conférer un caractère fluide et pré-
gnant à la parole, ou encore à servir l'intellect en données
de compréhension
mais en définitive, il ne contribue qu'à
faire aboutir la parole narrative. Il embellit la narration.
Mieux: il est la beauté de la narration.
Cet t e beau té d u 1a ngag e, 1es Il co nt e urs Il m0 der nes y
accèdent par un travail stylistique poussé, par un discours
volontairement châtié, une rhétorique abondante 00 se décèle
aisément la volonté de rendre compte de la parole tradition-
nelle : répétition, jeux d'images frappantes, emphases osées,
en somme, le lot des éléments stylistiques qui mènent l'être
tout entier à vibrer de résonances infinies au contact de la
producticrn ~rtistique, abondent chez eux.
C'est particulièrement le cas chez le Sénégalais
Birago Diop (1) et chez l'Ivoirien Bernard Dadié (2). Leur-
grand souci de la recherche stylistique témoigne d'un désir
manifeste de recréer l'atmosphère et toute l'organisation des
III VIOP Bi~Œg~ ~ Le~ Conte~ d'Amadou Koumba et Le~ Nouveaux
Conte~ d'Amadou Koumba, tou~ deux pa~u~
hez P~é~en~e
A6~i~aine, 1961 et 1958.
,
(2) VAVrE Be~na~d : Le PaRne noi~
P~é~en~e A6~i~aine,
1955.

289
cercles de contes, de traduire la saveur, l'élégance et la
vitalité de la parole de ces paysans noirs, intarissables
créateurs d'images et habiles manipulateurs de sonorités.
Mais en fait, cette restitution de la parole tra-
d.t t i o nn e l l e par l'écriture est le souci
de la plus grande ma-
jorité des créateurs africains modernes : ~oètes, romanciers,
dramaturges ne perdent jamais de vue cette prépondérance si-
gnificative du rythme dans la création, le fait étant plus évi-
dent encore au niveau des productions poétiques proprement di-
te s .
Et le souci de restituer cette beauté du langage in-
t~rdit de même toute attitude tendant â déformer le texte oral
au caurs de son traitement de traduction en langues étrangères.
Troi s tendances néga ti ves affectent en effet 1a
traduction des textes d'oralité: 1°) la version peut procéder
par le pri rrc i pe du mot â mot. Cette méthode effectue alors une
tr-a nsl a tt o n de la syntaxe de la langue â traduire,
dans celle
d'accueil. En a.ppa r e nc e , elle semble constituer une garantie
d'authenticité. Mais ce n'est qu'absu.rdité. Car le texte obtenu
par cette méthode demeure totalement inintelligible: la langue
d'accueil dont le lexique est utilisé ne peut s'y reconnaître
cependant, la syntaxe lui étant étrangère. La langue d'origine
dont le fonds syntaxique sert de base â la traduction, ne re-
connaît pas plus le nouveau texte, le le~ique appartenant â la
langue d'accueil.

290
Ainsi, cette "t r a duc t t on" est sans valeur, juste
nécessaire pour permettre la compréhension parfaite du texte
d'oralité en vue d'une traduction véritable;
2°) La version peut consister également en une sim-
ple traduction de l'idée centrale du texte oral. C'est une
contraction. Elle a alors la particularité d'appauvrir le texte
original de tous ses éléments narratifs authentiques, de tout
l'aréopage stylistique qui lui confère
un car a c të r e littéraire
et peut-être même plus, une essence proprement poétique.
Enfin, 3°), la "tr a duc t t on " peut être un développe-
ment personnel à partir de l'idée centrale du texte oral. Elle
est alors encore plus étrangère à l'original que le produit de
n ' i mpor te que 1 t rai t emen t de t rad uc t ion i nf 1 i gé à 1 1 0 r a 1i té.
On trouve cette tendance dans la période d'avant les IIIndépen-
dances" a f r i cai rre-s , période où le "c our-ant" de 1 'exotisme ame-
nait très vite les Européens en place dans les recoins d'Afrique,
à mettre les
textes recueillis au goût de la mode européenne, ou
tout simplement, à briguer dans 1 'atmosphère gri~ante des re-
t r a tre svc ol ont a l e s , une gloire littéraire tard-ive en "ë c r t va nt ? ,
à la manière des f~bles de La Fontaine, des
fables d'Araignée,
de la Tortue, de la Gazelle, etc ...
Telles sont les principales distorsions qui
peuvent
affecter la traduction des langues africaines, en dehors du fait
que, poétiques par essence (tous les mythes de la révélation de

291
la parole l'attestent), elles s'accomodent mal a priori de
traductions dans des langues "s i qn i f t a nt plus qu'(elles) ne
suggèrent ... 11 (1), des langues ne pouvant opérer sur l'être
tout entier, l'indispensable décharge émotionnelle qui
"p r o>
longe la pensée dans le rêve ll créateur (2).
A l'opposé de ces tendances, on peut situer les
principes de la traduction acceptable.
Celle-ci doit consister à rendre compte non de la
syntaxe proprement dite de la langue à traduire, mais de son
f~nds lexical et des idées développées par chaque phrase, dans
la syntaxe et le vocabulaire de la langue d'accueil en veillant
rigoureusement à traduire aussi tous les effets de style au
moyen du dispositif de rhétorique de la langue d'accueil
Il
• • •
toute tra·duction de paroles africaines devrait prendre
le· chemin de la poésie qui est l'ouverture aux plans qui dé-
passent, débordent le contour apparent du réel, qui est aussi
donc a~pel à toutes autres puissances du visible et de l'in-
vis i b1e Il, con fi rm e R0 l and Col i n (3). Ce qui
né ces s i te une con-
naissance parfaite des deux langues en présence, des deux civi-
lisations.
(1)
BAILLY Chaltle.-b
:
Lingu.,Ütique. généltale. e.t lingui-btique.
6Itanç.ai-be.. E.::t..'-t:.o_ F"t.tU.-t,-kt;3t.-1.~, 1:36'>-.
(Z)
Ibide.m.
(3)
COLIN Roland
Op. cit.,
p.
47.

292
A la lumière de tous ces faits, esquissons à prét
sent une description de la pratique concrète de ce rythme ainsi
dë f i n i .
IV - LE RYTHME ET LA NARRATION
Le rythme étant la substance de l'énonciation, de
la représentation des contes, ses variations déterminent
l t or qa ni s e t i o n scénique des contes. Il existe ainsi deux for-
m~s traditionnelles de cercles de conte selon qu'il se mani-
feste de telle ou telle façon au n i vea u de la narration. Ces
deux formes sont: le " c onte assis" et le "c onte joué".
Le: conte assis, qui semble historiquement la forme
la plus ancienne de r-e pr ê-s e.n tat t o n du conte, se réalise assis.
Le soir, après les durs labeurs de la journée, hommes, femmes
et enf'a nts se réunissent en quelque endroit des c:oncessions
fa nril t al e s , pour "célébrer le repos". Une lampe tempête, res-
titution "moderne" du feu de bois, fixe le centre -du cercle
et éclaire de façon égale tous les visages qui, tout à l'heure,
vont se soutenir mutuellement, s'harmoniser pour donner vie aux
f&buleux ha.bitants du pays des contes.
Mais cette façon de conter, outre qu'elle associe
un Agent rythmique à la narration pour stimuler tout le pro-
cessus, elle s'appuie sur une autre manifestation du rythme,
capitale ici, qui, tel
llAgent rythmique lui-même, dynamise la
narration: le rythme d'intervention des conteurs.

293
Ce rythme se présente comme l'effet d'une compéti-
tion qui stimule ardemment les conteurs dans leurs partitions
et embrase le cercle de conte tout entier.
C'est un trait fondamental de la représentation du
conte assis
tel que son absence dans une veillée donnée
con-
t
t
duit à un tout autre type d'organisation scénique.
En effet, défini comme la possibilité d'interven-
tion de c.h aq ue membre de l'assistance dans le processus de
narration, il élargit le nombre des conteurs, tandis que son
absence donne lieu a un cercle a narrateur unique entourê,d'une
masse d'individus faisant exclusivement office d'audite.urs,
de spectateurs. Il "démocratise" la représentation qui
prend
ainsi en quelque sorte, la forme d'une multitude de "specta-
cles" s uc.c e ss i fs t nt qr-é s , homogénéisés par l'unicité du cer-
ë
cle.
Face à lui, se présente la forme du "c ont e j ouê :".
Même aspect circulaire de la scêne comme il a été
indiq.ué dans le premier chapitre, mais avec la particularité,
précisément, d'un conteur unique monopolisant la parole de
relation de.s faits. Ce dernier appara't ainsi comme la synthêse
harmonique de la possibilité structurelle d'interventionsmulti-
ples, la somme de tous les narrateurs possibles qui créent,
par leurs participations, une part importante de la dynamique
du conte assis.

294
Sans être mis sur un piédestal coupé des spectateurs
--toute la structure de participation (Agent rythmique et pos-
sibilité d'intervention des auditeurs) y pourvoit-ce narrateur
exclusif est la pointe unique vers laquelle convergent à tout
moment toutes les attentions, toute la conscience du cercle:
le conte devient spectacle.
C'est une évolution notable de la scène du conte
assis, avec des implications capitales sur la narration: tout
d'abord, la sim~lification du facteur narrateur r~nd uniforme
la représentation. Elle offre ainsi à celle--ci un caractère
pratique.
Ensuite, le conteur étant désormais homme de théâtre
véri tabl e, il expl oi te pl us ampl ement le jeu théâtra l que le
conte a.s s i s n-e pe-rmet pas de développer suffis-amment. Errfi n,
la r~présentation reposant concrètement sur un individu déter-
min!, élle reçoit, selon le génie du conteur, une véritable
or'ga ni s a ti 0 n sou s for me de Il t r 0 upe des pe c tac les Il, ce qu' i l
~st impossible de réaliser dans le cadre complexe de la nar-
ration à multiples conteurs successifs.
Ainsi par exemple, le spectacle de conte de Vanié-Bi
Pôh repose sur une véritable orchestration telle qu'elle fut
présentée plus haut. Guitare, tambourins, instruments à per-
cussion, choeur, tout cela donne au conte un petit air de
"mo de rn i sation", de rénova tion qui contri bue à l'adapter à

295
cette atmosphère culturelle actuelle des villages ivoiriens
où 1e ph é nom ne du bal
et del '
è
0 r che s t rem 0 der ne 0 cci den t a 1
progresse à grands pas.
Mais assurément, ce second souffle qu'on essaie
d'imprimer à 1 'heure actuelle au conte traditionnel s'opère
souvent aussi en s'appuyant sur une organisation orchestrale
de type purement traditionnel, avec des instruments et un
r yth me 10 cau x, lie s sen t i el é ta nt 1e gai n de l' as pe c t pra t i que,
maniable de la représentation faite désormais par une IItroupe
pro f es s ion ne 11e Il •
Un cas partic.ulier, des plus originaux d'organisa-
tion sa~nique du conte traditionnel: son adaptation théâtrale.
L'e:xpérience en fut tentée en L973 à l'Université
d'Abidjan (Côte~·d'rvoire) par un Groupe de Recherche sur la
Tradition Orale (G. R. T. O.). Elle fut concluante, au point
qulil faut déplor~r qu'aucun document audio-visuel ne subsiste
de ce tr a va i 1 ex péri men ta 1 (1).
La représentation consista tout simplement à faire
jouer les différents rôles des personnages, et donc à chercher
comment les jouer: recherche et adaptation des paroles, réa-
justement des séquences, développement adéquat des jeux de
(1)
Seppon : eonte ~eeueil!i en pay~ abou~é (~ud !agunai~e de
ia Cote-d'lvoi~el. Thème de la 6ifle-qui-veut-un-ma~i-~an~­
eieat~iee.

296
scène ...
Et bien entendu, le cercle de conte proprement dit
dut éclater, céder face au rythme particulier de l'organisa-
tion théâtrale. On est désormais dans le domaine du théâtre,
bien que le thème et la structure du conte restent apparents.
Clest une démonstration parfaite des possibilités
de développement et de transformation de la mise en scène du
conte traditionnel.
Mais malgré ces formes différenciées, un même art
de la parole vitalise toute la représentation.
On conte de nuit. Sinon ... Sinon la famine s'abat
sur les Villages, sur le pays. Sinon le père meurt ... (ce
qui revient au même en réalité: la mort du père: simple mé-
taphore pour désigner l'avènement de la famine, la présence
du père, princtpal chef nourricier des clans (ou de l'oncle
mate·rnel en ligne matriarcale), étant signe d'abondance.
Mats comme tout cela est clair
Qui aurait pu cultiver si 1 Ion contait de jour! Qui
aurait pu s'occuper des tâches premières de la vie si le cer-
cle de conte s'asseyait aux heures des travaux
Fign-vôtchi
: conter. Mais fondamentalement: chanter
le repos, célébrer la pause. Ce qui attache originellement à la

297
pratique du conte,
l'idée de totale disponibilité, d'inaction.
Autrement dit,
cette pratique ne
peut souffrir la concurrence
d'aucune autre préoccupation.
Ailleurs
(chez les Bambara,
lointains
parents Mandé
des Gouro)
: N'liri
: conter; mais, étymologiquement:
"a t-
tacher ll •••
Autrement dit, l'ontologie du genre est formelle,
révélatrice:
le conte est une puissance d'attache.
une force
d'asservissement.
Et c'est bien ce pouvoir extraordinaire que les
peu-
ples,
par' une sorte de litote, expriment en évoquant seulement
des conséquences liées â la
pratique déréglée du conte.
Il
faut donc entendre:
le conte es t
si attachant,
s i
env 0 û ta n t
qu e s i l Ion con te de j 0 ur,
s i l ' 0 n co nt ait de
Jou.r , nul dans les Villages n'aurait la force de se dégager de
son emprise pour va.que r
aux tâches de la vie.
La famine serait
per-na.n errt.e _. ce qui
s t a-ss tm i l e aussi à l'absence de bras nour-
ric.iers, c'est-'â-dire â la mort du père ou de l'oncle ...
Et de fait,
il est extrêmement rare que des par t f -
cipants â des veillées de conte abandonnent la séance avant
son terme.
Les enfants mêmes,
proies faciles
du sommeil, ré-
sistent jusqu'aux derniers récits,
mêlant â la voix de tous,
â l'effort de tous,
la
pureté de leurs rires cristallins.

298
L'emprise du conte est intense. La parole est au faite de son
action. Parole douce, parole ardente à la lueur des lampes,
à
la lueur des fagots de bois, parole hurlante ou gaie, pa-
role totale: la parole de ces simples paysans, fascinants
poètes, dominateurs de la nuit.
J'ai assisté à Konéfla, dans le Nannan, à une ex-
traordinaire veillée de contes. C'était en période~des vacan-
ces d'été et les étudiants de la région organisaient une se-
maine culturelle.
Dans la cour de l'école où des centaines de villa-
geois, hommes, femmes et enfants avaient formé un cercle popu-
leux, un feu de c.amp avait été allumé: brasier géant fait de
fagots entiers, imposant au milieu du cercle.
CI e-s t
dan s ce ca dr e der ê ve que s e dér 0 u1a 1 1 une
des soirées traditionnelles les plus émouvantes auxquelles
i 1 m1 ait è-té don né dia s sis ter.
Le conte y était joué, mimé; tout y était dit de
la fa ç.on la plus agréable, de la façon la plus saisissante.
Tantôt précipitée comme un roulement de tam-tams,
tantôt lente, grave comme des pas attentifs sur un sentier
difficile, tantôt simple, légère, linéaire, la parole des
conteurs ébranla de bout en bout la foule des spectateurs.
C'était la nuit des véritables artistes du conte, assemblée

299
où en réalité on ne se hasarde pas quand on nlest pas assuré
de son tal ent.
La TOURTERELLE exécutant, telle une toupie, sur
tout l'espace du cercle une danse? C'était Gnanni-Gooré, la
quarantaine passée. Bel homme, taille moyenne, un de ces éter-
nels jeunes, danseur connu parmi d'autres: il emplissait de
son jeu de scène tout le cercle de conte, porté aux nues par
l limmense gaité de la foule, tandis que les flammes gigantes-
qu~s du brasier, coiffées d'une nuée d'étincelles, pointaient
droit vers le ciel de nuit.
Et Samblô, le jeune Samblô, a la parole si adroite,
grand faiseur d'images : un poète comique incontestable.
Et Gi~bert Sianmi, poète chansonnier, élégiaque
(un de ce~ derniers de cette race d'artistes dans nos villa-
g·e.s), lui a.u s s i , et peut-être mie.ux que quiconque, habile ma-
nipulat~~r de mots et d'images, ma'tre
du rire ...
Tous se produisirent en cette nuit, pendant les va-
cances d'é.té, il y a, de cela, bientôt sept ans, mais le sou-
venir mien reste vivace et coloré comme si clétait d'hier ...
Mais il Y a aussi, et plus couramment, des veillées
moins grandioses, plus ordinaires; celles où l'on conte assis.
Les jeux de scène y sont moins développés, mais on y
trouve le même art de la parole, la même exploitation des

300
ressources du langage. Nous avons vu dans maints villages,
des gens y exceller, tel ce vieux Kôté (la soixantaine, tribu
Nannan), comique intarissable.
Dans le village, c'est un "a mus e ur " connu, un de
ces gens auprès de qui il est impossible de demeurer quelques
minutes sans avoir mille motifs de rire aux larmes, ces gens
qui ont l'art de présenter les choses les plus graves, les
plus sérieuses, s ur le mode le plus anodin, le plus comique.
Il
fa ut l' a v0 ire nt end u i mit e r à fa ire mou ri r de
rire· les cris de certains animaux dans un conte que nous n'a-
vons pu tra.d:uire entièrement pour L' t ns t a nt, faute de pouvoir
rendre compte de ces cris; il faut l'avoir vu mimer, entre
a utre s, l'infidélité de la femme de Dieu, pour avoir une idée
ex~c·te de la puissance d1expression des conte·urs tradttionne·ls ...
Et pui s i l Y ale conte·-spectacl e tel que 1e pré-
sente la "Tr oupe " de Vanié-Bi Pôh en pays Zouonon.
Dans ce type de représentation, a.vo nse-no us t nd-iquë
précédemment, la dynamique de narration, 11 intérêt du conte
rep~sa.nt plu.s particulièrement sur les performances du conteur,
il doit à tout moment se surpasser afin que le conte ne lan-
guisse pas, et que les spectateurs ne désertent pas
le cercle.
Et précisément, Vanié-Bi Pôh est un artiste consommé.
La voix nette, sladaptant aux diverses circonstances, aux di-
verse~ péripéties des drames, le langage fourmillant de pensées

301
profondes spontanées et d'images chaleureuses (à la manière
des Anciens eux-mêmes), homme de théâtre accompli, il est,
lui aussi, un maître du verbe, un de cette race des poètes
de la gaîté, paisibles dominateurs de la nuit.
Hommes de spectacle et poètes à la fois, tous ont
ce pouvoir d'intégrer les choses, de communier avec les élé-
me nts .
Conter en effet, clest f~ire corps, faire un avec
les personnages qu'on met en scène. C'est vivre intensément
les situations qu'on rapporte, et ce, afin de toucher, d'émou-
voir et d'instruire, but ultime du conte, et qui condamne
toutes formes de relations des contes sans talent.
Conter, Cl est pénétrer de tout son être l'essence
des chos~s pour faire vibrer les Morts, vitaliser les Vivants,
animer le brin d'herbe, l'arbre, la pierre, l'animal, la terre,
le ciel. Conter, c'est communier avec l'univers.
Comme bon nombre des arts de la parole donc, il né-
ce-ss ite pour 1e conteur dl intégrer cet état de l'être où se
perd la conscience du corps, où l'on se fond dans la totalité
des chos~s et où lion devient soi-même Parole. Il nécessite
d'intégrer l'état second de l'être.
Clest d'ailleurs la raison toute claire pour laquelle
en réalité, n t i mpo r t e qui
n t e s t pas conteur, bien que dans les

302
Vi llages, tout 1e monde sache conter
"Tous
les nuages ne
donnent pas la pl uie".
Il
ne suffit pas d'avoir la mémoire du répertoire
entier des contes populaires, ni même de les exposer sans er-
reur, allant du début à la fin sans s'égarer.
Il faut aussi
nécessairement maîtriser le rythme, c'est-à-dire l'expression
de la parole totale par laquelle se réalise la perpétuation de
la Tradition.
C'est, à tout point de vue, une affaire d'artiste.
Or la question se pose:
les conteurs, dans leur
~roduction, créent-'ils, ou re-créent-ils ? Autrement dit, con-
te r, est - ce fa ire une 0 eu v r e no uv el le, 0 u t 0 u t sim p1e ment , r e -
pro d.u ire des 0 e'uv r e s dé j à
l ab
ë
0 rée s
?
Chez les Occidentaux, où la création consiste à faire.
sur ir
ç
l'oeuvre du néant, à la manière du "démiurge", le débat
esthétique peut st fn te-r r o qe r sur la question de savoir s t l y
t
a cr-ë.a.t i o n à partir du moment où l l "oeuvre" produite passe pour
êtr-e u.ne "r-e pr oduc t t o n ".
Une telle question ne se pose jamais au niveau de
l'esthétique traditionnelle africaine.
En réalité, elle n'a pas de sens.
Elle n'existe pas.
Le débat esthétique dans le mi lieu traditionnel
ne se

303
formule pas en terme de création, mais essentiellement en ce-
lui d'animation. "Créer", c'est animer. C'est donner vie a des
schémas morphologiques inertes au départ.
Dans la majorité des cas, la Tradition ne lègue en
effet aux générations que des schémas, de simples dispositifs
idéels qui sont, en tout état de cause, des "façons de faire",
des formes fixes: façon de sculpter tel ou tel masque, telle
ou telle statuette, façon d'exécuter telle ou telle danse,
l'air de telle ou telle catégorie de chansons, la forme sous
laquelle "existe" tel ou tel genre littéraire, la façon de
mettre au point tel ou tel instrument de la vie quotidienne,
d'exploite·r tel ou tel aspect du milieu pour obtenir tel ou
tel
résultat, etc.
La rradition est avant tout un ensemble de schémas
mis "Depuis toujours" a la disposition de la Communauté.
Mais comme toutes constructions idéelles, ces sché-
ma-s n'ont aucune réalité par eux-mêmes.
Ils n'ont d'existence
concrète qu'une fois mis en activité, qu'une fois mis en appli-
ca t.i on .
Ainsi, avant toute narration, avant toute représen-
tation, le conte n'est qu'une structure morte, un cadre sans
vie: les articulations du développement des récits, tout comme
le cadre triadique de leur représentation (le cercle de conte
étudié. pl us haut), ne sont, avant la narration, que des schémas

304
vides, sans substance, sans vie
une inexistence parfaite.
C'est le conteur qui, avec son public, de sa parole,
de la chaleur de sa parole, de son jeu de scène, de toutes
ses ressources de fascination et de conviction, donne vie à
ce cadre mort au départ.
Telle es t 1a cr é a t ion.
Mais surtout, cette conception de l'esthétique repose
su~ l'idée qu'entre les schémas morphologiques des contes et
leur représentation concrète, c'est à la représentation qu'est
a cc.o r dé 1e pr i ma t , en tant que fa i t ponctue 1 e s s e nt i el .
Et cela revient pour les peuples à poser préalable-
ment, en termes philosophiques, que l'importance des choses
varie avec les situations.
C'est l'expression de toute la vision du monde.
Au niveau des contes élaborés, la structure morpho-
logiq.ue ("fonctions" ou "structure t hêma t t que.") est certes
l'élément fondamental
du conte. Mais dès lors qu'on se place
sur le terrain du procès d'élaborationJde l'action de mise en
forme, elle ne constitue plus qu'une structure formelle trans-
parente, sans consistance, sans substance et qui
a besoin
d'être fécondée, d'être amenée à la matérialité par la mise
en forme,
par la narration.

305
A ce niveau, le procès de mise en forme devient le
fait prépondérant sans lequel
il n'y a pas d'oeuvre possible.
Avec son apport de parole, de chaleur humaine, avec la contri-
bution dynamique de tout le cercle de contes, elle confère au
ca dr eth é 0 ri que ex i s ta nt, s a ma t é ria 1i té. Elle 1 1 hum a ni se.
Ainsi, c'est l'animateur, celui qui
vitalise, qui
représente le conte, autrement dit, le narrateur ponctuel qui
est le vê.r-i ta-bl e créateur du conte.
Orr ne peut dnnc pas dire que le conteur reproduit
des oeuvres déja éla~orées : avant sa partition, avant sa re-
pré s en t a t. ion, i 1 n 1 y a p0 i nt d 1 0 e u vr e. Et 10 r s qui i 1 a ppar a î t
au jour ~ar la repr~sentation, un récit produit par un même
auteur peut évoluer dans sa forme d'une soirée a l'autre, et
m-i eux encore', d'un conteur a un autre conteur.
On ne' peut parl er non pl us de uréci t.a t t o n? , l'ora-
lité, ne, fixant pas de Utexte U immuable.
A'u total, conter revient toujours a une puissante
mi se a co ntr-i but-i 0 n du g·é nie duc 0 nt e ur.
Et même, s'il se trouve quelque membre de la commu-
nauté à "c r e r " un nouveau conte, à la manière du démiurge, sa
é
création concerne moins 1 'inverrtion qu'il a ainsi faite que
la représentation concrète de la pièce devant un public. Sa
création prend en effet fin immédiatement après sa production

306
personnelle. Le nouveau conte devra désormais ëtre créé cha-
que soir par les contemporains et par les générations suivan-
tes: IIS on existence et sa conservation dans (la communauté)
se font au prix de retouches ou de recréations incessantes,
jusqu'au moment de sa collecte ... 11, dit Eno Belinga (1).
Ainsi, Hélène N'Gbesso rapporte un cas récent de
"c r a t t on " de conte par un paysan abbey (Sud de la Côte-d'Ivoire),
ë
paysan qui, bien qu'étant l'auteur de la pièce, ne se révèle
d'aucune manière dans l'oeuvre (si ce n'est précisément au
niveau de sa narration personnelle lors de la "p r em i
r e " du
ë
r~cit, ou d~n·s toutes autres narrations qu'il
pourra réaliser
par la suite)
(2). Anonyme, le conte entame son chemin, prêt
a franchir les f~Qntières des générations par le biais de
II c r é a t i o ns ll
innombrables (mais nous devrions dire à présent
par l e bi ais dia ni ma t ion sin nom bra bles)
: Il... s' i l es t dit pa r
qu~lqu'un d'autre, (il) ne sera pas considéré comme la pro-
priété de M. Kouao ; il sera raconté en tant que conte abbey
n'appartenant à per s onne "; écrit N'Gbesso (2).
(1)
ENO BELINGA S.
M.
:
La iJ..:t.:t.éJta:t.uJte oJtaie a6JtJ..c.aJ..Yle ;
Le6
Cia.6.6J..que.6 a6JtJ..c.aJ..Yl6,
EdJ..:t.J..oYl.6 SaJ..Yl:t.-Paui,
1978 ;
p.
103.
(Z)
N'GBESSO
H.
: Soc.J..é.:t.é e:t. TJtadJ..:t.J..oYl
: Rôie du c.OYl:t.e :t.JtadJ..-
:t.J..oYlYlei daYl.6 ia .6oc.J..é:t.é abbeq.
MémoJ..Jte de MaZ:t.JtJ..6e 6ou:t.eYlU
à i'UYlJ..veJt.6J..:t.é
de PaJtJ...6 XII
- CJté:t.eJ..i,
1977
- p.
38.

307
Clest que la pièce ainsi créée est tout à la Tradi-
tion, entièrement de la Tradition' Il
Ce problème crucial
qui
vient d'~tre posé se ramène à 1 'origine de la famine, ex-
plique l'auteur de la collecte du récit, le conte ayant comme
un des objectifs celui d'expliquer la génèse des phénomènes.
D'autre part, les personnages de Dieu et des devins Otofa
sont familiers dans les anciens contes, Dieu étant le symbole
du riche et les deux Otofa, surtout Otofa-Dariédjé (Chauve-
Souris), les symboles des forces occultes ... En un mot, nous
disons que tous les facteurs sont réunis pour que ce conte,
bien que nouvellement créé, fasse partie des contes tradition-
ne l s"
(1).
Et Eno Belinga
" L' oe.UV/te. l,Ltté/ta-<'/te.,
née. dan.é c es c.owd Lri.o n«,
"'de.v-<'e.nt le. pat/t-<.mo-<'ne. e..éthét-<.que. e.: .ép-<'/t-<'tue.l
"de. .éa c..ommunauté d'o/t-<'g-<'ne."
(2).
Autrement dit, elle se fond dans l'ensemble du sys-
tème traditionnel, vivant d~sormais de la vie de simples struc-
tures, entièrement désincarnée, temporairement déshumanisée.
C'est précisément la raison pour laquelle elle a
besoin à tout moment d'être animée (ll a ni mée ll et non II r é a ni mé e " ,
(7)
N' GBESS 0 H.,:
0 p
c..J:.t.,
p.
3 9 •
( 2 1 BE LI NGA En 0
:
0 p .
c..-<'t.,
p.
1 03 .

308
car cela signifierait, avec erreur que des "textes" déja
établis existent qu'il suffit de reproduire, de réciter)
d'être animée par la performance artistique de chaque conteur
avant d'obtenir le statut d'oeuvre et de réalité existante.
*
Tel est l'aspect principal de la vérité du conte
traditionnel. Genre essentiellement dynamique, le conte dis-
sêque la ~ociété, révêle ses contradictions, et lui permet
ainsi de s'affirmer et de s'affermir "perpétuellement". De ce
fait, véhicule principal de la Tradition et do nc fondement
objectif de la vision du monde des Gouro et en général des
peuples africains, sa contribution a la création de toutes
f'o rmè-s
de vi e-c nouv el l e e·st assurément grande: sous quelles
conditions, précisément', peut-il servir sinon a analyser la
vie moderne, du moins a féconder ce présent et l'avenir?

CONCLUS/Ol{ {jENERALE
PRAGMATIQUE DES RECITS:
MODALITES D'ACTUALISATION DU CONTE

310
Cette étude nous a permis de montrer comment dans
la pratique, s'opère la fonction sociale que l'expérience
narrative a déjà révélée à la critique comme fait pertinent
dans la conception des contes.
Bi e n sûr, 0 n ne peu t pré t en dr e par e1 1e, a v0 i r t 0 u-
ché tous les aspects du problème de la narration (ou mieux, de
la nar'rativique, selon un néologisme beaucoup plus significa-
tif) , ni même a v0 i r épuisé la total i té de sq uest ion s posées
par l'aspect considéré par notre travail. Le conte est en soi
un domaine vaste et complexe: on peut encore, en effet, à
la suite même d.e ce travail, le soumettre à un questionnement
ps ych ana l y.t ique pour relever son impact psychologique sur
les individus; en quelque sorte, faire la description de la
qên è.s e des structures mentales traditionnelles. On peut éga-
l eme.n t étu.d:ier tel ou te.l aspect pa r ti cu l ier du système nar-
r-attf, ou enc o r e établir, à l'aide de performances de diffé-
r e.n ts c ont eu r s , une théorie de l'expérience na rr-a t o t r e (ceci
nécessitant le recours intensif à l'audio-visuel), etc.
Cependant, notre travail a tenté de r~pondre à une
des que s t ion s qui
pa ra i ss en t cap i ta 1es dan s 1a con na i s san c e
des contes populaires: leur signification et l'expression
esthétique d.e celle-ci.
En fait, on peut débattre du sens de ce terme de
sig nif i ca t ion e n 1 i t t é ra t ure. Mai s i l est ce r t a i n que dan s 1a

311
littérature symbolique des Noirs africains et d'autres peuples
de civilisation ancienne, il est fondamentalement l'enrichis-
sement sémantique auquel est soumise une représentation donnée
du réel
par l'imaginaire.
Ainsi, la signification de l'énigme du Sphinx, au-
delà de toutes considérations formelles et de leurs motivations
psychologiques, est l'llhomme ll ; tout comme le sens du symbole
du "Co q " dans Kaïdara, conte initiatique peul est, entre au-
t l" es, l e Il Secre t ", ré vé l é plu s ta rd par lad i vin i té el l e - mê me
à l 'initiable Hammadi qui n'en vit que les signes dans la mys-
térieuse contrée des génies-nains (1).
C'est qu'en tout état de cause, le problème que po-
s~nt les actions ou fonctions des
personnages des récits est
essentielleme"rrt celui de leur décodage en tant qu'énigmes.
Ainsi, avons-nous établi, suivant une méthode dictée
par" la nature symbolique même des contes, d'une part, la si-
gnification de ces derniers, c'est-à-dire le rapport entre les
comportements des personnages et les valeurs cardinales de la
soci"été, et d'autre part, les moyens d'expression de cette si-
gnification en tant que message.
(1)
AMAVOU-HAMPATE
Ka.lda.Jta. - Récit i»itia.tique peul
J ulia.Jt d ; 1 96 9 .

312
Nous nous sommes ainsi efforcé de montrer comment
de façon concrète le conte constitue un outil dlanalyse de la
société traditionnelle.
Cependant, cet outil peut et doit également contri-
buer à la renaissance des sociétés africaines. Clest que d'une
part, son enseignement a atteint un tel degré d'abstraction,
de généralisation qu'avec de substantiels réajustements comme
on a pu le faire tout au long des analyses, il peut, non seu-
lement féconder l'imagination créatrice (romanciers, poètes et
dramatur~es y puisent déjà de la matière), mais également ser-
vir de code de conduite sociale; et que d'autre part, si re-
nouveau il doit y avoir, il ne doit s'effectuer que sur les
fondements anciens propres des peuples, tant il est vrai qu'on
ne peu~ renaitre qulà soi-même.
La question à résoudre donc dans l t e c tua l isation du
conte n'est pas celle de l'opportunité d'adaptation, mais celle
de5 conditions psychologiques et sociales, des modalités concrè-
t'e-s de cette adaptation.
Et cela re-vient, après avoir décrit le conte comme
on vient de le faire, à définir le modernisme en cause dans ce
qu'il a de problématique et de propre à la fois à éclairer
l'avenir du genre traditionnel.
Pour ce faire, on ne se limitera plus aux seuls peu-
ples gouro en envisageant leur modernité, à supposer qu'elle
existe, ni même à la Côte-dlIvoire qui comprend les Gouro.

313
On cqnsidèrera la modernité au niveau de I t e ns ernb l e
des sociétés africaines: ce même phénomène les caractérisant
toutes, leur examen parcellaire n1aurait aucun intérêt vérita-
ble.
De m~me, clest a travers le destin de la Tradition
tout entière que lion posera le problème de l'actualisation
du conte. Toute la littérature orale réfère en effet a la Tra-
dition dont l'histoire est aussi la sienne et donc celle du
conte.
*
La prise en compte de la Tradition dans l'Afrique
mode-rne est liée. a un problème capital, celui de sa réhabilita-
tion da-n s les mentalités modernes.
Elle est en effet rejetée au nom du modernisme
comme étant une forme morte, incompati bl e avec l' "évol ution".
Il L'A fr i que
a as s e z dan s
Ile s t te mps qu' e 11e se
ë

to ur ne ver s I a te c hno log i e ", en tend -0 n ici et l a.
Certes,
un vent d'un certain retour aux sources
souffle, depuis les combats de la Négritude, sur l'ensemble
de l'Afrique, tel
q u t i l est facile de voir un grand nombre
d'Africains modernes, sans distinction de classe sociale,
faire abondante consommation de maint5 produits traditionnels

314
vêtements locaux, engouement pour la musique traditionnelle
et pour les formes adaptées des prestations culinaires régio-
nales, recours au mysticisme ancestral au fort des situations
critiques, etc. En somme, un retour aux sources tactique orien-
té vers les formes faciles et parcellaires de la civilisation
africaine.
En effet, ce que recherchent les ~modernes~, ce n'est
pas l'essence de l'Afrique, la vision ordonnée de la civilisa-
tion traditionnelle, mais quelques aspects épars et superfi-
ciels qui en découlent. Une sorte de consommation exotique
de l'Afrique sur un fond de civil isation étrangère.
C'est pourquoi il n'est pas rare d'entendre dire
de
la Tradition: "C'est du folklore !" (comme l'injure
la pire qui
soit) ; ou encore: "Clest dépassé l ". Et les
plus embrouillés: liCe sont des superstitions !" faisant de
to ute 1a ci vil i sa t ion t ra dit; 0 nne 11e, un vas t e cha mpre 1 i gi eux,
régi essentiellement par le religieux (1).
Les raisons de telles attitudes sont multiples. Mais
toutes se réfèrent aux conditions psychologiques et sociales
(1) Van~ cet o~d~e de~ cho~e~, b~en de~ ~éc~t~ v~tupè~ent
cont~e l~~ t~ad~t~on~, tel~ le~ ~oman~ de l'lvo~~~en Aké
Loba pa~ exemple, ~o~t b~en analy~é~ pa~ GNAOULE Oupo :
Analy~e thémat~que et ~déolog~e de l'oeuv~e ~omane~que
d'Aké Loba ; Mémo~~e de Malt~~~e ; Un~ve~~~té de Pa~~~-III,
1 976.

315
d'existence des "modernes" : elles sont dues â l'extraversion
des mentalités qui amène â la préférence pour tout ce qui
vient de l'étranger, notamment, de l'occident.
Ce n'est plus un secret pour personne, après d'in-
nombrables publications sociologiques, d'économie politique,
d'articles de journaux depuis les Indépendances africaines,
que l'Occident garde la haute main sur les nouveaux Etats
d'Afrique.
C'est que c'est dans la dépendance même des an-
ciennes puissances colonisatrices que l'Afrique prend son in-
dêp e nd.a.nce. C'est ce que révèle,
l'aube de ce tournant his-
à
to~ique rour le continent africain, cette hypothèse d'action
du général De Gaulle qui imagina, après avoir constaté que
"c t e.n était fait des lointaines dominations qui avaient fondé
l es empires", qu'il
pouvait être "possible de transformer les
anciennes r~lations de dépendance en liens préférentiels de
co.o pê.r-a tio n politique, économique et culturelle" (1).
Et précisément, 1 'hypothèse, avec la complicité même
das. é·léments africains évolués des mouvements de libération,
fut co nc r-ê ti s ê.e , du côté français, par des actions politiques
(1)
De GAULLE ChaJtle.6
: Mé.moiJte.6 d'E.6po..tJt,
T.
1,
Ed.
Plon,
PaJti.6 ,
1 9 JO;
p.
1 5 .

316
significatives: la décolonisation devait être conduite, non
par les colonisés eux-mêmes, suivant les perspectives qu'ils
entendent assigner à leur libération, (les Anglais appliquaient
déjà la technique), mais par la puissance colonisatrice elle-
même, en sauvegardant par conséquent ses intérêts: ne pas
perdre les acquis des empires, éviter une défaite diplomati-
que et militaire face aux anciennes dominations (une effer-
vesc.ence politique extrême agitait en effet les colonies:
événements de Madagascar: 1947 ; de Côte-d'Ivoire: 1950 ;
du Kenya : de 1952 à 1956 ; du Cameroun : 1956 ; alors que la
France, pour sa part, sortait de la deuxième Guerre mondiale
lourdement affectée, et qu'elle devait faire face à la guerre
d'Algérie, aussitôt après la fin de la guerre d'Indochine)
:
Il
1ln' é ta i t plu s do ut eux, pou r les Et a t s diA f ri que no ire, que
sou s l' i mpul s ion des é lit es, les populat ion s déc ide ra i e nt
d'aller à l'indépendance ( ... ). Or, une grande partie des
éléments évolués qu'endoctrinaient les surenchères totalitai-
res, rêvaient que l'affranchissement fût, non pas le terme
d'une évolution, mais une défaite infligée par les colonies à
leurs co l o nis a t e ur s . D'indépendance, ils ne voulaient que
cel l e - l à Il, a va i t
cr i t a l 0 r s De G·a ul le, exp r i man t son i nqui é -
ê
tu de (1).
(1)
De. GAULLE ChaJt.(.e.fJ, op.
c..-i.:t.,
p.
43.

317
Ainsi, la décolonisation contrôlée ne put consacrer
la rupture nécessaire c'est-à-dire la fin de la colonisation
qui était l'unique solution du problème posé entre le coloni-
sateur et les colonisés, et qui eût amené par la suite, les
conditions objectives de relations plus saines.
Mais surtout, suivant les perspectives des puissan-
ces colonisatrices,l 'indépendance devait être acquise séparé-
men t par chaque colonie (indépendance au sein de la Communau-
tê ,
1958 - pour les colonies françaises, Communauté préparée
d~ux ans plus tôt par la loi-cadre de Gaston Defferre, 1956)
ici éga.lement, un émiettement politique du continent brise à
l'a van cet 0 ut e fo r cep 0 te nt i e 1 1e d' une Af ri que uni fié e . . .
Ainsi, sa lutte 1 ibératrice désamorcée, son poten-
ttel de force politique morcelé, la perspective d i un e coopé-
ration inégale envisagée à son intention (coopération entre
anciens dominateurs possédant tous les atouts: capitaux,
te chrro l oq i e., unité politique ... et anciens dominés ne possé-
darrt rien dans le domaine choisi), tout lui étant ainsi imposé
par le c.olonisateur, c'est dans la faiblesse absolue et dans
la' dëp end e nce totale que l'Afrique accède à l'indépendance.
Dans ces conditions, on comprend que l'occident
ait une mainmise totale sur les nouveaux Etats africains.
On n'entrera pas dans
les détails indiquant la façon
dont chacun de ces Etats, par des lois fiscales particulières

318
par leurs rapports avec 1 'esprit critique, préserve les inté-
rêts des anciennes puissances colonisatrices. Il suffira de
savoir que chacun, à sa manière propre, fait l'aveu sincère
de son Il a t ta che men t vis c é ra 111 à te 11e 0 u te 11e pa r t i e de
l'Europe; que beaucoup n'envisagent de sort à l'Afrique que
d'être, non pas libre, et une puissance elle-même, mais l'ob-
jet de convoitise dont l'appropriation par une des deux pui s-
sances hégémoniques du monde, permettrait à la puissance vic-·
torieuse de gouverner le monde; que beaucoup considèrent les
langues occidentales comme les meilleurs outils possibles d'ex-
pression de la pensée négro-~fricaine et de la vie moderne ... ~;
il suffira de saisir ces traits de mentalités entre autres pour
a.pprécier le poids des anciennes puissances coloniales et leurs
alliées actuelles sur les nouveaux Etats d'Afrique.
De sorte que, tout comme dans les rapports coloniaux
d'antan, l'exploitation des res~ources entra'ne ou nécessite
une action de force sur l'être psychique des individus, des
pe up1es .
Ma·is toutefois, alors qu'à l'époque coloniale, ce
f'ur en t 1es pui ssances col oni satrices ell es-mêmes qui, organi-
sant les conditions d'exploitation du continent, détruisirent
la personnalité spirituelle des Nègres par les missions évan-
géliques (telle fut la politique de Jules Ferry par exemple),
et par l'enseignement colonial, sous les Indépendances, ce sont
les nou.veaux Etats africains eux-mêmes qui, justement, non

319
sortis de la dépendance, anéantissent consciemment ou incons-
ciemment l'être psychique des Nègres en créant les conditions
d'une extraversion des mentalités en direction des anciens
maîtres.
En ~doptant en lieu et place des langues du terroir
les langues des anciens maîtres, les Africains anéantissent
leur personnalité culturelle, leur être psychique.
La langue en effet (qui ne naît pas nationale, mais
l e de vie nt par l ' e f f et de l' ac ti 0 n pol i t i que), est un cre use t
où se trouve accumulée l'expérience des peuples, la vision du
monde des peuples. Elle est donc particulière a chaque groupe-
ment humain:
IIApprendre une autre langue, écrit le linguiste
André Martinet, ce n'est pas mettre de nouvelles étiquettes
s.u.r des objets connus, mai s s ' habi tuer a analyser autrement ce
qui fait l vo bj e t de communications l t nq ut s t i qu e s " (1).
Il y va donc des structures mentales m~mes des in-
dividus. C'est pourquoi on ne peut adopter une langue étran-
gère à l'exclusion d'e la sienne propre sans perdre son iden-
ti té s.pt ri t ue l l.e .
Ainsi, les Africains, adoptant des langues étrangères
(11 MARTINET And~l
: El~ment~ de lingui~tique glnl~ale
Lib~ai-
~ie A~mand Colin.,
Pa~i~, 1 91 0 ; p.
1 2 .

320
(français, anglais, portugais ... ) comme langues de communi-
cation privilégiées dans les nouvelles nations, renoncent à
leur personnalité psychique et culturelle en faveur de celle
de l'étranger.
De même, en adoptant le mode de vie des anciens
maîtres occidentaux, les Africains ont choisi de se départir
de leur vision du monde propre, de leur être psychique.
Le mode de vie, comme la langue, e~t le fruit de
l'expérience des peuples. Il est l t e xpr e s s i on de la sensibi-
lité, du goDt, de la civilisation, bref la vision du monde
des groupements humains. Bien qu 1adaptab1e, il est spécifique
à chaque pe~p1e, indice d'une civilisation. De
la sorte, on
ne peut adopter intégralement celui d'un autre peuple sans
s'aliéner à lui. C'e~t en effet le commencement d'une nou-
velle façon de sentir, de voir, d 'ana1yser le réel.
Ainsi, les Africains modernes, adoptant souvent le
genre de vie occidental ne font rien moins que renoncer à leur
~ensibi1ité propre, à leur perce~tion propre du réel
pour ten-
dre vers celles des occidentaux.
La religion, véritable véhicule de l'idéologie et
de la vision du monde des peuples, contribue également à ex-
tirper la personnalité culturelle et psychique des individus,
à faire pénétrer en eux le mépris
pour leur passé, pour les
emplir ensuite d'une vision du monde nouvelle, tout comme elle

321
a vidé bien des Africains modernes dieux-mêmes pour les ios-
taller dans une vision du monde étrangère à la civilisation
africaine.
La technologie des pays industrialisés t qui eût
aidé à résoudre le véritable problème de l'Afrique -la fai-
blesse technologique t et non la pauvreté- constitue également
un de ces puissants moyens par lesquels les anciennes colonies
se trouvent défi niti vement assujeties t au lieu d'être de vé-
ritabl~s instruments pour le développement.
E.n effet t si les nouveaux rapports de 1iOccident
avec l'Afrique avaient souci de faire sortir le continent noir
d'un retard technologique t il est évident que ce ne seraient
pas des machines toutes faites t des manufactures toutes prê-
test des produits déjà confectionnés qu'on servirait aux Afri-
cains en sachant le caractère imprnductif d'une telle initia-
tive. Ce ne serait pas de IItransfert de t ec hnolo qt e " qu t i l s'a-
girait. On apprendrait aux Africains t selon le dicton t à fabri-
que r eux-mêmes leurs mecb i ne s , leurs e nçl ns technologiques.
Qu'apr!s vingt ans de coopération t aucun Nègre sur le conti-
n~nt ne sache comment se fabrique la moindre machine t a fortiori
la confection de grands ensembles technologiques t est révélateur
à cet égard.
C'est que précisément, l'accueil de la technologie
des puissances industrialisées en terre nègre obéit à des

322
préoccupations autres que l'aide véritable au développement.
Du reste, comment l'Occident (qui est le plus grand pourvo-
yeur de la technologie aux nouveaux Etats africains), atten-
tif a réaliser des profits, en quête de marchés toujours plus
étendus pour l'écoulement de ses produits fabriqués, et sou-
cieux d'avoir le moins de concurrents possibles, aurait-il
donné a l'Afrique la clé de la technologie? C'eût été absurde.
En fa i t , l ' i dé e de Il t ra ns fer t dete c hn 0 log i elle n
Afrique vise surtout a faire dépendre sans fin au titre de
consommateurs,les nouveaux Etats africains aux anciennes puis-
sances colonisatrices. Cela s'inscrit dans l'ordre des choses
même qui a con duit a lia v0 rte men t de 1a li béra t ion de l ' Af ri que .
En effet, la technologie est d'abord une science
avant d'être un ensemble de produits fabriqués. Sa véritable
vertu est donc qu'elle soit ma'trisée, posséd~e dans ses prin-
cipes par' tels ou tels peuples. Sans cette ma'trise, qui est
~n fait liée a tout un contexte sociologique, il n'y a pas de
t~chnologie possible. Dans ces conditions, son transfert ne-ré-
soud en rien un problème de retard ou de faiblesse tec.hno l oqi >
que. Au co nt ra i re, ce t te i nit i a t ive, par lie nv0 i die ngin s ,
de marchandises confectionnées, empêche la ma'trise technolo-
gique réelle et amène a compter sans fin sur les pourvoyeurs
tant pour la livraison du matériel que pour son entretien.
Ainsi, les nouveaux Etats africains, enfermés dans

323
le programme de transfert technologique, sont définitivement
gagnés à la dépendance extérieure.
En fin, lie nv0 i de ca pi ta ux -q ue 1- que - soi t - 1 ' us age -
qui-en-est-fait, est également un moyen d'affermissement de
la dépe.ndance des nouveaux Etats. Ce piège assure confortable-
ment aux anciennes puissances coloniales, le contrôle de leurs
anciennes colonies indéfiniment plongées dans le besoin par
l'usage incontrôlé des capitaux consentis, et obligés d'atten-
d re dl e'l1 es san s fi n.
Au total, par la langue, le mode de vie, les cro-
yances religieuses, le transfert de technologie et de capi-
taux, les nouveaux Etats africains se trouvent totalement tour-
nés ver s lie xt é ri e urd' eu x -même s , ver s l' e xt é rie ur de 1e ur
civilisation originelle, sur les traces mêmes de l'extraver-
sion politique et économique
"Ecrire l'économie politique
de l'Afrique de l'Ouest, qui
a accédé à l'indépendance en 1960,
c ' es t fa; re l' hi s to ire d' une cr 0 i s san cee xt r a ver t i e, cie s t- à -
dire impulsée par la demande extérieure et financée par le
c.a pi ta l étranger", note par exemple à propos de l'Afrique de
l'Ouest, l'économiste Samir Amin (1).
(lI
Sam..t!l. A~!1N
:
L'A6!l...tque. de. f.'Oue.~:t
bf.oquée.
Ed..t:t..toYl~ de.
Mùw..t:t,
Pa!l...t~, 1971.

324
Cet état de chose a, sur le comportement social des
Africains modernes des conséquences alarmantes: structures
mentales forgées à partir de la vision du monde de l'étranger,
vidés d'eux-mêmes, ils sont perpétuellement tendus vers l'ex-
térieur, tournés vers les anciennes puissances coloniales des-
quelles ils attendent l'essentiel de le_ur vie. Idéalisant les
réalités de là-bas, ils ne préfêrent véritablement que ce qui
provient de là-bas.
Précisons en outre que cette situation n'est en
fait que l'aboutissement de tout un travail psychologique com-
mencé à l'époque coloniale, et même au-delà. L'action concertée
des missionnaires, de l'école coloniale et de bien de rapports
inter-humains fondés sur le racisme avaient déjà extirpé l~
personnalité psychique du Nêgre, au point qu'au lendemain des
Indé-pendances, les Africains eux-mêmes durent constater, tel
FotéM-emel au c.o l l oqu.e sur les religions en 1961 :
"Lolt~que. nou~ ob~e.ltvon~ le.~ pe.uple./l no-ilt~ -indépe.ndan.t~;
"nou~ vOljon~ que. la plupaltt ~ont toultmen:té~ d'un ma-
"La Ls e 6ondame.ntaleme.nt c.ultulte.l : -il~ n'ont pa.~ e.n-
"c.:Olte. Ite.c.ouvlté f.e.~ ba/le.~ ~p,{.Jt-itu.e.lle.~ qu-i Itéé.qu-il-i-
"bitent le.~ c.olle.c.:t-iv-itl~ ébltanlé.e.~, il~ n'ont pa~ e.n-
"C.Olte. Ite.c.ouvlté leult -indépe.ndanc.e. c.:ultulte.f.le."
(1).
(1)
FOTE Meme.l : Rappoltt ~ult la C-ivili~ation animi~te., in Collo-
que. ~ult le.~ ReL{.p-ion~,
Abidjan, Avltil 1961
;
Ed-it-ion~
Plté.~e.nc.e. A61t-ic.aine. ; p. 32.

325
Sous les Indépendances qui consacrent un échec de
libération, le phénomène, dont les méthodes slaffinèrent,
perpétua le complexe d'infériorité (désormais voilé de mul-
tiples façons)
(1).
Tout cela explique l'attitude des "moc e r ne s " face
à
la Tradition.
Bât-is dans l'identification à l'étranger, nota-
bles des nouvelles hiérarchies comme humbles habitants des
ville-s (mais les premiers, plus que les seconds), rejettent
tout naturellement la Tradition, la vieille civilisation
africaine comme étant un poids mort dans la course a la mo-
dernité, incompatible avec l'lIévolution ll •
Mais c'est compromettre l'évolution elle-même.
En effet, d'une part, la Tradition est le fonds
psychique des Noirs africains, et de l'autre, c'est d'elle
que peut naître, suivant la loi universelle de l'évolution
d~s phénomènes et des choses, suivant les rapports dialec-
tiques- entre l'ancien et le nouveau, le renouveau, le moder-
nisme des peuples.
La Tradition, qu'il faut appeler plus explicitement
(1)
I.t 6aut c.epertdartt rtuartc.eJt .te jugemertt : b..i.ert
âe s A 6Jt..i.-
c.a..i.rtJ.J modeJtrteJ.J qu..i. J.Javertt .t..i.Jte dart~ .te mouvemertt de
.t'H..i.J.Jto..i.Jte, Ortt dlja e66ec.tul .teuJt JtetouJt ŒUX ~ouJtc.e~
vlJt..i.tab.te et appJtlc...i.ertt la TJtad..i.t..i.ort a6Jt..i.c.a..i.rte a J.Ja ju~te
va.teuJt dartJ.J .te pJtoc.eJ.J~u~ du Jtertouveau du v..i.eux Cortt..i.rtertt.

326
"Civilisation traditionnelle africaine" est le facteur de
la structuration des mentalités des Noirs africains. Faite des
réalités de la vie de ces peuples (organisation politique, so-
ciale et économique, vision du monde, conception de la litté-
rature et des arts), elle modèle leur façon de percevoir et
d'apprécier le réel et constitue le contenu culturel substan-
tiel qui définit le niveau culturel de chacun.
Mais surtout, et pour cela même, c'est d'elle, et
d'elle seule, que peut na'tre leur renouveau.
En faisant siennes les données de nouvelles civili-
sations, non en se niant pour cela, mais en les assimilant,
la vieille civilisation peut et doit en effet créer les condi-
tions d'une vie nouvelle, le modernisme.
C' es t que, de pu i s lie nt rée de liA f ri que sur 1a s c è ne
de l'Histoire du monde, de nouvelles réalités ont surgi sur
1a t r aj ect 0 ire de sad ynami que 0 r i gin e 11e (p r 0 gr è s de l ' i ns -
truction et de· l t e-sp r i t positif; nécessité de bâtir des na-
tions et. nan plus des clans parentaux, volonté de ma'triser
une te ch n0 10 gi e nouvelle ... ) , créant de nouvel 1es con dit i ons
d'existence dans un cadre psychologique et social devenu dé-
sormais étriqué.
Mais ces données extérieures, loin de freiner son
évolution, n'ont fait en réalité qu'assigner l'accélération à
son processus de mutation: pendant des siècles, elle évolua

327
suivant l'orientation fixée par les premiers bâtisseurs de
la vie sociale. Evolution précautionneuse, contrôlée,régle-
mentée par des dispositifs déterminés. Entrée dans la tem-
,/
pête de l'Histoire du monde, sa dynamique se trouve en état
If>
de grandir, sous peine d'asphyxie, aux dimensions de nouvelles
données.
Or un tel
réa jus t emen t, con t rai re men t à l' a t t i tu de
des modernes est tout à fait possible en théorie comme en pra-
tique: c'est l'application de la loi
universelle de l'évolu-
tion des phénomênes et des choses, la dialectique de l'ancien
et du nouveau.
Selon la dialectique en effet, il ne peut y avoir
rupture radicale entre l'ancien et le nouveau. Le nouveau est
dans l'ancien, déjà contenu dans 1 'ancien. S~n ~closion n'est
que la force de dépérissement de l'ancien, force qui unit a)n-·
si des aspe~ts apparemment contradictoires. Ainsi évoluent
uniyersellement les phénomênes et les choses, y compris les
ptië.nomën es soci aux.
L'assimilation, par laquelle une civilisation se voit
obligée dans des conditions historiques données, d'accueillir
d'autres civilisations du monde et de changer ainsi plus00u
moins brutalement de dynamique, est une opération de cette na-
ture : une opération dialectique.
Elle consiste en effet, pour accueillir l'élément

328
étranger, pour recueillir sa part nutritive, à créer en son
propre sein, des conditions nouvelles, à faire éclore le nou-
veau de l'ancien.
Ainsi, la vieille civilisation africaine, accueil-
lant la civilisation occidentale, peut, en corrigeant sa dy-
namique originelle, en se dépouillant de certaines de ses ca-
ractéristiques ancestrales devenues inopportunes, -y compris
éventuellement le changem~nt de la société elle-même- créer
les conditions de l'assimilation de la civilisation occiden-
tale. Dès lors elle s'affine, s~ conforte et prospère à nou-
veau. Une nouvelle vie naitrait ainsi, propre à organiser les
conditions spécifiques de sa propre ma'trise technologique et
la puissance qu'elle confère.
Et précisém~nt, l 'histoire enseigne que dans les
'pays dont l'essor force aujourd'hui l'admiration de tous, et
en prena.nt le cas de la société française par exemple, la ci-
vili~~tion n'a pas été de tout temps tetthnologique et scien-
tif i que, n i l ' es sor 1 ui - même, to mbé duc i el. l l a fa l 1u und é -
pas.sement d~ la vieille civilisation pour qu'apparaisse la so-
ciété nou.velle qui, elle, est t e c nno l oqi q ue et scientifique. Il
fallut en l'occurrence faire la critique lucide et opiniâtre de
la vieille société féodale (dès le XVIe siècle par les écrivains
de la Plélade et surtout par les philosophes du 5iêcle des
Lumières), autrement dit, mettre en place les conditions psycho-
logiques et sociales de maturation de l'idéologie bourgeoise,

329
de l'essor de la puissance capitaliste dont la consécration
fut la Révolution de 1789. La vieille société féodale tomba.
Une société nouvelle naissait, rationaliste sur le plan phi-
losophique, démocratique sur le plan politique, et capitalis-
te sur le plan économique, laquelle organisa le développement
de la technologie.
Tel est le mécanisme de tout renouveau national,
que l'Afrique, pour sa part, est en train de faire fonction-
ner à l'envers en s'appropriant la civilisation étrangère pour
y adapter des éléments de la civilisation nègre, au lieu d'or-
9anis~r, sur les fondements de 1 'humanisme africain, une
nouvelle société en y adaptant la part positive de la civili-
sation étrangère.
Et, semble-t-il, seule la critique de l'Oralité,
c'est-à-'dire de la Tradition, qui ne peut avoir de réelle
"efficacité" que si, entre autres, elle établit la pragmati-
que des productions orales, si el le dégage la dialectique de
la renaissance de l'Afrique, peut amener les consciences à
r econ s i dé r e r l' h i st 0 ire de l a 1i ber té de ce con tin en t don t
la convoitise par diverses puissances militaristes de la pla-
nète, menace la paix du Monde.

GJ3IBLQOQRAPHIE

331
HORS - TEXTE
-::-::-=-,- - --;;-:-=-=--=-=-
RECUEIL DE CONTES POPULAIRES GOURO
1 - OUVRAGES THEORIQUES
ANOZIE O. Sunday : Sociologie du roman africain; Edition
Au b i e r --Monta i qne t Par i s , 1970
BOUTET Dominique et A. STRUBEL : Littérature, politique et so-
société dans la France du Moyen-Age
PUF, Littératures modernes, 1979.
BOWRA Cecil Maurice: Cha1t et poésie des peuples primitifs
Editions Payot, 1966.
CALAME-GRIAULE Geneviève: Pour une étude ethnolinguistique des
îittératures orales africaines
Langages,
1970, Avril, Mai, Juin.
Langage et cultures africaines; Editions
François Maspéro, 1977.
Essai d'étude stylistique d'un texte dogon,
JWAL
IV, 1, 1967.
t
COLIN Roland: Littérature d'Hier et de Demain, ADEC ; 1965.
COLA RDEL LE- DIA RRA SSOU BAM.,
: Le Li è vr e e t l' Arai 9née dan s les
contes de l'Ouest africain; coll. 10/1.8,
1975.
CRESSOT Marcel: Le style et ses techniques, Presses Universi-
taires de France, 1974.
ENO-BELINGA S. P.t MINYONO-NKODO : Poésies orales,
Edition
St-Paul, Paris.
La littérature orale africaine: Les Classi-
qu.es Africains, Editions St-Paul, 1978.
FOTE-MEMEL Harris
L'idée d'une esthétique africaine;
in
Colloque sur l'esthétique négro-africaine;
Abidjan, 1974.

332
GNAOULE Oupoh Bruno : Analyse thématique et idéologiq~~ d~
l'oeuvre romanesque d'Aké Loba ; Memolr~ de
Maftrise d'Enseignement de lettres ; Unlver~
sité de la Sorbonne Nouvelle, Paris-III,
1976.
GOLDMA~ Lucien: La création culturelle dans la société moderne;
Denoël
; Paris, 1971.
GUEYE Papa: la littérature africaine et la critigue : Annales
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AVANT -PROPOS •.•.....•••.••..•.••..•..••...•..••..•..••••..••.•.••• p.
1
INTRODUCTION
••••••.••.••....•••.•.•..••
p.
7
1
• • • • • • • • • • • • • • •
~~~~J~~~=~~~Il~ - LE DIT DES RECITS .•••.•.•............ p.
27
Introduction
p.
28
l - La vie commu nau t air e
p.
35
A. La cohésion sociale:
l'altruisme
p.
40
B. l mpor t a.n c e de 1 1 homme
p.
58
1. L'importance de 11 homme est exprimée
par la satyre de toutes agressions
contre la vie humaine
p.
60
2.
LI importance de l' homme est exprimée
par la satyre du refus d'intégrer les
déshéri tés
p.
88
,
3. L'importance de l' homme est exprimée
par la satyre du refus de mariage .... p.
101
II _. Le savoir et ses principaux facteurs
p.
136
A. L'intelligence et la maîtrise du savoir
profane
p.
13.6
1. L'intelligence est exprimée par la
satyre de l'incompréhension, de la ca-
rence de mémoire, du défaut de bon
sens, etc
p.
137"
2.
L'intelligence est exprimée par la
critique de l'ignorance et de l'im-
maturité
p.
145
B. Le renforcement par l'initiation: maîtri-
se des connaissances surnaturelles
p.
161

340
1. La nécessité de renforcement
(ou
initiation) est exprimée par l a do-
mination des renforcés sur le réel
... p. 163
2 . La nécessité de renforcement est
exprimée par l a crainte qu'inspire les
t ê t e -·f 0 rte s
p.
188
Q~Y~I~~~=e~Brl~ - LE RYTHME ET L'ENONCIATION
p.
205
1NTRODUCTI ON
p.
206
.
1 - Fondement de l 'expression rythmique
p.
207
II - Agents du rythmique et fonctions rythmiques ... p.
211
A. L'agent rythmique
p. 211
1. Lac l ar if i ca t ion
p.
215
2. La stimulation de la narration
p.
218
3. La co-laboration
p.
220
4.
La révélation et l 'intensification des
sentiments
p.
221
B. L'auditoire
p.
227
1. L'auditoire - agent rythmique
p.
227
2. L1 auditoire - critique
p.
228
C. Les éléments rythmiques, textuels et
or au x de lié non ci a t ion
p. 230
1. El émen t s dis cu r si f s
p.
231
a) La ré pé t i t i on
p.
231
b ) Les figures rhétoriques
p.
243

341
2.
Facteurs rythmiques oraux
p. 260
a)
L'accentuation ou insistance vo-
cale
p. 260
b) Le débit oratoire:
la fascination
et la propriété du langage
p.
262
III - Rythme et comique:
la dimension ludique du
conte
.'
. p. 270
/.Ql_-'~i -i:»:
A. Es sen c fj.'é\\.t >fo r me' O'Ü, co mi que
. p. 270
';:;.
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e-
1
\\
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1.
L~e?:c'omj,q,uE;: de\\ l'\\agent rythmique
.
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p.
270
v
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-
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:
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1
.
f
a~,~C\\OmiqUe de mot
.. p. 271
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b ) r-"
. --
"ft
l
'~~J P(uJe\\~~g}·s ue
. p. 274
~-::;.~';:;:.1:
2.
Comique des images
. p. 275
a ) La métaphore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . 275
b ) La comparaison
comique de mots . . p . 281
c ) L'exclamation
comique de mots
p. 282
d ) L'hyperbole
comique de situa-
tion, de moeurs, de caract~re
. p. 283
B. Port ée du COITI i que
p.
286
IV
- Le rythme et la narration
p.
292
CONCLUSION GENERALE
p.
309
BIBLIOGRAPHIE
p. 330
TABLE DES MATIERES
p.
338

(.