UNIVERSITE [)E PAR.IS V
RENE DESCARTES
SCIENCES HUMAINES . SORBONNE
pour le
DOCTORAT DE 3ÈME CYCLE
Présentée et soutenue par Mme N'GUESSAN Marguerite
née INDAT
«GLES COUTUME~, GMJ1TRIMONIALES
CHEZ LES C71B&!' DE CÔTE CV'qVOIRE >~
..

A mes chers parents
:
"Un seul doiqt ne peut
attraper un poux"
(dicton abE)
A mon époux et à ma fille.

l
TABLE
DES
lV\\ATIERES
INTRODUCTION
p.
5
PREf\\lIERE PARTIE
PRESENTATION GENERALE DE LA ~OCIETE ABE.
p.
30
==~==~======~=~========~===============
CHAPITRE l
-
LE PAYS ABE
.
p.
31
A.
Les données géographiques
.
p.
3i
1.
Les limites administratives
.
p.
Ji
2.
Le cadre naturel
p.
32
B.
Aperçu historique sur les AbE.
p.
34
1.
D'où viennent les AbE
?
. . . . . . . . . . . . . •
p.
35
2.
Le s
tr i bu s
p.
3:::
C.
Economie et démographie
p.
41
1.
L'activité économique
p.
41'
2. Comment évolue la population abE ?
. • . .
p.
44
D.
L'organisation sociale
p.
4R
1. Le système politique
p.
48
2. La r e I l g l on .. .....",,~.~. . . . . . . . . . . . . . .. p.
62
ç...\\cll / \\!E @f .',
..- l>-~
_-::\\-77/
,..... /
\\',
'~~
":y\\
':?
l i
CHAPITRE II -
LE SYSTEME iDE BNRE'NIT'E
..I.~
. p.
7?,
A.
La règle
p.
73
jus t i f i ~\\--- - -~J "
.
.
:.-.. \\
/
oS'
d e
f l I ] a t{,~,'p{( . . . . /' :(c:~:) • • • • • • • • • • • • •
/<-~ ~ c...~~
1.
Les
ca t j~~l.a fil i a t ion
p.
73
••
2.
Les caractéristiques de la patrilinêa-
lité abE
.
p.
77
B.
La parcn té
.
p.
80
1.
La nomenclature de la parenté
' . '
.
p.
31
2.
La règle de mariage
.
p.
38
3.
Lcs relations sexuelles prohibées
. . . . . p. 11:3

2
C.
Le lignage
p.
106
p .. 112
CHAPITHE
l
-
LE
PROC}~SSUS DU t-1ARIAGE
• • • • • • • . . • . . • . . . p.
lIB
AI Les formes du mar iage ... ,.................. p.
l l à ,
1.
Selon les
formes
de l'union conju9él1e
.
p.
118
2.
Selon la
forme des
biens
transférés
'"
p.
119
3.
Selon le mode d'acquisition de la
femme p.
120:.
BI Les préliminaires
p.
122
1.
La demande d'une f i l l e
impubère ou ~
naitre
p.
123
2.
La demande d'une fille nubile
p.
125
3.
La procédure de la demande en mariage.
p.
127
4 . "L 1 a saI a n f..
" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
p .
130
5. Les obligations sociales des futurs
mar iés
.
p.
135
cl Mb~ ou compensation matrimoniale
.
p.
143
1.
La signification du mb6
.
p.
143
2.
La compos i t ion (Ju mbo
• . . • . . • • . . . • . • • . •
p .. 153
DI La publicité du mariage
p.
157
1.
1., e
ra p t . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
p.
1 68
2.
Le transfert de l'épouse
p.
171",
El La polygyn ie
p.
177
1.
La
justification de la polY9ynie
p.
179
2.
L'influence de la première épouse
. . . . .
p.
193

3
F.
Le divorce
,.. p. 199
1.
Les cau ses
p. 2 03
2.
Lep roc CSS u s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. p. 2 10 .
3. Les conséquences
P.22
p. 224
A. Les rapports nés du mariage
P·224
1. Les relations conjugales
p.224
2.
Les rapports avec les alliés
p.231
B.
Les relations au niveau du groupe de
parenté
p.236
1.
Les relations entre Ego et ses parents P.237
2. Les rapports entre Ego et le frère
de sa mère
p. 242
3. Les rapports entre Ego et ses frères
consanguins
p. 243
CONCLUSION
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . • . • • . •
p.249
BIBLIOGRAPHIE














•.
.,


"!



.,

.,
••



•.









•.



P. 261

======:::::==:-:.:::::==
Avant d'aborder l'objet de ce
travail,
nous
tenons à
remercier sp0cialemcnt Monsieur Le Professeur Roger DAVAL qui,
en
dépit de ses nombreuses occupations,
a bien vOtllu nOllS aider à ré-
aliser cette étude,
en en assurant la direction.
Qu'il veuille
accepter ici,
l'expression de notre profonde gratitude.
Nou~ remercions Monsieur le Professeur P.
LABURTHE-TOLRA
dont la contribution nous a été très utile.
Il a su,
par ses cri-
tiques,
ses conseils,
nous guider jusqu'à l'achèvement de ce tra-
vail.
Il peut être assuré de notre sincère reconnaissance.
Nos remerciements vont également à Madame Laguillaumie
à l'I.S.H.A.
pour ses suggestions,
puis à tous ceux qui ont appor-
té leur concours à ce travail.
Nous rernercions enfin tous nos
informateurs dont la par-
ticipation à cette étude a été capitale,
particulièrement AKA
IZahonou,
ex-nana du village d' Ery-Makouguié II ,
décédé en 1978,
et gui n'a pu voir la réalisation de ce travail.

THlIl'JSCHJ PTION
"PHONOLOGIQUE"
DES TEHI'1ES I\\Bé..
*
=~====~===~=============~=======~=~==~=~========
Nous avons adopté une transcription
inspLrée de ce1le que
propose 1'International African
Institut.
1)
LES VOYELLES
e
= eu - peup1e
Exernp1e
:
keke
idiotie,
bêtise
';)
0
-
moche
/
/
/
/
Exemp1e
: p~t~- pJt~
inceste
(.
è
-
mère
Exemp1e
: '{[ml
== viei11ard
u
= ou - doux
/
Exemp1e
~bu
a11ié
2)
LES CONSONNES
d3
dj
-
djinn
Exemp1e = d3 é - d3 G
petit-fi1s
tJ = tch - match
Exemp1e
:
tJa
époux
h
toujours aspiré - huer
Exemp1e
: eriehe
= purée
w
se prononce comme dans 1e mot watt
Exemp1e
:
/
~ h' ~
=
fi11e
* Les signes phonétiques n'existant pas en caractère machine, nous
avons adopté une transcription manuscrite 1es concernant.

ny
gn -
p~igne
Ex~mple : any3
d~ux
f = ch - ch~rch~r
Exemple
:
ooJi
=
chef de villag~
s
= toujours l~ son
s
-
sucre
Exemple = me somu
moi-même
y
consonne sonore,
intermédiaire entre l~ 9 ~t le h
Exempl e: YE.~ind i v idu
3)
LES SIGNES
se met sur les voyelles pour leur donner un son nasal.
On a ainsi
a
an -
changer
Exemple
:'
Kaga
esclave
- J
e
= in
mince
Ex~mple : al
oeil
On distingue pratiquement deux tons essentiels en Abl
hauts et bas.
Aussi avons-nous adopté les signes suivants
/
/(ton haut)
oro
tête
,,( ton bas
)
mb?;
compensation matrimoniale
REMARQUE
Pour
permettre
au
lecteur
de
se
retrouver
facilement
dans
les
documents
administratifs,
nous
avons
conserv~ l'o~tho­
graphe
des
noms
propres
et
noms
de
lieux
sauf celui
d'AbE
en
raison
de
son
orthographe
habituellement
charg~e et
d i f f i c i l e
(Abbey).

~.
1IIIIIil"
de Côte dl
.
IVOlre 7'
10'
6' .
G,RDUPE VOlTAIOUE
KROU
VOlTAlours
Vollaïques E:4,2t
Kouya
1 Gouin
I.obi et Gouin
rpcenls
1
~Mrlébou.
ml .
Sil ifOf el SilÎ
GROUPE KROU
3
Niaboua
Sénnufo
Kmlli!'!
[ - ] D,d.
LAGUNAIRfS
Oub,
Koulnngo
[-~] Gor1i~. Kodra el KOllohou
1 Nll1l1tt
6 Klldl<l
o N,yo
roltll
GROUPE MANO[
1 KOlrohou
[
f Boum;)
M,Hldt'!
W.né
l--~~ B.lwé" Oub;
0 ] MnlinH
rcccfl!S
AhoLJr~
____~J Krou el Wdn!'!
{MandlflQuel
LUîI 0'01,1.
MANur
Mo,lD
OWI
! bul
r;itn
1
1
1 M[)lJan
~..hndé
tlllLIt'fl.l
,
J Ollan
Ou MiJnr1é du sudl
GOlgOU
Allndlan
(;,IQOU
la AVlbm
~;E] OlJ~n. MOllan el Gan
O.n
11 K,ubDU
. _ - - DAN
1] MlIdp
- -
Wahl
1JiU'
Zpne 'd'étuâe
Source
ATLAS de Côte d'Ivoire,
1978.

Ql1ttôductioIL

5
Pour mieux appréhender une société hiérarchisée comme
celle des AbE et l'importance qu'elle accorde aux relations hu-
maines,
nous avons choisi d'6tudier un fait particulier de la vie
sociale:
le mariage.
En g6néral,
le mar~age n'est pas une simple
union sexuelle socialement reconnue entre un homme et une femme.
C'est une
institution d'importance primordiale permettant à
tout
individu d'acquérir son statut au sein de la société où il vit.
Ainsi,
dans
"Notes and Queries on Anthropology"
le mariage est dé-
fini comme "l'union entre un homme et une
femme,
telle que les en-
fants nés de
la felnme sont reconnus comme les descendants légitimes
des deux partenaires"(1).
Cette définition du mariage se révèle
incomplète mais
i l n'en existe aucune qui réunisse les différents
types de relations qu'il convient de considérer dans ce mot.
Pour
comprendre sa nature,
i l faut
l'étudier dans son propre contexte.
Acte collectif qui engage deux lignages tout entiers,
le mariage
appaJ;" ç3it comme
"1.1n phénomène social total",
l'instjtutj.on sans
doute la plus complexe et la plus riche englobant la réalité socia-
le abE..
Deux raisons ont motivé le choix du sujet.
D'abord,
le
fait qu'aucun
travail important n'a été entrepris
jusqu'ici sur
cc peuple dont l'originalité mérite une certaine considération.
Ensuite,
le fait que le système matrinonial,seule institution ayant
sllbsisté après l'action colonialeiest également la victime des
(1)
noyaI Anthropological Institute of Great Britain and Ireland,
Notes
(lnd QUl?ries on Anthropoloqy
(6 2 édition).
Londres,
1951.
Cité par Deattie
(J),
Introduction à
l'Anthropologie sociale,
Pûyot,
Paris,
1972,
p.
110,
317 p.

6
pays africains eux-mêmes,
dep~is leur accession à l'indépendance.
En effet,
le nouveau code civil ivoirien a transformé profonde-
ment le mariage traditionnel par la suppression légale de la com-
pensation matrimoniale et de la polygamie, par décret nO 64-375
du 7 octobre 1967.
Le mariage implique des comportements propres que nous avons
appelés
"cou turnes",
celles-c i
dé terminan t
la spécificité
d'une
société donnée.
Dans le langage courant,
la coutume se définit
comme une habitude,
c'est-à-dire une disposition acquise par
la répétition des mêmes actes.
Lorsque les sociologues parlent
de coutumes,
ils entendent le plus souvent une tradition,
un usage
social. Comme l'affirme Jean Cazeneuve,
la coutume est une "ha-
bitude qui est socialement apprise,
socialement accomplie et so-
cialement transmise".
Il en résulte que le domaine du social est
fondamental car l'auteur souligne "L'habitude est donc indivi-
duelle et la coutume sociale"
(1).
Une telle définition permet de saisir les valeurs dans
les sociétés dites traditionnelles,
en l'occurrence
la société abE.
Alain Birou affirme également que les coutumes sont des compor-
tements collectifs répétés de quelque chose qui a réussi et non
la continuation d'un usage routinier ou d'habitudes
irréfléchies.
La collectivité revient par conséquent à des valeurs qui ont
fait leur preuve. C'est ainsi qu'il faut comprendre l'importance
de la tradition,
comme transmission fidèle de ces comportements
que nous étudierons à
travers le mariage.
Comme nous assistons ac-
tuellement à
la mort des structures traditionnelles,
celles du ma-
riage en particulier,
i l est indispensable de s'interroger sur~le
sens "sociologique" qu'il a au sein de la société abEavant que
celle-ci n'ait pris un tournant décisif dans son évolution.
(1)
Cazeneuve
(J), Victoroff
(0), La Sociologie, CEPL,
Paris,
1 970,
p.
68,
545 p.

7
Nombre d'usages en effet Ollt disparu et d'autres dis-
paraitront sans doute à leur tour.
La soci~t~ abE peut-t-elle ré-
sister à la pression du monde extérieur et pr6server ses valeurs?
Le travail gue nous présentons ici est moins le fruit
du témoignage d'une aborigêne
(celle gui est imprégllée d'une
connaissance parfaite de sa société)
gue le résultat d'une longue
observation,
à
l'instar d'un chercheur étranger.
En effet,
la con-
trainte de la scolarisation ne nous a pas facilité la tâche,
si
bien qu'il serait absolument erroné de parler de cadre familier.
Signalons gue guatre anhées se sont écoulées entre la conception
de l'œuvre
et sa réalisation.
Nous l'avons déjà noté,
la complexi-
té du sujet posait le problème capital de ses limites
: où con®en-
cer et où s'arrêter? Il a fallu prendre un certain recul pour le
définir.
Avant d'analyser notre travail,
il est nécessaire de
rappeler gue le tissu matrimonial couvre tous les aspects de la
réalité sociale. Le travail se composera donc de deux parties
:
la première partie comporte deux chapitres dont le premier est
destiné à donner une vue d'ensemble de la société abE notamment
à définir son entité sur le plan physigue et humain.
Il s'agit de
données essentiellement descriptives mais indispensables dans la
mesure où elles permettent de la situer dans son contexte. Ce cha-
pitre s'achève par l'étude de l'organisation sociale en tant
,
gu'elle est "coordination des institutions,
des fonctions et des
rapports sociaux"
et permet le bon fonctionnement de la société.

8
Le second chapitre sur le système de parenté auquel nous
avons consacré beaucoup d'efforts revêt une importance capitale.
Ne constitue-t-il pas en effet le seul point de r~père
dont dispose
toute société pour le choix d'un
conjoint? Avant d'étudier la pa-
renté,
nous avons tenu à dissiper à la fois l'équivoque sur la pro-
venance des AbE et l'idée erronéé qu'ils ont de leur filiation
patrilinéaire par rapport au groupe AKAN matrilinéaire dont ils
font partie.
La deuxième partie du travail sera consacrée à l'étude
du mariage proprement dit.
C'est à ce niveau qu'interviendront les
résultats de nos enquêtes. Nous traiterons en premier lieu du pro-
cessus du mariage depuis ses débuts jusqu'à son accomplissement en
mettant l'accent sur ce qui constitue la clef de voûte
de cette
institution:
la compensation matrimoniale ou mbo.
Ordinairement
appelée la "dot", nous verrons qu'il s'agit en réalité d'une con-
solation ou d'une garantie pour les parents de la femme.
Notons que
mariage et compensation matrimoniale signifient strictement la même
chose, autrement d i t :
sans compensation
matrimoniale,
pas de
mariage reconnu socialement.
Par ailleurs,
la pratique de la poly-
garnie, qui est la forme de mariage courante, mérite qu'on s'y
arrête.
Pessimistes et prévoyants, les AbS
pensent dès le départ
à l'éventualité de la fin du mariage
le divorce ou la mort de
l'époux sont les circonstances de sa rupture.
~n second lieu, nous
examinerons les effets du mariage en traitant de l'ensemble des sys-
tèmes de relations entre personnes apparentées et entre alliés.
.....
Telles ont été, de façon explicite,
les idées fondamentales qui ont
guidé notre recherche.

9
Afin d'assurer la valeur scientifique de notre travail,
il était nécessaire de fabriquer un outil méthodologique effica-
ce. Notre travail se présente essentiellement comme une monogra-
phie réalisée selon une double méthode : la première - que les
sociologues appellent "observation participante"
-
consiste à
entrer en relation avec le groupe concerné afin de recueillir le
maximum
d'informations.
Elle s'est révélée riche en données.
La
seconde méthode, de type analytique - basée sur l'interview à
l'aide de questionnaire
(cf. p14)
- a permis de vérifier les hy-
pothèses. Nous présenterons au furet à mesure l'échantillonnage,
le recueil des données et les difficultés de documentation.
Nous avions procédé à un échantillonnage raisonné et
non probabiliste, celui~ci étant peu praticable en Côte d'Ivoire.
Les seules variables opérationnelles sur les registres d'Etat
civil ont été le sexe,
l'âge et le lieu de résidence.
Il faut
noter qu'en pays abE, l'âge des personnes qui se marient pour la
première fois importe moins que les facultés mentales et les ca-
pacités physiques ainsi que les moyens matériels dont dispos~ le
jeune homme ou son père. Toutefois, le mariage est possible dès
l'âge de dix-sept ans pour les filles tandis que les garçons se
marient plus tard, probablement à partir dix - neuf ans.
..<

10
Avant de construire l'échantillon,
il est essentiel de
présenter les données générales sur la population abE du départe-
ment d'Agboville 00 l'enquête a été réalisée. Notons qu'Agboville
fut notre lieu de résidence,
ce qui nous a facilité l'accès dms les
huit villages
suivants, choisis en fonction des moyens limités dont
nous disposions.
Ce sont:
Adahou, Moutcho, Banguié l,
Rubino, Séguié', Loviguié II,
Cry - Makouguié l
et II,
situés à des distances relativement lon-
gues d'Agboville.
(cf.
carte n02).
D'après le dernier recensement effectué en 1975, on
compte 55.387 Abé dont 51.059 ruraux,
soit 92,19% contre 7,81%
de citadins
(1).
L'échantillon devra donc être construit sur une
base proportionnelle afin d'être représentatif de la population.
Ainsi, nous avons interrogé 95 persQI'l.'Hes"""habi tant la campagne et
"f>,.f K/L "Ij'V0
o ~ (9"'~
9,
la ville.
L'effectif de notre~é{diantil'10àIrest donc de 104 per-
v
CA
".
l:,
sonnes, soit 63 hommes et 32 fe~\\s-hd~ csvtre 3 femmes et 6
hommes citadins. Le fait d'avoi~~~~in.terrOgé uJnombre plus élevé
cf/'
?
"-
J /
J
'~<l'()/ ~""Qi. '
,
l .
~;J9fJ~
,,;.,~0-
d'hommes que de femmes s exp lque cra~~mesure 00 les premiers
se révèlent les agents 'de la compensation matrimoniale
(2)
et de
la polygamie,
sur lesquelles repose
l'essentiel du questionnaire.
Ces deux institutions constituent des valeurs incontestables dans
(1)
Source: Service de Statistiques de Côte d'Ivoire.
(2)
On entend par "compensation matrimoniale" les biens transférés
au père de la futUre épouse ou son remplaçant par le fianc~ ou
son père. Nous reviendrons plus loin sur cette notion différen-
te de la dot à laquelle on l'assimile couramment.

11
Département et sous-Préfectures d'Agboville
L _
DIt-1BOK RO
--------
SOUS-PREFECTURE
DE
RUBINO
Séguié
(24 km)
Rubina
5km
Grand-Horié
(20 km)
A
( 6km)
_~':~ BanguiéI (4km)
3km
Ery-Makouguiéu
( 7km)
ABIDJAN
SOUS-
PREFECTURE
D'AZAGUIE
-------------
Source
sous-Préfecture d'Agboville
échelle 1/500 000

12
la société abc,
car la première légitime le mariage en lui confé-
rant toute sa valeur et la seconde permet aux personnes aisées
d'accroître le nombre d'épouses.
On peut donc penser qu'il existe
une certaine corrélation entre compensation matrimoniale et poly-
garnie et que c'est la raison pour laquelle elles seront toutes les
deux combattues par le législateur ivoirien. Le questionnaire se
compose de vingt-huit questions dont généralement des questions
préformées et fermées afin de faciliter le dépouillement d'une
part, et,
d'autre part, d'éviter une interprétation erronée des
opinions des enquêtés.
L'âge des personnes interrogées se situe entre 17 et
45 ans pour les femmes, puis entre 19 et 50 ans environ pour les hom-
mes. Ces intervalles marquent en général l'âge au-delà duquel les
Ab6 ne se marient plus ou ne se remarient plus,
les hommes pou-
vant cependant se remarier dans leur cinquantième année.
Ils!-
prennent une ou plusieurs épouses plus jeunes pour seconder la
première, épuisée par les travaux,
ou pour procréer.
Notons que pour l'époux
abE, avoir une femme relative-
ment plus jeune que lui à cet âge-l~ est un signe de virilité, à
fortiori,
donner naissance à des enfants.
Parmi les personnes ma-
riées, nous nous sommes intéressés à priori à ceux qui le sont
après 1964
(année de réformes touchant notamment la compensation
matrimoniale et la-polygamie). Nous pensons que leurs opinions ont
un impact sur notre étude dans la mesure où elles sont les victi-
"
roe.s des changements actuels
intervenus au sein de la société
ivoirienne en général et abè en particulier.

13
Les pensonnes interrogées exercent des activités
extrêmement diverses dont la liste
est la suivante :
Tableau n01
: liste des personnes interrogées
par secteurs d'activités.
l Nombre j
1
Profession
d' interviewé~
Lycéens
2
Etudiants
2
Animateurs de scout
1
Ouvriers
7
Vendeurs
2
Cul ti vateurs
59
Agent de SATIvlACI
1
Comptable
1
Instituteurs
8
Employés de bureau
5
Infirmier
1
Chauffeur
1
Douanier
1
Vagueme stre
1
Technicien
1
Serveur de cantine
1
Médecin
1
Secrétaires
3
Femmes au foyer
3
Sans travail
3
~-----------+---------I
TOTAL
104
En ce qui concerne la situation de famille,
nous avons
72 personnes mariées dont 20 femmes et 52 hommes,
le
reste est
célibataire
(32 dont 20 garçons et 12 filles) .
Nous présentons dans les pages suivantes le question-
naire et le' codage des
items ainsi que le dépouillement des in-
formations recueillies. Quant'aux résultats de l'enquête,
nous
,\\,
les inclurons au fur et à mesure dans le corps de notre travail
pour infirmer ou confirmer les hypothèses.

14
QUESTIONNAInE
OPINIONS
ET ATTITUDES DES ABE sun LA
Il
DOT
Il
ET LA PCiL_YC.,\\r.nE
l
-
QUESTIONS ~ENERALES
1 0 )
Soxo
:
a
-
masculin
[1
b
-
f{;minin
[]
a
-
moins
de 20 ans
[ ]
b -
de 20 à
29 ans
o
c
-
do 30
à
39 ans
c=L
d
40 ans
et
plus
o
30) Lieu de résidence
B
-
ville
0
année
d'installation t
-'
b -
campagna
0
4 0 )
Religion
a
-
chr6ti8n
0
b
-
religion
traditionnelle [ ]
c
-
sans religion
d
autres
(
précisez)
50) Njveau d'instruction:
a
-
analphabèt8
0
b
-
sait
l i r e
et
écrire
o
c
-
études primaires
d -
études
sécondaires
o
o
e -
études
supérieures
c=l
,
, .
6 0 )
Activités professionnolles
(
a
preClser
7 0 )
Situation de famille
a
-
cslibataire
l~
b
-- ma ri é
o
c
-
nombre
d'enfants
o
8 0 )
(
pour les mariés)
NOlnbre de _moria!_]cs
Nature
Date
Statut

15
II -
LE M!\\RI!\\GE
go) Classez par ordre do préférence ces trois types de mariage
El
- civil
0
b
coutumier
0
c
- rel 1. ~; i (J U x
0
d
sans
rf3ponse
D
10 0 )
Oue
r8pr8SGnte pour vous
le l1liJrio~je coutumier?
El
-
resp[~ct et reconnaissance envers les parents
0
b
bénédiction du
foyer
par les parents
o
c
-
respect
d~s coutumcs[]
d
frein au
progrès
0
e -
autres
(
précisoz
f
-
sans
réponse
o
11 0 )
Le mariage coutumier est-il
choisi,d'après vous,
parce
qu'il
purme1..
d'Êltre
polYDomo
?
a
-
oui

b
non
o
c
-
sans
réponse
0

16
III
-
LA
" DO T "
12°) Quo rcp~~sDnte pour vous 10 " do t
"
?
o
-
prostigG
social
0
b
symbole ou
léCJitimation
du
mnriai;)c
0
c
-
contribution
do
l'homme a la
constitution
du
trousseau
0
d
d[~dommog8rJ1ent clos parents
0
e
-
obstacle Ou
rJ1GriaC8
0
f
autres
(
prôcisez
9
-
sans
réponse
o
13°) Que siqnifie pour vous la présence d8 " dot
", dans
le foyor
?
a
si~}n8 de l'autorité de l'hOrJ1rne
o
b
témoignage
d'affection
o
c
-
stabilité
du
ménage
o
d
refus
du
progrès
o
8
-
autrGs
(
précisez
)
o
f
-
sans
réponse
14°) Quel
est
10 mont.3nt
de
la
"
d o t "
dans
votrG
v i l l a g e ?
15°)
Ce montant
vous
poraît
a
- raisonnable
0
b
p '?u
~lr~vé
0
c
- trop élevé
0
d
sans
réponse
0
16°) Comment expliquez-vous le fait
que
11 "arDent"
remplace l ' o r ?
a
-
par la
riJn.'?té
de l ' o r
q
b
par l'importance actuelle
de
l'argent
o
c
-
autres
(
précisez
d -
53ns
réponso
o

17
17°) Lo
"
d o t "
est-elle
.supprimée
dans
votrrl
villû[Je
7
a
- oui
0
b
non
0
c
- sans n5ponsB
o
pl"rsonnes
rnariér,s
ESt·-C8
qu'un8"
d o t "
a
été
pnyé8
pour
votr8 mariage
7
a
- oui
0
b
non
0
C -
sons
réponse
0
personnes
célibataires
)
Y aura-t-il
un8
"
dot
"
pour
votre
?
B
-
oui
o
b
non
o
c
-
sans
répons8
0

18
v - LA POLYGAMIE
20°)
(
question concer'nant .li.::5
f['mmos mariB85
)
Votre mnri
ost-il
o -
mono~.;nma
0
b
-
polypi:1 rrJ C
0
C
-
nombre
de femmes'
0
d -
sans réponsG
0
21 0 )
Y-a-t-il,selon vous,des avantages à
avoir plusieurs ~pouscs 7
a
- oui
0
b
non
0
c - sans réponse
0
22 0 )
Que représenta pour vous la polygamie
'{
a
- moyen d'aider la pe8mière épouse
0
b
moyen d'avoir beaucoup d'enfants
0
c - moyen d'éviter le célibat de la femme
0
d
nécessité
de main-d'oeuvre
D,
e -
signe
extérieur de richesse
o
f
satisfaction personnelle de l'homme
o
gaspillage d'''arqent''
o
h
autres'(
précisez
)
i
-
Sëlns réponse
o
23 0 )
Aimeriez-vous avoir
beaucoup
d'enfants
(
plus
de 5
)
?
a
-
oui
o
b
non
o
c -
sans réponse
[ ]
24 0 )
Quelle image vous faites-vous
de
la famille
étendue?
8
-
force
ct
solidarité
o

19
b
fi r:rté
0
c
-
sourco de"!
dépcn'3Us-O
d
fuite
des responsabilités
o
:3
- a u t r fe; S
(
[J ré ci se z
)
f
-
sans
r R [ J o n s e L ]
25°)
Solon vous,
devrait-on inscrire à
l'école
a
- les garçons
0
b
- les filles
0
c - les deux
0
d
- SB ns réponse
0

20
v - LAS UPP nES~::; ION \\) ELA " DOT " E T 0 E 1_ A POL YGAlin E
26°)
La
supprc~3.'~ion dG la
"
d o t "
a-t-elle,
solon
vous,
d8s
con~:;é-
quenc8S
sur la
société
?
a
-
dustruction
des
coutumos
o
b -
aucune
influonco
[J
c
-
baisse clu
rnontnnt
de la
,.
dot
"
o
d
remplaCI?m2nt
de
l a "
clot"
par
des
dons
on
netur8
o
e -
autrns
(
précisez
f
-
sans
réponso
o
27°)
La
suppression
do
la
polY0amie o-t-Gllc,
solon vous,
des
con-
séquencos
sur la
société
?
a
-
unit6
du
m~na08
d
b
infidlHité
o
c o u t r e s
(
précisez
d
sans
r6ponse
o
28°)
Ponsez-v:Jus
que
lEl
Y'econnElissance des
enfants
naturels
par
l'Etat P8ut aider
a
-
2
lEl
clispElrition
de
la
polygamie
o
tJ
c
-
autres
(
précisez
d -
SElns
réponse

21
EXl'j,}(P'fJCN lJES VARlAilLES
DEPENDANTES NON COlJEES
PREe] SEl~ENT
~=====~==============~======~=====~=======~===========~=;=~==
Question
la
Question 22
el
facteur de fécondité
hl mauvaise chose, source de querelles,
e2
mariage vrai, sérieux
conflits, jalousie, empoisonnement
e3
obstacle aux pratiques chrétiennes
h2 amour du partenaire
e4
mariage dépassé
h3 aucun intérêt
eS
respect des époux
h4 moyen d'éviter de faire de la pelne
e6
div~rce rapide et sans paiement
à l'autre
de pension
hS frustration
e7
mariage d'essai
h6 signe d'assujettissement
h7 moyen d'avoir des enfants intelligent~
Question
12
h8 moyen de changer la conduite de la
première épouse
fI
légitimation des enfants
f2
prix d'achat de la femme
Question 24
f3
réponse à la contrainte
des parents
el
facteur de division
f4
facteur de fécondité
e2
facteur de jalousie et de
fS
facteur de tranquilité
concurrence
f6
respect et sécurité de la femme
Question 26
f7
alliance des familles
f8
source de conflits
el in fidéli té de la fenune
e2 liberté, manque de respect à l'égard
Question
13
du mari
e3 mécontentement des parents, __
stéri14
el
achat~ oppression de la femme
ou mort des enfants
tll
e2
respect mutuel des époux
e4
fin des querelles relatives au
e3
protection des époux -
facteur de
divorce
fécondi té
eS plus de respect pour la femme
e6 sans dot = concubinage
Question
16
e7 prostitution des femmes
cl
libération facile de la femme
Question 27
c2
remboursement facile en cas de
divorce
cl économie
c3
or: facteur de malédiction
c2 célibat de la femme, prostitution,
c4
spéculation
déception
cS
question de sentiments personnels
c3 manque d'assistance, ménage malheureu~
c6
distribution avantageuse de la "dot"
c4 sentiments personnels du mari
c7
décision gouvernementale
cS ménage malheureux dû à l'échec des
c8
simplification de la "dot"
enfants
c9
échanges faciles
c6 mauvais soins des enfants naturels
c7 facteur d'envie et de meutre
c8 aucune influence
Question 28
c
apparition et multiplication des
maîtresses.

\\......~
Tableau n02
codage des questions et r~sutlats de l'enquête.
22
H
0 ~,
~
l
5
r [ M M l S
1 QI AL
QLJC~;-
.~~----~-.
rit., d.H1 5 (6)
~;.,.
- - ~ - - - - - - - - - - - - - - - - -
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Citndinl's
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Nbre
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t~bre
~
~; b r <-- - r-~-'-

4
66.6
21
}J,}
2S
J 6,2}
}
100
5
15,6
8
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} }
} l ,7
b
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}4
54
}5
,
9
J.E.J2
-
-
24
75
24
H,6
59
56,7
c
1
16,6
8
12,7
9
1 }
-
-
2
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2
-', T .
Il
10,6
d
-
-
-
-
-
-
-
-
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1
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1
0,9
- -
- -
. ~

-
-
D
20,6
D
18,8
-
-
D
40,6
j }
}7
26
25
b
1
16,7
7
11 ,11
8
11,6
1
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4
12,5
5
14, }
9
B ,6
c
2
}}, J
J8
60,}
40
58
1
}}, }
j }
40,6
14
40
54
~ J ,9
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2
} J, J
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-
2
2,9
-
-
-
-
-
-
-
2
l ,9
10
el
-
-
1
l ,6
1
1,4
-
-
-
-
-
-
1
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el
-
-
2
},2
2
2,9
-
-
-
-
-
-
2
1,9
o}
-
-
1
1,6
1
l , •
-
-
-
-
-
-
1
0,9
04
1
16,7
-
-
1
l ,4
-
-
-
-
-
-
1
0,9
eS
-
-
-
-
-
-
-
-
1
} ,1}
1
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1
0,9
<6
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16,7
-
-
1
1,4
-
-
-
-
-
-
1
0,9
.7
1
16,7
-
-
1
1.4
-
-
-
-
-
-
1
0,9
r
-
-
-
-
-
-
1
} } , }
-
-
-
-
1
0,9
- - f - .
- - - -
0
-
-
27
4}
27
}9,1
-
-
14
4},7
14
40
41
}9,7
1 1
n
6
100
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54
40
58
-
-
18
56,25
18
5'1,4
58
55, B
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-
-
2
} , 2
2
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}
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-
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5
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6
B,7
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-
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B,6
b
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42
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12
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25
24
e
J
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-
J
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-
-
-
-
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7
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12
fI
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-
-
-
-
-
-
-
1
J ,1
1
2,9
1
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-
-
-
-
-
2
66,7
-
-
2
5,7
2
1,9
f J
1
16,7
-
-
1
1,45
-
-
-
-
-
-
1
0,9
f4
-
-
-
-
-
-
-
-
1
J ,1
1
2,9
1
0,9
r 5
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
f 6
-
-
-
-
-
-
-
-
1
J,1.
1
2,9
1
0,9
f7
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
f8
1
16,7
-
-
1
1,45
-
-
-
-
-
-
1
0,9
9
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
0
2
33,3
10.
15,9
12
17, "
2
66,7
9
28
11
J 1,1"
23
22
b
3
50
23
36,S
2&
37,7
-
-
'3
37, ,
13
37, ,
39
32.0.:
-
c
1
1 b, 7
2~
38,1
25
36,3
-
-
6
18,7
6
1 7 1"
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29,8
1 J
d
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
el
-
-
-
-
-
-
1
33,3
-
-
,
2,9
1
0,9
,
,
.2
-
-
-
-
-
-
-
-
1
3,13
2,9
0,9
e3
-
-
-
-
-
-
-
-
2
6,25
2
5.7
2
1,9
f
7
6,7
,

-
-
4J
68, 2
4}
62, J
-
-
j }
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J7
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b
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-
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-
-
-
-
-
-
5
4, B
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c
4
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8
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J
1 DO
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d
2
JJ,}
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
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-
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-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
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cB
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66,7
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17
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-
-
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1
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28
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29
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-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
0
2
66,7
44
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2
66,7
22
100
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70
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18
n
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-
-
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n
2
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2
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-
-
10
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20
P
1
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19
} 0,2
20
29
1
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-
-
1
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c
0
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16,7
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1
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11
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12
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n
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B} , }
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}5
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1
} } ,}
21
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22
62,9
57
~
21
~f
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-
-
-
-
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1
}}, J
-
-
1
2,9
1
Q,9
-
-
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.! ..

suite du tableau n02.
23
---..--~~-~-------~~---------
----------------~ --_.-.-.------- --- ------~--I
TOTAl
Il
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H H [
S
1
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H H l
S
- - - - - - - - - - - - ---- _._--------.-
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24
Remarque s
:
les lettres a,
b,
c,
d,
e,
f,
g,
h,
i . . . .
correspondent aux différentes réponses possibles.
Mais,
très sou-
vent, nous tenons davantage compte de la première réponse de l'in-
dividu sans toutefois négliger les autres. Nous avions procédé
parfois à des combinaisons afin d'avoir une idée précise des atti-
tudes et des opinions dominantes.
Précisdns que nous ne reprenons
pas dans ce tableau les questions 1 à 8 qui correspondent à des
variables indépendantes ; de même la question 14 ne sera pas re-
présentée pour des raisons de simplification. Nous en tiendrons
néanmoins compte ultérieurement.
La répartition de la population suivant le lieu de ré-
sidence
(ruraux et citadins)
s'avère nécessaire pour mieux saisir
la réalité matrimoniale.
Ainsi,
on peut constater que le tableau
fait ressortir une opinion totalement différente sur la "dot" et
la polygamie,
suivant qu'elle provient de ruraux ou de citadins.
L'opposition entre ces deux mentalités est révélatrice de la ten-
dance générale de la population.
Quelques exemples permettront de comprendre l'importance
du tableau n02 qui révèle l'attitude de la population abE vis-à-
vis des institutions relatives au mariage, que nous avons étudiées.
En ce qui concerne le mariage coutumier,
il apparaît que
."
plus de la moitié
57 % )
des personnes interrogées
(des ru~aux
et des femmes en particulier),
le préfère.
La plupart expriment liurs
sentiments par le respect des coutumes. En revanche,
les citadins
et surtout les "intellectuels", ayant beaucoup plus de contact avec
le modernisme,
sont plus favorables au mariage civil. On peut dire
que cette a t t i tude est caractéri s tique d'une certaine men tali té et de
l'éducation de la population.
De même,
on retrouve la même atti-

25
tude vis-à-vis de la "dot".
En effet,
54 %
de l'effectif de
l'échantillon, notamment les ruraux,
la considèrent comme le
symbole ou la légitimation du mariage.
Les hommes, principale-
ment les citadins
(50 %), pensent qu'elle est un témoignage de
l'affection de l'époux.
Ces derniers sont favorables au paiement
de la compensation matrimoniale quel que soit le montant et en
général le trouvent raisonnable.
Une chose curieuse cependant
les jeunes célibataires
(
78 %
),
les filles en particulier,
l'exigent pour leur mariage pour rester conformes à la tradition
et surtout en signe de reconnaissance à leurs parents.
En général,
les enquêtés ont manifesté leur hostilité
à la polygamie
55 % ), no tammen t
les ci tadins qui la considèrent
comme une source ce querelles
et de conflits permanents entre les co-
épouses.Toutefois les ruraux
52 ~
des hommes)
l'approuvent et
leur attitude s'explique par l'aide apportée à la première épouse.
En dépit clu coût de la vie,
les enfants constituent en-
core une richesse pou r
68 %
clcs enquê tés et il s a f f irrnen t
le'ur
attQchemcnt à la grande famille considérée comme un factèur de
cohésion et de solidarité
(79%).
,"
D'autre part,
les AbE sont aujourd'hui favorables à
l'inscription à
l'école de leurs enfants, quel que soit leur sexe
(100% des enquêtés),
les garçons ayant eu seuls dans le passé ce
privilège
: la fille abE était en effet destinée au foyer.

26
Enfin, on peut dire que les changements intervenus dans
la société n'ont pas eu un impact considérable sur les usages
préétablis
: 58% des hommes en effet affirment catégoriquement
leur hostilité à ces changements considérés comme des facteurs de
destruction des coutumes. D'autre part,
la population rurale se
caractérise par son attachement à la tradition.
Dans l'ensemble,les relations avec la population, c'est-
à-dire les personnes interrogées, ont été marquées par la sympathie
et la confiance. Cela était peut-être dû au fait que c'était une
femme qui menait l'enquête.
Je craignais au départ que certaines
questions d'actualité telles que la "dot" et la polygamie ne soient
assimilées à une enquête policière. Elles visaient à connaître
essentiellement la réaction de la population
face à
la suppres-
sion relativement récente de ces pratiques par le gouvernement
ivoirien. Le sujet sembla passionner nos informateurs dont la plu-
t
part nous ont témoigné leur satisfaction par des phrases telles
que : "Voilà un sujet qui nous concerne particulièrement ! Ça
change un peu des questions économiques habituelles relatives au
café et cacao", ou bien: "Enfin,
je vais pouvoir m'exprimer! ",
comme si l'occasion tant attendue était enfin arrivée.
Un sujet
aussi vaste que le mariage ne peut être traité à l'aide d'une
interview par questionnaire uniquement.
Dans les villages,
il
était assez aisé de C011stl"tuer un petl"t
d
l '
groupee clscussions sur
les aspects précis du problème. Les participants atteignaient
parfois une dizaine de jeunes gens, d'adultes et même de vieillards.

27
La manière d'introduire le sujet est absolument différente selon
qu'il s'agit d'une personne âgée ou de plusieurs individus. En
présence d'un vieillard, nous nous exprimions avec une certaine
adresse:
"cher grand-père,
pourriez-vous m'instruire de la façon
dont on procède au mariage chez nous?".
Ce dernier étant sur son
terrain,
ne refuse jamais de répondre car c'est pour lui l'occa-
sion de faire étalage de son érudition.
Dans une société où la
vieillesse équivaut à la sagesse et au savoir,
il faut se résigner
à l'écouter attentivement afin de sélectionner les parties impor-
tantes pour l'étude.
Le vieil abE est capable d'entretenir son
interlocuteur des heures durant sans interruption sur une question
qui l'intéresse.
Il expose ses expériences personnelles, un des
traits caractéristiques de l'abe étant de s'exprimer de manière
concrète.
Les témoignages des enquêtés ainsi que les proverbes que
nous avons recueillis constituent autant de richesses qui sont
propres à alimenter le corps de notre travail.
Il faut signaler
1
que,
pour éviter des interprétations maladroites, nous avons jugé
bon de laisser tels quels certains termes dont la traduction fran-
çaise n'existe pas:
il s'agit en
l'occurrence
de miJa ou ngbufa,

28
6pu et ti Ivor2J
(1).
Outre ce clim~t de sympathie, il serait injuste d'igno-
rer le dévouement des autorit~s et du personnel de l'administra-
tion locale. En revanche,
l'extr~me pauvreté de la documentation
sur les Ab~ a été le principal obstacle à nos recherches
: les
administrateurs coloniaux installés à Agboville se sont préoccup~s
notamment des activit~s économiques et politiques de la ville qui
les in téress aien t
d irectemen t,
nég l igean tains i
les mœurs
des au-
tochtones peu nanbreux en ville.pour la réalisation de ce travail, nous
n'avons pu nous inspirer que de textes d'auteurs qui ont traité du
mariage ou d'autres aspects de la question. Les statistiques rela-
tives à la population se sont révélées insuffisantes ~galement.
A cette occasion, nous sollicitons l'attention et la rigueur des
autorités compétentes concernant la tenue des documents de base
afin d'aider avec efficacité d'éventuels chercheurs. Nous ne sau-
rions taire que ce
manque d'information entraine des lacunes
inimaginables dans l'éducation de la jeunesse. Nous terminerons
cette partie méthodologique en affirmant que le fait de demeurer
à Paris et donc loin du terrain de recherche n'a nullement entra-
vé l'évolution de notre travail.
Quatre années successives de
(1)
Le miJa Oungbuja fait partie des rapports sexuels prohib~s au
m~me titre que l'inceste. Il désigne les relations extra-
conjugales commise5soit avec un proche du conjoint,
soit avec
son ami intime.
En raison de son caractère insolite,
il pour-
rait ~tre traduit,
faute de mieux,
par "adultère fraternel".
Le
terme opu désigne le caillou "traditionnel" que les parents
de la femme remettent au futur époux ou à ses parents pour
marquer leur consentement à l'union.
Enfin,
tiwùro désigne le rituel des
fiançailles précoces.

29
vacances d'été sur le terrain,
les critiques des professeurs et
de certains compatriotes,
la correspondance
régulière sont autant
de moyens appréciables et rassurants.
Il est important également
de noter que nous avons été le témoin, pendant notre enfance et
de même au cours de nos recherches, de la quasi-totalité des faits
étudiés. Toutefois, nous avons entièr.ement conscience des lacunes
que comporte notre travail notamment l'absence de statistiques
relatives à la situation de famille de la population abt.
Les ré-
sultats de l'enquête réalisée du 30 juillet au 15 septembre 1977
n'ont pas la prétention d'~tre exhaustifs
: ils visent à connaître
l'attitude générale de la population abs.
D'autre part,
à travers l'analyse des pratiques,
nous espérons
donner une image conforme à la réalité.

G?remière partie
G]JRE5ENTATIOl'( {jENERALE
CVE GLA ~OCIETE CjlB8?

31
CHAPITRE
l
- LE PAYS
ABL-
Le territoire que nous avons dénommé "pays aJ::e" es t
situé au Sud de la Côte d'Ivoire,
à 05°55
de latitude Nord et
04°13
de longitude Ouest à une altitude de 54 mètres. L'aire
de peuplement, en dehors du- département d'Agboville tout entier,
déborde sensiblement sur l'ouest, dans la sous-préfecture de
Tiassalé, en raison des découpages administratif~. Le terme de
"pays abE" se justifie par deux rai sons
: d'une part,
les AtE:
y sont en majorité et, d'autre part,
ils forment avec l'autre
groupe autochtone dè la région,
les Krobu~ un ensemble socio-
culturel homogène.
En effet,
ces derniers sont assimilés aux ~
et,
de ce fait,
partagent leurs coutumes.
La régiond'Agboville consti-
tue leur princip~le zone d'influence.
Il importe donc de donner
une vue ,globale du milieu et
de ses habitants. Nous étudierons
successivement les données géographiques,
l'histoire des Abt,
la
situation économico-démographique, et enfin l'organisation so-
ciale.
A- LES DONNEES GEOGRAPHIQUES
=====================-~==
1)
Les limites administratives
C:est vers le début du siècle, en 1903 probablement, que
les premiers Français arrivèrent dans le pays AbE
sous la direc-

32
tion de l'administrateur LA,MBLIN qui créa le Cercle d'Agboville.
Devenue une sous""pré fecture depuis l'indépendance du pays en 1960,
la région ne fut érigée en département, qu'en janvier 1970 par le
décret n° 70-504.
C'est donc une entité administrative jeune. Le
département d'Agboville a, par un éclatement récent, donné nais-
sance à deux autres sous-préfectures: celles d'Azaguié et Rubino
créées en Octobre 1975 par décret nO
75-774 du 29 Octobre 1975.
Il s'étend sur une superficie polygonale de 5 500 kilomètres car-
rés, dont les frontières sont
(cf.
Carte nO
3).
- au Nord,
la sous-pré~ecture de M'bato
- au Nord-Est,
le département d'Adzopé
-
au Sud-Est,
la sous-préfecture d'Anyama
- au Sud-Ouest,
les sous-préfectures de Dabou et de
Sikensi.
-
à
l'Ouest,
la sous-préfecture de Tiassalé
- à l'Est,
les sous-préfectures d'Agou et dlAlépé.
Indépendamment des découpages administratifs, le cadre
naturel présente une note très variée.
2)
Le Cadre
Natuvel
Très accidenté dans l'ensemble,
ce que nous avons appelé
le II pays ab€1I
est caractérisé par la présence de vallons et de
côteaux. Le sol est de type ferrallitique dans la partie sud et de
type granitique dans le reste du secteur.
Cet enrochement a des
effleurements plus ou moins importants de
granit
exploité. Le dé-
veloppement agricole est freiné inéluctablement par l'aridité du
sol. Le pays ab'€
jouit d'un climat équatorial,
à la fois
chaud et

33
Carte n°:3
le pays Al;r::
ses limites géographiques et ses
c 2n ton s .
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PlANlH SlTUATIOH
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"Echelle-1/500 000-
Source : sous
- préfecture d 'Agbovi 11e.

34
hUlnide et se distingue par quatre saisons, deux saisons sèches et
\\
deux pl uv ieu ses
: re tJJ ou la gr ande sa ison sèche s'étend sur c ing
mois
novembre, décembre,
janvier, Février et mars
; hal ou la
petite saison des pluies commence en avril et s'achève en mai;
polo
ou la grande saison des pluies dure de juin à
juillet ; et
enfin wewe ou petite saison sèche compte trois mois
: août,
septem-
bre et octobre.
Cette dernière saison correspond à la période de
chasse
(wokpa).
Le pays est arrosé par de nombreux cours d'eau
dont le plus connu,
l'Agnéby,
appelé "Ogbo" par les AbE,
a donné
le nom du chef-lieu.
Situé en zone de forêt den~e, le pays abe fut jadis le
berceau des grosses exploitations d'autant plus qu'on y trouvait
toute la gamme des essences commerciales. Mais,devant une exploi-
tation intensive et incontrôlée dans les années qui ont précédé
l'Indépendance
d'une part, et d'autre part, par suite de la mé-
thode ~raditionnelle des cultures itinérantes et saisonnières,
la
forêt a reculé pour faire place à une brousse secondaire. Seuls
quelques massifs forestiers réservés ou classés présentent encore
une physionomie de forêt dense.
En général,
les abE sont considérés comme faisant partie
intégrante du groupe Akan.
Il n'est pas facile de s'en convaincre
pour la bonne raison que les écrits comportent des çontradictions
et des ambiguités.
Nous nous interrogerons d'abord sur, les origi-
nes des AbE et nous examinerons ensuite la structure des tribus.

35
1)
D'où viennent les AbE?
Faute
d'études ethnologiques sur les AbE,
leur histoire
n'a été qu'effleurée par certains auteurs qui s'y sont intéressés
incide~nent. Pour situer les origines de ce peuple, nous nous base-
rons aussi bien sur des monographies que sur l'histoire racontée
par les AbE eux-mêmes,
ainsi que sur des constatations d'évidence.
Selon M.
Dupire,
les AbE auraient émigré il y a cent
cinquante ans environ à la suite d'une famine dans la région qu'ils
occupent aujourd'hui
(1).
Une telle assertion nous parait incom-
pIète:
l'auteur a effleuré le problème en évitant de se poser
la question fondamentale:
d'où sont venus les AbE? Pour sa part,
1'1r R.
Grivot,
ancien Administrateur,
é c r i t :
"Les l-\\.bbey sont les
seuls habitants qu'on puisse considérer comme autochtones,
le ber-
ceau de leur race semblant se situer sur les bords de la Lagune
Ebrié,
près de Dabou,
et leur habitat étant fixé dans la forêt
1
depuis cent cinquante ans au moins;
les Attié sont venus plus ré-
cemment de l'Ashanti
(Gold Coast actuel)"
(2). Si l'auteur indique
avec réserve la provenance des AbE,
n'est-ce pas à cause du mode
de filiation de ces derniers? En effet,
ils sont patrilinéaires
tandis que les Attié pratiquent la filiation matrilinéaire comme
(1)
Dupire
(1'1.),
Planteurs autochtones et étrangers en Basse-Côte
d'Ivoire orientale. VIII Etudes Eburnéennes - Abidjan,
1960,
p.
52,
323 p.
(2)
Grivot
(R.),
Agboville, esquisse d'une cité d'Afrique Noire,
Etudes éburnéennes,
Institut français d'Afrique Noire, centre
de Côte d'Ivoire,
1955, p.
85.

36
l'ensemble de leurs voisins.
La plupart des administrateurs coloniaux ont assimilé
les Abe aux Gouro et aux Gagou pour la même raison.
En revanche,
certains ethnologues,dont Marc Augê,ont affirmé incidemment le
fait que les AbE sont venus de l'ancien Gold Coast.
D'après ces
derniers,
une invasion amena vers la Côte d'Ivoire,
probablement
aux XVlIlo siècle
, Agni -
Baoulé - AbE -
et les autres peuples
dits lagunaires,
et au cours de cette poussée il eut un éclate-
ment au cours duquel,
les Baoulé ont continué vers l'intérieur,
les AbE vers le Sud,
les peuples lagunaires
: Alladian, Ebiié,
Adioukrou, Abouré,
Avikam,
etc . . . sur le littoral et enfin,
les
Agni, dernière vague de cette même poussée,
se sont cantonnés
au Sud-Est,
le long de la frontière.
Les dires de la majorité
de nos informateurs viennent confirmer cette thèse.
Les AbE sont
unanimes pour affirmer que dès leur arrivée dans le territoire
qu'ils ~ccupent actuellement,
ils ont fondés un village qui s'ap-
pelait Douda
(aujourd'hui Grand-~'orié) situé au Nord-Est du pays
abE, et qui éclata à la suite des luttes intestines nées essen-
tiellement de litiges concernant les terrains de chasse. C'est
ainsi que les familles se sont regroupées par affinité à la con-
quête de nouvelles terres,
ce qui donnera naissance aux tribus.
Certaines familles ont évolué vers l'Ouest, du côté du fleuve
Bandama, attirées par le commerce traditionnel qui les mettait
en relations avec leurs voisins,notanunent les Baoulé. C'est
d'ailleurs ce qui explique la présence d'Abé dans la région de
Tiassalé composée essentiellement de Baoulé.
Pour ma part,
je
pense sans réserve que les AbE sont venus de l'actuel Ghana vers

37
le XVIIe siècle, c'est-à-dire avont leurs voisins Ingunaires.
Quels arguments justifient donc cette assertion?
Nous nous baserons sur deux principaux facteurs
: linguisti-
ques d'une part, et culturels d'autre part.
On retrouve en effet à presque tous les niveaux de la
langue abE plusieurs termes semblables à ceux des ethnies Baoulé
et Agni dont la provenance de l'ancien Gold Coast est évidente
au niveau des termes de salutation: ahr, mat~, okwaba, ehir~,
anu,
awosi~ - de la manière de compter : any~, ebrasa,
ya,
akps
-
des interjections:
yako,
mb~, kora - des titres don-
nés, par civilité, à
tout individu à qui l'on parle: nd3a, nana,
famiE.
En outre, dans le langage tambouriné
(Etigban~) tous les
termes dérivent de l'Ashanti.
Tels sont par exemple: Abt, kÙt0kD,
Sona
kokorf..-. (tennes d'éloges) de ITême, certains chants funèbres (n'dole) sent
interprétés en Baoulé,
sans pour autant que les acteurs en com-
1
prennent le sens. Ainsi,
lors d'une manifestation culturelle
dans un village, un conteur a entonné un chant dans une synthèse
de langues AbE -
Baoulé - Ashanti.
Lorsque nous l'avons inter-
rogé sur l'origine et le sens,
il nous a répondu en toute hon-
nêteté qu'il n'était ni le compositeur, ni l'adaptateur du morceau,
seulement l'interprète. Enfin,
toujours au niveau des facteurs
linguistiques, on retrouve chez les AbE les mêmes noms de fa-
mille que chez les Baoulé et les Agni
Kwasi,
Kona,
Kaku,
Bru,
Amani, Vao
etc . . . .
ainsi que des noms de femmes.
Les facteurs
J
culturels ne sont pas moins importants.
En effet,
les AbE,
tout
comme leurs voisins de référence,
sont très attachés aux tradi-
tions qui s'intéressent énormément à l'or en tant que métal de

38
prestige.
C'est ainsi que les AbE sont parés d'or lors des cé-
rémonies de réjouissance.
On ne saurait s'arrêter à ces carac-
tères généraux sans examiner le caractère spécifique ùes tribus.
2)
Les tribus.
Une tribu définit une unité territoriale composée de
plusieurs villages dont les membres. ont des habi tudes cormnunes.
Les AbE se regroupent en cinq tribus (cf.p.33) fixées de part et d'autre
"
v
du fleuve Agbo appelé cownunément Agnéby,de l'amont vers l'aval,
à l'image des termes indigènes qui désignent les deux premières
MùriE.ru
sur la rive droite à l'Est,- AbËve à
l'opposé, Tjvfo au
Nord d'Abtve,
Ko
au Sud et Krobu qui constitue la cinquième tri-
bu,
bien qu'elle porte un nom qui n'est pas abE.
Les origines de ces derniers constituent jusqu'ici
une légende qu'il est intéressant de mentionner.
Selon les dires
,
des vieux Krobu,
leurs ancêtres seraient descendus du ciel par
une chaine, qui serait conservée soigneusement à Oress-Krobu et
ferait l'objet d'un culte pour
les habitants de ce village.
AbE et Krobu ne parlent pas le même dialecte,
le Krobu
s'inspirant davantage de termes baoulé. Cependant,
comme nous
l'avons déjà noté,
leur unité repose à la fois sur une structure
socio-économique commune et sur une culture commune. Peut-on
alors parler de l'existence d'une ethnie ab~? Nous entendons
par ethnie, comme l'a suggéré Fortes, un groupe dont "les
composants ont entre eux davantage de liens que chacun d'entre

39
eux n'en a avec l'ext6rieur" (1).
En ce sens,
connaissant mieux
l'6tat des relations existant entre Krobu et AbE,
nous pouvons
affirmer qu'ils forment une ethnie.
Il semble toutefois qu'au-delà du consensus qui règne
au sein de la société , chaque tr ibu manifeste son autonomie vis-
à-vis des autres,
ce qui révèle sans doute son souci constant
d'indépendance notamment dans le domaine de la religion.
En ef-
fet,
le d3id3a
(unique manifestation religieuse collective que
nous ~tudierons plus loin),
se célèbre différemment dans chaque
tribu,
ce qui a amené sans doute Dupire à parler de "suzeraineté
religieuse" de la tribu moriEru qui fête la première.
En fait,
le d3id3a
se pratique dans un ordre logique et non chronologique
"les quatre tribus,
écrit l'auteur,
reconnaissaient la
suzeraineté religieuse sur les terres de celle qui s'installa
la première,
M0riEru"(2).
Pour les AbE qui croient à l'existence
de forces surnaturelles,
la direction de l'écoulement de la ri-
vière (Ogba)
le long de laquelle ils se sont installés,a un sens
coulant en effet de l'amont vers l'aval,
il est évident que la
tribu M;)riErU située en amont célèbre d'abord la fête de l'igname
et que celle-ci évolue progressivement.
Ainsi,
les malheurs pour-
raient être écartés de façon définitive et,
comme nous le ver-
rons,
la purification serait parfaite.
En ce qui concerne la
(1)
Fortes
(M.),
The Dynamics of Clanship among the Tallensi,
Oxford University Press, London,
1945. Cité par Terray
(E.),
L'Organisation Sociale des Dida de Côte d'Ivoire,
annales de
l'Université d'Abidjan,
1969, Série F, T1,
fascicule 2 p.
34,
375 p.
( 2)
0 u P ire
(rvJ. ), 0 p . c i t, P .
5 2 .

40
c61ébration du d3id3a,
les lettrés abE ont tenté et tente tou-
jours en vain de fixer une date arbitraire avec l'accord général
des chefs de tribus dans le but d'homogénéiser la structure
sociale.
L'hostilité de ces derniers s'explique par la peur de
provoquer, en bouleversant leurs habitudes, la colère des génies
des lieux.
Pour ma part,
cette réaction repose non seulement sur
des considérations religieuses mais aussi et surtout sociales
on ne peut en effet changer brutalement de manière de vivre,
d'agir et de penser sans qu'il y ait de répercussions sur les
autres aspects de l'ensemble social à savoir l'économie,
la po-
litique et l'éthique. Au total,
cette modification est su~eptible
de
remettre
en
question le travail de longue haleine qu'est
l'éducation, c'est-à-dire la connaissance et la pratique des usa-
ges du groupe.
Toutefois,
pour ce qui est de notre sujet, nous
affirmons que les intermariages sont fréquents entre les quatre
tribus abE en dépit du montant de la compensation matrimoniale
1
qui varierait officiellement d'une tribu à l'autre. Quant au
mariage entre Abé et Krobu,
disons qu'il est assez rare,
les
Krobu qui constituent une minorité cherchent à préserver une
identité dont le mariage pourrait entrainer la disparition.
En nous basant sur les données et les constatations
faites sur le terrain,
nous sommes en mesure d'affirmer que les
AbE viennent du Ghana actuel.
Et,
en dépit de l'origine énigma-
tique et légendaire des Krobu,
nous n'Ilésiterons pas à leur as-
signer la même provenance.
Ils s'expriment en effet dans un
mélange de plusieurs dialectes oa un vrai Baoulé ou celui qui
comprend parfaitement la langue peut se passer d'interprète.

41
En outre,
nous affirmons en toute objectivité que les
AbE,
comme toute autre ethnie digne de ce nom et soucieuse de
son autonomie,
n'ont aucun intérêt à s'apparenter à tel ou tel
groupe dans lequel ils tiendraient à s'insérer pour se rendre
célèbres.
Nous verrons ultérieurement que,malgré leur assim\\la~
tion à l'ensemble ethnique Akan,les AbE se caractérisent par
plusieurs éléments.
Parmi ceux-ci,
nous allons,
sans entrer dans
les détails,
évoquer l'économie d'une part et,
la population
d'autre part.
L'économie et la démographie vont souvent de pair et
seront traitées conjointement.
1)
L'activité économique
Peuple de forêt,
l'essentiel de l'activité économique
des AbE repose sur l'agriculture qui implique une culture très
diversifiée.
On distingue d'une part des cultures industrielles et
d'autre part des cultures de subsistance.
Les cultures industrielles,
essentiellement destinées
à
l'exportation,
comprennent le café,
le cacao et la banane
paya
(1).
En ce qui concerne les deux premiers produits,
le pays
(1)
Variété de fruit différent de la banane plantain.

42
abE en fut pratiquement le pionnier en Côte d'Ivoire dès 1912.
Aujourd'hui,
il s'intéresse davantage à
la culture du cacao pour
deux raisons:
selon les dires des paysans,
le cacao a une meil-
leure rentabilité et il exige un travail moins pénible. Les cul-
tures d~ subsistance se composent de cultures traditionnelles
telles l'igname,
le manioc,
la banane plantain et le taro,
et
de cultures d'apparition récente:
le mais et le r i z ;
la cola
constitue aussi un appoint important pour la masse rurale.
Les
AbE pratiquent également l'élevage et la pêche mais sous une
forme traditionnelle.
Le cheptel compte des moutons, des cabris
et de la volaille.
Le tableau n03 indique l'évolution de la production
agricole, d'après les documents que nous avions recueillis.
---,~ 1958
1966
1971
PROOl'CTION
,
. Cult . Ind. d'exportation
-
café
2.800 T.
5.547 T.
3.600 T·
-
cacao
2.000 T.
833 T.
4 . 1 1 3 T·
-
cola
2.700 T .
3.368 T.
3.500 T .
-
banane poyo
15.000 T.
44.887 T.
GO.OOO T .
Cult.
vivrières
-
igname
2.600 T .
7.500 T.
13.475 T·
-
manioc
5.200 T .
1.500 T.
48.000 T ·
-
plantain
18.000 T . 37.000 T.
56.000 T ·
-
taro
1.GOO T.
1.800 T.
2.840 T ·

Ce tableau appelle quelques co~nentaires. NouS remar-
quons que la production agricole a augmenté dans l'ensemble. On
constate une baisse de la production du café au profit du cacao
dont les plantations,
semble-t-il,
ne cessent de se multiplier.
Il est intéressant de noter qu'actuellement,
la créa-
tion des Groupements à Vocation Coopérative
(G. V.C.)
(1)
visant
à l'amélioration des conditions de vie du paysan,
connait un
essor remarquable dans les villages,
en particulier Guessiguié
et Loviguié.
Les G.V.C.
sont axés à priori sur l'élevage de la
volaille et sur certaines cultures d'exportation et constituent
sans doute un moyen de faire
fortune,
permettant ainsi aux jeu-
nes gens démunis souvent de plantations de café et de cacao de
réunir l'argent nécessaire à leur mariage.
Il semble que ce sys-
tème contribue à assurer l'indépendance économique des jeunes
gens vis-à-vis de leurs parents.
Les rapports économiques au
sein d~ ménage, que nous étudierons de façon détaillée par la
suite, ont tendance à se dégrader avec l'introduction du sys-
tème monétaire. La présentation de la situation économique 'serait
incomplète si on omettait l'artisanat qui est l'un des domaines
qui caractérisent ce peuple.
Les AbE en effet,
pratiquent la
poterie,
le tissage du coton
(qui sert à confectionner le K~de) (2)
la sculp-:::ure
du bois et surtout la vanner ie.
L'activité économique relève du dynamisme d'une popu-
(1)
Les G.V.C.
sont une conception du Ministère de l'Agriculture.
(2)
Sorte de tissu très épais servant de couverture.

44
lution dont
il
importe maintenant de voir
la croissance.
2)
Comment évolue l~~lation ab€.?
Le dernier recensement de la population date de 1975
et la répartition des Ab~ se présente de la façon suivunte selon
l r âge et
le sexe
(1):
Tableau 4
:
Population
totale
Tableau
5 :
Population totale
des AbE dans
le Département
des AbE dans
la SIP de
d'AGBOVILLE
TIlISSl\\LE.
._.
Age
Hélsculin
Féminin
Age
!'lasculin
Féminin
' "
--
00-04
5.756
5.585
00-04
543
556
05-09
6.091
5.409
05-09
479
503
10-14
4.481
3.526
10-14
365
279
15-19
2.016
2.180
15-19
144
259
20-29
2.053
3.524
20-29
268
354
30-39
1 . 931
3.589
30-39
198
321
40-49
2.051
2.307
40-49
186
210
50-59
1.350
1 .015
50-59
134
139
60-69
815
568
60-69
61
41
70 et +
533
512
70 et +
39
28
"
Non
Non
déclarés
32
28
déclarés
-
1
Total
27. 109
28.278
Total
2. 417
2.700
(J)
Source
Service de Statistiques de Côte
d' Ivoi re

4S
Ces deux tableaux révèlent à priori que la popula-
tion féminine est légèrement supérieure à la population mascu-
line de 2,5%
(soit 51,23% contre 48,77%).
A mon avis,
cette
situation ne justifie pas la pratique de la polygamie mais per-
met d'affirmer que les femmes vivent plus longtemps que les
hommes.
Sur un total de 139.269 habitants dans le Département
d'Agboville,
on compte 55.387 AbE
(1),
soit 39,78% de sa popula-
tion totale.
Il en ressort une occupation importante d'immigrants,
notamment Malinké et Voltaïques,
venus du ~ord pour des raisons
économiques.
En dix ans,
la population abE
a cru
de 6.917 uni-
tés dans
tout le Département étant donné qu'en 1965, un recense-
ment partiel estimait le nombre d'AbE à 48.470 sur un total de
69.722
(2).
Ce chiffre semble nettement insuffisant et ne saurait
réfléter la réalité car ce recensement visait un chiffre appro-
ximatif de la population globale en négligeant l'appartenance
ethnique
c'est la raison pour laquelle n00s n'avons pas pu ob-
I
tenir de chiffres sur la population AbE de Tiassalé.
Peuple
sédentaire,
les AbE sont répartis dans 63 villages auxquels il
faut ajouter les dix de la Sous-Préfecture de Tiassalé qui a la
réputation d'appartenir aux Baoulé.
En 1975, on y compte 5.117
AbE sur un total de 81.354 habitants,
soit 6,3% de la population.
Au ~otal,
on peut estimer la population totale abE à 65.504
(3),
près de 5.000 vivant dans la région abidjanaise.
La densité est
(1)
Les Krobu sont au nombre de 4.908 compris dans ce chiffre
(2)
Chiffre extrait d'une monographie sur la S/P d'Agboville
rédigée par Mr René Laubouhet, Administrateur civil de
1965 à
1968.
(3)
Soit 3 % de la population total~ des ARAN.

de 25 habitants au kilom~tre carré. L'âge moyen de Ja population
est de 30 ans. C'est donc une population relativement jeune. La
scolarisation très poussée,
atteint
un taux de 98 %.
A quoi est dû l'accroissement de la population? Selon
les statistiques,
le taux de natalité s'élève à
32,37~o en 1975,
soit 4.508 naissances. A notre sens,
ce chiffre parait sous-
estimé car la population paysanne ne déclare pas ses naissances
dans les délais légaux. Très souvent,
c'~st lorsque l'enfant
atteint l'âge scolaire,
vers sa septième ou huitième année que ces
parents le déclarent à l'état civil. Avec le progrès sensible
dans le domaine sanitaire
(sept centres de santé dont quatre
dans les villages)
le taux de natalité pourrait facilement at-
teindre 50& •
Le mouvement migratoire est également un facteur con-
sidérable dans l'accroissement de la population, dû au dévelop-
,
pement du réseau routier et surtout du trafic ferroviaire.
Il est essentiel de noter que les allogènes
(Nigérians,
Libanais,
Voltaïques, Malinké,
etc . . . )
sont en majorité dans
les centres urbains et représentent près de 43% de la population
totale,
17% réunissant quelques ethnies du groupe Akan
: par
exemple,
la population urbaine d'Agboville compte 26.914 habi-
tants parmi lesquels 4.328 Abe,
soit 83,91% d'immigrants.
Il
est utile de noter ici que seule Agboville fait figure de ville,
Azaguié et Rubino ~pparaissant encore comme des bourgs. On
pourrait penser que l'importance
d'inwigrants
inciterait au
maria e mixte
: les Ab~ sont très circonspects sur ce sujet,

47
mais en fait,
il existe une certaine affinité entre les AbE et
les Dida,
et leurs voisins Baoulé et Agni.
Aujourd'hui,
les jeu-
nes gens émigrent vers Agboville et la capitale en quête de
travaux lucratifs. Le but de leur déplacement s'explique moins
par le besoin de faire fortune pour aider les parents qui sont
restés au village que par la nécessité d'assurer leur mariage.
Ainsi,
parmi nos enquêtés mariés,
quelques uns,
notamment les
citadins, ont déclaré avoir obtenu leur épouse par leurs propres
moyens.
D'autre part,
certains parents soucieux d'assurer un
avenir meilleur à leur enfant et de parfaire son éducation con-
fient très tôt celui-ci à un parent ou un tuteur résidant en
ville pour y fréquenter
l'école ou apprendre un métier.
Ce dernier a la charge de l'enfant et,en retour,
il
bénéficie de tous les droits du père,
notamment de certains
travaux domestiques.
Il en est de même pour la fille qui va vi-
vre aveb une de ses tantes paternelle ou maternelle.
En même
temps que cette dernière l'initie aux travaux ménagers
indispen-
sables à son éducation, elle lui fait apprendre la couture qui
pourra assurément la rendre moins tributaire de son futur mari.
Il est intéressant de noter que les parents déclinent en général
toute responsabilité en la confiant à la nouvelle éducatrice
par cette formule classique :
"X. est ta fille aussi.
Veuille as-
surer son bonheur.
Désormais,
je m'en lave les mains et si tu
estimes qu'elle est nubile,
donne-la en mariage à celui que tu
jugeras capable de s'en occuper convenablement".
Il ressort de
cette déclaration que la femme AbE dépend entièrement de son
mari pour sa subsistance.

48
Il est certain qu'avec la participation active des
jeunes gens aux activités économiques et leur accession à des
emplois lucratifs,
les parents perdront progressivement leur
influence.
Ce rapport d'inégalité entre parents et enfants se
manifeste également au sein de la société tout entière,
c'est-à-
dire entre les membres de la communauté.
Ainsi,
notre étude ne
saurait être complète si nous négligeons
l'organisation sociale
des AbE.
Ici encore,nous avons dG être sélectifs.
Nous verrons
successivement le système politique et la religion.
1 ) ,...:.L-=e_s:..-yL-::..s....:-t--=è'-m_e~p
.._o_l_i_t_)_·.~
La société abE,
à
l'instar de la plupart de celles
issues du Ghana actuel,
est hiérarchisée.
Toutefois,
à l'opposé
des autres émigrants qui avaient des rois
très puissants,comme
par exemple Amatifu des Agni qui régnait sur tout un peuple,
les
AbE se sont organisés en corr~unautés, chacune ayant à sa tête
un chef.
D'un point de vue sociologique le terme de
"communauté"
désigne des groupes obéissant à un principe d'organisation es-
sentiellement local.
Selon Murdock,
elle peut être définie
comme "le plus vaste des groupes de personnes résidant dans un

49
meme endroit et entretenant des relations inter-personnelles" (1)
Le récit historique des AbE en effet ne cOlnporte pas
de rois célèbres comme par exemple Osse! Tutu des Ashanti ou,
plus près de nous,
l'illustre Reine AbIa Poku des Baoulé. Obodji
Sobua et son successeur M~ Bassidjé Eddos n'ont été désign6s
"chefs supérieurs' des AbE. qu'à la suite de leur dévotlGInent pour
les Français pendant la colonisation.
Depuis la mort de ce der-
nier en 1971,
le problème du choix d'un successeur ne semble pas
les intéresser. Cette attitude n'est pas surprenante quand on
sait qu'il s'agit d'un peuple soucieux de sa liberté et du main-
tien de ses traditions.
Le système politique abE possède une
structure spécifique. Aussi y a-t-il lieu de s'y arrêter.
La structure politique comporte trois niveaux
la
résidence,
le lignage et le village.
Les AbE possèdent un terme pour désigner la résidence
reni.
Traditionnellement les cellules familiales étaient répar-
ties à l'intérieur d'une vaste concession ou Sawa.
Avec l'ihdi-
vidualisme naissant,
certaines cellules se sont installées à
leur propre compte et l'espace résidentiel,
réduit par le départ
de certains membres,
est devenu
le reni.
Le mot reni comporte une double acception:
d'abord
l'espace résidentiel,
puis l'unité familiale vivant dans cet
espace.
(1)
Murdock
(G.P.),
De la Structure Sociale,
Payot,
Paris,
1972, p.
91/
357 p.

50
Le reni constitue l'unit6 politique de base dont le
chef,
le reniJi
(de reni
:
r6sidence et de Ji
père ou chef
i
ce
dernier terme dénote l'autorité) (1)
est généralement le fonda-
teur
:
il s'agit en
l'occurrence du père.
le reniJi exerce l'autorité sur ses enfants -
c61iba-
taires ou mariés -
avec leurs épouses et leur progéniture qui
vivent sous sa tutelle.
Son r61e principal est de veiller à
l'entente parfaite entre les membres.
L'autorité du chef de fa-
mille étendue est incontestable.
Il faut entendre p~r autorité,
comme l'a suggéré R. Aron,
le droit légitime que celui-ci éxerce
sur son entourage. La fonction de chef de famille étendue est
héréditaire
: à la mort du père,
son fils ainé lui succède à
l'unique condition d'être marié.
Le second niveau de la structure politique est le 1i-
gnage.
Le lignage ou teni,
littéralement "entrée" d'une ha-
bitation, est appelé communément "quartier". Au sein du village,
le lignage constitue un groupement géographiquement localisé
qui porte un nom.
Il implique une communauté d'ascendance et une
unité de résidence.
Toutefois,
la vie cO~lunautaire n'étant pas
sans faille,
l'AbE dispose d'une certaine liberté en ce qui con-
cerne le choix de sa résidence notamment après son mariage
:
"Le bœuf
pose sa tache blanche où çà lui plait" dit le proverbe.
(1)
Ji d6r i vé du verbe haJi qu i s ign if le corrunander.

51
Dans un village,
le nombre de quartiers correspond à
celui des lignages qui y sont représentés
: on y compte g~néra­
lement deux à six lignages et même davantage suivant l'importance
de celui-ci.
c'est au niveau des lignages que se déroule l'essen-
tiel de la vie politique.
En effet,
l'unité lignagère est cons-
tituée autour d'un représentant,désigné parmi les différents
chefs de familles
(reniJi)
qui composent le lignage,pour son
dynamisme et ses capacités de défendre les intérêts collectifs
du groupe. Ce dernier est le teniJi
(père du lignage). En géné-
rali cette fonction
incombe.à une personne âgée,
l'ancienneté
étant considérée comme un critère de valeur.
En ce sens,
le
vieillard incarne la sagesse,
l'expérience et le savoir-faire.
Selon les dires de nos informateurs,
le tenifi peut ne pas être
le doyen du lignage,
toutefois il est nécessaire qu'il soit d'un
âge avadcé car la vieillesse inspire le respect.
Il détient le
pouvoir et assure la paix à l'intérieur et à l'extérieur du li-
gnage :
il règle les litiges au sein du lignage et veille sur
les relations inter-lignagères. Cette fonction,
contrairement
à
la précédente, n'est pas héréditaire.
Que se passe-t-il au niveau du village ?
En dépit de leur soif de liberté,
certaines nécessités
s'imposent:
le besoin d'entretenir des rapports avec les villages
voisins,
la communication avec les esprits,
la protection du village
contre d'éventuels ennemis,
l'équité dans les règlements de conflits.

52
En un mot,
la société abE n'6chappant pas à la r0gle
de la hiérarchie,
il fallait choisir un grand dignitaire parmi
les chefs de lignages pour diriger simultanément la politique
interne et externe. Le choix de ce dernier ne s'effectue pas au
hasard :
il repose non seulement sur des qualités physiques et
morales mais aussi et surtout sur l'appartenance au lignage ori-
ginel, c'est-à-dire le premier lignage gui s'est installé en ce
lieu pour fonder le village.
On l'appelle ainsi "chef de terre"
dans le jargon des administrateurs coloniaux, car il est chargé
de l'attribution des terres et a autorité sur les terres acqui-
ses par les membres de sa famille.
Cet éminent personnage appelé
"nana",
signifiant "patriarche hiérarchique"(1), doit être doué
en effet d'une grande intelligence afin d'assurer une situation
stable tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du village.
La suc-
cession se fait donc au sein de ce même lignage suivant le prin-
cipe de l'héritage que nous verrons ultérieurement. Le nana
,
s'entoure de notables,
probablement les autres chefs de ligna-
ges qui,
outre leur rôle de juges et de conciliateurs,
l'aident
à bien mener sa tâche et l'accompagnent dans ses déplacements
officiels. Ces derniers sont de ce fait désignés par un terme
spécial:
"agba DE"
(5ing. agbawo),
littéralement "portes-cannes".
Cela signifie manifestement que l'escorte
se munit de l'attirail
de noblesse: la canne sculptée et dorée.
L'ensemble de ces digni-
(1) Ce terme est spécifique aux Akan,
chez les Baoulé et les
Agni,
il désigne "roi" ou "chef supérieur". Mais,
à
l'op-
posé de ces derniers,
chaque village abe possède son nana.
Cela révèle l'esprit d'indépendance qui règne au niveau des
villages et de façon plus importante de la société tout
entière.

53
ta ires constitue le Conseil des l\\nciens
(nJ"'é.mE)
qui rt:'nd la jus-
tice.
Quel rôle le nana
joue-t-il au sein du village?
Il exerce une double fonction
politique et religieuse.
Voyons d'abord en quoi consiste son rôle dans la vie
politique.
Toutes les décisions importantes concernant le villa-
ge relèv~nt de sa compétence et ses collaborateurs s'en r~ppor­
tent à son arbitrage dans les règlements de litiges. L'expression
"Ene hi
k;>fi
mpa"
qui signifie "Nous allons au campement de la
doyenne" est révélatrice de l'autorité qu'il a sur ses sujets.
l'Jotons que le terme de Ka) i
(femme âgée)
dénote ic i
l a sagesse.
En tant que chef suprême,
il a le devoir d'assurer la paix entre
les lignages qu'il tient sous sa protection et de faire régner
l'ordre.
En retour les membres du village lui doivent respect
et obéi~sance. Ainsi, il peut mobiliser les classes d'âge
(bie~)
les plus labor,ieuses notamment celle des jeunes pour exécuter
certains travaux pénibles à son profit.
Il est particulièrement intéressant d'ouvrir ici une
parenthèse pour expliciter le rôle des classes d'âge dans la
société abE.
Au sein d'une communauté villageoise,les classes
d'âge regroupent séparément les hommes et les femmes.
Ce sont
des groupen~ents basés sur la coopération économique et militaire
et dont le réseau de rapports s'étend sur des groupes plus vas-
tes que ceux de la parenté.
On les désigne par des noms particu-
liers actuellement inconnus des jeunes gens et des intellectuels.

54
On distingue successivement des plus âgés aux plus ]E:unes
D3ehu,
Togba,
As5gha
et Agbri.
Les adolescents y sont admis dès
l'âge de dix ans.
La différence d'âge entre les membres d'une
classe peut être de cinq à six ans au minimum
c'est ainsi que,
en ce qui concerne des germains,
l'ainé et le cadet peuvent ap-
partenir à la même classe d'âge.
Lorsqu'un membre tombe f03.1aèe penàant
la période des semailles,
ses collègues se réuniss0nt pour dé-
sherber son champ.
Nos
informatrices affirment qu'en yGnéral,
les femmes se cotisent pour confectionner le troussaau d'une
jeune mariée dont la m~re dispose de moyens très insuffisants
ou a rendu des services exceptionnels à
la classe d'âge.
De ~cme,
pendant les noces d'un des leurs,
la classe d'âge concernée ap-
porte au futur marié ou à la future mariée,
assistance et vivres
pour la circonstance. Les plus jeunes s'organisent à l'image
des plus vieux et cela
suscite l'émulation au sein des classes
d'âge, q:hacuned'elles cherchant à rnaxiIPiser
à production et surtout.
à se faire
remarquer par sa compétence. C'est un genre d'école
qui ne délivre pas de diplôme, mais où les jeunes gens peuvent
se former.
Ce qui est fondamental dans ce système,c'est que les
membres d'une classe d'âge sont liés entre eux par des droits
et des obligations réciproques,et ils entretiennent en général
leur vie durant des rapports étroits et amicaux.
nais l'indivi-
dualisme croissant -
par suite de l'avènement de la monnaie de-
venue le moyen courant d'échange -
a provoqué son affaiblissement
sinon sa disparition.
Toutefois l'organisation des classes d'âge
sernble avoir
pour fonction essen t ie Ile de fournir un con tingen t
en temps de guerre.

55
Enfin,
le nana exerce une fonction religieuse. Cette
seconde fonction est cruciale;
corrune nous le verrons,
elle lui
confère toute son influence.
En effet, comme intermédiaire entre les vivants,
les
ancêtres et les génies,
il prie et fait des offrandes quotidien-
nes qui ont pour finalité la fécondité des femmes,
la santé et
la tranquillité dans le village ainsi que l'accroissGment des
ressources et le bonheur de tous ses habitants.
La puissance du
nana
repose sur le fait qu'il est âgé,
et en tant qu'ancien,
il
a eu le temps d'entrer en rapport avec les génies du lieu et les
ancêtres auxquels il est le premier habilité à offrir les prémi-
ces des
ignames.
Il est utile de s'arrêter un instant sur ces
rituels symboliques qui ont une action positive sur le comporte-
ment des hommes,
et des époux en particulier.
Le premier à carac-
tère privé appelé mripo comme son nom l'indique,
est célébré au
niveau Ide chaque famille étendue,
et précède la fête des ignanes
qui constitue le second rituel.
Il consiste donc à offrir indi-
viduellement aux ancêtres les prémices de la récolte qui n'aurait
pas pu se réaliser sans leur consentement. Les femmes écrasent
de la purée d'igname,
erie~e, - nourriture favorite des êtres
invisibles -,
à laquelle elles mélangent de l'huile de palmier. (1)
Le chef de famille étendue en prélève deux boules semblables à
un œuf
entier, du blanc et du jaune, qu'il éparpille suivant
le lever et le coucher du soleil à l'intention des ancêtres.
Il
(1)
C'est une huile de couleur rouge extraite des graines de
palmier
(Eleis guineensis).

56
laisse le restant dans une cuvette,
puis de la ligueur gu'il
dépose au milieu de la cour,
à
l'endroit réservé à cet effet.
Nous pouvons dire gue le meipD est une action gue les membres
d'une famille exécutent exclusivel1lent en vue de témoigner leur
reconnaissance aux génies et aux ancêtres.
Le nana fixe ensuite la date de la fête des ignames
en conUllun accord avec les doyens des autres villages gui cons-
tituent la tribu. Ceux-ci choisissent parmi eux un représentant
chargé d'exécuter la phase préliminaire de la fête
(mripD)
afin
d'éviter les rivalités et le désordre au sein de la tribu. Ce
dernier n'a aucune autorité sur ses collègBes. Néanmoins il va
sans dire gue tous les villages ne peuvent prétendre être égaux
tout comme l'autorise la loi de la Nature,
les plus petits vil-
lages et les plus démunis doivent être à la merci des plus gros
et des plus nantis.
Cela se ressent au cours d'une réunion où
souvent' les idées émises par un homme originaire d'un gros vil-
lage ont de fortes chances de l'emporter.
Le proverbe affirme
alors gue:
"Quand le pauvre s'installe le premier en un lieu
dans l'espoir d'en faire un village,
il n'est jamais rejoint
par les autres".
Il semble donc gue la
richesse
es t
un
critère important à la création d'un village respectable.
C'est un facteur gui attire la gloire et un entourage considé-
rable.
Qu'est-ce gue la richesse chez les AbE?
La vraie richesse,
c'est le nombre d'individus dont
on dispose,
probablement ses propres enfants ainsi gue de nom-

57'
breuses épouses.
Il est évident que ces personnes ont un rôle
économique très important. Avoir donc le soutien de b~nucoup de
personnes est à la fois signe de richesse et de prestige social
que l'on rappelle à l'offenseur.
Il est utile d'évoquer ici les
propos échangés entre deux adultes lors d'une altercation dont
j'ai été témoin.
En effet,
à
la suite d'une réflexion vexante,
l'un d'entre eux répliqua avec indignation
:"Qui te permet de
me parler sur ce ton, pauvre type? Ne vois-tu pas tout le monde
gue j'ai derrière moi et tu prétends être à mon niveau? Si tu
es un homme,
touche-moi. Mes fils te mettront à mort". Cela ré-
vèle manifesterncnt que la richesse est fonction de la descendan
d'un individu. Dans une société où la monnaie n'existait pas,
l'homme constituait la seule richesse;
plus on en avait et plus
on inspirait le respect. Celui qui possédait une suite nombreuse
pouvait donc se procurer facilement des esclaves
(K~ga) recrutés
à
des fins économiques et sociales.
En pays AbE,
on invoque
,
ainsi des noms illustres tels Aka Kahonou connu sous le sobri-
quet d' Aka Boassoqui fut à la fois chef de terre du village
d'Ery-1'1akouguié II et de la tr ibu T J ofà, Tekou du village de
Grand-Morié et de la tribu MoriEru.
Toutefois le rôle du chef de village se révèle prépon-
dérant à
l'occasion du D3id3a appelé communément la fête des
ignames.
D3i-d3a
(de mid3i
:
eau et d3a
:
tomber)
signifie qu'on
se baigne dans la rivière pour se purifier. On célèbre la vic-
toire de la vie sur la mort:
le d3id3a marque la fin d'une
année et le début d'une autre que l'Abf commence avec
optimisme.
Il consiste dans la célébration annuelle d'un culte collectif

58
et public dont il importe de donner les traits principêl\\1x.
C'est dans les "Croyances religieuses et coutum8s ju-
ridiques des Agni de Côte d'Ivoire" de Jvlr Amon d'Aby que nous
trouvons la meilleure définition du rôle de la fête des
ignames
"Répondant à un triple but,
elle est tout d'abord une action ,Je
grâces rendues par les vivants aux esprits bénéfiques auxquels
la terre doit la paix et la fécondité.
Elle est ensuite la co~némoration des morts gui ne ccs-
sent
de veiller sur les hommes et de leur procurer tout ce qui
est nécessaire pour vivre heureux.
Elle est enfin, pour ces d8rniers,
une occasion de
purification et de réjouissance dans la paix et l'abondance
retrouvées". (1)
Enfin pour la clôture de cette fête,
le nana offre du
1
vin de palme aux esprits invisibles pour solliciter leur protec-
tion.
En revanche il n'est pas divinisé à
l'instar des rois
ashanti et agni.
Notons que depuis la colonisation,
le chef tradition-
nel
(nana),
a perdu une partie de son pouvoir:
au sein du vil-
lage,
on élit désormais un personnage relativement jeune qui
collabore directement avec le Sous-Préfet local.
Il est désigné
par le terme de ooJi
(00
:
village
;
Ji
père)
et doit réunir
un certain nombre de qualités:
avoir un minimum d'instruction,
(1)
Amon d'Aby
(J.F.) Croyances religieuses et coutumes juridiques des
Agni de la Côte d'Ivoire, Edition Larose, Paris, 1960. P.
28,
184 p.

59
être aisé et influent,
comprendre plusieurs dialectes.
Au total,
il doit être un homme représentatif.
Le rôle du "nouveau" chef
de village (ooJi)
se limite à celui d'intermédiaire gui annonce
officiellement les décisions de l'autorité compétente et,
en re-
tour,
présente à celle-ci les doléances des villageois.
Mais le
fait qu'il soit écarté des rituels religieux est une preuve de
sa subordination.
Le nana reste en effet le véritable chef reli-
gieux et politique de la communauté.
Nous ferons ainsi nôtre
l'affirmation de Mr Amon d'Aby à propos des Agni:
"le patriar-
che est le prêtre de la communauté,
l'intermédiaire indispensa-
ble entre les vivants et les esprits,
les dieux et les ancêtres ...
Chef politique,
le patriarche est l'intermédiaire qualifié entre
son groupe et les groupes voisins". (1)
Il serait incomplet de
terminer la rubrique relative
au système politique en négligeant l'influence d'une catégorie
social~ sur le peuple.
En effet,
en marge du Conseil des Anciens qui possède
l'autorité absolue,
il existe un personnage vraisemblablement
renonuné en raison du fait qu'il dispose d'une inunense fortune
le blegbi.
L'équivalent de ce terme en français est "le riche".
DaiJS une société à tendance hiérarchisée,
la richesse impl ique
indéniablement le prestige social et certains privilèges.
Le
bl~gbi règle les litiges, en particulier ceux qui concernent
son lignage dont la plupart de ses membres entrent à son service
(1)
l\\mon D'Aby
(F.J.),
·op. eitP.P.
136.
. ...

60
et le vengent de celui qui porte atteinte à son h()nn~ur. C'est
à
juste titre que le dicton affirme
" k 0 k 0J j ra ka,
l e p a u v r en' ,1
pas de famille" (1), ce qui signifje que quand un hOlnme est pau-
vre,
personne ne s'intéresse à
lui.
Cependant, sut le p13n socjal
le bl~gbj se trouve en état d'infériorité par rapport au chef
de terre, car nous l'avons vu,
ce dernier est sensé avoir une
descendance nombreuse, ce qui ne se compare pas à l'argent.
"L'homme est supérieur à l'argent" dit le proverbe. Cela signi-
fie que lorsque la fortune disparait,
l'entourage du blegbi dis-
parait également tandis que les enfants restent liés à leurs
parents quelles que soient les circonstances.
On rencontre sou-
vent au sein du village plusieurs riches mais à des degrés divers.
Cette situation suscite parfois de terribles rivalités afin de
prétendre à la suprématie.
Les riches n'ont aucun pouvoir de
décision,
ils s'appuient sur les pauvres à qui ils accordent,
d'ailleurs rarement,de l'aide pour maintenir leur crédit. Ainsi,
1
au sein de la société abE les chefs de terre,
les chefs de li-
gnages et les riches constituent les notables ou
famiE.
Pour conclure, nous dirons gue le système politique
des AbE correspond plus à un souci d'équilibre et d'égalité en-
tre les lignages qu'à une hiérarchie absolue.
A l'exclusion de
la chefferie de lignage,
toutes les autres fonctions politiques
(1)
Traduction littérale de
:"kokojiraka,
jalEYo
Île JJihlè}II.
1; ok 0 Ji rak a
ce mot en dehor s du proverbe n'a aucun sens.
En entendant ce mot,
n'importe quel
interlocut0ur enchaine~le
proverbe.
Il sert donc de signal au proverbe.

61
sont héréditaires.
D'après
les dires de nos
in[orJiléltcurs,
il
semble que les AbE. désirent une indépendance totale.
Pour ce
faire,
la désignation d'un nouveau
"chef supérü~ur" s'avère
hypothétique.
La royauté est une institution qui ne sêlurait se
perpétuer dans la société abE,
car elle n'a jamais existé dans
ses traditions.
L'idéologie abE,
identifiant l'âge à la sagesse,
implique l'autorité nécessaire au bon fonctionnement de la
société:
"La reconnaissance de l'autorité,
écrit Evans-Pritchard,
loin d'entrainer une infériorité,
exprime la seule vraie forme
d'égalité entre les hommes:
une utilité sociale identique" (1).
Quel rôle la femme.joue-t-elle dans la vie politique?
Il serait erroné de croire que la femme africaine et
abE en particulier se désintéresse de la vie politique parce
qu'elle n'a pas le droit d'assister aux assemblées comme l'hom-
me.
Nous dirons qu'elle y participe indirectement.
Nous avons
1
été témoin à Séguié en effet,
d'une scène digne d'intérêt.
Dans
ce village,
les femmes du lignage Abad3~ ont vivement protesté
contre la désignation du nana dans leur lignage pour des consi-
dérations religieuses.
C'est dire que les hommes tiennent compte
des réactions des femmes,
et en général,
ils ont recours à elles
pour trouver des solutions à
leurs problèmes
:
les moments de
détente lors d'une assemblée sont des occasions délibérées pour
s'enquérir des conseils d'une mère ou d'une sœur.
Nous pouvons
(1)
Evans-Pritchard
(E.E.),
La femme dans les sociétés primiti-
ves,
Puf.,
Paris,
1971,
p.49,
246 p.

62
affirrner qu'en leur qualité de procréatrices,
elles exercent
une influence sur la société abE.
L'étude du système politique obé révèle donc que l'au-
torité des vieillards repose sur des considérations religieuses,
en d'autres termes,
ces derniers seraient choisis par la commu-
nauté en raison de leur expérience de la vie et notamment de
leur capacité à entrer en communication avec les êtres invisi-
bles.
C'est sur ce dernier point, c'est-à-dire la religion, que
nous allons maintenant porter notre intérêt.
2)
La religion
D'après E.
Durkheim:
"Une religion est un système so-
lidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sa-
crées,c'est-à-dire séparées,
interdites, croyances et pratiques
qui unissent en une même communauté morale,
appelée Eglise,
,
tous ceux qui y adhèrent" (1).
Cette définition de Durkheim éli-
mine toute référence à la divinité et pourrait être traduite par
le sentiment de dépendance de l'homme à l'égard des forces supé-
rieures en soulignant son caractère collectif.
En effet,
l'omniprésence du sacré dans la vie quoti-
dienne des AbE attire spontanément l'attention de l'observateur
elle se manifeste dans la réalité sous forme d'actes et d'inter-
dits.
Nous étudierons d'une part la conception de l'univers, et
(1)
Du~kheim (E.), Les Formes Elémentaires de la Vie Religieuse
PUF,
Paris,
1960, p.
65,
647 p.

63
de la vie, et d'autre part,
la puissance des ancêtres et leur
impact sur la vie conjugale.
a)
I·a conception rie l'univers et de la vie
L'Etre suprême nommé ofa, est considéré comme trop
lointain et de ce fait,
inaccessible. Ce terme désigne également
le firmament ou un messie.
Nous reviendrons sur cette dernière
terminologie.
Notons qu'il existe un terme d'éloge pour le dé-
signer et le distinguer ainsi des autres
adam g 5 qui signifie
"le plus grand".
Même si la création lui est attribuée,
il ne
fait pas l'objet d'un culte public ou privé.
En revanche,
la terre,
cadre de la vie humaine, est
remplie d'une infinité d'êtres
invisibles bons ou mauvais:
les
génies appelés aria.
Ces derniers résident de préférence dans
la forêt et dans les minéraux:
une rivière ou une mare, un ro-
cher offrent un cadre favorable à leur existence.
Les génies
sont considérés comme les propriétaires authentiques du sol.
Ils décident de la fécondité de la terre et même de celle des
femmes,
ainsi que du succès de l'ensemble du groupe résidant sur
leur territoire et de la réussite de chaque habitant.
Ces êtres
dotés d'une force surnaturelle se caractérisent par leur lnorpho-
Il
\\\\
logie indéterminée
:
ils apparaissent seulement au clairvoyant
( am;) h' 11 h' a,
plu r.
a ma h' U Of.)
0 u
au de vin
( 5 arE Iv a).
Ces der nie r s son t
les intermédiaires entre les génies et les vivants.
Ainsi,
les
remarques de E.
Terray au sujet des Dida convien10nt parfaitement
à
la société abE
: "Il appartient aux clairvoyants de les décou-
vrir
(les génies)
et d'interprèter leurs exigences en matière

64
d'interdits et de sacrifices" (1).
Chez les Abé en effet,
les génies influencent toutes
les activités.
Il est donc indispensable de s'enquérir de leurs
exigences dans une entreprise quelconque ou dans une situation
périlleuse:
la construction d'un nouveau village, d'un campe-
ment ou même d'une case,
un accouchement difficile,
une épidé-
mie etc .. ...
sont soumis à
la bienveillance des génies locaux.
Nos
informateurs affirment par exemple, que les mau-
vais génies
(oria,,: pJpù)
hantent certaines femmes avec lesquel-
les ils cherchent à sympathiser.
Ils se manifestel~aient à celles-
ci dans le rêve oa en général des relations sexuelles sont
accomplies. Ces rapports sont quelquefois violents,au point de
provoquer chez la femme enceinte l'apparition spontanée des
menstrues,empêchant par conséquent la fécondité de sa victime
qui se trouve menacée de stérilité. Le recours à un devin permet
,
quelquefois à
la femme d'éloigner le mauvais génie,
mais souvent
i l est tenace et réserve à son intention un jour de la semaine,
oa tout rapport sexuel est interdit avec le mari.
On signale des
cas oa certaines femmes,
malaré le désir qu'elles ont de se marier,
sont abhorées des hommes par la faute du génie.
La semaine abE (gbahl)
compte six jours
(2)
dont un
,
,
seul
(5Jo
pour certaines tribus et ovo pour d'autres)
est con-
(1)
Terray
(E.)
Op.
cit.
p.
30.
(2)
Les six jours de la semaine sont :etJas0/ epi,
episo,
ofo /
ekisi,
6v6.Ces jours peuvent aussi désigner des noms propres
comme chez les Baoulé et Agni.

65
sacré aux génies locaux. Ces
jours,
considérés comme favorables
pour faire des offrandes aux innombrables génies,
sont en mêmE~
temps néfastes pour l'accomplissement des travaux cllampêtres et
les activités ~ caractère lucratif.
Chaque village ab~ consti-
tue une communauté religieuse dévouée ~ un génie déterminé et
soumis ~ des interdits particuliers
par exemple Ile repos obli-
gatoire pour tous les membres de la communauté le jour décrété
férié.
De plus,
au sein du village,
tous les membres d'un ligna-
ge ont leur propre génie ~ gui ils rendent périodiquement un
culte public.
De blanc vêtus
(1),
hommes, femmes et enfants se
dirigent vers le lieu de résidence du génie où ils
immolent des
poulets et,
selon les circonstances,
des moutons.
Le responsable
du culte est en général le doyen du lignage;
mais celui-ci peut
déléguer ses pouvoirs ~ un remplaçant.
En outre,
i l est intéres-
sant de noter que certaines catégories d'individus notamment
les personnes âgées et les
jumeaux
(nta)
pratiquent un culte
1
privé pour renforcer leurs
liens avec les génies.
En effet,
les
jumeaux sont considérés comme des êtres extraordinaires dotés
d'un pouvoir de communiquer avec ceux-ci.
Il serait injuste de négliger la souveraineté que les
AbE reconnaissent ~ Dieu.
L'idée de l'omniprésence de Dieu est absolument éviden-
te en pays abE,
mais l'observateur étranger peut considérer com-
(1)
Le blanc est la couleur préférée des génies,
il symbolise
la pureté.
Tous les objets transportés au
lieu du sacrifice
doivent être aussi blancs,
notamment les animaux.

66
me un blasphème le fait que le terme de 0[0 soit (''Jéllement ùp-
pliqu6 à un
individu quelconque.
D~ns ce cas,
il s'agit d'un
individu dont la présence délivre ou empêche toute action dange-
reuse
: c'est un messie.
L'AbE affecte délibérément à celui-ci un pronom posscs-
sif et d i t :
"Il fut
"mon" dieu ce jour-là".
L'être supn~me est
pris à témoin lors des disputes
l'accusé sollicite son Œquité
en prononçant ces paroles
:
"Seul Dieu
jugera de la punition
gue chacun mérite".
Car Dieu est à la fois
infiniment bon et
,
juste, mais redoutable.
En dehors des génies et de l'Etre suprême,
il existe
des êtres très vénérés et puissants auxguels les AbE manifestent
leur attachement de façon régulière:
ce sont les ancêtres.
b)
La force des ancêtres
Les morts ne sont pas absents de la vie sociale.
Ils
rôdent autour des cases: c'est ce qui explique qu'avant de
boire ou de manger,
l'AbE les invite en déposant par terre une
petite quantité de son repas ou en versant une partie de sa
boisson.
En pays abe,
la fête des
ignames constitue l'occasion
favorable au culte des ancêtres.
Ainsi,
la veille au soir de la'
fête des
ignames,
les membres des familles endeuillées se réu-
nissent pour pleurer leurs morts,
notamment ceux qui sont décé-
dés en cours d'année.
Toute réjouissance est interdite pour ces
familles et elles ne participent pas à la fête.
Le doyen de la

67
famil] e prend la responsabil i té de déposer sur
les
tombes des
d~funts de la purée d'igname
en
invoquant leurs noms et en pro-
nonçant les paroles suivantes
"Je vous prie d'accepter de mes
mains ce modeste repas et cette boisson,
fruit d'un effort col-
lectif.
Je confie à
votre bienveillance mes
femmes,
Irles enfants
et ma famille
tout entière.
Veuillez à ce que le sorcier
(1)
qui veut faire de nous ses victimes,
se voit aussitôt infliger
une sanction sévère.
Faites que nous ayons de nombreux enfants
et amendez
la
terre de votre eau bénite afin que la moisson soit
abondante".
Le culte des morts s'avère donc fondamental car
i l
répond à
la fois
à des besoins d'ordre économique et social
(2).
Les ancêtres assurent donc
la sécurité.
Aujourd'hui,
lorsque
le nana meurt,
le village
tout entier se soumet à
l'abs-
tinence durant la fête des
ignames.
Mais,
le d3id3a
n'a pas
seulement un caractère religieux,
i l joue également un rôle so-
cial
important:
en effet,
i l est choisi d'une part comme moment
propice pour réconcilier
les membres de la famille,
notamment
les époux,
et d'autre part,
pour exécuter l'ordalie,
c'est-~-
dire l'épreuve de "fétiche" qui vise à
réduire ou empêcher l'a-
dultère de
la femme. ~ous y reviendrons par la suite.
(1)
Le sorcier:
dans
la société abE,un certain nombre de gens
ont le pouvoir de se dédoubler pour agresser les autres.
Ils se servent de
la peau d'autrui à cet eEfet.
(2)
"La terre n'accepte de privilégier les hommes que si les
ancêtres
interviennent en leur faveur,
eux qui
l'épo\\lsèrent,
la firent produire et enfanter,
puis finalement retournèrent
en sont sein où
ils sont enterrés"
(Jaulin
(R.),
la f'10rt
Sara,
Paris,
Plon,
1967,
p.
149).

68
Pour l'Abc,
le corps libère l'âme au moment de la mort
et celle-ci revient à la vie sous la forme d'un animal.
Ainsi,
le
proverbe souligne:
"si tu vas offrir de la nourriture aux morts
et que tu rencontres
la cherrille sur ton cheœin,ne la dèpasse
pas" .
En général,
chaque lignage a un totem qui
fait l'objet
de tabou de la part de ses membres.
Souvent,
le totem est un ani-
mal considéré comme l'ancêtre du lignage dont i l est .le protecteur,
et i l ne doit être consommé.
La transgression de cette prohibition
à
caractère religieux entraine automatiquement un châtiment sur-
naturel. Ainsi,
à Ery-Makouguié,
la consommation du rat associé
au lignage
As ~ ZJ~ gb~
entrainerait indubitablement une éruption
chez
la femme et l'éléphantiasis du scrotum chez l'homme.
Tous les membres de ce groupe auraient le pouvoir de se transfor-
mer en
rat,
en cas de danger,
à
l'instar de leur ancêtre qui
au-
rait été sauvé par cet animal.
En fait,
le rat possède un organe énorme et l'on pense
qu'en mangeant sa viande,
l'on risque d'avoir la même chose.
Cette
consti tution physique normale chez le ra t
apparaît comme une ma-
ladie chez l'homme.
D'autre part,
les ancêtres et les morts font l'objet
..'
d'interdits alimentaires et esthétiques permanents ou provisoires.
Les parents et les partenaires des morts doivent s'abstehir de
soigner leur coiffure durant les huit
jours des rites funéraires
qui s'achèvent par le rasage des cheveux.
A partir de ces actes et de ces interdits, nous voyons
le rôle considérable de la religion dans la société abt::.
Pour l'abc,
la solitude n'existe pas:
des êtres spirituels l'assistent et
l'accompagnent régulièrement partout,
sa vie durant.
Ils sont
ses
"gardiens" comme l'atteste le terme qui les désigne:

"me
ed3i
aoS".
Ce sont les génies,
les ancêtres, en un mot,
ceux
qui témoignent de la bienveillance à son égard.
Le manque de
vigilance des gardiens peut entrainer l'altération dans la san-

; il faut donc recourir
au devin pour connaitre leurs be-
soins.
Le fait de convier ses amis ou ses proches à un banquet
après un succès ou une convalescence est moins un acte de ré-
jouissance qu'une manière de rendre grâce aux gardiens.
A cette
occasion,
on immole un animal qu'on aura pris soin de leur
présenter au préalable.
Enfin,
l'idée que la vie poursuit son cours dans la
paix,
la joie et l'unité de la famille préoccupe à tel point
l'AbE que toutes ses actions ici-bas sont remises en question.
L'idéologie abE repose donc sur la croyance en l'au-delà. (1)
Actuellement,
en dépit de l'influence du catholicisme
et du protestantisme sur la société abé,
la majorité reste fidè-
1
le à
l'adoration ::les cours d'eau d;mt le génie protège toute la carmmauté.
Dans les années 1940,
le pays }iliE était l'un des princi-
paux foyers des religions synchrétiques dont la plupart sont
tombées en désuétude. A noter que l'AKE, dérivée du Harrisme,
(1)
"L'individu n'a pas à se demander ce qu'il adviendra dans
l'autre monde;
i l le sait déjà,
le clan existe là-bas com-
me ici.
La mort est le passage pour aller prendre sa place
parmi les membres morts du groupe.
Aucune idée de promotion
ou de récompense.
Une seule pensée: ne pas être bien reçu,
ou même exclu pour n'avoir pas rempli ses obligations. Cette
idée est pour lui damnation".
(L.
Lévy Bruhl,
L'âme primi-
tive,
PUF.,
Paris,
Nouvelle édition p.
390,
452 p.).

70
fut fondée par OBODJI SOBOA nommé en 1932 comme "chef Supérieur"
par les Français.
Les missions catholiques et protestantes inS-
tallées respectivement en 1926 et 1941 dans la région d'Agboville
comptent 18.500 adeptes catholiques dont environ 10.000 Abs et
3.521
adeptes protestants dont 3.432 AbE, ce qui représente 18%
de catholiques et 6,20% de protestants sur la population totale
abc qui est de 55.487 environ. Ces statistiques révèlent que le
poids de la tradition pèse encore lourd sur la population abE.
Le curé d'Agboville,
l'Abbé Gilbert N'Gah disait ainsi en subs-
tance que le paysan AbE fait preuve d'une grande ferveur par
sa fréquence à la messe du dimanche,
cependant en ce qui concer-
ne les pratiques notamment en matière de mariage,
il est diffi-
cile de lui faire admettre les principes de l'Eglise:
lui
demander de renoncer à ses femmes pour n'en garder' qu'une seule
ou régulariser sa situation maritale sont des choses qu'il n'ac-
cepte pas.
,
Il semble que l'Islam n'a pas eu d'emprise sur la po-
pulation,
en considération de ses principes trop rigoureux.
Nous ne citerons ici que quelques exemples de l'hostilité à
l'Islam.
En effet,
les Abé pensent que l'islam est une religion
fanatique.
Leur haine s'explique principalement par son carac-
tère "inhumain" qui exigerait l'écoulement sanguin pendant le
coma.
Le marabout
(KrTbopie)
est considéré comme un malfaiteur
il utilise la magie pour donner la mort et l'on sollicite son
concours à cet effet.
D'autre part,
le fait de mettre le front

71
par terre pour prier leur semble contraire à 1'hygi~ne. De meme,
se priver d'alcool et surtout de gibier
sont des comportements
inconcevables. Le seul fait conforme à leur tradition est la
polygamie.
La tolérance à l'égard du christianisme peut s'expli-
quer essentiellement par les préceptes de la morale et la con-
damnation de l'homicide. Cette c'onception de la morale répond
à celle de l'AbE qui laisse toujours le soin à Dieu de déciùer
du sort d'un ennemi éventuel:
"Que celui qui cherche à nuire
à mon bonheur par l'intermédiaire d'un marabout soit empêché
par Dieu, et vienne se jeter à mes pieds pour dénoncer son
crime", dit-il. Telle est la phrase que chacun formule lors de
ses prières.
L'AbE voit également dans le christianisme la con-
tinuité de l'idolâtrie.
Enfin,
il faut dire que le chœur
qui
intervient dans les cultes traditionnels a contribué en partie
à
l'acceptation
du christianisme.
Nous pouvons affirmer que du point de vue religieux
le cul te des ancêtres
et des génies est prépondérant. Ceux-ci sont carac-
térisés par la sagesse et la compréhension. C'est eux qui dé-
tru isent les actions maléf iques des sorc iers
(Kp; 1 à Yé)
et de ce
fait prolongent la durée de la vie et favorisent les moissons.
Toutefois, nous ne saurions taire le côté négatif de la vie re-
ligieuse sur l'aptitude au travail. En dehors des funérailles
et des cérémonies diverses en effet, on atteint pour les jours
fériés un total annuel de plus de cent cinquante jours. Comme
nous l'avons vu,
la religion influence l'organisation de la so-
ciété tout entière notamment le système politique
: le pouvoir
de communiquer avec les ancêtres confère l'autorité aux anciens.

72
Après avoir examiné quelq\\leS caractéristiques de la
société abE,
voyons maintenant comment est constitué le syst~lnc
de parenté qui conditionne le mariage,
par les règles strictes
qu'il impose dans le choix du partenaire.

73
CHAPITRE II
LE SYSTEME DE PARENTE.
======================
L'étude du système de parenté reste fondamentale car
celui-ci définit les attitudes et les comportements qu'observent
les unes à l'égard des autres,
les personnes apparentées par le
sang ou le mariage.
Il s'avère indispensable de s'arrêter d'a-
bord sur la spécificité du mode de filiation chez les AbE par
rapport au grand groupe akan dont ils font partie. Nous obser-
verons ensuite la notion de parenté et la structure du lignage.
A partir de quelques documents,
nous analyserons les
versions relatives à la filiation matri ou bilinéaire pratiquée
chez la majorité des Akan, puis,
la patrilinéarité et l'idée
qu'elle implique chez les AbE.
1)
Les justifications de la filiation
La plupart des peuples qui constituent ce que les lin-
guistes ont appelé le groupe Akan sont matrilinéaires ou vrai-
semblablement bilinéaires. Seuls les AbE et les Abidji,
leurs
voisins,
font exception à la règle.

74
Monsieur G.
Niangoran Bouah
(1)
écrivait que les Akan
auraient adopté la coutume qui est la leur à la suj.te d'un évè-
nement formel.
Dans leur fuite devant l'ennemi,
probablement
les Ashanti,
les Akan se seraient heurtés à la Comop. en crue,
dont la traversée était pratiquement impossible.
Le génie du
fleuve imposa alors le sacrifice d'un prince afin de faciliter
le passage.
La suggestion faite par le roi à sa femme se solda
par un échec.
La sœur
de celui-ci lui proposa donc le sacrifice
de son propre fils.
Ce dernier fut immolé suivant les exigences
du génie.
Le niveau de l'eau baissa et la traversée se fit sans
incident.
Le fleuve reprit aussitôt son niveau
initial,
permet-
tant ainsi d'échapper à
l'agressivité de l'ennemi.
Depuis,
le
roi décréta qu'il appartient au neveu de succéder à son oncle.
A en croire l'auteur,
le choix de la succession et de
l'héritage en ligne utérine s'explique par un mythe qui s'appa-
rente, Iconune on peut le constater,
à
l'illustre épisode d'AbIa
Poku des Baoulé.
La bilinéarité
(2)
apparaitrait donc comme la
conséquence d'une situation qui n'existait pas antérieurement.
Si telle est la vraie raison de l'adoption du système bilinéaire,
cela suppose que les Ashanti,dont les Akan se réclament,sont
patrilinéaires.
Or, Lévi-Strauss affirme que chez les Ashanti,
(1)
Niangoran Bouah
(G.),
les Abouré
: une société lagunaire de
Côte d'Ivoire,
1 Annale
de l'Université d'Abidjan, Lettres
et Sc iences Buma ines,
1965.
.
(2)
On définit la filiation bilinéaire par la considération de la
parenté dans les deux lignes,
le statut acquis par l'i~dividu
dans la lic.'n'? paternelle étant différent rie celui qui lui vient
de la li9ne maternelle.

7S
le ntoro,
principe spirituel transmis par le pi2re,
ne constitue
pas un groupe au même titre que l'abusua,
clan matrilinéaire
exogame basé sur la puissance du sang maternel.
Il ressort de
cette affirmation que chez les Ashanti,
le groupe maternel est
capi tal.
De meme, dans sa monographie sur les Agni,
Mr Amon
d'Aby souligne:
" . . .
La parenté chez les Agni est celle qui
repose sur l'acte matériel de l'accouchement" et l'auteur pour-
s u i t :
"Sur le double plan religieux et militaire,
l'individu
relève de la tribu utérine de son père.
Durant toute sa vie,
il
reste soumis au dieu de son père et au culte des ancêtres qu'in-
carne la chaise de commandement de cette famille.
En temps de
guerre,
il combat dans le groupe paternel. Seule l'incorporation
à
la famille maternelle par voie de succession peut l'affranchir
de cette soumission sans l'exempter cependant du dieu pater-
nel" (1 ),.
Ic i,
le mode de fil ia tion s' expl ique par un phénomène
naturel comme chez les Ashanti
:
la maternité~
La succession en ligne utérine apparaît donc comme
une conséquence de ce phénomène.
Le matrilignage semble être en effet,
le seul groupe
réel de parenté chez les peuples Agni, Baoulé, Alladian, Ebrié
Adiukru, Abouré, Avikam, . . . etc.,
la dimension patrilinéaire
n'existant'que superficiellement.
(1)
Arnon D' Aby,
op.
ci t,
p.
130-131.

76
COlllment les AbE.. justifient-ils le principe de
la
patrilin6arité? A ce sujet,
nous avons pu
recueillir deux
inter-
pr0tations et les opinions sont partagées.
I l est
intéressant
de noter que
les AbE n'avaient pilS
initialcment de mot pour se
désigner en
tant que peuple.
D'clprès
les vieillards,
le nom
"AbE"
serait un terme baoulé
"amJbE.",
littéralement "voici vos
literies".
Cette phrase aurait été déformée pour devenir "abE".
D'apr~s nos informateurs, cela signifierait que lcs AbE déjà
ins tallés on t
donné l ' hospi ta 1 i té aux Baou lé du r an t
l'ê'urs com~uê­
tes.
Ils affirment en outre qu'ils pratiquent la patrilinéarité
depuis qu'ils existent et que leurs voisins ~:)J1t modifié leur
mode de filiation en raison de l'incident survenu dans la Comoé.
En revanche,
l'opinion COnllllune soutient que
la filiation patri-
linéaire ab~ repose sur le paiement obligatoire de la compensa-
tion matrimoniale,
et de ce fait
les enfants que
la
femme
engen-
dre appartiennent de plein droit à
son mari et au
lignage de son
1
p~re.
La compensation matrimoniale serait-elle alors un
moyen
légitime dont dispose l'ho~ne pour s'approprier exclusive-
ment le fruit commun? En outre, dans les sociétés bilinéaires
en général,
la coutume exige que les biens offerts par la famil-
le du fiancé
soient accompagnés d'un contre-don.
Marc Augé et
Amon D'Aby l'ont d'ailleurs noté COlllme une caractéristique du
sysl~me matri1.inéaire,
respectivcml?nt à
propos des Adioukrou et
des A~ni. Ce geste ne vient-il pas étayer l'opinion générale ab[ ?
I l est
intéressant de notl~r que
12,5% des
personnes
interrogées
notùmment des
fCJ1lmes, assignent à
la compensation matrimoniale
un pouvoir de
transmission de .la parenté.
Comllle nous
le verrons,
, .

77
dans
la société abE traditionnelle,
la paternité n'est reconntj(~
que lorsque
l'homme ou ses parents,
se sont acquittés de cette
dette.
A notre sens,
i l semble que cette coutume vise à
la pr?-
tection du couple mère-enfant
en incorporant 6'une part,
l'enfant
dans un groupe de parenté déterminé,et,
d'autre part,
en assu-
rant à
la femme une vie conjugale,
stable.
Qu'elle soit expliquée par un mythe ou un phénomène
naturel,
la filiation se caractérise moins par des
liens généa-
logiques que par la répartition de la société en groupes de
parenté distincts.
Elle est donc une
convention sociale
ayant
pour objectif de rattacher l'individu dès sa naissance à un
groupe spécifique de parents,avec lesquels
i l aura des rapports
étroits et desquels
i l obtiendra son statut social.
A ce propos,
nous
faisons nôtre cette acception de Murdock
:
"Elle
(la fi-
liation)
se réfère uniquement à une règle culturelle qui lie,
dans u~ but d'utilité sociale,un individu à un groupe précis et
bien défini de parents,
à des
fins
telles que
l'assistance mu-
tuelle ou la règlèmentation du mariage." (1)
En pays abE,
c'est le père qui transmet sa parenté et
ce système implique des spécificités qu'il
importe d'étudier.
2)
Les caractéristiques de
la patrilinéarité abé.
L'individu appartient,
dès
sa naissance,
au
lignage
de son père au sein duquel
i l reste en général toute sa vie.
La
(1)
Murdock
(G.P.),
Op.
ciL,
p.
34.

78
résidence est patri-virilocale. Le père dirige les activitŒs
économique,
politique et religieuse.
Sur le plan social et reli-
gieux, Ego est entièrement dépendant de son père,
et du lignage
de celui-ci
:
il est soumis au génie de son père, se range de
son côté pour combattre l'ennemi,
témoigne en sa faveur et enfin,
le venge en cas d'offense.
Donc, nous pouvons dire que tout in-
dividu est déterminé par son père et son lignage,
la mère jouant
simplement le rôle de celle qui donne la vie.
C'est en effet au sein du lignage de son père qu'il
reçoit son nom, que l'héritage des biens et la succession à la
chefferie de famille {reniJi} ou de lignage {tenifi} peuvent lui
échoir, son tour venu.
En vertu des règles d'héritage et de suc-
cession,
i l y a lieu de distinguer "l'enfant qui a un père" de
l'''enfant sans père". Nous allons nous intéresser exclusivement
à ce dernier cas.
Le terme d'''enfant sans père" s'applique à
un enfant dont le père est inconnu ou récuse sa paternité.
Il
est désigné par un terme péjoratif:
agbamanud3E,
littéralement
"enfant issu de la prostitution". Celui-ci souffre en général
du mépris de son entourage et ce mot est une des plus graves
injures qu'on ne lui épargne pas.
Le lignage maternel apparaît
donc comme le seul moyen pour lui d'être intégré dans la société
et d'acquérir un statut social.
On peut classer dans la.catégo-
rie d"'enfant sans père"
l'enfant d'une femme libre dont l'amant
n'a pas entrepris les démarches officielles en vue de la recon-
naissance de leur enfant.
Il est incorporé d'office dans le
lignage de sa mère.

79
Toutefois,
le prétendu père peut réclamer son enfilnt
à
condition de payer une amende qui lui donne tous
les droits
sur celui-ci: c'est le "d3E. ;r2J pt..." qui signifie "frais d'en-
tretien de l'enfant". Cette coutume a été instituée, pensons-
nous, dans le but de dédommager en partie les parents de la
femme dont on a abusé et non pour obliger le père à restituer
au frère de la femme les frais d'entretien de l'enfant, ce gui
1
\\
serait vraiment trop facile.
Le montant du "d,3E oro [JE" varie
entre quinze et vingt mille
~rancs C.F.A. (1).
D'après les dires
de nos informateurs,
les parents demanderaient l'avis de l'éven-
tuel gendre avant d'en fixer
le taux, et ce montant serait déri-
soire
(de mille à deux mille
francs C.F.A.),
lorsque le père
de l'enfant exprime le désir d'épouser la mère.
Il est intéressant de noter que dans l'esprit de
l'Ab€,
un enfant sans père est un être malheureux:
une femme
enceinte doit donc donner une certaine assurance à son futur
bébé afin d'accélérer sa délivrance.
Appartenant au lignage de
sa mère,
il reste attaché à son oncle maternel qui assume le
rôle de père social:
il a droit à
l'héritage et à
la succession
au même titre que tous les membres de ce lignage. C'est d'ail-
leurs ce qui fait la différence entre "le fils de la sœur"
(Kw~d3E) qui appartient au lignage de son père et celui envers
qui l'oncle maternel joue le rôle d'un véritable père. Chez les
Ab/:.. en ef fet "le f ils de la sœur" est cons idéré comme un porte-
malheur lorsqu'il réside chez son oncle maternel:
sa réussite
(1)lFranc CFA = 0,02 Francs Français.

80
sur le plan social entrainerait un échec presqu'in~luctable
dans l'entreprise de ses cousins, c'est-à-dire les enfants de
ce dernier.
Nous pensons que, cette conception se fonde sur des
considérations psychologiques et que le succès "du fils de la
sœur",
résul te de l'ambiance moins contraignante dans
laquelle
il v i t :
l'oncle maternel incarne en général l'affection tandis
que le père représente l'autorité. En dehors de "l'enfant sans
père",
le patrilignage abE peut s'accroitre d'éléments étrangers
par l'adoption et autrefois par l'acquisition de captifs.
L'é-
tranger reçoit une épouse de son "maitre", généralement issue
de son propre lignage, et les enfants nés de cette union sont
incorporés au lignage de leur mère où ils héritent sans pouvoir
accéder toutefois à de hautes fonctions.
Ils sont condamnés à
rester près de leur "maitre" qu'ils servent leur vie durant.
L'assimilation de descendants d'étrangers se pratique rarement
de crainte que le lignage ne s'abâtardisse.
,
Comme nous l'avons vu,
la règle de filiation répond
à des nécessités sociales fondamentales.
L'équivoque étant
dissipée sur les origines de cette règle,
il importe d'étudier
le réseau de parenté.
B
-
1,~LEaBEtl1'EL
-----------
Ën règle générale,
la parenté désigne le lien par le
sang ou consanguinité ou l'union par alliance entre diverses
personn~s. Nous nous contenterons d'étudier la nomenclature de
la parenté en réservant aux effets du mariage l'ensemble des

81
droits et d'obligations entre parents et alliés,
c'est-à-dire
ce que les anthropologues nomment les systèmes de relations.
1)
La nomenclature de la parenté
La terminologie classificatoire domine dans la parenté
abE;
il existe cependant des termes descriptifs permettant d'é-
chapper à tout risque de confusions.
Notons d'abord que l'Abe distingue les parents par le
sang des parents par alliance.
Il désigne les premiers par un
terme spécial "me tÉ" ou "mi
iki"
qui veut dire "il est de ma
parentèle". Ces termes désignent d'ordinaire l'''être humain" et
le recrutement se fait aussi bien dans la ligne paternelle que
maternelle, que l'on spécifie si besoin est.
On parle donc d'une
parentèle bilatérale. On applique un terme global aux alliés
:
ib~. Celui-ci renferme le verbe ";b;jf" qui signifie "se dissi-
1
'1
muler".
Cela révèle l'attitude bienveillante des uns
à
l'égard
".
\\
des autres,
les personnes se désignant ainsi,
pour exprimer le
fait qu'elles se donnent asile mutuellement. Cette affirmation
sera confirmée ultérieurement dans les relations entre gendre
et beaux-parents.
Le système AbE utilise la terminologie par générations,
méconnaissant ainsi les distinctions intrinsèques. Nous l'étu-
dierons par rapport à Ego.
Au sein de sa génération, Ego dispose d'un meme terme
;
nod3E..
(plur.
nod3E.le)
pour ses frères et sœurs, ses cou-

82
sins patrilatéraux et matrilatéraux. Cette terminologie corres-
pond parfaitement au type HawaIen relatif à la typologie de la
nomenclature de parenté établie par Murdock
(1).
Pour distinguer
en tre le frère et la sœur,
Ego ut il ise les suffixes
"
r
J J: pee t
1 h' :J
qui définissent respectivement le sexe masculin et le sexe fémi-
/
nin.
Ainsi,
il appelle n0d3~ [kpe, son frère et nod3E 1 ~vO sa
sœur.
Dans certaines circonstances toutefois,
il emploiera un
terme descriptif, Ji d3.é
(père,
enfant)
par exemple pour son frère
ou sœur de rrêrre père. Nous verrons plus tard que ces termes indi-
quent que ces catégories de parents sont des conjointes prohi-
bées
.
En ce qui concerne les parents par alliance, Ego mas-
/
culin étend le terme réservé à son épouse (mi
ia)
aux femmes
de ses "frères", de même Ego féminin applique celui réservé à
son mari
(me
tJ;)
aux frères de ce dernier.
En dehors des rap-
1
ports sexuels réservés exclusivement à Ego,
ses "frères" (2)
jouissent des mêmes droits sur son épouse et inversement.
Il dé-
/ '
signe par le terme de lbu
(plur.
ibuele)
tous les hommes appa-
rentés a son épouse et par : ik~, toutes les femmes de lagé-
nération de celle-ci ou de la génération précédente.
Il les fait
précéder en général d'un diminutif pour les cadets de sa femme:
par exemple ik~d3e ou ibud3e.
Il est utile de noter que le terme
\\
ibu désigne
à
la fois le beau-frère
(le mari de la sœur),
le
gendre et le beau-père. C'est pourquoi nous avons dit au début
(1) !'lurdock
(G.P.), op.
cit.
p.
223
(2)
Il s'agit de frères classificatoires et non de germains.

83
qu'il s'adresse exclusivement aux personnes qui ont des rela-
tions d'alliance. Ego féminin applique le terme réservé à sa
co-épouse,
me
t f a
k)
(mon mari,
sa femme),
aux épouses des
Il frères"
de son mari en raison du fai t que l'un d'entre eux est
susceptible de s~unir à elle à la mort de son mari en vertu du
principe de l'héritage.
Dans le langage courant,
on se sert de
ce terme pour désigner un adversaire permanent : cela souligne
donc les tensions existant entre les co-épouses au sein d'un
ménage polygame.
A la génération ascendante, Ego applique le terme qui
sert à désigner son propre père,
me..fi
(plur. me
fie1e)
aux
frères de son père,
aux cousins croisés et parallèles du père(l)
De même les époux de la soeur du père et de la soeur de la mère,
sont pour Ego des pères. Quelque soit l'âge de ces individus,
i l
se comporte avec chacun comme avec son propre père : par exemple,
il lui cèdera le tabouret et prendra la parole pour dire les
nouvelles lors d'une visite effectuée en sa compagnie.
Ego désigne-
ra sa mère par
men~
(plur. me
n~ e1e)
et s'en sert également
pour ses tantes paternelles et maternelles.
Il est particulière-
ment intéressant de noter qu'en pays abE, un homme adulte l'appel-
le en général par son nom:
il dira par exemple
A1ate
au lieu
de "ndze" qui signifie
"maman" en français.
A notre question à ce sujet, nos informateurs ont souligné le ca-
ractère puéril de ce terme qui,
selon eux, doit être laissé aux
femmes.
Il semble que l'attitude des hommes à l'égard de leur mère
résulte du système abc qui privilégie le sexe masculin. Nous verrons
(1)
Cousins
croisés
enfants
d'une
soeur et
d'un
frère
cousins
parallèles:
enfants
de
deux
frères
ou de
deux soeurs.

84
d'ailleurs qu'une mère âgée reste plus attachée à son fils qu'à sa
fille.
Toutefois, Ego désigne la femme de son père ou celle du
"frère" de son père par un terme descriptif
me Ji ia.
Il dis-
pose aussi d'un autre terme descriptif pour la femme du frère
de sa mère
me nùbu ia.
En effet,
l'oncle maternel est désigné
par un autre terme que le père: me nobu,
littéralement "la
chose de ma mère".
A la génération des grands parents d'Ego,
la distinc-
tion entre le côté paternel
(Ji
ele)
et le côté maternel
/
,
(nobu
ele)
s'estompe. Ego désigne par le terme de kpowu
(son
grand-père)
(1)
et sok<:i
(sa grand-mère)
(2).
En ce qui concerne
la génération ascendante,
il double ces termes pour renforcer
l
,
l'importance de la position que l~s intéressés occupent: kpowu-
kp;wu et sok~-sok;)' seront donc les ateux et aïeules d'Ego. Au niveau de la
génération descendante
(celle des enfants)
Ego distingue deux
catégorùes de parents
: d3E et kwod3é désignant respectivement
"fils ou fille"
(le terme étant toujours suivi du suffixe {kpe
ou th',))
et "fils ou fille de lasoeur ".
Le premier terme s'ap-
plique à son propre fils ou à sa propre fille,
au fils ou à la
fille de son frère,
de ses cousins patri-matrilatéraux, du frère
ou de la sœur
de la femme;
le second, en général neutre, est
réservé au f ils ou à la fille de sa sœur,
de ses cousines matri-
patrilatérales.
Il est intéressant de noter l'emploi exclusif
de ce termé par l'homme,
la femme ne faisant aucune distinction
l
,
( 1 ) Kpowù
(sing), Kpowuele
(plur.).
(2)
Soka
(sing.),
Sokoele
(plur.).

85
en tre sa propre progén i ture et ce lle de ses "frères" et "sœurs".
Pour terminer,Ego dispose d'un me me terme pour l'en-
semble de ses petits-enfants
(d3é-d3E).
Les figures suivantes schématisent la manière dont les
parents d'un homme sont classés dans le système AbE.
Ces figures appellent quelques remarques.
D'abord,
il
y apparait clairement une identification terminologique entre
parents directs et collatéraux et la distinction ne s'établit
qu'au niveau des générations:
un même terme {Ji} d~signe le
père et les frères du père,
un autre désigne le frère de la mère
{n :Jbu}
tandis qu' Ul1 même terme englobe la mère,
la sœur
de la
mère et la sœur
du père.
D'autre part,
le fait de distinguer entre parents pa-
ternels, et parents maternels ne répond-il pas au principe d'exo-
gamie? En effet,
le père d'Ego et les frères de son père appar-
tiennent ~ un groupe déterminé dont le frère de sa mère est exclu.
En outre,
ils occupent une position identique,
le frère de la
mère en occupe une autre.
A la génération d'Ego,
les cousines
par allè les et les cous ines croisées son t
tra i tées de sœurs
et
donc elles lui sont strictement interdites.
Enfin,
le fait que le système n'excède pas la troisiè-
me génération ascendante est moins l'incapacité de remonter la
ligne généalogique que le manque de terme pour la désigner.
Les
exigences en matière d'union confirment la réalité.
Nous avons

SCHEMA DU SYSTEME DE PARENTE abt
:
système classificatoire
FIGURE l - LES PARENTS MATERNELS ET LES PARENTS PATEfu~ELS
===========================~===============~==========
=========
NIVEAUX GENEALOGIQUES
/ ,
/
/
l '
/
/
. / ,
1 /
Kpowu-Kpowu
"
sok~-sok ~
~ok~-sok :>
- 3
(j
" ,
0
o
l
",
1
l
'" '"
1
l
",
- 2
0
"-
kpowu 6.
"
o Sok)
sok;:)
"--.
' -
---- "
-
1
---- ~
n"J
0
----
Symboles
----
Il
----
6.
homme
" ---- ~
o
o
femme
----
lien de filiaticn,descen-
dance
IOlignage maternel d'Ego
ou n~buele
II~Jlignage paternel d'Ego
ou Ji kwa
L.....l
mariages
(
)terme,
d'adresse
ro
0'\\

Figure II
Système classificatoire au niveau des générations
Niveaux
géalogiques
l
1
1
1
1
1
- 1
6.
0
6.
- - -
0
6.
0
Ji
n::J
f i
1
n)
n'bu
n;)
\\
1
1
l
0
0
6.
6.
A
0
6.
0
\\
ikpe
EGO
n,d..3f. liwJ
n' d
ikpe
iwo
ikpe
nJ d3€
1
3~
n ') d 3€.
1
1
n::Jd 9E
iW::J
n:l d3E. 1
1
0 6 . 6
0
o
o
o
o
6.
o
1
1
kW::ld3 E
d3€
likpe
d,3é.
kw)d3E
iw~
d3t
ikpe
d~tliW;). 1 kw:)d3t.
d3 t
iw:J
1
1
1
1
1
1
o
o
o
0
0
2J
0
0
0
0
' -
-,,,,_,",.m'~
0
. ; 1 . " " ,
. .
'
..
, '
. _ , - .
"i1ij~i!iSW~'
~ personne de sexe
2
indifférent
d 3(
-
d.3 f
el e
'
Légende
= mar iaoe
\\ filiation
6. hom.ll1e
o f eITi.1Tle
ex>
-...J

88
vu que le réseau de parenté est très vaste chez
les Ab!,
ce qui
les amène à établ ir une règle de mar iage,
c'est-à-dire à l1éf j n ir
les conjoints possibles et les conjoints prohibés.
2)
La règle de mariage.
La règle de mariage chez les Ab~ est très simple.
Elle
peut être formulée de cette façon
:
"Tu ne peux pas épouser une
femme de ton lignage". Cela signifie qu'un homme ne peut donc
prendre feMne dans
le groupe paternel auquel i l appartient,
tou-
tes les
femmes de ce groupe étant considérées,
selon les niveaux
généalog igues,
comme ses mères,
ses sœurs,
ses filles etc . . .
Il ne peut non plus épouser une femme à gui i l appligue le même
terme de parenté gue celui gu' il donne à sa propre sœur
la
fille de la sœur
du père et la fille du frère de la mère lui
sont donc
interdites.
Nous verrons gue le mariage à
l'intérieur
du lignage peut-être un facteur de désunion
.
Le système Abt n'est fondé sur aucune des
formes de
mariage des cousins croisés décrites dans
les sociétés étudiées
par les anthropologues.
Le
Dictionnaire d'Ethnologie les défi-
nit respectivement par matrilatérale,
patrilatérale et bilaté-
raIe
(1).
La première forme prescrit ou permet le mariage d'un
homme avec la fille du frère de la mère,
mais
l'interdit avec
la fille de la sœur
du père.
La seconde l'autorise avec la fil-
le de la sœur
du père mais non avec la fille du frère de la mè-
\\
(1)
Panaff
(M.)
-
Perrin
(M.),
Dictionnaire d'ethnologie,
Payot,
Paris,
1973,
p.
69,
224 p.

89
re.
Enfin,
la troisi~me admet le mariage d'un homme avec soit
la fille de la sœur
du père,
soit la fille du frère de la mère.
Si le lignage du père lui est strictement interdit,
celui de la mère lui accorde quelque possibilité.
rI peut alors
épouser une cousine éloignée matrilatérale. A quel degré de pa-
renté le mariage est-il permis? Nos informateurs ont insisté
sur le fait que les intéressés doivent être cousins au-delà de
trois ou quatre générations et que leur ancêtre co~nun et ses
deux fils,
c'est-à-dire leurs arrières-grands-parents,
ne soient
plus en vie
(voir fiqure
III. p. 90).
Epouser sa cousine matrilatérale, c'est reproduire le
mariage de son père, perpétuer l'alliance qu'il a établie an té-
rieurement.
Ici,
le processus de néqociation s'avère facile en
raison de l'alliance qui existait déjà entre les deux lignages.
Toutefois,
l'oncle maternel peut prendre l'initiative de pro-
1
curer une femme à son neveu.
La femme attribuée à ce dernier
est désignée par un terme spécial
:
"kw~d3E woso",
littérale-
ment "le poulet du fils de ma sœur".
On offre cet animal
(le
poulet)
à un hôte pour lui témoigner son entière satisfaction
à
l'occasion de sa visite. D'un usage très rare,
le terme de
Kwad3E
W0S0
est ignoré des jeunes gens et même de certains adul-
tes.
Ce sont les vieillards qui me l'ont appris.
L'annonce du
"présent" au neveu
a lieu dans des circonstances exceptionnel-
les telles que les funérailles,
les fêtes,pendant lesquelles il
a témoigné son attachement à ses oncles maternels.
Le choix de
la cousine croisée se fait à
la suite d'une concertation de ces

~ _
=
/>
~ ~ 1 l i
o
~ ~
A~ ~
~
0
6 /
1 - 1
~
1:::.
o
1:::.
o
1:::.
=
o
Â
œ
Ego
cousine croisée
matrilatérale
Légenàe
~ f, personnes àécéàées
Figure
1:::.
homme
III:
MARIAGE DANS LE LIGNAGE MATERNEL
========
================================
0
femme
filiation
= mariage
@
A conjoints possibles
\\.0
0

91
derniers.
En réalité,
il s'agit de la fille d'un frère
"classi-
ficatoire"
probablement d'un cousin parallèle de la mère et non
de la fille du vér i table frère de la mère.
(Voir figure IV ?92 ).
Si l'on insiste sur la mort de l'ancêtre CO!I1I11UI1 ou
de ses descendants c'est surtout pour elnpêcher,
au sein du li-
gnage,
les divisions qui peuvent naître des scènes de ménage et
non échapper aux actions maléfiques des sorciers comme l'ont pré-
tendu la plupart de nos
informateurs.
Selon eux,
le mariage avec
une cousine croisée trop proche est considéré comme la violation
d'un interdit matrimonial et l'opposition de l'un des membres
du groupe maternel, en l'occurrenœ
l'ancêtre commun,
peut en-
trainer la stérilité.
Il est important de signaler que l'acte de bienveillance
à l'égatd du "fils de la soeur" concerne son mariage primaire ex-
clusivement.Il apparaît donc conune une récompense de son attachement
Les ethnologues interprètent le geste de l'oncle maternel comme
une façon de témoigner sa gratitude à sa soeur. En effet, c'est la
compensation matrimoniale versée pour le mariage de sa soeur qui a
permis à
celui-ci de se procurer une épouse et de fonder un foyer .
.Le don d'une femme à son neveu l'acquitterait en partie de l'obli-
gation qu'il a envers sa mère.
Nous pouvons affirmer qu'actuellement le mariage avec
une cousine croisée matrilatérale dont on estimait traditionnel-
lement le degré de parpnté
trop rapproché ne suscite presque

FIGURE/V
========
~~~~~s~:~~==~~=~~~~~~~=~~~s=~~=s~~~:~~=s~~~~~~
~
= 6
[
1
[
~ 6. 6. - 0
1
1
1
6.
=
o
o
A
o
A
c
Ego
cousine croisée
Légende
o f:, personnes décédées
6. homme
0
femme
l
filiation
=
mariage
A CD
conjoints par arrar:qe- \\.D
ment.
cv

93
plus l'indignation.
Il repose sur des considér·ations économi(lu(~S
essentiellement
:
les gens pensent que les biens acquis par les
époux ne seront pas dispersés.
Comme l'atteste le proverbe:
"Tant que le miel est dans
la ruche,
il ne s'écoule pas".
Il est
utile de noter ici que chez les AbE,
la séparation des
biens
est de règle.
Nous reviendrons sur ce point dans
la seconde par-
tie du travail.
Le mariage à
l'intérieur du groupe maternel ap-
parait comme un moyen efficace pour renforcer les liens avec
celui-ci et établir ainsi un contact permanent entre l'individu
et ses parents maternels,
et de façon plus importante entre les
lignages.
Nous pouvons donc faire
le rapprochement avec ce qu'af-
firme G.
Balandier à propos des Fang patrilinéaires sur le com-
portement absolument différent d'un homme à
l'égard des groupes
paternel et maternel:
"C'est au sein du premier que se déroule
généralement le cours de son existence,
alors qu'il n'entretient
avec "~es parents" du second que des relations circonstanciel-
les". (1)
Cette situation définit parfaitement celle des Abé.
Il
est intéressant de noter que le nombre de mariages avec une cou-
sine matrilatérale proche est plus élevé dans les milieux urbains
que ruraux,
en particulier chez les intellectuels et les salariés.
L Q réussite sociale semble la condition principale de ce mariage
qui procure à
la femme et à
ses parents une certaine aisance.
Au total,
il s'agit d'un mariage d'intérêt auquel l'oncle mater-
nel ne s'oppose pratiquement pas.
Peut-être même a-t-il été réa-
lisé sous
l'incitation de ce dernier!
Mais nos
informateurs ont
affirmé que les ménages ainsi créés ne résistent guère aux ac-
(1.)
Balandier
(G.),
Sociologie actuelle de l'Afrique Noire,
P.U.L,
Paris,
1963, p.
115,532 p.

94
tions maléfiques des sorciers.
Les témoignages d'un jeune ins-
tituteur confirment ces dires
"Quand j'allais à l'é,colc, m(in
oncle maternel m'a proposé sa fille en mariage,
ce qui a été
fait au terme de mes études.
Depuis six années de vie communc,
mon épouse est incapable de concevoir.
Nous sOITunes dons une si-
tuation malheureuse".
Toutefois l'idéal en pays abE est de choisir son par-
tenaire dans son propre village. C'est une précaution qui présen-
te des avantages indéniables mais peut aussi comporter quelques
inconvénients. En effet, originaires du même village,
les deux
familles se connaissent et l'on ne risque pas de faire un mau-
vais choix.
La mère du garçon peut se décharger de certains tra-
vaux épuisants tels que la corvée d'eau matinale,
le ramassage
du fagot pour le feu,
le pilage du"futu" (1)
etc.
En outre,
la
vigilance des parents et des amis permettent d'éviter l'ad~tère
qui humilie plus qu'il ne rapporte d'argent.
Les funérailles
lors du décès d'un membre de la famille,
les congés de materni-
té sont en effet des occasions dont profitent les parents de la
femme pour faire pression sur leur gendre
: les offrandes régu-
lières et les visites circonstancielles à ces derniers assurent
une stabilité permanente au ménage.
De même, en cas de décès de
l'un des conjoints,
l'enterrement dans le même village évite
le transport du corps et surtout l'altercation entre les deux
familles qui dure parfois une journée entière.
(1)
La purée de banane
~lle constitue la nourriture de base
locale.

95
Concernant la femme,
la possibilité de se consacrer
davantage à ses parents est non négligeabl~ : elle peut apporto.
de l'aide à sa mère autant qu'elle le fait pour sa belle-mère,
leur donner de la nourriture et éventuellement des soins. Au
besoin,
ces derniers peuvent intervenir sans délai pour la déli-
vrer des coups de son mari.
Enfin,
la proximité de la famille
lui permet de recevoir des conseils de sa mère et parfois même
sa contribution au moment des semailles en raison de son expé-
rience.
Toutefois,
le mariage au sein de son propre village com-
porte des inconvénients d'une portée considérable
: au moment
d'une dispute en effet,
la mère de la femme peut surgir et lui
prêter main forte. Chaque lignage ou segment de lignage peut se
venger sur un autre s ' i l a été victime de la cherté du montant
de la compensation matrimoniale.
La question que l'on peut se poser est la suivante:
quelle ~st la stratégie du mariage au sein d'un même village?
Pour répondre à cette question, prenons un exemple précis, celui
du village d'Ery-Makouguié II que nous connaissons bien. Ce vil-
1
/
1
lage comprend quatre lignages
:
As~w~gb~,
Mus~abala,
SEkud3e,
et
Odofa.
Ces lignages sont strictement exogames,
ce qui signifie
bien entendu qu'un individu choisit son conjoint dans un autre
lignage que le sien. Comme nous l'avons vu,
en principe, si Ego
1
appartient au lignage As~w~gb~ et sa mère au lignage Odofa, ;e
premier lui est strictement interdit tandis qu'il a la possibi-
lité de prendre sa
partenaire dans le second.
D'après les dires
de nos informateurs,
traditionnellement la règle de mariage qui

96
autorise l'union à
l'intérieur du lignage maternel n'était pas
toujours évidente car,
il arrivait que d'éventuels parten~ires
se voyaient refuser leur droit parce qu'ils étaient considérés
comme trop proches.
Dans ce cas,
les deux solutions gui s'impo-
sent à Ego sont soit le lignage
Mus; abala,
soit SEk~d3e. En
général,
il décide tout simplement de chercher sa conjointe dans
un autre village afin d'éviter les contrariétés.
Pour employer
le terme de C.
Lévi Strauss, nous pouvons affirmer que le maria-
ge chez les Ab~ se caractérise par l'''échange généralisé". Le
mariage entre individus de deux familles se pratique rarement.
Sur ce dernier point le proverbe d i t :
"Lorsqu'une terre produit
de bonnes récoltes, on ne s'en éloigne pas pour les semailles
prochaines". C'est dire qu'il vaut mieux choisir ce qu'on con-
naît mieux pour ne pas être déçu.
Ainsi, des unions successives
peuvent se réaliser entre plusieurs frères
issus de même lignage
et des sœurs
d'un autre lignage ou des personnes apparentées,
1
parce que le premier mariage a été une réussite totale. Ce ma-
riage se fonde essentiellement sur la force de travail de la
femme d'une part, et d'autre part, sur l'intelligence de ses
enfants.
Le dernier critère l'emporte généralement.
De même,
il
n'existe
pas de règle interdisant aux frères de ces fe~nes de
contracter mariage dans le lignage OÜ elles ont été intégrées.
Toutefois, Ego ne peut épouser deux femmes appartenant au meme
lignage à fortior i
deux sœurs.
La polygyn ie sororale qui per-
met qu'un homme s'unisse simultanément à deux soeurs apparaît
donc con®e un sacrilège.

97
,1
~.
L'analyse des règles du mariage r6vèle gue les AbE
pratiquent l'exogamie au sein du
lignage.
La coutume du }(Iv,)d3F_
W~50, nous l'avons vu,
ne constitue pas une règle positive.
Elle est un facteur de dissension et l'on essaie de l'0viter le
plus possible afin de préserver l'unité des lignages apparent0s.
1
Actuellement,
la société abE n'échappe pas à l'inflpence du mon-
de extérieur.
Les jeunes gens et les lettrés en particulier,
trouvent que l'exogamie est une règle négative et qu'elle ne
répond plus à l'évolution sociale:
seuls les sentiments impor-
tent pour eux,
le reste n'est que mystification.
Mais la néces-
si té de l'exogamie es t
reconnue et !lenr i f\\1endras soul igne à j us te
titre gue "la règl~ d'exogamie peut être considérée comme une
règle positive qui affirme l'existence sociale des autres,
parmi
lesqu~ls
on
choisit les femnes.
Elle ne protège pas contre un
péril biologique de consanguinité, mais marque une nécessité
de rapports sociaux entre différents lignages"(1). '11 est cer-
I
tain gue la scolarisation et l'urbanisation ont un impact sur
le mariage actuel.
La liberté du choix du partenaire,devenue
la priorité,est souvent à
l'origine d'unions scandaleuses con-
tre lesquelles certaines règles ont été établies e~ri vue de per-
l'
o
mettre le bon fonctionnement de la société.
Nous alff irmons en
"
\\
connaissance de cause que la loi ne tient pas comp,~e du degré
;~ ..
!~.
de parenté susceptible d'exister entre des partenaüres, si l'on
'1)
se réfère aux exemples communs du mar iage en tre
frères cennains ou
personnes ayant le même père qui sont des faits connus et récents
(1)
j'lendras
(IL);
Eléments de Sociologie, Librairie Arm<:md Colin,
Paris,
1975, p.
161,
262 p.
i ....

98
dans de nombreuses sociétés et dans la société abE en particu-
lier.
De tels faits
font apparaitre le problème du d6saccord
entre la coutume et la loi dont l'Afrique est actuellement le
terrain privilégié. Nous souscrivons à l'idée de J. Carbonnier
selon laquelle l'issue du conflit serait douteuse lorsque la
coutume est en contradiction avec la loi.
En pays abE,
la coutume interdit un certain nombre de
rapports sexuels afin que l'harmonie du groupe ne soit pas per-
turbée.
3)
Les relations sexuelles prohibées.
La prohibition essentielle concerne l'inceste.
Il
existe un terme en AbE pour désigner l'inceste
: p;t~-p~t;,
qui signifie "mélanger",
"confondre". L'interdiction vise indif-
féremment les relations sexuelles pré-conjugales, extra-conjugilles
,
et le mariage de deux parents proches. Avant d'étudier d'une part
les conséquences néfastes de l'inceste,
et d'autre part,
la
sanction infligée aux coupables,
la question fondamentale qui
se pose e s t : comment peut-on expliquer le tabou de l'inceste
che z les AbE ?
Les ethnologues ont parlé en général d'une horreur
instinctive et d'une répugnance "naturelle" à l'idée d'avoir
des rapporEs sexuels avec un proche. Cette
explication peu évi-
dente a été réfutée par certains anthropologues
parmi lesquels John
Beattie et Lévi Strauss dont le mérite a été de souligner que
la prohibition de l'inceste " ... équivaut à dire que, dans la

99
société humaine un homme ne peut obtenir une fC~JT1me que d'un au-
tre homme,
qui la lui cède sous
forme de fille ou (le sŒur"(1).
Il ressort de cette affirmation une règle fondamentale
l'exogamie.
Un vieillard,
évoquant la nécessité de
l'exogamie,
a soutenu
:
"Ta SŒur
a beau être aussi resplendissante que la
1
1
1
1
lune,
elle appartient à autrui.
Si tu l'épouses,
le pJ t J -P::J t:J
ne vous épargnera pas".
En fait,
si les Abe insistent sur les
effets nuisibles de l'inceste,
c'est moins dans
le but de proté-
ger contre un danger biologique que d'obéir aux contraintes so-
ciales.
Les risques auxquels s'exposent les coupables d'une
union incestueuse sont multiples.
En général,
le couple est frap-
pé de stérilité,
un des plus grands malheurs qui peut arriver
à une femme abE.
La maladie qui porte le même nom que l'acte se-

-
, / 1 /
_
xuel lUl-meme
(pot~-p~tJ), affecte tres souvent la femme quand
i l s'agit de relations pré-conjugales ou extra-conjugales,
et
sa prog~niture éventuellement,en cas de mariage.
Elle se manifes-
te chez
le patient par un dépérissement progressif accompagné
d'une toux sèche et quinteuse qui évoque celle d'un tubercùleux.
En outre,
le p;t{-p;t; porte atteinte aux champs dont les plan-
tes
jaunissent,
rendant ainsi la terre inféconde pour avoir été
souillée.
Les enfants
issus d'une union
incestueuse sont sou-
vent anormaux
ils présentent en effet soit une déficience
mentale,
soit une malformation congénitale provoquant la chute
des poils,
notamment des cils et des sourcils,
qui affecte la
(1)
Lévi-Strauss
(C.)
Anthropologie structurale,
Plon,
Paris,
1958, p.
56,
452 p.

iOü
vue.
Nos
informateurs sont unanimes pour af.firmer que ces
èbnséquences résultent une fois de plus de l'action maléfique des
sorciers qui usent des moyens magiques pour sanctionner les
fautifs.
Ils ont déclaré également que le patient ne peut suc-
comber que par suite d'une négligence.
La société abE sanctionne l'inceste par une cérémonie
purificatoire. C'est une cérémonie mortifiante car elle met les
coupables en présence. Nous avons eu l' occas,ion d' ass is ter à
Obodjikro, quartier abt: d'Agboville,
à
trois cérémonies purifi-
catoires dont deux concernent des rapports sexuels prohibés à
caractère spécifique appelés miJa ou ngbuJa sur lesquels nous
reviendrons dans un instant
.
Dans le cas de l'inceste, c'est la femme qui tombe ma-
lade.
Debout l'un en face de l'autre et torse nu,
les coupables
tiennen1t un morceau d' étof fe blanche appelé J(ede,
le blanc sym-
bolisant la pureté
(A défaut de Kede,
on utilise aujourd'hui de
la percale).
L'animal expiatoire est le poulet.
Le rituel de
purification consiste pour les coupables à diviser au moyen d'un
couteau très tranchant l'animal vivant et le morceau de tissu
en deux parties égales.
D'une grande importance
psycho-sociologique 1 ce geste impli-
que en effet que tout lien de parenté susceptible d'entraver
leur union est désormais rompu.
La guérisseuse grille une moitié du poulet avec des
plantes médicinales,
du piment, et le mélange sert à la fabri-

lÔl
cation du remède appelé p';t:J-p;t; kpe,
littéralement "inceste,
Inédicament".
L'autre moitié est consommée sur place par les
intéressés a la suite de la cérémonie d'humiliation que nous d§-
crivons sans tarder.
Sous les huées d'une foule de curieux,
les coupables
accroupis cette fois-ci devant une écuelle de bois contenant un
1
1
1
f
liquide médicamenteux désigné par p0t0-pJt)
ekpefa
(1),
exécu-
ten t
les commandemen ts de la guér isseuse.
LI honune fait boire sa
compagne en lui donnant trois fois
la mixture de la main droite
et trois fois de la main gauche. La femme accomplit a son tour
le même geste. En même temps,
la guérisseuse déclame avec ironie
et mépris ces phrases aussitôt suivies par les huées des specta-
teurs.
La guérisseuse
La foule
fi
1
• Il e
p;:> Il;:>
, Ile
p;:>
0
eee! ( 2 )
1
, } 1 ai
des rapports sexuels avec ma mère,
avec mon
père!
h ~ 1
e.
,-
/
1
Ile
pD
Ilod3f:
1 h',) ,
ne
p;:>
Il"O d 3é.
J.kpe
0
!
eee!
J'ai
des rapports sexuels avec 'ma sœur, avec mon frère!
h ~ 1
e.
1
ne
po
o
eee!
J'ai
des rapports sexuels avec (ma nièce,
lC.on neveu),
avec
(ma fille, mon fils).
hé!
(1)
Ekpefa :
très courant en pays abE,
c'est un médicament gene-
ralement d'origine végétale mélangé avec du kàolin et auquel
on donne une forme sphérique ou ovale.
Il s'absorbe en le
diluant.
(2)
Interjection qui marque la surprise comme le hé français.

102
La guérisseuse remet à chacun des partenaires une amu-
lette pour se nouer autour des reins afin de se protéger des
malédictions.
Nul ne peut maudire avec succès s ' i l n'est pas un pa-
rent véritable. La guérison nécessite toutefois un traitement
long et régulier avec la boule de kaolin qui sert à boire et à
appliquer sur le corps.
En ce qui concerne la terre, les plantes
reverdissent en déposant dan s le champ un canari
(1),
contenant
un peu de cette boule diluée. Notons qu'en pays abE,
la Terre
est considérée comme une divinité, et, par conséquent, les rela-
tions sexuelles accomplies en forêt portent atteinte à celle-ci.
Dans ce cas,
les coupables se rendent à l'endroit où le délit a été
commis et immolent un cabri.
Le sang de l'animal qu'on répand sur
le sol permet ainsi de réparer la faute.
Selon les témoignages
de nos informateurs,
la terre
pourrait refuser
de produire pour se
venger. En ce qui concerne l'union incestueuse, il semble que les
effets négatifs reposent sur des considérations surnaturelles.
Comment expliquer en effet que, en dehors ,de leur communauté,
les
unions incestueuses échappent à la sanction ?
Pour une faute aussi lourde, on pourra sans doute s'éton-
ner du châtiment peu sévère que la société inflige aux coupables,
en l'occurrence l'amende d'un poulet. Cela semble une façon de la
rendre accessible à toutes les bourses car le patient
(qu'il soit
coupable ou non)
a droit à la guérison,
de même que le coupable a
droi t
au pardon.
A notre sens,
le rituel a moins p'G>ur but de guérir que de con-
(1)
Canari
récipient en terre cuite,
de forme arrondie,
servant généralement
à conserver l'eau.

103
damner publiquement les partenaires désormais sujets à
la dé-
rision,
à
la honte.
Outre l'inceste,
i l existe chez
les AbE un autre type
de relations sexuelles prohibées nuisibles
à
la santé également
et considérées comme une f au te grave.
On le dés igne par le terme
de miJa ou ngbufa suivant les tribus et signifie "pc;rturber".
Le miJa concerne les relations extra-conjugales avec un proche
ou l'ami intime du conjoint.
Il s'agit donc d'un adultère à caractère insolite en
raison des
liens
étroits
qui unissent les
individus.
Le mal
viendrait essentiellement du fait qu'ils prennent leurs repas
ensemble.
Ces déclarations en témoignent
:
"Si tu cherches
la
femme de ton
frère,
tu dois éviter de manger avec
lui" ou encore
"Mon mari entretient des relations sexuelles avec ma meilleure
amie à mon
insu.
Si mon amie et moi mangeons souvent ensemble
,
dans
le même plat,
l'une de nous ressentira à
la longue les mé-
faits de
la supercherie".
Nous voyons que l'AbE est méfiant et superstitieux:
le fa i t
de prendre
les
repas
ensemble syrr±olise la confiance réciP:te:XIlE.
Ici,
le patient présente une seule anomalie semblable
à celle évoquée dans
le cas de l'inceste,
à savoir une défail-
lance physique accompagnée d'une toux sèche.
Nous avons eu connaissance de diverses
infractions
relatives
à
des
tabous sexuels que nous relaterons sans nommer
les coupables.

104
Nous commencerons d'abord par une union dite incestueuse.
Un homme pri t
à sa' charge le fils de sa soeur.
Celui-ci devient
enseignant et son oncle lui donne sa propre fille en mariage. Les
deux enfants issus de cette liaison entre cousins croisés ont suc-
combé quelques jours après leur naissance, Ici,
les victimes sont
les enfants.
Puis,
deux cas
d'adultère grave ont été revélés.
A son accouchement, une femme sollicite l'assistance
de sa mère qui réside dans le village voisin.
Le gendre emmène la
belle mère dans ses voyages sous prétexte de lui faire connaître
d'autres localités.
En réalité, en s'évadant ainsi,
ils trompaient
la vigilance des autreso la fernrre
ignorait la vérité mais elle ne
tarda pas à tomber sérieusement malade.
Son état empirait de jour
en jour malgré les soins que lui prodiguait sa mère.
L'homme et sa
belle-mère ont été inculpés d'intention d'homicide involontaire
par la cour familiale qui leur infligea une amende d'un mouton,
1
de cinq bouteilles de liqueurs et une somme de 15.000F CFA pour
la patiente.
Il est intéressant de noter que chez les AbE, en ce
qui concerne l'adultère cmmmis par un frère ou un ami, la coutume
exige le paiement d'une lourde amende.
En revanche chez les Dida,
E.
Terray signale la pratique contraire,
à savoir que le coupable
ne doit rien payer à son frère.
En pays abE,
l'adultère commis par un frère est considé-
ré comme une intention d'homidide involontaire et le coupable
doit "enterrer l'autre de son vivant"
(1)
c'est-à-dire lui célébrer
(1)
Traduction
l i t t é r a l e
de
l ' e x p r e s s i o n "
eroro
PU;)

105
des funérailles anticipées.
L'offensé est en droit de réclamer
un mouton voire un boeuf, une dizaine de bouteilles de liqueur,
des casiers de boissons et une somme dont le montant peut s'éle-
ver à 50 OOOF CFA. Le geste du coupable peut être interprété par
le fait qu'il veut précipiter la mort de son frère pour hériter
de la femme de ce dernier.
L'ordalie
(of u)
à
laquelle les deux
frères
sont soumis empêche les tentatives d'empoisonnement et
la ré cidi ve.
Le second cas d'adultère concerne une femme qui trompe
son mari avec l'ami intime de celui-ci. Le mari est frappé par
la maladie. L'amant a été sommé de payer une amende de 5 OOOF CFA,
plus un poulet pour la préparation du remède destiné aux soins du
mari. Toutefois, nos inforrnatèuLs soutiennent que la victime peut
être l'un ou l'autre mais souvent le mari qui ignore en général les
faits.
En réalité, tout dépend de la résistance des individus. La
guérisseuse Aka Echimurodjé d'Obodjikro, une femme d'environ 45 ans
a ajouté ':
"l'acte sexuel lui-même ne renferme aucune gravité. En
revanche,
lorsqu'un accident survient, et que l'une des personnes
concernées se trouve dans un
état critique,
il succombe lorsque
l'au tre lui prête secours".
rl appara.ît donc que cet te forme de
rapports sexuels prohibés, contrairement à l'inceste
a des consé-
quences fatales.
Les relations sexuelles prohibées, en l'occurrence l'in-
ceste et le
miJa,
apparaissent comme deux interdits qui poursui-
vent des objectifs distincts. Le premier vise à l'établissement des
rapports sociaux avec d'autres groupes,
d'où la règle d'exogamie,
et le second,
au renforcement des liens de solidarité au sein du
groupe de parenté.
Une
différence
non
moins
impor-

106
tante réside dans leurs effets:alors que la progéniture d'llne
union
incestueuse est frappée de maux divers,
le miJa
(1)
ne
porte atteinte qu'aux adultes concernés.
Nous ne saurions clore
cette rubrique sur la parenté,
sans dénoncer encore une fois
l'impact de l'avènement de la monnaie qui a modifié non seule-
ment les règles préétablies mais aussi les relations interindivi-
fuelles au sein du groupe de parenté. Le fait qu'actuellempnt les
gens s'opposent de moins en moins
(sans pour autant l'encourager)
au mariage de deux proches ou d'individus
issus d'un même ligna-
ge illustre notre affirmation précédente
:
les salariés et les
nantis jouissent indéniablement
d'un statut privilégié. Ainsi,
les
unions traditionnellement prohibées augmentent en milieu urbain.
Après ce tour d'horizon de la parenté,
il est essen-
tiel d'aborder maintenant le lignage,
ce groupe local au sein
duquel se prennent les décisions
importantes,
en particulier le
Le lignage constitue le vrai
noyau de la structure
sociale ab~ . Qu'entendons-nous par le terme de lignage? Comme
le note Murdock
:
"Un groupe de parenté patrilinéaire ou matri-
linéaire porte le nom technique de lignage quand il comprend
uniquement des personnes qui sont effectivement en mesure d'é-
tablir l'existence entre elles de liens de parenté précis, en
(1)
Le mot miJa désigne aussi bien l'acte sexuel que 12 maladie.

107
ligne masculine ou féminine selon les cas, et ce à
travers une
série de maillons généalogiques dont le souvenir subsiste" (1).
Cette définition distingue le lignage du clan, ce der-
nier se caractérisant par une relation généalogique
indémontra-
ble.
Le t~rme générique pour désigner le lignage est teni.
Il se compose essentiellement de tous les descendants en ligne
agnatique d'un m~me ancêtre qui forment le noyau d'une famille
étendue patrilocale,
ainsi que de leurs frères et SŒurs
vivant
sur place ou ailleurs,
sans leurs conjoints.
Comme nous l'avons
vu précédemment,
le lignage peut comprendre également des étran-
gers assimilés et leurs descendants.
La famille étendue apparaît donc comme une partie de
l'ensemble qui constitue le lignage.
Chaque famille étendue,
que
nous appellerons "lignage minimal" selon l'expression de Evans-
Pritchard, entretient des relations de parenté très étroites
avec les autres.
Ainsi,
pour exprimer
les liens puissants qui
existent èntre les
individus dans
le lignage et ce,
à
travers
leurs pères respectifs,
les Abe utilisent le terme de fikwa,
littéralement "le cercle du père".
Comme son nom l'indique,
le
fikwa,
appelé ordinairement la famille,
englobe tous ceux qui
gravitent dans l'entourage du père.
On peut dire que. le Jikwa
coIncide avec le patrilignage.
Le témoignage d'un vieillard le
confirme
"Jikwa
et teni
signifient la même chose,
sauf que le
(1)
l'lurdock
(G.P.), op.
cit.,
p.
61-62.

108
premier est dispersé et' le second localisé".
Pour définir le
fikwa
ou groupe dispersé,
les AbE consirl~rent deux faits princi-
p~ux :
la généalogie et l'héritage. Très souvent,
le groupe ob-
serve un interdit alimentaire en souvenir de l'ancêtre co~nun.
L'héritage apparait comme la caractéristique essentielle car
c'est lui qui établit l'unité entre les différentes familles
étendues patrilinéaires qui constituent le lignage.
La question que nous pouvons nous poser est la suivan-
te
de quoi et de qui hérite-t-on ?
Les biens personnels d'un homme marié qui meurt pas-
sent directement à son frère cadet ou à son fils qui ~evient
désormais l'usufruitier.
Sa ou ses veuves et ses enfants revien-
nent de droit à l'héritier. L'importance sociale du droit à
l'héritage de la veuve est d'assurer une meilleure garde aux
enfants du défunt et de permettre à un autre veuf de se remarier.
1
Mais lorsqu'il laisse derrière lui deux ou plusieurs veuves,
leur reprise pose de vrais problèmes. Très souvent,
celle qui
possède encore des enfants en bas âge est conservée afin de s'en
occuper convenablement.
Nous aurons certainement l'occasion de
revenir sur cette question.
En règle usuelle,
dans le lignage,
les biens circulent au niveau de chaque génération,
probablement
entre les personnes de meme sexe, c'est-à-dire entre les "frè-
res" d'une part, et d'au tre part entre les "sœurs" .
"Le frère
hérite de son frère"
atteste le dicton.
En réalité,
l'héritage
a lieu essentiellement entre cousins et entre cousines du patri-
li?J1age et
à
la mort du plus jeune "frère" de la génération,
il

109
passe immédiatement au plus âgé cles fils cles "frères" c1e la
g6nération suivante.
L'octroi de
l'héritage au germain du mort
est rarement pratiqué et n'a lieu gue si les cleux frèrr?s ont
acquis des biens en commun.
Parfois,
il le dispute lorsque son
frère,
avant sa mort,
avait une situation assez aisée.
Il est
intéressant de noter qu'en pays abE le droit à
l'héritage est
un phénomène général.
Tout homme sain cl'esprit hérite au moins
une fois dans sa v i e ;
de même,
à partir de deux ans,
un enfant
qui meurt a un héritier.
Il apparait clonc que l'él(~ent fonda-
mental de cette institution n'est pas le profit c1es biens mais
le maintien de l'unité et de la cohésion du groupe.
L'AbE ne possède pas de terme spécial pour désigner
la famille nucléaire gui comprend un couple marié et sa progéni-
ture
; celle-ci est
ton jours renforcée par l ' ascenclance et la
descendance de l'homme ainsi gue de leurs collatéraux.
Dans une
localibé donnée,
la plus petite unité familiale englobe donc
trois générations gui vivent dans des habitations contiguêi
ayant une cour commune gue nous avons appelée reni,
la résidence.
Celle-ci réunit en son sein un homme âgé gui est le chef,
sa 011
ses épouses,
ses fils mariés ou non ainsi que leurs femmes et
leurs enfants. Le chef de famille ou renifi
est le détenteur du
trésor familial:
1"'ad3a àpu"
littéralement
(héritage,caillou)(1).
Ce terme désigne l ' a t t i r a i l de mariage qui renferme les biens
destinés à payer l'''entrée'' des filles pour ses propres gar-
çons,
et inversement enrichi par la "sortie" de ses
filles.
(1)
Ici,
bpu désigne un morceau d'or car celui-ci est initiale-
ment recouvert de terre à
l'instar d'un caillou et, depuis,
l'on a conservé cette appellation.

110
\\
Notons que l' "aà~a
opu"
ne fait son apparition que
.)
lors du paiement des biens n0cessaires au mariage.
Il contient
la balance à peser l'or qui sert à vérifier la valeur et la qua-
lité de l'or qu'on reçoit.
Les poids ou ~pu ont des valeurs va-
riables allant de deux d. cinquante grammes, soit ~J6.~nljo
/
et ta,
utilisés dans
la circonstance.
Nous y reviendrons ultérieurement.
Théoriquement,
la demande en mariage est adcessée au
père de la fille ou l'héritier
de celui-ci, mais,
dans
la pra-
tique,
le consentement dépend de l'accord général de ses frères
et sœurs.
Il en résulte donc que le mariage est un acte collec-
tif et témoigne de la solida~ité du groupe de parenté. Pour l'AbE
en général,
l'idée de famille suppose l'union de ses membres
"Tu n'aimes pas Roumo,
cependant tu vas chez Roumo Yavo" dit le
proverbe. Cela signifie qu'on ne peut pas déte~ter le père et
fréquenter en même temps le fils
la famille doit être une uni-
1
té. La conception abf de la grande famille diffère suivant le
lieu de résidence.
En effet,
plus de 79% des enquêtés, notamment
les ruraux,
manifestent un attachement excessif à la famille
étendue.
Elle représente la force et la solidarité,
l'objet
d'une fierté.
Ainsi,
une paysanne de 26 ans environ dit avec con-
viction
:
"Je suis issue d'une grande famille,
la plus
importante
du village, du moins numériquement.
Elle ne comporte pas de ri-
ches mais personne n'ose nous attaquer. Tous les villageois nous
respectent".
La solidarité familiale nécessaire à la cohésion
assure donc la liberté du groupe vis-à-vis de l'extérieur. Tou-
tefois 20% des personnes interrogées, en particulier la popula-

111
tion urbaine, déplorent la grande famille qu'elle considère com-
me une "source de parasitisme", une "cause de ruine", pour uti-
liser leurs propres termes.
Au total,
le mépris de la grande
famille repose sur dGS raisons économiques.
Un jGune employé de
bureau témoigne:
"la grande famille est une source de dépenses.
Je travaille depuis quatre ans et je ne peux faire des écono-
mies:
j'ai une femme et trois enfants dont je dois m'occuper.
En outre,
j'ai les en fan ts de mes frères et sœur s
à ma charge.
Je paie les ordonnances de mon oncle paternel qui s'est instal-
lé chez moi depuis deux mois.
Il est nourri et logé gratuitement
et en plus,envoie un message à sa femme de le rejoindre.
Je ne
m'en sors plus, mais je suis obligé de supporter la situation".
Face à ces déclarations,
la question fondamentale que nous nous
posons est la suivante
: la fraternité abE ne risq\\]e-t-elle pas
de céder à l'individualisme que tendent à créer les
conditions éco-
nomiques actuelles? Pour le moment,
le problème de l'émiette-
,
ment de la grande famille ne se pose pas avec acuité malgré l'ap-
parition d'une nouvelle tendance formée de jeunes gens essentiel-
lement.
La famille,
au sens large du mot,
joue un rôle prépondé-
rant dans la réalisation du mariage qui se présente comme le
produit de deux parties. Comme le note Lévi-Strauss
"
bien que le mariage donne naissance à la famille,
c'est la famil-
le ou plutôt les familles qui produisent le mariage comme le
principal moyen légal d'établir une alliance entre elles"(1).
(1)
Lévi-Strauss
(C.), La Famille
(article extrait de Nan, Cul-
ture and Society, edited by Harris L. Shapiro,
New-York,
Oxford,
University Press,
1956,
P.14, chap.
XII,
(p.-261-
2 (3 5) •

Deuxième partie
CLE c3VIARIA[jE

113
Le terme courant usité pour désigner le mariage est
"lWVV1",
(iw:/
signifiant la femme,
et v}
marier).
Cette appel-
lation du mariage révèle que la femme est l'élément essentiel
du couple.
Aussi le proverbe atteste-t-il
"Une femme
Llide vaut
mi C' l: x qu' un f 0 Ye r
v ide".
I l s e ré v è 1 e que l a s 01 i tu de est 1 a p i -
re des situations pour un homme.
C'est sur la femme en effet
que vont porter les thèmes de discussion entre familles contrac-
tantes.
En pays abe,
le mariage constitue une des préoccupa-
tions majeures des
jeunes gens,notamment des garçons.
Un homme
cigne de ce nom doit posséder les qualités suivantes
: aptitude
à
travailler la terre,
à
construire une case destinée à abriter
1
une famille,
et enfin,
à se marier.
Le mariage apparait ainsi
comme la dernière expérience qu'il doive surmonter afin d'échap-
per partiellement sinon totalement à la dépendance de son p~re.
Une telle conception du mariage signifie manifestement que l'hom-
me doit être en mesure d'assurer le bien-être de sa femme et
celui de ses enfants.
Toutefois le mariage n'est pas une fin en
soi
:
i l constitue la voie de la maturité,
la preuve évidente
qu'il peut assumer sa responsabilité et celle de cellx q11i l'en-
tourent.
Un cél i ba taire es t
cons idéré comme quelq11 1 un qui nest pas
encore adulte et cela bien que les hommes attendent parfois

114
longtcmps avant de se marier.
Son entourage ne
le prend pilS au
sérieux,et dans
les querelles avec autrlli,
on ne mangue pas de
le rappeler à
l'ordre car sa situation est tenue pour anormale
"Es-tu un homme digne 7" dit l'adversaire
(1).
Ainsi,
nous avons
vU gll'on ne peut confier une
importante fonction
telle que celle
de "chef de famille étendue"
ou
"chef de
liqnaqe"
à
un céliba-
taire.
Il ne nous a pas été possible d'obtenir
ni le taux de
nuptin.lité ni la situaUon matrimoniale de la population abE.
Mais,
nous nous référons à
la situation matrimoniale des ~kan qui
l'enlliobe en ce"qui concerne le département d'Agbovj.lle (cf.Tableau nO~
Négliger cet aspect aurait non seulement fn.ussé
les données,
m2is
aussi la valeur heuristique de notre recherche.
Nous pouvons
affirmer tout de m~me que les adultes célibataires sont rares
dans les villages car c'est une situation qui dénote la méfiance.
Les fililes
se marient plus tôt que les qan(ons avec un minimum
de cinq ans d'écart,
soit vers dix-huit ans pour
les premières
et vingt-trois ans pour les seconds.
En milieu urbain,
les gens
se marient beaucoup plus tard du fait de la situation absolu-
ment différente:
la cherté de la vie et l'individualisme crois-
sant ne facilitent pas en effet les choses.
Toutefois en raison de l'instauration de la loi n°
64-
3 7 5 cl u 7 0 c t 0 br e
1 9 6 4 rel a t ive au ,m a ria g e qui
in ter dit l a "cl 0 t "
et la polygamie,
il
importe de connaitre l'attitude de
la po-
(1)
Traduction littérale de
...
(
" Fe
pl
Jkpe
?"

TABLEAU N° 6 - DEPARTEMENT D'AGBOVILLE - POPULATIO~ TOTALE DES AKfu~ SELON LE
SEXE, L'AGE ET LA SITUATION MATRIMONIALE
AGE
CELIBATAIRE
MARIE
VEUF
DIVORCE
NON DECLARE
TOTAL
Masculin
Féminin
Masculin
Féminin - Masculin Féminin
Masculin Féminin
Masculin
Féminin
Masculin! Féminin
!
1
: 00 à 14
22.826
20.339
8
84
-
3
-
6
2
3
22.836
20.435
15 à 19
3.238
2.069
94
1.238
1
12
5
74
4
1
3.342
3.394
1
20 à 29
1.673
820
1.702
3.520
15
62
35
229
3
7
3.428
5.438
30 à 39
374
246
2.529
4.478
37
133
67
178
2
-
3.009
5.065
40 à 49
180
148
2.598
2.522
50
296
68
162
2
2
2.898
3. 140
50 à 59
100
70
1.676
890
62
362
47
93
1
-
1.888
1.4 15
60 à 69
68
81
918
245
62
328
29
42
-
1
1.077
697
70 et +
48
59
491
108
97
413
26
37
-
2
662
619
1
ND
14
22
Il
15
l
-
-
-
16
8
42
45
TOTAL
22.521
23.854
10.027
13.911
325
1.639
277
810
30
24
39. 1SO
! 40.248
1
1
Ce tableau englobe environ 70 % d'AbE parmi une population totale de 79.428 individus Akan habitant le Dépar-
tement d'Agboville. Cela représente donc une proportion considérable d'Abé . Il indique à peu de choses
près la situation matrimoniale des Abe
dans cette région. Deux remarques importantes se dégagent de ce ta-
bleau. La première est qu'à âge égal, les filles se marient plus tôt et beaucoup plus que les garçons. La secor
remarque concerne l'augmentation des hommes mariés vers leur quarantième année tandis. que parallèlement le ma-
riage des femmes décro~t. Nous ne pouvons aller plus loin, car ces
chiffres ne reflètent pas la situation rée

116
pulation abE sur 1<1 nouvelle conception du marii:lge.
Avant de
connaître ultérieurement l'opinion générale, disons que le taux
de nuptialité du mariage civii est de zéro.
En effet,
si l'on
se réf~re au nombre de mariages réalisés ou déclarés en 1975
pour le département d'Agboville,
on relève au total 94 mariages
dont 21
couples AbE et 4 couples mixtes,
c'est-à-dire que l'un
des partenaires est étrnnger,notamment l'homme.
A propos de ces
derniers,
on compte trois Dida et un Agni.
L'affinité entre Ab~
et Dida s'explique par le fait qu'il existe une alliunce entre
ces deux peuples.
Cette alliance énigmatique résulterait d'un
pacte si ancien qu'on ne se rappelle plus les circonstances de
sa conclusion.
Ils se désignent mutuellement par le terme "tokp€"
qui signifierait "ami" en dialecte dida,
mais s'appellent réci-
proquement "esclave" pour plaisanter. Ajoutons que Terray fait
allusion à ce meme traité d'alliance existant également entre
les Dida et chacun des peuples suivants: Attié, Abidji, Godié,
1
Adioukrou,
Neyo et Krou.
L'alli~nce repose sur une amitié totale.
C'est dire qu'un Dida résidant sur le territoire des Ab~ doit
bénéficier des privilèges de l'allié et de ce fait un AbE doit
satisfaire les désirs d'un Dida,
quels qu'ils soient.
Par exem-
pIe,
lorsqu'un Abe. meurt,
un Dida peut intervenir en déposant
un objet quelconque sur le l i t mortuaire pour témoigner qu'il
prend le défunt en otage.
A la suite de pourparlers,
le cadavre
est échangé contre une certaine somme d'argent ou un animal.
De
même,
un Dida peut enlever une fille abE à des fins de mariage
sans aucune objection de ses parents.
Selon les dires des vieil-
lards,
le fait de s'opposer à un tel mariage pourrait nuire au

117
coupable.
D'autre part,
un AbE ne peut blesser un Dida impuné-
ment.
tJous
pensons que toutes
les
informations
recueillies au
sujet de cette alliance peuvent se résumer par un pacte politi-
que de non-agression entre alliés,
lequel pacte a été conclu à
un moment donné.
Terray en arrive égaleml?nt à cettl? conclusion
sans
toutefois donner dl? détails et sans préciser non plus
l'é-
poque exacte de
la conclusion de l'alliance.
Une chose est évi-
dente
:
le mariage civil ne concerne que
les salariés et les
fonctionnaires.
Un paysan d'environ quarante ans
a
fait ainsi
la réflexion suivante
:
"Pourquoi ferais-je un mariaqe c i v i l ?
A la campagne,
la coutume ne l'exige pas.
Si je devrais être con-
traint à
le faire pour bénéficier d'une aide financière quelcon-
que,
je n'y aurais pas trouvé d'inconvénients".
Le but de notre travail étant essentiellement l'étude
du mariage coutumier,
i l
importe maintenant d'en donner. les
caractéristiques.
Le mariage abE basé sur le paiement d'une com-
pensation peut être considéré comme un "échange généralisé"
se
traduisant par un mouvement
inverse entre les biens reçus pour
le départ des
filles
et ceux qui sont transférés
ailleurs pour
l'arrivée des épouses.
La résidence est patri-virilocale
:
les
nouveaux mariés s'installent chez
les parents du mari 00 ils
vivront leur vie durant avec leurs enfants.
Le mariaqe se présente chez
les AbE comme un ensemble
de phénomènes à
la fois
cohérent et dynamique.

118
CHAPITRE l
LE PROCESSUS DU MARIAGE.
====================~===
Ce chapitre traitera des phénom~nes qlli constituent
le mariage,
en particulier son évolution, c'est-à-dire dll début
jusqu'à son aboutissement,en passant par les différentes formes
qu'il peut présenter.
Institution sociale fondamentale autour de laquelle
s'organise toute son existence,
le mariage apparait pour l'homme
abE comme une réalité qui se présente sous des formes différen-
1
tes,
suivant les considérations sur lesquelles
il s'appuie.
Il envisage le mariage sous trois aspects principaux
selon qu'il s'aqit de la forme de l'union conjugale, de la sour-
ce des biens transférés,
et du mode d'acquisition de la femme.
1)
Selon la forme de l'union conjuqale.
Il existe deux formes d'union conjugale en pays abE :
la monogamie ou Iwo nkpo vI (nkp~ désigne l'unité)
et la poly-
garnie ou ~IW0 vç (eçwo : pluriel de IWo). Nous traiterons en
détail cette derni~re forme.

119
2)
Selon la source des biens transférés.
Les biens sprvant à l'acquisition de la femme peuvent
avoir cinq origines. Ordinairement,
le père en est le pourvoyeur.
L'individu dira donc
, /
,/
a)
"~~.li__e__~-?.t.~" 1 littéralement "mon père a été le
/
",-
pourvoyeur de l'or", ou bien "me ..Fi
e
~10
me
lWO"
qui signifie "mariage conclu grace au fruit du tra-
vail de mon père".
"Me
Samu
me
11~ :Iwo"
"J'ai assuré moi-même les
----------~-----
frais de mon mariaqe". Cette situation suscite un
légitime orqueil chez l'homme AbE qui saisit la
moindre occasion pour s'en vanter.
c)
"Nobu
;)
yome
Iwo"
"Mon mariage est un don du frè-
re de ma mère".
Un jeune homme qui a des rapports
étroits avec son oncle maternel peut obtenir de lui
comme nous l'avons déjà vu,
soit une cousine croi-
sée matrilatérale
(KwJd3E
W;)5u),
soit les biens
servant à acquérir une autre femme.
D'après nos in-
formateurs,
un père qui n'a pas les moyens suffi-
sants pour procurer une femme à son fils,
peut de-
mander à sa femme de recourir à son frère.
En géné-
ral, ce dernier ne fait pas d'objection
c'est
pour lui un moyen de faire davantage pression Sur
son beau-frère.
d)
"Me ffE.
"Mariage conclu grâce à mon
bienfaiteur". Dans ce cas, Ego est tributaire de ce

l~O
dernier gui exige en compensation non seulement des
travaux mais aussi les enfants gu'il aura procréés.
e)
"Me
ibu
j
h me {w.)"
:
"J'ai obtenu une femme de mon
beau-père".
Un homme peut donner sa fille en ma-
riage à un autre gui possède des gualités physigues
sans toutefois disposer de biens. Le gendre tra-
vaille pour le père de sa femme en attendant gue
sa fille se marie pour lui permettre de rembourser
la compensation et jouir de ses droits d'époux et
de père.
3)
Selon le mode d'acquisition de la femme.
On distingue
,-
r
a)
YaYa
V~
li ttérallelll~t
"mariage volé"
Est considéré comme "mariage volé"
le fait gu'une fil-
le fuit avec son amant pour obliger son père à consentir à leur
union d'une part, et lorsgue celle-ci refuse d'épouser l'homme
gui a versé une compensation matrimoniale à son père d'autre
part.
.,-
b)
Iwo)
lafuC)
baku
(b,{kll
r~mplacer,
autre femme).
Un veuf peu t
obten ir en mar iage la sœur
de son épouse
défunte.
Cette coutume ne doit pas se confondre avec le
t
sorora ,
règle gui oblige le veuf à se remar ier avec la sœur
de sa fem-

12l
me pré-décédée. Sa portée sociale est de permettre à un homme
qui perd sa femme de pouvoir se remarier rapidement et facile-
ment. Le "remplacement de l'épouse morte par sa sœur"
ne peùt
avoir lieu qu'à certaines conditions:
-
Si le veuf était monogame.
-
Si l'ho~ne, avant la mort de sa femme,
a eu une con-
duite exemplaire à l'égard des membres de la famille
de celle-ci.
-
S'il s'est acquitté
de la compensation matrimoniale de
l'épouse décédée.
En vertu de la règle de l'héritage, l'un des agnats
du mort ou le fils de ce dernier a le droit d'hériter de la
veuve
(a oa yawo ; plur. aYa yaYE) qui n'est pas sa mère. Notons
que che~ les AbE la reprise de la veuve dépend des facteurs
suivants
-
Si la veuve a plus de trois enfants en bas age.
-
Si elle a été une femme irréprochable tant par sa
conduite que par son travail.
-
Si la veuve n'est pas apparentée à la premièr~ épou-
se de l'héritier.
D'autre part,
le mariage avec la veuve d'un père décé-
dé est rare en pays abée
Il est considéré cOlrune un acte entachant
l'honneur du père et de ce fait suppose une certaine contrainte.
La gêne que le fils et la veuve de son père éprouvent à affir-
mer leur consentement à vivre ensemble en est révélatrice
: "Je

122
reste auprès de mon fils"
soutient la veuve et "Je garde mes
peti ts frères" ·prétend l'au tre.
Ces deux derniers modes d'acquisition de la femme
n'exigent aucun paiement supplémentaire.
d)
mariage conclu Dar suite d'une aemande.
C'est le mode classique d'acquisiU_on de la femme:
celle-ci ne rejoint son mari que si la demande a été accordée,
notamment après plusieurs pourparlers fixant les modalités de
paiement.
Nous voyons que le mariage est le moyen légitime pour
recruter de nouveaux membres au sein d'un groupe et pour créer
des alliances avec d'autres groupes.
C'est donc un nœud
dans
le vaste réseau des rapports sociaux qui contribuent au ton fonctionne-
ment de fa société. Etant donné son importance sociale,
sa réali-
sation se fait de façon progressive quelles que soient les
ci rcon stances.
Pour comprendre c~t aspect important de la perspective
matrimoniale nous étudierons la procédure de la demande en ma-
riage d'une part et le rituel décisif d'autre part.
Toutefois,
en pays abE,
il existe plusieurs possibilités à des fins de
mariage, et la d~marche entreprise est différente suivant que la

123
future mariée est nubile,
impubère ou à naitre.
Les deux derniè-
res éventualités méritent d'abord qu'on s'y arrête.
1) La demande d'une fille impubère ou à naitre.
Quand la fille est à naitre,
les préliminaires de ma-
riage débutent par une action absolument
intime appelée "nyf
amE.",
littéralement "retenir le fœtus". En effet,
lorsqu'un hom-
me a de l'admiration pour une femme enceinte,particulièrement
attirante par ses bonnes manières,
il prend aussitôt l'initiative
de trouver une compagne à son fils qui n'a que cinq ou six ans.
Il suppose que l'enfant qui naitra, héritera des qualités de sa
mère.
Il s'adresse donc à la future mère en ces termes:
"L'en-
fant que tu portes en ton sein sera ma bru, si c'est une fille,
et le compagnon fidèle de mon fils,
si c'est un garçon". Le pac-
te est signé par le don d'une SOmme dérisoire de 25F CFA ou d'un
,
verre de vin de palme à la femme.
En général, cette demande a
lieu lors d'un voyage et concerne en particulier une hôtesse af-
fable et gracieuse
(fuowonD).
En réalité,
le geste de l'homme a
pour but de créer ou de renforcer des liens entre les deux fa-
milles.
C'est à la naissance du bébé que commence réellement
le processus matrim6nial.
Le père-ami, aussitôt informé de la
nouvelle, offre des cadeaux au nouveau-né.
Il s'agit d'objets
de toilette et d'argent éventuellement qui constituent le trous-
\\
seau appelé "mpo",
littéralement,
"la nourriture". Ce don au
bébé est marqué par une cérémonie importante qui se déroule en

124
présence des deux chefs de familles,
en l'occurrenœ
le père du
bébé et le père-ami :
tiw0r~ (ti : bâton, : introduction,
ô'rà : tête). Comme son nom l'indique, ce geste symbolique qui
consiste à glisser un bâtonnet dans la chevelure du bébé dénote
l'idée de la propriété. Mais cela ne suffit pas à fonder tous
les droits sur la fille
(si c'est une fille).
Le "tiwor~" que
je désigne par "fiançailles précoces" est également exécuté pour
la mineure.
Il est intéressant de signaler qu'un homme peut ac-
complir l'acte en sa faveur.
Nos informateurs affirment que cet-
te coutume tend à disparaitre en raison de l'opposition que ma-
nifestent certaines jeunes filles au moment de leur mariage.
Afin de témoigner son intérêt pour l'union,
il remet publiquement
au père du bébé de la poudre de tabac
(asala
mùro),
un canari de
vin de palme et une somme de 100F CFA. La remise
de ces objets
constitue à proprement parler la première étape en vue du ma-
riage. Elle lui confère un droit partiel sur la fille.
Appelée
,
"nyî mbo
JI" qui signifie littéralement "empêcher la voix de
sortir" (1), cette étape est destinée à refuser une demande éven-
tuelle en raison de l'engagement signé par les parents de la
fille.
Désormais, nul ne peut se hasarder. impunément à lui faire
la cour.
L'assistance boit et on se serre mutuellement la main
en guise de remerciements. L'importance de cette coutume est
de garantir les droits d'un individu sur une fenune qu'il désire
épouser ou qu'il destine à son fils.
Il a beaucoup de chances
de ne pas faire un mauvais choix, car ils apprendront à se con~
(1)
Cela doit être traduit par "empêcher qu'on réponde affirmati-
vement en cas de demande éventuelle".

125
naltre. D'autre part, ce que j'appelle "fiançailles·précoces"
permet à la fois de se préparer et de réunir peu à peu les biens
indispensables au mariage. Tr~s souvent, les intéressés ne sont
pas informés de la décision de leurs parents. Ceux-ci les mettent
plus tard devant le fait accompli. La femme est le bien par ex-
cellence qu'un fils doit mériter. A ce sujet, nous ferons nôtre
l'affirmation de Mr Niangoran Bouah concernant les Abouré.
"L'an-
nonce, au jeune homme, de ses fiançailles, est considérée par
les parents comme un présent qui ne se fait que lorsque celui-
ci a une conduite exemplaire à la maison,
s'est particulièrement
distingué,
en prenant une grande quantité de poissons au cours
d'une partie de pêche ou dans les travaux des champs"
(1). Si le
choix de son père ne le satisfait pas,
il ne peut à priori,
le
refuser: on ne conteste pas l'autorité d'un père de son vivant
sans encourir sa malédiction. Le père incarne l'expérience et de
ce fait,
il ne peut que contribuer au bonheur de son fils.
1
Toutefois le point de départ du processus matrimonial
s'effectue en général quand la fille est nubile.
2) La demande d'une fille nubile
Ici encore,
tout dépend du point de vue auquel on se
place : la jeune fille doit être distinguée de la divorcée. En
effet,
le terme de " îw;) vivi"
(femme, demander)
est réservé à
la demande d'une jeune fille qui ~e marie pour la première fois,
(1) Niangoran Bouah
(G.),
op. cit., p.
104-\\05

126
\\
/
la demande d'une divorcée étant désignée par celui de "opu b::J"
qui signifie "récupérer le caillou" ou "akaka mb2J"(re'11bourser,
compensation matrimoniale". C'est dire que
le futur époux restitue
à
l'ancien la compensation matrimoniale.
Il est utile de noter
ici gue la remise du caillou à une femme par son mari marque la
rupture.
Ce geste signifie qu'il lui rend désormais sa liberté.
Quelles sont avant tout les circonstances qui favori-
sent les rencontres ?
Le choix de la fille peut se faire par personne inter-
posée ou par l'intéressé lui-même. En général,
les visites s'ef-
fectuent hors de la case du père car,
faire la cour à une fille
devant son père est considéré comme un mangue de respect à son
égard. Le lieu de rencontre idéal est la chambre d'un ami du
garçon ou les nuits au clair de lune
: les jeunes filles groupées
par classe d'âge exécutent des danses et des chants en n~nmant
(
leurs amants.
Pendant ce temps,
les jeunes gens restés à l'écart
font des invasions dans la ronde et sont hués et rués de coups.
D'ordinaire,
les jeunes gens
amoureux se confient à leur mère
ou à la sœur
de leur père. A la sui te de plus ieurs rencontres,
le jeune homme ira tout seul, sur l'exhortation de sa mère,
ten-
ter ouvertement sa chance auprès des parents de sa "dulcinée".
Un soir il rend une visite de courtoisie aux parents de la fille,
les salue polimen t
: "DE an u, nà3 e an u"
(bonsoir père,
bonsoir
mère)
et s'assoit sans plus de formalités.
Ils échangent les
nouvelles comme à l'accoutumée.
S'il s'agit d'un inconnu, on lui
\\
/
offre immédiatement l'hospitalité en ces termes
: "E le ba bufi"
qui signifie "Gardons les effets".
Il répond par l'affirmative

127
\\
/
à cette invitation
"Ao,
me disiJ",
"Oui,
j'accepte".
En règle usuelle, meme s ' i l est informé de la question,
le père de la fille feint d'ignorer les relations qui existent
entre les jeunes gens et demande le motif de la visite : "fe
somu
wu?".
"S'aqit-il d'une visite banale 7". L'occasion est don-
née enfin au jeune homme d'exprimer son intention:
"Je désire
que ta fille vienne me saluer". En général,
le père de la fille
ne s'y oppose pas,
bien au contraire,
il apprécie le courage du
garçon. Cette épreuve a pour but de chasser la timidité chez
l'homme et de lui faire prendre conscience de ses responsabili-
tés.
Pou~ utiliser l'expression introduite par Van Gennep, nous
dirons qu'il accomplit un "rite de passage" pour marquer une
des périodes critiques de la vie humaine qu'est la puberté. Cer-
tains parents cependant considèrent l'action du jeune homme com-
me téméraire et lui crachent à la figure pour manifester leur
indignation. L'annonce officielle de la nouvelle à ses parents
se fait à la suite du consentement du père de la fille.
Le soir
suivant,
la mère du jeune homme se hâte d'avoir la confirmation
et remercie les parents de la fille avec de la poudre de tabac
(asala
mord)
et une modique somme d'argent. Comme nous l'avons
vu précédemment, c'est la phase préliminaire appelée "nyi mbo Ji"
(retenir la fille)
à laquelle succèdera la phase proprement dite
de la demande en mariage appelée généralement Iwo vivi.
3)
La procédure de la demande en mariage.
Dans les deux formes de demande en mariage,
l'on entre-

128
prend
la même démarche.
En général,
le père du garçon prévient
le père de la fille de sa visite en fixant la date.
Le jour ve-
nu,
il délègue deux personnes âgées, un homme et une femme choi-
sis judicieusement parmi les siens.
Le critère du choix est basé
sur le fait qu'ils n'ont jamais été victimes de divorce et de
veuvage.
Ce caractère témoiqne de la perfection dont ils sont
l'objet et,
l'on pense ainsi préserver les futurs époux de ces
deux malheurs. Cette attitude apparaît comme une façon de leur
souhaiter une paix et une vie durables. Le soir après le dîner,
probablement entre dix-neuf et vingt heures,
la délégation se
rend chez les parents de la fille.
Dans la conception ab~, la
nuit symbolise la tranquillité et suppose un degré de concentra-
tion plus grand.
Suite au traditionnel échange de nouvelles,
le porte-
parole exprime l'objet de sa visite en ces termes;
"Nous ve-
nons,
d~ la part de X., vous informer du d6sir qu'éprouve son
fils Y.
d'entretenir des rapports avec votre fille Z.".
Le père
de la fille interroge son interlocuteur fermement sur l'issue
des rapports:
"Votre fils a-t-il simplement l'intention de fai-
re la cour à ma fille ou de l'épouser 7".
Naturellement, on ré-
pond par la seconde éventualité,
à savoir le projet de mariage,
qui permet de poursuivre la procédure.
Si ces formalités sont indispensables, elles ne suf-
fisent pas pour autant à connaître l'opinion de la partie con-
tractante qui ajourne la demande.
Les parents de la fille fixent un délai relativement
long afin de se concerter et de s'enquérir de la situation so-

129
ciale et économique de la famille postulante.
L'on s'informera
notamment des points suivants
: La famille est-elle diqne 7
Ses membres son t- il s vie t imes de malad ies graves telles que la
lèpre,
la tuberculose,
l'épilepsie,
la stérilité et la folie
7
Sont-ils voyous,
paresseux,
avares,
égoïstes, médisants, querel-
leurs,
sorciers réputés 7.
Engendrent-ils des enfants intelli-
qents ? Leurs épouses sont-elles entretenues convenablement 7
La mère du garçon a-t-elle une délivrance longue et difficile ?
Toutes ces questions révèlent que les Abé sont cons-
cients que le groupe détermine l'individu tout autant que sa con-
duite.
Nous pouvons affirmer que l'enquête minutieuse à laquelle
se livrent les parents de la fille
témoigne non seulement de la
circonspection du choix du partenaire mais aussi et surtout le
besoin de créer une alliance solide et durable.
De même,
un hom-
me souhaitera épouser une fille issue d'une famille réputée pour
ses qualités physiques ou intellectuelles.
Toutefois,
le consentement s'obtient aux termes de
trois pourparlers ou davantage avec l'accord général de tous les
membres comme le confirme l'expression:
"E
1-:>
{wo",
dira le
porte-parole,
ce qui signifie "Nous accordons la femme".
La dis-
s'avère donc le moyen qui permet de s'assurer de la
crétion
bonne foi de l'autre partie et surtout des sentiments du garçon.
Nos informateurs affirment que parfois, découragés par les ajourne-
ments constants,
certains hommes bien intentionnés abandonnent leur
projet.
Le consentement à l'union donne lieu à un rituel d'une
grande portée sociale pour les intéressés car leur changement de
statut en dépend
: c'est
1'asala.

130
4)
L'''asala
nE"
L'expression "asala nE" littéralement "verser le tabac"
désigne le rituel qui consiste à effectuer le premier versement
en vue du mariage.
Il est considéré dans la demande en mariage
comme étant le rituel décisif.
Donc, sans "versement du tabac",
pas de demande en mariage. Celui-ci suffit à fonder des droits
sur la femme notamment la réclamation du montant d'un adultère,
avec la possibilité d'exiger d'elle des travaux champêtres, et,
enfin,
l'obliqation de porter le deuil. Car,à la mort de l'un des
futurs partenaires,
l'autre doit simuler le veuvage durant un jour.
Cette pratique désignée par un terme spécial,
"A1obe
alaya-
l i t -
téralement "veuvage du daman arboricole"
(1),
a sans doute pour
objet de réaliser les voeux du défunt.
L'établissement de normes formelles relatives au versement
du tabac révèle sa portée sociale. L'on doit s'abstenir en effet
de demander en mariage une femme enceinte,
car sa vie est en danger.
Cette considération d'ordre pratique va susciter chez l'homme une
certaine patience qui lui permettra d'éviter la prise d'un éventuel
deuil.
1
D'autre part,
le mois de Février appelé "Ke ke Vé"
(bêtise, mois)
est,
comme son nom l'indique, considéré comme
(1)
Le caractère éphémère de ce veuvage est assimilé au compor-
tement de cet animal qui ne se fait entendre que de nuit.

131
un mois susceptible d'entrainer l'échec sur le plan social de
celui qui sollicite une demande en mariage. C'est à
tort que
/
M. Niangoran Bouah a traduit le terme de "Ke ke VEn par "mois
de la folie",
sur lequel
il fonde son argumen ta tion
: "Pendan t
cette lunaison, écrit l'auteur,
il fait tellement chaud qu'on
risque d'attraper une méningite en se promenant au soleil. Cette maladie
avant de tuer,
rend sa victime folle . . . . L'enfant né pendant
cette lunaison devient à l'âge adulte,voyou,
aventurier ou vo-
leur"(l).
A notre sens, cette norme qui interdiE de demander une
femme en mariage durant le mois de Février ne saurait s'expli-
quer par des troubles psychiques.
Elle repose sur une vue cos-
mologique, en ce sens que ce mois n'est pas aussi long que les
autres,cela risque de provoquer la naissance d'une progéniture
diminuée. Notre raisonnement semble justifié par le fait que les
AbE affirment également qu'il y a de fortes chances pour qu'un
enfant qui naît pendant cette période devienne un homme raté.
Quels sont les exemples concrets qui caractérisent l'échec so-
cial? Ce sont:
l'aventurier (Wra ka woJ, celui qui ruine s~s
parents par ses dépenses inconsicérées
ou ses dettes
(apE
woJ,
et enfin le célibataire
(KpakpeleJ
qui apparaissent
comme des
gens à qui la réussite socia~è a échappé.
Ils ne peuvent soute- ~
n ir orgue illeusernen t
devan t
au tru i
:
"Je suis un ind i v idu digne" (2),
ce qui signifie qu'il possède un minimum de richesses.
Dans la
(1)
Niangoran Bouah
(G.),
la division du
temps et le calendrier
rituel des peuples lagunai~es de Côte d'Ivoire, 1964, p.69.
(2)
Traduction littérale de
:
"me
se
me
lE
mie
iki
mumu".

132
société abE,
la réussite sociale réelle dépend de la situation
de famille.
ninsi, un ho~ne qui a réussi sa vie est celui qui
possède une ou des femmes et des enfants,notamment des garçons,
qui assureront sa descendance. L'acquisition de richesses appa-
rait comme une condition nécessaire mais insuffisante pour s'af-
f irmer.
Enf in, comme tou tes les cérémon ies rituelles
avant une valeur
surnaturelle,
le versement du tabac s'effectue pendant les jours
fastes,
en l'occurrence
ovo et épiso.
n chaque étape de la demande en mariage, nous remar-
quons le rôle particulièrement privilégié du tabac au détriment
de l'alcool
(m~rJ) qui intervient cependant à chaque occasion.
Pourquoi le tabac et non un autre produit? A cette question,
les vieillards ont affirmé que le tabac a le pouvoir de calmer
la faim:
les pourparlers durent en effet des heures,
il est
indispensable d'en disposer afin de retenir longtemps la famille
de la fille susceptible d'user de subterfuges pour faire lan-
guir l~ garçon. En outre, le fait que les chiqueurs utilisent
d'ordinaire l'expression:
"Rien n'a touché ma bouche de la jour-
née, que le tabac" confirme non seulement la satisfaction que
procure ce produit mais aussi son pouvoir de résistance.
Une des caractéristiques du rituel de l"'asala nE. n est
de mettre les futurs époux en présence. En général,
lorsqu'il
s'agit d'un choix délibéré,
le garçon est régulièrement iriformé
de l'évolution des entretiens, la fille n'est pas non plus tenue
dans l'ignorance. Cependant, ce rituel constitue la première
occasion pour eux d'exprimer publiquement leurs sentiments, ceux
de la fille en particulier. La réponse niest jamais négative car

133
cette dernière aura subi auparavant l'influence d'une tante pa-
ternelle ou d'une tutrice. En fait,
la question de savoir si
les futurs époux consentent à leur union n'est qu'une pure for-
malité, elle est subordonnée à la décision des parents.
En effet,
la cérémonie se déroule en présence des deux familles.
Celle
du garçon prend place d'un côté et celle de la fille de l'autre,
de la même manière qu'elles seraient partagées pour régler un
litige.
Le père de la fille préside la cérémonie mais son avis
n'est pas prépondérant. Tous les membres de la famille qui exer-
cent une certaine autorité sur la fille,
notamment le reniJi,
peuvent intervenir au même titre.
Aussitôt les nouvelles échangép-s,
le porte-parole pro-
nonce cette phrase rituelle
:
"La tradition est une chose sacrée
qui ne saurait être transgressée impunément. Le taux de l'''asala
nE n
est connu de tous. Toutefois l'opinion de la fille et de la
mère pe~t varier car des liens très intimes existent entre
l'enfant et sa mère". La poursuite de la procédure dépend donc
du consentp-ment de la mère qui a obtenu l'accord de sa fille
après l'avoir sans doute persuadée de l'issue heureuse de l'u-
nion.
Il apparait qu'une mère abE joue un rôle actif dans le
mariage de son enfant,
son refus peut mettre le processus en
cause.
En tant qu'éducatrice principale de celui-ci, elle est
mieux placée pour apprécier le partenaire.
Le consentement obtenu, on procède à la remise des
biens ou asala nE, acte qui concrétise la demande en mariage.
L'''asala nE n
se compose des objets suivants
une botte de ta-

134
/
\\
bac ou asala oro
(t~te de tabac) destinée aux membres absents
de la famille de la fille pendant la cérémonie,
un flacon de
tabac en poudre ou asala mor~ pour les membres présents et un
canari de vin de palme
(e![mJrV
j[gbe).
Notons qu'actuellement
l'introduction de certains produits modernes tels que les li-
queurs
(de prêférence le gin)
se substituent au traditionnel vin
de palme, de même la cigarette entre dans la composition de
l'''asala''.
Parmi ces objets, seul le vin de palme ou l'alcool
a une valeur essentielle.
Les AbE pensent que nul ne peut résister à la puis-
sance de l'alcool auquel ils attribuent un
pouvoi r èe comnunion ,:.,.
de paix.
Voilà pourquoi celui-ci intervient dans toutes les
cérémonies. Traditionnellement le futur époux fait exceptionnel-
lement tomber un palmier dont il extrait le vin qu'il présente
ensuite aux parents de la fille.
Cette action témoigne de sa
volonté de voir l'union se réaliser. Le reniJi en prend un peu
dans un bol,
et, en invoquant les noms des anc~tres du lignage,
il en verse quelques gouttes par terre afin d'implorer leur
bénédiction à l'égard de leur fille qui part en ménage dans un
autre lignage.
Il s'exprime en ces termes:
"Voici la boisson
reçue au nom de votre fille N...
Donnez lui votre bénédiction
ainsi qu'à son futur époux. Veillez sur elle à tous moments et
en tous lieux et faites qu'elle donne naissance à de nombreux
enfants afin que votre réputation ainsi que celle du lignage
.'
tout entier soient sauvegardées". Ce qeste symbolique marque
le caractère religieux de la demande en mariage.

En outre,
on exige des biens en espèces d'une valeur
officielle de 12 000 Francs C.F.A.
comme don aux parents de la
fille,
et,
de façon générale,
on substitue la somme de
300 Francs
C.F.f..
au traditionnel tabac dont 25 F.
C F ~
l I t
. . ~~. pour
e
se
,au re-
fois produits de luxe en raison de leur rareté,
Un futur gendre
aisé doit céder aux caprices de ses futurs alliés en ajoutant aux
0é7enses précédentes quelques bouteilles de ving,
de bière,
et
de
jus de fruits.
Nous voyons que la famille maternelle n'a pas une in-
fluence directe sur les décisions matrimoniales. Toutefois,
la
mère est tenue d'informer ses parents de
la cérémonie et éven-
tuellement de se faire appuyer par un proche.
EIJe répartit sa
quote-part entre ses frères et sœurs
afin d'apaiser les mau-
vais esprits susceptibles de nuire au bonheur de sa fille.
L'''asala'' n'a pas
le caractère d'une vente ou d'une
escroqu~rie. Il a été institué dans un double but: prouver la
noblesse des sentiments de l'homme d'une part, et établir cer-
tains droits sur la future épouse d'autre part.
En pays abE,
les futurs mariés doivent se conformer à un schéma de comporte-
ment prescrit:
le mariage ne dépend donc pas des qualités mora-
les essentiellement,mais de la conduite des participants.
5)
Les obligations social~s d~s futurs m~riés.
Nous préférons
ici le terme de "futurs mariés"
à celui
(1e
"f iancés",
le premier étan t
plus conforme à la réal i té socio-
logique abé.
Le fait que les Ab~ ne possèdent pas de terme spé-
cial pour désigner les fiancés en est révélateur.
On s'adresse

136
donc à eux comme s ' i l s étaient déjà mari et femme.
Toutefois,
lorsque l'interlocuteur demande des précisions sur l'état des
,
choses,
l'informateur lui répond par l'expression "NJ e Ji gb J • •• " ,
littéralement "Elle est à mi-chemin . . . . ".
Cela semble témoigner
non seulement de l'effort que
le garçon doit fournir pour attein-
dre son but mais aussi et surtout que la règle de résidence est
patri-virilocale, c'est-à-dire que le couple s'installe chez
l'homme ou le père de celui-ci.
Telle que nous
la verrons,
l'obligation sociale défi-
nit donc un engagement conscient pour conformer sa conduite aux
normes ou aux valeurs admises par la société.
Nous étudierons
ces obliGations ou tontraintes à un double point de vue:
d'a-
bord le comportement à
l'égard des parents du futur conjoint,
puis
le comportement réciproque des
intéressés.
Deux sentiments caractérisent le comportement du gen-
dre à
l'égard de ses futurs
beaux-parents:
le respect et l'évi-
tement.
Le premier se manifeste par la soumission au travail et
la politesse.
Ainsi,
le futur gendre doit aider
le père de sa
femme à défricher son champ,
construire une case,
réparer le
toit d'une maison et rendre des services divers.
Le travail per-
met à
la fois d'apprécier
l'énergie du garçon et de compenser
quelque peu les services qu'il exigera de sa femme.
Si le futur
marié doit traiter
les parents de sa femme avec une très grande
déférence,
il doit aussi éviter les contacts fréquents
avec eux,
nota~nent avec sa future belle-m~re. Notons que très renforcé
avan t
le mar iage,
l ' év i temen t
de
la belle-mère
se relâche pro-

137
gressivement à la suite des naissances de deux ou trois enfants.
Notons que les relations d'évitement s'étendent aussi aux membres
féminins de la famille de la fenmle et se manifestent par une
prohibition frappant certains comportements
jugés comme un manque
de respect à l'égard de la belle-famille:
le gendre doit éviter
de prononcer le nom de sa belle-mère, de ses belles-soeurs ainsi
que les noms des tantes paternelles et maternelles de sa future
épouse.
I l doi t
également les ménager à tous les ni veaux, quel que
soit leur âge. I l lui est interdit d'avoir des relations sexuelles
avec ces personnes sous peine de sanction. En réalité,
il s'agit
pour la société de veiller aux règles établies.
Pour l'anthropologue John Beattie, l'évitement repose
davantage sur le fait que gendre et belle-mère appartiennent non
seulement à des
groupes
différents mais aussi sont de sexe opposé.
L'affirmation de l'auteur semble justifiée par l'absence de règle
rigoureuse d'évitement du père de la femme et des parents mâles
en général.
En ce qui concerne la fille,
le problème ne se pose
pas car il est toujours exigé d'une feITJne le respect et l'humilité
vis-à-vis du père de son mari.
Enfin,
le futur gendre doit être
généreux et les cadeaux fréquen ts aux parents de sa femme entre-
tiennent les bons rapports,
car l'influence de ces derniers est
prédominante.
"
Qu'en est-il du schéma de comportement prescrit aux
futurs conjoints?
Le futur époux a le devoir de pourvoir à la subsis-
'.
tance de sa future épouse durant le séjour de celle-ci chez ses
parents.
Dans
la société traditionnelle abs,
i l doit se distin-

138
guer particulièrement à la chasse
: le don fréquent de gibier
est un moyen efficace pour entretenir les relations et cela té-
moigne aussi que l'on est un parti irr6sistible.
Il convient de
noter que la distribution du gibier en pays abE se fait de façon
formelle.
La coutume veut en effet que la ceinture pelvienne
(Y~lJ) soit attribuée à la future épouse. Pour l'AbE, le pelvis
constitue le si~ge de la conception, du développement du fœtus.
Il semble que ce qui est ~ymboliquement souligné ici ce soit le
fait de rendre hommage aux vertus de procréation de la femme.
En outre,
le futur époux doit resserrer ou réaffirmer
constamment les liens par des cadeaux de valeur à sa future épou-
se. Concernant la générosité du futùr époux, nous ferons nôtre
l'affirmation de H. Mouezy à propos des Essouma
"Les bons ca-
deaux entretiennent l'amitié ou la font naitre.
La jeune fille
ne doit pas être négligée,
surtout si elle manifeste de l'aver-
sion pour le futur qu'on se propose de lui donner.
Des po~nades,
des mouchoirs de tête en soie,
des fards,
des parures apprivoiseront
la récalcitrante. Les cadeaux seront renouvelés le plus souvent
possible,
chaque quinzaine,
chaque mois. Celui qui manquerait de
libéralité serait considéré comme un parti peu acceptable" (1).
,~
D'autre part,
si le futur époux a hâte de voir l'union se réa-
liser,
il n'ignore toutefois pas les difficultés que cela im-
plique.
Il doit lui assurer un ménage 00 rien ne manque,
du
moins dans un premier temps: une maison, des provisions, cons-
tituent l'essentiel de sa tâche. C'est ainsi qu'il s'emploie à
(1)
Mouezy
(H.), Assinie et le royaume de Krindjabo,
2e éd.,
Paris,
Larose;
1953,
p.
248,
281
p.

139
couper des régimes de graines de palmier desquelles sa mère
extraira l'huile pour la préparation de
la nourriture quoti-
dienne et du savon.
De son côté,
la future épouse se voit oc-
troyer par son futur
beau-père une portion de terre qu'elle doit
mettre en valeur.
Sa mère profite de l'occasion pour l'initier
a~x tra~aux champêtres: elle l'aide donc à cultiver la banane
plantain,
le manioc,
le taro et les
légumes ainsi que l'igname
qui est un don du futur époux en vue de célébrer la prochaine
fête.
Pour le d3id3a,
la cérémonie solennelle de l'igname,
l'homme ou sa famille doit apporter à
la future épouse un com-
plet de pagne et un foulard assorti ainsi que tous
les objets
servant à
la préparation de la purée d'igname,
à
savoir,
igname,
guirlande de poissons,
ceinture pelvienne fumée ou fraîche d'un
animal,
huile de palme,
piment séché et des plantes aromatiques
telles ~ue le akpi et le kpao,
spécifiques à
l ' a r t culinaire abE.
Actuellement les gens aisés ajoutent à ces objets des dons en
espèces.
La fête de
l'igname constitue donc un élément détermi-
nant dans
l'évolution des rapports précédant
le mariage et
marque un tournant important dans sa décision
:
au terme du
d3id3a
en effet,le père de
la fille prend l'initiative d'envoyer
un message à
son futur gendre pour le rappeler à
l'ordre,
notam-
ment au paiement de
la compensation matrimoniale ou mbd. Ce
rappel à
l'brdre se
justifie par deux raisons.
La première rai-
son d'ordre économique,
peut s'expliquer sans doute par la né-
cessité de remonter
le courant après une période de dépenses

140
excessives. La seconde, d'orclre social, est d'éviter l'''e jigbJ
mE",
littéralement,
la "grossesse à mi-chemin", c'est-à-dire
avant la consommation du mariage, considérée comme une atteinte
à l'honneur des parents. Comme nous le verrons,
la nudité
(ngbetE)
est une pratique courante en pays abE lors de la publi-
cité du mariage.
En fait,
elle a été instituée dans le but de
complimenter la jeune mariée pour sa
conduite exemplaire et non
pour des raisons esthétiques si l'on se réfère aux dires de nos
informateurs
La plupart affirment en effet qu'une femme
enceinte ou une fille-mère se prêterait difficilement à cette
cérémonie solennelle. Toutefois
il semble que le fait de con-
duire l'une ou l'autre chez son mari à la tombée de la nuitrré-
vèle non seulement la tristesse de la situation, mais aussi une
façon de les sanctionner. L'air que chantent ironiquement les
importuns ~tteste le privilège social de la jeune mariée par
rapport à la femme enceinte ou la fille-mère
:
~
/
Ese

ewu
a
!
Venez constater
Mabue
? Qu'est-ce que c'est?
E/igb~ ml ; ! Une grossesse prématurée
Il en ressort deux remarques
importantes
: la virgini-
~
té apparait comme une qualité en pays abE bien qu'elle ne cons-
titue pas la règle fondamentale du mariage. Nous voyons également
que si la procréation demeure le but essentiel du mariage,
l'idéal est que la femme conçoive pendant la vie conjugale.
Pour éviter le danger et apaiser leur inquiétude,
les

141
parents de la fille ont intérêt à ce que le mariage ait lieu
rapidement.
En général,
ils fixent un délai de trois sCc;maines
afin de permettre au futur gendre ou à ses parents de réunir
les biens indispensables à l'accomplissement du mariage.
Nous pouvons affirmer que la demande en mariage telle
qu'elle se présente chez les AbE diffère absolument des fiançail-
les européennes aussi bien dans .l~ fond que dans la forme.
Plus
qu'une promesse mutuelle de mariage,
il s'agit en fait d'une
anticipation sur le projet d'union, dont le but est de mettre
l'individu devant ses responsabilités. Comme nous l'avons vu,
la responsabilité vis-à-vis du partenaire comporte des obliga-
tions sur le plan social.
Etant donné la rigueur de llengagement,
il n'est pa~ étonnant d'assister à une rupture éventuelle de la
demande en mariage. Cependant,
lorsque l'un des futurs époux
faillit à son engagement,
il doit offrir un mouton à l'autre
pour le, dédommager de l'abus de confiance, puis,
une somme d'ar-
gent pouvant varier entre 10.000 et 15.000 francs C.F.A.
si la
victime est la fille.
L'acte de dédommagement s'accompagne d'une
cérémonie appelée liSE: Ji
YOIvO",
signifiant II pren dre un bain'~ Il
consiste à purifier la fille et lui donner une nouvelle chance
de rencontrer un soupirant.
En outre, dans une société 00 la fem-
me est considérée comme un être inférieur,
il semble que cette
mesure vise également à la protéger contre l'autorité abusive de l 'hCX111le.
En guise de conclusion à ce chapitre, nous rappelons
que notre but était d'indiquer les rituels et les gestes indis-
pensables à la validité du mariage.
Dans une société 00 l'on se
base sur le symbolisme pour expliquer la réalité concrète, 00

142
le souvenir d'un évènement important repose sur des actes formels
et non sur un témoignage écrit,
il est évident que ces actes et
ces gestes représentent pour ses membres un système de références
et de valeurs précieuses.
La nécessité d'étudier le processus du mariage nous obli-
ge à aborder ce qui constitue l'institution fondamentale la plus
connue du mariage : la compensation matrimoniale.

143
\\
C - ~~Q=Q~=ÇQ~~~~~~~~Q~=~~~~~~Q~è~~~
En pays abE le mar iage impl ique absol umen t
le
paiement d'une compensation au père de la fille par le gar-
çon ou sa famille.
En termes précis/sans compensation, pas
de mariage officiel. Etant donné l'importance de cette ins-
titution,
il est indispensable de savoir la réaction des
AbE., face à sa suppression légale par le décret N°64 -- 375
du 7 oct.
1964
(1).
Dans ce chapitre, nous distinguerons deux para-
graphes dans lesquels nous ferons intervenir au fur et à
mesure les résultats de nos enquêtes: nous traiterons donc
d'une part la signification de la compensation matrimoniale
chez les Abe. et, d'autre part,
sa composition.
1) Signification du Mbà
Avant d'analyser cette institution dans la socié-
té ab~ ,
il convient de faire une précision terminologique,
afin de la distinguer de la dot européenne, à laquelle on
l'assimile en général. En Occident,
la dot désigne l'ensem-
ble de biens qu'une femme apporte en mariage. Ces biens
offerts à celle-ci par ses parents ou par un tiers sont
(1)
Journal Officiel de la République de Côte d'Ivoire,
en date du 7 octobre 1964.

144
~lacés sous la direction du mari qui les lui restitue en
cas de divorce. Le terme de dot est donc impropre pour dési-
gner l'institution africaine qui consiste en un transfert
de biens au p~re de la fille pour conclure ou valider le
mariage. De meme le terme de "prix de la fiancée"
(bride
priee)
utilisé par les anthropologues anglo-saxons traduit
plus une transaction commerciale qu'un moyen d'obtenir les
services d'une femme
les parents ne vendent pas leur fille
et le mari non plus ne l'achète. Chez les AbE en effet,
le
fait que les biens sont restitués à l'homme au moment du
divorce d'une part, et l'obligation pour lui de conduire
la dépouille mortelle de sa femme chez ses parents d'autre
part,
rév~lent l'absence de tout caractère économique.
\\
Si les Abé ignorent l'origine du nom mbo,
litté-
ralement "la perle"
(1), donné à cette institution,
l'ana-
1
lyse de la valeur de cette parure dans la société abE ,
notamment dans le milieu féminin,
semble l'expliquer.
En effet, les perles jouent à la fois un rôle esthétique
et social. Du point de vue esthétique, notons qu'une femme
qui ne porte pas de perles autour des articulations, en
particulier autour des reins et du cou, est assimilée
physiquement à un homme, c'est-à-dlre dépourvue de charme.
(1)
Perles, ou pierres
d'aigri existent en pierre ou en
verre.

La canne à sucre
(1)
passe pour une plante attirante gra-
ce à ses marques circulaires qui rappellent les perles. A
ce propos, voici ce que dit l'anecdote:
Monsieur Canne à sucre
(Ngala)
et sa femme partent
en voyage. En chemin,
ils rencontrent des perles. Madame
Canne à sucre les enfile et demande à son mari de les lui
attacher autour des articulations. Après l'opération,
le
mari émerveillé par la beauté de sa femme,
insiste PJur qu'elle
en fasse autant pour lui. Telle est la raison expliquant
les marques circulaires que porte la canne à sucre
(2).
Hormis leur rôle esthétique,
les perles constituent
un signe de richesse : plus une femme en possède et plus
elle est respectée de ses compagnes, et de ce fait,
les
perles font partie des biens qu'on expose à la mort de celle-
ci pour l'honorer. Elles sont inaliénables et intègrent le
1
circuit des biens dont on hérite.
D'autre part, l'expression
"Me
éoériro-o mbo",
littéralement "La perle de mon coeur"
que l'AbE emploie pour désigner un être qui lui est cher,
témoigne de l'importance
qu'on accorde à cette parure.
En fait,
le mto
constitue la compensation offerte
aux parents de la fille par l'homme ou son groupe,
afin de
combler en partie la perte subie par le départ de celle-ci.
(1)
Il s'agit du saccharum officinarum
(2)
Récit raconté par Mme AKPALA N'GBESSO, habitant le
village d'Ery-Makouguié II.

·146
Chez les AbE
, la fille est une "main-d'oeuvre" indispen-
sable, car tous les travaux ménagers lui incombent: c'est
elle qui assure la garde de ses cadets, va chercher quoti-
diennement de l'eau et du fagot pour la toilette et la pré-
paration des repas. Elle décharge donc en partie sa mère
des travaux ménagers. Voilà pourquoi toute épouse abt sou-
haite une fille parmi ses enfants et, mieux, qu'elle soit
l'ainée. Le fait de donner naissance à un enfant de sexe
féminin lors de son premier accouchement est signe de paix
totale et de stabilité du ménage.
On dit alors du couple que "son avenir s'étend
comme une natte"
(1)
ce qui signifie que les époux ont la
perspective d'un bel avenir. En revanche,
la naissance d'un
garçon est un évènement considéré comme un mauvais présage
qui dénote soit une union précaire, soit la mort de l'en-
fant. 1
Dans la société abE , la femme joue donc un rôle
économique crucial, et son absence a assurément des con~é­
quences lourdes dans sa famille.
Nos informateurs ont souli-
gné le fait que le paiement du mho est obligatoire pour tou-
te femme valide. D'après eux, une infirme n'y a pas le
droit: un homme contraint à s'en contenter,
faute de mo-
yens,
se met au service de son beau-père sa vie durant.
(1) Traduction littérale de 'Q 0 nE
fe
mpE
"

147
c'est dire que la compensation matrimoniale s'avère la
contrepartie du travail qu'effectue la femme au bénéfice
de son mari et de la famille de celui-ci.
Nous pouvons donc
affirmer que le terme de compensation correspond mieux à
la situation telle qu'elle se présente en pays abE .
Toutefois dans les citations que nous ferons,
nous conserverons celui de "dot" auquel certains auteurs
l'assimilent bien que cette pratique apparait incontesta-
blement comme l'inverse de celle qui a lieu en Afrique.
Le paiement de la compensation matrimoniale cons-
titue
l'acte décisif du mariage. Ainsi, dans une société
où règne l'esprit religieux, cet acte a lieu pendant un
".
jour faste:
tJa-tJa EKI5I
(1). Le paiement de la compen-
sation matrimoniale représente la véritable alliance non
seulement des époux mais aussi des lignages contractants.
1
Le mb~ témoigne à priori de l'accord des deux familles sans
lequel l'union ne pourrait se réaliser.
Le mbb peut être également considéré comme une
sorte de consolation:
le système de l'homonymie implique
que les enfants de la parente
dont la future mariée porte
le nom, ont droit à un dédommagement quel que soit leur
âge pendant le mariage de leur "petite-mère",
étant donné
que le départ de celle-ci entraine automatiquement le
".
(1)
EKISI
jour de repos pour les hommes:
ils restent au
village pour trancher les litiges/notamment discuter des
compensations matrimoniales. Quant au terme "tja-tJa n ,
il signifie "saint".

148
"sevrage" de ceux ~enus socialement pour ses propres en-
fants.
Cette attitude montre que l'individu n'est jamais
adulte.
Le fait de le séparer d'une "mère" pour qui i l
éprouve une très grande affection mérite un apaisement mo-
ral, une consolation de la frustration dont i l est victime.
La somme de" l ' amputation"que subissent les "enfants"
de la future mariée est désignée par un terme spécial
"amE
mE.
nyi
sc>",
(littéralement "retirer le sein de la bou-
che")
et signifie "sevrer". Elle ne dépasse pas en général
200 francs CFA.
Il est évident que cette pratique est vala-
ble aussi pour une fille-mère ou une femme ayant eu anté-
rieurement des enfants. Mais,
la compensation matrimoniale
sera moins élevée pour celles-ci.
En fait,
la compensation matrimoniale a pour ob-
jet d~ combler, du moins partiellement,
le vide créé par
l'absence d'une personne à la fois chère et utile
à
sa
famille.
Outre son caractère de don d'une importance secon-
daire,
la compensation matrimoniale reçue pour une femme,
a pour fonction principale de permettre à son frère ou à
un membre de son groupe, de se procurer à son tour une
épouse. En ce sens,
l'aspect d'achat n'est pas évident et
i l vaudrait mieux parler d'un système d'échange permettant
de généraliser un fonctionnement homogène.
Les rapports
d'inégalité entre ceux que Lévi-Strauss appelle
"donneurs

149
de femmes" et "preneurs de fenunes"
refutent également toute con-
ception d'achat.
L'équivalence entre la femme et la compensation
versée à ses parents à l'intention de celle-ci n'est qu'une illu-
sion pour les phal}ocrates qui pensent pouvoir ainsi s'ériger en
maîtres absolus devant leurs partenaires.
Dans la société abE en effet,
le paiement de la
compensation matrimoniale ne signifie pas que le gendre est
totalement indépendant vis-à-vis de ses beaux-parents, bien
au contraire, ces derniers profitent de la moindre faute
pour faire pression sur lui, notanunent le menacer de lui
arracher sa femme.
Le gendre reste toujours débiteur des
parents de sa fenune et de façon plus vraisemblable du groupe
allié : le groupe qui cède une femme occupe donc une posi-
tion privilégiée par rapport au groupe qui reçoit. La supé-
riorité que le premier manifeste à l'égard du second a pour
but d~ protéger la femme dans son rôle d'épouse et de mère.
L'aisance matérielle du mari et l'accroissement de son li-
gnage dépendent d'elle.
Sa productivité, aussi bien sur le
plan social qu'économique fait d'elle une personne indispen-
sable:
"Mieux vaut une femme laide qu'une maison vide",
atteste de nouveau le proverbe. L'importance sociale de la
femme est donc justifiée par ses qualités physiques et morales
ainsi que par sa vertu fécondatrice et non par sa beauté ou son
charme.
C'est donc dans un
sens d'utilité, de
contribution qu'il faut
voir la compensation
matriomoniale que
l'homme
verse
et

150
non de transaction commerciale qui identifierait la femme
à une bête de somme. En général les partisans de la compen-
sation matrimoniale la consid~rent à la fois comme une ga-
rantie et un témoignage de l'affection de l'homme. Ainsi,
un paysan de trente-deux ans environ affirme:
"5i l'on
est particuli~rement intéressé par un pagne, le seul moyen
de se l'offrir, c'est de l'acheter. Je n'identifie pas du
tout la femme à un objet. Toutefois la dot évite les conflits
susceptibles d'éclater entre les forts et les faibles:
les
premiers pouvant abuser de la faiblesse des seconds pour
s'emparer de leurs femmes sans que justice leur soit ren-
due. La dot constitue donc
le gage
que la femme m'appar-
Il
tient et que j'en suis enti~rement responsable.
De son côté, une ménagère fait cette réflexion 1
fort intéressante qui rejoint à peu près l'idée précédente
"Autant on lutte pour obtenir quelque chose, autant on en
prend soin.
Si l'homme ne versait pas une dot pour sa femme,.
il la considèrerait comme une simple concubine dont il se
débarrasserait aisément pour une autre. La dot est le té-
moignage de l'affection qu'il éprouve pour sa femme
(car il
~
Y a tellement de femmes
!)
et les sacrifices matériels
consentis font qu'elle impose du respect à l'homme. Elle
n'est nullement l'équivalent d'un achat car aucune femme
n'accepterait de se faire traiter comme une marchandise".
':~J:r::.• :--.~""
,-.. '~.,.

151
Pour ma part, cette convergence de vue sur la question,
aussi bien du côté des hommes que de celui des femmes, est
fondamentale.
Les opposants de la compensation matrimoniale
estiment qu'elle constitue un prix d'achat de la femme,
celle-ci étant assimilée à une chose que l'on peut s'appro-
prier moyennant le versement d'une somme d'argent.
D'ailleurs,
ils ne sont qu'une minorité, notamment des citadins:
12
Z
contre
B8
%
de personnes interrogées favorables.
Leur attitude hostile vis-à-vis de cette pratique s'explique
sans doute essentiellement par le fait que la ville offre
des conditions d'existence relativement pénibles d'une part,
et par l'insuffisance de ressources pour la majorité d'autre
part. Un fait est indubitable :
ils ne condamnent pas la
compensation matrimoniale en soi mais déplorent les manoeu-
vres des parents de la fille quant à la fixation du taux.
Cette déclaration, revenant sans cesse chez la majorité des
1
opposants révèle le fait qu'elle peut être effectiven~nt un
obstacle au mariage
"Qu'on laisse l'homme décider libre-
ment du don selon les moyens dont il dispose. Ce n'est pas
une vente aux enchères, mais un témoignage d'amour".
Parmi
eux, seulement une infime proportion de femmes soutiennent
qu'elles sont contraintes de rester célibataires en raison
de l'exigence tenace de leurs pères qui veulent se servir de
la compensation matrimoniale pour exploiter leurs futurs
gendres. Mais,
il faut l'avouer, ce cas est rarissime et
quand bien même le père ou son remplaçant exigerait une
compensation matrimoniale très élevée,
il n'aurait jamais

152
le sentiment d'une quelconque équivalence entre celle-ci et
la fille, mais un moyen d'affirmer sa personnalité. Comme l'a
souligné Terray
"L'affirmation de l'équivalence entre la
femme et la dot est donc une affirmation idéologique, par
laquelle le groupe proclame sa confiance dans la bonne mar-
che du syst~me de l'échange généralisé, ou sa volonté de
le voir bien marcher"
(1). La compensation matrimoniale ne
peut par conséquent équilibrer totalement la perte subie par
le groupe auquel appartient la femme. Si importante que soit
la somme versée,
il faut la considérer chez les AbE comme une
consolation des parents, une légitimation des rapports sexuels
entre l'homme et la femme,
un droit à l'autorité paternelle
sur les enfants
(2), une garantie ou le symbole du mariage,
et non une simple compensation comme le terme le laisse suppo-
ser. Les personnes favorables à cette pratique ont notamment
insisté sur le fait qu'elle exprime essentiellement un geste
1
accompli afin d'obtenir le droit de paternité ainsi que la
fécondité de la femme dont le rôle primordial est d'accroi-
tre la lignée de son mari. Quand L. Mair écrit " le prix de
l'épouse est le prix de l'enfant"
(3), elle semble avoir saisi
l'idée que veulent exprimer les indigènes mais, pour ma part,
dans un syst~me patrilinéaire, l'expression adéquate serait
(1)
Terray
(E), op. cit. p.2ü3
(2) Les enfants, nés de l'union d'un homme et d'une femme,
non consacrée par le versement d'une compensation matri-
moniale,
sont intégrés dans le lignage paternel de la
femme.
(3) Mair
(L), op. cit. p.
59

153
celle de droit à l'autorité sur les enfants. On achète donc
le droit à l'autorité absolue sur les enfants.
La compensation matrimoniale, qui apparait comme
une manière ostensible pour les deux familles contractantes
de matérialiser leur consentement mutuel à l'union et de la
légitimer par la même occasion,
résulte du transfert de biens
dont il importe, maintenant, à la fois de faire la connaissan-
ce et de voir l'utilité.
2)
Lô compos i tion du Hbà
La consolation des parents de l'épouse comporte
deux séries de biens: des biens en nature d'une part et,
des biens en espèces, d'autre part. Chez les Ab€
, meme si
ces deux genres de biens visent un but commun
(celui de réa-
liser le mariage),
leurs interprétations diffèrent par l'usa-
ge qu'on en f a i t :
les dons en nature symbolisent le mariage
et les dons en espèces servent de garantie pour le Inari afin
d'apaise r l'inquiétude des oarents de la femrne sur le sort de celle-ci. A ce
propos, Murdock note à juste t i t r e :
"Le prix de la fiancée
n'est pas seulement une façon de dédommager les parents de
la perte qu'ils subissent quand leur fille quitte la maison
pour se marier.
Il sert aussi, en général, à garantir que la
jeune épouse sera bien traitée dans sa nouvelle demeure"
(1).
Il est particulièrement intéressant de décrire le
processus du paiement de la compensation matrimoniale. Celui-
(1)
!'1urdock
(G.P.), op. ciL p.39.

154
ci comporte deux phases
: la phase préliminaire, qui con-
siste en des dépenses annexes, puis le paiement de la com-
pensation matrimoniale proprement dite.
En ce qui concerne la phase préliminaire,
le futur
marié et ses parents doivent effectuer une série de paie-
ments dont la valeur sociale est de renforcer d'une part,
l'union entre les deux parties contractantes, et, d'autre
part, de consoler d'une certaine manière les parents de la
fille,
de la perte qu'ils subissent. On distingue alors succes-
sivement : une amende résultant du règlement des conflits,
des frais d'entretien
(hébergement et nourriture)
et, enfin,
les frais de "sevrage".
Le but premier du mariage étant de nouer une al-
liance entre deux familles,
la phase préliminaire consiste
d'abord à règler les conflits passés ou latents entre celles-
1
ci. Les parents de la fille se montrent très exigeants en
statuant sur tous les différends même sur des banalités,
notamment pour avoir manqué de respect à un quelconque membre
ou avoir fait preuve d'une impolitesse notoire. Pour respec-
ter les convenances,
les parents du garçon doivent se plier
à la volonté de l'autre partie afin d'éviter les complica-
tions susceptibles d'intervenir. L'ensemble des altercations
est estimé à une amende globale appelée
S~bUE dont le paie-
ment peut s'effectuer en nature ou en espèces: selon la
gravité de la faute,
l'offensé peut obtenir soit un poulet,

155
soit un mouton,en guise de dédommagement.
Fixé à un taux
relativement élevé,
le
5~buE
atteint parfois 30.000 francs
CFA.
Il est fixé ainsi,
tout exprès, pour être débattu, car
il tombe finalement à une somme tout à fait dérisoire de
2.000 francs CFA ou moins quelquefois. En fait,
cette pre-
mière opération a pour but de permettre aux deux parties
de s'expliquer franchement en vue d'une réconciliation géné-
rale et définitive. En fait,
cela révèle le souci de fonder
ou de consolider une alliance sincère car,
très souvent, les
parties trouvent un compromis.
Ce qu'écrit Terray à propos des Dida s'avère per-
tinent chez les AbE
:"5ans doute de nombreuses querelles
éclataient entre les lignages constituant le village, mais
elles se terminaient le plus souvent par la réconciliation
des
"
adversaires. (1 )
La majorité des enquêtées ont souligné l'importance
pour elles de tenir compte de l'avis de leurs proches quant
au choix de leur conjoint.
Une jeune lycéenne de dix sept
ans affirme:
"Si mes parents s'opposent à mon mariage,
j'essaierai de leur faire entendre raison et, si malgré mes
tentatives de conciliation ils s'obstinent dans leur décision,
je ne leur forcerai pas la main. Les parents n'abandonnent
jamais /leurs enfants,
tandis qu'un homme ne s'embarrasse pas
d'une femme pour qui il n'éprouve plus d'affection".
C'est
dire que certains projets de mariage s'annulent sous la pres-
sion des parents,
ils ont souvent le dernier mot.
(1)
Terray
(E), op. cit. p.318

156
La seconde dépense concerne le remboursement des
frais d'entretien. Elle consiste d'une part à détruire
l'''agbamanu
tè",
littéralement,
"chambre de fornication",
car on pense que le père de la fille lui accorde provisoi-
rement une pièce pour y recevoir ses amants.
Restant désor-
mais libre, elle doit donc être démolie par le futur époux
qui restitue en quelque sorte les frais d'aménagement.
D'au-
tre part, il doit s'acquitter des frais alimentaires
(mpo mboho)
que les parents de la fille ont dû supporter de-
puis l'enfance jusqu'à l'adolescence de celle-ci.
Enfin, comme nous l'avons souligné précédemment,
le futur marié doit distribuer, en guise de consolation,
une certaine somme à tous les enfants de la femme dont la fu-
ture mariée porte le nom. Cette somme est appelée "amEmE
nyi S~"
c'est-A-dire le "sevrage". Notons que ces exigences concer-
nent uniquement une fille qui se marie pour la première fois
et les dépenses n'excèdent pas en général 1.000 francs CFA.
En revanche,
lorsqu'il s'agit d'un remariage ou du mariage
d'une fille-mère,
les deux premières parties des dépenses
sont éliminées d'office. Nous pouvons donc dire que ces paie-
ments ont pour objet de soulager les parents de l'amputation,
de la douleur causée par le départ de la fille.
Passons maintenant A la phase principale qui est
la remise des biens. Traditionnellement,
la co~pensation
matrimoniale était constituée de deux éléments essentiels:
le "ta"
(50 grs de poudre d'or),
\\
"
""
et 1'''eIenyv "
(2 grs d'or
ou de la monnaie). On peut également substituer A la poudre

15 j
d'or natif des pépites méticuleusement travaillées dont deux
variétés seulement sont destinées au mariage
: ce sont le
' y /'
,
t f chI et' l'euele (1). Deux de chacune d'elles équivalent au
,
ta,
c'est-à-dire une valeur de 50 grs d'or.
La remise de ces
biens à la famille de la fille suffit à légitimer le mariage
et à procurer au mari tous les droits sur sa femme ainsi que
les enfants qu'elle a engendrés ou engendrera éventuellement.
Il est nécessaire d'analyser l'étymologie des ter-
mes ti et
elény~ qui révèle sans doute leur portée. En
,
effet, en dialecte abe
,ta en tant que verbe signifie
"élever",
"éduquer". On peut donc supposer qu'il est destiné
à remercier les parents de la fille de l'éducation qu'elle
a reçue.
Pour ma part donc,
l'idée d'éducation semble justi-
fier plus l'élément déterminant de la compensation matrimo-
niale que celle de "caillou traditionnel", qu'il désigne
1
habituellement. Le tâ témoigne que la fille a été bien en-
tretenue.
La société exige par conséquent qu'une récompense
soit accordée à ses parents pour avoir assumé une responsa-
bilité si grande.
Le terme ~JénY;(de éJe : parts égales, et de
,
any~ :deux)
veut dire théoriquement complément du ta. En
d'autres termes,
l '
~jén y i5
1
est une partie du ta, d'une
(1)
(cf. photo 'J. 158).,

1) En petit plan : Deux
tJehT
(de
forme plate et carrée)
et deux
é6é1é
(en forme de fuseaux)
équivalant à SOg.
de
poudre d'or ou
ta,
constituent le symbole du mariage.
2)
En gros plan:
Colliers de
tfehi
et de
é ~élé servant
ordinairement de parure aux femmes notamment les nouvelles
mariées et les nouvelles mères.

159
valeur inférieure dans la mesure où elle ne vaut que deux
grammes d'or.
Il sert en principe à offrir de la boisson aux
témoins, c'est-à-dire les parents présents lors de la céré-
monie du versement de la compensation matrimoniale. C'est la
raison pour laquelle l'on exige désormais son paiement en
num~raires. Ignoré des jeunes, le terme d'éJén y 5
auquel on
a substitué celui de fia
nakwa
(argent, papier) désignant
la monnaie fudiciaire,
nous a été appris par les vieillards.
Son montant évolue considérablement d'une famille à l'au-
tre et suit le coût de la vie. D'après les dires de nos in-
formateurs,
le taux du fia nakwa était de 6 francs français
(le franc CFA n'existant pas à cette époque)
avant la deu-
xième guerre mondiale. Actuellement l'argent pour le maria-
ge triomphe du t; que l'on désigne également par le terme
de " Jia n;) ", (littéralement or, mère)(1),qui dénote clairement
l'imP9rtance de l'or dans la compensation matrimoniale.
On ne peut alors s'empêcher de se demander si cette situation
inversée s'explique par une nécessité économique ou par la
,
rareté du métal précieux susceptible d'inciter ses déten-
teurs à le préserver de la fièvre de collectionner de l'ar-
gent. Ces hypothèses ne vérifient pas les faits.
Si l'on en
croit les dires de nos informateurs, l'or n'a pas totalement
disparu dans le circuit des échanges matrimoniaux,notamment
en milieu rural, mais, certains parents préfèrent payer en
numéraires afin d'éviter les altercations qui interviennent
(1)
PrécisOns
que le terme
Sia désigne ici l'or et non la monnaie.

16 a
généralement à propos de la qualité de. l'or en cas d'un éventuel
divorce.
Les femmes interrogées ont exprimé, unanimement,
le dé-
sir que le paiement de la compensation matrimoniale soit effectué
désormais en espèces pour faciliter une libération rapide.
Une
paysanne affirme à ce propos
: "Chaque famille croit posséder le
meilleur métal et cela pose un problème délicat pour le divorce.
Depuis la mort de mon père, mon mari me mène durement.
Les parents
de ce dernier exigent le remboursement del'or.
Par deux fois,
mon
frère aîné a tenté de mettre fin à cette situation déshonorante
mais chaque fois,
la qualité de l'or proposée a été contestée.
Il
est évident que si cela avait été de la monnaie,
le problème se-
rait immédiatement résolu:
j'aurais emprunté personnellement de
l'argent à une personne plus aisée et lui aurais remboursé petit
à petit en faisant du commerce".
En ce qui concerne l'argent pour le mariage,
chacun
fixe, en fait,
le montant à- son gré. Actuellement on parle d'un
taux officiel suivant les cantons
(1)
dans le but de limiter les
abus.
Dans les registres de mariage, nous avons pu relever l'ex-
trême fluctuation de cette somme : en revanche,
une stabilité remar-
quable de la valeur de l'or.
Les déclarations sont les suivantes
(1)
TJof ~
50.000 F.
CFA ; M~riE ru:
12.000F CFA;
AbEve et
K~
:
25.000F CFA;
Krobu
:
5.000F CFA.
Les
tribus sont deVenues depuis la période coloniale des
cantons.

161
En 1946, N..• G..• originaire du village de lapo,
affirme avoir versé pour sa femme B . . . E ... , une compensa-
tion matrimoniale de :
-
750 francs CFA et 50 grs d'or.
(1)
En 1959, o ... P ..• du village d'Amagbeu verse pour
sa femme Y... A.••
-
42.000 F. et 50 grs d'or.
En 1963, K.•. M... de Grand-Morié paie pour son
épouse R. . . 5 ...
-
30.000 F., 50 grs d'or et 300 F. à la mère de
sa femme.
En 1965, K... T •.. de Loviguiélverse pour son
épouse T . . . A. . .
-
15.000 F. et 300 F.
(soit l'équivalent actuel
de la valeur de l'or en monnaie).
En 1968; R. . . Y... d'Ery-Makouguiélverse au père
de sa femme M. . . B•..
-
28.500 F. et 50 grs d'or.
En plus de ces valeurs,
il faut ajouter les mon-
tants évoqués précédemment et les bouteilles d'alcool
que les gens ne mentionnent pas généralement dans leurs
énumérations.
(1) Toutes les so~nes mentionn6es sont en francs CFA.
Rappelons que
1 F CFA = 0,02 FF

162
Plus de 60% des personnes interrogées estiment que
les montants sont raisonnables. Des raisons religieuses ex-
pliquent souvent l'attitude favorable à cette pratique:
"Tant que les parents du garçon ne satisfont pas à la volon-
té de l'autre partie, la femme n'a pas la bénédiction des
siens et ne peut concevoir, ou alors, les enfants qu'elle
engendre meurent" soutient une ménagère. En pays abE
, la
coutume exige que le montant de la somme soit débattu et versé
en deux tranches. Comme l'atteste le dicton
"On a beau
être riche, on ne verse pas la compensation matrimoniale en
entier : une portion aussi infime soit-elle, reste toujours
en suspens ou en réserve
( baJa)". Cette deuxième tranche
(dont le montant est faible)
n'est, en pratique,
jamais ver-
sée. Elle constitue une dette et son importance réside dans
le fait qu'elle permet aux parents de la fille de conserver
leur influence sur le gendre et sa famille et non d'empêcher
1
un malheur éventuel comme l'ont affirmé nos informateurs.
Comme nous l'avons vu,
le gendre reste débiteur des parents
de sa femme, ce qui permet à ces derniers de bénéficier de
son aide et de le dominer.
Nous rappelons qu'en pays abé ,
il appartient en
principe au père d'assumer le premier mariage de son f i l s :
c'est donc lui qui paie l'
asala,
la compensation matrimo-
niale ainsi que les frais de la publicité du mariage que
nous décrirons ultérieurement. Cette lourde responsabilité
incombant au père est d'une grande importance sociale chez

163
les AbE. En fait,
son action lui permet, à la fois,
d'acqu~­
rir du prestige et de renforcer l'autorit~ qu'il a sur son
fils.
Se sentant frustr~, le fils ne cache pas son indigna-
tion à son père qu'il tient à rappeler à l'ordre:
"Tu avais
les bras le long du corps quand j'allais payer la compensa-
tion matrimoniale de ma femme. C'est ainsi qu'agit un père
digne 1", dit-il. Cette phrase signifie clairement que le
père n'est pas concern~ par les affaires qui touchent à sa
vie conjugale qu'il estime strictement priv~e et qu'il n'a,
non plus, rien à esp~rer de lui. La r~action du fils à l'~gard
de son père se justifie par le proverbe :
"Il faut jeter en
amont pour r~cup~rer en aval". Cela signifie qu'il faut ren-
dre service à autrui pour qu'il vous en fasse autant à son
tour.
Nous ne saurions terminer ce chapitre en négligeant
le rô1e positif des dons en espèces dans le système matrimo-
nial. Si le t; vers~ pour une fille doit toujours servir à
procurer une femme à son frère,
l'argent, en revanche, offre
une garantie et contribue à une satisfaction g~nérale. Il
est distribu~ à tous les membres du lignage : la mère en
donne à ses co-~pouses et à ses proches, le père à ses frè-
res, à ses enfants et à ceux à qui il estime que sa fille
doit la vie, éventuellement un parent ~loign~ qui l'a gu~rie
d'une maladie grave. Finalement la quote-part reçue par
chacun peut varier entre 5 francs CFA et 500 francs CFA.
C'est dire le caractère originellement symbolique et pratique

164
des biens en espèces qui se révèlent comme un facteur de
cohésion du groupe de parenté.
Toutefois,
il ncus faut malheureusement reconnal-
tre que la compensation matrimoniale tend à devenir un moyen
pour certains parents de s'enrichir. A mon point de vue,
il
ne faut imputer la faute aux parents qui sont eux aussi pris
dans l'engrenage d'une évolution économique tellement rapide
que pour en suivre le rythme tous les moyens se révèlent
utiles. L'information et la formation restent les seules
voies pour parvenir à la restriction des abus et rendre ces
personnes plus raisonnables. Quant à la suppression légale
de la compensation matrimoniale, elle est condamnée, à mon
avis,
à rester lettre morte. Car,
il faut le dire cette
suppression théorique n'a eu aucun impact sur les habitudes
de la population abE
. Le fait que les paiements fortifient
l'alliance des deux parties et contribuent à la stabilité du
mariage demeure fondamental.
Pour l'AbE,
l'homme appartient
à un groupe homogène qui constitue la société,
il serait par
conséquent aberrant de ne pas tenir compte des contraintes
qu'impose la vie communautaire.
En tant que
symbole ou
légitimation du maria-
ge,
la compensation matrimoniale est la marque distinctive
entre l'épouse et la concubine
(Ke lEWà). Elle demeure un
facteur de stabilité du mariage, malgré les spéculations
relatives à son montant. On peut donc affirmer que le fait

165
de la supprimer, c'est encourager ou accentuer le nombre de
divorces et l'adultère de la femme. En outre,
l'émancipation
brutale de la femme peut créer des conflits entre les sexes
et favoriser ainsi une conduite désinvolte de la part de
celle-ci.
Face à cette dangereuse situation,
il est évident
que la compensation matrimoniale et l'ensemble des rapports
qu'elle impose constituent l'institution à la fois nécessaire
et indispensable assurant l'équilibre des relations entre
hommes et femmes. S'attaquer à la compensation matrimoniale,
c'est vouloir anéantir la dernière valeur des structures
sociales qui subsiste dans les sociétés africaines profondé-
ment transformées pendant la période coloniale. Nous souscri-
vons absolument à cette affirmation de Georges Balandier con-
cernant l'appauvrissement des structures traditionnelles
africaines résultant de la suppression de la compensation ma-
trimoniale :
"tl faudrait dire un nouvel appauvrissement,
1
faisant suite à celui qui a affecté les structures politiques
(concurrencées par les chefferies et l'organisation judiciai-
re administrative)
et les structures religieuses
(lorsque
l'action de conversion fut brutale et refusa l'adaptation)" (1).
La compensation matrimoniale ne saurait donc dis-
paraître. Loin d'être un marché, elle assure l'entente par-
faite entre les générations : les personnes âgées y tiennent
non pas seulement dans le but de préserver les coutumes
(1) Balandier
(G). Actualité du problème de la dot en Afrique
Noire, un Monde non Chrétien 21,
1952, P.
43
(pp.38-47)

166
ancestrales, mais aussi de conserver leur autorité. Ce sont
elles en effet qui discutent de la compensation matrimoniale,
en sont les témoins influents et débattent du montant. En
tous cas,
l'attitude des jeunes ne laisse prévoir sa dispari-
tion, même si, dans les milieux urbains, nous assistons à
quelques mariages libres semblables à ceux
qui ont lieu
dans les sociétés très évoluées. Ainsi,
la femme abE tient
à la compensation matrimoniale pour deux raisons essentiel-
les. La première, d'ordre psychologique,
s'explique par le
fait que la femme abe , quel que soit son âge, compte toujours
sur la bienveillance des siens pour la récupérer en cas d'échec
du mariage : son mari peut la délaisser tandis que ses parents
ne l'abandonneront jamais. On peut dire alors que c'est pour
assurer son éventuel retour au sein de sa famille qu'elle exi-
ge la compensation matrimoniale comme signe d'attachement à
ses parents. Aussi le choix est-il clair entre un frère et un
,
mari
:
"Le mari est la bague,
le frère est le bracelet
d'ivoire", dit le dicton. On trouve facilement une bague tan-
dis qu'un bracelet en ivoire se singularise par sa rareté.
La seconde raison du maintien de la compensation
matrimoniale repose sur des considérations d'ordre social:
en effet, elle permet à la femme d'affirmer sa personnalité
vis-à-vis du mari et de sa famille d'une part, et à l'égard
des amies d'autre part. En ce qui concerne les rapports avec
ces dernières,
le fait de vivre maritalement avec un homme
suscite le mépris et constitue la pire des injures qu'on
n'épargne pas à l'antagoniste dans les querelles.
Il en

167
résulte que les opposants de la compensation matrimoniale,
en particulier le gouvernement ivoirien doit diriger ses
attaques ailleurs. Actuellement, rien n'est moins sûr
que
le renoncement à la compensation matrimoniale. Les AbE y
tiennent comme le seul moyen de sauvegarder la tradition et
l'unité de la famille.
En effet,
son paiement manifeste le
consentement unanime des deux familles qui fixent ensemble
la date du transfert officiel de la mariée chez son mari.
o - LA PUBLICITE DU MARIAGE
======~===~============
Il existe en AbE un terme spécial pour désigner le
rite de la publicité du mariage :
"KDKo " qui signifie "beau~
~nouveau". Comme nous le verrons, ce rite se révêle très impor-
tant pour la jeune fille car il marque presque la rupture de
1
ses liens avec sa famille et par la suite l'affaiblisse~ent
des relations avec celle-ci.
Réservée à la jeune fille qui se marie pour ia pre-
miêre fois,
la publicité du mariage est interdite dans le
cas d'un remariage. C'est dire qu'une divorcée ou une veuve
n'y ont pas droit, car cette publicité ne peut être accomplie
plus d'une fois dans sa vie. Les AbE considèrent que le pas-
sage du célibat au mariage est un changement irréversible.
Nous avons vu précédemment qu'une fille enceinte ou une
fille-mêre ne peuvent pas non plus bénéficier de ce privi-
lège.

168
En effet, la publicité du mariage rehausse le mé-
rite de l'épouse au niveau social. Elle apparalt donc comme
le témoignage d'une conduite exemplaire qui explique la
fierté de ses parents.
En pays abE ,
la publicité du mariage comporte deux
rites essentiels: le rapt et le transfert de l'épouse.
1)
Le rapt
Le rapt ou kùkvni
(littéralement mariée, enlever)
a lieu la veille de la cérémonie officielle du mariage.
Il
.
/
existe un jour particulier pour ce rite : ep~
(1).
Tradition-
nellement, ce jour était tenu secret afin d'éviter un éven-
tuel scandale de la part de la jeune mariée. D'après nos
informateurs, certaines filles mariées contre leur gré ou à
qui les parents ont imposé un mari se seraient suicidées par
,
pendaison, d'autres auraient disparu sans laisser de traces.
c'est d'ailleurs ce qui explique aujourd'hui la souplesse
des parents. Nous avons assisté à plusieurs cérémonies rela-
tives au mariage et l'avis des intéressées a été pris en
considération. Actuellement la jeune mariée est informée de
la date de l'opération effectuée par le frère cadet de son
mari.
Il semble que la coutume lui assigne ce rôle en raison
(1)
La semaine abé est composée de six jours: éifa5J
épisà,
ô/à, ékisi, ~vo. Certains sont considérés

16~
du fait qu'il est susceptible d'h~riter de son fr~re et donc
de la femme de celui-ci. Le rapt repr~sente un aspect essen-
tiel, sinon le plus important. Il t~moigne de la valeur de
l'~pouse dans son foyer. Elle s'en sert comme argument pour
~vincer son mari et des belles-soeurs souvent acariâtres :
"Est-ce pour me malmener que vous m'aviez enlev~e à mes pa-
rents ? J'y vivais mieux et tranquille", dit-elle, en cas de
dispute.
En réalit~, le rapt signifie que la femme a ~t~
obtenue au prix d'une lutte acharnée. Sa pr~sence exige donc
un certain respect, de même que la compensation matrimoniale
exprime sa valeur sur le plan social.
Comment s'effectue l'enl~vement et quelles en sont
les cons~quences aussi bien pour la jeune mari~e que ses
parents ?
1
L'op~ration organis~e par l'h~ritier pr~somptif du
marié
(g~néralement son cousin, fils du frère du père)
se
d~roule vers dix-sept heures. Surprise,
la mariée se débat
et tente de résister, en vain, à son ravisseur qui l'entraine
avec lui. Celle qui se laisse emmener facilement subit des
injures comme sanction de sa conduite répréhensible. En gén~-
r a I ,
la mari~e crie, pleure et refuse de partir. Armés de
bâtons,
ses frères l'attendent au passage pour la libérer.
C'est ainsi qu'on assiste à une véritable bataille rang~e
entre les membres mâles des deux familles,
laquelle bataille

170
fait souvent des blessés.
Ils arrêtent les hostilités d~s
que le "fr~re" du marié réussit à franchir le seuil du domi-
cile paternel avec la mariée. Celle-ci n'y reste que pendant
quelques minutes car elle doit ensuite informer ses amies
des préparatifs de la cérémonie. Notons que dans le cas
d'une fille unique,
d3 E kwa(enfant, mauvais)
(1)
considérée
comme enfant porte-malheur, le rapt demeure encore
une action
secr~te, de même la récalcitrante n'est jamais avertie. Lors-
gue les époux ne sont pas originaires du même village, on
dél~gue deux proches du marié (k~kv tJa), dont un homme et
une femme,
pour simuler l'enl~vement. Ils passent la nuit
dans le village de la mariée et sont également chargés du
transfert de celle-ci et du cort~ge nuptial dans le village
du mari.
Les plaintes de la mariée, meme si elles relèvent
d'une Icertaine pudeur
(car souvent elle meurt d'envie de
rejoindre son mari)
se justifient d'une part, par le fait
qu'elle se sentira étrangère dans sa nouvelle demeure, et
d'autre part, par la peine que son départ causera à ses pa-
rents. Tout cela est pénible à supporter. Voilà pourquoi
certaines jeunes filles retardent leur mariage en tenant
momentanément en secret la venue des règles avérées comme
(1)
d~fkwa : fille unique,
fille dont les enfants engendrés
par ses parents n'ont pas survécu.

",
171
signe de puberté : le mariage, il est vrai,
leur fait perdre
la liberté dont elles jouissent pleinement chez leurs parents.
Il est évident que les parents éprouvent aussi un grand déchi-
rement, mais ils sont fiers de marier leur fille dont le céli-
bat pourrait nuire à leur propre réputation. Dans la société
abé ,
l'on tolère moins le célibat de la femme que celui de
l'homme:
leur état inspire à la fois la curiosité et l'irres-
pect.
Comme nous pouvons le constater, le rapt doit
s'interprêter non comme un acte d'agression, mais une façon
symbolique pour le mari d'exprimer le besoin qu'il éprouve
d'avoir sa femme à ses côtés. C'est ainsi que le jour sui-
vant, c'est-à-dire épiso, l'on procèdera au transfert de
l'épouse.
Comme dans toutes les sociétés, le mariage en pays
abE
est célébré solennellement pour marquer le changement
de situation. Ainsi le rite du changement de résidence ou
kDk~
tJe
00
(littéralement,
"mariée, village, conduire")
fait l'objet d'une fête qui dure trois jours. Cette fête a
été instituée moins dans le but de marquer un évènement heu-
reux que de complimenter la conduite irréprochable de la
femme.
Le fait de la choyer a pour objet de servir de modèle
aux autres.

172
Comment se déroule cette cérémonie ?
La famille du mari doit prévoir suffisamment de
place et de nourriture pour recevoir le cortège nuptial.
Pendant ce temps, au domicile des parents de la mariée, r~gne
une ambiance vivante:
les filles d'honneur
(kDkJd3Ele)
s'af-
fairent autour de la mariée
(kDkDnv)
pour lui faire la toi-
lette : cheveux méticuleusement tressés, auxquels on attache
des bijoux en or, des perles nouées aux articulations du
corps renforcent sa beauté. Quasiment nue,
la mariée ne porte
qu'un long cache-sexe d'un rouge éclatant et parée de bijoux
de la tête aux pieds. Aujourd'hui, la nudité
(ngbEtE
)
n'est
plus obligatoire car les mariées s'y refusent par pudeur,
mais elle se pratique encore dans les villages pour obéir
aux instigations de çertains parents qui tiennent à témoi-
gner le respect pour leur passé,
leurs traditions.
Les festivités commencent l'après-midi, car toute
la matinée est réservée à la toilette de la mariée, princi~
paIement sa coiffure qui vaudra à la coiffeuse une récompen-
se exceptionnelle: une bouteille d'huile, une igname et un
morceau de gibier fumé. Le cortège nuptial traverse la rue
principale du village en chantant :
1
Abo
mfo
mEo,
kVkononya
o!
Toute gracieuse,
la mariée arrive
Elle doit agir avec discrétion et simuler le fait qu'elle
se rend chez son mari à contre-coeur : elle se cache donc consta~lent
la bouche avec un morceau de tissu pour ne pas donner Inatière à
des commérages déplaisants.

173
La cérémonie religieuse se révèle le moment crucial
du rite. La soeur aInée du marié prend du vin de palme dans
un bol et invite les ancêtres de son lignage à bénir le ma-
riage de leur descendant. Elle passe ensuite le reste du vin
sur le bas-ventre de sa belle-soeur, ce qui signifie qu'elle
souhaite beaucoup d'enfants au couple. Ce rôle important
attribué à la femme témoigne de sa valeur dans la société
en tant que procréatrice,
la femme symbolise donc la fécon-
dité et ce rôle ne saurait être mieux assumé que par elle.
Bien que la femme soit considérée comme le sexe faible,
l'hom-
me abE lui reconnait tout de même le pouvoir de procréation
qui lui assure beaucoup de vénération sur le plan social.
Trois jours durant,
les kokod3€le
s'occupent de
la toilette et des repas de la mariée. On chante, on danse
du matin au soir. La famille de l'homme exprime son entière
satisfaction à l'arrivée d'une compagne notamment la belle-
mère qui porte sa bru en chantant :
Olokpa
nta,
mbù J u
ame mba
!"L'araignée s'est
,.
dédoublée,
je tiens fermement ma doublure"
C'est dire qu'elle sera désormais aidée dans sa
tâche pénible et persistante qui est celle du ménage. Quant
aux
parents de la mariée, ils saisissent la moindre occasion pour
,..
taquiner la famille du mari,
invoquan t dans leurs chansons
leur déception quant à l'accueil, qui leur
a été réservé. Il faut
noter que le mariage établit une parenté à plaisanterie entre
les deux familles contractantes,
celle de la fille se permettant
ces familiarités.

174
On chantera, par exemple
NopiE
Kpete
(bis)
Le gibier fumé
(bis)
Be
do>
(bis)
Il a beau être en quantité
considérable
(bis)
TV1V
mkpv
Il n'excède pas un charge-
ment.
Les membres du cortège nuptial obtiendront, au mo-
yen de ces chansons, une certaine amélioration de leur traite-
ment. Notons que pendant ces trois jours, la mariée partage
son l i t avec le frère du mari qui l'a enlevée, de même que
la "erihe w (l'héritière de la mariée)
le fait avec le marié.
Cette coutume n'a pu subsister en raison de la perversion
des moeurs
: actuellement les époux restent ensemble afin
d'échapper aux intrusions sexuelles.
Le mariage implique un changement de statut bien
que la femme mariée continue d'être appelée par son nom de
,
jeune fille. Ce changement est marqué par un rite appelé
,/
,
"oro !ikwvkwv"
,littéralement,
"le rasage de la tête" qui
a lieu le troisième jour de la publicité du mariage.
Pour
les Abe , le fait de raser les cheveux de la mariée signifie
au'elle se débarrasse de tous les malheurs qu'elle a eus au
cours de sa vie de jeune fille. Elle entre donc dans une
phase de la vie totalement différente de celle qui précède;
comme le note L. Mair, en se mariant on appartient à une caté-
gorie distincte à laquelle il faut inclure veuf ou divorcé.
Le rasage des cheveux témoigne non seulement d~une rupture
avec son passé mais aussi d'une
nécessité à son épanouissement:

175
"Le fromager coupé se rajeunit en donnant de nouvelles
feuilles",disent les Abe.
Toutefois au bout du quatrième jour,
c'est-à-dire
1
1
ava,
l'épouse devra retourner chez ses parents et ne rejoin-
dre de nouveau son mari que huit jours après.
Ce retour au
domicile paternel est désigné par une expression spéciale :
"Ne
tJe
obu
00"
(littéralement,
"elle restitue les tam-tam
au village").
Elle traduit,
en principe,
la brièveté du sé-
jour de la mariée,
atténuant ainsi l'impatience de son époux
de la conserver définitivement. On dit que la femme mariée
contre son gré,
profite de l'occasion pour voir régulière-
ment celui qu'elle aime et de ce fait le séjour dure parfois
des mois jusqu'à ce que son mari tente une démarche pour la
récupérer, car en général elles désobéissent aux instigations
de leurs parents. Toutefois ce 3éjour
Si avère
utile, car la
mariéè reçoit les derniers conseils de ses parents, qui l'ai-
deront à surmonter, d'une part la répugnance qu'elle éprouve
à se séparer d'eux,
et d'autre part les difficultés auxquelles
elle sera confrontée~.
A propos de la crainte du changement,
nous ferons
le rapprochement avec l'affirmation de Mme Paulme relative·
à la tribu Rissi
"Période assez instable que les débuts
de la vie commune. Le changement est brutal,
qui transforme
une jeune fille,
membre d'un certain lignage, habitant un
autre village. La femme se sent étrangère dans cette commu-
nauté où en principe, elle vivra toute son existence,
assumera

176
des responsabilités,
s'accomplira en devenant mère. Seuls l'y
attachent son mari d'abord,
les enfants ensuite"
(1). Ce
changement est bouleversant car se pose un problème d'intégra-
tion. La femme abt
n'est pas intégrée au lignage de son mari
où on la considère comme
une hôtesse passagère et en général,
elle ne participe pas aux discussions concernant ses membres.
Les femmes ne prennent pas cependant le mariage en aversion,
bien au contraire, le désir d'avoir un foyer, d'assumer des
responsabilités en mettant en pratique de longues années de
connaissances acquises dans le domaine des travaux domesti-
gues,
les préoccupe énormément.
La publicité du mariage apparait donc, non comme
un facteur nécessaire à sa stabilité mais comme un signe
de
prestige
chez la femme. En général,
la femme abl:
qui a subi tous ces rites, en parle avec une certaine fierté,
car cela reste un idéal irrésistible. Le faste qui accompagne
cette cérémonie révèle sa portée sociale, celle de réduire
le nombre des mères-célibataires. Si elle ne s'accomplit
qu'une fois chez la femme,
aucune règle n'interdit à l'homme
de jouer à plusieurs reprises le rôle de nouveau marié.
(1)
Paulme
(D.), Les Gens du Riz.
Kissi de Haute Guinée
Française, Plon, Paris,
1954, p.1ü1,
232 P.

177
E -
LA POLYGYNIE
(1)
:= === =:=:=::::: ::::==-=:::=
Comme nous l'avons signalé,
il n'existe pas de docu-
ments particuliers sur la situation matrimoniale des AbE,
non plus
le décompte des monogames et polygynes.
Le tableau sur ce sujet
concerne l'ensemble des Akan et ne signifie rien:
il ne reflète pas
la réalité matrimoniale et les conclusions que nous en tirerons sero~
sujettes à discussion.
Un dépouillement des recensements administra-
tifs apporterait des renseignements très intéressants mais le
travail à
réaliser serait monumental. Tout comme la compensation
matrimoniale,
la loi nO
64-375
du 70ctOhre
1964 stipule dans
son article 2, premier alinéa, que "nul ne ?eut con tracter un second
mariage avant la disolution du précédent~
En nous basant sur nos recherches et nos consta-
tations nous pouvons affirmer que la polygynie n'est pas
l'apanage des personnes âgées. Elle s'explique principalement
(1)
Ici une distinction terminologique entre polygamie et poly-
gynie s'avère indispensable.
"La polygamie~rappelle Marc
Augé,
est un terme général désignant toutes les unions
où le nombre de conjoints
(hommes et femmes)
dépasse un
seul couple".
"La polygynie,
poursuit l'auteur, est une
forme de mariage dans laquelle plusieurs femmes sont unies
à un seul homme,
chaque femme ayant le statut d'une épouse
légitime et ses enfants celui de descendants légitimes du·
mari".
Il s'agit donc bien de polygynie chez les AbE,
le
terme de polygamie pouvant prêter à confusion.
(Augé
(M.)
Les domaines de la parenté,
François Maspero,
Paris,
1975,
p.33,
140 P.)

178
par la fortune personnelle. Notons que la religion reste
sans effet sur le statut matrimonial.
En effet,
en se conver-
tissant au christianisme,
les ho~nes, les personnes âgées
en particulier,
ne renoncent pas à leurs femmes.
En général,
ils célèbrent les mariages
légal et chrétien avec la première
épouse pour des raisons religieuses.
Nous y reviendrons ulté-
rieurement.
Il est intéressant de noter qu'en dehors du ma-
riage coutumier basé sur le respect de la tradition,
l'inté-
rêt pour le mariage chrétien vient en seconde position
pour les ruraux,
notamment les hommes
(25%)
qui ne sont pas
monogames pour la plupart.
Comment les AbE
expliquent-ils leur attitude favo-
rable au mariage chrétien ?
Les raisons sont d'ordre économique: en effet,
un
des traits principaux du mariage chez les Ab€
est la sépara-
I
tion des biens.
Ainsi i l est inconcevable pour l'AbE de trans-
mettre automatiquement les biens d'un défunt à son épouse.
Aussi,
un Quvrier,
bigame,
souligne fermement:
"Seul le ma-
riage coutumier et à la rigueur le mariage chrétien apparais-
sent comme des choix judicieux:
lorsque je mourrai, mes
biens reviendront immédiatement à mes parents et non à
la
femme qui pourrait
m'éliminer physie:-uement et qui, de surcroît, en joui-
rait avec un autre homme".
Il ressort de cette affirmation
que ce que les AbE souhaitent,
ce n'est pas le mariage légal
qui conditionne le mariage chrétien mais plutôt ce dernier
qui ne nie pas les lois coutumières,
et en particulier le

l 79
transfert de l'héritage du défunt à ses propres parents.
On peut dire que le mariage chez les Abê comporte
un double sens. Son sens social se révèle prédominant, car
i l crée une alliance solide et durable entre les groupements
familiaux et les lignages. Le mariage a également un sens
personnel
: dans la société abc traditionnelle,
la possession
de plusieurs femmes est le signe principal de la richesse.
plus un homme dispose de femmes,
plus il acquiert un pouvoir
personnel, un prestige social. Nos informateurs affirment
que le nombre de femmes de certains chefs influents pouvait
atteindre la vingtaine. Toutefois le mariage polygamique de-
meure le plus fréquent.
Les arguments que les AbE donnent pour justifier
1
la polygynie sont nombreux et variés. Mais les principaux
relèvent de considérations d'ordre social,
économique,
philosophico-religieux et sociologique. Nous étudierons ces
différents aspects de la question sans toutefois négliger le
côté négatif de cette institution.
Dans la société abé traditionnelle,
la polygynie
est considérée comme le mariage idéal, dans la mesure où
elle permet à l'homme de prendre une s~conde épouse pour
lui faire des enfants, dans le cas où la première serait
stérile. Notons que les AbE voient en la stérilité une ano-
malie provenant de la femme uniquement: c'est donc un des

180
plus grands malheurs qui peut arriver au couple et le mari
a le droit et le devoir de la seconder par une épouse fécon-
de.
Le souci majeur de tout époux abE est en effet
d'avoir une importante progéniture, de préférence de sexe
masculin, afin d'accroitre et de perpétuer son lignage.
Car, les enfants constituent la force et le prestige du pè-
re. Ainsi,
le proverbe atteste :
" La petite rivière fait la
force de la grande rivière". Si les démographes contestent
le fait que la polygynie n'a pas d'impact considérable sur
l'accroissement du nombre d'enfants, une minorité des inter-
viewés
(12%)
la veulent cependant en avançant comme justi-
fication qu'elle est le meilleur moyen d'accroitre rapidement
le nombre de sa progéniture.
Pour l'époux abé
, l'objectif
principal du mariage est d'assurer sa descendance. Car, à
la mo1t de l'époux-père, les enfants doivent à leur tour ga-
rantir la continuité du lignage, la résidence paternelle ne
devant pas disparaitre.
Rappelons que la perpétuation du
lignage dépend des seuls éléments masculins,
les filles
en étant exclues par leur mariage : les hommes héritent des
terres,
succèdent dans les fonctions et transmettent leurs
noms. Pour l'AbE,
les ancêtres reviennent à la vie par le
biais des enfants auxquels on attribue généralement leurs
noms. C'est la raison pour laquelle un père qui n'a que des
filles se voit obligé de contracter un second mariage dans
l'espoir d'avoir aussi des garçons. La possession de nombreu-

181
ses f C' min e s rJ 0 i t
ë t r e <l u s s i c 0 n s i cl (. rée c 0 mm e u n a ete soc i a l e t
non seulernent personnel
: la présence de femmes mari~es renforce
eneffet le groupement familial et leurs enfants empêchent sa dis-
parition.
Parmi les justifications d'ordre social,
l'aide
apportée à
la première épouse est prédominante. Ainsi,
52 %
des hommes ruraux et 34 %
des feMnes, notamment les rurales,
approuvent la polygynie en raison du fait qu'elle rédui~ les
charges qui incombent à la femme et implique une assistance
mutuelle. L'attitude des femmes à l'égard de la polygynie
est en général assez souple. S'agit-il d'une résignation,
en ce sens que la décision de prendre une seconde épouse ap-
partient au mari, ou réellement d'une façon de se libérer
en partie? La seconde hypothèse semble l'emporter. Etant donné
l'importance des travaux qu'effectue la fe~ne dans le ménage,
elle sollicite la présence d'une co-épouse qui pourra la
décharger partiellement, et à qui elle pourra également
confier momentanément la garde de ses enfants. Ainsi, une
citadine dont le mari est monogame expri~ sa désolation de-
vant sa situation qui l'empêche d'accomplir certaines actions
bienséantes:
"J'ai cinq enfants en bas âge dont je m'occupe.
Je ne peux donc,
ni participer à des funérailles,
ni rendre
visite à mes proches. A leurs yeux,
je suis une ingrate. Si
j'avais une co-épouse le problème serait résolu".
D'autre part,
pour l'homme abE vivant pri.ncipalement
du fruit de ses plantations,
la polygynie apparait comme un

moyen efficace de se faire aider dans les travaux champê-
tres. Son efficacité se situe à un double point de vue
:
d'abord,
elle permet à l'homme d'avoir de nombreuses épou-
ses pour accroitre sa richesse, car celles-ci constituent
une main-d'oeuvre sûre et appréciable. Ensuite, ces femmes
engendreront des enfants qui participeront activement à leur
tour à l'économie familiale.
Le phénomène s'est beaucoup accentué avec l'intro-
duction des cultures industrielles qui nécessitent des plan-
tations plus vastes. Très souvent les hommes expliquent
leurs mariages successifs par des nécessités d'ordre écono-
mique. La situation décrite par Forde chez les Yakb convient
à celle des Ab~
:
"Les mariages nombreux sont, pour un homme,
un indéniable avantage pour l'entretien d'une grande plan-
tation chaque année . . .
Il arrive que les hommes expliquent
leur iécent mariage en disant que l'augmentation de leur
récolte d'ignames, ou la mort d'une épouse les a obligés à
en prendre une autre sans délai"
(1). Cette explication que
donnent les hommes pour justifier leur statut de polygynes
ne vexe pas du tout les femmes,
elle renforce plutôt la
fierté de celles-ci, en réhaussant leur mérite. Chez les
AbE, on juge en effet le mérite d'une femme par son travail.
La fainéante trouve donc difficilement un mari.
En revanche,
une femme stérile mais laborieuse a de fortes chances de con-
server sa place auprès de son mari.
(1)
Forde
(0), Double filiation chez les Yakb,
In Systèmes
familiaux et matrimoniaux en Afrique,
P.U.F.
1953,
p.380
(p.373-432)

l83
La troisième justification en faveur de la poly-
gynie repose sur des considérations à la fois d'ordre méta-
physique et religieux. Le mari doit s'abstenir d'avoir des
relations sexuelles avec sa femme pendant les six mois qui
suivent son accouchement,
afin d'éviter une éventuelle
grossesse, gui la couvrirait de honte aux yeux de la société.
Il s'agit, en fait,
d'une mesure de planning familial permet-
tant à la femme d'éviter des grossesses trop rapprochées qui
nuiraient à sa santé,
ainsi qu'à celle de l'enfant qu'elle
porte.
La résidence paternelle est l'endroit idéal ou l'épou-
se-mère se retire pour se rétablir. Quant à l'abstinence
sexuelle obligatoire que cela implique pour l'homme, un enquê-
té condamne la monogamie en ces termes
:
"Une seule femme,
c'est de l'argile fraiche,
deux femmes,
c'est mieux". L'assi-
milation de la femme à de l'argile fralche révèle à la fois
sa nature délicate et l'embarras dans lequel l'homme peut se
1
trouver lorsqu'il doit obéir à certaines règles sociales la
concernant.
Il est évident que la possession de plusieurs
femmes lui permet de satisfaire ses besoins sexuels. Ainsi,
pour 7,25% des hommes, la polygynie se présente comme un signe
de satisfaction personnelle. En outre,
les AbE font un mystè-
re autour du sang menstruel de la femme
:
ils attribuent à
cette matière naturelle
(le sang)
un pouvoir surnaturel, de
telle sorte que les rapports sexuels sont interdits pendant
la période de menstrues. La femme qui a ses règles est dési-
gnée par un terme spécial:
kpafwo
(de kpa:
la brousse;
f
: verbe aller;
wo
:
individu). Cette appellation révèle

184
qu'autrefois,
la fe~ne qui avait ses règles se retirait
derrière la case d'où on apercevait souvent la brousse. Ce
lieu lui servait de foyer et elle s'y rendait durant toute
la durée de son cycle pour chauffer l'eau servant à sa toi-
lette et cuire ses propres aliments. Certains hommes inter-
disaient à leurs femmes non seulement l'accès de leur cham-
bre, mais aussi la préparation des repas et le contact des
objets qu'elle risquait de souiller. Aujourd'hui la coutume
est moins intransigeante,
notamment dans les centres urbains
et dans les ménages monogames.
Il est intéressant de noter
qu'au terme de son cycle menstruel,
la femme doit faire
des soins d'hygiène consistant à se nettoyer les ongles
(kuokua
funô ).
Peut-on alors dire que l'isolement infligé
à la femme pendant ses règles souligne la nécessité d'une rè-
gle d'hygiène? Pour ma part,
je pense que ce comportement
provient des croyances religieuses traditionnelles qui consi-
,
dèrent la femme,
en raison de sa capacité de procréation,
comme appartenant au domaine de tout ce gui est mystérieux,
caché,
redouté et redoutable. En réalité,
le fait qu'une
femme qui a ses règles est exemptée des activités domesti-
ques relève moins d'une règle d'hygiène que de la faculté,
qu'on lui attribue, d'annuler l'effet des amulettes. Certains
hommes prétendraient même avoir la toux ou une irritation de
la gorge en consommant accidentellement la nourriture d'une
femme gui a ses menstrues.
Un dernier élément également
redouté de la femme est son sexe. Celui-ci constitue un

165
moyen
dont dispose la felllllle pour influencer son entourage.
Offensée par son mari ou victime d'un vol,
d'une perte cruelle
(la mort d'un enfant par exemple),
elle utilise l'eau ayant servi
à sa toilette intime pour arroser les entrées de la maison en pro-
nonçant ces phrases:
"Si le coupable est vraiment le fruit d'une
femme,
il ne pourra survivre". Ces composantes naturelles
(le sang
et le sexe)
donnent à
la femme une image à
la fois appréciable et
redoutable
.
Enfin, des considérations d'ordre sociologique
peuvent inciter l'homme à avoir plusieurs épouses. La vie
communautaire 'impliquant des relations fréquentes,
les fu-
nérailles et les visites sont des occasions de retrouvailles.
Il est donc évident qu'une seule femme ne peut s'occuper
convenablement de tout ce monde. Le rôle positif de la poly-
gynie réside dans la répartition équitable des charges
1
entre les co-épouses au sein du ménage.
P.vant de
clore cette énumération relative au rôle
positif de la polygynie,
il nous faut souligner son impact
sur la vie politique des individus.Considérée comme
un des signes
principaux
de la richesse,
la possession de nombreuses épou-
ses inspire le respect et le prestige social. Comme nous
l'avons vu à propos des bl~gbi (riches), la richesse permet
d'acquérir un certain pouvoir personnel dans une société
peu hiérarchisée,
ainsi que l'a noté Georges Balandier dans
son étude sur la "dot" en Afrique Noire.

186
Si le mariage polygynique est considéré comme
l'idéal en pays abE, on n'ignore pas toutefois les consé-
quences néfastes qu'il engendre.
,
La stabilité du ménage polygynique repose sur
l'homme,
l'époux-père. Si, à la campagne,
les femmes contri-
0uent à la richesse du mari,
le problème se complique lorsqu'
en ville elles ne participent pas à la subsistance et que
toutes les dépenses familiales incombent au seul salaire du
mari. La justice devrait inciter le mari à distribuer équi-
tablement vêtements et aliments
(viande notamment)
à
ses
différentes épouses. Sa partialité est souvent la cause des
querelles entre les co-épouses. Ainsi une proportion non
négligeable de la population enquêtée se prononce contre la
polygynie, notamment les citadines
(100%). Les opposants
à la polygynie expliquent leur attitude par des considéra-
tionsld'ordre social et économique.
Pour ces derniers, en effet, qui représentent à peu
près 24% de la population,
les difficultés fréquentes d'être
souvent en contact avec le mari,
la jalousie,
les querelles
et les conflits permanents entre les co-épouses entrainent
le déséquilibre du ménage,
l'affaiblissement des liens entre
celles-ci .un~ institutrice, marié~et résidant en ville
déclare:
"La polygamie est une source de dépenses. Au vil-
lage, elle peut se concevoir car la femme cultive elle-même
ses produits vivriers.
En ville,
il faut tout acheter. En

187
plus,
avoir une co~épouse, c'est la pire des présences que
je peux souhaiter dans mon foyer,
c'est la terreur perma-
nente" .
En outre, au niveau des enfants,
le problème du
transfert de l'héritage est souvent à l'origine des conflits
et parfois même de l'éclatement de la famille,
à la mort du
père. Les enfants de chaque l i t s'affrontent d'autant plus
que les règles de dévolution des biens privilégient actuelle-
ment le fils ainé. Ce dernier a le droit de disposer de l'hé-
ritage de son père défunt s ' i l réunit trois conditions
d'abord,
il doit être marié, ensuite être jugé capable
d'assurer une bonne gestion des affaires de son père, et,
enfin, être exempt d'égoisme,
afin de s'occuper équitable-
ment de ses cadets. Mais, en fait,
il existe une différence
entre la gestion des biens et la jouissance des biens. Nous
traiterons ce point en détails dans le paragraphe relatif
aux relations entre parents et enfants au sein du ménage.
Précisons ici que dans le ménage polygynique ch~que mère .
forme avec ses enfants une unité "matricentrique" attachée
aux autres, par l'intermédiaire du lien conjugal au mari
commun. Certes des liens de solidarité demeurent entre ces
unités, mais, chacune constitue un groupement autonome.
Dans cette organisation familiale,
le groupe
"mère-enfants" parait plus marquant que le groupe "époux-'~pou­
ses". Ces liens avec la mère sont renforcés par la collabo-
ration et la participation à la vie commune : elle travaille

138
pour eux et avec eux. L'époux-père joue le rôle de pourvo-
yeur à la subsistance de la famille et d'arbitre dans les
règlements et conflits. Nous pouvons dire que la polygynie
est une source de dislocation au niveau des co-épouses d'une
part, et d'autre part, au niveau des enfants, en resserrant
les liens entre la mère et ses enfants au détriment de l'hom-
me dont l'unique prestige est d'exercer son autorité.
En considérant la conjoncture économique actuelle,
les hommes ne peuvent plus se permettre d'avoir plusieurs
épouses. La monogamie, présentée traditionnellement comme
un acte d'égoïsme, dont l'unique vertu est la tranquillité
du ménage, s'imposera donc toute seule. Dans les villages,
les jeunes gens,
en général, possèdent une seule femme. Le
nombre d'épouses par ménage n'excède pas généralement deux,
hormis une certaine catégorie àe personnes qui en possèdent
davanyage : quelques vieillards et des adultes relativement
aisés héritent parfois de la femme d'un frère défunt. A
Agboville,
les ménages de trois femmes sont rares,
la majo-
rité ne se limite qu'à deux également.
Il est intéressant de
noter que les interviewés, particulièrement les intellectuels,
ont souligné la nécessité de deux épouses au sein du ména-
ge pour des raisons personnelles.
Ainsi,
un comptable de quarante ans,
fait la remar-
que suivante:
"La polygamie est le seul moyen dont l'homme
dispose pour avoir des enfants doués d'une grande intelligence:

189
j'ai eu quatre enfants avec ma première épouse, mais, malheu-
reusement les trois premiers sont nuls à l'école. J'ai donc
pris une seconde épouse dans l'espoir d'avoir des enfants
dignes. Les deux filles
issues de ce second mariage m'appor-
tent actuellement beaucoup de satisfaction et cela me soula-
ge". Cette remarque est digne d'intérêt car elle justifie
l'attitude quasi-générale des intellectuels. Très souvent,
ces derniers se marient légalement avec la première épouse
et coutumièrement avec la seconde. Ainsi une interviewée
dont le mari est instituteur affirme avec une certaine
indifférence :
"Je suis la seconde épouse de mon mari. La
première est mariée légalement tandis que moi, coutumièrement.
L'essentiel est de trouver un mari que j'aime et qui m'aime
aussi. Mieux vaut souffrir la présence d'une co-épouse que
de rester célibataire. Après tout, on trouve toujours un
compromis". La hantise du célibat constitue la raison princi-
1
pale qui pousse certaines femmes à accepter la polygynie.
Il est évident gue,
si les hommes gui se marient
légalement prennent par la suite une seconde femme,
leur
comportement s'explique plus par le profit des avantages
sociaux
(tels que la réduction des impôts)
que le besoin de
privilégier une fen®e au détriment de l'autre.
Nous voyons donc que, comme la compensation matri-
moniale,
la suppression théorique de la polygynie n'a pas
eu d'influence considérable sur la population ivoirienne
et abê en particulier. Une suppression aussi brutale suscite
une situation nouvelle, plus pénible pour la femme et éprou-

190
vante pour l'homme: en effet,
l'apparition des maîtresses
auprès de qui l'époux passe ses moments de loisirs affaiblit
les liens conjugaux et grève le budget familial.
Elle favorise
egalement le développement du concubinage ou "union libre" pra-
tiqué davantage par les jeunes. Peut-on donc affirmer que mal-
gré les nombreux inconvénients qu'elle comporte, la polygynie
est un moyen pour retenir l'époux en famille et assurer l'équi-
libre budgétaire ?
C'est à tort que les opposants de la polygynie établissent
la
logique
entre celle-ci et la compensation matrimo-
niale. Marc Dumetz écrit à ce propos:
"Or, les riches n'a-
vaient eux,
aucune difficulté à prendre plusieurs épouses,
étant presque surs de triompher lors de la "mise aux enchères"
d'une jeune fille.
Dans ces conditions, on assistait à une
concentration des femmes au profit de quelques individus
disposant déjà de richesses,
tandis que les plus pauvres,
1
restant célibataires, ou ne parvenant à acquérir qu'une seule
femme,
ne pouvaient s'enrichir. Ainsi la société se trouvait-
elle bloquée"
(1).
L'analyse de la situation entre les riches
et les pauvres en matière de mariage apparait cohérente mais
exagérée. Nous ne croyons pas que la situation privilégiée
des riches entrave les désirs des pauvres de prendre plu-
sieurs fe~nes car on doit agir selon ses moyens. Aussi le
(1)
Dumetz
(M.), Le Droit du mariage en Côte d~Ivoire, Li-
brairie générale de droit et de jurisprudence, Paris,
1975, p.
74, 420 P.

191
proverbe affirme-t-il
"c'est là oü ton bras arrive que tu
coupes la branche".
De meme Lanzéni Coulibaly note que ce n'est ni
la polygynie, ni même la compensation matrimoniale qui
constitue un "frein au progrès social". C'est fondamentale-
ment leur combinaison
(1).
Si le législateur ivoirien affirme la liaison entre
la compensation matrimoniale et la polygynie, c'est sans
doute parce que la première est le moyen qui permet d'attein-
dre la seconde. Or, ce n'est pas dans le but de devenir polygy-
nes
que les hommes paient la compensation matrimoniale, mais
dans le but exclusif de légitimer et de valider leur maria-
ge.
Il s'agit donc de deux institutions absolument distinctes
la compensation matrimoniale
aun sens social
(établir des
liens entre les groupements .familiaux ) et la polygynie, un
1
sens personnel
(acquérir un prestige sur le plan socio-poli-
tique et économique).
En s'efforçant de faire évoluer le droit coutumier
vers un droit civil qui s'avère inadapté à la société, le
législateur ivoirien tend à déplacer la réalité. On ne doit
pas généraliser la monogamie, car le problème est différent
suivant les milieux et les catégories sociales. Supprimer la
polygynie, c'est porter atteinte à la liberté d'action du
citoyen. Le choix de la monogamie ou de la polygynie doit
rester strictement personnel, en tenant compte cependant de
(1)
Coulibaly
(L~ "Les traits principaux du nouveau droit
ivoirien de la famille",
Revue juridique, politique indus-
trielle et coopérative,
1967, p.76 et suiv.

192
plusieurs éléments,
économiques en particulier.
L'instauration de la famille de type conjugal
(c'est-
1
à-dire
oorrposée par le mari" 1J:l ferrme et leurs enfants)qut orcmettaJent les
rédacteurs du décret,n'est qu'une utopie. Dans l'esprit de
ces derniers,
le but véritable était de détruire les éléments
singuliers propres au droit coutumier,
tout en privilégiant
ceux du droit civil, et d'accorder un appui administratif aux
individus les plus hostiles aux conceptions anciennes
rela-
tives à l'organisation familiale. En fait, ils encouragent
l'individualisme,
les aspects personnels du mariage au détri-
ment de tous les aspects sociaux fondamentaux qui contri-
buent à sa
stabilité.
Pour terminer, nous insisterons sur le fait qu'en
ce qui concerne la polygynie,
l'espoir de la voir disparai-
tre repose sur l'action conjuguée des garçons et surtout des
1
filles qui fréquentent l'école. A la fois plus réceptifs aux
mutations de ce monde,
et soucieux, pour leurs enfants d'un
avenir plus conforme à la réalité sociologigup,
ii sauront grâce à
leur éducation, trouver la solution face aux contraintes qu'impose
l'évolution sociale.
Toutefois au sein d'un ménage polygyniqùe, seule
la première épouse jouit des prérogatives dues à son rang.

193
2)
L'in f l uence de la première é:.r0u se
Bien qu'étant
toutes
les épouses d'un meme homme,
des règles régissent les relations entre les co-épouses.
La première épouse exerce une certaine prééminence sur les
autres. Elles reçoit diverses appelations honorifiques qui témoignent de
son importance
:
fw~ oemE (épouse, ainée) ou [wu 00 (épouse,
mère du village), c'est-à-dire "maitresse de maison", en tant
que pionnière. Quel que soit son âge,
la première épouse
jouit donc des droits d'ainesse. Les autres épouses sont
désignées par des termes communs suivant leur ordre d'arri-
vée. Notons que chez les Abe ,la qualité de première épouse
n'est pas nécessairement attribuée à celle qui intègre la
première le domicile conjugal, mais à celle pour qui les
démarches matrimoniales ont été effectuées avant qu'elle
n'ait atteint l'âge nubile. L'influence de la première épouse
s'exeJce à deux niveaux:
au niveau du ménage d'une part, et
au niveau idéologique d'autre part.
En ce qui concerne son rôle au sein du ménage,
la
première épouse se voit confier une sorte de tutelle sur
ses co-épouses,
son mari et tous les enfants du ménage.
Toutes les décisions importantes relatives à son foyer sont
soumises à son appréciation, notamment l'arrivée d'une autre
épouse.
L'annonce du proch~in mariage du mari doit être
faite à celle-ci par personne interposée. En général,
l'homme
justifie son intention par son souci de fournir une aide à

sa première femme qu'il estime épuisée par les multiples tra-
vaux lui incombant. Ce serait lui manquer de respect que
d'affirmer qu'il éprouve de l'affection pour sa future épouse.
Par égard pour sa première épouse,
le mari délègue
un ami ou un parent auprès d'elle afin de lui soumettre son
désir. En général, celle-ci ne s'oppose pas au mariage car
son mari peut passer outre son refus en demandant l'appui de
sa famille. L'acquisition d'une épouse renforce en effet la
famille et une mère abE
ne conçoit pas que son fils puisse
être privé de ce privilège par égoisme :
"Mon fils n'est pas
ta propriété", proteste souvent la belle-mère.
Les formalités de demande d'autorisation ayant
été accomplies,
la première épouse conditionne son consen-
tement au mariage de son mari ou l'acceptation de sa future
co-épouse en exigeant des dons de celui-ci. Très souvent,
il
s'agit de dons en nature, consistant en l'offrande de plu-
sieurs "complets de pagnes"
(1)
et de foulards assortis dont
la valeur dépend des ressources du mari
La quantité de
tissus se réduit à trois ou cinq complets après discussion
avec les délégués
Actuellement,
les
femmes
ré-
clament une machine à coudre en compensation de la frustra-
tion qu'elles ont subie. Elles prétendent que
la machine
à coudre constitue une garantie pour leurs filles car elles
pourront apprendre la couture si elles ne réussissent pas
(1)
Un complet de pagne correspond à la demi-pièce du tissu
qui comprend au total douze yards.

195
sur le plan scolaire. Cette attitude a pour but de permettre
à
leurs filles de s'affranchir de la tutelle de leursépoux
en leur assurant l'indépendance économique. On peut alors
se demander si la femme abE ne désire pas son autonomie afin
de pouvoir se libérer facilement d'un partenaire peu accomo-
dant. Aussi assiste-t-on, dans les campagnes, à un exode
vers les centres urbains, de jeunes filles analphabètes ou
ayant quitté l'école pour une raison quelconque dans le but
d'apprendre la couture éventuellement.
Toutefois l'initiative de prendre une seconde épou-
se peut venir de la première. En fait,
ce comportement repose
sur des intérêts personnels. Ainsi,
une femme âgée sollicitera
la venue d'une compagne pour la décharger partiellement, de
même qu'une femme stérile en fera autant pour maintenir sa
place.
Comment la femme prend-elle cette douloureuse déci-
sion ?
D'après les dires de nos informateurs, certaines
femmes choisissent elles-mêmes une jeune fille pour qui elles
ont une admiration particulière et informent leurs maris
de la conquête.
Il lui appartient d'organiser ou de favori-
ser les rencontres.
Pour cela, elle use de tous les moyens
Dour se montrer agréable avec la f i l l e :
par exemple, elle
l'invite à manger ou lui envoie une pièce de gibier au nom
de son mari. Evidemment ce cas est rarissime et résulte d'une

196
conduite exemplaire de l'homme à l'égard de sa conjointe.
Quelles que soient les conditions de réalisation du projet
de mariage,
l'époux doit manifester sa gratitude en offrant
des présents à son épouse. Certaines femmes affirment qu'en
général,
le mari se montre plus aimable lorsqu'il a l'inten-
tion de prendre une seconde épouse, et il faut en profiter.
Comment l'entourage exprime-t-il son respect à
la première épouse ?
La {w i) 00 n;) veille sur les biens du mar i en son
absence. A la campagne, elle est légèrement favorisée dans
la distribution des gains de la traite~1~e même que dans
celle de la viande ou du poisson
: on lui attribue donc les
meilleures pièces du gibier. En outre, son privilège s'étend
aussi sur l'attribution des chambres. La première épouse
doit occuper la pièce contiguë à celle de l'époux. Dans la
1
répartition des terres destinées à la culture,
la portion
centrale lui est réservée,
lorsque le nombre de cO-épouses
excède deux. Cette situation révèle sans doute le rôle de
supervision qu'on lui assigne. Elle est le chef de la délé-
gation qui représente l'époux lors des funérailles ou d'une
manifestation quelconque qui nécessite la présence de
celui-ci.
La première épouse doit être traitée avec respect
par ses cO-épouses.
Elles doivent éviter de prononcer son
nom et même éviter de la désigner par le terme tJako, co-
épouse. Elles l'appellent soit par le nom de son premier
(1)
Vente de produits industriels: café et cacao.

i97
enfant
(exemple D.. . n~,mère de D... ), soit par "épouse de
R.. . ",
lorsque celle-ci ne possède pas d'enfants. Alors que
les autres s'interpellent en général par leurs noms,
appeler
la première épouse par le sien ou par tfa K~
signifierait
qu'elle est leur égale. Enfin, généralement,
les parents de
l'homme l'estiment beaucoup en raison du soutien moral et
matériel qu'elle lui apporte. On peut aussi interprèter
leur attitude par le fait qu'elle est l'élue des membres du
lignage de son mari pour veiller sur ses jours.
Au niveau idéologique,le privilège de la première
épouse s'explique par le fait que sa répudiation entraine-
rait incontestablement l'échec dans une entreprise quelcon-
que. Un vieillard disait : "Si tu répudies ta première
femme,
tu est sujet à des déconvenues. C'est pourquoi, on la
récupère souvent après le divorce afin de mettre bon ordre
à la situation".
Pour ma part, une telle attitude constitue
1
une façon de protéger la dignité de celle-ci en tant que
pionnière. La réussite de son mari dépend d'elle. En vertu
de sa position, elle détient un pouvoir magique
: lorsque
l'époux tombe sérieusement malade,
il lui apparttent de
lui donner les soins elle-même en vue d'une prompte guérison,
car son mécontentement à la suite d'une injustice du mari est
susceptible d'attirer sur ce dernier un cbatiment divin. Seul
le devin
(sarewo)
en fait la révélation et confie à la première
épouse le sort de son mari. Après quoi, elle confesse publique-
ment ses griefs et l ' époux doit lui promettre désormais
Son

198
attachement afin qu'elle consente à veiller convenablement sur
lui. Bien que les hommes soient unanimes à reconnaître qu'ils
n'éprouvent pas, pour toutes leurs épouses,
des sentiments égaux,
ils affirment qu'ils accordent ?lus d'importance à la première
épouse,
la considérant un peu comme une seconde mère,
celle
qui trouve les solutions à leurs problèmes.
Elle constitue donc
le pilier sur lequel repose le ménage,
la force de son mari.
Ainsi durant la fête des ignames,
la coutume, pour lui rendre
hommage,
fait d'elle la compagne privilégiée qui doit partager
le l i t avec son mari.
Cette pratique vise en réalité le souci de
paix et de réussite de la fête des ~gnames par une personne ez-
périmentée.
c'
~l
la première épouse a une autorité légitime, la pré-
pondérance de l'époux est incontestable. Mais cette autorité
contribue à maintenir l'équilibre et la stabilité du ménage.
En
imposant, en effet le respect vis-à-vis de la première épouse,
,
le mari cherche à renforcer son pouvoir cn ayant le soutien de
celle-ci. Ainsi,
dans un ménage polygame, on peut constater que
la négligence à l'égard de la première épouse conduit à des ri-
valités entre les co-épouses, chacune d'entre elles voulant de-
venir la favorite du mari.

T9.9
Tel que nous venons de l'analyser,
le mariage
apparait COmme un contrat dont le maintien ou la rupture
dépend de plusieurs facteurs.
Chaque conjoint peut donc deman-
der sa dissolution.
Séparation, en principe définitive, d'un homme et
d'une femme mariés,
le divorce n'est pas une institution
coutumière chez les AbE
.
Il serait en usage simplement tolé-
ré. Voilà pourquoi pendant le versement de - la compensation
matrimoniale,
les témoins, en l'occurrence les parents de la
fille qui la reçoivent,
insistent sur le fait que seul le
ta ou une infime partie de l'argent pour le mariage sera resti-
tuée
à la famille du garçon en cas de divorce.
Il peut
survenir du vivant des partenaires ou à la mort de l'époux.
1
Etudier le divorce en pays abs , c'est évoquer une
des caractéristiques essentielles du mariage,
son instabi-
lité dans une société où les parents désirent voir leurs filles
se marier relativement tôt pour sauvegarder leur réputation.
Nous avons pu recueillir des chiffres officiels concernant
le mariage légal, mais, encore une fois, ces chiffres ne
concernent qu'une minorité de la population. Jean Binet écrit,
avec juste raison:
"Ce serait pUr formalisme de n'accepter
pour mariages véritables que ceux enregistrés à l'état civil,
là où cette inscription est devenue obligatoire. Soyons lar-

200
ges et tenons pour vrais les mariages où les parents et les
époux ont l'intention de nouer un mariage tel que le définit
la coutume
(1). "
En effet,
le Tribunal d'Agboville ne cite que deux
cas de séparation légale définitive en 1974 et un
seul
en
1975 .. Dans ces deux cas, les conjoints sont AbE
. Enfin, on
note trois divorces pour l'année 1978-79. Précisons que ce
dernier cas fait mention de deux couples mixtes
(hon~es abë)
et d'un couple authentiquement abE . L'examen des dossiers
nous a permis de constater que seules les personnes exerçant
un emploi salarié,
acceptent délibérément de s'unir légalement
pour assurer l'avenir de leurs enfants. En comparaison avec
les chiffres évoqués ci-dessus, on peut dire que les divorces
sont relativement rares dans les ménages abË : en effet,
sur
un effectif de onze mariages légaux réalisés en 1978, seule-
ment ~rois mariages antérieurs ont été dissous dans la même
année.
En revanche, nous nous sommes intéressés particuliè-
rement à la mobilité matrimoniale des femmes.
Lorsqu'on
interroge une femme de quarante ans,
il est fréquent d'ap-
prendre qu'elle a eu plus d'un homme dans sa vie.
Que révèle le tableau de la 'situation matrimonia-
le ? Rappelons qu'ici encore, en raison de l'inexistence de
documents sur la situation matrimoniale des AbE
, nous avons
cru bon de nous référer de nouveau à celle du groupe Akan
dont les AbE constituent un sous-groupe.
(1)
Binet
(J.). Le mariage en Afrique Noire, Paris, Cerf,
1959
p.
145,
179 P.

TABLEAU ND]
- DEPARTEMENT D'AGBOVILLE - POPULATION TOTALE DES AKAN SELON LE
ri
10
N
SEXE, L'AGE ET LA SITUATION MATRIMONIALE
AGE
CELIBATAIRE
MARIE
VEUF
DIVORCE
NON DECLARE
TOTAL
Masculin
Féminin
Masculin
Féminin
Masculin Féminin
Masculin Féminin
Masculin
Féminin
Masculin
Féminin
00 à 14
22.826
20.339
8
84
-
3
-
6
2
3
22.836
20.435
15 à 19
3.238
2.069
94
1.238
1
12
5
74
4
1
3.342
3.394
20 à 29
1.673
820
1.702
3.520
15
62
35
229
3
7
3.428
5.438
30 à 39
374
246
2.529
4.478
37
133
67
178
2
-
3.009
5.065
-
40 à 49
180
148
2.598
2.522
50
296
68
162
2
2
2.898
3. 140
50 à 59
100
70
1.676
890
62
362
47
93
1
-
1.888
1.415
60 à 69
\\
68
81
918
245
62
328
29
42
-
1
1.077
697
1
70 et +
48
59
491
108
97
413
26
37
-
2
662
619
~\\D
14
22
Il
15
1
-
-
-
16
8
42
45
-
TOTAL
22.521
23.854
10.027
13.9 11
325
1.639
277
810
30
24
39. J 80
40.248
1
Source
Service de Statistiques de Côte d'Ivoire

202
En ce qui concerne le divorce,
deux remarques fon-
damentales ressortent de ce tableau.
La première est que
l'instabilité matrimoniale chez les femm~s apparait plus
importante que chez les hommes.
Nous pouvons le constater
par la comparaison des taux
(2
%
de femmes contre
l
%)
des hommes).
La seconde remarque atteste notre affirmation
selon laquelle le nombre de divorces croit considérablement
entre vingt et quarante neuf ans notamment chez les femmes
et décroit lorsque l'individu avance en âge.
Nous ne pouvons
aller plus loin dans nos conclusions,
étant donné gue les
chiffres qu'indique le tableau ne constituent pas tout à fait
la réalité d'une situation propre aux Abe.
Il aurait existé des procédés radicaux pour limiter
le divorce:
les vieillards affirment qu'un individu qui
changeait souvent de p;:rrtenairefl
était échangé contre des
marchandises acquises par l'intermédiaire des peuples lagu-
naires,
principalement Ebrié
(Bri),
Alladian,
Adioukrou
et Abouré
(Kad i)
(1). En
échange,
les par en ts recevaien t
essentiellement du sel, de la poudre pour les armes à feu et
des fusils.
Pour éviter donc une éventuelle séparation,
,-
certains parents endossent la responsabilité de choisir un
partenaire pour leur enfant dans une famille convenable;
D'autre pert, en raison du fait que la
corr:pensation
~atrimoniale
tend à s'effectuer actuellement essentiellement
en n umé rai re,
on peut se demander si ce facteur éconanique ne changera pas
sa fonction d'officialiser le rrariage. En effet, une enquêtée
souligne
(1)
Les termes entre parenth~ses sont ceux qu'utilisent les Abs
pour désigner ces peuples.

203
l'avantage du paiement en numéraire
de la compensation
matrimoniale en ces termes
:
"Je souhaite le paiement en
espèces.
Ainsi,
si mon mari a une mauvaise conduite ~ mon
égard,
s ' i l me maltraite et que mes parents éprouvent des
difficultés ~ restituer la compensation matrimoniale afin
que j'obtienne le divorce,
je me débrouillerai toute seule
pour réunir la somme nécessaire~ La compensation matrimoniale,
sous sa forme traditionnelle constitue incontestablement
un facteur moral de stabilité du mariage
: lorsque le mariage
est rompu par la faute de la femme,
la famille de celle-ci doit
restituer l'intégralité de la compensation matrimoniale au mari
et à sa famille.
Les parents de la femme tentent donc de réconci-
lier le couple,
au besoin, en faisant pression sur elle pour la
rai sonne r.
Dans ce chapitre,
nous étudierons successivement les
causes et les conséquences du divorce en pays abE.
1)
Les causes du divorce.
Les motifs susceptibles d'entrainer le divorce
sont multiples.
Ils relèvent principalement de facteurs
sociaux et psychologiques qu'il convient d'observer.
En
général,
la demande en divorce peut être motivée par l'une
.<
ou plusieurs des causes suivantes
: les châtiments physiques
infligés à l'épouse,
les injures concernant les sexes et
injures graves adressées aux parents,
l'ivrognerie,
l'impuis-
sance et la stérilité du mari,
l'avarice,
la participation cons-
tante à des
jeux d'argent,
l'adultère en récidive et la paresse

204
invGtérée de la femme,
le mauvais accueil réservé aux parents
du mari.
Avant d'examiner ces causes de manière plus dé-
taillée,
signalons les circonstances dans lesquelles le di-
vorce est accordé.
outre la répudiation,
l'abandon du domicile conju-
gal par l'épouse peut entrainer le divorce. Offensée ou acca-
blée de chagrin, celle-ci se réfugie dans sa famille pater-
nelle. Elle prend la précaution d'emmener certaines affaires
indispensables
(pagnes et bijoux)
et les enfants en bas age
si elle en possède, car le séjour chez ses parents peut durer
des semaines et même des mois. L'épouse explique à celui
qui a autorité sur elle, en l'occurrence son père ou son
remplaçant,
les raisons qui ont suscité son départ. Lorsque
celui-ci estime qu'elle a tort,
il délègue deux membres de
1
sa famille pour aller présenter des excuses au gendre. Tout
comme le transfert de l'épouse chez son mari,
les parents
de la mariée doivent s'abstenir d'intervenir personnellement
dans les tentatives de réconciliation du couple. Cette atti-
tude confirme, sans aucun doute,
les droits reconnus à
l'époux, notamment l'appartenance de l'épouse à ce dernier.
En général,
lorsque la faute n'est pas grave,
le mari accepte
le pardon et ordonne à sa femme de réintégrer le domicile
conjugal.
En revanche,
lorsque l'époux est culpabilisé,
il

205
ne se manifeste pas immédiatement de peur d'envenimer les
choses ou de provoquer la col~re de ses beaux-parents.
Comme dit le langage populaire "La nourriture s'apprécie
mieux quand elle est froide".
Il attend donc quelques jours
et délègue des parents ou des amis en vue d'une tentative
de réconciliation. En contrepartie,
l'épouse et ses parents
réclament des dons en nature
: une bouteille de liqueur pour
les beaux-parents, un complet de pagne et un foulard assorti
ou un bijou en or pour la fe~~e. Il appartient ensuite à
l'époux d'aller la récupérer chez ses parents,
bien entendu,
après la remise des cadeaux.
Le silence du mari apparait comme un manque de
considération à l'égard de la famille de la femme, qui lui
lance un ultimatum, meme si la femme n'est pas consentante.
En général, elle ne fait pas opposition à la décision de
son père au risque d'encourir la haine de ce dernier d'une
part, et d'autre part, de le blesser dans son honneur. La
vive réaction du beau-père oblige le gendre à se décider
et, cette fois-ci,
on exige que le litige soit règlé en pré-
sence des deux familles et des conjoints. Ouvrons ici une
parenthèse pour expliquer que dans le règlement des conflits
conjugaux, on donne d'abord la parole à l'homme en raison
de la supériorité qu'il s'arroge
pour l'Abs en effet, la
femme est un être inférieur et à tout moment elle doit
agir avec humilité.
D'ailleurs,
il parle de la femme avec
arrogance et l'usage du terme "{wu vifi",
exprime. l'infériorité

.206
de la femme par rapport à l'homme.
L'idée d'égalité entre l'homme
et la femme est inconcevable,
à
tel point que le sexe fort trouve
inadmissible une rixe de la part du sexe faible.
Une telle con-
duite ne demeure pas impunie.
Ainsi,
la femme idéale en pays abc
est la femme soumise, tolérante.
Les querelles conjugales donnent lieu à plusieurs
tentatives de réconciliation opérées par la famille du mari.
Lorsque celles-ci se révèlent sans succès,
les deux familles
interviennent alors ensemble.
En dehors des circonstances banales qui peuvent
motiver le divorce,examinons maintenant les causes donnant
véritablement lieu à l'introduction d'une instance en
divorce. Commençons par les sévices physiques car elles
dénotent un mauvais traitement de la part de l'homme. En
!
principe,
l'homme doit considérer sa partenaire comme le
sexe faible et s'abstenir de lui donner des coups violents
qui pourraient entrainer l'amputation d'un organe sensible
tel
que l'oeil ou la dent.
Les châtiments physiques fré-
quents et exagérés infligés à l'épouse sont donc socialement
interdits. En outre,
les injures concernant les sexes et les
parents constituent une des plus graves fautes qu'on peut
conm1ettre à l'endroit du conjoint. Le sexe constitue l'inti-
mité par excellence. Ordinairement, on le désigne par des
périphrases. Ainsi, on dit "agba",
littéralement,
"visage"
pour le sexe féminin ,"awDI" ,"l'avant", pour les deux sexes.

207
Insulter le sexe du partenaire, c'est porter atteinte à sa
dignité, révéler ce qui est secret, caché et profond dans
son existence. C'est aussi lui manifester son mépris, sa
haine. L'individu réagit donc psychologiquement à cette
offense qui touche sa vie intime par une légitime vengeance
la rupture.
De même,
les injures proférées à l'adresse des
parents donnent droit au divorce. Cette attitude traduit non
seulement l'attachement indéfectible de chacun des conjoints
à
sa famille mais aussi la fragilité des liens entre eux car
ils ont conscience d'appartenir à des groupes différents.
L'épouse abE est en effet toujours considérée comme une
étrangère dans le lignage de son mari malgré l'importance
du nombre d'enfants qu'elle a procréés, et,
nous pensons
que le soutien qu'elle manifeste à ses parents l'aide à
supporter moralement son isolement.
La vie conjugale implique de lourdes responsabili-
tés,
aussi la lucidité est-elle de rigueur. L'ivrognerie et
la réussite sociale sont incompatibles. On tolère moins
ce vice chez la femme que chez l'homme. En effet,
l'épouse
a de nombreuses préoccupations, notamment assurer l'éducation
des enfants,
et, cela constitue une tâche relativement
difficile. L'ivrognerie entrainant des défaillances physiques
et psychiques,
le ménage se trouve déséquilibré. Sur le
plan social, elle porte atteinte à la réputation de la famille,
car les enfants en font non seulement un complexe, mais en devien.-.

208
nent
L~s
victimes. Sur le plan politique,
l'ivrogne ne peut
accéder à des responsabilités importantes. La difficulté
du conjoint à se resituer dans la société reste donc le
point fondamental de la question.
Niangoran Bouah écrit :
"Le contrat de mariage
est un contrat de location dans lequel l'homme loue la
femme pour assurer sa descendance"
(1). Cette affirmation
révèle l'objectif principal du mariage qui est d'avoir des
enfants. Ceux-ci constituent l'unique lien qui rapproche
et retient les époux durant leur vie. L'idéal que recherche
tout couple abE est donc dlen avoir suffisamment, clest-à-
dire autant que Dieu lui en donne.
Bien entendu, on abandonne
de plus en plus
cette conception en raison des conditions éconcrni-
ques actuelles peu favorables. Toute:Fois les mesures
contraceptives
et l'avortement volontaire sont considér~s co~ne des trans-
gressions. En pays abE , le fait qu'un couple reste longtemps
1
uni sans procréer est une chose inconcevable. Un ménage
sans enfants démontre donc que le m2rj~ge a été un échec.
Autant le divorce s'obtient facilement pour un couple sans
enfants,
autant la présence de plus de cinq enfants le rend
difficile,
voire inadmissible.
Dans ce dernier cas,
les
parents et parfois tout le quartier intervient pour raisonner
les époux récalcitrants. Ainsi,
lorsqu'au bout de plusieurs
(1)
Niangoran Bouah
(G.), op. cit. p.1üS

·209
années de mariage,
la femme n'a pu concevoir, elle peut
demander et obtenir le divorce. Amon d'Aby fait remarquer
que chez les Apolloniens matrilinéaires,
la famille de la
femme impose un délai au mari,
à
l'expiration duquel le di-
vorce devient obligatoire si celle-ci n'est pas enceinte.
Chez les AbE également, l'initiative de divorcer vient en
fait des parents de la femme,
notamment sa mère qui a hâte
de voir sa fille devenir mère. Soucieuse et impatiente, elle
consulte des devins et fait d'innombrables sacrifices afin
que son désir se réalise. Car, en Afrique en général, et
dans la société abE en particulier,
l'honneur d'une femme
mariée dépend du nombre d'enfants qu'elle possède. L'action
des parents a donc pour but d'assurer un statut social à leur
fille. Considérée plus comme une malédiction qu'une maladie,
la stérilité féminine est souvent tolérée lorsque la victime
a des qualités, en P?rticulier lorsqu'elle manifeste de l'ar-
deur aJ travail. L'époux ne perd rien à la conserver puisqu'il
a la possibilité de prendre une seconde épouse. De même,
il
doit recourir aux guérisseurs sans reculer devant les frais.
Enfin,
les difficultés économiques ne constituent
pas une cause de divorce.
Néanmoins,
lorsqu'un homme néglige
volontairement sa femme et ses enfants, en cèdant à un vice
invétéré quelconque
(avarice, oisiveté, dette de jeu, etc . . . )
qui le détourne de ses devoirs conjugaux,
sa femme peut requé-
rir le divorce.
Notons que la coutume interdit le divorce
après un adultère
(wvkpe).
Il arrive souvent que pendant

210
l'ordalie annuelle destinée à détecter la probité de l'épou-
se en matière de fidélité,
certaines femmes dénoncent impu-
nément plusieurs rapports extra-conjugaux.
Seul le partenaire
est sanctionné en cas d'adultère et,
nous l'avons vu,
il
doit payer à
l'époux une amende de 5.000 francs CFA pour le
dédommager.
Toutefois,
le mari requiert le divorce pour adul-
tère en récidive de sa femme car l'infid~lité de celle-ci
déshonore le couple et nuit incontestablement à la stabilité
du ménage. En revanche,
l'époux jouit d'une grande liberté
sexuelle. On peut donc se demander si l'impunité en ce qui
concer-
ne l'adultère de la femme n'est pas une façon de pratiquer la justice
D'autre part,
la mort de l'époux n'éteint pas en soi les ef-
fets du mariage,
l'héritier étant jugé apte à prendre la
re-
lève
du défunt en raison de la pratique du lévirat. Notons
que la famille du défunt retient la V8uve à une double condi-
tion
: d'une part,
lorsque celle-ci a eu une conduite exem-
plaire ~urant sa vie conjugale ou possède beaucoup d'enfants,
et, d'autre part,
lorsqu'elle consent à épouser l'héritier
de son mari.
Le refus de l'une des personnes concernées
entraine automatiquement la liberté de la veuve qui peut alors
se remarier.
2)
Chez les AbE,
lorsqu'un homme répudie sa femme,
il lui remet un caillou
(~pu) pour confirmer sa décision de
divorcer d'avec elle.
La femme retourne donc dans sa famille
pour annoncer la nouvelle. Soigneusement conservé par la

211
personne qui a ~utorité sur la femme, ce caillou sert de
preuve à la décision prise par le mari.
En général,
la
remise du caillou se fait délibérément, c'est-à-dire après
que l'individu ait retrouvé son sang-froid.Contrairement au
mariage dont les démarches ont lieu chez les parents de la
femme,
celles du divorce se déroulent au domicile de l'époux
ou celui de son père.
A la suite de plusieurs tentatives de ré-
conciliation menées par les chefs de familles, on fixe une
date pour prononcer le divorce. En général on fait appel à
une autorité supérieure, en l'occurrence le chef de village.
D'entrée de jeu, on essaie une ultime réconciliation des
époux qui se solde très souvent par un échec.
Il est inté-
ressant de noter que,
lorsque les conjoints sont originaires
d2 villages différents,
le père délègue deux individus pour
accompagner et défendre sa fille.
Le cérémonial se déroule
publiquement et toute personne étrangère peut y assister.
Dès l'ouverture du débat,
le représentant du lignage de la
femme expose de façon formelle et concise l'objet de la
visite :
"Nous sommes venus vous restituer vos biens et récu-
pérer définitivement notre f{lle", dit-il à ceux qui ont
sollicité la rencontre.
Que le divorce soit prononcé au détriment ou en
faveur du mari, on lui restitue obligatoirement
une partie de la.
compensation matrimoniale. Le processus du divorce implique
deux r i tes fondamentaux : la resti tution des biens et l'ordalie.

212
al
La restitution de la compensation matrimo-
niale.
c'est à ce niveau que les querelles surgissent en
général entre les familles: on conteste la qualité de l'or
et la valeur de la somme due.
Le ta doit être intégralement
restitué,
soit les 50 grs d'or natif ou de parure. La pra-
tique qui consiste à rendre les biens au mari repose sur des
considérations magiques et psychologiques. Nos informateurs
s'accordent pour affirmer que le refus du mari de récupérer
l'or est une cause de malchance chez la femme,notamment
l'impossibilité de se remarier. Quant aux dons en espèces,
on revient sur les convontions établies au moment du paiement
de la compensation matrimoniale. Le montant varie suivant
que la femme possède des enfants ou n'ajamais conçu.
Ainsi,
dans le premier cas, un taux symbolique de 300 francs CFA
1
est demandé aux parents de la fille,
tandis que dans le se-
cond cas on réclame la moitié de la somme versée. Les biens
personnels de la femme ou offerts par le mari ne sont pas
mis en cause. Parfois,
il arrive gue l'homme n'apprécie pas
le départ de sa femme et il confisque tous les cadeaux éma-
nant de lui,
les pagnes et les bijoux en particulier. Tou-
tefois il s'agit là de cas exceptionnels de vengeance où
le mari délaissé soupçonne l'exj!=:tence
d'un rival.
Nous avions été témoins d'une telle action, mais
les biens ont été restitués au propriétaire quelques mois

213
pl us tard.
En ou tre,
à
la campagne,
la f enune 1 ibère le champ
aussitôt la rébolte terminée.
Enfin,
la garde des enfants
constitue un des points capitaux qui rend le divorce pénible.
Dans une société patrilinéaire comme celle des Abe
où le souci principal d'un homme est d'assurer sa descendance,
il n'est pas surprenant qu'on lui confie l'éducation des
enfants conformément au système. Seuls les enfants en bas
âge restent avec leur mère,
et,
très souvent,
elle les emmène
en mariage avec le consentement
tacite de son nouveau conjoint.
Ce dernier se charge d'eux jusqu'à ce qu'ils soient en age
de réintégrer le domicile paternel.
Chez les Ab~ ,
la validité du divorce n'est effec-
tive qu'à la suite d'un rituel appelé "dfu
di",
littérale-
ment "manger le fétiche",
et qui signifie ordalie.
b) L'ordalie ou l'épreuve de "fétiche"
L'usage rituel de l'ordalie appelé couranunent
"fétiche"
en milieu ivoirien consiste en des objets supposés
renfermer une force surnaturelle.
Les fétiches
jouent donc un
rôle magique,
celui de réprimer les abus et d'instaurer ainsi
des relations plus humaines entre les individus.
Il existe
plusieurs sortes d'ordalies mais toutes visent un but commun,
qui est de pénaliser l'individu ayant porté atteinte à la
vie d'autrui ou
à la société.

214
L'ordalie du divorce consiste à faire subir à la
femme une 6preuve de loyauté relative à sa vie conjuyale.
Elle concerne respectivement les biens
pris
en fraude au
mari,
l'envoGtement en vue d'un 6ventuel retour,
la promesse
de ne pas nuire à
la vie du mari par des moyens maléfiques
et les relations extra-conjugales. Les objets ut{lisés
diffèrent suivant les circonstances et les possibilités
une lampe à pétrole allumée, une calebasse pleine d'eau, de
l'huile de palme, une pépite d'or, un morceau de pain, ou
un oeuf plongé dans un récipient rempli d'eau. Au total;
il
s'agit d'objets d'un accès facile,
afin que l'effet soit inhibé
à
temps.
Tous ces éléments ont des effets différents,
basés
tous sur des considérations psychologiques dont il est inté-
ressant de donner la signification de quelques uns.
La pépite
d'or plongée dans l'eau occasionnerait des maladies mentales
(la folie) ~
le pain, un gonflement des tissus et l'oeuf, un
ballonnement permanent. En principe, un délai d'un à deux
ans est fixé à la femme inculpée de mensonges et,
ce délai
passé, celle-ci a droit à un dédommagement payé en espèces.
Mais, de tous les objets énumérés,
la pioche constitue un
danger redoutable,
attirant la foudre sur sa victime et pro-
voquant ainsi une mort violente.
On remarque que l'eau figure
dans tous les fétiches et ce,
sans doute,
en raison du fait
que l'eau constitue l'élément indispensable à
l'organisme
humain.
Ainsi,
la menteuse s'expose à un risque qui la con-
traint à
dire la vérité.

215
Il appartient au père du conjoint ou son représen-
tant d'inviter sa bru à subir l'épreuve. Cela consiste à en
faire le tour,
les pieds nus, car les Abé pensent que les
chaussures neutralisent l'action du fétiche.
Cette attitude
ne serait-elle pas psychologique,
étant donné le r61e pro-
tecteur assigné à cette matière ? Nous avons été tCmoins à
plusieurs reprises de confessions par ordalie. Ces déclarations
ont été faites par une femme qui a demandé le divorce en
obéissant aux instigations de ses parents qui accusent leur
gendre d'avarice. Elle exécuta l'action sur invitation de
son beau père en faisant précéder ses déclarations de la
formule traditionnelle suivante
:
"Voici le fétiche
(of u).
Qu'il me fasse faire une
confession publique si je cache la vérité. En revanche, que
je vive aussi longtemps que possible,
si je n'ai commis aucun
des défits dont on m'accuse",
et elle commença aussit6t
après sa confession:
"Si depuis mon mariage avec M •• ,
j ' a i eu des rapports sexuels extra-conjugaux dont je cache
le secret parce que
j'ai honte,
que le fétiche
me prenne.
Si j ' a i reçu des cadeaux de quelqu'un,
directement
ou par personne interposée,
qU'oJu
enregistre cela.
Si un autre homme est à
la base de mon divorce,
que je ne trouve jamais la paix et le bonheur le reste de
ma vie.

216
Si~ je prétends que j'ai beaucoup souffert avec
mon'mari et que,
plus tard,
je chercherai à le faire perir
avec l'aide d'un marabout
(kerbo
pie),
que je subisse moi-
meme l'effet du produit".
En général,
le rituel de l'ordalie est public.
L'épouse doit confesser ses pêchés en prenant la précaution
de ne cacher aucune faute,
au risque de porter plus tard
préjudice à sa réputation ainsi qu'à celle de sa famille.
§ous les encouragements de ses parents, elle déclare les
délits,
sans exception. La révélation du nombre d'adultères
constitue l'aspect singulier et intéressant du rituel. Sont
considérés comme adultère les cas suivants :
- Avoir des rapports sexuels extra-conjugaux,
-
Recevoir ou accepter des cadeaux, des caresses
sur les seins, les fesses, ou se laisser enlever
le cache-sexe même si on a été brutalisé
- De meme,
prêter l'oreille aux déclarations
d'amour faites directement ou par l'intermédiaire
d'autrui.
Notons que le mari est exempté de ce contrôle,
principalement en raison de la compensation matrimoniale
qu 1 il paye pour obtenir sa femme et de plus, la polygynie
est autorisée.
L'abE estime donc que la femme ne doit pas
pr~tendre à la liberté sexuelle réservée à l'homme.
L'absence d'adultère réjouit la fa~ille
de
la

217
felnme et confond le mari qui la voit partir avec un certain
regret.
En fait,
l'ordalie relative au divorce a une fonction
répressive:
en effet, elle sert à révéler que l'image de
marque d'un ménage dépend essentiellemént de la conduite
de la femme.
Elle incite donc les femmes qui y assistent à
rester fidèles à leurs maris,
car la déclaration d'un ou de
plusieurs adultères couvre la femme de honte et rejaillit sur
sa famille d'origine et sa famille de procréation en tant
qu'épouse et mère. Le processus du divorce se termine par
la libération de la femme et les remerciements.
Le mari exé-
cute le geste de libération considéré comme une sorte de béné-
diction,
car la femme s'agenouille devant lui pendant qu'il
déclare à haute et intelligible voix, devant les témoins,
au
représentant:
"Voici votre fille.
A partir d'aujourd'hui
elle n'est plus sous mon autorité. Qu'elle aille où bon lui
semblera. Si elle trouve un homme qui lui plait, qu'elle
1
l'épouse".
L'accomplissement
de ce geste est indispensable
à
la validité du divorce.
Puis la femme et la délégation
qui l'accompagne doivent remercier le mari d'avoir rendu la
liberté à
celle-ci. Quant à
l'administration du fétiche,
beau-
coup de ferunes,
libérées de la crainte des idoles, y renon-
cent actuellement dans les centres urbains.
D'ailleurs elle
devient facultative car tout dépend de la volonté du mari ou
de son père. Signalons que, de retour dans sa famille,
l'ex-
conjointe se fait raser les 6héVeux
pour marquer son change-
ment de statut.

218
Nous ne saurions terminer ce paragraphe en négli-
geant le rôle positif du rituel du fétiche dans la société
abé
, notamment dans la conduite de la femme.
Les épidémies
de choléra, de grippe, de mala~ies non identifiées, et notam-
ment les morts cons~cutives dans une année, donnent lieu à
l'exécution collective d'un rituel par les femmes. Ce rituel
dés igné par le terme spéc ial de "00 ya eny" ou "00
ya
oJ u"
(collectivité,
fétiche),
~st le moyen par lequel on agit
collectivement et unanimement contre les maléfices des sor-
ciers. L'action consiste à se regrouper de bonne heure,
entre trois et cinq heures du matin, et à aller torse nu,
d'un bout à l'autre du village,
en attirant la malédiction,
en particulier une mort tragique sur le ou les coupabies.
Notons que les hommes ne doivent ni participer à ce rituel,
ni y assister au risque de vivre dans la misère.
En réalité,
cette interdiction à
l'endroit des hommes a pour but de pro-
1
téger la pudeur de la femme.
Enfin,
il faut signaler l'exis-
tence d'une ordalie très ancienne dont la pratique est ré-
cemment interdite par les autorités administratives en rai-
son des nombreuses victimes qu'elle fait.
L'épreuve consiste
à absorber une mixture obtenue à partir des écorces d'un ar-
bre appelé d3é
(1)
d'où l'ordalie tire son nom.
En raison de
son effet immédiat~ on ne s'y refère d'ordinaire qu'en cas
(1)
Nom scientifique du d3~
Erythrophloeum guineense
(légu-
mineuse) .

219
de délits graves
: meurtre,
sortilège et vol. Les personnes
présumées coupables se retirent en brousse et boivent ~
tour de rôle la mixture du d3~ dont l'amertume constitue une
des principales caractéristiques. Ainsi, on assimile tout
produit amer au d3~' Nous avions recueilli le témoignage
suivan t
(J )
"Hommes et femmes restent en brousse pendant
deux jours, sans manger ni boire. Chacun boit un gobelet
\\
de d3e et attend que l'effet se produise: si tu es innocent,
tu rejettes aussitôt tout le mélange. Si tu es coupable,
tu
es victime d'un ballonnement et les autres te regardent souf-
frir jusqu'~ ce que tu meurs. On t'enterre en brousse. Seule
la femme enceinte est dispensée de la prise du d3~1I.
La seule différence entre l'ordalie concernant
l'utilisation d'objets manufacturés
(oJu) et celle du d3~
réside1dans l'effet immédiat de la seconde,
tandis que la
première se manifesterait tardivement,
probablement entre un
et deux ans. A propos de l'efficacité de l'ordalie, un pay-
san remarque
"Tous les
of u sont eff icaces, mais, celui
qui sévit aussitôt contre le coupable est le meilleur. Moi,
je redoute personnellement l'ordalie réalisée avec la pioche
(40)
qui tue sans délai en attirant la foudre sur le coupa-
bie. C'est une bonne chose car les malfaiteurs doivent être
(1)
Information reçue de M. Boni Etienne, chef de famille
dans le village de Loviguié II

220
sanctionnés". En dehors des conséquences néfastes,
l'ordalie
assure la sécurité des individus dans une société on il
n'existe pas de police.
De m6me, elle emp&che la transgres-
sion des règles sociales. Toutefois en ce qui concerne le
a3~' je souscris à l'opinion de M. Laburthe-Tolra sur les
Bëti du Cameroun, opinion selon laquelle le résultat dépend
de la résistance
physique de l'individu, c'est-à-dire
qu'un homme faible supportera plus difficilement le produit
qu'un homme fort.
La dissolution des liens matrimoniaux a des réper-
eussions incontestables dans la vie des ex-conjoints ainsi
que dans la société.
3) Les conséquences du divorce
Les conséquences du divorce se manifestent essen-
1
tiellement à deux niveaux: d'abord,
au niveau du foyer
fondé par les ex-époux,
puis au niveau socio-politique.
a)
Au niveau du foyer
Les effets du divorce affectent surtout le moral
des ex-conjoints. Un homme qui éprouve encore quelque
affection pour son ex-femne sent un certain vide dans son
entourage. Seule la présence d'enfants peut entrainer des
rapports superficiels, car leur mère est autorisée à leur
rendre régulièrement visite,
leur apporter de la nourriture

221
ét des vêtements.
Sur le plan économique,
la perte d'une
main -d'oeuvre indispensable rend le divorce insupportable
l'homme s'adonne désormais ~ la fois aux travaux ménagers
qu'il considérait comme humiliants,
et aux travaux des champs
Gont la participation de la ferr®e assurait un meilleur rende-
ment.
En ce qui concerne la femme,
l'idée de vivre loin de
ses enfants,
et surtout,
le fait de ne pas profiter des fruits
d'un travail commun auquel elle
a participé avec dévouement,
accentue son regret.
D'où,
le dicton tant apprécié des femmes
pour souligner l'ingratitude des hommes:
"Quand un garçon
tombe dans le feu,
on ne l'en retire pas". C'est dire qu'un
homme fait profiter une autre femme des avantages acquis
grace au dévouement de celle qui l ' a aidé à réussir. C'est
pourquoi, mieux vaut laisser le mari dans le feu lorsqu'il
y est tombé,
le laisser se demener tout seul puisqu'après
tout,
i l peut t'abandonner pour une autre. Enfin,
chez les
1
AbE
,
la séparation des biens étant un des principes du
mariage,
les intérêts de la femme se trouvent lésés puisqu'
elle doit libérer ses champs et vivre désormais aux dépens
de ses parents.
Plus éprouvant encore est l'abandon des en-
fants à leur père et cette idée amène quelquefois certaines
femmes à cèder aux caprices de leurs maris dans l'intérêt
des enfants.
Le divorce entraine aussi des inconvénients sur
le plan socio-politique.

222
b)
Au niveau socio-politique
Le mariage avait mis en relation non
seulement
les ex-conjoints mais aussi leurs familles.
Il est évident
que leur séparation définitive entraine le relâchement des
liens préexistants.
Les familles essaieront de maintenir le
contact si les ex-époux ont eu des enfants
: en cas de dé-
cès survenu au sein d'une des familles,
la visite des ex-époux
ou d'une délégation est obligatoire. En ce qui concerne les
ex-conjoints,
ils perdent un peu de leur crédit dans la socié-
té, notamment la femme.
En général,
le remariage est facile,
également pour une veuve si elle n'a pas connu deux veuvages
consécutifs.
Sur le plan politique, un homme qui divorce doit
se remarier aussitôt s ' i l veut continuer d1assumer les
responsabilités qui lui incombent. Chez les AbE,
la posses-
sion d'une femme est une des conditions indispensables pour
accéder à de hautes fonctions.
Le statut de marié inspire
par conséquent le respect et la confiance.
Eu égard à la relative facilité du divorce due
peut-être à un souci de liberté,
il faut reconnaitre le man-
que de fermeté de la coutume et ce,
au détriment de la femme.
Le malaise vient du fait que llépoux abE ne s'occupe pas assez
de sa partenaire en raison de son statut de CO-épouse,
il la
considère comme une étrangère et de ce fait elle non plus
ne se sent intégrée même si elle a des enfants. En effet, du

223
jour au
lendemain,
l'arrivée d'une co-épouse peut la déloger ou
môme la famille du rnari peut inciter celui-ci à
accélérer son
départ.
Face à cette situation alarmante,
le mariage ne présente
pas assez de garanties pour la femme.
D'autre part,
rappelons
que
le divorce n'est pas une institution chez les AbE
étant donné le
rôle destructeur qu'on lui attribue aU sein de la société. Nous
pensons que le fait de l'évoquer de façon
superficielle et succinte
lors du versement de la compensation matrimoniale permet de limiter
les abus
:
en effet,
si les parents de la fille
insistent sur une
restitution partielle des biens reçus,
c'est pour faire prendre
conscience à
l'homme du dommage qu'il subira car,
ne pouvant entrer
en possession de la totalité de ses biens,
il ne peut se remarier
facilement comme il le souhaiterait.
Il semble donc que ce préalable
constitue un moyen d'empêcher le divorce et de pénaliser l'homme.
Ainsi,
le fait que l'instabilité matrimoniale soit sévèrement
sanctionnée dénote le caractère de fléau social qu'on assigne au
divorce.
Le mariage tel que nous venons de le décrire affirme
de nouveau son importance sociologique par ses effets,
principale-
ment les comportements qu'il engendre au sein des groupements fami-
liaux.

CHAPITRE I I
LES EFFETS DU HARIAGE
Dans ce chapitre, nous examinerons les relations
qu'impliquent le mariage.
Nous verrons donc respectivement
les rapports nés du mariage et les relations au niveau du
groupe de parenté.
A -
LES RAPPORTS NES DU MARIAGE
=========~============~==~=
Le mariage engendre deux sortes de relations et
des obligations:
entre les époux d'une part,
et d'autre
1
part entre les alliés.
Nous traiterons successivement de
ces deux aspects.
Les rapports entre mari et femme sont marqués
par le respect mutuel et la soumission de la femme.
Le mari
est le chef de la famille et exerce un droit d'autorité sur
sa femme et ses enfants.
Malgré son rôle secondaire au
sein du ménage,
l'épouse a une influence considérable sur
son conjoint.
Elle l'exerce de manière discrète,
car la dis-

225
crétion est une des qualités principales que l'époux abE
exige de sa partenaire. En effet, dans les jugements coutu-
miers,
lorsque les hOlnmes éprouvent des difficultés à trou-
ver la solution d'un problème,
ils prétextent un besoin physio-
logique quelconque leur permettant de se retirer momentanément.
En réalité,
ils recourent à leurs épouses ou éventuellement
une soeur pour demander conseil. De même,
le mari tient compte
de l'avis de sa femme avant de prendre une décision.
Inter-
prèter la soumission de la femme africaine à son mari comme
un signe d'oppression est tout à fait erroné. En ce qui concer-
ne la femme abE particulièrement, on ne saurait s'en tenir
aux apparences pour affirmer son oppression.
Comme nous l'avions déjà mentionné,
le mari abE est en
général polygyne et il est responsable de son ménage qu'il
doit organiser selon des règles précises. En ce qui concerne
la répartition des tâches,
l'époux assure la subsistance de
1
sa famille,
règle les conflits entre les co-épouses et prési-
de les rituels. A la campagne,
il s'occupe de l'abattage des
arbres et du défrichage de la forêt pour préparer les champs.
Au total,
il prépare l'activité de la femme.
Il cultive le
café et le cacao dont la vente lui permet d'avoir des reve-
nus.
Il distribue régulièrement viande et poisson à ses fem-
mes et pendant la "traite", c'est-à-dire la vente de la récol-
te du café et du cacao,
il leur achète des vêtements ainsi
qu'à ses enfants.
Quant à
la femme elle joue deux rôles
essentiels: elle assure l'entretien et l'éducation des

226
enfants, elle est la cellule de base de la production. En
effet,
les femmes cultivent les produits vivriers
(}'anane,
igname,
taro, man ioc et légumes), désherbent les ch::lInps et
effectuent la récolte du café et du cacao. Chaque épouse
assnre individuellement son repas avec les produits de son
champ et prélève la part du mari. Elle tire ses revenus per-
sonnels du surplus de sa production vivrière.
Le mari peut
lui faire un prêt pour l'achat d'un objet mais il est rembour-
sé à la traite suivante. Les enfants représentent aussi un
atout économique indiscutable. Dès l'âge de six ans,
la
mère initie sa fille à l'accomplissement de certaines tâ-
ches
: approvisionnement en eau, garde de ses cadets, désher-
bage, cueillette de champignons etc ... Le garçon tend des
pièges et accompagne son père à
la chasse.
Les relations entre les co-épouses sont marquées
par la,méfiance,
la jalousie et l'hostilité. Ainsi, on dit
généralement de deux individus qui manifestent de l'agressi-
vité l'un à l'égard de l'autre, qu'ils sont des "co-épouses".
De même,
une mère dira par exemple à sa fille qui tient des
propos irrespectueux à son égard
"Dis donc, es-tu ma
co-épouse
! . . . ".
Une interviewée de vingt-cinq ans dont le
mari est polygyne d i t :
"Ta co-épouse, c'est ton ennemie. Les
rapports qu'ru entretient
avec elle sont des rapports superf i-
ciels. Elle n'hésitera ni à te faire du mal, ni à envoûter
l'homme pour se débarrasser de toi. C'est pourquoi,
il vaut
mieux s'en méfier".
Il existe des chansons qui révèlent
l'hostilité permanente entre les co-épouses:

227
1
L'J
me
tJ a nyame
{bis}
Incite ton mari à divorcer
d'avec moi
(bis)
Je te donnerai en héritage
son sexe tendu
Je te donnerai en héritage
mon champ
/
La
me
tJ a
nya
me
Incite ton mari à divorcer
d'avec moi.
Le dicton atteste cette attitude:
"On n'attend
pas le restant de la nourriture d'une co-épouse". Cela
rév~le en effet la méfiance relative à des risques d'empoison-
nement. Certaines femmes envoûtent le mari pour être sa favo-
rite. Cependant l'hostilité à l'égard de la co-épouse se
traduit également par la haine pour les enfants de celle-ci.
Ainsi, d'anciennes anecdotes dénoncent les méchancetés à
l'égard des enfants de la co-épouse.
L'anecdote la plus courante est la suivante
Une épouse prétendue stérile, se sentant très
malheureuse,
se retira en forêt pour pleurer: En rentrant
chez elle, elle rencontra une sorte de noisette aromatique
utilisée en cuisine: akpi.
La noisette demanda à la femme
de la ramasser. Elle l'emporta chez elle et quelques mois
plus tard,
accoucha d'une jolie fille.
Elle la nomma Amlan
Cette dernière grandit et son père
(le mari)
l'aimait beau-
coup.
Un jour,alors que sa mère la laissa à sa co-épouse pour
effectuer une course,
sa belle-mère saisit l'occasion pour
la llIenacer et lui apprendre sa provenance.
"Tu t'appelles Akpi

228
précisément et personne ici ne l'ignore", dit-elle. La fille
se mit à pleurer, puis alla trouver son père et chanta en
sanglotant
:
"Ma mère m'appelle Amlan, mon père m'appelle
Amlan,
l'héritière de ma mère m'appelle aussi Amlan. Mais ma
marâtre m'appelle Akpi". Elle s'enfuit aussitôt en brousse
et ne revint
plus jamais.
Un des principaux objectifs de l'administration
annuelle de l'ordalie par l'homme, à l'occasion du d3id3a,
est de préserver les membres du ménage des malheurs éventuels
que peut provoquer la jalousie. La crainte de l'ordalie
contribue à maintenir des rapports corrects entre les co-
épouses et à dissuader celles-ci de leur ~ntative d'envoû-
tement de l'époux. Elle constitue donc un moyen efficace pour
maintenir la sécurité et la stabilité du ménage.
D'autre part, au sein de la famille polygynique,
,
les devoirs de l'homme vis-à-vis de chacune de ses femmes et
les rapports entre celles-ci sont régis de façon précise par
des droits et des obligations. Suivant le nombre de chambres
que comporte la maison,
le mari disposera soit d'une chambre
personnelle et dans ce cas,
les femmes,
à tour de rôle,
viendront passer la nuit avec lui, soit il fera chambre
commune avec sa première épouse, et se rendra auprès de
l'une de ses femmes pour y passer la nuit.
Il s'agit d'un
roulement dont le cycle dure en général une semaine pour un
ménage de deux à trois femmes et trois jours quand le nombre
d'épouses excède trois.

229
Précisons que dans les centres urbains où le mari
effectue les dépenses de la famille au moyen de son seul
salaire, le repas est généralement collectif. Chaque épotise,
son tour venu,
fait à manger pour toute la famille et les
co-épouses prennent leur repas ensemble. Lorsque l'entente
règne dans le ménage, elles s'entraident, et, parfois, une
épouse qui à ses règles, peut demander à une autre de la rem-
placer auprès du mari. Ce dernier n'a pas le droit de choi-
sir l'épouse qui partagera ses nuits au risque de vexer celle
à qui revient ce privilège.
En effet,
le fait "d'être de
service" est considéré comme un privilège dans la mesure où
seule l'intéressée 8 l'avantage d'accéder à la pièce du mari
et de satisfaire les besoins de celui-ci. En outre, chaque
matin et chaque soir, elle chauffe de l'eau pour la toilette
de celui-ci et c'est à elle que l'on remet certains objets
utiles tels que viande,
poisson,
pétrole pour la lampe et Je
1
savon que le mari rappotte,avant de procéder à la distribu-
tion.
Dans ses rapports avec ses femmes,
le mari doit
éviter la partialité et le favoritisme qui constituent incon-
testablement des causes de conflits. La lutte constante que
mène la femme abE durant la vie conjugale témoigne moins du
souci de conserver sa place auprès de son mari que de celui
de sauvegarder son statut d'épouse qui inspire le respect.
Elle possède cependant un moyen de pression sur son partenaire,
celui de trouver facilement un amant qui pourrait éventuelle-

230
ment l'inciter à divorcer pour l'épouser.
Nous pensons que l'autorité
(parfois excessive) de
l'homme s'explique par le fait que la femme abE dépend
entièrement de celui-ci sur le plan économique. Seule l'in-
dépendance économique pourra la libérer des contraintes de la
vie conjugale en lui apportant une certaine aisance.
La
paysanne abE est moins victime de la situation que sa compa-
gne citadine
étant donné gue la première a l'autorisation
de disposer de l'excédent des produits de son champ,
leur
vente lui permet d'acheter des objets nécessaires. Aujourd'hui,
nombreux sont les enfants dont la mère paie la scolarité
dans des établissements secondaires privés grâce à ses pro-
pres économies.
La citadine a également à sa portée la possi-
bilité de réussir,
soit en apprenant un métier tel que la
couture,
soit en faisant du commerce. Ce faisant,
elle pour-
rait d~charger son partenaire et
assurer son propre avenir.
Toutefois l'école offre aujourd'hui toutes les garanties pos-
sibles et les AbE sont unanimes à le reconnaitre
: en effet,
les interviewés ont tous affirmé
que la fille aussi bien que
le garçon a les mêmes chances de réussite.
L'acquisition de
diplômes ou l'apprentissage d'un métier amélioreront la situa-
tion de l'épouse et garantiront son avenir.
Mais le mariage n'entraine pas des obligations
entre les époux seulement. Afin de préserver l'entente au
niveau du ménage et entre alliés également, certaines obliga-
tions doivent être remplies.

231
Rappelons que des termes différents et généraux dési-
gnent les alliés selon que Ego est masculin ou féminin
le premier emploiera le terme ibuele (alliés)
pour les parents
de sa femme et tfaele,littéralement "chez mes maris"
lorsque
Ego féminin s'adresse aux parents de son conjoint. La rési-
dence étant patri-viriiocale en pays abE
, l'époux jouit
d'une grande liberté vis-à-vis de ses beaux-parents. Quant à
l'épouse, elle intègre un groupe où elle doit essayer de se
faire admettre.
Il est vrai, ces relations ne sont pas toujours
faciles:
une belle-mère acariâtre voit en sa bru presqu'une
rivale et ses belles-soeurs manifestent aussi le même compor-
tement.
En effet, les dons réguliers de parures tels
que
pagnes et bijoux en or offerts par le mari à sa femme susci-
tent le mécontentement de celles-ci et elles cherchent la
moindre occasion pour la provoquer
:
"Quand tu allais en ma-
riage, qu'y avait-il dans ton baluchon? Dégonfle-toi car
tout ce que tu possèdes actuellement provient de mon frère",
dit la belle-soeur, la belle-mère aaoptaht une attitude assez
réservée. Ainsi,
pour éviter que
sa
fille soit sujette aux
tracasseries de ses belles-soeurs,
la mère lui confectionne
"
un trousseau digne.
Les relations entre alliés sont souvent marquées par la sympa-
thie et la plaisanterie. Nos informateurs affirment qu'autre-
fois,
un gendre recherché pour crime ou autre délit grave,

232
se réfugiait chez ses beaux-parents, d'où le terme ibu
(alliés)
;
dérivant du verbe "abufi", qui signifie "se dissimuler'('".
Il
parait que la belle-mère cachait son gendre au grenier et
le recouvrait d'épluchures de bananes. Ensuite,
les beaux-
parents se chargeaient de réparer la faute ou d'obtenir le
pardon de l'offensé. En ce qui concerne les relations de
plaisanterie,
le frère de la femme d'Ego se permet unilaté-
ralement des familiarités à son égard.
Il dit par exemple:
"Si tu refuses de me payer un pot,
je te reprends ma soeur",
ou "Ma soeur ne te suffit-elle pas, pour faire la cour à une
autre femme ?",
lorsque son beau-frère entretient une autre.
Ego traite les soeurs de son épouse avec respect et récipro-
quement.
Il joue un r61e filial vis-à-vis de ses beaux parents,
et intervient obligatoirement dans deux domaines principaux
l'aide physique et matérielle, cette dernière concernant en
particulier les frais funéraires.
Le gendre doit entretenir les relations avec ses
beaux-parents en leur offrant régulièrement des cadeaux et du
gibier.
Une belle-mère qui n'a pas de fils sollicite l'aide
de son gendre pour faire des buttes destinées aux plants
d'ignames ainsi gue pour la coupe des régimes de graines de
palmier servant à la préparation de
sauce, de l'huile de
palme et de savon.
Il accompagne son beau-frère ou son beau-
père à la chasse et ces derniers peuvent demander sa contri-
bution pour la construction d'une case ou la confection de
paille pour le toit. Au total,
l'entretien des rapports est

233
indispensable pour obtenir l'appui et l'estime des beaux-
parents. A ce propos Radcliffe-Brown et Forde écrivent:
"Un homme doit rechercher toutes les occasionsd'aider sa belle-
m~re, son beau-père dans le travail de la ferme,
dans la
construction d'une maison, ou dans toute sorte de tâches,
et ne doit pas laisser échapper l'occasion de leur faire de
petits~adeaux. Ces usages s'appliquent également, bien que
d'une manière atténuée, aux beaux-frères et aux belles-soeurs" (1).
D'autre part,
lors d'un décès dans la famille de
son épouse,au moment du rituel de la remise des offres, Ego
donne en l'honneur du mort
(roro),
une couverture en son nom
personnel ainsi qu'une somme d'argent dont le montant est
laissé à sa discrétion. Mais en cas de décès des parents de
sa femme,
il lui appartient, en principe, de leur assurer
des fu~érailles dignes.
Indépendamment du soutien moral que
lui apporte la présence de sa famille,
Ego organise et prend
en charge les frais funéraires avec la participation éven-
tuelle des frères de sa femme. En outre,
ii ajoute à ces
dépenses un mouton au nom de ses enfants en l'honneur du
grand-parent défunt. Enfin, Ego aide les fossoyeurs à réali-
ser la tombe de ses beaux-parents. Son attitude marque non
seulement une manière de leur rendre hommage, mais aussi de
leur être redevable en tant que débiteur.
Il me semble
(1)
Radcliffe-Brown
(A.R.)
et Forde
(D.), Systèmes familiaux
et matrimoniaux en Afrique,
P.U.F., PARIS,
1953, P.371,
527P.

234
intéressant de préciser qu'Ego doit s'abstenir de faire des
offres funéraires,
en cas de décès quelconque,
si sa femme
est enceinte. Les AbE expliquent cette abstention par le
fait que la grossesse est un état dangereux, et que, par
conséquent,
la remise d'un cadeau par l'homme en l'honneur
d'une personne défunte constitue un achat de la mort pour sa
partenaire. Afin de sauver la vie de cette dernière,
le mari
fait exécuter l'action par un parent ou un ami en son nom.
Chez les AbE en effet, la mort est considérée comme un évène-
ment surnaturel,
l'oeuvre des sorciers qui cherchent à nuire
aux autres au moyen de maléfices. Bien que la mort constitue un
moyen de libération totale pour l'individu, elle n'est jamais
acceptée en tant que telle.
Un gendre aisé peut,
au terme
des funérailles qui durent huit jours,
faire don d'un boeuf
pour rendre hommage à son beau-père ou à sa belle-mère.
A propos des frais funéraires,
nous avions recueilli ce té-
l
moignage d'un paysan:
" L'AbE prétend qu'il n'a pas d'ar-
gent quand il s'agit de venir en aide à un parent souffrant.
En revanche, lorsque ce dernier meurt,
il n'hésite pas à
dépenser pour préserver son image de marque vis-à-vis de
son entourage".
En ce qui concerne l'épouse,
la principale qualité
que la famille de son mari exige d'elle est l'affabilité.
Elle doit réserver un accueil chaleureux et témoigner de
la générosité aux parents de son conjoint afin de bénéficier
en retour de leur soutien et leur sympathie.
Une femme

235
égoïste
(okuwo)
n'a pas ce privilège,
au contraire,
ils inci-
teront le mari à la délaisser.
L'appellation ou terme d'adres-
se constitue un moyen efficace que l'épouse utilise souvent
pour attirer ou renforcer ~a sympathie des parents de son
mari. Ainsi,
elle n'appelle pas un parent par alliance par
son nom, mais par des termes généraux tels que metfa
(mon
mari)
pour le frère de celui-ci et iko
(belle-soeur).
De
meme, ses belles-soeurs s'abstiennent de l'appeler par son
nom de jeune fille,
même si le mariage ne change pas l'état
civil de l'épouse. En général les relations entre belle-mère
et bru sont bonnes
: la bru aide quelquefois sa belle-mère
à effectuer des travaux domestiques et champêtres et, en
retour,
elle reçoit conseils et assistance en cas d'accou-
chement dlun nouveau-né. Une épouse affable a le soutien de
ses beaux-parents lors des querelles conjugales et ceux-ci
interviennent pour raisonner leur fils.
Vis-à-vis des frères
de
1

son marl,
elle imite les rapports qu'elle entretient avec
ce dernier à l'exception des relations sexuelles: elle leur
chauffe l'eau pour la toilette,
levr prépare à manger et
fait la lessive, car elle est considérée comme l'épouse du
groupe.
En effet,
à la mort de son mari,
l'un d'entre eux
héritera d'elle et continuera de jouir de ce privilège.
A l'égard des soeurs du. mari,
l'épouse passe au second rang
pour deux raisons: d'abord,
elle appartient à un autre l i -
gnage qu'elle peut rejoindre du jour au lendemain;
ensuite,
la compensation matrimoniale versée pour l'une de ses
belles-soeurs peut servir à procurer une autre femme à son
l " .

236
nlari. En réalité,
elles entretiennent des rapports amicaux.
Lorsque le mari perd un membre de sa famille,
les obligations de l'épouse consistent à aider à pleurer le
~ort et à recevoir les visiteurs venus participer aux funérail-
185.
Elle donne un pagne selon sa volonté, notamment si elle
entretenait de bonnes relations avec le mort. En fait,
l'épouse m~ne une vie solitaire et dans le village où elle
est mariée,
la présence d'une autre étrangère
(de son propre
village ou d'un autre)
peut lui apporter un réconfort. Elles
deviennent rapidement amies et leurs relations contribuent
à rendre le séjour agréable. En général,
pour une fille gui
se marie hors de son village,
son père la recommande à un
ami. Ce dernier est le tuteur chargé de statuer sur les l i t i -
ges conjugaux et externes.
Les rapports et obligations que nous venons d'exa-
miner ont pour but de consolider le mariage et de favori-
~er un climat d'entente entre des individus ayant des liens
de parenté. Ainsi, nous étudierons dans le paragraphe suivant
les relations au niveau de la parenté.
Après avoir étudié le mariage, nous retournons à
la parenté pour traiter, non cette fois-ci des systèmes des
appellations mais des attitudes qu'elle
entraine
au sein

237
du groupe. Nous examinerons d'abord les rapports entre Ego
et ses parents, puis les rapports entre Ego et le frère de
sa mère;
enfin,
les rapports entre Ego et ses frères consan-
guins.
1)
Les relations entre Ego et ses parents.
Les relations entre Ego et son père révèlent à
la fois le respect et l'autorité.
D'une manière générale,
le
père est responsable de son fil~. Chez les AbE,
le premier
devoir d'un père à l'égard de son fils est de lui procurer
une femme.
Il prend à sa charge toutes les dépenses qui
concernent son fils,
guel que soit l'âge ou la situation de
famille de ce dernier, en particulier les frais de maladies,
les amendes résultant d'une sanction quelconque et les dettes.
Ce comportement se justifie par le fait qu'autrefois père et
fils formaient un tandem économique efficace. Le père contrâ-
t
lait la production:
le mariage n'affranchissait pas le fils
de la tutelle paternelle. Ego partageait également la résiden-
ce de son père.
Ce dernier étai t
responsable des revenus ao:::ruis en
semble et chaque enfant en disposait selon ses besoins. Même
actuellement les revenus restent encore collectifs dans cer-
taines familles villageoises notan®ent pour la production du
café et du cacao dont les plantations appartiennent aux parents.
Le père distribue le gain entre ses fils en favorisant l'ainé
par rapport aux cadets et nul ne sent ses intérêts lésés. Nous
voyons donc qu'Ego dépend matériellement de son père et, en con-
trepartie, Ego manifeste une soumission parfaite.
Il est
inutile
de
rappeler
ici
les
droi ts
du
. "

238
père sur son fils que nous avons suffisamment détaillés dans
le chapitre relatif au système de parenté. Au total, nous di-
rons que le père constitue l'autorité par excellence.
D'après
les dires de nos informateurs,
le père sanctionnait autrefois
son fils récalcitrant en le vendant comme captif. De nos
jours, cette pratique a disparu et nous pouvons envisager déjà
une émancipation future.
Notons en passant qu'il n'existe
aucune règle sociale condamnant l'abus d'autorité du père,
considéré comme normal. Toutefois le père dispose encore d'un
autre moyen pour rappeler son fils à l'ordre et conserver
son autorité : la malédiction. Pour Ego,
le pouvoir de son
père sur sa réussite sociale s'avère incontestable. Un jeune
de vingt et un ans explique:
"J'étais le fils ainé de mon
père et il m'aimait beaucoup.
Il payait régulièrement mes étu-
des secondaires dans un établissement privé, car il voyait en
moi son digne successeur. L'école ne m'intéressait pas et j'ai
1
dû abandonner subitement. Très déçu par ma décision, mon père
me maudit et mourut quelques années plus tard. Depuis trois
ans,
j'ai changé six fois de travail parce que,
au bout de
quelques mois d'exercice, mes employeurs trouvent que je n'ai
pas les qualités convenables. Actuellement je ne travaille
plus et je suis très malheureux". Nul ne peut donc contrarier
ou offenser son père sans courir de risques graves. Enfin,
dans leurs rapports, Ego doit témoigner du respect à son père.
Pour cela,
il ne doit ni regarder son père dans les yeux
quand il lui fait des reproches ou quand il lui parle, ni lui
d~sobéir, ni l'insulter.

439
En revanche,
l'autorité que le père exerce au sein
de la famille renforce incontestablement les liens entre Ego
et sa mère. En général,
les relations sont marquées par llaf-
fection.
Dans un milieu social ou la vie familiale se déroule
fondamentalement entre la mère et ses enfants,
il n'est pas
surprenant que la mort du père apparaisse moins catastrophi-
que,
tàndis que la mort de la mère est une épreuve insurmon-
table. Terray justifie cette attitude en évoquant le rempla-
cement du père défunt par l'héritier qui continue d'assurer
les besoins matériels, ce qui constituait le rôle principal
du véritable père. Je pense, du moins en ce qui concerne les
AbE, que la quasi indifférence
(si on peut l'appeler ainsi)
que l'on ressent ne peut s'expliquer par des raisons économi-
ques essentiellement, mais par l'organisation de la famille
elle-même et surtout les règles sociales qui attribuent
l'éducation des enfants à la femme.
Aussi 'cette phrase cou-
rante ~asse-t-elle pour un dicton:
"Il n'y a que l'enfant et
sa mère qui se comprennent". En outre,
il est certain qu'Ego
ne peut retrouver cet amour maternel auprès des autres épouses
de son père.
Dlautre part, dans sa vieillesse, une mère veuve
s'installe chez son fils afin que celui-ci veille à ses jours.
Ego continue donc de profiter des conseils de sa mère qui le
protège secrètement contre les maléfices des sorciers
c'est évidemment très important dans la mentalité tradition-
nelle abE.

240
J'ai assisté à cette scène pathétique qu'il est in-
téressant de rapporter. Une femme âgée, malade et paralysée,
.
habite chez son fils unique depuis près de cinq ans. Ce dernier
est marié et père de sept enfants. Chaque matin,
il aide sa
mère à faire sa toilette et à prendre ses médicaments et cela
pendant deux ans. L'état de santé de sa mère empirant,
il
va coniulter un "
devin
".
Celui-ci ne lui donne pas
d'espoir et,
au contraire, lui propose d'accélérer la mort
de la malade en sacrifiant un mouton au génie qui la protège.
L8 fils refuse catégoriquement la proposition et ajoute
publiquement:
"Je n'accepte ni d'être l'auteur de la mort
de ma mère, ni de me débarrasser d'elle parce que je lui rends
aujourd'hui le service qu'elle m'a rendu auparavant. C'est
de la lâcheté ... Que la volonté de Dieu soit faite".
Dans la société abË
,
la mère possède également une
puissance surnaturelle sur ses enfants. En effet,
lorsqu'un
1
fils manifeste de l'ingratitude à sa mère, en l'injuriant pu-
bliquement ou en refusant ·de luî apporter une aide financière,
il suffit qu'elle lève les seins nus vers le ciel pour deman-
der un châtiment contre son fils pour que ses voeux soient
exaucés:
"Si tu n'as pas têté ces seins pour te conduire de
façon si ingrate envers moi, que tous tes souhaits se réali-
s8nt. Dans le cas contraire, que tu sombres dans le néant et
que toutes tes entreprises soient vouées à l'échec", énon-
ce-t-elle. Nul ne devrait donc délaisser ses parents. Ces
paroles mises en musique par le musicien "Aspro" Assovié
Bernard révèlent la lourde charge qui incombe au fils
:
. : .1; "

,
,
1 )
D3E.
lkpe,
fe ne di
ba
1)
Fils, sois économe
(bis)
roro
(bis)
Me
no
kùJi
ù
so no,
Ta vieille mère
est lâ
/
Me
fi
kpefi ù
JE no
Ton vieux père est
étendu
Refrain
:
Refrain
:
/
D3E lkpe,
fe ne di
ba
roro
Fils,
sois économe
2)
D3E
[kpe,
fe né di
ba
2)
Fils, sois économe
(bis)
roro
(bis)
\\
,
Tf {hi ke
mo
rv wo
La mort ne prévient pas à
cet âge,
Orogba
dada ôE do 0
Les risques de maladie
sont grands.
On peut alors dire que le fils constitue une assu-
rance totale pour ses parents
:
il leur fait des funérailles
dignes let les honore après leur mort.
Quant à la fille,
si elle est limitée matériel-
lement pour la simple raison que son mari dispose d'une gran-
de partie du revenu familial,
elle aide physiquement et mo-
r~lement ses parents: elle leur donne des soins lorsqu'ils
sont malades,
et assure la nourriture quotidienne si elle est
mariée dans le même village.
Dans le cas contraire, elle les
rejoint,
avec l'autorisation du mari, et le séjour peut durer
parfois trois à six mois.

242
Soulignons que les parents abE
, notamment la
mère,
jettent rarement l'anathème sur leurs enfants. L'atti-
tude de la mère peut s'expliquer non seulement par l'affec-
tion qu'elle éprouve pour ses enfants, mais aussi et surtout
par le fait qu'elle craint d'offenser son mari et sa famille,
les enfants étant considérés comme leur propriété. Toutefois,
les parents pardonnent souvent à leurs enfants pour des rai-
sons humanitaires. Aussi le proverbe atteste-t-il
"La
vieille machette avec laquelle tu t'es blessé, tu la jettes,
mais tu la reprends". Cela signifie qu'on ne peut renoncer à
ses parents, on risque de le regretter.
Il arrive cependant qu'Ego entretienne des relations
plus étroites avec le frère de sa mère.
2) Les rapports entre Ego et le frère de sa mère.
Les relations entre Ego et son oncle maternel sont
marquées par l'affection,
la sympathie et l'indulgence. D'a-
près les dires de nos informateurs,
tout individu ne s'attache
véritablement au frère de sa mère que dans un but purement
utilitaire. Lorsque le père d'Ego ne dispose pas de moyens
suffisants, Ego peut recourir à son oncle maternel en vue de
profiter de sa fortune sans toutefois abandonner son père.
D'ailleurs., dans pareil cas, lorsqu'Ego désire se marier, sur
la demande de son père,
sa mère fait appel à son frère pour
obtenir,
soit l'intégralité du montant de la compensation

243
matrimoniale,
soit une partie. La somme n'est jamais rembour-
sable.
Il ne faut pas voir dans le geste de l'oncle seulement
un moyen de maintenir son beau-fr~re sous sa dépendance,
m~is plutôt le renforcement et la réaffirmation des liens
d'alliance qui existent entre eux.
D'autre part, Ego peut prendre des libertés avec
le fr~re de sa m~re : il peut lui jouer des tours sans qu'il
ne soit puni. Quand Ego rend visite à son oncle maternel,
il
peut disposer de tous les objets appartenant à ce dernier et
ses envies sont i~nédiatement satisfaites. Par exemple, il
peut tuer un poulet ou confisquer un outil qui l'attire par-
ticuli~rement. Pour terminer, notons que ces mêmes sentiments
existent avec la soeur de la m~re.
Qu'en est-il des relations entre frères et soeurs?
3)
Les rapports entre Ego et ses frères consanguins.
Au niveau des fr~res consanguins,
il y a lieu de dis-
tinguer entre frères de même mère, et frères de mères diffé-
rentes.
En général, une parfaite entente et une confiance ré-
ciproque règnent entre les premiers.
Ils entretiennent des
rapports sincères en raison des liens très étroits qui les
rattachent à leur mère. Une fois marié, chacun dispose de
ses biens personnels et subvient aux besoins de sa famille.
Ils s'entr'aident en cas de nécessité, mais, durant leur
existence,
l'ainé doit témoigner de la bienveillance à l'égard
du cadet, notamment du point de vue économique:
il l'aide

244
à payer les dettes et les amendes d'adultère.
En principe,
les prêts financiers ne sont pas remboursés intégralement
et nul ne s'en plaint. A propos des relations de dépendance
mutuelle,
le proverbe souligne:
"Le poulet mange de la chair,
il a pourtant de la chair lui aussi". C'est dire que le ser-
vice rendu à un frère n'est jamais perdu. Les relations entre
frères' sont caractérisées par le respect du droi~ d'aînesse
qui entraîne certaines prérogatives. En ce qui concerne le
mariage en particulier~ Ego ne peut envisager de se marier
si son ainé ne l'est pas encore, sauf en cas de maladie de ce
dern ier. Toutefois ECO peut obtenir son autorisatloh et sà-' béhédiction en lui
offrant un poulet. La situation décrite par Terray concernant
les Dida correspond à celle des AbE
: "Dans le cours de la
vie le cadet reconnaît la prééminence de l'aîné,
lui cède son
siège et la cuillère. Toutefois l'étroitesse de la relation
n'entraîne de façon nécessaire, ni la résidence, ni le parta-
1
ge des repas"
(1). En ce qui concerne ce dernier aspect, à
savoir le partage des repas,
il existe aussi des règles stric-
tes qu'il importe de signaler. Quand deux frères mangent en-
semble,
le cadet doit s'abstenir de se servir le premier en
viande:
le partage de viande ou de poisson revient à l'ainé
qui se sert aussi le premier. En compensation,
l'ainé laisse
au cadet le restant de la nourriture,
ce qui n'est en réali-
té qu'un subterfuge pour.l'obliger à débarrasser l'endroit,
et à ranger les assiettes.
(1)
Terray
(E.)
op. cit. p.142

245
Si l'entente règne entre deux frères de même mère
et de même père, en revanche, deux frères n'ayant gue le père
en commun constituent un facteur de conflits. La raison fon-
damentale,
sinon unique, de la tension entre frères de chaque
l i t est fondée sur les règles de la dévolution des biens qui
peuvent échoir à l'ainé. Actuellement, cette dévolution échoit
directement au fils ainé,
l'héritier n'ayant qu'un droit de
contrôle sur les biens du frère défunt.
Un vieux citadin cri-
tique ce nouveau système en ces termes
:" Aujourd'hui,
le
fils travaille pour sa femme et ses enfants. En plus,
il
attend que son père meurt pour s'emparer de ses biens. Quand
son père a une situation aisée il cherche à abréger sa durée
de vie afin d'obtenir rapidement la fortune.
Il ne se fatigue
plus. Ensuite,
il gaspille l'argent de son père et laisse ses
cadets dans la misère".
Il ressort de cette affirmation un
fait important: la transmission latérale de l'héritage
(c'estLà-dire entre cousins ou parfois frères)
a pour avanta-
ge d'assurer une meilleure gestion des biens du mort par un
individu plus compétent
et expérimenté.
Généralement,
le souci principal du père polygyne
est de rassembler ses enfants sous son autorité en préservant
ses biens personnels dans l'intérêt de tous. Néanmoins,
les
relations entre frères de même père et de mères différentes
se révèlent difficiles, car le climat de rivalités permanen-
tes et d'hostilité entre les mères crée des conflits latents
entre ces derniers, dont les mères sont souvent le support.

246
Ces conflits entre frères concernent principalement les
plantations et les biens personnels du père tels que ragnes,
or et fusils.
A mon point de vue,
le fait que deux frères
utérins entretiennent d'excellents rapports durant toute leur
vie s'explique par l'absence de compétition entre eux, c'est-
à-dire qu'aucun conflit d'intérêt ne peut venir brouiller leurs
rapports.
Nous avons vu que l'héritage et la succession peu-
vent échoir à Ego après avoir suivi l'itinéraire défini par
le principe de la transmission latér31e. Selon ce principe,
chacun des "frères" du père représente une étape de cet i t i -
néraire que l'héritage doit parcourir avant qu'Ego en obtienne
la pleine disposition:
tout dépend donc de l'étendue de la
famille et de l'extension de la génération des frères.
Tou-
tefois,
le frère cadet d'Ego peut espérer obtenir une partie
de l'héritage grâce à son dévouement à l'égard du père.
Ainsi,
le proverbe d i t :
"C'est celui qui reste
qUJ?rès
du
,
cercueil qui pleure '~ on peut alors affirmer. que
celui qui se met au service de son père pendant que ses au-
tres frères sont dispersés,
celui-là recueille le fruit de
son dévouement.
Dans une société où seul le patrimoine fami-
liaI
(fikwa
ad3a)
est commun et inaliénable,
le fils servi a-
ble peut donc recevoir l'essentiel des biens personnels de
son père de son vivant,
et usurper ainsi le privilège qui,
en principe, revient à l'aîné. Cette situation entraine
souvent la violence entre les frères de mères différentes et
finit par disloquer la famille à la mort du père .
.':

247
Quant aux relations entre Ego et ses soeurs, elles
se caractérisent par la tendresse et, nous l'avons vu, celles-
ci ont un statut privilégié par rapport à sa ou ses épouses.
Lorsque sa soeur est malmenée par son mari, Ego intervient
parfois avec violence et,
s ' i l est aisé,
il n'hésite pas à
demander le divorce.
Une enquêtée disait:
" . . . Je suis condam-
née à céder aux caprices de mon mari, car je n'ai pas de
frère pour l'intimider: seul le frère est sensible au malheur
de sa soeur. Si j'en avaiS un,
il m'aurait libérée". L'en-
tente entre frères et soeurs s'explique par le fait qu'ils
n'ont pas d'intérêts opposés. Les relations entre soeurs pré-
sentent en général les mêmes traits, à savoir,
l'affection
et l'entente. Même si la voix d'Ego n'est pas prépondérante
en ce qui concerne le mariage de sa soeur, sa présence est
indispensable. Le chef de famille ou son représentant s'adresse
aux frères de la fille de la manière suivante :
"Vous êtes
les vrais témoins de cette cérémonie. Car, c'est vous qui
allez continuer ensemble le chemin de la vie. Quant à nous,
nous sommes déjà vieux et nous ne serons plus là pour tran-
cher les difficultés". Je trouve d'ailleurs insuffisant que
le frère serve de témoin oculaire.
Il devrait avoir son mot
à dire car la prise en charge de sa soeur lui reviendra ulté-
rieurement. En effet, à la mort du père, Ego recueille sa
soeur en cas de litiges conjugaux ou de divorce.
En réalité,
les conflits d'héritage entre Ego et
son oncle paternel s'expliquent moins par la cupidité des

248
antagonistes désirant simplement posséder une source supplé-
mentaire de revenus que d'acquérir un statut dans la hiérar-
chie sociale. En pays abE , l'héritier n'est à proprement
parler qu'un intendant:
il gère les biens du mort et a des
obligations vis-à-vis des personnes qui étaient sous la tu-
telle de ce dernier. Cette situation témoigne de son impor-
tance et de sa dignité.
Nous assistons de moins en moins à des conflits
d'héritage
(entre fils et "fr~re" du mort), conflit dont la
véritable raison est le refus dé reconnaître le fils comme
un individu ayant l'esprit assez mûr pour hériter. A ce su-
jet, nous nous référons à Terray, qui écrit de nouveau:
"L'accès à l'héritage est donc le signe de l'émancipation
me confier les biens d'un "fr~re" défunt, c'est admettre que
je suis assez âgé et expérimenté pour disposer librement de
moi-mê~e et gérer mes propres affaires"
(1). Le nouveau sys-
tème consistant en la transmission verticale
(c'est-à-dire
de père en fils)
a été revendiqué par les jeunes qui consi~
dèrent le système traditionnel de la dévolution de l'héritage
comme le plus sérieux obstacle dans la voie du développement
économique et social. Actuellement, ce changement est consi-
dérable et il appartient donc aux fils d'agir efficacement.
(1) Terray
(E.)
op. cit. p.166.

Conclusioll

250
A travers l'étude des coutumes matrimoni~les,
nous avons tenté de présenter une société abe vivante, en
évolution constante et profondément perturbée par divers
facteurs.
Tout le long de notre travail, nous avons signalé
les modifications et les conflits opposant ruraux et citadins
dent les intellectuels
en particulier. On constate en effet la
coexistence de deux types de mentalité : en milieu rural
r~gne l'esprit conservateur, tandis gue dans les centres
urbains,
les individus sont favorables à une adaptation
des moeurs au monde moderne. Les changements opérés dans
l'organ~sation sociale et principalement dans le mariage tra-
ditionnel relèvent de facteurs d'ordre économique, culturel,
social et religieux survenus depuis la pénétration française
en Côte d'Ivoire.
Agboville fut,
au début de la colonisation, un
centre important d'exploitation d'essences commercialisables
et de ce fait occupait une position privilégiée
:
les rela-
tions avec les voisins étaient assurées au moyen de la voie
ferrée et des routes bitumées.
En outre,
les cultures industrielles faisant leur

251
apparition, ont eu un impact considérable sur le développe-
ment de la région. Cette intense activité économique attira·
de nombreux étrangers dans la région,
venus de tous les hori-
zons dans le but de faire fortune.
D'ailleurs,
la ville
d'Agboville n'est située qu'à 80 kms d'Abidjan. Ce mouvement
de migration persiste en raison de la création d'usines in-
dustrielles récentes
(SIFACOL
(Société Ivoirienne de Fabrica-
tion de la Colle)
et COTIVO
(Cotonnière Ivoirienne», qui
emploient une main-d'oeuvre importante. Les AbE avaient déjà
pris conscience du danger qu'ils couraient avec l'afflux des
populations étrangères et trouvèrent la solution dans le ma-
riage entre les autochtones, c'est-à-dire entre Abé princi-
palement,
afin de préserver leurs institutions de la pression
extér ieure. Avec leurs vois ins
P.k.an matrilinéaires également,
les
échanges matrimoniaux sont difficiles pour des raisons socio-
logiques: d'abord,
par souci de conservation de leur inté-
grité ethnique, ensuite, par le désir qu'ils ont de préser-
ver leur système de filiation.
Au niveau social,
le groupe de patenté tenait sa
cohésion de la suprématie que le chef de famille exerçait
sur ses membres
: chaque individu vivait donc en étroite
coopération avec les autres en vue de réaliser une certaine
cohésion familiale.
La dépendance de l'individu par rapport
au groupe familial apparaissait comme un facteur nécessaire
au maintien de sa cohésion. Cette cohésion constitue l'élé-
ment essentiel de la solidarité entre les membres de la famille.

252
Les AbE tiennent à la cohésion familiale tout en essayant d'avoir
leur autonomie,
laquelle autonomie pourrait favoriser l'individua-
lisme.
Les conflits de générations subsistent et nous sommes
persuadés que les anciens détiennent et conserveront encore long-
temps le pouvoir basé sur leur expérience de la vie ou sur leur
savoir comme l'a bien montré Meillassoux.
Dans le domaine du mari-
age leurs privilèges sont menacés, car le contrôle des compensa-
tions matrimoniales versées pour les filles du lignage risque de
leur échapper en raison de l'éclatement de la famille.
Toutefois,
l'organisation sociale connaft d'énormes changements en particu-
lier en matière d'héritage:
on assiste actuellement à une dévolu-
tion des biens de père en
fils et non plus de frère en frère.
Les
AbE
acceptent et reconnaissent le droit du fils à l'héritage de
son père:
le rôle du "frère" du père ne se limite qu'à la super-
vision tandis que le fils dispose et jouit des biens de son défunt
1
père. Nous pensons que ce changement est considérable car,
en pays
AbE,
l'héritage constitue l'enjeu véritable des conflits entre le
fils et son oncle paternel d'une part,
et entre les frères d'autre
part.
Dans la société abs actuelle,
le mariage coutumier
occupe encore une place importante.
Les AbD y tiennent par respect
pour la tradition et la pensée que le mariage repose sur le con-
sentément de deux familles contribue à la stabilité du ménage.

253
Toutes les femmes ont cependant exprimé le souhait de
contracter un mariage civil en raison des garanties qu'il donne
à la femme notamment celle d'accéder aux biens du mari après sa
mort pour assurer l'avenir des enfants.
On peut alors supposer
que la loi relative à l'héritage n'est pas encore effective. En
effet,
la possession d'un titre foncier,
d'un permis de port
d'arme peuvent être des pièces incontestables permettant au fils
de porter plainte cmtre le
frère héri tier de son père et avoir
gain de cause. Il faut le reconnaître,
le mariage coutumier
n'offre pas assez de garanties à la femme, en comparaison aVeC le
mariage civil, car elle ne bénéficie d'aucune pension ni après le
divorce, ni à la mort de son mari. c'est d'ailleurs la raison
principale qui pousse l'homme abE à préférer le mariage coutumier
en cas de divorce,
il n'est pas obligé de verser une pension à sa
femme, ni de partager lesbiens acquis lors du mariage
(le mariage
civil se faisant automatiquement sous le
régime de la communauté
de biens)
Les
jeunes gens considèrent la compensation matrimoniale
qui sous-tend le mariage coutumier comme un obstacle à celui-ci.
Ils la trouvent assez élevée et pensent qu'on devrait laisser à
l'homme le choix de la valeur du don. Pour que le mariage coutumier
subsiste, i l faut que le montant de la compensation matrimoniale
soit raisonnable,
ou mieux encore,
il faut qu'un taux unique sym-
bolique soit· fixé dans tous les cantons.
On encouragera ainsi les
jeunes à préserver cette institution qui pourrait s'éteindre à la
longue. Une chose
est certaine
le
mariage

254
civil ne concerne qu'une couche très mince de la population abE,
fonctionnaires et employés qui le pratiquent plus par nécessité,
c'est-à-dire en raison des satisfactions matérielles qu'il pro-
cure, que pour l'intérêt personnel qu'ils y attachent.
En effet, ces derniers craignent le mariage civil en raison des
contraintes énormes et des frais qu'il entraîne,
si l'un des
partenaires désire divorcer.
Nous pensons que ce point est l'un
des aspects positifs du mariage civil, car i l témoigne de la
responsabilité de l'un vis-à-vis de l'autre.
Parlant
de divorce, une pratique relativement récente
existe chez les AbE
: le
jùgru.
Inspiré du "Bambara", ce terme
désigne une jeune fille et veut dire "mademoiselle". Cette prati-
que a été instituée par l'homme pour pénaliser la femme que le
divorce rendrait libre. Pendant le temps que dure cette séparation,
la femme jouit d'une grande liberté sexuelle chez ses parents mais
ne peut se remarier. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on
,
assimile sa situation à celle d'une jeune fille.
Son mari continue
d'avoir tous les droits sur elle et en fait une source de profit:
i l réclame les montants d'adultère,
récupère les
enfants qu'elle
engendre et bénéficie des contraintes du veuvage qui honore
tout époux à sa mort. Nous pensons que ce comportement est une
atteinte à la liberté de la femme dans la mesure où l'homme peut
divorcer de manière unilatérale.

255
Il Y a quelques années encore,
les AbE désapprou-
vaient les principes religieux en raison de leurs contradic~
tions avec les usages traditionnels. En outre, parce qu'il
est célibataire, le prêtre était considéré con®e un marginal.
Aujourd'hui, nombreux sont les AbE qui ont su curieusement
adapter les pratiques de l'Eglise aux moeurs, et le mariage
religieux se développe davantage en milieu rural où les gens
passent pour être conservateurs. Nous pensons que ce change-
ment d'attitude provient de l'esprit religieux des AbEchez
qui les rituels ont une grande importance. D'ailleurs c'est
le mariage religieux qui incite les villageois à contracter
le mariage civil dont la réalisation est la condition "sine
qua non".
Avec la scolarisation qui met en présence d'une
autre civilisation qui passe pour être le modèle à suivre,
l 'aven~r du mariage traditionnel
risque d'être fortement mena-
cé d'autant plus que les jeunes le considèrent comme dépassé.
Ces derniers soutiennent qu'ils paieront la compensation ma-
trimoniale par contrainte et surtout pour satisfaire les
désirs de leurs partenaires. En effet, les femmes intellec-
tuelles
(celles qui ont acquis une certaine instruction) ne
contestent pas le principe même de la compensation matrimo-
niale ;
ce qu'elles déplorent ce sont les abus qu'en font
certains parents qui utilisent leurs filles comme une source
d'enrichissement.
Il est vrai que lors du versement de la
compensation matrimoniale, les parents de la fille insistent

256
sur certaines de ses qualités, en particulier sa beauté,
son ardeur au travail et son intelligence. On conçoit que
toutes ces éloges soient nécessaires pour montrer au futur
conjoint ou à sa famille les mérites de la fille,
mais elles
ne doivent pas servir d'arguments pour exiger de l'homme le
paiement d'une somme supplémentaire. Nous regrettons de le
dire, ce comportement des parents s'accentue surtout en ce
qui concerne leurs filles qui ont été scolarisées. Le mariage
ne doit pas être un moyen de spéculation. Ce faisant,
on
enlève à cette institution son caractère sacré. La compensa-
tion matrimoniale conserve aujourd'hui encore cette particu-
larité dans le mariage en raison de la présence de l'or ou
de sa valeur en espèces. Sa suppression officielle n'a pas
eu l'effet escompté chez les AbE,car les coutumes restent en-
core très fortes et surtout à cause de ll au torité que les
parents ont sur leurs enfants. Cette autorité n'est pas un
1
mal,
au contraire, elle est l'un des meilleurs garants de la
cohésion de la société et des rapports d'assistance qui exis-
tent entre ses membres. A dix-huit ans en qccident, on peut
dire "Salut" à ses parents et partir. En Afrique,
les liens
familiaux maintenus empêchent l'individualisme de s'installer
et l'égoisme de s'épanouir. Toutefois l'autorité ne doit être
ni la dictature, ni la tyrannie. Elle doit s'exercer pour le
.
.
bien de l'individu et non restreindre sa liberté fondamentale
de choix du partenaire ainsi que la décision de l'âge du
mariage. Supprimer donc le mariage coutumier, c'est détruire,
Comme souligne le Professeur Balandier, ce qui reste
~.
! .

157
d'essentiel dans les institutions africaines bouleversées
par l'action coloniale. Il est souhaitable que la compensa-
tion matrimoniale subsiste dans l'avenir car elle constitue
le seul garant des relations
~interindividuelles au sein de
la société.
Quant à la polygynic r nous ne pensons pas que sa
suppression légale ait été nécessaire. Sa pratique était
justifiée par des considérations d'ordre économique et person-
nel principalement. Les contraintes économiques actuelles ne
permettent pas aux hommes de prendre plusieurs femmes. Déjà,
dans les villages,
les hommes se sont rendus compte de la situa-
tion qui s'impose à eux et réduisent de plus en plus le nom-
bre de leurs épouses. Même le désir d'avoir une multitude
d'enfants s'estompe. L'auto-destruction de la polygynie pa-
rait évidente à terme:
les femmes n'accepteront plus de par-
tir lep mains vides après plusieurs années de mariage, et les
parents les soutiendront dans leur action. L'homme, ne pouvant
plus se libérer de ses femmes pour les remplacer par d'autres
plus jeunes,
se trouvera pris à son propre jeu. Les hommes
prendront conscience des sacrifices que la polygynie implique
notamment la difficulté de subvenir aux besoins de plusieurs
femmes ainsi que de nombreux enfants. Sa suppression br~tale
en 1964 entraine l'existence des maitresses,
situation rare
dans la société traditionnelle. Le fait de reconnaitre à
l'homme ses droits sur un enfant naturel ne favorise pas la
disparition de la polygynie : le mari partage sa vie entre

258
son épouse et une maitresse qui lui fait aussi des enfants.
Nous ne pensons pas que cette solution soit l'idéal. La
reconnaissance des enfants naturels annule complètement les
effets escomptés par le législateur en promulguant la loi
de 1964. En effet la suppression de la polygynie ne pouvait
avoir de poids que si, parallèlement,
les enfants nés hors
du mariage ne pouvaient bénéficier des mêmes droits que les
enfants légitimes. Ce qui n'est pas actuellement le cas.
l'enfant naturel pouvant hériter"de son père au même titre
que l'enfant légitime. Cette situation ne peut que favoriser
le maintien de la polygynie. En plus, certains intellectuels
profitent des droits paternels qui leur sont reconnus sur les
enfants naturels pour én faire de façon anarchique. En géné-
ral,
ils profitent des allocations familiales qu'ils uti-
lisent à d'autres fins en négligeant totalement de satisfaire
aux besoins des enfants. Que l'Etat ivoirien veille à ce que
1
les hommes prennent leur responsabilité. Ce problème me sem-
ble fondamental car la réussite des enfants qui subissent
cette fâcheuse situation se trouve menacée.
Une lente recon-
version des mentalités aurait évité ces catastrophes, car
le développement est un processus progressif. Les lois établies
en 1964 sont donc prématurées. D'autre part,
la conception
trad i tionnelle du mar iage es t
principalement hascSe sur des va-
leurs intrinsèques qui rendent possible la polygynie,
tan-
dis que la conception occidentale du mariage repose en prin-
cipe sur l'amour. Au contact du monde moderne,
le changement
de mentalité est notoire chez les femmes intellectuelles.

259
Elles désapprouvent la polygynie en raison des conflits
qu'elle entraine et de l'intimité qu'elle ~mpêche. Je par-
tage l'avis de ces dernières car
je pense qu'un couple sou-
cieux de la tranquillité de son wénage doit choisir la mono-
gamie.
Pour terminer nous dirons qu'il est souhaitable que
le mariage civil soit un complément
du mariage coutumier et non
le modèle.
Chaque type de mariage
joue un r61e bien parti-
culier et l'individu y trouve son intérêt:
le mariage cou-
tuwier tisse des liens étroits entre deux familles et crée
des obligations qui favorisent la cohésion,
et le mariage
civil donne (les droits aux conjoints en cas' de divorce ou de
mort de l'un d'entre eux.
Un effort est à
faire du côté des ab( eux-mêmes
pour préserver leur identité culturelle.
Il faut donc qu'ils
prennent conscience de l'importance de leurs coutumes.
Sans ce préalable,
rien ne peut se faire et cela,
les AbE
le savent. Certaines coutumes en voie de disparition doivent
être revalorisées notamment la danse et le jeu
qui
jouent'un
rôle important dans la société.
Dans le domaine de l'artisanat
lancé par les Chinois,
l'effort doit se
poursuivre,
car la vannerie abE passe pour l'une des plus
réputées du pays.
En ce qui concerne le mariage,
sa publicité
doit être également maintenue pour deux raisons
: en effet,
elle constitue un moyen de récompenser la bonne tenue de la
jeune mariée et un moyen de faire naître ou de développer
l'amitié entre les villàges dont la présence des membres
ce jour-là crée une ambiance de solidarité.
En revanche,

260
la nudité au moment de la publicité du mariage doit être
facultative,
c'est-à-dire avec le consentement des futurs
époux:
lorsque la fille présente des défauts physiques,
la
réticence de l'homme sous les taquineries de son entourage
provoque parfois le divorce prématuré.
Pour que les efforts entrepris par les AbE soient
couronnés de succès,
il faut qu'ils s'intéressent particuli~-
ment à la
jeunesse
en lui apprenant que la coutume
est le révélateur de sa personnalité.
Pour cela, l'éducation,
l'information constante, constituent des moyens à la portée
des parents et des jeunes eux-mêmes. Chaque peuple,aussi
petit soit-il, doit maintenir ses traditions qui constituent
la base même de sa personnalité, et prendre avec discernement,
les meilleurs apports d'autres civilisations. Ce serait un
enrichissement parfait. Amener de manière autoritaire un
peuple,à changer brusquement de comportement,
fruit d'une
éducation multiséculaire, et lui imposer d'autres formes de
comportements qui vont à l'encontre de son système d'éduca-
tion, c'est créer une dualité dans laquelle l'individu se
sent perdu, et non répondre aux besoins de développement de
ce peuple.

261
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Rivière et Cie, 1961, 275 p.

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GL'Université Il'entend donner aucune appIôbatioll
Ili improbàtioll aux opinionc§ emises dans cet te thèse, c ec§
opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur:

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CVu c& pennis d 'iInpri[ner;
CLe eprésident de J'U1liversité

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