UNIVERSITE PARIS VIII - VINCENNES
DÉPARTEMENT THÉÂTRE
..
;;
LE THEATRE NEGRO - AFRICAIN :
PARADOXE OU VERITE ESTHETIQUE ?
(LE CAS IVOIRIEN - 1932/1972)
'/i-~~'~'S~~_ f.\\~f~~-;:i!~;~[~7;AÙ1E]
1 t"OUR L i::NSE;Gi\\h::;\\~E~\\lr SUPERŒUR.1
1 c.~. f'A E. s. -, 0. UA,GA.QPUGOU !
! Aïlï\\'ce ., 0 ~..JU~L .19~;J ..... 1
i. Elvegistr6 sous n° # n 0 9 9 5 i
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,
.-. ~-,.- -'~.~_ ~..;-;~..---:::,~.;;..~;;;;:;::.~--;- ---
THÈSE DE DOCTORAT DE 3ÈME CYCLE
D'ETUDES TECHNIQUES ET ESTHETIQUES DU THÉÂTRE.
PRÉSENTÉE PAR :
ABOUBAKAR TOU RE
SOUS LA DIRECTION DU PRQFESSEUR ANDRË VEINSTEIN
,.
1
1

PARIS -
1979

A mon
maître
,André
VEINSTEIN,
Il
a guidé, avec
une
disponibilité
constante, nos
premiers
pas
de
chercheur.
Qulil
veuille
trouver
dans
ces
lignes
l'expression
de
notre
profonde
gratitude.

A
mes
parents.
Ils
nlont
jamais
cessé de
nous
apporter
leur
aide
mo r a le
et
matérielle.
Nous
leur
redisons
notre
amour
filial.
A
nos
grands-parents-
A
toute
notre
famille.

A
ma
femme
et
à
mes
enfants
que
j'aime
et
qui
ont
su
accepter
les
sacrifices
que
nécessitait
l'élaboration
de
ce
travail.

A mes
frères
et
soeurs.
Que
Dieu
nous
accompagne
sur
l e
ch em i n
difficile
de
la
vie.

A mes
beaux-parents
A ma
belle
famille,
en
témoignage
de
ma
grande
affection.

Au
Directeur
de
11
Institut
de
Littérature
et
d'Esthétique
Négro-Africaine,
Christope
Dailly.
ç'est
grâce
à
lui
que
nous
avons
pu
faire
nos
études
à
Paris.
A mes
maîtres
et
à
mes
amis
de
l·Université
d'Abidjan.
Aux
artistes
Ivoiriens
et
Africains.
A
tous
mes
amis.

-..[(Zfn
"Car t
il
n'est poin~e l'oeuvre de l'homme
est finie
que nous n'avons rien à faire
au
t
monde t
que
nous parasitons
le monde
qu'il
t
suffit que nous nous mettions au pas du monde,
mais
l'oeuvre de l'homme vient seulement de
commencer et il reste à l'homme à conquerir
toute interdiction immobilisée aux coins de sa
fer ve ure tau c une ra ce ne po s's ède lem 0 n0 pol e
de la beauté, de l'intelligence, de la force ... "
(A.
Césaire)
INTRODUCTION

l
les racines profondes de l'interrogation qui
intitule cette tbèse remontent à ma propre
pratique, si
modeste soit-elle, du théâtre qui, pour avoir été une
pratique d'amateur, un théâtre scolaire puis universitai-
re (1), n'en fut pas moins un théâtre pour lequel je me
suis consacré à fond. C1est,plus exactement, en 1972 que
prend corps la problématique qui fait aujourd'hui l 'ob-
jet de nos réflexions. A cette époque, j'avais fondé,
avec mon ami Niangoranh
paRQUET, "le Duo TaURE-paRQUET et
Compagnie" et, à l'occasion de notre première création à
ab id jan, le 29 février 1972, j'ai écrit et enregistré un
texte
(2) qui situe bien nos préoccupations de l'époque,
préoccupations
que nous nous proposons de tenter de
résoudre au niveau de cette thèse. Ce texte de 1972, je
l'aurais peut-être écrit autreme~t aujourd'hui, je l'aurais
( 1 ) Il faut signaler cependant que j'ai eu une expérience
professionnelle lorsqu'en 1972 j'ai été sollicité par
. l'E~ole Natio~ale de.T~éâtre ge mon pays, la Côte d'
Ivolre, pour lnterpreter le role du mendiant-aveugle
dans
"[es gens des marais"
de Wole SOYINKA
mise en
scène par Jean FAVAREL.
'
1
De plus, pendant cinq ans, de 1970 à 1975, j'ai eu une
1< el ~r expérienceXdramatique au
mveau de la radio et de la
télévision ivoiriennes.
( 2 )
Que nous avons diffusé en introduction à notre spec-
tacle.

-12-
peut-être formulé avec des termes plus justes, plus appro-
priés, cependant, je le garde intacte, tel qu'i1 a été
écrit en 1972, parce qu'il est un témoignage direct et
spontané, parce qu'il contient en germes tout ce que je
peux dire aujourd'hui d'une autre manière, parce qu'en un
mot,i1 constitue le déclic même de notre sujet. Aussi, est-
il important que je vous le livre dans son intégralité
"Chers spectateurs, b.onsoir,
Cela fait un petit moment que Niangoranh et
moi, avec d'autres amis parfois, apparaissons devant
un
public pour dire des poèmes.
Au début, nous étions encore
au lycée, nous appelions cela
"récital de poésies"
et,
nous ne pouvions appeler cela autrement.
Nous étions enca-
drés par nos professeurs français qui ne pouvaient que trans-
poser en Afrique le récital de poésies tel qu'il était
fait chez eux ..•
Et puis, comment pourrait-on leur reprocher vraiment
cela?
Nous recevions même parfois, au lycée, la visite
de certains metteurs en scène et acteurs français de pas-
sage, ici, à Abidjan,
et qui venaient nous entretenir de
théâtre.
A cette époque, nous étions l
nos
débuts

-13-
dans le théâtre, nous avions une petite troupe au lycée,
et , nous avons eu une fois, je me rappelle, le plaisir
mais aussi le difficile devoir de dire quelques poêmes
devant un de ces metteurs en scène dont je ne me souviens
plus exactement du nom.
Nous nlavions pas dit beaucoup
de-poèmes, mais nous avions fait beaucoup de gestes.
C'était comme si nous voulions, à tout prix, traduire les
mots par des gestes, les renforcer,
les soutenir par des
mouvements rytmiques. Mais, lorsque nous avions fini de
dire nos poèmes que nous croyions avoir bien dit, nous
avons été fort déçus lorsque notre metteur en scène, fort
impressionnant et convaincu, nous a dit
limes enfants,
vous bougez trop !".
On pourrait penser que ces nombreux gestes
étaient dûs à un manque de contenance et de maîtrise sur
la scène,mais, aujourd'hui, lorsque nous faisons
une
certaine rétrospective, nous croyons fermement que, à notre
place, disant les mêmes poèmes, un jeune français, par
exemple, ou quelqu'un appartenant à une autre civilisation
que la nôtre, n'aurait pas dit ces poèmes de la même façon
que nous.
Dans le cas d'un jeune français précisément,
puisque c'est llexemple que nous connaissons, sa percep-
tion du texte aurait été très certainement di~férente.
Elle aurait été celle de ce metteur en scène qui nous
disait que nous bougions trop, c'est-à-dire, une percep-
tion par les mots, rien que les mots, c1est-à-dire, quel-

-14-
que chose de très intellectuelle, une réalité fort inté-
rieure.
Par contre, notre réaction à nous, africains,
débutant au théâtre et n'étant pas encore passés par le
moule de la dramaturgie occidentale qui était la seule en-
seignée et valable à l'époque, notre réaction avait été
extériorisée. Le rythme du geste, du mouvement venait ac-
compagner les mots et faisait du poême une musique, une
chanson, une danse ...
Mais, sans
chercher à comprendre notre atti-
tude, notre metteur en scène pour qui nous bougions trop,
nous a figés
et enfermés à l'intérieur de ses mots.
Il
fàllait donc que nous nous fassions violence pour réduire
notre interprétation aux mots seuls et à cette sensibi-
lité très intérieure dont il nous parlait.
A l'époque,
nous
étions, malgré tout, très heureux et, pour nous,
c'était une grande révélation, c'était comme si, tuant nos
gestes, nous avions réalisé une victoire sur nous, un pas
en avant.
Nous nlavions pas d'autres références que celles
de ces metteurs en scène occidentaux.
Mais, bien vite, nous nous sommes sentis mal
à lia is e à l 1 i nt é rie ur de ces mot s, ne pou van t plu s f air e
un geste, ne pouvant plus bouger.
Et, clest, tout simplement, de ce grand malaise
qu'est née
"La
Griotique".

-15-
Lorsqu'il s'est agi de
monter ce spectacle t
nous avons voulu lui trouver un autre nom que celui de
II r écital ll
car le mot
II r écital ll
suggère déjà un certain
style dramatique contre lequel nous voulions lutter. Nous
avons cherché et j'ai emprunté le terme
IIGriotique ll
à
mon ami Niangoranh.
C'est le titre d'un de ses recueils
de poèmes. Je ne cache pas que j'ai été quelque peu inquiet
lorsqu'il m'a dit'que son mot n'existait ni dans le petit
Robert ni dans le Larousse mais ce mot avait quand même
trouvé en moi une certaine résonance et t pourquoi pas t
nous l 'avons adopté.
Nous avons pensé qu'il pourrait bien consti-
tuer ce cadre dans lequel nous pourrions apporter notre
m0 des t e con tri but ion à l a ~'e mis e env ale ur den 0 s for mes
théâtrales traditionnelles t à l 'élabDration d'une drama-
turgie négro-africaine authentique. 1I
o
o
0
A la lumière donc de ce cas précis et, ponctuel t
toute la problématique de cette thèse a pour ~utt fondamen-
talement t de soulever la question des rapports entre le
théâtre tel que nous l'a légué l'Europe colonililsatrice t
en particulier la France t et tel que par la suite noUs

-16.,.
l'avons nous-mêmes bérité, et la sensibilité négro-
africaine telle qu'elle sIest toujours exprimée du point
de vue dramatique.
t
~/)ot.
A l expérience vécu
l I à
chaud ll au niveauYde
la
IIGriotique ll ,
à l'intuition artistique, nous voudrions
simplement confronter, au niveau de cette thèse, la cons-
truction théorique, le raisonnement scientifique.
Ce raisonnement s'organisera autour de deux
axes essentiels
1. - L'examen de la sensibilité négro-africaine
dans ses traductions dramatiques concrètes,examen
qui nous permettra, préalablement, de faire le
point sur l'existence, si controversée actuelle-
ment, dans les civilisations négro-africaine~
d'un art du théâtre au point que les africains,
aujourd'hui, puissent, légitimement, s'en
réclamer.
2.
- Nous parlerons, dans le deuxième grand volet
de cette thèse,de paradoxe ou de vérité esthétique
selon que l'héritage théâtral légué par l'occi-
dent constitue, pour l'Afrique noire, un frein
dans l'expression de son génie dramatique ou, au
contraire, reflète assez bien la sensibilité
dramatique négro-africaine.

-17-
Telle que nous formulons cette problématique,
il apparaît que, logique~ent, le cadre géographique de
cette thèse devrait s'étendre à toutes les ex-colomes fran-
çaises d'Afrique noire devenues aujourdthui des états in-
dépendants. Toutefois, par les limites même que nous impose
un doctorat de 3ème cycle, notre travail ne pourra couvrir
cet immense territoire d 1 un seul tenant que constituaient,
sur tout
l'ouest du continent~
les anciennes colonies
françaises d'Afrique noire et qui égalait neuf fois la
superficie de la France~ soit cinq millions de kilomètres
carrés (1).
Aussi, plutôt q.ue de nous disperser, avons-
nous préféré~ partant d'un cas spécifique~ celui de notre
propre pays~ la Côte-d'Ivoire
- que~ de surcroît~
nous
avons l'avantage de mieux connaître et on~ dep~is dix ans
maintenant~nous sommes mêlés de près à l'activité théâtrale
approfondir notre réflexion.
II
Située à l'Ouest du continent africain~ entre
l'équateur et le tropique du Cancer, la Côte d' Ivoire~
dont les frontières lui donnent grossièrement la forme d'
un carré~ est limitée au sud par l 'océan atlantique~ à
l'est par le Ghana, au nord par la Haute~Volta et le Mali
et à l'ouest par la Guinée et le Libéria.
(1) Joseph KI-ZERBO
- Histoire de l'Afrique noire d'hier à
demain - Paris~ Hatier~ 1972~ f435.

Sa population, estimée aujourd'hui à 6.000.000
d'habitants, se trouve répartie sur une superficie de
oPO
322~ilomètres carrés.
Comme pour sa végétation, la population en
Côte-d'Ivoire peut être divisée en deux grandes zones
les civilisations de la savane, dans le nord,
les civilisations de la forêt, au sud.
A l'intérieur de chacune de ces zones se
dégagent de grands groupes ethniques. Ainsi, distingue-t-
on dans la zone soudanaise du nord, les Sénoufos, au centre-
n0 r d·, et, de cha que côté d' eux, les Mal i nké s à l' 0 uest et,
à l'est,
les Koulangos et les Lobis. Dans la zone côtière
du sud s'imposent les Akan à l'est et à l'ouest les groupes
Krou et Mande.
III
Pour un tel travail, nous avons été confron-
tés à un problème de documentation, de sources. Car, en
effet, aucune recherche, aucun travail d~terminant n'a
encore été entrepris, en Afrique noire, en matière d'esthé-
tique théâtrale.
L'ouvrage de Baka~Y TRAORE (1), publié
.(1) Bakary TRAORE - Le théâtre négro-africain et ses fonc-
tions sociales - Paris, P.A. , 1958.

-19 ...
en
1958, se veut avant tout sociologique et celui de
Robert CORNEVIN (1), paru en 1970, se présente davantage
comme un bilan bistorique du
"Théâtre en Afriqu~ noirè et
à Madagascar".
Or, ces deux ouvrages constituent les
deux seuls travaux dlensemble sur le théâtre en Afrique
Noire.
Tout" le reste de l'essentiel de la documenta-
tion se trouve dispersé, d'une part,dans
des périodiques,
consacrés à l IAfrique noire, de natures extrêmement diver-
ses et, d'autre part,
dans des ouvrages relatifs à d'au-
tres sujets, comme la littérature ou l 'histoire, et qui ni
abordent qu'accessoirement les problèmes du théâtre. Il nous
a fallu aussi consulter quelques 4.000 numéros du quotidien
ivoirien (2) pour pouvoir en dégager un tableau panoramique
et suivi de l'activité théâtrale en tôte dl Ivoire de 1960
à 1972 notamment et pour nous rafra1chir la mémoire sur
des faits que, bien souvent, nous avons nous-mêmes vécus
mais qu'il fallait préciser davantage, surtout concernant
le théâtre ivoirien des années 1970.
Nourri de notre propre pratique artistique,
le noyau de cette thèse n'a pas sa généologie, ses sources
( 1 ) Robert COR NEVIN - Le" thé â t r e en fi. f ri que no i r ee t à
Madagascar - P~ris, le Livre Africain, 1970.
( 2 ) Ce quotidien qui s'appelle
"Abidjan-Matin"
jusqu'en
1964 devient à partir du 9 décembre 1964
"Fraternité-
Matin".
Il garde encore aujourd'hui cette dernière
appellation.

-20-
dans les livres.
Cependant, le caractère même de notre
travail nous obligeait à dépasser l'essai,
à
ne
pas
nous
limiter à lui.
C'est dans cet esprit que
nOus avons e~ recours à un certain nombre d'ouvrages,
d'études, d'articles ... bref! de références concrètes dont
la confrontation
avec nos propres préoccupations a néanmoins
contribué de façon enrichissante à la gràduelle émergence
de nos principales thèses.
C'est donc dans ce but que nous parlerons de
sources afin que le lecteur puisse, éventuellement, se ré-
férer à des éléments bibliographiques
(réunis à la fin de
notre texte)
lui permettant de comprendre davantage nos
. t
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de la pratique, veut avant tou.f~,y d.é.b·ouc'h~r, c'est-à-dire
~p
être un moyen concret, une contributïon réelle devant per-
mettre de sortir notre Art dramatique d'un piétinement et
d'un recul incessant.

CHAPITRE
10
DE
LA
SENSIBILITE
NEGRO-AFRICAINE
DA NS
SES
TRAD IfC TIaN SOR AMAT l QLI ES0
! !
o
0
'"
.'.
.

PREMIERE
PARTIE
THEATRE
ET
CIVILISATIONS
NEGRO-AFRICAINES
TRADITIONNELLES
Sur la question de savoir si les civilisations·
négro-africaines traditionnelles ont réellement connu l'Art
du théâtre, les opinions continuent de diverger: pour les
uns, le théâtre en Afrique noire est un art très ancien et
nullement étranger aux nègres, pour les autres, les noirs
d'Afrique ignorent l'art du théât~e qui n'apparalt vérita-
blement sur le continent qu'à la suite de la pénétration
coloniale.
Nous exposerons ces deux groupes d'opinions
avant de les examiner et de dégager les conclusions qui
s'imposent.
Ces opinions antagonistes qui se trouvent,
aujourd'hui, cristallisées dans les deux seuls ouvrages
d'ensemble existant sur le théâtre en Afrique noire,

l'ouvrage de BAKARY
TRAORE (1) et celui de Robert
CORNEVIN (2), naissent dans la première moitié de notre
siècle avec, d'une part,Maurice DELAFOSSE et Henri LABOURET
et, d'autre part, Maurice PROUTEAUX et Charles BEART.
1.
LE
THEATRE
EN
AFRIQUE
COMME
UN
ART
ANCIEN
Maurice DELAFOSSE a~paralt. comme l'un des
tous premiers, sinon le tout premier, à avoir formulé la
thèse de l'existence d'un théâtre négro-africain ancien.
S'appuyant sur un document de Moussa TRAVELE , interprète
bien connu de l'époque (3), DELAFOSSE semblait voir ses
propres idées confirmées et était rassuré pour affirmer
"personnellement, j'ai assisté bien des fois, tant à la
Côte d'Ivoire que dans diverses régi~ns du Soudan, à des
représentations théâtrales de ce genre, tantôt parlées et
chantées, tantôt simplement mimées.
Je me souviens en par-
ti~ulier d'une ~antomine érotique, à deux personnages, que
(1) O.C.
(2) O.C.
(3) Contrairement ~ la majorité des interprètes qui ~vaient
apris la lan~ue fran~aise sur le tas et qui exercaie~t
tant bien que mal leur fonction, Moussa TRAVELE
~tait
lettré, suffisamment en tout cas pour avoir apporté une
con tri but ion â l'e t hno log i e af ri ca i ne de lié p'o que.

-24-
j'ai
vue jouer en 1902 à Bouna (Haute Côte d'Ivoire)
par des Koul ango ... "
et
DELAFOSSE poursuit
"Beaucoup de danses mimées, que les européens englobent
sous le nom générique et trompeur de
"tam-tam",
ne sont
en réalité pas autre cbose que des représentations drama-
tiques. Il en est de satiriques, il en est aussi de guer-
rières, et l'on peut dire que tous les genres sont repré-
sentés. C'est du tbéâtre encore à llétat d'enfance, mais ~
con c lut 0ELA FOS SE
- c' est bi end u thé â t r e ,i (1).
o
o
0
Reprenant et traitant avec beaucoup plus dl
ampleur l'étude amorcée par DELAFOSSE en 1916, Henri
LABOURET et le m~me Moussa TRAVELE consacrent en 1928 une
autre étude concernant particulièrement
"Le théâtre
Mandingue".
Après avoir rappelé brièvement, mais de façon
percutante tout de m~me,
l'importance et le prestige de la
vieille civilisation Mandingue,
"un des plus grands em-
pires du mondell ,
LABOURET et TRAVELE en déduisent qu'il·
( 1) Mau r i ce 0ELA FOS SE -
" Con tri but ion à l'é t ude dut hé âtre
chez les noirs"
in Annuaire et Mémoires du Comité dl
études historiques et scientifiques de l'Afrique
Occidentale Française. -
Gorée, Imprimerie du Gouver-
neur Général, 1916. Pages 352 à 355.

-25-
est normal de
"trouver dans la région qui la vit rayonner
des institutions sociales très particulières et des mani-
festations ~rtistiques méritant d'être étudiées." (I).
En ce qui concerne plus précisément
ilLe
théâtre Mandingue",
ils écrivent sur la base, d'une part,
de l'examen et de la description d'un certain nombre de
représentations, et, d'autre part, de l'étude de plusieurs
pièces recueillies et traduites en français, qu'
"il ne
s'agit point d'exhibitions banales de marionettes, de pres-
tidigitateuis, de magiciens, de charmeurs d'animaux, comme
il s'en trouve dans certaines parties de l'Afrique, mais
bien de véritables pièces parfaitement ordonnées et réglées,
destinées à exposer une intrigue déterminée, en employant
pour interpréter celle-ci des acteurs humains."
(2).
LABOURET et TRAVELE en concluent
liOn peut donc affirmer, dans ces conditions,
qu'il existe bien un théâtre soudanais". (3).
Parlant plus tard de ce théâtre, LABOURET
écrit même, dans son Paysans d'Afrique Occidentale, qu '
"il n'est guère possible de fixer l'âge de cette institu-
tion qui paraît ancienne". (4).
( 1) H. LA BOU RET et M. TRAVELE. -
Il Le
Th é â t reM and i ngue Il
i n
Africa, London,Oxford University ·Press, 1928,p. 74
(2) O.C.
,
p. 74.
(3) O.C.
,
P.
74.
(4) H. LABOURET - Paysans d'Afrique Occidentale - Paris
Gallimard, I94I,p. 267.
'~. ,.: >:,

-26-
o
o
0
Pour Bakary tRAORE, il n'y a pas de doute, les civilisa-
tions négro-africaines traditionnelles ont bel et bien
connu l'Art du théâtre. Dans son
Le théâtre négro-
africain et ses fonctions sociales (1), qui constitue, mal-
gré sa tendance sociologique, le premier ouvrage d'ensemble
sur le théâtre
négro-africain, Bakary TRAORE s'emploie
énergiquement
à
"apporter la preuve scientifique de l'exis-
tence et de la portée du théâtre
négro-africain" (2). Il
nous faut, en passant, rendre hommage à Bakary TRAORE
qui
a osé le premier s'attaquer à ce problème épineux du théa-
tre africain sur lequel très peu de chercheurs africains ou
africanistes se sont engagés à fond.
Selon TRAORE, il faut
voir
les sources majeures dè ce théâtre traditionnel négro-
africain dans la religion, le folklore et la danse.
1. - Religion et théâtre
Il apparaît en effet à Bakary TRAORE que
"La première
manifestation du théâtre négro-africain à ses origines
dans 1e~ cérémonies religieuses et cosmiques. Le
théâtre négro-africain - poursuit-il, n'avait pas pu
échapper à l'impératif religieux qui commande toute
i ns t it ut i on en Af r i que no ire" (3).
(1) O.C.
(2) O.C.,p.
9
(3) 0.C.,p.32.
l'
'.- '-".\\~; .

-27-
S'appuyant sur la pensée de Gu~tave
COHEN
lorsqu'il écrit dans ~o~
Le théât~e au moyen-âge
(1) :
"toute religion estelle-même génératrice de drame et tout
culte prend volonti~rs et spontanément l'aspect dramatique
,et théâtral" , Bakary TRAORE alimente sa thèse sur l'exis-
tence d'un tbéâtre-afritain ancien car, dit-il
"la reli-
giosité fut un caractère essentiel de la vie en Afrique
no ire" (2).
Prenant ça et là des exemples de manifestations
religieuses en Afrique traditionnelle et faisant allusion
pour appuyer son point de vue aux origines Dionysiaques du
théâtre grec, Bakary TRAORE remarque que dans l'Afrique
traditionnelle comme dans la Grèce antique,
"le rite
religieux tend vers la représentation dramatique". (3)
"Au cours de son évolution
- précise-t-il encore
- la
représentation dramatique dé~orde le rituel de la fête,
et devient elle-même un rite autonome".
Se référant à Pierre VERGER
dans ses Dieux
d'Afrique (4) Bakary TRAORE nous démontre une fois de plus,
s'il en était encore besoin, comment la religion a pu
constituer pour le théâtre africain traditionnel une véri-
(1) Paris, P.U.F., 1948 - citation faite par B. TRAORE à la
p. 25 de son ouvrage -
(2) O. C.,
p.
24
(3) O.C., p.
26
(4) Paris, P. Hartmann éditeur, 1954.

-.. 28-
, \\ '.
NI'6',(\\Q..!
table matrice
: "Au Dahomey et au ~
- écrit-il -
le culte rendu aux Orishas et aux Vaudou est l'occasion
de manifestations ou chants et danses se mêlent pour
réactualiser et mimer les passions, les guerres, les
hauts faits des ancêtres mytiques et divinisés! ( ... ).
Ces monologues dits avec expression par des griots au
moyen de gestes et de mimes appropriés tendent vers le
théâtre.
Monsieur VERGER voit aussi dans ces cérémonies
poursuit Bakary TRAORE
des germes de théâtre et
tient les
"Babalorîsha"
ou les
"Ya10risha"
comme met-
teurs en scène et l' "A1agbe"
comme chef d'orchestre".(l)
"Ainsi
précise Bakary TRAORE
le pro-
cessus du développement du drame commence en religion et
se termine en esthétique". (2)
2. - Folklore et théâtre.
"Si l'on considère le théâtre
écrit
Bakary TRAORE
- comme trouvant principalement matière
dans le folklore, c'est-à-dire, dans un ensemble de mythe,
de légendes, de traditions, de contes, il existe un théâ-
tre spécifiquement négro-africain remontant aussi loin
que les civilisations africaines." (3).
L'exemple des griots et des conteurs en
(1)
B. TRAORE,
O.C., p. 32
(2) O.C.,
p.
27-
(3) O.C.,
p.
17
"
.-: ,'~.' "

-29-
général, dépositaire dans les civilisations africaines
d'une grande pa~tie de la littérature, mythes,légend~S ,
et contes, revient souvent sous la plume de Bakary_
TRAORE
qui nous évoque longuement
1I1 es légendes
mimées"
qui attirent,
II pen dant les veillées galantes ll ,
la foule
des Peu l h duS é né gal au t 0 ur du
Il g rio t - a ete ur Il ,
les
conteurs à Saint-Louis du Sénégal mimant leurs contes ou
encore les
II r écitatifs ll
et les II pièces à joute oratoire ll
ou excellent, en Haute-Volta par exemple
les griots Bobos. '
IIDans la mesure
conclut Bakary TRAORE -
où la plupart des mythes et des légende~
étaient joués,
nous pouvons en déduire que l'Afrique a connu ~es ~ermes
de théâtre tout comme les premiers Grecs ll (1).
Il faut voir aussi dans
IILes traditions ll
qu'englobe.,
selon la définition de Bakary TRAORE, la
notion de folklore,
les sources possibles d'un théâtre
négro-africaih ancien et spécifique, des traditions comme
r
chez les Mbàto, de la re1Qgion de Bingerville (2) en Côte
---
d'Ivoire, où
1I1 es promotions de classe ou fraternités
d'âges sont l'occasion de cérémonies représentatives ou
de reconstitutions historiques ll
(3) ou comme chez les
(1) O.C., p. 34
(2) Chef-lieu de la colonie de 1900 à 1934, Bingerville est
situé à 17 km à l lest d'Abidjan, capitale de la Côte-
d'Ivoire. Bingerville est actuellement sous-préfecture.
( 3) o. C., p. 34.

-30-
Appoloniens, voisins des Mbato, qui
lIà l'occasion de
l'Abissa évoquent la vie des ancêtres, leurs chants et
imitent leur langage ll (1), ou encore des traditions comme
chez les Mandingue pour leur Komo ou comme chez les Magous-
s a0 ua ch as s eu r s , dan s l e gr and bas sin, e nt rel e Ni ge r e t
le lac Tchad, qui
II pra tiquent lors des préparatifs à
"initiation un jeu qui à tout prendre est une forme de
théâtre ... 11 (2).
3. - Danse et théâtre
Il L ' 0 n
ne s a urai t par 1er des sou r ces du. thé ât r e
négro-africain
constate Bakary TRAORE
- sans citer
ces deux
manifestations essentiels
: la musique et la
danse, la chanson et la chorégraphie ll (3).
Insistant plus particulièrement sur la danse,
Bakary TRAORE écrit que
IILes danses africaines sont
mimétiques et par conséquent tendent vers le théâtre ... 1I (4).
Et plus loin, développant sa pensée, il pré-
cise
IILa danse par l'utilisation de la forme hu-
maine vivante présente les passions et les actes des hommes
(1) O. C. , p • 34
( 2 ) O. C. , p . 35
( 3 ) O. C. , p. 39
( 4 ) O. C. , p . 39.
.... 0'.""
<
"
.~

-31-
pour exprimer une émotion collective, enseigner un rite
religieux, produire un divertissement. Il arrive égale-
men t que lad ans e s ym bol i s e une lé ge nde
0 u un
con te. Le
ballet par cet ensemble des mouvements collectifs et
rytmés comporte souvent une action théâtrale; c'est le
.,
cas de la pantomime, exécution
dramatique où les person-
nages et les histoires sont représentés en
"mue t". (1).
II
LE
THEATRE
EN
AFRIQUE
COMME
UN
APPORT
DE
L'OCCIDENT
COLONISATEUR
Allant contre l'opinion de DELAFOSSE en
faveur de l'existence d'un théâtre négro-africain ancien,
c'est PROUTEAUX,qui, le premier, va refuser catégoriquement
de croire que l'Afrique noire traditionnelle ait pu
connaltre l'Art du théâtre.
C'est, en 1929, plus dde quinze
ans après les premiers
"divertissements"
au~uels il
..--......
assistait déjà dans le petit village de Sienso, dans la
haute Côte d'Ivoire, chez les Sénoufos, qu'il livre ses
(I) O.C., p. 41.
l":'" ,,'

-32-
points de vue. (1). Et, selon PROUTEAUX, rien de toutes
ces manifèstations négro-africaines traditionnelles aux-
quelles il a pu assister ne lui permet de penser au
théâtre. Aussi, en tête même de son étude, comme pour dis-
siper tout malentendu, il précise
"5'i1 est une chose que 1'on s'attend peu à
rencontrer dans les villages de la brousse africaine,
c'est bien une représentation théâtrale, si rudimentaire
soit-elle. Le noir, qui adore entendre raconter des fables
et des légendes, semble, au moins pour la grande majorité
de ceux
que j'ai connus, absolument étranger à la concep-
tion d'une fable mimée et jouée par des individus incar-
nant les héros de l'aventure. Même les plus lettrés de nos
indigènes
- poursuit PROUTEAUX
ont quelque peine à
s e f air e une i dée de ce que n0 usa ppel 0 ns 1eth é ât r e . . . "'( 2 ) .
o
o
0
En ce qui concerne Charles BEART, nous re1e-
vons p1usieurs,notamment trois, interventions sur les
problèmes du théâtre africain.
(1) M. PROUTEAUX -
"Premiers essais de théâtre chez les
indigènes d~ la Haute Côte d'Ivoire"
in Bulletin du
Comité d'études historigues et scientifiques de
l'Afrique Occidentale Française. - Paris, Larose, 1929.
(2) O.C.,
p. 448.

---- .. --
~~:--. '~'---_.
,.-..-..~._.._.--~~-~--_.
-33-
la première de ces interventions se situe en
1937, à Dakar, à lloccasion de la publication d'un numé -
ro spécial de l'Education Africaine, bulletin de l'ensei-
gnement de l'A.O.F. Charles
BEART, en guise d'introduc-
tion magistrale à ce numéro spécial consacré au théâtre
.,
de l'Ecole Normale William Pont y, écrivait un volumineux
article de fond-intitulé
"le théâtre
indigène et la
culture franco-africaine".
En 1960, dans
Recherche des éléments d'une
sociologie des peuples africains à partir de leurs jeux
qu'il publie chez Présence Africaine,
BEART consacre
quelques pages (1), les toutes dernières, au théâtre
africain.
Et enfin, en 1962, BEART fait à l'Académie
des Sciences d'Outre-Mer une longue communication qui
constitue sans doute ses réflexions les plus achevées sur
la question du théâtre africain. le jeune Bakary TRAORE
vient de publier, en 1958, son
Théâtre négro-africain
et ses fonctions sociales (2) et l'on sait que le Maître
de Bingerville et de William Pont y ne partageait pas bon
,.
nombre de points de vue de cet ouvrage.
la nécessité dl
une mise au point s'était-elle fai4sentir chez lui à la
(1)
Oe la page 127 à la page 147.
( 2 )
0 . C.
.~ ,....

veille de sa mort? (1).
.,
De cet ensemble de réflexions, pourtant éta-
lées dans le temps, lion constate
que la position
de
Charles BEART ne varie pas. En effet, il en ressort nette-
ment que, pour lui, ce qulon peut appeler
"à la rigueur"(2)
"Le théitre indigène"
ne doit pas faire oublier qulen
fait l'Afrique noire traditionnelle était en-deçà du théâ-
tre proprement dit avant la pénétration française, qu'elle
était au stade d'un
IIthéâtre emoryonnaire ll (3),
d'une
" é bau che" (4 ) de thé â tr e, a u s t a de, selon BEART, du
spectacle qui précède le théâtre 8erl ' enfante.
Pour Charles BEART, clest , en définitive, la
pénétration française qui a opéré cette mutation du simple
spectacle au vrai théâtre, du spectacle négro-africain
au théâtre
négro-africain.
" La lit t é rat ure f r a nça i se - é c r it - i 1... - a
joué très exactement
le rôle qu'à joué la littérature
(1)
Charles BEART, né à Paris le 13 février 1895, est
décédé en effet, au Val-de-Grâce
,le 23 juin 1964.
(2)
BEART - Les origines du théâtre dans le monde; posi-
tion actuelle du théâtre africain, in Comptes-rendus
mensuels ~es séances de l 'académie des sciences
dl
Outre-Mer, p. 145
(3)
Cette expression employée à la page 5 du numéro spé-
cial de l'Education Africaine, revient à la page 134
de Recherche des éléments d'une sociologie des peuples
africains à partir de leurs jeux: - Paris, Présence
Africaine, 1960.
(4)
BEART, O.C. p. 144.

-35 ...
."
grecque et latine lors de la création du théâtre européen
o
moderne. Elle a fourni un levain et quelquefois des
moules. 1I (1).
o
o
0
Robert CORNEVIN refuse également, en dehors
du contexte nouveau de
llAfrique noire dite francophone,
de parler véritablement de théâtre chez les négro-
africains. Slil écrit en tête de son chapitre, dlailleurs
trop bref, consacré au
IIthéâtre africain autochtone Il que
IIdes formes de théâtres existaient en Afrique bien avant
les manifestations des él~ves de lIE.P.S.
(Ecole Primaire
Supérieure) de Bingerville ou de l'Ecole William Pont y et
même avant 11 arrivée des européens Il (2), il ne pense pas
moins, tout au long de son chapitre, de façon dlailleurs
fort subtile quelquefois, que
lices sortes de petits jeux
représentent dans tous les coins dlAfrique une sorte de
pré-théâtre, de théâtre avant la lettre dont les éléments
seront utilisés sur les planches
d~s que le vrai théâtre
sera constitué ll (3).
(1)
BEART - O.C., P. 156
(2) R.
CORNEVIN - O.C., p. Il
(3)
O.C., p. 22.

~36-
La position de Robert CORNEVIN, pour n'avoir
pas toujours été formulé avec netteté, n'apparaît pas
immédiatement au lecteur. 'Cependant, il devient aisé,
au terme d'une lecture attentive de l'ensemble de son
ouvrage, de conclure que, pour lui, c'est avec la pénétra-
tion occidentale, la pénétration coloniale, concrétisée au
niveau éducatif et culturel par le développement des écoles
et des missions chrétiennes, que naît réellement un
thé ât r e af r i c a i n, " lev rai thé â t r e Il •
Nié cri t - i l pas, à
propos du Sénégal, qu' "il est, en matière théâtrale, un
pays hautement privilégié du fait de l'ancienneté de l'im-
plantation française ?" (1).
o
o
0
A la suite de l'ouvrage de Bakary TRAORE,il
faut dire que la thèse d'une existence ancienne du théa-
tre en Afrique noire semble faire son chemin et gagner
les esprits. En tout cas, outre les nouvelles interventions
de BEART, en 1960 et 1962, interventions qui d'ailleurs
ne faisaient que confirmer son opinion antérieure, on
ne trouve plus beaucoup trace de ce conflit sur l'existence
(1)
O.C. p. 184.

-37-
ou non du théâtre en Afrique noire traditionnelle. Dans
trois articles (1) concernant le théâtre négro-africain,
que publie la revue bien connue
Présence Africaine, en
1964 et 1965 , aucune allusion n'est faite à cette contro-
verse sur l'existence d'un théâtre négro-africain ancien.
Pour les auteurs de ces articles, le problème semble avoir
été résolu.
Aussi, n'hésitent-ils pas le moins du monde
à parler de
"théâtre villageois"
comme Claude
-MEILLASSOUX ou de
"théâtre Bambara traditionnel"
comme
HOPKINS.
Il faut attendre la publication de l'ouvrage
de Robert CORNEVIN EN
1970, douze ans après Le
théâtre
négro-africain et ses fonctions sociales
de Bakary TRAORE,
pour avoir le sentiment qu'à nouveau le débat n'est pas
clos.
Ce débat, le colloque d'Abidjan sur le théâtre
négro-africain (2) le relance dans la même année.
Car,
en effet, si, se faisant l'écho de Bakary TRAORE, 1ui-
même présent à ce colloque, personne n'hésite à parler
de"théâtre négro-africain traditionnel" , il n'en demeure
(I) Ces artit1es sont:
_
1
Claude MEILLASSOUX- "La face vi11agoise à la ville
le
"Koteba" de Bamako", nO 52,4ème trimestre 1964.
2 - Félix MORISSEAU-LEROY - "Théâtre dans la révolution
africaine", nO 52, 4ème trimestre 1964.
3 - N.S. HOPKINS - "Le théâtre moderne au Mali" , N° 53,
1er trimestre 1965.
(2) cf. Actes du colloque sur le théâtre
négro-africain-
Parisi
Présence
Africaine, 1971.

-38-
pas moins, que pour Claude
PAIRAULT (1), chargé d'in-
tervenir plus spécialement sur cette question, sur les
origines et les éléments constitu.tifs du théât~e négro-
africain traditionnel, il est exagéré et même ~nadéquat
de parler de
IIthéâtre ll
en Afrique noire traditionnelle.
Ainsi, à partir de 1970, le débat repart. On en trouvera
des traces persistantes çà et là dans l'Afrique Litté-
raire et artistique,
nouvelle revue africaine qui vient
d'être publiée (2).
Aujourd'hui comme au début du siècle ledébat
reste donc ouvert. Sans avoir la prétention d'apporter
une réponse définitive et absolue à cette interrogation
qui, nous l'avons vu, reste préoccupante, nous tenterons,
du moins, d'apporter, à la lumière des analyses qui sui-
vent, quelques éléments de réponse.
(1) Claude PAIRAULT - "Ou trouver le théâtre?
"in Actes du
cologue sur, le théâtre négro-africain. O.C
• p. 15 à 20
(2) Le
premier Numéro de cette nouvelle revue paraît en 1968.

-39-
III
LE
THEATRE
EN
AFRIQUE
ART
ANCIEN
OU
APPORT
DE
L'OCCIDENT
?
1.
Examen critique des opinions formulées
1.1. Autour d'une définition du théâtre.
Aucun des auteurs des opinions précédemment for-
mulées, sauf peut-être BEART, sur l'existence ou
non du théâtre négra-africain ancien ne prend
soin, au préalable, de nous proposer une quel-
conque définition du théâtre, de nous dire ce
qu' il entend par 11 Art du théâtre avant dl avancer
que telle ou telle manifestation négra-africaine
traditionnelle est ou
n'est pas du théâtre.
En dehors de BEART qui semble s'être préoccupé
quelque peu de ce problème d'une approche de
l'Art du théâtre en tant que tel, PROUTEAUX et
CORNEVIN pas plus que DELAFOSSE, LABOURET et
Bakary TRAORE ne se sont souciés de nous dire
ce qu1ils entendent par la notion de théâtre.
Car, en effet, pour prendre deux exemples, chez
les représentants des opinions des deux tendances

opposées, l'on constate, pour ce qui concerne, tout
d'abord, DELAFOSSE,qu'il est fort mal aisé de
parler, systématiquement d'Art du théâtre lors-
qu' 0 n set r 0 uve e n f ace de" dan ses mim é es" (1).
DELAFOSSE , qui a reproché à ses compatriotes
européens d'englober ces
"danses mimées sous le
nom générique et trompeur de
"tam-tam" (2),
ne s'est-il pas trompé lui-même quand il les en-
globait sous le nom de
"théâtre"?
Ne s'est-il
pas trompé quand il englobait sous le nom de
"théâtre"
ces représentations
"tantôt parlées
et chantées, tantôt simplement mimées"?
(3).
Quant à
PROUTEAUX qui, pas plus que DELAFOSSE,
ne nous aide à nous faire une idée de ce que,
dit-il,
"nous appelons le théâtre",
ce qui
pourtant aurait fondé davantage sa thèse, la plus
extrémiste, sans doute, sur l'inexistence d'un
théâtre négro-africain traditionnel, il semble
toutefois que pour lui le théâtre évoquerait
Il 1 a
con cep t ion d' une f aIl 1e mi mé e et j 0 uée pa r des
individus incarnant leAhéros de l'aventure" (4).
Lion peut, cependant, difficilement avancer que
PROUTEAUX lui-m~me aurait tenu sa formule pour
une définition adéquate du théâtre, à moins
( 1) Su pr a, p. n 24
(2)
Supra, p. n
2'-1
(3)
Supra,p.){
Z3>
(4)
Supra, p. ~
'l>'Z.

-41-
qu'il ait été, sans sien apercevoir, en contra-
diction flagrante avec lui-même puisque toute son
étude, qui décrit le
IISougounougoull des
Sénoufos (1) témoigne pour le moins que les noirs
ne sont pas inaptes à cette faculté de concevoir
une fable, une histoire ou un récit quelconque,
qui serait
II mimée ll
et
IIjouée ll
par
IIdes indi-
vidus incarnant les héros de l laventure ll . Charles
BEART, le seul à n'avoir pas ignoré complètement
cette question d'une définition du théâtre,écrit
"1 1 imprécision du terme
"théâtron ll
qui se rat-
tache à l'un des verbes grecs qui signifie "voir,
regarder, contempler"
justifie à la rigueur,
son emploi pour tous les spectacles qui ont
précédé le théâtre et dont il est sorti aux beaux
jours des grandes dionysies d'Athènes ll (2).Mais,
précise plus loin Charles BEART, si
IItoutes les
civilisations agraires ont connu des spectacles
comparab l es à ceux de notre moyen âge ll (3) il
faut dire, selon lui, que ces spectacles ne sont
jamais allés
IIdans le sens du théâtre ll (4).
Le fait donc, selon BEART, qu'on puisse tolérer
l'usage du terme
IIthéâtre ll
pour bon nombre de
spectacles ne doit pas nous faire perdre de vue,
qu'en réalité, ces spectacles sont demeurés
( 1 ) Infra,
p. 9t,. -
( 2 ) BEART - Communication de l 'académie des sciences dlOutre-Mer
O.C., p. 145.
( 3) BEART - O.C., p. 148
( 4 ) BEART - O.C., p. 149

-42-
toujours en deçà du théâtre proprement dit. C'est
~'l.-
pour cela d'ailleurs que le Maîtr~ONTY a fer-
mement reproché à
Bakary TRAORE d'avoir anticipé
en faisant entrer la majorité des spectacles ou
cérémonies religieuses traditionnelles d'Afrique
noire dans l'Art du Théâtre. Pas plus que le
saint sacrifice
de la messe dans une église
chrétienne, ces
spectacles ou cérémonies reli-
gieuses ne relèvent, selon BEART, du théâtre.
Aussi, pourra t-on dire, affirme BEART, cernant
de plus en plus l'Art du théâtre,
II qu 'il
y aura
théâtre quand des acteurs qui ne croiront plus à
ces mythes re-présenteront ces actions drama-
tiques pour res-susciter
dans l'âme de leurs
spectateurs, par jeu, pour la durée du spectacle
quelque chose des sentiments des croyants d'au-
trefois ou pour susciter quelque autre émotion
toujours par jeu et pour la durée du spectacle à
lloccasion de cette représentation.
Nous parti-
ciperons nous,
spectateurs, certes, mais ce
sera une participation de jeu, pas une emprise"(l)
En tout cas, en premier lieu, le théâtre suppose
fondamentalement, selon BEART, une
IIdésacrali-
sation ll (2)
du spectacle.
Or, si lion considère
(1) Recherche des éléments dlune sociologie des peuples afri-
c a i ns à partir de leurs jeu x, 0 . C., p. 1 34 .
Les mots soulignés sont de BEART 1ui-même. Il y voit, sans
dout~,des faits caractéristiques de l'Art du théâtre.
(2)0.C.,
p.
134.

-43-
le théâtre occidental lui-même. BEART est-il
sûr. qu'une fois sorti des spectacles des
IIbeaux jours des grandes Dionysies d'Athènes ll •
le phénomène de
IIdésacralisation ll
se soit opéré
systématiquement?
sans que cela entraîne le
lecteur à penser que nous partageons d'emblée
les thèses de BAKARY TRADRE. on peut toutefois
dire. à l'encontre de BEART. que. dans l'anti-
quité grecque. lorsque THESPIS. poète lyrique.
organisait de village en village de~ représenta-
tions dityrambiques. l 'esor;t religieux qui pré-
sidait au culte de Dionys0s dont est issu ce
genre nOUVEau. le Dityrambe. n'était pas complè-
tement effacé au profit du jeu. au profit d'une
ani b i il ncep ure men t l ud i que.
P(, ut - Co n è f f i r mer que
la
IIdésacralis'ation ll
est complètement opérée
dan~ lE théâtre grec lorsque celui-ci s'installe.
comme par hasard. sur un terrain consacré
précisément à Dionysos lui-même?
Au moyen.âge.
le théâtre ne garde-t-il pas
pendant longtemps
un sens profondément religieux?
1.2. Jugements anticipés et incertains
Quand l'on examine. toutes les thèses formulées.
qu'elles soient en faveur ou non de l'existence

d'un théâtre négro-africain ancien, l'on constate
que les auteurs des opinions for~u1ées ne nous
donnent pas l'occasion de penser que leurs
jugements soient solidement fondés. Au contraire,
ces jugements et opinions paraissent, bien sou-
vent, anticipés et incertains chez ceux-mêmes
qui, initialement, pouvaient nous para1tre sOrs
de leurs opinions.
Ainsi PROUTEAUX qui, à l'entrée même de son étude,
se montrait tres catégorique et convaincu quand
il affirmait que toute idée de théâtre était
absolument étrangère aux
négro-africains,
devient-il, vers la fin de son exposé, beaucoup
moins tranchant et affirmatif
"tel est le divertissement curieux
- écrit-il
auquel j'ai assisté à Sienso, en 1913.
Je ne
crois pas exagérer en y voyant un essai d'art
dramatique. Certes, je n'ai pas découvert qu'une
intrigue coordonnait ces dialogues touffus et
variés.
Mais de nombreuses répliques et la plu-
part des couplets du choeur m'ont
échapé.
Ces
"-
paroles chantées sont souvent
difficiles à
saisir et,
je 1 lai dit, mon interprète lui-même
s'y perdait.
Il 'se peut qu'un lien m'ait

-45-
é~hapé qui relie toutes les scènes.
Je ne le
e--
pense pas pourtant et tout en tenant compte du
fait que le caractère de Nanzegé est , en somme,
tracé
sans incohérence et, de ce que le larcin
qui le fait expulser du village n'est présenté
qu'après tous ses autres méfaits, je crois qu'il
ne faut voir dans l'ensemble qu'une succession
d'aventures séparées et inspirées de la vie
courante ou traditionnelle, je dirais presque
une
IIrevuell
dont Nanzegé serait le compèrell(l).
De même LABOURET qui n'hésitait pas à
lI affirmer
qu' il existe bien un tbéâtre soudanais ll
ail>
reconnaît-il, plus de diXYaprès , alors que déjà
en 1928 même il était hésitant (2), que
ces
oeuvres, ces représentations qu'il qualifiait
(1) IIPremiers essais de théâtre chez les indigènes de la Haute
Côte d'Ivoire ll ,
O.C., p. 467
(2) Il écrit notamment
IINous avons appelé tantôt pleces satiriques et tantôt comé-
dies les représentations qui font l 'ohjet de cet exposé et
dont le classement est mal aisé ...
A n'y point regarder de
trop près, on pourrait soutenir qu'il s'agit ici d'opérette
ou d'opéra bouffe, mais en examinant avec quelque attention
l'ordonnance et l'aspect des oeuvres ~n qu~stion ori ne peut
manquer de trouver qu'elles se rapprochent par plus d'un
côté de la comédie grecque.
Certes on ne retrouve pas ici
les discussions politiques, les attaques contre le parti de
la guerre, cnntre les juges, contre les utopies sociales
formant le fond des onze
pièces d'Aristophane qui nous sont
parvenues, mais on peut les comparer, toute proportion gar-
dée, à la
comédie nouvelle des Athéniens avec ses dialogues
satiriques mêlés de choeurs lyriques ll
(ilLe théâtre
Man ding ue Il
i nA f ri ca,
O. C., p. 93) .
.. ' ',. ,"

-46-
de théâtre
"sont difficiles à dénommer et à
classer parmi les catégories européennes" (1).
1.3. Problèmes terminologiques
Nous débouchons ainsi sur un problème de termi-
nologie qui semble embarasser la quasi-totalité
des auteurs des opinions formulées. Pour en
revenir à PROUTEAUX, par exemple, signalons qu'à
d'autres endroits de son étude, il note que le
"Sougounougou"
"rappelle certaines scènes de
nos cirques" (2).
Il ne faut pas parler de théâ-·
tre nous dit
PROUTEAUX.
De quoi faut-il alors
parler?
De
"revue"
ou de
"cirque"?
Cet embarras terminologique ne nous aurait pas
frappé slil était propre à un seul auteur. Clest
lui qui provoque chez LABOURET cette difficulté
"à dénommer et à classer parmi les catégories
européennes"
les manifestations spectaculaires
auxquelles il a pu assister.
Nous retrouvons
cette même difficulté chez Bakary TRAORE lors-
qulil s'obstine à désigner par la seule notion
de théâtre les réalités diverses et multiples
du spectacle négro-africain.
Quant à Robert
(1) Paysans dlAfrique Occidentale, O.C.,
p. 270.
(2) O.C., p. 464.

-47-
CORNEVIN, pour avoir réduit tout le patrimoine
spectaculaire et dramatique de l'Afrique noire
à des
"sortes de petits jeux",
il n'échappe pas
pour autant à ce problème de terminologie qu'il
contribue, peut-être même davantage que les
autres auteurs, à poser dans toute son acuité.
1.4. A propos de Bakary TRAORE
Bakary TRADRE , qui a le plus argumenté pour
"apporter la preuve
'scientifique de l'existence
et de la portée du tnéâtre négro-africain"
et
qui, par conséquent, a exigé de nous une plus
grande attention, ne s'est pas plus
"embarassé"
(1) que ses collègues du problème d'une défini-
tion du théâtre.
Tout au plus, avance-t-il des
formules qui, pour le moins, nous aident tr~peu
~
quant à une approche estbétique concrète de
l'Art du théâtre dans la mesure où ces formules
peuvent s'appliquer à n'importe quel moyen
d'expression artistique.
Il écrit par exemple
que
" Let hé â t r e est l'e xpre s s ion de l 1 ho mm e, des a
sensibilité, de ses émotions, de ses expériences
(1) Pour reprendre la propre expression de Bakary TRAORE lui-
même à la page 12 de son ouvrage.

-48-
il est donc une création de l 'homme et en tant
que telle, il fait partie de la culture ... " (1).
ou encore que
"Partout le théâtre
- ce théâtre
(négro-
africain) en particulier
n'est par un vain
jeu d'artifice. Il est tout au contraire le reflet
de la psychologie et des conduites des hommes"(2).
Sans vouloir multiplier les exemples de formules
de ce genre chez Bakary TRAORE, bornons-nous
simplement à constater qu'elle~nous avancent
très peu dans le sens d'une tentative concrète de.
définition de l'Art du théâtre.
En
contradiction avec le ton affirmatif du début
de son ouvrage, Bakary TRAORE, également, recon-
naîtra par contre à la fin de celui-ci qu'il y
a
"une difficulté à saisir le théâtre négro-
africain" (3).
Cette
"difficulté"
à cerner
avec précision le théâtre négro-africain, et qui
apparaît à Bakary TRAORE seulement à la fin de
son ouvrage, se trouve en filigrane dans tout
son texte.
Les argumentations de Bakary TRAORE
(1) B. TRAORE -
O.C., p. 11
(2)
O.C., p. 16
(3) O.C.,
p. 137

laissent en effet planer de façon constante le
sentiment d'une hésitation chez l'auteur même
à affirmer nettement l'existence du théâtre dans
l'Afrique noire ancienne.
On relève souvent, à
la suite des démonstrations de Bakary TRAORE
ou à 1 1 0 C cas ion de ce 11 es,:" C i (1), des exp r e s s ion s
comme
Il
ces monologues dits avec expression par
des griots au moyen de gestes et de mimes appro-
priés tendent vers (2)
le théâtre ll •
ou comme
IIDans la mesure oD la plupart des mythes et des
légendes
étaient joués,nous pouvons en déduire
que l' AJ r i que a con nu des ge r mes (3) de thé â t r e... Il
ou encore
Il Da ns
1e gra nd bas sin, e nt rel e
Ni ge r e t
l e 1ac
Tchad,
les Magoussaoua chasseurs pratiquent lors
des préparatifs à l'initiation, un jeu qui, à
tout prendre, est une forme (4) de théâtre ... 1\\
( 1) Su pra , ~'Q\\~ p. 26 ;;: :;,f .
(2), (3), (4),
C'est nous qui, à chaque fais, soulignons pour
bien montrer que Bakary TRAORE ne dit pas
:
Il • • •
Ces mo 1onogues . ..
sont
du théâtre ' mais Il ••• tendent
vers ... 11
IIDans la mesure oD ... a connu le
théâtre ll mais"
des
germes de théâtre"
Dans un grand ... un jeu qui est
du théâtre ... " mais II qu i,
à tout prendre, est une forme de théâtre ll •

-50-
ou encore comme
Il • • •
Les danses africaines sont mimétiques et
par conséquent tendent vers
(1) le théâtre ... II .
On pourrait multiplier ce genre de propos dont
l'examen fait nettement ressortir que Bakary
TRAORE n'ose pas affirmer de front que toutes
ces manifestations sont effectivement du théâtre,
relèvent réellement de l'Art du théâtre, et qui
justifient éloquemment l'opinion finale de Bakary
TRAORE lui-même selon laquelle il y aurait bien
lI une
difficulté à saisir le théâtre négro-africain ll •
Il n'empêche que, initialement, l'objectif de
Bak ary TRAORE éta it de nous
Il apporter
1a preuve
scientifique de l'existence du théâtre négro-
africain ll •
Or, ce que l'on peut dire, d'ores
et déjà, c'est qu'il nous est difficile de tenir
pour du théâtre ce qui simplement
IItend vers ll
le théâtre ou en contient uniquement
IIl es germes ll •

encore nous nous trouvons en face de jugements
anticipés et incertains.
(1)
C'est nous qui, à chaque fois,- soulignons pour bien montrer
que Bakary TRAORE ne dit pas
,\\ Les danses africaines ... sont du tbéâtre ll mais
IItendent
vers ... 11

-51-
o
o
0
En fin de compte, Bakary TRAORE ne nous démontre
pas l'existence effective d'un théâtre négro-
africain ancien, il ne nous apporte pas, comme
il le souhaitait,
"la preuve scientifique"
, mais
présume, sans plus, sur la base de
sources pos-
sibles du théâtre, sources comme la religion,
le folklore ou la danse
qu'effectivement il
est aisé de déceler en Afrique et sans doute chez
bien des peuples et civilisations
de l'exis-
tence d'un théâtre africain ancien.
L'existence en
Afrique noire de ces éléments, considérés comme
sources possible de théâtre en tant que tel,
tiennent lieu pour Bakary TRAORE de théâtre
africain ancien.
En effet, n'écrit-il pa~, par exemple, que
"l'approche de la saison d~ pluies est annoncée
par les vieillarœ qui se fondent sur l'apparition
des oiseaux migrateurs, ou sur une odeur parti-
culière de la terre.
C'est alors que les grands
prêtres déterminent le moment favorable aux
sacrifices, en général des offrandes .
.... .~

."
Les sacrifices donnent lieu à de grandes fêtes,
danses rituelles accompagnées de chants littur-
giques qui sont de véritables scènes théâtra-
les". (1).
Or, l'existence en Afrique de ces sources qui,par
ailleurs -
notons-le bien pour le cas de la
religion surtout
ne sont présumées comme
sources possibles du théâtre qu'à la lumière de
l'expérience de la Grèce antique, ne doit
pas
nous incliner à préjuger systématiquement que
ces sources déboucheront réellement sur l'Art
du théâtre et que l'Afrique noire connaîtra la
même expérience que la Grèce antique.
L'opinion
classique à laquelle se réfère Bakary TRAORE
et selon laquelle le théâtre grec serait issu
du culte DiOn~SiaqUe ne doit pas systématiquement
autoriser à penser que, de façon universelle,
toute manifestation dramatique à ses origines
dans le culte religieux.
Ce qui est vrai des
grecs n'estt:~stématiqUement vrai des négro-
africains.
D'ailleurs, Bakary TRAORE lui-même
ne constatait-il pas que, contrairement à l'ex-
périence grecque qui a vu la religion enfanter
le théâtre et celui-ci se développer par la suite,
(1)
O.C., p. 27.

de façon autonome, en Afrique, la religion
II con tinuait à régner en maîtresse. 1I ?
IICette autonomie relative du drame à l'égard de
la fête
écrivait-il
-a certainement été en
Grèce la condition de son essor définitif alors
qu'en Afrique noire la religion continuait à
régner en maîtresse. 1I (1).
C'est dire donc que,
à l'inverse de ll exp érience grecque, l'emprise
de la religion aurait été si forte en Afrique
noire que toute possibilité d'éclosion du théa-
tre à partir du culte s'est avéré impossible. A
moins que Bakary TRAORE n'ait envisagé à long
terme, à un stade futur où la religion cesserait
tout au moins de
II r égner en maîtresse ll ,
la nais-
sance d'un théâtre issù des cultes négro-
africains.
Cette position obstinée de Bakary TRAORE a voir
du théâtre là où peut-être cet art nia jamais
existé alimente finalement les thèses adverses
d'un BEART ou d'un CORNEVIN pour qui la pénétra-
tion française a constitué le déclic de cette
mutation d'un
IIthéâtre embryonnaire ll ,
d'un
(1)
O.C., p. 26-27.

-54-
"pré-théâtre"
au
"vrai théâtre".
Nous parlons
d'obstination car nous nous demandons encore
comment Bakary TRADRE a-t-il pu déceler dans le
culte rendu aux Orishas et au Vaudou l'existence
de metteurs en scène
?
Nous nous dem~ndons
comment il a pu passer si allègrement de ce qui
peut
"tendre vers"
le théâtre au théâtre même? Nous
nous demandons enfin comment il a pu attribuer à
Pierre VERGER
des propos qu'il nia jamais tenus?
Partout, dans son Dieux d'Afrique (1), auquel
se réfère Bakary TRAORE, Pierre VERGER ne nous
donne nulle part l'occasion de penser qu'il
voit dans le culte des Orishas et Vodou
"des
germes de théâtre"
ou qulil
"tient les
"babalo-
risha"
ou les
"yalorisha"
comme metteurs en
scène et 11 " a l ag be"
comme chef d ' orchestre"(2).
Introduisant son ouvrage, pierre VERGER écrit
très précisément
IILes photos qui vont suivre montrent les manifes-
tations des cultes rendus, aux Amériques, à
certains dieux d'Afrique, amenés par les noirs,
au moment de la traite des esclaves et quelques
aspects de ces mêmes manifestations dans leur
(1) O.C.
(2) Supra, p. 2@.

-55 ..
pays d'origine. Ces cultes s'adressent, en prin-
cipe, aux forces de la nature et aux ancêtres
divinisés et forment un vaste système qui unit
les morts et les vivants en un tout familial,
continu et solidaire. 1I (1).
Il apparaît donc
clairement que Pierre VERGER fait
une étude
comparée des cultes tels qu'ils se pratiquent,
d'une part, dans leurs pays africains d'origine
et, d'autre part, dans leur nouveau lieu d'im-
plantation, les Amériques.
Cet ouvrage se consacre
essentiellement aux noirs en face de leurs Dieux,
au noirs pratiquant leurs cultes.
A propos des
IIBabalorisha ll
et des IIIyalorisha ll
qui sont les personnes qui, au Brésil, ont la
responsabilité du culte rendu aux Dieux ances-
traux d'Afrique, VERGER écrit très précisément
aussi
IILa responsabilité du culte repose sur les
IIZ e l ador ll
ou
IIZ e l adora ll
appelés encore IlPaë
ou Maë de Santo ll
ou encore Iiabalorisha ou iya-
lorisha.
Cette fonction, précise par ailleurs
Pierre VERGER, est le plus souvent tenue par une
femme, particulièrement dans les
"terreirosll(2)
(1) P. VERGER, D.C., introduction, p. 9.
(2) Endroit oD se fait, au Brésil, le culte aux Dieux africains.

~56-
de
II na tion"
Ketou ll (l).
Quant à 11
IIAlagbe ll ,il est, en tout cas selon
Pierre VERGER,
IIresponsable des tambours".
Ce
qui ne peut nous autoriser à penser, comme lia
fait Bakary TRAORE, qu'il soit systématiquement
responsable de la musique produite par ces tambours
c'est-à-dire, chef d'orchestre. Et même si un seul
homme cumulait à la fois la responsabilité des
instruments de musique et celle de l'orchestre,
il n'en demeure pas moins que le cadre de son
activité reste bien celui du culte et non du
théâtre.
En tout cas, aussi bien dans llintroduction,
brève mais dense, de son ouvrage que dans les
commentaires détaillés que VERGER donne des 160
photo~raphies qui composent la part la plus
importante de son travail, il n'est, nulle part,
fait allusion à un rapport quelconque entre la
religion et le théâtre, ni question d'un point
de vue quelconque de Pierre VERGER tendant à
"voir dans ces cérémonies des germes de théâtre ll •
Et nous sommes d'autant plus surpris des propos
que Bakary TRAORE attribue à Pierre VERGER que
(1) Ville nago à cheval sur -le Dahomey (aujourd'hui Bénin)
et le Nigéria.

-57-
lui-même, à un autre endroit de son ouvrage,
il écrit, parlant du Vodou
IIUn théâtre moderne ne s'est pas développé à
partir du Vodou et des éléments traditionnels.
La raison principale est que le théâtre ne sort
de la religion que lorsque la foi se perd, Or,
le Vaudou est une religion; c'est pourquoi il
ne deviendra un théâtre que lorsque la floi se
sera perdue ll (1).
En fin de compte, la position
de Bakary TRAORE reste excessivement floue.
Que lion veuille voir, comme c'est le cas pour
Antonio LOUIS-JEAN, une
IIpossession dramatique ll
(2), dans la
II cr ise de possession ll
du vau-
douisant, dans sa transe au moment ou l'esprit,
le
Il 10 a Il
(pour parler comme d'an"s le vaudo'w
est
al1
en lui, le
"monte ll
011
le
II chevauche ll , onye5t
strictement libre.
Mais, de là à décréter,
comme le fait Bakary TRAORE, à partir de cette
(1) B.
TRAORE - OC., p. 117.
(2) IINous définissons la prise de possession au théâtre,
comme l'acte par lequel le comédien prend po·ssession d'un
personnage concu par l'imagination et défini par le langage. 1I
(Antonia Louis-Jean - La crise de possession et la posses~ion
dramatique - OTTAWA, Editions Leméac, coll. "Caraïbes ll ,
1970, p. 73).
,
• . •
1,.,

-58-
comparaison qui peut être enrichissante (1), que
le Vaudou est art du théâtre, que
1I1 es sanc-
tuaires Vodou sont également des théâtres ll (2),
il Y a
croyons-nous
- un fossé que les
chercheurs franchissent un peu trop facilement.
Ainsi, Bekate MEYONG
qui, vingt ans après Bakary
TRAORE, continue d'affirmer l'existence d'un
théâtre africain ancien sur la base seule de
"l'aspect théâtral" (3) de certaines cérémonies
d'initiation. Ces aspects théâtraux, cette théa-
tralité apparente des rites africains, de bon
nombre de cérémonies africaines suffisent-ils
pour parler systématiquement d'Art du t~éâtre ?
(1) Quoiqu'on puisse trouver un peu exagéré certaines comparai-
sons que fait Antonio LOUIS-JEAN. Il écrit par exemple:
"Dans l'un et l'autre cas, nous apercevons la présence d'un
personnage extra-humain. Dans le Vaudou l 'homme est possédé
par un loa et dans le théâtre, c'est un personnage qu'on
appelle Rodrigue, Electre ou Phidias qui domine l'acteur ll •
(Antonio Louis-Jean
- O.C., p. 49).
Il nous semble en effet difficile d'imaginer que le degré
de possession de l'acteur de théâtre, si possession il y a,
par son personnage, soit semblable ou comparable ~ la pos-
session du vaudouisant par le
"loa"
qui le
II c hevauche".
(2) B. TRAORE , O.C., p. 116.
(3) Bekate MEYONG
L'aspect tbéâtral des cérémonies d'ini-
tiation ~aris la société Bulu du groupe africain Fang
(Pahouin)
Doctorat de 3ème cycle d'études théâtrales,
Paris VIII, 1977, non diffusé.

.59-
Faut-il parler d'Art du théâtre en face du ',:
DIPRI (1)
- ce rite agraire primordial
des
Abidjis (2), en Côte-d'Ivoire, sous prétexte qu'
il comporterait des aspects théatraux ?
D'ailleurs, pour en revenir à Antonio Louis-Jean
qui s'est plu à faire ce parallèle entre
IILa
crise de possession"
et
"La possession drama-
tique",
pour reprendre ses propres termes,
il
finit par reconnaître
ce qui d'ailleurs n'est
pas si évident qu'il le pense
en conclusion
à son ouvrage, que ce qui sépare le comédien de
l'initié, c'est que le second appartient
"fondamentalement",
précise t-il, à la religion
alors que le premier est
"un créateur de spec-
tacle profane".
Même si LOUIS-JEAN souhaite que le Vaudou puisse
servir à enfanter un tbéâtre authentique, national,
aux dimensions de toute la société haïtienne, il
n'en demeure pas moins que l'auteur soit obligé
(1) Sur cette question du DIPRI, bien connue en Côte-d'Ivoire,
Fernand LAFARGUE, qui vit depuis très longtemps en Côte-
d'Ivoire, a publié récemment, en 1976, aux Nouvelles Editions
Latines à Paris, un ouvrage intitulé: Religion, magie,
sorcellerie des ABIDJI en Côte d'Ivoire.
(2) Les ABIDIJI sont un groupe ethnique Ivoirien, appartenant au
grand groupe AKAN, et situé à, une centaine de kilomètres au
Nord-est d'Abidjan.

-60-
de constater qu'aujourd'hui le Vaudou reste encore,
à Haïti,
1I1 a religion populaire ll
par excel-
lence et non autre chose, et non le théâtre
populaire.
Tous les chercheurs, depuis l'éminent Alfred
METRAUX (1) jusqu'aux travaux plus récents d'un
Claude PLANSON (2) par exemple, s'accordent pour
reconnaître
que le Vaudou est une religion. Même
si l'on peut y voir des aspects théâtraux, même
si des chercheurs appartenant à des disciplines
très diverses, tels des psychiatres ou des phi-
losophes, ont pu analyser le Vaudou sous l'angle
spécifique de leur discipline propre, il est
évident que cela ne suffit pas pour substituer
chacune de ces disciplines à ce que le Vaudou est
réellement dans l'esprit et la civilisation de
ceux qui le pratiquent, c'est-à-dire, une religion.
"Qu'est-ce ,en somme, que le Vaudou?1I
Nous
demanderions-nous avec Alfred METRAUX.
lI un
ensem-
ble de croyances
- écrit-il - et de rites d'ori-
gine africaine qui, étroitement mêlés à des prati-
ques catholiques, constituent la religion de la
(1) METRAUX (A.) - Le Vaudou Haïtien
- Paris, Gallimard, 1958.
(2)
PLANSON (C.) - Vaudou, un initié parle ...
Par i s , Je an Du l l ; s é di te ur ( Co l 1. Il Di eu Il ), 1974.

-61-
plus grande partie de la paysannerie et du pro-
létariat urbain de la république noire d I HaTti"(l).
Concernant les origines et l'histoire de cette
religion, le terme même de
"Vaudou"
suffirait
déjà à nous orienter. En effet, écrit METRAUX,
"au Dahomey et au Togo, chez les tribus apparte-
nant à la famille linguistique des Fon, un
"VDDU"
est un
"Dieu" , un esprit, son
"image".~2)
A l'origine, le
"Vodû"
est un culte, le culte
des esprits. Au-dessus des esprits qui sont en
quelque sorte des intermédiaires, les adeptes du
"Vodû"
reconnaissent l'existence d'un Dieu unique.
"Dr
se demande METRAUX
que trouvons-nous
en HaTti
? ..
"Des temples, un clergé organisé, un rituel
rela-
tivement compliqué, des danses et des rythmes
savants"
répond t-il.
"Malgré l'arrachement brutal à leur milieu social -
poursuit-il
- les esclaves ont pu, en terre d'exil,
(1)
A. MET RAUX
- D.C., p. 11.
(2)
A. METRAUX
- D.C., p. 21.

-62-
reconstituer en partie les cadres religieux dans
lesquels ils avaient été élevés.
Des
"Bokono"
(devins)
et des
IVodQ-nô" , captifs parmi eux,
ont appris aux générations né ès dans l~servitude
les noms des dieux, leurs attributs et les
sacrifices qu'ils exigeaient".
ilLe culte des esprits et des
dieux
écrit
encore METRAUX
- ainsi que la magie, furent pour
l'esclave à la fois un refuge et une forme de
résistance à l'oppression.
Son attachement aux
dieux
peut se mesurer à l'énergie dépensée pour
les honorer, en dépit des terribles châtiments
qui frappaient ceux qui participaient à des céré-
monies païennes où les colons ne voyaient que
sorcellerie.
Le régime de l'esclavage aurait pu les démoraliser
complètement et développer en eux cette
morne
indifférence qui est le résultat de la servitude.
Le simple épuisement physique aurait dû les em-
pêcher de danser et de chanter comme l'exige le
rituel vaudou. ( ... ).
Le surmenage était tel
remarque METRAUX
que l'espérance de vie

-63-
d'un africain vendu sur une plantation de Saint-
Domingue était estimée à dix ans au plus" (1).
"On ne peut qt.i'admirer
- conclut METRAUX
la
ferveur de ces esclaves sacrifiant repos et som-
meil pour reconstituer, dans les conditions les
plus précaires et sous l'oeil hostile des blancs,
les cultes de leurs tribus."
"Donc, un dieu unique qui est l'ordre du monde,
des intermédiaires dont on peut se procurer l'appui,
une prise de conscience de l'état de l'homme dans
l'univers, une prêtrise, des fidèles sélectionnés
par la voie initiatique, des temples
il
faudrait beaucoup de mauvaise foi pour refuser au
Vaudou le caractère d'une religion" (2).
Ainsi
s'exprime, près de vingt ans après METRAUX,
Claude PLANSON, l'initié qui parle, l'initié et
aussi l'époux d'une authentique
"Manbo ll ,
la
prétresse du vaudou Mathilda BEAUVOIR qui elle-
même n'a jamais vu autre chose dans le vaudou qui
_une religion (3).
En ce qui concerne, pour prendre un autre exemple,
(l) A. MET RAU X -- O. C.,
p. 25
(2) Claude PLANSON
- O.C., p. 32
(3)
cf
"Mathilda parle",
in
vaudou, un initié parle ... ,
o.c., p. 243 à 252.

-64-
le Kamo des Mandingues, le Komo auquel se réfère
aussi Bakary TRAORE pour affirmer l'existence
d'un théâtre négro-africain ancien, nous pouvons
dire que, là encore, il y a eu une récupération
et une intégration innpportunes d'un rite afri-
cain dans l'art du théâtre.
Le Komo dans la société Mandingue, plus spécia1e-
ment chez les Bàmbaras , est un rite d'initiation.
Là aussi, ses aspects théatraux ne lui donnent
nullement la nature d'une institution dramatique.
C'est, en tout cas, ce que nous révèle
le témoi-
gnage que Moussa
TRAVELE, lui-même Bambara et
initié, quoique partiellement, a pu recueillir
auprès d'un autre Bambara, le vieux BALA Dembé1é(1).
Dans cet exemple encore, nous constatons bel et
bien
que tout, dans le
~mo, les cérémonies,
les lieux
sacrés ... etc ... , sont d'un autre
univers que celui du théâtre et que, surtout, ce
vieillard Bambara, en parlant à Moussa TRAVELE,
n1avait pas d'autres sentiments que celui de
révéler un des plus grands secrets religieux de
son pays.
(1) MOUSSA TRAVELE
- Le Komo ou Koma, in Outre-Mer, juin
1929.

-65.,.
Il n'y a donc pas de raison que, pour légitimer
de l'existence en Afrique noire de l'art du
théâtre, on se réfère exagérément à des manifes-
tations religieuses surtout que, sans être du
théâtre, ces manifestations religieuses sont très
loin d'avoir engendrer, effectivement
- comme
on pourrait le penser pour le cas de la Grèce
antique
- cet art.
o
o
0
Pour ce qui est du folklore et de la danse pour·
lesquels Bakary TRADRE nous donne également
l'occasion de penser que le théâtre négro-africain
traditionnel a pu y puiser la matière de sa propre
expression artistique, on ne voit pas assez, là
aussi, ce passage du folklore au théâtre ou de
la danse au théâtre, on ne voit pas assez comment
un théâtre négro-africain se serait constitué à
partir de manifestations folkloriques ou dansées,
comment il se serait constitué pour reprendre
l'expression de Bakary TRADRE,"dremprunts à
la
tradition" (1).
N'aurait-il pas été plus
(1)
D.C.,
p.
25.

-66-
convaincant que Bakary TRAORE nous donne à voir,
nous expose ce processus d'enfantement, d'éclo-
sion du théâtre à partir, par exemple, de la
pratique des illustres griots africains qui pour
être, selon l'expression de Bakary TRAORE lui-
même, les
"dépositaires attitré~l (1) de la tra-
dition et du folklore, ne sont pas pour autant
Q
des artistes du théâtre, ne se reconnaiss~nt pas,
en tout cas, comme tels?
o
o
0
Ce que nous croyons
sans tomber dans l'excès
contraire et faire commencer de façon absolue toute mani-
festation dramatique là où s'achève la religion, à la
frontière de celle-ci, là où s'achève le folklore ou la
danse comme si l'art dramatique et toutes ces manifesta-
tions devaient irréductiblement se donner le dos
- c'est
que si bon nombre de manifestations diverses de la vie
négro-africaine traditionnelle
manifestations reli-
gieuses ou relatives à des cérémonies d'initiation, à
des fêtes diverses, à des cultes périodiques aux ancêtres ou
aux Dieux
ou encore à des rites liés à des événements
(1) O.C., p. 25

-67-
comme la naissance ou la mort ... etc ... - peuvent témoi-
gner, à certains égards, du génie dramatique négro-africain
ces manifestations restent et demeurent avant tout reli-
gieuses, rituelles ou d'un tout autre caractère et nlont
été, en aucun cas, considérées en Afrique noire tradition-
nelle comme des manifestations artistiques dramatiques,
encore moins comme
"de véritables scènes théâtrales."
~.., a-(\\?',' Q v €:
2.
Le théât~i re
ni Art ancien ni apport de l'Occident
A la suite de cet examen critique des opinions
formulées,
il ressort que, aucune des deux tendances au-
tour desquelles se trouvent regroupés les différents auteurs
qui ont pu réfléchir, plus ou moins à fond, sur cette
question du théâtre négro-africain, ne peut retenir notre
attention.
Autant il peut appara1tre maladroit, comme
le
fait
CORNEVIN par exemple, de limiter le
"vrai théâtre"
aux planches, au plateau scénique, autant il nous semble
excessif de considérer comme du théâtre ce qui simplement,
.....-(A-A (JY\\~
selon l'expression de BakarW "tend vers"
le théâtre·
Pour n'avoir pas été suffisamment convaincu par ces deux
groupes d'opinions en présence, nous ne pouvnns nous ral-
lier ni à la thèse selon laquelle le théâtre en Afrique noire. serait
un Art ancien ni à celle selon laquelle il y serait un
apport de l'Occident.
'o.
"

... 68.,
De plus, au fur et l mesure de notre ré-
flexion au cours de cette modeste thèse, nous nous sommes
aperçus, et cela avec de plus en plus de conviction, que
le problème nous semble être moins de savoir si le théâtre,
l'art du théâtre en tant que tel,quelle que soit, d'ailleurs, la
définition que lion puisse en donner, existe en Afrique
noire que de s'interroger sur la manière, la façon par
laquelle se traduisent concrètement les diverses mani-
festations artistiques du génie dramatique négro-
africain.
Certes! ne l'ouhlions pas, nous étions en
pleine colonisat~,on -
même l'ouvrage de CORNEVIN qui se
situe historiquement en 1970 porte malgré tout de pro-
fondes séquelles de l'époque coloniale
et l'Europe
é go cen tri que etc 0 , 0 n i . s atri ce, i gn0 r a nt nos pro pre s
valeurs, nos propres institutions, a centré tout le
débat autour du seul et unique art du théâtre comme si
l'institution théâtrale était la solution dogmatique à
tout problème de l'expression dramatique des peuples.
Notre but n'étant pas, comme chez les
représentants des deux groupes d'opinions en présence,
de reconnaître ou non l'art du théâtre à travers les
manifestations dramatiques négro-africaines, de tenter

-69-
d'y détecter cet art et de conclure par la suite qu'il
fut connu des négro-africains ou qu'il leur fut étranger,
il n'apparaît pas absolument nécessaire d'aborder, à notre
niveau,
la question d'une définition de l'art d~ théâ-
tre en tant que tel.
C'est la démarche qu'auraient dû
emprunter, en tout cas ceux qui discutaient
la question
de savoir si telle ou telle
manifestation dramatique
r'
négro-africaine relevait ou non du théâtre. Ils auraient
dû auparavant nous dire ce qu'est le théâtre avant de
faire tomber telle ou telle manifestation dans cet art.
Dans la perspective de notre point de vue, cette tenta-
tive d'une définition du théâtre reste
sans importance
puisqu'elle
ne changerait rien à notre opinion selon
laquelle l'art du théâtre, sans nuance aucune de privi-
lège
- notons-le bien parce que cela ne semble toujours
pas encore évident
nous apparaît comme propre à la
Grèce antique, puis à la civilisation occidentale en
général, fille de la Grèce antique, tout comme le Nô peut
être
propre au Japon ou le Kathakali propre à l'Inde.
Cela dit, si l'on veut tout de même tenter
en -quelques mots cette approche concrète d'une défini-
tion _du théâtre
- ne serait-ce que pour combler une
-
1
défaillance que nous avons regrettee -
rien ne nous

-70-
permet, de surcroît, de
cautionner cette
tendance
de
l'Occident à vouloir ramener
au seul art du théâtre
la totalité des manifestations dramatiques négro-
af rie a i ne s t r ad i t ion ne 11 es et, e ncore moi ns , 1 1 i ne 1i na t i on
prononcée des africains eux-mêmes à voir du théâtre partout
en "Afrique noire dans la moindre manifestation à carac-
tère spectaculaire ou dramatique.
A la question de savoir ce qu'est concrète-
ment le théâtre, le Dictionnaire des antiquités grecgues
et romaines (1), nous renvoie d'abord à un
lIédifice ll
puis à des
IIspectac1esll, des
IIreprésentationsll, c'est-
à-dire, en un mot, à
lI un lieu et un art ll (2), un lieu,
le
IIthéatron ll , le lieu d'où lion regarde, les gradins
de l'antique théâtre grec à ciel ouvert qui surplombent
l' lI or khêstra ll
et sur lesquels va s'étager la foule
innombrable.
(1) Edmond SAGLIO (sous la direction de ... ) - Dictionnaire
des antiquités grecques et romaines - Paris, Hachette,
1877.
(2) ilLe
mot théâtre désigne à la fois un lieu et un art.
Originellement IIthéâtre ll vient du grec
IIthéatron ll ,
qui contient l'idée de
II vo ir ll . Ainsi,l'étymologie et
le langage courant établissent un lien valable à la
fois pour le passé et le présent entre
le fait de voir;
. sur un certain espace et en un certain temps;
. un ensemble original de manifestations.
(IILieu et
espace théâtra1 11 par A. VEINSTEIN in Le Théâtre, Paris
Larousse, 1976, par J. DUVIGNAUD et A. VEINSTEIN, p.79

-71-
Or, concernant ce lieu, nulle part en
Afrique noire
traditionnelle l'art dramatique ne nous donne l'occasion
d'observer un quelconque édifice semblable.
En se substituant au sanctuaire, au lieu
sacré où le peuple célébrait le culte de Dionysos, le
IIthéatron ll ,
l'espace, le lieu tréâtra1 engendrait en
même temps un nouveau culte, un culte sans Dionysos, un
culte sans Dieu ni religion, l'art du théâtre qui pour
avoir
à la limite
dans sa forme spectaculaire,
une II s tructure identiquell (1) à celle de bon nombre de
manifestations dramatiques universelles, reste et demeure,
croyons-nous,
propre et spécifique à la Grèce antique
puis au monde occidental précisément par l'usage particu-
lier et original qu'on y fait de cette
II s tructure ll
universelle, un usage qui jamais, ne fait coincider l'art
dut hé â t r e avecu n Nô j a po nais 0 u a vecu n Ka th aka 1i i ndie n .
Nous parlons
plus spécialement du Nô japonais
et d~ Kathakali indien parce que nous avons eu l'occasion
( 1 )
Une Il s t rue t ure Il
selon l aque l l e
éc r it VE1NSTE 1N,
en reprenant et en développantJa vieiJle formule
d'Aristote.-~
u nous
sommes'en présence d'une action
représentée en public, en un lieu spécialement
aménagé, et constituéed'un texte
poétiquè récité et
chanté, mimé et dansé par des acteurs costumés, et
accompagné
de musique."
A VEINSTEIN
La mise en scène théatrâle et sa
condition esthétique, Paris, Flammarion, 1955 (deu-
xième
édition revue et augmentée) - p. 41.

-72-
de voir exécuter (1)~es deux manifestations
dramatiques
dont il n'est sans doute pas possible de prendre
entièrement conscience à la simple lecture de textes théo-
r i que s
- 'ces man i f est at ion s qui, plu s que j amai s ,
confirmaient nos points de vue et nous permettaient de
mesurer, une fois de plus, combien il pouvait être appau-
vrissant de voir englober sous
le seul terme de théâtre,
la seule
institution théâtrale, la totalité des manifes-
tations dramatiques universelles.
"C'est au XVIIIe siècle
écrit DUVIGNAUD, en tentant
d'expliquer cette attitude de l'occident vis-à-vis du
reste du monde
qu'est apparu 1 1 idée que le théâtre
représentait l'expression la plus haute de toute civi1i-
sation et que tout homme,
d'où qu'il fût, devait trou-
ver dans
Racine ou Corneille l'image de son existence
ou de son
"destin" (2).
N'était-ce pas l'attitude de JOUVET dans sa
...-A..
tournée en Amérique Latine? (3). A l'image de son ainé
qu'il admirait
non sans raison d'ailleurs
le jeune
(1) Pour le Nô japonais, c'était en septembre 1976 au
théâtre d'ORSAY,et pour le Kathaka.1i . indien, en avril
1978 au théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis.
(2) ilLe théâtre"
par Jean DUVIGNAUD, in Le théâtre
par
DUVIGNAUD (J.) et VEINSTEIN (A) - Paris, Librairie
Larousse, 1976, p. 6.
(3) JOUVET (L.)
Presti~set perspectives du théâtre
Français
- Paris, Ga1lima~d, 1945.

-73-
Pierre RINGEL n'était-il pas également persuadé qulil
nous fallait à tout prix
IIMolière en Afriqùe noire ll ?{l}.
ilLe prestige
poursuit DUVIGNAUD
dont jouit à cette
époque le théâtre
IIclassiquell
du siècle précédent
conduit les philosophes de l'époque des lumières à for-
mu·ler dans toute son ampleur cette revendication à l'uni-
versalité humaine.
On la trouve chez SCHILLER comme chez
GOETHE, chez HUGO comme chez CLAUDEL II (2).
IINous sommes en présence
écrit encore
DUVIGNAUD
- d'un curieux
phénomène qui répond assez à ce
que l' 0 n no mm e l ' eth n0 cen tri sm e Il. (3).
Quoique nous ne partagions pas le point de
vue de DUVIGNAUD
quand, à défaut, comme ses compatrio-
tes, d'universaliser l'art du théâtre, il fait de l'Europe
la seule dépositaire de toute création dramatique consi-
dérant le théâtre comme le shéma le plus achevé de cette
création
ses propos, à certains égards, rejoignent
nos préocupations :
Il
se prendre pour le centre du monde et le détenteur
de l' IIhumaine condition ll
est probablement une
lIidée-
force ll
qui a justifié maintes propositions de la
(1) RINGEL (P.)
- Molière en Afrique noire
Paris,
Presses du Livre Français, 1950
(2) et (3)
DUVIGNAUD (J.) -
O.C., p. 6

-74-
philosophie des lumières, de la Révolution et de la
pensée libérale du siècle dernier. Mais c'est aussi
précise encore DUVIGNAUD
une lIidée folle ll
elle a
conduit les gens de théâtre à s'engager dans des impasses,
elle entraîne certains peuples jeunes à tourner le dos
aux possibilités authentiques de leur
propre culture pour
tenter de traduire à travers la formule européenne de la
scène des situations qui lui sont incompatibles ll (1).
Ainsi donc, nous croyons que, aucun autre
concept, aucune autre notion ne peut davantage signifier
le contenu, le style, toutes les particularités de ces
deux manifestations dramatiques orientales que, pour les
avoir vues, nous avons pris en exemple, le Nô_et le
Kathakali, que les termes mêmes qui les désignent origi-
nellement.
Si, comme l'écrivait André VEINSTEIN, l'on
peut constater, II ma l gr é la diversité de temps et de lieux,
de langages et de styles, de dosages dans llemploi des
moyens ll (2), une II s tructure identique ll (3) entre, dirions-
nous avec VEINSTEIN, différentes formes théâtrales, qui
elles soient grecques, égyptiennes, indiennes, chinoises
(1) DUVIGNAUD (J.)
- O.C.,
p.
6
(2) VEINSTEIN (A.)
- D.C.,
p.
41
(3) VEINSTEIN (A.)
- D.C.,
p.
41.

~75-
ou japonaises, nous croyons, par contre, qu'une manifes-
tation dramatique, quel qu'elle soit, n'existe pas sans,
précisément, ce que VEINSTEIN exclut, c'est-à-dire, le
temps, le lieu, le langage, le style, le dosage dans
l'emploi des moyens.
Car, en effet, si le Nô et le Kathakali,
réduits à leurs squelettes, peuvent se ramener, comme le
démontre VEINSTEIN, à l'art du théâtre (1), ils s'en
éloignent d'autant plus dès l'instant aD ils se réincar-
nent et prennent vie.
A ce moment là, l'on se rend bien compte que
le Kathakali, pour prendre cet exemple récent pour nous,
c'est précisément ce qu'on ne trouve dans aucune autre mani-
festation dramatique, c'est-à-dire, tout ce langage ar-
tistique résultant d'une synthèse harmonieuse des diffé-
rents moyens d'expression corporels, veruaux, musicaux et
plastiques et fondé précisément sut un usage combien
particulier et original de cette synthèse et de chacun
des moyens d'expression qui la composent. Rien d'autre
que la notion de Kathakali ne peut nous signifier et
connoter immédiatement dans notre esprit la gamme subtile
des expressions du visage, la mobilité extrême
et
(1) L'inverse, dans ces conditions,n'étant d'ailleurs pas
faux, c'est-à-dire que l'art du théâtre pourrait donc
également se ramener au Nô et au Kâtnakali.

-76-
inimaginable sans le support dlun spectacle
des
muscles du visage de l'acteur indien, la force et la
puissance de son regard de feu (1). Quoi d'autre que la
notion de Kathaka1i peut-il nous signifie~ ce jeu tout
particulier de battements de pieds de l'acteur indien ou
ce langage des mains, rallongées d'ongles artificielles,
et dessinant l'espace, chaque geste répondant à la fois
à une intension précise et à une exigence rythmique, ou
encore cette magnificence des costumes et, cette
richesse des maquillages qui constituent presque des
masques.
C'est donc "abusivement",
pour reprendre
l'expression de DUVIGNAUD (2) que SYLVAIN
Lévi a intitulé
son ouvrage
ilLe théâtre Indien" (3), car, au fond, il
semble bien que cette notion bien spécifique selon nous
de
"théâtre"
ni intervient que. dans 1a liouche du com-
mentateur ou du théoricien Européen en face de manifes-
tations dramatiques qui lui sont étrangères. Peut-être,
est-ce un moyen pour lui de rapprocher de sa compréhension
et de celle de ses compatriotes, ses lecteurs privilégiés,
( 1)"
ava nt. die nt r e r en s ç è ne
n0 usd i t Je a nni ne
AUBO~ER,
pour expliquer ce phénomène de rougeur des
yeux
les acteurs introduisent sou~ 1eu~ paupières
une graine irritante qui rougit le glo~e oculaire et
leur communique une expression étrange. 1I ("L'Inde ll
par Jeannine AUBOYER in Histoire des spectacles
Paris, Gallimard, 1965).
(2) DUVIGNAUD, O.C., p. 7.
(3) SYLVAIN LEVI - Le théâtre Indien -
Paris; Emile Bouillon, Li~rairie-éditeur, 1890

ces manifestations?
Toujours est-il que tous les termes
spécifiquement indiens, et ils sont nombreux, que nous
offre l'ouvrage de Sylvain LEVI, n'eatraînent pas sys-
tématiquement, si ce n'est par un abus de langage, à parler
de théâtre.
Les Indiens eux-mêmes ne parlent-ils pas,
plutôt que de
IIthéâtre Indien", du
"Nâtya - çâstra",
cette sorte d'encyclopédie regroupant les lois
(çâstra)
du drame (Nâtya) et dont les origines se situeraient
bien avant l'ère chrétienne?
Le
"Natya-çâstra",
le plus ancien traité
de dramaturgie indienne aurait été rédigé par le saint
RSI BHARATA qui en reçut la révélation de BRAHMA 1ui-
même - contrairement à Sylvain LEVI qui traduit le terme
de
"Natya"
par
"drame" (1), Jeannine AUBOYER (2)
semble même voir dans ce terme la notion de
"danse" puis-
qu'elle traduit
"Nâtya-çâstra"
par
"traité de la danse"
Ce qui nous éloignerait deyantage de la notion spécifique
de" thé â t r e "
etc 0 nf i r mer a it nb t re p0 i nt de vue sel Qn
(1)
"Le drame
(Nâtya) est l'_imit'ation d'un caractère
donné dans une série de situations diverses qui
produisent la joie ou la douleur à l'aide du geste
(ângika abhinaya), de la voix
(vâcika), du costume·
(âhârya) et de l'expression (sâttvika)." (Sylvain
LEVI, O.C., p. 29).
(2)
O.C., in Histoire des spectacles.

-78-
lequel tout drame, toute expression artistique drama-
tique ne se traduit pas que par la notion de théâtre,
cet art dont l'éclosion dans l'histoire de llhumanité
est très ponctuelle et précise et qui, par conséquent,
ne peut prétendre désigner d'autres manifestations drama-
tiques qui lui sont éloignées et parfois même antérieures.
Le drame indien se rapprocherait donc davan-
tage du drame japonais en ce que dans le Nô également
la danse constitue, avec le chant, les
IIdeux éléments",
pour parler comme ZEAMI, fondamentaux du drame.
Dans
le cas du Japon, comme dans celui de l'Inde, l'ouvrage
de ZEAMI (1), sa théorie comme tout son discours, sa
réthorique, nous emmène à penser, une fois de plus, que
clest par un abus de langage, par des
"assimilations
arbitraires",
pour reprendre une autre expression de
DUVIGNAUD, par cette tendance à vouloir universaliser llart
spécifique du théâtre
tendance qui malheureusement
nivelle, uniformise, au lieu de sauvegarder ce qui nous
différencie et peut nous enrichir mutuellement
- que
(1) ZEAMI -
La tradition secrète du NO -
Paris, Gallimard, 1960
- (traduction et commentaires
de René SIEFFERT).

-79 ...
l'on parle de
"théâtre japonais"
(1).
C'est dire
comme dans le cas du Kathakali
t
t
que rien d'autre que la notion de Nô ne peut signifier
ce que représente le Nô t sa réalité concrète et vivante.
~
Or don c t
pou r'Yre ven i r à liA f r i que t
à laC ôte - d ' l v0 ire
en particulier
quand l'on s'interroge sur les traductions
t
concrètes du génie dramatique négro-africain
lIon débouche
t
également sur des institutions
propres à l'Afrique
t
noire
comme le Kôté - Kômanyaga ou le Sougounougou en
t
présence desquelles se sont respectivement trouvés
DELAFOSSE et PROUTEAUX
les initiateurs mêmes du débat
t
sur l'existence ou
non du théâtre en Afrique noire
mais
t
que
colonisation oblige!
- ils n'ont pas
pr i sen
compte. Aussi
se sont-ils heurtés
t
t
comme d'ailleurs
(1) Quoique René SIEFFERT lui-même
le traducteur de
t
ZEAMI t ait eu présent à l'esprit ce problème.
Il
écrivait
en effet
au seuil de sa traduction
t
t
"On définit généralement le Nô comme un "drame lyrique"
japonais; on précise que
des trois genres classiques
t
du théâtre japonais
le Nô est le plus ancien
mais
t
t
qu'il s'agit d'un spectacle aristocratique et
sinon
t
ésotérique
du moins d'essence religieuse.
t
Clest traduire
ajoute René SIEFFERT
à ces propos -
en un langage européen trop précis une réalité infi-
niment plus mouvante et plus subtile.
Le Nô refuse
ajoute-t-il
d'entrer dans les
classifications qui nous sont familières".
(La tradition secrète du Nô -
O.C.
p. 13) .
t

0',0.
' , '

~80~
."
les chercheurs qui, par la suite, ont repris ce débat, à
des hésitations, des incertitudes dans leurs jugements,
à un véritable problème de terminologie dans la mesure
oD l'art du théâtre secrété par la Grèce antique,
la
notion de
théâtre s'avérait inapte l rendre· compte des
réalités et des nuances propres de l'expression drama-
tique négro-africaine.
N'est-ce pas, d'ailleurs, partant de ce
besoin intensif, aussi bien
chez les professionnels du
spectacle que chez les chercheurs et théoriciens, d'un
vocabulaire descriptif précis que Cécile GITEAU a réalisé
son Dictionnaire des arts du spectacle? (1).
Et,
malgré ce qu'elle appelle la
"destinée internationale"
des arts du spectacle,
"destinée internationale"
qui,
sonG introduction le montre bien, ne signifie nullement
uniformisation des arts du spectacle, Cécile GITEAU
reconnaît que
"Le dictionnaire historique des arts du
spectacle reste l· écrire
: il faudrait y définir le
"Nô"
et le
"Kab.uki"
aussi bien que les
"zarguelas"
et la
"jacora" , les
"bailes",
les
"pageants"
et
tant d'a~tres expressions dont la compréh~nsion serait
(1)
Paris, Dunod, 1970
.: ..... :
..
:"

-81-
."
heureusement précisée mais qui, par nature
poursuit-
elle
- échappent l toute traduction ... "
D'où vient alors le fait que, concernant
l'Afrique noire, on veuille détruire tout ce qui fait sa
r
fr~~~e-:Y/LI ~ culturelle et, particulièrement, sa spécifi-
cité en matière des arts du spectacle?
D'où vient cette
obstination chez les chercheurs, qu'ils soient africa-
nistes ou, pire, africains, à vouloir traduire par le
seul terme de théâtre des manifestations dramatiques et
spectaculaires aussi variées que nomnreuses et qui, de
surcroit, ne manquent pas de termes, ne manquent pas
d'un
vocabulaire propre et précis pour être désigné?
Récemment d'ailleurs, Denis NIDZGORSKI a
préféré
II pour éviter toute confusion ll
écrit-il en
introduction à son travail
intituler son mémoire pour
l'obtention du diplôme de l'Ecole des Hautes Etudes en
Sciences Sociales,
IIArts du spectacle au Gabon ll au lieu
de, par exemple, "Arts du théâtre au Gabon ll •
"Nous
avons préféré
s'explique t-il
- le terme
"spectacle ll
à celui de
IIthéâtre",
ce dernier nous paraissant trop
marqué par une certaine vision du théâtre qui peut être

-82-
qualifiée actuellement de conventionnelle et passé-
iste." (1).
NDZGORSKI
n'évite pas pour autant de
continuer la tradition universalisante de l'art du théa-
tr~
car il crott
tout son mémoire nous le montre
bien
à
"un théâtre
authentiquement Gabonais" (2),
théâtre
Gabonais dans lequel il intègre une manifestation
artistique aussi spécifique que le MVET et que rien ne
justifie qu'on assimile aussi arbitrairement à l'art du
théâtre.
Toutefois, il reste significatif pour nous qu'
aujourd'hui,
NIDZGORSKI ait hésité à englober la tota-
lité de son travai l sous le titre de
"Arts du théâtre
au Gabon ll •
Il y a encore quelques années, le même au-
teur n'en aurait pas éprouvé la moindre hésitation.
o
o
0
Le vieux rêve humaniste de l'Occident colo-
nisateur a voulu nous imposer l'art du théâtre comme
manifestation universelle, la seule structure vraie et
(1) NIDZGORSKI (D) - Arts du spectacle au Gabon -
Paris, 1979, inédit, p. 8.
( 2) NID ZGOR SKI .( 0) - O. C., p. 364 .

~83-
intemporelle du génie dramatiq~ humain.
D'ailleurs,
bien d'autres éléments de culture, Dien d'autres faits
de civilisation propres à l'Occident nous ont été ainsi
violemment imposés parmi lesquels l'exemple du chris-
tianisme reste un des plus éloquents.
Et pourtant, le
christianisme n'est-il pas un langage propre à l'Occident
pour exprimer sa foi en Dieu?
L'institution chrétienne,
avec ses images
et ses schémes spécifiques n'est pas
plus universelle que l'Art du théâtre. Sans que l'Afrique
ignore Dieu, sans qu'elle ignore le problème de la foi
de même que celui de l'art dramatique, nous croyons que
le christianisme comme le théâtre sont des éléments de
culture propres à l'Occident et qui
mus sont parvenus
sur les ailes de la colonisation.
Nous revendiquons notre génie dramatique
traditionnel selon, et selon seulement, les institutions
et les concepts originels qui l'expriment et le tradui-
sent, sans nul doute, de la façon la plus adéquate, la
plus juste.
Le temps de la colonisation passé, nous sou-
haitons que l'Europe comprenne
aujourd'hui que nous pou-
vons être différents d'elle sans lui être hostiles et que
les africains à leur tour cessent de prendre cette diffé-
renCe pour une infériorité. La vision ethnocentrique du
monde propre à l'Occident colonisateur est sans doute
aujourd'hui révolu.

DEUXIEME
PARTIE
DU
GENIE
DRAMATIQUE
NEGRO-AFRICAIN
Dégagés de ce vieux débat qui ne relève pas
de pures fantaisies universitaires dans la mesure où il
a
paralysé toute la pratique
contemporaine de l'art
dramatique en Afrique noire et qu'il a des implications
réelles sur son développement, nous allons tenter, main-
tenant, un examen de quelques manifestations dramatiques
négro-africaines. Comment le noir s'exprime-t-il dans
ses manifestations dramatiques?
Sans que celui-ci soit
obligé de se réclamer, à tout prix de l'Art du théâtre,
les manifestations que nous pourrons observer dans les
pages qui suivent nous autorisent à parler d'un véritable
génie dramatique négro-africain qui s'exprime et se véri-
fie dans le cadre d'institutions propres et spécifiques.
Dans un deuxième temps,nous tenterons de dégager, à la
suite de l'examen de ces quelques manifestations dramati-
ques, l'esquisse d'une critériologie esthétique du génie
dramatique négro-africain.

-85-
1
MANIFESTATIONS
SPECIFIQUES
DU
GENIE
DRAMATIQUE
NEGRO-AFRICAIN
1. - Le Kôte-Kômanayaga
C'est avec Henri LABOURET qui a travaillé en
collaboration étroite avec Moussa TRAVELE (1)
que nous
disposons de la description la plus complète du Kôte-
Kômanyaga.
Il faut cependant reconnaître à DELAFOSSE
d'avoir, par son étude de 1916, aussi brève soit-elle,
éveillé la curiosité intellectuelle de ses compatriotes,
notamment de LABOURET
lui-même, sur cette
II ques tion
du théâtre chez les noirs ll (2).
Localisé géographiquement dans le pays Mandin-
gue, en Afrique Occidentale, le Kôte-Kômanyaga est essen-
tiellement joué par des hommes, à l'exclusion toutefois
(1) qui avait déjà travaillé avec DELAFOSSE en 1916 et
lui avait révélé le
Kôte-Kômanyaga.
(2) M.
DELAFO·SSE - IIContribution à l'étude du théâtre chez
les noirs ll ,
O.C., p. 355.

-86-
des griots.
L'expression signifierait, si l'on se
réfère à DELAFOSSE,
LABOURET et TRAVELE' et même, par
la suite, à Bakary TRAORE qui, a notre grande surprise,
n'a parlé que très brièvement du Kôte-Kômanyaga, "moquerie"
ou
"divertissement"
relatif aux
"cfloses du mariage"(1).
L'humour, le comique, 1e·rire dominent dans le Kôte-
Kômanyaga.
Sur la grande place du village, appelé "féré",
le
Kôte-Kômanyaga se joue chaque année, après la récolte,
du mois d'octobre au mois de mars.
La représentation,
annoncée vers vingt heures, dure parfois très longtemps
dans la nuit. A défaut d'une clarté suffisante de la lune,
celle-ci se déroule soit à la lueur de bougies ou de
lanternes, soit de brasiers ou de torches.
L'étude descriptive de LABOURET et de TRAVELE
nous révèle que le spectacle se déroule suivant un ordre
et une structure précis s'articulant
ainsi
le ballet d'ouverture,
. le prologue et la présentation de la troupe;
les pièces.
( 1 ) Quoiqu'il faille noter que, par la suite, en 1941,
LABOURET, dans son Paysans d'Afrique Occidentale, est
revenu sur cett~ traduction, qui semble pourtant rem-
porter l'unanimité, et lui a préféré
"divertissement
du Kôte" .
Le
" Kôte Il
se ra i t, selon 1ui, une as so c i a-
tion parfaitement structurée ayant à sa tête un président
un trésorier et un juge et comportant des membres qui
versent une cotisation mensuelle. Ce dont ont est pour-
tant sOr, c'est que nous sommes en présence d'un jeu
dramatique dont le sujet favori réside effectivement
dans les infortunes conjugales, les
"choses du mariage"".
• '..'.:< '.' ""

-87-
o
o
0
Le
ballet
d'ouvèrture.
Une fois le public réuni et, au moment de
commencer la représentation, l'orchestre fait son entrée
et
s'installe au milieu de la place, au milieu du IIféré ll •
Il n'y restera que pour la durée du ballet d'ouverture.
Au rythme des tambours, la soirée débute donc par ce
ballet que décrit fort bien LABOURET
IILes assistants des deux sexes, écrit-il,
tournent autour des instruments en battant des mains, les
hommes portent au jarret et à la cheville des grelots en
fer qu'ils font sonner pour scander leurs mouvements. Le
déplacement circulaire qui s'effectue ainsi est assez lent
pour permettre aux danseurs d'exécuter un demi-tour
complet entre les battements des mains rytmés et à quel-
ques jeunes gens de faire un saut périlleux dans le
même tempsll (1).
Ce ballet d'ouverture se déroule nnn sans une
grande discipline et une certaine harmonie interne car,
(1) Paysans d'Afrique Occidentale, O.C., P. 267.

-88-
remarquent LABOURET et TRAVELE,
"Les battements des
mains et les sauts sont toujours exécutés sur les sons
élevés et qu'au contraire le demi-tour s'accomplit tan-
t ôt sur uns 0 n é lev é e t tan tôt sur uns 0 n gr a ve", (1).
Après ce ballet qui, notent LABOURET et
TRAVELE,
IIremporte toujours un grand succès ll
(2),vien-
nent, simultanément, le prologue et la présentation de la
troupe.
o
o
0
Le prologue et la présentation de' la troupe.
L'orchestre pour cette deuxième phase du
Kôte-Kômanyage.;quitte le centre du
IIféré ll
et se place
plutôt sur l'un de ses côtés. De chaque côté de l'orches-
tre se tient le choeur composé de femmes et de jeunes
filles. L'orchestre et 1e choeur semblent être exc1usi-
vement composés, d'une part, d'hommes et, d'autre part,
de femmes et de jeunes filles.
L'orchestre et le choeur
se tiennent prêts pour l 'entré~ des acteurs. Ceux-ci,
(1) ilLe théâtre Mandingue ll
par LABOURET et TRAVELE,
O.C., p. 76.
(2) O.C.,
p. 77.

.89 ...
dans une maison voisine de la place du village, se pré-
parent, se costument et se maquillent, s'enduisent même
le corps de produits divers
IIPour ces représentations, ils se griment
de manière effrayante, recouvrant leur torse, leur visage,
et leurs memhres de cendre, de
kaolin ou d'hématite pul-
vérisée, ce qui leur donne une apparence fantastique et
ridicule. Ils s'affublent de vêtements déchirés et se
munissent des armes, instruments et accessoires que
réclament leur rôle ll • (1)
Lorsque les acteurs sont prêts, il le font
savoir et, LABOURET et TRAVELE remarquent que c'est dans
le silence que le public les attend.
C'est d'abord un
seul acteur qui vient:
IIUn cri d'abord lointain se fait entendre,
puis se rapproche, on distingue bientôt la voix d'une
personne encore invisible qui chante ... 11 (2).
Durant toute cette entrée progressive de
l'acteur, de la case voisine, utilisée en guise de loge,
à la place du village,
l'orcnestre rytme son chant et le
choeur reprend celui-ci textuellement. Arrivé au seuil
(1)
Paysans d'Afrique Occidentale, O.C., p. 268.
(2)
Paysans d'Afrique Occidentale, O.C., p. 268.

du lieu de la représentation l'acteur, pour la première
fois, parle
"Il déclare qu'ayant perdu ses parents de la
lignée paternelle et ceux de la lignée maternelle, il est
venu attiré par le son des instruments.
L'un des musi-
ciens lui demandent alors d'appeler ses compagnons, ce
qu'il fait avec une mimique (1)
appropriée et bientôt
les autres acteurs se présentent, costumés d'après leur
emploi" (2).
Et LABOURET
poursuit
"On reconna1t
parmi eux l'infirme, l'aveugle,
le boiteux, le lépreux, l'imbécile, le chasseur maladroit,
le brigand, l'épouse adultère, le mari trompé, le
vantard, le poltron, le marchand prodigue, le voleur, la
sorcière aux oreilles de lièvre ... etc ... " (3)
(1) Décrivant cette mlmlque dans leur étude de 1928,
LABOURET et TRAVELE écrivent
" ... Ecartant les
jambes, plaçant ses paumes à ~at sur les reins, et se
balançant d'arrière en avant, comme pour prendre son
élan, il crie d'une voix forte ( ... ).
Puis il porte
la main en pavillon à son oreille pour écouter.
N'en-
tendant rien, il lance de nouveau son appel ~vec la
même mimique. ( ... ) Les
autres acteurs répon~ent
enfin ( ... -).
Le premier acteur chante et danse ~lors,
accompagné par l'orchestre; il est bientôt rejoint
par les autres ... "
(in
"Le théâtre Mandingue"
O.C., p. 78).
(2) O.C. p. 268
(3) O.C., p. 268.

-9-1-
Pour terminer ce prologue et cette présen-
tation des acteurs,
"toute la troupe fait plusieurs fois
le tour du
lIféré"
en chantant et en dansant, puis se
retire" (1).
o
o
0
Les
pièces
Après avoir recueilli sept pièces (2), au
cours de cette troisième phase du Kôte-Komanyaga qui
constitue, selon LABOURET et TRAVELE,
"la partie propre-
ment artistique" , nos deux chercheurs précisent que les
thèmes qu'on y aborde sont très variés quoique les que-
relles de ménage, les
"choses du mariage ll
soient, de
façon légèrement sensible, le sujet le plus fréquent.Sur
les sept pièces recueillies quatre, en effet, concernent
ces
"choses du mariage".
Cependant, d'une façon générale,
(1) O.C., p. 268
(2) dont les titres sont les suivants:
le marchand de colas et la femme coquette
le poltron vantard
la femme adultère
le chasseur trompé
la sorcière aux grandes oreilles
le voleur d'ignames
le voleur de poissons.

-92-
LABOURET et TRAVELE observent qu'avec le
Kôte-Kômanyaga,
nous sommes
en présence
"d'une satire qui glane ses
observations dans le vaste champ de la vie".
En dehors des personnages, un peu plus fré-
quents, des époux et de l'amant, de nombreux autres per-
sonnages , en effet, "non moins appréciés"
d'ailleurs,
comme le lépreux, l'aveugle, le boiteux, le voleur, le
poltron, le vantard, le chasseur, le sorcier ... etc ...
"défilent sur le féré".
"Les auteurs anonymes de ces pi èces, écri vent
LABOURET et TRAVELE, en sont aussi les acteurs. Ils font
oeuvre de psychologues et savent porter avec art à la
scène les ridicules de leurs concitoyens". (1).
Parlant de cet art de transposition
"à la
scène" , LABOURET et TRAVELE écrivent encore
"Si simple que soit l'intrigue, si dépourvu
de détours que s'affirme le caractère, le spectateur est
toujours frappé de l'art avec lequel les acteurs présen-
tent leurs personnages. ( ... ). Tous jouent avec un natu-
rel et un talent véritahle dénotant un grand
esprit d"
observation et d'adaptation" (2).
(1) O.C.,
p.
90.
(2)
O.C.,
p.
92.

-93-
Illustrant cela,ils ajoutent:
"Voyez para~tre sur la scène Fatimata, coquette
et légère, roulant les hanches sous son pagne rayé, elle
est attifée d'une façon burlesque, mais tous ses gestes
sont exacts, comme son intonation et sa diction au cours
du ~ialogue.
Regardez Niellé (1), surprise par le chas-
seur malheureux; elle s'avance avec un calme plein de
mépris pour celui qui l'interroge, elle refusera de ré-
pondre, ou bien exprimera son dédain par monosyllabes,
jusqu'au moment où éclatant en reproches véhéments, elle
tournera son
époux en ridicule.
Toutes ces nuances
écrivent LABOURET et TRAVELE
sont précises et vraies
ce n'est pas l'acteur qui parle, c'est une femme quel-
conque du village dont l'assistance enthousiasmée murmure
le nom. Les rôles d'hommes
précisent-ils encore
ne sont pas tenus avec moins de maîtrise ( ... ).
Le noir
possède à n'en pas douter un sens inné du comique ... "(2).
(1)
N'oublions pas que tous ces rôles de femmes sont, de
surcroît, tenus par des fiommes.
(2)
O.C., p. 92 à 93.

-94-
2. -
Le
Sougounougou.
Ce sont les, Sénoufos, situés géographiquement
dans le centre-nord de la Côte-d'Pivoire, qui pratiquent
le Sougounougou, jeu dramatique qui a pour sujet essentiel
des scène de chasse fort agrementées, Par ailleurs, par
l'exubérance et les plaisanteries du charmant couple
Nanzegé-Niofolityé (I) dont les aventures truculentes "ins-
pirées de la vie quotidienne du village font la joie des
spectateurs.
Seuls les hommes participent activement au
Sougounougou qui se déroule, en général, le soir (2), sur
la place du village au centre duquel un bûcher éclaire
l'espace de la représentation.
S'il arrive même, ce qui
est beaucoup plus rare, que le Sougounougou se
déroule
dans la "journée, le bûcher, sans être allumé, reste dressé.
(l) "Nanzegé" est un garçon exubérant, de caractère gai, qui
a toujours la riposte prête et la plaisanterie facile;
malheureusement, c'est un poltron doublé d'un hâbleur
et d'un vantard.
Il trouve les chasseurs maladroits et
peureux, il veut apprendre au chef de village à faire
son métier, il est peu respectueux des Dieux et des
génies, quelque peu voleur avec cela.
Tous ces défauts
vont lui attirer bien des désagréments.
De plus,
Niofolityé, sa femme, est "fort jolie et tout le monde
lac 0 nv0 i té, Nan ze gé est t 0 uj 0 urs sur lep 0 i nt de l a vo i r
enlevée. Heureusement, Niofolityé est bonne pour son
mari et lui revient toujours.
De plus, comme elle est
très versée dans les arts magiques, elle lértire facile-
ment
des plus mauvais pas".
(PROUTEAU~ O. C. ,p. 453)
(2) Sans qulil
toutefois, qu'il puisse avoir
lieu
dans

-95-
Un prologue précède le Sougounougou proprement
dit, prologue au cours duquel on dresse le bûcher, on
l'allume
(quand la représentation a lieu la nuit)
et
que le ~hoeur, l'orchestre et les spectateurs prennent le
temps de s'installer. L'orchestre et le choeur, qui arri-
vent les premiers sur la place du village, semblent, par
leur musique et leurs chants, aussi Dien lancer un appel
aux spectateurs qui, d'ailleurs, ne tardent pas à arriver,
qu'à avertir les acteurs de l'imminence de la représen-
tation.
Ce prologue, également fort animé par Nanzegé
dont les
II pitreries ll (1), les
IIdanses" (2), les
II sa illies ll
(3)
IIfont prendre patience ll (4)
durera une trentaine de
minutes avant de céder la place, au signal du coryphée,
au Sougounougou proprement dit.
Ce Sougounougou consiste en une succession de
scènes (5) dont il est d'un tout premier intérêt que nous
vous livrions, intégralement, les descriptions mêmes de
PROUTEAUX afin de pouvoir vous restituer, dans sa spon-
tanéité, la peinture d'un témoin même des représentations.
Sur la totalité de ces scènes qu'il nous est, bien entendu,
impossible de vous livrer toutes, nous en avons retenues
deux, de fa~on strictement arbitraires, cell~concernant
IILes antilopes ll
et
IILes plantations ll •
(1), (2), (3), {4) - PROUTEAUX, O.C., p. 454
(5) dont
voici quelques titres
· les antilopes
Niofolityé et les chasseurs
les
plantations
· le chimpanzé
· le faux messager ... etç ...

-96-
o
o
0
Les
antilopes
(1)
"Un
homme sans costume spécial, mais portant
au genou des sonnailles, fait, en dansant, rapidement plu-
sieurs foit le tour du feu puis disparaît sans avoir
prononcé un mot.
Cette entrée annonce que des antilopes
sont à peu de distance du village et le choeur se prépa-
rant à partir à leur
rechercbe, chante
sa joie et ses
espoirs.
De savoir le gibier proche, surexcite les
chasseurs; ils parcourent la plac~ en tous sens,1loei1
aux aguets, l lare tendu et en singeant d'une façon gro-
tesque le chasseur qui suit une piste. Ils vont aussi pru-
demment de tous côté, et si quelque facétieux imite un
cri de fauve, tous les autres se dispersent en donnant
des signes de terreur.
Cependant, entrent. des antilopes. Ces entrées
sont nombreuses. Chaque espèce, je liai dit, se reconnaît
aux cornes et à la peau dont est fait le masque. Voici,
par exemple, telles que les Mandés appellent l'Son". Elles
entrent par couples, une biche et un faon, elles aVancent
(1) PROUTEAUX, O.C., p. 456.

-97-
..
avec prudence, regardant de tous côtés, ayant des sou-
bresauts brusques et des têtes à queues rapides quand
elles croient entendre du bruit, avec des instants d'im-
mobilité absolue. Tout cela est
parfaitement imité de la
démarche des antilopes dans la brousse.
Les chasseurs sont sur leur piste. Etant
donné l'espace restreint qui leur est dévolu, ils se trou-
vent souvent à un mètre de leur proie. Mais nous sommes au
théâtre: ils sont supposés plus loin qu'une portée de
flèche, aussi miment-ils en conscience la poursuite. Ils
se glissent, se dressent à demi, ajustent les bêtes, mais
ne tirent pas et continuent à les suivre pour chercher un
meilleur moment. Ils ont des jeux de physionomie
expres-
sifs de joie, des tremblements de désir qui rappellent
ceux des chats voyant un oiseau presque à portée, mais
pourtant un peu trop loin encorp-.
La chasse se poursuit avec des incidents
divers. De temps à autre, une
biche fait la tête au chas-
seur qui la suit et celui-ci, dans une terreur panique,
tombe à la renverse, ce qui soulève de grands éclats de rire.
Deux chasseurs ont pu isoler un jeune faon
et l'ont blessé, il est -tombé à genoux, la tête sur les
.mains
on le croit mort. Aussitôt, les deux chasseurs

-98-
1.( a/~(l..
se disputent
chacun revendique de ~t\\ tué.
Des
paroles, ils en viennent aux coups. Pendant qu'ils se
battent, le faon revient peu à peu à la vie, il lève la
tête avec prudence, inspecte les alentours et comme
le
chasseur victorieux revient le prendre, il glisse entre
ses mains et s'enfuit rapide à la grande joie de tous.
Quand les antilopes quittent la scène, les
chasseurs les suivent, puis reviennent peu à peu,bredoui11es;
pas tous, car le dernier porte sur sa tête le masque de
l'une d'elles ce qui signifie qu'il a tué la bête dans la
coulisse.
Dès qu'il l'aperçoit, Nanzegé se précipite
sur lui et, sans façon, lui enlève son trophée.
Le chasseur
à beau se défendre,
Nanzegé est le plus fort. D'ailleurs,
il n'est jamais à court de raisons et, pour expliquer son
larcin, il proclame que le chasseur est un imposteur, que
l'animal s'est tout simplement pris dans un piège que
Niofolityé avait disposé dans sa plantation; c'est donc
à elle seule qu'appartient le gibier. Niofolityé, toujours
docile à .son mari, vient prendre la tête qu'elle met à
boucaner près du feu.
Nanzegé prodigue à sa femme des
caresses, des remerciements et des louanges pour son
adresse".
o
o
0

-99-
Les
plantations (1).
IIAuprès du feu, on fait des plantations
un homme, armé d'un bâton recourbé qui simule une houe,
fait le geste d'ameublir le sol et d'élever les petites
buttes où l'on a coutume de planter les ignames et les
arachides. En s'en allant, il laisse auprès un homme à
qui il remet une arme (soit un arc, soit un fusil, je veux
dire un bâton).
Il construit à ce gardien un simulacre
de hutte
: trois bambous d'un m~tre à peine, réunis au
sommet comme les charpentes des cases circulaires.
Tant que le maître est là, le gardien fait
son devoir
: il crie pour effrayer les oiseaux comme font
les gamins chargés de surveiller les plantations, mais
sitôt qui il est seul, ce serviteur infid~le s'endort non
sans avoir mimé qu'il déterrait quelques arachides et les
mangeait.
De petits singes arrivent et commencent le
pillage. L'homme se réveille et les chasse, le petits sin-
ges se défendent un peu mais se sauvent.
Le gardien se
rendort.
Entrent de grands singes
ceux-là saccagent
tout et brisent la frêle charpente. Cela réveille le dor-
meur mais dès qulil Si approche il est battu; terrorisé,

-100-
i l don net 0 ut ce qu' i la, son a r me, son cha pe au et, pro -
fitant de ce que les singes s'amusent drôlement avec ce
chapeau, il s'enfuit. Les singes ayant tout consciencieu-
sement rava~é s'en ~ont aussi. Le maltre vient inspecter
son champ et le trouve tout dévasté. Désespéré, mais aussi
très en colère, il appelle
et le choeur vient constater
les dégâts.
Le gardien, qui est revenu, est fortement in-
vectivé pour sa négligence. Pour se défendre, il ment
éfrontément. Il jure qu'il n'a pas dormi et que ce ne sont
pas des animaux qui ont tout détruit.
Certes, il n'aurait
pas eu peur d'une bande de singes, mais il
a
été
assalli par derrière par des hommes qui lui ont volé son
chapeau et son arme et l'ont tellement battu qu'il serait
mort sur place s'il ne s'était pas sauvé.
Nanzegé,
naturellement, est venu avec les chasseurs voir ce qui se
passait.
Pendant le plaidoyer du veilleur, il remarque
quelques pieds d'arachides intacts, les arrache et mange
les graines tout en écoutant la discussion, Mais, comme
toujours, ne pouvant s'empêcher de se mêler de ce qui ne
le regarde pas, il donne son avis, insiste sur la culpa-
bilité du gardien et s'étonne de l'indulgence du maître
qui semble vouloir pardonner.
Ces conseils font remarquer
sa présence, on se retourne
et on s'aperçoit qu'il mange,
lui aussi, des arachides.
On lui en fait la remarque mais
il nie comme un beau diable. pourtant, il a e~core la
bouche pleine et profite de chaque moment où on ne le
r aga r de pas , po ur mâche r lep l us vit e qu' i l pe ut, qui t t e


·101·
à reprendre un air innocent dès qu'on se retourne vers
lui.
Enfin, le stratagème est découvert
et Nanzegé,
convaincu d'avoir volé et mangé quelques arachides, se
voit accuser d'avoir pillé tout le champ, battu le gar-
dien et le reste. Il porte ainsi la peine de sa manie
de s'occuper de tout.
Il est bien entendu que toute cette scène
est mimée et qu'il n'y a pas réellement d'arachides dans
la bouche de Nanzegé.
Celui-ci est excellent comédien.
Ses jeux
de physionomie, quand il mâche rapidement et
s'étrangle pour avaler plus vite à la dérobée les graines
compromettantes, son air indifférent quand on le regarde
ne seraient pas désavoués par nos meilleurs clowns".
o
o
0
L'exécution de ces scènes nécessite, selon
PROUTEAUX, la triple présence d'un choeur, d'un orchestre
et de personnages.
Le choeur est composé de sept i huit personnes
jouant également le rôle des chasseurs. Le choeur prend
donc part i
l'action, à différents niveaux, soit par des

..102 ...
chants traduisant les espoirs ou les déconvenues des chas-
seurs
(dont le choeur lui-même joue le rôle) soit par
des mimiques de scènes de chasse ou des dialogues qui
interviennent ça et là, au cours de l'action. Tous ces
chasseurs, formant également le choeur, sont costumés en
conséquence. Coiffés de vieux chapeaux et habillés de
vêtements usés, ils portent l'arc et le carquois.
Lorchestre, composé de balafons et de tam-
tams, accompagne les chants et les danses et ponctue les
scènes m-imées.
Sont inclus dans les personnages, tous ceux,
à l'exclusion du public bien sOr, qui ne font pas partie
du
choeur et de l'orchestre. L'âge des personnages est
très varié et va du gamin de dix ans à l'adulte de trente
cinq ans en passant par les adolescents et les jeunes gens.
Les personnages jouent essentiellement les
rôles d'animaux. Suivant leur âge, ils incarnent tel ou
tel animal. Comme acteurs du Sougounougou, à l'exclusion
du choeur et de l'orchestre, on distingue très nettement et
Llt'\\l.<
aveëYPrécision rigoureuse et étonnante
Nanzegé, le héros, un homme de 35 ans,
, homme mûr
de passage, hommes mOrs
9~ ~ e-",,\\(., ev,.. ~~\\((}) r
Z( a"'S' •
~V~\\"
1 .

-103-
un génie, homme de 35 ans.
C'est le fils du chef du
village, précise PROUTEAUX,qui tient ce rôle
des figurants divers
des animaux variés joués par des hommes mûrs
(pour les
rôles du lion et du boeuf),
par des jeunes gens d'une
vingtaine d'années (pour les antilopes et les chimpan-
zés), par des adolescents (pour les cynocéphales et les
chiens sauvages) et, enfin, par des gamins d'une
dizaine d'années (pour les sangliers, les singes, les
porc-épi cs et les ânes).
3. - Liart
de
conter.
S'il est une cnose que nul ne peut refuser
aux négro-africains, c'est bien l'art de conter. Ceux-là
même qui, au sujet de l'existence du théâtre en Afrique
traditionnelle, n'arrivaient pas à se met~re dl accord,
reconnaissent, par contre, unanimement, que le négro-
africain est, par excellence, le conteur même.
En effet,
à ce
sujet, pas la moindre divergence entre DELAFOSSE et
PROUTEAUX, entre LABOURET et BEART
ou Bakary TRAORE et
Robert CORNEVIN.
S'il est impossinle , comme le disait
PROUTEAUX au sujet du théâtre, de trouver en Afrique noire
l are pr-é sen t at ion thé â t r ale l a plu s
Il r ud i men t air e Il
(1",
(1) Supra, P.»<f. 32

-104-
il apparaît cependant au même
PROUTEAUX que le noir
lI a dore
entendre, raconter des fables et des légendfes ll (l).
Quant à BEART , i l ira même jusqu'à dire que
IItous les
noirs savent conter ll (2).
En tout cas, l'on semble tomber
d'accord pour dire, selon les termes de LABOURET, que
1I1'Afrique entière est connue comme le pays des conteurs
et des contes. 1I
(3).
Mais, est-il juste de parler du conte comme
d'une manifestation du génie dramatique négro-africain?
Ne sommes-nous pas là, tout simplement, en présence d'une
manifestation littéraire, d'un aspect, d'un genre de
l'immense patrimoine de littérature orale des négro-
africains traditionnels?
Ce que, croyons-nous, il ne faut pas perdre
de vue, comme ce fut
souvent le cas, c'est que ce carac-
tère oral de notre littérature ne va pas sans cette
dimension artistique, qui, en debnrs même des critères
internes et des procédés stylistiques ~ropres à toute
oeuvre littéraire achevée, relève d':un génie dramatique
fort élauoré. Et, ceci est particulièrement sensible
(1) Supra, p.
30.
(2) Charles BEART -
ilLe théâtre indigène et la culture
franco-africaine ll
in
l'Education Africaine, P. 7.
(3) Paysans d'Afrique Occidentale,
O.C., p. 259.

105-
dans le cas du conte, dans le cas, d'une façon générale,
et selon la distinction de Geneviève CALAME-GRIAULE, de
la littérature
"profane" (1), cette littérature
"dont
le but apparent
écrit CALAME-GRIAULE
- est le
divertissement"
et qui, conformément à nos prises de
position
antérieures, se trouve être dégagée de toute
emprise, de toute institution religieuse, rituelle ou autre
S'il est quelque peu excessif de dire comme
BEART, que
"tous les noirs savent conter", ce qu'il faut,
par contre, reconnaître clest, comme 1 1 écrivait Roland
COLI N, qui "0 n arr ive d i f fic i 1e me nt à i ma gin e r une soc i été
africaine d'où le conte serait absent". (2). Quand lion
pense, comme
l'écrivait Georges BALANDIER (3), qu'un
spécialiste estime à environ un quart de mi1lion1 le nombre
des seuls contes africains, il apparaît que, dans la
mesure où tous ces contes supposent un jeu dramatiqu~~
'1 b
,.l'\\r
.
e a ore,exlge pour eXlster une dimension dramatique, nous
disposons là , avec 1 lart de conter, d'une preuve indé-
niable en faveur de l'existence, en Afrique noire tradi-
tionnelle, d'un génie dramatique spécifique et commun aux
négro-africains.
Mais pour nous en convaincre,recueil10ns plutôt quelques
témoignages.
( 1 ) G. CALAME-GRIAULE - La Littérature orale ,in Colloque
sur l'Art nègre - Paris,Présence Africaine,1967,p~44.
( 2 ) R.
COLIN - Littérature Africaine d'hier et de demain -
Paris, A.D.E.C., 1965, p. 78.
( 3 ) BALANDIER G. et MAQUET J. - Dictionnaire des civilisa-
tions africaines - Paris,Fernand HAZAN,1968, p.252.

o

0
C'est
tout ~'abord, Henri LABOURET qui,
prenant l'exemple du Soudan, nous décrit une de ces soi-
rées de conte du monde paysan de l'Afrique Occidentale
Il
l'auditoire se groupe en saison sèche
autour d'un foyer, alimenté par trois grosses bûches en
éventail, qui se consument lentement. La nuit est tombée
depuis deux heures, l'air est calme, la brousse environ-
nante est silencieuse.
Des veillards vêtus d'amples
blouses de cotonnades rayées, des hommes faits portant
les mêmes vêtements, des jeunes
gens et des adolescents,
les hanches sèrrées par un cache-sexe, se pressent pour
écouter celui qui va parler. Derrière eux, les ménagères
appliquées filent le coton ou tressent des fibres en prê-
tant une oreille attentive.
Après une formule rituelle, l'artiste com-
mence d'une voix qui sait ménager ses effets. Il est maître
de son sujet et le présente avec un art que relève l'ex-
pression de sa physionomie et son geste. Son masque
s'adapte aux divers personnages et rend le caractère parti-
culier attribué à chacun d'eux: la stupidité naive de
qui va être ~afoué, la candeur apparente de celui qui tend

-107-
son piège pour y attirer une victime, le visage bougeon
d'une vieille femme acariâtre, le sourire d'une fille
coquette, la sévérité du chef, "humilité du pauvre, l'or-
gueil du riche, la brutalité du conquérant et l'innocence
de l'enfant.
Le geste est d'ordinaire très sobre, il
ajoute un trait juste au portrait esquissé, et souligne
une caricature, sans plus. Un cultivateur mélancolique
s'évente avec une branche de Karité; un lépreux, figure
qui se retrouve souvent dans ce folklore, s'assied en
ramenant sous lui ses orteils mutilés, chasse les mouches
voraces acharnées sur ses plaies, renifle d'une manière
dégoutante et s'essuie les narines avec le dos d'une main
sans doigts, tout cela sans insister. Le geste est accen-
tué par des onomatopées, des interjections nuancées, évo-
catrices, impossible à rendre dans une traduction.
L'ensemble appuie une diction remarquable, tan-
tôt rapide et détachée,tantôt insistante et lente, comme
pour marquer l'importance d'une situation
dramatique.
Presque c~aque récit comporte un refrain ~ythmé, mélodie
ou formule magique, coupant les épisodes et qu'un seul
assistant ou tout l'auditoire reprend. L'interprétation
est toujours infiniment variée, détaillée à mi-voix d'un

-108-
ton mys t érie u}':., mur mur é e de f aça n pre s que i ni ntell i gi b l e
ou bien proférée sur un diapason élevé dans le mode
burlesque.
Ce nlest pas un simple récit
conclut
LABOURET
mais bien une scène dramattque interprétée
par un acteur de talent, que les spectateurs écoutent,
approuvent par leurs approbations ( ... )
et encouragent
de leurs ri'res appréciateurs" (1).
Et LABOURET ajoute plus loin
"Les contes ne sont pas toujours récités par
un seul homme. Ils sont aussi représentés par plusieurs
acteurs ... " (2).
o

0
Sans accorder,contrairement à LABOURET, une
longue description à l'art du conteur, BEART, quant à lui,
affirmera de façon percutante et précise que tous ces
contes ont un caractère commun, celui d'être
"dramatique"
(3). Et il ajoute que
"tout y est mouvement Il (4).
(1) Paysans d'Afrique Occidentale, O.C., p~ 259-260
(2) Paysans d'Afrique Occidentale, O.C., p. 263
(3) (4)
L'Education Africaine, O.C., P. 7

-109-
IIAussi
précise-t-il
l'art du mime est-il en hon-
neur ll (1)
dans l'art de conter .. Comme LABOURET, BEART
constate qu' lIil arrive quelquefois que pour rendre ce
mouvement, surtout quand il s'agit de représenter une légen-
de
ou un conte épique, deux ou trois griots s'unissent ... "
(2)
o
o
Laissant de côté les hypoth~ses incertaines
de BAKARY TRAORE tendant! prouver l'existence ancienne
du théâtre en Afrique noire, on remarque, par contre,
qulil devient beaucoup plus affirmatif et convaincu quand
il parle des contes, mythes, légendtes ou épopées qui,
dit-il,
"correspondent en Afrique noire à une somme de
la sagesse africaine ll
(3). Cependant, plus que par cette
sagesse, le sociologue du théâtre négro-africain n'a pu
s'empêcher de se laisser gagner par l'art du
II gr iot-
acteur"
"Les mythes qui expliquent l'origine de tel
ou tel
animal donnent l leu également à des légend e;.1
(1)
L'Education Africaine, O.C., p. 7
(2)
L'Education africaine, O.C., p. 8
(3)
B. TRAORE, O.C. , p. 32.

-110-
mimées, au son de la guitare, comme cela se passe chez
les Peu1hdu Sénégal, pendant les veillées galantes.
La
légende
la plus populaire qui attire la foule autour du
griot-acteur est la légende
du Lamentin.
Cela se passe
en général dans la concession d'un chef de famille du
village.
Au milieu de la vaste cour, un cercle se forme
autour du conteur, noyé dans la pênom5re que provoque un
feu de Bois.
Une guitare que pince avec art le griot
tout au long de son récit soutient l'action.
Et le
griot ne s'arrête de la faire geindre que pour esquisser
quelques pas de danse ou mimer un geste C... )
A la fin
de son récit, conteur et assistance entonnent un hymme à
la gloire du Lamentin" (1).
o
o
0
Avec LABOURET, c'est Roland COLIN qui nous
donnr également de longues descriptions de l'art du conteur:
~
Il
• • •
voyons le conteurY1'oeuvre, écrit-il. L'auditoire
est vinrant et concentré. Le ton de 1 1 bomme qui parle est
à un diapason 1égèr~ment différent de la conversation
courante. Il use admirablement des inflexions de voix
(1) O.C., p. 33-34

-111-
chaque personnage revit intégralement sur l'écran de son
visage. Les expressions de ses traits, ~ous le charme
"'
des lueurs du feu, prennent des dimensions fantastiques.
Le geste est très sobre, mais toujours juste.
Le conteur
Peulhrécite,souvent, le buste accoudé très en arrière, ce
qui donne au visage une prespective inusité, très saisis-
sante. Les moindres nuances du conte sont traduites grâce
au jeu complexe de l 'homme, et ce jeu est presque de la
danse. il danse l'hyène nasillarde au pelage trouble,
prompte à la fuite une foi~ la bêtise consommée; le
lièvre à la ruse sautillante, à la voie futée; la vieille
sorcière au dos casse par les ans, mais dont l'oeil brille
et grouille de puissances d'envoûtement.
De temps à
autre, une brève exclamation, un changement de tonalité
et de rythme ressaisit l'attention du cercle, la relance
dans un nouveau vertige.
L1assistance est toute entière tenue en
haleine, fondue dans la même attente.
Par instant, une
envolée de rires légers et sans retenue, ce rire total du
nègre, salue le comique de la situation
: l'antilope a
trompé le seigneur léopard, l'hyène perd du poil à son
propre piège.
Souvent la progression est fonction d'un
léger murmure de l'auditoire ( ... ) . Il est rare que
quelqu'un interrompe le fil du conte par une question.

-112",
Pourtant l'hypothèse n'est pas à exclure.
Si l'histoire
n'est pas très claire, si quelque péripétie semble obs-
cure, sans aucune gêne vous pouvez faire part de vos
disficultés au conteur, qui répond de Donne grâce. Parfois
même, c'est lui qui interrogera tel ou tel pour lui
demander comment il imagine la suite, et, la plupart du
temps,
la version proposée par le conteur est la plus
ingénieuse, la plus finement brodée.
Mais la participa-
tion directe de l'auditoire au conte se fait surtout par
la chanson.
On sent plus profondément là qu'ailleurs
combien la veillée est un véritable
IIjeu dramatique ll (l).
Dans sa littérature africaine d'hier et de
demain,(2)
Roland
COLIN nous décrit encore une autre
soirée de conte
ilLe clan est regroupé comme une main fermée
autour du petit cercle de lumière de la concession.
La lumière, clest un faix de bois sec qui
flambe et s'accompagne, puisque nous sommes en pays bambara,
de la flamme courte et jaune des petites lampe de fer,
IIfitné ll ,
où 6rûle le beurre de karité.
On chasse
dlune
imprécatton , d'une bourrade ou d'un coup de talon le
(1) R. COLIN -
Les contes noirs de l'ouest africain
Paris, Pr~sence Africaine, 1957, p. 86 à 88.
(2)
O.C. p. 79 à 83.

-113-
chien roux efflanqué qui à la constantm-udeur
- chacun
connaît l'impudeur des chiens
de mélanger ses pattes
aux nattes, bancs de bois, peaux de chèvres ou s'assoient
les
humains.
Les voisins sont venus car le conteur qui
va parler ce soir, le II n 'ziri dala ll
est d'honnête répu-
tation. Son talent pourra me tenir éveillé jusqu'à ce
que s'éteigne la dernière étoile de la nuit.
Il a mis
san costume d'apparat, teintd'indigo ou d'une terre brulée
spéciale.
Il tient ~ la main
sa queue de boeuf dont il
saura amplifier ses gestes. L'auditoire est là, vibrant
déjà d'une attente contenue.
Le
II n ' z iri dala ll
oamoara est un artiste
consommé. Il sait chanter, danser, mimer, raconter avec
une force d'expression qui capte, suojugue, entraîne
quand il le faut participation de ceux qui écoutent,ques-
tions, réponses,refrains, entrée dans l'aire de danse. Le
groupe vit intensément et se nourrit de chaque parole .
. ~ . Le premier conte commence. C'est d'abord une
ln[,ltcdv.ek,'v'tI
for mu l e"'~, rit uel le et i mm ua b le
Il V0 ici
ce
que je vais dire!1I
On répond
IINam ! Il
ce qui est
difficilement traduisible; ce mot veut dire
IINous
sommes là, prêts, nous écoutons. Il
le conteur

-114~
ilLe grand calao en vérité était un oiseau tout blanc, tout
blanc. Slil est devenu noir, savez-vous pourquoi 711 • L'as-
sistance déjà captivée réplique
liNon, jusqu-à ce que
tu nous le dises ll .
Le n'ziri dala continue
: IIC l est bon,
je vais extraire llexplication du tréfonds de moi pour la
précipiter
dans le tréfonds de vous ll .
L'assistance
murmure de satisfaction.
ilHan! Han!
alons-yll.
Le conteur:
IIUn certain jour, le calao, de très Don matin, alla se
poster au bord d'un chemin".
La queue du boeuf du conteur
a esquissé la silouette bien connue du grand calao qui
arpente les brousses claires en s'envolant parfois d'une
aile lourde et triste.
IIUn homme seul vint à passer. Le
calao lui cria
Salut! homme à la Douche pourrie!
Llhomme lui rendit son salut et passa.
Deux hommes ensem-
ble vinrent à passer, il leur cria
Salut
meurtriers
de vous-mêmes
Ceux-ci lui rendirent son salut et pas-
sèrent.
Trois hommes vinrent, il leur cria
: Salut!
colomniateurs ! Ceux-ct lui rendirent son salut et pas-
sèrent.
L'homme seul, au bout d'un moment, s'arrêta et
se dit
. le calao m'a dit que l'avais la bouche pourrie,
qu'est-ce donc que je lui ai fait 7
Il revint sur ses
pas. Il rencontra les deux hommes qui dirent aussi qu'ils
s'en revenaient demander au calao pourquoi il les avait
traités de meurtriers de soi-même. Il rencontrèrent enfin
les trois hommes qui revenaient s'enquérir de la raison

-115.,
pour laquelle on les avait appelés calomniateurs".
Un silence du conteur. La tension monte dans
l'assistance. Le conte est noué (nziri)+.
Comment va-t-
il se dénouer?
Le conteur poursuit
liCes six liommes revinrent donc trouver le calao et lui
dirent
: Calao, tu nous a dit qu'un de nous avait la bou-
che pourrie, que d'autres étaient meurtiers de soi-même,
et d'autres enfin des calomniateurs. Qu'est-ce que nous
avons bien pu te faire pour que tu nous traites ainsi ?"
Le conteur s'arrête à nouveau et s'adresse à
tous les regards qui le fixent intensément
dire le calao?
Qui sait?
"Un homme parle vite:
ilLe
calao les a insultés, mais dis-nous pourquoi car toi tu
le sais".
L~n~iri da1a se fait plus calao que le calao et
traduit ainsi la réponse du calao
"Ah ! cela vous a fâchés?
Je n'avais pas parlé en mau-
vaise part, mais plutôt en bien. Si j'ai dit bouche pour-
rie, c'est parce qu'un homme
qui marche seul, qui ne
parle l personne et à qui personne ne parle, on sait bien
que son haleine deviendra vite mauvaise.
Si j'ai dit
meurtriers de vous-mêmes, clest parce que si deux personnes
+ Siri en bam5ara signifie
"nouer"
et
" nz iri"
conte.
(La note est de Roland COLIN lui-même.

~116-
sont ensemnle et qu'elles se nattent, comme il n'y a
personne pour les séparer, l'une tuera l'autre. Si j'ai
dit calomniateurs, c'est que,dès que l'un des trois hommes
s'absente, les deux
autres lui tombent dessus et disent
du mal de lui.
Lorsqu'il eut ainsi parlé, ces hommes sans
esprit se mirent à rosser le calao. L'un le prix par le
bout d'une aile, un autre le prit par le 50ut de l'autre
aile, et les quatre autres le rouèrent de coups, le rou-
lèrent dans la cendre noire, et le noicirent complète-
ment, à l'exception des deux Iiouts d'aile que tenaient
les deux premiers hommes.
Depuis, chaque fois qu'on voit
un
calao, on s'aperçoit qu'il n'a plus de blanc que les
deux bouts d'aile ll •
Ce conte est fini, dans le cercle les audi-
teurs éclatent
la satisfaction et les encouragements.
Il reste au conteur à prononcer la formule rituelle qui
clôt chaque conte
IIJe remets le conte là où je l'ai
trouvé. Que demain matin je trouve dans l'eau dont je me
servirai un cauri plein ll •
Il enchaînera sur un chant de
calao, une danse de calao, un proverhe, un autre conte
et
d'autres encore et la nuit sera courte ll •

... 117-
4. - OKRO NOMEL
et la
Volta
Blanc~e
Nous mêmes avons eu des occasions d'assis-
ter à des manifestations spécifiques du génie dramatique
négro-africain. Mais
'puisqu'au niveau de cette thèse, notre
. propos ne peut prendre valeur scientifique que dans la
mesure oD il est alimenté de références concrètes et pré-
cises
références auxquelles nous ne nous soucions
guère à une époque oD nous étions loin de nous imaginer
que les spectacles auxquels nous assistions auraient fait
un jour l'objet d'une thèse
nous nous limiterons à
citer parmi ces quelques manifestations que nous avons pu
voir deux exemples assez proches pour lesquels nous avons
retenu, par écrit, quelques faits,
l'exemple d'OKRO
NOMEL et celui de la Volta Blanche.
o
o
0
Le premier cas concerne le conteur tradition-
nel ivoirien, un conteur Adjoukrou (1), plus précisément,
OKRO NOMEL dont le nom a franchi les frontières de son
petit village d'Ousrou, dans la région de Dabou au Sud-
ouest de la Côte-d'Ivoire, puisque, deux fois déjà, il
(1) Les Adjoukrou appartiennent au groupe Akan dans le
sud-ouest de la Côte-dl Ivoire.

-118~
est venu se produire dans la capitale ivoirienne à ABIDJAN.
Costumé selon les contes qu ' i1 doit dire,
ou plutôt jouer, le viel OKRO, parallèlement au récit du
conte qu l i1 nous fait avec un talent réel, se fait, tou~
à tour, lourd comme le buffle qu'il
incarne à tel moment
du conte, ou agile et élégant quand il devient gazelle
ou encore rusé et à l'affût quand il se fait panthère.
OKRO réalise en lui la synthèse du verbe et
de la mimique. Un orchestre ponctue de temps à autre son
jeu ou rythme son verbe ou crée même, selon les circons-
tances, des effets musicaux spéciaux pour appuyer telle
-
ou telle action.
L'orchestre soutient également quand
il le faut les pas de danse qu'esquisse le conteur~ Ce
sont également les musiciens qui reprennent en choeur les
chants, les refrains ~ui reviennent de façon cyclique
à l'intérieur du conte.
o
o
0
La Volta Blanche, c1est le nom qu'a pris une
troupe traditionnelle de Haute-Vo1ta(l).
Ce deuxième
(1) La Haute-Volta fait frontière avec la Côte d'Ivoire
au nord-est de la CÔte-d'Ivoiré.

-1 19-
exemple, bien postérieur à celui d'OKRO s'est produit
exactement le 30 novembre 1974 au Centre Culturel de
Treichville. A cette époque, s'aiguisait davantage notre
intérêt
et notre curiosité pour tour ce qui concernait
le génie dramatique négro-africain. Aussi, n'avons-nous
pas manqué, à la sortie de ce spectacle, qui nous avait
frappé par son originalité et par sa rupture d'avec le
style dramatique officiellement pratiqué et institué.en
Côte d'Ivoire, de jeter sur feuille quelques notes qui,
pour être un peu plus étoffées que celles sur le spec-
tacle d'OKRO, restent tout de même sommaires par rapport
à la totalité du spectacle qu'a produit la Volta Blanche.
La représentation de la Volta Blanche
consistait en une succession de petites scènes d'une
quinzaine de minutes chacune.
Hélas! nous n'avons pu
retenir une description exacte de toutes ces scènes qui
ont constitué une représentation de plus de deux heures.
Les notes que nous avons prises nous permettent uniquement
de tenter de vous restituer trois de ces scènes.
La première est une scène d'amour. Plusieurs
jeunes gens viennent faire la cour i
une jeune fille. La
scène nous fait assister au succès de l'un d'entre eux
qui réussit, au détriment de ses camarades, à conquérir

-120-
le coeur de la jeune fille. Clest par ses qualités de
danseur que chaque jeune homme vient manifester ses in-
tentions amoureuses. Il danse en faisant le tou~ de la
scène et, à la fin de chaque tour, vient s'accroupir en
face de la jeune fille, elle-même coquettement assise
dans le fond du plateau scénique, comme s'il lui disait
quelque chose. Plus au fond de la scène, immédiatement der-
rière la jeune fille, se tiennent un orchestre et un
choeur mixte de jeunes gens et de jeunes filles qui ponc-
tuent et alimentent de musique, de cnant et de battements
de mains, toute l'action.
Q
Q
La deuxième scène conserve cette simplicité
du point de vue thématique. Elle nous restitue, en effet,
tout simplement, quelques séquentes de la vie dans la
cour royale en Haute-Volta. On voit le roi pompeusement
costumé dans des couleurs très vives et entouré de ses
sujets. Ceux-ci miment un certain nombre dl actions reflé-
tant sans doute la vie ~ la cauro
La musique intervient ~a et l~ pour appuyer
telle ou telle action. Tout est strictement mimé.

-121-
o
o
0
La troisième scène, tout en conservant cette
même simplicité, offre un léger rebondissement dans l'action.
Des paysans sont surpris en pleine forêt par
un lion. On fait appel au chasseur du village qui arrive
et tue l'animal. Alors que les paysans, qui viennent ainsi
d'être miraculeusement sauvés, disparaissent, le chasseur
se"jette immédiatement sur le corps du fauve pour y
découper de 50ns morceaux de viande.
Mais voilà que d'autres lions apparaissent
accompagnés cette fois même d'énormes éléphants. Coincé
entre ces énormes animaux,
le chasseur gourmand est pris
de panique mais réussit tout de même à s'enfuir après une
longue lutte.
Dans cette scène, le déguisement des acteurs
en ces animaux immenses estgénial. Quatre à cinq acteurs,
tenant le rôle des lions et des éléphants, remplissent ef-
fectivement la scène de leurs masses énormes qui contras-
tent avec la taille humaine moyenne du chasseur et accen-
tuent le désarroi de ce dernier. L'action,quand elle n'est
pas dialoguée, comporte toujours des séquences mimées que
rythme la musique.

~122-
l l
ESQUISSE
D'UNE
CRITERIOLOGIE
ESTHETIQUE
DU
GENIE
DRAMATIQUE
NEGRO-AFRICAIN
Mettant de côté un certain nombre de jugements
qui peuvent apparaître ça et l~ chez certains auteurs,
jugements généralement superficiels et davantage liés à
\\ r
fOl\\o.A
la mentalité coloniale de l'époque que scientifiquemen~l),
il ressort que, dans l'ensemble, le travai l de ces cher-
cheurs garde une haute valeur descriptive d'ailleurs
quasiment inexploité d'un point de vue esthétique. Car,
une chose est la description de faits précis donnés, et,
une autre est le traitement, l'analyse de ces faits dans
une perspective précise donnée. Or, ces différents cher-
cheurs, qui se sont intéressés au génte dramatique des
(1) Nous pensons, par exemple, à PROUTEAUX quand il parle
des danses africaines· IIsouvent désordonnées Il
(O.C.,
p.448)
ou à_ LABOURET quand il parle
IId'exhibitions
banales de marionnettes, de prestidigitateurs,
de
magiciens, de charmeurs d'animaux ... Il (in
AFRICA
O.C., p. 74).

-123-
peuples africains, se sont limités -
ce qui, sans doute,
est loin d'être négligeable
à une description des
faits.
C'était d'ailleurs, une prise de position préa-
lable que LABOURET a eu l'occasion de formuler dans son
Paysans d'AfrigueOccidentale
quand il disait que
IIfidèle à une méthode simple et respectueuse des faits,
nous nous bornerons à décrire ll (1). Nous situant donc à la
suite de ce travail descriptif
qulil nous faut saluer
et louer,mi~ à part quelques erreurs de jugements inévi-
tables
nous tenterons de dégager, avec d'autant plus
de force que nous-mêmes avons eu l'occasion de vivre, en
tant que spectateurs, quelques expériences authentiques
du génie
dramatique
négro-africain traditionnel, ce
qui nous paratt être caractéristique, d'un point de vue
esthétique, de ce génie.
Q
o
0
1. - La synthèse
Le premier constat que l'on peut faire concer-
nant le déroulement global des représentations du génie
dramatique négro-africain traditionnel c'est que, d'une
(1) O.C., p. 254

-124 ...
façon quasi généra1é~ le spectacle opère, au plan de
l'expression, la synthèse des différents moyens d'expres-
sion artistiques que sont la musique et la danse (1)~ le
chant, le verbe et la mimique. C'est ce qui frappe d'em-
blée.
L'oeuvre dramatique se présente cohérente et
homogène. Elle intègre au lieu d'exclure.
Elle n'est
jamais monocorde~ unilatérale.
Se trùuvent~
en effet, réunis, dans le Kôte-
Kômanyaga comme dans le Sougounougou, la musique et la
danse, le chant, le verbe et la
mimique, tous ces élé-
ments fondus et intégrés dans un même spectacle. Même
s l i1 arrive
ce qui est rare
- qulun de ces éléments
manque dans un spectacle, comme on a pu le remarquer avec
1I1a Volta Blanche"
pour la scène d'amour et celle concer-
nant la cour royale dans lesquelles il n'y avait pas un
seul dialogue, il faut préciser que, dans le pire des cas,
ce manque concerne un seul élément au plus et souvent cet
élément se trouve être le verbe.
Dans ce cas là, d'ailleurs
nous remarquons que c1est le chant qui tient lieu de
message verbal. Si nous nous référons au Kôte-Kômanyaga
et au Sougounougou, on constate quelquefois que les
(1) L'une étant mère de l'autre car,
Ille rôle primordial
de la musique, en Afrique noire, n'est pas d'être
concert, enchantement des orei11~ .. 11 'L.S. SENGHOR -
Liherté 1, Négritude et Humanisme
Paris, Seuil,
1964, p.
211).

-125-
dialogues se font .par le chant, que la parole, au lieu
d'être dite est chantée. 'On se sert du chant pour transmet-
tre un message, pour dialoguer.
Pour prendre un seul exemple avec le Kôte-
Kômanyaga, nous remarquons que dans la Femme, son mari
et son amant (1), au moment où le mari met le feu aux
tiges d'oseille, la femme se met l danser et à chanter. Sa
chanson avertit 11 amant, qui se trouve caché sous les
tiges dloseille, du geste du mari.
En définive, que l'expression vocale soit
parlée ou cbantée, elle est donc toujours présente et inti-
mement liée à la musique, la danse et la mimique, clest-
à-dire, à l'expression musicale et corporelle.
Même dans l'art de conter pour lequel l'on
pourrait avoir tendance à croire qu'il se résumerait à
un art strictement verbal, l
une narration, nous sommes
loin, corn me dira i t LA B0LI RET d 1 Un
Il sim p 1er é c i t Il
(2 ) .
Tout yest
"mouvement" (3), pour reprendre le mot de BEART.
( 1) i n
Il Co nt r i bu t ion
l
lié t ude dut hé â t r e ch e z les no i r Sil
par M. DELAfOSSE, O.C.
(2) Paysans dlAfrique Occidentale, O.C., p. 260
(3)
in
l'Education Africaine, O.C., p. 7

.. 126-
Et, c'est Roland COLIN qui précise que le conteur
"sait
chanter, danser, mimer, raconter avec une force d'expres-
sion qui capte, subjugue ... Il (1). Que le griot des vastes
savanes du pays mandingue ou que le conteur professionnel
des régions forestières soit reconnu comme un maître dans
l'a r t 0 rat 0 ire, un
Il h ab i l e
art i san de l a l an gue" (2) 9
:
Il faut rappeler avec vigueur que la parole du conteur ou
du griot n'est accomplie, achevée~ que lorsqu'elle est
innervée de musiq~e et de chants et qu'elle peut se
mimer ou se danser.
Le Maître de la parole Adjoukrou, le viel
OKRO, sait habilement allier à son art du verbe, qui ne
se réalise pleinement qu1accompagné de musique et d'e chants
de grandes qualités de mimeS et de danseur.
Cette synthèse qu'il est aisé de percevoir
au niveau du spectacle pris dans saglobalité, se retrouve
au niveau précis et isolé d'un seul artiste quelle que
soit la discipline artistique, qu'au dëpart du spectacle
l'on aurait tendance à lui attribuer de façon définitive.
Tel artiste n'est pas cantonné à une fonction de mime
ou tel autre exclusivement réduit à la' musique ou au chant.
(1) Littérature Africaine d'hier et de demain, O.C.,
p. 80.
(2) R. COLIN, O.C. , p. 137.

~127~
En général, l'artiste, au cours du même spectacle, sait
passer d'une discipline artistique donnée l
une autre et
les maTtriser toutes également. Parfois, clest simulta-
nément même qu'il maTtrise plusieurs moyens d'expression.
Le griot mandingue, que nous connaissons davanta~e, est
particulièrement un maître l ce point de vue. A 11 aide du
tam-tam ou de la cora qu'il porte avec lui au moment de
se produire, il introduit lui-même son jeu par une créa-
tion musicale qu'il accompagne de chants.
Quand il se
sent suffisamment imprégné de sa musique, alors, sort
de son ventre, son verbe, pétri de rythme, ce rythme qui
gagne progressivement ses jamoes et la moindre parcelle
de son corps.
Et, plus qu'une parole accompagnée de musique
et de chant, illustrée de danse et de mime, nous avons
bien souvent l'impression que ce sont les vibrations musi-
cales
(qui
remarquons-le
-introduisent et soutiennent
constamment le jeu du griot) dont est investi le griot,
la totalité de son être, que celui-ci nous restitue, si-
multanément ou successivement, en parole
(dites ou chan-
tées)
et en gestes coulés dans le rythme, ponctués par
lui, qu'il nous restitue en pas de danse.

-128-
Au cours du même spectacle, l'artiste sait
aussi passer d'une discipline donn~e l une autre, d'une
fonction à une autre. Ainsi les musiciens du K~te-Kômanyaga
interviennent-ils régulièrement dans les dialogues, plus
souvent pour faire démarrer l'action mais aussi quelque-
fois, comme dans le cas du
chasseur tromp~ (1),
cette
intervention peut-elle être plus longue et plus impor-
tante au point
même d'être pr~sente durant toute l'action.
Nous relevons, en effet, dans le cas du chasseur tromp~ ,
que c'est un musicien qui quitte carr~ment son instrument
de musique pour se jeter dans l'action et s'interposer
entre le chasseur tromp~ et sa femme alors que
"~cumant
de fureur",
le chasseur ~tait sur le point de battre
sa femme l mort.
Le croeuf s~noufo du Sougounougou
est appel~
lui aussi, l un moment donn~ de la repr~sentation, à
incarner le rôle des chasseurs. Il prend part activement
à l'action et prouve ainsi, une fois de plus, la pluri-
disciplinarit~ de l'artiste dramatique n~gro-africain.
Ainsi se trouvent r~unis, en un seul homme,
plusieurs cr~ateurs , plusieurs artistes.
Comme le jeu dramatique pris dans sa globalit~, l'artiste
dramatiq~enégfo-africain lui-même se fait pbint de conver-
gence de plusieurs moyens d'expressions artistiques. A
quelque niv~au qu~·ce soit, le g~nfe dramatique n~gro­
africain se présente donc comme un art synth~tique.
(1) H. LABOURET et M. TRAVELE - AFRICA, OC., p. 84 à 87.

2. - Le
rythme
Le rythme critère prééminant, majeur et
fondamental de toute approche esthétique de la création
artistique négro-africaine est, ici aussi, dans le cas
du génie dramatique comme dans celui, ~ien connu déjà,
de la musique et de la danse, fortement présent.
Il est présent, surtout par la musique qui
imprègne, d,'un 50ut à l'autre de son déroulement, ce jeu
dramatique.
Nous avons pu constater comhien le jeu du
conteur. était dominé par le rythme, pétri dans le tythme •
Roland COLIN avait bien senti cette présence du rythme
dans l'art du conteur quand il remarquait que s' lIil
n'est guère de conte africain sans chanson ll
c'est, parce
que, expliquait-il,
1I1 a voix est un merveilleux
outil
du rythme ll •
(1).
Plus que la voix, ·c1est
croyons-nous
la musique qui représente de façon permanente, dans le
génie dramatique négro-africain, cet
lI ou til du rythme ll •
Peu de griots, cela est à noter, peuvent parler sans
instrument de musique.
Et si, il leur arrive, pour une
raison ou une autre, de le faire, ce qui d'ailleurs est
plus que rare, on observe tout de suite que, comme pour
(1) Roland COLIN
- Les c~ntes noirs de l'Ouest-africain
Paris, Présence Africaine, 1957, p. 88.

.. 130 ..
combler un manque, pour
meubler un vide, ils marquent
le rytn.me du pied ou de la main.
Outre ce cas quasi-
inextstant, tout le jeu du griot, son geste comme le
débit
de ses paroles, son chant, est tissé, construit
autour du rythme de l'instrument de musique, car
1I1 a
mUsique est llâme du griot ll (1).
Que l Ion prenne le cas du Kôte-Komanyaga ou
du Sougounougou, cette suprématie du rythme
ce rythme
dont SENCHOR disait qu'il règne
IIdespotiquement ll (2)
dans l'art et la culture négro-africains - , cette néces-
sité d'une présence musicale est frappante.
Dans un cas
comme dans l'autre, c'est l'orchestre qui ouvre et
achève la représentation.
C'est encore lui qui en assure
et en ponctue tout le déroulement.
Les musiciens sont
présents d'un bout à l'autre du jeu.
Avant même que les
acteurs ne gagnent l'aire du jeu, il assurent, dans le
cas du Kôte-Kamanyaga, le déroulement du ballet d'ouver-
ture et dans le cas du Sougounougou, celui du prologue.
Et leur présence est encore indispensable pour le dérou-
lement complet du jeu.
Le spectacle de la
IIVolta
Blanche ll
que nous avons pu voir nous confirme aisément
(1) NIANE (D.T.)
Soundjata ou l'épopée Mandingue -
Parts, Présence Africaine, 1960, p. 76.
(2)
L.S. SENGHOR
- L'esthétique négro-africaine, in
Liberté 1, Négrttude et humanisme -
Parts, Seuil,
1964,
p.
216.

-131-
dans ce sens et nous permet d'avancer que le rytme occupe
une place de c~oix dans cette esquisse d'une critériologie
esthétique du génie dram~tique négro-africain.
o
0
3. -
L'improvisation
Un autre critère esthétique de ce génie dra-
matique est l'improvisation. C'est en ce sens où parler
de
II p ièce ll
comme certains ont pu le faire est impropre.
Ici, point de pièce. Seul compte le jeu dramatique qui se
déroule
lIici et maintenant ll ,
sous nos yeux. C'est la
force de ce génie, mais aussi sa faiblesse parce que, en
dehors du temps et de l'espace de la représentation, l 'oeu-
vre n'existe plus. Elle est morte.
La sculpture survit
au sculpteur. Pas l'oeuvre dramatique à l'artiste, ou
plu tôt , aux art i s tes qui 1 ' ont e ng end rée .
L'art du conteur tomme des artistes du Kôte-
Kômanyaga ou du Sougounougou ne const~te donc nullement
à venir déuiter un texte définitivement fixé ou à repro-
duire une série de gestes. un jeu connu à l'avance. Les

-132.,.
thèmes, certes!
sont connus. La trame existe. Le noyau
du conte est là. Mais, le jeu est constamment renouvelé.
Deux conteurs ne disent jamais le même texte en partant
du noyau d'un même conte. Leur jeu n'est jamais identique.
Et tout cela, le renouvellement du texte comme du jeu
relève du talent du seul acteur.
IIRemarquons tout de suite,
écrit Roland COLIN, que le négro-africain construit chez
lui des célébrités d'acteurs plus que d'auteurs .. C'est
la manière, l'interprétation particulièrement brillante
qui distingue le grand artiste ll (1).
Le conteur, l'acteur
ont d'autant plus de mérite et de succès qu'ils savent rompre
habilement,avec talent
dl avec leurs prédécesseurs, qu'ils
savent enrichir l'oeuvre qui leur a été léguée. Même au
nivea~ d'un même artiste,
d'un
même
spectacle, le
succès dépend de cet enrichissement permanent dlune
représentation à une autre. Et le moteur de cette création
continue réside dans la capacité de l'artiste ou des
artistes à savoir improviser,
lIici et maintenant".
IIJ'ai vu deux fois la farce de Nanzegé
nous confie PROUTEAUX
et, la seconde représentation,
je dois le dire, n'était pas l'exacte reproduction de la
première ... 11
(1) Les contes noirs de l'Ouest Africain, O.C., p. 78.

.. 133-
IIJe pense, poursuit-il, que les acteurs sui-
vent beaucoup leur imagination et leur caprice.
Les
entrées d'animaux et quelques scènes fondamentales, con-
clut-il, font une trame sur laquelle leur inspiration
brode ll (l).
L'improvisation, Ill' imagination ll (pour
reprendre le mot de PROUTEAUX), constitue donc le troi-
sième critère esthétique qui apparaît saillant à l'in-
térieur du génie dramatique négro-africain traditionnel.
o
o
0
4. -
La
participation
Ce point de notre approche critériologique
d'une esthétique dramatique négro-africaine concerne les
rapports du spectacle au public et inversement. Et dans
le jeu dramatique négro-africain, nous l'avons tout de
suite remarqué, ces rapports. sont si étroits que l'on se
demande jusqu'à quel point se justifie cette dichotomie
spectacle-publ ic, acteurf-spectateurs.
( 1) PRO UTEAU X, O. C., p. 453-4 54 .

-134-
Dans le Kôte-Kôtamanyaga, par exemple,l'as-
sistance, le public représente, èn effet, plus que des
spectateurs, plus que des gens qui regardent.
Le public
est aussi le c~oeur.
Il est même intégré
au jeu dans la
mesure où il est censé représenter, effectivement dans
ce jeu, la population d'un village avec ~ommes, femmes,
vieillards et enfants, tous effectivement présents à la
représentation.
Le public
est aussi le c~oeur, car,
comme le remarquait
TREVELE, les femmes de l'assistance
reprennent avec l'orc~estre, le refrain entonné par un
acteur et rythment le chant en battant des mains
(1).
C'est dire qu'il est impossible d'envisager
jouer un
Kôte-Kômanyaga en face d'un public quantitativement
réduit.
Toute la première partie de la soirée, le
IIKôte-
Don ll
ou ballet d'ouverture, ne se déroule-t-il
pas sans
IIl a troupe ll
elle-même?
N'est-ce pas l'assistance elle-
même, avec les musiciens, qui meublent cette partie?
Ce sont, en effet, les jeunes gens et les jeunes filles
du public qui exécutent le
"Kôte-Don ll
en attendant le
prologue et la présentation de la troupe, d'une part, et,
d'autre part, le déroulement de~ différents tableaux de
la représentation.
L'oeuvre dramatique est une fête
partagée entre toute la population du village.
Ce
(1) in
IIContribution à l'étude du t~éâtre c~ez les noirs"
par M. DELAFaSSE, a.c., p. 354.

-135-
ballet d'ouverture, pour être un prélude à la représen-
tation elle-même, n'en est pas moins prolongé et fort
apprécié.
De plus, il faut préciser que cette partici-
pation du pu5.1ic ne se réduit pas au prélude, au
"Kôte-
Don".
L'entrée des acteurs ~le même ne mettra pas fin
à"cette parttcipation,ne rel~gu~ra pas le public dans
l'ombre. Celui-ci interviendra toujours, directement et
effectivement, dans le spectacle.
Acteurs et spectateurs
sont entra1nés dans la même action.
Ils sont liés par
un cordon omfiilical et respirent au même rytllme.
Ce lien intime et effectif entre le spec-
tacle et son puBlic ou le public et son spectacle, se
vérifie égaJement pour le Sougounougou comme pour l'art
de conter.
Pour ne citer qu'un exemple particulier au
Sougounougou, PROUTEAUX remarque que le spectateur sert
de refuge à l' àcteur qui, dans son jeu, se trouve être
en danger. Dans la pièce concernée, Nanzegé, sur le point
d'être attaqué et battu par des chasseurs qu'il vient dl
injurier, se réfugie entre les genoux d'un spectateur.
"Cette façon de se mettre sous la protection d'un spec-
tateur
précis.e PROUTEAUX
est
un hommage 'qui lui
est rendu".
"J'ai vu a-insi à mes genoux, poursuit-il

-136-
outre Nanzegé, une petite antilope et même un sanglier
qui, traqués, ne pouvant sortir de la piste, se réfugiè-
rent près de moi ll (l).
Pour ce qui est de l'art de conter, une
remarqùe, selon laquelle la progression du récit est
mêlée de rires,d'interjections, d'onomatopées provenant
constamment du public, revient souvent sous la plume des
chercheurs. Et même plus, l'intervention directe du pu-
blic dans le déroulement du conte est admise
1111 est rare que quelqu'un interrompe le fil
du conte par une question. Pourtant 1 'hypothèse n'est pas
à exclure. Si 1 'histoire n'est pas très claire, si quel-
que
péripétie semble o~scure, sans aucune gêne vous pouvez
faire part de vos difficultés au conteur, qui répond de
bonne grâce. Parfois même, c'est lui qui interrogera tel
ou tel
pour lui demander comment il 'imagine la suite ... 1I (2).
C'est dire donc que cette participation est voulue par
l'artiste lui-même, est provoquée par lui, et qu'elle se
conçoit de façon bilatérale. Comme le remarquait Bakary
IR AORE qua nd i l dis ait qu'
Il à
1 a fin dur é c i t,
con t e ure t
assistance entonnent un hymne à la gloire du Lamentin ll (3),
Roland COLIN, note de même que
IIl a participation directe
(1) PROUTEAUX, O.C., p. 455-456
( 2) R. COLI N, Les con tes n0 i r s de 1 1 0 Uest - af rie a in, 0. C. , p.88 .
(3) B. TRAORE, O.C. , p. 34.

~137 ...
de l'auditoire au conte se fait surtout pour la chanson ll (I).
En tout cas, partout nous constatons que le
jeudramitique est collectif, que, effectivement, il ne
peut vivre
sans la double présence de l'artiste et de
son public, sans la participation
effective et réelle -
de l'un
et de l'autre à l a même oeuvre.
o
o
0
5. - Le lieu de la représentation
Les descriptions dont nous disposons sur le
lieu de la représentation du
Kôte-Kômanyaga (2) et du
Sougounougou (3) nous renvoient toutes à une même idée
de cercle ou de cadre que forme le public sur la place
du village où se déroule toujours les représentations. Il
se dégage de ces descriptions de PROUTEAUX et de LABOURET
que nous sommes dans un espace clos, non pas par des murs,
par une construction quelconque, mais
clos dans le sens
;V
(1)
R. COLeN,
O.C., p. 88
(2)
H. LABOURET et M. TRAVELE, Africa, O.C., p. 75
(3)
PROUTEAUX, O.C., p. 450

-138-
où les artistes sont pris dans un cercle ou un cadre
géométriquement construit par la présence du public.
Cette même idée de clôture humaine se retrouve à l'occa~
sion des soirées de conte au cours desquelles le clan se
regroupe, pour reprendre une
expression de Rolam COLIN,
comme
lI une
main fermée (1). Pris dans ce cercle ou ce
cadre humain, l'artiste est dans le ventre de son public.
Il est en son sein, il vit
et respire avec lui et par
lui. Les quelques artères d'entrée et de sortie
que le
public ménage pour les artistes ne brisent en rien cette
pJ~ ~clôture ni ce contact charnel entre l'artiste et son
public. Si , du point de vue théorique, on peut distinguer
deux espaces, un central de jeu et un autre, périphérique,
l'espace du public, il faut dire
que dans la réalité,
d'un point de vue concret, l'extrême proximité de ces
deux espaces de même que la participation constante
et
bilatérale entre spectacle et public rendent caduque
cette séparation en deux espaces
distincts. Le public
ne se sent jamais tout à fait hors du spectacle, dégagé
de lui et le jeu dramatique lui-même ne fait pas un pié-
destal aux artistes. Nous avons vu combien ceux-ci sont
à la
portée du public et lui sont accessibles. D'ailleurs,
l'orchestre et le choeur sont dans l'espace même du
public.
(i) Littérature Africaine d'hier et de demain,
O.C., p. 80

.,.139 ...
Il nous faut donc retenir, concernant le
lieu du jeu dramatique en Afrique noire traditionnelle,
l'idée d'un espace c1os,'formé par le public et dégageant
ça et là deux ou trois voies dlaccès à un aire de jeu
interne à cet espace. Entre 1 1aire de jeu et l'espace du
public, point de barrière, quelle qu'elle soit.
Il faut ajouter que la place
du village reste nUe
pour la représentation, sans aménagement aucun, sauf un
bûcher central qui éclaire la
place. Le seul décor
véritable, pour parler poétiquement comme Bernard DADIE,
reste et demeure la nuit, le
"ciel étoi1é ll (1).
o
o
0
Il est évident, le titre de cette partie
11 indique, que
nous ni avons fait que procéder ici à
lie s qui s s e d 1 une- cri t é rio log i e est hé t i que du gé nie dr ama -
tique négro-africain traditionnel. Nous sommes loin
d'avoir épuisé le sujet. Le cadre dlune thèse de troi-
sième cycle ne nous permettait
pas de le faire. La
matière, relativement restreinte, sur la base de laquelle
nous avons construit cette esquisse nous limitait.
(l)"Mon
pays et son théâtre"
in l'Education Africaine,
O.C.,
p.
61

-140 ..
Outre les quelques points, les quelques critères esthé-
tiques que nous avons dégagés et qui nous sont a~parus
les plus saillants dans les descriptions dont nous dispo-
sions, d'autres faits ont été évoqués rapidement dans
ces descriptions et qui gagneraient à
être précisés,
étoffés dans des
descriptions, des témoignages futurs.
Nous pensons, par exemple, à des problèmes comme ceux du
costume, du maquillage, de l'enduisage, du masque, du
travestissement, nous pensons au jeu de l'acteur, quand
il veut rendre tel ou tel personnage ou tenir le rôle
de tel ou tel animal, ce jeu, semble-t-il, reste très
stylisé en même temps qu'il apparalt être très marqué
par un souci d'identification.
Une matière dramatique plus élargie, de nou-
velles recherches peuvent par ailleurs mettre en lumière
d'autres faits, peuvent nous permettre
d'achever cette
esquisse, de la compléter ou même de la rajuster. Nous
ne désespérons pas de poursuivre ce
travail
de l'appro-
fondir. Le plus difficile a été de l'entamer, de s'y
jeter pour mieux y voir clair, de dégager quelques axes
de réflexions, une démarche générale.
Dans l'état actuel de nos recherches, si
lion veut, tout de même, tenter une définition du génie

-141-
dramatique négro-africain, l'on peut avancer que celui-
ci se présente comme l'art de combiner
en vue de
la création, avec la participation
des spectateurs,
d'une oeuvre dramatique cohérente, synthétique et impro-
visée
la totalité des moyens d'expressions vocaux,
musicaux et corporels.

CHAPITRE
2
LE
THEATRE
NEGRO - AFRICAIN
PARADOXE
OU
VERITE
ESTHETIQUE?

PREMIERE
PARTIE
RAPPEL
HISTORIQUE
1
NAISSANCE
DU
THEATRE
IVOIRIEN
On attribue la naissance du théâtre en
Côte-d'Ivoire aux jeunes élèves de l'Ecole Primaire
Supérieure de Bingerville et à leur regretté Directeur
Charles BEART.
Cette naissance se
serait opérée en 1932.
Charles
BEART et un des élèves de l'époque, AMON D'ABY
qui fut mêlé de près à cette naissance, puis, par la
suite, au développement même de ce théâtre ivoirien,
racontent les circonstances de cette naissance.

~144..,.
Chronologiquement, c'est d'abord le récit
d'AMON d'ABY qui est connu
IIUn jeudi de 11 année 1932, à 11 Ecole Primaire
Supérieure de Bingerville, les élèves qui venaient de
laver leur linge se groupaient au réfectoire, sorte de
hangar en bois soutenu par des piliers en ciment. Deux
jeunes élèves de deuxième année entreprirent d'amuser
leurs camarades. Ils le firent spontanément.
L'un
Edouard AKA BILE, aujourd'hui decédé, s'habilla sommaire-
ment en agent de police.
L'autre, Robert ANIMAN, jetant
sur son épaule une vieille couverture, se transforma en
chef ~e village. Tous deux improvisèrent sur une affaire
d'impôt une discussion de quelques minutes qui fut
vivement applaudie. M. Charles BEART, Directeur de
l'Ecole, et sa femme, qui de leur fenêtre avaient assisté
à cette plaisanterie, sortirent pour en féliciter les
auteurs, et décidèrent que désormais, les mercredis et
samedis soir seraient consacrés à des distractions de
ce genre. 1I (1).
(1) AMON d'ABY - La côte-d'Ivoire dans la Cité Africaine -
Paris, Larose, 1951, pages 155-156.

-145-
Puis, Charles BEART
raconte à son tour
IILes boutons de corozo manquaient cette
année-là sur le marché d'Abidjan ou de Grand-Bassam, et
le tailleur qui avait l'adjudication de la fourniture des
uniformes à l'Ecole Primaire Supérieure, les avait rem-
placés par de~ boutons de métal doré qui faisaient ressem-
bler les élèves à des gardes-cercles. Les élèves
n'étaient pas d'accord et grognaient cependant qu'ils at-
tendaient leur tour d'essayage devant la porte de l'éco-
nomat.
Un de leurs camarades sorti, revêtu du nouvel
uniforme, il mit sa ceinture de pantalon sur sa veste, y
passa un bâton et interpella ses camarades. Il était le
garde-cercle qui arrive dans un village et annonce la
visite du commandant; ses camarades lui donnèrent la
réplique, la mauvaise humeur s'était envolée. Par un
bienheureux hasard, j'avais entendu ce jeu, j'appelai
l'élève AKA BILE, et lui dis qu'il venait de réinventer la
IIcommedia dell1arte ll , qu'il y avait là une mine à
exploiter ll • (1).
Et, précisément, Charles BEART et ses élèves
exploitèrent la mine.
Périodiquement, à l'école Pri-
maire Supérieure de Bingerville, les élèves s'offraient
(1) Charles BEART -
Recherche des éléments d'une socio-
logie des peuples africains à partir de leurs jeux -
Paris, P.A., 1960, pages 128-129.

-146-
désormais des représentations.
"Une scène en terre bat-
tue fut aussitôt construite dans la cour" (1), sans doute
ajoute BEART à ce propos d'AMON d'ABY,
"La première
salle (2) permanente de théâtre d'Afrique noire".(3).
Ainsi naissait le théâtre ivoirien. Saynètes
et comédies diverses inspirées de la vie quotidienne
alimentèrent ces premières soirées du théâtre en Côte-
d'Ivoire. oIlLes acteurs, nous précise AMON d'ABY, impro-
visaient
sur un scénario très sommaire" (4).
Les élèves
étant tous des internes durant toute l'année, ces soirées
leur apportaient une excellente détente. BEART raconte
e nc or e qu' "i l s
( les é l è ves) s e ras sem b lai e nt par
petits groupes et chantaient, dansaient , se disaient des
contes ( ... ) j'allais volontiers
nous confie-t-il
bavarder avec eux en fumant ma pipe, c'était très
familial." (5).
Si, de AMON d'ABY à Charles BEART, la version
des circonstances de cette naissance du théâtre ivoirien
semble varier, il n'en demeure pas moins que sur le lieu
de cette naissance, l'Ecole Primaire Supérieure de Binger-
ville, et
la date 1932, les points de vue convergent.
(1) AMON d'ABY, O.C .•
page 156.
(2) Il s'agissait toutefois d'un théâtre de plein air.
(3) O.C., p. 129
(4) O.C., p. 156
(5) Charles BEART - O.C., p. 129

-147-
D'ailleurs une petite enquête, assez représentative
quoique restreinte, de Robert CORNEVIN auprès de Madame
BEART et de Bernard DADIE, un autre jeune élève de
l'époque, aujourd'hui écrivain ivoirien de premier rang,
permet de l'affirmer (1).
De plus quant on examine les
deux versions des faits, on retrouve le même canevas. Mis
à part le fait que Charles BEART, contrairement à AMON
d'ABY, situe l'improvisation non pas après la lessive mais
"essayage, les
deux versions des faits mettent en scène
un garde-cercle ou agent de police (2) et un chef de
village.
Bien que dans sa version Charles BEART n'ait
pas parlé de chef de village, ne l'ait pas nommé, il ne
fait pas de doute cependant que, dans un village, la
visite du commandant ne peut être qu'annoncée au chef,
le seul habilité à recevoir et à accueillir le commandant.
BEART, n'ayant sans doute pas pu suivre, de sa fenêtre,
les propos exacts de l'improvisation, AMON d'ABY nous ap-
prend qu'ils ont porté sur une affaire d'impôt. Ce qui
d'ailleurs peut largement se justifier dans la mesure où,
à l'époque,
l'impôt était très mal accepté par les indi-
gènes et était l'objet de conflits répétés entre
(1) Robert CORNEVIN - Le théâtre en Afrique n6ire et à
Madagascar - Paris, Le Uivre Africain, 1970, p. 53.
(2) Le garde-cercle est l'agent de police de l'époque
coloniale.

-148-
l'administration coloniale et les autorités villageoises.
En tout cas, il nous apparaît nettement, à
l'examen, que les deux versions des circonstances de cette
naissance du théâtre ivoirien se recoupent davantage
qu'ils ne se contredisent. Le nom d'AKA BILE revient dans
le récit des deux témoignages. Il faut toutefois recon-
naître que le témoignage d'AMON d'ABY, sans doute parce
qu'il a suivi de plus près que BEART le jeu de ses cama-
rades, est plus précis.
Quoiqu'il en soit, sur l'essentiel
il n1y a pas de controverse et Bingerville est considéré
comme le point de départ du théâtre ivoirien et même de
tout
le théâtre négro-africain d'expression française,
Bingerville de l'année 1932.

-149-
II
LE
THEATRE
IVOIRIEN
DE
L'ECOLE
WILLIAM
PONTY
Clest avec Charles BEART que naît le théâ-
tre ivoirien en 1932, un an après sa nomination comme
Directeur à l'Ecole Primaire Supérieure de Bingerville.
C'est aussi avec lui
que le théâtre de PONTY connaîtra
ses heures les plus
glorieuses.
En effet, Charles
BEART, affecté en 1935 à l'Ecole Normale Fédérale William
PONTY de Gorée, imprimera au théâtre de l'Ecole William
PONTY un dynamisme particulier. C'est, toutefois, aux
jeunes élèves dahoméens de l'Ecole que revient le mérite
d'avoir inauguré, en 1933, une tradition théâtrale
scolaire à PONTY (1). En 1935 également, de jeunes élèves
ivoiriens de Bingerville, dont ceux qui avaient été à
l'origine du théâtre
ivoirien en 1932 et qui' ,connais-
saient BEART, viennent poursuivre leurs études à Gorée,
to~·'"v.~
à l'Ecole Normale Fédérale où ils comptaient bien ~~~
~ cette activité théâtrale
entamée à Bingerville
surtout qu'ils y allaient retrouver leur ancien directeur
non moins
"mordu"
de théâtre. Aussi, dès 1936,
présent-ils Assemien-Roi
que Charles BEART et ses élèves
(1) Bernard MAUPOIL -
"Le théâtre daboméen"
in Outre-
Mer (revue générale de c~lonisation)
, décembre 1937

-150-
· !
semblent avoir préparé. depuis Bingerville puisque c'est
un artiste de là-bas, un'européen nommé COMBES, qui
leur fournit la maquette du décor.
Assemien-Roi
est
écrite par DADIE.
L'année suivante, en 1937, les ivoiriens
jouent
Les prétendants rivaux, improvisation collective
qu'ils présenteront également les 12 et 17 août
1937
au théâtre des Champs-Elysées, à Paris, à l'occasion
d'une Exposition Internationale.
Si le théâtre de PONTY , ~é en 1933, conti-
nue jusqu'aux années 1945, il faut dire, en ce qui concerne
les ivoiriens, que les années 1936, 1937, avec la géné-
ration de AMON d'ABY,
Bernard DADIE et Coffi GADEAU,
,,>
\\ . , ' l '
restent les plus brillantes et les plus déterminantes.
1
.
1.' .

-151-
III
DU
THEATRE
INDIGENE
AU
THEATRE
DES
NATIONS
C'est cette même génération de Bingervi11e
des années 1932 et de PONTY des années 1935 qui, à partir
de 1938, se regroupe autour d'AMON d'ABY pour, parallè-
lement à leur vie professionnelle, continuer et déve1op-
ter à un niveau non plus scolaire mais civil cette acti-
vité théâtrale née à Bingervi11e et mûrie à Ponty.
Cependant, Bernard DADIE resté à Dakar pour des raisons
professionnelles ne fera pas partie du groupe. La troupe
qui naît de cette initiative prend le nom de
"Théâtre
indigène de la Côte d'Ivoire".
Expliquant leurs objectifs, leurs moti-
vations, leurs problèmes, AMON d'ABY écrit en 1951
"Le
"Th'éâtre indigène de la Côte d'Ivoire"
se proposait de présenter sur la scène, avec la plus
rigoureuse fidélité, las divers états d'âme du
Noir
transformé par la civilisation occidentale ou soumis
encore à ses coutumes et croyances séculaires. Ses oeuvres
".-'.

-152-
allaient être
interprêtées devant un public composé
de quelques européens, d'une faible élite locale et
d'une majorité d'africains illétrés ll (1).
,A<to~
Poursuivant son propo~'ABY explique encore:
"En renonçant définitivement
à la très
facile improvisation et à l'emploi du
"petit nègre ll ,
pourtant si expressif, les auteurs de la troupe eurent,
comme première tâche, la recherche d'un style approprié
à 1 ' express i on de 1a pensée af r i c a i ne. Lat rad uc t i on
directe, presque mot pour mot de l'indigène permettait
de rédiger en un style original; malheureusement, elle
avait le grave inconvénient de rendre le
pièce inintel-
ligible aux personnes peu accoutumées aux dialectes
locaux. D'un autre côté, développer les sujets tirés de
la vie indigène selon les règles de la littérature fran-
çaise, c'était enlever au théâtre africain son cachet, et
le rendre par là même méconnaissable aux africains" (2).
En conclusion pour résoudre ce problème ~~~N
d'ABY propose
"S'inspirant donc des meilleures oeuvres
de la troupe de l'Ecole William PONTY -
ilLe Sacre
(1) O.C., p. 156
(2) O.C., p. 156-157.

diA s sem i en Il
de Ber na r d DA DIE, la Il Lé gend f e deS 0 und i at a
Keita ll
des étudiants soudanais, ... etc ...
-Les auteurs
du
IIthéâtre indigène de la Cote dlIvoire ll
ont adopté
un style qui tient le milieu entre la traduction litté~ALE
~ et le français classique, un style simple, presque
naïf, clair, imagé et capable d'évolution comme les
sociétés noires elles-mêmes ll (1).
Ainsi naissent les premiers auteurs drama-
tiques ivoiriens, notamment AMON d'ABY lui-même et Coffi
GADEAU qui composent pour leur propre troupe,dans laquelle
ils sont également
acteurs et animateurs, un répertoire
d'oeuvres originales.
AMON d'ABY écrit pour le
IIthéatre
indigène de la Côte d'Ivoire ll ,
l'entrevue de Bondoukou
(1939),
Boussatié (1940)
et la mort de la Princesse
Alloua
(1941).
Quant l Coffi GADEAU, deux fois plus
fécond que son collègue, il produira six oeuvres
Koudé Yao
(1939);
Nos femmes
(1940);
Mon
mari (1942)
Les recrutés de M. Maurice (1942)
; les anciens combat-
tants (1942)
et le mariage de Sogoua
(1943).
Il nous faut signaler rapidement que latroupe
travailla deux fois
en collaboration avec des français.
La première fois, c 1 était en 1938, avec un.certain
André FRANCESCHI, archiviste, et la seconde fois, de 1941
(1) O.C., p. 157.

-154 ...
à 1943, avec un autre certain Pierre ACHILE, adjudant,
et qui fut d'ailleurs nommé même
"Conseiller Technique ll
du théâtre indigène.
La troupe qui, à sa naissance, comptait
cinquante six acteurs fut extrêmement dynamique, effec-
tuant même des tournées à l'intérieur du pays et réussit
ce tour de force nullement égalé encore aujourd'hui en
Côte d'Ivoire d'entretenir pendant huit ans, de 1938
à 1946 , une activité théâtrale constante et régulière
jusqu'à ce que, en 1946, les tensions politiques nées
dans le pays
au lendemain de la seconde guerre mondiale
estompent, mais pour un temps seulement, les activités du
"théâtre indigène de la Côte d'Ivoire ll •
o
o
0
En effet, en 1953, les mêmes éléments de
l'ex-
"théâtre indigène de la Côte d'Ivoire ll
renouvellent
leur groupe sous le nom de
IICercle Culturel et Fol-
klorique de la Côte d'I·voire ll • Les activités du groupe
sont, cette fois, diversifiées et comprennent, outre le
théâtre, une section
"conférence ll
et une autre
"cinéma".

... 155-
Mais la section théâtrale reste la plus dynamique.
Entre temps Bernard'DADIE est rentré en Côte dl Ivoire et
rejoint dans le C.C.F.C.I.
ses vieux amis de Binger-
ville et Gorée.
Par rapport au
"T.I.C .l'', le "G.C.F.C.I. II
prend de nouvelles orientations
"Estimant que dans la conjoncture actuelle,
le théâtre africain ne doit plus être tourné vers le
passé mais se présenter bien au contraire comme un élément
dynamique dans lléveil de conscience des masses popu-
laires, les trois amis abandonnent le répertoire de
l'Ecole Normale William PONTY qui ils avaient interprété
jusque là, et composent des oeuvres dramatiques desti-
nées à révéler à leurs compatriotes certains aspects des
coutumes bérités des anciens ll • (l).
liA la fin de l'année 1953, écrivent-ils
toujours dans cette même introduction au théjtre popu-
laire en République de Côte dl Ivoire,
fut présentée la
première
pièce inspirée de ces considérations?
Kwao Ajoba , un drame affreux sur le régime successoral
(1) F.J. AMON d'ABY,;
B.B. DADIE~ G.C. GADEAU -
Le
théâtre populaire en République de Côte d'Ivoire -
(oeuvres choisies) -
Ab id jean, Cercle' Culturel et
Fol kl 0 ri que de laC ôte d 1 l v'o ire, 1966, i n
11 Introduct ion.

.,.156 ..
pratiqué par les tribus à parenté matrilinéaire ll •
En
fait l'objectif
du C.C.f.C.I. est de
IIdénoncer dans
les pratiques coutumières ce qui risque d'entraver
l'évolution harmonieuse de la Côte d'Ivoire ll • Il s'agit
de créer avant tout dans la société ivoirienne contem-
poraine un théâtre
IIpragmatique et social ll •
La troupe
du
C.C.f.C.I. se distinguera en dehors
des frontières ivoiriennes puisque par deux fois t en
1955 et 1956
elle remportera la coupe des Centres Cultu-
t
rels de l'A.O.f. organisée par le Gouverneur Général
CORNUT-GENTIL et qui se déroulera successivement pendant
trois ans
de 1955 à 1957.
Après sa double victoire
le
t
t
C.C.f.C.I.
fut déclaré
IIhors concours
t
Il
et ne participa
donc pas à la compétition en 1957.
Le C.C.f.I. triom-
phait en A.O.f. et sa valeur allait se confirmer en 1960
lorsqu'il se produisit à Paris
au théâtre des Nations et
t
qu' il remporta le
IIDiplôme du mei lleur ensemble tra-
ditionnel ll
de la saison.
Avec les indépendances
les trois principaux
t
animateurs de la troupe t" AMO~ d'ABY
Bernard DADIE et
t
Coffi GADEAU
étant appelés à des h~uts postes de
t

-157-
responsabilité, ne pourront poursuivre cette activité
théâtrale intense et
à ~aquelle ils ont prouvé qu'ils
étaient attachés. Malgré leur a~sence la troupe conti~~~~
Pl)
~ d'exister, ~~ essaiera plutôt tant bien que mal de
survivre car jamais elle n'atteindra les sommets qu'elle
avait atteint
avec les trois compères d'alors.
Et
puis le C.C.F.C.l. se fait dépasser par toute une nou-
velle génération d'hommes de théâtre formés à l'intérieur
d'institutions officialisés comme l'Ecole Nationale d'Art
Dramatique puis l'Ecole Nationale de Théâtre.
Seul Bernard DADIE, en abandonnant, comme
ses deux amis, l'animation et la pratique théâtrale,
continuera tout de même à se consacrer à l'écriture, une
écriture renouvelée, en rupture complète d'avec l'époque
du C.C.F.C.I., de Pont y et de Bingerville puisqu'il ne"
faut pas oublier qu'à Bingerville déjà le jeune DADIE
s~était révélé comme auteur en écrivant une saynète
intitulée
Les villes
et considérée comme la toute pre-
mière pièce écrite ivoirienne.

... 158-
IV
LE
THEATRE
DES
INDEPENDANCES
1. - L'Ecole Nationale d'Art Dramatique
Fonctionnant tant bien que mal depuis 1950,
c1est réellement à la suite d'un arrêté officiel du Gou-
vernement, en novembre 1959, portant création en Côte
d'Ivoire d'une Ecole Nationale d'Art Dramatique que la
petite Ecole d'Art Dramatique, la première en Côte d'Ivoire,
va se faire connaltre sur le p1an national.
C'est une certaine Madame JAGU-ROCHE qui est
nommée Directrice de l'Ecole. Secondée dans sa tâche par
une autre certaine Mademoiselle WILT, ces deux dames se
voient confier la lourde tâche d'asseoir, au moment même
de l'Indépendance de la Côte d'Ivoire, un théâtre ivoi-
rien ou, tout au moins, de contribuer à la mise en place
de celui-ci.
IIL'Ecole Nationale d'Art Dramatique, décla-
rait Madame JAGU-ROCHE
à un journaliste venu l'inter-
viewer, constitue une première étape sur la voie du
développement d'un véritable théâtre africain d'expressiori
française".
Au cours de cette même interview (1),
(1) Abidjan-Matin du 21 juin 1960.

Madame JAGU-ROCHE fait lè point, après la première année
d'existence de l'Ecole
"L'Ecole Nationale d'Art Dramatique compte
une centaine d'élèves dont les trois quarts sont répartis
dans les établissements du second degré d'Abidjan et de
Bingerville, et une vingtaine environ sont les élèves du
studio-école de l'avenue Delafosse et se destinent à
la carrière d'acteurs de théâtre.
L'Ecole Nationale
poursuit-elle -
a ouvert ses portes au début de l'année
avec des moyens réduits puisque nous n'avons que deux
professeurs
Mademoiselle WILl et moi-même.
Cette première année a constitué en quelque
sorte, une introduction artistique, et nous n'avons pas
abordé encore la technique
théâtrale proprement dite.
Les cours donnés une fois par semaine aux
élèves des établissements d'enseignement secondaire ont
constitué une initiation à l'art dramatique et se propo-
saient d'enrichir la culture des élèves, de leur donner
une meilleure élocution et enfin de prospecter leurs
talents ( ... ), l'année prochaine, nous donnerons un ensei-
gnement plus complet, et nous espérons pouvoir élargir
notre programme d'enseignement en formant, non seulement

-160-
des comédiens, mais aussi des techniciens de théâtre ll •
S'expliquant sur son école et ses méthodes
de travail, Madame JAGU-ROCHE confie encore
IIL'Ecole Nationale d'Art Dramatique n'est
pas
j'insiste là dessus - une nouvelle troupe
de
théâtre, mais une école où chacun peu~ venir acquérir les
connaissances qui lui permettront de mettre en valeur
ses apt itudes pour le théâtre ll •
Et elle précise quant à ses méthodes de travail
ilLe fait que nous avons recouru jusqu'ici
plus particulièrement au théâtre européen ne signifie
nullement que nous nous proposons de transplanter en Afrique
un art étranger. Il s'agit seulement, en l'occurence, de
faire travailler nos élèves sur des textes classiques
comme on le fait avec le solfège et les gammes pour les
instruments de musique. En outre, dans le répertoire thé-
âtral africain actuel, il n'existe pas de pièces dont on
puisse extra~re des scènes reproduisant un petit spec-
tacle en soi-même. La raison en est que ces pièces ont
été écrites autrefois avec beaucoup de talent pour un
public auquel il s'agissait de raconter, par l'image et

- - ._--------- ------_.
-161-
par le récit, des légendes
traditionnelles, d'où le
style narratif et non théatral de ces récits ... 11
Bien que cette première année ait consti-
tué, selon l'expression de Madame JAGU-ROCHE,uoe simple
Il i nt r 0 duc t ion
art i st i que Il, en j ui n 196 0, au ter me de '._
cette première scolarité, les élèves de l'Ecole Natio-
nale d'Art Dramatique sont en mesure de se produire
longuement en public (1) avec au programme des extraits
du ~isanthrope de MOLIERE,
du Barbier de Séville de
BEAUMARCHAIS, du Cid de CORNEILLE,
quelques fables de
la FONTAINE, des poèmes de PREVERT et, couleur locale
oblige! quelques poèmes de l'auteur ivoirien Bernard DADIE
Mais, le clou de cette première sortie de
l'E.N.A.D. sera Noe d'André OBEY (2).
Ce premier contact des élèves de lIE.N.A.n.
avec le public de la capitale ivoirienne ne sera pas le
dernier puisque jusqu'en 1964, date à laquelle l'Ecole
Nationale de Théâtre (de l'Institut National des Arts)
se substituera à lIE.N.A.D., ils se produiront assez
régulièrement
(1) Sans doute parce que comme nous l'écrivions plus haut,
l'Ecole existe depuis 1950. Et ce sont les élèves de la
modeste Ecole d'alors qui ont intégré l'Ecole devenue
Nation~]e par un décret du Gouvernement. Ces élèves ne
sont pas donc totalement étrangers à l'art dramatique.
(2) Abidjan-Matin du 27 juin 1960.

... 162-
- Ainsi
les verra-t-on le 4 mars 1961, au Centre Cu1tu-
rel de Treichvi.11e, dans une adaptation d'une farce du
moyen-âge, Le
d~~eut-dupé
de Maltre PATELIN et dans
le
Médecin malgré lui
de MOLIERE .
..
- La même année, les 27 et 28 mai;
ils crèent
Papa Bon
Dieu
de Louis SAPIN à 1 'Hôtel de ville d'Abidjan.
- En février 1962, les 22,23,24 et 25 février, toujours à
1 ' Hot e 1 de ville de 1ac api ta 1e, l' E. N. A. D. donne l'Avare
de MOLIERE.
Elle reprendra la fameuse comédie de MOLIERE
le 24 mars au Centre Culturel de Treichville.
- En avril 1964, à l'Hotel de Ville, l'E.N.A.D. donnera
cette fois
Un nommé Judas,
la tragédie de Claude-André
PUGET et
de Pierre BOST.
2. -
L'Ecole Nationale de Théâtre.
L'Ecole Nationale de Théâtre n'est pas la
seule institution de l'Institut National des Arts.
Cet
organisme, dont la structure scolaire, outre l'Ecole Natio-
nale de Théâtre, s'appuie également sur une Ecole Natio-
nale des Beaux-Arts, une
Ecole Notmale de. Musique et un"
Conservatoire National de Musique et de Danse, est créé

-163-
en 1964 et placé sour l'égide du Secrétariàt
d'Etat
cha r gé des Aff air e s Cult ure l les.
C' est à Al ber t BOT BOL,
expert de l'UNESCO, que revient le double mérite d'avoir
fait naître l'Institut National des Arts lui-même et, en
rassemblant et en formant de jeunes comédiens ivoiriens,
l'Ecole Nationale de Théâtre.
Pour en revenir plus précisément à celle-ci,
la mission qui lui est assignée répond à une double vocation de
formation de comédiens, de tec~niciens et d'animateurs
culturels d'une part, et d'autre part, de présentation de
spectacles pour assurer sa tâche culturelle.
En tant
qu'animateur principal de l'Institut, Albert BOTBOL
confiait à un journaliste du quotidien $:voirien que
lI ce llt
ensemBle doit constituer l'instrument d'une promotion
culturelle tendant à assurer l'équilibre harmonieux qu'
appelle sociologiquement,
l'essor économique de la Côte
d 1 Ivoire Il (1).
Il L' l . N. A.
se propose également
ajoute BOT BOL
de promouvoir l'avènement d'un répertoire
dramatique ivoirien s'inspirant des sources traditionnelles
nationales et du patrimoine universel ll •
Selon Monsieur
BOT BOL lui-même il s'agira en tout cas de conférer un
visage authentique à l'art ivoirien, cet art qu'il connaît
(1) Fraternité-Matin du 10 novembre 1966.

-164~
déjà quelque peu pour avoir , en 1960, supervisé le tra-
vail de l'ensemble ivoirien qui devait se produire au
théâtre des Nations.
En décembre 1966, BOTBOL organise un stage
animé par le metteur en scène français Henri CORDREAUX.
En septembre 1967, s'effectue un second
stage qu'anime un autre homme de théâtre français, Georges
TOUSSAINT.
Ce second stage allait déboucher sur la pre-
mière création de l'Ecole "Nationale de Théâtre, Monsieur
Thôgô-Gnini , oeuvre de Bernard DADIE, le seul des anciens
du C.C.F.C.I., de Pont y et de Bingerville, à avoir pu
s'imposer après 1960, après les indépendances.
Lorsque Monsieuf Th6g6-Gnini
est créé pour
la première fois le 30 septembre 1967 à Abidjan, la presse
ivoirienne salue l'oeuvre comme un
"authentique acte de
naissance"
du théâtre national ivoirien.
Et jusqu'en
1969 l'Ecole Nationale de Théâtre ne fera que Monsieur
Th6g6-Gnini
soit à Abidjan même
soit surtout en tournée
à l'intérieur de la Côte d'Ivoire ou à l'extérieur dans
les pays africains voisins.
Monsieur Thôgô-Gnini, il
faut le dire, restera gravé dans la mémoire du public
ivoirien comme l 'expé~ience majeure du théâtre en Côte
d'Ivoire au CDurs de cette première décennie des indépen-
dances.

•. 165 -
o
o
0
Prenant le relais de BOTBOL et de son équipe,
Jean FAVAREL, un autre homme de théâtre français (1), un
ancien du Grenier de Toulouse, prend la direction de
l'Ecole Nationale de Théâtre et y assure également toutes
les mises en scène. Quant à la direction de l'Institut
même, elle passe aux mains d'un ivoirien.
Ce que les ivoiriens retiendront surtout de
l'expérience de Jean FAVAREL, c'est l'instauration, en
1971-1972, pour la première fois ~ Abidjan et partant en
Côte d'Ivoire, d'une
saison théâtrale fournie et régu-
lière, d'une structure théâtrale professionnelle au cours
de laquelle le récent théâtre de
Cocody,
"le théâtre de
la Cité" , le seul théâtre ivoirien professionnellement
équipé
avec cabine de régie complète
(jeu d'orgues,
sonorisation, stéréo ... ), loges, grandes coulisses et un
plateau doté d'un important matériel scénique
- accueille,
de décembre 1971 à juin 1972, cinq créations de l'Ecole
Nationale de Théâtre et de son jeune et dynamique metteur
en scène.
Ces cinq créations seront ~ccessivement
pvJ
(1) Qui nous a dirigé nous-même dans. les gens des marais
de Wole
SOYINKA.

~166-
- La tête, d'après le roman de Pierre BASSON, qui durera
pendant 18 représentations.
- La tri5u,
de Jean-Hubert
SIBNAY, 20 représentations.
- Les sofas,
de Bernard ZADI,
16 représentations.
Les genS des marais,
de Wole SOYINKA, 17 représentations
- La leçon,
d'Eugène IONESCO,
8 représentations.
Signalons aussi qu'en 1970-1971 Jean FAVAREL,
prenant ses premiers contacts avec le pu5lic ivoirien,
signera deux mises en scène avec, d'une part,
IIInspection ll ,
une adaptation du Révizor
de l'f1omme de tfléâtre et écrf-
vain russe du siècle dernier Nicolas GOGOL et, d'autre part,
TOUSSIO, d'un jeune écrivain ivoirien peu connu Gaston
DEMAN-GOH.
Jean FAVAREL, arrivé en Côte d'Ivoire en
1970, quittera ce pays en 1972.

-16]~
DEUXIEME
PARTIE
LE
THEATRE
NEGRO-AFRICAIN
=
PARADOXE
OU
VERITE
ESTHETIQUE
?
l
BINGERVILLE
NAISSANCE
OU
RECUPERATION?
Si l'Ecole Primaire Supérieure de Bingervi11e,
en ce qui concerne particulièrement la Côte d'Ivoire, et
l'Ecole Normale Fédérale William PONTY de Gorée, dans le
cas de toute l'A.O.F., ont constitué, pour ce qu'il est
convenu d'appeler aujourd'hui le théâtre
négro-africain
d'expression française, un véritable tremplin, il est
exagéré et impropre à notre point de vue d'aller jusqu'à
parler oujectivement de naissance du théâtre
ivoirien ou
du théâtre af~icain d'expression française à Bingervi11e
ou ~ Gorée.
Si l'on se place dans la perspective de nos

-168 ...
prises de position t perspective selon laquelle l'Afrique
noire possède ses propres institutions pour traduire
son génie dramatique t institutions qu'il nous faut
conserver ou dynamiser t la double expression
"théâtre
négro-africain d'expression française"
et
"théâtre
négro-africain traditionnel"
devient caduques.
Avec le recul du tempst le
"théâtre négro-
africain traditionnel"
apparaît comme une invention de
l'Occident colonisateur pour légitimer la pénétration
d'un théâtre nouveau t dit moderne t le
"théâtre négro-
africain d'expression française".
L'invention t par les
colonisateurs eux-mêmes t de la thèse selon laquelle
l'Afrique noire traditionnelle avait connu l'art du
théâtre t l'institution théâtrale t permettait de mieux
faire accepter le
"théâtre négro-africain d'expression
française"
que l'on présentait comme un prolongement
dudit théâtre traditionnel t comme la version moderne de
ce théâtre alors qu'en fait t nous allons le voir t nous
tournions progressivement le dos l
notre génie dramatique
authentique.
Cart l'art du théâtre nous a été légué avec
ses critères t ses normes esthétiques au lieu de s'amputer t
quand il le fallait t de celles-ci pour s'adapter à notre
sensibilité dramatique. C'aurait été t peut-être t la
meilleure façon de nous le faire accepter à long terme.

-169-
Mais, peut-être alors, ne s'agirait-il plus de l'art du
théâtre. Les colonisateu~s eux avaient sans doute perçu
que, une seule et même institution dramatique, ne pou-
vait pas traduire et exprimer tout le génie dramatique
humain et que, des deux choses l'une
ou on fait du
théâtre, ou en n'en fait pas.
Pour en revenir plus précisément à Binger-
ville, nous croyons donc qu'il s'est agi davantage de
récupération puis, par la suite, de mutilation du génie
nègre par l'art du théâtre que, véritablement,
de nais-
sance d'un théâtre spécifiquement ivoirien ou négro-
africain qui utiliserait simplement la langue française
pour
s'exprimer. Il y a eu récupération du génie nègre
lorsque, ce fumeux jour de 1932, Charles BEART voit dans
l'improvisation du jeune AKA BILE et de ses amis une oeuvre
théâtrale parce que ces jeunes , encore nourris de leurs
traditions, n'improvisaient que conformément à leurs
valeurs artistiques, à leur sensibilité dramatique propre
et spécifique. Ils étaient plus proches de jeu dramatique
traditionnel que du théâtre ou de la comédia dell'arte.
Avaient-ils même déjà vu une représentation théâtrale à
proprement parler, à plus forte raison une commedia dell'
arte
pour qu'on puisse les soupçonner de vouloir repro-
duire ce genre de spectacle?

... 170-
Toute l'histoire du théâtre ivoirien que
nous avons choisie comme-exemple pour illustrer notre
propos, pour témoigner d'une problématique générale à
toute l'Afrique noire colonisée, atteste de ce phénomène
d~ récupération, puis de mutilation, de notre expression
dramatique spécifique au profit de la seule expression
dramatique théâtrale dite universelle. Il est vrai qu'il
était dans la logique coloniale de conquérir l'âme des
peuples (1). Aussi n'est-il pas étonnant de voir se subs-
tituer aux diverses institutions spécifiques des peuples
négro-africains, des peuples colonisés, les institutions
du colonisateur.
(1) IINous avons conquis le sol, nous l'avons aménagé, nous
y faisons régner l'ordre et la paix,
nous parvenons à
tirer sérieusement parti de ses ressources; il nous
reste à conquérir définitivement les âmes ll •
(E. ROUME, Gouverneur Général des Colonies et Prési-
dent du Conseil d'Administration d~ l'Ecole Coloniale
in
IIAvant-proposli
au premier
numéro de la nouveile
revue coloniale
1I0 utre-Mer li parue en 1929).

II
WILLIAM
PONTY,
COURROIE
DE
TRANSMISSION
DES
VALEURS
DRAMATIQUES
OCCIDENTALES
ilLe théâtre de William PONTY ne peut pas être
considéré comme un besoin des élèves
dont on voulait
mouler la personnalité sur des modèles purement européens-
~e retrouver leurs propres valeurs africaines, qu'ils
étaient menacés de perdre Il (1).
En effet, destiné à un public essentiellement
européen, à l'amusement des cadres européens de la colonie,
du corps enseignant surtout, l'initiative et la direction
de ce théâtre scolaire
revenaient également aux mêmes
européens. Avant tout, ce théâtre répondait à leur besoin
à eux, au besoin de recréer en colonie, d'y plaquer une
certaine ambiance de leur univers culturel propre.
Est-
ee à dire que ces jeunes africains n'y trouvaient pas
leur compte, que ce théâtre ne leur permettait pas autant
de se détendre et de s'amuser?
Sans doute, devaient-ils
trouver les soirées du théitre PONTY plus sym~athiques
que celles passées en salle d'étude.
Toujours est-il
(1) Bakary TRAORE, O.C., p. 98.

-172-
que notre pr6pos nlest pas là et qu'il pose un problème
plus grave, celui d'une aliénation culturelle. De plus,
ce même souci de simple détente n'a pas empêché les mai~
tres de Pont y dlinstituer ces créations théâtrales de
Pont y dans
le cadre dl "activités dirigées"
alors que
les jeunes ivoiriens de Bingerville n'avaient pas besoin,
en 1932, dlêtre diiigés pour improviser
5rillamment
devant leurs camarades et les distraire
ainsi. Notre
propos est- le suivant
Pont y, au lieu de favoriser, de contribuer
à l'épanouissement des valeurs dramatiques négro-
eo 1\\ \\ V:-.t4N1 ""\\~
africaines, siest employé, ~ ~ ou inconsciem-
ment, à les détruire.
Alors qu'à Bingerville, les jeunes
ivoiriens, pas encore en rupture nette dlavec leur sensi-
bilité dramatique originelle, improvisaient encore tout
leur jeu dramatique, même en cas de représentations
publiques, à William Pont y,
"ils devaient écrire leurs
pièces et ne plus laisser qu'une faible place à l'impro-
visation" (l),-nous confie AMON d'ABY.
Au propos de Bakary TRAORE selon lequel le
théâtre de Pont y était
"orienté"
et subissait même une
certaine censure, Charles BEART, le premier resp~nsable
(1) A. d'ABY, O.C., p. 156.

~.,
' .. :~ .'
-173-
de ce théâtre, affirme que
1I1 es élèves composaient et
jouaient exactement tout ce qui leur convenait ll (1).
Mais, il reconnaît en même temps
lIil était seulement posé que je pourrais op-
.
poser mon véto si, pour une représentation publique, à
.
.
.
Dakar, les élèves avaient choisi une pièce qui m'eOt
paru ne pas convenir ll (2).
Et, il ajoute encore
IIAvons-nous donné des conseils?
Oui, des.
conseils de forme surtout"
reconna1f -il.
IISi l'on considère que ces conseils
remarque Bakary TRAORE
allaient jusqulà l'i~terdiction
ou la transformation radicale d'une pièce, lion peut bien
parler d'une censure" (3).
En tout cas, quand l'on sait que les limi-
tes de cet tell con ven a nce Il ,
que ces
Il con s e il s
de fo r ln e Il
étaient dictés par BEART lui-même et ses collègues et qu'
ils répondaient à leur goOt et à celui de leurs compa-
triotes des colonies, il n'est pas
exagéré de parler
(1) Charles BEART
Recherche des éléments d'une socio-
logie des peuples africains à partie de leurs jeux -
O.C., p. 137.
(2) O.C., p. 137
(3) Bakary TRAORE - O.C., p; 99
' \\ ..

-174-
d'un certain impérialisme culturel.
Quand l'on s' interroge sur l a nature des
limites de cette
IIconvenancell
dont parle BEART, la
réponse est éloquente à ce point de vue
IIJe craignais
écrit-il
qu'ils souhai-
te nt présenter certaines pièces qui étaient très bonnes-
mais qui ressemBlaient un peut trop au Cid, à Horace ou
à Cinna ll
(l).
Et il poursuit, à la même page
liNos élèves aimaient beaucoup CORNEILLE, moi
aussi, et une telle influence ne me gênait pas. Toutefois,
le public de Dakar était composé d'européens et d'africains.
J'étaip sûr de l'enthousiasme des africains, mais je vou-
~#
lais
que les européensVadmirent. Il m'eût été désagréable
de les voir sourire devant une scène qui leur eut semblé
un
involontaire pastiche ll .
De ces propos de BEART se confirment, au
moins, trois faits
- le théâtre de Pont y était essentiellement destiné a un
public européen et devait, avant tout, lui plaire.
(-1) Charles BEART, O.C., p. 137

.... 175~
- le degré de dépersonnalisation des élèves, dont
Bakary TRAORE disait à juste titre qu'ils étaient menacés
de pe~dre leur propres valeurs africaines, et, du même
coup, la ~ature même de l'enseignement colonial.
- l'a~sence de li5erté créatrice des élèves.
Au sujet des
IIconsetls de forme ll , Charles
BEART, prenant un exemple de cet aspect de son interven-
tion dans le théâtre de Pont y, note qu'elle a porté, pàr
exemple, sur
IIdes textes trop longs ll (1)
ou III 'abus
de gros mots ll (2).
IIUn merde bien placé
écrit-il
peut
être excellent, voire une litanie de merde, encore ne
faut-il pas que sans raison concertée, le~ mots revienne
trop souvent ... (3).
Charles BEART lui-même, qui n'était pas,
dans cette Afrique, sans avoir un minimum de connaissance
des noirs, de leur tempéramment artistique en occurence
ne
savait-il pas que ce que l 'Occident considèrait
comme des
1I10ngueursll
ou
des II re dites ll
n'étaient pas
perç~e$ comme telles par les noirs?
N'~st-ce pas lui-
même qui constatait, à juste titre d'ailleurs, concernant
la musique
(1), (2)
Charles BEART, O.C., p. 137
(3)
O.C., p. 137-138.

-176-
"Un musicien africain joue sur son arc musi-
cal une phrase très harmonieuse, elle lui plaît, il la
répète toute la nuit. L'européen
qui a aussi trouvé
cette phrase très belle s'en fatigue vite ... " ? (1)
Et, pour en revenir au théâtre de Pont y,
BEART fut confronté au même phénomène
"Un problème difficile, écrit-il, fut de
limiter dans le temps nos acteurs. Pour un africain, pour-
suit-il, une chose belle, ou Donne et les deux termes sont
plus proches pour lui que pour nous, gagne à être répétée.
Le temps dont disposaient nos acteurs étant limité, il
leur fallait se limiter eux-mêmes (2).
Et BEART
ajoute, en même temps :
"Je suis évidemment mauvais puisque blanc,
mais je crois qu'en définitive cela leur a été utile".
Il est évident que ces limites de temps dont
parle BEART ne devaient pas excéder celles d'une soirée
théâtrale
"normale ll ,
telle qu'elle se déroule en France.
Toujours
est-il que, il nous le laisse penser lui-même,
toutes ces entorses à notre tempéramment, à notre sensi-
b i lit é art i·s t i que ne se f 0 nt pas san s di f fic ul t é MM1iii[
(1) BEART -
Communication de 1 'accadémie des Sciences
d'Outre-Mer. O.C., p. 156.
(2) BEART
- O.C., p. 156.

-177-
et il est assez significatif de voir le même BEART
avouer plus tard qu'il est mauvais juge puisque blanc,
puisque extérieur à l'univers négro-africain, inapte à
sentir réellement, de l'intérieur, le génie dramatique
nègre. Il reste, cependant convaincu que son oeuvre a
été utile.
Elle l'aura été, au moins, pour ce public
européen, ce
public
"cultivé et payant"
comme dit
CORNEVIN et
"aux exigences duquel
ajoute-t-i l de
façon cynique, mais sincère et spontanée
il faut se
soumettre" (1).
C'est bien ce que nous pensions et c'est
bien l~ que se situe le proBlème, le paradoxe de ce fameux
"théâtre négro-africain d'expression française"
un para-
doxe qui, déjà à Pont y
et ce n'est pas sans une cer-
taine surprise et émotion que nous avons découvert cela -
affectait l'expression dramatique des jeunes Pontins.
"Des spectateurs se sont demandés
- écrit
Bernard DADIE, en 1936, à l'issue
précisément d'une de
leurs représentations
le degré de sincérité de ce
théâtre" (2).
C'est dire que ce théâtre,
le théâtre de
Pont y, ce
"théâtre négro-africain d'expression française"
naissant, est loin de n'avoir pas posé des problèmes
(1) Robert
CORNEVIN - O.C., p. 43.
(2) "Mon pays et son théâtre"
par Bernard DADIE
-j n
l'Education Africaine, numéro spécial, O.C., p.61 à 63

,..:..'~.
-.. ". -... (
-178-
esthétiques, pour le moins sérieux, qu'expose DADIE et
qui ne sont pas sans rapp,eler la problématique même de
notre thèse.
IIS'agissait-il
s'interroge DADIE se
faisa~t l'écho des interrogations même du public sur
Ille degré de sincérité de ce tfléâtre ll
de pièces com-
posées à la manière française avec des éléments et surtout
du pittoresque empruntés aux coutumes locales ou s'agis-
sait-il d'un théâtre vraiment indigène, né chez nous ?1I(1)
Rappelons-nous, la problèmatique que cette
thèse se propose de tenter de résoudre rejoint de façon
frappante celle que pose DADIE, en 1936.
Résumant cette
problématique ~ l'entrée de notre thèse, nous nous deman-
dions si le théâtre tel que nous l'a légué
l'Occident
colonisateur répondait à notre sensibilité dramatique
telle qu'elle s'est toujours exprimée. Les propos de DADIE,
dès cette époque, gravitent bien autour du même problème
et se ramènent à savoir à quel point le théâtre de Pont y,
que jouent depuis trois ans maintenant ces jeunes
africains, est fidèle au génie nègre, à quel point il
est réellement sincère par rapport à ce génie.
(1) Bernard DADIE -
liMon pays et son théâtre ll , D.C.

-179 ...
Contrairement à DADIE, nous tenterons de
trancher ce problème de la compatibilité ou non de notre
génie dramatique avec l'art du théâtre mais, son article
aura, tout au moins, le mérite de nous avoir aidés à le
faire.
Car DADIE, bien qu'il ait été oref, nous y
explique de façon percutante comment il a été obligé,
avec ses camarades, de défigurer l'oeuvre dramatique qu'
il se proposait de p~ésenter pour précisément la plier
à
"la manière française".
Il s'agissait
d'Assemien,
Roi des Sanwi, légendfe agni, transcrite et adaptée par
DADIE, que les jeunes ivoiriens de Pont y devaient pré-
senter à Dakar, en 1936.
"En quoi lIai-je
(la légende)
modifiée?"
se demande DADIE, toujours dans le même artièle.
"Tout d'abord
explique-t-il
dans mon
pays elle est plutôt dite et-ch~ntée, comme la l~gende
baoulée que j'ai introduite dans le premier acte, que jouée;
mais dite et chantée par plusieurs acteurs avec une
mimique très expressive et la participation active de
tous les spectateurs" (1).
Et il poursuit
(1) "Mon pays et son théâtre", D.C.

~180-
"J'ai surtout beaucoup coupé. Nous ne sommes
pas t nous autres t pressés comme les européens d'arriver
au dénouement. Quand quelque chose nous plaît t sa répé-
tition nous plaît davantage; C... ). Aussi t fallait-il
simplifier t supprimer les redites et ne faire qu'esquisser
les chants et les danses".
Pour terminer DADIE évoque aussi le problème
linguistique t dans la mesure où certains passages de
l 'oeuvre traditionnelle restent
"absolument intraduisible" t
de même que le problème du public
(européen bien sûr)
vis-à-vis de qui l'oeuvre doit être transformée t aussi
bien dans sa forme représentative que dans son contenu,
pour être perceptible. Je voudrais bien savoir ce qu'il
est resté de caractéristique à l'Afrique noire t à son génie
dramatique t une fois que cette oeuvre Assemien t Roi des Hl.!\\/l
~t inspirée du patrimoine littéraire traditionnelle t
n'aura pas été
"dite et chantée"
avec une
" mimique très
expressive" t
que sa
représentation se sera faite sans
"1 a participation active de tous les spectateurs" t qu'elle
aura été
"beaucoup coupée"
et que la langue pour l'ex-
primer aura été la langue française.
Comme. il est aisé de le constater t
"le
degré de sincérité de ce théâtre Il
est extrèmement faible t
pour ne pas dire nul t
ce théâtre de PontYt fait par des

-181-
africains pour exprimer le goût des européens, ce théa-
tre négro-africain d'expression française qui, dès cette
é p0 que, a ppar aî t rée l lem ènt ex t r av e r t i, t 0 ur né ver s
" l a
manière française"
et non exprimant le génie même de la
dramaturgiè négro-africaine.
N'est-ce pas d'ailleurs BEART qui avait enca-
dré les jeunes ivoiriens et qui les avait dirigés pour
cette oeuvre, lui qui refusait d'avoir
"orienté ll
le
théâtre de Pont y ?
liEn 1935
écrivait-il
je me suis occupé
des élèves de Côte d'Ivoire qui à Gorée montaient la
II chronique agni ll
:
Assemien-Roi ll ,' qu'avait écrite Bernard
DADIE et qui contenait la
IIlégendfe de la reine Pokou ll
si souvent reprise. L'essentiel de mon travail fut d'in-
sister pour que les acteurs parlent distinctement et de
les aider à brosser le magnifique décor qui devait servir
de toile de fond. C'est COMBES, l'artiste célèbre en Côte
d'Ivoire, qui nous
en avait fourni la maquette. (Je suis
partisan d'un jeu sans décor de fond - ajoute BEART en
parenthèse - mais, les conditions cette année-là - précise-
t-il en imposaient un)1I (1). Tout en voulant dans ses
propos réduire le poids de sa présence dans les créations
(1)
Charles BEART
Recherche des éléments, d'une socio-
logie des
peuples africains à partir de leurs jeux-
Paris, P.A., 1960, p. 132 (en notes).

-182 ....
du théâtre de Pont y, surtout dans celui des ivoiriens qui
i l co nna i s sai t de pui s Bi nge r vil le et qu • i l de vai t sui vr e
particulièrement, Charles BEART à cbaque fois, au contraire,
nous fait sentir cette présence à tel ou tel niveau de la
création des élèves. Ainsi, après avoir raboté les textes
considérés comme trop long, éliminé du jeu drama·tique
de Pont y toute improvisation, réduit les apports divers
de la musique et de la danse, du chant, d'une mimique
"très expressive", pour parler comme DADIE, voilà que la
toile de fond, le décor peint à deux dimensions se fait
nécessaire et s'impose pour une oeuvre dont DADIE disait
qu'elle était poignante dans le simple décor de la nuit,
le décor du
"ciel étoilé".
A la suite des représentations qu'ont données
les élèves de l'Ecole Normale William PONTY lors de l'
exposition de 1937 à Paris (1), Henri LABOURET se fait,
malgré les
éloges de ses compatriotes, des éloges dont
BEART lui-même reconnaissait qu'elles étaient bien souvent
"maladroitement élogieuses ll ,
défenseur acharné du génie
a.,
nègre, lui qui, rappelons-nous, Yeu l'occasion de voir
à l'oeuvre ce génie. Il remarque, en parlant des repré-
sentations des Pontins
(1)
Rappelons qu'avec les Ivoiriens, ce sont les Dahoméens
~ui représenteront llEcole Normale Wiliam Pont y à
cette exposition.

-183-
"Ces pièces, inspirées par des thèmes
locaux, mais écrites en français pour divertir des euro-
péens et des indigènes l~ttréi parlant le français, sont
assez différentes des vraies manifestations indigènes ... "(1).
Il a le sentiment net qui
"on en augmente-
rait encore l'intérêt et la valeur en serrant de plus près
un modèle qui est original et de qualité" (2), ou occu-
rence, les modèles mêmes, les schémas de la dramaturgie
négro-africaine authentique telle que nous l'avons pré-
cédemment dégagée, son langage spécifique.
En ce qui concerne les thèmes, les sujets
des pièces de Ponty,s'il est vrai qu'ils étaient large-
ment inspirés du patrimoine littéraire traditionnel comme
des réalités de la société africaine en mutation et que,
à ce point de vue les pièces peuvent paraître authentique-
f2.-
ment africains, il reste
que cette inspiration thématique,
ce choix des sujets, restait soumis dans leur contenu
comme dans leur traduction dramatique, dans leur forme
représentative
à l'idéologie des professeurs, à leur
goût et aux lois du théâtre.
Pour illustrer cette soumissi~n idéologique
(1), (2) Paysans d'Afrique occidentale, O.C.,p. 279.

-184-
des oeuvres de PONTY à la puissance coloniale citons
rapidement les propos d'un européen et d'un africain.
C'est d'abord Bernard MAUPOIL qui, à la
suite de l'examen de quelques oeuvres __ théâtre daho-
du
méen de PONTY écrit
"Nous voudrions surtout que des noirs ne se
fassent pas l'écho de certaines légendfes malsonnantes
qui ont encore cours sur leu~ ancêtres. En montrant les
personnages les plus représentatifs de leur passé
- les
rois, les prêtres, les ministres -
sous l'angle de la
t y r a nnie e t de· 1a con c us s ion, ils s' exp 0 sen t à don ne r
des arguments aux européens sans expérience qui soutien-
nent encore que nulle civilisation n'a effleuré l'Afri-
que"
(1).
C'est encore Fily DABO SISSOKO qui remarque
justement à propos de l'exposition de Paris que
"Pendant l'exposition internationale de
1937, à Paris, les maîtres et les élèves de l'Ecole
William PONTY, exhib~rent
un théâtre nègre qui fut une
abomination et Un abus de confiance.
(1)
"Le théâtre dahoméen"
par Bernard MAUPOIL in Outre-
Mer, décembre 1937.
l,.,
_

-185-
Le
"Samori" (1) grotesque qui nous fut
présenté, et par des jeunes gens qui doivent respect à
ses cendres, et qui, dans leur candeur, étaient loin de
se douter de leur infamie, ce
"Samori"
là, n'était
pas digne de mener au combat le dernier des noirs.
Heureusement pour nous, conclut SISSOKO, nous
savons pertinemment qu'il nlen fut jamais ainsi et que la
carricature qulon a présenté à Paris ne condamne que ses
auteurs" (2).
Pour en revenir aux problèmes esthétiques, il
ressort que PONTY a constitué la courroie essentielle de
transmission, en Afrique noire, des valeurs et de l'esthé-
tique dramatique françaises, en particulier, et occiden-
tales, en général. Clest à partir de PONTY que l'art
du théâtre apparaît aux africains comme la seule manifes-
tation, l'expression universelle du génie dramatique des
hommes
(1) Illustre souverain Malinké du 19ème siècle, Samory
TOURE résista à la pénétration coloniale pendant une
dizaine
d'années avant d'être capturé en 1898.
(2) Fily DABO SISSOKO -. Les noirs et la culture
opuscule imprimé à New-York
en 1950

-186-
III
LE
THEATRE
NEGRO-AFRICAIN
UN
PARADOXE
ESTHETIQUE.
A partir de William-Pont y, tout le géniedramati-
que négro-africain ne voudra donc s'exprimer que par 11 art du
théâtre, cet art dont les maîtres de Bingerville et de
Pont y se sont employés à asseoir la primauté et l'univer-
salité dans l'esprit des jeunes Pontins. Après être passés
par le moule de l'école coloniale, les jeunes africains
de l'époque sont polarisés par l'art du tbéâtre qui leur
apparaît comme la forme suprême et achevée de tout art
dramatique.
Pour nous en tenir au cas ivoirien, n'est-ce
pas AMON d'ABY qui
alors qu'il admet ouvertement la
faculté de l'homme noir à se donner des "représentations",
qu'il lui reconnaît
"un esprit
d'observation pénétrant",
"un sens du comique dans les mots et dans les ges tel: ,
"une élocution facile tl ,
"une mimique expressive"
écrit cependant
"Ces qualités de spectateur et d'acteur (chez

-187-.
le noir) ne suffisent pourtant pas à faire un théâtre. La
création et la vie d'un théâtre, au sens européen du mot,
demandent un travail intellectuel suivi et renouvelé, un
effort collectif d'organisation,une discipline, de la
fantaisie même, dont les noirs illettrés
- conclut-il
sont rarement capaoles ll (1). En dehors donc dl:l sens eu-
ropéen, non pas du théâtre, mais du jeu dramatique
- car,
selon nos prises de position, le théâtre est précisément
le
II sens
européen ll
du jeu dramatique, ou tout au moins
un de ses sens, et il n'y a de théâtre qu'européen
aucune autre manifestation dramatique n'a, dans l'esprit
de nos anciens pontins, de la valeur.
Du coup, tout le
génie dramatique négro-africain est réduit à une vaste
f<
pi terie et l'on n'aspire qu'au
II sens
européen ll
du jeu
dramatique, qu'à l'art du théâtre.
Ces propos d'AMON d'ABY
confirme, une fois
de plus, que l'enseignement colonial n'était autre chose,
comme l'écrit si bien Abdou MOUMOUNI, qu'une
lI arme
d'op-
pression culturelle et de dépersonnalisation ll (2), une
arme qui faisait du colonisé, selon le mot de MEMMI dàns
son fameux Portrait du colonisé, un véritable
"amnésique ll
(3), c'est-à-dire, un homme qui ne se souvient plus de
son passé, de son histoire, de sa culture, de ses traditions,
(1) AMON d'ABI - O.C., p. 154-155
(2) Abdou MOUMOUNI - L'Education en Afrique - Paris,
Maspéro, 1964, p. 47
(3) Albert MEMMI -~ortrait du colonisé - Paris, J.J.
PAUVERT, 1966

-188 ...
de toutes ses racines
lI en fin
devenues infamantes ll (1)
et qui tend simplement, vu son infériorité congénitale
et sa barbarie établies à ressembler de plus près au blanc.
C'est dans ce contexte, croyons-nous, qu'il
faut situer, après Bingerville et Pont y et jusqu'aux
indépendances, c'est-à-dire entre 1938 et 1960, avec le
IIthéâtre "indigène ll
et le
IIcercle culturel et folklo-
rique de la Côte d'Ivoire ll ,
la rupture de plus en plus
nette de l 'homme noir d'avec son propre génie, quoiqu'
il faille ajouter que l'administration coloniale n'a pas
manqu~ de contribuer de façon concrète à cette rupture.
A partir de la création en 1938 du
IIthéâtre
indigène de la Côte d'Ivoire", les anciens Pontins ,qui
sont à l'origine de cette troupe
"vont renoncer défini-
tivement
- nous dit AMON d'ABY à la très facile (2) impro-
visation ll (3) pour, selon le terme même du théâtre indigène
IIfixer ll le théâtre africain, c'est-à-dire. l'écrire. Désor-
mais, donc, l'oeuvre dramatique ne sera plus improvisée à
partir d'un thème, d'une histoire quelconque mais subordonnée
au texte écrit, à l'oeuvre IIfixée"
par l'écrivain. Ainsi,
allons-nous voir naître, jusqu'aux indépendances, les trois
premiers grands écrivains ivoiriens de théâtre:
(1) A.
MEMMI - O.C., p. 1"59
(2) Souligné par nous pour bien montrer que l'improVisation,
comme nbus le remarquions dans notre chapitre concernant
l'àpproche critériologique du génie dramatique i l négro-
africain caractérise ce génie et apparaît aux africains
comme une. chose aisée.
(3) A. d'ABY - O.C . • p. 156.

-189-
- AMON d'ABY (François Joseph)
- DADIE (Bernard Binlin)
- GADEAU (Germain Coffi)
Cet tee nt r e pris e de li f i xat ion Il dut hé â t r e af r i c a i n pou r
parler comme à l'époque, après
avoir rejeté tout recours à la
IItrès facile ll
improvisation, se cristallisera essentiellement
autour d'un texte écrit et dialogué, négligeant aussi le carac-
tère éminemment synthètique du langage dramatique négro-africain,
les apports divers de la musique et de la danse, du chant et de
la mimique. Désormais le texte devient le moteur essentiel du jeu
dramatique et le lieu même de ce jeu, qui fait un piédestal aux
artistes, réduit considérablement la participation des specta-
teurs.
Avec la période des Centres Culturels, dans les années
1955, l 'administration ~oloniale prend le relais de l'encadre-
ment rigide des professeurs de Bingerville et de Pont y pour conti-
nuer à faire violence à notre génie dramatique. Cette administra-
tion institue définitivement avec la construction d'un véritable
réseau de Centres Culturels dans toute l'A.O.F., la scène à
l'italienne. Deux ans après avoir inscrit au budget général les
premiers crédits destinés aux Centres Culturels, le gouverneur
général Bernard CORNUT-GENTIL
constatait déjà, au début de 1955,
le fonctionnement de cent dix sept (117) centres culturels (1).
Sans vouloir minimiser l'immense effort d'infrastructure cultu-
relle qui était réalisée là - car, en dehors des réalisations
t~éâtrales, les centres culturels pouvaient accueillir des confé-
rences, des expositions, des concours littéraires, des projections
de films et étaient également équipés de bibliothèques et de jeux divers. Ils
(1) Traits d'union n06, janvier-février 1955, in article intitulé ilLe centre
culturel, fermant a'évolution africaine ll •

... 19-0.,.
constituaient aussi un tremplin pour
des réalisations
sportives
- il faut dire, pour en revenir au théâtre
qui demeura tout de même la principale activité de ces
centres, que l'architecture des centres culturels repro-
duisait tout simplement le lieu de la représentation dra-
matique tel qu'il se conçoit généralement en Occident,
avec sa salle et sa scène en vis-à-vis, la scène surplom-
ba nt las a l le, l ' une e t lia ut r e s é par é eA par 1er ide au r 0 uge ,
la rampe lumineuse, le proscenium, l'une et l'autre édifiant
une frontière entre le jeu dramatique et le public alors que le public
africain aime participer au spectacle, s'y sentir proche,
au lieu d'en être exclu et que l'artiste africain, plus
que tout autre, aime sentir son public contre lui, avec
lui .
On me répondra qu'il n'est pas possible de
retourner à la place du village et au clair de lune.
D'abord, cela n'est pas évident. Le climat en Afrique per-
met
aisément de donner des représentations dramatiques
à ciel ouvert sans que l'on soit systématiquement obligé
de s'enfermer dans une salle. Et puis, ce n'est pas tant
l'édifice en tant que tel qui est remis en cause mais sa
structure qui rompt d'avec celle originelle de la place
du village en séparant spectacle et public, en faisant du
public non plus un participant actif mais un
IIvoyeurll,

-191.,.
un spectateur passif calé dans son fauteuil.
A la suite de la construction de ces centres
culturels à travers toute lIA.O.F., le Gouverneur CORNUT-
GENTIL
lance l'idée heureuse d'un concours théâtral au
niveau de toute 1'A.O.F.
Mais là encore, il s'agira,
malheureusement, moins de servir à l'épanouissement de
l'art dramatique africain que de le mutiler en le ramenant
à l'expression théâtrale qui lui est étrangère et qui,
bien souvent, lui est incompatible.
Un examen de la cir-
culaire (1)
par laquelle le Haut Commissaire CORNUT-GENTIL
.,
donne ~es instructions aux chefs des territoires en vue
de l'organisation de ce concours nous montre, une fois de
plus, qu'on ne se soucie guère de la sensibilité artis-
tique des noirs, des critères esthétiques
de leur génie
dramatique. la circulaire du Haut Commissaire exige que
les spectacles soient limités à une durée d'une heure
trente, non pas parce que cette durée correspond au temps
nécessaire pour que les spectacles africains atteignent
leur déploiement normal et que acteurs et public en
tirent une jouissance esthétique suffisante mais tout
simplement parce qu'il en est ainsi couramment pour une
soirée théâtrale.
(1) Traits
d'union, n° 5, octobre-novembre-décembre 1954.

Cette circulaire exige aussi, pour comble
de malheur, que les spectacles soient donnés en langue
française
"pour pouvoir être, le cas éthéant
ajoute-t-on
compris dans tous les centres de la fédé-
ration ... ". Or, si lion se réfère aux différents taux
de scolarisation, quelle que soit l'époque à laquelle
ils renvoient, dans les anciennes colonies françaises
d'Afrique noire, on constate aisément qu'à la veille même
des indépendances, c'est-à-dire au moment même où ce
concours théâtral est organisé, et cela après trois siècles
de colonisation, que ces taux de scolarisation restent
suffisamment bas pour exclure, mais alors de façon caté-
gorique, la nécessité de donner des spectacles en
langue française (1).
Si ,jusqu'ici, nous n'avons pas insisté sur
le problème linguistique, ce nlest pas parce qu l i1 nous
apparaît sans importance. C'est parce que, dépassant le
proBlème de l'art dramatique, il s'étend à tous les
as-
pects de la reconquête de notre identité culturelle et
que, il apparaît comme la condition majeure et fondamen-
tale qui transcende et doit précéder toute cette reconquête.
Il ,n'est donc pas spécifique à l'art dramatique. Toujours
est - i 1 qu' i 1 i mp0 rte des i gna 1e r que 1e fa i t que 1 1 0 e'u vr e
(1) cf.
Abdou MOUMOUNI - L'Education en Afrique -
Paris, Maspéro, 1964.

-193-
dramatique soit exprimée dans la langue du terroir t du
payst qu'elle en soit pé~riet constitue évidemment une
cause d'émotion artistique considérable. Amputée de sa
langue propret l'oeuvre dramatique t quand même elle
resterait fidèle à la critériologie esthétique de notre
-
génie dramatique t ce quit de surcrolt t n'est pas le caSt
ne pourra être que limitée.
On voit très bien comment AMON D'ABY t quand
il nous explique
les problèmes auxquels ils sont confron-
tés au point de vue linguistique au moment même de la
création du
IIthéâtre indigène de la Côte d'lvoire ll t
sacrifie comme il dit lui-même
"l'emploi du
"petit nègre ll
ou l'originalité qu'aurait pu apporter une traduction
littérale recherchée (1) à
"un style qui
dit-il
l,~
tient le milieu entre la traduction littéra~ et le
français classique ll t
un style quit en fait t ne s'éloigne
pas des normes de la langue française et
qui a pour ob-
jectif de rendre les oeuvres intelligible d'abord à l'élite
ItrtorJ
européenne puis à celle africaine alors que~d'ABY le
(1) "La traduction directe t presque mot pour mot t de
l'indigène permettait de rédiger en un style original
malheureusement t elle avait le grave inconvénient de
rendre la pièèe inintelligible aux personnes
peu
accoutumées àux dialectes locaux"
A.d' ABY t
supra t p. ~
.;t )'2

-194 ..
reconnaissait lui-même, le public était surtout composé
dl une grande majorité dl africains i lletrés pour qui,
précisément, le
"petit nègre"
est expressif. Aussi,
n'est-il pas étonnant de voir
que,par la suite, ce
public là ne viendra progressivement plus au théâtre et
qu'aujourd'hui sa présence est nulle dans les théâtres
de la Côte d'Ivoire. Les oeuvres dramatiques ne lui par-
lent plus, ne le touchent plus.
Sur ce problème linguistique, clest encore
Henri LABOURET qui remarque que
"celle-ci
(la langue
française)) peut devenir une cause de malaise et de trou-
ble ll (1), parce que, en bien des cas, elle demeure inca-
pable de traduire fidèlement les nuances de la pensée et
de l'âme négro-africaine
II qu i - précise-t-i l
nlest
pas un champ facile à
atteindre ni à explorer" (2).
DADIE n'avait-il pas évoqué déjà le problème en 1936
à Pont y ?
IIDe plus, ajoute
LABOURET, elles(les langues
africaines)
possèdent un génie particulier qui est très
différent de celui des idiomes européens, fruits et ex-
pressions d'une civilisation très éloignée (3) des
cultures africaines ... Il (4).
(1) Paysans d'Afrique Occidentales, O.C., p. 280
(2) O.C.,
p.
279
(3)
Souligné par nous
(4) O.C., p. 281.

195-
En tout cas, pour LABOURET,
II seu l e la
langue maternelle peut exprimer l'âme d'un peuple dans
sa vérité saisissante, dévQiler le secret de ses ten-
dances, de ces déceptions comme de ses joies ll (1).
Lorsque, en 1960, ce théâtre ivoirien des
centres culturels qui a été à la base de la formation
nationale présentée au théâtre des Nations, se produit
à Paris,
les quelques rares africains qui ont assisté
au spectacle restent, contrairement au public parisien
qui, bien sOr, a applaudi et s'est réjoui du dépaysement,
peu enthousiastes.
Pour Bachir TaURE,
comédien sénéga-
lais bien connu, on a confondu, dans cette initiative,
danses folkloriques et art dramatique et, pour lui, les
J\\f~" CA; (1/'1
spectacleiyn'étaient pas toujours à leur place au
théâtre des Nations.
Pour en revenir au problème linguis-
tique, Bachir TaURE reste désagréablement choqué
IIQuelle idée saugrenue
s'écrie-t-il
d'avoir fait parler français, et quel français!
à des
acteurs qui cherchaient visiblement leurs mots.
Les pas-
sages joués en langue
IIBaoulé ll ,
de l'avis même des
français profanes, nous réservèrent les meilleurs
moments ll (2).
(1)
O.C., p. 283
(2)
La vie africaine, n07, mai-juin 1960.

-196-
Un peu plus tard, en 1969, alors même que
la scolarisation en langue française gagne du terrain,
clest un journaliste ivoirien, très sensibilisé aux pro-
blèmes du théâtre, qui remarque en clair que l'usage de
la langue française fausse totalement le jeu de l'acteur
africain et le déséquiliore dans sa création dramatique.
ATTA KOFFI note que, pour l'enfant noir, imprégné dès
la naissance dès langues affricaines , la langue fran-
çaise qu'on lui greffe restera toujours un handicap
"mauvaise prononciation des mots, attitude guindé face au
français, difficulté à être sincère, à
"jouer le jeu"
parce que la marque de la langue maternelle reste la plus
profonde, ainsi se pose le proolème
de l'acteur afri-
cain" (1).
A Pont y, dans les années 1936, on se deman-
dait
"le degré de sincérité"
de ce théâtre légué par
l'Occident colonisateur.
En 1969, sa
"difficulté à
être sincère"
demeure. Plus de trente ans après le
paradoxe continu. Il s'aggrave même.
o

e
(1)
"Les acteurs africains et la diction française"
in
France-Eurafrique, nO 204, mars 1969.

-193 ..
En effet, la période des indépendances, aussi
surprenant que cela puisse paraître, ne nous restitue
pas les destinées de notre art et de notre culture. Aussi
bien à l'Ecole Nationale d'Art Dramatique qu'à l'Ecole
Nationale de Théâtre de l'Institut National des Arts,
-,
toutes les créations dramatiques sont -aux mains de per-
sonnes extérieures à notre société, personnes à qui,
d1ailleurs, il est difficile de reprocher dans le contexte
des indépendances d'être extérieures à notre sensibilité
dramatique et de véhiculer un langage qui lui est incom-
patible, dans la mesure où leur action est cautionnée
par les autorités mêmes du pays.
Toujours est-il qu'à
travers cette action, il nous est une fois de plus aisé
de vérifier en quoi la situation de l'art dramatique en
Côte d'Ivoire peut être extrêmement paradoxal.
A l'Ecole, dite Nationale, d'Art Dramatique,
aucune création durant toute l'existence de cette école,
de 1960 à 1964, ne reflète un aspect quelconque du patri-
moine dramatique ivoirien.
Un examen des créations de
l'Ecole aligne des oeuvres de MOLIERE, RACINE, BEAUMAR-
CHAIS, André ABEY, Louis SAPIN ... etc ...
et pourtant,
nous dira Madame JAGU-ROCHE, cela
"ne signifie nullement
que nous nous proposons de transplanter en Afrique un
art étranger" (1).
"En outre
- ajoute-t-elle, comme
(1) Supra, p.~. .}60

. _ - -
o• • _ _ •
_ _ • •
-
-
-198-
pour se justifier d'un programme qui
témoigne bel et
bien dl lI un art étranger ll
-
dans le répertoire théâ-
tral africain actuel, il n1existe pas de pièces dont
on puisse extraire des scènes reproduisant un petit
spectacle en soi-même ll (1).
Evidemment!
Madame JAGU-
ROCHE attendrait, en vain, que les Sénoufos ou les Baoulés
lui fournissent des pièces écrites en vers, avec tirades.
A moins que, par
II r épertoire th.éâtral africain actuel ll ,
elle entende auteurs contemporains, créations contempo-
raines d'oeuvre écrites telles que AMON d'ABY, GADEAU ou
DADIE ont pu le faire?
Certainement pas puisque les
oeuvres de ces auteurs se prêtent aisément à la représen-
tation.
Quoiqu'il en soit, c'est une situation qui
ne manque pas d'exaspérer le public. Aussi, comprend-on
aisément ATTA KOFFI quand il en arrive à dire hautement
dans la presse ivoirienne
IINous n'avons que faire
d'un théâtre d'européen !II (2).
En tout cas, il faut attendre 1967 pour
avoir le sentiment que, pour la première fois, quelque
chose d'important vient d'être réalisé, au plan national,
en matière d'art dramatique. Ce sentiment nous l'aurons
(1) Supra, p.
~rl )60
(2) Fraternité-Matin du 27 juin 1967

-199-
avec l'oeuvre récente de Bernard DADIE
Monsieur Thôgô-
Gnini
que met, en scène Georges TOUSSAINT alors que
BOTBOL est directeur de ;'Ecole Nationale de Théâtre.
Dans l'euphorie générale, on salue l'oeuvre
de DADIE comme marquant le démarrage d'un véritable
théâtre ivoirien. Mais, à l'examen, l'oeuvre reste
encore très marquée par l'influence du théâtre tradition-
nel européen.
Ne l'oublions pas, DADIE est de Bingerville
et de Ponty.
Certes!
son Monsieur Thôgô-Gnini rompt
avec le style de Pont y et du théâtre des centres culturels
d'alors mai~, cette rupture ne s'opère que dans le sens
d'une acquisition plus achevée de l'écriture dramatique
occidentale.
Avec Monsieur Thôgô~nini , on compare DADIE
à MOLIERE,aux
grands classiques français. Mais précisé-
ment, ce n'est pas sur la voie de MOLIERE et des grands
classiques que se trouve, croyons-nous, la réconciliation
d'avec notre génie
dramatique. Monsieur Thôgô-Gnini ,
comme d'ailleurs toutes les oeuvres des dramaturges négro-
africainls actuellls, reste prisonnière de l'expression
théâtraled,u langage dramatique·occidental fondé sur le dialogue,
la verticalité du discours, la primauté du texte.
Et BOTBOL et TOUSSAINT
projetent l'oeuvre d'autant p~us
facilement
dans la cage
de la scène à l'italienne de
nos théâtres que, sans doute, pour la première fois,

-200-
une oeuvre dramatique, une pièce ivoirienne s'y prête
sans faille.
Si Charles BEART, en 1967
,vivait encore
et avait pu voir
Monsieur Th6g6-Gnini, il en aurait
sans
doute été fort heureux mais, il aurait aussi rec-
tifié quelque peu cette affirmation qu'il faisait à
l'Académie des Sciences d'Outre-Mer, en 1962, peu avant
sa mort survenue en 1964, quand il disait, en outre:
"Quand je suis revenu d'Afrique et que j'ai repris contact
avec les grands théâtres parisiens, j'ai eu l'impression
que les acteurs, les meilleurs, avaient appris leur rôle
avec leur tête mais pas avec leur corps, que pour se
pl acer ils 'devaient faire lIeffort, et retrouver dans
leur mémoire consciente la place que le metteur en scène
leur avait assignée. Jamais ne n'avais eu cette impres-
sion en Afrique ... " (1).
BEART aurait quelque peu rectifié cette
affirmation parce que l'Afrique avait changé, et pour
cause, parce que Monsieur Thôgô-Gnini , dans sa représen-
tation et dans sa mise en scène, véhiculait tous les
clichés et les tics du théâtre occidental. On pouvait
(1) BEART - Communication de l'Académie
des Sciences
d'Outre-Mer - O.C. , p. 155

- 201-
mai~tenant jouer comme les blancs, écrire une pièce de
théâtre aussi bien qu'eux.
Sans
nous attarder sur ce problème de
l'écriture dramatique, qui, à proprement parler, sort
du champ de notre travail
et dont l'importance qu'
elle ne cesse de prendre en tant que telle en Afrique
noire nous apparaît également comme le signe profond d'une
certaine aliénation esthétique dans la mesure, où , la
dramaturgie négro-africaine traditionnelle l'atteste, il
n'est pa~ fondamentalement besoin d'un texte écrit pour
créer et développer un art dramatique
signalons qu'
elle est perçue, par les spécialistes eux-mêmes de l~
littérature, à la différence de l'écriture poétique par
exemple, comme fortement influencée par les classiques
frança i s.
N'est-ce pas
ALMUT NORDMANN-SEILER qui
constate dans sa littérature néo-africaine (1) , parlant
des oeuvres écrites de nos dramaturges, que
IItoutes ces
i f
pi è ces s 6nt écri tes dan sun f r anç ais pu r-yé las s i que Il
et
qu' lI e ll es répondent au goût d'un public européen ou
formé suivant les normes européennes de l'éducation 111 •
Pour ce qui est du jeu, les acteurs
de
(1) PARIS, P.U.F., 1976 .(col.
IIQue sais-je 1, nO 1651) .
. " "

... 202,,:,
Monsieur
Thôgô-Gnini avaient oublié l'usage de leur
corps. Ils ne sien servaient plus. L'oeuvre représentée
se réduisait à débiter u~ texte, le texte de DADIE. Comme
dit BEART,
IIIls avaient appris leur rôle avec leur tête"
et
II pour se placer, il devaient ( ••. )retrouver la place que le
metteur en scène leur avait assignée ll •
Il est évident que
dans un tel contexte où l'acteur est doublement opprimé
par un texte et par une mise en scène, dl autant plus
rigide qu'elle impose à l'artiste un style de jeu qui ne
répond pas toujours à son tempérament et à sa sensibi-
lité, nulle place n'est possiole pour une quelconque
improvisation. Or, l'acteur noir, jusqu'aujourd'hui, a
0-/
<St-
tendance ~ vouloir être libre sur la scène, libre de
s'exprimer, libre de se mouvoir.
Les acteurs de l'Ecole Nationale de Théâtre
que nous connaissons personnellement et avec qui nous
avons des contacts permanents nous ont plusieurs fois
confié, au cours de nos conversations, le décalage,
l'incompatibilité qui pouvait exister entre les lois du
théâtre et leur manière propre de s'exprimer dramatiquement.
C'est une véritable situation conflictuelle qu'ils
vi vent quand les autori tés i voi ri enne,4 de l a cu l ture
estiment indispensable de les envoyer parfaire leur

-203~
formation au Conservatoire National d'Art Dramatique
de Paris. Ils ne s'y sentent pas du tout en accord avec
la pratique qu'on leur enseigne et, bien souvent, bon
nombre d'entre eux quittent le Conservatoire avant même
.
la fin du cycle d'études
qu'ils devaient accomplir
parce que, estiment-ils, il n'y apprennent rien, non pas
parce qu'ils sous-estiment la valeur de ce haut lieu de
l'art dramatique français mais parce que, tout simplement,
i l ' se trouve que l'enseignement qu'on y dispense ne les
~
enrichit pas dans le sens d'un épanousssement de leur
prOpre sensibilité dramatique.
Pour en revenir à Monsieur Thôgô-Gnini, tout
le style du jeu des acteurs, dans leur maintien, leurs
allures, traduisait l'expression dramatique occidentale
dans son schéma le plus ortodoxe.
Pouvait-il en être
autrement sous la double pression d'une oeuvre écrite
selon les lois du théâtre et d'une mise en scène exécutée
selon les lois mêmes de cet art?
tout le maintien des
acteurs est figé. Le jeu est intériorisé.
Il passe essen-
tiellement par la parole et le regard, par le visage.
L'usage du corps est accessoire. Le geste est rare. Tout le
jeu contribue à faire reisortir un texte, le texte d'un

-204-
auteur. La musique, la danse et le chant sont systéma-
tiquement exclus de ce jeu dramatique.
Comme disait JOUVET lui-même, cet homme il-
lustre du théâtre français, parlant des oeuvres du réper-
toire français lors d'une tournée en Amérique Latine de
1941 à 1945,
"le moins qu'on puisse dire est qu'elles
(ces oeuvres)
ne sont pas aisément traduisiblefipar
gestes et pénétrables par les yeux" (1).
Monsieur
Thôgô-~nini en était à ce stade.
Le processus d'aliéna-
tion entamé depuis Bingerville était bouclé.
Le vieux rêve de Gordon GRAIG imaginant ce
temps futur où
II nous pourrons créer des oeuvres d'Art du
théâtre sans nous servir de la pièce écrite ll (2) n'est
pas encore venu, pas même après le procès énergique de la
parole au théâtre que fait ARTAUD parce que, aujourd'hui
encore, le théâtre occidental vit sous la, IIdictature
exclusive de la parole" (3), il vit sous
IIl'assujetissement ll
(4)
du texte.
(1) L. JOUVET -
Prestige et perspectives du théâtre fran-
çais - Paris, Gallimard, 1945,p~ 50
(2) E. G. CRAIG
- De l'art du théâtre
Paris, Lieutier,
1942, p. 52.
(3) A. ARTAUD
Le théâtre et son double
- Paris
Gallimard, 1964, p. 58.
(4) A. ARTAUD
O.C., p. 135

-205-
N'est-ce pas Georges JEAN qui écrivait encore
tout récemment que l' "être même" (1) du théâtre, sa
réalité première réside avant tout dans le texte?
Il faut croire que tous ceux qui ont voulu
voir le théâtre occidental rompre d'avec l'hégémonie du
texte, des mots, de la parole, se soient trompés car cette
hégémonie n'est sans doute pas un accident mais une
réalité esthétique profonde.
En tout les cas, la cérémonie occidentale
du spectacle dramatique nous apparaît très éloignée des
productions authentiques que l'Afrique noire peut fournir
en matière de spectacles dramatiques. C'est pour cela
que l'art du théâtre que la colonisation nous a imposé
et que, par
la suite, nous avons adopté nous apparaît
comme un véritable paradoxe esthétique en ce qu'il est
en rupture complète d'avec toute l'esthétique dramatique
négro-africaine, qu'il ne libére pas la véritable
expression de notre génie dramatique et que, par conséquent
il est fessenti comme un véritable malaise aussi bien
chez les artistes que chez le puBlic.
(1) G. JEAN
- Le théâtre
- Paris, Seuil, 1977, collec-
tion
"Peuple et Culture", p. 114.

-206-
Ces conclusions, il est aisé de les vérifier
à l'échelle du monde négro-africain d'expression française,
et peut-être même de toute l'Afrique colonisée.
Le
travail tout récent de NIOZGORSKI nous confirme dans ce
sens, pour le cas du Gabon. En effet, quand il parle de
ce que on appelle si lourdement
ilLe théâtre négro-
africain d'expression française ll ,
NIOZGORSKI constate
IIAprès li indépendance du Gabon en 1960,
l'élite intellectuelle locale voit dans l'écriture
théâtrale un moyen particulièrement approprié et suffi-
sam~ent accessible à tous de faire connaltre ses préoccu-
pations essentielles ... ( ... ).
Les dramatùrges
espéraient
- poursuit-il
que l'écriture, cette nouvelle forme d'expression,
pourrait sauvegarder et transmettre leur culture tra-
ditionnelle d'une façon plus rapide, voire plus efficace.
Cette espérance a été déçue. En effet
remarque NIOZGORSKI
il s'avéra pratiquement impossible de transposer le
langage original du théâtre traditionnel sur une structure
importée. Le répertoire Gabonais d'expression française,
bien que puisant ses sujets dans la tradition, nia donc
pu réellement s'imposer au public ( ... ). Et nous avons pu
personnellement constater
écrit encore NIOZGORSKI
à quel
point leur forme (cell~ du répertoire
négro-

-207-
africain d'expression française)
empêchait les artis-
tes africains de s'exprimer librement.
Les mêmes ac-
teurs,
très à l'aise, voire même métamorphosés par la
danse et le mine, paraissaient gauches, maladroits, comme
enfermés dans un carcan, dans le rôle imposé par
l'auteur.
Par ailleurs
- soulevant ici le problème
linguistique, NIDZGORSKI écrit
la nouvelle génération
des intellectuels gabonais demeure très bostile aux
oeuvres produites en langue française et les conteste
Vi goureusement.
De plus en plus, on se tourne
vers les
langues nationales considérées, à juste titre
souligne
NIDZGORSKI
comme le seul véhicule valable de l'iden-
tité africaine ll (1).
o
o
0
Avec Jean FAVAREL cette situation paradoxale
de notre art dramatique se confirme. Elle éclate même
au grand jour parce qu'une tradition s'instaure durant
toute cette effervescente saison théâtrale ivoirienne, la
saison 1971-1972 , selon laquelle a lieu, au terme de
(1) NIDZGORSKI (D.)
- O.C., p. 216-217.

-208-
la représentation de chaque oeuvre, une rencontre, un
débat entre le metteur en scène et son public. Pour être
positive, cette initiative a sans doute été
doulou-
reuse pour Jean FAVAREL, qui, plus qu'aucun autre de
ses prédécesseurs, a vécu concrètement l'expérience du
.
divorce entre deux cultures, entre deux systèmes drama-
tiques, Jean FAVAREL à qui tous les ivoiriens reconnais-
saient une grande compétence mais A qui ils n'ont pas
caché que rarement ses mises en scène ont passé vérita-
blement la rampe.
Ce qui n'est sans doute pas agréable pour
un artiste. Mais cela faisait longtemps que le public
ivoirien se sentait lésé, fustré et FAVAREL a sans doute
payé pour des gens comme Madame JAGU-ROCHE.
Toujours
est-il que le débat à
toujours porté sur son propre travail
et, A ce niveau, lui aussi, malgré sa compétence, s'est
trè peu soucié du public auquel il s'adressait.
Nous ne parlerons même pas de la leçon de
IONESCO que
FAVAREL, pour clore cette saison et comme
pour dire adieu aux ivoiriens, a lui-même interprété
avec
son assistante Micheline SARTO et qui d'ailleurs
n'a pas donné lieu à un débat.
Ce qui nous intéresse ici ce sont les oeuvres,
les quatre premières de la saison, mises en scène par

-20i-
FAVAREL avec pour interprètes de~ acteurs africains.
Nous ne reviendrons pas sur le cadre de la scène à
l'italienne, inadapté au besoin, chez le public africain,
de participer, et dans lequel se déroulent toutes ces
représentations, ni sur l'écriture dramatique fortement
marquée comme dans le cas de Monsieur Thôgô-Gnini
par
les dramaturges occidentaux.
Pour illustrer notre propos, nous prendrons
deux exemples saillants le cas de la tête et celui de
la tribu.
o
o
0
La tête c'est d'abord un roman dont l'action
se déroule en Côte d'Ivoire ou l'auteur, Pierre BASSON,
a vécu pendant deux ans.
L'histoire?
Paul KEREKO est
un jeune ivoirien de vingt
ans, domestique chez un
français à Bakélé. S'en retournant dans son village il
est en pleine ~rousse attaqué par un malfaiteur; il se
défend et le tue. Paul sait ce qu'il faut faire en pareille
occurence ; il tranche la tête de cet homme, l'emballe
dans du feuillage et transporte avec lui cette chose
pesante et sanglante qui retient prisonnier pour vingt

-210-
quatre heures encore un
"mauvais esprit" ivre de ven-
geance. Mais pour le res~et c'est-à-dire pour le rituel
corn pli qué san s quo i cet
., es prit"
s ' "j nt r 0 dui 1\\4r-fl lui
et
Ille dévorerait du dedans"t Paul doit s'assurer l'aide
d'un sorcier compétent.
Telle est l'histoire que Jean FAVAREL va adap-
ter au théâtre.
art voilà que cette oeuvre qui ose t dès le
départ se présenter comme un
"document de premier ordre
sur le langage et les démarches par lesquels s'expriment
Il
en Afrique t aujourd'hui encore t la "pensée sauvage"
et
la mentalité magique~ se heurte violemment au public
africain dans la mesure où elle ne trouve pas d'écho en
luit et qu'il ne se reconna't
pas à travers cette
((" pen sée s auvag e "
etc e t t e men t a lit é ma g i quei> tel l e's que
les présente P. BASSON.
La tête
est radicalement perçue
par le public ivoirien comme
"une incompréhension de
l'âme africaine" (1). Une oeuvre dramatique donnée véhi-
cule t à travers un langage dramatique précis t un uni-
vers culturel bien dél imité propre à l' auteur t aux artistes
et à son public t une
vision du monde commune aux créateurs
et au public.
Dans son contenu comme dans son langage
esthétique l'oeuvre doit être collectivement vécue t sentie
(1) Fraternité-Matin du 21 décembre 1971

-211-
par le public comme les artistes et ne peut se concevoir et
se créer en dehors des préoccupations
de la sensi-
bilité, des normes esthétiques qui font précisément qui
un artiste et son public communient à une même oeuvre,
r-
.
vibrenensemble.
C'est dire qu'avant.d'aller présenter aux
africains une oeuvre écrite par un non africain et qui
a la prétention de parler à ceux-ci (après, rappelons-le,
un séjour de seulement deux ans en Côte dl Ivoire) de
leur propre univers culturel, de leur pensée profonde,
il importe que l'auteur pénètre cet univers, se mette réel-
lement à son diapason au lieu d'en rester
à des clichés
éculés que l'on continue de véhiculer sur l'Afrique. Le
roman de Pierre BASSON qui a
"passionne" Jean FAVAREL
aurait sans doute eu du succès dans une adaptation
théâtrale en Europe. Il en a été autrement en Afrique.
o
o
0
Ce hiatus au niveau thématique, au niveau du
contenu de l'oeuvre, te l qu' i l a été vécu dans le cas de
la
tête entre les créateurs et le public et qui à litté-
ralement brouillé toute communication, toute communion

- 212~
artistique ne se retrouve pas dans La tribu
de l'auteur
marocain Jean-Hubert SIBNAY dans la mesure où les pro-
5lèmes évoqués par cette oeuvre reflètent davantage les
préoccupations du public dans cette Afrique exposée au
plei n
" sa le il des i ndép end a nc es". Lat r i bu de vrai t d0 ne
1./
accrocher son public. Mais, comme nous le soulignons
déjà,
cette oeuvre, comme toutes les autres, reste for-
tement marquée par la dramaturgie occidentale. Ce que
sans doute FAVAREL a remarqué en choisissant cette oeuvre
pour la seconde représentation de sa saison.
Aussi,
dans sa mise en scène, accentue-t-il les aspects de cette
influence diffuse au lieu de donner à l'oeuvre, de lui
redonner le souffle africain dont il peut manquer.
Le cas de La tribu
est particulièrement
intéressant parce que cette oeuvre avait déjà été montée,
trois ans auparavant, en 1969 par la troupe naissante de
l'Université d'Abidjan et le public, au débat avec FAVAREL
s'est souvenu du travail récent des étudiants.
Et, bien
que le théâtre universitaire soit un théâtre amateur,
l'adhésion du public est allée à la mise en scène de
Louis YAMEOGO le jeune étudiant qui assurait avec beaucoup
de talent la mise en scène de la troupe universitaire
Du théâtre universitaire
à l'Ecole Nationale de Théâtre
l'oeuvre avait changé, de Louis YAMEOGO à Jean FAVAREL,
La tribu
n1était plus la même oeuvre. Que l'oeuvre
prenne un visage nouveau au fur et à mesure de ses créa-

-213-
tions , cela est sans doute positif mais dans la seule
mesure oD elle change dans le sens d'un enrichissement.
d'une émotion plus grande entre l'oeuvre et le public.
Ce qui n'était pas le cas. Et pourtant FAVAREL et ses
acteurs avaient les compétences techniques qui pouvaient
faire
défaut aux étudiants.
Malheureusement la compé-
tence ne joue pas en matière d'art comme en matière de
physique ou d'agriculture.
Et les jeunes étudiants de
l'Université d'Abidjan, parce qu'ils vivaient dans leur
vie quotidienne les problèmes de la tribu, parce qui
ils en étaient p~nétrés autant que le public auquel ils
allaient s'adresser,i1s avaient su communiquer, malgré
leur amateurisme, ce quelque chose d' tndéfinisable,
cette vibration que le public attend de l'oeuvre dra-
matique.
Or, passant à côté de ce qui dans cette
pièce apparaissait fondamental pour les africains, et
que préci5ément la mise en scène de YAMEOGO a spontané-
ment perçu
- c'est-à-dire, la confrontation dans l'
Afrique d'aujourd'hui, l'Afrique indépendante, entre
l'ordre nouveau et l'ordre ancien, entre la ville avec
ses institutions modernes, ses programmes à appliquer,
son langage 5cientifique et la tribu avec ses instit~tio'ns
et coutumes millénaires, son langage hiératique, son

CON
C
LUS
I O N
o
Cl
0

-216-
1
Au seuil de ce modeste travail, nous
étions dominés, i 1 est aisé de le constater, par le souci,
à partir de notre propre expérience, de faire le point
à l'échelle de notre pays,
à
l'échelle même du monde.
négro-africain dont notre pays représentait simplement
un échantillon
sur la situation du
"théâtre négro-
africain"
dit
"mo derne"
ou
"d'expression française ll ,
ce fameux
IIthéâtre ll
qui serait
né en 1932 à l'Ecole
Primaire Supérieure de Bingervi11e, en Côte-d'Ivoire,
et que, nous-mêmes,
à Abidjan, dans la même Côte
d'Ivoire, avons contesté en 1972.
Nous n'avons donc fait qu'un bilan, un
diagnostic au terme duquel nous pouvons dire que le
concept, la notion de
IIthéâtre négro-africain ll
nous
apparalt comme un paradoxe esthétique non seulement au
plan traditionnel dans la mesure où il est faux de
qualifier d'art du théâtre nos propres manifestations
dramatiques, mais
encore
davantage au plan moderne
dans
1a
mesure
où l'adoption de notre part
au

-217-
détriment de nos
propres institutions dramatiques
de l'institution théâtrale nous a progressivement détour-
nés de tout notre héritage dramatique ancestral et au-
thentique en le réduisant au mimétisme et l
la singerie
du t~éâtre occidental.
Dans la mesure où la notion de théâtre ne
traduit pas les manifestations spécifiques de notre
génie dramatique, ('adoption de cet art lui-même à entraî-
né chez les Africains une rupture d'avec leur génie
propre.
1 1
En face de telles conclusions, les perspec-
tives d'avenir ne sont pas évidentes. Elles font inter-
venir des facteurs multiples dont celui
politique
n'est pas le moindre.
Toutefois, ce que nous souhaitons ardemment,
au niveau modeste de ce travail, c'est qu'il puisse
contribuer à une prise de conscience, co~ribuer à faire

-218-
démarrer, chez les professionnels du spectacle comme
chez les théoriciens, une discussion saine, un travail
de recherches et d'élaboration toucnant aux différents
aspects de notre génie dramatique.
En un mot, si ce bilan, ce diagnostic
contribuait à engager une réflexion commune permettant
de déboucher sur une refonte
et une réhabilitation de
notre Art dramatique, notre but serait atteint.
Refonte et réhabilitation nous apparaissent
en effet comme les deux axes essentiels autour desquels
doivent converger nos efforts. Refonte, d'une part, dans
le cas des structures en place actuellement, tel
l'Institut National des Arts, calqués sur le
modèle
français de l'enseignement artistique en général
et
dramatique en particulier
et véhiculant bien souvent
même, cet enseignement, et réhabilitation, diautr~ part,
de certaines de nos institutions dramatiques les plus
spécifiques pour témoigner au monde et à nous-mêmes de
nos valeurs propres, malheureuseemnt trop délaissées.

-219-
III
Pour notre part, dans la perspective d'une
refonte possible de la situation actuelle de cet art
dramatique négro-africain, nous avons proposé
comme
nous l'expliquions à l'entrée même de cette étude
- et
cela, en nous inspirant de l'art du griot Mandingue, la
notion de
IIGriotique ll ,
en tant qu'institution dramatique
devant se substituer à 11
institution théâtrale importée
et devant ainsi nous permettre, à l'intérieur d'un cadre
approprié et original, de nous réconcilier,
avec
notre
génie propre.
Aujourd'hui, au
terme de
ce modeste travail, avec le recul du temps et par-
delà notre propre expérience,
la
IIGriotique ll
nous
apparaît même comme, d'une part, l'aboutissement d'un
long malaise esthétique qui, depuis Bingervile et Gorée,
ronge notre art dramatique et, d'autre part
,comme la
prise de conscience, à un moment historique donné, de
la nécessité concrète de guérir cette" désintégration.
La
IIGriotique ll
est,
véritablement, l'expression,
le témoignage d'un malaise général
nous avons pu
nous en rendre compte
le malaise de notre expression
dramatique
négro-africaine étoufée et figée à l'intérieur
des règles dra~atiques importées et léguées par la
colonisation.

-220-
L' idée de l a
Il Gr i 0 ti que Il
tend donc
tout simplement à la récUpér~tion, ~ussi totale que
possible, de notre souffle et de nos valeurs dramatiques
propres.
Certes !
il faut le dire
nous ne
rêvons pas à un passé bel et bien révolu de l'Afrique.
Nous sommes parfaitement convaincu que notre génie
dramatique aujourdlhui ne sera jamais ce qu'il était
hier, ce que d'ailleurs nous sommes loin de souhaiter
de façon béate.
Mais, ce que nous croyohs, fondamentalement)
sans nostalgie aucune, clest que la vitalité aujourd'
hui de ce génie, sa valeur réelle nous commandent de ne
pas
nous détourner systématiquement de ce qulil était
hier sous prétexte d'une
universalité fictive de ll"art
du théâtre.

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fi
(Traduction et commentaires de René SIEFF~RT.
1.
1
1

TABLE
DE S MATIERES
t
l-
r
1
1
,

-230-
Pages
INTRODUCTION..........................................
10
Des motivations de la thèse. '
Le texte
de 1972.
La problématique, fondamantale.
Objectif du travail et démarche générale.
Situation de la Côte d'Ivoire.
Au sujet des sources.
CHAPITRE PREMIER
DE LA SENSIBILITE NEGRO-AFRICAINE DANS SES TRADUC-
TICINS DRAMATIQUES.....................................
21
PREMIERE PARTIE.
-
THEATRE ET CIVILISATIONS NEGRO-AFRICAINES
TRADITIONELLES..................................
22
1.
-
LE THEATRE EN AFRIQUE
COMME UN ART
ANCIEN...............................
23
Les oponions de DELAFOSSE,
LABOURET
et' Bakary TRAORE
1I. -
LE THEATRE EN AFRIQUE COMME UN APPORT
DE LIOCCIDENT COLONISATEUR •••..•••.••
31
Les 0 pin ion s de ~,;RpW'T~A U,X., BEA RTe t
Robert CORN EV1~~:-~~\\V:
fv,~
".'..
,'IV
t~ A
\\
.;.. ~I'vt [:
,
III. -
LET HE AT RE EN, A':F R1QUE~:-_ JAR TAN CIE N
\\",:'- \\
/
OUA PP 0 RT DEL ":~5:I~.("\\~/(?,~('A~~:;.••.. " •.••
39

;~, ')e'l1'3r'tS·~


1.
Examen Crltlque=â.e.s oplnlons
formulées
1.1. - Autour d'une définition
du théâtre.

._----_..- --_.
-231-.
pages
1.2. - Jugements anticipés et
'incertains.
1.3. - Problèmes terminologi-
ques
1.4. - A propos de Bakary
TRAORE
2. -
Le théâtre en Afrique noire
ni art ancien ni apport de
lloccident.
DEUXIEME
PARTIE.-
DU GENIE DRAMATIQUE ~EGRO-AFRICAIN............
84
1.
-
MANIFESTATIONS SPECIFIQUES DU GENIE
DRAMATIQUE NEGRO-AFRICAIN...........
85
1 .•' -
Le Kôte-Kômanyagev
2. -
Le Sougounougou
3. - Liart de conter
4. -
OKRO NOMEL et la Volta Blanche
II. -
ESQUISSE D'UNE C~ITERIOLOGIE
ESTHETI-
QUE DU GENIE DRAMATIQUE NEGRO-
AFRICAIN.............
122
1. -
La synthèse
2.
-
Le rytme'
3.
~
LI Improvisation
4.
La participation
5. -
Le lieu de la représentation.

-232-
Pages
CHAPITRE
II
LE THEATRE NEGRO-AFRICAIN
142'
PARADOXE OU VERITE ESTHETIQUE
?
.
PREMIERE
PARTIE.-
RAPP EL HI STaR l QUE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
143
1. -
NAISSANCE.DU THEATRE IVOIRIEN..... ...
143
II. -
LE THEATRE IVOIRIEN DE L'ECOLE
WILLIAM-PONTY........................
149
III. -
DU THEATRE INDIGENE, AU THEATRE DES
NATIONS..............................
151
IV. -
LE THEATRE DES INDEPENDANCES...
158
DEUXIEME
PARTIE.-
LE THEATRE NEGRO-AFRICAIN
PARADOXE OU VERITE ESTHETIQUE?
167
1. -
BINGERVILLE
NAISSANCE OU RECUPERA-
TION
?............................
. 167
II. -
WILIAM-PONTY
: COURR01E DE TRANSMIS-
SION DES VALEURS DRAMATIQUES OCCIDEN-
TALES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
171
III. -
LE THEATRE NEGRO-AFRICAIN
UN PARADOXE ESTHETIqUE...............
186

-~--.
."._..
-- .._-~•.....__. -,-- ------_._- '--- ._-. '._-.-.•
-233-
pages
CONCLUSION
215
La notion, le éoncept de
"théâtre" ne traduit pas, au
plan du discours théorique, les manifestations spéci-
fiques du génie dramatique négro-africain.
Au plan pratique, l'adoption de l'Art du théâtre nous
a progressivement détournés de notre génie dramatique
propre. -
Les perspectives d'avenir.
La
"Griotique" comme solution à la situation paradoxale
de l'art dramatique négro-africain.
1
ri
1