UNIVERSITE
DE ;PARIS
VII
, .: FACUL TE
DES
LETTRES
ET
SC 1ENCES
HUMAI NES
DEPARTEMENT
DE
SOC IOLOGI E
' .. .
"
THE
S E
DOCTORAT

CYCLE
DE
SOC IOLOG 1E
PRESENTE
PAR
K E K E H
ROHAFODAYE
KOFFI
S
U
JET
LA
THERAPEUTIQUE
A TRAVERS
LA
RELIGION
DANS
LA
MEDECINE
TRADITIONNELLE
AFRICAINE
"La recherche d'un ordre du.corps dans une ère culturelle africaine"
PROFESSEUR
J.
DUVIGNAUD
ANNEE
1980 - 1981
. ' ....

\\,\\
\\
\\
\\
l"
~~1
A mon professeur Jean DUVIGNAUD a qui je rends hommage
pour avoir su me guider depuis le début jusqu1a ce stade
qui n1est que le départ d'une carrièr~ de sociologue.

1
1
.~
.
.
l 1
L.1
Au Professeur
NAM E R qui a bien voulu accepter de faire
partie du Jury, et m'aider ainsi à mieux voir les lacunes
qu'une telle recherche ne manque de dissimuler et que j'aurai
à combler par la suite dans mes recherches ultérieures.

A ma famille qui m1a tout donné et à qui je ne rends que
ce modeste témoignage de ma reconnaissance et de mon dévouement.

.~
\\
A
V A
N T
PRO
P
0
S

A Monsieur AYr,
émminent botaniste, ethnopharmacognosiste
que j'ai eu à rencontrer plusieurs fois au cours de mon
séjour d'étude à Lomé, et à qui je rends un chaleureux
homage pour l'aide qu'il m'a apportée dans la réalisation
de cette recherche.

\\\\
A mon professeur Pierre FOUGEYROLLAS, mon directeur de thèse
qui a bien voulu mettre à ma disposition toutes ses connais-
sances sur le sujet, en plus de son expérience personnelle
du vécu du terrain au Sénégal pendant une dizaine d'années.

- 8 -
A V A N T
PRO P 0 S
\\
D'aucuns pensent qu'il faudrait promouvoir une certaine
politique de réintégration sociale des Africains face aux
multiples facettes du "European Way of l ife". Pour preuve
la négritude par Ci, le retour, et plus près de nous, le
recours à l'authenticité. Il ne faudrait tout de même pas
se voiler la face.
Il suffirait de regarder autour de nous, dans nos villes
et dans nos campagnes pour nous rendre compte de la survi-
vance des comportements que certains qualifiaient encore de
fétichisme, de sorcellerie, et qui en fait constituent une
conception du monde, une philosophie différente.
Il serait absurde que certains intellectuels Africains
culturellement "constipés " par l'occident essaient de dévoyer
leur problème en croyant que l'Africain a renié ses origines
pour adopter un mode de vie que la propagande bourgeoise ne
cesse de nous assenner.
En fait il n'y a que nous, petits intellectuels bourgeois,
en mal de culpabilité, abrutis par une école qui depuis des
années nia cessé de nous replatrer culturellement, avec le
principe de l'universalité de la culture européenne, pour croire
dans un sursaut d'orgueil que la culture africaine court à sa
perte si nous ne faisons rien. Si nous ne faisons rien pour
... / ...

- 9 -
\\
nous mêmes, nous courrons à une batardise culturelle.
Il suffit de regarder autour de nous pour nous rendre compte
que les "autres" n'ont pas besoin de nous, de notre culture,
de notre instruction.
Aussi, le but de cette recherche, n'est pas de promouvoir
une médecine traditionnelle africaine qui n'a vraiment pas
besoinde notre contri but i on pour continuer à soi gner 1 'homme
comme elle lia toujours fait depuis les temps les plus reculés.
Nous avons voulu simplement apporter notre contribution,
en éclairant une "technique" qui parce que négligée et ignorée
de la culture occidentale, est reléguée dans le domaine du
simple accessoire magique.
Notre préoccupation est de montrer les liens intrinsèques
qui soutendent cette conception du monde, cette vision de
l'homme qui, parce que différente de celle qu'inaugure l'aire
de la médecine moderne, devrait préoccuper encore plus le
médecin africain de formation européenne.
Pour que le médecin africain ne devienne pas un dictateur
de type colonial qui imposerait sous le couvert de la rigueur
scientifique et de l'efficacité une médecine qui ne soignerait
que des organes et ne tiendrait pas compte de la réalité de
l'être total qui caractérise la culture africaine, il faudrait
que quelque chose soit fait. Notre contribution sera d'expliquer
les différentes facettes de la médecine traditionnelle pour que
... / ...

- 10 -
\\
la rupture ne soit pas trop radicale, car nous reconnaissons
l 1 importance et l'efficacité de la médecine moderne dans nos
pays ; mais quand on sait que le rapport médecin-malade
est souvent de 1 pour 10 000, il faut être objectif et
conséquent. La médecine moderne, c'est bien, la médecine
traditionnelle, c'est aussi bien ; la.J,o,l~~?bo~tion entre
""'\\CAII '- (]t~;;~.
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les deux, c'est encore mieux.
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Et comme l' aff i rment souvent cea-paysans qUl6'.:·
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hospitalisés n'hésitent pas à demander'·le-~:;.W·~ de tradi-
praticiens par parents interposés
"La"médeéine du blanc
soulage, celle du Noir guérit".
Les raisons qui nous ont motivé dans le choix de la
côte du Bénin sont multiples.
Essayons d'en énumérer quelques unes
- Les influences réciproques que l'on constate en par-
ticulier dans cette région de l'Afrique, nous obligent à nous
rendre compte que les frontières culturelles ne peuvent être
fixées d'une manière rigide et stricte comme les frontières
géographiques.
- Les pays de la côte du Bénin, où se sont développés
des royaumes avancés ayant eu
de nombreux contacts extérieurs,
ont connu une évolution religieuse particulière. A côté des
cultes des ancêtres et de la terre, on y a vu se développer
.. '/ ...

- 11 -
le culte des ancêtres royaux, les mythes des héros, les
grands dieux secondaires munis d'un clergé, de couvents et
d'initiés.
- Nous référant au dicton: "le pharmacien et l'empoison-
neur ont fa i t 1es mêmes apprentissages Il ; nous nous sommes
demandé pourquoi cette région réputée dans sa tradition
d'empoisonneurs ne pouvait nous fournir aussi de grands tradi-
praticiens dont l'étude des techniques nous permettra de rendre
compte d'un ordre du corps que nous essayons de présenter dans
cette étude.
- Les raisons de commodité liées au fait que, appartenant
nous-mêmes à cette aire ,culturelle, celle-ci nous semblait plus
accessible (facilité ou difficulté supplémentaire dûes à notre
appartenance à l'un des groupes en quest ion ?).
Dans cette recherche, l'étude de la réligion et de la
médecine sera toujours replacée dans celle d'ensembles sociaux,
parce que l'on ne peut comprendre le sens d'un élément sans le
remettre à l'intérieur du tout. C'est fondamental dans une pers-
pective sociologique qui se veut explicative et pas seulement
descriptive. On pourrait évidemment se contenter de traiter des
faits en eux mêmes et découvrir une série de traits fort intéres-
sants, mais une telle démarche se rapprocherait plutôt d'une
étude phénomènologique (ex: phénoménologie de la réligion) ce
qui ne nous expliquerait pas pourquoi la médecine est inséparable
... / ...

- 12 -
de la tradition religieuse antérieure au christianisme.
Ce qui nous intéresse c'est de découvrir les multiples inter-
actions entre la religion et la médecine dans les groupes
culturels étudiés et d'en déterminer si possible les méca-
nismes par lesquels la religion exerce des fonctions parti-
culières sur le phénomène de guérison et les médiations
par lesquelles cela s'effectue.
Le facteur religieux est envisagé en tant qu'élément
à significations sociologiques dans l'ensemble social.
A la fois représentations et pratiques, la religion est un
phénomène complexe qu'il s'agit d'analyser au moyen d'un
appareil conceptuel adéquat. Rappelons que nous la définis-
sons comme une représentation symbolique permettant de
créer un sens en référence avec une réalité surnaturelle,
cette dernière étant définie comme telle par le groupe.
Concernant l'écriture des noms yoruba, fô et eve
il faut remarquer que les noms ont été transcrits, au temps
de la colonisation, selon les principes des alphabets
français, allemand ou anglais. La transcription que nous
utilisons ici suit les principes de l'alphabet phonétique
africain qui utilise les accents aigü et grave pour marquer
le ton haut ou bas de chaque syllabe (l'accent composé
grave aigü (1) pour indiquer le ton modulé montant) et
réserve un signe spécial à chaque son (1).
(1)
cf. GUEDOU Georges A. "Xo et Gbè : langage et cul ture
chez les Fon". Paris, 1976 ; Thèse de 3è cycle
Centre de linguistique africaine.

- 13 -
Les voyelles
i
e
(n~3)

(s~pt)
a
?
(pQrte)
0
(mgt)
u
(ou)
Les consonnes sont les suivantes :
b, c , d, dy, d, f, î , g, gb, J, h, j, x, kp, 1, m, n, ny,
p, r, s, t, ty, v, v, w, y, z.
Nous utiliserons les sons ty (français "tch") et dy ("dj")
pour rester proche de la transcription standard eWé qui
les marque respectivement tsy et dz , (cf."Westermann").

- 14 -
l
N T R 0 0 U C T ION

- 15 -
L'Européen, avant même d'essayer d'observer, d'écouter,
de comprendre l' homme Noi r, a décidé que c ' éta it un esprit
faible, naif enfantin, incapable de quoi que ce soit.
Sans doute raisonnait-on souvent comme Colberry qui au
XVlIIè siècle écrivait dans son livre "Fragments d'un
voyage en Afrique". Paris 1802
Tome 2
Page 347. (1)
"C'est là (dans la grande case de réunion) que se
réunissent des .coteries de nègres qui passent des journées
entières à fumer, à jouer, mais surtout à causer, et à
faire des contes et des histoires ... Car les contes les
plus absurdes, les histoires les plus mensongères sont le
souverain délice et le plus grand amusement de ces hommes
qui parviennent à la vieillesse sans être sortis de l'enfance".
Ainsi parlait-on du matériel oral, cet élément sociolo-
gique fondamental pour une approche scientifique des connais-
sances des sociétés sans écriture.
En effet tous les observateurs s'accordent à reconnaître
l'utilité du matériel oral dans la connaissance de la vie,
des moeurs et la pensée de chaque société africaine. La
richesse de ce matériel tant sur le plan de sa structure que
sur le plan des différents thèmes utilisés nous amène à nous
demander si l'absence de l'écriture dans ces sociétés n'a
pas exigé un travail de longue haleine sur le matériel oral
pour permettre une meilleure retransmission des traditions
africaines.
(1) : Extrait du livre de M. COLARDELLE.
DIARRA SOUSA "le lièvre et l'araignée dans les contes
de l'Ouest Afr ic ai n"
Collection
10.18.1975.

- 16 -
Dans ces sociétés qui nlont rien fixé par écrit, le
matériel oral reste une source essentielle de compréhension
du mi lieu soc i al, des modè l es soci aux, des mythes, des
structures sociales. Ce matériel oral ne doit pas seulement
être traité comme une oeuvre littéraire mais aussi et
surtoùt comme un matériel sociologique. Car en fait, au
lieu d'y voir simplement les manifestations d'une littérature
folklorique, nous pensons au contraire qu'il s'agit de défini-
tions, de commentaires, de théâtralisations, de références et
d'allusions aux structures sociales, à la société globale.
Le conte est une définition, une expression, une
critique, une justification des cadres sociaux réels; il
traduit certains types d'agencements sociaux, de réactions
sociales significatives, de situations sociales. C'est aussi
une forme de théâtre et de sociodrame dont le but est de
jouer
la société.
Par cette théâtralisation donc, le conte permet la libre
expression des conflits sociaux et par le jeu de l'ironie et
de la critique sociale, le conte assure une part déterminante
dans l'éducation du citoyen et la formation de sa conscience
civique et morale.
Ce n'est pas parce que ces valeurs ne sont pas identiques
aux valeurs occidentales qu'il faut les nier. Chaque peuple
a le droit d'avoir l'éthique qui lui convient. Les valeurs
.. '/ ...

- 17 -
nègres sont exclusivement des valeurs ancestrales
respect de la tradition à tous les niveaux, culte des ancêtres,
justice, hospitalité, solidarité, respect des lois du groupe
et soumission à une hiérarchie. Il s'agit d'une morale
pratique qui indique à l 'homme comment il doit vivre et se
conduire au sein de la société; la paix et l'équil ibre de
la communauté étant le but suprême. Mais ce n'est pas seule-
ment sa moral e que l'Afrique a cri sta 11 i sée dans ses contes,
mais son passé, ses croyances, ses coutumes, bref sa civili-
sation est avec elle, le génie de sa propre race.
Qu'en est-il de la médecine traditionnelle?
Très longtemps aussi, le rationnalisme occidental nous
a décrit la médecine traditionnelle africaine comme une
technique assimilant les différents aspects de la thérapie
à des rituels religieux sans fondement médical; ignorant
les bases élémentaires indispensables à toute connaissance
médicale, ces médecins qu'on appelle trop souvent des
"guérisseurs" (et que nous désignerons sous le terme de
tradipraticiens) ne pouvaient que modérer certains troubles
sans jamais arriver à les contrôler totalement.
En fait cette vision se situe parfaitement dans l'op-
tique de la politique de dénigrement systématique de tout
ce qui constitue la culture du colonisé. L'occident a donc
très vite compris l'importance du médecin traditionnel qui,
parallèlement à sa fonction thérapeutique, remplit des
... / ...

- 18 -
fonctions religieuses, politiques, économiques et sociales.
Diminuer son audience, c'est ébranler sa puissance. C'est ce
que la médecine moderne tente de réaliser depuis plus d'un
siècle.
La recherche en pharmacopée africaine nous semble
empreinte d'Un risque,celui d'un appauvrissement considérable
de la très riche médecine traditionnelle; car si la récupé-
ration du guérisseur (thérapeute) ne se fait que par ses
plantes, elle ne peut avoirque le sens d'un pillage.
La maladie n'est pas que maladie d1un corps, mais
maladie d'un être humain, maladie d'une société, maladie
d1une cosmogonie; la maladie est rûpture et la thérapeutique
ne peut être que réintégration dans l lêtre propre, dans le
groupe, dans la cosmogonie.
Notre Problématique
Comment l'homme religieux passe-t-il de l'expérience
du désordre à la conviction plus ou moins ferme d'un ordre
fondamental?
ou la recherche d'un ordre du corps, dans
une aire culturelle africaine.
Nous aborderons quatre grandes parties dans cette
étude.
Dans la 1ère partie
Nous montrerons
par l 'histoire de peuplement,
l'analyse du cadre physique et humain, le cadre socio-culturel,
... / ...

- 19 -
L
la similitude de la culture des yoruba, fa, évé. Nous n'irons
pas jusqu'à affirmer une identification avec une culture
d'origine qui serait celle des yoruba, celle-ci
ayant été
différemment assimilée selon différents critères que nous
analyserons.
La seconde Partie esseyera de présenter
Le facteur religieux en tant qu'élément à signification
sociologique dans l'ensemble social. A la fois représentations
et pratiques, la religion est un phénomène complexe qu'il s'agit
d'analyser au moyen d'un appareil conceptuel adéquat. C'est
aussi une représentation symbolique permettant de créer un
sens en. référence avec une réalité surnaturelle, cette dernière
étant définie comme telle par le groupe.
En fait, essayer de circonscrire la religion en
Afrique dans les limites d'une problématique usée (sous les
termes d'animisme, fétichisme, sorcellerie, totémisme,
ancestrisme) parait tout simplement absurde, car c'est lui
enlever sa véritable signification. La religion sans être
tout, pénètre tout; elle fournit en effet les éléments
explicatifs de la création du monde et des hommes, de leur
situation par rapport à ce qui les entoure (mythes d'origine,
cosmologie), elle justifie l'organisation soc ic-po l itique
de la société, elle détermine les facteurs économiques,
elle accompagne l'individu de la naissance à la mort en
jalonnant les principales étapes de la vie par des rites de
... / ...

- 20 -
passage; elle maintient en outre la continuité des groupes
familiaux par le culte des ancêtres, enfin, elle offre les
moyens d'accéder à la connaissance supérieure (celle qui
révèle les forces cachées qui régissent le monde, les indi-
vidus) à travers la divination, les pratiques magiques ...
Aze, Ebo (que la pensée occidentale définit comme la sorcelle-
rie) est dans la société africaine une forme d'intervention
dans la pratique sociale, en ce qu~il y a d'accusations qui
ne sont ni arbitraires, ni indifférentes; en ce qu'Aze
intervient à certaines occasions d}!1,$)les~~ra;pports sociaux.
(1'~:\\~'~" 1
. 1 - '.
C'est une institution, qui, entf.~;tenant l'ang~is~e et donnant
fi< 1r f, 1\\il F
\\ ~ li
l'espoir, exprimant et contrôlal~6 Q_es':G1es+rls~et.iJ~es rapports
~~ \\
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sociaux, sert en définitive à repJ~au~a s~è}été.
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S~~"L
~~+." (/1.(::.
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\\
~ >~'''_P\\''C /'
Ce que les i ndi vi dus arri vent à percevo~ù'G-;à'''';'lravers Aze,
Ebo, c'est l'état de leur personne ou de leur corps:
c'est la maladie, la mort, la santé, la réussite, l'échec,
l'angoisse, l'espoir. Ainsi est masqué le mécanisme réel du
fonctionnement du système social et celui-ci se reproduit.
Nous aborderons enfin les différents points énoncés
dans cette définition de l'O.M.S. (Organisation Mondiale de
la Santé) :
"Le guérisseur traditionnel (tradipraticien)(1) est une
personne qui est reconnue par la collectivité dans laquelle
(1)
ajouté par nous.

- 21 -
elle vit comme compétente pour dispenser des soins de santé,
grâce à l'emploi de substances végétales, animales, minérales
et d'autres méthodes basées sur le fondement socio-culturel
et religieux, aussi bien que sur les connaissances, compor-
tements et croyances liés au bien être physique et mental ainsi
qu'à l'étiologie des maladies et invalidités prévalant dans
la collectivité ...
Cette troisième partie essayera de faire ressortir à
travers un schéma de consultation par Afa (le phénomène de
Divination), la clef de l'efficacité thérapeutique en mon-
trant la démarche fondamentale par laquelle le tradiprati-
cien tente de saisir la maladie dans sa totalité, c'est-à-
dire en tant que phénomène de la nature et en tant qu'expé-
rience socioreligieuse.
La quatrième étape abordera la médecine traditionnelle
dans ses rapports avec la médecine occidentale.
Comment
peut-on rendre son propre langage à cette médecine alors
que les cultures africaines qui en sont le fondement sont
mortellement·menacées par la culture occidentale qui
morcelle l'homme aussi bien que la plante et l'univers?

- 22 -
Il)
Il)
ff
REM 1ER E
Il -
ART l E

- 23 -
CHAPITRE l
HISTOIRE DU PEUPLEMENT DE LA REGION
Parmi les soudanais qui occupent surtout l'Afrique
Occidentale, le long de la côte du golfe de Guinée, certains
semblent avoir appartenu naguère à une même race:
les peuples du bas Togo et du Dahomey (actuelle République
du Bénin), les Yoruba du Nigéria.
Malgré l'éloignement géographique, l'intérêt que nous portons
à ces peuples nous renseigne assez sur la grande similitude
des moeurs, des pratiques religieuses, etc ...
Les traditions unanimes des principaux groupements qui
peuplent actuellement le bas Dahomey (R. P. du Benin) et le
bas Togo, indiquent clairement que leurs ancêtres sont venus
de l lEst, et permettent de localiser quatre étapes successives
dans leur marche vers l'ouest.
1.
Le pays Yoruba à l loues t du fl euve Ni ger au Ni géri a.
2.
La région de Kétu, au Dahomey (R.P.B.), région située
à 110 km de la mer et à 25 km à l'est du fleuve Ouémé (1).
3.
La ville fortifiée de Tado située à environ 100 km
de la mer et à 12 km à l'est du fleuve Mono.
4.
La ville fortifiée de Notsé (2) au Togo (localité
(1)
cf. carte
( 2)
nwatyé
... / ...

- 24 -
située à environ 90 km de la mer et sur le chemin de fer
allant de Lomé à Atakpamé).
Dtores et déjà, nous nous rendons compte que les
frontières culturelles ne peuvent être fixées d'une manière
rigide et stricte comme les frontières géographiques, à
cause des i nfl uences réci proques, que l'on constate en
particulier dans cette partie de l'Afrique, car les con-
tacts furent toujours étroits et ininterrompus entre les
différents groupes culturels.
Si nous tenons compte du fait qu'aucun document écrit
ne remonte aux siècles qui précèdent l'arrivée des anciens
Portugais dans le golfe du Bénin en 1472, et que la mémoire
collective n'a pu conserver jusqu'à nos jours une liste
généalogique complète qui remonte jusqu'à cette époque
ancienne, il est cependant possible de reconstituer approxi-
mativement l'histoire des premiers siècles de notre millé-
naire en comparant les traditions de ces trois peuples.

- 25 -
LES
YORUBA
Aborder 11histoire des Y~r1b~ depuis ses origines
est une tâche ardue qui n'est pas notre propos. Nous signa-'.
1erons simplement les étapes les plus significatives qui
.
, , /
ont tenu une place spéciale dans la Vle du peuple Yoruba
conditionnant ainsi une grande partie de sa pensée, formant
une partie de ses mythes, de ses légendes et de sa philosophie.
L'origine des Y~r~ba se pert dans la légende; ainsi
selon les traditions ytr~b~, rapportées par le pasteur
africain Samuel JOHNSON(1), clest la ville dlIfê, capitale
religieuse de tout le pays yoruba, qui doit être considérée,
comme le centre de dispersion de la plupart des populations
comprises entre le Niger et la Volta. Selon JOHNSON, les
princes ytr~b~ seraient originaires d'Arabie, ils auraient
été expulsés de leur dernier habitat antérieur par les
musulmans. Il affirme en outre que les habitants de Gogobiri
(le Gober) et de Kukawa (Koua1a, sur la rive Sud-Ouest du
1 \\
,
lac Tchad ) , ont les les mêmes tatouages que les yoruba et
leur sont apparentés.
Aussi est-il curieux de lire dans le livre de
Maurice ABADIE (2), que les traditions de Goberaoua, aussi
bien que celles des touba du Bornou, affirment que leurs
(1)
JOHNSON Samuel "History of Yurnba " London 1921
(2)
ABADIE Maurice "La colonie du Niger" Paris 1927

- 26 -
anciens princes étaient originaires de l'Arabie. On peut
évidemment se demander si, dans ses traditions orales,
l'Arabie ne désigne pas simplement la vaste région islamisée
s'étendant à l'est du lac Tchad; cependant, il n'est pas
permis de nier à priori que les fondateurs des familles
règnantes ne puissent être des fugitifs originaires d'Arabie,
qui, après avoir imposé leur autorité aux populations au
milieu desquelles ils s'étaient réfugiés, se sont rapide-
ment métissés, au point de perdre les caractéristiques du
type arabe !!!
N
-f -
l
d . t .
l 'b 1
Od'd / ,
ous en re erant à
a tra l lon yoru a,
u uwa,
après s'être enfuit d'Arabie, alla fonder la ville d'Ifê,
au Nigéria, et devînt le grand-père de sept rois qui se
partagèrent toute la région. Le sixième, Ol~-p~pé, obtint
la région des P~pt, au bas Dahamey (R.P. du Bénin), ainsi
que les perles précieuses du trésor laissé en héritage
par Od~d6w~. Clest Orânya, le dernier des petits fils
d'OdJd~a, qui obtint en partage le pays d'Ifê, ce qui lui
valut le titre d'Alafi (maitre de la maison).
Par la suite, Orânyâ fonda la ville d'Oyo-Adj~k~ (l'ancien
Oyo) qui devint la capitale politique de tout le pays y~r~b~,
et donna, semble t-il son nom aux habitants yJ~r~b~.
,.,
Al'
Parce que Oranya avait obtenu le trône ancestral d'Ifê,
il devint de ce fait le bénéficiaire de tous les présents que
ses frères, les rois des provinces exterieures, devaient
... / ...

- 27 -
envoyer chaque année, selon la coutume, pour participer aux
,
1 1
frais des cérémonies en 1 'honneur de l'ancêtre commun Oduduwa.
A propos de cette tradition qui fait venir d'Arabie les
ancêtres des ytr~b~, il convient de rappeler que la région
d'Ifê est très riche en souvenirs archéologiques dont 1 'ori-
gine n'est pas encore expliquée: obélisques de granit aux
formes rares (le plus grand: la stèle attribuée au roi Oranya,
a un fût de près de quatre mètres de hauteur qui présente la
particularité d'être incurvé et qui en outre est ornée de bas
en haut par des rangées de clous de fer dont la tête est formée
par un enroulement en spirale de l'extrémité de la tige)
statues humaines de granit en 3/4 de grandeur, dont les cheveux
sont des clous de fer à tête en spirale; tous des objets qui
témoignent à la fois du souci du détail et du fini du travail.
Les y~r~b: attribuent leur origine à un ancêtre commun
,
/
,
Oduduwa, considéré comme un patriarche venu de l t es t qui,
devenu roi du pays, fut regardé par son peuple comme son
ancêtre. Avec le temps, ses attributions allèrent jusqu'à
, , ,
faire de lui une divinité. Actuellement, Oduduwa est considéré
comme un dieu ou comme une déesse, selon les lieux.
, , ,
Le fait que dans certains endroits, Oduduwa soit du sexe
féminin peut être interprèté comme une preuve du fait que
... / ...

- 28 -
l
. t -
ë
l
'b' f
-
b
-
-
a SOCle e yoru a
ut, a un moment,
asee sur un systeme
matriarcal.
Selon un mythe très répandu, OdSd6w: est le fils de
"/~.
A
Olodumar~ (d1eu supreme) envoyé par le ciel pour créer la
terre; la déesse de l ·océan Olukun, fut son épouse.
Un de ses fils Orirnya règna sur la terre, exigeant un
tribut de ses frères.
La première période fut donc (celle de ces rois myt.h i ques
et de ces héros déifiés) celle durant laquelle gouvernèrent les
rois fondateurs de la nation y6r~b~. Oduduwa est, comme nous
l'avons déjà dit, l'ancêtre de la race, personnage mythique,
.
~ 1 ,
\\
f11s d'Olodumart
dieu du firmament qui règne sur tout ce
qui existe. Il fut roi à une époque difficile à définir
dans le temps: on lui offrit des sacrifices humains quand
il mourut et il fut déifié.
Selon une autre tradition, Oranya, 7è fils d'Od~d~w~,
successeur sur le trône, fonda Oyo, mais transféra sa rési-
dence à Oko. On appela AHUAM et ADJAKA deux fois sur le trône.
Shango ou Olufuran, frère d'Adj~kir et fils d'Oranya fut le
4è roi et un des plus célèbres. Il amena les autorités du
gouvernement à résider à Oyo ; il se montra un roi puissant,
décidé, craint et despotique. Il se suicida et fut immédiate-
ment déifi comme le dieu du tonnerre.
. .. f ...

- 29 -
Adjaka lui succéda et règna pour la seconde fois; avec lui
se termine la période du règne des héros mythologiques.
La période suivante fut une époque de prospérité et d'op-
pression durant laquelle le pouvoir se consolida et les
rois ne furent plus déifiés à leur mort.
Durant la période dite des rois historiques, vécurent
et règnèrent ceux qui donnèrent une splendeur unique au
,
~ \\
royaume Yoruba. Il semble que très peu de souverains soient
morts de mort naturelle. Symbôle de la vitalité de son
peuple, le roi était désigné pour une pé~iode de sept ans
en réalité il s'agissait d'un septenat de gouvernement qui
pouvait être_renouvelé, mais aussi abrégé dans le cas où les
facultés physiques ou mentales du souverain déclinaient,
menaçant la prospérité de son peuple. Dans le dernier cas un Conseil
d'anciens, vieillards ou notables, lui envoyai t une coupe contenant
des oeufs de perroquet; c'est-à-dire une invitation à se
supprimer. Parfois, quand le roi devait mourir pour des
raisons politiques, cinq hauts fonctionnaires partageaient
son sort, une de leurs épouses, l a rei ne-mère et l a mère du
prince héritier, souvent même jusqu'à ce dernier.
On prétendait ainsi ne pas permettre aux souverains de
mourir comme le commun des mortels.
La mort nécessaire du roi était une forme mystique
d'équilibre, une compensation à l'absolutisme .
.../ ...

- 30 -
Vient ensuite une période durant laquelle les guerres
intestines s'étendirent sur tout le territoire.
Afin d'éclairer le problème de l'origine des aj~ et
des Evé , il apparaît indispensable de préciser l'extension
du terme IPOpO" ; d'après les indications des traditions
locales, nous savons que les habitants de Porto-Novo,
originaï"re de Tad~ sont appelés G~-nu, expression qui
signifie gens de Gû.
~\\',.,
-
Remarquons qu'en Yoruba, Ogun est a la fois le dieu
de la guerre, des guerriers, des chasseurs, des forgerons
et tous objets en fer, particulièrement les armes de guerre.
Un guerrier est appelé "01' Ogun" ou bien "Djà-gun". S'il
est établi que les fondateurs de Tado furent des guerriers
.
1
\\
1
....
chasseurs, c'est probablement dans ce radlca1 Yoruba "Gu"
qu'il faut rechercher l'éthymo1ogie de l'expression "Gu-nu",
qui signifierait alors: "1 'homme du dieu de la guerre, de
la chasse et du fer".
Ces différentes indications nous incitent à conclure
,
,
,
,w
qu'aux yeux des yoruba, les mots: Adja, Gu , Po po sont
des termes désignant
globalement leurs visions de l'Ouest
considérés comme les émigrés du pays Y~r~b~~

- 31 -
N
Les
Fo
Les F~ qui font l'objet de notre étude constituent
les groupes ethniques Fa des régions d':gbomi
(actuel Abomey)
.....
,
\\
capitale historique du royaume de daxom'
(république populaire
du Benin).
Les Fb const ituent l'un des groupes ethn i ques les plus
importants de l'actuelle République populaire du Benin.
ft'
La légende dit que les fondateurs du royaume Fo
d'Agbomt
étaient originaires de la ville de ~j~-t~db d'où ils seraient
venus, après une querelle de succession, sous la direction
du prince làdi
avec qui ils se sont installés après une
l
- ~l'd'
ongue errance a a a a.
La tradition orale situe sur les rives du fleuve Mono,
l'origine des royaumes d'Al~d~, d'Abomey et de Porto Novo.
, ,
~ . ~
Ce royaume-mère est connu sous le nom d'aJa_tado. Sa capitale
était t~d~. Sa population était devenue si nombreuse que ses
ressources ne pouvaient plus suffire à tous les habitants
certains durent donc partir pour s'installer ailleurs .
...
,~
Voici en substance quelques éléments de cette légende
où se cotoienthistoire, mythe et épopée.
La légende rapporte qu'une des filles du roi de ce
royaume d'àjà-ddt appelée "à li gbb np", étant allée au
marigot avec les jeunes filles de son âge, vit surgir une
.../ ...

- 32 -
panthère, (Kp~). Contrairement à ses compagnes qui prirent
toutes peur et se sauvèrent, la princesse garda son sang
froid et se laissa aborder par la fauve. La panthère eut
des rapports sexuels avec elle et quelques mois plus tard
un garçon naquit qu10n appela ~g~s6, ce qui signifie lit-
téralement "époux de la pros t i tut ion".
Ce fils illégitime au regard de la loi endogamique,
était né mi-homme, mi-animal. Il fut élevé sans discrimina-
tion majeure à la cour de son grand-père : le roi de Tàdo. Il
devint un homme fort, grand, particulièrement viril et cou-
rageux, mais malheureusement toutes ses qualités laissèrent
indifférentes toutes les filles de T~d6 qui refusèrent de
T'épouser . Sa mère dut lui donner en mariage une de ses
propres tantes.
De cette union, il eut de nombreux enfants forts et
-
, , \\
,
1
vigoureux appeles agasuvl "fils d'un époux de prostitution".
,
1
..
\\
,
A la mort du roi de Tado, les enfants d'agasu manifestèrent
ardemment le désir de monter sur le trône de tado. Une
\\
...
,
1
.
_
querelle de succession éclata et les agasuvl trlompherent
du prince ~jf candidat à la succession, par leur force
physique et leur courage extraordinaire qui leur viennent
de leur naissance animalo-humaine. Celui qui tua le prince
~ja'
\\
, ..
,
tira de
cet
épisode le surnom de aja tu t" Il
tueur
d'~jill. La replique violente des partisants du roi ~j~ ne
se fit pas attendre.

- 33 -
\\
\\
Les
'"
agasuvl, sentant le danger d'extermination qui. les
menaçait décidèrent de s'enfuir de t~d~. Ils traversèrent le
fleuve Mono emportant avec eux les restes de leur ancêtre
agasu (mort entre temps), son tabouret, sa lance et un de
ses instruments de musique. Cet épisode fournit une expli-

\\ . \\
~
Il

l ' ,'11
catlon au nom moqueur aJac~
valncus par
es aJa
que
donnèrent plutard les Nago (VtrJbt) à leurs descendants
installés sous la direction de Zocédi gbé
dans la région
de Porto Novo.
Sous la conduite de lad,
"bête résistante" le tueur
du prince ~j~, les fugitifs gagnèrent un village qui reçut
le nom d'àlàdà. Ce nom viendrait de la phrase vè d~ lt
IIIls
ont commis une perfidie".
1 1
"
d
" ' " 1 d
"
, \\
.
A
arr-ivee
es agasuvl
ans la région d al ada ; qu t
devint la capitale d'un royaume très important sous le nom
du royaume d'Ardres par les européens depuis 1610, une
querelle de succession au trône éclata entre les quatre
,
,
pet its fil s que lai ssa le premi er successeur de lad~ aja1utJ".
- M6ji
devint roi d'àl~dà.
'"
'"
Tè-agba li, l'aîné, rejoignit le pays de sa mère où
il fonda Porto Novo.
Les descendants d' ~g1s~ àjà l ut; entrés en contact avec
les autochtones de ces lieux appelés les gèdèvi, fondèrent
sous le règne d'Ak~b~, daxàm~ et sous celui d'Ag[jt la ville
, , ...
d'Agboxom~
(Abomey) : capitale présumée
soigneusement
..../ ...
"~'~

- 34 -
fortifiée, cette ville devint le point de départ de nombreuses
conquêtes qu'entreprendra par la suite ce petit état belliqueux.
Discipliné et doté d'une armée redoutable ce petit royaume
se rendit très vite célèbre par ses remarquables institutions
politiques et ses troupes d'amazones.
La même légende qui s'appuie sur une longue tradition
histotique, ajoute qu'au temps deVwègbàjà, les immigrés
d'àj~-tàd6 s'étaient heurtés à la résistance d'un chef autoch-
tone du nom de da. Ce dernier, en effet, s'inquiétait des
empiètements de cet "expatrié" royal, qui, par ruse, par diver-
ses alliances et par des coups de force, visait à conquérir le
pays des àwèsù-doko, une des familles règnantes chez les
autochtones: les gédévi.
Exaspéré par de nouvelles et incessantes demandes de
terrains, le chef des gédévi aurait dit à son hôte: "Bientôt
tu finiras par vouloir étendre ton palais jusque dans mon
ventr-e",
La remarque vexa profondément le roi àkàbà.
Il fit immédiatement mettre à mort le chef dr et fit passer
les remparts de son palais dans les entrailles du brave
..,
gédévi : le pays des Fo
tira de ce "glorieux" évènement son
nom :

xo
mi.
/dâ'
/
ventre
/
intérieur:
"dans le ventre de da':
.../ ...

- 35 -
Les
Evé
Comme nous l'avons déjà montré, les peuples qui habitent
la savane du Benin, du bassin inférieur du fleuve Volta à la
vallée de l'Ouémé, forment une aire culturelle qui a son
lieu d'origine dans le royaume de Tàd6. Cette ville garde
depuis une dizaine de siècles le patrimoine ancestral de la
civilisation Aj~. Elle fut le foyer d'expansion des peuples
Fô et Evé.
Selon Roberto PAZZI, "recherche sur l' hi stoi re des
peuples Aj!, Evé, Gfn et Fa, depuis les origines jusqu'au
siècle passé", Lomé 1973 "il est (cependant) possible de
reconstituer approximativement l'histoire des premiers
siècles de notre millénaire en comparant les traditions des
, ,
trois peuples issus de Tado qui habitent notre aire culturelle
depuis le siècle de l'époque ancienne (avant 1472) : les
Hwèni au Nord, les Xwèdà-Xwèdà (souvent transcrits Pla-Péda)
~
\\
au littoral et les AY1Z~ entre les deux. En remontant les
grandes étapes de cette migration, on est amené à croire que
la naissance du peuple Adja à T~dt doit se situer aux
environs de l'an 1000 (1)".
"Il semble, d'après les éléments recueillis dans notre
enquête, que la naissance du peuple Aj~ se situe à la rencon-
tre de deux groupes civilisateurs: les immigrés d'oyo et les
Alu qui se prétendent autochtones donc antérieur aux Y~rbb:.
(1)
cf. R. PAZZI, ouvrage cité
pg. 25.
.../ ...

- 36 -
Les uns apportèrent leur organisation politique, les autres,
leurs techniques du fer. Sous l'aspect religieux, les
croyances des uns et des autres fusionnèrent dans une
spiritualité originale que fit la caractéristique et la
force du royaume des Aj~ (1)11.
IIAu 16è siècle, quand le littoral des Xwlà-Xwèdà
s'ouvrait aux rapports avec l'Europe et l'Amérique, deux ..
nouvelles migrations s'éloignaient de Tldé, pour aboutir
à la fondation du royaume indépendant,
~watyé à l'ouest,
et Alàdà à l'est (2) :
Comme nous l'avons déjà montré, le royaume d'Alàdà
eut son époque d'or au 17è siècle quand naissait le
royaume des FO, fusion des anciens Gédévi avec le clan
Agàsu d'origine Ajà.
La tradition des Evé de !Jwatyé attribue la fondation
de la ville au chasseur A~ty~, qui aurait quitté T~dt
pour chercher une nouvelle patrie à son clan. Il devait
être poussé par une urgence grave, pour enfreindre l' in-
terdit ancestral qui avait arrêté jusqu'à ce moment à la
ri ve gauche du MJn"
l'avancée des Aj~.
Mais d'abord qui sont les Evé ?
Dans son ouvrage : "Di e Ewé Stammer", Berl in, 1906,
le pasteur Spieth, prend soin de nous faire remarquer qu'au
(1)
cf. PAZZI
Page 37
(2 )
cf. PAZZI
Page 42

- 37 -
sens premier, le mot Ewé (1) est un terme géographique
caractérisant le relief du sol et signifiant la "plaine".
C'est par extension que ce mot a été utilisé pour désigner
globalement tous les habitants de la plaine du Togo. La
plaine du Togo s'étend d'est en ouest, entre la zone lagu-
naire du bord de la mer et la région montagneuse de l'in-
térieur. Il est probable que le radical "WE" se trouve dans
le mot "we-da" qui désigne les habitants de la région de
Ouidé, au Dahomey; ainsi que dans le mot "we-me" qui dé-
signe la région comprise entre la rivière So qui coule du
Nord au Sud, en face de Cotonou, et la rivière Yewa, qui
se jette dans la lagune en face de Badagry.
La plupart des populations de la plaine sont apparen-
tées entre elles; cependant, pour rendre compte de leur
parenté, il ne suffira pas d'invoquer leur nom de Ewe (2)
qui n'a rien d'une étiquette ethnique et qui peut être
l'occasion de graves confusions; mais il leur faudra, ou
bien prouver leur communauté d'origine à partir d'un centre
commun de dispersion tel que Nuadja, Tado, etc ... et aussi
à partir d'un même ancêtre commun, ou bien démontrer la
communauté de leurs coutumes et traditions familiales.
(1)
Transcription fournie par le Pasteur SPIETH et que
nous respectons dans cette partie qui se réfère à son
ouvrage. Nous supposons que cette transcription se
rapproche plus de la prononciation allemande.
(2)
Transcription du pasteur SPIETH
... / ...

- 38 -
Le pasteur SPIETH après une large enquête auprès des
anciens de la région de Ho, au Togo Britanique (Ghana),
nous dit que les Dogbonyigbo (ou Dogbo), les B', les A'Olo,
ainsi que les Ho, les Akoviewe, les Kpanoe, les Sokode,
les Abutia, les Klewe, les Adaklu, les Kpado, les Kpalime
- -
sont tous originaires de ~watye. Ainsi, à cause de leur
provenance de 0 wa tye, tous ces groupements méritera i ent
le nom "üuatch i " qui désigne encore actuellement les habi-
tants de la région de~watyé
mais ce mot est souvent utilisé
par les Mina d'Anécho comme un terme de moquerie à l'égard
d'un paysan primitif aux manières rudes ou gauches, si bien
que les groupements nommés ci-dessus n'aiment point qu'on les
désigne sous cette étiquette ethnique qui éviterait pourtant
bien des confusions. Ils préfèrent être appelés "Ewé".
L'extraordinaire accroissement démographique de !lwatyé,
qui formait un royaume indépendant de Tado, ne pouvait man-
quer de susciter entre les deux villes une tension qui éclata
à la fin du 16è siècle à cause de l'immigration des A"lo.
~
"
,
Les ADlo sont un groupe d'origine Yoruba, venant de Kétu
, ,
et qui aboutissent à Dogbo, où ils entrèrent en contact avec
les futurs Fa (qui venaient de quitter Ttdà pour s'établir à
Alàdà). Ils y connurent en même temps les Xwlà qui venaient
d'établir leur centre à l'embouchure du Mtn,. Les A 10 quit-
tèrent Dogbo, vers la moitié du 16è siècle et demandèrent
hospital ité aux Evé du 'lwatyé.
.../ ...

- 39 -
Lorsque le roi Ag)k~l{ prit la décision de bâtir
la grande enceinte de remparts, les ADlb collaborèrent avec
les autres Evé à cette entreprise qui se révélait une
mesure de protection urgente. La ville était sous la
menace d'invasion des populations du Nord, refoulées
par l'expansion du royaume Songa; de Gao.
Quand la muraille fut édifiée, les populations de
~watyé apprirent que les Marocains, après avoir traversé le
Sahara, venaient d'abattre la puissance de Gao dissolvant
ainsi le grand empire de Songa; en 1591.
Ainsi, pendant plusieurs générations, la concorde
règna dans la cité; mais à la suite de l'augmentation de la.
population, des rivalités naquirent et une crise d'autorité
se produisit. Le Mécontentement devint tel que la plupart
des collectivités familiales décidèrent d'abandonner une
ville qui de refuge et de protection, était devenue pour
eux une odieuse prison.
Sel on Jacques BERTHO ( 1) on trouva it à cet te époque à
~watyé non seulement les Ouatchi proprement dit, mais aussi
les émigrés de D~gb6, ancêtres de B6 et des A~l~, ainsi que
les Ho, les Kpândo et les Kpalimé.
(1)
BERTHO Jacques: "La parenté des Yoruba aux peuplades
du Dahomey et du Togo"
Revue Africa XIX
2 Avril 1949.

- 40 -
Les fugitifs trop nombreux durent se partager en
plusieurs groupes qui prirent trois directions principales
- Le premier groupe, les D~gb~ (Dogbonyigbo), prit
la direction du Sud et fonda dans la région lagunaire
(qui devint le territoire des A~lô) les villages de Kliko,
Gapé, Wétf, Woé, Tavia, Tokoé, Tanygban Kéta, Dzélukopé,
A)lo, Atiteti, Tegbi (1).
Plutard, les émigrés de Kéta devaient fonder les
villages de Badugbé, Akoda, Zalivé, Atsukopé, Anyronkopé
entre BE et Anécho. Ce sont également les A'lô qui établirent
les villages de Viépé, Avoémé, Avékutimé, Avéghui, les
centres de Tsévié et de Bê. Les gens de Tsévié créèrent
ensuite les villages de Wulli, Bolu, Asomé, Gblavié et
Dadavié. De leur côté, les gens de Bê édifiaient les villages
de Lomé, Togo (Togoville) ... Agoéyivé, Baguida.
- Un deuxième groupe prit la direction du Sud-Ouest,
et fonda les villages de Ho, Hévé, Dômé ...
- Le troisième groupe prit la direction de l'Ouest et
fonda les villages de Guin, Elavagnon, Kpando, Kpalimé,
Agu, Kpétsi ...
(1)
Transcription standard Evé
.../ ...

- 41 ...,
Il importe de bien remarquer que les migrations que nous
avons indiquées ci-dessus, n'ont que la valeur d'un schéma
qui ne peut pas rendre intégralement compte d'une réalité
beaucoup plus complexe. En effet, nous trouvons d'une part,
de nombreuses ramifications de populations, parlant encore
une langue Yoruba à peu près pure, avançant à travers le
Dahomey (Benin) et le Togo jusque dans l'Adélé.
D'autre part, nous rencontrons de nombreux villages
composés presque uniquement d'Aj~ ou de Fa dans tout l'Ouest
du Togo, établis à côté des villages fondés par des émigrés
de ~watyé, dans toute cette région de l'Ouest allant
jusqu'à la ligne de chemin de fer de Lomé à Atakpamé.
Sans nier pour autant la valeur relative du schéma de
répartition des populations que nous avons présenté pour
la région sud du Nigéria, du Dahomey (R. Benin) et du Togo,
Il faut reconnaître néanmoins que nous nous trouvons en
réalité en présence d'une telle interpénétration des dif-
férents groupements qu'il est absolument impossible d'éta-
blir une frontière ethnique ou linguistique en un point
quelconque du territoire occupé actuellement par les
groupements originaires de Tado, depuis le fleuve Ouémé
jusqu'à la Volta.
... / ...

- 42 -
Nous avons pris le risque de présenter ici, un résumé
particulièrement simplifié de cette importante tradition
historico-légendaire des peuples Fô, Y6r~b~, Evé, avec les
modifications qu'un tel risque implique. Que les historiens,
spécialistes en la matière, nous en excusent, car si
simplifier permet parfois d'être mieux compris, cela
consiste aussi à prendre le risque de ne pas répéter
inutilement ce qu'on peut trouver plus amplement et
peut-être, mieux exposé ailleurs.

- 43 -
CHAPITRE
II
l -
CADRE PHYSIQUE ET HUMAIN
A/- Le Milieu Naturel
1)- Le Climat
On rencontre dans cette région, quatre saisons plus
ou moins marquées
une grande saison des pluies, dès le
milieu avril et une grande saison sèche à partir de novem-
bre, séparées par deux saisons intermédiaires; la pre-
mière plutôt sèche et la seconde un peu pluvieuse. Clest
le type même du climat sub-équatorial caractérisé par une
humidité relativement forte et constante qui fait place
pendant la saison sèche à l Iharmattan, un vent frais et
desséchant qui souffle de la direction N-NE sur toute
l'Afrique occidentale. Il entraîne des masses d'air chaud
et sec venant du sahara qui, en traversant le sahel se
détendent et se raffraichissent considérablement. Il se
fait sentir surtout pendant la période de décembre à
janvier.
La température varie selon les saisons; elle se
maintient cependant à un niveau assez élevé (moyenne
annuelle entre 25° et 28°).
.../ ...

- 44 -
L'hydrographie reste concentrée autour du système
lagunaire qui capte les eaux des innombrables rivières de
la vallée ou devalent les pentes montagneuses. Ces régions
devraient normalement jouir ~'un climat de type guinéen
(abondance de pluie et une végétation luxuriante).
Ce climat n'est effectivement réalisé que dans les régions
montagneuses. L'examen de la carte de pluie de quelques
régions du Togo montre un net minimum pluviométrique:
Atakpamé
412 mm
Sokodé
384 mm
Tsévié
018 mm
Aného
846 mm
Lomé
776 mm
... / ...

- 45 -
2)-
Le Relief et la Végétation
La côte, d'aspect bas, sablonneuse, bordée de dunes,
semble presque rectiligne sans aucune sinuosité, ni de
sites défensifs.
Vient ensuite une zone lagunaire frangeuse et marécageuse,
se présentant sous forme d'une série de lagunes et de
plaines basses.
Un peu à l'intérièur, on rencontre le début de la plaine
sédimentaire ou "terre de barrel! signalisée par la présence
de palmiers à huile, de forêt-galeries et de grands maré-
cages.
La végétation est de type savane boisée.
.../ ...

- 46 -
B/-
Le Milieu Humain
Avant toute chose, il nous semble opportun de préciser
qu'à l'intérieur de cette zone délimitée, nous ne prétendons
N I ,
1
pas rencontrer que des Evé,
Fo
et Yoruba.
En effet, on trouve des populations allogènes qui clament
toujours leurs originalités par rapport aux Evé, Fo,
l
'b 1
A
' t
t '
dl At
Yoru a, eux-memes, n accep ant pas
OUJours
e re
identifiés entre eux.
1) -
LI Habitat
Cons i déré sous l 1 angl e du matéri au, l' habitat dans
cette région fait partie intégrante du paysage géographique.
L'habitat se présente en général sous la forme de conces-
sions closes d'un mur dont la hauteur n'excède pas celle
d'un homme. A l'intérieur du mur de clôture, et souvent
faisant corps avec lui, sont réparties plusieurs cases à
une ou deux chambres; le nombre des habitats individuels
est en principe lié à l'étendue de la famille et à la
composition des ménages. Les cases ont rarement d'autres
ouvertures que la porte qui donne su~ la cour intérieure,
avec une petite fenêtre. Le sol de la cour intérieur est nu,
soigneusement balayé chaque matin. Le matériau le plus
couramment utilisé pour l'habitat traditionnel est la
"terr-e de bar-re" pétrie. C'est à partir de juillet, que
... / ...

- 47 -
le travail de constructions se fait le plus aisément. On
élève les quatre murs jusqu'à deux mètres environ, en
réservant des ouvertures pour l'entrée et pour une ou deux
fenêtres. Traditionnellement, le toit devait être de chaume,
matériau parfaitement isolant, qui exige un long et patient
travail d'assemblage des jeunes pousses ou tiges d'arbustes,
nouées ensemble à l'aide du raphia pour former une sorte de
claie sur laquelle est accrochée la paille.
La majeure partie des habitations conserve la couleur brun-
rouge de la terre. L'habitat traditionnel ne comprend pas
d'étages.
On remarque ainsi que si l t hab i tat dans cette région a
conservé son aspect traditionnel, il a quand même évolué
suivant trois étapes différentes :
1.
Habitat construit avec de la paille et des piquets
de bois, murs et toit5 compri s , ce qui impliquait
de fréquents incendies.
2.
Ossatures en piquets de bois que l'on consol i dait
ensuite avec la "terre de barre" (arg il e ) .
3.
Cases entièrement en argile, sauf le toit.
Le mobilier simplifié à l'extrème, reste très sommaire
- La natte: il y en a deux espèces
aba:
réalisé par une seule rangée de joncs.
tchatcha
constitué de vrais morceaux de joncs
moins dur sur le sol.
.../ ...

- 48 -
- Les sièges formés de troncs d'arbres débités en
morceaux.
- Les tabourets taillés par des artistes
menuisiers.
- Les calebasses.
- Les pots en terre cuite servant de récipients, jarres,
marmites, plats, etc ...

- 49 -
2)-
Les activités économiques
a. - Agriculture
Par l'agriculture, activité la plus importante et fonda-
mentale dans l'économie, les Yor~b: établ issent les contacts
les plus intenses et les plus larges avec leur milieu géo-
graphique. Delà viennent tous ces aspects de la culture
liés
à l'exploitation et au culte de la terre qui caracté-
risent une grande partie de la société ydrùbt.
Les Y~rtb: furent jadis de grands cultivateurs qui
sont partis de techniques rudimentaires pour ensuite ar-
river jusqu'à la culture à la houe. Il n'a pas été possible
de retracer clairement tout le cheminement; on constate
seulement aujourd'hui la présence, en un certain sens
ancienne, d'instruments de labour en fer, fabriqués avec des
techniques particulières.
Les cultures principales sont l'igname, le cola, la
banane, la noix de palme, le maïs, le manioc et les arachi-
des; le maïs, le manioc et l'arachide ont été importés
d'Amérique à l'époque de l'esclavage.
Le palmier à huile est considéré comme "l'arbre de vie"
cette considération s'étend sur toute la région du sud de
l'Afrique occidentale, d'où le palmier à huile est originaire.
Les contacts avec d'autres parties du monde, apportèrent des
cultures variées et importantes; la patate douce, la papaye,
.../ ...

- 50 -
le tabac, le melon, l'ananas et la tomate entre autre, int ro-
duits par les portugais qui apportèrent aussi la canne à
sucre, l'orange et le citron: toutes ces nouvelles cul-
tures s'intégrèrent rapidement à celles déjà existantes et
finirent par faire partie du milieu naturel en perdant leur
origine étrangère.
L'agriculture traditionnelle des Ytr~b~ possède cer-
taines caractéristiques et particularités, qui dérivent du
milieu géographique et qui se traduisent concrètement en
modèles institutionnàlisés se rapportant à la propriété de
la terre, aux techniques de culture; en somme, à tous les
models institutionnalisés par la tradition qui régissent et
règlent l'économie fondée sur l'exploitation.
La famille régit la propriété de la terre: elle exerce
le contrôle de la distribution des champs à cultiver, elle
est la gardienne de la sécurité économique de la communauté
et cimente sa solidarité. Tous les membres mâles d'une même
famille d'ascendance patrilinéaire travaillaient ensemble
durantl'année agraire, dirigés et supervisés par les plus
vieux d'entre eux. Les femmes du groupe participaient aussi
au système d'activités notamment en ce qui concerne les
occupations domestiques.
, , ,
1
Actuellement, on distingue entre Yoruba du Nord et
, ,
\\
Yoruba du Sud dont les systèmes de parenté et de propriété
de la terre différent. Au Nord, la terre est la propriété
des agnats, qui constituent un groupe fermé et solidaire
... f ...

- 51 -
de telle sorte que les conflits individuels liés à la propriété
de la terre se transforment en conflits entre les groupes de
parenté.
Au sud le système dominant est celui des cognats. Le groupe
peut être dispersé ou fixé sur un territoire.
En théorie, ce groupe est ouvert, de telle sorte qu'un même
individu peut appartenir à plusieurs lignes de cognats. Ainsi
les problèmes de la terre se résolvent plutôt par la parti-
cipation de l'individu à l'intérieur du groupe susceptible de
se convertir en propriétaire, que par la solidarité d'un
seul groupe de parenté.
Malgré certaines différences dans la structure politique
et sociale, la famille, unité culturelle, demeure la base de
la propriété de la terre; les détails varient d'un lieu à
l'autre et il y eut sans doute certains changements au moment
où les lois indigènes reçurent l'impact des idées et des
lois étrangères.
Les Fo, accordent une importance particulière à la pal-
meraie qui constitue d'ailleurs la caractéristique principale
de l'agriculture. Cet ordre est menacé par l'introduction de
nouveaux plants sélectionnés et répartis dans les plantations
modernes et dont la production est plus rentable que la palme-
raie (très ancienne), cette dernière produit moins. Un autre
fléau qui menace l'ancienne palmeraie est l'abattage excessif
et incontrôlé provoqué par une très forte consommation de vin
de palme. A côté des oléagineux (palmiers à huile et arachide),
... / ...

- 52 -
des .céréales (mais et mil), des tubercules (ignames, manioc,
taro,
patates douces) et des plantes maraîchères (tomates,
gombos, haricots, piments). Il faut ajouter les bananes, les
oranges, le citron, les mangues, les papayes, etc ... qui ne
constituent pas une culture à proprement parler: les arbres
fruitiers sont la plupart du temps plantés à proximité des
cases ou dans les concessions.
Parmi une population d'origine fa, spécialement dans la
région d'Abomey, la plupart des champs cultivés et des planta-
tions de palmiers à huile appartiennent à des communautés
familiales et sont gérés par des chefs de collectivités.
La cueillette ne constitue presque jamais un apport
alimentaire intéressant, ce sont en général les enfants qui s'y
adonnent, ramassant des baies et des feuilles qui entrent dans
la préparation des aliments. Un certain nombre d'espèces végé-
tales possèdent en effet des vertus curatives indéniables et
remplissent en même temps des vertues rituelles importantes.
b.-
Elevage - Chasse
Chaque famille possède non loin des demeures, un en~
clos où sont élevés chèvres, moutons et porcs, qui peuvent
circuler librement, tout comme les volailles (poules, dindes
et canards) et ne réclament aucun soin particulier .
.../ ...

- 53 -
La tradition orale parle de la chasse comme d'une
, , ,
1
ancienne activité des Yoruba. Les animaux communément
chassés sont: les rats, les écureuils, quelques variétés de
singes, certains oiseaux et des animaux sauvages, comme le
buffle, le l ion, le léopard, l'hyène et l'éléphant.
La chasse en groupe est encore pratiquée de nos jours.
Outre les flèches et les massues, on utilise aussi les pièges
pour les animaux ; ces pièges sont en fer et de différentes
tailles; ils servent à attraper depuis les souris jusqu'aux
léopards ou lions. Il faut tenir compte aussi des incendies
naturels ou provoqués pendant la saison sèche. au cours des-
quels le chasseur attrape les animaux qui restent cernés par
l'incendie dans les bois.
Pendant les activités de chasse, le cycle lunaire a une
profonde signification dans les comportements et pratiques
des chasseurs. Ceux-çi acquièrent au cours de leur activité,
des connaissances approfondies sur les plantes et les ani-
maux. Leur situation sociale à l'intérieur du groupe est très
considérable, car la profession de chasseur est traditionnel-
lement respectable. De leur savoir. on a pu obtenir de
précieuses recettes médicales pour traiter les maladies et
infirmités connues. C'est sûrement la raison pour laquelle
les chasseurs forment une grande partie des herboristes et
tradipraticiens. Comme le dit Mr. AYI
(voir le respectueux hommage que nous rendons à ses travaux)
... / ...

·- 54 -
"Au Togo, l'origine de l'art de guérir, bien que différemment
interprètée par chaque ethnie, résulterait des observations
des premiers chasseurs. Ceux-ci auraient constaté pendant
leurs moments d'a ffûts que des animaux ma l ade s se nour r is-
saient, et se nourrissent assurément encore, de plantes
choisies uniquement à des fins curatives, et revenaient régu-
lièrement à ces végétaux jusqu'à leur guérison complète ll •
Chez les F~ il semble que la chasse soit avant tout
une affaire individuelle, même si les rites qui l'entourent
sont accomplis collectivement par les associations de chas-
seurs. Tout comme d'autres activités en rapport avec la
nature, la chasse s'entoure d'un certain nombre de prati-
ques rituelles, d'actes symboliques et de prohibitions ou
interdits.
Les techniques de chasse comprennent en général le
piégeage, l'affût et la poursuite. Les instruments ou armes
utilisées à cet effet se composent du piège (Fica), du baton
de jet cerclé de métal (gbenakpo) servant à briser les pattes
des animaux pour les immobiliser; la lance (Xwâ) , le poi-
gnard
(dekpe ou y i vi ) , enfin l'arc (da) et la flèche (ga);
rarement le fusil (tu) (1).
(1)
tous ces noms soulignés proviennent du vocaublaires Fa.
.../ ...

- 55 -
c.-
Les activités annexes
La pêche est une activité secondaire dans l'économie.
On utilise les méthodes traditionnelles de l'empoisonnement
des eaux et l'emploi des pièges. On parle aussi en vidant
l'eau des petites surfaces avec des calebasses. La pêche
se pratique non seulement dans les rivières, mais aussi
dans les lagunes et dans les bras de fleuves.
On y trouve entre autre
- La pêche à l'hameçon.
- La pêche au
filet
dormant
ou filet
fixe,
munis
de flotteur
de bois et lesté
de gros cailloux, immergé
le soir à la profondeur désirée, et relevé
le lendemain
matin:
- La pêche de nuit. Elle se pratiquait, en mer, soit
en tenant une torche en main, et en harponnant, à l'aide
d'un trident, le poisson qui se laissait attirer par la
lumière; soit en allumant un feu au centre de la pirogue
(les côtés de celle-ci ayant été percés de quelques trous
pour laisser filtrer l'éclat de la braise ou des flammes),
et en harponnant le poisson de la même manière .
.. ./ ...

- 56 -
Les industries artisanales
Un autre aspect assez important de l'économie est cel ui
des industries artisanales. Ces industries demandent des
matières premières d'origines animale, végétale et minérale.
1.
Le tissage: clest une industrie traditionnelle qui
emploie des hommes et des femmes et dont les matières premières
sont des végétaux: le palmier utilisé pour fabriquer des nattes
de toutes sortes servant à la construction des toits et des
portes de cases, et le coton dont on se sert en outre pour la
teinture et la confection des vêtements.
2.
Le tannage et la teinture
dépendent surtout des .
produits animaux. L'activité principale dans ce domaine est
la confection des sacs, des vêtements et d'autres articles
d'usage général.
3.
La forge: les métaux en constituent la matière
première. Les pierres de diverses sortes sont utilisées pour
les moulins manuels et d'autres instruments du mobilier
domestique.
4.
La poterie
constitue une des industries tradition-
nelles dans lesquelles les femmes ont un rôle prédominant.
Pour caractériser la société Ytrùb~, il est indispensable
de tenir compte du fait qu'elle repose sur un niveau de forces
productives plus avancé que celui de la société tribale .
.../ ...

- 57 -
L1agriculture (et accessoirement la chasse et la pêche)
constitue la source essentielle de la production sociale.
Les activités agricoles et l'emploi des outils en fer ont
élevé la productivité, rendent possible un excédent écono-
mique. Cet excédent a permis la division du travail,
l'existence de métiers spécialisés et même l'accroissement
du commerce. A son tour ce dernier a conduit à la société
de classes. Car les peuples qui ont développé les grands
marchés commerciaux ont formé les premiers grands états
l
,
1
c'est le cas des Yoruba qui déjà du temps des états de
Ifê et du Bénin (au Nigéria), produisaient des oeuvres d1art
dont le matériel (le métal) était importé .
. ../ ...

- 58 -
rr-
CADRE socro-CULTUREL
rl serait intéressant de présenter un aperçu sommaire
de l'organisation sociale privilégiée dans cette région.
La population est souvent concentrée dans les diffé-
rents quartiers ; chaque quartier regroupant un certain
nombre de lignages (home), ou les descendants d'un même
1 lignage. La cellule familiale de base du quartier et fina-
lement de toute la ville est le home qui regroupe un cer-
tain nombre de familles descendant ou se réclamant d'un
ancêtre commun. Chaque home est dirigé par ses patriarches
parmi lesquels le plus vieux et le plus influent fait
figure de chef de lignage.
A la tête du quartier, le chef de quartier K3mefia est
choisi suivant sa personnalité et son influence, parmi les
chefs de lignage.
Mais dans les moments d'insécurité et de désordre, il peut
être directement nommé par le roi.
Cette structure verticale de la hiérarchie politique
sériait les attributions et responsabilités à chaque niveau
le chef de lignage dirige les différentes cellules familiales
de son groupe, juge et règle les différents familiaux tels
(les querelles, vols), organise les fêtes (mariages) ou les
funérailles, préside les cérémonies de culte des ancêtres;
autrement dit, il est responsable de son groupe .
.../ ...

- 59 -
Les questions et problèmes concernant l'ensemble du quartier
relèvent de l'autorité du chef de quartier. A lui de régler
et de juger les affaires qui peuvent survenir entre les
différents home de son quartier, de juger et condamner
les criminels accusés de viol, brigandage, proxénétisme,
adultère, etc ... , et enfin de défendre les intérêts de son
quartier au sein du conseil du roi.
Le conseil du roi : juridiction suprême, il s 'occupe
des questioffiadministratives, policières et judiciaires,
de toutes les affaires délicates comme le meurtre, la
politique étrangère de la cité, etc ...
Nous abordons maintenant
les représentations collec-
_
"
1
ov
tives qui soutendent la base de la pensee yoruba, fo , eve,
sans entrer dans les détails que nous approfondirons dans
le chapitre concernant la religion. Précisons que cette
partie traite seulement les représentations telles qu'elles
se manifestent sur le plan de la pensée collective, celles
que tout le monde appréhende par le seu l fait de l 1 appar-
tenance sociale. Les fondements mêmes de ces représenta-
tions collectives appartenant à une classe d'initiés; c'est
cette connaissance-là que nous développerons un peu plus loin.
Cette mise en garde, pour qu'on ne nous reproche pas
une certaine répétition des idées aussi bien ici que dans
les chapitres qui vont suivre.
.../ ...

- 60 -
Nous pensons ainsi mettre le point sur la différence
entre une donnée immédiate et un travail de construction qui
exige beaucoup de recul et de clairvoyance dans un domaine
aussi obscur que celui de la religion sur la côte du Bénin.
La pensée traditionnelle inclut les éléments naturels
associés à une conception de llunivers particulière. Les
vodu, les ancêtres, les forces supérieures, sont reliés au
milieu naturel, si ce n'est qu'ils dérivent de lui. Le trait
' \\ '
~
constant et véritable dans la vie des eve, yoruba et fo, est
la religion; en toute chose ils sont religieux. La religion
est le fondement de tous les principes qui les gouvernent;
la responsabilité entière des questions vitales appartient
aux vodu. Dans toutes les circonstances de la vie, dans tous
les changements, dans les joies et les souffrances, les vodu
sont présents. Qu'il
s'agisse d'une naissance, de la cons-
truction d'une maison ou de n'importe quelle activité de la
vie humaine, tout est contrôlé et organisé par les vodu et
leurs lois. C'est la religion qui fournit les thèmes des
chansons, des mythes, des contes populaires, des proverbes
et dictons, bref la base de la pensée tout court.
Nous ne prétendons pas citer ici tous les vodu et décrire
toutes les cérémonies qui les caractérisent, tout les hommages
qui leur sont dûs, toutes les craintes qu'ils inspirent, toutes
les protections qu'ils peuvent accorder; le culte des vodu a
des racines infiniment
profondes, des ramifications beaucoup
... / ...

- 61 -
trop étendues pour que de jeunes chercheurs comme nous puis-
sent déclarer tout connaître vraiment. Les prêtres vodu sont
toujours réticents quand on les interroge sur leur vie reli-
gieuse ; on ne peut donc s'avancer qu'avec prudence dans ce
monde fermé qui réserve beaucoup plus de surprises désagréa-
bles que de témoignages dignes de foi
les intéressés mentent
le plus souvent, ou parfois donnent des réponses: "qui doivent
faire plaisir aux enquêteurs".
Notre tâche est complexe, car au delà de la connaissance
théorique, le vécu du terrain dans notre cas (celui d'un
africain né dans ces traditions et qui de ce fait n'a plus
besoin de poser des question)
est-il
une facilité ou bien
au contraire une difficulté supplémentaire
1- La relation entre la personne et les ancêtres.
Chez les fo du Dahomey (R. P. du Bénin), selon MAUPOIL B.
dans "la géomancie à l'ancienne côte
des esclaves", Institut
d'Ethnologie 1943 ; chaque être vivant (homme, animal, plante)
possède quatre âmes; l'ombre claire (Si), l'ombre opaque
(l;ndo), l'âme invisible (YI) dont le retour auprès des vodu
cause la mort; l'esprit tutélaire (dj't~) qui est après la
mort affecté à un autre être. Il existe de plus un principe
de ressemblance. L'ombre claire des femmes ne s'éveille
qu'après le mariage. Les magiciens peuvent capturer cette
ombre pour tuer son propriétaire.
... / ...

- 62 -
Les ytr~b~ distinguent trois âmes dont une qui sort en
rêve et qui peut être capturée
par les "sorciers ll •
Les eve ont deux âmes : l'esprit de vie et l'esprit de
mort. Le premier va au ciel, l'autre sous terre, au-dela d'une
grande rivière. Ce monde des morts est froid et peu attrayant.
L'âme peut aussi se réincarner dans les descendants,
parfois il y a combat entre deux âmes qui veulent se réincar-
ner dans le même corps, ce qui amène des troubles mentaux
chez l 'i ntéressé.
Les morts eve vivent sous terre ou dans le ciel. Ils
peuvent apparaître aux vivants.
L'individu "mor-t avant son t emps " (càd par le maléfice d'un
azet)) peut se réincarner provisoirement dans un homme ou
un ani ma 1.
Les vivants restent reliés à leurs ancêtres morts par un
faisceau d'obligations. D'abord on doit assurer dans des con-
ditions convenables leur passage difficile de ce monde dans
l'autre; ce sont les funérailles. Enfin il faut, pour éviter
leur dépérissement et leur colère, et pour s'assurer leur
protection, entretenir leur force vitale par des offrandes
et des sacrifices.
Dans presque toute l 1 Afri que Noi re, des défunts appa-
raissent en rêve à leurs descendants pour leur donner des
conseils, leur faire des reproches, exiger des offrandes. Il
y a bien d'autres moyens de communiquer avec eux, par exemple
la divination par les spécialistes.
...; ...

- 63 -
On est presque toujours partagé entre le désir de recevoir
la force et la protection des morts et la crainte de leurs
reproches et de leurs colères.
Le groupe social comprend les vivants et les morts
avec des échanges constants de services et de force des uns
aux autres. Les morts sont les chefs, véritables gardiens des
coutumes, veillant sur la conduite de leurs descendants qu'ils
récompensent ou punissent suivant que les rites et les lois
ont été ou non observés. La fidélité aux traditions, le res-
pect des anciens et des morts, l'accomplissement des cérémo-
nies, sont constamment sous leur contrôle. La discipline
sociale et la morale sont aussi assurées par eux. Les "inter-
dits" s'étendent à l'organisation générale, aux attitudes à
observer suivant les personnes et les circonstances, mais
aussi à de nombreuses prescriptions matérielles, notamment
alimentaires.
2- La relation avec les animaux
,..
, \\ ~
Chez les eve. fo et yoruba. on trouve les croyances suivantes
sur les relations de l'homme et des animaux;
chaque homme correspond à un animal donné (ce qu'on peut
appeler "l'alter égo animal") ; quand une panthère est tuée,
son alter égo meurt; certains animaux ne peuvent être tués
dans certaines régions: le python en R. P. du Bénin, les
crocodiles de la lagune d'Aneh~ au Togo, et ceux de la ville
d'Ibadan. Certains font l'objet de culte; le bélier est sacré
.../ ...

- 64 -
pour le vodu du tonnerre. Le python a des temples dans le
sud du Dahomey (R. P. du Bénin). Les pythons circulent en
ville; si quelqu'un les voit, il baisse la tête et les
salue les appelant: t,gbe (grand-père).
De nombreux clans ont une relation de parenté avec un
animal; ils l'enterrent et le pleurent comme un ancêtre:
.."
ainsi le python et la panthère chez les fo.
1 \\
1
Des clans yoruba portent des noms d'animaux
bélie r, élé-
phant, singe rouge ...
Des mythes relient les ancêtres à un animal (ex: le clan
royal du Dahomey (R.P.B.) descend d'une princesse qui fut
couverte par un léopard : le léopard figure dans les armes
royales; le tatouage du clan représente ses cinq griffes.
3- Les relations avec les végétaux, minéraux, objets.
Sur la côte du Bénin, l'arbre Iroko est le symbole de la
fécondité. Tous les arbres ont des âmes; quand on les coupe,
on doit les apaiser par des offrandes.
La terre est très souvent l'objet d'un culte chez les
populations agricoles. Une tribu qui s'installe dans un pays
fait alliance avec la terre; non pas avec la planète, mais
avec l'esprit de ce territoire déterminé. Même si le pays
est conquis plus tard par d'autres, seul le patriarche des
premi ers occupants, le "ma ître de l a terre", pourra donner
l 'autori sat i on de l'occuper ou de l a cultiver.
Porter un poil d'éléphant donne sa force; une dent de pan-
... / ...

- 65 -
thère procure l'agilité et la souplesse de l'animal.
En effet, le Noir identifie la forme et le caractère, le tout
et les parties: le tout a les caractères de la partie et la
partie ceux du tout. Si je possède une partie, j'ai le tout
dans son essence et ce que je fais à une partie, je le fait
au tout. Suivant le même raisonnement, la femme cultive les
champs parce qu'elle peut transmettre à la terre sa vertue
de fécondité. Le chasseur qui a ramené une proie sur son dos,
reçoit en récompense le dos de la bête abattue. Manger le
coeur ou le foie d'un chef puissant doit conférer sa puissance.
Chez les évé, les tr;w~ sont des esprits étroitement
liés à la terre et qui font l'objet de vénérations (arbres,
termitières, sources, etc ... ). Il est possible que lion
trouve en ces tr;w; un culte particulièrement ancien.
4- Le panthéon
Il semble que chez tous les peuples africains on trouve la
notion d'un Dieu suprême, généralement considéré comme
créateur. L'importance de son rôle dans les affaires du
monde est très diversement appréciée. Le plus souvent, il
est considéré comme trop lointain pour être facilement
accessible, et le culte s'adresse plutôt aux dieux secon-
daires, chargés des affaires terrestres et qui sont plus
ou moins ses messagers.
.../ ...

- 66 -
Sur la côte du Bénin, on reconnaît un dieu suprême,
, , , 'l'II
, \\ 1
Màwù chez les eve, Olorun chez les yoruba. Il est éternel,
infini, créateur de l'univers et sans grande importance
pratique. Ses autels, très rares, sont des piliers à trois
branches que l'on trouve chez quelques chefs. Il vit dans
un "ciel invisible" et il a délégué les dieux secondaires
pour s'occuper de la terre. Les évé expliquent son éloigne-
ment par la faute des hommes qui avaient pris la mauvaise
habitude dlessuyer leurs mains sales sur le ciel et d'en
découper des morceaux pour faire la soupe.
Clest surtout dans cette partie de l'Afrique que les
dieux secondaires ont leur pays d'élection. Ils prolifèrent
sous divers noms. Ceux-ci à eux seuls en ont plus de 400.
Ces dieux sont les protecteurs des villages ou des clans.
On nôte chez les y~r~b~ trois niveaux cosmologiques
dans leurs représentations de l'univers:
le ciel, la terre
avec l'océan, et le monde habité par les hommes;
le ciel
recouvre la terre comme un toit: il est la demeure du dieu
, ''''
suprême Olorun, qui règne sur une hiérarchie de divinités
secondaires (les orisha) et aussi sur les esprits divinisés
(1runmôlé), de la même manière que sur les rois. La déesse
terre (ànllé ou (lé) règne sur la terre (l'océan inclus)
où résident les âmes des morts ou des esprits vengeurs qui
sont chargés, quand c'est nécessaire, de châtier les membres
,
, ,
,~
du culte (les oqbrin I ) de la déesse "On î l
Ces deux niveaux
é
" .
cosmogoniques sont égaux et préexistants, en opposition
... f ...

- 67 -
avec le monde habité par les hommes, sur lequel règne le roi.
Le destin de tout être humain dépend du dieu suprême,
le créateur, un dieu transcendant qui vit dans le ciel et
est vénéré par les hommes qui reconnaissent sa grandeur.
Mais contrairement à la déesse On(lé, le dieu suprême n'a
\\
, ...
pas de culte sur la terre. Olorun est présent dans la vie
quotidienne, dans les invocations matinales, les souhaits
de protection pour quelqu'un. Dans les prières, on lève les
" \\
, , "
bras en répétant: 01 or un , Olorun ; mais il n'a ni prêtres,
ni symboles, ni statues, ni temples. Il contrôle la pluie
et comme il vit dans les cieux, il est étroitement attaché
à e11 e dont dépend toute l a vi e de l' homme.
Par contre, il n'est pas associé au solen: ce dernier
tant
é
toujours présent sous les tropiques, il n'est pas nécessaire
de l' invoquer.
-
1
,
Obatala, chef des dieux, "le Seigneur au vêtement blanc"
appelé aussi Obàt<l~ "le Seigneur aux visions", celui qui
, ,..,
prédit le futur. Il fut créé par Olorun qui lui donna la
possibilité de mener le firmament et le monde. Ce fut
Obàtll! qui créa le premier homme et la première femme avec
la meilleure argile (Alàm~réré) ; pour cela on l'appelle
Orisha Kpopa "l'orisha qui modèle l'argile". Ainsi tous les
~\\,
, .. "
Yoruba sont d'accord sur le fait qu'obatala est le créateur
de l'enfant dans le ventre de sa mère. Ma i sil s ne le sont
pas au sujet des difformités possibles de l'enfant. Pour
l'albinisme par exemple, certains pensent qu'il s'agit d'une
.../ ...

- 68 -
,
"
erreur involontaire d'Obàtala alors que d'autres le consi-
,
"
dère comme un châtiment de ce même dieu. Obàtala est le
protecteur des portes des cités, et sa représentation
mythologique est celle d'un cavalier avec une épée. Ses
offrandes sont: des escargots, des serpents et des couleu-
vres.
Il.
"
Le second dieu en importance après Obàtala est la
\\ " ,
\\ , , '
déesse Oduduwa ou Oduwa à qui on donne le titre de
Iya Agbe, "l a mère qui reco i t ". Elle est représentée assise
, ,
\\
\\
donnant à têter à un enfant. Elle est la femme d'Obatala,
mais elle est aussi contemporaine d'à1drun, qui ne le créa
pas, et qui fut aussi son mari. Cette dernière considéra-
tion a une grande importance et il y a lieu de se demander
si le fait que la déesse femme soit importante (ou aussi
importante que le dieu suprème) ne veut pas dire qu'au début,
à une époque reculée, les femmes avaient autant ou plus
d'autorité que les hommes.
\\ " ,
\\ \\ / '
Selon le mythe, Oduduwa et Obata1a tombèrent dans une
' " ,
' " ,
grande calebasse. Obata1a au dessus et Oduduwa en dessous,
ils restèrent plusieurs jours souffrant de la faim, des
, , ,
\\
.
crampes... ; alors Oduduwa commença à se plaindre et à
insulter son mari, il s'en suivit une violente querelle, au
cours de laquelle, dans un accès de rage, ne pouvant se
, , /'
couper la langue, Oduduwa S'arracha les yeux. En sortant de
la calebasse ils ne purent manger que des escargots .
.../ ...

- 70 -
Selon la tradition du Sud Togo, Mawu créa SE.GB:»- LISA
"
,
et ANANA-BLUKU, puis Ltgba et Gu. Les deux premiers avaient
pour mission de donner naissance aux autres dieux.
1
l
" "
\\ . ,
S~gb~-Lisa était un mâle mais Anana-Bluku n'avait point
de sexe. Que faire alors? Ils confièrent leur
embarras aux
,
l '
.
deux messagers de Mawu : L~gba et Gu. Ceux-el, après réfle-
xion, se mirent d'accord, l'un (G~) pour pratiquer l'incision
génératrice du sexe féminin, l'autre (Lsqba}, pour donner à
l'acte sexuel le pouvoir de procréation.
Ainsi naquirent Sakpate, Hévieso , Tokpaâl1n et Da. Mawu féli-
cita ses messagers de leur initiative heureuse et leur fit
une place d'honneur parmi toutes les divinités. A l'origine,
ils habitent la terre. Mais Tokpadün, la femme de Hévieso,.
était assidument courtisée par son frère Sakpate (le dieu de
la variole). Cette situation créa entre eux une rivalité
que la vagabonde Dâ (déesse du vent) s'employa à envenimer.
Dans sa colère, Hévieso se détacha de la terre pour aller
se fixer au ciel. La voûte céleste, telle qu'elle apparait
aujourd'hui, fut réalisée par Hévieso. Da, se fixe alors
entre les deux rivaux, dans l'atmosphère, pour continuer à
jouer son rôle perfide. La lutte se poursuit encore de nos
jours. Lorsque Drest du côté du t~rrible,Hévieso, on la
voit sous la forme d'un serpent lumineux (l'éclair) encou-
rageant le tonnere ou la foudre à anéantir la terre. Quand
au contraire, Da sert Sakpate, on la sent onduleuse et invi-
sible dans le vent perfide qui empêche la pluie de tomber .
.../ ...

- 71 -
Sakpate, la variole, ne règne en maître que par un temps
très sec. Son amitié n'a d'ailleurs rien de durable. Souvent
représentée sous la forme d'un serpent à deux cornes, elle
est l'inconstance même. Parfois, elle sert les deux rivaux
à la fois, l'un contre l'autre. Sakpate courroucé par une
trahison si souvent renouvelée, la chasse; c'est alors
que dans une course folle, haletante, éperdue, la vagabonde
-v
Da va se cacher dans les eaux, dans les montagnes, dans les
grands arbres où la foudre non moins furieuse, l'atteint
pour la déloger de sa retraite.
Sigb~-Lls~, divinité de la pureté, de la richesse, possédant
toutes les nuances de vêtement (mais préférant nettement la
couleur blanche), est le père de tous les v~d~. Il habite
la région orientale du ciel et il est symbolisé par le
caméléon.
Anàn~-Bltk~, immense et féconde, demeure dans la partie
occidentale du ciel: c les t la mère de tous les v~d~.
,
1
Ltgba représente l'intelligence, la ruse, la puissance et la
virilité. Il n'a pas une demeure fixe. On le représente
sous la forme humaine avec un sexe énorme toujours en érec-
tion. Quelques personnes croient reconnaître en lui le
démon ou le diable des chrétiens. Erreur, car le vrai démon,
c'est Ah~v~, dont la famille est nombreuse.
Llgb~, lui, sert le bien et le mal avec un égal dévouement.
Il méprise les promesses et entend se faire payer avant
d'agir. Très puissant, ses réalisations ne se font pas attendre .
.../ ...

, - 72 -
,
Chacun a un llgba qui le suit partout. Il existe aussi des
, ,
légba protecteurs des villages, appelés toltgba, qui sont
érigés sur les places publiques ou l'entrée des villages,
sur les pistes, au carrefour.
1
\\
\\
Gu est le vodu des forgerons et des chasseurs. Il repré-
sente la force, l'activité physique, la victoire. Il a soif
de sang et de guerre, c'est le dieu des exécutions rapides.
Il est représenté par les métaux et les armes de toutes les
fcrmes . On lui administre de l'huile de palme et autrefois,
on lui sacrifiait des humains
on coupait la tête de la
victime, on pendait son corps à l'envers à un arbre et on
exposait ses entrailles. Le mardi est un jour consacré à G~
défense absolue de forger ce jour.
Hévieso est le dieu de la foudre
on le figure avec une
hache appelée S6f1~ (la hache de la foudre), et un morceau, \\
de fer ayant la forme d'un serpent appelé ebi. C'est un vodu
très puissant et très redouté, spécialement chez les watzi.
Le malheureux sur le toit duquel tombe la foudre est accablé
d'injures par les s~s' (ceux qui servent ce vodu), sous pré~
texte qu'il a dû commettre un crime ignoré des hommes. Un
homme tué par la foudre est indigne de sépultures, les hon-
neurs funèbres ne lui sont accordés qu'après payement d'une
forte rançon par les parents ou amis, afin d'apaiser les
dieux irrités. En attendant, son coprs est exposé sur une
claie (Agb~) par le chef des claies (Agb~g~) .
.../ ...

- 73 -
Le crocodile est un v~d~ chez les Evé, et les femmes vont
lui offrir des poulets dans l'espoir de devenir fécondes.
, y ,
' 1
\\ d'
]'1
Le python que lion nomme Dagbe est ega ement un vo u. ,
existe de très nombreux "temples aux pythons", spéciale-
ment dans la ville de Glidji (vers Aného) et la servante
préposée à leur culte s'appelle Dena (mère des prières).
Comme il est interdit d'enfermer les vodu en ces temples,
il n'y a pas de postes et les Dagbt s'échappent souvent
pour se répandre dans la ville ou dans la brousse. Lors-
qu'un Dagbt quitte le temple, nul n'a le droit d'y toucher
se fût-il glissé dans votre maison, sous votre lit, il ne
faut pas le déranger ni surtout le maltraiter. Informer ses
serviteurs qui viendront le chercher. Avant de les toucher,
ceux qui doivent les rapporter s'agenouillent révérencieu-
sement devant les dagbé fugitifs, les prennent délicatement
sur leurs bras et les caressent avec toutes les démonstra-
tions de l'adoration la plus humble. Si un individu trouve
.... ,
un dagbe mort dans l a brousse il doi t l'enterrer et frapper
la tombe avec une petite pierre qu'il rapportera chez la
Dena. Cette dernière enterre la pierre dans le temple et
lave les mains et les yeux de celui qui a eu la malchance
de trouver le
"
Dagbe " '
mort. .
5"1 refuse d'enterrer le
"
vodu
comme il est indiqué, il sera attaqué par une maladie
féroce, ordinairement par l'hydropisie: (accumulation mor-
bide de sérosité dans quelque partie du corps et particu-
1ièrement dans l'abdomen) ; les offrandes exigées en
outre par le dagbe pour implorer sa grâce sont une pintade,
... / ...

- 74 -
un poulet. des ignames. du maïs et des tissus rouges et
bleus. Autrefois. ceux qui tuaient un dagb~ étaient brûlés
vifs. Les initiés ou les membres du culte de otgbé ne man-
gent jamais du mouton. parce qu'un jour. Orgb~. pris par
un feu de brousse. fut sauvé par un de ces animaux qui
lui permit de s'accrocher à sa toison; le d~gbt put échap-
per ainsi aux flammes et en garda une éternelle reconnais-
sance à son sauveteur.
Tous ces v~dt réputés pour leur puissance sont des
redresseurs de torts. les directeurs de la vie et les gar-
diens de l'ordre; mais malheur à qui aura déchaîné leur
colère!
Sakpate. la variole éparpillera ses pustules (plaies causées
par les flèches invisibles de ce v~dt) sur celui qui lui a
déplu. Un homme blessé à mort par une arme à feu est victime
du G~ (la mort pendant une guerre est taxée d'infâmante.
car un innocent. un homme pur doit en revenir sain et sauf).
Un foudroyé est victime de Hévieso. Enfin tous ceux qui
meurent au marché. sur une route. sous un arbre. en public
sont des gens qui ont mal servi les vodu. Un homme qui
meurt de la lèpre appartient aux serviteurs d'ay~re (le
dieu de la lèpre).
5- Le culte
Le culte se caractérise par l'existence de clergés et de
confréries destinés aux divers dieux secondaires; chaque
... / ...

- 75 -
vodu a son clergé et ses autels. Il existe: de grands tem-
ples d'argile polie, ornés de dessins multicolores; mais
les lieux de cultes peuvent être de simples autels dans
les champs, des bosquets sacrés avec un espace découvert,
une hutte. De plus, chaque maison a ses cultes individuels
avec des vases et des autels.
Il Y a un jour sacré pour le culte de chaque vodu. Les
vodu parlent par l'intermédiaire du Voduno (revêtu de son
costume et en transe). Les offrandes consistent en cola,
huile de palme, cauris, escargots ... On sacrifie des ani-
maux et des volailles d'après les circonstances et la volon-
, \\
\\
\\
té du vodu : le sang va au vodu, la chair aux fidèles pour
la communion. Le sacrifice est un rite de transmission de
force vitale, de fécondité. Autrefois, dans les grandes cir-
constances (fêtes annuelles, calamités, mort du roi), on
procédait à des sacrifices humains. La victime avant d'être
décapitée avait l'espoir de se réincarner en un grand
personnage.
6- Mythes de création
Les Noirs ont ressenti comme les autres hommes, le besoin
d'expliquer l'univers et sa création, et de donner un sens
cosmique à l'existence humaine. Ils ont donc élaboré des
systèmes de représentations et des mythes différant d'ail-
leurs profondément d'un endroit à un autre. En outre, à
l'intérieur d'un même peuple, à côté des conceptions cou-
... / ...

- 76 -
rantes plus ou moins rudimentaires, il existe des explica-
tions dont la connaissance est le privilège de quelques
initiés.
Les f~ voient la terre comme une calebasse et son couver-
cle : la partie supérieure est l t atmosphère , l t équa teur est
la terre habitée, le dessous est le monde caché; on y trouve
la cité mystique dlIfè, demeure des vodu. La calebasse du
monde flotte sur les eaux invisibles qui renferment les
quatres racines de la vie (st, Lid) , YE , Dj,t?).
7- L1initiation
La première initiation a pour effet de faire entrer les
enfants dans le monde des adultes. Elle consiste en une
retraite au cours de laquelle ils reçoivent un enseignement
pratique, moral et religieux. Des épreuves y sont générale-
ment jointes. La cérémonie groupe le plus souvent des en-
fants impubères entre cinq et quinze ans. Ceux qui ont été
initiés ensemble constituent une classe d1âge et conservent

,
"
1

une certaine solidarité. Dans certalns clans yoruba, la Clr-
concision a lieu très tard vers vingt cinq ans, de manière
à ce que la descendance soit déjà assurée si le circoncis
venais à mourir. Il faut toutefois noter que ce cas de
mort par circoncision est rare.
La première initiation est en fait un rite de passage, celui
de 7'enfance à 7a vie adulte; elle est généralement présen-
tée comme une renaissance : l lenfant est censé mourir et
... / ...

- 77 -
clest un être nouveau qui apparait. Les détails varient,
non le sens général des cérémonies.
Les associations qui jouent ~n rôle considérable dans la
vie politique et économique traditionnelle des Noirs sont
toutes à base religieuse; nombre d'entre elles ont pour
objet principal la célébration dlun culte. La plupart com-
portent des cérémonies dlentrée rappelant à certains égards
la première initiation. Les initiés de grade le plus élevé
possèdent seuls la connaissance complète de la cosmogonie
et des symboles.
Sur la côte du Benin, ces sociétés ne groupent pas tous les
habitants; ce sont des clubs assez fermés dont l'action
dans la vie politique et sociale est souvent très puissante.
~ \\
/
Chez les yoruba, la société oro représente les esprits des
morts qui inspirent ses décisions ; ses adhérents sortent
la nuit et exécutent en secret, dans la forêt, les gens
qu'ils ont condamnés; les femmes doivent s'enfermer pour
ne pas les voir.
y
N _
Chez l es fo les Zagbeto "l es hommes de la nuit" sont con-
sidérés comme des esprits; ils portent de longues robes
dlherbes avec des masques ou des cornes et émettent une
voix nasillarde
leurs réunions ont lieu dans les bois
sacrés.
La cérémonie du pacte du sang chez les fa du Dahomey
(R. P. du Bénin) et les évé du Togo a été décrite par
Hazoumé P. Elle comporte la réunion d'un certain nombre
... / ...

- 78 -
d'outils et d'ingrédients, et l'élaboration par terre d'un
ensemble de dessins symboliques. Un breuvage est préparé dans
un crâne humain,
on y mêle de la cendre, des aérolithes,
des chiens de fusil, de la terre. Puis chacun a son avant-
bras incisé; le sang recueilli sur du citron est placé à
son tour dans le crâne. Chacun y boit. Désormais, les par-
ticipants doivent s'entr'aider. Si quelqu'un manque au ser-
ment, il deviendra fou, mangera ses excréments, enfantera
des monstres, ou bien sera piqué par un serpent et mourra
en hurlant.
8- Les pratigues magiques
Dans un monde dominé par les forces vitales, visibles ou
occultes, il importe de s'assurer pour soi-même ou pour son
groupe, la stabilité ou l'accroissement. La religion y
contribue pour le groupe; la magie (azé) s'y ajoute pour
les individus afin de contraindre des forces autre que celles
institutionnalisées. "Magie blanche" ébo , bénéfique et magie
noire az~, maléfique, utilisent de nombreux procédés. Pour
les premiers, on utilise des spécialistes qui portent des
noms divers: bok~n~ vodun~, amasin~; leur rôle est d'obte-
nir une réponse occulte à une question posée par leur client
le bok,no et/ou vodun~ obtient la réponse par une technique
qu'il possède, il l'interprète et donne la réponse, puis il
indique les remèdes magiques ou les démarches à suivre. Il ne
se limite pas aux maladies et traite toutes les questions
.../ ...

- 79 -
interessant l'existence. Le recrutement et les procédés
diffèrent suivant les régions. Parfois la divinition est
héréditaire, parfois des signes attestent que les dieux
ont choisi un interprète.
Sur la côte du Benin, la divination et les amulettes ont
une place considérable. Il existe des (Bo) amulettes, per-
sonnels, notamment un petit balai de palmier, des cornes,
diverses poudres, des dents de lion ou de serpents contre
les morsures, des canons de fusil contre les balles.
D'autres assurent la protection de la famille: calebasse,
fils de coton, statuettes.
Dans toute cette région et surtout dans les pays fo, Evé et
, \\ ,
yoruba, la divination la plus savante repose sur la géoman-.
cie. Elle est l'émanation de Fâ', le dieu du futur, révéla-
teur impartial des secrets de l'univers, oracle du dieu
supérieur.
Ses prêtes, les bok~no, doivent mener une vie exemplaire et
ne jamais mentir. Chacun a sa clientèle d'après son renom;
certains passent d'ailleurs pour d'excellents thérapeutes.
Maupoil, qui a étudié la géomancie au Dahomey (R. P. de Bénin)
proclame son respect pour la sagesse et la dignité
de vie de l'ancien grand bokon~ du royaume: Gedegbe qui,
lorsque le roi Behanzin le consulta au moment d'entrer en
guerre contre les français, lui prédit la défaite et l'exil .
.../ ...

- 80 -
Gédégué lui-même annonça très exactement le jour et l'heure
de sa mort. Le bokonoopère généralement chez lui, devant un
sanctuaire formé d'une jarre retournée dans un trou et entou-
rée de tiges de fer en forme de clochettes. Il jette des
noix de palmes ou des noix de cola sur un plateau ;
chaque jet aboutit à un compte ; les comptes forment des
signes et leur ensemble donne une réponse (1).
Cette science très complexe exige pour la formation
du bokono 3 initiations.
- La première initiation lui enseigne les ablutions
cérémonielles;
- La deuxième initiation touche surtout les objets
de cultes et les interdits de Dieu;
- La troisième initiation concerne la pratique
divinatoire.
Il existe des langues de divinités. Chez les évé ; par
exemple, les grandes divinités possèdent une langue spéciale.
Il faut souligner en passant le caractère significatif de
ces langues de divinités. Elles constituent tout d'abord
un véhicule initiatique; en effet il existe en pays évé
des couvents où le novice passe, selon la divinité, deux
ou trois années de réclusion, années durant lesquelles le
jeune adepte est initié à la langue du v~dù, ne parle que
cette langue et n'a pas le droit d'utiliser la langue
(1)
Nous en parlerons plus longuement dans la consultation
d'Afa
... / ...
. j , "
. '

- 81 -
profane c'est-a-dire celle de la culture ambiante; c'est
dans cette langue que les principes de l'enseignement v~dû,
l'enseignement initiatique et l'enseignement a la vie pro-
fane après la sortie du couvent seront donnés. Il s'agit
non seulement d'une langue d'initiation, mais d'enseigne~
\\
\\
.
ment et de culture. Ces langues de vodu constltuent un ap-
pareil de spécialisations rituelles. Elles organisent la
séparation entre la société fermée, la société de tous les
adeptes du v~d~ et la société ouverte,c'estàdire la société glo-
bale ambiante. Elles opèrent une ségrégation au niveau de
la conscience d'appartenance et constitue l'affirmation
tangible et la manifestation ostensible d'un statut nouveau
qui apparait aux yeux de ceux qui n'ont pas été a l'école
du v~d~ comme un statut de prestige. C'est le véhicule
d'une intégration spécifique au sein d'un groupe parti-
culier d'appartenance.
On a trop souvent tendance a confondre ébo (magie) et
Azé (sorcellerie) et a les interpénétrer en fonction des
pratiques du moyen-âge européen. Au Dahomey, la magie (Bo)
représente l'ensemble des connaissances nécessaires pour
faire agir les divinités, déclencher les forces d'Ake. qui,
comme on l'a vu, peut amener le bien ou le ma 1. En fa it la
religion fa permet de nouer, grâce aux rituels convenables,
des relations d'aide réciproque entre les vàdù et les hommes .
.../ ...

- 82 -
Le but du sacrifice (v6sisa) (1) est de ranimer la force
, ,
vitale des vodu. Le sacrifice en tant qu'il s'accompagne
d'un repas communie1, constitue un véritable pacte d'allian-
ce conclu entre les vàd~ (1) et les participants aux
rituels. Il faut encore distinguer le sacrifice propi-
tiatoire, en vue d'obtenir l'aide des divinités, du
sacrifice de remerciements ayant pour effet de prolonger
l'action divine qui s'est révélé bénéfique. C'est dans ce
cadre d'actions et d'obligations réciproques qu'il con~
vient de situer ce que lion a coutume d'appeler les prati-
ques magiques. Celles-ci peuvent donc avoir un côté positif
ou négatif selon l'usage qu'on en fait. Mais nous revien-
drons plus en détail sur les principaux participants et
leurs différentes fonctions dans ce domaine et controversé.
(1)
Vocabulaire fô
... / ...

- 83 -
PAR T 1 E

- 84 "7'
CHAPITRE m
LA RELIGION
A/-
Approche Sociologique
Le facteur religieux est envisagé ici en tant qu'élé-
ment à signification sociologique dans l'ensemble social.
A la fois représentations et pratiques, perception du
monde et action, la religion est un phénomène complexe
qu'il s'agit d'analyser au moyen d'un appareil conceptuel
adéquat. C'est aussi une représentation symbolique permet-
tant de créer un sens en référence avec une réalité surna-
turelle, cette dernière étant définie comme telle par le
groupe. Nous référant à la définition de Cliffort GEERTZ,
(spécialiste anglais d'anthopologie de l'ouest-africain à
l'université de Birmingham, dans un ouvrage collectif
"Essais d'anthopologie religieuse, Gallimard 1972")
"La religion est un système de symbôles qui agit de ma-
nière à susciter chez les hommes des motivations et des
dispositions puissantes, profondes et durables, en formu-
lant des conceptions d'ordre général sur l'existe et en
donnant à ces conceptions une telle apparence de réalité,
que ces motivations et ces dispositions semblent ne s'ap-
puyer que sur le rée 1" •
... / ...

- 85 -
Système symbolique, la religion est d'ab0rd une ripos-
te intellectuelle à une angoisse existentielle; mais on ne
peut perdre de vue que les rites et les croyances dont se
compose ce système sont enracinés dans l'ordre social.
Aussi, si la religion présente un intérêt sur le plan
sociologique, ce n'est pas parce qu'elle décrit l'ordre so-
cial, mais parce que comme le milieu naturel, le pouvoir
politique, la richesse, les obligations morales, l'affec-
tion personnelle, et un certain sens de la beauté, elle
façonne cet ordre social.
En effet, les sociétés nous livrent à travers la
masse plus ou moins compliquée de leurs représentations
(de leurs théories de l'homme et du monde, de l'individu
et de la société, des dieux et de l'histoire), la somme de
leurs efforts pour maîtriser par l'intelligence les forces
dont témoignent avec une agressive insistance l'existence
même de la société, et l'évidence incessamment renouvelée
de la naissance, de la vie et de la mort. Tout ordre est
simultanément organisation concrète et représentations ;
représentations de la personne, des pouvoirs bénéfiques et
maléfiques, de l'hérédité, de l'univers et de ses forces,
qui se combinent en outre les unes aux autres de façon
cohérente et systématique. La nature et 1a cul ture, l' i n-
dividuel et le social se refèrent à un ordre toujours déjà
donné qui inscrit les aléas de la vie individuelle dans les
contraintes de l'ordre social et celles-ci dans la néces-
sité d'un ordre naturel.
.../ ...

- 86 -
L'importance de la religion réside donc dans sa capaci-
té à servir pour un individu ou pour un groupe t de source de
conceptions t à la fois générale et particulière sur le
monde t sur soi et sur les relations entre soi et le monde
d'une part t de dispositions mentales enracinées t mais non
moins particulières d'autre part.
Aborder la question des fonctions sociales de la
religion t c'est aussi poser celle des rapports sociaux ou
des structures sociales et celle des pratiques exigées pour
leur reproduction. Toute société est en effet le fruit de
rapports qui s'établissent entre des groupes humains t en
vue d'assurer leur subsistance immédiate et historique.
Simultanément t ces derniers construisent un univers de re-
présentations t sorte de réalité à un deuxième niveau t qui
interprète la réalité matériel let la relation de l'homme
avec la nature t les rapports sociaux t et qui par ce fait
même lui donne un sens.
Celui-ci fournit la base des codes t
des pratiques sociales t qui permettent la reproduction des
rapports t offrant ainsi un modèle ou un cadre de comporte-
ments aux individus ou aux groupes. La religion se situant
dans l'univers des représentations t intervient à la fois
dans la définition du sens et dans l'orientation des pra-
tiques. En d'autres mots t elle peut fournir le cas échéant
l'explication et la justification des rapports sociaux et
constituer le code des pratiques destinées à les reproduire .
.../ ...

- 87 -
Ainsi, dans une société lignagère, c'est le système
de parenté qui est dominant, parce qu'il assure les rap-
ports de production. L'organisation économique des socié-
tés communautaires "pr irni t i ves" se caractérise selon
SAMIR AMIN ("le développement i néqa l " éd. de minuit,
Paris 1973), par une organisation du travail (chasse,
pêche, collecte) fondée à la fois sur une base individuel-
le (la famille, le village) pour la production directe et
sur une base collective, le moyen de production ( la forêt
ou la terre) constituant la propriété du clan à laquelle
les individus ont accès du fait de leur appartenance à
cette entité sociale supérieure. En outre, l'économie ne
connait point d'échanges marchands, le produit étant dis-
tri bué à l' i ntéri eur du groupe, selon un système de troc
régulé par les rapports de parenté.
Cet agencement établit une contradiction entre les
unités productrices (les familles) et l'unité sociale pro-
priétaire (le clan) dont l'organisation interne, articulée
sur l es rapports de parenté, régul el' usage du moyen de
production et la participation dans la distribution du
produit social. Mais alors pourquoi un rôle dominant de la
structure de parenté? LEVI-STRAUSS a montré que, dans ce
type de société, la reproduction biologique des forces pro-
ductives nécessitait des formes d'échange entre les unités
individuelles, l'échange des femmes. C'est sans doute parce
que cette exigence était préremptoire, que la structure de
... / ...

- 88 -
parenté ainsi produite assure en outre la fonction de
réguler les deux fonctions essentielles de l'infrastructure
l'usage du moyen de product ion et l'accès au produit
social. Il y a donc identité structurale entre rapports
de parenté et rapports sociaux de production.
Si nous nous référons a la religion comme un médium sym-
bolique construit en référence a des êtres surnaturels et
qui produit un accord sur le sens des signes et du monde,
la question est de savoir: d'une part sur quels signes
et sur quel sens du monde cet accord est établi, et
d'autre
part quelle est la fonction sociale de cet accord.
Nous observons donc que les significations religieuses
produites sont de deux ordres: celles qui s'élaborent
autour des phénomènes de la nature et celles liées aux
expressions sociales du groupe. Les premières axées sur le
rapport des hommes a la nature. Par la personification des
forces dont les hommes peuvent infléchir la volonté par des
pratiques rituelles, les acteurs sociaux acquièrent sur ces
forces un pouvoir, illusoire sans doute, en attribuant un
"sens" a la nature, réduit donc la contradiction que le
groupe expérimente dans sa vie quotidienne. Elle le dôte
d'un moyen de conjurer les effets dé phénomènes dont il ne
maîtrise pas les causes objectives. La religion remplit
alors une fonction sociale de protection.
.../ ...

- 89 -
Les expressions groupales ~ (fétiches) sont d'un autre
ordre et elles se développent de manière autonome par
rapport à la première séquence (les significations reli-
gieuses). Dans une telle structure de signification par-
tagée par l'ensemble du clan, le Hu (fétiche) constitue
un signifiant qui renvoie à divers signifiés. D'une
part, il représente le groupe en tant qu'unité sociale.
D'autre part, étant le lieu où réside le divin, il de-
vient le médium par lequel se communique la vie cosmique
au groupe et à chacun de ses membres dans la mesure où
ils y sont associés. C'est aussi parce que le ~ "le
fétiche" est un élément naturel (plante, animal, bûte de
terre personnifiés) qu'il constitue le point de rencontre
entre l'ordre transcendental et l'ordre de la nature.
Enfin, c'est le lieu, lorsque le clan est sédentaire, où
s'articulent le passé et le présent: la "présence" des
ancêtres du clan
étant symbolisée autour du Ho "fétiche".
L'univers des représentations symboliques est celui
de la relation imaginaire entre les individus et leur
considération réelle d'existence. Il est celui où se cons-
truisent les significations mais aussi les codes de prati-
ques sociales. Or c'est bien dans ces deux domaines que
se situe la religion puisqu'elle est à la fois construc-
tion de sens et pratique symbolique et ethnique .
. . .; ...

- 89 -
Quelle que soit la forme particulière qu'elle revête,
la religion explique à la fois l'homme et le monde puis
1 'homme dans 1e monde. E11 e permet à 1 1 homme d'effectuer
un certain nombre d'actions de maintenir la cohésion so-
ciale, de justifier tout ce qui régit l'existence collec-
tive, etc ...
Facteur de cohérence tout autant que de cohésion, la
religion procure à l t honmeun sentiment de sécurité, dans
un monde naturel qui peut lui paraître dangereux dans la
mesure où il n'en est pas le maître
absolu, et dans une
société où elle tente de régler les rapports entre les
hommes. Elle répond ainsi à des anxiétés individuelles
autant qu'aux angoisses collectives; fondement des inti-
tutions, la religion pénètre toute vie collective et se
révèle indispensable au maintient de l'organisation
sociale.
Phénomène humain, la religion apparaît ainsi comme la
réponse de 1 'homme aux exigences même de sa propre condi-
tion qui le pousse à assurer la cohérence de son être en
s'identifiant à une réalité plus vaste et plus durable
que lui-même.
Tous ses efforts tendent non seulement à rendre suppor-
table sa condition dans le monde mais surtout à lui don-
ner un sens. Dans cette mesure, une religion sera d'autant
plus ressentie comme vraie qu'elle réussira mieux à aider
l'homme à réaliser l'unité de son existence .
.../ ...

- 90 -
Ainsi, les pays de la côte de Benin où se sont développés
des royaumes de civilisation avancée, aux contacts exté-
rieurs nombreux, ont connu une évolution religieuse par-
ticulière. A côté des cultes des ancêtres et dela terre,
on y a vu se développer le culte des ancêtres royaux, les
mythes des héros, les grands dieux secondaires munis d'un
clergé, de couvents, d'initiés. Ce sont là les fondements
qui régissent ces cultes que nous aborderons maintenant
dans la suite de notre travail.
. ../ ...

- 91 -
B/-
Les Fondements Religieux
Essayer de circonscrire la religion en Afrique dans
les limites d'une problèmatique usée (sous les termes
d'animisme, fétichisme, sorcellerie, totémisme, ances-
trisme) paraît tout simplement absurde, car c'est lui
enlever sa véritable signification. Comme nous avons
essayé de le montrer précédemment, la religion sans être
tout pénètre tout; elle fournit en effet les éléments
explicatifs de la création du monde et des hommes, de
leur situation par rapport à ce qui les entoure (mythes
d'origine, cosmologie), elle justifie l'organisation
socio-politique de la société, elle détermine les facteurs
économiques, elle accompagne l lindividu de la naissance à
la mort en jalonnant les principales étapes de sa vie
par des rites de passage; elle maintient en outre la
continuité des groupes familiaux par le culte des ancêtres
enfin, elle offre les moyens d'accéder à la connaissance
supérieure (celle qui révèle les forces cachées qui régis-
sent le monde, les individus) à travers la divination,
les pratiques magiques.
Il est difficile de déterminer, dans l'état actuel des
connaissances, s'il y a un très vieux fond cosmogonique
cohérent commun à ces populations et si ce système a été
recouvert par des traditions locales ; la tendance des
familles règnantes étant d'identifier leurs ancêtres divinités
... / ...

- 92 -
aux dieux. Une vue d'ensemble dans l'état actuel des choses
ne fait pas ressortir un mythologie avec panthéon harmonieu-
sement et hiérarchiquement organisé. Certaines divinités
jouent un rôle de premier plan en un endroit déterminé et
passent au 2è plan ailleurs et vice versa.
Malgré la multiplicité des dieux, on a quelques fois
l'impression qu'il ne s'agit pas de polythèïsme, mais de
monothéIsmes multiples justaposéesou chaque croyant n'étant
consacré qu'à un seul dieu ne vénère que celui-ci, tout en
gardant vis à vis des divinités voisines des sentiments qui
ne vont pas au delà du simple respect.
Il semble que ces religions soient actuellement presque
exclusivement le culte de héros divinisés. Il est difficile,
de savoir si ces orisha et v~dÛ se sont superposés à des
croyances plus anciennes d'un caractère différent et plus
directement liées aux forces de la nature.
.
\\
\\
Les cultes des orlsha, Vodu s'adressent, en principe
aux forces de la nature à travers les ancêtres divinisés et
forment un vaste système qui unit les morts et les vivants
en un tout familial, continu et solidaire. La liaison
mystique avec les ancêtres divinisés est constante et
active. Rien ne se fait sans leur accord et leur protection.
Ces croyances ne sont pas basées sur la terreur; elles ont
un côté terrible, car elles exaltent la force des divinités
et leur puissance; les dieux sont terribles et redoutables
... / ...

- 93 -
mais convenablement traités, ador~ ils apportent aide et
protection à leurs fidèles ; il suffit de se conformer à
la règle, à la loi, pour ne pas avoir à en souffrir.
Les cultes rendus aux Orisha sladressent, en principe aux
forces de la nature. En fait la définition dlun Orisha est
plus complexe; slil représente bien une force de la nature
ce n'est cependant pas sous sa forme déchaînée et incontrô-
lable ; il n1en est qulune part seulement, assagie, disci-
plinée, fixée, contrôlable, formant un chaînon dans les
relations des hommes avec
11 inconnaissable. Un autre
chaînon est constitué par un être humain, divinisé, ayant
vécu autrefois sur terre et qui avait su établir ce con-
trôle, cette liaison avec la force, l'asseoir, la domesti-
quer, nouer entre elle et lui un lien d1interdépendance
par lequel il attirait sur lui et les siens
l t act i on béné-
fique et protectrice de cette force et dérivait son pouvoir
destructeur sur ses ennemis ; en contre-partie, à cette
part de force, fixée, sédentarisée, les offrandes et sacri-
fices nécessaires à entretenir sa puissance, son potentiel,
sa force sacrée appelée Zo, AkE.
Si le fond de tous ces cultes reste le même, offrandes,
sacrifices et louanges de vàdù, suivis de danses destinées
à provoquer leur apparition dans le corps des prêtres en
transe, les rituels par contre sont eux fortement influen-
\\
\\
cés par l vorqam se t ton sociale des pays ou les vodu sont
installés.
... / ...

- 94 -
La hiérarchie des vodu n1est pas fixe; leurs carac-
tères et leurs fonctions, influencés par leurs positions
respectives, varient également suivant les lieux.
Il importe de distinguer trois parties dans ce bref apperçu
des divinités
1.-
Les Vodu Publiques
a)-
Le dieu suprême
b)-
Le collège des divinités céleste et aquatiques
c)-
Le collège des divinités terrestres
2.-
Les Vodu Indépendants
a)-
LEgba
b)-
Afâ
3.-
Le Culte des Ancêtres.

- 95 -
1.-
Les Vodu Publiques
a)-
Le dieu suprême
Une des rares général isations valables que l'on peut
exprimer à propos de l'ensemble de l'Afrique Noire est
qu10n y croit en un être plus puissant que les nombreux
autres êtres du monde invisible (esprits des ancêtres,
forces naturelles personnifiées), qui est à l'origine du
monde et le maintient dans l'existence. Les Européens et
particulièrement les missionnaires chrétiens, ont posé
beaucoup de questions à son sujet ; partant des concep-
tions philosophiques et théologiques occidentales de la
divinité, ils cherchaient à voir dans quelle mesure les
croyances africaines s'en rapprochaient ou s'en différen-
ciaient.
OLOROU : Dieu suprême, créateur, souvent féminin, n'a
ni temple ni prêtres. Chez les ycir~b:, Olorou est associé
à Obatala, vieux dieu céleste, père de l'humanité. Certaine
légende associe Obatala à Od~d~w;,déesse chtonienne,procréa-
trice de la lignée royale.
MAWU, Dieu suprême chez les Evé,est parfois invoqué,
mais n'intervient pas dans les activités humaines .
.../ ...

- 96 -
MAHU : Dieu suprême chez les Fa. Des temples lui sont
dédiés; en 1937, à Ouidah, C. Merlo a recensé, parmi les
cent cinq "couvents" ou temples, deux
"Hugb)Il
consacré
à Mahu. Ces hugb~ comportaient un collège d'initiation
avec vingt novices qui y rendaient un culte à Mahu.
Mahu est un dieu indéterminé; il a plutôt le caractère
d'un dieu cause première, d'un dieu mathématicien, dieu des
philosophes ou des penseurs plutôt que dieu des foules.
On lui associe presque partout un outre dieu, généralement
masculin (Lisa, le dieu père des hommes, souvent premier
homme divinisé ou moniteur à la fois humain
et céleste qui
apporte les techniques et la civilisation).
Pour les Fa, Mahu représente l lé l énent féminin et Lisa
l'élément masculin, l'un symbolisé par la lune et demeurant
à l'ouest, l'autre par le soleil et placé à l'est. Mahu
offre l'image de la fécondité, la lune qui la symbolise
agit de même, car elle détermine les saisons et les pluies.
C'est l'une des divinités les plus bienfaisantes pour les
hommes et ceux-ci lui doivent la vie par l'intermédiaire
des autres divinités. Mahu et lisa n'ont pas abandonné
leurs pérogatives aux v~d~ qu'ils ont engendrés; ils n'ont
fait que déléguer leurs pouvoirs.
Lisa par contre, c'est la puissance, la dureté. Il est le
jour, alors que Mahu possède la nuit. Le conseil brûlant
lui est dédié comme emblème; le caméléon également, à
cause de sa faculté de changer d'aspect, de se rendre in-
visible pour mieux se saisir inexorablement de sa proie.
Mahu et Lisa sont les maîtres de la création .
. ../ ...

- 97 -
L'expérience quotidienne du monde dont il faut tirer
sa substance a appris non seulement aux chasseurs, mais
aussi aux paysans et aux pasteurs, que la nature est
toute puissante, qu'elle est bienvail1ante, puisqu'elle
ne leur refuse pas les moyens de vivre, et que ces rythmes
fondamentaux se répètent indifférents aux conséquences
qu'ils produisent. Le dieu suprême semble avoir été conçu
à partir de cette expérience profonde que chaque génération
a, pendant des millénaires, revécue
de toute façon, ce
dieu est revêtu des mêmes attributs
puissance, bien-
veil lance et indifférence.
Il est rare qu'un culte lui soit rendu: à quoi bon
le prier puisqu'il est si lointain et immuable? Comment
le prier puisqu'il n'a pas de statues, pas de représenta-
tions symboliques, pas de temples et pas d'autels? Il est
l '
1
à noter que dans les arts visuels Yoruba, Fô ou Evé, il
n'y a guère de trace du dieu suprême.
Les dieux secondaires auxquels s'adresse le culte et
qui sont plus ou moins les messagers du dieu suprème, repré-
sentent des esprits associés aux forces de la nature ;
engendrés puis divinisés, êtres surnaturels apparus il y a
quelques siècles, souvent héros mysthiques ou génies terres-
.
, ,
\\
....
tres. Ce sont les Orlsa (Yoruba), Vodu (Fo), Vodu (Evé) .
.../ ...

- 98 -
P. Verger, un des meilleurs spécialistes des religions du
Nigéria et du Dahomey, démontre que chaque
"
Vodu et O·
rlS ha
a dû être la divinité suprême et créatrice d'une communau-
té et serait devenu divinité secondaire en prenant place
dans l es panthéons des autres communautés sous l' égide d' un
dieu suprême de ces communautés.
Pour abonder dans le sens de P. Verger, nous ajoute-
rons que tout se passe comme s'il n'y avait que deux groupes
de divinités secondaires: les divinités célestes et aquati-
ques dont le chef serait Shago (Ytrùb~), Xébioso (Fa), So
(Evé) et les divinités terrestres : Shakpana (Y6rÙb~),
Sakpata (Fa), Sakpaté (Evé) que suivraient une multitude de
divinités qui se répartissent dans leur collège.
b)-
Le collège des divinités célestes
et aquatiques
N
1 \\
1
Le collège de Shago, Dieu du tonnerre des Yoruba.
Viril et gaillard, violent et justicier, Shango châtie les
menteurs, les voleurs et les malfaiteurs. La mort par la
foudre est de ce fait infâmante. Une maison touchés par le
tonnerre est une maison marquée par la colère de Sh!go ;
le propriétaire devra payer de lourdes amendes aux prètres
de cet Orisha et faire des offrandes pour apaiser la divinité.
De plus, les prètres de Shago viennent faire des recherches
aux endroits où la hâche de Shago est tombée; ils veulent
y trouver les pierres ou hâches de foudre lancées par lui et
... / ...

- 99 -
qui sont restées en terre, là ou le sol a été touché, dans
les décombres des maisons détruites ou dans le creux des
,..,
arbres abattus par le tonnerre. L'emblème de Shago est la
double hâche stylisée. Le bélier dont les coups de cornes
ont la soudaineté du tonnerre est l'animal dont le sacri-
fice lui convient le mieux.
,
\\
1
..,
Les rois yoruba revendiquent Shago comme leur ancêtre. Il
fut le 4è roi légendaire d1üyo. Il avait, dit-on, de son
vivant le pouvoir de faire tomber le tonnerre à volonté.
Il était également possesseur d'un pouvoir qui lui permet-
tait d'émettre feu et flammes par la bouche et les narines;
terrifiant ainsi ses adversaires, il gagna de nombreuses
guerres et annexa les territoires voisins de son royaume.
Collège Xébioso (Fô) et So (Evé)
Les divinités qui composent le panthéon de Xébioso sont
nombreuses. Elles ont pour domaine le ciel et l'eau (surtout
les grandes étendues d'eau comme la mer, la lagune, etc ... ) :
toutes ces divinités qui traduisent les différents phénomènes
célestes et aquatiques ou leurs particularités (comme la
foudre et ses multi pl es effets, l a mer et sa "barre" agitée,
les rapides des cours d'eau et la trompeuse apparence de
paix de la lagune, etc ... ), cohabitent parce qu'elles con-
tribuent finalement au même résultat: apporter aux humains
la pluie bienfaitrice. Il s'agit donc aussi de divinités qui
favorisent la fécondité; même si elles ne déclenchent pas
le phénomène de vie, c'est quand même grâce à elles qu'il
peut être entretenu.
. .. / ...

- 100 -
c)-
Le collège des divinités terrestres
Ce groupe met en scène des forces terrestres, notam-
ment celles qui assurent la fertilité des récoltes et
partant, la perpétuité de l'humanité. Alors que le dieu
suprême déclenche l'apparition de la vie Sakpata et
Xébioso sont chargés de l'entretenir ; le premier en
recevant la semence en son sein qui est la terre, le
second en apportant les pluies fertilisantes.
Sakpata trop longtemps désigné comme le dieu de la variole
n1est pas que cela; la variole ne fait que représenter
l'une de ses manifestations ou l'un de ses châtiments.
Il y en a d'autres tout aussi graves: les chancres, les
eczémas, la lèpre ... On comprend donc que le dieu qui
favorise le développement des graines dans le sol, infl ige
un châtiment en faisant ressortir les graines de la chair
des hommes.
Les divinités qui portent le nom collectif de Sakpata for-
ment une grande famille; variable selon les endroits, les
noms particuliers qui les désignent varient également selon
les fonctions qui leur sont attribuées.
Chez les Evé, Sakpatèfut d'abord uri dieu terrestre, une
divinité typiquement chtonienne; puis, comme il punissait
éventuellement les ruptures d'interdits par des épidémies
de variole, il
devint le dieu de la variole dont les prê-
tres et les initiés se reconnaissent au port d'une petite
... / ...

- 101 -
plume rouge et les jours de danse, à des peintures de
pointillés blancs.
Ainsi. dans les collèges sont regroupés des dieux
secondaires soit féminins. soit masculins; chacun d'entre
eux possède son histoire et sa légende propres. Certains
, \\
sont les Vodu protecteurs du clan. d'autres sont des
protecteurs de la famille. certains sont l'esprit du
terroir. le génie local (c'est souvent un ancien esprit
du clan devenu dieu du terroir quand le clan s'est fixé) .
.../ ...

- 102 -
2.-
Les Vodu Indépendants
a)-
L6gba (1)
Ltgba apparaît dans tous les collèges de v~d~. Messa-
ger des autres dieux, il intervient dans tous les rites qui
leur sont consacrés. Il est également le gardien des temples
et des habitations. Il agit pour le compte des v~d~ et ap-
plique leurs châtiments. Son caractère est impulsif, vio-
lent, irascible, rusé, indécent, mais aussi jovial et
dynamique. Il semble être le dieu le plus proche des hommes,
celui auquel on peut directement s'adresser en toutes occa-
, ,
sions. Il serait en tout cas faux de croire que ce vodu
représente un principe de fécondité et préside aux acti-
vités sexuelles.
, \\
L~gba occupe la première place dans les collèges de vodu,
où il participe activement aux rituels. Toutefois, il ne
reçoit pas un culte particulier puisqu'il ne fait que trans-
mettre les prières qui lui sont adressées. Il n'existe pas
de prêtres spécialement chargés d'accomplir les rites pour
, \\
ce vodu ; ceux qui lui sont voués ne le sont que dans le
\\
\\
cadre d'un collège de vodu (Xébioso~ Mahu-Lisa, Sakpata).
Il ne possède pas de temples, mais par contre, il est
présent partout dans les centres d'initiation, les places
publiques, l'entrée des concessions familiales.
(1)
E1égbara ou Eshu chez les Yoruba.
... / ...

- 103 -
LEgba reçoit toujours en premier lieu sa part des sacrifices,
avant tous les autres vod~. Ainsi chez les fa avant d'offrir
à boi re à son hôte, l'on verse quelques gouttes d'eau à
trois reprises sur le sol: la 1ère fois pour Ugba, la
2e et 3e fois pour mahu et lisa, qui représentent en même
temps les ancêtres.
N
,
\\
J
b)- . Afa ou Ifa (Yoruba).
Afa représente la destinée de l'univers telle qu'elle
a été fixée par les dieux.
La question s'est souvent posée de savoir si Afa était ou
, ,
,.,
non un vodu. Si l'on veut bien concevoir que Afa représente
plus qu'un simple système divinatoire, on s'apercoit qu'il
participe à tous les moments de la vie de l'individu. Afâ
apparaît comme une nécessité sociale, également pour ceux
qui doutent de son efficacité. C'est ainsi que l'on fait
appel à lui lors des naissances pour l'imposition du nom,
pour connaître quel est l'ancêtre qui s'est ainsi manifesté,
puis au moment où l'individu acquiert son statut d'adulte,
afin de définir le sens qu'il devra donner à sa vie, en cas
de maladies, de difficultés sociales ou professionnelles,
en cas de décès, en vue de détermirier la volonté au défunt
parvenu au stade d'ancêtre.
titi
Afa, pourrait se comprendre comme un condensé de con-
naissances humaines à travers un répertoire varié de mythes
et de références symboliques; c'est bien ce qui ressort du
... / ...

- 104 -
"Bok,do 'l en général, chargé de l t i nter-prét at i on des signes
divinatoires. Celui-ci reconnaît d'ailleurs la plupart du
temps qu'il n'est pas le seul détenteur de cette connais-
sance, et dans bien des cas, il aime à s'entourer d'autres
bok 2no qui lui viennent en aide. On note souvent un glis-
sement entre la fonction message et la fonction préscrip-
tion de Ara, clest dlailleurs pourquoi il passe pour être
un ensemble de dieux puisqu'il en traduit les manifesta-
tions. Chez les Y6r~bl, Ifa est consulté en cas de doute
par les gens qui ont une décision à prendre, qui veulent
être fixés sur l'opportunité de faire un voyage, de con-
tracter un mariage, de conclure une vente, un achat impor-
tant, ou bien qui cherchent à déterminer les causes d'une
maladie ou savoir s'il y a des sacrifices ou offrandes à
faire à une divinité. C'est le dieu de l'oracle, le média-
teur entre le monde surnaturel et le monde d'ici-bas.
Fils d'Obatala, c'est lui qui a inventé la technique de la
divination telle que la pratiquent ses prêtres. Il a peut
être été un personnage car certaines légendes font de lui
le fondateur de la ville sainte d'Ifè au Nigéria.
Ainsi, Afa est un culte en même temps qu'un système de
di
.
l ,
,
lVlnation connu dans tous les pays yoruba, il siest répan-
du très loin vers l'ouest jusqu'au Togo; il aurait été
introduit chez les fo du Dahomey dès le 18è siècle (cf. Palau-
Marti, ouvrage cité Pg. 245). Le prêtre du culte et divin
,
11
b
/ \\ 1
,..'
""
s appe
e
abalawo, en yoruba, bokono chez les Fo et Evé .
.../ ...

- 105 -
Les objets essentiels de la divination sont le plateau
divinatoire sur lequel le devin répand une poudre jaune
d'origine végétale et seize noix de palme. Le bokon~ prend
les noix de palme dans sa main droite et doit ensuite les
passer dans sa main gauche, d'une seule poignée; les fruits
étant dissimulés entre les deux mains creuses. Lorsqu'il
reste une noix dans la main droite, le bokono trace deux
petits traits verticaux sur la poudre du plateau (un seul
trait au cas où deux noix sont restées). Après avoir exécuté
huit fois cette opération, le bokono aura tracé autant de
signes (simples ou doubles) sur le plateau divinatoire et
ce dessin constituera un
odu. Il existe seize odu princi-
paux (se sont des signes doubles, les deux colonnes de quatre
signes étant identiques) et seize odu secondaires; de leur
combinaison résultent les 256 signes possibles d'Afa.
A chacun des 256 odu correspondent des légendes ou histoires,
le bokono récite deux ou trois en consultant, en accord avec
le signe dessiné sur le plateau divinatoire; par analogie,
l 1 une des hi stoi res évoquées doit apporter l a réponse à la
question qu'on est venu poser à Aft.
Au Togo, Afa est en quelque sorte l'ange gardien de
l'Evé, l'être invisible qui ne le quitte jamais et le
protège. Afa est aussi un oracle.
On est bokon~ (i nterprête d' Afâ') comme on est forgeron
ou tisserand; c'est une profession des plus enviées .
... f ...

- 106 -
Lorsqu'un membre de la famille est malade, on procède
à la consultation d'Aft avant d'immoler des victimes au
vodu.La récolte s'annonce-t-elle mauvaise? La stérilité
menace-t-e 11 e une femme ? C' es t encore Af't que l'on i nter-
rogera. Nous reviendrons sur cette forme de divination par
Afa dans la suite de la recherche.
... / ...

- 107 -
3.-
Le Culte des Ancêtres
Louis-Vincent Thomas a bien montré la complexité du
phénomène de la mort dans les sociétés africaines. Selon
lui, la mort ne semble pas constituer pour la majorité des
Africains la négation de la vie, mais plutôt une mutation
la mort, tout en représentant une volonté de désordre du
point de vue de la conscience collective, permet, grâce à
la réincarnation qu'elle rend possible, de renouveler les
vivants tout en assurant la continuité de l'espèce. Ce n'est
donc que par un abus de langage que l'on a pu dire que les
africains croient que les morts vivent. Ils ne vivent pas,
ils existent à l'état de force spirituelle. Ce qui est cer-
tain, c'est qu'il y a continuité entre les morts et les
vivants, ceux-là venant en aide à ceux-ci pour autant que
soient accomplis les rites nécessaires à l'entretien de la
force qui les habite.
Si nous prenons le cas des fa pour illustrer cette partie,
on sait que l'être est le siège de trois âmes au moins,
trois forces qui déterminent la personne humaine. Le se
représente l'être en devenir celui que révèle la divination
par exemple et qui peut se prolonger dans la descendance
et devient alors le dj)t~. Le y~ correspond à l'être vi-
vant dans le monde des ancêtres. Le L~dos'applique à
l'être conscient et actif, capable de modifier sa personna-
... / ...

- 108 -
1ité et de l'accorder à sa personna1 ité révélé par le Sf.
On voit par conséquent que l'individu, même après sa mort,
revit dans sa famille sous la forme du Dj~t,. Seule son
existence physique est limitée dans le temps, et c'est ce
qui explique que les fâ'disent d'un être que son SEne
meure pas. On constate donc que pour eux, le culte des
ancêtres a pour but d'amener cette force SE à se perpétuer,
à s'affermir toujours d'avantage.
.../ ...

- 109 -
C/-
Les Champs d'Application de ces Croyances
Après avoir spécifié dans les chapitres précédents
les fonctions idéologiques liées aux représentations et a
la conception du monde, nous abordons ici les fonctions
idéologiques orientées vers l'action : les pratiques et
les comportements.
1.-
Les Conflits liées a la Représentation
des Rapports Sociaux
Les champs d'application où se réalisent efficacement
les conceptions religieuses se situent le plus souvent au
niveau des rapports sociaux régis par des conflits et des
tensions.
A ces rapports sociaux sont liés, précisons le, des
conflits et tensions qui peuvent être chez les sujets com-
me une angoisse, un mécontentement. Ces conflits sont par-
fois d'origine très lointaine. Ils peuvent se renouveler ou
s'exprimer dans le présent a la faveur de certaines circons-
tances concrètes adaptées. Souvent, il n'y a pas un conflit
ou une tension mais plusieurs, un ensemble de conflits et
de tensions particuliers qui accompagnent l'histoire d'un
groupe ou d'un sujet.
On peut citer quelques formes de conflits et tensions qui
se manifestent dans les rapports sociaux de la forme
sociale traditionnelle.
.../ ...

-110 -
L'incompatibilité entre organisation lignagère
matrilinéaire et organisation résidentielle ...
Le droit d'ainesse, créateur de privilèges.
Le mariage et la circulation des compensations ma-
trimoniales. Dans ce cas, le lignage fournit quelque chose
qui ne relève pas de la production économique, parce qu'il
le produit biologiquement: les femmes.
Cette production biologique est le fait des femmes, mais
curieusement, ce sont les hommes et parmi ceux-ci les
aînés installés à la tête du lignage qui la contrôlent
source de conflit.
Les aînés ont la supprématie sur les cadets. La
relation entre les deux groupes est donc susceptible d'en-
gendrer des conflits. Ainsi les vieux contrôlent la produc-
tion et disposent d'une autorité réelle sur les cadets
dans l'ensemble.
Tous les aînés ne sont situés sur le même pied.
Il existe entre eux diverses positions sociales, des iné-
galités sociales. Découlant de ce fait, des conflits pos-
sibles entre eux, notamment entre ceux qui sont des
dirigeants et ceux qui n'ont aucun rôle de direction.
Parmi
les aînés qui ont des rôles de direction, il y a
des grands et des petits dirigeants selon le nombre ou
l'effectif et la qualité des cadets dont ils supervisent
ou contrôlent les pratiques et les produits .
. ../ .. ·

- 111 -
Là auss i, des confl its sont poss i bles.
Pour des raisons qui tiennent à leur propre force
de tra va il, l es cadets connai ssent des différences de sort
ou des inégalités sociales entre eux qui peuvent entrainer
des tensions.
De toute façon, la rareté des biens et des signes
de prestige d'une part, et la difficulté de contrôler effi-
cacement les entreprises individuelles recherchant la riches-
se et le pouvoir d'autre part, créent des contradictions.
Les pressions démographiques créent des tensions
et entrainent la fondation des nouveaux villages.
Toutes ces contradictions, tous ces conflits et ten-
sions se réalisent pleinement et efficacement au niveau de
ce qu'on désigne inexactement "sorcellerie" Azé et dont
nous essayerons maintenant de montrer la portée sociolo-
gique dans les lignes qui suivent.
2.-
Les Pratiques et les Comportements liés à Azé
Dans les villages comme dans les villes de la région
qui nous intéresse, ce que nous appelons en français (peut
être inexactement) "sorcellerie" constitue un problème pour
tout le monde. Le discours fonctionna1iste se contente
... / ...

- 112 -
de reproduire l lidéologie qu'il fait semblant d'expliquer,
de redoubler les explications sur qui constitue la teneur
même des croyances dont il rend compte. Ce discours va bon
train jusqu'au moment où,comble d'un paradoxe où l'ethno-
logue superstitieux pourrait bien voir un effet de "sorcel-
lerie", l'image que lui proposait la théorie locale se
dérobe et se change en son contraire, associant la "sor-
cellerie" au pouvoir social et au prestige, le soupçon à
la crainte et la crainte au respect. L'ethnologue fonc-
tionnaliste, dès lors, nia plus grand choix: ou bien
courageusement et honnêtement il continue à reproduire et
à aligner côte à côte des propositions parfaitement con-
tradictoires qui font du "sorcier" un être démuni et riche,
jaloux et comblé, associal et justicier, victime et bourreau,
ou bien (faute de comprendre) il prétend distinguer et cons-
tituer des typologies.
Il suffit dlinterroger n'importe qui, mieux, d'observer les
comportements (gestes, attitudes, paroles, préoccupations,
mouvements, etc ... ) des gens - villageois ou citadins -
pour s'en rendre compte.
La "sorcellerie", Azé (Evé), Azi (Fâ") signifie grosso-
modo un savoir et un pouvoir par lesquels un homme qui les
possède peut "manger" (supprimer ou faire mourir) un autre
homme. Ainsi, quand quelqu'un est malade ou vient à mourir,
quelqu'un d'autre peut être accusé d'avoir provoqué ce
... / ...

- 113 -
malheur. Dans le même ordre d'idées il arrive qu'un village
entier soit abandonné, parce que les habitants s'accusent
de vouloir se "manger ll les uns les autres. Azé est donc
une source de conflits réels.
A l'époque coloniale, les missionnaires et les adminis-
trateurs de territoires qui étaient les agents d'encadrement
de la population de la colonie, avaient réagit contre Azé
au nom du christianisme et de la "civilisation".
Aujourd'hui, nous comprenons que leur entreprise
contribuait à détruire ce qui restait des anciennes forma-
tions sociales africaines afin de préparer les populations
à devenir sujets d'un autre système social et d'un autre
mode de vie.
D'autre part, beaucoup d'intellectuels africains trai-
tent ce phénomène de superstition. En cela ils ne sont pas
foncièrement différents des missionnaires et anciens admi-
nistrateurs. Ils sont plutôt leurs héritiers, car ils
combattent lice principe" en se plaçant à l'intérieur d'un
autre mode
de pensée, idéologique, qui relève, même si ce
n'est pas toujours d'une façon directe, du champ des idéo-
logies des sociétés et de l'histoire de l'Europe.
Comme on le voit, s'intéressent, chacune à sa manière,
plusieurs catégories sociales à Azé.
.../ ...

- 114 -
Qu'est-ce que Azé ?
Notre propos sera de dévoiler un aspect, celui du
phénomène sociologique que constitue Azé tel que ce phéno-
mène se trouve impliqué dans des rapports sociaux au sein
d'une société donnée. Nous nous interrogerons sur l'orga-
nisation interne du phénomène, sa structure ainsi que
les conditions de sa formation.
Au départ se trouverait une relation d'agression.
la nécessité pour les sujets concernés de croire à l'exis-
tence des scènes d'agression qui expliqueraient les
malheurs, réside dans le fait que Azé est une institution
essentielle, parmi d'autres, à la vie et à la bonne marche
de la formation sociale au sein de laquelle il est institué.
C'est donc sa necessité historique qui fait que les sujets
concernés croient en elle, sans se poser des questions qui
dès lors sont superflues.
Avant de montrer le mécanisme de formation et de fonc-
tionnement et en déterminer la raison d'être (non pas leurs
fonctions mais ce qu'ils impliquent) d'un point de vue
sociologique, nous allons d'abord voir ce que représente
pour les concernés le mot Azé.
Azé signifie puissance, mystère. l'acception courante
qualifie cette puissance de maléfique.
.../ ...

- 115 -
Mais celle-ci est susceptible d'être exercée dans n'importe
quel sens, aussi bien dans un sens bon que dans un sens
mauvais. Il s'agit d'une puissance ambivalente qui sus-
cite la peur et la crainte; d'une puissance dangereuse
et bonne pouvant nuire mais aussi protéger. Sur le plan de
son action cette puissance est perçue comme une "intelli-
gence" et un pouvoir d'une autre nature (différente de
l'intelligence et du pouvoir humain), qui permet de do-
miner soit pour détruire la vie ou les biens des autres
hommes, soit aussi pour protéger ou réaliser certains désirs,
tel celui d'acquérir des richesses ou d'affirmer sa person-
nalité.
Parfois pour évoquer cette puissance, alors saisie comme
maléfique et localisée chez une personne donnée, on utilise
des notions qui représentent la nuit, le mystérieux, etc ...
Spéciale et supérieure, l' "intell igence" de nuit permet
de savoir comment se présente la réalité fondamentale des
choses et des êtres humains et dès lors, d'agir sur cette
réalité, dans le sens de soutenir ou de fausser (pertuber)
son ordre et la vie, ou de répandre le malheur.
Ainsi l'intelligence de nuit et le pouvoir qu'elle pose
comme son complément nécessaire permettent d'influencer le
fonctionnement normal de la réalité des choses et des êtres
ou d'agir sur cette réalité, soit pour la soutenir, (proté-
ger) ou la renforcer et réaliser certains désirs, soit
pour la fausser ou lui nuire.
.../ ...

- 116 -
On voit donc que la signification de la notion de Azé
justifie, du point de vue des "croyants", une double réal ité
des choses. Elle justifie tout évènement jugé mauvais: mal
de tête, mauvaise récole, maladie, mort. Elle justifie la
notion de mal, celle-ci trouvent en elle son interprétation.
Dans cette conception, la notion de mal touche les infortu-
nés, la malchance, mauvaise récolte, entreprise avortée,
maladie, mort. ..
Nous nous trouvons en face d'une signification de la notion
de mal totalement culturelle, c'est-à-dire propre à un con-
texte culturel, même si cette signification coincide parfois
avec des maux objectivement organiques.
La notion de mal signifie donc (négativement), le
contraire du désir, de l'attente, de l'aspiration, du normal.
Mourir alors que les autres vivent, échouer au lieu de
réussir, être affecté (maladie organique, stérilité ... )
au lieu de prospérer, etc ... sont autant de circonstances
constitutives de ce manque éprouvé qui naît et commence.
Inutile de préciser que si la notion de mal a essentiel-
lement une signification culturelle, c'est donc la société
et son histoire qui constituent le champ de référence, et
qui, donc, permettent l'interprétation des évènements en
... f ...

- 117 -
terme de mal (anormal) et de normal, compte tenu du mode
d'existence qui caractérise la société en question et son
histoire.
Azé justifie aussi toute réussite sociale en attribuant
celle-ci à la possession d'une force, en la faisant dépen-
dre de la valeur de fortune. Aussi, parce que mise en
cause à propos de tout incident, Azé est-il pour l'ensemble
de la population, une hantise et un symbole de tout ce qui
est, à la fois et contradictoirement, détesté inconsciem-
ment, envié et souhaité (pas nécessairement pour exprimer
une malvaillance).
Celui qui possède Azé s'appelle Azét,. Il possède une
intelligence spéciale et supérieure à l'intelligence humaine
ordinaire; avec cette intelligence, il sait comment se pré-
sente la réalité fondamentale des choses et des êtres hu-
mains et possède un pouvoir de se placer au niveau de cette
réalité, d'en influencer le fonctionnement et d'agir sur
elle dans ce sens qu'elle fausse
ou qu'elle perturbe l'ordre
des choses pour répandre le malheur et stériliser la nature.
Aze~ a donc deux intelligences, celle d'homme du jour
et celle de la nuit. Il a deux regards (deux manières de re-
garder, celui d'homme et celui de AZét~). Comme Azét~
un homme est principalement défini comme une puissance
... / ...

- 118 -
maléfique qui "mange" des gens, ce qu'on pourrait appeler
"anthropophagie imaginaire". Il est donc un homme associal,
mauvais.
Pourquoi "anthropophagie imaginaire" ?
Mange-t-on réellement?
Matériellement, non. Il arrive que certaines personnes
soient accusées d'avoir mangé de la chair humaine après
avoir par exemple mangé un morceau de viande. De cette chair
animale, on dit alors qu'elle est, en réalité, au-delà de
son apparence, chair humaine. Donc si matériellement il
n'existe pas d'acte d'anthropophagie, il y a là un symbolis-
me frappant dont le moins qu'on puisse dire est qu'il repré-
sente, projeté et fixé sur le personnage du Azét~, un désir
de tuer. Ce désir est par ailleurs révélé par des sentiments
d'envie, de haine, de méchanceté et par l'existence des
pratiques d'empoisonnement, fait dont on ne peut douter.
Il est une pratique qui consiste à se servir et à boire le
premier, du vin de palme qu'on va boire ensemble, dans un
verre pour tous, qu'on va utiliser tous, avant de servir
les autres. Cela pour prouver qu'on n'a rien mis dans la
boisson ou dans le verre. Ce fait est pratiquement preuve
de la non existence du poison ou d'une intention d'empoison-
nement, ce qui implique la possibilité d'empoisonnement,
donc de tuer. Mais cela n'explique pas l'allusion faite
... / ...

- 119 -
à "manger", c'est-à-dire aux actes d'anthropophagie; pour-
quoi ne s'agit-il pas seulement de tuer, mais de tuer et de
manger? Pourquoi, plutôt que de le rejeter, s'incorpore
t-on ce que lion suppri me ?
Travaillant au niveau de la psychanalyse, Monsieur et
Madame ORTIGUES se sont intéressés à cet aspect du problème
à propos des troi s ethni es du Sénégal: les Wolof. les Lebou
et les Sérères. Pour eux, les interprétations du mal, qu'ils
appellent "interprétations persécutives" (à savoir l'inter-
prétation par les Rab (ancêtres) , 11 interprétation par les
ma rabouts et l 1 i nterprétat i on par les sorc i ers) sont autant
de systèmes d'interprétation qui correspondraient à des
niveaux différents d'organisation de la personnalité.
Parlant de l'interprétation par maraboutage, ils affirment
qu'elle correspondrait au point de vue descriptif au niveau
génital phalique, tandis que l'interprétation par "sorcel-
lerie" ou anthropophagie imaginaire correspondrait au
niveau prégénital oral. Toujours est-il que liée à la
possibilité d'empoisonnement, Azé n1est pas qu'un danger
immaginaire. Il nlya pas une frontière très nette entre
l es moyens purement mentaux et lia i de que lion paut y
apporter en utilisant de véritables poisons.
Paradoxalement, il existe des gens qui sont de bons Azét~
qui sont tournés vers l'extérieur pour contrer un agresseurs,
... f ...

1
- 120 -
et protéger le groupe social auquel il appartient. Il _
existe plusieurs signes extérieurs variables selon les
circonstances qui permettent de reconnaître un Azét~.
Un homme qui a un défaut physique, qui est handicapé
peut être aussi vu comme victime des Azét~, ou comme
azét,. De même un homme qui n'a pas d'argent ou qui n'a
pas réussi socialement peut être pensé comme AzétJ. Le
contraire est aussi justifi~b1e ou peut être signe de la
possession de "quelque chose". Ainsi, la différence de
statut économique appelle la suspicion.
Un signe de mécontentement peut suffire à celui qui le
fait pour être répéré. Ce signe peut être
Un soupir interprêté comme indiquant l'impossibi-
lité de masquer son trouble intérieur face à un évènement
extérieur, social ;
Un silence devant un cas social, une irritation
méchante; un masque provoquant la sensation d'un état
déplorable, entrainant la jalousie, la convoitise; une
parole prononcée dans laquelle est reconnue une intention
ou une pensée mauvaise; des visites à un malade (un tel
ne vient pas rendre visite à un parent malade, c'est une
preuve qu 1 il cherche à 1e "rnanqer " ; cependant 1e fa i t de
rendre visite à un parent malade ne dispense pas de la
même accusation).
.../ ...

- 121 -
En fait les accusations ne sont pas formulées de manière
anarchique. Il existe un mécanisme de glissement et de
transposition qui les insère comme un moment dans un
processus historique.
Azé peut être acquise par la naissance. Il s'agit là de
Azé congénitale, innée, héritée d'un ancien. Dans ce cas,
un homme peut être inconscient de la présence en lui de
ce pouvoir. Elle peut être acquise par l'apprentissage.
L'apprentissage a lieu par initiation à l'issue de la-
quelle un contrat est conclu pour que l'initié dispose
d'un pouvoir de domination.
Elle peut être acquise par contamination. Quelqu'un croit
manger de la viande de chèvre et ce qu'il mange en a effec-
tivement l'apparence et le goût, mais c'est, lui dira-t-on,
de la chair humaine (pour peu que le repas ait lieu la
nuit). Le voila à son insu promu azét?
Dès lors il entre
dans une relation qui exige qu'il paie la chair humaine
qu'il a mangée.
Nous avons tous dans nos souvenirs (lorsque nous nous
rendions dans nos villages)
nos parents insistant pour
que nous n'acceptions de la nourriture de personne, en
aucun cas. Cet avertissement répond à un double soucis
d'éviter de la sorte d'être contaminé par la "sorcellerie",
et d'éviter d'être empoisonné par des gens mal intentionnés .
. . ./ ...

- 122 -
Le simple fait "d'avoir quelque chose" n'est pas répréhen-
sible en soi, c'est par le fait des actes délicieux qu'on
peut commettre avec, qu'il est répréhensible. De ces actes,
celui par lequel un AzétJ est par excellence, caractérisé,
c'est celui de "manger" des gens, de manger de la chair
humaine, c1est-à-dire de faire mourir quelqu'un.
Si un homme est malade, cela revient à dire qu'un Azét,
tient l'homme malade entre ses mains et qu'il cherche à
le "manqer ", Pratiquement, toute cause matérielle de mala-
die ou de mort qu'elle soit physique, physiologique ou
psychologique est du ressort du Azét,. Derrière les causes
physiques, physiologiques ou psychologiques (qui sont des
causes accidentelles) il y a les vraies causes fondamentales
qui ne peuvent agir que par Azé.
D'où, en cas de maladie, on assiste momentanément à un
abandon des médicaments européens pour parer au plus pres-
sé : découvrir et neutraliser les causes réelles. Donc, un
médicament ne peut de lui-même agir efficacement tant que
la cause fondamentale n'a pas été supprimée. Une bête
sauvage s'est emparé d'un homme et l'a tué, l es parents de
la victime s'efforcent de découvrir les causes du malheur
certes, ils savent bien que selon l'ordre normal des
choses, un fauve, en présence d'un homme sans défense,
s'emparera de lui pour le dévorer. Mais pourquoi cet homme
s'est-il aventuré à tel endroit de la savane juste au moment
... / ...

- 123 -
où y rodait le fauve? Et pourquoi l'animal s'était-il
dirigé de ce côté-là? Bref quelles sont les relations
invisibles qui ont provoqué l'accident?
Il exi ste plus i eurs moyens à l 1 i ntéri eur même de la
croyance en ce phénomène Azé pour se prémunir contre
leurs actions néfastes.
Pour ne pas alourdir ce travail, nous ne les citerons pas
et nous nous hasarderons à dire que le respect de la tra-
dition est un des éléments les plus fondamentaux.
Azé se présente donc comme une théorie qui, à la fois
explique, à sa façon, sa propre existence en indiquant
comment il faut la comprendre
elle permet aux intéressés
de s'expliquer certains faits de leur existence et prescrit
un ensemble de règles de conduite. Plus qu'une simple théo-
rie, elle est un système et un lien de sens, une source
d'interprétation, de questionnement et de réponses.
Comme théorie: les croyances à Azé s'intègrent à une
représentation qui les déborde; leur aspect théorique est
à la fois technique, interprétatif et normatif. La théorie
se prononce sur les diverses modalités d'acquisition ou de
transmission du pouvoir de "sorcellerie" qui varient selon
les sociétés, et peuvent être aussi présentées comme mul-
tiples à l'intérieur d'une même société: le pouvoir se
transmet héréditairement ou par enseignement: il implique
... / ...

- 124 -
toujours une certaine aptitude, un pouvoir dont les signes
peuvent être divers; pour certains, il est un don inné
pour d'autres enfin, Azé tombe comme une maladie conta-
gieuse. Les différentes descriptions qui nous sont pro-
posées de ces modalités d'acquisition peuvent nous intro-
duire à une réflexion sur plusieurs aspects complexes ou
ambigUs du pouvoir maléfique. Hérité, le pouvoir de Azé
est généralement présenté comme une force redoutable,
revendiquée à la limite et rarement dénoncée. Acquis par
hasard, par malchance ou par négligence, il semble plutôt
prédestiner l'azétJ malgré lui à des malheurs inombrables
et à la mort.
Mais on ne juge de la qualité du pouvoir, liée éven-
tuellement aux conditions de son acquisition, que par ses
effets; c'est l'opinion publique ou l'opinion de quelques
uns qui décide, après coup, dans le silence du soupçon ou
l'éclat de l'accusation, de la qualité d'un pouvoir qu'elle
dénonce seulement si elle le juge relatif. Cette ambiguité
en rejoint et en redouble une autre: celle de la nature
même du pouvoir maléfique Azo, ou bénéfique, car souvent le
pouvoir du sorcier et du contre-sorcier sont présentés
comme identiques. D'ailleurs ils portent souvent le même
nom, mais de toute manière, ils ne peuvent être nommés,
reconnus, donc mis en cause qu'une fois la mesure prise
des rapports de force et des dangers courus.
. .. / ...

- 125 -
Technique: la théorie de Azé se prononce donc sur la
nature du don du Azét). Ces distinctions sont assez minu-
tieuses pour que, parallèlement à leurs efforts pour dis-
tinguer les différents aspects de ce don (la IIsorcelleriell
de la "contr-e-sorce l l e r ie " et le maléfique du bénéfique)
les ethnologues se soient vus contraints d'assigner des
limites au phénomène qu1ils étudiaient, d'établir des
distinctions entre les differents types de croyances et de
pratiques touchant aux agressions d'autrui. Il faut recon-
naître que les théories locales sont plus riches ou plus
complexes que celle des ethnologues. La distinction entre
mal heurs particul iers et mal heurs généraux est à l'évidence
très fragile: les difficultés ou la mort d'un individu
peuvent compromettre l'équilibre d'un groupe social ou
susciter des querelles entre groupes sociaux voisins.
Souvent les Azét, sont présentés comme condamnés à vouloir
le mal, susceptibles de choisir leur heure et leur victime
mais non de renoncer à leur condition. Plus responsables
que coupables, ils nous sont alors décrits comme menacés
de mort si le sang des autres ne vient leur rendre vie, ou
condamnés à mort s'ils ne peuvent fournir à leurs associés
des victimes à consommer. Le caractère volontaire ou invo-
lontaire de l'acquisition est lui-même très relatif;
entre deux pôles extrèmes (l'hérédité et l'apprentissage qui
ne paraissent pas tellement définir des catégories radicale-
... / ...

- 126 -
ment distinctes), les nuances sont nombreuses, qui
vont du pur hasard (erreur commise sur la nature d'une
nourriture ingérée) à la négligence (une femme en-
ceinte prend sa douche au soir tombé et l'esprit d'un
azét~ mort, errant aux alentours du village s'abat sur
l'enfant qu' ell e porte) ou à l a faute (un jeune homme
traite avec impertinence ou légèreté un viellard qu'il
ne connait pas ou qu'il croit connaître, victime d'une
apparence, et il se trouve enrôlé du même coup dans
l'a ssoc i at ion ma l éf i que) .
La théorie de Azé est aussi interprétative.
Elle se prononce sur les forces respectives des indi-
vidus impliqués dans les phénomènes de Azé : jeunes
et vieillards, hommes et femmes, sorciers et conte-
sorciers. En second lieu, elle assigne un domaine à
l'action du azét, en ce sens que d'une part elle trace
les limites sociales et géographiques de son efficaci-
té, d'autre part, elle dénombre les faits dont l'ex-
plication relève de ce principe Azé. Les limites géo-
graphiques sont elles aussi présentés de façon très
diverses; un déplacement géographique semble souvent
être considéré comme une bonne protection et des
enfants sont souvent confiés à des parents éloignés
pour cette raison; cependant le thème du don d'ubi-
quité et du "vol de nuit" semble indiquer que la
menace est partout présente.
.../ ...

- 127 -
La théorie de Azé est également interprétative en ce
qu'elle énumère les faits qui relèvent normalement d'une
explication par ce principe. Elle décrit des symtômes et
exquisse une étiologie. Au total, elle s'intègre à une
nosologie qui constitue l lun des régistres de représenta-
tion commune aux diverses régions distinguées par l'ethno-
logie classique (religion, magie, sorcellerie, médecine,
code juridique,etc ... ).
La théorie, naturellement, conditionne la pratique, ne
serait-ce que par son aspect interprétatif; elle la com-
mande directement par ses aspects normatifs: elle prescrit
un ensemble des règles de conduite que doivent suivre ceux
qui ne veulent pas être victimes des azé~, ou qui ne veu-
lent pas (ce qui, parfois revient au même) êtr~accusés
de azét3. Le phénomène sociologique de ce principe azé cons-
titue bien aussi une pratique dans la maesure ou les croyan-
ces à azé ne sont manifestées et mises en oeuvre qu'à
l'occasion de procédure de divination, d'interrogation ou
d'accusation qui ne sont ni arbitraires ni indifférentes.
Ainsi, Azé est une forme d'intervention dans la pra-
tique sociale, en ce qu'il y a d'accusations, en ce qu'elle
intervient à certaines occasions dans les rapports sociaux
et sert en définitive à reproduire la société. Ce que les
individus arrivent à percevoir, c'est l'état de leur per-
sonne ou de leur corps: c'est la maladie, la mort, la santé,
'.~
... / ...

- 128 -
la réussite, l'échec, l'angoisse, l'espoir. Ainsi est
masqué le mécanisme réel du fonctionnement du système so-
cial et celui-ci se reproduit. On peut seulement se deman-
der si un effort pour comprendre le phénomène de Azé
simultanément sous tous ces aspects (à la fois comme
élément dlidéologie et comme pratique, instrument insti-
tutionnel et symbolique) ne serait pas apte à mieux rendre
compte de sa réalité sociologique; le système de Azé se
présente comme l'explication du monde réel, non comme
son reflet, il l'interprète; à la limite, c'est le
réel lui-même qu'il faudrait présenter comme le théâtre
d'ombres dont la vérité est ailleurs
l'image serait
fausse sans doute, car le combat des âmes sorcières n'est
pas un combat hors du monde: ses jeux, ses enjeux et ses
issus s'inscrivent dans la chair des hommes, se traduisent
ou se reformulent en enjeux sociaux,en termes de pouvoir
et de défa ite.
Aussi si une réputation de azét~ peut avoir quelque
chose de flatteur, cette réputation n'est flatteuse que
dans la mesure où le mot de azé n'est pas prononcé, dans
la mesure où le poids social du soupçonné interdit qulil
fasse un accusé. La loi sociale est une loi du silence
qui désigne ceux qui ont le droit de la transgresser;
les pouvoirs bénéfiques et maléfiques dont seuls leurs
effets publiquement estimés permettent de les qualifier,
... / ...

- 129 -
s'héritent selon des lignes préférentielles qui sont
tout à la fois des lignes de forces et des lignées
sociales.
Seuls peuvent se montrer forts sans trop s'exposer ceux
qui sont en situation sociale de le faire. La dialectique
du soupçon et de l'accusation qui commande apparemment
tout un secteur de la vie africaine lignagère ne se
comprend qu'en fonction des conditions de plausibilité
de l'accusation. On peut ainsi essayer de rendre compte
du double discours par quoi nous est évoqué la condition
du azét3 : être jaloux, envieux, misérable et méprisé
et aussi comme un être triomphant, riche, fort. Cette
ambiguité du terme correspond à son ambivalence sociolo-
gique ; il y a azét~ qu'on soupçonne (et celui-là est
du côté du pouvoir), il y a celui qu'on accuse (et celui-
là est tenté peut-être de faire croire à des pouvoirs
qu'il n'a pas). La prétention sans l'assise sociale est
toujours sanctionnée.

- 130 -
CHAPITRE IV
LA MEDECINE TRADITIONNELLE
A/-
Généralités
Les différentes races qui peuplent l'Afrique ont con-
servé leur particularisme einique, linguistique, ainsi que
leur us et coutumes propres; mais elles ont en commun, à
quelques variantes près, une série de croyances relati
à l a vie, l a ma lad i e et l a mo r t .
La majesté d'un fleuve, la violence d'une chute d'eau,
la taille et la solidité d1un arbre, la puissance d'un
fauve, etc ... frappent l'homme le plus primitif, et cela
n'est pas propre à l'africain seul: les croire capables
d'agir et de penser comme l 'homme est un acte logique de
l'intelligence humaine. Tout aussi logique est le fait de
les imaginer agissant avec une puissance bien supérieure à
sa propre force, lui qui dans ce domaine est certainement
l'être le moins doté par la nature. Aussi sur le plan
humain, la pensée d'une force inconnue et mystérieuse
agissant sur son propre organisme en le poussant à l'action
ou au contraire en inhibant ses possibilités vitales est
un concept facile à appréhender.
.../ ...

- 131 -
Au Togo, l'origine de l'art de guérir, bien que dif-
féremment interprétée par chaque ethnie, résulterait des
observations des premiers chasseurs. Ceux-ci auraient
constaté pendant leurs moments d'affut, que des animaux
malades se nourrissaient et se nourrissent assurement en-
core de plantes choisies uniquement à des fins curatives
et revenaient régulièrement à ces végétaux jusqu'à leur
guérison complète.
De nos jours encore, de nombreux récits en font men-
tion et précisent que les animaux malades changeaient
parfois de remèdes en s'adressant à d'autres plantes à
effet curatif complémentaire en reconstituant. C'est ainsi
que l'instinct de l'animal servit une fois de plus à
édifier l'homme dans la lutte pour la vie.
Indépendamment de la précieuse découverte des chas-
seurs, les mêmes traditions orales veulent qu'un certain
nombre de plantes et de recettes aient été objets de révé-
lation soit en songes, soit par des génies de la forêt,
de l'eau (cours d'eau et océans), des montagnes, ect ...
Par ailleurs, de nombreuses recettes furent fournies
par les voyageurs au cours de brassages occasionnés par les
guerres intertribales. C'est ce qui expliquerait l lut i l t-
sation d'une même plante dans des pays très éloignés les
uns des autres à des fins médicinales identiques .
.../ ...

- 132 -
Depuis, la nature nia cessé de nous instruire et clest
ainsi que l t art de guérir ne tarda pas à devenir une véri-
table science dont les techniques et les méthodes se
perfectionnèrent et s'accrurent à travers les âges.
Dès que lui est venu la conscience de notions telles
que la nécessite de se protéger contre ces forces inconnues
et mystérieuses, le désir de les avoir à son service pour
renforcer sa faiblesse ou combattre ses ennemis, l 1 homme
africain a cherché à dégager et à distinguer ce qui est
utile de ce qui est nuisible, ce qui nourrit et permet
de vivre de ce qui tue.
Menacé dans sa santé, dans un milieu hostile et en
perpétuelle lutte pour survivre, l'individu concentre toute
son énergie vers un seul but : guérir. Toutes ses espéran-
ces humaines vont vers le thérapeute (médecin) qui endigue-
ra son mal, d'où 11 importance particul ière qui caractérise
la fonction de thérapeute dans chaque société africaine.
Si en Europe le nombre des guérisseurs est plus impor-
tant que le nombre des médecins, ils n'ont aucun statut
aucune reconnaissance de droit et sont pourchassés et
jugés pour exercice illégal de la médecine. Et les méde-
cins sont puissants. (Cf. l Iordre des médecins) .
En Afrique les guérisseurs forment l'extrême majorité
des instances thérapeutiques. La médecine occidentale,
... / ...

- 133 -
quoique implantée, ne peut résourdre tous les problèmes
sanitaires de la population; le guérisseur a donc sa place.
Le guérisseur - le tradipraticien - est)lui, au point d'ob-
servation et de concordance de tous les systèmes sociaux
empreints d'une dimension sacrée que lui confère entre
autres sa position de lutteur contre la douleur et la mort.
Douleur et mort ne sont pas seulement bactériologiques,
parasitaires ; il y a aus~i la douleur psychologique, so-
ciale et économique dont llexpression passe par le coprs.
Si l'occident a opéré une rupture entre l'esprit et le
cor ps , liA f r i que elle n' a j ama i sou blié que l' 0 i seau et
l'arbre sont intimement liés. La fréquentation des tradi-
praticiens nous le rappelle à chaque instant et il serait
dommage que le scientifique africain se laisse aller, dans
un souci de rationalisation et de rentabilité, à oublier
cet aspect fondamental de la thérapeutique africaine; car
chacun de nous sait bien que si le tradipraticien soigne
avec la phytothérapie, il ne fait pas que cela. Il entoure
ses soins par les plantes, d'un ensemble de pratiques que
l'on dit "magiques" dans la mesure où elles ne sont pas
comprises. Mais l'observation montre qu'elles renvoient
en fait à une connaissance profonde de l'être humain, de
sa psychologie de sa relation au groupe et au cosmos.
Le tradipraticien sait bien que si le produit adminis-
tré est efficace au niveau somatique, l'esprit et le corps
ne sont pas deux entités indépendantes mais au contraire
... / ...

- 134 -
1
1
intimement intriquées. Même sans se situer dans le domaine
particulier de la maladie mentale, soigner le corps ne suf-
fit pas, il faut encore agir sur l'aspect psychologique
et cosmogonique de l'être humain.
Si la récupération du tradipraticien ne se fait que
par ses plantes, elle peut n'avoir que le sens d'un pi1-
1age. La recherche en pharmacopée africaine nous semble
;, empreinte d'un risque. Celui d'un appauvrissement consi-
dérab1e de la très riche médecine traditionnelle. Car en
fait, .l a maladie n'est pas que maladie d'une société, ma-
1adie d'une cosmogonie; la maladie est rupture et la
thérapeutique ne peut être que réintégration dans l'être
propre, dans le groupe, dans la cosmogonie.
Le pouvoir de guérir n'est pas un donné isolé, indé-
pendant)agissant toujours de la même façon. Il est tribu-
taire de l'environnement et en particulier de la relation
avec le guérisseur. Il doit être demandé, orienté, renfor-
cé. Le rituel de la cueillette (choix de l' "individu
arbre", préparation de l'officient, paroles adressées à
l'arbre, gbésa (1), offrandes compensatrices, modes,
préhension ... ), comme le rituel de1a préparation du pro-
duit qui sera proposé à l'homme malade (modalités, temps
et lieu, pi11onage, incantations, objets investis de
puissances, mêlés à la plante en des temps précis du
travail de transformation ... ) indiquent bient qu'il s'agit
(1)
Devise, parole chargée de puissance .
.../ ...

- 135 -
d'autre chose que la pharmacopée au sens occidental et
scientifique du terme. L'homme communique avec la plante et
c'est parce qulil y a communication que le pouvoir de gué-
rir peut être utilisé dans un sens bénéfique par le
tradipraticien.
Les tradipraticiens répètent d'ailleurs volontiers:
"Je peux t'indiquer toutes les plantes, le détail des pré-
parations, mais si tu les cueilles n'importe comment, si
tu ne prononces pas les gbésa, si tu n'es pas préparé
pour ce travail, la plante ne guérira pas. Bien mieux,
l'effet peut être contraire. Pour que tu pu i sses faire com-
me moi il faut que tu deviennes comme moi".
Si nous nous référons aux travaux du comité d'experts
de l'O.M.S. sur la médecine traditionnelle (colloque du
9 au 13 Février 1976) il en ressort que: "le guérisseur
traditionnel est une personne qui est reconnue par la
collectivité dans laquelle elle vit, comme compétente pour
dispenser des soins de santé, grâce à l'emploi de substan-
ces végétales, animales, minérales et d'autres méthodes
basées sur le fondement soc i o-culture l et rel i gi eux, auss i
bien que sur les connaissances, comportements et croyances
liées au bien être physique, mental et social ainsi qu'à
l létiologie des maladies et invalidités prévalant dans
la collectivité".
.../ ...

- 136 -
Il résulte de cette définition que la médecine tradi-
tionnelle subit une grave mutilation quand on tend à l'assi-
miler comme clest souvent le cas à une simple étude des
plantes médicinales c'est-à-dire à une simple phytothérapie.
Si le règne végétal a une place de choix dans la
médecine traditionnelle africaine, il faut reconnaître que
la conception d'origine considère la plante comme support
de la "force intangible" et seulement après, comme efficace
par elle-même. Or la plupart des recherches en médecine
traditionnelle ont pour objet la pharmacopée. Il s'agit
dans ces recherches de repérer auprès de ceux qui utilisent
les plantes, les espèces pharmacologiquesintéressantes, de
préciser la partie active, de procéder soit à des extrac-
t i ons soit à des prépara t i ons pour l'ut il i sa t i on thérapeu-
tique. Cet aspect de la médecine est strictement biologique.
Même à ce niveau, il faut souligner que, pour le tradiprati-
cien, la plante n'est pas réduite à son aspect biologique.
Le rapport entre guérison et effet curateur, et la plante
n'est pas simple.
Il ne s'agit pas seulement d'une action
pharmacologique. La plante ou l'arbre est reconnu comme
individu pris dans le réseau des relations qui unissent tous
les existants.
Le rituel thérapeutique est plus ou moins complexe.
Son but est de rétablir l'ordre social, instaurer une rela-
tion efficace entre l'homme et la loi du groupe, qui est
celle aussi des dieux et des ancêtres. L'accord est réalisé
.../ ...

- 137 -
entre tous les participants (tradipraticien et ses assistants,
le groupe familial, le malade, les ancêtres et les vodu ) par
les conditions du rituel, mise en ordre symbolique à laquelle
tous participent par le verbe, la danse et le rythme. On
constate donc que dans le rituel thérapeutique, il n'y a pas
isolement, mise à l'écart, rejet, rupture de communication
entre l'individu malade, sa famille et le groupe. Le malade
ne subit pas de contrainte des autres, il est respecté dans
sa dignité de personne.
Le Concept d'Ambivalence
Il nous paraît indispensable de bien préciser le con-
cept d'ambivalence en psychologie, psychopathologie et
sociologie, puisqu'en fait le concept de maladie englobe
ces trois aspects. Nous examinerons tout d'abord la concep-
tion de Bleuler dans son acceptation la plus étroite, prise
uniquement dans un sens psychopathologique.
En effet, le mot a été tout d'abord associé à la schizophré-
nie, forme grave de psychose se caractérisant par une alté-
ration du sentiment et des relations avec le monde exté-
rieur. L'ambivalence en est un des symptômes majeurs: car
chez le sujet, une pensée, un sentiment, une tendance, s'af-
firment et se nient simultanément. Par exemple, il énonce
une proposition et son contraire ou encore il manifeste
envers une même personne d'autant d'amour que de haine .
. . ./ ...

- 138 -
Ce terme a été ensu ite repri s par FREUD. Il lia exp li -
cité dans une grande partie de ses oeuvres notamment dans la
"dynamique du transfert" et lui a donné vers la fin de sa
vie une importance accrue dans l'élaboration de sa théorie
du confl it. Dans son ouvrage "Totem et Tabou" (1), tra itant
de la vie sociale des peuples "primitifs" (toute réserve
faite sur l'emploi du terme "primitif") en reprenant la défi-
nition de BLEULER, FREUD met surtout en évidence l'ambivalen-
ce de la névrose obsessionnelle. Il compare cette névrose au
tabou en vi gueur chez les "primi tifs ". Pour lui, le tabou
présente deux significations opposées: d'un côté celle du
sacré, consacré ide l 1autre, ce 11 e dl i nqui étant, de dangereux,
d'interdit, d'impur. Clest ainsi qu1au tabou se rattache la
notion d'une sorte de réserve, et le tabou se manifeste
essentiellement par des interdictions et des restrictions.
Les peuples "primitifs" ont adopté à l'égard des prohibitions
tabou une attitude ambivalente. Leur inconscient serait heu-
reux d'enfreindre ces prohibitions, mais ils craignent de le
faire; et ils le craignent parce qu'ils voudraient le faire,
et la crainte est plus forte que le désir.
De cette théorie de FREUD, nous retiendrons que l'ambivalence
est inhérente à la "nature humaine" et qu'il y a simplement
une différence de degré entre l'ambivalence "normale" et
l'ambivalence "pathologique".
(1)
Payot 1951
... / ...

- 139 -
Au niveau psychanalitique, c'est principalement
Mélanie KLEIN, qui a utilisé la notion d'ambivalence. Ce
concept est pour elle primordial, car jamais l'amour de
l'objet ne se sépare de sa destruction. La pulsion est d'am-
blé ambivalente. L'ambivalence devient une qualité de l'ob-
jet lui-même contre laquelle le sujet lutte en le clivant
en "bon" et "mauvais" objet. Pour elle, l'ambivalence
apparait chez l'enfant, dès la première année. Ce dernier
est exposé au conflit entre les sentiments d'amour et de
haine et aussi de culpabilité, envers un seul et unique
objet.
Pour G. RDHEIM (1), une des grandes forces de l' hi s to i-
re humaine et que l'on peut déduire du relatif état de dé-
tresse de l'homme au commencement de sa vie est le conflit.
Psychanalyste, ROHEIM pense en effet que l'homme est perpé-
tuellement soumis au conflit. L'ambivalence est un des as-
pects de la "nature humaine", les autres étant: l'attitude
antisexuelle de tous les êtres humains, la recherche de
nouveaux objets, la répression,
le conservatisme. La cul-
ture résulte de l'interaction entre Thanatos et Eros : l' ins-
tinct de mort et l'instinct de vie. L'enfance retardée de
l 1 homme fa it qu i il ne supporte pas l' i ncert itude. Sa dépen-
dance vis à vis de l'objet aboutit à l'introjection et à
toute l'ambivalence qu'elle comporte.
(1)
Psychanalyse et anthropologie, NRF, Gallimart 1967 .
. . ./ ...

- 140 -
Dans une perspective à la fois sociologique, ethnologi-
que et psychanalytique, nous citerons R. BASTIDE (1).
Ana-
lysant les rapports psycho-sociologiques du noir brésilien
et du "col ori' blanc, il note que la frustration sociale
dont souffre le noir a des racines beaucoup plus profondes
que celles du handicap économique. Il montre une introjec-
tion du père sadique chez l'afro-américain, née du contact
avec le "blanc". De même, il signale un dualisme de la mère
taboue qui correspondait sur un autre plan, au dualisme du
père: la maîtresse blanche et la maman noire. Il ajoute que
le narcissisme du noir est l'intériorisation du narcissisme
du blanc. On hait donc ce que l'on voudrait en même temps
posséder, on se dresse contre soi en se dressant contre les
autres. L'ambivalence joue en plein.
L'ambivalence apparait ici dans une perspective sociologi-
que et non plus seulement psychologique.
Ambivalence et la notion de maladie
La maladie est avant tout la manifestation d'une puis-
sance surnaturelle, mais aussi humaine par le truchement de
Azé (2) et Ebo (3). Danger permanent et redoutable. elle est
l'objet d'attentions constantes de la part de la société qui,
par des moyens curatifs et préventifs de toutes sortes,
essaye de l'endiguer. A part quelques petits maux bénins
(1)
Sociologie et psychanalyse, PUF 1950
(2)
Azé
Mystère (synonyme de sorcellerie?)
(3)
Ebo
Objet chargé de puissance. Puissance attachée
aux matières et parfois aux paroles .
.../ ...

- 141 -
et insignifiants, la maladie nlest pas d'ordre simplement
physiologique. Elle fait partie du domaine religieux et
c'est par ce biais que l'homme se doit de l'aborder, de la
subir ou de la vaincre. Elle n'est pas un simple désordre
personnel, physiologique ou psychique, elle met en cause
la condition humaine d'existence tout entière. Elle est le
plus souvent envoyée par les dieux
qui, par son intermé-
diaire,manifestent leur existence aux humains, les punissent
des fautes commises, conscientes ou inconscientes. A ce
niveau, la signification première de la maladie est la puni-
tion et par là même, moyen de communication du naturel et
du surnaturel. Les dieux ont droit de vie et de mort sur la
société et il est bon que les hommes ne l'oublient pas. Or.
ceux-ci, parfois négligents, les blessent et les outragent
et c'est alors tout l'édifice social qui peut être remis en
cause par le pouvoir qu'ont les dieux d'envoyer cataclysmes
ou épidémies. Ainsi l'homme marqué par ce sceau particulier
doit quémander leur pardon, non pas en tant que simple indi-
vidu, mais en tant que membre de la société, perturbateur de
l'équilibre social. Mais ce perturbateur n'est pas totalement
nocif et négatif, car du sein même de sa faute naît le dia-
logue renouvelé des dieux et des hommes : les premiers par-
lent et se manifestent par ce corps malade, appelant, par là
même une réponse des seconds.
Mais la maladie peut avoir des sources autres que divi-
nes. Elle peut être le résultat de manoeuvres magiques .
.../ ...

- 142 -
Lorsque des conflits inter-individuels surgissent, les prota-
gonistes peuvent user de moyens agressifs qui, pour être
indirects, n'en sont pas moins efficaces. Une façon clas-
sique de se débarasser d'un rival ou d'un gêneur est d'al-
ler consulter un voduno qui pourra fournir des charmes
maléfiques (plantes à faire absorber, objet particulier à
enterrer près de la case ... ) qui auront raison de la santé
physique ou mentale de la victime. Les coépouses connaissent
parfaitement ce genre de démarche dont elles sont tour à
tour victimes ou bénéficiaires. Ces procédés ne sont pas
rares, mais ne menttent généralement pas en danger la vie
de l'agressé.
Une dernière cause de maladie, très grave, celle-ci,
car elle peut entraîner la mort, se trouve au niveau de ce
que nous justifions par Azé. La différence entre le simple
Azodat~, faiseur de charmes Azo, et le azétj réside dans le
fait que ce dernier s'attaque au principe vital de l'indivi-
du. C'est un mangeur de Kla (1). Il prive la personne de
toute sa vitalité. Celle-ci dépérit plus ou moins rapidement
et la guérison est impossible, à moins de retrouver le
responsable.
De toute façon, les dieux restent les acteurs princi-
paux dans ce domaine. Il arrive aussi qu'ils soient quelque
peu maniés par les tradipraticiens qui les invoquent afin
qu'ils aillent importuner tel ou tel individu.
(1) Kla
l'âme que dérobe et que "mange" le sore i er Azét1 .
.../ ...

- 143 -
En fait, le concept de maladie varie avec la notion de
gravité. Au sujet d'une maladie courte et bénigne, on ne se
pose pas de questions. Une migraine, un simple rhume, une
courbature passagère sont soignés à l'aide de plantes spé-
cifiques et connues comme guérissant ce genre de maux. Ces
soins se font soit directement, au niveau de la médecine
familiale (on connait la plante, on va la ramasser et on
l'utilise tout simplement), soit par l'intermédiaire d'un
amasin~ (1) qui vend la médecine sans utiliser aucun procédé
religieux ou magique. A ce premier stade, la maladie n'a pas
de véritable portée sociale et ne retiendra pas l'attention
générale.
A un autre niveau, lorsque la maladie reste rebelle au
simple traitement, lorsqu'on reconnait un mal très caracté-
, ,
ristique, on pense immédiatement à l'attaque d'un vodu.
Ce sont le plus souvent, les bokono ou voduno qui font ce
diagnostic par la divination ou les rêves qui leur indiquent
la cause de la maladie, le nom du vodu persécuteur et la
, ,
thérapeutique de guérison. Ces vodu recherchent les homages
permanents de la part des hommes, ils en éprouvent la néces-
sité pour se sentir exister auprès d'eux. Ces derniers les
honorent parce qu'ils reconnaissent leur supériorité et
parce qu'ils en ont également besoin. Cette exigence réci-
proque est à l'orig"ine de la communication permanente entre
sacré et profane, concrétisée par les rituels. Or il arrive
(1)
Amasino, GbedatJ
herboriste.
. .. / ...

- 144 -
que les hommes soient défaillants, négligents, imprudents
envers le surnaturel. Ils profanent (le plus souvent invo-
lontairement) leur demeure terrestre, ils oublient les
sacrifices qui leur sont dus, ils leur manquent de respect
dans leurs propos, ils violent un tabou, ils sont voleurs,
menteurs, ils veulent jeter des sorts à leur voisin ...
Très versatiles au sujet des égards qui leur sont dûs, les
, \\
vodu sont aussi détendeurs de la morale sociale et savent
punir les fautes commises. Ils sont juges suprêmes et
sévères des actes des hommes et aiment le faire savoir.
Satisfaits, ils envoient la "chance", la "fortune" ; mécon-
tents, ils annihilent, de façon plus ou moins permanente, la
force des hommes par la maladie. Ce rappel à l'ordre n'est
qu'un besoin de contact nouveau, un ressèrement de liens
, \\
nécessaires: en effet, ou l'homme se répent et le vodu
accepte de le guérir, ou il néglige l'avertissement et finit
par mourir après une longue souffrance.
Ainsi, un homme malade, l'est d'abord dans son corps:
sa puissance et sa rentabilité sont amoindries voire anéan-
ties. La maladie l'atteint aussi psychologiquement car il a
conscience d'avoir commis une faute et le sentiment de l'in-
justice ne l'effleure pas, même s'il n'arrive pas à circons-
crire la faute qu'il a pu commettre. Un sentiment d'angoisse
, ,
l'envahit et il n'aura de cesse de connaître le nom du vodu
qui le tourmente afin d'apaiser son courroux et d'implorer
son pardon. De plus, il perturbe la vie du groupe: la colère
... / ...

- 145 -
, \\
du vodu peut, par contagion, gagner tout le groupe familial,
voir le village tout entier, en provoquant épidémies et ca-
taclysme. C'est donc aussi la pression sociale qui le pousse
à se soigner.
Bf-
Les Différents Tradipraticiens
Refoulés à la périphérie des villes et surtout
à la
campagne, les tradipraticiens pratiquent une médecine globa-
le : soigner l'individu dans sa totalité, c'est-à-dire
soigner la personne dans ses relations avec l'environnement
humain.
Dans le monde traditionnel qui ignore aussi bien les
conquêtes que les découpages du rationnalisme, la société
réserve grosso-modo le même traitement conceptuel à ce
qu'on appelle couramment maladies mentales, somatiques ou
physiques, ou ce que nous pouvons encore nommer infortune
sociale ou biologique.
En effet pour ces sociétés, tout évènement, tout geste,
toute attitude font signe et peuvent être soumis à une gril-
le d'interprétations permettant de déceler et de lire, der-
rière chaque désordre individuel, le désordre social qui
en est la cause et pour ainsi dire la vérité .
.. .f .. ·

- 146 -
Clest ainsi que si nous présentons le cas de l 'hyper-
activité à leur observation clinique, qu'ils soient tradi-
praticiens ou hommes du commun, les peuples de la côte du
Benin nous diront que l'individu qui ne se tient pas tran-
quille, va et vient sans but évident, entreprend et abandon-
ne fièvreusement ses actions, que cet individu est probable-
ment sous l'influence d'un travail magique effectué par un
azodat:> à l a demande d'un des ri vaux du malade que l'amour
ou la soif de la richesse a plongé dans la jalousie.
Si nous lui demandons l'origine-de son mal, le malade nous
dira quelque chose comme ceci : limon mal n'est pas en moi,
dans mon corps ou dans mon histoire d'individu, il est le
signe d'une agression ou l'insistant retour d'une intention,_
venues de l'extérieur. Mon mal est l'effet du désir d'un
autre qui m'en veut pour quelque raison".
Tous ces traits contribuent à nous faire comprendre en
quoi l'interprétation magique du malade, l'interprétation
persécutive enracine dans son inconscient, l'ouverture sur
autrui, ou si l'on préfère, le sens social de sa maladie.
Son mal est d'emblée le mal de l'autre.
Lorsque la maladie est considérée comme le signe de la malé-
diction, ou de l'élection divine, de la transgression ou de
l'erreur, de l'intervention bénéfique ou maléfique des vodu
ou des ancêtres, l'étiologie du mal a toujours une existence
sociologique et un sens politique. Il faut donc que le tradi-
praticien soit extérieur à l'entourage immédiat du malade,
... / ...

- 147 -
ne serait-ce que parce que cet entourage a toute chance d'être
pour quelque chose dans la maladie et en tout cas d'être
concerné par elle.
Le tradipraticien (Bokonô, vodunô) a sa place dans l'u-
nivers villageois ou intervillageois : place marquée géo-
graphiquement et symboliquement, dont le consultant ne
franchit le seuil qu'en marquant à son tour sa reconnais-
sance du caractère particulier, sacré, du lieu thérapeuti-
que; une fois le seuil franchi, les apparences changent.
Pour illustration, prenons le cas des couvents Evé,
où les pensionnaires n'entrent, pour guérir et pour servir,
qu'après y avoir été appelés par une maladie, par le truche~
, \\
ment du vodu lui-même ou d'un ancien adepte décédé; le
simple visiteur doit changer de tenue et de comportement,
boire et saluer de la main gauche par exemple. Les spécia-
listes de l'épidémie sont tenus d'adopter rituellement des
conduites inverses de celles auxquelles sont tenus les autres.
Ainsi, les femmes rattachées au culte du V~d~ AVLEKETE (lui-
même présenté comme le dieu le plus fantaisiste et le plus
fort du panthéon de l'Est Togolais) se remarquent par leurs
interventions comiques et saugrenues, leurs provocations,
les danses à caractères inverses. Ce sont elles aussi qui
chassent l 1 impureté du vi 11 age et notamment l a vari 0 le,
comme si leur habitude de l'inversion les rendait aptes à
controler la grande inversion, celle a~ terme de laquelle,
... / ...

- 148 -
le dieu de la variole Sakpata, écoeuré de se voir offrir par
elles les nourritures et les boissons qui lui sont interdi-
tes, s'enfuira avec le fléau qui le définit et dont il ne
protège la communauté que pour autant qu'il s'y identifie.
Ambivalence du mal, ambiguïté de l'action thérapeutique
et du thérapeute lui-même, marquage géographique et symbo-
lique du territoire thérapeutique: toutes ces notions
définissent un pouvoir. On ne s'étonne pas dans les socié-
tés traditionnelles que ces notions puissent s'identifier
au pouvoir tout court, puisque le bokono ou Vodun~ est le
seul habilité par les Vodu, les ancêtres, à voir clair, et
à discerner dans le comportement de ceux qui viennent à lui
le signe d'autre chose.
Ainsi donc, la maladie de l'individu renvoie à sa rela-
tion avec autrui ou même à une relation sociale qui ne le
met en cause qu'indirectement.
Par exemple, les lagunaires du sud Togo et du Dahomey
estiment que la diarrhée des jeunes enfants, sous ses formes
les plus pernicieuses, est due à une mésentente des parents
ou à une querelle familiale: lorsqu'un homme crache le
sang, sa femme peut-être soupçonnée d' avoi r commi s l' adul-
tère sur la couche conjugale.
La fol ie fait l'objet d'analyses, de descriptions, de caté-
gorisations précises: elle est souvent comme la mort attri-
buée à l'action d'un homme puissant et malvai11ant, un Azét)
... / ...

- 149 -
dont le Kla se porte en double sur sa victime. Mais le
Azét~ ainsi conçu, n1est jamais une personnalité indifféren-
te ; chaque société présente et impose à ceux qui la compo-
sent des théories précises qui définissent les lois et les
sphères de transmission et d'exercice de pouvoirs bénéfi-
ques et maléfiques. Tous les diagnostics ne sont pas pos-
sibles, mais tous dénoncent la perturbation d'une relation
sociale dont le rétablissement importe plus encore que celui
de l'équil ibre biologique qui n'en est que l'expression et
pour ainsi dire la métaphore.
C'est que l'individu se définit par son "entourage, par
la combinaison de lignes de forces et d'hérédité qui le
rattachent, par le jeu de la filiation et de l'alliance
par
rapport à ses ancêtres, à plusieurs lignages, à sa classe
d'âge. Sa situation d'ainé ou de cadet issue d'une branche
ainée ou cadette, son appartenance à un lignage plus ou moins
puissant, définissent la somme de ses conduites possibles et
au-dela, la somme des diagnostics plausibles qui sanctionnent
ses écarts de conduite, sa maladie, sa déraison; car s'il
est bien vrai pour la logique traditionnelle que la folie
est une maladie comme une autre il est encore plus vrai que
toute maladie parce qu'elle ne peut naitre que de l'aveugle-
ment ou d'une faiblesse essentielle, est une manière de folie.
Pour le bokono, voduno, tout symtôme est le symptôme
obligé d'une mauvaise relation: tout malade peut faire
figure d'accusé, tandis que tout tradipraticien fait figure
... / ...

- 150 -
de juge, qu'il s'en prenne au malade lui-même ou a l'auteur
de son mal.
Ainsi, c'est parce qu'il s'intéresse à la cause du mal
que le médecin traditionnel est bien d'avantage un sociothé-
rapeute qu'un psychothérapeute. De cette constatation peu-
vent découler quelques remarques.
1.-
Tout d'abord, les ethnologues et les ethnopsychia-
tres courent peut-être parfois le risque d'idéaliser les
pratiques thérapeutiques des populations qu'ils étudient ou
parmi lesquelles ils travaillent; l'expérience des sociétés
africaines montre assez que dans la communauté villageoise,
l'intérêt qui est porté à la maladie dépasse de loin la
seule personne biologique du malade, il est de même ordre
que celui qu'on porte à la mort; on ne guérit pas la mort,
mais on interroge la mort, on donne la parole au cadavre
(les modalités de cette prise de parole silencieuse pouvant
varier d'une société à l'autre). S'il faut qu'il parle et
qu'il accuse, c'est qu'il faut éliminer la menace dont la
mort témoigne, et pour éliminer cette menace, mettre à l'or-
dre du jour le désordre social. D'ailleurs, certaines ana-
lyses du chamanisme, dans la littérature ethnologique,
présentent le bien-être social qui résulte de la cure réussie,
de l'expulsion en public du principe mauvais qui habitait le
malade, comme un effet secondaire.
... / ...

- 151 -
Or il semble donc que clest très souvent le rétablissement
de ce bien être social qui est d'abord recherché; ce sont
souvent les mêmes spécialistes qui se prononcent sur les
causes de la mort et sur celles de la maladie, et notamment
sur celle d'entre elles qui est présentée comme presque
identique à la mort: la folie.
2.-
La seconde remarque toucherait à la fragii1ité, dans
ce type de représentation, de la distinction entre la norme
et la déviance. La déviance est quotidienne: elle est ce qui
permet au spécialiste, à celui qui voit clair, de reformuler,
à tout instant, la nécessité d'une vérité toujours dérobée
dont on ne mesure les exigences que sur les aléas plus ou
moins pénibles de la vie de tous les jours, la malchance,
le malheur, la maladie.
3.-
Il faut ajouter en troisième remarque que la logique
de l'idéologie industrielle dans son ensemble est à bien des
égards 1 'homologue de la logique traditionnelle. Celle-ci,
en gros, assigne certaines maladies à certaines situations
elle identifie rapport de forces et rapport de sens, rendant
impossible l'accusation de certains par les autres. Elle
fixe
pour chacun les limites du possible et pour tous,
(bokono et voduno compris), celle du plausible .
.../ ...

- 152 -
al-
le Bokonô'
En réalité, le bokonb par sa connaissance étendue des
rapports symboliques que révèle la divination (Afâ), est
naturellement à même d'indiquer tel ou tel acte de carac-
tère magique (Ebo) susceptible de pallier aux menaces ex-
térieures qui généralement émanent des vodu. Il s'agit
cependant dans tous les cas de mesures défensives destinées
à protéger l'individu et non de nuire à autrui. Ainsi par
exemple, le bokono peut aider son client à surmonter une
épreuve ou à en atténuer l es conséquences par l 'emploi de
charmes magiques ébo (en particulier dans les sacrifices
prescrits par les signes d'afâ'). En se faisant l'interprète
d'afa, il apaise, mais en aucun cas, il n'arrivera à changer
le destin de l'individu.
De ce fait, le bokono est aussi un tradipraticien puisqu'au
delà de l'apaisement qui l procure, il Illet en jeu - d'une
manière bénéfique - sa connaissance très impressionnante des
plantes.
b) -
Le Voduno
Le Voduno de son côté intervient également comme thé- ,
'\\
rapeute, puisqu'il sait comment déclencher l'action des vodu
qu'il contrôle. On a souvent retenu contre lui, l'usage de
drogues ou de poisons plus ou moins dangereux. Le cas des
jeunes initiés mis en condition par l t absorpt i on de drogues
au moment d'acte rituels importants tels que la mort symbolique
.' .. / ...

- 153 -
Ou le réveil de l'initié sous l'origine du v~d~ semble,
toute proportion gardée, en être un exemple typique.
, ,
Le vodunavdétient aussi la vengeance du vodu contre ceux
qui ont enfreint la loi du silence imposé aux initiés,
ou dont les agissements nuisent gravement à la communau-
té religieuse.
c)-
L1Amasino ou·Amasibloto
D'autres spécialistes comme l'Amasino sont appelés à
mettre leur silence au service de l'individu qui se sent
menacé ; l' amas i nef ut il i se l es vertus
des plantes (dépen-
dant aussi des relations symboliques révélées par la reli-
gion) pour soigner les affections reconnues, les maladies,
ou assurer leur prophyl axi e ; or comme nous l'avons déjà
montré, on regroupe sous la dénomination de maladie Azo
tous les maux résultant d'une force extérieure cachée. De
ce fait il n'existe pas à proprement parler de "maladie
naturelle" D,a, et dans tous les cas, on cherche à décou-
vrir l'origine occulte et l'agent maléfique.
;':"\\
Les amasino ont leur place à part et se détiennent de leur famille
en d'autres maîtres guérisseurs dont ils ont été les élèves.
Dans la plupart des cas, ils héritent ces connaissances d'un
dignitaire de la famille, de la tribu ou d'une secte spécia-
li sée dans l'art de guéri r. 1l s augmentent leurs connai ssan-
ces tout au long de leur vie par des échanges avec d'autres
initiés.
. .. f ...

- 154 -
Le recours mutuel de Azét' à Amasino ou Amasino à Azéb est
assez fréquent dans les cas graves. A côté des pratiques ma-
giques et de l'adoration des idoles, le culte des ancêtres
joue un grand rôle dans le rituel de traitement
en
la
médecine traditionnelle.
d)-
Azét'
Ce terme désigne particulièrement l'homme qui est craint
par des milliers d'africains. C'est le détenteur sans conteste
de tous les pouvoirs maléfiques. 70 à 80 % environ des cas de
maladie et de décès lui sont attribués. Il passe dans la caté-
gorie des tradipraticiens parce qu'il est capable de détruire
ses propres sorts et ceux de ses autres confrères AzétJ. Il
ne faut surtout pas oub1 ier que l'empoisonneur et le pharmacien
ont fait les mêmes apprentissages. Il existe plusieurs ordres
d'Azét~ selon leur situation géographique. Chacun de ces ordres est
parfa i tement autonome et peut souvent composer avec les autres con-
grégations à l'intérieur
d'une même aire culturelle. Mais
il n'est pas certain que l'Azét:) de côte d'Ivoire ou celui du
Sénégal puisse facilement collaborer avec celui du Benin ou
du Togo.
A l'intérieur de chaque congrégation de Azét, il existe dif-
férents degrés d'initiations. Reconnaissons seulement deux
catégories principales de "Sorciers" pour l'ensemble de nos
pays. Les mal intentionnés, et ceux de bonne foi. D'où la
notion de "sorcier guérisseur" qui adjoint aux possibilités
... / ...

- 155 -
spirituelles surnaturelles de la 2è catégorie les vertues des
plantes pour guérir les malades. Autrement dit, on distingue:
L'Azodato: celui ou celle qui fait intervenir des moyens
magiques pour nuire à autru. L'azodato, équivalent du sor-
cier en frança i s , agi t seul et dans l 1 ombre, soi t dans un
but personne l, soit à la demande d' un indi vidu. En fa it comme
on aime à le soul igner, l'emploi des forces magiques dans
un but maléfique représente à une arme à double tranchant
qui peut facilement se retourner contre son auteur. Ainsi,
l'existence de l'azodato est en effet non seulement menacée
par les forces qu'il essaie de déclencher (plus ces forces
sont efficaces, plus elles sont dangereuses à manier), mais
aussi par l'activité d'autres "sorciers" plus puissants et
par la réprobation générale de la société.
Le kenési
dont le rôle est de traquer les azodato. Le terme
kénési désigne un azét~ en pleine activité, plus redouté que
le simple azodat1l. Le kënési conserve ses bo dans une grande
calebasse et il s'en sert soit pour protéger ses amis et lui-
même contre les entreprises des autres "sorciers", soit pour
nuire à ses ennemis.
\\
\\
.
Les kênési qui sont un groupe de vodu fournlssent les moyens
mag i ques pour se protéger cont re toutes sortes de ma l éfi ces.
Ceux qui rendent un culte au kenési passent donc pour être
des experts dans les manipulations d'Azo défensive (qui of-
frent d'ailleurs peu de différences avec celles de la magie
offensive, les principes étant les mêmes: envoutement,
... / ...

- 156
utilisation de plantes, de poisons, usage des bo, etc ... ).
Toutefois, ils sont considérés comme les bon azét' (par op-
posion aux azodat~) car ils respectent des règles bien
établies. Ils possèdent une organisation tout à fait sembla-
ble à celle des autres communautés religieuses. Leurs acti-
vités se déploient en outre au vu et au su
de tout le monde.
S'il est vrai qu'il y a eu tout au long des âges, des cas
d'empoisonnement ou de meurtres commis par des communautés
religieuses, il faut cependant remarquer que tous ces digni-
taires
-
(voduno,
~
bokono, azét~) n'agissent jamais seuls dans
ce sens qu'ils doivent s'en référer dans les cas graves à
d'autres collèges plus élevés dans l'ordre hiérarchique.
Il existe donc toujours -un contrôle de ces activités qui
en dernier ressort appartient au roi.
Tous les dignitaires que nous venons de mettre en évi-
dence assurent en principe au moins trois fonctions fonda-
mentales: celle
de prêtres, de médecins et d'éducateurs.
Servant des divinités particulières, ils sont aptes à in-
diquer les moyens propres à les rendre favorable ou à apaiser
leur courroux. Ils déterminent la qualité et la quantité des
sacrifices à offrir; les jours fastes et néfastes. En un mot,
ils règlent le protocole des cultes.
. ../ ...

- 157 -
Outre les fonctions de prêtres et de médecins dont
nous avons déjà parlé et dont nous parlerons tout au long
de ce travail, il Y a une autre fonction, non moins impor-
tante que les deux autres et dont on oublie généralement de
parler:
celle d'éducateur.
On mentionne les initiations, les sectes, les longs séjours
que font à la puberté, les jeunes gens dans les bois sacrés,
1es rudes épreuves auxquelles ils sont soumis, 1es exci s ions,
les circoncisions qui yont
pratiquées (les apparences
grossières), et on passe sous silence le but poursuivi dans
toutes ces cérémonies. On peut être surpris par la foule
d'enseignement que le néophyte peut retirer de son séjour
dans les camps d'initiation, ce qui a fait dire à certain
que c'est vraiment dans le "bois sacré" que se forme la
société noire.
L'enfant africain vit dans le village exactement comme
il 1e dés ire, sans contraintes et sans règl es : 1i bre de
toute discipline, n'ayant pour maitre que son bon plaisir,
il agit à sa guise. Sa mère s'est contentée de le mettre au
monde et de lia 11 aiter pendant deux ans ; son père, 1ui
trouve que c'est trop fatigant de le corriger, surtout si
l'enfant est un garçon. Ce n'est donc qu'à l'occasion de sa
première initiation qu'il fera connaissance avec la disci-
pline, la dure discipline. Les quolibets les plus violents
... / ...

- 158 -
et les plus méchants, les pires outrages qu'il devra subir
sans répondre, développement en lui, la patience et la
maîtrise de soi. Les terrifiantes apparitions, les génies
masqués et grotesques lui enseigneront le courage. Il
apprendra le mépris de la douleur physique en supportant
sans un cri, les horions et les coups que ne lui ménageront
pas les anciens. De même, les douloureux tatouages, en
relief, véritables chéloïdes, doivent le laisser comme
insensible.
C'est dans l'enceinte sacrée que, sous l'égide du
bokonô', vodunô', etc ... que le jeune homme apprendra les lois
de sa race, les faits et gestes de ces ancêtres, les noms
de des rois, les tabous de sa famille. Il sera aussi initié
aux mystères de sa religion avec toute sa mythologie et ses
rites. On lui enseignera le respect des anciens, la crainte
des puissants, le culte des morts et tout ce qu'un homme
doit savoir dans toutes les circonstances de la vie.

159 -
La brousse et la forêt contiennent des plantes médici-
na1es inombrab1es, dont les vertues sont inconnues des occi-
dentaux. Les médecins occidentaux sont unanimes à regretter
que la pharmacopée indigène leur demeure mystérieuse, car
il s'est avéré que les "guérisseurs
possèdent les remèdes
naturels, d'une efficacité surprenante, tirés des fruits,
des écorces, des feuilles, des racines, des grains ...
Chaque chef de famille possède un remède tiré d'une
plante particulière; il n'en divulgue pas le secret et ne
le révèle qu'à son héritier. On connaît d'ailleurs dans un
village l'homme qui possède le remède contre les morsures
de serpents, 1 1 homme qui guéri t les "ver s de ventre",
l'homme qui soigne les maux d'oreilles, etc ... Mais à côté
de ces médecins qui soignent une seule maladie, à côté de ces
spécialistes, il existe des médecins de médecine générale et
que lion nomme souvent "guéri sseurs Il. Certes ils possèdent
un don magique: pouraient-ils guérir autrement les maladies
, \\
qui ont toutes pour origine la vengeance d'un bo, d'un vodu
irrité, ou d'un ennemi redoutable? Mais leur puissance
supra-normale s'appuie sur des connaissances assez solides
et le tradipraticien est avant tout un herborisseur de
talent qui joue d'une gamme infinie de plantes. De plus,
c'est un excellent masseur qui connait l'anatomie d'une
manière parfaite.
.../ ...

- 160 -
Du fait même qu'il nous est très difficile de connaître les
plantes utilisées par les tradipraticiens, nous limiterons
cette partie à la description des entités pathologiques
sans forcément prendre en compte leur signification étiolo-
gique (qui sera abordée dans le chapitre 5, B), en fonction
des éléments pathogènes qui les déterminent et des symptômes
par lesquels elles se manifestent. Nous présentons aussi un
mode de guérison qui se limitera à une description générale
et sommaire des méthodes utilisées sans entrer dans le
détail de composition des médicaments (aspect qui exige une
formation spéciale que nous n1avons pas).
I -
LE REGIME GENERAL
Les nombreuses forces qui dirigent la vie d'un homme
s'imposent à l'esprit dès qui nter-v ient une maladie, une
affection biologique; l'africain n'ignore pas que les plan-
tes et les divers éléments qui composent 'l ' al imentation ont
sur l'organisme sain et fatigué des répercussions fondamen-
tales. Aussi, dans la plupart des affections biologiques,
physiologiques, un régime général et alimentaire rigoureux
est-il institué d'office d'abord par les parents qui dans
un premier temps jouent le rôle de guérisseur et ensuite par
le tradipraticien lui-même. Dans le cas d1affections aigües
... / ...

- 161 -
le repos complet s'impose; le patient n'ayant pas la force
physique nécessaire pour se rendre à ses champs.
Dans un grand nombre de maladies graves, le tradiprati-
cien impose des obligations strictes que le malade
doit
respecter
par exemple dans les accidents dramatiques du
paludisme (bilieuse, récurrente palustre) (1) ; dans les
néphrites hydropigènes (2) ; les accidents cutanés nerveux
de la syphilis; les suites de traumatismes graves (frac-
tures ouvertes) ; les infections puerpérales (3), etc ...
Dans tous ces cas, le malade est éloigné de son milieu
habituel. Souvent il est transporté dans une hutte aux
abords du village. Là une personne détachée à son service
lui administre les soins nécessaires.
(1)
Maladie microbienne due à un spirochète et caractérisée
par des accès de fièvre entrecoupés de période de
rémissions de quelques jours.
(2)
Complication majeure du Mal de Bright (maladie inflam-
matoire des reins) caractérisée par la présence d'albumine
dans l es uri nes, l' augmentat i on du taux de l'urée sangui ne,
les oédèmes, l'hypertension artérielle, et une évolution
vers l' urémi e.
(3)
Maladie infectueuse qui peut se déclarer à la suite
d'un accouchement.
..'/ ...

- 162 -
Diverses raisons motivent cet isolement. Il s'agit tout
d'abord de procurer au malade, du repos et de la tranquilité,
en lui évitant les nombreux soucis et visites.
Cette mesure est inspirée en grande partie de l'aspect psy-
chosomatique de la maladie. En fait, tout l'entourage du
malade est conscient que c'est déjà un grand mal que le
village entier sache qu'un tel est bien souffrant, bruit
qui peut déjà réjouir ses ennemis. Il n'est donc point
nécessaire de leur offrir l'occasion de venir se moquer de
lui par des visites hypocrites durant lesquelles, agissant
sur son âme affaiblie, ils agraveraient son état.
La durée de l'isolement dépend de la sévérité de l'affection.
Le malade rentrera chez lui guéri ou mourant, à moins qu'un
nouveau tradipraticien juge utile de prolonger l'isolement.
Ainsi pendant tout le temps que durera l'affection, le malade
aura à vi vre selon un programme bi en établi : lever et coucher
à des moments bien précis, un temps pour les soins, les repas ...
Dès l'aube, il est réveillé et avantqu'apparaisse le
jour, très souvent les soins sont achevés, car c'est au petit
jour que l 1organi sme ayant bénéfi c i é du repos nocturne
serait le plus apte à profiter des remèdes.
Ces soins matinaux s 'expl iquent aussi par l'importance
attachée aux traditions ayant cours sur la côte du Benin, des
personnes et des actes impurs. Citons par exemple: une person-
ne ayant eu des rapports sexuels reste impure tant qu'elle ne
... / ...

- 163 -
se serait pas savonnée à grande eau de la tête aux pieds.
Sans cette toilette, elle est souillée et ne peut ni adresser
la parole à un malade, ni toucher les objets consacrés aux
soins d'un malade. C'est ainsi qu'à cause de toutes ces exi-
gences, l'administration des soins est presque toujours,
l'affaire d'une femme de la famille ayant dépassé un certain
âge (ménopausée, les rêgles étant également considérées
comme une souillure).
Avant le dernier chant du coq, les traitements sont
terminés et le plus matinal des visiteurs malveillants
n'arrivera jamais assez tôt pour surprendre le malade.
Tout au plus viendra-t-il au moment du petit déjeuner;
mais là encore l'effet des méchancetés éventuelles est tou-
jours limité, le malade suivant un régime alimentaire
strict, ne mange que ce qui lui est autorisé.
Parmi les aliments proscrits, nous trouverons
a)-
La viande fraîche et les graisses
Presque toutes les maladies graves entraînent cette in-
terdiction qu'on justifie de différentes manières: les vian-
des fraîches et les graisses retarderaient les cicatrisations
des plaies, fatigueraient le malade; la ressemblance avec la
chair humaine pourait permettre aux azét~ des transmutations
dont nous avons expliqué les conséquences dans la partie Azé
... / ...

- 164 -
enfin, elles provoqueraient des délires et des cauchemars,
etc ...
b)-
Les oeufs
Ici non plus, il ne faut négliger la croyance qui ex-
plique une certaine tendance des azét~ à consommer des oeufs,
qui sous une autre forme serait le foetus d'une femme encein-
te. Analogie à l'oeuf que porte la femme enceinte dans son
ventre.
c)-
Parmi les légumes proscrits, les papayes et
la plupart des cucurbitacées (la citrouille, la courge, le
melon). La molesse de leur pulpe semble être une des causes
essentielles de cette prohibition.
dl-
Les boissons et surtout l'usage de l'alcool
reste encore très limité dans les villages éloignés des
centres urbains. On boit surtout de l'eau et avec elle des
boissons fermentées comme le vin de palme, de romier, la
bière de milou de maïs, dont le degré alcoolique faible
est encore suffisant pour provoquer une excitation physique
ou psychique dont doit se garder un malde. On remarque aussi
des cas où le guérisseur confectionne des médicaments dans
lesquels ces boissons fermentées constituent le véhicule
de base.
.../ ...

- 165 -
Parmi les aliments autorisés on retrouve souvent
a)-
Des viandes non fraiches et poisson
La viande fumée ou séchée sert à faire, après une longue
cuisson, les bouillons du malade, bien qu'elle soit, dit-on,
sans grande valeur nutritive. Quand au poisson, c'est l'ali-
ment azoté le plus recommandé pour les plats du malade.
Toxicité réduite, digestion facile, pas de transmutation
possible avec la chair humaine.
b)-
Les condiments ont un rôle important dans le
régime alimentaire de toute personne soit par le goût qu'ils
apportent, soit par leurs valeurs médicamenteuses.
On y retrouve souvent le piment dont plusieurs variétés
relèvent fortement le goût des repas en même temps qu'elles
stimulent l'organisme. Les gombos, très riches en vitamines
de toutes sortes, de saveur douce et de digestion très faci-
le. Et surtout les "aubergines" dont plusieurs variétés sont
de vrais amers stomachiques (1).
Tous ces condiments servent à préparer l 1 un ique sauce ac-
compagnant le plat de soutien des grands malades et dont
l'amertume et le pouvoir stimulant donnent de l t appét i t aux
bouches les plus amères. Aussi quand après plusieurs jours
de maladie un sujet refuse obstinément ce plat, l'on
commence à s'inquiéter d'une manière dramatique.
(1)
Propre à rétablir le fonctionnement troublé de l'estomac .
.../ ...

- 166 -
c)-
Selon la denrée alimentaire de base, on
retouve suivant les pays :
L'igname qui compte une infinité d'espèces dont
toutes ne sont pas recommandées aux malades, surtout a cause
de leur digestion difficile et peut être a cause de l'accu-
mulation de gaz particulièrement dans l'estomac et l'intestin
qui accompagne l' absorpt i on des ignames.
Une variété de grosses bananes non sucrées qui
comme l'igname entrent dans la cuisine locale pour la con-
fection du repas de base et de résistance.
Les patates sucrées et le manioc: ils peuvent
se consommer grillés sous la cendre chaude, avec des arachi-
des (si celles-ci ne sont pas interdites dans le régime).
Le riz, il est autorisé très souvent, sauf
s'il est apprèté avec des matières grasses.
Enfin le maïs et le mil, excellentes denrées
pour l'al-imentation des malades.Frais, le maïs surtout se
mange grillé sur la braise ou cuit a l'eau. Séchés, Maïs
et mil donnent des farines qui servent a la préparation des
bouillies (zogbô), soit des pâtes (Akpa, Akumé), servies
avec une sauce (Yebesesi) (1).
(1)
Yebesesi
Sauce fortement relevée.
.../ ...

- 167 -
11-
LES MALADIES CONTAGIEUSES
Dans l'Afrique d'avant la colonisation ou ce qu'on
nomme plus communément l'Afrique traditionnelle, la protec-
tion des sujets sains contre une maladie épidémique con-
sistait surtout à isoler le malade. L'isolement était donc
la mesure primordiale qui protégeait soit contre une at-
teinte éventuelle de variole, soit contre celle plus lente
et torpide de la lèpre ou de la syphilis.
1.-
Prophylaxie de la variole
Contre le malade, c'est l'isolement dans une hutte, très
loin du village où un parent ayant contracté autrefois la .
maladie donne les soins au nouveau malade.
Les soins proprement dits sont le repos, le régime
surtout composé de bouillies légères ou de sauces fortement
relevées d'amers condiments (yébésési). Il faut mentionner
des ablutions d'eau ayant longuement infusé dans un mélange
de racines et de feuilles médicamenteuses (amasi). Au fur
et à mesure qu'apparaissent les pustules, elles sont crevées
à l'aide de la pointe d'un couteau chauffée au rouge vif;
les pustules ouvertes après ablution, le corps est enduit d'un
onguent cicatrisant. Les lavements quotidiens et les gouttes
dans les cavités nasales ou oculaires constituent les adju-
vants de cette thérapeutique.
. .. / ...

- 168 -
La sécurité des sujets sains est obtenue par l'isole-
ment du varioleux qui sera maintenu jusqu'à la chutte des
croOtes. Pendant ce temps, toutes les visites sont inter-
dites. Les parents qui désirent prendre des nouvelles des
isolés s'arrêtent au loin pour interroger le garde malade.
S'ils ont apporté des vivres, ils les déposent, et c'est
après leur départ que ces vivres seront ramassés.
La guérison obtenue, les deux hommes sont rasés, savonnés,
avant de rejoindre le village. En partant, ils détruirons
au préalable les ustensiles, les nattes et le linge qui
ont servi pendant la période de maladie et mettront le feu
à la cabane.
Si le varioleux venait à mourir, son compagnon doit
procéder de même que ci-dessus avant de retourner dans sa
famille. Le cadavre est enduit d'onguent fait de potasse,
de cendre et d'huile, puis inhumé; ceci pour éviter que
la maladie ne ressorte de terre.
En procédant comme nous venons de le voir, certaines
régi ons de l' Afri que ont pu échapper aux meur t r i ères bouf-
fées de variole. Quand les flambées sont violentes, chaque
famille s'isole dans un campement provisoire, en pleine
brousse. Elle soigne ses malades et enterre seule ses morts
jusqu'à ce que le danger soit passé. Très souvent, après,
l'on reconstruit le village ailleurs et l'on abandonne le
premier auquel on met le feu.
.../ ...

- 169 -
2.-
Protection contre la lèpre
On ne doutait nullement en Afrique occidentale de la
contagiosit~ de la lèpre, même si elle semble très semble
très lente. Aussi un sujet porteur de macules lépreuses n'a-
vait des rapports étroits qu'avec sa famille. On le fuyait
mais pas toujours ouvertement. Au moment de l'apparition des
plaies, les siens, sous la pression du conseil du village,
l t l oi qnai ent de la société. Le malade vivait seul, en forêt,
é
se traitant lui-même.
Généra l ement, l 1 i neffi cac ité des remèdes rebuta it toutes
les bonnes volontés et toutes les âmes charitables. On se
lassait de donner des soins, et pour finir, le malade lui-
même se laissait emporter, mourir, ne suivant plus aucune
recommandation, pansait ses plaies pour se protéger des mou-
ches, attendant que la mort vienne.
Pendant des mois, des années, on perdait le souvenir du
terrible fléau. Puis un jour, dans la famille du défunt, un
malheureux sortait à son tour des tâches lépreuses. Lui aussi
finissait, quelques années plus tard, ses jours sur une natte
autour d'un petit feu vacillant, au font d'une forêt.
La condition du lépreux était effroyablement inhumaine
mais à voir les choses comme elles sont, ne valait-il pas
mieux, devant un fléau que rien n'arrête, faire la part du
feu et assurer de la sorte la sécurité et la survie du reste
de la population?
... / ...

- 170 -
Clest dans cet esprit que les vieux qui ont connu les
temps anciens, gens simples qui ne se paient pas de senti-
ment, accusent le "blanc de propager la lèpre ll • Evidemment
la colonisation, en humanisant le sort de tous les malades,
a permis aux lépreux, sous prétexte de les soigner en ville,
de sortir de leur isolement et de se frotter à tout le monde,
d'embrasser les enfants ou de leur donner à manger. Actuel-
lement, dans les centres où il y a 30 ans on ne comptait qu'un
lépreux, on peut en voir facilement des centaines.
Voilà comment avec la suppression de la mesure qui a
ai dé l'Europe à se sauver de la lèpre, qui a permi s à
l'Afrique de conserver jusqu'ici des hommes sains, on avait
libéré la lèpre des rigueurs qui la tenaient, jusqu'à l'avè-
nement de la colonisation, assez loin des villages.
Mainte-
nant, elle menace partout, débordant le cadre des mesures de
prophylaxie puisque ceux à qui s'adressent ces mesures ne
peuvent pas tous observer l 1 hyg i ène.
Il y a de quoi s'effrayer, quand on pense qu'on ne con-
nait pas de lépreux ayant cicatrisé complètement ses ulcères
dans les léproseries et rendu pour longtemps à la vie.
3.-
Prophylaxie de la syphilis
Ce n'est pas la syphilis secondaire floride et contagieuse
que l'on isole; elle passe celle-là inaperçue dans la foule
des dermatoses parasitaires. Celui que lion éloigne est
... ; ...

- 171 -
le syphilitique couvert d'accidents ulcéro-gommeux, celui qui
a perdu son nez et dont les membres noueux sont enkylosés.
Celui-là, on l'accuse d'appartenir à une société de
démoniaques et ceux qui prennent sur eux le souci de le
guérir, préfèrent le soustraire à la vue de ses prétendus
coreligionnaires. Cette mesure satisfait les autres membres
de la famille qui n1auront plus à tolérer partout le pus
et les mouches du malade.
Clest pourquoi on garde ces malades assez loin des per-
sonnes saines, aux environs du village, ou un tradipraticien
leur donne les soins appropriés.
La conclusion de ce chapitre de prophylaxie est que si
les mesures que nous venons de présenter ne nous donnent pas
entière-satisfaction, G1est parce que nous avons tendance à
les rapprocher instinctivement de ce que la culture occiden-
tale et à travers elle les facultés de médecine nous ensei-
gnent. Considérons surtout que les gens vivaient par petits
groupes intimes ayant en dehors du groupe social, des rapports
très limités avec leurs voisins. Dans de telles agglomérations,
les mesures de protection que nous venons d'exposer étaient
assez rigoureuses pour les abriter du danger.
Contre des affections intraitables du genre de la lèpre, on
employait les moyens draconiens que nous savons et qui
procuraient une certaine sécurité collective durable .
.../ ...

- 172 -
Mais avec la colonisation qui a ouvert des routes par-
tout, posé des rails mêlé les hommes de tous les pays, les
dangers de propagation des épidémies ayant centuplé, les
moyens anciens ne pouvait qu'apparaître, naturellement,
caducs et insuffisants.
Les flambées épidémiques suivant les envergures du
bouleversement des anciens rapports, il ne reste plus pour
les vaincre qu'à leur opposer une prophylaxie nouvelle de
la même grandeur.
Suite à cette partie dans laquelle nous avons brossé
la phophylaxie générale dans certaines affections, nous
allons aborder maintenant l'attitude adoptée devant les
pathologies, internes et externes.
ill-
PATHOLOGIES INTERNES ET EXTERNES
1.-
Pathologies internes
En dehors des cas chroniques, le tradipraticien obtient
des résultats spectaculaires en comparaison avec les moyens
dont il dispose.
Evacuer les toxines accompagnant et aggravant le cours
des affections aigües, soutenir grâce à ce nettoyage, à une
alimentation qui réveille et stimule l'auto-défense, voilà
... / ...

- 173 -
la base du traitement appliqué par le tradipraticien et que
nous allons essayer d'illustrer par quelques exemples.
Ell es sont très fréquentes, surtout chez l'enfant qu i
souvent jusqu'à l'âge juvénile, nia de vêtement que pour se
protéger de la fraîcheur de la nuit. Malgré la grande cha-
leur, les adultes eux aussi font des affections pulmonaires
soit lorsqu'un coup de vent les surprend court-vêtus, soit
par la transpiration dans leur champ, soit au moment de
l 'harmattan qui s'accompagne de vents frais, et de trouil-
lards.
Les rhumes et les rhino-pharyngites sont soi-
gnés grâce aux instillations de mixture dans les narines.
Les gros rhumes avec fièvres bénéficient en
plus des traitements qui précèdent, soit de l'application de
serviettes chaudes sur la tête, soit de bains, de massages
et de lavements.
On remarque aussi couramment des pratiques de ventouse.
/
,
1
Chez les yoruba, ce sont des cornes de taureaux ou d'antilo-
pes qui sont tronquées aux deux extrémités. L'instrument est
fixé à la peau par aspiration à l'une de ses extrémités qui
est ensuite bouchée. Ces ventouses, dont l'emploi n'est pas
très limité, peuvent être suivies de scarifications .
.../ ...

- 174 -
Quand il Y a pneumopathie aigüe (tous plus fièvre) on
a recours aux méthodes indiquées ci-dessus. Mais pour flui-
difier les secrétions, on y ajoute divers remèdes qui se
prennent par la bouche
ce sont soit des feuilles, soit
des racines, des écorces qu1il faut mâcher et dont il faut
ensuite avaler le jus. Clest le cas du gingembre, un des
principaux expectorants utilisés.
Les gastro-entérites foisonnent dans l'enfance à cause
des refroidissements et de la mauvaise hygiène alimentaire.
Les mères leur opposent deux méthodes : une prophylactique
et l'autre curative.
Pour éviter les complications gastro-intestinales,
le nourisson reçoit tous les jours, jusqu'à l'âge de deux ans,
un ou deux lavements évacuateurs.
Ces troubles peuvent prendre des allures menaçantes,
après deux ans, quand l 1 enfant est sevré et qu 1 i l ni est plus
soumis régulièrement aux lavements quotidiens. Aussi, à cette
période, dès que son humeur devient maussade avec cris, plain-
tes, vomissements, la maman effectue immédiatement un lave-
ment. Le piment ou divers autres médicaments peuvent s'y associer.
Les cas de diarrhées, et dysentéries sont traités
comme ci-dessus mais les malades sont en outre soumis au régi-
me de bouillies.
... / ...

- 175 -
Le médicament dans les cas d'entérites est une prépara-
tion où entre
du charbon finement pulvérisé.
Les adultes présentent des séquelles intestina-
les avec alternance de diarrhées et de constipation qui font
prendre aussi des lavements préventifs. Les crises aigUes .
d'amibiase se soignent avec des applications de serviettes
d'eau chaude contre les colliques ; des bouillies comme
rég ime.
Maladie mondiale, mais surtout des pays tropicaux, le
paludisme est une des principales causes de fièvre
élevée
chez l'Africain.
Contaminé dès sa naissance, l'enfant africain a des
accès qui deviennent de moins en moins fréquents à mesure
qu'il grandit. Souvent les constitutions robustes, non
viciés, finissent par acquérir à la longue, vers la dizième
années, une espèce de prémunition qui se manifeste par la
rareté des accès, la disparition de la splénomégalie (augmen-
tation de volume de la rate), la réparation de l'anémie, etc ...
Mais avant d'en arriver là, le petit enfant peut laisser sa
vie dans un accès de fièvre ou dans une complication tel
l'accès pernicieux.
. ../ ...

- 176 -
La fièvre simple
Quand un enfant, ou jeune adulte présente une élevation
thermique dont la cause n'est pas évidente, on pense avant
tout et presque tojours au paludisme.
Voici en bref les principaux temps de son traitement
par la médecine traditionnelle: avant tout le lavement
évacuateur préparé avec des feuilles d'un arbuste appelé
sur la côte kinkéliba. Le lavement est administré à l'aide
d'une poire en calebasse ouverte à ses deux extrémités.
Le malade est étendu sur le ventre, la tête basse.
Le rôle du piment incorporé au mélange est d'irriter la
muqueuse et de réveiller une violente contraction annulaire
qui se propage au sens normal le long du tube digestif et qui
permet la progression des aliments, nettoyant ainsi le tube
digestif. Cette irritation provoque entre autre une abondante
transpiration.
Un bain tiède suit le lavement; il ne vise pas au net-
toyage du malade, mais à servir d'ablution pendant laquelle
des serviettes chaudes massent les parties les plus touchées
par la fatique (épaules, cou, région lombaire, les articula-
t ions, etc ... ).
En ajoutant le régime à ce qui précède, nous obtenons
le tableau complet de la thérapeutique de l'accès fébrile
palustre, qu'il suffira de prolonger jusqu'à guérison ou
... / ...

- 177 -
agravation de la maladie. La plus dramatique des complica-
tions du paludisme sont les bilieuses avec ou sans hémog1obi-
nurie, et les accès pernicieux. Dans ces cas, l'intervention
d'un "tradipraticien" est nécessaire. Ce dernier opposera
avec efficacité un remède.
Dans les bilieuses, caractérisées par l'ictère et la
coloration rouge des urines, on s'applique à obtenir pour
elles, en plus des traitements à base de lavements, transpi-
ration, etc ... , des ouvertures artificielles du corps don-
nant issue aux produits des secrétions et aux humeurs.
Il existe pour cette dermatose un mode de traitement
assez bien conçu. Le sujet atteint de gale est soumis à une
-~rotte-générale administrée avec une éponge végétale qui
ouvre les tunnels où s'abritent les parasites. Ensuite, les
parties contaminées sont enduites d'un onguent composé
d'huile de palme ou de beurre de karité ayant dissout de la
potasse.
La plus redoutés des fièvres éruptives est la variole
dont nous avons déjà vu le traitement et la prophylaxie.
Les deux plus fréquentes après la variole sont la varicelle
et la rougeole.
.../ ...

- 178 -
Le sujet atteint de rougeole ou de varicelle est main-
tenu au repos, souvent auprès du feu, dans sa case. Et cela
diminue les risques de complications pulmonaires dues au
refroidissement en général. Les soins proprement dits se
résument en un lavement quotidien, au bain tiède qui
décape avant d'être saupoudré.
Le pian est une maladie générale à manifestation cutan-
née dont les éruptions en choux-fleurs peuvent ressembler
d'assez près aux accidents géants de la syphilis.
Cette maladie était tellement fréquente dans l'Afrique
traditionnelle que les mères la considéraient un peu comme
une des affections de l t enf ance . Aussi, devant le pian, elles
se comportaient comme certaines femmes européennes qui ne se
tranquilisent qu'après que leur enfant ait fait sa rougeole.
En général tout le monde y passait avant la dixième année
et clest presqulune honte que de faire son pian au delà de
la deuxième enfance.
Sons traitement reposait sur trois principes
D'abord il fallait attendre que les éruptions atteignent
leur maximum de floraison pour éviter les complications osseu-
ses. Il fall ait donc attendre que l'éruption ait son maximum
d'abondance et ait atteint une assez grosse dimension .
. . ./ ...

- 179 -
Ensuite on effectuait une frotte générale comme pour
la gale. En effet, les secrétions qui suintaient des boutons
se concentraient à la surface et formaient une croûte épaisse
recouvrant un tissu friable, saignant, à surface dure et où
pullulent les spirochètes du pian. On ne pouvait atteindre
ceux-ci qu'après avoir décapé les boutons au savon noir indi-
gène, toilette dont on ne perd jamais le souvenir quand on y
a été soumis.
Le traitement proprement dit utilisait des méthodes très
sophistiquées. On y trouvait mélangés dans une pâte, de
l 'hydroxyde de fer ou de cuivre, de jus de citron et de po-
tasse, le tous porté à ébulition. On obtient ces sels en
grattant la surface d'un objet en fer ou en cuivre, puis en
l'exposant longtemps à l'air libre. La préparation terminée,
il n'y aurait plus qu'à l'appliquer à chaud sur les boutons
mis à nus. Après quatre ou cinq séances, les éruptions pâlis-
sent, s'affaissent et se dessèchent. La guérison était obtenue
avec la chutte des croûtes.
2.-
Pathologie externe
Les accidents ordinaires de la vie faisaient partie du
domaine du simple dodat~ (qui guérit la maladie) famil ial.
Ceux de la chasse ou de la guerre sont du domaine de la
grande chirurgie dont les maîtres sont ceux des sociétés
secrètes, bokonô', voduno.
. .. f ...

- 180 -
a)-
Les accidents courants
Les infections suppurantes groupent les furoncles, les
abcès chauds, les phlegmons (inflammation du tissus cellu-
laire ou conjonctif).
Dès l'apparition de la douleur lancinante, des bains sont
institués s'ils s'agit d'une extrémité du membre. Autrement,
on a recours aux applications chaudes. Quand le pus est vidé,
~,
/
on ouvre la poche. Chez les yoruba, cette ouverture est l'af-
faire de spécialistes du genre des barbiers. Chez les Evé et
les Fa, cette opération se fait en famille par une personne
assez adro ite.
L'opérateur allume un feu où il met à rougir un instru-
ment qui ressemble beaucoup à l'alène des cordoniers et qui
est spécialement destiné à cette chirurgie.
Quand l 1 instrument est porté au rouge vi f , le pati ent, cou-
ché près du feu et exposant son abcès, détourne la tête;
dans un coup sec, la pointe est piquée juste au point le plus
fluctuant préalablement nettoyé et marqué à la cendre.
L'application d'un tempon de coton imbibé d'huile chauffée
sur l'ouverture et le pansement chaud durant lequel le pus est
évacué par expression, constituent l'essentiel des soins post
opératoires.
.../ ...

- 181 -
Les phlegmons diffus et les abcès multiples se soignent
de la même manière, avec cette différence qu1au lieu dlinci-
sions multiples, on se contente de quelques ouvertures qui
doivent évacuer le pus de toutes les collections.
On y trouve aussi, les traumatismes osseux et articu-
laires, dont les luxations sont réduites par traction forcée,
puis l larticulation est enveloppée, immobilisée dans un
pansement de feuilles calmantes et anti-inflammatoires.
Quand les fractures sont fermées, les déplacements sont
corrigés par traction et en mettant les fragments osseux bout
à bout selon ce qui semble être la direction normale du
membre. Llimmobilisation est réalisée par une sorte de bam-
bou natté qui restera en place aussi longtemps que devra
durer la consolidation complète.
Les fractures ouvertes sont plutôt des plaies: on ne
s'occupe de la réparation du membre que très tardivement.
Les entorses ont un traitement assez original. Pour les
petites foulures, généralement le repos suffit, mais c'est
dans les grandes entorses que l Ion effectue la révulsion du
sable. Du sable mouillé
est mis à chauffer dans un récipient
jusqu'à ce que l Ion ne puisse pas y mettre le doigt. Le malade
est étendu devant le praticien, exhibant l 'articulation coutu-
sionnée. Un aide lui tient le membre et le nettoie au fur et
à mesure que le tradipraticien, armé d.lune cuillère, projette
sur la partie malade le sable chaud pris dans une marmite .
... f ...

- 182 -
Pour être très efficace, le sable doit atteindre la peau avec
une certaine vitesse, y rester assez pour congestionner la
région sans arriver au stade de brûlure.
Parmi les lésions des parties molles, très nombreuses
et dont nous n'examinerons que quelques unes, on rencontre,
les plaies récentes qu'on panse après un nettoyage à l'eau
bouillie. Quand elles saignent, on y instille la sève de
quelques feuilles à propriété hémostaliques qui ne sont pas
celles qui doivent provoquer la cicatrisation. Quelques
feuilles produisent de l'insensibilité et engourdissent la
périphérie de la plaie: effet qui s'attenue peu après le
pansement.
Pour les ulcères, le problème le plus grave est la
forte tension du pansement. Trois phases caractérisent aussi
ce traitement: le nettoyage de la plaie à l'eau chaude;
l'application d'un remède qui est soit une préparation de feuil-
les ou racines apprêtée et administrée sur le champ, soit une
pâte préparée à l'avance; le pansement qui se fait de plu-
sieurs manières: soit une bande de cotonnade appliquée im-
médiatement pour protéger contre les mouches et les chocs
extérieurs, soit une grande feuille ramollie au feu et attachée
au-dessus et au-dessous (elle doit être neutre c'est-à-dire
non irritante et pouvoir absorber un peu de secrétion : quand
elle est bien imbibée, elle se déchire, et il faut la rempla-
cer à la fin de la journée), soit enfin la bande de bananier
... / ...

- 183 -
.~' ..
(c'est la fine pellicule qui tapisse la face interne des
écorces du bananier qui est prélevée et séchée pour servir
de bande).
Certaines tumeurs bénignes des organes génitaux féminins
ou de llanus (hémorroJdes) sont enlevées grâce au procédé
d'un pansement mutilant. Cette ablation se fait en trois
temps: une phase de préparation où, par des fumigations et
des bains de siège, on décongestionne, nettoie et tonifie la
partie malade; dans l'ablation proprement dite, la tumeur est
prise dans un paquet de feuilles puis liée à sa base. Tous les
deux jours, le pansement est renouvelé; au bout d'un certain
temps, les excroissances tombent, coupées à la limite du
lien; enfin troisième phase, le moignon qui n'a pas saigné
bourgeonne rapidement et cicatrise sous l'effet des bains et
onguents.
Les hernies étranglées constituent un groupe de maladies
qui fait beaucoup de décès parmi la population: presque tous
les agriculteurs habitués aux travaux de force en sont victi-
mes. Ces étranglements semblent avoir créé une espèce de psy-
chose morbide dont le résultat est dans les moyens qui tendent
à prévenir les complications. Il existe en effet contre ces
accidents, deux
de précaution:
la prévention des accidents d'étranglement qui
fait que le porteur d'une hernie volumineuse s'assure assez
souvent, même en public, qu'en fermant ses cuisses, la tumeur
... / ...

- 184 -
se réduit spontanément. Même lorsqu'il marche, dès que sa
hernie devient douloureuse, le sujet qui la porte s'assied et
tache de la rentrer, attendant la fin des coliques pour con-
tinuer, car dit-on, c'est lorsqu'une hernie se meut doulou-
reusement qu'elle se "bloque".
quand l'étrangl ement s'est produi t , il faut coûte
que coûte le réduire. On prépare cette intervention par des
applications de linges chauds ou de pâte anesthésiante qui
sert à masser le collect. Le tradipraticien prend les bour-
ses dans ses mains, les masses doucement et longuement vers
le haut, c'est-à-dire vers l'abdomen, et finit très souvent
par rentrer toute la tumeur. Son échec entraine naturellement
des suites mortelles.
Les morsures de serpents sont une des choses les moins
redoutées en Afrique. Car sauf le tout jeune enfant, la plu-
part des villageois sont soit vaccinés contre ces accidents,
soit porteurs d'un cornet de contre poison à effet polyvalent.
La vaccination contre les morsures de serpents se fait
par scarifications aux deux pieds, aux poignets, au front et
au dos. Le vaccin est un mélange d'herbes, de racines tritu-
rées avec des têtes de différents serpents ou autres reptiles
les plus vénimeux. On y associe d'autres extraits prélevés
sur divers autres animaux. Le vaccin appliqué dans les nom-
breuses petites plaies éparpillées sur le corps, n'est pas
suivi de forte réaction. Souvent une simple courbature et
... / ...

- 185 -
quelques maux de téte
résument toutes les suites.
Ainsi, il est rare qulune morsure de serpent parvienne à
donner l a mort.
Le traitement de la morsure elle-même est assez simple.
On pose au-dessus du point mordu, un lien quelconque. Puis
on extrait "les dents" du serpents. On appelle ainsi l'opéra-
tion qui consiste à scarifier la région atteinte que l'on
comprime pour faire saigner. Le traitement se termine par
l'absorption par la bouche du contre poison, tandis que des
feuilles et racines appropriées sont recherchées pour neutra-
liser, par leur sève instillée dans la plaie, le reste du
venin non encore éliminé.
A la suite des blessures reçues au cours de la chasse ou
à la guerre, les malades sont dirigés sur les temples des socié-
tés secrètes. (lest là qu'on extrait les lances et qu'on prati-
que toutes les opérations de la grande chirurgie. On raconte
même que ces temples avaient des moyens capables de provoquer
des cicatrisations rapides. Du fait même du caractère assez
particulier de ces temples, on conçoit aisément que nous
n'ayons pratiquement aucune contribution à apporter sur ce
poi nt.
3.-
L'art obstétrical
Nous ne saurions
terminer cette partie spécialement patho-
logique sans nous attarder un peu sur l'art obstétrical. En
fait, à voir toutes les races de la terre débrouiller les pro-
... / ...

- 186 -
b1èmes de l'enfantement, on pourrait affirmer que l'art obsté-
trical est le mieux partagé entre les peuples. Pour s'en
convaincre, il suffit de fréquenter tous les pays du monde.
Heureusement que les choses semblent avoir été à ce point
fort bien arrangées; et l'on comprend d'ailleurs que quelque-
fois, quand on propose à l'africaine en grossesse de venir à
plusieurs dizaines de kilomètres de chez elle
pour accoucher
plus tranquillement et sans ennuis dans les maternités, l'on
comprend que cette femme réponde avec ironie : "Mais avant
l'ouverture de vos maternités, nos mères accouchaient bien l ce
que Dieu met dans le ventre d'une femme, si ce n'est pas pour
une mort fatale, il donnera à d'autres vieilles femmes l'as-
sistance nécessaire pour le faire sortir sans tam-tam... ".
En fait, la femme africaine ne pense pas que la grossesse
et 1 1enfantement sont de gros ennui s. E11 en' est effayée ni
par les nombreuses maternités, ni par les familles nombreuses.
N'est-ce pas une malédiction qu'un ménage ait peu ou pas
d'enfants?
(lest pourquoi les deux belles familles entourent la future
maman, dès sa grossesse, de leur plus grande vigilance.
Avec cette période commence une véritable puériculture qui,
passant par le travail et la délivrance, les suites des
couches et l'allaitement, finit avec le sevrage.
La grossesse n'est pas une maladie, mais n'empêche qu'elle
reste soumise à la philosophie des états de maladie:
... / ...

- 187 -
le foetus ne subit-il pas plus que l'adulte toutes les influ-
ences qui troublent notre vie? Ne serait-ce que du fait de sa
fragilité. Aussi le premier soin des futurs grands parents est-
il de découvrir celles de ces influences qui peuvent être né-
fastes pour la grossesse et de les conjurer.
De toute évidence, cette période n'apporte pas de grands
changements dans la vie de la femme. Elle continue à vaquer à
la plupart de ses occupations.
Les premières douleurs du travail regroupent familles et
alliés autour de leur Bokonb jusqu'à l'expulsion du placenta.
Les dieux sont ensuite interrogés pour savoir si vraiment il
n'yen a pas parmi eux qui soient restés insatisfaits.
Pour cela, tous les membres influents de la famille qui
ont en quelque motif de maugréer contre les futurs parents,
l'avouent. La patiente, elle-même pressée par l'assistance,
les douleurs et le désespoir que connait momentanément toute
femme qui accouche, est appelée à confesser les fautes qu'elle
a pu tenir cachées, jusque-là. Telle est l'atmosphère dans
laquelle se passe l'accouchement.
Quand à la délivrance proprement dite, elle se passe pres-
que toujours dans un enclos; elle est confiée dans chaque fa-
mille à quelques vieilles dont clest la spécialité. Ces sages-
femmes se font aider par quelques vieilles ou par des femmes
d'un âge avancé et qui désirent acquérir une compétence dans
l'art. Toutes assistent à l'accouchement, mais il n'y a qu'une
... / ...

- 188 -
seule qui opère, la plus qualifiée de toutes. Les autres
s'occupent diversement.
Quelles que soient les difficultés rencontrées, le sexe mâle
n ies t pas admis dans le lieu de l'accouchement qui est consi-
déré comme un sacerdoce fémi ni n, On comprend
aisément les
fuites enrégistrées dans les maternités d'Etat, au début de
leur ouverture, quand on avait constaté que le médecin
venait terminer la délivrance.
Dès que le nouveau-né pousse son premi er cri, l'ensem-
ble des assistantes hurle de joie et de soulagement, cri que
l es hommes qui attendent à l 1écart reprennent à leur tour
avec des mots de compl iments. Mais l'on ne se disperse
qu'après l'expulsion du placenta. On donne ensuite une grande
toilette à la jeune maman pour la débarasser du sang; on lave
le nouveau-né, puis tout le monde se disperse, laissant le
reste des travaux aux femmes de la maison. Telle est la déli-
vrance dans les cas normaux.
Nous verrons maintenant, ce qui se passe quand les ac-
couchements se compliquent d'incidents pouvant mettre en jeu
la vie de la mère et celle de l'enfant. Nous distinguerons:
a)-
Les inerties
Les accoucheuses connaissent les plantes qui, prises en
lavement, hâtent de façon remarquable la vitesse d'expulsion .
.../ ...

- 189 -
C'est d'ailleurs un des principaux moyens de soigner les
retentions placentaires.
b)-
Gros foetus
Quand l'accouchement traîne malgré un cheminement normal
du foetus et des contractions - cas du gros foetus - on se
contente d'attendre. De temps en temps on alimente la mère et
on en profite pour lui administrer les drogues dont nous avons
parlé à propos des contractions insuffisantes de l'utérus
pendant l'accouchement.
C' es t à par tir du dégagement des membres que les assistantes 'entrent
en jeu. On saisit l'enfant par les pieds et on le retourne sur
le ventre de sa mère (qui est accroupie sur les talons). Des
mouvements d'avant en arrière et de latérité sont imprimés au
foetus et finissent par dégager la tête avec une assez grande
facilité.
Le bébé évacué n'a pas crié et son coeur continue de
battre; l'accoucheuse introduit son doigt dans la bouche de
l'enfant et lui désobstrue les voies respiratoires. Puis elle
le retourne franchement la tête en bas, ne le tenant que par
les deux pieds pour tourner violemment sur elle-même. De
temps en temps, elle s'arrête pour l'asperger d'eau froide
puis continue de tourner jusqu'à ce que l'enfant soit ranimé
... / ...

- 190 -
ou définitivement mort.
Quand après avoir soupiré il n'arrive pas encore à crier, on
brûle dans l lenclos un peu de paille mélangée soit à du piment,
soit à du gingembre. L'odeur âcre et poignante qui se dégage
de cette combustion le fait éternuer, puis tousser et finale-
ment crier.
Ces accouchements difficiles laissent presque toujours
la mère dans un état de délabrement étendu qu'il convient
de soigner sérieusement. Dans le cas de délivrance laborieuse,
le voisinage de l'anus et du périnée déchiré constitue un
danger sérieux. Après de tels accouchements la femme est iso-
lée et reçoit des soins spéciaux. Chaque matin et chaque soir,
un lavement évacuateur suivi de toilette locale. Toute la
journée, la malade reste assise dans des bains très chauds.
Les déchirures sont ensuite nettoyées et badigeonnées de
pâte cicatrisante.
L'allaitement nlest jamais artificiel; la femme qui
accouche allaite son bébé et ceci quel que soit son état. En
cas de décès de la mère, c'est la grand-mère qui allaite.
Aussi dès l'inhumation, la grand-mère rassemble ses souvenirs,
se met en quête de conseils pour obtenir les moyens de rendre
la vie à ses seins ratatinées depuis des années. Elle devra
suivre pour cela un régime alimentaire et se mettre auxgalac-
togènes. Le régime est destiné à remonter son état général
en plus des mets ordinaires, elle prend matin et soir des
... / ...

- 191 -
bouillies bien sucrées (généralement au miel) et divers fruits
comme des papayes, des ananas, etc ... Les aliments sont ordi-
nairement gras et on y ajoute les meilleures parties du gibier
(rognons, foie, trippes, mamelles, testicules). Les boissons
sont: l'eau et surtout au début, le vin de palme fraîche-
ment récolté et qui est légèrement sirupeux.
A ce régime de relèvement général, on peut joindre des procé-
dés qui sont considérés comme étant les vrais galactogènes.
Plusieurs fois dans la journée, la grand-mère mange du manioc
frais et cru, des arachides fraîches et crues ou du maïs éga-
lement frais. Le manioc frais est pilé après épluchure et sa
pâte est utilisée au badigeonnage de la poitrine. Et presque
toujours en moins d'une semaine, s'il reste toujours un peu
de vie dans la grand-mère, elle arrive à obtenir une montée
laiteuse suffisante pour nourrir son petit orphelin.
Comme exemple nous citerons ce cas raconté par Garnier
Christine dans son ouvrage: "le fétichisme en Afrique Noire"
Paris, Payot 1950 ; ouvrage collectif avec Fralou Jean.
liA la suite d'une affaire criminelle, un bébé de trois
semaines se trouva privé de mère: ce fut une vieille parente
qui le recueillit, une veuve. Comment nourrir ce bébé? Dans
les villages, il n'est évidemment pas question de vaches, ni
de lait condensé! la veuve, qui était âgée de 60 ans environ,
alla trouver le tradipraticien et lui confia son embarras:
. . . f ...

- 192 -
celui-ci lui fit quelques passes magiques et lui donna à boire
une potion d'une goût particulièrement infect. La vieille une
semaine après, vint me trouver très fière: la bonne médecine
lui avait miraculeusement donné du lait et elle nourrissait
elle-même le bébé. Il fallu me rendre à l'évidence, cette
femme ne mentait pas. Elle me dit que le bokon~ lui avait fait
boire une décoction d'écorce de l'arbre Eluk, arbre qui
d'après mes renseignements, se trouve être l' "astronia-
congenis" (1).
Le sevrage vraiment trop tardif ne va pas sans drame,
car l'enfant qui frise sa troisième année ne tête plus que
par caprice. Il en profite pour exercer sur une maman qui
lui a été abandonnée depuis son plus jeune âge, une dictature
qui ne manque du reste pas de comique: d'un côté, sa mère
qui a quitté le lit conjugal depuis le septième mois de
grossesse voudrait bi en y retourner. De l'autre, l'enfant
tient à la garder pour lui. Et cela se termine presque toujours
par l'intervention du papa qui, en arbitre intéressé, impose
à coups de fouet et de produits amères appliqués sur les seins,
un sevrage qui aurait dû être fait depuis assez longtemps.
(1)
Extrait de "Garnier et Fralou" (ouvrage cité,
raconté par un juge au Togo).
.../ ...

- 193 -
71
ln)
~
ROI SIE ME
Il
ARTIE

- 194 -
CHAPITRE V
MEDECINE ET RELIGION
l -
LE PROCES THERAPEUTIQUE
Dans cette partie, nous ne cherchons pas à comparer
les connaissances médicales d'une société africaine à
celles que la science médicale occidentale a formalisées
dans le cadre d'une discipline constituée, mais d'étudier
de quelle manière une société différente certes, découpe
et organise le vaste domaine de la maladie. L'orientation
inscrite dans ce projet de recherche nous oblige dès mainte-
nant à mettre entre parenthèses les principes qui gouver-
nent la nosologie, la nosographie et l'étiologie occidentale
et à ne retenir que les catégories médicales en vigueur
sur la côte du Bénin.
.../ ...

- 195 -
A/-
Le Concensus Primaire
Une représentation occidentale qui tend à s'imposer de
façon prépondérante consiste à présenter la situation théra-
peutique comme une relation entre un homme seul, dépendant,
dans la détresse, ayant besoin d'aide, et un être capable
d'aider par son savoir et autoritaire par le pouvoir qui lui
est solennellement conféré, à la fois par ses connaissances
et par sa fonction institutionnalisée.
La médecine traditionnelle africaine procède de toute autre
manière. Ici, la première mise en forme des troubles exige
la nécessité d'un consensus familial autour de l'interpréta-
tion du mal. Pour ce faire, la famille essaie de définir les
éléments descriptifs qui permettent de nommer et de décrire
les entités pathologiques sans prendre forcément en compte
leur signification étiologique, en fonction des éléments
pathogènes qui les déterminent et des symptômes par lesquels
elles se manifestent.
Préci sons que dans ce qui va sui vre, l' i ntitul é de
chaque paragraphe correspond à la désignation d'une catégo-
rie descriptive placée au premier niveau de différenciation
de la structure hiérarchique, et que l'ordre de présentation
de ces entités pathologiques n'a aucune signification
primordiale.
.../ ...

- 196 -
1.-
La maladie des femmes (Gn6nude)
On désigne ainsi un nombre assez important de maladies
féminines directement en rapport avec le processus biologique
de reproduction de la femme. On y distingue trois niveaux de
di ffé re nc i at ion .
a)-
Les entités pathologiques se référant aux
secrétions vaginales et qui se subdivisent en deux groupes
selon leur nature:
Celles qui sont en rapport avec l'activité des
ovaires et traduisent différents troubles du cycle
menstruel (menstruation, ménoragie, ménopose,
aménorrhée) ;
Celles qui se rapportent à des secrétions non
sanguinolantes de l'appareil génital de la
femme (pertes blanches).
b)-
Le deuxième niveau regroupe une série de maladies
affectant les seins de la femme:
Les anomalies de la secrétion lactée pendant
la période d'allaitement. liées surtout à la quali-
té du lait maternel et caractérisées par des déman-
geaisons au cou. à la toux et au rejet du lait
chez le nourrisson après la tétée
Le retard de la montée du lait
... / ...

- 197 -
Les affections inflammatoires de la mamelle
(mastite, etc ... ).
cl-
Le troisième niveau concerne l'obstétrique
que nous avons déjà longuement traité.
2.-
Les maladies provoquées par les vers
(avbkujid:»
Les vers qui provoquen t l'urt i ca ire
Les vers qui causent la pneumonie.
Les vers qui provoquent la goutte sciatique
Les vers intestinaux
Les vers du bas ventre (hernie inguinale).
La localisation de ces maladies est représentée en at-
tribuant à ces vers, un siège dans le corps, d'où parfois ils
se mettent en mouvemen4 parcourent
d'autres parties du corps
et s'installent ailleurs. Cette action entraîne sans doute
certaines sensations de douleur et d'autres malaises chez le
malade. Ces sensations se traduisent par plusieurs types
d 'actions : manger, mordre, saisir, s'enrouler, piquer. Ces
sensations de douleurs distinctes à plusieurs niveaux
(interne, externe; profonde, cutannée ; diffuse, localisée
brusque, progressive) ne prennent leur sens qu'en référence à
la partie du corps où elles se manifestent .
.../ ...

- 198 -
La mise en relation de la douleur et de sa localisation
constitue un élément important en vue de la formulation
du diagnostic.
3.-
Les maladies des enfants (vid))
Toutes les autres maladies pouvant à des degrés divers
se manifester chez les enfants, ce terme ne sert qu1à prendre
en compte l'état de fragilité d lun enfant. L'enfant est plus
réceptif, compte tenu de son état physique général en forma-
tion
et n'a pas encore développé des éléments de défense
organique naturels.
4.-
Les maladies qui provoquent la toux
Au niveau de la nomenclature, les différents noms qui
caractérisent cet état pathologique évoquent d'une part, la
gravité de la maladie et de 'Iautre, l'abattement général
qu'elle entraîne chez les malades. Au niveau de la descrip-
tion, on signale toujours la toux comme symptôme principal
qui s'accompagne d'autres symptômes revêtant le plus souvent
des formes thoraciques (catarrhe, congestion bronco-pulmonaire
et démangeaisons au cou). Et tout ceci suivi d'une forte
anorexie (perte de l'appétit).
.../ ...

- 199 -
5.-
La diarrhée
(dômesasra)
Bien que la diarrhée soit considérée parfois comme un
symptôme qui se manifeste dans le cadre de plusieurs maladies,
le plus courant est qu10n la considère comme une entité
pathologique en soi.
6.-
Le mal de tête
(taduji)
Le mal de tête est considéré très souvent comme un
symptôme commun à plusieurs maladies
lorsqu'il se manifeste
seul ou comme le symptôme principal, il est considéré aussi
comme une entité pathologique en soi.
Les symptômes qui provoquent dans l'organisme l'état de
maladie, et qui contribuent au processus d'identification, de
dénomination et de classement d'une entité pathologique étant
définis, la famille décide de consulter un amasino (1) qui
fournira les médicaments sans faire intervenir le côté reli-
gieux. Ce premier diagnostic convient aux maladies dont la
cause se trouve dans la nature même du corps humain.
Si la maladie persiste de façon tenace et douloureuse et
pertube la vie sociale en empêchant l'homme d'accomplir son
rôle au sein de la société, la persécution (au départ, un
homme atteint d'une maladie se sent persécuté par des instances
divines ou humaines) va se transformer petit à petit en culpa-
bilité. C'est au terme de cette démarche que le malade ira
(1)
ou encore Gbedat~
... / ...

- 200 -
avec sa famille requérir les soins du bokono qui leur appren-
dra ce que le malade sait déjà inconsciemment: il est cou-
pable, il a commis une faute envers les vodu, il doit
réparation.
~
Mais avant d'en arriver à la consultation du bokono, la
famille aborde un second niveau de la consultation qui con-
cerne la recherche des signes étiologiques à la fin de laquelle
on décide du type du bokono à faire intervenir.
B/-
La Recherche des Signes Etiologiques
Pour mener à bien cette recherche, la famille se propose
de considérer chaque entité pathologique comme une unité si-
gnifiante qu'elle analyse de manière à pouvoir définir chaque
maladie comme le résultat d'une combinaison sur quatre dimen-
sions.
L'ensemble des symptômes qui contribuent au processus
d'identification, dénomination et classement d'une entité
pathologique :
les causes internes qui apportent une information
sur les éléments pathogènes qui la déterminent;
l'organisation thérapeutique ;
les causes externes (pour les distinguer des élé-
ments pathogènes) qui sit~ent chaque maladie
par rapport à un système étiologique à signifi-
cation religieuse, magique et sociale .
.../ ...

- 201 -
Ces quatre dimensions (symptomatologie, pathogenèse, théra-
pie et étiologie) constituent le champ ou chaque entité patho-
logique puise sa propre signification, en même temps qu'elle
se définit par rapport aux autres, à l r intérieur d'un système
de classification.
On remarque dans l'organisation de l'univers de la mala-
die, une combinaison de termes descriptifs (qui désignent les
maladies d'après leur réalité empirique càd qu'ils évoquent
des tableaux cliniques clairement définis sans se prononcer
sur les causes magico-religieuses qui les déterminent), et
des termes à signification étiologique.
Parmi les maladies qui peuvent recevoir une interpréta-
tion étiologique, seules les maladies qui sont des catégories
terminales (celles dont les noms désignent des maladies spé-
cifiques et non des classes de maladies).
Tout se passe comme si les termes à signification étiolo-
gique constituaient dans leur ensemble une sorte de commun à
signification religieuse magique et sociale sur lequel s'ins-
crivent toutes les maladies.
Ainsi, étant donné une maladie identifiée, nommée et classée
suivant des règles descriptives, (symptomatologie pathogenèse)
le cadre du diagnostic permet dans un contexte donné, de déter-
miner à quelle catégorie étiologique il y a lieu d'assigner
cette maladie, donc de la nommer et de la classer en fonction
des critères magico-religieuses
... / ...

202 -
Toutefois, il faut noter une différenciation entre les
maladies qui ne s'articulent pas avec un système magico-
rel igieux et ne mettent pas en cause l'ordre de l a société
(n'étant le résultat d'aucun conflit social, d'aucune trans-
gression, elles ne sont ni attribuées à l'action des ancê-
tres ni des Azé ou Ebo) et celles qu'on pourrait presque
qual ifier comme un "phénomène normal" : les maladies à fonc-
tion signifiante qui apportent à la société un message,
décodé par le groupe, les aînés ou le bokono en se rapportant
à la logique du système social et magico-religieux.
Parmi les maladies à fonction signifiante, certaines qui
sont du domaine du simple voduno, boko~, celles-là sont insi-
gnifiantes mais considérées comme le signe d'une sanction
directe ou médiatisée des ancêtres à l'inobservance des normes
qui règlent la vie clanique. L'homicide, l'inceste, le vol,
la violation des interdits, le non-respect des lois de réci-
procité et de coopération.
La seconde catégorie des maladies à fonction signifiante
s'inscrit dans le domaine des Azét~ (on se souviendra que les
uns provoquent le mal, les autres le contrôlent).
Pour comprendre la causalité de ces maladies, il faut
examiner le processus d'un acte de Azé. Celui-ci se produit en
trois temps. Dans un premier temps, il y a un conflit, une
tension, une rivalité qui se déclenche entre deux individus
dont l'un au moins est un azé te . Ce conflit prend naissance
... / ...

- 203 -
dans le monde du jour (ordre du réel) tandis que les évènements
qui le suivent se déroulent dans le monde de la nuit. Le(s)
sorcier(s) en litige se rend(ent) dans le monde invisible de
la nuit en se dédoublant; en fait seul l 'azé y accède, le
corps restant, pendant tout ce temps profondément endormi jus-
qu'à son retour. Les azét? dédoublés agissent ensuite soit en
luttant entre eux, soit en s'attaquant à ceux qui ne possèdent
pas ce pouvoir. Dans le premier cas, le sorcier plus fort
blesse le plus faible; dans le second cas, ils s'en prennent
aux kla des non possesseurs d'azé pendant que ceux-ci sont
endormis. Dans tous les cas, les azet~ se partagent et consom-
ment mystiquement le klà de leurs victimes. Finalement, en se
réveillant, les victimes sont prises d'une très grande fatigue.
Quelques jours après, les premiers symptômes d'une maladie
feront leur apparition.
L'examen clinique, l'observation du malade et les interro-
gations apportent ainsi assez de renseignements pour que la
famille formule des hypothèses précises sur l'origine des
troubles et le type de cure qu'il faut entreprendre.
Cependant, même à ce niveau, seule la séance de divination et
de croyance autorisera le thérapeute consulté à prononcer
son diagnostic.
.../ ...

- 204 -
----
C/-
LA CONSULTATION D'AFA
1.-
Généralités
Afa, au sens le plus élevé du terme, n'est autre que le
principe de la connaissance parfaitement détaché du monde, en
qui se définissent, à l'état pur tous les possibles, et en qui
par conséquent toute la création naissante ou achevée, dans ce
qu'elle est et dans ce qu'elle devient, peut venir, à chaque
instant, se réfléchir. Il est celui qui contrôle et surveille
tout ce qui se passe et tout ce qui peut se passer, qui connait
en particulier le dynamisme fondamental ou le destin de chaque
créature.
Cette connaissance est associée à la conviction selon
laquelle les grands ancêtres après avoir finalement réintégré
le principe d'où ils avaient émanés en venant au monde, con-
tribuent, en raison même des facultés divines qu'ils partagent
et auxquelles ils s'identifient, à éclairer les vivants sur la
conduite à tenir pour demeurer en parfaite harmonie avec l'en-
semble de la création. Il ne faut tout de même pas confondre ce
lien assuré par les ancêtres avec la divinité suprême en laquelle
ils font retour, avec la souveraineté sans partage de celle-ci .
. ../ ...

- 205 -
Avant toute consultation, le bokono qui veut invoquer
afa, énumère à cette occasion tous les gbesa (1) qu'il con-
nait, du moins ceux qu'il entend le plus prononcer autour
de lui, dans la même secte, ou qu'il croit les plus effica-
ces. Tous ces gbesa expriment des règles du culte (ex: afa
aime se voir sacrifier une chèvre et non un bélier, etc ... ),
les caractéristiques d'afa (ex: le fait qu'afa révèle les
moyens d'éviter la maladie et la mort; le fait que bien
qu'il soit là pour assurer le bonheur des hommes, il peut punir
ceux qui ont enfreint ses interdits ou déranger ceux qu'il
souhaite compter parmi ses adeptes).
Lors d'une consultation Afakaka, les bokono utilisent
un instrument appelé aguméga. Cet agumega (chapelet divinatoire)
se compose de 8 demi-coques très aplaties, provenant d'un fruit,
présentant d'un côté une face bombée et de l'autre côté une
face creuse divisée en deux par une cloison pour y loger deux
graines. Ces 8 demi-coques sont reliées entre elles par une
cordelette qui peut être enjolivée de perles, et garnie de
rameaux emperlés de mille manières.
( 1)
Gbesa
devise - parole chargée de puissance.

- 206 -
Dessin du chapelet divinatoire
/ '
1
\\
(
)
1
1
1
,
\\
\\
1
\\.
/
"
...
- ....
Face creuse
race bombée
"""
Agumega

- 207 -
Assis sur une natte, le bokono saisit le chapelet de la
main droite, par le milieu, le balance vers l'avant et le
ressaisit de la main gauche lorsqu'il revient vers lui; puis
accentuant son mouvement de balancement, le pose sur la natte
de telle sorte que les deux extrémités se trouvent orientées
vers l'avant.
La disposition devant le bokon~ des deux colonnes de
quatre coques, retombées du côté creux ou du côté bombé, forme
immédiatement la figure géomantique recherchée en adoptant
pour convention que :
la face creuse ou interne d'une coque (celle qui
apparait séparée en deux moitiés par une cloison), équivaut.
au signe l ;
la face bombée, ou externe d'une coque équivaut
au signe II.
Grosso-modo, la face interne caractérise ce qui est
bon, et la face externe, ce qui est mauvais pour le sujet. Le
bokon~se contente avant de jeter son agumega, d'invoquer afâ
en récitant les gbesa que ses maîtres lui ont appris. A cette
occasion, il prend généralement soin avant ou après la réci-
tation de ces gbesa d'invoquer aussi les principaux éléments
de son espace géographique (l'est, le zénith et l'ouest), et
, ,
les principaux vodu ; mais il le fait avec moins de développe-
ment que lors d'une grande consultation (consultations inté-
grées aux cérémonies du culte afa ; consultation effectuées
... / ...

- 208 -
au profit de toute la communauté urbaine ou villageoise).
Ce faisant, il remue, habituellement de la main droite, les
vodzi qui ont été déposés à côté de lui et auxquels se trou-
vent le plus souvent mêlés tous les petits objets qu'il trans-
porte avec lui dans son sac de bOkono et qui lui servent à
réaliser des vosa(1), ou à confectionner des médicaments (amasi).
Le bokono applique de sa main gauche un cauri sur le front du
sujet et le dépose ensuite devant lui sur la natte; ce faisant,
le sujet est invité à murmurer de façon plus ou moins audible
la question à laquelle il aimerait qu'afa réponde. Le bokono
n'a pas besoin de connaître cette question: elle n'est posée
qu'à afa et le bokon~ n'est lui-même que son interprète.
Lorsque le sujet n'a pas envie de lui confier ses soucis, ou
craint d'influencer son interprétation, il se tait. Le plus
souvent, le bokono demande un peu plus tard au sujet d'expli-
quer ce qui l'amène afin de pouvoir mieux achever d' interprè-
ter l'afadu (le signe qu'il a obtenu pour lui).
A mesure des engendrements, les afadu sont inscrits sur
un plateau fate (2) recouvert de poudre végétale
ayE (3).
(1)
rite destiné à écarter le mal, ne s'adressant à aucune
divinité particulière, ayant été recommandé à un sujet
par un afadu obtenu en consultation et toujours exécuté
par un DOJ<i)i1ô'.
(2)
plateau soit rectangulaire (chez les évé), entouré d'une
petite bordure pour éviter que la pouare qui y est répandu
ne tombe à terre. Chez les yorùba, c'est un plateau rond
sans aucune bordure.
(3)
obtenue sur des troncs d'arbre ou de bois secs rongés par
les petits insectes (quati-quati) .
... f ...

- 209 -
Le moment venu de chercher un afadu, le bokono déverse dans
sa main un certain nombre de noix (16). Pour obtenir un signe,
il frappe du plat de sa main droite les noix qu'il a placé
dans sa main gauche, puis s'aidant d'une brusque élevation de
la main gauche, saisit aussitôt, comme à la volée, le plus de
noix possible:
s'il lui reste une noix dans sa main gauche, il
inscrit avec ses doigts, sur le plateau placé entre ses jambes
le signe II
s'il lui reste deux noix dans sa main gauche, il
inscrit sur son plateau le signe 1 ;
s'il ne lui reste en main aucune noix, ou s'il
lui reste plus de deux noix, il recommence l'opération jusqu'à
avoir obtenu un des deux premiers résultats.
2.-
Schéma d'une consultation par afa
Afâ est censé répondre par un afadu à une question bien
précise qui lui a été posée en début de consultation, peu après
l'avoir invoqué. Cet afadu qui est obtenu parmi un ensemble de
256 afadu possible, indique au bokono le dynamisme qui agit
sur le sujet pour qu'il consulte, et il lui propose un certain
nombre de précautions ou de thérapeutiques pour en tirer le
meilleur parti. Cependant le dynamisme qui influe sur un sujet
se heurte à l'inertie du sujet telle qu'elle résulte des évène-
... / ...

- 210 -
ments antérieurs et du caractère qu'il s'est forgé càd de
toute son histoire (somatique, sociale, spirituelle, etc ... ).
Il importe donc, non seulement de connaître le dynamisme qui
influe sur un sujet, mais surtout la résultante de ce dynamis-
me et de l'inertie du sujet, résultante qui définit la voie
vers laquelle il est effectivement entraîné.
Pour donner l'interprétation qu'il convient à un afadu,
le bokono se réfère, ou du moins a toujours la possibilité de
se référer à un ensemble de légendes significatives accompa-
gnéesde gbésaet de chansons: tantôt elles lui servent d'aide-
mémoire, tantôt elles lui servent uniquement à illustrer ses
propos. Chaque légende l'orientant vers une interprétation
particulière, il lui faut parmi elles opérer un choix.
C'est précisement la pluralité de telle légendes associées à
chaque afadu qui, en autorisant plusieurs interprétations du
même afadu, lui permet de n'en pas dégager seulement une inter-
prétation générale, mais d'en fournir une interprétation
adaptée, tenant compte de l'état du sujet qu'il peut apprécier
en jugeant de son apparence, en connaissant souvent par ail-
leurs son cadre de vie et en se faisant éventuellement informer
de ses difficultés.
Il ne suffit pourtant pas au bokono d'obtenir un afadu,
car pour deviner l'évolution d'un être en situation, il lui
faut des informations non seulement sur le dynamisme de cet
être (résultat du dynamisme qui l'anime et de l'inertie qui
... / ...

- 211 -
le caractérise), mais encore sur le dynamisme de toutes les
composantes de son environnement.
A cet effet, la consultation se poursuit immédiatement;
mais comme il serait pratiquement impossible de rechercher de
la même manière, puis d'interprèter dans leur ensemble les
afadu caractéri sant chaque composante de l 1envi ronnement, le
bOkono se contente de proposer s imp l ement à afa un certain
nombre d'affirmations et de l'amener à y faire un choix.
Il demande tout d'abord si l'afadu qu'il vient de trouver
apporte du bon ou du mauvais. Ce n'est qu'après avoir obtenu
une réponse sur ce point qu'il proclame ouvertement le nom
de l'afadu.
En agissant ainsi, il entend affirmer qu'aucune parcelle
de la création n'existe pas elle-même, qu'elle ne peut être
conçue qu'au sein de l'environnement formé autour d'elle par
le reste de la création; l'afadu obtenu pour un sujet n'a
donc aucun sens par lui-même et ne mérite pas d'être nommé,
avant d'avoir été confronté aux afadu les plus déterminants
du monde ambiant, afadu qui sont d'ailleurs inscrits sur le
faté, de part et d'autre du premi er comme pour l 1 entourer
véritabl ement.
Lorsque 1 'afadu apporte du bon, le bokono demande à afa
de lui préciser la nature de ce bonheur en lui soumettant une
liste stéréotypée de 16 ou 17 variétés de bonheur:
... / ...

- 212 -
1.
Un facteur de longue vie
2.
La chance de la monnaie
3.
La chance du marché ou de 1 1 amour
, ,
, ,
4.
La chance d'un vodu (ou par un vodu)
5.
La chance de l'enfant
,.y
6.
La chance d'afa
7.
La chance d'un ebo
8.
La chance sur la terre ou sur l'eau (aprëc iser par afâ')
9.
La chance au sein d'un groupe
10.
La mort de son (ses) ennemi(s)
11.
La chance du côté de SI
12..
La chance sur le chemin
13.
La chance qui sera apporté par un homme blanc
14.
La chance d'avoir la vie douce
15.
La chance d'avoir une année bien réussie
16.
La chance de réussir ce qu'on entreprend
17.
La chance de bien manger, de vivre pour être solide,
pour être notable.
Lorsque l'afadu apporte du mauvais, le bokono cherche à
connaître la nature de se mal en soumettant à afa une liste
stéréotypée de cinq variétés de malheur:
1)-
as-tu trouvé la mort (kua) ?
(vodzi utilisé est un os)
... / ...

- 213 -
2)-
as-tu trouvé la maladie (d,a) ?
(vodzi utilisé est le dokui)
3)-
as-tu trouvé une affaire, palabre, affaire
judiciaire, ennuyeuse, une parole mauvaise
(au sens de mot blessant) (ena, egna) ?
(vodzi utilisé est le cauri)
4)-
as-tu trouvé la misère (aya) ?
(vodzi utilisé: débris d'ustensile)
5)-
as-tu trouvé le malheur d'étre dérangé par un vodu ?
(vodzi utilisé: husaka).
Puis il demande à afâen lui posant toutes les questions vou-
lues, de révéler comment favoriser l'apparition de ce bonheur
ou la suppression de ~e malheur. Il lui formule enfin toutes
les questions qui, à un titre ou à un autre, lui paraissent
utiles.
Lorsque afaa répondu que, la figure géomantique avait
trouvé la maladie, il est nécessaire d'obtenir une nouvelle
précision. En effet, le terme évé d,a signifie non seulement
la maladie au sens occidental du terme, mais encore la souf-
france et le dépérissement engendrés par la faim. On pose
donc la question complémentaire:
as-tu trouvé la maladie qui tue une personne?
(d.:> wu
amea?)
... ; ...

- 214 -
as-tu trouvé la maladie qui saisit une personne?
(d,
le amea ?)
Pour faire répondre afa' à des questions on lui soumet
soit une paire d'affirmations (proposition à approuver ou à
désaprouver, simple question appelant une réponse par oui ou
par non) soit toute une série d'affirmations (questions mul-
tiples spontannées du genre: est-ce X, est-ce Y, est-ce Z ?
etc ... ) parmi lesquelles afa doit indiquer la bonne. L'idée
exprimée par chacune de ces affirmations est matérialisée par
un petit objet symbolique vodzi. Tout bokono transporte dans
son sac ces petits objets dont le nombre, pourtant, nia pas
besoin d'excéder 21 ou 22.
Il faut noter qu'à chaque vodzi décrit correspondent toutes
les notions que ce vodzi est susceptible de représenter. Le
choix de ces norrons n'intervient pour le
-
bokono que compte
tenu des circonstances justifiant la consultation.
L~ vodzi nécessaires utilisés par tous les
-
bokono sont les
suivants
la pierre (petit galet de revière)
le cauri (ou une vieille pièce de monnaie)
la perle (bigarrée, bleu sombre ou quelconque)
le grain adhiku (grain poli. gris pâle, dont on
se sert pour le "jeu des godets"
Husaka (grain sombre, à dentelures)
... / ...

- 215 -
Hunuku (appelé noix d'afa)
Ataku (gousse du poivre de guinée)
le coquillage
Grain évé (grains durs de la taille des marrrons
d'Indes, os d'animal)
-
Akuk~ku (grain déséché provenant d'un arbre)
Akukoti fréqemment planté pour établir des clotures
Sabot de chèvre, ou patte de poulet
Petit objet caractéristique de la civilisation
occidentale (capsule de bouteille de bierre,
bille de verre, ampoule de lampe torche, bouchon
de carafe).
Atsaku (grain de l'arbre atsati)
Dokui (grain dur de couleur brunâtre ayant la forme
d'une fève
littéralement signifie le grain de la
maladie.
Morceau d'instensile brisé
le bouchon (Koké)
Noix de karité (Yoku).
Les vodzi qui correspondent aux deux affirmations ou à la
liste des affirmations soumises à af<a sont mis de côté et par-
tagé en deux tas, repartis à droite età gauche de l'afadu
initial.
.../ ...

- 216 -
Le bokonorecherche alors deux afadu successifs. S'il
procède à une grande consultation, il les inscrit à droite
puis à gauche, sur son plateau divinatoire. Un des deux
afadu est estimé dominant et le côté ou se trouve cet afadu
dominant est aussi celui où se trouve le vodzi qui correspond
à la réponse. Pour éliminer toute équation personnelle, on
procède de préférence comme suit :
Un bokono (en tenant compte de toutes les sugestions de
l'assistance) pose à afa les questions en choisissant les
vodzi qui y correspondent. Un assistant, ou le sujet lui-même
partage les vodzi dans ses deux mains et maintient ses mains
fermées de telle sorte que personne ne puisse voir ce qu li1
tient à droite ou à gauche.
Le bokono manipule les noix sacrées (chapelet divinatoire)
pour rechercher les afadu qui indiquent si la réponse se trouve
à droite ou à gauche.
En général, comme l'assistant qui partage les vodzi
dans ses mains se trouve en face du bokono qui manipule le
chapelet, si ce dernier obtient une figure dominante à droite,
la réponse se trouve dans la main gauche parce que cette
main se trouve à droite du bokonô. On admet qu'en requérant
les services d'un assistant, un afadu dominant à droite donne
une réponse dans la main gauche de l'assistant et inversement.
Au cas ou plusieurs vodzi ont été placé d'un même côté,
il faut les départager à nouveau, suivant la même méthode,
.../ ...

- 217 -
jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un
c'est celui là qui
correspond à la réponse.
On sait que tout afadu jumeau (medzi) formé de deux
colonnes identiques, domine un afadu ordinaire (viklé)
Si les deux afadu sont identiques, on admet convention-
nellement que celui de droite domine celui de gauche;
Dans tous l es autres cas, pour détermi ner l 'afadu qui
domine l'autre, on ne considère que les colonnes de
droite de chaque afadu. L'afadu dominant est celui
dont le demi-afadu de droite est nommé le premier
dans l'ordre, parfaitement connu de tous les bokonô,
Si deux afadu ont même demi-afadu de droite, on admet
aussi, conventionnellement, que celui de droite
domine celui de gauche.
En questionnant afi comme il vient d'être indiqué, au
lieu de rechercher, puis d'avoir à interprèter les afadu
caractéri st iques de toutes l es composantes de l'envi ronnement,
on s'efforce seulement de déterminer la tendance dominante
chez le sujet:
Le bonheur (dont la notion est associée à celle de
potentiel énergétique élevé) ou le malheur (dont la
notion est associée à celle d'abaissement
du poten-
tiel énergétique) ;
.../ ...

- 218 -
Telle variété de bonheur ou telle variété de malheur
sur telle autre (bonheur et malheur formant une gam-
me de 21 ou 22 modalités différentes d'êtres affectés
pa r le mo nde ) .
Pour cela, on admet que tel aspect de l'environnement
l'emporte sur tel autre, à tel point de vue, si l'afadu qui
le caractérise a la préséance sur l'afadu qui caractérise
tout ce qui se trouve mis en balance avec lui par la réparti-
tion des vodzi en deux part. On obtient ainsi, en progressant
de préférence du général vers le particulier, une approximation
suffisante de ce qui se trouve en relief, pour le sujet, parmi
les dynamismes des êtres, des choses, des évènements et des
actes possibles qui l'affectent ou le sollicitent.
Cinq catégories de bonheur au moins, et une catégorie de
malheur, indiquent que ce qui est apporté par l'afadu initial
es t dû à une ent ité pouvant faire l'objet de pri ères ou de
sacrifices (Vodu, Ebo, Aft, Se). On conçoit alors que la con-
sultation s'oriente immédiatement vers l'identification de
l'entité, puis vers la recherche de la meilleure conduite à
tenir vis-à-vis de cette entité pour favoriser la supression
du malheur décelé (identification d'une puissance occulte ou
d'une personne, recherche des moyens propres à contrecarrer
une influence maléfique ou à appeler une influence bénéfique~
... / ...

- 219 -
Lorsque l'afadu apporte la maladie, la mort ou
la misère, la question est de savoir si Afa a vu un ancien
malheur ou un nouveau malheur, si le malheur
ou la maladie
est envoyé par une personne ou par un vodu.
Lorsqu'un sujet vient demander une consultation
d'Afa, c'est généralement parce qu'il souffre d'une maladie ou
de troubles quelconques (ou a été frappé de divers malheurs).
Il en attend des directives pour être délivré. La recherche
de l'origine des troubles dont souffre le sujet amène le
bokono à poser à Afa des questions beaucoup plus détaillées
qu'en ce qui concerne l'origine du malheur.
La maladie de X... lui vient-elle
d'une personne vivante?
d'un défunt?
d'un vodu ?
d'Afa?
d'un Ebo ?
de SB ?
d'une rupture d'interdit?
d'un vosa (ou d'une prière que le sujet n'a pas
faite ?)
d'une mauvaise conduite (erreur de comportement ?)
de rien du tout?
... / ...

- 220 -
, ,
Si la maladie a été envoyée par un vodu ou une personne,
le bokon~ procède
par trois phases :
a)-
Identification
b)-
Recherche des motifs de cette action maléfique
c)-
Les moyens de contrecarrer cette action malé-
fique et d'y mettre fin.
L'origine de la maladie ayant été détectée et les moyens
d'en supprimer l a cause ayant été découverts, l a mal adi en' en
a pas moins été déclenchée et il convient de la guérir en
faisant au besoin appel à toutes les entités spirituelles sus-
ceptibles d1en influencer favorablement le cours, bien qu'elles
n'en soient aucunément responsables.
a)-
Identification
Identification du vodu
Procédant du général au particulier, la procédure
commence comme suit
"
\\
Le vodu se t rouve-t - il dans la famill e maternelle ?
, ,
Le vodu se trouve-t-i l dans la famill e paternelle ?
A supposer que le vodu ait été détecté dans la famille
maternelle, le bokono demande ensuite:
un vodu de la famille maternelle du père?
.. '/ ...

- 222 -
Si c'est le cas, on ne manquera pas de traiter le sujet avec
les amasi (plantes magico médicinales) du vodu, considérées
comme le meilleur support ou le meilleur équilibrateur de sa
puissance aké.
En cas de réponse favorable à un Ebo tout court, étant
donné la multitude des Ebo, il convient surtout d'identifier
la personne qui manipule ce Ebo, ce qui conduit le bokono à
déterminer une catégorie modérément restreinte de personnes
à laquelle appartient celui à identifier.
S'agit-il d'une personne morte ou vivante?
S'agit-il d'un homme ou d'une femme?
de quelqu'un de la famille paternelle, maternelle,
un camarade ou quelqu'un d'autre?
S'agit-il d'un initié ou d'un profane?
S'agit-il d'un pêcheur ou d'un cultivateur ... ?
Cet homme se trouve-t-il parmi nous? (dans le
cas où la consultation a lieu en réunion) ?
b)-
Recherche des motifs d'une influence maléfique
subie par le sujet
Prenons le cas d'une action maléfique due à une personne
vivante, agissant spontanément ou en réaction à un mauvais
comportement du sujet envers elle.
... / ...
-

- 223 -
Par souci de discrétion le bokonô demande d'abord à Afa si
l'on peut savoir ce que X a fait à Y ; et c'est seulement au
cas où Afa estime que l'affaire peut être exposée en publ ic
qu'on cherche à obtenir toutes les précisions utiles, et
toujours du général au particulier.
Dans le cas par exemple où le sujet n'a commis aucune faute,
on cherche à en comprendre la cause (jalousie par exemple).
Bien souvent, la recherche des motifs· d'une action maléfique
tourne court. Non seulement parce qu'elle devient délicate,
mais surtout parce qu'elle n'apparait pas utile. Peu importent
les motifs, il suffit de découvrir les remèdes. Et s'il est
vrai que la connaissance des motifs peut éclairer la recherche
de ces remèdes, elle ne lui est pas rigoureusement nécessaire.
c)-
Recherche des remèdes
Les remèdes peuvent être selon les cas, un simple rituel
de réconciliation, une simple prière ou un sacrifice, une
\\
,
simple nourriture ( dans le cas d'un vodu ; ou alors un "lavage"
avec des amasi (infusion de plantes magico-religieuses) ; dans
ce cas précis, on pense généralement à des plantes associées à
la puissance occulte dont l'action a été reconnue être à l'ori-
gine de la maladie; car toute puissance occulte a ses ama
(plante magico-religieuse). Il faudra encore savoir si le
simple lavage suffira et quelles seront les circonstances et
les modalités de la préparation.
. .. / ...

- 224 -
Il arrive aussi que ce soient de toutes autres plantes
et dans ce cas, le bokono demandera à Afâ de les préciser
(parmi quelques plantes les plus fréquemment utilisées dans
un cas semblable, ou qui semblent convenir au cas particu-
lier du sujet), ceci jusqu'à ce qu'il estime le total
suffisant.
Lorsqu'on semble ainsi arriver à une conclusion quelcon-
que, il est bon de ne pas changer de sujet ou de ne pas mettre
fin à la consultation avant d'avoir obtenu confirmation de
cette conclusion. A cet effet, reprenant la recommandation
qui vient d'être formulée, on demande à Afa: "Est-ce vrai
ce que tu viens de dire" ? Et dans la négative on demande à
Ara de préciser encore plus ce qu'il faudra faire pour que le
mal disparaisse complètement. Ceci montre que les paroles de
l'oracle sont jugées tout aussi suspectes que les paroles
des hommes: lorsqu'Afa a dit quelque chose, il faut le lui
faire répéter solennellement en lui demandant, en quelque
sorte, de jurer qu'il a dit vrai.
Cette procédure de divination par Afa opére une double
remise en cause :
Remise en cause de la faculté du patient (et de
sa famille) de "voir" et de dire la vérité sur ses troubles.
Ainsi donc, lorsque la maladie est considérée comme le signe
de la malédiction ou de l'élection divine, de la transgres-
sion ou de l'erreur, de l'intervention bénéfique ou maléfique
... / ...

- 225 -
des v~dù ou des ancêtres, l'étiologie du mal a toujours une
existence sociologique et un sens politique. L'entourage
immédiat du malade a toutes les chances d'être pour quelque
chose dans la maladie, et en tout cas d'être concerné par
elle; c'est ce qui explique le fait que le bokono soit
extérieur à cet entourage.
Remise en cause, d'autre part, du pouvoir de
voyance du bokono lui-même en tant que simple individu et non
\\
,
comme médiateur entre les hommes et les vodu.
Ainsi la procédure de voyance et de divination a pour
fonction d'affirmer la primauté de la parole collective sur
toute expérience ou parole individuelle pour dire la vérité
de la maladie.
Cette parole collective constitue le concensus secon-
daire.
... / ...

- 226 -
11-
LA CLEF DE L'EFFICACITE THERAPEUTIQUE
A/-
Fonctions de l'imaginaire dans la cure
Les problèmes de l'imaginaire se posent d'une manière
absolument nouvelle, qulil faut comprendre.
"Il faut comprendre",. c'est effectivement le terme qui
résume très bien les débats actuels sur la dimension et les
fonctions de l'imaginaire; un débat qui datait déjà des
philosophes grecs et qui est loin d'être clos.
C'est justement dans le cadre de ce débat que nous
allons situer notre étude.
Depuis que l'imagination n'est plus reléguée au simple
niveau de sensible par antithèses à la raison et qu'elle est
désignée comme une forme de connaissance et réhabilitée comme
soeur jumelle de la raison, comme inspiratrice des découvertes
et des progrès, son étude prend une nouvelle dimension que
nous essayerons d'appréhender.
Pour ce faire, il est indispensable de partir de la
conception de l'imaginaire chez les penseurs grecs, de suivre
son évolution jusqu'à nos jours. Nous constatons que deux
courants sans distinction d'époque ont régné sur la conception
de l'imaginaire: l'une qui l'a minimisé, chosifié, figé et
le
réduit au simple domaine du sensible, faisant ainsi de
... / ...
..,.'" .

- 227 -
l'imaginaire l'antithèse de la raison; l'autre dont s'ins-
pirent beaucoup de chercheurs, 1ie l'imaginaire à la cons-
cience et introduit dans cette forme de connaissance un
élément dynamique et organisateur.
De toute façon, en étudiant ces différentes conceptions,
nous voyons se confirmer certaines idées maîtresses, à
savoir:
1°-
L'imaginaire est une forme de connaissance
ayant pour trait caractéristique fondamental le travail de
redoublement de l'espace et du temps. Elle se fonde sur une
critique de la réalité issue des images de la vie quotidienne.
2°_
La dimension de l'imaginaire n'est pas linéaire,
car son mouvement de redoublement va dans toutes les direc-
tions
par conséquent son circuit de cheminement n'est pas
fixe.
3°_
Par essence, ce circuit de cheminement ne peut
être théoriquement figé ou institutionnalisé. Mais lorsqu'on
lui offre dans l'espace et dans le temps des liens d'encrage,
il provoque une fausse conscience et évite la transgression.
Par contre, dans son essence il a un caractère subversif.
Si l'imaginaire a subi une dévaluation dans certaines concep-
tions, c'est surtout dO au fait qu'il y a une confusion entre
l'image et le mot, et que l'étude de l'imaginaire a été faite
... / ...

- 228 -
sur un plan sémiologique. Il s'en suit donc que pendant long-
temps il Y a eu dichotomie entre signifiant - signifié: ce
qui empêche de percevoir la vraie dimension de l'image voire
de l irnaq ina
t
i re .
Aujourd'hui, tous les chercheurs sont d'accord pour dire
que cette dichotomie n'existe pas. Pour en arriver à cette
conclusion, ils n'ont pas manqué de définir l'image comme
symbôle. Ainsi les symbôles sont au centre, et sont le coeur
de la vie imaginative. Ils révèlent les secrets de l'incons-
cient, conduisent aux ressorts les plus cachés de l'action,
ouvrent l'espoir sur l'inconnu et l'infini.
En dés i gnant l'image comme symbô le, on s' aperçoi t qu' il
y a homogénéisation du signifiant et du signifié au sein d'un
dynamisme organisateur et par là, l'image différe totalement
du signe arbitraire (1).
Si tous ces chercheurs semblent être d'accord pour dire
que la dimension de l'imaginaire ne doit pas être étudiée sur
un plan sémiologique, et pour désigner l'image comme symbôle
et non comme signe, il se pose néanmoins un problème lorsqu'il
s'agit de chercheur les lieux de l'imaginaire. Autrement dit,
les corpus des différents chercheurs divergent quand on parle
des domaines de l'imaginaire.
(1)
Cf G. DURAND
"Les structures anthropologiques de
11 imaginaire" et ·"L 1imagination
symbol ique",
et J. DUVIGNAUD : "Le don de rien" .
. . ./ ...

- 229 -
Tout en ne niant pas une cèrtaine complémentarité dans
les différentes études entreprises aujourd' hui sur l' imagi-
naire' force est de reconnaître que sur certains points, les
positions ne sont pas unanimes.
Ainsi, pour certains dont Gilbert DURAND, l'imagination
a un rôle biologique, car elle se définit comme une réaction
défensive de la nature contre la représentation par l'intel-
ligence, de l'inévitabilité de la mort. .. Le royaume de la
mort apparaissant bien comme une position de replis en cas
d'impossibilité physique ou d'interraction morale.
D'autre
part, l'imagination est facteur d 'équil ibre psychosocial.
Aussi trouve-t-il que le rôle essentiel de l'image est celui
du facteur dynamique de la rééquilibration mentale.
De ces deux fonctions de l'imagination, à savoir l'équi-
librage biologique psychique et sociologique, DURAND pense
qu'il faut procéder à une remythisation dans les sociétés.
Ceci l'amène à dire que l'anthropologie imaginaire doit avoir
non seulement pour but d'être une collection d'images, de
métaphores et thèmes poétiques, mais aussi d'avoir l'ambition
de dresser le tableau composite des espérances et des craintes
de l'espèce humaine, afin que chacun s'y reconnaisse et s'y
confirme.
Ainsi donc, en pensant que l'imaginaire est régulateur,
G. DURAND cherche les liens de l'imaginaire dans une progres-
sion de structures stables. Il s'intéresse plus aux constances
... / ...

- 230 -
de modèle d'imaginaire que lion retrouve dans les structures
sociales.
Si G. DURAND pense plutôt que la fonction de l'imaginaire
est régulatrice et cherche les lieux de ce dernier dans une
constance des structures, il n'en est pas de même de J. DUVI-
GNAUD qui représente un autre courant, qui dlune certaine
manière admet que l'homme trouve sa plénitude grâce aux dimen-
sions que 1 limaginaire lui offre, mais cependant, traque les
domaines de l'imaginaire au cours des périodes de rupture qui
tentent de supprimer les périodes de stabilité. Autrement dit,
l'imaginaire est plus présent quand il y a anomie. Clest ainsi
que pour DUVIGNAUD, la fête est cette rupture. Partant de ce
fait, il ne slattache pas à la continuité comme semblerait le
faire G. DURAND mais plutôt à la discontinuité. "Sans ces
discontinuités brutales dans la durée saisissante de la repro-
duction ou la conservation des sociétés ... que serait précise-
ment la vie commune",
C'est pour cette raison que OUVIGNAUD attache une grande
importance à l'oubl i qui permet l'émergence de 11 imaginaire.
Ainsi, "l 'oubli seul pourtant provoque l t i novat ton ". Et c'est
à partir de ces éruptions brutales que 11 imagination chez
DUVIGNAUD prend un caractère subversif, car elles brisent le
lien établi entre la reproduction sociale et l'adhésion des
hommes au cours d Iune jubilation matérielle ou 1 lexcès d'éner-
... ; ...

- 231 -
gie ou de dynamisme propre à l'espèce s'ouvre sur la prémoni-
tion utopique d'une existence infinie ou l'homme ne serait
plus confiné dans les cadres sociaux.
Nous le constatons bien, l'imaginaire chez DUVIGNAUD est sub-
versif par ce qu'il s'oppose aux formes figées, institution-
nalisées et stables; la subversion est aussi redécouverte et
réinvention. L'imaginaire apparait aux moments de rupture et
est relié au phénomène
structurel. Aussi par exemple la
transe est imaginaire et la possession est récupération.
Lorsque J. DUVIGNAUD dit que l'expérience de la transe ne
s'attache à aucun modèle comme la fête ne s'attache à aucune
institution et que l'une et l'autre paraissent au sens propre
des actes de subversion, n'est-ce pas une façon de définir la
subversion comme "un transfert d'appartenance d'univers habi-
tuel à un autre univers" ? Ce qui sous entendrait que cette
subversion ne suscite pas un autre pouvoir rationnalisé mais
qu'elle dissout le consensus et les liens qui unissent la
société, de strucutres psychologiquement et moralement la
culture et les principes d'autorité jusque là suivis, en les
présentant comme mythes.
Autrement dit, la subversion est réaction contre une
"hégémonie". Dans ce cas, cette subversion ne prend-t-elle
pas simplement un caractère de contestation qui, sur un plan
tactique, est une arme aux "faibles" qui exprime un "défoule-
ment" ; et sur un plan stratégique renforce les "forts",
... / ...

- 232 -
les dominants, et raffermit ainsi leur autorité une fois que
le défoulement est exprimé, relevant de cette manière les
faibles de leur institution?
Après ce bref aperçu des considérations essentielles qui
abordent l'imaginaire sous l'aspect qui la désigne comme sym-
bôle et lui confère une dimension spatiale, nous allons
rejoindre l lune des problèmatiques de notre recherche en
alliant la théorie de DURAND à celle de DUVIGNAUD et montrer
que l'imaginaire s I i l apparaît aux moments de crises, se
trouve inhiber dans son caractère subversif par son rôle
régulateur. La maladie n'est-elle pas une forme de
subversion?

- 233 -
B/-
La Nécessité d'une Mise en Rapport entre Catégorie
Descriptive et celle Etio1ogique
Comme nous essayons de le montrer, la maladie qui est
rupture, privilégie le contact avec le surnaturel. La guérison
qui est continuité, est en même temps rupture de communica-
tion. La communication perpétuelle se concrétise au niveau de
la possession. En effet, parce qu'on accepte d'être réceptacle
des v~dù, ceux-ci, contents indiquent les moyens d'endiguer
les maux dont ils sont détenteurs. Tout se passe comme si les
v~d~ étaient définit chacun par une calamité qui lui est
réservée et qu'aucun autre ne songe à lui contester.
Nous référant à ce que nous savons des vodu ~ et par
extension évé, on peut citer en exemple quelques cas que
nous connaissons.
Afa: les maladies envoyées par aft sont celles qui
privent 1 1 homme de toute force et lui fait enfler le ventre
(les entrailles). Ceci parce qu li1 est associé aux notions
de non manifestation, de pauvreté, d'incapacité de travail-
ler, d'infirmités, tous traits qui ramène 1 'homme à un état
matriciel.
... / ...

- 234 -
Les différents vodu et les maux qu'ils peuvent infliger
Xébioso = peut rendre fou l 'homme qu'il a choisi comme
victime en l 1 amenant le plus souvent à se suicider.
Sakpata = dieu de la variole, deschancres, des eczémas,
de la lèpre.
Adoxwa = (vodu du collège de sakpata) , vàd~ de la dissenterie.
Adukaké = (vodu du collège de sakpata), déclenche la fièvre
chez ses victimes. Il leur fait claquer les dents
jusqu'à en mourir.
Conu
groupe du collège de Sakpata : inflige des maux
de gorge et fait mourir par étouffement
. .., ..
(
Gahukpono = cause des affections de la peau
furoncles,
gale ... ) qui par la suite peuvent provoquer
la mort.
Ekpeyekpo
agit à l'encontre des guérisseurs qui veulent
soigner une victime de Sakpata.
Axwaf~gbe
provoque la tuberculose.
Agbuboji
= provoque des oédèmes.
, \\
Chaque vodu est porteur d'une maladie mais aussi de son
remède. Il s'agit essentiellement de plantes qui, utilisées
de façon adéquate et selon un certain rituel, apportent la
... \\
guérison avec l'assentiment des vodu concernés. Chaque
... / ...

- 235 -
plante est rattachée à un vàd~ particulier avec un gbesa
propre; elle ne doit pas être cueillie n'importe que jour,
ni à n'importe qu'elle heure. Ainsi, chaque végétal sacré
thérapeutique, rigoureusement circonscrit dans l'espace et
dans le temps, hautement personnalisé par un nom et un
gbesa, a des fonctions strictement définies, et son effica-
cité ne peut être totale que si toutes les conditions ci-
dessus sont scrupuleusement respectées. Il jouit d'un prestige
et d'un respect intense qui jouent un grand rôle au niveau de
la dimension psychologique des mécanismes de guérison. Il est
bien évident aux yeux du malade que la même plante, recueillie
de façon profane a un pouvoir thérapeutique bien inférieur
et même contraire à l'effet attendu.
, \\
5'il Y a échec de la guérison, clest que le vodu reste
fâché envers sa victime qui nia pas assez expié sa faute.
La compétence du bokon~ ou du vodun~ ne peut être mise en
cause puisque c'est le dieu lui-même qui guide ses gestes.
A croire que les hommes, parce qu'acceptant de laisser les
vàd~ s'incarner en eux, s'octroyaient la possibilité de
les manipuler dans le cadre des guérisons ou des maladies .
.../ ...

- 236 -
\\
\\
.
Les vodu se manlfestent aux hommes de façon indirecte
et personnelle par le biais de la maladie et de façon direc-
te, codifiée, officielle, collective par le phénomène de la
possession.
a)-
A travers la maladie
La maladie est punition des vàd~ et par là-même moyen de
, \\
communication du naturel et du surnaturel. Les vodu se sentant
négligés ou attaqués par les humains se vengent. Ils envoient
une maladie qui ne pourra guérir que si la victime se répent,
promet de mieux les servir, de ne pas les oublier. Alors le
vodù consent à soigner et guérir le malade, par l'intermédiai-
, \\
re des bokon~ et vodun~. Cette position des vodu est valabl~
aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Cependant,
certains ne peuvent guérir qu'en acceptant de servir de ré-
, ,
ceptacle aux vodu, de se vouer totalement à eux, de se livrer
corps et âme. Mais ce langage corporel (la maladie) qui per-
met une communication efficace et nécessaire, reste irrégulier
et trop aléatoire. Il y a de la part des uns' et des autres un
besoin de contact beaucoup plus étroit et permanent, endigué,
institutionnalisé et par là-même beaucoup plus sécurisant.
La maladie du fait même qu'elle implique pardon et répentir
est nécessairement temporaire. Par la guérison ou la mort, le
dialogue est interrompu. Il faut donc assumer une permanence
, ,
plus effective. Les vodu punissent indifférement et selon
... / ...

- 237 -
les cas, hommes et femmes, pourtant, ces dernières ont le
, \\
redoutable avantage de pouvoir plaire au vodu. Ceux-ci
s'attaquent alors à certaines d'entre-elles, les importu-
nent tant pour leur prouver leur amour, que celles-ci n'ont
d'autre ressource pour obtenir guérison et "normal ité" que
de se vouer entièrement à eux.
En effet, une femme malade reconnait l'exigence des vàd~
lorsque, se soignant, se répentant, faisant des sacrifices,
elle ne guérit pas et n'obtient pas le pardon du vodu qui l'a
frappé. Elle et son alentour comprennent alors qu'elle a été
reconnue comme digne receptacle et elle n'a plus qu'à se so~-
mettre. Pour la femme élue, la maladie n'aura été qu'une
, ,
première étape. Elle guérira si elle se voue au vodu, ou aux
, \\
vodu qui l'ont choisie, si elle se laisse envahir par eux en
certaines circonstances, en assumant un rôle très codifié,
imposé par ce choix du panthéon. Alors, elle redeviendra un
élément positif et utile au sein de la vie sociale et jouira
du prestige conféré à son nouveau statut.
Ce phénomène de la possession au cours duquel un V6d~,
envahissant le corps d'un adepte du culte préparé à cet effet,
se présente aux hommes de façon directe et tangible et
instaure un dialogue direct, créant des liens indispensables
... / ...

- 238 -
entre profane et sacré
nous allons le présenter sommaire-
ment. La possession nait toujours de la complémentarité de
l'instrument de musique et du corps de l'adepte. Parfois
intervient une autre composante qui supplée l'instrument ou
qui agit conjointement avec lui, c'est souvent l 'utilisa-
tion d'une plante hallucinogène absorbée par l'adepte.
Tout se passe comme si le stimulus conditionnel avait
besoin d'être renforcé par· le stimulus non conditionnel.
La possession commence toujours par des transes prélimi-
nai res, une sorte d'ivresse semble gagner le corps qui perd
peu à peu conscience, insensible à ce qui se passe alentour
ces transes annoncent l 'arri vée des
' \\
vodu. E11 es ont pour
but de libérer le corps de l'âme de l'adepte, de sa per son-
nalité propre, afin de laisser un réceptacle vide dans
,
\\
lequel peut s'incarner le vodu.
Ainsi, la possession est une forme privilégiée parfai-
tement intégrée dans la société.
Quoi qu'il en soit, il est certain que la perte de cons-
cience ne peut être totale. L'adepte doit garder suffisamment
de maîtrise pour être capable de conserver à la transe sa
forme culturelle. Elle doit être en mesure de reproduire cor-
rectement les caractéristiques orthodoxes des dieux. Mais
d'autre part, la société rationnalise le phénomène, en affir-
,
\\
mant que le vodu envahit totalement son réceptacle absolument
vidé de lui-même.
. .. / ...

- 239 -
Cet aspect culturel de la transe est primordial. C'est lui
qui fait à la fois le dynamisme et la périnité du culte, son
originalité et son efficacité. La possession devient cul-
turelle à partir du moment où elle s'intègre à une institu-
tion, où elle obéit à ses lois, où elle prend une forme
strictement codifiée. Des manifestations spontanées, désor-
données, laissées à la seule initiative du sujet ne dépas-
seraient pas l'intérêt individuel et n'aurait aucune portée
sociale. C'est la maîtrise de la société qui en fait sa
valeur.
La possession est donc absolument conditionnée par la
soc iété, ce qui lui confère son caractère de "normalité", et
d'efficacité. En effet la transe préliminaire n'identifie
aucun v~d~ particulier, elle est la même pour tous et stric-
tement physiologique bien que son déclenchement soit social.
La marque culturelle intervient au moment où les différentes
transes se différencient pour devenir possession de tel ou
tel v~d~. Dès lors le geste est appris, codifié; pratique-
ment immuable, le corps tout entier en quelque sorte se
socialise en incarnant les membres du panthéon. La musique
ne provoque pas la transe en elle-même mais la forme qu'elle
doit prendre. Quand au rituel, il lui donne sa dimension
spatio-temporelle.
.../ ...

- 240 -
La présence effective des vàdt est, par elle-seule,
,
1
facteur primordial d'équilibre. C'est parce que le vodu
s'incarne qu'il vit; c'est donc des hommes qu'il tire sa
force et son dynamisme. De même, les hommes ne vivent et
, ,
ne survivent que par la grâce des vodu. Il en découle un
tout qui s'interpénètre, les éléments restant intimement
liés par un don et contre-don incessant qui est à la base
de la vitalité des uns et des autres. Chacun des deux élé-
ments (divins et humains) apparait tour à tour actif et
passif, manié et manipulateur.
On conçoit donc le facteur important d'équilibre que
revêt cette thérapeutique, par le biais de cette psychothé-
rapie qui prend l'aspect d'une thérapeutique religieuse, qui
soigne physiquement et réintègre l'individu perturbé. En ce
sens, on peut dire que le thérapeute est en même temps un
psychothérapeute car il est là pour endiguer les manifesta-
tions de l'angoisse et de la culpabilité, mais aussi socio-
thérapeute par la réintégration sociale de l'individu pertubé.
Voyons maintenant le cheminement qui permet d'atteindre
l'aspect primordial de cette thérapeutique.
L'aspect étiologique et celui descriptif ne sont pas
indépendants l'un de l'autre. Leur mise en rapport constitue
la démarche fondamentale par laquelle on tente de saisir la
maladie dans sa totalité, c'est-à-dire en tant que phénomène
... / ...

- 241 -
de la nature et en tant qu'expérience socio-re1igieuse. Cette
articulation s'accomplit grâce au diagnostic étiologique d'une
maladie identifiée empiriquement et nommée par un terme des-
criptif. Ce diagnostic est établi dans un premier temps par
le malade et son entourage et est confirmé ou infirmé selon
les cas par les spécialistes des maladies. La confirmation
s'accompagne d'une interprétation plus approfondie du dia-
gnostic que celle de l'entourage. Le diagnostic est donc une
opération complexe qui doit répondre aux questions que nous
résumons ai nsi :
1°-
La maladie qu'on a identifiée et qu6n peut
nommer de manière descriptive a-t-elle une signifi-
cation sociale magique, religieuse, ou non?
Si oui
2°-
Quelle est la cause initiale qui déclenche
le processus de la maladie (violation d'un interdit,
transgression d'une loi clanique, conflit social ;,,)?
3°_
Quelle est la cause qui agit sur le malade?
4°_
Comment celle-ci agit-elle contre sa victime?
La réponse a ces questions permet d'établir un lien entre les
catégories descriptives et celles étiologiques de façon a
pouvoir formuler des énoncés plus clairs selon les normes
sociales.
Le diagnostic se réduit a des indications qui ne permettent
pas d'identifier nommément l'agresseur (dans le cas d'une
"'/" .

- 242 -
action maléfique due à une personne vivante) mais induise un
figure persécutrice (azét~) autour de laquelle le malade et
l'entourage devront réorganiser ensuite les évènements du
passé, l'expérience vécue du présent, les manifestations
multiformes de la maladie. Cette mise en forme des troubles
se distingue nettement de la première. Celle-ci était l'oeu-
vre du malade et de son entourage, et le consensus qui en
résulte concerne un discours collectif cautionné par le
bokono qui se porte garant du langage des représentations coll ec-
tives à l'aide duquel, au premier niveau comme au second,
l'expérience pathologique est structurée.
Par opposition à la bonne santé qui est signe de bonheur,
de sécurité et de paix, et conditionne la réussite, la maladie
s'apparente au sacré et ce n'est pas par hasard si elle cons-
, ,
titue souvent le moyen principal par lequel les vodu se mani-
festent aux hommes qu'ils punissent ou qu'ils choisissent.
Donc aussi bien dans le domaine du normal que dans celui
du pathologique, le corps est une structure privilégiée. Il
suffit de voir la popularité de danses et de la gestualisation,
l'importance du rythme, pour comprendre cette participation
primordiale du corps. Et ce n'est cértes pas par hasard que
, ,
les vodu se manifestent justement par le biais de l 'incarna-
tion, traduisant ainsi leur présence d'une manière parfaite-
ment adaptée à l'individu et à la société .
.../ ...

- 243 -
Quelle que soit la forme sous laquelle s'exprime la sym-
bolique du groupe, on constate qu'elle a pour fonction d'ac-
centuer le caractère harmonisant des rapports sociaux en
développant chez les individus un sens de leur appartenance
à la totalité clanique qui englobe les vivants et les morts.
Cette production idéologique n'est pas un simple reflet pas-
sif des conditions réelles d'existence sociale: elle exprime
à travers la solidarité, des valeurs qui répondent au besoin
d'assurer la survie du groupe.
On retrouve dans la production symbolique, certains
éléments dont la fonction est de freiner les déviances indivi-
duelles. Comme nous l'avons déjà longuement précisé dans la
notion de maladie, outre leur fonction spécifique se situant
\\
\\
dans l'ordre de l a nature, les vodu cherchent à nui re plus
particulièrement aux individus qui dévient en révélant à
tous leur faute cachée.
On a donc recours à des constructions simboliques déjà
douées de puissance maléfique pour assurer la régulation des
comportements individuels (cf. "Sorcellerie"). On notera aussi
que cette production symbolique à forte connotation ethnique
accentue le côté harmonisant des relations sociales en susci-
tant des pratiques individuelles de solidarité sociale et en
offrant des modèles de conduite.
...
.
/ ...

- 244 -
L'homme est ambivalent, la société africaine a su créer
une institution dans laquelle il projette des désirs opposés.
Cette projection canalise ses conflits et ses angoisses
nées de son ambiguité fondamentale.
A travers la réconciliation avec les vàd~, n'est-ce pas
la réhabilitation avec soi-même qui est en jeu?

- 245 -
CHAPITRE VI
MEDECINE OCCIDENTALE
ET
MEDECINE AFRICAINE
La médecine moderne occidentale, dans son principe de
base, part de cette détermination délibérée et inébranlable
de l'esprit cartésien de ne pas se contenter des explications
toutes faites, et de ne retenir pour valables que celles
résultant d'une expérimentation directe ou indirecte, celle-
ci toujours reproductive à volonté. On découvre ainsi des
lois, c'est-à-dire des relations constantes de causes à
effets qui caractérisent l"esprit scientifique. Dans cette
optique, la maladie est nécessairement déclenchée par une
cause physiopathologique, matériellement vérifiable, la
machine humaine étant constituée d'organes, c'est-à-dire,
telle toute autre machine, comme un assemblage savant de
pièces détachées fonctionnant chacune pour son propre compte,
mais avec une certaine synchronisation.
En effet, la médecine officielle - celle qu'on appelle
moderne - ne reconnait que l'importance du remède chimique
quand à la culture physique, à l 'hydrothérapie, à la suda-
tion, au massage, à la culture mentale, à l'action du soleil,
au psychisme, se sont choses secondaires .
.../ ...

- 246 -
En réalité pourtant, elles sont essentielles; comment préten-
dre soigner les individus avec des médicaments standardisés,
alors que chaque type d'homme réagit tout à fait différement
à des causes semblables. Il nlest que de regarder autour de
nous, de voir les gens réagir, pour nous rendre compte que la
médecine standardisée est un non sens, une absurdité, un at-
tentat aux lois naturelles, car la véritable thérapeutique
ne peut être qu 'individue11e.
Etre malade est encore souvent pensé et certainement
éprouvé comme être possédé de quelques Idiab1es" ; il est une
croyance très répandue (qulon ne trouve pas seulement chez
les patients) quon ne peut exorciser le diable que si lion
connaît son nom. Mais curieusement, il faut bien le reconnaî-
tre, les médecins conditionnés par leur formation pensent
généralement d'abord à un diagnostic physique chaque fois que
possible, ce qui est la caractéristique fondamentale de la
pensée médicale contemporftine. En outre les patients sont
préparés depuis l'enfance à avoir un examen physique plus ou
moins approfondi, qui leur permettrait de connaître le nom
de leur maladie, car en fait, ces t l vune des grandes attentes
du malade quand il consulte un médecin.
Actuellement, chacun proclame que 10rsqu 'un individu est
malade, clest la personne dans son ensemble qui est atteinte,
et non sa peau ou son estomac, son coeur ou ses reins. Cette
vérité bien que constamment reconnue ~n parole, reste mal heu-
... / ...

- 247 -
reusement ignorée de la pratique médicale quotidienne.
D'ailleurs comment ne le serait-elle pas!
les médecins préfè-
rent en général diagnostiquer des maladies physiques en utili-
sant des clichés qu'ils ont appris plutôt que diagnostiquer
des problèmes de la personnalité globale que ne contient la
formation médicale. D'autre part, les patients, préparés depuis
l'enfance à avoir un examen physique etpas du tout psychologique
chaque fois qu'ils se présentent dans une clinique ou un hôpital,
pourraient très facilement s'effrayer, être déroutés ou même
s'offenser de toute suggestion ou tentative psychologique qui
supposerait l'idée de folie. Ceci pourrait effectivement étonner
quand on sait que l'africain est habitué aux diagnostics con-
cernant la personnalité globale. Tout se passe comme si les
gens qui fréquentent l' hôpita ln' y attendent que des comprimés
qui pourraient soulager leurs maux; il est clair en tout cas
que la majorité des malades de nos villages ne se dirigent
vers l'hôpital qu'après l'échec des soins traditionnels et
bien souvent avec les cas désespérés seulement.
Depuis un siècle, les médecins ont réussi à préparer
leurs patients et en fait toute la population du monde occi-
dental à passer par la routine de l'examen cl inique en l'accep-
tant sans trop d'embarras ni d'appréhension. Par contre, ils
ne les ont pas préparé à considérer une discussion franche de
leurs problèmes personnels comme faisant nécessairement partie
de l'examen; ce fait est si important qu'on a pu dire,
... / ...

- 248 -
qu'aujourd'hui il suffit à un médecin de connaitre une ving-
taine de médicaments et les adresses d'une trentaine de spé-
cialistes pour se sortir de toute situation thérapeutique.
Comment n'en serait-il pas ainsi, quand on connait la rala-
tion ambivalente maitre-élève qui lie l'omnipraticien à ses
spécialistes.
Une représentation occidentale qui tend à s'imposer de
façon prépondérante consiste, nous l'avons déjà dit, à présen-
ter la situation thérapeutique comme une relation entre un
être seul, dépendant, dans la détresse, ayant besoin d'aide,
et un être capable d'aider par son savoir et autoritaire par
le pouvoir qui lui est solennellement conféré, à la fois par
ses connaissances et par sa fonction institutionnalisée. Tout
se pass? comme si tout médecin possédait la connaissance
révélée de ce que les patients sont en droit ou non d'espérer
de ce qu'ils doivent pouvoir supporter et en outre, comme s'il
avait le devoir sacré de convertir à sa foi tous les ignorants
et tous les incroyants parmi ses patients. Ce besoin irrésis-
tible du médecin de prouver au patient, au monde entier et par
dessus tout à lui-même, qu'il est bon, bienveillant, avisé et
efficace, nous amène à assimiler la fonction du médecin à
une fonction apostolique qui le pousse à convertir ses patients
à adopter ses valeurs et croyances personnelles .
.. ./ ...

- 249 -
Pour étayer ce que nous venons de dire, prenons des exemples
concrets qui nous ont surpris.
Au cours d'un stage au CHU de la Source (Orléans), sur
"le respect de l 1 homme et de ses croyances re l tq ieuse s ", nous
avons été témoin du fait suivant: IIUn musulman avait été
hospitalisé au moment du Ramadan. Il refusait nourriture et
soins pendant la journée. Les aides h6teliers remportaient
les plateaux sans qu'il y ait touché. Les infirmières étaient
réduites à l'attacher pour le forcer à recevoir les soins pres-
crits. Cet homme, rendu impuissant par la maladie, le nombre
de gens qui étaient contre lui, et la peur, avait dû finale-
ment céder".
Ces pratiques opposaient l 1 obst i nat i on du corps soi gnant à
celle du malade. Ceci aboutit inévitablement à l'altération
de l 1état de santé du malade ,à une tens i on et une mauvaise
ambiance au sein du service. La communication était rompue.
Nous avons donc essayé de comprendre pourquoi il était si
difficile de recréer ce lien.
L'islam qui signifie "Soum i ss i cn entière à la volonté de
Dieu" est plus qulune religion, c'est une culture, un mode de
vie. Les bases de la religion musulmanes sont le coran (livre
de la parole de dieu) et les Hadiths (écrits traditionnels)
qui retracent la vie de Mahomet. Il fut le dernier des envoyés
de Dieu, après Adam, Noé, Abraham, Jésus. Il a proclamé un
dieu unique : ALLAH est son nom.
. .. f ...

- 250 -
Tout musulman a une dette à l'égard de Dieu. Il est tenu
d'observer les cinq piliers de l'Islam qui sont la chahada
(foi en un dieu unique et en Mahomet son prophète). La prière
rituelle (cinq fois par jour), l'aumone (1/10è du revenu),
le jeûne du Ramadan et le pélérinage à la Mecque (une fois
dans la vie).
Selon l'Islam, l'homme est soumis à Dieu, il a un
coeur généreux, le sens de la communauté, du partage, de
l'hospitalité et de la justice.
Le Ramadan est donc le 9è mois de l'année musulmane.
Durant toute cette période, un jeûne strict est à observer
du lever au coucher du soleil. Il est interdit de boire, de
manger, de fumer, d'avoir des rapports sexuels. Bien que
désiré et fêté, le Ramadan demande beaucoup de courage et
une grande foi de par la rigueur qu'il exige. Voici la pres-
cription du coran qui justifie ce jeûne.
"Oh
l es croyants ! On vous a prescrit le jeûne
"Comme on l'a prescrit à ceux d'avant vous.
"Peut-être serez-vous pieux !
"C'est pendant le mois de Ramadan qu'on a fait
"Descendre le Coran, comme direction pour les hommes
"Quiconque verra de ses yeux la nouvelle lune, qu'il
jeûne ce mois !
"Celui qui parmi vous sera malade ou en voyage
jeûnera un nombre égal d'autres jours.
"Di eu veut pour vous de l'a i se et ne veut po i nt l a gêne
"Na i s il veut que vous accomplissiez bien le nombre
"et proclamiez la gr.andeur de Dieu, parce qu'il vous a qu i dé",
Coran-Sourate 11, V 179 .
. ../" .

- 251 -
Les musulmans accordent un sens profond à leur Ramadan.
C'est un temps de partage, de purification, de renouvelle-
ment, de victoire de l'homme sur lui-même, mais c'est égale-
ment un temps de fête familiale où l 1 homme se remet à Dieu.
Personne nlen est dispensé sauf les femmes enceintes, les
jeûnes enfants et les nourrices. Le Coran permet au malade
de reporter son jeûne. Cependant, sorti du contexte et de
l 'ambiance de fête, ayant un soutien moindre de la part de
ses frères musulmans, il est beaucoup plus difficile à vivre.
Voici un témoignage d lune soeur européenne
vivant à
Tunis :
IIJe connaissais une femme qui attendait
"son sept i ème enfant, au moment du Ramadan
"J 1 ai essayé de lui expli quer que le Coran lui permettait
"de s'abstenir du jeûne, et que d'autre part, il était
l'nocif à l'enfant qu'elle portait. Elle mla répondu
"qu' ell e était analphabète, qu'elle ne savait pas prier,
"al or s que jeûner était pour elle, la seule façon
"de montrer à Allah, son amour et sa dévotion".
De même lorsqu'ilsse sentent déracinés et qu'ils nar-r i-
vent plus à prier, ils tiennent à respecter le Ramadan qui
leur permet de retrouver Dieu.
Ali hôpi ta l, lors de cette péri ode, il s refusent de se
nourrir, de faire pénétrer quoi que ce soit dans le corps
entre l'aurore et le crépuscule (nourriture, médicaments per
os ou injectables ... ). Bien sûr cela ne facilite pas les
.. .f ...

- 252 -
traitements. Les premières réactions ont été de leur opposer
un IINon li catégorique et pratiquement de les soigner contre leur
gré. Souvent à ce propos, la réflexion suivante a pu être
entendue: II s lils viennent là, et qulils ne veulent pas se
faire soigner, qu'ils rentrent chez euxll •
Un petit effort de chaque côté et ce problème peut être
réglé. Les plateaux peuvent être gardés pour que les musulmans
se regroupent les soirs pour manger. Les soins peuvent aussi
être administrés par l'équipe de nuit. Bien sûr on ne peut
plus parler de répartition nycthémérale des traitements, mais
même si les soins doivent durer plus longtemps, le malade se
sentira compris et sera plus coopérant pour tout ce qui
pourra lui être demandé ensuite. Cependant il faut bien
comprendre que parfois il est impossible de ne pas prodiguer
des soins pendant toute la journée. Clest le cas du malade
de réanimation qui doit avoir une rééquilibration hydroélec-
trolytique précise ou encore le cas du diabétique qui ne
peut se passer ni dl un repas ni de l 1 i nsul i ne afi n de ne pas
tomber dans le coma. Il faut alors lui expliquer simplement
mais clairement les raisons. Souvent la difficulté réside
dans la compréhension de la langue, bien peu de gens à
l'hôpital sont capables de s'exprimer dans la langue arabe.
Pourtant, une analyse qui se place dans llordre du système
sociale montre incontestablement que la la médecine
malgré ses bavures et nous en connaissons beaucoup dans nos
... / ...

- 253 -
pays, calme des souffrances et répond positivement à la demande
qui lui est faite. Elle aide les gens à vivre. C'est en cela
que la médecine occidentale est nuisible; en ce qu'elle
permet à l'homme de vivre mal. En ce qu'elle lui permet d'es-
camoter les vrais problèmes de son mal à vivre.
Si nons nous intéressons de très près au concept de mala-
die, nous nous rendons compte que la maladie est le témoin de
l'inadéquation grandissante entre les exigences vitales de
notre organisme physique et psychique et la réalité des con-
traintes sociales dont il est l'objet. La maladie est un
gémissement de notre corps et de notre esprit contre la situa-
tion insuportable qui leur est faite.
Au delà de la maladie, n'est-ce pas une revendication
de nos valeurs culturelles que la médecine occidentale
essaie de canaliser, d'écraser?
Les médecins pratiquent un métier caractérisé par un
savoir mis au service d'une fin. Cette fin est la suivante
faire reculer la souffrance et la mort, protéger ou guérir
ou soulager les humains des maladies, les aider à conserver,
à retrouver ou à s'approcher de la santé, "état de complet
bien être physique, mental et social" (selon la définition
ambitieuse et vague à la fois de l'organisation mondiale de
la santé). Mais, alors, les médecins ne sauraient avoir
le monopole de protéger la santé, ni même de la définir .
.../ ...

- 254 -
Le "complet bien être social" de 1IO.M.S. fait rêver.
Que signifie ce "complet bien être" dans nos pays africains
où des structures sociales imposent à des peuples entiers
une vie misérable et parfois la mort par la famine? Que
signifie être soignant dans de tels pays, pour de telles
populations?
Chacun, pour sa propre santé et pour les conditions sociales
de la protection collective de la santé, en est en partie
responsable et c'est une responsabilité politique. Clest
dans ce sens politique que les problèmes de la santé doivent
être abordés.
Ce que la mémoire a conservé et permis de transmettre
de ce trésor scientifique, culturel et spirituel nous indi-
que quelle devrait en être l t impor-tence à l lo r i qi ne .
Les résultats prouvent que la médecine traditionnelle
réussit parfois de manière surprenante là où tout espoir a
été abandonnée. Elle triomphe d1un certain nombre de maladies
rebelles non pas dans 100 % des cas, mais dans un pourcentage
qui ne laisse pas d'être remarquable. Et il faut reconnaître,
que l'art de guérir n'est pas importé chez nous. La médecine
européenne est introduite en Afrique Noire il n'y a guère
qu1un siècle.
Il n'est pas exagéré d'affirmer que la pharmacopée ou plus
précisement la phytothérapie offre en Afrique des possibilités
insoupconnées ; des investigations eth~obotaniques incohérentes
... / ...

- 255 -
laissent des documents précieux mais épars què l'on a beau-
coup de peine à rassembler. Le snobisme et un prosélitisme
repréhensible portent la plupart de nos élites à croire que
tout est perdu pour la médecine traditionnelle pour la simple
raison qu'elles voudraient que la médecine traditionnelle
africaine ressemble à tous les points de vue à la médecine
européenne dont la valeur et la force résident, il faut en
convenir, dans le ferment ~e la révolution scientifique et
dans la richesse des documents accumulés depuis des millénai-
res. Cette valeur et cette force sont dues surtout au fait
de pouvoir, grâce à l'écriture, assimiler et transmettre
entièrement les connaissances séculaires héritées de l'anti-
quité.
Devant toutes ces constatations, nous sommes bien
obligés de rechercher une voie salutaire pour sortir nos
populations de l'ornière de spéculations médicales.
Dans le vaste programme de développement qui préoccupe
chaque jour davantage toutes les nations africaines, une
place importante doit être réservée à l'étude de la médecine
traditionnelle, de la pharmacopée et plus spécialement à
celle des plantes médicinales du continent africain.
Voici un exemple de projet proposé, qu'on rencontre très
souvent dans tous les programmes touchant la médecine
traditionnelle.
. ../ ...

- 256 -
1.-
La révision systématique et échelonnée
de l'inventaire de la flore africaine en général
et celle des plantes médicinales en particulier
Des groupements végétaux présentant des affinités chimi-
ques réelles, existent en Afrique. En l'absence de capitaux,
d'organismes spécialisés et de personnel qualifié en nombre
suffisant, il semble que rien de très valable n'ait été
entrepris jusqu'à ce jour.
2.-
La constitution d'un herbier national
et d'un herbier droguier des plantes
à hautes vertues thérapeutiques
On ne peut parler valablement de pharmacopée ou de phar-
macologie d'un pays sans songer en premier lieu à la consti-
tution et à la conservation correcte d'un herbier national
et surtout celle d'un herbier des plantes médicinales.
En effet l'herbier d'un pays, lorsqu'il est bien constitué
et bien protégé, n'est pas moins une richesse qu'une sorte
d'archives précieuses qu'il faut regarder comme la flore
vivante de ce pays. La valeur de cet herbier apparait mieux
encore lorsqu'on réalise combien les espèces végétales
laissées dans la nature, sont vouées à la disparition, à la
suite de feux de brousse périodiques, des cultures itinéran-
tes, de l'érosion du sol, voire des influences écologiques .
. ../ ...

- 257 -
Il n'est pas certain non plus, que la structure de la végéta-
tion naturelle puisse demeurer éternellement immuable et
homogène. Les espèces disparaissent d'année en année et c'est
à cela que nous devons réfléchir profondément. Les plantes
médicinales jadis à la portée de la main aux environs des
habitations ne le sont plus.
3.-
Le recensement des "guérisseurs" renommés
Selon ce projet, il ne serait pas question d'un recense-
ment administratif, mais plutôt d'une enquête ethnobotanique.
En effet, il existe indiscutablement dans chaque pays d'Afri-
que, des tradipraticiens dont la renommée fait écho et dépasse
souvent l'échelon du village, du canton, de la région et même
de leurs territoires respectifs. Leurs résidences sont souvent
de véritables centres de traitement, de
formations hospita-
lières indigènes. Il est vrai que des cas de guérison provenant
de ces centres font sensation parfois et militent d'autant
plus en faveur de la pharmacopée africaine, qu'un certain nom-
bre de malades ainsi rétablis proviennent de dispensaires et
d'hôpitaux officiels ou privés d'où ils n'ont pas eu les
résultats escomptés.
4.-
La confrontation des techniques existantes
Jusqu'à présent la plupart des médecins et pharmaciens
se contentent d'exhaler des plaintes contre les guérisseurs
sans chercher
à provoquer des relations d'amitié franche
et confiante avec eux.
. .. f ...

- 258 -
5.-
La comparaison et l'unification des différentes
méthodes de préparation des médicaments
Il est légitime d'espérer que nous pouvons surmonter les
nombreuses difficultés et réussir à co~parer les différentes
méthodes de préparation des médicaments, ne serait-ce que
par simple extrapolation ou regroupement en vue de tenter
leur uniformisation.
6.-
La recherche des test d'efficacité des produits
Il est indispensable de tester l'efficacité des recettes
de la pharmacopée africaine en vue de leurs homologations ..
7.-
La mise au point d'une législation
des produits toxiques ou dangereux
L'empoisonnement direct ou indirect est, on le sait,
l'arme la plus efficace de l'africain. Dans la plupart des cas,
un véritable mystère entoure les produits employés, ceux de
remplacement étant préparés pour fausser les enquêtes judi-
ciaires. Il est nécessaires de reviser la législation toxi-
cologique en Afrique Noire, aux seuls fins de renforcer
suffisamment la protection de l'individu et, partant d'assurer
l'éviction de l'usage trop fréquent du poison .
... f ...

- 259 -
8.-
Création d'une association de guérisseurs
La création d'une association des guérisseurs africains
s'avère utile; c'est un essai à entreprendre sans plus tar-
der et qui n1est qu1un corollaire de la confrontation des
techniques. Il apparatt assez évident qu10n a eu tort de mé-
priser cette corporation et de vouloir à tout prix étouffer
son action.
Les Anglais reconnaissaient déjà les guérisseurs des terri-
toires anglophones avant leur accession à llindépendance.
Au surplus on organisait des essais comparatifs de traite-
tement.pour ceux d'entre eux qui le méritaient, et on leur
octroyait en contrepartie une attestation officielle pour
les preuves qu'ils faisaient. Cette procédure a permis:
de sortir de l 'ombre la majorité des guérisseurs
jusque là combattus pour des intérêts que nous connaissaons
tous ;
de sélectionner les meilleurs guérisseurs afin
de mieux composer avec eux et réduire de ce fait l'influence
souvent plus néfaste des incapables et des escrocs cupides;
obtenir un
nombre considérable de médicaments
locaux testés, améliorés, et incorporés à la gamme des pro-
duits pharmaceutiques autorisés à la vente .
.../ ...

- 260 -
Personne n'a le droit d'empêcher en Afrique le guérisseur
vraiment efficace d'exercer, étant donné que c'est son métier
et par surcroit un acquis ancestral. Nous devons rechercher
au contra ire à 1 1 amé li orer sans cesse et à l'adopter aux
nouvelles conditions d'existence.
Le problème s'avère très complexe.
De toute façon, nous nous rendons compte que tous ces
programmes que nous venons de survoler aussi rapidement ne
s'attachent qu1à l'aspect pharmacopée de la médecine tradi-
tionnelle. t~e sommes-nous pas en train de nous enliser et
d'adopter des valeurs occidentale, une sorte d'autoduperie
obligée qui fait que les gens préfèrent ressortir de la
consultation avec une ordonnance de médicaments plutôt
qu'avec un beau discours leur disant que c'est la société qui
les rend malades? Le plus souvent d'ailleurs, ils le savent,
mais il n'y a pas de solution possible dans l"immédiat ; et
ce que nous vivons, c'est l'immédiat et non un futur abstrait
de lendemains qui pourraient chanter. Le corps gémit mainte-
nant, et c'est douloureux, insuportable. Qu'importe alors les
grandes idées. Tout ce qu'on demande aux soignants, c'est de
traiter, de faire taire, d'étouffer cette plainte.
Ne sommes nous pas en train de tomber dans des excès que
la médecine européenne n'a pu maîtriser, ces mêmes excès
qu'elle cherche aujourd'hui à planifier? Il n'est que de
lire les critiques sur la médecine moderne .
.../ ...

- 261 -
Notre propos, n'est pas tant de proposer des programmes
de santé, d'autres personnes plus compétentes s'y affairent
depuis longtemps. Nous tenons seulement à expliquer ce que
nous observons actuellement dans nos pays, tant sur le plan
de la médecine traditionnelle que sur celui de la médecine
moderne.
Tout le monde fait des propositions sur ce que devra
faire la médecine traditionnelle pour être crédible aux yeux
de nos populations. Personne ne compte traiter la médecine
moderne avec les mêmes préoccupations ; et pourtant, il
suffit de faire un petit tour dans nos hôpitaux ou dans nos
dispensaires pour nous rendre compte de ce qui reste à faire.
Le malade est un tout indivisible, un être humain avec
ses inquiétudes, ses angoisses, ses espoirs et ses désespoirs.
Ce n'est pas un simple porteur d'organes. L'organisme humain
est une entité dont toutes les parties s'interpénètrent.
L'influence des facteurs psychologiques sur les fonctions
somatiques et sur leurs perturbations ne peut être négligée.
Une entité synthétique telle que le corps humain ne peut être
bien comprise que si l'on y associe l'idée de la personnal i té ,
des besoins auxquels cette personnalité est assujettie. Aussi,
des troubles somatiques chroniques peuvent s'installer sous
l'influence de troubles émotionnels prolongés. Le fait que
les fonctions psychiques gouvernaient le corps a été méconnu
... / ...

- 262 -
par la biologie et la médecine. Pourtant c'est le fait le plus
important dans le domaine des connaissances de processus vi-
taux. Des découvertes récentes ont permis de jeter un regard
sur le mécanisme de l'action du psychisme sur les fonctions
somatiques et inversement de l' influence des fonctions péri-
phériques du corps sur les fonctions du système central
nerveux.
Beaucoup de troubles chroniques ne sont pas causés
primitivement par des facteurs agissant du dehors, mécaniques
ou cliniques ou par des micro-organismes, mais par l'hyper-
activité continuelle des fonctions au cours de la vie quoti-
dienne, dans la lutte pour l'existence. La peur, l'agressivi-
té, la culpabilité, les désirs frustrés s li1s sont sans cesse
reprimés, produisent une tension émotionnelle chronique qui
perturbe le fonctionnement des organes viscéraux.
L'orientation psychosomatique vis-à-vis des problèmes de
la vie et de la maladie apporte une synthèse entre les pro-
cessus physiologiques internes et les réactions de l'individu
en milieu social. La complexité toujours croissante de notre
vie sociale fait que beaucoup de nos émotions ne peuvent être
extériorisées et converties librement en activités volontai-
res. Elles restent refoulées et sont éventuellement détour-
nées pour suivre des voies plus appropriées. Au lieu de se
manifester dans des interventions volontaires, elles agissent
... / ...

- 263 -
sur les fonctions végétatives telles que la digestion, la
respiration, et la circulation. L'organisme humain, au cas
où ses relations avec le monde extérieur sont perturbées,
peut manifester des troubles de sa politique intérieure
par des désordres dans ses fonctions végétatives.
Ce sont toutes ces idées nouvelles que des gens bien
intentionnés cherchent à faire adopter à la médecine moderne.
Dans ces conditions, on comprendra pourquoi nous nous ef-
forçons de redonner son propre langage à la médecine tradi-
tionnelle, même si le côté religieux de la thérapeutique
gène beaucoup ceux qui voudraient qu1elle se rationnalise
le plus possible, croyant ainsi que son efficacité n'en sera
que rehaussée.
Il faudra compter avec le religieux. D'ailleurs avec tout
ce que nous venons de développer au cours de ce travail,
il serait absurde de vouloir dissocier la médecine tradi-
tionnelle de son aspect religieux. On comprend d'ailleurs
pourquoi les renseignements sont si difficiles à obtenir
quand on s'intéresse à ce domaine. Les soignants sont cons-
cients et convaincus, et ce n'est pas là une fausse cons-
cience, ils vivent dans cette réalité que la plante ne soigne
que par une vertue qui lui vient de l'au-delà. Ne pas y
... f ...

- 264 -
croire, c'est déjà courir le risque de ne pas aboutir au
résultat escompté, ou même, à des effets contraires.
Comment dans ces conditions confier des secrets thérapeu-
tiques à des individus qui ne croient plus beaucoup en
"ces choses là" au ri sque de se vo i r traiter de supers t i-
tieux ! Ce serait trop ambitieux de notre part d'exiger
que la médecine moderne s'adapte à nos conditions de vie,
elle n1y arrive même pas en Europe! Tout ce que nous
voulons, c'est qu10n nous laisse vivre selon nos réalités
africaines, que les gens comprennent les raisons profondes
qui ont emmené la médecine moderne en Afrique, et qui la
maintiennent: Guérir pour conquérir!

- 2 65 -
Ir-
I I O N C L U S I O N

266.
Cette recherche est structurée autour de deux entrées
spécifiques et complémentaires, d'une part les rapports
infiniment complexes qui lient la médecine a la religion
et qui sont destinés a alimenter une réflexion théorique
et a jeter les bases d'une élaboration plus systématique
concernant une sociologie d'approche des sociétés africai~
nes ; d'autre part une série d'études empiriques avec une
visée méthodologique.
Les services hospitaliers de la santé publique sont
la pour nous dire combien de malades africains acquis à la
culture européenne se dérobent aux soins de la médecine
occidentale pour s'en remettre aux tradipraticiens. Ainsi)
des fonctionnaires haut placés, des particuliers d'un rang
social élevé, d'eux-mêmes ou avec la complicité du personnel
médical subalterne, quittent les hôpitaux pour se faire soi-
gner chez leurs congénères "guérisseurs", faute de llamélio-
ration qu'ils attendaient de la médecine moderne. Ceci
est d'ailleurs fréquent.
Nous n'irons pas jusqu'a affirmer qu'il est établi que
toutes les fois, ils obtiennent de cette manière les meil-
leurs résultats.
Il n'est pas rare non plus de surprendre dans les
cliniques et les hôpitaux, des drogues africaines clandesti-
nement utilisées au même moment que les prescriptions
... / ...

- 267 -
médicales officielles, sans compter les visites nocturnes
des tradipraticiens aux malades hospitalisés.
Ces faits semblent confirmer une crise de confiance de nos
populations rurales à l'égard de la médecine occidentale
qui n'apporte pas toujours ce que l'on attend d'elle.
En effet comme nous l'avons montré dans cette recherche,
la conception de la médecine en Afrique ne se limite pas à
quelques recettes d'herboristes
la médecine est aussi
une conception de l 'homme, de ses rapports avec les autres,
l'univers et les dieux. Elle véhicule des valeurs que l'Oc-
cident ne reconnait plus. Cette médecine est partie inté-
grante de la culture, des représentations, des systèmes de
valeurs qu i fondent l'ex i s tence et lui donnent un sens.
Ell e est le refl et d'un choi x qui a ori enté l' homme vers
l'être et non vers l'avo i r rvers l'être ensemble et non
vers l 1être seul, vers le res pect du monde et non sa con-
quête agressive.
Traditionnellement, le message religieux était lié à
une pratique thérapeutique; ainsi,cette thérapeutique ren-
forçait la foi que les individus avaient dans la religion.
Etudiant les fonctions sociales de la religion, nous avons
décelé l'existence de séquences différentes ayant leurs
structures propres et qui véhiculent les fonctions sociales
du religieux à la fois comme sens et comme pratique.

- 268 -,
1.-
La première séquence comprend tous les éléments
des rapports entre l 1 homme et la nature, incluant l'en-
semble des phénomènes naturels qui influencent la vie
quotidienne de l'homme tant au niveau du sens (son pro-
cès de production, sa santé), que des pratiques (qui dans
ce domaine sont purement d'ordre rituel). Ces pratiques se
construisent au départ d'éléments matériels pour les con-
noter symboliquement d'un autre sens et les rendre ainsi
efficaces dans la protection des individus et des groupes.
2.-
La deuxième séquence se situe au niveau des rap-
ports sociaux et tout particulièrement des contradictions
que ceux-ci peuvent entrainer.
- Production de sens
- Pratiques rituelles et pratiques ethniques
(sociales ou individuelles).
3.-
La troisième séquence se rapporte à la totalité
- au sens global de l'homme et de l'univers
- à ses origines
- à sa finalité.
Elle permet ainsi de créer des liens logiques entre
tous les éléments de l'univers. Une telle dimension inclut
les rapports à la nature et les rapports sociaux en les
... / ...

- 269 -
transcendant. Cette dimension n'existe pas sans les diffé-
rents rapports, mais elle ne se réduit pas non plus à leur
combination.
Ces trois séquences, si elles sont étroitement liées
entre elles, ont cependant des caractéristiques très dif~
férentes qui se manifestent sur le plan des acteurs surna-
turels en jeu:
- cas de la nature, il s'agit d'esprits
- cas des rapports sociaux, il s'agit soit des
ancêtres, soit des v~dt ou encore des deux
cas de la représentation cosmique qui fait
appel à une totalité qui devient abstraite
même quand son support symbolique est concret
(ex: la forêt, le vent, l'eau).
Selon toujours les trois séquences, les pratiques
rituelles elles aussi sont bien distinctes:
.
.
" \\
Pratlques de protectlon contre les vodu
Pratiques et symboles expressifs dans le cas des
rapports sociaux. Précisons
toutefois qu'un
symbole ne signifie pas: il évoque et loca-
lise, assemble et concentre de façon analogi-
quement polyvalente une multiplicité de sens
qui ne se réduisent pas à une seule signifi-
cation, ni à quelques unes seulement.
Rituels spécifiques quand il s'agit de la vie
(cérémonies de la naissance, imposition de
nom,
in i t i at ion, etc ... ) .
.../ ...

- 270 -
C'est dans le rituel, c'est-à-dire dans le comportement
sacré que d'une façon ou d'une autre naît la conviction
que les conceptions religieuses sont vraies et que les
directives que donne la religion sont bonnes. C'est encore
dans le rituel, c'est-à-dire la récitation d'un qbesa , la
consultation d'atcr, les cérémonies du culte des morts, que
se rencontrent et se renforcent mutuellement les sentiments
et les motivations que font naître en l'homme les symboles
sacrés ainsi que les conceptions générales de l'ordre, de
l 'exi stence qu' ils formul ent. Ces symboles sacrés servent
ainsi à synthétiser l'éthos du peuple, la tonalité, les
caractéristiques de sa vie, son style et ses modalités es-
thétiques et morales, sa conception du monde, l'image qu'il
se fait de la réalité et ses idées sur l'ordre des choses.
Malgré toutes ces distinctions au niveau des trois
séquences et des pratiques qui y correspondent, on constate
donc qu'il y a perméabilité. Ainsi, les ancêtres sont par-
fois revêtus de pouvoir sur la nature, ou les v~dù, chargés
de sanctionner l'observation des contraintes sociales.
La religion joue donc un triple rôle
Résoudre dans le champ symbolique les contra-
dictions résultant des rapports avec la nature;
Résoudre dans le champ symbolique les contra-
dictions inhérentes au rapport social de parenté
Fournir un lien de construction du sens global
de l'homme et de l'univers.
...; ...

- 271 -
Si donc le faible développement des forces productions marque
objectivement le rapport des groupes humains à la nature, ce
qui revient à dire que ces groupes sont réellement dépen-
dants des forces naturelles, on peut s'attendre à ce que la
lecture de leur relation à la nature exprime une telle dépen-
dance. Cependant, la construction symbolique qu'élaborent les
groupes humains n'est pas uniquement le reflet immédiat de
leurs expériences, car ils ont déjà une histoire. Mais, en
effet, tout groupe humain a besoin de rationalité, c'est-à-
dire qu'il cherche à expliquer, à retrouver les causalités de
ce qui vit. C'est bien cette double dimension que nous déga-
geons de la production symbolique des évé, y~r~b\\ et ra,
même si elle s'exprime de manière différente, selon les ré-
gions et selon les groupes. Quelle que soit la forme sous
laquelle s'expriment les représentations des forces naturelles,
toutes semblent bien se construire selon un même processus.
Les groupes personnifient ces forces, les considèrent comme
analogues aux hommes, sans pour autant qu'il y ait de simili-
tude, car ils se savent dépendants de ces puissances naturel-
les. Or c'est précfsément parce qu'il y a analogie mais sans
s imi l i tude - ces forces étant supéri eures - que le monde des
\\
\\
.
vodu devi ent pour les groupes humains une "réalité" en elle-
même, indépendante du monde des hommes et même de la nature.
Ces représentations symboliques ont donc pour fonction d'agir
si mp l ement au ni veau des effets, sans remonter à l'ordre des
choses. Elles pallient l'aléatoire et en ce sens, apportent
... / ...

- 272 -
une réponse aux besoins de survie immédiate des individus
et des groupes.
Comment peut-on rendre son propre langage à cette méde-
cine, inséparable certes de la tradition religieuse antérieure
au christianisme, alors que les cultures africaines qui en
sont le fondement sont mortellement menacées par la culture
occidentale qui morcelle l'homme aussi bien que la plante et
l'univers! En effet, si le point d'observation et d'interven-
tion du médecin traditionnel se justifiait dans une société
régie par des règles communautaires, traditions et groupes
codifiés, il éclate dès lors que la règle bouge et que le
groupe se modi fi e dans ses rapports à l 1 i nd i vi du. Le tra i te-
ment, affaire de tous, est peut-être en train de devenir
affaire d'un seul individu et secrète ainsi le pouvoir médi~
cal concentré et unique.
La maladie est un langage du corps; il n'est pas possi-
ble de soigner les gens de l'extérieur comme on réparerait
une mécanique. Pour apprécier la maladie à sa juste valeur,
il est indispensable de connaître tout le langage des gens,
de parler la même langue, donc de vivre avec eux. Une crise
de nerfs, un rhume, une angine, une brOlure d'estomac, une
crise de foi, n'ont pas la même signification, ni la même
évolution, ni donc la même thérapeutique selon tel ou tel
... / ...

- 273 -
individu, son état de bien ou de mal-être, son caractère
anxieux, son degré d'esprit critique et de maîtrise de son
corps.
Mettre l'accent sur la dimension sociale de la maladie ne
veut pas dire qu'on remplace une conception organique par
une conception sociologique: il s'agit simplement de ne
pas séparer. Examiner séparement un individu hors de sa
réalité sociale, revient 'à examiner un morceau d'homme
c'est se donner toutes les chances de passer à côté de la
réalité. Un morceau d'homme, ça n'existe pas. La médecine
psychosomatique est née depuis une vingtaine d'année de
la découverte qu'il existe un rapport étroit et réciproque
entre l'organisme physico-chimique (Soma) et le psychisme'
de chaque individu. J'ai mal au foi parce que je suis an-
xieux et je suis soucieux parce que j'ai mal au foi. La
maladie n'est pas seulement organique ou psychique, elle est
à la fois l'un et l'autre, avec une prédominance de signes
organiques (asthme, ulcère, angine, affections gynécolo-
giques) ou des signes psychiques (mélancolie, agitation)
selon les individus et selon les moments de la vie de chaque
individu.
La Médecine est un métier politique. D'une façon ou
d'une autre, plus ou moins consciemment, le médecin choisit
son camp. Le problème c'est de savoir si le travail du
... / ...

- 274 -
médecin consiste à "gé rer " la maladie ou, au contraire,
de répondre positivement à la signification sociale subver-
sive de la maladie. Quoi qu'il en soit, la médecine est un
moyen qui fait désormais partie de la panoplie politique.
La seule différence avec les autres institutions est que
son développement satisfait la conscience et que comme
l'école, elle donne le sentiment de donner, en échange de
ce que l'on s'approprie.

- 2 75 -
ln)
Il j ) l B LIa G R A PHI E

-
276-
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- 278 -
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71
~ A BLE
~ES
/)/) A T 1ER E S

T A BLE
~ES
MAT 1ER E S
-
PROBLEMATIQUE.
-
AVANT-PROPOS
Page 8 à 13
INTRODUCTION
Page 14 à 21
Page 22 à 82
Page 23 à 42
- Aperçu historique du peuplement de
la région.
çQ~Qi!r~ II
Page
43 à 83
l - Cadre physique et humain
A/- Le Milieu Naturel
- 1. Le climat
1. LI habitat
2. Les activités économiques
a) . Agriculture
b) . Elevage
d. Activités annexes
11- Cadre Socio-Culturel

A/- Général ités
a).
Le concept d'ambiance
b).
Ambiance et notion de maladies
B/- Les Différents Tradipraticiens
- 1. Le Bokonêr
- 2. Le Vodunt
- 3. L'amasino ou amasibbt7
- 4. Azete .
C/ - Do a
"Quelques troubles physiologiques prévalant
dans ces sociétés et leur mode de traitement".
1 -
Le régime humain
11-
Les maladies contagieuses
- 1. Prophylaxie de la variole
- 2. Protection contre la lèpre
- 3. Prophylaxie de la syphilis.
III - Pa tho log i e interne
a) .
Les maladies de l'appareil respi ra toi re
b) •
Les maladies du tube digestif
c).
Le paludisme et ses complications
d).
La gale
e).
Les fièvres éruptives
n. Le pian

~~~~t~~~=Eg~H~
Page 84 à 190
........................................................................ Page 84 à 129
- LA RELIGION
A/- Approche Sociologique
B/- Les Fondements Religieux
- 1. Les Vodu publics
a).
Le Dieu suprême
b).
Le Collège des divibités célestes et aquatiques
cl.
Le Collège des vodu terrestres
- 2. Les vodu indépendants
, ,
1
a) •
Ltgba, (E1Egbara ou Eshu pour les Yoruba)
~
b ) •
N',....'!!!'\\
-
l , '
Afa (Evé) , Fa (ro) , Ifa (Yoruba)
-
-
- -
- 3. Le culte des ancêtres
C/- Les Champs d'Application de ces Croyances
- 1. Les conflits liés à la représentation
des rapports sociaux
- 2. Les pratiques et les comportements
liés à Azé .
.................................... .Page 130 à 193
- LA MEDECINE TRADITIONNELLE.

- 2. Pathologie externe
a).
Les accidents courrants
- 3. Liart obstétrical
Troisième Partie
Page 193 à 264
================
Page 193 à 244
MEDECINE ET RELIGION
l -
Le Procès Thérapeutique
A/- Le Concensus Primaire
- 1. La maladie des femmes
2. Les maladies provoquées par les vers
- 3. La maladie des enfants
4. Les maladies qui provoquent la toux
- 5. La diarrhée
- 6. Le mal de tête
B/- La Recherche des Signes Etiologiques
C/- La Consultation d'Af~
- 1. Généralités
- 2. Schéma d'une concultation par ATér
II-
Le Chef de l'efficacité thérapeutique
A/- Fonctions de l'Imaginaire dans la Cure
B/- La Nécessité d'une Mise en Rapport entre Catégorie
Descriptive et celle
Etiologique.

~~~ei!rê VI
Page 245 à 269
- MEDECINE AFRICAINE ET MEDECINE EUROPEENNE
CONCLUS ION
Page 270 à 279
BIBLIOGRAPHIE
Page 280 à 286
CARTES DE LA REGION.

:;;. '.
...
~
N
P~ép':H'ti::~~ des Yoruba ct Adja èJ..."'";s 1.1 'ZQ:1C cûùè:c ernrc le !':it;::.r
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1
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