UNIVERSITE
DES
SCI E NCESSOCIAl ES
GRENOBLE BI
U.E.R. DE
PSYCHOLOGIE
ET DES
SCIENCeS
DE
L'EDUCATION
LABORATOIRE
DE
PSYCHOLOGIE
,
EXPERIMENTALE,
UNE ETUDE
COMPAREE DU ROLE' DE LA lÀ'NGUE MATERNELLE
ET DU ROLE
DE L'ORIGINE
SOCIO-ECONOMIQUE
DANS l'ACQUISI'TION
DES OPERATIONS CONCRETES. DE
CONSERVATION
CHEZ L'ENFANT
"VQIRIEN
Thèse
de.
Docl 0 ra t
de
3. CYcle
Pré'S;e"ntée pa r
N EA KI pré
Sous la direction du
Professeur
F. LONGEOT
GRENOBLE
1980

A mon père et à ma mère
dont le souvenir m'a soutenu
tout au long de ce travail

REMERCIEMEHTS
En terminant ce travail, nous pensons tout particuliè-
rement au Professeur, mais aussi à l'homme, François LONGEOT
qui, par sa disponibilité et sa tolérance,
a su nous aider,
nous conseiller et nous diriger pendant ces trois dernières
années.
Nous ne saurions jamais l'en remercier assez. Q~'il
veuille trouver,
ici,
l'expression de notre profonde reconnais-
sance.
Enfin, que les membres du Laboratoire de Psychologie
Expérimentale de GRENOBLE acceptent nos remerciements pour
leurs appréciahles critiques.

·
INTRODUCTION
.

-5-
Notre travail s'inscrit da~s une perspective ~ompa~a-
tive, et cela à deux niveaux.
Il s'agit, preffiièrement, de
co~parer, cor~e le titre l'indique,
le rôle du ~ilieu socio-
économi~ue au rôle de la langue rater~elle de l'enfant,
entendons par 15,
la langue faGilière à l'enfant, dans l'acgui-
sition des opérations concrètes de conservation. Et, deuxièDe-
ta ts de la p r erai.è r e comp ar a i s on donc, aux résultats de P. ~"I.
GREENFIELD (1966).
Par conséquent,
la présentation de la recherche de
GREENF1ELD ~ous permettra de mieux for~uler, de mieux cerner
nos hypothèses de recherche desquelles découlera notre plan
d'investigation, et de ffiieux situer notre travail dans l'en-
semble de la littérature en psychologie génétique.
A.
P~ESL:~T!\\TION DE L.ll, R=CH:t::RCiIE DE P. GREEN?IELD
c'est en 1966 que GREEHFIELD a réalisé une recherche

-6-
au Sénégal, en Afrique Occidentale française,
sur le rôle de
la langue familière à l'enfant,
comparé au rôle du milieu
socio-culturel, dans les opérations concrêtes de conservation
(On culture and conservation),
chez les enfants Wolof de 6-7
ans,
8-9 ans, et 11-13 ans. Dans ch~que groupe d'âge, elle a
constitué trois groupes socio-culturels
: un groupe d'enfants
de la brousse ~on scolarisés; un groupe d'enfants de la brousse
scolarisés
et un groupe d'enfants de la ville
(Dakar)
sco-
larisés.
L'épreuve portait, pour tous les groupes d'âge~ .sur la
conservation des quantités de liquide. Et le Wolof, une des
langues dominantes du Sénégal ,était la langue utilisée pour la
passation de cette épreuve de conservation des quantités con-
tinues, pour tous les groupes socio-culturels.
Les résultats qu'elle a obtenusIDontrentqu'à scolarisa-
tion égale,
les enfants de DAKAR,
capitale du pays,
et donc les
enfants du milieu urbain, réussissent
moins bien que ceux de
la brousse. Quant à ceux de la brousse qui ne sont pas scola-
risés,
ils réussissent mieux que ceux de DAKAR,
jusqu'à 8-9 ans,
âge après lequel ils semblent plafonner. Par ailleurs,
ces
mêmes enfants de la brousse non scolarisés réussissent moins
bien que leurs camarades du même milieu, mais, qui, eux,
sont
scolarisés
(GREENF1ELD, 1966, p.
233,
figure 2) • .
,
GREENF1ELD interprète la supériorité des enfants de la
brousse sur ceux de DAKAR par le fait qu'ils
(ceux~de la brousse)

-7-
maîtrisent mieux que ceux de la ville la langue dans laquelle
l'épreuve de conservation a été passée. Quant à la comparaison
des deux groupes de la brousse, GREENFIELD dit que la diffé-
rence de développement en faveur des enfants scolarisés ne
peut s'expliquer que par les seules capacités assirr.ilées à
l'école, puisque lés enfants des deux groupes appartiennent,
à quelques éléments près,
au même milieu, au même village
(TAIBA N' DIAYE) •
A propos de ces' enfants de la brousse qui ne sont pas
scolarisés, GREENFIELD dit que tout se passe, au niveau de leur
développement intellectuel, comme s ' i l ne s'agissait pas d'un
sim?le ralentissement, mais d'un arrêt définitif peu après
9 an~. Ce résultat rend douteux, dit-elle,
le point de vùe
biologicQ~génétiquede PIAGET selon lequel la succession des
stades du développement intellectuel dans un ordre constant se-
rait universelle. En fait,
selon elle, tout dépendrait de la
richesse du milieu, des stimulations que ce milieu offre à
l'enfant; et le milieu traditionnel africain, ici sénégalais,
serait si pauvre en "actions" à un point tel que les enfants
seraient inactifs. Or, l'action constitue un des trois modes
de représentation!nécessaires au développement de la pensée,
selon l'école de BRUNER, et, selon la théorie de PIAGET, le
moteur du développement cognitif.
On pourrait donc affirmer, dans la ligne de l'inter-
prétation de GREENFIELD, que plus de la moitié de l'humanité,

-8-
sinon les deux tiers, ne dépasse pas, sur le plan intellectuel,
l'âge de 9 ans, puisque près de 70 à 80 % de la population
des pays dits sous-développés n'ont pas été scolarisés ou ne
le sont p~s. Or, d'après GREENFIELD, seule la scolarisation
permet aux enfants de la brousse sénégalaise de se montrer ac-
tifs.
B. GREENFIELD et la théorie de BRUNER sur le
développement intellectuel
Toutes les conclusions de cette recherche, on le voit,
s'opposent à la théorie de PIAGET
(comme l'auteur lui-même le
-
àit)
et nous verrons plus tard comment; mais, par contre, elles
s'inspirent,
ces conclusions, directement des thèses de BRUNER.
En effet, selon BRUNER,
le développement cognitif doit
être compris en termes, c'est-à-dire en dispositions,psycholo-
giques qui le médiatisent,
le traduisent et le favorisent. Et
la connaissance que nous avon~ du monde par notre intellect,
est fondée sur un modèle de la réalité dont la structure est
dans les trois techniques qui nous permettent justement d'accé-
der à la représentation du monde:
l'action,
c'est-à-dire,
le
mode enactif ; l'image, c'est-à-dire le mode iconique:;
le lan-
gage, c'est-à-dire le mode symbolique. Ces techniques ou modes
de représenter le monde ne sont pas un simple produit de la
maturation biologique, mais se développent par l'intériorisation

-9-
des manières d'agir
(mode enactif), d'imaginer
(mode iconique)
et de symboliser
(mode symbolique)
que nous offre
notre cul-
ture ou plutôt que nous offrent nos différentes cultures.
Ainsi,
le développement cognitif serait-il fonction de la na-
ture des amplificateurs, des valorisateurs de ces modes, que
sont la science, le mythe, et la langue. Ces modes d~ ~epré-
sentation du monde se confrontent et s'intègrént à l~ fave~r
de la pression du milieu environnant sur l'homme.! Ainsi,
l'in-
telligence serait-elle~ en définitive,
fonction essentiellement
du milieu. Et, bien entendu,
le plus important de' tous les élé-
ments de la pression du milieu sur l'homme, c'est le facteur
culturel, c'est-à-dire, en fait,
la langue. D'Où l'influence
prépondérante accordée à la langue dans la génèse de la pensée.
En bref donc,
l'intelligence est spécifiquement sociale
et non biologique, et les progrès dans la langue, dans la maî-
trise de la langue, entraînent des progrès dans l'acquisition
des opérations.
C. QUELQUES ETUDES RENFORCANT L'HYPOTHESE DE GREENF1ELD
C'est là, nous se~ble-t-il, le fondement théorique
des conclusions de GREENF1ELD que pourraient renforcer certains
résultats beaucoup plus récents,
notamment, ceux de KELLY et
autres
(1973), cités par LAUTREY et RODR1GUEZ-TOV~ (1976)
qui ont présenté, dans une excellente revue de question dont
nous allons beaucoup nous servir,
la recherche de GREEHF1ELD
:i:"

-10-
et en ont fait une critique. Les auteurs rapportent que KELLY
et autres ont effectué une étude sur le rôle de la langue dans
les épreuves de conservation auprès d'enfants de communautés
grecques immigrées à Sydney
(Australie). Sur l'ensemble de
leur échantillon de 183 sujets, 10 enfants, qui n'ont aucun
problème de langue, puisqu'ils "comprennent les termes relation-
nels" tant en Anglais qu'en Grec, échouent à l'épreuve de la
conservation de la longueur lorsqu'ils sont interrogés en Angla~s,
réussissent lorsqu'ils le sont en Grec, et, chose surprenante
et curieuse, échouent de nouveau lorsque l'on répète l'épreuve'
en Anglais
(LAUTREY et RODRIGUEZ-TOME, 1976, p. 263).
Dans une certaine mesure, c'est également le cas de
la conclusion de Prince,
(1968), cité par l~s mêmes auteurs,
page 264, de l'ouvrage cité, qui croit que "le nombre d'années
~~
d'Anglais
(dans les pays angIOPhOne~l~s~u~élémentdéter-
minant dans l'acquisition de la nor~o~nc~eM~on~,)e~lation". Ici,
il n'est pas question de familiarit~ ~rang~e. L'auteur,
P .
t
t
t
.
l
t '
d i
y~
d/i:ll
l
r i.nce , veu
ou
s i.mp emen
a.n ~que\\l:'.s'<9gue- ans
es pays ang o-
Igne ment S\\l.V
phones, notamment les pays africains,
les langues locales sont
un handicap pour le développement de l'intelligence, et que
pour y pallier, il faut apprendre une langue européenne, c'est-
à-dire, une langue jugée plus riche en "notions abstraites".
Avant de songer à une critique des conclusions de
GREENFIELD, sur le plan méthodologique et non sur le plan
...
(1) Les parenthèses et leur contenu sont ajoutés par nous.

-11-
théorique,
voyons d'abord comment~P~~GET:conçoit:le dévelcppement
cognitif.
D. LA THEORIE DE PIAGET SUR LE DEVELOPPEMENT INTELLECTUEL
------------------------------------------------------
Pour mieux saisir cette théorie, nous la présenterons
en trois
points. En un premier point, nous verrons quelle est
la conception de PIAGET sur le développ~ment cognitif ; en un
deuxième point, nous verrons les stades du développement tel
1
que conçu ; et en un troisième point,
les facteurs du dévelop-
pement selon l'auteur.
l
- La conception de l'intelligence
Toute la conception de PIAGET sur le développement de
l'intelligence est basée sur une théorie biologique:
le rela-
tivisme. Cette théorie postule que l'organisme et le milieu ne
font j ama i.s qu'un "tout indissociable" • Le milieu agit sur
l'organisme,
lequel réagit à l'action du milieu. Par conséquent,
en plus et à cOté des transformations, des mutations "fortuites"
que subit l'organisme,
"il faut faire la part des variations
adaptatives impliquant à la fois une structuration propre à
l'organisme et une action du milieu,
les deux termes étant in-
séparables l'un de l'autre"
(PIAGET, 1936, p. 21).
"Du point
de vue de la connaissance, poursuit-il, 'à la même page,
le re-
lativisme biologique se prolonge ainsi en doctrine de l'inter-
dépendance du sujet et de l'objet". Et selon l'auteur,
il existe,

-12-
entre les "processus purement biologiques de morphogenèse et
d'adaptation au milieu", d'une part, et l'intelligence, d'autre
part, une "certaine continuité", un prolongement. Ainsi com-
prise, "l'intelligence est une ddaptation"' au milieu, dit-il,
à
la page 10 de La naissance de l'intelligence chez l'enfant.
Mais, cette adaptation est essentiellement active, car l'intel-
,
ligence s'adapte au milieu extérieur en le transformant, en le
structurant, en construisant ~entalement des formes ~ouvelles,
en organisant donc le milieu. Ainsi,
l'organisation est insé-
1
parable de l'adaptation, dans une interdépendance. Et cette
activité structurante,
l'adaptation intellectuelle ou l'équili-
bration, prolonge l'adaptation biologique qu'elle dépasse, en
ce sens qu'elle est généralement une amélioration de l'état ini-
tial. Cependant, cette équilibration,
tout comme l'adaptation
biologique, a pour but la conservation du sujet, car, pour
PIAGET, il n'y a adaptation que "lorsque l'organisme se trans-
forme en fonction du milieu et que cette transformation a pour
effet un accroissement des échanges entre le milieu et lui
favorables à sa conservation"
(PIAGET, 1936, p.II). Depuis
1975, PIAGET
(I975)
a précisé cette conception en soulignant
qu'en fait,
le sujet est à l'or~gine de l'action du milieu sur
lui, en ce sens que l'environnement ne contient pas d'informa-
tions, mais que c'est le sujet qui, en fonction de ses besoins,
lui confère une signification;
Pour que cette "adaptation-processus", cette recherche
permanente de l'équilibre entre le milieu et l'organisme, soit

-13-
possible,
i l faut une certaine organisation héréditaire. De
même, des facteurs héréditaires conditionnent le développement
de l~intelligence. Et c'est, avant tout,
le fonctionnement de
l'intelligence en tant que tel qui est héréditaire. Il y a une
"hérédité de fonctionnement".
PIAGET écrit, à la page 9 de
l'ouvrage déjà cité, que "de même que l'organisme ne saurait
s'adapter aux variations ambiantes s ' i l n'était pas déjà orga-
nisé, de même l'intelligence ne pourrait appréhender aucune
donnée extérieure sans certaines fonctions de cohérence
(dont
le terme ultime est le principe de non-contradiction), de mise
en relations, etc, qui sont communes à toute organisation in-
tellectuelle".
Ces fonctions de "l'adaptation-processus", de l'équi-
libration, sans lesquelles aucune saisie de la réalité _exté-
rieure n'est pos~ible, sont "l'assimilation" et "l'accomodation".
Intéressons-nous d'abord au premier terme:
l'assimi-
lation. Comme la plupart de ses concepts, PIAGET emprunte ce
terme à la biologie. Comme un organisme biologique "assimile"
en ingérant des substances nouvelles qu'il transforme pour
les rendre conformes à sa propre structure,l~intelligenceassi-
mile en incorporant' "à ses cadres tout le donné de l'expérience"
(PIAGET, 1936, p.I2). C'est cette fonction que PIAGET appelle
l'assimilation. La pensée s'adapte au milieu en faisant rentrer
le nouveau,
le "donné de l'expérience" nouvelle, dans le connu
et réduit ainsi "l'univers à ses notions propres", à ses propres
"séhè~es'. La réalité extérieure est incorporée à des formes
dues à l'âctivité
du sujet. Les formes ou schèmes existent à

-14 -
tous les niveaux de l'intelligence, c'est-à-dire,
tant au ni~
veau de l'intelligence pratique qu'au niveau de l'intelligence
"réflexive" ou "gnostique"
(1). Et un schème est défini par
PIAGET
(1966, p~ 431) COIT'Jne "un instrument de généralisation
qui permet de dégager et d'utiliser les éléments communs à des
conduites analogues et successives". Ainsj ,à chaque niveau
du développement intellectuel correspondent des schèmes bien
spécifiques bien que procédant tous de la même possibilité de
généralisation. Ainsi, peut-on distinguer,
les schèmes sensori-
moteurs,
les schèmes opératoires
(2), etc •••
Mais,
cette assimilation ne suffit pas, à elle seule,
pour rendre compte de l'équilibration. Supposons, nous dit
PIAGET, qu'une variation se produise dans le milieu transfor-
mant certains éléments. Pour conserver la relation favorable à
lui, avec le milieu,
l'organisme est aussi obligé de se trans-
former,
de changer, de modifier ses propres 'schèmes pour les
"ajuster aux nouvelles données" du milieu. C'est le résultat
de cette pression du milieu sur l'organisme que PIAGET appelle
"accommodation". Ce terme est également emprunté à la biologie
(cf. l'accommodation de la pupille quand l'oeil est soumis à
un éclairage intense). Ce phénomène est le pendant de l'assi-
milation, et les deux sont indissociables. L'assimilation du
milieu n'est jamais totale,
l'intelligence aussi s'accommode au
(1)
C'est l'intelligence que l"lALLON appelle "intelligence
verbale" ou "représentation" dans De l'acte à la pensée
(2)
Nous définirons ces termes dans les stades de développement

-15-
milieu; et la première ne peut se passer de la seconde. L'é-
quilibration,
l'adaptation-processus, est donc l'équilibre
entre assimilation et accommodation.
Telle est la théorie de la connaissance que nous pro-
pose PIAGET. Une conception dynamique, constructiviste impli-
quant !un sujet actif dans une relation d'interdépendance et
~
d'équilibre avec le milieu. L'intelligence est une adaptation-
processus au milieu,
c'est-à-dire une recherche permanente de
l'équilibre avec ce dernier
(équilibration)
grâce aux p.IY~~~0rr\\~_n~s
','
'-."
.... - -.-
d'assimilation~et d'accommodation.
Il est facile de remarquer que tout enfant normal qui
grandit en âge grandit également en intelligence. Dans toutes
les sociétés on ne confie de grandes responsabilités qu'aux
adultes tout comme n'effectuent les gros travaux que des adultes.
De même donc qu'on admet la maturation physiologique de l'en-
fant, de même on admet le déve~oppement progressif de son intel-
ligence. Hais, comment évolue cette intelligence, quelles sont
les différentes phases du développement. C'est à cette question
fondamentale que PIAGET a répondu en observant l'évolution in-
tellectuelle de ies propres enfants jusqu'à 3 ans, et, en s'ap-
puyant ensuite sur les recherches de ses collaborateurs. Ces
observations lui ont ,ainsi, permis de définir les différents
stades du développement cognitif. Ce sont ces staàes, dont le

- 16-
caractère généralisable a été constaté plus d'une fois,
que
nous allons voir dans ce second point.
2 - Les stades du développement de l'intelligence
.selon PIAGET
Le développement,
l'évolution, de l'intelligence ne
1
se fait pas sur un modèle linéaire. Il n'est pas régulier,
mais, passe par des stades, c'est-à-dire, des niveaux, des pé-
1

riodes de développement, qui, à chaque fois,
impliquent un
progrès,
l'un par rapport à l'autre, et une réorganisation de
l'ensemble. Et, "les trois conditions nécessaires d'un système
de stades, nous dit PIAGET
(I968,p.
419)
sont qu'ilsse succê-..
dent en un ordre constant chez tous les sujets, que chacun
puisse être caractérisé par une structure d'ense~~le (et pas
seulement p~run caractère dominant)
et que ces structures
s'intègrent les unes dans les autres selon leur ordre de for-
mation". Un ordre chronologique d'apparition, une structure
caractéris~ique de chacun d'eux, et intégration de l'inférieur
dans le supérieur, telle est là-conception de PIAGET sur les
stades.
Le terme de "structure" d'ensemble mérite une petite
précision. Qu'est-ce qu'une structure selon PIAGET r Il y a
structure sous son aspect le plus général quand des éléments
ou des ~ctions sont réunis en une totalité présentant certaines
propriétés en tant que totalité et quand les propriétés des

-17-
":;:~ - .
éléments dêpende!'lt •.•• de ces ca r ac t.è r e s è.e la tata-lité" (PIAGET,
1957) •
Ainsi définis, quels sont, selon PIAGET,
les stades
du développement de l'intelligence? On distingue, au cours
du développement cognitif, quatre étapes principales par les-
quelles passe ou devrait passer tout être humain. Ces étapes
qui s'échelonnent de la naissance à environ 16 ans sont:
le
stade sensoric-moteur :
le stade préopératoire :
le stade opé-
ratoire concrêt : et le stade opératoire forme1.Ces stades se
suivent, se succèdent dans l'ordre chronologique suivant lequel
nous les avons énumérés, chacun d'eux est caractérisé par une
structure,
au sens défini plus haut,
et ils s'intègrent l'un
dans l'autre selon l'ordre chronologique. Voyons~maintenant
chacun de ces stades.
a)
Le stade sensori-moteur
Il va de la naissance à 2 ans environ. C'est donc le
stade de la toute première enfance. C'est la période pendant
laquelle l'enfant ne dispose pas encore ni de pensée concep-
tuelle, ni de langage, ni d'images mentales. Au cours de cette
première enfance,
l'enfant acquiert un ensemble de savoir-faire,
une "connaissance toute pratique des choses", sans réflexion
ni conscience. C'est le stade de l'intelligence des actions en
relation avec les perceptions. D'où son nom d'intelligence
sensori-motrice. Mais, c'est une période importante en ce sens
qu'elle va préparer la venue de l'intelligence proprement dite.
C'est un prélude à la connaissance. En effet, c'est à ce stade,

-18-
vers la fin de ce stade, que l'enfant forme le concept d'objet
à partir des perceptions élémentaires, et qu'il va distinguer
son moi de celui des autres.
D'un univers indifférencié,
l'enfant va, petit à petit,
objectiver~cet univers, le distinguer de lui-même, et, ainsi,
tenir compte de cet univers comme pouvant être la cause de cer-
taines situations.
"Les objets deviennent des centres autonomes
d'activité, des causes entièrement indépendantes de l'activité
propre"(du sujet). Ces causes constituent un ensemble de rela-
tions externes parmi lesquelles l'enfant se situe lui-même.
Il n'est plus qu'une simple cause parmi des causes. A-la fin de
ce stade se situe le début de la _représentation mentale. L'en-
-
fant sera désormais capable d'imaginer les effets d'une action
avant que celle~ci n'ait lieu, ou d'imaginer mentalement la
cause quand i l sera seulement en présence des effets de celle-
ci. L'enfant de cet age est capable d'imagi~er__ les déplacements
invisibles des objets qu'il insère vers 16 mois, dans un
"groupe de déplacements"
(PIAGET, I956à, p.
29)
• Ce stade sensori-mot~~r qui va de la naissance à 2
ans environ, se divise en 6 sous-stades:
jusqu'à un mois, c'est
le premier sous-stade, celui de l'exercice des rélfexes, de 2 à
4 mois,
le second sous-stade,
celui des premières adaptations
acquises et de la réaction circulaire primaire ;
entre le 5ème
et le 8ème mois se situe le troisième sous-stade, celui des
réactions circulaires secondaires et de l'intentionnalité, du
9ème au IIème mois,
le quatrième sous-stade,
celui de la

-19-
permanence de l'objet, et l'objectivation de l'univers; entre
le I2ème et le I6ème mois,
le cinquième sous-stade avec les
réactions circulaires tertiaires
à partir du I8ème mois,
le sixième sous-stade qui permet à l'enfant de se représenter
les déplacements invisibles, c'est le début de la fonction sé-
miotique avec ce sous-stade.
A travers les 6 sous-stades de ce stade sensori~moteur,
on relève que, grâce à un é~uilibre entre assimilation et acco-
modation,
l'intelligence de l'enfant est parvenue à sortir de
son égocentrisme pour atteindre la transitiv~té ~t la réversi-
bilité qui caractérise la structure de groupe, mais seulement
sur le plan de l'activité portant sur le milieu .immédiat.
b)
Le stade préopératoire
Il va de 2 ans jusqu'à 7 ans environ.
Il comprend
deux sous-stades.
- Le premier sous-stade s'étend de 2 à 5 ans environ.
La pensée dé l'enfant de ce SQu~-stade est prisonnière de la
configuration des données perçues. Seules les données percep-
tives de l'état comptent pour cet enfant. Pour lui, un objet
qui change de forme change également de quantité.
Il ne tient
pas compte des transformations ou plutôt les considère comme
indépendantes des résultats. Et i l centre sa pensée sui le
caractère le plus prégnant de la situation perceptive. Prenons,
par exemple, deux bocaux, A et B.
A est plus gros, B est plus

mince et plus long. Si on renverse le liquide de A dans B,
l'enfant de ce sous-stade dira qu'il y en a plus dans B
parce que le niveau y est plus élevé
la minceur du bocal
ne compensera pas ce niveau élevé. Ou bien,
i l dira -qu '.il· y
en a moins parce que le bocal est plus mince,
sans considérer
que le niveau y est plus élevé.
- Au second sous-stade qui va de 5 à 7 ans environ,
l'intelligencè de l'enfant va acquérir une plus grande mobilité

et va, ainsi, pouvoir se centrer sur, prendre en compte/les
deux caractères opposés, mais successivement et non simultané-
ment. L'enfant ne saura plus répondre, dire où i l y en a plus
ou si c'est la m~~e quantité partout parce que les deux carac-
tères qu'il prend successivement en compte s'opposent. Ou alors,
ses réponses vont osciller sur~f~~ aspects figuratifs.
,,'
A/~
-""~
C'est ce que PIAGET appelle:3?~~~;t-:llons" qui ne sont pas
~ -
(~ (~M Ë . \\ -~:'
des actions réversibles dans~ la meSl:lr_éJo:~~~elles ne s'annulent
~ .
\\~.\\
7i/J
d l " '
f
pas r êc Lpr-oquemerrt , ne se cOmB~nS-ê1-t~/p@rs. Cepen ant,
en ant
~.S'61_
<-~ç
.~emanP .
de ce sous-stade est nettement en=~rogrès par rapport à celui
du sous-stade précédent dans la mesure où cet enfant est plus
ou moins gêné par les deux car~çtères opposés, alors que ces
mêmes caractères ne gênaient pas du tout celui-là.
D'une manière générale,
l'e.;nfant· du stade préopératoire
ignore la coordination des états ét des transformations.Pour
lui,
la quantité se modifie lors de la transformation d'un
objet
(ou d'un ensemble d'objets). On dit de l'enfant de ce
stade qu'il ne "conserve" pas" les' propr Lêcê s- quant.Lt.at.Lve s; des

-21-
objets. C'est une nouvelle phase d'irréversiblité par laquelle
passe l'intelligence. Et cette phase est encore gouvernée par
l'intuition. A ce stade,
la transformation est considérée
comme une activité créatrice,
indépendante des résultats. Et
les différents aspects figuraux contradictoires ne gênent pas
l'enfant de ce stade, tout au moins au sous-stade l, dans la
mesure où justement i l ne les prend pas en compte simultan~ment,
mais seulement successivement.
Mais qu'est-ce donc unè~opération ? Nous venons de
parler du stade préopératoire, et nous allons parler des stades
opératoires. Il nous semble opportun de définir,
ici, ce qu'est
une opération pour situer le stade préopératoire par rapport
aux stades opératoires. Pour PIAGET, une "opération" est une
action intériorisée ou intériorisable, réversible et coordonée
en structure totale. Et "la pensée opératoire consiste àcoor-
donner les états et les transformations en concevant les pre-
miers comme le résultat". de certaines des secondes et en même
temps, co~~e le point de départ de certaines autres d'entre
elles" (PIAGET et INHELDER, 196.6:.
p.
431). Ainsi, les transfor-
mations "fournissent" la raison des états,
la raison des pro-
priétés des états successifs.
-r.
. /..,

-22-
C. iLI! 'stade opé:r:~toire 'co nc r ê t;
Il se définit comme le stade de la, conservation des
propriétés quantitatives desc.objets, malgré les transforma-
tions. En effet, à partir de 7-8 ans,
la transformation cesse
d'être une action créatrice pour l'enfant qui se construit
un invariant. Il peut désorœais conserver les propriétés
quantitatives des objets en prenant en compte,
simultanément,
tous les aspects figuratifs de la situation, c'est-à-dire,
en établissant des relations
entre tous ces aspects,
en coor-
donnant:les~t.~sultats~eL leso:transformations.
L'enfant de ce stade qui va de 7 à 10 ans à peu près,
est désorrnaiscapable de prévoir,
avant tout.essai, que faire.
deux opérations inverses revient à ne rien faire.
La pensée
retrouve de nouveau donc la réversibilité. Et la structure de
groupe dont nous avons parlé dans le stade sensori-moteur,
n'est plus seulement au niveau des actions, mais égaleQent au
niveau de la pure combinaison mentale.
L'enfant de ce stade, non seulement est capable d'une
sériation unique en fonction dB-certains caractères
(par exem-
ple, ranger des bâtons de tailles différentes dans un ordre
croissant ou décroissant), mais est également capable d'une
double sération (exemple : attribuer des bâtons de tailles dif-
férente~ à des poupées de tailles~différentesr.
Cependant, l'enfant de ce stade, pour conserver ou sé-
rier, a encore besoin du support concret des objets, d'où le

-23-
nom de stade opératoire concrèt donné à cette période du dé-
veloppement intellectuel qui se subdivise en 2 sous-stades
:
"l'un
(7-9 ans) (1), des opérations siIïlples l'autre
(9-10 ans)
(1)
d'achèvement de certains systèmes d'ensemble dans le
domaine de l'espace et du temps en particulier"
(PIAGET, I956a,
p.
34).
Soulignons que la structure qui caractérise ce stade
opératoire concr~t est ce que PIAGET appelle le "groupement"
aes opérations intellectuelles. C'est une ,structure avec des
opérations réversibles,
coordonnées en opérations directes et
inverses qui s'effectuent de proche en proche, suivant un eï.l-
boitement et non pas suivant n'importe quelle combinaison des-
éléments de l'ensemble. Ce qui rend relative la mobilité de la
pensée opératoire concr~te. Ce groupement permet l'utilisation
des opérations réversibles que sont la négation et la récipro-
cité qui fonctionnent de manière parallèle, sans possibilité
de synthèse en un seul système opératoire.
D.
Le stade opérë;ltoire formel
Les deux caractères principaux de ce stade qui;s~ dèvelc~ .
pe .de 12 à .. I6 ans;à peu p rè s j s orrt.t La capacité de. faire des:'opéra-
tions~6ur~~!autreS:opé~~tions,donc:de se passerrdu support~concrèt
(".~:des.:: obj e t s, ~:t:....)a capacité de r a Lsoriner sui des. hypothèses, do r.c:·c· de . se
,
......,....------ "._-
.~.
f
.; .
. ..... ;.-
-.-
-
..
."
(1)
Les parenthèses et leur contenu sont ajoutés par nous.

-24-
~--..
pas sernde s, données; réelles:.de. Vexpér Lerice .: C'est- donc; un: pre grès
important par rapport au stade précédent; c'est un pas déci-
sif vers l'abstraction,
terme du développement intellectuel.
L'enfant de ce stade opératoire formel est désormais
capable de raisonnement verbal,
capable de tenir un raisonne-
ment."hypothético-déductif" lui permettant de déduire la réa-
lité, de l'hypothèse avec tous ses cas possibles, et donc de
construire l'ensemble des parties d'un tout. L'enfant est main-
tenant capable de construire des "ensembles de parties" non
plus par simples emboîtements ou par des opérations élémentai-
res,comme au stade opératoire concrèt, mais par pure déduction
logique suivant n'importe quelle combinaison des éléments. Ce
qui augmente, bien entendu,
la mobilité de la pensée.
Avec ce raisonnement combinatoire se met en place ce.
que PIAGET nomme le "groupe" qui est la structure opératoire
qui caractérise ce stade opératoire formel. Cette structure
appelée "groupe INRC" du fait qu'elle met en oeuvre 4 opérations
v .
ou transformations coordonnées que sont l'identique
(1),
la
négative
(N),
la réciproque
(R)
et la corrélative
(C), permet
à l'adolescent, et à l'adulte également, de tenir compte de
deux systèmes de référence à la fois.
Ce groupe INRC n'est en fait que la fusion ou la coor-
dination en un seul système opératoire de la négation(N)
et de

-25-
la réciprocité
(R). Or, ces deux opérations étaient déjà
utilisées, par le "groupement" du stade opératoire concrèt,
comme formes de réversibilité, mais séparément, de façon
parallèle.
On comprend alors aisément pourquoi PIAGET parle àe L'in-
tégrativité
\\ des stades. Par ce que nous venons de voir,
le
stade opératoire formel semble, en effet, avoir intégré, en
les coordonnant,
les mécanismes
(négation et réciprocité)
du
stade précédent,
l'opératoire concrèt.
Sèlon PIAGET, ce stade des opérations formelles se
subdivise, comme le préopératoire et l'opérat6i~e concrêt, en
deux sous-stades. Le premier
(12-13 ans)
est le sous-stade de
préparation, et le second
(14-16 ans)
celui d'achèvement des
structures cognitives formelles. Mais, depuis 1963, un psycho-
logue iranien, NASSEFAT, d~ns .. une Etude quantitative sur
l'évolution des opérations intellectuelles, a découvert qu'en-
tre le staàe opératoire concrèt et le stade opératoire formel,
existait un stade relativement différent de ces deux stades.
Ce stade qui apparalt entre la et 13 ans selon les individus
est le stade préformel.
Il se caractérise par la possibilité
qu'a l'enfant de la-II ans d'appliquer le groupement des opéra-
tions concrètes à des énoncés purement verbaux, et la possibi-
lité d'utiliser même les opérations formelles mais dans des
cas simples et sans généralisation. C'est à ce stade que l'en-
fant acquiert la conservation du volume,
alors qu'il possédait
déjà les conservations de la matière, de la longueur, d~;,
poids, etc, depuis le stade concrèt.

-26-
On remarque, à travers tous ces stades, que l'intel~~
ligence de l'enfant à l'adolescent
va vers une plus grande
réversibilité. La réversibilité, équilibre et mobilité de
l'intelligence, constitue la ligne directrice,
l'axe de l'évo-
lution, à chaque stade. Le développement des stades opératoires
jusqu'au terme de l'évolution, est donc isomorphe au dévelop-
pement du stade sensori-moteur ; c'est-à-dire, à chaque stade,
le développement intell~ctuel est analogue, en ce sens qu'il
a la même forme et le même but à chaque stade. La "marche vers
l'équilibre signifie qu~ le développement intellectuel se ca-
ractérise par une réversibilité croissante. La réversibilité
est le caractère le plus apparent de l'acte d'intelligence,
qui est capable de détours et de retours. Cette réversibilité
augmente donc régulièrement, palier par palier, au cours des
stades que je viens de vous décrire ••• Elle se présente sous
deux formes:
l'une que l'on peut appeler l'inversion, ou la
négation, .qui apparaît dans la logique des classes, ••• l'autre
que nous pourrions appeler la réciprocité, qui apparaît dans
les opérations de relations"
(PI~GET, I956a pages 36 et 37).
Ces deux formes de réversibilité cheminent "côte à côte et
parallèlement, mais sans jonction en un système unique"
(PIAGET,
ibidem, p. 37), au niveau du stàde opératoire concrèt. C'est
seulement au niveau du stade opératoire formel que va s'opérer
une "synthèse en un seul système de ces deux formes de réversi-
bilité ••• "
(PIAGET, ibidem, p.
37).

Cet isomorphisme entre les différents stades permet
de cOffiprendre ce que PIAGET appelle "un décalage vertical"
(PIAGET, 1956 ap.
29). Un décalage vertical, nous dit PIAGET,
est la "reconstruction d'une structure au moyen d'autres opé-
rations", et sur des plans génétiques différents ;(sensori-
moteur, opératoire concrèt, opératoire formel). Quand le bébé
du stade sensori-moteur utilise le "groupe de déplacements",
quand l'enfant du stade opératoire co~crèt utilise le "groupe-
ment", et quand l'adolescent du stade opératoire formel utilise
le "gourpe INRC" ou "groupe des~deux ~éversibilités coordonnées",
il s'agit, en fait,
de la même structure dans des problèmes
faisant appel à des comportements intellectuels de niveaux co-
gnitifs différents. C'est cette mise en oeuvre d'opératibnsdif-
férentes à chaque niveau du développement que PIAGET explique
par "décalage vertical".
Il faut distingu~r nettement ce décalage d'un
autre
que PIAGET appelle "décalage horizontal~ qui consiste à appli-
quer une même opération d'un stade donné à des contenus diffé-
rents qui ne sont pas qcquis en même temps, au même moment.
Par exemple, au stade opératoire concrêt,
le "groupement" des
opérations intellectuelles s'applique aussi bien à la conserva-
tion des quantités de liquide qu'à celles de la longueur, du
poids; etc. Or, la conservation des quantités de liquide est
acquise bien avant celles de la longueur et du poids. C'est ce
décalage entre les moments d'acquisition de ces notions qui se
maîtrisent pourtant par la même opération, que PIAGET appelle
"décalage horizontal". Et c'est ce dernier décalage qui:-

-28-
expliquerait le retard de la notion du volume et de sa géné-
ralisation, sur les autres conservations
(matière,
longueur,
poids, etc.), alors que NASSEFAT accorde l'aquisition de cette
conservation du volume à un autre stade,
le stade préformel.
Voilà quelles sont les étapes ou stades du développement
de l'intelligence de l'enfant à l'adolescent. Voyons maitenant
quels sont les facteurs responsables du développe~ent selon la
théorie piagétienne.
3-- Les facteurs du développement intellectuel
Dans le domaine des forrctions cognitives,
le dévelop-
pement nécessite des facteurs individuels, c'est-à-dire, des
"facteurs propres au développement spontané et interne de l'in-
dividu"
(PIAGET, 1966, p.
60), et des facteurs collectifs ou
culturels spécifiques. Dans Nécessité et signification des
recherches comparatives en psychologie génétique, PIAGET fait
l'hypothèse de 4 types ou groupes de facteurs.
a) Les facteurs biologiques ou épégénétiques
Ce groupe de facteurs,
lié au "système épigénétique"
représente "les interactions du génome et du milieu physique
au cours de la croissance"
(PIAGET,
ibidem, p.
61). Ces fac-
teurs sont biologiques en ce qu'ils ne doivent rien à la socié-
té, mais dépendent tout simplement de la maturation du système

-29-
nerveux.~ls sont responsables de l'ordre "séquentiel" des
stades ou niveaux de développeDcnt
(I),
toujours identiques
quels que soient la culture envisagée ou les milieux sociaux
au sein desquels se forment les individus.
b)
Les facteurs d'équilibration des actions ou
d'autorégulation
Compte tenu que les stades,
bien que séquentiels, n'ont
pas lieu chez tous les individus aux mêmes dates chronologi~ues,
1
mais qu'ils apparaisent, selon les individus et les Dilieux
familiaux,
scolaires et sociaux, avec des avances ou des r e-e.
taras,
chez les individus d'Une même ville,
par exemple,
PIAGET
fait alors l'hypothèse de ces facteurs d'autorégulation qui
dépendent encore plus des potentialités épigénétiques de cha-
queinâividu. Ces facteurs sont donc "très ~énérauxet relati-
vement indépendants des illilieux sociaux particuliers"
(PIAGET,
ibidem, pages 63-64).
c)
Les facteurs sociaux de coordination interindividuelle
Il est évident que les facteurs psychobiologiques ne
peuvent pas,
à eux seuls,
rendre compte du développement de
l'homme,
celui que les philosophes appellent "animal social et
sociable". Les potentialités épigénétiques dont i l est certai-
nement muni n~ sauraient,
en effet,
se développer sans certaines
conâitions. Il existe donc des facteurs sociaux au sens d'in-
teractions ou de "coordinations sociales
(ou interindividuelles)
~ i :
;:.:
----
,-',
' . "
_
• ..-J ..:......
(I)
PIAGET emploie également te terme de "créodes" pour désigner
les "chemins nécessaires du développement de chaque secteur
particulier de l'ensemble"
~.~ a r t; ~C'''': l i.e:~ . :_'.-.'~ _ ~ .:- :-::::~ (': ., :'~;

-30-
générales qui sont co~munes à toutes les sociétés " humaines
(PIAGET,
ibidem, p.64). Ce sont les processus de socialisation
particulière de l'espèce.humaineivalables:aussi bien~en' Eùrope,
en Amérique qu'en Afrique,
en Asie ou dans une île du Pacifique.
En effet, quel que soit le point géographique que l'on consi-
dère,
les horr~es ont toujours des échanges sociaux entre eux,
entre les enfants et les adultes, ou entre enfants.Ce sont là
des pratiques~que l'on rencontre dans toutes les sociétés hu-
maines. C'est cet échange social constant entre individus que
PIAGET désigne par ce groupe de facteurs.
d)
Les facteurs de transmissions éducative et culturelle
Par 'ces facteurs-,'- PIAGET veut désigner les "traditions
culturelles et les transmissions éducatives qui varient d'une
société à l'autre"
(PIAGET,
ibid., p.67~. Dans la mesure où les
processus cognitifs peuvent varier d'une société à l'autre,
non seulement dans le rythme de développement mais aussi dans
le cO::1tenu, parce que' DL'être humain développe de préférence et
plus rapidement les concepts et aptitudes qui lui sont né c es.e; ~-~~;-< 1
saires pour survivre dans un certain environnement"
(DA5EN,
1980),
on peut faire l'hypothèse que ces processus cognitifs sont éga-
lement, sous influence socio-culturelle. C'est dans ce groupe
de' facteurs sociaux qu'il faut compter la langue en tant que
véhicule privilégié de ces "traditions culturelles".

-31-
Tous ces facteurs ne fonctionnent pas de manière indé-
penàante ;
i l existe des interférences entre les uns et les au-
tres. Hais, corr.rne nous l'avons indiqué en introduction à ce
point sur les facteurs du dévemoppement, on peut distinguer ces
facteurs en deux grands groupes,
selon leurs reles,
le sens de
leur influence: 1) des facteurs collectifs, c'est-à-dire, géné-
raux et communs à toutes les sociétés, et qui sont responsables
de la ressemblance
des individus quant au développement cognitif,
et ce, quels que soient les milieux sociaux et culturels. Ces
facteurs ne doivent donc rien à une société particulière : ce
sont les facteurs biologiques et les facteurs sociaux de coor-
dination interindividuelle inhérents à tout processus de socia-
lisation ;
2)
des facteurs individuels, responsables des diffé-
rences entre les individus: ce sont les facteurs d'équilitration-
des actions ou d'autorégulation, qui différencient les individus
même à l'intérieur d'une nême société, et les facteurs de trans-
missions éducative et culturelle, qui différencient les indidus
selon les sociét§s.
Mais, on peut adopter une autre classification, non plus
selon le sens de l'influence de ces facteurs, nais,
selon
l'importance de leur influence dans l'.Equilibration. Ainsi,
les
facteurs biologiques et les facteuri d'autorégulation ou d'équi-
libration des actions constitueraient le groupe le plus ~.por­
tant, en ce sens qu'ils rendent compte de l'activité du sujet,
donc de l'essentiel de l'Equilibration. Et parmi ceux-là,
les
facteurs biologiques ont l'influence la plus importante. Le
deuxième groupe serait constitué par les facteurs sociaux de

-32-
coordination interindividuelle~ et les facteurs de trans~issions
éducative et culturelle. Ces deux types de facteurs exerceraient
une influence relativement moins forte, parce qu'indirecte~sur
le développement cognitif, sur la construction des: structures
intellectuelles, en ce sens qu'ils n'offrent au sujet que des
occasions de son activité.
Ils sont, en effet,
à l'origine des
besoins du sujet,
et ces besoins permettent au sujet de donner
une signification au milieu qui peut alors donner lieu à une
"perturbation". Et cette perturbation est à l'origine de l'ac-
tivité constructive du sujet
(PIAGET,
I975).
A propos des facteurs de transmissions éducative et cul-
turelle,
i l faut préciser que si une action éducative de l'adul-
te à l'endroit de l'enfant est possible,
en ce sens que l'adul-
te, étant plus avancé que l'enfant, peut aider ce dernier à
accélérer son évolution,
cette action n'est possible que si les
srtuctures cognitives de l'enfant,
le récepteur,
la permettent.
En effet, contrairement à ce que les behavioristes et BRUNER
soutiennent,
i l n'est pas possible d'apprendre n'importe quoi"
à n'importe quel âge, même en s'y prenant de façon adéquate.
L'apprentissage suppose au préalable,
la maturation des struc-
tures cognitives, du système nerveux.
Par ailleurs,
le postulat selon lequel le développement
de l'intelligence repose sur la langue n'est pas concevable
dans la perspective piagétienne. D'une part,
la fonction sémio-

-33-
tique
apparaît avec le langage, vers 2 ans.
Or,
corrme nous
l'avons vu au cours du stade sensori-moteur,
l'i~telligence
préexiste au langage. D'autre part,
si nous descendons de l'in-
telligence abstraite jusqu'~.l'intelligencesensori-rnotrice,
nous
nous rendons compte que la pensée opératoire formelle
vient e~ droite ligne dé l~intelligence:sensori~motrice,~selon
l'aspect intégratif du système des stades et selon l'évolution
vers une réversibilité crois~ante(isomorphisGe-décalagevertical) •
Il est,
cependant, vrai ~ue le langage évolue en mène
temps que la pensée opératoire.
Il y a donc une corrélation
entre le langage et la pensée. Mais,
peut-on raisonnablement
soutenir que l'intelligence est fonction du langage? Tout incite
à penser plutôt,
comme PIAGET,
que "ce soit l~oDérativité Gui
conduise-à"structurer le lar.gage, par choix au sei~ ces modè-
les préexistants de la langue naturellement, plus que l'inverse".
(PIAGET,
ibid., p.77),
et cela, rien que du fait ~ue l'intelli-
,.- .J""
gence se~sori-motrice préexiste au langage.
Et si le langage n'est pas respor.sable de l'intelligence,
corrment une langue, c'est-à-dire, un langage particulier,
saurait-il être responsable du développement,
et comment la
seule maîtrise de la langue
(ou d'une langue)
pourrait-elle ex-
pliquer des progrès sur le plan cognitif ?_Le langage: ne peut
que faciliter le fonctionnement de la pensée, tout comme son
homologue,
l'image mentale. ~lais, toujours est-il ~ue c'est
l'opérativité qui, tout en s'appuyant sur le langage comme un
auxiliaire nécessaire, structure et fait progresser ce dernier.

-34-
Voilà co~ment PIAGET conçoit l'intelligence et son
oéve1oppement. Dans le cadre de cette théorie de l'intelligence,
on voit que le retard ou l'avance d'un individu normal
(1) peu-
vent s'expliquer par plusieurs facteurs,
soit l'un,
soit l'autre,
ou soit plusieurs en même temps,
compte tenu des interférences.
Ces facteurs seraient plutôt les facteurs individuels,
les
facteurs d'autorégulation et de transmissions éducative
e~
culturelle, bien entenu, mais aussi un groupe de facteurs co1-
1ectifs, les facteurs sociaux de coordination interindiv~due11e,
en ce sens qu'une société ou un milieu peuvent présenter des
carences. Et la plupart des études réalisées jusqu'ici ont
plutôt montré la justesse des hypothèses de PIAGET en confir-
rnant, certes avec des nuances parfois,
sa théorie.
E. ·QJ!_~_~gy_g~'c=-~TtJ!?_~_S
__~~OI'!f.~~':r-:_ LA-,-:._Ç9LJ.fJ.p~~O~ ... 2~_"YI~~~'l' (2)
_._---------------------------------------~----------~
- GOODNOW (1962), a_.trouvéi.à:HOUG-KONG, que les en-
fants européens scolarisés et les enfants chinois non sco1ari-
sés, du fait qu'ils ont en commun de résider dans une ville
importante, ne présentent pas de différence significative dans
les épreuves piagétiennes de conservation. Ce résultat montre
(1) A l'exception des handicapés mentaux "organiques".
(2)
Pour ces études, nous nous sommes servi de la revue de
question de LAUTREY et RODRIGUEZ-TO~Πet de l'article de PIAGET
"Nécessité et signification des recherches comparatives en
psychologie génétique."

-35-
qu'un milieu,
sans scolarisation, peut développer l'intelli-
~ence.
- PELUFFO
(1962),
en Italie, a trouvé que le milieu
est un élément déterminant dans la précocité ou le retard du
développement cognitif. Examinant des enfants nés à Gênes et
des enfants immigrés du sud de l'Italie à Gênes,
i l a trouvé,
en effet, que les enfants nés à Gênes avaient des résultats
meilleurs que ceux des enfants immigrés depuis plus de trois
an~ lesquels sont à leur tour meilleurs que ceux des enfants
irrmigrés récemment (moins d'un an).
- POOLE (1968), cherchant à vérifier les effets du degré
d'urbanisation, avec des enfants
Hausadu nord du Nigéria,
sur quelques concepts dont la conservation,
a trouvé des résul-
tats qui concluent que les enfants du milieu rural réussissent
moins bien que ceux des milieux urbains
(moyennes et grandes
villes). Cet auteur a,;par ailleurs, retrouvé l'ordre "séquen-
tiel" des stades
du développement selon PIAGET, avec des re-
tards,
certes, dans les âges d'accès à ces stades, par rapport
aux âges qu'on trouve en Europe ou aux U.S.A.
- En Iran, MOSHENI
(1966), à la même époque donc que
GREENFIELD, en utilisant des épreuves de conservation et des
tests de performance, avec des enfants scolarisés de la ville
èe Téhéran et des jeunes analphabètes de la campagne, a re-
trouvé, dans leurs grandes lignes,
les stades du développement

-36-
en ville et a la campagne,
aussi bien en Iran qu'à Genève.Mais
les enfants de la campagne iranienne présentent un retard
systémati.que de 2-3 ans sur ceux de la ville dans les épreuves
opératoires, alors que ces derniers de la ville acquièrent les
notions de conservation
(poids, volume,
etc.)
à peu près aux
mêmes âges que les enfants européens. Par ailleurs, dans
les tests de performance,
alors que les enfants de Téhéran
pré~entent un retard de I à 2 ans sur les enfants européens,
les enfants de la campagne iranienne, présentent,
eux, un re-
tard de 4-5 ans sur ceux de Téhéran. Ce retard tant dans les
épreuves opératoires que dans les tests de performance,
in-
dique une influence du milieu, de même que le ffianque de diffé-
rence entre les enfants de Téhéran et les enfants européens.
Par contre,
l'ordre séquentiel des stades,
et le retard dans
les épreuves opératoires des ruraux non scolarisés, relative-
ment faible par rapport a celui observé dans les tests de per-
formance,
indiquent l'existence de ces facteurs collectifs dont
parle PIAGET.
Tous ces résultats, et tant d'autres que· nous n'avons
pas cités ici du fait que notre objectif n'est pas de faire
une revue de question, mais tout simplement de citer quelques
études pouvant nous permettre de mieux poser nos hypothèses,et
donc de mieux nous faire comprendre,
tous ces résultats,
disons-nous, montrent que le milieu socio-culturel est un élé-
ment déterminant dans la précocité ou le retard quanta l'accès

-37-
à la conservation, et, d'une manière générale, quant au déve-
loppement cognitif tel que défini par PIAGET.
F.
QUELQUES RE~~RQUES
PERSONNELLES
Il nous semble opportun, avant de faire la critique
~éthodo1ogique de la recherche de GREENFIELD, ce qui nous per-
mettra de présenter notre propre méthodologie, de f~ire que1~
gues remarques.
En ce qui nous concerne, nous pensons que si le fait.
d'habiter une grande ville peut faire disparaître les différen-
ces entre les enfants, comme l'indiquent les quelques études
que nous avons présentées pour illustrer nos pr9poS sur la ' ..
théorie de PIAGET, ce fait en lui-même ne signifie rien. Ce
sont, en effet,
les conditions dans lesquelles vivent les en-
fants, dans les villes, qui sont déterminantes, en ce sens
qu'elles peuvent ou non favoriser
le développement de l'inte1-
1igence. Cette remarque nous semble importante parce que dans
notre pays, et dans la plupart des pays dits sous-développés,
dans les villes, certains enfants vivent dans des conditions
identiques, sinon pires, que celles des enfants de la campagne
ou brousse.

-38-
Par ailleurs, nous préférons, personnellement, dans
notre travail,
employer le terme de "milieu socio-économique"
celui de milieu socio-culturel" ne répondant pas exactement à
nos préoccupations et ne recouvrant pas le domaine de nos pro-
pOSe Et par milieu socio-économique, nous entendons les condi-
tions matérielles de vie, corrme l'indiquaient déjà,
en leur
temps, LAUGIER, WEINBERG et CASSIN
(I~40). En ~ffet, dans les
pays "sous Idéveloppés" où les disparités économiques sont
criantes,
il convient, nous semble-t-il, de parler de milieux
socio-économiques. Evidemment,
les moyens économiques vont
souvent de pair avec le niveau intellectuel, terme qui ne con-
vient pas encore tout à fait àinotre idée du fait qu'il confond,
tout au moins dans le langage 'courant et chez les psychologues
pr aqma t.Lqiias qui- -confondent intelligence et réussite' sociale ~
le niveau d'instruction et l'intelligence au sens de PIAGET.
Ce qui n~~nous parait pas juste car selon nous,
i l serait ab-
surde dé supposer un seul instant qu'un "vieux du village",
en Afrique traditionnelle, n'est pas "intelligent" tout sim-
plement parce qu'il n'a pas connu la scolarisation et donc
qu'il n'a pas le diplôme qui lui aurait permis de vivre aisé-
ment dans la vie moderne d'aujourd'hui, en lui donnant les
moyens économiques nécessaires pour surmonter, dépasser les
contraintes matérielles que cette même vie moderne lui impose.
Eviderrment, ce diplôme qu'il n'a pas, et donc cette vie facile
qu'il n'a pas, lui aurait certainement permis d'offrir à ses
enfants les nouveaux moyens nécessités (1)
par la nouvelle forme
(1)
Payer les frais de scolarité et les fournitures scolaires,
par exemple

d'éducation,
la scolarisation, qui a supplanté l'éducation
traditionnelle en Afrique.
Et i l faut donc reconnaître également que dans nos
pays où l'agriculture domine encore assez largement,
les mo-
yens économiques ne sont pas toujours en rapport avec le ni~­
veau d'instruction, ornais plutôt avec la richesse,
la qualité,
du sol de
la région du paysan.
Quant à ce que l'on peut appeler facteur socio-culturel
ou milieu socio-culturel' et son effet sur le développement co-
gnitif,
i l nous semble qu'il est difficile, voire quelque peu
non fondé,
de vouloir faire une quelconque comparaison, du
seul fait que la spécificité d'une culture, c'est précisément
d'être différent~ et donèdeodévèlopper l'intelligence en fa-
vorisant tel ou tel aspect ou aptitude compte tenu des exigences
de son milieu particulier. C'est là tout l'importance des
"facteurs de transmisSions éducatives et culturelle" que DASEN
(I980) précise.
C'est ainsi que les résultats de PRICE WILLIN~S (I96I)
avec les enfants Ti~, au Nigéria, ne nous surprennent guère.
Cet auteur trouve, en effet, que les enfants Tiv, alors qu'ils
vivent en pleine brousse, ont d'excellents résultats dans la
conservation du nOIT~re, et cela du fait qu'ils pratiquent, dans
cette partie de l'Afr~que, un jeu qui consiste à aligner deux
rangées de cailloux dans des trous.
- ---:.....

-40-
Les résultats de B. LLOYD
(1971)
se rap9rochent
quelque peu de ce point de vue. En effet,
l'auteur trouve, dans
une étude comparative au Nigéria, que les enfants de l'élite
Yoruba et même les enfants américains, meilleurs sur plus d'un
point~ aux enfants des milieux populaires de la ville d'Ibadan,
une grande ville du Nigéria, réussissent,
cependant,-moins
bien que ces derniers dans l'épreuve de la conservation des li-
quides. Ce fait,
ce résultat, ne peut ~'expliquer que par une
différence culturelle, comme celui de PRICE-lHLLIAHS. Et la
1
situation des enfants de l'élite Yoruba est compréhensible.
Cette élite Yoruba qui appartenait, au départ, au milieu socio-
culturel Yoruba, avait,
corrme toutes les élites africaines,
pour groupe socio-cult~rel de "référence",
le milièu socio-
culturel occidental, notarrment américian,
et i l a fini par lui
appartenir culturellement. Le "groUpe de référence" est devenu
donc le "groupe d'appartenance" du fait du modèle culturel
véhiculé et imposé parla colonisation et perpétué par l'école.
C'est ce qui explique, selon nous,
le fait que les enfants de
cette élite Yoruba ressemblent culturellement plus aux enfants
américains, et européens, qu'ils ne ressemblent aux enfants
des milieux populaires d'Ibadan, dans tous leurs comportement~,
y compris celui dans la conservation des liquides.
Ces deux exemples indiquent,
à' notre avis,
qu'une cul-
ture donnée développe l'intelligence, produit de plusieurs va~
riables,
en favorisant tel ou tel aspect ou aptitude. C'est ce

-41-
que DASEN
(1980)
montre avec trois populations culturellement
différentes. Nous y reviendrons à une autre occasion.
Si nous reconnaissons une influence essentiellement
culturelle, dans ces lignes,
sur le développement de l'in-
telligence, nous n'entendons nullement mettre en cause la
théorie de PIAGET quant!à l'ordre séquentiel.toujours identi-
que des stades du développement cognitif, quelle que soit la
culture envisagée. Nous voulons tout simplement attirer l'at-
tention sur les risques que représenterait une comparaison ha-
tive de deux cultures différentes du tout au tout et qui sup-
posent donc des échelles de valeurs et de besoins différents.
tout.ce qu' Ll, nous semble poas.i.bl.e d'affirmer- c'est que t.ou t e s
les cultures humaines, du fait qu'elles supposent l'existence
des facteurs biolog~ques et de coordination interindividuelle,
sont capables de développer l'intelligence dans sa forme géné-
rale, mais chaque culture à sa maniêre, en favorisant,
nous
nous répétons,
telle ou telle,· aptitude. nécessaire à sa survie.
Et,
seul le rythme de développement,
en ce qui concerne
l'intelligence d'une maniêre générale, peut faire l'objet
d'une étude comparative d'une culture à l'autre. Cependant,
dans ce type d'étude,
i l faut tenir compte non seulement du
matériel d'investigation, mais également du fait que ce rythme
de développement est fonction,
selon nous, d'une maniêre
extrinsêaue
de la culture, et d'une manière intrinsêque des

-42-
situations problèmes que rencontre l'enfant, et des moyens,
mis à sa disposition; et il n'est pas vain de souligner que
ces moyens, qui sont des conditions nécessaires, voire indis-
pensables, mais non suffisantes du développement intellectuel,
varient surtout avec le niveau socio-économique du milieu.
Quant à certaines pratiques culturelles, si elles ne
sont pas favorables à un développement ra?ide, elles ne sont
pas non plus défavorables au développem~nt intellectuel. Pour
pouvoir affirmer le contraire,
i l faut prouver que le retard
1
observé chez les enfants de certains milieux se retrouve au
niveau des adultes toute la vie durant.
Toutes ces rëma~ques nous incitent à parler plutôt de
milieux socio-économiques au lieu de milieux socio-culturels,
surtout que· nous ne cherchons pas à comparer les enfants ivoi-
riens aux enfants françaie.
Bien entendu, nous ft~oublions pas
ce que nous avons dit à propos de l'élite Yoruba, et qui est
valable, dans une certaine mesure, pour toute l~élite africaine,
y compris l'élite Bété, pui~que nous allons travailler avec des
enfants Bété. Nous verrons plus loin comment éliminer cette
interférence.
Par ailleurs, quand on veut comparer deux cultures
différentes,
il faut absolument être sûr que les épreuves
censées "mesurer" l'intelligence ont la même signification dans
les deux cultures considérées. Sinon,
les résultats en seront

-43-
forcément influencés. Par conséquent,
entre parler d'un retard
et parler d'un arrêt définitif du déve1oppement,inte11ectue1,
il Y a un pas qu'il ne faut franchir qu'après plusieurs expé-
riences bien menées.
G.
CJll.TIQUE DE LA RECHERCHE DE GllliEN.~·IELU
-, ~. - ..-
--"-
-_..:==:-::.?" -=-. - .
.._:::-"----..-~._=--_..- ~.- - .
~----------------~~---~-~~~~~---~~-----
Que pouvons~nous donc reprocher aux résultats: de
GREENFIELD ? Leur fondement théorique ? Cela ne nous semble
pas autorisé scientifiquement. En effet,
i l n'est pas question,
pour nous, de confirmer par tous les moyens, des points de vue
théoriques, et cela, quelle que soit leur valeur philosophique.
Il est encore moins question de contester des résultats expé-
rimentaux du seul fait de leur fondement théorique ; tout en
reconnaissant, cependant, qu'il est vrai que toute science se
rattache plus ou moins à une- idée de l' homme, c'est-à-dire, à
une philosophie.
Ce qui nous semble scientifique7 ici, c'est de vérifier
c'estèà-dire, confirmer ou infirmer, une hypothèse à l'aide
d'une expérience claire et bien menée. Et c'est justement à
ce niveau que se situe notre critique de la recherche de
GREENFIELD, et donc de ses résultats et interprétation. Nous
pensons que l'auteur n'a pas maîtrisé certaines variables in-
dépendantes et que, par conséquent, ses résultats peuvent
tout simplement être un "artefact méthodologique".

-44-
En effet, GREENFIELD indique qu'elle a constitué se~
groupes d'enfants scolarisés en fonction de l'âge probable,
en se référant au "grade"
(GREENFIELD, 1966, p.
228), c'est-
à-dire,
la classe suivie;
l'age de l'enfant étant censé cor-
respondre au "grade". Ainsi,
le grade l,
le grade II et le
grade III, respectiveIT.ent les classes de cours préparatoire
1ère année, cours élémentaire
1ère année, et cours moyen
2ème année, sont censés correspondre, dans l'ordre énoncé
plus haut, à 6-7 ans,
8-9 ans et 11-13 ans. ~Or, remarquent à
juste titre LAUTREY et RODRIQUEZ~TOfJ~, dans la plupart des
pays sous-développés,
les retards scolaires sont beaucoup plus
importants dans les ca~pagnes qu'en ville, du fait des redou-
blements plus fréquents pour une part, mais surtout parce que,
dans les caIT.pagnes, les enfants sont rarement envoyés à l'éco-
le à l'âge légal, mais plus souvent avec un ou deux ans de
retard. Il est donc tout à fait possible que les groupes cor-
respondant aux différents grades scolaires aient une m?yenne
d'âge nettement plus élevée en brousse qu'à Dakar. Ceci expli-
querait une meilleure réussite des enfants de la brousse dans
les âges où les épreuves de conservation sont discriminatives
(6-7 ans et 8-9 ans)" (LAUTREY et RODRIGUEZ-TOI'Œ, 1976, p.
263).
C'est là un argument de poids, car, en prenant les âges en
fonction des classes suivies,
il est pratiquement exclu que
GREENFIELD ait eu les mêmes âges en ville et à la campagne.
Cela,
"du fait des redoublements plus fréquents" dus au fait
que les enfants de la brousse n'ont pas les mêmes moyens et
supports matériels que ceux de la ville, pour une réussite
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-45-
scolaire. En effet, les enfants de la campagne ne peuvent tra-
vailler qu'en classe. Un travail de révision des leçons n'est
pas possible a la maison. Parce que, a la maison, le plus ,_
souvent,
i l n'y a qu'une seule source de lumière, une lampe
à pétrole,
et le soir, ce n'est pas à l'enfant que les parents
laisseraient cette lampe pour travailler ses leçons. Et quand
bien même ils le vouàraient quelques soirss pour permettre' à
leur enfant de réviser ses leçons,
i l faudrait encore qu'ils
puissent alimenter cette lampe en pétrole. Problème économique
donc. Par ailleurs, pendant les congés scolaires comme pendant
les jours de repos,
l'enfant de la campagne doit accompagner
ses parents aux champs. Sur ce point,
nous pouvons citer un
exemple récent qùi s I_~_S~' passé dans notre entourage. Pendant. les
congés de Pâques 1978, au moment où nous menions la première
recherche, pour le choix du plan,
notre propre nièce préparait
une retraite de réglexion en vue de son baptême ; et chaque
soir, sa mère se plaignait du fait qu'elle {no t r e nièce). per-
dait son temps chez les Soeurs
(religieuses catholiques)
au
lieu de venir l'accompagner aux champs. Voulant se justifier,
notre nièce a expliqué a sa mère que cette retraite était né-
cessaire pour elle. Et sa mère de conclure
"Alors, tu mange-
ras ta retraite". Ce qui signifie que "si tu ne veux pas m'ac-
companger,aux champs, tu te débrouilleras pour manger". Bien
sûr, les parents ne vont pas jusqu'à priver l'enfant de nourri-
ture, mais, c'est tout de même une préoccupation pour l'enfant.
Tou~ cela pour dire que le jeune écolier n'est pas aidé dans
son apprentissage alors qu'il doit apprendre non seulement

-46-
les matières enseignées à l'école, mais également la langue
dans laquelle ces matières sont enseignées. Or,
quelles que
soient les capacités inte11ectue11e.s d'un être humain,
et sur-
tout d'ur. enfant, il ne peut pas progresser dans une discipline,
encore moins dans une langue étrangère,
sans entraînement,
et surtout quand il est au début de l'apprentissage.
A ces difficultés s'ajoute celle,
COITmune à tous les
enfants africains qui vont à l'école,
qui réside dans le fait
qu'il possède déjà, comme l'indique KOUADIO
(I977) ,p.
4,
"coIT~e
seul bagage linguistique un rudiment plus ou moins important
de sa langue maternelle, mais suffisant pour perturber l'acqui-
sition correcte d'une langue seconde". Voilà qui rend compte
des redoublements, en partie,
car il y a aussi le fait que les
parents des enfants ruraux perçoivent l'école comme un mal né-
cessaire et ne sont donc pas
motivés pour aider leurs enfants
à aller à l'école, contrairement à ceux de la ville quila~
perçoivent comme un bien nécessaire,
sinon indispensable, et
feront donc tout ce qui est en leur pouvoir afin que leurs
enfants travaillent leurs leçons. Nous reviendrons sur cette
perception de l'école, dans la présentation du milieu de l'en-
fant ivoirien.
Un autre point qui peut expliquer pourquoi i l est
exclu que GREENFIELD ait eu les mêmes âges dans les deux milieux,
est que, à la campagne,
l'âge des enfants est souvent approxi-
matif,
et surtout à l'époque où elle a effectué sa recherche.

Tous ses enfants ou pratiquement tous,
sont nés avant 1960,
c'est-à-dire avant l'indépendance du Sénégal. A cette époque,
il est pratiquement sûr qu'il n'y avait pas de bureaux admi-
nistratifs dans la brousse. De même,
les maternités devaient
être inexistantes. La déclaration d'une naissance n'était donc
pas chose facile,
car, i l fallait parcourir des kilomètres et
des kilomètres avant de trouver le premier poste administratif.
Or,
la déclaration de la naissance de son enfant est une chose
de peu d'importance aux yeux du paysan africain.
Il refusait
donc de se déplacer pour siL peu,
si bien que la déclaration
ne se faisait pas à la naissance, mais plutôt longtemps après,
souvent, l'année ou l'enfant va pour la première fois à l'école,
et quelquefois, après cette année là. Pour déterminer l'âge à
ce moment là, au moment où ils sont contraints de faire ce pa-
pier pour l'école,
le père et/ou la mère doivent faire un ef-
fort de mémoire pour se rappeler le champ qu'ils cultivaient
ou qu'ils venaient de cultiver lorsque leur enfant est né. Et,
à partir de ce champ, compter tous les champs cultivés depuis.
C'est en comptant ces champs cultivés qu'ils déterminent l'âge
de l'enfant:
le nombre de champs,
le nombre de récoltes faites
correspondant au nombre d'années de l'enfant. Or,
la mémoire
humaine est faillible.
Et les années passent tellement vite
que l'on n'a pas le temps de s'en rendre compte. On comprend'
alors aisément que les enfants n'ont pas leur âge réel dans
leur "papier". Ils ont le plus souvent un ou deux ans en moins
dans ce papier qui prend alors le nom de "jugement supplétif"
au lieu d"'acte de naissance" ou d'''extrait de naissance". Ce

-48-
jugement supplétif ne comporte alors ni de mois ni de jour.
On peut le constater aujourd'hui encore dans les dates de
naissance de beaucoup d'Africains, du moins ceux de ces années
là.
Et comme les enfants vont à l'école vers 7-8 ans,
i l
est pratiquement impossible de trouver au grade III un enfant
de I2 ans, même s ' i l n'a pas doublé une seule classe. Les en-
fants de ce grade ont souvent entre I4 et I6 ans, sinon plus.
De même,
i l est fort possible que les enfants du grade I,
c'est-à-dire,
ceux qui n'ont pas encore eu à doubler une
classe du fait qu'ils sont, pour la grande majorité,
à
leur
première année à l'école, aient 8-9 ans, sinon plus.
Nous voudrions souligner un dernier point,
et pas des
moindres,
toujours pour indiquer que GREENFIELD n'a pas contrôlé
les âges des enfants. Hais,
i l faut reconnaître qu'elle ne pou-
vait pas contrôler ce point parce qu'elle devait certainement
être loin de le soupçonner.
1
\\
La première erreur dans la détermination de l'âge des
.~.
'.'
enfants de la campagne concernant la faillibilité de la mé-
moire des parents, est due, on le voit,
à une source d'erreur
inconsciente. Mais,
i l existe une autre source d'erreur,
cons-
ciente,
celle-là, et qui a cours encore de nos jours
(alors
que la première source d'erreur relative à la faillibilité de
la mémoire tend à disparaître pour des raisons que nous verrons
plus loin).
En effet, à la fin de ce que GREENFIELD appelle

-4~-
le grade III, c'est-à-dire le cours moyen 2ème année, outre
le Certificat d'Etudes Primaires Elementaires
(C.E.P.E),
les
enfants doivent passer un concours dit uconcours d'entrée en
6ème",
lequel concours permet,
si réussi,
aux enfants des
plus défavorisés de bénéficier de la gratuité de la scolarité
et des frais d'internat, ou d'une allocation d'études pour
les externes,
jusqu'au B.E.P.C.
(classe de 3ème) ,
à condition
de justifier, chaque année, d'une~bonne moyenne de fin d'anriée.
La réussite à ce concours libère donc ainsi les parents des
frais de scolarité trop élevés pour eux.
Il va donc sans dire que tout parent souhaite voir
son enfant réussir ce concours. ~1ais, ne peuvent se présenter
à ce concours que les enfants âgés de 15 ans au plus
(I). Ainsi,
à cause des redoublements,
n'est-il pas rare, et cela jusqu'à
présent, aussi bien au Sénégal qu'en Côte d'Ivoire, de voir
des parents diminuer volontairement l'âge de.leur enfant.pour
qu'il lui soit possible de se présenter à ce concours libéra-
teur. Pour ce faire,
soit les parents donnent au grand frère
l'acte de naissance ou le jugement supplétif du petit frère,
quand celui-ci en a
(ou celui de quelquGùnn d'autre de la fa-
mille) ,
ce qui donne généralement trois ans de moins à l'in-
téressé, du fait que le décalage entre deux naissances est
souvent de trois ans
;
soit les parents lui font établir un
(I)
Il existe trois types de concours, tant au Sénégal qu'en
Côte d'Ivoire
lycées
A.
Première série, pour les moins de 15 an~cycle long~~
et
B. Deuxième serle, pour les 15 ans
:cyle court' collèges
C. Un concours pour les plus de 15 ans
: centres techniques

-50-
autre jugement supplétif avec la mention "déclaration tardive",
en lui donnant une autre mère tout en lui gardant son nom,
dans la mesure où la polygamie est encore de coutume à la
campagne
(et même en ville). Et, dans ces cas, généralement
les directeurs et les maîtres d'école se montrent tolérants et ac-
~eptentl'enfant avec son jugement supplétif en feighan~ tout natu-
rellement de ne rien savoir, non pas pour une quelconque
"faveur" de la part des :parents de l'enfant{ce qui existe ce-
pendant), mais, tout simplement, parce qu'ils comprennent cette
"situation" et qu'ils n~ veulent pas prendre de re~ponsabilité
dans ce qui pourrait devenir le désarroi d'une famille.
Et quand i l se trouve que le directeur d'une école
n'accepte pas un tel enfant, ce que l'on rencontre de plus en
plus-maintenant du fait que les directeurs des écoles ne sont
plus souvent des originaires de la région où ils professent,
les parents envoient leur enfant dans une autre école, même si
celle-ci"se trouve très loin de leur village, car ils trouvent
toujours~quelqu'un à qui le confier dans un village près de sa
nouvelle école. Ce qui n'est pas, soulignons~le au passage,
sans poser de sérieux problèmes d!adaptation à l'enfant, et
également des problèmes quant aux conditions concrêtes et ma-
térielles pour travailler ses leçons,
le soir.
Quant à la conclusion de GREENFIELD concernant l'arrêt
définitif du développement intellectuel des enfants de la
brousse non scolarisés, peu après l'âge de 9 ans, nous voudrions
tout juste dire que, avant d'arriver à une telle conclusion,

-51-
qui non seulement remet en cause la théorie de PIAGET quant
aux facteurs collectifs, mais nie toute la culture africaine
et partant,
l'éducation traditionnelle africaine,
tout comme
le colonisateur,
i l aurait fallu prendre en considération un
élément capital de cette éducation traditionnelle africaine
dont MOUMOUNI
(1964)
a tracé les principales caractéristiques.
En effet, dans nos coutumes,
la situation d'entretien avec un
adulte n'est pas familière à un enf~nt. Pire, elle est même
frustrante pour l'enfant,
si on ne la regarde que de l ' exté-
1
rieur. Il y a à ce propos, un proverbe Bété qui dit :"Un enfant
creuse
(doit creuser)
la terre". Ce qui signifie qu'un enfant
ne doit pas soutenir un échange de mots avec un adulte.
Il doit
tout simplement écouter ce q~'on lui dit, sans chercher à répon-
dre, et tout ce qu'il a à faire,
c'est de fixer le sol des yeux.
Et plus un enfant grandit en âge et en sagesse, plus il doit
respecter les adultes et moins i l accepte la situation d'entre-
tien avec un adultej-et cela jusqu'à l'adolescence quelquefois.
C'est seulement dans l'apprentissage de son rôle social,
qui ne commence réellement qu'après 16 ans, qu'un enfant peut
accepter, et non rechercher,
la situation d'entretien avec les
adultes. Et généralement,
c'est le mariage qui met fin à cette
situation de crainte respectueuse du face à
face avec l'adulte,
puisqu'il change de position sociale de par le mariage.
Les ~ésultats de GREENFIELD avec les enfants de la
brousse non scolarisés peuvent tout simplement être dus à cette·

-52-
situation de "crainte r~spectueuse" à l'égard de l'adulte, et
donc à l'égard de la personne de GREENFIELD.
Mais, quand bien même ce ne serait pas le cas, qu'est-
ce qui prouve qu'il s'agit d'un arrêt définitif? Cette hypo-
thèse postule que les adultes africains,
ici sénégalais, ne
sont que de grands enfants de 9 ans d'âge méntal. C'est possi-
ble, mais avant de l'affirmer, GREENFIELD au~ait dû 'examiner
et des enfants non scolarisés, et des adolescents non scolarisés
1
et des adultes non scolarisés pour savoir si réellement les
adultes ne dépassent pas cet âge mental de 9 ans~
Il est donc possible que les résultats de GREENFIELD
avec ces enfants non scolari~és ne tiennent qu'à cette situation
que nous-avoris évoquée plus haut. Mais,
i l est aussi possible
que ces résultats, s'ils étaient vrais, ne
représentent, au
lieu d'un arrêt définitif du développement intellectuel à 9 ans,
plutôt qu~une espèce de "~ilence" ~vant de tepartir~ de tout
. H~TWE~Ls~(I9 66), sur ... Les s aveuglés"~':.:ç;nJ e f f e t ç r V au t.eu.re àf co ns t àt.ë
queu Les s av euq Les ,,;~ àr.uncmoméri hdènné de".leur'::.évoluti6n~(sernblaient
marquer le pas
; mais réexaminés plus tard, à un âge élevé,
ces derniers possédaient non seulement la structure intellec-
·tuelle du niveau auquel ils semblaient s'arrêter, mais égale-
ment les structures intellectuelles des autres âges jusqu'à
celle de leur âge réel. Nous pouvons également faire référence
aux recherches de DA8EN
(I980). Cet auteur a constaté qu'à
partir de IO ans,
le développement intellectuel de l'enfant
esquimau du Canada, dans la conservation des liquides, marquàit

-53-
"un nivellement ou "asymptote"
(DASEN,'I980). Et l'auteur
conclut :
"cette courbe signifie-t-elle que le développement
intellectuel de l'enfant esquimau stagne après l'âge de 10
ans? Certainement pas, et ceci pour différentes raisons
:
Premièrement i l ne s'agit pas là de la courbe de développement
d'un individu
la courbe représente la proportion,
à
chaque
groupe d'âge, des enfants donnant des réponses de stade 3
(1).
C'est cette proportion qui n'augmente plus après un certain
âge. Deuxièmement i l n'est.pas possiblèd'utiliser une quel-
conque épreuve, ni même une combinaison d'épreuves, pour déte'r-
miner LE niveau de développement intellectuel d'un individu;
à ~lus forte raison,
i l est insensé d'attribuer un niveau de
développement à l'ensemble d'une population
( ••• )"(DASEN, 1980)
Or, GREENFIELD a examiné une population d "Lnd Lv i.du s et non un
individu.
Et quelle interprétation peut-on donner à sesrésul-
tats avec ces enfants non scolarisés ?
A notre avis, même si les résultats de GREEHFIELD
étaient vrais et non un "artefact méthodologique",
compte tenu
de la crainte du face à
face que nous avons évoquée plus haut,
rien ne nous empêche de supposer et de croire un développement
intellectuel analogue à celui décrit par HAT\\~LL. Il resterait
alors à déterminer et le moment du "silence" et le temps que
dure ce silerice, c'est-à-dire,
le moment de la "reprise". Car,
selon nous et comme HATlvELL l'indique, s ' i l Y avait silence,
il
(I) Il s'agit de réponses de conservation

-54-
y aurait reprise.
Mais,
il faudrait d'abord prouver qu'il n'y a pas
continuité du développement. Malheureusement, nous n'avons ni
le temps ni les moyens de vérifier expérimentalement ces hypo-
thèses.
Nous ne pouvons donc répondre ni à GREENFIELD, ni à
tous ceux qui croient que le milieu traditionnel africain,'en
tout cas tout milieu qu'on ne considère pas comme "civilisé",
est pauvre en stimulations et donc ne permet pas, ne peut per-
mettre un développement cognitif intégral dans ces différents
stades.
Mais, un environnement humain ordinaire,
fut-il des
plus pauvres, n'offre-t-i1 pas suffisamment de stimulations
(formes, objets, expériences)
pour permettre un développement
intellectuel normal, c'est-à-dire, dans ces stades, mais en
favorisant tel ou tel aspect compte tenu des exigences de son
mi1ieu,7"dans différents domaines,
selon leurs aptitudes et
leurs spécialisations professionnelles"
(1)
(PIAGET, 1972, p. 10).
Dans ce cas, toute interrogation: sur lavé1eur heuristique d'un
milieu culturel donné, . tel le
milieu cul ture1 africain, n' im-
p1ique-t-e11e pas une interrogation sur le système de valeurs
de la société qui crée justement ce milieu culturel ?
(1)
Aptitudes et spécialisations des individus

-55-
Voilà un certain nombre de questions auxquelles nous
ne pourrons tenter de donner quelques éléments de réponse dans
ce travail,
faute d'expérience,
tant i l est vrai que ce
n'était pas là notre thème de recherche à proprement parler.
Cependant,
tout nous incite à croire qu'avec les enfants non
scolarisés,
i l vaut mieux parler,
contrairement à GREENFIELD,
de performance plutôt que deriniveau de développement atteint.
r1alheureusement,
i l est difficile,
et nous le reconnaissons,
d'avoir une idée sur le niveau de développement atteint sans
passer par un jugement sur la performance,
lequel jugement ne
peut se passer que très difficilement des méthodes scolaires.

PREMIERE PARTI E
APPROCHE
METHODOLOGIQUE

-57-
En prenant en considération toutes les critiques des
résultats et de l'interprétation de GREENFIELD, nous avons
entrepris de vérifier les effets de la familiarité de la lan-
gue et du milieu socio-économique, dans l'acquisition de la
notion de conservation ëhez l'enfant ivoirien.
Il faut tout de suite souligner que la Côte d'Ivoire
et le Sénégal, pays où GREENFIELD a réalisé son étude, sont,
tous les deux, des anciennes colonies françaises faisant par-
tie de l'ancienne Afrique Occidentale Française
(A.O.F.)
dont
le gouverneur se trouvait d'ailleurs à Dakar. Devenus indépen-
dants seulement depuis I960, ces deux pays en voie de dévelop-
pement présentent; à plusieurs degrés, moult similitudes.
Dans ces deux pays, Côte d'Ivoire et Sénégal,
l'ensei-
gnement est assuré en Français, du primaire au supérieur, du'
fait de leur passé de colonies françaises.
Il faut,
cependant,
souligner qu'au Sénégal, même pendant la colonisation française,
i l y a eu un début de prise en considération des langues locales
et particulièrement du Wolof. En effet, un instituteur,

-58-
français pourtant, du nom de Jean DARD, qui arriva au Sénégal,
plus précisément à GOREE, en 1916, avait compris qu'une langue,
quelle qu'elle soit, est toujours suffisamment structurée
pour permettre une communication entre les individus qui la
parlent, et de rendre compte complètement des valeurs de la
société que forment ces individus,
fussent-ils des noirs. Il
pensa alors' qu'il valait mieux scolariser les enfants du
Sénégal ~ans une de leurs langues maternelles avant de leur
apprendre le Français. Ainsi, créa-t-il ce qu'il a appelé
"l'école Wolof-française". Cette méthôde·~r.,-:quèelesi.l~ngu1stes,
africains surtout, appellent la "méth.ode Dard" avait, malgré
ses limites,
le mérite de prendre une langue locale comme moyen
linguistique de communication au même titre que le Français.
De ce fâit,
elle s'opposait,
implicitement, à la volonté colo-
nia liste des autorités françaises
; puisqu~elle rendait le
Français, la langue du colonisateur, inutile en prenant la lan-
gue'locale comme instrument d'enseignement. Pour cette raison,
elle fut combattue, son promoteur fut licencié en 1922, et le
Français reprit le dessus, définitivement, en tant qu'instrument
et matière d'enseignement, pour gommer toute "différence des
-..-,
moeurs et de langage". Mais, après l'indépendance du pays,
les
autorités politiques du Sénégal ont pris des initiative~dans
le sens de la réhabilitation du Wolof, et aujourd'hui,
le Wolof
est une langue écrite, et même admise dans les bureaux quoique
officieusement, et on l'enseigne aux paysans alors que le
Français reste toujours moyen et matière d'enseignement dans le
système scolaire. Ce n'est pas le cas de la Côte d'Ivoire où,

-59-
malgré de timides initiatives,
la situation linguistique n'est
pas encore fondamentalement différente de celle de l'époque
coloniale.
En Côte d'Ivoire,
les disparités économiques, tant entre
les individus qu'entre les régions, atteignent certainement le
même niveau
(sinon plus)
qu'au Sénégal, toutes proportions gar-
dées, selon que tel individu a fait des études plus poussées
ou est issu d'une famille aisée que tel autre, et selon que
telle ou telle région est plus~ riche naturellement ou favorisée
par les autorités que telle autre. La capitale de la Côte
d'Ivoire, Abidjan, vit, comme celle du Sénégal, Dakar, au rythme
de l'occident dans certains quartiers avec l'élite ivoirienne
ou sénégalaise, et les européens, principalement français.
Il
faut aussi savoir qu'Abidjan et Dakar, villes portuaires, ont
bénéficiées, toutes les deux,
très tôt, des avantages, mais
aussi des inconvénients, de la colonisation française. Quant à
la brousse,
la campagne, des deux pays, i l serait faux de dire
qu'elle n'a pas connu l'influence de la colonisation. Cependant,
nous pouvons affirmer que ce que l'on appelle "l'intérieur" des
deux pays n'a pas connu des bouleversements aussi 'importants
que la Côte, dans la mesure où l'organisation sociale de cette
campagne est restée pratiquement inchangée. Cette organisation
sociale repose sur les groupes ethniques, à l'intérieur desquels
ont été dessinés des cantons dans lesquels des villages forment
des tribus, c'est-à-dire, des villages ayant la même histoire,
se
rattachant à)un même ancêtre. Les habitants de cette brousse qui

-60-
représentent entre 70 et 80 % de la population active de
chaque pays, vivent essentiellement du produit de la terre
plus ou moins ingrate selon les régions. Par ailleurs,
les mo-
yens nécessaires à un véritable développement économique et
social y font encore cruellement défaut, alors que les capi-
tales s'industrialisent et s~ modernisent (sanitaire, eau pota-
ble courante, électricité, etc.)
D'autre part, dans ces deux pays, on parle plusieurs
langues nationales
(1)
alors que le Français 'est la langue of-
ficieuse. Et le Wolof que GREENFIELD a utilisé pour son étude,est
une des langues dominantes, sinon la langue dominante du Sénégal.
Pour notre étuàe, nous allons utiliser une des langues dominantes
de la Côte d'Ivoire,
le Bété.
Par ailleurs,
il faut souligner,que le Wolof et le Bété,
"
4':-
comme la plupart àes langues africaines d'ailleurs, ont une
certaine unité de structure. En effet, entre le Bété et le Wolof,
comme entre les langues ivoiriennes,
i l y a plusieurs points
communs, plusieurs "isomorphismes". Entre autres, des isomorphis-
mes sur ce que les linguistes appellent la "syntaxe de coordina-
tion"
(exemple, utilisation d'un seul rnorphè~e pour désigner
"et" et "avec"), et dans l'emploi des noms de parties du corps
(I) Nous osons employer le qualificatif de "nationales" pour les
langues africaines dans la mesure où, pour le Wolof par exemple,
80 % des Sénégalais comprennent:.la langue.

-61-
propre en fonction relationnelle, spatio-temporelle
(1).
(1) Nous ne sommes pas linguiste:
et nous ne comprenons pas le
Wolof non plus. Cependant, nous avons essayé, auprès de quelques
Sénégalais parlant Wolof, de trouver quelques points d'analogie,
entre Wolof et Bété, dans ce domaine spatio-temporel. Nous trou-
vons que ces deux langues, comme la plupart des langues africaines,
utilisent :
"Ventre" pour traduire "dans", "à l'intérieur de"
..' "Tête"
pour
"sur",
"au sommet de"
"V.isa9J::" pour
"devant",
"en face de"

-62-
CHAPITRE l
RAPPORT BILINGUISt-iE-DEVELOPPEHENT COGNITIF,
HXPOTHESES ET PLAN DE RECHERCHE
A.
BILINGUISME ET DEVELOPPEIlliNT COGNITIF
Avant de voir nos hypothèses et notre plan de travaïl,
essayons, dans un premier point, d'apprécier les rapports entre
bilinguisme et développement intellectuel, puisqu'il est de~coutu-
me de considérer bilingues les enfants africains dans la mesure
oü ils possèdent, généralement,
leurclangue maternelle avant
d'apprendre le Français, mais également dans la mesure oü l'on
considère l'Afrique comme "francophone" ou "anglophone". Mais,
avant tout, qu'est-ce qu'une langue? "Une langue, nous dit
r~RTINET (I960), est un élément de communication selon lequel
les expériences humaines s'analysent différemment dans chaque
communauté en unités douées d'un contenu sémantique et d'une
expression phonique,
les monèmes. Cette expression phonique
s'articule à son tour en unités distinctes[et successives,
les
phonèmes, en nombre déterminé dans chaque langue, dont la na-
ture et les rapports mutuels différent;:, eux aussi d'une langue
à l'autre"
(page 25). Remarquons que la première partie de cette
citation est d'une importance capitale à nos yeux de profane
de la linguistique. En effet, s ' i l nous est impossible de parler,

-63-
du point de vue linguistique, de "langues" en Afrique du fait
que nous n'avons pas la formation requise,
la première partie
de la citation nous autorise, par contre, de parler de langues
en ce sens qu'une langue est le véhicule de la culture de toute
communauté humaine, et l'expression même de cette culture. Et
dans la mesure oü i l nous est permis de parler de "sociétés
humaines" en Afrique, alors, nous pouvons parler de "langu~s".
Mais, voyons le bilinguisme de près pour mieux apprécier
ses effets sur le développement cognitif. Qu'est-ce donc que le
bilinguisme, sinon le fait de comprendre ou lire, et parler ou
écrire deux langues, qu'elles soient de grande diffusion (cas
du Français et de l'Anglais, par exemple), ou de faible dif-
fusion
(cas du Bété et du Baoulê
(1), par exemple), ou de l'une
et de l'autre
(Bété et Français par exemple). D'après les lin-
guistes,
i l existe deux sortes de bilinguisme: 1)
le bilin-
guisme primaire où les deux langues sont~~pprises~simultanément
et 2)
le bilinguisme secondaire, où les deux langues sont ap-
prises l'une après l'autre. C'est ainsi que nous pouvons dire
que le bilinguisme est une situation fréquente en COte ~'Ivoire
du fait des contacts et échanges entre ethnies. Ce bilinguisme
de faible diffusion est généralement, sinon toujours, secondaire.
De même, parlant du Français ou de l'Anglais, et d'une
langue africaine, nous pouvons affirmer qu'il s'agit là d'un
bilinguisme secondaire, presque toujours. Mais,
ici, peut-on
réellement parler de bilinguisme? Les Africains en général, et
les Ivoiriens en particulier, notamment les Bété, sont-ils de
(1)
Le Baoulé est une des langues dominantes de Côte d'Ivoire

-64-
véritables bilingues ? Il est facile de répondre par la néga-
tive à cette question,
"car la proportion des Africains capa-
bles de s'exprimer avec quelqu'efficacité dans ces deux langues
(Français et Anglais)
(1)
ne dépasse probablement pas ro % de
la population globale
(KOUADIO, 1977, p.
61). On ne peut donc
pas parler d'Afrique"bilingue", pas plus que ~'Afrique "franco-
phone" ou "anglophone". Hais, dans le cas de quelques individus,
on peut parler de bilinguisme.
Mais, quel est l'effet du bilinguisme, qu'il soit de
grande ou de faible diffusion, sur le développement cognitif?
En COte d'Ivoire, KOUADIO
(1977)
a montré qu'il existe des
"interférences linguistiques et socio-culturelles" du Baoulé
dans~l'enseignement du Français". C'est dire qu'il existe un
effet ; mais quel est-il ?
Certains auteurs pensent que le bilinguisme a un effet
défavorable sur le développement cognitif. Le fait de comprendre
et parler deux langues, selon ces auteurs, provoque des diffi-
cultés chez l'enfant qui n'arrive pas alors à formuler et à ex-
primer sa pensée. C'est le fameux "handicap linguistique" qui
explique le retard,des Africains, par exemple. C'est la posi-
tion des auteurs comme VERN0N
(1969). Et si l'on considère ce
problème comme la difficulté de traduire une pensée qui s'est
formée dans une langue autre que celle dans laquelle on doit
(1) Les parenthèses et leur contenu sont ajoutés par nous

~65-
l'exprimer, KOUADIO
(1977), se rattache à cette position quand
il ~crit : "l'enfant africain, ne comprenant pas, ne pouvant
raisonner,
ne pouvant avoir claires à l'esprit les idées que
les mots français expriment ••• "
(p. 12)
(1)
a de la peine à
progresser.
D'autres auteurs, au contraire, pensent que le bilin-
guisme est favorable au développement cognitif du fait qu'il
permet une plus grande souplesse de la pensée. L'enfant a une
plus grande flexibilité du point de vue i~tellectuel du fait
que le bilinguisme lui offre plusieurs possibilités, des
nuances possibles.
D'autres auteurs, enfin, pensent qu'il faut analyser
chaque cas, que, en effet,
tout dépend des conditions d'appren-
tissage de la deuxième langue et de son utilisation.
Quant aux langues africaines, d'une manière générale,
elles sont jugées pauvres en notions abstraites, par certains
auteurs qui ne prennent même pas la peine de dire ce qu'est
justement une "notion abstraite". Toujours est-il que du fait
de cette pauvreté, ces auteurs pensent qu'elles présentent un
"handicap" pour le développement intellectuel des Africains et
que, pour supprimer ce "handicap linguistique",
i l est
(1)
La position de KOUADIO est aussi d'ordre péd~gogique, car
elle s'attache plutôt à dénoncer et le fait
(différence de
langues)
et la manière dont les petits Africains apprennentle
Français. Ce qui expliquerait leurs mauvais résultats.

indispensable que les Africains apprennent une langue riche
en notions abstraites, par exemple, Anglais, Français, etc •••
C'est la position de certains auteurs que l'on considère gé-
néralement comme des "africanistes", OMBREDANE
(1951)
par:
exemple. Ces auteurs font donc le postulat, en plus et avant
celui de la pauvreté des langues africaines, que la langue
est la condition non seulement nécessaire, mais suffisante et
sine qua non du développement intellectuel.
Rappelons que la conception piagétienne du dé v e'Loppe>
ment intellectuel est bien différente : elle considère le lan-
gage comme "une condition nécessaire et non suffisante de la
construction des opérations logiques"
(PIAGET, 1954a p. 113).
D'autres auteurs pensent que la langue matèrnelle,
tra-
ditionnelle, dans le cas de l'Africain, permet à l'enfant de
se montrer plus actif du fait qu'il la possède mieux. Cette
position consiàère l'activité comme l'élément moteur du déve-
loppement cognitif
(ce qui est piagétien). C'est le cas des
auteurs comme HAISTRIAUX (1960). r1ais cette position fait éga-
lement l'hypothèse que la maîtrise de la langue entraîne des
progrès sur le plan intellectuel. C'est l'hypothèse de la fa-
miliarité de la langue de GREENFIELD.
D'autres auteurs encore pensent que,
la langue étant
essentiellement un moyen de communication,
i l est plus que né-
cessaire que l'enfant possède sa première langue, sinon, au cas

-67-
où i l Y àurait un échec dans l'apprentissage de la langue
étrangère,
l'enfant ne possèderait plus aucun moyen de commu-
nication, même dans sa société.
D'autres auteurs, enfin, pensent que,
la langue étant
le véhicule desva1eurscu1ture11es,pour sauvegarder ces va-
leurs,
i l est indispensable de conserver et de développer les
langues africaines. C'est la position de ~~UMOUN1 (1964), de
GUE1
(1977)
et tant d'autres encore. C'est dans cet ordre
d'idée que HMIPATE TA, un auteur africain,affirmait que "la
mort d'un vieillard équivaut, en Afrique,
à
l'incendie d'une
bibliothèque".
Ces deux dernières positions sont d'ordre-culturel et
ne concernent pas notre travail, mais c'est à la dernière posi-
tion que nous donnerions notre accord en ce sens que la langue
est le moyen privilégié d'expression de la personnalité. cultu-
relle d'une communauté. Nous pensons donc qu'une langue natio-
nale qui disparait, en Afrique, c'est, non seulement un instru-
ment de communication qui disparait pour ceux qui le perdent,
mais la philosophie même,
la conception de la vie, qui dispa-
rait pour cette communauté. Etre privé de sa langue maternelle
alors qu'on est chei soi, c'est être privé de soi, de ses raci-
nes, de sa véritable identité.
Cette présentation nous semblait nécessaire pour mieux

-G8-
saisir nos hypothèses, et donc notre plan, mais surtout pour
suivre la discussion de ces hypothèses eu
égard à nos résul-
tats. Cela étant fait,
présentons maintenant nos hypothèses
de recherche desquelles découlera le plan d'investigation~
B.
HYPOTHESES DE RECHERCHE
Nous entendons, dans ce travail, vérifier, dans l'acqui-
sition des opérations concrètes de conservation chez~llenfant
ivolriën,;:~n:pre:1ant le cas de l'enfant> Bété: I) l'effet de.~.l.!.ori-
gine socio-économique, .c'est-à-dire ; l è fait de vivre envv t l Le ou
à la campagne; 2)
l'effet de la langue maternelle, c'est-à-
dire, de la langue familière à l'enfant comparée à la langue
non familière : dans la mesure où les enfants de la campagne
ne parlent le Français qu'à l'école, et le Bété ~leur langue
maternelle) pendant le reste du temps de leur vie quotidienne,
nous considérons le Bété comme leur langue familière,
et le
Français leur langue non familière ; au contraire, pour les
enfants de la ville,
le Français sera considéré corr~e leur
langue familière et le Bété leur langue non familière
les
enfants de la ville ont, en effet, plus de contacts avec le
.
...
Français~pendant leurs jeux hors de l'école avec leurs cama-
rades, à travers la radio,
la télévision,
la presse écrite, et
avec leurs parents qui parlent souvent le Français;
3)
l'in-
teraction des deux facteurs précédents : le milieu socio-écono-
mique et la langue familière.

-69-
C. PLAN DE RECHERCHE
Le plan classique consiste à prendre, pour chaque
groupe d'âge et dans chaque milieu, deux groupes indépendants
. dont l'un sera interrogé en Bété et l'autre en Français. Ce
plan a l'avantage d'être économique du point de vue temps,
car on ne voit chaque enfant qu'une seule fois,
et tout en-
fant peut être remplacé par un autre du même milieu et du même
âge. Cependant,
i l a l'inconvénient de ne pas maîtriser parmi
les différences individuelles~ dues précisément à ce que
PIAGET appelle "les facteurs d'auto régulation", celles qui
dépendent plutôt des individus que du milieu.
Pour éviter cet inconvéRient, i l faut alors constituer
des groupes appariés: un seul groupe d'enfants à chaque niveau
d'âge et dans chaque milieu. Ce groupe passera les épreuves
par deux fois
une première fois,
dans la langue la moins fa-
rnilière, et, la deuxième fois, dans la langue familière.
Si
nous utilisons plusieurs épreuves,
l'ordre de passation des
épreuves devra être l'inverse, à la deuxième passation, de ce
qu'il fut à la première. Ainsi ~'effet d'ordre sera maîtrisé.
Le délai entre les deux passations variera entre 7 et 12 jours.
Mais,
ce plan aussi a un inconvénient : puisque chaque
enfant passera les items par deux fois,
n'y aura-t-il pas un
effet d'apprentissage? Et si oui, comment dissocier, dans les
résultats, cet effet d'apprentissage de celui proprement dü à
la familiarité de la langue ?

Pour réponàre à cette question, une première étape ,
est donc
nécessaire àans notre travail. Au cours de cette pre-
mière phase, chaque enfant passera par deux fois
les épreuves
mais dans la même langue:
la langue la moins familière, c'est-
à-dire le Français pour les enfants de la campagne ou brousse,
et le Bété pour ceux de la ville,
toujours avec le même délai.
Le résultat de cette phase de travail nous permettra de
choisir entre ce plan de groupes appariés et celui de groupes
indépendants, selon qu'il y a ou non un effet d'apprentissage.
Si cette phase du travail nous montre un effet d'apprentissage,
nous choisirons alors le plan de groupes indépendants. Et dans
ce cas,
l'effet d'ordre sera maîtrisé en faisant passer, dans
chaque milieu et dans chaque langue, à un enfant sur deux les
épreuves dans un ordre différent. Par exemple, un enfant passe-
rait les épreuves dans l'ordre liquide-longueur et l'autre, du
même âge et du même milieu, passerait ces épreuves dans la même
langue, mais dans l'ordre longueur7liquide.
Nous verrons également, avec nos résultats,
à quels
âges nos épreuves sont sensibles.

-71-
CHAPITRE II
PRESENTATION DES EPREUVES, DES CONSIGNES
ET DE L'ECHANTILLON
A.
PRESENTATION DES EPREUVES
Toute recherche dans une culture donnée
doit néces-
sairernent tenir compte des valeurs de cette culture pour le
choix ou la construction des épreuves, faute de quoi,
les ré-
sultats obtenus avec ces épreuves n'auraient aucun sens. Pour
le choix de nos épreuves, i l a donc fallu prendre en compte la
spécificité de la culture Bété, milieu dans lequel nos enquêtes
ont 'été menées. Et nous avons choisi les épreuves àe la conser-
vation des quantités continues
(liquides)
et de la conservation
de la longueur
(1), auxquelles nous avons tout juste fait allu-
sion à la fin du chapitre précédent. Voyons de plus prés ces
épreuves et d'abord pourquoi nous les avons choisies.
En effet, l'appréciation des quantités de liquide n'est
pas quelqueschose d'étranger dans la culture Bété. Bien que
les instruments utilisés traditionnellement ne soient pas trans-
parents, on apprend quand même
a apprécier la quantité d'eau
contenue àans un récipient quelconque en se référant aux di-
rnensions de ce dernier et au n~veau du liquide, par exemple,
(1)
Il nous semble plus intéressant de travailler avec deux
épreuves plutôt qu'avec une seule comme GREENFIELD l'a fait
dans sa recherche.

-72-
la qU~ntitâ de "banqui" (une, boisson:" acoolisée tirée de:la's~ve
du~palmi~r)~~dan~ des~"gobel~tS~:pour cettec~preuv~'donc,~nousal-
lons utiliser' 2 :8ros verrès,::;id"entfq~;~s;(' 4 petits, verres Lde nt.Lque s
et l
long v~rre_étroit~ Ces:tro~~Lty~es~de~verretsonttnette~ent
distincts, du point de vue des dimensions,
les ~ns des autres,
et cela à vue d'oeil. Ce sont tous des verres transparents.
Nous allons également utiliser l'épreuve de la conser-
vation de la longueur parce que cette épreuve non plus ne pose
1
pas de problèmes, à notre avis,
sur le plan culturel. En effet,
le Bété se sert soit de' ses mains
(en oppo s ant; le pouce et le
reste de la main} surtout le majeur)
pour mesurer les petites
longueurs, soit d'objets de la nature quand i l s'agit de
longueurs plus grandes, Parmi ces objets de la nature, on note
prin<:ipalement toutes sortes de cordes, et le "bambou"
(la
branche du palmier raphia) • Et, pour avoir un matériel à la
fois non scolaire et assez familier aux enfants, nous allons
justement. préférer "des morceaux de bambou aux baguettes qu'on
utilise ordinairement. Ainsi, aurons-nous quatre morceaux de
bambou dont un de 20 cm, deux de 25 cm, et un de 30 cm (1).
B.
PRESENTATION DES CONSIGNES
Pour la conservation des quantités de liquides, nous
présentons à l'enfant les deux gros verres identiques et, en
(1) La technique des, liquides est empruntée à PIAGET et INHELDER,
1941, revue par E. FERREIRO
(1971). Celle de la longueur, à
PIAGET et INHELDER, 1948, par VINH BANG, in Standardisation des
épreuves de PIAGET, INHELDER - Non publié; communiqué par
F. LONGEOT

sa présence, nous
versons une certaine quantité de liquide
dans l'un des deux verres, puis nous proposons à l'enfant d'en
verser autant dans l'autre. Une fois l'égalité constatée, nous
présentons le long verre et nous proposons à l'enfant d'y ver-
ser le contenu du verre que nous venons de remplir. Mais, avant
de transvaser le liquide, nous demandons à l'enfant d'anticiper
sur le niveau que le liquide atteindra dans ce long verre. Les
deux termes possibles utilisés en Bété se traduisent littéra-
i
lement :
"où ça va arr iver ? Il et "où ça va s'arrêter ?"
(I).
Dans nos recherches nous avons plûtot utilisé la première ex-
pression. Après la réponse de l'enfant, nous effectuons le
transvasement et retirons, de la vue de l'enfant,
le verre vide.
Nous demandons alors à l'enfant s ' i l y a la même quantité de
liquide dans les deux verres
(le gros et le long). Puis, nous
lui demandons de justifier sa réponse. En cas de réponse non
conservatoire, nous lui demandons co~~ent on peut faire pour
retrouver l'égalité. S'il ne pensé pas de lui-même au retour du
verre disparu, nous lui proposons de verser l'eau du long verre
dans le gros verre que nous avions enlevé et que nous ramenons
sur la table de travail
(sans toutefois lui suggérer que c'était
là la bonne réponse). Mais avant d'effectue~ l'opération nous
lui demandons d'anticiper sur le niveau du liquide dans le 2ème
gros verre. Le transvasement effectué, nous enlevons le long
verre et présentons les quatre petits. Nous transvasons le li-
quide d'un gros verre dans les quatrepetits~etnousposons
,
(1) "Le u: K~ b~. ~é " où ça va arriver
"Lè, u. Ki::> b:a baléne " où ça va s'arrêter
- -...--'--
. , .~-

les questions de conservation, avec une contre suggestion (1).
Si la contre-suggestion met l'enfant sur la bonne voie alors
que la première phase était fausse,
nous revenons à la première
phase. Mais s ' i l échoue, nous considérons l'échec.
Pour la conservation de la longueur, nous présentons
les quatre morceaux de bambou à l'enfant et nous lui demandons
dlen choisir deux qui ont la même longueur,
et nous lui deman-
1
dons de justifie~ son choix par la question "pourquoi n'as-tu
pas pris ça et ça
(celui de 20 cm et celui de 30 cm)". Quand
i l ne trouve pas les deux égaux tout seul, nous insistons un
certain temps, et, finalement,
nous l'aidons si nécessaire.
Nous retirons alors les deux autres bâtons pour ne conserver
devant l'enfant que les deux égaux. Nous les mettons parallèles,
puis, dans une première phase, nous décalons, d'à peu près le
tiers,
le bâton le plus éloigné de l'enfant sur la table, sur
la droite de celui-ci et nous lui dem~ndons si"les deux bâtons
sont de même longueur. Nous lui demandons alors de justifier
sa réponse, par la question "comment le sais-tU"?". Le bambou dé-
calé:est
alors ramené à sa position initiale. Puis,
nous dé-
calons le deuxième sur la gauche de l'enfant et posons les
mêmes questions de conservation. Enfin, après avoir ramené le
bambou dans sa position initiale, nous décalons simultanément
les deux bambous
(combinaison du 1er et du 2ème item), et nous
(1)
"Tu m'as dit qu'il y a plus ici parce que ••• , un autre
enfant m'a dit que c'est là qu'il y a plus parce que ••• ".
On prend le contraire de l'argument de l'enfant pour le mettre
en défaut.

-75-
posons les mêmes questions de conservation ; selon sa réponse
.•._"•._. - __ .. _0._ :.~:..,.
-:-.
à cette questio~ à~cetit~mi nous lui faisons donc une contre
suggestion, comme dans la conservation des quantités de liquide.
Si la contre suggestion fait.qu'i1 réussit, nous reprenons
toute l'épreuve. Par contre, s ' i l échoue, nous considérons
l'échec.
Dans ces épreuveszdes liquides et de la longueur, nous
considérons une épreuve réussie s ' i l y a succès franc à tous
les items.
C.
PRESENTATION DE L'ECHANTILLON
Notre thème d'étude nous impose de comprendre les 1an-
gues familières des enfants auxquels nous nous adressons, du
fait même que nous cherchons, entre autres, à vérifier l'effet
de la familiarité de ces langues. Si la langue familière en
milieu urbain ne pose aucun problème, puisque nous écrivons
ce travail dans cette langue q~'est le Français, la langue en
milieu rural,
la langue locale donc,
a posé un problème. Fa11ait-
i l avoir recours à un interprète, ou comprendre soi-même la
langue? Nous avons opté pour la deuxième solution. C'est ce
qui explique notre choix des sujets Bété pour la simple raison
que la langue Bété est notre langue maternelle et que nous
ne compren ons pas toutes les langues ivoiriennes. Comme nous

-76-
l'avons indiqué dans la présentation des "hypothèses de recher-
che",
le Bété sera donc considéré comme "langue familière"
pour les enfants ruraux,
et "non familière" pour les urbains
et le Français,
"langue familière" pour les urbains,
et "non
familière" pour les ruraux. Quell~~sera alors la portée de nos
généralisations sur l'enfant ivoirien?
A propos d'enfant ivoirien,
i l faut certainement faire
quelques précisions, et cela pour mieux présenter notre échan-
tillon. La notion "d'enfant ivoirien", à notre avis, est une
notion assez limitée, tant sur le plan linguistique que sur le
plan de l'environnement sociologique.
l
-
Sur le plan de la langue
D'une manière générale,
le problème linguistique
divise encore, en Afrique,
les peuples. En effet,
i l y a autant
de langues ou plus exactement de "parlers" que d'ethhies, et
donc de cultures. Cependant, dans plusieurs pays africains, on
rencontre des langues qui ont la même nomenclature et qui se
ressemblent. On peut donc consituter des "familles linguistiques"
au delà des frontières; arbitraires issues_de_lacolonisation,
sans compter que dans des pays différents, on rencontre souvent
le même parler. C'est, par exemple,
le cas du Bété qui est par-
lé tant au Libéria q~~en COte d'Ivoire. Et même dans le cas
de langues qui ne sont pas de la même famille linguistique,
ces langues ne sont pas aussi différentes entre elles qu'elles
ne le sont du Français par exemple. Ainsi, KOUADIO
(1977)
peut-

-77-
i l dire que "pour un Africain,
l'acq~isition d'une langue afri-
caine autre que sa langue maternelle ne pose pas les mêmes
problèmes que l'acquisition d'une langue européenne" (p.228).
- Cette situation se retrouve en Côte d'Ivoire qui
compte un assez' grand no~~re d'ethnies et donc de parlers. C'est
ainsi que certains dénombrent plus d'une soixantaine de langues
en Côte d'Ivoire, ce qui amène le professeur Pierre ALEXANDRE,
dans son~livre Langues et langage en Afrique Noire, à classer
ce pays parmi les Etats africains" à forte hétérogénéité lin-
guistique". Mais, pour peu qu'on veuille considérer ces langues
ivoiriennes on se rend vite compte qu'ë11es ne sont que les
différents parlers de quelques grandes familles linguistiques
ou groupes linguistiques, à l'intérieur desquelles l'incompré-
hension est presque totale. Ainsi, peut-on grouper ces diffé=
rents parlers ivoiriens en 4 grands groupes linguistiques :
AKAN-LAGUNAIRE ; MANDE ; KROU ; SENOUFO ou VOLTAIQUE
(voir carte
linguistique page suivante) •
• Le groupe AKAN-LAGUNAIRE :
i l se situe géographique-
ment au centre, au sud et au sud-est du pays. Avec une popula-
tion de locuteurs estimée à 2.164.440 selon le recensement de
1975 cité par BOURGOIN et GUILHAUME
(I979)i1 constitue le pre-
mier groupe linguistique. Sur le plan culturel, signalons que
ce groupe est le seul groupe ethnique matrilinéaire de Côte
d'Ivoire. Ce groupe se divise en deux sous groupes: 1)
le
sous groupe AKAN qui comprend 5 parlers dont l'Agni-Baoulé

CÔTE - D' IVOIRE
-------.------.---.---~l
r- -
SCHEMA ETHN IQUE_ - -
1
J
i
1
1
---~-- -
l\\,\\aouë du Nord l771 ~
ou Manding
tLL::J \\ GROUPES MANDE
1
Limite de Groupef
Mandé du Sud DJJ )
Subdivisions ethniquas
bd
AB LABWJI Ethnies
GROUPE VOLTAIQUE
1~~:0:l GROUPE KfWU
t:~~:.:::i
,.-r-'777J7~ ftRQ"P"" AKAN
({0~'2;; IJ cl -C

-79-
2)
le sous groupe LAGUNAIRE ou KWAKWA qui compte II parlers
différents avec seulement un total de locuteurs de pas plus
.de 400.000 •
• Le groupe l1ANDE. Ce groupe est probablement le groupe
linguistique le plus important d'Afrique occidentale. Selon
ALEXANDRE, le nombre de ses locuteurs est de près de 20 millions,
répar~is entre le Mali, la Guinée-Bissau, la Gambie,
la Haute-
Volta,
la Sierra-Lèone,
la Mauritanie,
le Sénégal et la Côte
1
d'Ivoire.
En Côte d'Ivoire,
ce groupe linguistique,
le deuxième
en nombre de locuteurs
(1.329.340),
se situe au nord-ouest et
à l'ouest du pays, mais aussi à
l'intérieur du domaine SENOUFO
(voir sur la carte la position des Dioula).
Il se divise en
deux sous groupes
: 1)
le sous groupe des MANDE du nord qui
comprend 4 parlers dont le
Diou.la.Bien que géographiquement si-
-
tués,
ces 4 parlers se retrouvent un peu partout en Côte d'Ivoire
du fait que leurs locuteurs sont généralement des commerçants
;
2)
le sous groupe des ~ffiNDE du sud qui compte 2 parlers, Yacouba
ou Dan et Gouro •
• Le groupe KROU
: i l occupe géographiquement le centre-
ouest,
l'ouest èt le sud-ouest du pays,
la région forestière.
Troisième en nombre de locuteurs
(871.870)
i l comprend 3 sous.
groupes
: 1)
le sous groupe Bété,
formé de 5 parlers dont le
Bété, celui dans lequel nous avons travaillé
;
2)
le sous groupe
Guéré, avec 5 parlers également dont le Guéré ou Wé ;
3)
le sous

-80-
groupe Bakwé,
formé de 6 parlers •
• Le groupe SENOUFO ou VOLTAIQUE : cette famille lin-
guistique dont on rencontre certains parlers dans des pays
autres que la Côte d'Ivoire, particulièrement la Haute-Volta,
se situe au nord et au nord-est du pays. Il comprend 6 parlers
dont le Sénoufo. Avec ~2I.8IO locuteurs, il est le 4ème groupe
linguistique du pay~.
Voilà la situation ethnico-1inguistique de la Côte
d'Ivoire.
Il va sans dire que 1es!~ratiques sociales, et les
pratiques éducatives varient d~ungr6upe~à~1!autre; Et~si~les
pratiques~édtieatives rendent compte des différences observées
dans les différents milieux socio-économiques, comme LAUTREY
(I980)
en fait l'hypothèse,
la situation ethnico-1inguistique
de la .Côte d'Ivoire limite quelque peu la portée de généralisa-
tion de toute étude psychologique sur "l'enfarit ivoirien". Mais,
nous pensons quand même que la généralisation psychologique est
possible parce qu'on retrouvera, en dernière analyse, un certain
fo~d culturel commun aux sociétés africaines, comme DIOP (I960)
l'indique, même si souvent,
les expressions sont différentes.
2 - Sur le plan de l'environnement sociologique
Nous avons dit, dans l'introduction de cette première

-81-
partie, que les disparités économiques étaient grandes en Côte
d'Ivoire, comme au Sénégal et sûrement dans la plupart des pays
africains. En effet, i l existe un contraste frappant entre le
milieu rural traditionnel et le milieu urbain moderne, du fait
des ~oyens socio~économiques, mais aussi et surtout du fait de
la conception différente de la'vie actuelle, et ce à propos de
l'école •
• En effet, alors que le milieu urbain considère l'école
comme un "bien nécessaire", voire indispensable,
le milieu ru-
ral traditionnel, c'est-à-èire, en fait,
l'Afrique dans 60 %
de sa population (si ce n'est pas plus), perçoit l'école comme
un "mal nécessaire". Parce que l'école est une forme d'éducation
qu~ sOustrait l~enfant à l'initiation à la vie par les "vieux",
et donc à leur pouvoir,
leur autorité. Le maître représente
désormais le père et la mère,
la famille,
car non seulement i l
a la charge de transmettre la connaissance que seuls les vieux
possédaient, mais i l a autorité d'exiger de l'enfant un compor-
tement, et ce selon les normes d'une société autre que la socié-
té traditionnelle.
Au début donc,
l'école était totalement rejetée en mi-
lieu Bété du fait qu'elle transforme l'environnement physique.
L'enfant était souvent dans une école qui se trouve à près de
200 km de son village natal, et de ce fait,
n'allaient à l'école
que les inaptes aux travaux des champs: c'était donc une pu~­
nition vue du côté du jeune écolier. L'école transforme aussi
l'environnement spirituel en ce sens que le Bété y faisait

-82-
l'apprentissage de sa soumission,
condition que le Bété refuse
généralement, comme l'étude de GUEI
(I977)
l'a montré. Si
donc cette forme d'éducation d'importation a fini par s'impo-
ser au Bété, ce n'est certainement pas de gaité de coeur qu'il
l'a acceptée.
Ainsi, si les enfants urbains peuvent bénéficier de
l'aide de leurs parents dans leurs études, parce que ces der-
niers savent lire et écrire et surtout parce qu'ils veulent la
1
réussite de leurs enfants, à
la campagne, les parents d'élèves
non seulement ne peuvent pas aider leurs enfants du fait qu'ils
ne savent pas lire, mais surtout ne sont pas moralement motivés
pour les pousser au travail,
à
la "soumission", donc,
exception
faite de ceux qui considèrent le côté économique, rentable à
long terme, de l'école beaucoup plus que le côté de l'honneur
dans la tradition.
• Cette différençe entre ruraux et urbains se retrouve
également dans les jeux des enfants. Alors que les urbains ont
des jouets et. des~jeux=du_ge~e de ceux que. l'on rencontre en occi-
dent
(voiture, vélo etc.),
les jeux des enfants de la campagne
sont construits par eux-mêmes, et ils ne sont le plus souvent
(pour ne pas dire toujours)
que l'imitation des modèles compor-
tementaux des adultes
(construction de maisons avec de la terre,
ou de petites branches d'arbres pour les plus âgés, construction
d'équipement de chasse et simulacre de chasse, etc ••• pour les
garçons; et simulacres de culture des champs, de travaux ména-
gers, etc ••• pour les fi11e~. En fait, ils jouent à leurs rôles

-83-
sociaux de plus tard •
• On observe également cette différence entre les en-
fants des deux milieux dans les relations entre parents et en-
fants. Nous avons souligné plus haut, dans la "critique de la
recherche àe GREENF1ELD", que la situation d'entretien avec un
adulte n'est pas familière à l'enfant africain, c'est-à-dire,
l'enfant de la campagne. En effet, dans les sociétés africaines,
1
et nOLamment dans la société Bété,
l'information circule de ma-
nière horizontale et non verticale, c'est-à-dire, entre les
membres d'une même classe d'âge et en tenant compte du sexe.
Et on peut ainsi distinguer quatre classes d'âge selon le sexe
les aàultes,
les adolescents,
les 7-14 ans
(2ème âge social)
et les 3-6 ans
(le 1er âge social). Cepèndant le cloisonnement
de ces classes est relatif
(quoique total dans certains domaines
comme la prise des repas)
;
l'information peut passer d'une
classe à l'autre, et d'un sexe à l'autre souventd~ns le sens
descendant. Néanmoins,
les adultes s'adressent rarement aux
enfaats, si ce n'est pour donner un ordre ou un avis bref, à
tel point que les enfants verbalisent peu en face des premiers
nommés, surtout les 7-14 ans. En effet, à ce 2ème âge social,
les enfants grandissant en âge mais aussi en sagesse, sont de
plus en plus pris en considération par les adultes. Et de ce
fait,
les enfants doivent encore plus de respect aux adultes.
Cette situation survit encore à la campagne, notamment dans le
milieu Bété, alors qu'en ville,
la vie moderne ayant imposé un
type architectural
(l'appartement), et des rencontres à heures

-84-
précises
(~atin-midi-soir pour les repas), un nouveau type de
relation s'est imposé:
la relation "triangulaire" avec "père-
mère-enfants".
Il se trouve,
par conséquent, que les enfants
urbains ne sont plus perturbés
(1)
par la présence des adultes.
En plus de cette situation avec les parents qui leur enlèvent
toute timidité,
les enfants urbains ont la télévision(2),la.radio
le cinéma et le journal.
3 -
Sur le plan de l'homogénéité intragroupe
Alors que le milieu rural est relativement homogène
quant aux moyens mis à
la disposition des enfants,
le milieu
urbain est très hétérogène.
Non seulement i l y a un contraste-
entre les villes moyennes et Abidjan, mais à
l'intérieur
d'Abidjan même, comme certainement dans toutes les capitales
africaines,
et voire des pays en voie de dêve Loppemerrt ;
la dif-7
férence entre les quartiers est telle que dans certains quartiers
~ériphériquesr ceux que .1' un se garde biën·. dermontrr ezxaux rétran~
gers officiels~ :la misère' et. surtout l'insalubrité sont quelque-
fois plus'poignantes que dans'la brousse~Entre les quartiers rési~-
dentiels et administratifs
(Cocody et Plateau)
d'Abidjan, d'une
part, et les quartiers populaires de l'autre,
la différence est
grande.
Dans les premiers résident l'élite ivoirienne et la po-
pulation européenne, avec les mêmes avantages sociaux
d'une
(1) A la campagne, les parents diraient:
"les Blancs les ont
"gâtê s".
.
l2) Lors de nos recherches, surtout la première, les enfants
d'Abidjan nous demandaient:
"Est-ce que c'est pour la télévision?"
Ce qui indique qu'on les sollicite souvent pour ce genre de repor-
tage.

-35-
ville européenne. Dans les derniers vivent les petits et mo-
yens cadres et les ouvriers, une population à cheval sur la
vie .européenne ou nord~américaine, et la vie africaine. Certains
enfants de ces quartiers, ~n guise de vélo, par exemple, se
contentent d'une roue ou même d'une jante de vélo.
Dans le travail que nous allons présenter et àiscuter,
nous n'avons aucun enfant des.quartiers résidentiel et adminis-
tratif
(Cocody et Plateau) parce que la différence entre les
enfants de ces quartiers et les autres aurait été énorme, et
aussi parce qù'il nous aurait été impossible de trouver des
enfants parlant encore une langue nationale,
ici le Bété, du
fait que les parents y sont tous des intellectuels de haut ni-
-
veau, avec souvent des couples mixtes, c'est-à-dire, des couples
formés de deux personnes de deux ethnies différentes, donc
de deux langues différentes, ou parce que les parents préfèrent
que leurs enfants ne parlent que le Français, une langue. .supposée
plus riche en notions abstraites, pour mieux assurer le déve-
dans
loppement intellectuel de ces derniers. Par ailleurs, ces quar-
tiers pullulent des écoles priv~es inaccessibles aux petites
bourses.

-86-
CHAPITRE III
: PRESENTATION ET INTERPRETATION DES RESULTATS DE LA
PREMIERE RECHERCHE ET ORIENTATION METHODOLOGIQUE
Ces résultats ont déjà fait l'objet d'un travail rédi-

(NEA, 1978). Nous n'allons donc pas nous y attarder long-
temps, mais, puisque la suite de notre plan de recherche, et
donc des résultats, en dépendra,
i l ne semble pas inutile de
les rappeler dans leur grande ligne.
Nos hypothèses de travail nous imposmt un plan de pré-
sentatiGn. Dans un premier point, nous verrons les résultats
des enfants de la brousse, et, dans un second point,les résul-
tats de ceux de la ville. Dans chaque groupe socio-économique,
rural ou urbain, nous observerons ce qui se passe au niveau de
la conservation des quantités de liquide, et, ensuite, ce qui
se passe au niveau de la conservation de la longuenr. Ce plan
nous permettra de savoir à quel âge,
à peu près, se situe
l'accès à chaque conservation et dans chaque milieu, et d'ap-
précier l'effet d'apprentissage et dans chaque milieu et dans
chaque conservation.

-37-
Cette recherche a été réalisée auprès
des enfants àe
8~à 15 ans, 20 enfants dans chaque milieu socio-économique.
Nos enquêtes ont été menées en avril 1978, et tous les enfants
sont nés entre mars et mai.
Ils ont tous des actes de naissance
dont la déclaration de naissance a été faite dans les trois
jours suivant la naissance.
Ils sont dans la même école depuis
leur première année d'école. Pour ceux de 12 à 15 ans, nous
avons bénéficié du concours des directeurs d'école et des ins-
tituteurs pour nous assurer qu'ils n'ont pas changé leur àcte
de naissance.
Tous les enfants constituant le groupe urbain
(Abidjan)
sont nés à Abidjan et, évidemment, ceux de la brousse sont nés
dans leur village, ou à la maternité la plus proche
(Issia).
A ce propos, i l faut souligner que dans les villages, i l y a
un représentant de l'état civil qui prend acte de toutes les
naissances et qui les envoie au bureau de la sous-préfecture
en vue des pièces d'état civil.
Pour les enfants de campagne,
nous avons visité les
écoles suivantes:
Ecole Primaire Publique de Saioua
Ecole Primaire Catholique l
de Saioua
Ecole Primaire Catholique II de Saioua

-52-
Celles de la ville sont:
les écoles primaires publi-
ques de Marcory I
Narcory II
Gbon Coulibaly I
et II
Port-Bouët I
et II
Il Présentation et interprètation des résultats
A.
LES ENFANTS RURAUX
A.I. Conservation des quantités de liquide
Compte tenu de nos hypothèses, nous avons fait pas-
ser aux enfants, par deux fois,
les épreuves de cette conserva-
tion, comme celles de l'autre d'ailleurs, dans
la même langue.
A la première passation, nous avons vu 20 enfants. A
la deuxième passation, nous n'en avons vu que I9; un enfant
_.
-
ne venant plus à l'école et n'étant pas dans son village natal.
Etant donné que nous voulons savoir,
entre autres,
à
quel âge les items,.tous les i.tem~. de cette conservation sont
réussis, nous présenterons les résultats dans l'ordre crois-
sant des âges,
en commençant par les ènfants les plus jeunes

-89-
de l'échantillon, c'est-à-dire,
les enfants de 8 ans. A la
première passation, nous constatons qu'aucun enfant de 8 ans,
sur les quatre que nous avons vus,n'a réussi l'épreuve. Nous
sommes donc remonté dans les âges
(1)
et nous avons vu 4 enfants
de 9 ans, et seulement un enfant a réussi les t:rois
items
de cette épreuve. Nous avons alors vu 4 de 10 ans dont deux
ont accédé à cette conservation des liquides. Le nombre de 4
est très peu élevé pour nous permettre de conclure que c'est
à cet âge qu-e- -L'épreuve d e : 'la:.: conservation de s, liquides est- réus-
s Le,,
Nous sommes donc remonté encore dans les âges
et tous
les enfants d'un âge supérieur à 10 ans que nous avons vus
ont tous accédé à la conservation dès cette première passa-
tion,
à l'exception d'un seul, un enfant de 12 ans.
A la deuxième passation, avec les mêmes enfants et
dans la même langue, nous avons relevé que les enfants qui
avaient échoué à la première passation, ont encore échoué,
sauf,
l'enfant de 12 ans;
et tous ceux qui avaient accédé à
cette conservation à
la première passation, y sont dérneurés
à la deuxième. Ainsi donc,
II enfants ont-ils conservé les
quantités de liquide à la deuxième passation,
alors que 10
conservaient à la première.
(1) Si, par exemple,
les 4 enfants de 8 ans avaient:.tous
réussi cette épreuve,
nous serions descendu à 7 ans.

-90-
Ces résultats bruts ne nous permettent pas de dire
qu'il y a un effet d'apprentissage dans cette conservation
et dans ce milieu, car l'enfant de I2 ans qui a amélioré sa
performance est celui qui,
logiquement, aurait dû accédér à
la conservation dès la première passation dans
la meau.r e. oü
celui de II ans y a accédé.
Cependant, essayons d'apprécier les réponses des en-
fants de manière qualitative, non pas par la valeur des argu-
ments en tant que tels
(I), mais par la différence dans les
productions entre la première et la deuxième passation de
chaque enfant.
Sur les 4 enfants de 8 ans, nous relevons que 3 ont
donné une bonne réponse quant à la prévision du niveau de
liquide dans le long verre.
Bien sûr,
leur réponse,
le niveau
prévu, était en deçà du niveau atteint en réalité. Par ailleurs,
aucun d'entre eux n'a trouvé la solution qu'il fallait pour
égaliser, pour avoir la "même chose" dans. les deux verres.
Par exemple, Nohoné
(05/05/70) dit que, pour qu'il y ait la
même chose dans les deux verres,
i l faut déplacer le long
verre et le mettre de l'autre côté du gros, comme si le
(
(D L'analyse des arguments en tant que tels, c'est-à-dire,
quelle(s)
stratégie(s)
l'enfant de tel âge utilise, possède,
dans tel milieu et selon telle ou telle langue, fera l'objet
d'un paragraphe dans notre travail ultérieur.

-?I-
le déplacement pouvait, à lui seul, aug~enter ou diminuer le
niveau ou la quantité de liquide.
En ce qui concerne l'appréciation de la quantité de
liquide, tous les enfants de 8 ans ont trouvé qu'il y en avait
plus dans le long verre parce qu'il n'y~en a pas assez dans
le gros verre,
"parce que ç~ là ce n'est pas beacoup", di~
saiertt-ils tous en indiquant le niveau de liquide dans le
1
gros verre. Et tous ont estimé qu'il y en aurait plus dans
le deuxième gros verre, que le niveau y serait plus élevé que
dans le premier. Et tous ont échoué, ont changé de réponse
à la contre suggestion.
ont varié quelque chose dans leur production. Par exemple,
G.
Thérèse
(I2/04/70): ell~ avait trouvé, comme tous les
autres, qu '.il y en avait plus dans le long verre,
à
la première
passation. Et elle trouve maintenant que c'est "même chose".
Pourquoi? Parce que "c'est pour son frère qui est ici
(I).
Elle fait donc référence au verre enlevé. De rnême,alors
qu'elle trouvait, à l a première passation, qu'il y avait plus
de liquide dans le gros verre que dans les 4 petits, elle
trouve,
à la deuxième passation, qu'il y en a plus dans les
4 petits parce que,
justement, i l y a
4 verres. Bien sûr,ce
(I ).--:Elle traduit, ici,
littéralement sa langue maternelle,
le Bété, en Français.

n'est pas une réponse de conservation, mais c'est quand même
un changement de point de vue, et nous ne saurions affirmer
que cela n'est pas dû à une information retenue de la première
expérience, précisément la contre suggestion qui allait dans
ce s'ens , Ev Ldernmen t , elle changera encore de point de vue à
la contre suggestion de cette deuxième passation.
De même, Guédé
(10/03/70)
qui, à la première passation
et dans la comparaison du gros aux quatre petits verres, avait
1
d'abord trouvé que "c'est même chose" ava~t de changer de répon-
se à la contre suggestion, a dit à la deuxième passation que
les 4 petits verres en contiennent plus parce qu'ils sont 4, ce
q~e lui disait justement la contre suggestion de la première
passation. A~la contre suggestion de la deuxième passation qui
voulait lui faire admettre la justesse de sa réponse de--Ia ·pre~":'"· - .- ..
~ière passation,._Guédé ne changera plus de réponse. Y a-t~iI0eu
une information retenue de la première expérience ? Nous pensons
qu'il y a tout lieu de le supposer, surtout que cet enfant était
justement le seul de 8 ans à avoir fait une mauvaise prévision
du niveau du liquide dans le long verre, à la première passation,
et que, à cette deuxième passation,
il~prévoyait un niveau très
supérieur au niveau réel.
Sur les quatre enfants de 9 ans, dès la première pas-
sation, nous avons noté une réussite à cette épreuve de conser-
vation. Cependant, cet enfant qui a accédé.à la conservation des
quantités de liquide n'avait pourtant pas prédit le bon niveau

-93-
du liquide dans le long verre, dès
la première passation.
La petite Charlotte
(02/03/69)
avait estimé que le niveau du
liquide du long verre serait le même que celui du gros verre::
"t'est pareil", avait-elle dit,
après avoir rapproché sponta-
nément les deux verres, avant de conclure avec un sourire, à
l'égalité des quantités de liquide en se référant au verre enle-
vé. A l'exception de cettesenfant, tous les autres enfants ont
échoué dès
la première passation après avoir pourtant donné
1
de bonnes réponses quant au niveau du liquide, tant dans le
~ong verre que dans le deuxième gros verre. Ils ont presque
tous estimé qu'il y en avait plus dans
le long verre parce
qu'il est "long", ou dans les~4 petits verres parce qu'ils
sont 4. Presque tous, disions-nous plus haut,
car un seul,
long et~le gros verre,
qu'avec le gros et les
4 petits verres
"parce que si tu mets dans petit/verre, c'est même"
(pour le
long verre)
et "parce que c'est ça là que tu as pris pour met-
ter
(mettre)"
(pour les 4 verres)
en indiquant le verre dispa-
ru qu'il ne voyait pourtant pas. C'est seulement à
la contre
suggestion qu!il' ne:reconna!tra plus' l'égalité~ Il' faut~peut-
être souligner entre parenthèses que cet enfant a des difficul-
tés dans le langage. Et peu avant l'entretien, des camarades
de classe à lui étaient passés devant la salle dans
laquelle
nous nous trouvions et avaient lancé:
"Monsieur,
i l sait pas
parler et i l connaît rien".
Cela l'avait-il intimidé au
point de ne pas être sQr de l u i ? On :r peut le croire comp-
te tenu du raisonnement qu'il tenait pour conclure l~égalité.

-94-
A la deuxième passation,tous ces enfants 9nt prati-
tiquement eu le même comportement,
à
l'exception de Charlotte
qui a amélioré sa prédiction du niveau du liquide dans le
long verre. Est-ce,
ici, un effet d'apprentissage? Difficile
à affirmer,car,
elle est seule à manifester ce comportement,
et on se souvient également qu'après avoir prédit que le hi-
lleau du liquide serait le même dans le long et dans
le gros
verref,
elle avait conclut ltégalité des quantités avec un
sourire à
la première passation • Ce sourire indiquait-il
la reconnaîssance d'une erreur d'appréciation? ::C_' e s t: fort- pos-
sible. Mais cette erreur aurait pu se retrouver à la deuxième
passation.On pourrait donc penser également à un effet d'ap-
prentissage.
Chez tous les autres enfants,
i l n'y a pratiquement
pas de différence entre la première passation et la deuxième,_
sauf l'enfant de 12 ans qui avait échoué à
la première et
qui a réussi à la deuxième passation. Quant aux deux enfants de
de ID ans qui ont;échouéj~soulignons qu'ils_n'o~t échoué,:tant
~àlla: première qu
la. deuxième pas s a t Lon: ,
que s eàLement.; ~-J-?-~;,
ï
à
contre suggestion •
.~~~-·Nous pouvon~d6ncdire que la conservation:des-quanti-
tés de liquide en milieu rural ne donne pas lieu à un effet

-95-
d'apprentissage. Par ailleurs, nous pouvons avancer que
l'âge d'accès à cette conservation, en milieu rural, se situe,
à peu près, aux environs de 10 ans.
A.2. Conservation de la longueur
Comme dans la conservation des liquides, nous avons
fait passer, dans cette conservation de la longueur,
les é-
preuves, non seulement au même nombre d'enfants, mais aux mêmes
enfants, dans la même langue,
le Français, rappelons-le au
passage, dans lesmêmes ..:conditions et le même jour, et cela,
pour les mêmes raisons. Et dans cette conservation de la Ion......
gueur, nous cherchons à savoir à quel âge tous le-s:-; Lt.emsrs ont;
réussis et s ' i l existe un effet d'apprentissage entre la
pr~~ière et la deuxième passations ••
A la première passation, nous constatons qu'aucun en-
fant de 8 ans n'a réussi les items de cette conservation.
Chez ceux de 9 ans et 10 ans non plus, aucun enfant n'est
parvenu à la conservation. C'est seulement à II ans que nous
avons observé la première réussite, mais ceux de 12 ans ont
tous échoué. L'enfant de 14 ans ainsi que ceux de 15 ans ont
réussi les items.
Mais, c'est surtout à la deuxième passation que nous
observons un profil différent de celui que nous avons noté dans

-96-
la conservation des liquides. En effet, sur les
4 enfants
de 9 ans, nous relevons un succès, de m~~e que nous avons
eu un succès chez ceux de ~o ans, un succè~chez ceux de 12
ans et un succès chez ceux de 13 ans;
et tous les enfants
d'âge supérieur à 13 ans ont réussi tous les items.
Evidem-~'
ment,
l'enfant de II ans qui était parvenu à
la conservation
de la longueur dès l~ première passation,
a conservé sa bon-
ne réponse. Ainsi donc,
nous relevons que 8 enfants sur 20
ont accédé à la conservation de la longueur,
à la deuxièfue
passation, alors que seulement la moitié, c'est-à-dire 4 en-
fants,
y avaient accédé à la première passation.
Cette différence entre la première et la deuxième
passation: ,
observée dans ~es résultats bruts
(4 contre 8),
nous autorise à faire l'hypothèse d'un effet d'apprentissage
dans cette conservation de la longueur, et dans ce milieu.
Cependant, ces résultats bruts ne sont pas très explicites,
parce que nos effectifs sont très réduits. Mais,
ils sont.
quand même corroborés par un calcul statistique
Nous avons ici deux groupes appariés dans lesquels,
théoriquement,
le nombre de succès doit être le même. Nous
pouvons donc faire l'hypothèse qu'il n'y a pas de différence
entre les deux passations,
et nous servir du test binomial,
avec la probabilité p=q=I/2
(=0,5). Et comme nous avons

-97-
un total de 12. succès. dont 4 succès a_la. première passation,
nous pouvons traduire par N=I2 et x=4.
Pour N=I2,
la proba-
bilité associée a x=4 que nous donne la table de test bino~
mial=0,I94. Au seuil de 0,05,
la différence n'est pas signi-
ficative.
Elle ne l'est qu'a· 0,20. Cette différence entre
les deux passations, sans être significative,est quand même
capable d'interférer avec l'effet proprement dû a la familia-
rité de la langue.
Par ailleurs,
bien qu'un enfant de II ans ait accédé
a cette conservation de la longueur dès la première passation,
il··nous s ernb l-e que 13 ans 'est l'âge auquel l'· enfant· -ivoirien··
accède a la conservation de la longueur
Comme nous l'avons fait pour la conservation des liqui-
des, essayons maintenant d'apprécier les. productions:desren-
fants,
entre la première et la deuxième passationsides items
de la conservation de la longueur. Cela nous permettra de
mieux saisir l'effet d'apprentissage.
Les productions des enfants de 8 ans, de la première
a la deuxième passation, sont p r a t i.qu ernerrt; identiques.
Mais, un fait,
cependant, demande qu'on y réfléchisse un peu
pour essayer de l'expliquer. Tous ces enfants ont facilement
trouv'éfés'd~ux bâtons êqaux 'IQr~s de là première passation,·-

-98-
à l'exception d'un seul. Mais,
à la deuxième passation,
ils
• .-.• _"
_.!_., 4 ;
'-
.~
_ .
_ -
. ,
J •
t".. • • • _ ,,'.
::.,. <".,:' r . , :
se sont tous montrés incapables de trouver les deux bâtons
égaux. Le fait de ne pas trouver les deux bâtons égaux parmi
les quatre présentés lors de la deuxième passation, alors que
cela s'était passé sans problème à
la première, ce fait est-
i l imputable à un effet de succession, c'est-à-dire, à une
difficulté due au fait que ces deux bâtons ont été jugés iné-
1
gaux à la première passation? Dans ce cas, ce serait, alors,
un effet d'apprentissage, c'est-à-dire, une information retenue
àe la première expérience.
__._-:".Les_ ..enf arrt.s.i.de 9- .ans n' ont ..pas. été ..par.ticulièrement __.. --.._--
plus brillants que ceux de 8 ans. En effet, comme nous l'avons
dit plus haut, un seul sujet de 9 ans a amélioré son résultat
à la deuxième passation. A la première passation, Charlotte
(02/03/69)
trouvait que le bâton qui dépasse sur sa droite
est plus long "parce qu'il est plus haut". Mais à
la deuxième
passation, elle admettra l'égalité,
et cela malgré la contre
suggestion "parce que tu as me§uré
(en ramenant le(s)
bâton(s)
décalé(s)
au point de départ)
et puis,
tu as fait ça"
(elle
décale le(s)
bâton(s)
comme nous l'avons fait précédemment).
-Dans le groupe des enfants de ro ans non plus, aucun
enfant n'a réussi les 'items à la première passation. Et,
comme

-99 -
dans le groupe des enfants de 9 ans, un seul enfant a anélio-
ré son résultat à la deuxième passation. En effet,
à part
Gbeutibouo
(26/04/68).'~·- aucun enfant de cet âge n'a accédé
à la conservation de la longueur aux termes des deux pas-
sations. Quant à ce sujet qui a amélioré son résultat,
il
avait eu,
lors de la première passatio~, des difficultés pour
trouver les deux égaux. Et aux questions des trois items de
cette épreuve, i l prenait les bâtons comme disposés sur la
table et, en les tenant verticalemen~ sur celle-ci, il dé-
clarait que le bâton qui dépasse par le haut est plus long
parce que "plus qrand". ~ais, à la deuxième passation, après
avoir été aidé pour trouver les deux ~·.égaux, il a admis
l'égalité de ceux-ci en compar~nt les bouts dépassant; .
à la contre suggestion,
i l a dit :
"ça aussi, ça dépasse, et
c'est même chose avec ça", en indiquant les bouts dépassant.
Quant aux autres enfants de cet âge, non seulement
ils ont échoué tous à la première comme à la deuxième pas-
sation, mais leurs arguments sont pratiquement restés les
mêmes, du genre "parce que tu as coupé ça là ici",
"parce
que tu as fait ça"
(le déplacement).
Dans le groupe des enfants de douze ans, un seul
sujet a amélioré son résultat à la deuxième passation. En ef-
fet,
à la première passation, Marcelline
(26/04/66)
trouvait
le bâton déplacé plus long sans la moindre justification et

-100-
quand les deux bâtons étaient déplacés,
elle les trouvait
égaux parce que "tu as poussé les deux". Mais,
a la deuxi~me
passation, elle adrnet l'égalité "parce que c'est même chose,
et puis tu as poussé l'autre" ou "les deux".
Et à la contre
suggestion, de cette deuxième passation,
elle indiquera que
les dëpas s ementrs sont__égaux parce que "c'est ruêrae chose avant".
- Chez les 13 ans aussi,
un seul enfant améliorera
son résultat à la deuxième passation. En effet,
à
la première
passation, tous les enfants de 13 ans trouvaient le bâton
déplacé plus long et quand les deux l'étaient,
ils étaient
égaux, rna i.s; sanso..la.. moindre just.ifica.tion •.. Ce comporternent
s'est observé à la deuxième passation, sauf pour un seul qui
a trouvé l'égalité en s'appuyant sur le fait que les dépas-
sernenizs sont égaux:
"c'est même chose, parce que ça et ça,
c'est même chose"
(en indiquant les bouts dépassantl.
Un des enfants qui ont échoué avait pourtant dit,
à .
l'item 3 de la deuxième passation, que :
"c'est même chose,
parce que tu m'avais demandé de prendre même chose long".
C'était là une référence au tout débùtde cette épreuve de
conservation, mais cette réponse ne tiendra pas à la contre
suggestion.

-IOI-
Pour tous les enfants d'âge supérieur à 13 ans,
co~~e pour celui de II ans, à la première comme à la
deuxième passation. ,
les bâtons sont égaux "parce que c'est
toujours les mêmes dimensions et i l n'y a rien d'ajouté",
"parce que si on remet en place, c'est la même chose".
A.3. Conclusion sur les enfants ruraux
En guise de conclusion sur sur l'ensemble des enfants
de la bro~~se, si nous nous référons à la. théorie piagétienne
du développe~ent intellectu~l, nous dirons ~u'il n'y a rien_
d'anormal. La ligne tracée par PIAGET semble se retrouver
ici, en ce sens que la hiérarchie dans l'accession aux deux
conservations est fort bien respectée. En effet, d'après
la lecture de nos résultats,
la conservation des quantités
de liquide est réussie trois ans avant celle de la longueur.
Ainsi, alors que la conservation des liquides se situe
aux environs de IO ans, celle de la longueur semble se
situer à 13 ans environ. C'est là un résultat que nous cher-
chions pour la suite de notre~travail.
Quant à l'effet d'apprentissage, une de nos princi~:
pales hypothèses, sinon la principale hypothèse qui a néces-
sité cette première phase de notre recherche, nous pouvons
dire, malgré nos faibles effectifs, qu'il est presque

-102-
inexistant
(la succès contre II)
au niveau de la conser-
vation des quantités de liquide,
en milieu rural.
Cependant,
dans l'analyse des productions des enfants, nous nous aper~-
cevons d'un- chano emerrt ' . de comportement à la deuxième pas,:,":'
sation qui,:p~ut-être, est da au fait que:les enfants. ont
déjà ~u~~rie fois' les épreuves.
Par contre, dans la conservation de la longueur, nous~
pouvons dire qu'il existe un' effet d'apprentissage,
et cela
malgré toujours nos faibles effectifs. En effet, de la pre-
~iêre à la deuxième passation , nous remarquons que nous pas-
sons du simple au double
(4 succès contre 8). En dépit de la
taille de-notre échantillon,
i l ne nous semble pas autorisé
de mettre ce résultat' au bénéfice du hasard. Et, pa~ ailleurs,
dans l'approche que nous avons faite des productions des en-
fants,
nous relevons qu'un certain nombre d'enfants qui
n'ont pas accédé à la conservation de la longueur aux termes
des deux passations,n'ont échoué seulement qu'à la contre
suggestion lors de la deuxième passation, alors q u ' i l s
avaient échoué d'entrée de jeu à la première passation. C'est
un indice qui ne peut que corroborer l'hypothèse d'un effet
d'apprentissage dans cette conservation de la longuaur et
dans ce milieu rural.

-183-
B. LES ENFANTS URBAINS
Comme l'appelation,
le qualificatif "urbains" l'in-
dique,
les enfants dont nous allons présenter maintenant les
résultats aussi bien dans la conservation des quantités de
liquide que dans la conservation de la longueur, ont pour
1
lieu d'habitation la villé, plus précisément la ville d'Abi-
djan. Par ailleurs, ils s~nt tous nés dans cette ville. Consi-
dération faite
de ces données,
la langue supposée la
moins familière à ces enfants est la langue Bété. Cl.est donc
dans cette langue du pays que nous
leur avons fait passer
...... les.é?r.euv.es.. de.la·,conservation. des. quanti.tés de .liquide....et ......~.~...
de la conservation de la longueur.
Et cela, par deux fois,
compte tenu de nos hypothèses.
B.I. Conservation des quantités de liquide
Afin de trouver l'âge d'accès à cette conservation,
comme pour les enfants rurauX,
nous sommes parti de 8 ans
jusqu'à 15 ans.
Au cours de la première passation des items de cette
épreuve de conservation,
sur les trois enfants de 8 ans que
nous avons vus, . aucun enfant n'a accédé à la conservation.

-104-
Nous sommes alors remonté dans les âges et nous avons relevé
que sur trois enfants de 9 ans,
aucun non plus n'a accédé
à la conservation. Sur cinq enfants de 10 ans,
nous avons
relevé 2 succès. Nous sommes encore remonté dans les âges,
et sur cinq enfants de II ans, deux seulement ont réussi les
trois items de la conservation. Nous avons vu par la suite
trois enfants de 13 ans qui ont tous accédé à la conservation
ainsi que celui de 15 ans.
Nous devons souligner,
ici, que nous n'avons pas pu
avoir dans notre échantillon d'enfants urbains, des sujets
de 12 ans et de 14 ans parce que nous n'avons pas pu en
les nous avions accès.
Et compte tenu du temps et des moyens
dont nous disposions,
i l ne nous a pas été possible d'aller
retrouver les autorités compétentes en la matière pour leur
demander l'autorisation de visiter d'autres écoles.
A la deuxième passation, nous verrons qu'un enfant
de 8 ans a accédé à cette conservation, alors que 2 de 9 ans
y accèdent ainsi que 3 de 10 ans,
4 de II ans,
et,
bien en-
tendu,
tous ceux d'un âge supérieur qui y étaient déjà par-
venus à la première passation. Ainsi donc,
14 enfants sur 20
sont-ils parvenus à cette conservation des quantités de li-
quide,
lors de la 4euxième passation, alors que seulement
8
y avaient accédé à la I?r_ef.l.i~~E~è passation.
!l ,
~ ,
\\

-105-
Cette différence observée dans nos résultats bruts, entre
la première et la deuxiè~e passation. , ne peut s'expliquer, selon
nous, que par un effet d'apprentissage. Le fait que 6 enfants
aient amélioré leurs résultats à la deuxième passation ne saurait
être dû, à notre avis, seulement au hasard, et ce, malgré nos
petits effectifs.
Dans ce cas de groupes appariés, nous pouvons faire
l'hpothèse qu'il n'y a pas de différence entre les deux passa-
tions.Nous allons
le vérifier par le test binomial avec p=q=O,5.,
Et comme nous avons 22 succès au total dont 8 à
la première pas-
sation, nous pouvons traduire
N = 22 et x = 8. Pour N = 22,
la probabilité associée à x = 8 que donne la table de ce test

• <= •
~

.s1.gn1.J..1.ca ... ]Ne _.~.... ""
qu'au seuil de 0,15.
Cette différence, bien que non très significative, est
tout de même capable,à notre avis, de masquer l'effet de la.
familiarité de la langue. Nous dirons donc qu'il existe un
effet d'apprentissage.
Par ailleurs, nous pouvons situer l'âge d'accès à cette
conservation, et dans ce milieu, aux environs de 9-10 ans, si
nous ne tenons compte que de la deuxième passation. Par ail-
leurs, nous savons que nos effectifs sont petits, et qu'en plus,
il manque certains groupes d'âge dans notre échantillon.
Nous

-106-
en tiendrons compte, de ~ême que de cet effet d'apprentissage,
dans l'orientation méthodologique du travail à venir.
Mais, essayons d'approcher un peu plus dans les détails les
productions des enfants, comme nous l'avons fait pour les en-
fantsruraux. Cela nous permettra certainement d'apprécier
l'importance de l'effet d'apprentissage,
lequel effet nous
aurons à analyser dans une conclusion générale sur l'ensemble
de ce travail, pour mieux asseoir, sur le plan méthodologique,
la recherche à venir.
- Dans les groupes des enfants de 8 ans,
i l n'y a prati-
quement rien à signaler, sanf qu'un seul a amélioré son résul-
tat en faisant référence au verre disparu qu'il appellE;! "son
frère"
( en Bété)
• Nous pouvons
simplement rappeler que
deux enfants sur trois avaient pourtant donné une bonne ré-
ponse quant à l'anticipation du niveau du liquide dans le lo~g
verre
(pour plus de détails, voir NEA, 1978).
- Dans le groupe des 9 ans, deux enfants ont amélioré
leurs résultats à la deuxième passation. Mais, même le sujet
qui a échoué aux deux passations, anticipait bien le niveau
du liquide dans le long verre et trouvait la solution d'éga-
lisation, à savoir, ramener le deuxième gros verre sur la
table et y transvaser le contenu du long verre.

-107-
-Sur les cinq enfants de 10 ans, nous avons dit plus
haut que deux enfants avaient accédé à la conservation à la
première passation. Inutile de revenir sur leurs productions
de même que celles de celui qui a amélioré son résultat.
Disons seulement que sur les deux qui ont échoué aux deux pas-
sations, un d'entre eux n'échouera qu'à la contre suggestion
lors de la deuxième passation, alors que l'autre échouera
d'entrée de jeu sans même pouvoir anticiper bien
le niveau du
liquide dans le long verre ou le deuxième gros verre, ce qu'il
avait réussi lors de la première passation.
Le seul enfant de II ans, sur les cinq, qui n'a pas
accédé à la conservation des quantités de liquide aux termes
des deux passations, a eu le même comportement lors des deux
passations. Au cours des deux passations,
il faisait une bon-
ne prévision du niveau du liquide dans le long verre comme
dans le gros verre, tout en niant l'égalité aux différents
items.
Tous les autres enfants d'âge supérieur ont conservé
tant à la première qu'à la deuxième passation. Leurs produc-
tions ne méritent donc pas une attention, tout au moins à la
phase actuelle de ce travail.

-108·
B.2. Conservation de la longueur
Rappelons que se sont les mêmes enfants qui ont subi
l'épreuve de cette conservation, dans les mêmes conditions,
les mêmes jours
(pour les deux paasations)
et dans la même lan-
gue, à savoir,
le Bété, que dans la conservation des quantités
de liquide.
Lors de la première passation de cette épreuve, aucun en-
fant de 8 ans nia réussi les items. Il en est de même pour les
enfants de 9 ans et de la ans. Clest à II ans que nous avons
enregistré le premier succès, mais seulement un enfant sur
les cinq de II ans. Et dans le groupe des enfants de 13 ans,
seul~~ent un enfant sur les trois que nous avons vus, a accédé
à
la conservation. Quant à celui d'âge supérieur,
i l y parvient
sans problème.
Mais, à la deuxième passation, dès l'âge de 9 ans, nous
avons eu un succès; puis,
2 succès à la ans, 2 à II ans, 2 à
13 ans, et, évidemment, un succès à 15 ans. Au total donc,
8 enfants sur 20 ont accédé à la conservation de la longueur
au cours de cette deuxième passation de l'épreuve,
alors que
seulement 3 y avaient accédé lors de la première passation.
Ici non plus, nous ne saurions
expliquer ce résultat par
le seul
fait du hasard. Cette différence du simple au plus du
double:,.~3:'succès·coùtre8) '.. ne" peut. s 1 exp Lf.qu ezc. que par 11 existence

-109-
d'un effet d'apprentissage, puisque ce sont les mêmes enfants,
et dans les mêmes conditions, qui ont subi l'épreuve. Si nous
le vérifions avec le test binomial,
en faisant l'hypothèse que
les deux passations sont identiques, avéc la probabilitê
p = q = 0,5, nous constatons que pour N = II
(3+8),
le test
donne 0,113 comme probabilité associée à x = 3. Par consé-
quent,
au seuil de 0,120,
la différence est significative.
Cette différence, quoique non très significative, aurait
interféré
avec l'effet de familiarité de la langue que nous
cherchons à vérifier. Nons conclurons donc à l'existence d'un
effet d'apprentissage dans cette conservation de la longueur
en mLiieu urbain.
-'. -D.!autre ..par.t., touten...sachant.. qu.e.. nous.n '..avons . pas_..t.o.uJ,.e.s..,__.. _ ..
les catégories d'âge, surtout les enfants de 12 ans, dans notre
échantillon, ce qui est regrettable, i l nous semble permis,
cependant, de situer l'âge d'accès à cette conservation de la
longueur vers 13 ans"chez les enfants urbains.
Mais, comme pour la conservation des quantités de li-
quide, essayons d'analyser les productions des enfants. Intéres-
sons-nous uniquement aux productions des enfants qui ont
échoué aux termes des ..deux passations.
- Sur les enfants de 8 ans, aucun n'a accédé à la conser-
vation, ni'à la première, ni à la deuxième passations. Cepen-

-110-
4ant,alors qu'aucun d'entre eux n'avait résisté a la contre
suggestion lors de la première passation,
a la deuxième pas-
sation, deux ont résisté a la contre suggestio~. Le fait de
résister à une contre suggestion n'est pas significatif en
soi, d'autant plus qu'il s'agit d'une persévérance dans l'erreur.
Mais, puisqu'ils avaient accepté, mors de la première passation,
d'avoir tort, pourquoi le refusent-ils a la deuxième? Sont-
ils maintenant sûrs d'eux? L'expérience précédente a-t-elle
joué? En tout cas, si oui, elle n'a pas joué dans le bon sens,
puisqu'ils trouvent toujours un bâton plus long que l'autre.
- Sur les enfants de 9 ans qui n'ont pas amélioré leur
résultat, i l n'y a pratiquement rien à signaler sauf le fait
que l'un d'entre eux, a la première passation trouvait le
bâton déplacé plus long,
et à la deuxième, trouve exactement
le contraire, a savoir,
le bâton non déplacé est plus long.
- Quant aux enfants de ro ans qui n'ont pas_amélioré~ leur
résultat, ils ont eu le même comportement a la deuxième pas-
sation que ceux de 8 ans,
a savoir, le maintien de leurs ré-
ponses a la contre suggestion.
~ Dans le groupe des enfants de rr ans, sur les trois su-
jets qui n'ont pas amélioré leur résultat, un seul enfant a
eu le même comportement dans les deux passations. Quant aux
autres,
ils ont dit exactement le contraire;
à
la deuxième pas-

-111-
sation, de ce qu'ils avaient dit à la première. En effet,
à
la première passation des itens,ces enfants trouvaient que
le bâton qui dépasse suerLeur droite est plus long, mais à
la deuxième,
ils ont trouvé plus long celui qui dépasse sur
leur gauche.
B.3. Conclusion sur les enfants urbains
Nous dirons donc,
en ce qui concerne les enfants urbains,
que la hiérarchie dans l'accès aux deux conservations est res-
pectée,
tout comme chez les enfants de la brousse. C'est
d'abord la conservation des quantités de liquide qui est réus-
sie vers 10 ans, et puis la conservation de la longueur vers
13 ans.
Quant à notre hypothèse sur l'effet d'apprentissage,
nous constatons qu'il existe tant dans la conservatœon des
quantités de liquide que dans la conservation de la longueur.
Sinon, comment expliquer alors la différence de succès obtenus
à la première passation des-:iterns des deux . conservations
et à la deuxième passation? A notre avis, ce résultat ne
peut être dû qu'à cet effet d'apprentissage. Le hasard ne
saurait expliquer ce résultat. Et q'l1~~dbien même ce résul-
tat serait dû à un hasard,
i l faudrait alors croire que ce
hasard modifierait nos résultats à un point tel que toute con~'
paraison entre les deux passations n'aurait pas le même sens,

-112-
c'est-}-dire que nous ne saurions alors distinguer la part du
hasard de celle du facteur " langue familière " que nous cher-
chans à
év a Lue r , Il faut a Lo r s
Li.mi.ne r
cet effet afin cî.e nu.eux
ê
contrôler notre hypothèse.
II.
Conclusion et orierttation méthodologique
A.
COUCLUSION GEUERl\\LE DE CE TRl'oVA1L
D'une manière générale, nous pouvons dire que ce travail
nOLs permet cie conclure qu'il existe, tant au niveau de la con-
servation des liquides qu'au niveau de la conservation de la
longueLr, un effet d'apprentissage significatif à tel point
q\\,;'il faus:::;erait l'effet ou plutôt l'importance de l'effet
proprement dû à la familiarité de la langue,
tel que GREENF1ELD
l'a trouvé, :::;i nous devions faire passer' à un même enfant les
épreuves cî.es deux conservations dans deux langues différentes.
Cependant, nous pouvons préciser que cet effet d'appren-
tissage existe aussi bien dans la conservation des quantités
de liquide que dans celle de la longueur chez les enfants urbains,
alors que cet effet n'existe que dans la conservation de la lon-
gueur chez les ruraux. Nous pouvons également dire que cet
effet d'apprentissage se~ble modulé par le milieu, en ce sens
que quelle que soit la conservation envisagée, cet effet est
plus important chez les enfants urbains que chez les ruraux.

-113
Par ailleurs; cette recherche nous permet de dire que
dans les deux milieux socio-économiques, les deux conserva~
t~ons sont pratiquement atteintes aux mêmes âges. Nous pou-
vons les situer à 10 ans pour la conservation des quanti-
tés de liquide et à 13 ans pour celle de la longueur. Nous
pourrons donc prendre les mêmes groupes d'âge dans les deux
milieux socio-économiques.
B. ORIENTATION METHODOLOGIQUE POUR LA SUITE
Nous venons de situer les âges d'accès aux deux conser-
vations et de montrer qu'il existe un effet s'apprentissage
. que LLe" que'-s.oi t--la :OOhS e'r v'at; ion '. env isagée .. - l Lvv a donc sans--"'-'--' - .
dire que pour la suite de notre travail, neus ne pourrons oas
utiliser ce blan de:groupes appariés. Nous pr~ndrons donc
~.
;r,'
des groupes indépendants, dans chaquè milieu, tout en sachant
que ce plan de groupes indépendants présente un inconvénient,
celui de ne pas nQu&.~ermettre de maîtriser les différences
individuelles
dues à ce que J. PIAGET appelle, dans sa
théorie,
les facteurs d'autorégulation, c'est-à-dire,
les
facteurs qui sont propres à chaque individu en tant que tel
et qui rendront compte du rythme de développement de chaque
individu, et qui feront que tel individu, d'un milieu donné,
sera en avance ou en retard sur tel autre individu du même
milieu: c'est-à-dire, en fait,
les différences intragroupes.

-114-
Mais,
nous re~u~~~ ce plan serait
interdire:~bufe
étude sur l'espèce humaine, car, si on peut parler d'une
intelligence humaine, i l n'y a pas pour autant deux individus
qui se resemblent exactement sur le plan cognitif, sauf des
jumeaux monozygotes, et encore!
Par ailleurs,
les résultats de ce travail nous impo-
sent de prendre, dans les deux milieux socio-économiques,
les
mêmes groupes d'âge suivants: 10 ans et 13 ans. C'est ce que
nous avions pensé faire quand nous avons présenté, au ~iveau de
notre D.E.A., ces résultats. Mais, après réflexion,
nous avons
choisi de prendre un an plus bas, e'est-à-dire,
les groupes
d'âge de 9 ans et de 12 ans. Et nous allons justifier notre
choix.
Nous avons trouvé,
au cours de ce travail de D.E.A.,
qu'il existe un effet d'apprentissage. Nous venons de le rap-
peler, plus hàut, et nous en avons tiré les conclusions qui
s'imposent, selon nous, pour la suite de notre méthodologie,
en ce qui concerne le plan de r-écnercne. Et nous nous S011'IDeS
rendu compte,après coup, que cet effet d'apprentissage revêt
une importance génétique loin d'être négligeable.
En effet, nous pensons que s ' i l y a eu apprentissage,
c' est parce que les enfants en question, -pOssédaient ---les
structu~e~ int~llèttuelles permettant ces différentes cons er-
v~t~ons,.. et, donc, les différentes stratégies de raisonnement

-115-
qu'elles requièrent. Sinon, à notre avis, i l n'y aurait pas
eu d'apprentissage, car,
l'apprentissage,~se~l,:ne~saurait
rendre compte des progrès observés dans le raisonnement, dans
l'intelligence, c'est-à-dire, ici des progrès dans l'acqui-
sition des opérations concrètes de conservation des quanti-
tés de liquide et de la longueur~ Des chercheurs, entre autres,
INHELDER (1966), INHELDER et al.
(1974)
et GRECO
(1959 et 1963)
1
ont déjà abordé ce problème. GRECO pense qu'il est possible
d'apprendre à un sujet de 5-6 ans qui n'
a pas encore le ni-
veau des opérations concrètes, des réponses équivalentes à
,
celles dtun enfant ayant atteint ce stade,par un entraînement
approprié,
lesquelles réponses apprises ont une certaine soli-
dité
(GRECO, .I~59). Bien sûr, dans notre cas, ce n'est pas
un apprentissage classique dans la mesure où i l n'y a eu
qu'une seule expérience, une seùle ~constation", et dans la
mesure où cette expérience n'a rien appris à l'enfant, à savoir
que ce dernier n'a pas été mis devant le fait lui montrant
l'égalité~ Cependant, nous pensons, comme PIAGET
(I959a), com-
mentant une étude de GOUSTARD, page 18, que "il semble donc
clair que ••• l'apprentissage dépend des instruments logiques
préalables dont dispose le sujet". Un apprentissage donné
dépend toujours,des do~ées antérieures, des acquisitions anté~
rieures,cèt d'une activité du sujet, c'est-à-dire, une assi-
milation de la nouvelle situation aux propres schèmes du su-
jet. D'autre part, PIAGET et INHELDER (I966b et 1968) ont mon-
tré que l'enfant ne peut se souvenir que de ce,que lui permet

-116-
le stade de développement atteint. L'image mentale suit la
pensée; de même ,
la mémoire,
tout en étant un outil utile
et nécessaire à l'exercice de l'intelligence, ne saurait pré-
céder celle-c~ qui la prolonge et la dépasse.
Ce qui signifie, dans notre cas présent, que si les
enfants ont appris quelque chose, alors que toutes les con-
1
ditions nécessaires à un apprentissage classique ne sont pas
réunies, entre la première et la deuxième passation', c'est
justement parce qu'ils étaient capables du raiso~nement requis,
c'est-à-dire, de la compétence, et que, à la première pas-
sation, seule la performance leur avait fait défaut.
Par ailleurs, nous remarquons qu'à la première pas-
sation des items de la conservation des quantités de liquide,
en œilieu rural, un enfant de 9 ans a accédé à la conservation,
alors que nous relevons un succès dans celle de la longueur
dès l'âge de II ans; un enfant de 9 ans est parvenu à cette
conservation de la longueur lors de la deuxième passation.
En milieu urbain, à l a deuxième passation des items de la
conservation des quantités de liquide, nous relevons un succès
dès l'âge de 8 ans, sur trmis enfants; de même, toujours à
la deuxième passation, mais des items de la longueur, nous
notons un succès dès 9 ans. Et comme nous avons travaillé
sur de très petits effectifs dans nos différents groupes
d'âge, nous pouvons supposer que si nous avions vu plus de
sujets, peut-être, l'âge d'accès aux différentes~ conservations
aur
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O.J..Jo
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.L~:-',:;)

-117-
aurait baissé. Nous pouvons donc abaisser d'un an les âges
d'accès aux deux conservations,
compte tenu de la signification
psycho-génétique de cet effet d'apprentissage, et de nos fai-
bles effectifs, tout en gardant l'écart de trois ans entre les
deux conservations. Ainsi, avons-nous décidé de prendre, pour
la suite de la recherche,
les groupes d'âge de 9 ans et, de 12
ans, au lieu des 10 ans et 13 ans prévus à
la fin du travail
de D.E.A .. Cela nous évitera, pensons-nous, d'avoir de trop
,
grandes réussites qui ~nlèveraient toute signification à no~
cOffiparaisons.
Un point qui mérite attention: nous constatons que,
quel que soit le milieu socio-économique, rural ou urbain,
les deux conservations sont pratiquement acquises aux mêmes
âges. Or, dans la littérature psychologique, que nous ne con-
testons pas,
i l est souvent démontré,
corrme nous l'avons sou-
ligné dans la partie "INTRODUCTION" de ce travail, que les
enfants des milieux urbains sont en avance, dans l'acquisition
des opération~,intellectuelles~~sur~:ceuxdes milieux ruraux.
Nous nous attendions donc à trouver des âges d'accès différents
dans les deux milieux. Il se trouve qu'il n'en est rien. Nous
pouvons, pour l'instant,
attribuer ce manque de différence
entre les deux milieux, urbain et ruràl,
à nos petits effec-
tifs. Mais, si cela se retrouvait dans l'ensemble de cette
recherche, alors,
i l mériterait une tentative d'explication
que nous nous réservons de donner à temps opportun.

DEUXIEME PARTJE
PRESENTATION
ET
ANALYSE
DES
RESULTATS
DELA
2e R E CHE Re H E

-119-
Les résultats que nous allons présenter et essayer
d'analyser sont,
en un sens,
la pierre angulaire de notre
travail. En effet, c'est à partir de ces résultats que nous
verrons si la thèse de P. GREENFIELD, qui constitue le point
de départ de ce travail,
est confirmée ou infirmée, et ce
sont ces résultats qui nous permettronL de vérifier nos pro-
pres hypothèses sur la question.
Mais, auparavant,
il nous semble important de donner
quelques précisions sur notre échantillon. Co~me nous l'avons
dit tout au long de ce travail, et particulièrement dans la
partie "APPROCHE METHODOLOGIQUE", notre investigation porte
sur deux groupes socio-économiques :
les ruraux et les urbains.
i~ous avons souligné, au chapitre II de cette "l\\PPROCHE !'1ETHO-
DOLOGIQUE" , combien était limitée la notion d'enfant ivoirien,
compte tenu de l'hétérogénéité sociologique et linguistique
de la population. Ce n'est donc pas sur ce caractère de notre
échantillon que nous voulons revenir, quoique le rappeler ici
ne soit pas inopportun. Mais,
nous voudrions souligner les
caractéristtques particulières et essentielles de notre
échantillon au sens strict, c'est-à-dire,
les caractéristiques

-120-
des enfants dont nous avons observé le comportement intellec-
tuel au cours de cette étape de notre travail, afin que toute
comparaison puisse, non seulement être possible, mais, et
surtout,Cêtre comprise.
Dans l'ensemble, nous avons examiné,'. pour: les:: r
su Le.
ê
tats que nous allons présenter, une population de 80 sujets
dont 40 dans chaque milieu socio-économique. Et dans chacun
de ces milieux, nos sujets se répartissent également en deux
groupes d'âge
20 sujets de 9 ans,
et 20 sujets de 12 ans. La
moitié de ces enfants ont passé les épreuves en Bété et l'au-
tre moitié en Français.
Dans les deux groupes d'âge des enfants ruraux, tous
les enfants, à l'exception d'un seul, sont de parents culti-
vateurs, père et mère. Le seul enfant qui fait l'exception a
un père instituteur et un mère ménagère.
Il faut dire que nous avons travaillé dans la région
de la sous-préfecture d'
Issia, plus précisément dans le can-
ton Yokolo. Dans ce canton,
le prolétariat n'existe pratiquement
pas, et l'activité tertiaire
(petit commerce essentiellement)
reste l'exclusivité des étrangers, principalement des Dioula
(de Côte d'Ivoire} du Mali et de Guinée),
et des Nigérians

-121-
dans les villages
(1), des Dioula, des Nigérians, des Béninois,
des Sénégalais et des Syro-Libanais à Saïoua,
le chef lieu
du canton. De même,
les ouvriers agricoles que l'on peut ren-
contrer dans ce canton sont d'origine non
ivoirienne~(notam-
• •'-


• <
- - -
ment voltaïque} •
Il existe, cependant, des petits artisans
(menuisiers,
tailleurs, coiffeurs, mécaniciens, maçons), mais,
ils sont
pour la grande majorité des étrangers à la région et des non
ivoiriens, et les quelques autochtones de la région qui exer-
cent dans ce secteur d'activité,
n'y sont que de manière
secondaire et sporadique. En effet,
leur activité principale
est la culture de leurs champs de café et de cacao, et ils ne
deviennent artisans que lorsque les travaux des champs sont
finis et s!ils se sentent dans une bonne forme,
du point de
vue santé, pour se livrer A une activité secondaire, ou s'ils
sont dans un besoin pressant d'argent.
Quant à l'activité proprement industrielle, elle est
fournie par un centre unique, une petite usine de bois,
la
Compagnie Industrielle du Bois
(C.I.B.). Cette entreprise
est encore assez récente et n' a embauché, et n'embauche, que
des jeunes parmi les autochtones. Ce qui nous se~ble très com-
préhensible du point de vue de la politique d'une entreprise,
qui vise avant tout le rendement, mais aussi quand on sait· le
mépris qu'éprouve le Bété, d'une manière générale, pour "ces"
activités dont i l ne bénéficie pas directement du produit.
(1 k En plus des corrunerçants sédendaires dans les villages,
i l
existe des commerçants "nomades" qui se promGnent,
à vélo ou
à mobylette, dans
les villages à partir du centre, c'est-à-
dire, Saïoua.

-122
En effet, le Bété a comme une sorte de répugnance: pour la vente,
de façon générale, et encore plus pour la vente directe de
sa force de travail. La seule chose qu'il accepte, du moins
encore à la campagne, c'est celle de "son" café et de "son"
cacao, comme si le commerce, tel que la colonisation l'a intro-
duit
(1)', ne pouvait concerner que ces produits d'exportation
qui sont d'ailleurs des produits coloniaux. Le Bété a presque
honte de vendre, par exemple,des produits alimentaires et mê-
!
me des produits artisanaux, et encore plus s ' i l devait vivre
de la vente de ces produits. Et le paysan Bété qui n'a pas
sa plantation de café et/ou sa plantation de cacao est prati-
quement considéré, par les autres membres du village, comme
un bon à rien.
Toutes ces raisons font encore que,
à
l'époque
actuelle~une certaine homogénéité règne dans le milieu rural
Bété. Tous les paysans vivent encore, comme la grar.de majo-
rité de la population ivoirienne, de l'agriculture basée
d'abord sur les cultures vivrières telles que le riz,
la bana-
ne plantain, le taro, etc,
et sur les cultures d'expàrtation,
essentiellement le café et le cacao.
(1)
Il est évident que le commerce existait avant la colonisa-
tion. Mais sous la iorme de ce qu'on appelle le troc. On échan-
geait un produit contre un autre selon les besoins. Depuis la
colonisation, on échange un produit contre de la monnaie dont
la valeur est difficil~~ent comparable à celle du produit
échangé du fait qu'il est 'difficile d'apprécier, son coUt de
._
production et le besoin qu'on en éprouve, comme cela était
possible pour un pagne par exemple.

-123-
Tous ces parents ne savent ni lire, ni écrire dans la
langue officielle du pays,
à savoir le Français,
à l'excep-
tion de deux pères dont le niveau de scolarisation ne dépasse
guère le cours élémentaire. Quant aux mères,
elles ne savent
ni lire, ni écrire en Français,
à l'exception,.
bien entendu, de
la mère de l'enfant qui a pour père un instituteur.
Dans le milieu urbain, la; situation n'est 'pas aussi lim-
pide quant à l'homogénéité du groupe que dans le milieu rural.
Il est aisé,
en effet, de comprendre que n'importe quelle eth-
nie de la COte d'Ivoire a quelques réprésentants dans chaque_~
catégorie .s oc La Le de la population d 'Abidjan, 'depuis ·lesI'lro-.."·
fessions libérales telles médecins et avocats et les ensei-
gnants du supérieur,
jusqu'à l'ouvrier et au balayeur de rues.
Et l'ethnie Bété ne fait pas exception à la règle. Cependant,
c'est délibérément que nous avons voulu éliminer les enfants
de l'élite de la population
Bété d'Abidjan en limitant notre
investigation aux quartiers populaires sans toutefois aller
avons
dans la grande banlieue. En effet, nous restreint notre étude.
aux écoles primaires de Treichville, Adjamé, Marcory, Koumassi
et Port-Bouët. Et i l nous semble, mais après coup, que nous
nous sommes situé dans ce que l'on pourrait appeler la middle-
class~ivoirienne. En effet, si nous avons éliminé volontairement
l'élite ivoirienne,
le haut de gamme,
en ne poussant pas notre
..

recherche aux écoles des quartiers riches, Cocody et Plateau,
où pullulent les écoles privées lesquelles n'auraient certai-
nement pas regorgé d'enfants comprenant encore la :langue de
leurs parents
(en occurence le Bété),
i l semble que l'autre
extrémité des catégories sociales se soit éliminée d'elle-même.
En toàs cas~ dans nos deux groupes d'âge d'enfants urbains,
nous n'avons pas, par exemple, d'enfants de balayeurs de rue,
d'ouvriers à la voirie. Nous avons,
sur les 40 sujets urbains,
1
4 enfants dont le père est chauffeur, un enfant de 12 ans
dont le p~re est menuisier, un enfant de 12 an~ dont le père,
est cuisinier, et: deux enfants, dont un de 9 ans, dont le père
est instituteur. Tous les autres, soit 32 enfants, ont pour
père des employés:: de bureau,
essentiellement des comptables
et des magasiniers, des employés de banque, des infirmiers.
Eviter les deux extrêmes des catégories~sbtiales,c'estlà un
résultat que nous cherchions dans notre démarche, mais, c'est
un résultat que avons obtenu sanq effort. Il semble d-onc
qu'il y ait eu une sorte de sélection naturelle,
et ce n'est
qu'après coup que nous l'avons compris. En effet, au cours de
cette recherche, nous nous attendions à refuser les enfants
issus des basses catégories sociales dans la mesure où nous
avons éliminé ceux qui pouvaient servir de contre poids,
à
savoir les enfants issus des milieux très aisés. ~1ais, nous
n'en avons pas eu. Pourquoi n'avons-nous pas rencontré d'en-
fants de balayeurs de rue ou autres ? Faut-il comprendre
les
qu'il n'y a pas de Bété dans basses catégories de la population

-125-
Abidjanaise ? C'est indiscutable~ent faux, pour la bonne et
simple raison qué nous en connaissons. Alors,~co~ment se fait-
il~ue nous n'avons pas d'enfants issus de ces basses catégories
sociales? Le hasard? C'est fort possible, car, en fait,
nous
n'avons que 40 sujets en milieu rural. Ce qui est loin d'être
représentatif de la population des âges concernés, et donc
loin de représenter l'enseIT~le des professions. Cependant,
malgré ce hasard qui nous aurait ainsi facilité la tâche, nous
pensons quand même, après coup, répétons-le,
à une espèce
d'autoélimination des basses catégories sociales.
En effet, si on sait que le salaire d'un ouvrier varie
entre 25 OOG francs CFA et 45 OOO~'francs' CFA', soit entre
500 FF et 900 FF, on est en droit de se demander comment un
ouvrier peut-il vivre, à Abidjan, où la vie est de plus en
plus chère,
avec toute sa famille
(f emme f s ) (1)
et enfants)
?
Comment pourrait-il faire vivre un enfant en âge d'aller à
l'école dans cette vill~ où il ne mange pas à midi,
parce qu'à
ce rythme,
il ne pourrait pas se nourrir jusqu'à la fin du
mois; et si la, somme d'argent nécessaire à
la nourriture jus-
qu'à la fin du mois était mise de côté,
il ne pourrait pas
se payer quatre voyages par jour en bus(2). Ainsi,:.l'ouvrier
ivoirien, et d'une manière générale les catégories sociales
(1) Malgré tout ce que l'on peut dire,
la polygamie existe tou-
jours, et est reconnue dans les faits par les autorités adminis-
tratives.
(2)
Un ticket de bus coûtait, au moment de cette recherche,
60 F
CFA, soit 1,20 FF; non pas le voyage, mais le bus, c'est-à-
dire que, s ' i l est besoin de prendre deux bus pour arriver à
son lieu de travail, depuis son lieu d'habitation,
l'usager
paiera deux fois 60 F CFA son voyage.

-I26-
les p~us défavorisées, préfère-t~i1, quand il le peut, laisser
ses enfants dans son village natal où la vie est beaucoup
moins difficile, à un membre de sa famille ou même à un parent
éloigné plus fortuné sur le plan socio-économique et exerçant
quelque profession dans une autre ville du pays.
Les conditions concrètes de la vie à Abidjan font donc
que les ouvriers n'y vivent pas avec leurs enfants. Ce qui
expliquerait la sélection "naturelle" dans notre échantillon
de
groupes urbains, c'est-à-dire,
le manque d'enfants issus
de familles d'ouvriers.
Quant aux mères des enfants urbains, au contraire des
mères des ruraux, elles ne sont que pour une infime partie
dans le secteur d'activité de leur époux. En effet, seule
une petite minorité
(IO sur 40)
exerce une activité salariée o·
sécrétaires de bureau essentiellement. La grande majorité
d'entre elles se trouve dans les petites entreprises person-
ne11es : vendeuses de pagnes ou vendeuses de poissons, etc,
sur un marché de quartier ou à domicile
vendeuses de petits
produits alimentaires, genre a11oko
(I)
ou frites d'igname
dans les environs d'une école. Cependant, quatre mères sont
strictement ménagères, c'est-à dire qu'elles ne font que les
travaux de la maison.
(1) A11oko : des frites de bananes plantain mûres, cuites gene-
ra1ement dans l'huile de palme, mais également dans l'huile
d'arachide.

-127-
Nous constatons donc qu'à la ville,
la situation con-
crète a déterminé d'autres valeurs ou plutôt a provoqué un ren-
vers~ment des valeurs, en ce sens que la vente que les Bété
n'aiment pas à la ca~pagne, devient à Abidjan,
l'occupation
première de la majorité de leurs femmes.
Un dernier point à propos des parents des enfants urbains
mérite~~.pour finir, d'être relevé. Alors que les pères savent
lire et écrire en Français,
la, langue officielle du pays,
la
plupart des mères ne savent ni lire
ni écrire. Et c'est surtout
celles qui sont vendeuses qui sont dans ce cas. Cela se comprend
d'ailleurs car, comme nous l'avons dit plus haut,
le Bété n'ai-
pas la vente, d'une manière générale,
et si la vie en ville
a entraîné la recherche de nouvelles occupations,
tant pour
vivre que pour tuer l'ennui, une fille Bété qui sait lire et
écrire, si peu soit-il, préfère travailler dans un bureau ou,
à défaut, rester chez elle à se faire belle
(tresser ses che-
veux, par exemple), plutôt que d'être vendeuse sur un marché.
Ces quelques précisions. données sur l'origine socio-éco-
nomique de nos sujets, passons maintenant à la présentation des
résultats. Dans un premier cihapitre, nous verrons d'abord les
faits,
c'est-à-dire,
les productions des enfants,
et, dans un

-128-
second ~hapitre, nous essayerons d'animer une discussion de ces
résultats avant de tirer quelques conclusions aue CP ~Ait~
Au·;· premier éhapit.re,
nous verrons cornrnent les enfants
de chaque milieu socio-économique se comportent selon l'âge
et selon la langue. Ce qui nous permettra d'apprécier l'effet
dû à la familiarité de la langue selon deux points de vue :
prernière~ent, en tenant toutes choses égales par ailleurs,
c'est-à-dire, âge et milieu,
en comparant, par exemple, dans
le milieu rural,
les' enfants de 9 ans qui ont passé les épreu-
ves en Bété à ceux du même âge qui les ont passées en Français,
et ceux de 12 ans qui ont subi les épreuves en Bété à ceux du
même âge qui les ont subies en Français: deuxièmement,
en cher-
chant l'interaction de la langue avec le milieu;
cette dernière
voie nous permettra de savoir si le Bété est aussi non familier
aux enfants urbains que le Français ne l'est aux enfants ruraux,
et si le Français est aussi familier aux enfants urbains que
le Bété ne:l'est aux enfants ruraux.
Nous verrons ainsi si parler Bété équivaut à parler
Français, ou si une,desdeux langues favorise plus que l'autre
l'acquisition des opérations concrètes de conservation,
et
donc l'intelligence d'une manière générale.

-129-
Soulignons, enfin, que cette recherche a été effectuée
en décembre 1978 et janvier-février 1979, dans les écoles pri-
maires pupliques et privées du canton Yokolo, (1), dans la ré-
gion d'1ssia, en ce qui concerne les groupes ruraux;
et dans
les écoles primaires pupliques des quartiers de Treichville,
Adjarné, ~1arcory, Koumassi et Port-Bouët, pour les groupes ur-
bains. Tous les enfants sont nés entre novembre et mars
(2).
(D Voir carte de la Côte d'Ivoire, page suivante.
(2) Pour les enfants de 12 ans
entre novembre 1966 et mars 1967
9 ans
entre novembre 1969 et mars 1970

-130-
COTE
D'IVOIRE
Korhogo Il


., Odienné
Boundiali
e
Bouna

CI)
Dabakala
Katiola
,-,
6)
~ -oc
,- -- • - -
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Sêguéla
<9 Bouaké
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I·1an _.. _
Il
Zuénoula
J .. Danané
• Bouaflé
@Daloa
Toulêpleu
•Duékoué
Issia •
o Saïoua (Canton
Yokolo)
e Gagnoa
6' Soubré
c::!
œ
~ LU
cc
OCEAN
ATLANTIQUE

CHAPITRE r
PRESENTATION DES RESULTATS DE LA 2EME RECHERCHE
Pour cette deuxième recherche, nous avons un total de
80 sujets répartis également entre les deux milieux socio-
économiques
: soit 40 sujets par milieu. Dans chacun des milieux,
nous avons 20 sujets de 9 ans et 20 de 12 ans. Dans chaque grou-
-pe d'âge ~e -chaque- r,ilieu;IOenfan ts ont -pa s s
les' -épreuves
ê
en Bété et les 10 autres les ont subies en Français.
A.
LES ENFANTS RUfu~UX
AI~-
Les enfants ruraux ayant passé les épreuves en Bété
_.AI;a.
Les enfants de 9 ans
••.1\\.1. al. Dans la conservation des quantités de liquide
Nous relevons 4 succès dans cette conservation, sur les
10. enfants qui ont passé ltépreuve en Bété. Voici brièvement
les faits
.l,CS
~_~ CJ"..•.._
__:: /:. . '.'
_._ .

-I32-
- Monique
(25/I2/69). Après avoir rapproché spontané-
ment les deux verres pour
l'é~alisation~elle fait une bonne
prédiction èu niveau du liquide dans le long verre. Puis, elle
conclut l'égalité des quantités en faisant référence au verre
enlevé de son champ visuel. Elle fera pne~bbnne'prédicti6n~
du niveau du liquide dans ce deuxième gros verre, et, au 2ème
item, elle aura la même stratégie opératoire, ainsi qu'à la
contre suggestion.
-o. Marcelline (28/I2/69). La seule stratégie à laquelle
1
cette enfant a eu recours pour conclure l'égalité des quanti-
tés de liquide, est également l'identité,
la référence au ver-
re enlevé. Cependant, elle marquera une petite hésitation avant
de faire référence à ce verre enlevé à la contre suggestion.
Ses deux prédictions du niv~au du liquide sont~au~si bonnes.
-i-~A. Bially (IO/OI/70). Ici également, les prédictions
dans le long verre et dans le deuxième gros verre sont bonnes.
Et la stratégie qui permet la conservation est également la
référence au verre enlevé,
le seul argument étant l'identité
de départ.
- Y.
Jean-Claude I7/0I/70). Jean-Claude rapproche sponta-
nément les deux verres pour l'égalisation, ensuite,
i l fait
une bonne prédiction du niveau du liquide , dans le long verre,
et conclut l'égalité des quantités en faisant référence au
verre enlevé: c'est la même chose parce qu'on avait mis la
même chose tout à l'heure dans celui que tu as enlevé. Et c'est
}
le 60ntenu de ce dernier que tuxa~ versé dans celui-ci • Il
fera également une bonne prédiction dans le deuxième gros verre

-133-
identique au premier, et parviendra à la conservation par la
même stratégie.
Ainsi,
les quatre enfants de 9 ans qui ont conservé
les quantités de liquidé, sur les 10 qui ont passé l'épreuve _
en Bété, ont-ils tous, sans exception, eu recours à la même
stratégie de raisonnement. Nous chercherons à comprendre, '
plus loin, pourquoi cette stratégie est la seule utilisée,
et
s ' i l y a une différence significative entre cette stratégie
et les deux autres possibles à cet âge,
à savoir,
la compen-
sation (d Imeris Lons des verres)
et la
réversibili té: (refaire ).
l'opération inverse; remettre le liquide dans le deuxième gros
verre). l'1ais;~I- avant ï exposon.s d'abord ,tous' les 'fai ts afin que '.
chacun- puisse savoir sur quoi nous allons d_iscuter~Soulignons
au passage que tous ces enfants ~ui ont conservé, ont eu besoin
de leur doigt
(l'index)
pour prédire le niveau du liquidé
dans le deuxième gros verre.
~.AI~~~. Dans la coriservation de la longueur
Nous n'avons pratiquement ~ien à dire sur ce point,
sauf qu'aucun enfant n'a été capable de conserver la longueur,
qui
sur les 10 ont passé l'épreuve en Bété. D'ailleurs, aucun des
-,]
IOr.ènfants qui ont passé la même épreuve en Français, n'a été
capable non plus d'un raisonnement de conservation.

-I34-
,'.AI.b. Les enfants de 12 ans
; .AI. bL
Dans la conservation des quantiés de liquide
Sur les enfants de 12 ans qui ont passé cette épreu-
ve en Bété, nous avons noté 8 succès. A notre avis,
i l serait
fastidieux et inutilement long de présenter les productions
de tous ces enfants qui ont accédé à la conservation de la lon-
gueur;
et cela, d'autant plus que sur ces 8 enfants, 5 ont
exactement!
la même stratégie 9pératoire, en occurence la ré-
férence au verre enlevé du champ visuel. Nous allons donc pré-
senter seulement trois de ces productions.
-
B. Leboly
(05/II/66). Après une bonne égalisation
,
- par- -rapprochement'spontané-':des'verres' id'ent'iques,-±l- ·f-era--une-----·-
bonne prévision du niveau du liquide dans le long verre.Et au
premier item de cette épreuve, comparaison du contenu du long
verre avec celui du gros verre,
i l conclura l'égalité des quan-
tités en faisant référence au verre enlevé. Puis,
i l fera une
bonne prévision dans le 2ème gros verre avant de conclurel'éga-
li~é, au 2ème item, par le même argument d'identité, en fai-
sant référence au verre enlevé. Mai~; à la contre suggestion,
il donnera d'abord un~argument de compensation :"il y a 4 verres,
mais il sont petits et l'autre est gros", avant de terminer
par la référence au au verre enlevé :" ••• et le verre que tu as
enlevé contenait la même chose que celui-ci,
et c'est son con-
tenu tu as mis dans les 4 pet~ts verres".

-135-
-D. David
(28/12/66).
David rapproche les verres iden~
tiques pour l'égalisation,
fait une bonne prévision dans le
long verre, puis conserve la quantité de liquide en faisant
référence au verre enlevé. Il fera de nouveau une bonne prévi~
sion du niveau du liquide dans le 2ème gros verre que nous
avons ramené sur la table,
et conclura: l'égalité des- quantités
de liquide avec le même argument tant au 2ème item qu'à la
contre suggestion:
"C'était la même chose avant;'c'est devant
moi que tu as mis la même chose partout" diSait-il.
-D. Ouahi
(01/02/67). Après une bonne égalisation,
i l fait une mauvaise prévision :
"Ce sera la même chose" dit-il.
Et.après le transvas~üent, il se ravisa avec un sourire, et
conclut l'égalité des quantités, des contenus,
en justifiant
sa réponse par un argument de compensation:
"L'un est gros
et court, et l'autre est long et mince.
Et c'est parce que
l'autre est long que le niveau y est plus é1evé~'~
Il fera
par la suite une bonne prévision dans le 2ème gros verre oue
nous avons ramené sur la table et, au 2ème item,cornrne à la
contre suggestion, i l conservera par l'argument d'identité,
en faisant référence au verre enlevé.
Nous constatons, au niveau des enfants de 12 ans qui -
ont passé l'épreuve en Bété, que la stratégie qui est la plus
sollicitée par la pensée opératoire concrète, demeure l'iden-
tité. Les 8 enfants qui ont accédé a la conservation des liqui-
des
ont tous utilisé cet argument d'identité. Alors que 5 ~'~,
enfants:.~L~utiliSent. exclusivement,::3 ~ seulement l'ont combiné, ,

-136-
cet argument,
avec celui de la compensation, et un des 3 en-
fants qui ont utilisé la compensation pour parvenir à la conser-
vation,
a pratiquement été contraint de faire appel à cet ar-
,
gument de compensation. En effet, cet enfant avait prévu
que le niveau du liquide du long verre serait le même que celui
du gros verre. Et co~~e i l s'est trouvé devant le fait
que ce
n'est pas le même niveau,
i l a été amené à dire que c'est par-
ce que les deux verres n'ont pas les mêmes dimensions.
Soulignons que ces enfants qui ont accédé à la conser~~
vation des liquides n'ont pas eu recours à leur doigt pour
prévoir le niveau du liquide dans le 2ème gros verre.
Ils ont
tous dit que ce serait le même niveau que dans le 1er gros
verre. D'ailleurs, toutes leurs prévisions étaient verbales
"ce sera la même chose que ça" ou "ce sera plus que ça" en in-
quant un des gros verres.
Ainsi, remarque-t-on que tant chez les 9 ans
que
j
chez les 12 ans, du moins chez les enfants qui ont passé cette
épreuve de conservation des quantités de liquide en Bété,
la
stratégie opératoire la plus utilisée est l'identité. Nous
essayerons de comprendre,
à
la fin de ce chapitre/sur la pré-
sentation des résultats,
le pourquoi de cet état des choses.
Mais, pour l'instant, passons aux productions des enfants de
12 ans quant à
la conservation de la longueur.

•• AI.b2. Dans la conservation de la longueur
Dans cette conservation,
nous relevons 7 succès sur
les la enfants de 12 ans qui ont subi l'épreuve en Bété. Sur
ces 7 enfants, un seul n'avait pas pu trouver les deux égaux
parmi les 4 rr.orceaux de bambou sur la table.l~ faut peut-être
souligner, également, que tous les enfants ont manipulé, spon-
ta né ment ,
les morceaux de bambou.. Par ailleurs, sur les 7 en-
ffnts qui ont conservé,
3 ont utilisé exclusivement l'argument
d'identité, et les 4 autres l'ont combiné avec celui de la
1

compensatlon. Mais,
nous n'allons pas présenter les productions
de ces 7 enfants. Ce serait inutilement long. Nous allons donc
nous contenter d'en citer seulement trois, représentatives de
l'ensemble.
- ~. Frédéric
(04/01/67).
~our Frédéric, c'est tou-
jours les mêmes longueurs et ce, aux trois items, parce que
"c'é:tait la même chose avant, et puis tu as fait ça"
(il refait
notre geste). Ce qui signifie, selon Frédéric, que notre geste
n'a rien changé, absolument rien quant à la longueur des
deux
bambous. A la contre suggestion,
i l ajoutera:
"C'est la même
chose
parce que èelui-ci dépasse par ici, mais celui-là dépas-
se par là aussi".
- B.
Leboly
(05/11/66).
Pour Leboly, c'est la même
chose,
les mêmes longueurs aux trois items parce que c'était
"la même chose avant et celui-ci dépasse par ici, mais celui-
la dépasse par là". A:la contre suggestion, il dira: "le bout

-138-
qui aépasse par ici est égal au bout qui dépasse par là~.
- L. Hortense
(04/02/67). L'identité est le seul ar-
gument qu'utilise Hortense pour justifier ses réponses conser-
vatoires tant aux 3 items qu'à la contre suggestion. Elle di-
ra tantôt:
"C'était la même longueur et tu as avancé ou/et
reculé l'autre", tantôt:
"Parce que tu m'as derr.andé de choisir
les deux bâtons égaux".
Soulignons, enfin, qu'aucun des enfants qui ont ac-
cédé à cette consertion de la longueur, n'a échoué à celle
des quantités de liquide, alors qu'un de ceux qui ont réussi la
conservation des qüantités de liquide n'est pas parvenu à
celle de la longueur.
Par ailleurs, pratiquement tous les enfants ont spon-
tanément manipulé les 4 morceaux de bambou, contrairement à
ceux de,9,ans~
,A2. Les enfants ruraux ayant passé les épreuves en
Français
,~A2.a. Les enfants de 9 ans
_
.~' _ ' :'.r '•.__ • . "
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_ "
",
,;.A2~aI~ Dans la conservation des quantités de liquide
D'une manière générale,
les productions des enfants
de ce sous-groupe sont sensiblement identiques à celles des

-139-
enfants du sous-groupe
des enfants de 9 ans qui ont passé
cette épreuve en Bété. Nous n!allon~~donc pas présenter leurs
productions, mais nous allons nous contenter de souligner que
3 enfants de cesous~groupeont maîtrisé cette conservation.
Ces 3 enfants, et même quelques uns de ceux qui ont
échoué à cette conservation des quantités de liquide, se
--
sont servi de leur doigt pour indiquer le niveau du liquide,
surtout dans le deuxième gros verre.
1
Par ailleurs, un seul de ces 3 enfants qui sont par-
venus à la conservation a utilisé un argument autre que celui
de l'identité, en occurence,
l'argument de compensation. Mais,
i l semble que cet enfant a: été amené,_ pIu s r.our.rno Lns,-: à: si: ser-
vir de cet argument par le fait qu'il avait fait une mauvaise
prévision du niveau du liquide dans le long verre. En effet,
G. Armand Bichel
(30/12/69)
avait dit que le niveau du liquide
dans le long verre serait le m~~e que dans le gros verre. Au
premier item, c~est-à-diie, dans la comparaison du gros et du
long verre , c'est donc t.ou tr Loq Lquernerrt . qu' iL conc Lur a Lque le
long verre contient plus de liquide que le gros parce qu'il
est plus long; étant donné que le niveau y est plus élevé
alors qu'il prédisait l'égali~é. Il trouve alors la bo~ne~solu-
tion(le retour au 2ème gros verre)
et c'est tout logiquement
qu'il prédira le bon niveau dans ce gros. Au 2ème item de
cette épreuve, i l conlura l'égalité entre les 4 petits verres
et le gros verre, parce que les 4 verres sont petits et l'au-
tre est gros. Cette réponse étant également donnée à la contre

-140-
suggestion, nous retournons à l'item l, et cette fois-ci,
il dira que c'est la même chose parce que "verre là est petit
et gros,
c'est pour çà l'eau qui est dedans
(le niveau)
est
petit
(bas) ; verre là est long et l'eau qui est dedans
(le
niveau)
est trop haut".
Ici donc,
l'argu~ent utilisé est fonction de l'er-
reur à corriger. En effet,
le moyen utilisé ne serait-il pas
1
en rapport avec le but poursuivi ? Nous reviendrons plus loin
sur ce problème.
A ce niveau de nos résultats,
signalons que pres-
que tous les enfants ruraux de 9 ans qui ont accédé à
la con~
-serva t.Lonrde s que nt.L t.és: de: liqu-ide, --ia -seu'le- -qu' ils'ont-d !-arl-...· -...---.
r
leurs maîtrisée, ont eu recours à l'argument d'identité •
. ~~A2~@2. Dans la conservation de· la longueur
Nous l'avons dit plus haut, au paragraphe A.I.a.2.:
aucun enfant de 9 ans, en milieu rural, n'a accédé à
la con-
servation de la longueur, ni en Bété,. ni en Français. !\\Jous
ne faisons donc que rappeler ce résultat.
A ce stade,
i l nous semble déjà possible d'affirmer
qu'il n'y a pas de différence, du moins apparemment,
chez
les enfants ruraux de 9 ans, entre, d'une part, ceux qui
ont passé les deux épreuves en Bété, et, d'autre part, ceux

-141-
qui les ont passées en Français. Nous avons,
en effet,
les
deux épreuves de conservation réunies,
4 succ~s~en~Bêté contre
3 en Français,
lesquels .succès ont tous été obtenus dans la
conservation des quantités de liquide, et ont été justifiés,
pratiquement tous, par l'argument d'identité •
•A2.b. Les enfants de 12 ans
:.;A2.bI.Dans la conservation des quantités de li-
quide
Les productions des enfants de ce sous-groupe res-
semblent, à peu de choses près, à celles de ceux du sous-grou-
semble donc pel: important de présenter ces productions. Disons
seulement que 7 enfants sur ces 10 enfants de la ans ont maî-
trisé la
conservation des quantités de liquide par l'argument
àe l'identité pour la plupart. En effet, deux de ces 7 enfants
ont associé à cet argument d'identité, celui de compensation.
Par exemple, L.Y.
Basile (OI/12/66)
: pour cet enfant, le ni-
veau du liquide dans le long et le gros verres seront identi-
ques: Cependant, après le transvasement,
i l conclura l'égalité
des quantités de liquide en faisant référence au verre enlevé,
et en ajoutant " •.. mais, verre là est long et l'autre est
gros", comme pour justifier pourquoi les deux niveaux ne: sont
pas identiques. Il fera ensuite u~e bonne prévision du niveau
dans le 2ème gros verre,
et donnera une réponse de conserva-
s (.. :.... _ - -. ..~ '
.~-
-
. .
'"-'
.
. ". . ~
.

-142-
tion au 2ème item en faisant seulement référence au verre
enlevé. A la contre suggestion,qui tentait de lui faire croire
qu'il y en a plus dans les 4 verres parce qu'ils sont juste-
ment 4,
i l a répondu :" ••• mais ils sont petits, et puis ça

(en indiquant le gros verre),
il est grand
(gros)".
ici encore,
l'erreur dans la prédiction du niveau
semble avoir suscité l'argument de compensation. Bref, nous
pouvons dire que, comme
leurs pairs qui ont passé l'épreuve
en Bété, ces enfants se servent volontiers de l'argument
d'identité dans leurs réponses conservatoires.
Par ailleurs,
tout comme ceux qui ont passé cette
épreuveàes l~quiQ~s en Bété, ces enfants de 12 an~ gui ont
subi cette épreuve en Français et qui l'ont maîtrisée, ont
donné des réponses verbales quant à la prévision du niveau
du liquide
Nous pouvons donc dire,
en ce qui concerne les en-
fants ruraux de 12 ans, qu'il n'y a pas de différence significa-
tive entre ceux qui ont subi l'épreuve de la conservation des
quantités de liquide en Bété, et ceux qui l'ont passée en
Français. Mais, pour avoir plus d'informations, et tenter
une interprétation d'ensemble au niveau des ruraux de 12 ans,
voyons le comportement de ceux d'entre eux qui ont passé
l'épreuve de la longueur en Français.

-143-
~.A2.b2. Dans la conservation de la longueur
Le comportement des enfants de ce sous-groupe est
également identique à celui des enfants qui ont passé l'épreu-
ve en Bété, quant aux arguments utilisés par ceux qui ont maî-
trisé la conservation. Soulignons donc que seulement 4 en-
fants de ce sous-groupe ont accédé à cette conservation_de la
longueur,
en justifiant leurs réponses de conservation par
l'argument d'identité, sauf un cas qui mérite d'être souligné,
celui de L.Y.
Basile
(01/12/66), celui-là même dont nous avons
relevé le comportement dans la conservation des liquides de
ce sous-groupe. En effet, avant de parvenir à la conservation,
Basile a d'abord manifesté un comportement totalement aléa-
toire de non conservatipn. Au 1er item,
il trouve que le bâ-
ton non déplacé, celui qui dépasse sur sa gauche, est nlus
~ong parce qu'"il a laissé l'autre ici"
(en indiquant le vide
qu'a laissé le déplacé). Au 2ème item,
le bâton non déplacé,
celui qui dépasse,
cette f9is-ci,
sur sa droite,
sera jugé
plus long,
et Basile justifie cette réponse par le Dême argu-
ment. Jusqu'ici, c'est le bâton non déplacé qui' est jugé long.
Mais, au 3ème item,
i l dira que le bâton qui dépasse sur sa
gauche est plus
long pour- la .rn,~!!I.e~.r a Lson qU~ pJ.tl~, hau t, N()tls
.f a i.sons: relT'arquer que la:_ .Loq iqu.E=.:-caura i t été qu' il:
trouve les·
deux bâtons égaux à ce 3èrne~_itern, dans la mesure où les deux
bâtons ont été déplacés; c'est-à-dire qu'il n'y a pas de moins
long parce qu'il n'y a pas de bâton non déplacé,
étant donné
que le bâton non déplacé était jugé plus long aux deux précé-

-144-
cients ite~s. Bref, à la contre suggestion,
i l dira:
"C'est
pas vrai, parce que ça aussi, ça dépasse ici" 1alors, "c'est
même chose". I~ous reprenons alors les 1er et 2Gme I t ems , et
Basile conclut l'égalité des deux longueurs parce que "c'est
même chose avant".
COIT~e nous l'avons fait remarquer plus haut, cet
enfant avait utilisé, dans la conservation des quantités de
liquide,
l'argument de compensation pr~tiquement dans les
mêmes
conditions. En effet,
i l avait eu recours à cet argu-
ment pour conclure l'égalité des quantités de liquide après
avoir fait une erreur d'appréciation, de prévision du niveau
du liquide dans le long verre.
Dans la conservation de la
longueur,c'est la contre suggestion qui l'a amené à faire
appel à cet argument de compensation, et donc à maîtriser
la conservation de la longueur.
Du point de vue des stratégies opératoires rr.ises
en oeuvre dans cette conservation de la longueur,
nous pou-
vons donc dire qu'il n'y a pas de différence signficative
entre les enfants de 12 ans qui ont passé l'épreuve en Bété,
d'une part, et ceux qui l'ont passée en Français, d'autre
part. Apparerr~ent donc, il n'y a pas de stratégie opératoire
réservée à telle ou telle langue,
tout au moins au niveau
des opérations auxquelles nous nous. intéressons ici,c'est-
à-dire,
les opérations concrètes.

-145·
Par ailleurs,
il ne nous senble pas inutile de
souligner que, alors que 7 enfants de 12 ans ont maîtrisé
la conservation de la longueur chez ceux qui l'ont passée
en Bété, seulement 4 enfants de ceux qui l'ont oassée en
Français,~l'ont maîtrisée.
Pour l'instant, nous pouvons donc conclure qu'il
n'y a pas de différence significative, tout au moins, en-
tre d'une part,
les enfants ruraux qui ont passé les épreu-
ves en Bété, et, d'autre part, ceux qui les ont subies en
Français, tant dans les stratégies opératoires utilisées
que dans le nombre de succès. Nous relevons,
en effet, chez
les enfants de 9 ans,
4 succès en Bété contre 3 succès en
Français, dans la conservation des quantités de liquide,
et aucun succès dans les deux langues dans la conservation
de la longueur. Chez les enfants de 12 ans, nous notons,
dans la conservation des quantités de liquide,
8 succès en
Bété contre 7 en Français. Mais c'est dans la conservation
de la longueur que nous observons dans ce groupe d'âge de
12 ans , une petite différence : 7 succès en Bété contre
seulement 4 en Français.
Cette différence qu'on observe dans cette conser-
vation de la longueur ne nous permet pas d'affirmer quoi
que ce soit. Il faut d'abord voir si cette différence existe
égal~~ent dans l'autre milieu et dans quel sens. Et alors,
nous pourrions tenter de lui donner une interprétation • .

-I46
Cependant, c'est un indice qui va dans le sens de la conclu-
sion de GREENFIELD, à savoir que, dans cette conservation
de la longueur tout au moins,
les enfants de I2 ans réussis-
sent mieux dans la langue qui leur est familière,
en occu-
rence le Bété dans notre cas.
Quant au fait que tous les enfants de .. ce milieu
rural ut~lisent plus l'argument d'identité pour justifier
leurs réponses de conservation, nous essayerons de le. com-
prendre. l·lais,
il nous faut d'abord voir le comportement
des enfants du milieu urbain afin de savoirsi~te~fait n!est
pa s f dût.. au·_milieu •. En effet, si nous trouvons que les enfants
du milieu urbain utilisent plus un ou plusieurs autres arguments
que celui d'identité,
nous pourrons-alors:ccmprendre que
c'est un fait de milieu,
c'est-à-dire que tel ou tel milieu
permet l'utilisation plus ou moins exclusive de telle ou
telle stratégie opératoire concrète.
Cependant, nous pouvons déjà remarquer que, alors
que les enfants de 9 ans ut1lisentpresqu'exclusivement
cet:.argument d ' identité, certains :.enf:ants de - I2 ~ ans. du :
même~milieu l'associent àceluide.compensation~"Est~ce
donc:l~âgecqui est respQnsable.de~l'utilisa~ionde.tel'ou~_
tel ~rgu~ent.J C'estune.poss1bilité,mais~.nousne pouvons
le:savoirqu~~près.avoirvu le:comportement_des_enfants
du milieù urbain.

-147-
B. LES ENFANTS URBAINS
~ous allons utiliser, pour la présentation des
résultats àes enfants urbains,
le même plan de présentation
que pour ceux-dès-enfants ruraux.
BI. Les enfants urbains ayant passé les épreuves
en Bété
.~BI.a. Les enfants de 9 ans
", •• BI.aI.
Dans la conservation des quantités de
liquide
. -Nous relevons,·' sur ·les· 10 . enfants 8.e-9 ans,
5 s uc>
cès dans cette conservation. Ces 5 enfants qui ont accédé
à
la conservation ont eu des comportements différents.
En effet, un seul enfant a utilisé exclusiv~~ent l'argument
de comp ens a t Lcn ri et; un seul enfant a utilisé,égalernent ex-
clusivernent,celui d'identité. Quant aux 3 autres,
ils ont
associé les deux arguments; deux d'entre eux en co~mençant
par utiliser la compensation,
l'autre en commençant par
l'identité. Nous allons àonc présenter 4 productions
l'iden~ité exclusive, l'identité et la compensation, la
compensation exclusive, et la compensation et l'identité.
- K. Danièle
(12/01/70). Après une bonne prévision
du niveau du liquide dans le long verre, Danièle trouvera

-148-
que le long verre, parce qu'il est justement long, contient
plus de liquide. Elle ne trouvera pas la solution d'égali-
ser à nouveau les deux quantités, mais, elle fera,
cepen~-
dant, une bonne prévision du niveau du liquide dans le 2ème
gros verre. Au 2ème item,
la.comparaison d'un gros verre
avec les 4 petits yerres, elle conclu~a l'égalité des con-
tenus en faisant référence au gros verre enlevé. A la con-
tre suggestion, elle gardera ce cbmportement opératoire
avec le même argument. Nous revenons alors au 1er item,
;
et, cette fois,
elle conserve les quantités de liquide tou-
jours par l'argument d'identité
("Le verre dont tu as mis
le c9ntenu ici
(eri~indiquant=le'long=ou les~~~petits:verres)
. _contenait_la même quantité que celui-ci
(en indiquant. __le __ ..
gros verre)").
- K. Suzanne (08/11/69). Cette petite a manifesté'
une assez compréhensible peu~ quand nous lui avons demandé
d'entrer dans le bureau du Directeur de son école qui nous
servait de salle d'examen. Sa mère lui aurait reco~~ander
de ne jamais suivre quelqu'un qu'elle ne connaît pas.
Il a
donc fallu user delfpsychologie" si nous. osons dire, pour
la rassurer et la faire entrer dans la salle et la faire
asseoir à la table. C'est d'ailleurs pour sa peur que
nous lui avons fait passer les épreuves en Bété. Après
donc quelques minutes de discussion sur n'importe quel
sujet, sa famille,
ses amis, son travail scolaire, nous
sow~es passé à notre examen. Pour cette conservation des

-149
quantités de liquide, elle a rapproché spontanément les deux
verres identiques pour l'égalisation. Elle fera une bonne
prévision du niveau dans le long verre, et conclura l'égalité
àu contenu de ce dernier avec celui du gros verre en faisant
référence au 2ème gros verre. Après une bonne prévision du
niveau dans le gros verre, par indication du doigt sur le 1er
gros verre, elle conclura l'égalité des
contenus:
au 2ème
item, en faisant toujours référence au gros verre enlevé. A la
contre suggestion,
après avoir fait référence à ce gros verre
enlevé, elle ajoutera que les 4 verres sont petits alors que
celui qui est seul est gros.
-1.
Jocelyne
(21/01/70). Après un rapprochement sponta-
né des deux qros verres pour l'égalisation, .et une bonne prévi-
-
sion du niveau du liquide dans le long verre, elle conclut
l'égalité des contenus par la compensation des di~ensions des
deux verres
("Celui-ci est long et mince, c' est, pour: cela que: le
niveau du liquide y est plus élevé, mais c'est la mê~e quanti-
té partout parce que celui-là est gros"). Au 2ème item, après
une
bone prévision àu niveau du l~~uide dans le 2èrne gros
verre,
elle garde le même comportement opératoire avec le mê-
me argument de compensation, ainsi qu'à la contre sug':.:restion
("Ces verres sont 4, mais,
ils sont petit~, alors que celui
qui est seul est gros").
L.
Théophile
(20/12/69). Après une égalisation minu-
tieuse et longue,
et une bonne prévision du niveau dans le
long verre,
i l conclut l'égalité, au 1er item, parce q u e ' (
.~~~>.~.: ~~~_ :.:-,.Ô: '-":.J:".
'--: ' -
~.;._.
..~
':::'"

-150-
"ce verre est long mais mince, et celui-là est court et gros".
Il fera ensuite une bonne prévision àu niveau àans le 2ème
gros verre, et au 2ème item,
i l conclura l'égalitp. par le mê-
mèc raisonnement. A la contre suggestion,
il justifiera sa,
réponse de conservation par le fait que le gros verre et
celui dont nous avons transvasé le contenu dans les 4 petits
verres, contenaient la même quantité au départ.
Au vu de ces résultats,
nous dirons que les argu-
ments de conservation que sont l'identité et la co~pensation
sont preslu'indifférenment utilisés dans ce milieu urbain,
cians cette langue et dans cette conservation des quantités
de liquide. Tous les enfants qui ont accédé à cette conserva~
vation, en Bété, ont utilisé l'un ou l'autre de ces arguments,
soit exclusivement, soit en association, en les combinant.
Si nous comparons ces résultats à ceux que nous
avons obtenus en milieu.rural, nous tonstatons qu'il~n'y a
pas de différence entre les enfants qui ont passé l'épreuve
en Bété. Nous avons,
en effet,
5 succès en milieu urbain con-
en
tre 4 milieu rural.
Il n'y a donc pas d'effet significatif
du milieu. Hais, si nous rapportons nos résultats à ceux ob-
tenus dans la .langue non familière en milieu rural, puisque
le Bété est supposé être la langue non familière des enfants
urbains, rious r~~arquons alors
qu'il y a un léger avantage

-151-
en faveur des enfants urbains. Cet avantage, quoique insigni-
fiant, peut alors s'expliq~er par un effet du milieu, puisque
nous co~parons deux langues non familières,
en s~pposant que
ces deux langues agissent de la même ~anière en tant que lan-
gues non familières. Hais,
cette différence au profit du Bété
peut aussi s'expliquer par la différence entre les deux langues,
le fait que le Bété n'est pas le Français et vice versa, et
q~e, par conséquent, les deux langues n'ont pas la même impor-
tance, même à statut égal, en admettant toutefois, dans une
perspective quelque peu behavioriste et non plus piagétienne,
q~e la langue joue
un rôle dans l'acquisition des opéra-
tions concrètes.
Par ailleurs, nous pouvons supposer que le Bété et
Das
le Français n'ont- le même statut dans les deux milieux,
c'est-
à- dire que le Bété n'est pas aux urbains ce qu'est le Français
aux ruraux
(langue non faDilière). Ce serait alors un rroblè~e
d'échantillonnage. Mais
,nous ne pouvons le savoir que dans
une analyse globale, quand nous aurons v~ les résultats des
enfants ~rbains, dans les deux langues, dans les deux conser-
vat ions et aux deux âges.
:~~BI~a2. Dans la conservation de la longueur
Le seul succès chez tous les enfant de 9 ans,
tant
ruraux qu'urbains,
se trouve ici, chez les ur~ains et en Bété,
langue non familière par hypothèse. Voici COITù.'Llent cet enfant,
,-'-~---'..
.
.,-'-
'-:,. ..
-"
-.

-152-
fils d'un commis
vendeur à la C.F.A.O.
(Conpagnie Française
d'Afrique Occidentale), est parvenu à cette conservation.
- L.
Théophile
(20/12/69). Alors qu'il avait trouvé faci-
lement les deux bâtons égaux présentés pêle-mêlè~avec les deux
autres, Théophile trouve que le bâton qui dépasse sur sa gauche
est, plus long que l'autre parce qu'il est plus "haut ", et cela
aux trois items. Mais,
à
la contre suggestion,
il déclarera
que ~personne n'a raison, parce que l'autre aussi dépasse par
,ici". Nous reprenons alors les trois Items, et il conclut l'éga-
lité, parce que "celui-ci dépasse par ici,
et celui-là dépas-
se par là ; et si on COUDe les deux morceaux qui dépassent de
chaqt:..e côté,
ils seront égaux".
Nous remarquons que cet enfant, aux trois items de
la conservation des quantités de liquide, avait déjà utilisé
l'argument de compensation pour justifier ses réponses opéra-
toires concrètes •
. ~.BLb. Les enfants de 12 ans
.~BI.bI. Dans la conservation des quantités de liquide
Nous relevons 7 succês sur les 10 enfants de 12 ans
qui ont passé les items de cette conservation en Bété. A deux
exceptions près, tous ces 7 enfants ont pratiquement le même

-153-
comportement. En effet,
5 de ces 7 enfants ont fait appel uni-
quement à l'argument d'identité pour justifier leurs réponses
opé~atoires concrètes. Les deux autres ont associé à cet argu-
ment celui de compensation. Nous allons donc nous contenter de
citer seul~~ent trois cas représentatifs de l'ensemble des pro-
ductions.
- D.
Lézin
(24/11/66). Toutes ses prévisions du niveau
du liquide tan~ dans le long verre que dans le gros verre sont
bo~nes et verbales
("ça va:monter plus haut" ou."ce sera la mô-
me chose que le niveau de celui-ci"). Et aux deux items et à
la contre suggestion,
il fera appel,
exclusivement,
à
l'argu-
ment d'identité pour justifier ses réponses
("le verre Ciue tu
as enlevé contenait la ~ême quantité que celui-ci, et c'est son
contenu que tu as transvasé ici").
B.
Julienne
(17/02/67). Après une bonne prévision du
niveau du liquide dans le long verre, Julienne trouvera que le
long verre contient plus de liquide parce qu'il est long. A la
question·.. ~~, savoir comment égaliser de nouveau les deux quanti-
tés,
elle ne répondra pas. Elle fera,
cependant, une bonne pré-
vision du niveau du liquide dans le 2ème gros verre,
et au 2ème
item, elle conclura l'égalité en faisant référence au verre
enlevé. Et corrme elle garde cette réponse à la contre sugges-
tion,
nouS revenons au 1er item,
et elle conserve les quantités
de liquide avec le même argument d'identité, mais,
en le don-
nant,
cette fois-ci,
en Français. Elle nous dira par la suite
qu'elle ne parle pas souvent le B~té à la maison, alors que
ses deux parents sont Bété.

-154-
N.
Hélène
(18/12/66). Après une bonne prévision du ni-
veau du liquide dans le long verre, elle conclut l'égalité en
se référant au verre enlevé, mais,
en utilisant également
l'argument de compensation ("le niveau est élevé ici (en indi-.
quant le long verre) parce que ce verre est long et mince
c'est pour cela qu'il peut tromper quelqu'un. Mais,
c'est la
même quantité parce que c'était la mêrr.e quantité partout avant
le transvasement"). Et après une bonne prévision du niveau dans
le 2ème gros verre,
elle conclura l'égalité, au 2ème item,
et
à
la contre suggestion, en se référant uniquement à l'égalité
de départ dans les 2 gros verres.
Ainsi, pouvons-nous constater que les enfants de 12
ans qui ont accédé à cette conservation des quantités de liqui-
de,
justifient leurs réponses opératoires plus par l'argument
d'identité que par celui de compensation, et cela,
contraire-
ment aux enfants de 9 ans du même milieu et qui ont passé
l'épreuve dans la même langue,
et qui,
indifféreroment, utilisent
les deux arguments. Nous pouvons donc nous demander si le milieu
intervient effectivement dans l'utilisation de telle ou telle
stratégie opératoire, et cela d'autant plus que les enfants
ruraux de 12 ans,
interrogés en Bété, ont,
à peu de choses près,
le même comportement. Et comme les
enfants _ ruraux
~e_I2 ans qui ont passé cette épreuve en Français utilise~t le
même argument, nous pouvons également nous demander si la lan-
gue intervient réellement dans le fait de justifier ses répon-
ses opératoires par telle ou telle stratégie. Les résultats
,- -
~

-155-
des enfant~~qui ont passé._Ies épreuves. en Français, en milieu
urbain, nous permettront certainement de répondre à ces ques-
tions.
Par ailleurs, si nous comparons ces enfants qui ont
passé l'épreuve de conservation des quantités de liquide en Bété,
milieu urbain, aux enfants gui ont passé la même épreuve en
Bété, en milieu rural, nous constatons qu'il h'y a pas de dif-
férence.
Il n'y a pas non plus de différence avec ceux,qui, en
milieu rural, ont passé cette épreuve en Français. Nous avons,
en effet,
7 succès en Bété en milieu urbain,
contre 8 en Bété
et 7 en Français, en milieu rural.
Nous pouvons donc dire que,
dans cette conservation,
le Bété, -en milieu urbain, donne
les mêmes résultats,
non seulement que le Français, mais égale-
reent que le Bété,
en milieu rural •
•• BI·b2.Dans la conservation de la longueur
Nous relevons 6 succès sur les ro enfants de 12 ans,
dans cette conservation. Sur ces 6 enfants,
3 enfants ont uti-
lisé exclusivement l'identité de départ pour justifier leurs
réponses,
2 ont associé à cet argument la compensation, et un
seul a utilisé exclusivement la compensation. Nous allons donc
présenter un cas de ces 3 types de comportement.
-
B. Firmin
(30/12/66). Au 1er item, Firmin dira que les

-I56-
bâtons sont égaux parce qu'~~ils l'étaient avant, et tu n'as fait
fait que pousser celui-ci par là". Mais, au 2ême item,
i l trou-
vera que le bâton qui dépasse sur sa gauche est plus long, par-
ce que "poussé par ici". Au 3ême item,
i l trouvera de nouveau
les bâtons égaux parce qu'ils l'étaient au début de l'épreuve
(il accompgne cette justification du retour des deux bâtons au
même niveau, non pas pour annuler notre action par son contraire,
mais pour nous montrer l'égalité). Et comme i l résiste à la
contre suggestion, nous lui faisons repasser le 2ème item,
et
i l conserve par le même argument d'identité.
-B. René Armand
(05/03/67). Au premier item,
i l conclut
l'égalité en ramenant les bâtons au même niveau, nais, aprês
avoir dit q~e c'est parce qu'ils étaient égaux avant. ·L'arg~~.
ment d'identité l'emporte ici sur celui de réversibilité. Au
2ème item,
i l met les bâtons ensemble, tels que disposés sur
la table,
et déclaré que les 4 morceaux de bâtons sont égaux
deux à deux r ;
ceux qui dépassent de chaque côté, d'une part,
et, d'autre part, ceux qui sont dépassés. Au 3ème item, après
avoir nié l'égalité, il revient sur sa réponse et dit oue
c'est toujours la même longueur en se référant à l'égalité de
départ. A la contre suggestion,
i l répondra comme au 2eme item,
par la comparaison des différents morceaux.
- B.Julienne (I7/02/67). Aux 3 items et à la contre sug-
gestion, Julienne conclut l'égalité des deux bâtons en corr-pa-
rant les morceaux qui dépassent de chaque-~ôté: ("celui-ci dépas-
se par i61 et celui-là dépasse par là,
et les deuxtmorcea~x
qui dépassent sont égaux").

-157-
Nous pouvons donc dire que dans cette conservation,
tout comme dans la conservation des quantités de liquide,
la
stratégie la plus utilisée chez les enfants de 12 ans, tout
au moins chez ceux qui ont passé l'épreuve en Bété, c'est
l'identité, plus ou moins associéé à la compensation.
Si nous comparons maintenant ces enfants urbains de
12 ans aux enfants ruraux de 12 ans,
nous remarquons que,
alors
que 7 enfants sur la ont maîtrisé la conservation de la lon-
gueur chez les ruraux,
en Bété,
nous avons 6 enfants en milieu
urbain, da~s la même langue. Par ailleurs, dUépoint~devue:des
stratégies:opératoires utiliséesj.nous obser~onI3, à peu pr~s,
le même comporternnt. Les deux résultats-:indiquent-qu'il n'y a
pas de différence entre les deux milieux socio-économiques.
Mais, nous devons faire remarquer qu'il s'agit là de sous-
groupes ayant passé l'épreuve en Bété. Or,
si le Bété est la
langue familière aux enfants ruraux,
i l est ou est supposé
être la langue non familière aux enfants urbains, tout comme
le Wolof pouvait l'être:pour les enfants de Dakar dans la re-
cherche de GREENFIELD. Si donc nous tenons compte de l'effet de
la familiarité de la langue comme elle l'a trouvé,
nous pouvons
dire,
à ce niveau des
résultats,
que cet effet n'existe pas,
puisque,
s ' i l existait, nous ne devrions pas trouver que les
urbains,
à qti~.le Bété est moins familier,
réussissent aussi

-158-
bien que les ruraux dans cette langue.
Par ailleurs,
nous pouvons essayer de voir si le
Bété es~ aussi non familier aux urbains que le Français ne
l'est aux~~uraUX.En effet, nous pouvons faire l'hypothèse que,
si les langues familières doivent avoir le même résultat dans
les ceux milieux,
les langues non familières doivent également
donner
le même résultat. Ce qui signifie que les enfants interrogés
en Français
(Lanque. non familière)
en milieu rural doivent
avoir,
à peu près;
les mêmes résultats que ceux in~errogés en
Bété(langue non familière)
en milieu urbain, en admettant tou-
tefois que le milieu socio-économique n'intervient pas. Nous
avons alors 4 succès en Français en milieu rural contre 6 suc-
cès en Bété en milieu urbain.
On peut cire que la différence
entre ces deux résultats n'est pas significative.
Par conséquent,
l'hypothèse que les langues non familières agissent de la mê-
n'est
me manière, et qui
v
oas celle de GREENF1ELD, n'est pas re-
jetée. Par conséquent,
la conclusion de GREENF1ELD ne peut pas
être indirectement. démentie. Mais, dans la mesure oü nous avons,
dans la langue non familière,
un peu plus de succès en milieu
urbain
(6)
qu'en milieu rural
(4), nous pouvons faire l'hypo-
t.hè s e c.què ;» si la familiarité de la langùe joue dans
l ' acquisi-
tion des opérations concrètes de conservation, cette familiarité
pourrait être modulée par le milieu socio-économique. Nos résul-
tats ne nous donnent qu'un indice sur cette hypothèse d'une
action modulatrice du milieu socio-économique sur l'effet de
la familiarité de la langue dont l'existence n'est pas encore

-159-
confirmée; ce que nous allons essayer de voir par les résultats
des enfants urbains ayant passé les épreuves en Français, "leur
langue familière.
B2.Les enfants urbains ayant passé les épreuves en
Français
.B2.a.
Les enfants de 9 ans
•• B2.ar;.Dans la conservation des quantités de liquide
Au niveau des arguments utilisés pour justifier leurs
réponses conservatoires,
les enfants de ce sous-groupe ont le
même comportement que les enfants~qui ont passé l'épreuve en
Bété. Nous notons seulement que 2:enfants sur rd ont maitrisé
cette conservation en Français avec l'argument. j'identité.
Si nous tentons une comparaison avec ceux qui ont pas-
sé cette même épreuve en Bété, nous constatons ceci : contre 5
succès sur ro en Bété, nous avons seulement 2 succès sur 10 en
Français. Nous avons donc plus de succès en Bété,
la~gue non
familière,
qu'en Français,
langue familière. Cette différence
est-elle significative ?
Nous avons ici deux groupes indépendants de petits
effectifs. Nous pouvons donc tester qu'il n'y a pas de différen-
ce entre ces deux groupes par le test de FrSHER.
Ce qui nous
donne le tableau suivant :

-r60-
TABLEAU N° r
urbains
Résultats àes enfants
de 9 ans dans
la conservation des
quantités de liquide
ECHECS
SUCCES
TOTlŒ
A
B
BETE
5
5
ro = f.. + B
C
j)
FRi\\NCArS
8
2
ro = C + D
TOTAL
13
7
20
Dans ce tableau, A + B = ro, et C + D = ro,
et la
valeur observée de D = 2. Pour B = 5, et au seuil de 0,05 la
différence n'est pas significative,
entre les deux groupes puis-
'. que la' t-able de' F1StiER donne 0 " inférieur d oric à -2-.··
Si nous tenons compte du milieu socio-économique,
nous avons 2 succès en Français,
en milieu urbain,
contre 4 suc-
cès en Bété, en milieu rural.
A?pare~~ent donc,
les deux lan-
gues ne sont pas équivalentes dans les deux milieux,
ou plus
exactement le Français ne semble pas être aux urbains ce que
le Bété est aux ruraux. Et si nous comparons, au niveau des en-
fants qui ont passé l'épreuve en Français,
les ruraux aux urbains
(3 succès contre 2), nous sommes obligé de constater qu'il n'y a
aucune différence due au milieu socio-économique et que, par
ailleurs,
le Français semble être aussi non familier aux urbains
qu'il ne l'est aux ruraux.
Cependant, seule une vue d'ensemble peut nous permet-
tre de discuter nos différentes hypothèses.

-I6I-
·•• B2.a2. Dans la conservation de la longueur
Comme chez les enfants ruraux,
i l n'y a pas de succès
à cette conservation, pour ce sous-groupe. Le seul succès que
nous avons relevé chez les enfants de 9 ans, se trouve chez les
enfants:urba1ns qu10nt passé l'épreuve en Bété.
Peut-on alors dire qu'il y a une différence entre les
deux sous-groupes urbains de 9 ans ? Nous pensons que non. Par
pas
ailleurs,
il n',y a
de différence entre les milieux dans cet-
te conservation, comme d'ailleurs entre les langues. Le seul
avons
succès que nous observé chez les enfants urbains qui ont passé
l'épreuve en Bété, peut être dû aux différences individuelles
._.... --.'.-'~-'-" ~-
···au·e .not.r.e ..p.La.n-..de rec,he·r·c-he- -R.,,' a··· pa·s. Du_.maîtr~is.er·,.en . .p r.Lnci.pe , ,,_~ .. _.
• B2~b. Les enfants de I2 ans
•• B2.bI.,Dans la conservation des quantités de liquide
Les productions des enfants de ce sous-groupe sont
à peu près identiques à celles des enfants du sous-groupe qui
ont.passé l'épreuve en Bété. La grande majorité de ces enfants
ont utilisé l'argument d'identité pour justifier. leurs réponses
conservatoires. Par ailleurs, nous avons,
en Bété comme en Fran-
çais,7-SUccès dans cette conservation des quantités de liquide.
C'est un résultat qui ne va pas dans le sens de l'hy?othèse et
des résultats de GREENFIELD. Déjà, à 'ce m~~e âge et dans la

~r62-
même conservation,
nous n'avions pas relevé de différence en-
tre les Qeux langues en milieu rural.
Si nous mettons en rapport les deux types de résul~
tats,
nous nous rendons cODpte également qu'il n'y a pas de dif-
férence entre les deux milieux socio-éconoDiques dans cette
conservation. Les résultats, dans les deux langues,
sont donc
semblables, non seulement dans chaque milieu socio-économique,
mais d'Un mili~u socio-écono~ique à
l'autre.
Ce qui n'est ?as
favorable à notre hypothèse sur l'effet du ~ilieu socio-écono-
~ique.
..B2.b2, Dans la conservation de la longueur
Du point de vue des arguments utilisés pour justifier
leurs réponses de conservation,
les enfants de ce sous-groupe
n'ont rien de significativement différent de ceux du mêrr.e âge
qui ont passé l'épreuve en Bété. ~es enfants qui ont accédé à
~;
~.
cette conservation ont utilisé plus l'argument d'identité. Sn
ef~et, 4 enfants sur ra ont maîtrisé cette conservation en se
servant unique~ent de l'argument d'identité dans 3 cas. Un
seul enfant a utilisé celui de la compensation.
Mais, si nous nous intéressons au nombre de succès,
nous relevons une légère différence entre les enfants qui ont
passé l'épreuve en Bété et ceux qùi l'ont passée en Français.
~ous relevons, 'en effet, que 6 enfants sur IO~ont mEîtrisé cet-
te conservation en Bété, alors que 4 seuleDent l'ont maîtrisée

-163-
en Français. Ce léger avantage en faveur du Bété n'est pas si-
gnificatif, mais c'est tout de IT.ême un nouvel indice quine va
pas dans le sens des résultats de GREENF1ELD,
si nous supposons
que le Français est la langue familière aux enfants urbains.
Par ailleurs, si nous tenons compte du milieu socio-
économique dans la comparaison des deux langues,
et dans la
conservation de la longueur chez les enfants de 12 ans, nous
remarquons. alors gue le Françàis
en milieu urbain:,
est égal
au Français en milieu rural
(4 succès contre 4) ,et que le Bété
en milieu rural est égal au Bété en milieu urbain
(7 succès
contre 6). Ce qui indique que quelle que soit la langue,
le n1-
.lie~ne. différencie.pas. les groupes. ·Cequi ne va pas· dans le
sens de notre hypothèse sur l'effet du milieu socio-éconoî:ùque.
Par ailleurs, nous pouvons dire que les langues, dans
chaque milieu, différencient quelque peu les enfants, tout en
reconnaissant que ce n'est qu'un indice et non une différence
significative. Cependant, cét indice n'est pas dans le sens de
GREENF1ELD,
si toutefois le Français est la langue familière
des enfants urbains.
Rappelons, pour finir avec la présentation proprement
dite des résultats, que tous les enfants de 12 ans qui ont maî-
tr Ls
la..conservation de. la...Lonqu eu r , . orrt: ma t r isé
q a Leme nt;
é . .
ï
ê
celle des quantités de liquide,
et que, d'une manière générale,

-164-
dans cette conservation des quantités de l~quide, leurs prévi-
sions du niveau de liquide dans les différents verres étaient
plutôt verbales. Et cela, quels que soient le milieu et la
langue.
c. CO~CLUS10N
Au vue de nos résultats,
et ce à propos d'une ques-
tion que nous avions laissée en suspens, nous pouvons dire
qu'il n'y a pas de stratégie de raisonnement réservée à tel ou
tel IToilieu, ou à telle ou telle langue.
Dans chaque milieu et
dans chaque langue,
les deux groupes d'âge ont
utilisé plus
ou moins exclusivement l'argume~t d'identité pour justifier
leurs réponses de conservation. L'utilisation de l'argument de
compensation étant,
en tous cas,
secondaire.
Alors, deux questions se posent. Y a-t~il une hié-
rarchie qualitative dans les arguments de ce stade opératoire
concrèt ? Et, pourquoi l'argument d'identité est-il le plus
utilisé chez nos sujets ? Nous allons donner notre point de vue
sur ces deux questions.
Il est évident que la réponse à la première question
apportera une lumière pour la compréhensioru~de-ltafitce.·A:notre
avis~ les trois arguments permettant de justifier. une répon~e

-165-
0Fératoire concr~te,àsavoir l'identité,
la compensation et
la réversibilité, se valent toutes,
bien que toutes les con-
servations ne soient pas acquises au même âge.
La preuve, nos
deux conservations des quantités de liquide et de la longueur.
A propos de ces trois arguments,
nous dirons donc, par analogie
aux thèses de F. LONGEOT
(1978)
sur l'homo~énéité des stades
opératoires, et plus nrécisément sur les ~items" ou les "é·preu-
ves" d'un même stade de la pensée opératoire, qu'il y a
,
ici,
"homogénéité par équivalence", dans la mesure où r:ous per:sons
que.ces trois stratégies opératoires sont "sutstitua81es"
(LONGEOT, I978,p.
36)
l'une à l'autre. N'importe quelle stra-
tégie permet la conservation; et n'utiliser qu'une seule stra-
tégie ne veut pas
(forcément) dire qu'on ne possède pas les
autres.
Il est alors moins inquiétant de répondre à
la deuxi~­
me question tout en sachant que le problème qu'elle pose n'a
pas de conséquences graves.
En effet,
ce n'est pas faire preu-
ve d'une infériorité que de n~utiliser que l'argument d'identi-
té pour justifier ses réponses de conservation. Car,
selon--
nous, on utilise telle ou telle stratégie selon la nature du
problème,
la manière même dont ce problème se pose.
Et c'est
cette manière dont le problème se pose qui fait qu'on a recours
à
telle ou telle stratégie. Ainsi,
la réversibilité serait-elle,
par exemple, plus sollicitée dans l'épreuve de la pâte à mode-
ler
(refaire une boule avec la galette). Et si nous' revenons

-I66-
à nos épreuves,
nous pouvons constater que l'argument le plus
facile à utiliser est préciséme~t ce~ui d'identité, tout au
moins aux items de chaque épreuve. Et logiquement, on ne son-
ge à la compensation que dans les contre suggestions ( tu ffi'as
ait que ••• , mais un autre anfant m'a dit oue c'est ce bâto~
qui est long parce qu'il dépasse par
ici, ou c'est ici qu'il
y a plus de liquide parce qu'il y a 4 verres ou parce q~e ce
verre est gros). C'est donc,
nous semble-t-il,
le problème à
résoudre qui appelle, par la manière dont il est posé, tel ou
tel raisonnement, tel ou tel argument.
Cela dit, passons à l'exploitation statistique de
nos résultats,
et-essayons de leur donner u~e interprétation
d'e~seDble.

-167-
CHAPITRE II
EXPLOITATION ET DISCUSSION DE LA DEUXIE~Œ
RECHERCHE
Dans ce chapitre, nous allons discuter nos différentes
hypothèses de recherche au vu de nos résultats auxquels nous
tenterons de donner une interprétation d'ensemble. Mais, au-
parayant,
il:nous parait important d'essayer une exploitation
statistique de ces résultats afin de mieux percevoir les dif-
férences entre, d'une part,
les deux langues,
et, d'autre part,
entre les deux milieux socio-économiques,
et également l'inter-
action des deux facteurs.
Nous allons donc avoir deux points
dans ce chapitre. Le premier point sera consacré à
l'exploita-
tion statistique, et le deuxième à la discussion proprement
dite des résultats.
A. EXPLOITATION STATISTIQUE
Rappelons d'abord nos différents résultats
dans quelques
tableaux
récapitulatifs

-I68-
TABLEAU N°2
Résultats des enfants ruraux
Tableau 2.a:
les eRfants de 9 ans
Tableau 2.b:les enfants de
I2 a ns
liquides longueur
liquides longueur
Langue
Langue
4
0
8
7
fa;nilière
familière
i
-,
Langue non
Langue no
3
0
7
4
familière
familière
TABLEAU N°]
: Résultats des enfants urbains
Tableau3.a:~ les enfants de 9 ans'
Tableau 3.b:
les enfants de
I2 a:1S
liquides longueur
liauides longueu~
..
r'·
~
..
- ",
Langue
'" Lâncjü:e
2
7
4
familière
0
familière
Langue non
Langue no
1
5
familière
l
familière
7
6
De ces tableaux 2 et 3, nous pouvons déduire d'autres
tableaux en tenant compte que dans chaque langue et à chaque
niveau d'âge,
nous avons vu IO enfants.

-169-
1. Effet de la familiarité de la langue dans la
conservation des quantités de liguide.
1.1 Chez les enfants de 9 ans
.I.I~,Chez les enfants ruraux
confère
TABLEAU N° 4
Résultats des enfants ruraux
,
ECHECS
SUCCES
TOTAL
Langue
A
B
+=amilière
6
4
ra = A + B
C
D
iJangue non
7
3
ra + C + D
'-amilière
TOTAL
13
7
20
Dans ce cas où des effectifs théoriques sont inférieurs
,.r
,<T.
~ 5 (3,5 pour 4 et 3), nous pouvons utiliser le test de FISHER.
Pour A + B = la, C + D = la, et B = 4, le tableau de ce test
donne a au seuil de 0,05. Or, D = 3, donc D) O. Par conséquen~
la différence n'est pas significative entre la langue familière
et la langue non familière.

-170-
.1.lb.Chez les urpains.Confère
TABLEAU N°S
Résultats des enfants urbains de 9 ans dans la conservation des
quantités de liquide.
ECHECS
SUCCES
TOTAL
A
B
Langue
8
2
la = A + B
i
familière
C
D
,
Langue non
5
5
la = C + D
familière
TOTAL
13
7
20
Pour A + B = la, C + D = la, et A = 8, la table du
test de FISHER donc, au seuil de 0,05, une vale~r de 3 pour C.
Or, dans nos valeurs observées, C = 5"':::jo":C) 3. Il n'y a donc
pas de différence significative à ce seuil, entre ces deux
groupes indépendants que constituent les enfants qui ont passé
l'épreuve en Bété et ceux qui l'ont passée en Franç~is.

-I7I-
I.2 Chez les enfants de 12 ans
• I. 2a.:, Chez les enfants ruraux
TABLEAU N°6
Résultats des enfants ruraux de 12 ans dans la conservation
des quantités de liquide
ECHECS
SUCCES
TOTAL
A
B
Langue
2
8
IO
familière
C
D
Langue non
3
7
IO
familière
TOTAL
5
15
20
Pour A + B = la, C + D = IO, et B = 8, 1~ test ne
montre pas de différence significative~Cntre les deux groupes,
au seuil de 0,05. En effet, D = 7 est supérieur à 3.

-172-
.I.2b.Chez les enfants urbains
TABLEAU N°7
Résultats des enfants urbains de 12 ans dans la conservation
des quantités de liquide
ECHECS
SUCCES
TOTAL
A
B
Langue
3
7
la
familière
C
D
Langue non
3
7
la
, familière
TOTAL
6
14
20
Pour A + B = la, C + D = la, et B = 7, à 0,05, le test
de -FISHER montre qu'il n ' y a pas, de différence s Lqn.Lf Lca t.Lve
entre ces deux groupes indépendants. D'ailleurs,
la lecture
directe des résultats montre qu'il n'y a aucune~différence.
En ce qui concerne les quantités du liquide, nous pou-
vons dire qu'il n'y a pas d'effet de la familiarité de la langue
ni chez les enfants de 9 ans, ni chez les enfants de 12 ans,.
et'èèla quel gùe soit le milieu socio-économique envisagé.
Par ailleurs, si nous regroupons les âges dans chaque
milieu socio~économique, nous obtenons, dans cette même conser-'
2
vat ion des quantités de liqùide,
les mêmes résultats par un X •
Nous avons, en effet, chez les enfants ruraux,
le tableau 8.

-173-
TABLEAU l':°8
Résultats des deux âges réunis,
en milieu rural
ECHECS
SUCCES
TOTAL
Langue
familière
8
12
20
Langue non
10
10
20
familière
TOTAL
18
22
40
Le X2 corrigé
(I) de ce tableau est égal à 0,098,
inférieur donc à 3,84 que donne la table du x2 au seuil de
0,05 avec I degré de liberté.
Chez les urbains,
le tableau N° 9
TABLEAU N°9
Résultats,
les deux âges réunis,
en milieu urbain
ECHECS
SUCCES
TOTAL
Langue
II
9
20
familière
Langue non
8
12
20
familière
TOTAL
19
21
40
2
(I) x2 corrigé = E ~ffectif observé-effectif théorique/-O,S)
effet théorique

-r75-
Pour A + B = ra, C + D = ra, et B = 7, au seuil de
0,05,
la table du test de FrSHER donne D = 2.
Dans nos va-
leurs observées, D = 4::9 D) 2. Par conséquent, il n' y a pas
de différence significative entre nos groupes indépendants.
2.2 Chez les enfants urbains de r2 ans
TABLEAU N°rr
Résultats des enfants urbains de r2 ans dans la conservation
de la longueur
ECHECS
SUCCES
TOTAL
A
B
Langue
6
4
ra
familière
C
D
Langue non
4
6
ra
familière
~.
~ ~~~.
TOTAL
ra
la
20
Pour A + B = la, C + D = ra, et B = 4, au seuil de
0,05,
la table du test de FISHER donn€;!
conune valeur de D,O.
Or,
la valeur de D de notre tableau = 6.
Il n'y a donc pas de
différence significative entre les deux groupes.
Nous pouvons dire, au niveau de la conservation de la
longueur, qu'il n'y a pas d'effet de familiarité de la langue,
quel que soit le milieu envisagé.

-174-
Au seuil de 0,05 avec un degré de liberté,
la diffé-
2
rence n'est pas significative, car le X
corrigé est de 0,38.
2. Effet de familiarité dans la conservation de la
longueur
D'une manière générale, nous nous intéresserons aux
résultats des enfants de 12 ans dans la mesure 00,
quets~qqe.
soient la langue et le milieu, cette épreuve de la conservation
de la longueur n'est pas sensible chez les enfants de 9 ans.
Il est donc impossible de vérifier, chez ces derniers,
l'exis-
tence d'un effet de la familiarité d'une langue.
2.1 Chez les enfants ruraux de 12 ans
Résultats des enfants ruraux de 12 ans dans la conservation
de la longueur
ECHECS
SUCCES
TOTAL
A
B
Langue
3
7
la
familière
C
D
Langue non
6
4
la
familière
TOTAL
9
II
20

-176-
En définitive donc,
nous pouvons conclure que,'tant
en milieu rural qu'en milieu urbain,
i l n'y a pas de différence
significative entre langue familière et langue non familière,
ni dans la conservation des quantités de liquide, ni dans
celle de la longueur. A ce niveau,
i l nous est permis d'avancer
que l'hypothèse de GREENFIELD n'est pas confirmée par nos ré-
sultats.
Mais, avant de passer à la discussion de ce réspltat,
voyons d'abord s ' i l n'existe pas de différence entre le mi-
lieu rural et le milieu urbain. Nous savons mainteriant qu'il
n'y a pas de différence entre les deux langues. Par conséquent,
.:.{" .
.
nous pouvons considérer notre hypothèse sur l'effet du milieu
_"';'~..'
socio-économique les deux langues confondues. Ainsi, nous avons
:
TABLEAU N°I2
Résultats des enfants ruraux les deux langues confondues
~
~.,
Liauide
Lonqueur
9 ans
7
0
12 ans
:~-I5
II
TABLEAU N"'Ij
Résultats des enfants urbains les deux langues confondues
Liquide
Lonaueur
9 ans
7
r
12 ans
14
ro

-177-
De ces tableaux 12 et 13,
nous pouvons déduire
d'autres tableaux pour l'exploitation. Ce qui nous donne
3. Effet du milieu socio-économique dans la conservation
des quantités de liquide
3. 1. Chez les enfants de 9 ans
(confère - tahleau 14)
TABLEAU 14
Résultats des enfants de 9 ans des deux milieux dans la
conservation des quantités de liquide
ECHECS
SUCCES
TOTAL
Ruraux
13
7
20
Urbains
13
7
20
TOTAL
26
14
40
Si on calculait un x2 de ces résultats GU tableau 14,
i l serait égal à 0, car les effectif~ seht exactement les mêmes
dans les deux milieux socio éconoffiiques.1l n'y a-donc pas la
moindre différence entre les deux milieuxj chez:les enfants
de-9 ans, dans la conservation des quantités de liquide.
3.2. Chez les enfants de 12 ans
(confère tableau 15)
TABLEAU 15
Résultats des enfants de 12 ans des deux milieux dans la
conservation des quantités de liquide
ECHECS
SUCCES
TOT}\\L
Ruraux
5
15
20
Urbains
6
14
20
TOTAL
-II
29
4U

-178-
2
Le X
corrigé de ce tableau est égal ~ 0, pui~que
le numérateur est égal ~ O. Au seuil de 0,05, qui correspond
à un x2 de 3,84 pour l
degré de liberté,
i l n'y a pas de dif-
. férence entre les deux milieux socio-éonomiques au niveau des
enfants de 12 ans non plus, dans la conservation des quantités
de liquide.
Nous pouvons dire,
en ce qui concerne la conservation
des quantités de liquide, qu'il n'y a pas de différence entre
les deux milieux socio-économiques, rural et urbain.
4. Effet du milieu socio-économique dans
la conservation
de la Ipnqueur
Comme pour la comparaison des deux langues, nous nous
intéresserons seulement aux résultats des enfan~s de 12 ans
Cette conservation de la longueur n'€tant
pas sensible chez
les enfants de 9 ans.
Résultats des enfants de 12 ans des deux milieux dans la
conservation de la longueur
ECHECS
SUCCES
TOTAL
Ruraux
9
I I
20
Urbains
10
ID
20
TOTAL
19
21
40

-179-
2
Le x 2 corrigé de ce tableau est égal à O.Ce
X
cor-
rigé est inférieur à 3,84 au seuil de 0,05. Il n'y a donc pas
de différence entre les deux milieux dans cette conservation
de la longueur.
Nous pouvons donc conclure que,
aussi bien dans la
conservation des quantités de liquide que dans celle de la
longueur,
il n'y a pas de différence entre les deux milieux
socio-économiques, ni chez les enfants de 9 ans, ni chez les
enfants de 12 ans.
Sachant none qu'il n'y a pas de différence ni entre
les langues,
ni entre les âges
(9 ans rural = 9 ans urbain'et
idem pour les 12 ans),
âges et langues confondus'
(tableau 17)
apprécions l'effet du milieu.
TABLEAU N°l7
>1"
""~'
Résultats des enfants ruraux et urbains dans la conservation
des quantités de liquide,
les 2 âqes confondus.
ECHECS
SUCCES
TOTAL
Ruraux
18
22
40
Urbains
19
21
40
TOTAL
37
43
80

-I80-
2
2
Le X
deroe tableau
(X
non corrigé)
est de 0,048.
Comparé à 3,84 au seuil de 0,05, avec l
degré de liberté, ce
2
X
n'est pas significatif.
Il n'y a donc pas de différence
entre les deux milieux socio-économiques, tous ~ges confondus,
dans la conservation des quantités de liquide.
Quant à l a conservation de la longueur, nous rappelons
!
que seuls les résultats des enfants de I2 ans sont intéressants.
Or, le tableau I6 nous a déjà montré qu'il n'y a pas de diffé-
rence entre les deux milieux.
5. Comoaraison Français -
Bété
Nous savons maintenant qu'il n'y a pas de différence
ni entre les deux milieux socio-économiques, ni entre langue
familière et langue non familière.
Nous pouvons donc comparer
ç
~:'
Bété et Français, en . tant quez ~anguesfdifférentes,-mi::lieux: ~tF::
âgés0confondus. Ce qui nous permettra de savoir si l'hypothèse
traditionnelle de la pauvreté des langues africaines en ~otions
-abs t.r.a Ltes'. aJ que Lque.r . f ondemen t-: s cd ent Lf Lque.: ,
S.I Dans la conservation des quantités de liquide
TABLEAU N°Ia
Résultats dans la conservation des luantités de liguide en Bété
et en Français, milieux et âges con ondus
ECHECS
SUCCES
TOTl'.L
Français
2I
I9
40
--'
Bété
I6
24
40
- .:. ,
TOTAL
37
43
80

-181-
Le x2 de ce tableau est égal à 1,24. Au seuil de 0,05,
ce X2 est inférieur à3,8A • Il n'est donc pas significatif.
De même, à 0,1
i l est encore inférieur à 2,71. Nous pouvons
donc dire qu'il n'y a pas de différence significative entre
les deux langues, dans la conservation des quantités de liquide.
Cependant, "nous devons remarquer que c'est le plus grand x2 que
nous trouvons jusqu'ici, c'est-à-dire,
la plus grande diffé-
rence entre les deux langues.
5.2 Dans la conservation de la longueur
(avec les 12 ans
seulement)
Résultats dans la conservation de la longueur,
en Bété et en
Français
ECHECS
SUCCES
TOTAL
Francais
12
8
~.
".. , 0 ( '
20
Bété
7
13
20
TOTAL
19
21
40
2
Le X
de ce tableau est égal à 2,48. Au seuil de 0,05,
2
ce X
n'est pas significatif. Il n'est pas non plus significa-
tif à 0,1, puisque 2,48 est inférieur à 2,71 à ce seuil. Par
conséquent, i l n'y a pas de différence entre Français et Bété,
dans la conservation de la longueur.
Nous pouvons donc conclure que l'hypothèse de la pau-
vreté des langues africaines n'est pas confirmée puisque nos

-182-
résultats indiquent que le Bété
(ur.e langue africaine)
et le fran-
çais(une langue européenne)
se valent.
Soulignons, cependant,
qu'il y a une tendance indiquant un petit avantage au bénéfice
âu Bété. Nous avons, en effet, 13 succès en Bété contre 8 en
Français dans la conservat~on de la longueur, et, dans la con-
servation des quantités de liquide,
24 succès en Bété contre
19 en Français.
Après cette exploitation statistique,
i l est possible
de dire qu'il n'existe pas de différence,
comme la lecture
directe des résultats l'avait laissé entrevoir, d'une part
entre Lanquevf arnd Lf.ê r e et langue non familière,
et cela quels
que s o i.erït; le rn.i.Lt.eu,
l'âge e t la cons erva t Lon ; et, d'autre
part, entre le milieu rural et le milieu urbain, quels que
~
soient l'âge,
la conservation et la langue. L'interaction du
.ç-
~:'(.
milieu et de la langue, quoique en faveur du Bété dans les
deux milieux, n'est pas non plus significative.
Et c'est ce manque de différence entre les deux milieux
socio-économiques d'une part, et entre les deux langues d'autre
part, qui va faire l'objet du point suivant de ce chapitre.
B.
DISCUSSION DES RESULTATS DE LA 2EME RECHERCHE
P. GREENFIELD avait trouvé que les enfants ruraux
étaient meilleurs que les enfants urbains dans
la conservation

-183-
des liquides, alors que tous les sujets avaient passé l'épreuve
en Wolof, une des langues dominantes du Sénégal. Elle a expli-
qué cet avantage des ruraux sur les urbains par le fait que
les enfants de la ville maîtrisent moins bien la langue de pas-
sation de l'épreuve.
Dans l'introduction de ce travail, nous refusions non
pas la différence elle-même, mais le sens de cette différence,
c'est-à-dire,
le fait qu'elle soit en faveur des ru~aux. Nous
considérions alors les résultats de GREENFIELD comme un arte-
fac~ méthodologique pour plusieurs raisons (confère; dans
"Introduction", la partie E), et, de facto,
nous rejetions
l'interprétation qu'elle en donne. Nous pensions alors que la
différence serait en faveur des urbains comme la littérature
psychologique le montre.
En effet, depuis que l'on sait calculer un Quotient
6"
~~.
Intellectuel
(Q.I)
avec STERN, à partir des travaux de BINET
sur l'Age Mental et sa différence avec l'Age Réel,
i l est éta-
bli qu'il existe une relation, dans le sens d'une corrélation,
entre le milieu socio-économique et le niveau intellectuel,
tout au moins dans la performance sinon dans la compétence
elle-même. Le niveau intellectuel va de pair avec le niveau
socio~économique ; il s'élève avec la hiérarchie des classes
sociales, c'est-à-dire,
les catégories socio-économiques. Et
c'est dans ce sens qu'abondaient les études que nous avons
citées plus haut, et c'est dans ce sens également que s'ins-
crivent la revue de question de REUCHLIN (I972)
et l'article

-184-
de AUBRET-BENY et PELNARD CONSIDERE
(1976).
Malgré ce constat qui est fait depuis près de 70 ans,
et ~uquel certains chercheurs comme LAUTREY
(1980)
commencent
tout juste à donner une explication causale, nos résultats
montrent qu'il n'y a aucune différence entre le milieu rural
et le milieu urbain. Est-ce dire que nous apportons un démènti
à cette liaison dont l'existence est depuis longtemps déjà con-
sidérée comme un fait indubitablement établi ? Nous ne le pen-
sons pas, et nous verrons pourquoi. Est-ce dire que l'école a,
enfin,joué son rôle d!égaliser les chances de tous?
Beaucoup d'hommes pensent,
en effet, que l'école telle
que conçue, a un rôle de diminution,
tout au moins, des diffé-
rences entre les enfants issus des diverses catégories sociales.
C'est oublier, à notre avis,
le contenu idéologique, au sens
noble du terme, de l'éducation en général et de l'école en
r
4'~<
particulier. L'école, tout comme l'éducation dont elle. n'est
qu'un aspect, est un instrument, un moyen de transmission des
connaissances et des valeurs telles qu'on les a reçues ou telles
qu'on les veut. Son but est donc de reproduire et de recréer
la société qui l'utilise, et donc de perpétuer l'idéologie au
pouvoir; c'est-à-dire, façonner la société telle que cette
société se conçoit, telle qu'elle se veut.
Par ailleurs, s ' i l est démontré que l'école favorise
l'acquisition de notions intellectuelles, accélère le dévelop-
pement intellectuel d'une manière générale, ce que nous ne

-185-
nions pas, i l est aussi démontré que cette même école, loin
d'atténuer les diff~rences entre les enfants des diverses caté-
gories sociales, accentue ces différences.
En effet, l'école est une situation d'apprentissage.
Elle n'est donc pas responsable du développement cognitif, mais
elle favorise celui-ci en fournissant l'occasion à l'équilibra-
tion de s'exercer. En effet, elle offre des situations-problèmes
comportant, en règle générale, des perturbations surmontables.
Elle favorise donc le développement intellectuel de tous les
enfants, Dais elle favorise chaque enfant d'autant plus qu'il
est dans des conditions aisées. Ainsi donc,
la situation d'appren-
tissage favorise-t-elle plus les e~fants issus des milieux socio-
économiques aisés, qu'elle ne le fait pour ceux des basses caté-
. gories. ·On pourrait ici se référer aux travaux cie IlJHELDER ct a L',
(1974)
qui établissent que" les résultats des aDprentissuges
~.
sont directewent liés aux niveaux de départ de ch~que enfant,
,r" .s:"
de sorte que l'ordre hiérarchique est conservé; mais après l'ap~
prentissage l'écart de cet ordre est plus accentué,n(p.
325).
Par conséquent, si tous les enfants progressent vite dans une
situation d'apprentissage telle que l'école, les enfants des ..
milieux aisés progressent encore plus vite, et l~écart eritre les
enfants des diverses catégories sociales s'accentue. On peut
donc dire comme BAUDELOT et ESTABLET (1975)
que l'école "divise".
D'où vient donc que nous ne trouvons pas de différence
entre les milieux rural et urbain? Deux réponses sont possibles,
à notre avis, à cette question. Une explication viendrait des
.. : ~ ;-. .. .
.:~~ r- .:t. \\'''': t.<~ ]' ~<~ ~ ~ -. . :.-:
l-
_

caractéristiques particulières de la population que nous avons
étudiée. En effet,
le type même de scolarisation qui prévaut

-186-
en Côte d'Ivoire, et le fait que nous avons travaillé sur la
middle-class ivoirienne, peuvent expliquer nos résultats. Mais,
auparavant, une autre hypothèse explicative ~st possible.
La vérification de la relation entre le milieu socio-
économique et l'intelligence n~intéresse plus les chercheurs.
Et pour cause. C'est un fait considéré comme acquis. De même,
"la constatation que la force de la relation est variable sui-
va nt les types de questions posées par le test est très ancienne
et presque contemporaine de la constatation de la relation gé-
nérale"
(DEt4ANGEON et al. 1976, page 63). Et i l est prouvé que
"la sensibilité plus grande aux différences socio-économiques
des tests qui supposent des connaissances de types livresques
et l'aisance dans le maniement du langage s'explique aisément
par l'action culturelle du milieu: dans les c.J.asses favorisées,
les enfants ont plus d'occasions d'acquérir des connaissances,
-r' ,.f":'
d'apprendre des mots nouveaux et d'exercer leur langage,
ils
y sont d'ailleurs poussés par leur entourage,
ils échangent
verbalement davantage ••• "
(DEMANGEON et al. 1976, pp.
63-64).
De même, LONGEOT
(1962)
a trouvé que "les résultats du test de
niveau intellectuel varient moins que ceux des tests de co~~ais-
,
sances ~ •• " (p !328) ~ Nous pouvons donc dire que les conservations,
tests de niveau intellectuel, ne sont pas discriminatiVes-des
milieux que nous avons étudiés.
Cependant, PELUFFO
(1962), MOSHENI
(1966)
et GREENFIELD
(1966), pour ne citer que ceux-là, ont utilisé des épreuves de

-187-
conservation, voire les mêmes épreuves que les nôtres, et ils
ont trouvé des différences entre les milieux socio-économiques.
Nos résultats peuvent-ils donc s'expliquer uniquement par le
fait des épreuves de conservation? C'est possible,
compte
tenu de nos faibles effectifs dans chaque milieu
(40 sujets).
!1ais, nous pensons quànd même à une autre hypothèse explicative
les caractéristiques du milieu de nos sujets. Une de ces carac-
téristiques tient du système scolaire,
et l'autre de nos cri-
tères d'échantillonnage.
- Le système scolaire. En Côte d'Ivoire,
le système
scolaire présente des asp~cts particuliers et complexes. Il
existe, dans ce pays, trois systèmes scolaires, voire quatre,
depuis les années 1975, à l'issue d'une réforme de l'appareil
éàucatif officiel\\qui a eu lieu en 1971, et qui procède d'une
systématisation de la télévision dans l'éducation scolaire.
ç- ;r~<
D'où le nom de Programme d'Education Télévisuelle, (P.E.T.V.)
donné à cette réforme. Le "plan quinquennal" 1971-1975 fixe les
objectifs de ce P.E.T.V., qui sont d'assurer rapidement l'en-
seignement et donner une chance égale à tous
; de réduire le
coût de l'enseignement, et d'orienter et de sélectionner pour
former les cadres.
Ainsi, à côté du système scolaire dit traditionnel,
celui-là même que nous avons connu et qui fut élaboré,
i l est
vrai, par le colonisateur en fonction de ses beso~ns, il existe
- Le système télévisuel qui fait que tous les enfants
du pays qui le suivent, pour un cours donné,
ont le même maître

-188-
et reçoivent la même le~on à la même heure et de la même ma~~
nière, quels que soient les points géographiques du pays où
ils se trouvent.
- Le système rénové, qui désigne un système transi-
toire de classes pré-télévisuelles utilisant les programmes et
méthodes de l'enseignement télévisuel sans son outil principal,
c'est-à-dire,
la télévision; un maître assure alors l'ensei-
gnement.
- Le système dit "G.R.P.", très peu répandu et corres-
pondant à des 'classes expérimentales pour lesquelles une mo-
dernisation des contenus et méthodes a été faite;sous~l!égide
d'un Groupe de Recherches Pédagogiques
(G.R.P.)
auquel ce
système doit sa dénomination.
Alors que le système télévisuel et le système G.R.P.
se cantonnent dans les centres urbains,
la campagne est le lieu
"r.
~'.'
privilégié du système rénové pour une raison simple:
l'élec-
tricité pour faire marcher les téléviseurs. Quant au système
traditionnel, pratiquement disparu de la campagne,
il proli-
fère encore dans les villes, mais à des prix hors de portée
des petites bourses.
Voilà, très succintement,
comment se présente le milieu
dans lequel nous avons travaillé. Les enfants que nous avons
vus en milieu urbain appartiennent tous au système télévisuel.
Quant à ceux de la campagne, on s'en doute,
ils sont du système
rénové.

-189-
Quel est l'effet de ce milieu différencié sur nos su-
jets? Difficile à apprécier puisqu'aucune étude,
à notre con-
naissance, n'a été faite dans 1e~sens d'une comparaison7qua1itative
des~deuXes systèmes, voire des trois systèmes scolaires (tra-
ditionne1, rénové et télévisuel)
en vigueur en Côte d'Ivoire.
Cepëndant, nous pensons que cette différenciation du système
scolaire a un rapport avec nos résultats.
Nous croyons en effet, que cette différenciation du
système scolaire a eu un effet de nivellement de la performance
de tous nos sujets. Nous employons ici le mot performance pour
évi~er celui de compétance, car l'école, la scolarisation, en
tant que situation d'apprentissage, ne rend pas compte de l'ac-
quisition-des structures cognitives, -en fait de la compétence,
mais tout simplement favorise leur construction par le sujet
~
(processus d'équilibration)
en lui offrant des situations-
r
~:'
problèmes.
Il semble que cette scolarisation n'ait pas favorisé
les urbains, et même leur ait fait perdre leur avantage.
En effet,
les urbains sont dans le système télévisuel.
Or, ce système a fait la preuve de son échec pédagogique dans
des pays qui l'ont experimenté, tel le Salvador,
les îles
Samoa, et, plus près de nous,
le Niger.
Et si on se penche un peu sur les résultats de ce sys-
tème en Côte d'Ivoire, on est tenté de reconnaître l'échec,
même si, officiellement,
les autorités du pays ne le recon-
naissent pas encore. Le P.E.T.V. avait, en effet, entre autres

-I90
principes,
le principe de la promotion automatique, c'est-
à-dire, une scolarité sans aucun redoublement.
Or, selon nos
informations auprès des maîtres et des directeurs d'école,
beaucoup d'élèves disparaissent en cours de scolarité, et très
peu arrivent en classe de 6e sans redoublement.
Par ailleurs, selon toujours des informations, offi-
cieuses, i l est vrai,
les élèves qui ont suivi u~ enseignement
télévisuel sont largement en retard,
sur le ~lan scolaire,
évidemment, sur ceux qui ont suivi le traditionnel. On nous a
raconté que ces élèves télévisuels, affectés 'dans certains
établissements privés recevant des élèves du traditionnel,
comme Notre Dame d'Afrique, ont dû recevoir des le~ons parti-
culières données par leurs aînés de terminale,
Iere et seconde,
pour parvenir au niveau général de leur classe.
Ces informations reconnaissant ou établissant l'échec,
,6"
,;-,<'
sur le plan scolaire, du P.E.T,V.,
sont ~fficieuses,et nous
ne le cachons pas. On pourrait alors nous répondre qu'elles ne
démontrent rien. C'est un argument contre nous. Mais, un autre
fait vient corroborer ces informations officieuses. C'est
l'attitude générale de l'élite ivoirienne et même des respon-
sables du pays à l'égard de ce P.E.T.V. En effet,
les enfants
de ces couches sociales ne sont pas dans le système télévisuel.
Ils sont placés dans le système traditionnel, dans les écoles
privées de Plateau et de Cocody, genre "La Pépinière", où les
frais de scolarité dépassent souvent les ISO 000 FCFA, soit
3 000 FF, et dans les pays limitrophes du pays, et en Europe,

-191-
principalement en France. C'est dire que personne ne croit à
ce système, ou, tout au moins, personne ne fait confiance à
son efficacité pédagogique, même pas les reponsables. C'est
un fait établi que personne ne nie en Côte d'Ivoire.
Ce sont là des faits dont nous n'avons pas de preuves
expérimentales d'autant plus qu'il est vrai qu'à notre connais-
sance, et nous nous répétons, aucune étude scientifique n'a
été entreprise pour comparer ce système télévisuel au tradi-
tionnel, en Côte d'Ivoire. Cependant,
nous pouvons quand 'même
chercher à savoir le pourquoi de cet échec scolaire. A notre
avis, ce système impose une passivité à l'enfant et ne capte
pas son attention;
il ne le motive pas:
beaucoup d'élèves
dorment sur les bancs de la classe.
D~abord, parce qu'ils savent
que la personne qui leur parle ne les voit pas. En plus, cette
~
personne que l'élève voit sur un écran oarlë à tous les élèves
r
",~"
de la classe et donc à personne, puisqu'elle ne peut reprocher
à un élève de ne pas suivre la leçon. Ainsi,
l'élève se trouve-
t-il moins sollicité, et surtout que les devoirs se font à la
maison, très souvent avec la complicité des parents qui ne se
contentent pas d'expliquer à l'enfant ce qu'on lui demande,
mais le font directement. Nous avons vu ainsi le cahier de de-
trimestre, tous les devoirs de l'année étant prévus à l'avance
dans un cahier.
Par ailleurs,
en Ville, dans beaucoup de familles,
les

-192-
enfants regardent la télévision le soir et les jours où ils
ne vont pas à l'école. Ils regardent des films et des émis-
sions qui les intéressent. Et le phénomène d'habituation ai-
dant,
à l'école,
la télévision,
en tant que telle, ne repré-
sente plus une curiosité qui inspire respect et admiration
comme le maître. Sur ce point, on peut faire l'hypothèse que
si l'efficacité pédagogique de ce système était prouvée, c'est
à la campagne, où la télévision n'existe pas encore dans les
familles,
qu'il aurait le plus de succès.
Si donc l'école ne joue plus son r01e parce que inef-
ficace sur le plan scolaire,
elle ne favorise plus la construc-
tion des structures mentales. Ainsi,
les enfants urbains ne
sont plus en avance sur les ruraux parce que ces derniers gar-
dent encore, dans le syst~me rénové, une certaine activité, et
une certaine motivation de par le maître qui fait le cours
pour tous, ~ais aussi à chacun parce qu't1 peut parler pour un
.r ,.i"~'
seul élève qui ne suit pas. Il peut discuter avec lui et com~
prendre pourquoi, il,
l'élève,
ne comprend pas.
Voilà qui pourrait expliquer nos résultats
et cela
d'autant plus que le système télévisuel est basé sur l'image,
et que l'image de par elle-même, n'apporte rien à l'intelligence
cc
dont elle n'est qu'un auxiliaire utile en ce sens qu'elle
peut aider la pensée opératoire dans son fonctionnement. Quand
on enlève donc à ce système télévisionne1 son aspect pédagogi-
que, i l ne reste plus rien.
Nos critères
d'échanti11onnage.-- Comme-vnou s
l}ayons

-193-
souligné plus haut, nous avons éliminé de manière délibérée
le haut de gamme de la société ivoirienne, et
de manière fortuite,
mais assez heureuse,
le bas de gamme. La middle-class à laquelle
nous nous sommes intéressé
pourrait, tout compte fait, ne pas
être très différente de la population rurale quant aux prati-
ques éducatives dans les familles, dans la mesure où la popu-
lation urqaine serait à cheval entre l'éducation traditionnelle
africaine et l'éducation occidentale
(cf le paragraphe sur
"Sur le plan de l'environnement sociologique", chapitre II de
la première partie). Or, selon LAUTREY
(1980),
le degré de la
"structuration de l'environnement familial" est responsable des
différences observées dans les tests d'intelligence entre les
différentes classes sociales. Nous pouvons donc faire l'hypo-
thèse que nos deux milieux rural et urbain sont "structurés"
de la même manière à peu de choses près,
à tel point que nous
n'observons pas de différences entre ces milieux.
r
.c:
Voilà,
à notre avis,
les différentes hypothèses qui
pourraient expliquer nos résultats. D'abord les tests utilisés
puis le système scolaire, et enfin,
la structuration identique
des milieux familiaux dans les deux milieux socio-économiques.
Mais i l n'est pas exclu que certaines ou toutes ces hypothèses
aient joué conjointement.

-194-
Dans un second point, apprécions la conclusion de
GREENFIELD, au vu de nos résultats. Nous avons vu, au cours
du
pfécédent
chapitre
et dans l'exploitation statistique
de celui-ci, qu'il n'y a pas de différence entre langue fami-
lière et langue non familière,
et cela, quels que soient la
conservation, l'âge et le milieu. Et, milieux et âges confon-
dus, nous avons trouvé qu'il n'y a toujours pas de différence
entre les deux langues. Que signifient donc ces résultats?
Tout simplement que l'hypothèse de GREENFIELD sur la familia-
rité de la langue n'est pas confirmée.
Cependant, pouvons-nous affirmer que cette hypothèse
est infirmée par nos résultats? A première vue, on peut l'af-
firmer. Mais, si on y regarde de nlus près, on s'aperçoit que
ce n'est pas net. En effet, quels que soient le milieu et la
conservation on constate une légère tendance du Bété à donner
~:
de meilleurs résultats que le Français. Ce résultat n'est pas
~ o,.t:-:<
significatif, mais nous ~ommes quand même en droit de nous de-
mander si, par le hasard de
l'échantillonnage,
la langue Bété
n'est pas, en fait,
la langue familière des enfants urbains du
fait qu'ils~peuvent vivre dans les mêmes conditions linguisti-
ques
(ne parler le Français qu'à l'école) que les enfants ru-
raux. Et si c'était le cas, bien que la différence ne soit pas
significative, pour donner raison à GREENFIELD,
i l nous serait
cependant interdit de dire qu'elle a tort, dans la mesure où
i l Y a quand même une légère différence
(24 succès en Bété
contre I9 en Français dans la conservation des quantités de li-
quide ; et, dans la conservation de la longueur, I3 succès en

-195-
Bété contre 8 en Français).
Une nouvelle recherche s'impose donc avant de décider.
Il faut alors trouver des enfants urbains ayant le Français
comme langue familière ou plutôt ayant réellement le Bété
comme langue non familière avec des critères autres que celui
i de
naître et de vivre à Abidjan.

TROISIEME
PARTIE
PR ES E N TATI ON
ET
ANA LYS E
-
DES
RESULTATS
~ ...~-~'!
DEL A 3e R E CHE R CHE

-I97
Avant de présenter et ~iscuter les résultats de cette
recherche,
i l convient de préciser nos critères d'échantil-
lonnage, et de donner quelques' informations sur notre échan-
tillon.
On se souvient que dans les recherches précédentes de
ce travail, nous avons considéré que le Français est la langue
non familière aux enfants ruraux du fait qu'ils ne la parlent
J{"
;;r:<
..
"'"
qu'à l'école. En.famille et dans leur village,
pendant leurs
jeux avec leurs pairs ils utilisent le Bété, tout l'entourage
immédiat étant Bété.Le Bété est donc.leur.langue familière.
De même,
nous avons considéré que le Bété est la
langue non familière aux enfants urbains, parallèlement au plan
de GREENFIELD sur les Wolof. Nous avons supposé, comme elle,
que, dans la mesure où les enfants urbains sont nés et vivent
en ville, qu'ils sont dans des· écoles où i l y a un véritable
brassage d'ethnies, et qu'ils ne vivent pas en milieu clos

-198-
Bété, ils ont plus de contacts avec le Français
(dans leurs
jeux à l'école et hors de l'école, à la maison avec des pa-
rents qui parlent Français, avec les différents mass-média :
journaux, radio,
télévision, cinéma, etc •• ~qu'avec le Bété.
Par conséquent,
le Français est leur langue familière.
Nos résultats en milieu urbain ne vont pas dans le·
sens de GREEI-JF1ELD. Cependant, rien ne nous pe rrne t , d'être af~
firmatif. En effet, le hasard de l'échantillonnage peut avoir
fait que nous avons eu, dans nos groupes urbains, des enfants
vivant à peu près
(sinon exactement) dans les mêmes conditions
linguistiques que les enfants Bété de la brousse : dans la me-
sure où leurs deux parents sont Bété et parlent Bété à
la mai-
son; et dans la mesure où le quartier qu'ils habitent peut
faire qu'ils vivent dans un milieu Bété. Ce qui expliquerait
nos résultats, et, du coup, serait compatible avec l'hypothèse
r
-i-"
de GREENF1ELD.
Nous devons donc chercher un critère d'échantillonnage
autre que ceux de naître et de vivre à Abidjan, non pas un cri-
tère qui contredise ces deux premiers critères, mais qui les
complète. On peut alors penser que les enfants qui, en plus
de naître et de vivre à Abidjan, ont les deux parents Bété et
vivent dans un milieu Bété, ont le Bété comme langue familière.
Dans ce cas,
les enfants urbains qui s'éloigne~aient de plus
en plus de ces deux nouveaux critères, auraient le Bété comme

-I99-
langue de moins en moins familière.
Mais,
le deuxième de
ces deux nouveaux critères, vivre à Abidjan dans un milieu
Bété, rendrait la recherche non seulement difficile
(parce
que cette variable indépendante serait difficile à maitriser) ,
mais surtout très longue. Or, sur le plan universitaire, nous
avons des délais, et sur le plan financier,
nous ne pouvons
pas s~pporter une longue recherche.
Nous avons alors décidé d'ajouter à nos deux premiers
critères, celui d'avoir les deux parents Bété, pour les en-
fants d'Abidjan. Ce qui nous donne trois groupes différents
par ce critère, en milieu urbain.
Un premier groupe doit avoir
les deux parents Bété. C'est celui qui a le Bété cowme langue
familière.
Un deuxième groupe doit avoir seulement la mère Bété.
Dans la mesure où les parents ne parlent pas la même langue à
~
-::-_<
la maison, on peut considérer que le groupe d'enfants issus de
tels couples, a déjà le Bété moins familier que le premier
groupe. Mais, si on considère que la mère est en général, et
surtout
dans les sociétés africaines,
la première personne à
s'occuper de l'éducation de l'enfant
(d'autant plus que le père
travaille),
jusqu'à un certain âge, on peut alors admettre que
pour les enfants issus de tels couples,
le Bété est encore
assez familier.
Un troisième groupe doit avoir seulement le père Bété.
Et pour les mêmes raisons que précédemment,
les enfants de ce
groupe ont le Bété encore moins familier que le précédent groupe.

-200-
Si donc la familiarité de la langue intervient, nos
résultats doivent se trouver dans l'ordre décroissant de la
familiarité. telle que nous l'avons montrée dans les trois
groupes. Nous devons trouver,
en effet,
les enfants ayant les
deux parents Bété meilleurs que ceux ayant seulement la mère
Bété, lesquels
doivent être meilleurs,
à leur tour, que ~
ceux ayant seul le père Bété.
Par ailleurs, ce problème ne se pose qu'en milieu ur-
bain. Il va donc sans dire que la recherche dont nous allons
présenter les résultats ~fin de pouvoir conclure, nous l'es-
pérons, sur la familiarité de la langue, ne s'est effectuée
qu'en milieu urbain. Cela s'entend. Hais, nous voudrions pré-
ciser que nous avons travaillé, pour cette recherche, unique-
ment sur des enfants de 12 ans. Parce que, pour des raisons de
~ .~~~'
commodité
(transport de matériel au cours des nombreux dépla-
cements en bus), nous avons décidé de travailler seulement sur
la conservation de la longueur, dans la mesure où le problème
se pose de la même manière dans les deux conservations que nous
avons utilisées précédemment. Or,
l'épreuve de la conservation
de la longueur n'est pas sensible chez les enfants de 9 ans en
milieu urbain, comme en milieu rural d'ailleurs.
Il ne nous
restait donc plus qu'à travailler sur les enfants de 12 ans lI) •
(1)
Il faut souligner que la conservation des liquides n'est
pas sensible chez les 12 ans : elle ne pose pas ëe problème.
Il aurait donc fallu travailler avec une seule épreuve à chaque
âge:
9 ans:
liquides, 12 ans:
longueur.

-20I-
Nous avons travàillé dans les mêmes écoles, dans les
mêmes quartiers d'Abidjan donc, et également sur les mêmes
catégories sociales. Mais, nous avons eu beaucoup de problè-
mes, non pas sur ces points, mais dans la formation des échan-
tillons. En effet, nous avions regretté les effectifs réduits
de la recherche précédente.
Il fallait donc doubler,
au moins,
ces effectifs: porter à 20 au moins le nombre d'enfants dans
chaque groupe. Après deux mois de recherche, sJil nous a été
possible de trouver des enfants ayant les deux parents Bété,
nous n'avions que trois enfants dont seulement le père est
Bété, et aucun enfant du groupe dont la mère seulement est
Bété. La recherche était donc bloquée, et .il fallait trouver
une solution. En accord avec le Laboratoire Expérimental de
Grenoble et le Directeur de ce travail, nous avons décidé de
travailler sur une autre ethnie de Côte d'Ivoire. Nous avons
~
alors choisi des enfants Dioula, dan~ ~a<mesure où nous parlons
' ~
.
assez bien le Dioula {I), et compte tenu que "les langues afri-
caines semblent présenter une grande unité de structure"
(2).
Mais dans cette ethnie également nous avons eu des problèmes
pour constituer nos groupes, pour avoir des effectifs irnpor-
tants. Ainsi, avons-nous 20 enfants dans le groupe des deux
parents Dioula, 20 dans le groupe père seulement Dioula, et
rien que 8 sujets dans le groupe mère seelement Dioula.
(I) Le Dioula est une langue véhiculaire en Côte d'Ivoire. De
ce fait,
tout Ivoirien sait se débrouiller en Dioula.
(2)
KOUADIO, I977, pages 228-229

-202-
Avant de présenter les résultats de cette recherche,
i l nous semble important de réfléchir sur ces problèmes métho-
do logiques que nous avons rencontréscaucours de cette recher-
che, ou plus précisément sur les difficultés de constituer des
échantillons, tant au niveau des Bété qu'au niveau des Dioula.
Nous n'avons pas
(ou pratiquement pas)
pu avoir des
enfants issus de couples mixtes, au niveau des Bété. Qu'est-
ce que cela signifie ? A première vue, et si nous ne donnons
aucune information, on pourrait croire que les Bété sont en-
dogames, c'est-à-dire qu'ils se mariènt entre Bété. Non seu-
lement c'est faux parce que nous connaissons des couples mix-
tes comportant un ou une Bété, et qu'.aucun ivoirien qui vit ou
a vécu en Côte d'Ivoire ne soutiendrait cette idée d'endogamie,
......
mais ce que nous avons pu observer dans les écoles parait le
démentir. Si nous n'avons pas d'enfants
de,
ces couples, dans
notre échantillon, ce n'est pas parce qU'il n'en existe pas
dans les écoles que nous avons visitées, mais tout simplement
parce qu'.ilsrne::re~plissaie:nt;pas.unede5nos:conditions,ils~ne
cornp~enaient pas le Bété. Et voilà qui rend encore plus néces-
saire cette recherche complémentaire avant de conclure sur
l'hypothèse de~la familiarité de la langue.
En effet, si les enfants issus de couples mixtes com-
portant un(e)
Bété, ne comprennent pas le Bété, cela nous in-
dique quiil y a de fortes chances pour que les enfants urbains
de la précédente recherche appartiennentpr~tiquement~tousà!~es

-203-
couples formés de deux Bété. Voilà une indication qui rend
l'hypothèse de GREENFIELD vraisemblable.
Dans un tout autre domaine, qu'il nous soit autorisé
de dire que cette indication ne peut nous laisser indifférent •
Elle nous apprend, en effet, qu'à long terme, avec le brassage
des ethnies qui peut contribuer en un sens à mettre fin aux
divisions tribaListes du pays,
le Bété, en tant que langue,dis-
1
paraitra. Or,
la langue est le véhicule d'une culture,
le moyen
privilégié d'expression de la personnalité culturelle. Et le
militant culturel que nous prétendons être ne peut être qu'in-
guièt de cette possibilité de disparition du Bété. Car, s ' i l
est indispensable que l'Afr~que vive ~ulturellement,s ' i l est
indispensable què la Côte d'Ivoire survive culturellement aux
méfaits de la colonisation, i l ne nous parait pas moins vital
~ .s:
que le Bété, en tant que langue, clé de voute d!'une culture
particulière, survive pour que la culture qu'il véhicule soit
sauvegardée elle-même, pour le grand bien de la Côte d'Ivoire
et de l'Afrique. L'unité peut et doit se faire nécessairement
dans le respect des différences et le droit à la différence.
Il semble que ce ne soit pas là l'avis des Bété eux
mêmes. En effet, GUEI
(1977), dans une"étude comparée de trois
populations villageoises", dans La personnalité Bété et l'épreu-
ve du changement social en Côte d'Ivoir~, avait relevé que
dans les villages étudiés,
les jeunes horrunes avaient "tendance

-204-
à négliger la langue d'origine"
(GUEI, 1977, page 127)
, c'est-
à-dire,
le Bété, au profit du Français, alors que ces jeunes
hommes sont "les ambassadeurs de l'ethnie et
(que )(1) de
leur
volongé d'utiliser la langue Bété pour établir leurs contacts
humains dépend en quelque sorte l'avenir de cette langue". Et
cela est d'autant plus inquiétant que, si l'usage du Français
peut se comprendre dans un village OÜ i l y a une école,
"ori
s'explique difficilement: cette attitude chez les jeunes paysans
( ••• ) dont la plupart n'ont pas connu le chemin de l'école"
(GUE1,
idem). L'auteur pense qu '.'.' iL he' est. pa s; impossible: que
les Bété
accordent beaucoup moins d'importance que nous ne le
pensons au problème de la langue soit parce qu'ils le considè-
rent comme dépassé, soit parce qu'ils n'ont pas une prise de
conscience politico-culturelle suffisante pour apprécier cor-
rectement le rôle de la langue dans l'affirmation de la per-
sonnalité
(GUE1,
idem, pp. 127-128) .~c~.~~ue le tableau 38 de
la page 129 de l'ouvrage cité ne dément pas, en ce sens que
"le problème de la langue n'apparait pas dans l'éventail des
réponses" de "l'auto-portrait culturel du Bété"{GUEI,
idem,
page 128).
Quant aux Dioula,
il est facile de comprendre que ce
n'est pas une endogamie qui fait que nous n'avons pas de groupe
d'enfants ayant leur mère seule Dioula. Sinon, nous n'en aurions
pas eu du côté du père seul Dioula. D'ailleurs, i l est aisé
(1) Les parenthèses et leur contenu sont ajoutés par nous

-205-
d'expliquer pourquoi ce problème se pose uniquement pour le
groupe "mère seule Dioula". En effet,
les Dioula sont d'une
manière générale de religion musulmane. Le mariage se fait
donc entre musulmans ou avec une personne susceptible
de deve-
nir musulmane.
Or,
il est plus facile à un homme de convertir
à sa religion son épouse, qu'à une femme de convertir son
époux, et surtout dans une société africaine où la suprématie
de l'homme,
i l faut le: dire franchement,
est encore loin
d'être négligeable.
Cela dit, revenons à notre recherche proprement dite
pour en présenter dans un premier chapitre les résultats et
dans un deuxième chapitre, discuter
nos hypothèses au regard
de ces résultats.

-206-
CHAPITRE l
PRESENTATION DES RESULTATS DE LA RECHERCHE
Nous n'avons pas tous nos groupes,
comme nous l'avons
dit plus haut. Et i l ne nous semble pas ipportant de présenter
les productions des sujets, voire d'en donner quelques exem-
ples, comme nous l'avons fait pour la r e che r che précédente.
Parce qu'au niveau des réponses,
i l n'y a pas de différence
significative entre les enfants des deux recherches. Nous allons
donc traiter, dans un premier point,
les résultats des enfants
Bété~ et, dans un deuxième point, les résultats des enfants
Dioula.
4'"
...
.
." <
A. LES GROUPES D'ENFANTS BETE
En fait,
nous devrions dire le groupe d'enfants Bété,
car nous n'avons qu'un seul groupe de 20 sujets
, celui des
deux parents Bété. Le groupe père seul Bété se composant de
3 éléments; et, au risque de nous répéter, aucun enfant dans
le groupe mère seule Bété.
Sur les 20 enfants du "groupe père et mère",
8 ont
accédé à la conservation de la longueur en utilisant l'identité

-207-
a~ec des arguments du genre:
j'ai vu les deux égaux, au dé-
but, et je les ai pris ; ou la compensation avec des réponses
comme: non,
il y a un vide ici, et si l'on coupe celui-ci et
celui-là (en indiquant les bouts dépassant de chaque côté), ils
sont égaux entre eux. Cependant, un enfant sur les 8 qui ont
conservé a utilisé la réversibilité pour justifier ses réponses
de conservation. Il a répondu que si on ramenait le ou les
déplac€(s),
les deux bâtons seraient égaux, mais sans le ou les
ramener au point de départ.
Par conséquent,
i l ne cherchait pas
à nous montrer l'égalité de départ, mais tout simplement à in-
diguer que notre action pouvait être annulée par son contraire.
Dans le tout petit groupe de 3 sujets,
"groupe père",
nous avons obtenu un succès, par l'argument de l'identité.
Les effectifs de ce dernier groupe sont trop faibles.
Avec des cases de l
et 3 seulement,
i l ne nous est pas possible
r
~....
de calculer un x2 • Mais le x2 n'est pas le seul test statistique
pour deux groupes indépendants. Nous pouvons utiliser le test
de FISCHER. Mais avant tout calcul,statistique, nous pouvons
quand même dire que 1/3 va dans le même sens que 8/20. Voyons
cependant ce que nous indique le test de FISHER.
TABLEAU N° 20
Résultats des enfants Bété
ECI-IECS
SUCCES
TOTAL
A
Groupe père et mère
12
8 B
20 = A + B
Groupe père
2
C
r D
3 = C + D
TOTAL
14
9
23

-208-
Ce qui nous donne
20
3 !
9
14
!
= P = 0,462
23
8 !I2
l
! 2
Il n'y a donc pas de différence entre les deux groupes.
Mais dans le mesure où le deuxième groupe est très
petit,
i l Y a une difficulté que seuls les résultats des enfants
Dioula peuvent lever.
B. LES GROUPES D'ENFANTS DIOULA
Rappelons que nous avor.s des représentants des trois
groupes possibles, avec les enfants Dioula. La conclusion sur
l'hypothèse de la familiarité de la langue peut donc en décou-
1er. Et c'est ce que nous espérons.
-
Sur les 20 enfants du "gr~upe père et mère", nous
avons relevé 7 succès obtenus essentiellement par la compensa-
tion.
Il faut peut-être souligner qu'un enfant, comme dans le
groupe Bété,. a utilisé la réversibilité.
-
Sur les 8 enfants du "groupe mère", nous avons obte-
nu 3 succès avec les arguments d'identité et de compensation.
-
Dans le "groupe père", nous avons 8 succès sur 20.
Les arguments sont les mêmes que dans les groupes précédents.
Si nous comparons le groupe père et le groupe mère et
père,
les deux groupes qui doivent être différenciés le plus

-209-
du fait de la familiarité de la langue, nous constatons que le
2
x
corrigé ne peut pas être significatif, puisqu'il est égal
à O.
TABLEAU N°2I
Résultats des enfants Dioula des grounes père et mère Dioula,
et père Dioula
.
ECHECS
SUCCES
TOTAL
Goupe père et mère
I3
7
20
Groupe père
I2
8
20
TOTAL
25
15
40
Nous en déduisons que
ces deux groupes sont identiques, p~i~sue
le X2 corrigé est égal à O.
Or, ce sont les deux groupes qui devraient le plus
être différents du fait de la familiarité.
En conclusion, nous
pouvons donc dire que la familiarité n'a pas d'effet, contrai-
~
~--!_.'T-
rement à l'hypothèse de GREENFIELD. Cette conclusion est corro-
borée par les résultats des enfants du "groupe mère"
: 3/8,
c'est pratiquement la même chose que 8/20 ou 7/20.
Mais, on peut se demander si ces résultats peuvent être
comparés à ceux de la dernière recherche. Est-ce que le fait
qu'il n'existe pas d'effet de la familiarité de la langue chez
les enfants Dioula prouve que la familiarité de la langue n'a
pas d'effet chez les enfants Bété ? Nous répondons que, dans
la mesure où les langues africaines en général et ivoiriennes

':"210-
en particulier ont une certaine unité,
comme noUs l'avons
souligné dans "Approche Aéthodologique" de ce travail et dans
la perspective de recherches des
linguistes comme KOUAD10, et
dans la mesure où nous avons travaillé dans le même milieu,
les mêmes écoles et voire les mêmes classes, et sur les mêmes
catégories socio-professionnelles que dans la dernière recherche,
i l nous' semble autorisé de conclure que ce résultat avec les
enf~nts Dioula donne des indications sur les résultats avec
les enfants Bété.
Par ailleurs,
si nous comparons les enfants Bété du
"groupe père et mère", aux enfants Dioula du groupe analogue,
nous constatons que le résultat de cette comparaison est exac-
tement le même que celui de la comparaison qui met en rapport,
chez les enfants Dioula,
le "groupe père et mère" et le "groupe
père". En effet,
nous avons 8 succès sur 20 chez les Bété
--~ ..~.'
'contre 7 sur 20 chez les Dioula, à fw~iliarité égale, alors
que nous avons, chez les Dioula, 7 succès sur 20 dans le"groupe
père et mère" contre 8 succès sur 20 dans le "groupe père".
Mais, d'autre part,
i l est permis d'avoir des doutes
quant à l'âge d'accès à cette conservation de la longueur. On
se souvient que,
lors de la première recherche qui nous a permis
de déterminer, entre autres,
les âges sensibles, nous avions,
pour cette conservation,
situé l'âge entre 12 et 13 ans. Mais,
compte tenu de l'effet d'apprentissage et des caractéristiques

-211-
de cet apprentissage, nous avions alors pensé,
comme DA8EN, que
ces enfants possédaient déjà la capacité,
la compétence. Et
comme nous av~ons de très petits groupes,
nous avons décidé de
baisser les âges d'accès d'un an. Ce que les résultats de la 2ème
recherche n'ont pas démenti. Mais,
les effectifs des groupes
d'âge de cette recherche là, dans chaque milieu et dans chaque
langue, étaient encore assez ~éduits. Avec cette troisième re-
cherche dont les effectif~ sont relativement importants, et vu
que 50 % de nos sujets n'ont pas accédé à la conservation, on
peut croire que nous·nous'étions trompé
en baissant les âges
d'accès, et que l'âge d'accès à cette conservation de la lon-
gueur se situe vraisemblablement plutôt à 13 ans.

-212-
CHAPITRE II
DISCUSSION DES RESULTATS
L'hypothèse que cette recherche- veut' vérifier, c'est
essentiellement la familiarité de la langue dans le sens de
GREENFIELD. La recherche précédente ne nous permettait pas
de conclure sur cette hypothèse dans la mesure où le Bété
pouvait être pris, compte tenu des résultats, comme la langue
familière des enfants urbains. Il fallait des groupes où la
langue Bété soit de moins en-moins familière. Halheureusement,
pour ~es raisons que nous avons exposées
plus haut,
nous
n'avons pas pu travailler sur des groupes Bété. Mais,
le
r
,,~.. ,
Dioula pouvant être considéré comme équivalent(du B~té, si la
familiarité de la langue intervenait comme GREENFIELD l'a dit,
nous devrions trouver les enfants ayant les deux parents Dioula
meilleurs que ceux ayant seulement la mère Dioula lesquels
devraient être à leur tour meilleurs que ceux ayant seulement
le père Dioula pour les raisons que nous avons données plus
haut. Or, nos résultats
que nous venons de voir
ne respectent
pas cette hiétarchie supposée qui serait l'effet de la familia-
rité de la langue. En effet, nous n'avons aucune différence
entre les enfants ayant les deux parents Dioula, d'une part,
et
ceux ayant seulement le père Dioula d'autre part. Par ailleurs,

-213-
le~ rêsultab
des enfants ayaht seulement la mère Dioula,
le
groupe intermédiaire dans la hiêrarchie supposêe, quoique inex-
p Lo i t.ab Le, les effectifs
t ant; très petits indépendament de
ê
notre volonté, ce
résultat, disons-nous,
va ~ dans le sens
de l'indiffêrenciation des groupes, donc de la non existence de
l'effet de familiarité de la langue.
Il faut souligner que, quand bien même le rêsultat du
groupe mère Dioula serait différent, .la raison de cette diffê~
rence ne serait plus la familiaritê de la l~ngue puisque la
\\
'
hiêrarchie des groupes que suppose cette familiarité ne serait
plus respectée du seul fait que les deux extrêmes sont égaux.
Mais, ce n'est pas le cas.
Nous pouvons donc affirmer malgré la faiblesse de nos
:4"'
,,~•.•
effectifs, que nos rêsultats démentent l'hypothèse de la fami-
liarité de la langue. De ce fait,
l'interprêtation de GREENFIELD
quant à la supêriorité des enfants ruraux Wolof sur les enfants
urbains Wolof, supérioritê qu'elle attribuait à la familiarité
du Wolo~ chez les ruraux, n'était donc pas fondée. Cette supé-
riorité n'est très certainement qu'un artefact mêthodologique,
comme nous l'avons supposé au début de ce travail ; et cet
artefact est da, à notre avis, au fait qu'elle n'a pascontr6lé
les âges des enfants en milieu rural comme elle
l'indique
d'ailleurs elle-même.

-214-
Mais alors,
si la familiarité de la langue n'intervient
pas comme nos résultats le montrent, à quoi est donc dû le
léger avantage en faveur des enfants qui ont passé les épreuves
en Bété, dans la précédente recherche,
sur ceux qui ont passé
ces mêmes épreuves en Français, et cela quel que soit le milieu?
Si cet avantage pouvait se comprendre,
en milieu rural,
comme
dû à la familiarité de la langue,
la dernière recherche en mi-
lieu urbain nous indique qu'il n'est pas l'effet d'une fami-
liarité de la langue. Alors, comment l'expliquer?
A notre avis,
i l peut être tout simplement le fait des
différences individuelles. D'ailleurs, cet indice d'une supé-
riorité en faveur des enfants interrogés en Bété, observée
dans la précéàente recherche, n'était pas
statistiquement si-
gnificatif • La troisième recherche confirme ce test statistique
concluant à une différence non signific~~ive et infirme, par
r
...~
conséquent, que la tendance à la supériorité du Bété soit un
fait réel nécessitant une explication. Cela se comprend dans le
cas de la théorie piagétienne qui définit l'intelligence comme
une adaptation active du sujet au milieu,
à tel point que l'é-
1ément essentiel du développement intellectuel, c'est l'action
du sujet compte tenu de ce que le milieu lui offre comme situa-
tion-problème. Par conséquent,
le milieu ne peut offrir au
sujet que l'occasion d'un équilibre entre l'assimilation et
l'acc9mmodation~ Et la langue, en tant qu'élément culturel,
rentre dans cette variable et ne peut donc être à l'or~gine,
directement, de l'acquisition des opérations intellectuelles.

-215-
Il ne peut donc y avoir de différence intellectuelle entre
des individus du seul fait qu'ils utilisent deux langues dif-
férentes.
Cëla signifie que ce que l'on a appelé et que l'on
appelle encore aujourd~hui, le "handicap linguistique" des
Africains, n'est pas réel et n'a pas de fondement scientifique.
En effet, sertains auteurs,
et
parmi eux des africanistes,
comme OMBREDANE, ont longtemps fait croire, et le continuent,
que les langues africaines, et d'une manière générale les lan-
gues des peuples dits non évolués, sont pauvres en notions ab-
straites : c'est un postulat qui n'est pas encore démontré.
Toujours est-il que pour ces auteurs,
ces l~~gues là ne peu-
li>c:y
vent nous permettre l'acquisition des opératiLns intellectuelles.
Pour limiter les dégâts en quelque sorte, i l faut donc que les
Africains apprennent une langue riche en notions abstraites,
r
~... ~-
c'est~à-dire,
le Français, l'Anglais, etc ••• C'est dans ce
sens qu'on peut comprendre l'interprétation de PRINCE
(1968)
qui conclut que le nombre d'années d'Anglais dans les pays
anglophones, notamment dans les pays africains qui ont connu
la colonisation anglaise,
est un élément déterminant dans l'ac-
quisition de la notion de conservation.
On s'en doute, cette théorie du "handicap linguistique"
des Africains repose sur un autre postulat, à savoir que la
langue est la condition sine qua non du développement intel-
lectuel, et particulièrement de l!abstraction, et que, par

-216-
conséquent,
i l suffit d'apprendre une langue riche en notions
abstraites, pour accéder à la connaissance abstraite. Or,
nos
résultats montrent que parler Bété
(une langue africaine, donc
supposée pauvre en notions abstraites)
équivaut à parler
Français
(une langue supposée riche en notions abstraites),
et
que, par conséquent,
i l n'y a pas de "handicap linguistique"
qui serait dû à une pauvreté du Bété. Nous pouvons donc rejeter
cette hypothèse de "handicap linguistique" avec le minimum de
risq~e possible, sinon sans ~ucun risque.
Une autre hypothèse fait son bout de chemin. Il s'agit
d'un handicap linguistique dû, non ~lus à une pauvreté des
langues africaines, mais à une difficulté de traduction d'une
langue à une autre. A dire vrai,
c'est plus une question de
compréhension du problème qu'un véritable handicap. En effet,
certàins auteurs, africains pour la plupart, partent du fait
<' .;!,.•
que les Africains dans leur grande majorité,
ne sont pas de
véritables bilingues. Avant d'aller à l'école vers 7-8 ans,
voire 9 ans,
ils possèdent déjà assez sérieusement leur langue
maternelle. Et la langue d'apprentissage à l'école,
quoique of-
ficielle,
reste, pour eux, une langue étrangère. Et lorsque
l'enfant est interrogé dans cette langue étrangère,
i l éprouve
une difficulté de traduction. Cette difficulté viendrait de ce
que KOUADIO
(1977)
appelle les
"inter~érences linguistiques'et
socio-culturelles",
"car sa pensée,
i l a appris à la formuler
dans sa langue maternelle:' (KOUADIO,
1977, p.I2). C'est là une
hypothèse beaucoup plus vraisemblable et qui tient compte de

-:217-
la réalité concrête ; et nous connaissons de pareils cas
d'interférencel'linguistique et socio-cul turelle". Un seul
exemple nous suffira pour illustrer cette hypothèse. L'expres-
sion "demander la route" prête à équivoque selon qu'on ne
parle pas la même langue. En effet,
"demander· la route" 'à quel-
qu'un,
en Français, c'est demander à ce quelqu'.~n d'indiquer
la route: par exemple, demander la route de Paris. En 3été,
en Dioul~, en Baoulé, COITIDe dans tant d'autres langues ivoiriennes
et africaines,
l'expression n'a pas le même sens. Elle signifie
en effet~ demander la permission,
l'autorisation de pouvoir s'en
aller. Et on ne "demande pas la route" à n'importe qui. On ne
"demande la route" qu'à son hôte,
celui à qui on a rendu visite
et que l'on désire quitter.
Ainsi,
la plupart des intellectuels africains en général
èt ivoiriens en particulier, très souvent, parlent-ils leur,s)
langue(q)
entre eux
(1)
même quand ils parlent en Français. Et
,<'
•.~•.
le plus souvent, on constate un désaccord entre ce que l'on
veut dire et ce que l'on dit effectivement, parce qu'à une pen-
sée se superpose une langue dans laquelle elle ne s'exprimait
pas habituellement, et qui a ses propres cadres de référence,
lesquels dépendent de la culture de ceux qui la parlent. C'est
ce que l'on observe dans la manière de compter l'argent. Dans
(1) La plupart des langues africaines se ressemblent ; des
Africains de pays différents peuvent donc avoir le même parler
que KOUADIO
(1977)
appelle "français d'Afrique~ ou "français
local" ivoirien
(KOUADIO, p.
68). L'auteur distingue ce parler
de deux autres qui sont le "français central"; celui dans le-
quel nous essayons d'écrire,
et le "français populaire"
(KOUADIO,
idem, pp.
66 à 77); une espèce de créole local.

-2l8-
les pays africains de la zone franc,
l'unité de base est
5 francs C.F.A., alors que dans les langues africaines et no-
tamment dans toutes les langues ivoiriennes,
l'unité de base
est 1. Ainsi, n'est-il pas étonnant d'entendre un enfant ré-
pondre qu'il a l5 francs C.F.A. en main,
alors qu'il en a réel-
lement 75, tout simplement parce que le système n'est pas le
même dans sa langue maternelle et en Français.
Mais, même dans ce cas, celui de la difficulté de tra-
duction d'une
pensée dans une langue autre que celle dans laquel-
le elle s'est formée et dans laquelle elle s'exprime habituel-
lement,
le handicap ne saurait être significatif d'une compé-
tence, mais seulement d'une performance. D'ailleurs,
nos ré-
sultats indiquent qu'il n'existe pas. NOliS pouvons donc rejeter
également cette hypothèse.

..... CONCLUSION

-220-
Quand nous étions à l'école primaire privée catholique
de notre village,
il nous était formellement interdit de par-
1er notre langue
(ou plutôt notre dialecte, pour ;arder la
terminologie de l'époque)
dans l'enceinte de l'école, alors
que, à quelques exceptions près,
tous les écoliers étaient
Bété. Tout manquement à ce règlement était sanctionné par le
port, au cou, de boîtes de conserve vides reliées entre elles
par un fil quelconque, et que l'on appelait le "symbole".
Celui qui se faisait prendre en train de parler le Bété, non
seu1emer.t devait porter ce symbole tant qu'il n'avait pas sur-
pris quelqu'un d'autre en train de parler Bété, mais devait,
~
....~~.~
en plus, chanter, pendant la récréation, pour signaler sa pré-
sence et surtout celle du symbole :
"celui qui parle Bété, i l
va voir avec le syrrbo1e"
(1). Tout était donc fait pour qu'un
individu le porte le plus longtemps possible, et se sente ainsi
humilié, à tel point que personne n'osait parler pendant la ré-
création qui est quand même le moment de s'exprimer. Nous avons
vécu cette situation après les indépendances accordées dans
les années 1960, et elle a encore eu cours après notre école
primaire.
(1)
"Celui qui parle Bété aura affaire au symbole"

-221-
PIAGET et INHELDER écrivent à la page 413 de L'image
mentale chez l'enfant, qu'"il est permis de considérer une re-
cherche en psychologie comme ayant échoué lorsqu'elle a abouti
à ce que l'on pouvait supposer ou déduire d'avancë et CO~De
ayant réussi lorsque ses résultats comportent une part plus ou
moins large d'imprévu".
Si cela est vrai, alors nous pouvons
éprouver au terme de ce travail, une petite satisfaction, mal-
gré nos effectifs réàuits qui tiennent plus à notre plan de
recherche et à nos critères d'échantillonnage qu'à notre volon-
~ 4""
té.
Notre travail se proposait de vérifier l'effet de la
fan:iliarité de la langue selon GREENFIELD
(1966), dans l'acqui-
sition des opérations concrètes. Nous nous proposions alors de
comparer cet effet à cel~i du milieu socio-économique. Ce qui
devait nous permettre d'o~server l'interaction des deux varia-
bles si, toutefois,
les deux effets existent.

-222-
Pour ce faire,
nous avons choisi de travailler sur
l'enfant ivoirien. Pour éviter un effet parasite qui pourrait
être dû à l'utilisation d'un interprète, nous avons choisi de
travailler avec l'enfant Bété dont la langue est la nôtre. La
langue familière en milieu rural a donc été le Bété, et en mi-
lieu urbain,
le Français. Et nous avons travaillé sur les no-
tions de conservation des quantités de liquide et de conserva-
tion de lai longueur. Une première recherche menée dans la langue
non familière des enfants
(le Français pour les ruraux et ~e
Bété pour les urbains)
nous a permis de voir les âges sensi-
bles de ces deux conservations:
9 ans et 12 ans.
Le plan d'investigation idéal était alors de prendre
des groupes appariés dans chaque milieu. C'est-à-dire que tous
les enfants
d'un milieu socio-économique devraient passer les
"'"
deux épreuves en langue familière et en langue non familière.
<' 4""
La comparaison des productions des mêmes enfants en langue fa-
milière et en langue non familière, nous donnait cet effet de
la familiarité sans interaction avec les différences indivi-
duelles. Mais,
le premier travail qui nous a permis de choisir
les deux âges sensibles des deux conservations qui nous inté-
ressent ici, nous a également montré le risque de ce plan d'é-
chantillons appariés. Il existe dans nos résultats de ce tra-
vail, un effet d'apprentissage dû au fait que chaque enfant
passe par deux fois les épreuves. Cet effet pouvant être con-
fondu avec celui propre à la familiarité de la langue, nous
avons abandonné ce plan de groupes appariés pour celui de

-223-
groupes indépendants dans la suite du travail.
Sur les 80 sujets que nous avons vus au cours de la
2ème recherche
(40 dans chaque milieu socio-économique)dont
20 de 9 ans et 20 de 12 ans),
la moitié des sujets de chaque
groupe d'âge a passé les épreuves en langue familière et l'au-
tre moitié en langue non ~amilière, en changeant une fois sur
deux pour chaque langue l'ordre de passation des épreuves pour
maîtriser l'effet d'ordre~
Cette deuxième recherche nous a indiqué que,
contrai-
rement à ce que nous pensions,
le milieu socio-économique ne
différencie pas nos groupes. Nous pouvons trouver à ce résultat
deux explications. La première explication est que le système
",,-.
scolaire ivoirien est très particulier et complexe. Le système
~
s::
télévisuel, ~n ville, est loin de favoriser, sur le plan péda-
gogique,
l'apprentissage. Il faut préciser que dans une pers-
pective piagétienne, la scolarisation n'est qu'un apprentissage
et en tant que tel, cette scolarisation ne peut que faciliter
la construction des structures cognitives, dans le sens d'une
accélération du développement, et rien de plus. C'est ce rôle
que ne jouerait plus le système télévisuel compte tenu de ses
résultats officieux et de l'attitude des autorités à son égard.
Par ailleurs, ce système s'appuie sur la croyance en
l'efficacité de l'image dans la pédagogie. Or l'image en tant
que telle n'apporte rien aux opérations telles que définies par

-224-
PIAGET. C'est dire que le système télévisuel n'apporte rien
au progrès intellectuel.
Et comme i l n'apporte rien sur le plan pédagogique en
tant qu'apprentissage,
i l fait perdre aux enfants urbains leur
avantage sur les ruraux, chez lesquels le système rénové, à
cheval entre le traditionnel et le télévisu~l, siappuie sut
les qualités du maître et les motivations des! élèves à suivre
les leçons.
La deuxième hypothèse explicative serait ce crue LAUTREY
(1980)
appelle les pratiques éducatives. En effet, nous nous
sommes situé, dans notre investigation, dans la middle-class
ivoirienne, en ce qui concerne nos groupes urbai~s. Les parents
de ces enfants sont donc à cheval entre la culture africaine
traditionnelle et la culture occidentale.
Il est donc possible
~ .;-<'
que nous ayons eu, en milieu ru~al et en milieu urbain, des
parents, des familles ayant des prat~ques éducatives à peu près
identiques, à un point tel qu'il n'y a pas de différence signi-
ficative entre les enfants ruraux et les enfants urbains, si
nous faisons l'hypothèse, comme l'auteur, que la "structuration
de l'environnement familial" rend compte des différences obser-
vées entre les milieux socio~économiques.
Voilà les principales hypothèses explicatives. Mais,
bien avant elles, on pouvait avancer que ce sont nos épreuves
qui sont à l'origine de ce manque de différence entre les deux
milieux, en ce sens que les
tests d'aptitude. on~to~jours

-225-
différencié beaucoup moins les milieux socio-économiques, que
les tests ae connaissance.
Cette deuxième recherche n'a pas été concluante sur
l'hypothèse de la familiarité de la langue. En effet,
les ré-
sultats ont montré un léger avantage des enfants qui ont passé
les épreuves en Bété, quelque soit le milieu, sur ceux qui
les ont passées en Français. Sans pourtant être significatif,
cet indice pouvait quand même faire croire que le Bété était
aussi la langue familière des enfants urbains.
Il a donc fallu une troisième recherche en partie sur
des enfants Bété et en partie sur des enfants Dioula, seulement
en milieu urbain et portant sur la conservation de la lor.Jueur
et aonc sur des enfants de 12 ans. Nous avons alors choisi
trois groupes indépendants de 20 sujets : un groupe dont les
~ ~<..
deux parents sont Bété ; un groupe dont la mère ~eule est -Bété~t
_~fl.:;.g;rO,':lp~:,Q9n~-_le;p_è~e s euL e st., ~é.té.f"laiSïnousn~avonspas ou
presque pas eu de sujets des deux derniers groupes. Nous avons
alors complété cette troisième recherche par des enfants'
Dioula~-av~~-les mêmes critères.
Cette troisième recherche,
complétant la deuxième,
nous permet donc de conclure qu'il n'y:a pas d'effet de la fa-
miliarité de la langue. Et cela, contrairement à ce que
GREEHFIELD a trouvé dans sa recherche sur les enfants Ivolof.

-226-
Quelle interprétation donner alors à nos résultats ?
Si la langue, et donc sa-familiarité, n'interviennent pas dans
le développement cognitif, qu'est-ce qui peut rendre compte
de ce développement ?
Si nos résultats n'ont aucun sens dans une théorie
d'une intelligence culturelle dans laquelle la langue joue-
un rôle prépondérant, ils prennent un sens dans la conception
de PIAGET selon laquelle "le progrès des connaissances n'est
dû, ni à une prograrr~ation héréditaire innée, ni à un entasse-
ment d'expériences empiriques, mais qu'il est le résultat
d'une autorégulation, que l'on peut appeler une équilibration"
(INHELDER-GARCIA-VONECHE, 1977). Cette équilibration se réalise
selon 3 processus
que PIAGET appelle Alpha,
Bêta, Gaffi@a.
Le premier processus est un processus externe et concerne l'é-
quilibre entre le sujet et l'objet. En effet,
lorsque le sujet
~
~.~ e
veut assimiler quelque chose d'inconnu à ses sthèmes,
l'objet
résiste et alors, l'intelligence, tout en lui donnantune:signi-
fication,
s'acoo~e. C'est ce processus qui nous intéresse et
dont nous allons parler, mais disons que les deux autres pro-
cessus sont internes au Sujet, à savoir qu'il s'agit, en Bêta,
d'un équilibre entre les différents sous systèmes assimilateurs
du sujet, et en Gamma, d'un équilibre entre ces sous systèmes
qui tendent vers la différenciation, et le système total qui,
lui, tend vers une intégration totale, c'est-à-dire, une syn-
thèse en un seul système.
Soulignons que PIAGET appelle cette équilibration

-227-
"majorante" en ce sens qu'elle ne ramène pas à l'état anté-
rieur, mais conduit, généralement,
à un état meilleur, par
l'amélioration de celui de départ grâce au mécanisme auto-
régulateur. C'est donc une équilibration constructive.
Revenons à notre sujet pour remarquer que la langue
intervient peu dans le développement de l'intelligence. L~
langue est un élément cu1ture1,or, pour PIAGET, ce n'est pas
l'essentiel de l'intelligence. Pour l'auteur,
le système co-
gnitif ne serait pas ce que l'environnement fait de lui, mais
il serait essentiellement ce qu'il fait de ce que cet environ-
nement fait de lui. Et d'une manière générale,
"l'environnement
ne contient aucune information:
i l est ce qu'il est, un point
c'est tout':
Par conséquent,
"pour qu'il Y ait information, il
faut plus que l'environnement,
i l faut que le sujet braque ses
schèmes sur des objets pour leur conférer des significations~
~ 4"-'
(INHELDER et al. I977). On comprend donc pourquoi le milieu cu1-
ture1 et particulièrement la langue ne peut pas jouer un r01e
essentiel dans la construction des structures opératoires. Ce
qui ne veut pas dire, à notre compréhension, qu'aucun élément
culturel n'intervient dans l'intelligence. En effet, pour qu'il
y ait équilibration, il faut qu'il y ait "perturbation" c'est-
à-àire, il faut qu'il
manque une information indispensable
pour la solution d'un problème. PIAGET
(I975)
écrit que pour
qu'il y ait perturbation, i l faut une "carence d'une connaissance
qui serait indispensable pour résoudre un problème"
(p. 25).
Or, l'importance d'un problème dépend, directement, du milieu

-228-
culturel dans lequel on le rencontre, donc des besoins du su-
jet. Le milieu culturel offre donc l'occasion d'avoir reco~rs
à une équilibration dans certains problèmes, parce que tout
manque n'est pas significatif dans n'importe quel milieu.
L'élément culturel intervient donc dans le développement cogni-
tif, mais indirectement. C'est ce qu'indiquent les résultats
de B.
LLOYD
(1971)
qui établit que les enfants de l'élite
Yoruba, au Nigeria, et même les enfants américains, meilleurs
sur plus d'un point.
que les enfants des
milieux populaires
d'Ibadan, réussisent, cependant, moins bien que ces derniers
dans l'épreuve de la conservation des quantités de liquide. C'est
également ce que montrent les études de DASEN
(1972,1975,1977,
1980). L'auteur trouve que même dans le stade sensorimoteur,
qui peut pourtant être considéré cOIT~e universel,
le rythme du
développement est fonction de la culture. Cette culture est en-
core plus présente dans le stade opératoire concrêt. DASEN
(1980)
r
.2"~"
montre, en effet, que la performance dans les notions de conser-
vation varie selon les cultures. L'auteur inqique que les en-
fants esquimaux, par exemple, qui présentaient un retard dans
la conservation des quantités de liquide, par rapport aux en-
fants de Canberra (1),
le groupe de référence,
"montrent un
développement aussi rapide
(sinon plus)
que ceux de:Canberra •• .'"
dans la conservation de la notion de l'horizontalité. Par contre,
(1) Canberra: groupe de référence d'un milieu occidental indus-
trialisé, avec des résultats identiques à ceux des enfants ge-
nevois.

-229-
dans cette même conservation,
les enfants de Kpouébo
(1)
pré-
sentent, par rapport au même groupe de référence de
Canberra
un décalage de 3 à 4 ans,
avec un semblant de stagnation que
l'auteur appelle "courbe asymptotique", alors que ces mêmes
enfants de Kpouébo ne présentaient,
toujours par rapport au
mê~e groupe de référence, qu'''un décalage temporel
d'environ
deux ans"~ASEN ,
1980) dans la conservation des liquides.
DA8EN en conclut que
"L'être humain développe de pré-
férence et plus rapidement les concepts et
aptitudes qui
lu~ sont nécessaires pour survivre dans un certain environne-
ment. Ainsi,
les nomades qui vivent de chasse et de cueillette,
ont besoin de concepts spatiaux,
alors que pour les sédentaires
qui pratiquent l'agriculture, gardent et échangent leurs pro-
duits,
les notions de quantité et de poids sont relativement
plus utiles". L'auteur poursuit en précisant que le seIT~lant
~
~-~;(
d'àrrêt,
III 'asymptote" , des enfants esquimaux dans la conserva-
tion des quantités de liquide, et des enfants baoulé dans la
notion dé l'Horizontalité,
ne saurait être significatif d'une
compétence, mais seulement d'une performance. Car,
"des expé-
r~ènces d'apprentissage pour les notions des,liquides,Horizon-
talité et Inclusion de classes,
avec des enfants esquimaux,
baoulé et Kikuyu
(Kenya)
ont montré que tel n'était pas le cas
( ••• ). Dans certains cas,
avec des enfants de 12 à 14 ans,
l'apprentissage s'est même révélé très rapide,
ce qui suggère
que ces sujets possédaient déjà la "compétence ll mais né l'ex-
primaient pas au niveau de la "performance"( ••• )Il {DASEN~ 1980)
(1)
Groupe d'enfants scolarisés d'un village baoulé de Côte
d'Ivoire.

-230-
Ces résultats s'opposent à l'interprétation que
GREENFIELD donne à ses résultats avec les enfants Wolof non
scolarisés, selon laquelle il s'agirait, avec ces enfants,
d'un arrêt définitif du développement intellectuel.
Si donc l'équilibration est l'essentiel du développement
intellectuel, et que la culture n'intervient dans celui-ci
qu'indirectement, en fournissant l'occasion d'exercice de cette
équilibration,
le postulat selon lequel la langue est la con-
dition nécessaire et suffisante du progrès~ intellectuel~n'est
plus fondé.
Certains auteurs, dont BRUNER, s'appuyant sur la
covariation, c'est-à-dire,
le progrès simultané, du langage
et des-opérations intellectuelles, affirment que sans la maî-
trise de la langue,
l'intelligence abstraite est impossible.
Partant de cette conception, certains auteurs dont
üMBREDANE, affirment, sans le démontrer, que les langues afri-
caines sont pauvres en notions abstraites
i
elles ne sont donc
pas favorables au développement de l'abstraction
(opération~
formell~. Par conséquent, pour pallier ce manque, il faut que
les Africains apprennent une langue plus riche en ces notions
abstraites.
Ces hypothèses et affirmations sur la pauvreté des
langues africaines, et donc sur le "handicap linguistique"
des
Africains, sont allées objectivemnet dans le sens des intérêts
de la colonisation,
française notamment,
qui visait l'assimilation

-23I-
culturelle des peuples colonisés.
Nos résultats montrent gue parler Erançais, une langue
européenne, équivaut à parler Bété, une langue africaine. Le
génocide culturel qu'a connu et que connaît encore l'Afrique
noire ne se justifie donc pas. En effet, non seulement le pos-
tulat selon lequel i l suffirait d'apprendre une 'langue riche
en notions abstraites pour accéder à la connaissance abstraite
n'est pas fondé, mais l'hypothèse de la pauvreté des langues
africaines n'est pas confirmée,
et c'est le moins qu'on puisse
dire, puisque les enfants que nous avons examinés en Français,
ne sont pas ~eilleurs que ceux qui l'ont été en Bété.
Par conséquent,
il n'y a aucune raison valable de vou-
loir remplacer les langues africaines par des langues venues
d'ailleurs, et de supprimer ainsi les cultures spécifiques que
véhiculent ces langues. Soutenir le contraire ne relèverait
,r ,dr-'
plus d'un argument scientifiqu~, mais, à' notre avis, d'un argu-
~ent idéologique.
En dernière analyse donc,
l'infériorité dont on parle
tant et dont font preuve certains Africains,
et parmi eux les
"sages", en prétendant que, dans le système de coopération entre
l'Afrique et l'Europe,
"l'Afrique constitue la main-d'oeuvre et
l'Europe la matière grise",
cette infériorité n'est pas réelle,
tout au moins sur le plan du handicap linguistique.

-232-
Le handicap des Africains serait plutôt d'ordre psy-
chologique, à savoir un complexe d'infériorité, dans la mesure
où ils sont convaincus de leur infériorité naturelle, alors
qu'il ne s'agit que d'une différence culturelle légitime.
Ce complexe d'infériorité peut avoir des conséquences
aussi (sinon plus)
graves que la colonisation dans la mesure
où, convaincues de cette infériorité linguistique, les autorités
politiques des pays africains peuvent laisser se perpétuer
cette situation d'aliénation culturelle que nous avons carac-
térisée comme étant un"génocide culturel".
- ;....
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-233-
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-251-
TABLE DES HATIERES
INTR.ODUCTION•• '••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 4
A.
P~ésentation de la recherche de P. GREENFIELD .•.•••• 5
B.
GREENFIELD et la théorie de BEUUER
sur le développement i~tellectuel••••••••••••••••••• 8
C. Quelques études renforçant l'hypcth~se de
GP~E!~FIELD•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 9
D.
La théorie de PIAGET sur le développement
intellectuel
II
1. La conception de l'intelligence
_
II
2. Les stades du développemest intellectuel •••••••• I6
3. Les facteurs du développement intellectuel ••.••• 28
E. Quelques études confimant la conception
de PI.l'-\\.GET ••••••.•••••••••••••••••••••••••••••••••••• 34
F. Quelques remarques personnelles •••••••••••••••.••••• 37
G.
Critique de la recterche de GREENFIELD •••••••••••••• 43

-252-
PREIHERE PARTIE
APPROCHE llETEODOLOGIQUL •••••••••••••••••••• 56
Chapitre r
Rapports bilinguisme- développement
cognitif, hypothèses et plan de recherche.62
A.
Rapports bilinguisme-développement cognitif ••••• 62
-;:. .
, . )
B.
Hypothèses de recherche •••••••••••••••••.••••••• 68
,
c. Plan de ~echerche
69
Chapitre II
Présentation des épreuves, des
-----------
consignes et de l'échantillon
7I
A. Présentation des épreuves ••••••••••••••••••••.•• 71
.
B. '--?résentat-ion des
~~
cons 19r~es •.•••.••••••........... -'.- .'.~ ..
C.
Présentation de l'échantillon •••••••••••••••••.• 75
....
1.
Sur le _p~an de la J;-nJ\\.l.e •••••••••••.•••••••• 76
·-.En Ar r Lqu e •••••••••••••••••••••••••••••••• 76
- En Côte d'Ivoire •••••.•••••••••••••••••••• 77
2. Sur le plan de l'environn~~ent sociologique.BO
3. Sur le plan de l'homogénéité intragroupe •••• B4
Chapitre III
Présentation et interprétation des
résultats de la première recherche
et orientation méthodologique ••••••••••• 86
Il Présentation et interprétation des résultats •••••••• 8B

-253-
A.
Les enfants ruraux •••••••••••••••••••••••••••••• 88
AI~.Conservation des qua~tités de liguide •••••. 88
A2. Conservation de la longueur •••.•••••••••••• 95
A3. Conclusion sur les enfants ruraux ••••••.••• 101
B. Les enfants urbains ••••••••• ~ •••••••••.••••••••• I03
BI. Conservation des quantités de liquide •••••• I03
B2. Conservation de la longueur •••••••••••••••• 108
33. Conclusion sur les enfants urbains •••••.••• 111
,
11/ Conclusion et orientation méthodologique ••••••••••• 112
A.
Conclusion générale de. cetravail·;~~~••••••••••• 112
B. Orientation méthodologique pour la suite •••••••• II3
DEUXIEME PARTIE
PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS
DE LA DEUXIE!Œ ~ECHERCEE ••••••••••••••••••• 118
Ch~pitre l
Présentation des résultats de la
cremière recherche •••••••••••••••••••••••• l 31
A.
Les enfants ruraux •••••••••••••••••••••••••••••• I31
AI. Les enfants ruraux ayant passé les épreuves
en Bé té •....•.•••..••..•••••' • . . . • . . . • • . . . . . 131
.AI.a. Les enfants de 9 ans ••••••••••••••••• I31

-254-
•• AI.aI; Dans la conservation des
quantités de liquide •••••••••••••• 131
•• AI.a2. Dans la conservation de la
longueur
l 3 3
.AI.b. Les enfants de 12 ans ••••••••••••••••• 134
AI.bI. Dans la conservation des quantités
de liquide ••• _ •••••••••••••••••• ~.I34
•• AI.b2.
Dans la conservation de la
longu eur
.
• .137
A2. Les enfants ruraux ayant passé les
épreuves en. Français ••••••••••••••••••••••• 133
.l,2.a;Les enfants de 9 ans ••••••••••••••••••• I38
•• A2.aI. Dans la conservation des
~uantités de liquide ••••••
• ••••• 13 B
•• A2.a2. Dans la conservation de la
longueur •••••••••••
..........••• I 40
Les enfants de 12 ans ••• ~ ........
••• 141
•• A2.bI~ Dans la c6n~êrvation des
quantités de liquide •••••••••••••• 1 41
••A2.b2. Dans la conservation de la
longueur
l 43
B. Les enfants urbains ••••••••••••••••••••••••••••• I47
BI. Les enfants urbains ayant passé les
épreuves en Bété •••••••••••••••••••
• .147
·BI • a • Les enfants de 9 ans ............•••••• 147
•• BI.aI. Dans la conservation des
quantités de liquide ••••••••••••••• 147
.·BI.a2. Dans la conservation de la
longueur ••••••••••••••••••••••••••• ISI

-255-
• 3I.b. Les en.fants de 12 ans ••••••••••••.••• • 152
•• BI.bI. Dans la conservation des
quantités de liquide ••••••••••.•. I52
•• BI.b2. Dans la conservation d~ la
longueur
155
B2. Les enfants urbains ayant passé
les épreuves en Français ••••••••••••••••••• 159
• B2.a. Les enfants de 9 ans ••••••••••••••• '••• 159
•• B2.aI. Dans la conservation des
quantités de liquide ••••••••••••• I59
•• B2.a2. Dans la conservation de la
longueur . . . . . • . • . • . . . . . . . . . . . . . . . I61
• B2.b. Les enfants de 12 ans ••••••••••••••••• 161
•• B2~bI. Dans la conservation des
quantités de liquide~ •••••••••••• I61
•• B2~b2. Da~sla~conservation de la
longueur ••••••••••••••• ~ •.••.•.•• I62
c. Conclusion
164
~
,.;!'",.
chapitre II
Exploitation et discussion des
résultats de la 2ème recherche •.••••••••• I67
A• Exploitation statistique •••••••••••••••••••••.•• 167
1. Effet de la familiarité de la langue dans
la conservation des quantités de liquide •••• I69
LI. Chez les enfants de 9 ans •••••••••••••• 169
.I.Ia.
Cr.ez les enfants ruraux ••••••••••• I69
.I.Ib;
Chez les enfants urbains •••••••••• I70
1.2. Chez les enfants de 12 ans ••••••••••• • • 171
.I.2a.
Chez les enfants ruraux ••••••••••• I71
.I.2b.
Chez les enfants urbains •••••••••• I72

-256-
2. Effet de la familiarité de la langue
dans la conservation de la longueur •••.••••• 174
2.I.~Chez les enfants ruraux de 12 ans •••••• I74
2.2. Chez les enfants urbains de 12 ans ••.•• I75
3. Effet du milieu sacio-économique dans la
conservation des quantités de liquide ••.• ~ •• I77
3.1. Chez les enfants de 9 ans •••••••••••••• 177
3.2. Chez les enfants de 12 ans ••••••••••••• I77
4. Effet du milieu socio-économique dans
la conservation de la longueur •••••••••••••• I78
5. Comparaison Français-Bété •••••••••••••••••.• l 80
5.1. Dans la conservation des
quantités de liquide ••••••.•••••••••••• 120
5.2. Dans la conservation de la longueur •••• I8I
B.
Discussion des résultats de la 2ème recherche ••• I82
TROISIE}lli PARTIE
PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS
DE~ LA TROISIEME RECHERCHE ••••••••••••••••• I96
Chapitre r
Présentation des résultats de la
trois ième recherche ••••••••.•••••••••••••• 206
.7\\.
Les groupes d'enfants Bété
206
B.
Les groupes d'enfants Dioula
208

-257-
Chapitre II
Discussion des résultats
212
CONCLUSION • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • . 2 r 9
BIBLIOGRAPHIE • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 233
TABLE~'DES, HATIERES ••••••••••••••
•...•.••.•. . 25I