UNIVERSITE DE PARIS l
PANTHEON SORBONNE
OCTOBRE 1980
OPTIMISME
CHEZ THEODOR ADORNO
ET MÀL"X: HORKHEINEH
PHILOSOPHIE :
Thèse pour le Doctorat
Mention : Ethique et
troisième cycle
Politique
ès lettres et sciences
humaines
PRESENTEE PAR
KONATE YACOUBA
tJ
Olivier REVAULT D'ALLONES
Professeur titulaire à
-Pa r-Ls
r

nr
SOM MAI R E
===============
PAGES
Introduction
. . . e _ ••••• "••• '$ • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
CHAPITRE l
:
Théorie
(s)
critique
(s)
avec ou sans "s".....
15
CHAPITRE II :
Théorie critique et dialectique négative
••••••
35
CHAPITRE III
Modèles politiques
70
CHAPITRE IV :
Logique et épistémologique
••••••••••••••••••••
122
CHAPITRE V :
Optimisme et pessimisme
.......................
156
CHAPITRE VI :
Le contenu de vérité
. . • . . . . . . • • • . • . • • . . . . ~....
180
CHAPITRE VII
Théorie critique -
Théorie comique?
••••••..••
223
CONCLUSION :
Points de 1:ui tes
a
_
• • • • • • •
• _• • • • • • • • • • •
272
Bibliographie
.... .................................
~
318

A TOUS CEUX, POUR QUI
JE FUS OU JE FIS FIGURE D'ESPOIR

INTRODUCTION
"Si Beri.jum Ln Ci pu dire cu", l' h i s t oi r-a a été
écrite jusqu'à présent du point de vue du vainqueur
et qu'elle devait être écrite du point de vue des
vaincus, on pourrait ajouter que la connaissance
doit, il est vrai, représentQr la succession fata-
le et rectiligne de victoires et de défaites, mais
qu'ells doit aussi se tourner vers ce ~ui ne s'in-
sérait pas dans cette dynamique, ce qui est resté
eu bord du chemi~ - ce qu'on ~ourrait appeler les
déchets et les coins sombres qui avaient échappé à
la dialectique".
Adorno - Minima Moralia
p. 143

-2 -
La problématique de l'optimisme et du pessimisme
charrie un dualisme pessimiste dont Freud (comme l'ont démon-
tré Horkheimer et Adorno) n'est qu'une illustrat~on.
Cette structure se tient par un dispositif de contradic-
tions des exigences de productivité elles-mêmes contra-
riées par un niveau de restauration d'une figure profon-
dément
judaïque. Face à
ce dualisme répercuté de la
raison et du mythe) de la révolution et de l~.réaction.du
positif et du' négatif,comment se détermin~ont
Horkheimer et Adorno tel
que dans leur engagement dans
la théorie critique,
ils donnent légitimation à notre
t i t r e ?
(Chapitre I
et V).
Si la dialectique négative est une "dialectique de
la particularité"
(Zima),
comment celle-ci démarque-t-elle
ses fragments?
(Chap. III). Dans cette nouvelle évaluation
des répères critiques,
quelle(s) histoire
(s)
s'envoient
et se renvoient la domination et la rationalité?
(Chap.III).
Même quand elle se fait science,
la rationalité réalise~
t-elle les rêves de bonheur et de progrès qu'elle déter-
mine?
(Chap.
IV). Non!
Dans les conditions qui prévalent 1
seules les oeuvres d'art peuvent prétendre à un,retrousse-
ment des pans de la ba~barie. (Chap. VI). Mais cet espoir
n'est-il pas en fin de compte qu'une pieuse espérance?
Horkheimer et Adorno ne prennent-ils pas l ' a r t trop au
sérieux? Somme toute,
le travail artistique n'est-il pas
toujours un peu comique? Si oui,
qu'est ce qui se produit
dans ce passage comique ?'(Chap. VII). Enfin quelles formes,
quels contenus sédimentés se craquellent quand on interroge
les rationalisations unidimensionnelles selon un autre
type d'agencement?
(Conclusion).
. {

Saurions-nous, résister davantage
à
la sollicitation et
au plaisir de démonter notre objet 1 Ce plaisir qui rev~t
la forme du caprice chez certains enfants,
développe,
lors-
qu'on arrive pas à remonter ce qu'on a démonté,
un fétichis-
me de la position originale
on recherche
la bonne posture
et les bonnes causes du début pour réenclencher la production
des effets souhaités. Mais ne disposant pas de la certitude
de l'approvisionnement indéfectible des sources de nos
inspirations, nous ne saurons restituer ici le corps de notre
travail sans le mettre en accusation au profit de certains
caprices qui s~ masquent souvent sous le couvert d'exigences
épistémologiques. Cela dit nous confessons la hantise capri-
cieuse et ludique m~me parfois, que nous nous sommes efforcés
de conjurer :
Et si ce par quoi ADORNO et HORKHE~ER seraient
marxistes par exemple,
n'était finalement que la pri~e en
charge paradoxale de ce qu'ils critiquent précisément chez
MARX ?
•••
L'auto-critique en tant qu'auto-réflexion est-
elle possible sans le projet et la fidélité à ses promesses
d'erreurs formulées dans la trame m~me de la critique du
discutable ?o
Evidemment pour ce qui nous concerne et quant à
notre lecture de'la théorie critique,
la réponse est
non
Cependant dans ce non,
se dégage une perspective:
de la critique des filiations
idéologiques comme
.../ ...
_--.......~~_.
,--_ _..:-.r...~.. _._ .....
.__...__.._.__~_ ..... _.
•.•~,~._._. __ ._.
_

- .~
effort pour ressembler aux ma î t r-e s par l'identification
à
ses insuffisances les plus notoires. En d'autres termes,.
ou n'est d'autant plus rousseauiste qu'on vit le mythe du
bon sauvage mutilé du caractère hy~othétique et critique de So~
énonciation dans un temps et un espace
détermin~s. Le
modèle se réalise par la tension de ses supporters vers les
excroissances de sa didactique théatrale,
par l'acharnement
qu'on met à porter la croix et le poids des reproches qui
lui sont administré5~
Il reste que pour notre part, nous nous sommes
également acharnés à déblayer une surface d'inscription
africaine à certains co~cepts de la théorie critique de
l'Ecole de Francfort
(1). I l resttsurtout que cela, nous
devons le
justifier car on n'effectue pas impunément
une telle déterritorialisation de concepts même
si ça et
là,tout
(ou presque tout)
est naturellement importé ou
exporté. Nous devons le
justifier c'est dire que nous
devons nous soumettre à
cette tyrannie de la rationalisa-
tion d'autant plus éprouvante que c'est sur soi et non sur
le sur-travail des autres qu'il faut chercher,
trouver,
extraire et vraissemblabiliser les raisons qui font qu'on
a fait de vous ce que vous devez être librement. En vivant
cette ontologie de l'identité sous un autre mode 'que celui ~~
son emploi,
l'existence collective qui advient au sens
(1) cf. notre dernier chap~tre·
~ .. / ...
__
-------_.----~.
...- .. ~-~._..... _.._-----_._--

ne peut réagir à la violence de la conjoncture qui fait que
même le refus,
le non ont encore des noms qu'il faut réinven-
ter, ne serait ce qu'en cherchant à
fructifier de manière
intéressante nos contresens.
Cette introduction ne repartira donc pas notre progres-
sion dans le sens qui unit le début à la fin.
En fait les
deux bouts du travail se regardent en se dévisageant cependant
comme regardant dans des directions diamétralement opposées.
Dans cette opposition,
i l y
a les contradictions de notre
position,
contradictions par lesquelles se tienT-et se détend
notre réflexion.
*
*
Le chemin était étroit. L'éléphant avançait. Le lion
se gara de son mieux.
Et quand le pachiderme parvient à
son
niveau,
le
"roi de la brousse et de la forêt" bredouilla
du fond de sa torpeur
"J'ai honte de toi"
••• Et l'éléphant
de répondre
"cela est certainement dû à ma corpulence
sinon je ne cirois pas être de tes beaux parents".
*
*
*
Ainsi quand un homme coiffé de rouge,
prend ses
jambes à
son cou,
c'est q u e vce qui l e poursuit. est encore
plus rouge que son bonnet.
Ce qui dissuade la force
répres-
sive,
c'est ce qui la contrarie sans la reproduire dans
.../ ...

l'additionnel de l'assumation volontaire de la
nécessité.
C'est en déplaçant la v9rité de la violence
qu'on répercute toute vérité Comme nécessité. Aussi dans
le
dénudement des rapports de forces,
i l ne reste plus
aux rois que le travestissement de leur impuissance dans
la ritualisatiqn de la familiarité.
La honte c'est aussi
la bonne conscience de l'inadéquation de l'autorité et
de sa force.
SARTRE a raison:
Dans la honte,
je me vois
tel qu'autrui me voit,
tel qu'il m'a vu et m'a figé,
tel
que ma définition tend à être définitive.
(1)
Si la honte est normale dans les rela~ions entre
familles alliées,
c'est parce que ces familles s'agencent
telles qu' elle.s ne doivent plus être confrontées •.
Mais dès lors qu'on est plus tenus par l'éthique de la
honte due,
les lignes de forces
caractéristiques des points
de vue s'impliquent pour générer la honte à d'autres ni-
veaux.
Faire honte,
c'est infléchir la tête de l'autre
vers le bas et dans ce mouvement de haut en bas,
i l y
a
un hochement de la tête qui vise à l'acquiescement. C'est
le "OUI" du dormeur qu'Alain oppose dans ses
"Propos" au
"NON" du penseur qui à l'image de celui qui s'éveille,
secoue la t ê t e / d i t : non!
Mais alors,
qui est ce qui s'écarte de
honte feinte
ou réelle à l'approche des théoriciens de Francfort?
La Théorie critique suscita en France plus d'indifférence
que de. honte, plus de mépris que d'examen critique.
-------------------------------
(1)
SARTRE
L'être et le néant -
GALLIMRRD 1973 P. 320

- 7 ~
Pendant longtemps, on s'efforça de l'ignorer,
de la
réduire au silence,
de la disqualifier -
(1). Effectivement
imaginons un instant FOUCAULT, GLUSKMANN, BERNARD -
HENRI LEVY, ALTHUSSER
••• vus par ADORNO, HORKHEIMER
MARCUSSE,
BENJAMIN
• se verraient ils comme ces derniers
les verraient ?
C'est que la prise en compte de la théorie critique
de l'Ecole de Francfort suppose tout au moins une refor-
mulation des contenus des doctrines philosophiques qui font
école en cette fin de
si~cle. Ces doctrines ne se décou-
vriraient pas seulement des antécédan~es mais également
des interlocuteurs. Par exemple la th~se de la congénita~
lité du marxisme et du.totalitarisme qui fit
la gloire
des nouveaux philosophes s'effriterait d'elle même parce-
qu'infirmée depuis 1933 au moins. De même la théorie
de l'Histoire de FOUCAULT perd des plumes une fois qu'il
est établi que l'Histoire n'avance pas par formes,
par
structures mais par des surgissements qui mettent précisé-
ment en question la forme des structures de pouvoir
et
d'exclusion,
dé~eloppant ainsi des infra-temporalités
qui s'écartent de l'horizontalité abstraitement répercu-
tante du tout.
Entre l~cole de Francfort et son contexte,
l'unité de l'identité du marxisme à
travers le temps
éclate. La philosophie en se frottant à
ses faiblesses
(1) Voir à
ce sujet l'article de ~~RC JIMENEZ dans
la Revue d'Esthétique -
Col 10/18
Eour l'objet
P.
366
__.__
_._
-~----_.
.. _.

- 8
-
s'infinitise dans la r~interpr~tation du monde. Par le
fait que toute pens~e est violence et rupture (1) la n~­
gation devient essentielle à la pens~e et se r~vendique
comme intervention sur la scène de ses interpr~tations
positives. Le moment n~gatif qui maintient l'~chec du
concept à
se conceptualiser totalementJr~imprime l'espoir
là où tout le champ social est ~~~ayépar le logos.
L'Ecole de Francfort plaide pour une histoire de la raison
comme superstructure politique.
Si on jauge son caractère
massif,
par excès ou par d~faut, la raison bute sur
elle-même "en ne r~ussissant pas à comprendre les mythes
qu'elle a
engendr~s. La raison ne maîtrise ni son sens
ni son int~gralit~. Elle n'existe dans sa totalit~ que
projetée devant et dans le mythe.
L'int~gralit~ n'existe
que dans la mythologie de la fascination du continu qui
laboure les corps de souffrances.
*
*
*
La théorie critique ~nonce et pratique une th~orie
du sursis de la philosophie. HORKHEI~ER et ADORNO
portent la philosophie tout comme
le sujet porte sa subjec-
tivit~ c'est-à-dire avec la rigueur enthousiaste n~cessaire
à
l'interrogation de l'ambigüit~ de la rumeur qui clame
la mort de la philosophie pour mieux ~couler une certaine
~hilosophie. Mais la philosophie ne meurt pas, elle s'ex-
patrie en sciences,
en art~, en r~ligions
parce qu'elle
n'est pas une ouvrière satisfaite du progrès.
-------------------------
(1)
Dia -
N~gative P. 23

9-
ANDRE GORZ raconte que dans ses
heures de d~tente
MARCUSSE aimait à dire que l'une des premières urgences
à
affronter lors d'une prise de pouvoir voulant le nou-
veau,
devrait consister dans le sevrage des citoyens de
toute ~mission t~l~vis~~d'est
dire que le gavage
d'effets d'impuissances qui écoule ·l'argumentation de
l'aliénation,
applique le sujet à
son monde. Dans ce for-
mel de la relation des sujets aux médias,
les images se
présentent aux sens dans le principe de l'objectivité de
la relation pédagogique traditionnelle qui fait qu'informer
c'est former des élèves .. à
élever et qui en tant qu'élèves
n'apprend~ont ·jamais à apprendre. C'est donc dans l'indus-
trie culturelle que ça se passe et ça se passe tel que
toute imagination est déjà reflet
et que tom reflet est reflet
Au tbtit. En embrassant.le système récepteur
de~
sujets par la surenchère publicitaire,
les industries
de la culture de masse ne produisent elles pas en même
temps l'insensibilité à
la limite d'une sensibilité
émoussée ?
Réintroduire l'imaginaire dans le reflet afin de
le densifier comme également non réflétant de l ' ' ' i c i et
maintenant";
c'est possibiliser le contradictoire en
envisageant l'impossible comme ce dont la mise·en place
d~voilerait les fragmentations du manifeste. En fin de
compte,
entre La critique et son objet,
i l n'y a pas la
tr~me de cette "caméra obscura" qui transforme l'une en
l'autre. La critique révèle la tenacité du mythe de la
9inQ(',t~·. qui renvoie à l'illusion du renversement idéo-
logique primordi~l . En obscur~issant la conscience du
progrès,
de la science et de toutes les bonnes pensées,
... / ...

la conscience se découvre dans une eau trouble dont le
trouble tourbillonnaire interdit le mécanisme propre à une
certaine appréhension de la théorie marxienne de l'idéo-
logie ou de la théorie freUdienne de l'inconscient. Le
négatif s'échappe comme la fumée d'un feu.
Cette fumée
qui indique qu'il y
a du feu signale également l'existence
de brnlé. Le négatif est finalement
le superposé de l'autre
~ L' ~'l dans la supposition de l'étouffement de l'un
par l'autre mais aussi dans celle de la détermination
historique de la rupture de l'immanence.
Au sens Kawt Len ,
l'esthétique c'est
"ce qui dans
la réprésentation d'un objet,
est simplement subjectif,
c'est-à-dire ce qui constitue son rapport au sujet, non
à l'objet,
c'est sa nature esthétique".
(1).
D~s lors
l'esthétique se développe dans la-;dÔÜ:·We analytique du
/' \\\\..-"., '~c:1t1,~
beau et d u
sublime comme formel5~erce-p't{'t.~~~. Ces formes
à
travers lesquelles,
le sUje~;O~gan.iS%~eiy~onde sont
• ')
r c /\\ M E ,J _.1
"'R
.
aussi celles quand auxquelles la·--r<éCêPt-ivi~é de la sen-
, \\
/ ::)7)
sibili té et de l ' entendement ~.~./ trou~ag:~Jcée. Toutefois,
tout en restant la forme de ce q~~~~~~~~~araît, le
, .. <,
sujet ne s'apparaît pas immédiatement tel qu'il apparaît.
Dans l'espace et le temps,
i l est une plénitude matériel-
le. Mais dans le
"Je pense", il s'apparaît immédiatement
comme forme vide. HORKHEIMER et ADORNO exploitent ce déca-
lage pour introduire la problématique de la dimension
esthétique des créations.
--------------------------
(1) KANT -
gritique du jugement/P.
28

-II -
Le chercheur est un créateur.
Sa connaissance
procède
lies sens -
cela on le savait depuis HUME et
même avant. Mais les contenus perceptifs ne fondent pas le
procès de la connaissance.
Si ~a finitude du monde appelle
son dépassement,
ce dépassement ne se réalise comme cri-
tère de vérification qu'en se prolongeant en un jugement
thétique.
Celui-ci se donnant à penser dans l'espace
et le temps,
i l ne peut coincider historiquement avec
sonidenti té synthétique dans la mesure où son 't er-mevh'yp o-«
thétique reste toujours en promesse. L'identité métaphy-
sique du moi comme synthèse identificatoire reste soli-
daire d'un conditionnement qui n'apparaît pas dans la con-
dition de son apparition.
Tout sujet est lui-même un
conditionné qui ne disposant plus de l'assistance
technique de Dieu,
doit interroger la genèse de son sur-
gissement en tant que sujet connaissant.
Cette interro-
gation cri tique n'est pas réductible à .urre psychanalyse
de la connaissance.
C'est toute une décolonisation
esthétique qu'elle réclame.
*
*
*
C'est paries pères qu'on nomme souvent les
e n f ari ts ..HORKHEIMER et ADORNO établissent cependant avec
leurs filiations idéologiques
et philosophiques,
une
certaine indiscernabilité de père~comme si ces derniers
~tant reconnuS
ils cesseraient eux-mêmes de l'être.
Cependant KANT,
HEGEL et MARX se retrouvent constamment
sur la sellette comme si la théorie critique se voulait
• • • /
• •
011

-
12
-
le lieu et l'occasion de leurs rencontres véritables.
En effet si HORKHEIMER
et ADORNO coincidaient avec
leurs auteurs,
leurs suje~ et leurs objets,
ils en cou-
veraient les trous alors même que les véritables réfle-
xions développent nécessairement des pensées et des ten-
sions des ruptures
comme des pavés lancés dans la mare.
De
ce point de vue les percées philosophiques se rappor-
tent d'une manière fantasmatique au complexe mélancolique
que FREUD compare à une blessure ouverte attirant des
investissements
(1). Le retour de~nbs deux compères àla
grande tradition philosophique n'est
toutefois
pas le biais
par lequel MARX ou HEGEL font
retour par la production d'une
représentation.
Cette nouvelle
jeunesse de la philosophie
qui a à réinterpréter le monde,
indique que tous les
auteurs sont dupes de leur logique et de leurs prises en
charge respectives.
Do'l\\<;-:}
ceux qui intègrent
. _ '0
, la totalité he~elienne de la critique marxienne(de
l'exploitation)au dogmatisme et au totalitarisme sont des
; mystificateurs.
Si HEGEL est une machine de la production et de
la reproduction,
MARX ne peut
se contenter d'être un
motif de décoration dont l'arborescence fait
apparaître
le capital tel qu'il est devenu.
L'Ecole de Francfort
n'est pas la synthèse lénifiante
des
différentes
historici tés du concept de cri tique. Elle s'en sert
pour
renouveler la hiérarchie du positif et du négatif.
(1)
FREUD -
Métapsychologie -
Idées P.
164

-
1J _
La surface lisse des systèmes ne permet pas
de passage directe entre le dehors et le dedans. Mais
la chaleur même qui en durcit la coquille endurcit
l ' :ï,.ntérieur. En ce q u e -ce t
intérieur déroule une autre
intériorité,
on peut dire qu'il
joue, ne serait-ce que
de temps à
autre,
à
être l'extérieur. La négation criti-
que de la théorie critique
joue ce jeu de l'intérieur
qui se mue en extérieur. L'historicité et l'orginalité
de ce lieu de production s'envisagent dans la mise en
relation constante de sa théorie critique de la société
et de l'accomplissement esthétique de cette critique.
Si
elle est marxiste
(1), ,la contribution déterminante de
la théorie critique à
la crise du marxisme est une théorie
e.sthétique qui incite à
considérer-les images et les
imaginaires comme des êtres du monde suscitant la suspi-
cion de l'être. En se faisant et en se redéfaisant,
la
négation appliquée à l'utopie,
peut déboucher ailleurs
que sur elle même,
~out en développant sa propre mouvan-
ce
modulaire
• La conscience critique surgit de
l'obscur et de l'àveugle qu'elle éclaire sans l'enseigner
ni la pleurer.
L'Ecole de Francfort ne cherche aucune terre
d'exil pour permettre qu'on l'en expulse.
(1)
cf MARGARET Manale -
"Aux origines du concept de
"Marxisme"
Eco, et
soc,
oct.
-
déc.
1974 -
"Il eut des
marxistes parce que des anti-marxistes en ont décidé
ainsi."

- 14
Si elle part toujours de ses points de chute,
c'est pour décrire des lignes brisées comme autant de
voies possibles de contacter les hommes et le monde
voies ct contacts qui parcequ'ils sont sociabilité sont
nécessaires trahision de soi et de sa solidarité avec
les autres. Mais
"être sociable,
c'est déjà prendre part
à
l'injustice,
en donnant l'illusion que le monde de
froideur où nous vivons maintenant est un monde où i l est
encore possible de parler les uns avec les autres"
(1).
En condamnant les quatre chemins de la sociabilité,
ADORNO
et HORKHEIMER ne passent pas pour autant
toujours par le
même chemin
esthétique
• La somnolence en rond s'adapte
au mimétisme mais elle reste incompatible avec l'acuité
inquiétante de la critique qui révèle la veine politique
de la philosophie en reconstituant l'Histoire de l'occident
comme une pièce de la domination économique et idéologique.
(1) Adorno -
Minima Moralia

-
15 -
CHAPITRE l
-
THEORIE
(S) CRITIQUE CS)
avec
ou sans "sn
"Il serait difficile de dire en quel esprit
le sien ou le mien,
les idées prirent naissan-
ce. Notre philosophie n'est qu'une seule et
même chose".
HORKHEIMER
Théorie Critique
PAGE 11

- 16.
I l existe une tradition tenace dans l'exegèse phi-
losophique,
de distinguer le caduc du permanent,
tout
comme on écarte l'ivraie du bon grain. Ainsi,
i l y
a
ou plutôt i l y
aurait chez le Marx des oeuvres de
jeu-
nesse des concepts qui disparaissent ou perdent toute
efficacité dans les ouvrages d'après
1844 - De même i l
y
a un jeune HEGEL et un HEGEL parvenu à
la maturité,
un
jeune LUKACS et
l'autre LmL~CS •.. Depuis son texte de
1970 :
"La théorie critique "Hier et aujourd'hui"
(1);
HORKHEIMER,
encore sous le coup de chagrin de la mort
d'ADORNO,
a su remettre sa pendule à
l'heure de l'horloge
de cette recherche de la discontinuité et de la rupture.
Cette mise au point qui abonde beaucoup plus dans le sens
du pessimisme et de l'idéalisme que dans l'optimisme et le
marxisme ne règle
(comme on le fait
pour des accords ou pour
une
horloge)
pas le problème de l'évolution de la
théorie critique,
mais la précipite dans la mesure où
ses prolongements n'étaient pas théoriquement prévisibles
dans ses philosophèmes originels.
Que ce sentiment de dé-
ception,
qui frappe
toute une catégorie de lecteurs à
la
recherche du nouveau,
finisse par se raisonner en termes
d'impossibilité pratique de toute radicalisation du refus,
cela laisse indéterminée la question de la dissémination
.de la théorie critique Déjà G. HOEHNet RAULET posaient la.·
question de savoir si le
"t" de"théorie" devrait s'écrire
(1) In Ibéorie critigue -
PAYOT P.
354 et 59

- 17" -
avec une majuscule ou une minisculey),il est tout aussi
légitïme de se demander si les
"e" terminaux de théorie
et de critique ne doivent pas se suivre du signe de la
pluralité "S".
En effet,
n'est-ce pas paradoxale qu'une
théorie qui aboutisse à
la défense et à
l'exaltation de
l'individu s'accomode d'appellations collectives:Ecole de
Francfort,
théorie critique? Nous n'irons pas
jusqu'à
recommander qu'on dise désormais~les théories critiques/!
parce que nous ne tenons pas à
pr~cher dans le désert
d'une paroissG qui n'existe pas. Plutôt que de retrouver
notre solitude dans l'éclatement de ces dénominations de
groupe,
nous pouvons tenter de préciser le privatif donc
la négation et peut-être la non-identité que maintient
la défense collective de l'individu dans l'Ecole. En
considérant l'Ecole de Francfort comme un attroupement
et non urt troupeau,
se dénombrent ils des spécifiques
individuels qui font
obstacle à
la scholastique de la
notion d'école? En isolant HORKHEIMER et ADORNO,
comment expliquer que HORKHEIMER éprouve le besoin
d'affirmer,
parlant d'ADORNO en 1946,
l'identité de
leur philosophie ?
Sur la couverture de l'ouvrage de J.M. Vincent,
ouvrage qui résiste à
sa couverture
(2), ADORNO semble
plutôt
jouir de la bénédiction et de la cassure insti-
tutionnelle de HORKHEIMER qui le range entre MARCUSE
et HABERMAS. Cependant HORKHEIMER ne parvient pas à
être
cet arbre dont
on dit qu'il cacherait la forêt.
Malgré
sa petite taille
(sur la couverture du livre),
ADORNO
reste comme la centralité de ce ralliement.
La cravate
de MARCUSE a beau être plus voyante,
les yeux d'ADORNO
imposent leur rega~ En effet la célébrité de MARCUSE
(1)
In Esprit -
191-8 - ~
(2)
J.M. Vincent -
La théorie critique de l'Ecole de
Francfort.

-
1g
-
fit beaucoup plusde.publicité et d'appels de lecture de la
théorie critique que le sens de l'organisation de HORKHEIMER p
Toutefois c'est la hardiesse des engagements théoriques de ce
dernier dès
1931
qui creusa les premiers sillons du
labour critique;
tant et si bien que c'est lui qui
inaugure la critique de la science et de la sociologie
dont HABERMAS deviendra le spécialiste de l'Ecole. Dès
les premières années de l'expérience de l'institut,
ses
interventions successives sur le problème de l'idéologie
(1930),
sur les tâches de l'institut
(1931)
dans la
querel-
le des sciences sociales
(1934) ne passèrent pas inaper-
çues. Ses essais produisirent de nombreus~ tâches dans
les années
1930,
alors que ceux d'ADORNO, du moins les
plus connus ne parviennent à
imposer son nom et son
génie que dans les années
1940 et suivantes. La proémi-
nence d'ADORNO est massivement esthétique et elle fournit
beaucoup d'envergure articulatoire à
l'utopie de la
théorie critique.
I l n'y a
pas d'hiérarchie stabilisée
dans la disparité des appropriations
thémat~ques
mais i l n'est pas non plus exagéré de dire qu'avec la
deuxième phase de la théorie critique
(la deuxième
guerre mondiale étant notre seuil de rupture)
ADORNO
accède à une relative hégémonie sans pour autant
qu'HORKHEIMER s'éclips~•
. Vis-à-vis de HORKHEDIER,
la compétence d'ADORNO
en matière esthétique est presque totale mais non
exclusive. Le mérite d'ADORNO serait d'avoir déter~to­
r~alisé la théorie critique en l'enrichissant de l'idéal
de l'homme total dont le rêve fut
insuflé à HORKHEIMER
et à ADORNO par leur "merveilleurx professeur de philosophie,
.. ~ / ...

- 1"9
Ha:nsCornélius ••.
Oui,
i l était professeur de philosophie
et i l nous avait dit que pour être philosophe -
et tout
ceci sà trouve dans la théorie critique -
i l est néces-
saire de connaître les sciences naturelles,
de s'y con-
naître un peu en art,
en musique,
en composition"
(1).
ADORNO ne s'est pas contenté de s'initier à
l ' a r t ,
i l s'y
est pour ainsi dire spécialisé en pratique et en théorie.
Au niveau de la méthodologie,
celle d'ADORNO
n'accuse réellement la courbe généalogique que dans "La
: dialectique de la raison".
Est-ce un hasard si cet
ouvrage est une co-production de HORKHEIMER et d'ADORNO?
Quoi qu'il en soit,
la méthode d'ADORNO diffère,
sans
arriver à
s'opposer radicalement,
de celle ~HORKHEIMER
dont le mouvement récurrent échappe à
la méthode généalo-
gique de NIETZSCHE en remplaçant la question :
quelles
sont les forces,
la volonté qui possèdent une chose
donnée;
par la
question:
à quelle logique du progrès
correspond une réalisation? Toutefois,
comme NIETZSCHE,
HORKHEIMER pratique une théorie de la mise en scène comme
dramatisation :
les auteurs abordés finissent
toujours
par être débordés,
par la logique de leur argumentation
car ils entrent en scène en sortant de leur contexte
traditionnel,
en entrant dans la détermination de la
philosophie du sens et de la valeur de leur époque
qu'ils épousent en tentant de les repousser. MONTAIGNE,
parce qu'il ne participe pas aux fraticides
entre les bu-
reaucrates et les dictateurs de son époque,
sympathise
avec l'angoisse populaire malgré sa tour d'ivoire.
KANT n' est pas aussi réactionnaire que ça
! •• t'universel
(1) HORK.
"La théorie critique Hier et Aujourd'hui"
In Théorie
critigue P.
359

-20
dont i l est l'apôtre.,
reste ~ranscendantal, donc toujours
à réaliser dans l'autonomi~ du sujet. HEGEL? C'est le
plus perpicace et le plus contradictoire des philosophes
issus des lumières.
Par la clôture de son système dans
la logique de la domination
(cf MARCUSE-Raison et révo-
lution .. Eros. et civilisation) i
HEGEL a programmé notre
époque mais dans son expérience spéculative de la réfle-
xion,
i l esquisse le noyau d'une théorie de la non-iden-
tité
(1). Ainsi la méthode d'HORKHEIMER est une technique
de relecture historique des textes.
Cette lecture repère
les appuis théoriques des
systèmes philosophiques à
la
logique de l'émancipation. Dans sa récurrence
elle ne
procède pas à une simple mise en perspective horizontale
elle reste à
l'affût des moments de transcendalité indi-
viduellle qu'un théoricien donné parvient à réserver à
l'autonomie du sujet. De
ce point de vue,
la renaissance
historicée du Kantisme à
l'intérieur du marxisme ne
peut que produire des phénomènes de contradictions non
synthétiques.
Pas plus chez ADORNO que /chez HOR~E)flER, il
n'existe une obsession de la médfiati,on. A 1 ,'~pposé de
LUC FERRYet d'ALAIN RENAULT (2),Lnou·s'·pensons}:qu'on
'~ ,
1
peut faire porter à
la théorie ~~itique l'~ccbsation .
~
-
'
."
d'idéalisme,
d t amb Lgiri, té) de révisioii""l'li.s~e.~.~ mais diffi-
• -
"Q::..-
_ ... .s;.:-:- ...
cilement celle de rechercher un troisième terme synthétique
garant d'une quelconque cohérence. Ni l'évolution de la
théorie critique elle même,ni un quelconque résidu théma-
tique de son contenu ne se constitue comme troisième terme.
(1) Voir à
ce sujet
Adorno -
Trois études sur Hegel
-
Horkheimer -
Hegel et la mfL.to,physique
- Marcuse -
Raison et Révolution
(2)
In Théorie critigue
P.
26 -
27
.'.::

2t
-
Le recours à l'utopie assure la théorie critique contre
toute velléité conciliatrice. A la limite elle préfère
gérer ses contradictions plutôt que de les résoudre.
En cela ADORNO est bien l'ami et le compagnon de lutte
d'HORKHEIMER. La méthode paratactique pense l'échec et
les failles de la cohérence.
Elle accroît la béance des
textes mais ne déplie pas l'explication qui pourrait
les clarifier. La compréhension qu'elle développe se
forme dans le recul de la rotondité des signifiants pris
dans la valse du tourbillon de leur indéter.mination
définitive.
Par la parataxis,
ADORNO pratique la textua-
lité comme rapport du texte
(musical -
pictural -
litté-
raire -
philosophique)
à
sa propre écriture. Tout texte
englobe un moment d'autonomisation où son agir devient
auto-mouvement non automatique. Tout texte en tant qu'il est
textualité,
comporte ou produit un détour du sens de sa
logicité. ADORNO à
la différence d'HORKHEIMER majore
l'importance de la négation du logocentrisme. Dans ce
travail d'écriture,
le sujet
s'écrit dans l'entrecroisement
de l'évolution du progrès et du travail des forces produc-
trives dans un moment d'objectivation qui ne se fatalise
pas dans les médias de socialisation que sont le langage
et le travail.
I l persiste toujours quelque part une
interaction dialogique et radicalement
théorique,
qui per-
met la mise en ririse de
tout discours.

-22
La tendance de la pratique du texte chez ADORNO est
beaucoup plus artistique que généalogique.
Les auteurs
semblent envisagés et dévisagés comme des
oeuvres d'art
dont les
contenus textuels
se rapportent aux mouvements
de la forme de la contexture qui les feront
imploser
dans leur systématicité. La pratique de la dialectique
négative est esthétique.
Par exemple dans
sa relecture
de HEGEL,
ADORNO reconduit dans la totalité de l'enve-
loppement de la dialect~que des éléments de fausseté qui
font
par exemple,
qu'après avoir pensé les
conditions
théoriques du travail,
HEGEL n'en voit pas
la réalité
. pratique de son époque.
Marx en dévoilant
la figure
con-
crêtement aliénée du travail n'en perçoit pas la logique
qui l'eût incité à
s'en désolidariser dans la poursuite
de son entreprise critique.
La philosophie de l'Histoire
de HEGEL dépasse les déterminations
subjectives de son
auteur alors même qu'elle n'est pas strictement déducti-
ble de
ses conditionnements sociologiques.
De même
l'oeuvre d'art déborde
son auteur créateur.
Dans leur
limitation inférieure,
HEGEL et MARX sans
oublier KANT,
continuent un processus de civilisation qui les maîtrise
dans l'orientation de leurs productions
intellectuelles.
Dans leurs limi ta tions
supérieures,
ils délimi tent 'idéale-
ment leur moment da rupture avec la base et par conséquent
participent à
la lutte pour l'avènement réel de cette
rupture
tout en la conjurant.
I l manque aux uns et aux
autres,
l'administration méthodique du doute de chacun
sur soi même et
ses propres
certi tudes.
Ainsi le sujet
historique retrouverait
sa contemporanéité et accèderait
à
la transcendance garante de l'utopie de la critique.

- 23 _
Le plus sûr crit~rium de la critique réside dans l'écha~~~
négative èu donné,
écha~ée qui permet le relevé topogra-\\
phique des lieux de la pensée et dévoile l'excès de
logique qui travaillant les ouvrages selon la stratégie
nocturne de la ~aype, les dispose dans l'alternative de
la poursuite ou de la déviation de leur dis~rsivité.
Derrière chaque mot
i l y a un naufrage de sa
présentativité.
Celui-ci combat en son nom et pour son
nom propre,
tellement propre que l'eau du bâptême n'a pas
eu à
l'épurer.
Ce nom reste toujours inventif pour se
survivre sans précuautions. La difficulté de son écriture
n'agrémente pas sa lecture.
On ne parvient à
la lire qu'en
l'aguichant d'un anachronisme •••
L'auto-réflexion qui se détacherait de la '~ialectique
négative" ne la répartirait pas entre Hier et Aujourd'hui.
Elle éclairerait plutôt le choc du contenu objectivé de
l'ouvrage et du discours subjectif sur son contenu.
Ce choc maintiendrait l'oeuvre dans la contradiction hé-
gémonique de son prétexte. Le tout de la logique de la
domination ne peut se dire dans un essai ni même dans une
somme théologique négative.
En déplaçant les limitations
du langage par l'entrelacement d'autres sens,
ADORNO
intervient sur la puissanceréificatrice de la langue.
Certes i l ne l'affrnnte pas de face,
mais i l engage une
pratique théorique sur le système in~trumental de la
langue. Dans la fragmentation des mots,
des portillons
peuvent
transvaluer indirectement les critères classiques
ae l'objectivité et de la subjectivité.

24 -
Le représenté tente de se dire.
Danslè monde de la
décadence,o~ meurt la consci~nce le sujet peut
nier son contexte idéologique en ravivant
son lien avec
l'imaginaire.
Ce qui rend la pensée d'ADORNO plus indéci-
dable que celle d 'HORKHET.MER,
c'est peut-être,
entre
autre,
sa tentation d'écrire son angoi~se et sa castra-
tion dans son écriture philosophique et esthétique.
ADORNO s'interpose entre sa critique et ses lecteurs. Les
textes ne semblent
jamais en fête
ni en confiance devant
l'avenir.
Aussi ne donnent-ils aucun espoir au bon sens
des critiques mais à
leur travail de relecture.
On a
souvent l'impression que l'élaboration du style cache
ici une peur que l'auteur ne veut pas livrer ou confesser.
Les écrits ne terrorisent pas mais ils n'enlèvent pas
aux lecteurs toutes leurs questions,
car i l ne rassurent
jamais quand à
leur sens mais au contraire,
vont
. "'"
.
jusqu'à proposer un bouleversement du sens qui ali~ènte
le risque des c orrt r-e-sensc Ce
qui coule à
flot
chez ADORNO
ce n'est pas la régence du sens mais une
timidité de
la métaphore qui lorsqu'elle se libère produit de
véritables aphorismes.
En fin de compte les phrases
des textes adorniens suscitent de l'étonnement,
de la
disgrace et des paradoxes.

-
25 -
La révolution ne p~riclite pas avec tous Ceux
qui en doutent.
La dimension immortelle du doute rallon-
ge le sujet du doute alors que la raison et la révolu-
tion déclinent.
ADORNO ne critique pas sans conscience
de sa pratique.
I l serait plutôt une conscience de la
criticité sans l'espoir de la fin de la critique.
Quand à HORKHEIMER,
i l eut le tort de douter,
de se
tromper et de confesser ses erreurs. Mais en remettant
en cause son passé,
ne
joue-t-il pas à
l'épouse
jalouse du passé de liberté de son époux ?
*
*
*
Ce qui dissémine HOKHEIMER et ADORNO dans
la théorie critique,
c'est leur pratique de l'écriture.
Tandis que chez HORKHEIMER,
la critique se développe
dans la thématiqueâe la politique; du dogmatisme,
bref de la société,
chez ADORNO ce développement
se dénoue dans une
technicité de la conceptualisation
philosophique tant et si bien que dans la dénonciation,
la critique parvient à
s'énoncer comme la forme de la
critique.
Les centres d'intérêts de la théorie critique
sont presque similaires de HORKHEI~ER à ADORNO, mais
le traitement de ces
thèmes renvoie chez chacun à une
sensibilité esthétique spécifique. HORKHEIMER et
ADORNO peuvent parainer les mêmes débats,
les même com-
bats,
les même illusions et les mêmes déceptions,
mais
.../ ...

dans l'avènement au dire de ces luttes,
i l y
a un
décallage d~pressif non identique de l'un à l'autre.
On peut donc avoir ses entrées chez l'un sans les
avoir chez l'autre.
Cette différenciation mimétique n'entraine
t-elle pas une différenciation thématique 7
Le contenu objectif se superpose-t-il au contenu objec-
tivé 7 Qu'est ce qu'un contenu objectif 7 C'est aussi
le problème que soulève le professeur de philosophie
de Mr JOURDAIN
Belle marquise vos beaux yeux me font
mourir d'amour ~ D'amour,
belle marquise,
me font mou-
r i r vos beaux yeux ~
•.•
Bien évidemment ce problème
est d'envergure esthétique. ADORNO ne s'y affronte
dans notre mise en scène qu'en s'affrontant à
HORKHEIMER.
Dans "Le Roland Barthes sans peine" Burnier et
Ramband
(1)
sont allés
trop vite et trop
allègrement
en besogne. La langue du philosophe,
du sémiologue
de l'esthéticien se développe souvent comme une
étrangété. Mais celle-ci ne découle pas nécessairement
de la volonté de complication d'un langage 6riginal
simple.
Ce n'est
pas en compliquant le
simple qu'on
obtient le compliqué.
Il y
a
du compliqué qui procède
de la simplification.
Il existe des philosophes qui
commentent le commentaire,
(lire des
traductions n'est
ce pas déjà une certaine
aventure,
un commentaire
du commentaire 7) mais en/ramenant les textes à une
\\/
(1) Le Roland Barthes
sans peine,
Burnier et Ramb avd J
Balland
.../ ...

compréhension on ne l'engrosse pas de n'importe quoi.
Du moins nous l'espérons.
I l doit exister un seuil de
tolérance des
textœ (comme des réalités humaines) qu'on
peut déplacer mais qu'on ne peut pas dépasser.
Le com-
mentaire du commentaire,
et encore moins l'écriture
poétique ou littéraire nepeuvent réduire la littéralité
des textes au formalisme des
"méthodes assymil". Réduire
l'écriture de BARTHES à un certain nombre de règles
(règles du redoublage,
du truisme,
du cache-cache, de
la su~ponctuation, du gavage ... ),
c'est évacuer le pro-
.blème de la rencontre de BARTHES avec son texte et sa
textualité.
S'il y
a des règles d'écriture,
on ne peut
y
répondre que par un travail sur sa langue donc sur la
sociabilité des catégories linguistiques et finalement
sur soi-même.
Pour passer de "j'ai de la peine à me lever
le matin" à
"le
jour pointe
supplice de quitter le l i t " ,
i l faut non seulement posséder
(donc être possédé
par)u~
certain vocabulaire mais encore écrire cette souffrance
matinale dans le brouillard du matin et peut-être aussi
dans le débrouillage des mots qui
se proposent.
Evidemment BARTHES sait assurer sa défense
mieux que nous.
A travers cette allusion/ce que nous
visons c'est le problème du rapport au langage tel qu'il
sévit dans les textes d'ADORNO.
La phrase de l'auteur ne
fuse pas comme .Le feu . créateur j a i l l i t de la bouche
divine.
.../ ...

Le langage philosophique recr~~ imparfaitement les si-
tuations et les choses dont i l parle.
Dimension de la
chute humaine,
le langage renferme"un p~ch~ original
de l'esprit linguistique" dont le poète et l'artiste cher-
chent à
s'~manciper. Par le travail sur la langue de sa
pens~e, ADORNO ne recherche ni un savoir, ni une compl~­
tude.
I l cherche à
transmettre un peu de cette brouille
et de ce brouillard qu' i l d c o uvr-e
en tissant
son rapport·
é
au monde.f~Dieu seul, les choses ont un nom propre. En
c h a q ue cas le langage,
en effet n'est pas
seulement commu-
nication du communicable,
mais en même temps symbole du
non communicable"
(1). Le langage ne d~finit ce qu'il
porte que par la c~sure qui ~quilibre son support social
avec les v~lléit~s subjectives du locuteur. Tenter de
s'exprimer tout en communiquant,
c'est tenter de se
constituer dans l'alt€ration
de la d~jection du pouvoir
de la langue.
Dans la parole du sujet,
i l y
a un support
social qui d~termine la vitalité de sa diff~rence malgré
son inclusion dans la communaut~. La parole parodie
mais dans cette parodie i l y
a des parodies du verbe
divin.
Dans le }eudes miroirs nonsynth~tiques de la
socialit~ linguistique, de la difficult~ du vouloir
dire et de la difficuité du vouloir vivre,
i l y
a
aussi des reflets qui ne reflètent pas le donn~
du déjà vu.
(1) BENJAMIN - Mythe et violence. Denoël P 96 -

- 29 -
ADORNO
et HORKHEJMER cri tiquent le relati-
visme
mais ils se reîativisent entre eux. Leur expérien-
ce dans le travail de production de la théorie critique
n'est pas monologique mais dialogique.
Aussi leur auto-
réflexion réciproque ne peut que produire de la rupture
dans leur identification à
l'Ecole de Francfort. ADORNO
ne critique pas HORKHEIMER et HORKHEIMER ne critiquent
pas ADORNO alors qu'ils critiquent BENJAMIN.
Cependant
BENJAMIN~t sa théorie de l'aura)produit le cadre
théorique de la non-reproductibilité de l'un dans l'au-
tre.
Entre ces deux ténors,
i l n'y a
pas d'original dont
la duplication produit l'autre.
La spécificité que
défend BENJAMIN dans l'oeuvre d'art n'étant pas un his-
toricisme,
elle permet de retrouver plusieurs histori-
cités dans les contemporainéités de la théorie critique
avec HORKHEIMER
et ADORNO. L'un n'est i l pas à
l'autre
cette
"unique app~riti6n
d'un lointain si proche qu'elle
peut l'être"
?
I l y
a
de l'aura autour des
écrits d'ADORNO aura
J
qui rend plus lisible la fictivité de la thé~rie critique.
HORKHEIMER suggère un sens pratique qui frise le réalis-
me chaque fois qu'il prend des initiatives de mises au
point globales.
A cet égard la production adornienne de
monographies
(Wagner
-
Mahler -
Hegel)
peut être
significative de
sa conviction
q"uant au caractère insub-
_mersible de l'individu retrouvant
toujours quelque part
&
• • /
• • •

- JO
le sens de la totalité -
ADORNO et HORKHEIMER poursuivent
les mêmes idéaux à partir de situations sociales analo-
gues
(tous deux sont fils de commerçants bourgeois).
Mais ils ne parcourent pas le chemin commun qui est
le leur,
de façon identique.
En nous obligeant à
corriger nos mythologies
ADORNO et HORKHEIMER reconsidèrent la source d'inno-
cence de la contestation,
tout en annonçant l'après
marxisme comme un retour politique à HEGEL.
HEGEL est
"le dernier marxiste" qui subsiste au pouvoir c'est
pourquoi
"L'homme unidimensionnel"(1)
est une clé de
"La phénoménologie de l'esprit". Dans le creuset des
sensibilités qu'est devenu~l'Ecole de Francfort, HORKHEIMER-
HABERMAS,
BENJAMIN, MARCUSE,
ADORNO disent
la nécessité
d'une vulnérabilité théorique du marxisme,
pour repenser
sa détresse pratique.
Le marxisme ne peut survivre à MARX
sans rouvrir le débat de la tentation autonomiste des
marxiste~face aux tentations et aux réalités totalitaires
étatiques.
*
*
*
I l n'existe pas de limite entre le pur et
l'irnpur.L'intérêt qu'on éprouve à
la lecture d'un
texte ne détermine-t-il pas en dernière analyse le véri-
table héritage des autBgFs~? Si HORKHEIMER déborde
HORKHEIMER par son" \\..dentification" à ADORNO, quelles
(1) Bien entendu cet ouvrage est de Marcuse
.../ ...

31
négations suprêmes peuvent elles les arracher aux fi-
gures de leurs symboles dans les milieux estudiantins
de l'Allemagne des années
1950 -
1960 ? Dès lors qu'une
oeuvre est écrite et
inscrite dans un fichier,
son au-
teur peut i l l'effacer? Mieux (1)
s'appartient-il ?~on
oeuvre lui appartient-elle ?
Le moment où HORKHEIMER croyait fermement en
l'idéal de la révolution ne peut pas s'inscrire dans la
marge de son idéalisme pessimiste terminal.
I l accentue
le déguisement de l'ambiguité et de l'inconguité qui con-
siste à
penser un homme
tel qu'il n'est pas dans un monde
tel qu'il ne peut pas être.
On ne peut calculer
sa chute exactement de manière à
inscrire sa trajectoire·
dans l'ellipse qu'on a décrite pour son raisonnement.
On ne peut non plus affirmer l'Ecole de Francfort contre
ce qu'elle considère comme désormais non opérationnel
ou même comme des illusions de
jeunesse.
On peut cependant'
brouiller ses larmes de
joie et d'espérance dans les mor-
ceaux choisis des contradictions d'une expérience elle-mê-
me
,contradictoire.
En cela on ne ferait du reste
qu'honorer une
théorie de la fragmentation ~·l'oeuvre
dans la théorie critique. L'essentiel c'est de réactualiser
la pertinence historique d'une "telle désappropriation.
Le scepticisme à l a MONTAIGNE ou à
la SCHOPENHAUER,
la
religiosité sans dogmatisme possèdent une prégnance sur
l'actualité de cette fin du XXème siècle,
mais le
phénomène de la crise et de la crispation en marche dans
(1) Mieux ou pire,
• • • /


e.

- 32
cette même actualité,
privilégie socialement
les
réflexions sur la crise. ADORNO et HORKHEIMER ont
su
dans leurs
"années de braises" r~cueillir la symbolique
de
la domination.
Cela fait
partie des restes qu'ils
ont posés et qu'ils ne peuvent pas récupérer.
L'Hyène
dans les contes africains,
c'est analogiquement la victime
des fourberies du renard dans les contes français.
Ce-
pendant,
elle fit
un jour cette réflexion on ne peut
plus philosophique
"Dieu peut tout,
absolument
tout,
sauf qu'il ne peut pas me faire mourir
••• Hier".
Le
présent de la théorie critique ne peut défaire le fait,
néantiser le' passé.
Il n'y a
pas d'expérience foncière-
ment négative,
inutile. Au
seuil de l'échec,
le malheur
de l'expérience dispense l'apprentissage de l'erreur et
de sa correction qui cependant ne peut agir que son futur.
"Tout coule" mais les faits historiques qui scisaii-
lent
le temps,
le découpant en un après et en un
avant,
résistent à
leur gommage autant qu'aux tentatives
de réfection de l'Histoire symptomatiques de toutes les
dictatures.
C'est un réflexe de vieux professeur que de
rendre compte,
dans la clarté de l'institution,
des
structures interprétatives des apories.c
Hier
(année
1930) HORKHEIMER croyait en l'avè-
nement d'une société meilleure.
Aujourd'hui,
alors que
tout
se programmant dans l'administration,
le rêve
d'antan ne possède aucune chance de défaire l'implaca-
bilité de l'uniformisation des
comportements et du
.../ ...

)3 -
fichage des habitudes,
on a
même plus le droit
de rêver malgré la platitude ambiante. '~a beauté de certains
rêves pouvant donner l' idéed 'une beauté poss~ible_,p'en-
dant combien de temps encore,
sommes-nous autorisés ~
~ rêver nos propres rêves ?
Tout va être réglé,
régenté,
distribué
Toute ten-
tative d'opposition ~ cette progression ne peut que
précipiter le durcissement du statu-quolpense HORKHE~ER.
Mais dans cette implacable précipitation,
l'homme
ne
se reconnaîtra-t-il' pas ? HORKHEI~ER n:J épouse
t - i l p a s ici l'attentisme et le pessimisme que les
juifs
du ghetto de Varsovie. ont.repoussés ?
Quand toutes
les issues se
transforment en
impasses,
la seule issue qui résiste c'est peut-être
de mériter sa mort
en l'arrachant ~ la programmation
par l'autre.
Ce qui créè la souveraineté de la mort
sur les sujets,
c'est non seulement son absurdité mais
encore et surtout son effet de
surprise. Mais quand
un accident précipite la mort des kamikazes
tout
juste
à
l'entréa de l'aéroport
o~ ils devrai~nt prendre
leur dernier vol,
cet accident arrache à ces .candidats
pour la mort,
leur mort.
Ne peut on pas de même
arracher,
voler la mort du sujet à
la froideœde
la
rationnalisation en actant
sa mort? Acter,
cela renvoie
bien entendu ~ la pratique,
~ la praxis mais aussi
à
la mimésis comme pratique théorique actant la pratique •
.../ ...

- J4
HORKHEIMER confond peut-être l'Etat et Dieu.
I l n'a
pas tort
car ce n'est pas
son moindre refoul;
hegelien.
Si
"plus i l y
a de
justice,
moins i l y a
de liberté"
(1)
l'inverse est-il vrai? Quand i l y a
un m.~imum d'injustices i l n'y a pas un maximum de
liberté.
La théorie critique produit de la conscience
et de ~a prise de conscience à la différence de la
théorie traditionnelle dont le goût et la pratique
de l'ordre f~ctionnent la rationalité. En rompant avec
l'unification contradictoire qui prolonge la théorie
du marxisme dans sa pratique,
la première théorie cri-
tique
des années 20 et JO refusa de se heurter au
point aveugle qui règle les pulsations du dogmatisme.
En cela y avait-il la nécessité de la résolution à
la
tristesse,
et à
la nostalgie de l'autre que revendique~
le dernier HORKHEIMER. ?
(1)
HORKHEIMER -
Théorie critique P.
J58

-
35
CHAPITRE II
"En tant que dialectique,
la th~orie doit -
comme celle de MARX -
être immanente,
même si fina-
lement elle nie toute la sphère dans laquelle elle
se meut".
(ADORNO - DIA NEG.
PAGE 15)

- 36
LA THEORIE CRITIQUE
UNE CRITIQUE DIALECTIQUE,
UNE DIALECTIQUE
CRITIQUE ET NEGATIVE/
"La dialectique est
comme type de procédé philo-
sophique,
la tentative de débrouiller le noeud du para-
doxe avec le moyen le plus ancien de l'aufklarung,
la ruse".
DIAL.
DE LA RAISON PAGE 116.
*
*
*
La caractéristique fondamenta~de la réflexion
des fondateurs de l'Ecole de Francfort se déduit de sa né-
gation de
toutes les déterminations,
mais aussi de toutes
les identifications de son mouvement. Le terme de dia-
lectique négative se propose comme le signifiant de ce
mouvement
critique de la conscience de classe qui ne
, .
cherche pas à encenser les réalités historiques mais à
les désigner en en faisant
advenir les sens.
Ce philosopher qui met
en évidence les valeu~de
l'engagement de la société bourgeoise qui l'acculent
au totalitarisme,
s'opp~se à l'absolutisme et au
.relativisme. I l se dénomme""Théorie critique~
.../ ...

J 7-
La pensée de la "théorie critique ne
travaille pas
au service d'une réalité déjà donnée,
elle en dévoile seule-
ment la face cachée"
(1).
La théorie critique est le noya~
critique de l'Ecole de Francfort dont le moteur théorique-
est la dialectique négative.
Ni le terme de critique,
ni celui de dialectique ne sont,
vierges.
Ils ont l'âge des grecs dont ils parlent la langue
et la rigueur heuristique des allemands dont ils célèbrent
la grande tradition philosophique.
C'est dire que les mots
"Critique" et
"Dialectique"
sont historiquement immaculés de la plume de maints phi-
losophes qui l'ont
tour à
tour retourné,
rapiécé,
dis-
loqué et recomposé.
Pour l'heure nous ne spécifierons
pas les référents Platoniciens,
Kantiens,
Hegeliens ou
Marxiens de ces concepts chez Horkheimer et Adorno.
Nous
tenterons plutôt de démontrer que la théorie critique
se dialectise selon une déclivité qui défie tout
corpus de théories dénombrables.
Son mouvement interne
ne vise pas à
la faire disparaître de l'infini,
mais
à
la disposer comme infinie négation.
L'ébranlement
dialectique et négatif (négatif parce que cheZ H~gel,
i l y
a plutôt dialectique positive
(2Ùde la théorie
critique ne se finitise pas dans la sai~ie d'une pléni-
tude expérimentale,
mais recherche l'aptitude au glisse-
ment d'une irréductibilité.
(1) HORKHEJM-ER -
Théorie trad.
et théorie critique.
éd
GALLI~~RD PAGE 49.
(2)
Chez Hëgel,
i l y
a une positivité de la dialectique
la
négation
nie l'affirmation,
puis se nie dans la synthèse
qui est une réconciliation.

-
38 -
Seule,
une dialectique négative peut assumer la néga-
tion dans sa négativité sans pour autant la figer ou la
"nihiliser". La dialectique négative ne se maintient qu'en
se discon~inuant. Le même n'arrive plus à perdurer dans,
sa similitude,
à
travers
ses similaires et ses similacres.
I l est confronté à
ses fantasmes dans une historicité
conflictuelle et contradictoire par rapport à
son présent.
La dialectique négative fait
ressurgir l'essence dynamique
d'un.
donnée dans son aptitude ou son inaptitude à
refuser ou à accepter la clôture fantasmagorique du
rêve de la totalité.
L'adhérence ou la distanciation d'une pensée par rap-
port à
son champ d'action réflexif indexe son coefficient
de positivité ou de négativité à un moment historique donné.
La pensée négative est sagace
elle met en crise le
capitalisme tardif en perte de vitesse,
qui n'en finit
pas de finir.
Par l'effet,.. d'une dramatisation de la rationa-
lité technologique,
le projet critique explicite les
non-dits,
les sous-entendus et les arrières boutiques
qu'il dépiste comme les signes d'une éthique et d'une logique
de la domination.
Certes,
les phases de replatrages idéolo-
giques,
de cette logicisation de la réalité varient; mais
11 exploitation '( économique, -poli ti'que,
idéologique ••• )
et la domination de l'homme par l'homme,
qui en consti-
tuent la quintescence garantissent son unicité.
La dialectique négative n'est donc pas une pensée
de l'abstrait,
elle qui
"élève la douleur du monde en con-
cept"
(1),
c'est une ontologie de la culture comme mise
en évidence de l'échec de la culture et du succès de la
·violence. La tragédie de cette violence consacrant l'assi-
gnation militaire des fonctions administratives,
la
théorie critique ne conçoit pas une issue à
cette automa-
(1)
-
ADORNO -
Dialectique néga;tiY.e P.
13~"Ce que la dialec-
tique a de douloureux,
c'est la douleur du monde
élevé en concept".
... / ...

-
39 -
tion de la puissance,
ailleurs que dans la réflexion
critique elle même. La solidarité des destins apocalyp-'
tiques des peuples les situe dans un équilibre de la
terreur qui débouche sur une tendance à l a lassitude
politique.
La critique dans son exigence de rupture,
casse
toute immanence,
et toute conception mécaniste de
l'histoire pour atteindre le concept déterminé d'une
facticité en médiation.
L'itinéraire dialectique ne peut plus être linaire
dès lors que
"la dialectique ne surgit pas uniquement
dans le système sans y
avoir sa mesure
(comme chez Hegel)".
Par rapport à un monde planifié et plat,
la dialectique
négative l i t le texte du monde comme fragmenté ,
sectaire
et sectariste. Dans ces fragments,
le désir se débat contre
la ~aison qui l'astreint au manque. Tous les objets du
monde s'échangeraient pour combler ce manque,
mais le
jeu de l'échange industriel ne parviendrait qu'à s~en
jouer et à
l'exacerber.
I l n'y a donc pas de correspondances possibles
entre la dialectique et son objet.
Seules des ruptures,
des fractures
situent la critique en déphasage avec sa
base,
Tout social· conservé.
Parce que
ce Tout reste
vivace et tenace,
alors que Marx en prévoyait l'effon-
drement,
la théorie critique est un discours du philoso-
phe sur les réalités réelles,
discours,
dialogue avec Marx
et surtout avec ~n certain marxisme.
Ce discours sans
choeur ne répartit pas Marx en moitiés égales mais révèle
des inégalitésde niveau intrinsèques au projet théorique
marxien.
.../ ...

40
l
-
THEORIE CRITIQUE
ÙNE PROBLEMATIQUE PROBLEMATIQUE
"Même si elle avait encore une
tête,
la critique
,,.
n'aurait plu
d
" H
s
e
coeur.
ABERMAS -
Théorie et
Pratique T.
2
PAGE 11.
Si à une société fragmentée correspond nécessairement
une idéologie fragmentaire,
qu'en est-il donc de la
critique de cette société
et de son idéJlogie ?
Dans le monde fétichisé. et ensorcellé du capital,
l'émergence d'une pensée critique est
elle-même critique.
Si "c'est la vie qui détermine la conscience et non la
conscience la vie"
(1),
la philosophie de l'Ecole de
Francfort doit porter les stigmates de la réification
sociale et de la division du travail qui constituent
son humus.
A la limite,
on peut la soupçonner d'être un
dispositif idéologique qui sous les dehors de la contra-
diction vise à récupérer tous les esprits réfractaires aux
matraquages publicitaires et au nivellement de la stan-
dardisation.
Dans
tous les cas,
la survivance d'une
théorie critique et d'une dialectique négative,
dans une
société reconnue unidimensionnelle,
est problématique
toute pratique idéologique
(donc la philosophie même
la plus critique)
est réifiée.
"(1) Marx- L'idéoiogie allemande - éd. soc)page. 44
.../ ...

- 41
Toute tentative de sortir du contexte d'aveuglement
de l'identité sujet-obje~ est impossible,
puisque la praxis
à
l'instar de la pratique est victime de l'automation et '
de l'économisme scientifique.
I l Y a à
la base et dans la consistanc~ de la théorie
critique,
quelque chose comme une aporie de la dialectique
qui se reconnaît elle-même comme un produit
socio-historique
soumis à la chosification qu'elle se propose de critiquer.
Cette senteur oporétique se profile derrière, tous les som-
mets réflexifs de l'Ecole de Francfort. Ainsi on la recon-
naîtra lorsque la philosophie devra faire
sa critique philo~
sophique ou même
quand la rationalité se trouvera prise
à parti par la raison,
ou mieux encore quand la théorie
critique s'administrera son autocritique.
Les conditions de la naissa~ce et de l'exercice de la
théorie critique sont paradoxales
:
ou bien la société est
.unidimensionnelle et la théorie critique est un versant de
cette unidimensionnalité ;
ou bien la théorie critique a une
fiabilité,
une crédibilité et alors elle cesse d'avoir tout
c o n t.erru ,
la société 'qu'elle critique prouvant par la démons-
tration du libre exercice de sa critique,
qu'elle n'est pas
totalitaire.
Ce
sens du paradoxe,
l'Ecole de Francfort le cultivera
au point d'en faire
la batterie stratégique de la dialectique
négative dont le
jeu.
dynamique soulèvera maints paradoxes,
maintes apories
-
qui ne s'élucident que par leur
regénérescence dialectique.
La critique immanente de la société se valide et se
justifie par une analytique normative qui assigne à
la criti-
.... ,. / ...

- 4 2_
que une portée certes limitée mais
jamais nulle. La
critique n'est
jamais impossible même quand e;le ne
peut pas être radicale. Percevoir une impossibilité
de sortir du système à partir de son intériorité,
c'est sombrer dans un idéalisme pessimiste de type
schopenhauerien en méconnaissant que
"le monde est
à
la fo~pire que l'enfer et meilleur"
(1).
L'achèvement de la totalisation du système serait
suicidaire
pour ses idéologues.
La réalité comporte
nécessairement des failles qui démentent sa clôture sys-
tématique autour du principe d'identité.
Les idéologies
s'efforcent de colmater ces fissures qui sont paradoxa-
lement leur raison d'être.
Aussi,
elles ne les comblent,
et
ne les combleront
jamais parfaitement car "les raisons
de vivre sont aussi les r-a i s ons de mour ir".
Tout système
totalitaire est paranoiaque. Pour éprouver sa cohérence,
elle a besoin d'adversités réelles ou fictives.
C'est ainsi
que les Juifs
"sont stigmatisés comme mal absolu par ceux
qui sont le mal absolu"(3).
I l y
a des inadéquations dans
la rationalité.
"Le cours du monde n'est pas absolument
fermé,
ni le désespoir absolu,
c'est plutôt ce désespoir
qui constitue sa fermeture"
(2).
Seule l'aliénation contient les conditions objecti-
ves de la libération.
L'aliénation se confond avec les
limites inférieures et supérieures de la libération.
(1)
ADORNO -
Dia ~ég. PAGE 314JPAYOT
(2)
et
(~) - HORK et ADORNO - Dia. Rai
-
PAGE 177 GALLIMARD •
~./

• •
t'J

- 4 3 -
C'est toujours une liberté qui s'aliène,
et c'est
bien l'homme alié~é quise libère. Seul l'être libre est
capable d'aliénation,
mais seul l'homme aliéné est sujet
de libération et de liberté. La vérité de l'aliénation
c'est la libération et la liberté ne se confirme que
dans son aliénation.
HEIDEGGER disait
"Ce qui nous
donne le plus à penser,
c'est que nous ne pensons pas
encore".
De même ce qui nous mène à nous libérer,
c'est
notre aliénation.
Aussi c'est à
cause des
sans-espoir
que l'espoir nous est donné.
(1)
Les contradictions qui émaillent à
première vue la
philosophie de l'Ecole de Francfort ne relèvent pas d'un
échec de la pensée à
systématiser le donné.
Ni reflet
réaliste,
ni reflet d'échec,
la théorie critique est une
réflexion sur la domination dans ses éléments et ses
composantes.
"La vérité apparaît négativement dans toute
l'étendue de ses contradictions"
(2).
La tâche de la
théorie critique consiste ~ développer ces contradictions
de la négation· pratique de ces contradictions.
Philosophie,
elle est aussi esthétique. Par cette
bipolarité,
elle se prémuni~ contre tout statisme,
en
régulant le sérieux du penser par le
jeu de l ' a r t ,
la
rigueur de la ràison par la pétulance du mythe,
le rai-
sonnement par la spontanéité de l'intuition. La ritua-
lité du mythe renvoie nécessairement à l a situation ra-
tionnalisante du précédent répété pour être maîtrisé.
Comme
tel le mythe participe à
la rationnalisation de
la dureté de la réalité dont i l absoud l'absurde.
(1)
Benjamin -
in Marcuse,
L'Homme unidimensionnel. p 2--8l .'
(2) Adorno -
Dia Nég.
... / ...

·II -
ULYSSE
UNE SIMULTANEITE CONTRADICTOIRE
"L'homme rus~ ne survit qu'au prix de son
rêve,
qu'il rachète en se d~mystifiant lui-même
comme i l d~mystifie les puissances ext~rieures".
HORKHEIMER et ADORNO, La DIA de la Raison PAGE 71
1 -
RAISON ET POUVOIR
L'histoire de la raison se temporalise en une dialec-
tique de la projection et de l'introversion,
par quoi la
civilisation sacrifie l'homme afin de le conserver.
Pour être,
l'homme ne se maintient en tant que tel,
qu'en
niant cette imm~diatit~ de son soi, n~gation qui le
propulse au monde.
I l doit s'~loigner de son être-là naturel pour
cultiver sa civilité. Le mouvement de l'humanisation de
l'homme passe par une r~pudiation de son humanit~ qui
le circonscrit dans un compromis entre la nature et sa
nature.
I l ne se conserve que par une m~diation et une
collUsion entre le rejet de son soi et l'adoption de la
~~alit~ qui est aussi son adaptation à la r~alit~ par
une adaptation du milieu à
soi.
.../ ...

- 45 -
L'histoire de .l'homme c'est celle du conflit entre
l'homme et son milieu. L'un et l'autre ne se construisent
qu'en s'effondrant.
Ce
travail de construction destruction
est régulé par le concept de raison.
La raison se présente à
l'Ecole de Francfort comme le
principe sacro-saint qui historiquement prétend déterminer
la légitimité des instructions,
des constitutions,
bref de
toutes les théories,
detoutœles pratiques et de toutes les
fins.
L'humanisation de l'homme est ainsi assimilée à
sa
rationalisation.
L'humanité s'affirme par l'emprise et la
matérialisation de la raison. Mais le sujet ne consent
à
la raison qu'en assumant la froide lucidité que requiert
!lo
toute vivisection de soi.
La raison" est un instrument qui
a
le profit en vue et dont les vertus sont la froideur et la
lucidité"
(1).
Pour acquérir une réalité sociale,
le sujet doit
opérerune ..déréalisation de ses dispositifs pulsionnels.
Par sa rationalisation,
i l ne fait pas que
raisonner;
i l se conserve et s'aliène à
la raison.
L'homme qui se coriserve par la raison,
se conserve aussi
pour la raison J ce-qui subsiste de lui correspondant à
ce
qui s'apcomode avec l'austérité et l'utilitarisme de la
rationalité.
Tout égo est un moment du mouvement de ra-
tionalisation du tout
social qu'il sc résigne à
sanctifier.
La possibilité de tout monde subjectif se fonde sur la
sélectivité de celui-ci par rapport à l'étalonnage banali-
sant de la neutralisation technologique.
L'être pour soi
est un résidu de son être pour la totalité. L'identité
du sujet réside dans
son identification au tout social
qu'il'·doit promouvoir. Le socius détermine le sujet en le stéri-
rilisant de tout virus subjectif. Valéry disait
:
"Les au-
tres nous font
et nous mangent"
(Monsieur Teste)
;
ils ne nous
font que s ' i l s nous ont mangés et digérés à
leur image.Ainsi~
(1) HORKHEIMER

-4·6 -
l'aptitude du sujet à
la conservation de soi est aussi et
en même temps sa crédibilité quand à la conservation
du tout social.
Le phénomène du sacrifice rapproche la théorie
critique de la conception de l'idéal ascétique chez
Nietsche d'une part et de la notion du repas totémique chez
Freud,
d'autre part.
On peut concevoir le sacrifice comme
l'évènement limite à
la frontière de la nature et de
la culture,
au seuil de l'une et de l'autre. En cela
déjà le sacrifice enveloppe une ambiguité qui se ren-
force dans sa participation non moins contradictoire aux
mondes diurnes et nocturnes,
humain et divin.
Si le sa-
crifice inaugure la civilisation,
celle-ci se sédimente
non seulement en des couches originaires maculées de
sang,
mais encore elle se prolonge dans des rituels
lithurgiques qui répètent l'anthropophagie. Manger le
corps du fils de Dieu,
boire le sang du Christ,
offrir
le sang des bêtes aux Dieux,
immoler les têtes humaines
aux mannes des ancêtres ••• ,
aucune fête humaine ne cons-
truit son succès sans tremper dans la cruauté.
"Les dieux conçus comme amis de ~,pectacles cruels •••
oh,
à quel point cette idée primitive point elle encore dans
notre humanisation ••• (1).
Dans le sacrifice/la cruauté
de l'homme s'exalte et en arrive à
s'extasier dans un
moment d'ascendance vers son Dieu.
Quoi d'étonnant alors
lorsque la raison endurcie de cette sanguinité cristal-
lisée en elle,
arrive à
se fétichiser?
En accédant à
la sacralité du fétiche,
la raison
n'accroît pas sa spiritualité.
Paradoxalement,
elle se vul-
garise dans la pragmatique. La réligiosité de la raison
développe une dévotion et une piété profane dans l'apothèse
(1) Niet8che,- Généalogie de la morale -
In oeuvres complètes
GALLIMARD 1971 ,P.
261
.../ .. ·

-4· 7 -
de l'homme objet de la séduction.
Cet homme qui met
tout son pouvoir charnel dans
son corps et ses vêtements
s'éprouve dans la brutalité de la simplicité de l'utili~
taire.
Ce qui est mis à mort dans la lithurgie du
progrès ce sont les valeurs de la liberté qui empê-
chaient la coincidence de l'homme et de l'objet. A pré-
sent que la liberté de l'homme est immolée dans la pla-
nification et la standardisation,
le retour, à la cons-
cience animale pleine de son objet1 positive l'instinct
de consommation. N'est-ce pas paradoxal~/qu'un ouvrier
ou un artiste par exemple éprouve de la fierté à présenter
triomphalement le fruit de ses nui ts de veilles et d' in-
toxication tabagique ? La valeur brille sur fond de
labeur,
de privation. L'homme s'épu~se et se célèbre
dans son antagonisme à
soi.
"Le concept d'héroisme est
inséparable de celui du sacrifice"
(1). Le progrès
avance dans des avenues bordées et pavées de cadavres si
nombreux qu'on ne peut construire des monuments à quel-
ques unes de ces victimes sans les ériger sur d'autres
corps. Pour rallonger la mémoire de cet
oubli des
parcours de la mort, HORKHEIMER rejoint NIETZSCHE dans
l'aménagement de la place prépondérante qu'il accorde au
protestantisme.
Dans leur contribution au renforcement de
l'idéal ascétique,- Calvin et Luther ont su accroître la
prééminence de la. rationalité par son adjonction au
rigorisme.
L'introversion réligieuse intervient comme le
fuoule
idéal des comportements qui allège en la rendant
triviale,
l'ét~que de l'unidimensionn~lité. Les douleurs
qui devraient
saluer l'intronisation de l'homme unidimen-
(1) Horkheimer -
Eclipse de la raison P.
139
.../ .~ .

~ ~. ~--_..--
_-_..-
_._._---- _-_._----_.. =--=._..===~===========~
-48
....'.
sionnel perdent leur insolence dans
.
la charité de
l'éthique protestante. En se disposant en sacrifice de
soi,
le chrétien affrète le bateau de son système pour
la dérive concentrationnaire. Le refoulement des cou-
rants libertaires ne signifie pas l'abandon de ses thèmes
qui une fois usagés à force d'être rentabilisés regagent
les oubliettes. Le vampirisme totalitariste qui produyt
la faim et multiplie les affamés s'accorde avec un amour
de l'état pour ses fils,
tel
que cet amou~ possédé
par le démon cannibalique,
rend aléatoire toute alter-
native d'autonomisation politique des
sujets.
La capacité des sujets à
s'autonomiser signifierait elle
une autogestion extérieure à
l'économie de la fonction-
nalité ?

Tout individu est un sujet congelé et solvabilisé
en vertu de ses disponibili tés
à préserver et renforcer
la rationalité qui l ' a pétri en le niant en tant que sujet
libre. La raison telle qu'elle se manifeste dans le sujet
ét contre le sujet est un produit historique, vestige de
la lutte de l'homme contre la nature,
qu'il dompte en se
domptant.
La raison ainsi dév~loppée, ne vise pas à une
1
-"_>-,
compréhension de
son objet ~ais à sa soumission sous son ordre
rationnel. Le travail est le moyen de cette capture du
monde dans la raison. Dans le travail également,
l'homme
se prend dans les rennes inextricables d'un cycle de
rationalisations toujours plus irrationnelles. Logique
de la domination du monde,
le travail est suspension de
soi au monde.
I l exige douleur,
labeur,
ajournement
du désir et asservissement de soi à la peine.
Tout monde du travail se dédie comme une bonifi-
cation de l'aliénation du sujet à la force productive des
choses.
Cette force est couvée et couverte parla fausse
rationalité technologique. De ce point de vue,
les
sociétés dQl travail· sont en travail et elles accouchent
de la négation historique de l'univers mythique des
lothophages.
... / .. ~
.'

50
II -
MYTHE ET RAISON'
La cité de lotophages relate l'essentiel de toutes
les théories hédonistes ...
:
Exotique,
elle accorde les sujets
à
la nature et à
leur nature.
Nourris de fleurs,
les
citoyens cueillent la substance de leur vie en réussis-
sant l'économie de la violence par une technologie
douce.
Parce qu'ils n'agressent·pas la nature,
les lotophages.
ignorent la mortification de soi.
Comme Narcisse et Orphée,
ils ne sont pas des
agents culturels du travail,
mais bien plutôt du loisir,
de l ' a r t ,
de la "finalité san· fin".
Ils vivent en
symbiose avec leur milieu qui prospère sans entraves.
Au pays d'Orphée,
de Narcisse et des Lotophages,
les
villes ne sont plus des entrepôts de main-d'oeuvre.
Les hommes détournés de l'accumulation,
de
la volonté de pouvoir,
de la posse~sion et de la domi-
nation,
s'émancipent de-tout péché originel,
de toute
souffrance,
s'ouvrent les uns aux autres,
et demeurerit
présents aux sollicitations du temps
sans les subir.
L'évocation de cet univers myrifique par Adorno
et Horkheimer n'a-t-elle pas une consonnance utopiste?
Certes la fonction de l'utopie chez les fondateurs de
l'Ecole de Francfort ne recouvre pas celle de sa défini-
tion traditionnelle péjorative. Toutefois,
chez eux
comme chez Marcuse,
l'utopie s'enclenche dans l'esthéti-
que qui l'énonce dans son irréductibilité au concept.
Mais fermons pour l'instant cette parenthèse •
.../ ...

-
51
Revenons aux lotophages -
Ils sont le symbole d'un
monde qui est la perversion de l'ordre social de la
totalisation et du travail
..aliénant -
aliéné dont l ' e m-,
blème est Ulysse,
un autre personnage de"l'
Illiade et
l'Odyssée" d'Homère.
Ulysse ne détourne les hommes ni de leur ex-
ploita~ion mutuelle, ni de leur adv~rsité, ni de leurs
contrariétés • Sollicité· par ses désirs,
i l les ordonne
et les ajourne par la puissance exclusive et discrimi-
natoire de la raison.
Pour mieux résister à
leur impétuo-
sité
(celle des désirs,
c'est-à-dire le chant irrésistible
des sirènes),
i l s'isole de ses compagnons en détruisant
toutes les conditions de communication entre eux:
i l
bouche de cire leurs oreilles puis se fait attacher au
mât de son bateau. Dans cette position,
i l peut
jouir
du chant des sirènes sans s'y livrer.
Entre son désir et son objet,
Ulysse intercale
.
. .
.
.
un obstacle infranchissable,
subordonnant ainsi ses forces
affectives et érotiques à
sa conservation. Ulysse s'empêche de
faire ce qu'il veut.Il ne nie son désir que pour mieux
le refouler.
Parce qu'il sait devoir demander de l'aide
à
ses marins,
i l les met dans l'impossibilité de déchif~
frer
toute demande.
Le désir est ainsi un mort-né,
mort
qui vit pour comprendre la douleur de sa mort.
Dans l'u-
·nivers d'Ulysse,
la cruauté procède de la contradiction
entre la licence de désirer et la proscription
de '~a
réalisation des désirs.
.../ ...

Dans ce monde dont les termes sont rationnel-
lement cruels d'une part et dangereusement érotiques
d'autre part,
le plaisir est affecté du coefficient de
nocivité,
alors que la raison se double nécessairement
de la positivité de la violence.1»v~ ~
alter-
native
,
Ulysse ne fait pas de choix ou plutôt,
i l fait
tous les choix.
I l concilie les inconciliés non pas
pour les banir mais pour en devenir la caisse de
.T~sonnance.
Certes en lui,
la raison raisonne,
et règne,
mais
le désir n'abdique pas.
I l n'abdiquera jamais. I l se
dotera au contraire d'une logique de la fatalité pour
devenir destin
(1)~ Entre l'histoire et le destin
la raison est histoire de la domination du désir par
la raison mais destination fatale du désir. Le désir se
préiente comme destin de toute
histoire,
comme force
inextinguible et inéluctable.
C'est en cela que le
personnage d'Ulysse est à
la fois
comique et tragique.
Idéaliste invétéré et présomptueux,
i l croit
en la transcendance de la raison mais celle-ci ne se
formule que dans
son devenir-immanence par son intério-
risation dans la subjectivité. La raison abdique desapoSition
spatiale mais pour mieux atteindre son objectif.
(1) Freud -
Métapsychologi~

-
53
LA o~ le d~sir justifie sa fin par ses moyens,
la raison d~termine son moyen par sa fin.
Ulysse entrbu-
ve la surface d'inscription d'une simultan~it~ contradic-
toire
:
i l renonce à
lui-m~me potir se conserver. Ce fai-
sant,
i l obtient l'immanence du transcendant
(Raison)
et
l'~chec de l'in~luctable (le d~sir).
C'est pourquoi Ulysse ne saurait~tre tenu uni-
quement pour le prototype de l'ouvrier qui met son ~nergie
vitale dans un travail dont i l ne
jouit pratiquement
jamais.
Certes i l est l'~ternel frustr~, victime d'un pro-
grès technologique dont i l faut
se demander' avec Marcuse ":i" i l
est compatible avec les institutions m~mes dans lesquelles
l'industrialisation s'est d~velopp~e" (1). Mais il est
aussi la potentialit~ d'une revanche sur cette victimisa-
tion de l'ouvrier. Ulysse est ainsi l'acteur d'un jeu
dont i l est à
la fois
et tour à
tour et l'enjeu et le
jouet. I l tisse une histoire dont i l est l'~nigme, son
encodeur et son d~codeur~ I l est ruse.
L'analyse de Horkheimer et Adorno du h~ros de
Homère conserve et d~passe par sa finesse,
son interpr~­
tation marcusienne. L'~cart à cet ~gard, entre Marcuse
et les fondateurs de la th~orie <-ritique,
situe une des
diff~rences entre l'optimisme marcusien et le pessimisme
d'Horkheimer et d'Adorno. Marcuse croit
(du moins
jusqu'en
1972)
en la possibilit~ d'une soci~t~ non r~pressive et
~n l'existence d'une force esth~tique n~gative de la rationa-
lisation des loisirs.
Sur toutes ces deux positions,
Horkheimer et Adorno restent
sceptiques ou interrogatifs.
(1) Marcuse -
L'homme unidimensionnel -
Ed. minuit PAGE 55 •
.../ ...

- 54
Aussi,
vont-ils projeter sur Ulysse une ambiva-
lence symbolique
i l sera à
la fois
la magnificienne de
la société unidimensionnelle
(concordance avec la position
marcusiene)
et la dénégation de sa pertinence
(divergence
par rapport à Marcuse).
Ulysse ne se pose comme offrande que pour mieux
se préserver. La dépossession de soi niest
ici que la fa-
çade d'une ruse destinée à mieux individuer le sujet
"la ruse est le moyen dont dispose le soi aventureux
pour se perdre afin de 'mieux se préserver"
(1). La ruse
c'est le moyen terme entre le mensonge et l'ironie. Elle
participe du mensonge en ce que l'homme de la ruse con-
tourne la vérité
ainsi,
au cyclope qui lui demande son
nom,
Ulysse répond
"PERSONNE" et pas Ulysse. I l dirige,
son interlocuteur sur une piste qu'il sait être mauvaise,
et l'induit décisoirement en erreur,
tout en riant sous
cape. Le menteur conserve la vérité en son coeur,
et
dispense à profusion la confusion.
C'est la mauvaise
foi qui dans le cas du rusé,
n'a aucun caractère hideux,
en raison de son enveloppe comique,
ironique et straté-
gique.
L'ironie suggère ce qui est,
sous une forme réelle
et symbolique,
sans entrer en adéquation complète avec
la lettre de son discours.
I l n'affirme
jamais explici-
tement ce qu'il pense,
mais i l n'en pense pas moins ce
qu'il ne dit pas.
I l ne se dédie à l'autre que 'sous la
couverture de faux symboles.
(1) Horkheimer et Adorno -
Dialectique de la raison PAGE 63
.../ ...

- 55-
De m@me, le menteur n'utilise le pouvo~r du discours que'·
pour le nier.
Comme le malin génie,
i l emploie toute son
industrie à
tromper et à détromper alors que l'ironiste
n'a de cesse de se moquer. L'un et l'autre se rejoignent
dans cette distance qu'ils prennent vis-à-vis du réel et
d~
leur immersion dans le monde de la ruse. Ruse,
mensonge
et ironie désintègrent les systèmes représentatifs et
fomentent des rébellions
sémantiques dont Ulysse ne va
pas se priver.
La ruse dédramatise la réalité,
par le comique
ludique et artistique qu'elle tient de l'ironie.
Comme
l'artiste,
Ulysse exhibe de l'épisode de son odyssée au
pays des sirènes,
la récréation provocante de son objec-
tivité.
I l en arrive à une reproduction complète de la
vérité
(il est un personnage)
comme illusion et par allu-
sion :
i l . se surnomme "'pers orine" parce qu'il ne survit
que par la neutralisation de son individualité. En se
jouant du cyclope,
Ulysse ne fait que témoigner de la tra-
gédie de son engagement dépersonnalisé au monde,
en in-
quiétant l'@tre au monde de l'autre
(le cyclope)
par une
insolence qui frise le cynisme.
I l se livre sans se donner,
mais sans arriver à
se délivrer
de ses contingences historiques.
Son langage
n'exprime d'autant mieux sa mouvance interne,
qu'il ne
communique pas.
Sa parole n'est pas un lieu de rencontre
:avec autrui,
mais le lieu de sa dérobade. Ulysse
joue sur
l'équivocité de l'homonymie pour attester de la plurivo-
cité du langage et combattre les formalisations •
.../ ...

-
·56.-'
Son langage va jusqu'à contredire la foncti~n du
langage ~ui sert d~sormais à masquer l'être et non à l~
saisir.
I l tourne le langage en d~rision. Par son jeu,
i l
d~fait sa pertinence et la dote de pr~cipitations dialec-
tiques par lesquelles,
i l dissimule son discours pour se
dire.
Le rus~, c'est le traite
qui d~faittoutes ses
alliances en les r~v~lant et en les contredisant dans les
instantan~it~s qu'il r~alise en les d~truisant. En face du
cyclope,
Ulysse n'ouvre la bouche que pour fermer son coeur.
Sa parole est trappe qui engloutit et son sens et ses
d~crypteurs. Ulysse n'apparaît que dans ses disparitions
dans
"le labyrinthe de ses mensonges",
d'où i l ressurgit.
Ses actes ne circonscrivent pas leur sens dans la rec-
titude de leur gestualit~.
Ils se d~tournent de toute ~criture, de tout
~talonnage indexant, pour recoder
les signifiants par le
principe de leur insuffisance autonome. Ulysse ~nonce
une volont~ de refonte des mots qui prend en compte
leur capacit~ de d~doublement et de digression. Du point
de vue de ses disparit~s, i l se rapproche à nouveau
de l'artiste qui d~sarticule l'expression dans ses in-
tentionalit~s, refond les extrêmes,
conteste les ~vidences,
simule les r~alit~s sans les signifier,
donne à voir et
à
esp~rer l'utopie. En cela, Ulysse est à la fois notre
contemporain (ce que Marcuse a
soulign~) et la pulv~risa­
tion de cette contemporan~it~ (ce que Horkheiner et
Adorno ont ~tabli).
Ulysse est aussi bien l'arch~type de l'ouvrier
que celui de sa lib~ration. Celle-ci n'advient que par
une culture des stratagèmes car l'homme rusant part en
guerre sans exhiber ses armes.
.../ ...

57-
Leur efficace se déduit de leur potentiel de surprises,
de retournements et d'éclatements. Toute ruse prend cons-
cience d'un rapport de forces défavorable mais qu'il faut
cependant arriver à
inverser et à renverser.
Ce n'est pas
pour autant une concession ou un repli.
C'est une lucidité
qui prend en compte l'existence d'un irrationalisme foncier
du pouvoir qui se rationalise par la positivité de sa force
et des remparts idéologiques.
C'est précisément la mise
à nu des mutatioillde cette prétendue rationalité que pour-
suit la dialectique négative en développant les conséquences
de la réalité sociale
jusqu'à l'extrême ténue oà elle
découvre ses inconséquences.
Découpé comme objet théorique,
Ulysse éclate en
une altérité énigmatique qui augure d'un certain pessi-
misme. Mais i l resteun modèle de compréhension de l'humain
qui n'entre dans l'histoire qu'en sortant de son for
intérieur. Le voile de l'énigmatique en Ulysse est la
conséquence du voile que l'homme entremet sur son histoire.
L'homme n'existe qu'atrophié et pour se dédommager de
sa vie mutilée,
i l réagit comme totalité autoritaire.
L'homme n'a pas d'identité
(Ulysse se prénomme
personne).
C~aque homme est le hyéroglyphe non identique
du problème de son histoire.
I l n'y a pas d'histoire
heureuse,
même
s ' i l existe des récits et des souvenirs
heureux.
I l n'existe que des mythologies du bonheur,
rational~sant la répression.
... / ...

-
58 -
III -
LA NON IDENTITE
"Faire opposition à la totalité en la convain-
cant de sa non identité avec elle-même, non
identité qu'elle nie de par son propre concept".
ADORNO -
Dialectique Négative
PAGE 120
Tout discours conséquent sur le concept de non
identité dans
son fonctionnement
à
travers l'Ecole de
Francfort s'origine obligatoirement en un constat
d'échec.
Si la non identité a un sens et une réalité,
elle doit par la même occasion être la dynamisation -
dy-
namitation de tout~s les codificat~ons qu'on peut établir de
sa dialectique.
La non identité ne se saisit pas dans
le creuset creux des mots dont elle aime à
stigmatiser
le formalisme.
Elle n'est pas pour autant un souffle
m t a pfry s Lqu.e j
elle se profile comme refus d'assimiler. et
é
de se laisser assimiler.
Parce que la non identité est le principe
corrosif du pouvoir,
elle ne se définit conceptuellement
qu'en niant tout lien qui la rattacherait à un mod~le~0\\
\\ . /
'
identificatoire. Elle construit une distance critique
et différentielle vis-à-vis du caract~re autog~ne du
concept.
.../ ...

- 59-
C'est pourquoi tout discours adéquat à la non identité
est un discours totalitaire. En tant que tel,
i l ne peut
dire que l'identique,
c'est-à-dire la mort de la non
identité.
Dès lors,
le constat d'échec dont nous parlions
devient,
s ' i l est analytique,
l'éloquence de la vitalité
de la non-indentité.
Identifier la non-identité,
c'est
élaborer une sophistique positive;
on ne peut qu'en
suivre les traces en esquissant l'archéologie et les dé-
guisements de ces procès.
IDENTITE ET TOTALITE
La théorie critique de l'Ecole de Francfort se
comprend comme une dialectique de la non identité dont
la proposition centrale mérite d'être retenue
"le tout
est le non vrai".
(1). Toute totalité est une totalisa-
tion qui extirpe et expulse la non identité.
Il ne
subsiste de totalité que lorsque les différences ont
été applaties et neutralisées théoriquement bu pratique-
ment. Des éléments d'une totalité sont pour ainsi dire
normalisés,
standardisés.
Ils se valent tous car~ ils ne
valent rien en eux-mêmes ou pour eux-mêmes.
Ils ne pren-
nent de sens que dans le sens giratoire du système qui les
totalise en asceptisant son orientation et sa signifi-
cation. Le tout c'est le:non indulgent,;
c'est le refus
du droit à la différence et la prescription du mimétisme
qui conjure l'altérité.
(1)
Adorno -
~.~~. ~ '~4'1-
.../ ...

60-
Mais parce qu'il est tr~s justement totalitaire imp6-
nitent,
le totalitarisme se nie comme totalit6. Le besoin
totalitaire ne se légitime que par l'existence d'un manque
de totalit6 qu'il veut
justement biffer. Etre totalitaire
c'est avouer implicitement la pr~sence de l'irr6duct~ble
qui reste et qui restera à r6duire et à
int6grer au tout.
Le totalitarisme est l'obstacle à
sa propre totalisa-
tion.
I l se nie comme totalit6 dans son refus d'assimiler
comme telle,
cette partie de la totalit6 qui est la con-
tradiction. Mais cette partie contradictoire du r6el,
i l
ne peut l'assurer sans indigestion,
sans crise.
I l ne peut
se r6aliser sans le prendre en compte mais i l ne peut le
prendre en compte et se r6aliser.
En vertu de son totali-
tarisme,
le totalitarisme ne peut pasint6grer l'autre
du même
;
i l le r6prime,
faisant par là même
éclater sa
totalitarisation.
L'into16rance de la non identit6 est le principe
de n6gociation del'identit6 dont le rêve d'h6g6monie
ne sera jamais s a t i s f a i t :
to16rer la contradiction,
c'est
6chouer dans la totalisation. Ne pas la to16rer,
c'e~t
avouer l'existence de la contradiction,
c'es~-à-dire
de la non totalit6,
c'est d6truire toute possibilit6 de
conciliation.
Face à
la non identit6,
la situation de la totali-
sation est aussi paradoxale qu'infortable.
Elle doit la
récup6rer,
mais elle ne le peut pas.
Si elle ne le peut
pas,
elle le doit.
Si elle ne la r6cup~re pas,
elle
n'est pas,
mais elle ne peut pas la r6cup6rer et être.
Ainsi l'oppos6 reste impond6rable dans son arrogante
intransigeance.
.../ ...

61
Le totalitarisme ne parvient
jamais à boucler sa circula
rité,
i l ne se totalise
jamais. La prise de conscience de
cette totalisation toujours avortée
justifie le' rôle des
appareils idéologiques
:
colmater les brèches que la non-
identité ne cesse de réouvrir.
La totalité devient une facticité qui voile les ri-
gueurs et les ruguosités d'un fascisme qui s'accroche
d'autant plus au pouvoir politique qu'il est i~rationnel.
L'idéologie lutte opiniâtrement
mais en vain contre la
vérification objective des expériences de totalisation ra-
tées. Elle cherche à raturer ces ratages mais entre le
tout et la partie,
i l n'existe aucun terrain de rencontre qui
ne renvoie le tout et la non-identité,à l'adversité. Le
même ne se rapproche de l'autre qu'en le faisant reculer
et le totalitarisme ne parvient
jamais à boucler sa boucle.
Le totalitariste est comparable à
cet homme poursuivant son
ombre mais dont chaque bond fait
rebondir son objectif.
I l ne peut effacer la différence qu'en inscrivant
la différenciation.
Effacer,
c'est toujours et encore
tracer. Dans l'espace de la totalisation,
i l persiste
toujours une différence,
une trace qui ne s'efface que
par un autre tracé.' "La violence du rendre-semblable re-
produit la contradiction qu'elle élimine".
(1)
(1)
-
ADORNO -
Dia .•
Nég.
PAGE 117
.../ ...

-62-
Fonder la totaliié c'est préciser sa non~otalisat~on.
La totalité se valide par la négation de la valorisatid~
de ce qui n'est pas elle mais sa détermination ne peut
aller au-delà de son indéterminé.
2
L'IDEOLOGIE
L'idéologie constitue son mouvement comme à
la fois
une prise de conscience de la vanité de la totalisation
et une volonté d'occultation de l'échec de toutes les
totalisations.
Comme la totalité qu'elle affirme et in-
firme par son affirmat~on, l'idéologie trouve sa forme
originaire dans l'identité. Est idéologique,
toute mani-
festation qui sous le couvert de la cohérence unitaire
occulte la réalité de la contradiction (1). L'idéologie
appréhende idéellement le réel et se caractérise par sa
conversion consciente ou inconsciente de ses équivocités
en univocités.
Le réel est différentiel,
son contenu historique
change même
si ses tendances profondes tendent à
se
maintenir. Ainsi,
la domination sc voile en
jetant
ses mas-
ques usés
:
autrefois elle agissait sous le couvert de la
protection;
aujourd'hui,
elle a
abandonné la médiation
de la nature qu'elle avait adoptée;
elle est devenue
intériorisation parraite des
lois et des structures
du pouvoir.
L'homme est auto-régulé.
(1) A ce niveau nous
sommes encore tributaires de la signifi-
cation de la notion telle que Marx l'applique à l'Hege-
lianisme dans
"l'idéologie allemande"~
.../ ...

6)-
\\
Le vecteur historique de la domination est positif
mais i l ne se déduit pas de l'éphémère des sensations ou
de l'immédiateté despercept~ons. Il se déchiffre dans
l'inhérence du sujet dans l'objet,
du mythe dans la
raison,
du disparaître dans l'étance. Tout sujet concret
qui se pose objectivement en se ramenant au concept de
son effectuation est subjectiviste à l'instar de Kant
et de son sujet transcendantal. Kant n'a pas compris,
malgré son criticisme,
que tout
sujet qui enserre un
objet,
s'enserre dans l'objet et est enserré par cet objet.
I l ne perçoit pas le sujet dans la phénoménologie de son
objectivation,
ce qui le conduit à penser la subjectivité
à partir du strict observatoire du sujet.
Le penser se ramène au facticiel,
au social,
faute de
quoi,
son histoire ne sera jamais son présent. Tout sujet
se finitise dans un temps et un espace qui ne sont
jamais clos ni achevés.
L'histoire du sujet est une
dynamique ontique dont les structures sont contradictoires.
Dès lors,
toute compréhension de la réalité qui vise à res-
tituer une totalité,
conduit à une résolution affective
des contradicitons et des antagonismes sociaux. L'idéo-
logie nie la réalité des luttes,
des souffrances et des
répressions.
Quand elle les reconnait,
c'est pour les
convertir en maux nécessaires.
Comme le subjectivisme,
elle est un dédommagement tardif de l'impossibilité
pratique des idéalistes à rendre bompte de la véritable
nature des postiches et des fards qui assaisonnent les
rapports sociaux.
Subjectivisme et idéologie confortent
une seule et m~me position;
celle de l'idéalisme •
..'. / ...

- 6 4
Toutes les idéologies sont idéalistes sans pour
autant que tous les matérialistes et les réalistes ne le
soient pas. L'idéalisme idéologique est une philosophie
du ressentiment.
Compensation réactive en mal de satis-
faire une envie de connaissance et de
totalisation
qu'il ne peut satisfaire et qu'il investit en lui-même,
l'idéalisme idéologique s'accorde d'une part le primat
dans la connaissance et d'autre part l'immunité vis-àvis
de la critique.
Planant au-dessus de tout
soupçon,
i l se
gratifie d'une pureté et d'une
transparance de cristal
qui lui épargnent toute métacritique. Ainsi ni l'idéologue
ni l'idéaliste,
ni le subjectiviste,
ni non plus le
positiviste n'accomplissent ce retour de la raison sur
elle-même et ses propres supposés dont Hégel parle dans
la préface de
"~a Phénoménologie de l'esprit" et qui pour-
rait déjà suggérer une psychanalyse de la connaissance
(cf Bachelard). Aussi occultent-i~ enti~rement ou partiel-
lement leur objet pour brandir un autre plus commode parcè
que plus réluisant,
parce que moins problématique.
Adorno et Horkheimer
proc~dent à la fois à une
extension et à une restriction du concept d'idéologie.
Par son lestage et son ancrage dans les conditions
socio-économiques, .l'idéologie n'est pas l'anti-th~se de
la vérité historique
(~~NHEIM)~ Elle~même peut endosser
les apparences de la vérité _.
L'idéologie c'est bien plu-
tôt le corrélat d'une vision du monde qui ne se dialectise
pas dans une mise· en crise de son contenu de vérité.
Adorno et Horkheimer réduisent le champ idéologi-
que en le différenciant du relativisme,
mais ils l'élargis-
sent dans la mesure où son ossature francfortoise porte
atteinte au caract~re positif des sciences~
..../ ...

Le centrG d'intérêt du débat
sur l'idéologie se déplace
du politico-philosophique,
i l s'installe au coeur de la
scientificité. "La critique de l'idéologie n'est pas
quelque chose de périphérique,
d'infrascientifique,
quel-
que chose de limité à
l'esprit objectif,
mais elle est
philosophiquement centrale
:
critique de la conscience
constitutive elle-même"
(1).
Une telle conception de l'idéologie n'est-elle
pas finalement plus conséquente à la dialectique que le
schématisme mécanique de la théorie du r e f l e t ? L'idéo-
logie ne se résorbant plus en un flottement de la
conscience,
elle se complique d'autant plus que la réalité
qu'elle doit décrypter est compacte. En se liant aux
pratiques concrètes,
les idées ne se simplifient pas mais
se corsent en des noeuds qui sont tous autant des turbu-
lences en correspondances bi-univoques avec les super-
structures et les infrastructures.
"Marx a
trop.
chargé certaines expressions comme
celle de reflet"
(2). Décharger la théorie marxiste du
reflet afin d'en galvaniser la dialectique
(3) voici un
des arguments déterminants de la théorie critique au
débat marxiste.
(1) Dialectique Négatiye PAGE 121
(2) Adorno -
Dia.
Nég.
PAGE 163
(3) "On devrait toujours se méfier d'un concept qu'on a pas
encore pu dialectiser.
Ce qui empêche sa dialectisation
c'est une surcharge de son contenu".
Bachelard -
La philo.du non -
Paris -
PAGE 134
I:-u P- •
... / ...

- 66-
L'idéologique se récupère alors dans ses varia-
tions et ses mutations.
Ersatz en déplacement et en osmoses,
sa capacité d'ingestion déflore les zones les plus invio-
lables ou les plus inviolées.
Càr les sciences ne se
développent pas contre l'idéologie mais dans et par l'idéo-
logie du progrès et du bien-être universel.
idéologie qui
1
trouve son relais dans la productivité dont précisément
Marx n'arrive pas à
se détacher.
Parce que le communisme
ne se veut pas un partage de la misère, Marx a
fait de la
science et de la technologie des impondérables. C'est
par la transformation révolutionnaire des procès de pro-
duction et des moyens de travail et non contre la produc-
tion et le travail que s'annonce le grand soir.
C'est dire
que prométhéen convaincu et impénitent,
Marx n'envisage
pas une mise en question de l'efficacité du progrès scien-
tifique et
technique.
Prométhée reste prometteur de
valeurs nouvelles et d'innovations libératrices.
Pour Adorno et Horkheimer,
i l ne s'agit pas seule-
ment d'organiser,
de distribuer équitablement la production
ou même de la réorienter,
mais de casser le f i l du progrès
autant que sa manière technologique de se dévider. Le dé-
veloppement ne satisfait pas les besoins qu'il crée.
I l
faut rompre avec
toute la tradition de l'économie politique
et démystifier l'éthique du travail.
Cette conviction de l'Ecole de Francfort ne donne
pas lieu seulement à une analyse de la science et de la
"technique comme idéologies. Mais encore et surtout,
elle
engage la théorie critique comme une anti-épistémologie •
.../ ...

- 67,-
Epistémologie s'entend ici comme philosophie
critique de la science d'une part et comme développe-
ment de la logique des sciences sociales,
expérimentales
et logiques dans leur incapacité à penser la non iden-
tité. Les théories
scientifiques dans leur parti pris
pour l'ensemble prennent fait et cause pour'l'universel
contre le particulier. L'élément à
l'intérieur d'un
ensemble n'est pas une particule particulière mais une
unité en nécessaire relation avec la loi relationnelle
qui l'dnduit dans l'iso~orphie des fonctions qui lui
sont présentes.
Sans quitter son ensemble,
un élément
donné se rapporte comme dans
son cehtre,
à un autre
ensemble circonscrit cependant à
ses extrémités exté-
rieures.
Dans l'impossibilité de l'élément à déborder
l'ensemble qui lui donne statut,
i l y
a
la configuration
de l'assignation de l'élément à
la norme
tant et si bien
que c'est seulement en tant que non spécifiques que les
éléments d'un ensemble se spécifient dans leur planifica-
tion. Tout
élément a besoin de la propriété foncière
de son axiomatique pour honorer le modèle de réalisation
de l'identité de son ensemble.
I l n'existe pas d'altérité absolue. Le'\\out a u t r-e "
n'a ni essence,
ni existence dans la caiégorie du logos.
Dans
tous les autres,
i l y
a du soi. La non-identité ne
se résoud pas
la d Lf'f'é r-e n c eç.même si elle participe à
. à
son contexte. Toutes les dictatures s'érigent sur des
métaphysiques de la différence même si toutes les philo-
sophies de la différence ne sont pas métaphysiques ou
fascistes.
.../ ..-.

-
68 -
La différence n'implique pas nécessairement la contradic-
tion et le conflit que porte la non-identité. Avec sa
différenciation,
la non identité ne coincide pas. La dif~'
férence
irréductible fracture non seulement le même mais
aussi la différence. Le rapport ,du non identique à
la
différence débouche sur la binarité de l'opposition de
l'individu et de l'universel,
opposition niant la
linéarité du sens.
Les conditions nouvelles de la production
et de la consommation des idées impliquent un réaménage-
ment de la liaison du sujet à
l'universel étatique. La
relative désaq,ection contemporaine des s u j e to vis-à-vis des
asservissements idéologiques des églises éponymrene signe
pas la mort des fascinations
et des modèles. Un noveau
type d'idéaux sociaux tente de
s'opposer au sol d'enracine-
ment étatique de ces idéaux. L'état malgré ses efforts de
libéralité ne garantit ni les droits individuels ni la
justice sociale. En retrouvant
sa mémoire dans la reconnais-
sance non répétitive de son histoire,
les intellectuels
découvriront peut être la vieillesse de leur figure.
En
renouant avec une tradition que d'aucuns disent aristo-
cratiques de la philosophie,
l'Ecole de Francfort,
se dé-
couvre comme trace surpolitisée qui cependant doit cons-
tater la modicité de ses moyens d'intervention. Les
théoriciens de Francfort préfèrent en fin de compte,
le
vertige auto~réflexif à l'inconscience de la praxis. Mais
dans quelle mesure cette hiérarchisation développe une
contradiction historique? Quelle est la non identité de
la relation conséquente qui prescrit la désaffec~ion
vis-à-vis de la pratique à partir des symptômes 'de l'in-
tégration du prolétariat ? La subordination de la pratique
. .. / ....
"

- 69-
à la théorie n'enregistre-t-elle pas déductivement les
conséquences causales de la contingence non évidente du
changement révolutionnaire ?
La théorie critique ne recode pas ses flux
décodés:
elle ne s'axiomatise pas pour formaliser ses
paradoxes.- Au second souffle du formalisme,
elle préfère
le sursis de la survie,
car la mort de l'espoir révolu-
tionnaire peut servir à désigner les morts dans la subor~
dination de la périphérie au centre.
Si elle devrait
parfaire ses thèmes,
la théorie critique s'imposerait
l'imperturbabilité idéaliste qu'elle critique.

- 70 -
CHAPITRE III
MODELES POLITIQUES
"Plus les organismes sont proches de la mort,
plus
ils regressent è~ stade de simples convulsions. Vues ainsi
les tendanc~destructices des masses qui explosent dans les
états totalitaires des deux bords,
ne seraient pas tant
des désirs de mort que les manifestations de ce qu'elles
sont déjà devenues.
Ellesmassacrent,
afin que leur res-
semble ce qu'elles croient vivant"
(1).
Adorno -
Minima Moralia
P.
215

- 71 -
Comme point de d~part analytique d'une th~oried6
la soci~t~ occidentale, Horkheimer et Adorno maintiennent
le concept de rationalisation qui sc fonctionnalise pour
le sujet par le choc existentiel de règles qu'il ne com-
prend pas. Mais en quoi la raison est-elle,plus structurel-
le ici que l'irrationnel,
l'imaginaire,
le d~sir ?
Du
phi-
losophique
de l'~conomique, du social,
du sexuel
•••
quelle e~t l'instance qui structure la soci~t~ dont parle
l'Ecole de Francfort? Cette soci~t~ $'identifie-t-elle
à celle de Marx,
travaill~e par l'~conomique ? S'oppose-
t-elle à
celle de Freud agenc~e par une ~conomie pulsionnelle ?
Bref q~lle est l'articulation majeure,
c'est-à-dire
positivement major~e par la th~orie critique ct quelle
est la pertinence historique de cette philosophie politique?
En fait,
i l n'est pas exact de dire que chez Marx
par exemple,
l'instance ~conomique lie les autres,
même si
pour se disculper on s'empresse d'ajouter "en dernière
instance". I l n'est pas non plus exact de penser que Freud m~­
diatise les r~alit~s par la sexualit~. Il faut plutôt con-
sid~rer que pour Marx comme pour Freud,
ce qui organise les
soci~t~s humaines,
c'est ce qui les d~sarticule'avec le
bonheur et ajourne la libert~ dans l'infini des modèles.
La philosophie contemporaine pense la cahotisation du monde,
plutôt que son harmonisation.
Ce q'Ji conjugue les niveaux de
la réalité,
c'est l'imbrication des rapports d'aliénation.
La société s'indifférencie par l'institution mythiquement

-72-
-arbitraire du réalisme du manque illimité. L'analyse
des sociétés révèle le verso de l'idéalisation qui règle
leur image de marque.
La structure ne tisse pas elle même son étoffe. La
rationalité se socialise par la rationalisation,
c'est-à-
dire par un maquillage spécifiquement déterminé par des re-
pères historiques.
C'est pour quoi aucun principe de cohé-
sion,
aussi adhésif soit-il ne peut indiquer les ambiguités
rythmiques qui programment les sociétés dans les déviations
de leurs
innovations.
Si la domination fusionne avec la technique,
avec la
science,
avec la coercition,
ce n'est pas parce que la tech-
nique constitue sa génétique ou qu'elle en est la matrice.
Dans son désir de vivre et de pouvoir vivre,
la civilisation
occidentale aggripe l'essence de sa fonctionnalité dans
des principes qui mis ensemble ne constituent pas un enchai-
nement Jécessaire de leur humanisation -
déshumanisation.
Le choix de société qui aboutit au fascisme
est la valorisa-
tion pratique d'un possible qui n'était pas un impondérable.
Si Créon est l'Etat,
la plaidoierie d'Antigone qui la
destine à plaider coupable,
recouvre sa conviction quant
à
sa non-culpabilité. La société occidentale ne soupçonne
pas sa culpabilisation dans le principe de raison qui gère
sa société. Aussi elle d~scrimine les autres éventualités
de choix par la disqualification idéologique.
En se cachant
la ~iberté du désir de rationalisation dans son modèle
initial de société,
la société occidentale se condamne à ne
pas pouvoir parler de ses fantasmes ni à leur parler.
Les

-73-
sociétés industrielles se dé ve Lop pe n t
par des volontés de
pouvoir dont la puissance r.ature d'autres désirs.
Qu'elles
arrivent à
confondre la liberté de leur point de départ
avec une nécessité historiquement déterminée,
les inscrit
dans un cycle historique où l'histoire les assigne à un
sens.
Loin de nous,
le désir de retourner aux mythologies
des origines des sociétéso La question n'est anthropolo-
gique que dans la mesure où elle tente d'ébranler la coer-
cition comme réplique inexorable du désir de vivre ensemble.
Disséminer à nouveau le désir,
c'est libérer les possibles
pour apprécier les conditions d'adaptation du sujet.
La rationalité n'est pas un désir de la politisation
des sociétés. L'industrialisation non plus car i l n'y a pas
de donné de l'expérience
Ce qui inscrit le cursis d'une
société dans sa suite logique,
c'est une présentation de
l'histoire qui étouffe en sous-main toutes les déclinaisons
qui ouvrent sur des espaces-temps qui n~taient pas énoncés,
c'est-à-dire annoncés dans l'enchaînement spéculatif.
L'Ecole de Francfort reste
tributaire d'une conception de
l'Histoire comme espace scénique
conception qui est une
contribution à la mise hors-scène,
hors
jeu des choix de
sociétés qui se donnent comme indécidables,
comme non in-
clus
dans la dialectique rationnelle de la raison. I l
persiste dans la dialectique négative,
une conception de
l'histoire comme raisonnable.
Cette conception une fois
in-
troduite dans la théorie de la non-identité,
la fige
sur une
idée fixe de la domination comme logique historique impla-
cable. A preuve interne à la théorie critiqueJle pessimisme
historique des uns et des autres.
Même Marcuse qui
jusqu'en
1972 esquissait une ouverture de la voûte céleste de l'e5-

-74-
pace culturel de
la théorie critique,
en apercevant
ses
ailleurs
(tiers monde -
marginaux -
intellectueD),
se
ressaisit et
se rature.
On peut.èéceler dans cette attitudel
une ironie de l'histoire de la théorie
critique qui rationa-
lise
ses propres irrationalités par le biffage des écarts
autres qu'esthétiques.
Les
territoires culturels que par-
court
la théorie critique sont hérissés de.~orteresse~
culturelles qui lui interdisent
tout nomadisme et
toute
errance.
C'est pourquoi Marcuse couvre ce qu'il avait
ouvert.
I l se reprend comme dans une auto-critique mala-
droite,
mais avec
toute
l'éloquence de
la prise
en charge
consciente du nOn refoulé
(1).
Le modèle d'application de
l'Ecole de Francfort reste une philosophie du droit portant
sur les mêmes principes que
ceux de
la philosophie du droit
de Hegel,
c'est-à-dire des démocraties libérales.
(1) On peut relativiser ce reproche qui n'est pas une
critique en adhérant à cette pens~e de P.
Bourdieu fai-
sant sa propre critique
"Dans l'impensable d'une
époque,
i l y
a
tout
ce que
l'on ne peut pas penser faute de dispositions éthiques ou
politiques
inclinant à
le prendre en compte et en consi-
dération mais aussi ce que l'on ne peut pas penser faute
d'instruments de pensée tels que problématiques,
concepts,
mithodes
techniques
(ce qui explique que les bons senti-
ments fassent
si souvent de
la mauvaise sociologie)".
Le
sens Pratigue,
éd.
de Minuit
PAGE
14
.../ ...

- 75-
"; ~_.
. .
Mais doit-on juger l'arbre de L'E.F.
à ses fruits?
En_t.antqu'elle élude
la libération comme un dégagement
,
de nouveaux rapports entre l'homme ~~t la nature,
l'E.F.
est
elle davantage une anthropologie qu'un humanisme?
A la différence de Marx,
le rapport entre l'homme et
la nature prend ici une envergure en dernière instance,
po-
litique. Une envergure tellement politique que certains
théoriciens de Francfort apparaissent'
poli tistes.
C'est
même
sous l e ' canevas cadenassé de politicisme que la
l
'
philosophie de Harcuse est analysée par J. Freu(\\d:
"Marcuse
tend à
tout expliquer par la politique -
la psychologie,
la
philosophie •. ~
tout lui paraît être un versant de la politi~-
que' (1), De mê me t' Lt h omme unidimensionnel" est une entre-
prise de dénonciation et de démonstration de la culture
comme avatar et devenir politique~dontla valeur est pro-
portionnelle à
la pertinence de sos arguments d'intégration.
Pour Adorno et Horkheimer également,
la réalité
est un champ politique. Le monde est devenu celui de
l'homme bien plus par la politisation du milieu de l'homme
que par son humanisation.
Cette politisation exige et ob-
tient une identification de l'homme à
sa société puis à la
société. Dès lors,
comment expliquer que Adorno et Horkheimer
(Marcuse aussi à bien des égards)
aient tenu à
tenir leuTs
distances vis-à-vis des partis politiques? Comment com-
prendre que l'exacerbation théorique du politique corres-
ponde à lme désaffection de la pratique politique?
('1)J. Freund- In "Eco et Soc" oct. Déc, 1974
('.1'1-9
.../ ...

76-
I l ne s'agit pas ici de remuer un quelconque couteau dans
une
rry po üh.é t Lq ue plaie
car si le reproche d'abstinence vis-à-
vis de la pratique sied bien à l'Ecole de Francfort,
elle
peut aussi donner un alibi commode po~r ne pas analyser
l'importance du champ politique dans la théorie critique.
Refuser cet alibi qui tente d'aviver le
Vieux débat entre
la théorie et la pratique)ce n'est pas éviter sa problé-
matique à
l'oeuvre dans les ouvrages d 'Horkheim.er et
Adorno.
C'est plutôt en refuser la querelle pour découvrir
ce que recouvre cet argument du politicisme ou de la
politisation. N'y a-t-il pas là une évacuation de l'évène-
ment historique par la linéarisation des concepts poli t i -
quessans retournements dialectiques?
Chez Marx,
le politique ne s'oppose pas au non poli-
tique mais au social d'une part et à l'histoire d'autre
part.
Si historiquement le citoyen s'identifie à
la proprié-
té,
i l s'identifie aussi à
la reconnaissance sociale de cel-
le-ci. Tout serait plus facile
si la fausseté pratique
de la politique précédait sa fausseté
théorique car ce
qui est faux en pratique ne peut être que difficilement
vrai en théorie
(cf M~rx - critique de la philosophiè du
droit de Hegel). Mais dès lors que dans la théorie critique
la théorie fait
état de la fausseté d'une pratique,

peut-on trouver 11 enthousiasme de s 'y adonner? La r-é f'uta t Lon
de la politique relève ici,
d'une politique
d'éluci-
dation du politique.
Celle-ci prend appui dans l'histoire
sociale des individus empiriquement engagés dans la politi-
que pour y noyer des angoisses déterminées par la politique
d'état. Les pouvoirs ont cettB double politique
qui consiste
à
angoisser puis. à
tranquiliser.pissocier les angoisses réel-
les des angoisses
ingérées,
c'est comprendre que la théorie~'
ne légitime pas le~ mêmes angoisses que la pratique •
.../ ...

- 77-
Le pouvoir s'essentialise par la dispersion de
la victimation.
Celle-ci n'est pas une destruction in-
extrémis mais une neutralisation qui articule la domi-
nation telle qu'elle s'exerce sur des
suje~ momifiés
mais animés d'un semblant de souffle vital. La politi-
que est le surgissement d'une forme de domination qui
s'étatise fau~ de pouvoir faire l'économie de l'ins-
titutionalisation de ses figures.
Le pouvo;ir devient
politique dès lors qu'il y
a une politique de pouvoir
(apparente ou sous-jacente)" qui sc destine à
l'échan-
ge économique de sa force
et des appropriations en vue
de sa prolongation infinie dans son identité.
En tant
que force,
la politique du pouvoir est une puissance
qui vit la tragédie de l'illusion de celui qui cherche
à durer pour lui même par des moyens qui ne sont pas d&
lui-même. Aussi tout pouvoir est égophage à défaut
d'être cannibale.
I l scie la branche sur laquelle i l
s'assied.
Quand i l aura ramené tous les autres à
lui-
même,
i l ne sera plus que l'autre de lui-même. Adorno
expli~ite toutes ces présuppositions du pouvoir dans la
IIDialectique Négative" tant et si bien qu'il n'arrive
pas à
libérer les concepts politiques de leur cristalli-
sation dans le processus de la domination.
Non seulement
les théoriciens de Francfort n'arrivent pas à penser la
société sans le pouvoir mais encore,
ils ne pensent le
pouvoir qu'en fonction de la domination.
I l y
a dans cette
obsession un r-é a Ld s me logique et historique qui fait que
la critique n'arrive pas à agir son idéal.
Son besoin
d'agir ne s'objective que par le rabaissement du niveau idéal
de son agir. Aux hommes de paroles parodiques et au monde
des
tentations non accomplies,
la révolution marxiste propose
une
transformation de la nébuleuse des rapports sociaux
.../ ...

78-
par la description d'un.espace de création qui soit un
après de l'exploitation -
domination.
"Trouver le inonde nou-
veau dans le terme de la critique de l'ancien"
(Marx)
c'est
là une exigence de 1~ mise en question que Marx a cru devoir
honorer mais dont l'Ecole de Francfort dans
son ensemble
ne peut plus s'émouvoir.
Dans la théorie critique,
la critique de l'ancien ne
se positive pas par sa rupture mais par le dépouillement de
nouveaux accessoires totalitaires devant lesquels l'audace
et la volonté révolutionnaires débra~ent. Les révolutionnai-
res rentrant en grève,
la rupture radicale peut attendre les
calendes grecques.
I l y
a à
la base de cette situation de
dépolitisation (1) du monde aliéné,
un niveau de lecture de
l'histoire dont l'un des spécifiantsest le suivant:
les
transformations des modes de production et des rapports de
production ne suffisent pas à produire une ~év61rition~
Sartre
du reste attesterait cette proposition qui contredit
la suivante:
le mouvement du politique n'est pas non plus
une condition de la révolution. Dans le langage du
Marx de
~la Question Juive~ cette prise de position qui est un
contra~oint à la pensée de Marx peut se formuler comme
s u i t : L'émancipation politique ne peut mener à tille pratique
globale achevée car la voie idéologique vers la révolution
est bloquée par l'absence des luttes politiques réelles.
POUl:'
Marx,
l'essence du politique,
c'est la contra-
diction (cf·la question juive1. L'état dans
ses états est
contradictoire dans la mesure où i l est dans l'extrinsèque
dé ses rapports avec la société civile. Avec Horkheimer et
(1) Celle-ci ne correspond nullement à la mort du politique
ou de la politique.
. . .1.. ·

- 79- .
Adorno,
c'est l'ensemble du concept marxiste de l'Etat qui
se trouve infecté. L'état dans son excroissance a phago-
cyté tous ses extérieurs et tous S9S contradictoires. Il
a réalisé sa limite sans perdre sa consistance,mais
en gagnant en perpicacité. Chez Marx,
l'état libéral
laissait la vie civile s'organiser comme
~~~ ;~_
ne l'organisait
pas. Ainsi l'homme pouvait s'engager
dans la vie civile sans arrière pensée politique.
L'état se voulant arbitre des oppositions sociales, ne
pouvait exister sans la contradiction de la 'société
civile. Abjourd'hui l'état libéral ne se cache plus
ou plutôt i l ne peut plus se cacher tant le repli oà
i l se dissimul~it a été usé et rapiécé. Avec une
absence complète de pudeur,
l'état s'est imiscié partout
répGndant une gangrène politique qui éraye
jusqu'au
vécu intime des honrnes 'par une surdétermination poli-
cienne de la théatralité mondaine. Dans sa dextérité à
faire et à contrefaire,
l'état se contrefait avec passion'
mais aussi avec un sang froid imperturbable qui fait qu'il
prend 't ou t es les places:
et la sienne propre
et celles des
autres qui ne sachant oà se mettre se mettent dans l'état.
1
De ce point de vue l'état n'est plus anachronique.
Il n'est pa~ un v~tement devenu trop restreint trop
étroit pour l'élément à v~tir qui s'est épaissé, qui a
grandi (1). Au contraire i l témoigne d'une capacité d'adap-
tation aux situations nouvelles qu!.il suscite préventivement.
{1) Nous empruntons cette métaphore à Pierre JALEE •
.. ./ ...

- 80 -
L'~tat est
toujours en avance sur son temps.
Par la souplesse de son anticipationjde son activit~
de cQpture et de r~cup~ration des thèmes les plus
r~vo1utionnaires, 1 létateI'l,jambe et son pr~sent et
son futur.
Marx disait
"Nous
(autres a11ememands)
sommes les contemporains philosophiques du pr~sent sans
être ses conte:nporains historiques". A p r
s e n
é
t
l ' étrein-
te de l'~tat est une prospective m~t~oro1ogique qui
organise tout espace et tout temps comme espace du
pass~_pr~sent. L'~tat-nation, l'état-peuple ou populaire
l'~tat-dicta~oria1 es{ au-dessus de l'histoire qu'il
~c1aire à la manière d'une torche qui ne visibi1isc
que les territoire~déjà conquis et d~vast~s. L'~tat
boucle e t c orif'd s q u e
le futur,
l'imaginaire,
l ' utopie
et le philosophe ne peut penser que ces mues d~jà
abandonn~es. Pr~sente à l'histoire mondiale,
l'~tat­
nation n'est pas seu1e~ent la totalisation de l'échan-
ge mais aussi celle de la dictature dont le mobile
est ~conomique. En ce qu'elle vise à l'interchangeabi1it~
des
é1~ments arrach~s à la nature,
l'~conomie considère
et logicise une circulation des marchandises dont
l'~lément fondame~ta1 est la monnaie en tant
que mar-
chandise monnaie garantissant une valeur commune. Cette
valeur s'identifie dans une relation d'équiva1~nce
gén~ra1e qui ne prenant pas.~n compte les sp~cificit~s
pratiques de chaque mode de production,
cr~e ou accroit
un déséquilibre entre les ~changeurs dont l'un finit
toujours par être exploité et domin~ par l'autre.
Dans le passage de la mesure immanente et substantielle
qui équilibre .ou déséquilibre le troc,
à
la mesure ph~no­
m~na1e que prouve l'utilisation de la monnaie (1) il Y a
(1) cf Marx - F~tichisme de la marchandise-
section I
du capital.
.../ ...

• . _...
_ . -
•_ _ . • • • • • . .
•••
•••
__••..• _.
_ _
.....
••
••. _.
........._ _ ..
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~ " " ' -
~
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~ . _
~
~.
~ _ .
~
~ _ .
: . . ~ _
"8 i-
un ~cart qui constitue l'impens~ de l'~conomie politiqu~
classique et dont la mise en ~vidence permettra
à Marx de d~velopper sa critique. Le mouvement qui
d~termine ce passage suppose une d~cision juridico-po-
litique. Dans cette assignation des objets de la pro-
duction à un ~talon, i l y
a
l'assignation des producteurs
à
la norme de l'~tat, c'est-à-dire à la norme de l'iden-
tit~. L'int~rêt de l'~tat pour l'industri~ culturelle
n'est pas seulement ~conomique. Même si cette dernière
se modèle selon le sch~ma de la constitution des sujets
comme ~l~ments à
saturer,
l'aspect id~ologique de cette
modalisation ressasse toute une arch~ologie.
Il Y a effectivement une fidélit~ de la pens~e
de l'Ecole de Francfort quant à
la croyance de Marx en
une histoire universellement
th~ologique. Toutefois
alors que chez, Marx les fondements de cette argumen-
tation sont mat~riels ( constitution d'une g~n~ralisa-
tion des rapports de communications entre hommes
correspondant à un d~veloppement des forces productives
au stade de la totalit~)chez Adorno ou Hqrkheimer c'est
par l'id~ologisation et la d~concentration de l'id~ologie
que l'histoire se linéarise et ~nonce ses bases fonction-
nelles.
Par aille~rs le cours du monde chez Adorno et
Horkheimer ne peut plus être rompu comme chez Marx.En effet,
les sujets entrain~s par ce courant inexorable qui suit
son cours fatal,
sont concass~s et bris~s. A ces hommes
en pièces,
correspond un monde total. Les individus s~parés
... / ...

-82-
les umdes autres
sont uniformisés moyennant cette
sépa-
ration.
La subjectivité tend vers son mythe dans
la me-
sure où la sphère qu'elle dessine
comme refuge,
est encore
une cage,
un coffre prévus à
cet effet.
Les
identités
comme les cartes d'identités
sont des
identifications de
l'applatissement qui
incombent aux sujets afin ~u'ils
leur confient
leur évolution future.
A imit~r le monde social
en s'y conformant,
l'homme est réduit
i à se trafiquer dans
l'illusion de
sa rencontre avec
lui même dans
la consomma-
tion des loisirs.
Les classes existent mais
les luttes des
classes un peu moins
évidemment.
Dans l'acquisition du sens
du
jeu,
des effets de
systématisation des
sujet~ se repro-
duisent non sans apparentes discordances entre les uositions
sociales.
Les gens qui peuvent mener matériellement
cette action,
le
font
par rapport
à des
conditions
historiques Jépassées et déphasées qui disqualifient par
avance
leurs pratiques.
L'anachronie de
la lutte des
syndicats et des
groupuscules procède d'une
carence de
réflexion théorique.
Elles ne contribuent pas à l'éclate-
ment des
chaines mais au déplacement d~ leur p6int d'ap-
plication.
La détermination économique agit par inertie
de
la force
sociale des dominés.
C'est ainsi que la
classe qui est susceptible de posséder l'arme du
changemen t,
n'en éprouve pas la " ~ •
.../ ...

83-
nécessité.
Elle ne peut pas objectivement en avoir le
coeur.
Dévirilisé,
plus rien ne l'humilie ni ne la
révolte véritablementw Marx ne croyait pas à la solu-
tion politique,
Adorno et Horkheiner non plus. Mais ce n'est
pas pour autant qu'ils béniront la solution économique
qui est
toute aussi vaine .. qu'improbable,
sinon impossible.
Du reste la révolution qui prend en compte le syst~me
des besoins,
peut elle résoudre aussi celui du désir 1
A
la suite de Freud,
la théorie critique comprend que la
satisfaction du besoin ne correspond pas nécessairement
à la ma1trise du désir. Le désir met en sc~ne l'indéfini,
le frivole,
le fantasmatique,
le superflu.
Le pessimisme théorique de l'Ecole de Francfort se
rapporte également à
cette impossibilité de penser un
apr~s de l'aliénation qui ne soit pas déjà inscrit et
circonscrit dans la répression. Marcuse,
Adorno et
Horkheimer se rejoignent pour. penser un ailleurs de la ré-
pression, mais dont le sens n'est pas encore pratique.
La société communiste est encore une société
du travail même si chacun doit y
être à
la fois et tour
à
tour pêcheur,
cordonnier -
critique ••• A la différence-
de Hegel,
Marx a
su refusérla nécessité de l'aliénation
comme essence de l'homme.
En enfermant la source de
l'aliénation dans le travail aliéné plutôt que dans le
travail lui-même,
Marx se dégage de l'existence.de.la
division parcellaire du travail,
mais i l reste encore un pro-
lTlétbéen~ qui pose le travail comme pierre angulaire de la
société
(capitaliste ou communiste). A conserver le travail
dans sa théorie de la libération,
Marx origine l'être dans
l'intériorité de l'adversité contre la nature.
Certes i l
légitime rationnellement le
travail libéré mais i l ne délé-
gitime pas la logique de la domination qui est coextensive
de toute civilisation du travail.
.../ ...

La d0mination de la nature n'est pas un phénomène
naturel mais culturel. Elle se concrétise dans la nature
et sur la nature par la prise de conscie~e de soi
comme être à ~ême de se dominer~ Ce que la dialectique du
Maître et de l'esclave démontre,
c'est l'aboutissement d'un
courant de la pensée occidentale
qui commence avec
Platon et qui privélégie une certaine rationalité par rap-
port à une dimension de l'être,
qui pour être dépréci~e
n'en est pas moins vivace. La volonté de puissance sur la
nature,
l'exploitation c'est-à-dire la mise en valeur de la
nature dans
son surgissement n'impliquait pas la domination
de l'homme par l'homme •. La domination de l'homme s'inau-
gure avec le devenir machine du capital,
devenir qui en
fai t
un être à décupler.
L'homme devient l'esclave aliéné du capital quand
celui-ci s'accumule et verticalise l'espace.
L'ouvrier
est un travailleur mu par un sur-travail qu'il peut voir
sans lever la tête.
La domination de l'homme par l'homme
est une exploitation verticale de la nature qui s'oppose
à
son exploitation horizontale
où la disjonction entre ac-
tivité productrice et sur-travail ne pouvait pas exister
ni se confondre.
Le processus de la conception d'une so-
ciété sans domination de l'homme est analogique à
celui des
s o c Lé t és contre l'Etat dont parle Pierre Clastres (1),<f"out comme
les "sociétés contre l'Etat"
conjurent l ' é t a t ,
les sociétés
précapitalistes -~primitives~- conjurent le capital par sa
non accumulation.
I l n'y a pas d'Etat
sans gestion du capital
et sans capital à
gérer i l n'y a pas d'Etat.
La domination
de l'homme par l'homme est solidaire de celle de l'homme par
l'Etat qui elle même est concomitante à une production de
(1)
Clastre -
~~ société contre l'Etat - Ed. de minuit •
.../ ...

- 85 -
sur travail -
L'Etat
et
la domination de
l'homme
sont
une
conséquence de
l'excroissance du capital qui néces-
site une
instance de pouvoir.
L'accumulation économique
transforme ~oute exploitation en exploitation de
l'homme
p'ar l'homme.
Le surtravail
pierre angulaire de
la société
capitaliste institue son originalité dans l'intériorisa-
tion de
la domination qui légitime
et
justifie toute alié-
nation dès lors qu'elle est
inscrite et
comprise
comme une
exigence de
la raison~ Ce rationalisme,
logique de
la domi-
nation,
Marx y
a
cédé en construisant la lutte politique
sur l'appropriation de
l'ordre de
la production.
Concevoir le travail comme médiation du désir,
c'est le poser en tant que satisfaction des besoins.
L'his-
toire devient la cause et l'effet de
la relation entre le
travail et
la nature.
Marx légitime la ,domination par delà
sa légitimation du travail comme manifestation de l'obJecti-
vation,
afin que le capitalisme devienne une aliénation
nécessaire à
la libération du prolétariat et que le travail
rev~te un aspett salvateur. Le marxisme reproduit l'idéolo-
gie rationaliste productiviste et
souscrit au positivisme
technologique.
Marx n'a pas
compris qu'on ne peut
soumettre
la nature qu'en s'y soumettant:
La domination de la nature
c'est aussi la domination de
la nature de
l'homme.
Une
socié-
té fondée
su~ les vecteurs du travai1 est une société
qui est vouée à
l'indépassabilité de
l'aliénation car i l y
aura toujours dans
la nature quèlque chose d'indompté.
Celui qui pour ~tre a besoin de nier,
ne s'affirme
jamais
sinon en lambeaux et en haillons,
son affirmation devenant
toujours plus faible que sa réaction.
A une nature mutilée
correspond une humanité
tronquée.
L'homme libre réellement
ne devrait plus être celui qui lutte contre la nature mais
celui qui est avec la nature.
A vouloir tout arracher à
la
nature,
on finit
par s'arracher soi-m~Ine sans parvenir à
en disposer.
Un projet de
société qui ne renonce pas à
s'im-
poser à
la nature ne dispose d'issue que dans
l'héritage
de l'unification.
.../ ...

-86-
Avec Horkheiner e~ Adorno,
le travail ne se fige plus dans
la forme universelle du rapport entre ]. 'homme et la nature.
I l ne satisfait pas l'essence de l'homme dont l'existence
combat par une vitalité qui rebondit et réévalue
son rap-
port à la nature. L'humanité de l'homme,
mystérieuse parce
que naturelle,
maîtrise son autonomie en échappant à
la
souffrance du besoin de capture.
Si elle existe,
l'humanité
humaine résiste dans
"cette survivance de la nature dans le
sujet où réside la vérité méconnue
de toute civilisation"
(1). L'horizon de l'humanité de l'homme se dérobe dans le reste
d'utopie que l'homme n'a pas encore exorcisé
en lui. Dans
ce reste qui resté capable de produire sans se reproduire
et d'instaurer la différence et l'écart dans la totalité.
Dans
"La phénomènologie de l'Esprit",
Hegel présente le
travail sous la figure de l'extranéation ~ A travers le
travail,
la conscience devient conscience de
soi. En tant
qu'être fini l'être s'aliène nécessairement car l'aliénation
est la forme même du mouvement recommencé du devenir de
l'esprit. A Marx,
revient le mérite de refuter cette défini-
tion métaphysique de l'aliénation pour la retremper économique-
ment dans la forme
sociale du travail parcellaire. Tout tra-
vail étant d'emblée
travail social reproduisant les rapports
sociaux,
les
travailleurs
sont pris dans le fétichisme des pro-.
duits du travail.
L'argent et la march~ndise .revr6dui-
sent leurs rapports interpersonnels comme des rapports entre
objets. Le dépassement positif de cette situation d'inversion
procède du déséquilibre qu'approfondit cette inversion qui en
atteignant son seuil de saturation;rectifie les rapports
sociaux en même
temps que les rapports de productions •
----
._~_.~----~-
(1) Hork.
et Adorno -
Dia_._~~~ - p. 55
... / ...

-87-
Par rapport à notre schématisation de Marx,
la théorie
critique consiste à désenclaver l'homme du côté du non-néces-
saire,
du négatif plutôt que du positif.
Ce qui donne un sens
et une valeur à
l'homme ce ne sont plus tellement ces valeurs
socialisées'Ginon ceLles qui pour itrereconnues danè la
société n'en échappent pas moins aux catégories de renta-
bilisation de cette reconnaissance. L'homme vaut plus par ce
qui reste de répréhensible que par ce qui est déjà réprimé
et solvabilisé dans ses pratiques.
En dehors des champs
clos de la domination par le travail et ses valeurs con-
nexes,
l'homme peut et doit préserver le négatif qui en
dehors des miasmes de la domination exprime la nostalgie
de sa totalité. A la limite,
l'homme ce n'est pas le monde
de l'homme,
monde dominé et administré;
l'homme ce serait
l'inflexion de ce qui s'oppose à la nécessité de l'ordre
de la violence du monde.
Horkhe~er et Adorno ne définis-
sent pas cette non-nécessité dans la négation symétrique de la
nécessité du monde aliéné. A la différence de Marx,
chez eux
1 'homme n'est pas plus chez lui dans les loisirs
il"'la vie
domestique qu'il ne l'est dans son travail.
Les loisirs
et les plaisirs n'échappent plus à l'éthique de la peine
et du labeur. Ils
participant
à
la production de la plus-
value autant que le travail proprement dit.
Le d.&lassement
la détente,
le
"non travail"
sont encore des activités de
consommation de biens économiques
ou culturels dont l ' i n -
gurgitation demeure inévitable. Le chômeur ne peut donc pas
se vanter d'être moins productif que le travailleur car la
production du chômage est un objectif de la reproduction
capitaliste du travail.,

-88-
L'ensemble de
l'Ecole de Francfort
se démarque. de.'~larx.
non seulement par la critique de l'industrie culturellemaif
encore par le statut utopiste qu'il accorde à la révolution!
Marx pensant à la société communiste comme dépassement de
la société capi taliste,
admettait la coincidence rationnel.le
de la domination sur la nature.
Son point de vue se présen-
tait comme celui du prolétariat et voilà que le prolétariat
du XXème siècle adopte de moins en moins le point de vue de
Marx. Les exploités,
parce qu'ils sont expioit~s et dominés
idéblogiquement dans l'espace public et privé de leur vie,
dans l'activité comme dans l'inactivité,
se complaiseilt et
s'installent dans leur aliénation.
Il faut
croire que le
malade peut aimer sa maladie.
J
Tout comme on reconnaît le coq par sa crête,
l'Ecole
de Francfort se reconnait dans le grand public à
cet ar-
gument de la dépoli~tisation qui s ' i l n'est pas articulé
dans l'économie de la théorie critique,
élabore pour la
théorie critique l'étiquette d'idéalisme,
de révisionnisme •••
En fait,
la théorie critique qui ne s'offusque pas outre me-
sure de ces diffamations,
ne déserte pas la lutte des
classes. Au contraire elle en désigne la gravité exception-
nellement active qui aboutit à la paralysie de la conscience
de classe chez les dominés.
Pour rompre cette paralysie,
Marcuse comme on sait a cru avoir trouvé chez les intellec-
tuels,
les marginaux et les peuples opprimé~ du tiers-monde,
l'espoir de réveiller les volontés universelles de libératibn.
Mais compte tenu de l'intégration historique de ces mouve-
ments de contre-culture,
le déguisement de l'idéologie pro-
duit dans ces sphères culturelles et ses coucheB sociologi-
ques des l.eurresqui induisent une attraction de la sensibi-
lité dominante
sur ces sensibilités de dominés. Leurs capa-
cités d'adptation sont ainsi inexorablement émoussées
par la stratégie de l'impérialisme technologique.

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Privée de tout fer de lance' intérieur
(prolétariat)
ou
extérieur (ma:::-ginaux tiers-monde ••• )
la philosophie de l'his-,
toire peut-elle subsister ? Sans philosophie de la libération,
sans sujet de la libération,
peut-il exister une philosophie
de l'histoire?
1
-1
*
*
1
*
'\\
y
A-T-IL UN MARXISME DE L'ECOLE 'DE FRANCFORT?
.~.1
Le dogme ne se présente pas comme dogme mais comme vérité •
Toutefois sa vérité ne s'extirpe que dans
sa dogmatique. La
1
j
nécessité de sa didactique présume de la faille béatifiante
de son besoin. Le dogme n'est plus le propre des prélats mais
!
aussi celui de tous les officiers certifiés conformes.
Le,
i
modèle c'est l'hométhétique en tant qu'il réduit par rectifi~
sur-travail. L'Etat et la domination de l'homme par
j
l'homme sont une conséquence de l'excroissance du capi-
tal qui nécessite une instance de pouvoir. L'accumulation
économique transforme
toute exploitation en exploitation de
1
l'homme par l'homme. Le sur-travail/pierre angulair,e de la
société capitaliste institue son originalité dans l'inté-
1
1
riorisation de la domination qui légitime et
justifie
j
toute aliénation dès lors qu'elle est inscrite et comprise
comme une exigence de la raison.
Ce rationalisme logique de
la domination,
Marx y
a
cédé en construisant la lutte poli-
tique sur l'approbation.de l'ordre de la production.
Concevoir le travail comme médiation du désir,
c'est
le poser en tant que satisfaction des besoins. L'histc:re de-
vient la cause et l'effet de la relation entre le
travail et la
nature.
Marx légitime la domination par delà sa légitimation
du travail comme manifestation de l'objectivation,
afin que
,1
le capitalisme devienne une aliénation nécessaire à la libé-
ration du prolétariat et que le travail revête un aspect
1
1
)
.--J

-90-
y A T-IL UN MARXISI"lE DE L! ECOLE DE FRANCFORT ?
--------------------------------------------
Le dogme ne se présente pas comme dogme mais
comme vérité, Toutefois sa vérité ne s'extirpe que de sa
dogmatique. La nécessité de sa didactique présume de la
faille béatifiante de son besoin. Dès lors qu'il n'est
plus 1iniquerpent le propre des prélats mais aussi celui
de tous les officiels certifiés conformes, le dogme Ln t r o,
duit le modèle comme 1înstance homothétisante réduisant
par rectification l'objet réel.
De celui-ci est exorcisée toute dynamique interne.
Sous le couperet de l'Universel, li/Unique se poursuit dans
ses propriété·s et ses possessioms en canalisant les' con t Ln.
gences v.ers la nécessité de sa répétition. Mais dans son
devo ir de fidélité, la répétition répercutée par l ~·écho du
modèle se projette ses omhres.Ainsi même si elle se voulait
de la plus purettadition marxiste,la théorie critique ne
saurait se référer a Marx comme alibi reposant de la réfle-
xion .. Au contraire,Marx est ici une motivation à la lecture
de Marx, lecture rendue d ~àut.a.I.ljJ plus indispensable que des
syndicats,des partis, des partis-états à prétentions marxis
tes réussissent à se dédier co~me d~uthentiques modèles de
la contre révolution. "L'URSS est un exemple incomplet mais
déjà pas mal réussi de ce qu'il ne faut pas faire."("1)
("1)Olivier Revault d'Allonnes4-La révolution sans modèle
~ .177

...
.(
ï
-90-
)
·1'\\!
salvateur. Le marxisme reproduit l'idéologie rationaliste
productiviste et souscri t . au P?si tivisme t e c'hn o Lo g qu e , Marx
â
,
n'a pas compris qu'on ne peut soumettre la nature qu'en
l '
) ,
s'y soumettant
La domination de la nature c'est aussi la
\\
domination de la nature de l'homme. Une société fondée
sur
les vertus du travail est une société qui est vouée à
, .
l'indépassabilité de l'aliénation car i l y aura toujours
i
l
'".z
dans la nature quelque chose dl indompté.
Celui qui pour êtr e a
l
besoin de nier,
ne s'affirme
jamais sinon en lambeaux et en
haillons,
son affirmation devenant
toujours plus faible que
sa réaction.
A une nature mutil'ée correspond une humani té
tronquée.
L'homme libre réellement ne devrait plus être celui
qui lutte contre la nature mais celui qui est avec la nature.
A vouloir ,tout arracher à
la nature,
on finit par s'arracher
soi-même sans parvenir à
en ,disposer. Un projet de société
qui ne renonce pas à
s'imposer à
la nature ne dispose d'issue
que dans l'héritage de l'unification.
cation l'objet rée~. De celui-ci efit exorcisée toute dynami-
que interne.
Sous le
10uperet de l'universel et de l'unifi-
cation,
seul l'unique se poursuit dans ses propriétés qui
\\~
sont aussi ses possessions. L'unité canalise le multiple
quiJà force d'être orienté,ne canalise plus que l'un. Dans
une société individualiste,
les sujets sont individualisés
mais l'hétéronomie se confond avec l'expression de l'ato-
misme et de l'anomie.
S'il y
a un marxisme de l'Ecole de
Francfort,
c'est que Marx n'est plus dans Marx,
qu'il a
émigré et qu'il erre tel un fantôme
en expiation .. ou en
interm~de purgatoire. La référence explicite ou implicite
à Marx n'est plus ici un alibi qui repose de la mobilisation
de la pensée mais une motivation de la réflexion sur Marx,
c'est-à-dire avec et contre Marx mais aussi contre les mo-
d~les politiques des syndicats, des partis, des partis-états en
. •!
tant que figures de la contre révolution.
"L'URSS est un
exemple incomplet mais déjà pas mal réussi de ce qu'il ne
faut pas faire"
(1).
(1)
Olivier Renault d'Allones -
La révolution sans ~od~le
P.
177
... / ...

-9I-
Si l'URSS et les marxistes léninistes sont des
contre
mod~les, Marx est-il le mod~le ? Chez Platon,
le mod~le est
théorique.Tout en impliquant ses images 1 les
syst~mes mar-
xistes abordent Marx~n faisant
peser sur ses textes l'hypo-
th~que de l'illusion sémantique du modèle comme schéma
théorique analogique à réaliser sur les territoires histori-
ques.
Mais dès lors qu'on admet que la réalité de par ses
existences est inassignable,
au mieux le modèle permet de
réaliser des écarts qu'on applatit par l'élongation de
l'exemplarité théorique.
I l devient ~out à la fois un obs-
tacle épistémologique et un obstacle politique.
Ces caractères
d'obstacle ne sont pas inhérents
aux
textes de Marx mais
à
léurs destinations de miroirs aux allouettes.
Ainsi Marx
qui recherchait d'autres choses à
dire autrement,
qui se
donnait des pères qu'ils s'efforçait d'assassiner,
se retrou-
ve bousculé dans son mouvement et
son ouverture sur la diver-
sité des
champs sociaux.
Le marxisme devenaclscience
politiqtie,
édicte
des modèles globaux de
société non
polymorphes. Marx s'exploite dans une idéologie déjà fer-
mée.
La centralité de cette idéologie finit par déterminer
une emprise croissante qui paradoxalement vise à
éviter des
mod~les fascistes. Aujourd'hui,
on retrouve des sociétés
marxistes et fascistes derrière la ligne de défense
de
l'orthodoxie conçue comme vérité monolithique.
Les luttes sociales changent,
se transforment en
des mouvements nouveaux qui ne sont pas encore des vastes
mouvements de classes parce que l'heure est à
la pollution
des sens et des forces physiques.
Ces modèles de lutte ne
p~uv~~t
avoir de modèle avant leur développement effectif.
Le nouvel ordre technocratique coupe les modèles de leurs
bases. La prise en compte théorique de
ces informatioru sup-
pose une relecture des mod~les qui en dynamise les anti-
corps contre la sclérose.

-92-
Le modèle n'a pas de modèle puisqu'il est le modèle
aussi i l ne peut modeler que par modulation.
Iln~laici~e
que par
ta rupture nécessaire à sa survie"
c'est-à-dire à
sa (,\\,\\:>Q..
La fic t i vi té du modèle n'est pas dans sa non réalisa-
tion mais dans sa structure qui en fait un irréalisable. Le
modèle incite à décoder,
à
situer historiquement
son être
là dans l'ignominie de la mort.
"Mais le progrès et le
remaniement de la structure elle-même supposent parfois une
déconcrétisation du modèle"
(Michel.Serres et 'Badiou). Au
concept comme processus répond l'antidote du modèle en tant
qu'il se donne à reproduire.
Le concept de modèle est la
d.é f'a L te
du modèle,
concept qui ne précise de sens ct de
valeur que par désarticulations.
Si l'identité se reproduit,
elle ne se produit
pas dans son adéquation parfaite,
mais dans la négation de
l'éc~rt en~re sa reproduction et elle-même. L'identité
au modèle,
c'est l'identité du pouvoir et de la norme. T
Le pouvoir est la contradiction du pouvoir de l'identité.
L'analogie n'est pas dans l'histoire.
L'affirmation de soi
n'est
jamais consistance mais répulsion des périls qu'il
y
a
en soi,
pour soi-même. Le politique développe son éco-
nomie en se détrompant sur son enjeu par l'intériorisation
de son extériorité.
Cette dernière existe dans le résidu
complètement autre
objectif des fantasmes de l'infamie,
bouc émissaire pour frustrations ancestrales,
bête insup-
portable. Mais i l faut
se rappeler que toute vectorisation
définit
ses finalités
en n'interrogeant pas le cours de
son champ.
Et
l'intolérable dans l'autre renvoie au
p ay s a ge institutionne.l de sa ségrégation.
"Il y
a plus
dégoûtant que le dégoûtant,
que ce qui dégoûte· le goût
...
Le dégoût n'~st l'inverse symétrique du goût,
le propre
négatif au système que dans la mesure où un intérêt en

- 93 -
soutient l'excellence~ comme celle de la bouche elle-même,
~a chimie du verbe - et interdit qu'on lui substitue un
analo~le oral. Le syst~me a dontint~rêt à d~terminer
l'autre comme son autre,
à
savoir comme litt~ralement
d é g o u t a.n t !",
(1)
Dans sa chevauch~e terrible et terrifiante vers
l'enfer du fascisme,
le pouvoir se fourvoi~. Le suivre
dans
ses fioritures
et ses accrobaties,
n'est ce pas plus
dialectique et plus critique que de
s'accrocher à des
fidelit~s
aux doctes pr~ceptes du maître? Pour Marx?
les r~volutions avortées ct les coritre-r~volutions consti-
tuaient des ruses de la révolution historique qu'il atten-
dait.
Dans
son oscillation et
sa régression,
la révolution
se détermine par rapport à des bases nouvelles,
bases mat~­
rielles certes,
mais aussi par rapport à de nouvelles sensi-
bilités.
Le d~veloppement du capital n'est pas arrêté même
s ' i l rép~te sos effetsde crise. A chaque moment de son pro~
cessus,
la sociét~ indique de nouvell~ failles à son
concept,
failles à dialectiser dans
toute
th~orie so-
ciale. Marx le savait lui qui fait
subir un changement
de sens au concept de la dictature du prolétariat~ A
partir de 1852,
i l ne s'agit plus d'une forme
stratégique
mais de la forme
politique du pouvoir des
travailleurs.
L'écrasement de la révolution de
1848,
la disaolut~on des
ligues communistes,
l'échec de la commune rendent
caduque
la dictature du prolét~riat_ èn tant que modalité
prati-
que
qui a c c Lè r-e,
le' processus révolutionnaire;
cette
é
forme de la prise de pouvoir s'avérant historiquement no~
propice.
---------------
(1)
-
Derrida -
Mimésis des articulations -
Aubier -
Montaigne
P.
92

-94-
L'histoire ne se fait
pas par des
lois,
des 'princi-
pes mais par la résultante des forces
au nombre desquelles
la prise de conscience des sujets. Les sujets ne réalisent
leur volonté de liberté que dans la réalité de leurs déter-
minations sociales. Dans la mis~re, la souffrance,
la mala-
die,
la conscience fructifie
sa tenacité en se nourrissant
à
l'espoir du bonheur et de la liberté. L'oppression vécue
peut hausser la cotte de liberté
"mais l'universalité du
concept de liberté,
auquel se rapportent m~me les opprimés
se retourne brusquement contre ce mod~le de liberté qu'est
la domination"
(1). Marx n'a pai fondamentalèment remis
en cause le modèle de la domination.
Comment pouvait-il
en arriver à
ce point,
tout en assi~~ant un modèle de
périodisatioIB théologiques à
la révolution,?
La notion de philosophie de l'histoire en tant
qu'elle prolonge le nécessaire du présent dans sa chute
ou sa montée s'entonne comme une fonctionnalisation de la
résorption du devenir dans l'ordre.
Dès lors elle réduit
l'espace et le temps historiques dans une variation
normée subordonnée par une clôture qui renferme ses con-
tenus choisis en excluant les indésirables. L'histoire ne
peut être gLlidée sans le téléguidage de la main adroite d'un
démiurge qui peut encore s'appeler science de l'histoire.
1
Dans limmanence des contraintes,
les
sujets ne s'incrustent
pas dans les faits
en bénissQnt leur nécessité mais en les
repoussant pour inscrire d'autres volontés.
On ne sort de
soi qu'en intervenant sur les contours de ce soi dans
l'histoire de l'avenir du groupe.
I l n'existe pas de limites
individuelles de l'individu;
sa découverte de soi est
d~jà découver~de soi dans le monde à transformer.
(1) Adorno -
Dia Nég.
P.
174
.../ ...

- 95-
La linéarité succombe à la fascination de la posi-
tivité. Le sens-direction en appelle au centre tout
en
édifiant la rigidité du devoir.
L'histoire des sociétés
n'est pas un objet de foi sans garanti.
C'est le lieÙ entre
la forme
et l'informe,
un lieU o~ toutes les régularités
se déforment.
On ne peut
structurer l'histoire ni autour
du visible,
ni autour du présent mais au cours de son
procès qui dénote une
impertinence par rapport au passé.
Tout reflet qui se pare de 1
'histoire,
~illusionne sur sa
transparence car l'histoire est toujours
contradiction et
jamais synthèse
(1). Ainsi il n'y a pas d'histoire de
l'histoire
celle-ci restera toujours à achever parce
qu'éternel discours sans images,
thème sans version,
mot
sans chose,
rapport sans référentiel.
Comprendre l'histoire
en le déterminant et en l'annexant à un axe,
c'est
tenter
de
tout démonter:
ce qui est un pari qui s ' i l est
tenu
impose qu'on ne soit pas dans l'histoire,
que les hommes
ne soient plus des
sujebhistoriques.
C'est cependant une
interprétation de Marx qu'Althusser a
cru devoir défendre
en déviant
le sens de la 6ème thèse sur Fenerbach (2). L'anti-
humanisme
théorique d'Aithusser en mettant l'oeuvre de
i
•.
Marx post érieure à
1844, cl"est-à-dire ul térieurê à ce
qu'il
appelle la~upture épistémologique~ sous le
signe de la non intervention des hommes dans
l'histoire
réduit
l'histoire àun jeu de structures.
C'est mécon-
naître que les hommes sont des sujets sociaux dotés de
volontés qui peuvent contredire les lois les plus
-----------------
(1) Aussi nous ne croyons pas aux synchrétismes
( 2 ) 6'
t l '
"L'
.em:
lese
essence humaine n'est pas une abstraction
lnherente à
l'in~ividu isolé mais elle est l'ensemble
des rapports sociaux"
cf L.' idéoloe:i(~
allemande.
.
.../ ...

-96-
immanentes et remettre en question les processus les
plus réguliers. Tout marxisme qui se donne
comme expli-
cation du cours du monde accroît sa contradiction en ne pen-
sant pas les contradictions humaines.
I l sc condamne
alors à
terminer son histoire et sa philosophie de l'his-
toire par sa mise à mort. Avec le silence de la fin du
conte,
commence le silence du d~but de la fin du conteur.
Individu et mise en crise
A d~faut de croire en un déterminisme mécanique
ou
humaniste,
l'Ecole de Francfort ne désesp~re pas
du sujet social individuel ,Bien qu'échancré par la
barbarle,
l'individu retrouvant un peu de l'inspiration
du grand homme de Hegel,
aperçoit une lueur au-delà de la
tani~re par un retourné accrobatiquement critique sur sOn
contexte d'aveuglement.
Le regard historique
et réflexif
du sujet sur la rationalisation se veut une
contradiction
du tout par le
fragmen~ dont l'incinération muette ranime
les chutes et
les te n s Lon s
des forces
sociales en les rani-
mant idéalemènt~. L'individu critique n'a pas la préten-
tion de
se
substituer du prolétariat pour enclencher la roue
de l'histoire.
Comment
le pourrait-il,
quand cette roue
s'est
trouvée inamovible pour/par le prolétariat,
alors
même qu'elle est
trop pesante pour les
intellectuels?
( 1) I\\d,.o;p.n-e--B-:L-a-N-é-g-.-P-.-4-3-
.../ ...

97-
Dans la modicité de la réflexion qui tente de
se situer au carefour des forces
centrifuges et des forces
centripèdes pour en sentir les
sens de diffusions autant
que les déclinaisons,
le sujet individuel r~sistant à l'u-
nidimen~ionalité vit son utopie dans le présent du mythe
de la subjectivité comme une verticalité sans
transcendance,
un élément
sans réseau,
un frondeur en laisse.
Sans maître
et sans patron,
i l réévalue les
systèmes d'étalonnages
sociaux et remet
tous les problèmes à
sa propre portée.
"La phrase de Brecht:
le parti a
mille yeux mais l'indivi-
du n'en a
que deux est fausse
comme toutes les vérités
premi~res. L'imagination exacte d'urt dissident peut voir plus
que mille yeux auxquels
on a
mis les lunettes roses de
l'unité et qui ensuite confondent ce qu'ils perçoivent
avec l'universalité du vrai et régressent".
(1)
"Imagination exacte" ••• Une imagination exacte
n'est~pas du même coup une imagination morte d'exactitude
à
moins que ce ne soit de rire
7 L'imagination "maîtresse
de fausseté et d'erreur"
gard~-elle son imaginatif en se
prescrivant ou en honorant la valeur d'exactitude
7 Si
l'homme imagine le monde en l'authentifiant par des normes
du vrai et du faux,
du juste et de l'injuste,
i l scie du
même coup les ailes de sa fantaisse et crève sofi fond ma-
gique.
La faculté~ de déformation que Bachelard reconnais-
sait à l'imagination,
ne bâtissait pas des
systèmes. Elle
ne se pr8valai t
pas de recti tude
ou de ponctuali té • cepen-
dant
on peut déformer exactement en posant le formé
comme un
déformé à
contredire.
L'imagination peut devenir exacte
dans la contradiction imaginarisée dans l'opposition exacte
de son contre modèle exactement donné dans la réalité his-
torique.
L'imagination ainsi exactement négative est une
profusion d'images à
la mesure de la production dégressive
- - - - - - - - - - -
... / ...

- 98.-
du sujet.
En cela les images ne sont pas~eproductions du
donné.
Non strictement reconductibles,
elles ne sont pas
génétives de valeurs ou d'objet;.
L'imagination exacte
serait finalement l'affirmation d'une auto-légalité de la
pensée critique qui
éloignant le simulacre,
repousse la
figure mythique du sujet,
pour échanger les souffles de la
création et les créations du sujet.
Par la pensée des
images non matérielles,
la matérialité de l'existence du
sujet récuse une certaine conviction de Marx.
En effet tout
comme la réligion (judaique,
is-
lamique
••• )
interdisait les représentationsLgraphiques de
Dieu,
le matérialisme dialectique se frappe de l'interdit
théologique des images"
éconduisant les utopies.
Cette
proscription r~surgit en faisant
corps avec les autres
systèmes d'interdictions existants.
Fermer la porte à
l'utopie,
c'est décourager les
tentatives
exhaustives de
renouvellement qui dans leur passion d'altérité,
ne se
résignent pas à
combler idéalement le contenu de leur rêve.
la. pensée utopique ne
choisit ni son lieu ni son temps
par anticipation,
elle se dénonce comme une pensée négative
"la pensée négative ne
consiste pas à penser
(on à dire)
non.
Elle réside,
contre Hegel,
dans la saisie du moment de né-
gation de la dialectique,
avant qu'une deuxième instance
négative ne
transforme la première en p o s
t i.f'!',
(1)
â
L'individu peut être son histoire sans être un
grand homme ou un valet de chambre. En s'expérimentant
dans le grattage des plaies qui lui rappelle son passé de
combattant battu,
i l peut
transformer l'ennui de la déman-
geaison en signal de sa vital~té puis en souvenir de sa
défaite.
L'homme qui
survit à
son attroupement,
ne doit
pas oublier la permanence du danger qui fait
de
chaque
jour
(1)
Marc Jimenez ~La
quinzaine litt~raire nO 20) du 1er au
15 f
v ,
1975
é
... / ...

99-
d'exercice critique un état d'exception.
L'auto-critiq~e
n'est pas
t o u j o u rs un d o nrré,
de fai t
et la guerre contre
la pensée réelle ne
se laisse
jamais en suspens.
Le sujet
individuel qui ressent l ' i n u t i l i t é de la réflexion sur lui-
même,
sur les
choses, sur sa vie fait une offrande volontaire
et finale de sa raison après
celle de son corps.
Le sujet
doit être aux aguets parce qu'il est lui-même guetté dans
un monde déjà frappé par l'oubli de ses m'llheurs.
Ainsi "il
se survit à
lui-même.
Mais c'est seulement dans son résidu
historiquement
condamné,
qu'on trouve encore quelque chose
qui ne se sacrifie pas à
la fausse
identité~(l).
Ce n'est pas dans la différence qu'on s'indivi-
dualise,
c'est dans
la différenciation des
séparations ad-
ministrées._L'autonomie~dusujet,si elle coincide avec son
atomisation,
coincide aussi
avec
son enterrement.
Comme un
éclat qui brise un corps
en le démultipliant,
l'individu
auto-crtique
se pense comme Dyonisos
écartelé.
Entre la
vie et la mort,
entre le monde
et
sa reconstitution,
i l
réfléchit les
contradictions sociales dans
sa conscience
elle-même
en lambeaux.
Torchon conscient de
sa dévalorisa-
tion,
la conscience se regroupe
et
se masse
comme barrage
faisant
obstacle
au règne
total des
"z omb Le s";
Dans le mi-
métique de sa dimension sociale,
la désublimation de son
discours
et l'articulation de ses pansements historiques
projettent des
arig oLs s e s
sur le présent.
Mais
celles-ci
disparaissent dans leur déchiffrement.
La seule issue qui pro-
longe leur agonie réside dans
l'opération de
sédimantation
et de fermentation qui
seule peut les doter d'une activité
nocturne à même d'interroger l'implacable de la logique de
~on ensevelissement.
L'engrenage social peut utiliser l ' i n -
dividu sans l'user,
mais le revigorer dans
la duplication
da.i..
la mesure où i l s'en sert et le rejette
comme non
rentable.
Même dans
la rentabilité du service bien accompli,
le sujet fonctionnaire,
s ' i l entretient un sentiment de
(1)
Adorno -
bia Nég.
PAGE
268
... / ...

défiance vis-à-vis des
imageries sociales,
parvient à
une situation de sociabilité qui ne disparaît pas dans
le lourd phénomène de la cohérence systématique du social.
La cohérence dans l ' assumation c o n gœueri t e .. du
pouvoir du sens,
évite le son et les résonnances plurielles
à
multiplier par les
échos.
Par l ' e f f e t du retraitement
et de la mise en forme
du matériau,
elle structure comme
~pu~ées
les contrariétés
• Mais· elle transporte
toujours un fond
absent qui fait
du moi la nécessité d'un
"nous"
intangible,
produit à
partir des
forces
collectivœde sa matérialité
sociale. Maisà quelle hauteur critique peut prétendre un
moi
aussi
rompu,
aussi
labourk
et
aussi lacéré de
con-
tradictions
? Les possibilités de l'utopie du sujet peuvent
ell~ exister sans ~tre crucifiées par le mouvement de leur
existence? Le mouvement de remontée de
la théorie critique
des
abîmes de la répression,
n'est ce pas aussi la retombée
de l'esprit
critique
sous le flot
de la grèle des passi-
vations historiquement accumulées dans
sa sédimentation ?
La critique de l'idéologie peut-elle être autre
chose que
la péroraison occultante d'une fragilité du moi
tronqué
par la découverte d'un monde qui le découvre à
lui-m~me comme
objet opaque,
plutôt que
comme sujet métacritique
? M~me
s ' i l arrivait à
se reprendre et à
se repeindre
comme sujet
auto-réflexif,
l'individu social,
ferait-il
mieux que réagir
comme effet de
totalisation ?
La théorie
critique est congénitale du fascisme
et des dictatures.
Elle n'existe d'autant mieux qu'elle les
nie et les repousse.
Toutefois,
elle ne
saurait les
évacuer
.sans se faire hara-kiri.
On peut penser que le
totalitarisme
est le voeu secrètement refoulé de la théorie critique qui ne
resplendit que par son acharnement à
faire barrage à
la mon-
tée du fascisme.
Dans
cet acharnment inconditionnel,
dans
cette cause si
juste,
la perspicacité de l'argumentation
... / ...

- 101-
et la profondeur de la radicalisation font
que les
extr~­
mes
(fascisme et
individu)
de la critique se retrouvent
tous deux passés
au crible.
Tout
se passe
comme si le
sujet
critique ne peut survivre à
la critique du fascisme
et de la domination sans
se remettre lui-m@me en question.
Sa critique auto-réflexive se présente
comme l'écho,
le revers
indispensable d'une
critique beaucoup plus
objectivante;
comme si le théoricien réfractaire à
la fausse
identité
ne pouvait supporter sa critique sans
se
critiquer.
Cette
critique qu'on ass~ne sur soi-m@me se profile comme un
supplément d'âme du sujet et on peut
se demander dans
quelle mesure cette auto-critique ne
s'identifie-t-elle
pas à
un rituel de dédémonisation qui
consiste à
acquérir
le pardon du critiqué
(la domination -
le fascisme
le marxisme ••• )
en s'administrant soi-m@me sa propre c r i t i -
que
?
La reduplication de
la critique sur le
critique met
en jeu la pureté originelle du critique et partant de sa
critique.
I l doit<y avoir un moment dans
le processus
critique,
où le critiqué entre lui-m@me en crise,
dans une
crise non réflexive
et non réfléchie,
dans une crise
hystérique pour clamer sa souffrance et sa douleur à
résister à
ces aliénations qui ne cessent de le solli-
citer.
La critique ne devient un bouclier suffisant
pour
justifier l'audace de l'individualisation sur
mesure que quand elle est vécue dans l'intensité morale.
Mais parce que
toute critique est
trouble par le doute
qu'elle pars~me, .tout sujet critique qui ne parvient
pas à
s'ancrer dans un appui
collectif dégén~re en psy-
chose.
Car enfin le fou aussi
est une
instance critique
Mais sa témérité critique
emmurée dans le face-à-face
du sujet
avec lui-m@me vire à
la fantasmagorie
où elle se
disqualifie.
C'est dire qu'une critique insinueuse dure
et
crue nécessite une prise en charge collective sans la-
... / ...

'l02~
,
quelle elle se forclôt
dans un angelisme philosophique
ou dans l'autisme.
Cela Marx l ' a compris négativement
en s'en remettant en prolétariat alors que l'Union Sovié-
tique et
toutes les grandes et petites dictatures l'ap-
pliquent en confirmant la dissidence ou goulag et aux
établissements psychiatriques.
A son niveau la théorie
critique maintient à distance la nécessité d'une base
sociale tout
en préservant l'intensité historique
de
ses expériences intellectuelles, en s ' organisant
autour d'une institut de recherches, d'une
école,
c'est-
à-dire d'un foyer intellectuel.
C'est pourquoi i l ne faut
pas s'étonner de ce que des apalogues
de l'individu
s'accomodent plutôt bien que mal d'une appelation collec-
tive et qu'Horkheimer en arrive à affirmer
l'identité
de sa pensée et de celle d'Adorno.
L'individu est une forme de la matérialisation
des hommes dont l'objéité proc~de du retournement de leur
humanisation.
Retourner à
l'individu malgré ces marquages
historiques,
c'est faire un retournement de
son détourne-
ment de soi.
Quand l'homme a dû s'identifier~ ses objets, peut-
i l trouver le courage et la force de recueillir ou sus-
pendre le mouvement
spectaculaire de sa rationalisatiQn ? Si
oui,
l':l1.onune n'est donc pas un mirage,
i l
est seulement
une utopie.
L'homme nouveau doit rester une utopie pour
nourrir la mauvaise conscience du capitalisme tardif et
pour sauvegarder un ressort
critique à
ceux qui ne répu-
gnent pas à
la tâche de penser.
L'Ecole de Francfort est l'expérience de cètte
vérité selon laquelle tuer le fascisme
ou le capitalisme
c'est le disculper~ le justifier. C'est pourquoi sa critique
... / ...

10)-
du système conjure la destruction de
ce système.
s
L'ab;:.tinence vis-à-vis
de la pratique,
l'absence
de base
sociale,
l'élitisme,
l'essence
aristocratique de la
critique
le refus de réhabiliter les
effets
culturels
1
massifs,
sont autant de moments qui inscrivent la théorie
critique dans la ~iscontinuité de ses failles qui fina-
lement l'emp@chent de
transformer la victime de la
critique an martyr de
la critique.

- 104-
La crise et les
crises.
La catastrophe survit ~ ses propres cataclismes>
Sans se désagréger dans
ses
chutes,
elle
s'aguè~it, c'est-
à-dire
se renforce et devient guerre.
Aussi
toute détente
déroule un double discours
celui de la clandestinité
de la guerre
et
celui de la fraude
institutionnelle ins-
taurée par l ' é t a t .
La zone de
la clandestinité immergée
de l ' é t a t
en guerre correspond à
la détente de la guerre
dans la force d'encadrement du centralisme
étatique.
Le
pouvoir et les
agents de l ' é t a t dont la vigilance
consiste à
épier,
abaissent un rideau sur la répression
tant
et si bien que les victimes
se
trouvent hors monde
dans une disparition dont personne ne sait rien.
A l'image
de Joseph K.
i~norant la r~~le du jeu de l'appareil ju-
diciaire répressif,
la victime
est dissimulée en elle-même
avant même que sa victimation lui
échappe.
Tout
comme les
sociétés
sécr~tes existent au grand jour,
i l y
a un passa-
ge progressif de la clandestinité de l ' é t a t de guerre à
la légalité de
la guerre de l'Etat.
C'est à
cet
égard qu'il
n'est nullement une production d'effets
symboliques ou
métaphoriques,
de désigner la guerre comme le vecteur de
la croissance.
La gurere accroît l ' é t a t par l ' e f f e t de
crise qu'elle
entraîne et par la paix qu'elle désigne en
tant
què cette paix n'est pas quelconque.
Horkheimer et Marcuse ont souvent
apostrophé
l'excroissance des budgets alloués aux minist~res de la
défense.
En ce que les investissements
en armements des
principaux gouvernements
en temps de paix,
exc~dent propor-
tionnellement leurs
invest~ssements en armements lors des
guerres passées,
i l faut bien reconnaître que la politisa-
... / ~ ..

1"05-
sation de l'économie politique passe par la fusion de la
guerre et de la paix,
fusion aux termes de laquelle i l se
passe la confusion entre la crise et la croissance. La
crise est le ressort de
tout essor.
Elle participe de la
guerre dont
elle constitue un prétexte commode. L'une et
l'autre marquent une intensification de la production,
de
la violence et une instantanéité de l'invention et de l'innova-'
tion.
De même que le terrorisme procède de la société
bourgeoise,
dont l ' é t a t
se renforce en la
matant,
de même
toute crise vérifie la tendance de l ' é t a t à
jouer sur la
radicalité pour se rallonger.
Par sa propre mise en crise
le capitalisme
joue sa mort pour la déjouer.
Le capitalisme
tient le
coup en réussissant un coup (pour parler comme
Lyotard)
dans le
jeu
social de ses altérités.
Face à la
paupérisation relative qui hésite à
s'absolutiser,
les con-
tradictions
du capitalisme se défatalisent en s'investissant
d'une
"légitimité négative" dont l'opportunité est offerte
par le stalinisme du marxisme soviétique,
par la non ten-
dance à
la baisse du taux de profit et par la non évidence
de la croissance de la prolétarisation (1).
L'absence d'é-
galité ne se résoud ni à
la démagogie,
ni à
la réligiosité
de l'idéologie marxiste,
mais plutôt à la massification et
'au_ -, fétichisme
sécurisant du P.N.B.
qui
cernent l'indi-
vidu et la justice. En s'auto-supprimant face
au danger de
sa contestation,
le vapitalisme brise la ce~titutle de~a
mort
des modes de productions' en r-ornp an t : ses accélérations infla
tionistes par la prescription de
sa compétitivité exté-
rieure.
(1)
Adorno -
Dia Nég.
P.156-57. p.161
-
104-192-217-225 à
241
251-253 etc •••
Ho r kh e i ID e r
-
Tb,g.9 r ~ e t rad.
e t
thé 0 r i e
cri t i gue P.
6'9 e t
89'
Habermas -
ThEffiorie et pratig~ P. 33 à 43
Marcuse -
Ehilosophie et révolution
.... / ...

La restructuration de la pensée dialectique
de la crise telle qu'elle
se déploie dans la théorie criti-
que
infirme la fatalité de sa
réalité telle qu'elle
s'exprime chez Marx
"Comment la bourgeoisie surmonte-
t-elle ces
crises? D'un côté,
en détruisant par la
violence une masse de forces
productrives
de l'autre,
en conquérant de nouveaux marchés et
en exploitant plus
à fond les anciens.
A quoi
cela aboutit-il? A préparer
des
crises plus générales
et plus formidables
et à
dim~­
n~r les moyens de les prévenir" (1). L'Ecol~ de Francfort
reconnaît la décentralité de la crise qui
effectivement
se généralise.
Mais
contradictoirement,
la contrainte
générale du phénom~ne de la crise programme la pérennité
du capital dans
le
tissu du texte de la dépression.
La crise est à
l'Etat,
ce que le sacrifice est à
llindi-

vidu
:
un moment d'exposition de
la renonciation à
soi en
vue de la prorogation du sursis.
La crise c'est le
service militaire du capitalisme qui y
réapprend son
devoir de
commandement
(2).
Dans la théatralisation de
son expiration,
le
syst~me abandonne ses v@tements usagés,
à la mani~re du serpent faisant
ses mues.
Parodie de la
mort mais
réalité de la croissance,
le phénom~ne de la
crise favorise le démasquage des
ennemis du syst~me qui
passant à l'action,
se retrouvent rejetés dans les
geôles.
L'esprit réel du carnaval ne réside pas dans le
spectacle de la licence mais dans la v i r i l i t é acquise par
la dévirilisation des
autres.
Dans
son osmose
comme
"fosse
aux instincts",
la crise est un carnaval dont
on peut pré-
cipiter ou retarder l'av~nement mais dont l'issue reste
toujours
structurelle à' court ou long terme.
La crise est
( 1 )
Marx -
r.1j)nifeste du Parti
communiste -
éd en langues
t r an g
r-e s
-
Pékin.
P .40----
é
è
(2 ) C'est ce que Marcuse exprime dans l'idée de contre-révolu-
tion préventive:
Devant les guerres,
les
crises monétai-
res,
les
faible.sses
économiques,
les inflations,
le syst~me
provoque la dépression.
... / ...

-
107-·
un march~ du capital,
march~ qui du fait de son caract~re
historique incontournable,
a
~t~ d~tourn~ de son essence
d~rangeante des ~quilibres pour @tre disciplin~. Cependant
en ~courtant sans pr~avis, les d~lais de son occurrence,
les
sujets peuvent se d~fouler v~ritablement à ses d~pends.
Alors profitant de l'effet de surprise qui n'est
jamais
tota~, ils peuvent violer l'intimit~ des
coulisses et im-
poser à la domination de se red~ployer en improvisant sa
partition.
Cette improvisation ne sachant
convaincre que
dans l'attaque -
défense,
la mutation se fait dans la
trame des difficult~s revendiquant le changement.
Aussi la philosophie du temps
chez Horkheimer
d~coule de
la conscience de l'inéluctabilit~ des contours
de l'histoire.
On peut donner de la tension à
la vie
en la rempliss~lt du faste
et de la volupt~ de l'imaginaire,
mais
ces actions remplacent l'idéalisme du but par le r~a­
lisme non moins
id~aliste de l'id~e de butoir. On ne
peut conduire son histoire qu'en acc~l~rant sa catastrophe (1).
Depuis
sa naissance,
la civilisation g~re la ce~titude
de la mort du sujet.
Dans la conception du temps de
Horkheimer,
s'introduit un dispositif d~salarmant qui
invite à vivre solidement
son d~sespoir en se cr~ant. Les
s~ismes sont des mouvement; de l'~corce terrestre qui main-
tiennent l'image de l'~volution comme chute.
Il n'y a pas
de sol de l'image en dehors de l'image de la chute.
Aussi
les failles
du syst~me ne se confondent pas avec ses avaries~
"La sociét~ totalitaire a des chances ~conomiques à long
terme.
On ne la voit pas s'effondrer à bref d~lai.
(1) HorkheiMer - Théorie criti~e P. 368
.... / ...

l08-
Les crises
~taientdes signes rationnels,
ainsi que
la critique aliénée de l'économie de marché
en dépit de
son aveuglément,
elle répondait à
la nécessité du moment"
(1).
Le
temps des
crises est un temps
toujours déjà dépassé
par la fiction de la crise qui la rationalise dans la pro-
. ·duction de la crise des fictions.
La crise nourri t
les rêves~~~o==
pour les détruire et empocher leur reproduction.
Conjuguée
avec la dureté de la lumière de la rationalité,
la crise
n'est que le contour de la mort du corps de
tous les besoins
de
changement.
Le
seul changement dont
sa permanence
t~moi-
gne se résoud dans le naufrage de l'économique dans le
politique.
C'est de ce point de vue qu'il faut
comprendre
le crédo de
"la fin de l'économie politique",
crédo qui
légitime le relatif silence de la théorie critique sur
l'économie
(2).
C'est
en s'opposant à
la thèse de Marx.(énoncée
en 1843)
selon laquelle
"domination et exploitation sont
un seul concept,
ici comme ailleurs",
c'est en refusant
de rabattre le politique sur l'économique,
de l'en faire
dériver,
que le groupe de Francfort fonde la possibilité
d'une critique de la politique
• L'économie produisant
du pouvoir,
le pouvoir politique tente de
contr6ler et d'in-
tervenir sur l'économique de manière à
réguler le libre
jeu des lois
économiques. En agissant sur la demande
écono-
mique globale,
l ' é t a t interventionniste assure sa vie par
l'administration de
celle des sujets conçus et produits comme
des moyennes de simplification.
Enrolés
dans leur liberté,
les sujets échangent leur force
de
trava~ dans le cérémonial
politique.
Le modèle de l'échange découle de
celui de
.
~
~
( 1 )
Ho r-kh e Lrae r-
article de
1939 - Pourquoi le fascisme In
Esprit -
Mai
1978 P. 68
(2) Haberma.s
développe les raisons de
ce silence dans
1héprie Pratique T.2
.... / .. .

109-
l'identité dont
seuls le sens et l'essence abstraits per~
mettent le traitement des hommes
comme abstractions.
Cette
égalité des
chances d'être mathématisés,
décuuvre la
reconnaissance des
inégalités extérieures en démontrant
dans l'idéologie de l'échange,
le stéréotype mytholo-
gique qui fait
de l'économie le lieU de
l'échange injuste,
En se libéralisant,
l'économie ne se décompose pas mais
renforce la politique de l'inflation des valeurs par
quoi l ' é t a t obtient l'émulation économique
tout en
entamant sa compétititivité sur le marché extérieur.
Dans
cet
engrenage le sujet
circule en se rassurant de
l'angôisse de son être dans
sa prise en charge
totale.
Par sa gentillesse
et sa propr~té de classe,
i l
exclut
les
extrbmes pour rejeter l'antinom~entre les discours
de vérité et
ceux de
justesse
(1).
Le développement
très
élaboré de la crise écono-
mique met en scène une
idéologie normative du pass~ qui rendu~
négative permet la distanciation affirmative.
La perspec-
t i ve d'ensemble de la crise exacerbe la fascisation car
la laicité de l'économie favorise
son expansion à
la
recherche barbare de prestige.
La conquète
économique
ne se fait pas par le
choeur mais par les
armes.
Cela
ne se vérifie pas
seulement dans les
colonies· mais aussi
dans
tout espace
économique.
L'espace
économique de la
métropole
suppose une main mise politiquement déterminée
sur le
territoire de la nation.
En s'écoulant à
l'étranger
les
capitaux ne débordent pas le cadre
trop
restreint de la
métropole,
ils
s'exportent dans la symbolique des ramifica-
tions de la dérive
issue de la presqu'île du cogito.
-"Les rapport s
de domination et la viol enc e
qu'il s
comrport en t
(1)
ZimcL. -
l'ambivalence romanesque.
Proust.
Kafka.
J'hl'!.')._
.Ll le sYJc:.ilmore \\ P. 384
... / ...

-
110 -
voilà ce qui
est
typique de la '''phase la plus récente
du développement du capitalisme!!,
voilà ce qui devait
nécessairement
résulter et qui
a
effectivement résulté,
de la formation de monopoles
économiques
tout puissants
(1).
Comme Marx,
Lénine
semble avoir perçu l'idéo-
gramme qui réinscrit la domination entre deux crises.
Mais
en ne lisant pas
ce
texte historique à
la bonne
vitesse du scepticisme
(bonne par rapport
à· la vitesse
de la théorie critique),
l'un et l'autre aperçoivent
l ' imperceptible ~'l' oraison de la cassure chao tique.
Ce
n'est pas que Lénine après Marx ne voit
pas le percepti-
ble dans
la crise.
Au
contraire:
quand Lénine
écrit
"Et les crises
(de
toute espèce,
le plus
souvent
économi-
ques mais pas
exclusivement)
accroissent à
leur tour,
dans
de
très fortes
propositions,
la tendance à
la concen-
tration et
au mo no p o Le t'{R] , i l
s\\JS'~€fre une tb or Le
cri-
é
ti~uade~~~c~±S&,De m@me dans la théorie de l'accumulation
du capital qui met
en évidence la tendance maniaque et
irréversible du capitalisme à
prodtiire pour produire r
Marx indique l ' e f f e t
corrolaire de
la crise par rapport
au théorème de
l'exp16itation dans le cycle industriel:
"Quand vient la crise,
les prix des marchandises
subis-
sent une baisse générale,
et cette baisse se réfléchit
dans une hausse d~ la valeur relative de l'argent. Par
contre,
quand la confiance renaît,
les prix des marchan-
dises
subissent une hausse générale,
et
cette hausse
se
réfléchit dans une baisse de la valeur réelle de l'argent,
bien que dans
les deux cas la valeur réelle de l'argent
n'éprouve pas
le moindre
changement"
(3).
(1)
Lénine -
L'impérialisme stade suprème ~u capitalisme
éd en Lan gu es étrangère} -
Pékin P.
27
lb
P.
30
Marx -
Le' capital L1
Gar~er et Flamarion P. 448

- 111-
Ce qui distinguerait la théorie marxienne de la
crise de la théorie critique de la crise,
ce pourrait @tre
une
théorie de la graduation successionnelle présente
chez Marx et absente
chez Adorno
et Horkheimer.
A la
limite,
la théorie marxienne de la crise érige une
dernière
crise
comme objet limite concomittant à
l'exploi-
tation simultanée d'autres
crises dans des
contextes dif-
férents,
alors que la théorie francfortoise
dénie
toute
validité de seuil de rupture
à
cette limite.
Ainsi la
théorie marxienne rappellerait une
certaine
théorie
marginaliste qui
considère la dernière
crise
comme
étant
la moins
exploitable par le
système,
donc
la plus
exploi-
table par les exploités.
A la faveur de cette crise
limite d'une série de
crises,
advient
au sens un change-
ment du sens de
la crise.
La crise ultime
serait non
seulement une limite immanente du système mais
encore et
surtout une limite
transcendante qui ne
fait
pas que re-
culer les
échéances mais
achève le mouvement de
sursis
des
échéances.
Comme la dernière
terre de Ricardo,
la
crise-phase suprème et
fatale du capitalisme détourne
et
contourne le système qui y
rencontre une dérive
non contournable et non détournable.
La crise est
trans-
figuration
tout en demeurant génitalité.
Dans l'ordre
de
la croissance,
elle est enfer de la croissance qui
constitue la remontée déréglante de la croissance sans
@tre décroissante.
Pass€
de l'histoire passive,
elle
est passage à
l'acte des
acteurs de l'histoire.
Sabordant sa programmation,
la crise déborde
ses limites
au lieu de les englober en répétant leurs
contextes •
.../ ...

-112~
.
En cessant d'être un tour de passe-passe,
elle
devient u~ pas,
une
enjamb~e et une n~gation. Mais en
dehors de
cette négation,
comment une parole en l'absence
de la possibilit~ historique de cette n~gation peut-elle
v~rifier cette n~gation ? Comment peut-on esquisser un
pas de plus
sur la r~alit~ en la portant à
la forme
im-
personnelle de
sa n~gation, sans d~personnaliser cette
n~gation elle même ?
Pour la th~orie critique,
en franchissant
la
faille
qui
s~pare l'immanence syst~matique de la crise
de
sa r~p~titivit~, on peut tomber en panne et s'attar-
der ind~finiment sur le ·bord de la limite} en tendant
vers
elle sans y
acc~der et
en demeurant
sur le lieu de
la crise toujours
et d~jà critique.
Le
sujet de la paro-
le n~gative, compos~ dans la non effectivit~ de sa capa-
cit~ à la soutenir)ne rencontre r~ellement jamais celui
pour qui i l parle.
Sans passeur qui ne s'acharne à
son
tr~pas, l'exp~rience de la r~volte p~rit dans la m~dia­
tion de sa ponctuation.
Au delà de
ce
transfert
identi-
que de
ce qui
tente de se déposs~der comme hors-la-loi,
la non
identit~ institu~e dans
sa ballade posthume,
ne peut
prot~ger son exc~s de sens. Tous les devenus sont des
seuils de d~r~alisations des devenirs possibles. Toute
pratique qui ne
raisonne pas
sur les proc~dures du détour-
nement des possibles
en impossibles,
produit un id~al
d'explication de l'histoire qui heurte
son histoire dans
le rejet de sa conceptualit~
imm~diatement enfouie à la
surface de son p a ss
"Souvent
ce qui
e.st L'i.qu Ld
sans
é
,
é
avoir ~t~ th~oriquement absorb~, ne d~livre son ·contenu
de v~rit~ que plus tard.
I l devient l'abcès de la sant~
dominante
ce qui de nouveau nous y
reconduit dans des
... / ...

11)-
séductions différentes.
Ce qui
chez Hegel et Marx restait
théoriquement insuffisan.t se transmi t
à
la praxis histori-
que"
(1).
Les pratiques pratiques et non théoriques se
transforment en pratiques fétichistes
et incantatoires dès
lors qu'une pensée n'arrive pas à marquer les crises du
progrès dans les signifiants d
se s p r
s
de l'attente
é
é
é
du nouveau.
L'action pour être démarche doit se disso-
cier du rituel de la subordination de la réflexion cri-
tique,
faute
de quoi elle répétera l'autre rituel de son
échec.
La théorie peut et doit penser sa pra~ique criti-
que du fond de sa courte honte non performative,
si
elle veut conquérir son actualité en ne reproduisant
plus son présent.
Entre l'espace de la réflexion et celui de l'ac-
tion,
la théorie critique se situe dans la phase contra-
dictoirement ambigüe de la limite.
Elle ne fixe
ses
frontières qu'en situant celle des autres:
Marx,
Hegel
Kant
Dans cette opération sans assurance
,
des
risques hérissent ses appréhensions.
A déchiffrer les
textes philosophiques de la grande
tradition,
l'Ecole
de Francfort espère se déterminer.
Elle n'y parvient
qu'en inscrivant
ses héros
théoriques dans le rite
transcendantal des anti-héros,
tant et si b i.en que
face
à
la grande société des démagogues et des militants~
son amour de la liberté prend la forme dérisoire du
désespoir de l'espoir sans issue.
Il ne leur reste plus
que le gouffre de la critique pour protéger ce rien
individuel qui ne vaut pas moins que le
tout social.
(1) Adorno -
Dia Négative P.
118
... / ...

114-
En se resserrant sur ce lieu de vertige qu'est
la réflexion,
la théorie critique développe un non-sens
contre un autre sens qui
lui apparalt non-sens.
Aussi
La question que
Benjamin suscita:
"Etait-il authentique-
ment révolutionnaire ou non,
marxiste ou non,
dialec-
ticien ov non,
juif ou non ?
D~ était-il au regard
de ce que
tous les codes,
ceux de l'occupation aussi.1
nomment une ligne de démarcation ?
Il
en a
franchi
une pour se laisser frapper sur l'autre".
(1)
Cette question donc s'applique point par point à l'en-
semble des
théoriciens de l'Ecole de Francfort.
On ne peut faire d'Adorno un révolutionnaire sans
découvrir l'ingénuité d'un certain idéalisme.
On ne peut
pas non plus faire de Horkheilner un idéaliste invétéré
sans voiler le point d'ombre matérialiste qui sou-
tient .sèsanalyses. A l'or~e de toutes les
contradictions
idéologiques Adorno et Horkheimer s'illuminent dans
la traversée historique de la loi du trépas à
celle
de la survie.
Ils restent des passants,
des
"penseurs
de l'exil"
(Abensour)
sans passion.
Le radical de
la critique se
joue entre trois
éléments
le fascisme,
le marxisme et l'utopie.
-(1) Derrida-+ R (par dessus le marché)
In quinzaine littéraire
du 1er au 15 août 1975
... / ...

LA CRISE CRITIQUE
Qu'est
ce qui ponctue
cette intoriation nouvell~
de la crise? En transformant
ses moments d'agonie en
second souffle,
aucune blessure ne
traverse le langage
du politique.
Sans agressivité et donc
sans
a f f e c t Lo n ,'.»
la parole politique se déplace dans
la production d ' i -
dées
justes qui
cependant n'arrivent
jamais à déboucher
sur la chose.
A ce
signe déjà,
on peut reconnaître dans
l'intervalle du passage du rythme
traditio~nel de la
respiration des
systèmes politiques à
la mélodie des
formations de
crises,
le politique se rabattant
sur le
sacrificiel.
Dans le rituel
critique des
sociétés modernes,
i l y
a non seulement du rituel
christique mais
encore
du "sacré de dissolution"
(R.
Callois),
relique
du sacrifice foridateur de la civilisation dont
Horkheimer et Adorno
ont
esquissé les mécanismes dans leur
commentaire d'Ulysse et de
sa métis.
En se morcellant,
en goutant à
soi dans
sa dénégation,
la civilisation
technologique met
en évidence une pulsion de destruc-
tion qui rend coextensives la barbarie et la civilisa-
tion.
La civilisation ne se distingue de son contraire
que par sa prolongation dans un euphémisme valorisant
positivement
ce
contraire dont i l est l'acte
concret
alors même que la barbarie
(le
contraire)
se préserve
dans une nébuleurse
symbolique.
En reconnaissant la
fusion du sacré de
cohésion sociale
(socialisation de
.l'Eros)
et du sacré de dissolution (Thanatos)
dans
... / ...

- l I 6 -
la civilisation,
l'Ecole· de Francfort,
Marcuse en tête,
a bien risqu~ d'inverser les valeurs de la civilisation
en d~signant le barbare dans le sauvage et le sauvage
dans le
civilis~. Si elle pr~fère d~signer le rituel
massif de l'holocauste
juif,
c'est pour nous
~pargner
le coup du bâton renvers~ afin de mieux marquer (au fer
rouge de la critique)
le quotidien de la mort.
Aussi l'id~e nietzschiene
de d~cadence (le
d~sert avance disait Nietzsche) ne·se r~soud pas ici en une
translation d'~nergie d'un contexte vers un autre mais
dans la m~taphore du vouloir vivre en volont~ et en
b~atitude de consommer. Sans r~clamation de la gratuit~
du temps,
i l n'y a
pas d'invuln~rabilit~ ni de simpli-
c i.L é
du corps.
En tranchant dans le vif dES corps à
consommer,
les fables
de l'émancipation ne donnent
au-
cune m~moire de l'action du travail ali~n~ -
ali~nant
les
consciences.
Elles
couvrent l'histoire mais ne
l'ouvrent pas
au passage qui
trouverait dans
son irra-
tionnel une nouvelle raison.
En développant la sociét~
de consommation,
les forces de la rationalit~ cr~ent
en même
temps la consommation d'une
soci~t~ qui annexe
la socialit~ à
la consommation.
I l n'y a
de
soci~t~
qu'autour de biens à
d~truire dont l'être là cependant
ne
s'~nonce pas
comme enjeu mais plutôt
comme d~cor.
Ce
fond de silence/du fond de
son silenc~lse r~percute
dans le dosage de la parole.
En manquant ainsi à son
silence,
i l peut renvoyer
au manque de
c'e dont la présen-
ce dans le rapport des hommes
au
politique
en boulever-
serait les donn~es.
... / ...

_ 117-
En recherchant les intensités et les insistances
utopistes dans l'absence de référe~ce positive à la to-
talité,
l'Ecole de Francfort ne dit pas qu'il
est impos-
sible de se référer à
la totalité de la société
(1).
En effet,
dès qu'il y
a
clôture,
i l y
a
transcendance du
clou qui ne s'enfonce pas dans
la fermeture.
Cette
trans-
cendance qui
consiste en une
idée de la pesanteur
renvoii
à
l'organicité du politique absorbant le reli-
gieux.
Ce
religieux ne procède pas seulement' du sacré de
l ' é t a t mais
aussi à
l'irréductibilité du sujet.
La totali-
té doit
se. penser négativement dans le débordement de ses
socialisations.
On manque
toujou~à sa totalité comme à
toutes les
totalisati~ns. Mais le sujet social qui de sur-
croît s'emploie à
la contourner,
exprime en l'exerçant
une violence qui
appelle
ce fond de violence
encore
absent mais qui
exprime déjà le besoin d'exprimer le
tran-
chant de
ce refus qui n'arrive pas à
s'exprimer autrement.
Ce déjà_là de
l'expression du refus
fait
évènement dans la contrariété contemporaine qui fait
cor-
respondre le
surcodage politique de la réalité et la désaf-
fection des philosophes vis-à-vis des
terrains politiques
traditionnels.
I l
était déjà là également dans la théorie
critique subissant le double reproche de politicisme et
de
théoricisme.
Tout
se passe
comme si au moment
où la
moindre information est politisée,
l'information politique
se noue
comme entrave à
l'enthousiasme politique.
La réflexion
politique
ce n'est plus
tant l'action de persuasion
(1)
Cette pensée
conviendrait mieux à Popper.

• • /
Il
Il


II8 :..
qui fait
miroiter la fictivit~ de la 80uverainet~ d~mo­
cratique maisplütôt l'exercice de la dissuasion politicienne.
Les enjeux politiques
se sont déplac~s dans le d~ré-
glage des rapports de forces
par l'ambiguit~ du mouve-
ment de la fiction de la sur-information" et de la sur-
politisation qui provoque une fatigue politique du
politique.
Cette fatigue
se love dans le confort mat~­
riel de l'illusion ~galitaire elle-même produit d'une
sociét~ injuste.
En politisant les griefs d'Adorno,
contre les
avant-gardes
e s t h
t Lq ues
(cf Théorie EsthétiqJ..ta),
on
é
peut être
amen~ à
consid~rer que pour lui,
i l ne s'agit
pas de d~missionner car i l faudrait
être d~jà en
mission,
être missionnaire.
I l ne
s'agit pas non plus
de faire disparaître la place ou la page du politique
mais d'indiquer que dans le manque de velléit~s politi-
ques des
administr~s, i l y
a une politisation du politique
liée à
la poli tisation du e o c La L;
Se,
d s o Lf.d a.r-Ls e r-
é
t,
des avant-gardes,
c'est donc et surtout se d
s o Ld.d a r-ds a-r .
é
des mod~les de la marge officielle dans la recherche
d'un au-delà des
tiers
exclus que Marcuse d~signe
dans les poussées des~minorit~s en devenir minoritaire~
Dans cet espace de. mouvance,
le philosophe élargit sa
conscience de
soi dans la particularit~ d'une politique
qui ne se d~joue plus dans le spectaculaire.
En se si~uant par delà la repr~sentation en droite
et en gauche,
en acteurs
et en assistants,
l'Ecole de
Francfort vogue
certainement dans les nu~es mais aussi
dans le non-lieu qui exige une révolution de la politique
.... / ...

-
11.9-
de repr~sentation de l~ politique politicienne. En d~fin~s­
sant les termes de
totalit~, d'individus,
de progrès •••
à
partir de leurs usages,
les interactions entre les
scènes du politique impliquent de nouveaux tissus sociaux
qui ne rentrent pas dans
l'homog~n~it~ des bipolarit~s
statiques.
La vie du peuple
(concept hegelien)
se r~a-
lise dans
les rapports
de production
(concept marxien)
avec
l ' e f f e t d'inversion propre
au discours
id~ologique. Le
rapport des rapports de production et de la' vie histori-
que des peuples libère une polymorphie de
contenus qui
rend inad~quate toute coincidence entre le
concept de vie
~thique et celui d'id~~ogie. Certes on ne libère pas
le
corpus politique mar~iste sans d~ranger le corps poli-
tique hegelien.
En rendant flagrante
la statique hegelienne
dans la logique de
la domination contemporaine,
l'Ecole
de Francfort d~montre que le totalitarisme n'est pas ~
enfant de Marx que
celui de Hegel.
Les nouveaux philo~
sophes ne ,connaissent donc pas l'Ecole de Francfort
On ne d~passe pas Marx en niant la relation de
Marx à H~gel mais plut6t en la probl~matisant dans la
tangence de la domination et du politique.
Cette
tangence
n'arrivant pas
jusqu'ici à
abolir l'~tat, elle~le conforte en
l'absolutisant.
A travers Hegel et Harx,
Horkheimer
Adorno,
Marcuse montrent qu'on peut dire
à
ses
contempo-
rains
autant de
choses que Hegel et Marx disaient à
leurs
contemporains respectifs.
En leur donnant des impulsions
et des
coups d'arrêt,
leur int~rêt de v~ridiction histo-
rique r~percute un redoublement
très fort
et
très
actuel
de la s~paration entre la scène et la salle,
les politiciens
et les masses~ En cela,
les
efforts de Poulantzas pour
penser les efforts politiques du pr~sent à partir des inter-
.-.. / ...

_ 120-
pr~tations politiques ~rig~es en faits
et en dogme participe
à
cette r~flexion sur le r~am~nagement des conditions de
production qui font
des produits de l'~tat des produits
de march~ tout en d~sublimant la fascination pour les
~glises et les prophèties.
Pour traverser les solitudes politiques,
un
apport d'impr~cision, de fiction suffirait aux yeux de
Nicos Poulantzas. La prise de pouvoir doit supposer
une
transformation r~elle des appareils d'~tat et par-
tant l'abandon de la stratégie du double pouvoir affé-
rante à
la notion de brisure entre les libertés dites for-
melles et les libertés réelles.
Dans cette double
transformation de l ' é t a t et de la démo-
cratie directe,
la bourgeoisie peut s'inscrire. Le
socialisme démocratique est une négation de la stato-
lat~~e qui ruine d'une part,
la conception marxienne
de l ' é t a t
comme relations
contradictoires entre les
classes,
et d'autre part la dictature du prolétariat
qui
"fut chez Harx·une notion stratégique à l ' é t a t pra-
tique,
fonctionnant
tout
au plus comme un panneau indi-
cateur.
Elle renvoyait à
la nature de
classé de l'Etat,
la n~cessité de sa transformation en vue de la transition
au socialisme et le processus de dépérissement de l'état"
(1).
En reconnaissant le début de la d~rive concentrationnaire
du stalinisme dans la conception de
"l'auto gestion"
basée exclusivement sur une
conception instrumentale de
l ' é t a t ,
Poulantzas voit poindre Staline en Lénine et dans
la Ille internationale.
Cependant i l persiste une non logi-
que de l'auto-destruction de l'état;non logique qui peut
se rattacher à l'irréductibilité du besoin d'état dans
(1)
Nicos Poulantzas
L'état,
le pouvoir,
le socialisme
P.U.F.
1978 -
p.
283
... / ...

-
121 -
sa fabricat~on politique.
Ce besoin existe comme une
finalité à heurter dans le désaveu des oeuvres et des
politiques faites.
Si on admet que l ' é t a t ne crée pas,
ne se corse pas seulement par politique mais aussi
dans
la déchéance qui est une forme de la cir~ulation
de son désir,
alors est-il possible au politique de
cadrer sa mort? L'impossible d'aujourd'hui peut-être
le possible du devenir.
Mais dans la représentation
de la mise en scène de l'histoire politique,
ce qui
crée le mouvement n'advient pas massivement.
Il reste
présent dans l'écart qui
sépare l'objectivité de son
objectif.

,.... -
• ~ 1-.
C Il fi. 1) l '1~!iJLlJ:.
"Lorsque dans
une
opération mathématique,
le non connu se
transf'orme
en
inconnue d'une
équa-
tion,
cette inconnue devient
par là même
archiconnue,
avant même qu'une valeur ne
la
détermine.
Avant
et
après la théorie des quanta,
la n at ur-o
est
ce qui
doit
être
appréhendé rn a t.h.ém a t Lq u ern e n t
même l ' i n -
soluble et l'irrationnel
n' écTl<lppent
'p a es
aux
théo-
rèmes mathématiques".
1101/l,.
-
An () Il NO
TIja
Raison -
P.
41

-123-
PHILOSOPHIE ET SOCIOLOGIE
Hume aussi
6tait un adversaire du dpgmatisme.
Son
empirisme d6marre comme un d6busquage ~ .. des intuitions pass6es
en même
temps que les
"id6es claires et distinctes" dans le
crible de lacrit~que cart6sienne. Mais la port6e critique de
son entreprise s lint6riorise et d6bouche
~ur une hi6rarchie des
donn6es de la connaissance
6vitant ainsi de rencontrer la r6a-
lit6 productrice de la raison constituante.
Aussi malgr6 le
primat qulil donne à
llexp6rience sur la raison,
Hume ne
rallonge pas la chaîne inductive
au contraire,
i l llabrège
pour rejoindre la d6finition traditionnelle de la th60rie
comme syst6matique mathématis6e.
Le
scandale de. la th60rie de la connaissance nlaurait
pas
ét6 si Hume ne
survivait encore en Carnap et Popper,
bref
en tous ces positiviste~ en mal de math6matiser le donné.
Il
,
nlaurait
6t6 alarmant
et urgent à
d6noncer,
si une discipline
comme la sociologie,
une des dernières n6es de la philosophie,
ne se laissait envoûter par.cette. morbidité logiciste qui
progresse dans la ~010nt6 de positivisme. En se laissant ainsi
charmer,
la sociologie rompt le dernier mais
le plus
tendre
cordon ombilical avec
sa mère
elle renie."le fait
que
toutes
deux portent
en elles de manière inhérente quelque chose
qui nlest pas
totalement
transformable en science.
Dans llune
... / ...
~ .' . .
· ' 0 "

~
comme dans l'autre,
rien n'est entendu tout à
fait
l i t t é -
ralement,
rien n'est ni statement o f f a c t ni pure validité"
( 1 ) •
Ainsi
ce qui provoque la querelle des sciences
sociales en Allemagne,
ce n'est pas une attaque directe
de
la philosophie par la sociologie ou l'inverse,
mais
_une
tentative d'émancipation de la sociologie par rapport
à
~'enjeu fondamental de cette philosophie en ~ursis
l'auto-réflexion.
Cela est d'autant plus
intolérable que
,
la sociologie se couperait
ainsi de
ses fondements histo-
...~,
riques et de
son passé négatif tendrement nourris dans
l'échange de bons procédés entre elle et la mère-philoso-
phie.
La sociologie peut
et doit
sauvegarder l'héritage
oppositionnel de sa discipline en rompant "sa solidarité
actuelle avec le modèle scientifique de la logique et en
retrouvant le sens du projet et de la réflexion critique
qui contre-balance son faible historique pour l'autorité.
La sociologie relève d8 l'empir~ sinon de
l'empirisme.
Sans suivre Habermas dans
sa délimitation
historique de la sociologie qui englobe Hume à
côté
d'Adam Smith,
on peut
cependant le rejoin~re dans la dé-
termination empiriste de la problématique ~ociologique
telle qu'elle
se
trouve déjà formulée chez Hume.
En effet/il y
a à
la base de la recherche
sociologique
une conception de l'immanence de la raisori aux faits
so-
ciaux,
immanence qui entretient un rapport
contradictoire
au statu-quo.
La question sociologique est
touj~urs en
prise sur la problématique du progrès donc
sur celle de la
tradition avec
toute l'ambivalence que
cela suppose.
----------~------
(1)
Adorno -
In_la querelle allemande des
sciences sociales
.../ ...

-125
!
Son objet c'est le mouvement
social qu'elle peut aider
1
à maîtriser ou à dynamiser mais elle ne devrait pas
oublier que c'est à l a faveur d'une dynamique sociale
que sa n~cessit~ s'est av~r~e en s'imposant. Si ses en-
racinations ne sont pas
toujours r~volutionnaires, elles
sont au moins
toujours
~volutionnistes.
SOCIOLOGIE ET REVOLUTION
La r~volution dont les sociologues souffrent DU
jouissent de la contemporanit~ historique,
c'est autant
la révolution française que la r~volution industrielle
sans
toutefois que les deux r~volutions soient contempo-
raines.
En sch~matisant on peut dire que la r~volution
française
en fournit
le cadre
th~orique et id~ologique
alors que la r~volution industrielle donne la matière
vivante qui incite la sociologie à
exister. La révolution
française
accentue la conscience historique de l'homme.
Avec elle,
l'homme comprend son rôle historique,
S8
per-
çoit
comme agent de l'histoie qui met en scène cette
histoire d~sormais décentr~e de toute all~turgie
~ternelle et statique.
La r~volution française
constitue un registre
de la v~rité comme historique. En la décrochant de son
essence transcendantale,
elle la d~sinvestit de la fata-
lit~ pour l'investir dans la libert~ et dans la philoso-
phie du soupçon qui seules rendent possible l'èffectua-
tion d'u~e sociologie.
Cette occurence elle-même trouve sa né-
cessit~ dans l'existence d'une conception matérialiste
du sujet de la libert~. L'homme libre,
qui soupçonne
sa soci~t~ d'imperfections,
ne peut en ~laborer une. sys-
t~matique positive qu'en se rendant capable de ~'assumer
lui-même comme objet qui
en s'objectivant se chosifie.
Cette prise de
conscience est elle-même le résultat his-
torique d'une
configuration mat~rielle o~ l'homme vit,

0
. / • • •

126-
s'éprouve,
se rencontre comme réification,
dans la force
de travail par exemple.
On se rappelle la préface aussi
célèbre
que contradictoire que Durkheim dut
écrire à la deuxième
édition de son ouvrage fondamental
tant p6ur la pratique
socioloque,
pour l'épistémologie de la sociologie,
pour
la querelle des méthodes qui opposa les pa~tisans de Dur-
i\\.heim à
ceux de Max Weber,
que pour le rapport de la
sociologie à la philosophie.
La subtilité de ce
texte
réside dans le glissement qui entretient l'ambiguité de
cette phrase
"Nous ne d:ùons pas,
en effet que les faits
sociaux sont des
choses matérielles,
mais
sont des choses
au m~me titre que les choses matérielles,
quoique d'une
autre manière".
(1)
Ce
que DU~Leim revendique pour les faits
·sociaux,c'est un statut
épistémologique apte à
déterminer
la méthode d'investigation du social qui la présuppose.
Cette approche en inscrivant le socius sur le registre
"chose",
proscrit l'introspection et programme la véri-
fication ou même l'expérimentation. Les principes théori-
ques sont donc des déterminations
épi~témologiques qui
manipulent le social
comme mise
en scène des rôles sociaux.
Cet acte de lecture de la réalité empirique met en évidence
la mort
~e l'homme
sujet de ses habitus.
L'homme qui se
présente aux regards sociologiques est nécessairement un
être mort dans
son épai~seur métaphysique. Sans cette mise
à mort qui n'est pas symbolique mais réelle,
historique,
aucune science humaine ne se développe
sans la découverte
du quotidien de l'homme
comme objectivité,
comme objet
(1) E. DJkheim
L e s
r è g 1 e s
d e_1i!c_.!llé th o.c;;Le_§'Q_cj:,g_:L9gJ_Q1.t§
Paris P.U.F.
1963 p.
13
.'. 0/ ...

.1 2 7
l
,
d'échange
objet manipulé
et manipulable
sans la pré-
sence de son objéité réifiée,
i l ne saurait exister
de représentation de l'objectivation de l'homme.
C'est
à
ce titre que la révolution industrielle crée la crise
qui g~re la naissance positive de la sociologie et que
la sociologie sera chargée de gérer.
Aucun~ s~ciologie
ne pouvai t,:ne peut exister par
une histore naturelle
de la société,
mais seulement avec une histoire problé-
matique et
év~nementielle. C'est en cherchant des solu-
tions aux crises révolutionnaires et industrielles qui
les conditionnent en accélérant le rythme du temps que
les sociologies se donnent mati~re à
" s o c i o l o g i s e r " .
La
rationalité de la sociologie participe d'emblée à
celle
de son économie non autonome par rapport à
la sph~re
de l'administration qui fluidifie les relations sociales.
Mais elle reste tracée et traversée par la révolution
qui réclame la transformation des r~gles du jeu social
de la domination.
Entre cette exigence éthique et cette
parentée avec le désordre
(un autre ordre disait
Ber g son),
en t r e l a
s t ab i l i t é ~ s tab i lis a t i on et 1 a p r ax i s ,
le sociologue vogue entre la répression et l'utopie.
Cette contradiction est son existence qu'elle' peut nier
logiquement mais qu'elle ne peut
évacuer totalement sans
céder à la totaliié,
en se vidant d'elle-m~me. Toujours
est-il que la si~uation contemporaine de la sociologie
est paradoxale
science de la crise,
parce qu~ science
par la crise et sur la crise,
elle réussit le tour de
force d'~tre non critique. Par quels procédés le sociolo-
gue peut-il inhiber les motivations premi~res de S~'
démarche en faisant
l'économie d'une pensée négative.?
.../ .. ·

-
128 -
L'Ecole de F'r-em c f'o r't. rencontre la sociologie
avant m@me de s'afficher ou d'@tre fich~e comme ~cole. Dans
la d~nomination originale de l'Institut de recherch~ qui,
donne statut
juridique à
la th~orie crïtique,
la réf~rence
au social est explicite:
Institut de recherches sociales.
Le d~bat avec la sociologie r~pondrait ainsi à une logique
de la d~finition et la position de soi-même comme
,
oppositionnelle à une autre usine de traitement'du social,
si la critique de la soci~t~ et de la sociologie
~tait
ici une fin.
En fait
elle reste un moyen d'o~jectivation
de l'objectif fondamental de la cible pr~pond~rantede la
th~orie critique
:
la logique de la domination.
Par la
m~diation de la sociologie,
ce sont les objectifs que la
sociologie m~diatise dans sa fascination' pour la logique
formelle,
et partant les' objectifs de
toute discipline
hypoth~tico-d~ductivejquela th~orie critique vise à
reconsidérer.
La sociologie
fait
effet d'exemple en ce
qu'elle constitue une dramatisation amplifiante de ce pathos
logiciste,
du fait m@me que c'est au moment o~ sa disci-
pline apparaît comme probl~matique qu'elle s'~vertue à son
impossible math~matisation. En mettant la sociologie en
lambeaux,
on d~busques~ logistique puh on dissocie la rai-
son de
ses compromissions historiques pour la doter d'une
autonomie m~tacritique.
HATHEMATIQUE__ET FORMALISATION
La mathématiqué dont rend compte la th~orie cri-
tique,
c'est d'abord et surtout celle des symbolistes et
des formalistes logiques d~
~~
de Vienne. En ce que
les math~matiques dites modernes accentuent l'aspect rela-
tionnel des
op~rations math~~atiques et dédaignent le~
@tres math~matiques, en tant que l'él~ment est moins ~loquent
... / ...

que
l'isomorphie,
la formalisation logique dégage des rela-
tions formelles
entre des
éléments
donsidérés
comme quel-
conques et
abstraits.
Elle ne s'oppose'pas à
l'opération
d'homogénisation par quoi des
ensembles
_hétérogènes passent
pour être axiomatisés.
On axiomatise
justement pour récu-
pérer dans
la formalisation la turbulence d'éléments
échap-
-~
,
pant à
la détermination symbolique.
Les mathématiques
s'attachant au fonctionnement
des systèmes formels dans le dé-
veloppement
théorématique de
la fonctionnalité de leur com-
binatoire,
elles
offrent le
cadre d'opérativité desabstrac-
tians par quoi le capital par exemple abstrait un sujet
de son humanité
autonome pour l'inscrire dans des rela-
tions universelles
et réifiantes.
Mais quel
est le sens
et quelle est la valeur,
quelle est la logique de l'homo-
généisation dans les
structures et les
systèmes mathémati-
ques
?
La querelle des sciences
sociales
déroule
comme
toile de fond le procès de la logique mathématique en
tant que
cGmbinaison -formelle de règles dont
le
souci ma-
jeur est d'épurer l'intuition sensible par la formalisation
Le
champ de la saturation des prop?sitions n'est
jamais vide.
En produisant la purification ~u concret,
l'en-
rihainement déductif expulse
toute rencontre entre le dedans
et le dehors des propositions.
Dans le formalisé,
i l n'y a ni
visibilité ni
sensibilité,
donc ni
souvenir ni intériorité.
Tout devient
conventionnellement nécessaire et
tend à la séré-
nité idéalisée par l'anéantissement de l'immédiateté.
La
formalisation en remplaçant les
contenus par des variables
conceptuelles,
fait
des
invariants fonctionnels
les lois
de l ' ê t r e .
Mais cette
tenta~ive de fondation et d'organisa-
tion des réalités ainsi idéalisées,
ne dit rien de
ce fond
sur lequel
s'étale son entreprise. Le fondu s'étale tou-
jours
sur un fond qui n'est
jamais
son oeuvre car entre le
... / ...

-
1JO -
socle et le
sol,
i l y
a
au moins la différence
tradition-
nelle entre la culture et la nature.
Si le
sol est le socle
de
tous les
socles,
la formalisation rt'est pas
cependant
l'assise
commune de
toutes
ses propositions
et
encore moins
de
toutes les formes
de la réalité.
Dans leur autonomie,
les
éléments de la vie,
développent l'espace
indéfini du
labyrinthe qui les
sépare
. de leur définitlon~ Mais les
réalités mathématiques
se brisent dans
leur apparence
parce qu'elles
se donnent
à voir dans des
circonstances
différentes du moment de l'esthétique hégélienne où re-
garder une oeuvre d'art,
c'est être vu également par un oeil qui
vous regarde.
Le regard objectivant du savant appréhende ses
objets selon la détermination normative" des régulations de son
mod~le heuristique. La formalisation est un avatar de
l'idéologie moniste dont
elle est le corrélat.
Le mod~le
de la formalisation c'est l'ontologie dans
la mesure où
celle-ci s'accomode d'une analytique
transcendantale.
La pensée mathématique et la logique
coexistent
dans une
situation de fascination réciproque.
On peut
même affirmer que le recours naturel de l'une à
l'autre
est
ce qui leur permet de
s'ajuster,
de
se- dépasser dans
le sens de leur survivance à
elle-même~
Ainsi la théori~
des
ensembles peut
s'interpréter comme une logicisation
dela mathématique alors que le formalisme iogique rel~ve
d'une mathématisation de la logique.
Dans
ce face
à face
Boomerang,
passe une
théorie de l ' ê t r e
comme déterminé
et déterminable par le logos.
La raison en tant qu'outil
de discrimination~discer~epar assemblage; Son mode
de répérage découle de l'i~pératif de récupération"e~ de
maltrise de l'existence par son essence.
Le savoir pour
savoir se formule
dans une discursivité des formes
de
l ' ê t r e ,
dans une logique de
l'étance.
... / ...

-
131
)
Aubenque a
montr~ (1) comment l'ontologie d~Aristote d~coule
de sa logique fond~e dans la langue grecque.
La logique
ainsi fécond~e d~coupe la r~alit~ selon une logique ou
être signifie à
la fois
l'un et le multiple. Dans l ' a s s i -
gnation dans l ' ê t r e ,
du même,
de l'autre du mouvement
et
du repos
(les
cinq genres de Platon)
rien ne peut
se pro-
duire qui ne soit d~jà dans l'être. L'impr~v~ et même
l'impr~visible sont pr~vus dès lors qu'ils existent dans
le lexique de la langue qui les
~nonce. Etre impr~visible
c'est
encore
être,
c'est découler du prévisible
en tant
qu'il est
ce dont
la négation donne
statut à
l'impr~visi­
bilit~.
La science du probable ne probabilise pas le probable
mais l'assure,
le presse à
l ' ê t r e en assurant la nécessit~
de sa probabilit~. Les lunettes de la pensée se mettent
en oeuvre dans .Le ciel et la terre de la structure qui
inscrit le
ciel dans la terre.
La libert~ d'inventer ne
s'invente pas dans l'ext~riorit~ de l'inventeur parce que le
nouveau avant même que d'être)est
contraint de se d~termi­
ner à
être selon une ·certaine modalisation.
Le nouveau souffre
toujours de la dimension rétro-
active que lui assène la monnaie
courante du srupçon
d'anciennet~. Dans la logique de la connais~ance, cette vé~
rit~ de la mode toujours d~jà r~tro, dispose toute f~erie
insaisissable dans la conversion du.
sensible
ert sagesse.
"L'impr~visibilit~ des mouvements des molécules individuelles
n'a pas
empêch~ la th~orie cin~tique des gaz d'être une des
branches les plus rigoureuses
de la physique,
c'lest même cette
imprévisibilité individuelle qui fonde
la puissance extraor-
dinaire de la th~orie" (2). L'intervention de la raison rend
'.,
~videntes les coupures et les discontinuit~s. Par le remplis-
Aubenque -
ke problème de l ' ê t r e
chez Aristote -
PUF
Castoriadis
~institution imaginaire de la soci~té
S"'euil
1965 -
R.
61
... / ...

-
1J2
- '
sage des
césures,
les prévisions et les expérimentations
évacuent les attitudes empiriques qui formalisent les rela-
tions
entre les vérités logiques
etleu~vérificatio~
logiques.
Ce
qui rend impossible tout développement de la
diss~dence en logique,
c'est la vérité que les logiciens
et les mathématiciens n'étudient pas:
la logique ne se sou-
tient pas elle-même. Les conditions de vérité de ses propo-
sitions ne sont pas naturelles mais
sociales~ D~s rapports
et des forces matériels d'un autre niveau logique inter-
f~rent sur la logicité des théories. Théories qui peuvent
devenir forces
infrastructurales par les modèles de régula-
tion de la nature. qu'elles libèrent. Mais le pouvoir de
légitimation de la théori~ n'est ni théorique ni logique
pure.
"Une théorie abstraite et définitive et isolée de la
réalité est tout simplement impensable"
(1)0 Pas plus
que le choix d'un postulat
de départ n'est pas plus rai-
sonnable que le choix qu'on n'a pas fait
et qu'on ne fera
peut-être
jamais,
toute
justification et toute légitimation
est méta-théorique.
E~les n'arrivent pas à reconna1tre
dans leur démarche l ' a l i b i de l'inexistence de la crifique.
Le principe de la théorie mathématique,
scientifique ou
logique n'est pas dans la logique mais dans l'empiriequi
lui donne force
et conviction. Tout accord ~héorique
repose sur l'identité pratique d'un étalon sous-entendu
comme préalable nécessaire à la discussion.
Celle-ci se dé-
roule selon des déductions qui ne peuvent rendre compte
. '
de l ' a priori du point de départ hypothétique.
En vérifiant
une hypoth~se, la chaîne des implications qui l~ légitime,
ne répond pas à la question de la légitimation de la légiti-
mation.
Cette question ne renvoie pas nécessairement à une
1,1
. ' .
/
• • •

une r~gression à
l ' i n f i n i ,
mais à une dialogique qui
ne se saturant pas de
ce qu'on ,dit qu'une
chose est,
interroge le saut qui unit l'attitude du chercheur à
la formulation formelle
de sa d~marche.
Les
sciences participent de la logique de la domination
parce qu'elles
se d~marquent de tout mat~riau empirique.
Le
savant ne
consid~re pas les implications sociales
de ses pens~es qu'il
centralise dans l'absolu de l'ati-
to-suffisance de la v~rit~. En même tant qu'il fait
profession de foi
d'impartialité,
"il
tente d'effacer sa v~rit~
s ub j e c t i.v e u
Toutefois
"l'agir ne doit pas être conçu
comme un appendice,
comme le simple au-delà de la pensée)
mais i l
influe
constamment sur la théorie et ne doit
nullement être
s
p a r-é d'elle"
(").
Le sujet est p a r t Ia
é
prenante dans ses recherches qui,
perm~ables au social,
naissent
sur des
failles
qu'elles
comblent.
Le mythe
de la transparence renforce l'imagination qu'il
cherche
à
combattre car la transparence
et l'innocence sont
des
imagina~res. Le savant d~termine la ~érit~ par
l'assignation à
l'absurde de sa contradiction.
Le
con-
traire de
sa théorisation,è 1 est 'le faux,
l ' .i ri c oh
r-e rr't
é
en tant que sans intérê~ La démarche enveloppe la fatalit~
de
sa vérité en même
tant qu'elle annule
tout d~saccord
sur elle.
La logique est donc
indentitaire par rapport
à
l'axe de la v~rit~ qu'elle développe comme destin
de
ses démonstrations.
Mais pourrait-elle être moins
exclusive et moins autoritaire
?
(1) Horkheimer -
Th~orie critique P. 184

LOGIQUE ET NON IDENTITE
Force est de
constater .que po u r-
se prémunir contre
l'assignation au sens,
la tâche des logiciens déviation-
nistes n'est pas
aisée.
Sitôt que les
théories
indétermistes
se
sont
élaborées
des
théories déterministes leur ont
succédé en s'appliquant à
déterminer les
flux ~ndétermi-
nés
tentant de
s'échapper des
avenues de la formalisa-
tion.
Dans
cette optique Popper stigmatisa la vanité de
toute logique non déterministe 0 Du reste,
sur la question
i l n'avait pas
tor~, car traduire la simultanéité des
grandeurs par une
logique du tiers
inclu,
c'est
comme
l'explique Quine,
appliquer lamaxim~
de la mutilation
minimum,
donc se mutiler cas~@me. Ce n'est pas résoudre
le problème de la pensée de
l'impossibilité ontologique
et gnoséologique que de penser les non-identités micro-
physiques;
c'est plutôt astreindre une physique dynamique
aux normes
tranchantes
et moins
simples d'une logique
des fonctions
de vérité capable de penser l'évènement
sans la falsifier.
Pour contour~erou même récuser le prin-
cipe du tiers
exclu,
i l n'est pas
judicieux de brimer la
réalité qui expire dans
la logique du tier.s
exclu,
i l
faut
changer de
logique.
Eirkoff et V~n Neuman (1~ deux
logiciens de la mécanique quantique,
n'ayant pas
été
à
la hauteur de
cette révolution
(qui la peut-e!le 7),
i~
n'ont pu que disposer la mécanique quantique dans la
contintiité discontinue de
la physique
classiqu~. De même
la logique de Brower
a
beau être intuitioniste,
elle se
développe
et s'effectue encore
sur l'espace de
la logique
classique alors même qu'elle vise à
s'en émanciper~ .
C'est dire qu'il
se déploie dans la sphère intel-'
lectuelle de la connaissance une
tyrannie du principe
-----------~------
(1)
cf Quine
Philosophie de la logigue,
Aub_~er Montaigne
p.
127
... / ...

-
1L5
. .
de la logique de l'identité qUl fait
que
ce n'est pas
*
en refusant le principe d'identité par la témérit6 de A
A
qu'on s'en libère
(1). Cette déviation est 'elle même issue
de la logique -
qui la rationalise en la reprenant dans
la conjonction du mouvement de l'affirmation et de la
négation.
Disce~ner la non-identité revient à observer
une variation dans l'identité dont le prédicat
dans notre exemple est l'égalité.
Cette
identification
cesse d'être logique pour être purement
semantique.
L'identité change de
signification sans
changer d'identité
en se modélant par rapport
au contenu objectif qui
lui-même .n'est déterminable que par rapport
à un tableau
de vérité déterminé.
Même quand une variable varie à
l'intérieur de la même proposition,
sa variabilité se
trouve préétablie dans le ~ystème d'axiomes qui
énonce
sa fonctionnalisation.
En assignant la non-identité à un
modèle de réalisation de l'identité,
on en fait une de
ses variables.
La logique de la non-identité devient
ainsi uri e variété g'énérative en même
temps qu'elle nie la
relation d'équivalence ou de synonimie.
Ainsi
identifiée
la non-identité peut renvoyer aux significations et à
tout
ce qu'elle voudra mais
tout
son mouvement la situera en
dehors
de la cohérence des abstractions.
-
Le rapport
logique de
la non-identité à
l'identité
n'est pas
conçu par les logiciens comme
oontra~tctoire mais
comme différentiel à
la mesuré respective de l'opposition
entre un énoncé et une proposition.
L'énoncé e9t
coexistensif
d'une
existence d'énonciation non référente aux valeurs
du vrai et du faux,
alors que la proposition se définit
comme
énoncé d'une
information susceptible d'être vraie où fausse.
Le problème est que le problématique de
l'énoncé ne peut être
détourné de la proposition.
I l n'y a
de vérité et de fausseté
que par rapport à
une
contingence humaine qu'il faut prendre
en compte non pas formellement mais
concrètement.
--------------------
(1)
Hilbert a
développé une axiomatique
sur cette base mais n'a
t - i l pas fini
par détacher les
signes
et les
symboles de
leur signification quant
à
leur contenU?
... / ...

,
En bref,
ce qui rend impossible une logique de la
non identité c'est l'abscence de contradiction dans la
logique.
Aussi la non identité eST; ramenée à l ' absence - du
principe de non contradiction dès
lors qu'elle
entre dans le
champ d'une logique. Mais peut-on conclure de
ces
considé-
ti.
rations que
toute logique est
identa~re? La logique de-
la logique
est-ellé nécessairement
celle d~ la domination
oà est
ce la logique de la domination qui
en arrive à
déterminer le sens dominant de
la logique
comme logique de
la domination ?
LOGIQUE ET LANGAGE
Ce
qui donne
corps à
la logique
c'est le langage
dans
sa structuration grammaticale. La découverte de
la grammaire d'une langue procède de la récurrence.
Dans la pratique
collective des
suje~, une langue ne se
développe pas
selon un projet mArne si
celui-ci se veut
génératif.
On ne peut prévoir à
l'avance les
écarts,
les
innovations d'une langue
sans les
situer dans une
suite qui
détermine ses indéterminés
en programmant l'inconnu comme
le connu.
Toute gramma~re procède par cat~gorisation des
termes dits
catégorimatiques et par opération des
syncatégorimatiques,
qui à l'image des particule5
sont
des
sigularités irréductibles au lexique qui
sert de
casier aux catégorimatiques.
Les particules, n'échappent
. '
pas pour autant à
la catégorisation.
Déterminer les déter-
minants du nom,
du verbe,
du complément,
c'est mettre en
évidence les
conditions linguistiques qui entrent
en jeu
pour adapter la langue à
tout n o uv e au .
contexte. Les
termes
sans
classe sont ainsi
classés
sans
classe car nom-
mer c'est déjà classer par'un système de détermination.
Ce
qui ne se résoud pas
aux classes se r~soud dans le classe-
ment.
C'est le deatin de
toutes les non-identités d'Atre
énoncées dans la mise en forme
de leur exclusion et
ce
qui ne peut
Atre positivé,
fonctionne dans le positif comme
... / ...

-
137-
objet-objectif de la coercition formelle.
La non-identité
1
n'a pas/dans le
syst~me logique de la langue/une exis-
tence autonome.
Elle est
toujours visée dans le proces~ IS
d'intégration de
la prédication.
Le discours ne peut l a
dire sans l'expulser dans le
temps de
son dire.
I l n'y
a donc pas dans
la notion de logique la tolérance
d'une autre logique.
Ce
qui ne fait
pas
corps
avec sa
logique,
s'articule dans
le silence qui r~couvre sa
mise en pli. Mais la logique ne pouvant
exprimer les mo-
ments de violence de
sa logicisation,
elle fonctionne
sans
avoir conscience de
son histoire qui à s'univer-
saliser oublie sa contingence.
Pour ne pas
&tre
exprimée,
la non identité survit
en travaillant le
corps des
formalisations
et
en visant
à
remplacer contradictoire-
ment la prééminence de la rationalité monologique par
les flux de
successivités qui pour &tre sérielles sup-
posent la rupture de leur seuil.
Dans le discours
logique,
se produit des effets
idéologiques qui rapportent le domaine de ·définition de3
notions
au domaine de la domination.
La notion de logique est
intrins~que au discours mais sa sélectivité est une
détermination de l'histoire de la répression.
I l n'y a
pas de
structure à fleur de langue et
"la formalisation
n'est nullement neutre face
au rappo~t de classes.
C'est
par l'abstraction,
la hiérarchie logique des niveaux
d'universalité, qu'elÈ se reproduit,
m&me quand les rap-
ports de domination,
sont
amen?s à s e
camoufler derri~re
des procédures démogratiques" (1). Les principes de la raison
~on contradiction 1 identité, tiers exclu)) ne peuvent coexis-
ter aved
ceux d~ la dialectique
cont~adiction -
non identité
En cela,
les logiques analytiques
ou déductives ne sont.pas
transcendantales à
l'image de
celle de Kant.
(1) Adorno - Dia. Nég. P. 241
c
• • /
• • •

-
138 -
Elles sont immanentes et
affé~entes aux principes de la
raison qui les constituent dans un rapport monologique
au langage -. La
discursivité de la logique formelle
écarte,.
le problème de la véri té au profi t
de 'celui de la validi té.
Sa rationalité est instrumentale,
pragmatiste,sans égard
pour le sens des propositions m~is obnibul~ par sa fidélité
à la loi de la composition interne,
loi dont
i l ignore
le présupposé de la réalisation synthétique:
Mais parce que
tout est identique oti isomorphe
à une entité de m~me structure,
rien n'est
identique.
L'hypostase de l'identité comme idéalité des
~tres for-
malisés
(mathématiques par exemple)
épurés de leur subs-
tance empirique,
est une positivation de leur agencement
dans la machine du système qui les
comprend.
Les systèmes
mathématiques,
en s'enfermant
chacun dans son épistémée,
évitent leur contradiction réciproque -
Leurs axiomatiques
peuvent
~tre rigoureusement non identiques mais leur
coexistence n'en sera pas pour autant
conflictuelle.
Il ne peut donc pas s'agir pour Horkheifuer et
Adorno et
surtout pour Habermas d'apporter leur peine
à la vanité de la contradiction d'une logique par une
autre;mais de délégitimer l'engrenage de la p&titiori de
principe que
comportent le positivisme et les idéologies
du progrès. Les règles de la pensée logique
justifiant
le
jeu de la logique qui elle même les légitime,
i l faut
arriver à
jouer tout
en d6jouant
ces règles.
En;dehors du jeu
de la domination comme de
celui de la logique,
toute
pratique est impossible.
Tout le problème c'est donc de réus-
sir à
introduire le non identique dans l'identique de manière
o • • /
• • •

-
139 -
à
ce que l'identité commette des
écarts vis-à-vis de
ces
stràtégies reproductrices.
La critique par la non identit~é
abandonne
toutes les
tentatives de fondation d~s lors
qu'elle problématise la valeur de la preuve.
Quelle est la
nature de la juridiction qui
justifie les lois
?
Quels in-
térêts soutiennent les opérations scientifiques ? Telles
sont les questions auxquelles Habermas à
la s~ite de
Horkheimer et d'Adorno
a
su donner un maximum
de pertinence.
D~s lors l'objectif d'un dernier fondement devient
impossible sinon idéologique.
La théorie
critique n'est
pas nihiliste,
elle situe plutôt la vérité des propositions
scientifiques dans
l'idéologie de
leur performabilité. Le
sens de l'histoire n'est pas prévisible, sans une
idéologie
de la directivité dont participent toutes les
théologies
et
toutes les philosophies de l'histoire.
En faisant
com-
paraltre les
sciences devant l'interrogation de l'histoire
de
leurs associations aux principes de
la raison instrumen-
tale,
l'épistémologie de
la théorie
critique rompt
avec
la tradition de la réflexion critique sur les sciences.
L'idéologie ce n'est pas
seulement. l'injustice
mais
aussi la violence de
la survalorisation d'un sens de
la vie par rapport
à d'autres visions du monde.
C'est la
position de celui qui
ram~ne la vérité à la justesse de la
structure
positive dans
laquelle i l prosp~re. Cette
apologie est mensong~re, du fait m@mede la nostalgie ré-
conciliatrice qui
l'induit dans
la magie de la ~imésis
désidentifiante de
toute chose dans
l'unicité de la mati~re •


0
/


. •

-
11kO·
La math~mA.tique devient
id~ologique chaque fois que son
rapport
aux singularit~s est d~jà la ~estruction de ses
singularit~i. Penser math~matiquement, c'est penser selon
l'ordre de la raison anticipatrice et
~mancipatrice. La
théorie du signe sans
signifi~s et surtout sans ll1~taphore
projette l'image fixe
d'une prospective exhaustive du
futur
dans
l'universalit~ de son abstraction.
La nature
perd de
sa profondeur,l'avenLrde
s ai f u t u r-L't
Tout
é
,
est d~jà en place pour tous les spectacles,
comme les
cases vides de Mendeleïev attendant avec la patience du
concept,
les
~l~ments{à d~couvrir)qui avant m6me d'6tre
d~couverts sont invent~s et log~s selon l'identit~ de
leur p~riodicit~ à venir.
I l n'y a
plus de hasard qui ne
soit m~caniquement donn~ dans sa maîtrise intellectuelle,
déjà transformable
dans
la s~rie qui là pr~pose aux
questions de sa connaissance.
Rien n'~chappe au préfabri-
qu~ ou au cartonnage cubique.
Mais
i l y
a
de la croyance dans
toute
connaissance,
A ignorer le système de
croyances à
l'oeu~re dans la con-
naissance,
le
savant bourgeois d~veloppe une fausse
conscience de
sa pratique.
En effet,
voir entendre,
goûter
sont d~jà des rapports ou pouvoir de la d~termination
sociale •. Une
connaissance réflexive doit
d~nc en arriver
à
une critique du sens
par une critique des
organes du
sens.

1 4,1
FAITS ET EXPERIENCES
I l n'y a
pas de do~n~de faiti.~Les faits sont
faits~disait Leroy. On ne voit que ce qu'on cherche et
ce qu'on a
appris
à r-e ch e r-ch e r-v. Nos sens sont travail-
l~s en même temps que nous transformons le monde.
Avec
toute
perception,
la r~alit~ se r~alise en tant qu'objet
dot~ de
sens.
Le
sens n'est pas dans l'attente de sa per_
ception mais le
sens de la perception traverse la
perception elle-même.
Toute perception est pr~d~termin~e
par l'histoire des organes de
sens qui lui donne son
sens.
I l n'y a
pas de perception passive mais
toutes
sont organis~es par le discours ambiant qui fait
adopter
ses
jugements de valeur comme des propositions objectives.
Mais
cette objectivit~ n'est pas naturelle.
Elle atteint
l'universalit~ par la force motrice de l'absolu de sa
puissance.
Dans lés espaces
et les
temps concrets,
i l n'y
a
pas de similitude ni d'identit~ entre les choses.
Dans
la perception d'un objet l'action du sujet se retrouve sur-
d~termin~e par l'~vidence de la logique du d~coupage
de la r~alit~ qui le constitue lui-même en tant que sujet
percevant.
A travers le pouvoir logicisan:t
des
c a t
g or-Le s,
é
les faits
acc~dent à l'objectivit~ en passant par le
moule principiel
de l'abstraction objectivante des
s~dimentations pr~-scientifiques dont le sujet de la
connaissance est le
trac~. Il n'y a pas d'ontologie des
faits
car
"la r~alit~ est un concept transcendantal"
(1)
du point de vue de
sa mat~rialit~ historique. 6ans les don-
n~s factuelles,
la coercition physique frictionne
l'esprit
dans
son immersion purificatrice.
Bachelard n'est pas
radical quand i l d~finit l'outil comme le prolongement de
l'intelligence.
Si
tant est que l'intelligence est un
(1)
-
Habermas -
Connaissance et
int~rêt -,P. 128 •
.../ ...

-
142-
organe,
"l'organe est
lui-même le prolongement de l'outil"(1).
De
ce point de vue,
le microscope ~e serait ni une déter-
mination de la visualité,
ni un prolongement de l'esprit
mais fondamentalement
celui du bras.
En tant qu'ils
travail-
lent dans un corps à
corps non quelconque ave<la nature)
les hommes rationalisent d'une manière
symétriquement
non quelconque leur vision du monde dans lacsolidarité de
leurs
constructions
théoriques.
Le travail manuel dont
l'effectuation produit les
conditions objectives d'une
pensée reproduit les
conditions de la division du travail
et les moyens
techniques de la sécularisation de la
vérité. Les
concepts autant que l'appareillage technique
et scientifique duchercheur'sont des points de vue de
clas-
se
(2).
Ils procèdent d'uneagonistique dont
ils sont des
4
armes et des péripétiesd~combat de l'homme et de sa
société,
de la résistance
et de la dominance. Les
concepts
et les appareils
techniques
(théories matérialisées dirait
Bachelard)
possèdent.une puissance dont la valeur de vérité
découle de leur performabilité dans le processus de
formation du sujet
générique.
Toute connaissance est in-
téressée
et le désintérêt .app a r ori t vde
sa r.éf r ert c e
.s o c La-Le ne
peul
é
~u'accro~tre l'intérêt "qu'elle cache, dans ~~ prétendue neutralité
La totalité du vecteur épistémologique repose sur le sol étoilé
.
.,
du destin attaché à
ses piçds.
Entre l'objet et son statut, i l
n'y a
pas de réflexivité~ pas ~e sym~trle,pas d'adéquation
..
---------~~---------
( 1 )
Horkheiner
Théo.
Trad.
et Théorie
critiquè P.
31
(2 ) D'où l'exigence francfortoise d'une nouvelle sensibilité
et d'une nouvelle pédagogie.
t
• • /
• • •

ou de
transparence mais
seulement une
opacit~ qui
confronte la séquence de
sa clarification à
la latence de
son obscurité.
Aucune
connaissance ne possède son
objet qui finit
toujours par l'épuiser
s~ elle ne
renonce pas au fantasme
de la clarté.
La science et
la technique reposent
sur une base indomptée sur la-
quelle pèse l'interdit de l'auto-réflexion.
Cette base
dont la qualité objective se sacrifie à
l'éthique de la
quantification,
sittie le
savant bourgeois dans
'une
temporalité horizontale. que le philosophe
critique peut
rompre par la verticalité de son infra-temporalité.
La raison analytique
trouve alors
son opposition dans la
raison dialectique qui maintient des valeurs particu-
laires du concret.
Dans la chaîne déductive de
cette analytique
i l y
a un obstacle fondamental
à
l'émancipation de la
société que Marx n'a pas perçu.
On ne peut
jouir de
la nouveauté de
l'alt~rité en se chamarrant des vieux
modèles du vieux monde.
Le mode d'appropriation
1
technique de la nature n'est pas
coextensif d'une
liberté politique bien qu'il ne
subsiste aucunè
exté-
riorité prihcipielle entre d~mocratiè et
technique.
Sans une réflexion radicale
sur des valeurs no~ fic-
tives
et non figées,
sur la dialectique du pouvoir
et du vouloir,
aucun changement r~el ne risque d'aboutir.

-144-
Le vouloir est au pouvoir ce que
la compréhension
est à l'explication.
Tout vouloir véritable décide et
veut en fonction de son pouvoir alors 'q u e
le pouvoir sans
conscience applique l'impossible.
Vouloir conséquemment
à
une réflexion,
c'est pouvoir son vouloir dans
l'opposi-
tion posée du pouvoir faisant
obstacle à
ces aspirations.
Analogiquement,
expliquer fait
comprendre miis ·on ne
peut
expliquer
correctement que
ce qu'on a
compr~s.
Les
sciences analytiques de
la nature s'opposent aux sciences
humaines dans
lAur lattitude respective respectives
vis-à-vis de
la compréhension.
La pragmatique du sens n'est
pas
sa compréhension,
mais
sa momification.
Apr~s Dilthey
et Pierce,
I f Ecole
de Francfort
comprend et
explique que
les
sciences hypotético-déductives
confondent
en les
faisant
coincider l'organisation de l'expérience
et
son objectivité.
La compréhension est non objectivante et non performative
à
la différence de
l'explication qui affirme
ce qu'elle même
produit dans
son déplacement
et son déploiement.
Mais en ce
qu'elle ne met
en évidence que les
formes,
elle
étouffe les
contenus de ses démarches.
C'est précisément à
ce niveau que J.
F.
Lyotard
rencontre la distinction entre
le récit
et
la narration
(1).
La narration implique une pluralité de
Jeux de
langage.
Des
énoncés
interrogatifs y voisinent avec d'autres
énoncés
dénotatifs,
déontiques,
évaluatifs .•.
Par contre,
le récit n'autorise que des
énoncés:dénotatifs
univoques
référant
à
la stricte bipolarité du vrai et du
faux.
En privilégiant la compréhension par rapport à
l'ex-
plication,
les
sciences humaines dites aussi
sociale~ ou
morales produisent
et autorisent un jeu d'expérimentation
(1) - La condition post moderne
éd. Minuit
... / ...

sur le langage qui
se trouve renvoyé à une pluralité
de lieux de
compétence.
I l ne~s'agit plus alors de
déduire le multiple de l'un mais de multiplier l'unité
en la dotant de mouvements de délégitimation par
rapport à
la crédibiJ.ité des
grands récits
scientifico-
historiques.
Réintroduire la novation.
des
coups dans
le
jeu
(1),
c'est se passer de légitimatio~ en se
dotant d'une puissance propre qui depuis l'intérieur
du jeu déplace les
stratégies du
jeu. La logique
de la narration à l'image de la compréhension n'est pas
unitaire mais discontinue.
Elle n'est pas totalitaire
mais
elle réagence la totalité du jeu social pris dans
sa vision globale;
on l'injecte de
contingence afin de
découvrir les intentionalités
concr~tes.
Le mode de production des
sciences reste his-
tnrique.
Les
sciences sont nécessairement reproductrices
de
ce qu'elles ne dévoilent pas.
Elles sont
objectives
par ce qu'elles posent l'objet
et le
sujet humains hors
d'elles.
Ce
mouvement les
emm~ne au coeur de l'idéologie
o~ elles se retrouvent déterminées par l'état d'occul-
tation de leur manifestation à leur humanité·
. "Toute
science même la mathématique la plus ~bstraite est "encore
un projet humain" (David Hume).
Ainsi le projet
scientifi-
que gradue nécessairement le développement des. forces
productives dont i l fait
partie.
Toutes les
sciences
témoignent du rapport de l'homme à
la nature
t9ut
~ri pre-
nant part à
la lutte des
class~ qu'elles contribuent à
inhiber ou à
activer dans un rapport
contradictoire à
leur
(1)
A notre humble avis,
l'ouvrage de Lyotard se délimite
en ce qulil n'étudie pas les occurences du
jeu collectif,
o~ on fait par exemple une passe à l'adversaire.

- 146
épistémée.
Il ne prospèr&~~ de sciences et de recherches
scientifiques que là où des crédits de recherches sont
au moins votés et attribués selon les intérêts de la
domination.
S'il y
avait autant de soleil en Europe qu'en
Afrique,
l'énergie solaire ne serait pas obligatoirement
une perspective futuriste;
mais l'occident non plus ne
serait plus l'occident,
c'est-à dire entre autres puis-
sances,
celle de rentabilisation de la performativité des
sciences.
"L'opinion are n droit,
toujours tort"
(1). La
vérité s'étoffe par les moyens de sa vérification ex-
périmentale qui permettent sa rectification.
Quand i l y
a
vérité,
c'est qU'il y
a déjà pouvoir de vérifier par
le droit ou par la force,,"Maisque signifie vérification,
la force
desc~omniateurs, des
crapules,
doit-elle
servir de preuve aux affirmations grâce auxquelles il~
l'ont obtenue? La superstition la plus primitive,
la plus
indigente falsification de la vérité au sujet du monde,
de
la sociét~/du droit,
de laréligion et de l'histoire,
peuvent-ell~donc s'emparer de peuples
entiers et se
vérifier de la façon la plus parfaite dans la vie de leurs
auteurs et de leurs partisans ?1I(2)
Dans la théorie
tra-
ditionnelle,
le discours vrai n'est qu'un discoun qui peut
trouver l'aval de la puissance de légitimation de son jeu.
Tant que la définition-Husserlienne de la théorie comme
un IIsystème de propositions sous la forme d'une déduction
ayant l'unité d'un système~(3) sera souveraine, les
théories qui s'en solidarisent ne pourront se blanchir du
reproche d'idéologique car aucune
théorie ne peut
justifier
sa cohérence d'une manière intrinsèque. L'adéquation entre
les hypothèses et les faits dans la démarche expérimentale
se médiatise par
l'industrie et le capitaloC"_':'.,
(1) Bachelard -
La formation de l'esprit scientifigue P.
14
(2) Théorie critique P.
193
(3) Théorie trad.
et Théo.
critique
.../ ...

Les
sciences qu'elles
soient modernes
ou réalis-
tes
s'auto-interprètent en se
fixant
leur propre seuil
de restriction(cf.
Koyré-Etudes d'histoire de
la pensée
philosopllique).Les mécanismes.de production de
ces narcis
sismes didactiques analysent ~ur naufrage en termes de
salut.Aussi
la contradiction qui opposa la mathématique
au langage est la!cisée en vue d'éliminer tout
espace de
différenciation.
Tout
comme les
lettres se. distinguent ds
chiffres
,la dialectique
se distingue de
l'anal~tique corn
me
l'acquis
collecti0des cODnaissances
livresques.
Ne
se
soutenant par aucune base matérielle avouée,
les théories
abstraites pures qui durcissent
leur transcendalité par le
privilège accordé à
l'orientation de haut
en bas(cf.la mo
dalisation des
o p é r-a t d o.n.s arithmétiques),
laissent
en nous
une idéalité sans images.
Majs
faut
i l que
la peur de
la
matérialit~ des images l'emporte sur la multiplicité des
solutions et des
siLnes? La c16ture des
épistémées,
en dé
taillant
les systèmes symboliques représente
également
cha
que
épistémée
comme un système supérieur excluant les ama
teurs astreints à
l'abandon orcl1estro par l'érudiction des
chiffres.
Hais quelque
soi t
la perfection des
cohérences
cons··
truites,
les médiations
idéologiques et métaphj:siques ne
sont pas fondahles
dans
la concrétude des
faits.
Ces média
tions qu'on peut appeler invariants ou constantes n'ont en
fait
aucune base réelle qui se prate àl'abstraction des

-148-
corps.
L'obsession des p~erres de touche qui finit par spé
cifier les
champs théoriques
respectifs
en permettant
la
formalisation,
conduit à
r~fléter les soucis et les crises
philosophiques en tant que radicalisations des historicités
faisant
néc~'ssairement saillie sur les proiJlématiques f o n.d a n t;
les objectivités théoriques dans
leur mat6rialisation loci~ue.
Oo s
objectivités ont, beau se déterminer par la prétention de
saisir des réalités absolument
réelles,
elles ne se répartis
sent pts
comme matérielles ..
L'évidence
logique des
sciences
en se donriant
d~ns une
pure forme,n'engage
pas les ~atérialités calcillées et déposées
à
ses pieds.
Pour interro~er le sens et
la valeur des
sciences
i l ne
su~rit pas de prendre en compte le pI'ocès des formations
d i s cu is Lv e s j e n effet,
le p r-o c e s s u s
de
ce procès n'est pas
o
t e r'm.i.n a b Le par rapport. à
sa logistique
é
é me i g e a n t
e ,
Il raut
ainsi remarquer le
s y s t
me choisi o n
tant q u
è
t Ll,
est
solidaire
d t un e
langue et d' unjsystème de
La n g u e
édictant
ses
lois avec
la rigeur et
la généralité de
l'ordIG militaire.
le
traitement de cette
langue nécessitant
une métalan.:,',ue;
i l .fa~t
intervenir un système non ~ormel qu'on peut rappor
ter aux instances manipulant
les impératifs de prOductions
des
théories
vérifiant elles m~mes leurs assertions.
Que peut la théorie cri..:,ique face
à un8 telle situa-
tion?
Dans tous
les
cas~
sa .dialectique lui rait
o~ligation de
,... l,' ".

ne
pas s'effacer comme moyen de production de l'unit~
du vrai et de l'id~al. Seul un nouveau concept critique
de la th~orie peut la d~tourner de son futur -
pass~ et
la rendre pratique,
communicationnelle,
dialectique.
Un tel
concept d~velopperaitson imbrication. positive
dans le
sens de leur d~voilement, r~voquant ainsi en
doute la puret~ de sa non-pratique.
La critique du positivisme est l'homologique de
lâcritique d e' la t e c hn i.c Lt
du "sachant" dans des rapports
é
de production qui le consignent dans
la division du travail.
Dans leu~ déterminations id~ologiques, la science et le
monde,
l'esprit
et la nature se rapportent à
un fond
de monde aux sp~cifications à multiplier par les rota-
tions
et les significations du sujet et de l'objet.
Evidemment la logique m~taphysique de Descartes ne peut
r~pérer dans son diagramme des phénom~nes d'une
fluctuance
.d p e n d a.n t e de p a r amè t r-e s
indénombrables.
é
L'épistémologie critique n~ proc~d~ pas par dénombrements
successifs,
son ordre n'est pas la linéarité de
la
cause et de l ' e f f e t mais
celui de la simultanéit~.
I l Y a une dimension synchronique dans la théorie
critique qui,
dans le développement de
l'homologie
entre
la science et la métaphysique,
conduit à
des
conclusions
radicales.
Ni les
sciences ni la métaphysique ne
coincident
avec leurs prétentions.
Elles sont plus génératives
de désordre qu'elle ne donnent à
le
croire.
D~s déséqui-
libres et des
irrégularités viennent
constamment se rap-
peler à
la modestie des
chercheursçLes bonnes idées
de la stabilité dorment mal.
Non pas que Dieu joue auX dés
(cf Einstein),
~ais parce que les faits sont des effets
qui
connaissent des moments fantastiques
de retournements
... / ...

-
1, 50 •.
et de
travestissements fantaisistes
et perfides.
Les méthodes
scientifiques prouvent plus la beauté
de l'avenir du pass~~que la réalité de la dérision des
faits.
Le désir d'une description vraie de
la réalité
s'est fissuré avec la crise
ouverte des civilisations et
des
grands récits.
D~ plus en plus des cherc~~urs confes-
sent leur lyrisme et le délire de la connaissance qui
ten-
te de
connaîtrel'inconnu.
Au fur et à mesure qu'il
est
enserré,
isolé et objectivé,
l'inconnu s'objective et
s'écarte dans l'indétermination et l'indéfini de
la di~­
sémination.' Les
sciences
en s'épurant se produisent comme
des pensées visant à rompre
toutes leurs attaches. Mais
la sophistication de la fQrce
productive qui nourrit
ses
rôves de clarification parfaite finit
par reproduire
une objectivité non réprésentative mais
seulement nomi-
native.
L'essence de la science
tend à
étouffer son exis-
tence.
Travaillées par les
tensions à
l'oeuvre dans les
conceptions dynamiques de la nature qui attestent par
exemple que les astres
en cataclysme sont plus
ordinaires
que les
astres figés,
les
sciences s'axiomatisent de
plus en plus.
La réflexion sur ces impensés- liés à l'ob-
jectivisme scientifique fait nécessairement péricliter
les ontologie~ monologiques. Les fondatfons du savoir peu-
vent ainsi se mettre
en mouvement en s'articulant sur les
espaces indécidables qui
séparent le non identifi~ de sa
désidentification objective.
Dans la connaissance,
le né-
gatif,
en s'introduisant,
développe la contradict~on du
processus de
la division du
travail qui définit le
statut
de
la science avec la complication du réel afférente à
cette exploitation de l'homme par l'homme.
../ ...
(1)
Bien entendu i l s'agit du passé de
la
domination.

-
1 51 -
LOGIQUE ET IDEOLOGIE SCIENTIFIQUE
Le monde n'est pas fait uniqueme~t de choses,
de for-
mes ou de
symboles.
I l
est
aussi
constitu~ et constitutif
de sens,
de significations,
de m~taphores et de valeurs.
Comprendre le monde
c' est m d Lat Lser... ~es signiI·i~ations.
é
à
partir de
leur cristallisation dans
les
fait~. Vivre c'est
s'engager,
se diriger en produisant du sens à
partir
de ses int~r@ts. La connaissance ne soupçonne pas les in-
teractions
sociales qui
organ~sent
les constitutions
de
son objet.
Le
sujet de la connaissance est dans
son
objet
comme dans
son champ d'expérience,
un champ social
marqué par ses
confrontations avec
son milieu.
De
ce point
de vue les
th~ories subissent une double détermination :
1°/ -
leur objet
est une histoire dont
le déroulement
s~­
culaire ne doit pas
obvier l'historit~ intrinsèque au ren-
force~ent moral des
sens dans
leur d~pendance des valeurs
dominantes.
Est
critique toute
th~orie qui maintient la
contradiction de
la réflexion sur ces d~terminations.
2°/ -
le
th~oricien avance par le mouvemeni que l'objet
de la connaissance reçoit du processus pratique en oeuvre.
dans les forces qui
transportent le progr~s. La th~orie
critique est une
théorie et une
critique de la connaissance
qui n'est pas r~ductible à une sociologie de la connaissance.
1
Le
social ne .coincide pas
avec
le sociologique m@me si
le
sociologique participe au social par la constitution
de son objet
comme fait
social.
Le social d~borde le fait
social
comme l'individuel le
collectif ou l'auto-r~flexion,
le positivisme.
I l n'est pas
seulement objectif mais. aussi
subjectif Q Cette subjectivité peut @tre induite par l'~duca­
tion 1
le socius,.mais elle ne
se d~finit qu'en se raidissant
face
à
ces cl~terminations dont le détournement disfonctionnel
fixera pro~isoirement ses limites.
... / ...

-
152 .:..
Dans la systématicité sociale,
le
sujet peut
s'invente~
expérimenter des valeurs intérieures s~ns nécessité
extérieure
é~idente, tout en restant susceptible d'une
objectivation compréhensive de
sa sph~re d'interaction
sociale.
Dans
cette aire,
le" travail
social se rapporte aux
rapports de production dans une reconnaissance des
con-
tradictions
sociales dans
leur irréductibilité objec-
tive.
Par la ~éflexion sur cette opposition théorique
de l'objet social au rationalisme,
le
travail
social se
démarque
comme une
critique de la raison historique.
L'Ecole de Francfort dépasse dialectiquement le marxisme
en la démasquant
sur le lieu de reproduction des analy-
tiques prisonni~res d'un mod~le de la production par le
travail
social. Mais
ce mod~le conceptuel,
par sa
synth~tique fonctionne dans le circuit fermé de l'anthro-
pologie que Marx ne distingué pas des
sciences de la
nature.
"Ma r x
n'a pas développé cette idée" de la science de
l'homme,
i l l ' a même désavoué en donnant un statut
équivalent Elux
sciences de
la n a t u r e
et à-la critique.
Le
scientisme matérialiste affirme seulement encore. une
fois
ce que l'idéalisme absolu avait
d~jà réalisé: le
1
dépassement de la théorie de la connaissance à
l'avantage
d'une
science unive~selle libérée de ses entrav~s ; à
l'avantage d'une
science universelle qui ne
soit pas,
bien
sOr,
celle du savoir absolu,
mais
celle d'un matérialisme
scientifique." (1 )
(1)
-
Connaissance et
intérêt
P.
96
.. ~. / ...

C'est donc par une historisation de Kant par un
certain ~arxisme que la th~orie critique d~passe la
contradictinn de la philosophie
critique de Marx.
Cependant l'exigence m~tacritiquela rattactie à une con-
ception hégélienne de la r~flexion. Derrière son sens
péjoratif,
le
concept de
spéculation cache une problé-
matique du sens dans l'jnversion qui lui donne une
connotation arbitraire alors qu'originellement i l signi-
fie
"l'auto-réflexion critique de l'entendement,
de sa
limitation et de
son auto-correction".
L'expérience
spéculative au sens hégélien est
transgression,
élucida-
tion,
mise
en question,
interrogation contradictoire du
positif.
La sp6culatio~ est dialogique quand elle
fictionne
les faits
par la disposition théorique de
leur pragmatisme.
La théorie
critique ne devient pas sceptique
en
désespérant d1atteindre l'absolu mais en s'en détour-
nant.
Elle demeure à
l'extérieur des
tautologies de la
légitimation~Sans pour autant élire domicile dans
le
scepticisme,
elle s'engage dans l'oblicité de
la
négation qui la met à
l'écart de
l'empiri~me. Elle
se mobilise dans le parcours récurrent
de l'histoire au
cours duquel
les
choix possibles rendu~ impossibles sont
remarqués.
Le masque
cache le masqué par la négation
critique de la frustration à l'oeuvre dans l'illusion
réaliste du masque
.
Pour rempla6ar les ration~lisations
abu s Lv e s ,
la théorie
critique mesure la violence d e
l'histoire
à la lueur des r~~es dé6imés,par le feu des,rêves des entre-
preneurs.
,ta théorie
critique navigue dans lescepti-
cisme où elle r-e v Lgo re le rêve de retrouver la mouvance des
sens.
Sur ce fond· de rêve qui distrait
la_baéè~
la
)
.... / ...

logique de la domination sous
ses formes
scientifiques
jette le masque de la cohérence.
A ce masque formel,
la
théorie
critique superpose
contradictoirement un anti-
masque qui désigne le pouvoir par sa caricature.
La diffé-
rence entre le premier masque
et le
second s'intercale
dans
la différence
entre la sublimation du progrès à
la-
quelle participe le premier et la compréhension de
ce pro-
grès
comme décadence de la raison.
Horkheimer et Adorno
ne
se lavent pas du soupçon de rationalistes par une
apologie de l'irrationnel.
Paradoxalement c'est par une
redondance
de
la raison qu'ils luttent
contre la tendance
de la raison à
la dominance.
La raison peut
et doit
critiquer la rationalité de ses rationalisations
car en
tant que
lumière,
elle
intervient nécessairem~nt sur son
spectacle en m@me
temps qu'interfèrent
sur elle,
toutes
les aventures de
sa généalogie.
Les ombres qui bordent
la raison se renversent
dans son procès non pas
seulement
parce que la raison projette de
l'ombre,
mais parce que
les productions rationnelles
se programment toujours à
l'om-
bre des parapluies du capital.
Cette ombre
est donc plus
puissante que la translucidité de la légitimation monolo-
gique.
La lecture
critique de la dialectique des lumières
en reconstitue la phase d'intrasistanc~.
1
Ce
qui ressort'de la critique,
ce n'est pas l'élément
du complexe
comme réalité dernière,
telle qu'il apparatt
chez Luckas
• Pour Luckas,
en effet
toute ontologie
marxiste doit
se modeler sur la méthodologie génétique à
l'oeuvre dans l'évolutionnisme et dans "Le capi tal '~. de
Marx
~"cela signifie que nous devons
essayer d'étudier
les phénomènes dans
leurs formes
de représentation primi-

tives
et d'examiner dans quelles
conditions elles
peuvent d2venir de plus
en plus
complexes"
(1). Luckâs
reste
tributaire d'une
~vidence du r~el et de sa
tension naturelle à
être.
Son r~alisme maintient l'objet
avant
toute lecture
scientifiqué,
philosophique
dans une r~alit~ du r~el qui ne peut que l'opposer à
Adorno.
La dialectique n~gative ne saurait être r~aliste
car tout
r~alisme reconnait la positivitci du rciel comme
cividente.
Percevoir ne rel~vepas de l'intuition pure
et
immcidiate mais d'une
organisation catcigorielle des
cadres historiquem~nt à priori de la sensibilitci et de
l'entendement.
La thciorie
critique est un combat pour que la
parole
critique soit distribucie
ailleurs que dans la
philosophie afin que les hystrions qui parlent
et
~'at~ffent
de véritci interrogent les
conditions de vali-
dation et de vcirification de cette véritci.
Elle
est un
élargissement des modes d'intervention,
mais le mod~le
de
cet
cilargissement en ce qu'il
est revendication
d'autonomie
et de r~flexion métacritique rie reste-t-il
pas tributaire de la pr~tention traditionn~lle de la
philosophie à
s'instituer reine des sciences?
( 1) Lu cka s - In. tî1_l_t_r_e_t_l_'_e_n__a__v_e_c__G_e_o r ge s Luc k â s ) Ha s p ci r 0
P.
13.

-156-
CHAPITRE V
----~--
OPTunSr1E ET PESSIMISME
"Le grand et nécess&ire sens de
la pensée,
c'est de
se rendre
elle-même superflue.
En quoi
consiste
alors
l'optimisme que
je partage avec Adorno,
mon ami dis-
paru? I l
consiste
en ce que l'on doit,
malgré tout
cela,
essayer de
faire
et de réaliser ce que l'ont
tient
pour vrai
et bien.
Voilà pourquoi notre principe était
être pessimiste théoriqœet optimiste pratique!.
HORK.
-
Théorie Critique
P.
369

- 157 -
*
La th~orie critique est hi~toriquement dat~e mais ce
qui
coupe
son histoire en un avant
et
en un apr~s, ce n'est
ni le pessimisme ni l'optimisme.
Ces œntiments,ne sont pas
topographiquement donn&s
à l'un ou l'autre bout de la th&orie
critique,
qui
justemen t-nesalirai t
avoir de bout.
~uand elle.d~bute une r~flexion, la critique sur l'objet de
cette pens&e est d&jà engag&e sans pour autant qu'elle le
fasse pour se d6gager d'un pessimisme ou d'un optimisme.
A la th~orie crtique,
le·s objets n'accourent pas,
mais
se
retirent,
qui ttent leurs lieux et
se
surimpriment
en se _PC?ly-
copiant dans des
termes qui peuvent mener à
la fois
au
pessimisme e t à l'optimisme.
Dans
cette apparition-dispari-
tion,est on cependant
"~lev~ d'un seul bond au-dessus du
pitoyable radotage des
imb~ciles qui opposent inlassablement
l'optimisme au pessimisme
! II
(1)
Pessimisme et optimisme sont des
contours possibles
de la terreu~ qu'ont non seulement affronf~ tous les juifs
allemands d'entre les deux guerres,
ma~s aussi
tous"les
intellectuels qui n'ont pas
accord~ au marxisme sovi~tique
autant d'espoir qu'ils mettaient dans les
textes de Marx
et d'Engels.
Mais pour affrontet les feux de
l'avenir,
i l
faut
exprimer cette
tragédie du fascisme de
Eau~he et de
droite dans
le mirage du quotidien de l'objectivit~. I l y a
bien d~cadence mais d~cadence de la raison raisonnante.
(1)
Nietzsche -
Eq_çe Homo -
Idées
p.
77
• • •
/

(J


- 158.-
Par contre la raison instrumentale qui ne discerne
qu'en utilisant,
jouit d'une
sant~ inversement propor-
tionnelle à
celle des valeurs humanistes du lib~ralisme
bourgeois.
De cette noyade de l.a premi~re dans l'oc~an
de la seconde,
on ne
saurait repartir les
cartes du
jeu optimisme -
pessimisme sans faire n~cessit~ à la
vertu binaire du manich6isme des
sc6narios philosophiques
Hestern.
Mais
pour Horkheimer et Adorno· les choses se s Lm p Lf.-;
fient un peu moins d~s lors qu'on consid~re que ce
n'est pas le mal qui l'emporte sur le bien,
la douleur
sur le plaisir,
le malheur sur le bonheur ou l'inverse. De
même1le mal ne
se réduit pas à l'apparence de la réalité
du plaisir ou l'inverse
(1). L'Ecole de Francfort n'est pas
le lieu de la lutte entre Leibniz et
Schopenhauer.
Quoique Horkheimer confesse l'importance de Schopenhauer
dans sa formation philosophique,
sa pensée progresse
dans
son ensemble,
autour d'un enjeu beaucoup plus
pratique,
enjeu qui
se rapplique sur les problématiques
des
stratégies sociales de
lutte défaites ou à refaire
pour que l'esprit de
compétition se transforme
en avaries
destructurelles du syst~me moteur du jeu politico-écono~
mique de
la domination.
Quand la manipulation,
la provo-
cation,
la productivit6,
la persuasion mystificatrice
. • .
sont les principes de reproduction d'un donné,
"l'impensé radical"
de
celui c~ peut se muer en un hermé-
tisme par lequel le
contre-encerclement féconde
le discon-
tinu et rencontre la dispersion.
Le laborieux de la
lecture du réel petit rencontrer alors l'espoir qui à
force
de se soutenir par la réflexion,
finit
par briser
(1) - cf Lalande - Voc.
tech.
et
critique ~e l~hilosophie
(Optimisme
et pessimisme)
".;
"
... / ...

_ 159 - .
les enthousiasmes h~tifs pour les recomposer. A l'Ecole
de Francfort;
on peut dire que l'optimisme
et le pes~imisme
sont des
~crans qui font obstacl~ à la facilit~ de l'es-
poir fac~le, pour restituer en les fictionnant les
pouvoirs r~els des
techniques de la domination.
On peut
projeter dans
la th~matisation de ces termes,
les conflits
de la th~orie critique avec les imaginaires du pouvoir
et
ceux de
la critique.
Les manifester
(ces termes de
pessimisme et d'optimisme)
dans
les
s~ductions auxquelles
Adorno et Horkheimer r~sistent, c'est retrouver la
combinaison de la syrnb. olique de
la valorisation du
d~jà là.
Toutefois,
sUr ce
terrain lIa reconnaissance du mensonge
de l'id~al se double de la d~mystification de la r~alit~
qui ne
s'~croule pas sous le poids de ses
esp~ranceso
Toutes les questions
susceptibles d'un unique
traitement
renvoient
en même
temps à
la complexité de ce
traitement.
Avoir mal,
c'est d~crocher la tonalité de la douleur de
son essence
idéaliste pour la recomposer dans
son corps.
Ainsi
pour celui dont
la corporéit~ de son corps est une
CGn~cience qui tente de recouvrer l'hi~toire des cicatrices
qui la couvre,
la douleur sesécr~te par les messagers
militaires de
l'ordre.
Rappeler ,ces meurtrissur~s, les
identifier avec le
trajet qui m~ne à leur présent hypo-
thétiquant leur avenir,
cela rel~ve d'une spécification
du champ social
comme
terrain de luttes
sociales centrales
et périphériques.
.../ ...

- 160-
D~s lors, pessimiste et optimiste ne s'opposent
plus. L'Uniest à
l'autre,
ce
contact qui à
l'extrémi-
té de
soi met en pente les perspectives pour les
in-
verser.
Non pas
seulement p~rce qu'il y
a un optimis-
me du pessimisme et
inversement,
mais parce que
ce qui
réaffirme l'un,
c'est l'autre dans la mesure exacte
o~ ils se contredisent. Ce n'est pas cependant en com-
prenant le pessimisme qu'on comprend l'optimisme,
mais
en trouvant
le~ espoirs que
des noyades
successives
n'ont pas
consumé dans
l'enthousiasme à
désespérer.
Le pessimisme est
action qui prend comme otages les
motivations de
son optimisme,
otages à
exécuter dès que
les
sortilèges des maîtres déversent
sur lui,
des
solutions de
son angoisse
I l nly a
pas d'abstention
Q
fidèle
à la proscription qu'on s'est
~tablie. Des
rapports persistent qui
tendent à
agir ce qu'on re-
pousse,· à
invalider ce qu'on rationalise,
à
associer
ce qu'on dissocie.
Quand i l subsiste un espoir,
c'est
qu'il y
a beaucoup de raison de désespérer!
Avoir de
l'espoir,
c'est alors valider en théorie et
en pratique
..
un possible
en l'inscrivant dans
~ n~cessité histori-
que qui maintient les raisons de dé~espérer dani les
poubelles
explosives de l'expérience.
De l'espoir
ou du désespoir,· i l reste
tovjours quelque
chose de
déçu qui parce qu'il n'a pas
été d~cimé et consumé
dans
l'énergie du devenu,
reste
toujours incendiaire.
Entre le pessimisme et l'optimisme,
i l
y
a
l'autre
des deux extrèmes qui n'est
jamais,
mais
toujours là,
qui
attaque le
tout,
l'obligeant à
se
survivre à
lui-même
... / ...

161-
en consommant de
son oppos~. Ce faisant,
i l
c~de une par-
tie de
son pour-soi p~r quoi i l peut se ph~nom~naliser
comme
d~cadence de son principe d~cadento Le meilleur
corrupteur d'une
existence ce n'est pas
son oppos~
contradictoire
le non existant,
qui du reste n'existe pas
encore;
c'est ce qui
acc~de à l'existence sans donner
-'
l'impression d'y tenir.
C'est
ce qui glisse,
vrai
transfuge qui nie d'autant mieux qu'il n'~.prouve pas
de n~cessit~ à le faire.
Ce n'est pas l'acte gratuit
de Gide,
mais plutôt une d~n~gation des balisages du
v~cu, par un agir qui sans s'en tenir à un trac~ ou une
trajectoire,
solde sa rage d'exister en passion de la
fragilisation.
L'individu s'~quilibre en ~quilibrant le syst~me
des valeurs
sociales.
I l
est dit
d~s~quilibr~ quand il est
bris~ par la force
de l'~quilibre auquel i l n'a pas pu
s'adapter.
Mais
ilIa victoire de~èivilisation est déci-
dément
trop compl~te pour être vraie ll
(1). En effet)
déjà dans
le
schéma chr~tien, l'homme n'est pas enti~­
rement
corrompu.
Tout
comme la liberté (r~Adam est la
seule
chose qui ne puisse pas
être prise
en~harge par·
,
Dieu,
la libert~ du sujet
est la seule
chose qui ne peut
être assumée par la soci~t~ technologique. Tout projet de l i -
bération est projet d'action de
conquête d'une
forme
à
distendre qui malheureusement peut
se
trouver astreinte
à des formes pré-exista.ntes. Toute praxis qui n'articule
pas
ses motivations,
se
condamne à
recomposer le puzzle
de
ses aliénations
sans parvenir à précipiter ou à-sus-
pendre le
temps historique.
La th~matisation difficile
(1) Horkheimer -
~clipse de la raison p. 109
... / ...

- 162-
du soi social peut d~v~lopper une logique de la d~siri­
carnaticil qui situe les
sujets au-del~ de
tout
repère,
entre l'espoir et le désespoir,
face'~ la peur du nouveau
qui génère la nostalgie de
l'ancien toujours
embelli
par les mythes de
son absence.
Quand on ne
sait plus
ce qui s'est passé,
ni
ce qui va se passer,
les
termes d'optimisme et de pessi-
misme
ont peu
de pertinence
:
Le mouvement du nouveau
est hiatus qui mystifie n~cessairement ce qui va veftir
autant que
ce qui
s'est pass~. Il n'y a pas ~lus de lec-
ture révolutionnaire
objective qu'il n'existe de
lecture
bourgeoise
impartiale.
Mais le parti pris d~lib~r~ pour une
.classe peut
corriger les
illusions d'optique qui permet-
tent d'atténuer la profondeur des
abîmes de la vie.
L'op-
timisme
et le pessimisme sont des
corr~lats d'une philo-
sophie de
la contemplation qui
seule peut s'offrir le
luxe de
leurs
~preuves. Dans le feu de l'action de la
pens~e ou du geste,
i l n'y a
pas de place pour ses extr~­
mités
car tout
se
calcule en fonction du degr~ d'incons-
cience et d'audace qu'on aura mis à
obscurcir la
conscience des dangers
et
la prfcarit~d~s moyens.
C'est
en
_deçà et au delà du seuil non spéculatif que la
vie
se d6te~nte en optimisme et en pessimisme,
mais
pas pendant.
C'est
aussi en cela que
cescat~gories con-
,
viennent à Horkheimer et à Adorno. Angoissés par le
totalitarisme,
rescap~s du fascisme,
ils
sont ~es naufra-
g~s qui ne r~ussis$ent pas ~ s'innover mais qui ne
peuvent
admettre que le
futur ne soit pas entrain
d'h~siter entre le nouveau et l'ancien. A vivr~ l~ phi-
losophie
et
l ' a r t
comme
g~rondifs mutuels,
on r~alise la
.../ ...

- 16)-·
philosop~ie en lui accordant un sur~~s esthétique qui lUi
épargne une belle mort, bourgeoise.
Dans
la pénétration
du champ de la réflexion sociale sur ses
formes,
l ' a r t
se donne et
se répand comme
ch6ses détotalisantes du
sens.
Ni
l ' a r t ,
ni la philosophie ne façonnent
leurs objets
sans être
faç~nnés par ceux-ci. De cette tension s'échappent
des
intensités
implosives qui dans
leurs retombées
inci-
tent au pessimisme
ou à l'optimisme.
Mais l/optimisme
ou
le pessimisme ne
sont pas dans
ces retombées dont
le
destin est dans
la recrudescence du travail de négativité
de
la pensée matérialiste.
Adorno et Horkheimer en si-
tuant l'élément dans
la. tendance régressive et génétique
de
son surgissement,
connotent
toute
expérience comme
déception de la raison d/espérer qui n'a pas
survécu à
l'ordre de l~ rationalité.
"De nos
jours,
le progrès en direction de
l'utopie
est bloqué principalement par la disproportion complète
qui existe
entre le poids
écrasant de
la machinerie du
pouvoir social et des masses réduites
à l ' é t a t d/atomes"
(1).
I l ne faut
donc pas
attendre des
travaill~urs qu'ils
s'émancipent des modèles de leurs maitres;
leurs
conscien-
1
ces
sont des
cimétières
politiques.
Quand la vie
se
confond avec
la mort,
c'est
le vide de
la:mort qui
orga-
nise l'écrasement de
la fataliVé de
la survie.
L'occul-
tation des hommes à eux-mêmes
engendre un rêve.d'empire
qui fertilise
le drame du retard des
travailleurs
sur leûr
.~'.
(1) Hork.
-
Eclip~~ de la raison P. 192

e. • /
• • •

- 164-
histoire.
Leurs
corps sont une
immobile tradition de la
stratification de leu~ part d'autono~ie sous l'enveloppe
des d~légations. La part de leur vie qui échappe au
temps
linéaire pourrait
glisser une altérité dans
l'évolution des hommes.
Mais les
cadres
conceptuels du
non-vouloir vivre qui vivent dans les
syndicats et
tou$<
les
syst~mes d~ductifs ne font apparaitre l'~tre
dans
les
choses que
sous la forme de
sa caricature.
Trop faibles
pour tout
abolir,
les
syndicats entament
de
surcroit leur crédibilit~ par leur solidarisation à
la gestion des
salariés dans l'engrenage de la produc-
tion.
Cette gestion englobe
celle de leurs divinit~s qui
en tant qu'idoles,
sont des héros du renforcement de la
monopolisation et de
l'apolog~tiquede la r~gle du jeu.
Produits
culturels,
les dieux sont des moments
forts
de
la hiérarchisation des
entit~s sociales.
Ces dieux
fabricants
de vérité
interdisent
tout
écart à
l'intégrisme
de leurs
féeries.
Les lieux de paroles ne
sont plus des
sources rte révolt~s à force de se replier sur l'impression
de la sensibilité populiste et dans
l'an~le mort des
approches du pouvoir.
Le rapport au sacré-passe à
présent
par une
laIcisation de
toutes les démarches de repli
frileux face
aux menaces.
Les raz-de-mar~es laissent
tout
sur leur passage,
sauf quelques
grou~uscules ayant
,
pris au sérieux,
leur détermination à
contester.
La simplicité de la répétition participe de la
situation des pluralismes qui ne
sont pJ.us dans des parti-
cularismes.
Les
indépendances s'influencent dans
l~ur
.../ .. '.

165 -
tol~rance mutuelle et-exh~mentdes identit~s dans la
coali_tion des
int~rêts .incompatibles.-Les compl~menta­
rites des
strat~gies politiques r~duisent la spécifit~
des analyses politiques dans
l'id~ologie de la croissan-
ce quantitative. Quand tout déchoit dans
les m~cani~mes
dé promotion de .la d~prime, les ~xpert5eri.a~ductions
pavoisent.
L'insensibilité aux ~alheurs des
autres dont
l'agonie devient
spectacle,
compose avec la
terreur de
masse.
Dans l'aufklarung "ni les
esclaves,
ni
les pauvres n'ont une
individualit~" (1). A l'heure des
droits de
l'ho~me, lrhum~nit~ ne s/all~gue qu'au terme de
l'aptitude des
soci~t~s à agir positivement sur l'histoire
Q
des autres.
Supprimer la dis~ance entre~Nord et le Sud par
la restauratio~ de l'antique tutelle,
c'est
la
strat~gie qui
consiste à faire
résider l'avenir dans
le souvenir.
I l y a
une
id~ologie de l'humanisme diff~rente de celle de l'huma-
nisation dont parle ~'Ecole de Francfort.
Les droits de
l'homme
sent une
~thique d'ordre historique qui synth~tise
l'opposition des hommes
et des
sous-hommes.
Ethique
sp~cu­
lative qui dégrade
les fissures historiqu~dans l'enchevê-
trement du synchronique 1 l·es droi ts de
l'ho.mme
sont des
prises
e Lmu Lt a n
c s
des dominants
et des, dominés dans la
é
conscience décroissante du maître
sur l'esclave.
On fait
faire
des massacres pour l~gitimer la nécessité ~~ l'inter-
vention sur le
terrain du mass~c~e. Tout le négatif de
l'histoire des sous-hommes
se rapporte à
l'enra~inement
originaire qui fait
déraper l'entreprise de
civilisation dans
la nécessité de
sa récohduction.
(1) Horkheimer -
u
Ra Ls on
et conservation de
soi"
In Ecli.Pse
de
la raison
P.
219.
.../ ...

- ~'66--
(
Le mythe
fondateur -d e
l'institution,
c'est la
terreur et
le d~sordre ant~c~dant son appareil.
L'avenir
de l'administration est vieux comme l'anarchie qu'elle
veut
ordonner.
Le parcours de
la raison civilisatrice s'exer-
ce dans
le
sens qui
oblige les hommes à
se
coincer entre
l'ordre et le d~sordre, entre la sécurité et l'expédient
fatal
de
l'opéra barbare.
Mais
le vrai
choix de
soci~t~
ne
s'op~re pas entre la culture et la nature~ La nature
n'est pas un décor mais
l'histoire humaine de
son ins-
cription.
Le probl~me des civilisations,
dans
celui de
la nature d'une
culture,
d~couvre la distribution des
forces
culturelles dans
les
espaces sociaux,
telle qu'elle
doit
justifier la tendance du pouvoir à
calculer pour
broyer,
broyer pour assimiler,
assimiler pour se repro-
duire
•••
Ainsi
se défile dans
son dédoublement,
l'engrenage
de
l'absurde du pouvoir.
Absurde qui produit du sens.
HIAGES ET UTOPIE
"L'idéologie produit l'apparence de
l'ordre
"vrai"
et
juste de
l'existenc~
l'utop~e au cont~aire en est le
le rêve lt •
(1)
-
L'utopie
se désigne mai,s ne
se-représente
pas dans
la théorie critique alors que l'expression de
l'idéologie
établit entre
son énonciation et
snn effectua-
tion une nécessit~qui motive unb cause tout en mobilisant
l'énergie de
l'action.
L'évolution du sens
idéolpgique porte
(1) Horkh.
Les débuts de
la philosophie bouq-~eoise de
l'histoire
-
P.
10
.../ ...

(
une puissance d'auto-production qui
cache
Ses pr~suppo-
s~s. Mais le non dit de son discours ne saurait s'ima-
ger dans
la non-repr~sentabilit~ de l'utopie.
Si on cOD-
sid~rel'id~ologie comme un reflet r~flexif de la puis~
sance de
la chose
sur sa pens~e, l'image à même d'i~aginer
la lib~ration de la pens~e de sa sym~trie avec sa
base,
cr~e de l'utopie.
L'imagination rigoureusement
rationnelle du concept de la chose n'est pas vraie.
Pour appr~hender les objets,
la m~diation de l'image
~dulcore tout mat~rialisme dialectique d~s lors que
l'image instaure un rapport
institutionnel des
sujets
à
la mat~rialit~ de leur être là,
qui est donc non r~­
flexif.
L'image ne r~pudie pas l'aberration mais l'aide à
s'accomplir dans une
imagination mat~rielle. Les d~lires
de
l'intelligence chassent et
traqu~nt les images. La
translucidit~ ne s'accomode pas des mobilit~s irr~~~sen­
tatives.
Mais mobiles commes les ... a t t i tudes,
les images
ne
se liquident pas par un trait d'union ou un coup de
fusil.
Tenter de
se
lib~rer des fantaisies de l'image
comme
imaginaires,
c'est
cr~er le pr~c~dent qui ant~-
c~de leur retour au centre des d~termin~tions qui les
excluaient.
L'utopie
est un aspect de
c~tte volont~
de n~gation d~termin~e par la n~gation politique de·
cette n
g a t Lo n , _
é
Adorno et Horkheimer,
en indiquant la n~cessi­
t~ du non r~alisme de l'utopie, rabattent l'Ûtopie dans
la matérialit~ de l'imaginaire qui n'est
jamais totale-
ment
~mancipé de ces bases. D~s lors,
l'utopie,
à d~faut
de pouvoir voguer de
toute la puissance de
ses ailes,
d~ferle sur les domaines dont elle croyait partir •
.../ ...

- 168_
Partir d'un point n'est-ce pas
aussi y
enraciner son
voyage
? Ne
pas pouvoir partir en se détachant de
ses
bases,
c'est ou
bien s'affaler en étalant
l'énergie de
l'envol impossible,
ou bien suspendre
son envol.
Le
désir d'utopie,
à défaut de pouvoir vouloir ce qu'elle
veut
(le
tout autre)
pourrait
se contenter de vouloir
ce qu'elle peut en devenant réalisme utopiste
ou utopie
réaliste.
Ce
comprDmis~ s ' i l était valorisé par Adorno
et Horkheimer,
les
situerait quelque part dans
le
caroussel des
luttes
en cours,
dans
les partis,
les
associations
ou d'autres
groupements de
sensibilité con-
testatrices
;
un peu comme Marcuse a
cru devoir le faire
tout
en maintenant que
"la révolutionnarisation de l ' i n -
dividu ne peut passer que par la transformation de la
société"
(1).
Comme Adorno et Horkheimer,
Marcuse ne
s'est pas
longuement situé dans
la trajectoire des
partis mais
en ce que les aspirations au changement de-
viennent
chez lui une volonté d'agir la pensée,
i l a
goutté aux illusions de
la nouvelle gauchè dont
l'onde
de
choc
trouva le brise-lame de
ses
contradictions en
Mai
68. Refuser ces illusions, m&me quand on continue à
dire que
"le rôle de
l'intellectuel,
c'est de
continuer
à penser ce que le monde moderne rend' plus impensable"
(2),
n'est-ce pas une autre forme
d'introjection de l'interdit
théologique dont Adorno accuse.Marx de nourrir? A
vouloir un changement sans
tâche,
une précipitation de
la
révolution sans avatars bourgeois,
ne
sous-estime-t-~n pas
au nom d'une
liberté souveraine,
une libération relative?
(1)
-
Marcuse -
Philosophie et Révolution -
Médiation P.
154
(2)
-
Marcuse -
La fin de
l'utopie.
.../ ...

Nietzche disait
"on nelvit pas de vérités mais de
croyan-
ces".
La croyance vraie
ou fausse
en une
libération peut
déterminer et déchainer des
forces
de libération. Mais
alors/tout
l~ probl~me consiste à pouvoir croire au chan-
gement,
à
pouvoir vouloir ce qu'on veut. Qui croi t
encore
en la révolution?
Quand i l peut y
croire,
trouve-t-il
raisonnable d'y croire?
L'utopie
en tant qu'elle est un "concept historique
(qui)
qualifie
les projets de
transformation sociale qu'on
1
tient
pour impossible"
(1).
Pour rompre
cette impossibilit~
des
rencontres de
sph~res sociales se présentent dès lors
qu'on abandonne la rigidité des
stratégies pour une pratique
du craquellement par laquelle peut
se surthéoriser la mort
des
corps politiques dans
la métalangue de
leur face
à
face
ludique.
Tout désir d'évolution se loge dans
la bouche
de
la raison gouvernante
tel que le pouvoir ne puisse
gonter à
soi qu'en la blessant, qu'en y
gontant.
Dans
cette
position inconfortable
l'utopie réaliste peut nourrir
le rêve de
glisser et
obstruer la voie de
sa déglutition.
Ainsi le
laconisme peut manufacturer dans
son souterrain
une d'grcssion à son indolence.
Dans
celle -ci s'installe
la vérification du retard nécessaire du non-essentialisé
sur l'essntiel.
Dans
l'obscurité des
pouvoirs,
les l i a i -
sons ne
sont pas
obligatoirement des unifications mais
parfois,
des
échos. des
liaisons déjà liées
et qui ne peu-
vent plus
être
liées parce que déconnectées par l'absence
..
de
sens.
Les dominés
sont plus liés au vide
qui encadre
(1) Marcuse
-
La fin dç--1~utopie
P.
112
... / ...

-170-
leur labeur~qu'au travail lui-même.
Ils
se d~tachent
de
la suite qu'ils
annoncent
et parcourent,
en n'arri-
vant
jamais malgr~ toute leur bonne volont~, à remplir
les moules des mod~les. Les bourses du travail ont
beau donner des
cours d'enseignement
technique et profes-
sionnel pour permettre aux ouvriers d'être de bons pro-
ducteurs,
les
organisatïons des classes
ouvri~res ont
beau chercher à
raffiner sur le productivisme de la classe
dominante,
des r~sistances persistent dans l'organisation
scientifique du travail.
Les primes,
le
taylorisme,
le
travail à
la chaîne
ont beau accroître la productivit~,
i l s
f~condent cependant un malaise et un mauvais
fonctionnement
du syst~me du travail dont
les
entrepre-
neurs
sont
les premiers à
se plaindre.
Par ailleurs i l s
contribuent à
enrichir le
syst~me de la domination. Il
existe une n~cessit~ de translation de la domination qui fait
que
les domin~slne serait-ce que pour conserver leur
statut de dominés;
ont besoin de
changer,
d'~voluer, de
r~sister. Quand i l n'y aura plus de création,
i l n'y aura
plus de
copie.
L'homme
copié sans
contre-partie va vers
la mort de
ce qui le
copie.
Toute pas~ivatiori dans un
domaine,
se
traduit par une activation dynamisante d'un
autre.
L'essence du désir c'est aussi
celle de.l'utopie
le manque
-
~'est pourquoi le désir du nouveau peut
être ajourné,
contrarié,
réprimé mais
jamais détruit.
I l y
a
des
imprévisibles qui adviennent
sans compétence dans
le déplacement des
choses par rapport
à
la progression de
leur légitimation.
Dans ces
circonstances,
ce quiaùtorise-
rait
l'espoir,
ce
serait le déplacement des d~terminations
• • • /
0
• •

- 171-
des
infrastructures et des
superstructures par l'évolution
,
\\~
rationaliste des
conditions de production.
L'espoir r~volutionnafu
subissant
l'acte de
ses coritenus historiques doit d~-déli-
miter son espace en remontant sa cont~mporan~it~ hant~e
en amont
par la défaite du mouvement
ouvrier de
1921,
en aval par la "révolution"
~lectronique, contre le cou-
rant du fascisme. Le problème de la libération comporte un cha-
pit~e interrogeant-la question des espaces de libert~, c'est
~ussi un problème des intensit~s du moi social ailleurs que
dans
les
lieux d'échang~s marchand~ •
Dans
l'utopie de
la société
lib~rée, la vie
ne
se
concentrerait pas dans des espaces
sp~cifiques
de
communicabilit~ comme le bistrot ou le caf~. L'ou-
vrier n'aurait
pas à
attendre d'~tre au bistrot pour se sen-
t i r en lui-même
(cf Marx).
Toute la vie
~tant recr~~~
les lieux de récr~ation promettent d'être plus vastes
et
plus
ouverts
sur l'ordinaire du travail
social lui-
m~me recréé et devenu certainement récréatif.
Puisque
"les lamentations
sur le manque de
liens
ont pour subs-
tance
la constitution d'une
société qui donne
l'illusion
de
la liberté sans
la r~aliser" (1 l,l'utopie donnera
la réalité de
la liberté par la négation des
structures
mat~rielles et mentales,
dans
la solution dissolvante
de
la crise par les moyens du développement d~s con{ra~
dictions qui
la suscitent et
l'avèrent.
(1)
Adorno -
Dia Nég.
p.
222
.../ ...

-172~·
Mais
elle restera un projet
auquel
tout
fait
obstacle
à
commencer par sa réalisation dans des
organisations
et des
institutions.
La voix de l'utopie reste celle
de
l'imaginaire,
mais
"on ne dispose d'aucun modèle
de liberté en dehors de celui d'une
conscience qui
interviendrait aussi bien dans
la constitution totale
de
la société que par l'in~ermédiaire de celui-ci,
dans
la complexion de
l'individu.
Cela n'est pas
entièrement
chimérique,
car énergie pulsionnelle dérivée,
elle
même pulsion,
la conscience est aussi un moment de
ce
en quoi elle
intervient"
(1). Le tour de force de
l'utopie c'est de
faire
découvrir dans
la répétition
du mythe du bonheur,
le
goût de l'errance et le courage
de ne pas avoir honte de
ses paradoxes ou de ses c on t r a d Lc c-
tions.
En cela le philosophe de
llutopie
est un exilé
qui
cherche l'harmonie dans
la dissonance de
la science
et du progrès.
Conscience et volonté de
la possibilité,
l'utopie loue
cette dernière dans
la fantaisie
qui
seule peut
triompher des
clans conceptuels.
En s'oppo-
sant au concept,
l'utopie
se rapproche du concret
conçu comme le non-réalisé en lutte
confre
la fictivité
.
.
du réalisé dont
la légalité
justifie' le
sens des
objets
par leur existence.
C'est une autre logique que veut
l'utopie dans
sa réversion de,la loi fourrée
dans
la
raison.
Toutes
les utopies
sont des
singularités de
l'on-
tologie négative qui
se dévisagent dans l'oblique de
leur
inexpérience.
Elles
se déchiffrent dans
ce qu'elles n'ont
(1)
-
Adorno -
Dia Nég.
P.
207
.. "/ ...

-1 TJ~
pas
encore ~crit. ~ans c6ntext~ donc sans concept,
les
utopies
se,reprennent dans
l'imagin~ire de l'espace
critique.
Mais quand
on passe à
la contradiction
critique,
passe-t-on imm~diatement au-delà du sens
du rapport des contradictions
? Peut-on r~ussir dans
sa volont~ de
changement quand ce qui
change n'est qu'une
modalisation technolbgique de
la domination ? Quand
c'est
l'imagination qui porte
la raison à
son minimum
d'obscurit6,
la lumi~re ne
se fait
que
sur une
logique
de
la mise en sc~ne disqualifi~e par l'abstraction
d~ sa symbolique même. Ce qui serait vraiment nouveau,
c'est à
la fois
le
contenu et
sa modalisation.
Ce par
quoi la lib~ration de l'homme peut conduire dans la
n~gation de ses chaines,
c'est
lad~termination de
l'aperception des
contenus de
la r~alité dont la nou-
veaut~ peut être encore perçue comme ~vidente. Lib~r~s,
les
sujets se rendent pr~sents à
leurs
imaginaires et
à
l'asservissement de leur conscience.
Si "l'art pas
plus que la théorie,
n'est en mesure de
concr~tiser
l'utopie,
même pas d'une mani~re n~gative"
(1),
c'est
que
l'utopie n'est pas une repr~sentation assumable
par une
conscience mutil~e. Elle est ,une v~rlt~
~blouissante, à
l'image du soleil
éblouissant
les es-
clave s compagnons de sombre s
de
la caverne de Platon.
,
A l'image
aussi ~t surtout du Dieu d'Abraham qui à force de
briller devient
invisible.
Appréhender l'utopiB ne
serait
(1)
-
Adorno -
Théorie
esth~ti9..!::!.~ P. 51
... / ...

- 174-
ce que par sa négation,
c'est de
~"'utopisme (1). On
peut donc
se demander si
chez Adorno,
i l ne persiste pas ce
résidu de
l'image qu'il reproche aux théories matéria-
listes.
En effet
si Adorno n'interdit pa~ l'image,
i l
interdit
l'image de l'utopie.
UTOPIE ETUTOPISME
A ce point,
s'inverse le reproche de
théologien
qu'Adorno
inflige à Marx qui s'interdit effectivement
l'image de
l'utopie.
Cette
inversion ne positive pas
le reproche en hommages mais
en fait
une part de l'héri-
tage h~gélien commun à Marx et à l'Ec~le de Francfort. Du
reste
ce reproche peut" se ~apporter au moment de l'in-
troduction à
l'Esthétique
(2)
o~ Hegel parle de l'inter-
diction de l'imitation et de
la représentation che~ les
turcs,
les mahom~tans et les
juifs
ce qui fonde
l'interdit de
la représentation c'est
l'impossibilité
du sujet à animer l'imitation.
L'imitateur ne peut
insufler la vie à
ses sujets.
Pour ce qui nous
concerne,
la question qui pourrait se poser est
celle de
la rela-
tion entre
la non-représentation de
l'utopie
chez Marx
et
la non représentativité de
l'utopie
chez Adorno."
Selon Adorno,
chez Ma r x
l'utopie "serait 'absente
en raison d'un" certain passif moral qui barre la voie
à
sa conception.
Tout
se passe
comme si Marx pbuvait
penser l ' u t o p i e mais ne devait pas,
alors qu'Adorno
doit mais ne peut pas.
Marx est un anti-utopiste qui ne
fonde
pas d'utopie.
Adornq est un utopiste qui ne "construit
P .192
-
Hegel -
Esthétique -
Volume l
P.
39
.../ ...

pas d'utopie.
N'est-ce pas
cependant le m~me blocage
qui
emp~che l'un et l'autre de vj.oler l'interdit
de
la représentation? Ce qui emp~che le pouvoir de
la volonté et
la volonté de
ce pouvoir,
n'est-ce pas
la m~me répression de l'imaginaire? Ce qui fait
que
Marx élabore un matérialisme
sans
images,
n'es~-ce pas
ce qui fait
l'utopie
sans utopisme d'Adorno?
Si l ' i n -
terdit de Marx est religieux,
celui d'Adorno est
gno-
séologique {1)Tout
comme le
sujet
transcendantal kantien
ne peut penser le noum~ne que comme concept limite,
Adorno ne peut penser l'utopie que
comme l'autre de
l ' i c i et maintenant,
~utre dont
le contenu n'est pas
spécifiable.
L'interdit de
la représentation utopique
est déterminé~hez ~dorno par une impuissance logique
qui peut pro~éder de la tradition morale des
sujets.
Les
infirmités logiques ne sont pas
séparables des
infirmi-
tés morales surtout
lorsqu'on est
solidaire d'une cri-
tique de
la logiq~e de la domination qui présente la
morale et
la logique
comme des moments de
cette lo~ique.
L'image est un obstacle certain à l'imagination.
En indiquant
l ' impossibilité de r-e p r-é s erit e r
l'utopie
Adorno met
en question l'aptitude des
sujets
sociaux
.
,
à
accéder à une
imagination véritablement
imaginaire.
L'inéfable est un my~he nourri à l'illusion d~ sub-
jectivisme.
Si l'homme ne peut vraiment_
s'imaginer,
c'est donc que
ses
imaginations sont des pans_ de
Ja
réalité des
illusions d'imagination.
Fermé
sur la réa
l i t é q u ' l l
projette,
l'imaginaire est
enfermé
dans
la réalité.
Lorsqu'elle existe,
la conceptign de
Mais
les deux interdits ne
sont-ils pas .../ ...
solidaires de la mystique
juive ?

- 176~
l'utopie de
la théorie critique est
ia nostalgie
d'un horizon q~-à force d'être le po~nt de réflexion de~
réali tés, "fini t
par
traduire
les' contradictions
des désirs en bute à
ces réali tés
tant et
si bien que
le passé parait
si lointain
•..
que le présent
devient
tout neuf.
Mais
ces espaces restent des pivots de l'es-
pérance forcenée
en un monde
impossible.
Ce qui reste possible,
c'est
la dérive viable
des
sacralités
subjectives dynamisées par le
torrent du
profane.
L'effet
imaginaire est un mythe qui malgré ses
ondées merveilleuses est déjà élu par le déluge qui
prend dans
le
flot,
la raison,
le désir et
la folie.
Aucune
transgression imaginative ne m~ne au-delà ou
en deçà du transgressé,
mais
toujours
en son centre.
Toutes
les aventures
se
terminent par le
":Ll était une
fois ll du conteur.
Leur compte une fois
rendu,
les
naufrages
et les
chavirements de
leur parcours repré-
sentent la II mé t i s ll du divin dont proc~dent toutes les
mimésis.
Hegel a
la chance d'avoir à
sa disposition
un Dieu qui,
dans
son avancé~, int~gre les contradic-
tions du syst~me de la philosophie spéculative. Mais
pour Marx et Adorno qui ne disposent' pas de l ' o u t i l
divin,
l'interdit et
les
contradictions .doivent être
histor:Lcés.
Ainsi" Marx 1iqu~f~e son utopie dans l'espérance
et
la lutte pour la
société comountste.
./ ...

-î77-
~our:Adorno, le sujet r~flexif et critique
doit
enr~gistrer son devoir d'utopie. Cette d~termina­
tion inflexible participe des
enjeux.d~cisifs de la
th~orie critique et de ces combats pour la libert~ et
la
justice.
"Nous avions
conscience que l'on ne peut d~ter­
miner cette
soci~t~ juste à l'avance. On pouvait dire
ce qui
~tait mauvais dans la soci~t~ de l'~poque, mais
on ne pouvait pas dire
ce qui
serait le bien;
on pou-
vait
seulement
travailler à
ce que le mal disparaisse
finalement"
(1).
Le
théoricien critique vit
sa Vle de domin~. La conscience ne lui prescrit ni sui-
cide ni r~volte mais une prise de conscience
s~reine jus-
qu'au tragique.
Cette
~valuation tragique est une gloire
de
la critique qu'aucun divertissement ne doit distraire.
Jean Pierre Vernant définit
la conscience
tragique
comme
solidaire de
11 apparition de
l'homm_e problématique
Seul un espace
tragique permet
l'av~nement d'une con-
,
ception énigmatique de
l'homme.
Le pessimisme des
théo-
riciens de
l'Ecole de Franc~ort, n'est pas cependant
un simple avatar de
la tragédie
grecque.
I l procède
de
la crise de
l'humanisation et des valeurs
ljbérales
amenées par un développement des rapports de production
tel qu'il porte la certitude de
la perrénité des
struc-
tures de la domination.
La révolution étant devenue mor-
(1) Horkh. - Théorie critigue P. 358
.../ ...

telle,
l'espoir r~volutionnaire cherche un tuteur im-
mortel
en l'utopie.
Le pessimisme pratique de
l'Ecole de Francfort
procède de
cette prise de
conscience de
la mortalité
de
l'espoir révolutionnaire dans un monde de
surcroit
transis par le pou~issement de la société bourgeoise
et par la guerre et ses horreurs.
Les angoisses qui
s'alimentaient déjà de
la crudité de la révolution
seront donc
comblées par l'apocalypse du troisième Reich-
Le
chômage,
l'inflation,
la guerre,
la violence,
avec
quoi la théorie critique
cherche à rompre
constitu~nt
les limites existentielles de
l'Ecole de Francfort.
Conscience de
l~chec. de la déception, de la misère morale
J
et sociale,
elle
investit beaucoup dans
la réflexion des
stratégies
comme si c'est
ce qui manquait le plus à
la révolution menée par Rosa Luxembourg.
Par rapport
à
cette révolution,
la théorie
critique surenchérisant sur
la critique et la relecture de l'histoire se présente
comme
l'impératif moral de
la révolution.
Elle ne peut
s'empêcher de vouloir le
changement!
mais en ce que
l'ardeur de
ce vouloir cède à l'exigence qualitative
elle
tombe
sous le coup de l'angoisse.
L'act~ de
changelnent reste une désirab{lité médiatiséepar l ' i n -
térêt
esthétique.
.,
Le défi méthodologique de
la théorie
critique
consisterait peut
être à
rompre
l'auto-mouvement du con-
.../ ...

- '179-

cept
et du concept de la situation par la d~nonciation
du contexte de
son excès de maîtrise de
soi.
La th~orie
critique et le nazisme sont deux r~porises contradic-
toires à
la même
crise historique.
Hitler fut
un triste
héro5positif.
Les
th~oriciens de l'Ecole de Francfort
pourraient être de
tragiques martyrs
observant la dispro-
portion qui
situe les exigences de
la raison dans
la trans-
cendance de
ses applications.
Dans
"ia naissance de
la Tragédie",
Nietzche
contre Schopenhauer,
oposait d~jà la trag~die au pessi-
misme et à
l'optimisme.
Seulement,
la trag~die telle
qu'elle est vécue à
l'Ecole de Francfort n'est pas
cet
acquiessement
à
la vie qui mène à
la
"volupt~ dran~antir".
Certes à
l'Ecole de Francfort,
la trag~die de la si-
tuation en appelle à
l ' a r t ,
mais ce n'est pas pour
autant que la trag~die reste cette unité de l'opposition
transcend~e qui prouve chez Nietzsche que les grecs
n'~taient pas des pessimistes. Nietzsche refait le
trajet de la cr~ation, dans la g~n~alogie ~e la re-pr~­
sentation en l'ouvrant
sur l'autre scène.
Ce qui sauve de
la d é c a d e n c e
dans
la théorie
cri tique,
c '.est plutôt la
détermination à
la créativité contenue da~s l'~pret~ de la
répression du sujet. Hais peut-on dire pour autant avec
Zima que Horkheimer et Adorno
cherchant Ul'~quilibre"
de
la rationalit~ d~cadente, SEl,uve
le
sujet par
"le retour
au principe non-logique,
mim~tiqlle nbn conscient" ? (1)
(1)
Pierre V.
Zima -
1.' ambivalence romanesque . ~~I,~"Kafka,
1
!'Lld,3:;i...l J I-~ SY c 0 m0 r e
'1 9 8 0
-
P.
J 9 1

-180-
CHAPITRE VI
LE CONTENU DE VERrrE DE
L'OEUVRE Dr ART
liCe qui est
consommé dans les marchandises cul-
turelles
c'est leur &tre-pour-autrui,
sans qu'elles
soient
vraiment pour les autres.
En étant à
leur service,
elles
les trompent ll •
ADORNO
-
Th.
Est.
P.
JO

-I8I-
r;STlIETIQU~ FT CTIITIQUE
L'esth~tique n'est pas dins les objets sans la
reconnaissance de
ces objets comme lieux culturels
inven-
tifs
et
cr~atifs ouverts sur les valeurs du beau par op-
position au bien ou au vrai par exemples. Un objet est dit
esth~tique lorsqu'investi d'intensit~s par un sujet indivi-
duel
ou collectif,
un autre sujet social en perçoit l'
in~­
fable
et l'ind~l~bile. L'artiste est un sujet raviveur
qui
lui-~&me sc ravive dans son oeuvre qui s'anime dans
l'intersubjectivit~. C'est pourquoi i l nry a pas d'objet
esth~tique sans rapports mat~riels esth~tiques de cet objet
à un sujet social.
Ces rapports,
selon Adorno sont d'embl~e
critiques,
mais l'inverse de
cette affirmation peut-il ~tre
reconduit avec la m~me assurance et la m&me d~fiance
?
Tout rapport critique est-il un rapport
esth~tique ?
Chronologiquement
ce n'est pas la "Dialectique
Né g a t i.v e "
qui r
p ond à la
't1jihéorie e s t h
t Lq u e " mais l'inver-
é
é
se.
L'objet de
la critique se déplace
de
la r~alit~ qui
nie l'utopie de l ' a r t qu'elle organise ~omme seule issue
critique,
i l devient un objet de l'esthétique,
un objet
esth~tique, qui pren~ l'esthétique elle-même com~e objet
critique.
Quelle est
la modalisation de
cette rencontre
entre la critique politique et
sociale et la cr{~ique es-
th~tique ? La seconde activité poursuit elle la premi~re,
ou rompt-~lle avec ?
.../ ...

-182-
Le pr~suppos~ systématique de notre questionnement
.
1
ne
cherche pas à se
cacher pour mieux syst~matiser. Notre
propos
tente de
comprendre la philosophie politique et es·
thétique d'Adorno,
dans une
th~orie des ensembles qui fas~e
de
l'un un élément de
l'autre et qui à l'occasion pi~ge le
fragment
dans
l'élaboration d'une
structure qui en régule
ses apparitions.
Entrer dans
le
jeu de
ces questions,
c'est
derechef,
chercher à
les assortir de réponses qu'elles com-
mandent dans
l'engrenage de
leur enchevêtrement.
Mais une
exég~se peut-elle se dispenser de cette lecture ?
Mêm~ les th~ories de la faille ne sont pas indemnes
des entreprises de
saturation logicistes des
f~illes par
leur intégration systématisée.
Seule une pratique de
la lec-
ture
comme
travail esthétique peut pr~server les probl~mes
dans
leur effet de non
sens.
Mais
cela commande qu'on fasse
preuve d'une virtuosit~ et d'une sensibilité à Inême de réé-
diter cet
exploit
adornien
:
rendre
compte de
la parataxjS
à
l'oeuvre dans
le po~me d'Hoederling tout en modelant son
intervention sur le po~me lui-même,
de mani~re paratactique.
Ainsi on pourrait refuser en 11~cartant, la1echnique~~ro-:
duction des
effets globaux par le réglage des
seuils de
rupture et prendre parti pour les contradictions du récit
face
à
la tentation d'en rabotter les angles.
De
ce point de vue du refus de déshistorialiser la
douleur historique
en en défaisant
ses noeuds
f~tides, la
place de
l'aporie dans
l'écollomie de
la théorie
critique
n'est ni
structurelle ni non structurelle
elle est aporé-
tique.
Elle survient,
elle surgit dans des
contingences qui
si elles étaient prévisibles,
ajourneraient
ou précipite-
..
raient
son échappée.
C'est pourquoi i l n'existe aucun moyen
... / ...

-I83-,
terme entre les extrèmes de
la critique sociale.
Les
individus
sont
individualisés
et décroisés par le
capital.
A l'horizon de
leur nlonotonie,
la société globale
tentée par le
tout,
aspire à
l'impossible émancipation
de l'individu.
Par ailleurs,
le
fascisme,
résultante chro-
nique des rapports
de productions et de reproductions de la
dominance,
se planifie globalement dans
la rationalité.
La conscience individuelle
émasculée par sa reproduction
et
ses représentations
aliénées ne peut
trouver l'énergie
nécessaire au saut qualificatif qui le
sortirait de ses
réificatirins.Le macabre de
ces d~sciriptions ne renvoient
pas
à une volonté de dénigrement
chez Adorno ou m~me
Horkheimer.
Dans cette atmosphère mortuaire,
i l y
a
la
réalité de
la-mort des_ sujets individuels.
En essayant
d'actuel' la vérité de
la raison,
Adorno
s'est
attaqué à
un objet qui en tant que
tel est un point noir.
D'o~ son
pessimisme qui cherche cependant des points de relativation ..
A la différence de
la raison dont
la chaîne
déductive
fonde
l'unité du
tout
et la déterminité
des places assises
attribuées aux éléments liés dans
.-
l'emphatique de
la clarification,
l'esthétique ne livre
la vérité d-'une philosophie qu'en fic~ionnant le réalisme
de
la raison.
La
"Théorie esthétique"
d'Adorno p e.o-t
~tre
considérée
comme
l'écart non ré.ussi par lequel -le philosophe
entendant prés~rvér la spécificité des domaines philosophi-
ques
et
esthétiques,
parvient
à les fondre
san~ les confondre •
.../ ..."~ ..

-18li-
Ce qui évite la rupture entre la "Dialectique Négative"
et
la "Théorie esthétique",
c'est
le
statut dialectique de la
négation dans
sa tendance à
situer les vérités des
objets
au-delà de
tout rapport vassilique.
En tant que
fragments.
la philosophie d'Adorno et
son esthétique
développent l'opposition de
la forme
et du contenu.
Ce
qui ne
s'articule pas éloquemment dans
"les déserts
glacés de la méditation",
parvient
à
l'énonciation dans
l'évocation (n'est-ce pas aussi une
invocation ?) des
oeuvres d'art.
La réconciliation des deux aspects
de
cette expérience réflexive,
se déjoue dans
sa dé-
construction en plusieurs
contenus
thématiques
sociolo-
gie,
ontologie,
politique d'une part,
musique,
peinture,
littérature,
poésie d'autre part.
Ces
contenus
se ren-
versent
en s'inversant les
uns dans les autres d~s
lors qu'ils
sont
en déphasages idéologiques -
donc his-
toriques.
Dans le passage d'un genre à
l'autre,
les con-
cepts
tentent de banir la différence qui
les
opposent
à leurs
objectifs.
Le
fai t
qu'Adorno passe
sous
silence"
le rapport entre l'oeuvre
et
l ' a r t i s t e peut
se mettre au
compte de
la prise de conscience d'ur divorce nécessai-
rement
enchanté entre l'oé.uvre et
son auteur.
Au Mali 1
un vieil aveugle,
exceptionnel virtuose de
la cora et
grandissisme griot répondant
~u nom de Bazoumana Cissé;
bénéficie de
la légende d'une
autonomisation séquenciel-
le de
son instrument d~s lors que le musicien acc~de à un
certain seuil d'intensité
créatrice.
Dans
ces
sommets
.../ ...

-
185 -
inventifs,
la cora prend son autonomie dans un envol
o~ elle continue à
jouer sans
joueur. Au-delà de cette
anecdote du Vieux Lion,
i l y
~ dans cette repr~sent~
tion,
l'affirmation de
la cr~ation comme infinit~ de pos.si~
·bles et d'impossibles.
La maitrise du mat~riau artistique
s'oppose à
la maitrise
technologique
en ce qu'elle d~bou­
che
sur le moment nécessaire
et réel de
la libération du
matériau
(donc de
la nature).
N'ayant plus
son centre dans
la terre,
en dehors de
lui-même
( 1 ),
1 e
ma t ~-
riau se vit comme
libert~ et exp~rimente cette v~rit~
selon laquelle
"seule est
féconde
la pens~e critique qui
libère la force
e mma g a s Ln e dans
son
propre
o b j o t "
(2).
é
Toute
oeuvre d'art est
cri tique dans
le moment de
ce retour-
nement r~flexif de l'objet sur lui-m~me qui insufl~ par l'ar-
tiste,
autorise la prise
en charge de la beauté par l'ob-
jet du beau.
Dans le même
temps,
le
sujet
cassant
la
d~pendance de l'objet, casse son ext~riorit~ à
cet
objet.
I l pénètre dans l'objet pour en prendre
la forme,
pour
instaurer un dialogue
sans
interprète entre le
sujet et
l'objet,
pour se parler,
se dire
sans médiations,
sans
obstacles et
sans
failles.
Tous les deux,
i l s r~alisent
le rêve paratactique v~cu dans la négation de toute
analytique et de
tbute
synth~tique, dans l'obj~ctivit~ non
oppositionnelle mais
communicationnelle des faits.
A
travers
l'~preuve artistique,
la r~alité peut acquérir
sa réalit~ profond~ment humaine et chanter
(1) Hegel -
La raison. dans l'histoire 1'10-18 pp 75-76 -
(~·a.ma­
tière a
son centre en dehors d!~~ i
l'esprit
a
son, centre en lui -)
t\\; 7$1.,
(2)
Adorno -
Jetudes sur Hegel
... / ...

-186-
POSITION
DU PROBLEfvIE
Marx disai t · :
"L 'humani té~se pose que des
probl~mes qu'elle peut résoudre". Ainsi la solution du
probl~me est inhérente à l'exposé et à
l'explication des
termes du probl~me. Le probl~me déplié,
dépécé et décor-
tiqué,
la solution jaillitp~des roches.
La définition du
probl~me conséquente à
la proposition de Marx en fait un
énoncé dont
la solution est
sous-jacente à
son énonciation
déjà là,
attendant d'être libérée,
se laissant
efflorer
volontiers pour se dégrossir de
sa solution.
Toute
la
difficulté réside
dans la mani~re de saisir les contra-
dictions.
D~s qu'elles sont maîtrisées,
elles
sont
expliquées.
Adorno cependant se pose le probl~me de l'esthé-
tique
sans
arriver à
le résoudre
ou plutôt en le résolvant
par une aporie:
Avec le probl~me de l'oeuvre d'art,
de
l ' a r t
et de
l'esthétique,
"la pensée philosophique atteste
par sa présence,
qu'il lui est
impossible,
quant
à elle
de renoncer aux tentations de résoudre
l'insoluble"
(1).
Des probl~mes se posent mais dont l'irrésolution ne dé-
courage pas l'interrogation.
Ainsi
en~-t-il
. du pro-
bl~me de l'art qu'Ado~no situe sur le ter~ain de la non
évidence? Jankélévitoh pense que
"philosopher,
c'est
se
comporter à
l'égard de
la nature
comme si rien n'al-
l a i t de
soi".
Tr~s exactement,
l'existence de l ' a r t et des
oeuvres d'art ne va pas de
soi; mais relève de
conditions
qui ne
sont pas de
l'ordre de
la sensibilité,
mais de
l'histoire du présent qui
incite au doute
"Il n'est pas cer-
tain que
l ' a r t puisse être
encore possible"
(2).
( 1) Marc Jimene z
-
Adorno,
art 1
idéologie et
théorie de l ' a r t
---'--------'='----'------~---'----'---~~
. P.
19
(2)
Adorno -
Théorie esthétique
P.
19
.../ ...

187-
.\\
Parce que
ce doute
est
inàugural et non terminal,
i l est méthodologique
et non définitif
:
I l est heuris-
tique et non sceptique.
Toutefois
i l n'a rien de formel.
Dans
sa conséquence,
i l élimine comme nulle,
non avenue,
et non à venir
(pessimisme
?)
toutes les
solutions du
probl~me solidaire, des questions du type: A quoi sert
l ' a r t
?
Qu'est~ce que l ' a r t ? Comment élabore-t-on des
oeuvres d'art
?Car les
oeuvres d'art ne
sont pas que
des
objets,
elles
sont aussi des sujets dont nous
sommes
les
objets.
Le probl~me de l ' a r t n'est pas celui du com-
ment de
l'oeuvre d'art,
mais celui de
la légitimation du
comment de
l'oeuvre d'art.
La question kantienne de
la
légitimité qui
structure la critique de
la raison Pure
(comment une
connaissance est possible
?)
est recodée et
interrogée par rapport
à des discriminants historiques •
.~ Aprè s Aus c hw i, t z c ommen t
une
oeuvre d' ar t e s t-elle
enc o r-e
possible
?JQuelles sont
les conditions a
po~tériori
de
la
survivance de l ' a r t ?
Si l ' a r t est
liberté,
libération
(Hègel-Kant),
comment
se
f a i t - i l
que nous
sommes
toujours
aliénés
et
comment
expliquer que le pouvoir l'administre
et
l~ diffuse? Qui donc, que donc lib~re l ' a r t ? Le
pouvoir ou les masses?
Pour Adorno,
les
termes du problème
ne sont pas
théoriques,
mais pratiques.
Aussi préfère-t-iY conserver la
problématicité de
la question plutôt que de
l'escamoter
par l'entremise d'un "deux ex machi.ma"
qui. re co n c ilierai t
idéellement les antagonismes.
. ." ./ ...

-188-
Adorno résiste
aux solutions idéalistes
(hegeliennes,
kantiennes)
ou réalistes
socialistes
(marxiennes,
mar-
xistes)
parce que non rigoureusement dialectiques.
S~ul contre tous, il s'engage sur la voie d'~ne esthé-
tique négative.
L'oeuvre d'art n'est pas monstration.
Elle
n'est pas non plus négation de
la démonstration.
Elle
réfère
à la démangeaison qu'elle
écrit dans
le cercle
viscieux de
la production désirante
jamais assouvie.
La scission de
la production se finalise
par l'angoisse
et la menace du héros
qui
impressionne son bourreau en mena-
çant de
se suicider.
Car l'oeuvre d'art
est
incendiaire
dans la mesure
o~ elle s'enfume et erifume sans que
la fumée
quien fuse
soit nécessairement désagréable.
L'artiste ~eut se prêter à la comparaison fantaisiste
et non artistique,
de
la cnnscience du fumeur attentif
au plaisir immanent à
la fumée qui
l'envofite.
Son
plaisir: ,
destruction de la destruction organisée
du corps et du corps. social,
se vit
comme pouvoir de
soi sur son propre corps,
sur sa propre mort.
L'oeuvre
d'art n'est pas réductible à un narcissisme
intros~ctif.
Par son objectivation
(destruction de
la. subjectivité))
elle arrache la subjectivité à la rationalité "en
marche dans
l'universalisation.
.../ ..
".,

LES FORCES PRODUCTRICES ESTHETIQUES
"La force productrice esthétique est
la même que
celle du travail utile
et poursuit
en soi les mêmes fins.
Ce
qu'on est en droit d'appeler le rapport de production
esthétique,
tout
ce en quoi la force
productrice se
trou-
ve incluse et sur quoi elle s'exerce,
sont des
sédiments
ou des empreintes de la force
sociale"
(1). Certes
l ' a r t ne progresse pas
(à supposer que cela ait du sens) dans
l'exacte mesure des rapports
sociaux de production.
Mais les rapports de l ' a r t et du monde
social se redou-
blent de procédés
techniques disponibles à
une
époque donnée
Les
forces productrices
sociales sont aussi des
forces
productives esthétiques sans que pour autant l'esthétique
s'épingle 'au syst~me économique. L'acroissement des
forces
productives majore
et
soutient
les possibilités
de production du beau autant que
ces
conditions
sont
multipliées.
L'art n'est pas
création ex nihilo
mais
"manipulation" d'un matériau qui est un produit
social.
L'oeuvre d'art
s'articule sous le mode de la vica-
riance polyvalente sur les
éléments discursifs qu'une
reproduction progressive et systématique acdumule
sous
.
.
formes
de
traces le long de
ses formations.
L'éthique ra-
tionaliste de
la technique en dissout
les
capacités esthé-
tiques mais non les 'virtualités à, esthétiser.
La -technique
peut
(elle ne
fait
pas
tout
ce qu'elle peut)
non seulement
commettre et même produire du beau par acc~dent,mais aussi
fournir des matériaux à une
sensibilité esthétique.
I l n'y
rien dans l ' a r t qui ne
soit matériel
sans' être prél~vement des
fragments de l ' a r t ,
de la technique,
de
la natur~ de' l'homme
(1)
Adorno -
T.
E.
P~ 15
... / ...

-190-
dans
la société. Mais
Ce
qui
s'objective dans
l'oeuvre
d'art,
C'p.st
ce à
quoi la société ne parvient pas.
Hegel présentait déjà l ' a r t i s t e comme
la média-
tion de l ' a r t et de
la réalité.
Mais
l'universel de
la
réalité le marquait du saut
spirituel de
l'absolu.
En
l'exprimant dans
l'universalité des
forces
productives,
Adorno fait
de
l'universel hegelien ce par quoi et
contre
quoi,
l ' a r t i s t e n'est ni un démiurge créateur de monde,
ni
un simple avorton de
la réalité sociale.
I l
crée mais
n'invente pas
ce par quoi
i l
crée et est
créé ~.les forces
productives
sociales et
esthétiques.
L'artiste ne colla-
bore pas nécessairement· et uniquement à
l'av~nement de
l'Espritjmais
i l en masque nécessairement positivement
ou négativement
le proc~s. L'art n'est pas nécessairement
"le mode le plus haut de
saisir l'esprit"
(1).
Entre l'esprit et
l ' a r t i s t e ,
i l 11'Y a
pas d'adéquation
parfaite. cAdorna ne décerne pas
à
l ' a r t
le brevet de
réconciliation pas plus qu'il ne
l'accorde à
la philoso-
phie
ou à
la réligion.
I l
se démarque des négations
abstraites de
l'idéalisme.
Qui commence en idéaliste fintra nécessairiment
en
idéaliste ' l
(2). Aussi Kant médiatisant la dichotomie de
la sensibilité et de
l'entendement,
du dé~ir et de la
connaissance,
de
la raison théorique et de
la raison pra-
tique,
de
la nature
et de
la liberté,
privilégie le
juge-
ment
,réduisant ainsi
son éthique et
son esthétique à
sa
métaphysique.
Le
jugement devient
esthétique du fait
de
(1) Hegel - Esthétique - T. 1.
P.
55
(2)
E.
Gilson -
te réalisme méthodi.9.Q..e P. L~ -; éd. P. T'é.q u i,
.../ ...

-191-
son application à
l ' a r t .
I l
s'implique le plaisir qui
provient de
la prise de
conscience de l ' es sentiali té for--
melle
et de
l'évacuation de
la mat6r{alité et de la
îinalité de l'objet.
La perception esthétique est ima-
gination sensible et
créative.
Structure de beauté et de
libert6,
"finalité sans
fin,
légalité sans loi",
l'ordre
de l'es thétique ne peut que magni:fier la c onf o r-mL té
aux
lois qLuelles-mêmes portent
la liberté dans
leur forme.
Ainsi la théorie kantienne de l ' a r t par essence non
réaliste parce que
caricature de
la réalité,
libère
le
sujet de
la matière
contraignante.
N'est-ce pas là
faire
du connaitre la condition de l ' ê t r e ? D'une telle
méthode que peut-on esp~rer~inon la réédition de la
méthode
?
"Dès que l'on établit une barrière,
on la fran-
chit par là même et
on l'intègre à
ce contre quoi elle
est dressée"
(1).
Kant ne réconcilie
la connaissance
et
son objet qu'en faisant
des
conditions de
la connais-
sance,
les
conditions d'existence de
son objet.
I l pense
l ' ê t r e en termes de pensées de
l ' ê t r e .
I l se
croit
obligé d'opposer l'objet et
le
sujet avant de
se donner
le droit de
les unir.
I l construit un,pont
sur la terre-
ferme
mais
"le dernier pas de l ' a l l e r est
aussi
le pre-
mier pas du retour"
(2).
Cette démarche que
le·réalisme
de Gilson reproche
à
la scholastique. s'applique à
la
critique du kantisme par Hegel,
puis à
la critique de
Hégel par Adorno.
(1)
Adorno -
Th.
Est.
P.
15
(2)
-
Gilson -
P.
63 Op cit
.../ ...

-192-
Tout
se passe
comme
si dans
la trajectoire d'une
philosophie
id~aliste, i l y a une pente naturelle au
r~ductionisme. L'idéalisme alimente une mauvaise conscien-
ce qu'il fortifie
par l'injection formelle
de
son ~pist~mo­
logie dans
son ontologie
sans pour autant
s'embarrasser de
leur surdétermination historique.
C'est
~ une rupture du
cercle viscieux 'etn~rcisique de la pensée qui se
trouve
dans
sa pensée
par
son acte de penser intuitif et unitaire
qu'Adorno nous
incite pour que
l'écriture ne
soit plus l ' e f -
fet
de
son propre r~inscrit. La "Th~orie esthétique" est
donc une prdspectiwen vue de retrouver dans
la pens~e et
p a r l a pensée quelque
chose d'autre
qu'elle :-même
Cette
chose ne
sera pas
cependant
la chose
ou l'Autre.
Elle sera
le non-pens~
non théologique,
non métaphysique
et non psychana-
lytique de la vie dont
la philosophie ~ d~faut de pouvoir rendre
compte
conceptuellement,
en suit
les
traces dans
les oeuvres
d'art démar~quées de l ' a r t .
Dans l'investigation analytique des
intertices des
systématiques intégrant
l ' a r t à
la sociét~, l'esth~tique
négative aboutit à une excroissance des rapports art-société,
par la description des voluptes
énerg~tiques entre le pouvoir
et
l'oeuvre d'art.
Prisonnier de
lui-m~me et du monde,
l ' a r t i s t e s'invente
comme r~seau objectif de précipit~s
culturels et
techniques qui lui balisen~ une certaine frange
de
cr~ativit~. "La çréation j a i l l i t davantage de l'accumula-
tion des contraintes que de
leur, absence"
(1).
L~oeuvre d'art
n'est pour ainsi dire
jamais qu'une exigence dramatique agen-
(1)
-
O.
R.
d'Allones -"la c r-é a t Lo n
artis.tique
et les Rromesses
de la liberté".
Tn E"sthétique' et
marxisme
10/18
P.
1 J.
... / ...

c~e par les antagonismes,
les
conflits et
les
complexes
non assum~s par la réalit~. Si ceux-ci sont des moteurs
de
l'activit~ esthétique,
ils n'en sont pas
les motifs.
I l y
a
création artistique non pas partout
o~ i l y a des
contradictions non r~solues, niais partout
o~ les déter-
minations ~conomiques, sociologiques,
psychologiques
d~terrninent un inel~termin~ ind~terminable. Aussi "le con-
traire de la cr~ation n'est pas le d~terminisme
c'est
la cr~ation qui est le d~terminisme du contraire,
le
point
o~ le déterminisme se met à fdnctionner à
contra-
rio"
(1). A cet ~gard, l'oeuvre d'art renvoie à un autre
ordre de raison puisque la cr~ation artistique n'est
pas l'évidence rationelle de
son proc~s, mais l'étrange
inqui~tude de son &tre au monele qui pour &tre conditionn~~
n'en d~fie pas moins son condhionnement.
Ce n'est pas tant une
"T
g a Ldt
sans loi"
qu'une
.i L'Lé g a Lri e at Lo n
Lé ga I.e
de la loi.
é
é
Les
oeuvres d'art ne
sont pas des
créations au sens
illumi-
naire du terme.
Ni
inconsciente~ni pures organismes,
elles
ne
sont pas non plus de pures machines produites par une
ind~fectible technicit~. Elles supportent et se rapportent
à
la contrainte de leur libre
~laboration du mat~riaupro­
pos~ par l'histoire sociale.
"Le mat~ria'J n'est pas un matériau.naturel,
m&me
s ' i l apparait ainsi aux artiste&.
I l est
au contraire
tota-
lement historique"
(2). Le dynamisme de l'histoirA de la
nature date les
oeuvres d'art.
On ne
cr~e pas avec les m&mes
objets,
les m&mes méthodes,
n'importe
o~ et n'importe quand.
Les relations
entre
l'oeuvre d'art et l ' a r t i s t e ,
le sujet
et son espace rejoignec11:l.t- s.o n
espacement d ari s
le
temps
(1) O. R. dl Allod'es . - La créa tion artistigue et les promess(~s
de
la liberté.
Klincksierk,
P.
268.
(2) Adorno - Th. Est~
P.
299
.../ ...

-194-·
Les
oeuvres ne sont pas
seulement
transformables,
elles
sont aussi des moments de
transformation du donné maté-
riel qui
tend à
lui indiquer ses
formes.
Le matériau
ne fait
pas que
subir les entailles de l ' a r t i s t e ,
i l en
régule les profondeurs,
les angles,
et partant la théma-
tique et
la rhétorique A cet
égard la notion de
forces
productives esthétiques
gagne
en concrétude
en
se préci-
sant
comme ce
sur quoi,
les détournements et les subver-
sions de sens
op~rent comme détournement du sens primi-
t i f des
objets.
Mais l'oeuvre d'art
authentique ne produit de
sens que par excès.
L'artiste peut
éviter le cercle vis-
cieux du codage
et du décodage
en rompant
avec l'inscrip-
tion de
sa description.
I l n'y a
pas d'écriture artistique
(donc pas non plus d'écriture
cinématographique -
dirons-
nous
cOIltre Christian Metz)
mais une
esthétisaticn alli-
térale des contenus
intuitifs
ou conceptuels de la cons-
cience sociale,
entre les
intentions
subjectives des
artistes
et la cohérence
corrective des
critiques.
Le vrai
ne peut être que discordant.
S ' i l se double d'une
idéolo-
gie,
celle-ci est nécessairement non vra~e. Le vrai ne peut
garantir sa cohérence que par sa fausseté
idéologique.
Aussi l ' a r t ,
le plus véridique reste encore affirma~if
de
sa volonté de ne pas être confondu av~c son contraire.
La tension entre
son statut affirmatif et
la négation de
la réalité par son caractère
ill11soire,
ne produit pas
une négation du sens mais
une problématisation du sens, Con-
tre la violence du concept,
l'esthétique adornienne atteste
une misère de
la pensée dans son incapacité à
assumer la
négation négative
l'utopie.
"Si l'idéologie est
la cons-
cience socialement fausse,
la simple logique veut que
tou-
te conscience ne
soit pas
idéologique"
(1): Or la théorie
esthétique de Marx procède d'une
"critique culturelle au
(1) - Adorno - T •
E.
P.
JJJ
~---
.../ ...

-
195-
,
.
rabais ll
qui
croit
en un mécanisme automatique du pro-
grès et de
la dégénerescence des
formes
esthétiques
anciennes.
Les
grecs ne
sont pas des
enfants qui pren-
nent avec
insolence
l ' a i r de
grandes personnes,
mais
de
grandes personnes qui
savent redevenir enfants.
La
sensibilité esthétique a
une histoire sociale qui
reproduit en la trahissant l'antagonisme
séculaire de
l ' a r t et de
la société.
Aucun artiste ne peut
être le miroir de
la
révolution sans
en être le paravant
idéologique. Le
créateur ne reflète une réalité sans en même
temps
dépiéger celle-ci.
Qui qu'il
soit,
d'o~ qu'il parle,
i l
ne peut
comprendre
les
tâches historiques véritables
en même
temps que
les
écarts historiques
ct non horizon-
taux ni verticaux sans
en être débordé.
L'artiste ne
se
met à l'oeuvre que par une nécessité de
se libérer de
tout
ce
flot
qui l'étouffe,
l'en3erre,
l'encombre.
I l
crée en se dé_siégeant,
en dépiégeant
la trappe des
conditionnements sociaux.
L'oeuvre d'art
est un démenti
ou n' est pas.
C' est .un cri plu s
for t
et· plu s
pel' ç an t
que le fracas
et
le
tonnerre de
tous
les applaudissements
complaisants du peuple à son bourrea~, plus perçant que
les
cris de
tous
ces e n fari t s
arrachés à leur enfance.
Ombres
et lumi~res ne se rencBntrant que pour-détonner.,
pour introduire une
fausse note,
une dissonnance mais
.'
aussi pour faire
exploser symboliquement
ce monde de
l'adhérence étincellarite et
glissante.
L'artiste ne
brosse pas
seulement des
tableaux de
la situation,
en
.' ..
même
temps,
i l
tente de
s'arracher à
cettp situation
contradictoi:ce.
I l
témoigne de
la non existence réelle
du bonheur en transformant le nécessaire
en un possible
et en rêvant de
l'impossible,
l'inextringuible
toujours
... / ...

-I96~
là.
Ce
témoignage est
contràdictoire puisqu'il ne
survit
que par la bienveillance de
ce contre quoi,
et par quoi.
i l
témoigne.
Le
trajet de l ' a r t i s t e est une
suite de ren-
contres douloureuses qui cependant
sont dérisoires.
Le
scandale de
la banalité du mal transgresse
et
traverse
toutes les oeuvres d'art,
car l'oeuvre d'art
comme un
f
amour fou,
ne peut pas
se passer des fracturations que
lui valent la prise de conscience. Elle ne vit qu'en se
consumant dans
la souffrance heureuse de
son amour.
I l
ne
s'accomplit que par sa mort.
Exempté&du service
militaire, e11e aime la guerre dont eJJe stigmatise l'odieux .•
I l y
a
chez elle une désinvolture de I l inquiétude qui
fait
que son action résoud provisoirement
ses
inquiétudes,
ses réflexions.
Mais l'oeuvre d'a~t ne se suffit pas~
elle-m~me. Elle suscite d'autres réflexions. Elle se
laisse posséder en espérant posséder ses possesseurs.
Mais qui possède le monde
7 Les hommes d'idées
ou les
hommes de biens
7
En vivant plusieurs exi~tences, l'artiste
n'accomplit pas une mission.
Dans
ses vies différentielles,
la précarité de
son statut
bourgeois,ne
lui permet pas
d'accrocher son expérience sur son front
ou son dos
(1).
I l est
son expérience vécue
sous le mode: de
l~éparpillement
et du décentrage.
Le moment
o~ l'expérience de l'artiste
advient au sens,
n'est pas constitutif mais
catastrophique •.
Tout
le probl~me de l'artiste acquis à
la théorie critique
c'est de réussir.son nauf'(tl~i2.....: qui évi tera peut-être celui
du monde.
La fragiJ.ité de
son écriture,
peut dire telle
de
toute
construction de monde.
L'art
fait
toucher le
( 1)
Con f L ou s
"L 1 expérience est une
Lan t e r n e
que
l'on p o r te,
accrochée dans
le dos
et qui n'éclaire que
le
chemin parcouru".

• • /

0


"~I97-
,
myst~re par des moyens non myst~rieux, par des moyens
techniques.
Mais dans l ' a r t ,
n'y a - t - i l pas une
incons-
cience du charme qui
fragmente
le destin et entoure ses
fragments
d'ombres? L'artiste n'est-ce pas le retourne-
ment .de la conscience vers l'intuition,
le retournement du
sujet vers
le~ autres et contre iui-même ? L'art imbrique
les
fatalit~s, fatalit~s qui ne sont pas faites pour se
rencontrer.
Son sens,
c'est
la d~couverte d'un"monde in-
fernal
o~ les gens vivent, par des op~rations de la fabu-
lation.
Contes de
f~es urbains,
les
oeuvres d'art
ont
quelque
chose du narcissisme
foncier de
celui qui se
contemple dans une
glace qui brOIe et d~cime les êtres.
S es blessures,
l ' a r t i s t e
les projette sur le monde par la
s~duction du mal,
le vol et le viol des
images.
D~s lors
l'oeuvre d'art n'est-elle pas
le
corrollaire d'une
soci~t~ du
spectacle qui. tue
l'imaginaire par l ' .i.m age ,
as",ciTne
la
c onunun Lc a t i.o n
et p r
d Ls p o s o à
la r
c e p tLori ?
é
é
Dans
sa fiction qu'il d~clare fiction,
illusion,
l ' a r t i s t e est
obs~d~ prir la violence,
par la mise à nue
de
cette
fiction dont
i l veut violer le
secret en tripo-
tant
ses
sous-vêtements.
I l n'~claire la ~éalit~ que par
des
agencements qui
figurent
des p a r a b o Le e " dont
la signi-
fication renvoie par sa fausset~ à la v~rit~ des choses.
I l
persiste un mal m~taphysique de la cr~ativit~ qui par sa
spiritualit~ corrobore un besoin,
un manque qui "est peut-
être bien un besoin du manque.
L'artiste n'est-ce pas
celui
qui à
l ' o pp o s
Je.
é
la naïveté des
simples,
esp~re au-delà
du cynisme de
la rationalité,
un peu plus d'opacité,
d'obscurit~, de mystification? Sa culture du charme et du
codage n'en fai t-t-elle pas un obstacle
-
divers'io~
d'intellectuels?
·0
• • /
• • •

\\
·-I9&-
STRUCTURE ET RUPTURE
L'artiste n'est pas un prophète.
Son rôle ne
consiste certainement pas à
dirieer son peuple ou à
lui désigner les lieux de
son bonheur ou de sa misère) t
ma~s à féconder,à développer dans sa conscience ou dans
ses intuitions les contradictions dans le sens d'un dé-
senchantement de la bêtise sociale.
L'art s'inscrit
danS cet écart entre l'enchantement et
le désenchantement.
Même
quand i l invite à
l'extase,
l ' a r t i s t e se raccorde
à une non évidence de la jovialité tant et si bien qu'un
trait
sépare toujours l ' a r t i s t e de la réalité sociale.
Aussi contre Freud ,iI faut
se désolidariser de la perti-
nence de
toute psychanalyse des
oeuvres d'art.
Dans l'oeu-
vre d'art,
l ' a r t i s t e suspend la réalité tout en s'y
suspendant.
Cela Freud l ' a reconnu.
Mais ce suspendu ne
se manifeste pas comme contenu latent
i l est replié
dans le sujet
et
i l est
tout aussi bien dans le monde
à
être,
monde à
la fois
rêvé et vécu,
à
la fois connu
et méconnu.
S'il adhère à
l'oppression,
l ' a r t i s t e ne peut
la conduire.
I l est
condamné à
s'en distancier pour
pouvoir l'objectiver.
Dans cette distance,
s'inscrit
l'engagement artistique.
La pratique artistique ne se valide comme
miroir que dans
son rapport aux ambiguités idéologiques
des insuffisances de
son engagement
insurectionnel ou
réactionnaire.
En effet,
la spécificité qu'elle revendique
ne peut
imposer le silence à
la collusion des
tensions
en quoi i l consiste. Ces tensioris n'éclairent pas
toujours
les noeuds
existentiels auxq~els i l taut se' cramponner pour
ne pas
sombrer dafis le défaitisme,
elles dénoncent les men-
songes de la société marchande par une ridiculisation des
slogans péremptoires qui servent de commentaires à
tout
ordre répressif.
.../ ...

-I99:'"
"Condui t e
déviante,· la création di s simule
sa propre
déviance
sous des discours qui cherchent à
occulter son
originalité irréductible et pour ainsi dire
trop
éblouissante pour être regardée ~n face"
(1). L'artiste
bute,
louche
et biaise,
à
la fois vis-à-vis du pouvoir
-.
et de lui-même. Mais
s ' i l n'est ni une
conscience
résolument populaire,
ni une
conscience sage et
offi-
-cielle,
quelles
formes prend alors
sa conscience?
L'artiste se
consacre-t-il seulement à
ce que lui seul
peut
obtenir ? Obtient-il ce à quoi
i l se
consacre
?
L'artiste ne
se délecte-t-il pas à
l'avance du regard de
son regard et de
l'attention qu'il va imposer aux hommes?
La seule chose qu'il
obtient n'est-ce pas précisément
la constance de
la maitrisequ'il exerce sur les regards des
autres
?
Certes l'oeuvre d'art est rêve,
illusion,
mais elle
déborde l~ psychisme. Le travail du rêve quelque
sublima-
t~ur qu'il puisse être ne peut rendre compte des velléités'
de
transgressions de l'oeuvre d'art.
Si l'oeuvre d'art
était un simple rêve,
elle ne
servirait qu'à alléger mo-
ralement
les misères existentielles
(ce ~~i n'est pas sous-
\\\\
estimable)
mais
elle trahirait
cette vérité qui fait
qu'il
n'y a
pas d'art qui ne
contienne en soi,
nié
comme moment
ce dont
i l se détuurne"
(2).
L'oeuvre d'art
à la diffé-
rence du rêve nie
ses sublimations,
recuse
ses fascina-
tions,
d~truit ses rêves. Une vie sans frustra~ion ni
castration n~ serait pas certainement une vie
sans
oeuvre
d'art.
Le besoin du beau n'est pas
tant un complément
qu'un supplément non nécessaire.
La zone inconscient
est chez Freud une zone de
formations
de méta~orph6ses. Mais parce que le contenu la-
tent est une
sédimentation des
éléments enfouis,
i l doit
être
comme une nature qui élabore
son contenu tout en s'en lais-
(1)
O.
H.
D'Allones -
In "Esthétique et Marxisme"
-
10/18
1974
- P.
12
(2 )
ADonNa - Théorie Esthét.igue
• • • /
a
_


sant
inform~. Le contenu de v~rit~ n'est jamais tota-
lement
~l~bor~
ce n'est pas un r~sidu du d~sir atten-
dant une
occasion propice à son expression mais une expres-
sion sociale et historique des contraintes historiques.
Le d~sir est histoire.
I l a
une',histoire dont
i l est l ' i n -
~ériorisation ~nconsciente et ~nerg~tique. Il n'est sur-
gissement
imm~diat que parce qu'il est int~riOri~ation
apprise de
sa propre r~pression. Le désir freudien
succombe à l'histoire de
sa r~pression au point de n'en-
visager que
sa répression comme histoire.
C'est
ce que
Marcuse a
su établir dans
l'Eros et Civilisation"
sans
pour autant aligner Freud sur la logique de
la domination.
Pour lib~rer l'avenir du sujet,
~larcuse dissocie
la répression de
la sur-répr~ssion. La répression
s'oppose à la sur-répression comme ie nécessaire au super-
flu.
A l'origine de
toute
civilisation,
i l y
a une frus-
tration nécessaire.
Quand cette nécessité en vient à
être
additionn~llement majorée dans l'introjection de la ré-
pression par le relais des valeurs
conservatrices,
elle
modifie l'instinct de vie.
C'est dire que la civilisation
marque l'origine de
la répression,
mais
l~ sur-répression
signale l'origine de
la civilisation abusivement r~pressive.
Dans les
civilisations industrielles avancées,
la phylo-
gen~se tend à déterminer l'ontogen~se et façonne à l'homme
une
identité à l'i~age de l'abitraction-(de la monnaie par
exemple).
Le passé définissant alors le présen~, l'homme
pour se lib~rer devrait actualiser dans l'utopie les vérités
fondamentales
du freudisme:
Freud "a bien vu les relations
entre l ' a r t et l'énergie libidinale.
L'art brise l~réifi­
cation et
la pétrification sociales.
I l crée une dimension

-201;.. -
inaccessible,
à
toute autre
expérience.
Une dimension
dans laquelle les êtres humains,
la nature et les
choses ne
se
tiennent plus
sous la loi du principe de
la réalitci
établie.
I l
ouvre à
l'histoire un.
autre horizon"
( 1 ) •
Si l'histoire de l'homme
commence avec celle
du désir,
elle ne
s'ach~ve pas avec celle de sa répression.
Marcuse met
en exergue le
statut dénégatif du désir et-
tente de
le maintenir.
Aussi l'oeuvre d'art ne peut pas
être une
simple forme
du rêve mais aussi une
forme
du
refus de
cette société
o~ le rêve est permis alors que
sa réalisation est interdite
(cf O.
R.
d'Allonnes).
-~
L'ENIGMATIQUE ET SA FORME
Ce. refus ne
se matérialise pas dans une
langue
ou une couleur,
car l'oeuvre d'art n'est pas l'objet de
l ' a r t de
la même mani~re quJon a pu dire que l'écriture
est l'objet de l'écriture
chez certain~ auteu~s. L'art
est aussi un art du refus,
une dissimulation du refus,
un
refus de
la bravade révoltée
ou révolutionnaire!
Mieux,
elle
est une
stratégie de l'énonciation des
contradictions
de
classes,
par le mesurage des
lieux et des
te~ps affret-
tés par l'industrie culturelle.
L'art ne
s'èxprime pas
sans
allusion à la f o r-c e c.rna i s
ces allusions deviennent
illusoires
d~s lors qu'on y retrouve une superficialité et une.profon-
deur.
L'oeuvre d'art n'a pas de profondeur.
Elle est surface
cachant d'autres
sùrfaces.
Elle ne
cache rien mais ce qu'el-
le présente a pp a r a ît;
touj ours
comme apparence s an s qu'on par-.
vienne à découvrir la réalité de cette apparence. Réalité
,\\
//
(1)
-
Marcuse -
In Lettres -
Arts 22/2/1974.
.../ ., .

-202-
des
apparences et apparence des r~alit~s, l'oeuvre
d'art dans son combat
contre
la v~rit~ et ses masques
chemine
avec
cette pens~e non fausse
"Quelque soit
le point de vue philosophique auquel on se place,
on
~
reconnaltra que la fausset~ du monde dans lequel nous
croyons vivre est
la chose la plus
~ertaine et
la plus
ferme
que saisisse notre rega~d" (1). En se d~diant
comme illusion,
l ' a r t dorine une forme
à
la forme
poli-
tique du monde,
forme
qui ne
s'octroie qu'en brisant les
formes
~tablies de la v~rit~, reproduite à pr~sent cowne
voiles,
comme masques,
Dans l ' a r t ,
le r~el d6cap~, peut
rougir de
sa nudit~, mais
ce
faisant,
i l
trouve le
moyen d'en rire.
En effet qui prendrait au s6rieux une
pratique qu~ se réclame du jeu ?
Le
travail artistique porte la promesse d'UIl
travail
inventif,
cr~atif et libér~. En cela l'artiste
n'attend pas le giand soir de
la r~volution pour se
d~sali~ner dans son rapport imm~diat au travail. L'il-
lusion de la r~alit~ du bonheur qui circule dans le tra-
veptissement de
sa subjectivit~ en objectivitci indique
que le bonheur n'est pas
toujours
fid~li à ses rendez-
vous.
Tant que
la mise à
mort
symbol~que de la dictature
suppose une preuve de
la r~ligion, tant que la libert~
à l'oeuvre dans l'oeuvre d' a r.t se rapporte en' soi et
pour autrui à une divine grâce,
l'oeuvre d'art ne se
r~concilie avec les opprim~s qu'en associant ~ous les
types de
spectateurs à
la cascade des figures
impos~es
dans le corps de
sa mat~rialité.
.",
(1)
Nietzsche -
Par delà le bien et
le mal -
Ed.
Aubier
Montaigne
1951
p
.... / ...

...20:3"_
A la limite du monde réel et du monde à réa-
liser,
l'institution de' l'amour
(de l ' a r t ,
de la femme
••• )
fait
écho à une complainte qui pose là question obliga-
toire d~ décor de la libe~té. Cette question peut se
sonder dans la nostalgie,
mais en ce qu'elle fait dans~r
la folie,
elle est un monstre dévorant,
mangeant de
l'homme.
I l y
a un éChauffement et un tassement des stra-
tifications dans l'illusion de la communion artistique
qui porte témoignage de la recherche d'un autre homme
à partir de la condition humaine de la soumission. Des
instincts.de la mort sont à
l'oeuvre dans
toutes les oeu-
vresd'art.
Toutefois la mise à mort de la rationalité
technologique qu'on peut y
lire ne procède pas de la
violence de la domination s~non de la douceur du dépécage.
Mais pour être douce n'en-est-elle pas plus cruelle?
La logique du travail artistique ne ferme
aucun terrain d'expérimenta tiona, ni d'erreurs. Dans c e t t e
possibilité de foncer avec ces leurres et ses fantasmes)
on peut à
tout moment ajouter ou retrancher des grains
de beauté à
son oeuvre~ Cette fantaisie rappelle aux
hommes le souvenir des
temps où ils faisai~nt leur histoire
tout en leur suggérant de décrocher leurs parolesd~.
langage des institutions pour exprimer et revendiquer
leur devoir et leur pouvoir de changer le~r vie •. Ce pou-
voir n'est pasassign.able ni déléguable • Interminable,
i l se poursuit dans l'infini. Aucune oeuvre ne s'achève
à
son bout.
Toutes s'arrêtent faüte de continuateurs. Ainsi
en fut-il de la "Théorie Esthétiquel'd'Adorno-.
-c,
.../ ...

-204- .
)<
Si on considère la "Théorie esthétique"
comme
historiquement interminée
(ce qui n'est pas une
hYPo1h~se mais un fait), on doit la considérer comme
théoriquement interminable. Adorno aurait encore vécu
2 ans,
5 ans,
10 ans
!Jil ne l'aurait
certainement pas
conduit à
son point final mais à des points d'interro-
gation: La théorie de l ' a r t d'Adorno tombe sous la caté-
gorie de l'inachevé et de l'inachevable,
parce qu'elle
est un "chapelet d'analyses
terminées et d'analyses
interminables".
Le
contenu de vérité des oeuvres d'art
ne se résoud pas à
la cage d'un contenant
théorique.
I l
déborde ce qui le contient comme ce qui tend à le
contraindre alors même que
tendantiellement,
une lecture
de l'oeuvre d'art
comme contenant des moments histori-
ques,
peut s'esquisser et s'équilibrer. Les récits qui
s'arrachent d'une oeuvre ne lui sont pas immanents mais
circulaires
(comme le notre). L'oeuvre d'art suppose,
soutient en s'y opposant tous les discours passés et à
venir pour peu
qu'ils s'y rapportent.
Les différents as-
pects ne sont pas des
centres phénoménologiques ou des
banques de données.
Ils représentent rl.ans leur fragmenta-
tion une forme du· tout qui n'est pas le
t~ut de ce qui
fait que la tota~ité de l'oeuvre déclenche par moments
des sens&tions de bonheur liés au sentiment
de la pré-
carité de ce bonheur.
Envisagée comme totalité,
on reste toujours à
l'extérieur d'une oeuvre d'art alors même
qu'on y retrouve de
temps en temps sa propre intério~ité. Cette convergence
.../ ...

-205-
s'abrège dans une démarche de la Ï~ustration par rapport
à une plénitude qu'on ressent d'autant. plus qu'elle dit
so~ absence. Le pivot existentiel de l'oeuvre c'est le
sujet,
mais un sujet qui ne parvient ni à
l'assigner au
statut d'objet,
ni à
s'en détourner. L'artiste signe son
oeuvre mais dans cette signature,
i l ne transpire pas un
signe communiquant le contenu de ses représentations.
Peut-
être ést ce
justement parce qu'elles n'ont pas plus de
contenu que de fond?
Pourquoi l ' a r t i s t e ne serait-t-il
pas ce sujet qui masque son dire dans le choc superficiel
des mots,
des sons1descouleurs
? Alors comme la femme
auto-suffisante dont parle Nietzsche,
i l cultiverait
l'énigme comme le toit qui coiffe tous ces fards pour ac-
croître son désir chez l ' a u t r e ·
Ce
dont témoigne l'artiste
ce ne serait plus la réalité mais son recouvrement par les
ruines de sa décadence.
Et l'homme aimerait ces décadences
ces ruines,
sa décad~nce, sa ruine?
Ce qui différencie le surhomme de 1 'homme,
c'est
le goQt de ce dernier pour le décomposé et le confit.
L'homme survit de ses ruines et sur ses ruines.
I l fonc-
tionalise
la dissection de sa nature et de la nature. Mais
Zarathoustra n'entre pas dans la
.ville,
siège de la déca-
dence.
I l maudit la nécessité de l'implication
du
rapport
de l'homme au temps dans le rapport de l'homme à
la nature
et à
son corps qui fait
que 1 'homme évolue dans ,l'adversité
qui nie la différence.
Cette marche est une démarche à
reculons qui produit plus de meurtrissures,
plus d'ordures
"-.
.../ ....

-206;'"
que de nouveautés.
L'objet humain,
en tant qu'actefact,
se positionne déjà comme récupération des
objectivations
de la corruption de la nature. Mais à vouloir leur res-
tituer le respect de la nature dont
ils proviennent,
on
les fétichise.
Ce
qui s'échange dans la marchandise,
ce
n'est pas la matérialisation de la valeur mais la plus-
value que masque cette valeur.
Le passage de la marchan-
dise à
la monnaie suppose une transposition de la marchan-
dise vers la monnaie et une accumulation fétichiste du
capital. Le proc~s de tout acte d'échange a au moins
une double face
(économique -
juridique).
L'oeuvre d'art
se fétichise
en marchandise en
résolvant
le probl~me de sa contemporanéité avec son pas-
sé.
D~s lors qu'elle est d'autant plus appréciée
qu'elle
a
échappé au temps,
on peut dire que sa valeur se propor-
tionne à l a sauvegarde vivante des restes d'une époque.
D~s lors,
en privilégiant la forme
comme contenu
social
sédimenté
(1), Adorno ne participe-t-il pas à cette
illusion récurrente et valorisante des restes?
Le lien o~ s'efface l'histoire ~e l'oeuvre
d'art dans son &tre-deven~ peut &tre celui de l'immédiateté
de l'eouvre d'art.
Cette immédiateté sympathique n'étant
pas didactique,
la contagion affective de l'oeuvre d'art
et de
son sujet n'épuise pas son contenu de vérité.
L'oeu-
vre d'art n'étant pas un reflet,
elle renvoie à
la néces-
sité de l'obstacle dans le décalage du de~enir forme du
contenu.
Par la transcendance matérielle de
ses détermina-
tions sociale~ l'oeuvre d'art se dépasse dans l'e~poir du
nouveau puis dans la novation du nouveau,
car la réalité.,
(1) Adorno -
Théorie esthétigue
.../ ...

207.
carla réalité de
l'oeuvre d'art en tant qu'entité
spécifique autonome et social peut exiger jusqu'au
bout la montée du désespoir des mouvements minoritaires.
L'oeuvre d'art survivant aussi par l'esthétique de sa
réception,
elle n'accède à la publicité et à la parole
que par les facilités d'accomodation des sensibilitéé
individuelles à la factualité des images.
Face au défilé des spectateurs et des auditeurs,
l'oeuvre d'art se soutient dans sa reconnaissance dyna-
misante de son rapport.au social.
Elle ne se replie pas
sur elle même.
Elle se prête plus au
nomadisme des tem-
poralités et des historicités qu'au fixisme des fichiers-
En ce que chaque oeuvre d·'art crée et invente son propre
langage,
sa propre vision du monde,
elle est un engage-
ment dans la négation utopique qui destine les subjecti-
vités à se renier,
à se recomposer en disloquant leur
sédantarisation par l~ordre du discours et du déchiffre-
ment des signes toujours en marge des substrats de
leurs
référents.
Car l'oeuvre d'art recod~
la trame de la mobi-
lité de
la vie figurée dans la récréation des situations
de
fragilisations entretenues par la monétarisation de
la modernité - Ainsi l'oeuvre ne s'abrège pas dans la
base sociale qu'elle peut cependant catalyser dans le
sens des sensibilités défaisant l'espace écono~que
des marchés.
Quelque chose en elle peut aider à donner force
et consistance aux déceptions et aux désarrois qui,
à pulvériser
l'imagerie de leur allégoae illustre
.... / ...

20~.
la blancheur des élaborations imprimant les expressions
comme déjà impressions des objectivités visibilisées
par l'artifice de leui mode d'apparition -
Toute oeuvre
d'art finit par être extorquée de son auteur qui ne
l'abandonne pas mais qui n'arrive pas non plus à par-
faire son jeu et le son de ses voix -
En effet,
la part
de rêve qui se comprend à partir des forces productivJs
esthétiques se dissipe dans la vQgue de l'approche lou-
voyante des pouvoirs se riant d'une manière inextin-
guible de l'efficacité et de la fidélité des sujets
à l'éthique de sa synthèse éternitaire.
L'espace de l'geuvre d'art n'est pas d'emblée
celui de
la bataille sinon celui de sa théatralisation
non identique -
L'oeuvre d'art se dédie comme décor
stratégique dès lors que son avenir surgit de la mono-
tonie des apparences de changements du
quotidien-
L'aspect empirique de la problématisation de la didac-
tique esthétique n'étant pas explorable en totalité,
l'oeuvre d'art peut toujours s~ déplacer et ce à partir
de n'importe quelle abcisse ou ordonnée.
Cependant on
ne doit pas oublier la portée
dispersante de cette falsification allitérale qui
désarticule les idées de l'art et(ellesde la nation-
L'oeuvre d'art ne revendique ni armée,
ni milice pour
se défense ou son illustration- Elle ne r~clame aucune
force agressive ou d~ssuasive mais une démultiplication
... / ...

-209_
des p u i s san c e~ des e n s,
des y mbol e s e t de· r a pp 0 r t s .
Ainsi les oeuvres révolutionnent leur contexte
en les dotant du pouvoir non oppressif' de sa délimita-
tion décorative- L'oeuvre n'occupe pas son contexte
par la mystifiance d'une action de résistance -
Elle
s'accroche
(a~ mur,à l'oeil du spectateur, à la vie)
à la manière d'une feuille morte coupée de sa base sociale
mais témoignant de l'effet de mortification qu~~rupture
lui a infligé
Notre comparaison ne suffit
----
pas cependant
à fonder ou à soutenir la définition de la culture com~e
"structure feuilletée".
(Lévi-Strauss) -
La cohérence
horizontale ou
verticale n'acquiert sa consistance que
par l'effet d'une intransistance irrésistible jusqu'à
l'implosion- Tout rapport d'homologie entre les différents
régistres d'avatars présentifiant la totalité de l'oeuvre
se critique par ladyn~mique du passage de l'actuation
du
mécontentement et du refoulement qui donne motifs et
motivations à récréer .le monde.
En parlant de soi,
en racontant la vie des
autres,
en mimant la vie aux autres,
l'oeuvre d'art
intervient sur la scène de la socialité et sur
celle
de la gr~nde écriture de la loi étendue et rép~ndue sur
la toile de sang de l'histoire des corps inscrits de
lacérations dogmatiques de toutes espèces.
Ce faisant,
être artiste ne consiste pas à jouir
masochiquement des blessures déj~ gagnées par la logique
de la maladie et de la mort.
L'artiste,
c'est
aussi
..
le négatif seo-profilant derrière les lieux D~ son absence
... / ...

-210-
et son altérité ne sont ,pas des répliques
identiques l'une
de l'autre. La révolution n'arrête pas le développement
de l ' a r t dont la forme mi1ite toujours pour l'autre révo-
lution.
Dans son excroissance continuelle,
la forme n'éclate
que pour donner forme
à la forme déformée.
Dans l'élasti-
cité de la forme,
i l y
a peut-être le signe de la tragédie
de l'impossibilité véritable du changement. Alors l'oeuvre
d'art serait l'espoir par l'accentuation du désespoir.
La forme
chez Adorno,
parce qu'elle est rupture
impose sa dissociation d'avec l'espace. Elle rejette sa
catégorisation spatiale et
se particularise dans la tem-
poralité.
Sa forme
soutient une métaphore mémoriale
plutôt que perceptive.
Par elle,
se retrouve ce qui s'est
passé sans s'être bien passé.
Cette référence à
l'histoire
ne s'épuise pas dans les grands récits,
mais dans les
petits riens,
qui parce qu'ils ont
été annihil~>, n'ont
pas eu droit au chapitre.
Le quotidien des aventures
du citoyen avec ses désirs,
ses espoirs et ses déceptions
ne passe~pas bien dans les livres d'histoire. Par sa
définition de la forme,
Adorno ne désigne pas le mouve-
ment du progrès historique horizontal.
Ce qui s'approprie
dans la forme relève des déchets
évacués dans le
sacri~
fice
conséquent aux choix de civilisation.
La forme
se rapporte à la synchronie de l-a domination et 'de la
répression.
Par elle,
le proscrit apparaît dans la verti-
6alité de l'axe de la rationalité pour retrouver les sen-
sibilités contingentes à la nécessité du sens obligatoire •
.../ ...."

-2 II:..
Dans la forme de l'oeuvre d'art la simultanéité des
contradictions qui g~re tout conflit. préc~de la vic-
toire du tout et de l'universalité. L'intuition sensi-
ble résiste encore au concept dont la discursivité ne
deviendra prioritaire que par la victimisation de la
singularité de l'in_éfable~Dans sa forme,
la forme de
l'oeuvre d'art n'a pas encore pris la forme de sa figure.
Elle
jouit encore de la fougue
capable de lui conquérir
tous les espaces. La forme
en tant que
concept temporel
chez Adorno/se débat sur le lieu.de sa mort et de
son re-
tournement.
Sa reconversion de
la linéarité du temps fait
de toute
oeuvre un souvenir de
l'avenir parce qu'un
espoir du passé. La dialectique négative du visible
et de l'ancien figure une destruction finale du positif
qui éclate avec des retombées et des
cendres masquant
la plénitude de l'être. Vie au delà de l'être,
l'oeuvre
implique l'effacement et l'épanouissement. Elle n'a pas
la négativité absolue de Méphistophél~s car elle se
contredit et se compromet en restant un espoir de l ' i r -
ruption des
jours meilleurs.
C'est une incitation à
l ' a -
venture du modelage
(et non du modèle)
dé la dérision
des sens,
par le
jeu de la destruction et par l'imagina-
tion èréatrice.
Le contenu de vérite de l'oeuvre d'art se dis-
simule derrière la toile d'araignée de
ses figures
fi~lres-visages qui par leur moue et leur grimace sèment
l'énigmatique.
Le souffle du lI g r a n d refus" qui anime
l'oeuvre d'art fait
de l ' a r t i s t e un forgeron de
s~ns,
qui par une exploitation rigoureuse des
techniques,
porte
des
failles
dans la cohérence du sens. Ainsi le contenu
.. ". / ...

-2I2~
de vérité ne peut transmettre que l'héritage des
contingences dans la dérive en soi et pour soi de~ pour-
rissements
internes et externes.
Cette expérience se vit dails
le souvenir et non dans l'oubli.
L'oubli est
certes négation mais pour que
l'oublieur puisse redevenir enfant,
i l faut
que sa né-
gation deviennne un
"sain dire
oui ll
(Nietzsche).
Pour
Adorno et Horkheimer
(et aussi pour le Marcuse de· hLa
d~mension esthétiqul), ce devenir enfant ne peut-être
réalisé par un sujet -
artiste ,caisse de résonnance
des altérations et des lacérations de l'altérité.
Redevenir enfant,c'est se rapporter à une enfance ap-
préciée comme invariante. Le devenir enfant nietzschéen
pactise avec un narcissisme originel non dialectique
et non historique.
Certes Nietzsche comprend que
"la vérité n'existe que comme devenu ll mais parce que
l ' a r t doit se re~onnaitre pour être authentique,
l'artiste
doit prendre ses distances par rapport à
ses moments
d'innocence,
de naIveté,
à
ces moments
o~ i l était
capable d'oubli
(enfance).
~Iart ne ~eut s'ehgage~.
dans une dimension nouvelle qu'en reconnaissant l'oubli
des souvenirs afin de
"réintroduire l'oublié comme
un possible
la mémoire d'un temps qui n'a jamais
été ll
(1). L'oeuvre d'art donne souvenance
de,la liberté •
.'.,
(1) Marcuse -
ilLettres -
Arts" -
22 -
2 -
79
... / ...

-2I3'-
Dans ~a d~termination par ra~port à Kant et
à
son esth~tique, Adorno apparait comme cette apparition
qui n'est ni l'apparence ni l'essence mais l'exacerbation
de l'espace philosophique et esthétique post~rieure à
la conception classique des deux mondes. A la limite)
l'esth~tique adornienne est la limite des conceptions
spatio-temporelles de la r~volution copernicienne comme
une concommittance entre la l~gitimit~ de cet espace~
temps et son ouverture vers un certain nombre de questions
nouvelles,
eu ~gard au caractère m~diatisé de l'oeuvre
d'art.
Dès lors que
"l'id~e d'une philosophie transformée
serait de prendre conscience du semblable en le d~terminant
comme le dissemblable"
(1), la reprise des oeuvres d~jà
existantes remarque nécessairement les traces du beau
naturel
jusqu'à la luminosit~ qui les amène à l'idée de
promesse,
de nostalgie.
En lib~rant l'espace et le temps des concepts
logiques,
Kant les a
ouverts à
l'extra-conceptual
,
à la
synthèse comme mouvement de négation de l'analytique •. S'il
est vrai qu'il n'y a
de synthèse que là o~ i l y a aussi
l'autre du concept,
i l n'y a d'esthéti~ue que là o~ il"y ~
red~finition de l'espace et du temps. Quand Adorno d~­
coupe la forme,
dQnc l'espace sur fond de
temps,
i l re-
trouve l'inspiration par laquelle Kant ruine le concept
d'espace ,comme l'ordre des coexistences pour refondre
l'ordre de la coexistence lui-même dans celui de la simul-
tan~it~. Mais chez Adorno,
le beau dans l'oeuvre d'art
.../ ...

-214-
reste l'indéterminable qui comme tel est l'autre du
concept.
Cet autre résiste à
toute op~ration synthétique
fut-elle kantienne.
Lebeau reste conditionné pour la
catastrophe qui se rattache à
elle comme histoire de la
narration des structures.
Le beau détient la connivence des discours~
de la libération et de la production de l'ordre.
I l
re~te ce plus qui ne se résorbe pas et qu'on ne peut
saborder qu'en transvaluant productivement sa négati~
vité,'en positivité. Mais cette positivité même reste
une apparence qui ignore que le déploiement de l'oeuvre
d'art attaque sa vérité par l'auto-destruction de l ' a r t .
L'apparence s'·annule dans le
jeu de sa destruction et
dé~ruit la subjectivité romantique kantienne.
"'.

-21S- ..
ART ET INSTITUTION
Si la port~e del'oeuvr3 d'art consiste à r~­
v~ler des
scandales,
vers quoi se retourne l ' a r t au moment
morbide de son identification? Meurt-il dans sons iden-
tification o~ survit-il à sa mort?
Loin de nous,
l'id~e d'~laborer un ~italisme
esth~tique. r1ais si tous les discours sur la libert~ ou la
l~b~ration de l'art ou par l'art ont un sens,
si l ' a r -
tiste est
toujours plus intelligent que lui-même,
si ses
oeuvres sont toujours plus denses que ses pens~es, l'oeu-
vre d'art doit arriver à
ouvrir des contradictions dans
l'industrie culturelle et à
les porter jusqu'à leur
incandescence ?
L'art,produit social non empirique1ne devient
produit de consommation que par le biais de la jouissan-
ce qu'on croit devoir à
son spectacle. Mais l ' a r t
"acquiert sa sp~cificit~ en ses~parant de ce par quoi
i l a pris forme l l
(1).
Alt~ration et alt~rit~, il ne se
formalise pas dans un ~lément quelconque.de son devenu.
Sans se confirmer dans l'éphémère,
l'oeuvre d'art ne se
maintient que par l'éphémère de ses apparitions
Feu
1
d'artifice
"apparaissant empirique lib~ré du poid~ de la réalil
empirique"
(2),
l'oeuvre d'ar~. transporte à la" fois
tous les fardeaux du socius et
tous les espoirs de la
soci~té. C'est dire que la forme de la mémoir~· et de la
sensibilité de l ' a r t i s t e est sociale,
fondante et fugitive.
Cette fugacité est irrécupérable. Elle se consomme en
pure perte dans l'éclair d'un éblouissement.
Est-ce
(1) et
(::?)lhéorie r;sthétiqlle
p . l l )
L

-216-
à dire que la substance de l'oeuvre d'art défie
toute
idéologisation et que ce qui subsiste dans les musées.
et les galeries,
n'est que ruines des ruines,
mis~res
des somptuosités des souffles artistiques?
La théorie d~ l'art et des oeuvres d'art
d'Adorno semble avaliser une
telle interprétation.
L'oeu-
vre d'art ne peut pas s'éterniser,
durer,
sans se com-
promettre avec l'identité du syst~me qu'elle veut com-
battre. A trop mesurer leurs forces,
les combattants en
arrivent fatalement
à une coexistence non contradictoire.
L'~'uvre d'art par son apparition - disparition se dote
de la faculté de se regénérer,
sans pour autant repro-
duire le corps social.
Plus une oeuvre est
éphém~re,
mieux elle résiste à
la banalisation.
A cet égard,
l ' é -
ternité ne proc~de plus de la durée,
mais de l'intensité
de l'instant,
de l'instantanéité de la plénitude.
En
devenant fugace,
l'éternel acc~de au stade où le
feu d'artifice prend son temps en repoussant le mouve-
ment chronologique du temps.
I l ne s'obstrue pas dans
une adversité avec la nature,
mais éprouve sa contradic-
tion temporelle dans sa non transmissibilité héréditaire.
D~s qu'un chef-d'oeuvre est construit,
i l ne lui reste
plus qu'à décliner.
Ainsi i l s'administre sa propre
critique qui peut préluder à une rupture du mimétisme
et au dépassement de l ' u t i l i t a i r e
par le rien.
Parvenu
à
ce point comment ne pas revenir à Freud et à
l'infini
du d
s Lr- ?
é
L'oeuvre d'art ne se profile-t-elle pas sur le'
profil du désir qui en dynamise le pouvoir de glissementj
qui déterriore l'objet de sa fixation?
L'oeuvre qui ne se
réalise qu'en se détruisant n'adopte-t-elle pas la
.../ ...

-217-
philosphie du d~sir qui s'investit en se d~sinvestissant.;
Le rapport de l'artiste à
son oeuvre, ri'est-ce pas aussi
..
celui du sujet qui aime d'autant plus qu'il n'~treint
pas son objet et qui ~treint d'autant moins qu'il est
d~jà aim~ ?
L'esth~tique adornienne est tout aussi philo-
sophie esth~tique qu'esth~tique philosophique. La dyna-
mique de l'oeuvre d'art s'apparente au mouvement de rup-
tures de la pens~e n~gative d~faisant dans la fictivit~
des formes
artistiques,
le grandiloquent cirque de la vie.
La forme de l'oeuvre d'art n'est pas formelle
mais mat~­
rielle en ce qu'elle ne se s~pare pas de la d~nonciation
de l'actefact dont elle participe r~ellement. Formation
et d~formation de sens,
la forme n'est pas la carcasse
modelante d'un contenu. Elle est une force de concentra-
tion et d'agression des contradictions qui se s~dimentent
en elle.
Parce qu'elle r~siste au contexte d'aveugl~ment
où elle r~side, la situation de l'oeuvre d'art et de sa
forme
frise
l'absurde? Mensonge et v~rit~, l'oeuvre d'art
ne saurait conduire aussi gaillardement à .la v~rit~
.hegeliefineQAntinomi~ue., antith~tique, l'oeuvre devient
~nigmatique en d~connectant le particulier de l'universel.
Le sujet ne peut parvenir à
la puret~ parce qu'il ne peut
expulser toutes les' contingences sans se renier:
La vie
libre n'est pas la vie devenue raison ou d~raison. L'une
et l'autre peuvent h~berger la domination. Seulë une raison
multiple et non identique,
s'~quilibrant dans ses moments
de n~gation peut ouvrir à la liberté. Par le jeu d'une telle
raison et l'enjeu d'une telle libert~, l'impossible sans
dissiper le trouble d~s contradictions devient possible •
.../ ...


Parodie sociale,
l'oeuvre se pratique dans
le
jeu de la création mais surtout par la création du je~
de nouvelles règles.
Comme
le
jeu,
l ' a r t a
ses pratiques;
ses objectifs,
des règles de des
systèmes de valeu~ qui
n'honorent pas forcément
l ' u t i l e . Les pratiques parti-
cipent à
ce que Leroi-Gourhan
appelle
IIl'ascension pro-
méthéenne" de l'homme.
En cela elles sont des
techniques
qui diffèrent de la technique proprement dite pour faire
corps avec
"les ruses de l'intelligence
la métis des
grecs Il
(1). Dans le premier cas (les techniques) comme
dans le second (la technique)
"l'erreur serait de croire
au fait unique génial,
qui
tire du néant un corps
technique isolé ll
(2).
L10euvre ne se construit pas seulement par
son auteur mais aussi avec/contre et malgré lui.
Si
créer c'est contourner et même contredire les valeurs
de l ' u t i l e ,
l ' a r t i s t e ne vient pas au rien pour rien
ou sans rien.
I l s'implante dans une nécessité socio-
historique qui en fait
une mauvais~incarnation de la
créativité divine.
Par la nécessité de
son hasard,la
création artistique développe l'objectiva~ion de l'homme,
--
alors que Dieu dit
et cela devient. Le
cr~ateur crée sans
médiation.
I l crée immédiate~ent. Entfe sa décision
et
son exécution i l n'y a ni délibération,
ni action ni
aucune sorte d' .i.n t e r-mé d i a i r-e s , ··"En Dieu le nom ·est cré-
teur parce qu'il est verbe,
et le verbe de Dieu est
savoir parce qu'il est nom"
(1) Détiemme et Vernant -
Ed.
Flammarion champs.
(2)
Leroi Gourhan - 1e geste et la parole. Ed Albin Michel
T.
r . P. 2h5
(3) Benjamin - Mythe et violence
P. 88
.. 0/ .••

2·19 -
Le pouvoir cr~ateur de l'homme n'est pas à
l'image de
celui de Dieu. L'homme cr~e par travail et
en travail.
L'artiste n'est pas un g~nie qui trouve sans
chercher mais i l cr~e apr~s av6ir cherch~ sans trouver,
et sans avoir t r-o uv
.Se s
actes procèdent du faire,
du
é
,
vouloir mieux faire,
du projet.
"Aucune oeuvre n'est seule-
ment ce qu'elle veut,
mais aucune n'est plus sans qu'elle
veuille quelque chose"
(1). Par ce qu'il veut, l'artiste
d~veloppe son faire par ses convictions~ rl~s lors qu'il
est à m@me de personnaliser son oeuvre en l'enrichissant
de ces fibres
int~rieures banalis~es. Ce faisant,
i l s'~­
puise dans la recherche de subterfuges,
de ruses
techni-
ques par lesquelles les embûches de l'impr~vu d~roulent
une densit~ de pens~e qui d~joue le futur à l'avance.
Comme Ulysse,
le bon artiste est un bon technicien
"expert en rusesvari~es ( ••• ). Jamais il ne manque
d'exp~dients pour se tirer d'affaire" (2). L'adversaire
de l ' a r t i s t e peut-@tre tout aussilf1'ui-m@me,
le mat~riau
de son travail,
le spectateur,
9uLl'industrie culturelle.
S'il triomphe assez rapidement des premiers,
i l est au
rebours souvent r~cup~r~ par la derni~re~
Le pouvoir n' app'âte, que les
Lé menb s
qui
é
valent au moins un peu plu~ que l'appât qui le~ appâte.
Pour qu'ils soient appâtables,
i l faut qu'ils soient
des
Lérne n t s
en mal de quelque chose -
quelque. chose q u ' i l s
é
veulent r~cup~rer et dont le temps de r~cup~ration rend
possible leur propre
r~cup~ration. La r~cup~ration est un
moment de v~rit~ de l'oeuvre. Toutes les oeuvres ne m~ritent
Adorno -
Th~orie esthét~ ,ique
P.
226
D~tienne et Vernant -
Les
ruses de l'intelligence P.
15
=--=..::---::...:.:..=..,,:....:::...--:::c.::"---'~=~:..=..::::..=..J~::.=...;;;.=
e, . • • /
• • •

-220-
pas d'être récupérées et toutes celles qui meublent les
rubriques de l'industrie culturelle ne mériteraient pas
un si funeste honneur.
Perçue du point de vue de l'agen-
cement global,
une
oeuvre peut s'authentifier à poste-
riori
,
par sa récupération.
Beaucoup d'oeuvres ne de-
viennent célèbres que par les matraquages publicitaires
ou censitaires qui indiquent
ce qu'il convient d'y voir
ou de passer sous silence.
En cela la récupération par
l'industrie culturelle n'est pas exclusive de la ruse de
l'oeuvre d'art.
I l reste que l'idéal de la raison néga-
tive serait de se constituer dans l'oeuvre comme réfrac-
taire à
toute massification.
I l n'y a pas de vérité d~ l ' a r t en dehors de
l'idéologique.
L'art dénonce
toutes les vérités,
même
celles de sa récupération.
I l ne se reconnait que dans
l'ambiguité de ses existences qui sont autant d'ex~gences
de pulvérisation
de
sa logicité et de son homogénéité.
Si l ' a r t acquiert une fonction,
c'est par son devenu
car son apparition la situe par delà toute
identification
de son élan.
"Les oeuvres
ont habituellement un effet cri-
tique à
l'ère de leur apparitibn
;
plus
t~~d, elles se
neutralisent"
(1).
L'art ne se reçoit qu'aseptisé,
nau-
tralisé,
administré. Mais alors que reste-t-il.d'artistique
dans un tel devenir marchandise désintoxiqué de sa force
de résistance sociale ?
".,
(1)
-
Adorno -
Théorie esthétique
P. 303

-22T- .
La contradiction de l ' a r t dans l'esth~tique de
sa r~ception donne un prix à la cristallisation de l'inu~
tile et du ludique. L'oeuvre en se vendant s'int~gre à
un circuit marchand tourn~ en ridicule par une ironie du
renversement des valeurs.
A priori sans valeur,
l'oeuvre
d'art se socialise par la production d'une ~aleur. Sa
mercantilisation t~moigne d'une soci~t~ où les valeurs
ne sont pas ce qu'elles pr~tendent être alors que les non-
e
valeurs peuvent s'affecter des valeurs qu'elles refutent.
Mais
"la fonction critique de
l ' a r t porte en elle sa
propre d~faite" ? L'art est opposition dans le strict
intervalle de deuxr~pressions provisoirement ajourn~es
et bientôt abondament
consomm~es. L'oeuvre d'art ne peut
maintenir sa critique sans se cassèr. Elle l'exerce donc
mais
tout
juste dans l'~vidence du temps de la récréation.
Le bonheur que procure une
oeuvre d'art se gagne. Le répit
qu'elle nous ménage. se paie.
Entre temps le monde s'im-
miscie en nous avec la virulence d~ poison qui endort
et d~truit. La libert~ véritable se construit sur un
fond de m~tamorphoseset d'affranchissement de la n~ces­
sité.
Dans la r~alit~ provisoirement revigorante d'un
d~lestage, Ja d~tente de la catharsis ,peut vouloir durer
mais le peut-elle ?
Dans toute oeuvre diart,
Adorno d~c~le un kitsch
emmarg~ dans des structures de la domination. Gertes il y a
des
failles
qui deviennent des gouffres à
force d'en
rêver,
mais l'oeuvre d'art ne peut d~passer ~on aporie par
une réinvention radicale de
son contenu de vérit~~· Elle peut
.../ ...

-222.:...
cependant se réaliser dans une
p.xistence
insistante
qui allume
les projecteurs de
la conscience sociale
sur les médias.
En reposant une
oeuvre d'art
sur du pré-
caire,
on peut la truffer de
jeux d'enfants
invoquant le débile
et parodiant
infernablement
tous
les succès artistiques.
-
Alors quel serait le destin
d'un artiste proposant des
oeuvres d'art
industrielles
J des hommes industriels ? Que penseraient les médias
(puis la masse)
d'un artiste portant la subversion sur
les
for6es
esthétiques elles-mêmes pour produire des
oeuvres dans
la mesure exacte de
la ~ophistication des
forces
productives esthétiques
?
Quel serait la pertinence
d'une musique qui ne se prêterait. plus à
être la toile
de
fond d'une
conversation,
mais qui aurait
tendance à
interrompre
la conversation ? Recracher à
la face du
monde,
l'image,
à
l'image de quoi i l nous
a
créés,
produire une
oeuvre qui donne
l'idée de
la Î~lie de soi-
.
même,
qui détonne par ses maladresses,
voilà un champ
d'expérience assez vague et peu pratique.
Mais peut-on,
doit-on en rire
ou en pleurer 1
'~'.

-223-
CHAPITRE VII
THEORIE CRITIQUE ,. THEORIE COMIQUE
?
"t-1a~
Brod rappelle que lorsque Kafka lut
le procès l
les auditeurs avaient le fou rire,
et Kafka lui-même.
Rire
aussi mystérieux que celui qui accueille la mort de Socrate.
Le pseudo-sens du tragique rend bête
combien d'auteurs
déformons nous,
à
force
de
substituer un sentiment
tragi~ue
puéril à
la puissance agressive,
comique de la pensée qui les
anime.
I l n'y a
jamais eu qu'une manière de penser la loi,
un comique de la pensée,
fait·d'ironie
et d'humour"
(1).
Deleuze -
Présentation de
SacheT Masoch.
éd.
de Minuit
1967 - PAGE 75

-224-
LE COMEDIEN ET LE RIEUR
On a
beau être muré dans un syst~me performatif,
nos
énoncés ne produisent pas toujours des performances.
A certains égards,
ils n'arrivent qu'à produire desc
contre performances. La définition du comique ne dit pas
toujours
le comique dont
la référence dans le
significatif
n'est pas sa reproduction.
Quand elles arrivent à ~tre drôles
comme dans
cet aphorisme d'Aragon
l'l'humour ·c'est ce qui
manque aux poules,
aux potages et aux orchestres symphoni-
ques",
les définitions du comique échouent à résoudre
le
probl~me de l'élaboration de l'effet comique.
I l y
a
peut-
être là un comique du comique dans l'ironie du concept qui
dans sa non production réelle du conceptualisé,
fait
que les
signes linguistiques ne
se répercutent pas phonétiquement.
L' arbi traire du signe ne
symbolise l ' h um ou r- et le comique
que dans le moment
où cet arbitraire est spatialisé,
repoussé
dans l'énonciation de la non nécessité qui donne
figure non
seulement à
son arbitraire,
mais encore ~ tous les signifiants
qu'il représente. La modalité concrète du comique n'exclut
pas la référence à
l'arbitraire de l ' é c r i t
ou de l~ parole,
mais elle leur ajoute une actuation qui pour être
spécifique

-225-
ne
se laisse pas
sp~cifier en dehors d'un acte productif
d'exemples pratiques.
Toutefois,
si parler du comique
ne produit pas n~cessairement du comique,
cela fait
penser à
la d~rision et à
l'inversion de
sens qui produi-
sent de l'ironie et du comique.
I l Y a
beaucoup de
courage à
se lancer dans le~
tentatives de d~finition de l'humour ou de l'ironie. Pour
ne pas apparaitre
comme
inaptes à
toute audace et à
toute
inconscience,
risquons une
simplification de
ces deux
termes dans
le parall~le entre l'humour et le rire avec
quelqu'un d'une part,
et
llironie et le rire contre quel-
qu'un d'autre part.
Ainsi l'ironiste serait celui qui
r i t
de quelqu'un qu' i l ridicul,is~ors que l'hurn~blriste
i t
.
t '
#-t 't ~ 1
.
t
d
"
p r o v o q u e r a i,
un r-a r-e par age aliY~-<tY-e
e
s u j e
u
r-a.r-o ~
A la limite de
cette
sch~rnatisation, l'ironiste pourrait
être un sadique alors que
l'hum0~riste serait un masochiste..
. Mais totit masochisme tirant sa cruaut~ d'un sadisme exerc~
sur soi,
on peut donc rire
avec quelqu'un tout
en ~tant
contre lui,
et rire contre cette personne tout en citant
avec
elle.
La sommarit~ de notre sch~matisation ne parvient
pas à
sirnplifier le probl~me mais·à le compliquer. Aussi
-
laisserons-nous à Horkheimer et Adorno le
soin de s'attar-
der davantage
sur le sol mouvant de
ces
tentatives
d'
c h e c s
r-é p
t
s
et non Lr r-é p
t a b Le s ,
Adorno et Ho r-k he i.n e r-
é
é
é
é
ne disputent pas à
Bergson la beaut~ du d~sast~e qu'il a
eu le m~rite d'accomplir avec "Je rire"
(1),
ils critiquent
plutôt
la fonctionnalisation du rire dans
sa f~rmalisation
historique.
(1)
La d6rnarche de Bergson consiste à
d~rnontrer"les proc6d~s
de
fabrication du rire".
Mais en se
limitant aux formations
caract~rielles, Bergson ne perçoit pas l'enjeu de rire à
travers le
jeu de
la com~die.
.../ ...

J
Le rire
se solidarise avec le malentendu dont
la
fructification comique permettra son exploitation idéolo-
gique.
La confusion constitue le fond originel du rire
dont la clameur découvre non pas la supériorité du rieur
(1)
mais
sa défaite.
Remarquons tout de suite cette rupture
de la théorie critique avec
la tradition de la philosophie
du comique.
Dans l'esthétique d'Régel par exemple,
le rire
représente le
triomphe de la subjectivité dans
son auto-
suffisance transcendante et son assurance infinie. Au-dessus
du conflit,
la subjectivité sare et pleine d'elle-m&me,
r i t en dissolvant et en résorbant le tragique qui se tient
à distance.
La conscience subjective du rieur se perçoit comme
,valeur dominante
infléchissant le sens du monde,
monde qui
n'advient à sa prise de conscience que
comme objet spectacu-
lairement amusant.
"Dans l'humour,
c'est la personne de l ' a r -
tiste qui se produit dans
ses traits
tant particuliers que
profonds,
de sorte que
ce dont i l s'agit avant tout dans
cette form~ de l ' a r t ,
c'est de la valeur spirituelle de
l'artiste"
(2).
Dans cette production de légèreté et d'extravagance
du comédien,
la théorie critique ne perçoit pas une
opposi-
tion de la logique du comédien et celle d~ monde,
elle per-
çoit plutôt un renforcement de la logi~ue immanente au monde.
Le rieur en riant
pe
déséquilibre et accroît sa vulnérabili-
té.
Fait et objet du langage
(qui peut être gestuel),
le
rire peut fustiger,
dévaster mais en même
temps qu'il assène
ses coups et ses
secousses au rieur,
le comédien développe
sa communicabilité sur l'enveloppement répressif de l'inex-
pri~é'
~"Le rire est lié à la culpabilité de la subj~ctivité,
""
mais dans la suspension du droit qu'il annonce,
i l indique
(1)
Cette critique 'du rire frappe non seulement les acteurs
provoquant le ri~e:' mais encore ceux qui rient.
(2) Hegel -
Esthétig~e,2ème volume Champ Flammarion P. 356
... / ...

_227;';'
le
stade d'une servitude dépassée"
(1)'.
Ce n'est pas cepen-
dant par le rire que le
sujet brise les chaînes de son es-
clavage.
La servitude ici dépassée n'esi pas le
seuil de
la liberté qui l'inscrirait dans
le passé,elle fait
place à
d'autres
servitudes sur lesquelles l'exercice du rire dirige
ses
fusées
Dès qu'il y
a
rire,
c'est qu'il y
a
un objet
du rire.
Cet
objet consiste en un noeud de servitudes à
défaire qui s'intègrent dans
le rire passé _présent
immédiat.
Le rire entre en contestation avec la culture.
I l conteste
au nom de la conception de la nature qu'il
s'est faite
et
qu'il vise à
réaliser.
Mais
ce cycle de la négation se
redonne dans
la ressurection de
l'épreuve qu'il
tente de
nier.
Le rire n'est pas radicalité mai~ rencontre duelle
entre deux moments
opposés.
S ' i l conservait
sa faculté.
de
surgissement,
le rire resterait négatif mais en ce qu'il se
suspend et gèle ce qu'il dénonce,
i l perdure et
se mUe_
en posi t i f .
Ne
pou v ari t
suspendre la. puissance de l'enchan-
tement qui pulvérise ,la cristallisation de la servitude,
sans s'affaiblir,
le rire
obligé de
se
fix~r sur un objectif
à
critiquer,
nourrit une mauvaise
conscienée de la falsifi-
cité de
sa pratique.
Porte ouverte
sur 'la négation de la
rèpression,
le rire
se rapporte à la puissance de l'axé
pivotif de cette porte dont
le
t.ournoiement
sur 'ses gonds,
ne la projette pas hors de
son centre,
mais balaie tous
les
obstacles à
sa fermeture.
Dans l'origine du rirè,
j a i l l i t
donc
l'accent du cri du sujet coincé entre la porte
et
son
cadre.
Dans les
circonstances de la mort des
sujets,
..,
la nostalgie du négatif et la mauvaise conscience de
son être-
(1) Hork.
Adorno -
Dia -
Rai -
P.
89

0

/
• • •

_ 22S-
devenu ruinent le rire. Le sujet stabilisé dans le striage
de l'espace met fin à son itinéraire.
Gavé des horreurs dë
son humanisation,
i l perd le souvenir de la préhistoire
de
son coffrage étatique.
Son processus de sédimentation
faisant
oublier ses épopées dans la production d'effets
et de contours nationaux avant même la délimitation de la
nation,
l'homme enfouit
sous
terre son désir de particu-
larité.
I l s'enterre dans l'aliénation du concept d'état et
dans la conceptualisation politique de
ce concept.
C'est dans
sa spatialisation que le rire vire au
noir.
Assigner un espace' au rire, c'est le tuer car c'est
l'astreindre à
se verticaliser dans le remplissage d'un
gouffre.
L'espace du rire c'est l'espace de
sa mort. Le
rire ne vit que sous la forme du nomadisme,
de l'errance.
Dès lors qu'il s'apesantitet se laisse englobé dans
une patrie,
i l ne peut plus que manifester le centre
de son englobant.
Dès qu'il
obtient une place qu'il tient
le rire ne devrait plus faire rire.
Car i l n'a pas d'espa-
ce sinon celui de
sa torture qui ajoute à sa trituration
l'exécution des victimes du rire
(les rieurs).
On r i t
d'autant mieux qu'on est désespéré et condamné à
fuir
pour survivre.
Fuir c'est parcourir l'espace en courant de
sorte qu'il ne nous. apparaisse plus comme spectacle,
mais
comme décor d'angoisse"
décor non spécialement amusant.
Dans le
temps,
i l y
a
de l'espace.
On peut menager des
espaces de rires,
pour rire
(histoire drôles dans les
soirées ou les sorties en groupes).
Dans ces
temps
et ces
espaces,
le rire dit
la nostalgie du temps
où,son temps
.../ ...
-..
..
1

-229';";
n'était pas spatialisé
où son espace ne
se
temporisait
pas dans la régulation de l'emploi
savant de
son temps.
Cependant
les
contours conceptuels de cette
tragédie du comique ne sont pas· contemporains de
la
mort du sujet.
Ils
en sont
symboliquement antérieurs
puisque la confusion et le ma~entendu qui g~rent la faus-
se solennité du comique,
se présentaient déjà dans la
recherche de l'apaisement de la colère de Poséidon
"Ulysse doit poursuivre inlassablement
sa route,
une
rame
sur les
épaules
( ••. ).
Lorsqu'il rencontrera un
autre voyageur qui lui dira qu'il porte une pelle sur
l'épaule
i l aura atteint l'endroit qui convient au sacri-
fice
devant apaiser Poséidon.
Cette
confusion entre une rame
et une pelle est au coeur de
la prophétie
elle a
da
paraître bien comique à
l'Ionien".
( 1 ) - Ulysse
contient
difficilement
son contenu.
Son contenu comique
tient
à
la possibilité d'être un maniement de
l'absurde qui
fait
qu'il use de
sa voix en la déguisant.
I l ne
connait
pas
son sujet mais
ce n'est pas là le probl~me puisqu'il
sait faire
comprendre les murmures de sa voix à
ceux
qui
ont besoin de découper cette voix pour la comprendre.
S ' i l entendait le
son de
sa voix,
i l en serait bien apeuré
de
la qualité qui s'oppose au débit de'la société de
consom-
mation qu'il entonne
cependant dans
son dire.
La voix
éclate,
se décompose au delà du'souffle de
sa respiration.
Même
si elle
se
trompait,
cela n'aurait pas d'importance
puisqu'elle donnerait d'autres
occasions d'heurménétique ~
Cet
amalgame qui fait
qu'Ulysse est lui-même,
n'apparaît
pas
comique à Horkheimer et
à Adorno.
a-lors que
la confusion
....
(1)
-
Hork.
et Adorno -
Dia.Raison P.
88
.../ ...

-230-
entre une rame et une pelle a
da paraitre bien comique à
Ulysse.
Les
cadres historiques du comique s'inventent
en relevant de la société post-moderne dont la perfec-
tion de la circularité conjure
tout
t r a i t ,
tout espace-
ment.
Ainsi se reproduit
idéellelnent le
temps
sans
espace qui va faire
basculer le rire dans
sa réssurgence.
L'espace
concentrationnaire est un espace
effacé.
Tout
y
a
une place mais dans le tout.
Hégel spatialise mieux
que quiconque cet
espace mis
sur orbitre.
Dans l'espace
philosophique qu'il pense,
toute utopie y
est interdite
parce qu'inutile,
déjà réalisée.
L'utopie ne
se valorise
que par le besoin d'évasion,
la nostalgie et la promesse
d'un ailleurs.
Mais dans un espace pur et absolument
plein,
dans le
texte
sans contexte D~ la philosopllie de-
vient religion puis
idée alors que l ' a r t réalise le subli-
me de cette idée,
le
tout
se développe dans
les
tantologies
de
ses déterminations violentes.
Le concept n'a plus qu'à
circuler dans
son cercle pour conceptualiser son histoire
tout en historisant
son concept.
L'homme
témoin de cette mu~icalité chaud~ de la
démence profonde,
parle pour dire la chose flasque qui
lui donnera l'occasion de parlep.
L'utilitàrisme pragmatis
te qui lui arrache la parole pour être
écouté,
médiatise
sa beauté
dans l'individualité béatifiée par li~nsemble
des
signes référant au même
signifié inclus dans le signi-
fié du monde
enfer~é dans les vitrines. L'effet du tout
.
.,~
.../ ... '

-231:"
de
ce palais de mirages
touche le coeur en frictionnant
l'esprit et en détruisant
tout milieu producteur de la
nostalgie/donc du comique.
Le rire qui survient dans
cette gal~re parle et anime mais i l ne peut animer que
ce qu'il
imite
la société unidimensionnelle sans vie
sans différence,
pleine de normes et d'absolu dont
l'adversité renvoie à
la ~ynth~se de leur réconciliation.
En imitant la société,
le comique fait
mieux qu'elle
puisqu'il crée une nature purgative de la société,
nature
qui n'existai~ pas dans la nature.
Cependant c'est en
évitant sa naturalité sensible,
quitte à l'imiter ensuit~
que
le comique se produit comme état naturel.
Le
cQ~~
d'arrêt qui bloque
sa nature aveugle,
le comédien
de
service le classicise en aveuglant la nature sociale
des
individus par la représentation h~otique d'une na-
ture pour ainsi dire naturalisée.
Dans cette déspatiali-
sation de la natur~, il y a sa négation mortelle qui trans-
met la mort discr~te du sujet par le vecteur de la peur
que le pouvoir projette sur lui-même.
"La mort fait
peur
et la peur est l'un des plus sars instruments du pouvoir"
-
(1).
Pour accroitre la peur du sujet,
i l faut
organiser
sa mort daris l'évacuation de
la mort de
son horizon
réflexif.
En la vidant de
sa quotidienneté,
oritologi-'~­
que,
la mort acc~de à la consc~ence par l~ clé"de l'an-
goisse. Mais l'absence de la mort présente la mort
dans
toutes les
synth~ses qui édifient l'indivIdu comme
simple apparence,
ne
sachant pas qu'elle va mourr~~
Louis Vincent Thomas ~ Anthropologie de la .../ ...
mort_ Payot.

-23~;"
Les hommes
industriels n'ont ni la conscience
terri-
fiênte
de
leurs plaies,
ni la consciente de leur mort
• • inente. La conscience de leur phagocythose se
résorbe dans
le plaisir que procure le
sourire béati-
fiant
des mannequins
sur les affiches publicitaires.
L'oubli de l ' ê t r e qui est aussi une
incapacité à
d'icorder le
sens propre des
slogans dans
la figuration
des
fantasmeimassificatoires décime les
filons
de
subjectivité et
tous les
trésors d'intensification de
la vie.
L'homme continue à
ramer tout en considérant
comme
sien ce qui est déjà remplacé par une mort
toujou~ déjà "là: car avant qu'on l'enterre,
l'homme
est déjà rongé par les mites
(mythes)
de
l'industrie
culturelle qui ont déjà automatisé
sa mort par la dis-
solution compl~te de la politique d'état dans le social.
Le
rêve de l ' é t a t "hégelien étant donc réalisé
(disso-
lution de l ' é t a t dans
la société civile)
au XX~me
si~cle, on comprend peut-être que les attributs de la
subjectivité comme le comique et l'humour,
n'apparais-
sent plus dans
la filiation directement
évidente de la
liberté. M~is ne peut-on pas les appréhender comme des
retours
de
la subjectivité,
par quoi le
sujet"trop
bien aliéné dans
son objectiva~ion informatique~ cher-
che et
trouve une
arme à
la mesure du renversement de
ses salissures
?
.../ ...

- 233-
COMIQUE ET IMITATION
Le r&ve del'~tat hegèlien ~tant consid~r~
comme r~alis~ pourquoi alors,
Horkheimer et Adorno ne
reprennent-ils pas
en choeur sa th~orie du comique? L'ob-
jectivit~ hègelienne est tiède quand au pr~sent de
l'humour surtout que
l'identit~ connue et reconnue de
l'id~e se reconnait mieux dans les n~cessit~s de la
li~ert~ que dans les fantaisies
et
les caprices de
la cons-
cience de
soi.
Le
sujet
comique
(sur lui-m&me par oppo-
sition au comique pour autrui)
ne possède pas
selon
Hégel suffisamment de fondement
et de détermination de
son absolut~, pour emprunter les m~andres scabreuses du
"dévergondage d e
l'esprit tl qu'est
l'humour.
Après
s t
t r-e
ê
cherch~en vain (art symbolique), après avoir pris cons-
cience de
soi dans son individualité vivante,
la subjec-
tivité parvenue avec
l ' a r t romantique à l'absolu de sa
liberté se corrompt ·dans cette poussée de
son individualité
vers les rivages
sans
lois de
la f~licité
et de la
satisfaction personnelle.
En cela elle est un retrait par
rapport
à la conscience
tragique,
qui,
da~s l'équivalence
des rationalit~s qui nouent la tragédie d~ son destin
(\\'unm'ani~e le coeur, l'autre retient mon bras~
~Des deux côtés mon mal est infini~ cf Corneillé le Cid)
se rend coupable d'innocence
en choisissant
telle
issue
plutôt que
telle autre.
Une pùissance
objective commande
le devoir,
contraignant
l'individu en tant qu'il est
in-
carné dans des
circonstances
objectives
où le divin lui-
m&me intervient dans le conflit rationnel et non empirique
entre deux rationalités
"identiques dans
leur légaiité?

e . • /
• • •

Dans l'action,
le héros
tragique prouve
sa liberté en
contredisant une rationalité mais
i l se réhabilite dans
l'évidence morale de sa légitimité.
On pourrait s'attendre à
ce que Horkhei~er et
Adorno,
récusant
cette conscience
tragique qui écrase
les particularités et inspire la terreur et la pitié comme
des affects
se rapportant à
la raison,
accourent
à
la
négation dialectique de la conscience
tragique qui pré-
cisément a
lieu dans le
comique.
Ils ne
s'inscrivent pas
cependant dans la logique de cette dialectique
ou de
cette négation dialectique.
Le rapport de
la théorie
critique à Hegel défie
toutes les
évidences
car si Hegel
apparaît comme le penseur génial
d'une
totalité,
sa phéno-
ménale génialité qui consiste à
marquer'le
caract~re universel
lament planifié de
la totalité planétaire reste à
même de
s'intégrer la négation comme résultat objectivé de la dis-
tanciation d'un sujet par rapport à
son syst~me. Ce n'est
donc pas
par
la symétrie de
la négation du syst~me de
l'absolu qu'on s'en lib~re mais par un effort d'introduc-
tion de
la dissymétrie.
Dans la lecture de ,Hégel,
"il faut
à
chaque
instant prendre en considération deux, maximes
en apparence
incompatibles
celle d'une
immersion minu-
tieuse et
celle de
la distance libre"
(1).
Toutefois
dans
cette indication du "comment" de la lecture'de Hegel
n'y a - t - i l pas une magie
théatrale de la construction de
la s c è n e
de la cri tique,
en vue de mieux asséner" la cri t i -
que
à
son objet? Quand Adorno r e l i t Hegel ou quand nous
recherchons le
comique
chez Adorno et Horkhe~er, n'y a-t-il
(1)
Adorno -
Trois
études
sur Hegel
P.
107
.../ ...

·- 235-·
pas déjà à
l'oeuvre chez nous une manipulation des
textes
comme espace scénique de la r~p~ésentation de
l'humour et de l'ironie que nous
trouverons? Mais parce
que le recherché ne peut
~tre qu'un retrouvé,
i l doit pré-
exister à
l'entrée en scène de nos auteurs,
un humour et
une ironie adjuvents à nos questions et qui
comblent
notre lecture d'infinies étincelles burlesques.
Dans l'ab-
surde des questions,
relevant du sens
il
y
a une assurance
d'ironie qui soutient le chevauchement du bon sens et du
non sens par quoi une logique en arrive à
réclamer de
l'humour.
Malheur au peuple qui a besoin de Héros dit-on,
le peuple,
ou le sujet qui a besoin d'humour,
de
comique
peut-il ~tre plus heureux ?
La demande d'ironie procède de la propension
du commentateur à
lier ses auteurs à une norme de la cri-
tique qui vise à
la légitimer
à
la clarifïer et à
la
classifier. Elle est discriminatoire en ce sens que la
demande vise à
forcer une
offre en la faisant
accoucher de
ce qu'elle n'offre pas
tout de suite.
Imaginer Adorno
et Horkhei~er riant ou faisant rire,
c'est déjà faire
rire un certain niveau de lecture.
En ce que
tout
texte
est plus beau et plus gentil que la prus belle des femmes,
i l donne m~me ce qu'il n'a pas et ce faisant
en arrive à
donner le tout
à
moins qu'il ne- le donne dè sIe" clébu 't , Dans
les commentaires de
texte,
on extirpé toujours du texta un peu
de
ce qu'il n'a pas et on tait
ce qu'il donne
i~ chaleureu-
sement.
C'est dans l'espace de
sa limite,dans cette zone
ouverte sur l'ailleurs et fermée
sur l ' i c i que s'exerce le
commentaire et s'habille le comique. La perspective du com-
mentaire permet la prospective et le repérage qui fait
qu'on obtient par surcroît ce qui ne rentrait pas dans les
.../ ...

-236-
combinaisons réalisées
(1).
Mais le fond peut devenir
sujet
tuut
comme un décor peut
se constituter de person-
nes.
Le vrai comique
se constitue com~e un jeu d'échanges
qui échappe comme surcroît séduisant mais également
intri-
guant.
Dans la mise en mouvement de son liew,
le comique
et
sa situation se dépassent
et peuvent
éclater.
Eclatante donc éclatée,
la demande d'humour re-
produit mieux son effet qu'elle ne le déjoue.
A trouer
sod langage,
on peut
cependant la réécrire en la castrant
de son autorité.
La violence primordiale de l'ironiste et
de l'humotiriste peut alors
s'évader du texte d'Adorno et
Horkheimer,
comme présence contradicto~re d'un manque qui
à
force d'être
toujours en reste finit
par crever l'écran
de
l'exégèse. ·11 Y a
des
j ours dans chaque vie
où on con-
fesse
volontiers qu'il y
a
longtemps qu'on avait autant
r i .
Le
jour de sa comparition devant
le
tribunal du commen-
taire gai,
peut-être bien celui
où Adorno r i t
jusqu'aux
larmes.
Ori ne
peut parler du désespoir réel sans en -rire· et
l'énigmatique reste le seul rempart à
l'effondrement d'une
théorie qui
s'interdit le rire.
Une pensée est d'autant plus
émotive qu'elle est
moins rigid~ dans sa conceptualisatio~. L'humour n'est pas
universelle
et pour s'en 'targuer
i l faut
savoir accrocher
et décrocher sa sensibilité auX sensibilités les' plus
contradictoires·.
L'insolite de
la conceptualité des
textes
d'Adorno affronte
les limites du possible
dans la non im-
manence du mythe du di~cours mobilisateur corrolaire du
réalisme
socialiste.
La critique sociale est une partie
(1)
Adorno -
Trois
études ... -
P.
152 "Personne ne peut retirer
d'une lecture de Hegel plus qu'il n'y met" •
.../ ." ..

-237-
intégrée dans l'ironie de l'impossibilité d'une critique
pratique qui ne peut cependant faire
l'économie de son
énonciation.
On n'entre difficilement dans les lieux qui
ne sont pas des moulins.
Par l'effort qu'il doit accomplir,
le lecteur d'Adorrio a
l'impression de participer au talent
de l'auteur dans lequel i l tente d'entrer.
En cela
Adorno serait un "moqueur",
un narquois narguant ses
lecteurs aux prises avec une ascension dialectique aussi
pénible q~e vide_ de'pratique pratique. La m~diation non
métaphysique,se découvrant comme vide de
tout pouvoir,
mais désir de changement à rempailler dans la cadence
qui rythme les allers-retours de l'infini à libérer
dans la vie ~évoyée, l'adhérence des hommes à leur souf-
france physique et morale, rendent
caduque la foi en une
perte probable de leurs désirs
inutiles et leurs faux
besoins.
La seule brûlure qui rend poreux ce pesant corps
social se transmet' comme instinct de légèreté dans ,la
perfectibilité des gestes de l'artiste.
Et la vie devient
vibrations qui insuflent aux hommes le ressèrement et le
frottement d'où surgira le déclic qui embrasera
le tout.
Ce n'est donc pas de l'humour ou de l'ir6nie qu'H~rkhei~er
et Adorno attendent une quelconque libération,
pourquoi
alors attendre d'eux de l'humour?
Dans le relevé des 6ccurences humouristiques et
ironistiques dans leur écriture,
le comique s~rgit sur
le fil de la satire. Le comique satirique crée chez son
auteur une certaine
impassibilité qui l'élève au'-dessus
de la situation. En ce qu,'ils
fustigent
leurs objets
d'humour et d'ironie,
Horkheimer et Adorno affirment

e . ft /
• •
ft

la nature élevée
9-ui, caractérise les comiques dans le sys-
t~me hegelien. Il y ad~ns les 'écrits de ~orkheimer
et Adorno en général,
une absence de doute quand à
leur in-
terprétation des auteurs,
interprétation qui situe ses
auteurs dans
l'angle
précis d"e t i r de leur critique.
Co~me
les
comiques de Hegel,
"ils restent
fermes
et sur d'eux-
m&m~'. Derri~re cette attitude,
la volonté d'éroder et de dé-
composer toutes les
identités,
s'attaque aux forces du
s Lrqu La c r e ,
Jugeons-en par ce recensement non exhaustif'
qui fait
coincider la critique de la publicité,
de la
famille,
de Marx,
de Kant,
de
l'industrie,
du Jazz,
avec
des mouvements plus
ou moins comiques ou ironiques.
-
Publicité
"Papa,
la lune,
elle est
là pour faire
quelle sorte d.e réclamE!".
-
Horkheimer -
Ecl~we, P.
110.
-
F'amille
"La société peut gagner beaucoup à faire
de
la maternité une
s c i.e n c e
Ho r-k ,
E.ç~ip~e P.
119
v
,
-
L' .i n d u s t r-Le
"Le père Noël est un employé de grands
magasins". Horkheimer_Eclipse P.
147
-
Le
j a z z :
"Mais ce conflit ne peut
être pensé à la
manière dont
se l'imaginent les fans
du
jazz
ce qui dans
la pratique de
leur sport,
ne leur convient pas ••• " .(1)
Adorno -
Th~ Est. P. 84.
-
La théorie
"La théorie n'a aUCun pr?~Tamme pour la
prochaine campagne
électorale
elle n'en a
même pas encore
pour la reconstruction de
l'Europe dont
ont déj~ pris soins
les professionnels".
Théorie cri.:tiq~_. P.
352.
-
Marx "Pour se laver du soupçon d'idéologie,
i l
vaut mieux aujourd'hui app~ler Marx métaphysicien que l'ap-
peler ennemi de
classe".
Adorno_Dia.
Nég.
P.
21
.../ ...

-239-
-
Kant
"Kant voulait prouver d'une manière propre
à
choquer "tout le monde",
que
"<t o u t
le monde" a
raison.
C'était là la sécrète ironie de
cett~ âme.
I l écrivit
contre les doctes en faveur du préjugé populaire mais~s
doctes et non pour le peuple".
Dia.
Nég.
P.
64
-
Kant
"Le poète qui a
popularisé Kan~ n'a pas
faussé l'engagement philosophique de son maitre lorsqu'il
appela l'ordre un enfant béni du ciel".
Dia Nég.
P.
197
o
-
Allemand
"Un allemand est un homme incapable
de dire un mensonge
sans y
croire" Adorno -
Minima Moralia P. 101
-
Angoisse et bonheur-:
"C'est l"histoire de deux
lièvres qui se régalaient d'herbe,
ils furent
abattus par
le chasseur et,
s t a p e r-ç e.rvan t
qu'ils
étaient encore en vie,
i l s
détalèrent".
-
Adorno -
Hinima-Moralia
P.
1.~ b

_ 240;..
PHILOSOPHIE ET COMIQUE.
Nous n'avons
certainement pas e~ la main
heureuse
dans notre bref inventaire. Mais
on peut d~j~ interroger
la modalisation de ces
occurences mitigées en rapport
avec la th~orie du comique d'Adorno et d'Horkheimer;
th~orie qui, elle, est beaucoup plus explicite.
La première remarque qui s'impose c'est que la
transgressivit~ de l'ironie et de l'humour n'est pas
~vidente chez Horkheimer et Adorno. Le comique peut
t ouj ours brandir- la cart e d' Ld e n t i t ~ critique,
i l n' em-
pAche que sa critique met en ~vidence une identit~.
Tout
se passe
ici comme
si le bien auquel renvoyait
le rire antique des disciples de Socrate assistant ~ sa
mort,
se trouve remplac~ par la beaut~ industrielle et
le pouvoir.
Par rapport au beau et au pouvoir se dégagent
en se distinguant l'amusement,
l'humour,
le rire rass~­
n~r~, le rire mauvais:
"Le triomphe sur le beau s'ex-
prime dans l'humour,
dans le malin plaisir que l'on
éprouve chaque fois que l'on a
r~ussi à renoncer au beau.
On r i t du fait qu'il n'y a
pas de rai~on rire. Le r i r e ·
rass~n~r~ ou terrible,
~clate toujours au moment où une
crainte s'est dissip~e. Il exprime le sentimen~ d'avoir
échapp~ à un danger physique o~ aux pièges de la logique.
Le rire rass~n~ré est comme l'~cho d'une fuitadevant le_
pouvoir,
le rire mauvais vain~ la peur en capitulant
devant les instances qu'il faut
craindre"
(1).
L'amusement
procède de l'hilarit~ bruyante provoqu~e par l'industrie
culturelle.
(1)
Dia_Raison
P.
149
.../ ...

-24T-:
Cette classification n'est pas rejouissante.
Seul
le rire rass~n~r~ bén~ficie d'un sursis dans le contexte
d'oppression qui a
raison du beau dans l'humour,
du
sujet par le
"rire-business"
ou par l'~pouvante. Même
le rire rass~n~r~ reste traqu~. Il continue à être recher-
ch~ (Wanted). Le rire apparaît sur un fond de terreur
et de froid qui le glace pour le vendre en surgél~, qui
s~me la panique et pose de.s
traquenards.
Le monde du
rire produit un rire
jaune qui r~agit contre une peur

d~Jà suspendue à la poutre de la domination. La certitude
de la violence dicte le désarroi du rieur soumis à
la
constance cynique de la culpabilisation. Le cataclysme
borde le rire,
et l'infléchi~ dans la fatalité
~conomique
pr~valente. La rigueur.et la vigi~.nce de la loi comblent
les formes du·rire et en déciment la beauté,
la vitalit~
et bien entendu la critique. Le comique ne peut
jouir
du loisir de
critiquer lor~qu'il arrive tout
juste à
survivre à
la peur qui le conditionne. A la recherche
d'une issue,
la mise en évidence raisonnée des
failies
du syst~me perd tout caractère prioritaire. L'urgence
vitale qui promène le
spectre de sa mort,
le positionne
comme un instinct de
survie qui ne vise m~me pas à
endiguer les assauts de Thamatos mais à
s'èn distancier.
La primarité de cette r~action ne le cède qu'à. la
psychologie dufugi t i f sans arme physique: ni Lri te L'Le c e-
tuelle,
r~duit à mériter la vie par ses performances
d'atl~te. Symptôme du désespoir, le rire ne constitue
pas une alt~ration du sens de la situation.
I l est gravit~
engagée dans la tristesse du devoir vivre.
Prises sur
les intérêts et les impératifs de la crispation,
l}humour
et l'ironie font
du vulgaire et du d~risoire à partir
des malheurs quotidiens dES sujets.
Ils ne peuvent
se cons-
.... / ...

- 242;...
tituer comme des mécanismes de défense par l'attaque
ou la contre-attaque,
parce qu'ils sont des mouvements
de détresse
tâchant de se conserver en- vie,
une ~
au demeurant
très déprimante.
Contractés,
les sujets
n'analysent pas leur contraction dans la di~et\\sion de la
décontraction qui les fait
rire.
Leur rire reste encore
pressuré par la pression de la vérité du système sur
l'individu,
et surtout par la mauvaise conscience de la
faute
conséquente à
son apparition à
la surface de dé-
combres sacrificielles qui présentifient
l'omniprésence
du danger qui l'entoure,
l'obsède. A l'image de la
psycho-pathologie mondaine,
le rire devient faux dans
une société où i l est
impossiple de douter du mythe du pro-
grès autant que de se doter d'une réelle force
intérieure.
Dans l'espace public où la simplicité se rarifie autant que
la sincérité,
dans un espace où tout ce qui
échappe aux
conventions est
suspecté,
le rire ne peut créer la sérenité,
té absente
de
tout
le champ social.
Traqué par l'ombre
de sa défaite,
i l se retrouve du côté de l'obscur,
de la
mort qui attaque sa polarité optimiste.
Ce
qui advient au
comique c'est déjà le
tragique du désespoir,
l'angoisse
de la rationalité.
L'homme qui r i t
sincèrement est déjà
un homme désespéré et le philosophe conscient ne doit plus
,
.
rire ni s'amuser.
"S'amuser signifie être d'accord
( ••• ).
S'amuser signifie toujours:
ne penser à rien,
oublier
.
la souffrance même' là où elle est montrée.
I l s'agit,
au
fond,d'une
rorme d'impuissance.
C'est effectiv~ment
une fuite mais: '., ..
pas comme on le prétend; une fuite de-
vant la triste réalité
c'est au contraire une fuite
devant la dernière volonté de résistance que cette réalité
.../ ...

_ 243-
.-
peut encore avoir laissé subsister en chacun"
(1).
I l n'y a
plus de raison de rire aujourd'hui et ceux qui rient
sont à plaindre sinon à blâmer.
Dans le quotidien de la
crise,
rire c'est espérer en l'impossible,
en fictionnant
la réalité tragique des faits.
Ce que le rire regénère
ce n'est pas l'individu,
mais ses syst~mes de croyances
dogmatiques qui cautionnent le blanchissage de la
castration à
l'oeuvre dans le social politisé.S'accro-
cher à
l'artifice du rire,
c'est détruire la réalité
du massacre en distillant la misbre de son ~tre-Ià dans
la vitalité des moments de bonheur ou de plaisir.
Le comique annihile la réalité psychologique et exis-
tentielle des sujets autant que leur signification.
Pour s'en convaincre,
on peut analyser avec Horkheimer
et Adorno,
le retraitement du comique par le fascisme.
HITLER ET LE COMIQUE
Hitler a
transformé le comique en méta-comique.
Par la mise en scène du fascisme~ i l a
orchestré un
opéra comique. Le Führer s'est doté de la toute puissance
du rire
comme arme absolue.
Par sa manrpulation au second
degré,
i l en a
élaboré ur~psychologie et une philosophie
,
.
politiques dont
l'efficacité n'est plus à.démontrer.
Hitler faisait
rire à mauvais escient.
I l ne coincidait)
.
.
dans les manifestations de f6ules
o~ il jouait volontiers
au pitre,
ni avec
son rire,
ni avec
son faire rire.
I l a
ossifié et pétrifié la vitalité du rire pour l'ino-
culer en m~me temps que le nazisme.
Ses facéties
comiques
relevaient d'une
construction du rire
comme réci~-piège,
comme un monologue
épique qui scissaille la dialogique
... / ...
(1)
Dia-Rai
P. 153

-244~
du signifiant et du signifié pour introduire du pouvoir
là o~ les gens croyaient reconnaitre du contre pouv6ir.
Devenu produit de
consommation,
le renversement du rire
dans
le contraire de la gaieté servaient de
sinistres
desseins.
La rhétorique fasciste
du rire et du comique
complique le rapport des mots aux choses en les
orientant
dans
le
sens de la production
de
l ' horreur des pogromes.
A vraissemblabiliser son humour,
elle l '
anaphorise par
la destruction des
conventions.
Ainsi sa mimique d'ap-
parat a
pu se doter d'une puissance désarticulante des
signes du pouvoir,
afin de profiter de
la confusion des
masses pour les attacher à
un~ politique sanguinaire $
Par des effets de retournements,
les
constructions humo.
ristiques peuvent profiter de
la relation entre les re-
présentés et les représentations,
pour inonder les cons-
ciences par les réalités les plus
insoupçonnées.
"L'utilisation maligne de
l'instinct mimétique explique
certains
traits des démagogues modernes.
On les dépeint
souvent
comme des hystrions.
On pourrait penser à
Goebbels.
En apparence,
c'était une caricature du commerçant
juif
dont
i l préconisai t
la liquidation.
Mus s o LLn L vous rappe..
l a i t une donna prima provinciale
ou un caporaL de la garde
comme
ceux qu'on voit dans
les
opéras
comiques et
tout~
la panoplie d'Hitl€r
semblait presque avoir été volée à
Charlie Chaplin"
(1).
Les fascistes
exploitent notre
sensibilité à
la
comédie pour nous
servir en acte une amère hécatombe.
Jouant
sur le penchant mimétique des foules,
ils
ont.trans-
formé
ce besoin de rire qui nous rattache aux clowns
et
(1)
-
Horkheimer -
Eclipse de la raison -
P.
127
.../ ...

- 245,;.,
aux clowneries de notre enfance pour nous
subordonner
à
la diabolique de leur impératifs totalitaires.
La
pratique de l'humour,
du rire et du comique
fait
bais-
ser tous
les mécanismes de défense du sujet.
Ainsi
découvert,
i l est une cible sans défense que la propa-
gande peut
fusiller
à
volonté.
Faire rire,
c'est
faire
,
regresser.
Le rire
est un opium de l'esprit
critique.
Ce qui assure
son efficace,
ce n'est pas la conviction
de
sa discursivité,
mais notre bienveillance acquise à
la cause du ludique.
Si le rire devient une marchandise
quand le maussade est devenu un décor,
c'est parce que
le plaisir de rire nous
fait
accéder à
l'insoucianc8_
et à
lanaIveté de notre enfance.
L'aliénation comique
n'est pas un acte de
la conscience mais un fantasme
qui réalise
et reproduit un passé imaginarisé comme non
conflictuel.
Elle commande une déréalisation du réel
dans
sa dissolution dans
le vécu auréolé de l'illusion
récurrente du narcissisme
originaire.
C'est la promesse
de
la rép~tition de ces stades de la libido qui facilite
l'acquisition du conscensus populaire.
Hitler et
ses
homologues
triomphent par leur habilité à
faire
miroi-
'ter les
joies de
l'enfance dans
les mimiques de leurs
prestations de
tribun.
En cela les faècistes
sont plus
perpicaces et plus
cyniques que les démocrates '.
Ils
savent gratter le peuple là o~.il se démange. Le parti
pris pOUl' l'irrationnel déclenche la persuasion du fait
m~me de l'immédiateté de l'identification qui iie les
hommes aux héros posit~fs. Les hommes s'imaginent des
affinités
électives avec ceux qui apparaissent réaliser ce
" ,
qu'ils
croient
~tre leurs aspirations. Le cocu,
le mé-
chant,
le
juif,
le noir,
c'est
toujours l'autre.
L'adhésion
.../ ...

_ 24&-
des masses à
un discours fasciste n'a de cohérent que
la logique de
la séparation qui enge~dre la passivité.
La confiance et la conscience subjective de la situa-
tion d'exception que
chacun s'allègue,
le fragilise
face
à
l'absolu du rire et du comédien comique qui le
fascine
et commande ses agissement\\futurs.
Le rire parle
aux complexes,
aux refoulés un langage qui n'est pas
celui de la raison et qui s'apparente à
celui de la l i -
bération.
I l offre une plate-forme d'identification de
l'agressé avec l'agresseur sans pour autant qu'il y
ait
structuration d'un mécanisme de défense.
En imitant
l'accent des
étrangers,
on ne fait pas rire
seulement
les
"nationaux" mais aussi des
étrangers,
c'est-à-dire
les dindons de
la farce.
A ce niveau de notre analyse,
on peut remarquer
que
ce qui es~ ~n question dans ce procès du comique,
c'est
le pouvoir fictionnant
du comédien comique d'une part et la
fuite
dans l'illusion d'autre part. L'enjeu de la critique
c'est donc une puissance de l'aliénation qui installe
la dérobade et l'équivocité dans l'espace de l'échange
et de la substitution (1).
Cette puissance qui produit
un écart par rapport à la vigilance de la conscience
diurne ne peut @tre combattue que par une acuité de la
conscience;J..~d'éviter-l'embrigadement du s uj e t dans
l'irration~lismc. On peut dès lors se demander dans
quelle mesure la vigilance métacritique contre l ' i r r a -
tionnel ne recouvre pas la disqualification des
imita-
teurs dans
"la RépJJbli..e.t_ue" de Platon.
Comme
les imita-
teurs dont
ils sont,
les comiques,
fascistes n'ont en
définitive aucune propriété apparente. I l s
sont des enti-
tés multiples qui .voguent au-dessus de
leur @tre là,
et
(1)"Dans une certaine mesure,
en principe,
le rire entre deux
@tres suppose un état
ouvert à
tout venant" G.
Bataille,
"attractïon et répulsion",
Le collège de sociologie,'
Gallimard 1979 -
P.
203
.
~ .. / ...
'

- 247-
accèdent à
la multiplicité des rôles qui commandent leur
morcellement.
En cela ils n'ont pas de conscience propre
mais des masques
impropres qui ne favorisent
aucunément
l'auto-engendrement de la conscience de soi •. En outre le
comique est peu sérieux. Au lieu d'une
évaluation réelle-
ment
tragique de la situation malheureuse,
i l ~ontrôle
dans la mystification et la satisfaction des personnes
qui entendent ce qu'elles désirent et non ce qu'elles de-
vraient. Mais à
la différence du poète de la cité,
le co-
mique est responsable,
trop responsable hélas de
son
discours qui ne lui est pas inspiré par les muses mais
par l'idée de la mort.
La contradiction qui adapte le comique à
la violence
réside dans la nécessité de réclusion qui situe le comédien
dans la parodie. La répression des masses prend prise dans
les masses par la faiblesse
illusionnante des masses.
Celle~­
ci du creux de leur conscience mystifiée,
se leurrent dans
la croyance en la possibilité d'un ordre moins répressif,
sans pour autant qu'elles envisagent de rompre avec leur pas-
sé.
Par la superposition du passé et de l'enfance,
le comi-
que séduit en offrant son support à
l'évasion.
Son corps
est tout
entier une reproduction du fantasme de la négation
des
contraintes sociales puisqulil énonce l'enfànce et les
clowneries de notre enfance. Les démagogues déguisés en
clowns sont des stratéges comiques qui représenfent
le con-
traire de leurs objectifs pour atteindre ces objectifs. Aussi
le
jeu de transmission des affects dans des situations de
".
comédie saine se
trouve complètement déréglé
tout
comme
.../ ...

- 248-
"l'épargne de dépense affective par quoi deux sujets
éprouvent du plaisir,
dans les situations comiques du
"mot d'esprit et ses rapports à
l'inconscient"
(1).
La psychologie de masse du fascisme
comique nécessite la
réorganisation des
typologies
traditionnelles du rire
et de l'inconscient.
Certes ici encore la manipulation
démagogique implique une
infantilisation de soi par
quoi l'hilarité des autres est acquise
(Freud)dmais cette
,
hilarité crée l'infantilisation des autres à
leur insu
alors même que le démagogue ne faisait
que se mettre en
scène comme figure de l'enfance.
Le démagogue ranime les
souvenirs des
jeux d'enfance
chez son public qui à
la vue
de
ses monstrations bascule dans la naIveté.
La naIveté de
la victime est réelle alors que
celle du comédien est un
effet de l'exhibition résolument et positivement naIve.
La
naIveté politique est un dérapage prémédité et contrôlé
autant que l'instigation à
la destruction des personnages
et des archétypes imités.
"Hitler conquit l'inconscient
de
son auditoire en suggérant qu'il pouvait forger un pou-
voir au nom duquel l'interdit portant
sur la nature refou-
lée serait levé"
(2).
Hitler ou Goe~els imitantle~ juifs,
les f6ules
se
retrouvaient en Hitler qui leur renvoyait
l'image des
juifs
non pas comme symbole de leur libération mais
60mme le bouc
émissair~ qui les sépare de cette libération. Il s'identifie
dans
son burlesque à
son sur_moi dont
i l inaugüre la des-
truction par la dépréciation ludique de ses figures.
En se
faisant
opéra comique,
le nazisme a
pu dissoudre les forces
antagonistes à
ses choix de
société en ralliant à i a ré-
pression tous les partisans du principe de plaisir.
Seule-
ment à
la différen~e de la définition kantienne du leurre
(1)
Freud -
Le mot d'esprit et
ses rapports à
l'Ics -
Gallimard 1953
P.
215
(2) Hork.
Eclipse de
la rafsoD
P.
128
.../ ...

-
249:"
comique,
ce leurre .ma s s Lf' n'a pas duré seulement un moment.
Le naturel inhibé par la logique de la domination croit
pouvoir enfin s'exhiber contre le père,
le
juif. L'idéal
du moi investi par ce naturel inhibé
(principe de plaisir
impliquant un ordre naturel de la société)!se rapporte
à
l'image du chef " {eUe im 3yè à la d i ff'écence deéelle
du juif n'est pas représent~)comme rationalité de
la répression mais libérationf des pulsions. En effet en ce
que l'idéologie hitlérienne affirme instituer des rapports
naturels de forces
saines entre les hommes,
les races
elle retrouve une conception naturaliste des rapports
sociaux. Le nazisme est une affirmation délirante de la
mère nature par le meurtre du père
le
juif (1).
La con-
vergence entre le nazisme et les masses
s'effectue en partie
à la faveur de la permanence en chacun d'un désir de pro-
testation contre le pouvoir de la rationalité.
Le rire
s'intègre dans cette idéologie de l'émancipation en trou-
vant son moteur dans
ce désir du nouveau qui ne change pas
les règles du
jeu de la domination.
La conception d~ la
nature à
l'oeuvre dans l'utopie de la théorie critique
est
oppositionnelle et non complémentaire de la domination.
Elle reste un principe hypothétique de m~se en question du
social alors qu'Hitler invoque les forces de la nature pour
les retourner contre la nature.
Son nihilisme s'apparente-
rait à
ce que Nietzsche nomme le nihilisme réactif.
Son
nihilisme ou plutôt sa cri t Lq u'e de la réalité de la ·ClJaure-
mobilise les inconscients dans une révolte contre la société.
Mais cette mobilisation fomente
sa
révolte pour maîtriser
les forces de la révolte dans le sens d'un accroissement
(1)
Ce
point dé vue a
été'dév~loppé beaucoup plus largement~
Gérard }lendel dans lita révolte contre le père" -
Petite bibliothèque PaYot.
.../ ...

- 25U-
de l'excroissance de son pouvoir. Le
nazisme est une volont~
de pouvoir et non une volonté de puissance.
I l veut
la synthèse additionnelle des forces de la culture et de
la nature pour ~vacuer cette dernière. La''mim~tisation"
de la nature est le noeud de cette mystification.
Tout
comme aujourd'hui,
l'industrie
touristique fabrique de.
la nature en la falsifiant. dans le folklorique,
les
d~magogues invoquent le coeur pour asseoir la raison
sur le coeur.
Toutes les apologies de la nature se
d~masquent en dernière analyse comme des rentabilisations
de la domination de la nature.
Les retours aux sources,
les philosophies de l'authenticit~ sont des philosophies
de l'identit~ de la domination.
"Les doctrines qui
exaltent la nature ou le primitivisme aux dépens du
spirituel ne favorisent pas la r~conciliation avec la
nature"
(1). Le mimétisme renvoie au modèle primitif
de la violence instinctive et irrationnelle.
I l ne per-
met aucun d~passement de l'~chec de l'Aufklarung mais
concr~tise son concept dans la syst~maticit~ n~gatrice
de l'individu. La critique de l'Aufklarung ne peut se
r~soudre dans une r~gression ou dans une ~ontre culture.
La nature est histoire en tant qu'histoire humaine de la
nature qu'on ne peut virginaliser sans la mythologiser
dans un reco dage
"hyper.rationaliste".
En fondant
la critique du comique dan~ celle du
mim~tisme, puis celle du mim~tisme dans celle du natura-
lisme,
Horkheimer produit un d~placement qui produit la
n~cessit~ de certaines question5: Tout comique est~il
(1)
-
Hork.
P.
135
... / ..'.

- 25T-
mimétique? Le moment de la critique du comique fascisé
est un moment d'argumentation psychanalytique
à quoi
réfère ce besoin de psychanalyse1
S'il n'y a pas de
nature sans parodie,
qu'en-est-il de la sincérité?
Le pouvoir de la mimésis
se développant dans sa culture
comique comme une r~gression vers l'irrationnel, peut-on
en dire autant de la mimésis du pouvoir ?
POUVOIR ET COMIQUE
La critique du comique chez Horkheimer s'in-
vente dans un langage de gestes qui fonde
l'immuabilité
fluctante de l'exploitation de la mimé~is à des fins de
domination. L'hilarité ne libère pas l'homme mais elle
accroît
sa détresse car plus brillante est l'illusion
de la négation du principe de réalité,
plus douloureuse
sera la désillusion. L'humour n'est pas le lieu réel
de la confrontation· des hommes avec leur interdit mais
plutôt le lieu de leur redoublement dans le sacrifice
d'un bouc émissaire.
Critiquer ce mode d'emploi massifi-
catoire d'une affection produisant du plaisir,
c'est l'oc-
sion pour Horkheiner de disséminer les arguments critiques
dans
des lieux autres,
dans des lieux ,obliques mais'
pas moins fondamentaux.
Du reste c'est la dénonciation
de ces lieux qui donnent
occas~on à la critique du comi-
que et non l'inverse. Le comique n'est pas une réalisation
pratique de la mimésis mais sa destruction fondtionnelle.
Ce
comique propose de la mimésis une vision qui fait
coin-
eider la vérité avec
l'irrationnel.
En cela la fi~lre
majeure du mimétiq~e c'est le .père en tant que figu~e~
concrète~ de la vérité. Le comédien imite le père dans
.../ ...

-252"':
son mode d'apparition au centre de la sc~ne sociale.
Du haut de l'esplanade,
dress~ sur les spectateurs
assis et rabaiss~s, i l profite d'une relation didac-
tique qui impose
sa parole et organise la soumission
des masses.
Sa parole ~choit aux hommes comme celle
du maitre.
Ce maitre pour supporter les fantaisies de
l'imagination)trouve des arguments dans l'ambivalence
du mod~le du pere.
Si les dictateurs deviennent de sordi-
des leaders,
c'est parce qu'ils sont aussi de v~n~ra­
bles p~res si admirables,
si riches de promesses que
vis-à-vis d'eux les mass~ inhibent la haine qui corres-
pond à
cet nmour d~lirant. Le d~sir du p~re devient
d~lire du p~re. C'est en tant que tel que la mim~sis
du p~re devient la mim~sis du comique moyennant quoi
elle devient mim~sis du pouvoir.
Le comique se commercialise par une accumulation
du rire et une accr~ditation des têtes de turc. Dans
l'~tat moderne parvenu à l'absolu de sa dissolution, le
rire devient un moyen de reproduction des
forces pro-
ductives.
Ce moyen est accumulé dans les axes de diffu-
sion de la culture de masse.
Les artistes
comique~ sont
engag~s sur les chaines de télévision et de radio à des fins
de
concurence
avec d'autres
chaines.
Ils meublent des
~
~
:
tranches du rire.
Dans 'le Matin du 5/2/1980,
1~ PDG de
Radio Monte Carlo,
apr~s avoir remercié Coluche (1) de ces
deux sema~nes de service explique
"Nous avions d~cid~
de faire de
la tranche
12 H-13 H,
une
tranche du rire.
Je crois que l'~re des
jeux est r~volu~, sauf si l'on
",
(1) Coluche est un artiste comique français •
.. ./ ...
"

-253-
surench~rit sur les enjeux.
Coluche devait ouvrir la
voie,
être notre
"brise glace".
La glace est rompue o
C'est Hen~i Salvador qui prend le relais".
Ainsi le rire est
int~gr~ dans la rationalit~ ~conomique
du massage des
cerveaux.
Il intervient pour liqu~fier
le spleen,
pour r~generer la pesanteur ambiante.
C'est
une variation de stimuli qui r~articule l'attention de
manière à
la rendre captable.
L'humour prend sa place
dans une entreprise de xete~ritorialisation de la cons-
cience.
Il fonctionne
comme une r~assignation à la norme,
comme une catharsis qui pr~cipite le retour du refoul~
pour le ~ieux refouler.· Ainsi sa fonction n'est
pas
tant de distraire que de surveiller ,de r~guler la d~siden­
tification du sujet par la production raisonn~e de contre
identifications.
Le comique n'est plus isolable de l ' e f -
fectuation de la circulation du travail et du capital.
Son modèle de r~alisation tend vers l'oeucum~nisme. Les
transferts de
comiques et les transferts d'artistes et
d'oeuvres d'art
soDten voie de plan~tarisation complète.
Mais en ce qu'il ant~cède le grand rire franc d'un
Alexis Zorbas ou de
Zarathoustra par une ·administration de
son rire
industrialis~
le fascisme ne'
produit-il pas une auto r~flexion ? si oui le fascisme
n'est-il pas une
th~orie critique?
L'aut~ r~flexion du penser ne devient pas critique
par son retournement mais par son renversement en tant qu'il
produit du non-identique.
En mettant le rire dans la con-
jonction conjugu~e de sa survie, le comique ne produit que
le même du codage du système de d~pendance. La propri~t~
.../ ...

- 254-
des dictatures· à
se repanser ne développe pas leur présup-
posé. Les comédiens et les critiques de service sont des
paravents qui dédramatisent les
tragédies
Par ailleurs,
l'humour peut valoir aux hommes
politiques des
sympathies que leur politique sociale
ne leur assurerait pas. L'homme politique humoristique
ou ironique n'est
jamais à
cours de répliques.
I l par-
vient
toujours à
faire porter son agacement par ses
adversaires.
L'humour peut être un art de l'esquive. En
jouant sur le malentendu,
l'homme politique par son
humour éconduit
tout
ce qu'il ne veut pas entendre.
Dans
"Humour et politique" Alfred SauVy rapporte
:
William
Churchill vient de qu~tter le parti consevateur~ Une mi-
litante de ce parti,
mécontente lui crie sa colère en
le prenant violemment à
parti
"Md s t e r- Churchill,
je
n'aime pas plus votre moustache que votre politique
"
Soyez tranquille,
réplique aussitôt le mou~­
tachu
(W.C~vous n'avez pas plùs de chances d'entrer en
contact avec
l'un qu'avec l'autre"~(1)
Le même Churchill aurait dit des Ma~'
Brothers
(dont Adorno et Horkheiner ne semblent pas apprécier le
zèle -
cf Pia Raison P.
146)
"c'est si reposant de voir
des
comiques qui ne se font
pas passer pour de~'hommes
d'état." " ( 2 ).
C'est là un aveu politique de l'implication de
l'humour dans la
politique;
implication qui devient imbri-
cation puis embrigadement ·systématique dès lors que la
politique devient spectacle. Dans le film de
(1 ) Alfred Sauvy -
Humour et Eolij;ique
.../ ...
tJ, Calman Lévy.
P.
39

-255-
Volker Schlondorff Ille tambour",
on voit comment l'ex-
ploitation de l'humour crée des débouchés à
ces handi-
capés physiques que sont les nains. Le fascisme
se lie
au procès du capital dans
sa tendance à
solvabiliser
tous les régistres sociaux ou sociologiques
fous,
prisonniers de droit commun,
enfants
tout" le monde
est rentabilisé.
C'est dire que personne ne se définit
par rapport à
sa vérité mais par rapport à
sa produc-
tivité.
Ainsi le comique et le rire
sont pris dans les
enchevêtrements de la ruse de la raison.
La mauvaise
foi confond genre et espèce,
métaphore et analogie,
nature et violence destructive,
sourire des candidats
aux élections et sourires des nouveaux nés,
bref/copies
et
~dèles. La beauté se finalise,
le rire devient
travail industriel.
Mais le rire industrialisé ne produit pas de la
joie sinon du tragique.
A force de ne
jamais se frac-
turer,
sa permanence dit sa froideur.
Son modèle n'est
ni dans
sa signification présumée par le spectateur,
ni dans la didactique de l'acteur.
Etouffée dans son
contraire,la force dissidente du rire
imite son oppression.
Forme de la gestion de l'inerte,
le rire raccnrde sa pa-
role au film de
IIl'histoire mQtorisée".
Chez Aristote,
les
objets artistiquement peints pouvaient être inférieurs
(le comique)
égaux ~'histŒire) ou supérieurs (la tragédie)
,
.
à leur modèle. Aujourd'hui ils sont
tous des agents de
l'harmonisation de la tragédie et du comique dans l'histoir~.
Le rire ne devient pas barbare par la profusion des méta-
phores,
mais par la confiscation de
toutes ses métaphores •
.../ ...
.

- 2'56- ..
"Dans la société frelatée,
le rire en tant que maladie
s'est attaqué au bonheur et l'entraine dans
sa mis~re
intégrale"
(1). L'échec du rire tout comme celui de la
phi~osophie rel~ve de son incapacité à déboucher une so-
ciété aliénée. Le rire se greffe
su~ une contrainte inhé-
.
.
rente au silence qu'il est
tenu de garder sur ses déter-
minations mécaniques.
Dans les rires d'aujourd'hui,
aucune
unité ne relie la poussée de la révolte à
la sonorité de
l'hilarité. Le fracas qui l'habitait en le maintenant
dans la contradiction irréductiblement nostalgique s'est
abâtardi
dans la bienséance de la béatification.
Pas
plus que le retour à
la nature ne retrouve une nature cultu-
relle,
la perspective d'un recouvrement de la puissance
destructive du rire
est un voeu pieusement idéologique.
LE POINT DELA SITUATION
Il Y a une liaison de fait
entre la philosophie et
le comique
ironie -
humour.
La ,théorie èritique en
développant
sa théorie du rire
ne s'inscrit pas cependant
dans
cette
tradition qui
tout compte fait
est critique.'
Est-ce à dire que la philosophie ne doive plus participer
à l'ironie et à1<llht:tlnour'? Que peut-on reprochEl,r· à . i:
.
. ~."
.
-
l'ironied'Epict~te par exemple? Ce qui permet à
Horkheimer et à Adorno de critiquer le rire dans l'indus-
trie culturelle n'est-il pas déductible de la fameuse
anecdote d'Epict~te ?
..
"
(1) Hork - Adorno
Dia. Ri}i.
.../ ...

- 257-
Le ph.Ll.o s o phe : stoïcièn"Ji réagissai t
à la t o r-t u re.
de
son maitre lui
tordant la
jambeJque par un "tu vas la
casser".
Puis quand la
jambe fut bel et bien cassée .i I .a j ou ta i t
"je te l'avais bien dit"oN'est":ce pas déjà Horkheimer ou
Adorno critiquant la barbarie
technologique sur le
terrain
théorique alors que sur le terrain pratique l'émancipation
mutilante
suit son cours.
Une fois
sa
jambe rompue
Epictète est un mutilé.
En réfléchissant
sur sa mutilation
ne réalise-t-il pas la définition francfortoise de la
philosophie
(1)
comme réflexion sur la vie mutilée?
Face à son maitre qui le bat,
le roule par terre puis
brise son sujet,
le philosophe reste
impassible,
stoïque.
Mais
ce n'est pas
son maitre qui gagne en impassibilité
mais éon esclave.
De
même,
le philosophe méta -critique
ne
se laisse pas perturber par le
terrorisme du pouvoir
qu'il décrit comme victime d'une cécité,
d'un aveuglement.
Certes le philosophe est dominé physiquement mais i l
domine
sa domination par la représentation critique de sa
violence.
Epictète ne répond pas à
la violence par la
violence.
Adorno et Horkheiner non plus.
Ils lui
opposent
la possibilité d'une autre
évaluation de la
souffrance matérielle à
transcender dans
son immédiateté.
La violence n'a de
sens que dans
le
jeu de
forces
iden-
tiques.
Mais lorsque des chars écrasent des
corps couchés
à
même le
sol,
i l n'y a
aucune~fierté à retirer de ce
massacre
car~il n'y a pas eu de match~ L'ironi~ philosophi-.
que
se noue
comme la réplique non réciproque d'un rapport
de forces qui
commande une réciproque pour l'écraser.
",
( 1 ) MjrÜI1I8 Moralia
est sous-t-i t r
.r Réflexion sur la
é
... /....
vie mutilée-

- 258-
~.
~
Elle est décommande
de demande de l'autre,
comme
stupide et non nécessaire,
par l'introduction d'un
enjeu tout autre.
Mais
si Adorno et Horkheimer se réduisent à
Epictète,
ce qui pose problème c'est
la typologie de
Deleuze quant
à sa lecture historique de l'ironie et
de
l'humour.
Pour Deleuze,
le comique
se passive
dans
deux modalisations historiques dont Kant
marque ~a
limite.
Chez les anciens,
l'humour et l'ironie sont
des attributs de l'individu qui se moque de
la loi tout
en la subissant
et en "la rationalisant.
Socrate meurt
par la loi qu'il critique,
tout
comme
i l
organise sa
vie par la subordination de
son corps à l'idée.
De
même
les dieux grecs,
sont des puissances naturelles repré-
sentéêdans les
institutions.
Les
failles dyonisiaques
des fêtes ne rient des dieux qu'en cédant à
leur fas-
cination appolinienne
• C'est dire que
chez les grecs
la loi se rattache au bien en tant que principe trans-
cendant.
On ne r i t de la loi que par son côté non
légal,
son impuissance à
réaliser le bien dont elle
s'inspire.
Si les hommes
savaient
ce, qu'est le bièn ou
savaient
s'y conformer,
i l s n'auraient
pas besoin de loi
(1).
L'ironie parcourt la dis~ance qui ~épare_la loi de
son principe de mise en accusation du réel.
Son mouve-
ment est ascendant alors que
celui de
l'humour est
inverse.: d u
haut,
du bien absolu,
l'humouriste critique en descendant
vers les lois.
".,
(1)
Deleuze -
'9résenlat.ian deS8ChE!r-~~soch P. 71
.../ ...

- 259;..
La révolution copernicienne marque une faille
dans
cette logique du comique qui dê par sa critique
réinstaure le bien.
"La cri tique de~aison pure" dé-
crit le lieu objectivaI d'une ironie et d'un humour
qui atteignent leur paroxysme dans
"le procès" de
Kafka.
La loi dont
le philosophe moderne
se moque,
n'a
aucun motif réel,
ni idéal. La loi moderne est une léga-
l i t é sans loi,
une
forme pure qu'on subit sans arriver
à
situer son sens. Absurdes mais réels,
l'ironie et
l'humour modernes fustigent
une loi qui ne détermine ni
son objet,
ni son principe.
Ainsi la philosophie moderne,
par l'ironie,
s'accrodhe au renversement de
la loi telle
qu'elle
se produit dans le
sadisme alors que l'humour
converge vers le masochisme dont la fictivité de
l'adhésion aux principes moraux,
produit dans
son extrê-
me,
une
contestation radicale.
Le problème pour nous
c'est
de savoir si la théorie critique peut
s'inscrire dans la
modernité de cette typologie délirante
(qui vient de
dé-
lire,du désir)
de Deleuze,
surtout que nous avons déjà
esquissé un rapprochement entre
la théorie critique
et les anciens.
Adorno et Horkheimer n'appréhendent pas Sade
(donc le
sadisme)
dans
l'absurdité de l~ loi"mais dans
.
,
la continuité de la logique bourgeoise dont
i l repousse'
la détermination sans arriver à
s'en libérer.: La critique
sadienne de
la loi qui illumine l'irrationalité du sa-
crifice comme fondement de la civilisation démasque
la putréfaction àl'eeuvre dans la raison.
En cela~ade et
Nietzsche
(1)
disposent les arguments d'une négation
(1)
cf Dia Raison
P.
92 à
127
.../ ...

-260-

utopiste de la raison. Mais la critique de
la loi morale
de la raison pratique qui vise à détruire chez Sade la
civilisation en lui appliquant sa propre destructivité
s'égare dans les p-r~ùgés bourgeois
individualisme,
grandeur,
mépris de la pitié, .de la faibl~sse, de la
justice. Mais mépriser la faiblesse
c'est faire
système
avec la domination.
"La négation de Dieu implique une
contradiction insoluble:
elle nie le savoir même.
Sade
n'a pas porté le concept de Raison jusqu'à ce point de
renversement"
(1).
Le sens
symbolique de cette lecture de Sade op-
pose la critique francîortoise
à
la critique antique
ou moderne.
La théorie critique catalogue les localités
qui conduisent au salut afin de les éviter comme cercles
hcurménitiques.La théorie critique problématise le
sens non seulement de l'histoire mais aussi du sujet
et des systèmes formels.
Sa critique n'est ni référence
à
la verticalité d'un sens,
ni immanence dans l'absur-
dité du cercle v~cieux du sens. Elle est transversale ou
transdiscursive
(cf M~rc Jimenez). Si elle devait
rire tout en critiquant,
elle ne critiquerait pas puis-
que le relev~des démultiplications d~ la logique de la
domination qui l'occupe,
l'engage sur un itinéraire qui
n'est pas le
sien mais celui ?-es t r-a.n s f'dgu r-a t Lon s
du
sens.
Le sens peut
se transformer en ironie ou en
humour,
en verticalité ou en cercle. Le rapport au sens
de ces modalisations qui se nouent dans l'intermède qui
précède la conversion de l'un dans l'autre est un rap-
port de pouvoir.
:
..
(1)
-
Dia Rai
P.
123
.:../ ...

-26I~
Une fois
établie
les contours de c es rappo-rts ,:
la f o r ma de la lecture qui tire des formes dans La tY4/1.S
humanee
" de l'humour et du comique se déforme.
En effet
la notion de forme chez Adorno se découpe/comme nous
l'avons signalé au chapitre précédent,
sur le contre-
modèle de l'espace. Un des principes de l'irrégularité,
la forme ne rentre pas dans le droit chemin de l'espace
et des cités qu'elle défonce par l'imagination de ce
qu'elle ne conçoit pas et de ce qui n'est pas convenable
en elle-m~me. La forme devient une maladie déclarée de
l'espace.
Son intelligence ne prétend pas guérir la
civilisation de
son oppressi.vi té.
Elle est elle-m~me
l'opprimée de cette oppression dont elle sert à formo-
liser les victimes. Mais par la dépression de sa forma-
lisation,
la forme adornienne repousse la souffrance
matérielle en se redéfinissant par elle-m~me contre
elle-m~me. Ce déplacement réflexif de la forme libère
les formes mensongères politiques des
th60dicées de
la forme.
En devenant
temps,
la forme
s'énonce comme
musique se rattachant à
la liberté du t~mps et au temps
de sa détermination indéterminable
(1). En l'arrachant
à
la subjugation de l'espace,
Adorno féconde une dé·
finition musicale de la forme.
"Art du temps"
(1), la
musique est néga"t"ion du pouvo~ir de l'espace en tant que
théatre de la destruction des r~ves, théatre générateur
de pe~rl d'angoisse et de remords.
De
ce point de vue,
la pensée d'Adorno s'assortit d'une
caractéristique
fondamentale du judaïsme
"l'intériorité de la loi morale •••
qui nie que la vraie piété réside dans les actes du culte
et exige cette chose infiniment plus difficile
"la
conversion intérieur,
l'adhésion intime de l'âme à
la vertu"
(2).
Olivier Revault d'Allonnes -
Mu~ique-Variations sur la
pensée ,juive ~
d
é
i, tian
chvi,stio\\'t\\
'Bourgeois,
Page> J2
JJ
••. / •••

- 262;..
La critique du comique dans
la théorie
critique décompose la forme
de l'ironie et de
l'humour
modernes.
Par l'intériorité de
la loi, Adorno et Horkheiner
la dialectisent.
Hébergeant l'opposé de
tout
comique dans
le
sujet
comique lui-même,
i l s peuvent reproduire la
comédie de
ce sujet dans sa référence et sa duplication
dans
la comédie de la loi.
Dans le
ficellage réciproque
du sujet dans
sa loi et de
la loi dans
le
sujet,
le comique
tombe
sous la catégorie du doute
critique qui en fracasse
la physique dans le ressourcement
inventif de
la fiction
artistique.
Cette cassure au sein de la forme peut
se con-
cevoir comme une rupture d'avec l'universalité et
ses
empires~
Elle
se produit dans
l'ordre de
la désillusion
de
l'aveuglément délibérée dans
la complaisance de
la
vérité.
L'utopie d'Adorno ne
consiste pas à sortir de la
forme
de l'histoire qui la cerne car on ne
sort
jamais de
la forme
qui est notre histoire.
On ne s'applatit
jamais
non plus dans
ses
jointures si tant est qu~on se préserve
comme sujet pensant la fausseté des
systèmes.
Par contre
le
sujet se
sent d'emblée dans le
temps ou dans la nuit
des
temps.
Dans le
temps,le
sujet saisit
sa phénomenalité
et s'aborde comme anticipé.
Sa ~ie désaff~ctée ~st
habitée d'une vie réelle.
.../ ...

-263'-
I l reste que les prises de position d'Adorno
et Horkheimer contre la bande dessinée
(1),
contre le
cinéma populaire
(2),
contre le
spor~ (3), contre le
jazz
(4),
font
probl~me du fait que leur réitération
qui fait
figure
de
syst~me dans la théorie critique
établit un curieux rapport entre le pouvoir et
les
expressions populaires de
la culture.
Celles-ci semblent
confondues avec les médid~~. Quand Adorno dit par exemple
"Le public ne saisit de
la musique ·traditionnelle que le
plus grossier,(4)
f a i t - i l
un proc~s de la massification
à l'oeuvre dans les mass-média ou un proc~s du public?
De
même quand avec
son coll~gue et ami Horkheimer,
i l s
voient dans
"la machine, à
jazz",
dans
la farce
et la
clownerie,
dans
les dessins animés,
la répétition à
l'infini des
stéréotypes
technologiques,
s'attaquent-ils
seulement à leur forme
?
Pourtant des dynamiques
sociales s'agitent sous
le vernis de la formalisation.
Dans l'humour d'un San-
Antonio qui di t
"Il faut
violer la Langu e
pour lui
faire
des enfants",
des déshérités peuvent
s'introduire et
introduire des
insannités qui par la redéfinition synta-
xique de leur mise en parole interrogent
l'orthographe~
la grammaire ..•
la norme.
Dans le français populaire
ivoirien par exemple
sous la forme d'une
ingénuité
probe,
les paroles·populaires ;e rhabillent
sous les traits
grotesques de
la farce,
de
la maladresse,
de 1 ~ignorailce
et repoussent
si bien les déterminations globales de l ' i -
dée que cette derni~re s'en saisit et la renvoie aux dominés.
Sous le disqualificatif du non sérieux,
du trivial
(1)
Dia.Raison
P
14 A
P 98
(2)
Dia.Raison -
Pc14 B -
P.
148
(3)
Dia. Baison -
P.
137 -
144 -
157 -
Théorie Esth.
P.
84
(l~) Adorno - Philo. de la nouvelle musique
P.
19
.../ ...

- 264-
du banal ou du vulgaire,
les hommes peuvent
jouer à
l'imbécil~, à l'âne et arriver à donner un coup de pied
auquel bien entendu,
l'autre ne
saurait répondre sans se
mettre au niveau de l'âne. L'argot,
la bande dessinée •••
font
sourire ou même rire. Mais ils peuvent également altérer
ce qui les ~éprise.
nLA PHILOSOPHIE EST CE QU'IL Y A DE PLUS SERIEUX MAIS ELLE
N'EST PAS NON PLUS SI SERIEUSE QUE CELAn
(1).
Kierkekard médiatisait l'esthétique et l'éthique
par l'ironie qu'il opposait à
l'humour comme le non
lyrique s'oppose au lyrique.
Pas d'ironie sans contradic-
tion de l'infini par le fini.
La finitude du sujet ironi-
que face à
la demesure de ce qu'il tente de repousser)
relève de l'absurde. Mais cet.
absurde édifie l'éthique
en ~e sens qu'il défie les cadres de la condition humaine.
L'humour et l'ironie communiquent l'intériorité dont la
densité de l'étant extérieur triomphe pour s'établir.
Ils sont des éléments d'évaluation de l'éthique par la
projection lointaine du sérieux du conflit du temps
et de l'éternel.
Exterieu~parce que rigoureusement
rationnelle
jusqu'à l'absurde,
intérieure parce que
position du fini,
l'ironie maintient l'intervalle contre
la jointure qui diluerait la stl~ectivité dans sa ferme-
ture.
L'humour objective gaiem~nt le sérieux dé la vie dans la
négation qu'il pose dans le sujet et le
temps avec
leur
lot
de
contradictions et de:
pa r ad o xe c , D'an siLe comique
,
.
qu'il met en scène dans l'humour,
l'hurnoristen'expulse
pas l'éthique mai~ la renforce
(1)'Adorno -
Dia.Négative
P.20
.../ ...

265 -
L'ironie et l'htimour sont
donc aussi
deux formes d'attaque de la logique par sa logique i
c'est peut être pourquoi Horkheimer et Adorno qui cri-
tiquent la rationalisation par sa logique de la domi-
nation,
ne peuvent
supporter la solidarité suspecte
de l'ironie et de l'humour à leur côté ç Puisque la
théorie critique applique le projet critique de l'ironie
et de l'humour,
elle entre en conflit de
compétence
avec eux. Aussi elle les critique. Mais de quoi peut
survivre le sujet auto-réflexif sinon de la compagnie
de
son humour et de son ironie
?
Du reste l'auto-réflexion quoiqu'elle dise
de l'humour et de l'ironie,
ne peut s'en passer,
sans
devenir sérieuse,
trop
sérieuse. La philosophie étant
une chose.relativement ~érieuse quoique, -sans,
exc~s, le
moment de.l'auto-réflexion en tant que
sommet
philosophique de la théo~ie critique a besoin d'humour
et d'ironie p~ur maintenir la non identité du sérieux
de la réflexion.
Mais si elle n'était qu~ comique,
la
contradiction que la théorie critiqu~ ass~ne à l'iden-
tité n'attendrait pas de se fonder dans une conviction
avant
de
se dérouler~ Le"sujetsaisirait et s~merait le
<
.

paradoxe du dehors.
Sans nécessité i l s'adonnerait à
l'esprit de
critique.
En ne brillant pas par aon comi-
que,
la théorie critique se présente comme un esprit
critique. A la différence de la raison qui au seuil
des lumi~res tendait à
tout expliquer et à tout légitimer,
.../ ...

266 -

1
elle n'est pas un désir effréné ou une passion. La
passion rte la critique lui. faisant défaut,
totalise
t-elle pour autant autre chose que des critiques
d'une
très grande modicité?
Faire rire c'est amorcer la conquête du rieur.
Enchaîné dans l'âpreté de la violence,
le rire ne
clame pas
"le doux chant des rameurs". Le déridement
qu'il procure ne doit pas absorber les rides rigides
qu'inflige le capitalisme aux individus. Mais le
rire peut devenir tonnerre qui repousse et transforme
certaines impasses en passes.
En renvoyant à
la réalité
de l'absurde,
et à
l'absurde de
lar~alité, ,l'humour
et l'ironie peuvent faire
circuler les ombres et les
lumières pour renvoyer les_ échos_de leurs
origines dis-
sonnantes.
Si Adorno ~t Horkheime~ ne rient pas cependant
de bon coeur,
c'est parce qu'ils ne sont pas des désespérés.

- 267;'"
~
CRITIQUE DE LA PSYCHANALYSE
Sur la question du fascisme,
le recours aux
concepts psychanalytiques ne consiste pas à
jouer la
carte de l'irresponsabilisation par la d~monisation de la
folie.
Au contraire,
i l ~carte l'alibi de la pathologie
pour responsabiliser les agents du fascisme
en tant qu~'
fonctionnant
suivant une
organicit~ d~moniquement
dominante.
Ce n'est pas par l'absence de r~flexion que la
psychanalyse participe à
la stupidit~ populaire même si
dans la vulgate psychanalytique,
les profondan~s
humaines se parcourent comme une stagnation de l'apparence.
En d~ployant la fixit~ de sa stabilisation,
les images af-
f~rentes à la popularit~ de la psychanalyse,
à ne pas se
d~filer, ne d~roulent pas les noeuds dramatiquement
conflictuels,
qui ancrent le sujet dans sa n~vrose. Ce
faisant,
le sujet n'est pas seulement
détaché
de sa
genèse mais aussi de son histoire
solidaire de l'histoire de
la psychanalyse en tant que th~orie et p~atique de
l'~chec de la culture (cf Marcuse - Eros ~t civilisation. ).
Cette histoire et ces historicit~s disparaissant dans le
tamis de
la cure,
réin~crivent ra priorité de la sur-r~pression.
La volont~ interpr~tative manie constament la
suspiscion mais elle n'
c La Lr e le sujet qu'el) s e: posant dans
é
un sujet sachant un i.ve r s a Ld s e r-ul.a v r Lt
individuelle
é
é
du premier sujetconstitu~ comme patient. Dans l'orienta-
tion de cette lumière et de cette v~rité
.../ ...'

- 268-
un travers scientiste détient la vérité du sujet
dans son extériorité et son antériorité au point
de s'aliéner l'aptitude à
la ré~lexion du sujet. En
s'emplissant ainsi de son sujet,
le psychanalyste cul-
tive dans le
transfert sa longueur à
s'en vider. Et le
sujet en mal de psychanalyse n'a plus qu'à se dédier
comme objet d'une pensée dont
i l développe les attributs
bordant les boulevards de l'anamnèse. Le psychanalysé
fonctionne donc
comme un istrument inapte à
sa vérité,
attendant de l'autre-ttsa' légitimité et sa légitimation et
sa responsabilité déjà,volée et violée par cette pratique
métaphorico-conceptuelle.
"On se fraye un chemin dans
l'inconscient des patients en les amenant à renoncer
aux responsabilités de la réflexion;
et le
travail
théorique de la psychanalyse lui même suit la même
piste"
(1).
I l se vend une métaphysique psychanalytique
qui n'est pas énoncée dans la "méta-psychologie" de
Freud mais qui serait une
tentative de restituer les
faits historiques par l'effet du fantasme.
La question se
pose aussi de savoir si ce déchiffrement-qui s'accomode
de la régression ne s'accomode pas d'un chiffrage du sujet?
L'ordre psychanalyt ique devient un, envers du
concret dès
lors~ue l'énigme ~e la subjectivi~é soumis
à
la didactique rationalisante è'un Groddeck par exempl~
empêche
toute autonomisation.
Tous les mythes se situent
(1) Adorno -
Minima Moralia,
Payot
1980
----
P.
66
...._---~-
... / ...

- 269-
dans des phases historiques prci-individuelles. En
confondant les patients avec leur être pour autrui,
la
psychanalyse qui pathologice la massivité des faits,
marginalise la vérité de la maladie. En fait,
"c'est
dans la normale que réside la maladie de l'époque"
(1).
En effet,
en attiffant le sujet du décor étouffant des
sch~mes identificatoires,
la psychanalyse empêche à
son
niveau le mouvement de~blocages qui permettrait le
dépouillement du sujet disant un texte lumineux. Une poé-
sie pourrait entrer dans le conflit entre le médecin
installé dans sa jouiss~nce de la parole de l'autre
et le sujet qui fondamentalement résiste, hésite
devant ce monde quadrillé d'asiles,
de prisons,
de murs
de pierrés et debétop. -
"Elément d'hygiène" de cette
société sans écho,
la psychanalyse participe de l'exigence
de rationalisation et de rentabilisation de la maladie
en tant que refuge à débusquer et à dératiser.
L'écran de silence auquel le patient s'adresse
pour combattre ses symptômes,
recouvre
sa'douleur et
ses souffrances. Les paroles dont i l accouche,
i l les
fait
encore dans son propre l i t ,
d'autant plus chaud
qu'il retient encore des désirs réalisés en rêve.
La psy-
chanalyse ne guérit pas son suj~t même si elle nourrit son
homme,
elle l'absoud en dédramatisant ses souffrances •
.'.,
(1) - Adorno - Minima Moralia
P. 57
... / ...

- 270-
La sociabilisation du malade l'oriente en vue d'être
happé par la ventouse des repères sociaux collectifs. L'en-
lissement des peuples à la moyenne permet par ailleurs
de dépasser l~s limites de cette moyenne par la vie des
illusions et des hallucinations les plus criminelles.
En énonçant le monde dans sa division en social et en
égoïste
(1)
Freud méconnaît la dimension du plaisir dans
.
1
La ra Lson ,
Son pessimisme qui va jusqu'à douter de
l'existence du bonheur,
ne parvenant pas à remonter à la
raison de la rationalisation,
oppose plaisir et esprit,
et fait
écran à
ce fond d'individualité qui dégonfle
la présence forte des systèmes.
Par la consigne de
réflexion qu'elle prescrit,
la psychanalyse
tente de
dépasser la rigidité de la rationalité bourgeoise.
Mais elle y succombe par son caractère prescriptif et
conventionnel tant
et si bien que l'auto critique
emphatique de son système social se désagrège au seuil
des exagérations dont l'investissement constitue la
vérité de la psychanalyse.
L'aliénation psychique dont ra prise de
conscience théorique et pratique
justifia le projet
psychanalytique.ne trouve pas ~a radicalisatiori dans la
,
clinique et dans la cure mais plutôt sa solution finale.
C'est dire que le moment critique n'est pas seulement
le moment de la critique mais aussi le moment de la
possibilité de son ajournement par son détournement.
" . ,
(1) Adorno -
Minima Moralia
P.
59
... / ...
:~

- 271-
....
..
Là o~ ça accroche,
là ~galement ça d~croche. Dans
la discr~pance de l'action et de la passivit~ se noue
un d~fi'-de l'exp~rience d'autant plus pernicieux qu'il
est lib~rateur. Cependant l'obligation à l'action
n'est pas v~cue comme une action, mais comme une pas-
sivit~ qui est d'autant plus ali~nante qu'elle charrie
le refoulement,
la r'gression,
la bonne inconscience
et la mauvaise conscience. A vouloir forcer le bonheur des
sujets,
la psychanalyse les falsifie
se prêtant du
,
.
coup à
s~ propre falsification.
"Le transf~~ ,dont on
vante tellement les bienfaits th~rapeutiques,
et dont la lev~e n'est pas pour rien le moment critique
du travail psychanalytique,
c'est-à-dire une situation
parfaitement artificielle o~ le sujet r~alise lui-même
volontairement de façon tragique cette radiation de lui-
même qui amenait auparavant le don de soi dans la
spontan~it~ du bonheur -
c'est déjà le sch~ma d'un -mode
de comportement r~flexologique qui,
une fois devenu
la marche au pas cadenc~ derri~re le fUhrer,
liquide
en même
temps que
toute vie intellectuelle les psycha-
nalystes qui en ont
trahi les exigences"
(1).
(1) Adorno
. Hinima Mor~lia
P.
58

-272-
CON C LUS ION
Points de fuites
"La philosophie c'est la réflexion sur la
vie mutilée"
Adorno.

- 273 -
DE LA PHILOSOPHIE HORS-TEXTE
Si le concept libère un champ théorique,
si le champ implique un espace historico-dialectique
comment alors faire
l'économie des
théories
importées
alors même que
toute domination entretient son cor-
tège de méthodes répressives importées.
I l n~y a pas
de bonnes dominations.
En existerait-il qu'elles ne
.
.
1
seraient ni exportables,
ni exportées.
Par contre,
i l
peut exister des
théories qui de par leurs oppositions
critiques à
l'exploitation et à
la domination,
entrent
en contradic~ion avec ·les systèmes qui les déterminent.
Est-ce à dire qu'elles sont bonnes ? .Qu' elles détonnent
de leur conditionnement,
qu'elles les détournent utopi-
quement,
n'e~t-ce pas là une ruse de la raison déployant
sa temporalité pour imposer sa t o t a l i t é ?
Pour Horkheimer et Adorno,
les
totalités
entr'ouvertes par les
théories critiques restent néga-
tives mais consistent dans le dépassement des points
d'applications idéologiques afin d'en reconnaître les
processus de conjuration des possibles. '~e rapport
de cette force
de déplacement à
la force
de condamna-
tion dévoile la différence entre l'imaginaire et le
symbolique,
entre le non-devenu conventionnel ou le non
subventionné et le conventionnel en tant qu'il a
été
investi arbitrairement de valeun en incubation fétichiste~
C'est pourquoi la notion de
"théorie importée" ne fonc-
tionne que par disqualification. Lorsqu'elle rejette
.../ ...

-274:'"
derri~re le couperet de lanon-africanit~ par
exemple,
elle prononce un arrêt mais n'articule pas
une pens~e. Reste enfoui le pr~ssup6s~ d'une puret~
g~ographique attenante à cette m~taphysique de
l'essence. Mais le contexte n'~tant pas seulement
la texture mais aussi
son dehors,
la contribution
indispensable de
la domination de l'Afrique au d~ve­
loppement de
l'occident peut
sugg~rer le codage des
combinaisons critiques rebelles à
l'ingestion id~olo­
gique par les volont~s de flexion des sous-d~velopp~s.
Tout
comme la d~fense affirmative de la cul-
ture africaine contre les
id~olog~mes de la primitivi-
t~ et de la ~ens~e pr~-logique s'enserre dans son
affirmation,
la d~limitation g~ographique des pertinen-
ces r~flexives se cadufie dans la détermination d'un
espace dont
l'inv~olabilit~ r~percute le droit positif
de
la propri~t~ priv~e. L'importation et l'exportation
s'~tablissent dans un r~seau qui est celui-là même
de
l'imp~rialisme. Si bien que les concepts ont beau
être abstraits,
ils
sont
t ouj ours de s ,r~_s idus d' abs trac-
tions qui comme tels performent leur r~alit~ dans-la
J
repr~sentationde la passivation des activit~s des
sujets.
Le discriminant
~pist~mologique des d~~ermina­
tions des
th~ories quant à la production de cette
passivation de
l'action des hommes peut
infor~er sur
l'activit~ symbolique des penseurs de service.
Toutefois,
pas plus qu'il n'existe de m~canismes auto-
matiques entre la situation et la position,
entr~le
repr~sent~ et le symbolis~, 11 ne saurait y avoir
.../ ...

-275-
d'immédiateté reflétan.te sinon par une, distorsion
de ·la corporéité des
images.
L'acte philosophique s'effectue toujo~rs sur
des êtres incomplets.
Dans leur séparation des ques-
tions
"philosophiennes",
les populations sont les exclus
des
formations d'états et d'appareils d'états qui
en appellent aux renforts de systématicités de tout
genre.
I l y a
une liaison de fait
entre la position du
probl~m~ de la philosophie africaine et. la détermina-
tion des autorités à
circonscrire des
états-nations. La
nécessité rigide que
certains philosophes africains met-
tent à définir la philosophie par les textes,
rappelle
le
juridisme étatique brandissant les
titres fonciers
pour exproprier les villageois de leurs propriétés col-
lectives. La philosophie qui se donne un statut dans'
ses textes ,se légitime dans
sa pratique dissolvante des
mutilations de l'oralité par l'écriture. En apprenant
à
écrire,
les analphabètes rééduquent leur corps et leur
esprit selon la rectitude de la loi marquant de
son .sceau
(fer rouge) 'les corps à
redresser et à'élever à
la rigi-
ditéde l'interchangeabilité. Non pas que l'oralité ne
s'écrivait pas,
mais parce que
sa manière propre de
s'écrire qui occultait les contradictions s'occultait
elle-même comme réalité d'idéalité durcissante se passant
de polarisations subjectivistes.
Ce
qui se déjoue dans
la querelle de la philosophie africaine ce
sont des ra-
dicalisations du politique 'délimitant son
~space de guerre
comme espace géographique que
les ethno-philosoph~>
et
leurs critiques s'efforcent de rempailler conceptuellement •


• /

e .

-276-
Le fait
que la philosophie se porte plutôt
bien en Afrique noire alors qu'en métropole
on lui
administre une belle mort bourgeoise,
résulte du bon
ménage qu'elle fait
avec
les concepts de développement
et d'éducation alors même que la logique interne
de ces notions rel~ve de la dynamique de la domination.
Quand elle ne se dédiera plus comme discipline éduca-
tive attachée à
promouvoir une philosophie du dévelop-
pement,
quand elle dévisagera le progrès dans la courbe
de la décadence et l'idéologie dans la science,
alors
commencera pour elle,
le début de la fin déjà engran-
gé~dans la révendication de philosophie. En effet,
c'est
dans la logique de l'éducation au sous-développement
qu'on crée le manque de développement.
Après avoir
subi économiquement la dialectique de la raison,
les
africains ne pouvaient que réclamer l'attestation occi-
dentalement philosophique de leur état. Répondant
ainsi à
la linéarité de leur conditionn~ment socio-his-
torique.,
ils se sont condamnés à une philosophie.du
,
politique sous les formes
de la rationalisation et de
la nationalisation inséparables de tout .développement
du capitalisme. Le philosophique c'est ainsi une satu-
ration du politique par l'idéologisation du social.
"",
.../ ...

-277-
*
*
*
I l ne s'agit donc pas ici d'ouvrir une
représentation permanente mais d'interroger les rap-
por~ possibl~ de l'Ecole de Francfort aux Afr~ques tel
que cette interrogation inscrive ou soit
inscrite
d'une
théorie critique se reproduisant comme un non
identique de la théorie critique. L'Afrique ne fut
pas seulement un impensé majeur de l'Ecole de Francfort
mais surtout un impensable.
Elle ne manque pas à la
théorie critique car c'est précisément sa penséequi
aurait rappo~t~ avec des conditions historiques
telles
que l'Ecole de Francfort manquerait d'Afrique et
manquerait aux Afriques. D'où cette nécessité attenante
à la critique
:
nécessité de la nécessité de problé-
matiser les motivations de notre engagement
tant et
si bien que l'auto-réflexion se défile comme inaugu-
rale et non plus comme extrême onction du travail du
concept.
L'exigence francfortoise d'auto~critique se dé-
place 0
~ais peut-on dire pour autant; qû1elle se
surclasse ~n passant de la position terminalement nOn
terminée à
la pos i t ion origin;----''--:-?
./ ...

-278-
L'auto-réflexion n'est pas un but.
Ce n'est
pas non plus une panacée.
C'est un renouvellement
réflexif et interrogatif par quoi la particularité
repoussant
les limitations aporétiques vers les dehors
de la centralité,
se met en question en mettant
sa mo-
destie à
contribution.
La.dramatisation ainsi produite
théâtralise la crise du sujet
sujet dominé et sujet
dominant,
sujet
individuel et
sujet
social collectif
représentatnt la fatalité
et l'utopie selon la dialec-
tique des particularités à
la fois
positivement et
négativement
totalisantes.
La réflexion non automatisée
qui affleure de
ces ambivalences sociales historiques
revêt d'emblée une forme
esthétique du fait
même de
son assignation au
jeu de
sa partition.
Quand l'auto-
réflexion intervient dans ce
jeu,
elle ne
crée-pas seule-
ment une auto-critique mais aussi un
jeu au second
degré d'autant plus
transgressif des lois qu'il mani-
feste
sa volonté de les assimiler et de les pratiquer.
L'auto-réflexion c'est donc aussi tout
ce qu'on produit
et qui ne reproduit pas le
système ambiant.
Elle n'est
pas
seulem~nt un seuil méditatif ou transcendantal mais
aussi un sens pratique déviant la catastrophe au coeur
de
son irréversibilité par une
élucidation de l!opacité
de l'idéologie.
.../ ...

-279-
L'Afrique conserve ses
joues faciles.
A preuve
la vigoureuse santé des
théories africaines et africa-
nistes en dernière instance ethnol~giques ou ethno-phi-
losophiques. La voie est donc toute tracée pour qu'à
notre
tour nous
trouvions à
lire et même écrire de l'A-
frique dans les interlignes et les marges de Marcuse,
Horkheimer et Adorno. Mais plutôt que de fabriquer une
pacotille lénifiante à
la mesure de la frustration de
notre exigence de prise en ·compte
(1),
une réflexion sur
les conditions de production de notre pratique de pick-
pocket du concept,
peut situer la non criticité de notre
enfermement dans des armatures
théoriques qui du fait
même de leur allégeance à
l'universalité non spécifiante
entr'ouvrent leurs serres idéologiques.
Le problème de l'Ecole de Francfort est cependant
spécifique
comment
se réalisent les conditions
idéologi-
ques de la reproduction du sursis du capitalisme? En ce
que les africains ont mal à
l'occident d'une part et par ce
que d'autre
part,
le développement du capitalisme astreint
les nations africa~nes à
sa périphérie,
les problèmes
africains se développent aussi en énoncés
occidentaux.
Mais en mettant la barre du capital trop haut ou trop bas
i l n'y a plus de raison de spécifier le devenu-capital de
l'Afrique noire.
Dans le noir non encore absolu du capita-
lisme compradore,
i l y
a des différences
~D~ suintent des
discours politiques comme autant de négations de la forme
impersonnelle des choix de société.
Faire parler ces
négations de la politique dans les mutilations du corps
c'est parler de la politique du corps politique tout en
faisant parler la langue d~ corps au premier degré.
(1) A ce niveau i l faut
faire
quelques réserves,
ne serait-ce
que compte tenu des
ouvertures de Marcuse vers le tiers-monde •
.... / ...

-280-
Parlée ainsi,
la langue parle et parle le corps non
pas en son nom mais au cri des mutilations qui donnent
des noms.
En ce que
toute mutilation est nécessaire frag-
mentation,
en ce que
ilIa philosophie est la réflexion
sur
la vie mutilée ll ,
en ce que la forme
esthétique de
la théorie critique est non systématique mais fragmen-
tée à la mesure de la particularité à penser,
la
mouvance intellectuelle de la théorie critique dont
les
fa~sceaNx embrasent
tout
le paysage humaniste,
incite
à la réflexion sur les restesde rationalité décadente
qui vég~tent en Afrique tout en réussissant à rationa-
liser,
à
donner à
rationaliser et à nationaliser.
Il
faut donc
imaginer une réflexion qui désamoncelle
l'histoire en la désamorçant avec le récit compilatoire
qui la solidarise avec
la mort
: Mort du passé certes,
mais aussi et surtout celle du présent et de l'avenir
morts qui nourrissent la vie.
D~s lors,
les figures
historiques doivent @tres prises dans la conscience
d'un réseau d'énigmes dont
l'absence présente vise une
intériorité de
la loi de la domination.
En leB récréant
fictivement
et follement,
les figures historiennes sont
renvoyées
à la folie
des discours qui font
des masses ce
qu'elles ne sont .p Lu s ,
Ce qu'elles sont aujourd'hui,
doit
@tre libéré
dans le double récit d'une créa-
tion niant
ce qu'elle crée,
pour créer ce qu'elle nie •
.../ ...

-28I-
Gaver les images de l'histoire d'imaginaires,
c'est les enrichir d'images pour relativiser la géomé-
trie de leurs affiches.
C'est les envisager comme mas-
ques non statiques~ non encore fichés et épinglés dans
les musées mais opérant par l'accumulation de forces
de pouvoir qui sont
tou~autant des formes
esthétiques
atténuées.
En masquant ces formes,
le masque ne les
occulte pas
tout à
fait
car i l peut
également en" ac-
centuer les sinuosités dans la transparence d'une grille
de couleurs et de formes
à lire.
La violence des masques
n'est pas castratrice mais également tonique.
Entre ces
deux sillons,
i l n'y a"pasun abime mais une dyssimétrie
contradictoire qui per~et la dérive d'un public non
immobile. Ainsi dans
l'obscurité des pouvoirs,
les condi-
tions de production de la fantasmagorie de la plénitude
primordiale du sujet,
s'ajustent dans l'évasif de la
frontalité des
forces
collectives portées et porteuses
de sujets •
.~: '
TRADITIONS ET SOUS-DEVELOPPEMENT
Nietzsche caractérise les
théories décadentes par
leur tendance à inscrire les opposés dans le m~me syst~me.
Effectivement c'est en créant les stéréotypes mythiques d'une
sagesse traditionnelle qu'on "entretient le besoin d'une
Afrique sage.
La reconnaissance du mouvement d'abstractions
qui isole le sage,
le rassénère en faisant
miroiter devant
lui,
le fantasme de la figure
représentative.
Quoi de plus
logique alors que
le sage captant son reflet,
se reproduL~e
à la fois
comme reflet de son ~tre -
devenu sage,
comme
.... / ...

-282-
gardien de
ce reflet et par conséquent de
la tradition
même du reflet.
Le
temps de la tradition est
cyclique,
di t-on.
Hais
ce temps peut-il être
le mÊm e que cet autre
qui permet le
surgissement
indéterminable de
la fête
en toutes les pér{odes de
l'année
? L'év~nement (naissance,
déc~s, mariage) en réussissant à faire saillie dans le
quotidien ne brise-t-il pas le cercle
?
Les notions de
tradition et de
sous développement
sont les conséquentes de
l'invention de la réalité de la
modernité et du développement.
Compte ,tenu; de
la nouvelle
éthique qui se
trouve ainsi prescrite,
l'apprentissage
du sous-développement.passe par le relais des mod~les de
dénonciation~ et de perversion de soi. Ainsi risque-t-on
avec
son corps pour effacer la honte et
la pudeur qu'on
a
reçues de
son évolution vers la mort.
Le
concret se trou-
ve alors abstraitement mis
en sc~ne dans une profondeur
contradictoire à
l'évidence.
L'évidence
se redouble et s'é-
paissit en évidence du myst~re. Tout le monde sait ce que
personne n'est censé savoir.
La vérité devient le réel
arraché et représenté dans
la surench~re des commérages.
C'est que ia fiction s'élabore en prenant
toujours plus
de
corps pour assurer le
triomphe de l'apparence et des
images.
Toutefois dans
l'ordre de
la simulation,
i l y
a
le risque du iurgis~ement de l'absence de sens qui permet
de visionnariser les mouvemenb de certains cadavres.
Ce
par quoi les
faits'acqui~rent la réputation d'entêtement,
ce n'est donc pas la taille démesurée de
leur point de
saillie.
En effet
le
têtard en vient à
se fragiliser
tant
sa tête mange
sa queue.
L'entêtement c'est la produc-
.../ ...

-283~
tion de contenus défaits
comme projectiles CO~lant les
fal~ifications arbitraires ~tablies aux dépends de
l'idéologie.
Le cercle de la dornination traditionnelle et sa rup-
ture
technologique
joués ensemble défilent un double écran
qui en inscrit un troisième
comme extérieur se passant
en m~me temps que le renvoi du cercle ~ la faille.
Ce
troi-
sième
terme non synthétique ne renvoie pas un lieu à un
autre,
un centre à
sa périphérie mais respectivement un
son à une image,
dans lJne rl~rive de ll a uditif qui dans
l'incapacité d'agir le réel,
l'inscrit
comme matériau
sonore du choc à
l'occasion dlJquel la faille
se défait
comme structure du cercle.
Le choc désamplifié dont nous
empruntons la dynamique à
la dialectique des
forces
motrices de
l'histoire et à
la phénoménologie du désir
est
le résidu d'un~ contradiction rendue inévitabl~ par
le désir de l'éviter.
En tant que résidu,
i l aspire
à
agir la dialectique des forces non pas en l'inversant
directement
(ce qui est matériellement impossible)
mais
en la déviant dans le sens de l'investissement des
réalités
l~térales. Par ce défi,
le. fondement probléma-
tique qui vérifie la clarification instrumentale des
con~
cepts permet d'en moduler les
conséquences par la
fragmentation de la vision du monde qu'elle
conforte.
L'élasticité du concept détermine ses retards
sur les
lieux de
ses
étendus et
ceux de
son temps.
Par l'excès
d'une pérennité métaphysique,
le concept s'attardant
sur son lieu déjà ancien,· ne .prend pas en compte les
perspectives nouvelles
imposées et posées par le
temps
.../ ...

-284-
des
turbulences historiques. La philosophie ~ternelle
s'~panouitpar l'arme d'une logique dont
le thème ~ternel se
rapporte à un temps gradu~ selon
l'irr~versibilit~ de
l'accroissement de son espace. Mais le d~veloppement de
cette logique qui cr~e ses sciences et ses technologies
en engageant ses
soci~t~s dans la modernit~, d~veloppe
dans
son ailleurs une roue
involutive dont le fonction-
nement ne crée pas partout le même progrès.
En Europe,
la science s'est d~velopp~e et a
d~velopp~ une afrique à envelopper dans le manque de
science et de
toutes les autres positivit~s. Comme telle
la science n'a pas cr~~ seulement UIù- instabili té mais une
instabilisation relayant .la domination qui elle-même
avait permis de disloquer sans les faire disparaître les
structures de dominations
tribales. Dès lors on peut se
demander:quel type de rationalité correspond à
la forme
actuelle de la domination en Afrique noire ? Est-elle
conforme à
l'instrument de sa domination où s'en détache
t-elle diff~rentiellement ?
En effet on peut constater une
tendance à
la tech-
nologisation de la domination. Administrée selon le schéma
jacobin de la cen~ralité, le pouvoir politique en Afr~que
noire reste happé par le modèle administratif. Le fonc-
tionnaire se confond avec l'élu du peuple parce qu'il est
déjà le symbole
(1)
de la participation de sa communauté
tribale au pouvoir. Mais parce qu'il est précisément
(1) Voir à
ce sujet,
Patrice Lumumba comme symbole.
J. P. Sartre -"La pensée politique de P. Lumumba."
In lHtuationsl'
.../ ...

-285-
symbole,
i l ne
se définit que par la négation de toute
relation factuelle
avec ceux aux noms desquels
i l parle.
Le relais de la domination sirote
son pouvoir dû fait
du performatif qui le fait
exister en même
temps que
le pouvoir qui le fait
exister.
"A l'opposé de l'indice
comme de l'icône,
suivant la théorie de Pierce,
le sym-
bole n'est pas un objet,
mais
seulement une loi-cadre qui
donne
cadre(qui donne lieu à différentes applications
intertextuelles de fait,
les occurences"
(1).
La domination la plus patente aujourd'hui rap-
pelle un terrorisme du symbolique se reproduisant par
cette politique du conventio~nel qui recouvre la textua-
lité comme refuge
et alibi.
Exister par les
textes,
c'est
être
(~ exister) par prédestination en prenant son salut
dans
sa faute.
D'où la fièvre
illusionnante qui répond
au besoin de conviction et de reconnaissance en compensa-
tion de la légitimation populaire dont
on a dû devoir se
passer. Mais par l'a~parat et les appareillages,
c'e~t
toujours l'autorité qui s'accorde elle-même
sa dose
de bonne conscience.
C'est
toujours
elle-même qui s'efforce
de ne pas réfléchir sa non légitimité en établissant un
consensus monadique
sur la matière de ses propres buts.
La modalisation rationnelle de l'exploitation,
c'est ici
le déploiement de l'étendue d'un désastre de
la représen-
tation tel que la raison se déroule comme la règle
selon
laquelle chacun,
soustrait à
la force
de
la croyance
Voir la différence entre icône,
indice,
symbole che z
Pierce
In Ja~obson - Pormoska
Dialogues
P.
91
... / ...

-286-
religieuse et de la loi morale,
doit respecter un
pouvoir idéal dont
les buts doivent être rationnels
alors que les moyens ne le sont pas.
La non rationalité des moyens se rapporte
aux buts. Mais en ce qu'ils se veulent de plus en plus
technologiques,
les moyens posent le problème de la
légitimité de la rationalité.
Les moyens ne sont pas ra-
tionnels
ici parce qu'ils sont inadéquats aux problèmes
qu'ils sont censés résoudre.
Sans égard pour le contexte
naturel et humain,
ils créent des besoins afin de les
satisfaire,
évitant ainsi les besoins réels qui leur
pré-existaient.
Certes les conséquences de cette inadé-
quation besoins-moyens sont rationalisées mais cela
n'écarte pas la question de la nature de
cette rationalité
dont le formalisme
oblige les peuples à marcher le
long d'un mur.
La convention créatrice de
la situation
juridique qui la légitime et qui ne peut cependant
être légitimée par là discipline afférente à un véri-
table contrat social,
ne peut attendre des autres
qu'ils
obéissent à un ordre qui n'est pas encore soutenu
par un consensus populaire.
L'ambiguité de la rationalité
politique s'agence sur le rapport irrationnel et
technique que l'homme a
avec sa domination.
La mutation
politique qui ne se produit pas dans le passage de
la colonisation à
la néo-colonisation produit cependant
une transformation de la nature physique telle que les
. . ·1...

-287-
facteurs
technologiques qui la violentent,
transfor-
ment la nature de la nature.
C'est à
cet égard que l a
réflexion sur l'authenticité ou l'identité africaine
si elles ne sont pas négatives,
annulent l'histoire
humaine de la nature en même
temps que l'histoire
anthropologique des
sociétés.
*
*
*
L'africain n'est pas un être mais un être,
devenu qui après avoir repris les
termes et les restes
de
son humiliation pour les affirmer cherche la con-
viction de la survie de
ses valeurs.
Dans la banalité
intimiste d'une quête d'identité,
i l y
a
à
fouiner
mais peut-on y
situer sa place dans le monde actuel?
Au folklore de la recherche des racines,
on peut
préférer fondamentalement
l'interrogation sur le rôle
des africains dans leur histoire.
Le décalage qui
permet de
se réconcilier avec ses oppositions évoque une
réinvention de la force des contradictions. Dans la
contemporané~té de la saisie du présent,
l'affirmation
de soi comme homogénéité tourne autour de cette
hétérogénéité qui est de l'ordre de
ce qui ne se
totali-
se pas,
mais
énonce dans les données de fait
une non Cen-
tralité à
côté du devoir,être.
La question de ce qu'on
est pour autrui,
si elle ne définit pas le sujet dans
.../ ...

-288:"
l'antinomique d'une normalit~ l'inscrivant dans l'his~
toire,
la range dans un cas d'espèce.
Sur les pr~suppos~s authenticistreou ethno-
philosophiques d'une telle sp~cification, nous ne re-
viendrons pas.
Pour ~viter le mythe romanc~ de ses
propres origines,
la tentation historienne qui tire les
images des mat~riaux à penser, doit être d~simpliqu~e du
pouvoir d'envoatement que le contrôle. du mythe diffuse.
De même pour faire
écrouler la question des identit~s
africaines comme fausses questions,
i l faut
interroger
l'historicit~ de cette histoire garante des ~mergences
tardives de la position du problème des
sp~cificit~s
en même temps que le besoin et la formulation de telles
problèmatiques.
Ce qui capitalise ce moment,
c'est l'extrême
commodit~ des configurations de l'irr~versibilit~ de
ces enchainemen~ ult~rieurs. Tant que les discours poli-
tiques s'implantaient dans leurs institutions,
tant: qu'ils
se constituaient en transitant par une fascination litt~­
raIe,
ils se ralliaient à
l'~volution de la syst~mati­
sation progressive dont les facteurs
et les agents
tendent
à
s'ext~rioriser dans leurs fonctions de relais dans le
processus de culpabilisation qui'd~partage les sujets en
hommes libres et en esclaves,. en c roy an t s
et en LmpLs-.
en
blancs et en noirs,
en riches et en pauvres.
... / ...

-289-
Dans cette avancée se dégage un renouvellement
total des forces
sociales se dépassant vers les concepts
de la philosophie politique positive comme un blocage
dogmatique.
I l s'ensuit une
inquiétude philosophique qui
mène à
se demander si c'est la politique qui fonctionne
ici comme inverseur idéologique ou si au contraire,
c'est
l'inversion des
forces
occultantes des puissances diurnes
et mystif~antes qui ouvre pu~ ferme les jeux politiques.
Dans son analyse des rapports entre politique
et idéologie,
la théorie critique de l'Ecole de Francfort
voit dans la domination la grande force
compliquante
des rapports sociaux.
Par l'assignation à
l'immanence
du progrès et de la décadence,
du développement et de
l'enveloppement,
l'idéologie est compliqu4nce au sens
leibnizien du terme:
elle explique et implique.
Elle
fait
comprendre en ce qu'elle explique en s'expliquant
avec le monde.
Mais en ne s'expliquant pas en tant que mon-
danité,
en tant qu'être au monde,
l'idéologie comme le
dieu de Leibniz s'implique dans les
suje~ alors que la
légitimation de cette explication -
implication partici-
pe d'une ration~lité qui n'est que rationalisation.
Subordonner une
échelle de valeurs à une autre,
dans une
confrontation où l a norme passe pour unitaire,
voilà le
jeu
propre au politique. Le politique recourt à
la politique
.../ ...

-290-
comme office de dénégation de la réalité de l'univer-
salité de
ses engagements de classe.
Ce verouillage po-
litico-idéologique fait
syst~me avec un~ théorie du
progrès comme progression de la rationalité technique
et scientifique. Aussi,
en jouant la car~de l'alliance
entre science et philosophie pour le meilleur devenir
du développement de l'Afrique,
le philosophe africain
ne fait pasq~répéter un tour de passe althussérien ;
surtout,
i l
joue la carte de l'idéologie qu'il dénonce,
l'ethno-philosophie comprise
(1). En fait, dans le
progrès,
i l y
a à la fois
la réversibilité de la prbgres-
sion et la sédimentation formelle de sa diachronie.
D'o~
une redistribution des
"
rép~res dialectiques en des
positifs et des négatifs qui déteignent
sur leurs s u pp or-t s ;:
traditionnels.
Si le positif et le négatif se rapportent
l'un à l'autre,
en inversant les valeurs,
et non par une
graduation croissante ou décroissante,
c'est que la
dérision,
la subversion,
le problématique sont sur-notés
en rapport avec la hardiesse et la combativité que leurs
illustrations réclament.
Quand la faim nourrit les hommes
quand les bonnes récoltes du fait
même
qu'elles apportent
l'abondance et font baisser les prix des produits sont à
redouter autant sinon plus que les mauvaises récoltes,(~
c'est que le positif radicalisé dans le positivisme repro-
duit la négation du fanion qu'il secoue.
En effet en
attaquant l'apparence de l'évolution dans la reproduction
théorique de cette mort qui se rabat sur la vie,
la mise
à nu du système démasque une logistique comme appoint de
(1) cf Hountoudji- Sur la philosophie africaine _ éd. soc
(2) R. Linrhad - Le sucre et la faim
éd. Minuit .
.../ ...

-29I~
toute lObicité informative.
Et la critique
de se donner
comme négative dans
son apparition comme réflexion de
l'apparence et de
la cohérence.
En ne
s'annulant pas dans
le régime de
ces
égalités abstraites allègrement assaison-
nées par la rhétorique de
conversion,
la critique se main~
tient
tout
juste le
temps d'une apparition non identique.
Dès lors la critique des apparences de
la vérité
qui englobe celle des dogmes de
tout bord
:
religieux,
philosophique,
scientifique
fait
agir l'idéologie
et
la politique dans
la convergence de ses polarités.
Entre le positif e t l e négatif,
entre
les dominants et
les dominés,
i l n'y a
plus un effet de
cause à effet mais
une réciprocation des qualifications à la positivité dans
le conditionnement approprié à la fonctionalisation de la
passivation.
Seulement en agissant
sa passivation,
on ne la
produit plus
comme
simple passivité mais aussi comme opéra-
tion de v~ilages. Ces voilages à la fois
et
tour à tour
désidentifications,
non identités,
aliénations,
ne
SOllt
pas réductibles à une
solution positive.
Effectivement,
ils recherchent un sujet
à venir dans une certaine figure
dont
le
support ne prend pas toujours consistance.
Dans ces voiles,
ces altérations et ces déssaisissements-
asservissements,
l'altération de
l'autre fait
dérober son al-
térité.
Dans cette dérobade,
le besoin impossible et
turbu-
lent de
s'adresser sa propre parole,
s'approprie ses
mutilations.

-292-
TETES ET SEXES
••.
COUPES
Dans la détermination des sphères d'abondance et de
misères l'autorité implique les hommes par l'implication
des choses.
Dans ce rapport des' choses entre elles,
puis
des hommes aux choses,
i l y
a bien entendu un devenu-chose
des hommes.
Ainsi dans la formation discursive de l'appa-
reil d'état,
les figures
du borgne et du manchot pénètrent
dans les représentations politiques occidentales en se dis-
tinguant dans les fonctions de politisation.
Du reste le
cyclope adversaire d'Ulysse n ' é t a i t - i l pas une sorte de
borgne? La centralité de son oeil pactise en effet avec
la fonction politique du visage qui ne voit que ce qui a
un nom,
qui ne reconnait que ce qui se visualise.
Le
cyclope c'est une sorte de
transcendance qui se modernise
dans l'opération de
capter et de capturer.
En cela i l fonde
ce que la main du borgne conservera par les
transactions.
P a r I '
horreur et la prégnance de son regard le monéir-
que est un borgne qui décrit sa mutilation en mutilant.
C'~st
ainsi que se déter~inent comme politique,
le rapport des
choses entre elles te~qu'elles impliquent le rapport des
hommes aux choses.
Le pouvoir s'inscrit en tranchant sur le
vif des
corps arborés comme attributs de soi en tant qu'en
soi.
Toute mutilation est une écriture du pouvoir qui m~rque
ainsi l'identité du' sujet comme déjà identifié
(1).
Dès lors
la "réflexion sur la vie mutilée" ne peut plus se confiner
dans le
jeu sur la radicalité des exagérations qui exorci-
sent la banalisation de la psychanalyse.
Elle est d'envergure
, éminemment politique
mutiler c'est dominer en produisant
(1) A cet égard,
l'invention de la catégorie de
"non catégorie"
par Linné atteste de la volonté de pouvoir des sciences •
. . ."f ..•

-293-
le politique dans l'inh~rence du pouvoir.
C'est dans
cette logique du sang qu'il faut
saisir les
"plaies so-
ciales" que les
soci~t~s d'Afrique noire reproduisent
comme
"blessures symboliques" modernes.
Inondant l'~tat par
le sang,
ces blessures signalant le politique par le pou-
voir de mutilation,
th~orisent le pouvoir de ne pas informer
comme recto d'une n~cessit~ minimale de rendre compte aux
inform~s.
La nation contraint les citoyens au don de leur vie
et de leur corps.
Quand ce corps d~jà mutil~ par la lithur-
gie sociale reproduit ~a mat~rialit~ de la mutilation,
i l
s'effectue une
graduation m~ta-symbolique du politique.
En Côt~ d'Ivoire,
i l circule selon des fr~quencesdont
la r~gularit~ ne serait pas int~ressante à
l'~tude, des
rumeurs
~pisodiques mais insistantes faisant ~tat d'une
activit~ de coupeurs de têtes et de sexes. Ces tê~ et ces
sexes
tranch~s pour être vendus,
font vendre les
journaux
et accroissent les
taux d'~coute, même
si les m~dias, of-
ficiellement,
n'accordent aucune foi à
Ce qu'ils appellent
des rumeurs
et des nouvelles diffus~es par les circuits
parall~les d'informations d~nomm~s ici "Radio Treichville" (1)
A ce niveau,
d~jà se noue un premier rapport de contradic-
tions rapportables à
l'opposition non d~finitive de la pr~~
senCe totale et de la pr~sence de l'absence tot~le
ce
niveau structure un r~seau de repr~sentations tel que l ' i -
d~ologique convaincu de
"grioticit~" et de publicit~ non
feinte
se
trouve d~bord~ par ce qu'elle trahit,
par ce qui
finalement
le
trahit
la v~rit~ de l'imaginaire et des
pens~es domin~es. C'est pourquoi Radio Trachville
apparaît
Treichville est un quartier populaire d'Abidjan.
Bien
entendu,
i l n'a ni 1 'honneur ni 1 "h on or-a b a l Lt
n
c e s s a Lr-es
é
é
pour abriter une station de radio.
I l reste qu'on apprend
souvent beaucoup plus de choses
(vrai~s ou fausses) sur
la vie du pays,
par Radio Treichville que par la R.T.I.
(Radiodiffusion Tél~vision Ivoirienne)
... / ...

-294-
comme l'anti~information qui progresse en se rapi~çant de
rumeurs et de bruits,
alors que l'information officielle
se r~alise dans le silence sur son objet. En confirmant
ainsi l'autre dans le bavardage,
l'un accentue l'opposition
entre le sens
cr~ateur de valeu~ et le sens m~taphysique
qui les codifie.
Remarquons que
ceux qui ont pour rôle de d~mentir la
t~nacit~ des rumeurs sont les mêmes qui pr~tendent informer
par la lecture des d~pêches et des communiqu~s de presse.
En riant des repr~sentations attenantes à la situation de
laisser-~our-compte des' masses massivement non scolaris~es,
la presse
officielle nie en même
temps. leurs conditions de
victimes.
Ainsi tout
comme les
sujets psychanalys~s trouvent
leur voie en regressant vers la maladie conjur~e, les sous-
inform~s voient leur retraite barr~e vers la d~risibilit~
de toute
information.
Certes,
à
la rigidit~ des systèmes
d'inf9rmations,
bn ne peut'pr~f~rer l~ r~seau'diffus du traitem~
dramatisant des
informations,
le second n'~tant qu'une d~ter­
mination de la grande misère du premier. Mais on peut
tou":"
jours essayer de
comprendre la dynamique des
faits
qui re-
pousse les hommes dans la fantasmagorie afin de mieux les
en chasser.
Pour autant) ne
c~dons pas à la pr~tention
philosoph~~o-psychanalytiquedu d~chiffrement du ph~riomène.
En effet
"l'important n'est pas
tant d'avoir des
connaissan -
.
ces qui soient absolument vraies et
irr~futables -
ces der-
nières se r~dulsent en fin de compte immanquablement à des
tautologies
-
que des connaissances par rapport auxquelles
la question de la v~rit~ se juge elle-même"
(1).
'Radio Treichville n~ d~t~riore l'information qu'en
prolongeant la raison selon la dialecticit~ de sa d~raison
contigüe
~ Mais la grande presse d~t~riore l'information
selon la rationalit~ de l'ambiance dominante.
La distance
(1) Adorno - Minima Moralia
P.
69
... / ...

-295~
entre l'une et
l'autre pourrait se risquer dans
la diff~rencec
à
sp~cifier entre un grandiloquent faussaire collectif reco~nu'
comme
tel et un autre faussaire
de classe se pavanant de SUl.·..;,
croît derrière les attributs,
les atouts et les honneurs de
la neutralit~ objective. Dans la pratique active de la d~rai­
son et de
la folie,
se retrouve un peu
de
la tradition du
fou du roi,
seul assez fou pour dire à
"la domination sa
v~it~" (1). C'est pourquoi la question "qui est fou" qui fait
fonction de
leitmotiv quand l'ivoirien se
targue d'être assez
fut~ pour ~tre à la mesure de son système, ne le d~nomme pas
comme fou mais comme
ce non-fou qui reconnaissant les f6us
à
lier nominatifs du système,
repartit la folie
dans la rigoureu-
se
illogique du pour soi entrant en d~phasage avec ses actions
pos~es pour autrui. Le fou c'est celui qui ne sait pas profi-
ter du système même quand i l en exacerbe la logique. Le système
l'expulse au moment
o~ lui,le sujet l'embrasse pour le radica-
liser.
I l le neutralise,
l'irrationalise quand lui-m~me le
logicise.
La preuve par l'~talage des d~combres n~vrotiques
est
ainsi faite
que la raison qui
~puise la rationalit~ de
son texte,
ne peut que revendiquer une autre rationalit~ dont
l'impossibilit~ de l'~mergence adjuge de la caducit~ du sujet
de
la revendication.
Mais
le pouvoir ne peut
~viter lasuspicion d'indigence
qu'en d~montrant une
certaine
image de
la soci~t~ par un jeu
de repr~sentations qui ne coincide pas cependant avec le
jeu de
son exercice.
Quant à eux,
les
sujets ne peuven~que rendre, en
le fictionnant,
l'illusion totale de la sinc~rit~ qu'ils ont
reçue en spectacle.
Le pouvoir ne
se donne pas.
I l donne
seule
ment ces apparences comme pièces à distribuer plutôt
jetées par
(1)
Adorno: "Maintenant comme au moyen age,· le bouffon à son sei-
gneur,
seul le
"fou" dit à
la domination sa v~rit~. Dans cette
perSpective,
la tâche du dialecticien serait alors d'amener
cette v~rit~ du fou à la conscience de la raison qui est en el·
le,
faute
de quoi elle risquerait de
sombrer dans l'abîme de
la maladie,
o~,
sans pi~i~, l'enferme la sant~ du bon sens
des autres" -
Minima Moralia
P.
71
.../ ...

-296-
terre afin que le peuple au terme d'une bousculade,
en
glane quelques unes,
aux prix des blessures
(mutilations)
aux coudes et aux genoux. Le peuple y apprend en l'éprou-
vant que le pouvoir n'est pas un fruit
confit mais un é~han­
ge de
tbrtures,
de peines et de mérites à conquérir dans
l'inextricable mêlée. Mais sans les pi~ces d'or et d'argent
lancées pour obliger l'allégeance,
l'attroupement,
le
peuple ne peut croire
~
ce qu'il apprend.
Le pouvoir
est investigation investie des moyens rationalisés de son
efficience. Mais dans l'impudique soutenance de ses démons-
trations,
i l y
a une
transposition complète du politique
et de la société qui fait effèt sur les sujets pour les
faire
être ce qu'ils ne sont pas.
Parce que l'apparence n'épuise pas la circularité
réelle du pouvoir .effectif,
i l y a une réalité du
pouvoir concommitante à
la nécessité de faire place
nette autour de l'élu du capital. En portant l'attention
sur l'homme,
les médias castrent les autres hommes
de leur humanité si bien que la fonction symbolique de la
main mise sur les sexes et les têtes sectionnés se compta-
bilise dans la prétention à
l'investiture
"populairel'.
Posséder le sexe et la tête des autres c'est disposer de
leur intelligence et de leur virilité,
de leur puissance
au bonheur,
et da leur luminosité à percevoir ce
bonheur.
Castrer c'est mutiler l'âme en la raclant
de tout précipité sexuel,
de tout
sentiment et de toute
excitation.
Trancher la tête c'est ainsi abolir la
fonction de penser,
de guider,
de s'entêter,
d'être en
tête ••• Dans ces mutilations,
i l y a une éducation à la
mutité,
telle que la mutilation donnée est prise pour ins-
.../ ...

-297-
crire la réalité géométrique qui dispo~e des corps
comme
tapis pour un autre corps.
Ce
corps monstre,
montré
dans l'effet de puissance adjuvante à la concentration
de l'attention sur tels et tels individus,
g~re une peur
du corps solidaire de l'absence de lien naturel entre
soi-même et son corps.
La dramaturgie des pouvoirnmodernes passe par
leur représentation par les médias. Mais la bataille des
images qui se développe sur les écrans et sur les ondes ne
s'engage pas sur le terrain de la perspicacité des sujets.
Aussi i l ne se produit pas une saturation de la signifi-
cation.
C'est que, dans le
jeu de la représentation du
pouvoir et de la vérité,
i l ne faut pas que les sujets
sachent la vérité. Mais i l ne faut
pas non plus qu'ils
l'ignorent totalement. Entre cette négation du "pas trop"
et l'affirmation du "assez" le pouvoir instaure une
continuité entre ces haut-parleurs et ces bas-parleurs,
tant et si bien que derri~re chaque haut-parleur,
derri~re
chaque fonctionnaire qui peuple l ' é t a t ,
derri~re chaque
citoyen qui en entend quelque chose,
i l y a l e rêve
plein de bruits qui constitue la culture et la parole
de masse,
telles qu'elles s'évertuent à
colporter,à
faire
circuler et à déformer les secrets. Ma~s n'est-ce
pas encore là une démonstration de la capacité d'irrup-
tion du pouvoir dans la vie domestique des sujets ?
.../ ...

-298-
Les bruits qui animent la périphérie ne
se rapportent pas au pouvoir dè la même manière que
le pouvoir se détermine par rapport au savoir et au
secret. Le pouvoir central s'accroit par la détention
du savoir comme secret.
Par contre la périphérie ne vit
que par la diffusion des secrets comme si son fonctionne-
ment devrait faire
obstacle à
l'accumulation des savoirs
donc aussi d'un certain pouvoir. Ainsi,
la périphérie se
préserve en résistant à
l'épreuve critique de vérité.
Elle
s'échappe comme un déserteur condamné à l'objection de
conscience et à
la falsification.
En cela elle rest~
une centralité d'autant plus insistante qu'elle est une
critique de cette centralité même. Les informations qui
se trafiquent de bouches à
oreilles,
selon la tradition
relationnelle de l'oralité,
restent encore tributaires
de la bouche et de l'oreille de ceux autour desquels
se tissent les rumeurs.
En permettant à
tout un chacun
de
"parler politique"
impunément et malicieusement,
les
rumeurs réintrojettent dans les imaginaires,
les
images qui dans la réalité sont en perte de crédibilit&.
Les médiations individuelles qui donnent consistance
aux relais de la diffusion ne peuvent que re-présenter
l'idéologique qui les génère et sur lequel elles s~
fondent.
Mais cet ordre idéologique
impliquant un jeu
de forces,
crée un désordre à
gérer et qui le supporte
en lui donnant matière à
s'exercer.
En se spécialisant
.../ ...

-299-
en transgression et en perversion, Radio Treichville se
ritualise en répercutant les injonctions et les codages
sociaux.
Si bien que l'impureté,
l'impunité et la bonne
santé qui assortissent la vulgarisation de la vérité
retenue,
illustrent les ambivalences de la vérité et de
la parodie,
de l'information à
ciel ouvert et de l ' i n -
formation filtrée.
En assumant la critique,
on ne peut assumer une
politique cohérente.
La critique ne
s'abstrait pas dans
l'opposition qui comme l'on sait,
mérite elle-même la
critique. Elle inverse .plutôt les lieux du pouvoir en
reproduisant le double du filtre qui sépare la vérité de ses
adaptations en vue de la culture de ma~se. Par l'effet
de cet autre filtre qui départage le souverain et la
vérité quotidienne,
la position géométrique du souverain
fait
que,
ce qui lui parvient n'est pas non plus ce
qui se passe réellement.
L'information qui f on c t Lorrn e ainsi en laissant
transpirer l'interdit,
fait
l'aveu de son manque d'in-
térêt et de relief.
Face à
elle,
l'opinion publique
et son audience de confusionjet d'imprécisions affecte
le champ de
t i r de l'opinion officielle par le déploie-
ment implacable d'une"force anonyme"
terrifiante;
E.ette
force,
chacun en est le sujet raviveur par son action
amplifiante qui engloutit et son effet et
son nom .
.../ ...

-300-
Certes la rumeur donne de
la vie au grand public,
mais
sa perspicacit~ born~e par le caract~re impersonnelle-
ment
transcendant de
ses nouvelles,
se brisedans son
incapacit~ à s'~manciper du mythe de la v~rit~ dont
la vivacit~ est à la mesure de la puissance mystifica-
trice qui fonde
la puissance
des m~dias. L'opinion
dans la bousculade populaire pour le
savoir et la v~rit~,
change de pr~occupations avec l ' a i r du temps. A force de
ne
savoir r~sister à aucun vent,
à
aucune mode,
elle se
retrouve dans
la situation de
la girouette d'autant plus
mobile que
son centre de
gravit~ est plomb~.
N'empêche que
ce qui a
cours dans
les cerveaux
des quartiers populaires '(cerveaux qui peuvent être
ailleurs que dans
ces quartiers)
se comprend dans une
production de la pens~equi n'est ni ethnique,
ni
cos-
mologique ni religieuse.
La prise en compte politique
de
ces repr~sentations souvent politiciennes
.marque
la p-q,rI-;>.é'e
dite p o p u La i.r-e ,
Certes i l subsiste encore ici
beaucoup de
sons et d'images,
d'imaginations et d'ima-
ginaires.
Mais en revanche,
le monde de
l'homme reçoit
un nom,
un mot,
une
formulation informelle qui d~place
la rationalisation des faits
vers une
causalit~
nécessairement amput~e. La faille
ainsi ouverte dans la
chaîne des
transmissions ne
t~moignerait-elle pas d'une
perspective de radicalisation du politique
eu ~gard au
contexte critique de
toute exacerbation de rumeurs
?
.../ ...

-30I~
De
crise en Afrique noire,
qui oserait en douter
devant la logique conséquente du "développement du
sous-développement"
(1)
qui évite l'implantation des
industries de base~, pour favoriser les chaînes de mon-
tages/ qui sous développent les économies nationales
par l'extraversion économique et la dépendance vis-à-vis
du français par exemple •..
De
fait
le développement des
obstacles en correspondance avec l'efficacité de l'iri-
dustrialisation induit un étalement de l'énergie en
inertre~telle que cette deuxième ne redevient dynamique qu'en
dévalant des pentes impossibles à
remonter.
Le dévelop-
pement du sous-développement de l'Afrique noire reste
encore comparable à
ce blocage qui fait
barrage afin de
galvaniser les énergies proportionnellement à
la hauteur
de leur chute en cascades dans les turbines de l'impé-
rialisme. Mais le chiffre du progrès qui en découle
serait plutôt celui de l'allégorie comme vérité du double
fermant
et décroissant avec la puissance générique de sa
vérité fermée dans la pourvoyance technologique. La
vérité aliénée que cette dernière donne en procuration
aux africains,
dialectisée réciproquement par les
infras-
tructure~traditionnelles, par le
chevauchement de la
marge de manoeuvre. prévue pour l'improvisation et par
l'inversion propre aux idéologies historiquement spéci-
fiées par des pratiques et des représentations déterminées,
transforment non seulement les rapports de production
(1)cf Franck André G -
L~ développement du sous-développe-
ment -
Maspéro,
Paris 1972.
.../ ...

-302-
mais encore et
surtout les produits de
"consommation"
tels que les pénis et les têtes humaines
trouveraient
des vendeurs et des
acheteurs.
Est-ce à dire que le
capital humain qui s'abstrait dans l'aliénation de la
force de travail,
se prolonge ici dans
l'exploitation
de la décapitation?
A ce stade de notre progression,
on peut s'attendre
à
l'activation des préjugés enraci~nt le nègre dans
l'anthropophagie. Mais rappelons nous que si l'Afrique
est l'autre de l'occident,
l'occident est aussi l'autre
de l'Afrique. L'anthropophage c'est toujours l'autre dont
la dénomination dépend de la position de soi dont
on sait
que même chez Hegel,
elle est sans intériorité substan-
cielle. Aussi ce qui a -cours là-bas dans l'obscurité
de l'iVlorance et de la barbarie,
n'est rien sinon ce
qui se trouve projeté à
partir de
ce qui se passe ici même.
*
*
*
Quand les citoyens ont peur pour leur
tête
et leur
sexe,
ce n'est pas parce que le système de
sécurité inté-
rieur fonctionne mal,
mais bien au contraire parce qu'il
fonctionne
trop bien. En effet c'est au sein d'une vie
comme
i l faut,
que
la nécessité dA l'obsession des plus
grandes horreurs se fermente.
Le paradis peut en effet pa-
raître trop frais,
trop froid pour des âmes bien éduquées
.. , / ...

-303-
à la fi~vre et au paludiBme. D~s lors craindre pour sa
tête ou son sexe,
c'est interroger le r~gne de ceux-là
mêmes qui ont besoin de
têtes et de sexes à gouverner,
de
têtes et de sexes pour régner.
La problématique qui organise la théorie sexuelle
de Freud peut s'ajuster autour de la contradiction entre le
bonheur et l'angoisse de castration:
comment les hommes
pourraient-ils
jouir du bonheur sans angoisse de castra-
tion ? Comme la question sexuelle excite sexuellement
et intellectuellement~ elle détermine une mobilisation
toujours enthousiaste de:l'intelligence,
de la tête.
A
preuve,
l'énigme de la femme qui,
en raison même
du
caract~re énigmatique de la féminité ne sera jamais réso-
lue mais
jamais désinvestie intellectuellement non plus.
(1)
Ainsi quand i l y
a péril en la demeure du sexe,
i l y
a
psycho-génétiquement une excitation autre que sexuelle qui
s'y ressource telle qu'une
sexualité mutilée déteDmine
une intelligence tronquée des faits.
Mais l'inverse est-il
vrai ?
La question n'est pas tant celle de la relation psy-
chosomatique reliant -le sexe à la tête sinon celle de la
pertinence allop.lastique ou auto-plastique de
telles muti-
lations.
Si on veut éviter le pi~ge du psychologisme ou du
psychanalysme,
i l faut
ouvrir la question des mutilations
à
la nécessité de leur diffusion,
et à
la phénoménologie
de la domination.
Si sexualité et connaissance se rappor-
tent l'une à
l'autre,
quelles sont les fonctions politiques
(l)~Freud - Nlles conférences sur la psychanalyse - idée>
... S. Kofman -
"Judi th"
In quatre romans analytigues_
.. ./ ...
,

-304-
impliqu~es symboliquement par la main miSe sur le sexe
et la tête,
par la castration et
la d~capitation ? En
disposant du pôle de
la
connaissance et de
l'affectivi-
t~ dispose-t-on par la m~me occasion du monopole de la
domination sur les
corps et
le corps politique?
Le chef tient
la
t~te si bien qu'il dispose d'autres
têtes.
Ainsi la fonction politique de la tête donne son
~vidence dans la position en tête du politicien qui passe
en tête en organisant ses
concepts en pr~cep~. Les rela-
tions r~elles que la tête entretient avec ses images sont
des rapports sociaux r~gent~s par une appr~ciation non
globale et non historique des sujets.
La tête se
s~pare
du reste par la désimplication de
sa contiguit~ avec le
corps et par l'incitation à
la reconstitution de sa ma-
t~rialit~ comme visag~ C'est ainsi que la tête cesse d'être
personnelle pour s'inventer comme fonction socio-politique.
Les
têtes
coup~es rapport~es à leur acqu~reurs, d~terminent
l'identit~ renforc~e de ces derniers comme non individuelle
mais comme publique et
politique.
La totalisation des
têtes
coup~es transforme la tête maintenue droite et haute du to-
talitariste en un vis8ge
(1).
Conditionnant abstraitement
les rapports des
sujets entre eux
tels que
le politique
se dégage comme l'op~ration et le r~sultat de cette abstra-
tion,
la diff~rence qui abstrait des rapports en les dispo-
sant dans
leur inauthenticit~ ne se rapporte pas seulement
à
la suspension du désir refoulé séparé de
sa satisfaction
mais surtout
(ici)
à
l'impossibilité physiologique de
toute
satisfaction,
de
toute!
jouissance et de
toute hybris.
La
conjuration ainsi.
;lIllen(~e d v o L'I e a Lri s L l'enjeu de la politique:
é
couper le sexe à
l'autre
(2) ,émasculer l'autre.
( 1)
c f' J a c que ~ 1\\1 e r cie r
-
Les _X_Q1}l_~.l:!.!:'.~r:'0 t e Û e UXp__~lL.E~--9..p_:te
I~d
du seuil.
(2)
En malinké
:"casser la
gueule" à
quelqu'un se dit aussi
lui
couper le
sexe.
.../ ...

-305-
De
ce point de vue
la castration se distingue de la
circoncision:
elle ne vise pas à réaffirmer la virilité
mais à la nier.
Autant la circoncision peut garantir
des privilèges,
autant la castration installe à
jamais
les frustrés dans leur frustration.
Certes l'une et l'autre
coupent le pénis,
le
temps, mais l'angoisse générée par
la castration qui renvoie. à
une mutilation vitale et à
une grande peur sociale,
concerne le remarquage projectif
de la violence du groupe détournée par les médias pour
être retournée sur soi -
(un soi qui en raison de son
réseau collectif n'est pas seulement un moi).
C'est pour-
quoi les
têtes et les sexes coupés suggèrent aussi la peur
de la perte du chef en tant qu'élément collecteur dont la
représentati6n de l'absence suppose une chute des
têtes
d'affiches,
une chute de la virilité qui caractérisent la
sûreté de la main du guide sur le guidon.
Dans la génèse des
formes politiques africaines
actuelles § la médiation idéologique tendantiellement essen-
tielle se spécifie en C~te d'Ivoire,
dans les médias en
tant que disjonctions assumées entre l'économique et le
politique. ,Les fonctions
répressives
étatiques se déve-
loppent par la culture de l'espace d'illusion.nationale
indispensable à toute politique bourgeoise. La çritique
de
cette illusion politique p~ut exister,
sans entrer
en
contradiction radicale avec les formes
idéologiques domi-
nantes.
La production de l'idéologie par les officines
de service suppose un~ reproduction de l'idéologie par
les masses massifiées par les canaux de la culture de masse •
.../ ...

-306-
La tradition de l'oralité favorise
la dissémination
des
idéologues parmi les artistes,
les intellectuels,
les fonct~onnaires. Les idéolQgues ne sont pas seule-
ment les hommes de l'état mais aussi ceux qui trans-
portent l'état en leur propre nom,
dans leur propre
demeure.
L'idéologie peut s'axiomatiser en désorga-
nisant
sa dogmatique par la démonstration d'une appa-
rence d'hétéronomie.
*
*
DIEU,
LA NERE
Ainsi,
la dialectique de la raison ne peut prendre
en compte les écarts(non occidentaux)par rapport à
la
grande raison.
Cela est d'autant plus paradoxale que la
théorie critique démontre la vanité du r&ve totalitaire.
Une
impasse
théorique grève la théorie critique qui obs-
true dans l'impensable les voies
obscures du non-organi-
sationnel,
du non formel qui n'est pas pour autant le non
rationnel.
Ces voies qui mènent à des voix connaissent
d'autres formes de domination qui laissent des lattitudes
au renouvellement" des contenus et des formes de l'exploi-
tation.
Sans être des parti-pri8 de l'illusion,
ces voies
progressent en installant des progressions qui font
oublier d'autres choses tout en renvoyant
les périodes
et les figures de la domination entre elles .
.../ ...

-307-
Contrairement à
la tradition du récit idéaliste,
les colonnes de l'histoire ne sont
jamais données à
la délectation du sujet d'analyse.
Le sol des sociétés et des civilisaticnsde la
parole étant en ruine,
elles agissent sur le réel d'une
mani~re lente qui joue sur le jeu duel du conflit et de
la désunion possible d'une part et l'idée triple qui fait
participer la nature à
ce conflit d'autre part. Ne
se
recoupant pas mais se présentant l'une dans l'autre,
les dominés et les dominants
jouent leur rôle avec et con-
tre la nature.
Cette nature à
l'état encore non totalement
maîtrisée empêche toute marche linéaire permettant ainsi un
désentravement·du rapport à la nature sous l'apparence de sa
mobilité dysfonctionnelle qui défait certains noeuds de
l'aliénation en les
jouant ailleurs sous d'autres rapports.
La véridiction de soi a
ici une
très grande importance
puisqu'elle instaure une coupure des
images sociales qui
reprend le fond historique dans une violence projective.;
violence 9uL
reproduit le système d'intervention autoritaire
Cette exigence absolue s'implante dans des proverbes qui
dans leur non besoin d'histoire et d'historicité constitue
un fond écrasant. Mais la conception binaire ordre-désordre
se détruit constamment au regard de la transformation de l'o-
pium incapacitaire en levain de la déviation. Le
"toujours"
et le
"jamais" sont récusés
tous les deux par
le rappel de la
difficulté des hommes à vivre dans un univers qu'ils hésitent
à
exploiter en vue du surtravail.
.../ ...

-
308 -
La nature n'étant pas trop détruite,
elle est rela-
tivement belle. Mais sa beauté non ~sthétique ne permet pas
le sacrifice des personnages.
Plusieurs temps se superpo-
sent
1°/ -
Celui où une réalité naturelle fait
souffrir
des per~onnagessans réaliser leur~ aspiratio~à un univer~
de beauté.
2°/ -
Celui où cette nature dominée fai10à nou-
veau souffrir les personnages sans réaliser leurs aspira-
tions à un univers de beauté.
La réalité de la nature
reste
toujours illusoire tant qu'elle ne renvoie pas à
la
réalité que casse l'institution.
La constitution de tout décor se fait
par les armeS
de l'ennemi de la nature.
Le rapport à
la nature se fait
par la médiation du jeu ~e la nature. Dans ce je~ l'affron-
tement de la nature et de la culture unit les deux opposés
puis les réunit aux tr~nscendantialités non encore immanentes.
Le corps de la nature héberge la vO_x et l'appel des génies
mais les réligions disséminées dans la pluralité des modes
de croyanc~animistes restent dans une expression stridente
qui rend impossible l'action du travail de la domination
de la nature sans l'idé~ préalable de cette action antici-
pée par sa réparation réligieuse. Le rapport des hommes à
la nature reste non systématique mais nécessaire violence
en même
temps que nécessaire réparation de cette violence
dans l'imaginaire des sujets. L'idée de la chose surgelée
dans la conscience préc~de son exigence. La suggestion de
l'homme sur lui même dans son jeu corporel,
se protège in-
térieurement de l'agression qu'il va se faire à
travers le
travail sur la nature,
avant de la commettre.
Le centre de
la scène n'a donc pas plus ~'importance que ces arrières
plans qui en général ignorent llexistence de ceux qui
s'agitent aux premiers rangs qui parlent en leur
nom,
cher-
.../ ...

-309-
chant ainsi une légitimité.
Les
sociétés projetées sans transitions dans
des
structures de démocraties libérales ne
sont pas
encore perçues comme des
états de droit et par~ant elles
ne peuvent
fonder le droit
individuel
(1). La notion
d'individu reste flottante) ce qui ne garantit pas
nécessairement une politique de d&fense des
libertés
et de la justice.
(1) cf B.M. Krigel - L'état et les esclaves.
.../ ...

-310-
Dans un tel univers,
le pouvoir ne peut plus
être fasciné par le modèle de la ccercition. La dimension
de la mystification peut accéder à une priorité sans pour
autant qu'elle impose l'économie de la ré~ession. Mais
le pouvoir ne se fonde pas sur la permanence de la guerre
et l'inconditionnel de la codification des rapports sociaux.
I l unifie
(du moins
i l cherche à
le faire)
en disparaissant
des sphères brûlantes de litiges pour peu qu'elles ne concer-
nent pas une proportion trop
grande de la population. A la
limite le pouvoir dépasse ses ornières en maîtrisant
l'inexorable de
sa puissance dans l'évitement de la collusion
de ses contradittions historiques et idéoiogiques. L'état
dépasse les symptômes de ses carences par une mise en scène
de son absence,
par quoi sa masculinité se revirilise par
sa féminisation".
Cette absence n'est pas analogue à la
délégation de l'autorité du chef dont Horkheimer parle si
bien dans
"Théorie Traditionnelle et Théorie Critigue"(l),
elle désigne plutôt une ponctuation du pouvoir dans
sa
déponctuation,
dans sa déliaison.
Le pouvoir peut en effet exister en déliant
émotionnellement les masses d'une politique qui ne leur
est pas propre. L'éducation visant ici à
effacer plutôt qu'à
maintenir des
formes
sociales considérées comme périmées,
toute
information et tout mot d'ordre politique reste en retrait
ou en avance par rapport à
la réalité sociale.
Ce
retard
ou cette avance ne se retraitent pas dans une idéologie qul
leur accorderait une fécondité politique,
ils demeurent
dans une
idéologisation~ qui transforme cette coupure entre
le
réel social,
le vécu social et l'idéal libéral en une
forme d'exercice du pouvoir qui tire son efficace en arri-
vant
toujours
trop tard.
La puissance de l ' é t a t se complète
(1)
P.152
.../ ...

-3IT-
dans
sa relative absence.
Dieu cesse d'être le père
pour devenir aussi la mère
(l'am~re, la merde) qui ne
résoud pas les contradictions dans la conciliation,
mais
laisse fructifier les
occurenceso~ i l est plus efficace
de les
sous-développ~r, de les exacerber dans le sens
même de leur irrationnalité afin qu'elles arrivent aux
hommes qui les vivent
comme non rationnels mais avatars
caducs.
C'est dire que les forces de l'Etat peuvent se
raffermir dans l'ajournement de l'union et pour que la
désunion et le chao produisent une faiblesse qui accroit
l'autre force.
La domination de la raison s'adapte à
son
milieu par l'irrationalisation et la mise en scène rai-
sonnée et spectaculaire de
son irrationalité.
Si la domination fusionne
rationnellement avec les
légendes et les mythes," les rapports de forc~s ne sont jamais
exclusivement diurnes mais aussi nocturnes
tant et si bien
que c'est à produire du noir que le dominant arrive" à
irradier ses propres inquiétudes.
Tout se passe,
dans
ces
circonstances,
comme si le pouvoir n'avait aucune mémoire
de l'avenir et qu'il ne peut donner de démentis sans com-
mettre de lapsus. La mauvaise foi s'affiche partout mais elle
ne doit se "décrypter que comme son contraire.
Les noms
propres des réalités doivent
être tus.
Les grèves ne sont
pas des
grèves mais des arrêts de travail.
Les coups d'état
ne sont p-as des
coups d'état .ma i s
des
"actes crapuleux,
isolé>" •
I l sévit une peur du mot
comme
si le mot étant lâché,
la
chose le serait.
Il faut
éviter certains mots dans la mesure
o~ leurs références matérielles sont interdites. Conjurer
le mot de la chose pour conjurer la chose,
œla jmplique
une conception performative de la langue
telle que possé-
.... / ...

der le mot,
c'est posséder la chose.
Le dominé
joue sa dc~ination dans l'exté-
riorité de la vraissemblance.
I l en arrive à ne se fier
qu'à ce qui ne se claironne pas,
à
ce qui se chuchotte
et se colporte. L'homme n'a plus à
chercher à
comprendre.
I l doit savoir que ce qu'on tente de lui exposer est
incompréhensible. La raison d'état fait
graviter les
fantasmes de l'irréalité,
~t embrouille le destin contre
toute logique. Et quand la coupe est pleine et les bavures
grossières,
la crise qui s'est fermentée
trouve
son. dénoue-
ment dans un deus-ex-machina
:
le chef descend jusqu'aux
suppliciés,
théatralise la situation par l'ensevellissement
des suppliciés dans des monceaux d'images,
les rehabilitent
contre ses dél~gués, falsant ainsi accroître son image de
rédempteur.
Le chef ne sait pas qu'il est entouré de misères
et d'injustices. Et dès qu'il apprend la nouvelle d'une dé-
tresse quelconque,
i l se charge personnellement de
redres-
ser les torts,
quitte à contrarier ses délé~lés. Il
transforme les situations ponctuelles et imprime son image
dans l'explosion des erreurs et des fautes des autres.
Le désaveu de la politique globale réinscrit une nouvelle
logique politique plus souple parce qu'agissant" selon
l'intuition du moment.

-313-
Dans certaines régions d'Afrique noire,
lors-
que la circoncision de l'enfant intervient à bas âge,
la mère met
en scène sa tendresse dans une représenta-
tion de
son absence et de
sa présentation.
A l'heure
douloureuse,
elle s'éclipse pour n'accourir que quand_
le pré~uce tombé,
l'enfant hurle de douleurs.
Elle pro-
jette ainsi la responsabilité de sa douleur et du mal sur les
autres à
qui elle vient d'arracher son enfant par ses
consolations,
ses caresses
elle n'a plus qu'à
apaiser l'enfant
tout
en conservant son image de marque
Par ce subtetfuge,
la mère
joue au rédempteur ou plutôt
le rédempteur
joue à
l-a mère.
En esquissant et en dé-
faisant
la philosophie de l'autruche,
elle se donne à
fantas-
mer pour l'enfant
comme sujet bon et tendre dont i l faut
trahir la confiance p~ur inscrire le mal.
Par ailleurs,
comme celui de Zorro,
son retour remet les choses à
leur
place en anéantissant le mal. Vecteur de la purification
le rédempteur et la mère installent la justice,
le beau
le bien. Leur absence n'est pas celle du chat,
mais leur pré-
sence devient
le moment
o~ les souris dansent sous l'oeil com-
plaisamment bienveillant
du chat garant de la sérénité,
de la confiance et de la détente.
Tandisque la bouche des
autres délégués du pouvoir n'est point
avare d!ordres de
décision~)de mises en gardes, de mises à pied •.• ; de la
sienne ne s'écoule que l'indulgence,
le pardon,
la sagesse •••
La contradiction du pouvoir n'est donc pas posée dans son
essence rationnelle mais dans l'irrationnel de la diffé-
rence d'inspiration qui sépare l'homme de bien du tyran •
1._ ..

a
_

Dans la mesure
o~ la m~re participe à l'autorit~
.
1
elle est à
la fois
d~n~gation de S~ toute puissance et
affirmation de sa souverainet~. En d~pouillant ses
d~l~gués de leur l~gitimation, le chef oppose au pouvoir
r~pressif, le charisme de son personnage tout autant
censeur que r~prirnandeur. Si la m~re ne l~ve pas le ton
à
la maison,
c'est parce que le p~re le fait d~jà tr~s
bien.
I l y
a
une violence de la douceur maternelle qui
renvoie à la force
sous-jacente de l'id~ologie et du monaya-
ge de la tendresse.
Le pouvoir magique que
l'homme du
pouvoir cultive est li~ à l'angoisse et à l'aIlxi~té devant
le d~nouement ~u'il provoque.
D~tenir le monopole de la
tol~rance, c'est d~jà d~tenir celui de la violence dans un
même acte de d~sensorcellement. Pour être à même d'accourir
au secours des· opprim~s, i l faut
s'être d~jà tu sur leurs
mis~res quotidiennes. Le pouvoir est anxiog~ne avant d'être
gratifiant.
Aussi chacune de ses gratifications suppose ou
implique le
contrepoint
r~pressif vécu ou à vivre. Quand elle
prosp~re, cette culture de l'anxiété peut générer chez le sujet,
le refus de penser l'avenir en tant que perte nécessaire
de Dieu la Mère indulgente.
L'aliénation trouve dans la hantise redoutable
des
lendemains
terrifiants l'effet de son encerclement
du
futur.
Conceptualiser l'homme en tant qu'orpqelin
de
son avenir,
c'est
lui arracher la responsabilit~ de son
pr~sent. N'ayant ni présent, ni avenir, l'homme se
planifie dans
sa mort,
son inaction qui nourrit
sa réelle
planification unidimensionnelle
formalisation qui
parach~ve la clôture de son espace et de son temps. La
.... / ...

-
315 -
machine d'état se dépasse en donnant l'illusion de
ses
contradictions.
Celles-ci ne sont pas présentées comme des
déterminations mais reprises
comme non logiques du système.
Cette illogique interdit toute représentation de la mort
du pouvoir.
Toute logique du politique implique" une
politique de la représentation dont l'irréprésentable
est la mort du politique.
Quand les individus se pénètrent
de cette non présentation comme non représentable,
l ' i r -
réprésenté cesse d'être un rêve totalitaire pour devenir
une réalité de la totalité,
une réalisation de l'éternité
du même.
Le pouvoir peut se dissocier du bout du fusil
pour se diluer dans
la tendresse,
dans des mots d'amour
qui facilitent
la conversion de l'autre.
I l y
a un
pouvoir du non coercitif et une politique en dehors
du pouvoir d'état. La dissolution du politique
(rêve
hegelien)
est une habileté politique qui nécessite une
élaboration théorique de la dictature
ou du politique tout
court. Les sociétés sans état ne sont pas des
socié~és
en dessous de l'histoire,
elles seraient plutôt au-dessus
si tant est qu'une
telle position puisse exister. La
présence du politique en tant que sphère autonome est une
incapacité du pouvoir à
se dissoudre.
Ce n'est donc pas comme
le disaient Heiel et Marx,
en raison de la richesse de
la nature en Afrique que l'homme africain se serait dispensé
de mettre en place des modes et des rapports de production
de
type
occidental,
c'est-à-dire aptes à
lui ouvrir les
portes de l'histoire.~)Ce serait plutôt en raison des
(1)
-
cf A.A.
Dieng -
Hegel,
Marx,
Engels et les problèmes
de l'Afrique noire -
éd.
Sa~koré,Dakar
... / ...

-
316 -
exigences politiques et pratiques attenantes au projet
de
société qu'esquissait
le développement autonome
de ces
civilisations.
Ce projet disséminait le pouvoir
autant que le désir d'une manière
telle que la pensée
politique occidentale échoue ~ l'appréhender. La
tradi-
tion de la philosophie politique met en évidence une
impasse et une limite de~la raison à pens~r le diffus du
pouvoir ailleurs que dans les grandes artères historiques
de son odyssée.
Cependant
"le pouvoir politique comme
coercition
••. n'est pas le modèle du pouvoir mais
simple~
ment un cas particulier,
une relation concrète du pouvoir
poli tique en certaines cul tures"
(1).,
L'état,maximum,
c'est peut-être quand i l sait
être pertinent,
l ' é t a t minimum,
éternellement présent mais
toujours
invisible.
Plutôt que de penser l ' é t a t comme
éternelle puissance
omniprésente,
ne peut-on pas le
définir comme
l'éte~nel absent qui extirpe sa survie
de l'organisation de
sa mort? L'état retrouve
sa majesté
irascible quand son existence est menacée.
I l atteint
le sommet de
la violence quand on veut le
supprimer.
Dans
cette défense de
soi,
n'y a - t - i l pas déjà une négation
de
soi
?
Si l ' é t a t est
fort,
i l doit pouvoir être absent.
I l doit pouvoi~ se priver de ~anifestation car comme
Nietzsche l ' a démontré
(2),
toute manifestation est le
signe de
ce qui est dominé.
Toute manifestation est besoin
(1)
Pierre Clastr~ - La société contre l'Etat - Ed. minuit P. 20
(2)
Les contempteurs
de
corps" ~Ainsi parlait Zarathoustra
.../ ...

-317-
de reconnaissance.
Dans ce besoin,
i l y
a un manque qui
creuse le corps dans le sens de la vacuité. L'état idéal,
c'est
l ' é t a t dilué dans
ses sujets qui en intériorise
la peur par un conditionnement auto-suggestif. Adorno
et Horkheimer ne seraient-ils pas victimes d'une
illus~on
de la toute puissance de l ' é t a t ?
Si l'on considère que c'est par l'obéissance e t l a
peur de l ' é t a t que les dominés absolutisent l ' é t a t ,
un
état puissant devient
toujours aussi la création de sujets
affaiblis par l ' é t a t certes,
mais aussi par la peur qu'ils
en ont.
Ori peu~
se demander alors si Adorno et Horkheimer
ont su dompter cette peur afin de dissocier leurs meurtris-
sures historiques des péroraisons de l ' é t a t dont leurs
yeux et leur conscience sont
si lourdement
chargés.
Pouvaient-ils opérer cette dissociation tout en étant
ce qu'ils
sont?
Pour eux,
tout
ce qui se phénoménalise dans la com-
munication de masse lustreint à
la répétition jusqu'à ce
que la parole débouche sur l'expérience artistique. Les
conditions historiques de
tout déploiement s'enclenchent
dans un discours de la maîtrise qui ne se libère de sa
servitude que par la duplication symbolique des signifiants
dont l'évidence doit déjouer les effets de sa directivité.
En projettant l'image de l ' é t a t dans
son existence,
on en
renforce l'horr~ur si tant est que cette horreur n'est pas
déjà là.
Si elle n'est pas là,
alors,
on peut abolir la
mystique de l ' é t a t en situant la différence entre les ima-
ginaires qui en procèdent et le creux de
son discours.

-3IB-
DIB LlO G RA PHI E
G E N E R ALE
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THEODOR W.-ADORNO
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Philosophie de
la nouvelle mu~-;~ue (Paris,
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Musique de Cinéma
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La dialectique de .la raison
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.../ ....

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Eros
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L'homme unidimensionnel
(Paris,
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Lu fin
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l'~topie (Paris, Seuil,1968)
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Raison
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(Paris,
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(Paris,
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Philosophi8
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Culture
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L' on toI 0 G:.i.~ ct e He gel
e t
d e I a
t 11 é 0 rio de
l ' h i s t o r i c i t é
(Paris~ Minuit, 1972}
Contre révolutioll et
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La dimension esthétique
(Paris,
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-320-
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"idéologie"
~Paris, Gallimard, 1973, trad. Jean-Hené Ladm i.r ·1)
Profils philosophiques
(Paris,
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Théorie et pratique I.et II (Paris,
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L'espace Eublic
(Pari~, Payot, 1978, trad.
H.U.
de Launay)
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Le pro bl ème de la légi t im:~.té dans le capi tal:L~~
avancé
(Varis,
Payot,
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Connaissance et intér~t (Paris, Gallimard,
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plAnTIN JAY
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L'ima{~ination dia.lect.illU,E. (Paris, Payot1977)
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L'Ecole de
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J • pl.
VINCENT
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La théorie critigye de l '.Eco18 de Francfort
(Paris,
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r.1ARC J IHENEZ
-
Adorno,
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idéol~ie et théorie de llart-10/18
REVUE D'ESTHETIQUE
-
~résences d'Adorno - 10/18

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f.'C1. Universitaires
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- BENJh"lIN - .Pœsie et RévoJ..u.:t.iQn -
Denoêl
Il
11
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- Denoè L
-c-:f'lIGUEL Abensour -
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du 2 Hai 1980.
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x
x
x

CHAPITRE 11
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Payot 1978
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(chapitre l, Digressions L et Il)
- HORKHETI.ffiR - " Un nouveau concept d'idéologie"
in Théorie critigue'- Payot , 1980
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- "Raison et conservation de soi"
in Eclipse de la raison -
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1974.
- MARCUSE - L'hcmœ unidilœnsionnel -
(2 è partie;
La pensée unidirœnsiannelle)
éd de Minuit, 1968.
- MARCUSE" La naissance de la théorie Sociale"
in Raison et Révolution. éd Minuit.
- MARCUSE - Eros et civilisations (1 ère partie)
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l'TJ~l:'L - La phénœlènologie de l' Esprit Tare 1 et n
Aubier - Montaique.
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x
x

-324-
CHAPITRE III
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- Iv~ -
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- MARX - critique de la philosophie du Droit de Hegel
Aubier - Montaigne
- MARX - Le c~J2ital - livre l - 9 flamnarion
- IvffiRX -
Salaire, prix et profit - éd .Soc 1976
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el
x
x
x

-326-
or-
o .
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- EŒ~CH.ElfvIER - Théorie traditionnelle et théorie critique ,
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- I{ABERMAS - Connaissance et Intérêt (gallinBrd, 1976)
- HABERr:1AS - 'I'hêerr.i.e et pratigue - 1 et 11 - (payot, 1975)
- HABER.'vlAS - Le problème de la légitimité dans le capita-
lisme avancé
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~ QUIN~ - Philosophie de la logique (Aubier montaigne, 1975)
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- R - BL~HE - La logique et son histoire (armand colli n
1974)
- J BAUDRILLARD - Oublier foucault
(éd galilée, 1977-)
- KANT' - critique de la v~ison pure - (P.U.F, 1971)
- W.M.O. Neil - Faits et théories (Armand collin, 1972)
- HUSSERL -L'ori~irte de la géométrie - P U F 1962 )
- JULIA KRISTEVA· - Rechercllies-P.;2ur une s~é!I.y'se_l$_euil 1979)
.../ ...

-327-
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-<C}h'ôJ
"
"
"
9 - Généalogie des sciences
(éd seuil - été 1968)
- hDLFP...NG Abandroth, hans Heing Hobz, léo Kofler, Théo Pinkus
ENTRETIEf:L avec George mcKAS.
l''ll-\\sPERO. 1969
- DURKHEIM - Les régles de la méthcx:le scciologique (P.U.F,1963)
Sociologie et P~ilosophie (P.U.F 1967)
x
x
x

· -328-
CHAPITRE V - OPI'IMISME Er PESSTI1ISME
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(éd - soc, 1976)
- G. LarA)uge - UtopiE q
civilisations -(champs Fl~1TIBrion,1978)
- j',lARCUSE -- La fin de l'utopie (seuil, 1968)
- HORKHEIMER - " Montaigne et la fonction du scepticisœ"
in théorie criti~e (Payot 1978)
- "L'utopie" irtles débuts de la philosophie rourgeoise
de l'Histoire
(Payot, 1974
- ENGELS - Socialisrœ utol2i~e et socialisrre scentifique, éd sec
1973
- H.DAMICH ~ Cultures et vlptures
(éd minuit 1976)
- MAF'FESOLI, freund, Bozonnet, samivel, bellotto, Espacés et
D11aginaires ( Presses universitaire de Grenoble, 1979~
- NIETZillŒ - ecce haro - r.:ÉSdiations
"
La naissance de la tragedie - idées -
x
x
x

-329-
CHAPITRE Vl - LE CONTENU DE VERITE
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(klincksieck, 1974)
- p.roRNO -
Théorie esthètique - .kl.Lncks.Leck , 1974
- I~SE -Eros et civilisation - 2 è partie.
- La dimension esthètique (seuil, 1979)
- o. R D'allonnes - La création artisti~t les promesses de la
liberté -
(Klincksieck - 1973)
-
MARC JIMENEZ .- AOORNO ,PR1', ideologie et théorie de l'art 10/18
- REVUE D':t::STBEI'IQUE - L'art de masse n'existe pas 10/18
- Présences d'j\\DO&\\U - 10/18
- Pour l'objet
10/18
- Esthétique et Marxisne 10/18
- ~:1ARIO PERNIOLA - ~'ali~nation artisti~~- 10/18
- GOLŒ1AN' - Je dieu caché )gall.iJn;:lrn.1 1959
- ZIMA - L ' ambivalence rçmanesque - Proust, Kafka, l'·1usil. J
Le sycarore - 1960
CHRISTIAN METZ - Le signifiant imaginaire , 10/18
- CRITIQUE - Histoire, ~héorie de l'art -
(~inuit, 1973)
- HEX;EL - Esthétique l, 11 et 111 (champs flanmarion 1979)
- E - GilSON - Le réalisme méthcx:lique , P Téqui, 2è édition.
x
x
x

-330-
O-IAPrrRE Vll - THIDRIE CRITIÇUE - THEX..JRIE CCNIQUE
- DELBJZE -Présentation de sacher - ~lasoch - (êd-Minui.t 1967)
- O. R. DI allonnes - Musicru:es - variations sur la p::nsée
Juive
- 'CHRISTIAN BCURGEDIS Editeur, 1979 -
- LES STOICIENS - textes choisis par jOlU' Brun P.U. F 1968
- KANT- La raison pratique textes choisis par C.Khodos (P.V.F,1968
FREUD - Le rrot d'esprit et ses. rapports avec l'inconcient idées
1969
-
KIERKB::;ARD =Riens
philosophiques, Gal.
1969
- BERGSON - le rire / essai sur la signification du canùque PUF 1969
Plato~La république'- garnieret flammarion.
- KAFKA/ le chateau
folio
1
- A. Sauvy / HUIrour et fX?1itiCJ.U:e- calman levy 1979
- HO.RIamll-'JER -
"ADORI\\O -
J2,talectique de la raison (Gallimard, 1974)
- AOORNO - Minirr.a.· Moralia
Payot, 1980
- LOUIS MARIN - Le récit est un piège -
~tinuit 1978
. - HOf1ERE -
IlLIADE - Cdyssée - gallirnard 1965
- BENJAMIN .- Sens unique - Enfance œrlinoise lettres nouvelles 1978-'

-33I-
CONCLUSION:
POINTS DE FUITES
. '; .~
\\ ';. ',.': ~, ,':"
.. ~. -
..
...... .
VOYE1:KJE -La presse dans la société contern poraine
(A. collin 1971)
- R. LTh1HARD - Le sucre et la faim
(éd Minuit 1980)
- .J . P. SARI'RE ,;,. Situation V Gallimard
- J-I. ~<OBSÜ1.'J - POR['lOSKA - DIALCGUES - El.anruazi.on , 1980
- HOUNroNDJI - Sur la phi~hie africaine, ~'laspéro 1976
- -JEAN SURET CANAL - Essai d 'Histoire africaine
(éd soc 1980
- A1\\1\\.D:f ALY DIEI\\'G - Hegel, Marx, Engels et les pro!=,lèrres de l'afrique
noire
éd Sankoré Dakar 1978,
-B.BEilTELHEIM - Les blessures s ~
(Gallimard 1971)
- FRANCK ANDRE G- Le développement du sous dévelo~ent
(Maspéro, 1972)
#~;i ".''';~~''''''
ç-\\~-
, '
~~ /~' ~
- FREUD '7 Nouvelles conférences de psycha.1].p.'lyse (idées", 1926-
il '- (
_
\\
L~
S
KOFMAN
I l ' JUDIT'If'"
tr
i'i-5 'l,t;·· M t: (G l';' - )
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- JACQUES MERCIER - :.:.es rouleaux protecteJrs, 'Btbiop.:i,.e/L~§/seuil)
.
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- El\\X:;ELS - .f.;ud.Üg Feurbach 2t la fin de la plules0pB:re classlsu;e