UNIVERSITE DE PAAIS
FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES ECONOMIQUES
-:-:-:-:-:-
~'IMPORTANCE DES GRANDS PRODUITS AGRICOLES D'EXPORTATION DANS
~E DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET SOCIAL DE LA COTE D'IVOIRE ET
RAPPORTS AGRICULTURE-INDUSTRIE DANS LA PERSPECTIVE DE DEVELOP-
rEMENT AUTOCENTRE DANS LES CONDITIONS DE L'AFRIQUE TROPICALE
,
'" """~"_.', .... ...,-- ..,....
","
,._-",
T
H
E
S
Pour le Doctorat d'Etat en Sciences Economiques
Présentée et soutenue publiquement le 29/01/?4
Par
A L Y
T RAO R E
Volume
l
Président
-
-
:
M. HENRI BART8LI, Professeur
. M. ROBERT BADOUIN. Professeur
M. MICHEL GAUD
-:-:-:-:-
1973
I I
------,-------
La Faculté n'entend donner aucune approbation ni
improbation aux opinions émises dans les thèses;
ces opinions doivent @tre considérées comme pro-
pres à leurs auteurs.
----.........-..----~-
I I I
Vu
Le Président
Vu
Les Suffragants
MM •••••••••••••
•••••••••••••
Vu et permis d'imprimer:
Le Doyen de la Faculté de Droit et des Sciences économiques
de Paris
IV
,BEMERCIEM ENT.§
J'exprime ma profonde gratitude à Monsieur le Professeur
tl~~~IQb!, de l'Université de Paris, qui m'a fait
l'honneur de diriger cette thèse.
Je remercie le Professeur ~2E~-ê~DOU~~ de l'Université de
Montpellier dont les précieux conseils m'ont réconforté
dans ma difficile t~che.
Je remercie le Professeur §~1r~mi~, Directeur de l'IDEP
"Institut Africain de Développement Economique et de
Planification" à DAKAR -
dont une bourse de recherches m'a
permis d'aller poursuivre mes travaux dans certains pays
africains.
Je dois beaucoup à Mme Kadidiatou SOW pour la dactylogra-
- - . . -
"". - - - - -
phie et à mon ami ~~~Ia_M!~~~omb~ pour l'impression
de ma thèse;
je leur exprime ici toute ma reconnaissance.
-:-:-:-:-
1
v '-
Pages
Introduction Générale •••••••••••••••••••••••••••••
1
Plan de l'Etude •••••••••••••••••••••••••••••••••••
11
~R.sMIERf ~.ARTIE
k~Imeortan~_des a~~ds produits agrico~_~·exp~
!ation_da~e dévelp,Epement !~~~sue et soc!~!
de la C6te d'Ivoire •••••••••••••••••••••••••••••••••
12
- -
. -----.---
!!!~_-1 : Mo~étarisation e~_croissan2~_~~~
ivoirienne •••••••••••••••••••••••••••••
15
-- ----
-1
: Monétarisation et début de
l'économie d'échange en C6te
d'Ivoire •••••••••••••••••••
16
- ~~p_i_t_r_e.
I~I
: Agriculture d'exportation,
monétarisation et conflits
d'intér@ts •••••••••••••••••
39
-
fhaE~tre -!!!
: Aggravation des conflits et
lancement de la croissance
61
-
Titre II : Mise en valeur
- - ----------~,~~~
culture
91
.....,
..
•
h. aleur~i
•
/produi ts agri-
coles ~~~~n •••••••••
93
:
Contribution de l'agriculture
d'exportation à la croissance
118
b!-aénéE!l!~~!~n_È~ mod!1 e de déyelogpe-
~ent._1~oir~~!!_!!!-!!_problématique d~
~~~lop~~nt en Clli~Ivoire et
~~!~ig~~_rEopiE!1! ••••••••••••••••••
15?
---,---,---------...-..- ._------..-----------
(1) Ce sommaire tient en m@me temps lieu de table des ma-
tières du premier volume de cette étude. La table
générale -
des matières peut @tre cependant consultée
à la fin du deuxième volume.
VI
- Qh~E~!~_--l : Les mécanismes d'absorption du
secteur de subsistance ••••••••
159
f.tlapit~_:!1
: Force et faiblesse du "secteur
exportateur" des cultures in-
dustrielles de l'économie
ivoirienne ••••••••••••••; . . . . .
186
De l'expérience économique
ivoirienne à l'expérience de
l'Afrique Tropicale: la problé-
matique du sous-développement
201
CONCLUSION DE LA PAEMIERE PARTIE
- - - - - - - - - -
.- -_ .. - --- ••••••••••••••••••••••••
212
DEUXIEME PARTIE
----
--
B~EE2~~_~a!!s~l~ur~=~~~ed~s la_~erseective.2~
~~~~BBeme~~2~entrédaa!_les_~2!!!qns ~
1~f!!9ue TroE~~ •• •.••••••••• ••••••••••••••••••••• ••••
218
f!o21!~e~ des~1!~1ons aa!~~!:!~~
trie dans les conditions actuelles de
----...---------- -
---~--
- -
~f!!g~~!r2E!E!1! •••••••••••••••••••••••••
222
f~E1~~_--1 : Relations conflictuelles entre
l'agriculture vivrière et
l'agriculture d'exportation.....
224·
- g~B!!~I
: L'avenir des exportations pri-
maires et les relations agri-
culture-industrie dans une
stratégie de développement
extraverti •••••• 0..............
24?
~~EE!!~a!l~~ltur~=lndustr~_ets~!~!é2ie
2~~lopeeœent~!2E!n!!~~_~f!!S~
Iropiçal~ ••••••••••••••••••••••••••••••••••
2?S
VII
: ......1..
- f~E!!!!-2~!!~ir! z L'Afrique Tropicale
face aux expériences historiques•• 2??
- f~!!!e ._1 : Les conditions fondamentales
d'une stratégie de développe-
ment auto centré en Afrique
Tropicale ••••••••••••••••••••••
285
- fh!Ei!re_!I
: Choix prioritaire ou inter-
dépendance entre l'agriculture
et l'industrie en Afrique
Tropicale ••••••••••••••••••••••
306
TROI8IEME PARTIE
------------...-
f!2b1é!!!~!!.9.~~!2n2!!!!!!ll~!!!_2!_~aa:!ic~.E:!!!_!!_2!
l~~~~~!!!_Ë!~!-~U!_E!!~E!~~Ë!_2!~!l2EE!!!!!~~_!~
!2~~!!!_!~~!_~~!!!-~-!~_~!!!S~_I!22!S!l! ••••••••
345
Titre l
------
f!221!!!!!~~~~~!12EE!!!!!~!_aa~!E~!2_!~
~~~~!E!~!!-2~:!~~!E!~~!~B!-!!!!!!ent~~t!:
!~_Ce!!_~1~2!!!-!!-~_~S~!-!!2E!S!!!•••••
348
Problématique de l'"indépendance
alimentaire" en CSte d'Ivoire
et en Afrique Tropicale ••••••••
350
Des réformes profondes à
l'"indépendance alimentaire" en
Cete d'Ivoire et en Afrique
Tropicale ••••••••••••••••••••••
3?9
:!!l~ill!.!!~!!!~n..2!-E!!~!~~_ qe_d év!-
12EE!!!!!!lL~~.:.B!E!!!1!~!!!!_E!!:!Eh!!!,gue"
..~!l
f~!!-~2~2!!!-!.t-!~Af!!.9.!:!.!-I!2E!~!! •••••••
425
- fh!E!!!!__l
: Les formes de financement in-
dustrie1 dans les pays sous-
développés et la stratégie d'in-
dustrialisation en Cete d'Ivoire
et en Afrique Tropicale..........
430
VIII
Le processus d'industrialisa-
tion et les perspectives de
développement du "capitalisme
périphérique" en Cate d'Ivoire
et en Afrique Tropicale ••• t •• c·j
455
CONCLUSION GENERALE •••••••••••••••••••••••••••••••••••••
524
-----------~
Annexes ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••
52?
Liste des tableaux annexes
••••••••••••••••••
542
Bibliographie ••••••••••••••••••••••••••••••••
54?
Table des matières •••••••••••••••••••••••••••
571
-
1 ....:
INTRODUCTION
========••==
-000-
l'année 1960 restera certainement inoubliable pour
l'Afrique qui se souvient qu'elle a été pour elle l'année
de son entrée dans l'ar~ne politique internationale. C'est
que "l'indépendance" d'innombrables pays africains avait
soulevé un grand soulagement et un
immense espoir en Afri-
que et à travers le monde chez tous ceux qui se considé-
raient comme les amis de peuples colonisés. Un grand soula-
gement parce qu'on pensait toucher à la fin de cette in-
justice séculaire que fut la domi~ution de tout un conti-
nent. Un immense espoir parce que l'occasion,
tant attendue,
venait d'@tre donnée aux Africains,
à l'Afrique et au Tiers-
Monde dans son ensemble, de contribuer à l'oeuvre grandiose
et exaltante de la construction et du
développement écono-
mique et sooia1 d'un monde nouveau,
pacifique et fraternel.
Parmi les millions de voix qui s'élevèrent alors pour
saluer sincèrement "l'indépendance" des pays du Tiers-
Monde, on peut citer celle du professeur Henri BARTOlI qui
écrivit à l'époque :
"les peuples si légèrement et si
longtemps tenus pour inférieure se mettent en marche,
tel
est 1~ vrai problème. A Bandoung,
ce sont des foules cons-
cientes de leur importance,
puisqu'elles représentent au
moins la moitié de la population du globe,
qui ont procla-
mé leurs droits. Et le professeur BARTOlI d'ajouter:
-
2 -
"Les pays économiquement avancés avaient cru qu'il leur appar-
tenait de bBtir le monde à leur image, nous savons maintenant
que, selon la formule d'A. DIOP,
"le monde de d~main sera b!ti
par tous les hommes n(1).
Pour l'Afrique, la meilleure. contribution qu'elle
devrait apporter à l'édification d'un monde prospère et fraternel,
c'est de décider souverainement la mise en valeur de ses immenses
richesses naturelles du sol et du sous-sol afin de satisfaire
d'abord les besoins fondamentaux des Africains. Que peut-on en
penser,
plus de dix ans après "l'indépendance" ? (2) Pour pou-
voir répondre à cette question, un bilan économique et social,
objectif autant que possible; sans prétention, ni complaisance
s'avère n é c e s s a i r e . ,
1°) -
L'HOMME Vlr O'ABORD DE PAIN:
- - - -
----._. - . , ..
Pour tout observateur attentif qui parcourt l'Afrique
d'aujourd'hui, i l n'aurait pas de peine à comprendre que ce que
réclame encore l'écrasante majorité des Africains, c'est d'avoir
un peu de pain, de pouvoir se loger et se soigner convenable-
ment tout en souhaitant savoir lire et écrire. C'est qu'après une
d~c~nnie de souveraineté nationale, on commence à réaliser que,
comme par enchantement, la "décolonisation"
si légitimement.
------_.._---------------_._._-----,----------------~-
(1) -
Henri BARrOlI, Science économique et travail, Paris,
Dalloz,
1957, 308 pages -
3ème partie,
chapitre III :
"Vocations des pauvres" pages 288 et suivantes.
(2) -
Réflexions sur la 1ère décennie des indépendances en
Afrique Noire". "Présence Africaine",
N° spécial, Paris
19?1, 422 pages.
-
3 -
revendiquée est loin d'avoir résolu les principaux problèmes
politiques,
économiques et socio-culturels du Continent. Bien
au contraire,
elle a mis à nu
le "sous-développement" avec son
cortège de misère,
d'analphatétisme et d'injustices flagrantes.
Ceci est si vrai que l'immense majorité des
popula-
tions d'Afrique noire en sont encore à se poser constamment
deux questions. Cà et là,
le paysan démuni et résigné demande
à l'intellectuel du
pays qui "sait tout"
:
"Quand prendrti fin
notre indépendance"
?coo Ailleurs,
la question prend une forme
différente
:
"Quand viendra l'indépendance qu'on nous avait tant promise"
7
Dans l'un ou l'autre cas,
ces deux interrogations expriment
de façon pertinente l'angoisse de plus en plus profonde des
populations pour qui "l'indépendance" c'est avant tout et sur-
tout le bol de riz,
l'école et une certaine dignité ~ü~ procurent
les bienfaits du
développement économique et social. Malheureuse-
ment,
le bilan des dix premières années de ce développement
, incite plut8t à se demander si René DUMONT n'avait pas finale-
ment raison en écrivant que "l'Afrique Noire est mal partie".(1),
à moins de se demander comme Albert MEISTER si "l'Afrique peut-
elle partir 7"
(2)0
(1) -
C'est le titre de l'ouvrage que l'auteur publia en
1962 (1ère édition), aux Editions du
Seuil. On sait que
de nombreux intellectuels africains protest~rent contre aa
~ublication de ce livre, le trouvant trop critique vis-à-
vis d'Etats qui n'étaient indépendants que seulement
depuis deux ans.
(2) -
Albert MEISTER,
l'Afrique peut-elle partir?
Change.ment
social et développement en Afrique Orientale
Paris,
Edition du
Seuil,
1966 -
450 pages.
- 4 -
N'y a-t'il pas cependant d'autres problèmes à soulever sur
l'avenir des pays du Tiers-Monde?
Il est sans doute intéressant de savoir si l'Afrique
Noire est bien partie ou mal partie, ou m@me, si elle n'est
pas encore partie sur la voie du développement. I~ est tout
aussi intéressant, sinon davantage,
de se demander si depuis
leur indépendance,
les Etats africains,
dans leurs tentatives
de résoudre les grands problèmes du
"sous-développement", qui
se posent à eux, 2~~~2B!!-~~~~E~~_C2!!~~~e~_r~ion~~11~
~L~2~~~~~-E2~LE2~.21!_~!!~L~~~_~tbi~n a'd•.qéve!2~~
~i-l~1!i~~~~~~ réclamé Ear_l~~_E2~1~~2~~f!~~.
Or,
à ce propos,
parmi les nombreuses expériences
qui sont en cours sur le continent africain,
l'une d'elle
l'expérience ivoirienne -
ne saurait en aucun cas laisser in-
différent tout observateur attentif et désireux de comprendre
les bases fondamentales des économies d'Afrique Tropicale,
les
mécanismes essentie~s qui ont provoqué leur monétarisation et
partant, le lancement de leur croissance économique. Eij d'au-
tres termes,
quels sont l'origine historique,
la nature et le
destin futur de la croissance des économies sous-développées en
général,
de celles d'Afrique Tropicale en particulier? Nous
tenterons de trouver des réponses à ces questions en analysant
d'abord l'expérience spécifique de la Cete d~Ivoirer afin de
nous permettre,
par la suite,
d' étendre no t r-e.ré.t u d e à l'ensemble
de l'Afrique Tropicale.
-
5 -
L'importance de l'agr~cu1ture,surtout de l'agricul-
ture d'exportation dans l'économie de la COte d'Ivoire no~s
est suggérée par le fait que la part de l'ensemble café"cacao
dans les recettes à l'exportation du pays est passée de 82,? ~
en 1950 à 4?,9 ~ en 1969 (1), soit un~ dimunition de 35 ~ en
dix ans, au profit d'autres exportations comme celles du bois
dont le tonnage et la valeur ont accusé une augmentation
exceptionnelle.
-
!mE~!!!2U!-~!~~!~res ~2~~~~!2~~tion des t~rm~s de
!~2Ch!~a= - Les chiffres ci-dessus ne justifient pas moins,
non seulement la fierte des Ivoiriens, mais aussi l'inquiétude
de bon nombre d'entre eux. Leur fierté parceque la COte d'Ivoirè
reste encore le troisième 9roducteur mondial de café et le
" ,:
• .:;:'fi; , r·· .~
"
quat~iême du cacao, pour ne citer queçss;:Çleux produits; l'in-
quiétude aussi parceque le café et le cacao, comme la plupart
des matières premières, surtout agricoles, des pays sous-déve-
loppés, connais~ent depuis dix ans aU moins, de graves fluctua-"
tians des prix. Ce qui,
dans le'cas particulier de la C6te
d'Ivoire, ampute ses recettes extérieures d'un manque à gagner
si sUQstantiel, qu'à terme, sa croissance économique pourrait
en 8tre compromise. Car malgré l'amorce d'une certaine indus_
trialisation, l'agriculture, et singulièrement l'agriculture
d'exportation, reste encore la base essentielle de la croissance
de l'économie ivoirienne. Par conséquent,
..---
---------------..-~-.--------.------
-~- .....- -
(1) - Calculés d'après les chiffres du Bulletin d'Afrique
Noire, NO 609,
22 Juillet 1970.
-
6
en plus des solutions envisagées telles que la recherche de
nouveaux débouchés et la diversification des cultures,
i l
semble tout aussi urgent de s'adonner à la valorisation locale
des produits agricoles en particulier et au développement
industriel autp....·êr'\\'~:fçtenu
en général, développement fondé
essentiellement, non pas sur le financement extérieur, mais
aussi sur les ressources nationales.
Dans le m~me ordre d'idée, ce qui vient d'~tre dit
à propos de la C6te d'Ivoire serait aussi valable,
à quelques
nuances près,
pour les autres Etats d'Afrique Tropicale qui,
à l'instar de la C6te d'Ivoire,
dépendent,
eux aussi, des
exportations de produits primaires agricoles,
miniers et éner-
gétiques, à travers lesquelles (exportations) ,11;;it)J.• uns et les
autres poursuivent leur insertion dans l'économie monétaire
intern~tiona1e. D'un autre c6té, le fait que les produits pri-
maires soient principalement exportés l'bruts" vers les pays
,
*:.;~
développés en échange des importations de produits manufactures
"
laisse apparattre qu'il n'y a
pas de liaisons cohérentes entre
l'agriculture et l'industrie africaines.
Au fond,
ceci pose le problème bien connu de la
contributton de l'agriculture à la oroissance ou de l'interdé-
pendance de l'agriculture et de l'in~ustrie dans le processus
d'une croissance, tant soit peu autonome. Etant bien entendu
que l'on a pris l'habitude d'identifier le développement ftco~
.
~";*~':"'o!f"":' ~::~:'
nomique à l ' industrialisation... A ce pro pos,
Monsieur;:1.{,dpJ3r!f;\\
"
~-'
BADOUIN, dans son livre "Agriculture et accession au dévelop-
pement"
(1) écrit,
--------...--~---...-~-----~-----
( 1) -
Epi tions A.
PEDOME -
Paris,
196?,
page 9.
- ? -
"Il n'existé aucune raison d'attribuer à l'~ndustrie une
sup~riorit~ intrins~que dans la r~alisatiDn du d~veloppement •••
Mutation de l'agriculture et implantation de l'industr~e
sont toutes deux indispensables à l'av~nement d'une ~cQnDmie
capable d'enregistrer une croissance autDnome et sDutenue".
Ce qui, dans le cas de la Cete d'Ivoire, amène tout
naturellement à s'interroger sur l'origine, la nature r~elle
et le destin de sa croissance ~conomique. Assiste-t-on en
r~alit~ à une croissance originale, pouvant effectivement
d~boucher sur l'ind~pendance ~conomique tant souhait~e par
les jeunes Nations ?
On ne peut r~pDndre correctement à cette question
qu'en faisant appel aux th~ories du
"sDus-d~veloppement" en
g~n~ral, et en particulier, aux thèses respectives des profes-
seurs Gaston LEDUC, François PERROUX et Samir AMIN qui, tous
trois, ont ~crit sur le d~veloppement de l'Afrique Noire (1).
-
"Eu!:~fr!E~me" ou-:9~~~.!gEEement mu~.!" ? Monsieur LEDUC
va d~fendre la thèse "Eurafricaine" selon laquelle le d~ve1op~
pement de l'Afrique Noire n'a pu et ne peut se r~aliser que
s ' i l est induit par des rapports ~troits avec l'Europe et par
le d~veloppement acc~l~r~ de cette dernière. Le professeur
LEDUC ~crit notamment (2) que l'Europe qui est
-----_. ._-----,-------,----_._------,-----
__
(1) -
Gaston LEDUC, le D~veloppement ~conomique de l'Afrique
Noire,
cours de Doctorat de la Facult~ de Droit de Paris,
1954 -
1955; François PERROUX, l'Economie des
jeunes
Nations Paris, P.U.F.
1962;
l'~conomie du 20~me siècle,
Paris P.U.F.
1969
Samir AMIN, le d~veloppement du capitalisme en Gete
d'Ivoire,
Paris, les Editions de Minuit,
196?; l'Accumu-
lation à l'~chelle mondiale, Paris, Editions Anthropos
1970.
(2) -
Ibidem;
pages 119 et
120~~
~::c
~ 8 -
coupée de sa partie orientale et dans une assez large mesure
de l'Asie,
tout au moins de la Chine,
pourra sans doute trou-
ver en Afrique certaines des mati.res premi.res qui lui ~ont
nécessaires ainsi que des débouchés,
dans la mesure où l'éco-
nomie africaine se développera. Il faudrait naturellement,
que
IBEurope soit construite avant que l'on puisse envisager la
réalisation d'une Eurafrique".
Avec une telle th.se,
le développement de l'Afrique
contemporaire serait le prolongement direct du
"développement"
qu'elle a pu
conna!tre à l'époque coloniale avec, i l est vrai,
quelques réformes structurelles de surface.
En abordant donc le probl.me sous l'angle d'une
analyse "structurelle" c'est-à-dire qu'en faisant une analyse
des structures à la fois
politiques,
économ~ques et socio-
culturelles de l'Economie des Jeunes Nations". Monsieur PERROUX
----_....._-------......-
montre clairement comment les rapports de "Coopération" pour-
raient n'~tre finalement que des rapports de "domination"
entre l'ancienne métropole et ses anciennes colonies. Si donc
18 professeur PERROUX défend en derni.re analyse
"!!L.~~~lPE.ee
œ~~_~~!~~ln entre l'Europe et l'Afrique, ce n'est pas du tout
pour maintenir ou renforcer sous d'autres formes le statut quo-
colonial,
mais pour promouvoir une intégration industrielle
autour des "p81es de développement" en Afrique. ;rl pourra alo'rs'
''1-:. ~ .' ~
écrire que l'idée fondamentale de son livre -
l'économie des
- - - - - - -
~~~D~~~~11~~l!
c'est que l'industrialisation des nations
naissantes peut et doit-~tre entreprise en coordinant métho-
diquement les centres industriels plurinationaux et les écono-
mies "territo!'iales"
(page
15).
Naturellement,
cette industrialisation doit se
faire avec la collaboration,
donc,
sans rupture avec
-
9 -
l'Europe qui pourrait et devrait y contribuer.
Ge n'est pas
tout à fait l'avis du professeur Samir AMIN qui.,
tout en
utilisant certains concepts nouveaux,
élabore une théorie
générale de
i'l U accumulation à l'échelle mondiale"
(1)0
ThéE!i~2~ sE~~-d~~l~EE~~~~!_~_~~~l~~_!-~~~~
mondiale
Selon cette théoriev
les pays
capitalistes dévelop-
pés
"pays du centre"' -
continuent de dominer politiquement,?
économiquement et socialement les pays sous-développés -
"pays de la périphérie" - .
Il sVen suit que les mécanismes de
l ' é co nomie du march é son t
te le;
qu e les
li péri ph é r L es"
ne p euven t
emp~cher les transferts d'une partie de leurs "valeurs" (sa-
laires,
profits,
etc ••• ) vers les
"Centres";
ce qui bien
entendu,
contribue à appauvrir davantage les "piemi~rs et à
enrichir les seconds.
Enfin de compte,soutient Moniieur AMIN~
ce qu'on appelle
"développemnt des
pays sous-développés n.' est
en réalité,
dans le meilleur des cas v qu'une ~croissance sans
développement li ,
croissance qui du reste,
sera irrémédiablement
"b la qu ée"
(2).
La sa lu tian
po ur l'au t eur ? Ni
"eura fri can t sme if;
ni "coopération",
mais
"r-u p t ure " par la périphérie"" de ses
liens de sujétion avec le "centre ll •
Ge n'est qu'à ce prix
que les pays sous-développés v grgce à la formation
d'ensembles
régionaux,
pourront amorcer un développement
lIauto-centré",
c'est-à-dire autonome.
---------~-------~~~--~--~~~-~-~~---~--~~~~------~--------~-
(1) -
S.
AMIN,
l"Accumulation à l'échelle mondiale,
Paris,
Editions Anthropos,
1970 -
589 pages ..
(2) -
Voir S. AMIN,
IUAfrique de IDOuest bloquée,
Paris,
Editions de Minuit,
19?1 -
322 pa q e s ;
-
10 -
Quoi qu'il en soit en tout cas,
de nombre~x
économistes,
en accord en cela avec les professeurs PERROUX-
et AMIN,
admettent qu'il existe une distinction entre
la II c r o i s s a n c e ll stricto-sensu et le "développement"
économique et social. Bien que ce développement ait pour
condition nécessaire la croissance,
celle-ci ne débouche
pas automatiquement sur le développement,
c~est-à-~ire
le bien ~tre économique, social et culturel de l'ensemble
des populations d'un pays.
C'est en tenant compte de cette notion large
"
du" dévelo pp emen t " qu i
in clut la prob lèma t'ique sociale,
que nous voulons examiner en Cete d'Ivoire et en Afrique
Tropicale;
1°) -
Le rele qur~ joué et joue encore le secteur d'ex-
'"
portation des produits primaires dans leur croissance
économique et leur intégration à l'économie monétaire
internationale;
2°) -
la question de savoir si cette intégration facilite
l,Cl ë!' n on 1 e ur
" sor t i e" du" sou s - d é v e 10 p p e ment" ;
30) -
la problématique des rapports agriculture -
industrie
dans une perspective de développement auto-entretenu en
Afrique Tropicale.
Notre étude comprendra 3 Parties qui permettront
d'envisager les problèmes de
"sortie" du
"sous-développement'
de la Cete d'Ivoire et de l'Afrique Tropicale.
-
11 -
-
l~!:~_E~!:.:t!~ - t rai t e deI! i mp0 r tan ce d u ~~E.!~.!:!!:_'!;;~E2!:!~!i2.!J
~~!:!E~l~_~~~~_l~éc~~~~l~_!~~i!:!~~~~ et les l~çons que l'on peut
en tirer sur la problématique du
"sous-developpement" en
C8te d'Ivoire et en Afrique Tropicale.
-
~~~~_E~!!i~ - Examine l'importance du !Bl~_~.!:!_~~E.!~.!:!!
~~~~E~!!~!i~~_~~~-E!~~~i!~_E!i~~i!,!;;~_~~!iE~l~~~~~i~!:~_~!
~~~!:~~!is.!:!~~_~~!!~_1~_!.!:!E.!.!::!!~_~~~_~1~!i2.!l~_~~!!~_1.:~~ti.s.!:!l!.!:!!~
~!_l~i~~.!:!~!!i~ et les possibilités de solutions dans une
perspective de développement autocentré.
-
~~~~E~!!i~ - Fait la synthèse de_l~~.!J~~~21~_~~_E!~21~~~
!iS.!:!~~_~!_~~~_~21.!::!!i2.!J~dans une perspective de développement
autocentré en
C8te d'Ivoire et en Afrique Tropicale.
x
x
x
x
-
12 ..
1
, '," i
PRE MIE A E
P A A T l E
-.-.~.~.-.-.-.-.-.-.-.-._.~.-
L'IMPORTANCE DES GRANDS P~ODUITS AGRICOLES D'EXPPRTAT~ON
DANS ~E DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET SQCXAL
DE LA COTE O'IVOIRE
-.-
-_.
LA
c 6 T E
D' i V 0 IR E
THE
IVOR y
CQA S,T
DIE
ELFENBEINKUSTE
. ,.
MARCHÉS TROPICAU
-
13 -
INTRODUCT:tON
....----------
Dans la terminolo~ie éconGmique çontemporaine, on
a pris l'habitude de désigner sous le nom de "2$~~ ~rdustria
l:is~1I les pays à économies développées, parceque l'il1ldus-
trie est leur activité préppndérante. Par contra~ l~s sous-
développés, que l'on peut encore appel,er ".2!a~s.!J2n.!ndu!!!:!~
lisés" se caractérisent par la faiblesse de l'industrie
--~-
.
manufacturière par rapport à l'agriculture qui occupe la place
prépondérante dans leurs économ~~S
: on peut les cQnsidé~er
donc comme des ".e!.l! !ir!.51.212;. C'est bien le cas des pays
d'Afrique Tropicale ~n général et, en par~iculier de celui
de la Cate d'Ivoire dont les plus grandes richesses économiques
demeurent toujour$ ce que nous appelons ici "l:~~.a!:.D~~_er2
E~its aaric~les S~!~epr~S~12D" ; le café, le cacao, les bananes
et les ananas, auxquels i l faut ajouter le bois.
Naturell~ment, nous sommes bien conscients qu'en
plus de cette agricultu~e d'exportation, l'agriculture vi-
vriè~e, l'industrie et les services occup~nt eux aussi une
place de plus en plus importante dans l'économie ivoirienne
et nous n'avons pas l'intention d'ignorer ce phénomène,
au sai
bien dans la croissance économ~que de la C8te d'Ivoire que
dans celle des autres pays: d'Afrique Tropicale.
Pourtant, si dans la première partie de notre ét~de,
qui va suivre, nous donnons priorité à l'examen du rale que
jouent les cultures industrielles dans le développement écono-
mique et social de la Cate d'Ivoire,
c'est parce qu'il existe
de nombreuses raisons et non des moindres.
1°) G'est l'agriculture d'exportation qui a provoqué
la monétarisation dans l'économie ivoirienne, sans laquelle
i l n'y a pas de lancement de la croissance économique.
-
14 -
20 ) C'est aussi grace à la mise en valeur de l'a-
griculture d'e~portation que s'est opéré le lancement de
la crQiSsance économique du
pays,
et c'est encore elle qui
sert de "base" et de "moteur" à cette croissance.
3 0 )
Comme en Cete d'Ivoire dont l'agriculture in-
dustrielle constitue l'essentiel d~_~~E!~~!_d'e~E9~~ation,
ceux des autres pays d'Afrique Tropicale sont de m@me cons-
t~tués de 2!2~i~-E!i~~!!~~ agricoles , miniers ou énergé-
tiques. Nous verrons donc par la suite qu'indépendamment
de la nature de ces produits primaires,
ils ont,
non seule-
ment été à l'origine de l'émergence du sous-développement,
mais aussi ils ont pour effet d'insérer chaque
jour davantage
dans l'économie capitaliste mondial,
les pays du Tiers-Monde
en général,
ceux de l'AfriquSTropicale et de la Cate d'Ivoire
, , ~n,p~~~iculier •
•
(
"
"
l
'
.
La première partie de notre étude comprendra trois
,titres 1
TITRE
- .
TIT.RE
----.
TITRE III
--
-
:
La généralisation du modèle de développement
ivoirien et la problématique du sous-dévelop-
pement en cate d'Ivoire et en Afrique Tropicale.
L'étude de ces trois titres de la première partie
permettra, croyons-nous d'envisager avec plus d'intér@t,
dans
la deuxi~me partie,
la prolbématique des relations agricul-
ture-industrie dans l'ensemble de l'Afrique Tropicale.
-
15 -
MONETARISATION ET CROISSANCE ECONOMIQUE
EN
COTE D'IVOIRE
-000-
1
i
j
,
j
15 -
i,
1
~1,~~
Le café et le cacao sont les produits qui
;
1
une fois implantés dans l'économie de subsistance ivoi~
1
rienne,
d'abord par les colons européens et ensuite -de
1
force -
par les autochtones, ont permis à la CSte
1
d'Ivoire d'amorcer sa monétarisation et;
partant,
son
insertion progressive dans l'économie monétaire inter-
nationale.
Cependant,
le rBle primordial joué par l'agri-
culture d'exportation dans le lancement et la poursuite
de la croissance économique ivoirienne ne doit pas nous
faire oublier les conflits d'intér~ts qui en ont résulté
essentiellement entre Européens et Africains. C'est donc
en tenant compte de cette problématique sociale induite
par les cultures d'exportation que l'on examinera les
principales caractéristiques de la monétarisation de
l'économie ivoirienne, et ceci en deux chapitres:
-
l
Monétarisation et début de l'économie
d'échange en C6te d'Ivoire
-
II -
Agriculture d'exportation,
monétarisa-
tion et conflits d'intér@ts.
x
x
x
x
-
16 -
MONETARI5ATION ET DEBUT D'ECONOMIE D'ECHANGE EN COTE D'IVOIRE
------------------------------------------
x
x
x
L'étude de la croissance économique d'un pays
quelconque d'Afrique Noire,
en l'occurrence la Cete d'Ivoire,
exige qu'on tienne compte des formations socio-économiques
de l'ensemble de l'Afrique précoloniale. Or jusqu'à présent,
les conditions restent contradictoires en ce qui concerne
l'existence ~~~~_~2~~_~~E~2~~f12~~Eécif1~~~~~1-~f~iE~~a
Pourtant,
l'importance de ce problème n'échappe apparemment
à personne. Il existe en cela trois raisons essentielles
:
E~~~~~~~1, il est important de montrer en quoi ce mode
de production,
s ' i l existait vraiment,
serait distinct
du
mode de production asiatique auquel de nombreux chercheurs,
if:
surtout marxistes,
l'ont arbitrairement assimi~é1/; deu-
:;~....
-
----
~iè~~~~1, la découverte d'un mode de production africain
permettra à coup sOr,
d'examiner les
problèmes africains
dans leurs contextes historiques et socio-économiques véri-
tables; 1~~i~~~~~~1 enfin, l'actualité du problème de mode
de production explique aussi son acuité dans la mesure où
le développement des Etats africains,
Sans doute facilité
par la connaissance de l'évolution historique des structures
socio-économiqu es de ces Etats J
permettra demi ("luxe p ppf13h~r\\9Jr'
' , . '
'
le processus de leur intégration dans le système économique
international.
.
.
-----------------------------------~----------------------
li Voir notamment :
Jean Su-1tet Canale,
"les Sociétés traditionnelles en
Afrique et le concept de mode de production asiatique",
La Pensée n0117,
octobre
1964
M. Godelier,
"La Notion de Mode
de production asiatique et
les schémas marxistes d'évolution des Sociétés",
CERM,
Paris,
1963.
-
17 -
On verra donc dans les deux sections qui vont suivre
1°) La question de l'existence d'un mode de production afri-
cain et 2e ) Les probl~mes du surplus ~conomique et de mon'-
tarisatian de la Cete d'Ivoire pr~coloniale.
x
X
X
X
§ection l 1 1!-S~!tioD ,de l:ex!!~o~! d~uQ m!de,de erodug-
tian africain.
-- ----...-
Vu l'importance historique et actuelle du problè_e
soulevé, la question de l'existence dfun mode de production
~~ci~iSg!m!~!t!s!!One pouvait qu'opposer de chercheur$
et spécialistes de la mati.rell Mais pour notre part. nous
aborderons cette question sous l'angle qui nous int'resse ici.
à savoir: en quai l'existence d'un tel mode de production
africain facilite-t-elle l'analyee des formations sociQ-'cono~
miques de la Cete d'Ivoire pr'coloniale et partant l'.tude
des mécanismes d'int'gration de ce pay~ au march' capitaliste.
mondial ?
Nous verrons successivement les ~tructurea socia-
économiques de l'Afrique Tropicale pr~oolDnial. et le problè-
me de l'extension du mode de production asiatique ~ cette
Afrique Tropicale.
._.1.
...
. .
- . -
. . . ._
. . .·. .e i. . . . . . .
t
• •, . . ._ . . . . . . . .
1
~
~
....
'
jl Voir ND1 de la page prdc'dente. Voir en autre Cath.rine
Coqusry-Vidrovitch, "Recherches sur un mode de production
africain",in "La Pena'.", ND144, Avril 1969. pp.51 - 18.
,~1!
-
18 -
!
l
i~(
1
1
1
A - f!!21~!1!3~!-E~_~~~~~~~_2!_EI~2~E~12D_~
1
1~~friB~~_~21~!_E~!E212D1~1~.
1
1
1°) b~_!2~2_2~_EI221~~~ : La théorie économique
1
!
!
définit trois stades successifs par
lesquels seraient 6assées
,}
les Sociétés de l'Europe Occidentale:
esclavage,
féodaÎité
et capitalisme. Or,
puisque Marx et Engels avaient en outre
cru nécessaire d'élaborer u~_~22~_2~_EI22~E!i2~_~~1~!i3~~
à
partir des Sociétés asiatiques du Proche et d'Extr@me Orient,
la littérature marxiste,
sans beaucoup de
précautions,
a
tout
simplement assimilié le système des modes de
production de
l!Afrique précoloniale au dit Mode de production Asiatique
(MsPaA.)
que l'on peut définir de la façon suivante:
"le mode
d e pro ct u ct ion a':è ,i a t i que s u p p 0 se,
d' un c Bté,
des co mm un a u t é 5
villageoises fo~~ées sur une activité productrice collective,
mais combinées à une
"unité supérieure" qui,
sous la forma
d'un régime étatique,
est capable d'astreindre collectivement
au travail la masse de la population
:
cet
"esclavage généra-
lisé" révèle le "haut commandement économique" d'un despote
qui exploite ces communautés en m@me temps qu'il les dirige,,1/.
Le
problème fondamental est donc de savoir si,
sous
sa forme extensive que nous venons de définir,
le M.P.A.
peut
réellement s'appliquer aux structures des productions de
l'Afrique précoloniale.
Une réponse objective à cette question
ne peut être trouvée que dans l'analyse du système de produc-
tion africain par comparaison aux traits caractéristiques du
mode de production asiatique.
------------------------------------------------------
~-~--~
1/ Catherine Coquery - Vidrovidtch, recherches sur un mode
de
production africain,
op. cité,
p.62.
-
19 -
Disons tout da suite que certain@ chercheurs marxis-
tes -
Jean Suret-Cenale2/ entre autres -
ont fait des efforts
sans doute louablœs mais contestables pour redécouvrir à quel-
ques nuances près,
le mode de production asiatique en Afrique
Tropicale. Mais,
naturellement,
la thèse de Suret-Canale est
vigoureùsement cont:èst9 é<" aujourd' hui par Catherine Coquery-
"l)
•
,
.
',"1,;,'"
Vidrovidtch~/ qui tente d'ébaucher un mode de production
spécifiquement africain,
après avoir souligné comme nous le
verrons ultérieurement,
les différences fondamentales entre
les Sociétés asiatiques et ~fricaines.
2°) k!!~I!~B1~!!_2~!-§2~1!!-!!~211!2~~11~~
2~i3~_~2iI!·
Ces structures décèlent trois sortes de sociétés
ayant chacune un mode de production : la Société communautaire,
la Société tril9ale ou tribo-patriarcale et la "société de
classe":/.
Dans la Société primitive, on vivait essentielleme~t
de chasse et de cueillette. Donc,
le faible niveau des forces
productives ne permettait de produire que le strict minimum
de subsistance 2~~~_!~rE!22~11 appropriable par des privilégiés.
Ce type de Sociétés (chez les Pygmées d'Afrique équatoriale
et les Bochémans d'Afrique du Sud) était déjà en voie de dis-
parition vers le 19è siècle.
~-~----~---~-------~-------------------~----~---------------
' 0
et 2/ Nous reviendrons par la suite sur les thèses en
-
présence.
.
~/ Voir à ce sujet Jean Suret-Canale, les Sociétés tradition-
nelles ••• op. citê PP.
25 et B.
--
2Q -
Css Soci'tés ayant connu une réelle solidarit~
dane la production et dans la consommation, sans antagonismes
~. classe et, b~~n entendu, sans exploitation de l'homme par
l'homme, en 6:'PU les appeler "f2.!!!.!!!!:!!!~!!!~...@ri!!!!lli" pour bien
marquer la dffférence non seulement avec les Sociétés Commu-
nistes actuelles,
mais aussi et surtout avec n'importe quelle
société de classe de n'importe quelle époque historique.
Avec l'apparition dans les Sociétés primitives de
l~~~!iE~l!~r~ et de l~~l~~~~~ et gr8ce à une augmentation de
la production,
i l y eut possibilité de ~~rEr2~~i!~~2!!2!!!13~~.
C'est-à-dire de produit additionnel par rapport au minimum
de subsistance nécessaire à la vie des populations. Ce sur-
produit a
permis la division du travail,
l'apparition de
métiers spécialisés et le commerce. Bien que l'appropriation
du surplus par des privilégiés ait créé des antagonismes
sociaux incontestables,
Jean Suret-Canale admet que le système
social pouvait fonctionner soit de façon démocratique si le
surplus était faible,
soit de façon antagonique au cas où le
niveau du surplus était élevé,
bien qu'il n'existBt pas encore
d'apparition d'Etat:
"on peut considérer la société tribo-
patriarcale comme typique de la transition de la communauté
primitive à la société de classe".!/.
L'existence du
surproduit et son utilisation ont
donné lieu à une exploitation de l'homme par l'homme aux
dépens des populations et au profit des Chefs tradit~onnels
.f;~'~
des Rois et de leur entourage.j1)~~O:pganisationvillageoise a
- Ô ,
;
~!/;if'''':.f~I'<
pu
devenir ainsi le cadre d'une exploitation collective au
profit du Chef du village qui avait la responsabilité de la
justice, de la répartition des terres,
de la récupération
des tributs,
des imp8ts,
etc ••
---------~-----------------------------------------------------
1/ Jean Suret-Canale, les Sociétés traditionnelles •• oPecité
P. 29.
""1
21 -
A leur avantage,
les colonisateurs vont d'ai~leurs
encoura~er et renforcer ce système d'organisation sociale
en l'étendant avec plus ou moins de succès aux sociétés tri-
bales où i l n'avait
jamais existé. Entre autres,
la création
et le développement des cultures d'exportation
(café,
cacao,
bananes) y contribuèrent dans les régions forestières de la
Cete d'Ivoire et de la Guinée
jusqu'en 19582/0
C.l'lna:l,yse succinte que nous venons de faire des
structures traditionnelles des ~pciétés d'Afrique Tropicale
nous permet de faire la conclusion fondamentale suivante :
les
sociétés africaines,
depuis les sociétés tribo-patriarcales
ont connu des antagBnismes de classe fondés à travers l ' u t i l i -
'lf,.
sation des surplu~, sur l'e~ploitation collective de la classB
exploitée (paysannerie trav~ilieuse, artisans ••• ) par la classe
dominante
(l'ensemble des ar:';':stoc!'.ü.~:35 tribales , militaires,
.
~
administratives), Est-ce à dire que l'existence d'antagonismes
da classe, en l'occvrrence dans les Sociétés précolonialBs
africaines
justifie les thèses de Jean 5uret~Canale qui pru-
demment il est vrai, accr~dite l'idée de l'extension du
mode
de production asiatique à l'Afrique Tropicale? Comme nous
allons le voir,
las conclusions de l'auteur,
vigoureusement
contestées par Catherine Coquery-Vidrovidtch,
sont en contra-
diction avec les réalités africaines qu'apparemment,
Jean
Suret-Canale pr~sBnte lui-m@me assez objectivement.
---------------------------------------------------~-......-
----...
Je Suret-Canale,
les Sociétés traditionnelles,
po.cita
PP a29, 32 et 34;
j'auteur précise que la propriété priv ••
du sol einsi créme en Guinée fut supprimée en
1958 (data
de l'indépendance).
-22 ...
8 - ME2e de eroductio~_~~~~igue_~_~~~_Erod~
tian africain ?
------....-.....-
NOUS
verrons d'abord en quoi les structures tradi-
tionnelles de l'Afrique tropicale sont différentes des carac-
téristiques du mode de production asiatique. Ensuite, on
déterminera,
compte tenu du stade des recherches actuelles,
ce que sont les traits fondamentaux d'un mode de production
africain.
1°)~_~!titud$~~Ê~~~xt!Qs!2~_dumode E!_E!2-
S~:!.S.t!~!J.!ll.e~!-!.:~!!:!9~~roe1ca l~.
a) M~_~~~_.e!2~E~!.2!!~~:i;e
t!S~~_!!.!l:-.E!:~Erié~
.e~~-2~-!2X~D~-E~_.e!E~~~~!~~.t~~).
.,
.
, "
Au terme d'une longue analyse sur les structu.ttes
traditionnelles des Sociétés de l'Afrique noire,
Jean Suret-
Canale aboutit à la conclusion qu'il existe dans ces Sociétés,
une forme du mode de production asiatiqu~. L'auteur écrit en
effet:
"Il reste qu'à notre avis,
la structure fondamental~
du mode de production asiatique se limite à la coexietirice
.
'
.
'
~
d'un appareil de productidn fbndé su~ la communauté rurale,
propriété cio1lective de la t~rre à l'exclusidn de toute forme
de propriété privée et de l'exploitation de l'homme par l'hom_
me sous des formes qui ~~uvent@tre extr@mement diverses mais
}/
.
qui passent toujours par 'l'intermédiaire des communautés".1I.
Et,
pour lever toute ambiguité d'interprétation,
l'auteur
ajoute que la notion du mode de proquction asi~:ti1que prend
.
..~
.
ainsi "une valeur universelle" et s'applique à la plupart des
Sociétés humaines dont l'Afrique précoloniale offre de nombreux
exemples. Cette conclusion para~t pour le moins suprenante
-----~-~~------~--~-----~~~. --~-~---~---~-~~f
"lI Jean Suret-Canale, op.cité~ p~42
-
23 -
1
1
!
f
quand on pense,
par ailleurs que les analyses m@mes de l'au-
teur sur les Sociétés précoloniales d'Afrique Noire sont une
contribution intéressante et réaliste à la recherche histori-
que et socia-économique du
Continent africain. Nous avons
reconnu plus haut avec Suret-Canale que les Sociétés africain~s
recèlent incontestablement des antagonismes de classe.
Mais est-ce à dire que ces;" classes" africaines peuvent ê t r e
identifiées aux "classes" telles que Marx et Engels les ont
définies? Il semble bien que non et Cahterine Coquery-Vidro-
vidtch fait bien de noter que
"Ces Sociétés ne sont pas des
Sociétés de classe" au sens où les marxistes l'entendent au-
jourd'hui;
elles différent fondamentalement des Sociétés
capitalistes diOccident par l'absence de toute forme privée
d'appropriation"!I. On peut cependant préciser que depuis la
colonisation,
les classes, au sens marxiste,
n'ont cessé de
se former en Afrique.
Quoi qu'il en soit en tout cas,
l'esclavage,
la
féodalité et le rBle de l'Etat ne se présentent pas de la m@me
façon dans le système précolonial de production africaine que
dans le mode de production asiatique.
~"'
b) Dans les deux cas pourtant,
les communautés
'"
villageoises fondées sur l'activité productrice collective,
restent la base de l'exploitation économique. Dans le mode de
production asiatique l'exploitation de classe se fait à partir
2~~Q_~~~~_~~_EE~2~~ioQ~Elavagi~~~: il s'agit d'un Bsclavage
qui astreint collectivement toute la population au travail,
un
:':~~.s.1.ê.~~g~_g~!l~E.ê.lisé" qui aboutit à la réalisation de grands
travaux hydrauliques
(bassin fluviaux du proche-Orient),
mili-
taires
(la Grande Muraille de
Chine) ou prestigieux
(PyramidBs)
3.1.
------------~----------~--------------------------~~~-
-----------
li Catherine Coquery-\\drovidtch, Recherche sur un mode de
production africain,
op.cité p.61
~I Catherine Coquery-Vidrovidtch, op.cité p.62, citant Ch.
Parain,
Protohistoire méditerranéenne et mode de production
asiatique,
la .Pe n s
e n0127,
1966 pp.26-27
é
1
!
-
24 -
1
1
!
1
1
Or,
cette forme dŒ"esclavage généralisé" avec les
1
1
résultats que l'on sait,
ne se trouve nulle part en Afrique
1
tropicale,
i l est vrai que les gigantesques constructions
1
des "Sgtisseurs de Pierres" d'Afrique Australe
(ruines du
!
1
!
Zimbabwé entre le la mb èze et le 1 impo P:l,
des
11 ème et
13ème
1
sièclesl sont une exception.
Jean Suret-Canale reconna!t qu'en'
Afrique Noire,
le raIe du
"captif" dans la production n'a
pas été aussi "esclavagiste" que celui des esclaves d'autres
contrées du monde.
Rarement donc,
on a
constaté l'embrigade-
ment massif des serfs dans les ateliers et champs africains.
L'auteur conclut que bien que la condition du captif soit
généralement répandue en Afrique,
"elle n'impliquait pas le
rele déterminé dans la production qui caractérise une classe
sociale ll .2. / .
c) Le
problème de la féodalité africaine -
dans le
--------~------------
caS général,
le mode de production féodale exige,
entre aU-
tres,
la hiérarchie de droits privés sur la terre
ce qui
permet au détenteur de ~.!::l~ fonciers de les céder,
de les
!~~~~11!~ et, somme toute de les ~lié.!::l~r sans que les mem-
bres de Sa famille,
individuellement ou collectivement,
puis-
sent y faire obstacle. Or dans le cas de l'Afrique tropicale
la propriété privée de la terre n'est pas admise;
l'organisa-
tion et l'exploitation économiques se font à
partir d'une
!~!.E~_qui est ~~.E1l!si~.!!!~rLLpr0E!.lét.§_cDllecti~~.Comme telle f
elle ne peut ~tre aliénée à l'instar de celle des sociétés
féodales d'Europe,
d'Asie et d'ailleurs. On ne peut donc pas
parler de "féodalité" africaine au sens que ce terme recouvre
habituellement. Au démeurant,
i l est à noter qu'avec la
--------------------~----------~-,------~
...._------------
1/
Jean Suret-Canale,
op.cité pp.34-35
~l
-
25 -
1
\\:
i·f'f
f
colonisation ,européenne en Afrique,
la situation
changea rapi-
r
dement
: on passa ainsi en maints endroits,
de la propriété
1
1
collective à la propriété privée de la terres
Quant à l'utilisa- l
tian de l ' expression
"f~!!~i!,L!!.f.!:ic!!i~"dans le '"?" ,,!!~j.
~~~~~!_Eo11!1s~~", elle serait difficilement acceptable puisque 1•
nulle part,
avons-nous dit,
l'Afrique noire précoloniale "ne
1~
fournit d'exemples de droits privés et que l'on pourrait quali-
fier de "féodal"j/.
Pas plus que d"'esclavage généralisé".
Qu'en est-il alors du
rôle économique de l'Etat traditionnel
e f r-I ce Ln ? ,
On se rappelle que la réalisation de grands travaux,
dans le cadre du mode de production asiatique exigeait non seu-
lement l'"esclavage généralisé"
des populations,
mais aussi la
contrainte exercée sur ces populations par un régime étatique
"d~.§.E2!.!.9.!:!.~". A
quelques rares exceptions près,
on
peut dire
que ce
"despotisme",
véritable tyrannie caractérisée par une
autorité absolue et arbitraire,
n'a pas existé en Afrique noire
précoloniale~/. Ici donc, non seulement la propriété collective
des terres restent la règle,
mais aussi le pouvoir des
Chefs et
"des Rois n'est pas sans partage. Il s'agit le plus souvent de
pouvoir confédéral
(de tribus)dont les détenteurs tiennent leur
autorité de leur prestige personnel et du respect des règles tra-
ditionnelles. Ce qui d'ailleurs,
n 1exclut pas la domination et
l'exploitation
(~travers le su~"pi;'b[jLl}.i de la majorité par une
minorité de privilégiés plus ou moins librement acceptés).
-----------------------------------------'------------------
II Jean Suret-Canale op.cité pp.31 et 33.
gl
Jean Suret-Canale
(oPacité p.39),
qui admet cette conception
anti-tyrannique du pouvoir traditionnel africain précise que
le despotisme n'apparaftra que tardivement chez ceux qu'~~
appelle
"les aventuriers militaires fondateurs d'empires "dont
les Etats seront plus fragiles"
(p.40)o
On peut faire remar-
quer qu'au nombre de ces "fondateurs d'empires" figurent
sans doute des conquérants comme SAMORY qui comme tant d'au-
tres se sont opposés avec acharnement à la pénétration colo-
niale européenne sur le continent africain.
-
26 -
En r~sum~, disons qu'il n'existe pas en Afrique
noire pr~coloniale d'"esclavage g~n~ralis~", pas plus qu'il
n'a exist~ la "f~odalit~" aD l'"Etat despotique" dans le sens
du mode de production asiatique. Comme tel donc~ ce mode de
production est rest~ inconnu dans cette partie de l'Afrique
précoloniale. N'est-il pas alors normal de poser -
c~mme le
fait Catherine Coquery-Vidrovidtch, le probl~me d'un mod~ de
production sp~cifiquement africain 1.
2;0 Existe-t-il un mode de-~Eroduction africain 1
fi.
- - . . - . - - - - - - - - - - - - - - ,:~-------.- ;
-
En voulant à tout prix rattacher le syst~me de
production pr~coloniale de l'Afrique tropicale au M.P.A., les
Africanistes, se sont trouv~s devant une impasse que l'on ne
peut d~sormais surmonter qu'en caract~risant un mode de pro-
duction sp~cifiquement africain j/.
Ceux de ces "Africanistes" qui sont le plus souvent
mis en cause sont Maurice Godelier~1 et surtout Jean Suret-
Canale~/. Ils ont cru trouver en Afrique le mode de production
asiatique dont nous venons de rechercher les traits caract~
ristiques dans les soci~t~s pr~coloniales africaines. De toute
~vidence, au stade actuel des connaissances, il n'y a à
l'instar des soci~t~s asiatiques, ni ~~a~ ijénéralisé". ni
~Ha~!~gmm~nd~m~~~!ni_E~Eri~~_Eri~~~_1at!rr!_gans
~fIi~~_!!:ad.iti.2.!l!:l~l~. L'impasse des tenants de l' "univer-
salit~" de l'esclavage et de la f~odalit~, donc du mode de
production asiatique appara!t d'autant plus,
que certains,
Maurice God~lier par exemple, ont tent~ de faire artificielle-
ment une distinction antre "l~~_!_aran.È~_!rav~"et le "
Mf~_~~~~_ara~.È~-!~~~~" en Afrique. Ce qui, par ailleurs,
------------------------------------------------------------------
jl Cette id~e est soutenue par un certain nombre d'auteurs
dont Catherine Coquery-Vidrovidtch et Jean Chesneaux aux-
quels nous nous réf~rerons dans cette partie de notre étude.
El et 31 Voir supra, auteurs d~jà cit~s.
~
-
27 -
1
1
1
1
enl~ve à la formation historique "asiatique" ou "tributaire"
son caract~re général puisque ces deux formes de MPA sont
intimement liéesj/. Quant à Jean Suret-Canale i l proc~de par
voie d'élimination:
"la Société africaine n'était ni es-
clavagiste (au sens antique du
terme),
ni féodale.
Suret-
1
Canale rapproche ce syst~me de celui des Sociétés asiatiques"
en donnant une définition du
mode de production asiatique
trop générale pour @tre opérationnelle
:
celle de
"la co-
existence d'un appareil de production fondé sur la communauté
rurale
( ••• ) et de l'exploitation de l'homme par l'homme
sous des formes
( ••• ) diverses mais qui passe toujours par
l'intermédiaire des communautés"~/. Du reste,
certains de ces
Africanistes omettent ou minimisent 1':~1!!!!~.!l1.-~~mi9.l:e d.!::
l~~~i!~!ic~!n~ gU!._~!~l~~.!!!erce ~~ec l':étrana~
et qui constitue l'un des traits fondamentaux du mode de
production africain.
b) b~~~e, l':'un des t~~ fondamentat:l~
d'un mode ~e EEoducti~~fric~iQ :
Ce commerce sera caractérisé par des écb~~~
~~~distan~. Ainsi, la mobilité des populations d'Afri-
que noire,
facilitée par leur faible densité et l'immensité
- -
- - - -
-
~~~~~~ est l'une des caractéristiques essentielles des
Sociétés africaines. Cette mobilité ne prendra fin
qu'avec
le début de la colonisation où les métropoles décideront
de fixer les populations pour des raisons fiscales,
adminis-
tratives ou de police.
Ces mouvements de population ont eu
pour conséquences inéluctables le brassage des
populations
africaines d'une part,
et d'autre part,
l'extension des
échanges entre l'Afrique précoloniale et le monde extérieur~/.
---------~-----------------------_._._----
C'est l'avis de Jean Chesneaux "Où en est la discussion
sur le Mode de production asiatique"? La Pensée n0138,
Av.
1968,
p.53
~/ Catherine Coquery-Vidrovidtch op. sité p.83
~/ Pour plus de détails, voir Catherine Coquery-Vidrovidtch
_ _
_
~L1.
-
28 -
Ces éChanges vont ~tre établis très t6t entre l'Afri-
que Occidentale et la Maghreb par exemple. Des éc~anges
s'établirent aussi entre d'autres zones d'Afrique tropicale
et l'Europe,
le Moyen Orient et m~me l'Extr~me Orient. L'Afri-
que monnayait l'or, l'ivoire, les esclaves etc, contre des
fusils de traite, de la verroterie, des tissus européens. On
pourrait citer en outre les exportations de cuivre d'Afrique
Australe, vers le pont de Sofa1a et l'Océan Indien par l'in-
termédiaire de "Monomotapa" souverain de l'Empire de la cour-
bure du Zambèze, conquis en 1628 par les Portugaisj/.
Donc, opposer en Afrique Noire Société à Etat et
Société sans Etat comme l'ont fait certains Auteurs
(Suret-
Canale, M. Gode1ier) est d'autant plus éloigné de la réalité
que l'auto-consommation villageoise est intimement liée au
grand commerce international dont l'intensité a affecté le
mode de production africain. Et cette permanence des échanges,
quelle que soit la Société d'Afrique Noire préco1onia1e qu'on
envisage,
"impose de dépasser l'opposition traditionnelle
Société à Et~t/Société sans Etat"!/.
Comment peut-on caractériser à l'heure actuelle,
le mode de production africain ?
c ] !:!..!!!2.2~ E!:g.2~El!qn af!~!!~n.•!l.:~~~.Eas réduE,-
~iÊ~e ~2.2!..~E~~~!on !~!~~~~ eas_E!~~.9ue du ~9~e
.2!..e~°.2~~!l~~!2~~.
L'exploitation de l'homme par l'homme a été une
~~12~~!E!l~2~~1~~" en ce sens que le caractère inalié-
nable de la propriété des moyens de production (Slli''C·pùi;<' de la
.
.. "-..
-----------~- --------~-~--------------,------..-----....----------
II Catherine Coquery-Vidrovidtch p.6?
gl Catherine Coquery-Vidrovidtch ibide p.6?; voir aussi Claude
Mei11assoux,
Essai d'interprétation du
phénomène économique
dans les Sociétés traditionnelles d'auto-subsistance,
cahier d'Etudes Africaines n 04,
1960 pp.38-6?
-
29 -
terre) emp@chait l'exploitation directe d'individu à individu.
La forme
"despotique" d'une telle exploitation a été tempérée
1 0 )
par la faiblesse du surproduit de l'économie de subsis-
tance dont les moyens de production (la houe séculaire) était
plus que rudimentaire;
2 0 )
par l'utilisation d'une partie du
surproduit e~torquée par la classe privilégiée sous la forme
d'une redistribution
(f@tes,
coutumes,
mariages) par laquelle
les souverains faisaient preuve de prodigalités parfois exces-
sives; 3 0 )
par le contenu "démocratique" des institutions
africaines qui bannissaient l'esclavage généralisé et l'Etat
"despotique" en dépit de certaines exceptions
(au Zimbabwé et
autres Empires africains) qui ont par trop retenu l'attention
de nombreux chercheurs de l'époque coloniale.
A cause de la faiblesse du surproduit agricole
de l'économie de subsistance l'exploitation des communautés
voisines à travers certaines formes d'échanges ou des raids an-
,~Gela~ constituait la meilleure source du surproduit du mode de
production africain. Ces échanges avaient malheureusement ceci
de caractéristique qu'ils étaient fondés sur "la traite"
(es-
claves d'Afrique contre marchandises surtout européennes) qui~
au lieu d'enrichir l'Afrique noire précoloniale, la stérili-
sdient. On comprend donc qu'il s'agisse là pour Catherine
Coquery-Vidrovidtch d'"une forme ab§tardie" de production im-
médiate et apparente,
mais en fait contradictoire et dépréda-
·crice.!/. Tout en fiiisant remarquer ainsi avec Suret-Canale le
rele prépondérant qu'occupe le commerce dans la OOhsplidation
des premiers Etats de l'Afrique tropicale~/, Vidrovidtch fait
une autre remarque non moins importante
:
la signification
fonV~mentale des éChanges des produits africains contre les
prodltlts extérieurs est non pas une ~~!l~_di!~E!~ de la
-------------------------------------------------------~---11
1/ Cathe~ine Coquery-Vidrovidtch. La pensée, op.cité p.?1
•
2/ Ibidem. PP. ?1 -
?2
-
..
,
~f.,
-
30 "'"
classe dirigeante sur sa
propre paysannerie à l'instar
de ce qui s'est pass~ dans les modes de production des au-
tres continents,
mais une ~~EE!~~_lD~lr~~!~ çaract~ris~e
par l'acquisition et
la
jouissance exclusive des marchandi-
ses lointaines
(cotonnades Ht armes europ~8nnes) accumul~es
gr8ce à des échanges dont patissaient les populations afri-
caines. Bien entendu la domination indirecte bien que pr~
pondérante,
n'excluait nullement la domination directe puis-
que la classe dirigeante~ par l'acquisition des produits
de pr~stige et des armes,
organisait l'armée et l'adminis-
tration~ levait des tributs et contr81ait m§me le travail
des
plantations favorisant l'accumulation de surplus
exportables,
comme ce fut le caS au Dahomey au milieu
du
19ème siècle où le Roi imposa la culture du palmier à
huile JI
Finalement,
on peut ~crire avec Vidrovidtch que
"la spécificité du mode de production africain reposerait
donc dans la combinaison d'une ~conomic
communautaire
patriarcale et de l'emprise exclusive d'un groupe sur les
~changes à long terme~/o
Il faut cepeM~ant rappeler -
et ce rappel est
important
que les structures socio-économiques telles que
nous venons de les présenter ne concernai~nt que l'Afrique
Tropicale précoloniale o Il est vrai que cet état de chose
ne fut
jamais uniforme ni dans l'espace,
ni dans le temps.
Car avec la colonisation,
on va assister en Afrique à la
création plus ou meins forc~e de l'~conomie "extravertie",
fondée essentiellement sur l'exportation d~s produits agrico-
les et miniers africains vers les marçh~~ extértaurs o
-
31 -
Nous allons voir dans la section suivante,
que l'éco-
nomie ivoirienne, avant de prendre le chemin de l'extraversion
par la monétarisation avait d'abord connu des modes de proouc-
tion sensiblement équivalents à ceux que nous venons de cons-
tater généralement dans l'ensemble de l'Afrique Noire précolo-
niale.
f!2.2~~~~.E.!~~E2!!2.!!!!.9uede_la .,g~te 9'l~oire
EréE212ni~~~!-2~_~~nétar1~~2~_1'éc2D2
.!!!1~.
L'intégration de l'économie ivoirienne dans le mar-
faite
.
#
•
\\
che cep a taliste mondial s'est (progressivement et, pr erra n.c son
origine dans la période précoloniale,
cette intégration ne
s'est pas réalisée partout, ni avec la m@me cadence, ni avec la
m@me intensité. Car l'examen des structures de production préco-
loniales ivoiriennes permet de constater des différences fonda-
mentales entre les modes de production des régions de la savane
du Nord et ceux de la zone forestière du Sud. Trois régions re-
tiendront notre attention dans cette étude :
la région de
KORHOGO au Nord,
habitée essentiellement par les Sénoufos,
que
nous comparerons aux régions de BOUAKE (au centre,
habitées
par les Baoulés), et d'ABENGOUROU
(au Sud-Est,
habitée par les
Agnis). Ces populations -
"Les Akans"
venues des régions de
l'Est qu'occupe l'actuel Etat du Ghana, ont gardé de leur ori-
gine, des structures socio-économiques fortement hiérarchisées.
Dans les deux cas,
que ce soit chez les Sénoufos
ou chez les Akans,
le r81e du surplus économique a été prépondé-
rant dans l'évolution de leurs sociétés comme en témoignent de
- 32 -
nombreux travaux qui ont été récemment effectués par des
auteurs d'horizons divers21.
Nous verons successivement les structures de pro-
duction précoloniale chez les Sénoufos,
puis chez les Akans
et enfin, nous examinerons le processus par lequel leurs
sociétés respectives ont amor.cé leur monétarisation.
A - §~relus écon2mi9~e ei-vie_collect~ve chez~
§én2.!:!ill :
Nous entendons par ~E1us ~conomi9ue l'exc~dent
de la production sur la consommation socialement nécessaire
dans une société donnée, on l'occurrence la société S~noufo
ou la société Akan.
L'importance du raIe du surplus,
dans cette étude,
s'explique par le fait que non seulement ce surplus est le
résultat des activités économiques d'une société, mais aussi
parceque son utilisation réflète les rapports de production
de cette société. En cela, le surplus permet de comprendre
le processus du développement de telle ou telle organisation
sociale~/.
---------~-------------------------------
II Voir à cet effet :
Beguin -
(Jocelyne) et Jean Pierre Edouard,
la Cate
d'Ivoire: Structures économiques et sociales de la
société précoloniale, Mémoire de O.E.S. de Sciences Eco-
nomiques, Paris,
1969. Nous nous référerons souv~nt à ce
document récent et intéressant.
Certaines Etudes régionales du Ministère du Plan de la
Cate d'Ivoire
Claude Meillassoux, Anthropologie économique des Gouros
de Cate d'Ivoire, Paris 1964.
~I On trouvera des détails sur l'importance du surplus dans
les sociéiés précoloniales chez Beguin -
Edouard, op.cité,
pp.21 et suivantes.
.. 33 ...
Dans l~ cas de la sooi'tê Sênoufo qui nous occupe
présentement, le surplus est fonction des conditions de PTO-
duction (climat, 'oologie etc), des moyens de production et
de l'organisation sociale proprement dite.
- ,bes .e2!l~t:L0r:'!_s!_W5!1:!.e!~gt' ·.',('Jous savons dêJ'. par l'in-
trOduction g'n'ral. de notre êtude, combien le climat de 1.
savane est chaud et s.c, la t.rre relativement pauvr•••• Donc,
chez les S'noufos de la rdgion de Korhogo. les conditions
nat:urelles de production sont relativement d~f.vorables. d'.u-
tant plus qu'ils ont l craindre la s~chere$Se une 'oia tous
les trois ou quatre ans.
Quant aux moyene techniques de production, ils ss
limitent comme partout aillDura dan9 l'Afrique immidiat•••nt
pr~cQlon:Lal., au>c in.trumlBnt~ rudimentaire!! en bois ou en fer
tels que la houe, la matchetto ou l~ pioohe. L'on n'utilise
pa~ dans 1. produotion l"nlrgis animale. Il ~'@nauit donc
que la production, et linguli.remênt le 8urplu$ ch.~ lea S6-
naufas, d'pendront .selntimllemént db deux facteur. a l"ner-
gia humaine d'une part et l'organisation scoi.l~ de l'.~t~e.
i
-
La Production QQ"lIct"ViI 1 lll'proc~~ da production •• fe~iIl
..
................
~
_~-~
avec léS moyenl rudimlnt.ir8~ di8poniblê~ en mabiliaant col-
ll\\ïet1v~m.nt tOUI 111 mlmbrlHI dm la aoc1't'. 1"'partia pa~ cl"$-
sas d'ag8 et par Il>CII 1 118 hcmm~s prêpèrênt la t.~~e. 1.
dêf~ichênt, vant ~ la ChMIUS tendil qUê lèâ t.mm• • • 'occupe~t
dë' la éulturil pro~N"mlnt dits, Il l'i!git diS êyltul'•• ttin~'è,''''
rantés sur brOlil1, f'.Qi11t'~s pllf' l'sxi~ti!!ncê de t.~r.~''JI.:i-~·\\
',;.-,..,
dont lsê rliindllm
~
....~1
~__ !2n~
fa4 b'lêHa.
~&6~~~~
k' (;lBSérd:::!êl dl! l .. p~QductiQn
5ê
èomp~sil dl SWl~t!!~I~lt!! c'~lt-à-d1r~ de div.~a t~
b~r~ull~ (1;n8me, mAnioc, t~~o~, ~Atêtèa rlQUc.~) et d. q~.l~~.~
oêrêal.~ 1 ~iz, aorgna, mil ~t mafa. A oê~ produita il faut
ajoutsr 08U~ dl 1. ou.il1~tta ~t d~ 1. eha$aê, l"l_vag_ ".nt
rarBm~nt p~attqu"
-
34 -
Les résultats de la production chez les Sénoufos
sont stockés dans des greniers collectifs. Ils feront l'objet
2~~~~_E~E~E!!!!~~_~~~1!!~!E~"entre tous les membres de la
société. Le surplus, s ' i l existe,
permettra de faire face aux
"imprévus",
y compris les périodes de "soudure".
b~_~~EE1~~_2E~EI~2~E!!~~ : donc la société précoloniale Sénoufo
dépendra étroitement des conditions naturelles de production qui,
comme nous l'avons vu sont,
défavorables dans la savane. Les
moyens techniques étant eux aussi rudimentaires -
le dégagement
d'un surplus n'est possible que de deux façons:
d'abord,
mobi-
liser certaines classes d'8ge inférieur pour mettre en valeur
de nouvelles terres et,
ensuite, accro~tre la productivité par
un effort supplémentaire de la force de travail -
i l ne reste
que la mobilisation collective des forces supplémentaires de tra-
vail pour obtenir un surproduit. Donc, Sans surtravail,
i l n'y a
pas de surproduit dans la société Sénoufo. Et le surproduit est
essentiellement agricole. Les autres éléments du surplus,
hormis
',~
le surproduit agricole, sont les produits de la chasse et de
l'artisanat (fabrication des ustensibles de cuisine,
matériel de
production et objets d'art).
Finalement, 1~_~~EE1~~_§~~~~f2_~~!_~1~~!~!E~_~!-liœ!!~.
E~~2~!!_E~11~E!!~~~~~!~_!1_~~!_~~~~!_~EEE2EE!~_~!_~~~E~~~_~211~~
!!~~~~~!. En aucune façon, ce surplus ne saurait être approprié
individuellement,
même si,
comme nous le verrons ultérieurement,
les Chefs de village,
de quartier et de concession,
qui sont ch~r
gés de la gestion collective et de la redistribution du
surplus~
en tirent quelqu'avantage personnel. Mais ceci ne met pas en cause
la structure collective de la société,
contrairement à ce que
nous allons voir chez les Akans des régions forestières du
Centre
ou du Sud-Est.
1
-
35 -
8 -
§.!dr.el.!d~_~.s9.!l2!!!.t9..!:!'~_E,:.t_!2i~~Eb1~!1i2!!-.Ell~~
les Akans.
-_._-----
Il existe un certain nombre de trai ts'communs entre
.'
",..,' .
les conditions de production des Sénoufos et celles des Akans.
Chez les uns comme chez les autres les instruments de produc-
tion,
très rudimentaires,
restent les m@mes et 1~~~~Yl~Y~
2~~.!dE~~!~~E~_~~~!~_1~~E~i~!!~_2~_2~~_2~~~E!!1!~~ll_S~~~-
tian. Mais alors que les conditions climatiques et écologiques
--....-
sont austères dans la savane oD habitent les Sénoufos
(climat
sec,
sol relativement pauvre,
fertilité moyenne), la nature
est plus clémente dans la zone forestière.
Gr&ce à l'humidité
et à la fertilité
des sols,
les Akans peuvent obtenir des ré-
coltes touts l'année sans risque dV~tre confrontés aux dures
périodes des soudures que nous connaissons,
par ailleurs,
chez
les Sénoufos. Les sociét~s des régions forestières n'ont donc
pas besoin de disposer de greniers de stockage et de sécurité.
L'existence d'un surplus abondant témoigne de cet ét~t de cho-
.
1
se chez eux. Cependant,
comme les 8énoufoQ
,
ils utilisent
la force
humaine de tous leurs membres en âge de produire comme
l'~nique énergie de leur économie. Encore faut-il admettre
que dans le Sud-Est,
nous sommes en présence d'un~ société
hiérarchisée où la force de travail est répartie en fonction
des statuts so ciaux des memhr-e s ,
Trois cou ches $ÇJ c~~~es. oom~Q'",:'
.'
.,"
'1,,,,,:.,.,,,,
sent la société
:
les esclaves,
capturés au cours des guerres
ou achetés le plus souvent dans le Nord du
pays,
défrichent
et contribuent largement aux gros travaux comme les hommes l i -
bres. Ces derniers forment
la majeure partis de la population
qui est soumise aux Chefs du quartier,
du village et au Roi.
Cette couche aristocratique est chargée de la gestion des biens,
de l'Administration de
la
justice etc.
En contrepartie,
leurs
"sujets" leur doivent des redevances en nature ou en travaux
gratuits21.
--------~-------------
.........--------------...-----------~---
li Beguin - Edouard, op.cité, pp.25 à 27
-
36 -
Il y a là une v~ritable stratification sociale et
l'individu,
travaillant dans trois cadres
(quartier,
village et
famille ~largie) ne b~n~ficie directement du produit de son tra-
vail que dans le dernier cas. Pour le reste i l contribue à la
formation d'un surplus collectif abondant et diversifi~ qui sera
en grande partie appropri~ individuellement par les membres des
couches sup~rieures.
La commercialisation de certains produits composant
le surplus
(cola,
peaux,
pagnes,
or etc) va provoquer le d~but
de monétarisation,
et partant le commencement de l'int~gration
de l'économie ivoirienne dans l'~conomie de march~ mondial.
C - ME2~§_2~_Q~E2~Q1iED_~1_~~~1~~!~~_~~~_!g~~~~~
sociales S~noufo et Akan vers l'~conomie coloniale.
---~--~-------------------------------------------
Nous sommes en pr~sence de d9ux formations sociales
diff~rentes aussi-bien par leurs structures socio~politiques que
par leur mode de production. Et leur rele respectif dans l'inser~
tian de l'~conomie ivoirienne au sein de l'~conomie mondiale
démeure
jusqu'à pr~sent diff~rent. La formation sociale S~noufo.
de part l'insuffisance de son surplus notamment,
a eu peu de re-
lations ~conomiques et commerciales avec les Europ~ens. Par
contre l'une des caract~ristiques fondamentales du mode de pro~
duction Akan a toujours ~t~ le commerce avec l'extérieur,commer-
ce qui sera favoris~ et renforc~ par l'~mergence d'yn surplus
abondant,
mais aussi par la hi~rrchisation sociale qui favorise
l'appropriation priv~e d'une part non n~gligeable du surplus.
Tout dans la sociét~ Akan favorisait cette ~volution vers l'in-
tégration. En plus de la production vivrière nécessaire à la
consommation quotidienne,
on dégage un suppl~ment de substance
alimentaire qui est en partie appropri~ par la famille élargie
et en partie par des Chefs de lignage;
la possession des escla-
ves permet aussi de d~gager un surplus souvent appropriable par
les Chefs. Et l'on assiste ainsi à une v~ritable circulation de
-
3? -
surplus,
le Chef du village en remettant une
partie au
Chef
de tribu
qui à son tour en remet une partie au
Roi21. Donc
chez les Akans,
l'existence d'appropriation privée du
surplus montre bien qu'on a
affaire non
plus à
une société
divisée en
classes d'age
comme chez les Sénoufos r mais à
une société divisée en
"classes sociales". L'ampleur du
phénomène s'accentuera avec la commercialisation de certains
éléments composant le surplus.
Cette commercialisation
concerne la cola qui est à
la fois
produite et appropriée
par la famille,
Mais ne faisant
pas
l'objet de
consommation
locale,
elle sera échangée contre d'autres régions.
Et
Bventuellement,
elle sera échangée contre du sel,
des us-
tensiles en fer,
des
pagnes de cotonnade et m@me des es-
claves,
produits qui seront tous gérés
par les
Chefs~/. Il
en est de m@me
pour les
produits de la chasse,
de la p@che
et ceux de
l'artisanat qui,
en dehors d'une
petite partie
immédiatement consommable,
sont gérés
par les Chefs au
pro-
f i t
de la famille
élargie.
Le
cas de
l'or est particulièrement spéficique.
Métal
précieux de grande valeur,
il_.!2':~~1_~.!2_!:!.~~~_f~.x2.!2
~.eE!:E.e!:i§._i.!2E!.i~iE!.~~ll~!!!~.!2!
9
Be g~ i t;1- Ed 0 ua r.g, ~~ t::. que ce u x des
,
'
" . t l
'
' , "
,:
,
-:
":
~:.r'I(",~::".
. :
,,~<~\\
membres
de f arn r I le qui
"ramas8oht" d0
1 .. br dOrinâœent '113
ç''''r
.
s-e,
"-,<,;;);~;
..'.'
: ';~. ·'''':'"i'll··'
" v~j\\;!:I<'
tiers au
Chef de terre,
le reste~tant remis au C~~~ dJ
groupe familial
dont dépendent
les individus, Quant à l'or
provenant des
échanges,
i l circulait
jusqu'au trésorier du
Roi qui en était le détenteur s u p r ême ,
Cette forme d'" :o.p-
propriation de l'or s'esplique par le fait
que l'or était
divinisé
puisqu'il était issu de
la terre et que sa garde
ne
pouvait @tre confiée à
des
individus autres que les
Chefs des
différents groupes,
Ainsi,
le surplus dominant
devenait résultat de
la structure en
classe et condition
de
"cette structures"~/o
.-._------------------------------------------...- - - - - - - -
j/ Beguin
Edouard opocité
pp,66
~I Beguin
Edouard op.cité
pp.6?-68 o
'dl Beguin
Edouard,
ibidem.
P o84.
-
3~ -
L'or va donc servir de base et de moteur à la divi-
sion en classes de la société Akan. D'abord approprié par le
roi,
l'or est considéré comme le symb81e de la richesse royale.
Par conséquent, i l sera thésaurisé comme à la fois cause et
conséquence de l'autorité royale. Ensuite',
l'appro~,ihation de
l'or par d'autres chefs ou groupes donne à ces derniers un
pouvoir de domination et un
prestige incontestables. Enfin
et c'est peut-@tre l'élément le plus important -
1~_~~~
~i!_~e m~~e et J~~!-~~_!81~~E2!~~!_s~m~~r~~~rve~
~~~!. Ce qui amènera une semi-monétarisation de la société
Akan.
Avec l'installation de comptoirs français à Assinie
et à Grand-Bassam (19ème siècle), et l'achèvement d'une voie
de communication traversant les royaumes Abron et Agni et
joignant le Nord du
pays à la Cate,
les échanges entre les Eu-
ropéens et la société Akan vont s'amplifier. Les Européens
apportent des biens nouveaux aux Akans : fusils,
ustensiles de
cuisine, alcool,
tissus manufacturés etc. L'or qui avait été
jusqu'ici thésaurisé comme
"sacré" va servir de monnaie d'échan-
ge à l'aristocratie Akan pour acquérir les biens nouveaux. Le
phénomène va s'étsndre à d'autres produits locaux tels que les
,8eB!u~, l'ivoire, le latex etc, qui seront échangés contre des'"
produits européens. Deux conséquences importantes sont à noter
i c i : d'une part le début de la monétarisation de la société
Akan et d'autre part l'aggravation des antagonismes de classe
dans la société Akan. Béguin-Edouard diront "qu'il s'agit là
de la première intégration de la société Akan dans le commerce
international et la première manifestation de l'échange inégal
puisque les produits vendus aux Akans avaient une valeur moin~\\~
dre que les produits qui leur étaient achetés"2-I.
\\
-------------...------------------...-------..------
II Béguin-Edouard ibidem. p.S5.
-
39 -
Est-il alors étonnant que le trésor détenu par la
classe supérieure soit désormais utilisée par celle-ci pour
acquérir les biens d'importation qu'elle désirait ardemment?
Q~1~2!~~~~_E~~~!_de-l~i~i~_~~~~~_!-la_~~1!~~~
E~~_~!_~_E~E~_~_CB!~_~~~2~E!~~i~_s~i-dé~~~!-l~
!!~~Etl.!2Eil2s1~_de_l'éEE!lEmi~-1gm~t~~~~~-!l~12~~ul~~nt~~ant
1~_E212~i~~ti2~_~~~~~~i_~~E~is_l~il2~~12È~!lE~~_j~6
O . On
notera enfin que les zones intérieures du pays n'ont participé
que marginalement à ces échanges entre Africains et Européens.
Ce phénomène existant déjà à l'époque coloniale s'est accentué
depuis l'indépendance. Ce qu'on appelle t!dualisme~ de l'écono~
mie sous-développée est donc un phénomène historique,
mais dont
les racines ~~J naissance
dans l'économie coloniale. L' in-
tégration ivoirienne -
à travers les cultures d'exportation -
dans l'économie capitaliste mondiale porte en elle,
depuis la
période coloniale,
des contradictions socio-économiques qui
s'amplifieront avec le temps. La monétarisation de l'économie
de subsistance de là CBte d'Ivoire,
provoquée et accentuée par
l'introduction brutale des cultures d'exportation,
celles du
café et du cacao en particulier, va engend~er des conflits per-
manents entre colonisateurs qui trouvaient leurs intérats dans
ces cultures et autochtones qui,
dans un
premier temps,
n'y
trouvant pas d'intér@t pour eux,
s'y opposeront avec acharne-
ment,
de
1930 à
1950. L'exa~en de cette période avec les données
dont nous disposons permettra, sans doute de se faire une idée
de l'importance historique des cultures d'exportation en CBte
d'Ivoire.
x
x
x
x
fh~Ei!!~_ll : ~ariE~1!~~_~~~E2!ta!ion~~2né~~~!ion_~
conflits d'intér@ts
:
On verra ici en trois sections comment l'implantation
forcée du café et du
cacao permettra,
par la monétarisation,
-
40 -
le passage de l'économie de subsistance à l'économie moné-
t a i r e :
(1)
historique de l'agriculture d'exportation;
(2)
Intér@ts africains et (3)
intér@ts de le Métropole.
Section l
---------
~~12Ei~~~~_1~IiE~!~E~_2~~e2r1~~~~
f~1~_~~1~2i!~.
Pour comprendre clairement l'ensemble du
travail
qui va suivre, i l nous para~t indispensable de donner quelques
précisions sur l'introduction,
les modalités et les vicissi-
tudes de l'expansion des cultures industrielles en CBte d'I-
voire depuis un
demi siècle environ. Trois paragraphes s~rqnt
consacrés successivement à l'historique des cultures du
café,
du cacao et des bananes.
Il représente pour la CBte d'Ivoire la première
source de revenu malgré les efforts de diversification, amor-
cés depuis quelques années. La
CBte d'Ivoire est en effet le
premier producteur africain et le troisième producteur mondial
de café vert après le Brésil et la Colombie. En 1963, avec
une population de 3 600 000 habitants, soit seulement 6 ~ de
la population brésilienne (65 millions) et 26 ~ de celle de
~
la Colombie
(1~ millions), la CBte d'Ivoire produisait 198 000
T. de café r équivalentes à 17 ~ de la production du 8~6~il
(1
140 000 T.) et 50 ~ de celle de la Colombie (400 000 T).
Ces chiffresl/,
montrent parfaitement l'importance du café
dans l'économie ivoirienne.
-
41 -
L'origine de l'histoire de la caféiculture ivoirien-
ne remonte au
18ème siècle lorsque le caféier fit son appari'-'
~ion dans l'ex-Guinée française. D'abord sous la forme d~es
pèces spontanées,
puis en "libérica"!J. le café se répandit
en divers points de la cBte ouest-africaine,
notamment en
GBte d'Ivoire.
C'est vers 18?0 que des missionnaires plantèrent
pour la première fois les premiers caféiers près de la ville
de Tabou. La première plantation de rapport fut établie par
Verdier assisté de Brétignière en
1881 à Elima, sur les bords
de la lagune Aby, au Sud d'Aboisso. Les sémences des premières
plantations venant du Libéria,
c'est donc la variété "Libérica-
qui va prendre un
essor progressif sous l'impulsion du
colona~
européen. Ce dernier monopolisa presque toute la production
jusqu'en 1929, et les exportations se composaient uniquement
de ~libérica" dont le tonnage, modeste en 1913 (10 T.), passa
successivement à
110 T. en 1919,
242 T. (1928 et 405 T. en
1929•••
Pour de multiples raisons sur lesquelles nous
reviendrons plus loin,
les colons, avec leurs grandes planta~
tions de 100 à 200 ha chacune, vont ~tre confrontés à la con~
currence de plus en plus sévère des petites,
mais innombrables
plantation.s africaines,
créées surtout sous la pression des
Gouverneurs ~~2~lv~1 et Reste eurent finalement raison de
la réticence et m~me de la résistance des autochtones, qui,
par ailleurs, vont ~tre encouragés par les hauts cours du café
libérica, alors que les prix du cacao s'effondraient en
1931.
Ce fut le début de la production de la variété Robusta en
CBte d'Ivoire.
--~-----------------------.....-.-_-,----_._-_.----
11 Espèce venue du Libéria, d'oD le nom ~Libérica".
-
42 -
Vers
1932,
i l faudra abandonner en CÔte d'Ivoire,
la
culture de la variété 1ibérica à cause de son goOt particulier
da à la présence de fèves
puantes. De
1925 à
1932,
le Robusta
suffisamment rustique,
s'adapta mieux aux conditions locales et
fut adopté par les régions de Tiassa1éj
Dimbokro,. Agbovi11e,
Oumé, Da10a et Man. Mais comme on ne disposait que de quantités
limitées de Robusta,
on planta dans ces mgmes régions desvari-
étés locales spontanées connues sous le nom de
"'!s~~~"•. Ce-
pendant,
jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale, la pro-
duction ivoirienne de café vert va conna!tre des difficultés
innombrables. D'abord le scolyte causant des ravages irrépara-
bles aux Koui16us entre
1922 et
1928, le service de l'agricul-
ture dut chercher une autre variété plus résistante,
"le gros
indénié" qui,
à son tour va prendre de l'importance dans les
exportations.
Ensuite la guerre va ralentir la production à cause
de l'abandon des plantations par les propriétaires ou gérants
mobilisés.
Enfin,en
1945,
les difficultés de main-d'oeuvre
commencèrent à s~ faire sentir dans les plantations européennes
car,
à la Conférence de Brazzaville en
1944, i l avait été
décidé de mettre fin au reg~me du
travail forcé dans les colo-
nies françaises d'Afrique21.
De
1945 à
1950,
les plantations furent décimées à
nouveau par des parasites dont le plus dangéreux fut la
1!:~E!:l~.2=.!!!~.s2~~. Cet insecte fit son apparition à Da10a en 1.948
et s'étendit rapidement dans toutes les régions du pays.Puisque
le Robusta résistait à
ces parasites, on enfit des pépinières
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _...
-..-:1
_
II Le Général de Gaulle participa à cette Conférence qui mit
ainsi fin,
entre autres,
à la conscription obligatoire des
africains par les planteurs européens.
-
43 -
dans la région de Man. On y créa en
1954 2 750 ha de planta-
tions nouvelles puis 2 650 ha en
1955;
26 millions de plants
furent distribués la m@me année et des primes dDarrachage des
caféiers morts furent accordées par l'Administration aux plan-
teurs. Dès lors, on assista en C6te d'Ivoire à un accroissement
continu de la production de café, bien que cette production, à
partir de
1958, ne cessBt de subir l'influence des fluctuations
des cours mondiaux.
De ce bref historique de la caféiculture ivoirienne,
on peut retenir trois f a i t s :
(1) le rBle pionnier des colons
européens soutenus par l'Administration;
(2) les pressions
exercées par cette Administration sur les populations africai-
nes qui finirent par se faire "planteurs", et (3) la concurrence
entre planteurs africains et européens tant dans la production
du
café que dans celle du
cacà~ qui deviendra ainsi le 2ème
produit d'exportation de la C6te d'Ivoire. A bien des égards~
les conditions d'introduction du càcaO dans le pays ressemblent
étrangement à celles du
café.
B. Le cacao :
-~----
D'origine du
bassin amazonien d'où i l sera introduit
à Fernado Po et à San Thome par les Portugais vers
1822, le
cacaoyer atteint la Gold Coast (l'actuel Ghana) entre
1870 et
1880. C'est précisement en
1888 que l'arbuste fut planté par
Verdier et Brètignière dans la région d'Aboisso. On se rappelle
que six ans plut6t, en 1881, les m@mes Verdier et Brètignière
avaient introduit le café dans la m@me région d'Aboisso à Elima.
Dès lors,
le café et le cacaO vont @tre cultivés dans le pays,
aussi bien par les colons européens que par les paysans ivoi-
riens.
-
44 -
Mais contrairement au café dont la culture intéressera par
dessus tout les européens,
le cacao deviendra dès son introduc-
',;
tian en C8te d'Ivoire,
une véritable "culture populaire" aux
mains des indigènes qui imitaient en cela leurs proches voi-
sins de la Gold Coast.
En
1905, on n'exporta seulement de la C8te d'Ivoire
que 20 tonnes. Mais de nouvelles cabosses venues de la Gold
Coast permirent de créer quelques
plantations à Tiassalé et
dans le cercle de l'Est.
En fait,
le véritable départ de la
culture cacaoyère ivoirienne se situe aux environs de
1912 où
la production atteingnit 25 tonnes. Il y avait plusieurs rai-
sons à ce développement prometteur;
d'abord lUAdministration
décida à partir de
1910 de développer la cacaoculture,
d'autant
plus que le caoutchouc sylvestre,
alors l'une des
principales
cultures du
pays venait d'~tresupplanté par le caoutchouc
d'Extr~me-Orient; ensuite les planteurs européens ont encore
joué ici le m~me r81e de pionniers qui leur a été légitimement
reconnu dans la caféiculture;
enfin la proximité de la Gold-
Coast et les multiples liens ethniques,
culturels et économi-
ques existant entre les populations des deux c8tés de la fron-
tière ivoiro-ghanéenne ont facilité la cacao culture qui,
par
conséquent s'est d'abord concentrée dans la région de l'Indénié.
Donc la culture du cacao imposée effectivement comme celle du
café à la population indigène par l'Administration coloniale
finit par "intéresser" ces populations qui en détiendront fina-
lement le monopole de la culture.
Après un certain recul pendant la première guerre
mondiale,
les exportations augmentent rapidement,
ateingnant
successivement 4? T. en
1914, 460 T.
(1919),
14 000 T.
(1928)
-
45 -
et 16 314 T. en
1929. A titre de comparaison~ rappelons que
les exportations de café,
nettement inférieures pendant la m~me
période,
n'accusèrent que 5 T. en
1914,
110 T. en
1919,
242 T.
en
1928 et 405 T. en
1929~/.
Le développement de la cacaoculture va donc se pour~
suivre jusqu'à la veille de la 2ème guerre mondiale, avec
seulement un certain ralentissement pendant la crise de
1930~
1935. Au lendemain de cette crise,
les sociétés européennes et
les particuliers plantèrent des milliers d'hectares de cacaoyers.
faisant ainsi passer les exportations de 28 048 T. en
1930 à
42 961 T. en 1941. Cependant ces exportations tombèrent bursque-
ment à 28 592 T. en
1942,
puis à 543 T. en
1943. Les causes de
ce grave recul,
suivi d'une certaine stagnation sont évidemment
la guerre et la rupture des liaisons maritimes avec l'Europe.
Mais avec la reprise de ces liaisons,
les exportations de cacao
remontent rapidement,
atteingnant le chiffre record de 56 195 T.
en 1949.
Pendant ces vingt dernières années
(1950-1970),
le
cacao,
comme le café, a connu des hauts et des bas
~
l'eupho-
rie des hauts cours
(1955-62) avait provoqué une augmentation
spectaculaire de la production du cacao au détrimœnt de celle
du café. Cette expansion va certes se poursuivre,
mais avec cte
nombreuses difficultés
:
dégBts causés par le Swallen Shoot
(maladie à virus);
séchèresse exceptionnelle de
1958 d'où recul
de la production de 66 497 T. en 1957 à 46 333 T. en
1958;
effondrement des cours en
1965 et vieillissement des plantations.
,
•
, _ s
_
------~~-----------
jl Ces chiffres sont tirés d'un tableau statistique de la
chambre de l'agriculture et d'industrie de la CBte d'Ivoire
qui nous a été remis par les ser~ices de la Caisse de Stab~
lisation de Produits Agricoles de la Cete d'Ivoire pendant
notre voyage de documentation à pgques
1970.
Nous en profitons pour exprimer notre gratitude
à tous ceux de la Caisse ou des autres services d'ABIDJAN,
qui nous ont sans cesse aidés dans notre tgche.
-
46 -
Malgré tous ces handicaps,
le cacao a conservé jus-
qu'à ·présent sa place de "brillant s e cnn d " après le ca f'é, dans
les exportations ivoiriennes
(le bois non compris). En outre.
le cacao reste,
plus que le café -
la culture essentiellement
africaine;
en ce sens,
on peut vraiment parler de culture la
plus "populaire" de la Cete d'Ivoire. Mais par la suite,
nous
verrons que l'importance relativ~ des deux premières cultures
d'exportation ivoiriennes(café e~ cacao) n'a cessé de décro!-
tre pendant ces dix dernières années. Ceci au détriment des
paysans qui voient ieur pouvoir d'achat diminuer dangéreuse-
ment que ce soit pour la culture du café ou celle du
cacao.
Pour ce dernier,
les principlaes zones de production étaient
en
1960 Dimbokro a~ec 20 ~ de la production, Abengourou (20~),
Bondoukou et Grand::bÇ\\hO~(14 ~ chacun) et Agboville (6 ~). De-
puis
1960 jusqu'à présent,
la Cete d'Ivoire occupe le 4ème
rang mondial après le Ghana,
le Brésil et le Nigéria.
De nombreuses mesures prises par les Autorités
Ivoiriennes ont permis d'améliorer la qualité ainsi que d'ac-
croître progressivement les exportations qui sont passées de
147 488 T. en
1960 à
180 000 T. en
1970. De m~me la Cete
d'Ivoire ne cesse d'accroître ses productions de banane dont
un bref historique de la culture s'impose à
présent.
Les premières exportations vers l'Europe des bananes
ivoiriennes se situent aux environs de
1930. A la veille de la
deuxième guerre mondiale,
on atteignait
15 000 T. Interrompues
pendant les hostilités,
les exportations vont reprendre en
1948
Les premières cultures intensives vont ~tre établies
par les Européens et,
pour améliorer la qualité des productions
africaines,
on utili~J largement des coopératives en milieu
africain. Les plantations des bananes sont concentrées autour
-
47 -
de la capitale (Abidjan), et surtout dans le Sud-Est (Divo~
Tiassalé,
Agboville,
Adzopé et Aboisso)qui fournissait 95~·
de la production en
1965j finalement,
IVexpansion de la pro-
duction bananière se poursuit puisqu~ cette production est
passée de
138 300 T. en 1965 à
186 800 T. en 196? puis 192 900
T. en
1969.
En conclusion,
l'économie monétaire ivoirienne trouve
son origine dans les trois produits agricoles drexportation
que nous venons de voir : le café,
le cacao et les bananes,
auxquels i l faut ajouter les ananas et le bois. Le rBle pion-
nier des colons français -
dans leur mise en valeur est in-
contestable. Mais leurs tendances, avec IVaide des autorités
coloniales à s'octroyer les meilleures terres,
la main-d'oeure
étrangère bon marché d'une part,
et d'autre part à forcer les
populations autochtones à venir travailler gratuitement sur
leurs plantations, vont provoquer des conflits d'intér@t aigus
et permanents
jusqu'à la suppression urt\\:i'c!i.elle du travail
forcé en
1945.
x
x
x
x
Section II
--------
La question du passage des économies sous-développées
de leur état de subsistance à l'économie monétaire a
provoqué
une abondante litiérature1/. Comme nous allons le voir dans le
cas de la CBte d'Ivoire,
la question de transition n'est pas
!
seulement une question théorique sans portée pratique immédia~~1
Elle
joue un rBle considérable dans l'approche théorique et
pratique des problèmes du sous-développement. Dans le caS de
la CBte d'Ivoire,
la monétarisation se fera
principalement par
avec
le café et le cacao et ceci/d'incessants conflits socio-
!
-"----,,
1/ Voir Supra, Chapitre I.
-
48 -
économiques que nous allons analyser dans les trois paragra-
phes qui vont suivre.
Il n'est pas aisé de promouvoir la croissance écono-
mique dans les sociétés traditionnelles qui connaissent plus
ou moins la stagnation. Pour y réussir, i l faudrait nécessai-
rement changer non seulement les structures économiques de~
sociétés de subsistance mais aussi les structures socio-cul-
turelles :
les croyances,
les habitudes et les institutions.
Cependant,
parmi ces changements qui s'avèrent nécessaire~,l'un
des plus évidents est celui des habitudes de travail.
Supposons, écrit Lewis que l'on découvre du cuivre
dans une société traditionnelle quelconque où les habitants
travaillaient à leur gré sur leurs propres terres à très bas
niveau de santé, de vie matérielle et de culture. Il est possi-
ble que ces gens refusent d'aller travailler dans la mine de
cuivre pour obtenir un salaire substantiel. Supposons aussi
que l'on les force à travailler dans la mine et qu'appréciant
leurs hauts standards,
ils finissent par accepter de travail-
ler volontiers dans la mine une fois que la contrainte aura
---t--..----
cessé. La question qui se pose est celle-ci :
peut-on forcer un
peuple à prendre le chemin du bonheur ou de la croissance? En
d'autres termes,
"l'usage temporaire de la force est-il Justi~
fié en de telles circonstances ? Cet exemple théorique écrit
Lewis, n'est nullement un exercice purement académique puis-
qu'il présente des analogies avec ce qui s'est passé en cer-
taines régions d'Afrique,
dont les habitants ont été contraints
de travailler dans les mines où les plantations, soit sur un
-
49 -
ordre transmis par l'intermédiaire de leurs Chefs, soit parce
que c'était pour eux le seul moyen de gagner de l'argent pour
payer les taxes qui leur étaient imposées dans ce but, soit
parce qu'ils étaient chassés de leurs terres".!/.
Mais alors que Lewis posait,
théoriquement,
que le
fait de contraindre les populations à travailler dans les mines
ou les plantations sera suivi automatiquement d'un relèvement
appréciable de leur niveau de vie gr8ce aux salaires reçus,
i l
admet que pratiquement les choses se sont passées autrement
en Afrique. Ici,
les autochtones n'ont pas trouvé leur intér@t
dans le travail obligatoire "parce que ceux qui ont usé de la
contrainte dans ces circonstances l'ont fait avant tout pour
s'enrichir eux-m@mes et non pour le bien des Africains. De sur-
,.
crcî~f:·:~y en certains des cas, les Africains n'ont tiré de cette
,
-'·;1
politique aucun bénéfice matériel;
au contraire,
leurs anciens
villages sont économiquement ruinés,
leur mode de vie boule-
versé,
et eux-m@mes mènent,
dans des baraques,
des taudis et
des villes misérables,
une vie appauvrie sur le plan matériel
aussi bien que spirituel"~/. Dans le cas précis de la CBte
d'Ivoire,
nous allons voir ce qui s'est passé.
La période de transition ivoirienne a été complexe
et conflictuelle:
les autochtones refusant de faire
certain~~.
:J/\\.'7'I·'j 'i.f.l.r-
cultures tropicales m@me par la force,
i l en est résulté un
... "
long conflit entre colonisateurs et colonisés. Mais ces der~·
niers,
voyant par la suite que la culture du café et du cacao
leur permettait de se procurer des produits manufactués dont
,~"1
ils avaient besoin,
ont fini par monopoliser la culture do
deux arb4stes. Donc,
poser a
priori que l'agriculture d'expor-
Ir ;/':.'
tation ~:fait la prospérité des populations ivoiriennes sans
'Ù\\O.'
,~
-----------------------------~------------~--------------------
1/ Arthur Lewis, La théorie de la croissance économique, Paris
Payot,
1967,
pp.445 et suivantes.
~/ A. Lewis, ibidem, p.446
-
50 -
tenir compte du
conflit historique que nous venons de signaler
plus haut,
c'est anticiper non seulement sur les graves per-
turbations qu'a apportées cette agriculture dans l'économie de
la C8te d'Ivoire,
mais aussi sur l'avenir incertain des popu-
lations ivoiriennes face aux fluctuations du cours internatio~
nal des produits tropicaux.
Nous Jsd0'5h"l3:dâjè~,\\i,~mment la monnaie a été introduite
"
.' ,
'-' '1:.
,,:~..
. ,~"
dans les zones forestières de la C8te d'Ivoire,
grgce aux échan-
ges entre Africains et Européens;
ces échanges n'ont été possi-
bles dans la phase précéd~nt immédiatement la conqu~te colonia-
le que par l'émergence de surplus agricoles dans les économies
traditionnelles des zones forestières en question~L'on v~voii
que l'introduction des cultures du
cacao et du
café va accen~
tuer le processus de monétarisation et de l'intégration du
pays au système capitaliste mondial.
C'est d'abord,
par la culture du cacao,
pratiquée de-
puis longtemps dans l~ Gold Coast voisine avec le Royaume
Ashanti connaissant l~économie monétaire, que les Agnis 'de ia
C8te d'Ivoire orient~ie vont s'adonner à la culture ~J'~a6~ci
dès
19252,/. Ceci exclut le café de la région
jusqu' en
1945'~ En
fait,
la culture du
cacao connut en C8te d'Ivoire une certaine
expansion bien avant celle du café,
puisque les Européens eux~
m~mes avaient d'abord commencé par le cacao pour planter ensuite
-----------------------------....---------------------
1/ On trouvera des documents importants sur la culture du
cacao
-
et surtout du café dans '!~OfLt~. de L. Tricart, le café en
C8te d'Ivoire,
op.déjà ~it'~~9 à 233.
-
51 -
le café,
combinant parfois les deux 1/. Finalement,
l'importance
du
café et du
cacao dans la monétarisation de l'économie ivoi-
rienne fut capitale,
même S~~il ne faut pas oublier le r81e rela-
tivement significatif du bois et d'autres produits agricoles
tels que la banane et l'ananas. La conséquence immédiate fut
l'extension rapide de l'économie de marché avec tout ce que
cela comportait d'avantage et d'inconvénients pour les autoch-
tones.
Bien que les populations ivoiriennes aient connu à
des dégrés divers et à des périodes différentes des relations
d'échange avec l'extérieur, de telles relations n'ont vraiment
rompu l'isolement relatif de la Cate d'Ivoire dans le commerce
international contemporain que lorsque le café et le cacao rem-
placèrent l'ivoire,
les peaux et l'or,
produits qui permettaie~t
aux populations d'acquérir les produits manufacturés européens.
De l'économie de subsistance,
peu monétarisée et stagnante, on
passa progressivement à une économie de marché où le mode de
production capitaliste devenait de plus en plus prépondérant
dans les zones forestières du Sud-Est.
Donc, géographiquement parlant, les avantages de
cette économie de marché ont été appréciables,
surtout après
la 2ème guerre mondiale,
dans les centres de production intense
du café et du
cacao. C'est ainsi que vers
1957,
la production
s'était localisée:
1°) dans la zone littorale autour d'Abidjan,
de Bingerville, de Grand~Bassam;. 2°) dans les marges du "pays
du
cacao" au Nord c'est-à-dire a:~tour de Bondoukou; 30) dans le
pays Baoulé et enfin 4°) le long de la voie ferrée et surtout
-r-
de la "Route du
café" Abidjan -
Daloa -
Man,
traversant ces~
,;
grandes régions caféières que sont Divo,
Gagnoa et Daloa~/o Il
----------------------------------------------------------------
jl Voir Supra, Histoire de l'Agriculture d'exportation, 1ère
partie
(chapitre II Section I) -
El Pour d'autres détails voir L. Tricart, le café ên Cate
d'Ivoire,
op.cité pp.209 à 233.
-
52 -
y a donc eu un développement important des voies de communi-
cation et dans la rivalité entre le rail et la route pour le
transport du café,
c'est la route qui IVemportait déjà en
1957,
puisque la voie ferrée n'évacuait qu'un Ainquième du
',"+'
café vers Abidjan. L'explication est que la route offre beau-
coup de souplesse aux traitants qui possèdent eux-m~mesD leurs
.i~";~·'· .
propres camions. La route sert ainsi d'un moyen préc~êwx &
-/!:!,-"""-:-,
l'extension de l'économie monétaire en distribuant du
pouvoir
d'achat non seulement aux transporteurs,
mais aussi aux pogu-
.~~-,
lations riveraines. QUant aux producteurs,
on peut se faire
une diée approximative de leurs gains par le fait qu'en
1954,
les revenus moyens par'~~~calculés variaient entre 5 000
francs
CFA dans les régions non productrices de café et de
cacao
[No r d et SUd-D~èstLà 25 000 francs CFA aux environs de
Dimbokro,
située en pleine zone des cultures d'exportation.
Ajoutons que près de 90 ~ des produits importés étaient con-
sommés dans ces zones forestières qui pourtant,
ne font encore
que la moitiè
de la population du pays
VAbidjan comprise)~/.
Il s'ensuit que dépourvue de cultures d'exportation,
la savane ne participait que marginalement à cette augmenta-
tion de pouvoir d'achat. Elle y participait indirectement,
d'abord en vendant à la zone forestière
certains produits
vivriers,
et ensuite par l'exode vers le Sud des
jeunes,
pour
travailler au moins six mois dans les plantations. Il va donc
sans dire que la "prospérité" de l'économie coloniale, si elle
a
procuré certains avantages aux populations autochtones ne
comporte pas moins des limites qu'il serait danger('ux de sous-
estimer.
II Les chiffres ci-dessus sont tirés de 1 r é t ud e de L. Tricart,
ouvrage déjà cité.
-
53 -
Ces disparités sont d'abord sensibles au niveau géo-
graphique puisque plus de la moitié des populations ivoiriennes
ignoraient jusqu'à une date récente,
les "bienfaits" de l'éco_
nomie monétaire coloniale. QUant au dégré même de la monétari-
sation i l était assez limité par de nombreuses ponctions que
faisaient l'Administration coloniale et dOinnombrables inter-
médiaires cupides. Alors que les prix payés aux producteurs
autochtones étaient inférieurs à ceux versés aux Européens,
l'ensemble de la production ivoirienne était de plus entravée
par la fiscalité excessive que Jean Peter situe au départ du
café d'Abidjan à environ 22 ~ de sa valeur F.O.B. en 1952~/.
Quant à la contribution des salaires à la monétari-
sation,
cette contribution restait elle aussi limitée,
d'abord
parceque les salaires étaient bas,
ensuite parce qu'ils étaient
en partie payés en nature (surtout dans les plantations afri-
caines).
Pour ce qui concerne les conditions de travail aux-
quelles les africains étaient soumis dans les plantations euro-
péennes où ils étaient menés de gré ou de force,
on sait que
ces conditions étaient misérables~ ~~§g~~~~_1~~§_~~_!2~_E~~,
1~_!r~~~il_f2rE~~~r~_~~~~_1~_~2r!~!_1~-2~~la!i2~~r~i-l~~
africains de C8te d'Ivoire et ceux d'ailleurs. Auguste Cheva-
--------~-----...-----------------------
lier dira de cette agriculture coloniale en Afrique qu' ':elle
n'a guère sa raison d'être dans les pays à proximité desquels
n'existent que des campagnes déficientes en population et
déjà anémisées;
elle risque de les dépeupler complétement et
--------~------------------------------------------------------
2/ Nous n'envisageons cette question pour le moment que pendant
la période coloniale. Le problème sera posé globalement
par la suite.
Ê/ Jean Peter, les investissements de capitaux et la produc-
tion caféière ..a,~ C8te d'Ivoire, Marchés Coloniaux du Monde,
n0349,
19
juillet 1952 p.
1986.
-
54 -
le bien-~tre qu'elle apportera en un endroit ne justifiera pas
les vides qu'elle occasionnera ailleurs~/.
Donc,
cette agriculture coloniale par ses méthodes
draconiennes a constamment provoqué en Cete d'Ivoire et ail-
leurs une pénurie de denrées alimentaires car le paysan ne pou-
vait pas tout faire à la fois~/. Toujours est-il que jusqu'à la
suppression du travail forcé en Cate d'Ivoire en
1945, l'indi-
gène a plus perdu que gagné dans le développement des cultures
d'exportation. A moins de considérer que les intér~ts des autoch-
tones coincidaient avec ceux de la Métropole et ceux des colons
européens -
thèse éminement contestable -
on est obligé de se
demander si ces cultures ont été introduites dans le pays pour
faire réellement le "bonheur" du paysan ivoirien. Dans le cas
contraire, i l faudrait se demander si les véritables bénéfici-
aires de l'introduction de l'agriculture d'exportation en Cate
d'Ivoire ne furent pas longtemps la Métropole d'une part et les
colons européens de l'autre.
x
x
x
A vrai dire,
on ne peut comprendre objectivement les
raisons pour lesquelles la France a introduit le café dans ses
colonies d'Afrique en général,
et en Cate d'Ivoire en particu-
lier sans analyser le processus historico-économique qu'à suivi
------~-------------------~---------------~--
JI Auguste Chevalier, l'Agriculture coloniale, Que sais-je?
Paris PUF,
1942,
p. 60.
El Ce n'est pas l'avis de Rolan Portères qui écrit qu'en Cate
d'Ivoire "L'indigène a tout planté, entretient tout et mal-
gré quelques défaillances individuelles que la malignité
généralisait,
l'absorption du travail fourni a été totale".
Rolan Portères,
l'Avenir de la production caféière à la Cate
d'Ivoire. ONU -
déjà cité p.4
-
55 -
depuis le
18è siècle,
le développement de la caféiculture
ivoirienne.
E~~~ffet, l'implantation et le développement des
,1l('
cultures d'e~portation en Cete d'Ivoire a eu des multiples rai-
sons :
en plus des conditions géographiques,
économiques et
climatiques que nous savons très favorables dans le pays~ i l
faut aussi citer les intér~ts souvent antagonistes des popula-
tions ivoiriennes d'une part, de la Métropole et des colons
européens de l'autre. Or,
nous savons combien lUintroduction
des cultures d'exportation en Cete d'Ivoire a
créé et aggravé,
au détriment des autochtones et de leur économie
,
une situa-
tion antagoniste permanente par rapport aux Européens. Ceci
apparaft explicitement quand on sait que ~la culture du café,
comme celle du
cacao est d'origine étrangère. Dans l'économie
traditionnelle,
elle était complètement ignorée"21.
En d'autres termes,
l'expansion des cultures d'ex-
portation correspondait d'abord et avant tout ~~_intér~t~~
l~MétroEol~ ~~~~~~~2~~_Erodui!~_~!~!opiE~~~_~
~~i-~!~_~~f~i!~~~!~~.Bien entendu, il convient de
noter ici que stimulant de première qualité,
le café s'était
révélé nécessaire aux populations métropolitaines. Et bien
avant d'~tre introduit en Cete d'Ivoire, la France en produi-
sait déjà dans ses territoires d'Outre-Mer:
les Antilles et
la Réunion
(autrefois l'Ile Bourdon)~/.
Déjà au
18ème siècle, grace aux Antilles et à la
Réunion,
la France avait été le plus grand fournisseur d'Europe
en café.
II L. Tricart, le caféier en Cete d'Ivoire, op.cité •••
.-'1":'"
~I On trouvera plus de détails chez Auguste Chevalier, l'fkp~~)
culture coloniale,
origines et évolution,
op.déjà cité.
Les Antilles produisaient à l'époque environ 50 000 T
par an
D
et l'Ile Bourbon 3 à 4 000 To Ce qui permettait à la France de
se suffire à elle-même,
mais aussi de ravitailler en
partie
certains pays européens. Sa première place,
la France va la
perdre au début du
19è siècle et ceci pour des raisons multi-
ples
~ Révolution française provoquant le manque de main-
d'oeuvre;
nombreuses maladies qui frappèrent le café à cette
époque;
concurrence de la canne à sucre qui était plus facile
à
produire aux Antilles que le café;
enfin le blocus continentql
de
1795 à
1815 qui mit fin
à
la production caféière d'Outre-
Mer~/.
Or cette réduction de production fut d'autant plus
reS~8nt18 en France qu~il a fallu se procurer du café en Améri-
que La.tine et surtout au Brésil avec des .s~,;!l~~~_s~l, par ail-
leurs,
étaient nécessaires à la France pour ses achats d~équi
pements aux Etats-Unis.
Vu l'arrêt de la production des Antilles et de la
Réunion,
i l S'OVR:djL
plus
que nécessaire
pour la France de
produire du café dans certains pays d'Afrique en général et en
Cete d'Ivoire en particulier. Le tableau suivant nous en donne
un aperçu.
Production de café en sacS de SB kgs.
r---------7-----------7-----------7-----------~-------
1
•
•
Il
•
----7Il----------70
j Années
:
Madagascar:
A.O.F.
:
AEFIDivers:
Cameroun
Total
i
~-------~--:---~-------:------~----~~----~--~--:---------~-~~---------:
1934
200 000
38 Doel
22 000
35 ooa
295 000
1936
330 000
95 000
59 000
57 000
541 000
1938
591 000
224 000
98 000
77 000
990 000
•
Il
•
e
ri
."
•
CI
Il
Q
--------------------------------~-~~------------~--------------------
Source:
H.R o de Genser (membre de la Chambre de Commerce du Havre) in
"Les Variétés de cafés coloniaux et la nécessité de la con-
sommation française".
Marchés coloniaux du Monde,
27
Décembre
1947. Te 3,
p.1B73.
JI Auguste Chevalier, ibidem, p.30
-
5? -
Ce tableau montre lUaugmentation rapide des
produc-
tio~s-africaines et malgaches puisque la production totale pas-
se de 295 000 sacs en
1934 à 990 000 sacs 8n
1938. Quant à la
production spécifique è
l~A.O.Fo dont celle de la CBte d~Ivoire~
l'un des plus grands producteurs de cette zone,
elle passe de
38 000 sacs en
1934 à
224 000 sacS en
1938. Par rapport à la
production mondiale de
caf~, la part de InA.O.F. est passée de
1 400 To sur 2 229 000 T. (dans le monde) en 1931/32 à 62 900 T.
sur 3 020 000 T. en
1950/51,
ca
qui fait respectivement de
0,03 ~ à 3,4 ro21. En fait, comme on peut le constater dans le
tableau suivant,
la production de l'A.D.r.
était constituée
presqu'uniquement de la production ivoirienne!/. La
part ivoi-
rienne dans
cette production ivoirienne!/. La
part ivoirienne
dans cette production était donc loin di@tre négligeable,
sur-
tout
Par de la CBte d~Ivoire dans les exportations
de l'A.a.F.
(en Tonnes métriques)
.
Pays
1937/38
1946/4'7
::
1950/51
1954/55
1955/56
::
~-------------:----------:~-------~~:----------~------ ---- : ----------- :
Total AOF
· 14 300
43 .500
53 400
--_...._-
. jQ,g-.§QQ
125 100
e
.
. -------
dont
CBte d'Ivoire:
14 100
42 700
50 500
92 000
113 400
Guinée
·
100
700
2 400
9 700
10 500
Dahomey
•
1 0 0 .
1 0 0 .
500
.
90l'
•
1 200
-------------~----------~--~---~---~-----~---~~-~--------~-----------
que dès
1930,
point de départ de l'expansion de la caféicultu-
re en CBte d'Ivoire,
la Demande française,
si elle était in-
férieure
à la production de cacaO,
était loin dU@tre satis-
faite en ce qui concerne le café. Il s'ensuit un effondrement
des cours du cacaO et le maintien,
à un
prix rémunérateur des
cours du café. Ce qui,
bien entendu,
favorisera
les produc-
teurs
(surtout Européens) de CBte dUlvoire~/.
1/ "P'La c e de l~AfJF sur les marchés mondiaux, café, cacao,
Arachide,
palmier à huile,
banane",
Direction des services
de la Statistiqu8 et
de la Mécanographie de l~AOF, Sept.
1957 -
DCl c: ume n t t' C[AD DAKA R•
E/ Hubert sr~chou, les plantations européennes en CBte d'I-
voire,
cahiers d'Outre-Mer,
1955,
p.9
~ 58 -
La
pénurie de café va S8 poursuivre
jusqu'au lendemain de la
'd'eu x Lèrne guerre mondiale.
Pendant
cette guerre, l~_E~fé a_~!~
!:~!i.!?!!.!:J.~_~!2_.E!:~!J.E~. Et, même Fiprès la guerre, l'établissement
de la liberté de consommaLion nVa pas arrêté aussit8t la régres-
sion de la consommation française,
d'abord parce que les prix
de détail du café étaient élévés,
et ensuite parce que le pou-
voir d'achat étant limité è
cette époque,
on l ' u t i l i s a i t pour
acquérir des denrées de base.
Pourtant,
malgré tout cela,
la production totale des
colonies françaises ne
couvrait pas la Demande de la Métropole.
Et,
sur 86 000 T.
de café importées par la France de ses colo-
nies,
42 000 T. soit environ 50 ~ de ces importations venaient
de la CBte d'Ivoire~/o L'importance en valeur de la C8te
d'Ivoire dans les
cultures d'exportation de l'époque coloniale
peut être matérialisée par le tableau suivant
:
Part de-ln
Côte d'Ivoire dans les exportations de
l'A.O.F.
en valeu~ de 1925 à 1952:/.
----------------------------~~----------~~--------------
-------------
"
"
"
"
Années
1925
1930
1935
1940
1945
1950
:-~------------:--------:--~---~-:-------~:-~~---~-:--------:-------~:
:~ des expor-
"
tations de
14,8 ~
24,6
19,8
24,3
32,3
44,5
la CISte
d'Ivoire en
valeur
D
Il
Il
•
Il
•
------------~-~--------~--------~---~----~--------~-~-------"--------
Ce tableau montre bien la
part croissante de la
CISte
d'Ivoire dans les exportations de l'AaGaF a Et comme les expor-
tations ivoiriennes étaient constituées de
produits agricoles
d'exportation,
on comprend
que
le régime colonial se
soit
li Jean Peter, les Investissements de capitaux et la production
caféière en
Côt.e d'Ivoire oPacité,
1952,
p.2029.
E.I Source: Hubert Fréchou, 185 Cahiers d'DaM. Opacité Pa 7 9a
-
59 =
appliqué
à
faire
de
la
Cate d'Ivoire un pays dB café et de
cacao.
De plus~
pOl r
compl~ter les importations de ses colo-
nies
qui
ne
satisfai~ai8nt que partiellement Sa demande
totale
de
café
et
de
cacao,
la France 3e voyait souvent obligée
de s'a-
dresser ailleurs
(surtout au
Brésil).
Ce
qui avait
pour
consé-
quences
l"némorragie
de devises
que
lU o n sait.
La
nécessité
diéconomiser
ces
devises
pour d Uautre5
transactlons p a
été li a r-
gUffient mille
fois
employé
par
les responsables
coloniaux
pour
dévslopper
le3
cultures d'exportations
Sn
Côte
d'Ivoire.
On
peut sien rendre
parfaitsment compte
par
la
plaidoierie c1-
dessous
de
Roger Dub1ed2/:
"En f i.n ,
personne
ne
nous fera admf:-oD-
tre
qu'au
moment
m~~8 oD il nous Bst impossible de nous procu-
rer de8
quelques
milliers
ds dollars
nécessaires
à
notre ré-
équipement m~caniqu8, le gouvernement français
perd
pour
des
milliers
de
dollars
de sa substance
économique
et
de ses
moyens
d Uéchange5,g.
En effet,
la
part
du
Brési.l seul
dans
le
total
des
importations françaises
de
café
(en
volume)
est
passée
de
23~8~ en 1951 à 29,2 ~ en 1954, pour retomber à 20 p 9 ~ en
1956~/.
Donc,
l'une
des
raisons
essentielles
du
développeme~t
des
cultures
dWexportation
en
CBte d'Ivoire
(en
Afrique Tropi-
cale en général)
tient
du
manque
de
dévisea
qui
était
ID u n des
obstacles
majeurs
pour 18 d~velopp8ment de
la
Métropole.
Mais,
sn
plus
de
c es
pr-nb Lèmes
monétaires s. i l Y avai t
aussi
des r-a i.«
sons
économiques
qui ont
poussé
la
Francs
à
d~v81opper 185 cul-
tures
d'exportation
en
eSts dUlvoire.
11 Rogsr Dub Le d , Président du Syndicat d e e producteurs d s cafe
et de
cacaO
dans
les Territoires
d'Outre-Mer,
""Lettre Ouver-
te
à
Mr o LB Commissaire de la répartition, 5 Février 1947~cf
Marchés
Coloniaux
du
Monde,
1947 p.167.
Calculés
d uapr~:=,
le
DC:C!lment de
la Direction
des services
de
la statistique et
de
la
Mécanographis
de
lUAOF, op.déjà
cité,
p.9.
-
60 ~
Finalement ce qui émerge des raisons de lUimplantation
des cultures d'exportation 8n
Côte d'Ivoire,
ce ne sont pas
diabord les intér~ts des populations ivoiriennes,
mais ceux de
la M~tropole d'une part,
et d'autre
part des colons européens
install~s dans le pays. Le café et le cacao devaient d'abord sa-
tisfaire la Demande dB la
France. Ils devaient ensuite lui per-
mettre d'économiser des devises~/. Même si IDon devait distribuer
un certain pouvoir dDachat aux autochtones c~était d'abord et
avant tout pour pouvoir acheter,
souvent v à des prix é1ev~s, les
biens manufacturés de la Métropole grgce au système de la traite
des
produits.
Encore convient-il d'ajouter que
jusqueen
1945,
date de la suppression du travail forcé
en Cete d 9Ivoire,
le pou-
voir deachat distribu~
aux Africains était négligeable au régard
des contraintes
physiques et morales que subissaient les autoch-
tones
:
impets divers,
brimades
de toutes sortes,
confiscation
des meilleures terres africaines qui étaient remises aux colons
europ~ens. Ainsi favorisés quant à l'appropriation des terres,
des investissements et de.la main-dDoBuvre,
ces derniers -
les
colons européens -
vont se lancer dans
cette nouvelle aventure
économique des cultures dUexportation,
moins
par patriotisme à
l'égard de la Métropole que
par intérêt personnel •••
Nous verrons
dans le chapitre suivant que la stratégie de lUAdministration
coloniale française,
stratégie qui consistait à permettre aux
colons européens de contrBler effectivement les cultures d'ex-
portation,
échouera pour de nombreuses raisons. Mais la plus im~
portante de celles-ci sera la réaction des
populations ivoirien-
nes contre IVoccupation de
l~urs terres. Pour arr~ter ces occupa-
tions de terres
par les colons,
les autochtones vont se lancer
dans la culture du café et du cacao.
Le
conflit économique qui
j/ Cette question de devises para!t si importante pour la France
de. l'époque que les partisans de la coloniSation n'en finis-
sent pas d'en
parler chaque fois quDils
"militent" pour .le
développement des
cultures dVexportation en CBte d'Ivoire.
C'est ainsi,
entre autres,
que H.R.
Genser,
membre de la Cham-
bre de commerce du Havre écrira clairement que lUimportance
du problème
"du café colonial" français,
'Oest accrue,
par notre
pénurie actuelle de devis8s étrangères et la nécessité aD
nous sommes dDéconomiser notre substance au maximum".
Cf.H.R.
de Genser,
les variétés de caf~s coloniaux et la nécessité
de la consomma tian.
CF.
"Marc h é s
Coloniaux du Monde",
27
~6~omh~o
~o~~
n~
~~~~
~4+·~
~ 61 -
s'ensuivit entre Européens et Africains fut si important quDil
aura finalement ouvert la voia à IDint~gration de la CBte d'Ivoi-
re dans le marché capitaliste mondial.
Il s'agit de voir mainte~
nant comment l'aggravation de
ce conflit conduira au
lancement
de la croissance économique ivoirienne.
·x
x
x
f~El!E~_111 - ~~E~~~!io~-2~~_E2Dfl!!.~~1_la~~~!~_1~
fE21~~anE~_~E~~~i3~~
Section l
b~~_!r~i!~_~E!~lsti3~~~_2~~gE~D~~_E~~~~
tion
L1économie de
plantation est une
économie
particulière
avec ses caractéristiques propres dont la plus significative est
sa dépendance vis-à-vis de lDextérieur.
Ces
caractéristiques ont
été bien analysées
par Robert BADOUlN
qui note
g
L'extranéité de
l'économie de
plantation se marque non seulement par l~origine
des hommes qui la pratiquent et celle des
capitaux nécessaires
à sa création,
mais aussi par la destination des
produits"~/o
Une telle économie récèle donc des conflits socio-
économiques graves du fait
que dans
la plupart des cas,
elle met
en contact trois
populations d'origine différente,
et dont le8
intér~ts sont presque toujours antagonistes g la population au-
tochtone,
la main dUoeuvre immigr~e et les expatriés europ~8ns.
Cependant,
les structures économiques des
plantations sont dif-
férentes suivant les cas et Robert BADOUIN distingue quatre ser-
tes d'économie de
plantation o
jl Robert BADOUIN, Agriculture et accession au développement
Paris
1967,
p.S7 -
Liessentiel de
cette Section 1. est tiré
de ce livre.
62
LUexempls africain lB plu6 frappant pst celui des
planta tio ns r:l e "aou tchl'JU C ClL: Lib éri3,
8X [J 10 i h: e
~JEI r
';0
ou Fire;') ta n 8 '" 0
Il sUagit dUun
Etat dans lUEtat lib~rien qui reçoit des prêts,
importants de Firestone.
En
contrEp6r~ie ]e Lib~ria avait· ac-
Dordé à la Société des CO;lc8ssicns dDpnviron
400 000 ha 0s ter=
rains propres à lDh6véaculture. Mais CA nU~3t qu'à caU86 ~as
conditions de marché difficiles,
des crises ~conomiq~es ~UCC8S-
sivas et surtout à Gauss de ]Dinsuffisance de main dOo2uvre qua
~_r~<""'C_"·"''-'''''''''''-'(HIIl',_h1''''_~_)4IK)C>Ia'J'~~'~','''''''''.'->_~-:.an
. . .''-',.=>~.~_
FiJ83tone nOa
jamais pu exploiter entièrement le8 400 OCC ha
qui lui étaient concéd6s à IBorigins. Et la Société nUa ou de
fait réaliser euc.un de ';S5:; objecti.fs e.mbi.t.Leu x ,
Ou
point de \\7Ll8
de lUemploi,
Firestone n'a réussi b emhausher Que 20 000
~ur
250 000 ouvriers précédemm~nt prévus. Q~3nt ~ la surface mise
en valeur,
elle nUa
pas dépa3se non plu3 43 000 ha bur les
400 000 ha de concessions o
Malgré
tout,
Fir6sto~8 reste un véritable empire dans
lOEtat libérien. Mais la présence prépondérante de la Société
n °a 0 C cas i 0 ri n é 2;l.!E ~.Œ~,_,E!:~~~;}S~_!!1~~~1~~ ~,1_,E2D,i!:~iE:D, an !~E,~
E2E~1~!i2D,,ê,._~.:h!:~Œil~!:.~ê,, p h nom è n
é
8
qui,
par a i Ile urs,
est l Bun
des traits fondamentaux de lUéconomie [19 plantation. En
d'autres
termes,
on peut dire que 1~~conomi8 de plantation au Libéria
nYest pas assortie de contrainte phY6ique.
2 (j) h~~E.:2!22œ1-,~_I!~_E1~!2.!~!,i:=!2_~2,~,~!:!:L~_,2':~~_~~:::.tr::~i ~ !~
Ebl~i3~~
L 8
Las
d 1::1
[; 8 Y 1 a n
co!' r e s p Cl n cl â
c 8 t
é t:a t
d e
ch 0 S 8 ~ 1•
LB~conomi8 de ~lantation est ici omnirr~senteo E116 contribue
pour 33 cjo ~ la formation du Produit: ~JatiCir;al et 95 % des e xpo r-«
tations en valeur. Mais Ge
qui différenGiF CEylan du Libéria,
c'est ouuau
k __,_..,J",__.
&,
,
.
,iL
=._,
,
.
.
._,,_,_
~
Cevlan
les nlBntBurs étranner~ et la main-d'oeuvre
~!r:~.Œ~~E~_~f!.12!_~!l_!!!~j~E:;i.,!±_,f!~E_!:~Efl,:s;r,1_.~.,,1.:2._22..E.ldI,ê,1;;i.
0 r:;_.~~E,!:l
~~1:l~"ê.
-
63 -
I l existe en effet un million d Ulndou5
employés dans
l'agglomération syngalaise et le5 conséquences de
cette activité
débordante de lUagriculture dUexportation sont ~ombreu3es et
graves:
le paysan endetté \\e~rl son lopin de terre'l et, na-
turellement,
le secteur traditionnel de
production vivri~re est
en net regression;
40 ~ des exportations sont utilisées pour
acheter des denrées alimentaires.
Au fond,
dans
le cas de
Ceylan,
on assiste à une expropriation
progressive mais généralisée des
populations autochtones et à leur exclusion radicale de
lUécono-
mie de l'Ile. I l y a
ici non seulement une ~illE!:i~~E!2l2,2:,S~
!I!~i~_~~~s i _.'d,Q~_~!!:'EIi~~_~E2D9.l!!ig~_i!!.s~!.!1:~~,i~l!,1~.
0
3
)
b~l!!EEi~~_~E~~2œig~~_~2~_~~~~Eii~_~~~~~~Ei~~
fU2l~i.9:!!~ caractérise essentiellement 1 Uéconomie de plantation
du
Kenya.
Là,
on
trouvait face
~ face en
1967 un million de
cultivateurs africains
posB~dant la plus grande partie des ter-
res du
pays et 3 600 planteurs européens possedant les meilleu-
res terres. Donc,
les Africains,
majoritaires en nombre ~I et
possedant la plus grande partie des terres
exploitées ont li e m-
prise physique.
Mais ils nUant pas
l'emprise économique en ce
sens que l'économie de
plantation qui est presque entièrement
entre les mains des expatriés européens fournissait
en
1967 36
millions de livres
contre 57 Millions è lU~conomie traditionnel-
le.
DUautre
part l'économie de
plantation au
Kenya fournissait
à
l'époque 70 ~ du café, 75 ~ de pyrèthre, 90 ~ du sisal, 95 ~
du thé et la
plus grande
partie des devises
étrang~res. Finale-
ment,
la force
économique dans
le secteur agricole et sans doute
dans les autres secteurs,
se trouve entre le5 mains des
Européens.
:lI Environ 2(3 ~ de la population nn a plus de terres et 42 ~
poss~de encore quelques lopins.
~I Ces chiffres et ceux qui vont suivre sont ~onné5 par Robert
Badouin dans son ouvrage déj~ cité. Il est probable que
depuis
1967,
i l y ait eu au
Kenya
comma d'ailleurs au
Ceylan
une évolution non négligeable.
Les
trois
cas
rluéconomie
de
plantation que nous
venons
dWexaminer sont parti~uli~r8m8nt négatifs pour lU a u -
tochtone,
quWil vive au Libéria, au Ceylan ou au Kenya. Cet
autochtone est è son corps défendant intégré è une économie
capitaliste o~ i l nftocGupe que la position marginale. Dans
les
pires des cas,
i l est purement et simplement exclu de la
production m,-Jl,},"i':r.!e. Ce qui ,-le va pas sans conflits socio-
économiques.
Mais i l existe un
quatr:ème cas dUéconomie de
plan-
ta tion DlJ. 11 au t.o c h t.orie au r~hana et en Cût""
d' Lv o Lr-e ,
'3
réu:':",s1.,
après de longue.s luttes ::"DciD-eC:OrlDrniques,
à avoir à
la
fois
l'emprise phv~iqU8 et économique dans l'agriculture en géné-
r-e L,
e t } ' ,J ~j r i l~ U l t ure d v 8 X P Clr t:3 t i Cln e r
par tic u 1 :i e t' 0
L' ex 8 mo l.e
de
la
CBte d Wlvoir8
qui est riche
en renseignement divers,
p
retiendra d
s o r-ma Ls
no t.r-e
atten tian.
é
Section I I
---------,-,'-
I~!2!.,~il:.!~~_~l,_~,.sh~.s_~~_l:'l.œEl~~!.~,.!is!!l-~~_~~!2
-
s~~_El~Q!~!i~~~_~~E2~~2!2~~~~_CB!~-3~~2i~~·
Les conflits sOGio-économiques que recèle toute
économie
de
plantation vont avoir une r~sonnance particulière
en
Côt s
d "Lvo Lre ,
OÙ38
t.r-ou ve r-on t
face
à. face
trois
p o pr. La-«
tians différent83 dont les intérêts sont pour lE moins anta-
gonistes
~ la population locale, la main-d'oeuvre immigrée
(de Haute-Volta)
et l'expatrié
européen. A vrai dire,
on verra
dans la plupart des
cas la domination des
Européens
dont
lWobjectif,
avou~ ou non,
était dB se servir rles
Africains
pour faire
de la Côte d ulvoire un
pe y s
de
çJrand6~i plantations
coloniales •• o Ceci leur paraiaBbit, to~t à fait possible,
Gar
gr8ce à leur poaition poJitico-éGQnomiqu~ puissante et aU
con cours de 1 U Adml.n Ls t r-a tien L:[) Lo n i.e Le ,
il~_122~~i~.i_f~.sil~
~~121_~~_E!:.I1E~r:.~,!:_2~~_~~!11~l!E~~_!~r r.~,~,L_2~~_~.~f i t ~~_~!~~.!d!2~
!!1~i12=!1':2~~~!:.~_~2D._~..~r~!2~, •
-
65 -
Pour faciliter le développement des plantations
européennes,
les autorités administratives de lUépoque accor-
dèrent des concessions de terres aux colons isolés. Mais à
partir de
1925,
le phénomène s'étendra aux grandes sociétés
comme la S.P.R.DoA.
[Société des Plantations Réunies de l'Ou-
est Africain). Ainsi,
"chaque année,
des milliers d'hectares
sont alors concédés à titre provisoire. La mise en valeur
effective d'une bonne partie d'entre eux est consacrée un
peu
plus tard par leur transformation en "Concessions définitives",
qui en fait de véri tab les pro priétés "2/.
Déjà en
1912,
les colons isolés avaient obtenu de
l'Administration environ
284 hectares à titre de concessions
définitives.
En 1927 la SPROA seule possedait 1 574 ha plan-
tés,
qui furent portés à 4 343 ha en
1930:/. Pourtant,
bien
avant
1930,
l'extension des plantations européennes
aussi
T
bien pour le cacao que pour le café, va ~tre suivie d'une
extension parallèle des plantations africaines. En fait,
l'op~
position entre les grandes plantations européennes d'une part
et les petites plantations africaines de l'autre ira en s'in-
tensifiant et ceci en faveur des Africains dont la production
dépassera de plus en plus celle des
Européens. Et la colonisa-
tion fulgurante de ces Européens,
qui portait en elle les
germes de lUéchec,
conna~tra déjà les signes d'essouflement
à partir de
1930. Les superficies concédées provisoirement en
IBts de moins de
200 ha,
qui avaient atteint 9 862 ha par an,
tombèrent à 6 657 ha en
1930,
puis 5 077 ha en
1931 et 3 731
ha en
1932
Quant aux superficies de plus de 200 ha,
c'est-à-
0
dire comprises entre 200 et 2 000 ha,
elles baissèrent à leur
tour~/.
1/ Hubert Fréchou,
les Plantations européennes en CBte
-
d'Ivoire,
les Cahiers d'Outre-Mer,
1955 pp.57-58.
~/ ibidem.
3/ Hubert Fréchou,
ibidem,
p.59
-
66 -
Finalement,
les planteurs européens avaient vu trop
grand,
en sous-estimant la résitance des Africains à l'occupa-
tion forcée et progressive de leurs terres o Ni les primes ac-
cordées aux plantations de plus de 25 ha c 8est-à-dire en fait
aux plantations européennes,
ni la poursuite des concessions aux
grandes sociétés~/ ne pourront plus permettre aux colons euro-
péens d'imposer leur emprise physique et même économique dans
le domaine des cultures d'exportation.
En
1953,
ils n'exploi-
taient que 30 000 ha de plantations. Leur nombre se situait en-
tre 220 à 230 en
1957 avec une production de 7 ~ du café et 5 ~
du cacao.
Le recul des plantations européennes s'explique non
seulement par l'opposition des Africains aux concessions,
mais
aussi par des difficultés financières,
même si,
ici encore,
les
Européens pouvaient compter sur le concours des autorités de
l'administration coloniale.
Dans ce conflit socio-économique qui opposait les
Africains de CBte d'Ivoire aux colons européens,
ces derniers
vont renforcer leur avantage gr~ce à la relative facilité dont
ils pouvaient se procurer des capitaux. Déjà en
1935,
Rolan
Port ères expliquait pourquoi le café européen était beaucoup
supérieur à celui des Africains:
c'est que l'Européen avait
conscience de la plus value que lui procurera la bonne qualité
de son café. Par conséquent "ils s'astreint à ne récolter qu'à
complète maturité,
i l dépulpe toujours mécaniquement par la voie
humide,,2/.
Le travail s'achève à la fois
par un triage mécanique
et une purification supplémentaire à la main~/.
j/ A partir de 1945, ces grandes sociétés pouvaient obtenir les
concessions en s'adressant directement au Ministre de la
France d'Outre-Mer quant aux particuliers européens,
ceux qui
étaient Sans appuis se voyaient de plus obligés de s'adresser,
pour des concessions de moins de 200 ha,
au Conseil général
à majorité africaine et hostile au développement du colonat
européen. Voir à ce sujet Jean Peter les Investissements de
capitaux et la production caféière en CBte d'Ivoire,
Marché
colonial du Monde,
n0349 19 Juillet
1952 pp.1985 à
1986.
~/ Rolan Portères, l'avenir de la production caféière à la
CBte d'Ivoire,
op.cité p.7
-
67
Bien que le concours financier de lUAdministra-
tian et des institutions financières de la M~tropole aux
Europ~ens ait ~t~ r~gulier, il ne leur permettra jamais
cependant de dominer le secteur agricole de la CBte d'Ivoire.
Car grgce à leur nombre et à leur d~termination, les Afri-
cains,
Sans aides financières,
auront pu
maintenir leur
emprise physique et ~conomique dans le domaine agricole. Et
jusquUà une date r~cente, seuls les Europ~ens utilisaient
les m~thodes modernes dans la production du caf~ et du cacao:
"L'achat des machines,
la construction des hangars et des
magasins,
lU~vacuation des produits marchands etc repr~sente
une mise de fonds
qu'il
(l'indigène) ne
peut supporter et
que ne lui accorderait pas pratiquement la caisse locale
du cr~dit agricole ll21.
Sentant,
à
partir de
1945,
l'impossibilit~ pour
les colons isol~s de renverser la situation en leur faveur,
les stratèges de la colonisation
(ivoirienne) r~clamèrent
avec v~h~mence non seulement des capitaux suppl~mentaires
pour tous les colons,
mais aussi et surtout l'implantation
massive de grandes plantations,;appartenant à des s o c
t
s
â
é
é
capitalistes:/. Peine perdue car la suppression du travail
forc~ a enlev~ aux colons leur arme ma!tresse dans l'exploi-
tation agricole:
la main-d'oeuvre africaine.
II Rolan Portères,l'Avenir •••• op.cit~ p.10
~I Voir à ce sujet, en plus des auteurs d~jà cit~s: Peter
Jean,
les Investissements de capitaux et la production
caf~ière en CBte d'Ivoire,
March~s coloniaux du M~nde
n 0349 19 Juillet 1952 PP.
185 et
186;
n0350,
26 Juillèt,
PP.
2039 et 2040 voir aussi Auguste Chevalier op.cit~ et
Hubert Fr~chou, op.cit~.
-
68 -
Devant la pénurie permanente de main-dBoeuvre,
l'Ad-
ministration coloniale a eu recours aux méthodes de travail
f~cé pour amorcer une mise en valeur coloniale de la CBte
d'Ivoire.
Dans Sa stratégie de développement des grandes cul-
tures d'exportation en Afrique tropicale en général et en Cate
d'Ivoire en particulier,
l'Administration coloniale française
était consciente des difficultés presqu'insurmontables qu'elle
allait rencontrer dans le domaine de la main-d'oeuvre. L'ex-
périence libérienne avait montré que Firestone n'avait pu
trou~
ver quBun dixième seulement de la main-d'oeuvre qu'elle envi-
sageait recruter au départ. Plus près de la C6te d'Ivoire,
l'expérience ghanéenne avait conduit non seulement à l~échec
des grandes plantations européennes mais aussi et surtout à
un contr81e général des cultures du
cacao par les populations
autochtones. Le
m~me phénomène ne risquait-il pas de se pro-
duire en CBte d'Ivoire? Pour conjurer cet état de chose,
l'Ad-
ministration française en CBte d'Ivoire avait suivi un plan
dDoccupation approprié des régions productrices du
café,
du
cacao et de la banane en fonction deS régions. Mais convaincue
que cette stratégie ne suffirait pas à lui procurer la main-
d'oeuvre nécessaire aux cultures d'exportation,
elle ét~blit
aussi un
plan précis de recrutement dès
1925,
plan qui comme
nous allons le voir devait conduire inévitablement au système
du travail forcé21.
Ces méthodes draconiennes de recrutement de
li Les questions concernant les problèmes de la main-d'oeuvre
en CBte d'Ivoire ont fait l'objet de nombreux articles
dont ceux des auteurs suivants auxquels nous nous référerons
souvent:
Roger Dubled,
les cafés de la
CBte d'Ivoire doi-
vent @tre soutenus
(1949). Hubert Fréchou op.déjà cité.
-
69 -
main-d'oeuvre semblaient inhérentes au système de grandes
plantations coloniales dont le caractère progressif n'échap-
pait nullement aux théoriciens du développement des cultures
"tropicales" en Afrique. Mais Auguste Chevalier,
tout en van-
tant les mérites du
système Indo-Malaisie de grandes planta-
tions, reconnatt en m~me temps que ce système serait inappli-
cable dans les pays dépeuplés où la main-d Do8uvre fait défaut,
en l'occurrence en Afrique tropicale et plus particulièrement
en CBte d'Ivoire21.
Ici en effet,
pour faire face à la pénurie
de main-daoeuvre,
les colons européens ont démandé et obtenu
de l'Administration du
territoire des concessions de terres
dans des zones appropriées de telle sorte que de
1925 à la
fin de la 2ème guerre mondiale,
ils installèrent leurs planta-
tions dans des régions à population moins dense pour éviter
certains conflits avec les autochtones. Mais ils évitèrent
en m~me temps des régdons très dépeuplées à cause précisement
de leurs besoins de main-d'oeuvre.
C'est ce qui explique
l'installation des plantations européennes sur la cBte autour
d'Abidjan,
de Grand-Bassam et de Sassandra,
tandis qu'il nay
avait presque pas de plantations dans la région de Tabou semi-
désertique. Les colons ne réUSsirent pas non plus à s'implan-
ter dans le pays Agni qui,
bien organisé, opposa une grande
résistance à la dépossession et à l'achat des terres apparte-
nant aux indig~nes. Par contre, à l'intérieur du
pays. on
assista à un développement de la caféiculture européenne et
m~me africaine. Les plantations se développèrent au Nord
d'Abidjan,
le long du
chemin de fer Abidjan-Niger passant par
Agboville,
Dimbokro etc. Il en fut de m~me pour lU a x e routier
traversant les villes de Divo,
Gagnoa et continuant
jusqu'à
la ville de Man (à l'Ouest).
jl Ll a uteur insiste sur cette question dans un livre déjà cité:
l'Agriculture coloniale,
que sais-je?
-
70 -
Un tel développement de grandes plantations de café
et cacao n 1a été possible,
en partie,
quUavec IDétablissement
des méthodes de recrutement obligatoires dès
1925 où "il a fallu
promulguer une réglémentation destinées à organiser le régime
.du travail et à répartir les travaillers entre les corvées ad~
ministratives gratuites et les travaux payés par les Chefs d'en-
treprises privées uv21.
BI be_I~~ll_!E!:E~~ En vertu de ces réglements, l'Ad-
ministration va user de nombreux moyens de contrainte en milieu
africain pour fournir de la main-d'oeuvre bon marché,
sinon
gratuite aux planteurs européens. Malgré cela,
dès
1930,
la pé-
nurie de main-d'oeuvre commence à sévir dans les régions de
grandes plantations. Elle est dUautant plus ressentie que la
baisse des cours du
cacao,
commencée en
1929 devint catastrophi-
que en
1931 et se prolongera jusqulà la veille de la guerre de
2/.
1939-45-.
De plus,
la mobilisation obligeant certains Européens
à rentrer en Métropole,
les incertitudes des débouchés et sur-
tout le coOt élevé de la main-d'oeuvre d'ailleurs introuvable~
conduisirent de nombreux Européens à abandonner leurs planta-
tions. Pour sauver une partie de ces plantations~/, lUAdminis-
tration coloniale utilisa la
"manière forte",
clest-à-dire une
sorte de conscription obligatoire et généralisée des populations
africaines. Ainsi,
à leurs dépens et malgré eux,
bien des Afri-
cains ont appris à cultiver du café et du
cacao.
En outre,
"le
gouvernement Angoulvant notamment,
a fait distribuer des plants
et obliger les villageois,
sous peine d'amendes à faire des plan-
tations pour l'Administration. Ainsi,
sont apparus dans certaines
régions "les champs du Commandant" symboles pour lUindigène,des
fantaisies de l'Administration"~/.
--------------------------~------------------------------------
II Hubert Fréchou, op.cité.p ..71
gl Hubert Fréchou, op.cité [P.71).
dl H.Fréchou, ibidem (p.50); l'auteur pr-e c a s e que Les récoltes,
d'ailleurs incomplètes,
furent rachetées par l'Etat.
Et mal-
gré les avances Sans intér~ts faites auX Européens par l'Etat,
nombre d'entre eux déclarèrent faillite.
~I Assouan (V), Le café en CBte dllvoire, mémoire de llécole
pratique des Hautes Etudes,
Paris,
1967,
pp.42 et suivantes.
-
71 -
L'opposition des
paysans au travail forcé
prenait des
multiples formes
:
la migration des
jeunes vers
les v~lles de
CBte d'Ivoire ou
du
Ghana,
la désertion des villages devant
lVarrivée des hommes
du
Commandant.
Parfois~ on arrosait d'eau
bouillante les
jeunes plants de
cacaoyer obligatoirement dis-
tribués aux villageois
pour dire au
Commandant que la terre ne
convenait pas à
cette
cUlture~/e Vu les conséquences catastro-
phiques de tous ordres du travail forcé
pour les
paysans ivoi-
riens,
une révolte généralisée éclata dans
le
pays vers
1944;
une véritable révolte politique animée par le syndicat des
plan-
teurs africains ayant à leur tête celui qui devait devenir le
Président de
la
République de
CBte d'Ivoire
~ Félix Houphouet-
Boigny.
Les
conséquences de cette révolte
populaire contre la
colonisation et le travail forcé
en
particulier furent
catas-
trophiques
pour les grandes
plantations européennes.
Car lU a p_
plication effective du
décret de suppression du
travail forcé~1
amena les travailleurs
à
quitter massivement les
plantations
européennes.
~es effectifs restant dans les plantations étaient
de 8 à
10 ~ du minimum nécessaire à leur entretien. Même avec
des
promesses de meilleurs salaires et de meilleures conditions
de travail,
la pénurie de main-d'oeuvre obligea de nombreux co-
lons à arracher des hectares
de
café.
Et l'on sait qu'en
1949,
i l
y eut en CBte d'Ivoire
plus de
8 000 T. de cacao non récolté sur
38 000 T. de commercialisées et ceci par manque de main-dvoeuvr8~/.
1/ J. Anoma, comment nous sommes devenus planteurs à l'égal des
Blancs,
in France Outre-Mer,no301 décembre
1954,
pp.50 et
suivantes.
El Décret d'Avril 1946 qui faisait suite à la conférence de
Brazzaville de
1944,
où le Général de Gaulle promettait une
large autonomie aux colonies françaises
d'Afrique.
En réalité la suppression du
travail forcé
en
CBte dUIvoire
a
été essentiellement due à
la lutte résolue des
populations
contre un système dont le caractère inique et humilian~
n'échappait à
personne,
pas même
aux apologistes de
la colo-
nisation.
~I Voir Roger Dubled, les cafés de la CÔte dVlvoire doivent être
soutenus,
op.cité et l'article du
Président du
Conseil d'Ad-
ministration de lSUnion des Planteurs de Gagnoa(C.I.)
(Marchés
coloniaux du Monde
1947)
pp.566 et suivantes.
=
72 =
Cette désaffection des travailleurs indig~nes vis-à-
vis des plantations Européennes fut du reste renforcée par la
nécessité pour
à leurs cultures vivri~res,
éventuellement
des
cultur8~ ~af~i~r8s et cacao-
yères.
En fait,
le développement des cultures industrielles en
milieu africain aggrava
la pénurie de main-d'oeuvre dans l'éco-
nomie ivoirienne aussi
bien dans 185 régions urbaines comme
Abidjan et sa banlieue que dans les zones agricoles de la
Basse
C8te d'Ivoire. Il fallait donc satisfaire la demande de main-
d'oeuvre,
dDabord au niveau des villes
(1),
ensuite au niveau
des plantations européennes et à celui des plantations afri-
caines,
sans oublier les
travaux dUinfrastruclure que les Afri~
cains devaient accomplir gr§ce à ce qu'on appelait alors
l'les
prestations gratuites'!,
mais obligatoires.
En réalité,
Raymond
Deniel insiste sur Ille dilemme auquel ont è faire face
les
autorités administratives dès lors quUelles cherchent à satis-
faire non seulement leurs propres besoins de main-d uoeuvre 1mais
aussi ceux des colons l'
(2).
OVest donc essentiellement pour
résoudre ce dilemme que l'Administration française
procéda en
1932 au démantèlement de la Haut a-Vo I ta,
(H. te
"r-é s ervo t r- De
main-duoeuvre",
dont "le l'lard-Ouest est rattaché au Soudan,
IDEst au Niger,
tandis que l'empire Mossi de OUAGADOUGOU et le
Sud deviennent la Haute CBte d'Ivoire. Disparition moins due à
la non-viabilité économique du territoire quUà Sa
qualité de
r:~~~!:~21r:_~~~~1I!=~~~~~~!:~"(3).
(1)
Nous reviendrons plus loins sur les problèmes de lU e mploi
dans les zones urbaines de la CBte d'Ivoire,
problèmes
d'autant plus complexes qu'un sous-emploi de plus en plus
croissant chez les autochtones niempgche pas l'immigration
importante et l!emploi d'Africains venus des pays voisins,
la République de Guinée,
le Mali et 5urtout la Haute Volta.
(2) Raymond DENIEL:
De la Savane à la ville. Essai sur la mi-
gration des MosSi vers Abidjan et Sa région,
Paris Auhier-
Montaigne,
1968,
223 Po;
p.49
(3) Raymond DENIEL:
De la Savane à la ville. opoGit~, p.52,
soulign~ par lUauteur qui par ailleurs,
précise que la Haute~
Volta,
créée en Mars
1919, fut démantelée en
1932,
puis
reconstituée le 4 8ep~8mbre
1947 0
-
73 -
Ce n'est donc pas par hasard que la date de la
dissolution de l'entit~ voltarque coincida avec le départ de
l'expansion rapide des
cultres spéculatives en
CBte d'Ivoire
et auxquelles,
à
partir de
1932,
vont s'adonner massivement
le8 autochtones de la Basse Cete d'Ivoire o Par conséquent, si
la stratégie de l'administration coloniale consistait surtout
à satisfaire à la fois Sa propre demande de main-d'oeure et
celle des colons européens elle ne tarda pas à se rendre compte
que cette stratégie était fondamental.ement remise en cause,
en-
., :,,'.~" ..
tre
1933 et
1939 par .l'attitude rlo.;::'migrnntquvoltetlQ'J8sqüi
préféraient aller travailler au Ghana ou en'Côte d'Ivoire,
et
ceci sur les plantations africaines. Ils trouvaient là des
conditions de travail et de rémunération moins déplorables et
plus souples que dans les
plantations européennes et sur les
exploitations publiques o Ces dernières connaissaient des pénu-
ries de plus en plus prononcées,
HIes réquisitions de main-
d'oeuvre voltarque vont en effet se multiplier,
pour le plus
grand
profit du railway et des colons de Basse C8te d'Ivoire.
Mais l'opération va se réveler moins rentable qu'on l'espérait,
puisque,
à
partir de
1937 une importante correspondance va être
échangée entre diverses autorités administratives,
qui concerne
les mesures à
prendre en vue de détourner les Mossi de la Gold-
Coast,
le futur Ghana,
et les attirer vers la CBte d'Ivoire"(1).
Et puisque les dites pénuries devaient être portées à leur
paroxysme par la suppression,
vers
1946,
du travail forcé,
sous
l'impulsion du Président Félix Houphouet Boigny,
l'Administra-
tion aida,
en
1950,
les Syndicats d'employeurs européens,
à
organiser le SoI.A.M.D.
"Syndicat Interprofessionnel pour
l'acheminement de la main-d'oeuvre"
voltafqe vers les planta-
tions européennes.
(1)
Raymond DENI EL : De la Savane à la ville ••• ,
op. cit o
PP. 52-53.
=
'7t.j
~
Cependant,
melgré
IDétablis58ment
en
Haute-Volta
des
centres
de recrutsment
à
Ouagadougou st
à
Bobo-Oioulasso~
puis
le transport gratuit
(par subvention de
lDAdministration)
des
travailleurs
Mossi
jusquD~n CBte d Dlvoirs
la
8IAMD ne
9
put recruter
que
39 000 hommes 8n
1962 et 20 000 hommes sn
moyenne
par an
de
1953 à
1959
Ce qui,
bien
entenduf
était
0
tr~s insuffisant compte te~u des besoins massifs des planta-
tions
européennes
et africaines
de
main
dioeuvre
(1). M@me si,
comme
nous,
l De vorre
admis
plus
h su t Il
18'::,
p Ls n t.eur-s africains
reçevaient
plus
de
travailleurs
immigrés
que
leurs
homologues
européens,
i l serait erroné
de
croi.re
quDils =
183
planteurs
africains -
pouvaient toujDurs faire
face
à
leurs besoins de
main
dDoeuvre dont
le3 rémunérations
ne
cessaient dUaugmenter.
L~on verra cependant, dans la section qui va suivre~ quien dé-
pit de
multiples
difficultés
qu'ils
nDont
cessé
de rencontrer,
les
planteurs autochtones réussiront
presque
à
monopoliser
la
production de
café
et de
cacao
en CBte dilvoire. CUest se
quasi-monopole
des
deux
plus grandes
cultures
industr~elles
du
pays
par
les
petits
planteurs r par rapports auX Grands
planteurs
cap Lt.a Lf.e t.ee
que nous e p p e L'Le r-crt s
"po pu Lar-Ls a t d o n "
des
cultures
industrielles.
Section IV
f~E~1~!:i~~!22!!_~~~_::2~1.h~E,~~_1!l~~§
t r i~ll~~_~!:
!'~.ELE~E!E,_E,~Dflisi!:!~1~_~,~.e12l~!~~!r!.E12l é.5_~!2
milieu africain
Nous
~avon5r par tout ce qi;l
orécède
que
l~objectif
des
colons
8UrGDé~G5, aidés 8n cela par IDadministration
était de
contrBler la
plus grande
partie
de
IDagriculture
(1)
Raymond
Danie]
~ De ]a Savane à la villB p Op. ct.
PP D59 à 61
-
75 -
d'exportation ivoirienne. Ce
qui était logique vu
cs ~ui sUest
passé dans d 8autres régions du monde
(Ceylan Libéria,
Kenya,
etc). Mais cette stratégiB de grandes
plantations capitalistes
avait peu de chance de réussir en
CBte ri 8 Ev o Lr-e
(comme au
Ghana),
pour des raisons tenant è
la fois
non seulement aux
traits caractéristiques du
capitalisme français,
mais aussi
à ceux des
paysans ivoiriens. Si
c8s der~iers réussirent par
contre à monopoliser la
presque totalité de la production
caféière et cacaoyère en intervenant massivement et sn multi-
pliant dans tout le sud du
pays les
petites plantation~'popula-
ri~ati':Jn' i 15 ont dOse rendre compte très vite qu'ils de-
vaient faire
appel
à la main d'oeuvre immigrée,
vu
lUinsuf-
fisance
de la main d10euvre familiale.
Par conséquent,
les
conflits employeurs-employés étaient encore inévitables dans
les plantations africaines.
A -
b,~,9,!d~,s i-!!!~~E21i;;:!:!i 0 12_,E.~,!:_1~~_~~~!~~
d ~,~2~~~_.e,1~~_~~[lE!~~_~~1!!d~~_i!l.9 u s tri e l ~~
s'explique donc par des raisons tenant aussi bien à la demande
internationale des
produits agricoles qu 8 à la nécessité de
survie pour les çaysans ivoiriens.
1) §~!i~f~1~~_1~_~~~~[l2~_~E~i~~~~!~-E~1~-œét~~Eol~.
Les besoins dB la France en
produits dits tropicaux
(café et
cacao par exemple)
n'ont cessé de siaccro!tre en effet depuis
le début de
la deuxi~me guerre mondiale. Or,
en
d~pit des
efforts soutenus
pour les aider,
la
production des~yrppé8ns
en café et cacao était loin de satisfaire la demande métropo-
litaine.
Il fallut donc
"encourager"
la production àfricaine(1).
oûi: r {3' 1 a ri é C t'J5 S i t é der é p 0 n d r e à la rj e ma ri d e in ter na t ion a le, i 1
11 ....
--~--------------------~----------~~---~-~--~---------
---------
(1)
Voir Supra,
Chapitre II,
Section II,
B : L'importance de
la produption ivoirienne dans
les importations françaises
de café, •••
-
76 -
fallut aussi obliger les autochtones à rentrer dans la produc-
tion des cultures industrielles pour que leur économie de
subsistance puisse créer et éventuellement satisfaire les be-
soins d'une économie monétaire. Par ailleurs,
la France ne
pouvant se permettre d'importer du
café d'Amérique Latine
à cause de la pénurie de devises,
elle avait tout au long
de cette première période
(1930-1950],
tenté désespérément
de rendre les colons ma~tres de l'agriculture d'exportation
ivoirienne. Mais les moyens mis en oeuvre par le capitalisme
français étaient infiniment moindres 8u égard à ceux utilisés
par exemples,
à
Ceylan, au Kenya ou au Libéria par le capita-
lisme britannique ou américain. D'un autre cBté,
les change-
ments constants des cours du café et du
cacaO emp@chèrent les
grandes sociétés et les colons isolés à faire
les investisse-
ments massifs que la M~tropole et l'Administration coloniale
ne pouvaient leur avancer. Le résultat de l'opération fut le
renversement de la situation en faveur des paYSans ivoiriens
qui surent tirer profit de leur séjour forcé,
le travail
forcé s'entend sur les pla~tations européennes.
2) .E2!:!.!:_~~_~!:!.!:~i~~_1~_E~l~~.!2_~~~2!l.!:!~_~':'~~2.!:!;L~1~
E!:!1!!:!.!:~_~~_~!:!~~i~l~.!2E~qui lui était nécessaire et opposa
une résistance multiforme à l'occupation de ses terres à son
embrigadement forcé
pour des salaires de misère dans les
plantations dont la production ne l'intéressait que margina-
,
lement (1). Ainsi,
jusqu'à la fin de la première guerre
(1)
J. ANDMA écrit qu'en
plus du caractère dérisoire des prix
du
café et du
cacao,
"La moditité de la production et
surtout l'idée que le cacaoyer ne produisait quOau bout
de 3 ans en faisaient
pour nOLI::?
une culture sans intér@t":
Cf.
J. ANDMA,
Comment nous sommes devenus des
planteurs à
l'égal des Blancs,
in France Outre-Mer,
n0301,
op.cit.
déc.
1954;
p.50
Voir aussi,
Raymond DENIEL,
De la Savane à la Ville,
op.
cit.,
p.4.5
-
77 -
mondiale,
les régions rlu Sud-Est de la
cBts dUlvoire connu-
rent un intense exode dss
jeunes vers les villes,
et sur-
tout,
vers lB Gold
Coast ce diautant plus quUil y eut Goin-
cidence entre la chute des cours du caoutchouc alors source
de revenus monétaires pour les habitants et conscription
militaire.
Roberto 8tavenhagen dira précisément que
'I e e s
facteurs
entrainèrent lUémigration des
populations vers la
Gold
Coast,
émigraticn
qui atteignit dss proportions consi-
d~rables lorsque le recrutement militaire se fit sentir en
pays Agni dans
les ann é e s
19'1c=;-'1917""
(n. Par con5éq'Jent,
E":'~~!_-E2l!!:_E.2,!!~~E~~r:_§~_.!~!!:~_~.:E_.1~_1i,g~!!:~_~~_1~_E:~1!.!~~!:
.9~~_.1~_E~z~~.!:!_i~g!,r:i~L:!,_~,~~12~~1l~~_f.1!J,~1~œ~!J,!_.s!~Œ,~1~_Er:2~
!i2[L.3o!:L,!2~E~.E,_~.t_.!1~_E~f~_fl2~r:_§2!LE!EBr:~_E~!I!E.t~
0
Na tu r elle ~
ment i l fut
encouragé en
celai
dUabord
par la demande crois-
sante avec des
prix relativement rémunérateurs au niveau
internationa1
ensuite par la nature même
de
l'économie co~
9
laniale qui lui permettait d'obtenir des
produits manufac-
turés d'Europe Gontre 18 café et le cacao. On comprend donc
maintenant nnur quo L de
".s.:~l.i~r~~_E~~E.eE~§~.t~,.!:!", le café et
le cac a 0
son t
ci8 V 8 n U :3 d 8 S
" E~l.!::~!~~_E.9.E!!.1~i!~,ê,"
en
etH e
di Ivoire.
Jo
ANOMA Bcrit en
'1954 que,
"poussé par les
hauts
cours de ces derni~res années,
le
paysan africain fournit
les 90 ~ de la production totale du Territoire"
(2). Face à
cette détermination des Africains,
i l ~e restait plus aux
colons européens
qu'è/~~plier massivement sur les cultures
des bananes et des ananas. les
cultures du
café et du
cacao
devenaient définitivement 18 monopole des Africains dont la
production ne cessera dUaugmenter Gomme lŒ e n témoigne le
tableau suivant
:
-------------,-,------~--,-'--------~_.-'--,-'-'....,--'-----------,-- ---------
(1) Roberto STAVENHAC:UI] ~ Les c Le as e s 30ciale5 dans Les
Sociétés agraires,
Paris,
Ed. Anthrop05,
1968 p
PP.
197-
19B.
(2)
Jo
ANOMA
~ Comment nCJu~ somme:': devenus planteurs à
lUégal des Blancs. in
France Outre-Mer,
op.cit. déc.
1954,
P.
51.
-
78 -
Production africaine et européenne de café et de
c~cao en CBte d'Ivoire. (En tonnes métriques)
- - - - - - . . - , - - - - - - -
. -
__
-'J~_~_<._>
_ v
_
Produits
(T)
Café
cacao
-------------------------------------------------------------._----
Producteurs
Africains
Européens
Africains
Européens
---------------------~-----------.---,--._...,----------
1942
24 700
11 500
44 600
2 750
1947
41 000
6 000
28 000
1 800
1952
49 000
3 700
59 900
2 100
SOURCE
Hubert FRECHOU,
les Plantations européènnes en
Cete d'Ivoire,
op.
cit.,
p.75
Ce tableau montre effectivement que depuis la deu-
xième guerre mondiale,
l'importance des productions africaines
dans la production et la commercialisation des deux principales
cultures d'exportation de la Cete d'Ivoire n'a cessé de s'af-
firmer et,
avec elles,
des soucis -
pour les planteurs euro-
péens et africains -
d'obtenir une main-d'oeuvre bon marché et
des cours mondiaux plus rémunérateurs. Devenus planteurs à
leur tour,
certains autochtones de la zone forestière ne pour-
ront éviter des conflits avec leurs employés soit membres de
leurs familles,
soit venus de Haute-Volta.
B -
b~_r~2!!~_~~E12l~~~=~~El~~~~~_~~
El~~~~!i2~~~f~ai~~
Ces rapnorts vont se situer généralement d'une part
au niveau de lrp~ploitation agricole et,
d'autre part à celui
d'une exploitation de cultures d'exportation mettant directe-
ment face à face
employeurs autochtones et employés immigrés.
Cependant,
on ne peut pas dire que l'exploitation des cultures
79
spéculatives au niveau familial et celle organisée au niveau
capitaliste sont irrémédiablement distinctes puisque la pre-
mière tend à la longue vers la seconde. De même,
dans les deux
cas,
les rapports entre employeurs et employés sont non seule-
ment conflictuels,
mais aussi,
ils tendent à aggraver les stra-
tifications sociales que nous avons par ailleurs mentionnées
plus haut
(1) et que nous allons maintenant eXami~8r dans
l'économie de plantation.
1) Les Plantations familiales
---------~----------------
Comme nous le savons,
l'entrée des Africains dans
l'agriculture d'exportation qui a commencé par la contrainte
est devenue massive vers
1930 lorsque ces Africains se sont
sentis motivés économiquement. D'un autre cBté,
le phénomène
fut favorisé par l'existence de terres vierges d'une part,
et
de main dVoeuvre familiale d'autre part. Néanmoins,
le caractè-
re familial de la main d'oeuvre a
limité les dimensions des
p19ntations. Il s'agira donc de petites exploitations de quëf-
ques hectares dont certaines s'agrandiront par la suite avec
l'utilisation de la· main d'oeuvre immigrée. Comme l'écrit
ADINON Jacques
"La famille a été à l'origine,
le groupement
élementaire du
travail des plantations. Des exploitations d'une
importance relativement grande
(60~), sont dans la plupart des
cas dirigées par un seul ménage,
et 25 ~ par deux ménages. Les
au~,§:i$ ~'fèxploitations sont tenues par des familles ;,au sens
".,'iI'
large du
terme,
plus particulièrement dans les régions
Nord-Est
de la zone caféière"
(2). Autrement dit,
dans ces régions,
tant
(1)
CF. Supra,
1ère Partie,
Chapitre l ,
Section II,
Paragra-
phes A et surtout B :
"Surplus économique et hiérarchisa-
tion chez les Akan".
(2) Jacques ADINON :
Place du
café dans l'économie de la cBte
d'Ivoire,
op.cit.,
p.28
-
80 -
que les membres n'ont ~t~ utilis~s que d~ns la mise en valeur
des cultures vivrières pour la survie de tous,
i l existait une
coh~sion de la communaut~ aussi bien dans la production que
dans la consommation. Bien sQr
cette coh~sion qui ~tait solide
J
chez les S~noufos de la Savane du
Nord à KORHOGO n'~tait
que
toute relative chez les Agnis du Sud-Est. Ici en>;~ffet, l' ~tu
de du surplus que nous avons d~jà faite -
voir Supra,
Chap. II;
Section II,
Paragraphe B -
nous a permis de constater qu'une
partie substantielle de ce surplus ~tait absorb~e par les pri-
vil~gi~s de la Soci~t~ (Roi et Chefs de village, de quartier DU
)
de famille). Dès lors,
les stratifications socio-~conomiques
qui existaient dans l'~conomie de subsistance Agni n'ont fait
que favoriser celles de l'~conomie mon~taire. Ainsi, selon
Ga'~riel Rougerie, "à l'aube du 20ème siècle, l '~conomie de plan-
tation est pr@te à ~clore dans le monde Agni ••• ces hommes sont
d~jà des pr~-planteurs"(1).
Lorsque ces "pr~-planteurs" vont devenir planteurs,
les rapports entre eux
(Chefs de village,de quartier DU de
famille) et leurs employ~s (ici les membres de la communaut~),
vont se modifier profond~ment : en premier lieu,
les membres
qui dans l'~conomie de subsistance, travaillaient à la produc-
tion vivrière savaient bien qu'ils travaillaient aussi pour
eux-m@mes puisque la plus grande partie des produits vivriers
servait à la consommation de tous. En second lieu,
les privil~-
·I{rr;,'r;''''';'i.;_r_
gi~s, se r-é f ér-arrt à leur age, des fonctions particulières 'iI~,,",
qu'ils exerçaient pour la communaut~ (administration,
justice,
etc). pouvaient s'approprier une partie du surplus agricole
collectivement produit non "seulement à cause de leurs pouvoirs
--------------------------------------------------------
(1) G. ROUGERIE:
Les pays agni du Sud-Est de la C6te d'Ivoire
forestière,
Etudes Eburn~ennes, VI,
Abidjan,
195?,
p.92.
-
81 -
traditionnels", mais parce que,
le surplus n'était pas moné-
tarisé ou relativement très peu. En troisième lieu, -
et c'est
peut-@tre le plus important -
les problèmes vont se poser au-
trement avec l~économie de plantation dont les produits, non-
consommés localement ,
seront vendus. La monnaie ainsi obtenue
permet non seulement d'obtenir des prod~itsvivriers sans les
cultiver, grace à la traite des produits manufacturés dont
chacun sentait de plus en plus le besoin. L'appropriation
totale ou m@'me parti 711e du surplus monétarisé par des "chefs"
qui n'ont pas effectivement contr~bué à la production prenait
aux yeux des travailleurs de la famille un caractère d'exploi-
tation. Citons ici Roberto Stavenhagen qui écrit :"Dès lors,
l'unité du lignage comma cellule d~R~g~uction et de consomma-
, ' , '
,',,',,":' :.':i;'f;ii""" ':.
tion est brisée. Les jeunesl~;" L1p,SrJ::;;9;l.:V$;nj;. qu'avec une plantation
•
.; •• '''-
, ' ,
. - , '
',.N :·~)'~·..:è\\;"
'
de café ou de cacao ils peuvent obtenir des revenuS monétaires
en propre,
les dépenses à leur gré,: et se soustraire ainsi à
l'autorité des a~nés. Etant donné la facilité avec laquelle
un membre du village peut acquérir des droits d'usufruit sur
la terre,
i l se passe le fait
que,
désormais, les
jeunes
établissent leurs propres plantations et se rendent indépen-
dants ainsi de l'organisation rigide du lignage"
(1).
Donc,
l'intioduction des cultures industrielles
dans la société agni a eu pour conséquences:
1°) l'éclatement
des structures socio-économiques traditionnelles qui se stra-
tifient davantage et, selon Roberto Stavenl1agen,
"les rela-
t·
tions de production au sein du lignage rev~tent le caractère
de rapports de classes,j
(p.203);
2°) la stagnation et m@me
le recul de la production agricole vivrière dont on pourra,
en
------------..----------~----~-------~----......----------~
(1) Roberto STAVENHAGEN : Les classes sociales dans les
Sociétés agraires, op. cit., p.203
partie, se procurer gr8ce aux recettes monétaires en
provenance de la vente des produits spéculatifs;
3 D )
la multi-
plication des plantations avec les besoins de plus en plus ac-
crus de terres et surtout de main dVoeuvre immigrée à défaut
de main-d'oeuvre familiale insuffisante ou m@me inexistante.
2) b~-!~EE2rts_~~Elant~!~~~2E!!~
es et m!:1!:l-
~~~~-~.!~!~~.
Parmi les facteurs qui ont favorisé l'utilisation de
la main d'oeuvre extérieure dans les plantations africaines, on
trouve,
entre autres,
l'existence de terres vierges et la possi-
bilité pour chaque membre de la Société Agni,
y compris pour les
anciens esclaves,
de devenir planteur de quelques hectares de
cacao ou de café. Beaucoup de gens se mirent ainsi à défricher
des terres. Mais devant l'extension des plantations, l'appel à
la main d'oeuvre Mossi de Haute-Volta devint une nécessité pres-
que absolue.
Et,
comme le soutient Jacques ADINON (1) l'embauche
des ouvriers agricoles fut favorisé,
dans un
premier temps,
par
*+
les hauts cours
dont faisaient déjà l'objet les cultures spé-
culatives vers
1930. Mais par la s~ite, les salaires augmentant
et les cours fluctuant,
de nombreux planteurs éprouvèrent des
diffic~ltés pour payer leur main d'oeuvre. D'un autre c6té, la
dislocation rapide des structures socio-économiques traditionel-
les,
en multipliant le nombre des p~anteurs, accéléra aussi
l'appel à cette main d'oeuvre dont le nombre augmenta avec celui
des planteurs et des plantations.
---~----------------------~-------------
(1) Jacques ADINON : Place du café dans l'économie de la
CBte d'Ivoire,
op. cit.,
PP. 28-29
-
83 -
L'extension des plantations europ~ennes et africaines
de
1956 à
1957.
----------------------------------------------------------------------
1956
1957
--------------------------_.--._----------~-------------
-----
Plantations et chantiers europ~ens
nombre d'eQtreprises ••••••••••••••••••
106
83
nombre de travailleurs •••• • • • • • • • • • •• • 12 410
10 351
,
Planteurs africains
nombre de planteurs •••••••••••••••••••
322
588
Nombre de travailleurs recrutés •••••••
8 176
7 079
-----------------....-----....~------------------------------ --------
i
§OU.Bf~ : "CBte d ''Ivoire,
1959",
par Joseph ANOMA,
in Ma r-c h é s
Tropicaux et M~diterranéens du
18/7/1959.
Ce tableau donne une idée de l'extension fulgurante
des cultures industrielles dans la zone forestière et surtout
dans le Sud-Est de la CBte dVlvoire. D'abortd en grande partie
venant travailler pendant quelques mois à la récolte du café
et du
cacao,
les plantations africaines vont commencer à en-
gager des employés travaillant de façon permanente. En 1957-
58, on estimait à 53 ~ le nombre de salariés rémunérés en ar-
gent parmi les 52 000 manoeuvres du premier secteur agricole.
Ce qui indique bien que sur les plantations où travaillent en
permanence des travailleurs immigrés,
le salariat, générale-
ment à la tgche se substitue de plus en plus aux formes an-
térieures de partage familial ou au métayage traditionnel (au
tiers
(1).
('
Cf. Raymond BARSE,
les classes sociales en Afrique Noire,
"Economie et Politique",
Mars
1964,
p.
35.
~ 84 -
Mais ces formes traditionne~~~~ de partage subsistent encore
et il ne s'agit pas de m~t~yage comme le soutient Raymond Barb~
puisque,
comme dans le cas du m~tayage, au lieu de cr~er la
plantation par son travail,
le travailleur vient le plus sou-
vent trouver une plantation en rapport dont i l partitipera à
l'am~lioration et à la r~colte. Il travaillera comme saison-
nier ou,
parfois de façon
permanente. Son statut socio-économi-
que d~pendra de la forme du contrat qui le liera à son emplo~
yeur. Ainsi,
selon le contrat "Abou-san" -
partage au
1/3 -
l'employ~ recevra pour son travail d'entretien de la plantation.
le 1/3 de la r~colte, les 2/3 restant allant au propri~taire.
Si le travail de d~frichement et d'entretien est trop dur~ le
partage se fera moitié-moiti~. D'autres modalit~s de payement
existent. Par exemple,
dans certains cas,
l'employeur reçoit
la moiti~ de sa r~munêration sous forme mon~taire et l'autre
moiti~ par la r§trocession d'une parcelle de terrain qu'il
travaille pour lui-mGmadeux jours par semaine contre cinq
jours, sur la plantation du
propriétaire. Comme l'écrit Jac-
ques ADINON (p.29),
Hceci permet au planteur pour lequel le
fait d'avoir un ouvrier est un
signe extérieur de richesse, de
masquer son faible revenu annuel".
En fait,
pour les planteur~
qui ont plusieurs employés et des plantations importantes, ils
savent que lorsque les prix du
café et du
cacao sont en baisse,
le système de payement de leurs ouvriers en nature
(contrat au
1/3 ou à moitié) est défavorable à ces derniers. En cas de
hausse des prix,
le système est défavorable aux planteurs.
Cependant,
vu le niveau extr@m8ment bas des salaires
agricoles,
les grands planteurs autochtones ont tendance à
rémunérer leurs ouvriers en monnaie d'autant plus qu'en
1965
le salaire minimum agricole se situait aux environs de 20 F
CFA (0,40 FF) de l'heure et l'on ne peut pas dire qu'il a
-
85 -
beaucoup progressé. Par exemple,
Roberto 6tavenhagm(p.218),
in-
dique qu'un travailleur agricole de la zone forestière ivoirien-
ne, assurant en moyenne la récolte de 2 hectares de cultures
industrielles gagne pendant une saison de 4 à 6 mois de travail
un revenu de
10à 15 000 F CFA (300 FF). Bien sar~ il peut bé-
néficier d'une portion de terre où i l fait des cultures vivriè-
res pour assurer sa propre subsistance. Il peut ainsi épargner,
en comprimant ses dépenses,
25 ~ de ses récoltes dont il envoie
le revenu chez lui. Il n'en démeure pas moins vrai qu'il soit
de plus en plus exploité.
En dVautres termes,
les "planteurs
autochtones maintiennent la main d'oeuvre immigrée dans les
conditions de prolétaires,
ne disposant que de leur force de
travail. Ce prolétariat agricole se trouve d'autant plus désarmé
face à ses employeurs que,
même pour se nourrir,
i l ne peut
compter que sur les produits vivriers des exploitations qui
l'occupent"
(1). Bien entendu,
ce "prolétariat" agricole com-
prend de nc!;J1lbreuses catégories de travaille/urs. Il existe des
travailleurs agricoles autochtones à cBté des travailleurs im-
migrés. De plus,
dans les deux cas,
i l éxiste d'une part des
travailleurs saisonniers vu la nature même de l'économie de
traite et,
d'autre part,
des ouvriers agricoles travaillant de
façon permanente sur des plantations aussi bien européennes qu'a-
fricaines et recevant de plus en plus des salaires monétaires.
Malgré la concentration relative de ces travailleurs agricoles
sur des plantations de
10 ou de plus de
10 tlti{BHêi'f(es, l'idée à
'?':~.';<'J"'~~.-:' '
retenir pour l'instant est que le prolétariat agricole ivoirien
ne forme pas une 't'classe" unique et mobilisée. Néanmoins" quel-
.
que soit le niveau où l'on se situe,
les travailleurs agricoles
(1) Raymond BARBE:
Les classes sociales en Afrique Noire op.
cit.,
p.35
=
86 -
se rendent de plus en plus compte de leur situation d'exploi-
tés, face aux planteurs quUils soient européens ou africains.
En ce qui concerne ces propriétaires d~ plantations,
on se souvient que depuis
1930,
les colons européens, on se
souvient que depuis
1930,
les colons européens p soutenus par
l'Administration et bénéficiant d'une priorité presquiabsolue
dans l'utilisation des facteurs de production
(terres p capi-
taux et main d'oeuvre) ont lancé l'économie de plantation en
C6te d'Ivoire à partir du café et du cacao. Par la suite,
l'établissement d'un quasi=monopole sur ces deux produits par
les Africains a obligé les Européens à SB consacrer)
entre
autres,
aux plantations de bananes et d'ananas. Il a donc exis-
té et i l existe toujours des rapports conflictuels entre les
planteurs européens d'une part et les planteurs africains de
l'autre. Ce qui n'emp~che pas les uns et 185 autres de faire
cause commune sur le dos des travailleurs agricoles,
se trou-
vant sur les grandes plantations des dEUX parties. Il serait
néanmoins errons de croire que les planteurs,
surtout les
planteurs africains, forment une "classe" unique que l'on peut
considérer comme telle en CBte d'Ivoire. Stavenhagen en dis-
tingue quatre catégories principales
:
en premier lieu,
les
planteurs à main d'oeuvre familiale utilisant un
salarié et
formant 50 ~ de l'ensemble des planteurs; en second lieu, la
"Bourgeoisie rurale" dont la propension au commerce,
à la
mécanisation et à l'usure est grande;
en troisième lieu,
"la
couche supérieure de planteurs absentéistes"
qui tournant ses
intér~ts vers les villes, occupe une position sociale et éco-
nomique importante et représente un cha!non entre le village
et la ville";
en quatrième lieu,
les
"planteurs étrangers" -
des Africains -
qui se sont établis en pays Agni et forment
- S? -
une catégorie sociale distincte
(1). Comme on le voit,
dans
le secteur agricole d'exportation en CBte d'Ivoire,
i l existe
des catégories sociales aussi bien du cBté des employeurs que
celui des emplsyés. Mais i l ne s'agit pas de catégories socia-
les formées une fois
pour toutes,
puisqu'elles se transfor-
ment au fur et à mesure que la CBte d'Ivoire s'intègre dans
à
l'économie
capitaliste mondiale. Si donqce stade de notre
étude l'on hésite quelque peu à parler de classes sociales
au sens classique du terme,
on peut tout au moins noter que
l'introduction des cultures industrielles dans l'économie de
subsistance ivoirienne ne ceSse d'aggraver des conflits en-
tre d'une part des salariés agricoles prenant de plus en plus
conscience de leur situation d'exploités et,
d'autre part,
des planteurs européens ou africains dont les plus importants
vendent leurs produits agricoles,
accumulent du
capital qu t _
ils réinvestissent partiellement pour dégager de nOUVeaux
profits. En ce sens -
et la suite nous permettra de le con-
firmer
on
peut d'ores et déjà noter que l'économie de plan-
tation tend inexorablement en CBte d'Ivoire vers un
vérita-
ble antagonisme de classes que ne peut masquer sa contribu-
tion fondamentale à la croissance de l'ensemb+e de l'écono-
mie du
pays.
Ce bilan économique et social de l'agriculture
d'exportation ivoirienne
(de
1930 à
1950)
permet de noter
la rapidité avec laquelle la monstarisation avait progressé
dans l'économie du pays pendant la période considérée.
Partant,
la mise en valeur coloniale du pays s'amorçait
---------,-------..,---------_.-.-..-.--_-----
(1) Roberto STAVENHAGEN :
Les classes sociales dans les
sociétés agraires, op. cit.,
p.
234
-
88 -
grBce à la commercialisation des produits d'exportation
suivants :
café,
cacao,
bananes et bois.
TABLEAU
6
---------
Principales exportations de la Cete d'Ivoire
de
1935 à
1950 (en milliers de tonnes métriques)
-------------...-------------------------------------_.
Années
1935
1940
1945
1950
-----------------------------------------......---._---------
Café
5
16
38
54
----~--------------,..-------------------....------------
Cacao
44
26
62
-------------------------~----------------------------
----
Bananes
4,3
6,4
0,02
23
_ _ _-=a
....
_ . - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - _ _
Bois
42
23
10
108
---------~--~~------------------------------------------
Source:
Service das Marchés et Industries Agricoles,
docu-
,..-~-
ment recueilli par la Caisse de Stabilisation des
produits agricoles de Cete d'Ivoire.
Ce tableau montre qu'à part le caCaO qui avait été
la première production d'exportation de la Cete d'Ivoire, tous
les autres produits ont connu une augmentation rapide en volu-
me et ceci à partir de
1935. L'importance des cultures d'ex-
portation dans le lancement de la croissance ivoirienne peut
@tre illustrée par le fait que la part de la Cete d'Ivoire,
en
valeur et pourcentages des exportations de l'A.O.F.,
est pas-
sée de
14,8 ~ en 1925 à 24,6 ~ en 1930 et 1940 pour atteindre
44,5 ~ en 1950 (1).
----------------------------~----------------------------------
(1) Voir Supra,
Chapitre II,
Section III,
Paragraphe B.
-
89 -
Un article de F. Massieye indique les principaux résul-
tats du
commerce extérieur de la CBte d'Ivoire entre
1939 et
1953. Le tonnage total des exportations du pays passe .~n·.. :8ffet
de 278 000 T.
en
1939,
à 516 000 T. en
1950 pour atteindre 616 000
~. ,en 1953. Les recettes correspondantes à ces trois années ont
é~e respectivement de 703, 24 440 et 31 318 millions de F CFA.
QUant aux excédents de la balance commerciale, ils ont atteint
1''''~
rapidement 3 092 millions de F CFA en
1950 et 6 500 millions de
'A en
1953 (1). Par conséquent,
le fait que les recettes ex-
été multipliées par ~~~1 entre 1939 et 1953 indique
l~~~~!~!i~~!~~_~~!rg~~~~!-E~Ei~~de l'économie ivoirienne et
grBce aux produits agricoles d'exportation qui ont compté
95 ~; et 47 ~ pour le café en 1953, 41,3 ~ pour le cacao,
4,8 ~ pour le bois,
1,9 ~ pour les bananes et 5 ~ pour divers
produits
(1). Cowme on le voit,
les cultures spéculatives ont
commencé très tBt à
jouer un rBle prépondérant dans le lancement
de la croissance ivoirienne.
Au niveau de la répartition des revenu~, on ne peut
pas dire que l'accroissement des exportations agricoles de la
période considérée (1930-1950) ait particulièrement profité aux
autochtones et ceci pour plusieurs raisons. D'abord,
jusqu'à la
veille de la guerre de
1939-45, la production de café était
presqu'exclusivement le fait des Européens. M@me si par la suite
la part des Africains dans la production du
café et ,Ju .cc oau
augmenta considérablement,
en volume,
leurs recettes stagnaient
du fait qu'en plus des variations des prix,
les crédits, la com-
mercialisation,
etc, étaient entièrement contrBlés par les Euro-
------------------------------------------------
(1) F. MASSIEYE alors vice-président de la Chambre de Commerce
de la CBte d'Ivoire
~ "Les échanges de la CBte d'Ivoire, un
bon rythme respiratoire",
in France Outre-Mer, n03D1,décembre
1954,
pp.44-45.
-
90 -
péens o Ces .derniers partageaient en outre avec les Africains
la production du cacao.
Enfin,
les
Européens monopolisaient
la production des bananes d'une part et lUexploitation du
bois de l'autre.
En d'autres termes,
malgré l'emprise ultérieure des
Africains sur la production du
café et du
cacao,
on
peut dire
que la plus grande partie des revenus tirés des produits
agricoles d'exportation étaient rapatriée par les colons en
Métropole.
Par contre,
du
point de vue social et humain,
cette
période d'entre deux guerres fut une dure période pour les
paysans ivoiriens
:
conscription obligatoire,
travaux forcés~
salaires de misère et brimades de toutes sortes. Le
tout ag-
gravé par une stagnation des
cultures vivrières. Dans ces
conditions,
la révolte politique de
1945 était inévitable.
Elle allait permettre aux Ivoiriens de participer à
la crois-
sance économique surtout à
partir de
1950.
Et lIon verra que
pendant les vingt années suivantes,
llagriculture d'exporta-
tion sera d'une importance capitale non seulement pour les
Africains,
mais aussi pour l'ensemble de
lUéconomie ivoirienne o
x
x
x
x
..., 91 ...,
MISE EN VALEUR ET CONTRIBUTION
DE L'AGRICULTURE DiEXPORTATION A LA CROISSANCE
(1950 -
1970)
1
t-
1
1
1
1
~~1
1
t1!1
-
92 =
INTRODUCTION
Une économie saus=développée à IVétat de subsistance
ne pouvant se monétariser dans les conditions actuelles des
relations économiques internationales que par l'exportation
de matières premières agricoles ou minières,
nous savons par
le premier titre de notre étude que dans le cas particulier
de l'économie ivoirienne,
ce sont essentiellement les cultures
industrielles
(surtout le café et le cacao) qui sont à la base
de Sa monétarisation.
Néanmoins,
l'accession décisive à la croissance et
surtout le ~2~~i~~_E~~~i~ de cette croissance par l'agricul-
ture d'exportation nécessite
non seulement que la monétarisa-
tian de l'économie se poursuive,
mais aussi la réalisation de
certains impératifs économiques et sociaux dont nous examine-
rons les principaux dans les deux chapitres du titre II,
qui
vont suivre.
1) Organiser l'agriculture industrielle de telle
sorte qu'elle puisse accro1tre et vendre de façon rémunératrice
ses produits par une ~i§~~fr-~~l~~!-~~i~~~ll~ (Chapitre I).
2) Intensifier et diversifier les flux agricoles de
façon que Ces derniers puissent @tre un ~;~~_~~~~! de la crois-
sance en lançant des incitations diverses et vigoureuses aux
activités des autres secteurs qui provisoirement resteront sous
la dépendance du secteur agricole. Autrement dit,. pour jouer
son rBle de base et de moteur de la croissance,
l'agriculture
d'exportation doit accroître
le pouvoir d'achat des produc-
teurs,
procurer à l'Etat des recettes budgétaires et contribuer
au financement de l'économie dans son ensemble
(Chapitre II.)
93 -
MISE
EN
VALEUR DES PRODUITS AGRICOLES DUEXPORTATION
---------~-~----~~-~~-~~--~---~---------~-----------
Pour que les cultures dUexportation occupent la
place pr~pondérante qui est la leur dans les recettes ext~
rieures de la CBte d'Ivoire,
i l a fallu un long processus de
pro~uction, n~cessitant de moyens importants. LOaccroissement
des flux réels et les problèmes que rencontre cet accroisse-
ment seront lOobjet de ce ch~Pitr~.Ils montreront combien la
production et la commercialisation du caf~, du cacao,
des bana-
nes et des ananas p Sans oublier l'exploitation forestière,
ont
pris une importance primordiale dans les activit~s économiques
de la
CBte d'Ivoire.
x
x
x
x
Le
café
Jusqu'à pr~sent, le caf~ reste le premier produit
agricole dUexportation de la Cate d'Ivoire 2/. Et Sa culture
continue de contribuer de façon substantielle à la mon~tarisa
tian de lU~conamie, au d~veloppement des transports et à la
constitution des devises ~trangères~/e
La superficie totale des plantations de caf~ dépend
essentiellement de la conjoncture international des
prix,
et
varie avec ces
prix.
En cas de baisse des prix,
les planteurs
abandonnent certaines portions de leurs
plantations,
qui seront
(1) CF. Su pra, Titre l, cha pi tre II, Sectio n l ~ "Historique
de l'Agriculture dUexportation en CBte dUlvoire".
(2)
Ces problèmes seront examin~s ultérieurement.
94
aussitBt remise en valeur si la conjoncture devient meil-
leure. Dans ces conditions,
les statistiques concernant les
superficies en rapport et les productions correspondantes
doivent ~tre considérées comme des ordres de grandeur,
per-
mettant de mieux comprendre l'évolution de la caféiculture
ivoirienne.
Dans les vingt dernières années y la production de
café vert en CBte d;Ivoire est passée de 45 000 T. en
1950
à
274 000 T. en
1970. Il Y a donc eu un développement pro-
digieux dans la production. Mais ce développement est da
essentiellement à la mise en valeur de nouvelles exploita-
tions comme le montrent les 2 tableaux ci-dessous
~
TABLEAU
7
Superficie et production du café de
1950 à
1960 ~
ensemble des cultures africaines et européennes.
(a) Superficie
(en
1 000 ha) et Production en
(1 000 T.)
----------------------------------_.....----------
.
.
.
Années
Superficies
Productions
:---------~-~---~~--~-------~~-----:-~--------~---~--:
1950
178,6
44,8
1951
206,0
5$,8
1952
187,6
53,1
1953
247,8
68,5
1954
269,7
73,6
1955
303,7
86 y 9
1956
394,3
93,8
1957
394,3
82,1
1958
468,6
110,7
1959
503,0
~
~
_ _ _ _
1960_.
. :
_ v
535,0~1
:
136,021
. -
_
§2~~~: Service de l'Agriculture, Inventaire économique de
la C8te d'Ivoire, 1954-1958 Abidjan,
Ministère des
Finances,
des Affaires E~onomiques et du
Plan -
Se~
vice de la Statistique.
11 Chiffres tirés des "Perspectives décennales" du Ministère
du Plan de CBte d'Ivoire.
-
95 -
(b) -
-._~
_ Plantations
_ _ _ _ _ . - J _ _
en rendements
_
(en milliers dUacre)
1 acre = Op40 ha
----------------------~---~~-~~-~--------~---------~--~
.a
.a
.
------------
0
Campagnes
Plantations
Campagnes
Superficie
Plantations
:----------------~--~----~~-~~-~-~g-~--~---~-------g-~~~------------~
1950-51
506
1959~60
1 334
1951-52
543
1960-61
1 334
1952-53
543
1961-62
1 334
1953-54
546
·
1962-63
1 334
·
1954-55
573
1963-64
1 334
1955-56
729
1964-65
·
1 334
·
·· 1956-57
963
1965-66
1 334
o
· 1957-58
1 136
1966-67
1 310
1958-59
1 205
1967-68
1 300
-------~---------------------------------------------------------~-
Source
Eléments de réflexion pour une politique de commercia-
lisation du café ivoirien,
Paris,
B.E.T.E.F., Document
du
Ministère du
Plan de CBts d'Ivoire.
Ce qui frappe dans le tableau
(a),
cDest que pendant la
période de
1950 à
1960, les superficies sont passées de
178 600 ha
à 535 000 ha tandis que dans le même temps,
les productions pas-
saient de 48 800 T. en
1950 à
136 000 T. en
1960.
Ce qui signifie
que les superficies,
comme les productions ont été multipliées par
trois. Autrement dit,
i l ya correlation régulière entre lVexten-
sion des superficies et l'accroissement de la production. L'en-
semble du phénomène sOexplique par les hauts prix du
café pendant
la décennie
1950-1960
(notamment de
1950 à
1956). On retrouve la
même évolution lorsqu'on considère les campagnes de
production
(2ème tableau b). On note cependant une certaine stabilité des
superficies mises en exploitation bien que les exportations aient
connu un
nouveau dévelop~Bment21.
11 Elles sont passées de 57 ?OO T. en 1950 à 162 400 T. en 1960,
185 600 T. en
1966 pour tomber à
149 000 T. en
1968 (cf.Elé-
ments de Réflexion pour une polItique de commercialisation).
-
96 -
Quant aux rendements,
ils varient selon que les
cultures sont extensives ou intensives.
Ces rendements sont
de l~ordre de 250 kg à 600 kg à lUhectare en cultures ex-
tensives,
de 800 kg à
1 200 kg en cultures intensives et de
400 kg en moyenne21. A titre de comparaison,
les rendements
de l'Amérique Latine sont de lUordre de
2 à 5 T. à l~hectarep
soit 7 à 8 fois
ceux du Robusta de CÔte d~Ivoire~/. Cette
faiblesse des rendements ivoiriens s~expli~ue par les condi-
tions écologiques des régions
(terres,
zones marginales,
pluviométrie etc),
par les conditions climatiques qui vari-
ent suivant les années,
par la vieillesse des plantations
dont les deux tiers datent de
1950. Plus graves encore sont
les méthodes culturales qui restent traditionnelles. Ainsi,
les plantations généralement faites sur brOlis de forêts
sont abandonnées à la merci des herbes.
Elles ne seront dé-
gagées que vers la période de production. Par conséquent
le
7
robusta qui n'entre en
pleine production pour la première
fois
que vers la cinquième année,
souffre des effets du brD-
lis et du manque de soins. Pendant la pleine période de pro-
duction qui dure environ vingt ans,
les soins sont réduits
au minimum c'est-à-dire à un seul ou deux nettoyages par an
au lieu de quatre;
peu ou pas de taille des caféiers et pas
d~engrais. On comprend donc aisément que les résultats en
rendement et production soient relativement décevants~ aussi
bien en culture pure quUen
culture faite
en association avec
les cultures vivrières.
Il n~est que
juste cependant de reconnaître que sous
l~impulsion des autorités ivoiriennes, des progrès incontes-
tables ont été réalisés dans la caféiculture du pays puisque,
1/ Samir AMIN, le développement du capitalisme en CBte
-
d'Ivoire,
première édition,
Paris,
P.
66.
~/ Samir AMIN, Op. cité, p.66
-
97 =
8ntre 6"tres,
la qualité du
Gafé ivoirien sDest considérablement
amé11orée.
La
catégorie supérieure est passée de Op9 ~ en 1954/55
à 93,3 ~ en 1566. Quant à la qualité limite, elle est passée
dans le même
temps de 65 ~ à OpOS ~. Finalement, au moins 95 ~
du café de Cate dUlvoire exporté sont de bonne qualité,
donc
compétitifs sur le marché internationa121. Dans le même
ordre
d'idée,
l'loF.C.e.
(Institut Français du
Café et du
Cacao) a
mis
au point une nouvelle variété de café qui,
combinée avec des
techniques
culturales modernes
permettra de
produire à
lihectare
700 kg à 3 ans p
1 500 kg à 4 ans et 2 000 kg à
5 ans. Néanmoins~
en syst~me traditionnel,
on ne
produirait à
l'hectare que 550 kg
au bout de 4 ans et 700 kg à 5 ans~/. En fait,
cette variété ne
semble intéressante quUen
culture intensive. Dans ces conditions.,
son utilisation qui 38
justifie du
point de vue rentabilité ris-
que de
poser de difficiles
problèmes socio-économiques par la
mise en
ch8mage de nombreux petits
planteurs ivoiriens incapables
de suivre le cours des choses. Pourtant,
les difficultés de la
commercialisation du
café et du
cacao rendent de
plus en
plus
nécessaire lUutilisation des méthodes
intensives et rentables.
Mais pour le café comme
pour le cacao,
i l ne suffit pas seulement
de
produire,
i l faut
pouvoir vendre
à des
prix rémunérateurs
ce qu'on a
produit et faute
de
débouch~s, la Côte dUlvoire -
nous
le verrons ult~rieurem8nt -
a
vu
ses stocks de
café dangéreuse-
ment augmenter au
cours de la derni~re décennie.
Au cours de
Dette dernière décennie en effet,
les
pro~uctions ont ét~ différentes des exportations et pre que tou-
jours,
les premières ont été supérieures aux secondes.
1/ "L'Economie Ivoirienne", Paris, Ediafric, 1970, p. 33
g/ "L'Economie Ivoirienne'", ibidem, p.31
-
98 ~
Production et exportation du caf~ vert en milliers de
Tonnes et en millions de frs
CFA. de(1960 à
1970)2/.
·
·
Années
·
Production
Expur-t.a tri.nn s
:
Valeur
~
(
1000 T.)
( 1 000 T.)
~(millions F CFA~
(a)
(b)
(b)
,
..·
·
·
1960
··
·
185,0
'147,5
18'.. seo
·
1961
·..
1,59,0
·
155,8
·
20
174
·
160,0
·
1962
..
D
·
..·
142,6
18 781
1983
24 472
..
·
249,0
182,0
·
1964
·..
236,0
204,2
·
31 724
1965
1
:
213,0
185,6
25 890
·
1966
·
256,6
181,4
30 233
·
1967
·
··
156,8
149,0
25,423
1968
257,6
214,4
35 861
.
1969
229,3
178,3
30
189
.
1970
274,0
195,3
43, 172
-----------------------~---~------~~-~~~~
__~
'_~
--------~-~-~-
Sources:
(a)
Cate dUlvoire An. V,
Agriculture
(1960-1965);
Bulletin dUAfrique Noire N°610 -
2 5eptemvre
1970
(1965-1970).
(b)
Bulletin d'Afrique Noire n06D9,
22 Juillet
1970
1/ Une étude approfondie des grands produits agricoles dUexpor-
tation couvrant la période
1950-1970 sera faite
plus loin.
99
Au cours du premier accord international sur le café
en
1962,
la CBte dUlvoire,
lésée dans la répartition des quo-
tas,
n'avait été autorisée à vendre sur le marché international
qu'une quantité de 2 324 000 sacs,
soit
139 000 T. Le second
accord de
1968 porta ce quota à 3 073 000 sacs équivalents à
188 000 T2/. Ceci améliore les exportations de la C8te d'Ivoire
mais ne résoud pas la question de J'écoulement du
café ivoirien.
Car les écarts nUant cessé de sUaccentuer entre les productions
et les exportations. Le tableau précédent montre ainsi qu'alors
que les productions de café ont été de 267 692 T.
en
1968 v
229 337 T.
(1969) et 274 000 T. en
1970,
les exportations res-
pectives n ' ont été que 214 444 T. en
1968,
178 ,309 (1969) et
195 309 T. en 1970. Encore faudrait-il noter qu'en plus de ses
quotas officiels la CBte d!Ivoire s'efforce de vendre une par-
tie de son café sur le marché hors-qUota~/. Mais les limites
de ce marché sont vite atteintes et les ventes hors-quotas
sont peu de chose eu égard aux ventes officielles.
TABLEAU 9
-'~.-,~~----,-
Exportations de cafe avec quotas et hors-quotas
(milliers de Tonnes et millions de f
CFA)
_ _ _ _ _ _ _ _.-,
. -
~_.__<D&>_'_ _.
~
. _ >
. -
_
·
.
.
· Désignation
:
1965-66
:
1966-67
1967-68
:
1968-69
:--------------~~--~--:---~~~~--~~~~~~-~--~~-~-~-~~-----~~~-------~~-:
1.
Exp. totales
.
:
Tonnages
177,3
16P.:i, 1
197,9
173,9
·•
Valeur
29 081
28 318
32 852
28 309
· 2. Pays à quotas
·
·.
Tonnage
136,7
149,9
168,5
150,0
·",
·
Valeur
24 865
26 53:3
29 388
25 427
:
3.Pays hors-quotas
Tonnage
:
·
40,6
15,2
29,4
23,9
Valeur
· 4 215
1 783
:3 463
2 882
·
.c
·
-'~:
· 4.Prix moyen
·· en f CFA/Kg
163,9
171,~J
165,9
162,8
·
.
0
0
e
•
Il
iii
101
a
---------~---~~~~~-~~-~--~~~~~--~~----~--~-~~--~~~-~~--~------~-----
Source
Tableau établi d'après des documents de la Caisse
de Stabilisation de CBte d'Ivoire.
1/ LiEconomie Ivoirienne, op.cité p.33
~/ Il s!agit du marché qui n8 fait pas partie de la réglementa-
tion internationale et sur lequel 185 producteurs se font
une vive concurrence pour écouler une partie de leurs stocks.
-
100 -
L'acuité des problèmes de débouchés appara!t beaucoup
, , ,~;l,' ,i'\\
pl~s évidente encore lorsqu'on se tourne du caté des clients
de la CBte d'Ivoire dont plus de 80 io des exportations de café
vert sont écoulés vers le8 pays occidentaux et plus particulière-
ment vers la France et les Etats-Unis.
TABLEAU
10
- ......-."'-'-..-:l.-..->~""""'"
Principaux clients et exportations de café en
1 000 T~
_ _ _ _ _ _ _ _. - _ . - ,_ _ - - ._ _<Z!D_c.-.
- . _ _ .,..;I,_~_._._ _._;)_.
._:>~
. . . . ....._.~._.~,_~'_'
. . . . . . . .
_
•
D
D
0
U
Il
a
a
Désignation
1965
1967
D
1969
:
1971
(a)
Q
:Exportations totales:
185,6
149,0
178,3
184,8
.
.
Q
.
"
:Vers la France
75,4
(-, , 1
·
? 1,3
74,9
·
:io du total des
:
exportations
41,0 ~
45,3 io
40,5 io
40,6 ~
.
,
:Vers les USA
48,4
41,9
50,0
65,3
, ~~
25,5 ~
28,5 io
38,0 io
35,3 ~
:Vers la France + USA:
123,5
110,0
121,3
250,1
:io
66,5
a
_ _
~~
~~
~ ~ ~ _
io.
~ ~ ~ ~ ~
73,80;D:
~ < Z ! D
~ _ ~
68,0 0;0~_ •
~
75,9 io
Q
_ _
Sources
Calculs faits d'après les données de la Banque
Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest
(BCSAO)
N°
166, Octobre
1969.
(a)
"CBte d'Ivoire Jki.12" nt! spécial, 7 AoOt
1972.
-
10 1 -
Finalem8nt~
les deux tiers des exportations ivoi-
riennes de café vert se font vers ces deux pays
g
la France
et les Etats-Unis;
la part de la premièr8~ bien quUen diminu-
tion,
reste encore pr~pondérante. Il y a là lW u n des multi-
ples visages de la dépendance des pays sous-développés de
leur commerce extérieur. Dans le cas actuel de la CÔte dUlvoi-
re,
c'est un vestige incontestable de son passé colonial qui,
en l'occurrence comporte non seulement des
"avantages!!,
mais
au s s i e t
sur t 0 u t
des in con v 8 nie n t s •
Les
lU a van t age s li
son t
que
la France,
en acceptant d'acheter chaque année un contingent
important de café à des prix ~énéralement supérieurs aU cours
mondial,
stabilise les recettes extérieures de la Côte d'Ivoi-
re.
Quant aux inconvénients,
ils viennent dUune part de la
non diversification des clients et d'autre part du
caractère
provisoire et de plus en
plus limite des
"avantagesl! accordés
à
la Cate d'Ivoire par la France
•
Mais ce qui est vrai pour le café l'est aussi pour
le cacao,
deuxième produit agricole dUexportation de la
c~te d'Ivoire, dont nous allons examiner la mise en valeur
en comparaison de celle du café.
x
x
x
x
1/ Avec le système préférenciel de la zone Franc, le cours du
café ivoirien a
été supérieur au
cours mondial durant les
quatre années
1959/1962. Durant cette période en effet,
le
montant du soutien accordé à la CBte d'Ivoire par la France
a
été en moyenne de 4 SbO millions de F CFA par an,
soit
26,6 ~ de la valeur FD 8 des exportations de cEfé ivoirien
en moyenne.
Cf. BOPA,
Etude pour la reconversion des cul-
tures de caféier dans
la République de
CBte dUIvoire
(Tome
II,
Rapport de synthèse,
tome
1). p.
17
-
102 -
Section II
Le cacao
Nous avons déjà noté que,
comme
le 2ème produit
d" exporta tion de la Côt e dl Ivoire,
le ce c ao a eu une mise en
valeur parallèle à celle du café. Du reste,
des villes comme
Dimbokro,
Abengourou et Agboville qui sont des grandes zones
de production cacaoyère,
le sont aussi pour la production du
café21. Et ceci a été exprimé beaucoup plus nettement par Samir
AMIN dans le "développement du
capitalisme en Cate d v Ivoir-e·":S!
où i l fait remarquer que pour la production du café et aussi
celle du cacao,
la zone forestière orientale vient toujours en
t~te avec 38 ~ de la récolte du café et 62 ~ de celle du cacao.
Ensuite c'est la zone forestière occidentale (centre Ouest et
région de Man) qui produit 46 ~ de la production du café et 18~
de celle du cacao. Enfin la Savane Baoulé produit
16 ~ du café
et 20 ~ du cacaO. Ce parallèlisme entre le café et le cacao en
ce qui concerne leur production a une importance capitale ne
serait- ce que dans la répartition des revenus agricoles dans
le pays, revenus qui,
comme
nous le verrons plus loin, sont
concentrés dans les régions forestières productrices de café
et de cacao.
Mais le parallélisme entre café et cacao ne s'arr~te
pas là. Nous avons déjà vu comment la production du café dépen-
dait étroitement de l'extension des surfaces exploitables. Le
même phénomène se retrouve dans le processus de production du
cacao. Le tableau que nous présentons ci-dessous résume bien
les caractéristiques essentielles de la cacao culture ivoirienne.
1/ Voir Supra : "Monétarisation et intér@ts en présence".
Titre I,
Chapitre II).
op.cité PP. 57-58
-
103 -
TABLEAU
11
Rendements et Productions des fèves de cacao
par campagnes de
1geO/61 à
1967/682/
:'--'"---~~-----:--------~07,~'~~~~';~(~,J~:;;~~~~:7~-::a--
----:------....- ....-----";---------- .
Campagnes·
SuperficifJS 'en:',1' 000 ha
• Rendements
c
Production
..•
.
.
,
•
D
:
:--------------------------:
en
:
totale
..
•
Plantées
: en production:
kg/ha
:
1 000 T.
:--~~-~~~----:-------------:-------------:-----~--~---
-·: -------------1
· 1960-61
D
383,4
300,0
312
94,8
·· 1961-62
407,6
322,9
251
D
82,.5
·
·:
1962-63
435,7
340,0
302
103,0
1963-64
467,2
348,0
282
98,2
1964-65
508,6
357,0
413
147,5
0
· 1965-66
536,1
365,0
310
·
113,2
·
1966-67
558,6
370,0
·
404
·
149,6
·
D
·
·
1967-68
567,0
377,2
389
:
141,7
o
0
Il
•
g
•
•
D
....~_........_--------------------------------------------------
Source: L'Economie ivoirienne,
p.36
----
Comme pour la caféiculture,
les traits caractéristi-
ques de la cacaO culture sont:
1°) L'interdépendance étroite entre les augmenta-
tions de la production d'une part et celles des surfaces ex-
ploitées de l'autre;
2°) Des écarts importants entre les superficies plan-
tées et les superficies en production,
les premières étant
toujours supérieures auxsecondes. On peut expliquer ce phénomè-
ne par le vieillissement de certaines plantations et les fluc-
tuations des cours qui ne permettent pas une exploitation maxi-
male des surfaces plantées.
1/ Le café comme le cacao est produit au cours de 2 périodes
appelées "campagnes". Par exemple.
la campagne principale
du cacao qui dure du
début d'octobre à la fin d'avril est
la période où a lieu la plus grande (les 4/5) de la produc-
tion totale. Quant à la campagne secondaire, elle ne dure
que de Mai à Septembre.
-
104 -
3°) les faibles rendements car seule la campagne de
1964-1965 atteint 413 kg/ha entre
1960 et
1968, ce qui est loin
dD@tre satisfaisant.
Le vieillissement de certaines plantations est encore
l'une des causes de cette faiblesse des rendements. Mais plus
que le vieillissement,
les méthodes tradtionnelles de cacao-
culture en sont certainement la cause essentielle. Car
jusqu'à
une date récente,
les plantations étaient généralement faites
avec déforestation après une ou deux années de culture vivrière.
Le cacaoyer est un arbuste eX;Î:gèant qui réclame des. 6tJ13f~p;rofonds.
Il nDentre en production qu'à partir de la cinquième année,
son
plein rendement se situe vers la dixième année et le vieillisse-
ment vers quarante ou cinquante ans. Or, E~~_~~~!~~~~l~_~f~,
le cacao reste essentiellement de caractère familial.
Les plan-
------------------------------------------.-----
.
tations sont de faibles superficies,
2 à
10 ha environ. Les in-
vestissements financiers sont donc peu importants dans la plu-
part des CaS bien que des mesures prises par les autorités aient
considérablement amélioré la qualité du
cacao ivoirien. Depuis
1960,
la S.A.T.M.A.Ç.I(Société d'Assistance Technique pour la
Modernisation Agricole de Cete d'Ivoire) avait entrepris une
lutte anticapside qui n'a pris fin
qu'en
1965;
l'opération a
couvert au total 273 734 ha soit près des
2/3 des superficies
en rapport. La régénération cacaoyère entreprise
depuis
1965
par lets de 35 000 a couvert 210 000 ha,
mobilisant des c~ntai
nes d'encadreurs et des milliers de planteurs. Le résultat est
que le verger cacaoyer ivoirien comporte maintenant une grande}
partie de
jeunes plantations. Une
sélection variétale par hybri-
dation réussie,
mise au point par l'Institut Français du café
et du cacao,
permet de faire
passer les rendements de 400 kg à
2 tonnes/ha en bonne culture. Ce nouveau procédé a été la base
de 93 000 ha de plantations~/.
1/ Pour tous les chiffres indiqués ci-dessus, voir Bulletin
d ~ Afrique Noire n °636,
10 Mars
1971 PP.
12 859 et suivantes.
-
105 -
Donc,
la production cacaoyère n'a cessé de s'amélio-
rer en Cete dVIvoire depuis
1960. Mais comme les fluctuations
des cours ont été importantes
jusquVà maintenant p les écarts
entre la production et les exportations n'ont cessé d'augmen-
ter.
Production et exportation des fèves de cacao
de
1960 à
1969
(en
1 000 T. et millions de frs
CFA)
-~---~.--_-------~-----------------------~
•
0
•
•
•
u
u
'.
Années
Production
:
Exportations
Valeur
(a)
(b)
[b ]
:------~-------:---~----~------:---~-----~~~---:----------~----:
a
.
1960
93,6
62;9
8
1?8
a
.
1961
81, a
88,5
9 800
D
D
.
1962
103,0
10 1, a
a
10 553
1963
97,0
97,7
11 281-
:
a
D
1964
135, a
114,2
14 530
1965
114,9
126,4
10 915
1966
162,9
124,3
13,,144
1967
129,1
105, 1
19,.417
1968
142, 1
121,4
26 349
1969
159,6
118,9
26 741
.'
.
1970
143,2
•
•
D
D
•
D
---------------------------------
de
1960 à
1964,
"Cete d'Ivoire An V,
Agriculture,
op.déjà cité.de
1965 à
1969,
voir B.A.N. n 0610
2 Septembre
1970
B.A.N. n06D9,
22 Juillet
1970.
-
106 -
Ces graves écarts que l'on constate ainsi entre les
productions et les exportations correspondantes ne sont pas
imputables à la qualité du
cacao puisque les productions de
quali té Hlimi te"
interdites à L" exporta tion passèrent de 28.~
de la production totale en
1954/55 à 0,1 ~ en 1959/60. Au cour~
de la m~me période, les productions de qualité courante pas~è~
rent de 68,2 ~ à 20,1 ~, tandis que celles de qualité supérieu-
re évoluèrent de 2,7 ~ à 79,8 ~p toujours pendant la période
de
1954 à
19602/. Or nous avons déjà vu que depuis
1960;
la
qualité s'est encore considérablement améliorée au point que le
cacao ivoirien se place parmi les meilleurs sur le marché mon-
dial.
Malgré tout cela pourtant,
les difficultés de la com~
mercialisation dues essentiellement à lWexcès de l'offre sur la
demande internationale sont devenues la préoccupation permanente
de tous les producteurs de cacao. Le cas du Ghana est un exem-
ple particulièrement inquiétant puisque le cacao est sa princi-
pale production,
occupant plus des 60 ~ des exportations totales
".,
en valeur du
pays. Quant à la C8te d'Ivoire,
les effets désas-
treux des fluctuations de la demande et des prix du cacaO sont
en partie amortis par l'existence d'autres produits agricoles
tels que le café,
les bananes et les ananas. Néanmoins,
nous
verrons par la suite que la diversification de ses exportations
n'empgche pas
la Cete d'Ivoire de subir de peretes importantes
de rev,snus sur les exportations de fèves de cacao. Par consé-
quent,
on comprend que la C8te d'Ivoire cherche activement de$
débouchés supplémentaires pour son cacao,
d'autant plus qu'il
n'existe pas encore d'accord international sur ce produit. En
attendant,
la clientèle de la Cete d'Ivoire pour le cacao n'est
pas très diversifiée.
1/ L'Essor Economique de Cete d'Ivoire, op.cité p.66
-
107 -
On se rappelle,
(voir la section précédente),
que
pour le café,
les deux premiers clients ivoiriens restent la
France et les
Etats~Unis, la France ayant accepté de garantir
un
contingent de café ivoirien sur son Territoire et ceci à des
prix supérieurs aux prix mondiaux.
La m~me situation a existé
pour le cacao. Et le tableau ci-dessous montre bien l'impor-
tance capitale des débouchés français,
américains et hollandais
pour le cacao de Cate d'Ivoire.
Principaux clients de la Cate d~Ivoire
pour les exportations des f~ves de cacao
(en
1 000 T.)
--~~~~~-~---------~~---~---~~-~~~---~~~-~~~~~-----------~
o
CIl
CIl
0
- ' .
Il
a
U
0
0
;l".
Ir
Rangs
1er
2~me
3~me
4~me
Pays
France
g Hollande
gAlle Fédérale:
1962
34,9
34,9
14,0
3, 1
·
·
....
1963
34,0
23,5
16,7
11,5
1964
31,0
19,2
24,3
11,5
1965
36,5
38,2
26,3
17,4
Q
.Q
..
1966
40,9
40,9
23,5
16,0
·
1967
32,7
25,8
24,5
17,7
1968
36,3
22,8
,35, 1
18,2
·
1969
37,6
29, 1
31,8
22,0
_ _
_ _ _ _ _ _
_ _ _ _ _ _ _ _
_ _ _ _ _ _
_ _ _ _
•
_ _ _
_ _ _ _ _
D _ _
_ _ _ _ __
_
_
_
~ ~
~
I!I
~ _ ~ _ ~
0
~ ~ ~
~
•
~ ~ ~ _ ~
D
~
Sources
Reconstitution d'apr~s des documents de la Caisse
de Stabilisation de C8te d'Ivoire
(notre enqu@te).
-
108 -
Ce tableau montre donc une certaine constance des
importations françaises
du
cacao ivoirien,
se situant aUX envi-
rons de 35 000 T. par an. Quant aux importations am~ricainesp
elles sont fluctuantes dUannée en année. Il existe des ann~es
de pointe aD elles d~passent les importations françaises
(1965
et
1966) et des ann~es -
la
plupart du temps ~ où elles sont
inf~rieures aux importations françaises. Les importations hol-
landaises ont ceci de caract~ristique quUelles ont r~guli~re
ment augm8nt~ au point de dépasser les importations américaines
en
1968 et
1969, faisant ainsi de la Hollande le 2~me client
de la CBte dUlvoire. Mieux encore,
en
1971
la Hollande fut le
9
1er client du
pays devant les Etats-Unis
(2ème)
et la France
avec respectivement 34,4~, 17,1 ~ et 14
~ des exportations
94
totales de Cacao C8te dUlvoire~/, ce qui bouleverse totalement
la tradition en ce domaine.
Il reste cependant remarquable que les exportations
du
cacao,
comme celles du caf~, se f6nt principalement vers
les mgmes
pays et qu'il n'y a
pas dUapparition de nouveaux
clients permettant d'espérer un accroissement important de ces
exportations. Un fait exceptionnel est à noter à ce propos;
cUest que lUUnion Sovi~tique a remplacé lUltalie à la 5~me
place en important
15 933 T.
(10,8 ~ des exportations) de cacao
en
1971,
contre 7 449 T (5,1 ~) à lUltalie'l. Le total des
exportations nUa
pour autant pas augmenté parce que les impor-
tations de certains clients,
comme lUltalie,
le Bechouanaland
ont chuté en
1971.
=
109 ~
Section III
b~!!11~_~_::l,~~~E:~oê-~~.E!:~2:-l!rf!~~1~~~~EiE~1~
2~~E:2El~!i~
Il sUagit essentiellement de la banane et des ananas
auxquels
i l faut ajouter lUexploitation forestière.
AI b~Q~,,!2~!!~ ~ Elle re présente le 4ème produit agricole
dDexportation de
la tBte dUlvoire après 18 cafê p le caCaO et
le boiso
Le
pays en est le premier producteur africain mais
le
dixième ou le onzième exportateur mondial,
loin derrière des
pays
comme lUEquateur,
le Honduras
etc.
lUexpansion et IDexportation de
la production bananière
ivoirienne ont été favorisées
par la
disparition de la Guinée
du marché français
après son accession à IDindépendance depuis
le référendum du 28 Septembre
1958 qui laissait le choix auX
Dolonies françaises
dDAfrique de
prendre leur indépendance ou
de rester membre de la communauté française.
Les ravages
du
cyclone aux Antilles p autre ~rand fournisseur de la France ont
aussi encouragé la production bananière ivoirienne surtout de
1983 à
1966 0
La production 8e répartit sur une superficie totale
plantée de
8 500 ha,
en huit zones,
dont 31 ~ du total autour
dUAbidjan;
21 ~ autour dDAzaguié et 19 ~ autour dUAgboville et
de Tiassalé
(1).
Le fait
que le nombre de
producteurs varie de
1 200 à
1500 Belon
l8~ campagnes ne saurait faire
illusion
puisque des
statistiques de
production bananière pour l!annse
1967 indiquent
11 LUEconomie ivoirienne, op.déjà cité P o39 = Voir aussi Samir
AMIN,
le d~veloppement du capitalisme en Cate dUlvoire ainsi
que le Bulletin dUAfrique
Noire n U536 p
10
Mars
1971.
qu!un
seul producteur d~passait 15 000 Ta
tandis
que
110
pro-
ducteurs ne faisaient
que
20 à
50 T et 317 moins de 20 T. seu-
lamenta
Le
plus grand
producteur bananier est la
"Société
d!Etude
et de Développement de
la culture Bananière i i
(S.C.B.)
qui a
récolt~ 21
180 T en
1968 contre
18 100 T. en
1967~
22 367 T a en
1~1f36 et 20 000 T. en 1965~/. En fait, la produc-
tion
bananière reste
largement dominée
par les sociétés et les
planteurs européens.
La
politique de reconversion
des
planta-
tions
tend
à
réduire
les
coOts
de
production et de
concentrer
les bananeraies dans la
zone
lagunaire ainsi
que dans
d!autres
zones
favorables.
Cette
polit~que tend aussi è éliminer les
petits planteurs africains au
profit de3 grandes sociétés ou
de grands
planteurs européens dont
l~ part augmente sans cesse
dans
la
production
nationale.
Par contre,
la
part des
produc-
teurs
ivoiriens nUa
G8ss0 de diminuer en valeur relative de-
puis
1960.
TABLEAU
14
Productions
(totale et ivoirienne)
des
bananes
en milliers
de Tonnes
et millions
de
F. CFA
Productiont.<.:;tale
(Européenne et
~
Production
ivoirienne
:
.
.!-
.
" '_ _
' - ' _ _
_
_ _ ,_ _
..,~'lSlIO'
ioiriennel
' - ' ~ ' - ' - ' - ' _ ' - - >
~ ~ ~ ~ . - z l
~ c _ , ~ _ ~
~_--,,-,,,,,_,--,~_,,,,,,,-,_,,,,,
:
Années
Ré- gPrix en F.
Valeur mjl-=RéginBs
:~ du total~Revenus
gime3
:CFA/I<G a
lions
de fo:
1~OOO T
~
"millions
de bana~
C F A ·
~de f CFA
.
.
ries
erl
•
____2:~~_~:..1
.__~,_~
1
.1
,
.1
.
1,
,
_
1961
~30, ?
21 , f3
1 955
24, 1
27~3 ~
511
1962
119,9
19,5
2 340
31 ~ 9
26~6 ~
623
1963
140,5
21,6
2 979
41,5
29,5 ~
881
1964
114,4
24,0
2 7c16
24~2
21, 1 ~
582
1965
130,7
25~ 1
2 812
29,5
22~5 ~
634
1966
132,5
17,3
2
292
34,7
26, 1 ~
600
.Q
1967
155,4
18,3
2 375
40,6
26, 1 ojo
620
1968
H58, 9
19,9
2 639
38,0
23,9 ojo
631
1969
H32,fi
2Ei,4
3
4.42
41,2
25~3 ~
873
Bource
g
Bulletin d " Af rLqu e
Noire
N«l63C
1'1 Mars
19'11
1/ LHéconomie ivoiri8nne~ Opacité pp.]8-40
-
111 -
3i l'on admet que la production bananière fait
par-
tie de la diversification des
cultures
pour faire face
aux per-
tes de revenus
causées par les fluctuations
des
prix du
café.
et du
cacao,
on devrait se demander si cette tendance
à l ' é l i -
mination des
petits
planteurs ivoiriens dans le secteur bana-
nier n'aboutit pilS finalement
à
leur mise
à
l'écart de l'éco-
nomie monétaire. On leur propose comme solution de rechange
des
cultures qui remplaceraient la banane dans
les zones aD la
reconversion vise à abandonner les plantations familiales ex-
tensives.
Par exemple,
à
la
place de la banane,
les
planteurs
africains
pourraient s'adonner à
la culture du
cacao et du
palmier à
l'huile à Divo,
à
celle du
cacao ,à Tiassalé,
Adzopé,
Agboville ou
palmier et cocotier à Sassandra21.
Une telle diversification est critiquable ne serait-
ce que
pour la substitution du
cacaO à
la banane. Nous savons
en effet que
le marché mondial
du Gacao
n'est pas
prometteur •••
En ce qui concerne
] f'
Cn(portfd~iorls bananlères,; elles Se8'Dnt
l"":'
considérablement développées
puisque C8~ 8xportations qui
étaient de
27 000 T en
1955 ont atteint 72000 T. en
1960 et
125 274 T. en
1962
Cependant,
le fait
que
ces
mgmes exporta-
8
tions n'ont été que
128 321 T en
1975 et seulement
147 347 T
en
1968 pour retomber à
137
128 en
1971 montre bien les diffi-
cultés que la
CBte d'Ivoire rencontre dans
la recherhce de
nouveaux débouchés.
Jusqu'à présent,
les principaux clients ont
été la France avec 70 497 T en
1965;
85 011 T en
1967 et 91
123
T en
1971. L'Italie,
l'Algérie et le Sénégal occupaient res-
pectivement la
2ème,
la 3ème et la 4ème
place en
1967. Mais
en
1971,
l ' I t a l i e ne fait
plus
partie des sept premiers clients
de
la CBte d'Ivoire,
les trois
premiers étant la France 66,4 ~
du total des exportations ivoiriennes de
banane,
le Royau~e Uni
(18,~ ~) et l'Algérie (8,3 ~):/.
li liEconomie Ivoirienne PP. 40 et suivantes. Les informations
chiffrées qui suivent immédiatement sont tirées de ce docu-
ment.
gJ CBts d'Ivoire, An 12, Op. cité p.21
-
112 ~
Donc,
pour la banane comme pour le café et le
cacao,
l'importance de
la France comme
première cliente de
la CBte dDIvoire
paraft encore très évidente
Cependant,
de
2
plus en plus,
la France tend
è
contingenter 595 importations
de banane,
réservant
2/3 de ces importations aux Antilles
et
1/3 è lWAfrique dont la CBte d'Ivoire fournit la plus
grande part. Depuis quelques années
les exportations de
ba-
nane ivoirienne vers
la France se sont stabilisées ne dé-
passant pas les
2/3 des exportations totales
du
pays. Les
autorités sont d!ailleurs
conscientes de
la saturation du
marché.
Alors
qu'elles
prévoyaient
150 000 T. d'exportation
en
1970,
ces exportations n'ont été en fait
que
140 000 T.
Elles ne
totali~ent que
137
128 T en
1971. Il y a
donc bais-
se sensible dans les ventes
de la banane et la même
évolu-
tion est è
craindre pour les ananas et l'exportation fores-
tière.
BI __
__
Les
~
Ananas
,-_.-r>_~
Le
4ème produit agricole d'exportation de
la CBte d'Ivoire
est lWanana5 dont la production va connaftre un
développe-
ment important en
1950 grgce au système de
protection des
prix de la zone franc.
La
CBte d'Ivoire en est le premier
producteur africain et le
8ème producteur mondial. Les zones
de
production les
plus favorables se situent
presque toutes
dans
la basse CBte d'Ivoire et notamment dans
les régions
d'Abidjan,
de Grand-Bassam et de Tiassalé.
La production est
principalement organisée par deux sociétés,
la S.A.L.C.I. ou
"Société des Ananas de
la
Cô t e d 'Ivoire'u d'une part,
et la
8AFCO ou
"Société africaine de
conserverie"
d'autre
part. A
ces deux Sociétés s'ajoutera un Organisme d'Etat,
la Coopéra-
tive Agricole de Banoua
[88CABO]
qui ravitaille une nouvelle
usine de
la Société Ivoire
~llemande de conserves d'Ananas
(SIACA).
..
113 -
La production de la SALCr est concentrée dans la ré-
gion d'Ona
(la partie Est du fleuve Comoé). Auteur de l'usine
de la SALCr,
dans un rayon de 60 km se trouvent les plantations
ivoiriennes. Ces
plantations ont bénéficié d'une assistance tech-
,
nique de la SALCI
jusqu'en
1967,
puis de la SATMACr (Société
d'Etat) depuis cette date.
QUant aUx plantations de la SAFCO,
elles se trouvent dans la région de Tiassalé et celles des
Euro-
péens autour d'Abidjan et de Divo.
Pour l'ananaS industriel, sur
1 365 hectares de su-
perficies récoltées en
1969,
on comptait
140 ha pour la planta-
tion de la SALCI à Ono,
125 ha pour celle de la SAFCO à Tiassalé
et
1 100 ha pour les plantations afritaines 1/. Donc la plus
grande superficie mi~e en exploitation l'est par les planteurs
éte
africains qui ont/organisés autuur des installations industriel-
les de la SALCI,
de la SAFCO et de la SOCABO pour ravitailler
cea derni~res. Et au cours de la derni~re décennie,
la part de
la production africaine en volume dans la production totale à
considérablement augmenté,
passant de 28,3 ~ en 1960 à 79,3 ~ en
1970. Ces producteurs africains sont au nombre de
1 000 autour
de l'usine d'Ona de la
(SALCI),
220 autour de la SAFCO à Tiassalé
et 800 pour la coopérative agricole de Bonoua. Leur part dans
l'approvisionnement total des sociétés n'a cessé de progresser
ainsi que leurs revenus.
1/ L'Economie Ivoirienne, op. cité p.43
=
114 ~
.
:Approvision=
Production
Revenus afri-=
Valeur totale:
:nement total
africaine
cains
(mi1-
~des exporta-
~
"des sociétés
(T)
lions de f.
"tions d'ananas·
~
(T)
CFA)
~frais conser- :
~ves et jus'
:
: en millions de:
.
: f
CFA
:
"
a
"
0
Cl
•
'
0
_ _ '''''
a
U
Il
_ _
.-
_
~
,-"_~œIt:'''''·~''-'''''_~
~ ' _ ' - ' ~ _ ' - ' _ - ' _ E l _ I ' - ' ' .
< - . _ ' - ' ' ' ' ' ' - ' _ ~ ' ' ' _ ' ' ' ' ' < - ,
-,
Il
0
Cl
•
li
a
0
•
1950
12 085
3
600
39
·"•.1.
· 4
19S2
67 300
48 216
279
2 614
~t~ 1~H39
68 700
48 825
276"
2 712
·
·D
~
6
.
1970
98 500
70 866
474
·
3 842 (a)
D
.
r·t
~c_.:>~~._::Jl_...,'_~_~__ ._,._.,......,~_l ___:l_...,._o<.
,~J~.l
._
l .-
_ ·
§E:'\\:!'!E:~§,: B.A.!'I. Nf!]6:3f3,
10 Mars
1971 p.
12862
(a)
Revue
"Africa"
N°55 Juillet-AoQt
1971
Ainsi,
si les revenus des ivoiriens ont connu un
accroissement notable dO à
l'augmentation importante de leur
production d'aranas industriel
(3 600 T seulement en
1960 con-
tre 7n 866 T en
1970) l'ensemble de la
production et de la
tran~f~rmation des ananas de Cete d'Ivoire est dominé par les
sociétés
privées étrangères.
Comme le montre le tableau
précé-
dent,
ce sont elles qui reçoivent la
part prépondérante des
revenus totaux dUexportation du secteur ananas:
en
premier
lieu,
ces sociétés contrBlent la presque totalité des expor-
tations de l'ananas de
conserverie;
i l en est de m@me pour le
jus d'ananas;
enfin,
quant à
la production d'ananas frais,
elle avait été longtemps monopolisée par les dites sociétés.
Ce n~est seulement qu'à partir de
1966 que les Ivoiriens ont
pu
participer aux exportations sous l'impulsion de
l'Etat.
Par
conséquent,
sur les exportations totales dUananas frais
pas-
sant de 6 840 T en
1965 à
13
294 T en
1969,
la
part ivoirienne
~ 115 =
~3t passée respectivement de 170 T à 1 145 T c'est-à-dire de
2~6 ~ à 8,6 ~ des ventes j/.
Alors que nous qualifions plus haut le café et le cacao
comme des produits relevant de ~cultures populaires",
l'ananas
dont la France reste de loin le premier client de la CBte d'Ivoi-
re,
est le produit d~entreprises capitalistes essentiellement
étrangères.
Comme nous allons le voir,
le m~me phénomène est vrai
pour lUexploitation forestière.
/
LUexploitation forestière en CBte d'Ivoire ne date pas
jUaujourdUhui puisque,
déjà en
1900,
le pays exportait plus de
13 000 T de grume. Mais c~est à partir de
1915 que les exporta-
tions vont connartre une progression continue,
passant de
17 868
T.
à cette époque à 86 265 T
en
1926. Après trois années succes-
D
:,ives de
progre~-;sion rapide,
101 000 T. en
1926,
122 041 T en
1027 et
110
129 T. en
1928,
les exportations vont subir les effets
de
la grande crise dB
1929,
tombant
jusqu'à 90 902 T en
1930. Ce
chiffre ne sera plus atteint avant
1950 avec
108 709 T~/.
Depuis cette date,
les exportations de bois en grume
se
sont effectuées vers les pays de la C.E.E.,
à
une cadence
effrénée.
Elles ont été de
108 709 T. en
1950, 654 824 T en
1960
et 2 067 887 T en
1970~/. En d'autres termes, ces exportations
sont passées de l~indice 100 en
1950 à IVindice 602 en
1960 puis
à l'indice
1 U02 en
1970.
11 B A N, n0636, 10 Mars 1971 p.12 863
~I Notre enqugte, document de la Caisse de Stabilisation de la
Cate dWIvoire
:21 "Af'r-Lca " Op. cité N°56 Jtül1et=AoOt 1971
-
116 -
Nous devons donc noter dès maintenant que...m@mï:l' si cette ex-
ploitation intensive des richesses forestières ivoiriennes
apporte immédiatement des recettes importantes à l'Etat et
surtout aux Sociétés étrangères qui la contr81ent,
elle ris-
que -
cette exploitation -
de sUavérer ruineuse pour le pays
è
long terme.
Les
"'perspectives décennales" du Ministère du
Plan de la CBte dUlvoire indiquent qu'au début de la coloni-
sation,
la forêt dense sUétendait sur une superficie de
14
millions dUhectares dont 50 ~ étaient déjà exploités en 1961.
Il y a donc incontestablement une dévastation des richesses
forestières ivoiriennes dont i l sera difficile pour ne pas
dire impossible de reconstituer dans les 30 ou 50 ans à venir.
En conclusion de ce chapitre,
on peut dire que depuis
vingt ans au moins,
des moyens importants ont été mis en oeuv-
re pour préparer et permettre à l'agriculture spéculative de
jouer de façon
prépondérante son r81e à la fois
comme base et
comme moteur de la croissance économique ivoirienne. Comme
nous
lUavons déjà vu dans le chapitre III du Titre
1er. ces
moyens de production qui continuent de stimuler de façon déci-
sive la croissance de lUéconomie sont constitués de .s~.Ei~~
et surtout de terre et de main-d'oeuvre soit familiale soit
en provenance des pays voisins. Si donc le r81e du travail est
relativement important dans les cultures de bananes et d'ana-
nas,
i l lUest davantage encore dans celles du café et du cacao.
Ainsi dUaprès les estimations des
"Perspectives décenna-
les n }., / ,
le nombre de travailleurs employés sur les plantations
de café à été de 96 300 en
1960,
128
100 en
1966 et
145 900
personnes en
1970. QUant à ceux qui travaillaient sur les
plantations de cacao,
leur nombre est passé de 69 500 en
1960
à 90 440 en
1965 pour atteindre
138 100 personnes en
1970.
1J Du Ministère du Plan de C8te d~Ivoire, op.déjà cité,
-
PP.
117 à
119.
-
117 -
La
parl
de cette main-d Do8uvre dans le développement de
IDagri[l~lture d'exportation et,
partant,
dans la croissance
économi~uB de 1~
CBte d'Ivoire est indéniable. Or,
le statut
social
Je
l'Ivoiri?n,
du Volta!que ou de l'Européen,
qui
travaillent ~ur les plantations est loin d'gtre le mgme. Donc
les co~ilits sDcia-économiques que nous avons analysés dans
les pagp~ antérieures ont pu changer de forme. Mais elles
existent.
et nous verrons dans le chapitre qui va suivre que
lUagriculture d'exportation,
en contribuant fondamentalement
à la ero
~sanC8 de IVéconomie porte toujours en elle des
différen i lations géographiques,
économiques et sociales dont,
i l faut IJ8n le reconnaitre,
IDéconomie tout entière n'est
pas
exempie.
x
x
x
x
-
118 -
CHAPITRE II
::=:========:=:=
fQ~IB!!2!d!lQ!:L.2f_h':.6QB!fULI!dBf-lQ~gEQB~TI.Q~)
A
. - c > _ ' - J ' - " - " ' - > ' - _ _ ' -_ _- ' _ _ ' - > _ _
-~'- LA
_.->~
CROISSANCE
c:.o'~'~'-'_'-'
ECONOMIQUE IVOIRIENNE
x
x
x
Dans le chapitre précédent,
nous avons tenté de
montrer comment,
depuis plus de vingt ans,
l'économie ivoi-
rienne,
par la mobilisation des moyens de production impor-
tants
(terre,
capital et travail),
est arrivée à accro!tre de
façon
prodigieuse ses flux de production et drexportation de
produits Gomme le café,
le cacao,
les bananes et les ananas
auxquels i l faut ajouter le bois.
Dans le présent chapitre,
nous essaierons de montrer
que l'agriculture d!exportation était et reste la base princi-
pale de lUéconomieivoirienne dans la mesure aD elle contribue
de façon
considérable à la production et aux exportations du
pays.
Ce qui permet à ce dernier de voir amplifier sa partici-
pation à lD~Gonomie monétaire internationale. Mais l'agricul-
ture d1exportation
joue en mgme temps un rBle moteur en favori-
sant la monétarisation donc llabsorption relative du secteur
de subsistance dDune part et,
dUautre part en ouvrant la voie
à une
certaine industrialisation du pays. Plus concrètement,
l!agriculture d'exportation accro!t les recettes monétaires.
des p ays.a n s ,
les recettes fiscales et des devises étrangères
de J'Etat.
Elle stimule enfin dUautres secteurs d'activités.
Par conséquent,
bien que le rele de lUagriculture
spéculative soit prépondérant dans la croissance de l'économie
ivoirienne,
i l n!est pas exclusif dans la mesure o~ i l faut
tenir compte du rele du secteur de subsistance et de celui des
industries de transformations.
En dDautre termes,
puisque
lUespace économique ivoirien,
comme celui des autres pays
sous~dé'delDppé8"
nU 8'3 t
pas
homogène,
mais
plutBt !:lét~roaèn~( 1).
le modèle éoonomiqug iVGi~i8n que nous allons utiliser ici
tiendra nécessairement compte de
cette hétérogénéfté communé-
On verra donc su
ceBsivement
:
1°)
La contribution du secteur de subsistance à la crois-
carlC'S
c.~')
pui,s,
- '
(q8r~~n~1
\\.--'~.) '.'..L- U
1
T)
..:.L..
_
,
~ 2°) - LB rele pTep8ndérant du "secteur exportation" de
lUagriculture spéculative dans
la
dite
croissance
( c '
··t·
c:lec_:l.on
TI'
.J..
J.
f:JECTION r
Le
__
__
_ _'
_ _
- " " ' ( - " ' raIe
- ' ~ ' ' - ' ' ' ' ' ' ~
du
( - ' '
secteur
. - : J ~ ' ' ' ' _ '
~ ' -
de
- ' ' - ' _
subsistance
~ _ ' ' ' ' ' . - J _ ~
dans
~_~
un
modèle
-'~
Nous verrons successivement
A)
la
t'lOtion
du
'"dualisme",
et,
El) le rDle
dU~,:,8ct8ur de s ub s Ls t an o e
A) -
La. not.Lo n du
"'dualisme!!:=::
.-'---..,-.-'.--..----'---(-,-'---~-
La
qu e st.Lcn
:::I;~ "rtue Ld eme " des économies sous-dévelop-
pées ayant été largement abordée
par de nombreux auteurs
(2),
nous
ne
1~évoqu8rons ici, que dans la mesure o~ elle peut nous
permettre de mieux a p pr-é h ert d e r- le
processus du
développement de
lWécono~i8 ivoirienne qui, comme nous l'avons déjà noté à main-
tes l"'sp:r'is8s nUest homcC]2rl8 ni
d a r>
sa
structure
économique,
et
ni dans ses formatio~s sociales.
(1) -
Voir à
ce
oropos9
Jacques
FREYSSINET,
le
concept de sous-
développement,
PARIS,
MO"TO[\\] et
Cie
1966,
t i t r e II:
"Le
sous-développement,
p h é n o m n e
spatial
de
déSintégration".
è
(2) -
Voir à ce
propos
BA8TIANETTD(R),
Essai sur le
démarrage
des
pays sous-développés,
Paris,
Editions
CUJAS -
1968
:
l'auteur fait
le bilâr1
sur III
notion
du
"dualisme" en
notant soigneusement la contribution
des auteurs
tels
que
J .. BDEKE,
CHEJ\\JERY,
W.
M,l\\NDELBAUM,
H. SINGER,
A.D.
HIRISCHMAN,
François ~[RROUX, René GENDARME,
Elias GANNAGE
etc •••
Il en est de même des autres pays en voie de développement dont
'ilUhétérogéné!té des espaces sous-développés est souvent dési-
gnée par le
terme dB dualisme,u(1). Le
dualisme n'a pas toujours
BU
1'3. même significatiorisslc:J 18s auteurs. HIRSCHMAN divise
l g es pa ce s::ll.l,s=dsvelo: pp
en
~. Flégions Nord iB (dévela pp e s ] et en
é
é
"Rsgion,s Sud"
(attardées)
(,2)D Pour-t.an b , l Uauteur ne parle pas
explicitement d~inégalités de développement entre ces deux ré-
gion3,
même si cette idée d 1inégalités régionales est sous-
jascente à sa conception du dualisme. Car,
s ' i l y a
des régions
développées et des régions attardées dans le m~me espace écono-
mique,
les premières régions devraient évidemment ~tre économi-
quement et socioculturellement plus favorisées
que les secondes~
En fait,
IUauteur insiste davantage sur la notion technologique
du dualisme considéré en l'occurrence comme la coexistance dans
lUéconomie Bous-developpée d!un secteur moderne capitalistique
6~ jU u n secteur traditionnel utilisant une forte intensité de
t;ravail (3).
Mais la notion de dualisme ne serait pleinement opé-
rationnelle -
théoriquement st pratiquement -
que si elle tient
compte à la fois
des caractéristiques économiques et socio-
culturelles des structures h~térogènes des pays sous-développés.
Et,
à
ce propos,
s ' i l est difficile de soutenir fermement que
G~est dans ce contexte qu!Elias GANNAGE a abordé la problémati-
que du dualisme,
i l est tout au moins permis de noter que
Jacques FREYSSINEf,
le Concept de sous-développement,
Paris
MONTmJ
et Cie,
J811ie
édition
1972,
page 255.
( 2)
A.O. HIl1SCHMM~, "Inve·L; Ul lP n f
Pcliè"is,s
nd Dualism in Under-
é
devs10ped
Countries",
Américan économie Review,
Sept.1957
(:3) - A.D. HIRSC:HMAN, Stratégie du développement économique,Paris
les Editions Ouvrières,1964,
pages
147 et suivantes.
r: l:Jm:L qUi':; <i.E: !'elJt':-ii'ü,
I)~; dtt.;drjéE'~3; ensuite,
le
"dualisme so-
L:.L:11'"
;HrL
m"'?t
Ina' [ç'--,f;~;"J:r' ),?C, 'ii\\}el'genr.~es socio-culturelles en-
oc:l.ét,~.:~ i,flt1ustri.el],es et: traditionnelles;
;,c.c l::l.O
81'"
qui fait
état de la coexistence
8'ltrE
U:"I
:"/ :·U?rrl i::,
r;ré~:>3~l:lh'ili::,te et un :jystème capitaliste, ayant
ent:rE:
f:;UX
,:,:,:~ CéJ:,tdL:tc': li.m:~.téE,o i'Jatl~rel18mEnt, le dualisme ainsi
certain nombre de critiques.
En
p:cr.<fl:18c
LLeu,
1; au Le:,n
r~?O:D"ina.1t lui-mgme qu g au lieu de consi-
dS:r'PI'
':,rnme i l l w", fait,
:.)lJ\\:?
"les
pays 5DI.ls-developpés se
présen-
te~t r~~mR ~~ ensemble de régi~~s dont l~expansion n'est pas
pluralisme et non de
dUnli~jn1e. En
",sr;:md
lieu,
.si FJASTIANETTD critique la notion
de
ci U El 1 :L 'ê.l"r1 s- C U
p J u ra} j,::,; ln Ei
t 8 r:c i. t D ria 1
Cl 1.1 ij i 1
t~ l' 0 U 'J e à 18. foi s
flou e
e t
t e :Ji éi il t:
'::1 !'Lô l i ln i t 8 r
18 .~-; ré .,:15. D n Si pEl :c des
lU C!J ur b es
d 8
n ive a u
d e
p:r:'j',!l,.!;i'}:U::é
et
li.:: Yf)\\JDnU
par
r.:apif-·a",
i l nWy
substitue,
selon
nsu2J,
qu'une a'..:tce n
tion
d8
"p Lur-aLdsme
cies régions"
tout aussi
f :1 ,J II e,
11 5 'd .i, :~ a. 1:
1!~' r CIrH::' '11 .i S:') 'E, - d 8 \\f el 0 p p é 8
8 n
quatre régions
~
"r ê p :. c,r<
'] é 'J 81 c ~j ~H; p .~ s r: é ~~:'i n ns ~':o I.Ei - o év el 0 pp é e ,5 i
ré g ion s
ctu a 1 i ste s
,?t: l' é ;1:\\.::J1:=,
t; récl.i:U ; ' , fHn=, I l e :,-,"
(J ) 0
IVI a i'::;
pour
FR ES8 l NET ,
seule
"la
no t.Lo n
de
~i/é"j.È:flle '~cun(JIli:LqUE~ ql.Ji,
à
no t.re
avis,
permet,
le mieux
de
cnmr:.rerEj:r8
1-~. [~én8E;8 et le:,ignificatillrl actuelle de l'hétéro-
( 'cl )
ç•L id C',
I~ A~J :'J Ajc F , [ C 1] iCi o mi,::,> d ;J ri 8 'J el D p P B men t , Par i s ,
f'.I/JJ '7, 1:162,
pa,~j8:S ~;1 et c:-;uivant8~'3.
( ,~)
[:lia:-,,:
:iA~"i':r'''f'3 E:c:ôfhJrnie du développement op.cité page 61.
(3 )
8AhTIJ'I,~·:C ~: l' c':Po c I t.é , pages 323-3é?4 -
Précisons que
lWa"i.P'.::
"f1~::.2118 p')
c
"répiDns dualistes"
celles où les
:~é':;d 'J'1
:JÊ:\\1t2]'] r p Be s . d ! U il 8
par t;-ë't-'5ous=d v e Lo p p é es d'autrE'
é
pôrt:
rc f
.j8~, r-e Le t.Lo ne e~ 2 11 ) ":r-écJ:i.ons
- . - . ~
traditionnelles"
~,...,_, -o._a..
_
C E' 1 I te::
'~:, :: n " u r·;'.; ~ d ë, été b Ciu le v 8 r 8 é 8 :3 o ar
le clé v el 0 pp e men t dl
-
122 -
gèné!tê des économies ayant subi
à leur stade pré-capitaliste,
lUimplantation forcée du capitalisme européen.
"Ainsi s!expli-
quent la permanence et mgms 18 renforcement du dualisme,
la
coexistence d1une économie rle subsistance pré-capitaliste et
dUune économie canitaliste moderne!u(1).
Cette définition du dualisme est satisfaisant à
condition de lever les ambigu!tés que certains auteurs lUant
entourées.
1°) - Si le dualisme est coexistence entre l'économie de
subsistance et l'économie moderne,
i l niy a
pas,
comme lUin-
dique R.
GENDARME d!une part absence de liens économiques en-
tre les deux secteurs et
,
d'autre part,
cloisonnement social
emp~chant le transfert de population de lU u n à l'autre sec-
teur
(2). Un tel schéma ne serait pas conforme à la réalité et
aboutirai t
à
ce que BASTIMJETTrJ appelle
"un
dualisme figé"
(3)
Théoriquement et pratiquement,
le dualisme ne p8ut-~tre pleine-
ment opérationnel qu 1 e n tenant compte des relations de nature
variée entre les deux secteurs.
2°) -
Etant donn~ le caractère particulier de ces relations
qui ne sont ni comparables à celles qui existaient entre les
diverses zones de l'économie de subsistance avant l'interven-
tion du capitalisme européen,
ni identiques aux !:~~!i~.!2~
oE!~i!:l!~.a!:~!i~!2 qui ex.i s t e nt: entre les différents secteurs de
(1)
J.
FREYSSINET,
op.cité page 257
(2)
R. GENDARME,
la pauvreté des
Nations,
Paris,
Editions
CUJAS,
1963 VI -
540 pages
(3)
BA8TIANETTO,
op. cité
page
274
9
l'économie dévBloppée.
François PERROUX (1) a utilisé la !2~lE!2
de
- ' - - "désarticulation lD
- . . . . . . , ~ ~ ( 1 I I r J , . . , . _ , _ · , , ~ ~ œ E l : _ . œ . >
pour exprimer la faiblesse des flux moné-
taires,
des relations des prix qui existent entre les deux
secteurs de l'économie dualiste.
30) -
Finalement,
la notion de dualisme que nous retenons
n'impplique l'homogéné!té géographique,
économique et socio-
culturelle,
ni du secteur de subsistance,
ni du secteur de
l'économie moderne,
le système socio-économique du premier
étant dominé de façon
permanente par celui du second. Il s'en-
suit que l'économie dualiste peut passer d'Une morphologie
simple à deux secteurs à une structure complexe à plusieurs
secteurs.
B) - f~!EiE~!12~_~~_~~1~~~~.~~~~1~!~~~~_1~_E~1~~E~
~~~ig~~_i~~iri~n~~
Conformément à la ~éfinition du dualisme que nous
avons retenue plus haut,
l'économie ivoirienne peut ~tre som-
mairement divisée en de~x secteurs distincts mais non isolés
l'un de l!autre,
lB secteur de subsistance occupant la moitié
du pays du
Nord et le secteur exportateur s'étendant sur la
moitié Sud. Si pris isolément,
chacun des deux secteurs n'est
pas absolument homogène,
l'un et l'autre connaissent cependant
une certaine unité économique,
technologique et sociale. Le
secteur de subsistance au
Nord produit essentiellement des cul-
tures vivri~res tandis que le secteur exportateur au Sud est
dominé par les cultures dUexportation
:
café,
cacao,
bananes,
etc.
(2).
(1) -
F. PERROUX, Trois outils d'analyse pour l'étude du
sous-développement:
économie désarticulée,
coOt de
l'homme,
développement induit,
Cahiers de l'I.S.E.A.,
série F. n01
.
(2) -
Dans notre mod~le simplifié, nous faisons d'abord abs-
traction des industries qui sont presque toutes implan-
tées dans le Sud dont nous qualifions l'économie de
"secteur expDrteur" dans la mesure où dans un
premier
temps,
nous ne tiendrons compte que des cultures d'ex-
portation.
~ 124 -
N~us avons déjà vu comment le dualisme de l'économie ivoirien-
08
a été provoqué par l'affrontement entre le système pré-ca-
pitaliste de ce pays et le système capitaliste européen qui a
implanté dans le f3",~d les cul tures e p é cu La t.Lv e s
que nous con-
naissons,
avec pour conséquences des conflits multiples dont
nous avons aussi fait état
(1). Il s!agira ici de préciser da-
vantage les fonctions respectives des deux secteurs et les
liens qui les unissent dans le processus dB crbissance en cours
de ns le pays.
Avant d'être mise en contact avec le système capi-
taliste,
l'économie de subsistance connaiSsait une homogénérté
aussi bien économique,
sociale que culturelle. Bien qu'elle ait
été economiquement stagnante à l'époque,
c'est-à-dire sans
croissance économique,
elle procurait à tous les moyens quoti-
diens de subsistance et avait même certaines relations
"com-
merciales" avec d'autres régions. Mais depuis
"l'ouverture"
de l'économie ivoirienne au capitalisme européen,
le secteur
de subsistance connaft un nouvel équilibre économique et social
différent de celle que connaissait la société pré-capitaliste
dont les structures ont été bouleversées par la colonisation.
Dans l'~conomie de subsistance le mode de produG-
tian dominant demeure le fuode
de production
traditionnel à
caractère familial.
La
solidarité du groupe aussi bien dans
la production qua dans la consommation ~8ste toujours forte
et la pro du ct.Lo ri e ss an tiellemen t
~i,~Ei~!.~_~~t soit consommée
directement,
soit partiellement échangés contre d'autres biens.
(1) -
Voir Supra,
1ère partie~ Titre l,
Chapitres II et III
-
125 -
EDINVAL et PICARD ont insisté sur cette fonction d'auto-subsis-
---------
tance du
Nord de la Cate d'Ivoire
(1). Mais il faut aussi noter
que cette région
jCElB de plus en plus une ~E!12.!J._.2~_r~~~~~~~
lŒ~.2.!:!l!§~.e:!iE~l~~_~i~ri~r~_~!_~~.!!!~i.!J.=~~~~~_~_b0.!J._.!!!~rE..!l~
que
réclame" le secteur e xp o r-t.a t e o r-"
de cultures industrielles ..
A cause de llabondance des terres 8t de main d'oeuvre
dans le Nord et malgré llutilisation de tectlniques tradi tionnel-
les,
le secteur va .E:!.':'~bo~ assurer ses besoins alimentaires,
puis exporter vers le Sud le surplus agricole soit pour se pro-
curer de la monnaie,
soit pour obtenir quelques produits manu-
facturés,
au détriment de l'artisanat local. Par rapport aux
cultures spéculatives du
"secteur exportateur",
les cultures
vivrières du secteur de subsistance sont,
commercialement par-
lant,
d'importance mineure. Il s'agit principalement des céréa-
les
(riz,
mars,
mil),
de tubercules,
des légumes,
du beurre de
karité,
des arachides et du bétail
(2). Neanmoins, nous verrons
par la suite que le rele
joué par l'agriculture vivrières -
du
secteur de subsistance -
dans la croissance de l'économie ivoi-
rienne en généra.l et du
"secteur exportateur"
en particulier
n'est pas du tout négligeable.
Et le caractère aléatoire du
surplus agricoles dO aux variations climatiques,
peut-~tre un
frein
à la croissance économique qui,
du reste,
est partielle-
ment tributaire de la main-d'oeuvre du Nord.
(1)- EDINVAL (E) et PICARD (J.J., Problèmes du développement
la CBte d'Ivoire,
structures économiques et sociales de
la Société actuelle,
page 63.
(2)
G.
ROUGERIE,
la C8te d'Ivoire,
Que sais-je? op.cite
pages
111 et suivantes.
-
126 -
b)
Le sous-amolai du secteur de subsistance
_ _ '-'_'.-.'~_r_""'<JI'a>·"","',~""'r-.u'~',--'~x-.o>.-:l~I'-'œ.J~..-:J~''-·''OIEl'_''''-'''''(-.Jc-.'-'~'--',_
LUexistêce d t un
potentiel de
main-(juoeuvre
en
CBte dUlvoire,
en
lUoc':l<'nc:-[,ce
dans
lUéconomie
de
subsistance
est un
phénomène général inhérent aux structures des économies
sous-développêes o Ce sous-emploi est connu soit sous la forme
de chÔmage effectif ou
partiel,
soit surtout sous
la forme
de
"chBmage déguisé."
correspondant à
la productivité marginale
nulle dVun certain nombre de travailleurs de lUéconomie tra-
ditionnelle,
e~ dont 18 nombre varie suivant le pays sous-
développé
de
25 ~ à plus de 50 ~ de la population rurale(1)o
Sans
pouvoir chiffrer exactement
le
taux de
chBmage déguisé
dans
le secteur de
subsistance ivoirien,
et
ceci faute
de
d~n
nées statistiques,
on peut s'en faire une id~8 à partir de3
estimations
du
professeur Samir AMIN o Selon ces estimations, en
effet~ la population rurale du Nord est passée de 685 000 habi-
tants
contre
1 325 000 habitants
pour
le Sud en
1950 à
870 000
contre
2 360 000
habitants
pour
le Sud
en
1965
(2)0 Exprim~e
en
pourcentage8
du
total
national,
cette
population rurale du
Nord
est ainsi
passée de 34 ~ en
1950 à
27 ~ en
1965,
donc
dimunition de 7 ~ à cause de l'émigration vers les régions
urbaines
du
pays,
ou
même vers
le8 régions
à
culture indus=
trielles o
(1) - Ro NURKSE, le8 probl~mes de la formation du capital dans
Le s
pa y",sous~développés,
Paris,
Ed i tians
CUJAS,
1968
Chapitre I I
~
'"La
population et
I!Offre
de
capital",
\\loir
s.ur-t.o ut pages 3';1 à 50 0
(2)
-
Sarnir AMlt\\j,
"La
C[Jte
d ' Ivoire" g
1950 =
'ü965,
cours
de
lUlnstitut Africain
de Développement et de
Planification
~ Dakar, 10Er/ET/II 526 - Document non daté, page 134.
-
127 -
Le rBle important de cette ma.in-d ~ oeuvre de "1' In-
terland" pour la croissance de l'économie ivoirienne en général
et du
"Secteur exportateur"
en particulier est d'autant plus
important qu'il faut entendre ici par
HInterland" non seulement
le propre secteur de subsistance de la Cete d'Ivoire mais les
régions méridionales du Mali et surtout de la Haute-Volta dont
les
populations rurales emigrent en Cete d'Ivoire pour travail-
ler dans les
plantations et dans les entreprises industrielles
des régions urbaines(1). Nous avons déjà largement insisté sur
le rBle historique et de plus en plus croissant de l'émigration
voltafque vers la Cete d'Ivoire
(2)
pour que le tribut payé à
sa croissance par la main-d'oeuvre non qualifiée du
secteur
de subsistance
(au sens large) soit pris en considération dans
une perspective de freinage économique si les exigences sa-
lariales des immigrés s'avèraient inacceptables pour l'économie
ivoirienne
ou mgme si l'immigration 5e ralentissait notable-
msnt.
D'une façon générale,
le phénomène de l'exode rural
existe aussi bien dans les
pays sous-développés que dans les
pays développés sans pour autant avoir la même signification
dans les deux catégories de pays.
En étudiant longuement l'exo-
de dans les
pays industrialisés et plus particulièrement en
France,
le Professeur Henri BARTDLI note trois faits
importants
qui permettent aussi de comprendre mieux la situation dans les
(1) -
On peut estimer aujourd'hui en Cete d'Ivoire le nombre
d'africains non Ivoiriens à environ un million,
soit le
cinquième de la population.
(2) CFa SUPRA, Titre l,
Chapitre III,
Section III~ "Les problè-
mes de main-d'oeuvre".
-
1~8 -
pays nOn industrialisés
(1)
-
f!~~l~!~~~n! - le prof~sseur BARTDlI indique en effet
qu'il n'est pas posèibled'isoler les variations de
popula-
tions dues aux migrations de celles qui sont dues à des
naissances et des décès;
-
d~~ikœ~! -
les mouvemants migratoires affectent l'agri-
culture,
certaines petites industries localisées dans les
régions rurales et mgme d'autres branches industrielles
importantes
(industries extractives,
industries textiles,
et).
-
I~Eisiè~~n1 -
l'auteur conclut que dans les pays dév,elop-
pés
:
"Il est toutefois clair" que les régions qui se dé-
peuplent sont essentiellement agricoles et qu'au déclin de
leur agriculture s'ajoute celui des petites industries lo-
cales. Quant aux régions de peuplement,
ce sont des régions
industrielles ou des régions en voie de s'industrialiser
~
région parisienne,
lorraine,
etc".
Or,
on sait aussi que le départ de population
des zones rurales des économies sous-développées vers les
zones modernes de ces mgmes économies s'explique de mul-
tiples façons bien qu'il soit dQ essentillement au dualisme
créé dans les économies du Tiers-Monde par l'intégration
progressive de ces économies dans le système capitaliste
mondial. Ce qui a d'abord pour effet de
pousser une partie
de la population rurale à quitter le secteur de subsistance
où les conditions matérielles et salariales du travail sont
très insuffisantes pour aller chercher des meilleures con-
ditions de vie dans le secteur moderne à
production capi-
taliste. en plus de cet exode des agriculteurs ou
"exode
(1) - Henri BARTDlI, Emploi et Industrialisation op. cité,
pages
143 et
148.
-
129 -
agricole Dl ,
i l Y a aussi ceux qui partent des campagnes vers
les villes pour des raisons diverses et surtout pour recher-
cher un
nouveau ~ode de vie. BA6TIANETTD a assez bien résumé
<",II
••••. , . , . . ><l'"
""->." .•..It
".~"""...
>
""J,.
le phénomène dans ses causes structurslleset socio-économiques:
'"A la relative stabilité de la structure territoriale,
dans
les sociétés traditionnelles,
succède une instabilité chronique
et des mouvements désordonnés de populations troublées dans
leur équilibre antérieur. Ces changements sont en effet essen-
tiellement déterminés par la pression matérielle des besoins
qui tend à éjecter une certaine masse d'individus hors des ré-
gions qui ne peuvent assurer leur subsistance,
et par des mobi-
les psychologiques qui les poussent à rechercher ailleurs un
autre type de vie".
(1).
Donc,
l'exode dont i l s'agit n'a pas la m@me signi-
fication selon qu'il est motivé économiquement ou psychologi-
quement. Ainsi,
tout en concernant principalement l'agriculture
du
secteur rural qu'il vide d'une partie de sa population,
lUexode frappe aussi des petites industries rurales et d'au-
tres branches d'activités de moins en moins rentables dans les
pays développés qui cependant réussissent à absorber une forte
partie des "migrants" dans les industries urbaines. Par contre,
dans les pays sous-developpés,
l'exode frappe surtout le sec-
teur de l'agriculture de subsistance,
puis celui de lragricul~
ture, aboutissant au gonflement excessif des populations des
villes et des régions urbaines.
---------------~------------~----~--~-------------------------,
(1) -
R. BA8TIANETTO,
Essai sur le démarrage des
pays
sous-développés, op. cité,
page 319.
-' 130 -
C'est précisément ce qui se paSse en
CBte d'Ivoire où une
partie des populations du secteur agricole,
après s'@tre diri-
gée massivement vers le secteur de IVagriculture spéculative,
commença,
à partir de
1960,
à affluer vers les régions urbaines
comme le montre le tableau suivant
~ (1)
Populations comparées de la CBte d'Ivoire en
1965
et en
1970 (en milliers d'habitants).
VILLES
ou
REGIONS
1965
1970
g~~-----------------------------------:----------:----------~
Abidjan ••••••••••••••••••••••••••
308
500
Millieux urbains
(sauf Abidjan)
et milieux semi-urbains ••••••••••
638
925
Milieu rural •••••••••••••••••••••
3
034
3
195
~---~--------------------------------~----------:-----
----- :
TOTAL ••••••••••••••••••••••
3
970
4 620
.•
.g
----------------------------------------_-:._---------
L'explication économique de ce phénomène,
en
plus
des autres explications
(pyschologiques,
sociologiques etc.)
est que,
jusqu'en
1960 environ,
le secteur le plus monétarisé
et le plus productif qui pouvait offrir un nombre important
dVemplois rémunérateurs aux chBmeurs était le secteur de l'agri-
culture d'exportation. Mais depuis une dizaine d'années,
le
développement de ce "secteur exportateur" a
eu pour conséquences
(1)
Estimations de la Loi -
Plan,
op.
cité page 29.
-
131
la création et le développement dans les régions urbaines
et surtout dans la ville d'Abidjan et de sa banlieue des
industries de transformation et d'autres services
(commerciaux
notamment)
(1) qui vont offrir à une partie des immigrés des
emplois aux conditions de travail et de rémunération relative-
ment meilleures. Autrement dit,
aU fur et à mesure que le
processus de croissance de l'économie ivoirienne se poursuit,
le r81e de réserve de facteurs de production -
terres et main~
d'oeuvre -
que
jouait originellement le secteur de subsistance
s'étend au
"secteur exportateur" et ceci au profit des indus-
tries et des services des villes.
Pour résumer le r81e du secteur de subsistance dans
l'économie ivoirienne,
disons qu'il fournit au secteur moderne
(d'exportation et d'industrie)
des produits vivriers
(2) et
dUautres facteurs de production tels que la main-d'oeuvre
non-qualifiée ainsi que des terres pour accro~tre la produc-
tion des cultures spéculatives du "secteur exportateur". En
outre,
i l constitue un marché
(assez limité)
pour les produits
manufacturés du secteur industriel.
En somme,
les relations(3)
,1
entre les deux secteurs sont fondamentales
pour "le secteur
exportateur" qui,
comme
nous allons le voir,
joue un r81e
extrgmement important dans la croissance économique des pays
sous~développés en général et de celle de la C8te d'Ivoire
en particulier.
(1) -
On peut trouver la répartition sectorielle de l'emploi
en C8te d'Ivoire dans la Loi -
Plan, op.cité,
pages 27-
28
(2) -
Nous verrons dans la 3ème partie la question de
~l'in
dépendance alimentaire" aussi bien pour la C8te d'Ivoire
que pour l'ensemble de l'Afrique Tropicale.
(3) -
Pour cette question des relations entre les deux sec-
teurs,
voir notamment les ouvrages suivants
:
Jacques
FREYSSINET,
Le Concept du Sous-Développement, ibidem,
pages 262 et suivantes
:
BASTIANETTO,
Essai sur le
démarrage des
pays sous-développés,
ibidem,
pages 273 et
suivantes.
-
132 -
SECTION II
b~_rel~_~~_~§~E!~~~_~~E2~!~!~~~:_~~~~_1~_E~21~~~~E~
de IVéconomie ivoirienne
------------------------
.I~IBQQJdfllQ!i
Nous sommes bien conscients que d'autres secteurs que
le secteur agricole,
en particulier les secteurs secondaires
et tertiaires contribuent ~ux.aussi à la croissance de l'écono-
mie ivoirienne. Mais ils dépendent tous du secteur agricole,
et
notamment du secteur agricole d'exportation auquel nous donne~
rons ici le nom de
"secteur exportateur"
par opposition au
"sec-
teur de subsistance" que nous avons déjà examiné dans ladaèction
précédente.
Du point de vue fonctionnel,
on peut dire qu'en Cete
dUlvoire,
le secteur exportateur est de loin celui qui
joue
le r ô Le de base et de moteur pour les autres secteurs de l:"éco-
nomie.
Il reçoit,
comme nous
l'avons vu plus haut,
des produits
agricoles vivriers et de la main d'oeuvre non-qualifiée du sec-
teur de subsistance.
En échange de la monnaie et quelques
pro-
duits manufacturés -
des industries de transf6rmation implantées
dans
les régions urbaines
(1) - . Il sert à
promouvoir,
pour ces
industries de transformation,
un marché grgce au pouvoir d'achat
monétaire qu'il procure aux producteurs et intermédiaires vivant
de la culture du
café,
du cacao,
des bananes et des ananas.
Du point de vue structurel,
le secteur exporta~e9r n'est
homogène,
ni géographiquement,
ni économiquement,
ni sociale-
ment. Ainsi,
par exemple,
si on a
l'habitude de localiser dans
le Sud forestier du
pays les grandes
plantations de c~fé, et de
cacao,
elles ont en fait tendance à se concentrer dans le Sud-Est
(1) -
Nous examinerons plus loin le rele de ces industries de
transformation dans l'économie ivoirienne.
-
133 -
et l'Est
(1). De m~me, il ne s'agit pas ici, comme on en voit
souvent dans la plupart des pays sous-développés,
de grandes
plantations de café et de cacao appartenant à des Sociétés
capitalistes ou à des Européens et dont le rBle
(des planta-
tions) dans l'économie locale se réduit à la distribution de
salaires à la main=d'oeuvre indigène non-qualifiée et à des
impBts et redevances versés à l'Etat
(2). En CBte d'Ivoire,
90 io environ des plantations de café et de cacaO étant posses-
sions africaines,
ce sont de moyennes et petites plantations
qui souvent,
cohabitent avec l'économie de production familiale.
Néanmoins,
dans son ensemble,
économiquement,
socialement et
techniquement,
le secteur exportat~ur est une économie moné-
taire où le mode de production capitaliste est dominant con-
trairement à ce qui se passe dans le secteur de subsistance.
Pour comprendre mieux le rBle de ce secteur exportateur dans
lUéconomie ivoirienne nous examinerons successivement:
A) -
L'Agriculture d'exportation,
base de la crois-
sance économique,
et,
-
a) -
Le rBle moteur de l'agriculture d'exportation
dans la croissance économique
x
x
x
A) -
b~~riE~l!~!~~~E2!!~!1~L_~~~_de_l~-E~1~~~~~
~E2!l2!!l1.9~ :
Pendant les trente dernières années y
et sans doute
( 1) -
Voir à ce propos
:
"Reconversion des cultures du
caféier en
CBte d'Ivoire",
Document a.D.p.A.
déjà cité, Tome II,
(rapport de
synthèse), -
Samir AMIN,
cours déjà cité,
pages
136-148.
Voir à ce sujet l'ouvrage de Jacques FREYSSINET,
le
Concept de sous-développement,
chapitre X,
paragraphe 2,
alinéa a
"le secteur moderne".
-
134 -
Pour longtemps encore,
seule l'agriculture dans son ensemble et
IUagriculture d'exportation en particulier ont servi et servent
toujours de base fondamentale à partir de laquelle les phénomè-
~es économiques (monétarisation, création de revenus, consomma-
t ion,
etc)
pre n n e n t
~-, ais san cep a ur,~.rfa"d i e r I ' en sem b l e deI a
machine économique de la CBte d'Ivoire. Et sans cette base agri-
cole pour soutenir les autres secteurs,
l'économie ivoirienne ne
conna1trait pas la croissance rapide qu'elle a
connue a travers
l'augmentation de ses flux de production et d'exportation. On
verra donc
~
1)
des tentatives d'explication théorique de l'impor-
tance du rBle de l'agriculture dans les économies
sous-développées et,
II)
l'illustration dans le cas ivoirien de certaines
de ces théories par le développement des flux
agricoles dans la production.
Aux
premières phases de tout développement économique
et surtout au stade actuel de celui des pays du Tiers-Monde, le
rBIe de IVagriculture doit-~tre fondamental. En premier lieu,
IVagriculture peut fournir à l'économie nationale des denrées
alimentaires dont celle-ci a
besoin. En second lieu,
elle permet
de monétariser l'économie sous-développée en procurant des re-
venus aux producteurs et aux ouvriers agricoles,
aux "intermédi-
aires" et à l'Etat
(des ressources et des devises étrangères).
En troisième lieu enfin,l'agriculture peut ~tre à la base de la
création dVun marché pour les produits industriels tout en procu-
rant aux industries des matières pr,mières agricoles et de la
main-d'oeuvre non-qualifiée. Les pages précédentes de cette
étude nous
permettent de nous faire une certaine idée de la
-
1.35 ~
cr~ation et dB la mise en valeur de l'agriculture d'exportation
en
CÔte d'Ivoire?
ainsi que du rôle de réserve de main-d'oeuvre
et de produits vivriers du secteur de subsistance. Qu'en est-il
dlA
secteur moderne
(agriculture d'exportation et industriel)?
Pour pouvoir mieux appréhender dans les
pages ultérieures la
problématique d e : o::T;Jortance de
l'agriculture et de l"industrie
E,l
Côte d'Ivoire
en Afrique Tropicale,
nous présenterons
bri~V8m8nt quelques mod~les économiques d'une part,
et d'autre
pa.rt,
le mod~le du professeur BADOUIN traitant de la question
(J'J}
nous occupe.
a) ~ f~!.!r\\i_l~E._~~E!.§.l.~~_~.!:!i_!!:~i!~!2!_E!~_l~i!!!.E.2!:!~E~E!~
l~~aI!E~!!~r~ dans les pays sous-développés, celui de Paul
BAIRDCH est l'un de
ceux qui donne
priorité à cette agriculture
sur l'industrie en se fondant sur les différents rôles du sec-
tsur agricole que nous avons énumérés
plus haut. Mais,
en
plus
d~ l!agriculture,
l'auteur indique dans son
mod~le que les pays
5:, CJ I.~ ::~ - d e v e 10 p p é.s
n '?
peu ven t
8 S p é r e r s 0 r t i r
d e I e u r " i mpas se"
qu'en
tenant scrupuleusement compte de ce qu'il appelle d'une
..v:irt
Le s
"impératifs" et d'autre part les
"options"(1).
Les
"impératifs" comprendraient les trois mesures sui-
~Bntes, par ordre d'importance de croissance
-
a)
-
"1:::_fE~1.Q~JiI~_~~.!!!.2~E~E.!2i.9~~" qui selon BAIROCH,
constitue une
"nécessité impérieuse",
c)
"l~_E!:~.!.~E!i~~_~~_!!!~EE!:!.~_.o.§!i.2!2~l"des pays sous-
développés
contre l'invasion des
produits manu~
facturés
des
pays industrialisés.
Quant aux
!!.2E1l:.~!l~"(2)
(1)
Paul BAIROCH,
le Tiers-Monde dans l'impasse,
Paris,
Editions
GALLIMARD,
1971,
372 pages.
Voir surtout cinqui~me partie
"comment sortir de l'impasse" ou en guise de conclusion
pages 309 et suivantes a
(2)
ibidem,
chapitre XXI,
pages 328 et suivantes.
-
136 ~
l'auteur pré r.Lee
que
c.on t r-a t r-emen t
aux
"impératifs",
ces
"op-
t.Lo r.s "
nf? '::Jon t: p as ~)~~
~~: pr é a Lab La "
et que
leur application dé-
pendra
de3
caracté
istiqU8S
propres
à
chaque
pays sous-dévelop-
pé.
Au nombre
de
Il ,d3tr8 9
c es
"o p t Lo n s "
consisteraient:
a")
réduire
"1 ![)bstacle technologique"
en adaptant
la technologie
des
pays
développés aux structu-
res des
pays du Tiers-Monde et en
créant d'au-
tres;
b)
-
à
t. 8 n i, r
co mp t 8
des
" po S s i b i l i t é s e t des l i mit e s '0
du
marché mondial;
c ] ~ à promouvoir
"1'· 'J:.égration régionale",
et en
fin,
d ] -
à
=; a \\j 0 i r pro fit e r de lU lia i d 8 in ter na t ion a le " •
Ce
modèle de BAIROCH appelle au
moins
trois remar-
que:::,
EI!::,,2i~~!:!!~r21, t.nu t en e s.sa y ant dl ana lys er certain es tâ-
ches
fondamentales
qui attendent les
pays sous-developpés,
I." auteur (3, I 8
mérite de
les ordonner en indiquant certaines
oriorités dont l'agriculture ne nous
paratt pas
démériter sa
plaoe o
En est-il de même de la question
démographique à
la-
quelle lUauteur donne
la première
place
dans
les
priorités~
~JCiU::', r.e le pensons p as sincèrement et pour causes; deu~i~.!!!~.!!!~!l.:b
bien
que
nous ayons à revenir sur cette question
dans
la
2ème
partie de notre
étude,
on peut déjà faire
remarquer que BAIROCH
ne fait
pas
d~ distinction entre pays sous-developpés "sur-
p e u pI É:s"
comme bon nombr-e de
pays asia tiques
et de
pays sous-
d e v e Lo p p é e
'"~)Dus-peuplé:s" comme la plupart des pays d'Afrique"
D'outr9
part,
le fait
qu'il donne la
priorité des
priorités à
i . , t e
contre
"l'inflation démographique"
indique bien qu'il
cC'c's:ll.lère
qUB
la problématique du développement des
pays sous-
développgs
Bst
d'abord démographique avant d'être
politico-
économique alors
que nous
nous attacherons ultérieurement à
montrer le
contraire,
au
moins dans
le
caS
des
Etats africains
-
137 -
Cl u i
n 0 ëJ::' o ecu pen t
('1); e n fin, !!:!2.i!2,i~!!!~!l!, l' a u t e u r Q met d' i n -
dir~uer "1':'1r.:.s!1~2!E:~2;li~~1,1E!,'c!" da ns ces "impératifs". Et, tout en
r~sDnnBiSsant que pour la majorité des pays du Tiers-Monde
l'indu::trialis3.tifJ!1
constitue une
option
indispensable",
i l
a Jcn.ltFJ
cepend,=.mt
~
"Ma Ls
pour notre
part,
son
omission dans
cette liste est m~tivée par IR fait qu'il sUagit beaucoup plus
d'un
Dbjectif que
d'un
moyen.
Comme
nous
l'avons
déjà noté,
]Uindustrialisation st
le
développement
économique sont presque
sy~onym85'i(2). Cette explication ne nous para~t pas satisfai-
sante car,
entre autres,
le
développement
économique
de
l'Union
SDvié~ique à partir de lUindustrialisation indique bien que
l'industrialisation
peut être
un
moyen de développement dans
CE1'tains
pays sous-développés
dont les structures socio-écono-
miqu85
le permettent e
b')
-
Q":, ~;b,1:,1~~r~~_1,~_r!!2.s1;1~_~~_2~~~1~.E.E~!!!~.!l!_.91:!~_.E!:~
~~l~_~E:lb~E_b's!!§
(3),
tout en
se fondant
sur le fait
que
les
8XD~rta~ions (minières et ag~icoles) sont le moteur de la crois-
5a0ce
économique
(des
pays
sous-développés)e
(1) ~ Il Y a sn effet, et surtout dans les pays sous-developpés
e;-: général
Et
dans
les
o a ys africains
en
particulier,
UnE:'
:lntt.;r~dép8ndanc8 an t.r-e l"'indépendance" politique et la
dépendance
50cio-éconcmique~ la première étant constamment
remise
en
question
par
la seconde.
On
peut donc se
deman-
der
pourquoi SAIROCH n'a
pas
mentionné
dans
ces objectifs
fondame~taux 188 problémes socio-économiques qui se posent
aux
pays
sous-developpés.
En
particulier,
i l nous semble
difficile
que
le3
cb lectifs ainsi indiqués
puissent @tre
:rGa1iojé:3
,:;,an5
des
CJ\\r,-:;F'C"
po Lri t.Lqu e s
nationales
capables
de
mobiliser avec
enthousiasme
les
populations
des
pays
S~"j u·'.':-d e'.! e l o p p es.
(2)
Paul
;:JAIRC.f,
le Tiers~Mond8 dans lUimpasse,
page
327
(3 )
Ar' UlUr L::':=WI~), Développement économique et Planification,
Paris,
PaYDt,
1966,
pages
40 et suivantes.
=
138 ~
ne n~glige pas pour autant le rBle des industries de transforma-
tion
comme relais possible à llagriculture ou aux exportations
minières.
Le modèle
est tc~J~3ur cinq étapes considérées par
l'auteur comme interchangeables et dont on
peut sauter certaines
étapes suivant
les
pays et le8 circonstances.En
premier lieu,
le modèle insiste sur lVidée que les exportations des
produits
orimaires sont le moteur de
la croissance.
Néanmoins,
par rap-
port aux exportations et à
la production des matières
premières
minières,
i l semble privilégier celles des
produits agricoles
dont le rBIs fondamental dans la première étape ne reste pas
moins
indispensable dans
les ~tape5 suivantes. Ainsi,
si l'au-
t e ur- note
que
"le developpement économique de tous les
pays a
~té déclenché par une augmentation des exportations"
(1), il
précise plus loin
quu'"A un
niveau
de développement
plus élévé,
i l
est donc
plus facile
d'exceller dans l'agriculture que dans
l'industrie"
(2). Dans une 2ème étape cependant, les industries
de substitution aux importations
prennent le relais aux expor-
tations
en voie diessouflemsnt.
Les
pays qui ~puisent leurE
~~5
sibilités
de
production de bien substituables aux importations
n'auront plus qu'à revenir à la
1ère phase,
c'est-à-dire aux
exportations
de
produits de base. Dans le caS aD cela s'avère-
rait impossible
pour eux,
ils sont,
selon LEWIS "mars pour
(1) -
Arthur LEWIS,
D~veloppem8nt économique et Planification
op.Lité page 42
(2) -
Arthur LEWIS,
ibidem,
page 44.
=
139 ~
lWinflation structurelle iU due
à lWexcès de la propension à
importer sur la rropension
à
exportera
Et l'auteur de préciser:
"Pour s'ensortir,
i l faut,
soit réduire les goulots d'étrangle-
ment qui emp~chent l~offre intérieure dUaugmenter en propor-
tion avec la demande intérieure,
soit accrcjtre 1 le taux de
croissance des exportations et l'élever jusqu1au niveau compa-
tible à la fois
avec la croissance
de la
production et avec la
propension à
importer. Une
co r.o mle qui
résout son
problème
é
en éliminant les goulot.-,
rj!F,j:i"JI,",m;~"l c,- est à la quatrième
phase".
Quant à la cinquième phase,
son taux de croissance
économique dépendra encore du rythme des exportations
"qui
peuvent devenir le frein
de la croissance dans
lUéconomie si
elles ne sont pas en mesure d'accumuler suffisamment de devi-
5e8 pour faire face aux importations dont le taux reste encore
élevé dans
la cinquième phase"
(1).
Quelques observations s'imposent après
l'exposé de
ce modèle de développement de LEWIS. D'abord,
on peut dire
que l'élément central du modèle en question est l'accroisse-
ment de la production
et des
exportations de matières pre-
mières comme moteur de la croiSSance économique.
Et ici,
comme
dans le modèle de BAIROCH que nous aVons présenté plus haut,
l'agriculture est prévilégiée de façon indiscutable,
non seu-
18ment dans
la
première phase,
mais relativement aussi dans les
autres phases.
(1) -
LEWIS
(W. Arthur),
Développement économique et planifi-
cation,
op.cité,
page 48.
L'auteur explique que la
pro-
pension à importer reste encore élevée dans cette
cinquième phase parceque,
bien que
les
investisse~ents
internes de
l'offre de
produits manufacturés
locaux aient
des taux élevés,
l'économie n'est pas encore capable de
produire tous
les biens dUoD importations.
-
140 -
Mais contrairement à BAIROCH qui estime que liindustrie est une
fin et non un
moyen de développement économique,
LEWIS soulève
la problématique des industries de substitution diimportations
qu 8il considère à
juste titre comme une suite logique des ex-
portations
de
produits de base.
Malheureu~8m8nt9 bien que lUauteur note les limites
de cette industrialisation de substitution dU
importations,
i l
ne pose à aucun moment dans son modèle le problème de la nécessi-
té et de l'importance du r8le de lUindustrie lourde dans la
stratégie de développement des
pays du Tiers-Monde. Dès lors,
on peut se demander si ceux de ces
pays qui
pourront franchir
les cinq étapes du modèle sortiront pour autant du sous-dévelop-
pement. LEWIS signale lui-même que certains pays
diAmérique Lati-
ne ont déjà franchi
les cinq étapes de son modèle. Ainsi en
était-il du
Vénézuela qui était à la phase l
aU moment de la
publication du livre de lUauteur
(1968) alors que le Brésil
en était à la phase II en
1950. Ds mPmF splon toujours l'autel!r.
le Chili en était à la phase III et le Mexique à la phase IV(1).
Il n'en demeure pas moins incontestable que
tous
ces pays ne so~t
pas encore developpés.
Quant aux Etats d'Afrique Tropicale ils demeurent en
grande majorité à
la phase I.
Parmi ceux dientre eux qui sont
à la phase II,
on
peut citer le Sénégal qui a
épuisé sa phase.
(1) -
Arthur LEWIS,
Développement économique et planification,
oP.cité,
page 49.
-
141 -
Il faut
de marché pour1
ses produits de transformation et la
CBte d'Ivoire qui est en passe d'épuiser la sienne
(1). Par
conséquent, on peut craindre que l'application du modèle de LEWIS
tel qu'il l'a présente et qui ne pose ni la question de l'indus-
trie lourde ni celle d'une véritable indépendance économique -
ceci explique cela -
ne conduise au freinage~ pour ne pas dire
au blocage des économies africaines(2).
Cependant"
une fois
cette remarque fondamentale faite sur le rBle de l'industrie
lourde dans les pays sous-developpés en général et dans les pays
africains en particulier,
force est tout du
même de constater que
ceux de nos Etats comme le Sénégal,
la C8te d'Ivoire,
etc •.•• cui
ont atteint un certain degré d'industrialisation
(légère), l~~r~
~E.9.!!E!!!!i~~_!l':~!l_!:~~!~!l!_E~~_!!!E!!!l~_~~~~!~11~!!!~!lL!!:.1È.~.!:~1
E~~_.9 ~~.
~~E!!:!~iE!!l~_~~_E!:E!~~it~E!:!!!!~!!:~~.Il est donc impératif que
nous cherchions à savoir dans quelles conditions politiques et
socio-économiques cette agriculture peut se développer
(3).
(1) - Nous reviendrons par la sui te et longuement sur cette q:)e":>~
tion de l'industrialisation de substitution d'importati
~
en Afrique Tropicale en général et en CBte d'Ivoire en
particulier.
(2)
Voir à ce sujet Samir AMIN,
l'Afrique de l'Ouest: bloCP1'?';,
Paris,
Editions de Minuit,
1971.
(3)
Voir sur ce point Arthur LEWIS,
Développement de la crois-
sance du Tiers-Monde,
Paris,
Payot,
1968, chapitre III
"Quid de l'agriculture?" pages 71 et suivantes.
-
142 -
et quelle peut gtre Sa contribution à la croissance économique
des pays africains dans leur ensemble et de la Cete d'Ivoire
en particulier. C'est dans ce contexte,
du
moins c'est ce que
nous souhaitons,
que les modèles théoriques que nous venons de
présenter et celui du professeur BADOUIN qui va suivre nous
permettront de mieux appréhender notre problématique à savoir le
rele de l'agriculture dans la croissance des économies africains.
C'est un
modèle qui traite de "l'accession du
développe-
ment" .des pays sous-developpés grgce à l'agriculture
(1). Il
indique en effet que dans certaines conditions et suivant cer-
taines étapes,
l'agriculture par son surplus et l'accroissement
de celui-ci peut
1°) libérer l'économie de subsistance de la
stagnation chronique;
2°)
lancer la croissance et en gtre sa
base et enfin 3°) gtre le moteur de cette croissance
jusqu'à ce
que le secteur industriel par exemple parvienne à assurer la
relève de l'agriculture.
(1) Robert BADOUIN,
Economie Rurale,
Paris Armand Colin,1971 e
Voir aussi,
du mgme auteur,
"Agriculture et Accession DU
développement",
op.déjà cité.
-
143 -
1°)
La
libération de l'économie de subsistance de la stagna-
tion chronique n'est possible que lorsque le surplus agricole
créé
par cette économie atteint un niveau
tel qu'il arrive
à
lancer l'économie sous-développée dans
le circuit monétaire
et commercial international. Donc,
la première condition
pour
amorcer la croissance de
l'économie est la création d'un
~~El~~_~ari~le qui "désigne l'existence d'un écart positif
entre le volume de la
production alimentaire et la quantité de
subsistance nécessaire à ceux qui la réalisent"(1).
L'existence du surplus ne suffit pas en soi,
i l
faut
en outre que
ce surplus soit important car un
très faible
surplus ne permettrait pas à
l'économie de franchir
"1 e 5
seuils libératoires Il
qui sont,
entre autres,
l'insuffisance
de
l'auto~consommation, l'isolement économique et la stagna-
tion
chronique.
2°) b~~.!lS~~nt-E!.~l~-sroi~~!l~n'est amorcé qu'une fois les
seuils libératoires seront franchis
par l'agriculture.
Elle
jouera ainsi le rBle
principal dans l'augmentation des flux
de productiOn et d'exportation.
L'agriculture sera
la base
fondamentale
de l'économie ainsi que son moteur.
(1)
Robert BADOUIN Rurale,
op.cité p.203.
L'auteur ne retient
que
cette définition du surplus
tout en indiquant d'autres
définitions possibles.
144
3°) §n tan! qu~ mo~~u~~_~i~~~l'agriculture
peut,
par l'accroissement important de ses flux soutenir cette
croissance en
lançant des incitations aux autres secteurs de
l'économie
(l'industrie,
le commerce,
les transports)
qui vont
à leur tour commencer à se développer.
Cependant,
le secteur agricole ne peut
jouer son rele
de base et de moteur de l'économie que pendant une période limi-
tée dans le temps.
Il arrive un moment où le secteur agrico)u
aussi bien en valeur absolue qu'en valeur relative perd néces-
sairement de son importance dans l'économie. La
question fon-
damentale serait alors de savoir si un autre secteur,
celui de
l'industrie par exemple,
peut aSsurer la relève de l'agriculture
pour que la croissance continue. Sinon,
l'ensemble de l'économie
peut retomber dans la stagnation 1/.
Ce modèle peut,
à notre avis nous
permettre d'analyser
les principales caractéristiques du rele que
joue l'agriculture
spéculative dans la croissance économique ivoirienne.
Pratiquement,
dans
l'é~ude de l-économie contemporaine
ivoirienne
(1950-70) on ne peut qu'admettre l'existence de dif-
ficultés
d'une approche par la méthode de surplus,
non seulement
à cause de l'incertitude qui demeure sur la notion même de sur-
I
plus mais aussi à cause des interférences de différentès formes
1/ L'auteur se réfé~e à ce propos à un modèle d'Arthur LEWIS
sur lequel nous reviendrons lorsque nous examinerons les
perspectives de l'économie ivoirienne dans
le dernier titre
de la première partie de cette étude.
-
145 -
de surplus en présence dans l'économie de CBte d'Ivoire:
sur-
plus agricole vivrier dans la moitié Nord du
pays;
surplus agri-
cole d'exportation dans l'autre moitié Sud;
surplus industriel
en grande partie rapatrié vers l'étranger. Par conséquent,
i l
nous para1t désormais plus commode d'utiliser la méthode des
flux afin de déterminer le rBle capital de l'agriculture d'ex-
portation dans la croissance économique ivoirienne
(1).
1 0 )
b~_E~~~~EE~~~~!_E~_l~_EE2E~!i2~_l~!~Il~~~
2~!~ : Depuis le percement du canal de Vridi en 1950 pour per-
mettre l'arrivée des navires de grand tonnage aU port d'Abidjan,
les activités économiques du
pays ont connu un
développement
important. Le reflet global de la croissance rapide de l'écono-
mie se trouve dans l'évolution de la production intérieure brute
(P.I.B.) qui,
au cours de la
première décennie d'indépendance
(1960-19?0),
à connu un
taux de croissance annuelle de
10 à
11 ~ à prix courants.
Structure de la P.I.B. et du
Secteur primaire
(en millia~~§ de F.CFA)
----------------------------------~------------------------
-------
:
:
:
Secteurs
1960
:
1965
1968
:---------------------------------------:-------:-----
- -- ~ -- - ---- - :
Secteur primaire
61,0
~
84,4
:
100,?
-----------------------------------------------------------------
·
.
.
dont
Agriculture de subsistance + élevage ·
•
31,4
42,3
44,8
:- Culture de rapports
24,8
31,3
40, 1
Exploitations forestières
3,6
8,9
13,9
:- P@che
1,2
1,9
1,9
:-Secteur secondaire
•
19,9.
40,6
.
62,4
•
•
•
III
•
-------------------------------------------------------------
•
•
III
: Secteur tertiaire
:
49,6:
89,0
:
133,0
•
•
III
a
--------------------------------------------------------------
·
.
.
:• Total VA = la Production I.B.
•
~
130,5 :a
214,0
:
~
296,1 _
SO~IE~: Documents FMI/SN/?0/96, Mai 19?0
(1)
Nous essaierons d l'utiliser plus loin la méthode de surplus dans
un modèle économique de développement ivoirien.
-
146 -
La FIB,
à prix courants est ainsi passée de
130,5 mil-
liards F. CFA en
1960 à 214,0 milliards en
1965 puis à 367,7 mil-
liards de f.CFA en
1970 -
Naturellement,
chacun des secteurs
primaire, secondaire et tertiaire
,
1: rl n tri b u é
à cet a c cr 0 i s s e-
ment important de la P.I.B. Ainsi,
la valeur ajoutée du secteur
primaire est passée de 61 milliards en
1960 à
114,4 milliards de
f.CFA en
1970 contre respectivement
18,9 à 79,3 pour le secteur
secondaire et 49,6 à
174 milliards de F. CFA pour le tertiaire(1).
Force est de reconna~tre qu'en valeur absolue la contribution
du
primaire à la croissance de l'économie ivoirienne,
reste en-
core prépondérante. Cependant,
en valeur relative,
l'importance
fondamentale du
primaire qui est passé de 46,8 ~ de la PIB en
1960 à 32,3 ~ en 1969, s'atténue progressivement d'une part au
profit du secondaire qui passe de
15,2 ~ à 22,3 ~ et d'autre part,
au profit du
tertiaire qui passe de 38 ~ en 1960 à 45,4 ~ en
1969
(2).
Quoiqu'il en soit et de quelque mani~re qu'on analyse l:~J
lution de l'économie de la CBte d'Ivoire,on est obligé de noter
la place de choix qu'y occupe le secteur primaire qui est en fait
le secteur agricole.
En d'autres termes, l~~ariE~l~~~_~~~~~~~
~~E~~~_1~_œ2!~~~_E~i~EiE~1_~~_1~~E2~2œi~tant par ses flux physi-
ques quo par ses flux financiers.
2 0 ) b~~~1~_E!i~~!~i~1_~~_1~~g~iE~1!~~~_~~~~E2!~~~i2~
~~~~_1~_E~2~~E~i2~ ~ C'est par l'examen de l'évolution de la
structure du secteur primaire
(voir supra,
tableau
15),
que l'on
peut apprécier l'importance de l'agriculture en général et de
l'agriculture d'exportation en particulier dans la croissance
de l'économie ivoirienne.
Sur une valeur totale du
secteur primaire passant de 61
milliards en
1960 à
100,7 milliards de F.CFA en
1968,
l'agricul-
ture de subsistance et l'élevage ont vu leur valeur passer de
(1) Sauf indications contraires,
toutes les informations chif-
frées
qui suivent immédiatement ont été tirées des documents
du
FMI/SM/70/96,
Mai
1970, déjà cités.
(2) B.A.N. n 0610? Septembre
1970,
p.
12 312
-
147 -
31,4 à 44,8 milliards
de f.CFA contre respectivement
24,8 à
40,1 aux cultures de rapports et 3,6 à
13,9 milliards
de f.CFA
aux exploitations forestières.
Donc la part de
l Uagriculture vivrière et de l'élevage,
dont les
produits circulent en grande partie dans le pays res-
te relativement faible
dans le secteur
primaire. Par contre,
celle des
produits dUexportation ne cesse d'augmenter dans
ce
secteur.
Ceci apparaît nettDffient forsqu'on
compare les compo-
.
-
santes fondamentales
du secteur primaire dont le taux moyen de
croissance de la
production en valeur
par an a
été 8,2 % de
1960 à
1968,
le taux de croissance moyen de l'agriculture de
subsistance et de l'élevage n'a été que de l'ordre de 5,4 %
contre 7,7 %aux cultures des rapports et 33,7 % aux exploita-
tions forestières
(1). Par conséquent,
l'importance capitale de
l'agriculture et
plus
particulièrement de l'agriculture d'expor-
tation dans
l'économie ivoirienne demeure incontestable. Par
exemple,
si le taux de croissance moyen
du
produit intérieur
brut par an a
été de
11 % en termes monétaires aU cours de la
période
1960-68,
ce taux a
connu d'importantes fluctuations
dont
un taux maximum de
20 % en
1964 et de zéro
pour cent en
1965.
De
telles fluctuations sont dues en grande
pa~tie aux varia-
tions des
cours mondiaux du
café et du
cacao. Ainsi,
au cours de
la période
1966-68,
le taux de croissance du
produit intérieur
brut s'est fortement accéléré après
le recul brutal de
1965.
Il atteignit 7,7 % à prix courants en 1968, 6,9 % en
1967 et
18,4 % en 1968. Les causes de cette augmentation sont ici encore
la hausse des
cours mondiaux du
cacao et du
c af é
au
dtillljt
de la
période ainsi que la forte augmentation des exportations du café
en
1968(2). On verra dans
le paragraphe suivant que
ces
produits
le café et le cacao -
continuent de
jouer un rele
capital dans
la croissance économique ivoirienne.
(1)
Ces calculs ont été faits
d'après les données
du tableau
n015 précédent.
(2)
Voir documents FMI,
déjà pp.1 et suivantes.
-
148 -
1°) b~~EIi~E~~~~~l!atsde la mise ~~_~aleur des
cultures~~~2rt~~ :
Dans le chapitre l
du
titre II -
voir supra -
nous
avons traité de "la mise en valeur" des grands produits agrico;"
les d'exportation:
café,
cacao,
bananes et ananas, auxquels
i l faut ajouter les exploitations forestières.
Notre objectif
entre autres était de montrer en détails,
produit par prod~it,
comment, après la deuxième guerre mondiale,
la CBte d'Ivoire
est parvenue à lancer de façon décisive sa croissance et à la
soutenir grBce à l'augmentation des flux agricoles. Nous avons
insisté sur les multiples difficultés rencontrées dont cer-
taines,
jusqu'à présent,
ne sont pas encore aplanies: question'
de productivité et de rendements,
problèmes de débouchés et
des fluctuations des cours mondiaux,
etc. Néanmoins,
en dépit
de ces difficultés,
l'Un des faits les plus marquants de la
croiSSance économique ivoirienne pendant les vingt dernières
années est l'augmentation rapide des productions physiques de
toutes les cultures d'exportation que ce soit le cafë ou le
cacao,
la banane,
les ananaS et surtout le bois. On peut aisé-
ment~s'en rendre compte par le tableau résumé que nou~ présen-
tons ci-dessous.
TABLEAU 18
- - - - - -
Principalespro~uctions agricoles et foresti~rSs
(en miiliers' de ton'n"es)
,. . . ' ,.'
----------------------------------------------------
Produits
1950
1960
1965
1970
:
:
:
(a)
:
:
:
:
-------------------------------------------------------------
.
. .
.
.
Café
54,0
136,6
:
212,9
274,0
Cacao
62,0
85,2
114,9
163,0
Banane
23,0
88,0
138,3
175,6
Ananas
·
19,9
44,1
120,0
·
Bois
106,0
654,8
156,6
:2 696
·
.
.
.
--------------------~---------._-------~-------~--_.._-----1969
Sources:
- - - - - -
Bulletin d'Afrique Noire N°636,
10 Mars
1971
P.12852
r
,
~
_
r _1 _
_
_ _
--' -" . . - -- - - - ,
-
149 -
Donc,
depuis
1900,
la place importante que ne ceSse
d'occuper le secteur primaire dans la croissance de l'~conomie
ivoirienne ne saurait surprendre. En premier lieu vu les gran-
des potentialités agricoles du
pays,
le dit secteur s'est dans
son ensemble développé à travers toutes ses branches
: agri-
culture de subsistance, agriculture spéculative, for@ts,
éleva-
ge
et p@che. En second lieu,
les cultures ~péculatives se sont
développées à un rythme beaucoup plus accéléré que le~ cultures
vivrières. Quant aux ressources forestières,
leur exploitation
s'est poursuivi à un rythme véritablement "infernal", mettant
ainsi en évidence le caractère dévastateur des méthodes d'ex-
ploitation de ce patrimoine forestier de la Cate d'Ivoire.
Dans tous les cas,
les paysans ivoiriens,
à l'instar
d'autres paysans africains contribuent largement à la crois-
sance de la production agricole et ce, avec des moyens de pro-
duction souvent rudimentaires. En plus des cultures vivrières,
les paysans s'adonnent aux cultures indu~trielles qui occupent
une place de choix dans les exportations de la Cate d'lvo~re.
2°) b~-!~~-i~E2!!~~~~~_E~1!~~!-~!~~S
~~~~~_~~2!!~!i2D~ :
Comme nous l'avons vu,
ce raIe reste encore primor-
dial dans la croissance globale de l'économie. Mais l'écart
entre les volumes de productions agricoles et les r~cettes aux-
quelles elles donnent lieu ne cesse de s'aggraver. D'abord à
cause de la
détérioration des termes de l'éohange et, ensuite
à
cause de l'excès des volumes de la production ~ur ceux des
exportations.
a)
En effet,
si l'on prend par exemple le café q~i a toujours
occupé et occupe encore la première place dans les exportations
de la CBte d'Ivoire, on s'aperçoit que les stocks s'accumulent
depuis dix ans.
150
, .,'
TABLEAU 19
-----.....-
Accumulation de stocks de café
(en tonnes)
":J-------------------~-------.~---~---~-------~-
f
:
:
:
..--------~----~----~
:
1:
. Campagnes
: Achats aux
Exportation
Stocks
:Liquidation
: p r o d u c t e u r : d e stock
;
:par la caisse:
:
:
:
t-------------:-----~-------:----------~--:--~---~----~-:~---~----~---:
,t 1960/61
191 080
157 994
80 920
.~
1961/62
92 071
160 015
9 070
'196~67
130 759
165 116
113 424
58 285
:
}
1967/68
287 760
197 960
95 575
;
101 903
F
1968/69
201
124
176 743
84 752
:
37 349
;
:
:
:
:
t-----------------------------------------~--~----~~..---~~~-
Source
Document dé la Caisse dont on trouvera des détails au
tableau annexe N°
A cause de l'impossibilité d'écouler ces stocks de café
sur le marché extérieur, le pays doit faire face à uncoOt d'en-
tretien très élev~. Et les autorités ivoirienne~ faute de mieux~
sont obligées de procéder à dé fréquentes liquidations de stock~
(destruction par le feu par exemple). C'est autant d'argent perdu
sur les produits agricoles,
en plus des moins-values dues à la
baisse des cours mondiaux.
Par conséqu~nt, le manque de débouché explique partielle-
ment, d'une part, la faiblesse du volume des exportations par
rapport au volume des productions et, d'autre p~rt, la diminution
progressive de l'importance du café et du cacao dans les exporta~
tions totales au profit du bois et des industries de transforma-
tion. Or,
comme nous le verrons plus loin,
le bois et surtout les
industries de transformation sont essentiellement contr61és par
des sociétés étrangères. Il en est de m@me,
en partie des cultures
~.
.. '
l-41 •, C . l·1
(-') t
. Clrt
(3.} •f C.o. "~_.f;)
(il:
"
/1f
8o.~_~c.,
,
•• 1
•
r- ;
.... ~.
......
~
- _- --- " ..;
- ..-:...
sÔ.
~
." ...~- • --T-' •...
.
1,:-
• r
•. ~
• • •:
/
1
::'..1>', '.::~ <....
. ' :' l , :.
,.
,.: .
':',
•
+
SS
60
. ...
.'
.. s» .•• _
_:
_ ' . 0 '
' _ . "
. . ~
.
le
r.
q
E.. l' »0 f'
J JJO
1
~~i1~ :LB.: e..,.po~ratioYls
,1(
_ )
t -1°00 ,
.
(e.)1" 0 o c -r) .... .... : ...
k)
8 o';'s "
1
(t)
Co·Fe
. (3)
CCtcd. b .
-"
(4) B Ot)\\ct ne
. \\
. r .-
t..
l
,
..:
.} .. _.-.._,~-, _...•
,
.
1·
- r
-
151 -
et de la transf'oomation des bananes et des anans. Dans ces
conditions,
on peut faire un certain nombre de remarques sur
l'évolution des cultures d'exportation en C6te d'Ivoire:
-
Premi~~.!l! : l'importance des cul-cl.Î'res d'exportations dans
l'économie ivoirienne est capitale, surtout en ce qui concerne
le café et le cacao qui sont entièrement entre les mains de
planteurs ivoiriens. Malheureusement,
l'avenir de ces deux pro-
duits est de plus en plus compromis à cause de la détérioration
des termes de l'échange en général,
et des brusques changements
des cours mondiaux en particulier. Par conséquent~ on assiste
à une stagnation des recettes des producteurs du café et du
cacao
et ce, au profit des industries de transformation de l'économie
ivoirienne.
-
Q~~iè~~ : Si l'on compare pour chaque produit, les tendances
des exportations entre les péricrdes 49-59 d'une part et 59-69
d'autre part,
on constate qu'à l'exception du cacao dont le taux
de croissance a été plus élevé dans la seconde période 6?5 ~
contre 0,5 % pendant la première période, les autres produits
agricoles ont connu des tendances variables. C'est ainsi que
, Rq9:Q~~tes périodes 1949-59 et 1959-69, les taux de croissance
moyens annuels ont été respectivement de 6, 1 ~ et 4,.2 ~ pour le..,
café,
de
16,7 % et 16,4 % pour le boi~. Le cas des bananes est
un peu plus complexe,
puisque leurs exportations ont connu trois
rythmes différents entre
1949 et
1969 :
2,8 ~ pour la période
1949-56,
25 ~ entre 1956 et 1963 et stagnation (taux de crois-
sance de zéro pour cent) après
1963 (1).
--------------------------~-------------------~-----~~------~~
Ces taux,
calculés par nous,
trouvent leur illustration dans
les graphiques •••
1-A et
1-8 (la méthode utilisée est celle
des moindres carrés avec en abscisse le temps en années et en
ordonnée le log. des exportations ~n milliers de tonnes).
-
152 -
I~!~i1;.!!!~.!!!~!l1 ~ Ce qu'il faut finalement retenir pour tous 'les
produits agricoles l'exportation dont nous avons étudié les
tendances,
c'est que ces produits,
café~ cacao, bananes et bois~
ont connu trois phases distinctes entre
1949 et
1969: Une
première phase à taux de croissance faible entré
1949 et
1954,
puis la phase à taux de croissance très élevé
(1954-64) et en~
fin
la troisième phase qui,
à partir de
1964 marque une nette
stagnation, les taux de croissance étant de l'ordre de zéro.
Ces découpages par périodes qui paraftraient à priori arbi~
traires sont non seulement nécessaires pour la clarificat~on
de la situation,
mais surtout confirmés par la réalité depuis
19?0. Car à partir de cette date i l y a eu baisse dans les
exportations du
café,
du
cacao et du
bois, ainsi que dans les
recettes auxquelles ces exportations ont donné lieu. b) Si
l'on considère donc les recettes d'exportation,
on constate
qu'au cours des deux dernières décennies. les trois produits
café,
cacao et bois ont fourni le gros des recettes tot~les
puisque leur part en pourcentages passe de 8? ~ en 1950 à -
90,4 ~ en 1960 pour tomber à 86,4 ~ en 19?0 (voir le graphique
2). La tendance des recettes totales des trois produits a été
à la baisse constante dans
les 20 dernières années,
le café se
maintient à la première place,
le cacao à la 2ème jusqu'dn
1963,
date à laquelle i l sera relégué à la 3ème place par le
bois.
b~~~~E2!!at~!l~_E~_E~févert ont été en 1960 de
14? 488 tonnes procurant une recette de
18 680 f.CFA contre
195 300 tonnes en
19?0 procurant une recette de 43
1?2 f
CFA;
la part du
café dans les exportations totales ont été de 48 j5 ~
en
1950, 60,4 ~ en 1954, 50 ~ (1960) et 40,1 ~ en 19?0. Dans ~a
dernière décennie,
les recettes du café en pourcentages des
exportations totales ont eu une tendance générale à la baisse
avec un mi~imum de 50 ~ en 1960 et un minimum de 25,5 ~ en 1969~
f~!_1~_E~~2, les exportations sont passées de
62 896 T en
1960 à
143 231 T en
19?0. Les recettes ont été
respectivement de
8
1?8 f
CFA et 26 ?41 f
CFA. Au cours des
deux dernières décennies,
ces recettes en pourcentages des
?
i ·
.
~ \\'-o.t ~\\" ~.e- .t, " t- ~.\\"ts; . t.Yl : 0/If .
cl o:.;,.Y\\~ \\0- "4~t~,. tot .. t( .J.t.~ e~rOr'
·-IQ.t.'QY.~ cial. \\4 c.x. (11'O-UfO)
1
(-1) 'c.~ f é
(t,)
'-CL C~ 0
(3)
b 0 t-5.
.
J
./
·-,00 /0 ~----~---------...;.-.-
~_ _
101-
,.
.
!
1
/
/
".,/1
l.j".%r-_.!.::!__
• • • • ~ . . . . . _~--
0 ..
•
•
• • •
• •
. "
20·jI,
-1:t- -/_
Cf
61
9
~O
-
153 -
exportations totales ont été de 32,4 ~ en 1950 et 1954; 23,4 ~
en
1960 et 20,5 ~ en 1970. Comme nous l'avons déjà noté plus
haut,
les recettes procurées par le cacao vont être inférieures
à celles provenant des ventes du
bois et ceci,
depuis
1963.
L'exploitation intensive et mg me dévastatrice des ré-
serves forestières est la raison principale de l'accroissement
spectaculaire de la part du
bois dans les recettes totales des
exportations ivoiriennes. Ainsi,
comme nous l'avons déjà noté
sans insister outre mesure
(1),
les exportations du
bois ont été
de
108 709 T en
1950, 654 824 T en
1960 et 2 06? 82? T en
1970.
Le record est atteint en
1969 avec 2 530 429 T de bois brut et
usinés pour une valeur totale de 35 118 millions de francs CFA
contre 30 169 millions de f
CFA au café et 25 350 au cacao(2).
Donc pour la première fois dans l'histoire économique de la
CBte d'Ivoire,
le bois prenait la première place dans les expor=
tations, reléguant le café et le cacao, respectivement à la 2ème
et 3ème place.
En somme,
pris dans leur ensemble,
les produits agri-
coles n'ont pas cessé de
jouer un rele prépondérant dans la
croissance économique ivoirienne que ce soit au niveau de la PIS,
au niveau sectoriel au niveau des recettes extérieures. M~me ~~
ici la part des cultures d'exportation baisse en valeur relative
au profit de celle des industries de transformation,
cette part
reste toujours prédominante en valeur absolue. Quoiqu'il en soit,
le secteur agricole joue toujours le rBle de base et de moteur
dans la croissance économique ivoirienne.
(1) Voir Supra Titre II,
chapitre l
"Mise en valeur des pro-
duits agricoles d'exportation"
:
le bois.
(2)
"Africa", op.déjà cité N056,
Juillet 19'71.
~ \\'-O-f,-, <1'~.e.. .t,~ t o.:r\\ s'· ~~ :0/.. ~
cl .::..~~ \\ '" ~~f~,. tol -. ~~ ~e.~ e~ for--f1
.- rQ.t,'o\\'\\~ dtt lca c.r. (1lt60-UfD)
i
1
(~) ·Co. f é
i~)
,"0. Co. 0
A..'
.
,1
t3) b 0 i.s
." O~ /0 . . . . . - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - . : . - --
1
;
1
/
1
/
.u".%r-_~__
20.Y;
.
,"
"
-1 '+ -/.
/
-
154 -
D -
b~~_~~E~~1~~~~_~~_~~~~12EE~~~~1_~~~_~~E2I1~112~~
~~riE21~~_~~_f~1~_~~1~21I~
Vu l'importance extrême du rBle des cultures d'ex-
portations dans le lancement et la poursuite de la croissance
économique ivoirienne,
nous pouvons,
une fois
de plus,
nous
interroger quels sont les principaux mécanismes qui sont à la
base de la croissance rapide des exportations agricoles en Cate
d'Ivoire? A cette question,
H. Myint donne une réponse d'ordre
général pour l'ensemble des pays sous-développés,
à savoir que
le développement des exportations des cultures spéculatives n'a
été possible que gr8ce d'une part,
à l'installation des Sociétés
d'import-export servant d'intermédiaire entré producteurs du
Tiers-Monde et acheteurs européens,
puis,
d'autre part,
à
l'amé-
lioration des transports et des communications
(1). Il est en
effet incontestable que l'implantation des cultures industriel-
les dans les économies africaines a
pour effet d'accélérer toutes
les ~ctivités économiques pendant la traite. D'autre part, la
commercialisation de ces produits provoque un développement de
l'infrastructure routière et portuaire des
pays africains.
Pour souligner ces deux phénomènes, Osendé AFANA écrit
que le "cacao,
par son extrême importance, rythme l'activité
économique du
Ghana,
du
Cameroun,
de la CBte d'Ivoire et de
Nigéria"
(2). L'auteur insiste donc sur l'importance des voies
d'évacuation qui
"conditionnent largement la production et la
commercialisation"
(3).
Il en est ainsi de tous les pays africains
producteurs et exportateurs de produits primaires
(surtout agri-
coles).
-----------------------------------------------------------------
(1) H. MYINT :
Les politiques de développement,
Paris,
Editions
Economie et Humanisme -
Les Editions Ouvrières,
1965,
175 p.
Voir surtout pp. 35 et suivantes.
(2) Osendé Afana : L'économie de l'Ouest Africain, Perspectives
de développement,
Paris,
François Maspéro,
1966 p.54.
(3) Osendé Afana
:
Ibidem,
P. 76
-
155 -
C'est le caS de la C6te d'Ivoire dont les voies navigables
(les
lagunes),
le chemin de fer et les routes se sont améliorés
parallèlement à l'expansion de l'économie du cacao et du
café
dans le pays.
Le port d'Abidjan est à cet égard un
exemple par~
ticulièrement éclatant. Ses activités vont considérablement
augmenter après le percement en
1950 du Canal de Vridi qui mit
en communication la lagune et la mer. Depuis cette époque,
le
r61e des grands produits agricoles n'a cessé d'occuper la pre-
mière place dans la progression du tonnage du
port dont le taux
annuel a dépassé de
10 ~ en moyenne de 1950 à 1960. Au cours
de cette période,
les exportations par ce port d'Abidjan sont
passées pour le café de 50 580 T. en
1953 à
151 553 T. en
1960,
pour le bois
(grumes et débité) de
133 508 T. à 593 508 T.(1)
Et si par ailleurs l'on rappelle que les exporta-
tions de ces produits ont atteint en
1970 274 000 T.
pour le
café,
175 600 T. pour les bananes,
et
163 000 T. pour le cacao,
on comprend que devant l'expansion continue des cultures in-
dustrielles,
les moyens de communication soient de plus en plus
mises à contribution. C'est ce qui fait dire à G.
ROUGERIE
que 'Ule s tonnages, eux aussi,
sont spectaculaires
:
le seul
port d'Abidjan,
qui voit entrer trois milliers de navires,doit
faire face à un
trafic de plus de cinq millions de tonnes"
(2).
Il a fallu
par conséquent construire un
second port en eau
profonde,
le Port de San-Pédro,
achevé en
1972 (3). Bien entendu,
parallèlement au développement des activités portuaires,
le
trafic par voie ferrée et par voie routière n'a
jamais cessé de
s'intensifier.
- . - - - - - - - - - - -
.-011I
. . .
- - -
(1)
"L'Essor économique de la C6te d'Ivoire",
Chambre de Commer-
ce d'Agriculture et d'Industrie de C6te d'Ivoire,
Abidjan,
7 Aoat
1961,
p.
14.
(2)
G.
ROUGERIE:
La C6te d'Ivoire,
Que sais-je?,
op.cit.,
p.93
(3) Pour plus d'amples détails,
CF.
"C6te d'Ivoire,
l'Opération
San Pédro",
Revue
"Jeune Afrique",
n0621,
2 Décembre
19'72.
-
156 -
Quand on sait en outre que l'embarquement des produits agrico-
les dans les gares et aux ports conditionne le débarquement
et la circulation en CBte d'Ivoire les marchandises importées
d'Europe,
on comprend que le commerce de traite rythme de façon
cyclique l'ensemble des activités économiques du
pays. Ainsi,
pendant la période de la traite,
tous les phénomènes économi-
ques
:
productions agricoles commercialisées,
crédits bancaires,
prix,
investissements,
exportations et importations connais-
sent une intensification particulière en CBte d'Ivoire
(1).
Un modèle économique global permettra de comprendre les carac-
téristiques fondamentales de l'économie ivoirienne.
x
x
x
x
--------------------------------~---------~~--~--------------
(1)
L'analyse de l'évolution des secteurs économiques ou de
l'indice général des activités économiques montre bien ce
phénomène.
Voir par exemple,
les Bulletins B.C.A.O. -
CBte-
d'Ivoire,
(no
1,
déc.
1971).
..:. 157 -
!l!Bf__lll
LA GENERALISATION DU MODELE DE DEVELOPPEMENT IVOIRIEN
-----------~---------------~----~--------
f!_b~_fBQ§bfM~IlQY~-Qy-§Qy§=Q~Y~bQff~~~I-f~-fQIg
D'IVOIRE ET EN AFRIQUE TROPICALE
-----------_.._---------~~--
-
158 -
INTRODUCTION
-----------
Dans les deux sections précédentes,
nous avons tenté
d'examiner la contribution de l'agriculture en général et de
l'agriculture d'exportation en particulier,
à la croissance
économique iv.oirienne à travers un modèle dualiste comprenant
le secteur de subsistance d'une part et le secteur d'exporta-
tion de produits agricoles d'autre part. Mais ce modèle simplifié
à deux secteurs ne correspond qu'à une étape historique du pro-
cessus de développement des économies sous-développées qui,
lorsqu'elles continuent leur progre~sion peuvent se transformer
en trois secteurs de ~~~~!~DE~~_~~~~E2!!~i!2D(de produits
agricoles ou miniers) et d'industries de substitution d'impor-
tations
(1).
Le professeur Celso Furtado a ainsi montré le passage
de l'économie brésilienne d'une structure à double secteur à une
structure plus complexe à !!!El~_~~.2!~~!:
"L'économie brésilien-
ne dans sa phase actuelle résulte de la superposition de trois
secteurs;
l'un est principalement celui de l'économie de sub-
sistance,
l'autre est axé surtout sur les exportations,
enfin
le troisième est constitué par un noyau industriel lié au marché
intérieur et suffisamment diversifié pour produire une partie
des biens capitaux requis par sa croissance m@me"(2).
Toutes choses étant égales d'ailleurs,
on peut en dire
autant pour la Cate d'Ivoire,
dans la phase actuelle de son déve-
loppement qui diffère cependant de celui du Brésil sur deux
points:
d'abord le noyau industriel brésilien comprend non seu-
lement des industries de substitution d'importations comme en
-------------------------------------~-----~------------
------------_.
(1)
Il arrive que malgré l'existence des trois secteurs,
cer-
tains auteurs divisent l~économie sous-développée en deux
secteurs,
le secteur de subsistance ou traditionnel et le
secteur moderne ou capitaliste englobant le secteur d'ex-
portation et le secteur industriel.
(2)
Celso Furtado, Développement et sous-développement,
Paris,
P.U.F.,
1966,
pp.129 et suivantes.
.159
,
CBte d'Ivoire -
mais aussi,
certains biens d'équipements fabri-
qués sur place;
ensuite,
comme dit le prof~sseur Furtado, le
noyau industriel brésilien fonctionne
"dans un climat de con-
currence permamente,
entre producteurs indigènes et étrangers"2/,
ce qui n'est pas le cas de l'économie ivoirienne dont les liens
sont encore très étroits avec l'économie française
en particu-
lier
(2). Cet essai de généralisation du modèle économique ivoi-
rien comprendra trois sections
:
1 0 )
L'absorption du secteur de subsistance par "le
secteur exportateur"
2 0 )
Le dynamisme du
"secteur exportateur";
30) La problématique du surplus économique ivoirien.
CHAPITRE l
LES MECANISMES D'ABSORPTION DU SEOTEUR DE SUBSISTANCE
--------------~..--~-----...-~----....------~---
D'après ce que nous venons'de dire plus haut,
l!écono-
mie ivoirienne comprend dans sa phase actuelle trois s~cteurs :
d'une part le secteur de subsistance et le secteur d'export~l'~
tions agricoles qui ont existé
jusqu'à l'indépendance et,
d'au-
tre part,
le secteur d'industries de substitution d'importations
qui a fait son apparition depuis cette indépendance.
Néanmoins,
on peut dire que
jusqu'à présent,
la poursuite du
processus de
croissance dépend essentiellement du
"sect~ur exportateur" qui
rappelons-le une fois de plus,
comprend en CODe d'Ivoire les
plantations de café et de cacao,
puis celles des bananes et
des ananas auxquelles i l faut ajouter l'exploitation forestière.
Tout ce "secteur exportateur",
par les ventes de ses produits
------------~-------------------~~----~-
..--------
(1)
Celso Furtado,
Développement et sous-développement,
ibidem,
p.134.
(2) Voir les relations économiques de la CSte d'Ivoire, dans
"CSte d'Ivoire An 12" nO spécial de "Fraternité Matin",
Abidjan,
? AoQt
19?2,
PP.
20-21.
-
160 -
à lUextérieur va servir de base à la monétarisation du pays,
et,
par conséquent,
à_~~E~~!E!i~~_E!2a!~~si~_~~~!~~_2~_~~E
~i~!~~~ dans la mesure où, pour ce dernier, les élasticités
d'offre de produits agricoles vivriers et de main-d'oeuvre non
qualifiée sont élevées.
b~_!~1~_2~~_2~~ré~~_~iv!i~~~_~~~_1~~~!Eti~
du secteur de subsistance
----------------~-----
En ce qui concerne les ventes des produits vivriers
du secteur de subsistance au secteur moderne,
i l s'agit essen-
tiellement de céréales,
c'est-à-dire du riz dont l'offre reste
aléatoire à cause des variations climatiques. Par conséquent,
chaque fois
que les conditions climatiques sont défavorables,
le surplus agricole à vendre est soit nul,
soit assez faible
pour pouvoir procurer des ressources monétaires suffisantes
aux paysans. Ainsi,
en
1950,
le Nord ne produisait que pour 750
millions de F.CFA sur
10,1 milliards de F.CFA de production
rurale totale en Cete d'Ivoire.
Autrement dit,
la production
rurale du Nord qui n'était que 7 à 8 ~ du total de la produc-
tion nationale en
1950 est tombée à 6 10 en
1965 (1). L'explica-
tion essentielle de ces disparités se trouve naturellement dans
le fait
que tous les grands produits agricoles d'exportation
sont concentrés dans le Sud contrairement à ce qui se passe
dans le Nord dont les produits vivriers commercialisés sont
d'importance mineure. Il en serait de m~me des quelques produits
artisanaux que dispose encOre l'économie de subsistance.
M~me si la commercialisation de ces produits, de quan-
tités insuffisantes du reste,
permettait au Nord,
en exportant
vers le Sud,
de se procurer un
certain revenu monétaire
(750
millions de F.CFA en
1950 et 2 110 millions de F.CFA en
1965),
i l n'en reste pas moins vr-a t : que, .les disparités entre les deux
grandes régions du
pays subsistent puisque les recettes moné-
taires du Sud sont passées de 9 380 millions de F CFA en
1950
à 33 145 millions de F CFA en
1965.
------------------.,.------------_.--------.-------------...-------
(1)
Samir AMIN,
La
Cete d'Ivoire:
1950-1965,
Cours de l'Ins-
titut Africain de Développement et de Planification, op.cit.
P.
134
-
161 -
Or,
la part des grands produits agricoles dans ces recettes du
Sud passa de 7 200 millions de F CFA (soit 77 ~) en 1950 à
29 400 F CFA (soit 88 ~) en 1965 (1). Ceci montre bien l~-!~le
Eré~~~~!~!_~~_~~~!~-!~~!~11~~~_~~le~~nt_~~~_1~
E!~~~~~E~~~~is~-l~l!l~~~_~~l~_~~~~_~s~~les_~lff~r~~
!~~_~l~~!l!~_~i-~SE~~a~~-E~!!~_E!~~~~~E~.
L'expression la plus caractéristique de ces disparités
se trouve dans le fait que de
1965 à
1970, le revenu monétaire
par t@te aurait dO passer de 5 400 F CFA à 7 600 F CFA dans le
Nord contre 37 500 à 41 900 F CFA au Sud
(2). Ces disparités, au
détriment du secteur de subsistance, ne sont pas seulement éco-
nomiques,
elles sont aussi d'ordre culturel
(3) et technologi-
que
: car à cause des techniques arch arques de production em-
ployées, la productivité de l'économie traditionnelle est très
faible. Or,
la faiblesse de la productivité a pour résultat
inéluctable la faiblesse du surplus agricole donc par conséquent
des possibilités limitées d'investissements pour améliorer l'en-
semble du système de production.
Bien entendu,
les dispar~tés socio-économiques, bien
qu'elles soient particulièrement graves entre le Nord et le Sud
d'une part (4), existent dans le Sud
(5) d'autre part. Néanmoins,
ce qu'il faut retenir pour l'in~tant, c'est que l'absorption du
secteur de subsistance par le secteur moderne gr8ce aux ventes
-------------------------------------~------------------
---------
(1) Samir AMIN, la Cete d'Ivoire,
cours déjà cité,
p.
135
(2) Loi Plan, op.cit.,pp.86 et 87. Le revenu monétaire par t@te
du Sud ne comprend pas celui d'Abidjan qui,selon les m@mes
sources, est passé en moyenne de 201 000 F CFA en
1965 à
253 000 F CFA en 1970.
(3) Les disparités des taux de scolarisation de l'enseignement
primaire en Cete d'Ivoire entre,
par exemple,
le Nord-Ouest
avec un taux de scolarisation de moins de 30 ~, le Sud et le
Sud-Est où le taux de scolarisation dépasse 75 ~. Cf "CBte
d'Ivoire An 12" Numéro spécial de "Fraternité-Matin", op.ct.,
p.61
(4)On peut dire que les autorités ivoiriennes étant préoccupées
par ces problèmes de disparités régionales,elles tendent à
développer dans le Nord certaines cultures industrielles tel-
les que le coton ou l'arachide et nous examinerons plus loin
le développement des plantations de riz en cours dans ses
régions depuis quelques années
(5) Pour tout ce qui concerne les disparités des revenus agrico-
les dans le Sud, voir entre autres
j"Reconversion des cultures
du
caféier en Cete d'Ivoire",
BDPA, Tome II, rapport de syn-
thèse,
op.déjà cité.Samir AMIN,
cours déjà cité,pp.136 et 148.
-
162 -
des denrées alimentaires du premier au second est limitée
10 )
par l'insuffisance du surplus agricole dégagé dans
l'économie de subsistance;
2 0 )
par la faiblesse relative des recettes monétaires
dues à la fois aux prélèvements des intermédiaires
et à la concurrence du riz importé dans le pays;
3 0 )
par l'accroissement démogrqph~que qui accentue
les charges pesant sur la population active dont une
partie tend à émigrer vers le secteur moderne.
Il y a donc lieu de se demander si par l'intermédiaire
des éventuels revenus reçus par ces migrants,
dans le secteur capi-
taliste,
le processus d'absorption de l'économie traditionnelle
par l'économie moderne peut se poursuivre.
§~E!!~~_ll : b~_!Ql~_2~1~~~!~!~!!~~_2~~~~~~!11eu!~_~~!!E~~
2~~~_1~~orE!!~~_2~_~~E!~~2~_~~E~!~!~~E~
Il s'agit es?entiellement ici de savoir quels sont le
r8Ie et les limites de la migration dans la monétarisation et
partant dans l'absorption du secteur traditionnel par le secteur
moderne ivoirien. Or,
en nous interrogeant dans les pages précé-
dentes sur les motivations profondes de cette migration de popula-
tions de l'économie traditionnelle vers l'économie moderne
(agri-
culture d'exportation,
industries et autres services des régions
urbaines),
nous avons retenu,
en plus des motifs "psychologiques"
ceux qui sont éçonomiques à savoir la recherche des meilleures
cor;ctitions de travail,
la recherche des revenus monétaires et enfin
la recherche des salaires élevés.
STAVENHAGEN qui s'est particulièrement intéressé à la
question en c8te d'Ivoire et en Afrique Tropicale en général,
con-
firme l'idée qu'il existe d'une part dans le Sud du continant
africain des travailleurs se déplaçant vers les centres miniers
et industriels et d'autre part dans l'Est et l'Ouest africains des
travailleurs allant dans les régions d'agriculture spéculative
-
163 ...
les premiers vont former
"un prolétariat urbain" tandis que les
seconds vont constituer un
"prolétariat rural"
(1). Par consé-
quent,le fait que l'exode rural soit économiquement justifié
par la recherche des rémunérations élevées n'est pas particulier
à l'économie ivoirienne dans la mesure où i l s'agirait d'un
phénomène généralisable aussi bien aux pays sous-developpées
qu'aux pays développés.
Arthur LEWIS
(2) a tenté en effet d'expliquer que dans
une conjoncture de plein-emploi,
un
secteur économique ne peut
attirer la main-d'oeuvre d'un autre secteur que par une augmen-
tation du taux de salaire. A notre avis ce type de plein-emploi
se rencontre beaucoup plus dans les pays développés que dans
les pays sous-developpés. Dans ces derniers pays en effet et ceci
est valable pour l'Afrique et la C8te d'Ivoire,
le plein-emploi
n'existe que pour la main-d'oeuvre qualifiée et pour les emplois
diencadrement. Par contre,
nous avons antérieurement établi que
dans le cas de la main-d'oeuvre non qualifiée,
le sous-emploi
est presque généralisé dans les pays du Tiers-Monde aussi bien
à la campagne qu'à la ville. Or,
LEWIS considère que dans cette
hypothèse de sous-emploi,
on assiste à un
départ de la main-
d'oeuvre du secteur à offre illimitée et à activités peu produc-
tives vers les secteurs à offre limitée.
Ce qui revient au m~me
de dire,
comme nous l'avons
jusque là soutenu
qu'en C8te d'I_
J
voire,
et plus généralement en Afrique Tropicale,
l'exode des
populations qui a
pour destination les secteurs capitalistes
de l'économie a
pour origine fondamentale l'économie de subsis-
tance où les ré~unérations salariales, compte tenu du mode de
production traditionnel,
c'est-à-dire familial,
sont plut8t ra-
res.
Donc,
pour surmonter les difficultés de l'évaluation du
salaire individuel de l'économie de subsistance,
le Professeur
( 1 )
Roberto STAVENHAGEN,
les classes sociales dans les sociétés
agraires,
op. cit. p.156
(2) Arthur LEWIS,
Economie Developpement with unlimited supply of
Labour,
in the Manchester School,
mai
1954.
164
SADOUIN écrit :
"C'est le revenu moyen et non le revenu marginal
qui doit ~tre pris en considération, car c'est en réalité celui
que perçoit tout individu m~me si sa productivité marginale est
nulle. L'organisation des sociétés traditionnelles,
les phéno-
mènes de solidarité,
l'emprise communautaire expliquent que le
revenu de chacun soit déterminé non par sa productivité propre,
mais par le produit moyen du groupe. C'est le revenu effective-
ment disponible,
en nature et en argent,
qui sert.d'élément de
compar.aison lorsque l'individu décide s ' i l va ou non s'engager
dans les secteurs modernes de l'économie. Un supplément de gain
de 30 à 50 ~ emporterait son adhésion"(1). Dans quelles condi-
tions donc et avec quelles limites l'arrivée de ces individus
dans le secteur moderne peut contribuer à la réduction du sec-
teur de subsistance? Il faut en premier lieu que les migrants
trouvent des emplois salariés dans le secteur capitaliste,
ce
qui n'est pas souvent le cas et nul n'ignore aujourd'hui qu'en
CBte d'Ivoire,
en Afrique et plus généralement dans les pays
sous-développés, l'exode rural constitue de plus en plus des mo-
tifs d'inquiétude pour les autorités intéressées à cause du sous-
emploi urbain qu'il aggrave. D'où l'encerclement des villes par
des taudis,
des bidonvilles respirant objectivement la misère et
potentiellement la révolte. On en déduit aisèment que les mi-
grants qui à leur arrivée dans les zones urbaines n'y trouvent
pas d'emploi ne peuvent pas envoyer d'argent dans l'économie de
subsistance dont ils ne contribuent pas à l'absorption que ce
soit par des dons ou par des achats de produits vivriers. Le
contraire devrait se produire pour ceux des migrants qui trou-
veraient du travail rémunérateur.
Mais dans ce cas,
i l faut,
en second lieu,
que ce soi-
ent des salaires en numéraires,
ce qui n'est pas toujours le cas
pour les migrants qui travaillent,
notamment en CBte d'Ivoire,
dans le secteur d'exportation de produits spéculatifs
(2). Il
faut aussi que les taux de salaire soient d'une façon ou d'une
autre d'abord plus élevés dans l'économie moderne que dans
(1) R. SADOUIN,
Economie rurale,
op.
cit.,PP 498-499.
(2) Cf. supra,
1ère partie,
Chapitre II,
Section IV,
Paragraphe B
"Les rapports employeurs-employés dans les plantations afri-
caines".
-
165 -
~1 '~col,::Jmie de subsistance, ce qui est en effet généralement
le cas. Ensuite que les migrants,
compte tenu de leur relative
intégration dans cette économie moderne et les dépenses qu'ils
sont par là obligés de faire,
puissent et veuillent renvoyer
des fonds dans le secteur traditionnel(1). Par conséquent,
mgme
sDil y a des fonds ou des produits manufacturés qui vont de
l'économie moderne à l'économie de subsistance,
on peut admet-
tre -
pour toutes les raisons que nous venons de donner plus
haut -
que ces flux sont insuffisants pour donner lieu
:
1 0 )
à une absorption rapide du secteur de subsistance,
2 0 )
à accro!tre les forces
productivès,
par l'augmenta-
tion des investissements productifs et socio-cul-
turels,
3 0 )
à un accroissement du surplus réel et monétaire,
dégagé dans l'économie traditionnelle afin que
celle-ci puisse conna!tre une croissance aussi rapi-
de que celle du
secteur moderne ivoirien dont la
base et le moteur restenttoujours l'agriculture d'ex-
portation.
f!:!A P1I.Bf_ll
FORCE ET FAIBLESSE DU "SECTEUR EXPORTATEUR" DES CUL-
-----------------------------.---------------
!~Bf§_l~QY§I.Blfbbf§_Qf_b~ffQ~Q~lf_l~Ql.Blf~~f
Le r8le moteur des produits agricoles d'exportation dans
la croissance économique ivoirienne vient,
comme nous l'avons
souvent indiqué,
du rele pratiquement omniprésent qu'ils
jouent
non seulement dans la monétarisation de l·économie,
mais aussi
dans tous les secteurs
(primaire,
secondaire et tertiaire)
de
cette économie. Les cultures industrielles ont ainsi largement
contribué à briser l'isolement du pays par l'accroissement
(1)
Nous avons eu à montrer
(cf. supra) qu'un travailleur agri-
cole qui cultive 2 ha dans l'économie de plantation,
gagne
de 4 à 6 mois,
300 F.F. dont i l expédie le quart aux parents
restés dans l'économie traditionnelle.
-
166
exceptionnel de leurs flux physiques,
à
monétariser rapidement
l'économie grgce aux flux financiers dont les ventes à l'ex-
térieur continuent de procurer au pays. De ce fait,
on peut
dire que l'agriculture spéculative occupe une place de choix
dans le secteur primaire de IJéconomie ivoirienne.
Mais elle n'a cessé aussi de
jouer un
rBle direct
dans le secteur secondaire soit par des investissements qu'elle
procure à ce secteur, soit ~ar la transformation locale des
produits comme le café,
le cacao,
les ananas(1). Elle garde en
outre une emprise particulière sur le secteur tertiaire en pro-
curant aux agents économiques des revenus divers,
en développant
l'infrastructure économique
(routes,ports, etc ••• ) et en animant
l'ensemble des activités économiques et commerciales du pays.
Somme toute,
parmi les mécanismes de la croissance de l',économie
ivoirienne,
le secteur agricole d'exportation lié souvent à la
demande extérieure occupe une position stratégique entre le
secteur de subsistance dont i l contribue à la résorption et le
secteur industriel dont i l soutient l'expansion. On peut donc
dire que parce que propulsant "le secteur exportateur ":t la
demande extérieure sert de stimulant fondamental à l,'ensemble
de l'économie de la Cete d'Ivoire,
que ce soit dans l'accroisse-
ment des flux physiques et financiers ou dans l'établissement
de l'équilibre extérieur.
Section l
---_.-_---
b~~~!!E~1!~!~_2~~~E2!!~!!2~-~!-~f!~~~~~!-~
la croissance
------------
La
question de financement des investissements con-
ditionne la croissance de toute économie développée ou sous-
développée. Les moyens de financement peuvent généralement ve-
nir de l'extérieur ou de l'intérieur,
ou encore à la fois
de ce6
deux sources. Examinant la question au niveau des pays sous-
développés qui se prononcent pour un financement interne,
le
professeur BADOUIN explique pourquoi l'agriculture est appelée
à
jouer un
rele important dans le financement économique
:
ilLe
secteur agricole occupe la quasi-totalité de la population
active.
-
167 -
Sa contribution au produit national est prépondérante. Sa place
dans les exportations confine,
souvent à l'exclusivité. Ni
le secteur industriel,
inexistant ou embryonnaire,
ni le sec-
teur tertiaire composé parfois d'unités parasitaires ne sau-
raient tenir ce rBle ll(1). On ne pourrait qu'admettre cette
thèse de l'auteur pour les pays sous-developpés à pr~d6minance
agricole. C'est le cas pour la plupart des pays d'Afrique Tro-
picale(2) et notamment pour la Cete d'Ivoire.
M@me si d'une part l'industrie et le commerce ne
cessent d'augmenter leur rBle dans la croissance comme nous le
verrons ultérieurement,
et d'autre part qu'ils font appel à
des capitaux extérieurs pour pa~ticiper au financement de
lVéconomie,
i l n'en demeure pas moins vrai que l'agriculture
d'exportation reste l'élément de base de la contribution stric-
'tement nationale à ce financement.
Pour pouvoir jouer un
tel
rele,
Ille secteur exportateur Il reste relié en permanence au
secteur de subsistance qu'il tend à absorber ainsi qu'au sec-
teur inGustriel qu'il soutient tout en contribuant à sa propre
expansion.
Nous avons déjà vu dans la section précédente que le
secteur de subsistance constituait en effet un
réservoir de
facteurs de production pour le secteur moderne. Ce qui a
permis
jusque là à ce dernier de surmonter sans trop de difficultés
l'accroissement de ses besoins en facteurs de production en
disposant d'une main-d'oeuvre non qualifiée de denrées vivriè-
res et de terres à bon marché. Donc,
i l y a liaison entre les
deux secteurs par l'échange de facteurs de l'un contre la mon-
naie de l'autre. C'est le processus de la résorption du
pre-
mier secteur par le second.
-----------------~------------------------------------
---------
(1) R.
BADOUIN,
Economie Rurale,
op. cit,
P.234
(2) L'importance de
J'~~ri~ulture dans les pays de l'Afrique
Tropicale sera t3xctmilil',ë dans la deuxième partie.
-
168 -
Mais comme nous lravons admis qurun tel processus nrest pas i l l i -
mité à cause d~ lréquipement des facteurs du secteur traditionnel
ou de lraccroissement "intolérable" des prix de ces facteurs
pour
le secteur moderne,
le problème de la croissance du "secteur
exportateur" et partant de l'économie ivoirienne demeure toujours
lié drune part à l'offre des produits spéculatifs et drautre part
à la demande extérieure. Le
"secteur exportateur" a
peu drinflu=
ence directe sur lrévolution de la demande extérieure tandis qu'il
peut accro~tre lroffre des cultures industrielles en utilisant
ses propres réserves de facteurs de production
: accroissement
des denrées vivrières par association des cultures industrielles
et des cultures vivrières;
utilisation extensive des réserves de
terres;
accroissement du nombre des petits producteurs de café
et de cacao dO à l'éclatement des cellules familiales des régions
forestières du
Sud-Est
(1).
Par conséquent,
que ce soit le fonctionnaire de la
ville qui,
en plus de sa profession entretienne une plantation
par laintérmédiaire de quelques salariés,
ou le petit planteur
quelconque qui exploite une plantation familiale,
ou encore que
ce soit le petit planteur dans les ethnies de l'Ouest ou du
CAn-
tre qui se fasse domestique à la ville pour pouvoir consacrer
une partie de ses émoluments à rémunérer ses ouvriers agricoles
les résultats restent à accro~tre la production exportable tandis
que les problèmes restent sensiblement les m~mes. D'une part,
~tre employeurs tout en échappant à l'endettement et d'autre part
devenir un
"grand planteur" à l'instar du
genre de ceux qu'on
rencontre dans les régions du
Sud-Est et qui,
finalement,
sont
devenus des véritables entrepreneurs africains. G. ROUGERIE écrit
du prototype de ces entrepreneurs agricoles:
"il est lui aussi
employeur,
i l sait spéculer sur les cours,
i l achète des véhicu=
les pour supprimer les intermédiaires et se faire,
par le m~me
coup, intermédiaire lui-m~me pour les voisins moins fortunés,
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _~--~-------------------------------------'
_ .-n.-m
(1) Pour plus de détails,
voir supra, Titre l,
Chapitre III,
Section III:
Les problèmes de main-droeuvre.
-
169 -
Il investit ses bénéfices dans des affaires commerciales à
IBextr~me, il monte une petite industrie" (1). Il srensuit aisé=
me~t que le petit planteur familial ne joue pas le m~me rele
da~s lraccroissement de la production agricole (européen ou
africain) dont i l dépend drune façon ou d'une autre.
De plus,
Raymond BARBE(2) a montré que les grandes
plantations de café et de cacaO avaient tendance à se concentrer
dans les régions du
Sud,
de lrEst et du
Sud-Est du
pays. Mais ce
qui est plus remarquable encore,
c'est que cette concentration
des flux physiques se traduit par une concentration encore plus
importante des revenus monétaires dans les m~mes régions (3). Le
résultat essentiel de cet état de choses est que ce sont les
grandes plantations africaines et surtout européennes qui font
des investissements pour améliorer et acoroître leurs techniques
de production par l'utilisation des engrais,
des machines agri-
coles etc ••• Ce qui n'empêche pas ces m~mes grandes plantations
dUaccro~tre leur production par l'utilisation des facteurs abon-
dants donc à bon marché,
c'est-à-dire
le travail et la terre.
Lrétude détaillée de la mise en valeur des cultures
dVexportation que nous avons faite dans la première partie (4)
a montré en effet que pour l'essentiel l'accro~ssement important
que connaissent les exportations agricoles ivoiriennes depuis
plus de vingt ans vient de lu'tilisation extensive des deux
facteurs -
la terre et le travail -
dont les rendements respec-
tifs,
par hectare et par homme restent encore faibles. par consé-
quent,
les investissements financiers surtout en ce qui concerne
G.ROUGERIE,
La Cete d'Ivoire,
Que sais-je? op.cit.,
p.112
Op.cit. pp.32 et suivantes
Voir à ce sujet, le Document BOPA déjà cité où i l a été fait
une étude détaillée (avec cartes) des revenus monétaires du
Sud,
c'est-à-dire du
"secteur exportateur" de la Cete d'Ivoi-
re (PP.150 et suivantes)
(4)
Cf. supra, Titre II,
Chapitre l
:
"Mise en valeur des pro-
duits agricoles d'exportation".
-
170 -
le5 plantations africaines ont ~t~ limités à assurer aux travail-
leurs agricoles leurs stricts moyens de subsistance,
c'est-à-dire
lWachat des instruments traditionnels de production,
l'achat de
quelques produits manufactur~s et surtout l'achat de denrées
alimentaires. Encore que dans ce dernier cas et vu l'~lasticité
d'offre ~lev~e des terres, on donne le plus souvent aux travail-
leurs agricoles un
lopin de terre pour produire en association
des denrées alimentaires d'une part et des cultures industriel-
les d~autre part. Et la vente de ces derni~res, malgré les
fluctuations de la demande internationale, apporte aux produc-
teurs et aux ouvriers agricoles du
"secteur exportateur" des
revenus mon~taires relativement plus ~18vés que ceux qui ~choient
aux paysans du secteur de subsistance. En outre,
l'Etat tire de
ces exportations agricoles une grande partie de ses recettes en
dpvises.
Finalement, en tant que sources de revenus pour les pro-
ducteurs,
de devises et de recettes fiscales
pour l'Etat,
le
"secteur exportateur"
confirme davantage le rBle stratégique
qu'il joue dans la croissance de l'~conomi8 ivoirienne.
B -
b~.EE!l!!:lÈ~!12!l_~-l~!:is~ll~~_2..:~~r t~i2.!:!_~
1~~~21~~~~!l!_~~~B~~~~~_~!_~-l'~3~i11È~~!éri8~~.
On verra successivement les caractéristiques des revenus
des producteurs et les recettes de l'Etat à travers l'~tabli5s8=
ment de l'~quilibre extérieur.
Les revenus que nous envisageons ici sont ceux que reçoi-
vent directement les producteurs lorsqu'ils VEndent leurs pro-
duits agricoles d'exportation. Ces revenus sont d'autant plus
variés qu'ils proviennent de produits divers,
café,
cacao,
bana-
n8s, ananas etc •••
Cependant,
ce sont le café et le cacao~ cul-
tures africaines par excellence qui procurent aux producteurs,
à
l'Etat et à la nation l'essentiel de leurs recettes mon~taires(1J.
Par conséquent, si le "secteur exportateur"
occupe une position
....,,-~------------~--------------------~_-.-----~-~-~-----
(1) Minist~re de l'Agriculture de la CBte d'Ivoire: "Le café en
CBte d'Ivoire:
Plan caféier national",
Abidjan,
Novembre -
D~cembre 1969.
-
171 -
stratégique dans la croissance de l'économie ivoirienne,
le caFé
et le cacao,
par leur r81e historique dans le lancement de cette
croissance,
par la place prépondérante qu'ils occupent encore
dans la production et les exportations du pays,
sont les pro-
duits statégiques dont dépend en grande partie l'économie de la
CBte d'Ivoire.
Comme l'écrit Arthur LEWIS,
les agriculteurs re-
présentant plus de la moitié de la population des pays sous_
développés,
le meilleur moyen d'augmenter les revenus réels de
la majorité des habitants d'un pays,
c'est de relever les reve-
nus réels des agriculteurs. L'auteur ajoute que "les revenus
des agriculteurs diminuent si les prix mondiaux viennent à leur
gtre défavorables,
dans le cas de biens de consommation isolés
des prix 'mondiaux,
si l'offre augmente plus vite que la demande"
(1). Nous montrerons plus loin qu'en Afrique Tropicale, bien que
1 u .f'f r-e des céréales soit en
permanence inférieure à la demande,
IDaccroissement de leurs prix,
lorsque cet accroissement a lieu,
profite beaucoup plus aux intermédiaires qu'aux producteurs.
Quant aux cultures industrielles,
le fait qu'elles acca-
parent,
par rapport à l'agriculture vivri~re la grande partie
des facteurs
d~ production (terre, travail et capitaux en ce qui
concerne les grandes plantations),
elles -
les cultures indus-
trielles
contribuent non seulement à la pénurie des céréales,
mais aussi à la déterioration des termes de l'échange dont les
pays sous-développés sont en général victimes
(2). Ainsi,
le
tableau N~20 et les graphiques qui vont suivre montrent combien
l'évolution des revenus des productèurs ivoiriens de café et de
cacaO dépendent gravement des fluctuations des cours mondiaux.
Pour stabiliser les revenus des agriculteurs,
le gouvernement
fixe les prix aux producteurs des deux produits au début de
chaque campagne.
----~---------------------------------------------------
---------
(1) Arthur LEWIS,
Développement économique et Planification,
ope
cit.,
pp.99 et suivantes.
(2) M. Falkowski,
les probl~mes de la croissance du Tiers-Monde,
op. cit.,
PP.S7 et suivantes. Nous verrons ultérieurement
les caractéristiques essentielles de ce phénom~ne de détério-
ration des termes de l'échange qui fait
partie du phénom~ne
beaucoup plus vaste de
"l'échange inégal" entre pays indus-
trialisés et pays non industrialisés.
-
172 -
De 1960 à
1970, le prix moyen du café a été de 93,4 F CFA, at-
teignant un maximum de 95 F.CFA le Kg en
1969/1970 et un minimum
de 73,15 F CFA en
1962/1963. Pendant la m~me décennie, la moyenne
du
prix payé aux producteurs du cacao nVa été que de 69,4 F.CFA
le Kg,
atteignant un maximum de 88,75 F CFA pendant la campagne
de
1960/1961 et un minimum de 63,75 F. CFA la campagne suivante(1).
Evolution des revenus globaux aux producteurs du
café et du
cacao
(milliers de tonnes et millions de F.CFA)
.-,'..-:>'~~'....,,~~-------------------------------------------
----------
"
"
.
. ,
"Total d e s "
~
C a f e
:
Cac a 0
:
g
Campagnes
-------------------------------~-------------- revenus
:Commercia- :Revenus
:Commerc1a-: Revenus
:
f'
:
:lisation
:M.F.CFA
:lisation
:M.F.CFA
:ca e ca- :
cao en M•
:1000 T.
:
1000 T . :
: F CFA
:
Il
•
•
•
a
•
a
Il
Il
Il
•
~~~~~-~-~-------------~--------------------------------------------
.
"
1960-61
•
191,06
16 842
93,60
8 206
.
25 048 •.
92,17
6 742
80,98:
5 154
11 906
198,71
14 536
103,03
6 569
21
105
260,85
23 357
98,21
6 875
30 112 :
'l9UI-65
210,80
18 162
•
147,52
10 327
28 489
.
~965-66
272,56
20 442
113,29:
6 231
26 673
.
1966-67
130,75
11 768
:
149,93;
10 495
22 263
287,75
25 898
146,64
10 265
36 163
.
210
12
18 911
•
144,47:
10
113
29 024
1~i69-70
279,61
26,563
180,32:
14 426
40 989
~
. : :
:
:
1970-71
~
240,00
:
25 200
;
180,00:
15 200
:
40 400
~~~~~------------------~--------------------------------
-----------
Source: Documents caisse de Stabilisation (Notre enqugte),1970 -
------
Voir illustration par les graphiques 3 A et 3 B.
(1) Les chiffres ci-dessus viennent des documents de la Caisse
de Stabilisation des produits agricoles
---------------~-----------~--------------------------
-----------
(1) Les chiffres ci-dessus viennent des rlocuments de la Caisse de
Stabilisation des produits agricoles,
quo achète l'ensemble
des produits agricoles. Quant aux revenus des producteurs
qui •••
-
173 -
Comme l'indique le tableau ci-dessus,
les producteurs
du
café et du
cacao ont vu leurs recettes totales passer de
25 048 millions de F.CFA en
1960/61 à 40 989 millions de F CFA
en
1969/1970, ce qui fait une augmentation de la valeur totale
des recettes de 62,4 ~ en 10 ans. L'explication de cette augmer-
tation se trouve essentiellement dans l'accroissement du volume
total du café et du cacao commercialisé qui passe de 284 660 T.
pour les deux produits en
196 0/61 à 459 930 T. en 1969/70, soit
un accroissement de 61,5 ~ en 10 ans? Apparemment, il n'ya pra-
tiquement pas eu d'augmentation du
pouvoir d'achat des produc-
teurs,
surtout si l'on tient compte de la hausse générale des
prix qui n'est pas inférieure à 6 ~ par an.
En fait,
les graphiques 3 A et 3 B expliquent mieux
l'évolution du total des volumes du
café et du
cacao d'une part
graphique 3.A -
et celle de la valeur des deux produits en mon-
naie reçue par les producteurs d'autre part -
graphique 3 B -
Alors que les productions en volume ont connu une augmentation
régulière dans la décennie
(exception faite des deux mauvaises
campFgnes
1961/62 et
1968/69), 1~~-!~E~tt~~_2~!_E2~~~_~~~_Eb~!~~
~E~~~~_~~_E2~E~_~~~_E~~E~a~~~_~§lL§~~
__1~§~L§~~_1~§§L§2_ e t_l~§~/
§~, périodes qui correspondent à des années difficiles pour l'é_
conomie ivoirienne. Les explications de cet état de choses sont
~;ltiples. Mais d'ores et déjà, on peut déterminer celles qui
viennent des structures de la production et celles des exporta-
tions.
-
EE~~l!E~~~~!, au cours de la campagne 1961/62, les
volumes commercialisés sont tombés à leurs niveaux minima aussi
bien pour le café
(92 170 T.) que pour le cacao
(80 980 T.)
Il
s'ensuivit une réduction importante dans les recettes des produc-
teurs. Mais ce n'est pas tout,
car la chute des dites recettes
s'explique en outre par la ~~1~~~_~~~_EE1~ auxquels la caisse de
stabilisqtion a acheté les deux produits pendant la période
considérée
1961/62 •
••• suite de la note
(1) de la page précédente ••• figurent dans
le tableau ci-dessous,
ce sont des revenus nets,
c'est-à-dire
tenant compte de la déduction des frais de ramassage et de trans-
port des produits
jusqu·au port d'embarquement.
--.~~~.pnW~·'·$.~--
... ~.:,-,.__":-.-.--~:.,_.._-,_..
~t»_..tt~~~~~~:;. .·t:::'n! -1-'1'<:'/: .•..•-.,.
" (1000 T,) .... .:
'. ....:";;:',:;': , l ' : ; .; , ,.. ~ .'. ,.( :':.,~.c,~\\ .. ,
' 1
. , . .
l
, .
,
.. '
i""-;" ... " ..:...~.. -: . ":\\.. :.' ;c\\\\f'.·
:T-j;'---- __+__L;,!' -~.~Q'F
:
. : . : .
'.'
':1·
·-.#-~..-----·I----·.._··-
."-..:.._.._._-_.._...__ ....:...._.- .
, : :;
.
,
...
1.
..
!
1
. !
\\
1
J '.
\\\\ j'
" "
\\
'
..\\ .---.- '~/-" ......
\\
. .._; .
; . . .
:. ..
..
....
"1
. . . . . : i· ..
. .,
: !
M/~
-
174 -
Ainsi,
ces prix sont tomQés à leur niveau le plus bas non seu-
lement pour le Kg. du
café
(73,15 F CFA),
mais aussi pour celui
du caCaO qui enregistra 63,75 F CFA. En somme,
les difficultés
de 1961/1962, qui se prolongèrent au cours de la campagne sui-
vante ont été dues à une combinaison à la fois de ia chute des
volumes commercialisés et celle des prix aux producteurs. Quant
aux difficultés des campagnes
1966/67 et 1968/69,
elles s'expli-
quent principalement par la chute des volumes du café et du
cacao commercialisés comme l'indique le tableau précédent.
Cette analyse de l'évolution des revenus des
producteurs ivoiriens était d'autant plus nécessaire qu'elle
permet de comprendre que E~~st_l~~~~~~~~_~~!E~~~_3~i~~
f~~~~~~!~~~~!~_1~_~~~-E~~_fl~E!~!i2~~_EE~!_~~_E~~~iE~_~
1~_2ai~~!-E2~~~~!~~~~_E~~~~~_~~~_~~iE~1~~~~~~~_~~
~~~~12EE~~_~~_~~~~E~1~_~~~_E~~~_~fEiE~i~~~!_~~1~-f~!~_~l~~i~
~.!LE~E!iE~li~E.
- Q~~~i~~~~~~!, en effet, chaque fois qu'il existe
en Cete d'Ivoire des difficultés dans l'économie du
café et du
cacao,
elles sont presque toujours dues aux fluctuations de la
demande extérieure, soit à cause de l'insuffisance de celle-ci
soit à cause de la baisse des prix, ou encore parce qu'il y a
combinaison des deux phénomènes.
Comme le prix des produits manufacturés importés
des pays développés continuent d'augmenter par rapport aux prix
des produits de base,
la détérioration des termes de l'échange
ne cesse d'appauvrir les pays sous-developpés. L'illustration,
une fois de plus, a été donnée pour la Cete d'Ivoire dans un
article écrit par M. Philippe Decraene (1)
"spécialiste des
questions africaines" que l'on ne saurait en aucun cas taxer
de progressisme surtout en matière de "décolonisation africaine iD •
L'auteur admet que d'une façon générale,
la détérioration des
termes de l'échange est réelle.
------------------~-----------------------------
-(1) "Aide aux pays sous-développés et nouveau pacte colonial",
in le journal "Le monde" du
1er et 2 Janvier 1967.
-
175 -
Et se référant à des statistiques de l~ C.E .E (1), du Ministère
des Finances et de l'Economie de la CBte d'Ivoire,
i l indique
que de
1961 à
1964,
"le pouvoir d'achat résultant des exporta-
tions ivoiriennes de café,
cacao et banane a
perdu annuellement
26 ~ de sa valeur. En valeur absolue,
la diminution du
pouvoir
d'achat de ces exportations a
été,
entre
1961 et
1965,
de l'ordre
de 280 millions de dollars. Or,
au 31 Décembre
1965,
la totalité
des subventions accordées à la CBte d'Ivoire par le Fonds d'Aide
et de Coopération
(France)
et le Fonds
Européen
de Développement
FED n'atteignait que 58 708 000 dollars. 1~~i~~_~~~_~~E-EE~~~
.§~ que le cinquième de la
perte subie"(2)
Tentant d'expliquer le phénomène,
l'auteur signale
l'argument selon lequel les
pays européens ne sauraient gtre
[~nsidérés comme responsables de la baisse des cours des denrées
agricoles tropicales. Si apparemment Decraene ne veut pas se
prononcer directement sur cet argument,
i l n'hésite pas cependant
à soutenir que les produits agricoles européens,
malgré leurs
conditions modernes
de
production,
sont à
peu
près tous subven-
tionnés pOUr pouvoir éventuellement supporter la concurrence des
produits agricoles
des
pays pauvres. Pal' conséqusnt,"demander au
paysan africain de faire face seul à
la concurrence mondiale,
tandis que l'agriculteur européen,
pourtant moins défavorisé,
est
soutenu face
à cette concurrence,
n'est-ce-pas se comporter en
partisan du maintien du
pacte colonial sous des formes
nouvelles"
Donc,
pour l'auteur -
et nous retrouverons
plus loin
encore ce genre d'arguments
confusionnistes -
les
producteurs
agricoles des
pays dêveloppés souffrent autant de
la détériora-
tion des termes de
l'échange que ceux des
pays sous-developpés,
les produits agricoles de
ces derniers
concurrençant ceux des
(1)
Statistiques officielles de la Communauté
Economique
Européenne,
volume 7?
(2)
Philippe Deacraene,
article du
"Monde" déjà cité.
C'est nous
qui soulignons
(3)
Philippe Desraene,
article cité.
-
176 -
premiers.
Et si les
producteurs des
pays industrialisés arrivent
à faire face
à la situation,
c'est gr8ce au niveau
élevé de leur
productivité d'une part,
et aux subventions qu'ils reçoivent de
leurs gouvernements respectifs
d'autre part. Quant à savoir ce
qui est la cause essentielle de cette détérioration des termes
de
IVéchange,
l'auteur l'impute à
ce qu'il appelle
"la concurrence
mondiale" sans pour autant indiquer à
qui cette détérioration
pro-
fite
principalement. Du reste,
dans les relations économiques in-
ternationales contemporaines qui voient surgir de plus en
plus
dangeureusement des
"entreprises multinationales"(1) aussi bien
au centre qu'à la périphérie,
on
peut se demand~ce qu'est la
signification véritable d'une
prétendue "concurrence mondiale",
surtout si elle oppose centre et périphérie. A supposer m~me que
cette concurrence existe,
apparemment tout au moins,
par qui et
dans
l'intér~t de qui fonctionnerait-elle?
-
Troisièmement,
Christian Palloix a
examiné plus sé-
~-....---------
rieusement l'ensemble des
questions relatives
à
la détérioration
des termes
de l'échange
(2).
L'auteur montre d'abord que si cer-
tains secteurs capitalistiques
(pétrole,
mine et plantations)
des
pays sous-developpés sont aussi productifs que ceux des
pays
développés,
la valeur des
biens offerts
par les
premiers
pays est
sous-évaluée tandis
que celle des
biens offerts
par les seconds
est sur-évaluée dans le commerce international. Par conséquent,
i l y a
transfert des surplus de
pays sous-développés aux pays
développés.
Enfin,
l'auteur é c r i t :
"on
peut m~me penser que
lUagriculture des
pays sous-développés,
dans notre raisonnement,
est frappée
deux fois
dans son surplus effectif et potentiel,
en
premier lieu par la sous-évaluation de la valeur du bien exporté,
(1)
Christian Palloix,
les Firmes multinationales et le procès
d'internationalisation,
Paris
Fr~nçois Maspéro,
1972.
(2)
Christian Palloix,
les
problèmes de la croissance en
économie
ouverte,
Paris,
François Maspéro,
1969.
Voir surtout le Titre
II
:
"La théorie marxiste des relations
économiques interna-
tionales",
PP. 62 et suivantes.
- 1~~ -
et en second lieu,
par la réaction de cette sous-évaluation sur
toute l'agriculture trad~tionnelle qui,
en raison de ce phéno-
mène,
n'est pas incitée aU
progrès"
(1).
On ne peut donc pas,
selon nous,
comme l ' a fait
Philippe Decraene, réduire la détérioration des termes de l'é-
change en une simple comparaison de pertes subies
par les agri-
culteurs des pays sous-développés et ceux des pays développés
d'ailleurs subventionnés.
La
perte subie par les pays du Tiers-
Monde est d'autant plus significative,
pour ne pas dire catas-
trophique que,
"spécialisés" dans la production et exportation
des produits primaires,
c'est toute l'économie de ces pays qui
subit les effets nocifs des "schanges non équivalents" dont les
racines -
on le verra davantage plus loin -
se trouvent dans la
domination socio-économique des pays capitalistes développés sur
les pays sous-développés d'Asie,
d'Afrique,
et d'Amérique Latine.
Ainsi donc,
vu l'importance qu'occupent le café et le cacao da'lS
l'sconàmie ivoirienne,
les conséquences de leur mévente frappent
non seulement leurs producteurs ivoiriens,
mais aussi tous ceux
qui directement ou indirectement,
dans le
pays bénéficient
d'une façon
quelconque des revenus en provenance des deux pro-
duits.
Les finances
publiques et l'équilibre extérieur en sont
particulièrement sensibles.
II) f2!2!!: i b~12ll_ de_l~~r i.s u l ~.!:!!:!;:,-2':~.E2!:~~~12ll_~
l'éS~il12!:~de~_fi~~~~~_~211s~~_!;:,~_~-1':~~~!-
rieur.
- - -
C'est un fait bien connu que dans tout processus de
développement économique et social,
l'Etat et les organismes
para-étatiques
jouent un rele sans cesse croissant. Il en a
été
ainsi historiquement,
que ce soit dans les pays à développement
capitaliste (Europe Occidentale,
Etats-Unis et Japon),
ou dans
les pays à processus de développement socialiste
(Union soviéti-
que et Chine Pop~laire notamment (2).
-----~-------------""""----------~--------,...----------
(1) Christian Palloix,
les problèmes de la croissance en écono-
mie ouverte,
op. cit.,
pp.8? et suivantes.
(2)
Nous reviendrons ultérieurement sur cette question du
rele de
l'Etat dans la croissance économique.
~ 178 ~
Il en est de plup en plus ainsi pour les pays sous-développés
parce que,
m@me dans le syst~me de développement libéral dont se
réclame la Cate d'Ivoire,
l'Etat reste en fin de compte la seule
force capable d'organiser l'économie face aux grandes et puissan-
tes sociétés étrang~res. Quand on sait en outre que comme tous
les agents économiques de la Nation
(ménages,
entreprises et
Administration),
l'Etat est tenu d'avoir son budget et que dans
les pays sous-développés où le secteur primaire est le plus domi-
nant,
le financement du développement ne peut se faire qu'à par-
tir de l'agriculture
(ou de l'industrie extractive),
on comprend
que dans le cas de la Cate d'Ivoire,
pays essentiellement agri-
cole,
les recettes de l'Etat viennent principalement du secteur
agricole. L'Etat agit ici sous forme de taxation des produits
agricoles soit par les services de la douane,
soit par les méca-
nismes de régulation des prix agricoles de la Caisse de Stabili-
sation qui est une société d'Etat.
1°) b~~rE~Eti~_E~_!~~~~~~-~!1~l~~~-l~!~E~!
1~-!~~i2~-E2~~1~!~·
Il existe sur ce probl~me de nombreux documents que
nous utiliserons ici
(1). En effet,
le document "Plan Caféier
National" indique
(pp.27-28),
que sur le prix de vente F.O.B.
dOun Kg de café ivoirien vendu en
1968 à
157,40 F CFA:
90 F
sont allés aux producteurs,
42,14 F à l'Etat et à la Caisse de
Stabilisation et 25,26 F aux divers intermédiaires.
--------
~--~I~---------------~---~--------------------------------
(1) Voir notamment
Bulletin d'Afrique Noire,
n0636 du
10 Mars
1971,
op.déjà
cité
: revenus producteurs et douaniers pour le café et le
cacao en Cate d'Ivoire,
pp.
12 858 et
12 859.
Minist~re de l' AgrJi cu l ture, "le Plan caféier National" ,
Abi d jan,
1969,
dé j à cité.
Bulletin mensuel de Statistiques de la CBte d'Ivoire,
Abidjan, surtout le N°1
de Janvier
1972
Bulletin de la Banque Centrale des Etats de l'Afrique de
l'Ouest,
Indicateurs économiques
(de la CBte d'Ivoire),
N° 190, décembre
1971.
-
179 -
Ces m~mes proportions existent jusqu'à présent, aussi bien pour
le café que pour le cacao quoiqu'il faille reconna~tre que la
part des intermédiaires dépasse substanciellement les 25,26 F.
CFA.
par Kg de café vendu dans la mesure où,
par de nombreuses
méthodes indirectes (l'usure par exemple),
ces intermédiaires
opèrent des ponctions importantes sur le revenu des producteurs
agricoles
(1). Donc une fois ceci admis,
on peut retenir que
sur
100 F.CFA de café vendu au prix F.O.B.,
57,1 ~ vont aux
producteurs contre
16,2 ~ aux intermédiaires et 26,7 ~ à l'Etat
et à la Caisse de Stabilisation,
l'une des sources de l'Etat
étant les taxes à l'exportation des produits agricoles.
B~~~~_~2~~~i~!~_~~~_1~_E~fé~i-l~E~~2_E~!~EQor1~~~
!~~~~_~~_E!~~1~t~_~~_f~1~_~1~2i!~~_j~§QL§1à__1962L2Q.
Tableau 21
----------
Revenus aux produc-
Revenus douaniers
teurs en millions de
en millions de F CFA
F CFA
Commercia-
Revenus aux
Exporta-
Droits
lisation
producteurs
tions
perçus
( 000 T)
(000 T)
AI Café
--~....--------------~---------------------~------
-
Totaux des
10
campagnes
agricoles
2 134,40
183 301
1 747,99
43 542
-
Total moyen
d'une camIJagne
213,44
18 310, 1
174,80
4 354,2
BI Cacao
-
Totaux deq
10
campagnes
agricoles
1 258,06
88 661
987 162
26 310,0
-
Total d'une
campagne
'moyen-
ne)
125,80
8 866,1
98 716
2 631,0
---------------------------~-------------------------------
Source
Calculs faits à partir des données du
Bulletin
d'Afrique Noire,
n0636,
10 Mars
1971,
pp.12 858 et
12 859. Nous avons pris la moyenne des prix aux produc-
teurs par campagne qui a été de 85,44 F CFA par Kg de
café acheté par la Caisse et 70,62 F CFA par Kg de ca-
cao.Les soldes entre las tonnages commercialisés, c'est
à-dira par la Caisse et ceux exportés sont stockés.
(1) Voir paga suivante.
-
180 -
Ainsi,
au cours de la première décennie d'indépendance
de la CBte d'Ivoire, les dix camp.~gnes de café et de cacao ont rap-
porté environ 271,962 milliards de F.CFA aux producteurs d'une
part et,
d'autre part,
69,852 milliards de F.CFA comme seules
recettes à l'exportation~ Ces prélèvements douaniers ont été en
moyenne de 24,82 F CFA par Kg de café contre 26,51 F.CFA par Kg
de cacao exporté. Par conséquent,
les prélèvements sont en moyen-
ne de 29 ~ du prix aux producteurs du café contre 37,5 ~ du prix
aux producteurs du
cacao
(1). En d'autres termes,
la taxe à
l'exportation a un taux plus élevé pour le caCaO que pour le café.
Ceci est d'ailleurs confirmé par le fait que les recettes doua-
nières par rapport aux recettes des producteurs de café et de
cacao ont été, au cours des dix campagnes commerciales
(1960/61
à
1969/70) de 23,2 ~ pour le premier contre 29,6 ~ pour le se-
cond. Il s'ensuit que les E~~~E!~~!~_~~_E~~~~~EE2!!~~!_~~~~~
!~g~_l~~-E~E!i2~~_fi~~~~_~E~~~i~~~S~~E~~~~~_Eaf~.
La pre-
mière explication qui vient à l'esprit est que le café étant le
premier produit d'exportation de la CBte d'Ivoire depuis plus de
25 ans et procurant directement ou indirectement des revenus à
la majorité de la population du
pays, i l serait politiquement et
socialement dangereux d'aggraver les taxes dont i l est soumis par
rapport à celles du cacao qui n'occupe que la seconde place, par-
fois la troisième après le bois,
dans les eXportations totales.
D'autant que le café et le cacao étant simultanément produits
dans les m@mes régions
(cf. supra tableau
19) et le plus souvent
---------------------------..------------------------------
Note (1) de la page précédente:
CF. L'Economie rurale,
déjà cité
du professeur BADOUIN qui explique qu'une étude effectuée au
Niger en
1960 a établi que "la somme initiale de 7 000 F CFA,.lan-
cée dans le circuit par le traitant est'devenue supérieure à
34 000 F CFA à la suite des transactions diverses qui se sont
produits tout au long de la campagne agricole",
in chap. III,
paragraphe 2,
p. 76.
(1) On a en effet 24,82/85,44 = 29 ~ et 26,51/70,62 = 37,5 ~
Quand on fait intervenir les recettes moyennes par campagne
des services de la douane par rapport à celles des produc-
teurs,
on trouve pour le café 4 354,2/18 330,1 millions de
F CFA = 23,2 ~; et pour le cacao ~_§~~Q = 29,6 ~.
8 866,1
-
181 -
par les m@mes producteurs,
l'Etat organise en conséquence la
perception de ses taxes dont celles du
café et du
cacao occupent
une place importante dans les recettes totales à l'exportation
57 ~ en 1970. De plus, si l'on songe d'une part que trois pro-
duits,
le café,
le cacao et le bois ont compté pour 86,4 ~ de
la valeur totale des exportations ivoiriennes en
1970,
et d'au-
tre part que la transformation industrielle d'une partie de cha-
cun des trois produits donne lieu aussi à des exportations, on
peut admettre aisèment que 1~~~~11~1_~~~r2its de sE~1~~~
la CBte d'Ivoire vient ~es cultures industrielles. Ce n'est donc
-----~-~--------_
.•_---------------------
pas par hasard que ces m@mes cultures spéculatives procurent
au pays 1~~~~1~1_~_~~~_~vi~~~_ét~~~~I~~.
Déjà en
1960,
le café avait rapporté à la CBte d'I-
voire 59" ~ de ses dollars américains,
17 ~ du Sterling et 34 ~
de l'ensemble des devises étrangères. Quant au cacao,
i l avait
rapporté dans le m@me temps 33 ~ des dollars américains et 38 ~
de l'ensemble des devises étrangères.(1)
Naturellement,
la part
des deux produits dans l'acquisition des devises étrangères
bien qu'encore prépondérante,
est en relative diminution au pro-
fit des expo~tations d'autres produits, notamment le bois dont
le rythme d'exploitation "n'a cessé de s'accélérer depuis
1950.
En tout état de cause,
les trois produits,
café,
cacao et bois
ont, en
1970, rapporté à la CBte d'Ivoire 69,4 ~ des Francs
Français,
93,0 ~ des dollars américains, 78,0 ~ de la livre
Sterling et 86,9 ~ des devises en provenance d'Italie, d'Alle-
magne de l'Ouest,
de Belgique,
du Luwembourg et des Pays-Bas(2).
Et comme nous avons déjà eu à le souligner plus haut,
dans la
perception des devises étrangères ainsi que dans la commercia-
lisation sinon dans la mise en valeur des cultures industrielles
un organisme public semble jouer un rBle important :
la Caisse
de Stabilisation qui,
Par ailleurs,
utilise une partie de ses
---------~------------------------------------
...---
(1) Petch et Gérardin,
la Reconversion du
Caféier en CBte
d'Ivoire,
BDPA, Document de synthèse, op. cit.
p.17
(2)
Nous avons fait ces calculs à partir des données du
Bulletin
mensuel de Statistiques de la CBte d'Ivoire,
n01 Janvier
1971, déjà cité.
.-
182 -
excédents financiers
à des fins
d'investissements
productifs.
Quel r81e
joue réellement cette Caisse dans
lA
commercialisa-
tion des
produits agricoles? Il nous faudra
maintenant essayer
de répondre à cette question en indiquant les aiouts mais aussi
les difficultés de cet organisme d'Etat.
2°)
La
Caisse de Stabilisation et la commerc~al~sation
--------....----------------_.-..~--._~-
"La Caisse de Stabilisation et de Soutien des
prix
des
produits agricoles de
ClHe d'Ivoire" a
pour objectif esen-
tiel de garantir chaque année aux producteurs du café~ du cacao
et du coton un E!:i~_.!:!!ini.!:!!~.!!! af;in de les protéger contre 1.e8
fluctuations
des cours mondiaux
(1). Mais p
en plus de ce r81e
principal de la caisse,
"elle ;intervient aussi dans
la plupart
des domaines
de
l'activité économique et sociale en
participa~t
au financement des
programmes d'aide à l'agriculture,
de régé-
nératio~ cacaoyère, de mécanisation agricoles ainsi que les
programmes de constructions,
d'entrep8ts
et d'immeubles"(2).
Autrement dit,
l'intervention de
la Caisse
pour stabiliser les
prix aux producteurs et pour faire des investissements
produc=
tifs,
l'oblige aussi à
"contr81er" la commercialisation inté-
rieure du
café et du
cacao qui animent principalement l'écono~
mie ivoirienne.
Pour suivre la commercialisation des
deux produits
sans
les acheter elle-m~me aux producteurs ni les vendre aux
consommateurs,
la Caisse opère en relation
étroite avec les
.~
sOciétés-~privées étrangères.
--~--------------------------------------------------~-------~
(1)
Signalons que dès sa création en
1956,
la Caisse était
divisée en deux parties distinctes~ l'une s'occupant du café
et l'autre du cacao.
Elle devint un organisme unique pour
les deux produits en
1962,
et sous sa forme actuelle~ elle
est une Société d'Etat avec un
Conseil diAdministration~un
Président;~un-VIce:Présidentet un Directeur Général qui
coordonne les activités de la Caisse.
(2)
Delaporte Guy
"La
Caisse de Stabilisation de
Cô t e
d' Evo Lr-e !",
quinze années bien remplies au service du
pays",
in Marchés
Tropicaux et Méditerranéens,
n01281,
30 Mai
1970,
PP.
1699
à
1 714.
-
183 -
Les "E~poptateupe!' qui non seulement exportent les prodults,
mais aussi achètent ces produits aux lieux de leur production
par l'intermédiaire de traitants Libano-syriens et africains -
Les mécanismes de la Caisse lui permettent ainsi de payer aux
producteurs un E!1~_~~!~~!i fixé au début de chaque campagne
agricole
(1). Selon que le prix mondial du kg du produit est
inférieur ou supérieur au E!1~_~~!~!i, la Caisse lisoutient"le
prix garanti 9ans le premier cas,
tandis que dans le second cas,
elle constitue des
"!és~!~~_2~~~1~i!~!i~:qu'elle utilisera
plus tard soit pour soutenir le prix garanti en cas d'effondre-
ment des cours mondiaux,
soit pour faire des investissements
économiques et sociaux.
Dans cette seconde hypothèse de réalisation des béné-
fices nets par la Caisse,
celle-ci a obligation depuis
1966 de
les répartir de la façon suivante
(2).
60 ~ au fonds de réserves pour le soutien des cours,
30 ~ au financement d'opérations économiques et
sociales,
-
10 ~ en dotation de la Caisse nationale de Crédit
Agricole.
En fait,
i l appara~t finalement que la Caisse met en
réserves 60 ~ de ses excédents et verse le reste (40 ~) au B.S.I.
E.
(Budget Spécial d'Investissement d'Etat)
qui se charge de les
investir. Il appara~t tout aussi clair que devant l'augmentation
rapide de ses excédents,
la Caisse a
pu elle-m~me procéder à
d'autres investissements socio-économiques.
Les comptes de la Caisse nettent en évidence l'accrois-
sement de ses bénéfices nets au moins depuis
1965 (3).
(1) L'analyse des mécanismes de la Caisse dépassant le cadre de
cette étude, on pourrait se reporter à l'article de Dela-
porte Guy déjà mentionné plus haut.
(2) Cf. IiRouage essentiel de l'économie ivoirienne: la Caisse
de Stabilisation et de soutien des prix des productions agri-
coles en C8te d'Ivoire li,
Document de la Caisse,
Abidjan,
19'70
p .11.
(3) L'analyse des comptes et des innombrables activités de la •••
-
184 -
C'est ainsi que de la campagne 1965/66 à celle de
1968/69, les
opérations de la Caisse sur le café,
le cacao et le coton sont
passés d'un qo1de négatif de(-932) en
1965/66 à un solde positif
de
(+9 155) millions de F CFA en
1968/69,
dont
(-649) pour le
café,
(+32)
pour le coton et
(+ 9 773) millions de F CFA pour le
cacao(1). Par conséquent,
jusqu'en 1969, le solde positif était
da principalement aux excédents provenant des opérations sur le
cacao dont les cours mondiaux,
après une baisse extr~me en
1965 t
sont restés rémunérateurs
jusqu'en 1970. Mais depuis cette date~
le cacao conna!t une instabilité grave des cours tandis que le
café,
depuis la hausse exceptionnelle des prix internationaux
de
1956/57,
conna!t une stagnation permanente malgré les accords
internationaux sur le café de
1962.
3°) b~i~E2r!~~~_~~_1~_f~~~~_~~_§!~~il~~_~!
~~11~_~~~_§2~i~!~~_étr~~~~r~~.
La Caisse tient son importance dans l'économie ivoi-
rienne de celle des produits agricoles d'exportation sans les-
quels son existence en tant que telle serait sans objet. Naturel-
lement,
la nécessité et l'utilité de la Caisse sont de ce fait
incontestables. Depuis sa création en
1956, la Caisse à réussi
à garantir aux producteurs du
café et du
cacao un r~~~~~~~~~
dont nous avons estimé la moyenne par campagne entre
1966/61 et
suite de la note 3 de la page précédente •••
Caisse dépassant le
cadre de cette étude dont le but est de montrer l'importan-
ce de l'agriculture d'exportation dans l'économie ivoirien-
ne,
on pourrait se reporter à l'article déjà cité de De1a-
porte Guy qui traite en détails du bilan d'exploitation de
la Caisse jusqu'en
1970
(1)
Document F.H.I./SM/70/96 déjà cité,
p.13.
Ne font pas par-
tie de ces résultats d'exploitation les versements annuels
que les Services de douane faisaient à la Caisse sur chaque
kg de produits agricoles exportés
jusqu'en 1969.
-
185 -
1969/70 à 85,44 F CFA par kg de café et 70,62 F CFA par kg de
cacao;
quant à l'utilité de la Caisse pour l'Etat ivoirien,
elle ne fait pas de doute non plus puisque,
à partir des réser-
ves importantes qu'elle a constituées gr§ce aux excédents de
ses opérations,
elle transfère une partie de ces excédents aU
Budget Spécial d'Investissement et d'Equipement de l'Etat;
l'importance de la Caisse appara!t enfin à travers d'autres
activités économiques,
sociales et financières dont l'opportu-
nité dans certains caS ne para!t pas toujours incontestable(1)e
Car tout compte fait la puissance économique et financière de
la Caisse, si elle est incontestable,
ne doit pas @tre consi-
dérée comme irrésistible puisque la Caisse conna~t certaines
faiblesses qui ne lui permettent pas d'assurer pleinement le
rBle qui devrait @tre le sien dans l'économie ivoirienne.
En premier lieu,
les réserves de la Caisse ve=
naient de deux sources: de ses propres excédents à la suite des
opérations de stabilisation des cours d'une part,
d'autre part,
de la ristourna que les services de douane lui versaient sur
chaque kg de café ou de cacao qu'ils taxaient à la sortie de
la CBte d'Ivoire.
Cette ristourne à la Caisse qui lui procu-
rait une somme substantielle et permettait parfois d'amortir
ses dépenses de fonctionnement a été suspendue en Janvier
1969.
Dès lors,
la source d'approvisionnement de la Caisse reste
désormais les éventuels excédents de ses opérations de compen-
sation.
En second lieu,
les excédents en" question ont e~
--~-~-------
des montants élevés pendant la première décennie d'indépendance
(1960-1970), rien ne prouve qu'il en sera ainsi au cours de la
décennie
1970-1980 puisque les réserves de la Caisse dépenc8nt
étroitement de l'évolution des cours mondiaux du
café et du
cacao qui sont soit stagnants,
soit fluctuants
à la baisse.
-~------------------------------------------~-----------
-----,
(1) On peut à ce sujet citer l'immeuble que la Caisse s'est
fait
construire à l'avenue Terrasson de Fougères à Abid-
jan et dont le coOt se situe entre 2 à 3 milliards de F.
CFA (voir l'article de Delaporte Guy,
p.
1713).
186
,
'
E~_!!~~~~-li~~, vu l'importance des produits agri-
coles dans la croissance économique ivoirienne,
les mécanismes
de taxation douanière d'une part et ceux de la constitution
des réserves de la Caisse de Stabilisation d'autre part sont
les moyens principaux par lesquels l'Etat ivoirien constitue
des surplus agricoles importants. Mais cela ne va pas sans
problèmes. D'abord,
les surplus agricoles dont i l s'agit ont
été,
comme nous l'avons vu,
prélevés essentiellement sur le ca~
fé et le cacao,
qui sont en grande partie contr8lés par les
petits planteurs africains. Il s'ensuit que ces derniers se
trouvent dans l'incapacité de dégager leurs propres surplus qui
auraient pu servir à améliorer leurs moyens de production. Nous
verrons plus loin que ces petits planteurs sont pour la plupart
endettés tandis que les grands planteurs,
essentiellement des
Européens ou des Sociétés européennes bénéficient des avantages
non-négligeables que leur accorde l'Etat Ivoirien. Ensuite,
ces
grandes sociétés agricoles étrangères constituent avec les
sociétés industrielles et commerciales tout aussi étrangères~
un bloc économique solide qui non seulement dégage un surplus
économique important mais aussi et surtout transfère la grande
partie de ce surplus vers la Métropole. Il se pose donc le
probl~me fondamental suivant: l'économie ivoirienne peut-elle
espérer une autonomie de croissance sans contr8ler les mécanis-
mes d'accumulation actuellement détenus par les Sociétés pri-
vées étrangères? C'est toute la problématique du
dégagement de
surplus dans la perspective de développement autonome en CBte
dŒlvoire qui se trouve ainsi posée,
et que nous voulons immédia-
tement examiner.
CHAPITRE III
-------~---
LA PROBLEMATIQUE DU SURPLUS DE L'ECONOMIE IVOIRIENNE
--------------------------_.-_-----
- - - - - - -
Cette question de surplus est extr~mement importante
dans la mesure où une économie quelle qu'elle soit, qui ne
dégage pas de surplus important,
ne peut objectivement préten-
dre faire des investissements économiques et socio-culturels
-
187 -
suffisants pour lancer au soutenir sa croissance. D'un autre
cBté, an verra dans cette section quelles sant les capacités
et les limites des différents secteurs économiques dans leur
participation au développement économique de la C8te d'Ivoire.
§~E!i2n~!:b~-3~~~!i~~_2~_~~~El~~_~~2~~E!~~~~
subsistance
---------
Il s'agit d'un secteur qui pratique l'économie de
subsistance et dont le made de production traditionnel utilise
comme mayens de production la seule farce de travaii cdlle~tif
et les outils rudimentaires
(1).
L~~E~~2~i2~~~~~iiell~~~!
~ariE~~~ servent à subvenir aux besoins alimentaires des popu-
lations. Il existe certes quelques produits artisanaux,
mais
leur importance est limitée à cause de la concurrence des pro-
duits manufacturés importés au fabriqués sur place.
A cause du caractère traditionnel des mayens de pro-
duction,
d'une part et des conditions climatiques aléatoires
dont dépend la production d'autre part,
le surplus agricole est
non seulement faible mais aussi aléatoire. Il est sait échangé
cantre d'autres produits agricoles,
sait contre des produits
manufacturés,
au encore stocké pour le prestige du groupe. En
tout cas, an peut retenir que l'économie de subsistance ivoirien-
ne ne dégage pas un surplus
(réel au financier) suffisant pour
donner une impulsion prodigieuse à la transformation de la
société traditionnelle.
--------------,...------...------------------------------
(1) Vair supra, Titre I,
Chapitre I,
Section II :
"Problème du
surplus économique de la C8te d'Ivoire précoloniale et début
de monétarisation de l'ébonomie".
-
188 -
Il n'en demeure pas moins vrai que le secteur de sub-
sistance,
lié au secteur moderne est soumis à ce dernier et con-
trBlé par lui dans la mesure où,
comme nous l'avons déjà vu
(1)
a) i l reçoit des produits agricoles et la main- d'oeuvre à bon
marché venus du
secteur de subsistance;
b) i l lui vend quelques produits manufacturés à prix
élevés d'où l'existence d'une détérioration des termes de l'échan-
ge intérieur,
au détriment de la campagne et au
profit de la
ville;
c) i l implante directement certaines exploitations
agricoles de nature capitaliste. Il en est ainsi de certaines
plantations de riz entreprises dans le Nord
(à Ferkéssédougou
par exemple),
par des sociétés étrangères ou l'Etat.
Il en est
de même de cultures spéculatives
(arachide,
coton et cola).
En conclusion,
on peut écrire que le secteur de subsis-
tance,
pratiquant un mode de production traditionnel pour sa
survie est cependant "ouvert" au mode de production capitaliste
qui le transforme progressivement,
l'exploite et le domine.
Section II
b~_s~~!i2~_~~_~~EE1~~_~~~~_1~_~~E!~~E
--~~-----
~~E2E!~!~~E"·
Nous avons déjà insisté sur le rBle stratégique de ce
secteur dans la croissance économique ivoirienne en ce sens que
-~--------~------~-----------~--------------------------
-------
(1)
Voir supra,
surtout les 2 sections précédentes où nous avons
analysé en détails les caractéristiques essentielles du
secteur de subsistance ainsi que ses liens avec le secteur
moderne.
-
189 -
d'une part i l contribue fondamentalement à la résorption du
38cteur de subsistance et que d'autre part,
i l sert de marché au
secteur industriel tout en animant l'ensemble de l'économie du
pays. Dépendant essentiellement de la demande extérieure, on peut
dire que chaque fois
que cette demande'extérieure s'accrort pour
les cultures industrielles ivoiriennes, i l se produit une réduc-
tion de secteur traditionnel dans la mesure où les élasticités
d'offre des produits dépendant elles-mêmes de celles de l'offre
des terres et de la main-d'oeuvre,
sont très élevées.
Néanmoins si le mode de production de l'ensemble
du
"secteur exportateur" est capitaliste,
la situation,
pour ce
qui con6erne le dégagement de surplus,
ne se présente pas de la
même façon selon qu'il s'agit de la production agricole réalisée
par les petits planteurs africains ou selon que l'on a affaire
à la production réalisée par les grands planteurs européens aux-
quels i l faut ajouter quelques planteurs africains
(1). Nous
appellerons ~~~=~E!~~!-~~2r!~!~r_~f!iE~i~celui qui groupe
les petites plantations africaines et ~~~=~E1~~r_~E2r!~!~
~~2E~~ celui qui comprend les grandes plantations européennes
et africaines.
Il groupe principalement les petits planteurs
de café et de cacao qui cultivent des plantations de quelques
(1) Nous ne faisons pas ici une répartition sectorielle selon
l'origine raciale des planteurs, répartition que J.Freyssinet
a
justement condamnée. Se reporter à son ouvrage déjà cité:
"Le concept du sous-développement". Néanmoins, on reconnar-
tra objectivement que la grande production agricole,
l'indus-
trie,
le grand commerce se trnuvent encore entre les mains
des Européens en
CBte d'Ivoire et en Afrique tropicale.
-
190 -
hectares avec leure nombres de famille,
ou avec quelques salariés.
Au point de vue technique de production,
on continue d'utiliser
les m~mes outils traditionnels de production, avec peu ou pas
d'engrais~ Encore moins de machines agricoles -
Donc, générale-
ment,
les moyens de production ne sont pas différents de ceux
que nous avons rencontrés dans l'économie de subsistance ivoi-
rienne. Et si la production du café et du
cacao des petites
plantations ont toujours connu une augmentation,
c'est princi-
palement gr8ce à l'élasticité d'offre élevée de terre et de
main-d'oeuvre.
En ce qui concerne le premier facteur de production,
la
terre,
elle a toujours pratiquement été gratuite.
Edinval et
Picard confirment ce fait en écrivant qu'"il n'existe ni dans
la région du
Sud-Est,
ni dans la zone de plantations de la ré-
gion de BOUAKE de propriété privée de moyens de production"(1).
Ces moyens de production,
la terre et les principaux instruments
étant propriété du groupe ou du
village. Quant au second facteur
de production,
la force
de travail,
elle est consacrée pour une
grande part à la production du
café -
cacao,
et pour une petite
part à la production des denrées alimentaires dont l'insuffisance
malgré tout,
oblige les petits planteurs à en acheter gr8ce à
une partie de la monnaie que leur procurent les ventes des cul-
tures spéculatives.
Le fait que l'investissement dans l'économie de subsis-
tance aussi bien que dans les petites plantations soit essentiel-
lement limité à des achats de denrées alimentaires et autres
biens de consommation destinés à renouveler la force de travail
(1)
Edinval et Picard, op. cit.,
p.54
des paysans et ouvriers agricoles, a été analysé,
entre autres,
par H. MYINT qui note ceci en particulier :
IVM~me en Afrique
occidentale,
la culture du
cacao,
nouveau produit introduit
par l'entreprise paysanne, a réussi parce qu'elle ne nécessitait
pas un
changement radical des méthodes de l'agriculture de
subsistance"
(1).
Or,
comme dans le cas de la CBte d'Ivoire notamment,
en plus de leur main-d'oeuvre familiale,
les petites plantations
utilisent une main-d'oeuvre salariée tout aussi bon marché
(2),
on peut dire que le sous-secteur exportateur africain réalise
certaines recettes monétaires relativement substantielles d'au-
tant plus que l'on combine la production d'auto-subsistance avec
celle destinée à l'exportation d'une part,
et d'autre part,
que
IVan investit peu soit pour améliorer les techniques producti-
ves,
soit pour acquérir des terres dont l'élasticité d'offre a
été jusque là élevée.
On ne devrait pas en déduire automatiquement que les
petites plantations ivoiriennes de café et de cacao dégagent~un
surplus monétaire important. Il y a
à cela de nombreuses
raisons.
En premier lieu,
le sous-secteur exportateur africain
dégage d'autant moins de surplus qu'il s'agit de production à
petite échelle,
à faible
productivité par homme et par hectare
(1) H. MYINT,
Les politiques de développement,
op.cit.,
p.34
(2)
Cf. supra,
chapitre III,
section IV,
B
:
"Les rapports
emp19Yliiurs-employés".
-
192 -
et que les divers prélèvements effectués sur les revenus des
producteurs sont élevés. En effet,
le document "Plan caféier
national"
(1) indique que sur le prix de vente F.O.B. d'un kg
de café ivoirien vendu en
1968 à
157,40 F CFA:
90 F. sont allés aux producteurs
42,14 à l'Etat et à la Caisse de Stabilisation,
25,26 aux divers intermédiaires.
Ces m@mes proportions existent jusquDà présent~ aussi
bien pour le café que pour le cacao quoiqu'il faille reco~nat
tre que la part des intermédiaires dépasse substantiellement
les 25,26 F CFA par Kg de café vendu dans la mesure oD par de
nombreuses méthodes indirectes,
l'usure par exemple,
cas m@mes
intermédiaires opèrent des ponctions importantes sur le revenu
des product~~r.s agricoles, que ce soit en cBte d'Ivoire ou
ailleurs en Afrique Tropicale
(2). Donc une fois ceci admis,
on
peut retenir que sur
100 F CFA de café vendu au prix P.O.B.,
26,7 ~ vont à l'Etat et à la Caisse de Stabilisation,
16,2 ~ aux
intermédiaires officiellement reconnus comme tels et seulement
5?~ 1 ~ vont aux producteurs.
En second lieu,
le sous-secteur exportateur africain
s~bit les fluctuations généralement en baisse de la demande
---------------------------------------------------~--
----------
(1) ibidem,
PP. 27-28
(2)
Le professeur BADOUIN Economie Rurale,
op. cit.,
P. 76 -
explique qu'une étude effectuée au Niger en
1960 a établi
que "la somme initiale de 7 000 F CFA,
lancée dans le cir-
cuit par le traitant est devenue supérieure à 34 000 F CFA.
à la suite des transactions diverses qui se sont produites
tout au long de la campagne agricole" n cf. chap.III,
paragraphe 2,
P. 76.
-
193 -
extérieure de café et de cacao depuis une quinzaine d'années.
Les revenus en sont réduits pour autant, surtout que par ail-
leurs,
une partie de ces revenus
(du sous-secteur), versée à
la main-d'oeuvre voltarque est rapatriée en Haute-Volta (1),et
qu'une autre partie est utilisée pour l'achat de produits
alimentaires soit venant du
Nord de la Cate d'Ivoire, soit
importés d'autres pays.
En troisième lieu enfin,
étant donnée l'élasticité
très élevée de la demande de produits manufacturés et le ni-
veau relativement bas de satisfaction des besoins dans ce do-
maine,
le sous-secteur exportateur africain va constituer l'une
des bases du
marché local pour les produits manufacturés d'a-
bord importés,
puis fabriqués partiellement sur place.
On peut donc conclure qu'à part des prélevements obli-
gatoires par l'Etat sur ses revenus,
le sous-secteur exporta-
teur africain ne réalise pas de surplus agricole important
permettant d'améliorer la production économique en général
et la production agricole en particulier. Si l'on tient compte
d'autres dépenses qu'exige "la tradition" chez les petits
planteurs africains
(f~tes, mariages, cérémonies funéraires,
dons etc ••• ), on peut dire qu'ils désépargnent,
donc qu'ils
sont le plus souvent endettés,
ce qui n'est pas le cas des
propriétaires des grandes plantations.
--------~-----------,...-~-----------_
_--.---.....-----_.-_--
.....
(1) STAVENHAGEN,
"Les classes sociales dans les Sociétés
agraires ll ,
op. cit., p.
218,
estime que certains des tra-
vailleurs volta!ques dans les plantations de cultures
industrielles en cete d'Ivoire arrivent à expédier le quart
de leurs revenus dans le:
pays natal et ceci chaque année.
-
194
B - b~_s~~~!i2~_2~_~~EE1~~_~~~iE21~~2~~2~~
~~~te~E-~~E2E!~!~~E-~~E2~~~.
Ce sous-secteur exportateur comprend essentiellement
des grandes entreprises agricoles appartenant surtout à des
sociétés privées étrangères qui mettent en valeur des planta-
tions de bananes,
d'ananas et dans une moindre mesure des gran-
des plantations de café et de cacao dont certaines appartien-
nent à de grands producteurs africains. Il faut y ajouter l'ex-
ploitation forestière qui comme nous l'avons déjà montré,
occu-
pe une place non-négligeable dans la mise en valeur des grandes
entreprises agricoles européennes en CBte d'Ivoire
(1). Con-
trairement à ce qui se passe pour le secteur de subsistance et
le sous-secteur exportateur africain, ~~1~i_2~~_f~E2E~~_~~!
1~~~~1-S~1-2~~~~~_~~~~El~~_~E1~1~_imE2E!~~
grgce à Sa
méthode rationnelle,
à la transformation industrielle de cer-
tains produits agricoles et à une plus-value importante.
fE~~i~E~~~! : utilisant des engrais, des machines
et d'autres moyens modernes de production et de traitement
des produits agricoles,
la productivité des entreprises du
sous-secteur exportateur européen est plus élevée par homme et
par hectare m~me si, comme nous le verrons par la suite, elles
réalisent une plus-value importante en utilisant une main-
d'oeuvre à bon marché. D'autre part,
en traitant,
transportant
et commercialisant elles-m~mes leurs produits agricoles, leurs
recettes ne suu .i 2,5 eni IJ5p des prélèvements des intermédiaires
.
.;l>.
•
divers. Ce qui accro!t nettement leurs profits.
-----------------------------------------------------
(1) Cf. Supra, Titre II, chapitre r , section r : "Mise en
valeur des autres produits agricoles d'exportation".
-
195
-
E!~~i~!!!~!!!~nt : alors que les petits planteurs vendent
"b r-u t s " leurs produits agricoles,
les grands propriétaires de
plantations transforment industriellement une partie non-négli-
geable des leurs. C'est le cas du traitement de la banane,
des
ananaS (en conserve de
jus), ainsi que les diverses transforma-
tions d'une partie du
bois. Cette industrialisation des produits
agricoles procure
aux sociétés étrangères une valeur-ajoutée
d'autant plus importante que les prix de vente des produits usi-
nés sont élevés tandis que les salaires des ouvriers sont très
bas.
-
II2i~i~!!!~!!!~~! : En C8te d'Ivoire en effet, comme
dans les autres pays d'Afrique et m@me dans la plupart des pays
sous-developpés, 1~~xi~!~~~_E!~~~_~1~~!iEi!~_i~~i~~~2ffI~
2~_!!!~~=~~~~~~i-~-&~~-f~nd~!!!~~~1~_~_~i~~-!1~~~~
!~~~_de-EI2fi!~_I~~li~~~_Ear_l~~_~~~E!~~_~~~E~~~E~Ei!~li~-
tes installées dans ces pays. Le plus souvent aussi,
pour pou-
voir maintenir le taux de profit élevé,
on renforce l'abondance
de la main-d'oeuvre à bon marché par l'immigration. C. Furtado
lU a montré dans le cas des plantations de thé de Ceylan et de
Birmanie (1). Nous l'avons montré dans le cas particulier de la
C8te d'Ivoire avec l'utilisation de travailleurs qui viennent
du Mali et surtout de Haute-Volta. A ce propos,
Edinval et Picard
expliquent que l'utilisation de façon
permanente,
par les gran-
des entreprises capitalistes,
des travailleurs autochtones et
immigrés qui sont rémunérés au taux de salaire minimum garanti
par le gouvernement,
provoque la création de surplus de type
(1) C. Furtado, Développement et sous-développement, op. cit.,
PP.
128-129.
-
196 -
capitaliste,
"d'une plus-value correspondant à l'excédent des
ressources de l'entreprise sur le prix payé pour l'achat de la
force de travail"
(1). Ajoutons que pour réduire encore au mini-
mum le coat de cette fOrcB de travail, équivalent en denrées
alimentaires,
les travailleurs disposent souvent des lopins de
terre qui leur permettent de cultiver une partie des produits
vivriers nécessaires à leur subsistance. Comme résultats de tout
ceci,
le professeur BADOUIN écrit que "la fixité du taux de
salaire jusqu'à épuisement de la m~in-d'oeuvre disponible en
agriculture de subsistance favorise la réalisation d'un taux de
croissance élevé. Aussi longtemps que dure cette élasticité in-
finie de P~ffre de main-d'oeuvre par rapport au
taux courant
du salaire,
la part des profits dans le produit national va en
croissant et fournit les moyens de financement de la croissance
économique"
(2).
L'importance du
rOle des grandes plantations étran-
gères dans le dégagement du surplus agricole ivoirien apparaît
surtout dans les faits suivants:
d'abord, si les s~ciétés eu-
1
ropéennes ont été obligées d'abandonner l'essentiel de la produc-
tion du
café et du cacao aux producteurs africains,
elles n'en
contraIent pas moins la commercialisation de ces produits. En-
suite,
elles dominent dans la production et le traitement des
bananes dont elles ont reçu les 3/4 des revenus contre le
1/4
aux Africains de
1961 à
1969. Il en est de m~me des ananas dont
---------------~-~-------------~---------------------
(1)
Edinval et Pic~rd, op. cit. p.39
(2)
R.
BADOUIN,
Economie rurale,
op. cit. p.499
'elles ont reçu 88 ~ des revenus en 1970 (1). Quant aux for@ts,
on peut dire que leur exploitation est entièrement contrBlée
par ces sociétés étrangères. Enfin les cultures industrielles
indiquées ci-dessus sont relativement moins sensibles aux fluctu-
ations des cours mondiaux,
contrairement à ce qui se passe pour
le café et le cacao. De plus,
comme les sociétés étrangères
réalisent un
taux de profit élevé à cause des bas sàlaires d'une
part,
du traitement et de la commercialisation à grande échelle
des produits agricoles par elles-m@mes d'autre part,
on peut
dire qu'elles subissent moins la détérioration des termes de
lléchange que les petits planteurs ivoiriens. Mais en outre,
le
dégagement de surplus par ces grandes entreprises étrangères est
un obstacle important à l'accumulation au profit de l'économie
nationale ivoirienne.
Rien qu'au niveau de la commercialisation des pro-
duits agricoles d'exportation,
nous avons déjà indiqué qu'une
des limites à l'importance du rBle économique de la Caisse de
Stabilisation -
organisme d'accumulation de l'Etat ivoirien -
se trouve dans le pouvoir économique et commercial de ce puis-
sant intermédiaire étranger que l'on appelle
"1~~~.e.E.!:1~~.!:!.!:".
Pourtant,
en traitant des mécanismes de stabilisation
de la Caisse,
M. Delaporte Guy la qualifie "d'organisme de ges-
tion,
de contrBle et d'intervention souple et efficace",ce qui ,est
a
priori incontestable. Mais on~peut se demander s'il est néces-
saire que l'auteur fasse aussi l'apologie,
sans réserves,
du
-----------------------------~----------------------------------
(1) Cf. supra, titre II, chapitre I, section III, tableaux 13
et 14.
-
198 -
rBle du secteur privé étranger dans la commercialisation des
produits agricoles de notre pays
:
"Dans la majeure partie des
cas,
écrit-il, c'est au dynamisme et à l'efficacité du secteur
privé commercial qu'est laissé le soin de rechercher des débou-
chés aux meilleurs prix, toute opération demeurant sous le con-
trBle constant de la Caisse"
(1). Car en fait,
"lVexportateurW,
ce sont les compagnies privées étrangèrgs dont certaines -
la
CFCI
(Compagnie Française de C6te d'Ivoire),
la S.C.O.A.
(Socié~
té Commerciale de l'Ouest Africain) -
ont toute leur histoire
confondue avec celle de la Colonisation française en Afrique •••
De plus, et c'est sans doute très important,
ces compagnies pri-
vées étrangères bénéficient de la presque totalité des crédits
bancaires nécessaires à l'achat de la totalité du
café et du
cacao au cours des campagnes commerciales
(2). Elles utilisent
pour ce faire des traitants africains et surtout libano-syriens
qui,
à leur tour,
utilisent des sous-traitants africains qui vont
acheter les produits en brousse. Autrement dit,
les compagnies
privées en question sont la !!!~i!!~~ii21~ de la cha!ne des
intermédiaires qui sont en partie responsables de l'exploita-
tion et de l'endettement des petits producteurs, exploitation
que la caisse a sans doute réduite par la stabilisation relative
des revenus de certains producteurs agricoles, mais exploitation
quVelle n'a pas supprimée.
- - - - - - - - - - - - - - - , - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
(1) Pour la citation précédente ainsi que pour cette dernière,
voir Delaporte Guy,
La Caisse de Stabilisation, op. cit.,
p.
1 702.
(2) On peut trouver la liste des "exportateurs" en fonction de
leur importance (volumes de crédits bancaires reçus,
poids
de produits agricoles achetés par chaque compagnie etc ••• )
dans "La Caisse de Stabilisation" article de Delaporte Guy,
PP.
1703 et 1 704.
Quand on pense en outre que ce sont les mêmes compa-
gnies qui exportent la totalité du
café et du
cacao,
que certaines
dWentre elles non seulement participent à la transformation in-
dustrielle des produits agricoles,
mais aussi importent des den-
rées manufacturées,
on comprend qu'elles
(les compagnies privées
étrangères) fassent
partie des mécanismes de la détérioration
des termes de l'échange dont les pays sous-développés sont en
grande partie victimes
(1). On ne peut donc faire face à ces
problèmes de domination des Sociétés étrangères,
en Afrique en
particulier et dans les pays sous-développé~
en général,
quWen
réduisant,
dans un
premier temps,
à leur juste proportion,
leur
pouvoir économique et financier qui leur permet dVagir sur l'en-
semble des activités économiques des
Etats africains.
Il n'y a donc pas compatibilité entre d'une part,
la
réalisation de profits élevés par ces sociétés privées étrangères
installées dans les pays sous-développés et,
d'autre part,
la
possibilité pour ces pays de procéder à une véritable accumula-
tion nationale leur permettant d'amorcer une croissance autonome.
Celso Furtado a montré que dans le cas de Ceylan et de la Birmanie,
_.._-----------------------------------------------------,-
(1) On trouvera l'historique du développement de ces compagnies
et l'extension continue de leur puissance commerciale, finan-
cière et de plus en plus industrielle dans l'Afrique indé-
pendante dans l'article récent de M.
Claude Genovdi "Les
Compagnies françaises
en Afrique",
in Revue Jeune Afrique,
nO 634 du 3 Mars
1973.
- ggg -
les profits ainsi réalisés avaient tendance à se diriger vers
la Métropole. Et m~me que, dans le cas du Brésil, explique IV a u-
teur, si la demande extérieure des produits agricoles baisse p
les capitalistes nationaux qui contrBlent les plantations ne
pouvant investir dans ces dernières de façon rentables, ont
tendance à faire sortir leurs capitaux de leurs pays
(1).
Samir AMIN,
dans son ouvrage -
IVAccumulation à
IVéchelle mondiale -
a montré que cette accumulation dans les
pays sous-développés, se faisait essentiellement au
profit des
pays capitalistes développés. Il a aussi expliqué le m~me phé~
nomène pour les pays d'Afrique tropicale
(2) et pour la CBte
d'Ivoire
(3)
"b~trib~~.!:L.s~Ei!~l_~!!:~a~!:or(4) qU!3 paient ce
dernier pays ainsi que ceux du continent africain en général
et de l'Afrique Tropicale en particulier ne cesse d'augmenter
tandis qu'ils éprouvent des difficultés de plus en plus grandes
pour le financement de leurs économies, y compris dans le ca-
dre du développement non -
autonome qu'ils connaissent depuis
leur indépendance.
(1) C. Furtado, Développement et sous-développement,
op. cit.,
PP.
130 -
131.
(2) Voir à ce propos:
Samir AMIN "Les indépendances africaines
et les Lois du "Centre",
" in Revue "Politique d'aujourdDhui"
nOS,
sept.
1969.
(3)
Cf. Samir AMIN, le développement du
capitalisme en CBte
d'Ivoire,
op. déjà cité.
(4) Philippe Simonnot,
"L'exemple et les vertiges de la CBte
d'Ivoire",
trois séries d'articles publiés dans "Le monde li
du
1S au 20 Juillet
1973. Voir surtout le 3ème article
intitulé :
"Le tribut au capital étranger".
-
201 -
Par conséquent, à travers leurs multiples entrepri-
ses agricoles,
industrielles,
commerciales et financières,
les
pays capitalistes développés gardent encore leur contrffle sur
l'ensemble des activités socio-économiques des Etats africains.
Ceci est d'autant plus vrai qu'avant et après l'indépendance,
ces activités ont toujours été et sont toujours basées sur la
mise en valeur et les exportations des produits primaires.
Dans ces conditions, ~~~~~ll~~~~2i!-3~~_l~~~Eéri~~_i~i
r~~_~_dif~r~~~_f2~~~~~l~~~~1-~~_E~l~~~tr~~
.§~ d' ~ti.91:e TroEi~.I._~~.E~~.!2S~.QL!L~_~~~
l~~~i!~~~~~~E~~~~~_E~-3~g~~~:D
le sous-dévelE"E-
.e~~!,:.
CHAPITRE IV
===========
QEL': EXffBlg~f.s_ffQ~Q~lB!d.§-1YQ1BllN N.§_~b':~.§.Bl ENf.§_Qf_b,'.E;-
FRIQUE TROPICALE : LA PROBLEMATIQUE DU SOUS-DEVELOPPEMENT~
~-------------------------------------------_
....._--,
Comme nous l'avons établi par une ~E.erEE~~_~i~1~ri
S~~, l'importance des cultures industrielles dans la crois-
Sance économique ivoirienne est à tout point de vue incontes-
table,
pour ne pas dire prépondérante -
De m~me, l'utilisa-
tion avec discernement de la m~me méthode d'analyse montrerait
clairement que quelles que soient ses particularités propres,
l'expérience ivoirienne s'inscrit dans le cadre général du
processus de croissance des pays sous-développés en général,
et des pays africains en particulier. Pour les uns comme pour
les autres,
le principal secteur de lancement de la croissance
a été ou reste encore le secteur d'exportation de matière
premières
(agricoles, minières ou énergétiques).
-
202 -
Ce qui a engendré dans ces pays une croissance dont les carac-
téristiques fondamentales sont d'une part de leur avoir été
imposée de l'extérieur,
et,
d'autre part,
de ne pas déboucher
sur la croissance autonome que connaissent les pays industria-
lisés.
Cette évolution des pays du Tiers-Monde est inhérente
auX phénomènes du sous-développement que IVo n a
pu
définir soit
comme un
"retar d" dan s
le d évelop pement,
soi t
comme un" pro dui t lU
du
développement des pays occidentaux.
Section l
L~~2~~=2~~~2.E~!!!~!li~~~!=il_~.!2_':~~"
2~~1~_2~~~12E.E~!!!~?
Jusqu'à une date très récente,
disons vers
1950,
le
courant dominant des théoriciens
qui se réclament du
libéralis~
me économique a solidement soutenu l'idée que le sous-développe-
ment des pays d'Asie,
d'Afrique et d'Amérique Latine,
s'explique
essentiellement par le fait
que ces pays étaient en retard sur
la voie du
développement économique et sociale Ils pourraient,
une fois certaines conditions remplies,
réduire ce retard en
suivant la m@me voie que les pays industrialisés
(1).
Benjamin
Higgins,
traitant du
développement des
pays européens aux
(1)
Voir Jacques Freyssinet,
le Concept du sous-développement,
Paris,
MOUTON et Compagnie,
1972, Titre II
:
"Le sous-
développement,
retard décisif de développement",p.
120. On
doit reconna!tre que cette définition du sous-développement p
bien que contestable,
est un réel progrès par rapport à
d'autres définitions qui le considéraient comme un
phénomène
"naturel" dQ aux différences
écologiques,
raciales,
démo-
graphiques etc ••• (cf.
Le
titre l
de l'ouvrage de Freyssinet).
-
203 -
XVIIIème et XIXème siècles,
précise que "ce qui se produit dans
ces pays au cour~ de cette période est ce que nous désirons
voir se produire maintenant en Asie, en Afrique et en Amérique
Latine"
(1). En fait,
de nombreux économistes des pays de l'Est
étaient sensiblement du m@me avis que leurs collègues de l'Ouest
puisque à propos des uns et des autres,
M. Falkowski écrit que
"partant des prémisses méthodologiques différentes et s'appuyant
sur des thèses différentes affirmaient que le développement des
pays arriérés suivraient la m@me voie que celle qu'ont connue
les pays actuellement développés"
(2).
En d'autres termes,
les pays développés montrent
la voie aux pays sous-développés qui n'ont qu'à la suivre pour
pouvoir amorcer leur décollage économique : Er~~i~r~~~!, en
fournissant ce qui leur a manqué jusque là et que Resenstein
Rodan appelle "I~_~~_f.!:!~!:!.':, c'est-à-dire
un grand effort
dUutilisation des ressources naturelles,
humaines et surtout
financières
(3); E~~i~~~~!, l'utilisation des facteurs de
production doit nécessairement se faire non pas en s'addi~ion
nant par petites quantités,
par exemple, sous la forme d'inves-
tissements successifs,
mais de façon massive,
pour atteindre
un "seuil" dans lequel i l n'y a pas de "décollage économique".
--------~---~----------
........------------------ """"--
(1) B.HIGGINS,
Economie Developpement -
Problems, Principles
and Politics,
London,
1959, P. 85.
(2) M. Falkowski,
Les problèmes de la croissance du Tiers-Monde,
Paris,
Payot 1968,
PP.
15 et 16.
(3) Resenstein-Rodan
(P.N.)
:
1°) Les besoins de capitaux dans
les pays sous-développés,
in Revue Economie -
Appliquée,
1954, n01-2,
pp.??-8?;
2°) Notes en the Theory of the
"Big-push" suivi de commentaires de C. Furtado et de R.
Nurkse in Economie Dévelopment for Latin America,
Inter-
national Economie Association,
London,
1961.
-
204 -
Nous considérons les Etapes de la Croissance de W. Rostow
comme une des variantes de la m~me théorie (1);
troisièmement
- - - - - - -
toutes ces théories insistent sur le commerce international
entre pays développés et pays sous-développés p
par lequel
i l y aurait "transmission" de la croissance des
premiers
aux seconds,
et ceci graBe aux transferts de technologie,de
capitaux et de savoir faire
(2).
Or,
on sait maintenant qu'historiquement comme
présentement,
le commerce international,
loin de combler le
fossé
qui existe entre les deux groupes de pays ne fait
que
le creuser davantage au détriment des
pays du Tiers-Monde.
Comme l'écrit Celso Furtado,
i l faut reposer le problème
du
sous-développement en termes différents'i~ le fossé entre
économies développées et sous-développées qui existe,
sans
aucun doute,
et se creuse toujours
plus profondément avec
le temps,
exige que l'on pose le problème en termes
....
différents"
(3).
(1) W,W. Rostow,
Les Etapes de la croissance économique
Paris,
Edition du
Seuil,
1963.
(2) Voir les thèses de
:
Jacob Viner,
Commerce international et développement
économique,
I.D.E. BIRD 1963,
Gotfried Haberler,
L'échange international et le
développement économique,
I.D.E.-BIRD,
Paris
1963,
Christian Palloix,
Problèmes de la croissance,
Paris,
François Mas péro,
1969, Titre III,
Cha pi tre 5 :
"Echan-
ge international et développement" dans lequel l'au-
teur fait des observations critiques sur les thèses
de Viner et de Haberler.
(3) -
Celso Furtado,
Développement et sous-développement,
Paris,
P.U.F.,
1966,
p.
124.
-
205 -
Le moins qu'on puisse dire,
c'est que ce "fossé" exprime suf-
fisamment l'échec du libre-échangisme en particulier et celui
des relations économiques internationales en général
pour qu'on
persiste encore à recommander aux pays sous-développés de sui-
vre la voie des pays industrialisés d'Occident. Il y a
donc
un écart entre la théorie libérale du développement d'une part,
et la réalité qu'elle prétend refléter d'autre part,.
Cet écart
s'explique avant tout par un choix méthodologique contestable
dans la mesure où la thoérie "économiste" ne s'est surtout
occupée que de "l'économie pure" séparant cette dernière des
autres sciences sociales.
Or,
comme le dit justement le Professeur Henri BARTOlI,
""ciest en prenant pleine conscience de sa propre finalité et
de l'unité du phénomène humain comme problème à résoudre que
la science économique réalise le mieux son essence"
(1). De m@me
Gunnar Myrdal,
après avoir critiqué cette tendance "économiste"
de la science économique l'explique par le fait que la théorie
du développement,
ne s'est pas réellement souciée des intér@ts
des pays sous-développés,
mais seulement de ceux des pays déve-
loppés,
qu'elle représente.
En cela,
précise l'auteur,
la théo-
.rie du
développement "économiste" n'a été qu'''une rationalisa-
tion des intér@ts dominants des pays industriels qui en sont
les promoteurs et l'ont développée par la suite"
(2).
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
(1) Henri BARTOlI, Emploi et Industrialisation, in Economie
appliquée,
n 0 1 ,
1968,
P.
123.
(2) Gunnard Myrdal, Théorie économique et sous-développement,
Paris,
Présence Africaine,
1959,
PP.
118 et suivantes.
Pour sa part,
le professeur C.
Furtado considère que
"l'erreur fondamentale"
de la théorie basée principalement
sur le modèle Harrod-Domar,
est d'avoir construit des modè-
les abstraits à partir d'une expérience limitée. En fait,
la théorie,
qui nous rerid aptes à conna!tre la réalité et à
agir sur elle doi t
~.2i!:_~!J.~_di!!!~!:!.~i.9.!L!:!.~t~!!!~!:!.Lbi~1.2!:.t9u~
(cf. op.déjà cité,
PP.??,
113 et suivantes}.
206 -
Pour qu'il n'en soit plus ainsi,
la théorie doit tenir compte de
tous les phénomènes socio-économiques et de
leur évolution
historique
(1). Dès lors, on s'apercevra qu'il existe une i~~~
2~E~~2~E~ entre développement et sous-développement et que, si
ce sous-développement n'est pas un "retard" de développement,
i l
pourrait en ~tre le produit".
Section II
Le_~2~~=2~~1~E~~~!~:Ero~ii:_~
2év~12EE~.!1Ll_E~~-2e l:'~f~i.9~_!roEi~~.
A -
E~E~~_1:'~E~_~~~~~~~~~~21~~~~_~~_1~
~~~~~~E~~_2~E~~~-2n admet de plus en plus que bien que
la Révolution industrielle européenne du
XIXème siècle soit à
lUorigine du
développement décisif des pays européens, on peut
néanmoins se demander si cette m~me Révolution industrielle n'est
pas aussi à l'origine du sous-développement des pays du Tiers-
Monde.
(1)
En plus de cette thèse qu'il défend vigoureusement dans ses
ouvrages,
Samir AMIN considère que la thoérie du sous-
développement doit ~tre celle de "l'accumulation à l'échelle
mondiale",
et "des formations sociales du capitalisme": voir
en particulier l'introduction de "l'Accumulation à l'échelle
mondiale",
Paris,
Ed. Anthropos,
1970.
-
207 -
Bétout-Mossé Eliane, après avoir constaté une certaine ressen-
blance entre "sous-développement de
jadis et sous-développement
d'aujourd'hui" en ce qui concerne l'état de leurs structures
humaines,
mentales et socio-économiques,
considère que la
dynamique des deux systèmes est différente dans la mesure où
le sous-développement du
Tiers-Monde n'est pas le résultat d'un
retard mais plutBt la conséquence de l'acheminement sur une
voie différente de celle empruntée par les pays industrialisés
(1). Pour @tre plus précis,
de nombreux auteurs admettent
finalement que l'une des causes majeures,
sinon la cause majeu-
re du
sous-développement d'aujourd'hui est la colonisation
des pays d'Asie,
d'Afrique et d'Amérique Latine par les pays
capitalistes d'Occident
(2).
En effet,
nous avons largement soutenu cette thèse,
dans notre première partie,
par l'application du
modèle éco-
nomique du Professeur BADOUIN,
en montrant comment,
les cul-
tures industriè.lles
(café et cacao),
d'abord imposées à la
CBte d'Ivoire par la colonisation française,
ont fini par ~tpe
---------------------------------------------------------------
(1) Bétout-Mossé Eliane,
Sous-développement de
jadis et sous-
développement d'aujourd'hui,
in Revue Economie politique,
1962, pp. 856-876. L'auteur définit ici la "structure" com-
me "corps soustrait ••• à l'accélération de l'histoire donc
pris dans son état statique.
(2) En plus des auteurs indiqués précédemment, voir Yves
Lacoste, les pays sous-developpés,
Paris, Que sais-je
p. U. F.,
1962. Chapitre III
:
"Les causes origin elles du
sous-développement". Paul A.
BARAN, Economie Politique de
la croissance,
Paris,
François Maspéro,
1967. Chapitre V :
"Les causes du
sous-développement".
-
208 -
acceptées par les autochtones et sont fondamentalement à l'ori-
gine et le moteur de l'intégration rapide de notre pays dans le
système capitaliste mondial. A quelques nuances près~ nous
montrerons ultérieurement
(2ème partie) quUhistoriquement
le
p
Sénégal avec son arachide p a connu la même expérience de lan-
cement de la croissance que la
C8te d'Ivoire. Il en est de
même du cacao au Ghana ou du
cuivre au Zarre v bref tous les
pays d'Afrique tropicale,
pour ne prendre que c8ux-là,ont amor-
cé et continuent d'accélérer leur intégration a~ système de
marché mondial par l'intermédiaire des produits primaires qui
ont bouleversé leurs structures,
pré-mercantilistes autonomes.
Du reste,
un récent article de Samir AMIN p
traitant
d~_II~.!:!~~~~~12.E.E~.!!!~!l!~!_~~~!l dan c ~_ e n_~f!i.9o!:!~~~" vie n t
de l'établir sans ambiguité. Se déclarant "pour une périodi-
sation de l'histoire africaine". Samir AMIN divise en effet
cette histoire en quatre grandes périodes dont i l tire les
faits suivants
(1).
- f~.!!!1~I~~!l!, au cours de la période pré-mercan-
tiliste, allant des origines au XVllème siècle,
l'Afrique Noire
prise dans son ensemble n'était en rien inférieure au monde
européen pris aussi dans son ensemble. DUautre partI
cette
Afrique-là n'était pas non plus isolée du reste du monde,
puis~
que,
pendant cette longue période,
elle avait entretenu avec
le monde méditerranéen
(de part et d'autre de la Méditerranée)
des rapports d'échange sur des ~~~~~~~!l~~~.
- - - - - - -....--------------------------------------------------
(1) Samir AMIN,
Sous-développement et dépendance en Afrique
Noire
: les origines historiques et les formes
contem-
poraines;
in Revue Tiers-Monde,
Paris,
Tome III,
nO 52 p
Octobre-Décembre
1972, PP. 753-778.
-
209 -
Roberto STAVENHAGEN,
entre tant d'autres auteurs,
note lui aussi qu'a~ant l'introduction des cultures industri-
elles dans les économies de l'Afrique de l'Ouest forestière,
"elles n'étaient pas des économies autarciques, fermées,
iso-
lées" puisqu'il existait des échanges aussi bien à l'intérieur
qu'à l'extérieur et ceci par le commerce transsaharien et des
comptoirs européens installés sur les cBtes africaines
(1) qui
vont par la suite ~tre soumises à la traite.
~~~~.!!!~.!:!.!, c'est la traite des esclaves de la
seconde période mercantiliste du XVlllème siècle à
1800 qui
marqua "l~E!~mi~-!~E..!:!.l'~ de l'Afrique Noire. La dépendance de
certaines régions du continent se traduisant par "une régres-
sion des forces productives" va se renforcer pendant la
troisième période
(1800 à
1890).
I!21~iè~~.!:!.!, au cours de la période coloniale
(1890-1960),
l'oeuvre entreprise précédemment fut parachevée
dans l'intér~t des économies européennes,
les exportations des
produits agricoles et miniers deviennent la base et le moteur
des économies de l'Afrique dont les formations sociales pré-
mercantilistes autonomes avaient été détruites. Le blocage du
commerce transsaharien par les colonisateurs et son remplace-
ment par le commerce de traite dans les zones cBtières du
con-
tinent font partie de cette stratégie.
---------~---------------------------------------
(1)
Robe~to STRAVENHAGEN, Les classes sociales dans les
sociétés agraires,
op. cita,
p.184
-
21D -
Gabriel Rougerie donne les précisions sur le façonne-
mentsocio-économique de la C8te d'Ivoire qui a vu son commerce
de piste traditionnelle des Caravanes vers les régions de la
Savane du
Nord arr~té par la construction du
chemin de fer
Abidjan-Bouaké(1).,
de m~me, Boubacar Barry a donné l'exemple
du
Royaume du
Waalo aU Sénégal où le commerce transsaharien
a
été brisé par les français au profit du
comptoir de Saint-
louis
(2).
Quant à Stavenhagen,
i l a
expliqué comment le Royau-
me du
Sanwi qui occupe actuellement une place prépondérante
dans la culture du
café et du
cacao de l'Est forestière de la
CBte d'Ivoire a été -comme le Royaume de Waalo -
conquis et
façonné
(3). les m~mes phénomènes ont eu lieu dans l'Afrique
anglophone,
et les réserves de main-d'oeuvre utilisées dans
les mines du
Sud du
continent le confirment bien.
Comme le souligne justement Henri BARTDlI,
à certains
moments de l'histoire du
développement économique,
l'homme a
été traité "comme une "force de travail" ou comme un "capital"
soumis à un plan d'emploi et à un trafic,
non comme un sujet ou
comme une "personne" dont l'épanouissement doit @tre assuré
(4).
Ce constat du
professeur BARTDlI prend toute Sa signification
dans les économies du Tiers-Monde en général ~t dans les
(1) G. Rougerie,
la C8te d'Ivoire,
Que sais-je? op. cit.,
chapitre II :
"l'élaboration de la C8te d'Ivoire",
pp.82-1D5.
(2) Boubacar Barry,
le Royaume du
Waalo
(1659-1859),
Paris~
Thèse,
1971
(3)
R. Stavenhagen,
les classes sociales dans les sociétés
agraires,
op. cit.,
PP.
197-198.
(4) Henri BARTDlI,
Emploi et Industrialisation,
article déjà
cité,
P.
127.
-
211 -
économies africaines en particulier,
fondées
comme l~on sait
sur l'exploitation et l'exportation des produits primaires.
Certes,
comme l'indique le professeu~ 8amir AMIN,
cette mise en valeur des' économies africaines s! est réalisée
en Afrique Noire sous des formes relativement différentes,
~~Af !:i.9~-f!~-l': é c~.!22!!!~_.!:!~-l!:~i!~ Il à L" 0 u est '1. 'ul'Af r i que des
E~E.~.5L!::!.~-EE!..!lS~~i0.!2!:lai!:~~nau centre et i11~fri~~-.!:!~~~!:
~~~~ au Sud du continent. Néanmoins les objectifs et les résul-
tats sont identiques à savoir,
rendre les économies africaines
dépendantes du marché mondial.
Et Samir AMIN de conclure
:
"Le
partage du
continent,
accompli
à la fin
du XIXème siècle,
donne
aux colonisateurs des moyens déculpés pour atteindre l'objectif
du capital central.
Cet objectif est -
rappelons-le partout
identique:
obtenir des produits d'exportation bon marché ll ( 1 ) .
Par conséquent,
dans
"l'Afrique des réserves"
(Afrique
australe riche en minerais),
les colonisateurs vont créer et
continuent de créer des réserves de main-d'oeuvre bon marché
pour travailler dans les mines.
En Afrique de l'Ouest au con-
traire,
possèdant relativement peu de minerais connus,
c'est
l'économie de traite,
permettant la production des cultures
tropicales,
qui sera essentiellement appliquée. L'exemple de
la CBte d'Ivoire que nous venons de voir est à cet égard très
édifiant, au point qu'on peut en tirer un certain nombre de
conclusions importantes non seulement pour la CBte d'Ivoire
elle-m~meJ mais aussi pour l'ensemble des Etats Africains.
(1) Samir AMIN,
Sous-développement et dépendance en Afrique
Noire ••• op.
cit.,
p. 771. Les expressions immédiatement
soulignées plus haut sont de l'auteur.
-
212 -
Au terme de cette premiere partie de notre étudej
centrée su~ l'économie ivoirienne~ nous pouvons dire que l'ex~
périence de la croissance de cette économie n'est ni une expé-
rience unique,
ni une expérience isolée en Afrique tropicale.
Elle est caractérisée par l'importance du
rBle que
joue dans
cette croissance les cultures industrielles~ cafépcacao~ bananes p
et ananas auxquels i l faut ajouter l'exploitation forestière~ Ce
sont,
en effet,
ces cultures d'exportation qui ont permis de
lancer la croissance de l-économie ivoirienne et qui
jusqu'à
présent,
et sans doute pour longtemps encore p ont été et servent
toujours de base et de ~1~~~ à cette croissance économique.
Nous allons tirer un certain nombre d'enseignements
de cette expérience,
qui nous permettront p pensons-nous tout
au moins,
de mieux comprendre la problematique de transition
du sous-développement au développement -
non seulement de la
CBte d'Ivoire,
mais aussi des autres Etats du Continent afri-
cain.
1°) L'expérience ivoirienne confirme le fait que les
mécanismes qui ont conduit au lancement de la croissance écono-
mique du
pays ont pour origine la ~~~ét~E~1i2~ de l'économie
traditionnelle à travers le développement des cultures indus-
trielles d'une part,
et la réalisation des investissements soit
-
213 -
agricoles,
soit industriels et surtout miniers d'autre part.
Ainsi pour la première fois,
soit que l'Europe achète les pro-
duits agricoles des paysans africains
(première série de reve-
nus),
soit que ses investissements lui permettent de payer des
salaires à des ouvriers africains
(deuxième série de revenus)~
Ces revenus
primaires vont se répandre dans l'économie de sub-
sistance à trav~rs de nombreux canaux. La vitesse de monétarisa-
tion est d'autant plus rapide que le pouvoir
colonial qui en a
pris l'initiative, ~~lia~ les paysans à payer des impôts en
monnaie,
à faire des
"cultures obligatoires ou à se faire
"ou-
vriers agricoles" sur les plantations des grands propriétaires
autochtones et notamment euroépeens. Ce qui ne peut se faire
qu'en dépossèdant les paysans de leurs meilleures terres. Il
s'agit là comme l'écrit Samir AMIN de~_~2~~D~-2~_1~~i21~~~,
2~~E-2~~_~~l~~~_2~_1~~E~~la!ion_E[!~1!1~~_~~~_E2D~~ S~~~E~~
l~E~~l~~l~~ (1) : création d'un secteur agricole d'exportation
au détriment du secteur de production vivrière;
destruction,
comme nous l'avons vu,
des institutions et des structures tra-
ditionnelles de l'économie de subsistance.
C'est cette des-
truction ou tout au moins ce bouleversement des économies pré-
capitalistes africaines qui a
conduit,
malgré la résistance des
autochtones,
à ce qu'on a appelé "dualisme" et qui est en réali-
té hétérogénéité des structures socio-économiques des
pays du
Tiers-Monde en général,
et ceux de l'Afrique en particulier.
2°) Si l'on admet l'hétérogénéité sectorielle dans
les pays faiblement développés
on peut admettre aussi que les
J
(1) Samir AMIN,
L'accumulation à l'échelle mondiale,
op. cit.,
pp.
168 et suivantes.
-
214 -
différenciations que ces
pays connaissent économiquement,
tech-
niquement et socio-culturellement,
trouvent leur explication fon-
damentale dans
les inégalités des
productivités sectorielles.
Certes,
i l existe des inégalités sectorielles aussi bien dans
les économies capitalistes développées que dans
celles des
"pays
en voie de développement".
Mais
ces inégalités ne sont,
ni de
m@me nature,
ni de m@mes manifestations. Dans les
premiers
pays
les inégalités ont tendance à s'atténuer quelque
peu gr8ce à
la diffusion du progr~s technique
(ajustement des
prix,
égalisa-
tion relative des salaires,
limitation du chBmage structurel
etc ••• )~ tandis que dans les seconds au contraire, les inégali-
tés de
productivités et de revenus ont tendance à sUaggraver
avec accélération de la mise en
chBmage des
populations •. On
comprend dans
de telles
conditions que non seulement la répar-
tition géographique,
mais aussi la répartition sociale des re-
venus soit inégale dans des
économies dont la croissance est
principalement fondée sur la
production et les exportations
des
produits
primaires vers
les
pays capitalistes développés
notamment.
Et le café et le cacaO sont pour la CBte d'Ivoire ce .
quUest le cuivre pour la Zambie.
Leur nature agricole ou mini~re~
importe
peu eu égard à leur fonction
qui est,
à
travers
le sec~
teur d'exportation,
d'étendre l'économie monétaire capitaliste
aux dépens
de l'économie de subsistance. D'oD extension du mode
de
production capitaliste dominant par rapport au mode de
pro-
duction
pré-capitaliste dominé.
Enfin,
comme écrit Morse Ikonicoff,
les économies
sous-développées "fonctionnant sur la
base des
lois
du marché",
dont
"les rapports sociaux de
production et ] appropriation du
-
215 -
surplus relèvent de la nature des économies capitalistes" doi-
vent ~tre considérées comme des économies du "capitalisme péri-
phérique" ou "périphérie" par opposition aux économies du
" ca p i ta lis me ce n t r-e L"
ou" ce n t r e "
(1). D' u n au t r e c Bt épI U ace u-
mulation des
"économies centrales" se fait essentiellement au
profit de leur propre développement économique et social. Par
contre celles des
"économies périphériques" se fait surtout au
profit des
"centres" et ceci à cause des transferts de valeurs
résultant des rapports de domination des pays du
"centre" sur
ceux de la
"périphérie"
(2).
Autrement dit p
le développement des
pays industrialisés est intégré et auto-entretenu -
on dit
"développement autocentré Ui -
tandis que celui des pays de' la
"périphérie" est désarticulé,
tourné vers l'extérieur et dépen-
dant du "centre" en dit
"développement extraverti".
3°) L'utilisation
judicieuse de ces nouvelles notions
concernant les pays sous-développés vont nous
permettre de trans-
cender l'étude du seul cas ivoirien pour envisager une étude
d'ensemble des économies d'Afrique tropicale p qui s'est déjà
avérée nécessaire à beacoup d'auteurs
(3)0 Une telle étude se
justifie largement dans la mesure aD les économies africaines
(1) Morse Ikoncoff,
Sous-développement,
Tiers-Monde ou capita-
lisme périphérique? Dans
"Revue Tiers-Monde",
Tome XIII,
nO 52,
Oct-Déc.
1972,
op. déjà cité,
PP. 691-696.
(2) Samir AMIN,
"L'accumulation à l'échelle mondiale",
op.
cit. p
p.
11.
(3)
En plus des auteurs que nouS avons déjà mentionnés ou que
nous mentionnerons par la su Lte,
on
peut se reporter aux
ouvrages des auteurs suivants
:
Mamadou Dia,
Réflexions sur l'Economie d'Afrique Noire,
Paris,
Présence africaine,
1960
Abdoulaye Wade,
L'économie de l'Ouest africain p
Paris p
Présence africaine,
1964
Jean Sard,
commerce extérieur et développement économique p
le cas de l'Afrique tropicale p Thèse p Aix-en-Provence,
1966.
-
216 -
qui sont complémentaires
(actuellement ou
potentiellement),
font face à des difficultés analogues
~ revenu par t~te et pou-
voir d'achat très faibles,
taux d'accroissement démographique
élevé bien que la densité de la population
(10 à
12 habitants
par km2 contre plus de 80 en Europe occidentale) soit faible,
faible niveau des forces
productives,
bref des ~icr2-E!~!~_~~i
D~nt_~~E~~Eb~DE~_~_~2r!1r~_~~_~~~=dé~~lsEE~~~D!_~~11~
r~te~_séE~r~~_l~~_~D~de~~r~~.Naturellement, cette "sor-
tie" du sous-développement pose de multiples problèmes politi-
ques,
économiques et socio-culturels. Elle exige le passage des
économies essentiellement exportatrices de produits primaires
(non transformés localement)
et_~~~~!~_SI~~~~D!_~~~~
~~~~~_~!~~~~~_iD~!~bl~, à des économies intégrées et à
croissance autocentrée fondées
principalement sur les relations
dVinterdépendance entre lVagriculture et lUindustrie.
Tout en insistant sur cette question,
François Perroux
a résumé les tgches qui attendent les Etats africains en ces
termes:
"La mise en valeur de l'agriculture et de l'économie
naturelle,
implique toujours à quelques dégré l'intervention
de l'industrie. Or,
i l est clair que,
dans les pays sous-déve-
loppés d'Afrique,
les progrès de l'industrialisation ne peuvent
aucunement s'opèrer nation par nation,
de là les essais de
groupements souples entre les
jeunes nations en voie de se faire.
Peu à peu pénètre chez les
jeunes élites africaines la convic-
tion que la liquidation économique de la colonisation sera
accomplie le
jour seulement où,
les industries autochtones,
c'est-à-dire dirigées par les autochtones, auront prolongé et
transformé
les industries implantées par les Occidentaux et
-
217 -
relié les effets de ces derni~res aux activités africaines"(1)
C'est donc cette problématique fondamentale -
!~~ts~i
.!2ultu~= in~~rie et .e~~.ae d~~~el~.e~ent extra~!.!L~
.3 é v ~ l f!..e.e~~.!2.:L~~.!21r é_~.!2- Af r i q~!f!.Ei~ qui se r a
l'objet de notre deuxi~me partie.
x
X
xX
X x
X
x
---------------------~---------------
(1)
François Perroux,
L'économie des
Jeunes
Nations,
op.
déjà cité,
p.
144
-
218 -
RAPPORTS
_ _ _ _ _ _ _ AGRICULTURE
_ _ _ _ _ _ _ - . . . . - -
_ _ INDUSTRIE
. - : l
DANS LA
..... ~_ PERSPECTIVE
_ ~~_..
._>_._.._. DE
_
QEVfbOP~§~g~I_~IQ~~IR~~§_LE~gQ~QITIQ~§_Qf
~~EBI~UE_IBQflf~bf
x
X
X
X
-
219 -
RAPPORTS AGRICULTURE - INDUSTRIE DANS LA PERSPECTIVE
--------------------------_.-_--------------_.-.....
DE DEVELOPPEMENT AUTOCENTRE DANS LES CONDITIONS DE
------------_-....._---_....._-----,-.-,.-,------------~-'---
.b~~EB1QU.s_IB1!E:L~b§
Depuis la fin
de la 2ème guerre mondiale,
les problèmes
du développement économique et social sont devenus une priorité
absolue non seulement pour les pays développés,
mais aussi et
surtout pour les
pays sous-développés
dUAsie,
dUAfrique et
d'Amérique Latine.
En
ce qui concerne particulièrement l'Afri-
que,
i l a
fallu attendre les indépendances de
1960 pour que
ces
problèmes de développement se posent dans toute leur acuité
aussi bien du
point de vue indépendance politique quUà celui
d'indépendance économique.
Mais l'expérience historique de développement capita-
liste ou socialiste suggère que tout développement économique
et social d'un
pays ou d'un groupe de
pays passe ~éc~~~i~~~ll!
par la modernisation de lUAgriculture et
celle de l'Industrie.
Et que cette modernisation des deux secteurs ait été faite
en
m@me temps ou non,
elle s'est toujours réalisée dans le cadre
d'une étroite liaison agriculture -
industrie d'une
part~ et
d'autre
part,
sous la direction d'une autorité nationale auto-
nome.
Or,
pour s"industrialiser,
les
pays
capitalistes dé-
veloppés ont -
en vertu d'une prétendue division internationale
du travail -
réduit les
pays dits sous-développés en ~~E1~~
f~~~l~~~~_~~_~~!~!~~_EI~~l~!~~et en consommateurs de pro-
duits industrialisés généralement importés.
-
220 -
Le fossé
de plus en plus grand qui se creuse entre pays dévelop-
pés d'une part et pays sous-développés de lUautre montre bien que
cette spécialisation internationale voue les pays du
Tiers-Monde
en général et les pays africains en
particulier à un
état per-
manent de stagnation économique. si ce n'est une régression éco-
nomique chronique et mgme fatale.
Donc,
dans le cas de l'Afrique,
i l 8e pose un ~!~~~!
E~El~~~_1_E~1~i-~~_E~~~~~_~~_~~_~i!~!i2~_~~_~~~i~~~~E~~~
E~~~~~!~~_~~_1~~~!~Ei~~!_~_~~_~i!~!i2~~-E!2is~~~E~~~!2~~~·
Ce qui en réalité,
exigerait la mise en cause de tous
les liens
de sujétion,
vestige ou non
d'un passé colonial récent.
LUamorce
d'une croissance tant soit peu autonome ne semble gtre qu'au
prix d'une restructuration socio-économique qui s'avère désor-
mais indispensable.
En d'autres termes,
la solution du sous-développement
pour l'Afrique serai~, dans la mesure des possibilités,
d'envisa-
ger une
"croissance autocentrée'"capable de conduire à
un
déve-
loppement authentique,
fondé sur la transformation rationnelle
des marchés du
continent africain.
Mais,
puisqu'aucun développement économique et social
cohérent ne saurait se concevoir sans l'interdépendance de
l'agriculture et de l'industrie,
nous nous sommes donné pour
objectifs d'examiner quelques un
des
problèmes fondamentaux qui
se posent dans le cas des relations agricultures -
industrie et
ce,
dans une perspective de développement auto centré en Afrique
Tropicale.
Compte tenu de l'intérgt et aussi de la complexité
du sujet,
notamment en
ce qui concerne des
données statistiques
incomplètes,
"confidentielles" ou tout simplement inexistantes,
~2!E~_~Ei!iE~_~~~i!_iEl_~~~~!~_~!-li~i!~_1_~!!i!~_~ab2!2
1~~!!~~!12~~~!_S~~lS~~~_~~_~~~_E!2~~~~~_~~~~~iel~
Sans le
-
221 =
solution desquels l'organisation des économies africaines,
fon-
dée sur les relations cohérentes de l'agriculture et de lUin-
dustrie pour un développement autocentrée,
serait difficile,
voire impossible.
Cette deuxième
partie comprendra deux titres
I!!!~_E!~œi~! g E~21~œ~_2~_~~~!i2~~_~E!iE~~~~
=_i!ll:!~!!i~_2~!l~_1~~_S2rl2i!i2!2~_~E~~11~~_2~_1~~fEi3.!d~..l!:~.s~~
l~.
Ce titre examinera d'une part les
probl~mes des rap-
ports conflictuels entre l'agriculture de subsistance
(négligée)
et l'agriculture d'exportation
(favorisée) et,
dUautre
part,
la
rupture des liens de développement entre le secteur agricole
et le secteur industriel dans une stratégie de développement
extravertie en Afrique Tropicale.
Ii!!~_Q~i~~~ g B.~EE~I1~_~a!iE~11~E~=_i~~~!!'i~_~
~!E~!~a!~2~~!2_2év~12EE~œ~!l!_~!2E~~!!~_~!2_~f!i3~~I!2Ei~1e
Co~prenant d'abord dUun chapitre préliminaire trai-
tant des leçons que lUAfrique Tropicale peut tirer des expé.ri=
en ces historiques de développement autocentré dans les
pays
développés,
ce, Titre tentera de proposer une alternative stra-
tégique globale
(politique,
idéologique et économique) dans
une perspective de développement auto centré fondé sur des rela-
tions cohérentes entre l'agriculture et lUindustrie.
x
x
x
x
-
222 -
EBQBLgME~Qg~BfbATl~§_~QBlf~bIg~~_=_~Q~~IB1f_Q~~_bf§
fONDIIIQ~§_~CT~Ibbg§_Qg_b~~EB1B~~_IB2flcAbf
- - - 0 0 0 0 0 0 0 0 - - -
-
223 -
Comme celle de tous les pays sous-développés,
l'économie des pays africains est marquée par les traits
fondamentaux du
sous=développement
:
produit intérieur brut
et revenu par tgte faibles p taux de croissance démographique
élevé
(de l'ordre de
2,9 à 3 ~ par an,
pour liensemble du
continent),
hypertrophie des secteurs primaires et tertiaires
par rapport aux secteurs secondaires presque toujours contr6-
lés par le capital étranger,
"désarticulation'U entre secteur
de l'économie de subsistance et secteur moderne,
taux d'anal-
phabétisme élevé etc •••
Finalement,
lWensemble de liéconomie
conna!t une croissance que lion peut qualifier de
IUcroissance
extravertie"
c'est-à-dire une croissance engenjrée et entre-
tenue de l'extérieur,
ne pouvant automatiquement déboucher
sur un
développement propulsé et en~retenu de lUintérieur :
l~_.:.9~~~E.E.~.!!!~!2!~~!E.s~!2!E~".
On verra dans cette première partie:
1°) le8 re-
lations conflictuelles' entre l'agriculture vivrière et l'a=
griculture d'exportation
(chapitre r);
2°) les relations
agriculture-industrie dans une stratégie de développement
extraverti en Afrique Tropicale.
x
X
X
X
- 224 -
CHA PIT R E l
RELATIONS CONFLICTUELLES ENTRE L'AGRICULTURE
VIVRIERE ET L'AGRICULTURE D'EXPORTATION
i
L'agriculture afriçaine frappe d'abord par son immense potentiel
resté malheureusement inexploité ou mal exploité jusqu'à présent. Si
l'on consid~re en effet l'agriculture comme essentiellement la combi-
naison de trois éléments, la terre, l'eau et l'énergie solaire, on peut
sans exagération affirmer que le continent africain pourrait devenir
" le grenier du Monde "avec
1°) 11 habitants seulement au Km2 contre
93 en ~urope Occidentale et 76 en Asie (1) ; 2°) l'abondance de l'éner-
gie solaire surtout dans les régions situées entre les deux tropiques
et un potentiel hydroélectrique atteignant 40% du total mondial; 3°)des
possibilités presqu'insoupsonnées de demande potentielle de produits
agricoles vivriers pour nourrir des populations africaines insuffisam-
ment alimentées.
Pourtant, malgré l'existence de ces possibilités extraordinaires,
.
la vérité est que les résultats obtenus pendant la derni~re décennie
sont loin de correspondre aux espoirs cares~és lors des indépendances
de 1960. Il suffit d'observer les Etats Africains isolément ou dans
leur ensemble pour constater que les structures héritées de la colonisa-
tion se sont maintenues presqu'intactes, si elles n'ont plutôt évolué
dans le même sens en s'aggravant avec le temps. Ainsi, ce qu'on appelle
"désarticulation" entre secteur moderne et secteur traditionnel demeure
(1) Ces chiffres concernant l'année 1968 sont donnés par Pierre Jalée,
"Le Tiers Monde en chiffres",Paris.Fraçois MaspérO, 1971 p.12
- 225 -
l'une des caractéristiques essent~elles des économies africaines,Cepen-
dant, le seçteur agricole fournit au secteur moderne (industries extrac-
tives et de transformation) non seulement des denrées agricoles mais
aussi des travailleurs aux salaires bas. Par contre, les prix des pro-
duits manufecturés que procurant les industries locales ou étrangères
aux campagnes sont très élevés. Il ex~ste donc des liens entre le secteur
de subsistance et le seqteur moderne, ~; pt8mie~
étant dOmin~
et
,~
exploité' par ~~ second!" Or, les industries des Villes constituent
presque toujours des "enclaves" dont le rôle moteur est insuffisant dans
le processus de croissance économique. Naturellement, de telles indus-
tties n'ont pas été installées pour promouvoir un véritable développement
en procurant à l'agriculture les moyens de production modernes(engrais,
tracteurs etc) qui lui sont indispensables afin de pouvoir jouer pleine-
ment le rôle qu'on attend d'elle.
La situation est souvent aggravée par la coexistence, dans le
secteur primaire, d'une agriculture de subsistence d'une part et d'une
agriculture d'e~portation d'autre part. Il existe par conséquent des
relations conflictuelles entre ces deux formes d'agriculture, relations
que l'on ne peut comprendr~ qu'en tenant compte des condit~ons specifi-
ques de production en Afrique(section 1); ensuite, on verra ce qui
caractérise l'agriculture vivrière(sect!on II) de l'agriculture d'expor~
tation (section III).
Seètion 1
Les conditions et les moyens de production de
l'agriculture tropiéale.
En généralisant au maximum, nous avons dit plus haut que l'Afriq~~
pourrait devenir le grenier du monde, pu~squ'elle dispose en abondance
de l'eau, de l'énergie solaire et de la terre dont la combinaison consti-
tue la principale base de tout développement agricole. Néanmoins,derrière
- 226 -
cette généralisation se trouve la diversité africaine du point de vue
géo~raphique, technique, institutionnelle et économique (1).
A - C'est ainsi qu'on trouve en Afrique des régions à pluies insuf~
fisantes, surtout dans les zOnes sahéliennes ~ 15° et 25° de latitude
Nord et Sud d'une part, et en Afrique du Nord oe l'autre. Bien que l'ir-
rigation soit possible dans certaines de ces régions, on y rencontre
souvent des obstacles à cause de l'existence des couches calcaires. Les
puits y sont d'une utilité limitée. finalement, le manque d'eau et aussi
le manque de peuplement de ces r~gions rendent les possibilit~s agrico-
les précaires et limitées.
Par contre, dans les zônes forestières, ce sont les fortes préci-
pitations qui tendent à appauvrir les sols; les méthodès de conservation
et l'utilisation des engrais sont parfois indispensables pour surmonter
les difficultés dues à l'appauvrissement et à l'usure des sols.
Quant à l'exploiation agricole des zOnes équatoriales, elle exige
l'abattage de grands arbres, ce qui, à coup sOr, ne fait qu'accr01tre les
coOts de production et imposer une pratique culturale intensive pour
être rentable. Pourtant, dans la plQ~att aes-t~9ions africaines. d'est
la méthode extensive d'explo!tatiôri ag:d.eol e 9tH est de règle. ;;E\\1t8C'.
l'utilisation d'outils traditionnels tels que la houe et la matchette.
Les problèmes techniques sont aussi une autre préoccupation constan-
te pour tous ceux qui ont conscience de la nécessité de l'augmentation
rapide de la production agricole, et plus particulièrement de la production
(1) Pour la question des pot~dtialit~s africaines dans l'agriculture et
la question des conditi~n~ et moyens de production, voir"Jeune
Afrique", suppl~ment 3ème trimestre 1971(L'Agriculture africaine)-
Voir aussi M.E.A. Okwuosa, document IDEP., Dakar N°EH/CS/21.122-12'
-
227 ..
vivrière. Car jusqu'à pr~sent, et dans la plupart des cas, l'agriculture
africaine n'utilise que des outils s~culaires pour ne pas dire archalque.
L'emploi des machines agricoles modernes est limité par de nombreux
phénomènes : maladie du sommeil dans les r~gions ~quatoriales ; terres
trop humides et trop lourdes ; inexp~rience technique des paysans dans
l'utilisation des tracteurs ou autres engins agricoles; manque de
capitaux etc. Au lieu de plusieurs r~coltes, une seule est r~alis~e dans
l'année, le chômage s~vissant le reste du temps.
Il faut ajouter à tout cela l'inadaptation de la plupart des insti-
tutions économiques et sociales susceptibles d'aider à la production. On
pourrait citer les problèmes de la propri~t~ du sol, problèmes qui se
i~'h
posent de plus en plus - un peu partout en Afrique - avec l'intégration
(
des Etats africains au système capitaliste mondial. L'appropriation
privée du sol par les Soci~t~s Etrang"res ou de "capitalistes" nationaux
crèe de graves problèmes malgr~ l'abondance relative des terres en
Afrique et à cause de l'accroissement d~mographique élev~ d'~ne part
et de l'insuffisance relative des terres fertiles d'autre part.Il reste
cependant vrai qu'en y mettant les moyens, l'Afrique pourrait, mieux
que la plupart des autres r~gions du monde, mettre à profit ses énormes
potentialit~s agricoles.
B - En plus de l'inadaptation des structures économiques expliquant
en partie la sous-utilisation des potentialit~s agricoles de l'Afrique,
on est oblig~ de constater aussi que la majorit~ des agriculteurs afri-
cains sont attach~s à leurs traditions ancestrales et adoptent par
conséquent une at t Lt u da fatalist'ë v!'s'::'à-vis ""dës teéhnigues nouvelles.
1
En outre, quand bien même certains voudraient adopter ces techniques
modernes, les bons r~sultats ne sont pas garantis à cause de l'ignorance
et l'analphabétisme. Aussi, les paysans africains préfèrent-ils utiliser
- 228 -
IBurs techniques archaïques qui leur garantissent la production d'auto~:
suffisance plutôt que de tenter "l'aventure" des techniques modefnes
dont les r~sultats restent incertains pour eux. Il faut en conclure que
les conditions et moyens de production ne favorisent pas en Af~i9ue
Tropicale l'~mergence d'une agrièultüre moderne et rentable.
Les rendements africains sont faibles aussi bien dans l'agriculture
vivrière que dans l'agriculture d'exportation. Par exemple, en 1967 ces
rendements ~taient en Afrique :
1°) pour le riz de 14,8 quintaux à l'hectare contre 18,6 en Extrême
Drient(sans Chine), 17,6 en Amérique Latine et 48,2 en Europe
(sans URSS)
2°) pour le millet et le sorgho de 6,8 à l'hectare (Afrique)contre
respectivement 5,19 et 21 pour les régions sus-citées;
3°) pour les arachides 8,9 quintaux l'hectare (Afrique) contre
respectivement 8,1, 10,8 et 19,2 pour les mêmes régions (1).
Mais la faiblesse des rendements apparait beaucoup plus dans l'agri-
i
culture vivrière gue dans l'agriculture d'exportation gui est d'autant
plus stimulée qu'elle est intégrée au système monétaire national et
international. Le phénomène contraire a exactement lieu pour l'agricul-
ture vivrière qui reste essentiellement une agriculture de subsistance,
peu ouverte sur le monde extérieur. L'offre ici est presque toujours
inf~rieure à la demande bien que les prix soient maintenus bas. D'o~
probl!mes de pénuries alimentaires aUXquelles les Etats Africains doivent
de plus en plus faire face. L'e~amen des caractéristiques de l'agricul-
ture vivrière, puis celles de l'agriculture d'exportation paraît donc
justifi~, au stade actuel de notre étude.
(1) Sources: Annuaires F.A.O de la production(Tableau 13 à 81) 1968,et
p. Jal~e, le Tiers Monde en chiffres, op.cit~ P.25
-
229 -
SECTION II - L'a~riculture.Vivri~
L'agriculture vivrière ne s'appr~cie mieux que par rapport à la pro-
duction agricole totale africaine. Or,cette production, dans son ensemble
-l'agriculture vivrière et d'exportation d'une part, la pêche et l'~le
vage de l'autre - a augmenté en moyenne plus que la production agricole
vivrière.
A - L'offre africaine de produ1ts agricoles est caractéristique
à trois niveaux : au niveau de ~a production agricole totale,à celui de
la production vivrière et enfin au niveau de la production par tête qui
tient compte de la croissance d~mographique. Afin de pouvoir apprécier
correctement les tendances de ces trois phénomènes, nous avons constitué
dans le tableau qui suit l'évolution de la production alimentaire et de
la production agricole d'une part, celle de la croissance demographique
de l'autre.
Nombres - indices FAO de la produ9tion alimentaire, de la
production agricole et de la population africaine.
(Afrique du Suô exèlue)
Tableau. 22
indice 1952 - 56 = 100
, . . - -
1-
)
tsl54
t960
1965
1970
(
...
.
)
(
:
)
( A) Production alimentaire
)
(
(Afrique du Sud exclue) •••
101
117
128
· 140
)
·.'
(
·
)
Par habitant
·
101
102
98
.
94
(
•••••••••••••
)
(
)
B) Production agricole totale
(
)
(
(Afrique du Sud exclue) ••
101
120
133
147
)
(
Par habitant •••••••••••••
101
105
102
99
)
(
)
( C) Population (sans Afrique
)
(
du Sud)
101
115
130
148
)
(
\\
s
)
Source
Bulletin Mensuel, Economie et Statistique agricole, Vol.XX,
Janvier 1971 , pp. 17 et 18.
- 230 -
L'~volution en Afrique, de la production alimentaire et de la
production agricole totale d'une part et de la population de l'autre peut
se r~sumer ainsi: Si la pr6ddciti&ri 'èrt66Iê~tdtaleac9nnu~Hnaccr6i§é~~
ment sûbstantiel de 1~64à t970,1â"p~o'd~dtron égribole par tête a stagn~
tandis 1~e lâ produdfion ali~~ritiirièât hébltarit regressait dans lé~~me
période.
1) Ltimportance des pr6d~~ti6risUâg~iti61ês totales par rapport aûx
,
produdtions alimentaires: c'est la première constation que l'on
peu faire à la lecture du tableau pr~cédent.
L'indice de la production agrioole totale (2ème ligne) pasee de
101 en 1954 à 147 en 1970 tandis que celui de la production alimentaire
(1ère ligne), passe de 101 à 140 dans la m~me p~riode. Autrement dit, il
existe un écart important entre la production agricole totale d'indice
147 en 1970 et la production alimentaire totale d'indice 140 seulement
en 1970. Le même phénomène est confirmé par l'évolution respective de la
production agricole par habitant d'indice 99 en 1970 et celle de la produc-
tion alimentaire par habitant d'indice 94 seulement en 1970. La conclusion
qui s'impose est donc l'importance de taux de croissance de la production
agricole totale par rapport à celui de la production vivrière. Mais ,
puisque la production agricole totale est compos~e de la production
vivrière d'une part et de la production d'exportation de l'autre, on en
déduit aisément que le rythme de croissance annuel de cette dernière est
sup~rieure à celui des produits vivriers.
Nous allons d'ailleurs noter dès à présent qu'alors que les taux
de croissance annuels de cultures spéculatives étaient tous égaux ou
sup~rieurs à 3,5 %, ceux des produits vivriers étaient presque tous infé-
rieurs à ce taux de 3,5 %.Ainsi, entre 1957 et 1968, les taux mayens par
an ont ~t~ pour le blé de 1,1 %, pour l'orge de 0,6 % pour le mil de 2,9%
L
- 231-
pour le riz de 3,1 %, pour les l~gumineuses de 1,9 %, pour les ol~agineux
de 1.4 % et pour les productions animales de 2,9 %(1). Mais le fait que
ces taux soient inf~rieurs au taux de croissance d~mographique moyen de
2,9 %pendant la p~riode consid~r~e, oblige à se demander si le d~ficit
vivrier africain est da au rythme ~lev~ du taux d'accroissement demogra-"
phique, ou aux déficiences structurelles des économies africaines.
2 0 ) [1' importanée- de l t acorol':sst.lrilen'~ d~mcjÇlraphigu!3 ou de la prodÛ"c-
u
j
tivit~ agricole
L'importance de l'accroissement d~mographiqu8 en Afrique apparalt
clairement si l'on compar e l' évo Lub Lon de l'indice de la production
vivrièr~ (101 en 1954 à 140 en 1970) à celle de la population(de 100 en
1954 à 148 en 1970). Il s'ensuit que le taux d'accroissement démographique
de l'ordre de 2,9% par an est nettem~nt sup~rieur au taux de croissance
moyen des produits alimentaires qui est à peine de 2,4 % par an. De là à -
déduire que le d~veloppement ~conomique des Etats africains est frein~
prioritairement par "l'explosion" d~mographique, il n'y avait qu'~n pas
que l'on a vite franchi (2).
Pourtant une telle th~se n~o-malthusienne doit être analys~e avec
beaucoup d'attention, et nous y reviendrons ultérieurement. Pour l'instant,
il nous suffit de comparer les tendances de la production et de la popu~ ~'
lation africaine à celles des autres r~gions sous-d~velopp~es pour d~ter
miner dans la mesure du possible si, derri~re le problème d~mographique
africain, ne se cache pas en r~alit~ une déficience économique plus grave
qu'on ne le croit.
_
•
.• . . . .
,,~ .•• , ilJ,
,,~
~. _0
" . . ,
·0
f J
.. 1
!
(1) Supplément Jeune Afrique,op.d~ja cit~,p.11.
(2) Au niveau international, voir la thèse de M.MoNamara,Président de la
Banque Mondiale in"finance et Développement",N° 4,1971,pp.47 à 48.Au
niveau Africain, une conf~rence s'est tenue en d~cembre 1971 à Accra
où le problème a ~t~ âprement discut~•••
- 232 -
L'évolution démographique des régions sous-développées montre en
effet que l'indice de la population de ces régions est passé de 100 en
1954 à 150 en 1970 alors que celui de l'Afrique passait respectivement
de 101 à 148. Par conséquent, l'accroissement démographique a été légère-
ment moindre en Afrique que dans l'ensemble des pays sous-developpés.Par
contre, si l'on compare les indices respectifs de production alimentaire,
on s'aperçoit que l'indice de l'ensemble des zones sous-développées est
passé de 100 en 1954 contre 101 pour l'Afrique, à 158 en 1970 contre 94
seulement pour l'Afrique (1). En d'autres termes, au cours des seize
années
de la période étudiée, le taux de croissance démographique moyen
a été sensiblement le même (2,9%) en Afrique d'une part et dans les pays
sous-développés d'autre part. Mais alors que pour l'ensemble des pays
sous-développés, le taux de oroissance de la production alimentaire moyen
était de 3,6% par an, celui de l'Afrique n'a été que de 2,4%. La èoriè~u~
sio!i-Cjüi" s,rfriipcise , est gue t'A'rri'gÜ's"s'iJurrrs; d'tabard, non de Itexèlôs.l.on
.
•
.
. . "
3 .
,9imogrâpfiIgÜë ï ~is'~~.~e~ soü's~ëf'o'd'üotrôri" al!'rriëJÏl:atte dÜ'e .aux caI'.Elnotls._
,!;l!rddûrëltës. des ~àcinom!es. Il n'est pas étonnant dès lors d'assister
à un '!\\J~~~,t;.,i:'de plus en plus grandissant entre l'offre et la demande des
produits alimentaires. Commellt se présente le problème des importations
de produits alimentaires en Afrique ?
Voilà la question qui retiendra
momentanément notre attention.
Nous aVons admis, non sans raisons, que l'excès de la demande sur
l'offre de prdduits alimentaires en Afrique était prioritairement impu-
table non à l'accroissement démographique - Thèse néo-malthusienne - mais
à la faiblesse des productivités et rendements dans le secteur agrioole
des pays africains. Naturellement,cette faiblesse des rendements et de
la productivité, bien que dénominateur commun de nos Etats, ne se présente
(1) Bulletin mensuel
Economie et Statistique op.cit. p. 17.
- 233 -
pas partout de la même façon. Mais partout, elle a pour cons~quence
inéluctable l'importation de denr~es alimentaires. Une enquête sur la
demande alimentaire en Afrique au Sud du Sahara effectu~e pour la p~rio
de de 1961-63 permet de se faire une idée sur la situation alimentaire
par région (1).
Pourcentage des importations de la consommation
alimentaire totale et coûts comparés
Tab leau 23
(
%
)§
des importations
Prix de 100 calories
(
)
(
dans
(en cents)
)
(
Alimenta-
Alimenta-: Alimenta~: Importa-: R~gime
)
(
tion totale: tion mon~: tion
tions
local
)
(
taire
totale
)
(
)
( ,
)
( Afrique de l'Ouest:
10,4
28,2
3,9
9,5
3,3
)
(
)
Zone saVane
14,5
37,4
3,5
5,1
3,2
(
)
( Zone Sud
22,5
52,8
4,7
9,5
3,2
)
(
)
Nigéria
5,5
15,1
3,9
15,9
3,3
(
)
( Afrique Centrale
11 ,9
36,2
4,0
9,5
3,3
)
(
)
Afrique de l'Est
4,1
12,6
2,9
4,4
2,8
(
·
)
(
·
)
(
)
Total
8,7
24,8
3,5
8,4
3 ,1
(
·
:.
)
·
Les renseignements que l'on peut tirer de ce tableau sont r~v~la-
teurs en ce sens que la d~pendance de l'Afrique tropicale des importa-
tions alimentaires apparaît à des degr~s diff~rents suivant que l'on
considère l'Afrique de l'Est, l'Afrique Centrale ou l'Afrique de l'Ouest.
Dans tous les cas cependant, l'Afrique de l'Est paraît moins d~pendante
que les deux autres r~gions.
(1) Le tableau ci-dessus a ét~ tiré des r~sultats de cette enquête.
L'enquête a eu lieu dans 24 pays d'Afrique Tropicale: 11 en Afrique de
l'Ouest, 6 en Afrique Centrale et 7 en Afrique de l'Est. Les r~sultats
ont été publi~s dans le Bulletin Economique pour l'Afrique.
Vol.X, N°1
Juin 1970.
- 234 -
1°) Si l'on considère d'abord le niveau des prix, on s'aperçoit
que les rapports des prix d'importation sur les prix de produits locaux
sont d'environ 3/2 en Afrique de l'Est contre 3/1 en Afrique;du Centre
et de l'Ouest. On peut en d~duire, entre autres, l'encouragement, par
des prix relativement ~lev~s, des producteurs agricoles d'Afrique de
l'Est par rapport à ceux des deux autres r~gions la d~pendance à l'~gard
des importations de produits vivriers est d'autant renforc~e.
2°) En effet les chiffres indiquent clairement que des trois
régions étudi~es, l'Afrique de l'Est est la moins importatrice de denr~es
alimentaires puisqu'elle n'importait au moment de l'enquête que 4,1 %
seulement de son alimentation totale contre 11,9% pour l'Afrique Centrale
et 10,4% pour l'Afrique de l'Ouest. Plus significative est l'~valuation
des taux d'importation par rapport à l'alimentation monétarisée dont
fait nécessairement partie les importations. Les taux d'importations sont
alors 12,6% pour l'Afrique de l'Est, 36,2% pour l'Afrique Centrale et
28,2% pour l'Afrique de l'Ouest. Ce qui donne une id~e approximative
des sorties de devises correspondantes par r~gion.
3°) Naturellement le niveau d'importation d~pend de nombreux fac-
teurs : l'état de l'~conomie agricole des pays, de la sp~cialisation en
production vivrière ou d'exportation, du degr~ d'urbanisation et de
l'importance du secteur non agricole. Nous reviendrons longuement sur
cette question. Quelques exemples suffiront ici à illustrer la diversit~
des situations. Ainsi, alors que la d~pendance de l'ensemble de l'Afrique
de l'Est s'évaluait à 12,6% du total des achats alimentaires, celle de
la Zambie, pays minier d'Afrique de l'Estt;~ttaig~~it 44%~ Si l'on cunsl-
dère maintenant l'Afrique de l'Ouest, en excluant le Nigéria dont la
dépendance alimentaire (15,1%) est relativement moins grave, on constate
que la zone de la Savane importait 37% contre 53% à la zone du Sud du
total de l'alimentation mon~taris~e.Ceci se comprend d'abord parce que
- 235 -
la zone du Sud est plus urbanisée. Ensuite, c'est par excellence la
zone de cultures d'exportation. En un mot c'est la zone la plus monéta-
risée et doné la plus intégrée au'maréhé éapita.Iiste mondial. Deux
exemples types de pays appartenant à cette zone sont le Ghana et la côte
d'Ivoire dont la dépendance des importations alimentaires s'évaluait
à 58% pour chacun d'eux entre 28,2% pour l'ensemble de l'Afrique de
l'Ouest. De même le Sénégal, qui est un pays de la Savane demeure aussi
grand importateur de denrées alimentaires à 58% (1).C'est que le Sénégal,
le Ghana et la Côte d'Ivoire sont tous trois des pays dont l'économie
est essentiellement dominée par les cultures d'exportation.
Après avoir donc examiné les caractéristiques principales de
l'agriculture vivrière de l'Afrique Tropicale, il nous faut examiner
maintenant ce que sont celles de l'agriculture d'exportation, l'autre
face de l'agriculture africaine.
Section III - L'Agriculture d'ëxportation
Il est bien connu que les pays sous-développés participent au com-
merce mondial grâce à leurs exportations de mat!'~etes premières qui
occupent une place importante dans leurs ressources monétaires. Mais,
ce qui nous intéresse ici, dans le cas de l'Afrique Tropicale, c'est de
déterminer les traits caractéristiques - force et faiblesse - de l'agri-
culture d'exportation, non seulement par rapport aux économies africai-
nes, mais aussi dans la trame complexe du commerce mondial. On sait
qu'en plus de certains minerais du sous-sol, certains pays africains
sont de grands exportateurs, vers les pays développés, de produits
agricoles appelés "produits tropicaux"
: café, cacao, bananes, arachi-
des ••• Ces produits ont une histoire, ils occupent dans les éoonomies
africaines une position capitale ; leur rôle et leur avenir dépendent
étroitement du commerce international.
(1) PàLf~i{tous les chiffres indiqués oi-dessus, se reporter à l'enquête
du Bulletin Economique de l'Afrique, op.cité "La Demande alimentaire
en Afrique au Sud du Sahara" (chapitre 2).
- 236 -
1°/ Un h~ritage colonial: l'origine historique des produits
tropicaux est connue;
ils ont ét~ implant~s en Afrique Tropicale par
les colonisateurs europ~ens qui vpulaient d'abord satisfaire les besoins
de leurs économies. Ainsi, à priori, les Africains, qui avaient beaucoup
plus à perdre qu'à gagner dans l'expansion des cultures tropicales ont
opposé une résistance multiforme mais f~roce à leur implantation. Donc,
dans un premier temps, c'est par la contrainte - exigence d'impôts en
monnaie ou travail forcé en côte d'Ivoire par exemple - que l'adminis-
tration coloniale est arrivée à ses fins. Ce n'est que beaucoup plus
tard, disons après la 2ème guerre mondiale, que les produits agricoles
d'exportation ont connu une expansion fulgurante, due à l'évolution
favorable de la demande internationale d'une part, et de l'autre à
l'entrainement des paysans africains pour les cultures industrielles
dont ils avaient besoin afin de se procurer des produits manufactù~~s.
Avec les indépendances de 1960, les nouveaux Etats vont trouver dans les
produits tropicaux leurs ressources principales de devises ~trangère8
pour"financer" leurs plans de d~veloppement. D'ores et déja, on peut
retenir que l'histoire de ces cultures, leur importance et leur destin
portent en eux une marque indél~bile : celle de la colonisation mat~
rialis~e par la "d~sattidulatron" des structures économiques des Etats
africains et la d~pendance des économies de ces Etats de la demande
extérieure des produits de base.
2°/ La production: l'importance de la demande mondiale des
matières premièreS prend une signification particulière en Afrique au
Sud du Sahara dans la mesure où les recettes à l'exportation jouent un
rôle capital dans la stratégie du d~veloppement économique et social •
Il suffit de lire attentivement le tableau ci-dessous pour s'en convain-
cre.
- 237 -
Parts de 3 produits agricoles en %de la valeur totale
des exportations de quelques pays Africai~.
Tableau 24
Pays
%des exportations
Produits agricoles
Valeurs en
totales
millions de
$ U.S.A
-,------...,..--------.----------.-------
Gambie
96,3
Arachide,huile et
semoule d'arachide •••
10
Burundi
92,4
Café,coton,cuir •••••
14
Tchad
88,2
Coton,bétail,viande ••
24
Côte d'Ivoire
80,8
Café,cacao,bois •••••
310
Chana
75,9
Cacao, bois, or •••••
244
Sénégal
77 ,8
Huile d'arachide, ara~
chide et tourteaux
d'arachide ••••••••••
149
Tanzanie
58,0
Coton, café, sisal •••
235
KenY:l
63 ,1
Café, thé, sisal ••••
174
-,._,.. , ,.._---,..-------------------,.----......---
Source
Commission ONU pour l'Afrique
chiffres 1966 - Voir Jeune
Afrique N° Spécial 3ème trimestre 1971, l'Agriculture
Africaine, p. 21.
a) Le degré de dépendance des pays Africains -
des produits d'ex
portation (agricoles ou miniers) - varie suivant le pays. Cette dépen-
dance est même faible pour certains pays, la Haute Volta par exemple où
l'économie de subsistance est encore dominante. Mais pour d'autres ainsi
que l'indique le tableau ci-dessus (N°3), la dépGndanteesl: d'.8Ijté:IlC. p.Lu s
cruellement ressentie que c'est une part substantielle de leurs recettes
extérieures qui est en cause. Cette part vari61t en 1966 de 46,9% p~~r
Madagascar, à 96,3% pour la Gambie et ceci avec la commercialisation de
trois produits agricoles seulement. Le plus souvent aussi, c'est une
part non négligeable du PIB (Produit Intérieur Brut) qui est en cause.
-
238 -
Toujours en 1966, les parts en pourcentages de la production agricole,
commercialis~e dans les PIS aux prix du march~ ~taient de 29,8% pour le
Gabon, 34,3% pour le S~n~gal, 49,2% pour Madagascar, 57,7% (Mali) 43,8%
(Côte d'Ivoire) et 74,7% pour le Rwanda-Burundi(1). Le m~me ph~nomène
existe pour les exportations de produits miniers. Ainsi comme le montre
le tableau l
(Annexe) en 1969, les pourcentages des exportations consti-
tuées de produits du sous-sol ~taient de 45,9% pour le Niger, 59% pour
le Gabon, 86% pour le Zaïr,etc ••• Certains pays d~pendent uniquement
d'un seul produit minier tel le fer pour la Mauritanie (99,5% des expor-
tations) ou le cuivre po~r la Zambie (97,6% des exportations). Or, loin
de diminuer, l'importance des matières premières minières et agricoles
n'a fait que s'accroltre dans les exportations des pays Africains et ceci
depuis leur accession à l'indépendance. Il en est ainsi de l'importance
du cacao au Ghana, de celle du cacao et du Caf~ en Côte d'Ivoire, de
l'arachide au S~n~gal. De nombreuses raisons expliquent ce maintien de
la pr~pond~r~nce de quelques produits agriooles (ou miniers) en Afrique
Tropicale.
b) D'abord, la caract~ristique d'une monoproduction, clest de
maintenir son emprise sur l'~conomie grâce à sa force d'entrainement
qui s'oppose aux r~formes structurelles n~cessaires et freine la diver-
sification des cultures. Nous avons d~ja not~ plus haut qu'historiquement,
certains produits tropicaux ont toujours occup~ une place pr~pond~rante
. dans la plupart des ~conomies af~icaines. JusqU'à pr~sent, ils continuent
par rapport aux produits vivriers, de canaliser vers eux une part impo-
tante des facteurs de production(terres, capitaux et main-d'o8uvr~).
Toutes les ressources associ~es à leur expension tendent à S8 sp~cialise~
(Banques,transports, compagnies d'import-export et instituts de recher-
ches). Il faut beaucoup de moyens pour ~branler l'ensemble de ces "Insti-
tutions" •. Aussi~ a-t-on tendance à consid~rer o~~.~o~oproductions comme
$
(1) C.E.E.npossibilit~s d'industrialisation des Etats Africains et
Malgache associ~sn, EAMA, juin 1967, P.32. Voir aussi Cand~ S~bastien
"Ecoulement des produits agricoles des EAMA dans le CEE",Thèse pour
Doctorat en Sciences Economiques, Nancy, Novembre 1969, p.12.
- 239 -
"moindre mal", Arthur Lewis, après une analyse dans ce domaine, aboutit
à la conclusion suivante :"quand on est d~cid~ pour une marchandise
1
particulièrement favorable, il est très facile de se sp~cialiser à outran-
ce : voilà pourquoi beaucoup de pays passent par une phase de monoculture.
La sp~cialisation est payante, c'est le secret du succès ~conomique (1)
En effet, bien que les Etats Africains n'aient pas choisi leur sp~
cialisation actuelle, c'est un fait incontestable que les produits de
base procurent des devises à l'Etat, des revenus aux paysans et des matiè-
res premières aux industries agricoles install~es dans les pays d'Europe
Occidentale et d'Am~rique du Nord. Il va donc de soi que ces puissantes
"Institutions" (les Etats et les Trust4:d~tahg8r~)qui b~n~ficient des
structures existantes tendent à les perp~tuer d'une façon et d'une autre
età encourager l'offre de certains produits tropicaux.
C) Ces étodaits-tid~idauxont ainsi 6driria-ari~-étd~fê~sioKtapide
qui a accentu~ leur emprise sur bon nombre des ~conomies africaines. Pour
montrer ce ph~nomène, nous nous r~fèrerons à un certain nombre de tableaux
utilis~s par Ann Seidman dans un article r~cemment publi~ sur les expor-
tations Africaines (2).
- Le Cacao: Comme on peut constater dans le tableau ci-d~ssous(3)
le cacao est le premier produit agricole d'exportation d'Afrique Tropicale.
(1) Arthur Lewis : D~veloppement ~conomique et Planification, Payot
1968, p.45
(2) Ann Seidman : Prospects for Africa's Exports in The Journal of Modern
African Studies, Vol.9, N° 3, Octobre 1971 ,pp.409-428. Voir aussi
FAo, Production Year Book 1969 (Rome 1969).
Signalons qu'Ann Seidman ~tait à l'~poque professeur associ~ au
"Land Tenure Center", University of Wisconsin(Madison), après avoir
~t~ professeur d'~conomie dans les universit~s du Ghana et de Dar es
Salaam.
(3) Ann Seidman, ibid, in p.412.
-
240 -
Principaux producteurs africains de caôao
de f952~56
à
1968
Produotion
1952 -
56
Produotion
1968
(000) T
%du Total
(000) T
mondial
8.280
100,0
12.485
100,0
5.172
62,0
8.614
68,9
2.446
29,5
3.387
27,1
"
1.060
12,8
1.865
14,9
648
7,8
1.445
11 ,5
605
7,3
1.030
8,2
Il nous parait superflu de faire un long commentaire sur ce
tableau. Trois remarques S'imposent cependant.
Premièrement
,
la production africaine de cacao a augmenté aussi
bien en valeur absolue qu'en valeur relative, puisque de 1952 -56 à
1968 cette production africaine est passée de 62,0% à 68,9% • Deuxième-
ment
, en ce qui concerne les producteurs afrioains, quatre pays oc-
cupent
, isolement ou ensemble, une place importante sur le marché
mondial. Ces pays sont par ordre d'importance le Ghana (27,1 % du total
mondial en 1968), le Nigéria (14,9 %), la Côte d'Ivoire (11,5 %) et le
Cameroun (8,2 %). Les autres pays africains n'occupent qu'une position
relativement peu importante
: la Guinée équatoriale (3,0%), le Togo
(1,6%), Sao Tome
(0,8%) et la Sierra Leone (0,4%) !I.~
1/ Ann Seidman, op. déja cité, p. 412.
- 241 -
Trosièmement enfin, la pàsition capitale qu'occupe le cacao
dans l'économie de plusieurs pays africains (plus de 50 %des expor-
tations totales du Ghana) et l'importance de la production africaine
dans la production mondiale prennent une signification fondamentale
celle de l'extrême sensibilité des économies africaines productrices
de cacao aux fluctuations de Demande et des prix mondiaux. De même , on
peut craindre que les producteurs de café ne soient pas eux aussi défini-
tivement épargnés.
- Le café
Les problèmes posés en effet par la production et la com-
mercialisation du café sont apparemment les mêmes que ceux
du cacao.
Prindipau~ptodüdt~urs afridains de d~fé
de 1952~56
à 1968 1/
Tableau 26
(
.
0 0
0
, . " .
0 "
o P r cïdLictloon 1952 - 56 ·
)
0
·
Production
1968
(
)
(
(000 T)
% du total
(000 T)
% du total
)
(
·
mondial
·
mondial
)
·
(
)
(
Monde
25.211
·
1QG,O
37.488
100,0
)
·
(
)
Afrique
3.927
16,0
11.313
30,1
(
·
)
dont
' 0
(
·
·
·
)
Côte d'Ivoire ·
752
2,9
·
2.040
·
5,4
(
)
(
Ouganda
487
·
1 ,9
1.890
5,0
)
·
(
·
)
(
(Angola)
·
·
633
2,5
·
1.860
4,9
)
(
·
·
)
Ethiopie
470
1 ,9
1.650
4,4
(
·
)
(
Reste
·
1.218
·
4,8
2.917
7,8
)
·
..
(
. .. ..' .~
·
)
·
~..1
' .
, .
._
,'J
••
..:~
."
.
..... ..
"'~ ..
.LI Source
Ann Seidman, op. cité p. 412.
- 242 -
Ce tableau appelle deux remarques: en premier lieu, alors
que la part de l'Afrique dans le total mondial de cacao passait de
62,0 % eh 1952-56 à 68,9% en 1968, soit une progression de 6,9% seule-
ment, celle du café passait dans le même temps de 16,0% à 30,1 % soit
une progression de 14,1% pendant la période _1_1. Cette progression extra-
ordinaire se vérifie d'ailleurs au nil/eau des producteurs africains de
café qui ont chacun p.lus ou moins doublé leur production nationale. pen-
dant la période. La deuxi~me remarque concerne 1~ stabilisation relative
des recettes des pays producteurs de café, stabilisation due
en Afrique,
aussi bien à l'accord international sur le Café de 1962 qu'à l'augmen-
tation des volumes africains de production 1-/.
Les oléagineux : ici, la position africaine est négligeable pour la
production du coprah (3,6 %) de la production mondiale er) .1968. Par
contre l'Afrique occupe une position impo~tante en ce qui concerne
l'huile de palme, et les palmistes et l'arachide. En 1968, elle pro-
duisait 63,0 %de la production mondiale d'huile et de palmistes dont
22,7 % pour le seul Nigéria et 14,6 %pour le Zaïre. En outre, la pro-
duction africaine d'arachide (coques et huiles) faisait 29,6 %du total
mondial dont respectivement 9,1 % pour le Nigéria et 5,5 % pour le
Sénégal-ll. Ici encore, comme pour les produits précédents, les pro-
ducteurs africains doivent faire face à une concurrence internationale ,
celle des pays développés (pour l'écoulement des produits oléagineux ~.
li Ces chiffres sont un peu différents de ceux que nous avons obtenus à
partir des données de la F.A.O.,Bulletin mensuel Economie et Sta-
tistiques agricoles, vol. 20 nO 12, décembre 1971, on trouve respec-
tivement pour les trois années 1968, 1969, et 1970 : 29,21 %; 29,OJ~
31 ,7 %'
.(En fait., bien que les recettes, tirées du café soient plus substan-
tielles que celles du cacao, elles n'échappent pas au phénom~ne de
la détè,rioration des termes de l'échange.
_
Voir Ann Seidman, op. cité, p.413.
~ Voir à ce propos l'important article de Jo'èl Decupar, "Décoloniser
l'arachide" in Revue "Africa", Dakar, nO 57, octobre-novembre 1971,
- 243 -
Ces oléagineux ont vu en effet leurs exportations compromises à par-
tir de la 2ème guerre mondiale qui a favorisé la production de cer-
tains substituts (produits synthétiques ou non) dans les pays indus-
trialisés. Î1'3 ~è(].s;ui.t des difficultés de débouchés pour de nombreux
pays africains comme le Nigéria, le Zaïre, et le Sénégal 1/. Autrement
dit, les difficultés des producteurs s'expliquent aussi bien par l'exis-
tence de puissants concurrents au niveau de la production que par l'évo-
lution de la demande internationale des produits oléagineux. Il nous
faudra maintenant examiner la situation des producteurs africains en
fonction de cette demande mondiale de produits tropicaux.
30)
La Demande des produits tropicaux.
Nous avons suffisamment insisté sur la dépendance des écono-
mies africaines des exportations de produits tropicaux, trouvant leurs
débouchés dans les pays industrialisés d'Europe Occidentale et d'Amérique
du r~tJT.'''t. L' on sait aussi que l'importance de la demande par rapport à
l'offre pour de nombreux produits primaires et les fluctuations de prix
qui en découlent so nt'" 8l~~iS,:.J;'iq~èl.•o~r'b"irie6>ùü';J:,oi;~:î8s·@f;ti'8?o,irit.s:'Paute
••
• .
'
,.
.,
'
'.
it
d'avoir réussi leur reconversion à temps, doivent ou devront faire face
à des situations de plus en plus difficiles (cf. Annexe tableau II).
Le tableau II (à l'annexe), indique clairement que l'évolu-
tion des vingt dernières années des prix et les perspectives de la
demande des produits agricoles ne permettent pas d'~tre optimiste.
Quelques exemples précis suffiront à conf~rmer cet état de choses.
Le Café, comme nous l'avons vu, est l'un des plus grands
produits agricoles d'exportation d'Afrique tropicale. Ayant fait l'ob-
jet d'accord international entre producteurs et consommateurs, les
prix du Café n'ont pas connu de graves fluctuations depuis 1962.
1/ Pour des détails complémentaires, cf. Ann Seidman, op. cité, p.414.
- 244 -
Cependant, non seulement, la stabilisation dont il s'agit n'est que
relative, mais aussi le prix du caf~ est resté sensiblement bas. En
outre, è cause du niveau insuffisamment élevé des quotas d'axporta-
tion, les pays producteurs africains sont obligés dea~~.~îldes
stocks importants de café invendu. C'est ainsi qu'en 1968, la Côte
d'Ivoire, premier producteur Africain, avait détruit cent mille tonnes
de café vert afin"de respecter l'accord international et d'all~ger le
i.
lou rd financement de stock s devenu co ns Ld ér-ab Le "1/. C~,ci veut dire
que malgré l'accord international déja mentionn~, les exportateurs
africains de café voient leurs recettes extérieures se réduire sous
l'action conjuguée de l'insuffisance de la seconde et de la stagna-
tion des prix. Il est d'ailleurs remarquable de constater que l'accord
international sur le café est théoriquement remis en cause par les
pays acheteurs.~/. Surtout les Etats-Unis dont les théoriciens pré-
tendent que le l' surplus" de café qui, est payé aux pays sous-dévelop-
P és est en réalité une " aide " aux producteurs, " aide " qui ne contri-
·1
.tfLJ:~
pas à
la diversification des ël(!îtu res • Pour le cacao qui ne béné-
,;J
ficie pas d'accord international, la situation est encore plus grave.
L'exemple du Ghana suffira à s'en faire une idée.
L'on sait en effet que le cacao occupe la place prépon-
dérante dans les exportations du Ghana. Les recettes de ce pays ont
été en 1954 de 322 millions de dollars US pour 220.000 tonnes de ca-
cao vendues; elles tombèrent en 1964 à 316 millions de dollars pour
421.000 tonnes vendues et è
230 millions de dollars seulement pour
500 ,ouo tonnes d'exportation. En clair et l'évolution des prix de
cacao le témoigne - en
1964, pour une quantité deux fois celle de
cacao de 1954~.de Ghana
ne retira que la moitié seulement de ses re-
cettes en 1954 li . La situation est encore plus catastrophique en 1965,
mettant totalement en cause le plan sptennal ghanéen de 1964-1970 qui
li Voir Bulletin Mensuel Ivoirien nO 81, Janvier 1969, P.4
li Voir The Journal of modern African Studies vol.9 nO 3 Octobre 1971
p. 149 - Nous reviendrons ultérieurement sur cette question.
li Pour tous les chiffres ci-dessus concernant le Ghana voir Samuel G.
Ikoku, le Ghana de N'KRUMAH, Paris, François Maspéro 197 p. 1 56.
i
... ~45 ..
prévoyait un prix moyen de 468 dollars la tonne. Cette prévision du
reste réaliste, aurait permis au Ghana de réaliser pour les 500.000 T
de cacao vendues en 1965, une recette totale de 243 millions de dollars
contre 130 millions, le manque à gagner étant de 113 millions de dollars
US. Comme on le voit, la baisse important e des pt :i:x 'du :cacaoJen, 1965 ..
1966 peut être interprétée comme l'une des raisons économiques ma-
jeures de la chute de Dr. N'KRUMAH en février 1966,1/.
Après une courte période de hausse des prix entre 1966
et 1969, le cacao cannait de nouvelles baisses depuis 1970 ~. Or, aucun
accord international n'est réellement en vue pour remédier à ce qu'on
peut considérer comme dramatique pour les Etats africains producteurs
de cacao.
On pourrait d'ailla~(s noter que d'autres Etats d'Afrique,
producteurs de coton, de graines oléagineuses et d'autres matières
premières agricoles ou minérales, subissent à des degrés divers la
baisse constante de leurs recettes extérieures. Les causes essentielles
de ce phénomène étant d'une part l'excès de l'offre sur la demande et
d'autre part le refus des pays développés de payer les produits de base
à des prix rémunérateurs,
les pays
sous-développés
ne disposent pas
de moyens internationaux efficaces
pour changer la structure
de
" l'échange inégal ".
On comprend ainsi que des difficultés existent de plus en
plus pour tous les produits agricoles et miniers exportés par les
Etats Africains qui doivent faire face à la situation suivante :
malgré l'accroissement quantitatif et l'amélioration de la qualité
de leurs exportations , la
détérioration des termes de 1!é6h~noe
. '
- ...w·
de
leurs
produHs dé basé permet de moins
en "'mo.i'.ns'à leurs
11 Naturellement, il existe d'autres raisons économiques politiques et
sociales qu'il n'y a pas lieu d'examiner ici.
~ Voir page suivant.
- 246 -
recettes extérieures de couvrir leurs importations de produits manu-
facturés. D'un autre côté, de nombreux Etats d'Afrique tropicale sont
contraints d'importer certains produits agricoles (riz,mil,etc ••• )
qu'ils peuvent produire à domicile à condition de réduire la pré€o-
minance des cultures d'exportation dans leurs économies.
On peut donc retenir dès à présent trois conclusions
concernant les ~apports
-
conflictuels - entre l'agriculture vivrière
et l'agriculture d'exportation en Afrique tropicale.
1°) D'abord et avant tout le potentiel agricole de l'Afri-
que est considérable. Mais il est mal exploité et sous-exploité. Le
caractère archaïque des conditions et moyens de production explique
en partie le retard de l'agriculture africaine - qui réussit à peine
à nourrir convenablement les populations du continent, soit à déga-
ger un surplus susceptible de financer la croissance économique.
2°) En fait, c'est le secteur de subsistance qui est
pénalisé au profit de l'agriculture d'exportation qui a connu l'ex-
pansion parfois prodigieuse que nous savons aussi bien à cause des
moyens mis en oeuvre que par les résultats obtenus. C'est ainsi que
la plupart des produits d'exportation tels que le coton, le café et
le thé ont progressé en moyenne à un taux annuel de 3,5% entre 1955-
1957 et 1966-1968. Il en a été de m~me pour les pêches (6,2%) et la
production forestière (5,3%). Par contre, en ce qui concerne les
cultures vivrières, leurs taux de croissance ont été légèrement su-
périeurs à 3,5% en moyenne par an 1/. Il ne
~Bl:.tlït donc pas surprenant
de constater l'existence d'une pénurie alimentaire au niveau de
l'Afrique en général et de l'Afrique tropicale en particulier. Nous
y trouvons une des nom~,t'~IJ'Ses preuves du caractère extraverti des
économies africaines ayant donné priorité aux produits d'exportation
c'est à dire aux besoins et aux marchés extérieurs pratiquement saturés.
1/ N°S Péc i a l de Jeu ne Af ri que 0 p • dé j a cité p'. 11 •
- 247 -
30) Donc,
le d~veloppement excessif de l'agricuture d'exï_
portation qui d~pend de la demande ext~rieure fluctuante d'une part,
et la p~nurie de denr~es alimentaires d'autre part font que le secteur
agricole a ét~ incapable de jouer un r~le positif dans la perspective
d'un d~veloppement autocentré en Afrique tropicale.
Chapitre II
L'avenir des exportations des produits primaires et les relations
agriculture-industrie dans une strat~gie de développement extraverti
en Afrigue.
Il Y a dix ans, lors des indépendances africaines, ç'au-
rait été "anti-~conomique" de mettre en cause le développement des
cultures tropicales dans les ~conomies africaines. Ceci parce que la
théorie économique n~o-classique et les planificateurs des ~conomies
africaines consid~raient non sans raisons que le développement des
cultures tropicales ~tait absolument indispensable à la croissance
économique en Afrique. Ces cultures tropicales s'avèraient n~cessaires
pour l'accumulation des devises ~trangèressans lesquelles il n'y a
pas d'importations de biens d'équipement industriel. Et puisque à
l'époque les perspectives de la demande pour la plupart des produits
tropicaux paraissaient relativement
favorables, i l fallait en profiter
Il s'en suit donc, comme nous l'avons montr~ plus haut, que l'emprise
des cultures tropicales sur les ~conomies africaines n'a cess~ de s'
croître tant du point de vue absolu que du point de vue relatif. Les
tentatives, plutôt pr~cipit~es de "diversification" n'ont pas chang~
fondamentalement cet ~tat de chose.
Section l
: L'avenir des exportations agricoles et minières d'Afrigue
tropicale.
On est en face d1une certaine ~vidence : celle de la dé-
terioration des termes de l'échange des produits primaires dont les
- 248 -
producteurs - les pays sous-développés - s'appauvrissent de plus en
plus au profit des pays développés et de leurs corporations multi-
1/.
nationales
Face à une telle situation, on ne peut que remettre en
cause certaines thèses classiques ou néo-classiques selon lesquelles
le commerce international ne pouvait être que profitable à ceux qui y
participent, en l'occurence les pays sous-développés qui par consé-
quent, avaient intérêt à développer leurs exportations de produits
de base. Si, depuis six ans, ce qu'il est convenu d'appeler "Tiers
Monde" a cru bon de dénoncer en choeur dans les instances de la CNUCED
un commerce international qui ne fait que l'appauvrir, c'est que sans
aucun doute des réformes s'imposent ..l.:./.
Par conséquent, à côté du débdi politique que suscitent
les inégalités flagrantes dans le commerce international, il existe
un débat théorique tout aussi important ~. Nous n'aborderons ce débat
..l.:.! Le parlement international ambulant qu'est la CNUCED (conférence
des nations Unies pour le Commerce et le Développement) a au moins
un mérite ; celui de permettre aux pays sous-developpés de manifes~'
ter publiquement leur mécontentement et de réclamer des réforme~ q~i
tarderont à venir, si jamais elles venaient un jour. Car non seule-
ment les pays du Tiers-Monde éprouvent des difficultés à unir leurs
efforts pour faire face aux manoeuvres diverses des pays riches,
mais ces derniers n'hésitent pas à s'opposer à tout ce qui risque
de mettre fondamentalement leurs intérêts en cause.
~
Voir entre autres :
- les colloques de l'Association Internationale de Sciences Econ-
nomiques :
1°) ae rapport du IIème Congrès, sous la présidence de E.A,G.
Robinson, Paris,Edition Cujas 548(document non daté).
2°) L'avenir des relations économiques internationales,Paris,
1971, voir surtout le rapport de H. Myint 1ère Partie" Com-
merce international et pays en voie de développement".
- A. Emmanuel, l'Echange inégal,Paris. Ed. Maspéro, 1969.
- S. Amin, l'Accumulation à l'échelle mondiale Ed. Anthropos,Paris
1971,etc •••
1/l/Bien que les pays socialistes profitent de cet "échange inégal",
on est obligé d'admettre que la détérioration des termes de
l'échange des produits de base n'oppose fondamentalement les pays
sous-développés qu'aux pays capitalistes développés avec lesquels
ils font environ 75% de leur commerce extérieur.
- 249 -
ici que pour tenter d'examiner, puis de répondre è la question sur
l'avenir des produits agricoles d'exportation dans le8 économies afri-
caines.
Notre tâche sera relativement facilitée par un débat récent
entre des économies comme Rweyemamu, Ann Seidman et Leslie Stein •• l/.
A/ Rweyemamu ~/ et Ann Seidman li, après avoir noté le
caractère artificiel de celui des relations internationales qui en
résultent,
insistent sur les conséquences néfastes d'un tel état de chose
pour les pays sous-développés : ces derniers, au cours de la période
1938-1966, ont vu leur part dans le commerce international baisser de
11 ,3%, tandis que la part des pays à économie capitaliste s'est accrue
de 7,3% et celle des pays à
économie socialiste(moins la Chine Populaire)
a augmenté de 3%. De plus, fait observer Rweyemamu,
alors que moins du
cinquième de la population mondiale, qui vit dans les pays industrialisés
jouit des 3/5 des richesses du globe, 3/5 de la population mondiale,
vivant en Chine Populaire, en Inde et en Afrique ne
jouissent que d'un
peu plus du dixième de ces richesses mondiales ~/.
1/ Leslie Stein, Developing countries and International Trade, an Alter-
native View, The Journal of Modern African Studies, Vol.8,
nO 4,
décembre 1970 pp. 605 - 618.
~ Rweyemamu, International Trade and the Developing Countries,in the
Journal of Modern African Studies, Vol.?,
n02,July 1969,pp.203 -
219.
Voir aussi du même auteur: The Causes of Po vert y in The Peri-
phery, The Journal of Modern African Studies, Vol.9, nO 3, Octobre
1971, pp. 453-455.
l./ Ann Seidman, "Prospects for Africa's Exportq", The journal •• op.cité,
Vol. 9, n ?
3, Octobre 1971.
~/ Rweyemamu, op. déja cité,
205.
-
250 -
Dr, la th~orie classique ou n~o-classique du commerce
international ne permettant pas d'appr~hender objectivement, cette
grave situation des pays sous-d~velopp~s, c'est essentiellement par unB
approche historique que l'on peut analyser, comprendre et d~terminer
"la cause fondamentale du sous-d~veloppement"
: "Mon point de vue,
écrit Rweyemamu, est que la misère des pays en voie de d~veloppement
doit être d~termin~e dans leurs relations historiques aVeC les pouvoirs
m~tropolitains,relationsqui ont conduit à leur ferme int~gration com-
me sàt~llites dans le système capitaliste mondial"l/.Une telle thèse,
remarquablement soutenue entre autres par le professeur Samir Amin1/
trouve de plus en plus sa confirmation dans l'~volution ~conomique et
sociale de la plupart des pays africains depuis leur ind~pendance. L'im-
portance d~mesur~e des exportations de produits primaires(agricole
et miniers) ne permet pas d'envisager avec optimisnl8 ni le d~veloppement
de leur march~ interne, ni la cr~ation des industries de base qui,
liées à l'agriculture dans un processus de d~veloppement autocentr~,
conditionnent l'ind~pendance ~conomique r~elle.
Pourtant, certains ~conomistes ne voient pas ainsi le pro-
blème de dépendance - ou de la lib~ration ~conomique - des pays
sous-
développés. L'article d~ja cité de Leslie Stein est à cet égard un
exemple révélateur ~/' L'auteur conteste en effet que les relations
commerciales entre pays développ~s et pays sous-développés soient une
cause fondamentale de la pauvreté de ces derniers, car ils ont tiré
11 Rweyemamu, ibid.Pi 212 •
1/ Samir Amin,"Les effets structurels de l'intégration internationale
des économies pré-capitalistes, une étude théoriqu~ du mécanisme qui
a e~~endré les économies dites sous-développées", thèse de Sciences
économiques, Paris 1957.
~/ Sauf indications contraires tous les arguments et les exemples
chiffrés ci-dessous sont tirés de cet article.
- 251 -
beaucoup de satisfaction de ce commerce international : en valeur
absolue, leurs exportations sont pass~es de 25.940 millions de dollars
US, en 1959 à 43.320 millions de dollars US en 1968, soit un accroisse-
ment de 67% en 9 ans; même en valeur relative, la situation s'est am~
lior~e pour l'Am~rique Latine dont les termes de 1'~ch~ance(1963=100),
sont pass~s de 97 en 1960 à 100 en 1967; ils se sont par contre d~
térior~s pour l'Asie(100 en 1960 et 98 en 1967) et davantage détério-
rés pour l'Arrique dont les termes de l'échange passent de 108 en
1960 à 103 en 1967.
Appuyant son analyse que la Périphérie ne forme pas un
tout cohérent, Leslie Stein affirme que ce qui est applicable aux uns
ne l'est pas aux autres et que les pays sous-développés - surtout les
pays africains qui sont dans l'ensemble des micro-Etats -
doivent
développérleurs e~portations de produits primaires afin de pouvoir
importer des biéns d'équipement. Car pour l'auteur, la fabrication de
tels biens d'équipement par les pays sous-développ~s, si elle est
conceptuellement possible exigera une très longue p~riode 1/.
L'expansion des exportations, non seulement permet aux
pays de la Périphérie de se procurer des devises ~trangères, mais aussi
elle stimule des industries de transformation. Même si ces dernières
sont isolées du reste de l'économie comme certa~ns l'ont prétendu,
Leslie Stein considère qu'elles procurent aux/l~'(J~uvernements intéressés
des "royalties"
que ces derniers pourraient utiliser dans des projets
de d~veloppement. En tout état de cause, conclut l'auteur, ce serait
une "folie" de rejeter l'alternative commerciale
qui permet aux pays
du Tiers-Monde de convertir leurs ressources locales en devises étran-
gères sur la base des avantages comparatifs. L'auteur n'en veut pour
11 Leslie Stein, article déja cit~.
-
252 -
exemple que celui de ] 'Afrique qui en 1968, a vu ses exportations
en volume s'accroitre ~ de 15% contre 11% seulement dans le monde. Ce
qui est encourageant, surtout si llAfrique continue de transformer,
comme elle le fair déjn dans la plupart des caslison cacao en chocolat,
,
son coton en tissus, ~o,
diamant en bijoux ete ••• Finalement, l'Afrique
devrait chercher des investissements étrangers pour développer les in-
dustries lourdes, puisque - toujours selon Leslie Stein - le SUCC3S
des industries légères a été établi ;lSinl]iJpüut: ,·)I::H1CJ-I<\\Jnr)
.:!ICurée
du Sud. C'est l'alternative pleine d'espoir pour l'Afrique.
BI En nous étendant sur le débat dont nous venons de
donner un aperçu, nous avons voulurûpondre à trois impératifs
d'abord permettre aux lecteurs de se rendre compte par eux-mêmes de
l'intérêt et de la nature d'une telle controverse théorique; ensuite
marquer clairement le malentendu -
est-ce seulement un mal entendu ?
plutôt les divergences fondamentales qui existent entre d'une part ceux
qui, comme Leslie Stein, sont partisans du statu quo dans les relations
internationales et d'autre part ceux qui, comme Rweyemamu, Ann Seidman
et beaucoup d'autres réclament une restructuration radicale des re-
lations entre "Centre et"Fh-iphérie"
; enfin le troisième impératif
auquel nous voulons répondre est de déterminer ce qui nous paraît être
le destin futur des exportations des produits agricoles d'Afrique
tropicale.
- Premièrement, en effet, il n'est pas interdit de tenter de résoudre,
théoriquement tout au moins, les problèmes que posent actuellement les
relations économiques internationales par l'alternative autarcie ou
libre-échangisme in~égral. Mais les deux termes de cette alternative
sont nuisibles l'un et l'autre non seulement au commerce inter
]tional
dans son ensemble, mais aussi à chacun des pays qui y participent.
Ce n'est donc pas par cette alternative que les pays sous-développés
11 Nous tenterons de montrer ultérieurement le contraire de ce que
l'auteur soutient ici.
- 253 -
- les pays africains en particulier -
devraient chercher la solution
à la détérioration des termes de l'échange de leurs produits de base.
Il faut convenir cependant que la perpétuation de l'état
de chose actuel serait tout aussi nocive au développement des pays
du Tiers-Monde qu'à leur existence en tant qu'Etats viables. Toute
théorie économique, qui défend d'une façon ou d'une autre la statu quo
actuel, a peu dê: chance de nous satisfaire
à cet effet on peut noter les points suivants : la détérioration des
termes de l'échange n'est ni continue, ni uniforme dans le temps et
dans l'espace; les pays sous-développés doivent diversifier leurs expor-
tations de produits primaires; ils doivent accroître
la productivité
de ces produits, ils n'ont pas le choix en acceptant les transferts
de profits substantiels vers les pays du centre pUisqu'autrement, ils
n'obtiendront pas de capitaux pour s'industrialiser; du reste, cette
liste n'est pas limitative. Pourtant, les arguments ainsi employés,
bien que ne manquant pas d'intérêt, ne posent pas le problème fonda-
mental, car èe gui est déterminant ièl,c'est de savoir si dans l'en-
semble, les termes de l'échange se détériorent au détriment des pays
de la périphérie et au profit de cie~x du èentie. Or sur ce point, la
réponse - positive -
ne souffre pas d'équivoque. Par conséquent, et
ceci a été suffisamment démontré, le commerce international appauvrit
de plus en plus les pays
sous-développés
au profit des pays dévelop-
pés 11. de plus,
la dépendance des prem~ers vis à vis
des seconds,
du point de vue politique , économique et socio-culturel ne cesse
de s'aggraver
non seulement à cause des
structures inégales des
échanges internationaux , mais aussi
et
surtout à cause des rela-
tions historiques des colonisateurs à colonisé; qui ont existé entre
les une et les autres. C'est ce qui fait dire à Rweyemamu que "ce sont
les relations historigues (c'est-à-dire le colonialisme et l'impéria-
11 Voir à cet effet les évaluations du Professeur Samin Amin in
l'Accumulation à l'échelle mondiale, op.ait déja cité, pp.74 à 76.
- 254 -
lisme) qui sont considérées être la cause fondamentale du sous-
développement de la périphérie"l/. Ce qui, à notre avis, n'exclut pas
d'ailleurs que les relations commerciales entre pays sous-développés
et pays développés soient de plus en plus une des èauses majeures
de la pauvreté de la périphérie, car ces relations commerciales, pour
ne citer que celles-là, ne sont pas encore décolonisées".
-Deuxièmement, nous avons insisté plus haut (chpître l,section III)
sur l'origine coloniale des exportations agricoles et minières des
pays africains, l'importance considérable que ces p~oduits occupent
dans leurs économies, ainsi que les graves menaces que la détériora-
tion des termes de l'échange de ces produits fait constamment peser
sur le développement des micro-Etats dt Afrique. Les structures des
relations internationales étant dominées et contrôlées par le centre
pour préserver ses propres intérêts, il nous paraît tout indiqué de
considérer que les pays africains autaient intérêt à réduire progres-
sivement l'importance des produits dits tropiéâux dans leurs économies.
Cela veut dire en clair que, par une planification rigoureuse, les
Etats Africains producteurs de café,
cac~o, arachide
ou autres denrées
similaires, entreprennent dès maintenant le remplacement progressif
de certaines éultures dTexêortation par des éultures vivrières ou autres
produits destinés principalement au marché national ou africain. Peut
être convient-il de rappeler ici le problème du vin algérien dont le
principal, sinon le seul débouché était la France quit en vertu de
l'accord
de 1964 avait absorbé 9 millions d'hectolitres en 1969-1970.
Or, après une suspension unilatérale de l'accord de 1964 par la France,
cette dernière a décidé en 1970 notamment à la suite de la volonté des
Algériens de nationaliser leurs hydrocarbures, naguère contrôlés en
grande partie par des intérêts français, de ne plus acheter de vin
d'Algérie. Résultat
les autoritss algériennes ont dO planifier
l'arraohage d'ici à 1980 de 140.000 heotares de vignoble sur un total
1/ EweyefiIEfml-l, op. cité p.453. Par cette mise au point, l'auteur répon-
dait à Leslie Stein auquel il reprochait d'avoir mal interprété sa
pé"03;;),e en lui faisant dire que "les relations commerciales entre pays
développés et pays sous-développés,sont une cause majeure de la
pauvreté de ces derniers"(voir Leslie Stein,op.cit.p.605).
-
255 -
de 285.000 hectares afin de développer des cultures vivrières 11.
Par conséquent, ce qu'on appelle "diversification ll ,
par exemple rem-
placer le cacao par le café, ou le café par l'arachide, n'est pour
les états africains qu'une solution provisoire, en tout cas très
rf.s qué e à 'long terme. En fait, comme le montre le tableau ci-dessous,
l'avenir n'appartient plus aux exportations de matiètes premières.
Si historiquement, les exportations de produits primaires ont con-
!.tribué au lancement de la croissance économi/~ de pays comme la
~f Suède (minerais de fer et bois), le Japon (~ et soie) ainsi que
les dominions britanniques (Canada,Australie, Nouvelle Zélande)
c'était dans un contexte politique, économique et socio-culturel
différent de celui d'aujourd'hui. La Suède et le Japon n'ont pas été
colonisés. Quant aux Dominions , étant des colonies de peuplement
européen, leur statut était différent de celui des colonies du Tiers-
Monde en ce sens qu'ils pouvaient prétendre à une autonomie interne.
D'un ~~t~e côté, certains des produits, le blé par exemple, qu'ils
l:c.' 18xpor~aien~, fais~nt.par~ie de la ~o~sornmatiOri de base de l'Europe
w.
en V01e d'1ndustr1a11sat10n, bénéf1c1ant d'une demande relative-
~\\I\\II
1
'.~
ment st ab le. Enf in, ces p ay s pou v aient ut iliser une grande proportion
,VJ
de leurs recettes extérieures pour asseoir leur propre développement
/ . / au t o cen t r
Tout ceci différe de la situation du Tiers-Monde qui
é
,
doit faire face à une stagnation de la demande des produits de base.
1/ Les pays Africains exportateurs de produits agricoles devraient
comprendre qu'il vaut mieux f~ire ce genre d'opération lIà froid"
plutôt qu'à "chaud". Pour plus amples informations voir" Quand
l'Algérie arrache ses v Lqn a s " ; .Le "rlnn da" du 21 Sap t emor e 1971,p.21
-
256 -
Projection dans l'avenir des taux de croissance de la demande
des principales exportations de l'Afrique Tropicale
TABLEAU
27
,
~-----------------------------------------------------------------------
~)
~Projection des taux de :Taux de productions
principaux
:Part en ojo
'croissance annuels de
.
en Afrique
hroduits
:dans le to- :
la demande en o j o :
:
•
•
r )
•
•
. . 1 . . .
'~gricoles
:tal des ex-
ii i exporta-
:portations
:-----------------------~-------~-------------:
Taux
Taux
:1959/1961 à: 1967/1968
r-ion afri-
:africaines
minimum
maximum
:1964/1966
j~aine
·
en
1965
1
·•
.•
.•
.•
.•
~-----------------------------------------------------------
i
•
• ---------
.
.
tafé
11,9
2, 1
2,3
7,7
1,8
Gacao
8,6
3,0
3,3
5, 1
14,5
i
~ro oléagi-
1 neuses
8,3
2,6
2,6
5,9
·
8,0
·-
Coton
7. 1
1,7
2,5
3,5
3,0
;3ois
3,3
3,3
4,4
taoutchouc
1,3
0,8
1,9
2, 1
0,3
18 i s a l
1,3
·
..
0,4
1, °
2,4
·
4,5
·-
iSucre
1,4
2,8
7,2
6,6
\\Thé
2,9
2,6
8,6
16,3
·
lB) Min e rai s : ;
Cuivre
14,6
3,9
4,4
Pétrole
4,9
6,0
6,0
Fer
3,5
5,6
6,2
Etain
2,2
1, ,1
1,3
Aluminium
6,6
7,0
·
.
.
.
.
•
•
>
•
•
•
.
------------------------------------------------------------------------
Source
U.N.T.A.D.
Document T.D./34 App.A.
New-York
1968,
Voir
aussi The Journal of Modern African 8tudies,
vol. 9,
n03
octobre,
1971,
pp.410
(a)
Etude des conditions économiques en Afrique,
1969 (Partie
1)
N.O.
1970,
pp s
?
et 58.
ô
- 257 -
Le tableau ci-dessus confirme ce que l'on savait déja, à
savoir , la stagnation de la demande mondiale des produits primaires.
Nous avions noté
auparavant que de 1955/57 à 1966/68, la plupart de
ces produits exportés par l'Afrique avaient
atteint un taux de crois-
sance moyen, égal ou supérieur à 3,5%, alors que les cultures vivrières
n'accusaient que des taux de croissance égaux ou inférieurs au taux
d'accroissement démographique moyen
(2,9%)l/.Ce développement prodi-
gieux des cultures industrielles en Afrique, n'emp~che d'ailleurs pas
des années de catastrophe dans la production de certaines d'entre ell~s,
comme le montrent les taux de croissance en 1967/1968, pour le café
(-1,8%), le cacao (-14,5%), l'arachide (-8%).
- Troisièmement l' les cultures d'exportation ont aujourd'hui le triste
privilège d'occuper en Afrique une place d'avant-garde dans la stra-
tégie du développement extraverti en cours. Ayant avec les exportb-
tians minières permis à la colonisation d'avoir une assise économique,
elles constituent actuellement un solide pont entre le passé colonial
d'une part et le présent ou futur prochain non moins colonial d'autre
part. Les cultures d'exportation concentrent sur elles la plus grande
partie des facteurs de production au détriment des cultures vivrières.
Ell~atrophient les marchés nationaux ou interafricains au profit
d'un marché international de plus en plus contingenté et appauvrissant.
Leur justification constitue encore en la monétarisation des économies
africaines dont elles faciliteraient, dit-on, l'accumulation de devises
étrangères. Mais une telle justification semble de plus en plus remise
en cause non seulement par la détérioration des termes de l'échange,
mais aussi par le gaspillage inconsidéré de ces devises pour la
"p6nsommation "de lUxe"
d'une Qpsudo-bourgeoisie afridalne à tout point
de vue sous-développée et"sous-développante" C'est pourquoi, l'op-
timisme de ceux qui comme Leslie Stein ou Jin Livingtoney conseillent
---------------------------------------------------~----------~-------
11 Supra, l'Agriculture vivrière (section rr) p. 11.
2/ Jin Livingtone, "Agriculture Versus industry in Economie Dévelopment"
~l~e journal of Modern African Studies,Vol.6,n o 3,October 1968,
;"'p.1'J\\,
328-341. Précisons que Levingston a été le directeur du bureau
de Recherches économiques du Collège Universitaire de Dar-es-Salaam.
-
258 -
aux pays africains de rattraper par le volume ce qu'ils perdront sur
les prix des produits primaires nous paraît exagéré, car toutes les
solutions proposées (diversification, accroissement de la production,
recherches des nouveaux débouchés etc) ne peuvent pas suffire, à moins
d'une réforme radicale des structures du commerce international.~,
les pays sous~développé~ ne peuvent impos~~ desr~formes profondes aux
pays développés s~ns au préalable procédér à des réformes non moins
profondes dans leurs propres économies nationàles ou régionales,
planifier rationnellement celles-ci de façon à ce que l'ensemble des
populations participe non seulement à la production mais aussi à la
consommation de cette production. Ceci exige avant tout le contrôle
et l'exploitation des ressourdes nationales par les Nationaux eux-mêmes
Donc,
dans le cas particulier de l'Afrique, il s'agit de
•
• -l"" '",
_',
""";;~."1i':1' ' .-,:::;,:.-\\'-':; .
,.l,
passer du développement extraverti o"r.:!c ri i s é P'Ife t(fStJ:r 18è".:.~,~p ital is-
tes étrangers - plus une minorité "nationale" qui leur est liée -
au développement autocentré organisé par et pour les intérêts des
africains. On pourrait ainsi envisager dans cette nouvelle stratégie
de développement des Etats Africains, la transformation du cacao en
chocolat, du café vert en café soluble, du coton en tissus etc •••
Ce qui en d'autres termes, relierait fondamentalement l'agriculture
d'exportation africaine à des industries nationales ou régionales.
Où en est-on dans ce domaine en Afrique Tropicale 7.
Section II
Rapport aQriculture-industrie dans une stratéQie de
développement extraverti en Afrigue tropicale.
En nou~ en tenant à la première décennie d'indépendance,
nous savons, par tout ce qui précède, que l'Afrique Tropicale a mani-
festé des carences notoires dans la production vivrière. Ce qui n'est
pas pour nous surprendre si l'on sait par ailleurs qu'elle a fait montre
d'un dynamisme exceptionnel dans la production et les exportations des
-
259 -
matières premières agricoles et minières. Nous en avnps conclu qu'il
existe incontestablement des rapports conflictuels entre l'agriculture
vivrière d'une part et l'agriculture d'exportation de l'autre, l'em-
prise de cette dernière sur les "économies africaines devenant de plus
en plus contraignante et ce, avec la détérioration des termes de l'é-
change. Cependant, la réduction de l'importance des exportations de
produits primaires dans les économies africaines, que nous préconisons,
ne signifie pas pour autant l'arrêt brutal de ces exportations qui
en tout état de cause, aggraverait encore les déséquilibres de ba-
lance commerciale qui existent déja dans nos Etats. De surcroît, on
peut concevoir dès à présent l'orientation de certains Ca:ces produits
primaires vers les marchés nationaux et africains afin qu'ils soient
utilisés dans le processus de développement national. On peut aussi
envisager une autre solution, complémentaire de la première: la
transformation locale d'une bonne partie de la plupart des produits
agricoles d'exportation. D'autant plus que malgré les apparences, une
telle transformation est dans l'ensemble inexistante en Afrique. En
d'autres termes, le fait que les cultures d'exportation n'aient pas
débouché sur des industries dérivées fait perdre à l'Afrique,
au pro-
fit des pays du centre, des sources inestimables d'emploi et de revenus.
AI La tranformation des produits agricoles
En ce qui concerne la transformation des produits agricoles
vivriers, cette transformation existe et se développe même dans un
certain nombre de domaines: minoterie, boissons etc ••• Les méthodes
utilisées en l'occurence, varient des méthodes traditionnelles des
pileuses de mil aux procédés ultra modernes des minoteries.
Il nous
suffira donc ici de noter que les industries alimentaires jouent un
rôle plus ou moins important dans la croissance des pays africains et
en fonction du degré de leur intégration dans le système capitaliste
- 260 -
mondial 1/. L'importance de ce rôle dépendra à l'avenir de la place
qu'occupera l'agriculture vivrière dans les économies africaines.
quant à l'agriculture d'exportation de l'Afrique tropicale,
tout se passe en fait comme si elle est directement liée aux industries
des pays capitalistes développés. C'est donc le rôle non-négligeable
que joue ce phénomène dans la croissance extravertie des économies
africaines qui retiendra plus spécialement notre attention. On pourrait
se faire ainsi une idée approximative du manque à gagne~ des Etats
africains qui, aU.lieu de transformer leur bois en meubles ou en pa-
",'
piers, leur café vert en café torréfié ou soluble, leur arachide en
huile etc •••
se contentent - par la force des choses -
d'exporter leurs
produits bruts vers les pays du centre. Le cas du cacao est à cet
égard représentatif de ce qui se passe en général pour l'ensemble des
produits tropicaux.
On se souvient (voir Supra, chapitre I) que la part afri-
caine dans la promotion mondiale de fèves de cacao est passée de
62% en 1952-56 à 68,9% en 1968. C'est dire que la position déja capi-
tale du continent dans la production du cacao s'est renforcée grâce
à
l'importance de l'économie cacaoyère au Ghana, au Nigéria, en
Côte d'Ivoire et au Cameroun qui, à eux quatre, ont vu leur part passer
de 57,4 % à 61,7 % pendant la même période. Malheureusement, pour les
économies africaines, le quasi-monopole que détient le continent dans
la production du cacao ne se retrouve pas dans la trame complexe de
la chaîne de transformation de ce produit en chocolat. Les princi-
pales étapes de cette chaîne sont le broyage des fèves,
le beurre de
cacao, la pâte de cacao et la poudre de cnocolat. En examinant la
participation de l'Afrique à cette transformation suivant chaque étape
2./ A.M. O'Connor,"The Geography of Tropical African Development",
(Chap. 5 : Industrial Dévelopment), Pergamon Press LTD,:Headingten
Hill Hall, Oxford, 1971.
-
261
-
cie l~:::; iaîne ,
nous serions en mesure dl établir la "rupture de lien"
qui existe entre les produits agricoles d'exportation et leur industria-
lisation en Afrique.
Le tableau ci-dessous permet de matérialiser notre
analyse
•
Productions et exportations mondiales et africaines de produits cacaoyers
(en milliers de tonnes)
i!ableau 28
f
I/ Production mondiale et africaine de fèves
1967/68
1968/69
1969/70
de cacao
(a)
,
Total mondial •••••••••••••••••••••••••
1.340
1.230
1 .416
dOQt
les 4 premiers producteurs africains
Ghana,
Nigéria, Côte d'Ivoire, Cameroun
884
764
908
%du total mondial ••••••••••••••••••••
63%
62%
64%
,
~/ Transformations en produits cacaoyers
1.968
1.969
1
1.970
Total mondial de broyage
( a )
•••••••••••
1.398
1 .341
1 .323
don t
Ah'.iÏ.J:J u e
(a)
137
140
137
pourcentage
9,8%
10%
10%
Total Afrique' {;b;).~(100 T)
beurre de cacao ................
35,8
46,5
41 ,10
poudre de cacao ................
4,5
1 ,12
2,26
pâte de cacao
••••••••••••••••••
50,0
45,6
35,8
chocolat •••••••••••••••••••••••
4,08
2,67
3,55
Sources
:
(a) Gaston Leduc,
la situation du
marché mondial de cacao -
Banque
Centrale -
Etudes et statistiques Bulletin 'Mensuel nO
167,Octobre
1971.
b)F.A.O.,
Rome
Statistiques du
cacao, Volume 15
nO 2 Avril 1972
pp. 5 -
16.
- 262 -
Un certain nombre de remarques s'imposent à partir du
tableau ci-dessus
1 0 ) J 8 8 ~U8tJO premiers producteurs africains de cacao en f~ves
(le Ghana,
le Nigéria,
la Côte d'Ivoire et le Cameroun) ont vu leur
production totale passer de 62 % en 1968/69 à 64% 1969/70 du total
mondial.
Par contre, leur part totale dans le broyage des f~ves a été
environ de 10 % du broyage mondial en 1969 et 1970. L'écart est donc
immense entre la contribution de l'Afrique à la production mondiale
(plus de 64%) et sa contribution au broyage mondial
(seulement 10%).
Or, ce broyage est la première étape d'élaboration industrielle, à
faible valeur ajoutée que les pays du centre tol~rent tant soit peu
chez les producteurs primaires de la périphérie africaine. En ce qui
concerne les autres étapes de la transformation,
la contribution afri-
caine est évidemment symbolique.
2°) Comme le montre le tableau précédent,
la production africaine a
été en 1968, 1969 et 1970, respectivement
- pour le beurre de cacao de 35.800 T • , 46.500 T • , et 41 .100 T.
- pour la poudre de cacao : 4.500 T. , 1 .120 T• , et 2.260 T _1/
- pour la pâte de cacao : 50.000 T• , 45.000 T• , et ss.unor .
- pour le chocolat
4.800 T • , 2.670 T • , et 3.550 T.
En somme, ~ part le broyage de f~ves dont l'Afrique contri-
bue pour environ 10% du total mondial, la part du continent dans les
autres transformations de produits cacaoyers est tout simplement
négligeable par rapport à sa production de cacao en f~ves.
1-/ Sont inclues dans ces totaux les productions d'Afrique du Sud de
poudre de cacao qui ont été respectivement de 217 T.
(1968), 297 T.
(1969) et 118 T.
(1970).
- 263 -
3°) Or, comme le Cacao ou d'autres produits agricoles afri-
cains, le café vert d'Afrique est aussi exporté essentiellement comme
tel vers les pays du centre qui l~tranforment industriellement.
Ainsi, en 1969, sur 3.170.000 T. de café vert exporté dans le monde
dont 985.000 Tonnes par l'Afrique, ces pays du centre ont importé
2.832.000 T., la part importée par les pays à économie planifiée
n'étant que 171.000 T.lI
Le même phénomène se passe, pour l'arachide car, ici encore,
l'essentiel des échanges a lieu entre l'Afrique d'une part et l'Europe
Occident~18 de l'autre. C'est ainsi qu'en 1969, sur 1.102.000 T. d'ex-
portation mondiale d'arachide en coques et 351.000 T. d'exportation
d'huile, l'Afrique contribue respectivement pour 1.009.600 T. et
248.300 T. Par contre, les importations européennes ont été dans le
même temps de 1.031.200 T. en coques et de 327.700 T. d'huile~.
Même pour quelques rares pays comme le Sénégal où l'arachide est
presque entièrement transformée en huile, le professeur Samir Amin
a montré que cette industrialisation ne peut plus avoir l'effet béné-
fique attendu pour l'économie sénégalaise et ceci pour deux raisons es-
sentielles :d'abord parce que les huileries sont en grande partie
contrôlées par des firmes étrangères (notamment françaises), ensuite
parce que cette industrialisation s'est réalisée "trop tard" au Séné-
gal, juste à un moment ou les produits arachidiers avaient commencé
à
traverser une crise internationale et structurelle grave ~/.
il Voir Gaston Leduc, Evolution et perspectives de la situation du
marché mondial du café in Banque Centrale, op. déja cité nO 172,
mars 1972, p.178.
li Voir annexe tableau nO III.
USamir Amin, "l'Afrique de l'Ouest bloquée", Edition de Minuit,
Paris 1971.
-
264 -
En fait,
le rôle des produits tropicaux (café, cacao,
coton, etc ••• ) dans les économies africaines se caractérise essentiel-
lement par des relations étroites entre l'agriculture d'exportation
africaine et l'industrie transformatrice européenne. Que cette in-
dustrie soit située en Europe ou qu'elle ait des succursales en Afrique,
le problème reste le même : une division internationale de travail qui
perpétue incontestablement les rapports économiques de domination au pro-
fit des pays du centre et au détriment bien entendu de la périphérie
africaine,toujours exportatrice de matières premières agricoles et miné-
rales, du reste soumise aux fluctuations internationales des prix. En
somme ce processus de l'expansion et d'exportation des matières premières
loin de contribuer au développement des Etats Africains
, les engage au
fil, des années sur la voie du sous-développement, puisque l'accumu-
lation en Afrique se fait essentiellement au profit du centre. Voici
par exemple la décomposition du prix du chocolat en Allemagne :
en pourcentage
Cacaco ..........................
10
Autres ingrédients ••••••••••••••
3
Droits et taxes à l'importation ••
5
coat et marge et de la
transformation ••••••••••••••••••
36
Distribution ••••••••••••••••••••
46
Prix du détail du chocolat
100
En fournissant ce tableau dans un article récent 1/, le pro-
fesseur Arghiri Emmanuel fait remarquer que, pour ce qui concerne la
formation du prix, au cours des étapes qui mènent à la production du
chocolat, la demande qui importe est celle du chocolat, la demande
des fèves de cacao en étant dérivée. Dès lors, on peut considérer
1/ Arghiri Emmanuel, "Les termes de l'échange obéil;lsent à une dispa-
rité préétablie par l'impérialisme mercantile" in "Le Monde di-
plomatique" du 4 Avril 1972 -
La page qui suit immédiatement est
inspirée par cet article.
-
265 -
le cacao et le chocolat comme produits par une seule entreprise
dont les "ateliers" sont situés au Ghana où l'on produit les fèves
de cacao et en Allemagne où l'on produit {e chocolat. Dans ces con-
~
~
ditions, on ne comprendrait pas pourquoi à gualification égale, le
ghanéen producteur de fèves, toucherait 4 ou 5 fois moins que l'Alle-
mand qui fabrique 1~ chocolat. Pourtant, c'est ce qui se passe et
l'explication qu'en donne Arghiri dans son artiole déja cité est que
"Ce ne sont pas les prix internationaux qui déterminent le
taux
national des rémunérations des producteurs mais la disparité pré-
établie de ces rémunérations qui déterminent les prix internationaux
et qui engendrent la spoliation dont ces prix constituent les véhi-
cules". En d'autres termes, tout au long des différentes étapes de
la fabrication du chocolat chaque ouvrier reçoit un " salaire local "
préétabli, le critère de référence étant Itappartenance de l'ouvrier
à la périphérie ou au
centre. C'est ainsi que l'on attribue seule-
ment 10 %du prix du chocolat au producteur africain de fèves de cacao
tandis que les 90 %vont aux ouvriers, intermédiaires et firmes inter-
nationales des pays du Centre. Comme
conséquence immédiate
de cet
" échange iriégal " car c'est de cela qu'il s'agit, les corporations
multinationales, en l'occurence celles qui contrôlent la production,
le commerce et la transformation des produits tropicaux draînent
d'énormes bénéfices vers les pays du centre. Pour ne prendre, qu'un
seul exemple concernant l'Afrique, "l'United Africa Company" possède
des succursales au Cameroun, Zaïre, Ghana, Côte d'Ivoire,Kenyaj
Malawi, Nigéria, Rhodésie, Siera Léone, Afrique du Sud et Zambie.
Or, l' U.A.C., est elle même succursale de la Compagnie britannique
"Unilever" dont les chiffres d'affaires ont atteint en 1969 un montant
de 7,4 milliards de dollars US, soit un peu moins de la valeur
- 8,5 milliards de dollars US - du total des exportations du continent
africain en 1967 11. C'est donc moins la nature du produit (primaire
ou industriel) que la zone de production (périphérie ou centre) qui
~/ Voir Ann Seidman, Prospects for Africa's Exports, in The Journal
of Modern African Studies", article déja cité, pp.417 et suivantes.
-
266 -
importe dans cette forme d'exploitation de la premi~re par le second.
Et le fait que cette exploitation soit essentiellement fond~e qur
la plus value en provenance du travail des producteurs du Tiers-Monde
semble être la caractéristique fondamentale de l'échange in~gal.
Il n'en reste pas'moins vrai que la logique du système économique
international est de reléguer les pays sous-développés dans la pro-
duction des matières premières, leurs industries étant par nature,
dépendantes de celles des pays développés.
BI Nature des industries d'Afrigue Tropicale et stratégie
du développement extraverti.
Dans un développement autocentré, les relations entre
l'agriculture et l'industrie exigent, entre autres, que les deux
secteurs répondent à certains imp~ratifs sans lesquels ce dévelop-
pement autocentré est pratiquement impossible 11. Il faut en premier
lieu que la mise en valeur, la transformation et la circulation de
la plus grande partie des produits agricoles se fassent à l'intérieur
des territoires nationaux. De tout ce qui préc~de, nous savons que
ce n'est pas encore le cas en Afrique Noire. Il faut, en second lieu,
qu'à l'exploitation des ressources du sous-sol succ~de la création
d'industries de base, du reste nécessaires à la modernisation agricole.
Ceci suppose à priori gue les produits -
minéraux africains ne soient
pas comme tels destinés à l'exportation.
Or, le sous-sol de la plupart des Etats Africains recèle
des ressources minières sans lesquelles l'industrialisation est
impossible. Mais jusqu'à présent, ces ressources ont ~té export~es
brutes vers l'étranger de telle sorte qu'elles ont rarement contribué
11 Nous reviendrons plus loin sur cette question importante en utili-
sant le récent mod~le de développement du professeur Samir Amin.
-
267 -
à
l'industrialisation africaine. L'Etat africain qui possède du fer
exporte du minerai de fer, celui qui possède du pétrole l'exporte brut
et celui qui possède du cuivre exporte du minerai de cuivre.Il en est
ainsi en général pour tous les pays africains dépositaires de ressources
minières .1./. Etre par conséquent "riches" dans ce domaine signifie ex-
porter autant que possible de minerais bruts dont l'emprise apparaît
incontestable voire inquiétante sur l'économie de bon nombre de nos Etats
(voir annexe
tc~leaux 1 et IV).Ces pays miniers à l'instar des pays
africains dominés par l'agriculture d'exportation, voient chaque jour
leurs économies davantage monopolisées par l'extration minière au dé-
triment de la production agricole(surtout vivrière).Pour la plupart de
ces pays,le secteur primaire se caractérise par une pénurie permanente
de denrées alimentaires. Les importations massives auxquelles elles don-
nent lieu deviennent ainsi un complément nécessaire mais nuisible de
l'emprise minière sur l'économie.La"richesse"minière s'accompagne de la
"pauvreté" agricole, pour ne pas dire de l'arriération de l'économie
dans son ensemble. On pourrait indistinctement citer les exemples du
monopole de l'extraction du fer au Libéria ou en Mauritanie, celui de
l'aluminium en République de Guinée ou celui du cuivre en Zambie. Cet
état de chose a pour conséquences directes ou indirectes soit de laisser
certains pays africains pratiquement sans industrie d'aucune sorte, soit
de créer chez ceux qui sont les plus intégrés dans le système capitaliste
mondial,des industries légères de transformation.Ces dernières étant pour
la plupart crées grâce à des investissements étrangers,leur fonction
principale est de produire des "biens de luxe" destinés à la "bourgeoi-
sie nationale"
et aux expatriés d'une part et d'autre part de dr a î.ne r "
vers le centre des profits importants dans le cadre de l'accumulation à
l'échelle mondiale" Ces industries de transformation sont des "Corps
étrangers" dans les économies africaines dont elles accentuent le carac-
tère extraverti et dépendant •
.1./ Par des méthodes originales mais efficaces, l'Algérie est l'un des
rares pays africains ,tendant à contrôler progressivement tous les
secteurs clés -
surtout le secteur pétrolier -
de son économie.
-
268 -
Or, s'il avait été question de construire en Afrique des
industries de base avec une grande partie des ressources du sous-sol,
leur extraction intensive aurait soulevé chez les Africains moins j'in-
quiètude qu'à présent.L'équipement dans ce cas ,du secteur agricole,
aurait permis de libérer les paysans des méthodes culturales tradition-
nelles et de leur misère chronique. L'ensemble des populations africai-
nes aurait pu profiter des bienfaits d'une industrialisation intégrée,
parallèlement à une modernisation du secteur agricole. La réalité,mal
heureusement, est que ce qui est produit de minerais est presqu'entière-
ment exporté comme tel. Il en est de même des produits agricoles comme
le café, le cacao, l'arachide, le coton etc ••• La rupture radicale,
historique et structurelle des liens entre l'agriculture et l'industrie
africaines s'inscrit dans une stratégie de développement extraverti
dont le professeur 5emir Amin a récemment donné un modèle théoriqu8~
et global 1/.
Partons du schéma ci-dessous qui divise l'économie en quatre
secteurs 5'1 (d'exportation), 52
(de biens de consommation" de masse"Y,
5
biens de consommation "de luxe") et 5
biens d'équipement),
3(de
4(de
le modèle montre qu'il existe une différence fondamentale entre le pro-
cessus de développement auto centré et celui de développement extraverti,
la différence se trouvant dans l'accumulation du capital.
Articulation centrale déterminante
t
3
IY 4
Exportation
Biens de consommation
Consommation
Biens d'équipement
" de masse "
"de Lu x e "
/\\
<\\
1
Articulation périphérique dépendante
.1J Sa!llir: Amin "La st rat égie du développement extraverti/au t ocen t r
dans
é
,
le cas des Etats Africains"Intervention au Séminaire d'Octobre 1971
à
l'IDEP(Institut Africain de Développement et de Planification)
de Dakar.
Nous présenterons d'abord le modèle pour ensuite tirer
les conclusions fondamentales pour l'Afrique.
-
269 -
1 -
Dans son modèle en effet, le professeur Amin explique
en quoi le développement des pays capitalistes développés, c'ast-à-dire
les pays d'Europe Occidentale, l'Amérique du Nord et le Japon, celui
de l'Union Soviétique et de la Chine Populaire ont emprunté le processus
de développement autocentré, m~me s'il existe des différences fo~da:
mentales entre ces différentes formes de développementll. Dans les
trois cas (pays capitalistes, Union Soviétique et Chine Populaire),
le processus d'accumulation a été et reste caractérisé par une arti-
culation interne entre deux secteurs : le secteur de production de
biens de consommation" de mas a e"
(S2) et le secteur de production de
biens d'équipement (S4) destinés à permettre la production de 52.
Compte tenu de la définition marxiste du mode de production, divisant
l'économie en deux classes(8e travailleurs salariés et de capitalistes),
on peut expliquer l'articulation entre les deux secteurs S2 et 54 par
le fait suivant: l'existence objective d'une relation nécessaire entre
le niveau de développement des forces productives et la structure de
distribution des revenus définis comme étant la somme des deux compo-
santes, :..;;Jlaire et profits. Dès lors, le fonctionnement normal de
l'économie autocentrée est assuré dans la mesure où les profits réa-
lisés par la classe capitaliste servent en totalité ou en partie à
financer le secteur S4 des biens d'équipement et le secteur S2 des
biens de consommation "de masse". quant aux salaires reçus par les
travailleurs, ils constituent essentiellement la demande pour le secteur
S2.Par conséquent, le progrès des forces p r o du c t Lve s stiri.~~;Pili.'fié à
l'augmentation globale du revenu et il existe une relation objective
entre le niveau de développement des forces productives et la rénu-
mération salariale des travailleurs. Cette rémunération salariale
du travail apparaît donc à la fois comme un élément du coat dans la
production ainsi que l'élément essentiel de la demande. En d'autres
li Nous analyserons plus loin les dites différences ainsi que les
leçons à retenir par l'Afrique.
-
270 -
termes, le modèle est autocentré parce que la demande des biens de
consommation ~de masse"
est le moteur unique de la transformation de
tout le système.
Enfin de compte, pour caractériser globalement ce système
autocentré, on peut dire que tecihnologiguement, économiguement et
même socialeme~t!
il évolue de façbn homogène et intégrés. Son proces-
sus d'accumulation est essentiellement interne contrairement à ce qui
se passe dans le processus de développement extraverti.
2 - Dans le cas des pays africains dont le développement
est extraverti, il existe une articulation fondamentale entre le secteur
d'exportation (5,) et le secteur de biens de consommation ~de luxe~
(53): Ainsi, dans une stratégie de développement extraverti, ce dévelop-
pement commence par le secteur d'exportation de produits tropicaux ou
minéraux. Mis à part les conditions naturelles qui font que le cacao peut
être produit plus facilement au Ghana qu'en AngJeterre, la raison essen-
tielle pour gue le développement de la périphérie commence par S"vient de
l'échange inégal: cela signifie qu'à productiv~té égale, la rémuné-
ration à la périphérie est inférieure à ce qu'elle serait pour les
mêmes produits ou leurs substituts dans les pays du centre. C'est à
cette condition que le secteur 5, devient intéressant pour le centre
et historiquement, dit le Professeur Amin,~tous les moyens politiques
économigues et sociaux ont été mis en oeuvre pour contraindre la Société
sous-développée à fournir au secteur exportateur une main d'oeuvre bon
marché"l/ que ce soit dans les plantations, mines ou même dans la petite
production paysanne de subsistance.
Les expériences de développement
au Sénégal avec l'arachide,
en Côte d'Ivoire avec le café et le cacao,
en Zambie avec le cuivre s'inscrivent toutes dans la stratégie extra-
vertie.
11 cf l'intervention déja citée.
- 271 ..
Au début du processus, le niveau bas des salaires ne
permet pas l'émergence d'un secteur S2 de biens de consommation des-
tinés à la satisfactiun des besoins populaires (alimentation, textile,
logements.) Le Marché intérieur est limité. Mais lorsque les choses
avancent,les revenus tirés du secteur exportateur S1 augmentent et
il se constitue un secteur S3 de biens de consommation "de luxe"(voitures,
réfrigérateurs, Télévision etc ••• ) destinés a~ couches privilégiées
de la Société africaine(bureaucratie étatique, bourgeoisie commerciale
compradore, propriétaires terriens). Donc, l'articulation extravertie
s'exprime par la liaison secteur exportateur/consommateur "de luxe".
Cette articulation est dépendante du centre et justifie pleinement
le caractère périphérique du développement extraverti dans la mesure
où économiquement, technologiquement et socialement, l'économie extra-
vertie est non seulement conditionnée par le centre, mais aussi dé-
pendante de ce centre.
Le modb~e du Professeur-Samir Amin confirme bien l'étude
que nous avons faite dans les deux chapitres précédents sur les pays
d'Afrique Noire. Synthétisant et systématisant de façon remarquable
la stratégie de développement auto-centré/extraverti, le modèle permet
de tirer des conclusions sur la stratégie et la nature du développement
extraverti des pays d'Afrique Tropicale telles que nous l'avons vu
dans notre première partie.
Conclusion.
Partons donc du modèle ci-dessus du Professeur Samir Amin,
divisant une économie en quatre secteurs: S1' S2' S3' et S4'
nous
savons que contrairement au développement autocentré dont l'articula-
tion fondamentale s'exprime par la liaison entre les secteurs S2 et S4 ,
le développement extraverti des pays africains est fondé sur l'articu-
lation entre le secteur exportateur (S1) et le secteur de biens de con-
sommation "deluxe"
(S3).
-
272 -
1°) Le secteur 52 produisant les biens de première nécessité,
(textile, logement et alimentation) a_}~tB freiné dans sa progression
par la création, sous l'impulsion du centre, du secteur 51 de produits
tropicaux et mineraux qui intéressaient le centre. L'une des consé-
quances fondamentales de cet état de chose est l'existence dans les
pays africains, d'une part de pénuries alimentaires et d'autre part
d'une hypertrophie du secteur exportateur 51' d'autant plus nocive qu'il
faut faire face à la détérioration des termes de l'échange.
D'un autre côté,
du fait de la prépondérance dans nos
économies de ce secteur 51' attirant à lui la plus grande partie des
investissements étrangers et nationaux au détriment de l'agriculture
de subsistance et du secteur de biens d'équipement 54' il s'ensuit
de l'inexistence de ce dernier et les pénuries alimentaires que nous
avons montrées dans le chapitre 1.
2°) En ce qui concerne l'industrie, nous savons qu'au début
du processus du développement de la périphérie (africaine), cette in-
dustrie, à l'exception de l'artisanat local, est inexistante. Ce n'est
qu'aveo le développement du secteur d'exportation de produits primaires
qu'il se crée une demande locale de biens de consommation "de luxe"
destinés aux privilégies du système. Le secteur 53 va donc apparaître
et se développer d'abord par l'importation des produits du centre
(voitures, réfrigérateurs, etc.), ensuite par la création dans les
pays africains, des industries de biens de substitution aux importations.
Ces industries légères de transformation, essentiellement contrôlées
par le centre tant du point de vue technologique, investissements que
rapatriement des profits, sont des" corps étrangers" dans les économies
africaines.
Par leurs fonctions
(économiques et sociales), elles ne
peuvent pas devenir des "pôles de développement". Elles font partie
des mécanismes d'accentuation du sous-développement de la périphérie
africaine dont l'accumulation, à trav8rs l'échange inégal, se fait essen-
tiellement au profit du centre.
-
273 -
3 D ) Donc, c'est le "façonnement" politique et socio-
économique de la périphérie par le centre qui a permis au second
d'imposer à la première le caractère extraverti de son développement.
Dès lors, le sous-payement des produits (tropicaux, miniers et même
partiellement transformés),
en provenance des Etats africains, s'ex-
plique non pas par la nature de ces produits, mais surtout par les
mécanismes de l'échange inégal ••• Il reste cependant indéniable que
les produits primaires, de par leur prépondérance dans les économies
sous-développées, ont tendance à devenir spécifiques eu sdu~~dévelop
pement
, le développement s'identifiant à l'industrialisation intégrée
que nous savons irréalisable dans un développement extraverti.
D'un autre côté, l'exploitation anarchique et intense des
ressources naturelles de la périphérie s'inscrit dans le cadre de
l'échange inégal et l'on ne saurait la minimiser sous prétexte que les
pays du centre sont ou seront en mesure de créer des " substituts"
aux produits primaires du Tiers-Monde ••• On n'en est pas encore là
pour l'instant et en attendant,
ce que Pierre Jalée appelle" le pillage
du Tiers-Monde" demeure l'une des causes principales de la stagnation
des pays sous-développés tant au point de vue économique que social.
4 0 ) Socialement, les Etats africains, comme les autres
pays de la périphérie sont de plus en plus le siège intense de ce
phénomène social complexe appelé "marginalisation" 1/, c'est,.,à .... dire
l'appauvrissement des masses à travers des mécanismes divers tels
que: prolétarisation de petits producteurs agricoles et artisans,
chômage à l a campagne et à la ville, urbanisation accélérée, sous-
emploi etc •••
Les néo-malthusiens en ont conclu que le Tiers-Monde
dans son ensemble souffrait fondamentalement d'un "surpeuplement" qu'il
faut en:rayer, d'où la "campagne mondiale pour le contrôle des nais-
sances ". Nous n'avons pas retenu -
voir supra chapitre 1. Cette thèse
.1./ cf, Samir Amin. "L'Afrique sous-peuplée", in "Développement et
civilisations". Op.
cité p. 65.
- 274 -
n
néo-malthusienne pour l'Afrique qui, malgré les apparences est
"sous peuplée". En réalité, ce sont les structures et les mécanismes
du développement extraverti, imposés par le centre à la périphérie
qui sont la cause fondamentale de la genèse et du maintien du sous-
développement des Etats Africains où des réformes radicales s'imposent
pour passer de leur stratégie de développement extraverti à une stra-
tégie de développement autocentré.
*
*
*
-
275
-
TITRE
DEUXIEME
RAPPORTS AGRICULTURE-INDUSTRIE
ET STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT AUTOCENTRE
EN AFRIQUE TROPICALE
x
x
x
-
276
-
De tout ce que nous avons écrit dans la première partie,
on peut retenir que ni l'agriculture, ni l'industrie ne remplissent en
Afrique les principales çonditions requises pour un développement
autocentré. Ces conditions sont essentiellement l'exploitation, la trans-
formation et l'utilisation sur place des matières premières agricoles
et industrielles pour la satisfaction des besoins des populations africai-
nes. Ce qui suppose des relations cohérentes entre l'agriculture d'une
part et l'industrie de l'autre, comme l'ont montré toutes les expériences
h i s toz-Iqu e s de développement économique "réussi" sur d'autres conti-
nents.
Or, en Afrique, l'agriculture est "extz-ave r ti e " à travers
les exportations massives de produits dits tropicaux (café, cacao, coton,
banane etc •.• ) De plus la production et les exportations des produits
spéculatifs se sont réali sées au détriment des cultures vivrières demeu-
rées au stade de production de subsistance. La conséquence de cette
extraversion du secteur primaire est l'impossibilité d'une accumulation
adéquate dans l'agriculture.
Dtun autre côté, tout développement d'industries agricoles
ou d'industries de base, spécialement des industries productrices d'en-
grais, de pesticides, ou de machines agricoles, est limité, voire arrêté,
par les exportations massives de produits miniers ou éne rg ét ique s-Enffn,
l'installation dans les états africains des industries légères productrices
de biens de consommation de luxe, substituables aux biens d'importation
également "de luxe" ne fait qu'accentuer le pillage des économies du con-
tinent africain. Comme on vient de le voir, il existe donc en Afrique une
stratégie de "développement extraverti" par opposition aux stratégies de
l'développement autocentré" qu'ont connues historiquement ou que connais-
sent encore des pays de l'Europe de l'Ouest, l'Union Soviétique ou la
Chine populaire.
-
277
CHAPITRE PRELIMINAIRE
L'AFRIQUE TROPICALE FACE AUX EXPERIENCES HISTORIQUES
Section l
Expériences historigues de développement autocentré
Les premières expériences les plus enrichissantes des
relations agriculture-industrie pour un développement autocentré se
situent au début de la "Révolution industrielle" en Grande Bretagne et
dans certains pays d'Europe de l'Ouest; d'autres expériences, socialis-
tes celles-là se poursuivent en Union Soviétique et en Chine populaire.
A) Le rôle l'déterminant" de l'agriculture dans "la Révo-
lution industrielle", du 19ème siècle a été montré par Bairoch qui con-
sidère que "le facteur déterminant de l'amorce de la Révolution indus-
trielle (ou si l'on préfère, la terminologie de W. Rostow) a été l'accrois-
sement de la productivité du travail agricole" (1).
Par conséquent, pour lui les facteurs tels que le progrès
technique, l'accroissement démographique et la montée des prix, n'ont
joué qu'un rôle secondaire dans le développement industriel des pays
d'Europe Occidentale.
En précisant que la croissance démographique a plutôt
suivi le développement industriel, Bairoch entendait marquer le rôle de
frein que constitue l'explosion démographique pour les pays sous -dévelop-
pés d'aujourd'hui. Il insiste moins cependant sur d'autres traits du lan-
cement des économies européennes, traits qui ont aussi une portée con-
sidérable eu égard au développement des pays du Tiers-Monde. Il s'agit
(1)
Paul Bairoch, Révolution industrielle et sous -développement, Paris
SEDES, 1963, p. 73. L'auteur ajoute qu'il qualifie de "facteur déter-
minant" la productivité agricole dans la mesure où l'sa présence est
la condition Sine-qua non des progrès dans les autres secteurs".
-
278
-
par exemple du caractère violent de l'accumulation primitive et du rôle
nonvné g Hge able qu'a joué dans cette accumulation le commerce colonial
(l). Donc, dans une perspective de développement autocentré, les ob-
jectifs, les moyens et les résultats sont différents dans la stratégie de
transition capitaliste de ceux de la transition au socialisme.
B) La stratégie de transition ca Jitaliste s'est fondée prinCi-
palernent sur la propriété privée des moyens de production, le marché
comme régulateur du système et le profit privé comme moyen d'accu-
mulation. Les résultats d'une telle stratégie sont connus: l'émergence
d'une grande bourgeoisie des ruines de la féodali té qui a accumulé:
- dans l'agriculture par la dépossession des paysans de leurs
terres et par leur mise en chômage, les contraignant ainsi à émigrer
dans les villes à la recherche des emplois. La même situation est vala-
ble pour les artisans qui furent ruinés par la concurrence des produits
industriels bon marché;
- dans l'industrie grâce à l'accroissement de la productivité
générale d'une part et d'autre part aux taux élevés de profits par rapport
à ceux des salaires.
Il s t en.sudt de tout ce qui précède un conflit permanent entre
le capital et le travail. Et dans ce conflit, le capital a toujours eu le sou-
tien de l'Etat qui va aussi jouer un rôle prépondérant dans la colonisation.
li Voir, entre autres: Eric Williams. Capitalisme et esclavage Paris,
Présence Africaine; Maurice Dobb, Etude du développement du c a.pi-.
talisme. Nous reviendrons ultérieurement sur ces auteurs.
-
279
-
Ce phénomène est indiscutable si l'on considère les expérien-
ces spécifiques de la Grande Brétagne, de la France et d'autres pays
d'Europe Occidentale.
La Grande Bretagne, pour réaliser son programme d'indus-
trialisation massive qui elle avait établi au début du 19ème siècle, a dû
non seulement procéder à une sorte de "révolution agricole" - les enclo-
sures du XYlème au XlXème siècle - à l'intérieur même de ses frontiè-
res propres, mais aussi étendre son espace économique à ses colonies
de peuplement d'Outre Mer.
Donc, l'importation de denrées agricoles bon marché des
dépendances coloniales permirent à la Grande Bretagne d'abroger les
Lois sur les céréales. Les "Corns Laws" qui jusqu'en 1846, protégeaient
les agriculteurs britanniques.
Plus tard, la France, l'Allemagne, la Belgique et l'Italie
introduisirent à leur tour en Afrique des produits comme l'arachide, le
coton, le café, le cacao etc ... C'est ce processus d'intégration des
Etats africains au Système capitaliste mondial qui est, comme nous
l'avons établi dans la première partie, à la base du développement extra-
verti actuellement en cours sur le continent africain. Les planificateurs
africains auront donc un choix à faire entre la voie capitaliste du dévelop-
pement et la voie socialiste dont nous allons maintenant examiner les ex-
périences historique s.
C) Quant aux expériences socialistes, il faut distinguer celles
de l'U nion Soviétique et de la Chine Populaire.
1 0 ) L'Union Soviétique établit, aprè s la Révolution Bolchevique de 1917,
des plans de développement fondés sur la
priorité à l'industrie lourde
financée par l'agriculture. La réalisation, ne serait-ce que partielle du
-
280
-
programme d'industrialisation ne fut possible que grâce aux immenses
ressources soviétiques d'une part et au fait que, d'autre part, la pay-
sannerie russe fut durement préssurée au profit de l'industrie. Donc
à certains égards, les méthodes violentes utilisées dans l'accumulation
socialiste soviétique contre les paysans et surtout les Koulaks (paysans
riches) r e s aembl.ent à l'accumulation primitive capitaliste. Mais là
s'arrêtent les analogies car ni la propriété, donc ni l'accumulation pri-
vée et ni le marché ne furent effectivement tolérés dans le système so-
viétique. Il est vrai que la période de la N. E. P .• Nouvelle Economie
Politique, fut un intermède capitaliste dans le p r oc e s su s d'accumulation
soviétique. Finalement, les résultats sont ici différents de ceux obtenus
dans les pays capitalistes. En moins de cinquante ans, les Soviétiques
ont construit un puissant Etat socialiste où la propriété privée des Moyens d
de production est bannie. Ils ont considérablement amélioré les condi-
tions économiques, sociales et culturelles des paysans, ouvriers et au-
tres éléments des masses populaires. Il est vrai que le risque d'une
monopolisation du pouvoir soviétique par la "classe" dirigeante se con-
firme de plus en plus. Mais ce serait une erreur grave d'en conclure
qu'il y a convergence des systèmes capitaliste (américain) et socialiste
(soviétique).
Même si l'on constate certaines inégalités dans la société
soviétique, elles ne sont pas de la même nature que celles des sociétés
capitalistes. Car jusqu'à preuve du contraire, la production, les échan-
ges et le mécanisme de distribution restent collectifs tandis qu l i.l s sont
privés dans les sociétés capitalistes.
2°) Les divergences entre les deux systèmes apparaissent
davantage encore si Pon considère l'expérience socialiste de la Chine
Populaire.
-
281
On sait d'une part, que l'agriculture soviétique a presque
toujours marqué le pas sur l'industrie. D'autre part, la Chine de Pékin,
après le demi-échec des "Communes populaires" et la pénurie alimentai-
re de 1959-1962, adopta le principe selon lequel l'économie doit "marcher
sur ses deux jambes"qui sont l'agriculture et l'industrie. Suivant ce prin-
cipe, pratiqué aussi par Cuba à partir de 1962, la Chine se mit à créer
plus d'usines d'engrais de machine agricoles etc ... , pour développer
l'agriculture, même si ce développement se fait relativement au détri-
ment de l'industrie lourde en général. Le résultat immédiat est que l'éco-
nomie chinoise est en train de résoudre les graves problèmes de pénuries
alimentaires qu'elle avait connues il y a dix ans. D'autre part le socialis-
me chinois, non seulement met davantage l'accent sur la participation des
mas ses à toutes les institutions (Parti,
coopératives, production indus-
trielle etc ••• ) que le socialisme soviétique; mais surtout le socialisme
chinois trouve son originalité dans l'utilisation efficace des éléments de
ses traditions séculaires.
De ce point de vue, le modèle chinois peut être généralement
utile à l'Afrique en tenant compte des conditions spécifiques du Continent
africain, li.
Quoiqu'il en soit, l'Afrique peut tirer un certain profit de
toutes les expériences historiques, que ces expériences soient capitalis-
tes ou socialistes. Ce qui ne l'empêchera pas de faire son choix entre
les 2 systèmes.
1J Nous reviendrons ultérieurement sur cette question qui mériterait
d'être précisée afin d'éviter toute ambiguité.
.. 282
..
Section II
Portée et limites pour l'Afrique des expériences historiques.
Ce que l'Afrique ne peut retenir des expériences historiques
de développement autocentré
1°) Ces expériences récèlent certains points désormais
inapplicables dans les conditions de l'Afrique Tropicale.
a) Colonisation et espace économique: Dans les expériences
historiques que nous avons étudiées, le problème de l'espace économique,
des besoins de ressources naturelles avait été résolu, soit grâce à
l'immensité des territoires soviétiques ou chinois, soit par des méthodes
coloniales pratiquées par les pays capitalistes d'Europe Occidentale qui
se sont ainsi procuré de matières premières et du capital mercantile
en exploitant les peuples coloniaux d'Asie, d'Afrique et d'Amérique
Latine lJ. Il est impossible aujourd 'hui d'admettre qu'en Afrique, des
pays africains se livreront à la colonisation d'autres pays. Ni les moyens,
ni les circonstances ne leur permettent de pratiquer de telles méthodes
d'accumulation. Rien que pour cela et pour d'autres raisons sur lesquel-
les nous reviendrons plus loin, on peut douter sérieusement de l'oppor-
tunité dans les Etats africains du choix de la voie capitaliste du dévelop-
pement.
b) Par ailleurs, les méthodes violentes par lesquelles s'est
effectuée l'accumulation primitive dans les pays capitalistes et en Union
Soviétique ne sauraient être recommandées aujourd'hui en Afrique. Ce
qu'il faudrait par contre, c'est de réorganiser les éc onorni e s africaines
de sorte que le surplus agricole créé par l'accroissement de la produc-
1.1 Voir Paul Baran, "Economie Politique de la croissance, Il Paris,
François Maspéro, 1967.
tivité puisse servir à la fois et l'agriculture pour le bien-être des
paysans, et à l'industrie pour la prospérité de l'ensemble des popu-
lations africaines.
2 0 ) Ce que l'Afrique peut retenir des expériences pas sées,
ce sont: 1 - le contrôle souverain de ses ressources; 2 - La formation
d'espaces économiques viables; 3 - la création et l'utilisation efficaces
du surplus agricole.
a) Pour qu'il y ait développement autocentré, il faut qu'il
ait d'abord un pouvoir politique et économique souverain, animé par
une volonté inébranlable de planifier les ressources nationales, dans le
but du développement souhaité. C'est la première leçon que l'Afrique
peut retenir du démarrage économique en Grande Bretagne, en France,
en Union Soviétique et en Chine Populaire. Ceci suppose chez les Etats
africains la volonté indestructible de contrôler progressivement les
points stratégiques de leurs économies. Ce n'est qu'à ce prix que ces
pays africains peuvent réellement espérer faire "marcher leurs écono-
mies sur les deux jambes", compte tenu de leurs conditions spécifiques.
Or, la balkanisation est l'une des réalités actuelles du continent. Le
problème des relations agriculture-industrie reste donc posé soit au
niveau de chaque Etat, soit au niveau régional.
b) Si l'on écarte l'utilisation de la force pour constituer des
espaces économiques en Afrique, il ne reste, en dernière analyse que
les regroupements politico-économiques et la coopération interafricaine.
Ceci n'est en aucune façon le rejet de la coopération internationale car
l'autarcie économique, que l'Union Soviétique a été obligée de pratiquer
au début de son développement, est impossible tout au moins dans la
situation actuelle de l'Afrique. Et puisque la '.'coopération", que les
Etats africains connaissent depuis leur indépendance est celle de Il
'Il' échange Inégal." à leurs dépens et au profit des pays développés, toute
-
284 -
accumulation efficace à l'instar de ces pays développés s'avère impos-
sible.
c) au début du démarrage des pays actuellement industriali-
sés, il existait dans ces pays une bourgeoisie d'une part et, d'autre part.
une agriculture susceptible de créer un surplus pour lancer l'industriali-
sation. Par contre, nous avons vu que dans le cas de l'Afrique, le sur-
plus tiré de l'agriculture d'exportation se dirige d'une façon ou d'une
autre vers les pays capitalistes développés. Quant à l'agriculture de sub-
sistance africaine, archai'que et peu productive, elle ne peut jusqu'à
présent servir de base à une accumulation efficace sans réorganisation
rigoureuse des conditions actuelles des économies d'Afrique Tropicale.
Ces conditions sont à la fois d'ordre politique, économique
et socio-cultureL On peut les envisager dans les Etats africains pris
isolement ou dans des ensembles régionaux. Mais dans l'un ou l'autre
cas le problème primordial reste toujours le même, à savoir que le vé-
ritable développement exige l'applicatic
par les Etats africains d'une
stratégie de croissance autocentrée. En. d'autres termes, l'organisation
de la croissance auto-entretenue dans un seul pays n'exclut nullement
la coopération régionale et continentale. Par conséquent, il faudrait
s'empresser d'él-jputer que la stratégie de développement autocentré ap-
pliquée à un seul pays africain ne peut être qu'une étape nécessaire et
utile vers une stratégie à l'échelle régionale ou continentale. Il nous
paraît donc indispensable d'aborder dans les deux chapitres qui vont
suivre, les problèmes de la stratégie et de perspectives d'un développe-
ment autocentré en Afrique Tropicale.
- 285 ..
..,..
Les problèmes d'une alternative stratégique au développe-
ment extraverti de l'Afrique Tropicale ne sont pas seulement des pro-
blèmes strictement économiques. Ils sont aussi des problèmes politi-
gues, idéologiques et socio-économigues. C'est dans cette perspective
générale que nous envisagerons d'objectivement dans c,o/;?~~~tit:J:~;.les
pe r spec ti.ve s en Afrique, d'une stratégie de développement autocentré
en examinant:
1 0 /
Les conditions fondamentales d'une stratégie de
développement autocentré (chapitre 1).
2 0 /
Les problèmes de choix prioritaire ou d'interdépen-
dance entre l'agriculture et l'industrie dans cette
perspective de développement autocentré (Chapitre II).
CHAPITRE
l
LES CONDITIONS FONDAMENTALES D'UNE
STRA l'EGIE DE DEVELOPPEMENT AUTOCENTRE EN
AFRIQUE
TROPICALE
En étudiant plus haut dans la 2ème Partie les expériences
historiques de développement autocentré et les leçons positives que
l'Afrique pourrait en tirer, nous avons noté la nécessité de l'existence
d'un Etat souverain politiquement, armé d1une idéologie, capitaliste ou
socialiste de développement, et décidé à conquérir son indépendance éco-
nomique. Donc pour nous, le choix politico-idéologique est une des con-
ditions néc e s aad re s à tout développement national et autonome d'un pays.
... 286
-
Mais un tel choix ne peut avoir sa pleine signification que
s'il a lieu dans le cadre d'un vaste territoire pourvu de richesses natu-
relles suffisantes.
Comme nous le verrons, cette deuxième condition,
pas plus que la première n'est clairement et entièrement réalisée dans
la plupart des Etats africains. Quant à la troisième et dernière condi-
tion fondamentale, elle découle des deux premières et relève des prin-
cipes élémentaires de toute planification sérieuse: il s'agit du choix
prioritaire entre l'agriculture et l'industrie. Ici encore comme ailleurs,
il règne apparemment en Afrique une confusion totale.
Par conséquent la proposition d'une stratégie de développe-
ment autocentré passe obligatoirement par la détermination de choix
clairs qui s'imposent en tous les cas.
Nous verrons donc 1 0 ) le choix politico-idélologique et
2 0 ) la stratégie d'intégration à adopter pour réduire la dépendance des
Etats africains de l'extérieur.
Section l
Politique et idéologie du développement autocentré
AI L'indépendance politique réelle et idéologie du développement auto-
centré.
Pour bon nombre des privilégiés des systèmes socio-éco-
nomiques africains, l'indépendance politique ayant été obtenue vers
les années 60, leur "mission est accomplie" et l'étape politique déci-
sive vers la libération économique est franchie . . . . . . . . . . • . . • . • . . • •
-
287
-
Pour la majorité des populations - 80 à 90 % de la population
totale - la nécessité et l'utilité de la souveraineté politique ne paraissent
plus aussi évidentes qu'il y a dix ans 11. ctest que avec le recul dans le
temps, des distinctions s'imposent entre la souveraineté obtenue et Pin-
dépendance politique réelle qui conduit à la libération économique.
1 0 /
Cette indépendance politique a été à juste titre qualifiée
de "préalable primordialll par L. V. Thomas 1/. Le Professeur Samir
Amin la considère indi spe nsable pour faire échec à "une politique qui a
été mise en oeuvre pour réaliser tout ce façonnement de développement
extraverti en Afrique" 1/. Enfin, Charles Bettelheim, dans un article
consacré aux IIExigences fondamentales d'une croissance accélérée de
l'économie af r-ic a irie " écrivait déjà en 1960 que: "Seul un Etat indépen-
dant peut réellement maîtriser son économie, ajuster ses échanges exté-
rieurs, déterminer les zones sur lesquelles les efforts de développement
porteront en priorité"Y.
11 La réflexion suivante d'un paysan africain exprime bien l'ampleur des
désillusions: liEn vérité, celui qui a eu l'idée de l'indépendance nous
a fait un tort considérable".
?:.! L. V. Thomas, Problèmes Spécifiques de l'Industrie en Afrique Noire
économie et idéologie, in développement et Civilisations, n° 43 mars
1971.
1/ Samir Amin, Intervention à l'IDEP au séminaire sur Il La Stratégie du
Développement extraverti et autocentré dans le cas des pays af rIc a ins ",
Dakar, IDEP, Z6 Octobre 1971.
y Voir la Revue de IIPrésence Afr icaine", 32 - 33, 1960, p, 8
Donc, l'indépendance politique qu'exige la maîtrise de
l'économie nationale ne se limite pas seulement aux habituels signes
extérieurs de la souveraineté. C'est aussi et surtout la volonté et la
capacité effectives des autorités africaines de disposer de toutes les
ressources nationales pour établir une planification autocentrée au
niveau national, régional ou même continental. L'on peut à priori ob-
jecter que les pouvoirs politiques en l'occurrence africains déclarent
aspirer à maîtriser leurs économies. Cette objection serait valable
si d'une part, les autorités africaines matérialisaient leur volonté
d'indépendance réelle par des mesures conrètes tendant à contrôler,
comme en Algérie ou en Tanzanie par exemple, l'ensemble des sec-
teurs clefs de leurs économies: industries, institutions financières,
commerce extérieur etc. En second lieu, la dite indépendance n'est
pas réellement possible, du moins à long terme, que si les Etats afri-
cains s'appuient résolument sur les masses africaines pour faire va-
loir leurs droits vis à vis des pays développés qui les exploitent. Vue
sous cet angle, l'indépendance politique réelle de la plupart des Etats
africains paraît encore très éloignée, d'autant plus qu'elle exige une
autre condition
l'option idéologique.
2 0 /
Idéologie et voie du développement autocentré en Afrique.
La construction d'un développement autocentré en Afrique
comme ailleurs, exige nécessairement un choix entre la voie "capita-
liste" et la voie "socialiste" de développement. C'est une constance
permanente et inévitable de l'histoire que la construction d'un système
socio-économique se fait à partir d'une philosophie - ou d lune idéolo-
gie .. donnant priorité à l"lindividu" comme dans le système capitaliste
ou donnant priorité à la "c ol.Iec tâvi.té " comme dans le système socialis ..
te. En principe, dans les deux cas, non seulement les sociétés que
l'on veut construire, mais aussi les méthodes utilisées pour y parvenir
diffèrent notablement.
-
289
-
Pour ce qui est des pays africains, on peut dire qu'après
l'indépendance, ils ont opté plus ou moins confusément, soit pour le
capitalisme ou le "socialisme africain", soit pour le "socialisme
scientifique" !J.
BI Capitalisme et "Socialisme africain"
La Côte d'Ivoire a le mérite d'avoir choisi sans a:--oiguité
la "voie libérale" du développement, car "Pragmatistes avant tout,
nous avons emprunté la voie du libéralisme économique, convaincus
qu'elle seule peut nous mener à l'industrialisation dans le minimum de
temps et aux moindres frais, sans dégâts majeurs ou irréversibles"
?J.
D'un autre côté, le "socialisme africain" du Kénya ou du
Sénégal ne semble pas fondamentalement différent du libéralisme ivoi-
rien. Par exemple, la déclaration suivante du président Senghor est
révélatrice à ce sujet. "Le commerce exige par définition une concur-
rence libre ••• Il s'agit d'{:ngager le dialogue, sérieusement, concrète-
ment avec les patrons (étrangers) aussi bien qu'avec les travailleurs ••.
Il s'agit de maintenir la paix sociale. Alors les capitaux privés s'inves-
tiront plus massivement". 11
!/ L'analyse détaillée de ces choix se trouve entre autres, dans l'ouvra-
ge déjà cité de Yves Bénot,
l'idéologie des indépendances africaines,
surtout l'introduction et le chapitre 5 pp. 191 et suivantes.
?J Déclaration du Président Félix Houphouet-Boigny, dans "Côte d'Ivoire
an VI : Industrie, Abidjan
1966.
11 Déclaration du Président Senghor devant le IVème Congrès de l'Union
Progressiste du Sénégal, le 10 Octobre 1963, rapportée par Yves
Bénot ; op. cité p. 201.
-
290
-
En fin de compte, une fois dépouillées de leurs nu anc e s du
reste marginales, les voies du "socialisme africain" et du capitalisme
~n Afrique se rejoignent sur l'essentiel, que ce soit en théorie ou en
pratique.
,r
i -) L"'Humanisme
et le "communalisme" des sociétés afri-
caines précoloniales sont reconnus, très souvent glorifiés avec l'idée
plus ou moins sous-jacente gu'il n'y a pas eu et gu'il n'y a pas de lutte
de classes en Afrique Tropicale.
2 0) L'on considère que l'industrialisation rapide et le déve-
loppement passent nécessairement par l'apport fondamental de capitaux
extérieurs: par conséquent, liberté totale - cest çà le "libéralisme" -
pour les sociétés étrangères de rapatrier leurs profits; pas de contrôle
des changes et surtout pas de nationalisation des entreprises contrôlées
presqu'entièrement par le capital étranger.
3°) L'économie est pratiquement divisée en deux: le secteur
agricole et surtout de subsistance, est laissé aux mains des africains;
le secteur "moderne" (industrie et grand commerce notamment) est con-
trôlé par les sociétés étrangères. Il serait cependant erroné de croire
qu'il existe ce qu'on appelle "dualisme" en ce sens que des liens étroits
relient le secteur industriel et le secteur agricole, le premier exploitant
le second.
En fin de compte, la conclusion majeure qui s'impose est
celle-ci: Le "socialisme africain" et le capitalisme tels que nous les
connaissons en Afrique relèvent objectivement du "Capitalisme périphé-
rique" à développement extraverti, c'est-à-dire qu'ils sont organisés,
dominés et exploités par et pour les intérêts du capitalisme du "centre".
Ces pays de la périphérie peuvent connaître parfois et provisoirement, .
une croissance accélérée. Mais on ne voit pas • . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . .
-
291
comment sans changement radical dans l'option idéologique et dans la
pratique sociale, ils pourront amorcer un développement autocentré,
seul susceptible de mener à l'indépendance économique réelle.
cl Du "socialisme africain" au socialisme scientifique
Deux des dirigeants africains qui se sont réclamés du
"socialisme scientifique" sont les Présidents Nyéréré et N'K'rurnah,
La théorie et la pratique des deux hommes peuvent d'ores et déjà être
considérées comme une contribution positive à l'élaboration d'une
idéologie de développement
autocentré en Afrique li.
1°) Le Président Nyéréré a d'abord commencé par se
réclamer du "socialisme africain" en 1962. Aujourd'hui il le récuse,
se réclamant désormais partisan du "socialisme Ujamaa" dont nous
avons déjà analysé la théorie et la pratique dans la 2ème partie,
(Chapitre II). Il n'est donc plus nécessaire de revenir sur l'évolution
de plus en plus rationnelle du socialisme de Nyéréré. Ce qui est indis-
pensable, par contre, c'est de se demander si ce socialisme est "scien-
tifique" c'est-à-dire marxiste ou non. La réponse à cette question n'est
pas pour l'instant airnpl e à donner vu qu'il existe encore de nombreux
points d'interrogation dans la théorie et la pratique du socialisme tan-
zanien. Les réserves que nous avons faites plus haut à ce sujet nous
paraissent bien justifiées.
11 Dans le même ordre d'idée on peut citer l'expérience en cours ac-
tuellement en Algérie.
-
292
Ce que l'on peut affirmer cependant, c'est que le Président
Nyé r ér é se réclame d'une "société sans classe" car, dit-il, "même si
on doit nous traiter de communistes ••• la Tanzanie aura une sociét é
sans classe, libre de toute explication".!!. Nyéréré rejette cependant
certains traits du marxisme, qu'il considère inopportuns dans la cons-
truction du socialisme en Tanzanie y. Ce qu'il faut finalement retenir
de la nature du socialisme Ujamaa, c'est qu'aussi bien en théorie qu'en
pratique, il s'éloigne de plus en plus du socialisme africain, pour se
rapprocher, avec réserves, du socialisme scientifique. Quel sera le
destin de ce socialisme tanzanien? Seul un avenir éloigné nous le dira.
2 °1 Quant au Dr. N'Krurnah, il se réclame sans ambiguité
du "socialisme scientifique" même si, comme le Président Nyéréré, il
veut adapter ce socialisme aux conditions spécifiques de l'Afrique s/.
Il existe une logique implacable dans la philosophie politico-idéologique
de N'Kr'urnah, Il c r oît à l'humanisme et au communalisme de l'Afrique
précoloniale qui, dit-il, sont "L'a.nc êt re s oc i ovpolitdque du s oc i al.i sme " .
.!! Le journal "Le Monde" du 8 février 196.7.
y Dans l'iJ;lterview accordée à la Revue Jeune Afrique n° 575, 15 jan-
vier 1972, Nyéréré déclare que le socialisme tanzanien ne peut re-
tenir certains aspects du marxisme conçu au 19ème siècle. Il s'agit
1°) de l'idée que le socialisme se fait dans un pays ayant
atteint un haut niveau capitalistique avec un prolétariat
pleinement développé dont les sociétés rurales d'Afrique
ne disposent pas.
2°) de l'athéisme et 3°) du Dogmatisme qui a fait du marxis-
me une "religion".
~ On trouvera l'ensemble des thèses de NlKz-uruah dans son ouvrage
intitulé "le consciencisme", Paris, Payot 1964.
-
293
-
Mais il ne retient ni la négritude.!./. ni le socialisme dit "af:dcain" qui
n'est qu'une copie conforme du capitalisme en Afrique, c'est-à-dire du
capitalisme périphérique. Car, socialisme et capitalisme dits "africains"
procèdent directement du capitalisme occidental. Et le "néocolonialis-
me" ~/ lui aussi, qui exploite actuellement l'Afrique, la balkanise et
paralyse ses immenses potentiels socio-économiques est l'émanation
directe du même capitalisme occidental. Or, le caractère inégalitaire
et complexe de ce capitalisme le rend
inapplicable en Afrique. Dès lors,
N'Krumah peut conclure au rejet de la voie capitaliste de développement
en Afrique:
"Le capitalisme est injuste, dans nos pays peu indépendants,
il n'est pas seulement trop complexe pour être applicable, il est en plus
étrange r " 11.
Convaincu de l'existence de "la lutte de clas ses en Afrique"
il N'Krumah considère que seul le socialisme, scientifique s'entend,
r
est l'unique voie pour libérer et développer le continent africain:
"Bref, le socialisme est nécessaire pour rendre à l'Afrique
ses principes sociaux humanistes. C'est le matérialisme qui assure la
seule transformation efficace de la nature et le socialisme qui tire de
cette transformation le développement maximum" (Le consciencisme
p. 118) •
.!I Voir Traoré Aly, "Négritude et consciencisme ; 2 idéologies africaines
de développement économique et social" mémoire de l'Institut d'Etudes
Politiques de Paris, 1969.
?J Titre français de l'Ouvrage de N'Krumah, "Néo-colonialisme. The
Last stage of Imperialism", Londres 1970 (dernière édition).
'2/ Le consciencisme, op. déjà cité, p. 117.
il Kwamé N'Krumah, la lutte de Classes en Afrique, Paris, présence
Africaine 1972
-
294
-
Les choses sont donc claires pour N'Krumah et l'Afrique
peut tirer un certain nombre de leçons de ses expériences, aussi bien
théoriques que pratiques:
1 - L'option socialiste de N'Krumah est incontestable, comme tout
aussi incontestable a été sa volonté de mettre en pratique au
Ghana une amorce de développement autocentré qui nIa pas donné
l'Afrique
progressiste les espoirs qu'elle en attendait.
2 - Le rôle important joué dans cet état de chose par les forces née"-
colonialistes est évident puisque, entre autres, l'expérience gha
néenne de N'Krumah a été brutalement arrêtée en février 1966
par l'un des coups d'Etat les plus réactionnaires d'Afrique !J.
C'est la deuxième leçon à retenir.
3 - Cependant la plus grande leçon pour les forces progressistes
d'Afrique, pourrait venir des deux phénomènes suivants: d'une
part, le socialisme N'Krumahiste était plus en avance en théorie
qu'en pratique et, d'autre part, N'K'rurnah avait commis des er-
reurs graves au point qu'il était finalement coupé des masses au
moment du coup d'Etat de 1966lJ.
y
Nous avons montré dans le cas de l'économie du Ghana comment
en faisant baisser brutalement le prix du cacao (63 % des expor-
tations ghanéennes) les capitalistes anglo-saxons avaient politique-
ment, économiquement et socialement préparé la chute du Leader
1
i
Ghanéen.
1
?J On peut trouver des tentatives d'explication du demi-échec de l'ex-
périence ghanéenne de N'Krurnah dans:
1
f
1 - Kwamé N' Krumah, Dark days in Ghana, Londres 1968.
1
2 - S. G. Ikoku, Le Ghana de N'Kr'umah, Paris, F. Maspéro
!
1
1971.
3 - Traoré Aly. L'idée de l'Unité africaine dans l'oeuvre du
1
Dr. N'Krumah, mémoire de D. E. S. de Sciences Politi-
ques, Paris I, Faculté de Droit et de Sciences Economi-
ques, 1970.
1
1
r~.
-
295
-
Ceci, en aucun cas, ne minimise ni la portée, ni l'utilité
de l'expérience N'Krumahiste, dans les tentatives futures de dévelop-
pement autocentré en Afrique. Les Ghanéens sont maintenant très bien
placés pour le savoir, après qu'ils aient subi l'échec plutôt catastrophi-
que des expériences dites "libérales" des successeurs de N'Krumah à
la tête du pays •••
3 0 /
Finalement, dans l'inévitable choix entre capitalisme
et socialisme, on est obligé d'admettre que la voie capitaliste ne peut
nullement conduire au développement autocentré et partant à la libéra-
tion soclo-économique du continent africain. Le capitalisme africain
n'est pas le vrai capitalisme. Il dépend fondamentalement de l'écono-
mie du "Centre" qui le contrôle. Il ne peut donc être que "périphérique"
vu
sa propre nature d'une part, et d'autre part, la nature de la pseudo-
bourgeoisie africaine dont la principale fonction est consommatrice
..!J. Ce capitalisme périphérique maintient la balkanisation du continent
ou l'encourage, exclut progressivement de l'économie - de ses bénéfi-
ces - les masses africaines en voie de "margïnalisation" et épuise anar-
chiquement les potentiels africains de développement.
11 Ce phénomène a été remarquablement mis en évidence par le ProIes-
seur Celso Furtado dans une communication au "Symposium Interna-
tional sur l'Imp~rialisme - Sa place de nos jou r s dans la Science
sociale" Elsinore, Danemark, Avril 1971, cf. IDEP/Reproduction
272, novembre 1971.
296
Donc, la seule alternative, l'unique voie de développement
aucoc ent r
en Afrique est la voie du socialisme scientifique. Par con-
é
séquent, il s'agit de savoir si les générations africaines et surtout
les générations actu,elles veulent a s surne r leur part de responsabilité
dans le développement autocentré qui s'impose. Dans le cas d lune hy-
pothèse affirmative, Ie s Etats africains doivent s'attacher à réduire
leur dépendance du commerce extérieur. Puisqu'ils ne peuvent attein-
dre chacun isolément un tel objectif, une stratégie de coopération in-
terafricaine allant des unions douanières aux regroupements régionaux
s'avère plus que jamais nécessaire.
x
X
X
Section II
De ~a dépendance du commerce extérieur à la coopération
inte raf ric ain e •
Nous verrons ici en quoi l'étroitesse des Etats africains
accentue leur dépendance du commerce extérieur, et quelle est la stra-
tégie d'intégration économique qui est susceptible de faire face à cette
situation.
AI Commerce extérieur et micro-Etats
Dans notre premiè re partie, nous avons longuement insisté
sur la dépendance des pays africains du commerce extérieur. Cette dé-
pendance s'exprime de multdpl.e s manières. D'abord les Etats africains
exportent essentiellement vers les pays d'Occident des matières premi-
ères agricoles ou minières et ceci jusqu'à concurrence de plus de 80 10
du total de leurs exportations. Ensuite, les Etats africains importent
des mêmes pays d'Occident la presque totalité des produits manufacturés
dont ils ont besoin. Il s'agit essentiellement de biens "de luxe" (frigidai-
res, automobiles, climatiseurs ... ) et accessoirement de biens d'équi-
pement, dont les prix, par rapport aux prix des produits de base vendus
-
297
-
...
par nos Etats, ne cessent de s'élever. Enfin, à cause de fréquentes
pénuries de denrées alimentaires, la plupart des pays africains sont
obligés d'importer des quantités importantes de produits vivriers.
Il résulte de tout ce qui précède le déficit de leurs balances
commerciales !l, leur spécialisation forcée dans les productions pri-
maires (surtout agricoles) et l'impossibilité pour eux de mettre en oeu-
vre une planification autocentrée fondée sur des liens étroits entre
l'agriculture et Pindustrie.
Si comme nous le soutenons, cet état de chose est un phé-
nomène historique qui s'inscrit dans le cadre d'une stratégie de dévelop-
pement extraverti, ayant façonné les structures socio-économiques des
Etats africains, nous ne minimisons pas pour autant le rôle majeur que
joue l'étroitesse de ces Etats dans leur situation de dépendance, qu'il
faut tenter de réduire.
Cependant, les difficultés d'une phase de transition vers le
développement du. commerce national et inter-africain sont nombreuses
en premier lieu, la petitesse des Etats africains les contraint à planifier
leurs économies en fonction d'un marché extérieur qui non seulement
ne laisse passer que des produits de base, mais contingente plus ou moins
sévèrement l'écoulement de ces produits. En second lieu, les produits
li Par exemple, sur 35 Etats africains, 27 en 1960 et 24 en 1969 avaient
leur balance c omrne rc iale déficitaire (cf. Etude des Conditions Econo-
miques en Afrique, document déjà cité, 1970, p. 344).
.. 298
..
finis et semi ..finis venant des pays sous -développés, sont lourdement
taxés, même en ce qui concerne les produits agricoles transformés
.!J. En t r oiaîërne et dernier lieu, l'insuffisance relative des moyens
financiers et le manque d'économie d'échelle .. sur lesquels nous re-
viendrons ultérieurement - ne rendent pas compétitifs les produits
transformés de nos pays su r le marché international.
On a c ru un moment trouver une ébauche de solution dans
la diversification des productions et des exportations des pays africains.
Dès l'instant où cette diversification se fait pays par pays, sans coor-
dination avec les autres, l'opération est non seulement coûteuse, mais
elle risque aussi d'aboutir à une âpre concurrence entre pays africains.
Par contre, la diversification des produits et des clients serait à la
fois nécesaaire et avanta geu se dans une phase de transition vers un
développement autocentr
national, régional et continental. Ceci per-
ë
mettrait aux Etats af;ricains d'acquérir une certaine autonomie commer-
ciale et partant, une certaine indépendance économique. Encore faut ..il
que lion procède en même temps à des transformations à la fois quanti-
tatives et qualitatives dans la structure des importations pour que ces
dernières, au lieu d'être des produits "de luxe" pour satisfaire les
besoins de la rnmo râté privilégiée, deviennent des biens de consomma-
tion qui par leur nature et leurs prix soient à la portée des masses po-
pulaire. Enfin, il faudrait que les Etats africains coopèrent effective ..
est
.!J Par exemple, si la moitié du prix du chocolat jcons ti.tuée en matière
première (cacao) et si ce chocolat fabriqué dans un pays africain
(le Ghana) est soumis à un droit d'entrée de 20 % en Grande Bretagne,
tandis que le cacao y entre en franchise, le taux effectif de protection
est de 40 % et non de 20 '10 puisque la t axe de 20 '10 est en fait appli-
quée sur la moitié seulement du prix du chocolat, représentant le
coût de la transformation.
ment entre eux pour élargir les marchés nationaux, régionaux et même
continentaux en Afrique.
Nous touchons là à l'importante question de coopération
interafricaine, autre nécessité absolue au stade actuel du développement
des Etats africains.
B/ Les difficultés -et stratégies de l'intégration économique africaine.
i
Que cette intégration soit envisagée dans une optique de déve-
loppement extraverti ou dans celle de développement autocentré, il existe
objectivement dans les deux cas des difficultés communes que l'on aurait
tort de sous-estimer: fr ontfê re s établies, micro-nationalisme, diver-
gences politiques et écarts entre les niveaux de développement.
10/ Les dgficultés de l'intégration économique
Malgré des efforts plus ou moins cohérents des autorités afri-
caines Ie s objectifs d'unité régionale ou continentale paraissent encore
très éloignés, après plus de dix ans d'indépendance.
Les 'grands ensembles mis en place par le système colonial
(afrique Occ ldenta.le Françahe,Afrique Equatoriale Française ou Fédéra-
tion de Rhodési~-Nyassaland)r ep ré eentafent principalement les intérêts
des métropoles respectives. Et les frontières étatiques arbitraire~m.ent., .
établies avant les indépendances demeurent beaucoup plus solides que les
liens inter-étatiques que l'on s'efforce aujourd'hui d'établir. Or, avec
ces frontières on assiste actuellement à l'émergence d'un certain natio-
nalisme étatique qui, tournant de plus en plus à un mic ro-nationalisme,
.. 3qg -
constitue un autre obstacle majeur à toute intégration régionale ou sous-
régionale. Pou rtant, avec la présence des mêmes communautés de part
et d'autre de la plupart des frontières étatiques et la solidarité mutuelle
qu'elles se sont toujours manifestées, on a longtemps espéré que le bras-
sage des populations se poursuivrait comme auparavant.
S'il existe donc dans bon nombre d'Etats d'importantes com-
munautés venant d'autres pays africains, (par exemple, un million sur
une population totale de cinq millions en Côte d'Ivoire), on doit recon-
nartre que les expulsi ons massives et réciproques de ces communautés
considérées en l'occurrence comme "étrangères" constituent un autre
handicap sérieux à toute intégration socio-économique sur le continent
africain. C'est que, confrontées aux difficultés de sous -emploi aggravé
par l'exode rural et par l'urbanisation rapide que les économies extra-
verties n'arrivent pas à résoudre, les "bourgeoisies" africaines consi-
dèrent les Africains "étrangers" comme responsables de l'aggravation
de la situation économique et sociale. Le micro-nationalisme ainsi en
gestation r enfo rce considérablement l'alliance objective entre les "bour-
geoisies nationales" africaines d'une part et les bourgeoisies occidenta-
les de l'autre. Un tel micro-nationalisme n'a aucune raison d'inquiéter
ces dernières d'autant plus que tout en contrôlant l'essentiel de nos éco-
nomies, "elles ne sont pas responsables" de l'aggravation de la situation
socio-économique !I... Il y a là un des nombreux paradoxes que l'Afri-
que de demain aura à résoudre.
!I Voir PIERRE Fougerollas, "La question nationale et les phénomènes
migratoires en Afrique de l'Ouest", Dakar, Document IDEP n°
IDEPjETjCSj2337 -5, Novembre 197 L
i
1
-- 30.1
..J.) 01
-
Donc, les difficultés sur la voie de l'intégration sont nom-
breuses et l'on doit finalement admettre que politiquement et écono-
miquement, aucun pouvoir africain - "réformiste" ou " révolutionnaire ll
- n'est disposé à priori à abandonner une partie de sa souveraineté
nationale pour des regroupements de circonstance, aléatoires, super-
ficiels et du reste fondés sur des stratégies parfaitement antagonistes.
2° / Les stratégies d'intégration africaine
Théoriquement, on peut dire qu'il existe deux stratégies
se proposant chacune de réaliser un jour l'intégration socio-économi-
que de l'Afrique. Si appa;remment l'on semble d'accord sur l'objectif
final. des divergences importantes existent quant aux méthodes errvi «
sagées par les uns et les autres pour réaliser l'unité africaine.
a)
La première stratégie est celle qui veut en quelque sorte réaliser
1'''Afrigue des Nations". Elle entend procéder par étapes en res-
pectant "Ia souveraineté" des Etats et sans bouleversement radi-
cal des structures. Elle donne priorité. de façon "pragmatique" à
des accords économiques et techniques afin de constituer des
unions douanières et des marchés communs régionaux. L'unité
politique et continentale viendrait plus tard après la réalisation
des unions économiques. Cette stratégie se réfère souvent au suc-
cès du marché commun de l'Europe des Six (maintenant l'Europe
des Neuf). Et dans l'esprit de ses partisans qui sont de loin les
plus nombreux parmi les dirigeants africains, cette unité africai-
ne passe nécessairement par 1"'Eurafricanisme" c'est-à-dire la
coopération privilégiée entre l'Europe occidentale et l'Afrique.
-
~Q~ -
Plus de dix ans après les indépendances. on peut dire
que dans toute l'Afrique tropicale les accords inter-étatiques et les
unions douanières se sont multipliées sans résultats conc rets .!.J.
Ce qui ne saurait en aucune façon surprendre les observateurs aver-
tis : d'abord parce que toute stratégie d 1intégration en Afrique rencon-
tre nécessairement les obstacles divers dont nous avons énumérés
certains plus haut; ensuite. parce que. comme toute stratégie prag-
matique et réformiste. la stratégie fondée sur l'''afrique des Nations"
ne paraft pas tenir suffisamment compte de la nécessité et de l'im-
portance primordiale des décisions et concessions politiques dans toute
. intégration économique. Or. si par exemple les Européens ont pu aveC
un certain succès constituer leur marché commun. c'est sans doute
parce que. contrôlant avant tout leurs économies respectives. ils ont
pu et peuvent leur appliquer souverainement des décisions qu'ils ont
prises. En d1a u t r e s termes. étant donnée la nature extravertie des
économies africaines. essentiellement contrôlées par des sociétés
étrangères. la stratégie d'intégration. fondée sur "l'afrique des Na-
tions" qui ne met pas en cause le statuquo actuel. risque d'accroftre
à terme la dépendance de l'extérieur des économies africaines. inté-
grées ou non. Il convient donc de poser le problème de l'intégration
au niveau d1une Afrique Supranationale.
b) La deuxfèrne stratégie d'intégration africaine donne priorité à des
unions supranationales et ceci du point de vue politique. économique
i.!.I Outre que ce constat d'échec n1est contesté par personne. on peut
se reporter à l'ouvrage de Arthur Hazlewood "African Integration
and Desintegration" (Case studies in Economic and Political Union);
London 1967 ; Bernard Vinay, l'Afrique commerce avec l'Afrique.
Paris. PUF. 1968.
Seule la communauté est-africaine regroupant le Kérrya,
l'Ouganda et la Tanzanie. semble avoir réalisé quelques progrès
limités.
-
303
-
et militaire. Cette stratégie attendrait des Etats africains non seulement
la rupture de leurs liens de dépendance vis à vis de l'extérieur (Eu raf rf-
canisme, etc), mais aussi l'abandon d'une part importante de leur "sou-
veraineté". On a souvent considéré cette stratégie de l'unité africaine
comme "utopique" parce que son plus grand promoteur, le Dr. Kwamé
N'Krumah avait toujours réclamé l'unité continentale immédiate 1/. En
-
un sens, en surestimant la détermination et la capacité des géné ratdons
africaines actuelles pour réaliser "immédiatement" l'unité africaine,
on peut dire que la thèse continentaliste est "utopique". Cependant, on
;
ne peut correctement apprécier une telle thèse qu'en tenant compte non
seulement des générations présentes dont les privilégiés entendent pe r «
pétuer le statuquo, mais aussi et surtout des générations africaines à
venir dont la détermination et la capacité seront sans doute incompati-
bles avec une Afrique balkanisée et dominée: en ce sens, on peut dire
que la stratégie de l'unité continentale n'est pas utopique, car l'utopie
d'aujourd'hui peut être la réalité de demain. De plus, en théorie comme
en pratique, N'Krumah nia jamais été exclusivement continentaliste bien
qu'ill'ait été stratégiquement, Mais tactiquement, il admettait des re-
groupements régionaux pou rvu que de tels regroupements ne favorisent
pas la domination étrangère en Afrique?J. En tout état de cause, même
si les thèses continentalistes nécessitent et nécessiteront certains réa-
justements, elles demeurent dans leurs principes fondamentaux, leurs ,
C!I Les thèses "continentalistes" de N'Krumah ont été clairement expo-
sées par lui-même, avec un projet de gouvernement continental,
dans son ouvrage bien connu: "l'Afrique doit s'unir", Paris, Payot,
1963.
?J
Voir notre mémoire de D. E. S .. de Sciences Politiques déjà cité
(l'Idée de l'Unité Africaine dans l'oeuvre du Dr. N'Krumah) où nous
avons abordé ces questions ainsi que les erreurs que N'Krumah a
pu commettre à notre avis, sans oublier l'échec de l'Union Ghana.-"
Guinée (Novembre 1 <158 à décembre 1960) et l'Union Guinée -Ghana-.
Mali (décembre 1960 à 1962).
-
304
-
objectifs et sans doute leurs moyens, celles qui ont plus de chance de
favoriser l'amorce d'une véritable libération socio-économique de l'Afri-
que.
c ) Pratiquement, les Etats africains peuvent tenter dans les circonstan-
ces actuelles de réduire leur dépendance extérieure de trois façons au
moins:
1 - Se lancer chacun isolément dans un processus de dévelop-
pement extraverti en ayant des liens économiques privilégiés avec l'exté-
rieur, notamment avec les pays capitalistes dont les Sociétés continue-
raient de contrôler directement ou indirectement les économies africai-
nes. Une telle stratégie qui a prévalu en Afrique depuis les indépendances
de 1960 ne peut dans l'avenir, ni conduire à une indépendance économique
réelle, ni favoriser des regroupements pouvant atteindre cette indépen-
dance économique. Car de tels regroupements, s'ils ont lieu, ne se fe-
raient principalement qu'au profit de l'extérieur.
2 - La seconde approche consisterait à prendre des mesures
pour amorcer un développement national autocentré tout en ayant des re-'
lations économiques substantielles avec l'extérieur. Une telle stratégie
que les réalités actuelles imposent à certains pays comme l'Algérie et
la Tanzanie peut être considérée comme nécessaire, mais non suffisante"
sur la voie de la libération économique complète des Etats africains;
nécessaire parce qu'il est socio-économiquement préférable de planifier
isolément mais souverainement son économie que de la laisser contrôlée
isolement ou dans un groupe, par l'étranger; condition non suffisante
parce que la libération économique totale du continent africain parart im-
possible à réaliser isolément par les pays africains, même s'ils prati-
quaient un développement auto-centré national. Il reste cependant acquis
que cette stratégie peut être une étape vers une stratégie continentale.
-
305
-
3 .. Il ne reste donc qu'une troisième stratégie qui est de
coordonner planifications nationales et planifications régionales auto-
centrées. Il s'agirait de prendre les décisions politiques et économiques
appropriées pour adapter les plans nationaux à des plans régionaux,
pour ne pas dire à un plan continental, qui tenteraient de réduire la dé ..
pendance du commerce extérieur des Etats africains au profit du com-
merce régional ou continental. Une telle stratégie de double planification,
si elle tient compte des dotations en facteurs des Etats et des régions,
pourrait aussi installer toute la gamme des industries allant des indus-
tries légères aux industries de base nécessaires à toute modernisation
agricole. En somme, la priorité donnée à la planification régionale ou
continentale sur les planifications nationales et ceci dans certains des
domaines précis (grandes infrastructures hydroélectriques, industries
de base, etc) pourrait permettre de faire les réformes structurelles
nécessaires pour relier l'agriculture à l'industrie africaine. Ce qui
nous ramène à l'échelon national, régional ou même continental aux pro-
blèmes du choix prioritaire entre l'agriculture et l'industrie dans un dé-
veloppement autocentré.
- 306
-
CHAPITRE
II
CHOIX PRIORITAIRE OU INTERDEPENDANCE
ENTRE L'AGRICULTURE ET L'INDUSTRIE
DANS LA PERSPEC TIVE DE DEVELOPPEMENT AU-
TOCENTRE EN AFRIQUE TROPICALE
Comme nous l'avons vu plus haut, la question des relations
agriculture-industrie s'est historiquement posée dans toutes les e xpé r-i >
ences de développement autocentré en Europe Occidentale, en Union Sovié-
tique et maintenant en Chine et dans certains autres pays du Tiers-Monde
li. Par conséquent, ce qu'on a l'habitude de considérer comme choix
prioritaire entre l'agriculture et lIindustrie et qui est souvent l'interdépen-
dance entre les deux secteurs, a pu trouver des solutions plus ou moins
adéquates suivant que l'on envisage les expériences respectives des pays
de l'Europe Occidentale au XIXème sièclel:J ou celles de l'Union Soviétique
après la Révolution de 1917
li et enfin les expériences actuelles de la
Chine populaire il.
1 /
Voir l'ensemble du chapitre préliminaire:
Il
L'Afrique Tropicale face aux expériences historiques".
2/
En plus des ouvrages déjà cités, voir aussi Mantoux Paul, la Révolution
Industrielle au XVlIIème siècle, Essai sur les commencements de la
Grande Industrie moderne en Angleterre, Paris Editions Génin, 1959.
3/
Voir entre autres, A. Erlich, The Soviet Industrialization Debate 1924-
1928, Cambridge (Mass:) Harvard University Press,
1960.
i/ On trouverait des informations chez les auteurs suivants:
E. L. Wheelwright and Bruce Mc. Farlane, The Chinese Ro ad to Socia-
lism New-York, Monthly Review Press, 1970.
Charles Bettelheim... , la construction du S.ocialisme en Chine, Paris,
François Maspéro, 1965, pp. 33-44.
-
307
-
En cherchant donc à établir, dans la mesure du possible,
les leçons que l'Afrique pourrait retenir de ces nombreuses expériences
d'autrefois, .!J nous voulons faire comprendre que même si le choix
prioritaire entre l'agriculture et lIindustrie s'est réalisé et ne peut se
réaliser que suivant certains principes à la fois politiques, idéologiques
et socio-économiques, un tel choix ne peut être finalement opérationnel
qu i e n fonction des conditions spécifiques des pays, des régions ou des
continents intéressés y. C'est donc dans le contexte spécifique des Etats
africains d'une part, des régions et du continent africains d'autre part,
que nous essaierons de chercher quelle priorité - si priorité il y a -
entre l'agriculture et l'industrie, pourrait permettre la transition vers
une stratégie de dévc lopperne nt autocentré (Secti on 1). Nous exarrrine r ons
ensuite comment une telle stratégie pourrait voir un début d'application
en Afrique tropicale (Section II).
x
x
x
Le chapitre préliminaire, Section II, "Portée etlimites pour l'Afri-
que des expériences historiques".
qui
En ce qui concerne les raisons politiques et idéologiques ,i militent
pour l'industrialisation ou l'agriculture, voir R. B. Sutc1iffe, "Indus-
try and Underdevelopment", London, Addison - Wesley Publishing
Company 1971, surtout chapitre 3 : "Arguments for Industrialization"
p. 64 et suive
-
308
-
Section l
Choix prioritaire entre l'Agriculture et l'In dustrie en Afrique
Tropicale.
Le concept de "priorité" entre l'agriculture et l'industrie
d'un pays donné est non seulement vague, mais aussi, son sens varie
suivant les époques, les pays et les idéologies
..!I. Nous ne retiendrons
ici que le:;ens qui nous semble le plus communément admis et applica-
ble aux pays sous -développés. Dans ces conditions, donner " p riorité"
à l'agrïculture ou à l'industrie d'un pays, c'est répartir volontairement
et proportionnellement les ressources (naturelles du travail et du capital)
entre les différents secteurs économiques, principalement entre l'agri-
culture et l'industrie, ceci pendant une période de temps donnée. Vu sous
cet angle, le concept de priorité tient compte essentiellement de trois
facteurs: il se réfère expressement à la politique d'un gouvernement
qui fixe les priorités; quantitativement, la priorité n'étant pas exclusive,
elle ne donne pas tout à un secteur et rien à l'autre; enfin, la priorité
fixée pourrait intervenir immédiatement ou plus tard. Elle pourrait mê- ,
me intervenir d'abord pour l'agriculture et ensuite pour l'industrie ou
vice versa. Comme nous allons le voir, un débat théorique (Paragraphe
A) et la formulation d'une priorité (Paragraphe B) devraient tenir compte
des réalités africaines.
AI Le débat théorique sur les choix prioritaires dans les économies afri-
cain e s ,
Dans les économies précoloniales africaines comme dans toutes
les sociétés de subsistance, la priorité presque absolue était donnée à l'agri-
culture (vivrière) sur l'artisanat et le commerce, auxquels n'était affectée
.!I Ces questions ont été exarnrnee s en détails par Sutcliffe, Industry and
Underdevelopment, op. cité, p. 71.
-
309
-
qu'une
infime
partie des populations. Donc, avant la Révolution indus-
trielle européenne, ces sociétés de subsistance étaient homogènes et
équilibrées il est vrai dans la stagnation. C'est l'industrialisation du
XIX ème siècle qui va tout transformer: les sociétés européennes et les
sociétés du Tiers-Monde. Elle va provoquer le développement des pre-
mières et faire entrer les secondes dans l'ère du sous-développement.
Ceci eut pour conséquence en Afrique la création d'un secteur prioritai-
re, en l'occurence le secteur d'exportation de minerais et de produits
agricoles au détriment du secteur de production vivrière. A cette forme
de priorité à laquelle sont soumises la majorité des économies africaines
il peut se superposer un secteur d'industrie de biens de consommation
(et de services) appartenant presque toujours à des sociétés privées
étrangères qui, d'une façon ou d'une autre réussissent à récupérer les
revenus en provenance des exportations de produits primaires pour ensui-
te les rapatrier dans les pays du centre. Il s'agit donc de savoir si en
modifiant les structures des économies africaines décrites ci-dessus, on
doit donner priorité à l'agriculture ou à l'industrie (légère ou lourde).
1 0 /
Faut=il donner priorité à l'agriculture sur l'industrie?
On serait bien tenté de le faire en adoptant la stratégie de
développement préconisée par le modèle de Désiré Gai grieux, L'auteur
part de l'idée que si "l'agriculture est le premier impératif du dévelop-
pernent!', "l'industrie n'est pas la condition p réaIabl.e du développement"
.!I. Ce qui, à priori ne parait nullement contestable, aussi bien histori-
quement que dans les conditions actuelles de l'Afrique tropicale: le rôle
alimentaire de l'agriculture, la base d'accumulation de capital qu'elle
peut constituer pour llensemble de l'économie, ses fournitures de matiè-
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - "
.!/ Désiré Gaigneux, l'Agriculture, premier impératif du Développement
Paris, Editions Universitaires, 1969. Le modèle y est développé en
détails avec de nombreuses références à l'Afrique.
-
310
-
res de ma.ti.è re s premières agricoles au secteur industriel pour le-
quel elle constitue en outre un débouché, tout cela inciterait le plani-
ficateur africain à donner priorité au secteur agricole. Néanmoins, le
modèle de Ga.Igneux, tel qu'il est présenté par son auteur, ne nous
paraît pas pleinement opérationnel et ceci pour plusieurs raisons.
D'abord, comme nous le savons déjà par tout ce qui précède, le rôle
d'accumulation de capital qu t au r a.ît pu jouer l'agriculture est sérieu-
sement compromis par les structures actuelles des relations écono-
miques internationales qui ne réservent pas un avenir prometteur aux
produits agricoles d'exportation. Ensuite, si l'industrie n'<e '>t pas une
condition absolument préalable du développement des pays africains,
elle demeure cependant une condition indispensable à ce développement
en ce sens qu'elle est non seulement nécessaire à la rnodernisation de
l'agriculture mais aussi qu'elle engendre à. long terme une croissance
rapide pe rrne ttant à une économie d'accéder à un développement auto-
nome.
Or, sur le point fondamental de la création d'industries
lourdes en Afrique, Désiré Gaigneux considère qu'en l'état actuel des
structures économiques des Etats Africains, "la politique à suivre
consisterait à satisfaire, grâce à la production nationale, les besoins
en produits d'origine agricole, et à réserver les devises ét rangères
pour l 'a.chat de biens d'équipement d'origine industrielle"!/. Ce qui
ne paraît pas possible compte tenu des structures actuelles des rela-
tions économiques internationales caractérisées par la détérioration
des termes de l'échange. Finalement l'élément le plus intéressant du
modèle de l'auteur à retenir dans une stratégie de développement auto-
! / Désiré Gaigneux, Agriculture, premier impératif du développement
op. cité p. 71.
~
311
centré: en Afrique est 19idée fondarnentale que l iagriculture est un premier
i rnpé r a tif du déve loppernent, 1] reste cependant la question de l'industria-
lisation à laquelle le modèle ne donne malheureusement aucune réponse.
2 0 /
Faut-il donner priorité à 1 Uindustrie lourde ou à l. ~industrie légère en
Afrique Tropicale ?
Cette question est au coeur du débat entre Lacroix dont le
modèle opte pour une priorité à l'industrie des biens de consommation et
de Bernis qui donne priorité à la création d'industries de base nécessaires
à la modernisation de l'agriculture.
a) Donner priorité à des industries de biens de consommation
est une thèse que défend énergiquement Jean Louis Lecroix qui fonde
l'essentiel de son argumentation sur un certain nombre de faits connus
..!.I mieux que les industries de base, les industries de biens de consom-
mation peuvent contribuer à la résorption du chômage dans les villes
africaines et des économies de devises (industries de biens de substitu-
tion aux importations) ; bien que leur installation exige moins de capitaux
que celle des industries de base, elles peuvent contribuer à la moderni-
sation de l'agriculture, d'abord en offrant aux paysans des biens manufac-
turés dont ils ont besoin, ensuite en fournissant au secteur agricole des
houes perfectionnées. des pompes, des pulvérisateurs ou des tuyaux en
matière plastique pour l'irrigation, L'auteur en déduit que pour obt enir
tous ces biens d'équipement, les pays africains pourraient se passer des
industries de base et ceci pendant longtemps. Lacroix fait alors une cri-
..!.I Pour plus amples informations voir Jean Louis Lac roix, l'Industriali-
sation au Congo~ Paris, Mouton et Compagnie, 1967.
~ 312 -
tique sévère de la thèse de Gérard de Bernis de vouloir implanter des
industries lourdes qui, dans l'état actuel des choses ne répondraient
pas aux besoins immédiats des paysans africains qui désirent des biens
de consommation courante 11. Ce qui n'est vrai qu'en partie car on peut
concevoir une coordination entre les industries de biens de consomma-
tion existantes déjà dans les Etats africains et les industries de base
que l'on i ns ta.Il.era.it dans ces Etats, hypothèse que Lacroix n'envisage
nullement.
De toute façon son modèle comporte d'autres faiblesses qui
méritent d'être notées aussi précisément que possible. Ainsi. le modè-
le donne une puissance presque magique aux biens de consommation
manufacturés qui pourront mieux mobiliser l'effort de production des
paysans que n'importe quel autre stimulant. Aussi, la mobilisation po-
litique dans les régions rurales est-elle nommément rejetée comme
coûteuse y. -Quant à la modernisation de l'Agriculture proposée par
Lacroix, elle est fondée d'une part sur la destruction des structures
familiales traditionnelles freinant, selon lui, cette modernisation, et
d'autre part, sur la création d'un capitalisme agraire privé. Par con-
tre, l'auteur n'envisage pas à la place des entreprises privées qu'il
veut instaurer dans les régions rurales, la création de coopératives
ou d'entreprises d'Etat s'inspirant des expériences d'autres pays, et
pouvant contribuer à la libération des économies africaines. Enfin, si
.u J. L. Lacroix, Industrialisation au Congo. op. déjà cité. pp. 117
et suivantes.
?:.! Voir surtout la page 122 de Vil 'Industrialisation du Congo!",
-
313
-
l'auteur considère que la création des biens de consommation peut condui-
re à l'installation des industries de base, il fait beaucoup plus confiance
aux mécanismes "spontanés" du marché qu'au plan pour aboutir à une
telle industrialisation. Autant dire que le risque existe soit que la création
des industries d'équipement ne survienne pas pour longtemps, soit que si
elle a lieu, ce ne soit que pour renforcer le développement extraverti en
Afrique.
b) Si un modèle économique donne priorité à la création des
industries de biens de production,
et qu 'Ll peut satisfaire à la fois aux
besoins élémentaires de produits agricoles qu ià ceux de s biens de consom-
mation manufacturière de masse, ce modèle favoriserait la libération éco-
nomique des Etats africains.
Un tel modèle ne serait vraiment opérationnel qu'en respec-
tant certaines conditions: développement auto-entretenu, rôle important
d'un Etat planificateur et réducteur des inégalités socio-économiques,
dégagement et accroissement d tun surplus économique par l'arrêt des
rapatriments abusifs des capitaux à l'étranger, mobilisation des masses
et coopération africaine. Ces conditions envisagées dans le s pages anté-
rieures de la présente étude sont aussi clairement exprimées par le mo-
dèle économique de Gérard de Bernis, qui, sans a.ucun doute, propose
une véritable stratégie de développement autocentré aux pays sous-déve-
loppés en général et aux pays africains en particulier .!J.
li Gérard de Bernis, Contribution à l'analyse des voies africaines du
socialisme, Paris, Cours donné à 1'1. E. D. E. S., 1964/65.
-314
-
L'auteur part de deux idées fondamentales: d'une part que le
"
bouleversement des structures dites "traditionnelles" des pays du Tiers-
Monde est dû à 1'industrialisation européenne du XIXème siècle qui, en
conduisant à la colonisation est à l'origine du sous-développement; d'au';'
tre part que "l'indépendance politique a été et demeure la condition préa:-
lable d'une véritable politique de développement, "l'industrialisation"
étant la condition même de ce développement pour les pays sous-dévelop-
pés. Et puisque dans ces pays la majorité de la population est agricole,
"la question essentielle réside donc dans l'accroissement du revenu agri-
cole lié à l'élévation des productivités du travail agricole" !tI. Par consé-
quent, du point de vue économique, l'idée fondamentale du modèle est
qu'on peut accrortre la productivité agricole de deux façons:
- premièrement, par l'amélioration des s t rutu r e s exi s tarite s'
qui, par elles-mêmes, sont susceptibles d'entratner un certain progrès'
dans la production agricole.
- deuxièmement: par la création en amont du secteur ag râc o-
le des industries de base telles que les industries sidé:rurgiques, chimi-
ques et l'industrie du ciment qui, en fournissant à l'agriculture des biens
intermédiaires dont elle a besoin, lui permettront d'accrortre considéra-
blement sa production, et par là même les revenus agricoles destinés
en partie à acheter les produits industriels.
!/ Gérard de Bernis, op. cité, p. 4. L'auteur y définit l'industrialisation,
non pas comme "une simple collection d'industries quelconques", mais
comme "la structuration de tout en ensemble social, sous l'influence
d'un complexe ordonné de machines".
-
315 -
En fait, le modèle de De Bernis préconise une véritable stra-
tégie de développement autocentré fondée sur une interdépendance de
l'agriculture et de l'industrie. Son application, même à terme dans les
Etats africains, pose des difficultés non-négligeables. La première diffi-
culté vient du fait que seuls quelques pays africains seulement (l'Algérie,
le Nigéria, l'Egypte et le Za.I'r e] sont potentiellement dotés de ressources
pour satisfaire les critères économiques du modèle ... Quant aux aut re s
pays africains, seule la coopération, pour ne pas dire des regroupements
pourrait leur permettre d'appliquer pleinement un tel modèle de dévelop-
pement autoc ent r é ,
La deuxième difficulté se trouve dans ce que De Bernis lui-
même appelle "le dilemme de Mahalanobis" .!J. En effet, il semble bien
qu'il y ait un dilemme parce que:
- les indus tries de biens de consommations ont ceci de carac-
téristique que leurs taux de croissance sont plus élevés pendant la premi-
ère période de leur fonctionnement que par la suite. Donc si on donne pri-
orité à ces industries sur celles d'équipement, le niveau de vie des popu-
lations s'élèverait dans la première période pour stagner par la suite. Le
phénomène contraire se produit pour les industries de base.
- si on donne la priorité à ces industries de brens de produc-
tion, le niveau de vie des populations ne s'élèvera qu'après une période
de quelques années qui suit leur première mise en fonctionnement •
.!J En plus de L'ouvra.ge de De Bernis déjà cité (p. Il 2ème partie), voir
P. C. Mahalanobis, The Approch of Opérational Research To Planning
in India, London, Asian Publishing House, 1963 surtout pp. 29 à 33.
-
316
-
En d'autres termes, dans des pays sous-développés comme
les pays africains où les populations souffrent d'une certaine sous-alimen-
tation, la priorité aux industries légères sacrifiera l'avenir au présent
.
tandis que le choix des industries lourdes sacrifiera le présent à l'avenir.
Pour Gérard De Bernis, le dilemme qui n'est qu'apparent, peut être réso-
lu de la façon suivante !J.
• Dans la première période, tout en installant les industries
de biens de production, on ne sacrifie pas le présent à l'avenir parce que
"les progrès en organisation dans l'agriculture" c'est-à-dire "la Révolu-
tion agraire", font augmenter la productivité du travail agricole et l'em-
ploi dès le début de cette première phase.
• Dans la seconde phase, le secteur agricole accélérera son
développement d'autant plus que les industries lourdes seront désormais r-
en mesure de lui procurer des produits Inte rmédtaf r e s d'une part et
d'absorber des travailleurs mis en chômage dans les secteurs agricoles
d'autre part.
• Dans la troisième phase, enfin, des industries de biens de
consommation seront en mesure de satisfaire aux besoins des populations.
li Cf. op. déjà cité pp. Il à 13. Voir aussi E. Younes et G. Berrebi :
"les places respectives de la réforme agraire dans la stratégie du
développement économique" in Agriculture Land Reforms and Econo-
mic Deve1opment, Polish Scientific Publishers Varsovie, 1964.
-
317
-
Ainsi, ni le présent, ni l'avenir ne sera sacrifié. En fait,
confrontés aux réalités africaines, le modèle ci-dessus ne résoud que
partiellement le dilemme car il subsiste un certain nombre de problè-
mes dans la prémière phase. D'abord, bien que "les progrès en orga-
nisation dans lIagriculture" contiennent des stimulants à la fois écono-
miques (accroissement de la productivité agricole) et politiques (mobi-
!'
lisation des masses rurales etc) ; ces stimulants risquent de buter
contre le désir des populations d'acquérir certains biens manufacturés
de consommation courante. Or, le modèle ne dit rien sur ce point. En-
suite, il existe dans la plupart des Etats africains un certain nombre
d'industries de biens de consommation "de luxe", Que fera-t-on de ces
industries dans la première phase? Il nous parai'!: donc indispensable
que pour que le modèle de De Bernis soit plus complet, sa première
phase de "Révolution agraire" doit être consolidée par l~ reconversion
des industries déjà existantes dans les pays sous -développés. Ces in-
dustries ainsi reconverties pourraient alors procurer à l'agriculture
un certain nombre de biens intermédiaires, idée que nous avons par
ailleurs considérée comme "intéressante" dans le modèle de Lacroix.
Enfin ces industries adaptées à la nouvelle situation pourraient procu-
rer aux populations un certain nombre de biens de consommation de
masse sans pour autant remettre en question la politique d1industriali-
sation de biens d'équipement en cours dans le pays sous-développé.
Comme nous allons le voir dans le paragraphe B, il n1existe
que peu de pays africains qui, isolément, pourraient appliquer le modèle
de De Bernis dans son intégralité. On devrait alors envisager l'accrois-
sement du niveau de vie des populations africaines par l'augmentation de
la production agricole et celle des biens de consommation en provenance
de l'artisant et des entreprises manufacturières déjà existantes.
-
318
-
BI Autodéveloppement agricole et industries de biens de consommation
de masse.
L'insuffisance des produits agricoles vivriers dans les Etats
d'Afrique Tropicale impose la nécessité d'accroître la productivité de ce
secteur. Mais il n'existe presque pas dans ces Etats un secteur d1indus-
trie de biens d'équipement pouvant fournir au secteur agricole des biens
intermédiaires dont il a besoin. En outre, l'importation de ces biens
intermédiaires s'avère de plus en plus difficiJe à cause de la détériora-
tion des termes de l'échange. L'augmentation de la production agricole
vivrière n'est d'abord possible que par l'utilisation efficace des s rruc tu-
res existantes, c'est-à-dire "les progrès en organisation dans Pagricul-
ture". Le développement agricole ainsi obtenu = l'autodéveloppement
agricole - peut être aussi soutenu par l'exploitation rationnelle des rkhes=
ses artisanales d'une part, et d'autre part, avec la restructuration des
industries de biens de consommation de luxe.
loi L'autodéveloppement agricole est fonction non seulement
du rapport population/Terre mais aussi des possibilités de perfectionne-
ment des moyens de production disponibles.
Or, le courant néo-malthusien actuel considère que l'avenir
de l'humanité est menacé par l'explosion démographique qui sévit sur
notre planète, et plus particulièrement dans le 'I'Ie r s Monde dont la crois-
c
sance économique est ainsi freinée. Bien que l'ensemble des pays sous-
développés soit en effet témoin d'un accroissement démographique intense
(2,9 10 par an en moyenne), on ne peut pas dire que la pression démogra-
phique par rapport aux terres disponibles se manifeste également dans les
différentes régions du Tiers -Monde.
-
3~ 9 -
Le Professeur Samir Amin a montré tout réc:emrnent que non
seulement l'accroissement démographique rapide peut dans certains cas
favoriser le développement de la production agricole, mais aussi et sur-
tout que, par comparaison à d'autres régions du monde ilL'Afrigue est
sous-peuplée" ..!J. Ainsi, dans la plupart des Etats africains, les réserves
de terres non cultivées par rapport au total des terres disponibles attei-
gnent 90 '10. Et le nombre d'hectares de terres cultivées par habitant ru-
ral par rapport au nomb~e d'hectares cultivables était en 1968 de 52,1 %
au Burundi, (taux le plus élevé), l 0,2 % au Kenya, 17,2 % au Ghana,
27,4 '10 en Côte d'Ivoire et 5,8 % au Tchad (cf. Annexe, Tableau V.)
Pourtant. malgré ces possibilités immenses de terres vierges
à mettre en valeur, la malnutrition, le chômage à la campagne et L'e.xode
rural ne cessent de s'aggraver depuis l'indépendance. Ayant établi dans la
première partie de cette étude qu'en Afrique, le surpeuplement apparent
était plutôt un phénomène structurel et non démographique, on ne peut
y remédier qu'en modifiant profondément la politique économique de nos
Etats. Une planification impérative à base socialiste devrait prendre effec- .
7 tivement le pas sur les mécanismes du marché. Ce plan doit donner prio-
rité à la satisfaction d~..a...be sotns collectifs sur les.be-soins Individue.ls ,
,
_ ~ ~ -
..
~..-
'~"._ ~, '~."
..,., _,--,..,..." -.~~." .~ ', "'
'-,.,., ~."
~..~.-
-
~
-
'.- ,. "-"~"-~- _._._.----_.~
De même que la production collective (coopératives, fermes d'Etat et
entreprises ",1~xtes) doive~,t avoir priorité sur la production individuelle.
'AV'o-'"
! /
/
~
,"
wh')'.'.
v
0',,1'''''·
,..,
..!J Samir, Amin, "l'Afrique s ouavpeupl êe!' Communication pour le Congrès
Africain de Démographie, Accra, 9-18 décembre 1971. Voir aussi la
Revue "Développement et Civilisation" n " 47-48, Mars/Juin 1972, pp.
59 - 67.
-
320
-
Dans le secteur agricole, l'aggrandissement des surfaces
cultivables, le perfectionnnement des outils individuels, l 'u ti.Ii s a.ti on de
l'énergie animale et l'éflucation des paysans peuvent permettre d'accroî-
tre de façon importante la productivité agricole par homme et par hecta=
re sans utilisation excessive de capitaux. Du reste, le recours à 1Oinves-
tissement humain peut de façon substantielle contribuer au développement
de l'agriculture africaine jusqu'à ce qu'elle atteigne un niveau de renta=
bilité satisfaisant.
La période d'autodéveloppement agricole, qui peut durer de
4 à 6 ans environ suivant le pays africain, accroftra la part de l'agricul-
ture vivrière dans la production totale du secteur primaire. Elle permet-
tra de ce fait de réduire les importations de denrées alimentaires tout en
nourrissant convenablement les populations à la fois rurales et urbaines.
Elle réduira certainement l'exode rural et le chômage (déguisé ou non)
à la campagne comme dans les villes. Elle accroîtra la productivité et
par conséquent le pouvoir d'achat des paysans pour les industries de
transformation qui, une fois adaptées à la nouvelle situation de développe-
ment autocentré, fabriqueraient des produits de première nécessité, mais
aussi des tuyaux, des pompes et autres produits intermédiaires pour le
secteur agricole. L'autodéveloppement agricole se faisant donc néc e s aa.i -
rement en liâison avec des industries existantes ou à créer dans les Etats
africains, le problème est de savoir quelle pourrait être la nature de ces
industries suivant la taille et les dotations en facteurs des Etats africains.
2 0 /
L'industrialisation, indépendamment des caractéristiques
spécifiques des Etats peut se présenter sous des formes différentes sui-
vant qu'il s'agisse de l'industrialisation d'un pays comme Hong-Kong, la
Côte d'Ivoire, le Brésil ou les Etats-Unis. On peut donc admettre que,
pour se développer, les pays ont à passer par quatre étapes successives
d'industrialisation suivant leur niveau de développement.
-
321
a) La première étape d'industrialisation correspondrait au
modèle des économies primaires exportatrices de matières premières
agricoles ou minières. 'Bien qu'il ne s'agisse pas là d'une industriali-
sation à proprement pa r l.e r , elle peut déboucher sur l'implantation
d'industries locales de biens de c ons omrna.ti.cn afin de s at.i sfai re
ce:r=
tains des besoins nés de la création du pouvoir diachat qui a fait suite
aux exportations de produits de base. Donc, la seconde étape d'indus-
trialisation correspond au modèle des économies en voie dè ~réation
de biens de substitution aux importations. Si les conditions s oc i o-iéc o-
nomiques le pe rrne tterit, cette 2ème étape peut logiquement déboucher
sur une 3ème étape d'industrialisa;tion caractérisée par li implantation
d'industries lourdes. Enfin la quatrième et dernière étape correspon-
dra à l'intégration verticale des industries d'un pays, liées: par ailleurs
aux autres secteurs de l'économie, notamment au secteur agricole.
Il faut cependant insister sur le fait que les quatres étapes
d'industrialisation que nous venons d'indiquer ci-dessus ne s'imposant
pas dans cet ordre à tous les pays. Les étapes d'industrialisation sont
soit interchangeables, soit réduites parce qu'on peut sauter certaines
séquences. Deux faits majeurs expliquent cet état de chose: d'abord
parce que, loin de suivre les lois des mécanismes du marché. les éta-
pes d'industrialisation d'un pays dépendent de la volonté du planificateur
qui peut décider de donner priorité à telle ou telle forme d'industrialisa-
tion ; ensuite parce que cette décision d'industrialisation dépend en ou-
tre des conditions spécifiques du pays (dotations en facteurs, marché,
etc ••. )
Or, compte tenu de ce que nous aavon s des structures des
économies africaines (voir Supra 1ère Partie) on peut dire que la plu-
part de ces économies se trouvent au stade primaire d'industrialisation.
Quelques uns ayant entamé la 2ème étape des industries de biens de sub-
stitution aux importat ions, tandis que la 3ème étape se révèle pratique-
ment ipexistante sur le continent africain; la 4ème étape d'intégration
verticale d'industries n'ex.iste pratiquement pas non plus.
-
322
b) En effet. l'industrialisation exige des ressources humai-
nes des ressources naturelles, des capitaux importants et un grand mar-
ché de consommateurs. Or, le moins qu'on puisse dire, c te st que les
micro-Etats africains tels qu uils existent présentement ne sont pas prêts
à asseoir une véritable industrialisation liée à L'a.g r-ic ul.tu r-e et ceci rrê-
me dans le cadre d'un développement autocentré. Car en plus des pro-
blèmes politiques et socio-économiques que pose la prise en main par
des nationaux africains des secteurs clés de leurs économies respecti-
ves, les problèmes de dotation en facteurs d'une part et les problèmes
de l'espace économique de l'autre se posent aux Etats. En fart, ces deux
séries de problèmes sont intimement liées.
En ce qui concerne les problèrnes de main-d'oeuvre, ils sont
beaucoup plus aigus pour le personnel qualifïé que pour le personnel
non qualifié. Car. compte tenu du degré d'urbanisation rapide dans les
Etats africains et de l'existence des réserves importantes de main-d'oeu-
vre non qualifiée aussi bien à la campagne que dans les villes. un program-
me cohérent d'industrialisation bénéficierait de cette main-d'oeuvre bon
marché. Les problèmes de sa qualification future ainsi que de la forma-
tion du personnel d'encadrement ne seraient pas insolubles à long terme
si l'on y met le prix. Il faut cependant s'empresser d'ajouter que ce prix
serait plus accessible aux Etats africains dans le cadre d'une coopération
interafricaine plutôt qu'isolément. Dans cette dernière hypothèse, les
limites de la formation des cadres d'ingénieurs et d'administrateurs
compétents seront vite atteintes faute de moyens financiers suffisants et
d'infrastructure universitaire.
Quant aux dotations en ressources naturelles et énergétiques,
nous savons que le potentiel de l'ensemble du continent africain est im-
mense. Actuellement l'Afrique représente 24 % de la production mondi-
ale du cuivre, 37 % de celle du manganèse, 34 % du chrome. 63 % de l'or,
-
323
~
96 % du diamant, 69 10 du cobalt, 10 % du pétrole brut, 22 % du gaz
naturel. 40 10 de IV énergie hydroélectrique, du f~r, de Paluminiu:m et
beaucoup d'autres richesses du sous-sol 1L. Sur le plan des recherches
minières il y a possibilité diune véritable industrialisation intégrée si
ces richesses étaient inventoriées et exploitées dans le cadre d'un
développement auto-centré. Mais nous savons aussi qu tà
l'échelon
national et dans le cadre actuel du développement extraverti ces r iche a-
ses restent anarchiquement exploitées par et pour les intérêts capita-
listes internationaux. D'un autre point de vue. la disparité des richesses
en question laisse certains pays comme la Haute-Volta et le Mali par
exemples. complètement démunis tandis que d'autres comme le Zai're,
le Gabon ou le Nigéria en sont substancïellement pourvus. Il y a donc
là une deuxième limite à L'Lndu at.r-i a l i s at.i.on des Etats CJ f r~caj os
La
c
t r-oi sterne limite se trouve dans le faible niveau dt-fi rt-Vl"ênl.15 par tête et
par.R~~;ns~q,\\,1.~t(dans les pos s ib i.l i tés d "expl.ortation de large s marchés
que nécessiLe l'industrialisation. En réalité, il existe un lien étroit
entre espace national, revenu par tête et population nationale.
Des experts internationaux ont dressé le portrait-type d'un
Etat modèle dans lequel l'industrialisation serait rapidement possible.
Cet état aurait les caractéristiques suivantes:
li Voir l'article de L. V. Thomas, Problèmes spécifiques de L'Lndus -
trie en Afrique Noire, in Revue "Développement et Civilisations",
n° 43 Ma r s 1 9 71 , p. 2 5.
?J Voir L. V. Thomas, Problèmes spécifiques de L'Lndustr-îe en Afri »
que Noire, article déjà cïté p. 26 •
•
324
-
1. Une superficie de 30 à 40 000 km2 et des voies de
communications faciles;
2. une popula.tion de 4 à 5 millions d'habitants
.3. un revenu par tête de l 000 dollars US par an, soit
un revenu annuel global de 4 à 5 milliards.
Si l'on prend les données 'ci-dessus simplement comme
références pour se faire une idée des problèmes de l'industrialisation
des Etats africains, on s'aperçoit que ces derniers ne remplissent que
la seule condition de superficie li. Mais la grande superficie d'un pays
ne favorise pas a priori son industrialisation et ceci pour deux raisons
au moins: l'immensité des espaces nationaux africa.ins a pour consé-
quence d'une part la faiblesse de la densité de la population et d'autre
part l'insuffisance des moyens de communication. Ce qui gêne L'Lndus ;
trialisation non seulement à court terme (manque de cornmunications)
mais aussi, à long terme, à cause de lUinsuffisance de main-d'oeuvre
industrielle. D'ailleurs, la superficie et la population moyennes de
liiiEtat moyen" pour les trois continents se présentent de la façon sui-
vante y .
.!I Voir le tableau population et PIB par tête en Afrique (Annexe VI).
y
Arthur Haz lewood, African Intégration and
Desintegration.
op. déjà cité, p. 9.
-
325
-
Afriqu_e
AITlérigue Latine
Asie
Populations
6
Il
43
(rnîl Hons d'hab.)
Superficies
271 000
528 000
448 000
(ITliles carrés)
Il ressort de ce tableau que par c ornpa r a i s on aux deux
autres continents sous -développés l'Etat rnoyen africain a une super-
ficie inférieure à celle de ceux de l'Asie et de L'Arné r.lque Latine. Ce
qui a plus de signification cependant, c'est la rnanfë r-e dont les popu-
lations sont réparties entre les pays africains. En 1969~ sur 42 Etats,
30 au rrioi.n s n'atteignaient pas 5 rrril Ii.on s d'habitants; 12 Etats seule-
m errt r-ern pld s s a.ient la condition dérnog raphique de l'Etat type de réfé-
rence.
La situation appar-aît plus déconcertante encore en ce qui
concerne d'une part le revenu par tête type de 1 000 dollars et d'autre
part, le produit intérieur brut de 5 rni Il.i.a r d.s de dollars par Etat. La
Libye seule avait un revenu par tête de plus de 1 895 dollars US en 1969
rna.i s son produit intérieur brut ne dépassait pas 3, 6 rni.Il.i a rd.s , Par
contre, le Nigéria et l'Egypte grâce à L'Irnpoz-tanc e de leur population
et au niveau r-ela.tiverne nt élevé de leur revenu par tête, s'approchaient
du PIB de 5 rni.lIia rd.s , Pour le reste, toujours en 1969, 21 Etats sur
41 soit près d.e la rrroi.ti é ,
avaient rn oi.n s de O. 50 rn îl.Ha r ds de dollars,
c'est-à-dire la fois rno in s que l'Etat-type..!l. Ceci ne veut pas dire que
pour s'industrialiser. les Etats africains doivent néc e s s ai r-ernent avoir
les capacités de l'Etat-type su s merrti onné, Il n'en reste pas rnoiris vrai
c
que si l'on considère s épa r-ern ent ces Etats africains, leur industriali-
sation ne peut que rencontrer des difficultés pr-e squtin su rrnontabl.e s tant
11 Voir le tableau VI de l'annexe ainsi que l'Etude des conditons éc ono-
rnique s en Afrique - 1971. o P, cité. pp. 277 à 278.
du point de vue financement. débouché (local) que compétitivité'inter-
nationale. Ceci semble d iai.l1eurs vrai non seulement pour l'Etat afri-
cain au d.éve loppernent extraverti rna.i s aussi pour celui qui pratique
une stratégie de d év'e.l oppeme.nt autocentré. Ce dernier cas parait
néanmoins préférable dans la mesure où la protection de la jeune indus-
'0
trie locale d'une part et liutilisation efficace du su r-p lu s économique
à des fins productives daut r-e part, peuvent per-mett re de surmonter
certaines des multiples difficultés qui se dres sent su 1< la voie de l'in-
dustrialisation. En tout cas ces difficultés pourraient se résoudre beau-
coup pl us aisément encore dans le cas de grands ensembles africains
pratiquant une po.litique de développement autocent ré , Le contraire
niest pas vrai, même si certaines formes d'industries. en l'occurence
les industries de biens de substitution aux importations ont été parfois
présentées comme une nécessité absolue dans le processus d1industria-
lisation des pays du Tiers-Monde .••
c ) Le concept d'!!2du,st:ries de substitution n'est ni simple.
ni toujours bénéfiqueme~t applicable aux pays sous -développé~.
D'abord il n l e s t pas applicable prad.quement à ceux d'entre
eux qui. comme la plupart des pays africains. ont un niveau de dévelop-
pement si faible que les biens manufacturés qu "i.ls importent ne permet-
tent pas de créer des industries de biens de substitution aux importations
économiquement rentables. Ensuite, pour ceux des pays africains qui
sont potentiellement en mesure de créer certaines des industries en ques-
tion, nous avons déjà fait remarquer que leurs importations sont essen-
tiellement constituées de Hbiens de luxe" destinés à la satisfaction des
besoins de la :minorité de privilégiés africains d lune part et de c eux des
expatriés européens de liautre. Dès lors Uuti.l.i.s ati on aveugle et sans
d i s c r-îrn rn at.i on du concept d t i ndu st r-ie s de biens de substitution aux impor-
tations aboutit à fabriquer localement des biens de luxe que lion im.portait
-
327
~
auparavant des pays développés. Non seulement les limites d'une telle
industrialisation qui ignore les besoins populaires seront vite atteintes
rnais aussi cette i.ndu et.r-La.Iî s at.ion risque de renforcer une stra.tégie de
développement extraverti. Jj.
Or-, ce qui nous intéresse pa'rt lculfè r-ernent id, c'est la pos-
sibilité de création d'industries de biens de substitution aux importations
da.ns une stratégie de développement autocentré des Etats africains. Par
conséquent, Popération de substitution aux importations n'aurait de charr-
ce de succès qu'à certaines conditions: dUabord que parallèlement à la
réduction des importations des biens de luxe, on procède à une réparti-
tion des revenus qui donne aux producteurs un pouvoir d'achat sub stari-
ciel pour pouvo ir acheter les biens de première néces s ité , ensuite que
les nouvelles industries à implanter dans les pays africains donnent pr-Io-
rité à la production des biens de consommation de masse, enfin que
Pimplantation des industries en question se fasse non pas par des s oc i é-
tés étrangères à la recherche de profits exorbitants, mais par une c oo r-.
dinat.i on entre les Etats africains pour se pxocu re r des moyens de finan-
cement et pour créer des nouveaux débouchés sur le continent .
.!I L'ensemble de ces problèmes a été traité par:
- Samir Amin, . "Génè s e et développement du sous -riéveloppement",
Dakar document IDEP/ET/2439~ 1972. p. 25.
= Ignacy Sachs,
"Sub s titut.ion des Importations, le Nécessaire et
le superflu". - Cérès, Revue F.A. O., vol. 5, n " 2, Mars-avril
1972.
- Privatosh Maitra, "Irripor-t substitution Pote.ntial in East Af r-ic a",
Oxford University Press, Nairobi, Kenya, 1967.
-
328
-
Ce n'est qu'en essayant de remplir, entre autres, ces
conditions qui exigent leur volonté politico-économique évidente, que
les Etats africains peuvent asseoir toute la gamme des industries
néc e s sa.i re s à leur développement liéquilibré il entre l'agriculture et
l'industrie. Néanmoins, ceci ne doit pas nous faire perdre de vue la
conclusion fondarnerrtal.e à laquelle nous sommes arrivés: au stade
actuel où se trouvent les Etats d'Afrique Tropicale, l'auto-développe-
ment agricole apparart non seulement comme une condition nécessaire
au développement industriel, mais aussi cet auto-développement appa-
rail: à court terme plus aisé à réaliser que l'industrialisation. C'est
dans" ce contexte que nous traiterons dans la prochaine section de notre
étude la question de la croissance équilibrée.
Section II
Interdépendance de 1iagriculture et de l'industrie dans une
perspective de développement auto-centré en Afrique Tro-
picale.
En examinant dans la section précédante la question du
choix prioritaire entre 1Dagriculture et l'industrie en Afrique, nous
n'avons retenu comme acceptables ni la thèse de Désiré Gaigneux don-
nant radicalement priorité à l'agriculture, ni celle de Lacroix marquant
une nette préférence pour l'industrie légère, sur l'industrie Lou rd re ,
Pa r tc ont r e , le modèle de Gérard de Bernis nous a paru celui qui pour-
rait Q-.ans un regroupement d'Etats, promouvoir un véritable développe-
ment autocentré sur notre continent'. Or, comme nous le savons déjà,
le principe de base de ce modèle est le suivant: puisque dans les pays
sous -développés la rn e jeu r e partie de la population est agricole, le
problème capital de l'accroissement du revenu agricole est lié à l'élé-
vation des productivités du secteur agricole qui appelle pour son propre
développement l'industrie chimique, l'industrie sidérurgique et l'indus-
trie du ciment !J.
!J G. de Bernis, Contribution à l'Analyse des voies africaines du Socia-
lisme. op. cité, 2ème partie, pp•. 4 et 5.
-
329
C'est tout le problème de l'interdépendance entre les deux
secteurs qui est ainsi posé et qui par ailleurs, diffère relativement selon
qu'on se réfère au contexte de tel ou tel continent.
AI La signification de IVI 'interdépendance" entre l'agriculture et l'indus =
trie dans le contexte africain.
Vus dans un contexte général, les a r-gu ment s respectifs pour
la priorité à l'agriculture ou à l'industrie se réduisent de part et d'autre
à mettre l'accent sur le rôle primordial de l'un ou de L'aut re des deux
secteurs dans une économie qui se développe. Ce choix. prioritaire - il
faut le dire et le redire - dépendra de nombreux facteurs: ressources
naturelles du pays, possibilités de création d'un marché local. rythme
de croissance à donner à l'écononlie, options politiques. idéologiques
et socio-culturelles des autorités au pouvoir etc, etc •..
loi En aucune façon cependant, personne n'a sérieusement
prétendu dÔnner l'exclusivité à l'un ou l'autre des deux secteurs dans une
économie, car l'offre par l'agriculture de produits vivriers, de matières
premières et éventuellement de travailleurs venus des régions rurales
n'aurait aucun sens si cette offre ne rencontrait une demande suffisante
du secteur industriel pour l'absorber. De son c ôté , l'industrie pour se
développer, doit nécessairement offrir au secteur agricole, des produits
intermédiaires (engrais, pesticides, tracteurs) d'une part et, d'autre
part des produits manufacturés. Quant au dégagement du surplus écono-
mique, les deux secteurs peuvent y contribuer soit simultanément soit
Pindüstrie après l'agriculture. C'est-à-dire à des étapes différentes du
processus de la croissance économique. Il s'ensuit donc que, derrière
l es arguments "prioritaires" qui ont historiquement animé
les débats
concernant la croissance autocentrée des pays développés d'aujourd'hui,
on retrouve d'une manière ou d'une autre l'interdépendance des deux sec-
teurs. Chaque fois que ce principe a été méconnu de façon flagrante com-
me en Union Soviétique pendant la période stalinienne. l'économie a été
-
330
-
soumise à des aléas d'autant plus graves qu'ils prennent la forme de
crises structurelles qui, il faut bien le dire, ne sont pas de même
nature que celles qui se manifestent dans les pays sous-développés
d 'aujourd 'hui. Ici et surtout dans les pays africains qui nous occupent,
il ne s'agit pas seulement de déséquilibre dans la répartition des fac-
teurs de production entre Il?-griculture et l'industrie dans un système
autocentré, mais de bouleversement des structures d'une économie
périphérique "façonnée" au gré et au profit du centre. Il s'agit donc
de briser d'abord l'ensemble de ces structures extraverties des écono-
mies africaines. C'est dans cette stratégie de transition vers le dévelop-
•
pement autocentré que prendra place la question de l'interdépendance
de l'agriculture et de l'industrie.
2 0 /
Comme le soutient fermement
Sucliffe.!l "la priorité
'universelle donnée à long terme à l'industrialisation, demande à court
terme une nécessaire priorité à l'agriculture comme sources d'investis-
sements industriels ou de produits
alimentaires".
C'est, à notre avis cette forme d'interdépendance qui con-
vient à l'Afrique tropicale d'abord parce que ni l'agriculture et ni l'in-
dustrie africaines ne répondent positivement aux rôles quantitatifs et
qualitatifs qui devaient être les leurs dans nos pays en quête d'une auto-
nomie de croissance; ensuite, leur interdépendance qui est nécessaire
ne peut que démarrer à une étape donnée du processus de développement
économique, c'est-à-dire lorsque le secteur agricole aura atteint un
V Suteliffe, Industry and underdevelopment, op. cité, p. 103.
-
331
niveau de développement suffisant pour permettre ce démarrage; enfin
le fait que le rôle préalable et spécifique de l'agriculture soit nécessai-
re pour amorcer une croissance équilibrée dans les pays africains
n'est pas un argument suffisant pour nier à terme la mise en place
d'une industrie nécessaire non seulement à la croissance du secteur
agricole mais aussi à celle de l'économie africaine toute entière. Dans
ces conditions et dans le contexte africain, on devrait assigner certains
rôles essentiels à l'agriculture et à l'industrie. en tenant compte des
étapes menant à leur pleine interdépendance:
a) La transition des économies africaines vers une crois-
sance autonome et équilibrée n'est possible que si l'on commence par
résoudre certains des problèmes urgents auxquels ces économies font
face depuis leur accession à l'indépendance. Or, ces problèmes ur-
gents nous paraissent les suivants: procurer aux populations sans
cesse croissantes des denrées alimentaires par l'augmentation de la
productivité agricole, arrêter l'exode rural par une réorganisation
prioritaire du développement rural, trouver des matières premières
et un surplus économique dont le secteur agricole est partiellement
fournisseur. Par conséquent tous les problèmes ainsi énumérés ne
peuvent avoir, à court ou moyen terme, leur juste solution que grâce
à l'autodéveloppement agricole sans lequel il n'y a ni surplus agricole
important, ni démarrage véritable de l'économie dans son ensemble.
bl On est, d'autant plus porté à croire à la nécessité prio-
ritaire de cet autodéveloppement agricole dans la mesure où il peut,
mieux qu'une industrialisation précipitée, incohérente et en tous les
cas coûteuse en capital, réduire la dépendance des Etats africains de
"l'aide" exté rieu re.
-
332
D'un autre côté, l'autodéveloppement agricole bénéficierait
de façon indiscutable d'un grand potentiel disponible: terres arables
relativement abondantes, sous -emploi et chômage importants dans les
zones rurales, possibilités d'amélioration des moyens de production
matériels et humains existants, bref, l'utilisation efficace de l'ensemble
de ce potentiel disponible, parallèlement à une mobilisation effective
des paysans permettrait d'accroître de façon substant ielle la productivi-
té de l'agriculture (surtout vivrière) afin de dégager un surplus nécessai-
re à l'industrialisation.
cl C'est qu'en effet, l'autodéveloppement agricole n'est pas
opposé à l'industrialisation. Il en est une étape indispensable puisque
dans toutes sociétés, en l'occurence dans les sociétés africaines au ni-
veau de développement bas, l'élasticité de la demande est élevée aussi
bien pour les denrées alimentaires que pour les produits manufacturés
de première nécessité. C'est parce que l'offre est relativement plus fa-
cile à accroître dans l'agriculture africaine que dans l'industrie que
IVautodéveloppement apparaît comme une étape indispensable à l'interdé-
pendance des deux secteurs.
Néanmoins, une économie qui se développe connaît nécessai-
rement la division du travail et la multiplication des secteurs (ag rfc ol.e ,
industriel et commercial) pour pouvoir faire face à la diversification de
la demande. Donc, nos économies, dans leur tentative de prom8,uvoir,
isolément ou par regroupement, une croissance autonome ne peuvent at-
1
teindre cet objectif qu'en fournissant aux populations les produits manu-
facturés dont elles ont besoin. Ce n'est que dans ces conditions qu'elles
soutiendront une stratégie de développement autocentré. Mais puisque
pour des raisons d'économie d'échelle l'implantation de toutes les unités
industrielles (machines - outils, industries de base et de biens de con-
sommation) n'est pas possible dans chaque Etat africain, il faut envisager
deux étapes d'industrialisation: d'abord, on peut admettre qu'au cours de
-
333
-
la période de passage du développement extraverti au développement
autocentré, l'autodéveloppement agricole se fasse en liaison étroite
avec des industries de transformation pouvant produire les biens de
consommation de masse (textiles, chaussures, logements à bon mar-
ché etc). Cette première forme d'interdépendance parai't relativement
à la portée de la plupart des Etats africains. Mais il faut cependant
insister à la fois sur la nécessité et les insuffisances d'un développe-
ment autocentré dans un seul pays africain, comme ne pouvant être
seulement fondé que sur les relations agriculture-industrie légère. Dès
lors l'implantation des industries de base par coopération, ou mieux,
par regroupement d'Etats, permettrait à ces derniers de réaliser une
véritable libération et intégration de leurs économies, c'est-à-dire un
véritable développement pour l'homme africain.
BI Du développement extraverti au développement autocentré et équili-
,r
bre pour l'homme
101 L'exode rural: Une économie qui se développe, qu'elle
soit autocentrée ou extravertie, rencontre forcement des problèmes
qu'elle peut ou non résoudre de façon heureuse. Ces problèmes étant
d'ordre politique, économique, technologique et socio-culturel, ils
peuvent trouver leurs manifestations globales et concrètes dans l'exode
rural: afflux plus ou moins massifs des populations rurales vers les
régions urbaines, pour trouver des meilleures conditions de salaire et
de travail. Mais dans les pays développés au développement autonome,
aujourd'hui comme historiquement, l'exode rural a été pratiquement
"organisé" en ce sens que l'homme qui "quittait l'agriculture avait les
chances de trouver un certain emploi dans les entreprises industrielles
et de services des villes. Par contre, dans les pays sous-développés
-
334
-
au développement généralement extraverti, l'homme chassé dans l'agri-
culture malgré la productivité basse de cette dernière, ne trouve que
très rarement un emploi dans les industries à "Capital intensive". En
ce sens, on peut dire que l'exode rural tel qu'il se présente en pays
sous-développés est une sanction méritée du développement extraverti.
a) L'exode rural phénomène socio-économique qui dépeuple
les campagnes et surpleuple les villes est devenu l'un des phénomènes
les plus préoccupants des économies africaines.
Le tableau VII de l'annexe montre que de 1960 à 1970, la
population de l'ensemble de neuf pays d'Afrique de l'Ouest francophone
.!I est passée de 26,1 à 32,5 millions d'habitants, avec un taux de crois-
sance annuel moyen de 2, 3 %, tandis que la population totale urbaine
?J de ces mêmes pays passait dans la même période de 2,34 à 4, 19
millions d'habitants, soit un taux de croissance annuel moyen de 6 %.
Cependant ce taux d'urbanisation évolua différemment suivant le pays
africain- au cours de cette première décennie d'indépendance, passant
d'un minimum de 4 % au Mali où le secteur agricole est encore domi-
nant à un maximum de 8 % en Côte d'Ivoire, pays qui non seulement
voit un recul sensible et relatif de l'agriculture, mais connaît aussi
une intense immigration de populations venant des pays voisins (Haute-
Volta, Mali République de Guinée et Ghana). Par. contre, comme
l'indique le même tableau VII de l'annexe, le Sénégal est le pays qui
a le taux de population urbaine le plus élevé (32 %) contre 19, 5 % en
Côte d'Ivoire,
17 % au Togo et seulement 4, 1 % au Niger. Par consé-
quent, l'exode rural est un phénomène socio-économique non seulement
.!I Ces neuf pays sont: le Sénégal, le Mali, la Mauritanie, la République
de Guinée, la Côte d'Ivoire, la Haute-Volta, le Niger, le Dahomey et
le Togo.
?J Des villes de cinq et plus de cinq mille âmes.
-
335
-
national et régional, mais aussi continental et même planétaire.!J. On
a pu écrire tout récemment qu'à travers l'exode rural, "le chômage et
la pauvreté généralisés constituent deux aspects du même phénomène
le s ou s cdéveloppernent!' ~/. En fait, pour savoir si l'exode rural qui
se manifeste dans le Tiers-Monde est de la même nature que celui des
pays développés, il faudrait en déterminer les causes essentielles. Or,
le phénomène oppose la campagne agricole d'où partent les populations,
aux villes, supposées :industrielles, dans l'espoir d'y trouver des em-
plois relativement bien rémunérés.
b) Les relations conflictuelles entre villes et campagnes
d'Afrique: comme dans les sociétés sous-développées au développement
généralement extraverti, les sociétés des Etats indépendants d'Afrique
tropicale ont une agricülture de subsistance défavorisée d'une part vis
à vis du secteur d'exportation (agricole et minier), et d'autre part vis
à vis des secteurs industriel et de services qui bénéficient d'un p r i.vi.Iè «
ge indéniable dans la répartition sectorielle des facteurs de production
rares tels que le capital, la main-d'oeuvre qualifiée et les innovations
technologiques. Le secteur agricole, même disposant généralement en
Afrique d'une abondance relative de terres arables, connan une faible
productivité par homme et par hectare parce qu'il souffre de sous-équi-
pement, d'une mauvaise organisation et d'une infrastructure socio-cul-
turelle insuffisante. Le sous-emploi et le chômage (réel ou déguisé).
sont inhérents à ces inégalités existant entre les campagnes et les villes .
.!J Le tableau VIII de l'annexe en donne une idée précise aussi bien pour
chacune des cinq régions géographiques d'Afrique ainsi que pour le
continent tout entier. Quant aux mouvements migratoires internationaux,
on peut citer entre autres l'afflux des travailleurs espagnols et portu-
gais vers les pays de la communauté Economique Européenne ainsi que
ceux des travailleurs africains vers ces mêmes pays.
?:.! Barend A. de Vries, Chômage et pauvreté. Comment y remédier? in
Finance et Développement, publication trimestrielle du Fonds Monétaire
International, n° l, 1972, p. 13.
-
336
-
Donc, les paysans des campagnes doivent faire face non seulement à des
conditions de production très difficiles, mais ils sont aussi privés d'une
infrastructure adéquate de services éconorrrique s administratifs, sanitai-
res et socio-culturels qui sont pour la plupart concentrés dans les villes.
Le coût de ces services, déjà élevé dans les villes, l'est davantage dans
nos campagnes aux prix agricoles bas.!J. Par conséquent, l'existence
d'une détérioration des termes de l'échange interne de nos pays permet,
dit-on, à la ville d'exploiter" la campagne. L'écart entre les bas prix des
prcbdûits .agricoles que les paysans vendent à la ville et les prix élevés
des produits manufacturés qu'ils y achètent ne cesse de s'aggraver à cau-
se des prélèvements effectués par les intermédiaires d'une part et l'Etat
d'autre part. Il s'ensuit qu'en réalité, dans les pays africains, c'est l'agri-
culture qui supporte essentiellement la ville ainsi que l'ensemble de l'éco-
nomie. De là à conclure cependant et sans réserves qu'en pays sous-déve-
loppés, en l'occurence en Afrique, la ville "exp.loi.te!' la campagne nous
semble une affirmation par trop catégorique. Car le statut social des hom-
mes n'est uniforme ni à la campagne où il peut exister une certaine "kou-
lakisation", ni à la ville ou les inégalités sont encore plus flagrantes. Par
exemple, il ne serait pas exact d'admettre que l'ouvrier de nos villes
"exploite" le paysan de nos campagnes: d'abord parce que depuis les indé-
pendances des années 60, les salaires de la main-d'oeuvre africaine non:
spécialisée des entreprises existant dans nos Etats sont restés à un niveau
bas c'est-à-dire de l'ordre de 15 à 20 000 F. CFA en moyenne par mois.
Ensuite, ces salaires sont restés bloqués pour la plupart du temps. S'il y
li Voir à ce sujet:
- Maurice Zinkin : "Pitié pour les paysans", in Re vue "Afz-ic a ",
Dakar n° 5, Mars-Avril 1972, pp. 13 et suivantes.
- René Dumont, Paysanneries aux abois. Ceylan, Tunisie, Sénégal,
Paris, Edit. du Seuil, 1972.
-
337
a eu dans les deux dernières années des "réajustements" dans certains
pays du continent. ils n'ont pas permis aux ouvriers de faire face à la
montée générale des prix urbains. Enfin, et c'est peut-être là 1 e plus
important, les prix des denrées agricoles, pour des raisons multiples
(écologie. pénurie, prélèvements abusifs etc) peuvent accuser des re-
montées spectaculaires dans les zones urbaines .!J. L'ouvrier et le pay-
san sont donc ici exploités par les privilégiés de la ville à travers les
mécanismes de prix et autres mécanismes qui prennent leurs racines
dans les structures extraverties des économies africaines 1:/. Dès lors.
proposer des solutions à l'exode rural, fondées seulement sur une res-
tructuration pos sible des politiques économiques et budétaires 11 sans
envisager des réformes de structures menant à un développement auto-
nome de nos Etats, c'est courir le risque de voir s'aggraver les problè-
mes socio-économiques que l'on espérait résoudre.
Pour nous, seule une politique de développement équilibré
et de bien être économique et social peut effectivement libérer les afri-
cains de la misère déprimante qu'ils ont connue tout le long des siècles
passés .
.!J Voir l'exemple récent du Dahomey dans la Revue "Jeune Afrique".
n° 587, 8, Avril 1972, pp. 40 - 4l.
?:J René Dumont écrit à ce propos: "Des minorités privilégiées urbai-
nes de couleur ont pris une partie de la place des colonisateurs
blancs, leurs prélèvements abusifs, leur peu de souci de l'intérêt
général, leur alliance enfin avec le néo-colonialisme en fait, dans,
leur majorité, une classe parasitaire, qui méritera donc de s aute r l'
Souligné par l'auteur, in "Paysanneries aux Abois" op. déjà cité,
p. 229.
11 Voir l'éventail de ces solutions chez Barend A. De Vriès, Chômage
et pauvreté, op. déjà cité. Voir aussi Carl Eichen et autres. La
création d'emplois dans l'agriculture africaine, op. déjà cité, pp.
21 - 43.
-
338
-
2 0 /
Synthèse Générale en vue d'une politique de développement éguilibré
pour l'homme.
Partant d'une analyse synthétique de l'ensemble de l'étude
que nous venons de faire, il s'agira ici de présenter quelques principes
de base, susceptibles d'aider à la réformulation d'une nouvelle politique
dont nous croyons à la nécessité et à la possibilité d'application en AfrL«
que.
a) L'objectif suprême d'une politique d'indépendance écono-
mique est l'utilisation" efficace de toutes les ressources matérielles, hu-
maines et socio-culturelles de notre continent pour élever le plus rapide-
ment possible le niveau de vie (au sens large) de l'ensemble des popula-
tions. A cet effet il faudrait donner priorité à la satisfaction des besoins
collectifs sur les besoins individuels afin d'obtenir le soutien des popu-
lations dans la perspective du passage d'un développement extraverti à
un développement autocentré, dont l'idéologie serait de préférence so-
cialiste (Voir Supra, 2ème partie). Or, le premier problème, apparem-
ment le plus urgent à résoudre dans les Etats africains est de faire face
à l'exode rural, en procurant des emplois aux populations là où elles se
trouvent, c'est -à-dire aussi bien à la campagne qu'à la ville. Une crois-
sance équilibrée - dans le sens de justes proportions entre l'agriculture
et l'industrie - nous parart donc tout indiquée pour aider les Etats afri-
cains à restructurer leurs économies. Cependant, l'expression "équili-
bré" ne veut pas dire ici "égalité" entre les deux secteurs, puisque tout
en évoluant de façon interdépendant~ au cours du processus de la c rcds -
sance, ils doivent jouer des rôles spécifiques. En d'autres termes,
l'agriculture sera prise comme "base de l'économie" et l'industrie com-
-
339
me Son "facteur dirigeant" 1/.
b) Il faut prendre l'agriculture comme "base de l'économie"
et l'industrie comme "le facteur dirigeant".
Si l'on tient compte, comme il se doit, du contexte spécifi-
que de l'Afrique, une telle politique aiderait sans doute à la restructura-
tion de rio s économies, restructuration qui, après les tâtonnements de
la première décennie d'indépendance, s'impose de toute évidence.
b. 1. Prendre l'agriculture comme base de l'économie, ce serait
- en premier lieu, organiser la croissance afin d'éviter les
graves disparités des taux de croissance sectorielle, donc
des disparités régionales et de revenus, au profit des pro-
ducteurs agricoles qui constituent la majorité de la popula-
tion.
- en second lieu, de procéder à une répal'tition optimum des
facteurs de production entre les secteurs. et plus particu-
lièrement entre le secteur industriel d'une part et le sec-
teur agricole de l'autre. Dans les conditions actuelles de
l'Afrique, cela signifie l'accroissement substantiel de la
li "A l'époque de ses graves pénuries de denrées alimentaires (1959,
1962), la Chine avait finalement déclaré et maintient encore aujou r-
.d'hui que l'agriculture était la base de l'économie et l'industrie son
facteur dirigeant •.. Le principe semble généralement applicable en
Afrique" par René Dumont, cf: "African Agricultural Development
(Reflexions orrfhe Barriers to Pz-og r e s s!'}, in Economie Commission
for Africa, FAO - United Nations, New-York.
1966, p. 17.
-
340
-
part du secteur rural dans la répartition des ressources rares (capitaux,
cadres, recherches en développement ect ••• )
- en troisième lieu, faire en sorte que l'agriculture devienne
le foyer principal d'où partiront les incitations aux autres
secteurs de l'économie. En particulier, adapter liédifica~
tion de l'industrie (lourde ou légère) aux possibilités de
l'agriculture qui, prioritairement, doit pouvoir augmenter
sa productivité afin 1 0 ) de fournir à l'économie les denrées
alimentaires et les matières premières dont elle a besoin
2 0 ) de recevoir des inputs tels que les engrais, les pesti-
cides, des tracteurs qui lui manquent, comme l'indique le
tableau XI de l'annexe; à défaut de quoi, l'agriculture de
subsistance garderait son caractère a r chalque avec des zo-
nes capitalistes extrêmement mécanisées d'une part, qui
ont réussi dans les périmètres d'irrigation du Mwea-Tebere
au Kenya de 2 000 ha de riz et le plan d'irrigation de la Gesi-
ra au Soudan, et d'autre part qui ont abouti à un échec relatif,
pour la mécanisation des 5 500 ha de rizière à Richard-Toll
au Sénégal.!J. Quant à l'expérience de l'Office du Niger au
Mali, elle a été aussi un échec malgré ses 50 000 hectares de
terres actuellement irriguées pour les cultures de riz et de
canne à sucre 1:.J.
.!J
Pour plus de détails sur ces expe r rence s , voir De Wïlde, C. John,
Expérience de Développement en Afrique Tropicale, Paris: Maison-
neuve et La ro s e , T. XI,
1967, pp. 150 et suivantes.
?:/ Nous reviendrons plus tard dans un document séparé sur cette expé-
rience de l'Office du Niger qui pourrait être rentabilisé par une co-
opération des Etats d'Af rique de l'Ouest pour faire face ne serait-ce
qu'en partie à leurs pénuries de riz.
-
341
Même si elle comporte des difficultés nombreuses, une tel-
le politique de développement rural est économiquement et socialement
nécessaire en Afrique parce que, aux premiers stades de son applica-
tion, l'agriculture peut jouer un rôle pr~pondérant dans l'accroissement
du pouvoir d'achat des ruraux ainsi que dans l'absorption du sous-emploi
qui sévit dans les campagnes africaines. Cette politique est possible par-
ce qusune fois certaines contions politiques et économiques remplies on
trouvera non seulement un potentiel économique énorme (terres, main-
d'oeuvre), mais aussi une demande potentielle importante de denrées
agricoles grâce à une sous-alimentation r el.ative à l'accroissement dé-
mographique, à l'urbanisation et à L'dnduat r'ia.Hs anîon.
Une telle politique, fondée sur l'élimination progressive des
intermédiaires, des usuriers, sur la juste fixation des prix, permet-
trait de dégager un surplus agricole appréciable que l'on pourrait utili-
ser non seulement pour améliorer les conditions de vie et de travail
des ruraux, mais aussi pour aider l'industrie à prendre la relève de
l'agriculture, à un moment opportun et inéluctable du processus du déve-
Ioppernent ,
b.2. L'industrie comme "le facteur dirigeant"
Au fur et à mesure que le processus de développement se
poursuit, l'industrie joue un rôle de plus en plus important. Il y a plu-
sieurs explications à cela. :
- en premier lieu, l'agriculture se développant grâce à des
meilleures méthodes d'organisation et à l'industrialisation
au progrès technique, il se produit un transfert de facteurs
de production (terre, travail et capital) vers d'autres sec-
teurs (industrie, commerce et service). Néanmoins, l'in-
dustrie est la première bénéficiaire de ces transferts. Si-
multanément, les revenus agricoles croissent à cause de
-
342
l'augm:entation de la productivité agricole d'une part et de la diminution
du nombre des agriculteurs d'autre part.
- en second lieu. à un stade plus avancé du processus de la
croissance. l'élasticité de la demande des produits agri-
coles par rapport aux revenus diminue 1/ tandis que celle
de la demande des produits industrialisés croit. Il serait
donc possible aux Etats africains, même isolément, d'im-
planter certaines industries légères ou de convertir celles
déjà existantes. pour satisfaire les besoins des populations.
C'est la première forme d'industrialisation à la portée des
Etats africains et ceci dans une stratégie de développement
autocentré. Dans ces conditions seulement. l'industrie lé-
gère, tout en n'éliminant pas l'artisannat local. peut contri-
buer au développement du secteur agricole en fournissant
à ce dernier certains inputs (tuyaux. produits en matière
plastique, etc). Mais dans un processus de développement
autocentré, l'industrie légère n'est qu'une étape. Elle ne
mène pas à "l'autonomie de croissance", donc à l'indépen-
danc e économique qui est l'objectif suprême recherché.
en troixème lieu. "l'autonomie de croissance consiste à
avoir des processus de production intégrés, c'est-à-dire à
avoir sur le même territoire les différents stades de produc-
tion d'un produit" 2/. Dès lors, l'autonomie de croissance
.!I Parce que "la capacité de l'estomac est limitée".
?J E. Yonnes et G. Berrebi : Les places respectives de la Réforme Agrai-
re et de l'industrialisation dans la stratégie du développement économi-
que, Agriculture Land Reforms and Economic Deve Ioprne nt; Polish
Scientific Publ.i she r s , Studies on Developing Countries, Vol. 2. Varsovie
1964, p. 135., admettent que le modèle du Professeur de Bernis est ap-
plicable en Afrique.
343
-
suppose trois sections d'industries nécessairement liées les
unes aux autres et s'insérant dans lIéconomie d'un pays ou
d'un groupe de pays.
La section 1 est celle où des machines-outils fabriquent d'autres machi-
nes -outils nécessaires à l'implantation de la section II.
La section II est celle où des rnachfne s -outils fabriquent des machines
qui seront envoyées dans la section III pour y fabriquer des biens de con-
sommation.
La section III est donc l'industrie des biens de consommation finale. Or
cette section est essentiellement la seule qui existe à des degrés diffé-
rents dans les Etats indépendants d'Afrique Tropicale. Elle est du reste
pratiquement c ont.rôl.êe au moins à 80 % par des sociétés étrangères qui
en assurent l'encadrement, le financement et qui peuvent rapatrier en
Métropole leurs bénéfices jusqu'à 90 % grâce aux stipulations des diffé-
rents codes d'investissement ij. Une autre conséquence du contrôle des
fi
industries de la section III par l'étranger est leur caractère "capital-
intensive" qui les rend incapables d'offrir suffisamment d'emplois aux
chômeurs des villes africaines ~/. Donc, telles qu'elles sont, ces indus-
tries de la section III ne joueront de rôle d'entraînement dans la croissan-
ce des Etats africains que si elles passaient sous leur contrôle et quoi-
qu'il en soit, la section III n'apporte pas l'autonomie de croissance à une
économie.
!I Le tableau XII de l'annexe montre que le pourcentage moyen annuel des
apports extérieurs dans les investissements réalisés pendant la décen-
nie écoulée a été de 60 % en Guinée, 76 % en Côte d'Ivoire, 81 % au
Sénégal, etc.
?J Cette question a été traitée de façon remarquable par Giovanni Arrighi,
Corporations internationales, Aristocraties ouvrières et développement
économique en Afrique tropicale, Dakar, IDEP/Reproduction/Z63, 1971.
-
344
-
En quatrième lieu, l'autonomie de croissance pour les pays sous-
développés en général et pour les pays africains en pa rttculte r, im-
plique l'implantation des industries de la section I~ les sections II
et III en étant respectivement dérivées. Or, les sections I et II ne
paraissent accessibles aux Etats africains qu là trois conditions au
moins: choisir une politique de développement autocentré, coopérer
ou se regrouper en ensembles politico-économiques et enfin proté-
ger ces industries sans pou r.sautant pratiquer une politique d'autarcie.
Les avantages d'une telle industrialisation seront nombreux
pour les Etats africains qui pourront ainsi utiliser et revaloriser une
grande partie de leurs matières premières agricoles et minières. Ils
pourront choisir la technologie adaptable au contexte africain grâce à
la "Recherche en Développement". Comme l'agriculture, le secteur
industriel pourra contribuer à la résorption du chômage et au dégagement
du surplus économique pour l'accumulation du caPital.j~
De telles perspectives ne sont envisageables que si les grands
problèmes agricoles et industriels trouvent des solutions adéquates et
ceci dans une perspective de libération sociale et culturelle des africains.
Par conaëquent, dans la 3ème et dernière partie de notre étude, nous fe-
rons la synthèse de l'ensemble des problématiques et des solutions dans
une perspective de développement autocentré en
Côte d'Ivoire et en
Afrique Tropicale.
x
x
x
Document Outline
- CS_00941_t1.pdf
- CS_00941_t2