UNIVERSITE DE PARIS - SORBONNE
U.E.R. de PHILOSOPHIE -IM.RIS IV
LA NATURE ET LE STATUT DE LA LOGIQUE
DANS LA THEORIE DE LA CONNAISSANCE
CHEZ V.O. QUINE
Essai d'une thématique de la pensée hoJiste de QUINE
Thèse pour le Doctorat de 3è cycle
de
"Logique, épistémologie et histoire des sciences"
Présentée par
GBOCHO Akissi
Sous la direction de Monsieur le Professeur Maurice BOUDOT

A Monsieur Maurice BaUDOT
Professeur de Logique à Paris IV.
A ma Mère,
Courbée dans sa plantation quelque part en Côte
d'Ivoire et ayant pour compagnons les oiseaux et
les écureuils.
JE DEDIE CETTE THESE • '

-
l
-
AVANT-PROPOS
Parler aujourd'hui du statut de la logique comme
étant une discipline dont les lois sont révisables, n'est plus
une gageure.
Il y a aujourd'hui une explosion 'démographique
Il
des systèmes ~e logique, les uns trouvant la logique classi-
que incomplète, les autres la considérant comme inadéquate â
rendre compte de la démarche scientifique Pot de la théorie de
la connaissance en général :
logiques déviationnistes et lo-
giques modales se proposent de remédier aux insuffisances de
la logique classique ou logique de la quantification.
Alors que les conventionalistes considèrent la logi-
que.-Classique ou non classique- comme un outil pour rendre
compte de la connaissance/Quine la tient pour un appareil
physique pour détecter ce qui est et non plus ce qui doit être.
La logique n'est pas ce promontoire duquel le phi-
losophe jette un regard impartial et objectif sur l'ensemble
de la connaissance scientifique. La logique est tellement
accrochée au langage, â nos croyances que nous ne pouvons lui
donner un domaine autonome. La philosophie de Quine repose
sur l'idée qu'il faut saisir la science sans lui substituer
une forme hypostasiée fondée sur des considérations intension-
nell~ou essentialistes.
C'est ce que notre sujet cherche â établir. Préten-
dre proposer la philosophie de Quine est une gageure d'autant
que on ne trouve pas -du moins nous n'avions pas trouvé- une
thématique de la pensée du Professeur de Harvard. On trouve
par-ci, par-là des commentaires sur tel point, des prises de
positions sur tel autre. Les publications de Quine ont été
traduites en Allemand, en Espagnol, en Italien, en Japonais
peu en Français; bref dans toutes ces langues où la pensée est
à l'affOt d'apports nouveaux, de conceptions nouvelles.
Nous voulons joindre aux très rares contributions
de langue française à la compréhension de la pensée de Quine,
notre modeste apport.
Il s'agit d'essayer la force et la portée
actuelles de la philosophie de Quine, en la confrontant avec

-
2 -
les philosophies directement concernées. Mais nous
reste-
rons le plus IDrê~ possible de la position de Quine. Cette
attitude est certes éclectique; mais elle nous paraIt d'au-
tant plus légitime et féconde qu'elle nous permettra de mieux
dégager les positions de Quine, de mieux définir nos problè-
mes et de mettre en question nos préjugés en philosophie en
présence d'un univers toujours renouveléqui est celui de la
connaissance scientifique.
La méthode choisie est celle d'une approche, si on
veut, h~pothético-déductive. Nous avons posé en prémisse la
thèse de l'indétermination de la traduction et de l'inscru-
tabilité de la référence. C'est de l~ que nous pouvons récu-
ser les propositions, les distinctions opérées en philosophie,
et toutes les thèses que soutient Quine.
Nous espérons ainsi permettre ~ notre travail de
gagner en précision et en clarté.
Le présent travail n'aura pas vu le jour sans l'ai-
de,
les conseils,
les critiques et les suggestions de Monsieur
Maurice BOUDOT qui/depuis octobre 1978,ne cesse de nous faire
bénéficier de sa sagesse philosophique.
Si l'assurance que nous avons pu.donner une orien-
tation ~ notre thèse peut être un crédit ~ nos efforts, nous
sommes heureux de lui offrir le présent travail.
Nous ne saurions passer sous silence notre am~a
GAUDOU Dominique. Elle nous a aidé dans l~ présente tâche en
traduisant certains textes de Quine et en nous apportant l'as-
surance d'une mmitié galvanisante. Nous voudrions remercier
quesques-unes des nombreuses familles françaises qui ont su
nous sortir de l'isolement eh nous faisant oublier que nous
étions un étranger parmi une foule indifférenciée. Que les
familles LaurentHENRI, MAULUN-YOTEAU, OUI et CURNILLON trou-
vent ici le témoignage de notre gratitude.
Nous voudrions remercier les amis et les fr8res
~ iv.oi,riens au contact desquels les hivers ont été moins rudes et la
vie moins pénible. En particulier Jean BIEMI, Emile KOUA KONIN
et son épouse, M. et Mme GNANKÔ,
SOULEYMANE BAJ AYOJ:([) et son
épouse, ADOPO François, Pierrette ATTOUO, FOFANASoulymane

3
et son épouse, M. et Mme KOUDOU, ADOU et AMOIKON Kakou, KOFFI
Pau Marie et son épouse, Alain DOUMOUYA, YAPOBI, KOBENAN et
leurs épouses, AKA Joseph et son épouse~la famille IRIEBIBO,
M. et Mme BDMOND, les journalistes ivoiriens à Bordeaux,Serge AîUSSI
M. et Mme KOUAKOU, ~~ KaITI
, DOHO Robert
GODO et leurs
épouses, David Milton,GBAKA Alfred, Suzon Désiré, ZORO, Alphonse/
Bénié Marcel, Lorougnon, Mathurin et son épouse, DAZELORT,
NiarnkeY/YAPO, N'CHO Désiré, ASSEMIEN et GUY~.P.) LOUKOU, POUSSI
et son épouse et tous ceux.et ils sont nombreux- que nous nous
en voulons de ne pouvoir citer. Qu'ils soient assurés de notre
amitié.
Nous voudrions remercier MM ASSALE AKA et DI BI Augus-
tin, assistants en philosophie de l'uûiversité d'Abidjan.
Ils
nous ont encouragé dans la rédaction de cette thèse.
Que le ministère de l'Education nationale de Côte
d'Ivoire et le service des étudiants ivoiriens en France notam-
ment M. GUILLOU trouvent ici le témoignage de leurs efforts
sans cesse renouvelés pour nous permettre de mener à bien
cette entreprise.
Merci également au CROUS de Bordeaux,
spécialement
à son directeur, M. PAPON et au personnel chargé des intérêts
des étudiants ivoiriens à Bordeaux, notamment Bernadette
JAUREGUIDBERY, à
Monsieur GRACIANNETTE de la bibliothèque de
l'UER de Philosophie de Bordeaux.

4
INTRODUCTION
)
JI'
! i
La logique
de l'invocation au refus
Je reste sceptique sur la valeur
des distinctions que l'on peut éta-
blir èntre les caractères essentiels
et les caractères accidentels, com-
me je demeure sceptique en ce qui
concerne la valeur des définitions.
Cela tient peut-être à ma profes-
sion: lorsque l'on s'occupe trop
longtemps de logique, on finit par
contracter une sorte d'allergie à
l'égard de clichés, mettons sur-
exposés, tel celui du sens d'une
définition.
QUINE "le mythe de la signifi-
cation" p. 379.
Dans l'histoire de la pensée humaine, i l Yaeu des
disciplines qui ont bénéficié -implicitement ou exp1icitemen~­
d'une autorité si grande que l'examen ou le réexamen de leur
statut ne semble effleurer même les consciences les plus cri-
tiques. La logique partage ce rare priviiliège.
Conçue par Leibniz comme une mathématique universe11e~
son but est d'assurer l'infaillibilité du raisonnement. Le
moyen d'y parvenir est de réduire le raisonnement à la forme.
La logique devait parler de la réalité mais être in-
dépendante des traits du langage, plus précisément du psycho-
logisme et de l'intuitionnisme. C'est à cette fi.n que Frege
estima l'é1éboration d'une idéographie. Il entreprit de cons-
truire le nombre sur des bases logiques. Mais la théorie des
ensembles se heurta à des paradoxes et Russell dut élaborer la
théorie des types.
Au départ
de ce que Carnap appelle la; mouve1le logi-
que,était
le problème des fondements logiques de l'arith-
métique. Carnap l'illustre dans son opuscule
'L'ancienne et la
nouvelle logique."

5
"Ces recherches des fondements logiques de l'arithmé-
tique, poursuivant l'analyse logique du nombre, exigeaient
impérieusement un système logique capable de fonctionner avec
vigueur dans un champ étendu. D'Où les efforts tout particu-
liêrement orientés vers le développement de la log~que nou-
velle i à l'avant garde, on trouve les noms de Peano, Frege,
Whitehead, Russell . . . Ils s'imposêrent avec encore plus de
nécessité, lorsqu'on s'aperçut de certains paradoxes
(antino-
mies) dans le domaine mathématique d'abord, mais qui, bientôt/
se montrêrent comme étant plus généralement de nature logique.
Seule donc, une rénovation fondamentale de la constitution de
la logique pouvait réduire ces paradoxe."
(1)
La solution à ces paradoxes, c'est la théorie russel-
lienne des types. Celle-ci consiste en la hiérar~hisation des'
concepts tels que les concepts -propriétés, relations, etc ... -
se partagent en type. En ce qui concerne les propriétés, (lon
distingue les
'individus' c'est-à-dire les ob;ets sans pro-
priétés. Ils ont le degré zéro i
les propriétés des individus
ont le degré premier i
les propriétés des propriétés ont le
deuxiême degré, etc ... Par exemple, les corps sont les indi-
vidus. Alors "triangulaire",
"rouge" sont des propriétés du
premier degré. Au contraire,
"propriété spatiale",
"couleur"
sont des propriétés du deuxième type.
La théorie des types dit donc ceci
une propriété
du premier degré
peut appartenir
(ou non)
â des, individus;
elle ne peut en aucun cas être attribuée à des propriétés du
premier degré ou d'un degré supérieur. De la même façon une
J
proppiété du second degré appartient (ou non)'à des proprié-
tés du prender degré et non â des individus ou â des proprié-
tés du deuxième degré ou d'un degré supérieur.
Carnap s'inspirera de la thé~rie des types pour
rejeter la métaphysique. Si, dit Carnap, a et b sont des corps~
les propositions "a est triangulaire",
lOb est rouge" sont
vraies ou fausses, en tout cas pourvues de sens i
la proposition
(1)
CARNAP, L'ancienne et la: nouvelle
logique, p.
12.

6
'triangulaire estune propriété spatiale" et "rouge est une
couleur" sont vraies. Au contraire, les alignements verbaux
"a est une propriété spatiale",
"triangulaire est rouge"
ne
sont ni vrais ni faux. Ce ne sont pas des propositions mais
plutôt des pseudo propositions. Les énoncés dela métaphysique
ont les formes de ce genre.
'.'
En effet, Carnap fait remarquer que la logique nou-
velle et les moyens de l'analyse logique ont fourni un résul-
tat positif et un résultat négatif aux recherches des condi-
tions de scientificité.
"Le résultat positif, écrit Carnap,
est acquis dans l'ordre de la science expérimentale: expli-
cation claire des concepts utilisés dans tous ses domaines,
position solidement établ~de leurs rapports, tant du point
de vue de la logique formelle que de la théorie de la connais-
sance. C'est sur le terrain de la métaphysique que l'analyse
a conduit à un résulbat négatif
ses prétendues propositions
sont complètement dépourvues de sens"
(2)
au sens où elles
violent la théorie des types:
les expressions comme "l'être
en soi",
"l'être en tant qu'être" en témoignent.
Une autre idée qu'emprunte Carnap pour évacuer la
métaphysique estla méthode de réduction des mathématiques à
la logique. Russell avait montré que tout concept mathémati-
que peut se déduire des notions fondamentales de la logique
(l'identité par exemple)
et que tout théorême mathématique peut
se déduire de ceux de la logique.
"PUisque tout concept mathématique, écrit Carnap,
s'obtient à partir des concepts logiques fondamentaux,
toute
proposition mathématique peut être traduite en un énoncé qui
porte sur des concepts purement logiques; et cette traduction
peut alors, sous certaines conditions, se déduire des proposi-
tions logiques fondamentales.
Prenons, comme exemple,
le théo-
rême arithmétique "1 + 1 = 2". La tl1raduction en énoncé pure-
ment logique s'exprime ainsi:
"si un concept f a le nombre
1 et un concept g le nombre l,
si f et g s'excluent réciproque-
ment, si le concept h est la réunion
( •.. ) de f et de g, alors
h a le nombre 2."
( 3)
(2) CARNAP, "La logique et la métaphysique devant l'analyse
logique du langage", p. 9.
( 3)
CARNAP,
"L'ancienne et la nouvelle logique", p. 26.

7
Cette réduction des mathématiques à la logique,
Carnap pense pouvoir l'appliquer à la théorie de la connais-
sance en général.
C'est l'entreprise d'une telle théorie des construc-
tions qu'entreprend Carnap dans son AufbaU dont la traduction
anglaise est Logical structure of the world
(L.S.W.). Dans
la préface on y l i t "le problème essentiel concerne la pos-
sibilité rationnelle de tous les domaines de la connaissance
sur la base des concepts qui se réfèrent au donné immédiat."{4}
Les connexiol\\s
logiques ne permettent pas seulement
la réduction des mathématiques à la logique mais la validation
du caractère
tau~ologique de vérité de celle-ci dans sa forme
propre. Au moyen des connexions logiques et avec deux propo-
sitions p et q par exemple, on peut former d'autres proposi-
tions :
"non-p",
"pou q",
"p et q", etc . . .
La vérité de ces propositions composées ne dépend
manifestement pas du sens des propositions p et q, mais seule-
ment de leur valeur sous le rapport de la vérité, c'est-à-dire
de ce qu'elles sont vraies oufausses. Une formulation de ce
genre qui se trouve nécessairement vraie s'appelle une propo-
sition analytique.
Carnap en se confortant dans sa théorie des construc-
tions logiques/écrira dans Logical syntax of Language
(L.S.L)
que la logique de la science prend la place de l'inextricable
fouillis de problèmes connu sous le nom de philosophie."
(5)
Dans cette optique/le positivisme CQru:9i_i:...
la logi-
que et les mathématiques comme des sciences dont les vérités
sont analytiques. Les énoncés synthétiques seront ceux des
sciences empiriques.
Quine va s'opposer à ces positions tranchées entre
les énoncés analytiques,
liés aux propositions et les énoncés
synthétiques.
(4)
CARNAP, L.S.W., préface, p.
{5} CARNAP, L.S.L., p.
279,
Partie V.

8
Pour lui,
la logique est la théorie de la déduction/
c'est-à-dire la systématisation forD~lle de certains aspects
de l'utilisation du langage ordinaire et de la pratique de la
raison.(6)
Uoin de fonder la science,
la logique devient une
partie des disciplines qui cherchent à répondre à la question
"Qu'est-ce qui existe ?" Incrustée dans la traduction ou dans
la référence, elle n'a plus de ncmaine propre d'où elle insuf-
flerait sa propre rationalité à toute entreprise. Elle fait
corps avec la science ; elle commence avec elle et finit avec
elle.
Quine montre que la logique a des liens très étroits
avec la démarche scientifique et qu'on ne peut l'isoler des
préoccupations sur la connaissance empirique. Les positions
de Quine viennent de sa vision du monde.
Pour lui en effet, i l y a fondamentalement une
seule catégorie d'entités dans le monde. Cette catégorie est
celle étudiée par tous ceux qui étudient les sciences naturel-
les: celle des objets physiques. Il y a en outre, une seule
catégorie de la connaissance dans le monde. C'est la catégo-
rie que ceux qui étudient les sciences naturelle possèdent
la simplification des théories.
Il convient de montrer que la
logique, c'est-à-dire la logique des prédicats, s'occupe
également de ces deux catégories. C'est pourquoi Quine propose
de considérer notre parler concernant les phénomènes physiques
comme étant un phénomène physique.
Dès lors il va s'attaquer aux distinctions tradition-
nelles opérées en philosophie. Une véritable dissidence ou
mieux une iconoclastie va fairejour dans la pensée de Quine.
Celle-ci entre en conflit avec les positions d'alors de nom-
breux philosophes qui disent qu'il existe des attitudes menta-
les, des pensées, des idées, des concepts, des intentions,
bref des significations.
Quine pense que ce qui est:utile dans le langage et
se rapportant à de telles entités peut être capté au moyen
de la psychologie du comportement. Ce behaviorisme est la phy-
sique populaire. Quine alors s'installera dans une sémantique
behavioriste.
(6)
QUINE,
"Ontological Remarks on the Propositional Calculus"
in The Ways of Paradox, p.
57.

9
Mais cette sémantique sera incapable de nous donner ou
de nous fournir une notion de signification qui satisfasse.
Les deux conclusions qu'il tire, à savoir l'indéter-
mination de la traduction et l'inscrutabilité de la référence/
rejettent le mythe du musée selon lequel i l existe des signi-
fications.
Le point central des critiques de Quin~c'est son
argument contre la théorie de la signification en général et
spécialement cantre le concept d'analyticité. A partir du mo-
ment où la notion d'analyticité a été introduite par Kant,
elle a été toujours un moyen d'expliquer la vérité nécessaire
et donc la connaissance a priori. Les énoncés analytiques
ne pouvant être vérifiés/ont été dits vrais en vertu du lan-
gage. Or précisément, Quine rejette la
théorie de la vérité
par convention. Il rejette les revendications qui veulent que
certaines catégories de la connaissance soient fondamentale-
ment plus sûres que d'autres catégories, telles qu'elles sont
acceptées par ceux qui croient au caractère certain des rap-
ports de signification ou de la logique. Cette croyance est
appelée par Quine la doctrine linguistique des vérités logi-
ques. La critique de Quine est de deux sortes.
D'abord, par convention explicite, on ne peut défi-
nir qu'un nombre fini de vérités logiques. Or, i l existe un
nombre infini de vérités logiques. On ne pourra donc les en-
gendrer à partir des conventions que si on ajoute à celles-
ci la logique, taures les vérités noo' définies par convention.
Le conventionnalisme est donc insuffisant pour définir la vé-
rité logique.
La deuxième raison est que la logique fait corps
avec la traduction. Lorsque nous essayons de traduire une lan-
gue étrangère à la nôtre, les croyances des indigènes et les
nôtres sont une affaire d'hypothèses analytiques. Nous ne pou-
vons savoir où s'arrête la traduction de la langue et où com-
mence l'attribution de croyances. Nous ne pouvons séparer les
questionsde signification qui relèvent de la sémantique. des
questions relatives à la réalité empirique. De ce fait,
la
logique est dite "incorporée à la traduction."

10
La logique est donc indissociable de son arrière
plan linguistique. Les catégories de signes à l'~ide desquel-
les la langue symbolique de la logique construit Ses expres-
sions, reflètent les catégories de nos langues. Même à l'in-
to.rieur de nos propres langues ou pour l'interprétation de nos
théories scientifiques, la logique est une traduction. Les
significations des connecteurs Logiques et des quantificateurs
ne sont pas des conventions mais plutôt dictées par la réalité.
Les entités mentales ou intensionnelles ne pouvant
rien nous apprendre sur le cours de la réalité, nous avons
recours à la logique: Pour constituer et mettre sous forme
symbolique une langue ordinaire ou pour détecter les entités
référentielles des
~~()~"f_. C'est ainsi que la logique de-
vient le centre de notre organisation conceptuelle. Elle est
capable de se prononcer sur tout ce qu'il est censé de dire.
En même temps qu'elle répond à la question "Qu'est-ce qui
existe ?" en des termes physiques, elle simplifie les répon-
ses à la question.
Schème
conceptuel
de tou.tes_~_leis;::;1;:1)êories scienti-
.
-
.
-"'
-..........
.~. ~
fiquesun système canonique de notat~Qn log~~~ ne doit pas
/
' .
l
,_
.
\\
,."
être considéré comme une notatio~cb~~~e-PQurjdes discours
)' ..
\\
" " - . ;
traitant de sujets spéciaux mais plù~ôt co~~éune notation
' \\ . . '
/ . ,
partielle pour les discours traita~~dè~6ù~')es sujets.
'<
-,
";:I_;J;~"'-""':;.>
C'est pourquoi Quine écrit que "La recherche d'une notation
canonique universelle qui ait la structure la plus simple et
la plus claire ne doit pas être distinguée d'une recherche
des catégories dernières ou d'un effort de reproduction des
traits les plus généraux de la réalité. Et qu'on ne nous
objecte pas que pareilles construction5sont affaire de conven-
tion et ne sont pas dictées par la réalité. Y a-t-il plus de
raison en effet de le dire ici que dans le cas d'une théorie
physique ? Sans doute,
la nature de la réalité est-elle ainsi
faite qu'une théorie physique nous servira mieux qu'une autre
mais i l en va de même pour les notations canoniques."
(7)
(7) QUINE, Le Mot et la Chose, p. 232.

11
De même que le souci de simplifier la théorie est
un des motifs principaux du recours aux artifices de notatIon
canonique, de même ce souci doit être une des raisons de re-
viser une loi logique si des simplifications essentielles de
notre organisation conceptuelle s'imposent.
Le projet de Quine est IlDins de prouver le caractère 8lIJiriqœ
de la logique que de montrer ses liens intimes avec la physi-
que. Les procédés employés par le logicien sont ceux qu'uti-
lise l'homme de science: observation, construction d'hypothè-
ses. I l n'y a donc pas de différence épistémologique entre la
tâche du logicien et celle de l'homme de science si ce n'est
l'absence d'expérimentation pour le logicien. Quine ne le
cache pas.
"La tâche du philosophe
(ou du logicien)
diffère
alors de celle des autres théoriciens, dans le détail; mais
non d'une manière aussi radicale que le supposent ceux qui ima-
ginent que le philosophe jouit d'un point d'observation privi-
légié situé à l'extérieur du schème conceptuel qu'il prend
à sa charge.
Il n'y a pas de pareil exil hors du cosmos.
Le philosophe ne peut pas étudier et réviser le schème con-
ceptuel fondamental et du sens commun sans posséder quelque
schème conceptuel, que ce soit le même ou un autre,,' qui n'échap-
pe pas davantage à l'obligation d'un examen philosophique.
Il peut examiner et améliorer. le système de l'intérieur, en
faisant appel à la cohérence et à la simplicité; mais c'est
là la méthode du théoricien en général.
Sans doute on
ne peut attendre aucune expérimentation qui puisse trancher
un débat ontologique; mais c'est seulement parce que ces
questions sont connectées avec les irritations de surface par
des voies très multiples, à travers tout un réseau d'hypothèses
théoriques servant d'intermédiaires."
(8)
C'est ce que nous allons montrer dans l'étude qui
va suivre/selon le parcours suivant:
(8)
QUINE, Le Mot et la Chose, p.
378.

12
PARTIE l
L'ICONOCLASTIE DE QUINE
PARTIE II
LOGIQUE ET HOLI8ME
PARTIE III
DESCRIPTION ET ASSOMPTION ONTOLOGIQUE
CONCLUSION
SCEPTICIS~E ET PRAGMATIS~1E CHEZ 'dUINE
La première partie est consacrée aux critiques de
la signification, de la proposition et de la distinction entre
les énoncés analytiques et les énoncés synthétiques. D'abord
Quine commence par rejeter les sianifications ; ce qui le con-
duit à l'indétermination de la traduction.
En effet, dit-il,
"en reconnaissant,
avec Dewey, que "la signification .•. est
fondamentalement une propriété du comportement", nous recon-
naissons qu'il n'y a ni signification, ni similitude, ni dis-
tinction de signification, en dehors de celles implicites
dans les dispositions des sujets au comportement manifeste."
(9)
Car "des termes généraux et des termes singuliers françaiS,
l'identité, la quantification, et tout le sac des trucs onto-
logiques, peuvent être corrélés à des éléments du langage in-
digène de n'importe laquelle de diverses façons incompatibles~
chacune d'elles étant compatible avec toutes les données lin-
guistiques possibles, et nulle n'étant préférable à l'autre
sinon qu'elle est favorisée par une rationalisation de la lan-
gue indigène, simple et naturelle pour nous."
(10) C'est la
thèse de l'indétermination de la traduction.
Ensuite, cette thèse conduira au rejet des proposi-
tions et des entités censées les individuer.
La deuxième partie établit les liens entre la logi-
que et la cOJlnaissance scientifique en général. Elle montre
qu'on doit séparer la logique des mathématiques: celle-là
parle sur les énoncés et
leurs relations ; celles-ci parlent
sur des choses non linguistiques et abstraites : les nombres,
les classes, etc ... Eu 2gard à l'incorporation de la logique,
dans latraduction, la logique même en étant située au centre
de notre organisation conceptuelle n'échappe pas à la révision
car nos énoncés affrontent
le tribunal de l'expérience non indi-
(9)
QUINE, R.O., p.
41-42.
(ID) QUINE, idem, p. 16-17.

13
vidue11ement mais collectivement.
Cette thèse ho1iste sera alors un démenti de la
doctrine des fondements. Celle-ci est en effet ruinée par
.,
l'échec des constructions logiques. Si donc nous pouvons par-
ler sensément de la signification d'une théorie, nous ne pou-
vons le faire que en référence à une théorie d'arrière-plan.
C'est1a thèse de la re1at1vité de l'ontologie/selon laquelle
on ne parle de la vérité d'une théorie que relativement aux
entités postulées.
Ces entités postulées sont le critère d'assomption
ontologique. La troisième partie s'attache à expliciter le
contenu de ce critère qui dit qu'on ne peut parler de façon
absolue de ce qui existe mais de ce qu'une théorie donnée
dit qui est. Il repose sur deux principes, à savoir que seu-
les les variables sont référentielles et qu'une théorie doit
comporter des critères d'individuation. Les propositions ne
satisfont pas à ces deux principes. Les intensions, les con-
textes modaux/même s'ils admettent des variables/ne satisfont
pas au principe d'individuation.
Ils sont dits opaquement
référentiels. C'est pourquoi Quine les rejette.
Pour lui,
le
but de l'enregimentation du langage ordinaire est de réaliser
un langage adéquat pour la science, et pour les buts de la
science les notions modales ne sont pas requises.
Bien qu'on puisse se passer des intensions, des pro-
positions, des modalités, on ne peut ignorer les objets d'at-
titude propositionnelle. Après plusieurs tentatives, Quine
finit pas leur trouver un statut satisfaisant.
La logique, écrit Quine 'comme effbrt en vue de
se faire une idée plus claire des choses, ne doit pas, pour
ce qui est l'essentiel de ses objectifs et de sa: méthode,
être distinguée de la science, mauvaise ou bonne."
(11)
(11)
QUINE, Le Mot et la Chose, p.
28.

PREMIERE PARTIE
L'ICONOCLASTIE DE QUINE

15
CHAPITRE 1
INDETERMINATION DE LA TRADUCTION ET INSCRUTABI-
LITE DE LA REFERENCE
Le langage est un carrefour de problè-
mes.
Sa présence dans le champ cultu-
rel contemporain ne s'expliquerait
probablement pas sans une complexité
native et une multiplicité des plans
qu'on s'efforce rarement d'analyser.
Essentiel à l'homme, on ne saurait le
déterminer par un seul biais : toutes
les sciences humaines peuvent contri-
buer à l'éclairer sans d'ailleurs en
épuiser l'étude.
André JACOB
INTRODUCTION
Bien que la connaissance scientifique résulte de
l'expérience,
l'objet de la science n'est jamais donné.
Une
discipline ne devient scientifique que si elle construit son
objet. Aristote, croyant classer des notions, a établi des
catégories de pensées et de langue qui pendant longtemps, ont
déterminé et déterminent encore (?)
la pensée européenne.
Et
ce qui est vrai de la philosophie l'est aussi de la linguis-
tique : les contenus conceptuels de celle-là ayant influencé
ceux de celle-ci.
En effet, soucieux de fournir une description lin-
guistique scientifique, Saussure
a institué
la linguistique
de la langue. Fonder la science linguistique sur des édifices
stables susceptibles d'expliquer les langues particulières,
dégagée des particularismes et des idiosyncrasies de celles-ci,
était le projet de Saussure.
Cette linguistique synchronique qui a la langue pour
unique et véritable objet, envisagée en elle-même et pour elle-
même sera reprise par Cho~ky qui analyse le phénomène langa-

16
gier en performance et compétence.
Ces positions tiennent le langage pour sui référen-
tiel présupposant un au-delà du langage.
Il s'agit là d'un
mentalisme auquel s'oppose le behaviorisme qui substitue une
sémantique béhavioriste à une sémantique mentaliste ou inten-
sionnelle.
Le langage remplit plusieurs fonctions
: biologique,
sociale, etc . . . et on ne saurait sans erreu~ le réduire à un
seul aspect. C'est pourquoi le behaviorisme établit que le
seul moyen qui puisse nous révéler une information, c'est le
comportement de notre interlocuteur face à des stimuli. Le
caractère non sui référentiel se montre d'autant plus impérieux
que la traduction radicale, c'est-à-dire celle d'une langue
étrangère à la nôtre,est indéterminée.
Bien plus, à l'intérieur de notre propre langue, la
communication ne se fait pas sans heurt,
la référence étant
elle-même inscrutée. Et alors on ne peut, sans réserve,
soute-
nir le schéma de la communication de Jakobson, schéma qui sup-
pose que les locuteurs possèdent le même code.
Dès lors~ le langage n'est pas transparent, la po-
sition ou la sémantique behavioriste de Quine devient plus
justiFiable que la sémantique du musée. Et alors que devient
le rationalisme deChomsky qui refuse la définition quinéenne
du langage ?
SECTION 1
L'indétermination de la traduction.
Introduction :
De toutes les thèses de Quine, celle qu:j:, au regard
des critiques, est laplus controversée est celle de l'indéter-
mination de la traduction. Et pourtant cette thèse plonge ses
racines dans l'histoire des idées et plus précisément en regard
de la linguistique américaine à ses débuts
(1).
(1) André JACOB 100 points de vue sur le langage.
"

17
Peu influencée -
pour ne pas dire du tout - par
Ferdinand de Saussure, que par E.
Sapir, la linguistique amé-
ricaine s'est constituée en un sens behavioriste
; et cela dans
un climat de collaboration avec l'étfunologie, à
l'occasion du
déchiffrage des langues amérindiennes. Quine en tire les conclu-
sions philosophiques.
La véritable sémantique du langage~'doit reposer sur
des faits observables et publiquement assignables, c'est-à-
dire des comportements.
La sémantique behavioriste naquit lorsqu'en 1925)
wat&m, rejetant les conceptions mentalistes de la psychologie
introspective et subjective, en particulier la conscience,
entreprit d'analyser les phènomènes psychologiques en termes
de stimulus et de réponse. Elle fut systématiquement développée
par Skinner dans Verbal beha~ôr en 1957.
Quine, s'inspirant de Skinner et se réclamant de
John Dewe~ entreprend une sémantique behavioriste dont les con-
clusions/notamment l'indétermination de la traduction/ -peuvent
être considérées comme des critiques du behaviorisme. Mais
cela ne justifie pas le retour à
la sémantique du musée, bien
au contraire. Ces conclusions, nous le verrons, révèlent la
crise des fondements.
§ 1 La sémantique behavioriste.
Skinner, critiquant la sémantique, précisément la
psychologie de son temps, remarque que celle-ci "n'a jamais
réussi à dégager les relations significatives qui constituent
le coeur d'une analyse scientifique"
(2)
Cette impuissance ré-
sulte de la prise en considération, dans l'interprétation et
l'explication des comportements, de plusieurs causes "fictives"
telles que les "idées",
les "intentions". Pour lui ces phéno-
mènes à l'origine du comportement verbal sont inobservables.
Rejetant les notions d'idées et d'intentions, i l conteste le
concept linguistique de "si9!1tfication".
rI la bannit du champ
de la psychologie.
(2)
SKINNER Verbal bahavior, p. S

18
Il réduit le langage à un comportement objectivable
hic et nuns:.
"Pour lui,
le danger principal de l'adoption
d'un vocabulaire philosophique ou linguistique, c'est la croyan-
ce que le langage"peut avoir une existence indépendante du
fonctionnement comportemental du sujet. Or seul "existe" réel-
lement le comportement verbal et son fonctionnement".
(3)
Il remarque que le comportement verbal se produit
dans le cadre de situations et se propose de consacrer son étu-
de aux activités langagières apparentes du sujet, à leurs
lois d' appari tion/de renforcement et d'extinction. Le compor-
tement verbal/désormais réduit il un comportement "comme les
autres", Skinner l'analyse en utilisant une méthode qu'il
appelle "réellement scientifique". Il écrit qu'aucune descrip-
tion de l'interaction entre l'organisme et son milieu n'est
complète si elle n'inclut l'action du milieu sur l'organisme
après qu'une réponse a été produite."
(4),Ce faisant,
i l met
l'accent sur trois classes:d'évènements pour la formulation
d'une explication:
la réponse du sujet, le stimulus et le
renforcement. Ces trois classes sont en interaction : le sti-
mulus, produit préalablement à la réponse, constitue une occa-
sion qui suscite la réponse il la question. Si le renforcement
positif de la réponse se produit, un processus de discDimina-
tion s'installe, et le stimulus devient un agent susceptible
de faire apparaître la réponse.
Ces points de vue de Skinner se retrouvent dans
Le Mot et la chose de Quine. Mais Quine trouve la raison de
,
sa sémantique behavioriste chezJKohn Dewey.
"Philosophiquement, écrit-il, ce qui me lie il Dewey,
c'est le naturalisme qui a dominé ces trois dernières decennies.
Avec Dewey,
je pense que la connaissance,
l'esprit et la signi-
fication
font partie du m~me univers auquel ils se rapportent,
et qu'on doit les étudier dans le même esprit empirique qui
anime les sciences de la nature.
Il n'y a pas de place pour
----------------~----
(3)
BRONCKART, théories du langage p.
25.
(4)
SKINNER,idem, p. 02'0
.......-..,

19
une philosophie première."
(5)
Pour John Dewey, en effet,
"la signification n'est
pas une existence psychique ...
; elle est fondamentalement une
propriété du comportement."
(6)
Plus précisément, le langage
est un mode d'interaction d'au moins deux êtres, un auditeur
et un locuteur ; i l présuppose un groupe organisé auquel appar-
tiennent ces créatures et dont elles tiennent leurs habitus
verbaux. Il est donc une relation."
(7)
En souscrivant à la théorie de la sémantique behavio-
riste, Quine veut établir que le sens ne peut se séparer des
cQnduites langagières; et alors il s'en prend à ce qu'il
appelle la sémantique naïve.
"La
sémantique naïve, écrit-il
c'est le mythe d'un musée où les articles exposés sont les
significations, et les étiquettes
les mots. Passer d'une langue
à une autre équivaut à changer d'étiquettes."
(8)
Or l'expérien-
ce infinne cette conception.
"En embrassant, avec Dewey, une
conception naturaliste du langage et une conception béhavio-
riste de la signification, ce que nous abandonnons, ce n'est
,pas seulement la métaphore du musée. Nous abandonnons aussi
une garantie de détermination."
(9)
Cet abandon
n'est nullement arbitraire; i l est
eX1ge par des procédés d'ordre méthodologique dans l'acte de
connaître. Cela s'illustre lorsque nous pénétrons une langue
étrangère où nous n'avons d'autre solution que le behaviorisme.
Quine écrit à cet effet :
"La récupération du langa-
ge actuel d'un homme à partir de ses réponses actuellement
observées est la tâche du linguiste
. qui, sans pouvoir être
\\
aidé par un interprète, entreprend de pénétrer et de traduire
un langage jusqu'alors inconnu. Les seules données objectives
dont i l dispose sont les seules forces qu'il voit agir sur les
surfaces sensibles de l'indigène et le comportement de l'indi-
gène, vocal ou autres.
(10)
(5)
QUINE, ~elativité de l'ontologie et autres essais
(~.O.)
p. 39.
(6)
John DEWEY, cité par Quine in R.O. p. 39.
(7) John DEWEY, idem, p.
40.
(8)
QUINE, R.O, p:-11.
(9) QUINE, idem, p.
41.
(10) QUINE,-ye-Mot et la chose, p.
59-60.

20
Dans ces conditions, comment le linguiste arrive-t-
i l à trouver des significations de son interlocuteur ?
Les locutions qui s'imposent d'abord plus sQrement
à l'attention du linguiste sont les brefs commentaires d'actua-
lité à des événements présents qui se produisent sous les yeux
du traducteur et de son informateur. Un lapin surgit-il et
déta1e-t-i1 dans la garenne àl~ôté i
l'indigène indique "Gavaga!"
et le linguiste note le mot "lapin" en face de "Gavagai U
sur sa tablette, ou i l note peut-être "tiens, un lapin", en
guise de traduction provisoire testable dans des occurences
ultérieures.
On peut représenter de façon suivante ces hypothèses
_~lapin ?
- - ' ' ' -
Gavagai
-
4:::::-~ --
-...,>Tiens, un lapin?
- -- - -.......> ••••••• ?•
Comment savoir que "Gavaga!" se rapporte à
"lapin"
ou bien à "tiens, un lapin", ou à quelque chose d'autre? Ce
n'est qu'en soumettant à l'épreuve des combinaisons de mots
indigènes et de situations-stimuli que le linguiste peut espé-
rer restreindre ses conjectures et aboutir à une solution satis-
faisante.
S'il choisit de traduire "Gavaga!" par "lapin" c'est
que l'indigène approuve "Gavagai" précisément lorsque cette
élocution suit immédiatement les situations après lesquelles,
si on nous interrogeait, nous donnerions notre assentiment à
la phrase "lapin". Toutefois, ce qui pousse à assentir à
"Gavagai", ce sont les stimulations et non'l'és lapins i
car
la sl,-truJoJ-loY.J peut rester la même quand bien même le lapin
serait remplacé par une imitation.
C'est e},J égard aux stimulations sensorielles et aux
réactions verbales que Quine introduit le concept de signifi-
cation-stimulus.
Il est significatif que Quine qui s'inspire
de la méthode de Skinner, introduise le concpet menta1iste de
signification, même s ' i l lui adjoint le concept de stimulus.
C'est dire que Quine lui-même cherche un critère de signifi-
cation.
Il réalisera le caractère illusoire de cette quête.

21
N'empêche qu'il écrit ceci
"C'est par certaines
phrases du type de "gavagaI"
que notre linguiste de la jungle
doit commencer. Nous avons maintenant sous les yeux pour les
phrases de ce genre les matériaux d'un concept encore fruste
de signification empirique. Car la "signification" d'une phra-
se est censée être ce que cette phrase possède de commun avec
sa traduction ; et 1a traduction,
au point où nous en sommes,
repose exclusivement sur des correlations avec les stimulations
( non verbales."
(11)
Le nom technique de ce concept de signification est
la signification-stimulus. Du point de vue de la chose signi-
fiée,
la signification-stimulus est l'ensemble des stimula-
tions qui causeraient l'assentiment ou le dissentiment de l'au-
diteur si on lui posait une question. A ce titre la significa-
tior.-st~imulus affirmative d'une phrase telle que "gavagaI"
pour un locuteur donn~, est la classe de tout.es les stirnula-
tions/c'est-à-dire des structures d'irradiation occulaire
qui
dicteraient au locuteur son assentiment à cette phrase. Plus
techniquement "une stimulation 6 appartient à la signification-
stimulus affirmative d'une phrase S pour un locuteur donné,
si et seulement si, i l existe une stimulation 6'
telle que si
on donnait au locut.eur la stimulation 6', et si ensuite on
lui posait la question S, et puis,
si on lui donnait la stimu-
lation 6, et qu'~on lui posait à nouveau la question S, il répon-
drait négativement la première fois et positivement la deu-
xième fois. Nous pouvons définir la signification-stimulus né-
gative de même façon, mais en permutant les adverbes "affir-
mativement"
et "négativement"."
(12)
§ 2 Les champs d'application du concept de signification
stimulus et ses limites
Nous venons de voir que la notion de signification
stimulus procure un concept de signification empirique. Mais
nous n'avons identifié la stimulation visuelle qu'avec la struc-
ture de l'irradiation chromatique de l'oeil, c'est-à-dire toutes
(11)
QUINE, Le Mot et la chose, p. 65.
(12)
QUINE, idem, p. 65.

22
les stimulations rassemblées dans la signification d'une phra-
se comme étant d'ordre visuel. C'est le cas des phrases occa-
sionnelles observationnelles. Il n'y a pas que ces stimula-
tions là. Et comme l'écrit Quine,
"en réalité, nous devrions
mettre d'autres sens sur le même pied que la vue, afin d'iden-
tifier les stimulations non plus avec les seules structures
d'irradiation occulaire mais avec le feu nourri des stimula-
tions variées de tous les sens pris isolément aussi bien que
dans toutes leurs combianisons synchroniques."
(13)
Ce faisant, Quine distingue les types de phrases
que nous préférons mettre dans un tableau afin de mieux les
visualier.
Phrases stables
Phrases occasionnelles
Eternelles
observationnelles
2 + 2 = 4
Gavagaï
Le journal est
~
arr~ve
Voici un lapin
le 30 Juin 1982 à
Aïe
10 h chez H.D.
Non
Les crocus sont
Non
Voici un céliba-
Eternelles sortis.Le journal
Observationnelles
taire
est arrivé
Les phrases occasionnelles observationnelles comme
"Aïe"
"rouge", etc ... sont celles qui appellent l'acquiesce-
ment ou le refus lorsque sont posées les questions à la suite
de la stimulation causale appropriée. L'émission verbale de
"Aïe" ést le commentaire laconique d'un soudain inconfort.
Chaque fois que la stimulation concomitante s'effectue, elle
arrache l'émission "Aïe". Au contraire, les phrases perdura-
bles ou stables telles que "les crocus sont sortis" ou "le
journal est arrivé le 30 juin 1982 ... " s'opposent au~ phrases
occasionnelles en général en ceci que le sujet parlant peut
réitérer un acquiescement ou un refus ancien à une phrase per-
durable sans y être poussé par une stimulation actuelle, lors-
qu'on lui pose la question à nouveau dans une occasion posté-
rieure à la stimulation. Une phrase occasionnelle, au contrai-
re, ne commande l'acquiescement ou le refus que si ceux-ci

23
sont provoqués à nouveau par une stimulation actuelles."
(13)
Mais le cas des phrases occasionnelles non observationnelles
comme "voici un célibataire" se présentent autrement.
Alors que dans les phrases occasionnelles observa-
tionnelles/il y a des structures d'irradiation entre des pha--
Ses d'occultation rythmées, la difficulté avec "célibataire"
est que sa signification transcende les apparences des figu-
res qui le provoquent et concerne des choses que nous ne pou-
vons connaître que par d'autres voies, par des intermédiai-
res.
Pour donner un sens à ce type de phrase, Quine introduit
les notions de module et de degré d'observationnalité qui
s'appliquent d'autant aux phrases occasionnelles observation-
nelles que celles-ci, par exemple "Rouge", peuvent être ren-
dues flottantes d'occasion en occasion.
En maintenant la distinction entre phrases stables
et phrases occasionnelles et eu ~gard au concept de signifi-
cation-stimulus, on aurait tendance à se persuader que celles-
ci sont plus accessibles à notre connaissance. En fait i l n'en
est rien. On le voit lorsqu'on examine le statut des phrases
occasionnelles.
an remarque à cet effet que la signification-stimulus
des phrases occasionnelles varie d'occasion en occasion
puisqu'une signification-stimulus est la signification de la
phrase à un moment donné, en ceci que le locuteur peut chan-
ger ses habmtudes verbales. Par exemple, eu égard aux varia-
tions de temps ou d'irradiation chromatique, l'informateur,
en face de "Gavagai" peut avoir une autre stimulation •.c~>Imne
le dit Quine/"une stimulation peut varier dans son pouvoir
de conduire à l'assentiment à
"Gavagai ?" à. cause de varia-
tions dans l'angle de vue, d'éclairage, de contraste de cou-
leur, bien que le lapin soit touj ours le m~me." (14)
Les phrases perdurables aussi peuvent varier aussi
librement que les phrases occasionnelles. A ce titre un locu-
teur peut énoncer "les crocus sont sortis" là oil un autre lo-
cuteur dirait "les safrans sont sortis". Toutefois, moins les
(13)
QUINE, idem, p.
69-70.
(14)
QUINE, idem, p.
63.

24
phrases stables sont susceptibles de provoquer l'acquiescement
ou le refus, moins i l y a d'indices présents dans la signifi-
cation~stimulus. Et comme nous le disions plus haut, c'est
dans les phrases occasionnelles qu'il y a l e plus d'indices
pour la signification-stimulus. Cependant indigène et linguis-
te ne concordent pas toujours.
En effet, dans
les phrases occasionnelles types
comme "lapin" et "Gavagai" ,
la similitude de signification-
stimulus n'est pas une candidate sans défaut au rôle de syno-
n~e. Par exemple, l'acquiescement ou le refus de l'informa-
teur à "Gavagai 7" peut dépendre d'une information annexe
acquise antérieurement et qui vient s'ajouter au stimulus
excitateur actuel. L'informateur peut acquiescer à l'occasion
de l'apparition d'un stimulus qui n'est rien d'autre qu'un'
mouvement à peine entrevu dans l'herbe, parce que, d'antan,
i l a observé,et avant sa rencontre avec le linguiste, des
lapins à proximité. Dès lors, écrit Quine,
"puisque le lin-
guiste, sur la base de sa propre information, ne serait pas
porté à consentir à la phrase "lapin" par cette même obser-
vation d'un frémissement dans l'herbe, nous constatons ici une
divergence entre la signification stimulus présente de "Gava-
gai" pour l'informateur et celle de "lapin"
pour le linguis-
te."
(15)
Il peut y avoir des divergences qui affectent non
pas un informateur mais tous, et non pas quelquefois en pas-
sant, mais régulièrement. C'est le cas de
"la mouche-de-lapin"
inconnue du linguiste mais reconnaissable par l'informateur
qui pourrait l'identifier à un lapin.
L'idéal serait de con-
sidérer comme signification-sti.n\\ulus de "gavagar" seulement
1Q1~~ttiJ~ll'1 ,~ 'trOI/~"Iloa_\\''''\\- ~'<\\$si">th""",,1- ... ,,,,,-,,...,,,,,
et seulement~sur la base de la compréhension sans l'aide d'au-
cune information annexe,
sans l'aide de l'observation récente
de lapin à proximité/ni de la connaissance de la nature de la
"mouche-de-lapin" et de ses habitudes.
Mais cela suppose que le linguiste dispose de don-
nées expérimentales pour la distinction entre ce qui relève
de l'apprentissage ling~iseique par lequel son informateur
(15)
QU!NE, idem p.
71.

25
apprend à appliquer une expression et ce qui relève de l'ac-
quisition de connaissances supplémentaires concernant les
objets de ces expressions. Or notre linguiste ne le peut,
lui qui est sommé au behaviorisme. Il doit considérer la lan-
gue de son hôte comme un tout.
Certes, il peut éliminer en les filtrant, les élé-
ments de connaissance
annexe idiosyncrasiques de l'informa-
teur. Pour cela, il fera varier les informateurs afin d'iso-
ler une signification-stimulus plus stable et plus sociale
comme un commun dénominateur. Mais comme le remarque si jus-
tement Quine, "toute information possédée en commun par le
groupe social, comme celle qui concerne la "mouche-de-lapin"
oU la capacité de comprendre les commentaires d'un comparse,
continueront à affecter également ce commun dénominateur. Il
n'existe pas de critère évident pour expurger de pareils
effets de manière à ne retenir que la signification propre-
ment dite de "Gavagaf" quoique puisse être la "signification
proprement dite."
(16)
On s'aperçoit alors que la notion de signification
stimulus n'est pas mieux lotie que la notion de "significa-
tion" tout court. Le concept de signification qui devrait
servir de base à la sémantique behavioriste n'épuise pas la
notion de signification: l'indigène peut refuser "GavagaI"
alors que les oreilles du lapin sont visibles quand Dien même
le linguiste acquiescerait à lapin. Il se révèle que la simi-
litude de signification-stimulus est une relation trop stricte
pour relier une phrase occasionnelle indigène à sa traduction.
Doit-on alors rejeter le concept? Le linguiste ne le peut,
lui qui, dans la traduction radicale n'a pas d'autres ressour-
ces. La notion, loin d'être rejetée, doit être regardée à bon
droit "comme la réalité objective que le linguiste doit son-
der lorsqu'il entreprend une traduction radicale."
-
Puisque la signification-stimulus d'une phrase occa-
..~
sionnelle
est l'ensemble de toutes les dispositions qui per-
mettent au linguiste de prélever des échantillons et d'appor-
ter ses apréciations, on ne peut se passer de la notion. Ce
n'est donc pas la dite notion qu'il faut réviser mais notre
::. p.
7~

26
idée concernant la manière dont le linguiste opère avec la
notion. Cette idée nous semble plus justi~iable que celle de
John Searle qui écrit que "lorsque certains modèles choisis
pour fournir une explication ne permettent pas de rendre
compte de certains concepts, ce sont les modèles qui doivent
t anber, et non les concepts."
(17)
La position de Quine nous convient d'autant que ce
que notre traducteur nous donne, ce ne sont pas des signifi-
cations en soi.
"Ce qu'il invoque en traduisant, écrit Quine,
ce n'est pas une identité de signification-stimuli, mais plu-
tôt des approximations significatives de significations-sti-
muli.
Et si le linguiste traduit "Gavagai" par "lapin" en
dépit des divergences imaginées plus haut entre les signifi-
cations-stimuli, c'est parce que les cas où les significations
stimuli semblent coïncider se présentent avec une supériori-
té numérique écrasante, et que les divergences, pour autant
qu'il les découvre,
semblent se prêter davantage à un trai-
tement qui les élimine tout à fait ou les écarte comme étant
des effets d'interférences non identifiées."
(18)
Si le linguiste peut expulser certaines divergences
en écartant certaines interférences non identifiées pour
n'avoir pas été~uvent observées
., c'est dire qu'il Y a une
part active du linguiste aussi bien dans l'interprétation
des phrases occasionnelles que dans les phrases stables. Le
linguiste ne saurait être dans une observation passive d'une
corrélation constante entre les mêmes stimulations des sens
de l'indigène et ses mêmes réactions linguistiques. Le tra-
ducteur y ajoute de son cru.
§ 3 Les hypothèses analytiques
l'objectification
La tâche du linguiste est une démarche logique au
sens où i l cherche des traductions plausibles où toute contra-
diction est exclue.
"Pour interpréter la réponse de l'indigène",
commente Gochet, i l
(le linguiste)
devra avoir préalablement
(17)
John SEARLE, Les actes de langage, p.
47.
(18) GOCHET, Quine en perspective, p. 70.

27
isolé les signes d'acquiescement et de rejet dans la langue
de ce dernier, c'est-à-dire avoir appris les mots indigènes
pour "oui"
et "non"."
(18)
Qu'il s'agisse des phrases oc ca-
{
sionnelles ou de la traduction des fondêurs
de vérité ou des
phrases stables surtout,
le linguiste doit décomposer les
phrases en mots.
Quine le d i t :
le linguiste "décompose les
élocutions qu'il entend en parties récurrentes suffisamment
courtes et dresse de la sorte une liste de "mots" indigènes.
Alors de façon conjecturale, i l met en concordance certains
d'entre eux avec des mots et des bouts de phrase de sa propre
langue. Ces tables de concordance,
je les appelle les hypo-
thèses analytiques. "
(19)
Les hypothèses analytiques sont le
moyen de donner un sens aux phrases stables.
Les ~rases perdurables, contrairement aux phrases
occasionnelles observationnelles, forment un tissu d'une seu-
le pièce. Et dans ce cas, remarque Quine,
"même dans les cir-
constances les plus favorables,
nous ne pouvons pas espérer
pouvoir mettre en corrélation, en général, les phrases sta-
bles avec les observations, car les phrases stables prises
une à une n'ont tout simplement pas leur budget propre d'im-
plications empiriques les unes dans les autres et forment une
théorie."
(20)
Dans ces phrases, corrune "les crocus sont sortis",
sans indications indirectes apportées par les hypothèses ana-
lytiques, i l n'y a pas de moyens de choisir les paires de
phrases non observationnelles auxquelles on fera subir le
test détecteur de
synonymie-stimulus
intrasubjective. Quine,
remarquant que les phrases occasionnelles non observationnel-
les corrune "voici un célibataire" n'ont pas de signification-
stimulus, introduit le concept de synonyme-stimumus intrasub-
jective comme étant la croyance partagée par une communauté.
J'I-,· .. s" 1<1If ol?u/
(1) Voici un célibataire
devient synonyme par le stimulus à l'énoncé
(2)
Horrune non marié
(18) GOCHET,
Quine en perspective, p. 70.
(19) QUINE, Le mot et la chose, p. 112.
(20)
QUINE, idem, p.
,.

28
.l'ii et seulement si
(l)
et (2)
sont équi valentls par
le stimulus pour une communauté linguistique donnée. Mais
Quine se rendra vite compte du caractère fallacieux de la
synonymie stim~lus.
Pour le moment, remarquons que même dans le cas des
phrases observationnelles, pour discerner si "GavagaI"
-qui
correspond chez l'indigène à
"voici un lapin"- renvoie à un
objet permanent plutôt qu'à une manifestation fugace de la
propriété de léporité,
le linguiste a besoin d'une démarche
d'appoint. Le linguiste doit être à même de demander à son in-
formateur :
"est-ce que ceci est le même lapin que cela ?"
Mais pour poser de telles questions, i l doit avoir préalable-
ment repéré certains mots dans la langue~objet qui correspon-
dent à
"sont les mêmes" et "sont différents" en français ou
dans la métalangue. Os pour isoler ces constituants, le lin-
guiste doit segmenter les phrases à l'aide d'hypothèses ana-
lytiques.
Celles-ci ne servent pas seulement à comprendre les
phrases perdurables ou occasionnelles i
elles assurent éga-
lement leur intelligibilité. Or,
les hypoth~s~ analytiques
sont constituées à partir de l'idiolecte du linguiste. Ce fai-
sant,celui-ci imprime son canon idiolec~al à l'intelligibilité
du sociolecte de son informateur. Quine décrit de façon illus-
trative cette ingérence ontologique obligée :
"la méthode des
hypothèses analytiques est une façon de se catapulter soi-
même dans le langage de la jungle par la vitesse acquise du
langage domestique. C'est une manière de greffer des greffons
exotiques sur le vieux buisson familier jusqu'à ce que seuls
les greffons exotiques frappent la vue. Du point de vue d'une
théorie de la signification pour les traductions, ce qu'il y
a de plus remarquable dans les hypoth€~e5 analytiques c'est
qu'elles débordent tout ce qui se trouve implicite dans toutes
les dispositions indigènes au comportement verbal. En faisant
ressortir les analogies entre des phrases qui n'ont pas résis-
té à l'entreprise de traduction et d'autres qui l'ont fait,
elles reculent les bornes du traduisible bien au-delà du ter-
ritoire oü un vérificateur indépendant peut exister."
(21)
(21) QUINE, Le ~ot et la chose, p. 115.

29
Ce vérificateur indépendant, c'est la, théori,e de
la quantification. Celle-ci n'a pas pour objet de nous réyé-
1er l'en soi du langage indigène. Au contraire, elle ne fait
que rendre explicite ce qui est implicite, en en décelant
le schème référentiel. Avant d'examiner ce procédé de traduc-
tion, insistons encore sur le fait que le traducteur ajoute
bien plus qu'il n'en trouve.
Il injecte plus de significations
sur la langue-objet qu'il n'en peut découvrir par l'observa-
tion patente et méthodi-que des corrélations, entre le.s sti-
muli verbaux,
les situations et les conduites non verbales de
son informateur. Corrme le dit Gochet,JI notre linguÎste part de
sa propre langue et projette une signification
sur les phra-
ses de l'indigène, mais cette signification n'est pas déta-
chable des hypothèses analytiques qui interviennent dans la
projection."
(22)
Faisons remarquer, au passage, que nous voyons poin-
dre ici la thèse du holisme. En effet la signification, au
point où nous en sommes, dans le cas de la traduction radica-
le, repose sur les hypohtèses analytiques. Sans celles-ci le
traducteur ne peut savoir ce que veut dire son informateur.
Il n'y a pas dans la réalité qu'explore le linguiste, à savoir
ce que veut dire le locuteur en prononçant telle ou telle phra-
",'
se, une structure que l ' hypo}h.Qs e
analytique pourrait repro-
/ ' duire fidèlement. De telle sorte, des hypo~ise.~, analytiques
rivales,
c'est-à-dire plus ou moins incompatibles, peuvent
passer exaequo les tests comportementaux.
A ce sujet, rappelons-nous que la signification sti-
mulus était incapable de trancher entre "lapin" et "phase de
lapin" et un certain nombre de termes comme traduction de
"Gavagar"."Si, explique Quine, par le truchement d'une hypo-
thèse analytique, nous prenons "sont les mêmes" comme la tra-
duction de quelque construction du parler de la jungle, nous
pouvons, sur cette base, nous mettre à interroger notre infor-
mateur sur le point de savoir si le lapin aperçu à une occa-
sion est le même que le lapin aperçu à d'autres occasions, et
(22)
GOCHET, ~dV. cit., p. 91.

30
de la sorte, conclure que les Gavagaïs sont des lapins et non
des phases de lapin. Mais si nous prenons plutôt l'expression
"sont les phases d'un même animal" comme traduction de la cons-
truction indigène en cause nous tirerions des mêmes réponses
de notre informateur à nos questions ultérieures la conclu-
sion toute différente que les gavagaïs sont des phases de la-
pin. Les deux hypothèses peuvent être présumées possibles."
(23)
c'est en ce sens que la traduction radicale est
dite indéterminée) foncièrement indéterminée, puisqu'aucune hy-
pothèse analytique ne peut prétendre pouvoir rendre compte de
la réalité comportementale de l'informateur.
Le linguiste, qui est aussi logicien, en même temps
qu'il opère logiquement, peut être amené à une autre traduc-
tion, qui est celle fondée sur la logique élémentaire.
Nous avions dit que la traduction radicale des phra-
ses se fait sur la base d'une identification approximative de
leurs significations-stimuli. Après que le linguiste ait repé-
ré, sur cette base,
les termes généraux ou les prédicats,
les
variables d'énoncés, i l peut traduire la langue dans la nota-
tion logique du calcul des prédicats du premier ordre. Mais
retenons la traduction de la logiqued~$pN7?f!)s(f('o~ Cette tra-
duction sera elle-même indéterminée puisque la traduction
l'est.
Toutefois, dans ce procédé,
les phrases proposées à
l'assentiment ou au dissentiment peuvent être indifféremment
des phrases occasionnelles ou des phrases perdurables. Cela
étant, en se rapportant à l'assentiment ou au dissentiment. le
"
logicien peut établir des critères sémantiques pour les fonc-
tions de vérité;
c'est-à-dire des critères pour déterminer
si une expression donnée du dialecte indigène doit être con-
sidérée comme exprimant la fonction de vérité. C'est ainsi
que le logicien établit la conjonction,
la disjonction et la
négation lorsque les assentiments ou les dissentiments de son
informateur correspondent aux valeurs de vérité accordées aux
fonctions de vérité de sa propre langue.
(23)
QUINE, idem,
p.
117.

31
Corrune l'écrit Quine,
"il ne faut pas renoncer â iden-
tifier une expression indigène comme étant une négation, une
conjonction ou une alternation
(disjonction), aussitôt que le
sujet dévie de nos critères sémantiques si cette déviation est
due simplement â la confusion."
(24)
Supposons qu'on prétende que certains indigènes
sont disposés â accepter comme vraies des phrases de la forme
"p et non p". Manifestement, cette supposition est absurde
au regard de nos critères sémantiques. On peut rendre les lo-
cutions indigènes aussi étranges qu'on veut, mais une meilleu-
re traduction imposera notre logique, non au sens où nous
leur refusons toute logique mais au sens où une traduction~cer­
tes pénible/aura révélé les informations annexes.
Il suffira
de rendre compte de "p et non p" en supposant que la question
est comprise différemment pour l'affirmation et la négation.
Le cas devient plus explicite et le problème résolu
dans la quantification des énoncés catégoriques A, E, l, O.
Ici la tâche est difficile car les locutions "Tous sont",
"Aucun n'est",
"Quelques-uns sont" est "Quelques uns ne sont
pas" ne sont pas facilement traduisibles dans la langue indi-
gène.
Considérons l'énoncé ou l'universelle affrimative A
(3)
Tous les Nickels a tête d'indien sont des Nickels â
bison
la description dans le langage logique donne
(4) Tous les F sont G
Mais i l peut y avoir un novice, un jeune indien qui refusera
(3)
et par voie de conséquence,
(4)
parce que la signification
stimulus affirmative de "Nickel â tête d'indien" ne contient
pas, pour lui,
les structures de stimulations dans la signifi-
cation-stimulus de "Nickels â tête de bison". A ce titre, i l
semblerait qu'on ne puisse s'autoriser une théorie de la quan-
tification dans le langage indigène. D'où ce pessimisme de
(24)
QUINE, idem, p. 99.

32
Quine :
"Cette difficulté est fondamentale.
La vérité des
propositions catégoriques est tributaire des objets, fussent-
ils extérieurs et accessibles seulement par inférence, aux-
quels les termes composants de ces propositions peuvent être
attribués avec vérité. Ce que sont ces objets, n'est pas dé-
terminé de manière univoque par les significations-stimuli.
Les opérateurs des propositions catégoriques
(comprenez les
A, E,
I, 0), conme les terminaisons indiquant le pluriel et
la copule de l'identité, sont des parties d'un outillage ser-
vant à faire des références, outillage qui est propre et par-
ticulier à notre langue, tandis que la signification stimulus
est,
( . . . ) une monnaie universelle. De tout ce que nous con-
sidérons comme étant la logique, i l semble que la partie com-
prenant les fonctions de vérité soit la seule que nous puis-
sions reconnaître et "épingler"
dans un langage étranger avec
les ressources des critères behavioristes."
(25)
Cet aveu nous met en démeuœde pouvoir construire
la logique des prédicats du langage exotique. Si tel est le
cas, c'en est fait du projet de rendre la logique universelle.
On pourrait même se demander si la logique des énoncés est
possible car qu'est ce que le calcul des prédicats sinon un
calcul intra-propositionnel ?
Quine résoud la difficulté par le recours à la no-
tion de sociolisation du concept de signification-stimulus.
Puisque le langage est un art social, un énoncé est dit socia-
lisé si la communauté entière y assentit, les considérations
idiosyncrasiques n'étant que des déviations qui ne remettent
pas en cause l'objectivité du langage. C'est en ce sens que
le logicien peut se permettre la quantification en faisant
des ajustements. Ainsi à partir de l'énoncé
(3)
Tous les Nickels à tête d'indien sont des Nickels à
tête de bison
i l obtient les énoncés catégoriques A, E, I, O.
(25) QUINE, idem, p.
103.

33
A
(V.r) (F:! J GX)
soit "pou~ tout x, si x es~ un Nickel â t~te d'indien, alors
x est un Nickel à t~te de bison.
C'est !<"universelle affirmative.
La particulière affirmative l, disons "quelques
Nickels à t~te d'indien sont des Nickels à tête de bison,
s'écrit sous la forme
l
(JX) (F 1.. 1\\ Cr x.)
L'universelle négative E dit ceci :
"Aucun Nicket
~
â t~te d'indien n'est un Nickel â t~te de bison. Elle s'écrit
E
(VX)
(F X :J 1 G-X)
La particulière négative qui dit que "tous les
Nickels â t~te d'indien ne sont pas des Nickels à tête de
bison" donne
o
l3.;i (F x. 1\\ 10X)
Et ce~ étant, Quine de dire que nous avons fixé les
'
lois d'un peuple'tlès le moment où nous avons fixé nos traduc-
tions â l'aide de critères sémantiques sus-expliqués.
"La
maxime de traduction qui est â la base de tout ceci, écrit
Quine, c'est qu'il est probable que les assertions manifeste-
ment fausses à simple vue fassent jouer des différences cachées
de langage ... La vérité de bon sens qu'il y a derrière cette
maxime, c'est que la stupidité de notre interlocuteur, au-delà
d'un certain point, est moins probable qu'une mauvaise traduc-
tion -ou dans le cas domestique, qu'une divergence linguisti-
que."
(26)
La logique, et nous le verrons par la suite, n'est
pas un outil pour savoir ce qui est. La logique de la quantifi-
cation nous sert au contraire â détecter les références cachées.
En traduisant, le logicien veille à ce que les phrases obvies
pour son informateur soient tranformables en phrases obvies
pour lui-m~me. La traduction des constructions logiques est
sous-tendue par le principe de conservation de cequi est obvie
ou par le principe de charité ou de maximation de l'accord.
(26) QUINE, idem, p.
101.

34
Ce principe commande qu'on n'attribue pas d'absurdités crian-
tes à son interlocuteur.
Toutefois, ce qui est obvie n'est pas inamovible et
parce que la logique est liée à l'indétermination ou tributai-
re du comportement des choses physiques, elle est sujette à
la réfutation. Ses lois peuvent et doivent être revisées si
l'expérience l'exige. C'est ce que nous verrons au chapitre 5.
D'ores et déjà, pour: nous résumer,
nous dirons que:dans
le cas de la traduction radicale,
les objets dont parle le
linguiste ne sont pas le fait de la nature en dehors de lui.
Il construit ses objets à partir de ce que lui présentent les
sens,
les stimuli et de sa propre injection antique. C'est
cette objectification qui nous a révélé l'indétermination de
la traduction. Désormai~ni la notion de signification tout
court, ni celle de signification stimulus/ne peuvent nous don-
ner la signification en soi et pour soi des termes.
On pourrait croire que dans le cas de notre langue
domestique, c'est-à-dire de notre propre langue, i l n'y a pas
d'objectification et que deux locuteurs de la même langue se
comprennent sans ambages. Or; même dans notre langue domesti-
que, nous ne pouvons ne pas objectifier car la référence aux
objets est sujette à caution. C'est ce qui fait dire à Quine
qu'à y regarder de près, l'indétermination commence "at home"
(chez nousj. En effet,
les termes référentiels se découvrent
êt~e affib{gHs en ce que leur référence est divisée. Cette di-
vision de la référence prend ses sources dès les étapes de
l'acquisition du langage maternel.
SECTION 2
La division et l'inscrutabilité de la référen-
ce
Introduction
L'indétermination de la traduction prend au travers
extension et intension. Les termes
'lapin',
'partie non déta-
chée de lapin',
'phase de lapin ',; ne diffèrent pas seulement
sous le rapport de la signification ;
ils sont vrais de choses

35
différentes. La référence elle-même se trouve inscrutable au
point de vue du comportement. Cette inscrutabilité remonte
aux premières phases de l'apprentissage des mots ou de l'acqui-
sition du langage.
La section 3 de l'essai "Parler d'objets"
(1957)
dans La Relativité de l'ontologie décrit six étapes de l'ap-
prentissage et de l'acquisition du langage. Mais la richesse
et l'aspect exhau3tif de cette description se trouve dans
Le Mot et la chose
(196 0) .
Au cours de ses six étapes,
l'enfant franchit des
niveaux de complexité allant s'amplifiant. Avec les phénomè-
nes d'extinction ou de renforcement par lesquels on prohibe
ou encourage l'utilisation de certains mots,
l'ambiguïté naît,
et alors les mots n'acquièrent de sens que dans des contextes
précis. Avec l'inévitable problème de complexité et d'ambiguï-
té des termes, on réalise que les stimulations ne peuvent
\\"
déterminer à quels objets
réfèrent les termes. Lorsqu'il
s'agit de référence,
on se demande de quoi "Gavagaï" est-il
vrai. Renvoie-t-il à
"lapin", à "phase de lapin" ou à quelque
chose d'autre ?
Comme le dit Quine,
"si la référence à des objets
est tellement inaccessible à
l'observation, qui est capable
de dire, en se fondant sur des raisons empiriques, que la
croyance aux objets de telle ou telle description est correc-
te ou bien érronée."
(27)
§ 4 L'origine de l'inscrutabilité de la référence
l'apprentissage.
Au cours de
six étapes/l'enfant apprend successi-
vement les termes de masse, puis les termes généraux i
ensui-
te les termes singuliers concrets,
les termes relationnels et
enfin les termes abstraits.
"Lorsque nous décidons si un mot doit être compris
comme renvoyant à un seul objet global ou à chacune de ses
parties, notre décision est liée à un arsenal provincial d'ar-
ticles, de copules et de formes du pluriel, qui ne peut pas
(27)
QUINE, R.O., p.
23.

36
être traduit dans des langues étrangères, sinon selon des
manières traditionnelles ou arbitraires qui ne peuvent pas
être déterminées par des dispositions au comportement verbal.
Si nous voulons comprendre le fonctionnement de toute cette
machinerie, ce que nous avons de mieux à faire,
c'est d'exa-
miner ces procédés non pas isolément mais dans leurs rapports
mutuels ainsi que dans la perspective du développement géné-
tique tant de l'individu que de la race. "
(27 bis)
En réfléchissant sur la manière dont ces procédés
s'introduisent organiq!llrement dans "les habitudes verbales d'un
enfant de notre culture', nous ne faisons pas une analyse phy-
logénétique mais plutôt phénoménologique, au sens de descrip-
tion.
Dans cette perspective, Quine avance que)dès la
première phase,
l'enfant commence par employer des termes de
masse pour désigner ce qu'il voit dans son entourage:
la mère,
le rouge ou l'eau.
Il ne se dit pas employer des termes de
masse; c'est nous qui lui prêtons cet emploi car i l n'a peut-
être pas au début des termes de masse.
Il ne dit pas "Tiens,
encore Maman" ou "Tiens, encore du rouge" ou "Tiens encore
de l'eau". Pour l'enfant/les trois phénomènes sont sur le même
plan: davantage de maman, davantage de rouge, davantage d'eau.
L'enfant n'objectifie pas. Pour lui.... maman, rouge et
eau sont chacun un récit de rencontres sporadiques. Son pre-
mier apprentissage de ces trois mots est uniformément affaire
d'apprendre quelle quantité de ce qui se produit autour de
lui compte pour étant la mère ou du rouge ou de l'eau. Recon-
na!tre donc à l'enfant l'emploi de termes de masse c'est lui
imputer une objectification.
A ce stade, i l n'y a pas d'objet,
c'est~à-dîre ce
qui peut figurer parmi les valeurs de variables d'individus.
L'enfant utilise comme termes de masse des expressions que
nous analyserions comme des termes concrets. Par exemple" "pomme"
comme terme, peut é!tre un terme de masse "un peu de pomme" ou un
terme général vrai de chaque pomme.
(27 bis)
QUINE, Le Mot et la chose, p. 127.
t

37
Lorsque l'enfant émet unellsuite de sons ressemblant
à "Maman"}prononcée à un moment où, par coincidence le visage
de la mère apparaît, celle-ci, ravie de ce comportement re-
compense la dite émission verbale. Ce babillage est ce que
Skinner appelle "le comportement opérant" c'est-à-dire "une
verbalisation émise spontanément plutôt que produite en répon-
se à une sollicitation."
(27)
Ce comportement est d'autant
plus renforcé qu'il est chaque fois récompensé. Et alors,
écrit Quine,
"la créature tend à répéter l'acte récompensé
lorsque reviennent les stimuli qui ont été présents par hasard
lors de la performance originelle. Ce qui a été une stimula-
tion accidentellement contiguë à l'acte se transforme, par
la récompense, en une stimulation à l'acte."
(27)
Or l'émission originelle de "Maman" peut être pro-
duite au milieu de stimulations variées. Dès lors le visage
de la mère ne les épuise pas. L'enfant peut avoir entendu ce
mot de la bouche de sa mère.
Il peut y avoir eu une brise lé-
gère ou pas/qui lui ait arraché cette émission. De telle sor-
telil peut y avoir déjà une première ambi~uité ou une déshar-
monie entre l'usage et la mention des mots. Mais avant d'en
discuter, remarquons que l'apprentissage des mots n'est pas
renforcé par n'importe quoi. Les stimuli qui poussent au ren-
forcement sont de deux types:
la vue du visage et l'audition
du mot. A la longue, l'enfant devient accessible à l'élocu-
tion de mots nouveaux indépendamment du comportement opérant.
Et cela d'autant plus que l'enfant dispose d'une sorte d'es-
pace prélinguistique. Si par exemple, écrit Quine,
"nous ren-
forçons sa réponse lorsqu'il dit "Rouge" en présence du pour-
pre et décourageons ce mot prononcé en présence du jaune et si
ensuite nous trouvons qu'il fait cette réponse en présence du
rose, mais non de l'orange, nous pouvons inférer que les nuan-
ces d~ pourpre et du rose sont plus proches l'un de l'autre
dans son espace des qualités que le pourpre et l'orange."
(28)
(27) QUINE, idem, p. 128.
(27) QUINE, idem, p. ~28.
(28)
QUI.NE, Le 'M& C p. Dl •


38
Si de tels rapprochements sont possibles chez l'en-
fant,
c'est que les stimulations qui provoquent une réponse
verbale, par exemple "rouge", ne forment certes pas une classe
aux limites précises mais une distribution autour d'une norme
centrale. Et alors, explique Quine,
"plus la stimulation se
trouve proche dans l'espace qualitatif de celles pour lesquel-
les la réponse "rouge" a été directement renforcée, plus gran-
de sera la probabilité que cette stimulation provoquera la
réponse et plus grande sera la fermeté de celle-ci."
(29)
Les
diverses stimulations groupées autour d'une norme chromatique
de rougeur feront plus assentir à
"rouge" que celles qui con-
trastent
avec elles. En ce sens,
les normes sont un moyen de
concilier la continuité et le moncellement, c'est-à-dire la
norme de "rouge" et les éparpillements de "rouge".
"Lorsque
nous écoutons quelqu'un qui chante faux,
nous saisissons la
mélodie qui est proposée parce que nous assignons chaque
note malheureuse à l'une des douze normes de la gamme diato-
nique."
(30)
En plus des normes en général, les normes phonéti-
ques nous donnent la possibilité de construire des relais
indéfiniment prolongés. Par exemple, remarque Quine,
"un
message peut être transmis verbalement de bouche à bouche à
travers une communauté et transmis aux générations futures,
pourvu simplement qu'à chaque transmission les sons entendus
soient sensiblement proches des normes auxquelles on se sou-
mettait au départ."
(31)
En règle générale, conclut Quine,
"la tâche d'apprendre ce qui peut passer pour élocution d'un
mot ou d'un autre serait, en effet, une tâche désespérée s ' i l
n'y avait pas des identités partielles de normes largement
répandues entre les différents mots."
(32)
Cependant, pendant cette phase d'apprentissage des
mots, i l n'y a pas individuation des mots; c'est-à-dire que
l'enfant ne peut pas arriver à
"séparer deux apparitions d'un
------------------
(29) QUINE, idem, p. 133.
(30)
QUINE, ibid, p. 135.
(31)
QUINE, ibid, p. 137.
(32)
QUINE, idem, p . 138.


39
même objet d'une apparition de deux objets"
(33), étant en-
tendu que pour l'enfant,
"Maman",
"eau" et "rouge" sont a
égalité. Qui plus est,
la première phase est celle de l'appren-
tissage des termes de masse, phase primitive pour laquelle on
ne peut parler d'objets chez l'enfant. Parler d'objets, en
effet, suppose la possibilité d'objectifier, d'effectuer des
dégrossissages pour désigner des objets, de distinguer les
diverses occurences d'un objet donné. Or tout cela l'enfant
ne le peut/qui ne quantifie pas les termes de masse.
"Ce n'est.;
écrit Quine, qu'à partir du moment où l'enfant a saisi l'usa-
ge complet et véritable de termes individuants comme "pomme"
qu'on peut proprement dire que l'enfant sait se servir de
termes en tant que termes et parler l'objets. Les mots comme
"pomme", à la différence des mots comme "Maman",
"eau" et
"rouge", sont des termes dont l'implicance ontologique va
profond. Pour apprendre "pomme",
i l ne suffit pas d'appren-
dre quelle quantité de ce qui se produit compte comme pomme
i l nous faut apprendre quelle quantité compte comme étant
une autre pomme. Les termes de ce genre contiennent incorpo-
rés en eux des modes d'individuations."
(34)
Et cela se passe
à la deuxième phase où l'enfant apprend les termes individuants
c'est-à-dire les termes généraux.
Dès lors qûe, dans cette deuxième phase, apparaissent
les termes individuants, émerge la notion d'objet. L'enfant
y gagne en termes généraux dont chacun est vrai de plusieurs
objets. En ce sens, on appelle terme général, le terme qui
admet la marque du pluriel. A ce stade,
l'enfant distingue
la pomme de ses diverses apparitions.
Il acquiert ainsi la
forme du pluriel "s". Toutefois, ne nous laissons pas abuser
par l'idée qu'il y a une séparation entre la première et la
deuxième phase. Le croire, c'est être tenté de supposer que
l'enfant acquiert l'emploi des termes individuants une fois
qu'à un tas de pommes ,. i l reprend par lEt pluriel "pommes". Au
contraire, l'enfant,
au deuxième stade, peut avoir appris
"pommes" comme nouveau terme de masse applicable à la quantité
(33) GOCHET, Quine en perspective, p.
97.
(34) QUINE, R.O., p.
20.

40
de pommes mises dans un tas de pommes. Il peut employer la
forme du pluriel
("s") qui changerait des termes de masse en
termes de masse plus spécialisés. Il peut appliquer avec jus-
tesse le pluriel en "s" à des mots nouveaux et/ou
laisser
/,tomber ce pluriel pour des mots qu'il n'avait primitivement
(
appris qu'au pluriel. De cette sorte, remarque Quine, ces
termes individuants pe~vent être appris par l'ancienne métho-
de de renfJrcement et d'extinction que les parents ou l'entou-
rage imposent à l'enfant. Toutefois, parce que l'enfant s'en-
gage dans un discours sophistiqué sur "cette pomme",
"non pas
cette pomme",
"une pomme",
"ces pommes", ce qui distingue les
termes généraux des termes de masse, c'est que ceux-là se pré-
sentent avec leurs mécanismes individuants incorporés ou inter-
nes.
La troisième phase se manifeste par l'apparition de
termes singuliers concrets, c'est-à-dire des expressions déic-
tiques du genre "cette pomme-ci", ou "cette femme-là".
Ces
termes singuliers démonstratifs sont obtenus grâce aux ter-
mes généraux. En effet, après que l'enfant ait été;ou se soit
sensibilisé aux mécanismes individuants des termes généraux,
il peut, pour obtenir la particularité ou la singularité d'un
terme, préfixer à des termes généraux la particule "ce".
C'est ainsi que du terme général ~leuve, nous obtenons le
terme singulier démfmstratif
"ce fleuve".
Les termes singu-
liers démonstratifs qu'on obtient ainsi sont caractérisés par
le mécanisme de l'ostension, c'est-à-dire l'association "du
mot avec l'objet de référence qui se fait dans l'expérience
immédiate."
(35). Ce qui signifie que l'ostension est un phéno-
mène versatile. En effet, considérons la déixis
ostensive
telle par exemple:
"cette pomme",
"cette femme",
"cet homme"
et des termes semblables tels que la déixis personnelle -je;
ils- ou la déixis spatiale -ici, là, là-bas- ou même la déixis
temporelle -avant-hier, hier, aujourd'hui, demain, après demain,
etc ... Ce qui est remarquable
de ces différentes déixis,
c'est la fugacité de leur référence. Tant que la référence
restait fixe l'enfant pouvait apprendre les termes par le ren-
forcement ou l'extinction. Tel est le cas de "maman" dont les
(35)
QUINE, idem, p. 155.

41
frontières de la référence étaient maintenues fixes.
Or dans
le cas des déixis ou mots indicateurs,
l'enfant doit appren-
dre comment déplacer la référence d'après les indications du
contexte ou de l'environnement.
Bien que l'ostension soit sui. référentielle, elle
n'est pas un brevet de vérité. En effet,la chose que l'on
montre peut se révéler par exemple être un faux semblant de
pomme, voire même une tomate. Et la déixis ostensive "cette
femme" peut renvoyer à un travesti
! Toutefois, même à ce
troisième stade, tout ce que nous nommons est un objet spatio-
temporel observationnel.
La quatrième phase se reconnaît par la conjonction
d'un terme général à un autre dans une position d'attribut.
Il s'agit là de termes généraux composés qui ne sont vrais de
rien parce que la référence fait défaut.
En effet, dans des
composés comme "pomme bleue", ou "boule carrée", parmi les
objets dont les termes composants sont vrais,
i l n'y a aucun
objet commun
aux deux. D'autre part, à partir de termes
généraux composés de manière attributive, on peut former des
termes singuliers démonstratifs ou des descriptions définies
qui ne réfèrent à rien. Tel est le cas dans "cette pomme carrée"
ou "le cheval volant".
Ce stade aussi ne renvoie pas à des espèces nouvel-
les d'objets. Les objets auxquels ce stade prétend renvoyer
sont les mêmes vieux objets. Ce n'est qu'à la phase suivante
que nous pouvons accéder à des objets nouveaux.
En effet, le cinquième stade apporte un nouveau mode
de compréhension.
Ici, ce seront des choses nouvelles et
cette phase tranche d'avec les quatre premières dont les ob-
jets sont des objets observables. Les objets de la présente
sont obtenus en appliquant des termes de relation à des
termes singuliers. On obtient alors des composés comme "plus
petit que ce grain de poussière". Cette phase contraste avec
la précédente en ceci que, écrit Quine,
"tandis que la non··
existence de pommes bleues observables équivaut à la non-exis-
tence de pommes bleues, la non-existence d'objets observables
plus petits que ce grain de poussière n'équivaut pas à la non-

42
existence d'objets plus petits que ce grain de poussière."
(36) Autrement dit, dans le cinquième stade, si le~ référen-
ces des termes sont inobservables
(à l'oeil nu), ces réfé-
rences ne sont pas rejetées pour autant comme inexistantes.
Le trait caractéristique de cette cinqu~m{phase est qu'il
'f...
nous permet, pour la première fois, de former des termes dont
les références peuvent être inobservables sans qu'on les écar-
te pour cause d'inexistence.
"Un pareil composé, écrit Quine,
est différent de "pomme carrée" en ceci qu'il ne prétend même
pas désigner des choses que nous pourrions montrer du doigt,
et auxquelles nous pourrions donner des noms individuels si
elles passaient par ici. Le terme relationnel "plus petit que"
nous a rendus capables de transcender le vieux domaine, sans
nous donner le sentiment d'être tombés dans le charabia. Le
mécanisme, naturellement, est l'analogie, et plus précisément
l'extrapolation."
(37)
qui nous donne les moyens d'apprendre
les mots.
A ce sujet/Quine remarque qu'il y a trois façons
d'apprendre les mots. Les mots comme des touts,
les mots appris
par analogie et enfin ceux appris par l'extrapolation.
Les mots appris comme des touts sont ceux du genre
"Maman" ou l'interjection "Aie" ou encore "rouge".
L'emploi du mot "Aie" est inculqué à l'individu par
la pression sociale. C'est la société, en effet, qui approuve
l'émission verbale "Aie"
lorsque le locuteur manifeste des
signes de soudain inconfort
: un tressaillement ou tout autre
stimulation pénible. C'est cette même société qui pénalise
l'usage du même mot lorsqu'elle constate que le sujet ne subit
aucune violence. Ce dressage,
la société le fait bien qu'elle
ne ressent pas la peinegu'éprouve l'individu. De même que
"Aie" est le commentaire laconique d'une stimulation doulou-
reuse, de même "Rouge" est le commentaire approprié lors de
la production d'effets photochimiques distincts,
causés dans
notre rétine par l'impact de la lumière rouge.
Ici la méthode
(36) QUINE, R.C., p.
24-25.
(37)
QUINE, LeïM &' C, p. 165.

43
de la société consiste à approuver l'émission verbale de
"Rouge"
lorsque le censeur sait l'individu regarder effecti-
vement quelque chose de rouge mais de pénaliser l'émission
lorsqu'il regarde quelque chose d'autre. Nous voyons ici
qu'il y a un contraste entre l'approbation ou la désapproba-
tion de "Ale"
et de "Rouge". Dans le cas de "Rouge", le cen-
seur n'approuve l'émission "Rouge" que s ' i l voit lui-même
du rouge alors q u ' i l acquiesce "Ale" du locuteur bien lui,
censeur, n'éprouve pas la même indisposition à moins que
censeur et sujet, occupés à allumer un feu et sont brûlés par
une même bouffée subite qui leur arrache un "Are" analogue.
De la même façon que "Ale" peut être plus subjectif que "Rouge"
exception faite de la situation de concomitance que nous ve-
nons d'imaginer/de même "Rouge" peut être subjectif. En effet
le censeur peut assentir à l'émission verbale de "Rouge" chez
le sujet sur la base d'informations annexes, de preuves indi-
rectes, à défaut d'apercevoir l'objet lui-même. Si donc nous
qualifions "Rouge"
de plus objectif de "Ale", cela signifie
que nous faisons allusion aux situations d'apprentissage les
plus caractéristiques, celles de conditionnement à des stimu-
lations verbales ou non verbales appropriées.
Ceci montre alors qu'en fait les mots ne sont pas
appris comme des touts mais par un conditionnement qui associe
l'élocution toute entière à quelque stimulation sensorielle.
C'est ainsi que l'émission verbale "Rouge" comprise comme
phrase d'un seul mot requiert une question qui la suscite. La
question peut être: "De quelle couleur est cette feuille ?"
Le stimulus qui fait choisir l'énonciation "Rouge" est un sti-
mulus composé: la lumière rouge irradie l'oeil et la ques-
tion frappe l'oreille. L'enfant pourra alors poser une ques-
tion de ce genre en remplaçant "feuille" par un autre objet
et saura ainsi constvuire des phrases nouvelles ~râce à ce
procédé de l'analogie.
C'est par analogie que l'enfant arrive à produire
des phrases nouvelles à partir de matériaux anciens. Après
qu'il ait été conditionné à un usage approprié du mot "Pied"
ou "ceci est mon pied", par exemple, ou du mot "Main" ou "ceci
est ma main, après qu'il ait appris la phrase "mon pied cogne",

44
i l pourra dans une situation ad hoc
émettre la phrase "ma main
cogne" .
Ce sont tous ces mots ou toutes ces phrases apprises
de ces deux manières que les quatre premières phases illus-
trent. La cinquième méthode est celle qui se déploie dans la
cinquième phase d'acquisition des mots.
Cette cinquième méthode c'est celle qui consiste en
la description de la chose visée. Le mot "Molécule", par exem-
ple, A la différence de "Rouge",
"carré", etc ... ne se rappor-
te pas A une chose que l'on pourrait distinctement montrer du
doigt. C'est l'extrapolation, forme particulière de l'analo-
gie qui nous Flermetr:de décrire de manière intelligible les
choses non perceptibles. L'analogie nous autorise à nous ser-
vir des mots ou d'expressions avec la manière dont mots ou
expressions ont servi dans des phrases passées. Dans le cas
de l'extrapolation, i l s'agit moins de ressemblance que de re-
lation. Toutefois cette relation n'est pas pure abstraction
puisque l'extrapolation
part de choses observables. Si par
exemple nous voulons appliquer le mot "petits" aux microbes,
nous ne manquerons pas de dire que les microbes sont supposés
se comparer pour leur dimension aux grains de poussière.
"Si
les microbes, écrit Quine, se dérobent à la recherche, rien
d'étonnant i
les grains de poussière s'y dérobent de même la
plupart du temps. Les microscopes confirment la doctrine deS
microbes, mais ils ne sont pas du tout nécessaires pour la
comprendre i
et la descente vers des particules plus petites
encore ne gêne pas davantage l'imagination."
(38) Mais cette
imagination n'est pas fortuite.
On n'y peut donner libre
cours que relativement A des choses visibles. C'est ainsi,
écrit Quine,
"qu'appliquant des telL'mes de dynamique, d'abord appris
en connexion
avec des choses visibles, nous nous représentons
les molécules comme des choses qui se meuvent, qui s'entre-
choquent, qui rebondissent. Tel est le pouvoir qu'A l'analo-
gie de donner un sens à
l'imperceptible."
(39)
A cet égard,
les mots "centaure" ou "pégase" qui ne sont vrais de rien,
seront généralement appris par la description des objets aux-
(38)
QUINE, Le M & C, p.
43.
(39)
QUINE, Le M &rc, p. 43.

45
quels ils sont censés pouvoir être appliqués.
Cependant ce que l'analogie ou l'extrapolation nous
permet d'apprendre est de peu de poids
et les mots survi-
vent d'autant mieux qu'ils sont appris dans le contexte, com-
me les mots des deux premières méthodes.
"Pour accéder à un
concept de molécule adéquat, note Quine, i l faut voir la
doctrine moléculaire au travail dans la théorie physique, et
ceci n'est plus du tout une affaire d'analogie, ni de des-
cription.
Il s'agit bien plutôt d'apprendre contextuellement
un mot figurant comme fragment dans des phrases que nous ap-
prenons à produire comme des touts, dans des circonstances
appropriées."
(40)
Par exemple, dans la théorie ondulatoire
de la lumière,
la compréhension du physicien à propos de ce
dont il parle dépend du contexte, à partir des ondes et des
particules qui sont elles-mêmes apprises dans ces contextes.
Le physicien doit savoir dans quelles circonstances il peut
employer les phrases qui parlent conjointement de photons et
de phénomène de lumière observés. Nous voyons p~indre ici l'un
des arguments de la relativité ontologique et de l'assomption
ontGlogique au nom de laquelle Quine récusera les termes
abstraits auxquels l'enfant accède à la sixième phase.
La sixième phase "commence, écrit Quine, lorsque
nous nous frayons un chemin vers des positions d'objets enco-
re plus radicalement nouvelles que les objets plus petits
que le plus infime grain visible. En effet, les objets plus
petits que ce grain ne diffèrent d'objets observables que
par le degré, tandis qu'au contraire la sixième phase intro-
duit aux entités abstraites. Cette phase est marquée par l'ap-
parition de termes singuliers comme "rongeur",
"rondeur",
"humanité", soit disant noms de qualités, d'attributs, de
classes."
(41)
qui ne réfèrent à rien d'existant. Ce qui con-
duit aux termes abstraits, ce sont les renvois abréviatifs
ou dans les références croisées qui induisent à confondre si-
gne et objet.
"Par exemple, remarque Quine, après un propos
détaillé roulant sur le président Eisenhower, en ajoute "la
(40)
QUINE, Le M & C, p. 44.
(41) QUINE, La relativité de l'ontologie, p. 25.

46
même chose vaut pour Churchill". Ou bien, à l'appui de quel-
que classification botanique, on dit
:
"les deux végétaux
ont l'attribut suivant en commun", et on poursuit par une des-
cription à double fin.
Ce sont des cas où l'on évite une répé-
tition fastidieuse.
Or dans de tels cas on ne renvoie qu'à
une forme de mots, mais nous avons une tendance à réifier,
en posant ~ attribut, le sujet que nous n'avons pas répété,
au lieu de nous borner à parler de mots."
(42)
Un précédent
à de pareilles confusions entre signe et objet se rencontre
dès la première phase,
lorsque l'enfant confondant usage et
mention, émet "Maman" là où i l avait senti une brise.
Toutes ces phases réunies,
notre patron d'objecti-
fication ou notre schème conceptuel d'adultes est complet,
quoique nous pussions nous passer de la dernière phase qui
comporte les notions de classes ou d'attributs, notions para-
doxales.
"La morale à tirer des paradoxes, conclut Quine,
n'est pas forcément le nominalisme; c'est à coup sûr qu'il
nous faut resserrer nos ceintures ontologiques de quelques
crans. La loi des attributs, implicite dans nos habitudes lmn-
guistiques, ou qui y était le mieux adaptée, stipulait que
chaque énoncé, qui mentionne une chose, attribue un attribut
à cette chose; et cet héritage culturel, tout vénérable qu'il
soit, doit être sacrifié. Des excisions judicieuses faites
exprès sont nécessaires."
(43)
(cf. Chap.
9)
Nous discuterons du statut des attributs et des
classes au chapitre 9. Pour l'heure examinons le statut des
termes appris de la première à la dArnière phase. Nous verrons
alors en quoi la division de la référence dans notre langue
maternelle n'est pas différente de la traduction radicale.
§ 5 L'ambiguïté des termes et les caprices de la référence.
S'il est vrai de dire que l'enfant apprend le lan-
gage dans le contexte ou grâce aux normes, i l n'en reste pas
vrai que son schème conceptuel constitue un corpus. Si l'en-
(42)
QUINE, ibid, p.
27.
(43)
QUINE, La relativité de l'ontologie, p. 29.

47
fant arrive à individue~ cela présuppose que les occurrences
d'un terme sont différentes les unes des autres, parce que
leurs référents sont différents. En cela les termes sont dits
"ambigus" c'est-à-dire qu'on ne peut savoir à quoi ils refè-
rent que, ,dans une énonciation qui désigne leur référent res-
pectif. C'est ainsi que tous les termes de toutes les phrases
demeurent vrais de plusieurs choses et non d~une seule, de
façon univoque.
Nous avons vu que les termes ne se laissent pas fa-
cilement déterminer. Tel est le cas dans la confusion du si-
gne et de l'objet. Les termes sont vagues et ce caractère va-
gue est une conséquence du mécanisme de base de notre appren-
tissage des mots.
"Dans la mesure oU, écrit Quine on ne pré-
cise pas combien à droite du jaune et à gauche du bleu peut
se trouver une chose sans cesser de compter pour une chose
verte,
le mot "vert" est vague . . . Dans la mesure 00 on n'a
pas déterminé à quelle distance on peut être du sommet du mont
Rainier sans cesser pour autant de compter encore comme indi-
vidu se trouvant sur le mont Rainier, l'expression "Mont Rainier"
est vague."
(44)
Les termes demeurent vagues même s'ils ex-
priment une comparaison entre les éloignements à partir d'une
norme centrale, étant entendu que cette norme elle-même n'est
pas déterminée de façon précise. Toutefois le vague -tout mot
ou terme dont la ressemblance avec d'autres pour lesquels
la réponse verbale a été faiblement approuvée- des termes
singuliers est différent du vague des termes généraux. En
effet, un terme singulier est vague quant aux' Jlimites de cet
objet dans l'espace-temps;tel est le cas du nom propre ou
terme singulier "Paul" qui, en dépit des milliers de person-
nes qui le portenr, désignent un homme bien spécifié. Au
contraire le terme général est vague au sujet des adhérents
de son extension. Et précisément par ce qu'un terme général
est un terme d'extension/s'âl est vrai d'objets physiques, i l
sera vague de deux manières: d'abord en ce qui concerne les
diverses limites de ses divers objets et ensuite en ce qui
concerne
l'inclusion ou l'exclusion d'objets qu'on pourrait
(44)
QUINE, Le M & C, p. 186.

48
qu'on pourrait appeler marginaux.
"Ainsi, prenons le terme
"Montagne"; i l est vague quant à la quantité de terrains qui
doit être reconnue aux diverses montagnes indiscutables, et
il est vague quant à la question de savoir quelles éminences
moins élevées doivent être comptées parmi les montagnes.
(45)
Les mots tels que "grand" et "petit"
sont vagues
en ce sens que nous parlons de grands papillons et de petits
éléphants, voulant signifier que les premiers sont grands
pour des papillons et les seconds petits pour des éléphants.
Le vague s'illustre davantage dans les positions attributi-
ve ou syncatégorématique. Considérons le mot "pauvre
. En
position attributive, i l impute la pauvreté, exprime même la
piti~ . Mais en position syncatégorématique, il désigne qu'une
action a été faite de mauvaise façon. Ainsi dans l'expression
"pauvre violoniste", si "pauvre" est en position attributive,
il suggère que les pauvres violonistes sont pauvres mais
qu'ils sont quand même des violonistes. En position syncatégo-
rématique, au contraire,
"pauvre" exprime l'idée que les pau-
vres violonistes ne doivent être ni pauvres ni même violonis-
tes. De même dans "nain intellectuel", le sens de l'adjectif
comme attributif renvoie à toute personne qui est à la fois
intellectuelle et naine. Mais dans l'interprétation syncatégo-
rématique, tout individu auquel i l se rapporte devra être inin-
telligente sans qu'il doive avoir la taille d'un géant. C'est
ainsi que le caractère vague des mots conduit à l'ambiguïté
des termes. Un mot est vague quant à son application douteuse
aux objets marginaux. Ainsi le mot "montagne". Le terme ambi-
gu est celui qui, comme "arrêtés", peut être à la fois vrai
d'individus variés et faux des mêmes individus. Un automobi-
liste peut être arrêté au sens d'"immobilisé" ou au sens de
"mis en état d'arrestation", selon les contextes. D'autres
types d'ambiguïtés des termes sont ceux que Quine appelle
l'"action-résultat" et l'"action-habitude".
Selon le premier type,
le terme "attribution" peut
désigner aussi bien l'acte d'attribuer une tâche que la tâche
attribuée. Selon le second type,
"patineur", par exemple, peut
(45)
QUINE, idem, p. 186.

49
suggérer soit quelqu'un qui est en train de patiner et qui
est donc éveillé, soit renvoyer à quelqu'un qui patine d'ha-
bitude, et qui est peut être endormi au moment où l'on parle
de patinage.
Ce qui caractérise l'ambiguité,c'est qu'un même
terme peut renvoyer à plusieurs objets de la réalité extra
linguistique. Il peut être à la fois vrai et faux de choses
identiques. Tel est l'exemple de "arrêté" pour l'automobilis-
te. Mais le terme peut être vrai de choses fort différentes.
Ainsi le mot "dur".
Il se dit des chaises comme des problèmes.
Ce n'est pas parce que "dur"
serait appliqué aux chaises qu'il
serait denié aux problèmes, et vice-versa. L'ambiguïté
d'un terme repose sur sa possibilité d'être vrai ou faux d'une
chose ou de choses différentes, d'énonciation en énonciation.
Elle fait varier la valeur de vérité du terme lorsque varient
les circonstances de l'élocution des énoncés.
La phrase est à la valeur de vérité d'un fait ce
que le terme est à la référence. Des situations st~mulatoi­
res appropriées nous permettent de déterminer la valeur de
vérité des phrases observationnelles ou non observationnelles
sans pouvoir établir la référence des termes. A cet effet,
nous avons vu que par "Gavagaï" émis par le monitor,
le
linguiste traduit "tiens, un lapin' ou "une phase fugéce de
lapin"
lorsque le lapin détale ou que le linguiste le montre.
Dans le cas de l'apprentissage, les phénomènes d'extinction
ou d'encouragement ou d'autres formes de stimulations condui-
sent l'enfant à dissentir ou à assentir à "Maman" ou à
"eau".
Chez l'indigène comme chez l'enfant)des circonstances stimula-
toires interviennent pour déterminer la vérité ou la fausseté
des phrases. Parallèlement/ces mêmes stimulations, pas plus
que d'autres, ne peuvent déterminer à quels objets réfèrent
les termes.
"Gavagaï" signifie "lapin"
(7)
comme "eau" dans
notre propre langue signifie "eau"
(7) Mais lorsqu'il s'agit
de référence, de quoi "gavagai" est-il vrai 7 Laquelle des
diverses traductiompossibles peut véritablement constituer
un brevet d'objectivité irréfutable 7 Comme le souligne Quine,
"si la référence à des objets est tellement inaccessible à

50
l'observation, qui est capable de dire, en se fondant sur des
raisons empiriques, que la croyance aux objets de telle ou
telle description est correcte ou bien éronnée 7"
(46)
On peut certes, eu égard à des réponses aux mêmes
stimuli pour "GavagaI" et "tiens, un lapin"Jinduire que "Gava-
gal" "tiens, un lapin" sont synonymes, mais ce que les
stimuli ne peuvent trancher, c'est la référence du terme
"GavagaI". Et cela d'autant que pour le monitor ou l'indigène,
"GavagaI" peut êtrellUn segment de lapin, auquel cas il serait
un terme de masse. Il peut renvoyer à
l;porité; on aurait
alors un terme singulier abstrait; soit encore le terme peut
désigner des lapins et alors il serait un terme général con-
cret. Comme l'écrit Largeault,
"de même, quand l'enfant qui
voit une manif (entendons "manifestation de revendication
sociale")
émet "rouge", on ne peut pas, sauf par questions,
établir si "rouge" est pour lui un terme singulier abstrait
(nom de couleur), ou terme général concret
(vrai de chaque
chose rouge,
un terme qui divise sa ~éférence)" (47) ou
même un terme de masse (du "rouge ,~,). "L'indigène, continue
Largeault, dit vrai en prononçant "GavagaI" en certaines
occasions sans que nous sachions s ' i l y a référence à des
objets plutôt qu'à une classe ou à un épisode temporel; nous
ignorons si l'enfant, avec son "rouge", réfère à un objet
ou à une couleur. Référence et vérité, dès ce simple stade,
ne sont pas liées."
(48)
Il se trouve ainsi que ce qui est indéterminé, ce
n'est pas simplement la signification, mais aussi la référence
qu'on ne peut établir si la signification d'un objet auquel
renvoie un terme n'est pas déterminable. Et comme le note
Quine,
"les termes "lapins",
"partie non détachée de lapin"
et "segment temporel de lapin" ne diffèrent pas seulement
sous le rapport de la signification ;
ils sont vrais de cho-
ses différentes. La référence elle-même se révèle inscruta-
ble du point de vue du comportement."
(49)
Inscrutabilité ou
(46)
QUINE, La relativité de l'ontologie, p.
23.
(47)
LARGEAULT, Quine question de mots, questions de faits, p. 49.
(48)
LARGEAULT, idem, p. 49.
(49) QUINE, R.O., p. 48.

51
versatilité ou fugacité de la référence expriment la même
idée~ "On peut rendre l'inscrutabilité de la référence plus
proche de chez nous en considérant le mot "alpha" ou bien, à
nouveau,
le mot "vert".
Il Y a une ambigu'ïté systématique
dans notre emploi de ces mots et d'autres qui leur ressemblent.
Tantôt nous les employons à titre de termes généraux concrets,
comme quand nous dieons que l'herbe est verte ou qu'une ins-
cription commence par alpha. Tantôt au contraire nous les
employons à titre de termes singuliers abstraits, comme
quand nous disons que vert est une couleur et alpha une let-
tre. Que sur le plan de l'ostension rien ne distingue ces deux
emplois vient encourager cette ambiguïté. Car l'acte de mon-
trer du doigt, que l'on ferait pour enseigner le terme géné-
ral concret "vert" ou "alpha", ne diffère pas de celui que
l'on ferait pour enseigner le terme singulier abstrait "vert"
ou "alpha". Cependant les objets référés par le mot sont
différents selon qu'il s'agit de li'un ou de l'autre emploi,
car avec l'un le mot est vrai de plusieurs objets concrets,
tandis qu'avec l'autre il nomme un objet abstrait unique."
(50)
Comme l'écrit Largeault "la situation de l'enfant
ressemble à celle deI 'indigène, sauf que le premier apprend
la langue, tandis que le second sait la sienne, La vérité
de leur propos est indépendante de la référence. L'indigène
dit vrai en prononçant "gavagaï" en certaines occasions, sans
que nous sachions s ' i l y a référence à des objets plutôt
qu'à une classe ou à un épisode temporel; nous ignorons si
l'enfant, avec son "rouge"
réfère à un objet ou à une cou-
leur. Référence et vérité, dès ce stade simple, ne sont pas
liées."
(51)
Dans l'un comme dans l'autre cas "j'ai soutenu que
nous pourrions connaïtre les conditions stimulatoires néces-
saires et suffisan~ de chaque acte possible d'énonciation
en énonciation dans une langue étrangère, et néanmoins ne pas
savoir comment déterminer à quels objets croient les locuteurs
(50)
QUINE, R.O., p.
51-52.
(51)
LARGEAULT, Quine: question de mots, question de faits,
p.
48.

52
de cette langue."
(52)
L'idée est que les mots chargés d'une
fonction sémantique n'ont pas leur référence fixée, ou assu-
rée par aucun fait. Ainsi nous pouvons connaître la valeur
de vérité d'énoncés dont nous ne sommes pas à même de dire
avec certitude à quoi ils réfèrent, à moins que le linguiste
ou le philosophe ou l'homme de science ne fixe lui-même la
référence.
On aboutit à une situation paradoxale : à partir
de stimulations, nous acceptons ou refusons un énoncé en
manquant de preuves fmpiriques qui assureraient que les ré-
férences de ses termes sont tels objets plutôt que tels au-
tres. Les preuves empiriques de vérités établissent des exis-
tences,
sans établir l'existence d'objet déterminés. Nous
ne sommes pas maîtres de faire exister des choses
; nous le
sommes plus ou moins de faire que ces choses soient ceci ou
cela, par exemple "partie de lapin" ou "segment de lapin"
A la différence de ce qu'il en est pour la vérité ou la faus-
seté des énoncés, i l n'y a pas de conditions stimulatoires
qui soutendraient la référence des termes.
S'il n'y a pas de sens originel duquel partir, que
vaut le rationalisme de Chomsk~ contre l'empirisme de Quine?
SECTION 3
Objections à la thèse de l'indétermination
de la théorie.
De toutes les thèses de Quine que nous examinerons,
la thèse de l'indétermination de la traduction est la plus
controversée. Presque toutes les objections contre Quine/-évi-
demment les objections dont nous avons pris connaissanceï y
renvoient. Sans nous attacher à relever tous Ces différents
points qui d'ailleurs se recoupent, nous en retiendrons quel-
ques-uns. Toutes les objections qui tournent autour de la ré-
futation de la thèse ont pour objet la conception quinéenne
du langage. Le langage, dit Quine, est un complexe de dispo-
sitions. Soutenir le contraire, c'est montrer par la même
-~-------------------
(52)
QUINE, op. cit., p.
23.

53
occasion que la thèse est triviale, à moins de postuler l'exis-
tence d'un langage privé qui garantisse de la vérité et de
\\ la signification dans les traductwnS
radicales.
A ces critiques, Quine oppose d'autres raisons de
la thèse de l'indétermination de la théorie.
Il établit un
parallèle entre la théorie physique et la traduction radica-
le. Ce que soutient Quine, c'est que la traduction ne nous
donne pas des significations qui auraient été possibles par
un langage privé. La théorie de l'énonciation, voirtla pragma-
tique, bien qu'elle ne conçoive pas le langage comme un en-
semble de dispositions,ne contestent pas moins l'existence de
signification. L'analyse de Strawson nous est à cet égard
sillgnificati~
§ 6 La critique du langage conçu en termes de dispositions.
Dans la préface à Le Mot et la chose Quine écrit
ceci
"Le langage est un art social. Pour l'acquérir, nous
dépendons entièrement d'indices accessibles intersubjectivement
relativement à ce qu'il y a lieu de dire et au moment de le
dire. Dès lors, i l n'y a aucune justification pour conférer
des significations linguistiques, si ce n'est en termes des
dispositions des hommes à répondre ouvertement à des stimula-
tions observables."
(53)
C'est ainsi que l'enfant apprend la l~nsue
maternel-
le comme nous l'avions vu. La société qui a intérêt à ce que
les gens parlent la même langue et se fassent entendre, appli-
que aux individus le même dressage.
Elle sanctionne par une
approbation l'émission d'un mot s ' i l est conforme à l'usage
social mais pénalise la même émission dans le cas contraire.
C'est la tâche du censeur
(le martre ou la famille)
d'y veiller.
Certes tous les individus de la société n'apprennent
pas la langue avec la même facilité. Les idiosyncrasies,
l'his-
toire personnelle de chaque individu instaurent des différen-
ces dans le module de l'acquisition du langage. Ainsi, remar-
que Quine,
"plusieurs individus élevés dans le même milieu
(53)
QUINE, Le Mot et la chose, p.
21.

54
linguistique se ressembleront entre eux comme ces arbustes
qu'on taille en forme d'éléphaht. Autant d'arbustes,
autant
d'arrangements différents de branches maîtresses et de rameaux
aboutissant en gros à la même silhouette éléphantine : le
détail anatomique diffère avec chaque buisson, mais de l'exté-
rieur le résultat est le même"
(54),
à savoir l'unanimité
dans l'usage des mots. C'est ce qui explique la notion de si-
gnification-stimulus censée donner les manifestations physi-
ques des comportements.
Mais cette conception du langage a jeté le tollé
parmi les innéistes, les pragmatistes et simplement tous ceux
'(
que ého1l)..Q. ~ ~d».vh"O'r7f1Î..a.1>V1 c4 --~
Erik Stenius, dans son article "Beginning with
Ordinary Things~,écrit ceci: si la phrase (53)
"signifie
que nous pouvons étudier les
'significations' non comme des
entités mentales cachées appelées significations, mais en
relation avec l'usage du langage de notre environnement so-
cial et physique et donc de notre comportement socialement
observable,
je suis d'accord avec Quine"
(55)
Et Stenius
appelle cela le principe de publicité.
Mais i l ajoute
: Malheureusement le behaviorisme de
Quine ne signifie pas que cela.
Il y a quelque chose d'au-
tre de compliqué et qui est insinué par deux expression qu'on
trouve dans la citation: l'expression
'en termes de' et le
mot
'Gtimulation'.
Pour Stenius, l'expression
'en termes de' suggère
que tous les termes utilisés dans la description de la signifi-
cation linguistique peuvent soit se reférer aux entités socia-
lement observables ou, au moyen de définitions, être traduisi-
bles dans d'autres termes qui ont la propriété. La difficulté
de construire ainsi la science est manifeste de nos jours. On
n'utilise les termes qu'eu égard à leur convenance, à leur
économie, etc . . . et la relation entre les termes scientifiques
et les entités observables ne peut simplement être caractéri-
sé par un conceptuel
'en termes de'.
(54) QUINE, Le Mot et la chose, p. 35.
(55)
Erik STENIUS in Synthèse, vol 19, n01/2 1968-1969, p.
27
Ed.
à l'honneur de Quine par D. Davidson et J. Hinhkka.

55
D'autre part le mot
'stimulation' suggère que, selon
Quine, nous pouvons décrire les significations en termes d'ir-
ritation de surfaces nerveuses et de réponses à de telles sti-
mulations. Or la réalité nous montre deux choses, à savoir que
a)
Les irritations de surface ne sont socialement observa-
bles en aucun sens pertinent du terme.
b) Les surfaces d'irritation ne sont pas non plus intrinsè-
quement observables.
Pour
(a)
on peut dire que les surfaces d'irritation
sont
(socialement)
observables dans le laboratoire du physio-
logiste mais ces observations n'ont rien à voir avec les fac-
teurs socialement observables de l'environnement. Pour
(b), on
peut arguer qu'aucune référence à l'observationalité mntrin-
sèque n'est pertinente selon le principe de publicité. La
corrélation entre les surfaces d'irritation et l'information
transmise par le système nerveux aux centres du comportement
linguistique est compliqueé,
"ou, pour exprimer la chose de
façon plus behavioristique : i l semble impossible de condi-
tionner quelqu'un à réagir d'une certaine façon si et seulement
si quelque tendance spécifique d'irritation de surface se pro-
duisait, disons,
la stimulation d'une partie de la rétine par
une irradiation d'une certaine sorte."
(56)
C'est justement le point de vue que défend Karl
Schick dans un article "Indeterminacy of translation". On y
l i t :
"Comme pierre de touche
(underlying) de la méthode
de traduction de Quine, il y a son assomption que le langage
est "un ensemble de dispositions socialement inculquées". Cette
assomption n'est cependant pas justifiée. Avoir une langue
n'est pas être disposé à se comporter verbalement en réponse
à des stimulations. Quelqu'un peut savoir une langue sans être
disposé en faire usage quand i l est stimulé."
(57)
Avoir une langue ne signifie pas être disposé à as-
sentir ou à dissentir aux phrases quand on est stimulé. Quel-
qu'un peut savoir une langue et cependant, à une occasion, ne
pas assentir ou dissentir, devant une douleur, une peine, une
(56)
Erik STENIUS, idem, p.
29.
(57)
Karl SCHTCK in J. of. Philosophy, vol.
69, 1972, p. ·826.

56
joie, etc ... Stimulations verbales et stimulations non ver-
bales peuvent toutes deux produire l'assentiment ou le dis-
sentiment. Mais elles peuvent également inciter le sujet à
répondre:
"ne m'importunez pas;
je suis pressé" ou même
elles peuvent conduire au silence. Peut être que la plupart
du temps les gens sont disposés à répondre aux questions mais
pas toujours. En outre quelqu'un peut être indisposé à assen-
tir ou à dissentir à cause
de préoccupations1de peu~de la
suspi~ion, par timidité ou modestie/ou par perversité. Et
naturellement s ' i l est disposé à assentir ou à dissentir,
i l
peut mentir, en dehors de toutes malveillance ou simplement
par farce.
Bref,
les dispositions à assentir
ou à dissentir
aux phrases en réponses aux stimulations ont beaucoup plus
de varibales que la connaissance d'une langue. Pour Schick le
langage n'est pas un ensemble de dispositions à acquiescer
ou à refuser et à cet égard pour ironiser le behaviorisme de
Quine, John Searle écrit ceci:
"Quine propose pour ce qu'il
appelle la l'stimulus-analytic~té'l la définition suivante
:
"je dis qu'une phrase est stimulus-analytique pour un sujet,
si, après tout stimulus
(dans le module), i l accepte toujours
la phrase ( . . . ). S'il en est ~, il n'y aurait sans doute
personne pour reconnaître qu'une phrase est "stimulus-analyti-
que", car, si en guise de stimulus, on nous pointe un révol-
ver entre les yeux avec la sommation suivante
:
"Refuse la
phrase: Aucun célibataire n'est marié', ou je te fais sauter
la cervelle", i l faudrait vraiment être héroïque pour accepter
la phrase."
(58)
Si la connaissance qu'on a du langage n'est pas
celle de Quine, qu'est-ce alors? Et Schick de postuler un
langage privé. S'il n'y a pas de différences individuelles in-
nées, dit-ilIon ne peut, pour les significations publiques/dé-
couvrir les significations des autres peuples. S'il n'y a pas
de langage privé, i l n'y a pas de garantie puisque les traduc-
(58)
John SEARLE, Les actes de langage, Trad. Fr. H. Pauchard,
p.
44.

57
tions doivent conserver des significations. Cette conception
est également celle de Chomsky.
§ 7 Le rationalisme de Chomsky et l'fmpirisme de Quine
En réaction contre l'''American way of linguistics"
d'alors, qualifié aussi d' "Establ~ment"/ représenté par Bloom-
field et ses successeurs, la linguistique générative née de
Chomsky partit en guerre dès 1957 contre le courant behavio-
riste représenté par Skinner.
Soucieux de rendre compte de
la "créativité" du sujet parlant par la formalisation d'un
modèle interne ou "faculté" de langage que possède tout locu-
teur, Chomsky ne peut que s'opposer à Skinner et à Bloomfield.
Comment alors s'étonner qu'il reproche à Quine d'avoir des
vues behavioristes même si Quine inscrit l'échec du behavio-
risme à rendre compte des significations des locuteurs
Si le langage est un complexe de disposition à ré-
pondre sous un ensemble normal de circonstances, alors,
i l
est non seulement fini mais extrêmement réduit et ne peut ren-
dre compte de la compétence des locuteurs. D'autre part,
Quine, écrit Chomsky,
"formule le problème de l'indétermina-
tion de la traduction comme résultant du fait que "les manuels
pour traduire une langue dans une autre peuvent être élabo-
rés selon des principes divergents, tous compatibles avec la
totalité des dispositions à parler et cependant incompatibles
entre eux."
Ainsi notée, si nous prenons la
'totalité des dis-
positions à parler' d'un individu comme caractérisée par des
distributions de probabilité
( . . . ) pour des expressions discer-
nables sous des conditions stimulatoires, alors la thèse est
triviale au sens où toutes ces probabilités seront empirique-
ment indiscernables."
(59)
Ainsi conçues/les stimulations sont vides. Mais com-
me le fait Quine, si on ne parle plus de dispositions à parler
mais en termes de dispositions et de situation,
le problème
devient différent. On isole dans l'ensemble des dispositions
un ensemble de dispositions,
à
savoir les dispositions du locu-
(59)
CHOMSKY,
'Quine's empirical assumptions'
in Synthèse cit.
p.
58

58
teur à accepter ou à refuser une phrase quand on lui pose une
question. Mais, écrit Chomsky,
"manifestement, la totalité
des dispositions de quelqu'un à répondre sous des conditions
stimulatoires arbitraires n'est pas le même que ses disposi-
tions à être incité à assentir ou à dissentir aux phrases
sous des conditions particulières de gedankenexperiment que
Quine esquisse."
(60)
Chomsky considère que les points de vue de Quine
rendent difficile l'abord du langage. Toutefois, dit-il,
"il
est aisé d'imaginer une issue de difficultés posées par la
finitude implicite du langage et dela connaissance
( . . . ) On
pourrait supposer qutla connaissance d'une
'grammaire univer-
selle', au sens large, est une propriété de l'esprit et qui,
étant donné un système de règles et de principes, détermine
la forme et la signification d'une infinité de phrases."
(61)
Pour Karl Schick et Noam Chomsky, i l y a un langage
privé, inné. Quine peut-il accepter ces objections sans alté-
rer sa thèse de l'indétermination de la traduction? On aurait
tendance à croire à des concessions. Dans "Rephies" . . . (à Chomsky)
on l i t :
"je peux ajouter ici un mot de bienvenue explicite à
l'égard de n'importe quel mécanisme inné de l'aptitude au lan-
gage si élaboré soit-il que Chom3ky peut rendre intelligible
et plausible. Le mécanisme inné après tout, est le coeur
et le nerf du comportement."
(62)
Il n'y a pas d'induction,
d'habitude de formation, de conditionnement sans des disposi-
tion premières de la part du sujet à traiter une stimulation
comme plus similaire à une deuxième qu'à une troisième.
C'est dire que Quine admet les facteurs innés mais
i l les réduit considérablement, ne retenant surtout que l'es-
pace de qualité. D'ailleurs)il suspecte. des facteurs innés.
Dans 'linguistics and philosophy'
(1969)
i l é c r i t :
"les struc-
tures innées encore inconnues, surajoutées au simple espace
de qualité, qui sont nécessaires dans l'apprentissage du lan-
gage, sont spécifiquement nécessaires pour faire franchir à
l'enfant la grosse bosse qui se dresse au-delà de l'ostension
(60)
CHOMSKY, idem, p. 59.
(61)
CHQ~SKY, idem, p. 59.
(62)
QUINE,
'Rephies'
in synthese cit. p.
279.

59
et de l'induction. Si l'anti-empirisme et l'anti-behaviorisme
de Cho~ky disent simplement que le conditionnement est insuf-
fisant pour expliquer l'apprentissage du langage, alors sa théo-
rie est du même genre que ma doctrine de l'indétermination
de la traduction."
(63)
Evidemment Chomsky refuse cette application faite à~~
gramma~énérative. Mais il ne refuse pas la thèse. Dans son
article que nous avons cité, Chomsky dit ceci:
"interprêtée
dans un contexte psychologique/la thèse de l'indétermination
de la traduction de Quine se ramène à un dessein empirique
peu plausible et tout à fait inconsistant au sujet de ce que
l'esprit apporte au problème de l'acquisition du langage comme
une propriété innée. Ce dessein me semble historiquement inté-
ressant.
Interprêtée dans un contexte épistémologique comme
un but au sujet de la possibilité du développement de la théo~
rie linguistique, la théorie deQuine est une simple version
des ar9uments sceptiques familiers qu'on peut appliquer aussi
bien à la physique qu'aux problèmes de ce qui est véritable-
ment la perception."
(64)
L'objection de Chomsky, de Karl
Schick et de tous
ceux qui contestent les fondements de la thêse au nom de consi-
dérations psychologiquej, c'est la suivante: si on s'en tient
à la thèse de Quine on ne peut étudier une théorie ou une lan-
gue ni la traduire puisqu'il n'est pas permis de construire
des énoncés généraux sur le langage ou sur un
'sens commun'
des théories dès lors où les propriétés innées de l'esprit
ou les procédés d'une sémantique générative ne peuvent imposer
aucune condition sur le langage. Pour ~ux donc la thèse est
triviale. Alors que Quine soutient qu'auaune traduction ne
peut prétendre rendre compte de la signification des énoncés
du langage ordinaire ou de la ~cience, ses opposants disent
qu'une traduction correcte vise à trouver une phrase dans no-
tre langue qui exprime la même proposition qu'une phrase dans
la langue maternelle. Quine, dans ses
(Replies' et ailleurs
ne cache pas les mauvaises interprétations faites à sa thèse.
(63) QUINE,
'Linguistics and philosophy'
in
(64)
CHCM~KY, in synthèse cit. p. 66.

60
Il introduit des arguments nouveaux.
Dans,',On' the reasons for indeterminary of transla-
tion' Quine d i t :
"mon exemple de gavagaï figure de façon
centrale dans les discussions de l'indétermination de la tra-
duction. Les lecteurs y ont vu la base de la doctrine et espè-
rent, en résolvant cet exemple,
jeter le doute sur la doctri-
ne. Le fondement véritable de la doctrine est quelque chose
de très différent, en proportion et en profondeur. "
(65)
L'exemple en est fourni par la physique qui permet
d'établir un parallélisme avec la traduction radicale.
"La
1
totalité des expériences possibles de la nature,
e~ Quine,
que nous effectuons et que nous n'effectuons pas
(made and
unmade)
est compatible avec les théories physiques lesquelles
sont incompatibles les unes les autres. De même/la totalité
des observations possibles du comportement verbal,
faites et
non faites, est compatible avec les systèmes d'hypothèses
analytiques de traduction lesquelles sont incompatibles les
unes avec les autres. Ainsi le parallélisme tient. Si vous
posez une question théorique â un physicien bien en dehors
des phrases d'observation, sa réponse se fond2ra sur sa théo~
rie et non sur quelque théorie incompatible et ~nconnue...
De nouveau le parallèle tient : si vous demandez à un linguis-
te :
"Que disait l'informateur? 08 la réponse de l'indigène
était de la catégorie des phrases d'observation,
la réponse
du traducteur résultera de son manuel de traduction et non de
quelque manuel inconnu et incompatible ... "
(66)
Une théorie, qu'elle soit linguistique ou physique
comporte un ensemble d'axiomes, des règles,
les axiomes
surtout, étant incompatibles avec une autre théorie. Mais ces
deux théories peuvent reposer sur les mêmes
data
. C'est ce
qu'exprime l'expression 'empiriquement compatible'
Quine dépeint de façon illustrative sa thèse
"Bien que la linguistique soit bien sOr une partie
de la théorie de la nature,
l'indétermination de la traduction
n'est pas seulement un héritage en tant que cas spécial de la
sous-détermination de notre théorie de la nature. Elle est
parallèle mais supplémentaire. Aussi adoptons pour le moment
(65)
QUINE in J. of. philosophy, vol. 67, 1970, p. 178, Janv-Juin
(66) QUINE "Replies'
in synthèse p.
274-275.

61
Mbn attitude pleinement réaliste envers les électrons et les
ions
(muons)
de l'espace-temps comme courbe, se conformant à
la théorie courante du monde en dépit de la connaissance de
ce qui est dans le principe méthodiquement sous-déterminé.
Considérons, à partir de ce point de vue réaliste,
la totali-
té des vérités de la nature, connues et inconnues, observa-
bles et inobservables, passées et futures. La conclusion sur
l'indétermination de la traduction est qu'elle supporte toute
cette vérité,
la vérité totale de la nature. C'est ce que je
veux dire quand je dis que quandSapplique l'indétermination
de la traduction,
i l n'y a pas de question réel du meilleur
choix;
i l n'y a pas de problème même pour la reconnaissance
profonde de la sous-détermination de la théorie de la
nature."
(67)
Soit A et B deux théories empiriquement compatibles.
Nous pouvons adopter A et laisser B et si on choisit entre
A et B ce n'est pas en vertu d'une philosophie première et
légitime ou d'un sens privé mais en vertu de la simplicité
et de l'évidence. Ces deux concepts seront ceux qui dicteront
le choix de la logique comme traduction de tous les énoncés du
langage et de la connaissance scientifique.
Pour l'heure nous terminons notre chapitre en mon-
trant brièvement que la pragmatique et la théorie de l'énoncia-
tion, bien qu'elles ne puissent accepter la conception quinéen-
ne du langage/ne contestent pas moins -surtout l'énonciation-
l'existence d'une signification linguistique donnée. Lespro-
pos de Strawson sont à cet égard significatifs.
Méfiant de la parole qui n'est qu'individuelle,
De Saussure ne pouvait lui assigner le statut d'objet de la
science, linguistique. Seule la langue répond à cette exigence
de construction théorique. La pragmatique, qui prend le
contre-pied de cette linguistique, prend la parole comme objet
d'investigation philosophique. Austin, en créant la pragmati-
que linguistique entend définir le langage comme action.
(67)
QUINE,
'Replies' in Synthèse cit. p.
275.

62
En faisant la distinction entre les énoncés cons ta-
tifs et les énoncés illocutionnaires, i l distingue le cas des
énoncés qui décrivent un évènement de celui des énoncés qui
ont trait à la réalisation d'actes par l'usage du langage par
le locuteur. Un énoncé est dit illocutionnaire s ' i l décrit
une action de son locuteur et si son énonciation, c'est-à-
dire son usage individuel par le sujet parlant revient à ac-
complir cette action. Par exemple l'énoncé
(1)
Je promets
est un énoncé illocutionnaire au sens où en l'énonçant,
j'ac-
complis l'acte de promettre. Non seulement je dis promettre,
mais je promets. Les verbes tels que
'promettre',
'conseiller',
'baptiser',
'déclarer', etc . . . sont quelques verbes d'attitude
illocutionnaire'
(si on peut se permettre cette expression).
Mais les verbes d'attitude illocutionnaire peuvent vouloir
signifier plusieurs choses : par exemple en promettant,
je
tiens à rassurer mon interlocuteur ou à le menacer. Ces au-
tres verbes sont ceux qui expriment l'attitude perlocutive.
Il s'agit de ce que les verbes d'attitude illocutionnaire
présupposent.
C'est en incorporant l'analyse en présupposition que
John Searle systématise la pragmatique. Il y a des oppositions
qui permettent de distinguer les actions introduites par les
verbes d'attitude illocutionnaire. Etablir les règles de la
combinatoire des verbes d'action, c'est ce qu'entreprend
Searle dans Les actes de langage. Voici un résumé de ses con-
clusions.
"Premièrement, et le plus important, il
y a
la direction ou l'objectif de l'ac-
tion
(par exemple, la différence entre
assertion et interrogation)
; deuxième-
ment,
les positions relatives du locu-
teur et de l'allocutaire (la différence
entre demande et ordre)
; troisièmement,
le degré d'engagement pris
(la diffé-
rence entre la simple expression d'in-
tention et la premesse)
; quatrièmement
la différence dans le contenu proposi-
tionnel
(la différence entre prédictions

63
et constats)
; cinquièmement, la
différence entre la manière dont la
proposition se relie aux intérêts du
locuteur et de l'allocutaire
(la dif-
férence entre se vanter et se plaindre,
entre avertir et prédire)
; sixième-
ment, les états psychologiques! exprimés
(la différence entre la promesse, expres-
sion d'intention, et l'assertion, ex-
pression de conviction)
;
septièmement,
les différentes manières par lesquel-
les un énoncé se relie au reste de la
conversation (la différence entre la
simple réponse à la réplique précéden-
te et l'objection à ce qui vient d'être
dit."
(68)
Pour parvenir à ces conclusions Searle a dû éta-
blir des règles pour les actes de langage. Voici par exemple
les règles 4 et 5 gouvernant l'emploi d'un marqueur de force
illocutionnaire quelconque Pr pour la promesse.
Règle 4 : Pr s'emploie uniquement si L à l'intention d'ef-
fectuer c. C'est la règle de sincérité.
Règle 5
Employer Pr revient à contracter l'obllÎJ.gation
d'effectuer c. C'est la règle essentielle.
(69)
Nous n'examinerons pas ces règles. La raison d'être
de notre allusion est de montrer leur insuffisance quelles que
soient les précautions pour les ~~ bn·jc(t.(er. Par exemple pour
John Searle, remercier,
féliciter ou souhaiter
(la bienvenue)
c'est exprimer sa gratitude, son plaisir. Or soutenir cela
c'est oublier cette espèce de sens oblique ou de modalisation
des termes. C'est ce que montre Strawson.
Il montre dans
"phrase et acte de paroles" que les conventions et les règles
n'épuisent pas un énoncé car le contexte d'un énoncé affecte
ce qu'on dit ou ce qu'on veut dire lorsqu'une phrase est énon-
cée sur le mode sérieux, c'est-à-dire en parler normal.
"Supposons, écrit-il, qu'à une certaine occasion
une personne énonce sur le mode sérieux une phrase S d'une
langue L. Supposons qu'une autre personne, X, possède tout
(68)
John SEARLE, Les actes de langage, Trad. Fr. H. Pauchard
p.
(69)
John SEARLE, idem, p. 105.

64
juste cette information et rien de plus, en ce qui concerne
l'émission verbale, c'est-à-dire qu'elle sache quelle phrase
a été énoncée, mais ignore tout de l'identité du locuteur ou
de la nature de l'occasion de cette énonciation. Admettons
en outre que X possède une connaissance idéalement complète de
L. Peut-on ademttre dans ces conditions qu'il y ait un sens
qui permette de dire de X qu'il connaît la signification de ce
qui a été dit exactement à cette occasion-là ?"
(70)
Malgré de telles précautions nous dirions
: cela
dépend. Si la phrase en question est indemne de toute ambi-
guité, on peut dire de X qu'il connaît la signification de ce
qui a été dit. Si au contraire la phrase est ambiguë, du
genre
(2)
La vedette disparut au grand étonnement des spectateurs.
alors X ne connaît pas encore la signification de ce qui a été
dit car il ne sait pas laquelle est la bonne lecture des
interprétations possibles du terme li vedette".
Mais admettons que la phrase soumise à l'attention
de X ne soit pas ambiguë. Supposons qu'il s'agit de l'énoncé
(3)
Jean sera ici dans deux heures comptées à partir de
maintenant
Selon notre supposition, à savoir que X connait la significa-
tion de
(3), nous appelons cette signification, signification
linguistique.
Notons là A
Si d'autre part on ajoute à A sa portée référentiel-
le, c'est-à-dire la portée des éléments de l'ostension
(le dé-
monstratifs et les déictiques)
on accroît la signification de
l'énoncé. Cette signification, appelons-là B. Mais, même si
X connaît la signification de l'énoncé au sens de B, i l ne s'en
suit pas qu'il connait complètement la manière dont ce qui a
été dit doit être entendu. On peut savoir que l'énoncé
(3)
s'adresse à quelqu'un sans savoirdt~;(s'agit ou si l'acte
perlocutif est un conseil, une menace, une assurance, etc ...
(70)
STRAWSON,
'Phrase et acte de parole' in Langages, N° 17,
Mars 1971, p. 19.

65
Il faut donc introduire une autre manière où on
remarque que la signification de ce qui a été dit déborde la
compréhension de la signification de l'énoncé au sens B.
Cette signification, qu'on peut appeler signification complè-
te, notons-là E. Ainsi dans l'énoncé
(3)
i l Y a un sens perlo-
cutif compris dans C qu'on définit sens englobant. Mais ce
sens englobant n'est une connaissance que dans un contexte
déterminé. En effet, le contexte influe sur A, B, c.
Ainsi l'énoncé
(2)
sera différemment compris par X
selon qu'il s'agisse d'un chanteur qui quitte précipita~ment
la scène ou le plateau ou selon qu'il s'agisse d'un bateau de
croisière qui disparaît aux yeux de ses admirateurs, caché
par les vagues ou perdu à l'horizon. De même dans
(3)
X ne
comprend la phrase que dans un contexte d'énonciation qui
échappe à toute règle.
Toutes ces considérations montrent que nos précau-
tions sont insuffisantes. Nous avions supposé X pourvu d'une
maîtrise de la sémantique et de la syntaxe d'une langue ou
d'un dialecte. Admettre cela c'est supposer qu'on peut arti-
culer la connaissance de X dans une grammaire idéale et dans
un dictionnaire qui énumère chaque sens d'un mot de L. Or
i l est un lieu commun qu'un mot peut véhiculer des sous-enten-
dus ou des présupposés et des sens figurés qui n'épuisent pas
le dictionnaire.
"La vérité, écrit Strawson, c'est que les res-
sources sémantiques existant dans le langage ont en soi la
vertu de se pré ter à une variation et à un développement qui
leur est plus ou moins propre, selon des voies qui ne peuvent
guère se réduire à des règles préalables à ce qui se produit
effectivement, c'est-à-dire antérieures dans le temps à ce qui
est dit ou compris."
(71)
Et si l'on prend des précautions pour
réadapter le dictionnaire, ce fait montre que c'est le dic-
tionnaire qui suit la compréhension et non plus la compréhen-
sion qui suit le dictionnaire
!
C'est alors que Strawson en vient à suspecter la
proposition définie carme étant le support de la vérité. Il roontre gue
(71)
STRAWSON, idem, p.
24-25.

66
ni la maîtrise même complète du langage c'est-à-dire la
syntaxe et la sémantique, ni les rapports de référence,
ne peuvent suffire à comprendre l'énoncé d'un locuteur.
Il
f
faut également connaître les insi~uations qui ne peuvent être
codifiées et qui ne sont compréhensibles que selon le contexte,
c'est-à-dire la situation de discours.
Quine applaudit à de telles vues, et on ne s'étonne pas qu'il
qualifie Strawson d'antipropositionnaliste même si ce dernier
s'en défend.
CONCLUSION
S'insurgeant contre le réalisme sémantique, la thè-
se de l'indétermination de la traduction refute l'idée qu'une
traduction puisse reproduire fidèlement les traits de la pen-
sée du peuple dont on traduit la langue. Ni
l'indétermina-
tionl de la traduction ni l'inscrutabilité de la référence ne
sont des thèse triviales. Malgré les critiques contre la défi-
nition
quinéenne du langage, la thèse établit qu'il n'y a
pas de traduction ou de référence indépendantes des hypothèses
analytiques. Quine dans le Mot et la chose donne sept raisons
de la thèse de l'indétermination. Nous retiendrons celle-ci:
"Une autre cause qui tend à masquer l'indétermination, c'est
qu'on la confond avec l'affirmation banale selon laquelle il
est absurde de parler de traduction unique. L'indétermination
que j'ai en vue est plus radicale.
Elle consiste dans le fait
que des systèmes rivaux d'hypothèses analytiques peuvent s'ac-
corder avec toutes les dispositions verbales dans chacune
des langues considérées et cependant commander, en des cas
innombrables, des traductions entièrement disparates
non
pas des paraphrases mutuelles ; mais des traductions dont cha-
cune serait exclue par l'autre système de traduction. Deux
traductions de ce genre peuvent même être manifestement oppo-
sées par leurs valeurs de vérité, pourvu qu'il n'existe pas
de stimulation qui encourage l'assentiment à l'une et à l'autre."
(72)
(72)
QUINE, Le mot et la chose, p.
119.

67
Qu'il s'agisse d'une langue étrangère ou de la
notre -oü les écarts de langue se recommandent d'eux-mêmes-
nous ne pouvons plus dire "voilà ce qui est" mais plutôt "voilà
ce qu'on peut voir. Ni la sémantique naive ni une sémantique
behaviortste quelle qu'elle soit, ne peuvent nous reveler un
sens caché. EU égard à l'indétermination de la traduction,
à l'inscrutabilité de la référence, en dépit d'une sociolisa-
tion du langage,
i l n'y a pas une essence résiduelle à partir
de laquelle on effectuerait la traduction. La conséquence im-
médiate de tout ce qui s'ensuit, c'est le rejet quinéen de la
proposition.

68
CHAPITRE II
LA PROPOSITION:DE L'ENCENS AU REFUS
Pour atteindre certains buts, on a
besoin d'une notion plus abstraite de
la Froposition indépendante à la fois
de n'~mporte quelle expression parti-
culière en mots et de n'importe quel
acte psychologique de jugement ou de
conception. Ce n'est pas la phrase décla-
rative particulière qui est requise,
mais le contenu de signification qui est
commun à
la phrase et à sa traduction
dans n'importe quel langage.
CHURCH
S'il Y avait des propositions, elles
induiraient une certaine relation de
synonymi.~ ou d' équivalence entre les
énoncés eux~êmes ; les énoncés qui ex-
priment la même proposition seraient
équivalents. Or mon objection est que
la relation d'équivalvence est dénuée
de sens objectif
au niveau des énoncés.
QUINE Philosophie de la logique
p.
11
INTRODUCTION
Le souci d'universalité et d'objectivité scientifi-
que a entériné la légitimité de la propl'S;tion. Toute théorie
~-
un tant soit peu philosophique a recours à ce "concept" pour
définir son objet, faisant de
lui le centre de gravité de
l'ontologie. Comme le souligne Quine "la relativité par rapport
aux moments et aux personnes peut devenir embarrassante en
raison des spécifications supplémentaires dans lesquelles elles
nous oblige continuellement. à nous engager. C'est sans doute
une des raisons pour lesquelles les philosophes ont aimé poser
des entités abstraites supplémentaires -à savoir les propq,~­
tions- comme étant les porteurs surérogatoires de la, vérité.
Ceci fait,
ils pa,rlent des phra,ses comme exprimant pour telle

69
ou telle personne,
tantôt une proposition, tantôt une autre,
mais permettant à chacune de ses propositions de rester e11e-
même obstinément vraie ou fausse sans tenir compte des person-
nes."
(1)
Si la proposition était cet invariant du sens en dé-
pit de toute idioSyncrasie,
i l n'y aurait pas eu ces problèmes
de la linguistique de la langue supplantée par la linguistique
du langage.
Malgré les paradoxes que recèle la proposition et
les nombreux pièges qui serpentent son chemin, on ne se dépar-
t i t pas de chercher son statut. Et cette recherche finit chez
la plupart des linguistes et des philosophes par une hyposta-
se de la proposition. De nos jours le débat à propos du statut
ontologique de la proposition est loin de jeter les armes pour
fumer le calumet de la paix en philosophie, celui de l'assomp-
tion ontologique. Si la proposition est devenue un sujet de
controverses, c'est parce que ses zélateurs lui ont conféré
le statut d'entité indépendante, douée de signification autono-
me quel que soit le nom qu'on donne à la proposition.
Sans entrer dans le dédale de cette abondante l i t -
térature consacrée à la proposition nous allons nous attacher
essentiellement à l'analyse de Quine. Notre analyse sera l'ana-
lyse logique de la proposition qui comprend l'analyse syntaxi-
que, l'analyse sémantique et l'analyse pragmatique. L'analyse
pragmatique déjà examinée à la section 3, Chapitre l
ne sera
pas reprise ici.
De ces analyses, nous tirerons que le refus quinéen
des propositions vient de l'impossibilité de les identifier.
SECTION 4
L'analyse logique de la proposition.
Russell disait que "toute saine philosophie doit
commencer par une analyse des propositions". Pour sa part,
.{
Russell a défini les P'''0po~/h'tJ.l1S' comme étant les faits; ou
plutôt i l a substitué les faits aux propositions "ce que j'ap-
pelle fatt, écrit-il est le genre de choses qui est exprimé
(l)
QUlNE, Le Mot et la chose, p.
270.

70
par une phrase complète, non par un simple nom comme
'Socrate'.
Le monde
( ... ) n'est pas entièrement décrit par un ensemble
de
'choses singulières' mais l'on doit ainsi tenir compte de
ces choses que j'appelle faits et qui font partie du monde
comme les choses."
(2) C'est l'état de choses formé par l'union
d'individus et de relation soit une connotation des notions
de réalité et d'évènement, qui vérifie deux propositions.
Pour Russellen effet, deux propositions données
correspondent à chaque f a i t ;
c'est-à-dire que chaque fait ne
vérifie qu'une et qu'une seule des deux propositions de signes
opposésque l'on peut construire avec les éléments d'une propo-
sition atomiquelvariabl~, prédicats à une ou plusieurs places).
Mais Quine montre que Russell a réifié les faits qui ne sont
que des avatars de la notion de proposition dans leur accep-
tion ontologique.
En outre on admet aujourd'hui le statut épistémolo-
gique du mot
'fait". On reconnaît qu'il est relatif à nos pro-
cédés de détection, à notre langage.
"C'est une erreur de con-
sidérer les faits comme étant là au-dehors attendant d'être
reconnus. Car èe qui est regardé comme un fait, écrit Ayer,
dépendra en partie des symboles dont nous nous servons. Ce qui
ne veut pas dire qu'il ne dépendeopas aussi d~événements (oc-
cur~ences) non symboliques ( ... ) Ce qui est arrivé peut être
indépendant logiquement de l'usage des symboles, ce qui est
connu ne l'est pas."
(3)
e'est pourquoi, rejetant le fait ou la proposition
Ayer affirme que la seule manière dont un
'objet' vient en
scène, c'est à titre de référence d'une phrase. Cette conclu-
sion est celle à laquelle étaient parvenus bien avant Ayer,
Quine et Tarski.
Ceux-ci se demandent s ' i l est possible de définir la
proposition en termffide syntaxe et/bu de sémantique. Alors
que Tarski s'oriente vers une définition formelle, Quine, lui
se refuse de concevoir une syntaxe sans sémantique.
(2)
B. RUSSELL, Logic and knowledge, Essays 1901-50, p.
223.
(3)
AYER, cité par GOCHET in Esquisse, p.

71
§ 1 Approches syntaxiques de la proposition.
La raison du recours à
la syntaxe est le souci d'ex-
pliquer comment des phrases qui n'ont jamais été entendues
peuvent être intelligibles. C'est fort de cet argument que
Chomsky s'en était allé en guerre contrele behaviorisme de
Skinner. Dans la syntaxe logique qui nous intéresse ici, i l
s'agit de voir les comportements des signes ou symboles dans
leur relation mutuelle. Une théorie syntaxique ou un système
axiomatisé comporte des axiomes qui contiennent des termes
primitifs. Ceux-ci s'accommodent indifféremment de toutes les
interprétations compatibles avec la vérité des axiomes dans
lesquels ils figurent.
Si un système axiomatisé est un système dans lequel
sont explicités les termes non définis et les propositions non
démontrées lesquelles sont posées comme des hypothèses à par-
i
t i r desquelles toutes les propositions du système peuvent se
construire selon des règles logiques fixées,
on peut alors,
comme le remarque Tarski,
assim~ler les axiomes à des fonc-
tions propositionnelles et les termes primitifs à des varia-
bles.
"Etant donné certains objets, on peut trouver,
écrit
Tarski, s'i~satisfont à tous les axiomes de notre théorie,
ou, pour être exact , à toutes les fonctions propositionnelles
obtenues à partir de ces axiomes de la façon que nous venons
de décrire
(c'est-à-dire,
si les noms ou les désignations de
ces objets, lorsqu'on les met à la place des variables libres,
font des fonctions propositionnelles des proposittons vraies.
S'il se trouve que c'est vraiment le cas,
nous dirons que les
objets considérés forment un modèle de la théorie déductive
elle-même."
(4)
Par exemple, soit le schéma d'axiome A5 du calcul
des proposition : A ~ (Ava)
Supposons que de ce schéma nous ayons les fonctions proposi-
tionnelles
:
(4)
TARSKI,
introduction à la logique,
trad.
fr.
J. TREMBLAY
p. 111.

72
X est philosophe
et
X fait de la politique
S'il y a un individu, par exemple Socrate, tel que l'énoncé
(1)
si Socrate est philosophe alors il est philosophe ou il
fait de la politique
est vraie, on dira que l'objet
mis à la place des variables
libres transforme les fonctions propositionnelles
(ni fausses
ni vraies) en proposition vraie et alors cet objet forme un
modèle de la théorie.
Mais, se demande Quine, peut-on raisonnablement don-
ner une définition axiomatique des propositions ? Il ne sem-
ble pas puisque la proposition que l'on cherche ~ définir à
l'aide des axiomes est en quelque sorte présupposée par l'énon-
cé de ceux-ci en ce sens que les axiomes sont eux-mêmes des
propositions. La question est importante pour Quine qui re-
fuse d'accepter des termes non définis et par voie de consé-
quence l'axiomatique. A supposer que cette question soit
pertinente, ne ruine-t-on pas la théorie de la déduction ou
le calcul des propositions? Les difficultés de la quantifi-
cation dans la traduction radicale incite à le penser. En fait,
se reprend Quine, ce qui est en cause, ce n'est pas le calcul
des "propositions" mais leur nature. L~-dessus i l est très
clair.
"Tandis qu'il y a vraiment un accord général vis-à-
vis de tels principes et méthodes contenus dans le dévelop-
pement technique de la théorie de la déduction ou calcul des
propositions, i l n'existe pas un tel consensus dans l'attitu-
de à l'égard de la nature des entités auxquelles ce calcul
est prétendument appliqué."
(5) Quine ne conteste pas les rè-
gles d'inférences ni les méthodes. Mais à propos des proposi-
tions il se demande quelles sortes de choses elles sont.
Ce ne sont pas des faits car cela ne laisserait pas
de place pour les propositions fausses.
En dehors des discus-
sions logiques, nous n'accordons pas de considération aux pro-
positions.
(5)
QUINE,
"Ontological Remarks on the proposîtionql Calculus"
in the Ways of paradox (W.P.)
p.
57.

73
Quine s'êtait donc attaqué très tôt aux proposi-
tions. Dans l'article sus-cité et qui remonte en 1934, Quine
écrit "Nous n'avons pas l'occasion d'observer que "Boston
est ~ l'Est de Chicago" et que "Chicago est à l'Ouest de
Boston", sont (ou ne sont pas) deux noms de la même proposi-
tion ; en vêrité, tandis que nous avons l'occasion de penser
que
'Boston' est le nom d'une ville, nous n'avons pas l'occa-
sion de considêrer 'Boston est ~ l'Est de Chicago' comme le
nom de quoi que ce soit. Voici pourquoi, dans la thêorie de
la déduction, comme systématisation formelle de certains as-
pects de l'utilisation du langage ordinaire et de la pratique
de la raison,
i l n'y a pas lieu· de considérer quelle sorte
d'entité une proposition peut être, et de formuler les condi-
tions pour lesquelles les propositions sont identiques. Les
propositions sont des entités hypostasiées, des dénotations
déduites de signes donnés."(6)
Si l'on oublie que cette systématisation formelle
doit se référer au monde, on définit la proposition ~ la fa-
veur de convention implicite ou explicite qui finalement discré-
dite la proposition au sens où celle-ci ne nous apprend rien
sur ~e monde. L~-dessus Quine est éclairant "Il est de coutu-
me de considérer les systèmes abstraction faite de la nature
de leur éléments; les thêorêmes d'un système, ainsi considé-
rés, deviennent des phrases qui nous renseignent sur les dif-
férentes propriétés des éléments non identifiés. Mais faire
abstraction du fait que les éléments d'un calcul proposition-
nel sont des propositions, c'est priver les théorêmes eux-m~mes
de leur statut de phrase, puisque dans ce calcul les théorêmes
sont des symboles d'éléments du système. Celui qui étudie le
système dans l'abstraction débouche alors sur une impasse
quand i l adopte le calcul des propositions."
(7)
Autrement dit, soit le théorême du calcul des pro-
positions j" 'P ou non P'. Si nous renonçons ~ considérer 'P'
comme une variable dont les substituts sont des propositions
-~-----------------
(6)
QUINE, idem, p. 58, souligné par nous.
(7)
QUINE, idem, p. 61.

74
ou des phrases, pour n'y voir qu'une variable dont les substi-
tuts sont des éléments indéterminés,
le théorême
'p ou non P'
cesse lui-même d'être une proposition. Si on considère qu'il
y a des propositions,
les éléments de ceux-ci sont également
des propositions et les théorêmes qui en sont les symboles
sont des propositions. Dans cette optique les substituts de
la variable propositionnelle
'P' sont des propositions et non
plus des éléments indéterminés.
C'est parce que, par ces considérations, on tombe
dans une impasse que Quine se débarrasse de ces entités apori-
ques pour fonder la théorie de la déduction sur d'autres bases.
"Sans changer la théorie de la déduction, écrit-il,
nous pouvons en bâtir une en écartant toutes ces considérations
fictives
; nous devons tout simplement interpreter la théorie
comme une grammaire formelle pour la manipulation de phrases
( ••. ) Les mots apparaissant dans la phrase peuvent être consi-
dérés comme dénotant les choses, mais la phrase dan~ son en-
tier doit être considérée comme une combinaison verbale qui,
bien que communiquant conjecturellement une forme d'intelligen-
ce
( . . . ), n'a pas cependant cette signification particulière
qui réside dans la fonction de dénotation ou consiste à être
le nom de quelque chose."
(8)
Bâtir cette théorie nouvelle de
la déduction repose sur l'idée qu'on change le statut des si-
gnes.
En effet, dans la théorie de la déduction ancien
modèle, dirions-nous, on sait que depuis Frege et Russell,
les
signes
'P',
"Q', etc ••. sont habituellement interprétés comme
des variables propositionnelles, comme des signes dénotant
des propositions. Or cette interprétation conduit aux impas-
ses que nous avions mentionnées. Pour en sortir Quine inter-
prète ces mêmes signes comme des phrases "ambi9ument" abrégées.
Certes on pourrait objecter que nous ne sortons pas de l'impas-
se; l'objection n'est pas dérimante car l'existence d'entités
dénotées, de propositions n'est plus présuposée
.
(8)
QUINE, idem, p.
59.

75
En effet, l'expression' lP' est interprétée dans
le calcul des propositions inanalysées comme dénotant la con~
tradictoire de la proposition 'P'. Dans notre théorie nouvelle,
on se passe de la proposition, en interprétant le signe
' l '
comme une sténographie du mot
'non' ou des mots
' i l est faux
que'. Ainsi,
lorsque 'p' est une abréviation de la phrase
,----- "
le signe
'1 P' devient une abréviation de la phrase
' i l est faut que ~, semblablement,
'PVQ' qu'on interprète
d'ordinaire comme une indication de la disjonction des propo-
sition
'p' et
'Q',
'PVQ' donc peut être interprétée en inter-
prétant
'V' comme une nouvelle écriture du mot
'ou'. Le sym-
bole
'V' est un connecteur qui nous permet de construire de
nouvelles phrases d'après les anciennes sans envisager la dé-
notation. De même dans l'expression
'PhQ',
le symbole'
A
va être interprêté comme une sténographie de
'et' et le signe
'-;;::1
qu'on explique par ' ....::::> -.-
, devient "si ... alor s -
,
"Ainsi réinterprêtée, écrit Quine,
la théorie de la
déduction demeure inchangée dans la structure, mais cesse d'ê-
tre un système comme on l'entend généralement."
(9) Dans la
théorie de la déduction réinterprêtée les connecteurs ne lient
plus des propositions mais plutôt des phrases. Comme le sou-
ligne Quine,
"les précédentes variables propositionnelles
'p'
'Q' etc ... , deviennent des phrases ambiguës c'est-à-dire tan-
tôt vraies de ceci,
tantôt fausses de cela, des symbmles de
()
rien et les signes '7',
'V',
') "
etc . . . deviennent des con-
necteurs de phrases exempts de corrélats opérationnels dans le
domaine des dénotatiüns."
(10)
De ce point devue, lorsque nous reconstruisons la
théorie de la déduction pour éliminer la notion de dénotation
des phrases,
'p ~l
(PVQ) , cesse de dénoter un élément du sys-
tème. En effet, puisqu'on supprime la proposition,
l'expres-
sion
'P ~ (PVQ) , devient une expression neutre qui ne renvoie à
aucune phrase déterminée et est susceptible aussi bien de re-
présenter le langage indigène que le langage domestique. A la
(9)
QUINE, idem, p. 60.
(10)
QUINE, diem, p. 60.

76
place de dénotation de phrase,
'p ~ (PVQ) , devient une simple
abréviation sous la forme:
"si un tel alors un tel ou t e l ' .
§ 2 Dm les variables propositionnelles deviennent des
lettres schématiques.
En énonçant
'P~ (PVQ)', nous ne faisons qu'affirmer
une phrase qui, bien qu'ambiguë,
ne l'est qu'en relation im-
matérielle avec la vérité. Cependant, observe Quine, en inter-
pr~tant de la sorte la théorie de la déduction nous courons
le risque de nous faire reprocher d'être dans l'abstraction.
La théorie nouvelle a l'avantage de supprimer la proposition
mais elle substitue une abstraction à une autre abstraction au
sens où les phrases ne sont pas dénotatives.
Conscient de cette conséquence, Quine change de
perspective en construisant la déduction en rapport avec la
sémantique. Pour ce faire,
i l accorde aux signes'P',
'Q', etc .•.
que nous appellerions désormais des lettres
d'énoncés- leur
statut d'antan de variables dénotant des éléments du système,
sans toutefois retourner à la fiction des propositwons comme
dénotant des phrases.
"Nous pouvons reconstruire la théorie
de la déduction comme une branche de la sémantique, un systè-
me dont les éléments sont
des formes, des signes, spécifi-
quement des phrases,
i l n'y a plus de signes
'ambi~ument' abré-
viatifs de phrases mais des signes ambi9ument dénotatifs de
phrases. Le signe
'7' de la négation indique une opération sé-
mantique,
l'opération de l'introduction de
'non', &déquate à
l'intérieur de la phrase 'P'. Le signe
'V' indique l'opération
sémantique qui consiste à relier deux phrases, et à interpre-
ter le mot 'ou'. Il en est de même pour le reste. Les signes
'7', 'V', ')', etc •.. sont alors non pas des appelations con-
cises de certains adverbes et conjonctions, mais les signes
des opérations d'insertion convenable de tels adverbes et
conjonctions."
(11)
(11)
QUINE, idem, p.
62.

77
Par le recours à la s~mantique, les connecteurs ne
relient plus des phrases mais des noms de phrases ; et les
expressions abr~viatives ne sont plus telles mais des symbo-
les pour les noms de phrases. C'est ainsi que "l'expression
'p ~(PVQ), rectifie Quine, n'est plus une phrase ambiguë mais
un symbole qui dénote de façon ambiguë des phrases ; elle d~no­
te toute phrase de forme:
'si un tel alors un tel ou tel '.
Par cons~quent, aussi longtemps que les th~orêmes d'un
système doivent
être des phrases plutôt que des noms de phra-
ses,
'P~ (PVQ) , est inadmissible comme th~orême
."
(12)
Nous avons dit que nous reconstruisions la th~orie
de sorte que les signes
'P',
'Q'
soient des variables des
éléments du système ; ce qui supposent que les signes
'P:
'Q'
etc .•. dénotent quelque chose. Donc les th~orêmes du système
ne doivent pas être des phrases mais des noms
(de phrases).
Ainsi 'P:/(PVQ)' est un nom. Elle devient une phrase vraie
lorsqu'on la fait précéder du signe d'assertion 'f'. C'est ce
qu'exprime Quine en ces termes. A la dite expression,
"il lui
faut un préfixe comme '.f' qui peut être lu comme un pr~dicat
pour que l'él~ment dénoté auparavant soit une phrase vraie."
(12) Ainsi Quine accorde aux phrases plutôt qu'aux proposi-
tions le statut d'objet et i l construit le rapport sémantique
sur le modèle du rapport qui unit le nom à la chose nomm~e.
Mais Quine rompt d'avec cette conception d~fendue en 1934 et
qui accorde à la phrase la propriété d'être le v~hicule du
vrai.
Sensible à l'indétermination de la traduction radi-
cale, à l'inscrutabilité de la référence, hostile aux problè-
mes des universaux, Quine dès 1953 conçoit la signification
des variables 'propositionnelles' non plus sur le modèle de
la dénomination, mais sur celui de la schématisation. Il rompt
ainsi d'avec Frege qui donne aux noms un statut référentiel
et d'avec Russell à qui i l reproche de quantifier sur des pré-
dicats. Ce changement, se conformant à la th~orie de la quan-
tification, ira jusqu'au critère d'assomption ontologique.
(12) QUINE, idem, p. 62.

78
St> .. ,.
Dans la théorie de la quantification,
les principesvposés
dans le sytle suivant
(1)
[nfX) (Px,~ Gx) 1\\ (3 x ) Px J.::> (3 x) Gx
'Px" et Gx'
subsument (stand in place)
n'importe quelles phra-
ses par exemple 'x est une baleine' et 'x nage'. Les lettres
'P' et 'G' sont considérées comme des variables ayant pour
valeurs les attributs ou les classes, disons plutôt des classes
puisque la notion d'attribut n'est pas identifiable.
"Par con-
séquent, si on applique la maxime d'identification des indis-
cernables à la théorie de la quantification, on doit analy-
ser les classes plutôt que les attributs comme :les valeurs de
'P' de
'G', etc ... "
(13)
Cela est possible puisque le principe
d'abstraction nous dit que deux classes sont identiques lors-
qu'elles ont les mêmes membres. DanS le cas de la proposition
la maxime ne fonctionne pas et alors on ne peut pas dire l'ex-
pression
~P~Q)1\\ 7Ql~' soit un nom où les lettres 'P', 'Q'
auraient comme valeurs des entités de quelque sorte. Un nom
n'est nom que parce qu'il comporte un critère d'identification.
Or la proposition n'a pas ce privilège.
C'est pourquoi Quine écrit qu'''on n'a plus besoin
de considérer les expressions comme des noms ni de voir en 'P'
'Q', etc .•. des variables ayant pour valeurs les entités nom-
mées par les expressions. Nous pouvons regarder
'P',
'Q', etc ..•
comme des lettres schématiques comparables à
'P',
'G', etc •..
et nous pouvons voir en
'
ITP Q).I\\ 142J;:, 7 p, comme en (1)
(eiXem-
ple ci-dessus)
non pas comme une phrase mais comme un schéma
ou diagramme tel que les énoncés réels de la forme dépeinte
soient vrais."
(14)
Les lettres
'P',
'Q', etc •..
sont des let-
-res schématiques qui prennent la place des énoncés réels cons-
tituants, tout comme les lettres schématiques
'F"
et 'G', etc .••
prennent la place des prédicats.
Ici, les variables dites 'propositionnelles' devien-
nent des variables d'énoncés. Elles n'abrègent plus des phra-
ses ou des noms de phrases comme c'était le cas en 1934. Elles
(3)
QUINE,
"Logic and the reification of universals' in From
a logical point of view (agrégé: FLPV)
p. 108.
(14 )
QUINE, idem, p. 109.

79
sont remplacées par des lettres schématiques. Les variables
seront désormais les individus qui parcourent un domaine.
!
Trois traits dégàgent l'intérêt philosophique de
ce changement.
a)
d'abord, ontologiquement, le rapport qui unit la varia-
ble à ses valeurs est différent du rapport qui unit la lettre
schématique à la chose schématisée.
b) ensuite cela montre que les lettregschématiques ne peu-
vent être quantifiées, puiqu'elles sont 'neutres'
c) enfin, conséquence directe de b), Quine évacue les uni-
versaux.
(a)
La variable, entité qui parcourt un domaine de valeurs
donné, est un nom indéterminé, une inconnue, disent les ma-
thématiciens. Elle est unie aux constantes de son champ
de
variation par le rapport sémantique de dénomination. Dans
l'énoncé:
(2)
C ={ X E A
: X n'est pas marié}
la variable X se rapporte à tout individu qui n'est pas marié.
Au contraire,
la lettre schématique est reliée à ce qu'elle
subsume par une simple relation syntaxique qui unit les varia-
bles aux constantes qui en sont les substituts possibles.
Alors qu'un nom nomme,
la lettre schématique ne nomme pas
elle est muette. C'est ce que Quine exprime en ces termes
"un schéma tel que
'
(X)
(Fx':J
P)'
n'est pas un nom de ph,rase
pas plus qu'il n'est un nom de quoi que ce soit ~ tl est lui'-
même une pseudo-phrase façonnée dans le dessein de manifes-
ter une forme que des phrases variées exemplifient. Les sch,é-
mas sont aux phrases non pas comme des noms à leurs objets
mais corrrrne des lingots d'or aux pièces de monnaie."
(15)
(b) A la différence des variables, les lettres schémati-
ques n'assument rien, c'est-à-dire qu'elles ne nous donnent
pas ce qui doit être compté parmi elles pour que une théorie
donnée soit vraie. Dans ce cas, on ne peut les quantifier.
(15) QUINE, idem, p.
Ill.

80
La quantification ne porte que sur les variables, de surcroît
liées : elles seules engagent ontologiquement.
(c)
Dès lors, dépourvus de toute charge ontologique, les
universaux que schématisent les lettres s'effondrent. C'est
pourquoi la question :
(3)
"Doit-on assumer des propositions ?"
s'est transmuée en la question et réponse affirmative de
(4)
"Ne peut-on pas remplacer les variables propositionnel-
les 'P' et 'Q', etc .•• par des lettres schématiques ?"
La notation de Quine nous dispense de poser les pro-
que.
positions. Alorsvles variables sont susceptibles de plusieurs
interprétations, eu égard aux objets de leur cham?
de varia-
tion,
les lettres schématiques n'ont pas ce privilège. Elles
ne sont remplaçables que par des expressions linguistiques.
Cette notation, enfin, nous autorise â ne plus supposer l'exis-
tence de propositions inanalysées. Tant qu'on restait dans le
domaine des variables propositionnelles, on présupposait
les
propositions atomiques. Les propositions disparues,
les propo-
si tions atomiques le deviennent également.
(16)
Comme nous l'avions vu,
la définition de la proposi-
tion en termes de syntaxe conduit à des contradiction â moins
de recourir aux expédients sus-mentionnés. Le concept de sé-
mantique est déterminant pour examiner le statut de la propo-
sition.
§ 3 La proposition en termes de sémantique.
Traditionnellement la vérité se prédigue. des propo-
sitions et non des phrases, propositions qui sont susceptibles
de vrai ou de faux.
Et sans aucune attention en es't-on venu â
concéder aux propositions du langage quotidien une valeur de
vérité. Tarski refléchissant sur le paradoxe du menteur, a
\\ contesté le caractère quasi absolu de la définition de la véri-
té. Soit l'énoncé d'un Crétois qui dit que tous les Crétois
mentent. Si ce Crétois dit la vérité, à savoir que les Crétois
(16)
P. GOCHET, Esquisse d' une théorie nominaliste de la pro-
position, p.
25.

81
menanm, alors i l ment, puisqu'il est Crétois lui-même. Et s ' i l
ment c'est-à-dire s'il est un menteur, alors il dit la vérité,
à savoir qu'il dit vrai en énonçant que tous les Crétois sont
menteurs.
A propos du paradoxe du menteur et de toutes les au-
tres antinomies, Tarski montre qu'on ne peut définir l'expres-
sion "phrase vraie" qu'en distinguant le langage-objet du mé-
talangage, le premier contenant les phrases auxquelles s'appli-
que le prédicat
'vrai',
le second contenant entre autres ce
prédicat. Dès lors, pour définir 'vrai' pour les langues for-
malisées, il faut se placer dans la métalangue.
Il en résulte
que le concept de
'vrai' est incomplet tant qu'on n'a pas
spéci~ié la langue à laquelle il appartient ("vrai dans L").
C'est reconnaitre que
'vrai' se prédique des énoncés et non
des propositions.
Cependant, comme on le sait,
la définition de la vé-
rité par Tarski se rapporte aux langues formalisées et non aux
langues naturelles. Le langage quotidien, écrit Tarski
nn'est
rien de "tout fait", d'achevé, ayant des frontières bien déli-
mitées. Nul n'a déterminé quels mots peuvent être ajoutés au
vocabulaire de ce langage, quels mots, dès à présent, en font
partie, en quelque sorte en puissance. Nous ne pouvons pas
indiquer structurellement lesquelles d'entre les expressions
du dit langage sont des propositions et encore moins lesquelles
parmi des propositions sont vraies."
(17)
Cela vient de ce
que le langage quotidien est caractérisé par son universalisme
et sa richesse.
"Il est contraire à l'esprit de. ce langage (;11
qu'il Y ait dans quelque autre langage des expressions intra-
duisibles en langage quotidien.
"S'il est possible en général
de parler d'une ohose quelconque de manière sensée, alors i l
est poss·ible également d'en parler en langage quotidien."
(l8)
Mais justement cette richesse du langage quotidien
servira à Quine pour établir la complétude <:le celui>-ci. Pour
l'instant examinons l'intérêt de Quine pour le prédicat 'vrai'.
--------------------------~
(17)
TARSKI, Logique, Sémantique, Métamathématique, Tl, p. 169-70.
(18)
TARSKr, idem, p. 170.

82
Les philosophes qui, par excès d'hospitalité ac- Il
cv~llent les propositions prétendent qu'elles sont indispen-
sables parceque le vrai n'est intelligiblement attribuable
qu'aux propositions, entités douées d'une exisbence indépen-
dante.
"Mais, écrit Quine,
la croyance du propositionnaliste,
que la vérité s'entend primoridalement de la proposition, a
un motif plus enfoui et plus vague. C'est que la vérité doit
dépendre de la réalité et non du langage. Réalité ici renvoie
à ce que le p,o(>Cl,,>;h'Ohh&\\1\\'st~ définit comme étant tel que,
La vérité dépend certes de la réalité, car aucun énoncé n'est
vrai que la réalité ne rende tel. L'énoncé
(5)
'Larmeige est blanche' est vrai si et seulement si la
neige réelle est blanche réellement.
Il en serait autrement si
'blanche' avait le sens de
'bleu'
On ew:dirait autant de l'énoncé
(6)
'Der schnee ist weiss'
prononcé par un Allemand ou par tout individu qui comprend la
langue. Mais dès lors on n'a plus affaire à une langue/et par-
ler de la vérité d'un énoncé ne devient qu'un détour, ou une
voie oblique, c'est-à-dire une déviation. Nous énonçons
(Der
sc~ ist weiss)
l'énoncé
(la neige est blanche). Du coup,
nous parlons du monde. Or en parlant du monde nous sommes obli-
gés de généraliser. Nous pouvons certes généraliser les énoncés
(7)
Tom est Torn
(8)
Richard est mortel
etc ... sans parler de vérité ni d'énoncé. Nous pourrions dire
(9)
Tous les hommes sont mortels
(10)
Toute chose est identique à elle-même
Mais lorsque nous généralisons sur les énoncés
(11)
Torn est mortel ou Tom est non mortel
(12) La neige est blanche ou la neige est non blanche
etc ... nous nous élevons jusqu'à parler de vérité et d'énoncés
en disant :
(13)
Tout énoncé de la fOI'Ille
'p ou non P' est vrai
ou
(14)
Toute disjonction d'énoncé avec sa n~gation est vraie
Comme l'écrit Quine,
"ce qui nous contraint à cette montée sé-
mantique, ce n'est pas que
'Tom est mortel ou Tom est non ~ortel'

83
porterait de quelque façon sur des énoncés, tandis que
'Tom
est mortel' et
'Tom est Tom' porteraient sur Tom. Ces trois
énoncés portent tous sur Tom. Nous ne nous élevons qu'à cause
de la manière oblique dont les instances sur lesquelles nous
/,
généralisons sont reliées les unes aux autres."
(19)
Autre-
ment dit,
la montée sémantique s'explique
par le fait
que)par la généralisation)la référence se déplace pour se
coller à d'autres instances.
La généralisation oblique ou montée sémantique comme
changement de niveau linguistique qui donne accès à la méta-
langue est une autre solution pour se passer des propositions.
Ainsi, avions-nous vu)les énoncés ne sont pas des noms et
dans
"p ou non P'
la' lettre
'P' n'est qu'un simulacre qui
marque une position appropriée pour un énoncé composant à
l'intérieur d'une forme logique ou d'une construction gramma-
ticale.
Citons encore Quine. Nous n'avons plus besoin de la
proposition "car nous savons déjà comment exprimer le genre
de généralisation que nous cherchons sans faire appel aux pro-
positions mais simplement en montant d'une marche et en attri-
buant aux énoncés la propriété d'être vrais. Cette montée
jusqu'à un plan de référence au langage n'est qu'une sortie
provisoire hors du monde,
car le prédicat de vérité a préci-
sément pour fin l'annulation de la référence au langage.
Le
prédicat de vérité nous rappelle que, en dépit d'une montée
technique qui nous amène à parler des énoncés, notre regard
est dirigé vers le monde. Cette valeur annulante du prédicat
de vérité est explicite dans l'exemple type de Tarsli
'La neige est blanche' est vrai si et seulement si la
neige est blanche."
(20)
Le prédicat de vérité nous permet de sortir du lan-
gage-objet. Cette citation de Quine est l'un des arguments en
faveur de sa critique de la doctrine linguistique des véri-
tés logiques. Pour le moment considérons l'exemple de Tarski.
(19)
QUrtŒ, :Philosophie de la logique
(P. 1,. ), p.
23.
(20) QU~NE, idem, p. 24-25.

84
(15)
'La neige est blanche'
est vrai si et seulement si
la neige est blanche.
Prenons le prédicat 'vrai'. Son sujet référentiel, c'est-â-
dire l'objet auquel i l est attribué est ici une phrase. Mais
son sujet grammatical est une phrase citée qui par ce fait de
mise entre guillemets, devient un nom de phrase. Et les guil-
lemets constituent toute la différence entre mention et usage,
entre parler sur des mots et parler de la neige. Les guillemets
comme l'explicite Tarski, une fois mis,
exproprient les mots
'neige' et 'blanche' de leur signification objective. Dès lors,
ces mots dépossédés de toute enveloppe ne renv~ient plus â
une matière. Mais le prédicat de vérité neutralise les guille-
mets.
Il restitue â la phrase ou à l'énoncé ce que les guille-
mets lui avaient consigné, c'est-à-dire son contenu extra-
linguistique. Dès lors,
le prédicat annule l'effet de citation.
Prédiquer donc la vérité, c'est transcender la phra-
i
se, non point pour se réchauffer sur le l i t douillet
mais
pouilleux de la proposition, mais plutôt pour atteindre le
réel.
c'est par ce procédé très astucieux que Quine arrive
à définir la vérité pour les langages naturelles. Ce que nous
expliciterons au chapitre 4. Comme le dit si bien Quine,
"le
logicien ne parle d'énoncés que comme moyen de vue d'accéder
à la généralité dans un domaine qu'il ne peut embrasser en
quantifiant sur des objets. Le prédicat de vérité lui conserve
un contact avec le monde, où est son coeur."
(21)
Nous y revien-
drons au chapitre 4.
'>
.,II/oV5 avions vu dans la pragmatique que la proposi-
tion ne peut être une entité aUto-subsistante dès lors où le
langage devient action. Dans l'approche syntaxique nous avions
été conduit à IHiminer les variables propositionnelles désormais
remplacées par des lettres schématiques. Dans l'approche séman-
tique enfin c'est le regard vers le monde qui définit le vrai;
La question qui sous-tend ces approches,
à savoir
'qu'est-ce
que la proposition ?' est la question
'quand les propositions
----------------~-
(21)
QUINE, B.L., p.
57.

85
sont-elles identiques ?"
C'est l'impossibilité d'identifier les propositions
qui amène Quine à les refuser.
S «Hor/ 5 Les défauts des critères d'identification des propo-
sitions
Introduction
"Mon
objection, écrit Quine, contre la reconnais-
sance des propositions n'émane pas principalement d'un esprit
de parcimonie phi~osophique -d'un désir de ne pas imaginer sur
terre et au ciel plus qu'il n'est nécessaire. Elle ne vient
~
pas plus précisément d'un individua/0Jne philosophique, c'est-
à dire d'un refus des entités non sensibles ou abstraites.
Mon objection a un motif plus pressent. S'il y avait des pro-
positions, elles induiraient une certaine relation de synony-
mie ou d'équivalence entre les énoncés eux-mêmes:
les énon-
cés qui expriment la même proposition seraient équivalents.
Or mon objection est que la relation d'équivalence est dénuée
de sens objectif au niveau des énoncés."' (22)
Pour critiquer la proposition, Quine se sert du prin-
cipe d'individuation.
"Notre apprentissage des mots
'pomme'
ou 'fleuve', écrit-il, consiste pour une bonne part dans le
fait d'apprendre ce qui compte comme étant la même pomme ou
le même fleuve, et ce qui compte comme une autre pomme ou un
autre fleuve.
ri en va de même pour le mot
'proposition'
: on
a donné fort peu de sens à ce mot tant qu'on n'a pas quelque
norme standardisée pour savoir quand on doit parler des pro-
positions comme étant identiques ou comme étant distinctes "(23)
La réponse habituelle au critère d'identification
est que les phrases doivent être synonymes. Mais y a-t-il des
mots et a fortiori des phrases synonymes ?
Le concept de synonymie tant prisé dans l'histoire
de la philosophie logique va subir un traitement sévère au
terme duquel i l s'éffondre.
(22)
QUINE, P.L., p.
Il.
(23- QUrNE, Le Mot et la chose, p.
281.

86
§ 4 Le statut linguistique de la synonymie
"Les énoncés scientifiques, écrit Carl Hempel, c'est
un de leurs traits caractéristiques, contiennent des termes
spéciaux, tels "masse",
"force",
"champ magnétique",
"entropie"
"espace de phase", et ainsi de sui te.
Pour que ce s termes rem-
plissent leur office, il faut spécifier leur signification de
telle sorte que les énoncés où ils figurent soient effective-
ment testables et soient susceptibles d'être utilisés dans
v .~. des explications, des prédictions et des rétrodiction." (24)
Pour y arriver, pour épandre à la question 'eomment puis-je
savoir si ce que j'ai à dire est vrai ?' hommes de science et
philosophes Ont posé des synonymes.
"Par son étymologie, écrit Quine,
'synonymie' s'ap-
plique à des noms.
Bien que par son usage le terme soit censé
imputer simplement une similitude de signification, par son
étymologie, i l a un effet ~eco~do.\\(V qui se voit dans le fait
qu'on a tendance à invoquer quelque autre vocable, comme
"équi-
valent', ou 'équipollent', dans les cas où les deux expres-
sions comparées entre elles sont composées de plusieurs mots."
(25)
Toutefois, nous conserverons le mot
'synonymie' dans son
usage général de
'ayant même signification'.
1
Jusqu'à une
~r-01\\.le récente, philosophes et linguistes
s'étaient accDrdés à penser que l'unité linguistique la plus
petite qui, à la fois ait une réalité et soit porteuse de sens
est le mot. Le sens de la phrase c'est la proposition qui est
faite de mots. Et deux phrases sont synonymes si les mots qui
les constituent le sont. A ce sujet, Quine énumère trois for-
mes de synonymie. La synonymie par usage,
l'explication et l'in-
troduction du definieœqui débouchent sur deux types de syno-
nymie,
la synonymie au sens large et la synonymie au sens
strict.
La synonymie par usage', est celle du répertoire des
habitudes langagières que le dictionnaire se fait fJrt d~amal­
gamer.
"La tâche du lexicographe est empirique; i l catalogue
des faits passés; et s ' i l explicite "célibataire" au moyen de
(24)
Carl G. HEMPEL, Eléments d'épistémologie, p. 133.
(25)
QUINE, Le Mot et la chose, p. 103.

87
"homme non marié", c'est parce qu'il croit qu'il existe entre
ces deux formes une relation de synonymie déjâ â l'oeuvre
dans l'usage courant, avant qu'il ne se mette au travail."
(26)
Lorsque donc les définitions donnent des exemples de synony-
mie, elles se font l'écho de l'usage, en ce sens qu'elles
fixent ou décrivent la ou les significations admises du terme
en usage. Cette définition se présente sous la forme
--- a la même signification que . . • . Le terme a défi-
nir ou définiendum, occupe la place du trait plein â gauche,
alors que la place du trait en pointillé est occupée par l'ex-
pression servant à définir, ou d~finiens. C'est ainsi qu'on a
ces genres de définition ou définitions descriptives telle que
'célibataire' a la même signification que
'homme non marié'
'Appendicite' a la même signification que
'inflammation
de l'appendice'
'Simultané' a la même signification que'
se produisant
en même temps'
Ces définitions analysent la signification admise
du terme et la décrivent à l'aiùe d'autres termes dont la si-
gnification doit être comprise si l'on veut que la définition
soit adéquate.
La deuxième forme de définition est ce que Carnap
appelle "~pli(,'h:>'ho'" . Il ne s'agit pas ici de paraphraser
le définiendum au moyen d'un bon synonyme mais d'améliorer
le definiendum, d'en réélaborer ou d'en compléter la signifi-
cation dans un sens technique bien déterminé. C'est ainsi
qu'on en est arrivé â définir le terme
'étrangeté' de façon
technique lorsqu'il appara!t dans la théorie des particules
élémentaires. Toutefois, cette explicitation, même si elle ne
mentionne pas des synonym~es pré-existantes comme celle de
'Occuliste' a la même signification que
'médecin des yeux',
elle ne repose pas moins sur d'autres synonymies pré-existan-
tes. On peut illustrer ce point de vue de la façon suivante :
"tout mot, écrit Quine, qui mérite d'être expliqué, a certains
contextes, qui, pris dans leur totalité, sont suffisanunent
clairs et précis pour être utiles. Le but de l'explication est
(26)
QUINE,
'Les deux dogmes"de l'empirisme" trad. de P. TACOB
in De Cambridge à Vienne, p.
91.

88
de prése~ver l'usage de ces contextes favoris, tout en clari-
fiant l'usage des autres contextes. Pour qu'une définition
soit appropriée aux besoins d'une explication, ce qui est
donc requis ce n'est pas que le définiendum de l'usage précé-
dent soit synonyme du définiens, mais simplement que chaque
contexte favori du definiendum, pris dans son usage précédent
total, soit synonyme du contexte correspondant du definiens."
(27) Autrement dit, un terme ancien qu'on remodèle afin de
lui donner un sens technique, repose sur des synonymes.
Une troisième forme de définition est l'introduction
conventionnelle de notations nouvelles. Dans ce cas,le definien-
dum devient synonyme du definiens, parce qu'on l'a créé exprès
pour cela. Il s'agit là de synonymies vraiment intelligibles
et qui sont des abréviations de syntagmes nominaux. C'est
ainsi qu'on a
le terme'
acholie' est l'abréviation de
'manque de sé-
crétion biliaire'
le terme :densité' celle de
'masse en grammes par centi-
mètre cube'
le terme
'acide' celle de
'électrolyte qui fournit des
ions d'hydrogène'
(28)
Les deux dernières formes de définitions sont dites
des définitions stipulatoires, au sens où elles attribuent,
en la stipulant, une signification spéciale à un terme donné,
qui peut être un terme ancien redéfini dans un usage techni-
que ou une expression symbolique conventionnellement admise.
Mais, remarque Quine, le mot
'définition'
a une sonorité dan-
gereusement rassurante, sans doute à cause de son usage fré-
quent dans les traités de logique et de mathématiques. Et le
fait de définition montre que définiendum et definiens sont
reliés l'un à l'autre de trois façons possibles. Ou le défi~
niens est une paraphrase fidèle du définiendum. Ou i l améliore
l'usage précédent du définiendum ou alors le définiendum est
une notation créée de toute pièce et pourvue de signification
hic et nunc.
(27)
QUINE, ouv. cit., p. 92.
(28)
Carl HEMPEL, ouv. cit., p. 135.

89
Dans les travaux formels ou informels,
les défini-
tions, à part les cas de conventions explicites, ne peuvent
nous donner la nature de la synonymie d'autant plus que ces
définitions elles-mêmes dépendent de relations de synonymie
préalables que les définitions ne peuvent expliciter pour la
bonne raison que les synonymies n'existent pas. A cet égard,
les linguistes sont sans ambigulté.
"Dans l'intérieur d'une
même langue, écrit De Saussure, tous les mots qui expriment
des idées voisinesS'~ltm'n~hf réciproquement: des synonymes
comme redouter, craindre, avoir peur, n'ont de valeur propre
que par leur opposition
si redouter n'existait pas, tout
son contenu irait à ses concurren~" (29)
Si deux mots sont
synonymes, à court ou long terme,
l'un d'entre eux sera
ab~ par l'autre. Il ne peut exister de mots synonymes puis-
que ce qui fait qu'un mot existe c'est son aptitude à s'oppo-
ser à tout autre. S'il n'y a pas de mots synonymes, i l ne
saurait y avoir de phrases synonymes si on admet que le sens
de la phrase, c'est la proposition qui est faite de mots.
La glossématique nous a d'ailleurs enseigné que l'on ne peut
établir de bijection entre les termes de différentes langues.
Si par ailleurs, nous nous référons au problème de l'inscru-
tabilité de la référence,
aucun des critères d'identification
proposé ne sera opérationnel. Nous passerons en revue deux
types de critères, l'équivalence et la substitution salva
véritate.
§5 Equivalence cognitive et identification des proposi-
tions
Dans Signification et Vérité, Russell écrit ceci
"Comme 'avoir la même signification' est un rapport qui peut
certainement opérer entre deux phrases -par exemple
'Brutus
assassina César' et
'César fut assassiné par Brutus'- nous
pouvons être sars d'une certaine signification du mot "propo-
sition', en disant que, si nous n'en trouvons pas d'autre à
ce mot, i l voudra dire
'la classe de toutes les phrases ayant
(29) DE SAUSSURE, Cours de Linguistique générale, 3è Ed.
1962,
p.
160.

90
la même signification qu'une phrase donnée."
(30)
La définition du critère que donne Russell est une
définition par abstraction qui énonce que
--- (x) ( (x E!o(
(x e
13)
C'est-à-dire la classee( est identique à la classe p s i ,
et seulement si, pour tous les x, x est membre de 0(
si, et
seulement s ' i l est membre de p. Pour construire une telle dé-
finition, on a besoin de la relation d'équivalence qui compor-
te la réflexivité, la symétrie et la transitivité.l~ais cette
définition est relative aux classes et non aux énoncés de la
vie réelle.
Toute définition de la synonymie doit être projec-
tive, recommande Joh~ Searle; c'est-à-dire qu'elle doit s'ap-
pliquer à de nouveaux exemples. La relation d'équivalence sur
laquelle Russell
fonde son critère de synonymie est-elle
projective ? On peut mettre entre parenthèses la relation
mathématique d'équivalence et examiner celle d'équivalence co-
gnitive qui stipule que deux phrases sont synonymes si elles
ont la même traduction. Dès lors,
les propositions seraient
comme des informations. Et on dira que deux phrases expriment
la même proposition et donc sont synonymes si elles ont la
même information objective. Mais peut-on senséments parler
d'information objective? Quine assentit à cette question.
"La notion d'information estsuffisamment claire, de
nos jours, à condition de la relativiser convenablement. Elle
se définit par rapport à une matrice d'alternatives ou à une
liste de contr6le préalablement établie. On doit indiquer
d'avance quels caractères on retiendra. Soit par exemple la
méthode bien connue de la similigravure pour l'illustration
phototypographique.
Il y a un écran, disons de six pouces ,sur
six, qui contient un tableau quadrillé en case, régulièrement
espacées, au nombre d'une centaine par pouce, réparties en li-
gnes et en colonnes. Une reproduction en similigvavure sera
complètement déterminée lorsqu'on aura décidé lesquels de ces
trois cent soixante mille p~;~k
sont noir~ Relativement à
cet écran comme matrice des alternatives,
l'information con-
(30)
RUSSELL, Signification et Vérité, Trad. Philippe DEVAUX,
1969, p. 184.
"

91
sistera à indiquer quelles cases sont noires."
(31)
L'identi-
té d'information ressort clairement une fois fournie une ma-
trice d'alternatives. De la même façon,
idéalement une physi-
que des particules fournirait une matrice des alternatives
et ainsi un concept absolu d'information objective.
Dans ce cas deux énoncés/s'accordent quant à leur
information objective lorsque toute distribution de particu-
les qui rendrait l'un de ces énoncés vrai rendrait aussi l'au-
tre vrai.
Ce qui est valable en mathématiques ou en physique,
l'est-il dans la vie des énoncés du langage quotidien? Hélas
non. En effet, dans la vie réelle, lorsqu'on veut identifier
entre eux deux énoncés sous le rapport de l'information qu'ils
transmettent on ne dispose d'aucune matrice d'alternatives,
pas plus qu'on ne sait quoi reconnaître comme caractères.
Il
n'y a pas de règle évidente qui permette de placer d'un côté
l'information des énoncés et de l'autre leurs traits stylisti-
ques ou sans pertinence. C'est pourquoi,
la question, quand
dire de deux énoncés qu'i~signifient la même proposition, ne
peut pas trouver de réponse adéquate en termes d'identité d'in-
formation objective. Pour illustrer cela, Quine se sert du
passage du discours direct au discours indirect. Quand nous
reproduisons en discours indirect le discours d'un tiers, on
attend que nous"produisons un énoncé identique au sien quant
à la signification. Or pavce que nous ne disposons pas de
matrice d'alternatives, nous trahissons la traduction qui
variera de traducteur à traducteur suivant qu'on s'intéresse
aux qualités poétiques ou à l'information objective que véhi-
cule le discours.
Le critère d'équivalence cognitive empirique n'étant
pa~ adéquat, ne peut-on pas recourir au critère de substitu-
tion salva veritate ? La substitution ou l'échan~~ilité salva
veritate consiste à mettre un mot ou une expression à 15 place
d'une autre sans en altérer la valeur de vérité. En ce sens,
un mot et un syntagme nominal par exemple,
'célibataire' et
'Homme non marié' sont dits synonymes s'ils sont échangeables
-------------------
(31)
QUINE, Philosophie de la logique
, p. 12-13.

92
salva véritate. A ce stade, fait remarquer Quine, on pourrait
alors appeler équavalents deux énoncés s'ils sont formés de
partss homologues qui sont synonymes au sens que l'on vient
d'indiquer. Mais cette idée d'équivalence cognitive paraît
intelligible telle quelle,
jusqu'au moment où l'on commence à
l'examiner de près. Soit les termes
'créature qui a un coeur', en bref
'cordifère'
et
'créature qui a des reins', en bref
'rénifère'
Ce sont des termes tous vrais des mêmes créatures et pourtant
on ne peut pas dire qu'ils sont synonymes. Certes, ils le
sont par paires
'cordifère' avec
'créature qui a un coeur' et
'rénifère' avec
'créature qui a des reins'. Mais ils ne le
sont pas alternativement. A cet égard, on ne peut
avoir
'cordifère'
'créature qui a des reins'
ni
'rénifère'
'créature qui a un coeur'
pas pluq donc qu'on ne peut dire:
'créature qui a des reins'
= 'créature qui a un coeur'
Cependant, on peut objecter que l'échangeahilité est possible
(ou non)
selon les ressources supposées disponibles dans notre
langue. Mais si, changeant le contexte, nous écrivons:
(1)
Nécessairement tous les cordifères sont cordifères,
à ce moment,
le contraste se produit car introduire 'rénifère'
dans la seconde occurence de
'cordifère' dans l'énoncé
(1)
change celui-ci en fausseté. Par contre
'cordifère' reste
échangeable avec
'créature qui a un coeur' car, néçessairement,
en vertu de la définition, tous les cordifères ont un coeur.
Ici l'adverbe
'nécessairement' a l'avantage de nous donner
le contraste entre synonymie et défaut de synonyme. Mais cet
adverbe est aussi obscur que les notions de synonymie ou
d'équivalence.
Pour réfuter la possibilité d'identification de la
proposition, Quine examine les statuts des verbes d'attitude
propositionnelle. Nous en discuterons plus loin. C'est pour-
quoi nous n'en parlerons que brièvement dans les lignes qui
suivent.

93
L'énoncé
(2)
Tom pense que tous les copdifères sont cordifères
'1
€4.t aussi valable que (1) puisque Tom n' estpas censé penser
que tous les cordifères sont rénifères, tout en reconnaissant
~ que tous les co~difères sont cor.difères. On pourrait s'imagi-
ner que
(2) avec son verbe
'pense' est innocent. Malheureu-
sement, ce verbe hérite de toutes les obscurités des notions
de synonymie et d'équivalence. De même de l'énoncé
(3)
Tom croit que Cicerma dénoncé Catilina
on ne peut pas dire l'énoncé
(4)
(4) Tom croit que Tullius a dénoncé Catihna
car on ne peut pas substituer
'Tullius' à
'Ciceron' dans
(4)
pour la bonne raison que Tom peut ne pas savoir que Ciceron
et Tullius sont la même personne.
Ces verbes tels que
'croire',
'penser',
'chercher',
etc ..• sont ceux que Quine, après Russell, appelle verbes
d'attitude propositionnelle, et qu'il éliminera, n'en déplai-
se à Carnap qui, pour les conserver a introduit le critère
d'isomorphisme intensionnel.
"Considérons, par exemple, écrit Cam:nap, les expres-
sions
'2+5' II somme V' dans ùn langage S contenant des ex-
pressions numériques et des foncteurs arithmétiques. Supposons,
que nous voyions à partir des règles sémantiques de S que
'+' et 'somme' sont deux foncteurs désignant la fonction de
sommation et qu'ils sont L.équivalents. Supposons en outre
que les signes numériques figurant dans ces expressions aient
leur signification habituelle et que
'2' et 'II' soient L-équi-
valents, et qu'il.
en soit de même pour
' S ' e t
'V'. Nous dirons
alors que les deux expressions sont intensionnellement isomor-
phes ou qu'elles ont la même structure intensionnelle, parce
qu'elles sont non seulement L-équivalen~e& comme un tout,
toutes deux étant L-équivalenUèsà
'7', mais parce qu'elles con-
sistent en trois parties de manière telle que les parties cor-
respondantes sont L-équivalentes l'une à l'autre et ont la
même intension."
(32) La s~lution de Carnap n'est pas satisfai
sante pour celui qui cherche la structure du langage naturel.
(32)
CARNAP, M'eaning and Necessity , 1947, 2è ed., 1966, p.
56.

94
En effet, le critère de Carnap fait appel à la notion de L-
équivalence qui présente les mêmes défauts de la notion de sy-
nonymie à laquelle elle est liée. Elle présente les mêmes
défauts car sa faiblesse ontologique concerne l'individuation
des attributs. C'est ce qu'exprime Quine en ces termes:
"Quand on pose des attributs, on ne donne aucune indication
sur les circonstances dans lesquelles on aura le droit de dire
que des attributs sont les mêmes ou qu'ils sont différents.
C'est mettre les choses la tête en bas, attendu que le vérita-
ble emploi de termes et la véritable position d'objets ne sont
identifiables primordialement que clavetés dans les tours de
la mêmeté et de la différence. Ce qui se passe, c'est qu'au
départ nous apprenons des patrons généraux de parler en termes
et de parler de choses, avec l'aide des accessoires indispen-
sables de l'identité; par la suite nous projetons ces formes
grammaticales,
une fois connues, en attributs, sans définir,
l'identité pour eux. Nous comprenons ces formes comme référen-
tielles tout simplement parce qu'elles sont grammaticalement
analogues à celles que nous avons apprises auparavant,
lorsqu'il
s'agissait d'objets physiques, en pleine dépendance de l'aspect
d'identité. "
(33)
Le manque d'un concept d'identité pour les attributs
est une lacune que les philosophes se croient obligés de com-
bler. Dans le cas de Carnap, rappelons-nous que "expressions
L-équivalentes"
ne signifie pas "expressions dont l'équivalence
est démontrable par la logique", mais plutôt "expressions
dont l'équivalence est démontrable par la logique enrichie
de règles sémantiques." De pareilles précautions philosophi-
ques ne sont valables que lorsqu'on définit la vérité logique
par convention. Nous savons que Quine récuse cette perspective
dans
'Truth by convention
(1935),
'on Carnap's views on Ontolo-
gy,
(1951)
"Carnap and logical truth'
(1954)
car, dit Quine,
"les termes
'9' et
'le nombre de planètes' nomment une seule
et même entité, mais leurs significations sont vraisemblable-
ment différentes; car pour décider qu'ils désignent bien la
même entité, les t45~r\\?nOYn"5 ont da effectuer des observations
(33)
QUINE,
'Parler d'objets' in R.O. et autre essais, p. 31.

95
et non pas se contenter de réfléchir aux significations."
(34)
Strawson lui aussi recuse l'idée sinon la possibi-
lité d'un critère d'identification propositionnelle. Dans son
article 'Phrase et Acte de parole', i l montre que pour savoir
si deux phrases expriment la même proposition,
il faut connaî-
tre la grammaire et le lexique de la langue à laquelle les
phrases appartiennent/les rapports de référence qui donnent
aux phrases prise. sur le réel, les conventions en usage dans
la langue. Mais cela ne suffit pas.
Il faut aussi connaître
les insinuations du locuteur et autant d'autres choses qui ne
peuvent être codifiées parce qu'elles diffèrent selon le con-
texte, c'est-à-dire la situation de discours.
(J5)
A ce sujet, Quine écrit de Strawson que "pour lui
(Strawson)
la contribution par laquelle la signification lin-
guistique apporte à la connaissance, et la contribution par
laquelle l'évidence sensorielle apporte à la connaissance sont
trop inextricablement liées pour admettre une séparation
entre les phrases."
(36)
Malgré son scepticisme quant au critère d'identifi-
cation, Strawson pose toujours la proposition comme brevet
de vérité et de fausseté. En effet, en faisant appp} à des
énoncés non pas comme des types de phrases mais comme des actes
exécutés par des phrases expriméf!S, Strawson court un certain
risque.
"Le risque, écrit Quine, réside dans le fait d'hyposta-
sier des entités obscures, sans doute alliées
aux 'pDoposi-
tions' ou aux 'significations', ou aux 'faits' ou aux
'états
de choses', et de voir en elles une valeur explicative qui ne
s'y trouve pas."
(37)
~àut-il alors conclure que le concept de synonymie
est un concept vide qui par ce fait même condamne le critère
d'identification qui repose sur lui? Certes, reconnaît John.
Searle, les notions de synonymie
(et d'analyticité) ont trop
de cas limites et trop ~eu d'exemples qui soient clairs pour
qu'on puisse chercher à les sauvegarder. Mais savoir que
le critère de synonymie est adéquat ne présuppose-t-il pas
(34) QUINE,
'Les deux dogmes ••• '
in De Cambridge à Vienne, p. 88.
05)
STRAWSON,
ôPhrase et Acte de Parole' in langage n° 17.
(36)
QUINE,
'Mr Strawson on Logical theory (1953)
in The Ways
p. 37.
(37) QUINE, ibid., p.
143.

96
que nous connaissons la signification de ce mot ? Nous serions
incapablesde trouver les cas limites si nous n'avions pas une
.~ ...• ,~
notion adéquate du mot. Devons-nous alors affirmer avec Searle
"que, lorsque certains modèles, choisis pour fournir une expli-
cation, ne permettent pas de rendre compte de certains concept~.
ce sont les modèles qui doivent tomber, et non les concepts." 7
.
(38) Reconnaître comme le font Searle, Strawson et d'autres
qu'il n'y a synonymie qu'à l'intérieur d'une même langue, c'est
admettre la relativité de la notion de synonymie. Et, c'est
ce que fait Quine.
§6 La graduation de la synonymie ou la synonymie stimu-
lus comme négation de la synonymie absolue
Si un individu, à n'importe quel moment de son his-
toire personnelle, est poussé à acquiescer à
'célibataire' et
à
'homme non marié', c'est eu égard à la similitude de signi-
fication-stimulus. C'est parce que par l'usage, i l a appris
que 'célibataire' est synonyme de
'homme non marié'. Cette
similitude de signification c'est ce que Quine appelle la
'synonymie-stimulus'.
"La 'synonymie-stimulus" ou la simili-
tude de signification-stimulus, écrit Quine, est un critère
de synonymie aussi bon pour les phrases occasionnelles ou
observationnelles que pour les observationnelles aussi long-
temps que nous nous limitons à un seul locuteur. Pour chaque
locuteur les phrases occasionnelles non observationnelles tel-
les 'célibataire' et 'homme non marié' sont
'synonymes par le
stimulus' en ce sens qu'il y assentit ou y dissentit. Pour
le même individu (pour celui d'une société oü la famille est
définie au sens restreint), les phrases 'frère' et 'uterin
mâle' sont 'synonymes par le stimulus' quoique cette synony-
mie~stimulus soit compromise
par les usages écclésiastiques
ou par d'autres types de sociétés qui donnent à la fraternité
une extension large. De la même façon pour le même individu,
les phrases
'célibataires' et
'soltero'
('célibataire' en
espagnol)
seront 'synonymes par le stimulus' pour la
bonne
(38) John SEARLE, Les actes de langage, Trad. fr., 1972, p. 47.

97
raison que les stimulations qui poussent son informateur à
émettre
'soltero' sont la même qui le poussent lui, à émettre
'célibataire' •
Toutefois, reconnaît Quine; la synonymie-stimulus
pour les phrases occasionnelles
'Gavagai' et 'lapin)~ sont des
termes coextensifs, des termes vrais des mêmes choses. En
effet, comme nous l'avions déjà fait remarquer,
les objets
auxquels le terme
'Gavagai' s'applique peuvent être -pourquoi
pas ?- plutôt que des lapins, de simples phases
de lapin
ou un terme abstrait·la léporité'.
"Lorsque, écrit Quine, à

partir de la similitude des significations-stimuli de
'GavagaI'
et de
'lapin', le linguiste saute à la conclusion qu'un
gavagai est un lapin complet durable, i l a précisément pris
pour assurée l'hypothèse que l'indigène est suffisamment
semblable à lui pour avoir un terme général court pour dési-
gner les lapins et pas de terme
général court pour désigner
une phase de lapin ou une partie de lapin."
(39)
Le philosophe, lui, ou tout autre quêteur de la vé-
rité, sait lui, que la synonymie de
'Gavagai' et de
'lapin'
en tant que phrases/repose sur des considérations d'assenti-
ment déclenché et non pas de leur synonymie comme termes.
Jusqu'ici, nous nous sommes certes occupés d'un
même locuteur pour définir la synonyme-stimulus. Mais si nous
nous sommes rendus compte que deux termes peuvent être coexten-
sifs sans être synonymes, c'est parce que notre locuteur
est un locuteur bilingue. Revenons au locuteur dont la langue
est le français.
Pour ce locuteur, français, nous avons dit
que
'célibataire' et 'homme non marié' sont deux phrases non
seulement coextensives mais aussi synonymes et comme le dit
Quine, ces deux phrases portent leur signification comme un
galon sur leur manche.
(Le Mot et la Chose)p.
78).
Nous voyons que si nous nous limitons à un même
locuteur, nous ne pouvons sensément parler de synonymie de
phrases à moins de considérer notre locuteur dans sa propre
langue, précisément parce que notre locuteur, dans le cas de
(39) QUINE, Le Mot et la Chose, p.
90.

98
de
'célibataire~ a appris ce mot en apprenant des associations
appropriées entre mots. Dès lors ,nous pouvons transcender l'é-
tape de l'idiosyncrasie et dire que les phrases
'célibataire'
et 'homme non marié' sont synonymes par le stimulus pour toute
la communauté, en ce sens qu'ell~'
le sont pour chacun de
ses membres tant i l est vrai que la société inculque à tous
ses membres l'usage des mots qu'elle a avalisés. Nous pouvons
donc socialiser le concept de synonymie-stimulus et dire que
sont 'socialement synonymes par le stimulus'
les termes qui se
révèlent synonymes par le stimulus pour tout locuteur indivi-
duel. Et dans ce cas :nous pouvons affirmer que
'célibataire'
et 'homme non marié' sont synonymes par le stimulus en ce
sens où tous les individus de la même communauté assentissent
à ces deux phrases.
Mais peut-on accorder crédit ou concept de synonym~@~
stimulusJmême socialisé? Il ne semble pas, car l'intrusion
de fausses stimulations ou l'information annexe est inévitable,
aussi bien dans les phras~s occasionnelles que dans les phra-
ses perdurables.
Dans le cas de phrases occasionnelles observationnel-
les comme 'rouge'
le locuteur peut être amené à assentir que
quelque chose est rouge en réalité qui ne parait pas rouge et
vice-vêrsa. Cette méprise peut être due à des informations an-
nexes au sujet d'un éclairage anormal ou d'une juxtaposition.
De pauvres irradiatiornde rouge peuvent donc conduire à assen-
tir à quelque chose qui n'est pas tel. Et cela n'affecte
pas seulement le locuteur mais également le censeur qui n'est
pas à l'abri de l'information intruse laquelle peut induire
en erreur toute la communauté. Un exemple nous en est donné
par la langue radicale. Nous savons que des irradiations peu-
vent affecter non pas un indigène mais tous et non pas une fois
mais régulièrement, sinon toujours jusqu'à ce que des découver-
tes empiriques fassent éclater l'illusion.
Dans le cas d'une langue qui nous est étrangère, une
'mouche-de-Iapin' locale peut faire partie de l'information
de toute une communauté. L'indigène fort
(empiriquement) d'une
corrélation de cause à effet ou de signe à présence associera
la vue d'une 'mouche-de-dapin' à la présence effective d'un

99
lapin. in~s irradiations 'Jocu1aires combinant .de pauvres appa-
rences de lapin avec de bonnes apparences de mouche-de-1apin
feraient partie de la synonymie de
'Gavagai' pour un indigène
mais non pour le linguiste. Et dès lors en socialisant le
concept de synonymie-stimulus, on n'évite pas l'information
idiosyncrasique, devenue dans notre exemple une information (er-
ronée) partagée par tous les membres de la communauté.
Pour les phrases occasionnelles non observationne1-
les comme par exemple
'célibataire', i l n'est pas légitime de
considérer qu'elles font l'unanimité de toutes la commuanuté'
L'assentiment d'un informateur à cette phrase est décidémen~
provoqué par la vue de la personne et cependant cet assenti-
ment repose principalement sur une information emmagasinée et
nullement sur la stimulation incitante. La signification de
'célibataire' transcende les apparences de figures qui le
provoquent et concerne des choses que nous ne pouvons connaî-
tre que par d'autres voies. En d'autres termes, alors qu'une
phrase occasionnelle observationne11e
(rouge par exemple)
ar~
rache l'assentiment ou non par le phénomène d'ostension ou de
stimulation, Yne phrase occasionnelle non observationne11e
('célibataire'), acquiert l'assentiment ou non après une des-
cription. Or les usages écc1ésiastiques font que
'célibataire'
ne peut pas être synonyme de 'homme non marié' pour la bonne
raison qu'un prêtre, religieux ou religieuse, s ' i l n'est pas
marié devant les hommes, ou épousé un être humain, est marié
devant les hommes en ce que son Epoux est Dieu
Ehf4g, pour les phrases perdurables, dans le cas de
la science théorique, on peut et on doit réfuter l'idée d'une
institution de synonymie en ce sens que tous les individus
de la communauté ne sont pas prédisposés à assentir aux mêmes
sollicitations. En physique, on définit le 'moment' comme "la
masse multipliée par la vitesse"
"si, ultérieurement, écrit
Quine, un physicien remanie la mécanique de façon que le
moment cesse d'eEre proportionnel à la vitesse, le remaniement
apparaîtra probablement comme un changement de théorie, et non
spécialement comme un changement de signification."
(41)
(41) QUINE, Le Mot et la Chose, p. 97.

100
Il Y a en effet changement de théorie parce que le physicien
incorpore â sa th~orie une autre ontologie. Ce changement
de théorie, Quine l'illustre également par l'anedocte de l'ex-
plorateur qui, confondu, a induit en erreur toute une communau-
té jusqu'au jour où l'on se rend compte de l'occultation.
"Considérons le cas de l'explorateur de l'Himalaya, qui a ap-
pris â appliquer le mot
'Everest' à une montagne éloignée vue
du Tibet, et 'Chomolungma' â une autre vue du Népal. En tant
que phrases occasionnelles, ces mots ont des significations-
stimuli exclus-ives l'une de l'autre pour lui,
jusqu'au moment
où ses explorations révèlent, à la surprise de toutes les
personnes intéressées, que ces deux sommets; sont identiques.
Sa découverte est une pénible découverte empirique, non une
découverte lexicographi~ néanmoins les signification sti-
muli de 'Everest" et de
'Chomolungma' coincideront pour lui
désormais"
(42)
et pour tous ceux qui avaient cru auparavant
en la distinction ontologique de
'Everst' et de
'Chomolungma'
On peut alors affirmer que les deux termes sont sy-
nonymes. Certes, mais l'information intruse due aux effets
obliques des irradiatio~de surface avait fait avaliser une
distinction jU8.qu' au moment où cette distinction s'est avérée
fausse.
Il se trouve que socialiser le concept de synonymie
ne donne pas la possibilité de concevoir un critère d'identi-
fication adéquat.
Il n'y a pas de critère de séparer l'infor-
mation~ annexe de l'information authentique d'autant plus
que nous ne pouvons déterminer séparément de quoi nous parlons
et ce que nous en disons en ce sens que toute assomption nous
engage.
D'autre part, le concept de synonymie-stimulus de-
vait nous permettre de définir la coincidence de deux phrases
â travers la communauté sans aucun effet d'information occul-
tante. Or i l n'existe pas de parade aux effets de l'information
annexe quand celle-ci est commune â toute communauté. Et alors
c'est le ooncept de synonymie-stimulus qui devient une illu-
sion~ En effet
, bien qu'il détemmine que deux termes sont
(42) QUINE, Le Mot et la Chose, p. 87.

101
coextensifs, il n'assure pas pour autant leur
synonymie.
CONCLUSION
Pressé de circons~rire un cadre où poser notre séan~
intellectuel,nous avons été chercher
'la vérité dans le champ
de la proposition. Malheureusement, nos investigations se sont
~évélées auto-destructrices. Aucune des voies respectivement
passées en revue n'a pu nous permettre une sieste intellectuel-
le et force nous était de reoonnaître l'inanité de la propo-
sition. Cette réfutation de la proposition venait justement
de ceque nous ne pouvons identifier les propositions. La syno-
nymie qui, séculairement, avait. servi de critère, s'est mon-
trée elle-même n'être qu'un feu follet. Le langage
transcende
les conventions et les normes, enrichi par les situations d'é-
nonciation où le locuteur prend en charge son propre discours.
A cet effet, Quine écrit que "les phrases occasionnelles et
les significations-stimuli sont des monnaies universelles ;
les termes et les procédés de référence sont choses locales,
propres à notre schème conceptuel~" (43) pour autant que l'usa-
ge d'un mot
'comme phrase occasionnelle (ou perdurable), pour
déterminé qu'il soit, ne fixe pas l'extension de ce mot comme
terme.
Quine/doutant de la synonymie comme de la synonymie
stimulu~ ne se fiera plus à une quelconque graduation du con-
cept. C'est pourquoi i l écrit:
"La doctrine des proposition; semble vaine, à tout
prendre, même si nous imaginons résolu le problème de leur
individuation. Car la solution de ce problème consisterait en
une définition appropriée de l'équivalence des énoncés; et
alors pourquoi ne pas parler d'énoncés et d'équivalence tout
simplement, en laissant tomber les propositionS? L'affaire
n'est ni plus ni moins que ceci: les propositions sont les
ombres portées sur des énoncés . . . En mettant les choses aux
(43) QUINE, Le Mot et la Chose, p. 92.

102
mieux, elles ne peuvent rien donner que ne nous donnent déjà
les énoncés. Si elles permettent davantage, c'est seulement
que,
sans critique, nous avons admis pour elles une indivi-
duation qui ne correspond, entre énoncés, à aucune équivalence
que nous saurions définir. Ces ombres ont encouragé à penser
n'importe quoi"
(44)
en l'occurence la foi en la distinction
analytique/synthétique.
L'indétermination de la traduction,
l'inscrutabili-
té de la référence montrent qu'il n'y a pas de mots qui ait
une signification autonome. Ce faisant les concepts de syno-
nymies et de synonymie-stimulus s'envolent en éclats,
---
empor-
tant avec eux les dépouilles de la proposition. Si donc aucun
énoncé n'est vérifiable au niveau de mots ou lexèmes isolés,
alors pour Quine; la critique de la proposition se meut en la
critique de la distinction entre les énoncés analytiques et
les énoncés synthétiques.
(44) QUINE, Philosophie de la logique, p.
21.

103
CHAPITRE 3
L'ANALYTIQUE ET LE SYNTHETIQUE
une distinction
controversée
Le savoir de nos pères est une
étoffe de phrases. Avec nous
(in
our hands), elle change et se dévelop-
pe à travers des révisions et des
adjonctions de notre cru, plus ou
moins arbitraires et délibérées,
plus ou moins suscitées directe-
ment par la stimulation continuel-
le de nos organes sensoriels. C'est
un savoir gris pâle, noir par les
faits et blanc par convention.
Mais je n'ai trouvé aucune raison
suffisante
(ou substantielle)
pour conclure qu'il contient des
fils entièrement noirs ou des fils
entièrement blancs.
QUINE
INTRODUCTION
La notion générale de synonymie intralinguistique
pour phrases que nous avions vainement cherchéeà cerner, défi-
nit et est réciproquement définie par une autre notion fuyante
de la sémantique philosophique intuitive: celle d'un énoncé
analytique.
"La~tion intuitive, écrit Quine, est cette fois
l'idée que la phrase est vraie simplement en vertu de sa si-
gnification et indépendamment de l'information annexe. Ce se-
rait le cas de "aucun délibataire n'est marié",
"les porcs
sont des porcs" et selon certaines analyses de
'2+2 = 4'
(1)"
Or synonymie eti.analyticité sont deux faces d'une
seule et même pièce -la proposition qui plus est, suspecte.
Si la proposition n'a aucune vertu heuristique, ce qu'on pour-
rait appeler ses définientia n'en a pas non plus. Et alors
s'effrite la conviction de Carnap qui trouve fondamentale une
distinction tranchée entre les énoncés analytiques et les
énoncés synthétiques.
(1) QUINE, Le Mot et la Chose, p. 108.

104
Comme nous le dit Quine dans
'Truth by convention'
"moins une sœcience a progressé, plus sa terminologie a tendan-
ce à reposer sur une hypothèse non critique . . . cette base est
remplacéeétape par étape par l'introduction de définitions avec
une rigueur plus grande. Les corrélations requises par ces dé-
finitions acquièrent le statut de principes analytiques. Ce
qui auparavant fut considéré comme une théorie sur le monde
devient une convention du langage. C'est-à-dire que ce glis-
sement du théorique au conventionnel est un accessoire du pro-
grès dans les bases logiques d'une science donnée."
(2)
Cette
phrase très significative de Quine ne va pas être développé'
Toutefois, elle fait le constat d'un état de la logique qui
d'explicative, d'heuristique qu'elle était, est ravalée
au
rang de pure convention linguistique. On pourrait alors enten-
dre l'écho de Kant. qui dit que la logique est achevée.
A cet égard, i l n'y a aujourd'hui aucune logique,
même déviante qui ne se serve des principes et des règles d'in-
férence de la logique symbolique. Sans anticiper la question
de l'unicité ou de la pluralité des logiques, faisons remarquer
que la conviction de Carnap en la distinction est celle d'une
longue tradition de l'histoire de la philosophie. Le concept
d'analyticité de Kant a pour finalité de rendre compte des
énoncés qui reposent sur des définitions ou des conventions.
Cette conception traversera toute l'histoire de la philoso-
phie pour aboutir de Wittgenstein et Russell. à Carnap à de
que Quine appelle la doctrine linguistique des vérités logi-
ques. Des examens attentifs montrent l'inanité de la distinc-
tion. Dans nos préoccupations sur la distinction, c'est sur la
notion d'analyticité -et non sur celle de l'énoncé synthétique-
que porteront nos analyses.
SECTION 6
Quine et la critique de la doctrine linguistique
des vérités logiques
Le cas des connecteurs logiques
INTRODUCTION
"La question de Kant, écrit Quine,
(à savoir)
"Com-
ment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ?"
(2)
QUINE,
'Truth by convention' in W.P, p.

105
a suscité La Critique de la Raison Pure.
( . . . ) A la longue,
des requêtes formulées plus clairement de la part de Kant,
prenant pour point de départ l'arithmétique, ont été entière-
ment déclarées inutiles
( . . . ) avec la réduction par Frege de
l'arithmétique ~ la logique. L'attention s'est alors portée
sur la question certainement antérieure logiquement et moins
tendancieuse:
"comment la certitude logique est-elle possi-
ble ?"
C'est cette dernière question qui a en grande partie
suscité la forme d'empirisme que l'on a associé ~ Vienne de
l'entre-deux-guerres- mouvement qui a commencé avec Wittgens-
tein et son Tractatus et a atteint sa maturité avec ]_'oeuvre
de Carnap."
(3)
La question
'comment la certitude logique est-elle
possible" a trouvé sa réponse dans le langage chez les posi-
tivistes du Cercle de Vienne. La métaphysique est dépourvue
de sens ~ travers les mauvais usages du langage. La logique
est assurée ~ travers l'usage tautologique du langage. Le
pas avait égé fait par Wittgenstein. Mais que vaut le conven-
tionnalisme ou la doctrine linguistique des vérités logiques
qui établit la vérité sur les seules vertus du langage? "Notre
but, écrit Quine, est moins de poser la question de la validi-
té de ce contraste que de se poser la question de sa signifi-
cation."
( 4)
Nous verrons dans cette section et dans celle qui
suivra les deux types de conventions que défend la dite doc-
trine. Le premier type est relatif aux connecteurs1logiques.
Il fait l'objet de la présente section. Le second type a trait
~ux règles introduites par Carnap pour justifier l'analyticité
des énoncés scientifiques. Ce sera l'objet de la section 3.
Mais nous ne saurons empêcher que des éléments de la section
3 entrent dans la section 2 et vice-versa.
§ l Du privilège des connecteurs logiques ~ la vérité
par convention.
Leurré
(?), le consensus philosophique a décrété ana-
lytiques deux catégories d'énoncés.
(3)
QUINE,
'Carnap and logical truth'
in The Ways of Paradox
p.
100.
(4)
QUINE, ibid, p. 70.

106
AI Les énoncés ./Dr:~~ ~
; du type
(1) Aucun homme non marié n'est marié
BI LesllénonCDés clVl~h1w~vrais du genre
(2) Aucun célibataire n'est marié
Le trait pertinent de
(1)
vient de ce qu'il n'est
pas simplement vrai mais le reste po~r toute réinterpréta-
tion de
'homme' et de
'marié', L'énoncé
(2~ au contraireJest
une vérité avtCl~'~/qUQ .e::l-dcme VIr,jl'/~1Ue. si on remplace les
mots par leurs synonymes. Or nous avons vu que la notion de
synonymie est fluctuante. Mais supposons que cette notion ait
une certaine légitimité. C'est d'ailleurs ce qu'accepte Carnap
lorsqu'il explique l'analyticité~en r8couvrant aux descriptions
d'états.
"Une description d'état, explique Quine, consiste à
assigner de manière exhaustive des valeurs de vérité aux énon-
cés atomiques ou composés du langage. Carnap suppose que tous
les autres énoncés du langage sont construits à partir de
leurs classes composantes au moyen des outils logiques familiers
de telle sorte que, étant donné n'importe quelle description
d'état, on peut fixer la valeur de vérité de n'importe quel
énoncé complexe par des lois logiques spécifiables."
(5)
Selon Quine,
"cette explication est une adaptation
du critère leibnizien 'vrai dans tous les mondes possibles'.
Dans cette perspective les énoncés (3),
(4)
aussi bien que
(5) et (6)
sont des énoncés analytiques parce que logiques
(3)
Une personne non marié n'est pas mariée
(4)
Un lapin non domestique n'est pas domestique
(5) Si Socrate est un homme, alors Socrate est mortel
(6)
Un célibataire est un homme non marié
Les exemples sont de P. JACOB,
oÜv. cit., p. 183.
Quine s'oppose à'cette assimilation car pour lui
seul les énoncés
(3),
(4) et
(5)
sont des vérités logiques.
A cet égard, i l donne les critères de définition
(5)
QUINE,
"Les deux dogmes" trad.
fr.
par F. Jacoh in de
Vienne il Cùlnh:,: ir:gè,- où.
~'rI.

107
de la vérité logique qui méritent qu'on s'y arrête. Qu'est ce
que ce critère n'est pas? "Le critère exprimé en termes de
description d'état est au mieux une reconstruction de la véri-
té logique, mais en aucun cas de l'analycité."
(6) Qu'il s'agis-
se de Leibniz ou de Kant, les énoncés analytiques~ sont des
énoncés de raison, construits par l'esprit indépendamment des
faits.
De là à dire que ces énoncés sont des conventions ou
des üéfinitio~ il n'y a qu'un pas. Or toute définition est
une convention abréviative notationnelle qui,
soit repose sur
des termes ad hoc, soit présuppose des synonymies pré-existantes.
Quand nous parlons de ce qui peut être défini ou
quand nous trouvons une définition pour un signe donné,
nous
avons dans l'esprit un usage traditionnel du signe antérieur
pour la définition en question.
"Pour être satisfaisante dans
ce sens, une définition du signe doit non seulement résoudre
le problème de l'éliminabilité non ambiguë, mais doit aussi
être conforme à l'usage traditionnel en question.
Pour une
telleoonformité, i l est nécessaire et suffisant que chaque
contexte du signe qui était vrai et chaque contexte qui était
faux d'après l'usage traditionnel soient construits par la dé-
finition comme une abréviation d'un autre énoncé qui est res-
pectivement vrai ou faux d'après les significations établies
de ses signes."
(7)
Dans ces conditions, on dit que les vérités logiques
sont des vérités conventionnelles au sens où on explicite la
signification des termes constituants. Mais quelle peut être
la signification de ce conventionnalisme ? Quelle est le cri-
tère de la vérité logique ?
Eu égard à la doctrine linguistique,
"on dira,
écrit
Quine, d'une expression qu'elle fait une occurrence vide dans
un énoncé donn~si son remplacement par toute autre expression
grammaticalement admissible laisse mnchangée la vérité ou la
fausseté de l'énoncé."
(8)
Par exemple dans l'énoncé disjonc-
tif
(6) QUINE,
idem, p.
91.
(7)
QUINE,
'Truth by convention" in ways of Paradox, p. 72.
(8) QUINE, ibid, p. 73.

108
(7)
Un homme est célibataire ou marié
Les termes
'homme',
'célibataire',
'marié'
font une occurence
vide en ce sens que l'énoncé reste vrai pour toute réinterpré-
tation de ces termes autres que les termes logiques. On peut
â l'exception du connecteur disjonctif
(ou)
remplacer respec-
tivement
'homme',
'célibataire',
'marié' r,ar des termes
'neu-
trino',
'masse' et 'être inobservable', auquel cas on obtient
l'énoncé.
(8)
Le neutrino a une masse ou est inobservable
"Ainsi, écrit Quine, pour tout énoncé contenant
des expressions vides, i l existe une classe d'énoncés qu'on
peut décrire comme des variantes vides de l'énoncé donné qui
lui ressemblent en matière de vérité ou de fausseté, et ainsi
par le fait qu'ils ont en commun un squelette de maquillage
symbolique, mais ils ont des différences parce qu'ils montrent
toutes les variantes grammaticalement possibles des constitu-
ants vides de l'énoncé
donné."
(9)
C'est ce qui était le sché-
ma dans l'essai de 1934.
A l'occurrence vide s'oppose l'occurrence essentiel-
le.
"On dira d'une expression qu'elle fait une occurrence essen-
tielle dans un énoncé/si elle se produit dans toutes les varian-
tes vides de l'énoncé, c'est~à-dire si elle fait partie du
squelette ci-dessus mentionné"
(10)
mais où son remplacement
par une autre tranforme un énoncé vrai
(ou faux)
en un énoncé
faux
(ou vrai). Par exemple la disjonction 'ou' de l'énoncé
fait une occurrence essentielle en ce sens ~,?"s(~2 ~~:nR~fcement
par 'et' ou tout autre connecteur rend faux 'l'énoncé initial
Il est en effet absurde d'avoir l'énoncé
(9)
Un homme est célibataire et marié
Puisque, conformément à la nature de l'occurrence
vide qui fait qu'un énoncé vrai ou faux reste toujours vrai
ou faux pour toute réinterprétation par une autre expression
grammaticalement admissible, et eu égard au caractère de l'oc-
currence essentielle qui n'admet aucune substitution sans al-
térer la valeur de vérité de l'énoncé initial, nous pouvons
(9)
QUINE,
'Truth by convention' in onv. cit., p. 73.
(10)
QUINE, ibid, p.
73.

109
dire que la vêrité logique consiste en ceci :
"si
(un énoncé)
S" contient des expressions logiques qui seules font une oc-
currence essentielle et reste vrai quand tout, à l'exception
de ce squelette d'expressions logiques, est changé dans toutes
les manières grammaticalement possible::. alors S" dépend pour
sa vérité des constituants logiques eux seuls et il est ainsi
une vérité de logique."
(11)
Il est établi que si/à des expressions non logiques,
qui contiennent des occurrences essentielles dans un énoncé
S vrai? on donne des définitions seulement sur la base de la
logique, alors S devient une abréviation de la vérité logique
de S'
Ceci étant, si on suppose que l'essentiel en matière
de définition a été fait pour la logique, auquel cas nous
avons la liste de tous les connecteurs logiques ou des fonc-
teurs de vérités, alors tous les projets logiques ultérieurs
sont supposés définis. Ecoutons Quine,
"Supposons, écrit Quine,
que notre procédé consiste à compter parmi les signes primi-
tifs les mo~de notre langue-idiome tels que 'non',
' s i ' ,
('si
alors]),
'tout',
('quelque soit x,
... x . . . ') et
d'autres reconnus. Sur la base de ceux-ci alors toute la no-
tation logique qui suit,doit ~tre supposée définie. Tous les
énoncés comprenant toute notation logique ul térieure
~OI1I- c.ol'lsl:,...
d';·rl~...s ~ comme des abréviations d'énoncés dont les consti-
tuants logiques sont limités aux seuls constituants primitifs~'
'ou' en tant que connecteur associant des énoncés pour former
de nouveaux énoncés, est responsable de la définition contex-
tuelle suivante en termes de mots de langue comme
'non' et
'si'.
Une paire d'énoncés séparés par 'ou' est une abréviation de
l'énoncé qui se dissimule sous ces constituants: d'abord
'si'
pu~s le premier énoncé de la paire, avec
'non' inserré pour
gouverner le maintien du verbe
(ou si on préfixe ' i l faut que')
ensuite 'alors' et enfin le second énoncé de la ~aire." En
notation symbolique on a
(11)
QUINE, ibid, p.
74.

110
P vQ - ,p :J Q
"La convention s'éclaircit si nous utilisons le
préfixe '7'J
~0mme une notation antificielle pour nier, comme
si on écrivait'
1 la glace est chaude' à la place de 'la
glace n'est pas chaude' ou ' i l est faux que la glace est chau-
de'. Quand
' ... ' et '
, sont des énoncés, notre définition
introduit alors
' ... ou ---' comme une abréviation de
'si
.. , alors'
(dans le cas de la disjonction). De même,
' e t ' ,
en tant que connecteur unissant des énoncés, peut être défi-
ni contextuellement en introduisant'
et ---' comme une
abréviation de
'
si ... alors
Tous ces mots sont
connus comme fonctions de vérité et sont caractérisés par le
fait que la vérité ou la fausseté de l'énoncé complexe qu'ils
engendrent est uniquement déterminée par la vérité ou la faus-
seté des multiples énoncés qu'ils contiennet. On peut cons-
truire tous les foncteurs de vérité en termes de mots de lan-
gue tels que
'non' et 'si' comme dans les exemples ci-dessus.
Sur la base des foncteurs de vérité, avec nos notations pri-
mitives -le
'tout' de notre langue et d'autres notations~/alors
tous les projets logiques ultérieurs sont supposés définis."
(12)
Quine donne ici un apercu du langage canonique de la lo-
gique.
On sait que Sheffer dans un souci de simplification
du langag"réduit le calcul des propositions à deux connecteurs
principaux. Le
1
l ' e t le 'J '. Le connecteur 'l'ou barre de
Sheffer est interprété comme suit
:
'P/q'
est vrai si et seu-
lement si 'P' et
'q'
ne sont pas tous les deux vrais.
'P/q'
équivaut à cequ'on exprime en termes de conjonction
et de
négation sous la forme
., (P" q). Le connecteur
,"',
(ou 'ni'
'ni') dans
'poIq' équivaut à ce qu'on exprime en terme conjonc-
tion et de négation sous la forme
., PA' IR.
Soit
ces deux connecteurs et d'autres mots. S'ils
sont définis/les connecteurs le sont. Outre le fait qu'un mot
peut évoquer autre chose que la vérité de son contexte,
'une
définition, écrit Quine, comprend un mot avec une détermination
(12)
QUINE, ibid, p. 81-82.

111
complète de signification par rapport â d'autres mots. Mais
cette alternative nous amène, par le fait qu'elle introduit
un mot nouveau, â déterminer sa signification absolument pour
n'importe quel contexte, en spécifiant quels contextes doi-
vent être vrais et quels contextes doivent être faux."
(13)
De lâ, en séparant arbitrairement les énoncés con-
sidérés comme vrais lorsque nous dotons de sens nos locutions
logiques primitives, nous assignons une vérité â ces énoncés,
qui d'après l'usage ordinaire sont vrais et comprennent comme
occurrences essentielles nos locutions primitives. Les énoncés
qui suivront,non seulement seront vrais par convention/mais
aussi tous les énoncés qui sont vrais d'après l'usage ordinai-
re et qui comprennent des occurrences essen~ie11es seront
vrais. Ce procédé pour assigner la vérité fait que toute la
vérité est vraie par convention. Et alors la fausseté de
'
devient la vérité de
'
, pour autant que
' . . . '
sera faux
d'après l'usage ordinaire si et seulement si
'
• est vrai
d'après l'usage ordinaire.
Dire que la logique (élémentaire) est vraie par con-
vention, c'est dire que si un énoncé S estllune abréviation dé-
finitionnelle d'un autre énoncé S',
la vérité de S provient
d'une convention linguistique si la vérité de S ' e s t établie
de la même façon.
Toutefois, remarque Quine,
'nous ne devrons pas être
trompés par le schématisme. Il semblerait que nous établissons
une liste d'expressions et crue nous désignons comme arbitrai-
rement vraies toutes celles qui, d'après l'usage ordinaire,
sont des énoncés vrais contenant seulement pour la vérité
comme occurrences essentielles nos expressions logiques primi-
tives ; mai.s cette description s'effondre quand nous faisons
valoir que le nombre de ces énoncés est infini. Si la conven-
tion par laquelle ces énoncés sont choisis doit être formulé
en termes finis,
nous devons nous-même profiter des conditions
finies au point de déterminer des classes d!,expressions infi-
nie s ."
(14 )
(13) QUINE, ibid, p. 82.
(14)
QUINE, Truth by convention, oUv.cit., p. 84-85.

112
En d'autres termes,
le conventionnalisme dit que
les vérités logiques
(qui sont infinies)
sont vraies par des
conventions elles, finies. Cela est absurde, dit Quine.
"8i
l
nous devons construire la logique comme vraie par convention
nous devons rester logiques dans notre manière de traiter la
convention autrement que par définition .•. , les définitions
sont seulement capables de transformer les vérités, elle ne
peuvent les trouver."
(15) Dans
'Carnap and Logical truth'
Quine estplus explicite.
"Il est impossible dans le principe,
même dans des conditions idéales, d'obtenir même la partie
laplus élémentaire de la logique uniquement par l'application
explicite de conventions fixées à l'avance
( .•• ) Lp problème
est que les vérités logiques, étant en nombre infini peuvent
être données par des conventions générales,~lutôt qu'indivi-
duelles. Et on a besoin que la logique commence avec elles,
dans la métathéorie, afin de mettre les conventions générales
en relation avec les cas individuels."
(16)
§ 2 Les limites du conventionnalisme logique
Pour Quine, les vérités log ique<.s sont antérieures aux
conventions"Pierre Jacob donne l'explication suivante:
"comme
i l existe un nombre infini de vérités logiques, on ne pourra
les engendrer toutes à partir de conventions qu~ si on ajoute
à ces conventions/la logique, permettant de dériver des conven-
tions, toutes les vérités non définies par convention."
(17)
explicite ou implicite.
Quine illustre très bien les limites du convention-
nalisme dans 'Truth by convention'.
Soit un énoncé vrai comprenant l'occurrence essen-
tielle 'si', qui àétermine une classe infinie d'expressions et
qu'on peut obtenir par convention de la façon suivante :
(10)
Si si P alors si si q alors r
alors si P alors r
(15)
QUINE, ibid., p. 81.
(16)
QUINE "Carnap and Logical truth' in The Ways of Paradox,
p.
108.
(17)
P. JACOB, L'empùrisme logique, p. 184.

113
Si on pose un énoncé à la place de
'P', un autre à
la place de
'q' et un autre à la place
' r ' ,
la forme de
(10)
pour la clarté, donne
'Si c'est le cas que si p alors q, alors si c'est le
cas suivant que si q alors r, alors si p, r ~
Cette forme est vraie et le demeure pour toute
substitution d'énoncés mis à la place de
'P',
'q', 'r'
C'est le schéma d'axiome
(P~q)
::>
1 (q:)r) j (p)r)
Il en résulte deux conventions suivantes
(I)
Que tous les résultats obtenus en mettant un énoncé
pour 'p;un autre pour 'q' et un autre pour ' r ' dans le sché-
ma d'axiome ci-dessus sont vrais.
(II)
Que est vraie toute exppession qui produit une vérité
quand elle est mise à la place de
'q' lorsque 'p' est vrai
dans
'si p alors q' : (p'':> q)
"Une fois données les vérités ' . . . ' et
'si
alops
(II)
produit la vérité de
'---'. Le fait que
(II)
se conforme à l'usage, le fait qu'à partir d'énoncés qui sont
vrais d'après l'usage ordinaire,
(II)
conduise seulement aux
énoncés qui sont également vrais d'après l'usage ordinaire, est
caractérisé à partir du fait que d'après l'usage ordinaire, un
énoncé '---' est toujours vrai si les énoncés ' ... ' et
'si
alors ---' sont vrais. Une fois données toutes les vérités
produites par
(I),
(II) produit une autre infinité de vérités
qui, comme les précédentes, sont d'après l'usage ordinaire
des vérités comprenant seulement comme occurrence essentielle
le mot de langue.'si'."
(18)
Mais l'énoncé '---' n'est pas de la forme de
(10),
et ne peut être obtenu à partir de
(I)
uniquement/d'autant que
la convention
(II), quand elle est donnée avec d'autres sour-
ces auxiliaires de vérités, comme la convention III qui va
suivre, II produit des vérités qui comprennent d'ultérieurs
occurrences essentielles comme 'non'.
LIIUque tous les résultats d'un énoncé remplaçant
'p' et d'un énoncé remplaçant
'q' dans
'si p alors si
lp alors
q' ou 'si si
1P alors p' sont vrais
(18) QUINE, ~ruth by convention in ~~, p. 85.

114
P ::> ( ,p.:) q)
-
(p:) pl;
Les énoncés ainsi engendrés par substitution dans
,p,) (,P,) q)' sont des énoncés de forme hypothétique dans la-
quelle deux énoncés se produisent comme des prémiss~ N'impor-
te quoi dans ce genre d'énoncés peut figurer en conclusion.
Donc ces énoncés ne préfigure
aucun contenu propositionnel.
On peut, ~ partir de deux connecteurs logiques,
la négation
et le conditionnel
'si . . . alors', engendrer toutes les véri-
tés logiques. A cet égard/Quine reconnaît que la doctrine
linguistique des vérités logiques a ses attraits.
"A.ce sujet,
écrit-il, on ne peut douter que le pur usage verbal est en
général un déterminant majeur de la vérité. Une phrase aussi
ponctuelle que
'Brutus tua César' doit sa vérité non seulement
au meurtre mais aussi à l'usage des mots.
Pourquoi alors une
phrase logiquement vraie, sur le même sujet, comme
'Brutus
a tué ou n'a pas tué César'
ne se dirait pas pour que sa véri-
té soit redevable purement
au fait que nous utilisons nos
mots comme nous le faisons ?
(Dans le cas
'ou 1 et
'ne . . . pas') .....
plutôt que de faire dépendre entièrement sa vérité de l'action
du tuer. Ceci ne veut pas dire, bien sûr, que la phrase logi-
quement vraie est une vérité contingente au sujet de l ' u t i l i -
sation verbale, mais c'est plutôt une phrase qui,
établie
linguistement, devient automatiquement vraie,
tandis que
'Bru-
tus tua César' établie linguistiquement, devient vraie seule-
ment d'une manière contingente paI le cniiœ prétendu."
(19)
Si la doctrine a des attraits, cela ne signifie pas
qu'elle est fondée et Quine de rectifier. "Cependant, considé-
rons la vérité logique :
'Tout est identique ~ soi' ou '(x)
(x = x) ,
Nous pouvons dire qu'elle dépend en c~ qui concerne sa vérité
des traits du langage
(particulièrement dans l'usage de
'=')
et non des traits du sujet ; mais nous pouvons dire aussi al-
ternativement qu'elle dépend d'un trait manifeste,
comme
'iden-
tité en soi', de son sujet. Nos réflexions reflexions présen-
tes vont dans le sens qu'il n' y a pas de différence."
(20).
(19)
QUINE,
'Carnap and Logical truth'
in WP, p. 101.
(20)
QUINE, idem, p. 106.
-

115
Soit l'énoncé
(11)
Brutus a tué César et Brutus n'a pas tué César.
Ce qui fait que
(11)
n'est pas simplement une faus-
seté mais une contradiction vient-il de ce que
(11)
fixe la
signification des mots? Mais de quels mots? S'agit-il des
mots descriptifs tel que
'tué' ou des mots logiques tels que
'et'
? Autrement dit,
s'agit-il des occurrences vides ou des
occurrences essentielles? Doit-on dire que
(11)
fixe l'usage
des mots descriptifs ou alors que l'absurdité de
(11)
vient
de ce que
(11)
fixe indirectement l'usage de l'occurrence es-
sentielle dans la mesure oü affirmer
(11)
c'est affirmer que
le même homme qui a tué César est le même homme qui n'a pas
tué l'empereur
César?
Dès qu'on se penche sur ces questions,
la distinc-
tion entre les énoncés analytiques
(qui
portent sur le langage)
et les énoncés synthétiques
(qui portent sur la réalité)
s'ef-
fondre. Certes, onupeut dire que
(11)
fixe l'usage de s mots
descriptifs si on connaît au préalable l'utilisation des mots
loqiques. Or on sait que ceux-ci ne peuvent être donnés exhau-
tivement par convention. Nénamoins. pour contourner la di ffi-
cuItée, on préférera;J.c'lire que
(11)
fixe l'usage des mots
'et'
si on connaît au préalable la signification des mots descrip-
tifs. Cependant la convention selon laquelle les termes des-
criptifs sont vrais en vertu du langage n'est pas justifiée
(Section 7). Cela montre qu'il n'y a pas de priorité philoso-
phique qui puisse donner une primauté sémantique ou épistémo-
logique aux mots logiques ou aux mots descriptifs.
Dès lors, c'est la définition de la vérité logique
qui se trouve discrédité/puisque les occurrences essentielles
ne peuvent à elles seules garantir la vérité d'un énoncé.
S'il n'y a pas de priorité logique des occurrences
essentielle~d'autantque savoir utiliser les mots logiques
n'est pas suffisant pour conférer un statut épistémologique
à la vérité logique de l'identité 'tout est identique à soi',
la question qui se pose à nous peut être formulée en ces ter-
mes : quelles sont les composantes de la vérité logique ? Sur
(20)
QUINE, idem, p.
106.

116
quoi repose-t~elle ? Nous ne saurions élucider cette question
qui est la trame de toute la ppnsée de Quine si nous n'éluci-
dons pas celle relative à l'examen des termes descriptifs.
C'est ce que nous allons montrer dans la section suivante
qui fera ressortir les raisons de Quine de rejeter le conven-
tionnalisme des items lexicaux qu~on dit être vrais en vertu
du langage.
SECTION 7
Quine et la critique de la doctrine linguisti-
que des vérités logiques : le cas des items
lexicaux
IN'J'F:ODUCTION
Les logiciens friands de distinction suggèrent que
la difficulté de séparer les énoncés analytiques et synthéti-
ques dans le langage ordinaire provient du manque de précision
de ce langage et que la distinction est claire lorsqu'on dis-
pose d'un langage artificiel muni de
'règles sémantiques"
explicites. On pe~t essayer de défendre l'existence d'une
classe de vérités analytiques en appliquant le concept d'ana-
lyticité aux langues formalisées oü les règles syntaxiques et
sémantiques sont toutes explicites, contrairement aux langues
naturelles avec leur lot d'imprecision. Carnap s'est évertué,
à travers ses oeuvres, à définir des
cadres conceptuels pour
y loger les vérités analytiques. Mais comme le dit Quine
"le problème n'est pas moins difficile dans le cas des lan-
gues artificielles Que dans le cas des langues naturelles.
Il est aussi difficile de donner un sens à l'expression 's'est
analytique pour L', dans laquelle
' S ' e t 'L' sont des varia-
bles lorsqu'on limite le domaine de la variable
' L ' à des ~
l.ngues &vtificielles.'·
(21)
Nous examinerons d'abord les critiques de Quine con-
tre Carnap ensuite nous résumerons la vague de prises de posi-
tions auxquelles a donné lieu la parution par Quine de
'Two
dogmes ,".
(21)
QUINE,
'Les deux dognee~ trad. P. Jacob in De Vienne à
Cambridge, p.
99.

117
§ 3 Règles sémantiques et analyticité
IdentifiiaAt énoncé analytique et vérité logique,
Carnap, dans Meaning and Necessity écrit :
"L_vrai
(logical
true)
est un explicandum de ce que Leibniz appelait la véri-
té nécessaire et que Kant désignait par vérité analytique. "(22)
"Il semble donc, continue Carnap, qu'on se conforme au con-
cept traditionnel, que nous prenons comme explicandum si nous
exigeons un explicatum quel qu'il soit, qui remplisse la con-
dition suivante :
Convention : Une phrase 6i est L-vraie dans un sys-
tème sémantique S si et seulement si 6i est vraie dans S de
telle sorte que sa vérité puisse être établie uniquement sur
la base des règles sémantiques du système 5 lui seul,
sans au-
cune référence aux faits
(extra linguistique)."
(23)
Cette condition suggère qu'un énoncé est L-vrai
si et seulement si i l est vrai dans tous les mondes possibles.
Mais i l n'est pas fondé que le même système garde la même
valeur de vérité dans ses variations diverses à travers di-
vers contextes.
Soit une langue artificielle Lo, dont les règles
sémantiques ont la forme explicite d'une spécification réaur-
sive ou autre de tous les énoncés analytiques de Lo.
"Les rè-
gles nous disent que tels et tels énoncés, et seulement ceux-
là sont des énoncés analytiques de Lo
( . . . ) Nous comprenons
quelles sont les expressions auxquelles les règles attribuent
l'analyticité, mais nous ne comprenons pas ce que les règles
attribuent à ces expressions. Bref, avant de pouvoir compren-
dre une règle qui commence par u un énoncé 5 est analytique
pour une langue Lo si et seulement si . . . " nous devons pou-
voir comprendre le terme relatif général
'analytique ~~
nous devons pouvoir comprendre
'5 est analytique pour L',
lorsque
' S ' e t
'L'
sont des variables."
(24)
Autrement dit,
l'analyticité, afin de pouvoir s'ap-
pliquer à un seul cas, à un langage donné, doit pouvoir s'ap-
(22)
CARNAP, Meaninq and Necessity",p.
9.
(23)
CARNAP,
ibid., p.
10.
(24)
QUINE, idem, p.
99-100.

118
pliquer à tous les cas. En disant donc quels énoncés sont
analytiqui:i~ pour Lo, on explique 'analytique pm;.r
Lo, c' est-
à-dire ce qui est propre à Lo comme langage idiosyncrasique
mais ni
'analytique pour'. S'il y avait analyticité, on n'au-
rait pas été dans l'obligation de spécifier les énoncés
'ana-
lytique pour -Lo', et ' S ' e t
'L' comme variabl~garderaient
leur valeur de vérité. Elles ne seraient même plus des varia-
bles mais des constantes.
Comme le suggère Morton White, nous pouvons permet-
tre aux usagers de notre langue de mettre
'animal rationel'
pour 'homme' dans un langage LI' Dans le même langage LI qui
contient aussi la phrase
'bipede '; sans plumes' i l est possi-
ble qu'il n'y ait pas de règle permettant de mettre
'bipède
sans plumes' pour 'homme'. Ainsi, nous pouvons dire que dans
une telle langue artificielle LI,
l'énoncé
(12) Tous les hommes sont des animaux rationnels est
analytique sur la base d'une convention. Dans LI, pourtant,
l'énoncé
(13)
Tous les hommes sontcides bipèdes sans plumes
n'est pas analytique.
Il est facile de construire un langage
L2 dans lequel la situation inverse prévaut et dans lequel une
forme linq~istique qui était analytique dans LI devient synthé-
tique dans L2, etc •.•
(25)
De toute façon en limitant le domaine de
'L' à
l'ensemble des langues artificielles, on ne fonde pas le con-
cept d'analyticité d'autant que les langues artificielles
elles-mêmes ne sont ni arbitraires ni fortuites.
En effet,
nous verrons, dans le cas de l'assomption antologique, qu'ad-
mettre des langues mêmes artificielles, c'est accepter un lan-
gage, c'est admettre des croyances.
A ce sujet, la physique pré-relativiste nous four-
nit des exemples selon lesquels tout postulat ontologique
s'effectue toujours à travers un langage, c'est-à-dire un ré-
férentiel. La notion pré-relativiste de référentiel signifiait
que tous les corps en mouvement rectiligne uniforme pouvaient
(25) MORTON G. White : the Analytic and the Synthetic : An
untenable dualism in AnalyticitYIHarris/severens, p. 82.

119
Se référer à quelque chose de fixe.
L'on pensait qu'il exis-
tait toujours un système privilégié immuable.
Pour celui qui
se fonde sur un référentiel galiléen, la terre tou~ne d'un
mouvement uniforme en chaque point autour des étoiles et met
24 heures pour une rotation sur elle-même. Pour celui qui ac~
cepte le référentiel de Copernic la terre décrit une ellipse
en 365 jours autour du soleil par rapport aux étoiles.
Sans égard à cette digression
, 1ournons-nous
vers une deuxième forme de règle sémantique qui affirme que
les énoncés qui se conforment aux règles sémantiques sont com-
pris parmi les vérités. On définira alors l'analyticité en
ces termes : un énoncé est vrai s ' i l est
non seulerœnt vrai, mais
vrai conformément à la règle sémantique. Cette fois un énoncé
n'est pas vrai par convention mais lorsqu'il se conforme aux,
règles stipulées. Certes on ne demande pas à une rè~le séman-
tique de spécifier toures les vérités de la langue ; mais
elle stipule récursivement ou d'une autre manière un certain
nombre d'énoncés que l'on va considérer, avec d'autres non
spécifiés, comme vrais.
Toutefois nous n'avons pas progressé dans la sai-
sie de cette notion fuyante d'analyticité. En éludant l'expli-
cation de
'analytique' pour lui substituer l'expression 'rè-
gle sémantique', nous courrons le même reproche. En effet,
comme le dit Quine,
"on ne peut pas donner le statut de
'rè-
gle sémantique' à n'importe quel énoncé vrai qui déclare que
les énoncés d'une certaine classe sont vrais -autrement toutes
les vérités seraient 'analytiques" au sens 00 elles seraient
vraies conformément aux règles sémantiques. Apparemment, on
ne peut pas distinguer les règles sémantiques que par le fait
qu'elles apparaissent sur une page sous le titre
'règles séman-
tiques' et ce titre est lui-même dépourvu de signification."(26)
On peut toujours dire que S est un énoncé analyti-
que pour Lo relativement aux règles sémantiques. Mais on ne
peut le dire que si on sait au préalable qe que signifie l'ex-
pression 'règle sémantique de
pour n'importe quel langage L'.
(26) QUINE,
'Les deux dogmes'
trad. P. J"acob onv. cit., p.100-
101.

120
"Dès qu'on essaie d'expliquer 's est analytique pour L' lors-
que 'L'est une variable
(même si on accepte de limiter
'L'
aux langues artificielles), l'explication 'vrai conformément
aux règles sémantiques de L' perd toute valeur car le terme
relatif 'règle sémantique de
'
a au moins autant besoin de
clarification que
'analytique pour'."
(27)
§ 4 Règles sémantiques, postulat et analyticité
Il est instru~tif de compa~er les notions de règles
sémantiques et de postulat. C'est justement ce que fait Carnap
dans
'Meaning postulates' ou postulats de sens.
Ces postulats de sens sont des axiomes que Carnap
ajoute au système sémantique.
Il s'agit en d'autres termes,
d'axiomes qui nous disent comment les sens des constantes pré-
dicatives primitives sont reliés entre eux. On ne doit pas
confondre les postulats de sens avec les assertions factuel-
les. Ce sont plutôt des énoncés authentifiés par une intention
d'employer les constantes prédicatives primitives d'une cer-
taine façon que par un appel aux faits ou aux observations.
Soit 'w' une constante prédicative primitive d'un
système sémantique S désignant la relation 'être plus chaud
que', alors S est transitive,
irréflexive, asymétrique, en
vertu de son sens. Pour asserter que W a ces propriétés, nous
n'avons pas besmin de quelques observations que ce soit ni
d'expérimentation. Que W ait ces propriétés, cela résulte de
notre décision d'em9loyer W d'une certaine façon.
En conséquence les énoncés
(14 )
'Wa
a2. Wa2 a3.
1Wa1 a3 '
t
(15 )
'Wat a2. Wa2 a3'
,
(16)
'wa, a,
sont faux en raison de leur sens.
(28)
Pour Carnap, fait remarquer Quine, on a rigoureuse-
ment spécifié un langage lorsqu'on lui a établi ~ force de
postulats de sens quelles phrases doivent être considérées
(28)
Richard MARTIN,
'On Carnap's Conception of Semantics' in
P.A schilpp The philosophy of Carnap, p. 82.

121
analytiques. Mais les postulats de sens ne peuvent découvrir
les vêrité~; ~t Quine de montrer, là encore, les défauts rédhi-
bitoires de la doctrine des postulats de sens. Ces défauts re-
posent sur quatre cas.
L'un de ces cas est le caractère non évaluatif du
rôle de la convention en relation avec le langage artificiel.
En effet,
la convention ne peut pas être le reflet de la réa-
lité. Quine le montre de la façon suivante :
"même si la véri-
té logique était spécifiable en termes de syntaxe, cela ne
montrerait pas qu'elle est établie dans le langage. Tou~e
classe de vérités finies
( .•. ) peut être clairement reprodui-
te par une condition
d'appartenance posée comme dans des ter-
mes étroitement syntaxmques convenables ; cependant, nous ne
pouvons certainement pas dire de chaque classe finie de véri-·
tés que ses membres sont vrais simplement par le langage."
(29)
Un autre cas est le caractère non évaluatif de la
conventionnalité des postulats. Il s'agit ici encore d'un
échec quant à l'appréciation des postulats. bien que ce soit
toujours des postulats par décret et par conséquent non vrais
par décrets.
Considérons les vérités de la géométrie
euclidienne.
Ce sont des vérités qui décrivent les faits de l'espace à
trois dimensions. Cette géométrie dépend de feits spatiaux
et de conventions adoptées par Euclide. Mais ces conventions
ou ces postulats ne sont pas arbitraires. Là-dessus Quine
d i t : les vérités de la géométrie ~u?lidienne "n'étaient pas
basées sur la convention ( ... ),
les vérités étaient dans la
pratique présentées par déduction, à partir de ce qu'on appel-
le les postulats
(les axiomes inclus,
je ne fais pas la dif-
férence)
; et la sélection de vérités pour ce rôle de postu-
lat, en dehors de la.ltotalité des vérités de la géométrie eu-
clidienne, était vraiment une matière de convention. Mais cela
n'estpas la vérité par convention. Les vérités ex~~taient et
ce qui était conventionnel était simplement ce qui les séparait
d'elles parmi celles que l'on avait prises comme point de
départ (pour les buts de l'exposé immédiat)
et celles que l'on
(29) QUINE,
'Carnap and Logical truth' in P.A.
schilpp o~v.
cit., p. 400.

122
devait déduire 1 partir de ces vérités premières."
(30)
P. Jacob donne lecommentaire suivant. Autrement dit
la sélection d'Euclide
'est conventionnelle mais cela ne rend
pas les postulats
'vrais par convention' puisqu'ils faisaient
partie du domaine des vérités avant d'être choisis pour avoir
le rôle de postulats."
(31)
Mais Quine est encore plus rigoureux.
"Les géométries
non euclidiennes, écrit-il, sont issues des déviations artif\\--
cielles issues des postulats d'Euclide, sans avoir pensé
( .•. )
à l'interprétation de la vérité. Cette orientation était dou-
blement conventionnelle, ainsi les postulats d'Euclide étaient
une sélection conventionnelle issue de l'ensemble des vérités
de la géométrie, et alors ces orientations étaient arbitrai-
rement ou conventionnellement imaginées. Mais aussi i l n'y
avait pas de vérité par convention, parce qu'il n'y avait
pas de vérité."
(32)
Quine est d'autant plus convaincu de ses positions
qu'il trouve que les postulats reposent sur deux procédures
la postulation législative et la postulation discursive. La
première instaure la vérité par convention ou par décret. Elle
est illustrée dans la théorie des séries ou la théorie des
ensembles où l'on peut faire appartenir un élément 1 une clas-
se ou 1 un ensemble. La seconde postulation fixe l'agencement
particulier des vérités, pour des buts heuristiques ou péda-
gogiques.
Le troisième cas est la surestimation de la nature
distinctive des postulats et des définitions. Pour ce qui est
des postulats, on sait qu'avec l'avènement des géomêtries non
euclidiennes/les systèmes non interprétés étaient devenus
1 la mode.
"La tendance à considérer les géométries non eucli-
diennes comme vraies par convention s'appliquait généralement
à des systèmes non :t.nterpr~s, puis elle les a abandonnés pour
les systèmes mathématiques en général. Une tendance s'est
réellement développée, considérant tous les systèmes mathéma-
(30)
QUINE, ibid, p.
392.
(31)
P. JACOB,' 'L'empirisme lb1i~ue, p. 185.
(32)
QUINE, article citê, p.
9 .

123
~iques comme non interprétés en tant que mathématiques.
Cette tendance peut être exp~iquée par le développement de la
'formalité' il laquelle s'ajoute l'usage de la non interpréta-
tion comme un recours heuristique pour la form~isation. Fi-
nalement, dans un effort pour donner un sens aux mathématiques
vidées ainsi de toute interprétation, on a eu recours il une
lamentable échappatoire en identifiant les mathématiques tout
simplement il la loqique élémentaire qui mêne des postulats non
interprétés aux théorèmes non interprétés." Et alors on se
rend compte que
'le statut d'une géométrie non euclidienne
interprétée ne diffère pas il la base du statut original de
la géométrie euclidienne."
(33)
La surestimation des postulats a donc induit en
erreur. Pour ce qui est des définitions, on peut, dans une
théorie, remplacer les anciennes définitions par des notations
nouvelles sans toutefois changer la théorie. Mais nous avons
déjà vu que les vérités contenant la nouvelle notation sont
des transcriptions conventionnelles isolées qui ne doivent pas
uniquement leur vérité une fois qu'on sait utiliser les occur-
rences essentielles et qu'on connaît l'emploi des termes dés-
criptifs.
Le quatrième et dernier défaut des postulats de sens
est le caractère non évaluatif des postulations législative
et discursive.:
En ce qui concenne la postulation législative, con-
sidérons le cas des règles sémantiques établissant les valeurs
de vérités des connecteurs logiques et des quanteurs dans la
logique élémentaire. On pourrait se persuader que la logique
est mnamovible. En vérité i l existe aujourd'hui des logiques
déviantes à partir de la loi du tiers-exclu. Et à ce moment,
la loi du tiers-exclu devient une évidence de l'usage revisé
de 'ou' et 'non'. Pour le logicien de la déviation, les occur-
,
rences essentielles
'ou' et 'non' ne sont pas familiers ou
bien ils sont défamiliarisés.
(33)
QUINE, ibid, p. 303.

124
"Et ses décisions
(celles du déviationniste)
en ce qui con-
cerne les valeurs de vérité pour leurs contextes peuvent alors
être aussi bien authentiquement une matière de la convention
délibérée que des décisions du créatif théoricien, des séries
en ce qui concerne les context~de 'E'.'l
Si les lois logiques étaient simplement de la con-
vention, elles ne changeraient pas.
Si le déviationniste chan-
ge certaines 10is,ce n'est pas parce que leurs vérités repo-
sent sur des définitions législatives mais parce que quelque
chose dans la réalité qu'il explore infirme la loi logique.
Même dans les hypothèses théoriques des sciences na-
turelles, ce qui ~essemb1e à de la convention
n'est pas uni-
quement dictée par un choix délibéré/exposé et non accompagné
par aucune tentative de justification autrement que par des
termes d'élégance et de convenance.
Il est certes sOr que la
justification de toute hypothèse théorique peut, au moment de
l'hypothèse, consister en rien d'autre que l'élégance ou la
convenance que l'hypohtèse apporte au cor~us contenu de lois
et de données. Mais alors, s'interroge Quine,
"comment faire
alors pour délimiter la catégorie de la postulation législa-
tive, cesser d'inclure en elle tout nouvel acte de l'hypothè-
se scientifique ?"
(34)
Il semble que~ le cas des sciences naturelles, on
puisse savoir ce qui relève de la définition et ce qui relève
des faits par une confrontation avec les données empiriques.
Mais cette confrontation peut être éloignée de l'expérience.
Et cette confrontation éloignée peut même être revendiquée
pour les mathématiques et la logique qui ne savent pas dire
ce qui relève d'elles et ce qui ne relève pas d'elles.
"Ainsi,
remarque Quine, une théorie homogène que nous pouvons vérifier
avec l'expérience inclut, dans la réalité,
non seulement ses
différentes hypothèses théoriques des dites sciences naturel-
les, mais aussi des parties de la logique et des mathématiques
telles qu'on les utilise. De là,
je ne vois pas comment on peut
(34)
QUINE, ibid, p.
396.

125
délimiter les hypohtèses qui accardent la vérité par conven-
tion des hypothèses qui ne cessent de prendre en compte toute
les hypohtèses."
(35)
"Maibtenant, clarifie Quine, la véritable distinc-
tion entre l'apriori et l'empirique devient hésitante et tend
â disparaftre, au moins en tant que distinction entre les phva-
ses
(elle apparaft bien sûr se maintenir comme distinction
entre facteur d'adoption d'une phrase mais les deux facteurs
seraient partout opérationnels) U (36)
De ces remarques découlent celles de la postulation
discursive qui est une simple sélection extraite d'un corpus
pré-existant de vérités. Si à l'intérieur d'une même théorie
les postulats peuvent être indifféremment
(relativement au lan-
gage L)
choisis, un commentateur X' n'est pas tenu pour obli-
gé de choisir comme postulats ceux adoptés par un commentateur
X antérieur. Le commentateur X' peut fortbien choisir ailleuns
ses postulats dans le corpus
(si corpus i l y a) .
Dès lors,
les postulats de sens ajoutés aux règles
du langage dont i l est question, ne peuvent pas prétendre avoir

répondu aux objections de Quine même s, Carnap s'en convainC.
Le paradoxe est que Carnap qui s'est rendu compte des bien.fon-
dés des critiques de Quine ait entrepris dans les fondements
philosophiques de la physique de maintenir la distinction.
§ 5 L'explicitation par Carnap des items lexicaux et
le maintien
des énoncés analytiques
"La vérité logique ou 'vérité-L', écrit Carnap est
le premier type de vérité analytique. Une proposition est L-
vraie lorsqu'elle est vraie en vertu de sa forme et du sens
des termes logiques qui y figurent.
Ainsi l'énoncé:
(17)
Si aucun célibataire n'est un homme heureux, alors
aucun homme heureux n'est célibataire
est L-vraie parce qu'il suffit de conna!tre le sens, c'est-â-
(35)
QUINE, idem, P.
397.
(36)
QUINE, Le Mot-et la chose, p.

126
dire l'usage ges termes logiques
' s i ' ,
'alors',
'aucun . . . ne'
et 'est' pour en reconnaître la vérité, sans même qu'il soit
nécessaire de connaître la signification des termes descrip-
tifs
'célibataire',
'heureu~' et 'homme'.
(37)
Cela étant, fait observer Carnap, nous ne devons
pas oublier la critique de Quine selon laquelle "le langage
d'observation est riche en énoncés qui sont analytiques en un
sens beaucoup plus large que celui de L-vraie. Ces énoncés
ne peuvent pas être décrits comme étant soit vrais soit faux
tant que le sens de leurs termes descD~ptifs, de même que
celui de leurs termes logiques, ne sont pas connus. L'exemple
bien connu de Quine est le suivant:
'aucun célibataire n'est
mairé'. La vérité de cet énoncé ne dépend manifestement pas
des fëiits contingents qui se produisent dans le monde; et pourtant
on ne peut le qualifier de vrai à cause de sa forme logique'"
seulement. La connaissance de la signification de
'aucun . . . ne'
et de
'est' ne suffit pas;
i l est également nécessaire de
savoir ce que
'célibataire' et 'marié' veulent dire. Dans le
cas présent,
toute personne parlant le français conviendra
que
'célibataire' signifie la même chose que
'homme qui n'est·
pas marié. ". (38} Mais Carnap ajoute
: ·une fois que l'on
1
s'est entendu sur le sens de ces expression, d'emblée l'énon-
cé apparaît vrai non pas à cause de la nature du monde, mais
à cause du sens que notre langage attribue aux mots descrip-
tifs.
Il n'est même pas nécessaire de connaîtreleurs signifi-
cations. Il faut savoir que les deux mots ont des sens incom-
patibles
un homme ne peut pas être décrit comme étant céli-
bataire et marié à la fois."
(38)
S'il en est ainsi, c'est-à-dire si un énoncé est
analytique lorsqu'on sait l'emploi des termes logiques et
lorsqu'on s'est entendu sur le sens des expressions descripti-
ves, alors on peut établir l'analyticité. C'est ce qu'entre-
prend Carnap dans une partie de l'ouvrage ci-dessus cité.
Comment définir avec précision cette ancienne d~stinction ?
(37) CARNAP, Les fondements, p.
251.
(38)
CARNAP, ibid, p.
251.

127
Ce qui est sûr, c'est qu'une langue naturelle n'est pas assez
précise pour que chacun des mots soit compris de la même fa-
çon pour tous. Deux exemples nous sont fournis par Carnap,
soit l'énoncé.
(18)
Tous les piverts à tête rouge ont la tête rouge.
Est-il analytique ? On aura tendance à le dire pour la bonne
raison que
'pivert à tête rouge'
signifie
'pivert dont la tête
est rouge'. Et alors un tel énoncé et ceux qui leur sont sem-
blables n'est pas seulement A-v~ai (vrai analytiquement) c'est-
à-dire en vertu de la signification attribuée à ses composantes
logique et descriptive
mais également L-vrai en vertu de sa
forme logique. Cependant un tel énoncé n'échappe pas à la ré-
futation car i l peut être nié par un ornithologue. En effet,
pour lui ces oiseaux qu'on appelle
'piverts à tête rouge' peuvent'
être une espèce d'oiseaux qui,ayant subi des mutations/ont
la couleur de la tête modifiée/de rouge qu'elle était en blanc.
Le second énoncé de Carnap est le suivant :
(19)
Si M.
Dupont est célibataire, i l n'a pas d'épouse
Cet énoncé n'est ni A-vrai,
ni L-vrai mais i l est synthétique
pour qui donne aux termes
'célibataire', et
'épouse' des in-
terprétations non orthodoxes.
"Par exemple, écrit-il, i l se
peut qu'un homme de loi comprenne la notion d'épouse dans un
sens large qui inclut la femme vivant en l'état de
'concubin-
nage notoire'.
Si par ailleurs
'célibataire'
signifie pour lui
'homme qui,
légalement, n'est pas marié',
i l est clair que
cette interprétation,
jointe à celle d'épouse au sens large
confère à l'énoncé un caractère synthétique. Toute personne
soucieuse de déterminer la vérité ou la fausseté de l'énoncé
devra donc enquêter sur la vie privée de M. Dupont."
(39)
Pour établir l'analyticité des énoncés, Carnap cons-
truit de toute pièce un langage d'observation à partir de rè-
gles précises. Ces règles appelés postulats de significations'
deviennent des règles de postulats-A (postulats d'analyticité)
(39)
CARNAP, ibid, p.
253.

128
comme si cela résolvait les critiques de Quine. Il s'agit de
postulats qui mettent en évidence les relations de significa-
tion existant entre certains mots.
"Prenons par exemple
'animal',
'oiseau' et 'pivert
à tête rouge'
; la signification de ces mots pourrait être
spécifiée à l'aide de règles de désignation que voici
(Dl) Le terme
'animal' désigne la conjonction des proprié-
tés suivantes:
(1), •• ,
(2) ... ,
(3) ... ,
(4) •.. ,
(5) ... ,
(ici figurerait la liste complète des pro-
priétés définitionnelles)
(02)
Le terme
'oiseau' désigne la conjoncti.on des pro-
priétés suivantes
(1) ... ,
(2) ... ,
(3) ••• ,
(4) ..• ,
(5) ... ,
(comme en Dl)
plus les propriétés addition-
nelles:
(6) •.. ,
(7) •.• ,
(8) ... ,
(9) ... ,
(10) ... ,
(Ici figureraient toutes les propriétés nécessai-
res pour spécifier la signification de ·oiseau')
(03)
Le terme
'pivert à tête rouge' désigne la conjonc-
tion des propriétés suivantes:
(1) ... ,
(2) ... ,
(3)
... ,
(4) ... ,
(5) ... ,
(comme
en Dl), plus
(6) ... ,
(7) ... ,
(10) ... ,
(comme en 02) plus les propriétés
additionnelles
(11) ... ,
(12) .•. ,
(14) ... ,
(15) ... ,
(ici figureraient toutes les propriétés nécessaires
pour spécifier la signification de
'pivert à tête
rouge'"
( 4 0 )
Mais
la liste des propriétés requises peut sur-
J
charger le texte de règles interminables. On supplée à cela
par les postulats-A comme pour les trois termes ci-dessus;
on a les deux postulats A (dans notre langue).
Al Tous les oiseaux sont des animaux
A2 Tous les piverts à tête rouge ont la tête rouge
On pourrait faire remarquer que Carnap ne nous fait
pas avancer dans l'intelligence de la notion d'analyticité.
Cela est d'autant plus inquiétant qu'il trouve la justifica-
tion~ de$; postulats A par le recours au dictionnaire. Mais
il ne s'y attarde pas puisqu'il estime que chacun est libre
(40)
CARNAP, ibid, p.
253.

129
de formuler les postulats-A comme bon lui semble. Mais si dans
notre langue,
les expressions
'sans piliumes' et
'bip~des' ne
sont pas mentionnés dans des postulats-A analogues, c'est que
dans cette langue qui est la nOtre,
les attributs
·sans plu-
mes' et
'bipèdes' ne sont pas considérés comme des composan-
tes essentielles de la signification de homme.
Mais si dans notre Langue ces attributs sont essen-
tiels, nous pouvons const~ùire l'analyticité dans un langage
artificiel où nous précisons la liste des postulats A. Mais
là aussi l'argument n'est pas solide puisqu'on ne comprend
pas ce que signifie
'attribut essentiel'.
D'autre part,
le langage artificiel qu'on construit
est un système formel.
Il n'engendre pas de vérité.
Il sert
au contraire de modèle qui formalise les vérités. A ce titre
les postulats ne créent pas de vérité mais enregistrent les
croyances, les plaçant les unes en positions de postulats,
les
autres en position de conséquence.
Les critiques par Quine de l'analyticité repose à
notre avis sur deux constats.
Le premier est celui qui fait observer que la véri-
té n'est pas telle par convention. Le second est que la notion
d'analyticité n'est pas projective.
Pour le premier constat, nous avions vu que la doc-
trine linguistique a ses attraits. Un énoncé comme
'Brutus a
tué César' serait faux si
'tué avait le sens de
'père de'
Seulement dit Quine,
la vérité ne repose pas uniquement sur
ces conventions linguistiques. Les règles du langage et les
faits non linguistiques contribuent conjointement à rendre
vrai
l'ensemble des énoncés que nous tenons pour vrais. En
prélude au holisme Quine écrit ceci :
'Le savoir de nos p~res
est une étoffe de phrases. Avec nous
(in our hands)
elle chan-
ge et se développe à travers des révisions et des adjonctions
de notre cru, plus ou moins arbitraires et délibérés, plus ou
moins suscitées directement par la stimulation continuelle de
nos organes sensoriels. C'est un savoir g~is-pâle, noir par
les faits et blanc par convention. Mais je n'ai trouvé aucune
raison suffisante
(ou substantielle)
pour conclure qu'elle

130
contient des fils entièrement noirs ou des fils entièrement
blancs."
(41)
Le second constat est que le problème de l'analyti-
cité pour un langage donné ne peut être résolu si l'on n'a
pas résolu le problème de l'analyticité en général.
Mais des philosophes reprochèrent à Quine l'excès
de ces exigences. C'est pourquoi un tollé général s'éleva
contre lui après la parution de
'Two dogma'-'. C'est à partir
de cet article que le problème de l'analyticité s'est posé
avec le plus d'accuité,où détracteurs et zélateurs firent son-
ner l'alarme.
'Two dogma' venait de faire sonner le toasin
qui remit en cause la conception traditionnelle du problème.
Dans Analyticity,
'selected Readings, James Harris
et Richal Severens nous donnent le film du combat épique entre
ceux qui refusent et ceux qui acceptent
(ils sont peu nombreux)
la D.A.S.
(distinction anaLytique-synthétique)
§ 6 La socialisation de l'analyticité est-elle fondéê ?
Si le branle-bas de combat à propos de la D.A.S. est
donné par Quine,
les premiers ricochets viennent de Morton
White.
Il en donne l'histoire
'Le premier article est une
version révisée d'une lecture lors de la rencontre annuelle
du Fullerton Club à Bryn Manr College le 14 Mai 1949. Il
(l'ar-
ticle) doit son existence à l'encouragement et à l'aide des
professeurs Nelsun
Goodman et W.V. Quine. Ma dette à leur
égard est si grande qu'il m'est difficile de l'exprimer en
des points spéciaux."
(42)
Dans son article White veut montrer cette idée.
Dans le cas des énoncés qui ne sont pas analytiques
en vertu de leur forme logique, expliquerons-nous leur analy-
ticité en-termes de substitution de synonymes? Dans ce cas
cela présuppose une compréhension antérieure de la synonymie.
Certes on peut faire appel à des règles de langue artificiel-
le mais i l est faux de supposer que cette langue est une re-
construction correcte de la langue naturelle. Et ce qui est
(41) QUINE,
'Carnap and logical truth' in P.A Schilpp onv.
cit., p.
406.
(42)
M. WHITE,
'The analytic and the synthetic
: An untenable
dualism' in Analyticity Harris, Sererens, p. 75 N.

131
analytique ou supposé tel dans une langue artificielle peut
ne pas l'être dans l'autre.riDoncles artificielles sont sans
secours. De 13 i l opère deux objections.
La première a trait â la conviction qu'un énoncé
analytique est celui dont la négation est contradictoire.
La seconde objection est celle relative â la synony-
mie. Quine a repris cette objection en ses propres termes et
nous ne la reprendrons pas ici.
Quant â la première objection, White montre que les
négations d'énoncés dits analytiques ne sont pas contradic-
toires.
"une contrad~ction, dit-il, ne ressemble pas littéra-
lement â la forme
'A et non A'
ou 'quelque chose est P et non
••• P'. Tout
ce qu'on doit faire est de produire un certain
sentiment d'horreur et d'étrangeté de la part d'un peuple qui
utilise le langage.
Ils
(les gens du peuple)
se comportent
comme s'ils avaient vu quelqu'un manger des petits pois avec
un couteau. Une telle approche est très plausible et je serais
satisfait avec un calcul de cette espèce de sentiments d'hor-
reur et d'excentricité que les gens sont supposés avoir en pré-
sence des négations des énoncés analytiques. Mais à ce sujet,
j'ai quelques questions et quelques observations./I
(43)
Ces
remarques sont au nombre de trois.
a) Ce ne sont pas les gens qui emploient le langage qui
ressentent ces bizarreries. D'autre part,
±l y a des gens
qui ne s'horrifient pas de voir d'autres manger des petits
pois avec un couteaujpas plus n'y a des gens qui seraient p~r­
turbés parce que les philosophes auraient pensé â
la contra-
diction.
b)
Cela doit nous amener 3 être prudent â faire la distinc-
tion.
c) Donc la séparation entre énoncés analytiques et énoncés
syftthétiques capitule.
Si Benson Mates avait pris la peine de consulter
l'article de·White,
i l n'aurait pas soutenu le critère d'ana-
lyticité en termes d'échangeabilité salva veritat& Le bizarre
chez lui est qu'il avoue n'avoir pas défini la notion de
(43) WHITE, idem, p. 75-91.

132
synonymie mais i l la défend.
(44)
Et pour cela i l se réfère
11 Carnap.
,
La première critique de
'Two dogmas' vient de
'On
Ana1ytic' de Martin (45)
Quine exigeait une définition de
's est analytique
dans' pour tous les S et pour toutes les L. Mais Martin doute
que cela soit possible. Réclamer une notion d'analyticité qui
soit convenable à la fois aux langues formalisées et aux lan-
gues naturelles n'est pas raisonnable. Pour Martin, on ne peut
pas circonscrire le langage naturel.
Il fait l'éloge de Carnap
pour ses règles sémantiques qui permettent de définir l'ana-
lyticité d'énoncés donnés pour des langues données. Peut-on
dire qu'il s'agit de critique contre QUine? s'en persuader,
c'est à notre avis ne pas avoir compris Quine. En effet, on
ne peut pas dire qu'on s'oppose 11 lui si on affirme comme lui
qu'on ne peut pas donner une définition projective de la no-
tion d'analyticité.
En 1955, Carnap qui tient à la D.A.S. comme à la
prunelle de ses yeux/croit pouvoir avoir répondu aux objec-
tions de
'Two Dogmas' en donnant une définition reposant sur
des critères intensionne1s. La thèse intensionne11e dit que
l'assignation d'une intension e-st une__' hypohtèse empirique' qui
peut être confirmée ou non par le 'comportement langagier'
observable. On peut déterminer l'intension d'un concept quel-
conque pour n'importe qui à n'importe quel moment et dans
,
n'importe quel langage naturel. On a ainsi la définition:
l'intension d'un prédicat Q pour un locuteur X est la condi-
tion générale qu'un objet y doit remplir afin que X puisse
êtredisposé à attribuer le prédicat W à Y~
(46)
Auparavant la notion d'intension avait servi à Grice
et StraQson pour leurs critiques de
'Two dogmas' dans un ar-
ticle qui contraste avec celui de Quine et qui est
'In Defense
of a Dogma'
( 47 )
Ces deux auteurs accusant Quine de trop d'exigences,
( 44)
Benson MATES,
in Ana1yticity, p.
92-121
'Synonymity'
(45)
R.M. MARTIN,
'On Ana1ytic'
in Ana1yticity, p.
179t187.
( 46) CARNAP,
'Meaning and synonyrny in Natura1 Languges', in
Ana1yticity, p.
131-151.
(47)
GRICE and STRAWSON,
'in Defense of a Dogma'
in Ana1yticity.
p. 54-74.

133
montrent que la distinction doit être maintenue. Pour eux;la
lo~gue tradition philosophique qui maintient le clivage est
un gag-e du statu i-quo de la D .A. S. Ceux, disent Grice et Strawsonl
qui font la distinction/le font selon le cas. Ils appliquent
le terme analytique plus ou moins aux mêmes cas, le refusent
plus ou moins aux mêmes cas et hésitent plus ou moins selon
le même cas. Pour ces gens là,
'analytique' et 'synthétique'
ont plus ou moins un usage établi. C'est le cas des philoso-
phes. Mais le recours aux termes intensionnels fait ressurgir le
mythe du musée. C'est ce qu'a compris Jonathan Benette qui en
1958 soutenait qu'on peut critiquer la position exhorbitante
de Quine sans faire appel à des notions intensionnelles non
fondées. Pour maintenir la D.A.S.;Bennet part du critère d'in-
dispensabilité.
(48) Les énoncés analytiques sont ceux qui sont
indispensables pour chaque locuteur. Mais le problème est
moins celui de chaque locuteur que celui d'interlocuteurs.
Comme nous l'avions fait remarquer, ces critiques
contre Quine n'en sont pas. Au contraire elles ne font que
confirmer la conception de Quine à propos du problème de l'ana-
lyticité.
Jusqu'alors, on disait que les énoncés analytiques
sont ceux vrais dans tous les mondes possibles. Or tous les
détracteurs n'aboutissent qu'à une définition relative de l'a-
nalyticité. On ne peut parler d'analyticité qu'à l'intérieur
d'une langue donnée pour des locuteurs donnés.
Ces critiques) même Si elles n'en sont pas/sont-elles
celles qui a conduit Quine à relativiser ou socialiser la
notion ?
"J'appelle une phrase analytique pour un sujet)
écrit Quine, si celui-ci est disposé à l'acquiscer, pour au-
tant qu'il acquiesce encore à quelque phrase, à la suite de
n'importe quelle stimualtion (à l'intérieur du module). La
condition qui nous sert à définir la synonymie stimulus de
'F' et 'G' en tant que termes généraux se réduit alors à celle
qui nous sert à définir l'analyticité stimulus de la phrase
'tous les F sont G et vice versa'. Cette condition a son pa-
(48)
BENNETT,
'Analytic-synthetic'
in Analyticity, p. 152-178.

134
rallèle pour les termes singuliers, représentés par
'a' et
'b'. C'est l'analyticité-stimulus de
'a = b'. Mais remarquez
que nos formulations ne s'appliquent qu'à la langue française
et aux langues où les traductions de
'tous' et '=' sont d'une
certaine façon fixées d'avance."
(49)
De même que la synonymie des phrases est en rela-
tion avec l'analyticité, ainsi la synonymie-stimulus de
phrases est reliée à l'analyticité-stimulus. Dèslorsjde même
que nous avons appelé 'socialement synonymes par le stimulus"
les termes qui se révèlent synonymes par le stimulus pour
tout locuteur individuel à peu près sans exception, de même
pouvons-nous appeler 'socialement analytiques par le stimulus'
toutes et seulement les phrases qui sont analytiques par le
stimulus pour tout le monde.
Mais peut-on soutenir que la nction behavioriste de
stimulus permet de sauver ainsi l'analyticité?
Un logicien américain de San José State College s'est
posé la question et en est arrivé à refuser la notion d'ana-
lyticité même socialisée. C'est Frank B. Ebersole.
Dans un article qui remonte à 1956 .. (50).1 i l dit que
la phrase 'phrase analytique' n'a pas de sens même à l'inté-
rieur de la même langue.
Soit l'énoncé:
(20) Tous les hommes sont des animaux
Si un physmologiste emploie cet énoncé pour constnuire un
argument dans un livre qui vise à apporter un grand ordre for-
mel dans sa science, i l dira que l'énoncé est analytique. Mais
considérons une dame après sa première
(et peut être dernière)
expérience désastreuse avec un ou des hommes.
Ici l'énoncé
est synthétique et pour elle vrai.
Imaginons même que le phy-
siologiste et cette dame se rencontrent et acquiescent à la
vérité de l'énoncé
(20)
eu égard à leurs expressions dont ils
n'auraient pas fait mention. Eh bien ces deux interlocuteurs
se sépareraient après s'être convaincus de s'être compris
alors que le même énoncé n'a pas la même énonciation.
(49) QUINE, Le Mot et la chose, p. 95.
(50) Frank B: EBERSOLE,
'On certain confusions in the A.S.D ~
in the Journal of philosophy, 53, 1956, p. 485-94.
N.B. ~ A.S.D.
: Analytic-Synthetic Distinction

135
De même que l'indétermination de la traduction com-
mence
'at horr,e', de même la notion d'analyticité même socia-
lisée ne peut être fiable. Quine s'en est rendu compte qui
remarque.
"Avouons-le : notre synonymie-stimulus socialisée
et notre analyticité-stimulus socialisée ne sont pas encore
des reconstructions behavioristes de la sémantique intuitive
mais seulement des suecédanes
bELhavioristes."
(51)
CONCLUSION
Notre quête des propositions nous avait conduit à
nier leur réalité. L'examen a cité la notion d'analyticité.
Celle-ci qui jouissait d'un traditionnel privilège nous a don-
né des signes d'agonie lorsque so~mation lui a été faite de
compaarattre.
Les exemples comme
'aucun célibataire n'est marié'
étaient classés comme analytiques en vertu du fait qu'ils pro-
viennent de vérités de logique par substitution de synonymes
et par voie de conséquence en vertu du sens accordé aux ter-
mes constitutifs. De pareilles intuitions ne peuvent être bla-
mées pour leur façon d'opérer mais c'était une erreur de leur
demander une dichotomie entre les vérités analytiques portant
sur le langage et les vérités synthétiques qui sont les re-
portages sur le monde.
L'idée de cette dichotomie est une réminescence
kantienne qui remonte jusqu'à Leibniz. Des philosophes comme
Wi.ttgenstein, n'ont trouvé que des ta\\.ltologie dans la logique
et posé les germes de la vérité logique par convention. D'au-
tre comme Carnap ont affiné
l'analyse et ont pensé avoir
donné un fondement au problème de l'analyticité en termes de
'règles sémantiques" ou de
'postulats de signification' ou de
'postulats d'analyticité'. Ce serait définir la vérité par
convention et par voie de conséquence la notion d'analyticité.
(51)
QUINE, Le Mot et la chose, p. 109.

136
Mais nous avons vu que même ainsi défin~ le problè-
me de'l'analyticité n'est pas résolu parce qu'aucun énoncé
n'est exempt de toute tache et la notion n'est pas projective
pour qu'elle puisse remplir le rôle heuristique qu'on lui
assigne. Même socialisée, la notion ne peut être d'aucune
utilité puisque dans un procès d'énonciation le sens d'un
énoncé peut varier d'un contexte à l'autre. A cet égard J.L.
Austin (52l
conteste la distinction.
Puisque dans nos énoncés nous ne pouvons connaître
la part respective des termes logiques et des termes d~scrip­
tifs, l'expérience en vue de décider de la vérité ou de la
fausseté d'un énoncé doit faire comparaître au tribunal du
test aussi bien les termes ou les lois logiques que les ter-
mes descriptifs ou les théories des sciences de la nature.
C'est la thèse du holisme à laquelle la logique ne peut se
soustraire. Afin de mieux examiner la nouvelle conséquence
à laquelle nous aboutissons,
nous allons: voir d'abord
.'les
fondements de la logique.
(52) J.L. AUSTIN,
'The meaning of a word' in Analyticity,
P.
122-130 •
.. )

DEUXIEME PARTIE
LOGIQUE ET HOLI5ME

138
CHAPITRE 4
,
LA VERITE LOGIQUE
LA COMPLETUDE DU CALCUL
DES ENONCES
En général,
je ne crois pas que
le problème philosophique de la vé-
rité existe en tant que tel. Je
crois qu'il existe divers problèmes
intelligibles et intéressants
( ... )
concernant la notion de vérité.
Mais je pense aussi qu'ils ne peu-
vent être formulés de manière pré-
cise et éventuellement résolus que
sur la base d'une conception de
cette notion.
TAFSKI
INTRODUCTION
On aurait pensé,
que la distinction quinéenne entre
occurrences libres et occurrences essentielles établit la dé-
finition de Quine â propos de la vérité logique. Quine a pris
la précaution de prévenir contre cette méprise.
"Il y a une petite confusion que je voudrais . . . dis-
siper ... ceux qui pavlent avec confiance de l'analyticité sont,
on le sait, en désaccrod sur le caractère d'analyticité des
vérités de l'arithmétique, mais ils sont â peu près unanimes
sur l'analyticité des vérités de la logique. Quant â nous,
qui avons des doutes â l'endroit de la notion d'analyticité,
nous pouvons, pour cette raison, nous appuyer sur l'analyti-
cité généralement admise des vérités de logique pour une cla-
rifioation partielle de l'analyticité opérée en termes exten-
sionnels
mais en faisant cela, on ne se rallie pas â l'ana-
lyticité des vérités logiques conçue comme une doctrine qui
serait intelligible préalablement ... Parlant de
'Truth by
convention',
je ferai vemarquer que ma définition souvent ci-
tée de la vérité de logique, prise dans cette étude, ne pré-
tend â rien de plus qu'â être une présentation améliorée de-
puis longtemps courante. Ainsi,
je n'ai pas été surpris lors-
que Bar-Hillel a trouvé l'idée dans Bolzano."
(1)
(1)
QUINE, Le Mot et la chose, p.108-l09.

139
c'est dire que la définition de la vérité de logi-
que chez Quine se trouve ailleurs, sinon comment comprendre
les critiques du chapitre 3!
S'il est vrai de dire que la logique 'est la scien-
ce des inférences nécessaires
(2)" i l n'en demeure pas moins
vrai que la logique débute avec l'expérience. Elle est scien-
ce des inférences nécessaires après avoir dégagé les struc-
tures sous-jacentes au langage ordinaire.
"Avant de se lancer
dans l'investigation des structures logiques qu'on aura dé-
gagées, en les considérant sous le rapport du vrai et du faux,
la logique doit commencer par dégager ces structures. Ce tra-
vail consiste à analyser les propositions
(plutôt les énoncés)
du langage usuel, à expliciter leurs constituants sous-jacents
et à réduire leurs touts à une forme systématiquement manipu-
lable. C'est un travail de traduction et non pas, comme l'au-
tre, un travail calculatoire."
(3)
Cette entreprise de traduction qui précède toute
manipulation logique nous met dans la tâche de la recherche
d'une grammaire laquelle nous permet d'appréhender la vérité.
Ce que Quine montre donc,
c'est que la logique/entendons la
vérité logique résulte d'une grammaire, celle que le logicien
aura construite et du concept de vérité.
Il ne s'agit pas d'un
concept absolu mais d'un concept relatif.
Il s'ensuit que la
logique elle-même est relative, relative à notre grammaire.
SECTION 8
Le parallélisme grammaire-logique
INTRODUCTION
Quine, dans l'essai de 1936 que nous avions cité,
ne donne pas de précision sur l'expression 'grammaticalement
possible'.
Il faudra attendre La philosophie de la logique
pour qu'on sache le contenu de cette expression fondamentale
dans la définition de la vérité logique.
(2)
QUINE, Logique élémentaire, p.
23 introduction.
(3)
QUINE, idem, p.
27.

140
En 1953, dans
'Mr Strawson on 10gica1:theory',
Quine confie ceci :
"J'ai sollicité que la caractérisation de
Strawson de l'étendue de la logique en termes d'analyticité
soit abandonnée en faveur de la caractérisation en termes de
notion de vocabulaire logique et de vérité. Le vocabulaire
est seulement spécifié,
je pense, par l'énumération. Si cet
élément au caractère apparemment arbitraire est une insuffi-
sance, i l est également une insuffisance dans le cas de
Strawson."
(4)
S'il faut choisirjQuine,t,préfère l'énumération
ou l'arbitraire aux paradoxes de l'analyticité.
Cette même idée que la liste des particules logi-
ques ou des occurrences essentielles est donnée par énuméra-
tion,
se ret~ouve dans un autre Essai de Quine où en 1954,
dans
'Carnap and Logica1 Truth', on l i t ceci:
'supposons
admis, par énumération, si ce n'est pas autrement, que ces
mots doivent s'appeler de&"mots logiques; c'est le cas de
'ou',
'non',
' s i ' ,
'alors',
' e t ' ,
'tout',
'chaque',
'seule-
ment',
'quelque'. Les vérités logiques, alors,
sont ces phra-
ses qui contiennent seulement les mots essentiellement logi-
ques. Cela signifie que tous les autres mots, bien qu'ils
puissent aussi se manifester dans la vérité logique
(comme
en témoignent
'Brutus',
'tué' et
'César' dans
'Brutus a tué
ou n'a pas tué César')
puissent être changés volontiers sans
engendrer de fausseté."
(5)
Mais définir
ainsi la vérité logique c'est la ren-
dre arbitraire. C'est considérer la logique selon un mode
linguistique. La logique est au contraire une traduction, ou
une paraphrase afin de déceler les références ontologiques
cachées. Pour ce faire,
le logicien construit une grammaire,
obtenue de façon récurrente.
La constitution de la grammaire
de la logique est mise en parallèle avec la démarche du gram~
mairien de la linguistique structurale ou générative.
(4)
QUINE,
'Mr Strawson on 10gica1 truth'
in WP, p.
(5) QUINE,
'Carnap and 10gica1 truth'
in WP, ~ 103.

141
§ 1 Les constructions grammaticales
Nous avions dit que la linguistique structurale
ou
la linguistique générative a la langue pour objet. Le but du
grammairien est de définir la correction grammaticale.
Il en
cherche une définition qui permette d'engendrer toutes les
suites de phonèmes, susceptibles d'être produites dans une com-
munauté linguistique donnée, en parler normal, c'est-~-dire
ce que Strawson appelle le mode sérieux.
D'ordinaire,
la description linguistique a deux
composantes :
1) la phonologie
2)
la syntaxe
La phonologie étudie les phonèmes de la langue, en détermine
les traits pertinents. Elle les classes selon les traits et
indique, grâce ~ la syntaxe, les règles qui commandent leur
combinaisons. On définit le phonème par les traits suivants
a)
le phonème a une fonction distinctive, par exemple
/d/ et / t /
En conséquence
b) On ne peut pas le décomposer en unités plus petites
c)
Ils est défini par les caractères qui/en lu~ont valeur
distinctive ou pertinente.
Par exemple,
le /d/ français a le trait sonore qui le distin-
gue de / t / , le trait oral qui le distingue de la consonne na-
sale /n/,
le trait dental qui le distingue de /b/ et de /g/
Le linguiste essaie de représenter sous la forme
d'une suite de phonèmes, tout ce qui est dit dans la communau-
té. L~ tâche est de déterminer formellement quelles suites de
phonèmes appartiennent au langage considéré. Par formellemen~
Quine entend un vocabulaire techn~que qui comprend les particu-
les logiques usuelles du langage considéré, les ressources des
mathématiques,
les noms des phonèmes et un symbole qui indi-
que la concaténation de ces phonèmes. On sait, par exemple,
que dans les grammaires françaises,faire
une analyse gramma-
ticale d'une phrase donnée revient ~ indiquer les fonctions
jouées par les mots ou groupes de mots dans cette phrase :

142
déterminer ce qui est le sujet,
la copule,
le verbe, lecomplê-
ment d'objet, etc •.•
Pour déterminer quelles suites de phonèmes appartien-
nent au langage,
le grammairien ne peut se contenter d'une
simple liste de phonèmes, parce que les suites de phonèmes,
même si elles sont de longueur finie,
sont en nombre infini
on peut les réitérer. Et le caractère infini ne peut permettre
au linguiste d'inventorier toutes les suites de phonèmes de
la langue. Pour y parvenir, c'est-à-dire pour énumérer les
y
phrases,
le linguiste a besoin d'un algorithme d'engenche-
ment: c'est la méthode récursive.
"Une simple liste de pho-
nèmes, écrit QUINE, serait déjà formelle, mais elle ne suf-
firait pas, puisque les suites qu'on cherche, quoi qu'étant
de longueur finie,
sont en nombre infini. Par conséquent, le
grammairien a recours à la récurrence : i l spécifie un lexique
c'est-à-dire des opérations qui font passer à des expressions
composées en partant de constructions composantes."
(6) C'est
par des règles de formation et de transformation que la lin-
guistique générative et la sémantique générative pensaient
avoir rendu compte de la compétence linguistique.
Le grammairien linguiste, pour spécifier les cons-
tructions possibles en parler normal, divise le lexique en
catégories grammaticales OUi;en parties du discours. L'expres-
sion 'parler normal' suggère l'idée que toute construction
grammaticale, même fausse sémantiquement, doit être intelli-
gible. C'est ainsi que ne sont :pas recevables les non-sens
suivants
3)
La quadruplicité boit la temporalisation
(Russell)
4) Cette pierre pense à Vienne
(Carnap)
5) Des idées vertes incolores dorment furieusement
(Chomsky)
Pour spécifier les catégories, i l faut spécifier
les constructions. En se sens, i l y a une distinction dans la
tâche du grammairien: le J;exiqueiou liste de mots/et les
constructions qui opèrent la concaténation des mots du lexique.
Pour éviter de confondre particules grammaticales et termes
(6) QUINE, La philosophie de la logique,
(P.L.)
p.
31.

lexicaux,
le grammairien se sert du critère d'échangeabilité
salva congruitate. "Deux ,éléments appartenant à une même ca-
tégorie seront interchangeables du point de vue de la correc-
tion grammaticale. Cela veut dire que si, dans un énoncé con-
forme à la grammaire de la langue, nous remplaçons un élément
d'une catégorie par un élément de la même catéqorie, nous
aurons peut être changé l'énoncé donné vrai en faux mais
nous ne ~'aurions pas changé en un galimatias dépourvu de
grammaticalité."
(7)
Pour illustration, l'énoncé
6)
Il boit du lait dans la coupe
Cet énoncé reste grammatical si nous y remplaçons 'coupe'
par 'cuiller' dans l'énoncé
7)
Il boit du lait dans le verre
Mais dans l'énoncé suivant
8)
Il coupe la corde
remplacer 'coupe' par 'cuiller' rend non sens l'énoncé
9)
Il cuiller la corde
Quand on est dans un langage écrit, on peut résoudre
le problème du non sens en arguant que le terme
'coupe' est
l'un ou l'autre des deux mots, un substantif ou un verbe, sui-
vant que
'coupe' occupe ou non une position que pourrait
occuper 'cuiller'. Mais on ne dispose pas d'une telle distinc-
tion lorsqu'on considère un mot comme une suite de phonèmes
dans une traduction homophonique. Alors,
'la réponse honnête/
préconise Quine, est de mettre
'coupe' dans une catégorie et
'cuiller' dans une autre, parce que leur échangeabilité salva
conguitate n'est pas absolue."
(8)
Cependant, le terme de catégorie est lui-même con-
testable.
Soit l'item lexical
'chat', une suite de phonèmes :/)4~
Que dire de son occurrence fortuite à l'intérieur de
achat qui donne la suite: IdJJ/ ? Si le mot 'chat' admet des
occurrences fortuites,
aucun mot ne peut lui être échangeable
(7) QUINE, P.L., p. 33.
(8) QUINE, idem, p. 34.

144
salWa congr.uitate. On ne peut affiner la définition en limi-
tant les échanges aux positions où le mot figure comme cons-
tituant d'une construction grammaticale. On ne le peut car
la notion de construction dépend de celle de catégorie et ne
peut servir ~ définir la catégorie. Il est vain de regrouper
les items lexicaux en catégories car ils peuvent avoir des
occurrences qui unissent leur appartenance ~ la catégorie.
La notion de catégorie grammaticale ne peut four-
nir un critère applicable aux langues en général car toute
grammaire n'est pas transcendante mais immanente; elle est
enracinée dans une langue donnée, dans une traduction. En
avançann'sur ce terrain, Quine montre que les grammaires géné-
ratives perdent de leur universalité.
En effet,
~a distinction grammaticale entre lexi-
que et particule varie d'une langue ~ l'autre; elle est donc
immanente, propre ~ chaque langue particulière. Le grammai-
rien cherche à énoncer la grammaire de toutes les langues.
Or une relation transcendante entre des suites de phonèmes
applicables à une langue donnée/et ce faisant ap~licable à
un"
langage quelconque non spécifié est impossible. Soit
par exemple la notion de déterminatif en -er en grammaire alle-
mande. C'est une classe de mots qui ont la particularité que
l'adjectif placé derrière eux prend une décliniason nommée
'flexion
faible'.
Etant donné ce déterminatif, i l est stupide
de se demander à propos de quelque autre langue, quels sont
ses déterminatifs en-er. Par conséquent ces notions de déter-
minatifs ou de
'flexion' sont des notions immanentes. Et si
dans une langue donnée, établissant sa grammaire, nous appe-
lons catégoriesjses classes
(suites de phonèmes, classes auxi-
liaires, constructions . . . ), nous ne voulons pas dire que nous
avons trouvé la catégorie de toutes les langues: possibles.
Par catégorie, dans cette langue, nous ne faisons rien de'"plus
que lui imposer une étiquette appropriée au raIe qu'elles
assument au sein de notre entreprise grammaticale.
En résumé, on ne peut énoncer le but du grammairien
au moyen d'une notion transcendante; i l n'yen a pas. Toutes
ces notions: catégories, constructions,
lexique,
'"
sont
immanentes ou.rrelatives. La démarche du grammairien est aussi

145
celle du logicien. Les composantes linguistiqu~s, la récur-
sion, etc ... sont aussi l'oeuvre du logicien. Mais ce qu'il
a en plus, c'est qu'il parle de vérité. Comme le dit Quine,
"La grammaire n'a pas seulement recours, comme la logique, à
des termes linguistiques, quand elle veut exprimer ses généra-
lités i
les instances de ses généralités, Iprises individuel-
lement, se rapportent encore au langage.
Il est significa-
tif que le prédicat de vérité, si largement utilisé dans les
généralités logiques afin de compenser les effets de la mon-
tée sémantiques et de rétablir la référence à des objets, n'a
pas de place dans la grammaire pour autant du moins que celle-
ci soit encore conçue à la manière classique."
(9)
De même que la grammaire est immanente, de même
la logique l'est. Et le logicien/en traduisant une langue
ou une théorie dans la logique élémentaire/n'ambitionne pas
de donner une logique universelle.
§ 2 La grammaire de la logique: le critère d'apparte-
nance au lexique et aux particules
L'analyse grammaticale de la traduction logique
est restreinte aux notations de la logique élémentaire: c'est
à-dire les foncteurs de vérité et la quantification.
Elle n'a
pas besoin de transformations. Elle comporte deux types d'élé-
ments.
al
le lexique
b)
les constructions ou la syntaxe
Tout comme le grammairien,
la tâche du logicien est
d'établir un système formel entre le lexique et les catégories;
c'est-à-dire une concaténation des catégories par des symbo-
les. Avant de spécifier les constructions, définissons les
termes de lexique et de particules.
Le logicien qui entreprend de traduire la logique
d'une communauté endogène ou exogène, spécifie d'abord une
suite de mots. C'est par la suite qu'il fera des opérations
(9)
QUINE, La p.L., p. 30.

146
logiques qui font passer des énoncés atomiques à des énoncés
composés. Mais le lexique est infini. Pour parvenir à une
liste de mots,
i l opère par récurrence. Le lexique ainsi
constitué est subdivisé en deux catégories grammaticales
les variables et les lettres de prédicat
a)
La catégorie infinie des variables
'x',
'y',
'z' et
toutes leurs itérations
'x',
'y',
'z' etc ...
Dans l'énoncé
(10)
Socrate est mortel ou non mortel
le terme
'Socrate' fait partie du lexique et peut être rempla-
cé par une multitude de variables
'x',
'y',
'z' et leurs ité-
rations
' x " ,
' y " ,
' z " .
b)
Les catégories des prédicats sont les prédicats à n
ou (n+l)
places. Les prédicats à une palce, comme
'mange' dans
'Pierre mange' qui donne Fx ;
les prédicats à deux places com-
me
'aimer' dans Pierre aime Jeanne, ce qui donne Fxy
Une fois spécifié
le lexique,
le logicien spécifie
également les particules. Celles-ci sont les mots qu'on ne
range pas dans les catégories mais qu'on traite comme faisant
partie intégrante des constructions elles-mêmes. C'est le cas
de la disjonction (ou) et de la négation
(non) dans l'énoncé
(9). Ces particules logiques sont finies et en nombre rela-
tivement petit.
Dans notre exemple (9), alors que Socrate fait par-
tie du lexique,
les termes
'ou' ou 'et' y sont exclus. Ces
deux occurrences essentielles comme particules grammaticales
peuvent être échangées salva I(oY'1 t l.A-l/-a/:e. sans perte de grammati-
G:>tl,'~ -pour le linguiste- même si le sens est altéré. En
effet, on peut remplacer
'ou' par
'et',
' s i ' ,
'si et seulement
si', cela ne détruit pas la foi du grammairien
linguiste qui
n'est pas préoccupé par la vérité. Mais pour le logicien, rem-
placer une particule qui rend vrai un énoncé par une autre
particule rend l'énoncé initial faux.
Pour le logicien, on
ne peut remplacer que les occurrences vides mais jamais les
occurrences essentielles sans altérer la valeur de vérité
de l'énoncé initial.

147
Par exemple, une structure grammaticale comme la
prédication permet, en combinant la variable individuelle
'x';
au prédicat
'marche', d'obtenir la phrase atomique
'x marche'
"Soit l'exemple de l'énoncé négatif
'
""\\(x marche) ,
Du point de vue de la grammaire logique ,'x' et
'marche'
appartiennent au lexique tandis que le symbole
'""\\
(non)
est une simple particule accessoire à
la condition de riéga-
tion. Au lieu de cette analyse, pourquoi ne pas traiter le
mot 'marche' comme une particule qui serait sur le même plan
que' ,
, ? Dans cette optique,
'x marche' s'obtient du seul
mot du lexique
'~' moyennant la construction de'marche)et
,
(x marche)'
s'obtient de 'x ,marche' moyennant la construc-
tion de négation. Corrélativement on peut traiter le
' 7
,
comme étant du lexique au même titre que
'x' et
'marche'. Ou
encore i l peut y avoir une construction à trois places avec
,
7 '
'x' et
'marche' comme relevant du lexique et obtenir
, 1(x marche) '. On s'aperçoit que de telles modifications
sont ab~rrantes.'l (10)
Il Y a trois raisons quiiinterdisent de telles modi-
fications.
La première modification suppose que nous omettions
toute construction générale de prédication et que nous recon-
naissions à la place une construction particulière de
'marche'.
Nous aurions, par ibération des constructions
'marche', des
expressions complexes, ad infinitum.
Il y aurait une construc-
tion spéciale de
'marche' pour chaque individu. Nous aurions
des constructions idiosyncrasiques de Socrate, de Platon,
Aristcte, etc ... Et comme l'explique Gochet,"cette infinité
de constructions conduit à priver les constructions grammati-
cales de leur rôle qui était d'expliquer la compétence lin-
guistique potentiellement infinie des sujets parlant en mon-
trant comment, avec un nombre fini de mots et de constructions
grammaticales, ces sujets peuvent engendrer une infinité de
phrases bien formées."
(lI)
(10)
QUINE, La P. L." p. 49.
(11) GOCHET, ,Quine en perspective, p.
144.

148
La deuxième et la troisième modifications aberran-
tes où ' ~
, fait partie du lexique, supposent qu'on recon-
naisse une construction qui s'applique au mot lexical'
,
c'est-à-dire qu'on sache ce que signifie' 1
' .
Cela veut
dire que
' ,
, comme membre du lexique est un prédicat. Et
en tant que tel i l est fini et donc qu'il possède une signi-
fication.
La distinction entre lexique et particule n'est ~as
fortuite;
elle n'est 9as une affaire de distinction entre les
noms et d'autres mots; elle repose sur des considérations phi-
losophiques. Et Quine de donner les critères d'appartenance
au
lexique ou aux particules.
Dans l'a~yse des modifications catégoriales, nous
avions vu qu'on ne peut incorporer 'marche' comme particule,
car si
'marche' devient une particule, chaque construction de
'marche' est particulière et ne peut entrer dans une catégo-
rie quelconque car i l n'est pas échangeable salva congruitate.
En effet, si la construction de marche de Pierre est spécifi-
que à lui,
le remplacement de Pierre par Jean dans l'énoncé
'Jean marche' n'est pas échangeable salva congruitate. Ceci
parce qu'en logique la grammaire a une importance capitale.
En grammaire logique,les substituts qui remplacent les occur-
rences d,',une même exnression doivent non seulement être les
mêmes mais préserver la grammaticalité.
Comme l'écrit Quine,
'le lexique d'un langage est
un ensemble fini car le grammairien le présente comme une lis-
te. Nous pouvons imaginer les prédicats présentés ainsi. Tou-
chant la catégorie des variables, qui est infinie, nous devons
la concevoir comme engendrée à partir d'un lexique fini par
itération d'une œonstruction. Les variables du lexiaue sont
les trois lettres
'x',
'y' et 'z' et la construction dont il
s'agit est l'accentuation, ie l'application d'un seul accent
chaque fois.
Par exemple la variable
'x"
est, du point de vue
de la grammaire, un compo~é." (12)
(12)
QUINE, P.L., p.
40.

149
Pour terminer sa distinction entre lexique et par-
ticules Quine se sert des termes
'catégorématique' et syncaté-
gorématique '. On peut dire, moyennant certaines réserves, que
le lexique est du domaine des termes catégorématiques, c'est-
à-dire se suffisant à eux-mêmes. Les particules, qui n'ont
oas cette propriété, sont dits syncatfgorématiques. Tels sont
les connecteurs et les quanteurs
Une fois qu'on dispose du lexique et des particu-
les, on peut procéder aux constructions logiques. Nous ne
donnerons pas ici ces constructions ; elles sont trop connues
pour que nous alourdissions notre travail en donnant les va-
leurs de vérité de ces constructions. Toutefois nous allons
évoquer, quitte à en f aire ~ philosophie
dans la deuxième
partie consacrée à la formation de ces symboles logiques.
Toutefois, en voici le langage.
§ 3 Le langage canonique.
A Les signes orimitifs
Al Les lettres schématiques d'énoncés
'P',
'g',
'r' et
leurs itérations
'p",
'q",
' r " , etc ••.
A2 Les opérateurs ou connecteurs
A3 Les deuxl'parenthèses : gauche et droite. Elles permet-
tent de grouper les énoncés
B Les expressions bien formées
(ebf)
BI Une lettre schématique d'énoncé est un ebf
B2 Si P est une ebf,
P est une ebf
B3 Si P et Q sont des ebf, P x Q est une ebf (où x repré-
sente chaque connecteur ou quanteur logique)
Cela étant les constructions sont
l - L'opération d'accentuation: pour former de nouvelles
variables et en agrandir la catégorie
2 - La construction d'énoncés à partir d'autres énoncés
elle est fournie par les connecteurs
('et' et 'non' par
exemple)

150
3 - La prédication (d'un prédicat à une, deux, trois places)
qui consiste à joindre le ~rédicat et une variable pour
produire un autre énoncé.
Soit le prédicat à deux places
-aime- et les varia-
bles x et y. La prédication donne un énoncé atomique
ouvert : x aime y
4 - La quantification existentielle ou universelle. Elle
s'applique à un énoncé ouvert et à une variable et pro-
dui t
un énoncé. On met la variable, par exemple 'x' (;
dans le quanteur, existentiel disons,de la manière sui-
vante :
'(.3 x)'
; ce quanteur est préfixé à l'énoncé
ouvert 'x marche'
; ce qui conne:
( 3 x)
(x marche) '.
L'énoncé obtenu affirme qu'il y a quelque chose qui mar-
che.
Lorsqu'on combine quantification, n.rédication et calcul des
énoncés, on sort du calcul inter-énoncé-où on avait affaire à
des énoncés inanalysés- pour passer à un calcul intra-énoncé.
C'est le calcul intra-énoncé qui est dit
calcul des prédi-
cats, et du premier ordre en ce sens qu'on ne s'occupe que des
variables individuelles. Dans le calcul des prédicats
(du pre-
mier ordre) on désigne
'Fx' comme un énoncé vrai ou faux et
c'est en tant que tel qu'il sera relié à d'autres énoncés.
C'est ainsi qu'on a les énoncés catégoriques A, l, E, O.
A
: \\'1'1.) Cr x. .:> G2C)
universelle affirmative
'tous les hommes sont mortels'
l
: \\~ (r~ 1\\ G-~)
Particulière affirmative
'quelques hommes sont mortels'
E
: ~V~) [f;( :) 7 6--:t)
Universelle négative
'aucun homme n'est mortel'
0
: ~j'X) (~A: A 7&<i)
Particulière négative
'quelques hommes ne sont pas
mortels'
Une fois que nous avons le lexique et ces construc-
tions nous disposons du langage canonique de la logique/épurée
de ses termes dépendants ou redo~dants. Elle a une simplicité
qui plait. Elle n'est en rien altérée par le temps; 1es noms

151
et les fonctions sont jugés redottdan~ et exclus. Ils sont
paraphrasés au moyen de termes singuliers, des variables de
prédicats et d'égalité. Comment se constitue cette logique?
C'est ce que nous verrons dans la deuxième partie:
'Assomp-
tion ontologique et description'.
D'ores et déjà, faisons remarquer que dans notre
cheminement, nous avions vu que Quine résoud le problème de
l'arbitraire de l'énumération des termes logiques par une
structure grammaticale entre lexique et particule.
La distinction entre grammaire et lexique, ie
entre
construction et série catégoriale est instituée séparément
par le linguiste qui s'attache, grâce à des règles de forma-
tions et de transformations1 ou de construction.à l'ensemble
des phrases bien fo~s d'une langue donnée. Le logicien en
fait de même.
Il y a donc un parallélisme entre la tâche du
linguiste et celle du logicien.
Logicien et linguiste se ressemblent en ce qu'ils
établissent une séparation grammaticale entre lexique et par-
ticule, et en ce qu'ils opèrent des constructions.
Lorsque le linguiste construit
(11)
Le chat est sur le paillasson ou le chat n'est pas
sur le paillasson
ou lorsque le logicien construit
(12)
Torn est mortel ou Torn est non mortel,
"ce que la grammaire nous indique ainsi directement
par le
truchement de son lexique, de ses catégories et de ses cons-
tructions, ce n'est pas que le dernier énoncé est vrai, mais
seulement qu'il est du français."
(13) Cela est vrai du gram-
mairien et du logicien; mais celui-ci dit plus, car lui,
logicien, cherche la vérité, alors que le linguiste cherche
la grammaticalité. Il se trouve dès lors qu'il y a une dif-
férence -très importante- entre le logicien et le linguiste
grammairien. La différence fondamentale vient de ce que le
linguiste ne parle pas d'énoncé au sens ontologique du mot,
(13)
QUINE, P.L., p.
33.

152
alors que le logicien en parle. Parler d'énoncés, c'est cher-
cher à établIr Id ~ê~ité. Or le prédicat de vérité n'a pas
de place en linguistique.
"Le rapport entre la granunaire et la logique est que
celle-ci explore les conditions de vérité des énoncés à la
lumière dont les énoncés sont granunaticalement construits. En
particulier la logique des fonctions de vérité pourchasse la
vérité dans l'arbre de la granunaire. En particulier la logi-
que des fonctions de vérité pourchasse la vérité à travers
deux constructions : la négation et la conjonction, en déter-
minant la valeur de vérité des composés à partir de celles
de leurs composants."
(14)
En faisant reposer la vérité logique sur la grammai-
re, Quine ne tombe-t-il pas dans la doctrine linguistique qu'il
critique ? Il nemsemble pas car toutes les assertions généra-
les ne sont pas formulables à ] 'intérieur de la logique. Tel
est l'exemple de l'énoncé
(13)
Tom est mortel ou Tom est non mortel
Cet énoncé ne peut être apprécié à l'intérieur du langage-
objet. Si nous le faisons,
nous heurtons le problème du para-
doxe du menteur. La formulation de
(13)
requiert une générali-
sation oblique ou une montée sémantique, c'est-à-dire un chan-
gement de niveau linguistique qui donne accès à la métalangue
ou ici au monde.
1
,
,
La vérité dl'LUn tel énoncé
est établi par référence au
monde. Conune le dit Quine,
'un logicien ne parle d'énoncés que
conune moyen de vue d'accéder à la généralité dans un domaine
qu'il ne peut embrasser en quantifiant sur des objets. Le
prédicat de vérité lui conserve un contact avec le monde, où
est son coeur."
(15)
Il s'agit pour Quine de montrer que notre langage
ordinaire est suffisanunent riche pour exprimer tous les ~non­
cés sans qu'on ~o~e dans les paradoxes sémantiques. Sa métho-
de est une application de la vérité définie par Tarski pour
les langues formalisées. Afin de voir cette parenté~ Tarski-
Quine, nous établirons d'abord la notion de vérité chez Tarski.
(14)
QUINE, P.L~, p. 57.
( 1 5 ) QUINE, p. L., p.
57.

153
SECTION 9
La vérité logique
La critique de la doctrine linguistique nous met en
demeure de donner une définition absolue ou absolutiste de la
vérité logique, sur laquelle d'ailleurs ont achoppé les préoc-
cupations de sémanticiens. Tarski a donné un souffle nouveau
à la notion de vérité en la rapportant à un langage déterminé.
C'est de cette idée de la vérité comme relative à un métalan-
gage que s'inspire Quine pour définir la vérité logique. Dans
cette section, i l s'agira de définir la notion de satisfaction
d'une part et d'autre part, de donner la vérité logique pour
le calcul des énoncés et d'établir sa complétude.
§ 4
La vérité en termes de satisfaction par Tarski
Le prqjet de Tarski est de donner une définition qui
soit matériellement adéquate et formellement correcte de la
notion de vérité.
Il la formule de façon qu'elle rende justi-
ce à la définition aristotélicienne selon laquelle
"Dire de ce qui estJqu'il n'est pas ou de ce qui
n'est pas qu'il est, est faux, tandis que dire de ce qui est
qu'il est, et de ce qui n'est pas qu'il n'est pas, est vrai."(lB)
Pour chercher un critère d'adéquation, prenons l'é-
noncé
(14) La neige est blanche
En nous reportant à la conception classique de la vérité, nous
dirons que l'énoncé
(14) est vrai si~neige est blanche et faux
si la neige n'est pas blanche. Si notre définition de la véri-
té, se conforme à notre conception de la vérité, elle doit
impliquerJ' l ' équi valence
(15)
La proposition "la neige est blanche' est vraie si
et seulement si la neige est blanche
Or voici ceci :
L'expression:
"la neige est blanche' est prise, à
gauche du signe de l'équivalence, entre guillements)et sans
guillements à droite. A droite, nous avons l'énoncé et à gauche
(lB)
ARISTOTE cité par TARSKI, in Logique,
sémantique, métama-
thématique
(L.S.M.), T2, p.
270.

154
le nom de l'énoncé. Cela vient du fait que si nous voulons
dire quelque chose au sujet d'une proposition, qu'elle est
vraie, nous devons employer son nom et non elle-même.
Pour généraliser cette manière de procéder, consi-
dérons un énoncé quelconque. Nous le remplaçons par la lettre
schématique d'énoncé
'P'. Nous formons le nom de cet énoncé
et nous remplaçons ce nom par une autre lettre disons X. Du
point de vue de la conception classique, ces deux énoncés
:
'x est vrai' et 'P' sont équivalents.
Et nous avons l'équivalence suivante
(16)
X est vrai si et seulement si P
où X est la mention et P l'usage
"Nous appellerons, écrit Tarski, chaque équivalence
de ce type
(avec une proposition de notre langage, proposi-
tion â laquelle on peut attribuer le qualificatif "vraie", 1
la place de
'P' et le nom de la proposition sus-indiquée 1 la
place de
'X')
d'une
'équivalence de la forme T'. Nous sommes
maintenant 1 même de poser de manière précise les conditions
sous lesquelles nous considérons l'usage et la définition du
terme "vrai" ad~quats du point de vue matériel: nous désirons
employer le terme "vrai' de telle manière que toutes les équi-
valences de la forme
(T)-(ie ici l'énoncé
(16))- puissent être
affirmées et nous appellerons adéquate June définition de la
vérité telle
que toutes ces équivalences découlent d'elle." (19)
Mais le pooblème qui se pose, c'est que nous avons
dit que X est un nom.
Dans cette optique, on ne saurait géné-
raliser l'énoncé
(16)
sans tomber dans le paradoxe du menteur
qui met 1 rude épreuve la notion de vérité. Cette antinomie
du menteur,
la voici
:
Soit la proposition
(17)
La proposition écrite au tableau n'est pas vraie
Pour abréger, nous appellerons
(17)
'S'. Et conformément 1 la
classe
(T)/ on a l ' équivalence
(18)
' S ' e s t vraie si et seulement si la proposition
écrite au tableau n'est pas vraie.
En gardant 1 l'esprit le sens du symbole S, on constate que
(19)
TARSKI, ouv. cit., p.
272-273.

155
(19)
' S ' e s t identique à la proposition écrite au tableau.
Selon la loi de Leibniz sur l'identité, à savoir que deux
termes identiques peuvent être échangeables salva veritate,
i l suit de
(19)
qu'on peut remplacer dans
(18)
la proposition
"la proposition écrite au tableau par
' S ' e t on a
(20)
' S ' e s t vraie si et seulement si
's' n'est pas vaie.
On constate une contraduction manifeste.
Celle-ci est due à trois prémisses que Tarski énumère
Alan a implicitement admis que le langage dans lequel
est construite l'antinomie contient à la fois ses ex-
pressions et le nom de celles-ci, ainsi que les termes
sémantiques tels que "vrai". Nous avions admis que tous
les énoncés qui déterminent l'usage des termes peuvent
être affirmés dans ce langage. Bref, nous avions admis
un langage sémantiquement clos.
BI Nous avions admis que toutes les lois de la logique
(tiers-exclu)sont formulables dans ce même langage
Cl La dernière cause de l'antinomie découle de la proposition
(19) où on suppose qu'on peut formuler et affirmer dans
notre langage une prémisse empirique à l'aide du prédi-
cat d'identité.
En fait,
remarque TarSki/des trois suppositions, la
C n'est pas essentielle d'autant qu'on peut reformuler l'énon-

(19)
par des procédés d'embrigadement. Le litige est entre
A et B et i l faut trancher. Pour Tarski, i l est naturel qu'on
ne puisse pas jeter le discrédit sur B. Il serait superflu
dit-il d'insister sur les conséquences du rejet de B,
"c'est-
à-dire du changement de notre logique
(à supposer que cela
soit possible), neiserait-ce que dans ses parties les plus
fondamentales etles plus élémentaires. Aussi envisageons-nous
seulement da possibilité du rejet de la supposition CAr. En
conséquence, nous prenons la décision de ne pas user d'un
langage qui serait sémantiquement clos dans le sens indiqué
plus haut."
(20)
(20)
TARSKI, cuv.cit., p.
278.

156
~uisqu'il serait ruineux d'incriminer la logique
lorsqu'une théorie est fausse et doit être ré-examinée, Tarski
se reporte à la supposition A et refuse de constater le lan-
gage comme un corpus. Il note ceci qui nous paraît remarqua-
ble :
"cette restriction ne pourrait être naturellement accep-
tée par ceux qui, pour des raisons qui ne me paraissent pas
claires, croient qu'il n'existe qu'une langage "véritable"
(ou que, du moins,
tous les langages "véritables" sont réci-
proquement traduisibles .),
(21)
Puisque nous n'employens plus un langage clos, force
nous est de recourir à deux langues,
la langue-objet et la
métalangue.
La langUe-~~j~ est celle dont nous parlons. Elle
est l'objet de la discussion. Elle comporte les énoncés à
propos desquels nous cherchons à définir la vérité.
La métalangue est, elle, celle dans laquelle nous
parlons de la langue objet (ou du langage-objet). Elle comprend
le vocabulaire du langage-objet et des termes qui lui sont
propres dont le terme de "vrai".
Autrement dit,
le langage-objet est une partie du
métalangage. Le vocabulaire du métalangage est déterminé par
des conditions qui spécifient à quelles conditions la vérité
doit être considérée comme adéquate matériellement. Ceci doit
impliquer toutes les équivalences de la forme
(T)
T :
X est vrai si eu seulement si P
La définition et toutes les équivalences impliquées par T doi-
vent être formulées dans le métalangage. D'autre part, la
lettre schématique d'énoncé 'P' dans
(T)
remplace n'importe
quel énoncé du langage-objet. D'autre part,
le symbole
'X'
dans T représente le nom de l'énoncé remp~acé par
'P'. Le mé-
talangage doit être riche dans sa partie logique afin de
pouvoir permettre la construction d'un nom pour chaque énoncé
du langage-objet. Autrement dit/le métalangage doit contenir
tous les termes logiques. Demander que le métalangage soit le~Us
riche dans sa partie logique, c'est demander qu'il puisse défi-
nir le vrai. Le métalangage possède cette richesse par le
(21)
TARSKI, ouv. cit., p.
278.

157
biais de la récurrence. Et c'est la méthode par récurrence
qui nous permet de donner une définition satisfaisante de la
vérité.
Pour ce faire,
o~ indique les objets qui satisfont
les fonctions propositionnelles les plus simples. Ensuite,
nous établissons les conditions auxquelles les objets donnés
satisfont les fonctions les plus simples à ~artir desquelles
a été construite la fonction composée. Autrement dit, on fixe
une suite 8 =
(81, 82 ... )
d'objets à qui on assigne comme
valeurs -respectivement- les variables
'xl',
'X2', ...
Nous donnons ici la définition de Quine dans Philoso-
phie de la logique.
Appelons var (i)
la i-ième variable de l'alphabet.
80it xi le i-ième objet d'une suite quelconque x. Alors si
nous nous représentons par
'A'
un des prédicats à une place
du langage-objet,
la définition inductive de la satisfaction
commence par
(21)
Pour tous les i
et tous les x
: x satisfait
'A'
suivi
de var
(i)
si et seulement si Axi
Il y a une condition de ce type pour chaque prédicat
à une place quifigure dans le lexique.
De même pour
chaque prédicat à deux places, disons
'B', on aura:
(22)
Pour tous les i, tous les j, tous les x
: x satisfait
'B'
suivi de var
(i)
et de var
(j)
si et seulement si
Bxixj. Après une stipulation de ce 'genre pour chaque
prédicat qui figure au lexique,
la définition induc-
tive se termine comme suit.
(23)
Pour toutes les suites x et tous les énoncés y
: x sa-
tisfait la négation de y si et seulement si x ne sa-
tisfait y
(24)
pour toutes les suites x et tous les énoncés y et y'
x satisfait la conjonction de y et de y' si et seule-
ment si x satisfait y et si x satisfait y'
(25)
Pour tous les x, y et i
: x satisfait la quantification
existentielle de y relativement à var(i)
si et seule-
ment si y est satisfait par quelque suite x' telle que
xj :
x'j pour tous les j t
i.

158
La finalité de la définition de Tarski, ce n'est
pas de dire quels sont les énoncés simples qui sont vrais mais
plutôt d'établir les conditions de vérité des énoncés comple-
xes/ une fois connues les conditions de vérité des énoncés
composants. Les préoccupations de sens sont étrangères â cette
définition. Tarski, écrit Quine, avait envisagé la finalité
des conditions de satisfaction par les symboles logiques de
la logique élémentaire en arguant que ces conditions devaient
"contribuer â une définition de la satisfaction elle-même, et
en conséquence, â titre de dérivé, de la vérité."
(22)
"Prise
en sa totalité, conclut Quine, cette définition inductive
(récurrente)
nous indique en quoi consiste pour une suite le
fait de satisfaire un énoncé du langage-objet.
Incidemmant,
elle fournit une définition de la vérité, puisque
( . . . ) être
vrai signifie être satisfait par toutes les suites."
(23)
Tarski nous a appris que la vérité est relative
aux prémisses et au lexique acceptés dans le langage-objet
et le métalangage.
Il a eu recours aux suites pour introdui-
re la satisfaction des fonctions propositionnelles atomiques
(fx est impair, par exemple). La raison en est que la notion
de vérité ne se prête pas directement à une analyse récurrente.
Même les énoncés clos dans le langage-objet ne sont pas for-
cément composés d'autres énoncés clos plus simples. Les énon-
cés ne deviennent clos que lorsque toute suite donnée les
satisfait sans nuance de temps.
Quine qui cherche à donner une définition satisfai-
sante de la vérité logique du langage ordinaire, s'inspire
de cette définition. Et à partir de là, i l parvient â forma-
liser le langage-ordinaire.
§ 5
La définition de la vérité du langage ordinaire en
terme de satisfaction par les suites.
Les énoncés ouverts tels que
'x se promène'
ne sontfQA
eux-mêmes vrais ou faux.
Ils ne sont vrais que s'ils~~sont sa-
tisfaits par un référent, un sujet extra-linguistique.
(22)
QUINE, P.L., P.
64.
(23)
QUINE,
idem, p. 66.

159
Un énoncé ouvert peut contenir un nombre quelconque
de variables libres. En outre, un pareil énoncé, qui, par
exemple, a deux variables libres, peut être satisfait nar des
objets pris selon un certain ordre et ne pas l'être pris par
les mêmes objets dans un autre ordre. C'est pourquoi Quine in-
troduit la notion de suites ordonnées.
Soit A un ensemble quelconque. Si à chaque entier
naturel n, on associe un élément déterminé an de A, on cons-
titue une suite. En notation
a o' al' ...
an,
a(n+l)
a
est le terme d~ rang 0, al' le terme de rang l, etc ...
O
La suite est sans répétition si pour n " mll10n a an " am.
Elle
constitue une répétition ou une énumération de A si tout a €A
est égal à un terme de la suite. Ainsi par exemple le schéma
d'énoncé 'J(
~ y' est satisfait par la suite
<1">
ou
<1,1)
La suite est dite ordonnée si on doit maintenir l'ordre alpha-
bétique des termes de la suite afin qu'ils puissent satisfai-
re les énoncés. Dans les séries ordonnées, on distingue les
paires ordonnées des triplets, etc ... Ainsi on a les paires
<y, x) et <x, y '/ lorsque x " y. Et la paire <3,5 /" satis-
fait l'énoncé
'x < y' tandis que la paire <.. 5,3')
ne le fait
pas.
La sa~isfaction d'énoncés ouverts à trois variables
libres exige des triplets oœ-donnés
<x,y,z >. La satisfaction
d'énoncés ouverts à quatre variables libres requiert des qua-
druplets ordonnés
<x,y,z,x'>
, et ainsi de suite. Mais
les séries ordonnées en paires ou en triplets sont limitées
par la satisfaction. Autrement dit les suites doivent être
courtes pour que le logicien dans la traduction de sa langue
maternelle ou de la langue étrangère puisse dire par exemple
qu'une suite satisfait une conjonction.
Mais pour qu'une suite satisfasse une conjonction,
i l faut qu'elle satisfasse un énoncé simple. Et une suite sa-
tisfait un énoncé si cet énoncé devient vrai lorsque nous pre-
nons le premier objet de la suite comme valeur de la variable
'x' qui figure dans l'énoncé,
le second objet de la suite comme
valeur de la variable 'y' qui figure dans l'énoncé, etc .••
;
les variables, étant bien entendu, rangées dans l'ordre alpha-

160
bétique comme suit 'x',
'y',
'z',
1 l
"
etc ...
Supposons un langage-objet contenant le prédicat
~ deux places :
'--- a conquis ---' et les constituants
"La Gaule",
"César". On cherche à formuler la conditon de
vérité de l'énoncé atomique ouvert "x a conquis y" où
'x' et
'y' sont rangés suivant l'ordre alphabétique des phrases.
Pour établir la vérité de l'énoncé, on dira que la suite ou la
paire
<César, La Gaule"> satisfait l'énoncé "x a conquis y"
si et seulement si César a conquis la Gaule.
L'importance de
l'ordre alphabétique, c'est que ce n'est pas la Gaule qui~_a
conquis César mais bien le contraire, à moins qu'une théorie
psychanal~tique ou autre ne nous dise le contraire !
L'énoncé
'x se promène', accompagné de i-ième va-
raible dans l'ordre alphabétique est satisfait par une suite
si et seulement si le i-ième objet de cette suite se promène.
En d'autres termes,
l'énoncé
'Socrate se promène' est vrai si
et seulement si le i-ième objet
(Socrate)
ou la suite
Socrate
se promène.
L'énoncé qui consiste en 'a conquis', flanqué de
part et d'autre des i-ième et j-ième variables, est satisfait
par une suite si et seulement si le i-ième objet de la suite
a conquis le j-ième objet de la même suite. Le propre des sui-
tes, qui sont des énumération sans répétition sauf pour (1,1 )
ou l'identité réflexive, est qu'il y a une correspondance
biunivoque entre les i-ième varibles des énoncés et les j-ième
objets des suites. Or les énoncés peuvent être classés par
ordre de complexité. Les prédications ont la complexité 0
('x se promène'). Mais les négations,
les conjonctions et les
quantifications d'énoncés de complexité n/sont de complexité
n + 1.
Soi t
par exemple la suite (César, La Gaule, Brutus >
et les prédicats ~ deux places '---
a conquis ---' et '--- a
tdé - - - ' . En cherchant ~ formuler les conditions de vérité de
'» a conquis y' et 'z a tué x' où 'x', 'y',
'z' sont rangés
suivant l'ordre alphabétique conformément à l'ordre de la suite/
notre traitement alphabétique nous permet de dire (César,
la
Gaule, Brutus') satisfait ~ la fois
'x a conquis y' et 'z a tuék 1

161
et donc satisfait la conjonction
'x a conquis y A
z a tué x'.
La quantification existentielle, elle, est satisfaite par
une suite donn~, si et seulement si une suite identique à
celle-là, sauf peut être sur la i-ième place, satisfait son
énoncé constituant. Par exemple dans l'énoncé
\\~)(x a
conquis y), la variable
'x'
n'est pas liée. La suite S' qui
doit satisfaire l'énoncé ne doit pas être identique à
'y'
qui est liée mais porter sur
'x'. C'est ainsi que l'énoncé
est satisfait pour le premier objet qui est César, à savoir
la suite
<. César>
Ceci permet de dire que dans un énoncé où toutes les
variables sont liées, cet énoncé est alors clos et est vrai
ou faux parce qu'étant satisfait par une sui te, i l est satisfait
par toutes les suites. L'énoncé
(21)
(Jz) (3-~(x a conquis y)
est vrai ou faux,
selon.
Dans ces conditions,
la classification des énoncés
obtenus par les constructions reste tributaire des conditions
de satisfaction.
En effet,ce que nous disent ces construc-
tions, écrit Quine, c'est
'en quoi consiste le fait qu'une
suite satisfait un énoncé de complexité immédiatement supérieu-
re, une fois connu en quoi consiste le fait qu'une suite satis-
fai t
un énoncé d l'lune complexité donnée. Il
(24)
C'est dire que ce ne sont pas les constructions qui
définissent la satisfaction mais bien le contraire; e t que
la définition de la satisfaction d'un langage-objet est ~écur­
sive comme Tarski l'a montré. Ainsi, on arrive à ceci que la
définition de la vérité est simple. Un énoncé est défini comme
vrai dans une interprétation sur un D s ' i l est satisfait par
toutes les suites
( à éléments dans ~. Mais la définition de
Tarski est-elle une véritable définition? C'est-à-dire le ter-
me défini est-il élirninable ?
"Les définitions,
écrit Quine, rentrent dans deux
catégories. En mettant des choses au mieux,
une définition nous
permet d'éliminer l'expression défini et de nous passer d'elle.
(24) QUINE, La P.L., p. 64.

~
j
162
1
Certaines définitions atteignent ce résultat en spécifiant di-
rectement une expression de remplacement.
Un exemple en est
la définition de
'5'
comme étant
'4 + l ' , ou celle du quan-
,
) '
teur universel
'x" comme étant
ï
C3X ï

Certaines dé-
finitions atteignent ce résultat plutôt en montrant comment
paraphraser tous les contextes dans lesquels peut figurer l'ex-
pression qu'elles définissent. "
(25).
Un exemple en est la définition de la particule
' ~ ,
du conditionnel, de forme
,P::J6(
'comme étant
'~(P/l"'IS()'
En effet, quand Catilina dit
(21)
Si Cicéron m'a vu alors tout est perdu
i l ne dit pas que tout est perdu.
Il n'estimera pas s'etre trom-
pé si en fait Cicéron ne l'a pas vu et que tout n'est pas per-
du. D'autre part,
i l sera prêt à reconnaître s'être trompé,
s ' i l se trouve que Cicéron l'a vu et que pourtant tout n'est
pas perdu. L'énoncé
(21)
l'oblige simplement à exclure la vé-
rité conjointe de
'Cicéron m'a vu'
et
'tout n'est pas perdu'.
L'énoncé nous apprend l'incrédulité de Catilina à propos de
l'énoncé (22)
(22)
Ciceron m'a vu 1\\
,(tout est perdu}
Ainsi au lieu d'affirmer
(21)
on obtient le même résultat en
niant
(21) de la manière suivante.
'23)
,(Cicéron m'a vuA
,tout est perdu)
De telles définitions sont appelées des définitions
directes, en ce qu'elles permettent d'éliminer le terme défi-
ni. Les définitions de la catégorie inférieure, Elles, sont
inéliminables car elles ne fixent pas complètement les em-
Flois des expressions qu'elles définissent. Ainsi, en va-t-il
dè.notre définition récurrente de la satisfaction. Elle éta-
blit exactement quelles suites satisfont chaque énoncé, sans
pouvoir indiquer comment éliminer et se passer de l'expression
'satisfait' dans
'x satisfait y'.
Le langage-objet de la théorie des ensembles a ceci
de paradoxale qu'il ne peut supprimer son terme défini sans
donner libre accès aux paradoxes divers.
(25)
QUINE, idem, p.
67.

163
Pour éliminer le terme défini ~ ici la satisfac-
tion, on se sert d'un dispositif ensembliste. Le raisonnement
est le suivant.
On se représente une relation comme étant un ensem-
ble de paire ordonnée. La relation de satisfaction est l'en-
semble de toutes les paires ordonnées <x,y ') telles que x
satisfait y. Dans ces conditions/notre définition inductive
établit quelles paires <x,y > appartiennent il. la relation de
satisfaction. Si on introduit une variable
'z', comme étant
la relation 'soutient la relation z avec'
au lieu de
'satis-
fait'
nos stipulations
(1)-(5)
sont modifiées et font de z
la relation de satisfaction. Si nous abrégeons notre défini-
tion
(1)-(5) en
'RSz', alors
'RSZ' exprime la relation de
satisfaci ton avec l'idée que ,la définition int~oduit
le
signe
d'appartenance. L'expression définie éliminée, on peut écrire
'x soutient z avec y' sous la forme
.<. x, y >e.y et avoir
( 24 )
( 3J) (R 5 z .< x, Y '7 é
Z)
Si donc nous restons dans le langage-objet, nous
pouvons dire que
(24)
se résorbe en '€'/aux
variables, aux
fonctions de vérité, aux quantifications et en 'RSZ'. Mais
qu'en est-il de
'RSZ"
?
Il est clair que nous ne pouvons le définir dans le
langage-objet sans faire surgir des paradoxes dont le para-
doxe sémantique de Grelling
(le paradoxe de
'hétérologique')
et le paradoxe ensembliste de Russell.
Le paradoxe est formulé de façon à concerner les
énoncés ouverts d'une seule variable. Toutes sortes d'objets
peuvent satisfaire ces énoncés. L'énoncé
'x est bref' est
bref et donc se satisfait
lui-même. L'énoncé ouvert
'x sa-
tisfait quelque énoncé' satisfait quelque énoncé et donc se
satisfait lui-même. Mais il y a des énoncés paradoxaux du
genre
'x est long',
'x est allemand',
'x ne se satisfait pas
lui-même'. Alors si cet énoncé se satisfait lui-même, i l ne
doit pas se satisfaire lui-même et vice-versa. Et le paradoxe
de Russell est que l'énoncé
, (X t: X)
ne détermine aucun ensemble.

164
Pour résoudre ces difficultés, on est obligé de
recourir à une métalangue. On se passe de ce recours dans le
cas de la logique élémentaire.
"La question générale de savoir
qu'est ce qui existe en fait d'ensemble est restée lontkmps
non résolue, comme on sait
( ... ) Ainsi le théoricien des en-
sembles doit essayer d'établir quels énoncés ouverts i l faut
considérer comme déterminant des ensembles. Des choix diffé-
rents produisent des théories des ensembles différents, cer-
taines plus fortes, d'autre moins fortes."
De pareilles dif-
ficultés ne se présentent pas en logique élémentaire où des
choix différents à propos de la définition de la vérité logi-
que conduisent à des choix équivalents. Il se trouve par là
que la logique élémentaire jouit de la propriété de complétu-
de et que ne peut revendiquer la théorie des ensembles.
Quine va, eu égard à la définition de la vérité en
termes de satisfaction, s'inspirer de cette méthode pour dé~­
finir la vérité logique. En adoptant le critère de satisfac-
tion, QUine se démarque de la philosophie ou de la terminolo-
gie utilisée par la logique élémentaire classique.
§ 6
La vérité logique en termes de structure et de
substitution.
Dans la logique non quinéenne et plus précisément en
sémantique/on dit que les symboles désignent des entités :
aux variables propositionnelles
(p, q, r,
... ) on attribue
des valeurs de vérité
(le vrai ou le faux),
aux variables in-
dividuelles
(x, y, ... ) des objets, aux prédicat
(F, G, H,
. . . )
des ensembles d'objets, aux connecteurs logiques des fonctions
de vérité. Quine évite de telles terminologies ; et nous avons
vu au Chapitre 3 section 4 qu'il traite les lettre P, q, r,
...
non comme des variables d'énoncés mais comme des mannequins,
des schémas d'énoncés. Le critère de vérité n'est pas quel-
que chose d'abstrait mais c'est ce qui détourne notre regard
vers le monde. Les fonctions de vérité ne sont pas des entités
mais deJcomposés d'une ce~taine espèce.

165
A.1eur sujet, une fois que sont indiquées quelles
suites satisfont les énoncés simples, i l est du même coup
établi quelles suites satisfont un énoncé arbitraire grâce
aux symboles logiques. En ce sens les conditions de satisfac-
tion pour ces symboles sont remarquables en elles-mêmes en
ce qu'elles fournissent la base d~run calcul logique de ces
connecteurs et de l'étude des relations entre les différents
énoncés.
"La logique, écrit Quine, n'a pas à établir quelles
suites satisfont les énoncés simples, mais plutôt à établir
en partant de ce type d'information, quels énoncés composés
sont vrais ou quelles suites les satisfont. La logique étudie
également ces relations considérées dans le sens opposé :
étant donné qu'un énoncé composé est vrai, ou étant donné ce
qui les satisfait, établir quelles possibilités cela laisse
O~ pour les énoncés simples quile composent. Indirec-
tement aussi, par l'intermédiaire de ces relations de dépen-
dance ascendantes et descendantes,
i l est possible d'étudier
des reltions d'interdépendance transversales entre un énoncé
composé et un autre."
(26)
Fournir une méthode pour décider de la validité des
schémas fonctionnels et de la vérité logique, des schémas de
quantification, fournir une procédure de démonstration
qui
jouisse de la propriété de complétude et étudier les relations
entre les énoncés vrais,
telle est la tâche de la logique/ _une
fois terminée
l'étape de la traduction.
Des relations interdépendances:;sont
a)
L'implication logique:
un énoncé clos en implique logi-
quement un autre si, en supposant
que l'un est vrai, les structu-
res de ces deux énoncés assurent
la vérité de l'autre.
b)
La vérité logique
un énoncé vrai
(faux)
logiquement est
un énoncé dont la vérité est assurée
(exclue)
par sa structure logique.
c)
Les énoncés seront logiquement équivalents s'ils s'im-
pliquent mutuellement.
(26)
QUINE, P.L., p.
74.

166
Toutes ces trois espèces de relations portent'sur et
parieht de structure. C'est dire qu'elles ont un principe com-
mun : c'est la substitution qui suppose qu'on connaisse au préa-
lable
la notion de structure.
Etant donné nos symboles logiques,
le patron suivant
lequel ils se cimentent ensemble par nos expressions de base
dans les énoncés/ s'appelle structure logique des énoncés. De
ce point de vue,
les énoncés
(25)
Tout microbe est un être animé ou un végétal
(26)
Tout Genevois est calviniste ou catholique
ont la même structure logique. Un énoncé est dit: logiquement
vrai s ' i l est vrai en vertu de sa structure logique
seule-
ment, c'est-à-dire si tous les énoncés qui ont la même struc-
ture logique que lui/sont vrais comme lui,
indépendamment de
leur sujet. L'énoncé suivant est logiquement vrai
(en vertu
de sa structure)
(27) Tout microbe ou bien est un être animé ou bien n'est
pas un être animé
On dira de deux énoncés qu'ils sont logiquement équi-
valentsJs'ils s'accordent sous le rapport de la vérité dt de
la fausseté en vertu de leur structure logique seulement, c'est
à-dire si aucune modification apportée uniformément à tous les
constituants non logiques de ces propositionnels ne rend l'un
vrai et l'autre faux.
(27)
Ainsi l'énoncé
(28)
Si quelque chose n'est ni un être animé ni un végétal
cela n'est pas un microbe
est logiquement équivalent à
(25)
Enfin,
un énoncé en implique logiquement un autre 1
si~a vérité de celui-là on peut inférer la vérité de celui-
ci, en vertu de la structure logique de ces deux énoncés.
Ainsi l'énoncé
(29) Tout Genevois est calvaniste
implique logiquement
(26)
(27)
DAns Logique élémentaire, Quine parle de
'proposition' au
lieu d'énoncé. Comme il rejette les propositions nous em-
ploierons le terme d'énoncé.
Le terme de proposition ne
sera utilisé que si nous citons QUINE.

167
Si toutes ces relations peuvent être étudiées sous
le rapport de leur interdépendance en vertu de la structure
logique, i l doit y avoir un principe qui les définisse. C'est
le principe de substitution.
Pour se faire,
on remplace les
énoncés par des lettres schématiques d'énoncés qui produiront
par la suite des énoncés. En vertu de sa structure, un schéma
doit être valide et la substitution doit conserver la validi-
té. Par voie de conséquence des schémas valides donneront des
énoncés logiquement vrais.
Les lettres
'P',
'q', }r' etc 0u bien les indices
7
'Pl',
'ql',
' r I ' , etc . . . sont des lettres d'énoncés.
Les ex-
pressions constructibles qu'on en obtient au moyen des con-
necteurs logiques sont appelé~sdes schémas fonctionnels d'énon-
cés ou tout simplement des schémas fonctionnels. Ainsi les
expressions
'p',
'q',
'PAq',
'_p',
'pvq',
' ,pAq',
'p..)q', etc ...
sont des schémas fonctionnels.
Ils n'ont pas de sens. Ce sont
des diagrammes et ne servent qu'à cela lorsqu'on procède à
des analyses de leur structure fonctionnelle.
Les schémas
donnent des énoncés lorsqu'on substitue uniformément chaque
lettre d'énoncé par une expression de notre lexique. On,:dit
alors que l'énoncé obtenu est une instance de ce schéma.
Ainsi l'énoncé
(30) Jupin est malade A , Jupin est malade
A
Hichu est en
voyage
est une instance de chacun des schémas
'
\\
(31)
PII,,\\(PII'l)/
pl\\q 1
Pf\\-\\f/,.,t
p;n(lJllt")
en ce que chaque occurrence vide de
(30)
substitué à chaque
lettre schématique-qui lui correspond rend
(30)
vrai.
La substitution comporte deux éléments, deux notions
auxiliaires:
l'introduction et le remplacement.
La première
notion s'occupe de la substitution des schémas fonctionnels
ou des énoncés dans le cas où les deux connecteurs sont la
négation et la conjonction. La seconde notion intervient dans
le cas de l'équivalence.
Pour la substitution par l'introduction, introduire
un énoncé ou un schéma fonctionnel S dans une occurrence donnée

168
d'une lettre d'énoncé L à l'intérieur d'un schéma quelconque,
consiste à mettre S à la place de cette occurrence de L après
avoir
enclos S dans des parenthèses lorsque S est une conjonc-
tion et que L est immédiatement précédée par
'~'
. Par exemple
introduisons
le schéma
-, CPlIltSl)
dans la seconde occurrence de
'q' à l'intérieur de
6)1\\" [-T~IIO()
donne ceci
({( 1\\ ., (.., {{ Il l ( P 1\\ l Q))
Ainsi donc la substitution d'énoncés ou de schémas fonction-
nels à des lettres, à l'intérieur d'un schéma S donné, revient
à introduire ces énoncés ou ces schémas dans les occurrences
des lettres concernées en observant deux règles:
"(a)
ce qui
est introduit dans l'occurrence d'une lettre sera introduit
dans toutes les autres occurrences de cette lettre à l'inté-
rieur de S, et
(t)
le résultat final sera une proposition ou
un schéma fonctionnel."
(28)
Ainsi, en substituant
'Jupin est malade' à
'p' et
'Michu est en voyage'
à
'q' dans le schéma fonctionnel
p/1 , (PI\\q)
on obtient
(31)
Jupin est malade
1\\
, (Jupin est malade Il
Michu. est
en voyage)
La substitution de schémas est analogue à celle des
,
/
énoncés. La substitution du schéma
P Il Cf
à
'P' et du
schéma ' r ' à
'q' dans
P 1\\' ( pli q)
donne le schéma
(32)
(Pli Cf) 1\\ , [Pli q Il r)
Ainsi on voit que la substitution de schémas à des
lettres/change les schémas en schémas et la substitution d'é-
noncés à des lettres t~ansforme les schémas en énoncés. C'est
dire qu'on peut mettre en relation des schémas ou des énoncés
et qui sont valides ou vrais. C'est ce que permet la substitu-
tion conjointe d'énoncés ou de schémas à des lettres dans deux
ou plusieurs schémas donnés. Elle consiste à introduire ces
énoncés ou ces schémas dans des occurrences de ces lettres, à
(28)
QUINE, Logique élémenta!re, p. 72.

"
169
l'intérieur de tous ces schémas donnés en se conformant
aux deux rêgles suivantes.
"~Ca') ce qui est introduit dans
une occurrence d'une lettre sera aillssi introduit dans toutes
les autres occurrences de cette lettre à l'intérieur de tous
les schémas donnés, et
(b')
les résultats finaux seront des
propositions ou des schémas fonctionnels."
(29)
Ainsi les énoncés
(31) ~
(33)
, (Jupin est malade /\\ Michu est en voyage
A 1 Robert
est là)
proviennent respectivement des schémas
(34)
Pli -'UA'V
)
"7 (Pli '111 ,.c)
par substitution conjointe de
'Jupin est malade'
à
'p', de
'Michu est en voyage'
à
'q' et de
'Robert est là' à
' r ' .
Eu égard à
(31), plusi.eurs schémas peuvent avoir
une même instance. On dira qu'ils sont équivalents si leurs
instances prennent les mêmes valeurs de vérité. Ainsi
PA q /
Cf 1\\ f./
f/l 7P
/
q A 7 Cf
L'équivalence logique entre
l i ?
et 'p' conduit à l'équi-
valence entre
7 ['1 A 77P)
J
-, (-",11 V
Le principe de remplacement produit cet effet.
,
Quine l'énoncé ains i
:
"Si dans un schéma donne)
nous remplaçons une partie par un autre schéma équivalent à
cette partie,
le schéma résultant tout entier sera équivalent
au schéma initial entier."
(30)
Autrement dit,
le principe
du remplacement doit établir le caractêre extensionnel du
remplacement.
Pour prouver le principe général du remplacement,
Quine en prouve deux cas particulier:
"(il
les négations,
de deux schémas équivalents quelconques sont équivalents, et
(il)
deux schémas équivalents étant donnés, si à chacun d'eux
on relie un schéma par une conjonction,
les nouveaux schémas
ainsi obtenus sont équivalents."
(31)
a)
La démonstration de
(i)
Il s'agira de démontrer les schémas
(35)
777P
d
ï(Pl\\qj
si on a les schémas initiaux 77Pd-P
On part de deux schémas quelconques équivalents, par exemple
(29)
QUINE, QuV. cit., p. 73.
(30)
QUINE, idem, p.
82.
(31)
QUINE, Logique élémentaire, p. 83.

170
(36)
ï7P
Jd
pl1q
et formons à partir d'eux de nouveaux schémas, en appliquant
le symbole ' r ' à chacun des schémas initiaux, ern mettant des
parenthèses au schéma qui a la forme d'une conjonction sur
laquelle porte
' r ' .
Il s'agit de démontrer que ces nouveaux
schémas sont équivalents entre eux, c'est-à-dire que leurs
instances correspondantes s'accordent en valeur de vérité.
Considérons corrme instances correspondantes les énoncés
(37) rY~ Jupin est malade et y
(Jupin est malade A Jupin
est malade)
les énoncés (37)
seront les négations des deux énoncés
(38) ~. Jupin est malade et Jupin est malade A Jupin est
malade
qui sont les instances correspondantes des schémas initiaux,
c' est-à-dire notre cas
"1" P
û"
P
Mais puisque les schémas initiaux sont équivalents,
leurs ins-
tances correspcndantes s'accorRent en valeur de vérité; par
conséquent les négations de ces instances s'accorderont aussi
en valeur de vérité, puisqu'elles seront fausses ou vraies
suivant que ces dernières sont vraies ou fausses.
b)
La démonstration de
(ii)
Soit deux schémas équivalents
(39)
77 P
P Il "
A chacun de ces schémas,
on relie par une conjonction un sché-
ma supplémentaire
(40)
Cf Il
1(q Ar)
Et on obtient deux nouveaux schémas
(41)
'7" PA (If 1\\., (q /\\ r) e-.t (!JA p)/\\ {q 1\\ , (Cf 1\\ c)
Il faut montrer que les schémas
(41)
sont équivalents, c'est-
à-dire que des instances correspondantes quelconques de ces
nouveaU. schémas s'accordent en valeur de vérité. Soit par
exemple deux instances correspondantes de ces nouveaux schémas
(42)
17 Jupin est malade
/\\
Michu est en voyage 1\\ ,(Michu
est en voyage
~
Robert est là)
et
Jupin est malade A Jupin est malade
Michu est
en voyage
~
, (Michu est en voyage
Robert est


171
Appelons respectivement SI et S2 ces deux énoncés.
SI et S2 sont respectivement les instances corres-
pondantes
(43) 77Jupin est malade et Jupin est malade A Jupin est
malade
des deux schémas initiaux, à savoir
(39). A ces instances,
on a relié dans chaque cas, par une conjonction, un seul et
même énoncé supplémentaire :
(44) Michu est en voyage
A
1 (Michu est en voyage A Robert
est là)
Or si cet énoncé supplémentaire
(44)
est faux,
SI et S2 seront
tous les deux faux et donc identiques en valeur de vérité. Si
au Contraire
(44)
est vrai, la conjonction SI sera vrai selon
que son autre partie c'est-à-dire'
" J u p i n est malade' est
vrai ou faux;
et de même pour S2. Or cette autre partie de
SI et celle de S2 sont identiques en valeur de vérité puis~
qu'elles sont des instances correspondantes de schémas ini-
tiaux
(39)
qui sont équivalents. Donc SI et S sont identiques
en valeur de vérité.
Ces deux cas démontrés, Quine démontreile principe
général du remplacement selon lequel, étant donné un schéma
quelconque F
F: (soit) : 1 (p 1\\ Cj A , ( r 1\\ ,., P 1\\ '1) 1\\ ï p)
remplacer une partie quelconque Fo
(par exemple
ï l P
)
par
un équivalent Go
(par exemple 7 (P 1\\ 'f A "7 (r Il PA PA '1) 1\\ 1 p)
on obtient ùn nouveau schéma G (par exemple,' 1f?1I ql1, (t.IIP Afl A1)1I 1 P)
Quine combine ces deux principes
(introduction et
remplacement)
pour transformer des équivalences.
Une transformation directe d'un schéma donné FI,
par exemple
(45)
Pli "71 (ljAr)
par une paire donnée de schémas Gl et G2, par exemple
(46)
..,., PI
P
consiste en les opération suivantes :
a)
d'abord on opère des substitutions conjointes dans Gl
et G2 de manière à obtenir des schémas Gl' et G2', par exemple
pour
(46)

172
(47)
;"7 ( Cl" r)
~
CI 1\\ r
comme étant les substi-
tutions conjointes respectives de
.,., P
et de P. La subs-
titution est faite de sorte que Gl'
soit une partie de Flou
FI tout entier.
b) ensuite -la substitution conjointe terminée- on rempla-
ce dans FI, Gl'
par G2' et on obtient F2 qui est, dans notre
cas, le schéma
(48)
Pli q/lr
Ce résultat est équivalent à FI toutes les fois que
G2 est équivalent à Gl. Puisque, lorsque plusieurs énoncés
s'obtiennen1Jl
respectivement à partir d'un nombre égal de sché-
mas par substitution conjointe, on ditlqu'ils sont des ins-
tances correspondantes de ces schémas/alors des instances cor-
respondantes quelconques de Gl' et de G2'
seront également
des instances correspondantes de Gl et de G2 et donc auront
la même valeur de vérité étant donné l'équivalence de Gl
et de G2 postulée en (46). Donc Gl' et G2'
sont équivalents
et par voie de conséquence FI et F2 le sont également en
vertu du principe général de remplacement.
La substitution des schémas et des énoncés dans le
cas de l'équivalence s'opère par cette voie qui permet de dé-
montrer les équivalences.
Cependant,
la méthode de substitution ne suffit pas
pour démontrer la validité des schémas fonctionnels ou la véri-
té logique des énoncés. Pour montrer la consistance ou l'incon-
sistance des schémas,
la méthode d'introduction et de rempla-
cement est limitée. Pour élargir la méthode de démonstration
Quine met les schémas sous forme normale disjonctive et dis-
jonctive.
Jusqu'ici, en vertu de la substitution qui nous
contraignait au regroupement,
les connecteurs de la négation
et de la conjonction portaient sur des énoncés ou des schémas
entiers. Or en opérant autrement, on limite la négation aux
lettres/ce qui a pour avantage ~e faciliter la démonstration
par exemple,la négation de

173
(49)
., (Pi 1\\ ~ Il .
II~n)
se résoud en
(50)
"Pj V ,PlV ... vin)
Pour la disjonction, la négation de
(51)
'(P~v'iV.. _ I/f..,)
se résoud en
(52)
,PtA P-:..A .•• /l.P,,)
Grâce à la dualité donc, ce sont aux lettres sim-
ples d'éléments
(Pl, P2, ... ) appelés littéraux que sont préfi-
xées les constructions.
"Alors, écrit Quine, un schéma sera
dit schéma normal disjonctif s ' i l est un littéral ou une con-
jonction de littéraux ou une disjonction de schémas dont cha-
cun est soit un littéral soit une conjonction de littéraux. En
termes négatifs, un schéma normal disjonctif est un schéma
dans lequel i~ n'y a que des lettres qui soient niées et dans
lequel toutes les conjonctions relient les littéraux."
(32)
Ainsi
(50) est une forme disjonctive et (52)
une
forme conjonctive. On voit ainsi directement sur un schéma
disjonctif s ' i l est ou non consistant, c'est-à-dire satis-
fiable. De même on voit sur un schéma conjonctif s ' i l est ou
non valide.
Le schéma normal disjonctif
(53)
P.r.q. V s.p
(ou prq est une conjonction et où 5 (5 barre) est la négation
de S)j ce schéma étale de façon manifeste ses conditions de
vérité.lci
(53) est vrai si on pose que
'p',
' r ' et
'q'
sont
vrais.
Le schéma normal conjonctif, qui est un dual du
schéma normal disjonctif, con~rend les littéraux les disjonc-
/
tifs de littéraux et les conjonctions de schémas dont chacun
est soit un littéral/soit une disjonction de littéraux. On
dira alors qu'une conjonction de deux ou de plusieurs schémas
est valides si et seulement si chacun des schémas est valide.
Et accessoirement une disjonction de littéraux est valide si
et seulement si l'un d'entre eux est la négation d'un autre
d'entre eux. Si par exemple un littéral est la négation d'un
(32)
QUINE, Œ~V. cit., p. 99.

174
autre, cela donne le schéma valide
PV P ru-
p v p v q
Parallèlement à la consistance, on dira d'un schéma
qu'il est inconsistant s ' i l dérive par substitution dans un
schéma inconsistant, c'est-à-dire qui a pour valeur de vérité
le vrai.
De la même manière la mise en forme disjonctive
sert à Quine pour définir les implications, aussi bien des
implications pour les schémas que de celles des énoncés.
Un schéma n'en implique un autre que si la conjonc-
tion de l'un de ces schémas avec la négation de l'autre est
inconsistant. Et un énoncé en implique un autre au sens des
fonctions de vérité si ces deux énoncés sont, dans l'ordre
des instances correspondantes de schémas fonctionnels, tels
que le premier de ces cas implique l'autre.
Telle est la procédure de la démonstration de la
complétude du calcul des énoncés. Quine en avait donné une
démonstration lap~daire en 1937 dans un article 'Completness
of the Fropositional Clacul' après avoir écrit en 1936 l'arti-
cle
'Ontological Remarks on the Propositional Calculus'
(cf.
WP, P .
57). (33)
C'est ~~ égard à tout ce qui vient d'être dit qu'on
peut comprendre la définitions suivante de Quine.
(54)
"Une vérité logique se définira alors comme étant un
énoncé à partir duquel nous n'obtenons que de vérités
toutes les fois que nous substituons des énoncés à
ses énoncés simples."
(34)
On parle ici de substitutions d'énoncés et non de substitu-
tions de prédicats. La substitution de prédicats interviendra
dans le cas de la logique élémentaire ou du calcul des prédi-
cats.
A ce moment Quine donnera une définition large de
la notion de substitution. Nos préoccupation à venir s'orien-
tent dans ce sens.
(33) QUINE,
'Complethess
of the Propositional Calculus', in
Selected logic Papers.
(34)
QUINE, La philosophie de la logique, p.
77.

175
CONCLUSION
En nous laissant guider par la position tarskienne
de la vérité, nous avions fait un parallèle entre la grammaire
et l'entreprise logique. En faisant comporter l'analyse gram-
maticale de la logique en deux éléments, à savoir le lexique
er les constructions grammaticales, Quine ne se départit pas
de la position de Tarski : on construit quelles suites satis-
font des objets donnés.
Incidemment/on définira la vérité lo-
gique en termes de substitution.
"La logique, écrit Quine, n'a pas à établir quelles
suites satisfont les énoncés simples, mais plutôt à établir,
en partant de ce type d'information, quels énoncés composés
sont vrais ou quelles suites les satisfont. La logique étudi~
également ces relations considérées dans le sens opposé : étant
donné qu'un énoncé composé est vrai,
ou étant donné ce qui le
satisfait, établir quelles possibilités~ cela,(laisse ouvertes
pour les énoncés simples qui les composent."
(35)
Le patron sur lequel les énoncés sont cimentés a
été appelé la structure fonctionnelle.
Le traitement des struc-
tures fonctionnelles a été facilité par l'emploi de lettres
schématiques d'énoncés
('p',
'q',
' r ' , etc ... ) au lieu d'énon-
cés. La mise à
jour de telles lettres nous a fait adopter la
méthode de substitution par laquelle nous avons établi la com-
plétude du calcul des énoncés.
D'autre part, pour montrer la consistance ou l'in-
consistance des schémas fonctionnels, Quine a élargi la métho-
de de démonstration par la mise en forme normale disjonctive
et conjonctive. Ces procédures de preuve se révèlent insuffi-
santes pour le
calcul
des prédicats du premier ordre. Force
est d'élargir la notion de substitution. C'est le projet du
Chapitre 5 suivant.

176
CHAPITRE 5
LA VERITE LOGIQUE
(SUITE)
: LA COMPLETUDE DU
CALCUL DES PREDICATS D'ORDRE UN ET L'~U~E LA
LOGIQUE
INTRODUCTION
La notion de substitution dont nous avions traité
au chapitre précédent était limitée à la substitution de let-
tres d'énoncés à l'intérieur des schémas fonctionnels.
Dans le calcul des prédicats qilii va nous occuper;
nous allons faire une place aux lettres de prédicats à côté
des lettres d'énoncés. Les schémas fonctionnels vont être mis
dans la, classe plus large des schémas de quantification de
sorte que la procédure de preuve/si elle s'applique aux sché-
mas de quantification vont, à moins forte raison/s'appliquer
aux schémas fonctionnels. Nous aurons ainsi établi la complé-
tude du calcul des prédicats du premier ordre, c'ést-à-dire
de ce calcul où on ne considère que les variables individuelles.
Mais en rélféchissant sur l'étendue de la logique,
la théorie de l'identité et la théorie des ensembles vont
créer des difficultés. Ces deux théories font-elles partie de
la logique? La théorie de l'identité certainement; mais à
quelles conditions ? Altère-t-elle notre définition de la vé-
rité logique? Il ne semble pas. La théorie des ensembles
quant à elle, ne donne aucune raison de la tenir pour de la
logique. Aussi Quine l'évacuera-t-i1.
SECTION 10
La complétude du calcul des prédicats d'ordre
un
Nous avions dit que dans le calcul des prédicats,
nous allions faire intervenir des prédicats. Puisque ceux-ci
ne sont pas comme les lettres schématiqu~s d'énoncés pour les-
quels on avait défini la substitution, que faire? I,a défini-
tion de la vérité reposant sur la notion de substitution,
c'est celle-ci dont i l faut étendre la définition afin qu'elle

177
puisse pourvoir â la substitution aux lettres d'énoncés et
aux lettres de prédicat dans les schémas de quantifications.
Pour ce faire on adoptera le mécanisme des prédi-
cats. Puis on formulera la notion d'introduction de la subs-
titution afin d'éviter les substitutioœindésirables. On éta-
blira
alors que toutes les définitions de la vérité logique
-en terme de validité, de démonstration, de grammaire- sont
équivalentes.
La substitution aux lettres de prédicats sert â défi-
nir la notion de validité d'un schéma de quantification clos:
un tel schéma est valide si toutes ses instances sont vraies J
l'opération de substitution dépendant des possibilités de cons-
truction du langage-objet qu'on s'est donné.
En fait, Quine indique pour les schémas quantifica-
\\
tionnels des procédures de réfutarkn de l'inconsistance qui
s'appliquent aux schémas prénexes et qui emploient deux règles
d'instantiation. La procédure pour démontrer l'inconsistance
se fonde sur la méthode principale et la méthode de la forme
normale fonctionnelle de Qùine.
§ 1
Le critère de substitution appliqué à la quantifi-
cation
On obtient la logique élémentaire lorsqu'on décompo-
se les énoncés en faisant apparaître, outre les connexions
du calcul des énoncés, les expressions pr9pres à la,-quantifi-
cation :
a)
Les expressions
'pour tout',
' i l existe' qu'on symbolise
. r.f2s{>e.cr/v'f'ftlen.f.:;
(V ) pour le quanteur universel et (
:3
pour le quanteur exsitentiel. Les quanteurs sont donc
les préfixes
,- ( 'fIx ) ' ,
( 3 x ) ' , . ( 3Y
)' etc . . . Lorsque la
construction d'énoncés fait appel à leur concours, on
parle de quantification.
b) Les variables individuelles
('x',
'y',
'z'~ etc ..• ) qui
sont les paraphrases des pronoms.

178
c)
Les prédicats à une ou plusieurs arguments.
L'analyse de toute cette machinerie fera l'objet du
chapitre.9
Pour le problème qui nous occupe, à savoir la substitution de
prédicats à des prédicats, le remplacement des prédicats par
des lettres schématiques: F, G, etc ... doit intervenir et ne
sert que lorsqu'il s'agit de prouver ou de refuter un énoncé.
Pour cela i l est nécessaire de transformer l'énoncé en schéma.
C'est aux schémas, non pas directement aux énoncés, que s'ap-
pliquent les tests de validité dont on dispose.
Ily a ici une
différence entre la substitution d'énoncés à des énoncés et
la substitutions de prédicats à des prédicats. Notre préoc-
cupation actuelle est d'apprécier cette différence.
Bien que les schémas construits avec les lettres
schématiques d'énoncés suffisent tant qu'il s'agit de mettre
en évidence les formes des énoncés dans le cadre de la OŒmpo~
sition des énoncés, nous devons faire subir une élaboration
à ces formes dans le cas de la quantification.
Nous devons
nous donner les moyens de représenter non seulement les énoncés
ouverts qui sont des composants d'énoncés. Comme le dit Quine,
'en représentant un énoncé ouvert, i l nous faut conserver la
trace de toutes celles de ses variables susceptibles de ren-
voyer à des quanteurs situés ailleurs dans le texte. car ces
varaibles contribuent pour une part essentielle à la structu-
re logique de l'ensemble."
(1)
Dans la recherche de cette représentation,
'p',
'q',
etc ... représentent des énoncés; ce sont des représentations
schématiques d'énoncés et
'Fx',
'Gx',
'Hx',
'Fy', etc ... re-
présenteront des énoncés ouverts et seront dits schémas ato-
miques ouvrets et où 'F',
'G',
'H', etc ... sont des lettres
de prédicats. Ces lettres ont valeur de schémas et ne figurent
pas dans les énoncés, à la différence des variables. La con-
nexion des schémas atomiques ouverts avec les constructions
moyennant les fonctions de vérité et les quanteurs donnera des
schémas quantificationnels ou des schémas de quantifications.
(1)
QUINE, Logique élémentaire, p.
153.

179
Par exemple les schémas suivants :
Les schémas de quantification, enincorporant les
schémas fonctionnels, vont nécessiter une approche différente
de la substitution.
Dans le cas des schémas fonctionnels la notion de
1
substitution est simple et claire : on ne substitue que des
énoncés â des lettres d'énoncés et toujours le même énoncé â
la même lettre. La substitution est ici uniforme. Lorsqu'on
passe aux schémas quantificationne1s, on ne peut pas parler de
substitution de termes â des lettres de termes puisque nous
avons une variable libre ou liée dont nous n'avons pas précisé
l'univers de valeur. Or en théorie de la ~ification, la
substitution doit préserver une certaine correspondance entre
les remplaçants de
'Fx' et de
'F"
En construisant donc les schémas quantificationne1s,
nous devons tenir compte d'une contrainte]l: â savoir qu'aucune
lettre de prédicat n'admettra des suites de variables de lon-
gueur différente â l'intérieur du même schéma. Par exemple,
nous ne pouvons pas utiliser
'Fx',
'Fxy', Fyz, Fxyz, etc •..
pas plus que nous ne pouvons utiliser
'Fxyz' dans un schéma
i l y aurait
'Fx',
'Fxx',
'Fxy', etc ••• Par contre nous avons
le droit d'utiliser
'Fx' dans le même schéma que
'Fy', Gxy',
'Hxyz', etc •.. Ces substitutions, ont le voit, ne sont possi-
bles que lorsque les lettres de prédicats sont distincts.
Il
se trouve' donc que l'application de la substitution passe par
l'examen des prédicats.
Les prédicats sont des expressions formées â partir
d'énoncés en mettant des chiffres entourés d'un rond â la pla-
ce de variables. Ces chiffres ne désignent rien, mais sont
utiles pour décrire comment s'effectuent les substitutions.
"Nous remplaçons, écrit Quine,
la notion de terme par celle
de prédicat en concevant artificiellement les prédicats â l'ima-
ge des phrases de la façon suivante : un prédicat est comme
une phrase â cette différence près qu'il contient le signe
arbi traire
'cD ou 'ID et '(3)', ou 'Q)', ,@, et '(2)',
etc ..•
; en certains emplacements convenant â des variables

180
libres. Ainsi, là où 'Fx' doit si9nifier 'x est rouge', nous
expliquons
'F' non comme le terme
'rouge' mais comme le prédi-
'"
f.. cat 'CD est rouge'. Là {)(,I. 'Fx' doit signifier: 'x travail-
lait pour l'homme qui assassina le second mari de la plus
jeune soeur de x', nous expliquons
'F' comme le prédicat
(2)
CD travaillait pour l'homme qui assassina le second mari
de la pihus jeune soeur de
CD.
Là où 'Gxy' doit signifier
x travaillait pour-tl'homme qui assassina y et y était le
second mari de la plus jeune soeur de x
nous expliquerons
'G' comme le prédicat
(D travaillait pour l'homme qui assassina (1) et 0
était
le second mari de la plus jeune soeur de
CD
Les chiffres cerclés sont de simples blancs numéro-
tés montrant où i l convient de placer les variables quand on
passe de
'F' à
'Fx', ou 'Fxy', etc •.. la variable la plus près
à gauche doit être mise à la place de
'(D', la suivante à la
place de '0', et ainsi de suite." (2)
Ceci étant/en recourant à la définition de la subs-
titution à l'aide le l'introduction/on peut dire: introduire
un prédicat ou un schéma de prédicats P dans une occurrence
donnée d'une lettre de prédicat, revient à remplacer cette
occurrence ainsi que la suite des variables qui lui sont
attachées par l'expression obtenue de P en mettant la premiè-
re variable de la suite attachée à la plac_e de
'CD', la variable suivante dans cette suite à la place de .
'Œ)', etc .•. Soit A cette définition.
L'application de cette définition obéit à des con-
ventions relatives aux parenthèses: si l'expression à mettre
à la place d'une lettre est une conjonction, on enclot l'ex-
pression de parenthèses.
Ceci étant/supposons qu'on ait le schéma quantifi-
cationnel
(3)
('3$) ( (;x. IN '1)~ li
,
6- ~ lN W J- x.)
Supposons qu'on veuille introduire dans la seconde occurrence
de G de
()
le schéma de prédicat suivant
(2) QUINE, Méthodes de logique, trad.
fr. M. Clavelin, p.
157/

181
(4)
(J'Ir) (j) ~ w ~ @ ~I\\'@ f?l vtt.U ~ a- ~ ~ Ir·
Pour faire l'introduction,nous devons d'abord chercher
l'expression de P (ici
(4)) qu'on cherche à introduire. A
cet effet nous prenons et remplaçons la seconde occurrence
de
'G', à savoir Gywwzx par l'énoncé
(4)
-conformément aux sti-
pulations de la définition A- en ~·d+ll.h'"
1 y'
à la place de
(1)
,
'w' à laplace de '@', encore 'w' à la place de 'Cl)',
'z'
à la place de
@ et 'x' à la place de ®. Ce qui nous donne
la reformulation de
(4)
en
(5)
(3v-)
x doit w à z pourlT)\\'Y
a versé w à z pour v. Faisant alors l'introduction dans la
seconde occurrence de G,
(~) devient (6)
(6)
(3'1) (~~W'DJ~ /1 "1[J':J [X dcit w If ~ ~ irA' ~ pt~'wÀJtr'+'trj
Grâce à l'application de la définition et selon
'
les mêmes procédés que précédemment/l'introduction du "schéma
de prédicats
(7)
t:"f!J 1 (J)
11 (J'9 ~lrO
dans lat ,seconde occurrence de
'G' dans
(3)
donne
(8)
<'1-JY (GX.WÜ}A 1 (f1~W.l\\ (31JJ GIJwJ)
Or (8)
s'écarte de la norme et enfreint la contrainte selon
laquelle une lettre de prédicat ne doit pas admettre des sui-
tes de variables de longueur différentes à l'intérieur du même
sch~ma. En effet, dans le schéma (8), la variable 'w' se trou-
ve à la fois dans la première et dans la seconde occurrence de
G. Une même variable libre ne peut figurer dans le même prédi-
cat à titre de substitué. Cet état de choses amène Quine à
imposer deux restrictions portant sur l'introduction.
La première restriction est la suivante
(9)
Si un prédicat ou un schéma de prédicats P est introduit
dans une occurrence/d'une lettre de prédicat,
la suite
de variables attachées ne doit contenir aucune varia-
ble figurant par ailleurs dans un quanteur de P
Soit le schéma de prédicats
(10)
(a~) cD a été donné en cadeau par le roi de .x à la
reine de
Œ
Ce schémâ, en tenant compte de ce que nous avions dit, ne
peut être introduit dans une occurrence de
'F' qui aurait pour
contexte 'Fwx'.

182
'1
On démontre cela par l'ob5().,-o{e.
Supposons que l'introduction de
(10)
soit permise en appli-
quant notre définition A. Alors, on remplace l'occurrence de
'Fwx" par
(11) ~ (3.~ W
a été donné en cadeau par le roi
de x à la reine de x

Mais tandis que
(10)
se réduit au libellé
(en otant le quan-
teur)
(12)
CD a été donné en cadeau par le roi de quelque chose
11 la reine de
@
l'énoncé
(11)
ne se réduit pas au libellé suivant lorsqu'on
le traite de façon analogue.
(13) w a été donné en cadeau par le roi de quelque chose 11
la reine de x
Au contraire, i l se réduit au libellé
(14) w a été donné en cadeau par le roi de quelque chose
à la reine de ce même endroit
On remarque que
(11)
ne dit pas de w et de x ce que
(10) dit de
CD et de (1). (11) est au contraire différente
de
(10). On le voit en comparant
(12) et
(14).
(12) dit quel-
que chose a été donné par le roi de quelque autre chose 11 la
reine d'un autre endroit.
(13)
affirme que la chose dont on
parle a été donné par le roi 11 la reine du même endroit. Or
(13)
n'est pas ce que stipule notre schéma de prédicats
(10)
Dans cette perspective, notre théorie de la substitution
1
\\
'
~chç~. La deuxième restriction est une conséquence de la
première.
Elle dit ceci
P ne peut être introduit dans aucun schéma dont les quan-
teurs contiennent des variahles qui sont liées dans P,
En effet, l'introduction de prédicats
(15) y aime Q), z aime (!), w aime cD
respectivement dans l'occurrence de
'F' dans
't ~)Fx' donne
.
respectivementles énoncés ouverts q~i font une introduction
légitime
(16)
(3%)
Y aime x,;
(tX)
z aime x
(3-~) w ,iime x

183
Par contre, considérons l'introduction de x aime
CD. Si
elle était permise, elle donnerait
(J~) x aime x.
En résumé, l'introduction d'un prédicat P dans une
occurrence donnée d'une lettre L n'est légitime qu'à la condi-
tion qu'aucune variable figurant dans un quanteur de P ne fi-
gure dans une suite de variables attachées donnée de L et
qu'aucune variable figurant dans un quanteur de S ne soit li-
bre dans~p. Sinon i l ne s'agira pas d'une introduction.
Pour éviter toute confusion, on construira l'ontologie de
sorte que toutes les variables soient liées. C'est dans ce
sens que Quine donne la définition générale de la notion de
substitution.
§ 2
La définition de la vérité logique en te~mes de
validité dans le calcul des prédicats
En gardant à l'esprit toutes nos stipulations ~ous
pouvons maintenant définir la substitution pour la quantifi-
cation.
La substitution de prédicats ou de schémas de pré-
dicats aux lettres d'énoncés et aux lettres de prédicats d'un
schéma de quantifications S/revient à introduire les prédi-
cats ou les schémas de prédicats dans les occurrences des l~t­
tres suivant deux règles.
a)
tout ce qui est introduit dans l'occurrence d'une lettre
sera introduit aussi dans toutes les autres occurrences
de cette lettre dans S tout entier.
et
b)
le résultat final sera soit un énoncé clos, soit un
énoncé ouvert, soit un schéma de quantification.
Ainsi,
la substitution des prédicats
(17)
( 31 ) CD doit z â
Q), w déteste (D, y est riche,!
â
'F', à
'G' et â
'P' respectivement, dans le schéma ouvert
(l8)
"1 ("Jx) CF'}'X.. 1\\ 'PA C-x- 1\\
,Fxw
passe par les étapes suivantes :

184
1)
On introduit
'
(3-J)
CD doit z à Œ dans chaque
occurrence de F
ce qui donne
11
'( J$) y doit z à x'
(où Fyx a été remplacé)
12
'( 3) ) x doit z à w'
(où Fxw a été remplacé)
2)
On introduit
'w déteste
CD dans l'occurrence de G. C
Cela donne
'w déteste x'
3)
On introduit
'y est riche' dans
'P' en remplaçant
'y
est riche' par
'P'
Et en réécrivant le schéma ouvert
(18)
on obtient la substi-
tution
"
(19)"1 (J~ (CtV ~liiLt J 1(- Z-I\\'d ~r;"h~ A
W ~ ;t. Al:t(~J) xM
.
J ~ w))
De même la substitution des mêmes prédicats
(17)
respective-
ment à
'F',
'G' et
'P' dans le schéma clos
( 20)
C1 id C' (.lx) ( F1,r'X 1\\ 6-x.)\\ 1P) J\\ (J 1.1-) r vu)
donne l'énoncé ouvert
( 21 ) (Jlr;> h.. l~);J (( J lJ) Ir dPtl-J À ;;C /\\ \\IV ~ ~ /1 , d ~;. rtèlu)Il C3~UJJ tr,I.M-J';u)
De même que nous avons formulé la substitution con-
jointe pour les schémas fonctionnels et les énoncés, de même
nous pouvons le faire· .pour la quantification en ces termes: (a')
tout ce qui est introduit dans une occurrence d'une lettre
sera aussi introduit dans toutes les autres occurrences de
cette lettre dans ces schémas tout entier, et
(b')
les résul-
tats finaux seront soit des énoncés ouverts, soit des énoncés
clos soit des schémas de quantifications.
De même/en étendant la notion d'instance d'un schéma
fonctionnel aux schémas clos en général,' on peut dire qu'une
instance d'un schéma clos est tout énoncé obtenu de ce schéma
par substitution. Par exemple l'énoncé clos
(22)
()v-) (,(JX) [(3àJ Ir
doit z à xA Simon déteste
x,. , Jupin est riche) A Cl~ [3kJ Ir~ J al ~
est une instance du schéma clos
(20), par substitution de
( JJ) CD doit z à 0, Simon déteste CD, Jupin est riche J
à
'F',
'G' ,et
'P' respectivement.

185
En ce qui concerne les instances, tout résultat d'une
substitution effectuée dans un schéma dlos n'est pas forcément
une instance, c'est~à-dire, un énoncé clos. Un exemple est
fourni par
(20)
qui est un schéma clos mais qui donne un énon-
cé ouvert
(21) .. Pour obtenir une instance, i l faut substituer
des prédicats et non pas des schémas de prédicats et des pré-
dicats qui ne contiennent pas de variable libre.
On dira dl'Il'm schéma qu'il est valide si toutes ses
instances sont vraies pour autant que les schémas
(fonction-
nels ou quantificationnels)
sont clos. Pour les schémas ou-
verts on démontre leur validité par la méthode de la clôture
universelle.
On forme la clôture universelle d'un schéma ouvert
en y préfixant des quantificateurs universels; LIl 7i), (JIi), etc ...
correspondant à toutes les variables libres. Dès lors un sché-
ma ouvert est dit valide si sa clôture universelle est valide
or un schéma clos est valide si toutes ses instances sont
vraies·
Le schéma suivant est valide
(22)
, ([x) Fx J\\ ., f'fj)
puisque sa clôture universelle est valide. C'est
(23)
(Vv 7 ((-x) Fx /1 1 Fo~)
Soit y. si tout objet a ce dont on parle, cet objet y en a aussi
On dit également qu 'un schéma~,est inconsistant si sa
négation est valide. Pour le. schémas clos, on dit qu'il est
IDnconsistant si toutes ses instances sont fausses.
Pour les
schémas ouverts, on ditlqu'ils sont inconsistants si leur clô-
ture universelle est inconsistante.
SOit un schéma ouvert
' - - - ' .
Il est inconsistant si
et seulement si
' ., - - ' est valide .. Or ' 1
- - '
est valide
si et seuelment si sa clôture universelle
lit) ('tI'aJ _."
1
( - )
est valide. Or cette dernière équivaut à
1(axj [J~.. - ( - )
et donc sera valide si et seulement si

186
La définition de la vérité logique par la validité
conduit Quine à la comparer à la validité en théorie des en-
sembles.
"La définition de la validité que nous venons de don-
ner renvoie, écrit Quine, à l'opération de substitution;
un schéma est valide s'il n'engendre que des énoncés vrais
quand on y fait des substitutions. Mais il faut connaître une
autre définition, très différente, de la validité, et qui uti-
lise la théorie des ensembles. Le meilleur moyen de la compren-
dre est de recourir à deux notions préalables."
(3)
Ces deux notions sont celle d'analogue ensembliste
et de "JIodè1e. La notion d' ana1cbgue ensembliste est construite
à partir d'un schéma donné.
Elle appartient au langage de la
théorie des ensembles. Aux lettres schématiquej qui ne sont pas
de variables et donc pas quantifiables, on substitue des va-
riables dont les valeurs sont des ensembles. Par exemple, au
lieu des prédicats 'Fx',
'Fy',
'Fy',
'Gx' ..• on écrit 'xE-Ql",
'YE.o(',
'xf P', etc ... où '0<: "
'11', etc ... sont des varia-
bles. Ce qui distingue le schéma de l'ona'o~e ensembliste
c'est que le premier est un mannequin qui représente la forme
logique d'énoncés mais ne peut tenir lieu de variable, alors
que le second est un énoncé réel ayant cette forme logique.
C'est un énoncé ouvert satisfait ou non par des suites. Le
schéma logique:
(]:JC.) ( FX 1\\ G-x)
a pour analogue ensembliste l'énoncé ouvert
C37!-) ( X F: 0< A X E- ~)
et est satisfait par un modèle.
La seconde notion est celle de modèle qu'on cons-
truit de la façon suivante
on se donne une interprétation
d'un modèle/un univers du discours ou un domaine D qui est
l'ensemble hon vide U de tous les é1éments.x pour lesquels il
y a un y tel que <.. x, y/ ER; on choisit les valeurs de vérité
des formules, les objets spécifiques de l'univers pour les
variables libres et on décide de quels objets (ou de paires
d'objets, etc ... ) les entités assumées sont vraies. Dans le
(3) QUINE, La philosophie de la logigue, p. 79.

187
jargon de Quine, à chaque lettre schématique de prédicat fi-
gurant dans le schéma correspond un ensemble. L'ensemble qui
/
vient en tête est non vide et joue le rôle de domaine de
valeurs des variables "x",
"y". L'ensemble qui dans le domaine
correspond à une lettre de prédicat à une place dans un sché-
ma donné sera un ensemble d'éléments de la structure U.
Par exemple 'Fx' donne l'analogue ensembliste de
xe U ; celui qui correspond à une lettre de prédicat à deux
places sera un ensemble de oouples d'éiliéments de U
par exem-
ple 'Hxy' donne l'analogue ensembliste (}l,y> €-
U.
Cela étant/on dit d'un modèle qu'il satisfait un
schéma s ' i l satisfait l'analogue ensembliste de ce schéma, car
avoir un modèle, c'est avoir une structure.
"Le modèle, écrit
Quine, satisfait le~héma si, lorsque nous spécifions U comme
étant le domaine des valeurs des variables x, y,
z, etc .•. et
que nous assignons les autres ensembles du domaine aux varia-
bles d'ensembles "0(",
" / " , etc ..• respectivement,
l'analo-
gue ensembliste devient vrai."
(4)
Par exemple le modèle (U/ o(,1J
satisfai t
le schfua logique' (lx) (Fz 1\\ Cr x) ,.
s ' i l satis-
fait (J:x.)(r fA A. X. t. 13)
Le même schéma satisfait (J-y (f"-1176-X)
s' i l satisfait l '~analogue ensembliste "'(J'KJ (x. '01 A ..,;t: ç.!)
On dira d'un schéma qu'il est valide s ' i l estsatis-
fait par tous les modèles, c'est-à-dire pour toutes
assignations d'ensemnles à ses lettres de prédicats
puisque le choix d~un modèle équivaut au choix d'un
domaine et ~'une interprétation des lettres de pré-
dicats.
De telle sorte, dit Quine, i l n'y a pas de différen-
ce entre assignation d'ensembles et substitutions d'énoncés.
Les deux définitions de la validité convergent. La définition
donnée dépend des possibilités de construction du langage-
objet qu'on s'est donné.
Elle équivaut à la définition référen-
tielle à la manière de Tarski.
----------1-+----1
(4)
QUINE, ouv. cit., p. 80.

188
Dans la préface à l'édition revue de Logique élémen-
taire Quine écrit ceci : les lecteurs ( ••• )
s'étonneront, en
--
arrivant au § 43/de ce que je définisse valide par vrai rela-
tivement à toutes les substitutions, car ils savent que la
validité d'un schéma de quantification consiste dans le fait
que ce schéma est satisfait par toutes les classes et
toutes
les relations.
( ... ) Cependant, on sait que si notre vocabu-
laire de substitutions disponibles inclut les symboles de
l'arithmétique élémentaire, un schéma de quantifications quel-
conque vrai relativement à toutes les substitutions sera aussi
satisfait par les classes et les relations."
(5)
Mais Quine préfère le terme de substitution plutôt
que celui de modèle qui renvoie à la théorie des ensembles.
Certes la théorie des ensembles, vue sous cet angle jouit
de la propriété de validité. A cc sujet Quine évoque la théo-
rème de LOwenheim-SkolEm
"deux théorèmes remarquables nous
assurent que ni le déficit d'ensembles, ni le déficit d'énon-
cés n'ont d'influences sur la définition de la validité pour
autant que notre langage objet est raisonnablement riche
:
suffisamment riche pour l'arith,~ih~~e élémentaire. N'importe
quel schéma qui, dans un tel langage est vrai pour tounes les
substitutions d'énoncés, sera également satisfait par tous les
modèles et réciproquement."
(6)
Il est vrai que Lowenheim
et Skolem ont formulé
leur théorème pour l'arithmétique élémentaire. Mais comme
notre langage ordinaire est riche, on peut en prouver la com-
plétude en procédant par une procédure de preuve de la théorie
de la quantification.
§ 3
La vérité logique en termes de démonstration et
de grammaire.
En 1915, Lowenheim démontrait le théorème selon le-
quel tout schéma, du moment qu'il est satisfait par quelque
modèle,c'est-à-dire pour toute interprétation des prédicats
qu'il contient, est satisfait par au moins un modèle cf'_ltl\\
(5)
QUINE, Logique élémentaire
(L.E.)
p, 17
(6) QUINE, Philosophie de la logique, p. 81-82.

189
d'un domaine dénombrable ou calculable. On dit d'un ensemble
qu'il est dénombrable
s ' i l est fini, c'est-â-dire s ' i l exis-
te un nombre naturel n tel que a est équinurnérique ou équiva-
lent â l'ensemble {'tl/ Â
l'I_''J
1 - . ,
de tous les nombres qui sont
plus petits que n, c'est-à-dire les membres de a peuvent être
mis en correspondance biunivoque avec les nombres naturels
moins h
En généralisant le théorème de Lowenheim, Skolem
montre qu'un système non contradictoire d'axiomes qui peut se
formuler au moyen d'une 'série dénombrable d'expressions de
la logique élémentaire possède un modèle dénombrable.
Du théorème de Lowenheim-Skolem découle le théorème
de complétude de Godel, qui dit que si un schéma est satisfait
par tout modèle, i l est démontrable: autrement dit, si dans
un modèle
,A est une formule valide, alors dans r, A est un
théorème.
{' 1: A
'7
f f-A
En reformulant le théorème,
i l devient pour QUine
:
si un schéma est satisfait par tout modèle, i l se trouve vrai
pour toutes les substitutions d'énoncés. Quine introduit une
procédure de réfutation de schémas de quantifications inconsis-
tants clos c'est-â-dire insatisfiables. La procédure de réfuta-
tion ici est une procédure de démonstration puisque l'~onsis­
tance d'un schéma équivaut à la validité de sa négation s ' i l
est clœet à la validité de la clôture universelle de sa néga-
tion s ' i l est ouvert. Mais i l ne s'agit pas de démonstration
au sens classique, c'est-â-dire au sens de systèmes formels
puisqu'il n' y a pas d'axiomes et les règles d' instatiation
sont
des règles d'élimination de symboles.
Quine opère en mettant les schémas en forme prénexe
et â leur appliquer ensuite deux règles:
l'instantiation uni-
verselle et l'instantiation existentielle. Dans un article
'A Proof Procedure for Quantification Theory'
(7)
i l donne
deux méthodes.
"Le but de cet article, écrit Quine, est de présenter
et de justifier une procédure simple de preuve pour la théorie
(7) QUINE, "A Proof Procedure for Quantifioation Theory" in
Selected Lope Papers, p. 196-204.

190
de la quantification. La procédure prendra la forme d'une
méthode de démonstration de l'inconsistance d'un schéma quanti-
ficationnel,
c'est-à-dire satisfiable dans un univers vide
(satisfiable in no non-empty universel. Mais elle sert égale-
ment à prouver la validité, puisque nous savons montrer qu'un
schéma est vrai en montrant que sa négation est inconsistante.
La méthode A, comme je l'appellerai, appara!tra
d'abord suivie d'une autre plus pratique que j'appellerai B.
La justesse (soundness) et la complétude de A sera établie
de même que l'équivalence de A et de B. La méthode A est de
Skolem,
1928."
(8)
Les méthodes A et B sont sous-tendues par la forme
normale fonctionnelle et est une méthode qui prolonge la mé-
thode principale. Aussi allons-nous d'abord exposer celle-ci.
Puisqu'il s'agit de démontrer l'inconsistance, i l
est avantageux,
lorsque cela estlpossible de disposer les sché-
mas sous une forme prénexe, c'est-à-dire en mettant les quan-
tificatèurs en tête de la formule et en prenant soin qu'ils
gouvernent tout le reste de la formule. Cela passe par deux
tranformations préalables.
D'une part, dans une forme prénexe, nous devons éli-
miner par paraphrase toute oecurrence du symbole d'équivalen-
ce "=' de façon à le réduire en implication de conjonction.
Appelons cela : clause 1
D'autre part,
une
autre transformation qui prélu-
de à la mise en forme prénexe estla modifiaation des variables.
Lorsque le quanteur que nous voulons faire sortir pour le met-
tre en tête, d'une conjonction ou d'une disjonction ou d'un
conditionnel contient une variable qui est libre dans l'autre
membre du connecteur considéré, nous devons modifier la va-
riàble liée et laisser inchangée la variable liée. Ainsi nous
ne pouvons pas transformer '(3x)FX /1
C:r1C.-'
en
(17.) [F7t /1 G-x)
car cette transformation emf,eint la seconde restriction de la
définition de Id substitution. Appelons cela : clause 2
(8) QUINE, article cité in Selected Logic Papers, p. 196.

191
Enfin la mise enforme prénexe repose sur l'applica-
tion de règles
de passage. Quine en donne dix que nous allons
énumérer sans démonstration.
(3~ (P Il F'l)
P 11 C1';l) Px
1 -
( f
fi Il
('.j7() Fx
1\\ F'X..)
2 -
~VY
(f
p V Cj--x) ç';L
V hL)
(J?<)
3 -
p
V
(fI:X) fx
(" y F..y
('{x)
4 -
p
:J
(J'X) Fx
lP J F-;y
5 -
lt~ L
~ ;) (Vx.-) f'X.
P ;) F~)
l\\.h)
6 -
LVK-J Fx- ::> P
19?} (F'iX-? f)
7 -
~~ f tJ{.:;, P
(~-:9 (FX- ~ p)
8 -
î
(3)l) ~';)C.
t ~1.Ç'~
9 -
l (!J'X) Fx
O~)" FA
10 -
Cela étant, on convertit un schéma en forme prénexe
par une suite de transformations conformément aux clauses 1
et 2 et aux règles de passages.
Soit le schéma quantificationnel
(24)
p~ VüX;)[FJ:-:> (3dJ (F1/\\ G-X)J
La paraphrase de
'=' en conjonction de conditionnel donne
(25)
p.:> CI(lX)[,:x J D';iJ(F'(1I. &-x)) /1 (1fx)[Fx-:> l3~(tiA CrvJ:J P
Ensuite on modifie les variables dans le dernier schéma quanti-
ficationnel :
PJ (yx)[FX :> (3~j (P1 Il Crx)] 1\\ (lI;-) L PJ J Gw) Fw A C- à J.::> P
(V-;;(.j [p;/. Pi/(
(1~HFI
J
fi G7t))/I (g)) [FJ:;) (J....,) (Fw 1\\ {;-))J P
~~ (+-
J
tflR\\loA"+
('qiX..) (3J) [P~ he-:> Cl';) (f'd Il fr~ A· FJ .:> (Jw) [ Fw (;.J)::;) p
o-~, l-
P..:> OdJ (p):. J .f'JA (";IC..) A (3w) ( ft';:) FIN" 1\\ (3):> p J
J<gjb. ~-t
[
\\':J11} C3~)
J
Rt.·...,A/J A ç
(V ,\\ (fJ :>Fw A &-,}J':> P
~-- /
~~ C1"}) [(3'3) (p:> : FX.:> F'd"
)
G-x- 1\\
w)
.
F
("w Il 6-j ":) p)
,Qgj4 ç, ~
(~~ Uj) (:;J~) (Vv0 ( p~: PA:. ::> F~ Il V-"X 1\\. J:>

192
La derniêre ligne est la formule en forme prénexe.
On dit d'un schéma prénexe qu'il est un schéma prénexe pur
lorsqu'il ne comporte que des quantificateurs existentiels.
Par exemple le .s", h~'mA
(26)
(1x) (3J) (F~I\\ F-x.;7 Crz'J ;)Fj A (;.JJ)
Ce sont â ces genres de schéma, c'est-â-dire en forme prénexe
qu'on applique la méthode principale qui repose sur l'ins~an­
tiation universelle et l'instantiation existentielle.
La méthode principale que Quine développe dans
Methodes de logique a pouritâche de démontrer l'inconsistance
des schémas quantificationnels. La forme prénexe étant faite,
on les supprime et on obtient un schéma fonctionnel inconsis-
tant. Elle repose sur l'instantiation universelle et l'ins-
tantaation exiStentielle.
1/ L'instantiation universelle
Elle consiste â supprimer le quanteur universel ini-
tial et â remplacer les occurrences de la variable
qui figure dans ce quanteur par une autre variable
qui ne doit pas déjâ figurer dans d'autres quanteurs
du schéma quantificationnel dont on cherche â démon-
trer l'inconsistance.
Soit le schéma prénexe
(t=l)
C:J'a) (V}) (F?t ~ ::> F~})
Pour prouver qu'il est valide, on le nie et on assume la forme
prénexe de la négation dont on produit des instances, en rempla-
çant la variable qui a uneoccurrence liée dans le quanteur sup-
primé par une variable qui n'est dans aucun des quanteurs du
schéma. Toutes les instances faites, on obtient un schéma
fonctionnel précédé de la négation. Si ce schéma est incon-
sistant, c'est que le schéma quantificationnel l'est.
Nous avons la démonstration suivante
1

Preml.sse
(Iii) {JJ} 1 (PX';) ::> p~J)
lV~jah6h
(]~) , (F:X:J J FXJ)
[. U - ""
x rt"",IAt,e 3
, (F:C u .) F:t ~
,. E.
bti- U l1J"'pI'H~. }

193
2/ L'instantiation ex±stentielle
Alors que dans l'instantiation universelle (I.U)
l'implication est assurée~cr~7tJ Px .N7>t ~JWl F:;( p" f' ,,().~ i l n'en
va pas de même pour l'instantiation existentielle
(I.E). En
effet,
~;yF';l(
n'implique pas Fz. Aussi l'I.E doit obéir
à cette exigence que la variable d'instantiation, à savoir
celle que l'on substitue à la variable qui était liée par le
quanteur existentiel supprimé, doit être nouvelle. En d'autres
termes, i l faut qu'elle n'est jamais utilisée et introduite/
qu'elle ne doit jamais être libre dans aucune ligne antérieu-
re à cette instantiation.
Soit le schéma
(28)
('J'X) (~4J F'X,#::> (1;I'aJ Ox)f~1
Pour prouver cette implication, nous assumons comme prémises
@-~ (I,)~) F'";l ~
..rU:.
la forme prénexe de la
négation de
\\\\J~ ('d'lA-) F"X~
• La démonstration s'en
suit.
Prémisses
l~3!J CV'ô) F4lt ~
lJ'ô) (!.J'X)' F't '}
~u. , 1(V~) (~x) FX:f)
Instances
l \\I~)
'-
F ~~
~ J ~f~CR 3(
(""1'11.-) .., Ç';:( 'N
IXÀ
w ~»(ACR,. d
F~w
i
f~W
Le schéma quantificationnel est" donc
inconsistant
et la méthode principale nous le montre. Mais i l y a une au-
tre méthode qui nous autorise des applications simultanées là
où la méthode principale obéissait à plusieurs étapes. Cette
méthode c'est la forme normale fonctionnelle qui résoud faci-
lement le problème des quantificateurs existentiels. Quine
l'expose en détail dans l'article que nous avons cité
(cf note 8)
et sous forme résumée dans Methodes de Logique, ch. 34.

194
On la définit de la façon suivante
:
Pour mettre un schéma prénexe sous forme normale fonctionnelle
on supprime tous les quantificateurs existentiels, puis on
annexe à la variable de chacun de ces quantificateurs, et en
toutes ses occurrences, des indices récapitulant les variables
de tous les quantificateurs universels qui précédaient son
quantificateur existentiel.
Ainsi,
la forme normale de
(Vx) ('J;t) F2t. 'd
est·
(V~ F'iC'bx.
De même celle de
(~ (.v~) (V)) (~w) (.vu) (3v:J F'iL"J 'J IN u. Ir
sera
(tI~) (LI» {/;/0 f;l~Jw~l U"irK.
Lorsque le schéma n'est pas en forme prénexe, i l
faut d'abord la mettre sous cette forme avant de la mettre
sous forme normale fonctionnelle. Telle est ma méthode A dé-
montrée dans l'article.
La méthode de B, due à Dreben/ne dépend pas de la forme pré-
nexe. On demande seulement que les conditionnels et les bicon-
ditionnels soient développés en termes de disjonction, de con-
jonction et de négation, à condition que leurs composants con-
tiennent des quantifications. Autrement dit, i l est demandé
que les quanteumsoient dominés par des conjonctions, des
disjonctions et des quantificatèurs. Dans la méthode B on
demande que les variables des quantificateurs soient modifiées
afin d'être distinctes des variables libres et distinctes mes
Qnes des autres.
Toutes les versions que nous avons donné de la véri-
té ne se contredisent pas.
"Toutes expliquent, écrit
Quine,
les m@mes énoncés c!llllune.1Logiquement vrais
(en supposant
le langage-objet raisonnablement riche en prédicats).Elles
diffèrent fortement dans l'appareil qu'elles emploient, mais
elles sont toutes axées sur une identité de structure par rap-
port à trois constructions grammaticales qui se situent à
l'intérieur du langage-objet: la négation,
la conjonction
et la quantification."
(9)
(9) QUINE, Philosophie de la Logique, p. 88.

195
Les méthodes utilisées ont la propriété de complé-
tude, ~ savoir qu'il n'existe pas de schéma quantificationne1
inconsistant ni de conjonction inconsistante de schémas dont
on ne puisse montrer l'inconsistance par nos méthodes. Quine
parachève la vérité 10~U~ en termes de grammaire.
Toutes les définitions ci-dessus de la vérité logi-
que sont axées sur une identité de structure par rapport aux
connecteurs et aux quantificateurs logiques. Mais maintenant
une idée nouvelle
'surgit spontanément, de définir la vérité
logique plus abstraitement, sans recourir d'une façon ~pécifi­
que ~ la négation, ~ la conjonction et ~ la quantification,
qui figurent dans notre langage-objet particulier, mais par
références aux constructions grammaticales quelles qu'elles
soient, qu'un langage-objet peut comporter. Dans cette opti-
que, une vérité logique sera un énoncé dont la structure
grammaticale est telle que tous les énoncés qui ont cette struc-
ture sont vrais."
(l0)
La nouvelle définition a pour but de faire dépendre
la vérité logique uniquement du lexique.
Ôn pv·;~e dans un lexique é1argi~ car la caté-
gorie des énoncés-ouver~dans ce langage- inclut le lexique
et des expressions obtenues du lexique moyennant des cons truc-
tJons grammaticales. L'expression 'structure grammaticale' sug-
gère l'idée d'une substitution correcte. Autrement dit,
la
substitution doit certes être uniforme mais aussi elle doit
préserver la grammaticalité. C'est ainsi que la substitution
de "chaise" ~ "table" dans l'énoncé (28), bien qu'uniforme
est cependant illégitime en logique parce que grammaticalement
incongru.
(28)
Platon table ses estimations sur une enquête ancienne
et Aristote table les siennes
sur une enquête récente
Ainsi on le voit la structure grammaticale propre-
ment dite -c'est-à-dire uniformité et grammaticalité- n'ést
pas toujours conservée lorsque nous introduisons une nouvelle
(l0) QUINE, La philosophie de la logique, p. 88-89.

196
variable à toutes les occurrences d'une ancienne, ni
la
vêrîté logique non p~us. Quine propose qu'on pare à cette dif-
ficulté en exigeant que la substitution soit conservative,
c'est-à-dire que la variable ou l'élément substitué doit être
nouveau par rapport au contexte.
La définition de la vérité en termes de grammaire
agrandit la classe des vérités logiques. Par exemple l'énoncé
(29)
1(3~ (x març:.he rapidement
A
'(x marche)
qui se traduit plus simplement en
(30) Tout ce qui marche rapidement, marche
serait traduit dans la notation canonique en
(31)
(V";éJ((:~:> G-x)
La notation (31)
dépouille ainsi l'énoncé
(30) des nuances
sémantiques qu'il Y a entre ·mar~~ vite" et "marche". Au
contraire l'énoncé prend son sens d'après la définition qui
règle la vérité logique sur la structure grammaticale. En
soutenant la possibilité d'une telle définition, Quine montre
qu'il n'y a pas une forme logique unique pour chaque énoncé.
"Tant quénotre langage-objet est en cause, écrit-il, nous
aurons raison de nous en tenir à l'une ou à l'autre des défi-
nitions de la vérité logique déjà obtenues dans les pages an-
térieures. La nouvelle définition, plus abstraite, que nous
venons de suggérer, possède son utilité quand on prend en
considération d'autres langages. A cet égard, nous ferons bien
de ne pas perdre de vue, comme nous l'avons fait, que les
anciennes définitions s'accordent avec la nouvelle, plus abs-
traite, à condition que le lexique de prédicats ne soit pas
trop étriqué."
(11)
Toutefois, cette dernière définition de la vérité
logique n'est pas transcendante: elle dépend en effet des
notions de lexique et de construction qui ne le sont pas.
Celles-ci sont plutôt immanentes. Il apparaft que la logique
dépend du langage, plus exactement de la manière dont on redi-
ge sa grammaire. Cette définition serait-elle un retour ou
une justification de la doctrine linguistique des vérités logi
ques ? Une autre notion qui semble faire dépendre la vérité
(11) QUINE, idem, p.
91.

197
logique du lexique et de la grammaire, c'est la théorie de
l'identité.
SECTION Il
L'é~endùe de la logique.
L'identité et la théorie des ensembles
INTRODUCTION
Parmi les problèmes philosophiques qui ont i:nourri
la réflexion philosophique, i l y a celui de l'identité. Héraclite
s'intérrogea sur sa nature, arguant qu'on ne peut descendre
deux fois dans le même fleuve.
D'autres difficultés furent évo-
quées par Hume:
"Nous ne pouvons dire, en aucune acception
correcte des termes, qu'un objet est le même que lui-même, à
moins que nous ne voulions dire par là que l'objet existant a
un certain moment est le même que cet objet existant à un autre
moment."
(12)
Si on définit l'identité comme la relation que cha-
que objet a exclusivement avec elle-même, on est bien en peine
de voir ce qu'elle a
de relationnel. D'autre part, si la no-
tion d'égalité est une constante,
i l semble alors qu'elle ne
puisse être formulée dans la théorie de la quantification. Or
celle-ci est le nerf de la logique élémentaire. Donc la théo-
rie de l'identité ne peut faire partie de la logique, à moins
d'avoir des axiomes d'identité et d'autre part de relativiser
celle-ci. Par ce biais on arrive à incorporer la théorie de
l'identité dans la logique. Elle est formulable dans le lan-
gage-objet et jouit de la propriété de complétude.
Il n'en est pas de la théorie des ensembles. On ne
peut pas définir celle-ci dans le langage-objet d'une part et
d'autre part elle n'est pas complète au sens de la théorie de
la quantification. Quine donne les raisons de ne pas l'incor-
porer dans la logique, à moins de simuler une théorie vir-
tuelle des classes.
(12)
HUME, cité par Quine
Le Mot et la chose, p. 173.

198
§4
Que la théorie de l'identité fait partie de la
logique
On peut se demander, par exemple,
'quel peut être
l'usage de la notion d'identité si identifier un objet à lui-
même est trivial et si l'identifier ~ quelque chose d'autre
est faux? Cette confusion particuliêre s'éclaircit si l'on
réfléchit qu'en réalité i l n'y a pas seulement deux sortes
de cas ~ considérer, l'un trivial et l'autre faux, mais trois
Ciceron = Cicéron, Cicéron = Catilina, Ci~~rOn T Tullius
Le premier cas trivial et le second faux, mais le troisiême
n'est ni trivial ni faux."
(13)
Le troisiême cas est vrai car
i l fournit une information en réunissant deux termes qui sont
vrais du même objet. Mais comment exprimer cela dans une no-
tation canonique ?
Nos différentes définitions de la vérité logique
ont pour pivot la structure grammaticale. Elles supposent qu'en
faisant varier les constituants d'énoncés ou de prédicats, on
n'altêre pas la valeur de vérité pour autant que la substitu-
tion obéisse aux restrictions imposées. Nous ne sortons pas
du langage-objet. Même dans le cas de l'énoncé
'Torn est mor-
tel ou Torn est non mortel'
nous ne sortons pas du langage-
objet. La montée sémantique nous hisse seulement à un autre
niveau plus éle~é du langage-bhJtt_. La vérité logique est
sauvegardée. Or il y a un contraste entre notre langage cano-
nique et la théorie de l'identité.
Ce contraste, c'est que nos lettres de prédicats
ou nos lettres schématiques
'F',
'G',
'H', etc . . . désignent
certes des relations/mais le font de maniêre ambiguë. , au sens
philosophique
donné à ce terme.
En d'autres termes,
ces lettres ne représentent pas des propositions. En revanche
le symbole
'=' désigne la relation d'identité et de ce fait,
est une constante.
Néanmoins, cequi était valide pour
'F',
'G',
'H', etc
reste valide avec la constante d'égalité, puisque les
lettres en question pouvaient désigner n'importe quelle relation.
(13)
QUINE, Méthodes de logique, p.
236.

199
Soit l'énoncé du langage ordinaire
Il n'y a qu'un seul Dieu
Dire qu'il n'y a qu'un seul Dieu, c'est dire que si j'en ai
trouvé un et si quelqu'un d'autre pense en avoir trouvé un
autre, en fait ces deux Dieux, sont identiques.
En notation symbolique
(3<1.) (IJ~) (F'X /1 P ~) .:;)
X ='cf
On permet donc à deux variables de désigner le même
objet comme on peut leur permettre également de désigner des
objets différents; d'où le secours indispensable au signe
d'identité dès qu'apparaît la question d'une similitude.qui
obéit et qui ne ruine pas la théorie de laqquantification. Il
apparaît donc que la théorie de l'identité est une branche
non réductible à la logique de la quantification. Toutefois
sa notation peut être conçue comme comprenant la logique de
la quantification plus un langage propre à la théorie de l ' i -
dentité. On obtient alors 'des schémas de la logique de l'iden-
tité semblables aux schémas quantificationnels et jouissant
des mêmes propriétés de procédu~e de démonstration ; à condi-
tion de se référer aux
axiomes d'identité.
Le langage de la théorie de l'identité comprend
AI Le langage du calcul des prédicats du premier ordre
Al Les schémas fonctionnels et les schémas quantificationnels
A2 Les expressions bien formées
Une expression de la forme Pxl . . . xn est une ebf
si A est une ebf,
, A est une ebf
si A et B sont des ebfAx B est une ebf
où x représente chaque connecteur
A3 La clc5t:une universelle
l~ (,4:> B)
à condi-
tion que x ne soit pas libre dans A
A4 La règle d'introduction des quanteurs; A..? fixA ~ :lrn:"fjAl""'-t
"""~A
AS Les règles 4'inférence.
BIOn introduit le signe primitif '=' d'identité et on
définit les ebf de façon que si x et y sont des variables
d' obj ets, on ait x = y comme une ebf

200

Cl On introduit les deux axiomes d'identité suivants
Cl: x = x
C2; ., ( 'X :: ~) ..., tfdC 1\\ , ~'?)
Avec respectivement leur clôture universelle
Cl' : Uht) ( :t ~ 'X)
C 2 '
(V "X) ('rh) ., ()( = ~ t1 Fx Ji 1 F~)
Les deux axiomes donnent lieu à trois théorèmes
de l'identité,
la réflexivité,
la symétrie et la transitivi-
f
té. Nous démontrerons les deux derniers après avoir démontré:
les deux règles d'introduction en nous servant du M.P.
Règle :
,.~.
Démonstration
l
-
Hypothèse: A (l) est un théorème, CE!' Iqui signifie qu'il
en existe une démonstration
2 -
f A (l) :.) r(If V 7 P).::J ri (l) J
A'1(o m",
dv. t/IR~ ,.irnt
P .J ('l .:> p)
3 -
1- (P V., p) :> fi (l)
M· P.
.Â,-l
4 _ )- ( pv, P),:) CYÇ)II a)
("if .
.ru t ()I~flM ,.!wo'lHVl A
,..
, .... ~ .... l-ro,lIAt/-...... "'"
5 _
P
.,
V
P
.41-'0 mi'
6 -
/-
CV~ p,(V
N·P·
~4
~\\
,.".
St" f l'rl l ::> 8(l)~ !-Ot)I/(l):> (3[)8(!
Règle;.;>
;,/
Démonstration
l
-
Par hypothèse
est un théorème
Donc i l en existe une démonstration
2 -
~ (f) ~ (31) B
i 3
~ (..o"dJ.'f,on 51AA l hJ.~f'Wl /.,·~~hJ 6
3 -
(ll) f1(V::J (3?) B(!)
/.J.
Cela étant on peut éhablir les deux théorèmes dont nous avions
parlé. Toutefois interprétons d'abord les deux axiomes d'iden-
tité
Cl peut s'écrire sous la forme générale
1= f
C2 également donne si A (l)
est une ebf qui a
la variable
libre
et si A (n)
est le résultat de la substitution
de n à 1 dans A et si cette substitution ne provoque
pas de confusion entre les variables, on a
:

201
Cl dit que toute chose est identique à elle-même et C2 dit
que deux choses identiques peuvent être substituées l'une à
l'autre.
Le premier théorème que nous démontrons est celui de la symé~
trie
T,
1- (V~ ( /Id) (Il :: ~ :> ~ ;: X)
Démonstration
1 - En mettant "x = x'
à
la place de A (E),
'y' à la place
de n et an remplaçant la première mention de' 'x', on
obtient
x = x
/\\ x = y.J Y =x
2 -
1- L (X =-x.)At:t = ~) ~ ('J :: :l) J ::> .fr ~ ::: ~).:> (::c:: ~) .J (1 ::: ;;r)J ',";~:;:I
3 -
f (:t -=- -X) J[(~':;~):;> (t~;x) J
M.f·
A,l
4 - f-
("X ~ "X)
4,;/o~· ()n '" mlJ' x e:I 10 piao ole 1
5 -
f
't -=- Ô -)
'J::;o"X
(J .
~ 1 3
6 -
l'
( V~) ('X ~ ~;) "1J ::~)
S , l +1
7 _
~ (~-':l)l1t~) ( L :: ~ ? 'd -:; -x)
6/ (.
Démonstration
l
-
Ce théorème est une application de
C~
On met
'y'
à la place de l
et z à la place de
~
On a alors
(lA (~) Il '} := J) ::> A ['J)
2 -
On prend alors
'x = y' pour A (y)
et on obtient
;t. ~ if Il 'U ~ 3
:::>
';( -=- 3
Il ne reste alors qu'à introduire les quanteurs
3 -
l'tJV ((;r :: ';f j\\ 'J :; J).:J :(::: J )
1V, <.
ev}) L"J) [C;( ;: d Il ~:. $) :::> -X ~ J J
~I l'If
4 -
~/ 1.11.
5 -
lV-x.) (V}) rt't) [{!- ~ 'd " if ::: J) ~ <r::: J .J

202
Godel a démontré la complétude du calcul des pré-
dicats du premier ordre avec égalité sans sortir du langage
objet. C'est, dit Quine une des raisons d'incorporer la théo-
rie de l'identité dans la logique. Il y a une autre raison
fournie par la méthode d'exhaustion.
L'un des traits de l'identité est qu'on ne peut pas
la définir à l'aide des foncteurs et des quantificateurs. On
a malgré tout besoin du langage-objet car dans ce langage un
-..j
prédicat est 1IVvtuellement disponible. la méthode d'exhaustion
-
nous y aide. C'est une méthode qui épuise toutes les hypothè-
ses possibles d'une question. Elle doit établir que si
'x=y'
alors 'x' et 'y' sont indiscernables ou inséparables par les
prédicats primitifs du langage considéré.
Ils sont identi-
ques s'ils sont indiscernables sous le rapport
de toutes les
propriétés. Quine donne l'exemple suivant.
"Soit un langage canonique dont le lexique de pré-
dicats consiste en un prédicat à une place
'A', deux prédicats
à deux places 'B' et
'c' et un prédicat à trois places 'D'.
Alors nous définissons
'x = y' comme une abréviation de
(,q~ ~ 41) A({J) {8J?l- ~ B~',)/I (BiL}; 13'f-~)11 Ccpu;.c;;'V
1\\ (exp, ('t~)/\\ (~) {O~}/;;( :: J~j'1)"·
'" (~1?-J' ~ f)~~{) /1 (~X~~' =ft 'J}$Î) J
ce que
'x = y' nous dit, d'après cette définition, c'est
que les objets x et y sont indiscernables au moyen de quatre
prédicats; qu'ils sont indiscernables l'un de l'autre même
dans leurs relations avec n'importe quels autres objets z et z'
pour autant que ces relations s'expriment dans des énoncés
simples. Cela étant, on peut montrer que ' - . }
étant réa-
lis~, les objets x et y sont indiscernables pour quelqu'énon-
cé que ce soit, simple ou non exprimable dans ce langage."
(14)
Il peut se faire que les objets destinés à devenir
les valeurs des variables de quantification ne soient pas
complètement discernables les uns des autres au moyen de nos
quatre prédicats. Et alors dans ce cas notre définition n'est
(14) QUINE, Philosophie de la logique, p.
94-95.

203
plus exhaustive. Mais cet échec reste invisible de l'inté-
rieur de notre langage en ce sens que l'identité est simulée.
La méthode d'exhaustion suppose que nous simulons l'égalité
c'est-à-dire que nous en proposons un fac-similé utilisable.
Nous n'avons pas une définition absolue de l'identité, mais
une définition relative qui n'a de force que dans notre lan-
gage-objet, celle que nous avons et en égard aux variables
liées que nous assumons. Cette ·définition suppose également
que nos prédicats soient en nombre fini.
Or notre grammaire
.
.
. .
cv....,.<7f.;4
l '
canonlque ou notre notatlon canonlque touJours un
eXlque
de prédicats fini ou dénombrable.
Cependant, dans Set t~eory and its logic, Quine
montre qu'on peut définir l'exhaustion lorsque le lexique
de prédicats est en nombre infini. Il s'agit plutôt d'une
définition qui concerne la partie wa plus riche du langage-
objet.
"Supposons, écrit Quine, que le seul prédicat primi-
tif de la théorie est un prédicat à deux plac~ '~'. Alors
'=' peut être définie adéquatement pour cette théorie en
expliquant 'x = y' comme
la) (,p'Kt- ; eP1~) fi (ri }:r == ~}~)
car évidemment "x = y' devient une simple instance de schéma
quantificationnel valide conformément· à sa définition."
(15)
Lorsque le langage contient trois prédicats, l'identification
est notre énoncé. Cependant,
"même quand leur nombre est'in-
fini, ordinâirement leur interprétation est telle que
'x ~ y'
peut être adéquatement définie en termes de quelques-uns d'en-
tre eux. Mais le contraire ne peut se produire. Ainsi consi-
dérons une théorie dont les prédicats primitifs
So~f'~1',
'~2 "
'~3', etc... chacun d'eux à une place et tel que pour
chaque i .
)
(.n) (~-4 X /1 tP<,t /1 "" . A rP<. - -17. 111 fI~ ~
La définition ici proposée est un ensemble de conjonctions
dont chaque constituant est vrai. Mais un lexique de prédicats
fini pour définir l'identité et c'est d'ailleurs de cette fa-
çon que les choses se passent car l'identité est liée à la
division de la référence. Diviser la référence/dit Quine
c'est fixer les conditions de l'identité:
jusqu'où est-ce

204
la même pomme que vous avez et à quel point commencez-vous
d'en avoir une autre?
En disant que l'identité n'est pas absolue; Quine
ne dit pas qu'elle n'est pas généralisable. L'identité, enten-
dons la théorie de l'identité/est aussi fondamentale que la
théorie de laquantification.
"C'est ce que suggère le fait
suivant: sans avoir rien spécifié d'autre que les notations
des fonctions de vérité,
les variables, et les énoncés ouverts
d'un langage, nous avons déjà fixé assez de choses pour savoir
quoi prendre comme définition adéquate de l'identité pour
ce langage."
(17)
Il se trouve ainsi que la théorie de l'iden-
tité est universelle
: elle traite de tous les objets sans
partialité en ce sens qu,' elle peut être formulée aussi bien
pour la théorie des ensembles que pour une autre discipline.
Il en résulte qu'on peut étudier la théorie de l ' i -
dentité en faisant abstraction de tout langage particulier
et de tout lexique de prédicats particuliers et faire de cette
théorie une théorie schéma comme on en a fait pour la quantifi-
cation. Dans ce même esprit la notation
'x = y' peut être
conçue comme un schéma qui représente l'énoncé auquel donne-
raient lieu des prédicats non spéficiés.
§ 5
Que la théorie des ensembles ne fait pas partie
de la logique
Le prédicat d'appartenance est-il suscpetible--du même
traitement que la théorie de l'identité? Il se trouve qu'en
théorie des ensembles, on ne peut même
pA4
procéder à
une montée sémantique. On ne peut pas définir le prédicat
'E'
d'appartenance sinon l'adjo~ndre au langage canonique, soit
à titre de prédicat, soit à titre de particule associée à une
construction.
Comme le dit Quine,
"le prédicat
'S' d'appartenance
est caractéristique de la théorie des ensembles, comme
'='
l'est de la logique de l'identité. Le langage de la théorie
pure des ensembles, prise à part de, ,tout autre sujet, peut être
considéré comme un langage canonique ... mais avec 'B' comme
seul prédicat de son lexique. Donc son lexique ne comprend
(17)
QUINE, Philosophie de la logique, p.
94.

205
que
'e', 'x', 'y', 'z' ; ses constructions sont la prédica-
tion,
la négation,
la conjonction,
la quantification existen-
tielle et l'accentuation des variables."
(18)
Ces construc-
tions s'obtiennent aisément lorsque,
au lieu des prédications
'Fx',
'Fy',
'Gx', etc
nous é<.:rivons
'x Ecot',
'y é
0(',
etc . . .
où ,0( "
,
~', etc
sont des variables dont les valeurs
sont des ensembles. Pour une construction quantificationnelle,
nous savons que,
'l3;J (Fx 1\\ Cr'X-)
, a pour analogue
ensembliste
'(t'Y ex 0< /l X -E ))
A côté de ces constructions, une autre et propre
à la théorie des ensembles est la notation de l'abstraction.
C'est la notation
{x : Fx
J . Elle désigne l'ensemble de
tous les objets qui ont la propriété donnée. On peut éliminer cette
notation par paraphrase des énoncés où elle figure.
Soit l'é-
noncé
'1' x : Fx ) E: y' où y désigne l'ensemble des arbres à
feuillage vert. Nous pouvons remplacer
'~x : FX;' par z et
dire que z 6 y. Alors z est i x : FX}
devient:
'(x) (x 6: z = Fx)
Dès lors, nous pouvons paraphraser l'abstraction 'f x : Fx Jé y'
par
g~ ()- E 'd) A f:sJ Î~ è 3 : FX))
Une fois que nous avons réduit de cette façon les
termes produits par abstraction dans les contextes voulus, on
peut considérer les autres notations ensemblistes comme des
abréviations de termes produits par abstraction. Ainsi on
obtient :
r
,.
.. d.
-
-'d ~
<:Ai f 1'}(: 1 (?( E 'JJ ) ')4 <MA ..ik <-;rm,.......~vfCi ",.<:.
,ft} =
df 1:L: X ('- cl" X f ,1
~.-f' ~J-!c.ft..rY,
o )
1
~v J -
Jf 1 x: XE 0( VIE: 3)
i""'l J", .'1Lu/lÀé)"1
('Ir(>
-
J' ~ x: .,(X ~ x) 3 '~ J'~vQ..eJ?'t~ ",,'~
~ i)'~
0(1 ~
]( '.
X
-:.
d ')
J~.h ~, pkn
1
<: ~, r~.:- clli ~ 1J {11 ~ 77
/JuPVI ~ tf AW.
j
(jIdf>ol\\U
La théorie des ensembles n'a qu'une seule formule
atomique c'est 'x é y'. Une raison de nos définitions de la
vérité lotique a été le recours au modèle, où nous avions par-
lé d'assignation d'ensembles et de substitution d'énoncés.
Une
des raisons de Quine de ne pas préférer la définition de la
(18)
QUINE, Philosophie de la logique, p.
96.

206
vérité logique en termes d'assignation de modèle ensembliste
c'est que U,
l'univers du discours peut varier. La définition
en termes de substitution supposait un langage-objet complè-
tement nmterprété qui"ne J.aisse ouvert aucun choix en ce qui
concerne le domaine des variables.
Il y a donc contraste entre
théorie des ensembles et logique.
uLes théories des ensembles
demandent tout le temps à être comparées entre elles puisque
précisément nous n'en connaissons aucune parmi elles qui
soient sans conteste le meilleur système."
(19)
La théorie des ensembles est incomplète
ses axio-
matisations sont différentes et s'opposent les unes les autres.
On sait à cet effet que l'axiomatisation de la théorie des en-
sembles par Zermelo a été contestée par la suite et que même
les raffinements apportés n'en sont pas moins incomplètes.
La première axiomatisation de la théorie des en-
sembles fut faite en 1908 par Zermelo, élève de Cantor.
Il
choisit un ensemble de postulats afin que l'axiomatisation puis-
se sauvegarder les théorèmes de la théorie des ensembles de
Cantor et mettre celle-ci à l'abri des antinomies.
L'axiome de compréhension de Cantor part de la défi-
nition de l'ensemble: chaque collection d'élément est un en-
semble. De là l'axiome de compréhension: pour chaque règle
au moyen de laquelle une collection,
(ou ensemble, ce qui
revient au même), d'éléments est obtenue i l y a un ensemble
qui contient exactement les éléments qui sont conformes à la
règle.
Axiome de compréhension
Pour une condition quelconque ~ (x)
à propos de x i l
existe un ensemble qui contient ces éléments x qui
remplissent cette condition.
En notation symbolique
)
'J;}A _. V} .. j Î V-x (?t f- d ~ n (x)
où Z1,
. . . , Z, sont les variables libres de c13 (x)
autres que
x/et y n'est pas une variable libre de
.,f.) (x) .
Or
cette définition selon laquelle l'ensemble
d'un ensemble est un ensemble a été démentie par Russell.
Le théorème de Russell: Il n'existe pas d'ensemble 1~contien­
ne exactement ces éléments qui ne se contiennent pas eux-mêmes.
En notation symbolique
l ( "3 d) ctJ:Jtj (X € d .t-:> :;)( f X)
(19)
QUINE, La philosophie de la logique, p. 98.

207
Démonstration par contradiction
Supposons que y soit un ensemble tel que pour chaque
élément x, x ~y si et seulement si x f x. Pour x = y, nous
avons y (5 y si et seulement si Yt/Y. Donc, de toute évidence,
y €: Y ou Yf y et comme nous l'avons vu, chacun de y e y et y f:y
implique l'autre énoncé, nous avons donc à la fois y €- Y et
y fY ; ce qui est contradictoire.
L'axiome de compréhension possède en son intérieur
une antinomie qui fait s'effondrer la théorie cantorienne des
ensembles. Zermelo, en réinterprétant l'axiome litigieux,
entend sauvegarder la théorie, à partir de base non logique.
Zermelo postule l'existence d'éléments primitifs dont on
connaît pas la nature mais dont on sait qu'ils ne sont pas
des ensembles. Par conséquent, la relation d'identité ne pour-
ra pas se définir dans l'axiomatique qu'il construit. Il admet
plusieurs axiomes, dont le plus important est l'axiome de choix.
Axiome de choix
(20)
: le produit cartésien d'une
fonction non vide d'ensembles est non vide.
L'axiome de choix dit que le produit cartésien des
ensembles d'ensembles non vides -par exemple C- a au moins un
élément. Autrement dit, i l existe une fonction F ayant pour
domaine une collection non vide d'ensembles non vides -c-
ou encore p(x)
-
1~7 telle que si A est dans ce domaine,
alors f
(A) <!': A.
Mais i l se trouve que les notions à définir dans
l'axiome de choix se trouvent dans cet axiome même. Skolem,
pour résoudre le cercle vicieux qui se trouve incrusté dans
l'axiomatisation de Zermelo/entreprend l'axiomatisation en se
fondant sur la logique de l'identité.
Il admet comme énoncés
atomiques l'analogue ensembliste 'xey' et l'axiome d'iden-
tité
'x = y'.,st l~on ne tient pas compte de l'existence des
éléments primitifs, on peut introduire l'identité au moyen
de la définltion, exhaustive suivante:
( "i. :- 'J) :; 01r ClI~) [ J é- X é:-) J é ~J

208
Dans la même période où Skolem procédait à cette
axiomatisation, Fraenkel cherchait lui aussi une axiomatisa-
tion qui cadre avec la tradition
cantorienne. Pour lui, en
effet, l'axiome de séparation de Zermelo est le plus impor-
tant. Cet axiome rend possilbe l'axiomatisation. En refusant
les éléments primitifs de Zermelo;on peut définir la relation
d'identité qui améliore le travail de Zermelo. Le système
ainsi remanié a donné le nom de système Zermelo-Fraenkel
qu'on abrège ZF.
Zermelo cDoyant pouvoir se passer de la lo-
gique. Fraenkel montra que c'était une chimère. Poser le pro-
blème de l'indépendance des axiomes, c'était ce à quoi s'at-
telait le système Z.F. Mais la théorie des ensembles donna
lieu à une multitude d'axiomatisatio~qui soit se proclament
nouvelles
(axiomatisation de Kuratowski)
soit d'inspiration
zermelienne
(Von Neumann), etc; ..
Pour toutes ces raisons, dit Quine, i l y a lieu de
ne pas regarder la théorie des ensembles comme de la logique.
"A l'origine comme à date plus récente, remarque
Quine, cette tendance à regarder la .théoi&e des ensembles
comme la logique provient d'une tendance à surestimer la pa-
renté entre l'appartenance et la prédication. Une notion in-
termédiaire,
l'attribution d'attributs,
se glisse dans l'entre-
deux et renforce l'illusion de ontinuité."
(21)
Surestimer
ou confondre appartenance et prédication, c'est confondre
mention et usage.
Cette façon de faire passer la théorie des ensem-
bles pour de la logique en mettant l'accent sur la parenté
entre l'appartenance et la prédication, c'est ce que Quine
appelle "la théorie des-;ensembles déguisée en agneau".
Cette illusion de continuité a été entretenue par
Frège et Russell.
Ils ont rapproché le
'x ~F' ensembliste du
'Fx' de la logique de la quantification.
Le premier estlmn
énoncé atomique ouvert,
le second un schéma d'énoncés ouverts.
Nos deux logiciens, l'un prodigue, l'autre abusé, ont oonfon-
du prédicats et attribution d'attributs. Comme l'explique
Quine,
"dans
'Fx' la confusion tient lieu d'un énoncé ouvert

'F' 'tient lieu d'un prédicat. Lorsqu'on écrit
'F' et
'Fx'
(21)
QUINE, La philosophie de la logigue, p.
98-99.

209
on ne fait que simuler des énoncés au moyen de schémas. On
n'introduit ni de référence à des prédicats ni de référence
à des attributs.
Russell abusé par l'expression frégéenne de
,
'fonction propositionnelle'/parlait tantôt de prédicats, tan-
tôt d'attributs.
Et alors au lieu de regarder
'F' comme un
suppléant d'un prédicat non spécifié,
il le regarde comme dési-
gnant le prédicat non spécifié d'un attribut ou d'une propo-
sition."
(22)
Or nous savons que ilies attributs ne peuvent être
identifiés. Une des raisons de Quine de les rejeter se révè-
le dans le comportement des quanteurs. Dans une quantification
par exemple
'( J'X)
(x se promène) "
une fois biffé le
'( 3~) ,
la position de
'x' dans l'énoncé devenu ouvert peut être oc-
cupé par un nom pris dans le domaine des objets qui se promè-
nent.
Les quanteurs
'( 3r)' ou '( lfF)' ne disent pas que
quelque prédicat ou que tous les prédicats sont ceci ou cela
Cependant dit Quine,
MIe logicien qui s'en avise et qui quant
tifie tout de même sur
'F' est libre de dire que ces entités
sont des attributs ; pour lui des attributs sont des valeurs
de
'F', les objets que Darcourt
'F'. Le logicien abusé, quant
à lui, dira que ces entités,
les valeurs de
'F'
sont des pré-
dicats.
Il ne voit pas la différence qu'il y a entre simuler
des prédicats par des schémas et parler sur des prédicats
au moyen de la quantification et encore moins celle qu'il y a
entre simuler des prédicats par des schémas et parler sur des
attributs."
(23)
Le logicien doit donc choisir : ou bien il admet
des lettres de prédicat dans les quanteurs et alors il devra
reconnaître qu'il traite comme des noms des prédicats substi-
tuables à ces lettres, après qu'on attbiffé les quanteurs ;
ou bien il quantifie sur des ensembles et il doit se servir
de la notation
'x é F' et non de la notation
1 Fx' .
Mais la confusion fut telle qu'on crut que Russell
avait dérivé la théorie des ensembles de sources logiques.
Les disciples de Hilbert ont continue
à quantifier les lettres
(22)
QUINE, idem, p.
99.
(23)
QUINE, idem, p. 100.

210
de prédicat et obtenu ainsi ce qu'ils appellent fun calcul
des prédicats d'ordre supérieur. Les valeurs de ces varia-
bles sont des ensembles; et cette façon entretient l'illu-
sion de parenté: on se dit qu'aucune addition brutale n'a
été faite à la logique de la quantification, simplement quel-
ques quantificateurs de plus et portant sur des lettres de
prédicats déjà là.
"Pourveilir combien cette voie est trompeuse, consi-
dérez l ' hypothèse
'( 1';1)
(x)
(x ~ y :: Fx) '. Elle consiste à
se donner un ensemble
7 x : FX), détermlimé par un énoncé ou-
vert dans le rôle de
'Fx'. C'est une hypothèse essentielle
de la théorie des ensembles et celle qu'il faut restreindre
d'une façon ou d'une autre pour éviter les paradoxes. Cette
hypothèse elle-même échappe dangereusement au regard/dans
le soi-disant calcul des prédicats d'ordre supérieur. Elle
devient "(lfCr)
(x)
(Gx_ Fx)', qui s'ensuit d'_une manière évi-
dente de la trivialité authentiquement logique
1 (x)
(Fx:: Fx) ,
moyennant une inférence logique élémentaire. Les hypothèses
d'existence mal assurées de la théorie des ensembles savent
habilement se dissimuler quand on passe sans prévenir des
lettres schématiques
de prédicats aux variables quantifia-
bles d'ensemble."
(24)
De cette façon on fait passer la logique pour de
la théorie des ensembles. Quine lui donne pour nom/l'ex~res­
sion:
'la théorie des ensembles déguisée en loup'.
Les excès ontologiques des théoriciens ensemblis-
tes échappent à l'oeil grâëe à un déguisement emprunté à la
logique, par la règle de la clôture universelle. L'ensemblis-
te peut toujours quantifier des attributs. Dans la pratique
de tous les jours, on abrège le disoours. Pour s'épargner
la peine de répéter un énoncé dans lequel on n'a changé qu'un
nom propre, on dira "la même chose s'applique à Napoléon".
Si quelqu'un demandait "quelle même chose'?" on répondrait
probablement "le même attribut !" Mais un examen attentif nous
révèlerait la difficulté d'interprétation de l'expression
"le même attribut".
(24) QUINE, idem, p. 102.

211
Pour toutes ces raisons donc on ne peut compren-
dre la théorie des ensembles comme étant de la logique.
Pour Quine, on ne doit pas parler de théorie des
ensembles
(au singulier) mais de théories des ensembles
(au
pluriel).
En effet, -celles-ci diffèrent aussi bien dans leur
formulation que dans leur contenu : à savoir sur le point de
savoir quels ensembles sont dits exister. Afin de donner à
la théorie des ensembles un contenu qui lui permette de dire
qu'elle aussi répond à la question:
'qu'est-ce qui existe ?'
Quine construit la théorie virtuelle des classes. C'est
une simulation de théorie.
Quine distingue la classe de l'ensemble. La notion
d'ensemble est réservée à toute classe qui est élément de
quelque chose alors qu'une classe peut être élément de rien.
On aurait la classe des éléments fictifs donc
'Pégase' serait
un élément
(de rien)
puisque exister, c'est exister temporel-
lement et spatialement au sens de Quine.
On peut simuler les ensembles en général, c'est-à-
dire ilies classes susceptibles d'être élément, ou les clas-
ses propres, celles qui ne sont pas élément. Quine appelle
classes ultimes celles qui ne sont éléments de rien ou plus
clairement celles qui ne sont pas élément. Telle est par exem-
ple la définition de
'y ç ~ x : Fy J ' par 'Fy'. Cette défini-
tion ne simule pas des ensembles mais des classes puisqu'elle
ne prévoit rien pour l'abstractif 1x : Ex) . On ne cherche
pas non plus à quantifier sur des ensembles. Cette simulation/
Quine l'appelle théorie virtuelle des classes ou théorie des
classes virtuelles ; ne disant rien mais susceptibles de faire
des remplacements. Dès lors, on peut introduire
' 6 ' dans la
logique sous forme de déguisement. Comment cela se justifie-t-
il ?
En acceptant la théorie des ensembles sans détours,
ni simulations, nous acceptons à la fois un vocabulaire et une
ontologie.
Par exemple dans le cas de Russell. A ce moment,
nous mettons
1 ~
1
dans notre lexique et les classes dans le
domaine des valeurs de nos variables.
Par contre, en simulant
e',
la
t~ec~ des classes, -c'est-à-dire en représentant des
symboles comme ne spécifiant rien du tout- par une théorie vir-

212
tuelle, nous simulons l'addition de
'E ' au lexique au moyen
d'une définition contextuelle. A ce moment, nous adoptons
des lettres schématiques de classes,
(0( 1 (J
, etc ... ) qui
suggèrent des variables, mais nous ne les quantifions pas.
Cependant, nous pouvons simuler la quantification sur les
objets simulés ; à condition que les prédicats soient en nom-
bre fini, en se prévalant du fait qu'une quantification s'ex-
plicite par une conjonction ou une disjonction lorsque le
domaine des variables qu'on quantifie est fini.
Soit un langage-objet dont les prédicats à une
place sont au nombre d'une centaine:
'Po',
'Pl',
... P99.
Ces préddcats ne sont pas des noms et donc n'occupent pas la
place de variables
(quantifiables).
Par l'analogue ensemblis-
te nous pouvons introduire une nouvelle écriture pour les va-
riables quantifiées,
'0<.',
'(2', etc ... , écriture destinée à
ces places. Alors prenons un énoncé contenant le prédicat
'PO'
et représenté par
'---PO---'. Alors la quantification exis-
,
tentielle
'( lx">
(--1(-)'
est définie comme étant l'abréviation
d'une disjonction de cent membres.
---Po--V---PI---P2---V--- ... V--- P99--
De façon similaire la quantification universelle' (VX)
(~-)'
sera une abréviation d'une conjonction de cent membres
---po--- ---PI---P2--- --- ... ---P99---
En théorie virtuelle des classes, nous sommes dans
le domaine des objets fictifs,
alors qu'en théorie des ensem-
bles véritable nous sommes dans une théorie mathématique
'où
se rencontrent des systèmes rivaux. Et Quine de dire "ce n'est
pas un défaut des versions structurelles de la vérité logique
que d'exclure la théorie des ensembles authetique du champ
de la logique. "
(25)
La logique élémentaire est évidente au sens où elle
admet ùne procédure de preuve. Toutes les définitions de la
(25)
QUINE, idem, p.
107.

213
de la vérité logique
jouissent de cette propriété. La com-
plétude de cette logique découle aussi des résultats de Geritzeo
Or la théorie des ensembles ne jouit pas de cette complétude
qui fait la 'simplicité et l'élégance de lanobation canoni-
que'
selon l'expression
de Quine.
CONCLUSION
De la thèse de l'indétermination de la traduction
et de l'inscrutabilité de la référence jusqu'au rejet de la
distinction, des énonc8s analytiques et des énoncés synthéti-
ques, nous n'avions pas eu un tabouret ou -si on veut-une chaise
pour poser nbtre séant intellectuel. La traduction radicale,
pas plus que la proposition ne nous avaient offert une essen-
ce résiduelle dans la traduction.
La critique quinéenne de la doctrine linguistique
des vérités logiques nous avait mis en demeure de faire repo-
ser la vérité logique sur les occurrences essentielles unique-
ment.
Or du chapitre 4 au chapitre 5 la vérité logique
semblait reposer sur une manipulation des connecteurs et des
quanteurs.
La définition de la vérité logique en termes de subs-
titution dans le calcul des énoncés reposait sur des schémas
fonctionnels et/ou des énoncés simples. Avec l'introduction
des variables et de la quantification, la notion de substi-
tution a été élargie mais avec des restrictions.
Il est vrai que le traitement des expressions logi-
ques en termes de schémas d'énoncés ou de quantification avaient
pour but de révoqueD:les propositions. Les lettres schémati-
ques sont des marques-places, des mannequins d'énoncés et non
plus des lettres de proposition. Les variables sont des enti-
tés qui dénotent de façon ambiguë des individus.
La définition de la vérité en termes de grammaire
définition qui se retrouve dans la théorie d'identité où l'on
simule des objets feraient penserque Quine lui-même justifie-
rait la doctrine linguistique des vérités logiques. En fait,
il n'en est rien. Car la vérité logique est la résultante de

214
deux composantes : la grammaire et la vérité. La grammaire
est de notre cru Mais pas la vérité.,Si le logicien poursuit
la vérité dans l'arbre de la grammaire, i l ne la retrouve
qu'en portant son regard vers le monde.
Certes,
"la logique pourchasse la vérité dans l'ar-
bre de la grammaire ll mais Ille prédicat de vérité lui conser-
ve un contact avec le monde, où est son coeur."
(26)
C'est
le monde 06 l'expérience qui fait qu'un énoncé vrai est vrai.
Il en résulte que "nos énoncés sur la réalité extérieures
affrontent le tribunal de l'expérience sensible non indivi-
duellement mais comme un corps organisé."
(27)
"Les lois ma-
thématiques et logiques elles-mêmes ne sont pas soustraites
à la révision s ' i l s'avère que des simplifications essentiel-
les pour notre organisation conceptuelle s'ensuivront. 1I
(28)
En soutenant que l'expérience n'exempte aucun énon-
cé au test de l'expérience c'est à la thèse du holisme que
Quine nous conduit.
(26)
QUINE, La philosophie de la logique, p.
57.
(27) QUINE, Méthodes de logique, trad. fr. M. Clavelin, p.
12.
(28) QUINE, idem, p. 13.

215
CHAPITRE 6
LE HOLISME
son contenu, ses limites
Si chaque énoncé scientifique
pouvait recevoir sa part indivi-
duelle d'information ... , la doc-
trine de l'analyticité pourrait
être maintenue . . .
Nos énoncés sur la réalité ex-
térieure affrontent le tribunal
de l'expérience sensible non
individuellement, mais comme un
corps organisé.
QUINE
INTRODUCTION
Pour Quine, les différentes versions présentées par
le positivisme logique sont viciées
par deux erreurs fondamen-
tales.
La première repose sur la foi rationaliste du statut
des vérités logiques vraies par convention et sans commerce
avec l'expérience. La seconde est due à la conviction qu'on
peut vérifier les énoncés isolément. Ce sont là les deux prin-
cipaux dogmes de l'empirisme: le dogme de la doctrine lin-
guistique et le dogme du réductionnisme.
"Le dogme du réduction-
nisme, écrit Quine,
survit dans la supposition'que chaque
énoncé, isolé de ses compagnons, peut être confirmé ou infir-
mé. Quant à moi, en m'inspirant essentiellement de la doctrine
carnapienne du monde physique dans l'Aufbau,
je propose l'idée
que nos énoncés sur le monde extérieur sont jugés par le tri-
bunal de l'expérience sensible, non pas individuellement mais
seulement collectivement."
(1)
Cela vient de ce que nos émissions verbales à pro-
pos des objets physiques ne peuvent être ni vérifiées, ni re-
futées par une comparaison directe avec l'expérience. Elles
ne peuvent être comparées avec le monde extérieur que par l'in-
termédiaire de notre expérience de ce monde.
Le rapport qui
(1)
QUINE, Les deux dogmes, trad.
fr.
P .. Jacob in De Vienne
à Cambridge,
(V.C.), p. 107.

216
unit celle-ci à celui-là comprend un processus d'hypothèses
ou d'inférences qui prévient toute confrontation directe et
concluante de l'émission verbale avec son objet. Nos hypothè-
ses d'inférence sont sous-déterminées par l'expérience de
sorte que/s'il y a un conflit entre l'hypohtèse et l'expérien-
ce, c'est le corps entier de notre système qui doit passer
le test de validation. Les lois logiques n'échappent pas à
cette révision.
Si les mathématiques et la logique sur lesquelles
s'édifient la science ne se voient plus immunisé.~ c'est_le
problème des fondements qui se pose. En généralisant le ho-
lisme, Quine en vient à récuser toute: idée de fondement.
SECTION 12 : Peut-on parler de logique déviante ?
INTRODUCTION
Jusqu'ici, nous avons considéré la logique sans
l'éventualité d'un ébrèchement. La théorie de l'identité,
loin d'être conflictuelle, est acceptée comme faisant partie
de la logique. Mais une ligne de démarcation a été tracée
entre
la logique et la théorie des ensembles. Ceci résulte de ce
que la théorie des ensembles ne jouit pas de la propriété
fondamentale de complétude. En outre Quine veut prouver l'uni-
cité de la logique. Cette unicité a été rendue crédible par
la concordance des vérités logiques. Ces équivalences font
de notre logique une logique orthodoxe. Les systèmes de cette
logique orthodoxe sont eux-mêmes nombreux. Les différences
entre eux ne sont pas de nature à donner lieu à des logiques
déviationnistes. C'est une seule et même logique différemment
exposée mais où l'on utilise la même
interprétation accordée
aux expressions logiques pour les procédures de démonstration.
La logique déviante intervient lorsque le déviant n'utilise
pas le langage standard della logique mais accorde aux expres-
sions logiques d'autres significations. Cette logique n'est
pas fortuite.
Elle est commandée par l'expérience. Celle-ci
ne peut donc être appréhendée par des distinctions operees sur
le langage dans lequel la doctrine vérificationniste distingue
un langage théorique et un langage observationnel. Cette dis-
tinction n'a pas les reins solides disait Putnam. Il en résul-

217
te que la logique elle-même ne repose plus sur des distinc-
tions tranchées.
§ 1
La déviation ~ogique dans le calcul des énoncés
La logique déviationniste est une affaire de rejet
absolu d'une partie de notre logique comme n'étant pas vraie
du tout.
Quine commence par imaginer un déviant qui propose
une logique dans laquelle toutes les lois qui gouvernent no-
tre disjonction sont assignées à la conjonction et récipro-
quement. Nous dirons que cette déviation concerne les nota-
tions et les phénomènes. Nous ne pourrions même pas traduire
cette logique déviationniste dans notre notation canonique
dès lors où i l serait absurde
que le déviant ne pourra pas
identifier et penser une conjonction par son emploi de
'et'
comme nous et son emploi de
'ou' comme nous et être d'accord
avec nous sur des points de doctrine logique touchant la dis-
jonction et la conjonction.
Si le déviant admet comme vraie
la conjonction 'fAïf', le principe de charité nous invite
à dire qu'il n'emploie pas la négation comme nous. La notation
a cessé d'être identifiable à la négation, à la nôtre,
à par-
t i r du moment où on commence à regarder des conjonctions de
la forme' PA'P' comme vraies. Le déviationniste en changeant
de doctrine, a changé de sujet.
On peut même dire qu'il y a plus que déviation.
En effet, s ' i l y a déviation i l y a changement dans l'utili-
sation des opérateurs, et s ' i l y a changement dans l'utilisa-
tion des opérateurs logiques, alors i l n'y a pas de conflit,
entre la logique dite déviationniste et la logique classique.
Les logiques alternatives sont pratiquement inséparables
de tout changement dans l'utilisation des mots logiques, dit
Quine.
Mais i l Y a des cas moins chimériques où l'on peut
parler de logique déviationniste en ce sens que ces logiquei
se veulent être une amélioration ou plutôt une extension de
la logique standard.

218
Un cadre dans lequel la négation et la disjonc-
tion classique disparaissent, c'estla:logique à trois valeurs.
Les trois valeurs de cette logique sont appelées vrai, faux
tierce valeur intermédiaire. Une construction de la,mégation
transforme les vérités en fausseté,
les faussetés en vérité,
et les énoncés tiers en énoncés tiers. Dans ces conditions
le principe du tiers-exclu est patemment
endéfaut.
Lukasiewicz, en 1920, rompt avec la bivalence afin
de rendre compte des futu~s contingents. A leur sujet, i l
s'était heurté à une impossibilité car le principe de la bi-
valence cesse de s,' imposer dès qu'on étudie ces futurs con-
tingents.
En effet, au moment où on exprime le futur contin-
gent, l'énoncé, par exemple,
'Le journal sortira demain'
est neutre mais sera vrai ou faux quand l'événement se réali-
sera. Lukasiewicz attribue la valeur 112 à ces énoncés qui
affirment ou nient les futurs contingents. Lukasiewi~z conser-
ve les anciennes tables de vérité pour les valeurs 1 et 0
mais les a 'prolongées d'une troisième valeur neutre 1/2.
Il donne les constructions suivantes.
al
Tableau de vérité de la négation.
;-p-~-
1
0
:~
)
diàjonction
conjonction implication
p
q
P v q
P A q
P
.:>
q
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
2
2
2
1
0
1
0
0
1
1
1
1
2
1
2
1
1
2
1
2
1
1
2
2
1
0
1
"i
0
0
1
2
t
L
,"
,
0
1
0
1
1
0
1
0
1
1
2
2
0
1
0
0
0

219
On peut voir que le principe de non contradiction
1 rp 1\\ "t.. p) aura pour valeur 1/2 et on pourra dire qu'il est à
moitié vrai ou à moitié faux. D'autre part, le principe du
tiers exclu
P V 1 P
est ruiné dans cet te log ique.
l
En logique classique, on peut s'assurer de l'équi-
!
.1
valence de :
"
~
1
identité
tiers exclu
non contradiction
1
i
P:> P
., p V P
1
1
;
1
i
1
Dans le système trivalent, le principe d'identité
!
même préservée quel que soit la valeur de p, n'est plus équi-
valent au principe du tiers-exclu puisque ce système rejette,
on peut s'en assurer, l'équivalence de la disjonction
' P V q 1
et du conditionnel'
Î
p~ 9
'. Par contre on peut vérifier,
par la table de vérité,
l'équivalence entre la non-contradic-
tion et le tiers-exclu.
Les principes ayant changé, on ne peut pas paraphra-
ser la logique trivalente par notre notation canonique. Une
apologie de notre négation serait une pure pétit~on de prin-
cipe. Rendons, dit Quine, au dissident ce qui lui revient de
droit.
Une autre forme de logique déviationniste, c'est la
logique intuitioniste. Ce qui la motive, c'est ce que Quine
désigne par l'expression "la réduction du dépassement des ré-
ponses possibles par les questions:reçue~." (2)
Les connais-
sances dont on dispose sont trop insuffisante~pour qu'on puisse
(2)
QUINE, La philosophie de la logique, p. 129.

22Q
dire d'une loi qu'elle est valide. Comme exemple de cette lo-
gique intuitioniste, nous étudierons l'axiomatique
de Heyting.
Celle-ci a été construite en 1930 pour formaliser les règles
du raisonnement mathématique reconnues valables paIl Brouwer
et l'école intuitionniste.
Pour Brouwer,
Hilbert a apporté du sang nouveau
aux mathématiques par son problème de la, décision. Le problème
de la décision dit qu'il y a des problèmes mathématiques qui ne
sont pas solubles en un sens absolu.
Iln'y a en effet aucune
méthode générale qui permette de décider si une expression
donnée de la mathématique élémentaire est décidable ou pas.
Cela vient du fait aussi
que les axiomes sont indépendants
les uns des autres.
Si l'on s'entient au problème de la décision,
l'ap-
plication du principe du tiers-exclu est injustifiée.
Il faut
donc exclure des mathématiques la loi de double négation
et celle du tiers-exclu
Pour les intuitionnistes l'existence mathématique
est une construction réelle et l'absence de contradiction ne
suffit pas à la prouver.
Pour eux,
i l faut distinguer la
fausseté qui est la non-existence et l'absurdité qui est l'im-
possibilité de l'existence;
i l faut donc éviter de confondre
deux négations qui n'ont pas la même force et ne pas conclure
du
non-contradictoire au vrai. On ne peut établir une alter-
native entre ce qui est faux par démonstration et ce qui est
vrai par constat ion car i l faut tenir compte de ce qui n'est
ni falsifié ni reconnue absurde.
La non-absurdité n'entra1ne
pas forcément la vérité.
Les conclusions possibles en logique
intuitionniste sont présentées dans le schéma suivant
: Si
, . . - - - 1
-
- - ;
PDJ.i,1DIe.
'
(ln(;. (on l<'tdt'dv;'i:)1
1

221
Le possible avec sa variante et l'impossible
(ou
absurde)
sont contradictoir~ Du vrai on peut conclure au
possible et de l'impossible au faux, mais pas inversement.
En logique classique, on peut obtenir les autres
opérateurs à partir de deux principaux. Chez Heyting aucun
des opérateurs ne
se laisse
définir â partir des autres à
l'aide de la négation. C'est pourquoi Heyting utilise les
quatre opérateurs fondamentaux de lallQgique classique
Il y a Il axiomes dans lesquels est exclu
le principe du tiers-exclu. On en arrive donc à des restric-
tions dont trois fondamentales.
A -
La loi d1.1 tiers-exclu :
' p v,P, est rejetée dans le
système de Heyting. Mais le principe de non contradic-
tion est maintenue.
1 ( f' A 1 p)
B - Les lois de Morgan ne sont pas valables, pas plus que
l'équivalence du conditionnel et de la disjonction
pJ p
V5
-, PVP
C -
La double négation n'est plus admise sous la forme
' 1 (Ji:;> P 01.(
, . t=' -) P
• En effet, on ne peut
pas conclure du non contradictoire au vrai.
Par contre
l'implication p -7
."
f
est acceptée puis-
que selon le schéma 81 si P est vrai,
11P est possible.
La logique intuitionniste est-elle diamétralement
opposée â la classique? Certes, on sait que tous les sché-
mas d'axiomes de la logique classique ne sont pas des sché-
mas d'axiomes de la logique intuitionniste. Mais tous les

222
schémas d'axiomes de la logique intuitionniste sont des
schémas d'axiomes de la logique classique. En effet, la lo-
gique intuitionniste refuse certaines possibilités d'inféren-
ces mais n'en crée pas de nouvelles.
D'autre· ,part, elle permet par la méthode construc-
tiviste, de traiter des propositions mathématiques tenues pour
irrationnelles. Par exemple deux nombres irrationnels ne peu-
vent être décrits entièrement : i l est donc impossible de
démontrer leur égalité alors qu'on dit que deux nombre sont
égaux ou inégaux. Heyting, en introduisant l'indémontrable
permet de traiter de tels cas. Ce qui n'est pas sans décon-
certer Quine :
"La logique classique des fonctions de vérité
et de la quantification est indemne de tout paradoxe, et
elle est accessoirement un modèle de clarté, d'élégance et
d'efficacité. Les paradoxes ne se font jour qu'avec la théo-
rie des ensembles et la sémantique. Qu'on les résolve donc
à l'intérieur de la théorie des ensembles et de la sémantique,
sans aller gâter la paix qui règne dans des secteurs plus
heureux."
(3) On se demande bien à quoi doit servir la lo-
gique classique si sa paix ne doit être éprouvée !
Une autre raison de Quine de suspecter la logique
déviationniste
, c'est que ce11e-ci/10rsqu'e11e se met à édi-
fier une théorie de la quantification échoue. Et pourtant la
logique n'est pas/sans théorie de quantification.
§ 2
La quantification substitutionne11e
"Toute logique, écrit Quine, doit faire une place
à la quantification, et cela d'une manière ou d'une autre,
sous peine d'être insuffisante."
(4)
En effet, quel que soit
le domaine des variables liées, c'est-à-dire l'ontologie, le
logicien a besoin de la quantification qui lui permet de sa-n
voir ce qui existe.
(3) QUINE, idem, p. 127.
(4) QUINE, idem, p. 131 •
••

223
"Le problème de la déviation en logique de la
quantification concerne l'ontologie -la question de savoir
ce qui existe. Dans une théorie donnée et qui est en forme
canonique, ce qui est dit exister, ce sont exactement tous
les objets que les variables de quantification dans cette
théorie sont censées prendre pour valeurs. On le contesterait
difficilement, attendu que '(x)' et
'(J~)' sont expliqués
par les mots 'chaque objet x est tel que' 'et ' i l y a un ob-
jet x tel que'."
(5)
Pour montrer que quelqu'objet donné est requis dans
une théorie, nous devons montrer que la vérité de cette théo-
rie requiert dudit objet qu'il figure parmi les valeurs qui
parcourent les variables liées. Lorsque nous désirons nous
assurer d'une existence,
les corps sont supérieurs aux au-
tres objects sous le rapport de leur caractère perceptible
La quantification nous permet de dire ce qu'une théorie
affirme. Cette imputation d'existence, la quantification
substitutionnelle la possède t-elle ?
A la quantification substitutionnelle Quine oppose la
quantification objectuelle qui est celle de la logique clas-
sique. Celle-ci a trait aux objets, celle-là aux expressions.
Selon la quantification substitutionnelle, un énoncé de la
forme
'(J~ FPC.
' e s t vrai si et seulement s '11 y a une
expression, une classe du langage tel que
'Fy' est vrai.
Au contraire dans la quantification objectuelle, un énoncé
de la forme
'(~'L) FIC.
' e s t vrai si et seulement si l ' instan-
ce (d'objet)
'Fx' est vraie.
"Une quantification existentielle substitutionnelle
comptera pour vraie si et seulement s ' i l y a une expression
qui transforme la phrase ouverte située après le quanteur en
une phrase vraie, lorsqu'on substitue cette expression à la
variable de la phrase ouverte. Une quantification universelle
co~ptera pour vraie si aucune substitution ne falsifie la
phrase ouverte."
(6)
(5)
QUINE, idem, p. 132.
(6)
QUINE, La Relativité de l'Ontologie et autres essais,
(R.O)
p.
120.

224
La quantification substitutionnelle, qui n'a rien
â voir et qui n'a aucune incidence sur la d~finition logique
en termes de validit~, obéit aux critères d'instantiation
universelle et existentielle de la logique orthodoxe. Seule-
ment lâ où la quantification objectuelle parle d'objet, la
quantification substitutionnelle parle d'expression et plus
g~n~ralement d'attributs. On comprend que Quine la rejette.
Cependant, i l en reconnaît les avantages. Par exem-
ple en traduction radicale la quantification substitutionnelle
1
est peut.être d'un grand secours. Elle a l'avantage de s'ex-
primer en termes de comportement. Sur cette base nous pouvons
rendre une des connexions du langage indigène par
'ou' si
l'indigène est disposé â assentir â un composé par cette
connexion
lorsqu'il a assenti â un de ses composants. De
même pour les autres foncteurs.))De même la quantification subs-
titutionnelle sera identifiable sur la base du comportement.
Pour former la quantification substitutionnelle sur la base
de ces constructions à propos des foncteurs de v~rité, on
choisit certaines parties de la construction comme candidates
aux rôles de quanteurs et de variables. Alors une condition
pour que ces constn.uctions conviennent est que les indigènes
soient dispos~s à dissentir â une phrase quantifi~e entière,
quand et seulement quand ils sont disposés â dissentir â
chacune des phrases par suppression du quanteur et substitu-
tion â la variable.
Une seconde condition est que nos ~s informateurs
soient disposés â assentir à la phrase tout entière chaque
fois qu'ils sont dispos~s â assentir à l'une des phrases ob-
tenues par suppression du quanteur et substitution â la va-
riable.
Supposons que le traducteur cherchant â connaître
le système mon~taire de son informateur, arrive â obtenir
des ~noncés qùi traduits, donnent ceci :
P
cette pièce est un Nickel â tête d'indien
Q
cette autre pièce est un NIckel â bison

225
Admettons que P et Q représentent des expressions
obtenues sur la base du comportement. Le traducteur peut
obtenir la conjonction ou la disjonction de P et de Q. Dès
lors il peut forger l'expression' \\J"ljF'x, signifiant:
' i l existe une expression telle que'.
Si en supprimant le
quanteur pour n'avoir que l'énoncé ouvert
'Fx~ l'informateur
nous donne une instance signifiant ' i l existe une expres-
sion qui est un Nickel à bison' nous dirions que nous avons
obtenu une quantification substitutionnelle.
Des critères analo~~5_ pour les quantificationS
universell~substitutionnelle~sontévidentS: il suffit de
construire un I!\\noncé de la forme
'l!'9 Fx., signifiant : pour
toute expression x telle que' de sorte que toute instance
vérifie l'énoncé ouvert 'Fx'.
En traduction radicale, nous ne savons quoi pren-
dre pour objet puisque le comportement n'est pas sans défaut
au critère de détection des termes. Nous ne pouvons nous
attendre ici à une certitude mathématique. Comme dit Quine
"l'indication empir ique
est tout ce SUIF quoi nous pouvons
nous fonder et il faut nous en contenter.
~En bref, la quantification substitutionnelle et
les fonctions de vérité sont nettement mieux reconnaissables
par le comportement que la quantification classique, ou ce
que nous appelerons quantification objectuelle. Nous savons
détecter une quantification objectuelle dans notre propre lan-
gue, parce que depuis l'enfance nous utilisons justement ces
mots-là : sinon les quanteurs en personne, du moins des mots
comme "il existe" et "il y a
", qui ont servi à nous les ex-
pliquer. Nous ne sommes capables de détecter une quantifica-
tion objectuelle dans d'autres langues que par rapport à des
codes de traduction choisis ou hérités,quIDsont en un sens
arbitraires.
Ils sont arbitraires en ce sens qu'ils pourraient
différer matériellement et cependant coller avec le même com-
portement."
(7)
L'indétermination de la traduction en est
l'illustration.
(7)
QUINE, R.C., p. 121.

226
La quaâtification substitutionnelle est une tenta-
tive pour rêexaminer sous un jour nouveau le statut des enti-
tês abstraites: propositions, classes, attritus, etc .•• En
quel sens ces entités peuvent être dites exister ?
Indépendamment de l'apparent avantage que cette quan-
tification nous donne à propos de la traduction, un autre
intérêt est celui des classes. parsons/dans un article
' A
plea for substitutionnal quantification'
(8) montre comment
on peut procêder. Certes, en ce qui concerne les classes, grâ-
ce au principe d'extensionnalité, on peut avoir les prêdicats
à une place:
'avoir une extension', des prêdicats à deux
places:
'avoir la même extension'. Si en simulant des clas-
sesï;lnnous pouvons avoir l ' êgalité entre èeux classes : 0< :: ~
nous pouvons simuler une quantification sur des classes simu-
lêes, ce qùli nous donne par exempll'::
':'X~-f: ~ ::. X E- ~
si et seulement si~ et p ont la même extension.
Pour l'introduction des attributs qui n'ont pas de
critère d'identification, Parsons estime qu'on peut s'en tirer
à condition de se donner une relation convenable d'êquivalence
intensionnelle. Par exemple, on peut introduire l'expression
'attribut virtUel'. On êcrirai t
'Ft' comme ~r [X ; ç?C. J
c'est-à-dire ' t ' e s t un terme qui satisfait l'abstraction[x : FXJ
'avoir
une intension'. On introduit des lettres schêmatiques
d'attributs:! 1 n
~ une relation d'équivalence ou d'identitê
qui exprime la coexten3ivité des intensions :
j = n comme
1
étant ' 0 (Y'X) (r
comme étant la possibi-
t~ - X t"l)
lité pour deux individus donnés d'avoir la même intension.
Mais le remède de Parsons est pixe que le mal. A
supposer que les mots
'équivalence',
'intension' puissent
êtrellêgitimes, la solution de Quine confirme l'extr~e limite
de la quantification substitutionnelle dont À'ontologie
est
nulle.
"En nous aiguillant sur la quantification substitution-
nelle, nous ne rêduirions pas notre univers dénombrable à un
univers nul. Nous tournerions plutôt le dos aux questions
d'on-
tologie où règne la quantification substitutionnelle, là l'on-
tologie tombe à plat.'
(9)
Il vaut mieux, ponctue
Quine, nous
(8) Ch. PARSONS,
'A plea for substitutionnal quantification'
in. Journal of philos., vol.6, 1971, p. 231-7.
(9)
QUINE, R.O., p. 123-4.

227
cOntenter de notre quantification dont la simplicité plaît et
qui rend d'appréciables services. Toutefois,
larlquantifica-
tion substitutionnelle devient intéressante lorsqu'elle trai-
te des termes singuliers. Mais là encore, Quine a vite fait
de démontrer l'inutile déviance.
"La quantification substitutionnelle/lorsque les
expressions par lesquelles on substitue la variable sont pri-
ses dans la classe de sbustitution de termes singuliers ou
noms, est Iasorte de quantification qui s'approche le plus
de la quantification objectuelle.Mais i l est clair qu'elle
n'y équivaut pas."
(10) Même si les objets qu'on substitue
sont spécifiables au moyen de quelque terme singulier de
notre langue, par exemple 'Pégase
"
la quantification échoUe
parce que le terme
'Pégase ' par exemple manque à spécifier ~
un objet.
Dire que
'Pégase
existe' est un énoncé vrai n'est
pas exact si on entend 'existe' dans le sens de notre langage
canonique. La véritable notion de terme singulier fait impli-
citement appel à notre quantification objectuelle. La quanti-
fication substitutionnelle ne nomme pas;
l'objectuelle le
fait.
On dit de "a" qu'il sert à nommer un objet si et seule-
ment si l'énoncé "a existe" est vrai pour la théorie. Dans
la quantification ' (d?f...) ()(. ::. <'L)
, la charge de l'import exis-
tentiel repose sur le quanteur existentiel, non pas sur le
"a" lui-même. Tel est le rôle de la quantification existen-
tielle. La variable liée "x" parcourt l'univers et la quanti-
fication existentielle dit qu'au moins un des objets dans l'u-
nivers véri~ie la condition placée en annexe, en l'occurence
la condition d'être l'objet a. Or dans la quantification exis-
tentielle substitutionnelle le nom 'Pégase
' n'est pas véri-
fié dans l'univers par un objet quelconque.
Ainsi, on voit que dans le cas d'une quantification
substitutionnelle la question des engagements ontologiques
n'est pas posée.
Il faut donc traduire cette théorie dans
la forme quantificationnelle. Quine en indique les moyens.
(10) QUINE, idem, ~. 122.

228
Puisque "le quanteur existentiel, au sens objectuel, a pré-
cisément l'interprétation existentielle, et non pas une au-
tre : i l y a des choses qui sont comme ceci ou comme cela,
on voit.·'aisément comment la quantification substitutionnelle
est traduisible en une théorie de forme canonique."
(11)
La traduction se fait en termes syntaxiques et
sémantiques. Soit une quantification substitutionnelle dont
le quanteur d'existence contient la variable ~ et gouverne
la phrase ouverte S ; c'est-à-dire
(jv)[S J
la théorie dans laquelle nous traduisons prend les expres-
sions de la théorie à traduire parmi ses objets, comme va-
leurs de ses variables de quantification objectuelle. Grâce
aux ressources del'arithmétisation de la syntaxe, on fait
correspondre aux expressions devenues les objets de la 'quan-
tification objectuelle a, b, c, etc •.. respectivement les
nombres naturels l, 2, 3, etc ...
Ensuite seulement on paraphrase la quantification
substitutionnelle en quantification existentielle objectuelle
comme suit
i l y a une expression qui, mise dans S à la
place de ~ , donne une vérité. Pour les quantifications uni-
verselles objectuelles, on a
toute expression.' mise dans S
à la place de
IF
, donne une vér i té.
Cette traduction suggère que l'univers de'la quanti-
fication substitutionnelle est fini et dénombrable. Sinon
on
ne peut pas traduire cette quantification et si on ne le peut
pas c'est que cette quantification ne comporte pas d'ontolo-
gie en un sens large du mot. Si donc l'univers de la quanti-
fication substitutionnelle est dénombrable,
i l en résulte que
"la caractérisation substitutionnelle de la quantification
n'est pas coextensive à la caractérisation de la quantifica-
tion en termes d'objets, ou de valeurs de variables, quand
nous supposons un univers riche."
(12)
En effet, s ' i l y a
des objets de l'espèce requise mais dépourvus de nom; la quan-
fication existentielle peut être vraie construite objectuel-
lement parce qu'il y a un objet
(même si on ne le nomme pas)
qui satisfait la formuel
'(J'Y F?<.', mais cette même formule
(11)
QUINE, R.O., p.
123.
(12)
QUINE, Ea;Philosophie de la logique, p.
137.

229
peut être fausse substitutionnellement parce qu'elle n'a ni
nom ni objet. A l'inverse, une quantification universelle
par exemple .\\Vx)FX. peut être fausse construire objectuel-
lement et vraie constuire substitutionnellement s ' i l y a des
objets qui ne sont pas de l'espèce requise et en plus dépour-
vus de nom. Par exemple dans un langage de termes singulier$
vides,
le schéma' ,(F'X A "(Y~f;{ n'a pas d'instance objectuelle.
Les deux types de quantification ne concondent que
lorsqu'il y a réalisation de deux conditions à savoir assomp-
tion des objets de l'espèce requise et
'assomption' de noms.
La quantification objectuelle est plus efficace
parce qu'elle admet un univers riche. Comme l'écrit Quine,
"les univers non dénombrables ou indéfinis sont finalement
ce qui confère de portée à la quantification objectuelle et
à l'ontologie."
(13)
Et de conclure:
"la théorie classique
de la quantification jouit d'une extraordinaire combinaison
de profondeur et de simplicité,
d'élégance et d'utilité.
Elle est lumineuse à l'intérieur de ses limites, lesquelles
sont bien dessinées. Par contraste, ce seront les variantes
qui s'en écartent qui normalement sembleront arbitraires. Mais
pour autant que ces variantes existent, le plus clair et le
plus simple paraIt être de dire que des concepts d'existence
déviants coexistent avec elle."
(14)
Au début de notre section 12, nous nous étions de-
mandé si l'on pouvait parler de logique déviante. A y regar-
der de près le mot
'déviance' est inexact
comme le soutient
d'ailleurs Quine.
t
Bien que nous n'ayons pas développé ni parle
de
toutes les formes possibles de logiques non-standard, nous
pouvions en nous r~portant à ce que dit Haack (15), faire
les remarques suivantes : une importante différence entre
les buts du logicien in ttuitionniste d'un cô1;-é ou du partisan de',la
logique rrodale
de l'autre, semble que le premier prend son sys-
tème comme étant une alternative de la logique classique au
sens fort,
que son système serait mieux' employéc'au lieu de"la
(13)
QUINE, R.O., p. 124.
(14) QUINE, idem, p. 125.
(15)
HAACK (Susan) Deviant logic, p. 1-2.

230
logique classique, tandis que le second prend son système
comme étant une alternative de la logique classique au sens
faible, que son système serait employé aussi bien que la lo-
gique classique.
Un symptôme de cette différence est que le premier
logicien tend à considérer la logique classique comme fausse,
incluant des assertions qui ne sont pas vraies, tandis qu'au
contraire le second a tendance à considérer la logique clas-
sique comme inadéquate, excluant des assertions qui sont
vraies. A ce titre l'un se dit rival et l'autre se propose
d'être un sup~ooément de la logique classique.
QUine se situe en dehors de ces polémiques. En de-
hors de la logique modale quantifiée qu'il récuse
(cf. Chap.
Quine ditque la rivalité est apparente. Si on entend par
rivalité le conflit entre deux logiques qui cherchent à se
supplanter, i l n'y a pas de rivalité pour Quine en raison
de sa thèse de l'indétermination de la traduction. Ne dit-il
pas en effet que deux théories logiquement incompatibles
peuvent passer ex-aequo le test de l'expérience. La rivali-
té en logique est que deux systèmes logiques cherchent le
schème conceptuel le plus simple. Chacun cherche à répond~e
à la'lq.uestion 'Qu'est-ce qui existe ?".
En soutenant que la logique est incorporée dans la
traduction, Quine veut signifier qu'on ne sa~t pas dire où
finit l'attribution de croyances et où commence la traduc-
tion.
Il n'y a pas de sens matériel qui nous permette de sé-
parer les questions de signification qui relèveraient de la
sémantique et les questions relatives à la réalité empirique
information et signification sont inséparables l'une de l'au-
tre.
Or parler de déviation en logique présuppose qu'il
n'y a qu'une seule logique dont les systèmes déviants ne
seraient que des formes dégénérées. Dire d'un système qu'il
est une déviation d'un autre dont i l partage le vocabulaire
tout en ayant un ensemble différent de théorèmes ou d'infé-
rences valides ne peut pas philosophiquement signifier que
ce système est une déviation de la logique classique. Quine
soutient ceci.

231
a)
s ' i l y a changement de signification des constantes
logiques, i l n'y a pas de conflit entre la logique dite
déviante et la logique classique.
Symbolisons par
P ::>
?Q
b) Or i l y a changement effectivement
Symbolisons par : P
c) Donc il n'y a pas de conflit entre la logique déviante
et la logique classique.
Symbolisons par
"'1 Q
ce qui explique qu'il n'y a pas de conflit,c'est la possibi-
lité de traduire dans une notation canonique la logique
d'autres peuples. Quine veut montrer l'unicité etll'l.Uiliver-
salité de:la logique en dépit des logiques non-standard.
Comment explique-t-il avec défaveur ces logiques? D'abord,
que nit-il de ces logiques ?
Ce que dit Quine, ce n'est pas que les logiques'dé-
viantes' -c'est-à-dire les logiques intuitionnistes et les
logiques à plusieurs valeurs- sont fausses, mais qu'elles sont
dictées par la réalité.
Les révisions des lois logiques qui conduisent aux logiques
dites déviantes ne sont pas fortuites.
Elles montrent que la
logique classique orthodoxe n'est pas une entité monolithique
mais qu'elle est réfutable. C'est ce que nous allons voir
ultérieurement après avoir examiné la théorie vérification-
niste de Carnap dont la critique quinéenne a conduit au ho-
lisme.
SECTION 13
Le critère de vérifiabilité et la scission
du langage en théorique-observationnel
INTRODUCTION
Le problème de tout être pensant, écrit Karl Popper,
est celui de la cosmologie :
-le problème de comprendre le
monde, nous~mêmes et notre connaissance en tant qu'elle fait
partie du monde."
(16)
Dans cette entreprise, deux disciplines
(16)
Rarl Popper, La logique de la découverte scientifique,
(LDS), préface, p.
12.

232
s'illustrent:
la science et la philosophie; deux types
de chercheurs à l'oeuvre:
l'homme de séience et le philo-
sophe. Ce qui différencie la science de la philosophie c'est
que la première a réussi à s'autodisoipliner en élaborant ses
propres lois,
ses propres méthodes. L'homme de science "peut
aller tout de suite au coeur de son sujet, c'est-à-dire au
centre d'une structure organisée. C'est qu'il existe un corps
constitué de doctrines scientifiques et avec lui un étàb du
problème généralement accepté."
(17)
Il n'en est pas de la
philosophie où l'on a afnaire à une sorte d'amoncellement de
ruines recouvrant peut être un trésor enseveli ; tra[~~
avec elle la métaphysique quid'ailleurs ne manque "pas de dé-
tracteurs. Comme dit Carnap/beaucoup sont ceux qui "n'envi-
sagent aucun profit à s'occuper des questions métaphysiques,
à se demander même si elles peuvent recevoir une réponse i
ils inclinaient à s~en tenir aux problèmes d'ordre pratique
que soulève notre vie active."
(18)
Et parce que les préoccupations s'orientaient vers
les conditions de scientificité, Carnap va s'employer à refu-
ter la métaphysique. Le critère de vérifiabilité va être le
rasoir à émonder la connaissance afin de la débarrasser de
ses oripeaux. Mais le rasoir va couper et confondra entre
gangrène et ce qui n'est pas gangrène au point de laisser
un visage défiguré.
§ 3
La vérifiabilité comme critère de scientificité.
S~S avatans~
Si la métaphysique n'a pas manqué d'adversaires,
i l n'en dêmeure pas moins que ceux-ci ne disposaient pas-d'ou-
tils adéquats pour la réfuter. Ce sont les travaux relatifs
à la logique moderne qui ont eu le mérite de fournir un ré-
sultat positif et un résultat négatif.
"Le résultat positif
écrit Carnap, est acquis dans l'ordre de la science expéri-
mentale : explication claire des concepts utilisés dans leurs
(17)
Karl POPPER, L.D.S.,
p.
Il.
(18)
CARNAP, La science et la métaphysique devant l'analyse
logique du langage, p. 9.

233
rapports, tant du point de vue de la logique formelle que de
la théorie de la connaissance. C'est sur le terrain de la mé-
taphysique que l'analyse a conduit â un résultat négatif:
ses prétendues propositions sont dépourvues de sens."
(19)
Comment? Pour le savoir donnmns les conditions
auxquelles un mot doit obéir.
a)
Le mot doit avoir une syntaxe c'est-â-dire le mode sui-
vant lequel i l figure dans une forme simple ou énoncé
élémentaire. Par exemple, l'énoncé élémentaire du mot
'Pierre'
c'est 'x est une pierre'. A la place de la varia-
ble 'x' figurera un objet de la catégorie des choses:
diamant, o~, etc .•.
b) L'énoncé élémentaire doit satisfaire aux conditions :
b1
: de quelles propositions E se déduit-il ? et quelles
propositions peut-on tirer de E ?
b2
comment vérifier E ?
b3
quel est le sens de E ?
b4
dans quelles circonstances E est-il vrai ou faux ?
Autrement dit, étant donné un énoncé, pour décider
de son statut, il faut,
étant explicitées les règles â l'in-
térieur d'une théorie donnée,
savoir les déductions logiques
qui s'en suivent indépendamment du sens;
les procédures de
testabilité de l'énoncé en question; ce faisant on donne sa
valeur de vérité.
Soit l'énoncé
1) Les arthropodes sont des animaux possédant un corps arti-
culé, des extrêmités articulées, une peau .•.
Par les définitions données, i l est établi qu'on
peut déduire cet énoncé des prémisses:
'x est un animal',
'x a un corps articulé',
'x a une peau ... ', etc .•• Inverse-
ment chacun de ces derniers énoncés découlera de l'énoncé
élémentaire du mot "arthropode'.
"La signification du mot
'arthropode' se trouve alors complètement posée. Ainsi chaque not
(19) CARNAP,
idem, p.
9-10.

234
du langage est rapporté â d'autres et finalement aux mots
qui interviennent dans ce qu'on appelle des
'énoncés d'obser-
vation' ou 'énoncés protocolaires'."
(20)
En résumé, un mot a une signification si et seule-
ment si ses critères expérimentaux sont connus; si l'on
, .
sa~tr de quels énoncés protocolaires l'énoncé
dans lequel
i l est situé~peut se déduire. Les énoncés de la métaphysique
ne satisfont pas â ces conditions.
Soit le mot 'principe' dans l'expression 'principe
de l'être'. A la question
'quel est le principe suprême du
monde, des choses, de l'être ?'
le métaphysicien répond par
exemple, l'eau, le nombre,
le mouvement,
l'idée, etc . . .
Mais pour pouvoir répondre â cette question, i l faut savoir
la signification du mot 'principe'. Le métaphysicien devra
nous dire dans quelles conditions une proposition de la
forme
'x est principe de y' est vraie ou fausse.
En d'autres
termes, i l devra nous fournir les critères du mot ses condi~'
tions de vérité et les méthodes de sa vérification.
S'il répond que' x est principe de y'
signifie 'y'
dérive de x' ou que l'existence de y repose sur celle de x'
ou quelque chose d'analogue,
i l n'est pas précis. En effet,
nous disons d'un phénomène y qu'il dérive de x lorsque nous
observons qu'à des phénomènes du genre x succèdent des phéno-
mènes du genre de y.
Il s'agit ici d'un rapport causal dans
le sens d'une succession et ici la signification du mot n'est
pas amb4guë. Or ce n'est pas ce que veut dire le métaphysicien
puisque s ' i l s'agissait un rapport expérimental, les énoncés
de la métaphysique seraient de purs énoncés physiques. Le
mot
'dériver'
n'a pas de sens de succession temporelle dans
l'utilisation qu'en fait le métaphysicien. Or i l n'yen a
pas d'autre, à moins qu'il soit une espèce d'analogue hypos-
tasié.
Les énoncés de la métap~ysique -'absolu',
'ètre en
soi' être par soi-même',
'cause première' etc .•. ne conduisent
jamais â des conditions de vérité formulées pour chaque énon-
cé élémentaire. Lâ-dessus Carnap est sanS emphase.
(20) CARNAP, idem, p. 14-15.

235
Il écrit notamment les termes métaphysiques "apparaissent
comme dépourvus de sens; tels
'idée', absolu',
'etre en tant
qu'etre',
'non être',
'chose en soi',
'émanation',
'manifes-
tation',
'le moi', lIé non moi', etc . . .
( ... ) Le métaphysi-
cien reconnaît qu'on ne peut pas fournir un critère de véri-
té, comme la logique le réclame,
i l s'obstine néanmoins â
'entendre' sous ces mots quelque chose, des représentations
et des sentiments concomitants; ce n'est toujours pas leur
donner une signification.; Les prétendues propositions méta-
physiques qui contiennent de tels mots, n'ont aucun sens,
ne disent absolument rien et ne sont finalement que des pseu-
do propositions."
(21)
La métaphysique est discréditée par le critère de
vérifiabilité. Le critère dit "un énoncé a une signification
empirique, si et seulement s ' i l n'est pas analytique et s ' i l
est susceptible, du moins en principe, d'être complètement
vérifié par des données observationnelles ; c'est-â-dire si~~
l,"on peut décl:'ire des données observationnelles qui, si elle
étaient pré sentes, prouveraient la vérité de:. l'énoncé."
(22)
Ce qu'il faut rappeler c'est que le terme
'vérifia-
bilité' ne signifie pas
(contrairement â ce que disait Russell)
la possibilité technique d'éxécuter des tests requis ni de
trouver effectivement des phénomènes observables qui consti-
tueraient la preuve de l'énoncé. Le terme, au contraire, si-
gnifie la possibilité logique de données observationnelles qui,
si elles étaient disponibles constitueraient une preuve de
l'énoncé en question.
En écrivant que les
'énoncés' de la métaphysique ne
peuvent se réduire au donné immédiat, c'est que Carnap accor-
de â l'expérience sensible une grande importance, c'est pour-
quoi i l examine les termes constitutifs d'une théorie scien-
tifique.
Dans une théorie scientifique, i l y a deux types
d'expression. Les expressions logiques, communes â toutes
les sciences, constituent le vocabulaire logique
celui-ci
(21) CARNAP,
idem,~.)p.
20.
(22)
C.G. HEMPEL, Les critères empiristes de la signification
cognitive, trad. P. Jacob in De Vienne â Cambridge, p 64.

236
est composé des connecteurs et des quanteurs. Les expres-
sions descriptives, propres à chaque science, sont par exem-
ple les notions de
'masse',
'particule',
'neutrino'. Alors
que la connaissance des termes logiques ne requiert aucune
expérience, celle des termes descriptifs a recours à l'expé-
rience. Et en faisant un parallèle entre ces deux sortes de
termes descriptifs ceux qui désignent des entités publique-
ment observables et ceux qui désignent des objets difficile-
ment observables/ Al en résulte une scission du langage en
deux types : le langage observationnel et le langage théo-
rique. Le premier comprend les énoncés observationnels, for-
més de termes qui désignent des objets observables i
le se-
cond se rapporte aux termes relatifs aux objets non observa-
bles.
L'empirisme dit : un énoncé à une signification co-
gnitive si et seulement s ' i l n'est pas analytique ou contra-
dictoire et s ' i l est logiquement déductible d'une classe fi-
nie d'énoncés observationnels. C'est dire que les termes ob-
servationnels se comprennent mieux que les termes théoriques.
Et nous auronsilune compréhension de ceux-ci si on les tra-
duit dans le langage observationnel. Telle était l'entreprise
de Ernest Mach
(cf. La connaissance et l'erreur). Telle sera
plus tard celle de Carnap dont les débuts commenceront avec
Logische Aufb~ der welt (1928) que nous traduisons par
La constitution logique du monde. La traduction anglaise est
Logical structure of the world
(L.S.W).
Dans L.S.W, Carnap envisage d'élaborer un système
général de tous les concepts scientifiques ou de tous les ob-
jets de la connaissance afin de montrer l'unicité fondamen-
tale de toutes les sciences. Dans la préface à la seconde
édition de L.S.W i l écrit:
"le problème essentiel concerne
la possibilité d'une constitution rationnelle de tous les
domaines de la connaissance sur la base des concepts qui se
réfèrent au donné immédiat."
(23)
Par constitution rationnelle,
i l faut entendre la méthode qui ramène les concepts au donné
immédiat afin d'en déterminer leur statut. Cette constitution
(23) CARNAP, L.S.W, préface, p.

237
est fondée sur le terme de réduction. Un objet, c'est-à-dire
tout ce dont un énoncé peut être dit, est réductible à un
ou plusieurs autres objets si et seulement si tous les énon-
cés formulés au sujet de celui-là peuvent être transformés en
énoncés au sujet de ceux-ci sans perte de sens. C'est la mé-
thode extensionnelle que permet le donné immédiat. Carnap
introduit ensuite le concept de
'système de constitution' par
lequel i l entend une suite donnée, méthodique des objets telle
que les objets du niveau supérieur sont constnmits à partir
des objets du niveau inférieur immédiat.
Grâce à la relation de transitivité de la réducti-
bilité, tous les objets du système de constitution sont di-
rectement construits â partir des objets du premier niveau,
c'est-à-dire, ceux des données des sens ou des objets de
perception. Les objets de base à partir desquels le système
de constitution est possible sont de deux sortes
d'une part
les éléments de base et d'autre part les relations de base
qui sont les structures formelles unissant les éléments de
base. Ceux-ci expriment les expériences sensibles du sujet.
C'est ce, que Carnap appelle la
'base' autopsychologique ou
ma connaissance du phénomène en tant que je ressens ses effets
sur moi. C'est de la perception originaire du sujet connais-
sant qu'il faut partir. Les relations de base qui unissent
les éléments de base sont la relation d'identité et la rela-
tion de
'souvenir de similitude'. Deux expériences x et y
sont partiellement semblables si la relation de souvenir de
similitude est satisfaite par le couple
(x,y)
A partir de sa méthodologie et de ses critères,
Carnap déduit que les objets physiques
(qui constituent le
domaine du vocabulaire théorique)
peuvent se réduire aux
objets psychologiques d'autant que le langage physique con-
siste en énoncés de relations objectives entre les perspec-
tion et les sujets connaissants.
Pour lui,
les énoncés dits scientifiques peuvent
se déduire d'une classe finie d'énoncés observationnels.
En soutenant cela,
i l a tôt fait de s'attirer des critiques
de Karl Popper.
"Les lois de la nature, écrit Popper, ne sont
pas plus réductibles à des énoncés d'observation que les pro~

238
positions métaphysiques dites dépourvues de sens."
(24)
Carl G. Humpel a très bien explicité les défauts de l'appa-
reil vérificationniste. Pour mieux les faire ressortir,
il
donne d'abord l'exigence de vérifiabilité.
" (A)
Soit un énoncé composé dont la valeur de véri-
té est une fonction de la valeur de vérité de ses composants
et des connecteurs propositionnels. Supposons qu'un de ses
composants soit l'énoncé atomique N et que l'occurrence de N
dans l'énoncé composé soit non vide.
Si selon un certain
critère de signification cognitive, N est dénué de signifi-
cation cognitive, alors, selon le même critère, tout énoncé
composé ci-dessus sera également dénué de signification. Car
si on ne peut assigner une valeur de vérité à N, alors i l
est impossible d'en assigner une aux énoncés composés qui
contiennent N.
L'exigeQce
(A) a deux corollaires :
(Al)
Si un énoncé S est, selon un critère de significdtion
cognitive donné, dénué de signification, alors sa négation
S
le sera aussi.
(A2) Si un énoncé N est, selon un critère de signification
cognitive donné, dénué de signification, alors la conjonction
N A S et la disjonction N V S le seront aussi; que S so±t:
significatif ou non, selon le critère en question."
(25)
Cela étant)considérons les
exemples que donne Hempel
a)
Supposons deux propriétés 'être une cigogne' et 'avoir
des pattes' comme étant des caractéristiques observables et
que la première n'implique pas logiquement l'autre. Alors
l'énoncé
(2)
toutes les cigognes ont les pattes rouges
n'est ni ana~ytique , ni contradictoire. Il n'est pas non plus
déductible d'un ensemble fini d'énoncés observationnels puis-
que cigogne n'implique pas avoir les pattes rouges'. Donc
(2)
est dépourvu de connaissance cognitive.
De même le critère disqualifie les énoncés comme
'pour toute substance, i l existe un dissolvant' qui contien-
nent à la fois un quanteur universel
(qu'on ne pouvait d~dkû~
(24)
POPPER, Conjectives and refutations, p.
261.
(25)
HEMPLE, onv. cit., p. 62-63.

239
d'une classe finie d'énoncés observationnels)
et un quanteur
existentiel.
b) La négation de
(2), à savoir
,(2) est déductible de
n'importe quelle paire d'énoncés observationnels comme:
"a
est une cigogne"
et "a n'a pas les pattes rouges". La néga-
tion de
(2) a,
selon le critère une signification cognitive
mais pas (2). Or selon la condition
(A)/ce résultat est une
violation.
c)
Soit S et N deux énoncés où S satisfait mais où N ne
satisfait pas l'exigence de vérifiabilité. S est déductible
d'un ensemble d'énoncés observationnels, mais pas N. S 1\\ N
n'est pas déductible du même ensemble. Par contre la disjonc-
tion S V N est déductible de l'ensemble. Or cela est égale-
ment une violation de la condition
(A2) (26) •
Carnap n'était pas insensible aux critiques de Popper:
témoin { ce qu'il écrit dans Testability and Meaning
(T.M.)
"si par vérification, on entend un établissement définitif
et final de la vérité, alors aucun énoncé synthétique
(les
lois de la physique on de la biologie, par exemple) n'est vé-
rifiable. Nous pouvons seulement confirmer de plus en plus
un énoncé. C'est pourquoi nous parlerons du problème de con-
firmation plut6t que de celui de vérification."
(27) Carnap
a réalisé que les termes de la science sont des termes dispo-
sitionnels et qu'on ne peut définir ceux-ci de façon exhaus-
tive. Cet échec de l'opérationnalisme, Hempel le résume ainsi
"on se heurte â des difficultés dès qu'on veut donner des
définitions explicites en termes d'observables pour rendre
compte de termes dispositionnels comme
'soluble',
'malléable'
'conducteur d'électricité'."
(28)
Essayons de donner la définition suivante de
'fra-
gile' dans le langage observationnel.
(3) Un objet x est fragile si et seulement s'~ heurtent
brutalement à l'instant t / i l se casse à cet instant
Symbolisons cet énoncé par
(26)
HEMPEL, idem, p.
65-66
(27) CARNAP, T.N., p. 47.
(28)
HEMPEL, onv. cit., p. 70.
"

240
F ainsi défini n'a pas la signification désirée.
Si ce n'était pas le cas, on pourrait remplacer toutes les
occurrences de 'fragile' par son définiens. Or cela n'est
pas exact. En effet, si on garde la structure logique, on
trouve des contre-exemples. SOit un objet quelconque qui n'est
pas fragile
(un chapeau par exemple) mais qui n'est pas heur-
té non plus. Toutefois, l'énoncé sur la fragilité du chapeau
est vrai ; ce qui est absurde.
L'absurdité vient de ce que le définiens
est lui-même un énon-
cé conditionnel
(si on le heurte, alors i l se casse). Et cet
énoncé est vrai si son antécédent
(si on le heurte)
est
/
faux quelle que soit la valeur de vérité de son ConS~üe~.
J
Et c'est pourquoi n'importe quel objet qui n'a pas été heurté
à l'instant est fragile.
Pour remédier à la difficulté, on donne à l'expres-
sion 'si ... alors' du définiens une signification plus res-
trictive. Pour ce faire,carnap introduit des énoncés dits
de réductions à l'aide desquels i l résoud le problème de la
solubilité de l'eau. La solution est
(4)
'si un corps est placé dans l'eau a-.i~f~t, alors
ce corps est soluble si et seulement s ' i l se dissout
(à l'instant t) . '
En notation symbolique
( R) l):) [1; (X-).l)]:::> [ 5 l x) _ ç l~) *) 1
Carnap a interverti l'ordre des connecteurs afin de rendre
plus fiable le critère.
Il n'en demeure pas moins qu'il res-
Sent une méfiance à l'égard des termes 'théoriques'.
Il le
reconna1t dans Les fondements ~i1osophiques de la physique
mais ne renonce pas à les justifier en recourant à l'énoncé
de Ramsey.
Toutes les solutions apportées pour maintenir la
distinction ne seront pas suffisamment convaincantes pour He1ary
Putnam qui remet la scission en cause. Mais avant d'examiner
les raisons de Putnam, voyons des corrections apportées au
critère de vérifiabi1ité dont Hempe1 met à nu les contradic-
tions.

241
§ 4
Les échecs des versions libêralisées de la vêri-
fiabilité et ceux du critère de falsifiabilité.
La première version du vérifiabilisme dit :
un énoncé
est scientifique s ' i l est vérifiable; et i l est vérifiable
si l'on peut le déduire d'une classe finie et logiquement
non contradictoire d'énoncés obsenvationnels.
Nous avions vu qu'ainsi élaborée la version exclu-
ait les lois générales des sciences de la nature dont les
termes sont des termes dispositionnels.
Pour sauver les ter-
mes dispositionnels et sauver les lois de la nature,
l'empi-
risme introduit une autre procédure. On peut caractériser
les énoncés ayant une signification cognitive en interpré-
tant leurs termes constituants. Tout terme scientifique a
une signification empirique. C'est à ce titre qu'il figure
dans un énoncé ayant une siqnification cognitive. Ce terme
doit donc pouvoir être défini au moyen de termes observa-
tionnels qui renvoient soit à une caractérisation observa-
tionnelle
('bleu',
'chaud',
'plus brillant que')
soit dési-
gnent des objets physiques macroscopiques
('la lune',
'Angle-
terre',
'Jules César' •.. )
Définir les ter.mes constitutifs d'un énoncé scien-
tifique signifie réduire ces termes au donné observationnel,
leur donner une définition opérationnelle. Mais on se heurte
aux difficultés rencontrées lorsqu'il s'était agi de définir
le prédicat dispositionnel
'soluble'. Carnap a dû faire re-
cours aux énoncés de réduction.
Ceux-ci s'appliquent aux ob-
jets qui satisfontla condition-test et laissent indéterminée
la signification des objets qui ne satisfont pas la condition-
test.
En ce sens ces énoncés ont le statut de définitions
par-
tielles. Mais ils rendent possibles la formulation des défi-
nitions opérationnelles qui ne sont jamais complètes. Cela
étant, on dira d'un terme qu'il a une signification emplrl-
que s ' i l peut être introduit sur la base des termes observa-
tionnels par des chaînes de réduction. Le résultat fort allé-
chant en apparence contient de grandes limites que Hempel dé-
veloppe dans l'article sus-cité.
"Les énoncés de réduction
n'offrent pas,
. . .
les moyens adéquats d'introduire les termes

242
fondamentaux des théories scientifiques avancées, qu'on qua-
li fie souvent de
constructions
théoriques. On peut s'en aperce-
voie de la manière suivante: une chaîne d'énoncés de réduction
fournit une condition né'cessaire et suffisante de l'applica-
tion du terme qu'elle introduit
(Lorsque deux conditions coïn-
cident,
la chaîne devient une définition explicite). Mais pre-
nons par exemple le concept de longueur, tel qu'on l'utilise
dans la physique classique. La longueur en centimètres de la
distance entre deux points quelconques peut prendre n'importe
quel nombre réel positif pour valeur.
Pourtant, i l est certai-
nement impossible de formuler au moyen de termes observation-
nels une condition suffisante de l'application d'expressions
comme 'avoir une longueur de V 2 cm' et 'avoir une longueur
de 2 + lO-lOOcm'. Car ces conditions permettraient de discri-
miner en termes observationnels entre deux longueurs qui ne
diffèrent que de lO-lOOcm"
(29)
Et dans ce cas ce sont les
nombres irrationnels qu'on refute puisqu'ils ne sont pas ré-
ductibles à des énoncés d'observation.
Hempel !.montre que dans une théorie, on ne peut pas
parler de la
'signification expérimentale' d'un terme ou d'un
énoncé isolés. Dans des thoéries scientifiques qui "sont à un
âge suffisamment avancé" on peut procéder à des systèmes axio-
matiques et déductifs.
Soit la géométrie non euclidienne de Hilbert. On
y peut diviser les termes extra-logiques en termes de base ou
primitifs non définis dans la théorie et en termes définis, "
explicitement définis par les termes primitifs. C'est ainsi
que chez Hilbert les termes
'point',
'ligne d!Voite', sont pri-
mitifs et définissent les termes
'segment de ligne',
'angle'
Les termes de base,
les termes définis et les termes logiques
constituent le vocabulaire
à partir duquel sont construits
les énoncés de la théorie. Lovsqu'on veut procéder à une pré-
sentation axiomatique, ces énoncés sont à leur tour divisés
en deux parties : les énoncés primitifs ou postulats etlles
énoncés dérivés obtenus par déduction logique à partir des
postulats.
(29)
HEMPEL, in onv. cit., p.
72-73, De Vienne à Cambridge,
P. Jacob.

243
Toutefois, une telle théorie axiomatisée ne peut
constituer une théorie scientifique que si elle a reçu une
interprétation empirique qui la rend sensible aux phénomènes
de notre expérience.
"On donne une interprétation de ce genre en assi-
gnant une signification en termes d'observables à certains
termes ou certains énoncés de la théorie formalisée."
(30)
Cette interprétation n'est que partielle, généralement appli-
quée aux tenresdéfinis au moyen des termes primitifs. Mais
doit-on dire que l'interprétation donnée est uniquement donné
aux termes ou aux énoncés litigieux? Il n'est pas correct
de le dire car un énoncé ou un terme n'a
,lui-même aucune
explication expérimentale. Hempel le dit clairement :
"En
règle générale, dans une théorie scientifique, un énoncé seul
n'implique aucun énoncé observationnel. On ne peut en dériver
des conséquences affirmant l'apparition de certains phénomè-
nes observables, qu'en y joignant un ensemble d'autres hypo-
thèses subsidiaires. Parmi ces dernières, les unes seront des
énoncés observationnels, les autres des énoncés théoriques
déjà admis.
La théorie relativiste de la
Véflexion des rayons lumineux
dans le champ qravitationnel, par exemple, n'implique aucune
assertion décrivant des phénomènes observables, si ce n'est
en conjonction avec un corps considérable de théorie optique
et astronomique et avec un grand nombre d'énoncés ~pécifiques
décrivant les instruments utilisés pour observer les éclipses
solaires qui servent de test aux hypothêses en question."
(31)
En des termes sémantiques qui font penser à Quine,
Hempel pose que ce qu'une expression donnée ·signifie' est re-
latif à deux facteurs:
le cadre linguistique auquel l'expres-
sion appartient
(les règles qui déterminent les énoncés)
et
le contexte théorique dans lequel l'expression apparaît, c'est-
à-dire la classe des énoncés subsidiaires. Et Rempel d'aboutir
à cette conclusion :
"On ne peut atteindre aucun critère de
signification cognitive satisfaisant au moyen
( . . . ) d'exigences
(30)
HEMPEL, in onv. cit., p. 74.
(31)
HEMPEL, idem, p. 75.

244
spécifiques portant sur les termes composant les énoncés si-
gnificatifs. Ce résultat concorde avec des caractéristiques
générales de la théorisation scientifique : la formation des
théories et celle des concepts vont de pair.
L'une ne peut
pas réussir ~ans l'autre."
(32)
Carl Hempel délibérément (ou incide~ent) accepte
la scission du vocabulaire en observationnel et théorique. Il
accepte même l'id~e d'interprétation partielle des termes. Ce
qu'il refuse au contraire, c'est l'idée qu'on puisse soutenir
que l'interprétation se rapporte à un énoncé isolé ou à un
terme sans égard aux hypothèses et aux apports subsidiaires.
La position de Putnam est, à notre avis,
tout autre.
Il refuse la possibilité d' une interpr~,tation même
partielle des termes.
Il écrit ceci:
"on conçoit une théorie
scientifique comme un système axiomatique qu'on se représente
comme initialement non interprété et qui acquiert une
'signi-
fication empirique', une fois qu'on a spécifié la significa-
tion des termes observationnels et d'eux seuls. On se repré-
sente alors Ihascension de la signification partielle jusqu'aux
termes théoriques, comme une sorte d'osmose."
(33)
Si on soutient la distinction, c'est parce qu'on la
conçoit comme une explication et non comme une stipulation,
c'est-à-dire qu'on se dit que la siqnification des termes qui
ont conduit à la distinction va de soi. On ne leur octroie
pas une nouvelle définition. Au contraire, on classe et on
affû~e les usages préexistants de ces mots ... Mais lorsqu'on
les examine, on se rend compte que la dichotomie qui leur sert
d'enveloppe "n'a pas les reins bien solides."
Putnam montre la fragilité de la distinction, à notre
avis,par deux thèses essentielles
1)
Que les termes théoriques et les termes observationnels
s'amalgament, s'entremêlent et qu'il n'y a pas de cloison
étanche entre eux.
(32)
HEMPEL, idem, p.
76.
(33)
H.
PUTNAM,
'Ce que les théories ne sont pas' trad.
P. Jacob
in De Vienne à Cambridge, p.
222.

245
2) Qu'est fausse l'idée qu'en science la justification
s'effectue par
'vers le bas'.
En fait/la justification
s'effectue de tous les côtés, dans toutes les directions.
Ces deux thèses répudient la concpetion de Carnap.
Que dit cette conception? ceci:
"Le nom 'langage observa-
tionnel' peut s'entendre au sens étroit eti".au sens largè. Au
sens large, le langage observationnel comprend les termes
dispositionnels. Dans cet article,
je prends le langage ob-
servationnel Lo au sens étroit. " "On peut considérer qu'une
propriété observable est un cas particulier simple d'une dis-
position testable: par exemple, l'opération destinée à décou-
vrir si une chose est bleue, ou sifflante, ou froide, consis-
te respect±vementà regarder, à écouter ou à toucher la chose.
Cependant, dans la reconstruction du langage,
i l semble com-
mode de considérer certaines des prcprétés, pour lesquelles
le test est extrêmement simple
(comme dans le cas des exemples
mentionnés)
comme des propriétés, observables et de les uti-
liser comme des propriétés primitives dans Lo."
(34)
Comme on le voit, pour Carnap,
les termes observa-
tionnels désignent des qualités qu'on peut détecter sans
l'aide d'instruments. Mais est-ce toujours le cas? Un terme
observationnel ne peut elle pas parfois dénoter une chose ob-
servationnelle et parfois une chose non observationnelle ? C'est
l'examen de ces questions qui nous font déceler la vacuité
de la distinction.
La thèse
(1) de Putnam s'articule autour de deux
idées.
D'abord, si l'on dit qu'un terme n'est observation-
nel qu'à la condition de ne pas s'appliquer aux objets non
observationnel~alors les termes observationnels ainsi définis
n'existent pas. Leur classe est vide.
Il y a beaucoup de ter-
mes que Carnap inclurait dans le vocabulaire observationnel
qui désignent alternativement des entités observationnelles
et des entités non observationnelles. Putnam le dit sans amba-
ges.
"Il n'éxiste même pas un seul terme, dont i l soit vrai de
(34)
CARNAP, cit. par H. Putnam ' ce que les théories ne sont
pas' in onv. cit.,np.
224.

246
dire qu'il ne pourrait pas être utilisé
(sans qu'on change
ou qu'on étende sa signification)
pour dénoter des entités
non observables.
'Rouge' par exemple fut utilisé par Newton
lorsqu'il postula que la lumière rouge est formée de corpus-
cules rouges."
(35) Ainsi un terme comme 'rouge' qui est obser-
vationnel chez Carnap est ainsi vrai dl'entités observables
(vin rouge) que d'entités inobservables
(les corpuscules que
nous ne voyons ni ne touchons mais qui sont rouges). 'charge'
,
/
s'applique à des entités observables sauf lorsqu'un physicien
l'utilise pour parler de charges électriques.
Si donc on admet que les termes observationnels ou
mieux les énonciations comprenant des termes observationnels
peuvent dénoter et même dénotent des entités non observables,
alors i l n'y a pas de raison
(de maintenir soit que les théo-
ries et les spéculations concernant les parties non observa-
bles du monde doivent contenir des
'termes théoriques
(= non
observationnels)
soit que l'introduction des termes dénotant
des entités non observables constitue un problème."
(36)
Dès lors, on ne peut pas admettre la critique

savoir que dans certains contextes les
'termes observationnels'
s'appliquent aussi à des entités non observables)
et conserver
la classe des termes observationnels en les désignant par l'é-
tiquette
'terme observationnel'. En effet, i l n'est pas rai-
sonnable, une fois admis la non distinction, de désigner la
classe complémentaire - de termes observationnel- qui serait
la classe des
'termes non observationnels' au moyen de l'éti-
que
'termes théoriques'.
car l'identification de
'terme
théorique' avec les termes autres que dispositionnels est
équivoque.
Ensuite la définition que Carnap donne du terme
théorique n'est pas exacte. Un terme théorique authentique
est un terme qui appartient à une théorie scientifique. En
ce sens,
'satellite' pst un terme théorique même si les
choses qu'il désigne sont bien observables. Une fois qu'on
a rangé les termes théoriques dans le domaine des théories
srientifiques, on montre aisément que des énoncés observation-
(35)
H. PUTNAM, ibid, p. 225.
(36)
H.
PUTNAM ,
ibid, p.
225.

247
peuvent contenir des termes théoriques.
"Par exemple, écrit
Putnam, i l est facile d'imaginer une situation dans laquelle
pourrait intervenir la phrase suivante :
"nous avons aussi
observé la création de deux paires d'électron-positton." N'en
déplaise à Ramsey qui/trouvant les termes théorques suspects/
introduit des classes afin de supprimer les termes théoriques>
La méthode consiste à remplacer ces termes par des variables
de classes précédées de quantificateurs existentiels. Pour
lui)la phrase sus-citée serait:
"nous avons observé la créa-
tion de deu~ paires de classes d'entités ayant les propriétés
p. et P'"
(si P est mis pour 'électron' et P' pour 'position).
Dès lors~ où les termes bhéoriques sont ainsi ran-
gés, classer des termes comme 'malheureux',
'aime', etc .•• par-
mi les termes théoriques sous le prétexte qu'ils ne dénotent
pas des entités publiquement observables, c'est trahir l'usa-
ge habituel ou la démarche scientifique. En effet, la plupart
des termes descriptifs utilisés parla théorie darwinienne de
l'évolution sont des termes qui dénotent des objets observa-
bles. Faut-il alors qualifier les termes de la vie courante
('malheureux',
'aime'
. . . ) et pas ceux de la théorie de Darwin,
comme des termes théoriques
alors que les termes de la théo-
rie darwinienne et pas ceux de la vie courante appartiennent
à une théorie systématique ?
De la thèse
(1)
résulte la these (2)
à savoir que
ce ne sont pas uniquement les énoncés de base ou d'observation
qui donnent une gustification en science. C'est ~e qu'a mon-
tré
Hempel qui constate que la justification inclut des apports
subsidiaires. Putnam dit plus: "parfois de nouvelles assertions
théorique et vice-versa."
(37)
Et c ...est pourquoi la notion
d'interprétation partielle' n'a aucune portée.
Que signifie-t-elle ? Au moins trois choses lorsqu'on
l'I.applique indistinctement aux théories, aux termes, aux lan-
gages.
Al En empruntant la notion mathématique de modèle, on dira
que
'interpréter partiellement' une théorie, c'est spéci-
fier une classe non vide de modèles permis.
(37)
H. PUTNAM,
ibid, p.
222.

248
BI 'Interpréter partiellement' un terme P, c'est spécifier
une procédure de vérification au sens où nous avons défi-
ni cette procédure par le recours des énoncés de réduc-
tion.
Cl Enfin interpréter partiellement' un langage formel, c'est
interpréter une partie de ce langage. Par exemple, tra-
duire certains termes en langage ordinaire et laisser
aux autres le statut de symboles non interprétés.
Putnam montre les paradoxes de ces trois définitions.
Elles sont soit des pétitions de principe (A), soit inadéqua-
tes
(B) ou:simplement dépourvues des significations (C)
La première définition est une pétition de princtpe
dans la mesure où pour spécifier la classe de modèles permis
on emploie des termes théoriques. Si dans cette théorie que
nous cherchons à interpréter partiellement/son langage est
un langage de 'particules',
le domaine des variables indivi-
duelles sera le domaine de
'choses', mais de chose au sens
théorique, comme par exemple les points matériels et les sys-
tèmes de point matériels. Désignons ces points par la notion
d'objet physique'. Devons-nous dire que cette notion est ob-
servationnelle ? On ne le peut car elle est suffisamment vas-
te pour ne pas comprendre des points désignants des électrons
et ainsi des galaxies.
D'autre part.
la notion d'interprétation partielle
ne s'applique qu'aux théories dont les conséquences observation-
nelles sont vraies mais non à ceux dont les conséquences sont
fausses puisqu'on ne dispose d'aucun modèle standard auquel
associer leurs termes observationnels.
La deuxième définition est inadéquate. Non seulement
lorsqu'on l'entend au sens d'une procédure de vérifiabilité
forte, mais même lorsqu'on l'applique aux termes disposition-
nels. Supposons qu'on n'ait qu'un seul test qui permette de
savoir si un objet ~tsoluble, à savoir qu'il suffit de la
plonger
dans l'eau. Soit un morceau de sucre qui, mis dans
l'eau, se fond. Comment décider de la valeur de vérité de tous
les autres morceaux de sucre? Si nous concluons qu'une chose
(le sucre) qui n'a jamais été immergée dans l'eau est soluble/

249
i l s;';agit iltà d'une stilpulation iltinguistique plutôt qu'une
découverte. Nous donnons ici au terme
'soluh1e' une nouvelle
définition qui s'applique aux morceaux de sucre mais non au
morceaux de sel dont la solubilité pàr ce fait, aura une va-
leur de vérité indéterminée.
Quant à la troisiême définition, elle présuppose
simplement que les termes théôriques n'ont aucune significa-
tion et qu'il faut recourir à des notions sensées. Mais alors
pourquoi les introduire ?
Ce que sous-tendent toutes ces distinctions, c'est
1e,jprob1ême de l'interprétation ; celui qui consiste à don-
ner une signification aux termes théoriques en science. On a
pensé trouver ces fondements de significations dans des
'rè-
gles sémantiques' ou dans des
'règles de correspondance'
(Carnap)
ou dans un
'dictionnaire'
(Ramsey), etc . . . Putnam
constate que le dictionnaire n'a pas grande portée."si nous
laissons des termes théoriques apparaître à la fois dans les
définitions et dans les définitions, notre dictionnaire con-
tiendra des
'cercles'. Mais justement tous les dictionnaires
contiennent des cercles."
(38)
Pour Putnam, i l n'y a pas de ~s precls à partir
desquels on pourrait justifier les énoncés':scientifiques. On
se sert toujours d'un langage imprécis pour introduire un lan-
gage plus précis. La morale:
"si quelqu'un disait:
"je veux
que vous introduisiez les connecteurs logiques, les quantifi-
cateurs, et ainsi de suite, sans recourir à aucune notion
primitive imprécise (par ce qu'une
'reconstruction rationnelle'
n'a pas le droit de reoourir à des notions imprécises) et sans
recourir à aucun symbole logique primitif précis
(parce que
cela serait 'circulaire')", nous répondrions tout simplement
que la tâche est impossible."
(39)
Conférer aux termes théoriques ou aux
termes obser-
vationne1s des significations personnelles n'a aucun sens.
(38)
PUTNAM,
~bid. p. 234.
(39)
PUTNAM, ibid, p.
236.

250
Quine va radicaliser ces positions et donnera au
holisme qu'il soutient une originalité.
SECTION 14
La doctrine holiste.
INTRODUCTION
Nous avons vu les paradoxes du critère de vérifia-
bilité. Parti de l'idée que le porteur fondamental de la si-
qnification est le mot ou le terme pour lequel Carnap exigeait
un critère, on est arrivé à attribuer à l'énoncé d'être le
véhicule de la signification. Hempel et Putnam contestent à un
terme ou à un énoncé d'avoir une signification expérimentale,
à moins de tenir compte de contributions subsidiaires.
Il
n'en demeure pas moins que pour eux/l'expérience ne concerne
pas tout le tissu théorique mais les énoncés litigieux. On
peut dire que chez eux "le dogrr,e du réductionnisme survit
dans la supposition que chaque énoncé, isolé de ses compagnons
peut être confirmé ou informé. Quant à moi, écrit Quine,
en m'inspirant essentiellement de la doctrine carnapienne du
monde physique dans l'Aufbau,
je propose l'idée que nos énon-
cés sur le monde extéireur sont jugés par le tribunal de l'ex-
périence sensible, non pas individuellement, mais seulement
collectivement."
(40)
C'est cette position, qui a reçu le nom d"'holisme".
Quine cite à témoin le physicien françaiS
Pierre Duhem (pour
donner du poids à sa doctrine~ Mais Quine radicalise sa posi-
tion en affirmant que la totalité de la science constitue l'u-
nité de signifiance empirique. Cette position tranchée devra
être nuancée.
§ 5 : La thèse
'Duhem-Quine' et la révision de la logique.
"Si
chaque énoncé scientifique pouvait recevoir
sa part individuelle d'information,
•.. ,
la doctrine de l'ana-
lyticité pourrait être mainten~" (41) Cette idée selon laquel-
(40)
QUINE,
"Les deux dogmes de l'empirisme' trad P. Jacob,
in De Vienne à Cambridge, p. 107.

251
le on ne vérifie jamais une hypohtèse isolée n'est pas for-
tuite. Elle est le reflet de1à~pratique scientifique. On la
retrouve déjà chez Duhem que Quine cite à loisir.
Duhem, pour soustraire la théorie physique des que-
relles des métaphysiciens, propose qu'on convienne de définir
celle-ci un système de propositionSmathématiques. "Une loi de
physique, dans ce cas, est une relation symbolique dont l'ap-
plication à la réalité concrète exige que l'on connaisse et
que l'on o.Lcepti tout un ensemble de théories." (42) En disant
qu'une loi de physique est une relation symbolique, Duhem
veut signifier que la loi n'est ni vraie ni fausse, mais ap-
prochée. Toutefois, il n'en demeure pas moins que
'le physi-
cien qui;~~/~ une expérience ou en rend compte,reconnatt
implicitement l'exactitude de tout un ensemble de théories."
(43) Mais si une proposition se trouve inexacte, le physicien
ne soupçonnera;,pas seulement les hypothèses douteuses, ma:i:s aussi
les hypohtèses confirméesJcar après tout/les hypothèses confir-
mées peuvent l'avoir été par l'effet de l'hallucination.
Pour établir son raisonnement, Duhem distingue deux
types d'expérience:
l'expérience d'application et l'expérien-
ce d'épreuve. Une expérience d'application est celle qui tire
partie ou fait usage d'instruments des théories antérieures.
Par exemple, pour a11~er une lampe électrique à incandescence/
les théories admises indiquent les moyens de résoudre le pro-
blème. Pour faire1msage de ces moyens,
il suffit de se procu-
rer certains renseignements. Dans ce genre d'expérience, on ne
cherche pas à savoir la valeur ou l'exactitude de ces théories
à moins de les contester. Et:a10rs, on fait une expérience
d'épreuve.
Celle-ci est une épreuve pour infirmer ou confirmer telle ou
telle loi révoquée en doute.
Supposons qu'un "physicien se propose de démontrer
l'inexactitude d'une proposition, pour déduire de cette propo-
sition la prévision d'un phénomène, pour instituer l'expérien-
ce qui doit montrer si ce phénomène 11.se produit ou nel se pro-
duit pas, pour interpréter les résultats de cette expérience
(42)
P. DUHEM, La théorie physique,
son objet, sa structure,
2e ed., 1914, p.
254.
(43)
P. DUHEM, idem, p.
278.

252
et constater quele phénomène prévu ne s'est pas produit, i l
ne se borne pas à faire usage de la proposition en litige ;
i l emploie encore tout un ensemble de théories, admises par
lui sans conteste ;
la prévision du phénomène dont la non pro-
duction doit trancher le débat ne découle pas de la ,pvoposi-
tion litigieuse prise isolément, mais de la pvoposition liti-
gieuse jointe à tout cet ensemble ; si le phénomène prévu
ne se produit pas, ce n'est pas la proposition litigieuse
seule qui est mise en défaut, c'est tout l'échaffaudage théo-
rique dont le physicien
"fait usage". Et cela parce que "la
seule chose que nous apprenne l'expérience, c'est que, parmi
toutes les propositions qui ont servi à prévoir ce phénomène
et à constater qu'il ne se produit pas,
i l y a au moins une
erreur; mais où gît cette erreur, c'est ce que la théorie ne
nous dit pas. Le'; physicien
déclare-t-il que cette erreur
est précisément contenue dans la proposition qu'il voulait
réfuter et non pas ailleurs? C'est qu'il admet implicite-
ment l'exactitude de toutes les autres propositions dont i l
a fait usage ; tant vaut cette confiance, tant vaut sa conclu-
s ion."
( 4 4 )
Or, rien,
selon Duhem, ne nous garantit de l'exac-
titude de toutes ces autres propositions. L'expérience nous
informe qu'une au moins de nos hypothèses est inacceptable
et doit ~tre changée. Si donc la proposition litigieuse a
des correlations avec les propositions primitives et si l'ex-
périence exhume la présence d'une erreur, alors, écrit Duhem
"chercher à séparar chacune des hypothèses de la ph~sique
théorique des autres suppositions sur lesquelles repose cette
science afin de la soumettre isolément au contrôle de l'obser-
vation, c'est poursuivre une chimère
car la réalisation et
l'interprétation de n'importe quelle expérience de physique
impliquent adhésion à tout un ensemble de propositions théo-
riques. Le seul contrôle expérimental de la théorie physique
qui ne soit pas illogique consiste à comparer le système en-
tier de la théorie physique à tout l'ensemble des lois expé-
rimentales, et à juger si celui-ci est représenté par celui-là
(44) DUHEM, idem, p.
280-81.

253
d'une manière satisfaisante."
(45)
Cette nécessité de holisme épistémologique vient
du fait que, écrit Duhem, lorsque l'expérience est en désac-
cord avec ses prévisions,
(celles du physicien), elle lui
apprend que l'une au moins des hypohtèses qui constituent cet
ensemble est inaceptable et doit être modifiée, mais elle ne
lui désigne pas celle qui doit être changée."
(46)
Cet écrit
de Duhem reçoit en 1960 dans Le mot et la chose cet écho
"Le fait significatif qui caractérise les phrases qui ne sont
pas des énoncés d'observation, c'est que l'impact de l'ex-
périence sur elles n'est pas direct, mais qu'il s'exerce au
contraire par la médiation de phrases associées. Des alterna-
tives se présentent : les expériences appellent un changement
de théorie, mais elles n'indiquent pas précisément â quel en-
droit i l faut changer et comment."
(47)
Il n'est pas étonnant que Quine étende la doctrine
holiste â tout le savoir en écrivant que "nos énoncés sur la
réaH.téllexté:Lreure affrontent le tribur.al de l'expérien-
ce sensible non individuellement mais comme un corps organisé".
En 1951, dans
'Two dogmes' Quine sera plus explicite:'aucun
énoncé n'est à tout jamais à l'abri de la révision. On a été
iusqu'à proposer de réviser la loi du tiers-exclu, pour sim-
plifier la mécanique quantique: où est la différence de prin-
cipe entre u~ changement de ce genre et ceux par lesquels
"
Kepler a remplacé Ptolémée, Einstein a remplacé Newton, ou
Darwin a remplacé Aristote ?"
(48)
En soutenant que la logique n'est pas,;inaltérable.
c'est la conception traditionnelle de la logique comme disci-
pline normative que Quine rejette. Cette position a des alliés
notamment Putnam qui écrivait :
"Quelques vérités nécessaires"
de la logique peuvent~elles à jamais devenir fausses pour des
raisons empiriques ? Je soutiendrai que la réponse à la ques-
tion est affirmative."
(49) C'est-à-dire oui.
Sans nous attacher aux différentes formes de logi-
ques dites déviationnistes, c'est à la logique quantique que
(45) DUHEM, idem, p.
303-304.
(46)
DUHEM, idem, p.
284.
(47)
OUINE, Le mot et la chose, p.
(48)
'TID dogmes' trad. fr.
P. Jacob, in onv.cit.,;,p.
109.
(49)
HAACK SUSAN,
in op. cit., p.
26.

254
nous nous intéresserons.
Proposer de réviser les lois de la logique classi-
que ou même envisager qu'elles puissent être révisables peut
choquer surtout les fondationnalistes. Cependant, i l est impos-
sible de conserver ce-J'~;"fois de la logique classique et' ne nier
ipso-facto la validité de la théorie quantique, c'est-à-dire
cette théorie qui traite des quantités discontinues dans
l'émission ou l'absorption de l'énergie. En parlant de dis-
continuité, les connecteurs
'et',
'ou' et 'non' vont être al-
térés,
~!zt;\\ti\\)1\\.. suggérée par la mécanique quantique ; nous
appele~ons alors logique quantique cette modification.
Soit en logique classique les lettres schématiques
d'énoncés:
'P',
'Q' et 'R' et les énoncés atomiques suivants
avec leurs équivalences :
si
PI\\(Qv~)
lP"~) v ( pA..e)
P V (& /1 R)
( p v 12) /1. (P V te)
Ces équivalences respectives sont obtenues en vertu
des lois de distributivité de ladisjonction par rapport à la
conjonction et inversement. Ces formules de distributivité
sont comparables aux lois de distributivité de l'addition et
de la mUl~iplication en arithmétique.
Mais considérons certains phénomènes microscopiques
tels qu'ils sont décrits par la mécanique quantique selon
laquelle l'électron, comme d'ailleurs d'autres particules
élémentaire- possède un moment angulaire intrinsèque : le
spin. Celui-ci est quantifié et quelle que soit la direction où
on le mesure, i l ne peut prendre que l'une des deux valeurs
"en haut" ou "en bas". Soit alors P,
la proposition:
"le spin
est "en haut" selon l'axe x", Q la proposition "le spin est
"en haut selon l'axe y"
et R la-proposition "le spin est
"en bas" selon l'axe y". Lorsqu'on fait une expérience de
polarisation, on constate que la proposition PA ((Q V/!.)
est
vraie mais que la formule
(Pli 1(1) V (P A ~)
doit être
ab:lndonnée •

255
Le rejet de la loi de distributivité vient de ce
qu'en mécanique quantique, on peut constaterJet on constate
en fait)que toute opération sur une particule élémentaire qui
fixe la valeur d'une variable quantique détruit notre connais-
sance de la valeur d'une autre variable au moins. Autrement
dit, si nous connaissons avec certitude la composante du spin
par exemple selon l'axeY,
la valeur de la composante selon
l'axe x est complètement inconnue :cc'est donc une variable
aléatoire dont les probabilités d'être "en haut"
ou "en bas"
sont égales. C'est cela qui a conduit au "princpe d'incerti-
tude" de Heisenberg et qui a motivé la position que l'adoption
d'une logique non-standard fournirait une solution aux problè-
mes causés par la mécanique quantique. Parmi les tenants de
cette logique quantique, on trouve les noms de Von Neumann et
Uirkhoff)putnam, etc ...
Destouches-Février écrivait notamment:
"Il n'y a
pas une logique unique indépendante de tout contenu, mais dans
chaque domaine une logique se trouve adéquate.
Il y a inter-
dépendance du 10glÏ!que et du physique, du formel et du réel." (50)
La mécanique quantique nous apprenant qu'une parti-
cule ne se trouve pas en tel ou tel point de l'espace mais
plutôt qu'elle all.une probabilité plus ou moins grande de s'y
trouverjla logique quantique construit un système logique à
trois valeurs. C'est du moins ce que fait Reichenbach. C'est
le système de ce dernier que nous allons étudier.
Il attribue
son système à Bohr et
k eir.>enberg .
Pour Reichenbach si on utilise la logique classique,
/
la mécanique quantique donne des conséquences inacceptables :
les "anomalies causales" écrit-il. Au contraire si on utili-
se une logique à trois valeurs/ces anomalies peuvent être é-
vitées. Par 'anomalies causales'/Reichenbach entend un énoncé
qui contredit les lois établies pour les
(choses) observables
c'est-à-dire toute
grandeur physique qui puisse être observée
et mesurée, par exemple les variables dynamiques
(forces et
mouvements). Reichenbach dit qu'il y' a une classe de descri~­
tions équivalentes d'objets inobservés desquels on désigne
comme vrai l'objet qui est normal, c'est-à-dire qui est tel
(50) DESTOUCHES-FEVRIER cité par HAACK in pp. cit., p. 149.

256
qu'â la fois
(l)
les lois de la nature sont les mêmes si
les objets sont observés ou non et (2)
l'état des objets est
le même si les objets sont observés ou non. Par exemple/lors
d'une polarisation d'un faisceau d'électrons selon un cer-
tain axe, on constate un phénomène de diffraction de la I.lu-
mière sur l'écran vers lequel est dirigée la polarisation.
Ce qu'on ne peut s'exp1ique~ c'est le phénomène de diffrac-
tion.
Pour cette raison, en analogie â la distinction
observable/non observable dans le macrocosme, Reichenbach
fait, dans le microcosme, une
distinction entre phénomènes
occurrences facilement inférables des data et inter phénomè-
nes-occurrences/introduites par des cha1nes d'inférences,
par exemple occurrences entre les coïncidences, telles les
mouvements d'électrons. Il est dit que les fonctionsd'onde et
de corpuscule qui sont des abstractions utilisées pour décrire
le comportement des particules, notamment de l'électron dans
notre cas/fournissent des descriptions équivalentes de l'inter
phénomène mais ne constituent pas davantage une description
normale. Dans l'un et l'autre,on remarque que des énoncés sont
,
dérivables qui énoncent que les événements survenant/sont
contraires aux lois classiques établies pour les observables.
De tels énoncés sont les anomalies causales.
Comme exemple d'anomalie Reichentach donne celui
de la polarisation.
Il considère une expérience consistant en
un diaphragme contenant une ouverture B à travers laquelle
passe une radiation de lumière d'une source A vers un écran
et donnant ainsi un photon de fréquence qui, dans le cas de
très faibles intensités de lumière consistera en de petits
éclats de lumière sur une certaine surface, disons C d'un
écran, dans la figure suivante.
B
.....
"-
A- -
.....
C
5o\\..o.~ Ji 'f,,0'ItlhôYl
DICl~(''',&,~
e.c n:t ....

257
f'c l'CV>"
Dans cette expérience,
les phénomènes sont les
éclairs sur l'écran.
Si les interphénomènes sont introduits
lorsqu'on emploie une fonction de particule, une description
normale est obtenue. Les particules individuelles sont émises
de la source de radiation, en B, elles interagissent avec
les particules dont est composé le diaphragme ; donc elles
devient de leur course d'une façon telle qu'elles heurtent
l'écran. Il y a donc une probabilité P
(A,B) que la particule
quittant A arrivera â B et une probabilité P(A,B,C) qu'une
particule quittant A et passant â travers B arrivera â C.
Supposons maintenant que nous utilisions les inter-
phénomènes en employant une fonction d'onde:
les ondes sphé-
riques quittent A, une petite partie de ces ondes passe â
travers B et se déploie vers l'écran, cette partie composée
de différentes formes chacune avec un centre et se trouvant
sur des points â l'intérieur de B. Aussi longtemps que l'onde
n'a pas atteint l'écran, elle couvre une surface étendue. Mais
quand elle atteint l'écran, elle produit un flash â un seul
endroit, C. Aussi on peut dire que l'onde disparaît avec
tous les autres points. Mais ceci constitue une anomalie cau-
sale.
Reichenbach considère ensuite une autre expérience
mais avec deux ouvertures du diaphrame. Les phénomènes sont â
nouveau les éclairs sur l'écran. On a la figure suivante:
8i
A
- - - - - - -_ c..
- -
..sov.-r-C.t/ ~
1:1
t87.-
r/llcha/r'l(j '"
r<l \\' h""8""
~ vI'""'1

258
Cette fois c'est une fonction d'onde des inter-
phénomènes qui fournissent une description normale, puiqu'on
a deux ouvertures ~ mais c'est la fonction de particule qui
donne des anomalies causales en ce sens où au lieu de passer
par Blou B2, i l Y a déviation :certaines particules quit-
tant A,passent à travers BI et certaines passent à travers
B2 certaines étant absorbées ou réf1ech!es par le diaphragme
1
et alors la probabilité que ï 'une particule atteigne C est
donné de la façon suivante.
P (A,C)
= P (A,Bl).
P (A.Bl,C)
+ P (A,B2). P (A.B2,C)
(51)
Il ne s'agit que de probabilité/car selon la méca-
nique quantique, bien qu'il soit possible de mesurer la posi-
tion d'une particule et possible de mesurer son mouvement,
i l est impossible de mesurer à la fois sa position et son
mouvement.
Bohr et Heisen!erg ont suggéré de considér~~comme
dépourvu de sens des énoncés qui indiquent à la fois la po-
sition et le mouvement d'une particule àllun temps donné.
Reichengach préfère dire que de tels énoncés sont pourvus de
sens mais qu'ils ne sont ni faux ni vrais mais indéterminés.
Ce qui l'a conduit à sa logique ternaire dont nous donnons
ici les tables qui attribuent l'une des trois valeurs: vrai
faux,
indéterminé •
Logique ternaire de Reichenbach
(52)
(voir tableau page suivante)
(51)
Ce résumé est redevable à Haack in op.cit., p.
151.
(52)
Ce tableau est tiré de la Revue
'Pour la science', n 0 51
Décembre 1981

259
l
V
V
\\t
v
_.._.-
._--,."
1
v
i
1
1
1
1
F
V i 1--
F
1
v
1
,
!
,
V
! F
i
F
I-
-_._._...~.-
l
"
y
v
Ainsi, si on sait que la composante selon l'axe
x du spin est en haut
(soit P)
toute proposition à propos de
la composante y
(soit Q)
est considêrée comme indéterminée
dans le schéma de Reichenbach. Mais est-il possible que la
logique quantique de Reichenbach et des autres systèmes ré-
solveIT~es difficultés de la mécanique quantique? A supposer
que la réponse soit affirmative, en révisant même les lois
logiques, ne risque-t-on pas de confondre théorie et langage
et alors de créer l'incommensurabilité/auquel cas on aboutit
au relativisme de Thomas /tu hl'] ? Ouine, naturellement évite (:
cela.
§ 6 . La généralisation du holisme et l'apparente confu-
sion entre la théorie et la langue.
Quine a radicalisé le holisme.:
~ holisme,
sous la forme quenous avons considéréiprenait pour unité l'énon-
cé. Autrement dit ce qui comparaît au test de l'expérience
ce n'est pas la thêorie entière mais un ensemble d'hypothèses
de cette théorie reliées entre elles par des liens logiques.
Par exemple, dans la théorie des quanta ce ne sont pas toutes
les lois du rayonnement qui sont mises en cause. Bien au

260
contraire, Planck de qui date à proprement parler de la théo-
rie des quanta, au lieu d'accorder à l'oscillateur une éner-
gie uniformement croissante, le considère comme ne pouvant
avoir n'importe quelle énergie. Celle-ci ne pouvait varier
que par multiples entiers de l'énergie élémentaire. Pour Quine
ce point de vue n'est pas exact car en se comportant ainsi
c 'pst ((un boulversement de la conception de base qu'opère
Planck dans notre exemple. C'est pourquoi Quine écrit que
'même en prenant pour unité l'énoncé, nous employons un tamis
trop fin.
L'unité de signification empirique est la totalité
de la science."
(53)
En 1953, Quine écrit encore:
"comme Pierre Duhem
l'a dit avec force, ,'est le système comme un tout qui est
chevillé dans l'expérience ... "
(54)
Le premier type de holisme, celui qui ne considère
l'énoncé, est appelé
'holisme épistémologique' par Gochet ;
le second a pour nom 'holisme sémantique', et Gochet de trou-
ver le second excessif. Il nous semble que cet excès est
nominal. En effet, on peut donner deux types d'interprétation
du holisme sémantique dont la seconde, logiquement
(dans la
perspective de Quine)
cohérente est méthodologiquement impro-
/
pre.
La première interprétation est celle relative à la
position d'un savant qui refute une théorie physique donnée.
Ce qu'il réfiute;c'est la tbtalité de la théorie de son adver-
saire. Un exemple nous est fourni par la relativité d'Einstein
contre la physique de Newton. En refusant la théorie de Newton
ce ne sont pas des énoncés collectifs que Einstein nie mais
toutes les lois physiques -ou à peu près toutes~ de Newton,
On sait qu'Einstein a modifié les notions d'espace, de temps
de moment et de masse. Désormais la masse n'est plus constRn-
te mais varie relativement à l'énergie.
Si l'on doit chercher
une signification empirique de la science, c'est la science
tout entière qu'il faut considérer.
(53) QUINE, Les deux d.ogmes, trad. fr. P. Jacob in onv. cit.,
p.
108.
(54)
QUINE,
'On Mental entities', in W.P, p.
209.

261
Mais à l'intérieur d'une même théorie peut-on
mettre en cause tout le système ? Cette seconde interpréta-
tion prête le flanc aux critiques. C'~st ce que fait Chomsky.
"Les vues de Quine au sujet de l'interprétation de la théorie
et du langage sont bien connues ; mais même en les acceptant
pleinement, on ne peut douter que la langue d'une personne
et sa théorie soient des systèmes différents."
(55)
Or Quine,
selon Chomsky, les regarde de façon interchangeables. Quine
s'en défend. Mais i l reconnaît qu'il lui arrive de ne pas dis-
socier théorie et langage afin de ne pas donner raison aux
propositionalistes.
"Cette tendance, écrit-il, se rattache à mon rejet
de la distinction traditionnelle entre les énoncés analyti-
ques et les énoncés synthétiques ; ou, ce qui revient au même,
à la distinction entre la signification et l'information
collatérale largement partagée ; ou encore à la notion que
les phrases d'une théorie ont leur contenu empirique propre
et séparable."
(56) Cette assimilation--:âiSODS; plutôt l'inter-
dépendance-entre la théorie et la langue vient du fait que dans
les questions générales de traduction et d'apprentissage/on
ne donne pas de dispositif spécifique ni me~e une quelconque
distinction entre le dispositif et les autres dispositifs.
Mais il n'en demeure pas moins que le contraste entre la théo-
rie et la langue continue/au sens on une même théorie peut
être énoncé dans différentes langues ; et réciproquement beau-
coup de théories/même en conflit/peuvent être couchées dans
une même langue. Le langage établit les phrases et dit ce
qu'elles signifient. La théorie ajoute sélectivement la quali-
té assertive ou la simulation de la croyance sélective. En ce
sens la théorie en tant que ensemble de toutes les phrases
bien formées et non contradictoires, est toujours un sous-
ensemble de la langue.
En réalité, dit Quine,
langue et théorie sont inter-
changeables dans certains cas ~dans une traduction par exemple-
mais pas dans tous les cas -dans ceux de l'expérimentation- Il
le dit à maints endroits.
---------------------_._----
(55)
CHOMSKY,
"Quine's Empirical A.ssomptions' in Synthèse, p.
57
vol. 19.
(56)
QUINE,
'Replies' in synthèse, vol.
19, 1968, p. 281.

262
Dans
'Two dogmes' on l i t ceci
:
"la totalité de
ce qu'il est convenu d'appeler notre savoir ou nos croyances
des faits les plus anecdotiques de'l'histoire et de la géogra-
phie aux lois les plus
profondes de la physique atomique ou
mêmes des mathématiques pures et de la logique, est une étof-
fe tissée par l'homme, et dont le contact avec l'expérience
ne se fait qu'aux contours. Ou encore, pour changer d'image,
l'ensemble de la science est comparable à un champ de forces,
dont les frontières seraient l'expérience. Si un conflit avec
l'expérience intervient à la périphérie, des réajustements
s'opèrent à l'intérieur du champ.
Il faut alors redistribuer
les valeurs de vérité à certains de nos énoncés."
(57)
Dans La philosophie de la logique Quine écrit: "sup-
posons qu'à partir della combinaison d,lune douzaine d'entre
nos opinions théoriques/un savant dérive, en biologie molécu-
laire, une prédiction qui tombe en défaut. Ce savant sera por-
té à examiner, en vue de les réviser éventuellement, la demi-
douzaine d'opinions qui relèvent de la biologie moléculaire,
plutôt qu'à tripoter la demi-douzaine d'énoncés qui concernent
la logique ou l'arithmétique ou qui décrivent en gros le com-
portement des corps."
(58)
Les deux ~itations quoique semblables ont des pré-
suppeosés plus ou moins différents. Mais ils se rejoignent. En
écrivant que la science est une étoffe tissée dont le contact
avec l'expérience se fait aux contours ou à la périphérie/Quine
établit ce qu'il appelle une relation d'affinité'
élective
avec l'expérience semsible : certains énoncés avec certaines
expériences. Les énoncés qui sont situés à la périphérie du
champ sont plus soumis à
l'expérience que ceux situés plus
loin.
"C'est qu'on impute une référence empirique plus saîl-
lante à ces énoncés qu'aux énoncés théoriques abstraits de
la physique, de la logique ou de l'ontologie. On peut localiser
ces derniers relativement près du centre du réseau global -ce
qui veut dire simplement que leurs liaisons préférentielles
avec des données sensorielles particulières ne s'imposent
(57)
QUINE,
'Les deux dogmes', trad.
fr.
P. Jacob, in 0UV. ci t.
p. 108.
(58) QUINE, ~L~, p. 17.

263
qu'en très petit nombre."
(59)
De cela découle la maxime de
la 'mutilation minimum' qui se rapporte à notre seconde cita-
tion.
Il s'agit de ne pas exposer plus qu'il n'en faut au
test de l'expérience. Et c'est parce que la logique quantique
détruit la maxime de la 'mutilation minimum' que Quine refuse
dette logique. Une autre raison de Quine est que cette logi-
que ne jouit pas de la propriété de simplicité qui est exigée
à toute science. Haack donne des raisons que nous n'examine-
rons pas ici pour ne pas nous surcharger.
En raison de la maxime,Quine refuse la logique à
trois valeurs de BOCHVAR. Le projet de Bochvar est de donner
une solution aux paradoxes sémantiques ou ensemblistes sans
qu'on ait besoin de la théorie des types ou de la théorie
de lé! vérité de Tarski. Soit la classe paradoxale de Russell
.(~: 1.(;;t E-6-)
et l'énoncé qui dit que cette classe
est élément d'elle~même ou encore le paradoxe sémantique:
'cet énoncé est faux',' (vrai s ' i l est faux et faux s ' i l est
vrai).Bochvar dit que ces genres dénoncés ne sont ni vrais
ni faux mais qu'iD prennent une valeur tierce intermédiaire.
La valeur 'paradoxal' que prennent les énoncés récalcitrants
à l'égard de la bivalence. Comme le dit Quine
'l'équivalence
de ces énoncés à leurs propres négation, autre fois si ennuy-
euse, peut alors être admise tranquillement, puisque la néga-
tion est devenue, bien entendu,
la négation réformée de la
logique à trois valeurs.
( . . . ) néanmoins l'idée ne me plaît
pas. Elle va contre une stratégie généralement correcte que
j'appellerai la maxime de la mutiliation minimum."
(60)
La position de bochvar est en effet à la fois trop
large et trop étroite: trop large parce qu'elle requiert un
changement dans le calcul élémentaire des énoncés des princi-
pes logiques i elle est trop étroite parce qu'elle ne résoud
pas les problèmes du 'paradoxe renforcé' du menteur.
Ainsi l'énoncé
(1)
cet énoncé est soit faux,
soit paradoxal
qui est faux ou paradoxal s ' i l est vrai, vrai s ' i l est faux,
(59)
QUINE,
'Les deux dogmes'
in onv. cit., p. 110.
(60)
QUINE, P.L., p. 126-27.

264
et vrai s ' i l est paradoxal. Ce faisant,on gâte la paix de la
simplicité et de la convenance "qui règne dans les secteurs
heureux"
de la logique. Mais alors, pourquoi soutenir que la
logique est revisable si on ne peut se permettre de troubler
la paix dans la logique. La révisibilité de la logique que
soutient Quine n'est-elle pas finalement de l'ordre du prin-
cipe que de l'effectivité? Dans la remarquable introduction
de Quine dans Les Méthodes de logique on l i t ceci :
"Nous pou-
vons toujours nous tourner vers d'autres secteurs du système
lorsque des révisions sont imposées par des expériences inat-
tendues. Mathématiques et logique situées comme elles le sont
au centre de notre organisation conceptuelle, tendent à se
voir accorder une telle immunité, conséquence de notre préfé-
rence conservative pour les révisions qui dérangent le système
le moins possible ; et là réside peut-être la "nécessité" dont
nous sentons que jouissent les lois des mathématiques et de
la logique."
(61)
Il n'y a pas lieu de voir là un
conservatisme impé-
nitent car Quine continue :
"Les lois logiques sont les énon-
cés les plus centraux et les plus décisifs de notre organi-
sation conceptuelle, et pour cette raison les mieux protégés
de la révision par la force du conservatisme; mais, toujours
à cause de leur position décisive, ce sont aussi les lois
dont une révision convenable pourrait provoquer la simplifi-
cation la plus radicale de notre système de connaissance tout
entier."
(61)
Il en ressort que la révision de la logique est
dictée par des considérati0ns pragmatiques : des considérations
sur les bases de la convenance, de la simplicité et de l'éco-
nomie. Or la logique quantique n'obéit à aucun de ces critères.
Quine let di t
:
"Ne sous-estimons pas le prix à payer pour l ' a-
doption d'une logique déviationniste. Cela entraîne une sérieu-
se perte de simplicité, notamment quand la nouvelle logique
n'est même pas une logique des fonctions de vérité à plusieurs
valeurs. Autre perte, et celle-ci plus grave, c'en est fait
du caractère familier de la logique ..• Le prix à payer n'est
(61)
QUINE, Méthodes de logique, trad. fr. M. Clavelin, p. 12-13.

265
peut être pas p~ohibitif, mais le rendement devrait égaler le
prix ...
Toutes choses égales d'ailleurs, moins i l y a de
la graisse, mieux cela vaut;
seulement lorsqu'on se met à
envisager de compliquer la logique pour oter la graisse à
la physique quantique,
je me doute que les choses sont loin
d'être égales d'ailleurs. La graisse a remarquablement rempli
sa fin qui est de produire une théorie harmonieuxe,
il fau-
drait l'excuser plutôt que l'exciser."
(62)
Quine ne nie pas la mécanique quantique. Seulement
i l doute qu'on ait trouvé à ce jour une logique quantique qui
obéisse aux principe de simplicité.
La recherche d'une notation simple n'est pas seu-
lement l'apanage de la logique. Nos recherches sur la connais-
sance sont guidées par la recherche de la simplicité. Quine
en donne un exemple en physique "une révision à grande portée
des lois fondamentales de la physique a été arrêtée au cours
des derniêres décennies, pour des raisons de simplicité, de
préférence au désordre des:lois complémentaires ad hoc qui
autrement eussent été nécessaires afin de faire place aux
expériences rebelles de Michelson et Morley et d'autres ex-
périmentateurs. Les expériences ultérieures
'confirmèrent'
les révisions fondamentales,
en ce sens qu'elle accrurent
encore l'écart de simplicité."
(63)
L'écart de simplicité fut la relativité de Einstein
« En 1887, à Cleveland/eut lieu l'une des expériences
les plus célêbres de toute l'histoire des sciences. Les phy-
siciens Michelson et Morley entreprirent de mettre en évidence
le mouvement de la Terre par rapport au Soleil. La communauté
scientifique internationale s'accordait à reconna!tre la qua-
lité du dispositif expérimental mis au point par lesphysi-
ciens américains. Graêe à cet interféromètre, on devait en
quelque sorte "voir" notre planète tourn eJt.. sur son orbite.
L'expérience eut lieu. Parfaite ... et l'on ne vit rien du tout.
(62)
QUINE, P.L., p. 127-128.
(63)
QUINE, Méthodes de logique, Trad. fr.
p.
13.

266
Ce résultat totalement négatif semblait indiquer que la Terre
était immobile dans l'espace. Michexson et Morley n'avaient
rien découvert de ce qu'ils cherchaient et posaient â la scien-
ce un incoryable paradoxe: d'un côté toutes sortes d'obser-
vations astronomiques confirmaient le système copernicien,
de l'autre des mesures physiques paraissaient correspondre au
vieux géocentrisme. Une expérience pour rien, serait-on tenté
de dire/car
hul évidemment ne douta que la Terre tournait
bien autour du Soleil.
Pourtant ce résultat, décevant en apparence, allait
stimuler l':i.magination des; physiciens et, .. indirectement, con-
duire â la découverte de la relativité généralisée.
Car on ne saurait rendre à la science plus grand
service que de lui poser des énigmes. Avant 1887, la théorie
de l'électromagnétisme se développait confortablement sur
l'hypothèse d'un éther emplissant tout l'espace et servant
de support aux champs de force.
Et tout s'expliquait fort
bien ~I.us.qu' à ce que Michelson, inventeur de l'interféromètre,
eut l'idée de mettre â l'épreuve, non pas l'hypothèse de l'é-
ther, mais celle de l'héliocentrisme. La Terre étant en mouve-
ment relatif par rapport â l'éther "luminifère", la vitesse
de la lumière devait être différente selon qu'on observait
un faisceau dans le sens du mouvement terrestre ou en sens
contraire. Simple application de la loi de composition des
mouvements. Tout devait être ainsi et tout fut
. contraire.
La science butait sur une "non-découverte" qui rendait incohé-
rent son corpus ~e lois et l'obligeait à se dépasser. La phy-
sique était prête pour la relativité. Pour ce seul résultat,
Michelson eut mérité son prix Nobel de Physique.
La science prétend comprendre la réalité -nous re-
viendrons longuement sur l'ambiguïté de ce terme- encore faut-
il que cette réalité se laisse sâisir par quelque bout. > ~3
La logique/cherchant aussi la notation canonique
la plus simpleJne;Jpeut reposer uniquement sur des conventions
linguistiques.
Il y a interaction entre la logique et les
autres disciplines qui cherchent à répondre à la question

267
"Qu'est-ce qui existe ?' Ce sont les rapports entre logique,
mathématiques et s~ience naturelles que Quine établit au cha-
pitre 7 ou dernier chapitre de Philosophie de la Logique.
§ 7
Ce sur quoi repose la logique
Au chapitre 3 de notre présent travail, nous avions
vu les critiques quinéennes de la doctrine linguistique des
vérités logiqUes. Quine à la fin de Philosophie de la_.l:.<?-g:i~~.1
l
donne les raisons de cette doctrine.
Il montre qu'elles sont
triviales.
Trois raisons essentielles, explique Quine,font
croire à la doctrine linguistique des vérités logiques.
!'
(1)
Il Y a d ' abord le caractère linguistique de la gram-
maire et du lexique. Ce sont des schémas qui nous servent à
parler du monde.
Il est évident qu'une vérité logique étant
quelque chose qui reste vrai pour toutes les substitutions aux
expressions du lexique, ne dépend, on en convient, d'aucun
des caractères particulier du monde qui sont distingués dans
le lexique. En effet l'énoncé
(2) Quiconque marche, marche
dont lasymbolisation est
( 3)
lvX) ( p)t "/ G-)()
ne dépend pas de lafaçon idiosyncrasique de marcher et demeure
vrai pour toutes les substitution uniformes et univoques opé-
rées dans le lexique.
Il y a ensuite -e.u égard à la première raison-Il' im-
l
manence de la grammaire et du lexique. Ainsi
'Socrate a bu
la ciguë' serait un énoncé faux si on donnait au mot
'bu'
un autre sens que celui qu'on lui connait.
En soutenant la doctrine linguistique des vérités
logiques, disant qu'un énoncé est
'vrai en vertu de . . . ', notre
point de mire se déplace sur l'expression
'en vertu de".
Etant
donné certaines circonstances et un certain énoncé vrai, pour-
rions-nous espérer de montrer que cet énoncé est vrai en vertu
des circonstances ?
(63)
Extrait de l'article de François de Closets :
'Et si
EINSTEIN s'était trompé ?'
(a propos de la mécanique
quantique)
in sèience et avenir, n0418, Dec. 1981, p. 80.

268
Soit l'énoncé
(4)
Brutus a tué César ou Brutus n'a pas tué César
Si nous étions capable de montrer que cet énoncé est impliqué
logiquement par des énoncés décrivant les circonstances en
question, pourrait~on nous demander plus? Or les vérités
logiques sont impliquées par un énoncé quelconque.
"Il est
donc trivial, écrit Quine, que les vérités logiques sont
vraies en vertu de n'importe quelles circonstances il/nous
plaira de nommer
le langage,
le monde, n'importe quoi."
(64)
Il Y a enfin une troisième raison. C'est celle de
la généralisation oblique. Dire
'Torn est mortel ou Torn est non
mortel' est vrai en vertu du langage, c'est tomber dans la mê-
me trivialité précédemment évoquée. Malheureusement, cette
trivialité n'a pas empêché certains logiciens à soutenir le
dualisme entre les vérités logiques et les vérités mathéti-
ques d'un côté et les sciences naturelles de l'autre. Evidem-
ment/pour Quine/ce dualisme est insoutenalbe.
Il évoque trois
raisons qui encouragent ce dualisme et qui tendent à faire
croire que la logique et les mathématiques ont des fondements
différents de ceux des sciences dites exactes.
La première circonstance est le caractère remarqua-
blement obvie ou potentiellement obvie de la logique. La deu~
xième concerne l'absence du sujet propre: la logique n'accor-
de de préférence à aucun fragment particulier du lexique ni
à aucun sous domaine de valeurs des variables. La troisième
raison qui découle des deux premières, est que la logique est
utilisée partout. Quine
à propos de ces trois points, compa-
re la logique et les mathématiques.
En premier lieu, la logique, dit Quine, est obvie
eu égard au comportement.
"Quand je dis que
'1 + Il = 2' est
obvie pour une commuanuté linguistique,
je veux dire simple-
ment que chacun, ou pr~squeidans cette communauté yassentira
quelles que soient ses raisons,; et quand je dis
' i l pleut'
est obvie en des circonstances particulières,
je veux dire
(64) QUINE, B.L., p.
142.

269
que chacun,ou presque,y assentit sans hésiter dans ces cir-
constances."
(65)
En soutenant que toute vérité logique est
obvie ou potentiellement obvie, Quine veut dire que chacune
est obvie telle qu'elle se présente ou bien peut s'atteindre
à partir de vérités obvies moyennant une suite de pas qui
sont chacun obvie. Ce caractère se révèle dans notre langage
canonique incluant la vérité,
langage qui admet les procédu-
res de preuve. On le sait, la règle du Modus Ponens préserve
le caractère obvIDe du théorème de déduction. Le caractère
est lié au critère d'assomption ontologique (cf. ch. 8)
Préserver ce qui est obvie est l'entreprise du lo-
gicien engagé dans une traduotion radicale ou non/ou d'une
théorie physique donnée. La traduction au sens large doit
préserver ce qui est bbvie dans la théorie relativiste ou
dans la théorie des quanta.
Il en résulte que la règle: 'sau-
ver ce qui est obvie' proscrit tout manuel de traduction qui
représenterait les étrangers en contradictions avec notre lo-
gique. Ce qui est négatif dans cette garantie, c'est qu'elle
n'assure pas que tous nos
énoncés logiquement vrais se trans-
forment en des énoncés vrais du langage étranger. Mais cela
ne signifie pas que chaque langue ou chaque culture constitue
sa propre logique. Le soutenir, c'est présupposer que les
logiques de deux cultures différentes peuvent entrer en con-
flit. Ce relativisme rendrait nos traductions douteuses. Or
ce n'est pas le cas: nous l'avions vu à propos de la traduc-
tion radicale.
Alors que la logique jouit de cette propriété remar-
quable, les mathémat~ques en sont dépourvues (cf.Chap.5,Sec.11).
En second lieu Quine montre que la logique n'a pas
de préférence. Elle peut servir aussi bien le physicien que
le mythologue : tout dépend de ce que chacun assume comme on-
tologie. Au contraire, les mathématiques ont un lexique pré-
férentiel, des valeurs pertinentes particulirèes pour leurs
variables. Toutefois elles présentent)face aux sciences de la
natur~ un front continu d'impartialité comme le fait de la 10-
(65) QUINE~ idem, p. 122.

270
gique. En effet les termes particuliers et les objets parti-
culiers des mathématiques sont neutres vis-à-vis des branches
de sciences,t-aussi bien exactes/que les sciences humaines.
Il en résulte en troisième lieu que la logique et
les mathématiques sont des servantes aux talents multiples
pour les sciences.
A cause des deux dernières raisons de la.' logique
et des mathématiques -leur pertinence pour toute science et
leur absence de partialité pour aucune- on a tracé une limi-
te qui les sépare des sciences. On conçoit ces dernières com-
me consistant à rassembler l'inforamtion, la logique et les
mathématiques comme servant uniquement à traiter dette infor-
mation. Mais quelle notion information pourrait r.cnvenir ?
On peut à ce sujet citer avec profit ce passage de M. Jean-
Marc Levy-Leb1ond :
"on commencera par observer qu'une formu-
le telle que "les mathématiques s'appliquent aux autrasscien-
ces" revient à prendre position sur le fond du prcb1ème, en
ceci qu'elle présente le rapport des mathématiques aux dites
sciences comme un rapport d'application. Il s'agirait d'un
rapport instrumental,
les mathématiques intervenant comme
outil punement technique, en position d'extériorité par rap-
port au lieu de leur intervention •••
Il serait difficile de
trouver un concept physique qui ne soit indissolublement as-
socié à un ou plusieurs concepts mathématiques. Comment, par
exemple penser de façon efficace le concept de vitesse sans
faire intervenir celui de dérivée ? Commen penser "champ é1ec-
tromagn~tigue" sans penser "champ de vecteurs ?" comme penser
"principe de relativité" sans penser "théor:i e des':groupes ?"
(66 )
Cela fait dire à Quine gue si l'on était en mesure
d'associer à chaque énoncé de la science sa part autonome ou
sa part individuelle d'information dans n'importe ~e1 sens
qu'on le pnenne,
la doctrine de la séparation ou de la dis-
tinction serait confirmée.
(66)
J.M. LEVY-LEBLOND,
'Physique et mathématiques' in Penser
les mathématiques' séminaire de philosophie et mathéma-
tiques, collection Points nO
~29, p. 198.

271
Quine montre au contraire qu'il y a des liens entre
logique et mathématiques et les autres sciences
et établit
entre elles des rapports constituants.
"On a tendance à oublier combien certaines théories,
qui sont tout de même rangées dans les sciences physiques,
peuvent être éloignées de toute évidence d'observation per-
tinente
(l'atome de Rutherford par exemple). Un fragment de
théorie aura beau être imprégnée de mathématiques, i l sera
néanmoins tenu pour de la physique s~i1 a un lexique mixte,
par exemple comportant les lois de la logique binaire, les
lois mathématiques de dérivée et les notions de masse, de
mouvement, d'énergie, etc .•.
"Ce qu'un tel morceau de physi-
que contribue à la cohérence du reste de la théorie physique
et par là, indirectement et en dernier lieu, à un titre d'é-
vidence empirique et qui prouve sa vérité.l'Cependant, la com-
posante mathématique ou logique, une fois qu'on l'a dégagée
et purifiée de tout lexique physique, n'est pas appelée phy-
sique. Tous les liens cachés que cette composante a avec l'ob-
servation, par fonctionnement comme partie d'un contexte de
physique théorique, ne sont regardés comme une évidence empi-
rique que que pour la partie de son contexte qui est recon-
nue pour étant de la physique."
(67)
Pour Quine/cette démarche qui consiste à isoler
les termes d'une théorie, après qu'elle ait été constDuite~
les unes des autres et à considérer comme empirique la par
tie qu'on dit physique est injustifiée. C'est une méprise qui
vient de ce qu'on est sensible aux~ frontières termimo10giques.
Mais ces frontières terminologiques ne sont pas pertinentes.
"J'ai plutôt en vue une parenté entre les mathéma-
tiques et les aspects les plus généraux et les plus systéma-
tiques des sciences naturelles, ceux qui sont le plus éloignés
de l'observation. Les mathématiques et la logique s'appuient
sur l'obsprvation seulement de la façon indirecte dont ces
aspects des sciences naturelles le font
à savoir en parti-
cipant à un tout organisé qui,
le long de ses arêtes empiri-
(67} QUINE, P.L., p. 147.

272
riques, cadre avec l'observation. Mon intention est de ne
mettre l'accent ni sur le caractère empirique de la logique
et des mathématiques ni sur le caractère non empirique de la
physique théorique; c'est plutôt sur leur parenté que j'en-
tends mettre l'accent et je soutiendrais une doctrine gradua-
liste."
(68)
Dans cette citation, Quine donne sa position sur
la logique. Le problème n'est pas de montrer qu'elle est em-
pirique mais plutôt que nous ne sommes pas fonder à tracer
des lignes de démarcation. La logique étant incrustée dans
la traduction, une révision de nos hypothp.ses analytiques con-
duira imanquablement à une révision de nos concepts logiques.
Mais ceux-ci occupant le centre de notre dispositif concep-
tuel ~t un ~é d'empiricité et donc de révisibilité réduit.
C'est ce qu'exprime l'expression 'doctrine gradualiste'
: i l
s'agit des degrés d'empiricité.
Dans l'article que nous avions cité, J.M. Lévy-
Leblond décrit éloquemment le rapport constituant des mathé-
matiques et de la physique.
"Une contre-éprueve probante est
d'ailleurs, fournie par les multipwes tentatives, avortées
mais toujours recommencées, pour "démathématiser" la physique.
Après chaque seuil franchi, des nostalgiques. se dressent pour
réclamer une physique "plus intuitive",
"moins mathématique"-
Avant d'être adressées à la mécanique quantique et à la rela-
tivité, ces mêmes critiques furent adressées en leur temps
à la théorie électromagnétique de Maxwell et à la théorie
de la gravitation de Newton."
(69)
Plus loin on l i t "on ache-
vera de dissiper l'illusion d'une harmonie préétablie entre
concepts physiques et concepts mathématique en évoquant la
plurivalence physique des objets mathématiques qui fait pen-
dant au polymorphisme mathématique
des lois physiques. Ainsi,
les équations différentielles linéair~ (à coefficients cons-
tants)
du deuxième ordre régissent-elles les vibrations méca-
niques, les oscillations électriques et bien d'autres phéno-
mènes, etc ... "
(70 )
(68) QUINE, idem, p. 148,
(69)
J.M.. LEVY-LEBLOND, op.cit.,p.
199.
(70) J .M. LEVY-LEBLOl'l'Dl idem, p.
201-202.

273
Il est donc illétigime de soutenir que les mathé-
matiques sont le langage de la physique. C'est une position
aussi vieille que celle de la distinction analytique/synthéti-
que. Malgré tout/on la retrouver- même sous la plume de Heisen-
berg "les mathématiques constituent pour ainsi dire le langa-
ge à l'aide duquel une question peut être posée et résolue."(71)
Le rapport constituant se révèle également du côté
de la logique. Quine le dit
:
"Nous apprenons iLa logique en
apprenant la langue. Mais cette circonstance ne met pas la
logique à part de vastes étendues de connaissance du sens
commun qu'on qualifie généralement d'empiriques.
Il n'y a
pas de moyens évident de séparer notre connaissance en une
partie qui consisterait simplement à savoir la langue et en
une; ' autre partie qui<commencerait après."
(72)
La logique étant incrustée dans la traduction, i l y
a qu'''une théorie homogène que nous pouvons vérifier avec
l'expérience inclue, dans la réalité, non seulement ses dif-
férentes hypothèses théoriques des dites sciences naturelles
mais aussi des parties de la logique et des mathématiques tel-
les qu'on les utilise. De là je ne vois pas comment on peut
délimiter les hypothèses qui accordent la vérité par conven-
tion des hypothèses qui ne cessent de prendrent en compte tou-
tes les hypohtèses pour la catégorie précédente."
(73)
Pour
Quine donc la logique n'est pas "un sommaire des grands traits
du réel" pa:; plus qu'elle n'est le produit d'une convention
linguistique.
Les vérités logiques, plus li.ées à la grammaire et
au concept de vérité qu'au lexique, sont celles sur lesquelles
l'accord est le plus susceptible de se faire entre les utilisa-
teurs du langage. Le critère pragmatique de la logique est
son universali.té : grammaire et logique servent à tout le mon-
de ~ les utilisateurs du langage logique ne sont sélectifs
que vis-à-vis du lexique.
"Tous ceux qui emploient la langue
emploient les mêmes constructions grammaticales, quel que soit
le sujet qu'ils abordent et quelle que soit la partie de son
lexique qu'ils utilisent . . . " V.L. p. 150.
(71)
HEISENBERG cité par J.M. Lévy-Leblond, idem, p. 198.
(72) QUINE, P.L., p. 149.
(73)
QUINE,
'Carnap and Logical truth'
in W.P., p.

274
"Le lexique est ce qui pourvoit chaque fois de façon distinc-
tive aux besoins suscités par les goûts et les intérêts par-
ticuliers. Tandis nue grammaire et logique sont l'agence cen-
trale, au service de tout venant."
(74)
De là vient la révi-
sion de la logique, puisque la 'déviation' ou l'hétérodoxie
est expliquée comme étant un écart dialectal ou lexical.
CONCLUSION
Conséquence directe des chapitres }-3, la thèse ho~­
liste est fondé
sur l'impossibilité d'indiViduer pour l'expé-
rience, les hypothèses suspectes
des hypothèses au-dessus de
tout soup~on. Les énoncés ne sont pas vérifiables isolément
mais collectivement. Si nous devons donner un sens empirique
à notre système, ce ne sont pas des corps d'énoncés qu'il faut
considérer mais le système tout entier. Malheureusement ce ho-
lisme sémantinue peut nous faire courir le risque de l'incom-
mensurabilité. Quine alors postule un principe méthodologique:
celui de la mutilation minimum! Objectivement, il y a inter-
connexion entre tous les énoncés, mais méthodiquement certains
sont négligeables pour l'homme de science que guide la maxime
de la mutilation minimum. O~ encore il peut, en cas d'expérien-
ce récalcitrante, préserver la vérité d'un énoncé situé près
de la périphérie, en alléguant une hallucination. Mais cela
ne signifie pas que les énoncés ainsi écartés de la révision
soient inamovibles.
Les positivistes logiques n'ont pas été sensibles
à cela qui ont canonisé la logique.
Ils n'ont pas été sensibles
aux rapports constituants entre la logique et les autres scien-
ces. Quineddépeint très justement cette méprise :
"Elle vient,
écrit-il, de ce qu'on est trop sensible aux frontières bermino-
logiques entre les sciences. Au lieu de regarder l'évidence
empirique
comme une évidence qui concerne la totalité du sys-
tème scientifique, qui inclut des mathématiques et de la logi-
que comme parties intégrandes embo!tées dans la partie physi-
que, on se représente l'évidence comme filtrant dans le sys-
tème seulement. ~LUsqu'à l'arête qui sépare ce qu'on appelle
(74)
QUINE, P.L~, p. 151.

275
physique thêorique de ce qu'on appelle mathêmatiques.
Cela êtant,
i l ne faut pas s'êtonner qu'on songe
à fonder différemment la vérité mathêmatique, dans laquelle
on inclut la vérité logique. Mathématiques et logique sont les
plus sOres de toutes les sciences. Trouvant les mathêmatiques
et la logique ensemble du même côté de la barricade, ils
(certains philosophes)
adoptent la thêorie linguistique pour
toutes les deux."
(75)
Or là est l'erreur "car le rideau qui sêpare les
sciences naturelles, d!une part de la logique et des mathê-
matiques d'autre part, est un êcran dans une même direction."
(76)
Notre logique canonique n'est pas ~ l'abri de la rê-
vision si une simplification encore plus utile se prêsente,
nous ne devons pas hêsiter à reviserlJnotre logique standard.
Popper montre que la rêvision de la logique est mê-
thodologiquement vicieuse. Pour lui la rêvision de la logique
est contraire au progrès de la science. En effet, si la logi-
que est revisée pour répondre aux anomalies de la mêcanique
quantique, cela évite le besoin du développement d'une)lnouvel-
le microphysique ; mais êgalement si la microphysique est re-
visée ceci éviterait le besoin du développement d'une nouvelle~1~
On évite l'objection dans le cas de Quine. En effet, pour
popper/la logique n'est pas une science mais un organon, un
instrument au service des sciences. Il Y'.I.a chez lui un projet
fondationnaliste.
Or pour Quine la logique est une science.
Elle ne fonde pas, pas pillUS qu'elle n'est fondée sur une cer-
taine science aux contours bien déterrninês et préétablis. Et
conséquemment,
le holisme lui-même conduit à la critique des
fondements.
(75) QUINE, P.L., p. 147-48.
(76) QUINE, idem, p.
147.

276
CHAPITRE 7
DE LA CRITIQUE DES FONDEMENTS A LA RELATIVITE
DE L'ONTOLOGIE
La science est un vaisseau engagé sur une mer
mouvante. La vague qui le porte n'est pas pé-
trifiée. Elle ondule et se propage, cédant sa
place à la suivante ...
La science cherche sa lumière dans la nuit qu'
elle a devant elle et non plus dans les clar-
tés qu'elle a dépassées.
Arnaud DENJOY
INTRODUCTION
L'épistémologie a été souvent conçue comme l'étude
des fondements du savoir. Le Cercle de Vienne et plus fonda-
mentalement Carnap avait vu dans la logique moderne l'arme~
efficace pour justifier la science et inhumer à jamais la mé-
taphysique. Popper avait récusé
cette idée d'une connaissan-
ce établie sur des bases inébranlables. Il propose de faire
asseoir la connaissance sur des énoncés de convention tenus
pour provisoires.
Quine, au contraire, recuse même l'idée de Popper
car il n'y a aucun énoncé qui ait sa part autonome de signi-
fication et qui puisse servir de "faute~il ontologique". La
science, même en ses mathématiques et en sa logique, ne se
présente plus à nos yeux COV'lI1le- une construction inébranlable
édifiée sur le roc.
Il vaut mieux, propose Quine, étudier comment la
science s'est faite et se développe que de "siffler dans la
nuit pour se masquer le danger" en fabriquant des énoncés qui
ne sont d'aucune portée. Notre savoir du monde extérieur est
une fabrique d'énoncés liés les uns aux autres et sous-
déterminés.

277
Nous ne pouvons
donc pas élaborer des catégories de
la connaissance qui nous permettent de décrire ou d'expliquer
"la liaison entre les observations et le labyrinthe intérieur
de la théorie". Il en résulte que, conformément à la thèse de
l'indétermination, nous ne devons pas
ambitionner de construi-
re la théorie/une et irréduetible. Si une théorie doit avoir
un sens, ce ne sera que relativement à une théorie d'arrière-
plan.
Dans ce chapitre, une première section traitera des
prolbèmes des fondements et de l'épistémologie naturalisée.
Ces problèmes nous acheminerons de la thèse de la sous déter-
mination à celle de la relativité ontologique.

278
SECTION 15
DE LA CRITIQUE QUINEENNE DES FONDEMENTS A L'EPIS-
TEMOLOGIE NATURALISEE.
INTRODUCTION
l'L'~pist~mologie,
~crit Quine/traite des fondements
de la science. Prise avec cette extension, elle inclut parmi
ses d~partements l'~tude des fondemnts des math~matiques. Au
tournant dULisiècle,
les sp~cialistes pensaient que leurs ef-
forts dans ce d~partement particulier d~bouchaient sur un suc-
cès grandiose : apparemment les math~matiques toutes entières
allaient se r~duire à la logique. A regarder les choses d'un
point de vue plus proche du pr~sent, on estime pr~f~rable de
d~crire cette r~duction comme une r~duction à la logique et à
la th~orie des ensembles. Cette nuance ~quivaut, sur le plan
~pist~mologique, à une d~ception, car on n'a pas le droit de
se pr~valoir, pour la th~orie des ensembles, des caractères
de sûret~ et d'~vidence que nous associons à la logique. N~an­
moins,
les r~ussites obtenues dans les fondements des math~­
matiques demeurent exemplaires, prises pour normes de compa-
raison, et nous sommes à même de jeter des lueurs sur le reste
de l'~pist~mologie en faisant des parallèles avec ce d~parte­
ment
(1) ".
Ce faisant, on verra que les ~checs des constructions
log iques 0\\1 mathématiques cœme fondement de la science se r~ve­
lant infructueux, c'est le rejet des fondements que Quine pro-
pose, ce qui lui permet de r~soudre des problèmes de p~tition
dè principe. Ce faisant,
c'est l'~pist~mologie naturalis~e que
Quine d~fend.
§ i - L'échec des constructions logico-mathématiques
Les recherches sur les fondements des math~matiques
se divisent en deux espèces : conceptuelle et dOf:.t-n'nPlle. Les
recherches conceptuelles portent sur la signification, les doc-
trinales sur la vérité. Dans les recherches conceptuelles, on
(1)
Quine R.O. p 83
" •

279
éclaircit les concepts en définissant certains en témrèS,-d'autres.
Les recherches doctrinales quant à elles, s'occupent d'établir
des lois en en démontrant certaines à partir d'autres. "Idéa-
lement, écrit Quine, les concepts obscurs seront définis en
termes des concepts clairs de façon à maximer la clarté, et
les lois les moins obvies seront démontrées à partir des plus
obvies de façon à maximer la certitude. Idéalement, les défi-
nitions engendreront tous les concepts à partir d'idées clai-
res et distinctes, et les preuves engendreront tous les théo-
rèmes à partir de vérités évidentes par elles-mèmes (2).
Comme exemple de des recherches fondationnelles, la
tâche conceptuelle a été entreprise par Frege qui a défini les
termes arithmétiques (0,1, le nombre) à l'aide de notions em-
pruntées à la logique. C'est ainsi que Frege a pensé avoir ré-
duit les mathématiques à la logique et les avoir arrachées à
l'intuitionnisme de Kant. La tâche doctrinale consiste à dé-
montrer les axiomes de Péano à partir de vérités de logique.
Les deux idéaux sont solidaires. En effet, lorqu'on
définit tous les concepts au moyen de quelque concept privi-
légié de leur sous-ensemble, on montre par là même comment
traduire tous les théorèmes en ces termes privilégiés. Plus
ces théorèmes sont clairs et plus il est vraisemblable
que
les vérités qu'on y a couchées seront obvies ou dérivables de
vérités obvies.
Or si les concepts des mathématiques étaient tous
réductibles aux termes clairs de la logique, alors toutes les
vérités des mathématiques deviendraient des vérités de logi-
que et toutes les vérités de mathématiques le seraient égale-
ment. Mais ce résultat nous est refusé attendu que les mathé-
matiques ne se réduisent qu'à la théorie des ensembles et non
à la logique proprement dite.
Certes, de pareilles réductions conceptuelles comme
celles de Frege augmentent la clarté, mais seulement à cause
des inter-relations qu'elles font apparaitre et non pas parce
que les concepts de l'analyse sont plus clairs que d'autres.
(2) Quine
idem p 83 - 84

280
En ce qui concerne les recherches doctrinales, le théorême
d'incomplétude nous apprend qu'aucun système d'axiomes non
contradictoires
n'a
des axiomes évidents par soi. Le ~.
théorême de Godel anéantit tout espoir de construire un sys-
tème d'~ames qui permette de déduire les vérités d'arith-
métiques, écrit Quine; la réduction reste mathématiquement
et philosophiquement fascinante, quoiqu'elle ne fasse pas le
travail que l'épistémologue en attendrait: elle ne révèle
pas le fond de la connaissance mathématique ni ne montre com-
ment la certitude mathématique est possible (3)".
Les mathématiques ne pouvant fournir de solution aux
problèmes de fondement, on peut s'inspirer de cette dualité
de structure mathématique, à savoir embranchement conceptuel
et
=mbranchement doctrinal pour l'épistémologie en général.
"Exactement comme les
mathématiques sont réductibles à la
logique, ou à la logique et à la théorie des ensembles, le
savoir de la nature doit reposer de quelque manière sur l'ex-
périence des sens. Cela signifie qu'on expliquera la notion
de corps en termes Rensoriels
(ceci pour le côté conceptuel
de l'embranchement) ct qu'on justifiera contre connaissance
des vérités de la nature en termes sensor:tela)' .t4) u.
Mais, là encore, les genres de réduction vont cons-
tituer das,pierres d'achoppemelilt.
Hume.• le premiet, 'SVà1lÏit réparti l' épistémologcie du
savoir de laphature p.n concep~uel et doctrinal. Son traitement
du côté conceptuel consistait à expliquer les corps en termes
sensoriels: il identifiait les corps aux expressions des sens.
Mais pour le côté doctrinal, à savoir en ce qui concerne les
vérités de la nature, uHume abandonnait la partie ... L'impasse
humienne, c'est l'impasse humaine u . Sur le côté
conceptuel,
il y eut des progrès. Quine rappelle que Bentham avait été
le premier, par sa théorie de la fiction, à avoir découvert
la définition contextuelle ou la paraphrase.
Cette découverte dit que pour expliquer un terme, on n'est
pas obligé de spécifier un mot ou une locution synonymes de
ce terme.
(3) Quine idem pa 84


281
On n'a qu'à montrer, par tous les moyens, comment traduire
en les prenant globalement, toutes les phrases où ce terme
est employé. c'est de là, qu'est née l'idée que l'unité de
signification, cè n'est oas le terme mais l'énoncé ou la phra-
se. Idée explicite chez Frege -dans les prollilèmes de référence,
elle s'épanouit dans la doctrine russelienne des descriptions
singulières comme symboles incomplets. Indépendamment de cela,
dans La méthode scientifique en philosophie, dans Signification
et Vérité, Russell abord~t le côté conceptuel de l'épistomo-
logie de la connaissance, représente le monde extérieur comme
une construcoion logique des données des sens. Mais c'est Car-
nap qui a exécuté le programme de manière systématique dans
son Aufbau(1918). Cependant, les résultats de Carnap se sont
révélés défectueux comme le fait observer Quine.
"Si l'on avait réussi à effectuer entièrement les
constructions de Carnap, elles nous eussent permis de tradui-
re en termes de données des sens, ou d'observation, avec ad-
jonction de la logique et de la théorie des ensembles, toutes
les phnases sur le monde. Mais le simple fait qu'une phrase
est couchée en termes d'observation, de logique, et de théo-
rie des ensembles ?La plus modeste des généralisations sur des
traits observables renferme plus de cas que celui
qui l'
énonce ne peut avoir eu l'occasion d'en- observer réellement.
On dût reconnaître qu'il était sans espoir de prétendre éta-
blir, par une voie résolument logique, la science de la natu-
re sur l'expérience immédiate. La recherche cartésienne de la
certi~de avait été le motif vague qui avait inspiré l'épisté-
mologie, à la fois dans son côté conceptuel et dans son côté
doctrinal; or on s'aperçoit que cette recherche était vaine.
Vouloir doter de la pleine autorité de l'expérience immédiate
les vérités de la nature, n'était pas moins vain que d'espérer
doter les vérités des mathématiques du caractère potentielle-
ment-obvie propre à la logique élementaire (5)".
(4) Quine idem piJ85
(5) Quine R.O. p 88


282
Le côté doctrinal étant abandonné, Carnap s'en remit
a une construction syntaxique.
"Si notre thèse que les énon-
cés de la métaphysiques sont des pseudo
énoncés est justifia-
ble, alors la métaphysique ne pourra même pas être exprimée
dans un langage construit logiquement. L'immense importance
philosophique de la tâche qui préoccupe actuellement les lo-
giciens consiste à construire une syntaxe logique"
(6).
Quine donne deux raisons qui ont motivé une telle préoccupa-
tion.
La première est que Carnap espérait que de pareilles
constructions mettraient à jour et éclairciraient la preuve
sensorielle ;
la seconde est que ces constructions approfon-
diraient notre compréhension du discours sur le monde
; elles
devraient rendre tout discours cognitif aussi clair que les
termes d'observations, que la logique et la théorie des ensem-
bles.
"Toute cette "reconstruction rationnelle
"comme
Carnap l'appelle n'est pas correcte.
"Toute construction du
discours physique en termes d'expérience sensible de logique
et de théorie des ensembles, aurait été considérée comme sa-
tisfaisante qui eût accouché du discours physicaliste correct.
s ' i l y a une manière d'arriver à celui-ci,
i l y en a plusieurs
mais en donner
une,
n'importe laquelle, eût été un coup de
maitre"
(7)". Mais i l n'yen a pas. En effet, en vertu de
la thèse de l'indétermination i l y aurait plusieurs manières
,
de rendre compte du physicalisme et en donner
une aurait jus-
tifié le physicalisme. Seulement une doctrine physicaliste est
rejetée par la thèse du ho11sme.
§
2 Le rejet des fondements et l'épistémologie naturalisée
sa nature, son objet.
Puisque la reconstruciton rationnelle des concepts
de la science est irréalisable,
i l faut renoncer au désir de
fonder celle-ci sur quelque base irrécusable.
(6) Carnap cité par F. Malherbe La philosophie de Karl Popper
et le positivisme logique; PVF, p 59 -
60
(7)
Quine Op, Cit p 89


r
- -
283
Popper dans ses échanges épistémologiques avec Car-
l
nap avait récusé l'idée de base fondationnelle.
Il se sert de
la métaphore de la construction sur pilotis.
"La base empirique de la science objective ne
comporte rien d'absolu-.
La science ne repose pas sur une base rocheuse. La structure
audacieuse de ses théories s'édifie en quelque sorte sur un
marécage. Elle est comme une construction bâtie sur pilotis.
Les pilotis sont enfoncés dans le marécage mais pas jusqu'à
la rencontre de quelque base naturelle ou "donnée", et lorsque
nous cessons d'essayer
de les enfoncer davantage, ce n'est
pas parce que nous avons atteint un terrain ferme. Nous nous
arrêtons,
tout simplement, parce que nous sommes convaincus
q'ils sont assez solides pour supporter l'édifice, du moins
provisoirement
(8)".
Bien que Popper refuse l'idéal d'un épistémê,
i l uti-
lise la métaphore de l'édifice. Nos théories sur le monde -ex-
cepté la logique et les mathématiques- sont sujettes à de per-
pétuelles révisions
attendu que la base empirique est douteu-
se.
Quine, au contraire, refuse l'idée d'un fondement/si lâche et
si libéralisé soit-il.
"La théorie qui intervient est composée
de phrases associées les unes avec les autres de manière extrê-
mement variées.
Il y a les connexions dites "logiques", et il
y a
les connexions dites dites "causales"
~ mais toutes ces
connexions doivent reposer finalement sur l'association par
conditionnement entre des phrases fonctionnant comme réponses
et phrases fonctionnant comme stimuli . . . La théorie dans son
ensemble -( .• J- est un édifice de phrases diversement associées
les unes aux autres, et à des stimuli non verbaux,
par le méca-
nisme de la réponse conditionnée"
(9).
Autrement dit, dans une théorie, on ne peut savoir ce
qui sert de base, puisque cette base, à supposer qu'elle puisse
exister, n'est pas identifiable. C'est pourquoi Quine utilise
1
-----------
(8) Karl Popper L.D.S.
p 111
(9)
Quine Le mot et la Chose p 38


284
la métapnote du bateau chancelant, métaphore qu'il doit à Otto
Neutath.
"Dans une arche,
écrit Quine,
un bloc de faite
est supporté immédiatement par d'autres blocs
de faite,
et finalement par tous les blocs de
base collectivement, mais par aucun individuel-
lement ; il en est de même des phrases lorsqu'-
elles sont reliées dans une théorie ... Peut-
être devrions-nous concevoir l'arche comme chan-
celante pendant un tremblement de terre
; on com-
prend alors que même un bloc de base pourra n'être
soutenu à certains moments que par les autres blocs
de base par l'intermédiaire de l'arche
(10)".
Comme le dit si
justement M. Gochet, cette image ne
débouche pas sur le vide ou sur le septicisme.
"Il ne s'agit pas de remplacer l'idée de dépen-
dance entre proposition primitive et proposition
dérivée par l'idée d'indépendance, mais par l'idée
d'interdépendance
(11)".
Cette idée d'interdépendance est éloquemment décrite
par Quine dans le dernier chapitre de "Le Mot et la Chose"
:
c'est ce qu'il appelle l'escalade sémantique.
"La stratégie de l'escalade sémantique, explique
Qiline,.consist.e
à porter la discussion sur un ter-
rain où les parties sont davantage en accord tant
sur les objets de la discussion
(à savoir les mots)
que sur les termes principaux qui les concernent.
Les mots ou leur inscription à la différence de
points, des milles, des classes et du reste sont
des objets tangibles, d'un format très populaire
sur le marché pufulic, où les hommes en dépit des
différences que repiésente._
leur schéme concep-
tuel oommuniquent au mieux. La stratégie est. de
s'élever jusqu'à un niveau où les deux schémes
conceptuels fondamentalement
se rejoignent,
lieu
optimum pour discuter leur fondement disparate.
Rien d'étonnant qu'elles rendent servide en phi-
losophie
(12)".
On ne cherche plus à fonder mais plutôt à savoir
quels objets i l faut reconnaitre.Quine donne des exemples d'es-
calades sémantiques en logique, en mathématiques et dans les
sciences naturelles.
(10)
Quine "Le Mot et la Chose" p 38 -
39
(11) Gochet Quine en perspective. p 34
(12)
Quine
Idem p 373

285
"Le procédé de l'escalade s~mantique a été uhi-
lisé beaucoup et avec soin dans les études axio-
matiques des mathématiques, pour éviter les pé-
titions de principe. Quand un mathématicien axio-
matise quelque théorie familière,
la géométrie
par exemple,
il court fréquemment le risque d'
i~giner que c'est à partir des seuls axiomes
qu'il a déduit une vérité familière de la théorie,
alors qu'en réalité il a exploité, sans s'en ren-
dre compte, d'autres connaissances géométriques
(13)".
En logique,
"Lorsque Frege eut réalisé une formalisation com-
plète de la logique,
une précaution de rechange plus raffinée
contre les pétitions de principe devint disponible pour les
études axiomatiques
; et elle est précisément un cas de ce que
j'appelle l'escalade sémantique. Une fois l'appareil déductif
de la logique fixé
en termes d'opérations spécifiées, qu'il
faut exécuter sur les formes d'une notation,
la question de sa-
voir si une formule donnée découle logiquement d'axiomes donn~es
se réduit à la question de savoir si les opérations spécifiees
relativement aux formes de la notation sont capables de mener
cette formule à partir d'a~iomes (14)".
La stratégie de l'escalade sémantique
"intervient aussi dans les sciences naturelles.
La théorie de la relativité d'Einstein fut accep-
tée, non pas simplement comme une oonséquence de
réflexion sur le temps,
la lumière,
les corps ra-
pides et les perturbations de Mercure, mais aussi
sur la base de réflexion portant sur la théorie
elle-même, en tant que discours, et sur sa simpli-
cité, comparée à celles des
théories rivales
(13)".
L'escalade sémantique ne présuppose en rien l'existen-
ce d'une base même provisoire. Elle soutient plutôt l'idée du
holisme avec la clause de la maxime de la mutilation minimum.
Mais s ' i l se révèle qu'on doive réviser pour des raisons de sim-
plicité et de convenance, on ne doit pas hésiter. c'est ce que
dit Quine-
"Le scheme conceptuel entrecroisé des objets
physiques, de l'identité, et de la référence
divisée est une partie du bateau que, d'après
l'image de Neurath,
nous ne pouvons pas remode-
ler, sauf en nous tenant à flot dans ce même ba-
teau. Le bateau peut devoir
sa
structure en
(13) Quine Idem p 374
(14) Quine Idem p 375

286
partie à certains de nos prédécesseurs maladroits
qui ont failli le faire couler et qui doivent à
une veine de pendu de ne pas l'avoir fait.
Mais
nous ne sommes
en état de rejeter à la mer
aucune de ces parties, à moins que nous n'ayons
déjà sous la main des procédés
tout prêts qui
peuvent rendre éventuellement les mêmes services
(16)".
Pour ce qui est des fondements, on peut jeter par-
dessus bord ce problème car l'épistémologie naturalisée va le
supplanter.
Pour Quine,
le refus de fondement ne conduit pas
au septicisme quant à la nature de la réalité extérieure.
"Je suis un objet physique assis dans un monde
physique. Certaines forces de ce monde physique C:l
entrent en collision avec ma surface. Des rayons
lumineux frappent mes rétines
; des molécules
bombardent mes tympans et le bout de mes doigts ;
je frappe à mon tour, en émettant des ondes d'air
concentriques. Ces ondes prennent la forme d'un
torrent de discours à propos des tables, des
gens, des molécules, des rayons lumineux, des ré-
tines, des ondes d'air, des nombres premiers, des
classes infinies, de la joie et du chagrin, du
bien et du mal.
Mon pouvoir de représaille, aussi élaboré soit-il
vient de ce que j'ai assimilé une bonne partie de
la culture de ma communauté,
tout en la modifiant
et en l'enrichissant peut-être un peu de ma pro-
pre initiative
(17)".
Le monde extérieur existe.
Il
est donc inexact de le
nier. Désavouer -comme le feraient des sceptiques-
" Le noyau du sens commun,
faire la fine bouche,
devant ce que le physicien et l'homme de la rue
admettent sans faire d'histoire,
ne témoigne pas
d'un perfectionnisme digne d'admiration, mais plu-
tôt d'une confusion pompeuse entre le bébé et
l'eau de bain
(18)".
Cette boutade de Quine à l'endroit de ceux qui refu-
sent d'assurer le rôle de dépositaires et de messagers du sa-
(16) Quine Idem p 183
(17) Quine "Le domaine et le Langage de la science" Trad. Fr p.
Jacob in
De Vienne a Cambridge p 201
(18) Quine Idem p 202

287
voir en y ajoutant de leur cru,n'est pas un jeu de mots.
Pour lui,
la bonne question n'est pas de se demander si le mon-
de existe ou non mais plutôt d'où vient la force de notre cro-
yance en l'existence du monde extérieur.
c'est,
répond Quine, à la science naturelle du mon-
de extérieur de répoodre à cette question ; notamment à la psy-
chologie des animaux humains. Notre connaissance du monde ne
dérive pas d'une philosophie première mais de notre apprentis-
sage du langage. C'est
pourquoi
. Quine propose de se tourner
vers la psychologie par
une approche génétique de la connais-
sance,
attendu que ni un discour& physicaliste,
ni des prodé-
dés de réduction de peuvent acco4cher d'un fondement correct.
En conformité à la métaphore du bateau, Quine remplace les
reconstructions artificielles du sens par une étude descripti-
ve de la manière dont le 5;;\\ voir a été appr is.
Il éct i t
notamment
que
"Si tout ce que nOus avons en vue est une recons-
truction,;qui rattache la science à l'expérience,
sous des rapports explicites sans
indiquer· Ide tra-
duction,
alors i l parait sensé d'opter pour la
psychologie. Mieux vaut découvrir comment la
science se développe et s'apprend en réalité que,
d'inventer une structure fictive dans la même in-
tention
(19)".
Mais l'épistémologie naturalisée, dont la tâche con-
siste en l'étude de la liaison entre les observations et le la-
byrinthe intérieur de la théorie scientifique ... en termes d'ap-
prentissage du langage/soulève des objections possibles auxquel-
les Quine répond.
"L'épistémologie naturalisée n'est-elle pas dif-
férente de l'ancienne épistémologie qui étudie
les critères de la connaissance valable en dé-
finissant celle-ci en termes de croyance vraie
et justifiée par de bonnes raisons ? Bien que
nous n'ayons,
répond Quine, de critère d'identi-
fication des "bonnes raisons"
et des "mauvaises
raisons",
l'épistémologie~: mettre ordre de voir
le rapport entre preuve et théorie, et comme no~r'
tre théorie de la nature dépasse toute preuve
disponible. L'ancienne épistémologie aspirait à
contenir, en un sens,
la science de la nature,
l'I~I~
- - - - - - - - - - - - - - - - - -
Ji.
tA.l1h'lIoI...t.. k. yw\\,j.. Peotcl.iQ\\l.4(
(19)
Quine, R.O., p. 92.
r'
cIv. 2'~kml"'~; (IN)Jv. ~~~~-'.'lt

288
c'est à dire la psychologie, qu'elle aurait voulu
construire à partir des données sensorielles. Tel
avait été le projet de Carnap avec son idée de
la base autopsychologique". Dans l~ancienne comme
dans la nouvelle formulation de l'épistémologie
"nous cherchons comment le sujet humain, que nous
étudiDM _, postule des corps et projet.tJe sa phy-
sique à partir de ses données, et nous tenons comp-
te que notre situation dans l'univers est juste
la même que la sienne (20)".
Cependant, il y a une différence entre ces deux formu-
lations de l'épistémologie: l'ancienne contenait la science de
la nature. Maintenant l'épistémologie devient un chapitre de la
science de la nature. MalS il y a entre l'une et l'autre la mê-
me relation de contenant à contenu, et réciproquement, bien qu'
en des acceptions différentes, dé l'épitémologie dans la scien-
ce de la nature et de la science de la nature, c'est à dire la
psychologie, dans l'épistémologie. Mais
alors n'y a t ' i l pas
pétition de principe? Quine a prévu et résolu l'objection
"Ce jeu de raPports nous remet en mémoire le vieux
danger de circularité: il n'y a plus de raisons
de s'en inquiéter, désormais que nous ne méditons
plus de déduire la science à partir de données
sensorielles. Nous cherchons à aomprender la scien-
ce en tant qu'institution ou que processus dans
le monde, sans prétendre que cette incompréhension
passe en valeur
la science qui en est l'objet
(21)". Et comme Quine cherchait un témoin."Cette
attitude est du reste celle que Neurath préconi-
sait déjà du temps de Cercle de Vienne, par sa com-
paraison du marin obligé de refaire son bateau
alors qu'il est dedans, en train de v.oguer sur la
mer
(21)".
L-e -I>Sydt,,{o~\\'>\\(. entant que fondationnaliste prête le
flanc aux critiques de _~tJ~sef{L..
. qui, qn le sait, pour fon-
~;!J nif.~·"" ~ n S'li".
der la science, postule un domaine de~Quine qui ne cherche pas
à fonder mais à montrer que" les canaux par lésquels, ayant
appris les énoncés d'observation, nous acquérons le langage
théorique, sont les mêmes canaux par lesquels l'observaiton
fournit des évidences à l'appui de la théorie scientifique (22).
(20) Quine idem p 97
(21) Quine idem p 97 - 98
(22) Quine cité par Gochet in Q~ine in perspective p 46

289
Maintenant que l'épistémologie s'est
co~se droit
de cité à titre de chapitre d'épistémologie et donc de science
naturelle, quels sont ses apports ?
§
3 Les apports de l'épistémologie naturalisée
L'un des apports est la définition quinéenne des énon-
cés d'observation. Les positivistes se pl~~e~t
à recommander
qu'il faut distinguer les énoncés théoriques tels que "Les neu-
trinos n'ont pas de masse" des énoncés d'observation tels que
"Cette table est rouge". On sait que le cercle de Vienne, dès
sec:; ,débuts, fut en contesté, sur ce qu'il fallai t
regarder comme
étant un 'énoncé d'observation ou énoncé protocolaire. Les uns
pensaient que les phrases d'observation avaient la forme de ré-
cits d'impression sensible
(Neurath)
d'autres comme Carnap,
pensaient qu'elles étaient les énoncés d'espèce élémentaire por-
tant sur le monde extérieur dans le style "Il y a un cube rou-
ge sur la table".
Le malheur est que ces distinctions,
comme nous l '
avait montré Putham,
n'ont pas les reins solides.
~uine donne une définition du concept d'observation qui tranche
le débat
"Une phrase d'observation,
écrit-il, est une phra-
se sur laquelle tous les locuteurs de la langue
rendent le même verdict quand on leur donne la mê-
me stimulation concomitante. Pour formuler cela
négativement, une phrase d'observation est une
phrase qui n'est pas sensible aux différences d'
expérience passée, à l'intérieur de la communauté
linguistique
(23)".
Cela signifie t-il
qu'on restaure la distinction en-
tre analytique et synthétique ? Ce serait "tomber de la poêle
en la braise"/ironise Quine
"Tous les parleurs de la communauté tomberaient
d'accord qu'il y a des chiens noirs, mais par un
parmi les parlants d'analyticité, ne consentira
à reconnaître là un énoncé analytique
(24)".
(23)
Quine R.O.
p 101
(24) Quine idem p 100

290
En définissant l'énoncé observationnel comme étant
l'acceptation par
tous les locuteurs d'une communauté linguis-
tique donnée, Quine montre qu'il n'y a pas lieu de distinguer
entre termes théoriques et termes observationnels. Sa défini-
tion transcende
cette distinction sur laquelle achoppaient les
positivistes.
L'énonce
(1)
Les neutrinos n'ont pas de masse
est un énoncé observationnel si la communauté scientifique
qui travaille sur les particules élémentaires s'accorde sur
(l).cette formulation d'énoncé observationnel, dit Quine, est
1
en harmonie avec le rôle traditionnel attribué aux phrases d'
observation, à savoir celui de cours d'appel des théories scien-
tifiques.
Les phrases d'~bservations étant celles sur lesquelles
se fait l'accord en présence d'une stimulation uniforme et uni-
voque,
le critère d'appartenance à la même communauté est la
capacité de parler la même langue.
Mais le critère est double-
ment relatif.
D'abord selon qu'il s'agisse de stimulation de
termes plus proches de la périphérie pour les phrases occasion-
nelles observationnelles ou éloignées pour les phrases perdura-
bles.
Ensuite ce qui compte pour des phrases d'observation pour
une communauté de spécialistes donnée ne comptera pas
toujours
pour des phrases d'observation du point de vue d'une autre com-
munauté.
c'est cette seconde forme de relativité qui a
conduit a la vague de septicisme que Quine résume en ces termes
"Nous savons que ce délogement de l'épistémologie
hors de son vieux statut de phllosophie première
a entrainé une vague de nihilisme épistémologique.
Cette disposition d'esprit se manifeste dans la
pente de Polangi, de Kuhn,
et du regretté Russell
Hanson, à rabaisser le rôle de la preuve et à met-
tre l'accent sur la relativité des cultures •••
Ce qui est observation pour l'un est un livre scel-
lé de sept sceaux pour l'autre, ou une envolée

291
dans l'imaginaire pour un troisième. c'est la rui-
ne de la notion d'observation, entendue comme sour-
ce impartiale et objective et preuve pour la scien-
ce
(25)".
Quine évite le relativisme des cultures et par là
nous permet de jeter une lueur nouvelle sur les problèmes d'épis
témologie. La notion de phrase observationnelle au sens de
1
Quine)se trouve établie sous les rapports conceptuel et doctri-
nal, avec notre savoir de ce qui est vrai/est tout à fait con-
forme à la position traditionnelle. Pour les hypothèses scien-
tifiques,
les phrases d'observation sont les dépositaires de
la preuve. Elles sont celles que, par situation,
nous devons
apprendre à comprendre en premier,
aussi bien si nous sommes
les enfants ou débutants;que si nous so~s linguistes sur le
terrain
"car les phrases d'observation sont précisément
celles que nous pouvons associer à des circons-
tances observables, qui sont l'occasion d'une
énonciation ou d'un assentiment,
indépendamment
des variantes entre les histoires passées des in-
formatéurs éventuels. Elles sont la seule voie
d'accès à la langue
(26)".
Cette apologétique des énoncés d'observation peut
intriguer.
Quine ne risque t-il pas de limiter le holisme ?
Il ne sembLe pas car Quine ne
jit pas qu'il n'y a pas d'énon-
cés isolés mais au contraire que ceux-ci passent le test de l'
expérience non individuellement mais plutôt collectivement. La
maxime de mutilation minimum ne s'applique qu'aux connexions
logiques et à l'appareil logique dont le rejet compliquerait
notre schème conceptuel.
Mais
si
dans le holisme Quine était radical,
il
en vient à donner une liste d'énoncés qui ont une part autono-
me en ce qui concerne la révision.
(25) Quine idem p 102
(26) Quine idem p 103

292
"Les phrases situées en aval à l '
i~térieur des théories, n'ont pas de conséquen-
empiriques qu'elles pourraient prétendre leur
appartenir en propre; elles n'affrontent le tri-
bunal de la preuve sensorielle que par paquets
plus ou moins gros.
La phrase d'observation au
contraire, située à la périphérie sensorielle
du corps de la science, est le paquet vérifiable
minimal ; elle a un contenu empiriquement à elle
et qu'elle porte sur ses épaules
(27)".
Mais ces phrases ne sont pas des énoncés fondationnels~
On les découvre dans la traduction; on ne les postule pas.
Un autre apport de l'épistémologie naturalisée est la
prise en compte de l'induction
"Un sujet plus nettement épistémologique que l '
.
idée d'évolution aiderait à
éclairer, est l'in-
duction, maintenant que nous permettons à l'épis-
témologie d'employer les ressources des sciences
de la Y\\~28) ".
Le problème de l'induction d'antan soulevé par Hume
resurgit
-chez Carnap. Karl Popper ironisa en arguant que l '
as,trologie
'et le marxismesont les champions de la science car
personne n'entasse devantage de
faits.
La critique classique
de l'induction comporte deux aspects: celui de la base induc-
tive,
c'est à dire le rôle de l'observation. Si celle-ci est
théorique' ,on ne peut s'en servir pour
justifier induct.ivement
les énoncés gériéraux ou ~héoriques. Le second aspect con~erne
l'élément ~ ~
_ : Hume avait montré que la répétition
est d~pourvue de force logique. Popper, dans L.D.S. conclut
alors que l'induction est un mythe et que seule la répétition
déductive
est le raisonnement par excellence.
Le reproche de circularité est résolu dans la pers-
pective naturaliste. Quine commence par énoncer le problème
de l'induction en termes de similarité et d'espèces.
A la base de l'induction,
il y a une répartition du
perçu en classes d'objets subjectivement semblables. Dana la
vie courante, nous remarquons des répétitions et des similitu-
des.
(27)
Quine idem p 103
(28)
Quine idem p 105

293
"Si A', explique Largeault, nous parait la r~p~­
tition de A, et si dans le pass~, B a suivi A,
nous attendrons B
lorsque nous voyons A.
Si b nous parait similaire à a,
nous rangeons a
et b dans la même espèce. Par là,
nous imitons
la nature ou le cours des choses. Nous pouvons
consid~rer la simitude comme un type particulier
de rép~tition : la r~p~tition d'une forme,
avec
ses variantes
(29)".
Dans la vie courante, nous ne faisons pas que déduire,
nous faisons aussi et souvent des inductions, c'est_à_dire
que nous regardons les situations nouvelles comme similaires
aux anciennes. c'est ce qui fait ~crire à Quine
"Qu'il est certain qu'il n'est rien de plus fon-
damental à la pens~e que notre sentiment de la
similarit~ ou que notre
partir les choses en es-
pèces. Le terme général courant, que ce soit un
nom commun, un verbe, ou un adjectif, doit sa gé-
néralité à quelqqe similitude entre les choses aux-
quelles il est répéré.
Il est vrai qu'apprendre l'usage d'un mot repose
sur une double similitude
: primo entre les cir-
constances présentes et les circonstances passées
où ce mot a été employé, secundo une similitude
phonétique ~ntre l'émission présente de ce mot et
ses émissions passées. Et toute espérance raison-
nable dépend de la similitude entre des circons-
tances eo même temps que notre tendance à escomp-
ter que des causes similaires engendreront des ef-
fets similaires
(3D)".
Ce caractère fondamental et familier Je la notion de
similarité aurait tendance à encourager un parallèle avec les
notions logiques
(identit~, négation, etc .•. ) et ensemblistes.
A y regarder de plus près, on est vite déçu. En effet, on peut
dire que des choses sont similaires si elles ont en commun tou-
tes, ou presquff'toutes ou un grand nombre de leurs propriétés.
Dans ce cas, on pourrait d~finir la similarité comparative;
PaD exemple "a est plus similaire à b qu'à c. Mais cela nous
conduit à l'épineux problème d'~tablir ce qui devra compter
(29)
Lar,'1eault Op. Ci t.
P 108
(30)
Quine R.O. p 133- 134

294
comme étant une propriété. On peut, pour s'en sortir, se tour-
ner vers la théorie des ensembles. Mais là aussi,
les difficul-
tés sont monnaie aourante. En théorie des ensembles, on consi-
dère que les choses se réunissent en des ensembles suivant n'
importe quelle combinaison arbitraire. Mais pas en ce qui con-
cerne les propriétés. En effet, on ne peut pas définir "a est
plus similaire à b qu'à c"
oomme signifiant que a et b appar-
tiennent conjointement à plus d'ensembles que ne le font a et
c. On ne peut donc pas définir la similarité par des notions
logiques ou ensemblistes.
Mais peut.on la définir a l'aide de la notion d'espè-
ce et vice-versa ?
Si on définit la similarité en termes d'espèce~ atten-
du que les choses sont similaires quand elles sont de la même
espèce, alors il se trouve que espèce et similairté sont des
variantes d'une notion unique,
auquel cas on pourrait les défi-
nir de façon interchangeable. Mais la définition est boîteuse
pour la similarité en termes d'espèces et inconnue pour l'espè-
ce en terme de similarité. Boîteuse en prenant le cas de la si-
milarité comparative. Disons que "a est plus similaire à b qu'
a c si a et b appartiennent conjointement à plus d'espèces que
a et c". Mais cela ne marche que pour des systèmes finis d'espè-
ces et non dans le cas de systèmes infinis car
i l peut y avoir
des ensembles similaires qui ne sont pas des espèces.
La définition est d'autre part,
inconnue car
"on ne peut pas définir une espèce S par une énu-
mération de caractère Fi,
car i l se trouvera tou-
jours des individus à qui manquent des Fi, et qu'
on rangera pourtant dans S. Soit le caractère
"être jaune à matuLité"
Des citrons qui oftt mGri
à l'ombre restent ve~ts. Nous ne les excluerons
pas de l'espèce"
(31).
Quine ne nie pas pour autant ces deux notions. Elles
sont fondamentales. Ce qui est irritant c'est leur statut scien-
tifique douteux.
(31)
Largeault op.
cit. page 109

295
Ne relevant
ni de logique et avec toutes les conne-
xions possibles avec des hypothèses analytiques,
ni de la théo-
rie des ensembles, Quine conclut que ces deux notions échappent
aux critères intellectuels.
Il les range dans un domaine d'"es-
pace des qualités". Nous en tirons nos normes de similarité cou-
rantes dans l'apprentissage de la langue.
Puisque l'induction échappe aux critères intellectuels,
on ne peut lui faire confiance. Mais alors, s'interroge Quine,
"pourquoi notre espacement subjectif inné de qua-
lités s'accorde t-il si heureusement avec les
groupements fonctionnellement pertinents dans la
nature, que nos inductions se révèlent correctes?
Pourquoi notre espacement subjectif de qualités
aurait-il un contact avec la nature et une créan-
ce sur le futur?
(32)".
Pour répondre à ces préoccupations, Quine fait émer-
ger l'idée d'invariance.
Il évoque à ce sujet le darwinisme:
"S'il est vrai que l'espacement qualitatif inné
des gens est un trait héééditaire,
l'espacement
qui a contribué aux inductions les plus réussies
aura tendu à prédominer grâce à la sélection na-
turelle.
Des créatures qui s'envieilleraient dans
les inductions erronées ont pathétiquement et
louablement propension à s'éteindre avant que leur
espèce ne se reproduise
(33)".
Mais nos inductions ne sont pas exempts de l'erreur.
QUIne en donne des exemples par lesquels
il montre comment nos
normes de similarité et d'espèces se perfectionnent. L'homme
s'élève au-dessus des nOEmes périmées en développant des systè-
mes d'espèces modifiées et en conséquence des normes de simila-
rité modifiées aux fins de la science.
Par le processus du tâ-
tonnement de la construction de théories,
il regroupe les choses
en d'autres espèces dont i l s'avère qu'elles conduisent à des
inductions meilleures que les anciennes.
(32) Quine R.O.
p 143 -
144
(33) Quine R.O.
p 144

296
Et, pense Quine,
le processus continue jusqu'au jour
où la maturité d'une discipline scientifique finit par l'exoné-
rer du besoin de similarité et d'espèce. C'est ce que Quine dé-
signe par l'expression
"paradig~ qui mene de l'irraison à la science"
( 34) .
Cet aveu ne signifie pas que chez Quine la science
résulte d'une obscure sauvagerie.
Il veut seulement arguer qu'
à la longue, l'espace de qualité s'estompe
"c'est un développement qui nous éloigne do sen-
timent immédiat, subjectif et animal, de simila-
rité, pour nous emporter vers l'objectivité plus
cachée d'une similarité déterminée par des hypo-
thèses, des postulats et des constructions scien-
tifiques.
Les choses sont similaires en ce dernier
sens, ou au sens théorique, suivant leur degré d"
interchageabilité en tant que parties de la ma-
c~inerie cosmique révélée par la science" (35).
Il n'y a pas chez Quine de contraste ou de rupture en-
tre sens commun et science. Celle-ci prolonge plutôt celui-là.
C'est à l'intérieur de la science naturelle, de chaque science
que se posent ~es problèmes épistémologiques. On ne justifie pas
la science à l'aide d'une philosophie première mais on che~che
plutôt à savoir comment, si notre science était vraie, nous pour-
rions le savoir.
Quine reformule souvent ceci
"Je regarde la philosophie et la science comme
étant sur un même bateau, un bateau que, pour re-
venir à une comparaison que je cite souvent, nous
ne pouvons reconstruire qu'en mer, alors qu'il est
à flot et que nous y sommes passagers.
Il n'y a
pas d'observatoire privilégié, ni de philosophte
première"
(36).
La raison à cela, c'est qu'un même langage peut donner
lieu à deux ou plusieurs théories différentes qui peuvent pas-
ser ex aequo le test de l'expérience: c'est la thèse de la
sous-détermination des théories scientifiques.
(34)
Quine idem p. 156.
(35)
Quine idem p.
151.
(36) Quine idem p.
144.

297
SECTION 16
DE LA SOUS-DETERMINATION DES THEORIES A LA RELA-
TIVITE DE L'ONTOLOGIE
INTRODUCTION
Notre savoir du monde extérieur -à savoir le langa-
ge maternel ou la théorie physique- est une fabrique de phra-
ses que nous tenons de nos prédécesseurs. Nous apprenons ce
savoir par le contexte selon des voies qui engendrent un re-
seau d'énoncés, enchaînés entre eux par des liens si complexes
qu'il est désespéré d'opérer des distinctions d'ordre distri-
butif d'information. Nous oomprenons ce langage et le faisons
évoluer en y apportant de notre con à travers des hypothèses
analytiques intermédiaires.
"C'est pourquoi,
écrit Quine, dans la science
théorique
(sauf comme elle est reformulée par
des enthousiastes de la sémantique),
les distinc-
tions entre les synonymies et les "équivalences
de fait"
sont rarement senties ou proclamées.
Même l'identité introduite en mécanique à un mo-
ment précis de l'histoire par la définition du
"moment"
comme "la masse multipliée par la vites-
se"
(à savoir
E =
mc)
prend place dans un ré-
seau de connexions au même plan que tout le res-
te.
Si ultérieurement,
un physicien remanie la
méoanique de façon que le moment
cesse d'être
proportionnel à la vitesse,
le remaniement appa-
raitra probablement comme un changement de signi-
fication"
(37).
Un autre remaniement opéré par un autre physicien fe-
ra voir l'incompatibilité logique entre sa théorie et celle de
soncooncurrent. Mais ces deux théories logiquement incompatibles
peuvent se révéler empiriquement équivalentes. C'est ce que Qui-
ne appelle la "sous-détermination des théories physiques".
Si donc nous devons comprendre notre théorie physique
(37)
Quine "Le Mot et la Chose" p 97

298
ce n'est pas eu égard à un quelconque musée sémantique, mais
en référence à une théorie d'arrière-plan, où nous assumons
les valeurs des variables tenues par nous pour vraies pour
pouvoir considérer notre théorie comme étant vraie. Cette se-
conde thèse dé~igne la "relativité de l'ontologie". Le critè-
re d'assomption ontologique
spécifie l'univers du langage
de la théorie d'arrière-plan.
§
4 La nature de la thèse de la sous-détermination
et sa relation avec la thèse de l'indétermination.
Un des aspects du réalisme scientifique consiste en
la croyance qu'en appliquant méthodologiquement la méthode
scientifique, on s'approcherait asymptotiquement de la théorie
idéale. La vérité, en ce sens, est conçue comme étant la col-
lection infinie de tous les énoncés vrais.
Popper, à quelques
nuances près partage cette idée d'une vérité une et unique.
,
Il écr i t
:
"Bien qu'elle
(la science)
ne puisse atteindre
ni la vérité ni la probabilité, son effort pour
atteindre la connaissance, sa quête de la vérité,
est encore le motif le plus puissant de la décou-
verte scientifique"
(38).
En effet,
"Les grands avantages de la théorie de la vérité
objective,ou absolue sont qu'ils nous permettent
de dire -avec Xénophane- que nous cherchons la
vérité, mais sans pouvoir savoir quand nous l '
avons trouvée
i
et que, quoique,
nous n'ayons au-
cun critère de vérité nous sommes guidés par l '
idée de vérité comme principe régulateur
i
( ••• )
et que bien qu'il n'y ait aucun critère général
qui nous permette de reconnaitre la~vérité -excep-
té la vérité tautologique- il existe des critères
du progrès vers la vérité"
(39).
(38)
Karl Popper L.S.D. p 284
(39)
Karl Popper Conjectures' and ReFutations
(C.R.) p 226

299
Popper
illustre cela par la canparaison suivante :
"On peut comparer le rôle de la vérité comme principe régu-
lateur à celui d'un pic montagneux habituellement couvert
de nuages. Un alpiniste aura non seulement des difficultés
pour atteindre le sommet, mais il ne pourra même pas savoir
qu'il l'a atteint, car les nuages l'empêcheront de distin-,-.
guer le sommet principal des sommets secondaires. Cependant,
ceci n'affecte 'pas l'existence objective du sommet; et si
l'alpiniste nous d i t :
"je doute d'avoir atteint le vrai
sommet",
il reconnait, par implication, l'existence objecti-
ve du sommet.
"L'idée authentique d'erreur ou de doute im-
plique
l'idée d'une vérité objective que nous pouvons
éventuellement ne pas être capables d'atteintre"
(39).
Pour Popper nos certitudes ne sont que de meilleu-
res ou bonnes approximations de la vérité. C'est sur ce
point qu'il fonde l'idée de vérisimilitude, c'est-à-dire,
celle d'une plus ou moins bonne correspondance à la vérité.
La vérisimilitude, c'est la combinaison de~l'idée de vérité
et du contenu empirique d'un énoncé.
Pour Quine, cette idée d'une vérité -due à Peirce-
vers laquelle on tendrait/prête le flanc à deux critiques:
d'abord la notion de théorie limite ne peut être une analo-
gie de la notion de limite, pour la bonne raison que la no-
tion de limite dépend de la notion de "plus proche que",
laquelle est définie pour les nombres et non pour les théo-
ries.
n y a certes un progrès en science. Certaines théories
sont abandonnées, supplantées par d'autres. Chaque fois
qu'une théorie est infirmée, on s'éloigne de l'erreur mais
cela ne prouve pas qu'on se rapproche de la vérité. Une con-
séquence de cette "théorie-limite" de Peirce est que "même
si nous négligeons de pareilles difficultés, même si, fai-
sant appel en quelque sorte à la fiction,
nous identifions
la vérité avec le résultat idéal de l'application exhaustive
de la méthode scientifique à la totalité future des
(39) Karl Popper Cànjectu~es and Rufutations
(C.R.)
P.226.

300
irritations de surface,
il reste encore la difficulté de
cette imputation d'unicité
("le résultat idéal").
Cette imputation présuppose que la vérité est une
et qu'il n'existe qu'une seule théorie systématisant toutes
les
observations ou irritations de surface des hommes. Or
cette présupposition est rejetée par la thèse de la sous-
détermination des théories scientifiques.
"Nous n'avons pas
àe raisons, écrit Quine, de penser que les irritations de
surface de l'homme même investiguées jusque dans l'éternité.
se prêtent à une systématisation unique qui soit scientifi-
quement meilleure ou plus simple que toutes les autres.
Il
parait plus probable, ne fût-ce qu'à raison des symétries
et des dualités, qu'une multitude de théories pourront pré-
tendre à la première place. La méthode scientifique est le
chemin pour trouver la vérité, mais elle ne fournit pas,
même en principe, une définition unique de la vérité. Toute
définition dite pragmatique de la vérité est condamnée à
échouer semblablement"
(40).
Une définition pragmatique de la vérité en ce sens
est donnée par Karl Popper qui dit que le meilleur critère
de vérité est celui qui permet de choisir le système qui
est comparativement le plus apte en exposant tous les sys-
tèmes "à la plus acharnée des luttes pour la survivance",
c'est-à-dire à la corroboration.
Lorsqu'on rapproche la thèse de l'indétermination
de la traduction avec celle de la sous-détermination,
il y
a des ressemblances apparentes
(A)
,. Des manuels pour traduire une langue dans une
autre peuvent être élaborés selon des principes
divergents,
tous compatibles avec la totalité des
dispositions à parler et cependant incompatibles
entre eux. Dans un nombre incalculable d'endroits,
ces manuels divergeront"
(41).
(40)
Quine Le Mot et La chose P.
54.
(41) Quine Le Mot et La chose P.
58.

301
(8)"On s'accorde largement pour penser que notre
théorie de la nature est sous-déterminée par nos
énoncés; et non seulement par les observations que
nous avons faites et par celles que nous ferons,
mais même par tous les événements non observés
qui sont pourtant d'espèce observable. En bref,
notre théorie de la nature est sous-déterminée par
toutes les observations "possibles" "(42)
La thèse de l'indétermination de la traduction
ressort de la pluralité d'hypothèses analytiques. La thèse
de la sous-détermination dit,
elle, que la théorié'la plus
simple pour atteindre un certain objectif n'est pas néces-
sairement unique. Les relations entre l'une et l'autre
sont diversement interprêtées.
Il nous semple que l'inter-
prétation la plus plausible est la suivante
La thèse de
l'indétermination
'implique'
la thèse de la sous-détermina-
tion. C'est parce que les références des termes sont indé-
terminées que nos théories scientifiques sont sous-détermi-
nées. Cela Chomsky l'a négligé/qui considère l'indétermina-
tion de la traduction comme un cas particulier de la sous-
détermination.
"La situation dans le cas du langage, ou de
la connaissance de sens commun
n'est à cet égard, pas dif-
férente du cas de la physique"(43).
Quine a pris soin de distinguer ces deux thèses.
"La théorie physique, dit Quine, est un paramètre ultime.
Il n'existe pas de philosophie première, plus haute et plus
sGre que la physique à laquelle on pourrait en appeler, par-
dessus la tête des physiciens ••• Quoique la linguistique soit
évidemment une partie de la théorie de la nature,
l'indéter-
mination de la traduction n'est pas simplement héritée comme
un cas particulier de la sous-détermination de notre théorie
de la nature.
Elle est parallèle, mais supplémentaire. Con-
sidérons •••
la totalité des vérités de la nature, connues
et inconnues, observables et inobservables, passées et fu-
tures. La conclusion sur l'indétermination de la traduction
(42) Quine P.L., p.
16-17.
(43)
Chomsky;-"Quine's Empirical Assumption" in Synthèse,
p. 61.

302
est qu'elle supporte toute cette vérité, la vérité totale
de la nature. C'est ce que je veux dire quand je dis que
quand on applique l'indétermination de la traduction,
il
n'y a pas de question réelle du meilleur choi~~' (44).
La différence entre l'indétermination et la sous-
détermination est que celle-là a trait à la référence alors
que celle-ci a trait à la signification ou à la nature des
théories. L'indétermination nous apprend que nous ne pou-
vons
avoir une traduction unique pour "Gavagai". Elle ré-
sulte de l'inscrutabilité de la référence. Cette inscruta-
bilité de la référence fait inférence en tant que consti-
tuant d'une théorie donnée, ce qui conduit au fait que même
si nous disposions de toutes les observations possibles,
nous ne serions pas encore assur~s qu'il n'existe qu'une
seule théorie capable de les systématiser. Cela vient du
fait que, comme Quine l ' a dit,
la théorie ne se confond pas
avec l'ensemble infini des observations possibles que nous
pourrions avoir.
Si on a indétermination de la traduction alors
on a sous-détermination de théorie. La vérité d'une théorie
physique est celle qui se réfère à nos croyances à propos
de cette théorie. Quine le dit :
"De même que la vérité
d'une théorie physique est sous-déterminée par les observa-
tions,
la traduction de la théorie physique de l'étranger
est sous-déterminée par la traduction de ses phrases d'ob-
servations"
(45). La traduction ici n'est pas celle de ter-
mes mais de théorie.
"Là oü les théories physiques A et B
sont toutes les deux compatibles avec toutes les données
possibles, nous pourrions adopter A pour nous-mêmes et ce-
pendant rester libre de traduire l'étranger soit comme
croyant A, soit comme croyant B. La question est de savoir
si .•• l'étranger croit réellement A plutôt que B est une
question dont on peut douter qu'elle ait un sens"
(46).
(44)
Quine "Rephies" in Synthèse p.
275.
(45)
Quine "On the Reasons For Indeterminacy
of Transla-
tion" in J.OF.P. Vol.67,
1970, p.
179.
(46)
Quine idem, p.
180.

303
Le point crucial de la sous-détermination et qui
vient de l'inscrutabilité de la référence est l'incompati-
bilité -logique. Par exemple/ écrit, Quine" il peut y avoir
un ensemble H d'hypothèses, et un autre ensemble H' d'hy-
POthèses
incompatibles avec H, et qu'éventuellement, quand
nous modifions notre théorie T tout entière en y remplaçant
H par H', la théorie T'obtenue s'adaptera encore aussi
bien que T à toutes les observations possibles. Il est donc
évident que H et H'
transmettent la même information empi-
rique, pour autant qu'on peut assigner de l'information em-
pirique à H et à H'. Et cependant, H et H'
sont incompa-
tibles"
(47). Quine donne d'autres exemples "En neurologie
spéculative,
il y a l e fait que des amorçages nerveux dif-
férents peuvent rendre compte de comportements verbaux iden-
tiques. Dans l'apprentissage d'un langage,
il y a la multi-
plicité des histoires individuelles susceptibles d'aboutir
à un comportement verbal identique"
(48).
Un exemple de cette incompatibilité logique qui
donne des compatibilités empiriques est fourni par l'écart
doctrinal qui sépare les physiciens Schrodinger et Heisen-
berg à propos du principe d'incertitude de la mécanique
quantique.
Nos théories et nos croyances, étant sous-déter-
minées par la totalité des données sensibles possibles,
nous ne nous prononçons à leur sujet que moyennant une théo-
rie d'arrière-plan. Nous ne pouvons pas dire ce que sont
les objets d'une théorie de façon absolue. Nous ne nous
prononçons que relativement.
§5 La relativité de l'ontologie
Au chapitre 1, nous avions évoqué, à l'appui de
l'inscrutabilité de la référence,
les exemples de lapin et
de partie non détachée de lapin dans le cadre de la
(47)
Quine P.L.
, p.
17.
(48)
Quine re-Mot et La Chose, p.
125-26.

304
traduction radicale. Même dans notre langue domestique,
la
référence s'était révélée inscrutable. Nous n'avions pas
conclu pour autant au relativisme car notre règle nationa-
le de traduction usuelle a été le 'principe de charité'.
Nos différentes traductions n'avaient de sens que parce que
notre langue maternelle dispose de ces prédicats et de
mécanismes auxiliaires.
"Le vocabulaire de notre langue, écrit Quine,
inclut "lapin",
"partie de lapin",
"segment temporel de
lapin",
•••
; et aussi les prédicats à deux places de l '
identité et de la différence,
ainsi que des particules lo-
giques. En fonction de ces ressources, nous pouvons, en tant
que mots, dire que ••• ceci est un lapin et cela une par-
tie de lapin, que ceci et cela sont le même lapin, et que
ceci et cela sont des parties différentes de lapin. Avec
précisément ces mots-là. Ce réseau de termes, de prédicats
et de mécanismes auxiliaires est, dans le jargon relativis-
te, notre cadre de référence ou notre système de coordon-
nées.
Relativement à lui nous pouvons parler et nous parlons
correctement et distinctement de lapins et de parties de
lapins"
(49).
La thèse relativiste est ainsi formulée :
il
n'y a pas de sens à dire ce que sont les objets d'une théo-
rie; on peut tout juste dire comment interpréter ou réin-
terpréter cette théorie, par exemple une théorie de la tra-
duction radicale dans une autre théorie qui sert de théorie
d'arrière-plan.
Soit T une théorie de l'arithmétique des nombres
naturels dont le langage comprend les prédicats
'x est un
nombre premier 1 par lesquels nous distinguons des portions
de certains univers
("être pair")
d'autres univers
('être
divisible')
de sorte que ces prédicats diffèrent entre eux
simplement par le rôle qu'ils jouent dans les lois de la
(49) Quine R.O., p. 61.

305
théorie. A l'intérieur de cette théorie prise comme théo-
rie d'arrière plan, on peut montrer comment une théorie
subordonnée, dont l'univers est une portion de l'univers
d'arrière-plan, peut, moyennant une réinterprétation, être
réduite à une autre théorie subordonnée, dont l'univers
est une portion plus petite de l'univers d'arrière-plan.
Une réduction donne le moyen de court-circuiter
une notion ou une entité au moyen d'autres notions en obte-
nant les effets de la théorie réduite. Nous ne le faisons
que relativement à une théorie d'arrière-plan ou métalan-
gue.
Cependant,
tro~s objections sont disséminées dans
cette procédure. Quine les examine et y apporte une solution.
La première objection concerne la nature de la
théorie. La relativité d€
l'ontologie ne dit pas ce que
sont les objets d'une théorie mais plutôt comment les in-
terpréter. Or, une théorie est un ensemble d'énoncés com-
plètement interprétés. C'est un ensemble clos pour la déduc-
tion. Cela ressort de ce passage de Quine.
"si les phrases
d'une théorie sont complètement interprétées,
alors en
particulier le parcours de valeurs de ces variables est dé-
terminé. Cela étant, CC>t'n~n'y aurait-il pas de sens à dire
ce que sont les objets d'une théorie?"
(50).
La réponse de Quine -selon laquelle la relativité
de l'ontologie ne nous dit pas ce que sont les théories- ne
se fait pas attendre.
"Ma réponse est simplement que,
s ' i l doit y avoir
quelque chose qui compte pour une théorie, nous ne pouvons
pas exiger que les théories soient complètement interpré-
tées, sauf en une acception relative. En définissant une
théorie, nous avons en effet à spécifier entièrement, avec
nos propres mots, quelles phrases doit comprendre cette
théorie, quels!!objets doivent être pris comme valeurs de
ses variables et quels objets doivent être pris comme sa-
tisfaisant ses lettres de prédicats"
(50).
(50)
Quine, R.O., p.
64.

306
Il ressort de cette citation que Quine considère
que dans une théorie il y a lieu de distinguer
1) La logique:
les connecteurs logiques et les quan-
teurs
2)
L'ontologie ou le domaine des valeurs des variables
liées
3)
L'idéologie ou l'univers des prédicats admissibles
de la théorie.
On peut déterminer, on doit même déterminer
l'ontologie en vertu de la maxime de Quine:
"Pas d'entité
sans identité". C'est ce qui donnera le critère d'assomp-
tion ontologique. Au contraire, on ne peut fixer définiti-
vement la classe des prédicats admissibles. Certes un pré-
dicat ne se prête à l'entreprise scientifique que s ' i l
n'est pas trop vague, vu sous certains angles.
"Si, dit
Quine, le prédicat s'applique essentiellement à la sphère
des objets macroscopiques du sens commun, alors il faudra
que d'une manière générale les observateurs tendent à s'ac-
corder sur son application à ces objets"
(51). Certes, mais
le lexique des prédicats est ouvert.
"Que le stock des
prédicats soit toujours susceptible d'expansion c'est un
théorème implicite des mathématiques; car on sait qu'étant
donné n'importe quelle théorie, aussi riche soit-elle, il
existe des classes qui ne sont les extensions d'aucune de
ses phrases"
(51).
Comme exemple on peut èiter le cas des prédicats
dispositionnels ou l'antinomie de Russell. La difficulté
de fixer les prédicats se révélera dans le cas des réduc-
tions ontologiques.
En attendant, la deuxième objection est celle de
se demander ce qui empêche de parler dans l'absolu des
problèmes d'ontologie. La relativité ne ruine-t-elle pas
l'universalité? La réponse de Quine est sans équivoque.
(51)
Quine
'Le domaine ët le langage de la science', trad.
Fr. P. Jacob,
in De Vienne à Cambridge, p.
219.

307
"Si des questions concernant l'ontologie
d'une théorie sont dépourvues de sens dans l'absolu, et si
elles acquièrent un sens par rapport à une théorie d'ar-
rière-plan, cela n'est pas en général dû à ce que cette
dernière théorie a un univers plus grand. On est tenté de
supposer cela: c'est une erreur.
Ce qui prive de sens les questions d'ontologie
quand on les pose dans l'absolu, ce n'est pas l'universali-
té, c'est la circularité. On ne
répond à une question de
la forme "Qu'est-ce qu'un F?" qu'en recourant à un nouveau
terme:
"un F est un G.". La réponse n'a qu'un sens rela-
tif; relatif à l'admission nalve de "G"
"(52).
Le caractère relatif s'illustre lorsque, faisant
abstraction de l'ontologie et de l~idéologie, il nous reste
la forme logique de la théorie, ce que Quine appelle la
"forme de théorie".
"Cela étant, nous pouvons interpréter
à nouveau cette forme de théorie en choisissant un nouvel
univers comme parcours de valeurs de ses variables, en as-
signant des objets de cet univers à ses noms, des sous-
ensembles de cet univers comme extensions à ses prédicats
à une places, et ainsi de suite. Chaque interprétation de
la forme de théorie, et qui rend celle-ci vraie, s'appelle
un modèle de cette forme de théorie. On ne peut naturelle-
ment pas deviner, à partir de la forme de théorie,
lequel
d'entre ces modèles est, dans une théorie concrète donnée,
le modèle attendu"
(53). L'issue pour questionner la réfé-
rence des termes de cette théorie est de les paraphraser
dans un vocabulaire antérieurement familier~.C'est de cette
façon qu'on peut poser une question et y répondre~
C'est de cette façon qu'on peut interpréter les
entiers naturels dans l'arithmétique des entiers relatifs.
"Soit T l'arithmétique des nombres naturels de langage
L =
N, 0, S
, et T'
l'arithmétique des entiers relatifs,
de langage L'
=
Z, T,.
. On commence par chercher, écrit
( 5 2 ) Qu in e, R• O., p.
6 6 .
(53)
Quine,
idem, p. 66-67.

308
Largeault , dans le langage L', des symboles pour l'uni-
vers et pour les fonctions et prédicats de L. Dans L, 0 est
un symbole de fonction à zéro place
(une constante d'in-
dividu)
et S est un symbole de fonction à une place. Ces
symboles sont définissables en termes de +, de., de varia-
bles parcourant Z et de signes logiques, bref ces symboles
o et S sont définissables dans le langage L' " (54).
Il se trouve que l'ontologie est doublement re-_
lative au sens où spécifier l'univers d'une théorie n'a de
sens que par rapport à un langage d'arrière-plan et par
rapport au choix d'un manuel de traduction d'une théorie
dans une autre ou au choix d'un modèle. Mais en parlant
d'arrière-plan, ne court-on pas le risque d'une régression
à l'infini? C'est la troisième objection à laquelle Quine
donne une réponse.
"J'ai dit, écrit-il, qu'un langage d'arrière-plan
nous était indispensable pour la régression. Sommes-nous
alors impliqués dans une régression à l'infini? Si les
questions de référence, de l'espèce que nous
sames en train
d'étudier, n'ont de sens que par rapport à un langage
d'arrière-plan,
il est évident que les questions de réfé-
rence pour le langage d'arrière-plan n'ont à leur tour de
sens que par rapport à un nouveau langage d'arrière-plan.
Décrite ainsi,
la situation a l'air désespéré, en fait
elle n'est guère différente des questions de position et
de vitesse"
(55).
Quine donne deux solutions à cette question.
D'abord, en pratique, on met fin à la régression
par
l'acte de montrer du doigt ou ostension. Par l'ostension
nous désignons ce à quoi nous référons
• Ensuite, en théorie,
nous mettons fin à la régression grâce aux relations qui
existent entre les objets des théories. Et c'est ce qui ex-
plique qu'on puisse réduire une ontologie à une autre,
c'est-à-dire émonder celle-là par rapport à celle-ci sans
altérer la vérité de celle-la. Tel est le problème de la
réduction ontologique.
(54)
Largeault, op.cit., p.
54-55.
(55)
Quine, op.cit., p. 62.

309
§6 La réduction ontologique et le rejet du pythago-
risme.
"Que nous dépendions d'une théorie d'arrière-plan,
écrit Quine, devient particulièrement visible lorsque nous
réduisons notre univers U à un autre V en recourant à une
fonction de représentation. Car c'est seulement dans une
théorie munie d'un univers inclusif embrassant U et V, que
nous pouvons définir la fonction de représentation. Cette
fonction applique U dans V et donc nécessite tous les an-
ciens objets de U aussi bien que leurs nouvelles contre-
parties dans V"
(56).
Cette définition est la définition finale.
Elle
nécessite des préalables. Réduire l'univers d'une théorie
en un autre, c'est montrer, en réinterprétant celle-ci,
comment on peut se passer de son univers au profit d'un
autre univers qui sera une vraie partie du premier. Quine
s'est penché sur la question dans "Ontological Reduction
and the World of Numbers".
"La philosophie scientifique ou analytique,
écrit-il, a réalisé l'entreprise remarquable de réduire
certaines notions pour en adopter d'autres, de préférence
les moins incertaines. Un cas bien connu de pareille réduc-
tion est la définition du nombre de Frege. Tout nombre na-
turel n'est devenu, généralement parlant, la classe de
toutes les classes d'appartenance n."
(57). Frege, on
le sait, critiquant l'empirisme mathématique notamment de
Mill et rejetant l'intuitionnisme de Kant dit du nombre
qu'il n'est pas une propriété mais un concept. Il est la
propriété d'un concept.
"Quand je parle de propriétés qui
sont dites d'un concept, précise Frege,
je n'entends évi-
demment pas les caractères qui composent le concept. Ceux-ci
sont des propriétés des choses qui tombent sous le concept,
non du concept lui-même.
Par exemple "rectangle" n'est pas
Ptot>',ik' dv'4 (p..(;(~r" f-.i"",/<"mo";" .ta-
uneYproposition qu'il n'y a pas de triangle rectangle
(56)
Quine,
idem, p. 70.
(57)
Quine,
"Ontological Reduction ••• ",
in W.P.

310
équilatéral énonce une propriété du concept "triangle rec-
tangle, rectiligne, équilatéral", elle attribue le nombre
ou la propriété) 0"
(58).
En définissant le nombre comme étant l'extension
du concept "équinumérique au concept ••• ", c'est en termes
de classes que Frege le réduit. Sa méthode, dit Quine, mon-
tre "comment abandonner les nombres naturels et obtenir par
ce moyen ce que nous pourrions appeler pour le moment les
classes"
(58). Quand je d i s :
"le carrosse de l'empereur est
tiré par quatre chevaux",
j'attribue à la classe des che-
vaux qui tirent le carrosse le nombre quatre. Le nombre qua-
tre est équinumérique à la classe des chevaux qui tirent
le carrosse.
L'avantage de cette réduction est qu'elle conser-
ve la structure. Elle est un modèle de structure conserva-
trice des nombres naturels bien qu'au lieu des nombres et
des classes, elle ne contient plus que des classes. Comme
le constate Quine, ce genre de réduction suggère que ce
qui justifie la réduction d'un système d'objets à un autre
c'est la préservation d'une structure pertinente. Alors
dans ce cas le théorème de Lowenheim-Skolem (en abrégé L.S)
est la réduction par excellence. Le théorème sous sa forme
initiale dit que "si une théorie est vraie et a un univers
non dénombrable, alors la totalité de cet univers, à l'ex-
ception d'une partie dénombrable, est du bois mort, en ce
qu'on la peut exclure du parcours de valeurs des variables
sans rendre fausse aucune phrase de la théorie. Manifeste-
ment, ce théorème annonce, pour toutes les théories admis-
sibles, une réduction à des ontologies dénombrables. De
plus, une ontologie dénombrable se réduit à son tour à une
ontologie composée spécifiquement de nombres naturels, sim-
plement en prenant la numéretation comme fonction de re-
présentation, lorsqu'on a la numérotation sous la main"
(59).
Si l'on considère que ce qui importe dans la ré-
duction, c'est la recherche et la découverte d'un modèle,
(58)
Frege Les fondements des mathématiques, Trad.Fr.
Claude Imbert, p.
175-76.
(59) Quine, R.O., p.
71-72.

311
alors le théorème de L.S. est le para~~ par excellence
en ce qu'il nous dit que toute théorie qui admet un modèle
admet un modèle de nombres naturels. Mais, s'interroge
Quine,
"est-il vrai que tout ce qui importe c'est le modè-
le ? Toute théorie interprétable peut, si nous tenons compte
du théorème de Lowenheim-Skolem , constituer un modèle dans
les nombres naturels ; mais est-ce que cela nous autorise
à dire qu'elle est une fois pour toutes reductible
à
ce domaine dans le sens où elle nous permettrait dès lors
de rejeter les vieux sujets et reconnaître seulement les
nouveaux, les nombres naturels ? Des exemples affermissent
en nous l'tmpression que la constitution des modèles a assu-
ré cette réduction mais nous pourrions confirmer ou changer
cette impression par une petite analyse"
(60).
D'abord Quine montre que la définition de la ré-
duction sous cette forme est triviale en ce qu'elle conduit
au pythagorisme. En effet, si nous nous figurons que tous
nos objets sont des nombres naturels, nous mettons sur
pied une ontologie pythagoricienne omnifactrice disant que
la seule ontologie dont on ait besoin.
c'est une ontologie
~
des nombres naturels. Certes cette réduction sauve l'onto-
logie au sens où on débarrasse celle-ci de ses éléments inu-
tiles mais "elle ne s'acquite pas envers l'idéologie" no-
tamment le prédicat de vérité qui requiert des notions plus
fortes que celles de la théorie source.
Ensuite, le pythagorisme devient dényé de sens
lorsqu'on le réinterprète "Quand, d'après la preuve du
théorème de Lowenheim-Skolem, nous réinterprétons les pré-
dicats primitifs d'une théorie 8 de façon à en faire des
prédicats de nombres naturels, nous n'en faisons pas en gé-
néral des prédicats arithmétiques. C'est qu'en général ils
ne se convertissent pas en prédicats qui puissent être ex-
primés en termes de somme, de produit, d'égalité et de lo-
gique"
(61).
(60) Quine "Ontological Reduction ••• " in W.P., p.
(61) Quine, idem, p.
202.
----

312
En effet, dire qu'un schéma ou une classe de
schémas est vrai pour une interprétation dans l'univers des
entiers positifs, n'est pas dire que nous pouvons produire
des interprétations appropriées de 'Fxy',
'Gx', etc ••• sous
forme de notations arithmétiques. La preuve du théorême de
Lowenheim-8kolem nous assure que pour tout schéma consis-
tant,
il existe une interprétation vraie dans l'univers des
entiers positifs mais elle ne nous donne pas les moyens de
découvrir ou d'exprimer cette interprétation. La preuve ne
nous assure pas davantage que l'interprétation, si on la
découvrait, pourrait être exprimée dans un vocabulaire pu-
rement arithmétique.
Pour éviter la réduction pythagoricienne fondée
sur le théorême de Lowenheim-Skolem, Quine demande qu'on
spécifie une fonction de représentation.
"Le modèle de ré-
duction d'une théorie a à une théorie a' peut être mainte-
nant établi comme suit : nous spécifions une fonction, pas
nécessairement dans la notation de a ou de a', qui admet
comme arguments tous les objets de l'univers a et prend
ses valeurs dans l'univers de a'. c'est cela la fonction de
représentation. Alors, à chaque prédicat primitif, à n- place
de a pour tout n, nous associons par une procédure effective
une phrase ouverte de a' à n variables libres d'une manière
telle que le prédicat soit satisfait par une séquence de n
arguments de la fonction de représentation si et seulement
si la phrase ouverte est satisfaite par une séquence de n
valeurs de cette même fonction de représentation"
(62).
Autrement dit, la fonction de représentation
applique l'univers d'un modèle M de la théorie a dans l'uni-
vers d'un modèle M' de la théorie a'. Cette fonction f n'est
pas forcément descriptible dans le langage de a ni de a',
et elle doit être telle que chaque prédicat primitif
P(xl' ••• 'xn ) de a est satisfait dans M si et seulement si
il y a un énoncé ouvert A pas forcément atomique de a' de
manière que B (
xl, ••• , fXn)
soit satisfait dans M'.
(62) Quine,
idem, p. 205.

313
Cette fonction sera généralement un isomorphisme
entre 8 et 8'. Un exemple d'isomorphisme est la réduction
des nombres entiers naturels dans l'ensemble des entiers
naturels pairs. Soit par exemple
N l'ensemble des entiers
naturels et A,
l'ensemble des entiers naturels pairs.
A =10,2,4,6, ... ~
Considérons l'application f de
N dans A définie par
x ~ f(x)
= 2x
On vérifie aisément que tout entier naturel a
un double qui est un entier naturel pair. Cette application
possède les propriétés de surjection, d'injection et de
bijection.
Nous avons dit que la fonction de représentation
est généralement un isomorphisme; elle ne l'est pas né-
cessairement car elle peut être uniquement un homomorphisme
de M vers M'. A ce sujet, un exemple dans lequel on n'exige
point de la fonction de représentation d'être de un à un
est fourni par un fragment de théorie économique. Quine de-
mande qu'on suppose que l'univers de cette théorie contien-
ne des personnes mais que ses prédicats soient incapables de
distinguer entre des personnes dont les revenus sont égaux.
"Nous serJi.J.ons alors, écrit Quine, heureux de réduire son
ontologie de personnes à une ontologie de revenus. La fonc-
tion de représentation assignerait à chaque personne son
revenu. Cette fonction n'est pas de un à un ;
ie. des per-
sonnes distinctes donnent lieu à des revenus identiques.
La raison pour laquelle une réduction de ce genre est accep-
table, est qu'elle confond les images des seuls individus qui
n'avaient jamais été distinguables au moyen des prédicats de
la théorie initiale"
(63).
Sous cet angle, une réduction ontologique ne con-
siste pas à changer d'univers en prenant pour nouvel univers
D'un sous-domaine de D. Elle doit au contraire protéger la
structure prédicative. Nous le faisons non en interprétant
(63)
Quine, R.O., p. 69.

"
314
ou réinterprétant un sous-ensemble de la théorie en ques-
tion mais en construisant les énoncés appartenant totale-
ment à notre théorie e sur des énoncés dont nous pouvons
exiger que chacun des prédicats primitifs de e apportent à
l'intérieur d'un prédicat ou d'un énoncé ouvert les nouveaux
objets en question.
C'est parce que le théorême de Lowenheim-Skolem
ne nous donne pas ou n'indique pas quelle partie mettre en
correspondance avec quelle autre partie, que Quine exclut
toute réduction au dénombrable basée sur le théorême en
question.
Il faut éviter que le nominalisme puisse exciper
du pythagorisme, c'est-à-dire de la thèse qu'une ontologie
dénombrable suffit aux mathématiques. Ce faisant, Quine
accorde de la place au réalisme ou plutôt à d'autres enti-
tés en dehors de celles qu'assume le nominaliste. C'est ce
que nous allons voir dans le chapitre sur l'assomption
ontologique.
Conclusion
Pour conclure, nous évoquerons ces passages pé-
nétrants de M. Arnaud DENJ,OY
"La science, même en ces mathématiques, qui pa-
raissaient être son asile de certitude, ne se présente plus
à nos yeux comme l'inébranlable construction édifiée sur
le roc, bâtie de matériau bravant l'éternité, sans cesse
accrue d'assises et de dépendances nouvelles mais toujours
définitives. La science est un vaisseau engagé sur une mer
mouvante. La vague qui le porte n'est pas pétrifiée. Elle
ondule et se propage, cédant sa place à la suivante. Mais,
et c'est l'essentiel, le navire flotte et avance dans la
direction souhaitée, rejetant sur sa route le déchet des
connaissances périmées ou controuvées , chargeant les ac-
quisitions neuves. Et nous renonçons au rêve ingénu et vain
d'aborder jamais au rivage d'une causalité originelle et
unique
• <,

1
t~
315
La science cherche sa lumière dans la nuit qu'elle
a devant elle, et non plus dans les clartés qu'elle a dé-
passées"
(64).
Ne disposant pas d'un langage privé quelconque,
nos théories ne peuvent plus prétendre donner des critères
de ce qui existe
en soi et pour soi mais dire plutôt ce
qui est, conformément aux entités que nous postulons. Ainsi
aboutissons-nous au critère d'assomption ontologique. Ceci
doit être considéré comme une application de la thèse de
l'indétermination de la traduction. En effet, si le lin-
guiste traduit "Gavagai?" par lapin plutôt que par "phase
de lapin" ou "partie non détachée de lapin" c'est eu égard
à ce qu'il tient pour vrai pour que sa théorie puisse être
vraie.
(64)
Arnaud DENJOY.

TROISIEME PARTIE
DESCRIPTION ET ASSOMPTION
ONTOLOGIQUE

317
Chapitre 8
Le critère d'assomption ontologique
Nous considérons les variables liées
par rapport avec l'ontologie, non pas dans
le but de savoir ce qui est, mais dans le
but de savoir quelle remarque donnée ou
quelle doctrine, de nous ou de quelqu'un
d'autre dit qui est
Les dieux d'Homère et les objets physi-
ques sont des mythes. L'une et l'autre
sorte d'entités ne trouvent de place dans
notre conception que pour autant qu'elles
sont culturellement postulées.
Introduction
La relativité de l'ontologie nous avait conduit à
n'accepter la vérité d'une théorie qu'eu égard à une théorie
d'arrière-plan. Cette théorie d'arrière-plan a son ontolo-
gie : les valeurs tenues pour vraies.
L'attention aux va-
leurs n'a intéressé personne, ce qui a été préjudiciable à
l'intelligence du problème de l'ontologie. Celle-ci est un
discours qui vise à répondre à la question:
"Qu'est-ce qui
existe ?" C'est une question complexe à laquelle on ne peut
apporter une réponse absolue qui puisse trancher le débat
entre le nominalisme et le réalisme.
Church écrit que Quine a été le premier à avoir
fourni une réponse satisfaisante après que Church ait jugé
avec défaveur les solutions apportées par Ayer et d'autres.
"Aucune discussion d'une question d'ontologie, et en parti-
culier du débat entre le nominalisme et le réalisme, ne
peut être regardée comme intelligible, sauf si elle obéit

318
à un critère d'assomption ontologique
(1a)".
Ce critère de Quine dont parle Church est celui
qui dit que "d'une manière générale, les entités d'une es-
pèce donnée sont assumées par une théorie si et seulement si
quelques-unes d'entre elles doivent être comptées parmi les
valeurs des variables pour que les énoncés affirmés dans
la
théorie
soient vrais
(1 b) ".
L'interprétation épistémologique est celle-ci:
"On arrive généralement à une meilleure compréhension de
la matière étudiée si on garde la trace des présupposés
qu'on a admis en ce qui concerne les objets ou autre chose,
projet par projet
(1c)".
Le critère d'assomption ontologique qui dit
qu'être, c'est être la valeur d'une variable ne prétend
pas établir les catégories de l'être ni dire ce qui existe.
Au contraire,
il cherche à déceler ce qu'une théorie dit
qui est, c'est-à-dire ce qui fait la vérité d'une théorie
donnée. C'est un test de ce qu'une théorie dit qui est.
Autrement dit, les entités qui sont référentielles.
Dire qu'une théorie assume l'existence d'entités,
c'est dire que celles-ci sont comptées parmi les valeurs
des variables liées. Pour déceler les assomptions ontolo-
giques, 9uine formalise dans le calcul des prédicats du
premier ordre, dit aussi notation canonique, le langage dontîl
explore les assomptions ontologiques. Russell avait donné le
ton pour-le genre de descriptions qui révèlent les référen-
ces ou les défauts de référence. Quine l'étend à toutes les
branches du savoir. Dans une première section nous verrons
le problème de la description chez Russell et chez Ouine.
La seconde section portera sur la nature du critère d'as-
somption ontologique.
1a Church "Ontological commitment" in J. Of Ph. VoL
55,
1958, P 1012.
1 b Quine "Logic and the reification of universals" in
FLPV, p 105.
1c Ouine
Le Mot et la chose p 370.

319
Section 17
La théorie Russellienne des descriptions oppo-
sée au traitement quinéen des termes singuliers.
Introduction
Au deuxième paragraphe de "De la Dénotation",
Russe~J. écrit:
"La dénotation est une question d'une très
grande importance, non seulement en logique et en mathéma-
tique, mais en théorie de la connaissance également. Nous
savons, par exemple, que le centre de la masse du système
solaire à un instant défini est un certain point déterminé
et nous pouvons affirmer un certain nombre de propositions
à son sujet; mais nous n'avons pas de connaissance immé-
diate de ce point, que nous ne connaissons que par descrip-
tion. La distinction entre connaissance par commerce direct
et connaissance à propos de est celle entre les choses qui
se présentent à nous directement et celle que nous n'attei-
gnons qu'à l'aide de périphrases destinées à dénoter ••• ce
que nous connaissons sur autrui nous le connaissons au tra-
vers d'une dénotation. Toute pensée doit partir d'une con-
naissance immédiate ; mais notre pensée réussit à se por-
ter sur maintes choses avec lequelles nous n'entretenons pas
de commerce direct".
Pour Russell, chez qui il y a une doctrine lin-
guistique, les choses qui n'irradient pas nos surfaces ner-
veuses par des voies directes ne peuvent être appréhendées
que par une analyse logique qui en donne le
statut réfé-
rentiel. Il conçoit que seuls les noms propres ou non gram-
maticaux sont référentiels. Ceux qui n'occupent pas cette
position grammaticale ne sont que des descriptions explici-
tes ou implicites.
Quine fidèle au holisme
n'assigne pas à la logi-
que de résoudre les énigmes mais de contribuer à l'expli-
citation du schème conceptuel. Hostile aux c.onUe\\o'thohS, ,
(1)
Russell "De la Dénotation" Trad Fr. P. DEVAUX in
L'Age de la science
vol III, ND 3
pp.
172-173.
+

320
il soutient au contraire de Russell que les noms propres
et les expressions descriptions sont tous des noms, puis-
que de telles expressions sont conçues comme étant des
Termes singuliers qui sont censés nommer un et un seul
objet. Par la suite ces termes singuliers sont alors sup-
plantés par des variables.
Pour établir ces deux points de vue différents
qui résolvent tou§/'
le problème des entités non existantes,
nous allons d'abord examiner 1a o distinction russe11ienne
entre les noms propres et les descriptions. Ensuite, nous
examinerons l'analyse de Quine qui commence de l'ambigui-
té des termes aux variables.
§1
Noms logiques et référence chez Russell
Au départ du problème de la référence, Russell
rencontre la notion de terme. C'est, en dit-il, le mot le
plus ~ du vocabulaire philosophique. Tout ce qui est
mentionné est un terme. De là la distinction entre "être"
et "exister" qu'on trouve dans The princip1es of mathematics.
"L'être est ce qui appartient à tout terme conce-
vable, à tout objet de pensée possible, en bref, à tout ce
qui peut figurer dans une proposition, vraie ou fausse, et
à tout ce qui peut être compté. Si A est un terme quelconque
pouvant être compté comme un,
il est clair que A est quelque
chose et, donc, que A est.
"A n'est pas"
doit toujours être,
soit faux, soit dépourvu de sens. Car, si A n'étant rien,
il ne pourrait pas être dit ne pas être;
"A n'est pas"
implique qu'il y ait un terme A dont l'être est nié et,
donc, que A est. Donc, à moins que la phrase "A n'est pas"
ne soit une suite de sons vides de sens, elle doit être
fausse
; quoi que A puisse être,
il est à coup sûr. Les
nombres, les dieux homériques, les relations, les chimères,
les espaces à quatre dimensions ont tous
de l ' ê t r e ; car
s'ils n'étaient pas des entités d'un certain genre, nous

321
ne pourrions pas formuler de propositions à leurs propos.
L'être est donc un attribut général de toute chose et
mentionner quelque chose équivaut à montrer que cette cho-
se est (2)".
Mais,.
recommande Russell, on ne doit pas confon-
dre-l'être avec l'existence. L'être est la propriété de
tout ce dont on peut parler. L'existence au contraire est
autre chose.
"Quand dans la langue ordinaire ou en philo-
sophie, une certaine chose est dite 'exister',
il s'agit
toujours de quelque chose de décrit, c'est-à-dire qu'il
ne s'agit pas de quelque chose qui se présente dans l'im-
médiat, comme une tâche de couleur ou une saveur, mais de
quelque chose comme la "matière" ou "l'esprit" ou "Homère" (3)".
Pour établir un rapport entre être et existence,
on peut dire qu'un objet qui existe a de l'être mais la
réciproque n'est pas forcément. Et c'est sur cette asymé-
trie que repose le problème des énoncés existentiels néga-
t i f s : comment parler d'une chose qui n'existe pas? En
maintenant la distinction entre être et existence, nous
adoptons, une ontologie luxuriante lia la J!lèinong"
selon
Russell.
"Dans ces théories il me semble qu'il y a absence
de ce sentiment de réalité que l'on doit toujours conserver,
même dans les études les plus abstraites. Je maintiens que
la logique ne peut pas plus admettre la licorne que ne le
fait la zoologie, car la logique est en rapport avec le
monde réel tout autant que la zoologie, malgré son carac-
tère plus abstrait et plus général ... Le sens de la réa-
lité est vital en logique et quiconque s'amuse avec lui, en
prétendant que Hamlet a une espèce de réalité, rend un mau-
vais service à la pensée. Le sens robuste de la réalité est
très nécessaire pour établir une analyse correcte des pro-
positions qui touchent aux licornes,~aux montagnes d'or, aux
carrés ronds, et à d'autres pseudo-objets
(4)".
(2)
Russell cité par Linsky in Le problème de la référence
p 20-21
(3)
Russell: Principia,
cité par Linsky, op.cit., p. 90-91.
(4)
Russell: Introduction à la philosophie mathématique
(1920)
Trad Fr.
1970 P.G. MOREAU, p.
202~203.

322
C'est ce souci du sens de la réalité qui, quinze
ans plus tôt
(en 1905)
fait écrire 'On Denoting' par Rus-
sell. Il assigne à la théorie logique de résoudre les pro-
blèmes concernant ce que nous pouvons dire.
Une théorie logique, écrit Russell, peut être
mise à l'épreuve en lui imposant de résoudre certains ~az­
puzzles et c'est un dessein salutaire quand on réfléchit
sur la logique d'emmagasiner en esprit autant de puzzles
que possiblesJPuisqu' ils servent aux mêmes fins que les ex-
périences en physique. J'exposerai donc trois puzzles
qu'une théorie comme celle de la dénotation doit pouvoir
résoudre ; et je montrerai plus tard que ma théorie les
résoud.
1) Si a est identique à b,
tout ce qui est vrai
de l'un est vrai de l'autre, et l'un tout comme l'autre
peut être substitué à l'autre dans n'importe quelle pro-
position, sans modifier la vérité ou la fausseté de cette
proposition. Or Georges IV souhaitait savoir si Scott
était l'auteur de Waverley ; et, en fait, Scott était
l'auteur de Waverley.
Il suit de là que l'on peut substi-
tuer Scott à "l'auteur de Waverley" et prouver par là que
Georges IV souhaitait savoir si Scott était Scott. Cepen-
dant on peut difficilement attribuer un intérêt au premier
gentilhomme d'Europe pour le principe d'identité.
2) En vertu de la loi du tiers-exclu, ou bien
'A est B' ou bien 'A n'est pas B' doit être vrai. Donc ou
bien "l'actuel roi de France est chauve" ou bien "l'actuel
,
roi de France n'est pas chauve" doit être vrai. Néanmoins
si nous énumérions les choses qui sont ëhauves, et ensuite
celles qui ne sont pas chauves, nous ne trouverions pas
l'actuel roi de France ni sur une liste ni sur l'autre.
Les hégéliens qui
aiment' ~ synthèse, concluront proba-
blement qu'il porte une perruque.

323
3) Considérons la
proposition "A diffêre de B".
Si cela est vrai,
il y a entre A et B une différence, et
ce fait peut s'exprimer sous la forme "la différence entre
A et B subsiste"
..• Mais comment une non-entité peut-elle
être le sujet d'une proposition?
Par suite, semble-t-
il,
il serait toujours contradictoire en soi de refuser
l'être à quoi que ce soit. Mais, nous l'avons vu à propos
de Meinong , admettre l'être conduit parfois également à
des contradictions •••
(5)". La troisiême énigme, relative
à la relation ne sera pas examinée.
L'analyse de Russell repose sur deux idées:
l'une, que seul le nom propre
(logique) est référentiel.
C'est lui qui occupe la place de terme-sujet
d'un énoncé
sujet-prédicat; l'autre idée, c'est que la signification
d'un nom, c'est le porteur de ce nom". Il ressort dans l'ar-
ticle (précité)
-par l'usage des guillemets- que ce qui
dénote c'est le nom. Pour qu'une chose dénote,
il faut
qu'elle ait une signi_~ic:::ation, c'est-à-dire un nom.
"La
relation entre signification et dénotation, écrit Russell,
n'est pas à travers la périphrase purement linguistique.
Une relation logique
doit s'y trouver enveloppée, et nous
l'exprimons en disant que la signification dénote la déno-
tation
(6)".
"Un nom, écrit Russell, est un symbole simple,
désignant directement un individu)lequel est sa significa-
tion, et il a cette signification de plein droit, indé-
'pendamment des significations de tous les autres mots(7)".
Un nom est toute chose que nous connaissons par description
pour la bonne raison que cette chose existe. Dans~la pers-
pective de Russell un nom propre est un mot ou une phrase
qui est correctement employé
quant à ce qui est des sti-
pulations correspondantes ou aux conventions. Quand nous
(5) Russell "De la Dénotation" p 177-78.
(6 )
Russell
idem
p 178
( 7)
Russell
Introduction à la philosophie mathématique p 208.

324
disons "Socate est sage", Socate est le terme-sujet de
l'énoncé sujet-prédicat. Pour cette raison, on ne peut
pas analyser "le cercle carré n'existe pas" comme étant un
énoncé de la forme sujet-prédicat oa "cercle carré" serait
le terme-sujet.
"Toutes les fois oa, sans priver la pro-
position de sens, on peut supposer que son sujet gramma-
tical n'existe pas,
il est clair que le sujet grammatical
n'est pas un nom propre, c'est-à-dire qu'il n'est pas un
nom représentant directement quelque objet. Dans de tels
cas, donc,
la proposition doit pouvoir s'analyser de telle
manière que ce qui passait pour le sujet grammatical ait
disparu
(8)".
Par ce que ce qui, dans le langage ordinaire
était sujet-grammatical disparaît dans l'analyse logique,
ce prétendu
nom n'en est pas en fait.
Eu égard au rôle attribué au nom, Russell montre
comment ses puzzles résolvent les problèmes. Le premier qui
a trait à l'identité est une critique de Frege qui consi-
dère les descriptions définies comme étant des noms pro-
pres logiques. Or il s'agit là, selon Russell, d'une con-
fusion entre noms propres et descriptions.
Plutôt que de définir la notion de descriptions
définies
(appelées périphrases dénotatives dans
'On Deno~
ting')
Russell en donne une énumération : "l'actuel roi de
France, l'actuel roi d'Angleterre, le centre de la masse
du système solaire, au premier instant du vingtième siècle,
la révolution de la terre autour du soleil ••• " En règle
générale les descriptions définies sont des expressions
comportant un nominal
(nom, nom + adjectif ••• ) accompagné
de l'article 'le',
'la' ou ' l '

Frege soutient qu'aucune référence n'est possi-
ble sans un sens:
le référent d'une expression étant
l'objet que l'expression désigne et son sens étant la fa-
çon dont elle désigne cet objet: les informations qu'elle
(1)
Russell Principia cité par Linsky op.cti. p 81-82.

325
donne sur lui pour permettre de référer. Pour cette rai-
son, Frege ne fait aucune différence entre les noms propres
grammaticaux et les expressions définies. Or c'est ce dont
s'écarte Russell. Le puzzle de l'identité montre que les
descriptions définies ne sont pas des noms propres car à
l'analyse, ils disparaissent. Ayons à l'esprit le princi-
pe d'identité.
Soit l'énoncé
(1)
Scott est l'auteur de Waverley
sa paraphrase donne
(2)
Un et un seul être écrivit Waverley et Scott est iden-
tique avec celui-ci.
Supposons que "l'auteur de Waverley" soit un ::
nom propre. Alors,
il y a un objet soit 'a' qui est désigné
par ce nom. Et "Scott est l'auteur de Waverley" signifie
la même chose que "Scott est a". Mais il y a deux éventua-
l i t é s : ou bien Scott n'est pas identique à a et alors
"Scott est a" est faux ; ou bien Scott est identique à a
et alors "Scott est a" signifie la même chose que "Scott
est Scott". On a ici une trivialité ou une tautologie. Donc
si "l'auteur de Waverley" est un nom propre,
"Scott est
l'auteur de Waverley" est ou bien faux ou bien trivial.
Mais l'exemple est à la fois vrai et non tautologique.
C'est donc que "l'auteur de Waverley" n'est pas un nom
propre.
Un autre argument de Russell est celui que rap-
porte Olaf Welding.
"Il est évident, écrit M. Olaf, que
nous avons le même énoncé dans "l'auteur de Waverley est
Scott" et "l'auteur de Waverley est appelé Scott", mais
nous avons un énoncé différent dans "Scott est appelé
'l'auteur de Waverley'
". C'est justement cette distinc-
tion logique entre noms et expressions descriptives qui
est explicité par Russell. Il explique lucidement cette
distinction en montrant pourquoi "Scott" et "l'auteur de

326
Waverley" ne peuvent être considérés tous deux comme étant
les noms du même objet
(9)".
En effet, écrit Russell,
"si c'était la signi-
fication de "Scott est l'auteur de Waverley", ce qui serait
requis pour sa vérité est que Scott ait été nommé l'auteur
de Waverley ; s ' i l avait été ainsi appelé, la proposition
serait vraie, même si quelqu'un d'autre avait écrit Waver-
lev. D'autre part, si personne ne l'avait ainsi nommé, la
proposition serait fausse, même si personne ne l'avait
ainsi nommé, la proposition serait fausse, même s ' i l avait
écrit Waverley. Mais en fait il était l'auteur quand bien
même personne ne l'aurait ainsi appelé et il n'aurait pas
été l'auteur de Waverley si quelqu'un l'avait ainsi nommé
mais que quelqu'un d'autre avait écrit Waverley. Donc la
proposition "Scott est l'auteur de WaverleyUn'est pas une
proposition portant sur des noms, comme "Napoléon est Bona-
parte"
~ et ceci illustre le sens dans lequel "l'auteur de
Waverley diffère d'un vrai nom propre
(10)".
Pour Russell l'expression définie "l'auteur de
Waverley" ne signifie rien au sens oü une description dé-
finie ne peut pas être la chose que cette description dé-
crit.
§2
L'élimination des expressions descriptives par
Russell.
Alors, écrit-il, le puzzle au sujet de la curio-
sité reçoit une solution simple. Cette solution, Russell
la formalise en notation logique oü i l apparait que la des-
cription définie prend d'abord la forme
(1x)
(Qx)
signifiant
"un tel et un tel" qui disparait par la suite.
(9)
Steen Olaf Welding:
'Russel's theory~of definitedescrip-
tions as opposed to Quine's Singulars Terms'
in Rev.
inter. de Phil. vol 26, 1972, P 517.
(10)Russell Principia cité par S.O. Welding, op.cit. p 517-
18.

327
Soit l'énoncé
(3) Georges IV désirait savoir si Scott était l'auteur
de Waverley.
En fait
(3)
admet deux interprétations selon que "l'auteur
de Waverley" a une portée
(occurrence)
primaire ou secon-
daire
selon qu'on ait une portée primaire
(3) devient
(4)
Un et un seul homme écrivit Waverley et Georges
IV désirait savoir si Scott était cet homme.
Avec l'apparition
(portée)
secondaire,
(3)
d.9pne
(5) Georges Iv désirait savoir si un et un seul homme
avait écrit Waverley et si Scott était cet homme.
Russell évite de substituer dans le cas où la
description n'est pas primaire. Dans le cas d'une appari-
tion, on a en effet affaire avec ce que Quine appellera
les contextes opaques.
Avant l'élimination des descriptions, (3)
se
symbolise
(6 )

'X'
remplace "Georges IV désirait savoir",
'W', "l'au-
teur de Waverley",
If "x est Scott" • Lorsqu'on élimine
l'expression, (3). donne
i
(7)
X
( J c) [ ( Il x) ( ; x _ (x = c) A (fC)J J
(4), avant l'élimination de l'expression descriptive, donne
(8)
f
J
x) J
1lf1 ",x) (Qx)
où '<Dx'
signifie "x est l'auteur de Waverley",
"'t"x"
,
"Georges IV
désirait savoir si Scott était Scott". Après
l'élimination, on a :
(9 )
( 3 c) [lI!X)
'( (~X)
.::;
(x = c) A ( '+' c) J
L'expression "l'auteur de Waverley" ayant dis-
paru, on ne peut pas dire qu'elle peut remplacer "Scott".
Il n'y a pas d'expression à remplacer.

328
La distinction entre apparitions
(occurrences)
primaire et secondaire permet à Russell de résoudre la
deuxième énigme, celle relative à la loi du tiers-exclu.
Puisqu'il s'agit d'existence,
Russell introduit en plus du
symbole
(1x)
(Qx), un autre symbole. C'est le symbole E
(1x)
(Qx)
qui exprime la forme "le tel et tel existe"

Il s'analyse par la proposition "une et une seule chose
possède telle et telle propriété. Par une définition con-
textuelle,
Russell élimine les descriptions
de la forme
El
(1 x)
(Qx)
et on a
El
(~_x)
(Qx)
= ( 3 b) ( Vx)
r (Qx) - (x = b)]Of
ou simplement
( '1 b) ( ~x) [ (Qx =
(x = b)]
-
Quand El
(1x)
(Qx)
est vrai,
la description
(1x)
(Qx)
se
comporte comme un nom propre et ce qui est vrai de toute
chose est vrai de
(1x)
(Qx). Le théoréme qui l'établit
est le suivant
T : 1El (1x) (Qx) J ::> 1
0 ~x) (Ux)] :J[U(1x) (QX)] J
dont ce commentaire de Russell "c'est-à-dire que lorsque
(1x)
(Qx) existe, i l possède n'importe quelle propriété
que possède toute chose".
Cette clause est mise afin de donner une solution
satisfaisante au problème de la calvitie du roi àe France.
Soit l'énoncé
(10)
l'actuel roi de France est chauve
C'est une conjonction de trois énoncés:
(a)
il y a tout au
moins une personne qui est roi de France;
(b)
il Y a tout
au plus une personne qui est roi de France et
(c)
quelque
soit cette personne, elle est chauve. Supposons que '~' soit
"x est roi de France",'
x'
"x est chauve" et "(1x),
l'opé-
rateur d'unicité,
"il existe un et un seul x". Alors
(10)
devient

329
( 11 )
( 1x )
(Qx )
Lorsqu'on ,élimine le symbole qui tient lieu de description
on obtient
(12)
( l x )
('t!y)[(fIY=
(y=x) "
'f'xJ
comme
(1x)
implique
El
(1x)
(Qx),
(10)
est faux en ver-
tu du théorème T étant donné que
(10)
n'a pas de référent.
Soit maintenant l'énoncé existentiel négatif.
(13)
l'actuel roi de France n'est pas chauve.
C'est un énoncé ambigu dont la forme initiale est
(11).
Il donne
(14)
1't'(1x)
(Qx)
et se l i t "il est faux que l'actuel roi de France soit
chauve". Mais il admet deux lectures selon les portées
Dans
(15)
"l'actuel roi de France" est primaire et secondaire
dans
(16)
( 15)
(3 x)
(V y) [
( ~ Y:: (y=~) ) 11 '1 Cf' x J
(16) 11
(3x)
(~y) [
(~ y = (y=x) ) /1 't' x
(15) dit qu'il y a un être qui est maintenant roi de France
et il n'est pas chauve. Or cela ne satisfait pas le théorè-
me. Donc
(15)
est faux.
En revanche
(16) d i t :
"il est faux
qu'il y a un être qui est à présent roi de France et il est
chauve". Manifestement
(16)
est vrai. Et Russell de dire
que nous sauvons ainsi la loi du tiers-exclu car ces des-
criptions ne portent pas sur la réalité. En effet "si nous
énumérons les choses qui sont chauves et ensuite celles qui
ne sont pas chauves, nous ne trouverions pas l'actuel roi
de France ni sur une liste si sur l'autre
(11)".
Cela étant, écrit Russell,
"nous pouvons traiter
d'une manière satisfaisante l'ensemble du règne des non-
entités, telles que "le cercle carré",
"le nombre pair pre-
mier autre que deux",
"Apollon",
••• Toutes ces périphrases
destinées à dénoter ne dénotent en réalité rien du tout •••
Toutes les propositions dans lesqaelles figure Apollon doi-
vent s'interpréter à l'aide des règles précitées gouvernant
(11)
Russell
'De la Dénotation'
p 177.

330
les périphrases qui dénotent. Si "Apollon" se présente en
première instance, la proposition qui contient l'apparition
du terme est fausse ; si elle se présente en seconde instan-
ce,
la proposition peut être vraie
(12)".
Pour Russell,
les noms propres comme Apollon sont
des descriptions déguisées. Toutes les expressions descrip-
tives et les descriptions définies sont des symboles inco~~
plets. On ne les définit que dans un contexte. Ce ne sont
donc pas des noms logiques.
Quine, sans rejeter la théorie de la description
de Russell/s'en sert au contraire. Cependant,
il considère
d'autres entités au rôle de position référentielle.
Il trai-
te en effet les noms propres et les descriptions comme étant
tous des noms en ceci qu'ils occupent la place des termes
singuliers censés nommés un objet. La prédication lui sert
de mesure de distinction des termes généraux et des termes
singuliers.
§2 Paraphrase et élimination des termes singuliers
Quine ne conteste pas l'emploi du nom propre.
Celui-ci présuppose que l'objet qu'il indique est unique.
Autrement dit, nommer,c'est se référer
à un objet unique. Cet
objet est désigné par un terme singulier par opposition au
terme général.
Si un terme admet l'article défini et l'article
indéfini ainsi que la terminaison du pluriel, nous disons
dans notre usage d'adulte que ce terme a le statut d'un
terme général; le terme singulier, lui, est celui qui ne
porte jamais et ne peut en aucun cas porter la marque du
plur iel. A ce titre seuls les noms propres et les mots
indicateurs ou déictiques seront considérés comme termes
singuliers sans qu'on puisse inclure les descriptions dé-
finies.
"Un terme singulier, par exemple "Maman", n'admet
(12)
Russell
idem
p 183.

331
que la forme grammaticale du singulier et pas d'article. Du
point de vue sémantique, la distinction entre termes singu-
liers et termes généraux revient en gros à ceci: un terme
singulier nomme, ou prétend nommer, un objet et un seul,
tandis qu'un terme général est vrai distributivement de
chacune des unités d'un nombre quelconque d'objets
(13)".
Mais cette distinction est surfaite
si l'on considère que
le terme singulier ne diffère du terme général qu'en ceci
que le nombre des objets dont le terme singulier est vrai
est l'unité plutôt que quelque autre nombre. Cette surfac-
tion devient évidente dans le cas des termes tels que "Pé-
gase" ou "satellite naturel de la terre".
"Le nom propre
"Pegase"
est singulier en ceci qu'il prétend renvoyer à tout
juste un objet, et la périphrase descriptive "satellite na-
turel de la terr" est générale en ceci qu'elle ne prétend
pas, en vertu de son sens, ne s'appliquer qu'à un seul ob-
jet. Parler ainsi de la "prétention"
d'un terme n'est qu'une
manière pittoresque de faire allusion aux rôles grammati-
caux distincts que les termes singuliers et généraux remplis-
sent dans les phrases. C'est par leur rôle grammatical qu'il
faut proprement distinguer les termes généraux des termes
singuliers
(14)".
Le critère de la position grammaticale, Quine le
trouve dans la prédication.
"La combinaison fondamentale,
écrit Quine, où les termes généraux et singuliers reçoivent
leurs rôles contrastants est celle de la prédication :
"Maman est une femme" ou schématiquement "a est un F", où
"a" représente un terme singulier et "F" un terme général.
La prédication relie un terme général à un terme singulier
de manière à former une phrase, qui est vraie ou fausse
suivant que le terme général est vrai ou faux de l'objet,
s ' i l y en a,
auquel renvoie le terme singulier. A raison du
fait que notre livre s'intéresse au mécanisme de la référen-
ce,
il est naturel que la prédication, et que le contraste
(13)
Quine
Le Mot et la chose
(M&C)
P 141
(14) Quine
idem
p
147-48.

332
grammatical entre termes généraux et singuliers qui lui est
associé, acquièrent tant d'importance à nos yeux (15)".
A ce sujet les substantifs, les adjectifs et les
verbes sont considérés comme étant simplement des formes
diverses données à un terme général. Ils n'ont pas d'inci-
dence sur les problèmes de référence. Cela est d'autant
plus non contrariant que par la prédication, on adopte un
schématisme neutre. A cet effet "Fa"
en tant que schéma
neutre peut être compris non seulement "a est un F"
(où
"F" représente un substantif) mais aussi "a est F"
(où "F"
représente un adjectif).
"La prédication est illustrée in-
différemment par "Maman est une femme",
"Maman est grosse"
et "Maman chante". Le terme général est ce qui est prédi-
qué, ou ce qui occupe ce que les grammairiens appellent la
position prédicative i et il peut avoir aussi bien la forme
d'un adjectif ou d'un verbe que celle d'un substantif. Pour
la prédication, on peut même regarder le verbe comme la for-
me fondamentale,
en ce qu'il entre dans la prédication sans
l'appareil auxiliaire "est" ou "est un"
(16)".
L'utilité de la distinction entre termes singu-
liers et termes généraux, étant la prétention à la référen-
ce, ceux-ci réfèrent-ils ? Dans notre traitement de cette
distinction, nous ne parlerons pas des termes singuliers abs-
traits et des termes généraux abstraits mais plutôt des
concrets, c'est-à-dire ceux qui ne se rapportent pas aux
attributs.
Ceci étant, quel est le statut des termes singuliers et gé-
néraux concrets ? Quine montre que les uns et les autres
sont a~pigus • Les termes généraux divisent leur référence.
Le terme général, pour sûr, ne peut être référen-
tie\\attendu qu'il divise sa référence comme nous l'avions
vu.
Il se caractérise par la fugacité de sa référence.
"Le
terme singulier "Durand" est ambigu en ce qu'il~peut être
utilisé dans différents contextes pour nommer n'importe la-
quelle de plusieurs personnes, mais il reste un terme
(15) Quine
idem
p 148.
(16) Quine op.cit. p 148-149.

333
III
singulierYce que, dans tout contexte particulier, i l est
censé nommer une personne et une seule. La même chose est
vraie des pronoms tels que "je" et 'tu'
; il s'agit à nou-
veau de termes singuliers, mais dont l'ambiguïté
est extrême
dans l'attente d'une détermination au moyen du contexte et
des autres circonstances dont s'accompagne chacune de leurs
utilisations. Pour 'l'homme' ou plus clairement pour 'le
président',
'le cellier',
il en ira de même; ces expressions
( .•• ) sont des termes singuliers, mais l'objet unique qu'ils
sont censés désigner dans chacune de leurs utilisations
dépend pour sa détermination des circonstances concomitan-
tes
(17)".
Les termes singuliers et les descriptions ont des
références qui varient avec les occasions de leur emploi,
soit à raison de leur ambiguïté, soit à raison des fonctions
particulières que remplissent des déixis ou
'particuliers
égocentriques' selon l'expression de Goodman. Ces termes
étant les éléments qui relèvent du locuteur, ne disent plus
d'un énoncé qu'il est vrai ou faux mais seulement d'énon-
ciations ou d'événements formés par les actes d'énonciation,
qu'ils sont vrais ou faux.
L'ambiguïté des termes
(singuliers et/ou généraux)
affecte les constructions créant ainsi des ambiguïtés syn-
taxiques ou sémantiques que la paraphrase logique résoud.
Il y a une ambiguïté syntaxique dans la versati-
lité des sujets au pluriel, et des compléments d'objet au
pluriel. Parfois la forme du pluriel d'un terme général fait
office de la forme singûlière accompagnée de "chaque"
:
ainsi "les lions aiment la viande" signifie "chaque lion
aime la viande". Parfois elle fait office d'un singulier
accompagné de "un" ou "quelque" avec une clause de pluralité:
ainsi "j'entends des lions" signifie:
"j'entends un lion
autre qu'un autre lion que j'entends". Autrement dit j'en-
tends au moins deux lions. Enfin,
la forme du~pluriel fait
office de terme singulier abstrait désignant l'extension du
(17) Quine
Méthodes de logique
P 231.

,
334
terme général. Ainsi "les personnes humbles sont rares"
ne
signifie pas que chaque personne humble est rare mais affir-
me plutôt quelque chose au sujet de la classe des personnes
humbles, à savoir combien est petite par rapport à la classe
des personnes la sous-classe des personnes humbles.
Une autre source d'ambiguïté syntaxique est illus-
trée par la phrase suivante
(17)
Ernest chasse les lions
(17)
signifie deux choses: ou bien
(a) qu'Ernest a en vue
un certain lion ou certains lions ou bien
(b)
qu'Ernest
est en route à la recherche de lions sans objectif précis.
Dans ce cas des gens naïfs font la chasse aux licornes.
Enfin un cas d'ambiguïté syntaxique est donné par
les verbes dispositionnels. Soit
(18)
Tabby mange des souris
Phrase qui admet deux interprétations : ou bien on veut dire
qu'il y a, qu'il y avait ou qu'il y aurait une ou des sou-
ris que Tabby aura mangées, ou bien
(b) que Tabby est régu-
lièrement disposé à manger des souris si certaines condi-
tions favorables et non exceptionnelles sont réalisées.
En plus de ces ambiguïtés syntaxiques,
il y a des
ambiguïtés sémantiques. Mais il faudrait plutôt parler d'am-
biguités sémantiques étant attendu que l'ambiguité n'est
relative aux constructions mais aux lectures des énoncés.
Le cas qui va nous occuper va porter sur la portée.
Soit les deux énoncés suivants
(19) Si n'importe quel membre contribue, on lui donne
un pavot
(20)
Si chaque membre contribue,
je serai surpris
(19)
fait à propos de chaque membre l'assertion suivante
s ' i l contribue alors on lui donne un pavot.
(20)
au contrai-
re ne dit pas de chaque membre que s ' i l contribue,
je serai
surpris. S'il le faisait, cela signifierait que je m'attends
à ce qu'il n'y ait aucune contribution, la mienne y com-
prise. Or
(20) dit ceci: c'est que je ne m'attends pas des
contributions de la part de tout le monde. Dans
(19) 'chaque
membre'
fait une occurrence (portée)~large (primaire) et

..
335
dans
(20)
'chaque membre' fait une portée secondaire.
(20)
est une conjonction.
De même les énoncés
(21) Je ne connais aucun poème
(22)
Je ne connais pas chaque poème
Dans
(21)
"aucun" prend la portée la plus large et
(21)
af-
firme de chaque poème donné tour à tour je l'ignore. Dans
(22)
la portée de "chaque" est courte.
(22)
signifie qu'on
nie, de chaque poème présenté tout à tour, que je le connaisse.
Eu égard aux ambigultés des termes nous devons
toujours déterminer la portée d'un énoncé donné qui admet
au moins deux interprétations. Pour indiquer la portée Quine
propose un moyen graphique: c'est la construction avec
"tel que". Si nous représentons le terme singulier défini=
ou indéfini par "b" et sa portée par " ••• b ••• " nous pouvons
résumer la méthode en cette maxime
Réécrivez le champ " ••• b ••• " comme "b est tel
que
i l ... " Ainsi
(19)
-
(22) deviennent
(23)
(chaque membre est tel que s ' i l contribue, on
lui donne un pavot)
(24)
(Si chaque membre est tel qu'il contribue,
je
serai surpris)
(25)
(Chaque poème est tel que je ne le connais 'pas)
(26)
(Pas chaque poème est tel que je ne le connaisse).
"L'expression "est telle que •••
il ••• " donne
naissance à "est un objet x tel que ••• x ••• ". L'intrusion
du mot "objet" ici, qui rend la locution adjectivale "tel
que" substantive, n'a pas d'autre fonction que celle, pure-
ment grammaticale, de fournir â "x" quelque chose à quoi
i l puisse être QPposé (18)".
Qui plus est, puisque c'est au moyen des termes. "-
singuliers que les individus, les classes, les relations,
etc ••• peuvent être considérés comme des objets, Quine pense
que cette vue est apparentée à la question ontologique en
(18)
Quine
Le Mot et la chose
P 206 •
...,

336
ce qui concerne les entités. Les termes singuliers sont
éliminés au profit des variables comme le témoigne ce pas-
sage des Méthodes de Logique.
"Ce que la dispartition des termes singuliers
signifie est que la référence aux objets de tout genre,
concrets ou abstraits, est désormais limitée à un seul ca-
nal spécifique
les variables de quantification. Nous pou-
vons continuer à dire ce que nous voulons sur n'importe quel
objet déterminé ou sur tous les objets, mais nous le disons
toujours par le truchement des locutions de quantification :
'il existe un objet x tel que ••• ' et 'Tout objet x est tel
que .•• '. Les objets dont l'existence est impliquée dans
notre discours sont en fin de compte uniquement ceux qui,
pour la vérité de nos assertions, doivent être reconnus com-
me 'valeurs des variables' - c'est-à-dire doivent être comp-
tés parmi la totalité des objets que parcourent nos varia-
bles de quantification. Etre c'est être la valeur d'une
variable. Il n'y a pas de problèmes philosophiques ultimes
sur les termes et leurs références, mais seulement sur les
variables et leurs valeurs ; et il n'y a pas de problèmes
philosophiques ultimes sur l'existence sinon dans la mesure
où l'existence est exprimée par le quantif icateur '( ~ x) '(19)".
Autrement dit "dire que chaque terme singulier est
'censé nommer un objet et un seul' ne signifie rien d'autre
en termes de structure logique, que ceci : le terme singulier
figure à des emplacements tels qu'il serait également cohé-
rent d'utiliser des variables 'x', 'y', etc ••• (20)".
§3
Les variables comme seules entités assomptives.
La solution du prob~~m~·de Pégase.
Dans son analyse, Quine distingue plusieurs types
de termes singuliers : les termes singuliers indéfinis re-
groupés sous les rubriques "Tout" et "quelque chose" qui se
paraphrasent respectivement en
(19) Quine
Méthodes de Logique
p.
249
(20) Quine
idem
p. 232.

337
a)
Tout est un objet x tel que
(si x est un F alors
•••
x
••• )
b)
Quelque chose est un objet x tel que
(x est un F et
x
••• )
Les autres termes singuliers sont les descriptions définies
au sens de Russell,
les abstractions de classes, celles
d'attributs et celles des relations. Toutes se symbolisent
en
(1x)
Fx. Mais leurs paraphrases divergent en raison de
leur forme canonique.
c)
celle des descriptions singulières est
l'objet x tel que ..• x
. . .
celle de l'abstraction des classes, des attributs et
des relations donnent respectivement
d)
La classe des objets x tels que
••. x
e)
être un objet x tel que •.• x
. . .
f)
être des objets x et y tels que ••• x
. . .
y
. . .
Lorsqu'on utilise les variables
(c)
-
(f) deviennent
g)
(1x)
( •.• x .•• ), x(... x ••• ), x [ .• x •. .J ' xy [. •. x ••• y •• ~
Les crochets sont mis pour les entités dites opaques.
En raison de leur critère d'individuation,
les abstractions
de classe se paraphrasent en
h)
(1y)
(V x)
(x E: Y si et seulement si ••. x •.. )
et les descriptions singulières également individuables
donnent
i)
(1y)
('ri x)
(Fx si et seulement si ••• x ••. )
Après élimination,
(h)
et
(i)
donnent
(~ y) ('ri x) (Fx = (x = y) )
La forme de la notation pour les attributs et les relations
sera étudiée plus loin
(Cf. ch.
9).
Comme on le voit,
la valeur de la variable est
l'objet désigné par les termes
(singuliers). Cela vient de
ce que les termes singuliers, censés nommer un et un seul
objet occupent les places où il est préférable de mettre les
variables. Or
'Pégase'
est un terme singulier. Peut-il être
remplacé par une variable? Comment le faire sans introduire
le problème de la distinction entre "être" et
'exister' ?
Quine ne fait pas -et i l refuse de faire- cette distinction

338
"Je n'aurais que faire,
écrit-il, du sens étroit que cer-
tains philosophes ont donné â
"existence", par opposition
â
"être"
; c'est-à-dire présence concrète dans l'espace-
temps. Si une connotation de ce genre vient à menacer dans
les pages qui suivent, qu'on imagine "existe" remplacé par
"est". Quand on dit du Parthénon et du nombre 7 qu'ils sont,
aucune distinction n'a besoin d'être introduite dans le
sens de "sont". Le Parthénon est à coup sGr un objet situé
et daté dans l'espace-temps tandis que le nombre 7
(si 7
i l Y a)
est une autre sorte de chose; mais la différence
est ici entre les objets concrets, non entre divers sens
de
'son t ' (21 ) " •
Quine s'est penché sur le problème du règne des
non entités de diverses façons,
tantôt les assumant, tantôt
les rejetant. C'est ce que nous allons voir par la suite.
Pour traiter du problème de Pégase, Quine part
d'un personnage
imaginaire, appelé Wyman qui dit que pour
pouvoir nier l'existence de Pégase, Pégase doit être."Pégase,
soutient, Wyman, a son existence en tant que possible non
actualisé. Quand nous disons de Pégase, qu'il n'existe pas
une telle chose, nous disons, plus précisément, que Pégase
n'a pas l'attribut spécial de l'actualité
(22)". Mais cela
est absurde, dit Quine, car "dire que Pégase n'est pas ac-
tuel, c'est dire, en moyenne,
logiquement, que le Parthénon
n'est pas rouge; dans chaque cas nous disons quelque chose
â propos d'une entité dont l'existence n'est pas mise en
cause
(22)".
Accordons â Wyman son emploi du mot
'existe"
f i l
n'en demeure pas moins que son ontologie est complaisante.
"L'univers surpeuplé de Wyman n'est pas séduisant â bien
des égards.
Il offense notre sens esthétique, nous qui avons
du goGt pour les paysages déserts, mais ce n'est pas le pire.
(21)
Quine Méthodes de Logiques P 226
(22)
Quine "What there is" in From a Logical point of view
p.
3.

339
L'impasse des possibles de Wyman est une base multipliée
pour des éléments désordonnés. Prenons par exemple le po-
tentiel gros homme dans ce cadre; et, encore, le potentiel
homme chauve dans ce cadre. Sont-ils le même homme potentiel
ou deux hommes possibles ? Comment décider ? Combien y a-t-
il d'hommes possibles dans ce cadre? y a-t-il plus d'hommes
maigres possibles que de gros? Combien d'entre eux sont
semblables ? Ou bien est-ce que leur existence semblable
les fait un ?
••• Le concept d'identité est-il simplement
non applicable aux possibles non actualisés?
(23)".
Accepter de tels possibles, dit Quine c'est ou-
blier la leçon de Russell après lequel on ne peut plus se
permettre d'assumer des entités non-existantes.
"La vieille
idée que les énoncés de non-existence se déploient eux-mêmes
est dépassée (23)".
"Maintenant que dire de 'Pégase'
? Comme c'est plu-
tôt un mot qu'une expression descriptive, l'argument de
Russell né lui est pas directement applicable. Cependant,
on peut le rendre aisément applicable. Nous devons simple-
ment réexprimer 'Pégase' comme une description, pour qu'il
paraisse de toute façon faire ressortir adéquatement notre
idée ; disons "Le cheval ailé qui a été capturé par Belle-__
rophon". Si nous remplaçons une telle expression par 'Péga-
se', nous pouvons alors procéder à l'analyse de l'énoncé
"Pégase est"
ou "Pégase n'est pas", précisément par analogie
à l'analyse de Russell de "l'auteur de waverley est" et
"l'auteur de Waverley n'est pas"
(24)". Il nous suffit de
nous servir des portées
(primaire eu secondaire).
Mais on peut faire plus. On peut traiter 'Pégase'
comme un terme général. Cette méthode, déjà présente dans
l'essai de 1948, que nous avons cité, prend une forme plus
explicite en 1960 dans Le Mot et la Chose.
Les noms propres sont certes des termes singuliers;
mais Quine les appelle des mots simples. Ces mots sont-ils
(23) Quine idem p 4.
(24) Quine Op.cit. p 7.

340
en position purement référentielle? Etre en position pure-
ment référentielle, c'est être employé pour spécifier son
objet afin que le reste de la phrase puisse dire quelque'
chose.
(Cf. chap. 9)
Pégase l ' e s t - i l ?
Soit la proposition "Pégase n'existe pas" qui
dit qu'il y a un être tel que Pégase. Si une phrase de la
forme "••• 3 " est vraie et si son sujet est remplacé par
un autre terme qui désigne la même chose que lui, le résul-
tat sera vrai. Il suffit en effet de mettre par exemple
le 'Parthénon' dans la place occupée par les points de
"... 3 " pour s'en persuader. Ainsi d'après le critère, la
position est une position purement référentielle. Mais il
y a quelque chose de bizarre entre le 'Parthénon' et
'Pégase'. Généralement on ne demande pas si le Parthénon
existe. On fait un énoncé à son sujet de Pégase, on demande
d'abord s ' i l existe. C'est ce qu'exprime Quine en ces ter-
mes "Un regard sur la phrase "(9 x)
(x existe)" suggère que
notre embarras peut être un embarras de riches
ce verbe
"existe" n'a peut-être pas de rôle indépendant à jouer dans
notre vocabulaire lorsque nous disposons du quanteur
"(1 x)" (25)".
Alors Quine en arrive à cette proposition. Il de-
mande d'analyser le verbe "existe" comme un terme général
ou comme un prédicat. On prend "x existe" comme étant
(3 y) (y '" x). Appliqué à Pégase,. on a: c1 y) (y '" Pégase).
D'après ce procédé
('ri x) (x existe) et (g x) (x existe) de-
viennent respectivement
(3y)
('r/x)
(y "'x)
et
(1y)
(1x)
(y "'x).
qui sont trivialement vrais. Mais alors cela rend vrai Pé-
gase. Or nous savons que "Pégase existe" est faux. Quine
donne alors la solution suivante. Dans le schématisme
(g y) (y '" Pégase), on supprime les variables; il nous
reste la forme "", Pégase". On remplace Pégase par un terme
singulier. On a "", a" qui peut être aussi bien "", maman",
"", Socrate". Or il s'agit là de termes généraux indécomposables.
(25) Quine
Le Mot et La Chose P 250.

341
On n'a plus besoin alors de reconnaître les termes singu-
liers "Pégase",
"Maman" "Socrate"
en d'autres positions.
L'égalité "x = a" est en effet reclassée comme une prédi-
cation "x = a"
on "= a"
est le verbe,
le "F"
de "Fx"
Ce qui, exprime
en mots, était "x est Socrate" et en sym-
boles,
"x = Socrate" est maintenant "x est Socrate" mais
le "est"
n'est pas un terme de relation séparé.
"Le verbe
"est" à présent est traité comme une copule
qui, comme
"est mortel" et dans "est un homme" sert simplement à don-
ner à un terme général la forme d'un verbe et, ainsi, à
le rendre apte à occuper la position prédicative.
"SocEate"
devient un terme général qui est vrai tout juste d'un ob-
jet, mais il est néanmoins général, en ce qu'il sera traité
désormais comme grammaticalement admissible en position
prédicative et non dans les positions que peuvent occuper
les variables.
Il en vient à
jouer le rôle de "F" dans
"Fa" et cesse de jouer celui de "a"
(26)".
Ainsi donc la suggestion de mauvais augure à pro-
pos de "(~ x)
(x = Pégase) présentée comme paraphrase de
"Pégase existe" est mieux traitée lorsque "x= Pégase" est
converti en "x est Pégase" et "Pégase" traité comme un ter-
me général.
"Pégase" devient un terme général, de même que
centaure
et n'est vrai de rien. La position de "Pégase"
et celle de "Socrate" dans "( Ax)
(x est Pégase)" et "(9 x)
(x est Socrate)" ne peuvent plus être occupées par une va-
riable et ne sont plus purement référentielles pour la rai-
son que ce ne sont plus des positions pour termes singu-
liers.
"x est Pégase"
et "x est Socrate" ont la forme de
"x est rond".
Dês lors nous ne pouvons pas assumer "Pégase"
parce qu'il n'occupe pas une place où pourrait figurer une
variable. L'assomption ontologique ou ce qui fait que notre
théorie est vraie, est tournée vers les objets qui doivent
être considérés comme ~e valeurs de variables si celles-ci
----------
(26) Quine
idem
p 253-54.

342
rendent vraies les assertions en question. Parmi les varia-
bles il y a celles qui sont libres et celles qui sont liées.
Ce sont les variables liées qui font des énoncés vrais ou
faux selon la valeur accordée à la variable. L'assomption
ontologique étant un détecteur pour révéler le schéma con-
ceptuel d'une théorie, ne dit pas ce qui est mais ce qu'une
théorie donnée, dit qui est. Le critère pour déceler ce
qu'une théorie dit qui est, c'est la variable liée. Etre,
c'est être la valeur d'une variable. Ce critère se complète
d'un autre dit critère d'individuation,
les variables mises
pour les individus attestent l'idée que ceux-ci peuvent
être individués.
Le critère ne cherche pas à établir une liste des
catégories de la connaissance, précisément par~ ce qu'il
n'y a aucune norme évidente pour ce que l'on doit compter
comme étant une catégorie ou un mot de catégorie. Ce fai-
sant, il ne cherche pas à départir ses partisans et adver-
saires du réalisme et du nominalisme mais de leur permettre
de mettre à contribution leurs apports à la question :
"Qu'est-ce qui existe ?".
Section 18
La nature du critère d'assomption ontologique
et ses applications
Le problème de l'on tolog ie a longterrps
susc i té le
souci d'élaborer -ou de refuser- des catégories de l'être
qui puissent nous permettre de répondre à la question pré-
citée.
"On trouve ou on peut concevoir qu'il y a désac-
cord sur la question de savoir s ' i l y a des opposums,
des licornes, des anges, des neu~r;il!os, des classes, des
pOints, des lieues, des propositions. La philosophie et les
sciences particulières offrent un champ infini pour des
désaccords sur la réponse à la question :
"Qu'est-ce qui
existe ?" Une de ces questions qui a, traditionnellement,
divisé les philosophes est de savoir s ' i l existe des objets

343
abstraits. Les nominalistes ont soutenu qu'il n'yen a
pas; les réalistes
( ••• ) ou les platonistes
( ••• ) ont sou-
tenu qu'il y en a
(27)".
Le critère d'assomption ontologique se propose
d'apporter une solution à ce débat. Mais s ' i l est suffisant,
est-il nécessaire ? Autrement dit toute assomption doit-
elle être
celle des variables
(liées)
? Quine généralisant
son critère d'assomption ontologique en arrive à accepter
qu'on puisse et~Su\\'l"l(!rPégase si Pégase doit être compté pour
vrai
afin qu'une théorie fictive comprenant
Pégase soit
vraie. Mais alors Quine n'est-il pas conduit à cette ontolo-
gie luxuriante qu'il reproche à Wyman ? La parade est don-
née grâce au critère d'identité auquel ne satisfont pas
certaines quantifications
•••
• L'analyse de la nature du
critère s'impose à nous en première instance.
§4
La nature de l'assomption ontologique
Quine parle de
'présupposition ontologique' et
de 'présuppositum'
là où i l faut dire assomption ontolo-
gique et entité assumée. Et immanquablement on en vient à
confondre la notion frégéenne de présupposition avec l'as-
somption ontologique. Une autre confusion ést d'assimiler
ontologie et assomption ontologique d'une théorie. Une
troisième confusion entre assomption ontologique et affir-
mation. L'examen de ces problèmes aidera à poser la na-
ture de l'assomption ontologique.
Confronté au problème de la référence, Frege a
introduit la notion de présupposition afin de justifier les
inférences existentielles. Tout ce dont nous parlons pré-
suppose l'existence de ce à quoi nous référons. La notion
de présupposition est un critère de référence quant à ce
qui existe. L'exemple illustre est celui-ci. La phrase
(27) Kepler est mort dans la misère
présuppose mais n'affirme pas l'existence de Kepler. Pour
(27) Quine
Le Mot et La Chose P 323.

344
que (27) soit vraie, il faut qu'on puisse dire de Kepler
qu'il existe. La fausseté de (27) présuppose également
l'existence de Kepler. La présupposition a cette propriété
de n'être pas niéeJque le contenu ~~S~rht soit nié ou affir-
mé. Autrement dit lorsqu'un énoncé en présuppose un autre,
la négation le fait également.
La phrase
(28) Képler n'est pas mort dans la misère
a, le même présuppositum que (27). Ce présuppositum, c'est
la phrase
(29) Il a existé un (astronome ou) quelqu'un du nom de
Képler.
C'est à cette notion de présupposition que Strawson est
conduit après Frege. Il l'entend l'opposer à la théorie
russellienne des descriptions.
Avec Strawson le problème de la référence devient
un vaste sujet dont les descriptions définies sont une par-
tie, comme "manière de faire référence à un seul objet"
c'est-à-dire "de mentionner ou de faire référence à quel-
que personne ou objet singulier ou événement particulier ou
emplacement
ou processus, au cours de l'exécution de ce
que nous décririons normalement comme le fait de produire
un énoncé à propos de telle personne, tel objet, tel~empla­
cement, tel événement ou tel processus (28)".
Strawson se soucie d'étudier l'usage des mots.
Il s'agit pour lui de montrer qu'un mot n'a pas de sens
mais des emplois. Un mot, dit Strawson, peut avoir des usa-
ges différents. Soit le mot "baleine". Dans l'énoncé "La
baleine est un mammifère" prononcé dans un amphithéâtre de
biologie, le mot a
un usage différent de celui qu'il a
dans l'énoncé "la baleine a heurté le bateau" prononcé pour
informer sur le sort de l'animal. Le premier usage n'est pas
référentiel: il s'agit d'un usage pédagogique/le second
usage, lui, est référentiel. Strawson distingue la phrase
de l'énoncé. Celle-là est une forme linguistique. Un énoncé,
(28) Strawson cité par Linsky in ouv.cit. P 123.

345
au contraire, a "un usage référentiel". C'est la prise en
charge par le locuteur de la phrase. Si la phrase n'est pas
référentielle, ce n'est pas pour autant une raison pour la
traiter de non signifiante. Or, estime Strawson, c'est parce
que Russell n'a pas fait cette distinction que sa théorie
renferme des erreurs. Il s'agit de deux erreurs.
(a) celle
d'avoir fait des noms la garantie d'une référence et (b)
celle d'avoir posé une relation d'implication entre les
descriptions et une clause d'existence.
Soit la phrase
(30)
le roi de France est sage.
Représentons par S la phrase "le roi de France est sage"
et par D l'expression "le roi de France". Pour Russell,
D qui est le sujet grammatical n'est pas le sujet logique
de S ~ de la sorte, S n'est pas du point de vue logique,
une phrase sujet-prédicat.
Il s'agit plutôt d'une propo-
sition existentielle. Or, selon Strawson, i l s'agit là de
suppositions fausses. Ce que Russell suppose faussement,
c'est que si une phrase est, du point de vue logique, de
la forme sujet-prédicat, alors le fait-même qu'elle est
pourvue de sens,
le fait qu'elle a une signification, garan-
t i t qu'il y a quelque chose à quoi renvoie le sujet logique
(et grammatical).
Cette erreur de Russell, continue Strawson, con-
duit à la seconde erreur. Pour Russell l'énoncé S implique
l'énoncé S'
suivant "il y a un et un seul roi de France".
Or S'est faux, donc S est faux.
Ce raisonnement, obtenu
par Modus Tollen
P.:7Q
2Q
•.• 2-R.._
est refusé par Strawson.
"Supposons (maintenant, écrit-il,
que quelqu'un vienne en fait vous dire d'un air parfaite-
ment sérieux:
"Le roi de France est sage". Diriez-vous:
"cela n'est pas vrai"? Je pense qu'il est tout à fait cer-
tain que vous ne le diriez pas. Mais supposons qu'il

346
poursuive et vous demande si vous pensez que ce qu'il vient
de dire était vrai ou faux, si vous étiez d'accord ou pas
pour croire ce qu'il venait de dire. Je pense que vous se-
riez enclin à répondre, après quelques hésitations, que
vous n'étiez ni d'accord ni en désaccord, que la question
de savoir si cet énoncé était vrai ou faux ne se posait
tout simplement pas, parce qu'il n'y a personne qui soit
à présent roi de France". (29)
La solution à donner à cette interrogation est
de dire que la vérité de S présuppose S'. Cela veut dire
que si S est vrai ou faux, S' doit être vrai.
Une condi-
tion de vérité pour que S ait une valeur de vérité est que
S' soit vrai;
il faut que dans l'espace-temps, il y ait
ce roi. Lorsque ce roi n'existe pas, donc lorsque la pré-
supposition est fausse S n'est ni vraie ni fausse; elle
est simplement inévaluable.
Or, toutes ces considérations n'ont pas de com-
mune mesure avec l'assomption ontologique. S'il en était au-
trement, c'est-à-dire si assomption ontologique et présup-
position signifiaient la même chose, d'une part le contenu
asserté ou nié véhiculerait la même assomption; d'autre
part une assomption fausse conduirait à une théorie iné-
valuable. Cette seconde conséquence n'a aucune significa-
tion : en effet, sans assomption il n'y a pas de théorie,
puisque l'assomption est ce qui est postulé pour que la
théorie soit possible. Parler de théorie inévaluable c'est
poser un rapport de postériorité de la théorie par rapport
à l'assomption ontologique. Cela est absurde. Le terme
d'innévaluable est contraire à l'assomption ontologique,
comme le dit d'ailleurs Quine:
"pour montrer qu'une théorie
suppose
(plutôt 'assume')
un objet donné, ou bien des ob-
jets d'une classe donnée, nous devons montrer que cette
théorie serait fausse si cet objet n'existait pas ou si
cette classe était vide ; donc que pour être vraie, cette
(29)
Strawson cité par Linsky Op. cit. p.
129-30.

347
théorie requiert cet objet ou bien des membres de cette
classe"
(30).
Qui plus est, en présupposition un énoncé faux
peut et même oblige le locuteur à accepter le présupposi-
tum ou le présupposé. Or en assomption ontologique un énon-
cé faux
n'oblige pas le locuteur qu'il affirme à adhérer
à l'ontologie représentée par les entités qui peuvent
servir de valeurs aux variables quantifiées. Ainsi, dit
Quine,
"le parent qui raconte l'histoire de Cendrillon
n'assume une grand-mère fée et un potiron
dans sa propre
ontologie pas plus qu'il n'admet cette histoire comme étant
vraie"
(31). ou encore:
"Nous nous engageons nous-mêmes
dans une ontologie contenant des nombres lorsque nous disons
qu'il y a des nombres premiers plus grands qu'un million •••
Mais nous ne nous engageons pas nous-mêmes clans une ontolo-
gie contenant Pégase ou l'auteur de Waverley ou la coupole
ronde carrée de Berkeley College quand nous disons que
Peqase ou l'auteur de Waverley ou la coupole en question
n'es t pas"
( 3 2) •
Une entité niée n'est pas engageante puisqu'elle
ne fait pas partie de ce qui rend vraie notre théorie. On
comprend alors que si ,,(~ x) Fx" assume, sa négation "( '(j x)
r?JJ Fx"
ne puisse pas assumer.
Cette méprise a été commise par Hintikka qui
écrit:
"ce que Quine semble vouloir dire, c'est qu'une
phrase assume l'existence de toutes les valeurs des varia-
bles liées qu'elle contient, et pas seulement l'existence
de ces valeurs spécifiques
(s'il y en a) qui sont nécessai-
res pour rendre la phrase vraie. En bref,
(~~ Ax et
(,</ x) , .7Ax véhiculent la même assomption ontologique" (33) •
.-'-'-
Pour Hintikka toutes les variables liées sont
(30)
Quine "'Existence et quantification'"
in R.O. P 109.
(31)
Quine "Logic and Reification of universals"
in FL PV
P 102.
(32)
Quine "On what there is" in PLPV
8
(33)
Hintikka "Behavioral
Criteria of Radical Translation"
in Synthèse Vol.
19, P 79.

348
des variables engageantes. Or Quine parle de certaines
variables. Dans une théorie avec son cortège d'ontologie,
de logique et d'idéologie,
toutes les variables ne sont pas
engageantes. Même si elles assurent la consistance de la
théorie, elles ne sont pas toutes postulées au départ. Ce
faisant Quine distingae l'ontologie et l'assomption ontolo-
gique d'une théorie donnée. En réponse à Hintikka,
il
écrit : "Ma remarque finale vise à dissiper un malentendu
fréquent au sujet de l'usage que je fais du terme "engage!'",
ment ontique". Le problème surgit dès lors qu'on considère
le terme comme étant si IIDn_. terme ontologique clé et qu' ain-
si on identifie l'ontologie d'une théorie avec la classe
de toutes les autres choses que la théorie assume ontolo-
giquement. Ceci n'est pas mon intention. L'ontologie est
le domaine des variables. Chacune des
réinterprétations
variées du domaine
(lorsque les interprétations de prédi-
cats sont fixées)
pourrait être compatible avec la théorie.
Mais la théorie est ontologiquement engagée par un objet
et seulement, si cet objet est commun à tous les autres
domaines. Et la théorie est ontologiquement engagée par
les 'objets de telle et telle sorte'
(34).
Dans l'article auquel Quine renvoie,
il est
fait la distinction entre ontologie et assomption ontolo-
gique. Cet article c'est "Existence et quantification". On
y l i t : "notre question était la suivante :
"quels objets
requiert une théorie ? Voici notre réponse : ce sont les
objets qui ont à être des valeurs de variables pour que la
théorie soit vraie. Il va de soi qu'une théorie peut, en
ce sens, ne pas requérir d'objets en particulier, et n~an­
moins ne pas non plus supporter d'univers du discours vide;
ce sera par exemple une théorie qui est susceptible d'être
satisfaite également par n'importe lequel de deux univers
qui mutuellement s'excluent. Ainsi supposé que cette théorie
implique "(.a x)
(x est un chien)", elle ne supportera pas
d'univers vide; cependant elle sera satisfaite par un uni-
vers qui contiendrait des colleys à l'exclusion des
(34)
Quine "Replies" in Synthèse Vol 19,
1968-69, P 287.

349
épagneuls, et vice versa. Par conséquent, du point de vue
de l'ontologie, il y a plus à dire d'une théorie que de
dire seulement quels objets, s'il y en a, cette théorie
requiert ; nous pouvons en outre demander quels univers
suffis~t , pris individuellement. Les objets spécifiques
requis par la théorie, s'il y en a, sont les objets communs
à tous ces univers"
(35).
Il se révèle que l'assomption ontologique est une
sous-classe de l'ontologie. Mais quelle relation les unit?
Ce n'est pas une relation d'implication
une quantification
négative conduirait à penser qu'on assume l'existence d'enti-
tés non existantes. Or c'est ce que nous avons rejeté
Nous di,rions même que l'assomption ontologique, en tant qu.e..
pierre d'angle de la théorie, doit être ajouté aux trois
éléments d'une théorie: La logique, l'idéologie, l'ontolo-
gie. On aurait ainsi, dans toute théorie, quatre composan-
tes. Avec l'assomption ontologique, on comprend mieux
la thèse de l'indétermination de la traduction et de la ré-
férence. C'est parce que deux théories ont des assomptions
ontologiques différentes qu'elles sont logiquement incom-
patibles : les variables liées ne prennent pas les mêmes
valeurs.
Une dernière question de terminologie est celle-
ci : à l'intérieur d'une même théorie,le contenu assumé
n'est pas affirmé. L'affirmation d'existence est celle qui
donne un verdict }V~ l'énoncé; de surcroît le contenu af-
firmé est toujours assumé mais la réciproque n'est pas vraie
car l'assomption ontologique va plus loin. Par exemple la
phrase "(lx)
(x est un chien)"
assume l'existence d'indi-
vidus canins et l'existence de mammifères; au contraire
elle affirme l'existence d'individus canins mais pas celle
de mammifères. Toutefois elle n'assume ni n'affirme l'exis-
tence de la canité si l'on est nominaliste.
En règle générale/ce qui assumé par une phrase
(35) Quine "Existence et quantification" in R.O. P 112.

350
étant ce qu'il faut supposer existant ou ce qui est postulé
pour que la phrase prise en bloc)ou la théorie soit vraie,
nous pouvons dire "par exemple, que certains chiens sont
blancs, et ne pas pour cela nous engager nous-mêmes à re-"
connaitre la canité ou la blancheur comme des entités.
'Certains chiens sont blancs' dit que certaines choses qui
sont des chiens sont blancs; et au lieu d'établir la véri-
té de cet énoncé, les choses qui sont rangées avec la va-
riable liée 'quelque chose' doivent inclure des chiens
blancs, mais n'ont pas besoin d'inclure la canité ou la
blancheur. D'autre part, quand nous disons que certaines
espèces zoologiques sont reproduites par croisement, nous
nous engageons nous-mêmes à reconnaitre comme entités les
nombreuses espèces elles-mêmes, quelles qu'elles soient" (36) •
Jus'ici l'assomption a pris pour exemple des
individus, des objets physiques. On aurait pensé que le
critère s'applique uniquement au nominalisme. A cet égard
Quine regrette qu'on l ' a i t pris pour un nominalisme.
"Mes
efforts pour écrire de manière claire du sujet de la réfé-
rence, de la position référentielle, et l'engagement onti-
que échoueront à communiquer mon message à des lecteurs qui,
( ••• ) cherchent·de bonne foi à réconcilier mes paroles avec
la doctrine nom~naliste qu'ils supposent chez moi ••• sans
doute, mon article de 19117 en collaboration avec Goodman
commence t-il par une déclaration nominaliste ;
les lec-
teurs qui me croient nominaliste ne peuvent
(donc) pas être
blâmés. Pour assurer la cohérence de mon attitude générale
du début et de plus tard, cette phrase doit être ravalée
au rang d'une simple formulation des conditions pour la
construction qui était entreprise. Voir From~ logical point
of View, haut de la p.
174" (37).
Fidèle à cette cohérence, Quine va s'adonner à
une véritable escalade dans l'assomption ontologique où/en
plus des individus,
les classes et même les entités comme
Pégase vont être assumées.
(36) Quine "On what there is" in FLPV P.13.
(37) Quine Le Mot et la Chose P 136-37 Note 1.

351
§5 L'escalade dans l'assomption ontologique
"Une théorie, écrit Quine, s'engage pour et seu-
lement pour ces entités auxquelles les variables liées de
la théorie doivent être capables de se référer afin que
les énoncés de cette théorie soient vrais"
(38).
Parce que ce modèle d'assomption ontologique n'a
pas émergé clairement dans la tradition philosophique/les
philosophes se sont livrés une guerre sans merci à propos
du problème des universaux.
"Les trois principaux points
de vue médiévaux en ce qui concerne les universaux sont dé-
signés par les historiens comme étant le réalisme, le con-
ceptualisme et le nominalisme. Essentiellement ces trois
mêmes doctrines réapparaissent dans la survie de la philo-
sophie des mathématiques du vingtième siècle sous les noms
nouveaux
logicisme,
intuitionnisme et formalisme".
Au logicisme sont associés les noms de Frege,
Russell, Carnap etc ••• et cette tendance
"ferme les yeux
sur l'usage des variables liées pour se référer aux entités
abstraites connues et non connues, spécifiables et non spé-
cifiables
(39)". Le conceptualisme ou_l~intuitionnisme sou-
tiennent l'existence
des universaux mais construits par la
pensée. Cette doctrine utilise les variables liées pour se
référer aux entités abstraites lorsque ces entités sont
"capables d'être cuisinées individuellement à partir des
ingrédients spécifiés à l'avance
(39". Le formalisme associé
au nom de Hilbert, trouve insatisfaisant l'intuitionnisme
et suspecte les mathématiques classiques de laisser pénétrer
entre leurs mailles des relents d'arbitraire. Toutes ces
positions tranchées/dit Quine/sont paradoxales en ce que
chaque position est obligée de tenir compte sinon dans
l'univers de son ontologie, du moins dans celui de son
idéologie des entités qui appartiennent à l'ontologie de la
position adverse. Il s'agit là d'un langage double qui
(38) Quine Op.cit. in FLPV
P 13-14.
(39) Quine Ibid P 14.

352
voudrait rejeter une ontologie tout en continuant à bénéfi-
cier de ses avantages.
Réduisant ces positions sous les deux rubriques
réalisme-nominalisme, Quine montre les raisons de prédi-
lection pour telles ou telles entités par chacune des deux
positions.
Eu égard au critère d'assomption ontologique, si
nous avons à montrer que quelque objet donné est requis dans
une théorie, notre travail consistera à montrer que la véri-
té de cette théorie requiert du dit objet qu'il figure parmi
les valeurs que parcourent les variables liées. Lorsque nous
voulons nous assurer de cette existence, les corps sont
supérieurs aux autres objets sous le rapport de leur carac-
tère perceptible.
"Il ne faut donc pas s'étonner si on éprou-
ve une confiance plus grande dans l'existence des objets
physiques que dans celle des classes, des attributs et des
choses semblables"
(40).
Quine donne trois raisons de notre prédilection
pour les objets physiques qui sont les objets concrets "par
excellence".
La première raison est que les termes qui désignent
les objets physiques appartiennent à la phase primitive de
notre apprentissage du langage.
(Cf. chap.
1). Une référence
concrète est ressentie comme plus sûre qu'une référence
abstraite. La deuxième raison est que les termes désignant
les objets physiques intersubjectiveme~tobservables sont
les foyers de la communication la plus réussie, comme celle
qui s'instaure sur la place publique entre des inconnus.
(Cf. chap.
1 et 7). Enfin, les termes par lesquels nous
évoquons les objets physiques sont d'ordinaire appris par
un conditionnement assez direct avec les effets stimulatoires
des objets qu'ils désignent. Toutefois cette troisième rai-
son est contestable sur trois points.
Le premier point est que la troisième raison ne
(40) Quine Le Mot êt la Chose P 324.

353
tient pas compte des objets physiques qui sont de l'espèce
inférentielle et qu'on obtient par le principe d'induction.
Dans le cas des
'Gavagai'
le linguistique ne peut établir
ce qui compte pour des lapins identiques ou différents que
par récurrence. Le deuxième point est que nous avons là une
position physicaliste où les objets sensoriels ne conduisent
à aucun but.
"On pourrait dire que nous n'avons pas besoin
de les invoquer comme entités venant s'ajouter aux objets
physiques, pour expliquer, par exemple, les illusions et
les incertitudes, étant donné qu'on peut soutenir que ces
buts sont atteints adéquatement par la construction de l'at-
titude propositionnelle, dans laquelle une construction en
"semble que" ou quelque chose d'analogue gouverne une phra-
se subsidiaire d'objets physiques
(41)". Enfin on peut, pour
rendre compte de notre connaissance ou de nos discours con-
cernant les objets physiques, se passer des objets senso-
riels àu profit d'une approche behavioriste. Mais alors
les objets physiques sont-elles à rejeter? On a des para-
doxes.
Ce qui nous intéressait, c'était le plaidoyer
1
pour les données sensorielles qui et consistait à dire que si
certains objets physiques doivent être préférés à des ob-
jets abstraits en raison du caractère plus direct de leur
association avec la stimulation sensorielle,
il s'ensuit
que les données sensorielles doivent a fortiori être pré-
férées. Or on se rend compte que celles-ci sont insuffi-
santes. Plutôt que de rejeter les objets physiques, Quine en
tire des raisons de sa thèse de l'indétermination de la
traduction et de celle de la relativité de l'ontologie.
Nous ne posons les objets qu'après avoir mis les
mots dont on envisage de faire des termes en interaction
appropriée avec notre appareil individuant et objectivant
de notre langue: articles, pronoms, construction
(identi-
té, pluralité, prédication et quantification).
(41) Quine Idem P 325.

354
Soit un mot qui a figuré dans bon nombre de to-
talités dont le caractère de phrases est empiriquement
attesté; et qui a figuré comme un Fragment ayant le carac-
tère de terme. Soit "Gavagai" ce mot. La question de savoir
si on le traite comme un Jterme revient à la question de
savoir si on le traite comme un terme revient à la question
de savoir si on lui donne accès aux positions qui convien-
nent aux termes généraux ou aux termes singuliers soumis
aux lois usuelles des contextes concernés. La réponse dé-
pend de considérations relatives à l'efficacité systémati-
que; à l'utilité de la réponse à cette question pour la
traduction ou la théorie.
Si l'on doit juger le nominalisme et le réalisme
sur de telles bases,
les prétentions du nominalisme chan-
cèlent parce que les classes et les nombres procurent
de l'efficacité lorsqu'il s'agit d'organiser les sciences
et d'en accélérer le progrès.
Il V a donc des raisons d'accorder une prédilec-
tion aux objets abstraits car l'efficacité des classes
devient incontestable dans une gamme importante d'objets
abstraits: les relations,
les nombres, etc •••
Notre critère d'assomption reposait sur l'assomp-
tion des variables et plus fondamentalement sur le principe
d'identité. Or nous avions vu que l'abstraction de classe
(du genre
(::le{)
(lf x)
(x e al _ Fx)
) admet ce principe.
Les classes ont en effet de leur côté l'axiome d'exten-
sionalité selon lequel deux ensemble sont égaux si et seu-
lement s'ils ont les mêmes éléments. Le critère d'identité
permet donc aux classes d'être quantifiables.
Dans notre notation canonique du calcul des pré-
dicats du premier ordre,
lorsque nous avons le schéma quan-
tificationnel
(tix)
(FÔ (:1 x)
Fx)
nous ne traitons pas
'F'
comme référent à des termes généraux mais plutôt comme te-
nant la place de termes généraux. De même dans le cas de
classe comme dans le schéma
(F) [(t/X) Fx.,:, (3x) Fx)
, nous
ne devons pas 'traiter 'F' COnnIE! étant 'chaque chose F est tel~"l3 que" .

355
mais
' chaque classe F est telle que'
à condition de
lire
'Fx' comme
'x est un nombre de la classe F'.
'F'
n'est pas utilisé en des places convenant à des termes gé-
néraux mais à des emplacements convenant à des termes sin-
guliers abstraits, à savoir les noms de classes. A la
place de 'F', on adopte des variables de classe :
'~', '~',
'~',
Le prédicat unique étant 'E' pour 'est un membre
de'. Ainsi on a par exemple
(VcJ.)
[
(l/x)
( x (;.O():::>
(J x) (x Eo()
Si tous les énoncés formulables dans notre nota-
tion pour la théorie des classes pouvaient être ramenés à
des expressions consistances et valides de la théorie de
la quantification, nous pourrions nous passer de la théorie
des classes qu'on serait alors en droit de regarder comme
étant une transcription pittoresque de la théorie de la
quantification. Or nous avons dit que la théorie des classes
n'est pas complète
(Cf. Chap. 5).
Cette irréductibilité, Quine l'exprime en ces termes:
"L'adoption générale de variables de quantification pour
les classes débouche ainsi sur une théorie dont les lois
ne peuvent dans l'ensemble être exprimées à l'aide des
niveaux antérieurs de la logique. Le prix payé pour ce
pouvoir accru est ontologique: des objets d'un genre spé-
cial et abstrait, savoir les classes, sont maintenant pré-
supposés
(entendons "assumés"). D'un point de vue formel,
c'est précisément en autorisant la quantification de façon
irréductible sur~les variables '~', '~', etc ••• , que nous
assumons un parcours de valeurs auquel pourront se référer
ces variables. Etre assumé comme une entité, c'est être
assumé comme valeur d'une variable (42)".
"Toutefois, ajoute
Quine, ce pouvoir d'exprimer des lois irréductiblement nou-
velles ne justifierait lui-même qu'un faible intérêt pour
la théorie
des classes, s ' i l ne s'accompagnait d'un gain
correspondant de pouvoir du côté de l'application"
(42).
(42) Quine
Méthodes de logique
P 253.

356
Trois exemples sont fournis par Quine : celui du nombre
donné par Frege, qui permet de définir le prédicat 'ancêtre';
celui de Kaplan
"Un exemple, écrit Quine, du pouvoir que l'on
acquiert en quantifiant sur les classes a été proposé par
Geach et perfectionné par David Kaplan, dans une correspon-
dance privée
(31) Certaines personnes s'admirent l'une et l'autre
et n'en admirent aucune autre.
Kaplan a prouvé que nous ne pouvons pas exprimer cet énon-
cé uniquement à l'aide du verbe "admire", des fonctions de
vérité et de la~quantification sur les personnes.
(31) n'im-
plique pas que
(3x)
('3y) [x'!y.(z)
(xadmirez=.z=y: y admire
z =.z = x)]
Il pourrait ne pas y avoir deux snobs du genre de x et de
y ici, et pourtant (31) pourrait être valable en raison,
par exemple, d'un groupe de onze admirateurs mutuels. NOus
pouvons en recourant aux classes, rendre justice à
(31).
( ;}cJ.) (3x) (3y) (XE-o( .Y~oI.. .x'!y). (x) [x€-rJ.. • .:>(y) (x admire
y= •x'!y • y t: c:J.. )]
( 43) •
Grâce aux notations de classe, on peut supprimer
le signe d'identité
Ainsi :
.
'x = y'
donne
(
\\tx.) (x e-o< .- ye-cl(') ,
'0( = y'
donne
'( 'rh) (x~o< .=.x~~)'
En ce qui concerne la définition de Frege, dire
"x est un ancêtre de y'" c'est dire
"x appartient à toute classe contenant y et tous les
parents de ses membres",
à condition de comprendre "ancêtre" en comptant comme les
ancêtres d'une personne non seulement ses parents, ses
grands-parents et ainsi de suite, mais cette personne elle-
même. Nous avons alors;
(43) Quine
idem
P 254-55.

357
(Vo(. ) (y €-ol.
tous les parents des membres
de o( appartiennent
àcX • .:l
xE-ol..)
et en notation canonique
(~cJ..)[y€-o{ .( t7z)(Vw)(w€-c<.Fzw • .:::> .z~O().~. Xf:c.f]
oD 'Fzw' désigne "z est un parent de w".
De cette même façon on peut définir le nombre.
Supposons qu'on veuille définir 'NK' soit
'K est un nombre'
Quine définit les nombres particuliers
('0',
'l', etc ••• )
et donne une définition générale du nombre sur la base du
principe d'induction complète.
"De même qu'"ancêtre de y"
signifie "y ou parent de y ou parent de y ou ••• ", de même
"nombre" signifie "0 ou 1 + 0 ou 1+ (1+0) ou .•• " En sorte
que 'NK' reçoit la définition suivante, en étroite analogie
avec
(31)
'NK' pour "(~)f>E lt'.(II)(AE<p-;).4+) €lt') •..::>
.K €
lt'J(44)"
De telle sorte siO< e t '
sont respectivement la classe des
apôtres et celles des muses, nous pouvons dire qu'elles con-
tiennent le même nombre de membres
(à savoir 12)
( 3 K ) (NK.o<' €
K. (6 ~ K)
Les nombres deviennent ainsi des classes de classes et
alors que ceux-là nous obligeaient à traiter séparément et
une à une les choses, celles-éi
(les classes) nous les four-
nissent en bloc. Les classes étant quantifiables, elles
peuvent être assumées. Mais si l'argument de l'efficacité
milite en faveur des classes contre le nominalisme, cet
argument ne plaide pas contre l'idée d'accorder un statut
préférentiel aux objets physiques, pas plus que cette pré-
férence aux objets n'interdit d'assumer les classes. La
réponse à la question "Qu'es-ce qui existe?" est relative
aux entités qu'on assume. Et alors nous sommes devant un
paradoxe:
la relativité de l'ontologie ne dit pas que la
vérité est relative. Elle stipule seulement que les réfé-
rences aux objets n'ont de sens que relativement à un lan-
gage d'arrière-plan qui est constitué en partie par des
(44) Quine Idem
P 259.

358
entités assumées. Il en découle que, conformément à la
thèse de l'indétermination deux théories incompatibles sont
deux théories qui n'ont pas les mêmes assomptions ontolo-
giques. Comment alors les comprendre si rien ne nous per-
met de trancher laquelle des deux rend le mieux compte de
la réalité ? Ne risque t-on pas de soutenir la thèse de
l'incommensurabilité?
Cette objection, Quine se l'est faite et y a ap-
porté une solution.
§6 Escalable dans l'assomption et l'élimination des
variables
"Maintenant, écrit Quine, comment pouvons-nous
choisir entre les ontologies rivales? La réponse n'est
certainement pas fournie par la formule sémantique :
"être
c'est être la valeur d'une variable"
; cette formule,
au
contraire, sert plutôt à tester la conformité d'une remar-
que donnée ou de la doctrine pour un modèle ontologique
antérieur. Nous considérons
les variables liées par rap-
port à l'ontologie, non pas dans le but de savoir ce qui
est, mais dans le but de savoir quelle doctrine, de nous
ou de quelqu'un d'autre, dit qui est
(45)".
Autrement dit ce qui dicte le choix entre deux
ou plusieurs théories rivales ce n'est pas le critère
d'assomption mais des considérations d'ordre pragmatique.
Le critère ontologique nous révèle les références implici-
tes ou explicites des théories mais c'est la simplicité qui
nous permet de choisir entre des théories rivales. L'assomp-
tion ontologique intervient en première instance et la
simplicité intervient en dernière instance.
Eu égard à nos considérations antérieures,
(Cf.
chap. 1-3)
"nous ne pouvons pas, dit Quine, paraphraser en
canonique les phrases de notre adversaire à sa place, ni
lui en imputer les conséquences, car il n'existe pas de
synonymie entre la phrase et sa paraphrase. Nous devons
plutôt demander à notre adversaire quelles phrases notation
(45)
Quine "What there is" in FLPV
P 15.

359
canoniques il est disposé à présenter, qui soient conso-
nantes avec ses propres objectifs adéquatement exprimés. S~
S'il refuse de jouer le jeu, la discussion s'arrête. Refu-
ser de s'exprimer en termes de quantification, ou en ter-
mes de ces constructions spéciales du langage ordinaire
qui servent directement à expliquer la quantification, c'est
simplement renoncer à dévoiler le contenu référentiel de
son propre discours
(46)".
En fait mon adversaire ne peut pas refuser de
s'exprimer en termes de quantification ou de constructions
qu'il tient pour de la quantification. Il ne le peut pas
puisque toute théorisation est truffée de logique. Celui
qui propose une théorie se sert ipso facto
d'un langage
canonique. Une fois, que nous avons dit d'une théorie
proposée que ses constructions sont la prédication, la
quantification et les fonctions de vérité, nous avons
fixé complètement la logique de cette théorie. Nous devons
savoir le domaine des valeurs assumées. Il y en a forcément
puisque la possibilité même d'être pourvue de sens pour la
quantification présuppose
(au sens de Frege) que l'on a
quelque idée préalable du genre d'objets qu'on peut compter
comme valeurs des variables. Ainsi donc toute théorie
n'a été rendue possible que grâce à une assomption ontolo-
gique. Mais supposons que Mc X et moi soyons deux logiciens
ou deux linguistiques en traduction radicale.
"Aussi lon-
temps écrit Quine, que j'adhère à mon ontologie, oppo~ée
à celle de Mc X,
je ne peux permettre à mes variables liées
de se référer aux entités qui appartiennent à l'ontologie
de Mc X et non à la mienne. Je peux, cependant, décrire
nos divergences d'opinion en caractérisant les énoncés
que Mc X affirme (47)".
Autrement dit,
je peux reformuler la théorie de
Mc X, en paraphraser les énoncés, non pas en vue de fournir
des relations de synonymes mais afin de réaliser laquelle
(46) Quine Le Mot et la Chose
P 335-36
(47) Quine op.cit. P 16.

360
de nos deux théories est la plus simple. Si l'ontologie de
Mc X est une ontologie de relations,
je peux la paraphraser
en une théorie de classes. Ou plutôt je peux la réduire
en une théorie où les entités assumées ne seront plus des
relations ou des attributs, mais des classes. Il se trouve
alors que les tenants du relativisme ou de la mentalité
prélogique "sont de mauvais traducteurs". Il n'y a pas
de théorie que nous ne puissions, grâce à la quantifica-
tion, paraphraser ou réduire en des éléments plus simples
(cf. chap. 7)
comme l"écrit Quine "nous restons vraiment
engagés, }uisqU'àQ1~ous imaginions une manière de para-
phraser l'énoncé, COmme pour montrer que la référence res-
semblant aux espèces de notre variable liée était une ma-
nière de parler que l'on pouvait éviter.
l,a théorie de la quantification est chez Quine
le schéma formel de notre parler d'objet. En tant que tel
elle a deux tâches : révéler les assomptions ontologiques
cachées de notre parler d'objets ou notre
schème concep-
tuel en général : nos règles de constructions et notre
lexique. Par la paraphrase elle apporte une simplification
de notre parler d'objet.
Résorber les individus, les clas-
ses, les relations et toutes les entités individuables,
voilà ce que se propose la logique de la quantification.
"Le souci de simplifier la théorie est un des
motifs principaux du recours généralisé aux artifices de
notation en logique moderne. Manifestement, ce serait
folie que de surcharger une théorie logique avec des fio-
ritures de langage que l'on peut élaguer. Cela fait partie
de la stratégie que de conserver la théorie la plus simple
aussi longtemps que nous le pouvons, et ensuite, lorsque
nous souhaitons appliquer la théorie aux phrases particu-
lières du langage ordinaire, de transformer ces phrases en
une forme "canonique" adaptée à la théorie (49)".
Mais est-il nécessaire que seules les variables
(49) Quine Lé Mot et la chose
P 229.

361
liées et donc la quantification soient le critère d'assomp-
tion ontologique? Autrement dit, ne peut-on pas se passer
des variables? Quine s'est posé la question dans "Logic
and the reification of Universals"
"Une méthode ingénieuse, écrit Quine, inventée
par Schonfinkel, et développée par Curry et d'autres, per-
met de se débarrasser des variables en recourant à un
système de constantes, appelés combinatoires, qui expri-
ment certaines fonctions logiques. Le critère d'assomption
ontologique ci-dessus ne s'applique évidemment pas au dis-
cours construit au moyen de combinatoires. Une fois que nous
connaissons la méthode systématique de traduction entre
les énoncés qui emploient des combinatoires et les énon-
cés qui utilisent les variables, il n'y a pas de difficul-
tés à concevoir un critère d'assomption ontologique équiva-
lent pour le discours combinatoire. Les entités présuppo-
sées par les énoncés qui emploient les combinatoires de-
viennent, sous un tel raisonnement, les entités qui doivent
être reconnues comme arguments ou valeurs des fonctions
afin que les énoncés en question soient vrais"
(50).
Quine/en 1960 dans "Variables explained away",
1
montre qu'on peut se passer des variables.
Soit un langage dans lequel on ait
a) un prédicat à trois arguments : Fxyz
qui signifie 'X est père de y que de z
b) un prédicat à deux arguments : B xy
qui signifie 'x mqrd y'
c) un prédicat à un argument Dx
qui signifie 'x est un chien'.
Dans la notation canonique, on forme le prédicat 'Bxy'
et on lui applique le préfixe d'existence c'est-à-dire
"quelque chose x est tel que ••• ".
DaBS le système des combinatoires, il en va au-
trement : d'abord on forme un nouveau prédicat, un prédicat
à un argument signifiant " ••• mord quelque chose". Pour
(50) Quine "Logic and the reification of universals" in
FLPV
P. 104.

362
ce faire on dispose d'un opérateur qui puisse être appliqué
au prédicat à n places pour produire un prédicat à
(n-1)
places ou arguments. Cet opérateur est appelé opérateur de
dérelativisation en ce sens qu'il tourne un prédicat à n
arguments en un prédicat à
(n-1)
arguments. Cet opérateur
est abrégé en 'Der'.
Puisque 'Dx' est un prédicat à un argument:
" •••
est un chien" "Der 0" sera un prédicat A (1-1)
argument,
c'est-à-dire un prédicat à 0 argument - un énoncé clos -
disant que "quelque chose est un chien".
Soit maintenant notre prédicat A deux arguments
"Bxy". La dérelativisation de B par rapport à x qui se
note "(Der B)x" signifie "x mord quelque chose". En sup-
primant la variable x, nous construisions la derelativisa-
tion de la dérelativisation de B, c'est-A-dire 'Der Der B'
qui signifie "quelque chose mord quelque chose".
Quine introduit un autre opérateur qui est celui
de l'inversion noté "Inv.". Cet opérateur renverse l'ordre
des prédicats A deux places et eux seuls. En effet il
transforme un verbe transitif à deux arguments en une forme
passive. Ainsi dans notre prédicat B,
(InvB)
••• , ••• )
signifie " ••• R ••• " c'est-A-dire "y est mordu par x".
'(Inv B)
xy' signifiant 'Byx', on peut se servir de
'Der'
pour opérer une première dérelativisation : on a
1
(Inv B)x',
qui signifie : " ••• est mordu par quelque chose". Une se-
conde relativisation donne
(Der Der invB) qui signifie
"quelque chose est mordu par quelque chose".
Un troisième opérateur que Quine introduit est
celui de la réflexivité. Cet opérateur convertit un prédi-
cat à deux arguments
'B'
' ••• mord .•• ' , en un argument à
un argument réflexif, noté 'Réf B'.
Dans notre exemple
'R et B' signifie " ••• se mord"
• Ainsi" (Ref
B) y" si-
gnifie "Byy". Alors au lieu d'écrire "quelque chose y est
tel que BYy" , nous écrirons "quelque chose y est tel que
"(Ref B)
y". En faisant introduire 'Der' nous avons "Der
Ref B" c'est-à-dire "quelque chose se mord".

362
ce faire on dispose d'un opérateur qui puisse être appliqué
au prédicat à n places pour produire un prédicat à (n-1)
places ou arguments. Cet opérateur est appelé opérateur de
dérelativisation en ce sens qu'il tourne un prédicat à n
arguments en un prédicat à
(n-1) arguments. Cet opérateur
est abrégé en 'Der'.
Puisque'Dx' est un prédicat à un argument: " ...
est un chien" "Der D"
sera un prédicat à
(1-1) argument,
c'est-à-dire un prédicat à 0 argument - un énoncé clos -
disant que "quelque chose est un chien".
Soit maintenant notre prédicat à deux arguments
"Bxy". La dérelativisation de B par rapport à x qui se
note "(Der B)x" signifie "x mord quelque chose". En sup-
primant la variable x, nous construisions la derelativisa-
tion de la dérelativisation de B, c'est-à-dire 'Der Der B'
qui signifie "quelque chose mord quelque chose".
Quine introduit un autre opérateur qui est celui
de l'inversion noté "Inv.". Cet opérateur renverse l'ordre
des prédicats à deux places et eux seuls. En effet il
transforme un verbe transitif à deux arguments en une forme
passive. Ainsi dans notre prédicat B,
(InvB)
••• , ••• )
signifie " ... R... " c'est-à-dire "y est mordu par x".
1 (Inv
B) xy' signifiant 'Byx', on peut se servir de 'Der'
pour opérer une première dérelativisation : on a 1 (Inv B)x',
qui signifie : " ••• est mordu par quelque chose". Une se-
conde relativisation donne (Der Der invB) qui signifie
"quelque chose est mordu par quelque chose".
Un troisième opérateur que Quine introduit est
celui de la réflexivité. Cet opérateur convertit un prédi-
cat à deux arguments 'B'
' ••• mord ••• ', en un argument à
un argument réflexif, noté 'Réf B'.
Dans notre exemple
'R et B' signifie " ... se mord" • Ainsi "(Ret
B) y" si-
gnifie "Byy". Alors au lieu d'écrire "quelque chose y est
tel que Byy", nous écrirons "quelque chose y est tel que
"(Ref B) y". En faisant introduire 'Der' nous avons "Der
Ref B" c'est-à-dire "quelque chose se mord".

363
Quine généralise ces trois opérateurs à des pré-
dicats de plus de deux places. L'opérateur d'inversion
comporte deux généralisations selon que le nombre de pré-
dicats est élevé ou non. On a les généralisations suivantes
appliquées à des prédicats polyadiques
1 - Dérelativisation :
(Der P)
X1
••• xn-1
si et seulement
si il y a quelque chose xn tel que Px1 •.. X~
2 -
Inversion majeure:
(inv P) x1
.•. xn si et seulement
si PX1
•.• xn-2xnxn-1
3 -
Inversion mineure:
(Inv P)x1
••• xn si et seulement
si PX1
xn-2xnxn-1
4 - Réflexivité
(Ref P)x1 ..• xn-1
si et seulement
si Px 1
Xn -
1xn -
1
Pour combiner ces trois généralisations, Quine
donne l'exemple suivant
Quelque chose x est tel que quelque chose y est
tel que Pyxyx.
Pour mettre cette phrase sous la forme d'une
combinatoire on procède de la façon suivante :
D'abord on transforme Pyxyx dans
(inv P)
en ne
mettant que les deux dernières occurrences à la forme
passive. On a ainsi' (Inv P)
yxxy'. Une seconde inversion
s'occupe des deux premières occurrences et sous la forme
passive, on obtient' (Invinv) xxyy'. On a alors une rela-
tion de réflexivité. On introduit donc
(Réf P)
et on ob-
t i e n t ' (Ref P)xxy'
une occurrence ayant disparu conformé-
ment à la définition de
(Réf). Par la suite une première
'Der' donne
(Der P)xx'
• L'argument 'y' ayant disparu,
toujours conformément à la définition. Une seconde
(Ref P)
donne' (Ref P)x'. Et enfin, on supprime la dernière varia-
ble par une 'Der'. On écrit de droite vers la gauche les
différentes opérations et on a
Der Ref Der ref invinv P
qui est la traduction de la phrase "quelque chose x est tel
que Pyxyx.

364
Les variables ayant été supplantées, on obtient
une formule de la théorie de la quantification sans quanti-
ficateurs où, dit Quine, les inversions majeure et mineure
suffisent pour permuter l'ordre des variables, la reflexi-
vi té pour la répétition des variables et la dérelativisa-
tion pour la quantification. Elle prend soin de chaque
préfixe d'existence et de sa variable dans une position
terminale
(51).
Mais, écrivait Quine dans "Logic and reifica-
tion", c'est à la forme canonique familière du discours
que notre critère d'assomption ontologique s'applique.
"Insister sur la convenance du critère dans son application,
c'est en vérité, dire simplement qu'il n'y a de distinc-
tion entre le ' i l y a' de "il y a des universaux",
"il y a
des licornes", "il y a des entités x telles que"
(52)".
Cette déclaration de Quine est inattendue. Après
qu'il ait déployé d'extraordinaires efforts pour refuser
le règne des entités non existentes, on en vient finale-
ment à les assumer. Là-dessus Quine est sans équivoque.
"Nous nous engageons nous-mêmes dans une ontologie conte-
nant des nombres lorsque nous disons qu'il y a des nombres
premiers plus grands qu'un million; nous nous engageons
nous-mêmes dans une ontologie contenant des centaures quand
nous disons qu'il y a des centaures; et nous nous enga-
geons nous-mêmes dans une ontologie contenant Pégase quand
nous disons que Pégase est. Mais nous ne nous engageons
pas nous-mêmes dans une ontologie contenant Pégase
quand nous disons que Pégase
n'est pas"
(53).
Cela signifie-t-il que nous pouvons assumer
n'importe quoi pourvu que nos assomptions ontologiques
obéissent aux critères de variable et d'identité? Quine
répondrait certainement par l'affirmative puisqu'il consi-·
dère que toutes nos connaissances sont des mythes, des
(51)
Quine "Variables explained away" in Selected Logi Pa-
pars p.
(52) Quine in FLPV
P 105.
(53 ) Quine idem P.S.

365
mythes qui cherchent à répondre à la question fondamentale:
"Qu'est-ce qui existe ?" Témoin, ce passage de "Two dogmas"
"Conceptuellement, les objets physiques sont des
intermédiaires commOdes,que nous imposons avec nous -non
pas en termes d'expérience par définition, simplement ce
sont des entités irréductibles que nous postulonp, compara-
bles, du point de vue épistémologique, aux dieux d'Homère.
En ce qui me concerne, en tant que physicien profane,
je
crois aux objets physiques et non aux dieux d'Homère, et
je crois que c'est une erreur de croire autrement. Mais
du point de vue de leur statut épistémologique, les objets
physiques et les dieux ne diffèrent que par degré et non
par nature. L'une et l'autre sorte d'entités ne trouvent
de place dans notre conception que pour autant qu'elles
sont postulées. Si le mythe des objets physiques est su-
périeur à la plupart des autres, d'un point de vue épis-
témologiques, c'est qu'il s'est avéré être un instrument
plus efficace que les autres mythes, pour insérer une
structure maniable dans le flux de l'expérience"
(54).
Conclusion
Russell
avait attiré l'attention sur le problème
de la référence. Quine devait étendre la théorie de la des-
cription sur tout notre savoir. Appelant cette théorie de
la description de la paraphrase,
il montre comment la sym-
bolisation logique révèle les rouages de notre appareil
référentiel. Le travail du logicien n'est pas de découvrir
ce qui existe en soi et pour soi mais de déceler ce qu'une
théorie donnée, la nôtre ou celui de quelqu'un d'autre, dit
qui est eu
égard aux variables et aux combinatoires. La
question "Qu'est-ce qui existe" est une. Mais les réponses
en sont nombreuses. Tout ce qui y tente une réponse doit
,
(54) Quine "Les deux dogmes" Trad Fr. P. Jacob, in ouv.cit.
p.
110.

366
être regardé comme un mythe autant que les autres. Logi-
que, mathématiques, physique sont des mythes.
"Nous postu-
lons •••
les entités abstraites qui forment la substance
des mathématiques - en dernière instance, des classes, des
classes de classes, et ••• Du point de vue épistémologi-
que, elles ont le même statut de mythe que les objets phy-
siques et les dieux, ni meilleur ni pire : la seule diffé-
rence étant le degré avec lequel ils facilitent nos inter-
actions avec les expériences sensorielles"
(55).
Mais alors, puisque Quine accepte qu'on puisse
tout assumer, a-t-il des raisons de rejeter les intensions,
des verbes d'attitude propositionnelle et les modalités?
La réponse est affirmative parce que ces entités ne sont
pas individuables
(Cf. ch. 9).
(55) Quine
idem
P 111.

367
Chapitre 9
REFERENCE ET TRANSQUANTIFICATION
Les notions logiques qui se révèlent
cruciales à ces considérations sont les
notions d'identité et de quantification;
et les considérations sémantiques sont
les notions de désignation et de signifi-
cation qui sont insuffisamment distin-
quées dans la littérature courante. Une
nouvelle notion sémantique qui fait son
apparition ici et joue une part remar-
quable est celle d' "occurrence purement
désignative" d'un nom.
Quine "Notes on Existence and
Neccesity"
Introduction
La tâche de la philosophie de la logique est
d'étudier les problèmes philosophiques soulevés par la lo-
gique; plus exactement de soumettre nos énoncés en parler
normal à des paraphrases qui puissent faire apparaître les
entités référentielles. Les critères centraux à cette en-
treprise sont l'ident~ et la quantification. Ces critères
ont discrédité la proposition et les distinctions non jus-
tifiées. Quine s'en sert pour évacuer la logique modale
et les entités intensionnelles.
"Employé en tant que modalité logique, l'adverbe
"nécessairement" attribue la nécessité de façon incondi-
tionnelle et impersonnelle, comme un mode absolu de la vé-
rité ; et la locution "il est possible que" dénie la né-
cessité, comprise dans ce sens, de la négation" (1) • On dé-
finit la vérité nécessaire comme étant une vérité qui ne
(1)
Quine
Le Mot et la Chose
P.275.

368
peut être autrement ou une vérité dont la négation est
impossible ou contradictoire ; ou encore une vérité néces-
saire est une vérité vraie dans tous les mondes possibles.
La logique modale comme nous la connaissons prend
son origine chez Lewis en 1918. Jusqu'à cette date elle
a été marginalisée parce que les préjugés à l'égard de la
métaphysique faisaient tourner le regard vers les orienta-
tions et les buts de la logique mathématique. Ce souci 10-
giciste a conduit Russell à réduire le problème de la dis-
tinction entre
'nécessaire' et 'contingent' à la distinc-
tion entre
'analytique' et 'synthétique'. Cela annibile les
expressions modales: Russell en effet réduit l'opérateur
de
'Nécessité' au quanteur universel
(V)
et l'opérateur d
de
'possibilité' au quanteur existentiel
(3).
Ainsi la phrase
(1) Nécessairement tous les hommes sont mortels Aêêè
donne dans la logique de la quantification,
le schéma
( 'tj x)
(Fx.;, Gx)
En soutenant cela, Russell accorde que l'universel est
assertorique. Ainsi la phrase
(2)
Nécessairement tous les hommes sont des animaux
peut se paraphraser en
Tout homme est nécessairement animal
Or,
il y a des universels qui ne sont pas asser-
toriques. Cela, Aristote l ' a montré aux chapitres 7 -
9
de De l'interprétatione. En effet)que l'on ait la phrase
(3) Tous les hommes sont blancs
Cela n'est pas par nécessité. On a alors la non-implication
matérielle comme la phrase.
(4)
Tous les hommes sont blancs;6 nécessairement tous
les hommes sont blancs.
On n'affirme pas la nécessité du lien entre le
prédicat et le sujet. C'est par hostilité à la notion rus-
sellienne d'implication que Lewis construit la logique mo-
dale. Sans nier la notion d'implication Lewis lui adjoint
l'adverbe 'strictement'. Ainsi la phrase

369
(5) P implique strictement q
est vraie si la conditionnelle est non seulement vraie mais
est une vérité nécessaire. Ultérieurement Strawson s'en
prendra également à la notion d' 'implication' à laquelle
il substituera la notion de
'présupposition'.
Nous éluderons dans ce chapitre les solutions/ou
les esquisses de solution proposées après la critique qui-
néenne de la loqique modale. Nous nous limiterons seule-
ment aux objections de Quine.
Dès 1939 dans "Désignation and Existence"
(2), et
dans "Notes On Existence and Necessity" , Quine emploie
l'expression "purement désignative".
A partir de 1953
dans "Référence and Modality" et dans "Three Grades of Mo-
dal involvement" il changera le terme de désignation pour
le remplacer par le terme de référence. On aura alors l'ex-
pression "purement référentiel".
Quine énonce trois principes qui subsument l'iden-
tité et la quantification et montre que les contextes modaux
y sont réfractaires
: la transquantification est impossible
eu égard à cette maxime: une variable placée à l'intérieur
d'une construction opaque n est pas lié~ par un opérateur qui
se trouve à l ' extér ieur. Or les con textes
modaux et les con-
textes de citation sont opaques.
"Lorsque, écrit Quine,
"x" se trouve à l'intérieur d'une construction opaque et que
" ( tI x)" ou "( 3 x)" se trouve à l'extérieur, la chose- à
faire est simplement de considérer que cette occurrence
de "x" n'est pas liée par cette occurrence du quantifica-
teur" (3).
Notre première section sera consacrée aux diffi-
cultés de la logique modale et descontext€s
de citation.
La seconde portera sur les verbes d'attitude proposition-
nelle et sur les intensions.
(2) Quine "Designation and Existence" in J. Of PhiL Vol 36
1939, P 703.
( 3 ) Quine Le Mot et la Chose
P 238 •


370
Section 19
Référence, citation et modalité
INTRODUCTION
Quine aborde les problèmes concernant les cons-
tructions du discours indirect et de la modalité avec la
détermination de défendre le principe de substitution selon
lequel étant donné un énoncé d'identité,
l'un de ses deux
termes peut être substitué à l'autre salva veritate. Mais
Quine ne
cache pas qu'on puisse trouver des contregexem-
pIes à ce principe. Par exemple' les phrases
(6)
Giorgione = Ba~barelli
(7)
Giorgione était ainsi appelé à cause de sa taille.
sont vraies. Cependant,
remplacer le nom "Giorgione" par
le nom "Barbarelli" transforme
(7)
en la fausseté suivante:
(7') Barbarelli était ainsi appelé à cause de sa taille
En outre les phrases
(8)
Cicré~on = Tully
(9)
'Ciceron' contient sept lettres
sont vrais. Mais remplacer le nom "Ciceron" "par' "Tully"
transforme
(9)
en une fausseté.
Doit-on alors incriminer le principe d'identité?
Quine rejette cette éventualité. La base du principe de subs-
titutivité est tout à fait solide ; car tout ce qui est dit
au sujet de la personne Ciceron
(ou Giorgione)
sera égale-
ment vrai de la personne Tùlly (ou Barbarelli), puisqu'il
s'agit de la même personne.
La raison de cet échec vient de ce que les expres-
sions ne sont pas purement référentielles. Quine ne cache
pas son adhésion au principe et en 1960,
il écrit à cet
"
effet:
"Je ne condamne pas l'échec à la substitution, mais
je l'érige en indice révélateur d'une position non réfé-
rentielle. Je n'envisage pas de changements de référence
sous l'influence des constructions opaques"
(4).
Quine donne trois critères qui définissent la
position "purement référentielle".
Il soumet les contextes
(4) Quine
Le Mot et La Chose
P 219 •
.,

371
de citations et les contextes modaux à ces principes et
montre en quoi consiste l'échec de la substitution.
§1 Référence transparente et référence opaque.
"Lorsqu'un terme singulier, écrit Quine, est
employé dans une phrase simplement pour spécifier son objet
et que la phrase est vraie de cet objet, elle le restera
certainement si on substitue au terme singulier n'importe
quel autre terme singulier qui désigne .. le même objet.
Ici
nous avons un critêre pour ce qu'on pourrait appèler la
position purement référentielle : la position doit être
ouverte à la substitution salva veritaté"
(5).
La locution "purement référentielle"
(ou simplement
le terme 'référentiel')
exprime l'idée que le terme singu-
lier doit être employé pour spé~ifier son objet, afin que
le reste de la phrase puisse dire quelqee chose. Sinon la
position est dite 'référentiellement opaque' ou 'référen-
tiellement non transparente'. L'expression "référentielle-
ment transparent" est un autre nom de l'expression "pure-
ment référentiel".
"J'appellerai "référentiellement trans-
parent" dit Quine, un mode CD d'inclusion si, chaque fois
qu'une occurrence d'un terme singulier t
est purement
réfé-
rèntielle dans un terme ou dans une phrase
~(t), elle est
aussi purement référentielle dans le terme ou dans la phrase
(JI
[If (t)]
qui les contient"
(6).
Voici les trois critêres de la position référen-
tielle.
Le premier est énoncé déjà dans "Notes on Existence
and Necessity",
les deux autres -auxquels est joint le pre-
mier- sont énoncés dans "Three grades of Modal involvement".
,/
1
"L'un des principes fondamentaux,
écrit Quine,
i
qui gouvernent l'identité est celui de la substitutivité
Il prévoit que étant donné un énoncé d'identité vrai, l'un
(5) Quine Le Mot et la Chose
P 207.
(6) Quine Idem
P 210 •
...

372
de ses deux termes peut être substitué à l'autre dans n'im-
porte quel énoncé vrai et le résultat sera vrai"
(7).
Soit "a" et "b" les termes membres d'un énoncé
d'identité vraie et soit C l'énoncé vrai contenant des oc-
currences de l'un de ces termes. On peut formellement expri-
mer le principe de substitutivité de la façon suivante
a = b
CIal
~ C(b)
Les lettres "a" et lIb" sont des constantes. Mais il y a une
forme fondamentale de la loi de substitutivité et qui enve-
loppe des variables de quantification, c'est-à-dire
(vx)(Vz)
((x = y):J (Fx:; Fy))
Pour le deuxième principe, Quine dit ceci
"Une occurrence d'un énoncé conune une partie plus longue
d'un énoncé est appelée fonction de vérité si, à n'importe
quel moment/nous remplaçons l'énoncé composé par un autre
énoncé ayant même valeur de vérité, l'énoncé composant reste
inchangé en valeur de vérité"
(8). Autrement dit, deux énon-
cés ayant même valeur de vérité sont interchangeables salva
veritate.
On peut l'exprimer de la façon suivante
(P :: Q)
~
C (P)
~ C (Q)
En ce qui concerne le troisième principe on l i t
de Quine "Les termes généraux employés prédicativement peu-.
vent être considérés conune des constructions : conune des
manières d'inclure dans les phrases les termes singuliers
1
qui leur servent de sujets. En tant que modes de construc-
tion,
ils sonü référentiellement transparents ••• ceci re-
vient à dire "que la position de sujet est purement réfé-
rentielle"
(9).
Autrement dit, dans une position transparente,
nous pouvons remplacer un terme général par un terme coex-
tensif
(un terme vrai des mêmes objets) ou une phrase
(7) Quine "Notes on Existence and Modality" in Linsky Seman-
tics and the philosophy of Language
P 77.
(8) Quine "Three grades ••• " in W.P.
'9) Quine
Le Mot et La Chose
P~.

373
composante par une phrase ayant même valeur de vérité sans
troubler la valeur de vérité de la phrase qui les contien~.
Lorsque deux prédicats sont coextensifs,
ils sont inter-
changeables salva veritate.
Formellement on a
( tI x) (Fx ~ Gx) ::J [c (F) ;; C (G)]
Lorsqu'on applique ces trois principes aux con-
textes de citation,
il su~fit de montrer l'échec de la subs-
titutivité de l'identité pour conclure au rejet des con-
textes de citation de la référence pure. L'échec de la subs-
titutivité révèle que l'occurrence à remplacer n'est pas
purement référentielle.
Ainsi on dit que
(9) n'est pas un
énoncé.au sujet de la personne "Ciceron" mais simplement au
sujet du mot
'Ciceron'.
Pourtant (7)
qui n'est pas une ci-
tation n'est pas purement référentiel. Néanmoins,
il est
facile de le traduire dans un autre énoncé qui contient deux
occurrences du nom,
l'une purement référentielle et l'autre
non. On a
(10) Giorgione était appelé "Giorgione" à cause de sa
taille.
La première occurrence est référentielle. La substitution
sur la base de (6)
transforme
(10)
en un énoncé également
vrai
(11)
Barbarelli était appelé "Giogione" à cause de sa
taille.
La seconde occurrence du nom de personne n'est pas plus ré-
férentielle que n'importe quelle autre occurrence à l'inté-
rieur d'un contexte de citation. La citation, dit Quine,
est le contexte référentiellement opaque par excellence.
"Nous pouvons parler de contexte référentiellement
opaque lorsqu'en insérant un énoncé ID dans un contexte,
nous pouvons déterminer qu'une occurrence purement référen-
tielle dans <Ii devienne au sein de l'ensemble du contexte, ::
une occurrence non purement référentielle au sein de l'en-
semble du contexte"
(10).
(10) Quine "Three degres ••• " in W.P.
P.158.

374
Le cas des contextes de citation est qu'ils ne
sont pas opaques en eux-mêmes mais le deviennent lorsqu'on
opère des substitutions. Soit les contextes de citation
suivants
(12)
"9>7"
(13)
'9"'7" contient trois caractères
L'occurrence de '9' dans
(12)
est purement référentielle
mais ne l'est pas dans
(13), car bien que 9 soit plus grand
7, il est faux que 9 ait trois caractères.
Le refus des contextes de citation se justifie
de façon éloquente dans l'opération de quantification ou de
généralisation existentielle selon laquelle~~socrate est
mortel' on infère' (.a x) (x est morel)', c'est-à-dire 'quel-
que chose est mortel'. Nous pouvons mettre
(9)
sous la
forme
(14)
(,3 x)
("x" contient sept lettres)
c'est-à-dire il y a quelque chose tel que "il" contient
sept lettres.
Ou peut-être
(15) Quelque chose contient sept lettres
Or quelle est cette chose? C'est 'x'. Et alors l'èxpression
"x" contient sept lettres
signifie: la 24ème lettre de l'alphabet contient sept
lettres. Manifestement de telles considérations sont absur-
des. On ne peut pas quantifier à l'intérieur des contextes
de citation. Cela sera encore plùs explicite dans le cas des
contextes modaux où Quine réduit les contextes non exten-
sionnels à des contextes opaques.
Les opérateurs modaux caractéristiques de la lo-
gique modale sont les QPérateurs de nécessité
(N), de pos-
sibilité (M), d'impossibilité ('"tM)
ie non M et l'opérateur
de non nécessité
( lN). Mais "dans l'examen philosophique
de la logique modale, propose Quine, nous pouvons nous
limiter à un seul opérateur modal, celui de la nécessité.
Tout ce qui peut être dit au sujet de la nécessité peut
être également dit, moyennant des ajustements évidents,

375
au sujet des autres modes"(11).
Quine énumère trois degrés de la logique modale
par lesquels on peut examiner l'idée de nécessité.
Le premier degré -le moindre- est celui de la
modalité de dicto. La nécessité y est exprimée par un pré-
dicat sémantique attribuable aux énoncés et attachable aux
noms d'énoncés.
Par exemple:
(16) Nécessairement "9> 7". En abrégé: Nec"9) 7"
ici on attache le prédicat 'Nec' à un nom, un terme singu-
lier qui est un nom de l'énoncé qui est affirmé être néces-
sairement vrai. La nécessité est ici conçue comme dénotant
une vérité a priori.
Le deuxième degré -le plus drastique- est la mo-
dalité de re • La nécessité est conçue ici comme un opéra-
teur d'énoncé. Le symbole logique
'nec' attache les énoncés
de la manière que le ferait le signe de négation. Par exemple
(17)
Nec
(9) 7)
Le troisième degré -le plus grave, aux dires de
Quine- est celui de la transquantification.
Il s'agit d'une
extension du deuxième degré, où
'néc' s'applique aux énoncés
ouverts tels que 'x')", et donne des quantifications du genre
(18)
(~x)
néc
(x) 7)
( 1 9)
( 3 x)
néc
(x ') '1)
(20)
( Vx) [
x = 9 ::> néc (x> 7) J
Comment montrer que ces contextes sont opaques ?
Rappelons que "Une construction opaque est une construc-
tion dans laquelle on ne peut, pas d'une manière générale,
remplacer un terme singulier par un terme codésignatif
(un
terme qui renvoie au même objet)
sans troubler la valeur
de vérité de la phrase qui la contient. Dans une construc-
tion opaque, nous ne pouvons pas non plus, de manière gé-
nérale, remplacer un terme général par un terme coextensif
(un terme vrai des mêmes objets), ni une phrase composante
par une phrase ayant même valeur de vérité, sans troubler
la valeur de vérité de la phrase qui les contient"
(12).
(11) Quine
Idem
P 156.
(12) Quine Le Mot et La Chose P 218.

377
dans le contexte représenté par F, les termes logiquement
équivalents soient interchangeables salva veritat~ •.• Je
montrerai que, moyennant ces conditions, l'occurrence de P
dans F(P)
est vérifonctionnelle i
c'est-à-dire que si l'on
prend q pour une abréviation d'un énoncé ayant la même
valeur de vérité que P, F(q)
sera vrai, comme F(P)"
(14).
Ce que Quine veut dire, c'est que nous ne pouvons
nous en tenir à l'interchangeabilité des termes logiquement
équivalents et nous départir de la rêgle extensionnelle
sans accepter l'opacité référentielle.
Voici son raisonnement
'P' représente un énoncé, soit vrai soit faux;
et donc la
variable 'x' n'est pas libre. Si 'P' est vrai, alors la
conjonction 'x = ~~P' est vraie d'un et d'un seul objet x,
à savoir la classe vide ~ • Au contraire, si 'P' est faux,
la conjonction 'x = ~I1P' n'est vraie de rien. La classe
x(x = ~AP)
est donc la classe unique ~Q ou ~ lui-même se-
lon que 'P' est vrai ou faux. L'~uation
(21)
x(x = ~ 1\\P) = ra)
est, en raison des considérations avancées plus haut, logi-
quement équivalente à
'P'. Alors puisque 'F(p)' est vrai et
que les énoncés logiquement équivalents y sont interchan-
geables,
il s'ensuit
que
(22) {F
x (x = ~ /lP) = -IQ
sera vrai. Puisque P et q ont même valeur de vérité, les
classes x(x = ~ AP) et x (x= ~ IIq)
sont toutes deux ou ~C)
(quand elles sont vraies) ou ~ (quand elles sont fausses)
Donc
(23)
x(x = ~ )lP) = x(x = ~I1P) = x(x = ~ I\\q)
Puisque le contexte représenté par
'F' n'est pas référen-
tiellement opaque,
l'occurrence de 'x(x = ~ AP)' dans
(22)
est purement référentielle et donc sujette à la substitution
de l'identité i ainsi en vertu de
(22)
eu égard à
(23) nous
pouvons conclure que
(14) \\ Quine "Three grades
Il
in W.P.
P 161.

378
(24)
F[X(X = !il)\\q) = !Q]
Par conséquent, en vertu de l'équivalence logique de
'x (x= !il !1q) = IR' et de 'g' , nous concluons que F(q).
Comme nous le disions, nous devons accepter que
F est ou vérifonctionnel ou référentiellement opaque sinon
toutes les distinctions sont abolies aussi longtemps que
nous référons à des classes. En effet "les classes sont une
et même classe si leurs membres sont les mêmes
- peu impor-
te que l'identité de leurs membres soit une affaire de
preuve ou un accident historique. Mais, ajoute Quine, l'ar-
gument peut être contesté par quiconque n'admet pas des noms


'
de classes 'x ( ••• )'. Il peut aussietre contesté_p~ quioonque
qui, tqut en admettant de tels noms de classes, ne voit pas
un critère d'occurrence référentielle dans la substituti-
vité de l'identité appliquée aux termes singuliers" (15).
Mais, précise Quine, cela ne veut pas dire qu'il faille
reviser la logique des termes singuliers car on peut répu-
dier les termes singuliers et répudier en même temps la
modalité de re
La raison du maintien du principe d'extensionna-
lité et de son traitement des contextes modaux comme étant
des constructions opaques viennent de ce que si l'on refuse
l'opacité, les contextes modaux sont annihilés. Dans Le Mot
et La Chose
Quine donne un exemple qui est une critique
de la modalité de re. La critique s' adresse,-à Miss B'tlrcan
qui tient pour acceptable, dans la logique modale quan-
tifiée, le schéma suivant :
( Vx) ('r}y) [(x=y) ~ L (x=y)
"Si nous imposons des limitations à l'univers
des objets susceptibles de servir de valeurs pour les va-
riables d'une quantification de manière à en exclure les
objets récalcitrants, il n'y a plus aucune objection à la
quantification dans les positions modales. Ainsi nous
pouvons légitimer la quantification dans une position modale
(15) Quine idem P 162.

379
en postulant que, chaque fois que chacune des deux phrases
ouvertes détermine un seul et unique objet x, les phrases
sont équivalentes de~aniêre nécessaire. Schématiquement
nous pouvons exprimer le postulat comme suit, employant
"Fx" et "Gx" (ici) pour des phrases ouvertes arbitraires
et employant "Fx et x seulement" comme une abréviation
pour "(x)
(FW si et seulement si W=x) " (16).
Alors on aura
(25) Si Fx et x seulement et Gx et x seulement alors
(nécessairement (V w) (Fw si et seulement Gw))
Mais ce postulat annihile les distinctions modales au sens
où il ne distingue plus les vérités nécessaires des vérités
contingentes. On peut déduire de (25) que "Nécessairement P"
est valable quelle que soit la phrase vraie que nous mettons
à la place de 'P'
: par exemple s'il est vrai que Socrate
a bu la cigu:;'" alors "Nécessairement Socrate a bu la cigu~·"
VOici le raisonnement que Quine fait du postulat.
Soit 'P' une phrase vraie quelconque, soit y un objet quel-
conque et admettons que x = y. Manifestement
(26)
(P et x = y) et x seulement
et aussi
(27)
x = y et x seulement.
En vertu de (25), alors/losqu'on substitue 'P et x = y' à
'Fx' et 'x = y' à 'Gx', on peut conclure de (26) et de (27)
à
(28)
(28) Néc (ti w)
( (P et w = y) si et seulements,,(w = y))
Mais la quantification dans (28) implique '"
(P et y = y)
si et seulement si y = y)' par instantiation universelle
qui, à son tour implique 'P'. Ainsi à partir de (28) on
conclut que 'nec P'.
Les distinctions modales fondées sur le nécessai-
re et le possible ou le contingent s'annulent. Alors on doit
ranger les contextes modaux dans les contextes transparents
puisqu'il n'y a pas de discrimination entre nécessaire et
(16) Quine Le Mot et la Chose

380
possible. Dans ce cas on vide les opérateurs modaux de leur
contenu. Dans ce cas on ne parle plus de molalité. Or c'est
.. _...~._---
précisément parce qu'on en parle que Quine choisit le parti
de les considérer comme opaqu~et il les range au même
titre que les contextes de citation. "Nous pouvons garder
une théorie classique des classes et des termes singuliers
et même le principe d'extensionnalité. Nous devons seulement
reconnaitre,dans l'opérateur de nécessité, un contexte de
référence opaque comparable au contexte de citation" (17).
Quine réduit les contextes modaux en des contextes
opaques et en montre les conséquences pour la logique moda-
le quantifiée.
§2 L'opacité des contextes modaux et son incidence
sur la logique modale quantifiée.
Nous verrons successivement la transquantification
pour la modalité de dicto et pour la modalité de re.
En ce qui concerne la modalité de dicto nous
retiendrons pour la 'nécessité' le sens de 'nécessité ana-
lytique' selon le critère suivant: le résultat de l'appli-
cation de 'nécessairement' à un énoncé est vrai si et seu-
lement l'énoncé original est analytique. Par exemple la
phrase
(29) Nécessairement aucun célibataire n'est marié
équivaut à
(30)
"Aucun célibataire n'est marié"est analytique
et est vraie. De même
(31) Nécessairement 9 est plus grand que 7
est équivalent à
(32)
" 9 ) 7" est analytique
Si on a la phrase
(33) Le nombre des planètes = 9
En vertu de (33), si on substitue 'le nombre des planètes'
à 9, on aura,
eu, égard à 31
(17) Quine art. cit. in W.P. p. 162.

381
(34) Nécessairement le nombre des planêtes est plus
grand que 7
Considérons notre modalité de dicta et soumet-
tons*l~ ~ la quantification. Quand nous disons que 'Socrate
est mortel'
nous voulons dire qu"il y a quelque chose x
tel que x est mortel'. Le nom a donné lieu ~ une descrip-
tion singuliêre où le terme singulier a été remplacé par
une variable. La variable prend la place de n'importe quelle
entité qui peut subsumer un être -Socrate ou quelqu'un d'au-
tre- qui est mortel. Quand nous écrivons 'x est mortel',
'x' est ici une variable libre, ce qui permet la générali-
sation. Or,
il en va tout autrement dans le contexte de
citation ou de modalité de dicta. Considérons larmodalité
de dicta
(35)
Néc "9> 7"
Ou plus précisément
(36)
Néc "x> 7"
L'
'x' qui est dans le contexte de citation n'a aucune sorte
de généralité.
(36)
est une phrase au sujet d'une phrase
spécifique ouverte ; car "x) 7" en contexte de citation
est un nom d'une expression spécifique de citation ~ laquelle
on fixe la lettre "x" et non la variable 'x'. L'
'x' de
(36)
n'est pas une variable qui viendrait d'un terme singulier.
Par conséquent,
il ne peut être atteint par un quantifica-
teur. En effet, écrire
(37)
(V x)
(Néc "x > 7") ou
(:1 x)
(Néc "x )
7")
C'est la même chose qu'écrire
(38)
(V x) (Socrate est mortel) ou (fi x) (Socrate est
mortel)
Socrate ou l '
"x" jouent ici le rôle de constantes qu'on
ne peut quantifier. La quantification est suivie d'une oc-
currence non apparentée à sa variable. En bref, la "nécessi-
té" comme opérateur d'énoncé ne se vérifie pas en termes
de nêcessité comme un prédicat sémantique. La transquanti-
fication c'est-à-dire la quantification à l'intérieur des
contextes modaux engendre le non sens. La transquantification

382
est réiractaire à la maxime dont nous avions parlé dans
l'introduction du présent chapitre.
"En fin de compte, écrit Quine, les objets aux-
quels une théorie se réfère ne doivent pas être conçus
comme des choses nommées par les termes singuliers mais
comme les valeurs des variables de quantification. Ainsi,
si l'opacité référentielle est un défaut de valeur de va-
riables dont. il faut se soucier, ses symptômes doivent se
manifester eu égard à la quantification aussi bien que par
rapport aux termes singuliers"
(18).
Le défaut des contextes de citation et des con-
textes de m_~alité de dicto est que leurs termes ne sont
pas des termes singuliers ni des termes qu'on puisse para-
phraser en description singulière pour y faire intervenir
des variables. Si la transquantification de la modalité de
dicto est impossible, la transquantification de la modalité
de re conduit-elle aux mernes conséquences? Quine y :voit
également des difficultés.
Le refus quinéen de la modalité de dicto est une
critique contre Carnap qui, en 1937, dans Logical Syntax
of Language, a abordé le problème. Carnap propose de tra-
duire la phrase "cette circonstance (c;m fait, processus,
condition) est logiquement nécessaire .•• logiquement im-
possible .•• " en "cette phrase est analytique ••• contra-
dictoire ••. ". Cette traduction a été appelé par Carnap
le "passage du mode matériel au mode formel". Grace à cette
distinction Carnap montre que les phrases d'emblée obscures
deviennent claires losqu'on les traduit dans le mode formel
du discours. Carnap dut abandonner ce type de traduction.
"C'était, rappelle Quine/dans mon article de 1943
que j'ai d'abord fait la première objection à la quantifi-
cation dans les contextes modaux et c'était dans sa revue
que Church avait proposé un
remède pourllimiter les va-
riables de quantification aux objets intensionnels. Carnap
(18) Quine "Référence and modality" in FLPV P 144-45.

383
avait adopté cela dans une forme extrême, limitant, de bout
en bout de son système, le rang de ses variables aux objets
intentionnels"
(19).
Dans cette perspective "il suffira de répudier
les objets spécifiés par des conditions qui ne sont pas
logiquement équivalentes et de n'accepter comme valeurs des
variables figurant dans les contextes modaux que des enti-
tés épurées qu'on appellera sens ou intensions et qui ont
ceci de particulier que "n'importe quelle paire de condi-
tions qui désignent univoquement ces objets sont analyti-
quement équivalentes"
(20).
Supposons que le domaine des valeurs des variables
soit restreint à des entités qui ont ceci de particulier
lorsque deux conditions les désignent univoquement, ces
conditions sont analytiquement-équivalentes. Par exemple
prenons 9 comme étant l'entité définie par des conditions
logiquement équivalentes telles que "9 est le successeur
de 8" et "9 excède 7".
Par la rêgle de 'nécessitation' on aura
(39) Nécessairement le successeur de 8> 7.
(40)
(3x)
(Néc x,>7)
(40)échappe au non sens sens parce qu'on a imposé des res-
trictions aux prémisses à partir desquelles on peut l'obte-
nir. Nous pouvons
raisonnablement inférer (~x)
(Néc x }7)
de 'Nec 9) 7' si nous considérons que 'Nec (9') 7)' nous
apprend quelque chose au sujet de l'objet 9, un nombre qui
nécessairement excède 7. Les entités contingentes n'autori-
sent pas la substitution en ce qu'elle ne sont pas analy-
tiques. Mais, à supposer que la notion d'analyticité ait
un sens, les valeurs de x, à savoir les nombres sont des
objets désignables par des conditions qui ne sont pas ana-
lytiquement-équivalentes en ce que ces objets ne sont pas
neutres. "Excéder nécessairement 7 n'est pas le trait d'une
chose neutre, le nombre qui est le nombre des planètes
aussi bien que 9. C'est un non sens de dire qu'il y a, de
(19) Quine idem P 153.
(20) Gochet
Quine en perspective P 174.

384
façon neutre, quelque chose x qui nécessairement excède
7"
(21).
L'identité contingente, à supposer que cette
expression ait un sens, ne peut être exclue. En effet "n'im-
porte quel x, même une intension, est spécifiable à l'aide
de conditions qui ne sont liées que par une identité contin-
gente
Supposez, que x soit déterminé de manière uni-
voque par la condition "~x". Dans ce cas, elle serait aussi
déterminée de manière univoque par la conjonction de con-
dition "p A ~x"
••• Prenons un "P" qui soit n'importe quelle
vérité qui n'est pas logiquement impliquée par "~x", dans
ce cas ces deux spécifications de x que sont "~x" et
"p A ~x" ne sont codésignatives qu'accidentellement"
(22).
Ainsi par exemple "l'x qui est le successeur de
8" et "l'ix tel que x est le successeur de 8 et que Socrate
a bu la ciguë" désignent la même intention. On aura le
paradoxe suivant: en remplaçant: la description "le suc-
oesseur de 8" par la description "l'objet tel qu'il est le
successeur de 8 et que Socrate a bu la ciguë" nous obtenons
(41)
Nécessairement l'objet qui est tel qu'il est le
successeur de 8 et que Socrate a bu la ciguë, eSf7.
Le problème de la transquantification n'est pas
résolu par les appels au secours des intensions.
Rien n'est
acquis, dit Quine, en limitant l'univers aux intensions qui,
plus est, ne sont pas individuables.
"Les classes, écrit
Quine, en tant qu'objets abstraits,
sont moins claires et
moins familières qu'on ne le croit, mais les attributs sont
davantage plus obscurs
car la seule différence entre les
classes et les attributs réside ••• dans la condition
d'identité; et à cet égard les classes sont beaucoup plus
claires que les attributs. Deux matrices déterminent la
même classe quand elles sont satisfaites par les mêmes
objets ; mais sous quelles conditions les matrices déter-
minent-elles ·lë'même attribut? Aucun critère n'est offert.
(21) Quine "Three grades ••• " in W.P. P 181-82.
(22) Quine "Reply to Professor MarëiiS" in W.P. P 182.

385
La seule chose que je sache c'est ceci:
les matrices déter-
minent les mêmes attributs si et seulement si elles sont
logiquement équivalentes. Mais ce critère conduit à des
résultats malaisés ••• Les expressions du type quel qu'il
soit, qui spécifient les attributs ne sont pas des contex-
tes accessibles aux pronoms
(on dirait aujourd'hui:
aux
variables):se référant aux quantifications'"
(23) •
Le défaut d'identification sera une des raisons
de Quine pour refuser de traiter les verbes d'attitude pro-
positionnelle en termes d'intensions.
(cf. même section).
En règle générale, Quine rejette la transquanti-
fication de la modalité de re par le raisonnement suivant.
Notre phrase
(40)
a les apparences d'une simple générali-
sation existentielle.
"Mais, se demande Quine, quel est ce
nombre qui selon
(40)
est nécessairement plus grand que 7 ?
Selon
(33)
duquel
(40)
a été inféré, c'est le nombre 9,
c'est-à-dire le nombre des planètes. Mais supposer ceci
contredit le fait quel3~est faux. Bref, être nécessaire-
ment plus grand que 7 n'est pas une propriété de nombre
mais dépend de la manière de référer au nombre"
(24).
Autrement dit "nécessairement plus grand que 7"
ne s'applique pas à 9 en tant qu'il est désigné par la con-
dition "x est le nombre de planètes". Tout ce qui est
plus grand que 7 est un nombre et tout nombre donné x plus
grand que 7 peut être uniquement déterminé par des condi-
tions variées, quelques-unes ayant
'x >7' comme une consé-
quence nécessaire et quelques-autres n'en ayant pas.
La transquantification n'aurait-elle pas d'issue?
Il est évident que la transquantification de la modalité
de dicto est interdite. Mais en est-il de même de la moda-
lité de re ? Quine à ce sujet dit qu'on peut tolérer la
transquantification mais le prix à payer est de peupler
notre ontologie d'entités obscures qu~ sont celles définies
par essence. On peut justifier la transquantification en
(23) Quine "Notes On existence ••• " in LinskY op.cit. P.90.
(24) Quine "Réference and Modality" in FLPV P 148.

386
adhérant à l'essentialisme aristotélicien, c'est-à-dire
une théorie discriminatoire entre des propriétés nécessai-
res et des propriétés accidentelles ou contingentes des
objets.
"L'essentialisme aristotélicien, écrit Quine, est
la doctrine selon laquelle quelques-uns des attributs d'une
chose (indépendamment du langage dans lequel la chose est
référée) peuvent être essentiels à la chose et d'autres non.
Par exemple un homme ou un bipède sans plumes
( ••• ) est
rationnel par essence et bipède par accident, non pas sim-
plement en tant qu'homme mais en tant qu'il est, par lui-
même.
Plus formellement ce que dit l'essentialisme aristo-
télicien est qu'on peut avoir des énoncés ouverts -que je
représente ici par 'Fx'
et 'Gx'- tels que
(42)
(jx)
(Nec Fx Il Gx Il ,nec Gx)"
(25).
Un autre exemple est le suivant
(43)
(a x) [ Nec (x) 7) 1\\ il Y a juste x planètes ;\\
,Nec
(il y a juste x planètes)
Plus exactement les énoncés ouverts
'Fx' et 'Gx' accom-
plissent non seulement (42)
mais aussi
(44)
(Vx)
(Nec Fx A Gx"
ï
Nec Gx)
C'est-à",dire
( 'i x) Nec Fx A (if x) Gx J1 (V x) ..., Nec Gx
c'est-à-dire un choix approprié de
'Fx'
:
'x = x' et un
autre choix de
'Gx'
:
'x = xAp' où 'p' remplace un énoncé
vrai mais non nécessairement vrai. Bien que cela semble
satisfaisant, Quine y voit deux dangers liés l'un à l'autre.
Le premier c'est que cette construction nous astreint à une
excessive et vaine itération d~opérateurs modaux. Le second
est que nous ne sommes pas fondés à séparer ce qui compte
pour étant de l'accident et ce qui compte pour étant de
l'essence. L'exemple fameux de Quine est celui-ci.
"Les mathématiciens peuvent raisonnablement être
conçus comme étant nécessairement rationnels, mais non né-
cessairement bipèdes ; et les cyclistes comme nécessairement
(25)
Quine "Three grades
" in W.P. p.
173-74

387
bipèdes mais non nécessairement rationnels. Mais qu'en
serait-il d'un individu qui aurait au nombre de ses excen-
tricités à la fois les mathématiques et. le vélo? Cet in-
dividu concret est-il nécessairement rationnel et bipède
de manière contingente, ou vice-versa? Dans la mesure où
nous parlons référentiellement de cet objet et sans préjugé
particulier en faveur d'un groupement de mathématiciens en
tant que tels jugé plus important que celui des cyclistes
en tant que tels ou vice-versa, dans cette mesure,
il n'y a
pas l'ombre d'un sens dans une évaluation qui compte cer-
tains des attributs de l'individu considéré comme des des
attributs nécessaires et d'autres comme des attributs con-
tingents. Certains de ses attributs comptent comme impor-
tants et d'autres comme sans importance, sans doute, cer-
tains sont durables, d'autres passagers, mais aucun ne peut
paraître nécessaire ou contingent"
(26), à moins que nous
nous laissions conduire "dans la jungle métaphysique de
l'essentialisme aristotélicien"
(27).
Evidemment, Quine,défenseur des paysages déserts/
refuse l'essentialisme. Nous n'examinerons pas les sugges-
tions post quinéennes de la transquantification de la moda~
lité de re.
Les reflexions qui vont suivre seront con-
sacrées au traitement des verbes d'attitude propositionnelle.
Section ~0-L'assomption des objets d'attitude propositionnelle
Introduction
Brentano, dit Quine/a ressuscité le mot scolas-
tique "intentionnel" qui est lié à la distinction entre le
mentalisme et le behaviorisme. Brentano s'était proposé de
rendre compte de la différence entre les phénomènes mentaux
et les phénomènes physiques :
"chaque phénomène mental est
caractérisé par ce que les scolastiques médiévaux nommaient
(26) Quine Le Mot et La Chose
P 279-80.
(27) Quine "Three grades ••• " in W. P. p. 174.

388
l'inexistence intentionnelle
(ou mentale) d'un objet et
que nous décririons plutôt, bien que de telles expressions
ne soient dépourvues d'ambiguïté, comme la relation à un
contenu ou l'orientation vers un objet; (par ce terme,
il ne
faut pas nécessairement entendre une réalité) ou, encore,
une objectivité immanente. Tout état mental possède en lui-
même quelque chose qui sert d'objet, quoique tous les états
mentaux ne possèdent pas leurs objets de la même manière"(28).
Les phénomènes mentaux sont dirigés vers un objet.
Si l'on voit, on voit quelque chose. Si l'on sent, on sent
quelque chose. Si l'on dit, connaît, croit, désire, pense,
on dit, connaît, croit, désire, pense quelque chose. Dès
lors, le terme intentionnel se trouve mis
en rapport avec
les verbes d'attitude propositionnelle tels que 'croire',
'dési~er', 'penser', etc ••. Il s'agit de verbe "correspon-
dant à des propositions, c'est-à-dire indépendantes du lan-
gage. Ce que ces verbes décrivent en termes d'une projec-
tion subjective de soi-même n'est même pas le comportement
discursif du protagoniste mais plutôt son état subjectif"(29).
Néanmoins,
"nous pouvons accepter la thèse de
Brentano et l'interpréter soit comme la preuve que les
constructions intentionnelles sont indispensables et qu'il
est important d'avoir une science autonome de l'intention,
soit comme la preuve que les constructions intentionnelles
manquent de fondement et qu~une science de l'intention est
vide.
Mon attitude, à l'opposé de Brentano, continue
Quine, est la seconde. Accepter l'usage intentionnel, pour
ce qu'il se donne, c'est ••• postuler que les relations de
traduction sont d'une certaine manière objectivement vali-
des, en dépit de leur indétermination de principe par rap-
port à la totalité des dispositions au comportement verbal.
Un tel postulat ne permet guère d'espérer un progrès dans
(28) Brentano
Citation rapportée par Linsky in Le problème
de la référence P 39-40.
(29) Quine "Le domaine et le langage de la science" in
P. Jacob YS
P 215.


389
la compréhension scientifique si tout ce qu'on peut invo-
quer en sa faveur, c'est que les relations de traduction
qu'il suppose sont également présupposées par la manière
populaire de parler de la sémantique et de l'intention"(30).
Quine traitera de diverses façons les objets d'at-
titude propositionnelle. Il faudra atteindre l'article de
1968 "Objets propositionnels"
pour voir enfin une solution
quant au statut de'
ces objets intentionnels.
§3 Les difficultés des attitudes conçues comme des
relations.
L'exemple typique des objets d'attitude propo-
sitionnelle est celui de la croyance. Soit la phrase
(45) Tom croit que quelqu'un a dénoncé Catilina
Apparemment, on aurait tendance à prendre "croit" de manière
transparente et à considérer la position occupée par "quel-
qu'un" comme référentielle. Mais la quantification montre'
une ambiguïté qui soulève la question de la portée du ter-
me singulier indéfini. Suivant que la phrase est interpré-
tée en fonction de la portée large
(celle qui porte sur
toute la phrase) ou en fonction de la portée étroite
(celle
qui porte sur une partie de la phrase), nous aurons:
(46) Quelqu'un est tel que Tom croit à son sujet qu'il
a dénoncé Catilina
(47) Tom croit que quelqu'un est tel qu'il a dénoncé
Catilina
En notation canonique
(46')
(J x)
(Tom croit que x a dénoncé Catilina)
(47')
Tom croit que
(:3 x)
(x a dénoncé Catilina)
(46) dit de Tom qu'il croit qu'il existe une personne bien
définie et que cette personne a dénoncé Catilina. Au con-
traire (47)
dit de Tom qu'il droit qu'il y a des espions.
Au sujet de
(46)
on peut demander : qu A e11e est cette per-
sonne dont Tom croit qu'elle a dénoncé Catilina? C.icéron,
(30) Quine Le Mot et La Chose P 307.

390
c'est-à-dire Tullius; mais Torn peut ne pas savoir que
Cicéron = Tullius. Il en résulte que nous avons un contexte
opaque. Appliquant notre maxime, nous dirons qu'il ne peut
y avoir de référence venant de l'irotérieur d'une construc-
tion opaque vers un "tel que" placé hors de la construction:
un terme singulier indéfini situé hors d'un contextelopaque
ne lie aucune variable placée à l'intérieur de la construc-
tion.
Une autre objection contre la croyance est celle
qui permet de ne pas accorder à Torn de crQire n'importe quoi.
Et cette croyance est intolérable. En voici un raisonnement.
Supposons que "P" représente une phrase ; con-
venons d'écrire" d'P" comme une abréviation de la descrip~
tion suivante :
Le nombre x tel que ( (x = 1) et P) ou ( (x = 0)
et non P)
Supposons que Torn croit une phrase de la forme
" I p = 1" si et seulement s'il croit la phrase représentée
par "P"
Par hypothèse, on pose que
(48) Torn croit que
!(Cicéron a dénoncé Catilina) = 1
Au cas où "p" représente une phrase vraie, on a
tp = ~(ciceron a dénoncé Catilina)
En vertu de (46) et de la transparence de la croyance, on
obtient que
Jp = 1.
D'où il suit que
(49) Torn croit que P
De même, lorsqu'on utilise la phrase fause
"Tullius n'a pas dénoncé Catilina" on démontre encore (49)
dans lequel "p" représente une phrase fausse. Finalement
Torn croit n'importe quelle phrase. Ainsi donc si nous assu-
mons (46), nous accordons trop.
La morale à tirer de cette variance de la croyance
c'est ceci : "Plus généralement, éCE'!t Quine, ce dont nous
avons besoin,· ce n'est pas d'une doctrine sur la transparen-
ce ou l'opacité de la croyance, mais d'une manière sélective

391
et souple d'indiquer, dans chaque occasion particulière,
quelles sont, exactement les positions dans la phrase su-
bordonnée qui doivent briller au rang des positions réfé-
rentielles", (31) •
l'·" "
,Quine va donc soumettre les objets propositionnels
~ If il ." ,'it"I_j
à l'analyse afin',de'révéler ceux qui sont'transRaLents. Mais ces
examens donneront des résultats infructueux. Quine propose
deux solutions: celle qui traite les objets d'attitude pro-
positionnelle comme étant des relations et celle qui les
interprète comme des propriétés.
Pour ce qui est de la première solution, Quine
propose de convenir que le défaut de transparence est loca-
lisé dans la conjonction "que" du "croit que" et dans la
particule (to" de la locution "believes to"
(le "de" de
"soupçonne de") et non dans le verbe "croit" lui-même.
Ainsi notre phrase "Tom croit que Cicé~ron a
~jno~~Catilina donne
(50) Tom believes Cicero to have denounced Catilina
(Tom croit Cicéron (être) dénonciateur de Catilina)
(Tom soupçonne Cicéron d'être dénonciateur de Ca-
tilina) •
lorsque nous voulons ramener "Cicéron" dans une position
référentielle. Pour en-faire de même au sujet de UCatilina"
nous aurons
,
(51) Tom croit Catilina avoir été dénoncée par ci~~D~
Maintenant pour ramener les deux noms à une position réfé-
rentielle, nous aurons
(52) Tom croit Cicéron et Catilina reliés entre eux
comme dénonciateur et dénoncéa.
Selon cette convention (46) donne : "il y a quel-
qu'un que Tom croit (ou soupçonne d') avoir dénoncé Cati-
lina" On n'a pas pu se débarrrasser du "que": il faut donc
considérer (46) comme une mauvaise formulation puisqu'elle
contient une référence croisée venant de l'intérieur d'une
(31) Quine idem P 216.

392
construction opaque vers un terme singulier indéfini placé
hors de la construction. Il faut jeter
(46) par-dessus bord.
Tous les verbes d'attitude propositionnelle s'adap-
tent à la convention paraphrastique
dont
nous
avion$
parlé, moyennant certains aménagements, par exemple à l'aide
de locutions telles que "essaie-de-déterminer causalement",
Soit la phrase
(53)
Ernest chasse le lion
Cette phrase a deux intepprétations selon la portée. On a
(54)
Ernest essaie que quelque lion soit tel
qu'Ernest l'abatte
soit
(55)
Quelque lion est tel qu'Ernest essaie qu'Ernest
l'abatte.
Les explications relatives à
(47)
et à
(46)
s~appliquent à (55) et à
(54). En effet, sèlon
(54),
il
Y a des lions ; alors que pour
(55)
il Y a un lion déter-
miné et Ernest essaie de l'abattre.
(55)
est univoquement
opaque et il doit être rejeté selon nos conventions. Cela
ressort clairement dans la quantification de
(54)
et de
(55)
qui donnent respectivement
(54')
Ernest que
(.3 x)
(x est un lion /1 Ernest trouve x)
(55')
(a x)
(x est un lion A Ernest essaie que Ernest
trouve x)
Les deux portées, dit Quine,sont tributaires de
deux types de sens des objets d'attitude propositionnelle'
le sens relationnel et le sens n,otionnel. Ce sens rela-
tionnel est celui de la portée large et le sens notionnel
qui exprime l'idée que sous-tend l'attitude, est la porte
étroite.
Cette distinction permet à Quine de rejeter
(55).
Le sens relationnel est abordé par l'exemple de
l'espion. Soit la phrase
(56)
Ralph croit que quelqu'un est un espion
Selon les portées large ou étroite, on aura

393
(57)
( .3 x)
(Ralph croit que x est un espion)
(58)
Ralph croit que
(3 x)
(x est un espion)
Si Ralph est comme nous/ (58)
est vrai et
(57)
est faux car nous pouvons croire en l'existence d'espion
sans qu'il y ait un individu déterminé qui est un espion.
(57) qui est le sens relationnel échappe au principe de
substitution. Quine donne l'exemple suivant "il y a un
certain individu au chapeau brun que Ralph a plusieurs fois
aperçu en des occasions suspectes ••• Ralph le soupçonne
d'être un espion. Il y a aussi un homme, aux cheveux gris,
vaguement connu de Ralph ••• que Ralph n'a conscience
d'avoir rencontré qu'une fois à la plage. A présent Ralph
ne le sait pas, mais ces deux hommesén'en font qu'un. Pou-
vons-nous dire
~~ cet homme (appelons-le Bernard J.
Ortcutt)
que Ralph le croit espion ?"(42).
Si nous répondons par l'affirmative, nous devrons
accepter une conjonction du type
(59) W nUt en toute sincérité
"
" " croit que •••
Comme vraie. D'une part Ralph est prêt à dire en toute
sincérité:
"Bernard J. Ortcutt n'est pas espion". Si d'au~
tre part nous n'admettons pas les situations du type
(59)
nous déclarerons simultanément que
(GO)
Ralph croit que l'homme au chapeau brun est un
espion
(G1)
Ralph ne croit pas que l'homme vu à la plage
soit un espion
alors nous cessons d'affirmer une quelconque relation entre
Ralph et un homme quelconque. Dans cette perspective le
"que" étant opaque, nous devons sacrifier la construction
relationnelle du genre "il y a quelqu'un que Ralph croit
être espion" au profit des attributs
Mais alors n'est-ce
pas "tomber de la poêle à la braise" ? Assurément.
Les critiques faites au sujet des intensions dans
le cas des modalités s'appliquent ici. Toutefois nous pou-
vons réexaminer ces:'obscnres entités afin de montrer qu'elles
ne sont pas accessibles à la quantification des objets
(32) Quine "Quantifiers and Attitudes" in WP P 185.

394
d'attitude. A cet effet, nous limiterons les lettres 'x'
ou 'w' à la variable de quantification et introduirons
d'autres lettres alphabétiques en remplacement des termes
singuliers afin de!~ontrer que les variables de quanti-
fication ne lient pas ces entités.
Cela étant, eoncevons les objets d'attitude pro-
positionnelle comme des termes relationnels prédicables
d'objets d'intensions. Nous nous servons de l'abstraction
intentionnelle
( être un objet x tel que ••• x ••• ) c'est-
à-dire x
[. •• x •• .J signifiant il y a un objet x qui est
spécifié. Alors la phrase "Ralph croit que Ortcutt est un
espion" donne
(62)
Ralph croit que y [y est un espion] de Ortcutt
et "Tom croit à propos de Ciceron et de Catilina qu'ils
sont reliés dans le rapport de dénonciateur à dénoncé" donne
(63)
Tom croit yz [y dénoncé z] de Cicéron et de Cati-
lina
En quantifiant sur
(62')
(3x)
(Ralph croit y
(y est un espion) de x)
c'est-à-dire : il y a quelque chose que Ralph croit être
un espion. Seulement la lettre 'y' n'a pas été atteinte
par la quantification par ce que 'on ne sait rien de cet "y"
spécifié que Ralph croit être espion. Il en est de même de
"Tom croit que Cicéron a dénoncé Catilina" duquel nous ne
pouvons pas ronclure que "Tom croit que Tullius a dénoncé
Catilina" •
Les noms d'intension sont alors considérés comme
référentiellement opaques, non seulement lorsqu'on les in-
terprête au sens relationnel mais aussi au sens notionnel.
A ce sujet (54) n'est pas exempt d'opacité. En effet
(54)
~
ne réussit pas à donner au terme "Ernest" une position ré-
férentielle à la seconde occurrence de "Ernest" à cause du
"que" opaque qui sépare les deux occurrences de "Ernest".
Rejetant les intensions et les relations, Quine~
eU.égard au sens notionnel/choisit de traiter les objets

395
d'attitude comme des noms ou des phrases nommées par des
citations.
La règle générale, c'est ceci
Au lieu de dire
W croit que
Quine propose désormais
W croit vrai ' ••• '
Telle est la deuxième solution des objets d'at-
titude. Dès lors, la phrase "Ralph croit que Ortcutt est
un espion" devient
(64)
Ralph croit-vrai
(la phrase): "Ortcutt est un
espion"
De même "Torn croit que Cicéron a dénoncé Catilina" devient
(65)
Torn croit-vrai:
"Cicéron a dénoncé Catilina".
Cette solution, adoptée par Quine dans "Quanti-
fifiers
" a été reprise en 1960 dans Le Mot et La Chose,
mais Quine y voit de nombreux inconvénients
(cf. Le Mot et
La Chose
pp. 296-301)~
Une des objections est que ce genre de traitement
tend à réduire la traduction en une forme purement linguis-
tique.
"Les citations, écrit Quine, nomment seulement les
formes linguistiques qu'elles exhibent. Qu'en serait-il si
par pure coïncidence, ces mêmes formes linguistiques citées
de
(64)
à
(65)
avaient aussi un sens dans une autre langue,
et un sens différent de celui que nous avons en vue?"
(33).
Pour cette raison, nous devons corriger
(65) de
façon à dire
(66)
Torn croit-vrai en Français "Cicéron a dénoncé
Catilina"
Mais il y a une autre difficulté. En effet, une traduction
anglaise de
(66)
serait
(67) Torn believes-True in french "Cicéron a dénoncé
Catilina"
(33) Quine Le Mot et La Chose P.
297.

396
Or un Anglais ignorant le Français ne pourrait pas tirer de
(67)
l'information qu'il pourrait tirer d'une traduction
angalise complète de
(68)
Tom croit que Ciceron a dénoncé Catilina
Quine alors refuse ce genre de traduction et dans
"Objets propositionnels" donne enfin un statut satisfaisant
aux objets d'attitude.
§4
Le traitement des objets d'attitude en termes
extensionnels.
"En ce qui concerne les attitudes propositionnel-
les/unfait décourageant est que les véritables obstacles
à une individuation satisfaisante de leurs objets sont aussi
des obstacles à une interprétation dans
des tours d'atti-
tude propositionnelle, même leurs objets mis à part. Prenons
par exemple la croyance. Si je répudie les croyances en
tant qu'objets,
je renonce à dire des choses telles que
"j'ai cessé de croire qu elque chose
( ••• ) depuis mon dé-
jeuner". Je peux encore soutenir et attribuer des croyances
explicitement, au coup p cu- coup. Je peux encore dire que
je crois que les faces de la grande pyramide sont équi-
latères, et en maintenant qu'il y a des choses telles que
moi, la pyramide et ses faces. Mais que gagné-je en reje-.
tant les croyances en tant qu'objets? La question si, en
croyant les faces équilatères,
je les crois ipso facto équi-
angles, ne fait qu'un avec le problème de l'individua~
tion ... "
(34).
Mais comment arriver à cette individuation ? Quine
constate d'abord que si l'on accepte les objets d'attitude,
on doit les considérer comme des circonstances
idiosyn-
crasiques. Il n'y a en effet pas de théorie générale des
attitudes propositionnelles. Nous ne pouvons espérer
(33) Quine "Objets propositionnels" in R.O. P.
163.

397
d'équivalent verbal de "a croit que P" même pour a et P
donnés qui soit indépendant des circonstances dans les-
quelles on aura pu dire que a croit que P. Il en résulte
par la suite que les attitudes ne sont pas des énoncés car
elles se rapportent même aux'· individus muets ou aux animaux
qui ne disposent pas de notre langage parlé. En effet écrit
Quine "nous nous projetons même dans l'état d'esprit d'une
souris tel que nous l'imaginons à partir de son comporte-
ment et nous le dramatisons en cet état d'esprit sous les
traits d'une croyance verbalisée comme il nous parait per-
tinent et naturel de le faire dans l'état ainsi feint"
(35).
Par exemple, nous pouvons dire de la souris qu'elle croit
qu'il y a des chats dans cette pièce.
En projetant cet état d'espritinous imputons à
la souris un état de chose. Par ce biais, Quine traite les
attitudes comme des relations entre le sujet et l'attitude
et l'état de chose qui n'est rien d'autre que l'intention.
L'exemple de Quine est celui du chat.
"Nous aimons à dire par exemple que le chat vou-
drait aller sur le toit ou qu'il craint que le chien lui
fasse un mauvais parti. En disant cela, nous nous proposons

de relier le chat à un état de choses. Le chat désire ou
craint cet état de chose. Son désir ou sa crainte sont une
affaire strictement physio~ogique, sans doute, et la preuve
que nous en avons est l'observation que nous faisons du
comportement manifeste du chat. Mais le champ particulier
d'états physiologiques possibles dont chacun compterait
pour un cas du désir d'aller sur ce toit particulier, est un
champ arbitrairement découpé d'états, et insusceptible de
capsulation dans aucune description anatomique maniable,
même si l'on savait tout des chats. Le champ des séquences
possibles de comportement manifeste, dont chacune compterait
pour une preuve empirique du désir d'aller sur ce toit par-
ticulier, est encore un champ arbitrairement découpé et qui
(35) Quine Le Mot et La Chose
P 304-305.

398
échappe à toute capsulation dans une description de compor-
tement concise. Or les relations avec des états de choses/
des relations comme désirer et craindre, fournissent des
groupements três spéciaux et apparemment indispensables
des événements de l'univers physique"
(36).
Autrement dit, le comportement du chat ne peut
rendre manifeste du désir ou de la crainte du cha~
t~l
que le chat s'y attend. On ne le peut le dire que relative-
ment à un systême de coordonnées, de position dans l'espace-
temps qui nous permette de définir l'état de chose que le
chat désire ou craint.
L'état de chose exprime l'idée de quelque chose
qui peqt être craint ou désiré ou cru sans que la chose se
produise. Quine l'introduit par la notion~\\univers possible
est elle-même définie aprês que Quine ait introduit la no-
tion d'état d'univers possible.
"Commençons, écrit-il, par
nous représenter un état de choses comme une classe d'uni-
vers possibles, oü, à parler intuitivement, cet état de
choses serait réalisé"
(37).
Mais Quine peut-il utiliser la notion d"univers
possible" sans laisser la porte ouverte à la transquantifi-
cation de la mOdalité de re ? L'objection serait/sans aucun
doute,portée au débit de Qüine si ce dernier définissait
l'univers possible au sens de la modalité. Au sens de la
modalité en effet un univers possible est une collection
de propositions qui sont vraies dans tous les mondes pos-
sibles. Mais au sens de Quine, un univers possible est une
situation contrefactuelle
concevable quelconque, une va-
riante du cours réel des choses. Quine définit en termes
de physique l'univers possible. C'est ce qui ressort de ses
emplois de géométrie et de tolopologie pour définir les
propriétés et les positions des objets des attitudes.
"Cela étant, qu'est-ce qu'un univers possible?
(36) Quine .9uy. cit P 164-65.
(37) Quine idem p.
165.

"
399
Pour simplifier, acceptons provisoirement la physique tra-
ditionnelle, qui affirme que, comme l'enseignait Démocrite,
tous les atomes sont homogènes par leur substance et ne
diffèrent que par la ~ille, la forme, la position et le
mouvement. Supposons en outre que l'espace soit euclidien.
Une fois cela acquis, il reste pour chaque point de l'es-
pace juste deux états possibles. Un point peut ou bien se
trouver à l'intérieur d'une particule, ou bien il peut être
vide. On pourra considérer que chaque distribution de ces
états sur tous les points de l'espace est non pas encore
tout à fait un univers possible, mais un état transitoire
d'univers possible"
(38).
Quine appelle cela l'état transitoire d'univers
possiblejc'est-à-dire une classe qui a deux points comme
éléments. Mais la notion de points complique le traitement
à cause de la difficulté de la définir. Alors Quine refuse
les points pour adopter un système de coordonnées et parler
de triplets de nombres réels. Mais, observe Quine, l'assi-
gnation de nombres dépend d'un choix arbitraire de coor-
données arbitraires et vérifierait l'adage selon lequel
"qui veut noyer son chien l'accuse de rage". Pour résoudre
le problème de l'arbitraire, Quine définit l'état d'univers
possible comme une classe de classes de triplets de nombres
"Au lieu de regarder un état d'univers possible comme une
classe particulière C de triplets, nous conviendrons qu'il
est la classe de toutes les classes en lesquelles C serait
transformée par translation et rotatdon des axes de coor-
données" (39). Plus exactement "un état d'univers possible
est toute classe dont les membres sont toutes les classes
géométriquement similaires à quelque classe de triplets de
nombres" (40). C'est alors que Quine définit la notion
d'univers possible comme étant toute classe dont les membres
sont toutes les classes géométriquement similaires à quelque
(38)
Quine
idem P. 165.
(39)
Quine
idem P. 167.
(40)
Quine
idem P. 169.


400
classe de quadruplets de nombres. L'état d'univers possi-
ble faisait intervenir une description en trois dimensions,
l'univers possible est obtenu en ajoutant
une quatrième
dimension a l'état d'univers possible. Cela vient de ce
qu'on exig~ que les ~~~~~udes propositionnelles conservent
leur polarisation.
Ce~ définitions terminées, Quine
les applique aux objets d'attitude.
"Cela étant, écrit-il, ce que le chat désire,
c'est l'état de choses qui est la classe de tous les univers
possibles où il est sur le toit. Ce qu'il craint, c'est la
classe de tous les univers possibles où le chien l'attrape.
Ce que je crois est la classe de tous les univers possibles
où la grande pyramide a des faces équilatères. Une autre
chose que je crois, est la classe de tous les univers pos-
sibles où Cieéron a dénoncé Catilina. Le sujet de l'indivi-
duation, qui nous causait des embarras dans les propo-
sitions, est réglé a notre satisfaction pour les états de
choses. Les univers où les faces de la pyramide sont équi-
latères. sont en effet les univers où ces faces sont équi-
angles; i l n'y a pas un atome qui cloche" (41).
Mais Quine a vite fait d'observer que cette vic-
toire est un feu follet car les circonstances contre fac-
tuelles sont différentes et donc les univers possibles sont
différents. Dès lors "comment:'.identifer Catilina dans les
différents univers possibles? Faut-il qu'il s'appelle
"Catilina" dans chacun d'eux, pour avoir cette qualité ? ••
Dans un univers
possible comportant une pluralité de
chats, chiens, et toits similaires, quel chat est-il?
Dans l'un de ces univers possibles, un chat pareil a lui
est sur un toit pareil a celui-ci, et un autre chat, pareil
a lui, est dans la gueule du chien; le chat fait-il partie
de ces deux états de choses, celui désiré et celui redou-
té?" (41). Dans des univers différents on peut avoir .un
(41) Quine idem p. 171.


401
chat qui désire être dans la gueule du chien et un chat qui,
au contraire, désire être sur le toit. Lequel est celui qui
désire être sur le toit ?
Pour faciliter l'identification univoque du su-
jet de l'attitude, c'est-à-dire du chat qui désire être sur
le toit, Quine introduit la notion d'état de chose centré.
Ici on tient compte de l'emplacement des axes de coordon-
nées. Chaque état de chose centré est une classe d'univers
possibles centrés ou égocentriques ou encore une attitude
non variante du sujet à l'égard de lui-même. Le chat qui
désire aller sur le toit à un moment est ce chat qui à un
autre moment désirera aller sur le toit pour éviter d'être
dans la gueule du chien. Cette notion d'état de choses cen-
tréJalors qu'elle rend-compte de l'état de choses du chat,
disqualifie les objets de croyance car, à un moment la
classe de tous les univers possibles où je crois que Cice-
ron a dénoncé Catilina peut être différente, à un autre mo-
ment de la classe de tous les univers possibles où je crois
que Tullius a dénoncé Catilina. C'est ce que Quine dit
"Je suggère donc qu'on peut, en certains cas
primitifs, tels les exemples du chat, prendre des états
de choses centrés, pour objets des attitudes propositionnel-
les. Cela ne recouvre pas les exemples non égoïsés, telles
les croyances sur Cicéron et sur la pyramide, et j'ignore
si cela aide à ouvrir une voie pour en traiter. Quoi qu'il
en soit, les attitudes propositionnelles égocentriques,
celles de s'attendre à, de désirer, d'espérer, de craindre,
d'essayer, d'être dans une certaine sorte de situation phy-
sique, paraissent les plus primitives; or ces attitudes-là
sont couvertes par ma théorie • Peut-être sont-ce les seules
qu'on ait raisonnablement le droit de dire qu'un animal peut
avoir. J'aurais lieu de penser que les autres attitudes pro-
positionnelles présupposent le langage" (42).
(42) Quine
idem P. 172.

402
A moins de consid~rer la première solution, celle
où n'intervient pas la notion d'~tat de choses centr~ ,
les objets de la croyance sont exclus. Mais ne serait-il
pas possible de traiter les croyances en termes des v~ri­
tables attitudes ? Par exemple on paraphraserait "Tom croit
que Cic~ron a d~nonc~ Catilina" de la façon suivante :
"Tom essaie de se persuader que Ciceron a d~nonc~ Catilina".
Et alors on .aurait comme attitude ~gocentrique de Tom sa
persuasion ou sa conviction que Ciceron a d~nonc~ Catilina.
Il s'agit là d'une initiative que nous ne pouvons risquer
de d~fendre.
Quine, assuman~ d~sormais les attitudes ~gocen­
trique~;remarque n~anmoins qu'on n'a pas besoin de prendre
en compte toutes les possibilit~s d'occupation et de vacui-
t~ dans tous les points de l'espace-temps. Autrement dit, ce
n'est pas n~cessaire de consid~rer tout cela pour d~finir
un ~tat de chose limit~ comme le d~sir du chat d'aller sur
le toit. Quine propose de limiter le d~sir du chat aux pos-
sibilit~s d'input
sensoriel~
"Au lieu donc d'une r~partition cosmique de choix
binaires
(occup~ ou vide)
sur les points de l'espace-temps,
ce qu'il nous faut considr~er est une répartition de choix
binaires
(activé ou au repos)
sur les r~cepteurs sensoriels
de notre animal t~moin. Chaque telle distribution est un
univers possible en notre nOuveau sens, ou pour mieux dire,
un patron de stimulation. Alors au lieu de prendre comme
objet de l'attitude propositionnelle un ~tat de choses au
sens de champ d'univers possibles qui exhibent le chat sur
le toit, nous pouvons prendre le champ de patrons de stimu-
lation qui vont avec le chat sur le toit. Les patrons de sti-
mulation du chat en personne"
(43).
Un champ de patron de stimulation est ce que
Quine appelait, dans Le Mot et La Chose, la signification-
(43) Quine idem P. 173.

403
stimulus.
Ainsi entre la théorie de la sémantique beha-
vioriste élaborée antérieurement et la théorie de l'exten-
sionnalité de l'intention dans "objets propositionnels",
la
jonction s'est faite sous le signe de la physiologie. Et
Quine de s'en féliciter.
"Ce résultat ••• me plaît. Après, tout,
l'associa-
tion d'une phrase d'observation à une signification-stimu-
lus est la phase la plus primitive du langage. C'est ce que
l'enfant fait en premier, au COurs de son acquisition de
la langue, et c'est forcément le coin que le linguiste sur
le terrain enfonce dans~la traduction radicale. Des signifi-
cations-stimuli sont là pour que les phrases signifient
quand il y a des phrases, et elles se présentent aussi com-
me des objets des attitudes propositionnelles égocentri-
ques, que les attitudeurs soient humains ou félins: Je n'ai
pas de théorie de l'imagerie mentale à offrir, qui soit ap-
plicable aux chats ou aux gens"
(44).
\\
Conclusion
Il Y a eu des locutions obscures qui semblent as-
sez semblables à celles des attitudes propositionnelles,
à cela près qu'elles ne se rapportent pas à des personnes
à savoir les modalités dites "logiques" :
"nécessairement",
"il est possible que ••• "."Il est douteux, écrit Quine, que
Lewis eût jamais songé à faire une logique modale si White-
head et Russell, qui suivaient Frege en défendant la ver-
sion que Philon de Mégare donnait de "si P alors q" comme
étant "non
(P et non q)", n'avaient pas commis la méprise
d'appeler cette construction philonienne "implication ma-
térielle" au lieu de "conditionnelle matérielle". Lewis a
protesté en disant que pour être appelée proprement
(44) Quine idem P.
173-74.

404
implication, la proposition définie comme implication maté-
rielle n'aurait pas dû être simplement vraie, mais qu'elle
aurait dû être par surcroît analytique. Et ceci est la rai-
son d'être de son "implication stricte" (45).
Cette "implication stricte" a donné lieu aux mo-
dalités de re et de dicto dont la quantification pose de
sérieux problèmes de référence à moins d'invoquer "l'essen-
tialisme aristotélicien".
D'autres objets opaques sont les attitudes pro-
positionnelles. Mais on ne peut renier leur emploi dans la
pratique. Quine, sceptique des entités propositionnelles
et intensionnelles, parvient à traiter les attitudes en
termes extensionnels graêe aux positions de l'espace-temps
ou aux stimulations.
Le désir du chat d'aller sur le toit est inter-
prété en termes de dispositions du chat à se trouver sur
le toit si certaines stimulations l'exigent. Cette position
de Quine est conforme à sa sémantique behavioriste. Et
évidemment, n'échappe pas aux limites de cette sémantique.
Mais il plait à Quine d'avoir ainsi résolu le problème,
le comportement étant pour lui la physique populaire.
(45) Quine Le Mot et La Chose
P. 275-76.

405
CONCLUSION
Scepticisme et pragmatisme chez Quine
Dans sa conclusion à Quine en perspective,
M. Gochet écrit ceci: "En matière d'épistémologie, Quine
a incontestablement évolué. Dans "Two Dogmas"
(1951) il ne
distinguait .pas le holisme épistémologique -c'est-à-dire
l'affirmation que les énoncés affrontent collectivement
le tribunal de l'expérience-, du holisme sémantique aux
termes duquel l'unité de signification empirique n'est ni
le mot, ni la phrase, mais la théorie. Il sera plus tard
conduit à dissocier ces deux versions du holisme et à
restreindre son adhésion à la seconde.
En 1960, dans Word and Object, poursuit Gochet,
Quine avance une thèse plus forte que le holisme, il affir-
me que les théories scientifiques sont sous-déterminées par
l'expérience, ce qui veut dire que deux théories diffé-
rentes peuvent être empiriquement équivalentes ••• " (1).
Cette présentation chronologique ou conceptuelle
des positions de Quine par Gochet n'est pas exacte. Au
niveau conceptuel, la thèse de la sous-détermination ne pré-
tend en rien
être plus forte que la thèse du holisme.
Au niveau chronologique on trouve déjà énoncés dans l'ar-
ticle que cite M. Gochet -à savoir "Two dogmas"- d'une
part/la distinction entre les deux holismes/et d'autre part,
la thèse de la sous-détermination. Nous n'en voulons pour
preuve que les passages suivants :
II
L'ensemble de la science est comparable à
un champ de forces, dont les frontières seraient l'expé-
rience.si un conflit avec l'expérience intervient à la
1
périphérie, des réajustements s'opèrent à l'intérieur du
champ. Il faut alors redistribuer les valeurs de vérité à
certains énoncés. La réévaluation de certains énoncés
(1) Gochet Quine en perspective, P.203.

406
entraine la réévaluation de certains autres, à cause de
leurs liaisons logiques ••• Le champ total est tellement
sous-déterminé par ses frontières, c'est-à-dire par l'ex-
périence qu'on a toute liberté pour choisir les énoncés
qu'on veut réévalul:!r, au cas où intervient une seule expérien-
ce contraire"
(2).
Ou encore
"L'algèbre globale des nombres rationnels et
irrationnels est sous-déterminée p'~ l'algèbre des nombres
rationnels ••• L'ensemble de la science, mathématique, na-
turelle et humaine est sous-déterminée par l'expérience"(3).
En fait, les positions de Quine n'ont pas varié
malgré deux innovations : une innovation terminologique et
une innovation conceptuelle. En 1943, dans "Notes On
Existence and Necessity", Quine emploie l'expression "pu-
rement désignatif ". A partir de 1953, il emploiera désor-
mais l'expression "purement référentiel".
L'innovation conceptuelle a trait au statut des
attitudes propositionnelles. Quine lés rejetait afin d'évi-
ter la résurgence de la notion de proposition avec son
arsenal de notions aussi obscures qu'inutiles.
Cependant, Quine s'était rendu compte qu'on ne
pouvait se passer des attitudes sans avoir un sentiment
de perte. Alors, à l'aide de notions de géométrie et de
topologie, il donne à ces objets un statut satisfaisant.
"Un élément positif dans cette version des univers possi-
bles, écrit Quine, est qu'elle rentre dans les bornes d'une
ontologie extensionnelle limpide"
(4).
A part ces deux perspectives, Quine est resté
Quine, c'est-à-dire iconoclaste et holiste. Ses positions
(2) Quine "Les deux dogmes". Trad. fr. P. Jacob in VC
p.108-109.
(3) Quine idem, p. 111.
(4 )
Quine idem, p. 170.

407
sans cesse répétées dans ses différents "essais "/ ne le sont
que pour être précisées.
Au départ de la pensée holiste de Quine, nous
avions posé comme prémisse le behaviorisme i behaviorisme
d'où découlaient les thèses successivement examinées. A la
fin de notre travail, nous retrouvions la sémantique beha-
vioriste comme justificative des attitudes égocentriques.
Mais que vaut le behaviorisme ? Le rejet de celui-ci par
Nelson (5) n'entraine-t-il pas la ruine des thèses de
Quine. Quoi que pense Nelson, Quine n'a jamais prétendu
établir des critères rigides de signification.
La communication au Colloque sur la philosophie
analytique lui a permis de repréciser les raisons de son
refus des significations. Nous voulons citer quelques
passages des q~estions et des réponses après la communica-
tion de Quine. La communication qui portait sur "le mythe
de la signification".
Dans sa question à Quine, Ryle reproche à Quine
de faire recours au behaviorisme, "une méthode ••• passée
de mode en psychologie, et qui est d'étudier les réactions
à une excitation". Puis il continue, s'adressant toujours
à Quine " ••• Votre linguiste de la brousse me parait un
des plus fameux imbéciles que j'ai jamais rencontrés. On
dirait qu'il essaie d'apprendre ce qui se passe dans le
comportement de sa peuplade, en restant en dehors du coup.
En écoutant aux portes. Il n'ira pas loin. Ce n'est pas
comme cela qu'un enfant apprend sa langue maternelle. Il
ne l'apprend pas par la simple force de l'habitude. Il
ne l'apprend pas en échaffaudant les déductions les plus
précaires. Au contraire, il l'apprend parce qu'on la lui
enseigne. On se dem3nde pourquoi le pauvre ethnologue du
professeur Quine n'a pas recours aux mêmes expédients. Ne
serai-ce que pendant quelques jours, il pourrait demander
aux indigènes de lui donner quelques leçons"
(5).
(5)
Ryle "Discussion" La philosophie analytique in Cahiers
de Rogaumont P. 180-81.

408
Quine donne une réponse par laquelle i l rejette
les objections de Ryle.
"Je suis d'accord avec vous, répond-il, pour dire
que les théories psychologiques sur les réactions à une
excitation sont dépassées •••
(En ce qui concerne le problè-
me du linguiste), i l prend des leçons auprès des indigènes.
Mais en quelle langue le fait-il ? Je veux bien que la~ mé-
thode directe l'amène à se débrouiller assez pour qu'il
puisse poser des questions. Mais quand i l les pose, qu'at-
tend-il ••• sinon une réponse à des hypothèses déjà formu-
lées implicitement dans sa propre langue et qui présupposent,
dans son esprit, une correspondance non pas peut-être terme
à terme, mais générale des deux langues dans une signifi-
cation commune? Et c'est là précisément pour moi qu'est
le cercle vicieux ••• "
(6).
Ayer, en dehors de ses questions à Quine, montre
précisément que même la signification -
stimulus n'est
pas une candidate sans défaut au rôle de signification.
"C'est une vieille coutume anglaise que de dire "rabbit"
quand on voit la pleine lune. On pourrait donc dire que
la~lune, quand elle est pleine, fait partie de la signifi-
cation-stimulus de "rabbit,", mais on ne peut pas dire que
la lune entre dans la signification de ce mot. Et si la
même coutume ne se rencontre pas dans le folklore français,
ce serait suffisant pour détruire la synonymie de "rabbit"
et de "lapin"
(7).
Et Quine de renchérir à ces suggestions
Il nous faut nous résigner, dit-il. Un Français
sera tenté de dire:
"Tiens, comme c'est drôle: les An-
glais disent "Lapin" quand ils aperçoivent la pleine lune".
Et ceci serait incorrect dans un double sens : d'abord
(6) Quine "Le mythe de la signification" Discussion ,
in
Cahiers de Rayaumont, la Philosophie analytique p.
182.
(~) Ayer in Cahiers de Royaumont p. 175.

409
parce que les Anglais ne disent pas "lapin" mais "rabbit".
Ensuite, parce que cette locution n'a probablement rien à
avoir avec le mot "rabbit" mais c'est une exclamation dont
on se sert couramment dans la converosation familière et
qui correspond '_peut-être à une conjuration
du mauvais sort •••
Mais c'est pourtant le type d'erreur et de confusion que
commettent constamment l'ethnologue ou le traducteur"
(8).
S'il Y avait une quelconque correspondance sé-
mantique entre les termes/ nous
ne douterions pas dies
ri~s de la traduction radicale ni l'imminente opacité
entre les termes d'une même langue ou de deux langues
différentes. Or, ces risques sont inéluctables. Pourquoi
alors ne pas rejeter les propositions ?
On a ressenti
ou imaginé le besoin de poser des
propositions
à plusieurs occasions. On a souhaité avoir
des propositions dans le but de disposer de constantes de
traduction à titre de choses possédées en commun par les
phrases étrangères et par leurs traductions. On a souhaité
les avoir aussi dans le rôle de constantes de ce qu'on
appelle l'analyse philosophique ou la paraphrase: à titre
de choses possédées en commun par les expressions analysées
et les expressions analysantes. On a souhaité les avoir
comme véhicules de valeurs de vérité et comme objets d'at-
titudes propositionnelles. L'attrait que les propositions
exercent a
été ressenti assez puissamment pour encourager
des philosophes à plaider pour une notion de synonyme entre
phrases comme celle que réclame l'identité des propositions.
Or, Quine montre que le recours aux proposi-
tions contient ce qu'il appelle "le sophismedde la sous-
traction" : on soutient que si on peut parler d'une phrase
comme pourvue de sens, ou comme ayant un sens, alors il
s'ensuit qu'il y a une signification qu'elle a, et cette
signification sera identique ou distincte de la significa-
tion d'une autre phrase.
(a) Quine
idem, P. 177.

410
Mais comment individuer les propositions?
Les notions de synonymie, d'équivalence cognitive ou d'ana-
lyticité, censées définir la proposition, sont circulaires.
Même nos intuitions de synonymie en termes de synonymie-
stimulus entretiennent un concept de synonymie qui n'est
pas adapté à l'identité des propositions. C'est pourquoi
Quine avait proposé de considérer ces intuitions de syno-
nymie comme de simples défenses de ces intuitions et non
comme la défense d'une synonymie intralinguistique adéqua-
te à l'identité des propositions.
L'achoppement de propositions, c'est donc leur
individuation. Le refus quinéen des entités (propositions,
synonymie, analyticité,
••• ) c'est qu'elles sont postulées
et en tant que telles, sont circulaires. On définit la sy-
nonymie en termes d'analyticité et l'analyticité en termes
de synonymie. Conçues pour être les porteurs surérogatoires
du vrai et du faux, elles perdent toute vertu heuristi-
que aux mains de Quine. Ce dernier propose de s'en passer
et de chercher à découvrir comment la connaissance se fait,
se développe et s'apprend, plutôt que de fabriquer une
structure fictive qui vise le même effet.
C'est dans cette perspective d'épistémologie na-
turalisée que Quine fait débuter la "chosification" ou
l'''objectification''. Cette objectification qui opère avec
des hypothèses analytiques est truffée de logique : indi-
viduation, référence, quantification.
Russell, le premier, avait assigné à la logique la
tâche de parler de la réalité en aidant à dénicher les ré-
férences cachées. Alors qu'il concevait la logique comme
un outil, Quine la considère comme un appareil physique
au même titre qu'un microscope destiné à rendre visible ce
qui n'était pas accessible à l'oeil nu. En considérant nos
inventions scientifiques comme des activités à l'intérieur
du monde que nous inventons, en considérant notre parler
concernant les phénomènes physiques comme étant un phénomèn~,....

411
physique nous n'avons pas besoin de propositions. Il nous
suffit de constituer une notation canonique c'est-â-dire
une:,notation qui permette de reconstruire rationnellement
lliiaisons
logiques et expressions usuelles de généralité.
Cette notation remplacera avantageusement les entités men-
tales de deux manières: d'abord elle met â jour les ré-
férences cachées et ensui te elle simpiHf ie nos théories.
Elle est un appareil adéquat universellement
utilisable comme l'est un appareil adjugé par des physiciens
au service d'expérimentation d'hypothèses scientifiques.
La notation canonique commence par des paraphra--
ses ou des descriptions au cours desquelles nous voyons
émerger des termes singuliers, des prédicats, l'opérateur
de description ou opérateur d'unicité. Par la suite, la
prédication restitue termes singgliers et termes généraux
dans leur position logico-grammaticale respective. En
éliminant les descriptions"
, l'import
existentiel d'un
langage de quantification avec termes singuliers se concen-
tre sur les variables, seules entités logiques quantifia-
bles. La maxime c'est: "être, c'est être la valeur d'une
var iable" •
Ainsi/paraphraser une phrase dans la notation
canonique de la quantification, c'est expliciter son conte-
nu ontologique, la quantification étant un procédé pour
parler des objets en généraL Comme le dit Quine, "les
quantificateurs sont des manières d'''encapsuler'' les cons-
tructions choisies du langage ordinaire qui servent sans
équivoque à renvoyer à des objets"(9l.
Certes, la notation canonique ou quantification,
par sa simplicité, permet d'enregimenter le langage ou de
l'embrigader. Elle nous donne les formes canoniques pour
les descriptions singulières, les abstractions de classes,
etc ••• Certes "en développant notre théorie logique rigou-
(9) Quine Le Mot et la Chose P. 335 •


412
reusement pour les phrases mises sous une forme canonique
convenable, nous réalisons la meilleure des divisions du
travail : aux uns reviendra la tâche de la déduction con-
forme à la théorie, aux autres, la tâche de paraphraser
dans la théorie la langue commune"
(10). Mais cela ne si-
gnifie pas que la notation soit une construction qui soit
en dehors du langage.
En. effet, "tout le vocabulaire et toutes les cons-
tructions grammaticales appartiendront â la langue ordinai-
re. Ainsi, paraphraser une phrase du langage ordinaire en
symboles logiques, c'est vir~uellement la paraphraser en
ce qui est encore une~partie spéciale de la langue ordi-
naire ou semi-ordinaire ••• De la sorte, nous voyons que
paraphraser en symboles logiques, ce n'est pas autre cho-
se, après tout, que ce que nous faisons tous, tous les
jours, quand nous paraphrasons des phrases pour écarter
des ambiguïtés. La principale différence, la quantité des
changements mis â part, réside en ceci que, dans un cas, le
motif, c'est la communication tandis que dans l'autre cas
c'est l'application de la théorie logique"
(11).
La paraphrase ne prétend pas fournir de synony-
mie. Elle vise au contraire â écar;er
les ambiguïtés et à
apporter de l~information.
Cette liaison de la logique au langage ordinaire
a deux conséquences : la séparation de la logique des
mathématiques 1 la révisibilité de la logique.
En distinguant les variables des prédicats, Quine
a montré que les premières sont les chemins de la référen-
ce et les seconds ne sont pas référentiels. Les lettres de
prédicats ou plus généralement les lettres schématiques ont
pour finalité de dégager la structure logique du langage.
Elles n'exigent pas de domaine de référence contrairement
aux variables. Certes on dit d'un schéma qu'il est valide
(10) QUine idem p. 229.
(11) Qttine idem p. 229-30 •


413
dans toutes les substitutions de prédicats à prédicats mais
il reste à fixer de quoi ils sont vrais, c'est-à-dire à
déterminer leur extension. Or, nomment-ils? Quine le nie
car pour lui seuls les termes singuliers nomment. En indi-
quant à quels individus de l'univers une lettre schémati-
que est applicable/nous ne postulons pas des entités qui
seraient sa référence comme on le dirait en interprétant
une variable (quantifiable). Cette distance à l'égard des
prédicats et des attributs en général permet à Quine de
dénoncer et de rejeter un autre aspect du "sophisme de
la sousstraction", qui quantifie les prédicats.
"Il est tellement dans la nature de nos pensées
d'être.braquées sur des objets, que certains d'entre nous
sont conduits à chercher l'esprit de chaque phrase dans
les choses dont elles parlent. Lorsqu'un terme général fi-
gure de manière prédicative à côté d'un nom, la phrase qui
est ainsi formée sera vue, par les personnes en cause, comme
étant non seulement "au sujet de" d'objet nommé, mais en-
core au sujet de l'attribut symbolisé par le terme géné-
ral"
(12). Ainsi, Bergmann qui dit que "celui qui admet un
seul prédicat primitif, admet les propriétés au nombre des
\\
matériaux qui servent à construire son monde" (13).
On prend pour assurer que quiconque fait usage
des termes généraux, parle ipso facto d'attributs du de
classes.
Ce sophisme de la soustraction est celui qui a
conduit à réduire la théorie desèensembles à la logique.
Or nous avons montré les divers vêtements de la théorie
des ensembles : tantôt habillée en peau de loup, tantôt
vêtue de peau d'agneau.
Dans la notation canonique de la quantification
l'ordre et la légalité sont restaurés. Dans la mesure où
nous y tenons, les objets que nous sommes censés admettre
(12) Quine idem p. 331.
C13) Bergmann cité par Quine in Le Mot et La Chose, p.331
note 1.

"""-- ..
414
sont ces objets que nous reconnaissons comme faisant partie
de l'univers dans lequel les variables liées ou libres
sont censés
prendre des valeurs. C'est ce qui explique le
caractère évident ou la complétude du calèul des prédicats
du~~premier ordre. Elle admet sinon des procédures de dé-
cision du moins des procédures de preùve. L4.-_théorie des
ensembles ne jouit pas de telles propriétés.
Mais la logique est-elle au-dessus de tout soup-
çon ? Le soutenir c'est laisser la porte ouverte à la
doctrine linguistique des vérités logiques. Or, en vertu
de l'incorporation de la logique à la traduction radicale
ou généralement de toute théorie, logique et théorie sont
liées •. La logique occupe le centre de notre organisation
conceptuelle. En tant que telle elle est enrolée dans la
traduction si des conflits se manifestent à l'intérieur du
schème.la logique doit comparaître au test de l'expérience.
/
A propos de la révision de la logique, Quine
semble avoir, selon Haack, des positions différentes. D'une
part Quine adopte une position moniste et d'autre part une
conception pluraliste de la logique
(14).
La conception moniste est celle qui dit qu'il y
a tout juste un seul système correct de logique. Le plu-~
ralisme soutient qu'il y en a plusieurs. L'un Be considère
que la logique classique et l'autre y ajoute les logiques
déviantes et les logiques modales. Il est osé de dire cela
à propos de Quine. Ce dernier ne rejetterait pas la logique
déviante si elle ne compliquait pas le schème conceptuel.
D'autre part, nous avons montré que pour Quine, on ne peut
pas pa~ler de logique rivale.
Quant à la logique modale, les critiques de
Quine sont de trois sortes:
(1)
la motivation pour le dé-
veloppement des systèmes modaux repose sur une confusion :
la confusion entre l'usage et la mention, confusion comprise
dans le mot "implication"
(Cf. Le Mot et La Chose p.
313-14).
(14) HAACK
(Susan)
Philosophy of Logi~p. 225.

415
(2) On n'a pas besoin de logique modale pour les buts de
la formalisation et (3) l'interprétation des logiques mo-
dales présente d'insurmontables difficultés.
Les conceptions moniste et pluraliste de Quine
A propos de la logique s'effacent au profit de son pragma-
tisme en termes de simplicité, de convenance et d'économie.
Quine résume son pragmatisme en ces termes
"Carnap, Lewis et d'autres adoptent une attitude pragmati-
que lorsqu'il s'agit de choisir entre des formes de langa-
ge, des cadres scientifiques ; mais ils abandonnent leur
pragmatisme dès qu'ils passent la prétendue frontière entre
le synthétique et l'analytique. Eh répudiant une telle
frontière, j'épouse un pragmatisme plus profond. Chaque hom-
me reçoit un héritage scientifique, plus un bombardement
continuel de stimulations sensoriels ; et les considéra-
tions qui les guident lorsqu'il taille son héritage scien-
tifique pourqu' il puisse être endossé par ses stimulations
sensorielles continuelles, sont pragmatiques pour autant
qu'elles sont rationnelles"
(15).
Si une loi logique doit être réfutée> pour simpli-
fier une théorie donnée, aucun scrupule ne doit nous faire
hésiter, à moins d'alléguer l'hallucination.
Une question qui choque chez Quine est sa défense
des phrases d'observation. Quine dit d'elles qu'elles sont
"précisément celles que nous pouvons associer A des cir-
constances observables, qui sont l'occasion d'une énoncia-
tion ou d'un assentiment, indépendamment des variantes entre
les histoires passées des informateurs éventuels. Elles
sont la seule voie d'accès A la langue"
(16). S'agirait-il
ici d'une résurgence du monisme neutre? Serait-ce des
phrases vraies en vertu du langage? Alors n'assistons-nous
pas A la résurrection de l'analytique? Alors se reposerait-
le problème des fondements. En fait il n'en est rien car
(15) Quine "Les deux dogmes ••• " in VC F. Jacob, p. 112.
(16)
Quine~, p. 103.

416
Quine ne prétend pas que ces phrases servent de fondement.
L'épistémologie naturalisée ne se constitue pas
sur une table rase. Des phrases d'observation, même si elles
sont les foyers les plus réussis de la communication ne sont
pas inamoviles • Elles sont les phrases les plus vulnéra-
bles. Et c'est ce qui fait qu'elles sont différentes des
énoncés analytiques. "La phrase d'observation .•. située
à la périphérie sensorielle du corps de la science, est
le paquet vérifiable minimal ; elle a un contenu empirique
entièrement à elle et qu'elle porte sur ses épaules"
(16).
Les phrases d'observation sont, sous certains
points, assimilables à la stratégie de l'escalade sémanti-
que. Celle-ci consiste à porter la discussion sur le terrain
oü les parties sont davantage en accord tant sur les objets
de la discussion que sur les termes principaux qui les con-
cernent. Reconnaître l'escalade sémantique c'est considérer
que le bateau reste notre issue pour ne pas sombrer dans les
vagues. On répare le bateau mais on ne le coule pas. Pour
réparer le bateau, il faut poser son séans quelque part,
quitte à réparer ultérieurement cette partie si elle com-
portait des avaries.
Les phrases d'observation ressemblent également,
sous d'autres aspects, à~ critère d'assomption ontologique.
L'une et l'autre exigent qu'on n'assume que ce qui a été
individué. Mais le critère d'assomption ontologique reste
la principale arme du logicien pour détecter les engage-
ments ontologiques d'une théorie ou les entités postulées
et qui/en tant que telles/rendent la théorie vraie.
Elle permet de faire de la logique une science au
service de tout venant . Grâce à elle nous pouvons détermi-
ner ce qu'une théorie -d'une langue étrangère ou la nôtre-
assume. Sous cette optique elle jouit d'une neutralité et
d'une impartialité qui font de la logique une science uni-
verselle. Elle admet qu'une théorie puisse contracter

417
comme variables liées les entités qu'il lui plait
d'assu-
mer, mais à condition que ces entités postulées puissent
être individuables. Il ne suffit pas d'être la valeur d'une
variable, mais il faut pouvoir satisfaire aux principes
de substitutivité.
Le
critère
d'assomption ontologique admet qu'on
puisse assumer les mythes aussi bien que la science. Sur
le plan épistémologique, les sciences ne sont pas meilleures
que les mythes. Si le mythe des objets physiques est supé-
rieur à la plupart des autres, c'est qu'il s'est avéré être
un instrument plus efficace que les autres mythes, pour
insérer une structure maniable dans le flux de l'expérience.
Une fois les conditions d'entités référentielles et d'iden-
tité satisfaite, on peut alors discuter de l'apport scien-
tifique ou philosophe de telle ou telle théorie à la
question "qu'est-ce qui existe ?".
Ainsi le dêbat entre le réalisme et le nominalisme
doit dépasser le débat de ce qui existe pour se transmuer,
au débat de l'apport à la question. Telle est la morale
pragmatiste du critère d'assomption ontologique.
Le critère d'assomption ontologique est l'usage
qu'on fait de la notation canonique lorsqu'on cherche à
mettre à jour ce qu'une théorie dit qui est comme l'est le
microscope. On pourrait donc dire que de même que la scien-
ce comporte des appareils d'expérimentation, de même la
logique comporte le sien; le critère d'assomption ontolo-
gique. De même que les dispositifs expérimentaux de la
science cherchent à établir la relation entre l'hypothèse
et les faits observés, de même le critère d'assomption
cherche les positions référentielles et individuantes de
notre schème conceptuel.
La logique incorporée dans l'acte de référence ne
cherche pas à savoir ce qui estimais ce qu'une .théorie don-
née dit qui est. Il en va de même de la science.

418
Aucune science ne prétend atteindre la vérité.
Mais sa quête de la vérité est le motif le plus puissant
de la découverte scientifique. Et si le savant est guidé
par l'idée de vérité, ses conjectures les plus audacieuses
n'ambitionnent en aucun cas dénicher la vérité d'une rési-
dence mythique. La~llIodestie en science est également la mo-
destie en logique. Cela Quine le peint de la façon suivante.
"E.laborer complètement dans ces pages un algorH:h-
me efficient de la déduction n'est pas plus notre objectif
que ne l'était l'élaboration complète des moyens d'assurer
la communication ••• Toute élimination de constructions ou
de notions obscures que nous réussissons à faire, en para-
phrasa~t celles-ci en éléments plus clairs, contribue à
clarifier le schème conceptuel de la science. Les motifs
qui déterminent les hommes de science à faire en sorte que
les théories adéquates à la matière étudiée dans les scien-
ces particulières soient toujours plus simples et toujours
plus claires militent en faveur de~la simPl~ation et de
la clarification de ce cadre plus large qui est commun à
toutes les sciences. Ici l'objectif est appelé philoso-
phique, à cause de l~ampleur du cadre considéré ; mais la
motivation demeure la même"
(17).
La philosophie ou la logique (les deux notions
sont confondues par Quine) a le même projet que les sciences
de la nature. Toutes cherchent à répondre à la question
"Qu'est-ce qui existe ?" C'est ce qu'exprime Quine.
"Le souci de répondre à la question "Qu'est-ce
qui existe ?" est une préoccupation possédée en partage
par la philosophie et par la plupart des autres genres de
prose non) .fictive • La réponse détaillée à cette question n'a
encore été donnée qu'en partie mais assez longuement. Un
assortiment représentatif de terrains, de mers, de planètes
et d'étoiles ont été décrits individuellement dans les
~-
(17) Quine Le Mot et La chose, p. 232.

419
livres de géographie et d'as~ronomie, et occasionnellement
un bipède ou quelque autre objet de taille moyenne dans les
livres de biographie et d'art. La description du réel
s'accélère par la production de masse en zoologie, en bota-
nique et en minérologie, où les choses sont groupées par
similarité et décrites collectivement. La physique, par
son abstraction plus brutale à l'égard des différences de
détail, poursuit plus loin encore la description de masse.
Et même les mathématiques pures fournissent une réponse de
nature descriptive à la question "Qu'est-ce qui existe?"
car les choses auxquelles cette question se rapporte n'ex-
cluent pas les nombres, les classes, les fonctions, etc .•. " (18)
La logique en tant qu'effort de reproduction les traits
les plus généraux de la réalité concourt à une réponse à la
question. Les constructions ne sont pas affaire de conven-
tion mais sont dictées par la réalité.
Toutefois, reconnaît Quine "ce qui différencie
de tout cela le souci ontologique du philosophe, c'est seu-
lement l'envergure des catégories. Etant donné des objets
physiques en général, le représentant de la science naturel-
le est celui qui décide au sujet des opossums et des licor-
nes. Etant donné des classes ou quelque autre domaine dont
traite le mathématicien, c'est au mathématicien à dire en
particûlier s'il y a des nombres premiers pairs ou des nom-
bres cubiques qui sont la somme de deux nombres cubiques"(19).
Le philosophe qui est un "Médecin généraliste" s'élève un
peu plus haut. Armé de son critère d'assomption/il s'occupe
de l'acceptation non critique de ce royaume d'objets physi-
ques, de classes, etc •••
Sa tâche "est de rendre explicite ce qui a été =-
laissé tacite et de rendre précis ce qui a été laissé va-
gue; la tâche
d'exposer et de résoudre les paradoxes, de
raboter les aspérités, de faire disparaltre les vestiges des
périodes transitoires, de croissance, de nettoyer les bidon-
villes ontologiques" (19) •
(18) Quine, idem, p. 377.
(19) Quine, idem, p. 377-78.

420
La tâche du logicien (philosophe) est d'élaguer,
d'émonder
les Foisonnements ontologiques. Il ne le fait
pas à partir "d'un point d'observation privilégié situé à
l'extérieur du schème conceptuel qu'il prend à sa charge.
Il n' y a pas pareil exil' 1 hors du cosmos".
1 \\
Le philosophe ne peut étudier le schème concep-
tuel de la science sans posséder quelque schème conceptuel
qui n'échappe pas à l'obligation d'un examen philosophique.
Il peut examiner et améliorer le schème de l'intérieur, en
faisant appel à la cohérence et à la simplicité. "Sans
doute, dit Quine on ne doit attendre aucune expérimentation
qui puisse trancher un débat ontologiq~e ; mais c'est seu-
lement.parce que ces questions sont connectées avec les
arritations de surface par des voies très multiples, à tra-
vers tout un réseau d'hypothèses théoriques servant d'in-
termédiaires" (20).
La philosophie ou même la logique n'est pas sus-
ceptible d'expérimentation mais l'expérience que lui exige
la connaissance scientifique, c'est la simplicité. Et cela
nous permet de dire que Qu'ine n'est pas logiciste en aucun
sens du mot. Il n'ambitionne pas d'expliquer la connaissance
scientifique en la réduisant à la logique. Celle-ci étant
aussi indéterminée que celle-là/ne peut servir de fondement.
Quine sort de son scepticisme par la voie du pragmatisme.
(20) Quine, idem, p. 378.

421
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7 - Mr Stawson on Logica1 theory 1953
8 - Three Grades of Modal Invo1vement 1953 -
9 - Carnap and Logica1 Truth 1954
10 - The scope and Language of Science 1954
11 - Quantifiers and Propositiona1 Attitudes 1955
12 - Posits and Rea1ity 1955
13 - On the Application of Modern Logic 1960
14 - Logic as a source of syntactica1 Insights 1960
15 - On Simple Theories of a Comp1ex Wor1d 1960
16 - The ways of Paradox 1961
17- - Rep1y to Professor Marcua 1962
18 - Necessary Truth 1963
19 - Imp1icit Definition Sustained 1964
20 - Foundation of mathematics 1964
.21 - Onto1ogica1 Reduction and the Wor1d of Numbers 1964
\\\\1
,1966 : Se1ected Loqic Papers ed Random House T x + 250 pp
Broché en 1968
1 - A Method of Generatiog Part of Arithmetic without use of
.~ Intuitive Logic (1934)

426
2 - Definition of Substitution 1936
3 - Set theoretic Foundations for Logic 1936
4 - Logic based on Inclusion and Abstraction 1937
5 - Comp1eteness of the propositiona1 Ca1cu1us 1937
J
6 - Whitehead and the Rise of Modern Logic 1941
7 - Element and Number 1941
8 - On the Logic of Quantification 1945
9 - On Ordered Pairs an. Relations 1945-46
10 - Concatenation as a Basis for Arithmetic 1946
11 - On Boo1ean Functions 1949
12 - Two theorems about Truth Functions 1951
13 - On w-inconsistency and aso ca11ed Axiom of infinity 1952
14 - On an Application of Tarski 's th~ory of Truth 1952
)
\\
15 - Interpretations of Sets of Conditions 1953
16 - Quantification and the Empty Domain 1953
~7 - Reduction to a Dyadic Predicate 1953
~8 - Logic, Symbo1ic 1954
19 - On Frege 's Way Out 1954
20 - A Proof Procedure for Quantification theory 1954
21 - Church 's Theorem on the Decision Prob1em 1954
22 - On Cores and Prime Imp1icants of Truth Functions 1958
23 - Variables Exp1ained Away 1960
1~69 1 Onto1ogica1 Re1ativity and Other Essays , ed Columbia
University Press, New-York et Londres, x + 165 pp
Traductions :
- espagnole, par M. Garrido, J.L.B1asco et M.Bunge,
ed Tecnos (Madrid) 1974
- allemande
- portugaise, ed Abri1 (SAO Paulo)
- française par J.Largeau1t (Relativité de l'onto1ogie et
autres Essais, Aubier-Montaigne, 102 pp

427
1 - Parler d'objets 1958
2 - Objets propositionnels 1965
3 - Existence et quantification 1966
r
4 - Espèces naturelles 1967
i
5 - Relativité de l'ontologie 1968
6 - L'épistémologie devenue naturelle 1968
C) Articles ne figurant pas parmi les essais précités.
--------------------------------------------------
1
* in Journal of philosophy
- Volume 62, 1965
J.L. Austin 1 Comment p509-5l0
>- Volume 64, 1967
On a suggestion of Katz p 52-54
- Volume 67, 1970
N° 6 On the reasons of Indeterminacy of Translation .
p 178-183
N° 8 Reply to Martin p 247-248
- Volume 69, 1972
! Identity and Individuation (de Milton K.Munitz), compte rendu
,p 488-497
- Volume 73, 1976
Grades of discriminability p 113-116
* in Synthèse
~ volume 27, 1974
Comment on Donald Davidson p 325-329
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T 3 Ed. Raymond Klibansky f Russell 's Ontological Development
p 117-128.
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.'. t
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j
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/ '
TABLE DES HATIERES
A"i.,7ANT -
PROPOS
•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p. 1-3
INTRODUCTION
• . • . • • • • • • • • • • • • • • • • • • • . • . • • • • • • • • • . • • • • • • • • p. 4 -13
PREMIERE PARTIE: L'ICONOCLASTIE DE QUINE
fhapitre l
Indétermination de la traduction et
inscrutabilité de la référence .••••••••••••• p.lS-67
Sectionl: L'indétermination de la traduction ••••• p.16-34
Section 2: La division et l'inscrutabilité
de la référence ••••••••.••..••••••••••• p.34-S2
Section 3 :Objections â la thèse de l'indétermi-
nation de la traduction ••••••.•••••••• p.S2-66
Chapitre 2 , La proposition, de l'enoens an refus .••.•••• P.68-l~
Section 4
L'analyse de la proposition •••••••••• p.69-8S;
Section 5
Les défauts des critères d'iden-
tification des propositions •••••••••• p.8S-10l
Chapitre 3
L'analytique et le synthétique: une distinc-
t.ion controversée ••••.••.••••...•.•..•:•••••• pl03-1,)j
Section 6 : Quine et la critique de la doctrine
linguistique des vérités logiques :
le cas des connecteurs logiques .••••• pl04-11l
Section 7
(?uine et la critique de la doctrine
linguistiqu~ des vér~tés logiques :
1
le cas des ltems lexlcaux ••.•••••••• pl16-13S

-
2 -
DEUXIEME PARTIE
LOGIQUE ET HOLISME
Chapitre 4
La vérité loqique:
la complétude du calcul
des ênonc€s
. . . . . . • • . • . . . . . . . . . • . . . . . . • • . p.l~R~175
Section 8
Le parallélisme grammaire
logique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • p.139-152
Section 9
La vérité logique ••.••••.•..•••• p.153-l74
Chapitre 5
La vérité logique
(suite : la complétude
du calcul des prédicats d'ordre un et
l'étendue de la logique .•••.•.•••••••••• p.176-214
Section 10
La complétude du calcul des
prédicats d'ordre un •••••.••••• p.176-l97
Section Il
L'étendue de la logique:
l'identi-
té et la théorie des ensembles •• p.197-213
Chapitre 6
Le ho1isme
son contenu,
ses limites •••• p.215-275
Section 12
Peut-on parler de logique
déviante?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . p.216-231
Section 13
Le critère de vérifiabilité et
la scission du langage en théo-
rique observationnel ••••••••••• p.23l-250
Section 14
La doctrine holiste •••.•.•••••• p.250-274
~hapitre 7
De la critique des fondements à la rela-
tivité de l'ontologie ••.••••.....••.•••• p.276-3l5
Section 15
De la critique quinéenne des fonde-
ments à l'épistémologie natura~
lisée . . . • . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . • • . p.278-297

-
3 -
Section 16
De la sous-détermination des
théories à la relativité de
l'ontologie •••.••••••..••••••••• p.297-314
TROISIEHE PARTIE : DESCRIPTION ET ASSOMPTION ONTOLOGIQUE
Chapitre 8
Le critère d'assomption ontologique •••••• p.317-366
Section 17
La théorie russellienne des des-
criptions opposée au traitement
quinéen des termes singuliers ••• p.319-342
)
Section 18
La nature du critère d'assomption
ontologique et ses applications.p.342-365
Chapitre 9
Référence et transquantification •.••••••• p.367-404
Section 19
Référence, citation et modalité.p.370-387
Section 20
L'assomption des objets d'attitude
propositionnelle ...•.••.••••••• p.387-403
CONCLUS ION GENEGALE ••••••••••••••••••••••••..••••.••• p. 405-420
BIBLIOGRAPHIE
. . . . • . • . . . . . . • . • • • . . • • • • • • . . . • • • • . • . • • • • p. 421-430