D
l
A
B
V
l
b
r
a
h
i
m
a
L E
R E C l
T
COU R T
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=
1
EMILIA
PARDO
B A ZAN
THEr"1ATI
qUE
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=
ET
PROCEDES
NARRATIFS
=o~o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=
Thèse
pour
le
Doctorat
de
3ème
Cycle
Présentée
devant
l'Université
de
Paris-Sorbonne
CP a r i s
IV)
-= -=-=-= -=-= -=-
Directeur
de
recherches
Monsieur
le
Professeur
Maurice
MDLHD
1
9
8
3

l
N
T
R
o
D
u
c
T
l
o
N
=0=0=0=0=0=0=0==0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0

-
2
-
I~ 0 u sn' a v 0 >l.?, vou l u é tu die rIa u cou r s du pré sen t t ra -
1
vailJqu'une partie de l'oeuvre d'Emilia Pardo Bazan
ses récits
courts,
nous proposant de suivre chez elle la formation
de l'art
du conte,
genre littéraire qui,
considéré souvent comme mineur,
est en
réalité un des plus exigeants,car il oblige l'écrivain à
une grande économie de moyens et à une pleine ma!trise dans l'or-
ganisation de la matière narrative.
Au moment de b~tir notre plan de travail,
il nous a
semblé qu'il ne fallait
pas nous borner à l'analyse de quelqu~s
textes particulièrement significatifs ou spécialement réussis,car
nous étions convaincu
qu'Emilia Pardo Bazcin n'est pas seulement
l'auteur d'une série de contes d'intérêt variable,
mais l'archi-
tecte d'un monument unique dans la littérature espagnole des der-
ème
nières décennies du
XIX
siècle,
d'une vraie Comédie Humaine
hispanique comparable à celle de Balzac ou à celle de Benito Pérez
,
Galdo's.
Ces deux vastes ensembles étaient constitués par des grands:,
tableaux -
romans -
celui
de Do~a Emilia par des contes.
Comédie Humaine miniaturisée,
certes,mais qui
ouvre un
éventail
thématique plus large qu'aucun autre avec ses 568 contes où défile
,
toute la société espagnole de l'époque et ou
se posent
tous les
problèmes qui
agitaient les esprits des contemporains.
Un
si vaste ensemble constitué par des récits écrits
et publiés a
toutes les époques de la vie de l'auteur,
c'est-à-dire

-
3 -
de 1879 a
1921,devait forcément avoir un caractère évolutif. Nous
essayerons~~n conséquen~e,de faire apercevoir au lecteur la mul-
tiplication progressive des pensées,
des créatures et des sujets,
c'est-à-dir~ l'évolution du contenu des cont~s au fur et à mesure
ème
qUE!' le XIX
siècle touch~ à sa fin et que se lève l'aube du
XX ème ,
au
fur et à mesure aussi
que la romancière devient sensible
à de nouveaux problèm~s ou qu'elle se fait l'écho de nouvelles
préoccupations~tant5t particulières aux espagnols de l'époque,
tantet plus généralement ressenties dans l'Europe entière.
Une autre évolution que nous voulons suivre à
travers
le vaste corpus qui fait l'objet de notre étude est celle des
techniques narratives.
Il
s'agit presquE de surprendre l'écrivain
lorsqu'il met de l'ordre dans son
domaine imaginaire,
et,
là,
si-
gnaler ses efforts lorsqu'il
construit le récit,
ou déceler ses
ruses lorsqu'il
veut étonner
parvenir enfin à dénombrer les très 1
divers procédés narratifs employés par Pardo
Baz~n. On se risquera
m~me, surtout pour des récits appartenant à l'époque de l'appren-
tissage de Dona Emilia dans l'art de conter,
d'en sonder les fai-
blesses.
En
effet,
notre travail
se veut presque purement
critique.
Nous laisserons de côté la biographie de Dona Emilia,
bien connue dE nos jours gr~ce à l'admirable thèse de Madame
N.
Clémessy
nous négligerons aussi
-
et pour la même raison -

4 -
tout ce qui concerne le~Jid~es morales ou philosophiques de la
Comt~sse lorsqu'elles n'interviennent pas directement dans l'uni-
vers de ses fictions narratives.
Nous pr~férons -
rép~tons-le - demander compte à la
romancière des secrets de son
faire,
en essayant de nous
initier
à
ses habilités,
à ses éclairages, a ses techniques de composi-
tion.
Nous voudrions surtout parvenir à analyser efficacement sa
manière personnelle de distribuer la matière narrative,
de condui-
re l'action,
de s'attaquer aux difficultés propres à chaque type
de récit court.
~
C'est d'ailleùrs dans ce sens que Dona Emilia
elle-même,
dans ses écrits
théorico-historiques,
concevait la
critique,
une critique qui
ne condamne jamais subjectivement les
oeuvres dont elle rend compte et qui
n'en fait pas non plus l'apo-
logie,
mais les analyse
pour en dégager les traits qui
les ren-
dent originales,
uniques,
sans hésiter,
à l'occasion, à en mon-
trer les défauts
de fabrication
ou à signaler ces fautes pour
lesquelles un
grand écrivain
devient,
l'espace d'un paragraphe,
un
artisan maladroit.
Contenu et
forme du
r~cit sollicitent donc en même
temps notre attention sans pour autant l'éparpiller.
Bien au con-
traire,
il
serait souvent difficile de séparer l'un de l'autre,

- s -
puisqu len littérature chaque sujet choisi se doit de comporter
sa propre forme d'expression
et que lorsque l'écrivain entreprend
de raconter une histoire,
même la plus simple,
il
se voue à un
travail
d'élaboration,
de composition,
de construction dont le
résultat sera sans aucun
doute déterminé par les rapports qui
s'établissent entre ses éléments constitutifs lesquels posent,
selon la nature de chaque sujet,des exigences irréductibles.
En somme,
et pour terminer,
les questions que nous
suggère la collection de récits courts d'Emilia Pardo BazJn se-
raient les suivantes:
i
i
-
quels sont les thèmes qui la composent? C' est-à-dirJ
1
,
sur quels centres d'intérêt porte sa com~unication avec le lec-
teu r ?
-
Comment se présente à chaque période de la vie
littéraire de l'auteur le contenu objectif de ses récits?
-
Sous quelle forme
se réalise la communication
auteur-lecteur?
(Présence de l'auteur dans la narration,
forme
autobiographique,
monologue intérieur,
narrateur
(ou narrateurs)-
témoin
(s),
dialogue,
discours indirect libre etc ... )

-
5 -
-
Sou s q u e). s art i fic e s
s t ru c tu rel s son t
pré sen tés
les épisodes de l'histoire?
(Rele du premier et du dernier para-
graphe du
conte -
annonce et mot de la fin
-).
-
Et finalement,
jusqu'à quel
point peut-on
encore
parler au
sujet d'Emilia Pardo Baz~n et de ses contes de réalisme,
de naturalisme ou de symbolisme?
Dernière question
tout à
fait
subsidiaire,
à notre
avis,
car la codification
de chaque récit selon la tendance re-
présentée par ces ismes est en fait
inséparable de son sujet et d~
sa forme
expressive.
Nous poserons néanmoins la question à la
production courte de Doha Emilia dans le seul
but de ne pas né-
gliger l'insertion historique de l'oeuvre,
tout
en avouant que
nous sommes en la matière plus sceptique
encore que ne l'était
la Comtesse elle-même laquelle,
à
vrai dir!!!,
n'avait jamais accep-
té d'endosser aucune de ces discutables étiquettes;
elle était
parfaitement convaincue d'un
f a i t :
au
cas où
réalisme voudrait
dire copie de la
réalité il y avait de fortes
chances que plus
la copie serait fidèle et efficac~ plus elle s'élèverait à la
catégorie de
symbole de la vie humaine,
atteignant par là,
libé-
rée des contingences de
temps et de lieu,
ce degré de généralisa-
tion
que l'on attribue à l'idéalisme.
Tel
est,
en
somme,
le programme de la présente étude,

-
7
-
qui pourrait se résumer en deux mots
le qUOI
et le COMMENT dans les contes d'Emilia
1
Pardo Bazan.
Subsidiairement dans le cours du
travail
il
faudra
sans doute ~ plusieurs reprises répondre ~ la question QUAND?
A QUEL
MOMENT?
Nous tenons ~
remercier ici Monsieur le Professeur
MOLHD qui a bien voulu diriger nos recherches et Madame Blanca
MDLHD qui nous a
toujours aidé de
ses conseils et de ses sugges-
tians.

P r e
m
i
è r e
p a r
t
i
e
-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-
LA
THEMATIQUE
DE
LA
PRODUCTION
DE
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=
~
1
DONA
EMILIA
PARDO
BAlAN
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=

C H A
P I T
R E l
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=
ETENDUE
THEMA1IqUE
DU
RECIT
COURT
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
1
D'EMILIA
PARDO
BAlAN:
UN
PANORAMA
EXHAUSTIF
-=-=-=-=-=-~-=-=-=-=-=-=-=-=~=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
DE
LA
SOCIETE
ESPAGNOLE
DE
LA
RESTAURATION
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
LE MILIEU RURAL: LES PAYSANS - LE HOBEREAU - LES CURES - LES
MEDECINS - LES BOUTIqUIERS - LES OUVRIERS - LES RELIGIEUSES - LES
MARGINAUX - LES MALFAITEURS - LA FEMME CAMPAGNARDE.
LES GENS DE LA MER.
LE MILIEU URBAIN : LA VILLE DE PROVINCE.
MADRID
SPLENDEURS ET MISERE DE LA CAPITALE - LES METIERS
INCONGRUS - LES PETITS EMPLOYES - LE SOUS-EMPLOI - LES NANTIS.
LES PROBLEMES ETERNELS: L'AMOUR ET LA CONJUGALITE - LES PERVER-
SIONS SENSORIELLES - L'EUTHANASIE - LA PEINE DE MORT - LA POLITIQUE -
LA MORALE - LA RELIGION - LE FANTASTIqUE - L'EVOCATION IDEALISTE DU
PASSE.
-==0000000000000==-
En choisissant comme sujet du présent travail l'ensemble
1
des récits courts de Dona Emilia Pardo Bazan,
nous avions certes
espéré nous trouver en présence d'un vaste panorama de la vie
ème
espagnole du XIX
siècle. Mais à le voir de près,
ce panorama,

-
10
-
aux composantes les plus diverses,
nous a surpris par son carac-
tère presque exha~if, au point qu'il nous semble aujourd'hui le
plus large qu'un
écrivain espagnol de cette époque ait
réussi à
brosser.
En effet,
aucun des romanciers de la
Restauration
n'a apporté à la littérature narrative un répertoire de person-
nages aussi complet que celui qu'offre l'ensemble des récits
courts de Dona Emilia,
lequel embrasse toutes les classes et
ème
toutes les couches de la société espagnole du XIX
siècle
finissant.
Rappelons seulement,
pour appuyer notre affirmation,
que le romancier qui passe pour le plus grand peintre de la vie
, ~
/
espagnole sous la monarchie restau.er~~~oes 8B~~~bons, Benito Perez
, ~'
(Q...
.1
C
s..
Galdos,
dont l'oeuvre est considép~e~ la ~~médie Humaine
\\~;ai ~1c~r!Jm)e;Jal
i-m~me,
de l ' [spagn e con t empora i n e a
beau
re.
zac lu
,
l
'
. l
\\c",
. / / §
concurrence a
'etat CiVl
sa gra\\r.1:G,7 f-r'esQ,ljJ'-e/de la vie quoti-
":~~
dienne de son pays comporte néanmoins de grandes lacunes.
En
effet,
le monde rural manque presque totalement car le romancier
n'accorde aux paysans que de rarissimes r~les de personnages
secondaires.
Il Y a,
bien sûr,
d'autres productions encore plus
limitées du
point de vue qui
est
pour l'instant le n~tre. C'est
le cas de Valera,
de l'aristocratique Valera,
lequel
se révèle
incapable de peindre les petits gens de l'atelier ou de la

11
-
boutique,
les terrassiers ou les mineurs,
les hommes de la mer
ou les esclaves du sillon.
Dans ses oeuvres,
seuls l'aristocrate
et le bourgeois trouvent droit de cité,
si ce n'est les villa-
geois plus ou moins stylisés de son Andalousie natale.
Quant à Pereda,
c'est encore autre chose
le roman-
cier de la Montana est toujours mal à l'aise dans la peinture
du
beau monde de Madrid.
Il ne sait dépeindre que ~hobereau
de la
région de Santander,
le paysan aux moeurs ancestrales de
sa province,
le p~cheur de ses c~tes et les rudes habitants de
ses montagnes et)au mieux,la bourgeoisie commerçante de Santander,
la ville portuaire.
Qu'il nous soit permis de n'opposer à Dona Emilia
que ces trois cas significatifs pour appuyer notre première
affirmation
Pardo Baz~n est le seul écrivain de la fin du
XIX ème siècle qui a été capable de promener son regard du haut
en bas de l'échelle sociale,
sans négliger aucun des secteurs
qui
composent son
inépuisable variété.
En premier lieu,
dans les contes de la campagne,
l'auteur atteint la vie profonde du milieu
rural.
Le long de
ses pages se c~toient le villageois madré,
capable de plaisantes
farces -
que vengan aqu{,
El pinar del
t{o Ambrosio -
le

-
12
-
paysan ignorant,
superstitieux,
avare et,
pour toutes ces rai-
sons,
r~fractaire ~ la m~decine moderne - Bajo la losa, Curado,
Atavismos -
et le rustre cupide et brutal capable de crimes
effroyables (Un destripador de anta~o, Gedrgicas, Dios castiga,
En el
pueblo).
Or la vision
v~riste de la romanci~re, sa peinture
parfois cruelle de la vie paysanne ne l'emp~che pas de souligner
ç~ et là les aspects positifs de l'existence des pauvres gens de
la campagne galicienne.
Elle nous montre des familles
rurales
capables de l'hospitalit~ la plus g~n~reuse et la plus franche
ou du d~vouement le plus total
: La gallega,
El
peregrino,
Sara
y Agar.
Elle ~voque aussi la jeunesse paysanne avec ses joies et
ses f~tes, ses amours et ses r~ves. En somme,si elle sait d~crire
la mis~re et l'ignorance des campagnards,
elle parvient ~gale­
ment ~ d~peindre l'all~gresse des bals traditionnels,
occasion
pour les jeunes d'heureuses rencontres.
Rappelons pour m~moire
les charmants couples de Cuesta abajo,
de Lumbrarada.
Dans les contes du
terroir les silhouettes gracieuses
ou rebutantes du monde paysan,
se m~lent souvent ~ des personna-
ges relevant d'autres cat~gories sociales,
comme le vieux hobe~
reau,
si
enracin~ dans le vieux pays qu'il se confond avec le
laboureur.
Cupide,
born~ et opini~tre comme lui,
il connaîtra

-
1 j
-
parfois une fin
tragique
COcho nueces).
Dans d'autres cas,
le viel
hidalgo campagnard est bon
enfant,
aimable et complai-
sant à l'égard de ces paysans qu'il
connaît si
bien
(El ~ltimo
baile) .
On
retrouve aussi dans ces contes de la terre,
le
curé du village
tant~t charitable envers les humbles (Obra de
misericordia,
Madre 9alle9a,
Los escarmentados),
tant~t ivrogne
et dévergondé
(La salvaci6n de Don Carmelo)
le médecin rural
consciencieux et dévoué
(Obra de misericordia)
ou ent~té et
vendicatif
(Ocho nueces),
le boutiquier hanté par la peur des
voleurs (El
invento),
le maître d'école pédant
(Ocho nueces),
les ouvriers ruraux affamés r~vant de mangeaille (El " xes te"),
les religieuses dont la vocation -
problème épineux -
est
sou~ent
négative (La
reja),
les marginaux,
malfaiteurs de tout acabit
les bandits
(InGtil),
les voleurs
(El puno),
les profanateurs
de tombes (No 10 invento) . . .
La femme paysanne inspire le plus vif intér~t à
notre conteur qui nous en a
tracé un
répertoire infiniment varié,
allant de la demi-prostituée (La hoz,
La argolla),
jusqu'à la
martyre de la chasteté héroïque -
Dalinda -
en passant par
l'épouse exemplaire (La galle9a,
El
montero,
Sara y Agar)
et
surtout par la m~re aimante (La guija,
Madre gallega).

Elle n'exclut ni l 'huTrible mégère
(Un destripador de antano,
La capitana),
ni l'épave humaine victime de l'alcoolisme
(La
Corpana)
ou de la lèpre
(La Deixada).
Lam e r,
l a c ~ te,
les po r t s de p ~ che fa sc i ne n t
Dona Emilia autant que les campagnes de l'intérieur,
peut-~tre
parce qu'elle est sensible à la menace que l'Océan fait
toujours
peser sur ceux qui y cherchent leur subsistance:
(La ganadera,
El panuelo,
Tiempo de animas).
A ces nombreux
contes de paysans et de marins s'op-
posent les contes de la ville,
avec ses ateliers,
ses églises,
ses rues,
ses cafés,
ses h~tels, ses gares.
Dans ces récits les
bals et les thé~tres, sont le lieu où s'étalent l'infamie et
le vice,
les douleurs et les misères,
l'amour et les frustra-
tions les plus poignantes.
Car la ville est pour Pardon Bazan
une vraie fourmilière de
pauvres ~tres déboussolés qui se heur-
tent à leurs destins.
Elle dépeint la ville de province
(Mari-
neda)
où elle découvre les ouvriers d'ateliers soumis aux mauvai~
traitements et aux humiliations incessantes des patrons
(Un duro
falso) ,
l'aristocratie provinciale vaine et arrogante
~Cobar-.
,
dia ?)
et le milieu bohème des étudiants
(La soledad).
Dans
d'autres contes,
c'est la capitale,
Madrid,
qu'elle évoque.
Madrid avec ses foules
besogneuses et sa société élégante cible

15 -
de
tous
les
regards.
&rj2 en 1/j132,
(Jona
Emilia montrait son
intér~t pour la grande ville avec la publication de El
ruido
qui
pose le problème des nuisances,
origine des
troubles et de
la déchéance mentale et physique d'un poète.
A partir de cette
date,
de nombreux
thèmes
liés aux
structures sociales de la
capitale viendront compléter la
série,
surtout celui
de la
misère anonyme des
grands centres urbains.
Le
signal
est donné
en
1893 avec la parution
de Sobremesa qui
transcrit étape par
étape l'extinction d'une
femme
et de ses cinq
enfants en proie
â une extr~me indigence dans un insalubre faubourg madrilène.
Puis le
ton devient sarcastiqu~
l'auteur semble chercher les
cas les plus absurdes,
les plus
incongrus,
car la misère
trouve
ou invente des professions
inimaginables.
C'est le cas du
jeune
garçon qui
offre son sang aux puces
savantes pour gagner quelques
sous (Restoran)
et celui
de l'étudiant préposé aux bruitages dans
un
thé~tre ; son tr.avail,
son
seul
gagne-pain,
consiste â aboyer
dErrière le rideau
lorsque le dialogue de la
pièce fait
référence
,
â un chien
(Irracional
19[J1).
Dans la m~me annee
1901,
avec
Sin Esperanza
Do~a Emilia redécouvre le monde étriqué des petits
employés.
Elle l'avait déjà
évoqué dans des
recueils antérieurs;.
dès 1893,
année o~ elle avait publié Sedano,
un
tableau accablant
de la
petite bureaucratie besogneuse
sans autre horizon qu'une
promotion aléatoire et difficile.
En
1905 avec 8romit~ elle va

-
16 -
plus loin.
C'est le m~m~ milieu étouffant où se fait jour l'es-
prit médiocre de ces employés sans envergure qui s'exerce en
cruelles plaisanteries contre le plus faible
et le plus fragile
d'entre eux jusqu'à l'acculer au désespoir.
Le drame .du sous-emploi
qui est au centre des préoc-
cupations profondes du moment n'échappera pas non plus à l'atten-
,
tion de Dona Emilia.
Il constitue le thème de Naufragas.
En contraste avec ces tableaux de la misère brossée,
de la vie médiocre des petits salariés à redingote élimée et à
pardessus défratchi,se trouvent les contes qui ont pour cadre
les milieux opulents de la capitale,
là où
règnent les modes
étrangères,
le dandysme snob et les raffinements de la plouto-
cratie fortunée et oisive.
On y voit vivre la
jeunesse infatuée
qui se prélasse dans les fauteuils d'un club aristocratique,
les dandys qui mettent
tout en oeuvre pour se procurer le valet
de chambre le plus stylé,
le plus flegmatique et le plus "anglais"
(John) ou ceux qui,
pour mériter l'estime de leurs pairs,
ne
répugnent pas à
s'attribuer les exploits les plus extravagants
(Jactancia).
En m~me temps qu'elle élabore cette vaste fresque
d'une société infiniment hétéroclite et complexe,
la romancière
porte son regard sur les grands problèmes qui se posent à

-
17 -
~'humanit~ de tous les~~emps, et sur les passions qui l'agitent
et qui
l'angoissent.
C'est l'amour sous tous ses aspects
vague
illusion d'adolescence (Primer amor,
Temprano y con sol)
ou
tourment,
fixation obs~dante, hantise sexuelle envahissant une
existence tout
entière,
(Remordimiento,
Un
parecido).
Etroitement li~ à ce thème d'amour,
celui de la
conjugalit~ occupe une large place dans l'oeuvre de Dona Emilia,
laquelle semble s'attarder volontairement sur les aspects tant~t
positifs,
tant~t destructeurs du mariage.
Dans La Doda,
elle
d~peint la joie bruyante de la f~te, le plantureux repas où le
jeune couple savoure son bonheur sur un fond
envoûtant de fleurs
odorantes qui
s'~talent jusqu'au ruisseau d~licieux. Dans La
Camarona,
elle ~voque les promenades en mer qui firent les plus
beaux jours d'un
ravissant jeune m~nage et elle d~crit dans
Las tijeras la parfaite entente d'un
vieux couple.
On
pourrait
ins~rer dans cette s~rie Gloriosa viudez où la veuve d'un ~minent
~crivain d~funt vit sous l'emprise du souvenir dans une profonde
mélancolie.
N~anmoins cet ~panouissement des jours heureux, cette
parfaite comp~n~tration qui fait le bonheur de quelques ~tres
privil~gi~s ne cachent pas à l'~crivain les misères de la vie
conjugale,
les heurts,
les disputes interminables,
les inqui~­
tudes et les frustrations qui assombrissent la vie des époux,
les causes multiples qui
expliquent l'~chec du couple,
lassitude,
m~sentente ou, pire encore,l'adultère et ses corollaires qui

-
18
-
viennent détruire le foyer.
Dans Perla rosa c'est un mari
qui
découvre,
bouleversé,-la
trahison de sa femme;
dans La risa
c'est l'épouse qui,
trompée,
meurtrie par la
trahison du mari,
sombre dans une intermittente démence.
P8rfois l'amour bafoué
cherche vengeance,
c'est le cas de La enfermera où la femme
trompée finit
par mettre fin aux
jours de l'infidèle.
Le regard
de Dona Emilia
s'arr~te à plusieurs reprises sur des cas curieux
ou singuliers,
la timidité d'un
grand amour
(S!,
senor)
ou
l'étrange mécanisme d'une
rupture
(Vivo
retrato,
Champ~la, La
niebla,
La
redada,
El
encaje roto).
Nous trouvons dans ses contes
des femmes dominatrices et acari~tres - Navidad - ou d'autres qui
imposent aux hommes leurs caprices les plus pervers -
Los
pendientes -
mais nous y trouvons aussi les dominées,
les sou-
mises,
les effacées
(Feminista).
On nous fait
sonder le nuage
de mensonge qui
couvre l'horizon des couples désunis,
la frus-
tration et la détresse de la femme privée d'enfants
(La
est~ril).
Dans plusieurs récits,
l'auteur s'attaque au problème de l'enfant
non
souhaité qui,
parce qu'illégitime,
fruit
d'une union
que la
société condamne,
ne suscite que des sentiments de rejet ou de
,
honte
(El
comadron,
Los escarmentados).
Ces
récits particulière-
ment effrayants de la maternité maudite s'opposent à d'autres

la mère aimante
est
blessée à mort par l'indignité du fils.
On
touche dans ceux-l~ au problème de la d~linquance des adoles-
cents ou des jeunes:
(Un
gemeln).

-
19
-
~otre écrivain ne reculant pas devant l'atroce,
beaucoup de ses contes -~nt pour thème le crime
(Nieto deI
cid,
In~til, Nuestro senor de las barbas, La cita). quelques-un1s de
ces r~cits violents et durs retracent des silhouettes effroyables
de bandits endurcis et
impitoyables.
La femme n'est pas absente
de cette sinistre galerie où La capitana a une place de choix.
Dans la de~nière époque de sa production,
Dona
Emilia cède a la curiosité très g~n~ralis~e à la fin du
eme
XIX ème siècle et au début du
XX
pour le thème des perversions
sensorielles ou mentales.
Non pas que le sujet soit
tout à fait
nouveau dans l'oeuvre de notre ~crivain qui,
comme jadis Balzac,
comme plus tard le Galdbs de la première époque,
comme
tous les
ème
grands romanciers du XIX
siècle,
s'était déjà
penché sur les
bizarreries pathologiques,
sur ce que Freud appellera un
jour
"l'inquiétante étrangeté",
bien avant que ces phénomènes ne
deviennent un
topique littéraire.
Déjà
en
1883,
tout au début
de sa carrière,
l'écrivain avait montré dans El
indulto les
ravages mortels de la peur,
de la peur qui
tue.
La peur était
de nouveau en 1893 le sujet de La Calavera.
De sombres pein-
tures de névroses apparaîtront plus
tard dans son oeuvre.
[] Il
pas se,
en
1s; lJ []
dan s El
es gue let 0,
dur é ci t
des é ta t s 0 b ses-
sionnels à la révélation
des drames qu'ils déclenchent.
Oans
Eximente,
de
1905,
l'angoisse obsédante pousse la victime au

-
20
-
suicide.
El clavo décrira en
1913 la fin
tragique d'un névrosé.
Il
se pend ~ un clo~qui pendant de longs jours a constitué sa
continuelle obsession.
Dans d'autres contes encore,
des causes
diverses sont ~ l'origine d'une aliénation mentale
l'altéra-
tion des rapports conjugaux ou affectifs (La risa,
Aire,
La
se~orita Aglae).
Il
faut avant
tout souligner qu'écrits avec une
froide
concision presque scientifique,
ces récits sont
très
loin du pathétisme que l'on a souvent reproché à certains ro-
manciers "naturalistes"
trop emportés sans doute par l'exemple
du gigantisme de Zola.
Les contes de
Do;;'a Emilia POS,.,.E;.~\\:,,'a,u,~~i ç~ et l~
L ~c..,
c -1/ ' "
.. ,~.
.-_ --.
l~~.~
les grands et épineux problèmes qui
agLte~~ péilod~quement
(C'
"'\\
§;- '~/'Î.
\\
;\\\\
l'opinion publique et qui
t r 0 u b l e n t
t où'j El u r s,,<1:;8.. c on sei e n c e
~ -=-: \\
,~"")

~;'.:
,
iJj
humaine
l ' eut han a sie
(E l
gui n t 0)
0 u
l~a~):J~ i n e dyi m§r t (C r i men
lib r e).
Sur ces su JO et s ,
l a
rom an c i ère n S~~~~0~i ste r ~ des
~f<o.~~
débats stériles où se manifestent les opinions les plus contra-
dictoires et s'expriment les tempéraments les plus opposés.
D'autres récits évoquent avec
insistance l'impuis-
sance· humaine devant l'implacable force destructrice de la
nature
la mort.
C'est le cas de La mosca verde où
sous l'oeil
impuissant d'un médecin un
jeune homme est irrémédiablement
condamné ~ la suite de la piqûre d'une mouche.

-
21
-
La création artistique a,
elle aussi,
sa place dans
cette vaste explorati~ de la nature humaine - Inspiraci~n et
Perlista décrivent les multiples difficultés qui se succèdent
dans la génération de l'oeuvre d'art et le r~le mystérieux que
joue l'inspiration.
~ertains récits évoquent le douloureux échec de
l'artiste
(El
ruido,
Linda,
En verso).
La politique a aussi
sa place dans les contes de
Dona
Emilia.
Ils dénoncent le climat de violence où se déroulent
les luttes partisanes.
Dès
1891,
Viernes Santo campait avec
force la silhouette du
"cacique" qui,
dans la campagne gali-
cienne,
décide,
sans crainte ni
vergogne d'employer la manière
forte pour soumettre les opposants à sa politique locale et pour
briser toute vélléité de résistance.
Dans des
récits plus tardifs,
la
terreur que la tyrannie des "caciques" fait
régner dans la
population rurale constituera un
thème important
(Madre gallega
(1896),
El
voto de Rosina
(1899),
Ardid de guerra
(1903),
scènes
désolantes de la vie politique où l'écrivain n'hésite pas à
assombrir la peinture des moeurs parlementaires de l'Espagne
de son temps.
Nous y reviendrons.
Mais ce n'est pas tout
le temps passant,
le champ
d'observation de Dona
Emilia s'est sans cesse élargi.
Nous nous
proposons de montrer comment après
1890,
il
lui arrive de
J ....
_~

-
! 2
-
laisser de
c~té le récit réaliste pour entra!ner son lecteur
dans
le
domaine de la ~brale et de la philosophie en lui livrant
sous
forme
de
brefs apologues le fruit
de ses méditations sur
les éternels problèmes de la condition humaine:
l'homme devant
la mort
(Reconciliaci~n), l'euthanasie (El guinto), les rapports
entre les hommes
(Las veintisiete,
La moneda del mundo)
ou de
l'homme avec l'infini
(Dioses).
Nous nous attarderons aussi
sur les contes religieux
contrepoids "idéaliste"
que Dona Emilia a opposé au pessimisme
II na turaliste ll
de ses contes noirs.
La Nochebuena en el
Infierno,
La Nochebuena
en
el
Purgatorio,
La Nochebuena
en el Limbo,
La
Nochebuena en
el
Cielo
pourraient ~tre l'hommage de la roman-
cière -
qui
s'est
toujours proclamée fidèle
chrétienne et catho-
lique pratiquante -
au
souvenir ~mpérissablè de Dante.
Cette petite
tétralogie de la
vie future
serait une
sorte de Divine Comédie en miniature
insérée dans la
vaste
Comédie Humaine,
version
hispanique,
que constitue l'ensemble
,
des oeuvres courtes de Pardo Bazan.
Mais ce serait la Divine
Comédie créée par un
esprit moderne,
continuateur à
sa
façon,
de la
tradition
hispanique ouverte par les érasmistes de l'épo-
que de Charles quint.
Ainsi dans La
Cena de Cristo il
est ques-
tian d'un homme qui
a cherché Dieu dans la solitude du
clo!tre.
Déçu,ill'abandonne enfin,
pour vivre
dans le monde et se consa-
crer aux affai res.
Et c'est là qu'il
rencontre le Christ.
Le

-
2J -
jour o~ il sauve la vie du concurrent d~loyal qui l'a ruin~,
J~sus vient sous l'a~ect d'un pauvre mendiant partager son
repas.
Ce qui
prouverait bien la justesse de la sentence de
l'humaniste de Rotterdam
IIMonachatus non
est pietas. 1I
Mais comme si l'interprétation chrétienne de la vie
humaine n'épuisait pas
toutes les formes de concevabilité,
Dona
Emilia ne se refuse pas au
thème antique du fatum dans des con-
tes comme El destino ou
El
sinD.
Le fantastique un peu à la ma-
nière de Poe ne lui
est pas non plus interdit.
Ainsi dans~tire
eativo l'auteur introduit son lecteur dans un monde de phénomè-
nes étranges qui véhiculent la maladie et la mort,
c'est le
souffle venimeux d'une monstrueuse salamandre,
redoutée de tout
un village,
qui provoque celle inéluctable d'un
jeune paysan.
Dans d'autres récits de
thème analogue,
le conteur se
réserve
le droit de confier à des apparitions surnaturelles
l'amorce
d'une heureuse métamorphose de la pauvre créature humaine:
c'esi
,
le cas de Mariposa de pedrer{a ou la visite nocturne d'un papil-
Ion marque le début de la célébrité et de la
richesse prodi-
gieuses d'un
jeune artiste qui longtemps a fui
ses semblables,
pour s'enfermer dans la douloureuse conscience de sa pauvreté.
Souvent au
fantastique
viennent se greffer des dé-
tails pittoresques,
d'un passé idéalisé.
Ainsi dans Siglo XIII,
la vue d'un mendiant en qu~te de la charité des humbles pay-
sans pr~te à des considérations nostalgiques sur la foi des
siècles médiévaux.

[Jn l'a
vu,
Dona Emi:La ne
recule devant aucun aspect
des moeurs de la
soci~té espagnole de son temps ni devant aucun
des problèmes qui
V tourmentent les hommes.
Dans ses contes on
passe de l'ironie ou de la
tendresse à l'horreur macabre,
de la
peinture des sentiments les plus nobles à celle de la cruauté
la plus odieuse ou de la
sauvagerie la
plus primitive
ce qui
va de pair avec la variété de la faune
sociale que l'auteur nous
a présentée.
Dona Emilia ne se refuse
rien
son
regard va du
rustre anonyme au noble le plus titrF!,
de l'ouvrier affamé au
bourgeois nanti,
de la
servante d'auberge ou de
ferme à la du-
chesse.
Tant~t elle s'attarde sur la grisaille des vies médio-
cres,
tant~t elle dévoile au-delà de l'horizon visible l'univers
étrange du
délire ou le monde éclaté du fantastique.
Tel
est le panorama d'ensemble,
rapidement évoqué
et dont l'étude complète est
bien au-dessus des modestes ambi-
tions de notre
travail.
11
faut
tenir compte en
effet,
que l'en-
semble des contes de Oona Emilia atteint le nombre de 5é8
(1).
Ce chiffre comporte un
nombre important de contes déjà
publiés
en
recueils
(2).
Il
faut
compter outre ces contes une bonne quan-
tité d'autres -
ils sont au nombre de
162
-
jamais recueillis
en
volume que lion
trouve éparpillés dans divers périodiques
et revues de l'époque
(3).

-
25 -
N
o
E
5
-=-=-=-=-:-=-=-=-
1.
Madame Nelly
Clémessy
en a fait
deux cataloguEs exhaustifs -
l'un chronologique,
l'autre alphabétique - lesquels avec
l'essai de classification par g~nre -
qui les accompagne -
constituent aujourd'hui un instrument de
travail
indispen-
sable à tous ceux qui
s'intéressent de près à l'oeuvre de
conteur d'Emilia Pardo Bazén.
Centre de Recherches Hispaniques,
Paris,
1971.
2.
Titre des recueils et date de leur parution en librairie
La dama joven y otros cuentos (1885),
Cuentos Escogidos
(1891~
Cuentos de Marineda
(1892),
Cuentos Nuevos
(1884),
Cuentos de
Navidad
(1894),
Arcos Iris
(1895),
Cuentos de Navidad y de
Reyes (1898,
1902),
Cuentos de Amor (1898),
Cuentos de la
Patria (1898),
Cuentos Sacroprofanos (1899),
Un destripador
de Antano
(1900),
En
tranvla
(1901),
Cuentos Antiguos
(1902),
Lecciones de Li
teratura
(1906),
El
fondo
del Alma (1907),
Sud-Exprés (1909),
Cuentos Tragicos
(1912),
Cuentos de la
Tierra
(1922).

-
25
-
Tou s
ces
r ecu e ils d e ç:~,n tes 0 n t
été
r é uni s
plu s
t a r d a v e c les
romans
de l'auteur,
en
deux
tomes,
par l'édition Aguilar,
Madrid,
1
1947 sous le
titre de
:
Emilia Pardo
Bazan
:
Obras completas
(Novelas y Cuentos)
on
y
relève
389
contes,
3.
La liste des
publications et
des périodiques contenant
des
contes
jamais
recueillis
en
volume:
El
Imparcial
(1890
-
1920),
El
Nuevo
Teatro
Cr{tico
(1891),
Blanco
y Negro
(1895 -
1918),
La
"Ilustraciôn Art{stica"
/
(1896),
El Liberal
(1897),
Madrid
Comico
(1898),
Pluma y
LQpiz
(1901),
El
Heraldo
(1905),
La
Ilustracidn
Espanola y
Americana
(1908 -
1915),
La Noche
(1911
-
1912),
Nuevo
/
Mundo
(1914),
La Esfera
(1914 -
1921),
Los
Contemporaneos
( 19 16),
Ra z a
Es p a il01 a
(19 19
-
192 1 ),
-=-=-=-=-=-=-

C H A
P
1
T
R
E
1 1
=o=o=o=o=o=o=o=o~o=o=o=o=o=o=
EVOLUTIor~
IN l'tRN E
DU
lICOSTUMBRISMOll
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
A
L'UNIVERSALITE
-=-=-=-~-=-~-=-=-
LES
DEUX PERIODES:
1879
-
18.91
ET
1891 -
1921 -
CE
qUE L'ON
~
A APPELE LE
"NATURALISME " D'EMILIA PARDO BAZAN : LE CONTE NOIR:
CRUAUTE,
EVOCATION
DE L'HORiŒUR ET
DU MACABRE-
,DETERMINISME
ET LIBERTE -
DU
REFUS OU
DETERMINISME
SOCIAL
A
L'OPTIMISME CATHOLIqUE.
-==UOOOOoooOOOOO==-
C'est à l'intérieur d'une énorme masse de matière
narrative que nous voyons défiler
tous les aspects de la société
espagnole de l'époque.
Mais ce n'est là qu'un
premier constat
révélant l'aspect le plus évident de la production de Dona
Emilia:
la variété de ses sujets.
Il
en
reste un autre,
non
moins
immédiatement apparent qu'il
conviendra d'évoquer sans
plus
tarder,
c'est le caractère évolutif de cette immense pro-
duction.

-
28
-
LES DEUX PERIODES
1&19
1891 ET
1891-1921
Il convient tout d'abord de signaler les deux pé-
riodes qui marquent la vie littéraire de l'écrivain.
La produc-
tion des douze premi~res années (1879 -
1891)
totalise dix-huit
contes.
Sur ce nombre,
certes peu considérable,
on est frappé
de constater que les th~mes relatifs à la capitale espagnole
sont presque absents tandis que la majorité des contes écrits
durant cette période dépeignent avec
insistance la cadre rural
ou citadin de la Galice,
pays natal
de l'auteur.
Pour ces pre-
mi~res peintures de moeurs, Dona Emilia, marquée par la lecture
des grands romanciers réalistes espagnols de la génération de
1868,
devait procéder comme l'avait fait l'école "costumbristall,
en
recherchant avant tout le pittoresque et la couleur locale.
Ainsi la série des faits
divers qu'ouvre en
1883 Nieto del
Cid}
sert de prétexte à la peinture de paysages,
côtes ou montagnes,
mais aussi et surtout à celle de la mis~re et la grossièreté
des ruraux que quelque reste de nobles instincts ne parvient pas
à cacher.
La préférence de l'écrivain pour la peinture du
terroir
natal
vient peut-être,
du
fait qu'il
était,
mieux que tout autre
milieu,
celui qui offrait la meilleure garantie de
réussite à
l'écrivain débutant.
Mais à partir de
1891,
comme pour dépasser ce
"costumbrismo"
provincialiste qui l'aurait enfermée dans les

-
2Y
-
~
limites étroites de sa Fégion,
Pardo Bazan choisit d'inclure
dans son univers
roman~~que Madrid.
Elle publiait alors Crimen
libre qui met en
sc~ne une histoire dont le cadre n'est autre
que la capitale espagnole.
D~s lors,
et sans jamais atteindre
la force des descriptions que Galdbs nouS a laissées de la capi-
tale espagnole,
Madrid sert de fond aux récits les plus divers
de Dona Emilia qui,
au fil
des années,
a su atteindre une dimen-
sion littéraire de plus en
plus universelle.
Le th~me paysan n'est pas exclu pour autant
bien
au contraire il
reviendra
souvent
:
Viernes santo,
En el
nombre
deI
Padre,
El
peregrino,
Las tapias deI
camposanto,
La santa de
Karnar,
El
baile de Querub{n,
et
tant d'autres récits ruraux qui
alternent avec les contes religieux
La Nochebuena en
el
Infierno,
La Nochebuena
en
el Purgatorio -
et les histoires fantastiques
lesquelles prendront une place de plus en plus importante dans
les derni~res années de la vie de la romanci~re.
Une telle évolution n'est certainement pas le fait
du hasard.
On peut la constater également dans les oeuvres roma-
nesques de Dona Emilia puisqu'il
faut
attendre
1889 pour que
deux de ses romans -
Insolaci~n et Morri~a - comportent des épi-
sodes dont Madrid sera le cadre alors que les romans antéri~urs
~
Pascual
Lopez
(1679),
La Tribuna
(1882),
El
Cisne de Vilamorta
(1885),
Los pazos de Ulloa
(1886),
La madre Naturaleza
(1887)
-
gardaient
un
caract~re exclusivement régional.

-
3U
-
Un
tel
élargissement du
cadre d'action de ses
récits dénonce avant ~out le désir de notre écrivain de s'ins~rer
pleinement dans son
temps.
C'est sûrement ce qui
explique la di-
versité de son oeuvre où à partir de
1891,
tous les courants
littéraires de l'époque se trouvent représentés.
Notre
t~che ne
consistera pas uniquement à
recenser toutes les tendances artis-
tiques dont Dona Emilia s'est fait successivement l'écho
tout
au long de sa carrière,
mais à analyser la forme
spécifique
qu'elles prennent dans son oeuvre puisqu'elle a toujours su,
en
les adoptant,garder son accent personnel
et l'originalité de
son
tempérament créateur.
Il
nous faudra donc passer dans nos analyses du
type de récit qui,
porte ou semble porter,
l'empreinte du
"natu-
ralisme" à ceux de ses contes qui
relèveraient du néo-idéalisme
symboliste de la fin du siècle.
Et cela sans éluder le vrai pro-
blème que pose au critique l'oeuvre
tout entière de Dona Emilia,
la coexistence à toutes les epoques de sa production de la pein-
ture réaliste
la plus crue et d'un
idéalisme qui serait parfois
une remanence romantique mais
toujours une expression très pro-
fonde et authentique de sa sensibilité.
Tel
sera l'objet des
pages qui
vont suivre.

-
31
/
CE
qUE
L'DI\\!
A APPELE L.E
"NATURALISME"
D'EMILIA PARDO
BAZAN
LE CONTE NOIR
CRUAUIE,
EVOCATION
DE L'HORREUR ET
DU MACABRE.
Le " na turalisme ll a été souvent défini comme une
approche exhaustive de la
réalité qui ne recule pas devant aucun
de ses aspects,
m~me ceux que l'on considère comme empreints
d'extr~me laideur,
les plus
répugnants ou effrayants.
Nous ne
souhaitons en aucune façon discuter le bien fondé
de cette défi-
nition,
à laquelle on pourrait certes opposer le fait que déjà
le romantisme avait revendiqué le droit de l'écrivain à se ser-
vir du laid et de l'horrible en vue d'obtenir une haute effica-
cité expressive.
Hugo ou Petrus Borel,
qui n'ont jamais été
catalogués comme
" na turalistes",
avaient puisé abondamment dans
ces sources d'expressivité qui sont l'atroce,
le lugubre et m~me
le répugnant.
quoi
qu'il
en soit,. ce que l'on a appelé
" na tura-
lisme",
très associé à la démarche narrative d'Emile Zola qui
en avait donné la
théorie,
a été considéré comme le courant
littéraire où s'insère l'oeuvre de la Comtesse de Pardo 8az~n.
Elle-m~me en écrivant La cuestitn palpitante avait contribué à
établir l'opinion selon laquelle le
roman du XIXème siècle avait
ouvert le champ de la narration à l'observation de la réalité
,
sous tous ses aspects,
et même a ceux qui semblaient longtemps
interdits à l'oeuvre d'art.
Un de ces aspects serait le thème du
macabre et de l'atroce que Dona Emilia a
très abondamment traité
dans ses contes où nous voyons souvent des personnages mourir
dans des circonstances extr~mement horribles.

-
32
-
A cet égard Un destripador de antano,
récit d'un
e f f r 0 y a blem e urt r e,
p..eu t
0 f f r i r,
u ri e x e mpIe sig nif i c a tif.
En
effet,
pour payer le loyer de la ferme où se trouve le moulin
de son mari,
une femme assassine une orpheline qui lui a été
confiée,
et cela afin de vendre sa graisse à un pharmacien qui,
selon la rumeur publique,
en fait l'onguent à l'aide duquel il
soigne ses malades.
Dans ce cas précis seule l'histoire est
atroce
l'auteur passe rapidement sur le meurtre de la malheu-
reuse jeune fille dont
il
évite la description.
En
revanche,
dans
bien d'autres contes,
le thème tragique s'accompagne des plus
effroyables détails sur lesquels la romancière insiste,
comme
si elle cédait à un parti pris bien arr~té. Dans de tels récits,
pas
Dona Emilia n'épargne~à son lecteur,
aussi
souvent que l'anecdote
l'y autorise,
les détails les plus atroces tels que les descrip-
tions d'horribles mutilations dont ses personnages sont victimes.
Dans In~til, les meurtriers d'un vieillard gardien
d'un ch~teau procèdent de la façon la plus sauvage pour faire
avouer à leur victime la cachette de son bas de laine:
"Ils tra!nèrent sans peine le vieillard jusqu'au
foyer qu'il
venait de garnir et qui
brûlait en crépitant et en
éclairant d'un
reflet rouge le ventre du chaudron et le trépied
sur lequel reposaient les marmites.
Ils écartèrent celles qui
étaient plus près du bord et,
en poussant Carmelo pour l'obliger
à plier les genoux,
ils appuyèrent ses deux mains sur les brai-
ses."
(1)

-
3.3
-
Le vieillard s'évanouit
sous l'effet de cette
première torture mais l~s malfaiteurs redoublent l'opération,
après l'avoir réanimé
"Et lentement avec une rage froide ils étendirent
ses paumes sur le brasier qui
se ravivait en petites flammèches

brillait la résine des pins.
Les os sarmenteux du vieillard
crépitaient en peau et téguments;
ils brûlaient mais le corps
de l'homme,
déjà
inerte ne s'agitait plus."
(2)
Insensibles à l'horreur de leur exploit,
les mal-
faiteurs
regrettent seulement que leur coup ait échoué à cause
de la faiblesse de leur victime et avec une cruauté infernale
ils accablent le vieillard de sévices inimaginables jusqu'à
aboutir à son anéantissement le plus total
"D'un coup de pied on le poussa au fond du foyer.
Ses v~tements, ses cheveux blancs prirent feu.
Il ne fit
pas un
seul mouvement.
Il
brûlait mieux que l'amadou,
mieux que le bois
vermoulu."
(3)
Dans d'autres contes il
s'agit de la description
des cadavres rigides sur leur l i t de mort,
enveloppés dans leur
suaire.
Dans Consuelos,
une couturière a perdu son enfant.
Bou-
leversée par ce drame,
elle accueille l'ouvrier qui apporte le
cercueil
"
le cercueil où on allait déposer à
tout jamais
l'enfant de Maria Vicenta était orné de lisières bleues sur fond

-
J 4 -
blanc et garni ~ l'int~rieur d'une satinette rose assez criarde.
C'~tait ce que l'on faisait de plus ~l~gant à Areal~Selme remar-
qua avec ~tonnement ~~j la couturière n'admirait pas le petit
cercueil.
Elle venait d'arr~ter son regard longuement sur la
paillasse où
reposait le petit cadavre que l'on avait habill~ de
son costume du dimanche et du gilet de laine blanche aux glands
multicolores.
Sur son minuscule visage p~le, on vovait des taches
violac~es, t~moignages de furieux baisers." (4)
Lorsqu'il
s'agit d'un meudre,
les d~tails les plus
impressionnants renforcent le caractère violent de l'action.
Dans Los buenos tiempos,
une comtesse fait
tuer son mari
infidèle
pendant son sommeil
:
"Et tandis que la dame l'~clairait avec le cierge
de l'oratoire,
le paysan d~chargea un coup,
un autre,
dix autres
sur le front,
sur le visage,
sur la poitrine.
L 'homme endormi ne
broncha pas
il
para1t qu'au premier coup de hache ses veux
s'ouvrirent avec effroi •••
après rien. 1I
(5)
Toute la brutalit~ primaire de certains tableaux
de GoVa se fait
jour dans les pages de Reconciliados.
Deux
pavsans s'entretuent pour un lopin de terre:
IIRoque venait de tomber,
entra!n~ par la force m~me
aveC laquelle il avait voulu assener le coup,
épuisant ainsi
dans cet ~lan tout ce qui lui restait d'~nergie. Et en le vovant
à terre,
l'autre ramassa sa houe et cette fois,
le frappa
juste.
La
t~te résonna comme une marmite qui se fend.
Puis,
il lui
assena un vigoureux coup de houe qui
brisa ses os et ses
c~tes ••. " (6)

-
35
-
Des détails féroces
plongent le lecteur dans un
uni ver s d 1 é pou van t e e"tl v. d e cau che ma r.
Ain s i
dan s [1 b rad e mis e r i -
cordia la terrible description de la peste qui
décime un vil-
lage.
Le cimeti~re regorge de cadavres;
l'écrivain
insiste sur
l'odeur nauséabonde qu'exhalent les corps entassés:
Il
Les émanations délét~res de tant de chair
humaine entassée sur les champs de bataille,
mal
couverte par
la terre m~re, horrifiée de voir ses entrailles ainsi profa-
,
Il
ne es •.•
(7)
Tr~s différent est le cas de Suerte macabra où le
th~me du cadavre profané tourne à l'humour noir. Un marchand de
couleurs madril~ne découvre qu'il a gagné à la loterie;
mais le
billet gagnant se trouve chez un de ses amis en province.
Or,
cet ami
vient à mourir subitement;
le héros arrive chez la veuve
et fouille sans succ~s la chambre du défunt.
La veuve se souvient
au bout de trois jours de recherches infructueuses,
que son mari
portait le jour de son
déc~s une redingote neuve. Le billet est
sûrement,
dit-elle,
dans la poche de cette redingote avec la-
quelle il a été enterré.
Apr~s avoir obtenu l'autorisation de
procéder à l'exhumation du cadavre,
le marchand,
accompagné de
la veuve et d'un
gardien du cimetière,
se précipite sur la tombe
de son ami.
La description qui suit est d'un
effectisme postro-
mantique où l'horreur a comme cadre l'ombre nocturne et le mugis-
sement de la temp~te :
Il
et le soir où on
réalisa le lugubre exploit

-
36 -
il
~clata une temp~te horrible; le vent sifflait a travers les
cyprès noirs,
et
le sourd
et imposant murmure de l'Océan avait
des ton spI a i n tif s ,
i-ijlp r é c a toi l' e s e t 1 a l' mCJ y a Il t s,
d ~ s e l a me urs
surhumaines tristes et menaçantes que l'on aurait cru
le
lugu-
bre concert de voix de morts."
(8)
La puanteur de cadavre d~jà décomposÉ porte a son
comble l'horreur de la scène:
" Ils d é fil' en t
1 e s é.p u 1 cre
;
e t
qua n d ils sou 1 e-
vèrent le couvercle de zinc,
la première bouffée de pourriture,
la puanteur cadavérique SI engouffra. non seulement dans le riez
mais encore dans l'~me de Don Donato."
(9)
Mais,
oh dérision!
le corps qui
est
en
effet dans
un état de putréfaction avancée,' est
tout nu.
Il
a été dépouillé
de ses v~tements, sans doute par des voleurs de cimetières dont
la visite a précédé celle du marchand de couleurs
"Don
Donato •••
vit un
visage épouvantable,
déjà
vert
des yeux ouverts,
vernis et
terrifiants,
une oarbe ébourif
fée,
des lèvres livides .••
Le cadavre était nu
!"
(10)
Il
faut bien
remarquer que dans les contes de
Do~a
Emilia l'horreur n'est pas toujours nécessairement physique,
car
si la chair humaine se décompose et devient matière puante,
il
y a aussi
des sentiments qui
ravagent lr~me et qui,comme un
acide corrosif,la détruisent.
Alors la mort est la fin
d'un
processus impitoyable.
Un de ces sentiments est la peur,
cette

:n .
insurmontable angoisse qui
souvent tue dans les récits de la
Comtesse.
Mieux qu'auc~~ autre conte El
indulto nous décrit ce
processus d'anéantissement de l'être moral
sous l'emprise de la
peur.
Un
terrible crime a eu lieu dans un village galicien où un
forcené a tué,
pour la voler,
la mère de sa femme.
Cette dernière
l'a dénoncé et l'assassin
est condamné à vingt ans de bagne.
Lors du procès il
s'est répandu
en menaces.
Si
jamais il
sort
de prison ce sera pour se venger en
tuant celle qui lia dénoncé.
Les années passent.
Un
jour,
la femme apprend que son mari
a
bénéficié d'une large amnistie accordée par le
roi.
La malheu-
reuse cherche la protection de la loi.
Son mari l'a menacé de
mort,
elle est en danger . . .
Mais ses frayeurs nléveillent pas
d'écho auprès des autorités.
Son mari libéré,
elle devra
repren-
dre la vie commune.
Alors commencent les heures d'attente cruelle,
aussi
terribles que celles d'un condamné à mort a la veille de
son exécution.
Et à la fin
l'homme arrive.
Son geste n'est pas
meurtrier mais
tout simplement autoritaire.
Il
exige son dtner,
puis il
donne l'ordre à la femme de se coucher dans le vieux
l i t conjugal,
car il veut dormir.
C'est dans ce lit,
c'est au
cours d'une nuit d'attente atroce que le coeur de l'épouse
cesse de battre.
La peur l'aura tuée.
que de semblables thèmes relèvent ou ne relèvent
pas de l'esthétique "naturaliste",
une chose est certaine,
ils
n'épuisent pas,
le moins du monde,
l'oeuvre de
Do?i'a Emilia,
car
ce que l'on appelle,
à tort ou à raison,
"idéalisme"
garde tou-
jours une place très importante dans l'ensemble de ses récits

j8
-
brefs,
et parce que,
ma.tJlré l'horreur de ses contes noirs,
il
se dégage de cet
ensemble une sorte d'optimisme métaphysique
qui vient sans doute des
idées que l'auteur professe sur la
condition humaine.
DETERMINISME
ET
LIBERTE
Si la Comtesse s'était proposée de donner au public
dès
1883 une analyse objective des derniers courants de la litté-
rature narrative en France,
réalisme et naturalisme,
elle n1en-
tendait pas pour autant faire acte d'allégeance aux doctrines
que Zola avait proclamées dans Le roman
expérimental.
Elle n'en-
tendait en aucun cas s'adscrire à aucune école,
elle n'était pas
pr~te à adhérer à aucune théorie. Mais, même sur ce point,
sa
culture et son intelligence l'empêchaient d'~tre dupe de sa répu-
gnance à
se laisser cataloguer et étiqueter.
Une petite voix
ironique,
celle de son exceptionnelle lucidité,
lui disait tout
bas que quoi qu'elle pOt faire,
elle finirait
par ~tre affiliée
d'office à une école,
rangée parmi
les représentants d'un mouve-
ment littéraire:
"Qui n'aime pas se proclamer indépendant?
-
,
écrit-elle dans La Cuestion palpitante,
et qui ne se croit
pas exempt de l'influence,
non seulement des autres écrivains
mais surtout de l'atmosphère intellectuelle qu'il
respire?
Cependant} ce n'est pas au plus grand talentueux qu'il
est permis
de se vanter d'une telle exemption;
tout le monde,
qu'on le

-
39
-
sache ou non,
qu'on le veuille ou non,
appartient ~ une ~cole
à laquelle la post~rit~ l'affilie en ne tenant pas compte de
ses protestations et en s'occupant de ses actes.
La post~rit~,
c'est-à-dire,
les savants,
les ~rudits et les critiques futurs
~n proc~dant avec ordre et logique, mettront chaque ~crivain là

il devra se trouver,
et diviseront
et classifieront et con-
sid~reront les. plus grands g~nies comme les repr~sentants d'une
~poque litt~raire
c'est ainsi
qu'on fera
demain,
parce que
c'est ainsi qu'on a toujours fait.
Malheur à
l'~crivain qu'au-
cune ~cole ne r~clame comme sien! Il
(11)
Elle serait donc classée,
que cela lui
plaise ou
pas,
parmi les romanciers naturalistes,
mais elle tient beau-
coup à
d~clarer bien clairement les divergences qui l'opposent,
du point de vue théorique,
à
Emile Zola.
Ces divergences portent sur un
point fondamental,
le d~terminisme que Zola proclame r~gir aussi bien le cerveau
,
de l'homme que la pierre du chemin.
Selon Pardo Bazan,
l'école
naturaliste conduite par Zola,
en
prenant appui sur les th~ories
scientifiquesr~pandues en son temps par Claude Bernard et Darwin,
n'avait fait que II pas ser de l'ancien fatalisme paIen au d~termi-
nisme mat~rialiste.Il
(12)
Car,
Ill' esth~tique naturaliste entend
~par montrer et mettre en ~vidence la b~te humaine~ le fait de
soumettre la pens~e et la passion aux m~mes lois que celles qui
d~terminent la chute d'une pierre et de ne tenir compte que

-
40
-
des influences physiques et chimiques abstraction faite de la
spontanéi té individuelle. Il
(13)
Or,
cette méthode,
affirme
Dona Emilia,
ne peut
aboutir qu'à des résultats bien limités
II par voie de conséquence
logique,
le naturalisme s'oblige à ne s'occuper que de la ma-
tière,
à
expliquer le drame de la vie humaine par l'instinct
aveugle et la concupiscence effrénée.
L'écrivain,
s'il
est par-
tisan
rigoureux de la méthode lancée par Zola,
se voit dans
l'obligation de procéder à une sorte de sélection entre les
facteurs qui peuvent déterminer la volonté humaine.
Et,
en
choisissant toujours ceux qui
sont externes et tangibles,
il
fait abstraction de ceux qui
relèvent du domaine moral,
intime
et délicat. 1I
(14)
Voilà
qui
est clair,
Madame de Pardo Baz~n refuse
le naturalisme particulier de Zola qui,
IInourri des mythes de
la science,
sa nouvelle idole ll
(15),
réduit la liberté et le
champ d'observation de l'écrivain.
La Comtesse elle,
croit fer-
mement à la liberté humaine tout
en admettant que celle-ci est
sans doute limitée par llinfluence du milieu
et des conditions
physiologiques;
de là,
nécessité pour le romancier de ne pas
tronquer 11 homme,
de l'étudier tout entier,
corps et ~me.
(16)
Cependant,
certains contes de Pardo Bazèn offrent
des données qui,
comparées avec ces affirmations,
autorisent

-
41
-
bien des interrogations sur l'éternel
problème
Le destin de
l'homme est-il
fixé
d'avance,
ou
bien peut-il
le façonner par
ses actes librement choisis?
Il
Y a tout lieu de se poser de telles questions
car,
en effet,
en dépit
des prlses de position antifatalistes
dont nous venons de faire
état plus haut,
on
retrouve dans les
contes de notre romancière le thème de fatum
traité selon la
plus pure tradition antique.
Clest dans La
tigresa que nous en
avons la meilleure illustration.
Au
début du
récit,
il
est ques-
tion d'un
jeune prince sur qui
pèse une lourde menace de mort
il mourra inexorablement de façon
tragique,
lui a-t-on prédit.
Les événements s'enchaînent de façon à conduire le jeune monar-
que à la mort
il consulte un ascète qui
lui
propose d'abandon-
ner son pouvoir royal pour se consacrer à une vie de pénitence;
le prince s'y
refuse et malgré
toutes les précautions qu'il prend,
il
tombe sous les griffes d'une
tigresse qui
lui
tranche les
veines du cou.
D'ailleurs,
le narrateur n'avait-il pas
trouvé
le moyen de dire -
comme pour tourner en dérision les vaines
tentatives du prince,
lorsque celui-ci sombrait dans la plus
profonde détresse à l'idée de sa mort prochaine -
que "Le
Destin,
quand
il
nous cherche,
sait nous trouver partout où
nous nous cachons. 1I
(17)

-
42
-
Tout porte donc à croire que notre écrivain -
m~me
si le court récit visait un but moral quelconque (responsabilité
morale de la victime qui,
par orgueil,
n'a voulu renoncer ni à
ses richesses ni au pouvoir ni à l'adulation de ses sujets,
pour
suivre l'appel
du destin) -
semble souscrire à l'acceptation d'un
autre déterminisme qui
n'est pas celui de Zola,
celui du destin
implacable que rien ne semble arr~ter, une fois en marche.
Mais quand dans El
sino,
le héros prédit son destin
cruel
("On m'a mille fois
r~p~té que rien ne me réussirait et
que mon sort sera funeste"
(18),
s'obstinait-il à dire),
l'écri-
vain ne laisse place à aucune issue possible;
le récit s'ordonne
selon un enbha1nement rigoureux de p~rip~ties pour aboutir au
dénouement préétabli.
C'est en effet en mer,
au cours de la tra-
vers~e de Lisbonne à Rio de Janeiro, que le destin frappe sous
la forme d'une temp~te qui surprend un navire.
C'est du pont de
ce navire que les vagues arrachent le jeune homme qui,
amer,
n'avait pas cessé d'annoncer son malheur.
Plus encore,
lorsque
l'accident se produit,
le narrateur ne fera qu'insister -
comme
pour opposer la force
toute dérisoire de la volont~ humaine à
celle transcendante du destin -
sur les efforts vains de ceux
qui
entreprennent les travaux de sauvetage.
Les autres voyageurs
se livrent en effet à des tentatives désesp~r~es de sauvetage

-
43 -
en lançant dans l ' eau I:1?"~ cordage du navire que la victime,
que
l'on se pla!t à appeler lI o ffrande expiatoire ll ,
saisit de toutes
ses forces.
Mais trop tard,
la fureur des vagues réduit à néant
tous ces efforts et le malheureux garçon est à tout jamais englou-
ti par la mer.
,
La pos~ion de Pardo Bazan qui privilégie la notion
de la responsabilité humaine (position basée sur la conception
chrétienne du libre arbitre et de la possible,
toujours possible
réhabilitation de l'individu)
para!t difficilement conciliable
avec la façon dont elle traite la fatalité dans certains de ses
contes. N'a-t-on pas affaire au déterminisme,
au fatalisme déso-
lant que l'écrivain condamnait?
DU REFUS DU DETERMINISME SOCIAL A L'OPTIMISME CATHOLIQUE
Ce qui en revanche,
est tout à fait clair,
c'est
que notre romancière part en guerre contre toutes les formes du
déterminisme social qu'elle juge absurde et aberrant.
Elle voue
le plus grand mépris à tous les conformismes,
elle condamne une
société qui impose ses préjugés et son dogmatisme hypocrites à
ceux de ses membres qui s'écartent des chemins battus.
Tous les thèmes d'exclusion sociale apparaissent
à un moment ou à l'autre dans l'oeuvre de Dona Emilia.
La

-
44 -
f i 11 e - mère : une f i 11 ê', -q u i
P0 rte une n fan t
d u h a sa rd dan s ses
entrailles devient une réprouvée aux yeux de tous,
m~me de· ses
parents.
Mais pour le médecin de village dont les déceptions ont
fait un misanthrope et un
isolé "elle n'est qu'une victime,
qu'une victime"
(Los escarmentados).
Le mariage lui-m~me est une institution régie par
l'intér~t et soumise à l'autorité des familles. Transgresser la
loi de celles-ci peut entraîner des conséquences f~cheuses voire
dramatiques
La fille peut manquer sa vie de femme parce qu'elle
a osé révéler,
sous l'emprise de l'alcool,
sa répugnance pour
le mariage que les parents lui imposent.
Abandonnée de tous,
elle n'aura d'autre refuge que la prostitution
(Champana).
Le père peut blesser à mort sa fille parce qu'elle a
contracté des liens contraires à ses intér~ts (Las medias rojas).
La société n'a pas cessé de dresser des barrières
l'honneur reste un élément sur lequel
repose toute la société
qui ne peut se soustraire à son emprise,
c'est par là que la
société moderne revient ainsi à la barbarie des peuples primi-
tifs.
Un paysan imbu du code intransigeant de l'honneur
abat lui-m~me d'une balle dans la t~te son fils qui a volé
(Justiciero).

-
45 -
La guerr~!ait des victimes dont on s'empresse
d'accepter le stupide sacrifice,
devenu chose juste et normale
au nom de l'honneur national que l'on exalte avec vÉhÉmence
(Poema humilde).
Tout cet ensemble de dénonciations reste
très pro-
.
~
che du message du roman naturallste auquel Pardo Bazan a souvent
emprunté thèmes,
techniques et procÉdés tout en proclamant mille
fois
sa conception chrétienne traditionnelle de l'homme où rési-
dent ensemble les forces du Bien et du Mal mais qui
garde toujour
la liberté de choisi~4par voie de conséquence, la responsabilité
morale.
A lui de s'apercevoir du mauvais virage qu'il
est en
train de prendre et de le redresser.
Soumettre l'homme à la
seule loi des influences physiologiques,
reviendrait à lui con-
tester son essence divine,
à l'animaliser et à tomber par là
dans le plus redoutable pessimisme.
Cet optimisme essentiel qui naît de la certitude
que l'homme est libre et capable par là de faire à tout moment
d
le meilleur choix informe bien des contes de Pardo Bazan.
Qu1il nous suffise d'en
retenir deux:
Desguite,
que nous analyserons ailleurs,
où un ~tre aigri et hargneux par-
vient à
étouffer la voix de son
ressentiment et à suivre celle
de sa conscience subitement éveillée au
contact avec l'innocente

-
46
-
tendresse d'une
jeune fille.
Cette m~me voix c'est l'imminence
de la mort qui
la fait
entendre au protagoniste de El
tornado,
jeune ecclésiastique,
au moment m~me où il
slappr~te à séduire
une belle veuve en abusant de sa crédulité.
(19)

-
47 -
1\\1
o
T
E
5
-=-=-=-=-=-=-=-=-
1.
Cuentos deI
Terruno,
Dbras Completas,
éd.
Aguilar,
Madrid,
1947,
T.
II,
page 1506
:
"Arrastraron facilmente al
anciano
hacia el
fuego que acababa de recebar,
y que ardla
restallan-
do,
enrojeciendo la oscura panza deI
pote y las trébedes en
que descansaban las allas.
Desviaron las mas proximas,
y
arrodillanto a Carmelo de un empujon,
le apoyaron ambas ma-
nos en la brasa."
2.
Ibid.,
page 1505 :
"V despacio,
con rabia fria,
le exten-
dieron las palmas sobre el
brasero,
avivado por llamitas
cortas,
en que se evaporaba la
resina deI
pino.
Crujian,
desnudBndose de piel
y tegumento,
los secos huesos,
al
tos-
tarse,
el
cuerpo,
inerte va,
no se revolvia."
,
3.
lb id.,
pa 9 e 1505 :
"De un puntapié le empujaron mas adentro
deI hogar.
La llama prendio en la ropa y en el
pela canoso
No hizo un movimiento.
Ardia mejor que la yesca y la madera
apolillada."

-
48
-
4.
.
Cuentos del
Terr~p, ~, 1. II, page 1487 : Il
'
el caJon
ç
donde iban a guardar para siempre al nino de Marîa Vicenta
lucla simétricas listas azules sobre fondo
blanco,
e inte-
riormente un forro chillon de percalina rosa. No se hacia
en Areal nada mas elegante.
Con
extraneza nota Selme que la
costurera no admiraba el pequeno féretro.
Acababa de fijar
ahincadamente la vista en el
jergon donde reposaba el cuer-
pecito,
amortajado con el
traje de los dlas de fiesta y la
marmota de lana blanca y monos de colores.
Sobre la cara
diminuta,
palida,
se velan manchas amoratadas,
senales de
besos furiosos. 1I
5.
Cuentos de Amor, ~,
T.
1,
page 1374 : IIY. mientras la se-
nora alumbraba con la vela de cera del
oratorio,
el labri ego
1
descargo un
golpe,
otro,
diez
en la frente,
cara,
el pe-
cho ..•
El
dormido no chisto :
parece que al
primer hachazo
abrib unos ojos muy espantados .•• ,
y luego,
nada."
6.
Cuentos de la Tierra, ~,
1. lI,
page 1762 :
IIRoque acababa
de caer,
arrastrado por la propiCLi
~
fuaza con que
'"
habla que-
rido asestar el golpe,
consumiendo en
tal arranque cuanto
le restaba de
'"
energla.
Y,
al
verle en
tierra,
el otro reco-
gia del
suelo su azada,
y ya esta vez fué certero. La cabeza
"
sono como una olla que se parte. Luego,
un azadonazo vigoro-
so quebro huesos y costillas . . . Il

.7.
Cuentos de la Tie..-r,:r;a,
D.C.,
T. II, .page 1719
:
"
la emana-
ci6n deletérea de tanta carne de hombre hacinada en los cam-
pos de batalla,
mal cubierta por la tierra madre,
horrori-
zada de ver Sus entraffas profanadas as!."
8.
Cuentos Dramaticos, ~, T.
l,
page 1649
:"•••
y la noche
en que se realizo la l~gubre hazana era de tormenta horrible;
sil baba el
viento entre los negros cipreses,
y el sordo e
imponente murmurio del Dcéano tenfa tonDs de queja de mal-
dicion y de llanto
; clamores sobrehumanos por 10 amenaza-
dores y tristes,
parecidos a un coro de voces de muertos."
9 •
Ibid.,
page 1649 :
"Destapiaron el nicho
;
y cuando
se alza la tapa de zinc,
la primera bocanada de putrefaccion,
J
el hedor cadavérico dia,
mas que en las narices,
en el alma
a Don Donato."
10.
Ibid.,
page 1649 :
"Don Donato ••.
via una cara espantosa,
verde ya
; unos ojos abiertos,
vidriados y aterradores,
una
barba fosca,
unos labios llvidos .•.
, ... ; jEl cadaver esta-
ba desnudo !"
11.
Emilia Pardo Bazan, La cuestion palpitante, Anaya,
Il
Salamanca,
1970,
page 183 : dA quién no agrada blasonar de
independiente,

1
Y qUlen no se cree exento del influjo,
no

s610 de otros autoresr.~ino hasta deI ambiente intelectual que
respira? No obstante,
ni al mavor ingenio es licito jactarse
de tal
exencion
todo el mundo,
sépalo 0 no,
quiéralo 0 no,
pertenece a una escuela a la cual la posteridad le afila no
res-
petando sus protestaciones V atendiendo a sus actos. La posteri-
dad,
le afila no respetando sus protestaciones V atendiendo a
sus actos. La posteridad,
0 dlgase los sabios,
eruditos y cri ti-
cos futuros,
procediendo con orden y logica,
pondran a cada es-
critor don de deba hallarse,
y dividiran y clasificaran y consi-
deraran a los mas claros genios como representantes de una época
literaria
aSl se hara manana,
porque aSl se hizo siempre .
. AV
J
deI autor a quien no reclame para si escueba alguna
!II
12.
Ibid.,
page 38
:
IIDe un fatalismo providencialista,
hemos
pa sadD a otro materialista. 1I
13.
Ibid.,
page 42
:
IIS ometer el pensamiento y la pasidn a las
mismas leyes que determinan la calda de la piedra
; conside-
rar exclus ivamente las influencias f{sico-qu~micas, prescien-
diendo hasta de la espontaneidad
individual,
es 10 que se
propone el naturalismo V 10 que Zola llama en otro pasaje
de sus obras IImostrar y poner de realce la bestia humana ll
1I

14.
Ibid.,
page 42
IIPor 16gica consecuencia,
el naturalismo
s~ obliga a no respirar sinD deI lado de la materia,
a

-
51
-
explicar el drama de l~ yida humana por medio del instinto ciego
y la concupiscencia desenfrenada.
Se ve forzado el
escritor ri-
gurosamente partidario del método proclamado por Zola,
a verifi-
car una especie de seleccion entre los motivos que pueden deter-
minar la voluntad humana,
eligiendo siempre los externos y tan-
gibles y desatendiendo los morales,
!ntimos y delicados. u
15.
Yves Chevrel, Le naturalisme,
Presses Universitaires de
France,
Paris,
1982,
page 74.
16.
Boris de Tannenberg,
l'Espagne littéraire,
(Portraits d'hier
et d 'aujourd 'hui),
Toulouse,
1903,
page 304.
17.
Cuentos Tragicos, ~, T.
l,
page 1829 :
"El Destino,
cuando
nos busca,
sabe encontrarnos dondequiera que nos ocultemos."
18.
Cuentos Nuevos,
O.C.,
T.
II,
page 1701:
" - A ml me ha repe-
tido mil
veces que nada me saldrfa bien y que mi suerte sera
funesta -"
19. Les contes cités dans DU REFUS DU DETERMINISME SOCIAL A
L'OPTIMISME CATHOLIQUE sont respectivement extraits de
Otros Cuentos,
o.C.,
T.
l,
page 1977.
Cuentos de Amor, O.C.,
T.
l,
page 1354.

-
52
-
Cu en t 0 s
de laT i e rra ,~[J • C.,
T.
II,
page
1706.
----
Cuentos
drarnaticos,
~, T •. l, page 1624
Historias y Cuentos de
Galicia,
O.C.,
T.
l,
page
1553.
Cuentos de Arnor,
O.C.,
T.
l,
page
1318.
Cuentos Nuevos,
O.C.,
T.
II,
page
1621.
-=-=-=-=-=-=-=-=-

CHA
P
l
T
R
E
III
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=
'1
L'IDEALI~E EN
QUESTION
-=-=-=-~-=-=-=-=-=-=-=-=-
LE RECIT A DEUX TONS:
RESURGENCE DE L'IDEALISME ROMANTIqUE.
REMINISCENCES ROMANTlqUE50U SIGNES AVANT-COUREURS DU MODERNISME?
L'IDEALISME DES CONTES RELIGIEUX.
-==0000000000000==-
LE RECIT A DEUX TONS
RESURGENCE DE L'IDEALISME ROMANTIQUE.
Il
arrive en
effet très souvent que le "réalisme"
de Dona Emilia,
commandé par un souci
scrupuleux d~ détail et
de l'exactitude se trouve en contraste dans le corps d'un m~me
récit,
avec l'expression de la plus tendre mélancolie et du plus
vague idéalisme de signe romantique.
Cet étrange dualisme n'avait
pas échappé à l'esprit critique de Menèndez y Pelayo qui écrivait
"
je continue à croire,
et bien d'autres avec
moi,
que chez Madame de Pardo 8az~n la poésie, l'idéalisme et
l'inspiration chrétienne sont naturels et spontanés tandis que
le naturalisme est artificiel,
postiche et appris."
(1)
Laissons de c~té les termes péjoratifs que Don
Marcelino applique au
"naturalisme" de la Comtesse et qui ne
sont que l'expression de ses préjugés,
pour retenir seulement
,.,

-
s'-+ -
dans sa phrase le constat de la curieuse dualité que nous signa-
lions quelques lignes plus haut.
Il
est d'ailleurs fort
possible que le phénomène
"
dépasse le cas personnel de Pardo Bazan et qu'il soit général
à
tous les romanciers espagnols de sa génération qui ne seraient
jamais parvenus à se libérer entièrement de la gangue romantique
laissée dans leur esprit par leurs lectures de jeunesse.
C'est
bien ce que semble souligner Mariano Baquero Goyanes au cours
l '
"
. ,
t
t
l
XIX èm e
d une etude consacree preClsemen
au con e espagno
du
siècle.
En comparant les écrivains à Maupassant il affirme que
les espagnols ne se sont
jamais départis de certains procédés
romantiques :
IIfVlaupassant -
écrit Baquero Goyanes -
est un narra-
teur sans truquages, sans effectismes,
dont l'objectivité n'a pas
son pareil parmi les auteurs de contes de son
temps.
Les espa-
gnols sont généralement plus passionnés,
plus portés à chercher
les dénouements surprenants .•• Il
(2)
Do~a Emilia était bien consciente de cette dualité
qui était en elle et qui ne pouvait pas manquer de percer dans
ses écrits:
liMai ••• ,
comme dans mille autres occasions

-
55
-
semblables,
je pestais contre cette coquine de dualité qui
est
la mienne,
contre cette complexité de mon être qui,
tout en me
permettant de sentir la valeur inestimable de l'illusion poéti-
que m'oblige en même temps à l'analyser,
et,
par conséquent,
à
la détruire ••• Il
(3)
Parmi les multiples aspects que peut prendre ce que
DOfla Emilia appelle 1I1'illusion poétique ll se trouve l'évocation
d'un passé idéalisé,
généralement le Moyen Age,
tel que l'avaient
décrit les disciples de Walter Scott et qui par l'influence
qu'ont lon~temps exercée leurs oeuvres,
a gardé un grand pouvoir
de suggestion lyrique.
Pardo Baz~n n I y échappe pas. Souvent dans
ses contes cet idéalisme historico-fantastique donne lieu à l'émer
gence dans le récit de vieilles légendes religieuses liées à des
dévotions ou des superstitions populaires médiévales au point
que lion se croit revenu à
ce qu'on appelait
en 1830 le II s tyle
cathédrale ll •
Voici les premières lignes de El
peregrino
Il Il s
son t
loi n,
b i en loi n,
ces j 0 urs d e foi
na ive
qui ne nous sont évoqués que par les pierres dorées,
par les
licheffi et les rétables des vieilles églises où campent des
figures mystiques. Il
(4)
Ce passé certes lointain et aboli
peut néanmoins,
parce qu'il
a laissé ses traces sur les pierres et dans les ~mes,
redevenir présent ou se confondre avec le présent.
On ne saura

-
56
-
jamais dans quel
siècle est né le pèlerin qui,
sur le chemin
de Saint-Jacques,
a demandé un g!te ~un couple de vieux paysans.
Ce pèlerin qui
expie un horrible crime,
qui a fait le voeu de
dormir ~ la belle étoile le reste de sa vie et de soupoudrer
son pain de poussière avant de le porter à
sa bouche,
d'où
vient-il? Ne vient-il
pas d'un
très lointain
passé,
condamné
qu'il
est à poursuivre sans halte ni
répit son
voyage éternel?
Dans Siglo XIII
l'annonce semble donner ce m~me
ton au
récit qui
va suivre:
"Les mendiants professionnels m'intéressent,
m'atti-
rent.
Ils sont un reste du passé;
ils sont aussi
archaIques,
aussi
authentiques qu'un meuble ou qu'un émail ••• " (5)
Mais quelques lignes plus loin nous commençons à
nous apercevoir que la prose de notre romancière devient
ironi-
que
:
,
"Dans ce chemin qui
va au petit village,
ce chemin
bordé de chèvrefeuilles en fleur qui
embaument l'air,
je rencon-
tre,
au pied du marronnier,
un aveugle.
Il
possède tout de suite
pour moi un peu de la poésie mélancolique du crépuscule qui
en-
toure sa silhouette.
Je crois pratiquer un sport du Moyen Age
en lui donnant quelques pièces de cuivre soit en passant devant
la porte de quelque petit sanctuaire soit en m'arr~tant de broder

-
57 -
une tapisserie alors que je suis assise sur le banc de pierre
d'une fen~tre gothique. 1I
(6)
Inutile de souligner l'équivalence aum~ne = sport
du Moyen Age ou les poncifs de la ch~telaine charitable qui
s'arr~te devant le sanctuaire ou qui brode dans le creux d'une
fen~tre à ogive. Il n'y a pas de doute: l'auteur regarde d'un
oeil moqueurces lettrés esthètes,
dont elle est,
et leur goût
pour l 'historicisme lI ar tiste ll •
Car cette fois l'analyse l'emporte
sur l'idéalisme brumeux.
Si le mendiant professionnel qui hante
les chemins de sa vieille Galice peut subsister c'est seulement
parce que dans ces campagnes arriérées et pauvres le paysan,
exclu de tous les avantages de la civilisation moderne,
ne con-
na!t d'autres loisirs que les histoires de colporteurs et men-
diants qui parcourent les chemins;
lI e t
qu'il
trouve peut-~tre
le seul
plaisir de son existence obscure dans les réunions de
ces créatures déguenillées et facétieuses,
qui à leur façon
trouvent
toujours le mot juste et moqueur,
de ces routiers char-
gés d'expérience qui ont appris sur les chemins toutes les nou-
velles du pays. Il
(7)
C'est pourquoi le paysan éternel,
immuable,
ce
paysan de tous les temps qui nia
rien
reçu du siècle o~ il vit

-
5B
-
et auquel des siècles pa9Bés nlont légué qu'un
rude idéal
de charité chrétienne,
apaise la faim du mendiant de passage
et lui offre sous le hangar un sac de paille pour le repos de
la nuit.
"A deux pas de la civilisation voil~ comme sur
une peinture mystique le foyer franciscain ouvert au mendiant."
(8)
Mais cette fois la "peinture mystique" a été expli-
quée,
analysée dans son contexte qui n'est autre que ce que bien
des années plus tard Oscar Lewis devra appeler "l'anthropologie
ou la culture de la pauvreté."
Par ailleurs,
pour rendre sensible cette ambivalence
présent-passé,
l'auteur se sert souvent dans les dialogues de
ses contes d'un langage archaïsant qui pour être vivant dans la
Galice de son
temps ne suggère pas moins l'écho des siècles
r é vol us.
On y l i t ,
en e ff e t
des mot s co mm e :
en de,
estades (9),
tenedes,
onde (10),
1
vlstedes,
vos
( 11) ,
metervos (12),sedes,
veredes,
sabedes,
~,
callare (13)
verdade
(14)
etc
.

-
59
-
Ce sont ~s paysans et les mendiants éternellement
immuables qui
s'en servent.
Mais lorsque dans Siglo XIII
la roman-
cière semble se moquer de son
r~ve II go thique li elle se sert ironi-
quement cette fois
de ses expressions archaïsantes chères aux
,
romantiques telles que
:
doguiera,
fenestra,
moneda de vellon,
alpendre ou zanfona.(15)
Ces exemples à l'aide desquels ~ nous venons
d'analyser le phénomène d'ambivalence que Dona Emilia appelle
son dualisme n'épuisent pas toutes les formes de rupture de
ton que l'on peut relever dans ses récits courts.
Regardons de près un
exemple de double tonalité très
curieuse dans La gallega.
L'auteur présente dans la première par-
tie du conte la description d'un type humain,
la femme galicienne,
description b~tie à la façon de l'ethnologue qui donnerait les
traits physiques de la race ("grande taille,
les yeux pers ou
bleus,
•••
les cheveux ch~tains et abondants,
•••
le visage plein,
aux pommettes plates, •••
les lèvres épaisses •••.
Il
(16))
le
mode de vie et les comportements ensuite,
c'est-à-dire les moeurs
et le caractère,
résultant du contexte socio-économique dans le-
quel
elle vit.
La pauvreté de la région
impose en effet aux
hommes l'émigration longue ou saisonnière qui a une grave réper-
cussion dans la vie du couple.
Le mari abandonne donc généralemen"

-
bU -
sa femme et ne revient ~u foyer que de temps ~ autre pour lui
faire un
enfant.
Sa vie solitaire oblige la galicienne ~ assumer
les plus dures besognes.
C'est ~ elle que reviennent le travail
de la terre et le soin du bétail
("ell e défriche,
sème,
arrose,
fait la récolte,
bat le lin et le tisse ••. " (17)
).
Il lui
incom-
be également d'élever les enfants et de s'occuper d'un grand-père
souvent grognard et despotique.
Ce sont toutes ces raisons qui
font de la galicienne
une femme endurcie par la besogne incessante et pénible.
Sa misère
et son archaïsme sont illustrés par la description de l'intérieur
de sa maison où
elle partage la seule pièce d'habitation avec les
animaux domestiques,
vaches porcs et poules,
dont les excréments
recouvrent p~le-m~le le sol.
Mais après cet exposé presque scientifique,
nous
tombons,
le récit avançant,
sur l'évocation du folklore paysan
dans le plus pur style "costumbrista" que n'aurait pas renié
,
un écrivain postromantique comme Fernan Caballero.
En effet,
le costume populaire galicien,
la danse traditionnelle et la
musique régionale y sont décrits avec un enthousiasme esthéticiste
évident.
Les jours de grande f~te voici la jeune galicienne
garnie de ses atours les plus brillants : ch~le jaune canari
ou rouge foncé,
jupe vermillon sur jupon safran,
chaussures de

-
61
-
cu i r a t tachées av ec un-~-galon bl eu,
foul a rd bl anc avec
pro fu sion
de ramages,
lourd collier en filigrane d'or,
longuesboucles
d'oreille et coquilles d'argent qui
retiennent le petit mantelet
de soie verte •••
Et cette masse de couleurs danse d'un pied léger
la "muneira ll au son mélancolique du
biniou et sous la pluie d'or
et de rubis des fusées qui
éclatent dans le ciel d'été.
Nous avons là,
en somme,
une image parée de tout
l'éclat luxueux de la soie,
du velours et des métaux précieux
qui
est à l'opposé de la sombre silhouette de l'esclave de la
terre bientet brisée par les plus dures besognes que l'on nous
présentait quelques paragraphes plus haut.
D'ailleurs Dona Emilia
ne manquera pas,
comme pour expliquer l'esthétisme idéalisant de
ce deuxième volet,
de regretter que toutes ces beautés du folklore
paysan qu'elle vient d'énumérer soient en
train de disparaître
à tout jamais
IIV~tements, danses,
moeurs,
souvenirs qui,
comme
un vieux tableau,
estompent et effacent les années,
disparaissent
peu à
peu. 1l
(18)
Comment analyser cette veine
lIidéaliste ll qui par-
court comme une stratification,
discontinue mais constante,
toute
la masse de l'oeuvre narrative de Dona Emilia?

-
62 -
-~
REMINISCENCES ROMANTIQUES OU SIGNES AVANT-[OUREURS DU
MODERNISME?
"L'idéalisme" en question peut s'expliquer,
s'il
appara!t dans des
récits anciens,
comme un
reliquat postromanti-
que;
par contre lorsqu'il
se présente dans un conte de la der-
nière époque de la vie de Dona Emilia,
il
rejoint le courant
européen du début du siècle dont le cas limite fut
en peinture
le pré-raphaélisme.
En
tant que reliquat romantique,
il visait à mettre
en valeur "les beautés poétiques et morales"
du christianisme
selon la rece~te de Chateaubriand. Nous l'avons déjà dit le
"style cathédrale" fait
irruption dans l'oeuvre de Dona Emilia
à toutes les époques de sa production.
Mais il a plus.
L'estampe postromantique brossée
a une période ancienne peut curieusement annoncer la vignette -
enluminure chère
aux écrivains modernistes du début du XXemesiè-
cl e.
Que l'on nous permette,
pour étayer notre affir-
mation,
une analyse comparative de deux textes du m~me thème que
nous rapportons en
version originale
"4
....»
n i
La Borgonona de Dona Emilia,
conte de 1885,
et

-
63
-
1
/
~lor de Santidad de Don
Ramon
deI
VallE'-Inclan,
de
1904.
Le
,
-.J
premier a pour heroîne
"La Borgonona",
lE' sE'cond Adeqa,
toutes
les deux évoquéE's comme des silhouettes fémininE's de vieille
légE'ndE'.
RE'gardons chez nos deux
écrivains galiciens quelques
points de similitude dans la dE'scription de ces protagonistes.
"La Borgon'ona"
Adega
(Flor de Santidad
sentada en un poyo ante
Sentada al
abrigo de unas piedras
la puerta de la granja,
hilan-
célticas,
doradas por l{quenes
do
su
rueca.
milenarios,
hilaba una
pastora . . .
i-nn la rueca.
/
-v
el
copo se abrIa y un
Velando
el
rebano,
hilaba su
tenue hilo,
que asemejaba
co po con mesura acompasada y
/
de oro,
partla de la
rueca
lenta . . .
ligera al
huso danzarfn.
/
Con las manos cruzadas,
Suspirando cruzo las manos
parecfa como
en éxtasis.
(1C3)
sobre el candida seno como
para cobijarlo y rezar.
(la)
Quant aux deux pèlerins qu'elles accueillent,
les
deux écrivains leur prête1lt des traits bien
semblables:

-
64
-
"La Borgonona"
Flor de Santidad
Un sayal gris,
que era todo el
El
sayal andrajoso del
peregrino
un puro
remiendo,
le r~figuarda­
encendla en su corazon la llama
ba mal del frIo.
de cristianos sentiITÙentos.
••. Le condujo a una sala
baja
En
el
fondo
del
establo habla
donde habla extendida paja fres- una montana de heno,
y Adega
ca,
y en seguida,
volviéndose a
condujo al mendicante de la
la cocina,
intenta cenar.
mano •
•.• ,
solo quedaba del misione-
•••
habla desaparecido,
y solo qUE
rD la senal de su cuerpo en la
daba el
santo hOYo de su cuerpo
la paja donde habla dormido.
en la montana de heno .
.••
por el estrecho sendero
caminaba despacio y con
abierto entre las vinas camina-
fatiga por aquel sendero entre
ba despacio hacia la granja.
tojos.
traia la cabeza descubier-
Las espinas desgarraban
sus
ta,
desnudos los pies y muy
pies descalzos,
y en cada
matratados de los guijarros,
y
gota de sangre florecla un
apoyabase en un palo de espi-
liTio
(22).
no.
(21)
Une si troublante ressemblance nous porte à penser
que,
m~me dans le cas où Valle-Inclan - qui prenait son bien
l~ où il le trouvait - s'est inspiré de "La Borgo~ona" pour
écrire les premières pages de Flor de Santidad il
fallait
bien
que le conte,
déj~ ancien de Dona Emilia eOt de quoi inspirer
un
récit moderniste. Le narrateur de
"La Borgoiiona" présente
l'histoire comme un r~ve "gothique" qui l'a pour ainsi dire
envoClté
:
"
depuis que j'ai lu la miraculeuse histoire

-
65 -
que je vais raconter (l~tssant de c~t~ tout scrupule et non
sans introduire quelques modifications),
je peux dire que j'ai
vécu
en compagnie de l'héroïne,
et que ses aventures m'ont sembl~
comme une s~rie de vignettes de missel,
bord~es d'or et de cou-
leurs et capricieusement enlumin~es, ou comme un vitrail de
cath~drale gothique,
avec ses personnages v~tus de bleu-turquoise,
pourpre et jaune d'amarante."
(23)
C'est le m~me prestige d'un pass~ id~alis~ par l'art
que Valle-Inclan exprime par le truchement du narrateur dans
FIor de Santidad lors de l'arrivÉe du pèlerin près du sanctuaire
où Adega garde son troupeau
d'agneaux
"il paraissait ressusciter la pénitente dévotion du
temps ancien au moment où
toute la Chrétienté croyait voir dans
la vertu c~leste le Chemin de Saint-Jacques."
(24)
Le m~me procédé de recul dans le temps,
une fois
passé au
r~pertoire moderniste se transforme sous la plume du
grand poète en prose qu'est Valle-Inclan,
en une qu~te savante
d'harmonie,
de musicalité et de rythme à laquelle aucune richesse
ne serait étrangère,
richesse des couleurs et des formes,
ri-
chesse des matières somptueuses sensuellement ~voquÉes.
Le narrateur de la Comtesse s'extasiait déjà
devant
un décor de raffinement et de luxe
:
"La Borgo~ona vici una cama suntuosa,
sitiales ricos

-
68 -
Dans se~~ânnées de jeunesse Do~a Emilia avait lu
avec passion les grandes épopées chrétiennes,
de Dante à Klops:tok
en passant par Milton.
Ses Nochebuenas
(Nochebuena en el
Infierno
Nochebuena en el Purgatorio,
Nochebuena
en el Limbo)
représentent
l'écho un peu tardif de ces lectures et sa contribution au thème
des éternelles demeures.
Ecrites en
1891 -
1892,
elles ouvrent
la voie à la série de contes religieux que Pardo Baz~n ne cessera
plus d'enrichir jusqu'à la fin
de sa vie.
Si
l'on ne s'en
tient qu'aux sujets qu'ils dévelop-
pent et que l'on ne les considère que globalement,
on constate
que ces contes religieux,
tardiPs,
s'organisent en
trois groupes
fondamentalement distincts.
Le premier est la
reprise savante du message évangé-
lique fait d'amour,
d'humilité,
de pauvreté.
Ainsi dans Jesusa,
une enfant malade veut mourir sur la
paille en mémoire de la
naissance de Jésus,
après avoir obligé ses parents à donner la
plupart de leur fortune pour soulager les misères et les souf-
frances des pauvres.
La seconde catégorie est plus symbolique.

encore
Dona Emilia reprend le message biblique en y adaptant une leçon

-
bD -
V una mesa preparadaBtln sus relucientes platos de estano
,
sus jarras de plata para el agua y el
vino,
su dorado pan,
sus
bollos de especias y un
pastel de aves y caza que ya tenta medio
alzada la cubierta tostadita. lI
(25)
1
Ce qui magnifi~ dans la prose de Valle-Inclan
donne la description suivante
:
lIViv{an en capillas de plata cincelada,
bordadas
1
de pedrerla como la corona de un
rey."
(26)
Bref,
des motifs néo-romantiques présents déjà
en
1885 dans l'oeuvre de Madame de Pardo
Bazèn
réappara1tront
dix-neuf ans plus tard dans la prose la plus caractérisée du
modernisme,
celle de la première période Valle-Inclèn.

-
tJ'j
-
de morale.
Tel
est le ~as de Jes~s en la Tierra où Jésus visite
la demeure des mortels.
Il
n'y
rencontre que des vilenies,
la
haine et la violence.
Il
voit aussi la
religion des riches,
la
crèche de No~l, vrai bijou pour enfants milliardaires, le réveil-
lon de grand luxe,
une vraie orgie paYenne plus raffinée,
qui
est aussi celle qocSDffrent les pillards qui
ont dépouillé et
achevé les victimes d'un naufrage.
"C'était donc pour cette race l~ qu'il était né
dans une étable et qu'il
étai t mort sur une croix!"
(28)
Dans le troisième groupe,
on evoque les écueils
contre lesquels peuvent chavirer les ~mes de ceux qui aspirent
à la perfection par la voie de l'ascèse. Ainsi El pecado de
Yemsid,
ce prince persan qui
se laisse aller au péché de Satan,
~ l'orgueil.
Son orgueil
le perdra lorsqu'il
voudra ~tre reconnu
comme un dieu par ses sujets.
Dans La penitencia de Dora,
une belle pénitente qui
s'est vouée à toutes les mortifications de la chair risque de
se perdre lorsque le démon la tente en
réveillant dans son coeur
des sentiments qui
restent
toujours latents sous la bure et le
cilice:
la nostalgie de l'amour conjugal
et l'instinct maternel.

-
70 -
Ce group~~e
contes religieux comprend
des récits
de miracles comme Vidrio de colores publié en
1899 dans BLANCO
V NEGRO
(nO 388)
où l'on
raconte celui
d'un
dominicain
en mission
dans le Midi
de la France dévoyé par l'hérésie et par la corrup-
tion
des moeurs.
D'autres récits retracent les origines des conver-
sions survenues par l'irruption du
surnaturel
dans la vie d'un
homme solitaire.
Ainsi La mascara le héros raconte sa propre
conversion née d'un r~ve au cours duquel il a engagé son dialo-
gue avec la mort.
Il
faut
toutefois remarquer que le conte religieux
de la Comtesse n'a jamais le caractère conformiste qui
est pro-
pre aux écrivains que l'on qualifiait à l'époque en Espagne de
neos
(néo-catholiques)
et que l'on appellerait aujourd'hui
intégristes,
comme Fern~n Caballero e Baquero Goyanes a souligné
,
très pertinemment les audaces de Pardo Bazan en ce domaine,
audaces qui
furent souvent ~prement censurées par ses comtempo-
rains.
(29)
C'était une audace de raconter dans La penitencia de
Dora que la protagoniste s'habille en homme pour faire
pénitence
ou que l'héroïne de «
-
~
La Borgonona
rentre -
une fois convertie

-
7 '1
-
par Saint François d'Assise -
dans l'ordre franciscain habillée
en nov i ce.
Une au da ce u-tJ 1 art i ste Il é ta i tau s s i l e fa i t
d' a j out e r
un épisode tout à
fait
imaginaire au récit de la Passion,
ce que
notre romancière a fait dans La sed de Cristo.
Cet épisode raconte
dan sun s t y l e " art i ste"
t r è s Gan cou r t
que l a ['1 a deI e i ne,
pou r a p a i -
ser la soif du Christ en croix,
lui
présente tour ~ tour l'eau
claire de la source,
le Falerne de son ancien amant Hérode,
le
nectar de Ganymède,
le sang de ses bourreaux.
A tous ces breuvages,
le Rédempteur préfèrera les larmes de repentir que lui présente
enfin la pénitente,
dans le creux de ses mains.
Mais le spiritualisme religieux ne devait pas ~tre
dans l'oeuvre de notre romancière le seul
aspect du renouvelle-
ment thématique que l'épuisement du
"naturalisme" avait suscité
dans la littérature européenne de llépoque,
puisqu'il
faut cons-
tater qu'à partir de 1892 le conte fantastique
prend sous sa
plume des manifestations multiples et extr~mement diversifiées.

-
72
-
o
'T
E
S
-=-=-=-=-=-:-=-=-
1.
Marcelino Menéndez y Pelayo)
Estudios y discursos de crltica
historica y literariB,
Obras Completas,
Ed. Nacional,
C.S.I.C.,
Santander,
1942,
page 32
"
yo y otros muchos
seguimos creyendo que en la senora Pardo Bazan la poesla y
el idealismo y la inspiracion cristiana son 10 natural y 10
espont~neo mientras el (naturalismo) parece languido y muerto."
2.
Mariano Baquero Goyanes,
El cuento espanol
en el siglo XIX,
Madrid,
R F E,
Anejo L,
1949,
page 134 :
"Maupassant es narra-
dor sin trucos,
sin efectismos,
cuva objetividad no tiene par
entre los cuentitas de su época. Los narradores espanoles
suelen ser mas apasionados,
mas dados a buscar desenlaces.
sorprendentes •.. "
3.
Vida y Obra de Emilia Pardo Bazan,
Revista de Occidente,
Madrid,
1952,
page 115,
cité par Carmen Bravo -
Villasante
"Vo ...
como en otras mil
ocasiones renegaba de esta plcara
dualidad mla,
de esta complejidad de mi
ser que,
permitién-
dome sentir el valor inestimable de la ilusion poética,
me
obliga al mismo tiempo a analizarla y por consiguiente B
destruirla."

-
73
-
4.
Cuentos Sacroprof~~osi D.C.,
T.
l,
page 1513:
"Muy le jan os,
mu~lejanos est~n ya los tiempos de la fe sen-
cilla,
y solo nos los recuerdan las piedras doradas por el
liquen y los retablos pintados con figuras mlsticas de las
iglesias vie jas. "
5.
Cuentos deI
Terruno
~,
T. II,
page 1521 :
p
"Me interesan, me atraen los mendigos de profesicin.
Son un
resto deI pasado
son
tan arcaYdos y tan auténticos con
un mueble 0 un
esmalte."
6.
Ibid,
page 1521
"El ciego que hallo en este camino de
aldea orlado de madreselvas en flor que embalsaman,
al pie
de un castano,
tiene ya para mf algo de la poesla melancolicE
deI a n DC~ e c e r que env u el v e su fig u ra,
y a 1 d a rIe u n a s mon e d a s
de vellon crea estar realizando un deporte de la Edad Media,
a la puerta de algun
reducido santuario,
0
interrumpiendo el
bordado de un
tapiz,
sentada en el poya de alguna fenestra
ojival."
,
.
7.
Ibid,
page 1523 :
"
tal
vez llegar a encontrar su unlca
placer,
el
interés de su oscura existenciB,
en la reunion
de los andrajosos dicharacheros,
B su manera oportunos,
so-
carrones,
expertos,
enterBdas de todas las noticias."

-
74 -
8 .
l b id.,
P age
1 52 3 :
_" A dos pas 0 S
deI a
c i vil i zac i ci n,
a h { est ~ eSl:J
pintada
tabla m{sti~a, ese hogar franciscano abierto al men-
digo. Il
9.
Cuentos deI
Terruno,
O.C.,
t.
II,
page
1499.
10. ~'
T.
II,
page 1505.
11. ~'
T.
II,
page
1514.
12.
Cuentos de la Tierra,
~' T.
II,
page
1799.
13.
O.C.,
T.
II,
pages
1805-1806.
14. ~'
T.
II,
page
1749.
15.
Cuentos deI
Terruno,
O.C.
,
T.
II,
page
1521.
16.
Historias y Cuentos de
Galicia,
~' T.
l,
page
1604 :
" •••
de cumplida
estatura,
ojos garzos azules, •••
cabello castano,
1

abundoso, ••. ,
f r en t e s e r en 8 ,
P 0 mu los n ad a
sa Il en tes, • ••
car-
nosos los labios •. ~ Il
17.
Ibid.,
page
1605 :
Il
ellas cavan,
ellas
siembran,
riegan
y deshojan
;
baten
el
lino,
10 tuercen,
10 hilan ••• "

- 15 -
18.
Ibid.,
page 1607 :
IITrajes,
danzas,
costumbres y recuerdos
van desapareciendo como antigua pintura que amor~guan y
borran los anOSIl.
19.
Cuentos Sacroprofanos, ~'
T.
l,
page 1416;
page
1418.
20.
Ramon del
Valle-Inclan,
FIor de Santidad
(Historia milenaria)
Espasa-Calpe S.A.,
Madrid,
1961,
page 15
;
page 23.
21.
Op •. cit.,
page 1416;
pages 1418 -
1419.
22.
Op.
cit.,
page
16
page 22;
page 29; page 42.
23.
Op.
cit.,
page 1415 :
Il • • • ,
después que leI la historia
milagrosa que -
escrupulos a un lado -
voy a contar,
no sin
algunas variantes,
vivI en companla de la herolna,
y sus
aventuras se me aparecieron como serie de vinetas de misal,
rodeadas de orlas de oro y colores y caprichosamente ilumi-
nadas,
0
a modo de vidriera de catedral
gotica,
con SuS
personajes vestidos de azul
turquI,
p~rpura y amaranto."
24.
Op.
cit.,
page 13 :
Il .. . , parec!a resucitar la devocion
penitente del
tiempo antiguo,
cuando toda la Cristiandad
crey~ ver en la celeste altura el Camino de Santiago. 1I

- 7G -
2 5 •
0 p.
c i t . ,
P age
1.lt2 1 •
26.
Op.
cit.,
page 26
27.
Nelly Clémessy,
Emilia Pardo
Bazan,
Romancière
(La
critique,
la
théorie,
la pratique),
Centre de
Recherches Hispaniques,
Paris,
1973,
page
35.
28.
Cuentos de l'Javidad y
Reyes,
~,
T.
l,
page
1729
:
Il
Para
esta raza habla nacido
en
el
establo y habla muerto
en la
cru z
! /1
.29.
Baquero
Goyanes,
Op.
cit.,
page
134.
-=-=-=-=-=-=-

CHA
P I T
R
E
IV
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=
LE
GRAND
TOUR~~T
DES
ANNEES
90
LA
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
REACTION ANTI-NATURALISTE
DECADENTISME
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
ET
SYMBOLISME
-=-=-=-=-=-=-=-
LES CONTES FANTASTICO-SYM80LIQUES DE DONA EMILIA.
,
EMILIA PARDO BAlAN ET L'ESTHETISME DE LA FIN DU SIECLE.
-==0000000000000==-
En effet,
tout le long de la décennie 1890 -
1900
on voit percer dans la littérature européenne,
et particulière-
ment dans la française,
dont les romanciers espagnols suivent
attentivement l'évolution,
un profond désenchantement au sujet
de la science,
de la pensée rationaliste et de son dernier avatar
le positivisme dont Le roman expérimental
de Zola s'était préten-
du l'application dans le domaine de l'art.
On avait sans doute
trop
espéré du progrès scientifique,
on avait cru qu'il
irait de
pair avec un progrès de la nature morale de l'humanité,
qu'il
rendrait l'homme capable de dompter ses démons et ses hantises
et,par là,d'apporter des solutions à la difficulté de vivre,
à la cruauté de l'existence. Mais le progrès scientifique n'avait

fait que montrer sous une lumière plus crue la faiblesse de
la créature humaine et son
incommunicabilité.
Un
tel désenchan-
tement ne pouvait déboucher que sur une nouvelle forme du
"mal
du siècle" romantique,
celle des esprits sceptiques et raffinés
qui
se sentent venus trop
tard à un monde hélas!
trop vieux.
On appelait cet état d'esprit et sa manifestation littéraire le
"décadentisme". Avec une expression bien significative les écri-
vains qui
représentaient ce courant d'importation française se
fi renta p pel e r au Po r t u gal
" les va i n cu spa r l a vie."
En m~me temps et comme conséquence de la m~me
réaction anti-matérialiste d'autres poètes,
romanciers ou auteurs
dramatiques se lançaient à la recherche d'une voie nouvelle -
nouvelle de la nouveauté relative de tout ce qui na!t sous le
soleil -
qui gr~ce à une spiritualité redécouverte les conduirait
à des expressions inédites et à une plus grande liberté créatrice.
Le fantastique,
le symbolisme,
l'évocation de mondes lointains
ou d'anciennes formes de culture,
tout ce qui avait déjà nour-
ri le romantisme,
orientalisant ou moyennageux,
devenait en
cette fin
de siècle une source d'inspiration.
Le"décanden-
tisme" était,
certes,
à l'opposé du tempérament de notre roman-
cière.
Mais le phénomène ne pouvait pas la laisser indifférente.
Nombreux sont les personnages de ses contes,
nous allons le voir,

,- 79 -
qui souffrent de la solitude désolée de l'homme moderne,
qui
se heurtent à la vulgarité de l'existence quotidienne et qui
finissent par se condamner à une douloureuse marginalité.
Voués
à un culte effréné du Moi,
toujours en qu~te d'un idéal inacces-
sible,
ces ~tres faibles sont condamnés à la tristesse et à la
mélancolie.
Ces nouveaux "enfants du siècle" sont les protago-
ni stes d'un certain nombre de contes à caractère symbolique,
souvent élaborés sous la forme bien connue de l'apologue, lequel,
de par les origines du genre comporte parfois une résonnance
orientale. On les retrouve aussi dans un grand nombre de contes
de facture néo-idéaliste que nous trouverons groupés sous la
p
rubrique EMILIA PARDO BAZAN ET L'ESTHETISME DE LA FIN DU SIECLE.

-
80 -
LES CONTES FANTASTICO-SYMBOLIWUES DE DUNA EMILIA
L'exemple le plus significatif de ce groupe de
contes est sans doute La moneda del mundo dont la morale peut
se r~sumer ainsi
les puissants de ce monde paient très lourde-
ment leur grandeur.
Ils ne suscitent autour d'eux d'autres senti-
ments que l'int~r~t et l'hypocrisie.
Les grands de ce monde n'ont
pas d'amis.
Le récit a pour héros un
jeune prince
le fils unique
d'un
empereur.
Il
était excessivement bon et naïf
Il
bon
comme le pain,
candide comme une pucelle ...
les bras ouverts au
Monde,
le sourire aux lèvres,
confiant dans ses relations,
il
ma r cha i t
sur uns en t i e r f leu ri. Il
(1)
Tou t
co mme Ça k i a - [vI uni ,1 e
jeune prince naïf et confiant} élevé à l'abri
du malheur dans une
demeure royale,
notre héros recevra une dure leçon qui
lui appren-
dra le vrai
sens qu'a la vie sur ce monde corrompu.
Son père,
le vieil
empereur,
après avoir consulté
ses sages entreprend la dure t~che d'ouvrir les yeux du prince
Il
le monde -
lui dit-il
-
n'est autre chose qu'un vaste champ
de bataille où des intér~ts s'opposent aux int~r~ts, des passions
aux passions •..
L 'homme est un loup pour l'homme. Il
(2)
A quoi
le prince répond n 'avoir rencontr~ autour de lui que Il •••
des
visages souriants,
des douces parrrles,
des amis dévoués et des
femmes tendres et charmantes. Il
(3)

-
81
-
Le vieillard soumet alors son fils a une épreuve
susceptible de l'éclairer a
tout
jamais sur les tristes réalités
de la condition humaine.
Il
devra se
rendre chez chacun de ses
amis pour leur demander une pièce d'argent
en
signe d'amitié.
A la
tombée du
jour,
le jeune homme revient au
palais chargé d'un
sac comblé de monnaies.
L'empereur lui ordonne de se déguiser
en paysan et de faire un
voyage dont les frais
seront payés avec
le fruit de sa collecte.
Mais les monnaies qu'il
extraira de son
sac seront refusées partout
elles sont fausses.
Le prince sera
traité de faux-monnayeur et devra avoir recours a la mendicité
pour rentrer,
triste et meurtri,
dans la capitale du
royaume.
Aux questions que lui
pose son père,
il
répond avec
amertume que les monnaies de l'amitié étaient
toutes fausses:
Il
a donc perdu ses illusions,
ce qui le porte à se cloîtrer pour
le reste de sa vie dans une chambre du palais.
Il
ne veut plus
hériter d'un pouvoir qui
le fera
vivre entouré de mensonges.
L'empire perd ainsi son héritier.
Un autre exemple de conte -
apologue pourrait être
offert par La Mariposa de pedrer{a dont nous avons déjà
parlé.
Le sujet de ce conte n'est autre que le mécanisme
inspiration -
création -
célébrité dans la vie d'un artiste mais
il
contient
en outre deux éléments qu'il
conviendrait de mettre en
relief:

-
82
-
Le merveilleux magique qui
l'apparente au conte de fées et l'élé-
ment décoratif,
riche en couleur,
qui
atteste de la culture artis-
tique de la romancière,
passionnée de peinture et collectionneuse
fervente d'objets d'art ••
Par l'effet de la magie,
la misère d'un pauvre artis-
te se transmutera en richesse dont le signe sera la beauté,
le
luxe
resplendissant de l'art rare,
raffiné
et précieux.
Car le
pire malheur de la vie misérable n'est pas la faim mais la lai-
deur,
la médiocrité et la grisaille.
Le héros du conte -
Lupercio -
est un jeune homme
extr~mement pauvre, comme le révèlent les v~tements qui le cou-
vrent
et la nourriture dont il
se maintient
"Un petit pain ou
dix centimes de lait"
(4)
mais aussi
la misère de son habitation
"une mansarde démantelée et exigüe,
des chaises à moitié défon-
cées,
une paillasse rongée par les souris,
une petite table
poisseuse,
un
encrier crasseux et un
réchaud mangé par la
rouille."
(5)
Ce dénuement dans lequel
vit Lupercio s'accompagne
de la plus triste misère morale:
"Lupercio mourait de honte;
il
É'tait dévoré par
de terribles chagrins.
Il
ne sortait qu'à la
tombée de la nuit ...

-
83 -
f
Il brClait de fièvre,
du
désir de jouir de la vie,
d'apprendre,
de vivre"
(5)
Une nuit,
Lupercio,
tout
transi
de
tristesse,
revient
chez lui.
La contemplation de son
vieux
réchaud lui
inspire des
idées prodigieuses.
Aussit~t il se met à écrire de belles pages
de prose et ce n'est qu'à
la fin
de la
rédaction qu'il
s'aperçoit
de la présence dans son
triste logis d'un insecte étrange,
un
papillon diapré qui,
en propageant une vive lumière,
transfigure.
peu à peu sa demeure.
L'étrange insecte disparu,
la pièce retrOUVE
son
triste aspect,
mais la visite du
papillon se reproduit dès
que le jeune homme trempe sa plume dans l'encrier et se remet
à écrire.
De nouveau il
se croit transporté dans un pays de
r~ve
"et cette fois la mansarde se transforma en un
jardin
tropical
peuplé d'orangers et de palmiers où
des pucelles africaines
offraient à Lupercio de l'eau fra!che
dans des amphores rouges
striées d'argent et de bleu."
(7)
L'écrivain,
de plus en plus inspiré,
connaît alors
le sucees et avec le succès la richesse.
Il
s'entoure d'objets
d'art et des serviteurs s'empressent autour de lui.
Il
construit
un magnifique palais au
bord de la mer d'Italie.
Mais le papillon ne revient plus,
ce qui
rend le
~élèbre écrivain profondément triste; l'étrange insecte - con-
clut le narrateur -
doit
se trouver chez d'autres jeunes

-
84 -
personnes qui écrivent en prose ou
en vers.
Ce qui fait la particularité de ce conte c'est pré-
cisément le fait que l'auteur se soit servi
de la leçon du natu-
ralisme descriptif à la Goncourt pour b~tir une fiction à carac-
tère absolument fantastique et,
ce Qui
plus est,
symbolique.
Le récit oppose en effet la laideur absolue -
le tableau de la
misère répugnante où vit le jeune héros Lupercio - à la beauté
absolue -
son opulence au milieu d'une nature colorée et envoO-
tante - contraste cher aux poètes romantiques. Or aux yeux de
la Comtesse,
c'est justement en grossissant les effets du
"beau"
et du
"laid" Que le romantisme avait préparé l'avènement du
réalisme:
"Et cependant -
avait-elle souligné jadis,
dans
La cuestiJn palpitante,
-
en faisant indistinctement appel au
beau et au laid dans la vie artistique,
en accordant en poésie
leur lettre de naturalisation à
tous les mots,
le romantisme,a
servi la cause du réalisme."
(8)
Par l'énumération détaillée des signes de la déché-
ance et de la pauvreté d'abord,
de la richesse et du luxe ensuite
1
Pardo Bazan a mis la méthode descriptive des ma!tres du
"natu-
ralisme" au service du conte symbolique fantastique et irréaliste
Ainsi,
elle est parvenue à
réunir l'observation minutieuse digne

-
85 -
du
"naturalisme",
dit scientifique,
à la Goncourt,et le goût
du symbole,
du fantastique et de l'évasion qui
s'était fait
sentir partout en
Europe dans les derni~res années du XIX~mesi~cle.
Toutefois,
la note dominante de La Mariposa de
\\
pedrerfa est l'apparition de l'élément magique ayant fonction
de symbole -
l'univers merveilleux féérique.
Les r~ves du triste
héros rongé Dar la mis~re se sont accomplis par l'entremise d'un
insecte qui
a joué le r~le de génie bienfaiteur;
ce en quoi
le conte de Dona Emilia ne diff~re gu~re des contes de fées
,
traditionnels ou dominent les coups de thé~tre et les dons
magiques.
Ces affirmations quelque peu paradoxales méritent
d'~tre précisées. La mis~re du jeune Lupercio est en effet
dépeinte avec la plus grande précision,
aucun
détail
qui
pourrait
para!tre repoussant ne devant échapper au
regard impitoyable
du narrateur
:
"Il
était une fois un
jeune garçon tr~s pauvre
qui habitait une des plus étroites et démantelées mansardes de
la grande capitale .•.
Le jeune garçon -
que j'appellerai Lupercio -
couvrait son corps chétif avec un habit transparent à force
d'~tre r~pé et une cape toute élimée. Ses bottes étaient crevées
pour tout linge,
quatre lambeaux de
toile
pour toute cravate,
un haillon."
(g)

- 86 -
Voici
pour le portrait du personnage accablé par
la misère.
M~me précision en ce qui concerne la misérable man-
sarde où
il
végète,
nous l'avons vu.
Misère physique qui
engendre la misère morale faite
d'humiliation,
de fuite,
de solitude,
de démission.
Il
parcourt enfiévré,
hagard,
les rues de la grande
ville et,
s ' i l lui arrive de fr~ler la soie d'un v~tement de
femme,
il
le ressent comme une décharge électrique;
si
son
regard
slarr~te devant la devanture d'un magasin de luxe un
tremblement convulsif s'empare de tout son corps.
Nous sommes en
présence de la description d'un
comportement pathologique qui
doit
tout à la méthode que le
naturalisme de Zola avait appelé
lI ex périmental. 1I
Or voici
que cette fidèle description de la déché-
ance physique et morale du héros fait place au
bonheur et à la
beauté par l'effet d'une transmutation magique semblable en
toute chose à celle qui
transforme en
riches parures les haillons
de la douce Cendrillon et qui change en carrosse l'humble ci-
trouille de son jardin.
C'est le don magique
traditionnel
de
l'éternel
conte de f~es. Mais voici qu'à peine la magie a fait
son oeuvre par l'intermédiaire de l'insecte surnaturel
l'auteur
reprend]a plume de l'écrivain
II na turaliste ll ,
que certains ont

-
87 -
assimilée a celle d'un commissaire-priseur,
pour nous
rendre
compte en détail des luxueux objets qui
feront
désormais le
plaisir des yeux du héros
les tapisseries qui
recouvrent les
mu r s , l e s
t en t u re s , l e s
t a b1 eau x,
1 e s
g1 ace s e t 1 e s r i d eau x
somptueux,
le lustre en cristal
de Venise qui
pend au plafond,
le tapis d'Orient qui
s'étale sur le plancher,
les vases de
Murano où
s'effeuillent des roses,
le guéridon mauresque garni
de compotiers et de coupes ..••
On est donc en droit de penser que l'écrivain fait
dans ce conte oeuvre novatrice en produisant du fantastique à
l'aide des matériaux récupérés dans l'arsenal
du
"naturalisme"
pour donner à son conte de fées -
apologue l'éclat d'un
"style
artiste"
très
"fin du siècle."
Au fond
tout se passe comme si
Dona Emilia avait
réussi à prouver en quelques pages la vérité de ce qu'elle affir-
,
mait déjà
en 1892 et qu'elle ne devait enoncer théoriquement
qu'en
1904
IIAujourd'hui,
l'étude du milieu,
la vérité descrip-
tive,
les idées sur l'hérédité et
sur la lutte pour la vie per-
sistent dans le roman,
bien que le naturalisme soit démodé.
Ce
sont des conqu~tes définitives
c'est pourquoi la nouvelle géné-
ration,
qui
renie ses anc~tres, ne réalisera pas son impossible
naissance ex-nihilo. Il
(10)

- 88 -
Nous ne manquerons pas de remarquer la griffe de
l'historienne de la littérature qu'était,
entre autres choses,
Dona Emilia.
On doit mettre ce passage en'pendant avec celui de
1883 cité plus haut où Pardo Bazan affirme que par certains de ses
choix le romantisme avait préparé l'avènement du réalisme.
En somme l'un et l'autre de ces passages reviennent
à dire qu'en art comme dans la nature rien ne se perd.

-: 89
-
~
EMILIA PARDO BAZAN
ET L'ESTHETISME DE LA FIN
DU SIECLE
A en
juger par le conte que nous venons de commenter,
, J
le fantastique appara!t chez Dona Emilia entre autres choses
comme un moyen
de nous faire oartager ses r~ves de beauté et
de raffinement artistique.
Il n'est pas,
en
effet,
rare que
l'attachement de notre écrivain à l'art se manifeste de façon
évidente.
Ainsi dans La hierba milagrosa,

Do~a Emilia, en
nous présentant son héroïne fabuleuse,
ne peut résister à la
tentation de faire allusion aux grands ma!tres flamands
ilLe cas que je vais vous raconter a dû se produire
dans une des villes b~ties suivant un plan géométrique,
propres,
bien garnies de tours,
aux maisons bien serrées,
que l'on aper-
çoit,
au loin,
accrochées à une colline,
sur les planches des
peintres mystiques flamands.
Et l'héroïne de ce conte,
la vierge
Albaflor,
ressemblait fort -
bien que je n'aie pas vu
son portrait-
aux saintes que le pinceau des m~mes grands artistes a peintes
avec tendresse
grande et gracieuse,
le corselet allongé et le
cou fin
et gracile,
le sein menu,
pris dans un pourpoint de
brocart,
le visage ovale,
les yeux verts,
grands et candides,
protégés avec une douceur mélancolique par des cils , .
"
epals •••
( 11 )
La vertu même de cette héroïne de
tableau
primitif

-
90
-
n'est
autre
chnse
ou'une
neuvre
d'art
"C'étai t
une
vertu
dites-vous.
Oui
c'était une
vertu,
mais aussi
et
avant
tnut
un
travail
d'esth~te
délicate
et
ten-
dre création
de
la
fRntaisie
de
Albaflor qui
s'y
complaisait
comme
l ' a r t i s t e
se
i~urnplaît darlS le chef-d'oeuvre qu'il
retouche
et perfectionne
jour après
jour,
en
lui
ajoutant
toujours
des
nouvelles merveilles."
(12)
Il
arrive
parfois à
Do~a Emilia de se moquer de ce
même
engouement
pour l'nbjet
d'art
qui
est
le
sien~en chargeant
le personnage
d'un
rie
ses héros
victime
de ce
décadentisme
"fin
du
siècle ll
oui
ne
VIJit
la
nature
qu'à
travers les
tableaux
des
grands maîtres.
Ainsi
dans
Primaveral
moderna,
elle c~de la
parole à un
esthète pour
oui
l ' a r t
est
supérieur à la nature
au
point
qu 1 il.
s'oppose ~
elle
"Je préFèrerais mourir à Paris,
sur
ses boulevards
asphaltés,
que
de
vivre
dans cette
vall~e de la Rose oui,
d'après
vot r e
des cri p t ion,
d 0 i t
ê t r e l 'a r c h é t YP e mê me d e l a vu l q a rit é, '
l'oasis d'un
paysagiste maniéré.
Je
vous
en
dirai
plus
une
telle Nature n'existe
pas.
C'est nous
qui
la
faisons,
qui
la
créons
et
c'est
seulement
ouand
nous la
créons
qu'elle
vaut
quelque
chose)qu'elle
d
un
sens.
La r~ature
C'est l'ennemie
de l ' a r t
et
de
la
fiction
la
seule
chose belle,'
c'est la
ravis-
sante fictlon •••
En
arrivant
dans la
vallée,
je
cracherai
sur
la première
rose
qui
viendra à
ma
rencontre.
qu'elle
soit
végétale ou
charnue .•. "
(13)

-
91
-
C'est parce que la romancière connaît les dangers
de tels engouements décadents qu'elle n'hésite pas à les dénoncer
par la voie de la caricature.
C'est ainsi
qu'elle nouS dépeint un personnage,
comme celui de El
tapiz,
qui
en vient à ~tre hanté par une tapis-
serie persane dans laquelle il avait investi ce qui lui était
resté de son ancienne fortune:
"Quelques lectures et un peu d'érudition ~ la diable,
puisée dans les quelques visites qu'il avait rendues à des atelierE
de peintres et de sculpteurs,
voilà ce qui avait semé dans la t~te
de Raphaël des idées qui ne s'exprimaient plus que par des images
plastiques.
Il s'imaginait en chair et en os une de ces femmes
iraniennes dont Alexandre le Grand a dit
"qu'elles brisent le
coeur",
une de ces vierges que l'on voit sur les miniatures du
Cha Mamé,
p~les comme la lune, montrant sur leur visage exagéré-
ment ovale,
des yeux sombres,
la double arcade parfaite leurs
durs sourcils,
le rouge cinabre des lèvres entre lesquelles bril-
lent des petites dents humides,
comme des galets au fond d'une
nappe cristalline d'eau dormante ••• " (14)
D'autres fois
Dona Emilia propose la sublimation de
l'élan artistique en élan vital
d'amour et de sacrifice.
Une vie
humaine ne vaut-elle pas mieux que le meilleur poème?
C'est le
cas de En verso où un poète en butte à une inspiration poétique
défaillante retrouve subitement une nouvelle inspiration -
morale
cette fois -
qui consiste à mourir pour sauver une vie humaine:
"La rebelle inspiration poétique lui parvint,
subite,

-
92 -
fulminantejelle l'éblouit comme l'éclair éblouit Saulo lorsque
le Christ lui
apparut.
Clétait la mort quasi
certaine;
pour
sauver l'enfant,
il
fallait
s'exposer •••
Conrado se précipita
une seconde de plus ...
Ç'aurait été trop tard.
Avec une main il
lança hors des rails le petit qui
éclata en
sanglots et avec
l'autre,
instinctivement,il
voulut arr~ter la masse de fer et
de bois qui
venait sur lui,
malgré les efforts désespérés du
conducteur pour la soumettre ...
Et sa dernière pensée,
avant
de perdre conscience en
brisant la
t~te, a été celle-ci,
expri-
mée d'un air hautain et satisfait
"j'ai écrit un admirable
,
poeme .•• " ( 15)
Tout se passe dans cette scène fort
émouvante comme
si le déplacement subit,
esthétique ~ moral,
était plus fort
que la volonté du poète.
L'acte moral
qui
vient donner un sens
a sa vie s'impose a lui au point qu'il
dissipe l'état d'engour-
dissement et de désespoir où il avait sombré.
Dans La



J
Insplraclon,
l'auteur aborde le problème
de l 'humanisme dans l'art.
Le récit nous montre un poète dont
l'inspiration s'est
tarie et dont le caractère s'est assombri
à la suite de ses déceptions sentimentales:
"Dans ces moments d'agonie,
sa conscience l'accu-
sait,
lui
disant que la décadence de l'artiste provenait de
son
indifférence à llégard des hommes
car la poésie ne fré-
quente pas les déserts mais seulement les oasis,
et si lui
ne pouvait pas aimer à
nouveau,
il
ne pourrait pas non plus
accoupler des vers,
comme d'autres appareillent des chevrettes
blanches pour les atteler à un chariot dlor."
(16)

-
93 -
En fait,
l'art et ses techniques,
et les idées
d'école,
et les critique;; •.• ce monde clos fJLI
l'artiste se presse
les tempes en qu~te d'une idée ...
Tout cela déssèche,
porte à la
stériljté,
à la plus effroyable sclérose,
là où les sentiments
humains se sont
taris.
C'est ce que l'auteur dénonce dans
1
Inspiracion:
Un pejntre célèbre qui
perd pied,
qui
se sent enva-
hi
par une nausée irrépressible après avoir mattrisé toutes les
techniques
il
sent que désormais ce savoir froid le bloque,
stérilise sa pensée,
arr~te la main qui tient le pinceau. Lui
aussi
s'est éloigné de la source.
Une adolescente fait
irruption
dans son atelier
son visage palot d'enfant
pauvre rougit devant
un nu qui la trouble.
C'est dans l'expression
instinctive,
pres-
que primaire,
de cette pudeur enfantine que le peintre retrouve
le contact avec la vie,
ce contact
indispensable pour l'artiste,
sans lequel
il
était condamné à manquer son
rendez-vous avec
l'inspiration.
En somme le message de ces contes serait une mise
en garde contre la tentation d'un
esthétisme cérébral
et déssé-
chant qui
tournerait infailliblement à l'artifice déshumanisé.
Pour la Comtesse,
l'art ne peut ~tre autre chose que le reflet
d'une civilisation,laquelle ne manque jamais de créer de nou-
velles valeurs humaines auxquelles on croit et
pour lesquelles
on lutte.
Ce serait une bien piètre oeuvre d'art que celle qui
ne porterait pas en
elle le feu
de ces convictions et la chaleur

- 94 -
de ces lutteg,
qui n'est autre chose que la chaleur de la vie
elle-m~me.
Le
thème de la création artistique n'est toutefois
que l'un parmi
tant d'autres dans la production courte de notre
romancière.
D'autres sujets attiraient sans cesse son attention,
son siècle ne cessant pas de découvrir de nouveaux centres d'in-
tér~t propres à éveiller sa curiosité.

-
95 -
N
o
T
E
5
-=-=-=-=-=-=-=-=-
1.
Cuentos sacroprofanos, ~, T.
1,
page
1481
:
" ••. ,
bueno
como el buen pan,
candoroso como una doncella ••• ,
que con
los brazos abiertos a la Humanidad,
la sonrisa en los 18bios
y la fe en
el
corazdn,
hollaba una senda de flores."
2.
lb id,
pa 9 e s
148 1-1 482
:
"
el mundo no es sinD un vasto
campo de batalla,
donde luchan intereses contra intereses y
pasiones contra pasiones, ..•
el hombre es lobo para el hom-
bre."
3.
l b id,
pa 9 e 1 482
:
"
r~stros alegres y dulces palabras,
amigos solicitos y mujeres hechiceras y amantes."
4.
~, T.
II,
page 1617
"
un panecillo 0
diez céntimos
de leche .•. "
5.
Ibid,
page
1616
: " . . .
una buhardilla de las mas angostas
y desmanteladas ... ,
sillas medio desfondadas,
un catre con
ratonado jergon,
una mesilla mugrienta,
un tintero ronoso y
un anafre comido de orin."

-
9 Ei
-
6.
Ibid,
page 1Ei17 :
"
Lupercio sufrla grandes fatigas y
rubores, . . .
solo sal:la al
anochecer .•.
temblaba de fiebre,
de ansia de amar,
de gozar,
de aprender,
de vivir."
7.
Ibid,
page 1618 :
"
y esta vez convirtio la buhardilla
en jardln tropical,
poblado de naranjos y palmeras,
donde
vlrgenes africanas ofreclan a Lupercio agua frla
en anforas
rojas estriadas de plata yazul."
8.
.1
Op.
cit.
page 59
"Y no obstante,
al llamar a la vida artls-
tica 10 feo
y 10 bello indistintamente,
al otorgar carta de
naturaleza en los dominios de la poesia a todas las palabras,
el romanticismo sirvio la causa de la realidad.~
9.
Op.
cit.
pages 1616-1Ei17 :
"Erase que se era un mozo muy
. , ,
pobre,
y V1Vla en una buhardilla de las mas angostas y des-
man.teladas de la gran capital . . .
El mozo -
a quien llamar~
Lupercio -
cubrla sus carnes con traje sutil de puro raldo
y capa ya transparente. Las botas,
entreabiertas ; por ropa
blanca,
cuatro andrajos de lienzo
; por corbata,
un pingo."
10;
Helios,
1904,
nO
12,
page 258.
Cité par Nelly Clémessy,
Op.
cit.,
page 181.

- 97 -
11.
Cuentos Nu:e;vos, .Qb,
1.
II,
pages 1627-1628 :
fiEl
caso
que voy a referiros debio de suceder en alguna de esas ciu-
dades de geométrica traza,
pulc.ras,
bien torreadas,
de api-
nado caserIo,
que se divisan,
alla en lontananza,
empinadas
sobre una colina,
en las tablas de los pin tores misticos
flamencos.
Y la heroina de este cuento,
la virgen Albaflor,
se parecIa,
de seguro -
aunque VO no he visto su retrato -
a las santas que acaci cid el
pincel
de los mismos grandes
artistas :
alta y de graciles formas,
de prolongado corse-
lete y onduloso y fina cuello,
de sena reducido,
preso en
el
jubôn de brocado,
de cara oval
V candidos y grandes ojos
verdes,
que proteglan con dulzura melancolica t~pidas pes-
tanas;
fi
12.
Ibid,
page
1628 :
fi
Decls que era virtud ?
Virtud era,
pero
tambiÉn muy principalmente labor estética
delicada y mi-
mosa creacion de la fantasla
de Albaflor,
que se complacla
en
ella cual
el artista
se complace en
su obra maestra,
y
la retoca y perfecciona un dia
tras otro,
anadiéndole nuevos
primores."
13.
Dtros cuentos, ~, T.
l,
page
1966 :
IIYo preferirla morir
en Parls,
en el
bulevar,
con
su asfalto,
que vivir en ese
valle de la
Rosa,
que,
por su
descripcion
de usted,
debe
de ser el
arquetipo de la vulgaridad,
el
oasis de un paisa-
jista cursL
Dire a usted mas:
no existe ta.l Naturaleza.

-
98
-
La hacemos nosotros
; la creamos,
y solo cuando la creamos
vale algo y
tiene sentido.
La Naturaleza
Es la enemiga
del arte
1

y
de la ficcion,
10 unleo hermoso
; la ficcion
en-
cantadora •••
Al llegar al
valle escupiré sobre la primera
rosa que me salga al
paso . . . ,
sea vegetal
0
sea de c8rne ... ~
14.
Cuentos del
Terruno
CInteriores), ~,
T.
II,
page 1587
"Algunas lecturas,
un poco de erudicion a salto de mata,
debida a sus visitas a los talleres de pintores y escul-
tores,
hablan sembrado en
el
cerebro de
Rafael
ideas que
ahora se traduclan en
representaciones plasticas.
Figura-
1
base a 10 vivo una de aquellas mujeres del
Iran,
de quiene~
dijo Alejandro Magno
"que hacen dano al
corazon ll •
Una don-
cella de las que se ven en las miniaturas del
Cha Mamé :
palidas como la luna,
mostrando en el
rostro,
exagerada-
mente civalado,
los sombrlos ojos,
el
doble arco perfecto
de las ce jas anchas,
el
rojo de cinabrio de la boca,
entre
el
cual los dientes menudos brillan humedos,
como guijas
en el
fondo de eristalino remanso •.. ~
15,.
Cuentos Nuevos, ~, T. II,
page 1700
:
IILa inspiracian,
rebelde para 10 rimado,
vino
subita,
fulminea.
Le deslumbro,
como a Saulo,
el
relampago,
entre el eual
se le aparecla
Cristo.
Era la muerte ca si
segura
para desviar a la cria-
~ qut..
tura hab~a exponer el
cuerpo ••.
Conrado se precipita;
un

-
99
-
.segundo m~s tarde ••• hubiese sido tarde. Con un brazo echo
fuera de los rieles al pequenuelo,
que rompio en sollozos,
IJ con el otro brazo,
instin
tivamente,
quiso detener la
masa de hierro y madera que se le venla encima,
a pesar de
los desesperados esfuerzos del
conductor para sujetarla •••
y
su ultimo pensamiento -
antes de perder la conciencia
al
despedazarse su creneo -
fué
éste,
altivo IJ satisfecho :
Il
He escrito una admirable poesla ..• Il
16.
Cuentos de Amor, ~,
T.
l,
page 1352 : liEn aquellos momen-
tos de agonla,
su conciencia le acusaba,
diciéndole que la
decadencia del artista procedla del
indiferentismo del hom-
bre
; que la poesla no acude a los paramos,
sine a los oasis,
y que si no podla vol ver a amar,
tampoco podrla vol ver a
aparear versos,
como quien unce pare jas de corzas blancas
al mismo carro de oro. Il
-=-=-=-=-=-=-=-=-

C H A
P I T
R
E
V
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=
LE DIX-NEUVIEME SIECLE FINISSANT REDECOUVRE
-=-=-=-=-=-:-:-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-:-=-=-=-
LA FOLIE COMME SUJET LITTERAIRE:
OBSESSIONS,
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-:-=-
FANTASMES ET PHOBIES
-=-=-=-=-=-:-=-=-=-=-
L'ALIENATION MENTALE ET SES REMEDES - LES ORIGINES DU MAL:
L'OBSESSION QUI
ENGENDRE L'ANGOISSE - LES PARADIS ARTIFICIELS
L'AUTO-SEGRE~ATION DU SCHIZOPHRENE.
~==OOOOOoooOOOOO==-
La curiosité que les écrivains de l'école réaliste
et plus tard les naturalistes ont éprouvée face aux phénomènes
multiformes de la folie n'avait fait que grandir au fur et à
ème
mesure que le XIX
siècle touchait à
sa fin.
On connaît l'in-
tér~t que suscitèrent les expérimentationsde Charcot à la
Salp~trière et combien l'hystérie qu'il traitait par l'hypnotis-
me avait trouvé un large écho dans les romans des écrivains con-
temporains.
Pour ainsi dire tous,
les uns après les autres,
finissaient par rendre culte à la mode ou succombaient à la con-
tagion.
M~me ceux Qui, comme Dona Emilia, s'étaient montrés

-
101
-
réticents au sujet du néospiritualisme décadent ou'arborait le
nouveau
roman français des années 90,
finirent
par emprunter
à ce dernier des problèmes et des sujets.
Il
ne faut pas toute-
fois méconna!tre qu'en ce qui
concerne le nouveau
roman
français
de la fin
du
siècle les jugements de Do~a Emilia sont très défa-
vorables.
Les personnages de ses récits expriment le scepticisme
qu'elle ressent face aux idées communes sur la folie
crédulité
cléricale (les exorcismes)
d'un
c~té, prétentions excessives
de la science moderne de l'autre •••
Malgré quoi,
la folie
exis-
tant,
il fallait
tout de m~me en rendre compte.
L'ALIENATION MENTALE ET SES REMEDES
C'est le personnage principal qui
dans la plupart
des contes de Dona Emilia
révèle lui-m~me le processus de la
hantise qui le ronge;
il
essaie d'en découvrir les origines,
d'en
suivre la progression obsédante,
à
travers les souvenirs
d'un long r~ve vécu,
sans doute dans le dessein de se libérer
provisoirement d'un poids trop lourd à porter.
Le héros de
Los hilos s'est suicidé en laissant une lettre manuscrite où
il
raconte le mystère de ses hallucinations:
l'exaltation que cette lutte avec le monde

-
1U2 -
invisible a causé sur mon
système nerveux a été profonde et
funeste~ sans doute des cordes inconnues et très sensibles ont
vibré en moi
au
point que
j'ai pu prendre conscience d'un phéno-
m~ne dont j'ignore s'il a une existence extérieure ~ mon imagi-
nation
exaltée,ou s'il a un
rappoDt
quelconque avec la
réalité,
ou bien s ' i l a des origines physiques que nous
ignorons encore,
mais que la science étudiera et démontrera sans doute dans les
siècles à venir. 1I
(1)
Le mal
inexplicable qui
perturbait les sens de
l'halluciné est donc un mystère autant pour le malade qui
en est
la victime que pour la science de son époque.
A plusieurs repri-
ses,
Doha Emilia donne la parole aux patients qui
jugent les
différentes méthodes employées par les praticiens les plus repu-
tés.
Ainsi
dans Desde afuera,
le héros préfère ne pas s'attarder
sur l'hypnotisme:
ilL 'hypnotisme)jusqu 'à
ce jour., relève en partie du
charlatanisme et en partie de la science et ce n'est pas ici
que nous allons délimiter le terrain
de l'un de celui
de l'autre"'(2)
Dans Los hilos,
les révélations du malade sont signi-
ficatives
IIJe maudis la curiosité qui
m'a poussé à assister
aux séances de spiritisme et de suggestion hypnotique chez

-
1CJ3 -
Mirovitch,
le secrétaire de l'Ambassade russe.

n'est pas parce
que je croyais à
de telles histoires,
bien au contraire,
elles
m'ont semblé presque toujours des mystifications et des farces
bonnes à amuser les enfants."
(3)
Les méthodes utilisées par la
religion pour exorciser
le démon,
sont elles aussi passées au crible de la critique ration-
nelle
• Dans Posesidn,
un
frère
dominicain,
devant l'intransigean-
ce forcenée d'une femme que l'on croit Possédée par le démon,
se
livre sans succès aux méthodes les plus rudes et les plus terri-
fiantes pour la libérer:
"
prends garde,
tu
compara!tras devant Dieu qui
va te demander des comptes.
Tu répondras de tes actes,
car après
une vie de souffrances passagères s'ouvrira pour toi une autre
faite de supplices éternels.
Un pas,
une seconde pour passer de
l'une à l'autre et te voilà
dans l'éternité,
r:ette éternité qui
est le feu mais non pas un feu comme celui d'ici-bas.
qui provo-
que la mort,
et avec la mort le repos,
mais le feu
sans fin,
atroce,
éternel,
qui
fait
repousser la chair pour la brûler à
n O,U v eau,
qui
r e s sou deI es 0 S pou r I e s cal c in e r à no u v eau."
(4 )
On le voit,
Dona Emilia passe en
revue dans ses
contes toutes les idées communément admises soit par les reli-
gions traditionnelles,
soit par la
science de
son
temps.
Tour à
tour elle s'en prend aux unes et aux autres pour les refuser
toutes de la façon la plus inattendue et la plus ironique.

-
104 -
LES 0 RI GIN ES DU MAL
L'OBSESSION QUI
ENGENDRE L'ANGOISSE
Aux étranges thérapeutiques proposées,
la Comtesse
oppose l'observation attentive qui pourrait peut-~tre mener à
découvrir les origines du mal.
Une des causes de l'angoisse se
trouverait dans la vie nocturne,
celle des r~ves qui peuplent la
nuit des hommes.
Dans La operacibn,
le héros est un riche parve-
nu qui raconte les r~ves qu'il faisait du temps où il était très
pauvre et très ambitieux
"Je r~vais •••
d'affaires et d'aventures dramatiques,
de dangers et d'intrigues dignes d'un roman
je r~vais et j'étai!
un artiste célèbre,
un écrivain de renommée universelle,
un guer-
rier victorieux,
un éminent homme d'Etat,
un héros ou m~me un
martyr •.•
Ces r~ves et ces désirs s'étaient emparés de moi avec
une force telle qu'ils avaient ébranlé ma santé •••
Rien à faire,
me disais-je,
le mieux serait de me supprimer,
de disparattre
de ce monde misérable et méprisable."
(5)
Plusieurs contes fantastiques de Dona Emilia expri-
ment cette aliénation de la pensée due aux r~ves déçus ; le per-
sonnage devient prisonnier de ses frustrations
qui se transformen
en mystérieuse maladie de l'~me. Fatigué de vivre,
il n'éprouve
d'autre envie que celle de s'évader,
de fuir,
et sa fuite est
souvent sans retour.

-
105 -
LES PARADIS ARTIFICIELS
Tout comme chez Edgar Poe,
l'alcool
ou la drogue
-v
produisent chez les personnages de certains contes de Dona Emilia
des sensations illusoires d'évasion dans lesquelles le malade
croit assouvir le désir irréalisable qui l'obsède et qui
le
tourmente.
Livré à lui-m~me et à sa solitude,
le héros de El
Sante
Grial
est un opiomane qui
se réfugie dans le r~ve et à qui la
drogue procure l'illusion d'accéder au monde
idéal
de l'invlsi-
bl e :
IIEt
Raymond,
pendant que la cigarette turque
se
consumait,
éprouvait un malaise,
une angoisse,
une tristesse
indÉfinissables;
un désir véhément de savoir s'il
est possible
de contempler avec les yeux du corps et ensuite avec les yeux
de l '~me,
l'invisible Grial. •••
Dès que Raymond ferma à moitié les paupières,
il
perdit de vue le salon du Casino,
son luxe vulgaire,
ses dorures
insolentes, •••
et peu à peu,
avec la lenteur des phénomènes natu-
rels,
le décor changea et,
du fond
de l'éther,
surgit un
étrange
édifice resplendissant."
(6)
Mais ce malade de l '~me n'assouvirà pas dans les
hallucinations que lui
procure la drogue,
la soif oui
le dÉvore,
car à chaque départ vers les sphères éthérées succède le
rÉveil

-
106 -
nauséeux,
le nouveau plongeon dans le quotidien
de plus en plus
dérisoire,
de plus en plus intolérable que l'auteur a symbolisé
par le bruit que font près de lui les queues de billard et les
boules qui
roulent sur la table verte.
L'AUTO-SEGREGATION DU SCHIZOPHRENE
Pour le héros de Los hilos,
les fils qui
tissent
l'existence humaine paraissent insolites,
inexplicables;
la
cruauté de la vie déplorable
: passion démesurée des hommes à
s'entretuer au cours des guerres injustifiées,
haines,
trahisons
de la vie politique et de celle des affaires.
La cupidité et
l'appétit de pouvoir font de l'homme un fauve
rusé et un carnas-
sier stupide et féroce
:
"J'ai vu un fil
très noir,
de haine et de trahison
qui allait du politicien X••• à son chef naturel et grand protec-
teur Z...
un fil
vert,
dégoOtant,
qui allait de la jeune mariée
Eloise O••• à la personne décrépite du général N•.• , un double
fil
sombre,
d'envie mortelle,
que s'envoyaient réciproquement
les deux amies A•••
et B••• , un fil
sombre,
d'aspect funèbre
qui attachait le jeune homme H•..
à
son père R...
qui
ne finissait
pas de mourir et de lui laisser l'héritage tant convoité •.•
Et
je voyais sans cesse des fils invisibles pour tous,
et je sentais
s'épaissir la toile noire et poussiéreuse qui m'entourait et
augmenter jusqu'au paroxysme l'angoisse et l 'horreur qui oppri-
maient mon esprit.
C'est ainsi que se manifestaient les bas appé-
tits,
les vilenies,
les misères de notre condition. La concupis-
cence,
la cupidité,
la fraude,
la cruauté,
les instincts homicides
sont révélés par ces fils
inf~mes." (7)

-
107 -
Voilà
comment le psychisme faible
d'un homme lucide
sombre dans l'incommunication délirante de la schizophrénie.
Dans une civilisation
qui
sécrète le malaise,
les
suicidaires,
les hallucinés,
les hantés,
les obsédés de toutes
sortes ne peuvent ~tre que des hommes ordinaires que la difficul-
té de vivre a acculés à
chercher refuge dans la maladie,
la
névrose,
les paradis artificiels ou la mort.
Dona Emilia a
essayé
de les suivre à
travers les méandres de la folie.
Elle a laissé
la parole successivement au narrateur confident et au héros de
El
espectro hanté par une phobie étrange et qui
l'entraîne dans
le drame qui
assombrira sa vie:
1I0 e nos
jours,.- dit le narrateur -
pour discréditer
un homme,
on l'accuse de déséquilibre ou,
au moins de névros~...
Or
: Lucio Trelles soutient que tout le monde est déséquilibré,
que tout le monde parcourt sa mauvaise lieue de mauvais chemin
psychologique,
que tout le monde souffre de manies,
de supers-
titions,
de folies,
d'extravagances.
Les avouer ou les passer
sous silence voilà la seule différence ••• 11
(8)
Chez lui,
la
II mauv aise
lieue de chemin ll a commencé par son horreur du félin
domestique dont la seule vue lui
produisait une intolérable
répulsion nerveuse.
Nous ne sommes pas loin du monde hallucinant
de Poe dans
ilLe chat noir ll •
Il
Y a encore un autre sujet important par rapport
,
aUGuel
le récit court de Pardo Bazan a évolué considérablement
le long des années.
Clest celui de la vie politique espagnole.

-
10B -
N
o
T
E
s
-=-~-=-=-=-=-=-=-
1.
Cuentos sacroprofanos,
O.C.,
T.
l,
page 1446 :
Il
la
excitacion que tales jugueteos con el mundo invisible cau-
saron en mi sistema nervioso fué honda y funesta,
sin duda
vibraron en m! cuerdas desconocidas y muy sensibles,
pues
desde entonces comencé a advertir un fenômeno que no sé si
existe tan solo en mi
imaginaciôn exaltada 0
tiene Blguna
correspondancia con la realidBd,
y se debe a causas flsicas
que ignoramos aun,
pero que la ciencia estudiBra y demostra·
rd en los siglos venideros. 1I
2.
Op.
cit.,
T.
l,
page 1459 :
IIEI hipnotismo,
hoy por hoy,
tiene parte de charlatanismo y parte de ciencia,
y no vamos
aqu! a deslindarlas. 1I
3.
Op.
cit.,
T.
l,
page 1446 :
IIMaldigo ••.
la curiosidad que
me impulsa a asistir a algunas sesiones de espiritismo V
sugestion hipnotica en casa de Mirovitch,
el secreta rio de
la Embajada rusa. No es que yo llegase a prestar fe a tales
historias
jantes por el contrario, me parecieron casi toda~
e Il a 5 pat r Bila s y m0 j i 9 a n 9 a s bue n a s\\'~h i qui 11 0 s. Il

-
:109
-
4.
Op.
c i t.,
T.
l,
Page 1 4 48 :
"
mira que ya pronto compare-
1
ceras ante ese Dios que va a pedirte cuenta de tus actos,
y
que a una vida de sufrimientos pasajeros seguira otra de
suplicios perdurables.
Un paso,
un segundo,
es el
transito
a la eternidad,
y esa eternidad es fuego,
no coma el de aqul,
que causa la muerte,
y con la muerte trae el descanso,
sino
in t e rm i n a ble,
h 0 r r end 0,
con tin u 0,
que r en u e val as car n es
para volverlas a tostar y recuaja los huesos para calcinar-
los otra vez."
5.
Op.
cit.,
T.
l,
page 1499 :
"Vo sonaba . . .
con lances y aven-
turas muy dramaticos,
y peligros y enredos dignos de una no-
vela;
con ser un artista célebre,
un escritor de fama uni-
versal,
un guerrero victorioso,
un gobernante excelso,
un
héroe y hasta un martir ••• aquellos suenos y ansias se apo-
deraron de ml con tal fuerza,
que acabaron por quebrantar
mi salud ... Nada, 10 mejor era suprimirse,
desaparecer del
indigno y miserable mundo."
6.
Op.
cit.,
T.
l,
page 1474 :
"V Raimundo,
mientras el ciga-
rillo turco se consumla,
experimentaba una indefinible desa-
zan,
angustia,
pena
; un anhelo vehemente por enterarse de
10 que es necesario si se ha de ver,
con los ojos de la cara
y después con los ojos del alma,tl invisible Grial •••
Entornando los parpados,
Raimundo perdio de vista el
salon del
Casino,
su lujo vulgar,
sus dorados insolentes ...

-
110 -
Y, P0 c 0
a
p 0 co,
con l a l e n t i tu d d e l 0 5
f enD men 0 5
n a tu r al es,
cambio la decoraciôn
\\;,
sobre el
fondo
del
éter,
surgio un
edificio singular y espl~ndido."
7.
Op.
cit.,
T.
l,
pages
1446-1447
:
"Vi
un hilo negrlsimo,
de
odiojtraicion,
que iba del
polltico X.••
a
su
jefe natural
y gran protector Z •••
un hilo
verde,
asqueroso,
de la re-
cién casada Elolsa
D.•. a la decrÉpita persona del general
;
un
doble hilo oscuro,
t'
de envidia mortal,
que
reclpro-
camente se enviaban las dos amigas A•••
y B•••
;
un hilo
sombrlo,
de funebre
aspecto,
del mozo H•••
a
su padre
R..• ,
que no acababa de morirse y de jar le su
codiciada herencia .•.
y
yo
vera
tenazmente los hilos,
invisibles para
todos,
y
sentla espesarse la
tela oscura y polvorienta que me rodea-
ba
y crecer hasta
el
paroxismo mi angustia y mi
horror,
que
me oprimlan el
esplritu.
Allf
se patentizaban los bajos ape-
titos,
las vilezas,
las miserias de nuestra condicion,
reve-
ladas por los hilos infames,
de concupiscencia,
de codicia,
de dolo,
de maldad,
de instintos homicidas ••• "
8.
Op.
cit.
1.
l,
page
1942
:
"Hoy,
para discreditar a un hom-
bre,
se dice de él
que es un
desequilibrado 0,
por 10 menos,
un neurotico •••
Ahora
bien
Lucio
Trelles sostiene la
teorla de que
desequilibrado 10 es todo
el mundo
;
que a nadie le falta

-
111
-
esa "legua de mal camino" psicoldgica
; que no h~y quien
no padezca manlas,
6upersticiones,
chifladuras,
extravB-
gancias,
sin mas diferenciB que la de decirlo 0 callarlo,
llevar el desequilibrio a la vista 0
bien oculto.~
-=-=-=-=-=-=-=-

C H A
P I T
R
E
VI
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0
LA
DERNIERE
DECENNIE
DU
SIECLE -
LES ESPAGNOLS
-= -= -= -= -: -= -= -= -= -= -= -:: -= -...= -:::: -= -= -= -: -= -;:: -= -=-
/
ET L'ESPAGNE EN
CRISE -
PARDO
BAZAN
-:: -= -= -= -=-= -=-= -= -= -= -= -= -= -= -= -=-
ET LE PROBLEME NATIONAL:
UNE PREOCCUPATION
-= -= -: -= -= -= -= -=-= -= -= -= -= -= -=-=-= -=-=-= -=-
PRECOCE ET UNE
RAPIDE EVOLUTION
-= -= -: -: -= -= -= -=-: -= -= -= -= -= -=-
LE
DERNIER AVATAR:
DONA
EMILIA
"REGENERACIONISTA"
LES CONTES DE LA PATRIE -
L'ATONIE
D'UN
PEUPLE -
OEUVRER
POUR UN
PAYS NOUVEAU -
LE PASSEISME
STERILISANT:
DONA
EMILIA
ETC 0 ST A -
L AGE NERA TI 0 NOE 98
-
LES ETA T S- UNI S •
-==0000000000000==-
Les premiers contes à sujet politique remontent
chez Pardo Bazan à 1886. La Comtesse avait choisi dans le seul
conte publié cette année d'aborder le thème du carlisme dans
sa province natale.
En effet dans "La mayorazga" de Bouzas,
Dona Emilia en s'inspirant de sa propre expérience d'ancienne
1
militante carliste,
y a
tracé la silhouette d'un personnage fémi-
nin fort énergique,
opérant dans la plus redoutable clandestinité.
Trois ans plus tard,
en
1889,
c'est encore le carlisme qui cons-
. 1
titue le thème évoqué par le conte de l'année
Morrion y Boina.
Cette fois,
c'est n'est plus le retour du sujet qui est surprenant

113 -
mais la façon
dont il
a évolué.
L'écrivain
est passé,
en effet,
du souvenir tant soit peu ironique de son propre militantisme
au sein des rangs carlistes à la critique ouverte de l'intolé-
rance politique.
Voicl deux leaders provinciaux carliste et répu-
blicain dont les convictions opposées ont fait
des ennemis impla-
cables que rien ne pourra
réconcilier/pas m~me la mort:
"Enterrés dans des fosses
voisines •.. ,
leurs ~mes
continuent-elles à
se disputer 7 Leurs os,
se sentant si
près,
crissent-ils de rage 8U fond du cercueil 7"
(1)
s'interroge,
à
la fin
du
récit,
le narrateur-témoin.
questions sarcastiques mais
significatives car elles soulignent l'horreur que les rivalités
politiques inspirent désormais à l'écrivain.
Les années passant,
on voit Emilia Pardo 8az~n évo-
quer avec de plus en plus de force l 'horreur des incidents san-
glants engendrés par les luttes électorales dans les provinces
galiciennes.
Les villages -
décrits avec un
très fort
réalisme -
sont le
thé~tre des cruels exploits des "caciques" qui y font
régner la terreur.
Viernes Santo,
publié en
1891,
insiste sur la
tyran-
nie d'un de ces "caciques"
toujours pr~t à faire assassiner les
paysans qui
lui
font face.
Les tyranneaux locaux et leur famille
sont parfois à leur
tour massacrés par les villageois.
Ces tragi-
ques péripéties de la vie parlementaire au niveau d'un
chef-lieu

-
114
-
de canton fournissent à
Do~a Emilia l'occasion de mettre en
cause les gouvernements de la
Restauration laquelle,
à
son avis,
avait été incapable d'instaurer l'ordre dans des régions où les
vieilles féodalités -
protégées par l'Etat Central -
faisaient
régner la terreur dans les campagnes.
En
termes très clairs,
elle pr~tait à son narrateur sa propre amertume
"
il me para!t incroyable qu'en ce siècle oùJ~n
crie sur tous les toits le mot "liberté",
on puisse vivre aussi
assujetti à un
seigneur qu'au
temps du Comte Pedro Madruga ...
Nous avions espéré qu'après tant de bagarres,
de révolutions et
de guerres civiles,
l'état de notre pays s'améliorerait et qu'on
parviendrait à
garantir la sécurité de chaque citoyen . . .
Les
choses n'ont guère changé,
elles vont m~me plus mal depuis la
restauration d'Alphonse,
et
j'irai
jusqu'à dire que la
Régence
est venue nous donner la claque.
Autrefois,
les uns criaient:
"Vive celui-ci",
les autres:
"Vive celui-là"
tantôt la
Républi-
que,
tantÔt Don Carlos ••.
C'était là
des idées générales,
on
dirait q~~elles engendraient moins de haine entre les uns et
les autres.
Aujourd'hui,
notre seul
souci
est de voir qui
gagne-
ra les élections,
qui
se rendra l'arbitre de cette région ... ,
pour cela tous les moyens sont bons et advienne que pourra.
Bref,
comme nous disons
ici
:"je saute d'un buisson pour retomber
dans un autre .•.
plus sombre."
(2)

-
115 -
Selon notre romancière,
il se dégage de la vie poli-
tique de ces décades une désolante impression de médiocrité dont
la manifestation la plus triste est la stérilité des luttes et
la corruption électorale.
LED ERN 1ER AVATA R
DONA EMILIA "REGENERACICII'HSTA"
La dernière évolution de Dona Emilia sur les problè-
mes toujours mal
résolus de l'Espagne ne se fait jour qu'à partir
de la dernière décennie du XIxème siècle.
Cette période se carac-
térise d'une façon générale par une inquiétude croissante,
unE
continuelle fermentation d'idées oeuvrant à tous les niveaux du
corps social. Les luttes du prolétariat ouvrier et paysan prennent
des formes explosives et violentes -
révoltes dans les régions
agraires,
bombes et attentats dans les villes industrielles -
que
le gouvernement de la Restauration veut réprimer dans le sang sans
parvenir à les désamorcer.
Cénovas lui-m~me sera victime du terro-
risme anarchiste en 1897. A l'extérieur des frontières de l'Espagne
le tableau n'est pas plus rassurant. L'Espagne,
après une guerre
désastreuse avec les Etats-Unis perd en 1898 Cuba et les Iles
Philippines,
derniers vestiges de son empire colonial.
C'est au
lendemain de cette défaite qu'un nouvel esprit se fait jour chez
des intellectuels espagnols lesquels dénoncent avec passion le
déclin de leur pays.
Ils réagissent en particulier contre l'échec
total de la politique de la Restauration,
contre l'isolement

-
116 -
de l'Espagne et contre les moeurs politiques corrompues qu'ils
rendent responsables des maux dont souffre la nation.
Partout
on entend dénoncer le "caciouisme",
la
routine administrative,
le régime de propriété terrienne~ partout on se plaint de la
misère des paysans,
de l'analphabétisme généralisé,
du retard
du pays dans le domaine de la science et des techniques.
La voix
de Do~a Emilia ne pouvait pas ~tre absente de ce choeur de pro-
testations qui,
au nom de l'Espagne réelle qui
veut changer et
rena!tre,
s'attaque aux mensonges de l'Espagne officielle.
La
Comtesse,
qui,
du
temps de sa jeunesse s'était voulue conserva-
trice et m~me réactionnaire,
voire carliste,exprime dans certains
de ses contes, écrits entre 1896 et
1901)le m~me mécontentement
d'une Espagne décrépite que les plus ardents "régénérationnistes."
Elle dénonce avec vigueur le r~ve passéiste d'un certain natio-
nalisme qui,
en flattant le patriotisme primaire de beaucoup
d'Espagnols,
condamne le pays à l'immobilisme.
On trouve déjà
ce sujet dans des récits antérieurs de quelques années au tour-
nant décisif de
1898.
Clest le cas de Apostns{a,
publié en
1893,
où l'on raconte l'aventure d'un
jeune et brillant député conser-
vateur lequel,
attristé par le dÉclin
de son pays,s'emploie dans
ses éloquents discours à faire appel
au patriotisme des provin-
ciaux devant lesquels il
fait profession d'un ardent nationalisme
,
passéiste.
Son idéal
est de
rendre à l'Espagne la grandeur et la
gloire des Siècles d'Or.
Ayant décha!né l'enthousiasme des foules,
l'orateur se sent de plus en plus fier de lui.
Mais un
jour il

-
117 -
trouve un fou
qui
lui explique sa géniale invention
une immense
machine qui,
par un
système de poulies,
poids,
contrepoids,
vis
et barres,
bloquerait le pays pour le stClbiliser,
pour arrlHer
tout mouvement,
et pOUT que rien ne change jamais.
Le jeune nationRliste que l'auteur appelle
"champion
du passé"
réFléchit.
Il
comprend
lui aussi
était fou,
mais il a
retrouvé sa
raison.
Il
se bornera désormais à faire campagne en
vue de moraliser l'administration.
[VIais lorsqu'il
dépose ainsi
sa fulgurante
épée d'ange exterminateur,
ses anciens admirateurs
se détournent de lui
et le méprisent.
(3)
On ne peut pas brosser une caricature plus acerbe
du leader nationaliste qui
par l'évocation
rutilante du passé
national
électrisait les masses et qui)au fond)n'aspirait qu'à
la paralysie du corps social.
Les contes que nous venons d'évoquer révèlent
l'esprit critique de Pardo
Baz~n et le malaise avec lequel elle
observe la vie politique de
son pays dans ces années critiques
qui
déboucheront sur l'humiliante déFaite de
1898.
LES CONTES DE LA PATRIE
L'inouiétude
,
que
.
la Comtesse avait éprouvée depuis
des annees face à la situation de son pays s'était ravivée avec
le désastre de Cuba
et des
Iles Philippines.
Cette prise de

-
118 -
conscience se traduisit par la publication,
dès
1898,
d'une
série de contes patriotiques oLI
l'on
retrouve l'essentiel des
idées que développera,
plus tard,
le groupe de
jeunes intellec-
tuels que l'on a appelé
"la génération de 98".
Les contes patriotiques de Do~a Emilia présentent,
comme l'a bien
remarqué Alfonso
Rey,(4)
deux caractéristiques
dominantes:
la
thèse véhiculée par le récit
et le symbolisme.
Notre écrivain
se sert,en effet,de symboles pour exposer ses
idées sur la possible régénération de son pays.
Ces idées ou
thèses sont les suivantes
L'AT,ONIE D'UN PEUPLE
1
Pardo Bazan était persuadée que la solution de
l'Espagne exigeait l'effort de tous 88S fils.
Un des tout pre-
miers reproches qu'elle adressait à son peuple était le manque
de patriotisme.
Dans El
r:atecismo,
une leçon de sentiment patrio-
tique est donnée par un
enfant de sept ans.
C'est lui
qui,
avant
d'exprimer sa ferme
intention d'aller se battre pour la patrie,
quand il
serait grand,
demande à son père les raisons de son
absence à la guerre.
Ecrit en
1895,
ce conte rend compte du cli-
mat général d'apathie qu~ l 'écrjvain avait senti na!tre chez ses
co mpat rio t es fa c e dU x gue r r e s r: 0 l n nia les dan s les que 11 e s l ' Espa g n e
s'était engagée et o~ les seuls combattants étaient,
outre les
militaires de r:arrière,
les enfants du peuple trop pauvres pour

119
-
Dayer leur exemption en argent cnmptant,comme le faisaient les
bourgeois.
Rappelons une anecdote de la Comtesse en
1898 au sujet
de l'indifférence des Espagnols devant le désastre:
IIJe crois -
écrivait-elle -
que le plus tragique
,
a été l'insensibilité de la foule au moment ou l'histoire de
l'Espagne se terminait~queue de poisson et que notre soleil qui
ne s'éclipsait jamais,
disparaissait à l'horizon.
Je ne suis
,
pas pr~te d'oublier ce triste jour,
date ou,
en entrant dans
une
maison,
quelqu'un qui
remarquait mes yeux enflés,
m'avait deman-

:
-
Avez-vous perdu un
parent?
A quai
j'avais répondu
-
J'ai
perdu le m~me parent que vous tous ••.
Je crois qu'ils ne se sont m~me pas rendus compte de ce qui
s'étaitpassé. Le soir m~me, les places pour la corrida du len-
demain étaient toutes vendues.
a foule au coeur de granit ! ...
Ce qui me faisait mal
comme une brDlure,
c'était cette indiffé-
rence
incroyable,
ces rires,
ces quolibets,
ces plaisanteries
dans la rue,
ce Madrid •..
Ce sont là
des évocations malheureuse-
ment toujours vives au fond de mon
coeur.
Car il m'a été pénible
d'assister au
déclin de la patrie,
aussi affligeant que la perte
d'une personne aimée. Il
(5)

-
120
-
Le m~me thème de patriotisme appara1t dans un
autre conte:
El
templo.
L'auteur y fait dépendre la
régénéra-
tion de l'Espagne d'un grand élan d'amour patriotique de la part
de gouvernants et gouvernés décidés à oeuvrer pour la prospérité
du pays.
Vu,
l'impératrice chinoise, s'éprend d'un
jeune bonze.
Un
jour,
elle demande à son bien-aimé un
remède à sa tristesse
le bonze lui ordonne de faire construire deux
temples.
L'~mpéra-
trice en fait b~tir deux très somptueux que le jeune bonze brDle
tout
en exigeant qu'ils soient construits dans le coeur de l'im-
pératrice.
Alors,
celle-ci
adopte dans son
royaume une politique
humaine et juste,
créatrice de richesses;
elle fait
nuvrir les
prisons,
réduit les imp~ts, met fin aux supplices,
restaure
l'agriculture et fait régner la morale.
Dès lors,
elle retrouve
son
rayonnement d'antan.
Jusqu'au
jour où elle se fait assassiner
par les mandarins mécontents.
OEUVRER POUR UN
PAYS NOUVEAU - LE PASSEISME STERILISANT
N
DONA EMILIA
ET COSTA - LA GENERATION
DE gS
Dans d'autres contes,
l'écrivain a proposé une poli-
tique novatrice.
El palacio fr{o
dénonce par la voie du
symbole
l'isolement international
de l'Espagne et l'irréalisme de ses
dirigeants tout à fait couPP-s du peuple.
Un prince vit seul dans
un
immense palais où il
a constamment froid.
11 consulte un mé-
decin qui
lui ordonne d'ouvrir grandes les fenêtres du palais,
ce qu'il
fait non sans crainte.
Or,
l'air extérieur le réchauffe,

-
121
-
restaure son énergie et le réconcilie avec
son peuple qu'il
avait toujours ignoré.
En sortant de
son palais-tour d'ivoire,
"il découvrit avec un
grand étonnement que le monde ne corres-
pondait pas ~ la peinture que ses courtisans lui en faisaient .
.••
Mille questions qu'il ne comprenait pas lui apparurent claires,
transparentes;
il
connut les besoins de son peuple,
écouta ses
plaintes,
s'assimila ses aspirations,
fit siens ses désirs les
plus impérieux,
au point qu'il
s'identifia à la
vie de ses sujets,
au point que son coeur parvint à battre entièrement a l'unisson
du grand coeur de la patrie comme si
le m~me sang les irriguait
tous les deux,
comme si les m~mes joies,
les m~mes tristesses
les dilataient et les contractaient ••.
Et dans un moment d'ins-
piration,
il comprit que puisqu'il
faisait chaud dehors,
le
palais se réchaufferait peut-~tre, s'il ouvrait toutes grandes
les portes et les fen~tres afin qulil puisse se remplir de
l'atmosphère extérieure,
du vent de la
rue et m~me des gens de
la rue,
des gens humbles.
Ainsi,
il
permit a
ses sujets de fran-
chir les portes du palais royal.
Et a mesure que le peuple,respec-
tueux et très tendre à
l'égard de son bon monarque,
parcourait
les magnifiques demeures,
le prodige se réalisait
=
la glace
fondait,
l'air devenait de plus en plus doux,
de plus en plus
~
Dans El
tsrreon de la Esperanza,
c'est encore
l'innovation que la romancière exige en matière politique.
On y vo«

-
122 -
l. e sEs p a g no l s m[) n tés su r l 1 i mm en s e t ou r diE s po i r p ou r co n t e mp1er
l'arrivée des "sauveurs" de leur patrie et sien
retourner désa-
busés du
spectacle monotone des vieux politicards:
"La troupe
attendue,
la
troupe inconnue .•.
ni étai t
composée que de "ceux-là"
m~m es,
Bon Dieu
1
. , ceux-là contre qui ils avaient lutté depuis
des années,
en
proie aux dangers de la censure comme à ceux de
la déception
et de la lassitude.
Tous les m~mes, immuables,
tous
chevronnés,
tous vétérans .•.
Les m~mes "champions", les m~mes
hommes d'Etat,
les mêmes artistes,
les mêmes célébrités des
lettres. o •
Pas une seule nouvelle t~te, mon Dieu!"
(7)
L'écrivain,
semble-t-il,
fait allusion
ici aux
hommes des deux partis "dynastiques"
qui
se tournaient dans
l'Espagne de la
Restauration au point qu'à chaque crise ministé-
rielle le peuple désabusé commentait en lisnnt la constitution
du nouveau gouvernement:
"Son los mismns perros con otros colla-
res. "
C'est certainement dans La armadura que Doria Emilia
se pose le plus décidément en apetre du changement.
Sa critique
est devenue de plus en plus acerbe contre l'immobilisme de
l'Espagne qui,
repliée sur elle-m~me, rumine inlassablement le
souvenir de ses gloires passées.
La armadura
rapporte le cas
d'un
jeune duc qui
pense faire sensation dans un
bal masqué en
revêtant une armure du
temps de Charles Quint.
En effet,
il
réussit son entrée mais lorsque se sentant trop serré dans son

123 -
carcan de fer on
tarde à l'en délivrer il croit mourir d'étouffe-
ment et d'asphyxie
"quelle suggestion diabolique que tout cela ?,
dit
le narrateur,
s'incruster dans le moule d'autres siècles ...
et
ne pas pouvoir en sortir!
Sentir sur ses faibles c~tes, sur
un coeur sans énergie,
la carapace de l'héroYsme antique.
et
ne pas la briser!
Prisonnier dans une armure!"
(8)
L'angoisse du
protagoniste provoque le malicieux
commentaire d'un de ses amis:
" -
Sais-tu à
quoi
je pense? LI Espagne se trouve
dans la m~me situation que toi ... ,
enfermée dans le moule du
passé et en
train de mourir car elle ne peut plus y tenir ni
elle ne peut pas se l'enlever .•.
Un
bon
symbolisme,
non?
Tiens,
je vais moi-m~me te chercher quelqu'un qui
ouisse tp sortir de
ce machin •••
car si
tu attends tes servi teurs •..
!"
(9)
Ce récit fut le dernier de la série nes Contes de la
Patrie.
L'écrivain se sentait-il
incompris de
ses contemporains?
quoi
qu'il
en soit,
il
faut
rappeler que dans ces m~mes années
certaines sociétés à tendance réformiste,
comme l'l-\\teneo de
Valence,
invitèrent Do~a Emilia à y prononcer des conférences.
Elle se sentit alors en
communauté d'idées avl'C:: ces groupes qui
aspiraient au changement et à la rénovation
"LI? mprite de
1
l'Ateneo de Valence -
dit Pardo Bazan -
est d'~voir proclamé
cette aspiration
renoncer a hausser les éoaules,
et à s'allon-
ger pour faire la sieste -
la sieste espaqnole,
la paresseuse

124 -
sieste de l'heureux méridional
a
l'ombre de
ses
treilles,
dans
la
senteur de
ses
jasmins."
(10)
Inconformiste
depuis
des annees,
on
l'avait
déjà
entendue
en
1b99, au
cours
d'une conférence qu'elle donnait à
Paris,
essayer d'éclairer l'opinion
française
sur les
réalités
présentes de l'Espagne afin
de
"détruire l'image légendaire de
l'Espagne
traditionnelle,
romantiquementidéalisée."
(11)
Car i l
fallait,
avant
tout,
cesser de
s'abandonner
aux
vieux
fantasmes
pour considérer les
réalités les
plus prosaï-
oues
du
moment.
C'était là
l'indispensable point
de
départ,si
on
voulait oeuvrer au
redressement
du
pays.
El
caballo
blanco 7
conte
publié l'année de
sa
conférence de Paris,
exprime
bien
le point
de
vue
de la
Comtesse.
A l'image héroïque
du
guerrier
traditionnel
elle y oppose celle,
plus
gratifiante du
travailleur.
Après
le
désastre
de
1898,
les Espagnols pensant à des combats
futurs,
cherchent l'appui
de
l'Ap~tre Saint-Jacques. Or,
lorsque
celui-ci
s'appr~te à monter sur son cheval blanc pnur porter se-
cours au
soldat
espagnol
voici
qu'apparaît
Saint Isidore
de
Madrid,
le
laboureur
infatigable,
qui
lui
annonce
l'ordre
du
Seigneur:
le cheval
doit
servir à
labClurer les
terres
liCher compatriote,
lui
di t - i l ,
il
faut
patiemment
labourer notre
sol
sans
perdre une minute ..
Il
(12)
Voilà
qui
est clair,
face?
l'Espagne épuisée par
ses
guerres coloniales
(13),
il
faut
un
sursaut natiClnal
(14)

-
125 -
incitant au
travail,
à l'effort.
Cette attitude n'est pas sans
rappeler la consigne de Costa:
fermer à double tour le sépulcre
du Cid
(15) ou encore celle qu'expriment les vers très connus
d'Antonio Machado qui annoncent la naissance d'une autre Espagne,
implacable et rédemptrice,
brandissant l'outil
de travail.
(16)
LES ETATS-UNIS
A l'occasion de la guerre avec les Etats-Unis se
font
jour les sentiments très critiques et teintés d'une certaine
antipathie que Dona Emilia éprouvait à l'égard de la grandissante
puissance des Etats-Unis d'Amérique.
Ce n'est pas chez elle le
patriotisme viscéral des foules ignares qui
hurlaient la Marcha
/
.
de CadlZ
mais une réaction qui n'était pas sans rapport avec
celle du Cubain José Mart{,
dénonciateur du capitalisme déjà
implacable et de l'impérialisme naissant de la nouvelle grande
puissance qu'il avait si lucidement analysés.
Dans deux de ses contes -
Vengadora et Entre razas -
1
qui datent de 1898,
Pardo Bazan n'a pas ménagé ses critiques à
l'encontre du pays où le dollar
est roi.
(17)
Dans le premier,
la romancière dénonce les atrocités
du capitalisme américain.
Dans le second,
elle touche au problème
racial,
au problème des Noirs d'Amérique.
Un américain se fait
assassiner en Espagne par un noir auquel
il avait refusé le droit
d'~tre son égal. Il est clair que pour Do~a Emilia, comme pour

-
126 -
Tocqueville,
le fait de refuser l légalité des races ne peut
conduire Qu'à la barbarie.
En somme,
ces contes rendent compte des successives
prises de position politiques de la Comtesse laquelle,
dès ses
débuts littéraires,
n'a cessé de manifester sa préoccupation
au sujet de la vie nat~onale de son pays.
Dans un premier temps,
la romancière -
nous l'avons vu -
a mis en cause les gouvernements
de la
Restauration qui livraient les campagnes galiciennes -
victimes du faux parlementarisme instauré par C'novas - à la
tyrannie du
"caciquisme" barbare et rétrograde.
Dans un deuxième
temps,
avec la grande crise de
1898,
Don'a Emilia,
poussée par le
désir de voir na1tre dans son pays une politique lucide,
efficace
et réaliste,
s'est lancée dans la campagne II r égénérationniste ll •
Cette condamnation de la vie publique dans l'oeuvre
de Madame de Pardo Baza'n ne constitue pas,
nous l'avons dit,
un
cas isolé dans la littérature espagnole de l'époque;
elle est
plut~t révélatrice d'un malaise généralisé qui s'est manifesté
partout en Espagne au cours des dernières années du Xlxème siècle
et dont l'écho
retentira dans les oeuvres de la génération posté-
rieure à celle de notre écrivain.
Mais ce petit groupe de contes est là pour nous
montrer une fois de plus l'extraordinaire disponibilité de Do~a
Emilia qui,
à toutes les époques de sa vie,
s'est montrée sensible
aux problèmes de l'heure.

-
127 -
N
o
T
E
s
-=-=-=-=-=-=-=-=-
1.
Cuentos de Marineda, ~,-qpages 1272-1273 :
Il
enterra-
dos ••.
en dos nichos contiguos •.. ,
rinen todavla sus espl-
ritus 7 •••
crujen de rabia sus huesos en el fondo deI
ata~d ? Il
2.
Op. cit. T. l, pages 1566-1567 .11
me parece increfble
que ,en nuestro siglo,
y cuando tanto cantan libertad,
se
pueda vivir m~s sujeto a un senor que en tiempos deI conde
Pedro Madruga ••• Nosotros tenfamos esperanza de que,
al aca-
barse las trifulcas revolucionarias y las guerras civiles,
mejorar!a el estado del pals y se afianzarfa la seguridad
personal.
i Busca seguridad
Buscas mejoras 1 Lo mismo
o peor anduvieron las cosas desde la restauracion de Alfonso
y si me apuran,
digo que la Regencia vino a darnos el ca-
chete. Antes, unos gritaban
IIi
Vivo. esto
III
;
los otros
Il
Viva aquello
III
;
que Rep~blica, que don Carlos •..
Eran ideas generales,
y parece que criaban menos sana
entre unos y otros.
Hoy ûnicamente estamos a quién gana las
elecciones,
a quién se hace ârbi~ro de esta tierra •.. , y
todos los medios son buenos,
y caiga el que cayere.
Total,

-
128 -
como decimOB aqul
salgo de un soto y métome en otro ••• ,
pero m~s oscuro."
3.
Cuentos Nuevos,
o.C.,
T.
II,
page 1664.
4.
Alfonso Rey,
"El cuento sicol~gico en Pardo Baz~n",
HI SPANoFILA,
Vol.
59
1977-78,
pages 19-30.
5.
Cité par Carmen Bravo -
Villasante, Op. cit.,pages 208-209
"En efecto -
dice -
ID m~s tr~gico en mi entender, fue la
insensibilidad de la muchedumbre,
cuando la historia de
Espana acababa en punta y nuestro sol ya no se eclipsaba,
que se borraba en el horizonte. Nunca olvido cierto d!a,
de
fecha luctuosa,
en que,
al entrar en una casa,
alguien se
fijo en mis ojos hinchados y me pregunto
-dSe le ha muerto a usted alg~n pariente ?
A ID cual contesté
-
Se me ha muerto el mismo pariente que ustedes
todos •••
V creo que ni se enteraron. Por la tarde,
los
torDs estuvieron concurridlsimos.
ioh multitud,
piedra
berroquena 1 ••• Lo que me dol!a como una quemadura,
era
aquella indiferencia increlble,
aquellas risas,
pullas y

,.. 129 -
chanzonetas por la calle,
aquel Madrid ••• ,
evocaciones
siempre vivas,
por mi
desgracia,
en el fondo de mi corazon.
Porque es malo haber asistido al declinar de la patria,
y
es peor aun que esto nos aflija como la pérdida de una per-
sona a quien amamos."
6.
Cuentos de la Patria,
Op.
cit.
T.
l,
page 1778 :"Vio con
extraneza que el mundo no era coma sus cortesanos 10 pinta-
ban .•• Mil cuestiones que no comprendla se le aparecieron
claras,
transparentes ; conocia las necesidades,
oyo las
que jas,
se asimilo las aspiraciones,
hizo suyos los deseos
y afanes deI pueblo,
y de tal modo se identifico a la vida
de sus subditos,
que su corazon llego a latir enteramente
al unlsono deI gran corazon de la patria,
coma si a los dos
los regase la misma sangre y los dilatasen y contrajesen
iguales alegr!as y tristeza8.
V,
en un momento de ins-
piracion,
se le ocurrio que,
pues fuera hacla dalor,
quiza
el palacio se templarla abriendo de par en par las puertas
y las ventanas para que no llenase el ambiente exterior,
las rafagas de la calle y hasta la gente de la calle,
la
gente humilde.
Dio,
pues,
la orden,
y fueron franqueadas
a los subditos las puertas deI regio alcazar.
V a medida
que el pueblo,
respectuoso y lleno de amor por su buen mo-
narca,
recorr{a las estancias magn!ficas,
verificabase el
portento
derritlase el hielo,
el aire se hac{a blando,
templado
"

-
130 -
,7.
Op.
cit.,
T.
l,
page 177':
"Los de la hueste esperada,
los de la hueste desconocida ••• ,
no eran sinD "aquellos"
mismos,
'vive Dios l,
aquellos que desde hacla SnOB lidia-
l,
ban,
resistiendo los embates de la censura y las exigencias
del descontento y del cansa~io. Todos iguales, invariables,
ya curtidos,
ya veteranos ••• Los mismos caudillos,
los mis-
mos estadistas,
los mismos artistas y literatos célebres •..
Ni una cara nueva,
vive Oios 1"
S . i o p .
cit.,
1.
l,
page 1773 :
" ,iQué sugestion diabôlica habl:
sido aquélla ? Incrustarse en el molde de otros siglos •..
y no poder salir 1 Sentir sobre un costillaje débil,
sobre
un corazon sin energla,
la cascara del herolsmo antiguo ...
y no romperla!
i Prisionero en una armadura !
9 •.
Ibid
page 1774 :
p
" - ;. Sabes qué me occurre ? Espana esta
como tû ••• , metida en los moldes del pasado,
y muriéndose,
porque ni cabe en ellos ni los puede soltar •••
Bonito sim-
bolismo, deh ? Vaya,
voy en persona a traerte alguien que
te libre de ese embeleco •••
Porque
j si esperas a los cria-
do s. ••
1"
10.
Cité par Carmen Bravo -
Villasante, Op.
cit., page 226 :
"El mérito del Ateneo de Valencia -
dice la Pardo Bazan -
es haber proclamado esta aspiracion :
en no haberse enco-
gido de hombros,
ni tumbado a dormir la siesta - la siesta

-
131 -
espanola,
la perezosa siesta deI Meridional feliz a la som-
bra de sus emperrados,
al olor de sus jazmines."
11.
Nelly Clémessy, Op.
cit.,
page 478.
12.
Op. cit., T. l, page 1769 : "Paisano m!o, a arar con pacien-
cia y sin perder minuta ••• "
13.
C'est le thême de "La ExangOe",
un autre conte de la série
des Contes de la Patrie.
14.
Dans El milagro de la oiosa Ourga,
l'écrivain oppose aux
lamentations de la défaite le cri véhément:
n
jReSucitemos!"'
15.
Carmen Bravo - villasante cite dans son livre,
Vida y obra
de Emilia Pardo Bazan, Op. cit.,
page 213,
les phrases ti-
rées de la conférence de 1899 où Dona Emilia reconnatt ~tre
dans la droite lignée de Joaqu!n Costa :
"Porque el lazo
de simpatla que a Costa me unio,
fue una gran intensidad
de patriotismo •••
Costa,
mas que un polftico, ha sida siem-
pre un patriota.
Su polltica fue brote de su patriotismo,
exaltado par el desastre de 1898. Aquella fecha luctuosa
abrio en él,
coma en ml,
hondo sureo.
Entonces Costa habla
de echar llaves al sepulcro deI Cid,
y yo eseribl las frases
"leguenda dorada y leyenda negra" que tanto curso han obte-
nido."

-
132 -
16.
Antonio Machado,
Poesras Completas,
Espasa Calpe S.A.,
Madrid,
1966 page 153 :
"Una E8pa~a implacable y redentora
Espana que alborea
Con un hacha en la mano vengadora
Espana de la rabia y de la idea."
17.
Cuentos de la Patria,
D.C.,
T.
1,
page 1763
page 1783.
-=-=-=-=-=-=-

,
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LES
PROCEDES
NA RRA TI FS
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=
~
1
DE
DONA
EMILIA
PARDO
BAZAN
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=

-
134 -
Nous avons rendu compte de l'~tendue th~m8tique de
/
l'ensemble des r~cits courts de la Comtesse de Pardo BazanJdans
le but d'en faire appara!tre la portée dans le contexte de la
litt~rature espagnole du dernier tiers du Xlxème siècle. Cette
portée réside essentiellement,
on vient de le voir,
dans la
variét~ qu'offre la matière traitée et dans sa repr~sentativit~
par rapport aux diverses tendances litt~raires et aux diff~rents
courants d'id~es qui,
tout le long de la vie de la romancière,
se manifestent soit en Espagne soit hors des frontières p~nin-
sulaires.
Voilà
ce qui devrait suffire en tant qu'aperçu g~n~ral
d'un si vaste corpus.
Nos prochains chapitres porteront sur les techniques
narratives et sur les procéd~s d'~criture employ~s par notre
~crivain dans ses contes ; ce qui nous mènera - croyons-nous -
à d'autres conclusions parallèles et compl~mentaires. Parallèles -
disons-nous -
parce que notre romancière a eu recours,pour cons-
truire ses contes,à une foule de techniques et de proc~d~s aussi
divers et vari~s que peuvent l'~tre les sujets par elle trait~s.
Cette nouvelle approche,
devant ~tre forc~ment plus
analytique et plus détaill~e que celle qui jusqu'ici, nous a
permis de rendre compte d'un ensemble,
ne pourra se faire qu'à
partir d'un ~chantillonnage limit~ tir~ de la collection complète
des contes de la romancière.

CHA
P
l
T
R
E
I
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0==0=
LE CONTE,
UN RECIT RECTILIGNE.
IMPORTANCE
-=-=-=-=-=-=-==-=-=-=-=-=-=-==-=-=-=-~-=-
DES PREMIERS ET DES DERNIERS MOTS DE LA
-=-:-=-=-=-~-=-=-=-=-==-=-=-=-=-=-=-=-=-
NARRATION
-=-=-:-=-
L'ANNONCE - L'ANNONCE DIFFEREE A CARACTERE PICTURAL -
L'ANNONCE A CONTRARIO - L'ANNONCE-PARADOXE -
L'ANNONCE AMBIGÜE,
EXPRESSION DU MYSTERE OU DE L'INDICIBLE.
-==0000000000000==-
Face au
roman -
qu'Ortega Gasset avait qualifié de
l'genre touffu"
-
le conte est un
récit dépouillé et rectiligne.
Si le roman peut se permettre le cours lent et morose d'un
grand
fleuve plein de méandres et de détours,
le conte,
bref récit
d'une péripétie unique,
serait un petit ruisseau
rapide qui
s'élance le plus vite possible vers un
seul
but,
le dénouement
d'une action ponctuelle et concrète.
C'est pour cette raison
que tout dans le conte se doit d'être fonctionnel,
car chaque
~ot doit compter et plus
encore que les autres les mots qui

-
136 -
IIJuvrent le récit et ceux qui viennent le fermer et le conclure.
Mots du début et mots de la fin
qui
dans certains contes très
efficacement construits se présentent en étroite corrélation.
Un auteur latino-américain,
Horacio Ouiroga,
les présentait comme
les modèles parfaits du
genre et affirmait dans son Manual del
perfecto cuentista (1)
"Pour commencer l'on a besoin dans
quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas de savoir où l'on va.
La premiÈre phrase d'un conte doit ~tre déjà écrite en vue de
la fin."
Cette structure du
récit a pour avantage de faire
appara!tre le conte comme une unité harmonieuse qui
s'impose au
lecteur dès la première ligne,
au point qu'elle fait penser à
cette réflexion d'Edgar Poe:
"Un écrivain habile a construit un conte,
s'il
conna1t son métier,
il ne modèle pas ses pensées sur les incident
du récit mais,
bien au contraire,
aprÈs avoir conçu,avec soin et
réflexion,
un certain effet unique qülil
se propose de produire,
il invente des incidents,
il combine des événements,
qui lui
permettent de mieux obtenir cet effet préconçu.
Si la première
phrase du conte ne tend pas à produire cet effet,
il a échoué
dès son premier pas.
Dans toute l'oeuvre il
ne devrait pas y
avoir un seul mot qui ne tende directement ou
indirectement à
réaliser ce dessein préétabli.
Et gr~ce à cette méthode,
à ce
,soin et à cet art,
un tableau est enfin brossé qui laisse dans

-
137 -
J'esprit de celui
qui le contemple avec un sens artistique
analogue un sentiment de complète satisfaction"
(2)
Cette exigence que Poe présentait dlx
ans avant
la naissance de Doffa Emilia et Quiroga
quatre ans après sa mort,
la Comtesse se l'était toujours imposée bien qu'elle -
nous nous
h~tons de le préciser - n'ait jamais élaboré ni défendu aucune
théorie relative aux procédés les plus efficaces pour l'élabora-
tion du conte.
On pourrait penser qu'elle les avait observés
chez le plus grand auteur de contes de son temps:
GuV de Maupassa~
qui,
lui sien était expliqué de façon,
a vrai
dire,
un peu vague.
En effet,
en date du
10 Janvier 1889,
on trouve dans sa préface
de Pierre et Jean cette observation relative au
genre romanesque
en général
:
"Les incidents sont disposés et gradués vers le
point culminant et l'effet de la fin,
qui
est un événement capital
et décisif,
satisfaisant toutes les curiosités éveillées au dé-
but .•• " (3)
En tout cas,
chez notre
romancière,
et s'agissant
d'un
récit bref comme le conte,

rien ne peut être laissé au
hasard,
la première phrase a de toute évidence une fonction
déterminante et joue un
r~le particulier que nous pourrions
qppeler L'ANNONCE.

-
138 -
L'A N NON
CE
Lat e c h n i que d e Ml 'A NNON CE" con sis t e à fou r n i r a u
lecteur dès les premières lignes le
"signe" sous lequel
se dérou-
lera l'histoire du protagoniste,
le
"signe" de
son destin parti-
culier.
Ce "signe" ne fait
qu'anticiper sur le dénouement du
conte qui
doit cependant,
à
travers ses rapides épisodes mainte-
nir le lecteur en haleine,
créer une attente,
un suspense,
car
enfin le personnage pourrait bien
réussir à éluder les embOches
du destin et faire mentir le "signe".
El
panuelo est une parfaite illustration de cette
technique narrative.
Le conte commence ainsi
:
"Cipriana était
restée orpheline après ce drame collectif que personne n'oublie
au port d'Areal
: un canot fait naufrage,
on dénombre cinq malheu-
reux noyés ..• '1
(4)
Voil~ le thème central du conte, pr~sent d~s
la première ligne:
la noyade.
Il
crée d'emblée une atmosphère
d'inquiétude et d'angoisse.
L'histoire,
très simple qui
a pour
cadre un petit port de p~che est celle d'une orpheline qui,
res-
tée sans soutien,
gagne péniblement sa vie comme servante.
Le
désir de s'offrir un
joli
foulard à
couleurs vives -
"Le foulard
est dans le village la parure de la jeune fille,
son luxe,
sa
victoire" -
l'amène au
rocher qui
affleure à marée basse et qui
est couvert de beaux coquillages très bien payés dans le marché

-
139
de la ville. La marée montante entra!nera la malheureuse fillette
vers le large.
L'évocation initiale de la disparition du père de
la fillette au cours d'un naufrage fait prévoir le destin tragi-
que de l'héroïne.
Et en effet le conte s'achève par une phrase
qui
répond à celle du début:
"Le corps de l'orpheline ne fut
rejeté sur la plage
que trois jours après."
(5)
Cette habileté narrative est exactement celle
qu'exigeait Quiroga dans son Decalogo del perfecto cuentista
"Dans un conte bien réussi les trois premières
lignes ont presque l'importance des trois dernières."
(6)
En effet,par ce procédé d'écriture,
l'émotion conte-
nue dans la phrase initiale sous-tend le récit jusqu'au dénoue-
ment que l'auteur prend soin d'élaborer en symétrie avec "l'an-
nonce" qu'il
ratifie et corrobore.
Ainsi,
le conte se referme
sur lui-m~me contraignant en quelque sorte le lecteur à
rattacher
les deux phrases parallèles du début et de la fin.
Le dénouement,
on l'a vu,
révèle le sens véritable
de la première phrase;
il
est la justification rétrospective
du suspense et de l'émotion entretenues tout au long du
récit.

-
140 -
~u naufrage du p~re répond finalement la noyade de la fille·.
La dureté de leurs vies et l 'horreur de leur mort étant régies
par une double fatalité
la mis~re et l'Océan,
la premi~re im-
posant une lutte téméraire et désespérée,
le deuxi~me détruisant
implacablement les fr~les créatures qui s'emploient à lui arra-
cher ses richesses.
ilL' annonce ll ,
le "signe" peut ~tre aussi la br~ve
évocation d'une existence,
d'un tempérament,
d'un choix de vie.
Il ne s'agit pas dans ce cas de faits ponctuels mais bien au
contraire d'une durée tissée par les jours,
les mois et les
années au long desquels l'homme se forge son destin,
car il
mourra prévisiblement comme il a vécu.
Mais inéluctablement?'
Un changement survenu dans sa vie ne peut-il
pas en détourner
l'issue?
Dans le type de récit que nous analysons il
n'en sera
rien.
En effet,
si le po~te Argimiro Rosa dans Linda a tra1né
une existence enti~rement vouée à l'échec avant de succomber à
une maladie provoquée par la malnutrition,
c'est dans les pre-
mi~res lignes du conte que Dona Emilia sugg~re la marque de l'in-
fortune du héros et les raisons de sa mort en annonçant la disette
ininterrompue qui le conduira au
sépulcre :
IIApr~s une longue
carri~re littéraire de travail et de lutte, Argimiro Rosa n'était
jamais parvenu,
ne disons pas,
à la gloire mais m~me pas à

-
141 -
s'assurer sa nourriture quo~idienne." (7)
Outre cette allusion directe à la malnutrition endé-
mique du personnage,
la phrase d'introduction manifeste le souci
de l'auteur de faire conna!tre d'emblée le triste chemin parcou-
ru par le héros :
"longue carrière littéraire de travail et de
lutte." Le présage qu'ouvre l'exposition s'accompagne,
nous le
voyons bien,
d'une notation de durée concernant les événements
qui vont ~tre racontés plus loin. Ces événements s'ordonnent
comme un encha!nement de causes et d'effets qui entra!nent
Argimiro Rosa d'échec en échec jusqu'à la triste mort où s'accom-
plit sa destinée: Le nom d'Argimiro Rosa sombre dans l'oubli
malgré quelques succès précoces 7 sa recherche de l'autonomie,
l'économie parcimonieuse que lui impose la modicité de ses reve~
nus,
sa renonciation à la vie le condamnent à une existence
d'ascète. La mauvaise qualité et l'insuffisance de sa nourriture
provoquent la maladie qui devra l'emporter.
Ces péripéties de la vie de Argimiro Rosa découlent
donc de l'inexorable logique de son destin qui l'enferme dans la
froide résignation d'une existence ratée.
Et cela jusqu'au jour
où une chance providentielle s'offre à l u i : un mécène accepte
de lui ouvrir ses portes et de lui faire partager des repas
succulents et réparateurs.
Mais cette rencontre, pour opportune

-
142 -
qu'elle
soit,
finit par le placer devant une f~cheu6e alterna-
tive : ou bien continuer à fréquenter la demeure de ce mécène en
délaissant le seul ~tre qui l'aime,
sa chienne,
et que son am-
phitryon ne tolérerait pas,
ou bien recommencer à se laisser
mourir de faim.
Argimiro Rosa opte pour la dernière solution et,
deux ans plus tard,
succombe à la malnutrition.
Nous remarquons que lorsque le dénouement dramatique
arrive,
le lecteur s'y arr~te à peine parce que sa sensibilité
est par avance préparée au choc.
Pour lui le fait inattendu est
la rencontre d'Argimiro et du généreux mécène,
rencontre qui crée
un effet de suspense
par lequel la curiosité du lecteur est tenu
en haleine jusqu'au moment où le refus du poète vient à rétablir
l'ordre prévisible des choses et entra1ne le dénouement que
laissait pressentir "l'annonce".
Car en effet,
une porte s'était
ouverte par où le triste héros du conte pouvait échapper à la
fatalité.
C'est lui-m~me qui s'empresse de la refermer par fidé-
lité envers le seui compagnon loyal de sa vie,
peut-~tre aussi
par fidélité à son inéluctable destin.
L'analyse de ces deux contes va nous permettre de
dégager deux démarches fréquemment empruntées par notre écrivain
dans la construction de ses rapides intrigues.
Dans un cas comme
dans l'autre, le problème initialement posé autour du héros se

-
143 -
~~noue au bout d'une savante progression du r~cit. Dans le
premier cas -
El panuelo -
le d~nouement apporte un sens nouveau
~ "l'annonce", il l'oriente,car la mort, qui ouvre le r~cit, va
changer de camp.
Elle est là,
bien présente parce que la fille
du p~cheur englouti par la mer,
rest~e sans soutien, est comme
une nouvelle proie désign~e à la fureur des vagues. Et c'est
ainsi que le message v~hicul~ par les premiers mots du préambule
prend son sens le plus clair.
L'ANNONCE DIFFEREE A CARACTERE PICTURAL
"L'annonce" peut parfois ~tre différé, c'est-à-dire
que l'on peut lui assigner non pas les premières lignes du conte -
sa place habituelle - mais une deuxième s~quence du m~me, à con-
dition d'y pr~parer le lecteur par une sommaire information sur
les données essentielles de l'intrigue.
C'est alors que "l'annonce"
pouvant rev~tir la forme d'un tableau ou d'un objet - forcément
fatidique -
s'impose à l'attention du lecteur.
C'est le cas de La hoz.
Le lecteur apprend par la
première s~quence informative que le jeune Avelino d~laisse sa
fiancée pour une demi-mondaine de sous-préfecture à l'élégance
criarde et accrocheuse.
Ce n'est que lorsqu'on a été mis au
courant de l'identité et des circonstances sociales et familiales
du jeune homme que fait irruption dans le tableau sa fianc~e,

-
144 -
~ilveria,qui,
telle une personnification de la vengeance,
trans-
,
porte au sommet de sa t~te, le terrible instrument: la faucille.
"
C'~tait une jeune fille dont on voyait ~ peine
le visage brun,
bronz~ où luisaient des dents aussi blanches que
les petits cailloux que la mer rejette
; elle portait sur la t~te
un immense panier d'herbe nouvellement fauch~e, odorante,
qui
débordait de tous cetés,
et sur cet énorme tas d'herbe brillait
la faucille"
(8)
La présentation,
sous une lumière crue du personnage
et de l'instrument,
survenue après que le lecteur a été mis au
courant des infidélités du jeune protagoniste,
constitue l'annonce,
plastique cette fois,
picturale,
qui
encha!ne le début et la fin
du récit.
Sœ~veria, cette représentation vivante de la jalousie
vengeresse,
juge sa rivale sur la couleur de ses chaussures et
de ses bas :
"Et cette minable avec son jupon empes~, ses souliers
rougeset ses bas,
rouges eux aussi
jusqu'en haut ••.
Des femmes
comme celle-l~
il ne suffirait pas de les pendre 1" (9)
Ce n'est donc pas un seul mot,
un seul objet évoqué
par ce mot qui constitue le "signe" devant ~tre capt~ comme véhi-
cule du destin.
Ce sont deux,
deux objets à valeur d'attribut
l'un de la fureur vengeresse,
l'autre de la scandaleuse d~bauche
la faucille,
les bas et les chaussures rouges.
Il ne peut pas

-
145 -
faire l'ombre d'un doute que la femme à la faucille devra s'atta-
quer à la femme aux bas rouges par qui le scandale est arrivé.
En effet,
l'auteur ne se donne m~me pas la peine d'expliciter le
terrible exploit de la fiancée outragée. L'autre,
la moins que
rien,
a osé venir chez son adorateur,
elle est dans la cuisine
et Avelino la sert
j
il est allé lui chercher de l'eau à la fon-
taine.
En traversant la cour il se butte à Sil veria qui lui
jette au visage :
"Va,
va servir la fille aux chaussures rouges.
Qu'elle
te piétine le coeur,
rien que pour voir si tu en as un, Avelino
le sucré !" (10)
Le jeune homme rentre dans la cuisine pour y rejoin-
dre l'objet de sa passion.
Sil veria invoque le Ciel:
"Le Ciel ne doit pas ~tre ami des mauvaises femmes
qui ensorcellent les hommes avec des chaussures rouges à pompon.
Elle se pencha
sur le panier j
elle y prit la faucille aiguisée,
brillante,
qu'elle savait manier si adroitement et,
la cachant
sous son tablier,
elle pénétra dans la maison très sOre de ce
Qu'elle allait faire,
de la mauvaise herbe qu'elle allait faucher
d'un seul coup." (11)
L'ANNONCE A CONTRARIO
La Comtesse de Pardo Bazin n'était cependant pas
fataliste.
Bien au contraire,
elle s'était toujours proclamée
en désaccord avec le déterminisme de Zola.
Pour elle,
nous en

-
146 -
reparlerons plus loin, l'homme était libre et les desseins de
la Providence impénétrables.
C'est pourquoi dans ses contes
l'annonce est parfois contredite par le dénouement,
la décision
de l'homme pouvant toujours déjouer le destin.
Ainsi l'introduction de La Capitana commence par
s'attaquer à une idée reçue,
celle qui voue sans réserve les
femmes à la soumission et à la dépendance,
pour dépeindre ensuite
le rele de direction et de commandement que joue l'une d'elles
dans une bande de voleurs de grand chemin :
"Ceux qui consid~rent la femme comme un ~tre faible
et attachent au sexe masculin l'audace et les qualités de comman-
dement,
auraient dO conna!tre la cél~bre Pepona et apprendre d'elle
non pas ce qui figure dans les poussiÉreux dossiers de l'enqu~te
de procédure, mais la réallt~ palpitante et vécue." (12)
Cette affirmation péremptoire est suivie d'une illus-
tration qui s'échelonne tout le long du conte,
tendant à en appor-
ter la justification la plus compl~te. Pepona,munie d'un seul
b~ton et entourée de sa bande de voleurs, se rend dans les foires
où elle se charge d'observer les marchands qui vendent leurs
produits et de se renseigner sur le chemin qu'ils vont emprunter
pour rentrer à la ferme.
Ils seront attaqués sur la voie de leur
retour par la bande à Pepona. Un jour pendant l'attaque,
et pour
veiller au bon déroulement de l'opération,
la capitaine se cache

-
147 -
dans un fourré.
C'est là qu'elle devra mesurer ses forces,
qui
sont grandes,
contre celles,
bien faibles,
d'un jeune ecclésias-
tique qu'elle renverse et désarme. Mais lorsqu'elle s'appr~te
à l'étrangler,
le curé parvient à la poignarder avec un couteau
qu'il dissimulait dans une des poches de sa soutane.
Pepona guérit
de sa blessure mais ne se refait pas de son échec. La capitaine
a été brisée par l'humiliation et sa bande s'éparpille.
Le conte est donc construit d'abord comme une démons-
tration qui doit obliger le lecteur à se ranger à l'avis du narra-
teur car à travers tous les épisodes du récit, les caractéristiques
généralement attribuées à l'homme -
force,
courage,
agilité,
froide décision - appartiennent à une femme de taille imposante -
"la mujerona" -
et d'une poingne de fer -
"la terrible argolla
de las manos de la capitana." Puis l'imprévisible arrive,
contre
toute attente. L'homme qui
à raison de sa force,
est,lui,d'une
fragilité toute féminine -
"una madamita de cura mozo,
un barbi-
lindo de curita".
Il va au combat le coeur serré par la peur et
il ne sauvera sa vie que gr~ce au sursaut qui secoue parfois les
faibles devant les dangers mortels.
Et c'est bien la honte d'avoir
été vaincue par un faible m~le que la Pepona ne pourra jamais
surmonter.

-
148 -
A l'annonce - le portrait de la terrible femme,
amazone du vol à main armée,
commandant sa bande avec autorité
et énergie plus que viriles -
répond lia contrario ll la défaite et
l'humiliation d'une si redoutable virago vaincue par un gringalet
ensoutané.
Ce procédé aboutit à un effet littéraire assez diffé-
rent de ceux que nous avons analysés en premier lieu.
Il
vise à
créer un violent contraste entre la phrase initiale et le récit
qu i
su i t.
Un autre exemple de ce procédé,
très intéressant
parce qu'il comporte un long IIsuspensell,
nous est offert par
Nieto deI Cid où l'on raconte la résistance féroce qu'un curé
de village oppose à une bande de voleurs en qu~te de son bas de
laine.
Il se défend d'abord avec son fusil,
puis en versant sur
les assaillants de l'huile bouillante pour succomber enfin sous
leurs coups,
après avoir joué du couteau avec une vaillance sur-
prenante.
Or,
les épisodes extrêmement violents du siège du
presbytère s'ouvrent par la phrase suivante:
"Le vieux curé du
sanctuaire de Saint-Clément de 8o~n d!nait paisiblement, assis
à
sa table,
dans un coin de sa grande cuisine. Il
(13)
De toute évidence cette présentation s'oppose en

-
149 -
violent clair - obscur aux scènes de sauvage cruauté à laquelle
le reste du récit nous fera assister.
Elle ne laisse en outre
rien présager sur le sort tragique réservé au héros. Le récit
s'ouvre par ce d1ner paisible;
trois jeunes personnes entourent
le pr~tre : son neveu, un garçon de ferme et une servante.
Ils
parlent de l'attaque perpétrée par les brigands sur la personne
d'un vieil abbé qui n'a pu se défendre. Les jeunes estiment que
l'~ge fort avancé de la victime a dO faciliter la t~che des mal-
faiteurs.
Mais le curé,
qui connaissait l'abbé,
attribue sa dé-
faite à son ignorance du maniement du fusil
et se congratule
d'avoir,
lui,
su entretenir son incroyable adresse de tireur
d'élite. C'est la fin du d1ner,
l'heure pour le curé de fumer
d'interminables cigares et de boire quelques petits verres.
Brusquement le neveu intrigué par les aboiements
réitérés des chiens interrompt la lecture de son journal,
s'appro
che de la fen~tre mais ne voit rien d'inquiétant. Aussit8t, une
forte détonation se fait entendre. Une balle effleure les cheveux
du jeune homme et va se loger dans le mur d'en face.
Le vieux
curé donne l'alerte et aux préparatifs des assiégés succèdent
des cris,
des coups de feu,
de scènes de lutte qui se suivent à
un rythme vertigineux jusqu'à la mort de l'eccléSiastique.

-
150 -
Le lecteur découvre avec la m~me surprise que les
personnages l'arrivée des malfaiteurs.
Rien n'annonce,
nous le
répétons,
la fatale
destinée du héros qui n'appartient pas au
genre "victime" mais plutet ~ la race d'Hercule.
Ses traits sont
durs,
son cou robuste:
" •••
ses traits durs, •.•
son teint rou-
ge~tre, sanguin, qui en fermes plis débordait le col." ... Il se
nourrit d'ailleurs en conséquence:
"une miche de pain gigantes-
~, une grande écuelle en grès débordant de pommes de terre
au lard ••• " (14)
Il n'y a donc pas d'annonce de la destinée tragique
du héros puisque l'on le présente comme appartenant ~ la race
des vainqueurs. On a bien évoqué la présence des bandits dans le
pays qui se sont attaqués nuitamment ~ un autre ecclésiastique
~ peu près du m~me ~ge que le protagoniste. Mais c'est encore
l~ une façon de tromper le lecteur qui apprend par le héros
lui-m~me sa dextérité dans le maniement des armes ~ feu et sa
ferme volonté de se défendre.
C'est un rude chasseur que notre
curé de campagne
Et tout à coup le sort du protagoniste change de
signe,
avec une soudaineté inouIe
l'histoire s'engage sur une
voie absolument contraire à celle que laissait prévoir l'exposi-
tion
un vieux curé b~ti comme un ch~ne d1ne paisiblement sous

-
151 -
le cercle de lumi~re de la lamp~. Et ce "paisiblement" est en
espagnol sosegadamente un terme on ne peut plus expressif de
paix et de détente.
A la douce lumi~re de la lampe,dans le coin d'une
cuisine paysanne tiédie par le feu du four succ~dent l'obscurité
et le froid qui ouvrent une hallucinante progression de l'horreur
"Un grand froid pénétra dans la pi~ce
.•• un pan
de ciel noir •.• " mais aussi les aboiements des chiens qui,
pour
annoncer cette horreur,
ont des accents de désespoir:
-
"Les
aboiements désespérés des chiens" -,
puis de rage et de fureur
frénétique:
"Les aboiements devenaient furieux,
frénétiques."
Et la cuisine se transforme en champ clos où retentissent des
hurlements et des plaintes :
"Des sourdes menaces,
un ah 1 de
do u leu r,
une i mpré c a t ion,
pu i s des pla i n tes de b~ tes mou ra nt es. "elS)
Cette savante progression crée un effet de suspense
et évite au conte tout risque de monotonie.
Chaque élément nouveau
s'organise en une suite de surprises sans cesse renouvelées jus-
qu'à ce que l'épisode final
vienne trancher le fil de l'histoire.
La mort du héros vers laquelle tout le récit converge
est décrite de la façon la plus concise. L'écrivain a assez joué

-
152 -
sur la sensibilité de son lecteur en le faisant vivre intensé-
ment l'horreur qui la précède.
Une telle organisation de la matière narrative est
tout à fait différente de celle que nous avions analysée plus
haut.
Ici l'annonce s'avère fausse,
chaque élément nouveau qui
survient dans l'histoire est susceptible d'en infléchir la démar-
che au point de sembler au~onome et imprévisible,
de telle sorte
que l'attente imposée au lecteur est meublée de péripéties qui
maintiennent le suspense jusqu'au dernier moment où le jeu est
joué: l'ecclésiastique succombe;
sa mort est évoquée en quel-
ques mots et c'est cette brièveté qui fait na!tre le choc d'un
dénouement qu'il n'était absolument pàs nécessaire de prévoir.
En somme,
l'auteur a joué d'effet de contraste
puissant,
servi par un rebondissement de péripéties qui main-
tiennent le suspense jusqu'à la fin du récit.
La ma!trise avec laquelle Pardo Baz~n réussit à
manier le contraste peut ~tre illustrée aussi par El fondo deI
alma où l'écrivain semble avoir tout fait pour assigner en fin
de course au récit un sens en toute chose contraire à celui qui
avait été annoncé par les premières phrases du texte.
Elles dé-
crivent le début d'une journée prometteuse de joies sans fin

-
153 -
et l'amour incomparable que le protag6niste voue ~ sa jeune
fiancÉe.
Le début de ce conte est laconique
"La journée était
radieuse."
(16)
Cette description elliptique est très vite développél
Les principaux personnages du
récit nous sont présentés.
Ils se
sont réunis pour faire une joyeuse partie de campagne qui,
dé-
crite d'abord sur un rythme placide,
débouche enfin sur le drame
et sur l'absurde. Les excursionnistes détendus dans la paix de
ls na~ure s'attardent ~ savourer leurs provisions et ~ déguster
les bons vins qu'ils sortent de leurs paniers.
A la fin du repas,
se
ils jouent aux cartes ou ils promènent au bord de la rivière,
le
long des vastes prés fleurissants.
Toute la compagnie parle du
/
tendre amour des fiancés du jour:
Cesareo et Candelita.
Mais voil~ que,
quand l'heure du retour arrive, le
soleil se couvre comme si par un brusque changement d'humeur il
voulait bouder les promeneurs.
Rapidement une brume froide s'épai
sit autour de la barque qui
ramène les promeneurs ~ la ville. La
1
barque chavire ; aucun de ses occupants ne sait nager.
Cesareo,
modèle d'amoureux transis,
dont tout le monde avait commenté
la tendresse passionnée,tente d'avancer dans l'eau pour aller au
secours de sa fiancée
;
il est décidé ~ la sauver m~me au prix
de sa vie,
il la prend enfin sur ses épaules ;
il va la ramener
~ terre ••• Mais quand il sent qu'elle s'accroche à lui avec la

-
154 -
force d~sesp~r~e de la peur,
quand il sent qu'il va couler avec
elle au fond de l'eau et y trouver la mort,
l'instinct de conser-
vation l'emporte sur tout autre sentiment. Au prix d'un grand
effort,
il arrache le corps qui s'accroche au sien et le repousse
au loin à la merci de l'eau qui s'agite en remous menaçants. Le
courant emporte le corps fragile de la jeune fille tandis que
son amoureux réussit à saisir une branche et à r~sister à la force
du courant.
Seulement alors il réalise ce qu'il a fait.
Mais d~jà
l'objet de son amour n'est plus qu'une épave que le courant a
entra!née loin,
tr~s ~oin dans un lointain sans possible retour.
Si l'art du contraste consite pournotre écrivain a
acheminer ses personnages sur des voies inattendues,
il sait
varier ses effets.
Dans certains r~cits du m~me mod~le, la ligne
bris~e qui relie l'introduction du récit à son développementt
est g~n~ralement sillonn~e d'~pisodes interm~diaires à caractère
probl~matique, propres à maintenir le "suspense". Nous l'avons
vu dans El nieto del Cid.
Mais il y a d'autres cas où,
au con-
traire,
le conte semble coup~ en deux temps sym~triques, fran-
chement oppos~s. Il est construit à l'image du jour et de la
nuit.
C'est bien ce qui arrive dans El fondo del alma où jour
et nuit,
clarté et ombre sont non seulement métaphoriques mais
aussi r~elles et directement liés au cours du soleil dans le
récit.
Car on peut constater que c'est au moment où le jour meurt,

-
155 -
que lB bande joyeuse d'une journée de soleil est appelée à suivre
l'appel de la mort et de l'ombre et à y laisser une victime. Or,
rien de tout cela n'était prévisible. L'amour des protagonistes
étant si rayonnant qu~il cachait l'annonce sournoisement intro-
duite gr~ce à quelques petites phrases prémonitoires: d'abord
celle du rameur -
"Embarquer? Mauvaise affaire 1" -
ensuite
celle que prononce la fiancée -
"Oh,si on pouvait ne jamais
rentrer 1". Mais ni l'une ni l'autre ne retiennent l'attention
du lecteur qui ne sentira approcher le drame qu'au moment où
s'initie le coucher du soleil.
C'est à partir de ce moment que
le "signe" proposé par l'annonce s'inverse:
le contraste joue
sur trois registres :
1 -
On passe de la douce beauté d'un matin de prin-
temps à la noirceur d'un ciel d'orage accompagné d'un vent froid
qui agite les saux du fleuve.
2 - On passe de l'expression d'amour éperdu de
,
Cesareo qui contemple en extase sa Candelita en soupirant je suis
heureux 1 au moment où saisi d'une aveugle horreur pour le corps
de la jolie fille qui p~se sur lui et qui l'entra!ne : "il rejeta
cet autre corps qui collait au sien,
il dénoua les deux bras déjà
raides et d'un coup de pied énergique il se remit à flot."
(17)
3 -
On passe de la romantique volonté de ~
1
Lesareo de

-
156 -
mourir plutet que de perdre l'amour de sa Candelita à son brutal
rÉflexe d'autoconservation à tout prix, m~me si le prix n'est
autre que la mort de la jeune fille.
Contraste absolu aussi,
cette fois créÉ par voie
magique,
est celui que nous présente un conte fantastique intitu-
lé La mariposa de pedrer{a
où le tableau d'horrible misère qui
ouvre le récit, une misère dÉsespÉrante et destructrice qui serre
dans son étau un jeune homme de génie,se trânsforme par l'effet
de la visite d'un papillon scintillant,
en richesse,
succès et
bonheur.
Contraste encore dans l'apologue oriental La moneda
deI mundo.
C'est l'histoire d'un jeune prince trop g~té, trop
heureux,
trop confiant,
trop sOr du coeur de tous ses innombrables
amis,
qui après les avoir mis à l'Épreuve et avoir percÉ à jour
leur ingratitude et leur égo!sme,tombe dans la plus totale misan-
thropie et se voue à la claustration et à la solitude. A mi-chemin
entre Çakya-Muni et Timon d'Athènes,
n'ayant ni la spiritualité
du premier ni la hargne suicidaire du second,
le prince se conten-
tera de s'abreuver d'amertume et de se livrer au malheur d'exis-
ter comme il s'Était livrÉ jadis à la joie de vivre.
Et la boucle
est bouclée.
C'est le rÉcit de la transformation d'un ~tre, ce que

-
157 -
personne ne pouvait attendre d'un conte,
genre nécessairement
bref, propre à la narration ponctuelle d'une anecdote concrète
et non pas à l'évolution,
forcément lente,
d'un caractère.
Mais par sa concision et sa rapidité le récit con-
serve le caractère rectiligne et sans détours qui est la règle
du genre. L'annonce était pourtant là,
latente,
comme cachée
sous l'arabesque dorée de l'apologue oriental,
dans le ~ du
bonheur du prince,
dans le ~ de la naYve confiance qu'il accor-
de aux hommes, un ~ beau pour ~tre vrai,
qui appelle un autre
~' celui d'une humanité ~ inf~me pour que l'innocent déçu
consente à se commettre avec elle un instant de plus après qu'il
en a découvert l'ingratitude et la noirceur.
M~me forme "d'annonce" informelle et, si on peut dire
occulte,dans La mariposa de pedrer{a où à la misère qui menace de
stériliser l'élan créateur dû.jeune poète s'oppose la stérilisa-
tion du talent provoquée par la richesse,
le succès et le bien-~tr
faciles. Le "génie" miraculé sera heureux et com~i mais son oeuvre
deviendra académique et exsangue.
Si nous jugeons d'après tous ces exemples,
le con-
traste nous appara!t, lorsqu'il se fait jour dans la narration,
comme le pivot autour duquel s'organisent tous les épisodes,
ordonnés de telle sorte que qu'ils concourent à l'avènement du
fait essentiel qui est la clef de voOte de l'histoire.
Il nous
faut ajouter une remarque fondamentale
: nous avons pu constater

-
158 -
dans le conte - El fondo del alma -
que le contraste tendait à
invalider l'annonce. Or,
un tel jeu de substitution dans l'agen-
cement de la trame narrative appelle nécessairement deux consé-
quences essentielles dont la première mérite la plus grande atten-
tion : le contraste s'inscrit dans la structure du conte comme
le début véritable et comme un point de départ qui ne survient
qu'après que des épisodes de signe opposé à celui du noeud de
l'a c t ion 0 nt pus e dé r 0 u lie r • Ces épi s 0 des,
de t 0 u t e é v ide n c e
antérieurs au vrai départ de l'intrigue sont ainsi réduits à
une fonction de simple information préliminaire parfois volon-
tairement fallacieuse que le lecteur délaisse sitet que s'amorce
le virage inattendu où se décide le destin du héros.
Ce virage,
ce moment exceptionnel s'empare de l'attention du lecteur avec
une telle force que si les premiers traits du préambule viennent
à réappara!tre,
ils n'ont plus d'autre mission que celle de sou-
ligner l'iro~ie tragique du destin humain. Nous avancerons comme
preuve à ces affirmations ces quelques exemples très caractéris-
tiques
Dans Desguite,
Dona Emilia s'ingénie dès le premier
mot pu conte à présenter son héros sous un jour qui le rend peu
attrayant.
Il s'agit d'un jeune bossu marqué par l'infortune,
objet du rejet unanime et de l'indifférence méprisante des femmes.
Sa difformité,
sa monstrueuse laideur,
écartant de lui l'amour
et la tendresse féminine,
font du malheureux une proie du ressen-
timent le plus venimeux;
il ne se nourrit que des r~ves de ven-
geance.
Cette description physique et morale est assez précise

-
159
-
pour que le lecteur puisse se croire en mesure de deviner la
conduite qui sera la sienne.
Ce en quoi il se trompe car la façon
d'agir du héros n'a rien à voir avec l'image conventionnelle que
l'auteur nous avait tracée de lui.
Et ce contraste entre le stéréo-
type qu'on lui assigne comme une étiquette et son imprévisible
conduite,
suscitée aussi bien par les circonstances que par sa
propre complexité intérieure,
lui confère un relief humain vrai-
ment remarquable.

1
Trlfon Lilioso - observons le son grotesque du nom -
ce monstre rempli de fiel,
est professeur de musique,
ce qui lui
permet d'ourdir une diabolique intrigue de séduction.
Par la voie
d'une ardente correspondance anonyme,
il déclare son amour à la
plus jolie de ses élèves. La jeune fille -
émue par la force per-
suasive de ses lettres -
finit par lui accorder un rendez-vous
nocturne dans un fiacre.
On s'attend à ce que,
protégé par l'obscu-
rité,
le bossu abuse de la naïveté de la romantique demoiselle.
Il n'en sera rien. Lorsqu'ils se rencontrent dans l'obscurité la
jeune fille tremble d'amour,
prononce des mots balbutiants et
tendres.
Et le monstre la reconduit chez elle sans tirer avantage
de la situation. Mais le souvenir de cet instant précieux va
illuminer sa vie et le réconcilier avec l'espèce humaine.
L'auteur nous avait annoncé une histoire sur le
thème bien connu du ressentiment qui empoisonne le coeur d'un

-
150 -
homme dont la difformité physique le condamne à ignorer les
joies de l'amour.
Mais,
voilà qu'à cette première image conventionnelle,
qui semble préfigurer la destinée du héros,
vient se substituer
une deuxième où nous le voyons vivre,
agir et qui s'oppose dia-
métralement à la précédente. Le personnage cesse ainsi d'~tre
topique pour devenir intéressant,
puisqu'échappant au schéma que
nous proposait la description initiale il nous force à le redé-
couvrir.
Il a échappé à tout déterminisme et cette indocilité
est artistiquement "vraie" parce qu'elle exprime la contingence
et la liberté de l'~tre vivant et son imprévisible destin.
El Ùltimo baile pourrait nous fournir un autre
exemple du m~me procédé. Au cours d'une f~te campagnarde où se
réunissent traditionnellement tous les ans les gens de la vallée,
un vieillard ivre fait une chute qui entra!nera sa mort.
Tout
dans le début du récit évoquait l'allégresse bruyante des réjouis-
sances paysannes. Mais voici que tout à coup l'accident devient
l'événement essentiel,
l'objet imprévisible du récit.
L'ANNONCE -
PARADOXE
Il Y a un autre procédé,
lui aussi fondé sur l'effet
de surprise mais différent de ceux que nous avons évoqués.
C'est
le paradoxe.
Dans ses premières lignes,
le conte avance une pro-
position absurde,
en tout contraire à l'opinion commune;
il la

-
161 -
développe ensuite avec une rigueur telle que tout ce qui suit
apparatt comme parfaitement logique.
Un exemple de ce procédé est donné par Benito
de Palermo. Les amis d'un riche marquis sont surpris de constater
qu'un homme distingué,
aimé et respecté de tous,
se fasse constam-
ment accompagné par un gros nègre très laid et perpétuellement
ivre. Le marquis laisse entendre à ses amis,
curieux de connattre
la raison de cet étrange attachement,
que clest justement parce
que son serviteur est toujours ivre qulil
tient tellement à sa
compagnie.
Il s'explique: un jour se trouvant à la veille d'un
voyage d'agrément sur lequel il comptait pour faire la conqu~te
dlune belle femme,
il avait confié la clef de son armoire au
nègre,
en lui recommandant de le réveiller au lever du jour.
Dans
la nuit,
le serviteur avait ouvert llarmoire où se trouvaient
les liqueurs et sien était abondamment servi.
Ivre mort,
il fut
incapable de réveiller son mattre lequel ne put par conséquent
par tic i p e r à Ile x cu r si 0 n.
l I n e ta rd a pas à a p pre n d r e que ses
amis excursionnistes avaient été tous tués par de féroces bandits
qui avaient assailli leurs voitures.
C'est l'ivresse du noir qui
l'avait sauvé d'une mort à laquelle tout le prédestinait.
Et
clest parce qulil est un ivrogne qulil aimera toujours son vaurien
de valet.

-
152 -
L'ANNONCE AMBIGÛE,
EXPRESSION
DU MVSTERE OU DE L'INDICIBLE
Les mod~les que nous venons de d~crire, si vari~s
soient-ils,
sont loin d'épuiser toutes les possibilités que le
proc~dé de "l'annonce" offre à l'art de Dona Emilia. Il existe
dans sa production tout un groupe de contes dont le début n'est
autre chose que l'~noncé d'un myst~re qui demande à ~tre élucid~,
expliqué.
Il appartient au lecteur de se soumettre à cette attente
volontairement impos~e par l'~crivain. Ainsi dans El quinto ••.
se pose le probl~me insoluble de l'euthanasie, le récit d~but~
de façon abrupte par l'évocation d'une d~tresse morale. Le narra-
teur se montre au lecteur,
torturé par sa conscience qui a rev~­
tu la forme fantasmatique d'une chienne morte:
"Je ne peux pas en douter. Elle s'approche;
j'entends
le bruit sec de ses tibias et les coups r~p~tés de ses pieds dé-
charnés sur les marches de l'escalier. Les médecins ne veulent
pas la laisser entrer: mes neveux l'attendent dans une anxiét~
secr~te••• Elle est sOre d'entrer quand elle le jugera opportun.
Elle mettra les osselets nus de ses pieds sur mon coeur et la
pendule s'arr~tera pour toujours.
Elle vient à moi comme une créanci~re : elle sait
que je lui dois une vie ••• ,
qu'elle a enfin retrouvée,
mais que
je me suis refus~ à lui donner.
De plus, le précepte saint qui

-
163 -
nous interdit de ne pas éteindre le feu que Dieu a allumé,
était
gravé dans ma conscience. Ai-je bien fait 7 Ai-je mal fait 7#(18)
Or,
le lecteur ne pourra comprendre les raisons de
ce remords qu'après avoir lu le récit qui va suivre. L'homme qui
dévoile sa terrible angoisse,
a longtemps vécu en dialogue avec
ses souvenirs.
Il ne peut plus se réconcilier avec sa conscience.
Il racontera son crime,
celui de n'avoir pas tué son meilleur
ami,
de ne pas lui avoir épargné une longue et effroyable agonie.
Voici l'histoire: l'ami d'enfance possédait une chienne qui,
un
jour,
prise d'une étrange douleur,
avait mordu son mattre. Le
protagoniste de notre conte abattit l'animal mais en accomplis-
sant ce geste,
il jura à son vieux camarade de le tuer si jamais
il venait à présenter les ~ymptemes de la rage. Seulement le
moment uenu,
il n'eut pas la force de respecter sa promesse.
Son
ami dut mourir dans les souffrances les plus atroces,
non sans
avoir à son tour mordu et contaminé un enfant innocent. Le remord~
du héros vient donc de n'avoir pas tué et ce remords prend la
forme de la chienne abattue,
érigée en bourreau de l'homme qui,
par un lache scrupule, a laissé son mattre en proie à d'atroces
et d'interminables douleurs.
L'écrivain - on le voit - a enveloppé de mystère
l'introduction du récit.
Il n'annonce donc pas l'histoire,
il
ne fait qu'en avancer les sombres couleurs:
un fantasme où

-
164 -
slexprime l'angoisse serrant de plus en plus près l'homme qui
sombre dans le délire.
Ce qui viendra après ne fera que rationaliser ce
dialogue annoncé dans les deux premiers paragraphes qui opposent
un non -
homicide coupable = JE à une Erinnye - chienne morte= ELLE
Le sens de ce préambule -
qui revient comme un
refrain obsédant à la fin du conte -
n'appara!t qu'après que
le narrateur ait expliqué les raisons de son étrange et incessant
monologue : Pouvait-il ? Devait-il?

N
o
T
E
S
-=-=-=-=-=-=-=-=-
1.
Publié pour la première fois dans El Hogar,
Buenos Aires,
10 -
IV-1925.
Nous citons d'après le recueil d'articles
critiques publié sn 1970 (Horacio quiroga,
Sobre literatura,
Arca,
Montevideo,
1970,
page 62.)
2.
IIEdgar Poe",
in Grahm's Magazine,
Philadelphie,
avril - mai
1842 :
"A ~kilful
literary artist has cons-
tructed a tale.
If wise,
he has not fashioned his thoughts
to accommodate his incidents;
but having conceived with
deliberate care,
a certain unique or single effect to be
wrought out,
he then invents such incidents - he then com-
bines such events as may best aid him in establishing this
preconceived effect.
If his very initial sentence tend not
to the aut-brin~jn9
of this effect,
then he has failed
in his first step.
In the whole composition there should
be no word written,
of which the tendency,
direct or indi-
rect,
is not to the one pre-established design.
And by such
means,
with such care and skill,
a picture is at length
painted which leaves in the mind of him who contemplates
it with a kindred art,
a sense of the fullest satisfaction. fi

-
166 -
-3.
Guy de Maupassant,
Pierre et Jean
(Le roman),
Garnier
Frère,
Paris,
1959,
page 8.
4.
~, 0 p.
ci t.,
1., II,
pa g e 1732
"Cipriana se hab{a queda-
do huérfana desde aquella vulgar desgracia que nadie olvida
en el puerto de Areal
: una lancha que zozobra,
cinco infe-
lices ahogados en menas que se cuenta ... "
,
,
l o i
l
5.
Ibid.,
page 1733 :
"Hasta tres dlas despues no sa 10 a
a
playa el cuerpo de la huérfana."
6.
H.
Quiroga,
Op. cit.,page 87.
7.
Op. cit.,
T.
II,
page 1675 :
"Después de una larga carrera
literaria de trabajo y lucha,
Argimiro
Rosa no hab{a conse-
guido,
ya no digamos la gloria,
ni siquiera asegurar el coti-
diano sustento."
8.
Op. ci t. , T.
II ,
page 1793 . "... era una rapaza a quien
,
apenas se le vela la faz morena,
tostada,
en qu e reluclan
los dientes,
blancos como guijas marinas . en la cabeza
sosten{a inmenso cesto'n
hierba
1
de
recien segada, olorosa,
que se desbordaba por todos los lados : en la cima del monte
de verdura reluc!B la hoz."

-
167 -
9 •
l b i d...... ,
PB9 e 179 3 :
"V l B r B{ da e sa,
11 en a d e f Bl dB s al mi do -
nadas,
con zapBtos colorados,
con medias colorad~s tambi~n,
hasta riba ••• jA algunas mujeres era poco las ahorcar .••
1"
10.
Ibid.,
page 1795
" - Anda,
anda a servir a la de los zapa-
tos rojos •••
que te pise el alma con ellos,
a ver si tienes
alma,
Avelino de
,
"
azucar •••
11.
lb id. ,
page 1795
Il
y el
Cielo no debe de ser amigo de
las malvadas que embrujan a los hombres con zapatos colorados
...,
5
l '
l
monudos.
e inc ino sobre e
ces t 'on
;
."
coglO de el la hoz de
segar,
afilada,
reluciente,
que manejaba con tanto vigor y
destreza,
y ocultândola bajo el delantal
se metio por la
casa adentro,
segura de 10 que iba a hacer,
de la mala hierba
que iba a segar de un golpe."
12.
~,
T.
II,
page 1509 :
"Aquellos que consideran a la mujer
un ser débil y vinculan en el sexo masculino el valor y las
dotes de mando,
debieran haber conocido a la célebre Pepona,
y saber de ella,
no 10 que consta en los' polvorientos lega-
jos de la escribanla de actuaciones,
sinD la realidad palpi-
tante y viva."
13.
Op.
cit.,
T.
l,
page 1542
"El anciano cura del
santuario

-
168
-
de San Clemente de Boan cenaba sosegadamente sentado a la
mesa,
en un rincan de su ancha cocina."
14.
C'est nous qui
soulignons.
15.
Ibid.
pages 1543-1544 :
"Un gran frfo penetra en la habita-
cion ••.
un trozo de cielo negro,
el desesperado ladrido
de los perros •.• Los ladridos se tornaron, 'de rabiosos,
fre-
néticos •••
Amenazas sordas,
un
jay !
de dolor,
una impreca-
cion,
y luego que jas como de animal agoni zante. "
16.
Op.
cit.,
T.
II,
page 1479
"El dfa era radiante".
17 •
Ibid.,
page 1 48'1 :
11 r e cha z Ô a que l
cu e r p 0
a dh é r i d0
al su y 0 ,
desanud6 los brazos inertes
; deuna patada en~rgica volvid
a salir a flote, ••• "
18.
~,
LII,
page 1561 :
"No puedo dudarlo.
Ella se aproxima
oigo el ruido de manera seca de sus canillas y el golpeteo
de sus pies sin carne sobre los peldanos de la escalera. No
la quieren de jar pasar los médicos : mis sobrinos la aguar-
dan con secreta a~iedad••• Ella esta segura de entrar cuan-
do 10 juzgue oportuno.
Pondra los mondos huesecillos de sus
,
dedos sobre mi corazon,
y el péndulo se parara eternamente.
Viene como acreedora : sabe que le debo una vida ••• ,

-
169
-
que al fin cobra,
pero que yo me negaba a entregar.
V es
que en mi
conciencia estaba grabado el precepto santo que
nos manda no extinguir la an torcha que Dios enciende. dRice
b '
'1
IBn. d H'lce ma l ?. • • • "
-=-=-=-=-=-=-=-

C H A
P I T
R
E
II
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0
D'AUTRES FORMES D'ANNONCE SUIVANT LE ROLE
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-~-=-=-=-=-=-=-=-=-
DU NARRATEUR DANS LE RECIT
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
L'ANI\\JONCE -
PROBLEME -
L 'ANNONCE-EX-ABRUPTO
L'AI\\JI\\JOI\\JCE - DIALOGUE-L'ANNONCE-MONOLOGUE
-==00000000000==-
Beaucoup de ces contes à l'annonce ambigOe doivent
leur efficacité et leur force au rele que l'auteur assigne au
narrateur de l'histoire.
Il arrive que le début soit sans rapport
immédiat avec le contenu du conte,
qu'il ne vise qu'à souligner
l'intér~t que le narrateur accorde à l'histoire qu'il va racon-
ter.
Cet intér~t s'exprime sous la forme d'un commentaire à l'évé-
nement encore ignoré du lecteur. Ainsi le récit s'ouvre par quel-
ques phrases qui très vite réduisent la distance entre narrateur
et lecteur.
Poema humilde
fournit un bon exemple de ce curieux
procédé. Le narrateur avant de raconter que la guerre a détruit
l'idylle d'un soldat et d'une servante rend son lecteur juge de

-
171 -
l'intér~t de son histoire par ces mots de mise en garde
"Ce que je vais vous raconter est si vulgaire qu'il
n'appartient plus à la poésie, mais à la bouffonnerie en vers
ni à l'art sérieux, mais à la caricature grotesque à laquelle
sacrifie toujours la vie quotidienne.
Soyez indulgents et ne me
bl~mez pas car dans ce qui est d'habitude sujet de plaisanterie,
j'a i
vu,
mo i,
une 1 a rm e."
(1)
Ainsi cette mise en garde rend compte du caractère
anodin et presque dérisoire de cette histoire qui met en scène
un soldat et une servante.
Mais l'avertissement vague qu'elle
renferme a un double intér~t. D'abord l'attention du lecteur
est attirée par l'événement qui va suivre sans qu'aucun rensei-
gnement précis lui soit fourni d'avance.
En outre, l'autorité
du narrateur s'accro1t,
car fort de cette avance prise sur le
lecteur,
il pourra manier à volonté le matériel narratif et amé-
nager ainsi l'effet final
que l'auteur se propose de produire.
Le préambule proposait en effet que l'on se montre
compréhensif à l'égard d'un narrateur porté par son tempérament
particulier à rendre compte d'un fait considéré généralement
comme banal. Or,
l'histoire qui va suivre avancera d'épisode en
épisode pour aboutir à un dénouement tragique,
inattendu. Le

-
172
-
lecteur,
dans un premier temps apprend l'idylle des deux jeunes
paysans,
puis leur séparation : le jeune homme part du village
pour effectuer son service militaire lequel le conduit dans une
11e où son pays fait la guerre.
Dans un second temps,
le lecteur
est informé de l'attente anxieuse de la jeune fiancée qui, en
apprenant que la guerre fait beaucoup de victimes,assiste sur
le quai,
au milieu d'une foule innombrable de badauds,
au
rapa-
triement
des soldats tantet blessés,
tantet morts sur le champ
de bataille. L~ récit se fermera par la cri désespéré de la jeune
paysanne brisée,
anéantie de douleur en découvrant le corps inertE
de son Adri'n que le navire a ramené mourant à la patrie ; dénoue·
ment que l'on ne pouvait guère attendre d'un conte dont le narra-
teur dans ses premières lignes déclarait "modestement" l'intrans-
cendance. Le drame final,comme par dérision}n'était pas annoncé.
Seule la mort du jeune paysan dévoile le sens du préambule: la
guerre qui tue en masse,
qui déclenche d'infinies souffrances,
la guerre qui met fin à tant de r~ves, qui détruit tant de joies
et met fin à tant de bonheurs,
peut-elle se prolonger dans l'in-
différence générale? Est-il possible que la mort de quelques
soldats -
quoi? des frustres paysans,
des ouvriers inconnus ! -
puisse sembler un incident banal et sans relief? On s'adresse
-
rappelons-le - au lecteur de 1897,
année au
cours de laquelle

-
173 -
la passion patriotique espagnole confrontée aux guerres colonialel
minimisait le sacrifice humain que les secteurs les plus modestes
de la population devaient chaque jour consentir.
Dans El talism~n la mise en garde va encore plus
loin puisque,dès ses premiers mots,le narrateur propose au lecteu
une série de dispositions à prendre,s'il veut recevoir son récit
avec la disposition d'esprit que le sujet exige:
"La pr~sente histoire
bien que véridique
ne peut
t
t
~tre lue à la lumière du soleil. Je te conseille, lecteur
de ne
t
pas te laisser abuser
allume ta lampe mais non pas une lampe
électrique ni une lampe de gaz ou de pétrole
allume plutet une
de ces sympathiques lampes à huile qui ont une allure si gracieus
et qui éclairent à peine,
laissant dans l'ombre la plus grande
partie de la pièce. Ou mieux encore,
n'allume rien;
saute dans
le jardin
et près d'un bassin, là où les magnolias répandent
t
des effluves enivrantes et la lune ses rayons argentés
écoute
t
le conte de la mandragore et du baron de Helynagy.(2)
Le narrateur de 50 tierra pour sa part,
éprouve t
lui, le besoin de se justifier, de donner des gages d'exactitude
et de réserve :
-
"On peut raconter maintenant cette histoire car
les seules personnes qui pouvaient avoir intér~t à ce qu'on con-
tinue de l'ignorer sont mortes;
moi je n'ai jamais été partisan

-
174 -
de révéler à personne les fautes d'autrui et encore moins ses
crimes." (3)
Il se trouve encore un autre narrateur,
celui de
sC senor qui semble, à force de solliciter la confiance, la
foi du lecteur,
vouloir forcer son intimité,
découvrir son tem-
pérament,
lui donner des conseils et lui fournir des exemples:
"Serais-tu timide,
toi qui me lis 7" lui demande-t-il.
Et pour
ainsi dire, à voix basse il lui confie :
"L'histoire que je vais raconter,
je ne l'ai pas
inventée.
Si quelqu'un l'avait inventée,
si elle n'était pas
authentique,
je dis qu'elle a pu bien ~tre inventée; mais il
m'appartient aussi d'avouer que je l'ai entendu raconter •••
Ce
qui diminue beaucoup trop le mérite de ce récit et oblige à
croire que ma fantaisie n'est pas aussi fertile et aussi brillante
qu'on a eu coutume de penser par pure bienveillance.
Es-tu timide,
~ toi, qui me lis? Car la timidité
est un martyre ridicule;
elle nous rend ridicules,
nous encha1ne
comme si nous étions des forçats.
La timidité est un licou qui
nous serre la gorge,
une pierre au cou,
une chemise de plomb qui
nous colle à la peau, une cha1ne qui attache nos poignets,
des
fers qui entravent nos pieds •.•
Et la pire des timidités n'est
pas celle qui provient de la modestie,
de la méfiance que, cause
l'insuffisance de nos ressources.
Il y en a une plus terrible:
la timidité qui provient de l'excès d'émotion
la timidité de
l'amoureux devant sa bien-aimée,
du fanatique devant son idole.

-
175 -
Dans ce conte il est question d'un amoureux,
telle-
ment épris que je ne sais si
Romeo le Véronais,
Marsilla le
Turinois ou Mac{as le Galicien sont jamais parvenus à un si haut
point d'exaltation. N'enviez jamais cette catégorie de fous."
(4)
On le voit bien dans ce conte l'annonce initiale
est présentée dans une sorte de chuchotement mystérieux qui est
de nature à abolir la frontière entre le narrateur et son audi-
toire.
Celui-là marque sa présence,
en se justifiant,
en suggéran
des jugements,
en établissant des liens avec celui qui l'écoute.
Par ce "sotto voce",
le début du conte se transforme en une con-
versation intime dont le thème et celui du récit ne font plus
qu'un seul.
Ainsi le rele du narrateur dans bien des contes de
Do~a Emilia est de toute première importance. C'est à lui que
revient le choix du ton et la conduite m~me du récit.
Il explique
et juge l'histoire qu'il propose puisqu'il en a été le héros, le
témoin ou le confident.
Sa façon m~me de l'amener et de la pré-
senter à son auditoire tient compte de l'effet final qu'il veut
produire et en raison duquel
il ménage la présentation de ses
épisodes.
Dans le cas que nous venons d'évoquer le récit)qui est
un événement passé,s'actualise et prend un sens nouveau pour cha-
cun des auditeurs. L'introduction a donc pour but de créer une
atmosphère,
de provoquer la réaction personnelle du lecteur que

-
176 -
le narrateur semble voulo1r arracher à sa passivité.
Ainsi de chaque conte se dégage une impression glo-
bale qui vient certes de l'intrigue,
des personnages,
de l'atmos-
phère qui les entoure mais qui est accentuée par la technique
narrative choisie dans chaque cas par l'auteur. Lyrisme,
mélan-
colie,
cruauté,
suspense,
ironie,
effet de surprise,
paradoxe,et
nous en passons,
autant de caractères assignés à un récit au moyer
d'une technique narrative qui les met en évidence dès la première
ligne avec une force et une habileté peu cbmmunes.
Les exemples précédents nous ont permis de constater
le pouvoir du narrateur à présenter les épisodes du conte comme
des moments vécus,
usant,
parfois,
d'une élégante désinvolture à
l'égard du thème proprement dit.
C'est dans ce procédé de présen-
tation que réside tout l'art de l'écrivain qui réussit à rappro-
cher le vraisemblable du vrai
et,en donnant au narrateur un
accent personnel qui lui confère le privilège de rendre confiden-
tiel et par là crédible un récit qui retrace avec émotion les
traits décisifs d'une existence. Ainsi ce narrateur modifie,
atténue ou accentue,
recrée enfin~les péripéties de l'histoire
qui est transmise au lecteur à travers le filtre de sa sensibi~
lité.
Ce type d'introduction a pour l'écrivain l'avantage

-
177 -
d'isoler un seul jugement privilégié par le narrateur donnant
ainsi d'emblée la clé et le sens du conte.
L'ANNONCE-PROBLEME
L'annonce peut dans certains cas rev~tir l'aspect
d'un énoncé de problème:
il s'agit d'en présenter au départ les
données essentielles pour faire aboutir le récit ~ une sorte de
démonstration. Ainsi La guija s'ouvre par l'affirmation suivante
"Dans le petit village paisible,
riverain d'Areal, le trouble
provoqué par les circonstances mystérieuses de la disparition du
garçonnet fut énorme."
(5)
Ce départ donne le ton à l'histoire qui va suivre.
Q
On sait dès la première ligne qu'un événement,
qui reste encore
vague,
a suscité une inquiète surprise.
En développant cette pre-
mière donnée on apprend au lecteur les circonstances de l'événe-
ment qui plonge les malheureux parents du jeune garçon dans la
plus terrible angoisse :
"la mère,
une robuste sardinière,
en
pleurant à chaudes larmes,
s'arrachait par poignées les cheveux ••
le père, les yeux tout grands ouverts fermait le poing en signe
de menace ..•• " (6) Autour d'eux le village tout entier se perdait
en hypothèses chacune desquelles était rejetée aussitOt qu'elle
était formulée.
Qu'avait-il pu devenir l'enfant? Tout à coup
la mère se souvient d'avoir vu peu avant la disparition de son

-
178 -
fils,
non loin du village,
un campement de gitans.
Ce sont sQre-
ment eux - disait-elle -
qui ont séquestré le petit.
Elle se
rend à l'endroit où avaient séjourné les romanichels,
n'y trouve
plus personne mais en rapporte un galet de rivière qu'elle pré-
sente aux villageois.
Tous se rangent sur son avis : le rapt de
l'enfant est hors de doute car,
ils savent comme la mère que le
petit disparu portait toujours dans ses poches des galets bien
arrondis que l'on pouvait aisément reconna1tre.
Mais le juge ne
se laisse pas convaincre par cet indice :
"Les Gitans? Allons
donc,
on les accuse toujours.
Et pour un galet de la mer fallait-il
conclure 7 ••• " (7)
Le récit se termine là,
sur le désespoir de la pau-
vre et malheureuse sardinière,
excédée par l'indifférence des
autorités.
Le mystère incompréhensible et troublant de la dis-
parition d'un enfant,proposé par le préambule,reste donc sans
solution car le sort du fils d'une pauvre sardinière n'éveille
pas l'intér~t des représentants de la justice. C'est bien à cette
conclusion que le court récit se propose de faire parvenir le
lecteur.
C'est à lui de dégager le sens de l'histoire et de l'in-
terpr~ter.
Dans d'autres contes la rapide intrigue sert à
justi-
fier ou à combattre une opinion communément admise qui est énoncée

-
179
-
dans le préambule,
parfois sur un ton péremptoire et polémique.
1
,/
Ainsi La ultima ilusion de Don Juan s'ouvre sur l'affirmation
h~tive qu'avancent les gens superficiels selon laquelle Don Juan
ne vit que pour satisfaire ses sens ou,
tout au plus,
son imagi-
nation,
jamais son coeur car il est incapable du moindre senti-
ment. Le narrateur du récit s'inscrit en faux contre cette idée
et pour la combattre,
il raconte une histoire où Don Juan échoue
lorsqu'en s'éprenant de la seule femme pure qu'il a rencontrée,
en fait le symbole idéal de la sainteté virginale.
Il a renoncé
à la posséder en croyant qu'elle n'était que pur esprit.
Or,
elle
était en chair et en osJcomme les autres jeunes filles,et comme
elles,
elle ne songeait qu'à trouver un mari. ••
Dans Pre jaspes l'idée reçue est ainsi exposée: l ' i -
déal de loyauté au roi,
est l'inspiratrice des plus hauts faits
d'héroIsme et de sacrifice dans le contexte des idées et des sen-
timents chrétiens. Mais cette assertion est fausse;
le sentiment
de soumission totale au roi est bien plus ancienne que le chris-
tianisme~lequel a toujours permis de faire la différence entre
ce que l'on doit à Dieu et ce que l'on doit à un homme mortel.
La divinisation du chef est,
au contraire,
propre aux cultures
plus anciennes et barbares que la culture chrétienne.
C'est ce
que Dona Emilia essayera de prouver à travers l'histoire de
Pre jaspes,
serviteur du roi perse Cambises.
Pre jaspes n'hésita

-
180
-
pas à sacrifier son unique enfant pour rassurer son seigneur,
lequel a pu croire un instant que son goOt excessif pour les
boissons alcooliques ait pu portE4atteinte à ses talents de
premier tireur à l'arc du royaume.
Dans les deux contes que nous venons d'évoquer le
désir de démontrer se fait
jour dès le préambule où le narrateur
refuse tout fondement à une opinion très répandue,s'engageant
par là à prouver la vérité contraire.
Cette ouverture inhabi-
tuelle du conte incite le lecteur à rester attentif à tout ce
qui va suivre,
un récit qui va directement à son but,
ou plutet
à ce qui,
n'étant qu'un procédé littéraire très efficace,
se
donne l'air d'~tre un but: détruire une opinion jugée stupide
ou erronée.
En somm~ parmi les formes "d'annonce" dont dispose
,../
Dona Emilia pour donner le ton -
la note dirions-nous -
et main-
tenir l 'intér~t de l 'histoire, la polémique figure comme une
des plus utileset des plus sOresparmi les fils conducteurs du
récit.

-
181
-
L'ANNONCE EX-A8RUPTo
"Le premier mot d'un conte - avons-nous dit -
doit
déjà s'écrire en pensant à la fin.
En rapport avec cette règle
j'ai pu remarquer que le début qui ouvre ex-abrupto le récit,
comme si le lecteur connaissait déjà une partie de l'histoire
qui va ~tre racontée, donne au récit une force insolite •
..• On ignore tout de l'histoire;
personne ne la
conna!t. L'attention du lecteur a été attirée par surprise et
là réside la plus grande efficacité dans l'art de conter."
(8)
Ainsi s'exprime Horacio Quiroga,
lequel
appelle ex-abrupto ce
que les préceptistes ont toujours appelé début in media res.
L'expression a l'avantage de connoter une certaine brutalité
dans la manière d'ouvrir le récit,
connotation qui convient par-
"
1 ,
,
faitement a certains contes de Pardon Bazan.
Or,
ce procede narra-
tif,que Quiroga appréciait si fort mais qu'il n'avait certes pas
inventé,
d'autres auteurs de contes l'avaient avant lui maintes
fois employé et Dona Emilia ne s'en était pas privée.
Las caras pourrait ~tre un exemple concret d'un tel
procédé d'exposition.
Dans ce conte,
un homme revient après de
longues années d'absence,
à la ville où s'est déroulée son enfance.
Il compte sur cette visite pour assouvir son désir impérieux de
revivre les tendres joies de cette enfance lointaine en revoyant

-
182 -
les visages de ses anciennes connaissances. Mais voilà que les
visages lui renvoient l'image cruelle du destin humain,
le vieil-
1
lissement des autres qui va de pair avec le propre vieillissement
ressenti comme un signe avant-coureur de la mort.
Le récit démarre par la description subite des sen-
sations poignantes que le protagoniste éprouve à la vue du cadre
de son enfance abolie:
"D~s que le voyageur, penché à la fen~tre
du train,
aperçut les tours baroques de Santa Mar{a del Hinojo,
bronzées dans un ciel rose fluide,
son coeur s'agita violemment,
ses mains se refroidirent. Le temps écoulé disparut,
et la sensi-
bilité juvénile ressurgit impétueusement."
(9)
Ainsi le lecteur est d'emblée confronté au trouble
profond dont le protagoniste voyageur est la victime.
On ignore
les rapports qui lient ce voyageur à ces tours d'église dont la
seule vue provoque de telles sensations. On comprendra progressi-
vement par accumulation d'informations fragmentaires,que le voya-
1
geur inconnu a pénétré dans le cadre de ses tout premiers souve-
nirs
"C'étaient les tours de cette seule église o~ le
sacristain lui avait permis de sonner les cloches,
d'admirer les
nids des cigognes migratrices ... " (10)
Souvenirs qu'il
souhaite retrouver sur des visages
"Visages de compagnons de jeux et de diableries,
visages de parents ... visages de ma!tres ..• " (11)

-
183 -
Mais quelle ~tra~ge surprise l'attend 1 Lorsqu'il parvient à
reconna!tre les visages,
il r~alise qu'ils sont marqu~s par les
ravages du temps.
Il s'agit là,
d'une ébauche du thème proustien
du temps retrouv~. Dans le premier paragraphe nous avions lu :
IIVoilà que le temps écoulé avait disparu." Faux :"Con-
fus,
le voyageur fixa par hasard ses yeux dans la glace qu'il avait
en face. La surprise dilata ses yeux.
Son visage non plus,
n'ex-
primait pas son ~me d'autrefois. L'expression de la jeunesse, can-
dide exigeante,
voluptueuse n'y était plus.
S'il se cherchait
lui-m~me - et bien sOr qu'il se cherchait - sur les visages des
autres,
erreur 1 peine perdue 1,
il ·ne pourrait pas s'y retrouver
le "moi" d'autrefois n'existait plus 1 •••
Il portait en lui un
mort,
et il venait de s'en apercevoir, à cette heure critique,
gr~ce à la confidence d'une terne glace de café." (12)
A la réy~lation anticipée de l'émotion du héros
arrivant à sa ville natale répond symétriquement son amertume
lorsqu'il d~couvre enfin que l'oeuvre du temps est irréparable.
Il a touch~ du doigt le destin de l'homme voué au vieillissement
et à la mort dont l'auteur nous avait cryptiquement donné d'avan-
ce le signe:
le froid qui paralyse le vieillard et qui
raidit le
mort :
"
son coeur s'agita violemment,
ses mains se refroidi-
rent."
L'art narratif de Dona Emilia a ainsi permis au
lecteur de suivre pas à pas le protagoniste dans ces épreuves

-
184 -
q.u i lui dÉc 0 u v r e n t l e s en s dut e mp s,
l e t e mp s qui vie i 11 i t , qui
use,
qui dÉtruit,
qui tue,
son temps retrouvÉ •••
Là où le premier paragraphe pouvait faire attendre
le bonheur du retour au pays natal et les bruyantes joies des
retrouvailles,
on ne perçoit,en traversant la ville aux cetÉs du
voyageur pèlerin,que les changements qui ont effacé un passé
encore proche,
l'oubli des disparus,
la déchéance des survivants,
enfin,
celle du voyageur lui-m~me, le mort qu'il porte en lui.
Mais il arrive aussi que par le procÉdé de "démar-
rage brusque" l'effet de surprise recherché par l'écrivain soit
rendu si manifeste que le récit débute de façon éruptive par l'é-
vocation des gestes démesurés d'un ~tre tourmenté en proie au
désespoir.
C'est le cas de l'immence majorité des contes qui
expriment une intense émotion,
comme En verso dont le début est,
à cet Égard très significatif:
"Pour la troisième fois,
il écrivit le sonnet,
et
en se promenant majestueusement,
il le déclama.
Puis en secouant
la t~te il revint
s'asseoir.
Il empoigna le papier et,
sans le
l~cher, il pencha sa t~te pensive sur 8a poitrine. Un soupir
profond s'échappa enfin de sa bouche,
contractée par l'amertume.
La main qui le tenait toujours froissa le brouillon d'un mouve-
ment convulsif.
Il jeta sur la table cette boule froissée et se
releva pour parcourir sa chambre.
Ce n'était plus les grands pas
~adencés de ceux qui lisent à haute voix mais la démarche agitée

-
185 -
et chancelante particulière aux moments où la marche ne répand
que l'excitation nerveuse.» (13)
Le lecteur doit réaliser dès ces premières lignes
qu'il a affaire à un personnage qui se débat en proie à une pro-
fonde détresse,
celle où sombrent ceux qui ont raté leur vie.
On apprendra par la suite le mal dont souffre le protagoniste
du conte
dominé par une puissante vocation artistique,
obsédé
par une ambition exclusive,
~tre poète, il se heurte à sa fon-
. ,
Clere incapacité d'écrire un seul vers d'une quelconque valeur.
,
Sa volonté de se réaliser en tant qu'artiste,
unie a la lucidité
impitoyable avec laquelle il juge son oeuvre,
voilà le combat
qui l'a brisé,
qui lui a fait haIr une existence qu'il considère
vide et dépourvue de sens.
Il s'est cru né pour créer quelque
chose de grand et il n'est qu'un médiocre,
jouet malheureux d'un
destin moqueur.
Or,
voici que l'oeuvre ne sera pas le grand poème
susceptible de le rendre immortel.
Son oeuvre consistera à sauver
la vie d'un enfant au risque de la sienne.
Lucide,
comme il l'a toujours été pour juger ce que
sa plume trace sur le papier,
lucide plus que jamais au moment
de l'accident il voit,
il sait que s'il sauve l'enfant il perd
sa vie.

-
186 -
"L'inspiration reb~lle pour l'oeuvre rythmée arriva,
brutale,
fulminante.
Elle l'éblouit •••
C'était la mort presque
sOre;
pour écarter l'enfant il fallait exposer son corps." ...
Les mots de la fin sont ceux-ci
"Et sa dernière pensée,
avant de perdre conscience,
lorsque le choc fit éclater son crane,
fut une pensée de fierté,
d'assouvissement:
"Je viens d'écrire un admirable poème •.• " " (1 l
Au mauvais sonnet sur la feuill~ de papier froissée
avec rage du début correspond donc l'admirable poème en action
de la fin:
la vie d'un enfant gagnée par un geste adroit,
rapi-
de,
efficace de son pauvre corps volontairement livré à la machinE
impitoyable qui doit le broyer.
L'ANNONCE-DIALOGUE
A la différence du précédent procédé l'introduction-
dialogue a une démarche paisible. Le conte est construit à l'ima-
ge d'une conversation ordinaire qui,
très tet,
fait appara!tre la
curiosité pressante des personnages qui se questionnent,
s'inter-
rompent ou se font des confidences.
Cette confrontation prélimi-
naire qui donne l'orientation du conte, admet la participation
intense de l'auteur.
Le rele du conteur peut se limiter ainsi à rapporter

-
187 -
les propos des personnages,
à les présenter en notant soigneuse-
ment leurs attitudes.
C'est le cas notamment de Las tijeras où est débattu
le problème de l'entente du couple; le récit débute par une affir-
mation devant laquelle un confident témoigne une vive curiosité:
" - Le mariage - disait le père Baltar,
intervenant
sans manifester la moindre intransigeance dans une discussion
assez profane, ... ressemble aux ciseaux.
- Aux ciseaux,
mon père ? -5~xclama l'une des
personnes présentes, manifestant son étonnement - Savez-vous
que c'est une comparaison originale?
-
Rlus qu'originale,
adéquate -
déclara le
,
pere ••• " (15)
Il arrive parfois qu'un premier narrateur-personnage
rapporte son propre entretien avec un autre personnage lequel
raconte son aventure ou celle d'autrui.
Dans ce cas,
il reproduit
ses propres questions dans une conversation où son rele ressem-
blait fort à celui d'un enqu~teur. Tel est le cas de Sara y Agar
dont le deuxième narrateur-personnage,
pour raconter l'histoire
qui le conduira à révéler l'étrange fidélité de son épouse,
subit
un interrogatoire en forme de la part du premier narrateur qui
manifeste une grande impatience :
" -
Expliquez-moi -
dis-je à Monsieur de Barn~rdez -

-
188
-
une chose qui a toujours éveillé ma curiosité.
Pourquoi dans
votre salon vous avez dans les m~mes cadres les portraits de feu
votre épouse et d'un enfant inconnu qui,
selon vous,
n'est ni
son neveu,
ni son proche? L'autre photo de femme,
placée en
face sur le piano,
qui représente-t-elle ?
•.
Vous l~ignorez ?
Je parle de cette gracieuse jeune femme,
au front couvert d'une
frange finement bouclée."
(16)
Il existe aussi une forme très particulière du
m~me procédé. Le narrateur débute en engageant un dialogue avec
le lecteur imaginaire. Le récit commence par les questions de
ce narrateur qui s'empresse d'y répondre.
C'est ce qui se passe
dans le préambule de Suerte macabra qui,
d'emblée, met le lecteur
en éveil car le narrateur s'engage à satisfaire la curiosité
qu'il vient lui-m~me d'éveiller:
"Voulez-vous savoir pourquoi don Donato aux joues
rouge~tres et à la souriante bouche rondelette, 'flancha subite-
ment,
devint tout rouge et finit par mourir d'ictère? Cela
arriva,
écoutez-le bien,
quand il gagna le gros lot de la loterie
de No!l,
des millions de pesetas."
(17)
L'ANNONCE-MONOLOGUE
Le monologue n'est qu'un dialogue intérieur qui
s'engage entre le narrateur-héros personnage et sa propre cons-
cience. Il apparatt presque toujours dans les contes de Dona Emilia

- 189 -
comme l'expression d'un conflit souvent passionnel et absurde.
Le personnage dans sa solitude, livré à ses démons,
se plonge
dans la méditation où le lecteur le surprendra en proie aux pul-
sions contradictoires de la crainte,
de l'espoir,
de l'angoisse
ou de la révolte ••• Les idées et les désirs qui se livrent ba-
taille dans son esprit sont parfois le point de départ du conte.
L'écrivain pr@te au protagoniste des propos qui sont le signe
annonciateur de l'aventure qui fera l'objet du court récit.
Ce signe est progressivement mis en lumière dans
le monologue qui montre les différents états successifs de la
conscience.
C'est bien ce qui arrive dans Vida nueva où une
femme mal aimée a soudain la conviction toute subjective qu'elle
est enceinte.
D'abord par une première exclamation intérieure
de la protagoniste, on conna!t la femme élégante,
encore belle
et désirable :
"Angela entra,
s'approcha du miroir, laissa glisser
son riche manteau de fourrure;
en taille,
décolletée,
rouge
encore de la chaleur de la soirée mondaine,
elle se regarda et
laissa éclater sur son visage cette indéfinissable rapide satis-
faction de la femme qui pense
"Je ne suis pas si mal
1 Aujour-
d'hui j'ai plu à beaucoup d'hommes."
(18)
BientOt une autre bribe de dialogue nous apprend

-
190
-
qu'elle attend le mari volage qui la délaisse
"Je l'attendrai toute habillée.
C'est Nouvel An
tout de m~me. Serait-il capable de monter directement dans sa
chambre 7" (19)
Il la délaisse,
oui.
Mais n'en est pas elle aussi
un peu coupable
"
J'ai laissé les choses prendre cette tournure ...
Quand nous avons commencé à sortir chacun de notre ceté •.•
je
n'ai pas osé me plaindre à haute vo~. Maintenant nous en sommes
à ne plus nous parler qu'aux heures de repas •••
et j'ai honte de
me montrer triste et furieuse.
Ce n'est pas possible;
je dois
reconna!tre ma part de responsabilité."
(20)
Enfin l'infidèle rentre cette nuit-là au bercail.
Son amour assoupi semble cette nuit du Nouvel An rena!tre. La
vie va-t-elle recommencer? Elle en doute :
"Quelques heures heureuses oui,
mais après 7 Il
riait.
Qu'est-ce qu'il riait lorsque je parlais de vie nouvelle
Malheureuse de moi
1 Inutile de r~ver 1
"(21)
Et finalement,
miraculeusement, une lueur,
une per-
suasion,
une certitude.
Sa nuit d'amour n'ouvrira pas une nouvelle
vie de tendresse pour le couple désuni. La nouvelle vie sera tout
autre chose: l'enfant qui va na!tre.

-
191 -
On voit comment,gr~ce à ces bribes de monologue
int.érieur,le lecteur est lentement et progressivement renseigné
sur la situation du couple et sur les sentiments de l'épouse chez
qui l'amertume alterne avec l'espoir pour arriver à la surprise
de l'inattendu dénouement:
l'annonce de l'enfant qui va naître
et qui n'a d'autre réalité que l'intime et profonde certitude
de la femme.
Ainsi la trame qui se dénoue en suggère une autre.
Des joies et des douleurs de l'amour de l'épouse finalement frus-
trée on va passer à ceux de la mère.
Par la voie du monologue bref et entrecoupé d'une
femme une nuit de la Saint-Sylvestre l'auteur a fait parcourir
au lecteur toute l'existence d'une femme en qu~te du bonheur.

-
192 -
Ces quelques exemples suffiront peut-~tre à montrer
que dans ce genre littéraire qui est le conte,
lequel exige une
extr~me concision, notre écrivain a joué à fond toutes les pos-
sibilités que lui offre comme moteur de l'action la première
séquence du récit.
Construite à la mesure de l'intrigue,
elle
révèle l'intention de Do~a Emilia de capter dès le premier mot
l'attention de son lecteur.
Elle était sans doute persuadée}
comme de nos jours Julio Cort~zar, de la nécessité de ce premier
mouvement de curiosité que tout bon conte doit produire sur le
lecteur et devait croire_comme le romancier argentin -
que toute
la réussite du récit dépendait de ce seul premier moment:
1
"Un conte - écrit Cortazar -
est mauvais dès l'ins-
tant que l'écrivain néglige la tension qui doit se manifester
dans ses premières lignes ou ses premières scènes."
(22)
Do~a Emilia aurait sQrement souscrit aux phrases
que nous venons de citer,
c'est pourquoi elle a consacré le plus
grand soin aux phrases initiales de ses contes destinées à donner
le ton du récit.
Mais la dernière ligne n'a pas moins mérité
toute son attention,
car -
elle le savait bien - c'est d'elle
que dépend l'efficacité globale du conte.

-
193 -
o
T
E
5
-=-=-=-=-=-=-=-=-
1 .
0 • C.,
T.
l
Page 1 5 5 3 :
"L 0
que v 0 y a con t a r os e s t a n vu 1 ga r ,
,
que ya no pertenece a la poeSla,
sinD a la bufonada en verso
ni al arte serio,
sinD a la caricatura grotesca,
de la cual
diaramente hace el gasto.
Sed indulgentes y no me censuréis,
porque donde suele verse risa he visto una l~grima."
2.
D.C.,
T.
l,
page 1475
"La presente historia,
aunque
'"
verI-
dica, no puede leerse a la claridad deI
sol.
Te 10 advierto,
lector,
no vayas a llamarte a engano :
enciende una luz,
pero
no eléctrica,
ni de gas corriente, ni siquiera de petrolee,
sinD uno de esos simpaticos velones t{picos,
de tan gracio-
sa traza,
que apenas alumbran,
de jan do en sombra la mayor
parte deI aposento.
0, mejor aun,
no enciendas nada ; salte
al jardln,
y cerca deI
estanque,
donde las magnolias derra-
man efluvios embriagadores y la luna rieles argentinos,
oye
el cuento de la mandr~gora y deI barcin de Helynagy."
3.
D.C.,
T.
II,
page 1741 :" - Aquella historia ya puede con-
tarse,
porque han muerto los ûnicos que podlan tener interés
en que no se supiese,
y yo no he sido nunca partidario de
descubrir faltas de nadie,
y menos crlmenes".

-
194 -
4.
~,T. l,
page 1412 : "Lo que voy a contar no 10 he inven-
tado.
Si 10 hubiese inventado alguien,
si no fuese la exacta
verdad,
digo que bien inventado estaria
; pero también me
corresponde declarar que 10 he oldo referir ••• Lo cual dis-
minuye muchisimo el mérito de este relato y obliga a suponer
que mi fantasIa no es tan fértil
y brillante como se ha soli
do suponer en momentos de benevolencia •
. Eres tlmido, .oh tu,
que me lees ? Porque la timidez
f!
es unD de los martirios ridlculos ; nos pone en berlina,
nos amarra a banco duro. La timidez es un dogal a la gar-
ganta,
una piedra al pescuezo,
una camisa de plomo sobre
los hombros,
una cadena a las munecas,
unos grillos a los
pies •••
Y el peor género de timidez no es el que procede
de modestia,
de recelo por insuficiencia de facultades.
Hay
otro mas terrible : la timidez por exceso de emocion
; la
timidez del enamorado ante su amada,
del fanâtico ante su
{dolo.
De un enamorado se trata en este cuento,
y tan ena-
morado,
que no sé si nunca Romeo el veronés,
Marsilla el
turolense 0 Macias el galaico 10 estuvieron con mayor vehe-
mencia.
No emvidiéis nunca a esta clase de locos."

-
1':J5 -
5.
Op.
cit.,
T.
II,
page 1800 :
"En el paclfico pueblecito
ribereno de Areal fué enorme el
rebullicio causado por el
misterioso episodio de la desaparicidn deI chicuelo."
,
6.
Ibi~, page 1800 :
"La madre, ...
llorando a gritos,
mesan-
dose a punados las grenas ...
...
Su padrej
cerrando los punos,
inyectados los ojos,
ame-
nazaba •.•
7.
l b i d,
p age 18 0 1
" ;Los hungaros ?
jBah
!
De todo se les
culpa ••• ;Y por una china de la playa se ha de afirmar ••• ?"
1
8.
Horacio Quiroga,
El manu al deI
perfecto cuentista,
Op.
cit.
page 62
"De acuerdo con este canon,
he notado
que el comienzo ex-abrupto,
como si ya el lector conociera
parte de la historia que le vamos a narrar,
proporciona al
cuento insolito vigor . . • •
Véase todo 10 que deI cuento se
ignora. Nadie 10 sabe.
Pero la atenciôn deI lector ha sido
cogida de sorpresa,
y esto constituye un desideratum en el
arte4contar."
9.
Op.
cit.,
T.
II,
page 1545 :
"Al divisar,
desde el
tren,
de bruces en la ventanilla,
las torres barrocas de Santa
Marla de! Hinojo,
bronceadas sobre el cielo de un rosa
flGido,
el corazon deI viajero trepido con violencia,
sus

-
196 -
manos se enfriaron.
El tiempo transcurrido desaparecio,
y
la sensibilidad juvenil resurgio impetuosa."
10.
Ibid~page 1545
"Eran las torres ~nicas de aquella ~nica
iglesia en que el sacristan le habla permitido repicar las
campanas,
admirar los nidos de las cigUe~as emigradoras ..• "
11.
Ibid.,
page 1545 :
"Caras de compaiieros de juegos y diablu-
ras,
caras de parientes ••.
caras de maestros ... "
12.
Ibid.,
page 1547 :
"Abismado,
el viajero fijô por casualidad
la vista en el espejo que tenla enfrente. La sorpresa dilatô
sus o)os.
Tampoco BU cara dejaba transmanar el alma de anta-
no. La expresiôn de la juventud,
cândida,
preguntadora, amo~
rosa,
no estaba allia
Si se buscaba···- en las caras ajenas,
mal hecho 1,;
trabajo perdido 1 no podla encontrarse ;
jel ~ de entonces no existla 1 •••
Llevaba consigo un muerto,
y acababa de averiguarlo,
en ~ora crltica, por la confidencia de un turbio espejo de
café."
13.
Op. cit., T.
II,
page 1698 : "Por tercera vez escribio el
soneto,
y,
paseândose majestuosamente,
10 declamO. Luego,
meneando la cabeza,
volviô a sentarse. Apretaba en la mano
el papel y,
sin soltarIo,
recIinô la pensativa cabeza sobre

..,
197 -
el pecha. Un suspiro prafundo se exhala por fin de su baca,
contra!da de amargura.
Arrugo convulsivamente en la mana
donde aun 10 conservaba el borrador, 10 arrojo hecho un
rebujo informe sobre la mesa y volvia a levantarse y a re-
correr el cuarto,
no ya al amplio paso rltmico de los lec-
tores en voz alta,
sino con el andar agitado y desigual de
los momentos en que la locomocian no llena mas fin que desa-
hagar la excitacidn nerviosa."
14.
Ibid.,
page 1700 :"La inspiracion,
rebelde para 10 rimado,
vina subita,
fulmlnea. Le deslumbrd, .••
Era la muerte casi
segura ; para desviar a la criatura habla que exponer el
cuerpa •••
v su ûltima pensamiento
antes de perder la concien-
cia al despedazarse su craneo -
fué éste,
altivo y satisfe-
cha :
"He escrito una admirable poesIa •.• "
15.
D.C.,
T.
l,
page 1425 :
" -
El matrimonio - decIa el padre Baltar,
terciando
sin asomos de intransigencia en una discusion asaz profana -
el matrimanio •••
se parece a las tijeras.
-dA las tijeras,
padre ? .. -
exclama unD de los
presentes manifestando extraneza -
iSabe usted qué es una
comparacion original ?
- M~s que original, adecuada - declard el padre ... "

-
198
-
16.
Op.
cit.,
T.
l,
page 1375 :"- Expllqueme usted - dije al
senor de Bernardez -
una cosa que siempre me infundio cu-
r!tosidad. ;Por qué en su sala tiene usted,
bajo los marcos
gemelos,
los retratos de su difunta esposa y de un nino des-
conocido,
que segûn usted asegura ni es hijo, ni sobrino,
ni nada de ella ? ;De quién es otra fotografla de mujer,
colotada enfrente,
sobre el piano?
iNo sabe usted ?
una mujer joven,
agraciada,
con flecos de ricillos a la
frente. "
17.
~,Op. cit., T. l page 1647 : c! Queréis saber por qué don
Donato,
el de los carrillos bermejos y la risuena y regor-
deta boca,
se puso abatido,
se quedo color de tierra y aca-
bD muriéndose de ictericia ? Fué que - Oldlo bien - le cayo
el premio gordo de Navidad,
los millones de pesetas ••• "
18.:
Cuentos de Navidad y AnD Nuevo,
Op.
cit.,
T.
II,
page 1603 :
"Angela entro,
llegose al espejo,
dejo resbalar el rico abri-
go de pieles,
quedo en cuerpo,
escotada,
arrebolada aun la
tez por la sofoquinadel saraa,
y se miro,
1
Y expresa en la
cara esa râpida,
indefible satisfaccion de la mujer que
pi en sa
" ;Na estay mal! Lo que es hay parecl bien a mu-
chas."

-
'199
-
19.
Ibid.,
page 1603 :
"Le aguardaré vestida ... Al cabo,
hoy es
,
.
noche de Ano Nuevo.
,i Sera cap~'1..de lYSe en derechura a su
cuarto '1
"
20.
Ibid.,
page 1604 :
"Vo he dejado que las cosas se pusiesen
as1 •••
Veo que empezamos a salir cada unD por su lado ••• ,
y no me atrevo a que jarme en voz alta.
Veo que solo nos
hablamos a las horas de comer ••• ,
y me da vergOenza de pre-
sentarme triste 0 furiosa.
Esto no puede ser i
algo he de
poner de mi parte."
2
.
" ' , l
1.
Ibld.
page 1605 :
" Unas horas felices,
Sl
i
i pero despues,.
,
El se rela
,
'"
l
i
i como se rela con aquel 0 de vida nueva 1 •••
,
, . j
Pobre de ml
l
No hay que sonar ••• "
22.
Julio Cortaiar, Algunos aspectos del cuento,
C A H,
II,
(noviembre 1962), 8 :
"Un cuento es malo cuando se 10 es-
cribe sin esa tensi~n que debe manifestarse desde las pri~
ras palabras 0 las primeras escenas."
-=-=-=-=-=-=-

C H A
P I T
R
E
III
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=
LEM 0 T
0 ELA
FIN
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
LE DERNIER MOT IRONIQUE - CYNISME ET BOUFFONNERIE
LE SIGNE QUI MARQUE LA FIN DU RECIT -
L'IMPORTANCE DU MOT DE LA FIN -
LES DENOUEMENTS TRAGIQUES -
L'UNITE DU CONTE EXPRIMEE PAR LE TITRE.
-==0000000000000==-
En abordant l '~tude d~s structur~formelles dans
les contes de notre auteur,
nous avons dans la première partie
de ce chapitre,
établi la corr~lation existante entre le d~but
et la fin du récit. Mais le d~nouement n'a pas fait jusqu'ici
de notre part l'objet d'un examen très approfondi. Nous nous
proposons maintenant de l 'entreprendre,en nous limitant à l'ana-
lyse des proc~d~s vraiment significatifs auxquels l'~crivain a
eu recours dans ses meilleurs contes.
LE DERNIER MOT IRONIQUE
La phrase finale qui sert à clore le récit,et à
laquelle Horacio Quiroga attachait une très grande importance,
se pr~sente souvent, chez Pardo Baz~n,comme un trait d'humour

-
201
-
tBnt~t tendre,
tant~t noir et qui contraste toujours avec le
caractère tragique ou émouvant de l'histoire. Le but, visé par
l'écrivain est d'atténuer la tension angoissante du récit en
faisant ressortir les aspects les plus saugrenus,
les plus ab-
surdes des événements dont le lecteur vient de suivre le dérou-
lement.
Il n'est de meilleure illustration de ce procédé que
Reconciliados où,
à l'horreur frémissante de 1a mort de deux
paysans qui s'entretuent pour une parcelle de terre,
succède un
commentaire final
de l'auteur sur le mode philosophico-ironique
"Et le jour m~me ils furent enterrés dans une par-
celle de terre qui a les m~mes dimensions que celle pour laquelle
ils se battaient mais où,
au moins,
ils furent en paix.
Ce qui
mit fin aux discussions,
aux combats,
aux échanges d'injures et
d'insultes grossières.
Et les fleurs qui poussèrent plus tard
sur leur sépulture ne firent aucune différence ent~e les deux
hommes qui s'étaient tant haIs."
(1)
Ce m~me procédé de cl~ture est encore remarquable
dans Aire où après avoir exposé les conflits affectifs qui ont
éveillé des pulsions de mort chez une jeune fille la poussant au
suicide, l'auteur ferme le récit par un commentaire rapide et iro-
niquement mélancolique.
La protagoniste,
en effet,
en proie à
une folie dépressive avait fini par s'identifer à l'air,
car son
fiancé lors d'une dispute lui avait dit qu'elle n'était rien d'au-
tre que du "vent".
Ce mot dur et blessant déclencha la démence

- 202 -
de la malheureuse fille qui,
convaincue de son immatérialité,
ne r~vait plus que de s'élever dans l'air. Un jour,
du haut
d'une des cellules de l'hepital psychiatrique où elle avait
été internée,
elle se jeta par la fen~tre et s'écrasa au sol.
L'amère ironie de l'auteur en terminant son récit désamorce la
charge tragique de l'histoire avec le constat désabusé du pouvoir
destructeur de la folie amoureuse :
"Sa dernière sensation fut qu'elle buvait de l'air,
qu'elle se confondait avec l'air alors qu'elle buvait le philtre
de la mort qui guérit de l'amour."
(2)
Il arrive parfois que l'écrivain dégage sa respon-
sabilité de l'humour ou de l'ironie amère qui sert de conclusion
au conte.
Dans ce cas,
il laisse au héros ou à un personnage,
témoin ou confident,
le soin de le faire.
C'est ce qui arrive
à la fin de La adventencia.
Il nous a fait assister aux recomman-
dations et aux objurgations soupçonneuses d'un mari jaloux qui
voit sa femme pr~te à abandonner son enfant nouveau-né pour aller
à la capitale allaiter celui des seigneurs:
"Fais bien attention que les petits messieurs ne
s'amusent pas à mes dépens •••
car si je venais à apprendre la
moindre chose, ma parole,
je briserais le soc de la charrue sur
ton dos 1"
La femme ne manque pas de se dire in mente "que

-
203 -
son homme n'avait pas un pied à NorIa et l'autre à Madrid et que
ce n'étaient pas les merles qui iraient lui raconter ce qu'elle
pourrait faire à Madrid." Mais elle répond à l'époux en s'écriant
d'un air mi-calme mi-indigné:
"Jésus,
en voilà des idées qui te passent par la
t~te, Seigneur 1 Que Notre-Dame me protège 1" (3)
CYNISME ET BOUFFONNERIE
L'ironie du dernier mot d'un récit va parfois
jusqu'au cynisme caustique jusqu'au sarcasme brutal que l'auteur
attribue à l'un des personnages du conte.
C'est dans Vampiro,
récit tout entier b~ti sur une série de contrastes, que l'écri-
vain nous donne le meilleur exemple de ce procédé. Le mariage
entre un vieillard fortuné et une jeune fille de quatorze ans
marque un premier contraste auquel s'ajoute un autre qui accom-
pagne le progrès de l'action: la santé que le vieillard recouvre
au cours de ce mariage,
le dépérissement,
la maladie et la mort
de la jeune épouse.
Cette curieuse opposition se prolonge et s'a-
chève par un autre contraste mort -
vie accrue que révèlent les
mots de la fin
du récit:
"La nièce du curé a eu droit à un bon enterrement
et à un bon mausolée ; mais Don Fortunato cherche une nouvelle
fiancée ••• Et Don Fortunato souriait en m~chant avec ses fausses
dents le bout d'un cigare."
(4)

- 204 -
Ainsi le jeu des contrastes fait passer le lecteur
de l'étonnement et du malaise que provoque la connotation du thème
du vampirisme,
suggéré par le titre,
au sourire désabusé provoqué
par la répugnante insouciance du vieil époux et par son projet de
contracter un nouveau mariage.
Dona Emilia ne craint pas - lorsque le récit s'y
pr~te - de confronter les idées les plus couramment reçues avec
un cas qui sort du commun,
de telle sorte que le lecteur ne peut
pas manquer d'~tre surpris par une histoire qui constitue un vrai
démenti des idées reçues.
En le rendant ainsi implicitement juge,
elle parvient à l'intriguer.
Voici un vieillard qui épouse une
jeune fille.
Normalement ce mariage tardit
devrait épuiser ses
dernières forces et miner sa santé. Mais voici que le vieillard
rajeunit et reprend des forces comme s'il buvait avec celles
toutesfra1ches de sa jeune épouse son sang et sa vie.
C'est elle
qui dépérit et qui meurt.
Il ne reste au lecteur d'autre ressource
que celle de se demander si le vampirisme -
sous certaines formes -
ne pourrait exister dans la réalité quotidienne et ne fait pas
partie du musée des horreurs par lequel
transite l'humaine créa-
ture pendant sa misérable existence.
L'efficacité des contes de Dona Emilia réside sou-
vent dans le rapport subtil qu'elle propose entre une chose que
l'on peut croire comprendre et son contraire,
parfois incompré-
hensible.
C'est par ce jeu qu'elle tient perpétuellement en éveil

-
205 -
l'attention du lecteur. A l'aide de ce proc~d~ que l'on pourrait
qualifier d'"ironique",dans le sens ancien du mot -
interrogation
en apparence naIve sur des faits hautement probl~matique - l'au-
teur rend paradoxale)et par là m~me comiqueJune situation en soi
atroce et douloureuse.
Ce proc~d~
est bien sensible dans El montero
Les ouvriers d'une commune d~cident de se mettre
tous en grève. Ne comprenant pas le sens d'une telle action et
poussé par sa femme)qui ne voit pas pourquoi son mari respecte~
rait les consignes d'hommes qui lui sont ~trangers, Juan Mouro
slappr~te è reprendre son travail lorsqu'il se voit assailli par
ses camarades gr~vistes qui cherchent è le tuer.
Il parvient
n~anmoins è tirer son ~pingle du jeu en fendant è coups de pic
la t~te d'un des assaillants.
Poursuivi par la foule,
l'homme
se pr~cipite chez lui pour se cacher. Trompeuse illusion dans
laquelle le suit sa femme qui,
affol~e par la peur et ayant per-
du,
comme lui,
tout contact avec la r~alit~, s'écrie:
"Il vaut mieux que ce soit lui le mort plutet
que toi 1" (5)
Le r~cit se termine lè,
sur le tableau de la femme
qui s'accroche ~perdue, au cou du mari alors que l'on entend sur
la route les cris des gr~vistes en fureur qui arrivent comme une
meute impitoyable.

-
206 -
~e conte en vient donc,
non sans une pointe d'ironie,
à suggérer un processus,
né de l'incommunication des ~tre8 dont
l'écrivain n'a pas voulu montrer la fatale conclusion,
car rien
n'est dit de ce qui advient du protagoniste,
de façon que,
le
récit achevé,
le lecteur doit en déduire lui-m~me le tragique
dénouement,
laissé à sa seule imagination guidée par la logique
des événements.
Il se produit ainsi,
que ce qui,
pour emprunter la
formule de Vial,
n'est que "passage d'une conscience à une autre"(')
s'accomplit par la voie d'un procédé subtil présenté comme un
simple jeu de devinettes et de défis.
De la m~me manière,
dans bien des contes,
l'écrivain
semble avoir volontairement abdiqué devant des problèmes qui sus-
citent toujours des débats ardentset insolubles pour s'en remet-
tre à son lecteur. L'exemple de Salvamento mériterait à cet égard
qu'on s'y attarde.
Ram~n Luis, le mineur, sauve la vie à l'amant
de sa femme au cours d'un éboulement. Or, le lecteur sait que,
imbu d'un sentiment archaïque et rigide de l'honneur,
Ram~n Luis
n'a cessé,
dès qu'il a appris son malheur conjugal,
de se jurer
à lui-m~me qu'il tuerait sans pitié le coupable de sa honte.
Commis aux travaux de déblayage et à l'extraction des mineurs
ensevelis sous les décombres, Juan Ram~n n'a cessé de se dire
qu'il écraserait la t~te de son rival dès qu'il le trouverait.
,
Mais il ne le fera pas et,
de retour à son foyer,
il est le premier

- 207 -
surpris ~ constater que sa fureur s'est 'teinte. Il ne sait plus,
et le lecteur l'ignorera avec lui,
si son devoir lui commandait
de laver son honneur ou si au contraire il lui ordonnait de sui-
vre l"ternelle loi de la mine:
sauver le camarade victime d'un
de ces accidents qui menacent toujours ceux qui
travaillent dans
les puits.
"
Et en haussant les 'paules,
Ramdn Luis prit
le chemin de son domicile.
Il fallait se laver, manger,
dormir •••
Le corps n'est pas en fer,
que diable 1" (7)
L'auteur n'opine pas,
ne tranche pas. Les faits
seuls parlent.
Rien que les faits.
D'autres fois,
c'est au moyen du dialogue que l"cri
vain parvient subtilement ~ inviter son lecteur ~ la r'flexion.
Ainsi les dernières lignes de Delincuente honrado tendent ~ sou-
lever dans notre esprit une grave question qui est de savoir si
l'outrage ~ l'honneur peut rendre fou au point d'inciter au cri-
me le plus odieux.
Dans le conte,
l'aumonier d'une prison rappor-
te la confession d'un condamné ~ mort qui a tué sa propre fille
avec son al~ne de cordonnier. Le prisonnier lui a confié que sa
femme,
trop port'e ~ chercher l'admiration des hommes en chantant
comme un rossignol,
l'avait quitté lui laissant une fillette de
cinq ans.
Ses amis lui auraient alors conseill' de la chercher
pour la tuer,
afin de racheter son honneur,
ce qu'il n'avait
pas os, faire.
En revanche,
il avait transf'ré sa folie obsédante

-
208 -
pur sa fille qu'il enfermait et surveillait étroitement.
Il lui
avait fait jurer de ne jamais chanter comme sa mère le faisait.
Le jour où il surprend la malheureuse fillette en train de chan-
ter,
il la tue. Les dernières paroles que l'écrivain pr~te à
l'aumonier et à ceux qui écoutent l'histoire du meurtrier sont
fort suggestives :
" - Avez-vous - ajouta le père Téllez -
dO deviner
que je n'ai pas réussi à lui 6ter son idée fixe de l'honneur?
Il se repentait ••• , mais toutes les deux minutes,
il s'ent~tâit
à dire qu'il était un homme d'honneur et que sa conduite non
seulement n'était pas coupable mais elle était exemplaire •••
Sur ce point,
il mourut presque impénitent •.•
-Il devait ~tre fou - avons-nous dit au pr~tre,
pour le consoler car nous le sentions très abattu à la fin de
son récit." (8)
Dona Emilia vit, ne l'oublions pas, à une époque où
l'idée de l'honneur avait gardé,
en partie au moins,
sa vigueur.
Le problème restait donc entier. L'homme était-il fou,
comme le
prétendent les interlocuteurs du curé? La romancière parta-
ge-t-elle leur avis? Ne préfère-t-elle pas laisser l'esprit du
lecteur à la merci des sentiments que soulevait la vive contro-
verse qu'agitait encore l'esprit de ses contemporains sur la
problématique de l'honneur? C'est à eux d'en condamner le carac-
tère -
excessif,
féroce,
injustifiable ou de le considérer au

-
209
-
contraire qu'il
est lié à la dignité irrenonçable de l'homme.
Sacrifice héro!que pour les uns,
folie furieuse pour les autres,
autant de réponses qui semblent ~tre proposées au lecteur pour
solliciter son avis.
LE SIGI\\JE QUI MARQUE LA FIN
DU
RECIT
Il V a des contes qui,
à la différence de ceux que
nous venons d'évoquer,
s'achèvent d'une façon a-problématique et
tout à fait satisfaisante pour l'esprit de tous. L'écrivain s'ef-
force,
une fois que le sort des principaux personnages s'accom-
plit,
d'apporter à son récit des précisions complémentaires sus-
ceptibles de nous éclairer le sens de leur histoire,
ce qu'il
fait de façons très diverses.
Nous avons retenu à cet égard les quelques contes
où Dona Emilia élabore la fin du récit avec un soin particuliè-
rement esthétique,
sur une image visuelle très proche de celles
auxquelles le cinéma muet devait habituer par la suite le public.
Nous parlons par exemple de Cuesta abajo où les deux personnages
du récit disparaissent graduellement sous un éclairage lunaire
qui devient une atmosphère de r~ve :
"Et ils continuèrent à se laisser glisser,
à des-
cendre, à descendre encore,
éclairés par la lune,
qui ne se re-
flétait plus dans les estuaires mais dans la nappe grise de la
ria."
(9)

- 210 -
On croit ainsi voir la silhouette des protagonistes
s'estomper dans un décor lumineux rendu complice de leur idylle,
qui s'étire d'abord puis s'immobilise.
Procédé qui n'est pas sans
évoquer en nous ie souvenir des dernières images de certains
grands classiques du cinéma,
comme tes temps modernes.
D'autres fois,
l'écrivain met ostensiblement un
point final à son récit comme un notaire qui a pris acte et trans-
mis ce qu'en vertu de sa fonction il était chargé de transmettre.
C'est le cas notamment de Ge6rgicas qui raconte la lutte meur-
trière de deux familles paysannes.
On voit à la fin de l'histoire
l'écrivain achever son récit comme on le ferait dans la conclusion
d'un rapport ou d'un compte rendu:
"Voici ce qui arriva dans la paroisse de Saint-Martin
de Tameige lorsque la famille des Raposo refusa d'aider celle des
Lebri~a dans les travaux de dépiquage." (10)
Ce résumé final, qui vient clore la narration, prend
un tour explicatif qui ramène le lecteur au début de l'histoire
s'ouvrant par le récit de la violente discorde qui avait opposé
deux familles paysannes :
"C'est au moment des dépiquages,
alors que les épis
blonds étendus dans les aires crissaient mollement,
amortissant
le coup du "maillet",
que commença la discorde entre la famille
du père Ambrosio Lebriffa et celle du père Juan
Raposo."
(11)
On le voit,
le paragraphe initial constitue lui-m~me

- 211 -
une explication anticipée de la tragique série d'événements qui
vont se dérouler et que la conclusion ratifie.
Il s'agit ici d'un souci de cohérence qui préserve
l'unité d'un récit riche en péripéties. Mais dans d'autres contes
c'est bien dans une froide explication rationnelle que l'auteur
encadre son histoire. La curiosité que les grands romanciers du
XIX ème siècle -
de Balzac à Zola -
avaient ressenti pour les cas
pathologiques- obsessions,
folie,
délire -
dont seule la science
moderne pouvait fournir l'explication n'est pas absente de cer-
tains contes de notre auteur ; p~r exemple La risa. Le début du
récit pose le problème de la singulière maladie nerveuse qui af-
flige l'héroYne, la marquise de Roa.
C'est le médecin aliéniste
qui soigne la dame qui expliquera son étrange maladie par les
douloureuses expériences de sa vie conjugale.
Sa dernière phrase
souligne les rapports de cause à effet qui lient les épisodes
anecdotiques de la vie agitée d'une femme aux troubles mentaux
inguérissables dont elle souffre :
"Voilà l'explication de la maladie étrange de la
marquise de Roa."
(12)
La conclusion ainsi formulée dissipe le mystère que
proposait le préambule du conte. Littérairement c'est,bien sûr~
le mystère initial qui est plus suggestif que l'explication scien-
tifique qui le dissipe.
Mais il peut arriver,
au contraire,
- nous allons

-
212 -
le voir - que la charge émotionnelle soit plus forte du ceté
du dénouement que de celui de l'introduction.
L'IMPORTANCE DU MOT DE LA FIN
Il Y a en effet dans la collection que nous étudions
des contes o~ la signification de l'intrigue n'est dévoilée que
par les dernières phrases prononcées par le narrateur.
Ces phrases peuvent comporter une pensée qui incite
le lecteur à réfléchir sur le sens véritable de l'histoire. Ainsi,
Un parecido présente un cas d'amour interdit qui tourne à l'obses-
sion délirante.
Celui qui en est la victime semble se conduire
d'une manière absurde et tout à fait aberrante.
Mais la fin du
récit est là pour nous dire que ce ne sont pas les choses en
elles-m~mes qui pèsent lourd sur la destinée des ~tres mais la
façon dont elles sont ressenties et vécues :
"Manuela,la petite fermière,était aussi belle que
Jacinta, la grande dame •••
peut-~tre plus belle encore ••. Et
finalement qu'est-ce que la beauté? Une idée,
quelques gouttes
d'illusion, à "usage interne" ••• " (13)
On répond ainsi à une des premières phrases qui ont
été lancées au début du récit par le narrateur:
"La beauté n'est rien du tout."
(14)
Et du fait de ce commentaire l'histoire cesse d'~tre
pure anecdote pour prendre un sens plus général,
en énonçant une

~ 213 -
vérité théorique,
capable d'expliquer non seulement la conduite
incompréhensible de Marcelo,
le protagoniste,
mais aussi celle
de beaucoup de malheureuses créatures humaines hantées par leurs
fantasmes.
La volonté manifeste de Dona Emilia de rendre aux
mots de la fin du récit une importance capitale appara!t encore,
de façon évidente,dans ses contes à caractère didactique qui
s'achèvent presque toujours par une conclusion qui en dégage la
leçon,
si brève qu'elle a,
parfois,
l'air d'une maxime. La per-
lista est une leçon de préceptive littéraire illustrée par la
curieuse description d'une enfileuse de perles.
Son métier,
en
apparence facile,
exige une patience et un soin illimités:
"Il semble très facile d'enfiler des perles et ce
serait en effet facile s'il n'y avait qu'à les placer les unes
après les autres.
Mais •••
je vous assure •••
qu'il n'y a qu'une
seule combinaison possible pour les mettre en valeur autant
qu'elles le méritent et chaq~e fil ~xige sa combinaison propre."(1~
CONCLUSION
"Voilà une leçon à l'usage des écrivains.
Parmi les
combinaisons que l'on peut faire à partir de cinquante mots qua-
rante neuf ne valent rien,
il n'y a qu'une qui soit artistique."(1~
La morale de la petite'histoire est ici donc sans
surprise.
Elle nous attend -
en revanche - dans toute une série
de contes qui feront l'objet du prochain paragraphe.

-
214 -
LES DENOUEMENTS TRAGIQUES
Dans les contes tragiques le récit s'achève sur un
ton particulièrement grave qui condense l'esprit problématique
ou angoissant dE l'histoire. La tigresa est un exemple éloquent
de ce procédé de construction. Le récit évoque la profonde dé-
tresse d'un prince bon et vaillant qui,
se sachant guetté par
la mort,
fait de vaines tentatives pour lui échapper. Les der-
ni ères lignes du récit décrivent le rendez-vous du protagoniste
avec son cruel destin :
"Quand l'escorte traversa une for@t très enchev@-
trée,
il eut un instant de flottement,
de dispersion. Le prince,
effrayé,
hurla pour réunir ceux qui assuraient sa protection.
C'était trop tard.
D'un bond élastique et sOr,
une vigoureuse
tigresse venait de franchir une haie inextricable; Vudistira
ressentit et reconnut les dents blanches et aigOes qui,
cette
fois,
ne s'étaient pas agrippées à son épaule mais plutet à son
cou dans les veines duquel une langue ardente léchait le sang
chaud et rouge."
(17)
Dans Responsable,
c'est encore la note de la fin
de l'histoire qui est la plus grave. Le conte développe le thème
de l'héroIsme associé à celui de la formation d'un caractère.
Jusqu'à l'~ge de onze ans,
on a sans cesse répété à un enfant
de souche noble que sa haute naissance exige de lui un courage
sans bornes et une patience à toute épreuve,
ce qui éveille chez
le garçonnet un sentiment de supr@me dignité. Or,
un jour sa mère

-
215 -
en s'absentant,
le rend responsable de la surveillance de la
maisonnée.
Pendant cette absence,
un incendie éclate ; seul
devant les flammes qu'il ne peut pas ma!triser,
le jeune homme
se souvient des mots longtemps répétés par sa mère et voulant
se montrer digne de sa lignée,
il accomplit un geste dément:
"Cirilo fit le signe de la croix et s~ lança dans
la fournaise,
entre deux flambées qui le reçurent comme les deux
bras rouges du bourreau ••• " (18)
La démarche que nous venons de décrire n'exclut
pas forcément la recherche d'un effet de surprise. Les événements
s'entrem~lent, l'action progresse pour aboutir à son accomplisse-
ment,
lequel se recommande par sa rapidité et par sa violence.
En effet,
jusqu'aux dernières lignes de ces contes, le lecteur
a suivi le développement progressif d'une intrigue harmonieuse.
D'emblée, la dernière péripétie,
comme sous l'effet d'une tension
extr~me mène à une énonciation lapidaire et brutale, coup de foudre
qui,
survenant après un encha!nement nuancé,
gradué d'événements
crée l'effet du coup de massue frappé par un destin inéluctable.
Dona Emilia ma!trise parfaitement ce procédé qui
est le résultat d'une laborieuse élaboration.
Pour ces mots de
la fin,
elle ne répugne pas à emprunter les images les plus bril-
lantes comme celle citée ci-haut qui compare les flammes meur-
trières aux "bras rouges du bourreau".

-
216 -
Cette simple énumération des procédés narratifs de
notre auteur permet,peut-@tre,de rendre compte de leur diversité
dans l'oeuvre narrative de Dona Emilia.
Le début du conte est souvent chez notre auteur,
on vient de le voir,
construit à la mesure de l'intrigue qu'il
introduit;
l'action y est conduite et élaborée avec une habile-
té qui tient en éveil l'intér@t du lecteur.
Quant au dénouement,
il présente, lui aussi, une
grande diversité et encha!ne toujours,
mais selon des manières
très différentes,avec l'énoncé - annonce.
C'est bien cette maî-
1
trise technique qui confère aux contes de Madame de Pardo Bazan
cette économie de moyens,
ce caractère rectiligne,
cette unité
sans faille qu'exige le genre et qui en garantit l'efficacité
artistique.
Par ailleurs,
l'expression d'une telle unité est
J
chez Pardo Ba zan comme chez tous les grands auteurs de contes
le titre.

-
217
.
L'UNITE DU CONTE EXPRIMEE PAR LE TITRE
En effet,
le caractère rectiligne et schématique
du conte lui impose des conventions et des contraintes qu'ignore
le roman. Ainsi toute l'existence du héros de ces récits courts
se présente comme dépendant d'un seul instant de sa vie,
instant
décisif concrétisé autour d'un objet qui fournit le titre du conte.
Cet objet,
présenté en quelque sorte comme condensateur d'une
destinée humaine,
est souvent chez Do~a Emilia inerte et passif
mais susceptible de fournir des indices qui permettent de décou-
vrir le mystère d'une vie.
C'est le cas de La perla rosa, Las
medias rojas et de El encaje roto.
Dans le premier,
une femme
perd la perle d'une de ses boucles d'oreille chez son amant où
son mari la découvre.
Elle constitue la preuve de l'adultère.
Conséquence,
le couple se sépare et la femme se laisse entraî-
ner à la vie galante.
Dans le second,
une fille met des bas rou-
ges que son père ne lui a pas achetés.
Ils sont la preuve d'une
liaison,
d'un projet secret contraire aux intér@ts du progéni-
teur.
La jeune fille va ~tre rouée de coups, elle aura
une jambe cassée et deviendra à tout jamais infirme.
Quant à la
troisième histoire,
c'est celle d'une fiancée qui fait un accroc
à son riche voile de dentelle. La froide colère qui se dépeint
sur le visage de son futur époux révèle à la jeune fille la vraie

-
218
-
nature d'un homme qu'elle connaissait mal.
Elle refusera à la
dernière minute de l'épouser. Un bout de dentelle aura donc chan-
gé le cours de son existence.
Mais dans la plupart de cas l'objet qui donne son
titre au conte joue un rOle maléfique dans l'existence des per-
sonnages.
Il semble hanter les héros des contes de Dona Emilia
au point que sa présence leur devient insupportable.
C'est un
pistolet non chargé qui,
pendant quatre années,
obsédera l'hé-
ro!ne de El rev61ver et qui finira par ébranler sa santé. Un
mari
jaloux et ombrageux a en effet juré de tuer sa femme si
elle venait un jour à le tromper.
Pour se faire croire,
il lui
montre un pistolet qu'il garde dans un tiroir de la chambre com-
mune. La femme ne se libérera jamais de l'obsession du pistolet
qui la menace. Le jour où son mari mourra,
son valet de chambre
lui apprendra que l'arme qui lui a causé
de si vives frayeurs
n'a jamais été chargée.
Trop tard.
Elle a contracté une affec-
tion cardiaque.
Le pouvoir destructeur que la romancière accorde
aux objets dans ses contes est parfois évident.
Quand l'objet
ne dénonce pas une faute,
il pousse au crime. L'idée m~me qui
l'accompagne devient si obsédante qu'elle finit par entra!ner
la victime à la folie ou à la mort. L 'héro!ne de El antepasado
ne se remettra jamais de l'angoisse que lui cause la rumeur ré-
pandue autour d'elle,
selon laquelle le coffret qu'elle garde

-
219 -
dans sa chambre renferme la t~te d'un anc~tre qui aurait été
exécuté en Italie au XVI ème siècle.
Bien souvent l'objet qui emprisonne le héros dans
un cercle clos peuplé de fantasmes exerce sur lui une vive atti-
rance et peut devenir la cause directe de sa mort.
Dans ce cas,
la vie du personnage est rapidement évoquée,
c'est une ligne
toute droite qui s'élance comme une flèche vers son point d'ar-
rivée là où la fatalité se matérialise et prend corps dans l'ob-
jet.
El pa~uelo, que nous avons déjà analysé, pourrait ~tre un
bon exemple de cette construction rectiligne et expressivement
efficace du récit.
Par ce procédé d'un schématisme absolu l'auteur
nous laisse souvent ignorer toutes les circonstances de la vie
du protagoniste ainsi que tous les traits de son caractère qui
n'ont pas un rapport direct .avec l'objet qui donne au conte son
titre. Le récit est conçu comme une unité sans faille,
comme un
tout fermé et dépouillé d'ornements inutiles.
L'objet peut parfois ~tre remplacé par un fait,
un événement en soi mineur,
anecdotique et banal, mais suffisant
à déclencher un processus fatal qui,
en un temps très bref, dé-
bouchera sur les rivages de la mort.
Notre auteur n'a certes pas l'exclusivité de cette

-
220
-
technique (Maupassant,
Poe et bien d'autres l'ont souvent emplo-
yée) mais il la maîtrise parfaitement et c'est en partie gr~ce
à ces procédés que les contes de Do~a Emilia sont les plus par-
faits du XIX ème siècle espagnol où seuls - peut-~tre - les récits
courts de Clar{n pourraient leur disputer la première place.
L'objet évoqué par le titre a souvent d'autres fonc-
tions.
C'est le cas des contes-apologues que nous avons analysés
plus haut.
En ce qui concerne La moneda deI mundo par exemple,
l'objet est un symbole. porteur d'une leçon morale que l'histoire
a pour mission d'exposer.
Et c'est bien le rapport conte-titre qui nous fait
voir que chaque conte se déroule autour d'un seul centre d'inté-
r~t lequel peut ~tre annoncé dès les premières lignes, parfois
clairement et directement)parfois sous une forme problématique
ou par antithèse. Le titre sert à rendre compte d'emblée du choix
opéré par l'écrivain et dans le cas où il désigne un objet,
il
oriente - nous l'avons pu constater - la destinée des personnages.

- 221 -
N
o
T
E
S
-=-=-=-=-=-=-=-=-
1.
~,T. II, page 1762 : "Y el mismo d!a los depositaron
en un espacio de terruno igual en dimensiones al que plei-
teaban,
pero donde,
al menos,
estuvieron en paz. No discu-
tieron,
no se agredieron,
no se dijeron malas y feas pala-
bras de denostacidn.
Y las flores que despu~s crecieron allL
n 0 hic i e r 0 n d i fer e n c i a e nttel 0 s dos h 0 mb r e s que seo dia r 0 n • Il
2.
Op.
cit.,
T.
lt
page 1926 :
"Su ultima sensacion fué la de
beber el aire,
de confundirse con él y de absorber en él el
filtro de la muerte,
que cura el amor."
3.
~,T. II,
page 1718 :
" -
Cata que no se vayan a divertir
a mi cuenta los senoritos . . . .
Como yo sepa 10 menos de tu
conducta,
la aguijada de los bueyes he de quebrarte en los
lomos . . . .
pero su hombre no tenfa un pie en Norla y otro en
Ma8rid,
y los mirlos no iban a contarle 10 que ella hi-
ciese •..
-
j Asus,
10 que se te fué a ocurrir,
santo 1
iNuestra Seffora del Plomo me valga 1 ••• "

-
222 -
4.
~,T. II,
page 1518 :
"Buen entierro y buen mausoleo
no le faltaron a la sobrina del cura;
•••
V don Fortunato
sonrle,
mascando con los dientes postizos el rabo de un
pu rD. "
5.
Op.
cit.,
T.
II,
page 1513
" -
Mds vale que sea ~l que
tu ... "
6.
André VIAL,
Guy de Maupassant et l'art du roman,
Nizet,
Paris,
1954,
page 467.
7.
Op.
cit.,
T.
l,
page 1894
"V alzando los hombros empren-
dio el camino de su casa.
Era preciso lavarse,
comer,
dor-
mir .••
El cuerpo no es de hierro, ; qué demonio 1"
8.
D.C.,
T.
l,
page 1347
" - d Creeran ustedes - anadio el
padre T~llez - que no le pudeL quitar la tema de la honra 7
Se arrepent{a .•• , pero a los dos minutos volvla a porfiar
que era un caballero,
y su conducta,
mas que culpable,
ejem-
plar •••
En este terreno casi murio impenitente ••. "
-
Estarla loco -
dijimos,
a fin de consolar al sacer-
dote,
que se habla quedado muy abatido al
terminar su rels-
to. "

-
223 -
9.
~,1. II, page 1494 : "V siguieron de jan dose ir, cuesta
abaj~.~alumbrados por la luna,
que ya no se copiaba en los
esteros,
sinD en la s~bana gris de la r{a."
10.
O. C.,
1.
II,
page 1683 :
"Aqu! tienen ustedes 10 que aconte-
cio en la feligres!a de San Martln de Tameige,
por no querer
los Raposos ayudar a los Lebrifias en la faena de la maja."
11.
Ibid.,
page 1681
"Fu~ por el tiempo de las majas, mientras
la rubia espiga,
tendida en las eras,
cruje blandamente,
amortiguando el golpe deI mallo,
cuando empezo la discordia
entre los deI tfo Ambrosio Lebrina y los deI tfo Juan Raposo."
12.
O. C.,
T.
l,
page 1887 :
"Ahf tiene usted la explicacion de
la enfermedad extraordinaria de la marquesa de Roa."
13.
Op.
cit.,
1.
l,
page 1333 :
"Tan guapa era Manuela la corti-
jerita como Jacinta la dama.
jAcaso mas 1 ••• d v la belle-
za ?
••• ,
una idea,
unas gotas de ilusion,
para " U s o inter-
no Il ••• Il
14.
Ibid, page 1331
Il
_
La belleza no es nada."

-
224 -
15.
~' T. II, page 1536 :
"
parece facil{simo hilar per-
las,
y facillsimo serla,
en efecto,
si se reduje a poner-
las unas tras otras •••
Pero cabalmente es indudable (10
aseguro por experiencia) que solo hay una combinacion dada
para que luzcan debidamente,
y que cada hilo requiere la
su ya. "
16.
Ibid,
page 1537 : "Leccion para escritores.
De las combina-
ciones que pueden hacerse con ci ncuenta palabras,
cuarenta
y nueve no valen
; s610 es artlstica una ••• "
17.
~' T.
l,
page 1831
:
"Al pasar por un bosque muy enmara-
nado,
un momento se dispersa la escolta.
El prlncipe,
ater-
rado,
grita para reunirla,
ordenando que no cesasen de cubrir
su cuerpo •••
Era tarde.
De un seto intrincadlsimo acababa de
saltar una tigresa vigorosa,
con brin co elastico y firme,
y
Yudistira sentla y
~
reconOCla los dientes blancos y agudos,
que esta vez no hablan hecho presa en el hombro,
sinD en el
cuello,
en cuvas venas la lengua ardiente absorbla la san-
gre calida y roja."
18.
~, T. II,
1787
:
"Cirilo hizo la senal de la cruz y se
arrojo al horno,
entre dos llamaradas,
que le recibieron
como dos brazos roj:os de verdugo •.• "

C H A
P I T
R
E
IV
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0
PRESENCE ET ABSENCE DE L'AUTEUR
-=-=-~-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
DANS
LE
RECIT
-= -= -= -=-=-= -=-
LE DISCOURS INDIRECT LIBRE
LE RECIT AUTOBIOGRAPHIQUE
LE NARRATEUR TEMOIN
LE RECIT DIALOGUE
-==0000000000000==-
Les romanciers français de la seconde moitié du
XIX ème siècle,
de Flaubert à Maupassant~affirmaient que le ro-
mancier se devait,
avant tout,
de donner l'impression de la plus
grande objectivité devant sa création.
Il fallait surtout,
d'après
eux,
que l'écrivain s'efface du récit et se borne à suggérer mais
non pas à imposer au lecteur sa vision du monde. Leur exemple
fut applaudi par Madame de Pardo Baz~n pour qui l'école françai-
se représentait un modèle indiscutable.
On se devait donc d'éviter le ton moralisant qui
déparait souvent les contes et les tableaux de moeurs du premier
réalisme espagnol,
le "costumbrismo" de Fern~n Caballero ou de
Antonio de Trueba,où l'auteur était toujours présent dans l'oeu-
vre pour sermonner le lecteur et lui imposer ses idées ou pour
1

-
226 -
juger leurs propres créatures,
personnages de fiction auxquels
il décernait louange,
réprobation ou sarcasme.
Tous les grands
écrivains espagnols du dernier tiers du XIX ème siècle ont dO
freiner leur tendance à intervenir dans le récit,
leur goOt pour
la qualification morale de leurs personnages. en comprenant que
l'efficacité de la fiction ne peut pas s'obteni/ndéfinissant ces
personnages et les situations où ils se trouvent mais en les fai-
sant vivre sous les yeux du lecteur.
1
Pardo Bazan n'a pas toujours su s'effacer de ses
récits où,çà et là,
surtout dans les productions de sa j~unesse,
sa voix,
par trop personnelle,
vient imposer son jugement au lec-
teur du conte.
Une des manifestations de cette présence encombrante
de la romancière dans ses oeuvres de fiction a consisté à faire
des commentaires ou à fournir des explications au sujet de l'évé-
nement que le héros a vécu ou va vivre.
Dans un de ses tout pre-
miers contes,
généralement longs -
El indulto.de 1883 -
on relève
entre autres,
un exemple caractéristique de ce type d'interven-
tion trop manifeste.
En effet,
l'auteur a décrit l'angoisse
d'Antonia devant le possible retour de son mari,
un forcené qui
purge au bagne un terrible crime. Le mariage du roi d'Espagne,
comportant une série de décrets exceptionnels de gr~ce, vient
justifier les craintes de la femme. Là,
l'écrivain ne peut pas

-
227 -
retenir une exclamation par trop personnelle
"Etrange encha1nement des ~v~nements 1" (1)
Dans Los huevos arrefalfados,de 1890, le lecteur a
droit à ses commentaires à propos du comportement d'un personna-
ge : Pedro est un paysan autoritaire et barbare.
Tout pr~texte
lui est bon pour battre sa femme. La malheureuse a reçu tant de
bastonnades que lorsqu'elle rentre au foyer,
son coeur bat violem-
ment à l'idée d'y rencontrer son cruel mari. Là,
Doha Emilia s'em-
presse d'expliquer le trouble de l'héro!ne :
"Son coeur battait à se rompre et elle croyait sen-
tir déjà dans le dos la brOlure du b~ton •••
Chose étrange qui
s'explique cependant par certains courants psychologiques aux-
quels obéissent les variations du baromètre conjugal 1" (2)
Un jour,
Pedro recevra une sévère correction.
Ses
voisins scandalisés par ses brutalités se déguisent en saints et
lui assènent une nuit une terrible volée de coups en lui repro-
chant ses absurdes brimades.
Brisé, meurtri,
blessé m~me, le pay-
san mettra quinze jours à se rétablir.
Et encore il s'en tire à
bon compte,
estime l'auteur,
"Aujourd 'hui il marche comme si de
rien n'était et cela parce gue les paysans ont une peau de cra-
paud."(3)
La conséquence que le lecteur est en droit de tirer

-
ZZ8 -
d'une histoire ~st parfois prise en compte par la romancière et
donne ainsi lieu à une digression qui dévoile ses intentions.
El·
mech6n blanco,
de 1892,
peut ~tre un exemple de ce genre d'inter-
vention directe. Le conte vise à montrer l'esprit mesquin et soup-
çonneux des provinciaux.
Une mèche blanche dans la chevelure noire
de l'épouse du général avive la curiosité locale et nourrit toutes
les conversations. N'est-elle pas la trace d'une grande épreuve,
la cicatrice d'une temp~te de passion? Là, l'écrivain place cette
phrase interprétative tout à fait inutile puisqu'à eux seuls les
faits racontés parlaient suffisamment:
"La malice des provinciaux est comme la ruse du sau-
vage :
instinctive,
patiente et sOre.
Elle guette dix ans pour
révéler ce qui ne la concerne pas.
Elle fait de l'art pour l'art
elle éclipse la Police et parvient toujours à prouver que nous
sommes tous pétris de la m~me boue.
Cruelle,
implacable,
elle
égratigne la blessure pour arracher un cri de douleur qui pour-
rait révéler l'endroit o~ elle saigne." (4)
Un de ces commentaires destinés à faire comprendre
l'attitude d'un personnage peut parfois prendre un air senten-
cieux; ·l'auteur arrive par généralisation à postuler une loi.
Nous en avons deux exemples dans El mechon blanco. La générale
est le type de femme qui allie la beauté et la réserve.
Cette
dernière explique la curiosité qu'elle provoque. L'explication
qu'en donne la romancière débouche sur cette affirmation géné-
raIe :
"Autour d'elle flottait cette tempétueuse atmosphère

-
229
-
qui entoure les femmes dont la vertu est une énigme proposée à
la curiosité du public." (5)
Parmi les nombreux galants qui font la cour à la
générale se trouve Rodrigo,
jeune,
sincère et inexpérimenté. C'est
le seul qui parvient à se faire admettre chez la belle énigmati-
que. La raison en est,
affirme l'écrivain "que nul séducteur de
profession n'a l'insolence des débutants. L'inexpérience est
m~re de l'audace." (6)
Nous voyons,par tout ce qui préc~de>que dans la pé-
riode que nous signalions comme étant celle de son long appren-
tissage dans l'art du conte (1879 -
1891)}
Dona Emilia n'a pas
compl~tement réussi à dégager ses jugements personnels de ses
récits ni à cacher entièrement ses intentions didactiques.
Mais au fur et à mesure que l'art de la narratrice
atteint sa maturité ses interventions intempestives deviennent
tr~s rares , sinon inexistantes,et m~me lorsque, de toute évidence,
le conte a une intention didactico-morale elle parvient adroite-
ment à éviter les développements sermonneurs à la Fern~n Caballero
ou les commentaires acides qui caractérisaient les oeuvres du
P~re Luis Coloma.
Le récit reste dans la plus grande majorité des cas
è charge de l'auteur,
narrateur -
conteur qui prend le ton d'une
voix anonyme apparemment neutre,
détachée et objective.

-
230
-
LE DISCOURS INDIRECT LIBRE
Pour prendre ses distances vis-à-vis de l'action et
des personnages,
Do~a Emilia,tout en parlant d'eux à la trŒisi~­
me personne)prend soin de les laisser exprimer leurs idées et
leurs sentiments dans le langage qui leur est propre.
Elle y par-
vient à l'aide d'une tournure tr~s souple, le discours indirect
libre,
que Flau~ert avait sinon inventé recréé et incorporé au
style narratif.
L'emploi de ces imparfaits ou de ces conditionnels
de discours indirect (Ex
"La aldeana sonre!a interiormente ba-
jando hipocrita los ojos.
Ella serta buena por el aquel de ser
buena ; pero su hombre no tenta un pie en Norla y otro en Madrid,
y los mirlos no iban a contarle 10 que ella hiciese •.• " ( La ad-
vertenciB) lui fournissent un bon moyen de transporter dans le
récit impersonnel le style et l'esprit de la première personne,
de laisser à l'auteur le minimum d'existence devant le personnageJ
Qui serait ainsi mis en contact direct avec le lecteur,
lequel
n'ignorera désormais rien sur les sentiments qui habitent cette
créature de fic~ion, sur la motivation de ses comportements les
plus aberrants.
~ titre d'exemple,
analysons rapidement l'emploi de
ce procédé dans Curado,
l'histoire d'une paysanne ,ignorante qui,

· 231 -
par pauvreté ou par avarice)voit mourir son enfant malade pour
avoir préféré les soins d'un guérisseur aux prescriptions trop
onéreuses du médecin du village. On nous la présente en pleurs,
prenant congé du médecin qui est venu examiner son fils.
Puis
le monologue intérieur en style indirect de la femme nous donne
la raison de ses pleurs :
"Le médecin rural bien enveloppé dans sa capote ~
cause de la pluie torrentielle,
venait de sortir;
la matrone,
en lui tenant l'étrier pour qu'il puisse monter sur sa rosse,
pleurait comme une Madeleine.
Mon
Dieu il y avait la mort dans
la maison ! A quoi servaient tant de médicaments,
quatre pesos
environ dépensés ~ la pharmacie!
Et plus l'autre peso,
prix
d'une messe au glorieux Saint-Mamed pour le cas où il pourrait
faire un miracle 1" (7)
On le voit,
mieux que toutes les descriptions,
le
discours "intérieur" de l'héroIne met en évidence son état d'~me,
sa mentalité,
son tempérament.
Dans la suite,
le récit ~ narrateur impersonnel sem-
ble reprendre mais pour bientet déborder sur un nouveau monolo-
gue intérieur de la mère :
ilLe malade,
chaque jour,
allait plus mal,
plus maL ..
Il vomissait sans arr~t. Il ne gardait dans son ventre aucune des
miettes qu'on lui donnait.
C'était pitié d'avoir fait la cuisine
pour cela,
d'avoir tordu le cou ~ la poule noire,
si belle,
aVec
vigueur 1 et d'avoir acheté ~ Areal une livre entière de choco-
lat,
huit réaux que le voleur du magasin Bonito avait empochés ...

-
232 -
Pour le sauver,
tout aurai t
été bien employé ••. ,
vendre la che-
mise 1 Mais s'il mourait •••
puisqu'il n'avait m~me plus le cou-
rage d'ouvrir les yeux 1. ..
Et surtout que c'était le fils atné
qui travaillait le cha~p 1 Les autres,
des gamins qu'on pouvait
mettre sous un panier 1 Leur père,
en Amérique,
sans jamais écri-
re 1 Qu'allait-il advenir d'eux tous 1 Mendier sur les chemins! "('Il
La femme essuie ses larmes,
jette un regard de mé-
pris sur le médecin qui s'éloigne:
"Ils étaient abonnés chez lui,
selon l'usage campa-
gnard,
pour une mesure de blé par an. Les visites donc ne coO-
taient rien mais,
voilà
1 ils s'acoquinent avec l'apothicaire,
ils ordonnent,
ils ordonnent,
ils gardent pour eux la moitié si
Dieu le veut •.•
du vol,
rien que du vol,
rien que des façons de
voler au pauvre ses misérables sous
Et là,
sur le pétrin cras-
seux voilà un autre papier,
une autre petite ordonnance,
Dieu
sait ce qu'elle allait coOter sans compter qu'il faudrait aller
à Areal,
en brisant des chaussures et en se trempant jusqu'aux
os 1"
(9)
Et de nouveau l'auteur prend la parole pour nous
décrire la seule pièce de la maison paysanne et le geste colé-
reux de la femme qui déchire l'ordonnance.
Elle entend le malade
qui se plaint et elle essaie de le calmer : discours direct :
" -
Tais-toi,
mon coeur,
dès qu'il fera jour j'irai
chercher le guérisseur,
je te l'emmène et il
te guérira pour sOr.
Aussi vrai qu'il y a un
Dieu,
j'irai le chercher. Le docteur lui,
ne passera plus cette porte 1" (10)

-
233 -
Nouveau passage à l'indirect libre précédé d'un com-
mentaire de l'auteur qui se fond dans une imperceptible transi-
tion avec le discours intérieur de la paysanne :
"C'était le recours supr~me, le dernier espoir de
tous les paysans de cette paroisse de Noan -
le guérisseur,
le
médecin libre,
sans titre qui exerçait sa profession en cachette
et qui réussissait mieux,
pas de comparaison!
avec les autres
coquins. Lui,
il ne faisait pas d'ordonnance.
Il partait sur lui,
au fond d'un sac,
trois ou quatre petits flacons et des petits
papiers pliés,
des gouttes et des poudres ; il administrait sur-le-
champ juste ce qu'il fallait;
il n'y avait pas à trotter jus-
qu 1 à Areal J ••• "
(11)
Le guérisseu~ en arrivant, aura à faire à un agoni-
sant. La mère et les petits frères espèrent cependant tout de
lui
:
"Ils attendaient le miracle qu'il allait réaliser
et leurs petites ~mes jeunes et candides s'entrouvraient pour
recevoir la rosée du merveilleux."
(12)
Jusqu'ici l'auteur.
Et,
sans solution de continui-
té,
les enfants,
dans la confusion de leurs esprits:
"Ce monsieur grassouillet,
au manteau de drap bleu
et à la casquette à carreaux verts,
pouvait sauver Eugène!
Com-
ment?
De quelle façon!
Parce qu'il avait une "vertu" .•. , c'était
ça,une vertu ••• Le fait était qu'il
allait le guérir.
Eugène ne
gémirait plus,
n'aurait plus ces nausées si fortes,
il fermerait
les yeux et il dormirait comme un bienheureux ••. " (13)

- 234 -
Il dort,
en effet,
brève accalmie qui précède la
mort,
et le conte se termine par un retour au style direct,
la
voix du petit cadet qui crie à la femme effondrée:
" - Ne vous en faites pas, ma mère .•. Je vais cher-
cher le guérisseur ••• Taisez-vous,
je l'emmène tout de suite 1"(14
Mais ce n'est pas là le seul procédé auquel Pardo
Bazan a eu recours dans la mise en oeuvre
de ses contes pour
s'effacer du récit et mettre commentaires et jugements sur le
compte de ses créatures de fiction.
Ces procédés. sont:
le récit
autobiographique,
l'introduction d'un narrateur témoin et la for-
me dialoguée.
LE RECIT AUTOBIOGRAPHIQUE
Ce procédé tire ses lettres de noblesse de la plus
pure tradition hispanique - puisqu'il est celui qui caractérise
,
'm
le roman picaresque du XVleme et du XVIIe e siècles,
dont la plus
ancienne manifestation, La vie de Lazare de Tormes,
constitue
aussi la première oeuvre narrative à l'avoir utilisé.
Il est très
souvent employé par notre romancière.
Soulignons à titre d'exem-
ple que sur quarante deux récits composant le volume de Cuentos
de la Tierra dix empruntent cette forme,
qui consiste à faire
dire ~ au protagoniste racontant 8a propre histoire.
Certes Dona Emilia n'innove pas en composant,
comme

-
235 -
tant d'autres écrivains de son temps,
beaucoup de ses histoires
~ la premi~re personne. Mais on peut affirmer qu'elle a su tire~
le meilleur parti de ce procédé qui se pr~te ~ merveille au carac-
t~re intimiste d'une confession tenant de l'auto-analyse et du
bilan de toute une existence. On pourrait prendre comme exemple
de l'emploi efficace de ce procédé le conte intitulé La casa deI
sue~o. Le héros en racontant sa vie ne cache rien de ses expérien-
ces,
de ses pensées,
de ses doutes,
de ses r~veries, de ses er-
reurs ••• Lorsqu'il confie au lecteur le naufrage de ses illusions,
il prend soin de le laisser voir ses folles prétentions,
son mé-
pris d'autrui,
son amer ressentiment
"
je suis arrivé à ne m'intéresser plus à rien)
à éprouver non pas de la misanthropie, mais bien pire, une ré-
pulsion totale pour tout ••• " (15)
Cet homme aigri contre tout et contre lui-m~me sem-
ble porter le scalpel de son autocritique sur le myst~re de ses
pulsions et de ses répulsions,
ironisant sur l'obsession qui
l'habite:
retrouver la maison de son enfance,
obsession que son
discours rallie par un fil
secret ~ ce que cette enfance avait
perdu d'irremplaçable,
la m~re, morte, le p~re parti Dieu sait
où ..•
En fin de compte,
la maison-utérus n'existe plus,
elle a
été démolie.
Il ne trouvera -
et cela seulement pour un court
instant -
que le giron compatissant d'une vieille femme inconnue.
Il ne comprendra jamais pourquoi ce bref contact l'a écarté à

- 236 -
tout jamais de ses tentations suicidaires.
Si la forme autobiographique a rendu toute sa cré-
dibilité à la confession d'un maniaco-dépressif comme le héros
de La casa deI sueno il se révèle encore plus irremplaçable pour
véhiculer les confidences des vrais aliénés,
tel le protagoniste
de La Calavera qui dans sa folie hallucinée vit en dialogue cons-
tant avec une t~te de mort dont il a orné sa chambre et qui finit
par devenir son tyrannique censeur et son implacable bourreau. Le
dément fait suivre à une interlocutrice imaginaire le processus
de ses rapports avec la t~te de mort - processus de dédoublement,
car par la bouche de celle-là parlent la conscience du malheureux
(nous dirions aujourd'hui son sur-moi),
ses angoisses et sa peur
de la mort. Le personnage-narrateur prévoit le scepticisme de son
auditrice et insiste pour se faire croire ("je vous assure ••• ") (16)
et reproduit intégralement les haineux discours de la t~te de
mort. La voix implacable remplit alors le récit jusqu'au moment
o~ elle est définitivement intériorisée par le malade ("Elle est
ici,
ici,
disait-il,
en se frappant la t~te et la poitrine")
(17),
marquant ainsi le point final
et sans retour du dédoublement qui
caractérise le naufrage psychique du schizophrène.
La phobie du protagoniste de El espectro,
obsédé
par sa haine du chat qu'il lui faut
inéluctablement tuerJest
encore l'objet d'un sombre récit de forme autobiographique,
récit

-
237
-
peuplé par l'angoisse et la peur.
LE NARRATEUR TEMOIN
L'autre procédé d'effacement de l'auteur comporte
l'introduction d'un narrateur témoin de l'action et chargé d'en
rendre compte.
Parfois,
l'auteur présente ce narrateur en four-
nissant au lecteur quelques informations succintes sur sa person-
nalité et sur les circonstances où il a raconté l'événement qui
constitue le conte. Lorsqu'elle a lieu dans les contes qui débu-
tent .par une causerie entre plusieurs personnes,
cette présenta-
tion rev~t l'aspect d'un commentaire de l'auteur exclusivement
destiné à évoquer l'atmosphère dans laquelle se déroule le récit
du narrateur.
C'est le cas de "Vitorio" où le récit démarre d'une
manière extr~mement vive et abrupte :
" -
Bien sOr,
chers messieurs -
dit le vieux marquis
en prisant une fine pincée dans sa tabatière et en la tapotant
du bout des doigts comme s'il caressait la petite botte d'écaille
Moi j'ai été,
non seulement l'ami,
mais le défenseur et le rece-
leur d'un bandit de grand chemin.
Vous ne le croyez pas? C'est
un cas historique,
fantastique ! Mon voleur a été pendu à Lugo
et il figure dans les dossiers des arr~ts judiciaires." (18)
Le narrateur ainsi évoqué - le vieux marquis -
débi-
tera calmement l'histoire dont il vient d'annoncer le sujet.
Il
confiera à son auditoire les jugements qu'il porte sur le héros
et les sentiments qu'il lui a inspirés. On apprend d'abord que

-
238
-
ce chef de bande avait été son ami d'enfance et son protecteur
au collège
"Je vous assure que je n'ai pas eu au Collège de
Q
Nobles un compagnon aussi sympathique.
Il était très tenace et
violent dans ses résolutions mais très organisé •••
Comme j'ai
toujours été chétif et fragile,
Vitorio m'avait pris sous sa
protection ••• " (19)
Lorsque Vitoria est devenu un bandit,
son ancien
camarade de collège rapporte ce que la rumeur populaire affir-
mait à son sujet:
"On disait que le butin de ses vols servait parfois
à réparer les caprices du sort:
il donnait au pauvre ce qu'il
prenait au riche,
offrait au cadet ce qu'il arrachait à l'a!né •••
On disait aussi qu'il était galant avec les dames et que celles-ci,
bien que victimes de ses vols,
ne lui voulaient pas de mal.
Bref,
le profil classique du "bandit généreux" " (20)
Enfin,
le marquis en vient à raconter comment ayant
pu échapper à la justice le bandit avait cherché refuge chez lui,
son ami d'enfance et enfin comment il avait fini
sa vie sur l'écha-
faud,
après avoir refusé de livrer sa vraie identité de peur de
flétrir l'honneur de sa famille.
Bre~ le récit est une suite de témoignages très sub-
jectifs assortis d'opinions,catégoriques ou nuancées,qui n'enga-
gent que le personnage - narrateur.

-
239
-
Mais il a plus,
l~ récit d~ ce dernier est entrecou-
pé par les propos vifs d'un de ses interlocuteurs,
ce qui crée
une illusion de vérité car tout se passe comme si le lecteur avait
une prise directe sur une conversation animée.
1
Pardo Bazan a réussi là une forme de narration très
proche de l'oralité.
L'avantage que ce procédé narratif pouvait lui appor-
ter dans sa recherche de l'objectivité Est évident. L'auteur est
aussi absent de l'histoire que s'il s'était borné à ~n pratiquer
l'enregistrement.
D'autres contes présentent en ce qui concerne la per-
sonne de narration une bien plus grande complexité. Un premier
personnage -
narrateur en présente un deuxième lequel,
après avoir
brossé les lignes générales de son histoire,
s'en remet à un autre
témoin ou parfois au héros de l'événement lui-m~me.
Que l'on lise à ce suj~t Delincuente honrado où trois
narrateurs se relayent reprenant tour à
tour le fil
du récit: le
narrateur initial, l'aumonier d'une prison et le condamné à mort
que ce dernier a mission de confesser.
L'effacement des deux narrateurs nous conduisent au
héros lequel émerge ainsi de la mémoire du narrateur
témoin

-
240 -
- l'aumonier -
au point que leurs voix se confondent.
Celle du
condamné à mort doit toucher le lecteur qui devant le crime et
l'autodéfense"du coupable restera seul juge de sa barbarie ou
de sa folie d'honneur lesquelles pourront lui inspirer pitié ou
mépris,
colère ou sympathie ...
jugements dont l'auteur par son
absence se sera rendu absolument irresponsable.
LE RECIT DIALOGUE
1
Dans certains contes de la Comtesse de Pardo Bazan,
le récit peut ~tre entièrement ou partiellement dialogué.
Dans
ce cas les personnages sont introduits dans une conversation o~
ils donnent l'impression de se raconter eux-m~mes : ils s'inter-
pellent,
livrent des pensées, manifestent leur accord ou leur
désaccord dans un langage qui leur est propre. Le r81e de l'auteur
consiste,
en l'occurence, à présenter les interlocuteurs et à dé-
crire les différentes attitudes qu'ils prennent au cours de leur"
entretien.
L'exemple de cet autre procédé d'effacement de l'au-
teur pourrait ~tre Ofrecido où l'on assiste,
après une sommaire
indication préliminaire qui rend compte du cadre et des circons-
tances o~ a lieu l'entretien, à une conversation animée entre un
jeune noble et une vieille femme.
On nous les présente autour
d'une table d'auberge,
de retour d'une foire;
leurs propos vifs

-
241
-
constituent ainsi le récit
" -
Peut-on savoir qui
t'a permis Natolia d'offrir
ce qui ne t'appartient pas?
- Mon petit pigeon,
petit maître Valdeor~s.••
et comment? Si Natolia n'avait pas fait cela,
votre Seigneurie
serait-elle de ce monde?
................................
Donc je suis de ce monde de par ton caprice •••
-
Seigneur Jésus 1 non monsieur,
mon bijou,
c'est
parce que Sainte-Comba, la Sainte-du-Montino lIa bien disposé
ainsi et c'est bien pour cela que je lui avais promis une offran-
de vivante •••
................................
-
Riez,
riez,
mon pigeon,
riez c'est bon pour le
foi.
Puisse Sainte-Comba vous laisser rire de longues années
N'emp~che, mon petit mattre,
que si je n'avais pas promis •••
Votre Excellence ne s'en souvient pas,
car alors elle ne pensait
m~me pas à na1tre. Mais on ne parlait de ce temps ici que la tris-
tesse où l'on vivait à Valdeoras vu que Madame,
que Dieu ait son
~me, après huit ans de mariage restait toujours stérile. Un jour
je l'ai vue,
de mes yeux vue qu'elle pleurait,
très triste •••
Elle n'attendait plus de succession •••
et voilà,
je suis allée au
Montino offrir ce qui devait venir,
chose vivante,
quoi,
et au
bout de neuf mois ••• " (21)

~ 242 -
C'est ainsi que l'aristocrate apprend qu'il a été
offert à la Sainte et qu'il doit se rendre lui-m~me confirmer de
son propre gré l'offrande.
D'après Natolia il n'a que trop tardé.
Qu'il se dép~che. Natolia a déjà vu des mauvais signes,
vol de
corbeaux en dehors de la saison ordinaire et surtout,
chose bizar-
re,que le corps de Son Excellence ne projette plus d'ombre ..•
L'aristocrate s'insurge contre de telles supersti-
tions et de tels augures. Non,
il n'ira jamais au Montino,
non
il se moque des menaces stupides ••• La conversation s'achève sur
les cris de la vieille :
" - Tenez la promesse,
tenez la promesse.
Si vous
n'y allez pas vivant,
vous devrez y aller après ••• " (22)
En fait Nolasco de Valdeor~s n'ira pas au Montino
malgré la sourde appréhension que les menaces de la vieille ont
fait na!tre dans son esprit.
Il sera victime le soir m~me d'une
chute de cheval,
lui le cavalier accompli.
Et le récit se termine
sur une phrase troublante :
"Nolasco gisait sur le chemin les bras ouverts et
les yeux vitreux;
peut-être son esprit grimpait-il au Montino
pour s'acquitter du saint voeu ••• " (23)
Tout se passe comme si les cris fatidiques poussés
par la voix stridente de la vieille paysanne avaient eu le pou-
voir,
par la force envoOtante du pacte vivant,
non seulement de

-
243 -
semer le doute dans l I~me du jeune aristocrate mais encore de
l'infiltrer dans l'esprit du narrateur lui-m~me, le rendant inca-
pable de chercher une explication rationnelle à l'accident,
et
réveillant en lui l'angoisse primitive devant l'inconnu que tous
les hommes portent dans le plus profond de leur ~me. Le lecteur
reste cependant libre d'interpr~ter les faits. Nolasco a-t-il été
victime d'une de ces peurs ancestrales et c'est pour la braver
qu'il a forcé sa jument mal disposée à franchir un obstacle, au
saut maladroit qui lui a conté la vie? A-t-il été foudroyé par
la malédiction de la vieille Cassandre de village?
L'auteur ne s'est pas engagé. Le lecteur penchera
pour l'une ou pour l'autre de ces deux explications selon la fa-
çon dont il recevra l'écho des phrases qui ont été échangées
entre l'aristocrate et la petite vieille.

~ 244 -
N
o
T
E
5
-=-=-=-=-=-=-=-=-
1.
~' T. l, page 1297
"
i Singular enlace el de los acon-
tecimientos !"
,
2.
Op.
ciL,
1.
II,
page 1688 :
"El corazon le pegaba brincos,
y creia sentir ya en los hombros el calor de la vara,
Cosa rara,
y explicable,
sin embargo,
por ciertas corrientes
psicologicas a que obedecen las oscilaciones deI
barômetro
conyugal
!"
3.
Ibid,
page 1689
"Hoy anda si
tal cosa,
porque los labrie-
gos tienen piel de sapo~"
4.
~,T. l,
page 1290 :
"La maliciB de los provincianos es
como el ardid deI
salvaje :
instintiva paciente y certera.
Acecha diez anos para averiguar 10 que no le importa.
Hace
arte por el arte ;
eclipsa a la policla y,
en cambio,
obtiene
el triunfo de comprobar que deI mismo bBrro estamos Bmasa-
dos todos.
Cruel,
implacable,
arana la herida para arrancar
un grito de dolor que denuncie el punto donde 8Bngra.

- 245 -
~.
Ibid page 1289 :
Il
en torno de la generala flotaba esa
tempestuosa atmosfera que rodea a las mujeres cuva virtud
es un enigma propuesto a la curiosidad deI p~blico."
6.
Ibid page 1291 :
liNo hay seductor de oficio que tenga los
desplantes de los novatos. La inexperiencia es madre de la
osadla. Il
7.
Op.
cit.,T.
II,
page 1485 :
"Al salir el médico rural,
bien
arropado en su capote porque diluviaba
; al afianzarle el
estribo para que montase en su jaco,
la mujerona lloraba
como una Magdalena.jAy de Dios,
~
que tenlan en la casa la
muerte
. De qué valla tanta medicina,
cuatro pesos gasta-
1
,
dos en cosas de la botica 1
jY a mas el otro peso en una
misa al
glorioso San Mamed,
a ver si hacfa un milagrifiol"
8.
Ibid,
page 1485 :
"El
enfermo,
cada dfa a peor,
a peor ...
Se abrla a vomitos. No guardaba en el cuerpo migaja que le
diesenj
era una compasion haber cocido para eso la sustan-
cia,
haber retorcido el pescuezo a la gallina negra,
tan
h ermo sa,
con una enjundîa l,
y haber comprado en Areal
una libra entera de chocolate,
ocho reales que embolso el
ladron deI
Bonito,
ei deI almacén •••
Ende sanando,
bien
empleado todo...
'i vender la camisa 1...
jPero si falle-
cfa,
si ya no tenla animo ni de abrir los ojos 1 • • • • y
r

-
246 -
era
el
hiyo mayor,
el
que trabajada
el
lugar
1 jLos otros,
unos
rapaces que cab{an
bajo una cesta
1 jEl padre,
en
América,
sin
escribir nunca
1 i Qué iba a ser de todos
i A los caminos, a pedir limosna 1"
9 •
l b id.,
P age
1 48 5 :
" Est a ban
arr end a dos
con
é l,
s e 9 LI n 1 a
costumbre aldeBna,
por un
ferrado
de trigo anual
no cos-
ta ban nad a
sus vis i tas. • .,
p e r 0 ,
i ca t al, e 11 0 s s e h e rm a n a n
con
el
boticario,
recetan
y recetan,
cobran la mitad,
si
cuadra ••. ,
i todo robar, todo qui tarle su pobreza al pobre
y all1
sobre la artesa mugrienta,
otro papel,
otra
recetina,
que
sabe
Dios 10 que importar1a,
ademas del
viaje a
Areal,
rompiendo
zapatos y moj~ndose hasta los huesos."
10.
l b id.,
P age
1 48 5 :
"
Calla,
mi
yalma,
que
ende amaneciendo
voy
por el
mediqu1n,
y
te 10
traigo,
y te cura.
jCcimo hay
Dios que voy
por É!l
'Ya no me
pasa el
mÉ!dico
esa puerta
l '
1
11.
Ibid.,
pages
1485-1486
:
"Era
el
supremo
recurso,
la postre-
ra
ilusion
de
todo labriego
en
aquella parroquia de Noan -
.
;
el
curandero,
el mÉ!dico libre,
sin
t{tulo,
que eJercla
,
secretamente,
acertando mas,
.buena comparanza
l,
que los
1
otros pillos - ... llevaba
consigo,
en
el
profundo
bolso,
tres
o cuatro frasquetes
y papelitos doblados,
unas gotas
y unos
polvos,
y en
el
acto
administraba 10 preciso,
y no
hab!a
que
trotar hasta Areal, •.• "

- 247 -
12 •
'1 b id.,
Page 1 48 6 :
Il Es p e rab a n el mil a g rD que i ba are al i -
zarse,
V sus almitas candidas V nuevas se entreabr!an para
acoger el roc!o de 10 maravilloso. 1I
1
13.
Ibid.,
page 1486 :
Il.Aquel senor regordecho,
de gaban de
1
pano azul V gorra de cuadros verdes,
podla curar a Eugenio
tcômo?
d De qué manera ? Por una virtud .•. Eso, por una vir-
,
J
tu d •••
El caso es que iba a curarle.
Eugenio no gemirla mas
no tendr!a aquellas ansias tan grand!simas
cerrarla los
ojos y dormir{a como un santo bendito."
14.
Ibid.,
page 1487 :
Il - ND se apure,
senora •••
Voy por el
curandero ••.
Calle,
que se 10 traigo ahora mismo ••• "
15.
o. C., T. II, page 1725 : "
llegué a no interesarme en
nada,
a concebir,
no misantrop{a,
sinD algo,
repulsion com-
pleta a todas las cosas."
16.
Op. cita, T. II, page 1641
ilLe aseguro a usted ••• "
,
~
17.
l b i dOl
Page 16 4 4 : Il Est a b a mas c e r c a d e ml,
est a ba pre c i sa-
mente en el sitio de donde yo quise arrojarla • . Aquf,
aqu{ I-
I
,
decla,
golpeandose la frente y el pecho."

-
248 -
18.
Op.
cit.,
T.
l,
page 1616 :
" -
51 senores mlos - dijo
el viejo marqu~s, sorbiendo fina pulgarada de "cucarachero",
golpeando con las yemas de los dedos la cajita de concha,
10 mismo que si la acariciase -
Vo fui,
no solo amigo,
sinD
defensor y encubridor de un capitan de gavilla.
iNo 10 creel
ustedes ?
jHistorico,
historico! A mi ladr6n le ahorcaron
en Lugo,
y consta en autos."
19.
Ibid.,
page 1644 :
"Les aseguro que en el Colegio de Nobles
-
1

1 .
E
no tuve companero que me pareciese mas slmpatlca•••• ra en
Sus resoluciones tenacfsimo y violenta,
pero pundonoraSO •..
1
Como siempre fUI
enclenque y enfermizo,
Vitoria me ha-
bia tomado bajo su proteccion, ••. "
20.
Ibid.,
pages 1616-1617 :
"Contabase ••.
que algunas veces su.s
robos llenaban el fin
de reparar antojos de la suerte,
pues
daba al pobre 10 deI
rico,
al
segundôn 10 deI mayorazgo, ••.
Anadlan que era galante con las damas,
y que éstas,
aunque
robadas,
no 10 querlan mal,
ni mucho menos.
En resumen
la cl~sica silueta deI "bandido generoso"
"
21.
Op.
cit.,
Ta
II,
page 1768 :
"-~Puede saberse quién te mete a ti, Natolia la
Cohetera,
a ofrecer 10 que no es tuyo ?
-·Mi joya~- contestâ la mujeruca después de trasegar
1
lentamente el claro y agrio mosto,
que huele como los amo-
rotes bravos y las moras maduras.

-
249
-
__

1
... Mi palomo,
senorlto de Valdeoras ••• ,
y luego,
si
si Natolia no le ofreciese'lestar!a us!a en este mundo 7
1
-
Segun eso,
estoy en el mundo porque a ti se te an-

1
tOJo.
-
; A sû s i N 0
senar,
mi
joya
seria porque 10 dis-
puso Santa Comba,
la del Montino,
que para eso le ofrec{ yo
cosa viva •••
...........................
-
Riase a gusto,
palomina •••
R!ase,
que es bueno para
la hiel.
i Santa Comba le de je relr muchos SnOB 1 No quita,
senorito,
que si yo no le ofrezco •.. Us{a no puede acordar-
1
~
se,
que aun no pensaba en nacer ; pero aqul no se le habla-
ha de otro cuento,
sino del disgusto que habîa en Valdeoras l
motivado a que la senora,
en gloria esté,
después de ocho
anos de maridada,
era estérea •.•
Un dfa la vi 1)0,
con estos
ojos,
que lloraba muy triste
ya no esperaba familia ••• ,
y
cata,
jofrecl 10 que viniese,
al Montino,
llevando criatura
viva,
por supuesto •.• ,
y a los nueve meses,
santa gloriosa !
22.
Ibid.,
page 1769 :
Il
-
;
Cumpla,
cumpla 1 Si no va en vida
tendr~ que ir después ••• "

-
250
-
,
23.
Ibid.,
page 1770 :
"Nolasco yacla en la vereda,
con los
,
brazos abiertos y los ojos vidriados ; tal vez su esplritu
trepaba por el Montiffo a cumplir el sagrado ofrecimiento."
-=-=-=-=-=-=-

c
o
N
c
L
u
s
l
o
N
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=

-
252 -
Nous devons ici,
pour clore notre travail faire le
point des résultats auxquels nous sommes parvenu BU cours de nos
recherches.
Qu'il nous soit donc permis de reprendre l'un après
l'autre tous les centres d'intér@t qui en ont établi les buts,
m~me si nous risquons de répéter, en les généralisant, des affir-
mations çà et là contenues dans les pages qui précèdent.
Tout le long de notre travail nous nous sommes em-
ployé,
on l'a vu, à suivre la production brève d'Emilia Pardo
/
8azan pendant ces quarante ans de labeur constant et régulier où
elle avait confié à la presse hebdomadaire ou mensuelle une quan-
tité prodigieuse de contes.
Chemin faisant,
nous avons vu s'ouvri:
l'éventail thématique de ses contes)de plus en plus vaste à mesurl
que le regard curieux et lucide de la romancière s'était porté
sur un champ d'observation progressivement plus large.
Car,
en effet,
Dona Emilia avait commencé par l'arr~'
ter sur la vie besogneuse et primitive de ceux qui dans sa région
galicienne tiraient leur subsistance de l'exploitation opini~tre
des ressources du sol et de la mer.
Elle avait dépeint sans com-
plaisance ces ~tres durs et bornés, condamnés à une existence pé-
nible,
toujours repliés sur eux-m~mes et souvent dominés par une
rapacité primaire. Mais elle avait vite franchi ces étroites li-
mites,
sa curiosité humaniste,se tournant vers d'autres milieux
et d'autres types humains de plus en plus divers,jusqu'à ce que

-
253 -
l'ensemble d~ ses récits parvi~nne à recréer,
dans une vaste fres-
que aux mille personnages -
paysans,
marins,
bandits de grand che-
min, artisans,
employés,
hommes et femmes du monde,
politiciens,
artistes,
pr~tres, marginaux de toutes sortes - la société espa-
gnole de son temps ou celle des siècles abolis, auréolée par la
légende des rois puissants,
des ermites,
des moines ou des mar-
tyres.
Quant au sujet de ces contes,
nos analyses nous per-
mettent d'affirmer qu'il n'est l~ plus souvent que le drame d'une
vie,
la vie d'un homm~ ou d'une femme victime de la misère ou de
l'abandon,
de la violence ou de la guerre,
de la mésentente con-
jugale,
de la passion amoureuse ou de l'échec artistique,
d'un
de ces ~tres qui se battent contre leurs fantasmes ou contre leurs
phobies,
de ceux que le néant attire comme une sirène maléfique,
ou de ceux encore dont la volonté paralysée par le dégoOt de vi-
vre devient la proie d'une mélancolie existentielle.
De ces drames humains le conte n'a retenu et n'a
développé qu'un seul élément~ résultat d'un choix singulier et
dont l'auteur tire l'effet le plus intense,au prix d'une extr~me
concentration narrative. Un tel élément privilégié que parfois
le titre annonce est présenté au lecteur dès les premiers mots
du récit, mot repris par ceux de la fin,
et souvent soulignés par
un rapide commentaire terminal,
réflexion désabusée,
amère ou sim-
plement ironique.

-
254 -
C'est cette unicité du récit que nous avons essayé
de mettre en relief,
analysant pour cela les très savantes tech-
niques narratives que notre écrivain a perfectionnées et variées
à l'infini au cours de sa longue carrière.
Il nous a fallu aussi
souligner les différents procédés employés par la Comtesse pour
donner au conte l'aspect le plus objectif et le plus véridique
possible,
en cédant la parole à un narrateur dont la personne,
le rang,
les manières sont habilement indiqués.
En disparaissant
ainsi du récit,
l'auteur aboutit soit à la forme ~utobiographique
de la confession - monologue soit au récit confidentiel d'un té-
moin,
soit à une conversation de cercle ou de salon entre gens
d'esprit et d'expérience dont le ton,
les questions et les répon-
ses sont déterminées par la nature de l'événement qu'ils évoquent.
En somme,
et pour finir,
nous pensons ~tre parvenu
à démonter le mécanisme dont est constituée la charpente de ces
centaines de petits chefs-d'oeuvre qui forment la collection de
~
contes d'Emilia Pardo Bazan, mécanisme d'autant plus savant qulil
n'est pas immédiatement visible à la simple lecture,
puisque la
Comtesse,
peu portée
par tempérament aux jeux gratuits de l'art
pour l'art,
cache son jeu afin d'éviter que l'attention du lecteur
se porte sur les virtuosités formelles du récit plutet que sur le
sujet qu'on lui propose,
car pour elle,forme et fond sont et doi-
vent rester étroitement liés,
llidée n'étant que l I~me du mot et
le mot n'étant que le corps de llidée.

-
255 -
Si ce modeste mémoire a pu,
dans quelque mesure que
ce soit,
contribuer à montrer la portée générale de la collection
/
des contes d'Emilia Pardo Ba zan ainsi qu'à rendre compte des pro-
cédés narratifs qui ont présidé à leur élaboration,
notre travail
aura peut-~tre trouvé sa justification.
-==00000000000000==-
,
,

B
l
B
L
l
o
G
R
A
p
H
l
E
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=
. ,

l
SOURCES: LES CONTES CITES OU COMMENTES
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
(Selon l'ordre de référence dans ce travail)
/
que vengan aqul
Un destripador de Antano,
Idamor Moreno,
Madrid,
1900,
320 pages} (1 ère édit.),
El pinar deI t{o Ambrosio
Bajo la losa
Cuentos de la Tierra,
J

Saez Hermanos,
Madrld,
1922,
276 pages (1 ère édi t.).
Curado
El fondo deI Alma,
Renacimiento,
Madrid,
1907,
287 pages, (1 ère édi t.).
Atavismos
Cuentos de la Tierra,
(éd.
cit.).
Un destripador de antano
Un destripador de Antano ,
(éd. cit.>'

-
258 -
Ge6rgicas
Cu en ta s Nu eva s,
Renacimiento,
Madrid,
1894,
332 pages,
(1 ère édit.).
Dios castiga
Cuentos de la lierre
";;;';;;;";;;;"~~---";";;;;""";;;;"';;;"""-'-'-;;"';;";;;"'-I
(éd.
cit.),
En el
puebla
El
Imparcial,
15 AoOt 1920,
Madrid.
La gallega
La dama
joven y otros cuen-
tas,
Barcelona,
1885.
El
peregrino
Cuentas Sacroprofanos,
Renacimiento,
Madrid,
1899,
(1 ère édi t.),
Sara y Agar
Cuentas de Amor,
Renacimiento,
Madrid,
1898
(1 ère édit.).
Cuesta abaja
El
fonda
deI Alma,
(éd.
cit.).

-, 259 -
Lumbrarada
Cuentos de la lierra,
(éd.
cit.).
Dcho nueces
Un destripador de Antano,
(éd.
cit.).
El ultimo baile
Cuentos de la lierra,
(éd.
cit.).
Dbra de misericordia
Idem.
Madre gallega
Un dèstripador de Antano,
(éd. cit.).
Los escarmentados
Sud-Exprés,
Imp.
R.
Velasc(
Madrid,
1909,
276 pages
ère
(1
édit.).
La salvacion de Don Carmelo
Cuentos de la lierra,
(éd.
cit.).
El invento
Idem.

- 260 -
El
"xeste"
El fonda deI Alma,
(éd.
c i L ) .
La reja
Idem.
l nu t il
Idem.
El puna
La Ilustration espanola y
americana,
nO
10,1910','
Barcelona.
No la inventa
El Nuevo Teatro Cr!tico,
nO
3,
1891, Madrid.
La hoz
Cuentos de la Tierra,
(éd.
c i t . ) .
La argolla
El fonda deI Alma,
(éd.
c i L ) .
Dalinda
Idem.
El montera
Idem.

-
261
-
La guija
Cuentos de la lierra,
(éd.
cit.).
La capitana
El f.ondo deI Alma,
(éd.
cit.
La Corpana
Cuentos de la lierra,
(éd.
cit.L
La Deixada
Idem.
La ganadera
Idem.
El panuelo
Idem.
liempo de animas
Cuentos Sacroprofanos,
(éd.
cit.).
Un dura falso
El fonda deI Alma,
(éd.
cit.
r' Cobardla?
Cuentos de Marineda,
Renacimiento,
Madrid,
1892,
(1 ère édit.).
L.a soledad
Cuentos de la lierra,
(éd.
cit.).

-
262 -
El
ruido
Cuentos Nuevos,(éd. cit.),
Sobremesa
Idem.
Restoran
El fondo deI Alma,
(éd. cit.
Irracional
Idem.
Sin Esperanza
Sud-Exprés,
(édit.
cit.).
Sedano
Cuentos Nuevos,
(éd. cit.),
8romita
El fondo deI Alma,
(éd. cit.).
Naufragas
Cuentos Nuevos,
(éd.
cit.),
John
Sud-Exprés,
(éd.
cit.),
Jactancia
Idem.
Primer amor
Cuentos de Amor,
(éd.
cit.).
Temprano y con sol
Idem.

-
263 -
Remordimiento
Idem.
Un parecido
Idem.
La boda
Idem.
La camarona
Un destripador de Antano,
(éd.
ciL).
Las tijeras
Cuentos Sacroprofanos,
(éd.
cit.).
Gloriosa viudez
Sud-Exprés,
(éd.
cit.).
Perla rosa
Cuentos de Amor,
(éd •. ci t.).
La risa
Sud-Exprés,
(éd.
cit.).
La enfermera
El
fondo
deI Alma,
(éd.
ciL).
S!,
senor
Cuentos de Amor,
(éd.
cit.).
Vivo
retrato
En tranvla,
Idamor
Moreno,
Madrid,
1901,
284 pages.

-
264 -
Champana
Cu en t 0 s d e Am 0 r ,
( éd.
c it •
La niebla
Sud-Exprés,
(éd.
cit.).
La redada
Un destripadorde Antano,
(éd.
cit.).
El encaje roto
Cuentos de Amor,
(éd. cit .•
Navidad
SUd-Exprés,
(éd.
cit.).
Los pendientes
Blanco y Negro,
nO 927,
1909,
Madrid.
Feminista
Sud-Exprés,
(éd~ cit.).
La estéril
Cuentos de Navidad
Madrid,
1894 •
El comadrôn
En Tranvla,
(éd.
cit.).
Un gemelo
El fondo del Alma,
(éd.
cit.).
Nieto del Cid
Un destripador de Antano,
(éd.
cit.').

-
265 -
Nuestro senor de la8 barbas
Idem.
La cita
Cu en t 0 5 Nue vos,
( éd.
ci t. ) .
El
indulto
Cuentos de Marineda,
(éd.
cit.).
La calavera
Cu en t 0 s Nue vos
(é d • ci t • ) •
El
esqueleto
Blanco y Negro,
nO
474,
1900,
Madrid.
Eximente
El
fondo
deI Alma,
(éd.
cit.).
Clavo
La Ilustracion espanola y
americana,
nO
140,
1913,
Barcelona.
Aire
Sud-Exprés,
(éd.
cit.).
La senorfuta Aglae
Cuentos de la Tierra,
(éd.
cit.).
El
quinto •••
El
fondo
deI Alma,
(éd.
cit.).

-
266 -
Crimen libre
Cuentos Escogidos,
1891,
Valencia.
La mosca verde
Cuentos Tragicos,
ci
Renamiento,
Madrid,
1912,
229 pages,
(1 ère édit.).
Inspi racion
En Tranvla,
(éd.
ciL).
Perl i sta
El fonda del Alma,
(éd.
ciL)
Linda
Cuentos Nuevos,
(éd.
ciL).
En verso
Idem.
Viernes Santo
Un destripador de Antano,
(éd.
ciL).
El voto de Rosina
En Tranvla,
(éd~ cit.)
Ardï'd de guerra
El fondo del Alma,
(éd.
ciL).
Reconciliaciôn
Cuentos Sacroprofanos,
(éd.
ciL).

-
267 -
Las veintesiete
El fondo del Alma,
(éd.
cit.).
La moneda del mundo
Cuentos Sacroprofanos,
(éd.
cit.)
Dioses
Cuentos Tragicos,
(éd.
cit.).
La Nochebuena en el Infierno
Cuentos de Navidad,
(éd.
cit.).
La Nochebuena en el Purgatorio
Idem.
La Nochebuena en el Limbo
Idem.
La Nochebuena en el Cielo
Idem.
La cena de Cristo
Cuentos Nuevos,
(éd. cit.
El destino
El fondo del Alma,
(éd. c
El sinD
Cuentos Nuevos,
(éd. cit.
El aire cativo
Cuentos de la Tierra,
(éd.
cit.).

-
268
-
Mariposa de pedrerla
Cuentos Nuevos,
(éd.
cit.)
5iglo XIII
El fondo deI Alma,
(éd.
cit.).
En el nombre deI Padre
Cuentos de Marineda,
(éd.
cit.)
Las tapias deI campo santo
Idem.
La santa de Karnar
Un destripador de Antano,
(éd.
cit.).
El baile de querubln
Cuentos Nuevos,
(éd.
cit.).
Consuelos
El fondo deI Alma,
(éd.
cit.)
Los buenos tiempos
Cuentos de Amor,
(éd.
cit.).
Reconciliados
Cuentos de la Tierra,
(éd.
cit.)
5uerte macabra
En Tranvla,
(éd.
cit.L

-
269
-
La tigresa
Cuentos SBcroprofanos,
(éd.
cit.).
Las medias rojas
Cuentos de la TierrB,
(éd.
ciL).
Justiciero
En Tranvla,
(éd.
cit.).
Poema.. humilde
Un destripador de Antano,
(éd.
cit.).
Desquite
Cuentos de Amor,
(éd.
ciL)
El
tornado
Cuentos Nuevos,
(éd.
ciL).
"L B BD rgonona"
La dama
joven y otros
cuentos,
(éd.
cit.).
El
rizo
deI Nazareno
Cuentos de Marineda,
(éd.
cit.).
Jesusa
Cuentos de Navidad
y de
Reyes,
J.
Moreno,
Madrid,
1902,
278 pages
(1 ere édit.).

-
270 -
Jesusa en la Tierra
Idem.
El pecado de Yemsid
Cuentos Sacroprofanos,
(éd.
cit.).
La penitencia de Dora
Idem.
Vidrio de colores
Idem.
,
La mascara
Idem.
La sed de Cristo
Idem.
La hierba milagrosa
Cu en t 08 Nue vos,
( éd.
ci t . ) .
Primaveral moderna
Sud-Exprés,
(éd.
ci t.).
El tapiz
El fondo deI Alma,
(éd.
cit.)
La inspiracion
Cuentos de Amor,(éd.
cit.).
Desde afuera
Cuentos 5acroprofanos,
(éd.
c i L )

-
271 -
Los hilos
Idem.
Posesion
Idem.
La operacion
Idem.
El santo Grial
Idem.
El espectro
Sud-Exprés,
(éd.
cit.)
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D
E
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-
292
-
BALZAC
(Honoré
de),
2,
10,
19,
211.
BAqUERo
GoVANES
(Mariano),
54,
70.
BE RN A RD
(C l au de),
39.
BOREL
(Petrus
Borel
d'Hauterive),
31.
CABELLERo
(Fernan),
50,
70,
225,
229.
ÇAI'\\IA MUNI,
80,
155.
CANOVAS DEL
CA5TILLo
(Antonio),
115,
125.
CEN DRILL ON ,
85.
CHARCOT
(Jean-Martin),
'100.
CHARLES QUINT,
22,
122.
CHATEAUBRIAND
(François
René de),
52.
CL A RI N ( L e 0 pol do Alas),
220.
CL EMES SV
(N e11 y ),
3 ,
57.
COLoMA
(Luis),
229.
CoRTAZAR (Julio),
192.
COSTA
(Joaquln),
112,
120,
125.
DANTE
(Alighieri),
22,
58.

DARWIN
(Charles),
39.
FLAUBERT
(Gustave),
225,
230.
FREUD
(Sigmund),
19.
GONCOURT
(Edmond),
71,84,85.
GOYA
(Francisco),
34.
HUGO
(Victor),
31.
KLOPSTOK
(Friedrich),
68.
LE Wl S ( 0 sc a r),
58.
MA CHA DO
(A n ton i 0 ),
125.
MARTI
(José),
125.
MAUPASSANT
(Guy
de),
54,
137,
220,
225.
MENENDEZ Y PELAYO
(Marcelino),
53
MIL TON
(John),
68.
ORTEGA
Y GASSET (José),
135.
PEREDA
(José Marla
de),
11.
PEREZ
GALDOS
(Benito),
2,10,19,29.
POE
(Edgar),
23,
105,
107,
136,
137,
220.

-
294 -
QUIROGA
(Horacio),
136,
137,
139,
181,
200.
REY
(Alfonso),
118.
SCOTT
(Walter),
55.
TIMON
D'ATHENES,
156.
TOCQUEVILLE
(Alexis
Clerel
de),
125.
T RU E BA
( An ton i 0
de),
225
VALERA
(Juan),
10.
VAL L E - l l'J CL AN
(R a mon
d el),
6 3 ,
6 4 ,
6 5 ,
6 6 •
VIAL
(André),
206.
ZOLA
(Emile),
20,
31,
38,
39,
40,
42,
77,
86,
145,
211.
-=-=-=-=-=-=-=-=-

T A BLE
DES
MAT 1ER E S
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=

-
296 -
INTRODUCTION . . . . . o ••••••••••••••••••• o ••••••••••••••••••••
1
P r e m i è r e
P a r t
i
e
-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-
LA
THEMATIQUE
DE
LA
PRDDUCTION
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0
,
DE
DONA
EMIL l A
PA RDO
BAZAN
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0
CHAPITRE l
ETENDUE THEI"1ATIQUE
DU
RECIT
COURT
D'EMILIA PARDO
BAZAN
:
UN
PANDRA-
MA
EXHAUSTIF
DE LA SOCIETE ESPA-
GNDLE
DE LA
RESTAURATIDN •••••••••••
9
CHAPITRE II
EVOLUTIDN
INTERNE:
DU
"CDSTUMBRIS-
MDII A L'UNIVERSALITE...............
27
LES
DEUX PERIDDES
:
1879
-
1891
et
1891 -
1921
28
CE QUE L'ON
A APPELE LE
IINATURALIS-
1
MEil
D'EMILIA PARDO
BAZAN:
LE
CONTE NOIR:
CRUAUTE,
EVOCATION
DE L 'HORREUR ET
DU t"IACABRE.........
31
DETERMINISME
ET LIBERTE ••••••••••••
38

- 297 -
CHAPITRE II
DU REFUS DU DETERMINISME SOCIAL
(suite)
A L'OPTIMISME CATHOLIqUE...........
43
CHAPITRE III
L'IDEALISME EN qUESTION
53
LE RECIT A DEUX TONS:
RESURGENCE
DE L'IDEALISME ROMANTIqUE..........
53
REMINISCENCES ROMANTIqUES OU SIGNES
AVAN T- COU RE URS 0U MODE RN l SM E 7.....
62
L'IDEALISME DES CONTES RELIGIEUX .••
67
CHAPITRE IV
LE GRAND TOURNANT DES ANNEES 90 :
LA REACTION ANTI-NATURALISTE:DECA-
DENTISME ET SyMBOLISME •......••••••
77
LES CONTES FANTASTICo-SYMBoLlqUES
~
DE DONA EMILIA
80
/
EMILIA PARDo BAZAN ET L'ESTHETISME
DEL A FIN DU SIE CL E. . • • • . . • . • • • . • •• ) 89
CHAPITRE V
LE DIX-NEUVIEME SIECLE FINISSANT
REDECOUVRE LA FOLIE COMME SUJET
LITTERAIRE: OBSESSIONS, FANTASMES
ET PHOBIES.........................
100
L'ALIENATION MENTALE ET SES REMEDES
101
LES ORIGINES DU MAL : L'OBSESSION
QUI ENGENDRE L'ANGOISSE .•.•••.....•
104

-
298
-
CHAPITRE V
:'
LES PA RA DIS A RTl FIC l EL S. • • • • • • • • • • •
10 5
(suite)
LIAUTO-SEGREGATION
DU
SCHIlOPHRENE
106
CHAPITRE VI
LA
DERNIERE DECENNIE -
LES ESPAGNOLS
ET L'ESPAGNE EN
CRISE -
PARDO
BAlAN
ET LE PROBLEME NATIONAL:
UNE PREOC-
CUPATION PRECOCE ET UNE
RAPIDE
EVOLU-
TI ON •.•
112
0
0
D

























LE
DERNIER AVATAR:
DCINA
EMILIA
"REGENERACIONISTA" ••••• ••••••••••••
115
LES CONTES DE LA PATRIE
117
L'ATONIE D'UN
PEUPLE...............
118
OEUVRER POUR UN
PAYS NOUVEAU
- LE
PASSEISME STERILISANT:
DONA
EMILIA
ETC 0 ST A -
LAGE NERA TI 0 N DE 98.....
1 20
LES ETATS-UNIS.....................
125

-
299 -
D e u x i è m e
P a r
t
i
e
. . . . . . . " . . . . . .
-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-
LES
PRO CE 0 ES
NA RRA TIF S
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0
DE
DONA
EM IL lA
PA RDO
BA ZAN
=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0
CHAPITRE l
LE CONTE,
UN
RECIT
RECTILIGNE.
IM-
PORTANCE DES PREMIERS ET
DES DER-
rH ERS MOT S 0 ELA NA RRA TI 0 N•••••
1 3 5
0



L'ANNONCE..........................
138
L'ANNONCE DIFFEREE A CARACTERE
PIC TURA L •••••••••••••••••••••
1 43
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L'ANNONCE A CONTRARIO..............
145
L'ANNONCE -
PARADOXE...............
160
L'ANNONCE AMBIGOE,
EXPRESSION
DU
MY STE RED U 0 EL' IN 0 ICI BL E. • • • • • • • • •
1 62
CHAPITRE II
D'AUTRES FORMES
D'ANNONCE SUIVANT
LE
RÔLE
DU NARRATEUR DANS LE
RECIT
170

-
300 -
CHAPI T RE II
L 'ANNoNCE...,PRoBL EME..... •• ••••••••••
177
(sui te)
(.
L'ANNONCE EX-ABRUPTO •••••••••••••••
181
L'ANNONCE-DIALOGUE.................
185
L 'ANNCINCE-MoNoLOGUE................
188
CHAPITRE III
LE MOT DE LA
FIN •••••••••••••••••••
200
LED E nN 1ER MOT l RD Nl QUE. • • • • • • • • • • •
20 0
CYNISME ET BOUFFONNERIE............
203
LE SIGNE QUI
MARQUE LA FIN
DU
RECIT
209
L'IMPORTANCE
DU MOT
DE LA FIN......
212
LES
DEN OU EMEN TS T RA Gl QUE S. • • • • • 0 • • •
21 4
L'UNITE DU
CONTE EXPRIMEE PAR LE
TI T RE ••
2 17
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CHAPITRE IV
PRESENCE EfT" ABSEN CE
DE ,LI! AUTEU R
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DANS LE
REC,I"TI,.•••••••••••;0 •• 0 •••••••
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225
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LE
DI SCOU RS IN D'InR§..çT~[ l BRE •••••••••
230
LE
RECIT AUTOBIOGRAPHIqUE ••••••••••
234
LE NARRATEUR TEMOIN ••••••••••••••••
237
LE
RECIT DIALOGUE •••••••••••••••••
240
0
CONCLUSION
251

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
0
• • • • • • • •
0
• •
BIBL lOG RA PHI E
.......
. 255
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IN DEX
291

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0
• • • • • • •
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• • •
TABLE
DES MATIERES
295

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