1
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1

1
UNIVERSITE DE PARIS-X NANTERRE
1
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U.E.R : CENTRE DE SEMIOTIQUE TEXTUELLE
1
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LECTURE SDtIOTIQUE DES SOLEILS DES INDEPENDANCES
1
Thèse pour le Doctorat de Troisième Cycle
Présentée par Honoré KOFFI
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1
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Sous la direction de
1
Monsieur le Professeur Claude ABASTADO
1
1982 - 1983
1
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Amoin Bohaneaud.
A
Lydia, Nicole et les autres.
1
Quand frémissent et vibrent les chants
1
des oiseaux dans l'aurore et les brumes, les
1
,
brumes et l'aurore, jamais ne meurt l'espoir d'une
renaissance.

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Nous tenons, au début de cette étude, à adresser
nos remerciements sincères à Monsieur le Professeur
J
Claude ABASTADO, pour son dévouement constant à notre
1
travail et sa disponibilité constructive.

f11
1
Sommaire
Introduction.
·
. p. 1
Chapitre 1
L'histoire: une dynastie décadente •••••••••••••••• p. 7
Chapitre 11
Les personnages : conservateurs et progressistes
p. 71
Chapitre 111:
La topologie: un univers bipolaire .••••••••••••••• p. 135
"
Chapitre lV
La temporalité: une période trouble ••••••••••••••• p. 197
Chapitre V
La communication: un discours universel ••••••••••• p. 259
1
Conclusion.
·
. p. 307
1
Bibliographie.
·
. p. 314
Table des matières.
·
. p. 333
1
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1
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1

INTRODUCTION
1
J
l
Nous nous proposons à travers le travail suivant de réaliser une lecture
1
sémiotique d'un roman africain particulier. Notre visée essentielle donc à ce
niveau reste limitée. Autrement dit, nous n'envisageons guère la mise en place
de moyens plus ou moins pUissants, susceptibles de démonter les mécanismes de
1
production du sens du roman africain en général.
Faire une lecture sémiotique, cela suppose nettement que nous embrassons
le point de vue formel. En ce sens, quelques précisions ici s'imposent. Toute
lecture se laisse saisir dans son double aspect : elle est une activité totale
de décodage du message graphique d'abord et une pratique interprétative somme
toute homogène du texte littéraire ensuite. Plus encore, toute lecture est une
" activité qui a pour effet de correler un contenu à une expression donnée et
j
de transformer une chaine de l'expression en une syntagmatique de signes" (cf
Greimas et Courtès : Sémiotique, dictionnaire raisonné •• , p.206).
Ces quelques données qui manifestent les deux plans couverts par le très
1 vaste champ notionnel de la lecture - le plan de l'expression déterminant les
articulations syntaxiques et le plan du contenu organisant d'autre part toutes
les articulations sémantiques - éclairent notre option : en tant que pratique
formelle notre lecture consistera surtout en une mise en évidence systématique
1lJ
du processus de signifiance textuelle ou des mécanismes de production du sens
l]
propres à notre objet. Bien entendu, nous ne nous blottirons nullement dans un
jeu, parfois rébarbatif, sur la forme. Et de fait, nous osons l'espérer, tout
1
le balancement projeté entre plan de l'expression et plan du contenu permettra
1
l,
à notre étude d'éviter d'hypothétiques cloisonnements. Le présupposé ferme et
l
1
1
1
tenace qui sous-tend notre décryptage est simple: toute lecture d'un texte et
surtout d'un texte littéraire est une lecture parmi d'infinies lectures. Dans
1

- 2 -
ces conditions, nous ne pouvons servir le texte et le lecteur ordinaire qu'en
proposant au dernier les moyens d'accès au premier, notre méta-discours propre
opérant alors comme un circonstanciel secours.
On devine aisément le ou les buts que nous assignons à notre lecture. Il
convient cependant, pour éviter toute équivoque, d'en préciser les termes. La
lecture suggérée ici dans le présent travail vise trois objectifs de relatives
l
portées. Le premier, le plus immédiat et qui ordonne à lui seul la nécessaire
existence de l'étude conduite dans les pages qui suivent, reste celui de mener
1
1
rigoureusement un décryptage ou une analyse particulière et individuelle d'un
1
texte littéraire spécifique. Le second, moins immédiat parce que motivé par de
multiples contingences externes à l'oeuvre impliquée, consiste dans un apport
1
1
î
de contribution à l'actualisation des techniques d'analyse théoriques du texte
1
mises au point par la critique moderne. Le troisième, déjà bien lointain, est
celui de soumettre une oeuvre littéraire africaine quelconque aux principes de
1
l'analyse textuelle modernes élaborés pour d'autres objets pour en déterminer
i11
la réaction profonde. Nous venons ainsi, de manière éminemment synthétique, de
définir notre projet central. Voyons maintenant notre objet.
1
La lecture sémiotique que nous avons projetée s'applique à un seul roman
l
l
africain, Les soleils des Indépendances. Son auteur, Ahmadou Kourouma, ancien
1
militaire dans l'armée française et fils d'un marchand de kola malinké, est un
écrivain ivoirien d'après les Indépendances. Comme certains écrivains pour ne
pas dire la plupart des écrivains de son pays, Kourouma s'est essayé de fait à
d'autres genres littéraires et plus spécialement au théatre avec une pièce de
j
relative portée, d'ailleurs inédite, Tougnan-Tigui ou Le diseur de vérité.
~
Les soleils reste à ce jour le seul roman que nous connaissons nettement
de son auteur. Paru d'abord aux Presses de l'Université de Montréal au Canada
1
en 1968, il est repris deux ans plus tard en 1970 par les Editions du Seuil, à
Paris, en une édition de 208 pages. Couronné par un double prix dont celui de
j
i
l'institut des Etudes françaises de Montréal et celui de Maille-Latour Landry,
i
de l'Académie française, il assure au romancier Ahmadou Kourouma une place de
j
choix parmi les plus grands écrivains africains en général.
1
,
On pourrait s'interroger sur un tel succès du roman de Kourouma, et cela
1
1
ne serait pas vaine recherche. Nous pensons que la présente analyse n'est pas
1
le lieu de telles tentatives. On peut néanmoins avancer l'idée que la réussite
1
des Soleils tient aux procédés formels et techniques mis en oeuvre, savamment
1
1
et délibérément, par l'auteur mais surtout à une révolution du langage tel que
le dirait Kristeva.
1
l1

1
- 3 -
!
1
Et e~ effet, Les soleils est un roman qui ne laisse jamais indifférent à
la fois le lecteur étranger et le lecteur entretenant avec l'univers donné ou
le monde représenté quelques affinités. Par quelque bout qu'on l'aborde alors,
et quelque soit celui qui l'aborde, il produit un double sentiment alternatif
indéniable
celui d'une certaine gêne sournoise et accrocheuse occasionnée en
tous les cas par les" obstacles" linguistiques textuels, et celui d'un vrai
plaisir ou d'une intense jouissance qui fait le roman se retrouver dans une de
ses fonctions premières essentielles.
C'est que Les soleils, à l'instar de certaines grandes oeuvres désormais
connues, et appréciées comme telles, pose de par la situation de duplicité ou
d'ambivalence culturelle de son auteur un problème de rhétorique entendue, non
pas comme une énumération infinie de figures, mais comme l'art du style et de
la parole, un problème lié à la langue ou mieux encore au niveau de langue que
Kourouma met en situation de discours, à l'utilisation volontaire et acceptée
d'une langue étrangère à l'expression d'une vie, d'une expérience particulière
que l'auteur veut partager. Les soleils, en ce sens, est ici le résultat d'un
questionnement du romancier sur sa voie et comme le résultat de q~estionnement 1
profond, un produit du coeur. L'objet de notre étude connu, il convient dès à
présent de définir notre méthode.
Notre projet est la lecture sémiotique du roman de Kourouma. En d'autres
termes, nous avons pour souci de faire une lecture du roman considéré par les
chemins ou par le biais de l'analyse sémiotique. Une telle précision dévoile a
priori les fondements épistémologiques sur lesquels nous prenons appui. On ne
saurait cependant se limiter à cette affirmation de très grande généralité. La
recherche sémiotique, dans sa diversité, a construit pour le chercheur averti
des modèles théoriques pour l'approche des textes littéraires. Il serait alors
inconvenant de notre part, dans la définition de notre méthode individuelle à
l'état d'ébauche, de prétendre à une quelconque innovation. Dès lors donc nous
sommes pratiquement ouverts sur deux perspectives méthodologiques toutes deux
essentielles suivant le but visé: une conformité stricte à un modèle connu et
agrégation d'une série de modèles en un modèle hypothétique. De ces attitudes
possibles, nous choisissons d'emprunter la seconde. Notre analyse, de fait, ne
suivra pas ici un modèle théorique précis. Nous tenterons donc dans la mesure
du possible d'appeler à notre rescousse un grand nombre de propositions utiles
et de modèles particulièrement favorables à notre projet, des propositions et
modèles que nous nommerons le cas échéant. Les divers matériaux de base réunis
et connus, nous pouvons donner les grandes lignes de notre étude.
1

1
1
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- 4 -
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1
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Nous n'allons pas au texte avec l'intention d'y découvrir une donnée que
nous aurions spécialement projetée, et qui nous reste à expliciter de manière
plus ou moins satisfaisante. Ce point .de vue généralement adopté par l'analyse
traditionnelle ne saurait nous convaincre du sérieux et de l'objectivité tant
revendiqués par diverses démarches. N'étant animés d.' aucun présupposé sournois
et tenace, marchant allégrement vers le texte objet d'étude nous tenterons en
l'affrontant de le secouer et de l'interroger dans ses moindres aspects et ses
plus infimes éléments. La perspective est séduisante de notre point de vue de
lecteur, mais le travail s'annonce rude. Car, si nous étudions un romancier et
surtout un seul roman et pensons que notre corpus demeure suffisamment étroit
pour se laisser cerner et favoriser une investigation très exhaustive, il n'en
1
demeure pas moins vrai que la dimension matérielle de l'objet retenu, si elle
n'impose pas un comportement spécifique devant le texte, en exclut notoirement
J1
d'autres. Dès lors, pour éviter tous les débordements, expansions et dépenses
~
1
qu'engendre tout abord" aveugle" d'un texte quelconque, nous essayerons pour
f
ainsi dire de conduire le travail envisagé en prenant fermement appui surtout
i
,
sur cinq prétextes qui en définissent la problématique générale. Autrement dit
i
nous orienterons notre étude dans le sens d'une tentative sérieuse de réponse
J
aux questions de savoir quelle histoire est racontée dans le roman, quelles en
1
1
sont les figures essentielles mises en mouvement, dans quel univers singulier
1
et matériel se meuvent ces figures dynamiques, à quel moment de l'histoire, et
1
enfin, comme pour boucler la boucle, qui parle à qui ou plus précisément, qui
1
se charge de délivrer cette histoire.
t
i
Comme on le voit, notre étude coulera dans un cadre global déterminé par
t
, cinq catégories narratives fondamentales qui préoccupent généralement l'étude f
textuelle: l'action, les personnages, l'espace, le temps et la voix narrative
abordée au plan du discours en terme d'énonciation ou de communication. D'une
1
1
manière plus explicite encore, nous essayerons en un premier lieu de révéler à
ll
travers une définition préalable de la structure du récit dans ses détails le
contenu anecdotique proposé. En un second lieu, nous appréhenderons de manière
extensive les personnages textuels dans leurs qualifications fondamentales et
1
E
leurs fonctions cardinales, autrement dit nous dessinerons autant que possible
l
les figures discursives manifestées et interrogerons rigoureusement celles-ci
i
1
sur leur position par rapport au projet narratif. En un troisième lieu et dans
f
~!
la perspective d'éclairer toute l'action engagée, nous reconstituerons sur la
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base des données formelles disséminées à travers le texte la topographie ou la
1
1
topologie générale, le cadre de vie et d'actions des acteurs, non pas dans un
1:

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1
- 5 -
1
1
élan seulement constatif, mais dans son implication systématique dans toute la
J
narration. Si à ce niveau nous projetons de voir quel agent se meut dans quel
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espace et quelles actions cet agent y assume, nous prévoyons très sérieusement
l
le dépassement de telle perspective de traitement ordinaire de l'espace, pour
montrer les actions, ou plus banalement les influences, que chacun des espaces
topologiques dévoilés exerce sur les acteurs, et plus généralement les divers
personnages. En un quatrième lieu, nous éluciderons la problématique textuelle
de la temporalité. On le sait, tout texte met en jeu une variété de formes du
ï
temps dont la plus immédiate est le temps linguistique. Au-delà de ce dernier,
l!
trait essentiel de base de tout énoncé, se déploient une diversité de formes
temporelles que la critique aveuglée par ses propres ambitions investigatrices
1
semble se plaire à ramener à trois à savoir, le temps de l'histoire, le temps
1
de l'écriture et le temps de la lecture, occultant volontairement la difficile
manoeuvre qu'il y a à faire ressortir en des termes convaincants et nettement
i
1
j
convaincants les deux derniers niveaux ou les deux dernières formes présentées
plus haut. En partant du fait que tel ancrage d'une parcelle de tout le récit
1
en un point historique précis d'une part et d'autre part telle pluie abondante
et régulière qui tombe sur telle contrée décimée par la sécheresse se posent,
en un certain sens, comme des faits de discours possibles, nous situerons très
1
volontiers nos réflexions aux niveau du temps narratif, de la période évoquée
par le discours textuel et du temps cosmique. Enfin, en un cinquième lieu nous
verrons, en suivant les empreintes laissées sur la face du texte général, cet
individu qui se cache derrière la voix qui s'y fait entendre et à qui celui-ci
l,.
s'adresse. En correlant le couple locuteur / allocutaire (niveau de l'énoncé)
( au couple destinateur / destinataire (niveau plus général de la communication)
nous tenterons de dire à qui s'adresse le roman soumis à l'analyse.
Avons-nous été précis dans notre intention et dans notre méthode absolue
à suivre? Nous osons l'espérer: Quoiau'il en soit, nous invitons sans tarder
J
1
le lecteur - notre lecteur - à ouvrir avec nous cette marche qui s'annonce ici
t
~
à première vue longue et dure, mais exaltante, une marche studieuse forcément
r
rythmée par les instances définies au cours de laquelle nous nous employerons,
i
autant que possible, à spécifier certains concepts hypothétiques auxquels nous .1.
recourrons et à éclairer nos chemins les plus sinueux.
i
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J
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1l1
- 7 -
l
ll
~
Chapitre 1
L'histoire
une dynastie décadente
1.1
Les constituants du récit
1.1.1
Les unités narratives
1.1.2
Les séquences
1.2
Analyse des séquences
1
1.2.1
Tableaux et commentaires
1
j
1.2.2
La logique des séquences
1.3
La macro-structure narrative
1.3.1
Un schéma défectif
1.3.2
Le mythe de la création
1.3.3
Le schéma narratif complexe
~
1
l
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- 8 -
1
1
Fama, maintenant il n'y a plus de doute,
\\
tu es le dernier Doumbouya. C'est une vérité nette
1
:~
comme une lune pleine dans une nuit d'harmattan. Tu es
la dernière goutte du grand fleuve qui se perd et sèche
dans le désert. (p.116)
1
l
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j
l
1
1

- 9 -
A travers les descriptions sUivantes, nous nous proposons en considérant
le texte narratif comme un objet construit susceptible de divisions multiples
de dégager cette propriété interne essentielle et caractéristique qui lui rend
(entre autres choses) une certaine allure esthétique : sa structure.
De manière plus précise, notre objectif fondamental est de construire la
structure particulière et médiate de l'énoncé rendant compte de la narration.
Le présupposé qui sous-tend notre activité se fonde sur les diverses remarques
ainsi que les hypothèses et suppositions de Kintsch et Van Dijk (cf. Langages
40, p.98-ll6) sur la place possible de la macro-structure, en général, dans le
,
rappel et la compréhen~ion des textes.
Dans l'optique définie plus haut, nous nous préoccuperons de déterminer
1
ce que nous nommons ici les constituants élémentaires du récit c'est-à-dire en
fait les unités narratives, unités dont la réorganisation et/ou l'intégration
nous permettront de déboucher sur les séquences. Nous procèderons en un second
temps à une analyse minutieuse des séquences établies en construisant d'abord
et en commentant ensuite les tableaux synthétisant le discours narratif soumis
à lecture. Nous précisons d'ores et déjà que le modèle séquentiel retenu pour
notre description est celui de la séquence quinaire de Larivaille. Le discours
narratif considéré paraissant se développer selon les modalités précises d'un
désir à réaliser, le modèle désigné semble plus apte à rendre compte, de façon
efficace, de la narration qui s'y déploie. Enfin, à travers la construction -
ou la reconstruction - syntagmatique des séquences ou, mieux encore, à travers
f
la détermination précise du mode d'enchaînement de celles-ci, nous essayerons
d'établir le schéma narratif global manifestant la structure profonde du récit
ou encore de l'énoncé narratif.
1
1.1 : Les constituants du récit:
j
Nous savons, à la suite de Barthes (cf. Communications 8, p.6), que tout
t
effort d'appréhension du discours narratif, et conséquemment, de l'énoncé qui
~
l le sous-tend, requiert une activité préliminaire, celle du découpage formel du
texte en segments discursifs déterminés par leur fonction. Cette segmentation
i
on le sait doit nécessairement s'appuyer sur le principe d'intégration établie
î
l
en fonction des divers niveaux possibles. S'agissant de rendre compte ici non

1
- w -
pas de tous les aspects textuels mais simplement de la structure du récit nous
situerons notre réflexion à deux niveaux: celui des fonctions et aussi celui
des séquences.
1.1.1 : Les unités narratives:
La déte~mination des unités narratives, premier niveau d'intégration des
éléments narratifs, se fondera ici par souci d'objectivité sur trois critères
dont le critère temporel, le critère spatial et le critère actorie1. Autrement
dit, la clôture de chaque segment du discours narratif qui constitue celui-ci
en unité autonome sera implicitement prononcée sur la base des inscriptions et
positions diverses des acteurs dans le temps et dans l'espace romanesques.
1
L'observation attentive du discours narratif nous autorise à dire que ce
dernier articule ses composants élémentaires selon, semb1e-t-i1, deux grandes
1
catégories sémantiques qui trouvent leur justification de fait à travers cette
description qui suit, et que nous énoncerons dans les termes opposés tels que
/conformité/ et /non conformité/.
Ces catégories complémentaires parce que manifestant l'ensemble organisé
des données narratives et textuelles disposées le long de l'axe syntagmatique
du récit offrent/ouvrent, appliquées aux trois critères que nous avons définis
plus haut, de larges possibilités c1assématiques susceptibles de rendre mieux
compte des différentes unités narratives possibles que nous exploiterons et/ou
mettront ici à profit.
Considérons d'abord le critère temporel.
D'une manière générale, les données narratives sur lesquelles se fondent
nos descriptions se distribuent, dirons-nous empiriquement, sur trois moments
à savoir le passé, le présent et le futur. Le passé est le temps des souvenirs
des personnages et des événements révolus; le présent représente l'inaccompli
au plan événementiel alors que le futur traduit les événements à venir, rêvés,
projetés dans l'avenir.
t
Ces trois temps qui ressortissent de la notion sémantique du temps dont
i
1
parlent Ducrot et Todorov (cf. Dictionnaire, p.389), ainsi définis par rapport
1
aux événements que vit le personnage principal, expriment en fait deux séries
,
de faits et d'événements disjoints et/ou indépendants: une première série qui
s'organise autour du présent et dont les composants manifestent une cohérence
1
et une homogénéité relatives et une seconde série dont les éléments se situent
dans un univers temporel autre que celui vécu par les personnages du récit de
f
premier degré, parce que se fondant sur le passé ou le futur.

- I l -
Par rapport aux deux catégories sémantiques précédemment énoncées il est
possible de dire que du point de vue temporel, il y a des unités conformes et
des unités non-conformes au temps chronique, temps propre aux événements selon
Benveniste (cf. Problèmes, p.70). Ces deux types d'unités, distinctes déjà du
point de vue de leur contribution au discours narratif (on notera aisément que
les premières unités s'identifient aux segments discursifs qui manifestent de
façon évidente la trame du récit premier, alors que les secondes se présentent
comme des segments qui viennent simplement, tout au moins en apparence disons
1
donc, se greffer aux premières), s'organisent en deux ensembles dont nous nous
ji
proposons de donner comme suit les composants élémentaires.
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!
/unités conformes au temps/
1
les funérailles
le commerce
1
la consultation
le voyage
1'1
le complot
la libération
le retour à Togobala
/unités non-conformes au temps/
- les souvenirs de Fama
· enfance
· débuts politiques
- les souvenirs de Salimata
· excision
rencontre avec Fama
- les récits des voyageurs
· de Diakité
· de Konaté
de Sery
les chasses de Balla
les rêves multiples de Fama
Telles se présentent les segments narratifs issus de la segmentation du
texte sur la base du seul critère temporel. On retiendra bien volontiers qu'il
ne s'agit pas, comme la nomination le laisserait penser, des événements comme

- 12 -
tels c'est-à-dire appréhendés en eux-mêmes. Nous ne désignons pas des contenus
même si ceux-ci contribuent notoirement à favoriser l'activité assez complexe
de découpage. Dès lors, à travers les nominations d'ici comme dans la suite ce
sont les segments du discours qu'elles représentent qu'il convient de voir, à
moins de mention contraire.
Considérons maintenant le critère spatial.
De fait, l'existence même d'un temps binaire conforme et non conforme au
temps du récit premier pose comme une donnée manifeste l'existence aussi d'un
espace également binaire: il y a, évoqués à travers le discours narratif, des
espaces que les personnages n'atteignent que par la pensée (cf. espaces vécus
rappelés en souvenirs, espaces des rêves, du mythe de la création de Togobala)
et ceux qu'ils parcourent ou vivent de manière effective (cf. la capitale, la
route, Mayako ou Togobala).
Par rapport aux deux catégories sémantiques précédemment énoncées il est
possible de dire que du point de vue spatial, il y a des unités non-conformes
et des unités conformes à l'espace homodiégétique. Marquées, comme dans le cas
des unités conformes ou non au temps chronique, par leur apport effectif à la
narration ces deux seconds types d'unités ou mieux, de segments du discours de
fait structurent les données textuelles en deux ensembles tels que
/unités conformes à l'espace/
les funérailles
- le commerce
la consultation
- le voyage
le complot
la libération
- le retour à Togobala
/unités non-conformes à l'espace/
le déplacement du défunt
la jeunesse commerçante
l'excision
1
la fuite de Salimata
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les récits des voyageurs
1
de Diakité
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de Konaté

1
1
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- 13 -
t
-'le mythe de la création
1
- les chasses de Balla
- les rêves multiples de Fama
(La presque totale homologie que nous constatons entre les unités issues
de la segmentation provisoire du discours narratif sur la base des deux codes
ou des deux critères temporel et spatial exploités à ce niveau tient en fait à
ces proximités conceptuelle et matérielle caractérisant le temps et l'espace,
proximités qui se font ressentir chaque fois qu'il est fait allusion même sans
grande implication aux notions indexées, et entraînent d'une certaine manière
une relative uniformisation des résultats attendus).
A côté des catégories sémantiques qui ouvrent déjà, on le voit, quelques
possibilités de segmentation du discours narratif existent d'autres critères,
dont celui de l'inscription des acteurs en des temps et lieux divers ou variés
que nous allons à présent prendre en considération à la seule fin d'atteindre
un découpage plus raffiné.
Le récit s'ouvre sur le personnage principal Fama appréhendé entièrement
dans ses occupations quotidiennes faites d'animation de multiples cérémonies,
funéraires ou autres, de prières infinies à la mosquée. Celui-ci, entièrement,
s'éclipse de la narration à la faveur de la longue focalisation opérée par le
narrateur sur Salimata. Il est réinstallé dans la narration proprement dite au
début de la seconde partie du roman par la nécessité du discours de faire ici
état de son long déplacement vers le Nord.
L'inscription des acteurs dans les espaces et dans le temps, à partir de
1 'autogare , se diversifie profondément. On note tour à tour l'entrée en scène
des compagnons de voyage aussi loquaces qu'ennuyeux comme Diakité, le réchappé
du socialisme, Konaté le contrebandier et Sery le xénophobe, débitant pour se
libérer leurs histoires amères.
L'arrivée et le séjour de Fama à Togobala engendrent des irruptions dans
la narration d'acteurs importants tels que Diamourou le griot et Balla, vieil
affranchi des Doumbouya. Avec le grand palabre, le cercle assez hétérogène des
acteurs s'agrandit : autour de Fama se retrouvent partisants et adversaires à
la limite soucieux de l'ordre social à maintenir. C'est, plus tard, un monde à
jamais fraternel que réunissent les funérailles du défunt cousin Lacina.
Le retour de Fama dans la capitale situe le prince déchu dans un univers
hostile où se meuvent principalement les politiciens. Confronté aux multiples
difficultés des caves présidentielles, du camp sans nom et en fin de compte de

- 14 -
la caserne de Mayako où il subit toutes sortes d'exactions, Fama achève cette
marche combattante qu'il a amorcée tout jeune dans une mort absurde avant même
d'atteindre Togobala, le point final.
A la suite des critères temporel et spatial qui, on l'a vu, amorcent une
certaine décomposition du discours narratif, le critère actoriel en suggérant
les diverses inscriptions des acteurs dans l'espace et dans le temps dont nous
venons de rendre compte et en clôturant par là certains segments vient donner
une allure plus précise au découpage. D'une manière générale, l'application de
nos trois critères choisis au discours narratif global impose la segmentation
suivante du texte :
1 -
p.
7-9
Réflexions sur la mort de Koné
2 - p.
9-20
Fama aux funérailles de Koné
3 - p.
20-24
Les souvenirs de Fama
4 - p.
24-29
Fama à la prière
5 - p.
30-37
Le ménage de Fama
6 - p.
38-48
Les souvenirs de Salimata
7 - p.
48-51
Salimata au marché du matin
8 - p.
51-53
La fausse grossesse de Salimata
9 - p.
53-57
Le retour du marché du matin
10 -
p.
58-65
Salimata au marché de midi
I l -
p.
65-80
Salimata en consultation
12 - p.
83
Réflexions sur la mort de Lacina
13 - p.
83-85
Le voyage de Fama à Togobala
14 - p.
85-91
Les récits des compagnons de voyage
15 - p.
91-96
Les pensées de Fama
16 - p.
96-102
La halte de Bindia
17
p.
99-102
Le mythe de la création de Togobala
18 - p. 102-106
La suite du voyage
19 - p. 106-110
L'arrivée à Togobala
20 - p. 110-118
Les révélations de Diamourou et Balla
21 - p. 118-123
La visite du cimétière
22 - p.
124-131
Les récits de chasse de Balla
23 - p. l3l~132
Les difficultés financières de Fama
24 - p. 133-135
La visite aux veuves de Lacina
25 - p. 135-142
Le grand palabre
26 - p. 143-151
Les funérailles de Lacina

- 15 -
27 - p. 151-157
Le voyage retour
28 - p. 158-160
Le nouveau ménage de Fama
29
p. 160-163
Réflexions sur l'Afrique traditionnelle
30 - p. 163-164
Le complot politique
31 - p. 164-168
Arrestation et détention de Fama
32 - p. 168-172
L'audience de Fama
33 - p. 170-173
Le rêve de Fama
34 - p. 174-178
Le jugement de Fama
35 - p. 178
Le rêve de Fama
36 - p. 179-183
La libération des détenus politiques
37 - p. 183-188
Le retour de Mayako
38 - p. 184-188
Les informations de Bakary à Fama
39
p. 188-191
Le retour définitif de Fama à Togobala
40
p. 191-195
Les pensées de Fama
41 - p. 195-205
La traversée manquée de la frontière
Ainsi se présentent les segments du discours narratif générés ici par le
découpage du texte sur la base des critères temporel, spatial et actoriel que
nous avons choisis. Ces unités peuvent paraître partiales, subjectives même en
dépit de la rigueur à laquelle nous avons souhaitée les soumettre. Elles n'en
demeurent pas moins des éléments d'un premier niveau susceptibles de favoriser
indubitablement la saisie correcte du récit.
Il est nécessaire de préciser au terme de la segmentation opérée que les
unités ainsi déterminées ne se rapportent pas toutes aux fonctions au sens où
l'entendait Propp, c'est-à-dire des unités rendant strictement compte, au plan
narratif, des actions assumées par les agents. Dans le texte littéraire écrit
en général, et plus particulièrement dans notre texte objet d'analyse, l'écart
entre Discours et Récit reste très élevé. Le discours s'orne presque toujours
de détails qui ne sont jamais narratifs, et dont l'analyse doit nécessairement
pouvoir se passer si elle veut atteindre une description à la fois rigoureuse
et cohérente.
Joint à notre objectif qui demeure dans ce chapitre premier de l'analyse
globale la mise en évidence de la structure du récit, ce constat oblige ici à
dégager de l'ensemble hétéroclite d'unités narratives précédent - dans le seul
but de saisir aisément le contenu narratif - les segments vraiment narratifs,
segments qui en se constituant en ensembles dont l'homogénéité se fonde sur la
solidarité de leurs composants traduisent de manière très évidente le contenu

- 16 -
anecdotique proposé. Autrement dit, partant des unités narratives éparses nous
sommes obligés de passer à un second niveau d'intégration, celui des diverses
séquences narratives textuelles.
1.1.2 : Les séquences
Le découpage de tout texte en séquences, dès lors qu'il doit s'effectuer
à partir d'unités narratives déjà connues comme dans le cas présent se réduit
de fait à la structuration syntagmatique des dites unités. Cette structuration
peut être uniforme si les unités impliquées entretiennent quelque relation de
solidarité. Au contraire, elle reste morcelée décrivant ainsi de vastes unités
qui expriment des séquences d'actions ou d'événements.
L'activité de réorganisation peut se ramener à deux procédures de portée
relative: un classement des unités narratives dégagées qui tende à isoler de
la masse des données celles réellement destinées à l'expression du contenu qui
sous-tend l'histoire, et une structuration de cette classe d'unités réduites.
Ces deux procédures de découverte des séquences, valables dans les limites ici
définies, serviront implicitement de voie aux développements qui suivent.
Considérons les quelques unités narratives (notées U) suivantes:
U
Réflexions sur la mort de Koné
l
U
Fama aux funérailles de Koné .
2
U
Les souvenirs de Fama
3
U
Fama à la prière
4
U
Le ménage de Fama
5
U
Les souvenirs de Salimata
6
U
Salimata au marché du matin
7
U
Les récits des compagnons de voyage
14
Pour permettre à notre lecteur de saisir plus aisément les raisonnements
qui vont suivre, il convient de préciser très rapidement le contenu discursif
des huit unités narratives prises ici en exemple pour notre démonstration, des
unités supposées représentatives en tous les cas de l'ensemble très large des
unités narratives textuelles dégagées.
En tant que segment du discours, l'unité 1 notée /Réflexions sur la mort
de Koné/ rend compte du déplacement magique de l'ombre de Koné le défunt vers
le lointain pays malinké, voyage immatériel qui selon le narrateur relève bien
des aptitudes de tous défunts et particulièrement de ceux issus de la célèbre

- 17 -
et puissante caste forgeron. L'unité 2 dénommée /Fama aux funérailles de Koné/
traduit le conflit épique entre Fama et Bamba. En ce sens, elle situe Fama le
personnage principal en pleine action, celle qui consiste en la défense de ses
droits princiers bafoués. L'unité 3 dite /Les souvenirs de Fama/ rapporte aux
narrataires le passé de Fama, un passé vécu autour du commerce, du prestigieux
combat contre la colonisation, de la destitution et de la notoire ingratitude
des siens. L'unité 4 notée /Fama à la prière/ fait une large place non pas aux
différents moments de la prière mais à son contenu tout orienté vers Sa1imata
et sa stérilité invincible. Intervenant en ce point précis du discours l'unité
4 se pose comme une peinture morale de Sa1imata plutôt que l'expression de la
prière en soi. L'unité 5 dénommée /Le ménage de Fama/ présente en élucidant le
rapport conjugal du mari et de l'épouse le foyer de Fama au quotidien. Nous y
trouvons évoquées par exemple la paresse et l'impuissance sexuelle de Fama, et
les labeurs de Sa1imata. L'unité 6 dite /Les souvenirs de Sa1imata/ révèle un
pan du passé de la dame, un passé malheureux et dramatique fait principalement
de l'excision et des successifs mariages blancs. L'unité 7 notée /Sa1imata au
marché du matin/ traduit le combat quotidien de Sa1imata pour la vie. Dès lors
elle situe la femme de Fama en pleine action. Enfin,l'unité 14 dénommée /Les
récits des compagnons de voyage/ rend compte de trois situations distinctes de
l'Afrique particulièrement douloureuses: les expropriations et exécutions en
République socialiste de Nikinai et les immigrations massives en tout genre en
République des Ebènes.
Lorsque nous essayons d'appréhender ces huit unités, par rapport à leur
rôle ou fonction au niveau du discours narratif, nous constatons très vite que
sous l'apparente identité fonctionnelle qui consiste dans la participation au
récit d'une manière ou d'une autre des distinctions fonctionnelles existent en
fait entre elles. Dans la perspective de la manifestation évidente du contenu
narratif, ces unités ne participent guère de la même manière au récit: il y a
comme nous avons tenté de le suggérer à partir des critères énoncés plus haut
des unités qui, définies par leur plus ou moins grande proximité de la diégèse
c'est-à-dire de l'histoire racontée, contribuent plus ou moins efficacément à
l'expression de celle-ci. Il y a aussi des unités qui, venant se joindre ou se
greffer à la diégèse sans tisser avec elle des rapports systématiques patents
ou éVidents, ne contribuent pas - du moins en apparence - à son expression.
A partir de telles précisions, nous pouvons structurer en toute facilité
les huit unités de référence en deux grandes classes: celle des Régulateurs,
constituée par les unités 2, 4, 5 et 7, et celle des Coagulateurs, organisée a

- 18 -
priori autour des unités 1, 3, 6 et 14. Cependant, vouloir réduire la fonction
des huit unités impliquées à leur seule participation directe ou indirecte au
contenu narratif proprement dit, c'est méconnaître grandement des spécificités
fonctionnelles dont il semble difficile de taire l'existence.
En effet, un regard plus attentif ou une considération plus poussée des
diverses observations faites plus haut sur les huit unités de référence montre
bien qu'elles n'ont pas toutes les mêmes fonctions dans le récit: U
n'a pas
l
la même fonction que U • D'un autre côté, U
se distingue fonctionnellement de
3
2
U • Cette différence fonctionnelle est décelable entre U
et U
d'une part et
4
5
7
U
et U
d'autre part. Sur un autre plan, on note une homologie fonctionnelle
6
14
parfaite entre les unités couplées 2/7, 4/5, 3/6, et 1/14. Le couple d'unités
2/7 situe les agents Fama et Salimata en pleine action. Il énonce à l'évidence
donc des actions. Le couple d'unités 4/5 construit surtout les figures ou les
images morale et sociale des époux Doumbouya. Le couple d'unités 3/6 livre des
renseignements sur le passé des deux personnages Fama et Salimata, complètant
ainsi leur définition que réalise le couple précédent. Le couple d'unités 1/14
enseigne à la lecture du texte quelque chose au narrataire.
Ces distinctions fonctionnelles manifestes entre les unités de référence
extensibles à l'ensemble des unités narratives énoncées, nous conduisent à un
nouveau classement des unités en quatre sous-classes: les Actifs (cf. U , 7)'
2
les Présentatifs (cf. U , 5)' les Explicatifs (cf. U , 6)' et les Didactiques
4
3
(cf. U , 14)' classement qui permet de constater, au regard des unités que les
l
sous-classes possèdent, que les Actifs et les Présentatifs d'une part, et les
Explicatifs et les Didactiques d'autre part ressortissent res~ectivement de la
classe des Régulateurs et de la classe des Coagulateurs du récit.
Nous avons cru utile jusqu'ici, pour mieux appréhender les unités ou les
segments narratifs dont il est question, d'introduire dans les développements
qui ont cours des concepts nouveaux qu'il convient de définir. On entendra par
Régulateurs du récit, les segments narratifs conformes à l'univers spatial et
temporel du récit premier et servant à la traduction à la fois des fonctions a
priori variables et des qualifications souvent fixes des agents. On dénommera
Coagulateurs du récit, les segments narratifs dont l'énonciation concourt à la
cristallisation ou mieux à la rupture du fil nar~atif parce que jamais situés
dans l'univers spatio-temporel du récit premier. Les coagulateurs (concept que
nous empruntons à la chimie - cf. Javillier et Lavollay : La chimie des êtres
vivants, p.55) engendrent des Il pauses et récréations ", pour reprendre le mot
de Genette (cf. " Frontières du récit", in Communications 8, p.157).

- 19 -
Au niveau des sous-classes, on retiendra tout simplement que les Actifs
constituent la composante événementielle, le lieu de concentration des énoncés
d'actions. En ce sens, c'est essentiellement les unités de cette sous-classe,
la plus indispensable au p~an narratif, qui sont susceptibles de déterminer la
ou les séquence(s) d'actions ou d'événements. Les Présentatifs du moins comme
sous-classe englobent les principales indications sur les multiples acteurs et
peuvent être, en tant que segments, une série d'actions et aussi d'événements
manifestés comme micro-récit dont la fonction est de caractériser un acteur ou
plusieurs personnages donnés, ou une série d'énoncés d'état. Les Explicatifs,
à la fois énoncés d'actions et énoncés d'état, sont des segments qui servent à
la compréhension générale de l'énoncé sans participer directement à la trame,
au fil ténu de l'histoire racontée. Les Didactiques, qui comme segments sont à
la fois narratifs ou discursifs, enseignent certaines valeurs culturelles, ou
simplement informent sur le monde représenté.
L'analogie formelle décelable entre notre système présent des classes de
segments ou d'unités narratives et celui proposé par Barthes incite à quelque
précision sur deux éléments essentiel: la terminologie pratiquée d'abord, les
traits propres aux unités ensuite. Sans insister sur l'analogie très formelle
des deux systèmes, notons que la terminologie employée ici et énoncée du point
de vue particulier du lecteur et non du critique tire sa justification exacte
du simple fait que les nominations des classes et sous-classes constituées sur
la base des fonctions des unités narratives doivent pouvoir en fait suggérer,
traduire ces fonctions. Il semble en effet plus facile de reconnaître l'unité,
à la faveur de ce à quoi elle sert éventuellement que de ce qu'elle est. Nous
remarquerons, s'agissant de la nature des unités organisant les classes et les
sous-classes, qu'à la différence de Barthes - pour qui Fonctions et Indices à
la limite se réduisent aux actions et qualités -, nos classes et sous-classes,
à l'exclusion des Actifs que contribuent à construire les divers énoncés dits
d'actions, s'organisent autour d'énoncés d'actions et/ou d'état. Autrement dit
alors, peuvent être posés comme Présentatifs, Explicatifs, ou Didactiques des
segments narratifs (cf. micro-récits) autant que des segments discursifs (cf.
description). (Le récit de l'excision par exemple est une manière particulière
pour le narrateur de mieux présenter Salimata, et de justifier de telle façon
sa stérilité. Le récit du déplacement magique de l'ombre aventureuse du défunt
Koné Ibrahima par exemple renseigne sur la conception de la force mystérieuse
des morts chez les Malinkés.

- 20 -
Ces quelques précisions théoriques (dans une étude qui se veut pratique)
établies, revenons à la démonstration précédente.-S' agissant. du classement de
l'ensemble des unités narratives dégagées, l'élargissement du classement opéré
sur les huit unités de référence à l'ensemble des unités existentes permet de
les structurer comme suit :
AI - Les Régulateurs du récit
a) - les Actifs
- Fama aux funérailles de Koné
- Salimata au marché du matin
- Salimata au marché de midi
- Salimata en consultation
- Le voyage de Fama à Togobala
- La suite du voyage
- Les difficultés financières de Fama
- La visite aux veuves de Lacina
- Le grand palabre
- Les funérailles de Lacina
- Le complot politique
- Arrestation et détention de Fama
- L'audience de Fama
- Le jugement de Fama
- La libération des détenus politiques
- Le retour définitif à Togobala
- La traversée manquée de la frontière
b) - les Présentatifs
Fama à la prière
Le ménage de Fama
- Le retour du marché du matin
- Les pensées de Fama
- La halte de Bindia
- L'arrivée à Togobala
- La visite du cimétière
- Le voyage retour
Le nouveau ménage de Fama

-
21 -
BI - Les Coagulateurs du récit
c) - les Explicatifs
- Les souvenirs de Fama
- Les souvenirs de Salimata
- La fausse grossesse de Salimata
- Réflexions sur la mort de Lacina
- Le mythe de la création de Togobala
Le rêve de F~a (cf. U
)
33
Le rêve de Fama (cf. U
)
35
- Le retour de Mayako
- Les informations de Bakary à Fama
Les pensées de Fama
d) - les Didactiques
- Réflexions sur la mort de Koné
- Les récits des compagnons de voyage
- Les révélations de Diamourou et Balla
- Les récits de chasse de Balla
- Réflexions sur l'Afrique traditionnelle
(Pour une vision d'ensemble, voir le tableau de la distribution)
Telles se présentent les classes et sous-classes d'unités narratives que
nous avons pu établir. Notons que le long développement sur le classement des
unités nous semble infiniment nécessaire. Il participe au règlement partiel du
problème que posent à l'analyse structurale des textes littéraires les divers
indices ou, comme nous les nommons, les divers coagulateurs de récit. De façon
positive, il supplée au résumé avec lequel il partage le même objectif, celui
de débarrasser le texte des éléments discursifs non nécessaires à la saisie du
récit et de la structure qui l'organise.
Considérons maintenant les unités narratives de la sous-classe que nous
nommons Actifs, et qui regroupe selon nous les segments narratifs a priori les
plus expressifs de l'histoire racontée.
En nous penchant sur ces unités, nous constatons que la plupart d'entre
elles restent très ouvertes. Autrement dit, certaines de ces unités traduisent
des actions ou des événements dont le début ou la fin sont manifestement pris
en charge par d'autres unités. Plus simplement encore il existe entre quelques
unités narratives des rapports logiques. Ainsi par exemple les unités 7 et 10

- 22 -
REGULATEURS du RECIT
COAGULATEURS du RECIT
Actifs
Présentatifs
Explicatifs
Didactiques
U
U
U
U
2
4
3
l
U
U
U
U
7
5
6
14
U
U
U
U
IO
9
8
20
Un
U
U
U
15
12
22
U
U
U
U
13
16
17
29
U
U
U
18
19
33
U
U
U
23
21
35
U
U
U
24
27
37
U
U
U
25
28
38
U
U
26
40
U30
U31
U32
U34
U36
U39
U41
Distribution des unités narratives

- 23 -
entretiennent-elles un rapport logique ou de consécution. L'unité narrative la
notée /Salimata au marché de midi/ complète en fait l'unité narrative 7 notée
/Salimata au marché du matin/, et permet ainsi de bien cerner toute l'activité
commerçante de l'épouse de Fama. Ainsi aussi, les unités 30, 31, 32, 34 et 36
manifestent-elles un rapport de consécution. L'agencement syntagmatique de ces
cinq unités narratives permet d'obtenir une transcription suffisante et juste
de la série d'événements notée Ile complot et la répression/. Ainsi enfin, les
unités 39 et 41 sont-elles liées par le même type de rapport que dans les cas
précédents. L'unité narrative 41 complète harmonieusement l'unité narrative 39
pour montrer l'impossible retour de Fama à Togobala. Cette réorganisation des
unités narratives de la sous-classe Actifs nous permet de dégager nettement de
la narration onze séquences d'événements que nous présentons comme suit:
Séquence A
Fama aux funérailles de Koné
Séquence B
Le commerce de Salimata
Séquence C
Salimata en consultation
Séquence D
Le voyage de Fama à Togobala
Séquence E
La traversée de la frontière
Séquence F
Les difficultés financières de Fama
Séquence G
La vie sociale de Fama à Togobala
Séquence H
Le grand palabre
Sêquence l
Les funérailles de Lacina
Séquence J
Le complot et la répression
Séquence K
Le retour définitif de Fama à Togobala
Notre texte objet d'étude, en fonction des modalités de segmentation qui
lui ont été appliquées, se décompose donc en onze séquences d'événements. Ces
séquences considérées comme telles, si elles favorisent la connaissance réelle
des unités narratives qui construisent de manière effective le récit premier,
ne sauraient nous permettre la saisie directe de cette structure tant projetée
ici. Il convient alors, pour parvenir plus aisément à celle-ci, d'observer de
manière détaillée ces onze séquences afin d'en montrer les spécificités et les
possibles aspects.
1.2 : Analyse des séquences
L'analyse des séquences vise essentiellement à la découverte précise de
leur composition, de leur organisation, et devrait en principe faire déboucher

- 24 -
sur le schéma du récit à travers lequel transparaît généralement la structure
narrative logique. Elle se scinde en deux étapes : une analyse assez détaillée
de chaque séquence qui prend elle-même appui. sur un tableau synthétisant très
nettement les actions et un commentaire ou remarque sur ce tableau d'une part,
et d'autre part une analyse globale des séquences.
1.2.1 : Tableaux et commentaires:
Les tableaux et commentaires rendant compte des séquences se fondent sur
les propositions de Genot et Larivai11e (cf. Analyse et Indexation du récit).
Ces propositions, respectées dans les grandes lignes, ont subi par endroits un
certain nombre d'aménagements en vue de préserver au moins la spécificité, la
richesse de notre texte objet.
Le tableau général comprend trois parties :
a) - une première partie où figure le résumé de la séquence à analyser.
Préalable essentiel à une formalisation du récit en motifs, à une détection de
la structure narrative (cf. De Meijer : " L'analyse du récit ", in Théorie de
la littérature, p.1a1), le résumé est, dans l'optique de GenotjLarivai11e, une
procédure systématique à trois phases: l'extraction qui part de l'idée qu'un
texte a deux composantes (cf. thème et structure compositionne11e) réductibles
à l'analyse, la réduction elle-même aboutissant au noyau informatif, la forme
statique, concentrée et abstraite du contenu textuel, et la reverba1isation de
l'unité du texte donnant de celle-ci une représentation réduite et normalisée
capable de proposer une interprêtation schématique du texte. Ici, la procédure
1
restera implicite. Nous nous bornerons à en donner le résultat.
1
l
b) - une deuxième partie où sont consignés les acteurs. Sont mentionnés
dans la colonne correspondante uniquement ceux qui prennent effectivement part
aux actions. Les interacteurs figurent dans la colonne sous les initiales des
noms. Ainsi, F correspond à Fama, G à griot, B à Bamba ou Bakary, A à Anciens,
S à Salimata, M à marabout ou mendiants, pjp à prpsident et parti unique, D à
délégué etc. Aucune ambiguïté n'est guère possible, même dans les cas les plus
complexes, et de références multiples. Le contexte éclaire toujours la ou les
initiales susmentionnées. On notera aussi que les chiffres de la même colonne,
en fait, sont une expression condensée des fonctions (cf. chiffre de gauche),
et du poste de l'agent (cf. chiffre de droite). Ainsi, le nombre 22 placé sous
G (griot) dans la Séquence A veut dire que l'agent jgriotj assume à ce niveau
la fonction jPerturbationj, et il est le deuxième acteur entrant en scène. Les

- 25 -
parenthèses marquent une restitution dialectique par feed-back.
c) - une troisième partie où apparaissent les divers motifs narratifs.
Genot et Larivaille précisent que, " un motif est un constituant narratif, qui
est le correspondant figuratif d'une proposition quasi-logique Il (cf. Analyse
et Indexation, p.33). Le motif, formulé au moyen d'un nom d'action, apparaît à
travers le tableau en lettres capitales. Les chiffres, dans cette colonne, se
réfèrent à la fois à la fonction (cf. chiffre de gauche) et à la fréquence, au
rang de cette fonction (cf. chiffre de droite). Ainsi dans la formalisation
21 OFFENSE par griot à Fama, le chiffre 2 représente la fonction spécifique de
/Perturbation/ et le chiffre l veut dire que cette fonction de /Perturbation/
est la toute première de la séquence impliquée.
Un commentaire en trois points suit chaque tableau. Le premier concerne
le rapport entre le discours et le récit. Genot fait justement observer que
" le rapport discours/texte est caractérisé par le fait que, pour
représenter de manière suffisante une étape donnée de l'histoire,
il est nécessaire
de faire figurer toutes les
données servant à
expliciter la cohérence et la causalité narratives, alors que ces
données peuvent bien évidemment être introduites progressivement"
(cf. Il Le modèle narratologique .•• ", p.5). Il s'agit de voir de quelle manière
le discours prend en charge ou non le récit, en précisant éventuellement tous
les effacements de motifs, les expansions non narratives qui, en se produisant
ici, disent un aspect de la stratégie narrative. Le second point concerne les
actions de la séquence. Nous nous efforcerons à ce niveau de noter ou préciser
les actions, les classes d'actions, les suites logiques ou non d'actions, les
actions quantitativement privilégiées etc. Le dernier point veillera surtout à
préciser le sens de la séquence dans le récit global, et nous permettra ainsi
d'amorcer l'interprêtation dont l'analyse entière ne saurait se passer en tout
état de cause.
Ces précisions d'ordre méthodologique étant assurées, commençons l'étude
proprement dite des séquences. Nous partirons tout naturellement disons de la
Séquence A (/Fama aux funérailles de Koné/) à la Séquence K, la dernière, dite
/Le retour définitif de Fama à Togobala/, en essayant au mieux de révéler les
caractéristiques individuelles possibles de chacune d'elles, tous éléments qui
nous permettront d'envisager l'approche du récit de manière ferme.

- 26 -
Séq.uence A
RESUME
INTERACTIONS
MOTIFS
F
G
B
A
Fama, prince déchu et
11
dernier fils légitime des
Doumbouya, est, par un
griot,
12
!
déshonoré au cours de la
22
21
OFFENSE par
cérémonie du septième jour
l
griot à Fama
du défunt Koné Ibrahima.
32
31
~
Non content de se sentir
23-42
22
DEMANDE par Fama
vexé, il enjoint celui-ci
!
de explication
de s'expliq.uer.
33
32
l
Bamba, prenant la défense
43
24
23
OPPOSITION
du griot, intime à Fama
1
l'ordre de se taire et de
34
33
AGRESSION
s'asseoir. Fama veut s'en
prendre à Bamba mais ce
LUTTE de Bamba
dernier l'agresse et manq.ue
contre Fama
de le terrasser dans une
lutte acharnée.
Les anciens interviennent,
44-25
24
REPARATION par
+
dédommagent et rétablissent
35
anciens du tort
+
Fama dans 'sa dignité.
45
causé à Fama

27 -
Commentaire
l -
La formalisation de la séquence à laquelle nous avons procédé laisse, de
toute évidence, apparaître une prise en charge totale du récit (entendu comme
la représentation d'une interaction entre deux ou plusieurs antagonistes et/ou
agents) par le discours. On note l'effacement de toutes les Transformations à
l'exception de la troisième (cf. 33 dans le tableau de la séquence). Si l'Etat
initial est précisé et correspond essentiellement à Fama, l'Etat final reste
quant à lui implicite. Sa reconstitution dialectique tentée par rapport à l'El
montre qu'il demeure conforme à ce dernier. Une telle confirmation découle de
l'invariation, à travers le développement des programmes narratifs séquentiels
soutenus, des propriétés relatives à l'acteur Fama. Le récit ici est dénué de
toute expansion non-narrative. Tout au plus peut-on relever au début du texte,
ce segment discursif à caractère didactique tendant à suggérer le traitement
réservé aux morts dans l'Afrique traditionnelle. La séquence se ramène de fait
au développement des motifs de /Perturbation/ (cf. 21, 22, 23 et 24).
2 -
L'histoire, dans cette séquence, est centrée sur la lutte. Le privilège
de ce motif provient du fait que cette action échoit à deux acteurs: le griot
et Bamba. La syntaxe séquentielle manifeste une suite logique des actions. On
note, du point de vue des interacteurs, la disparition quasi-totale de l'agent
griot de la scène sitôt accomplie/achevée la première Perturbation. Un retour
sur les motifs de Perturbation permet de voir que deux actions similaires (une
Offense et une Opposition) sont dirigées contre le seul acteur Fama.
3 -
La saturation préalable de l'acteur Fama (son identité, sa personnalité,
son rôle social et politique etc) par le narrateur d'Une part et d'autre part
la manifestation quantitative de l'action /lutte/ autorisent à dire que la
SA
est une séquence suggestive tendant à montrer le sort infligé au prince, fils
légitime déchu qu'est Fama, par la communauté villageoise de la capitale.
Les
diverses attitudes, celles des autres acteurs et celle de Fama, soulignent ou
traduisent respectivement la dépravation de la communauté malinké (en tout cas
celle confinée dans la capitale) irrespectueuse des valeurs traditionnelles à
observer et la dégénerescence de la noblesse locale. En ce sens,
la tentative
(manquée) de transformation des relations introduites par le griot et Bamba à
partir des motifs comme Offense, Opposition et Agression que le urince conduit
s'apparente à la quête de dignité.

- 28 -
Séquence B
RESUME
INTERACTIONS
MOTIFS
S
M
Salimata, l'épouse stérile
Il
et malheureuse de Fama
l
se lance dans le commerce
21
21
VENTE par
de riz avec dévouement et
Salimata de riz
habileté.
1
Dans cette entreprise,
31
31 DON de riz
elle fait preuve de très
grande générosité.
Assaillie un midi par une
l4l---+-~22 22 ATTAQUE par
meute de mendiants envieux
mendiants de
et demi-satisfaits
j
Salimata
qui l'encerclent, la
32
32
LUTTE de
maltraitent et la
mendiants contre
neutralisent,
Salimata
1
elle est dépossédée de sa
42
41
PILLAGE par
recette et de son riz avec
mendiants de riz
violence avant d'avoir pu
et recette
réagir.

<-

- 29 -
Commentaire
1 -
La transcription de la séquence indique qu'il existe une correspondance
parfaite, linéaire entre le discours et le récit. Il n'y a pas d'effacements à
noter au niveau des fonctions. L'Etat initial qui se rapporte aux définitions
de Sa1imata est connu. Seul l'Etat final demeure implicite. Il est susceptible
d'être déduit cependant de la Résolution ou plus exactement des situations de
fait engendrées par celle-ci. Dans la mesure où la Résolution (cf. 41 PILLAGE)
n'apporte aucune modification des relations stables établies préalablement en
l'Etat initial, l'Etat final apparaît comme une confirmation des propriétés de
Sa1imata antérieurement posées. La séquence est caractérisée par de multiples
expansions non-narratives: au long monologue de Sa1imata, sur sa condition de
femme, d'épouse malheureuse se mêle une description minutieuse des caractères
et/ou des éléments liés à ses souvenirs, notamment sa jeunesse marquée par les
épreuves de l'excision et du viol, ses débuts dans le mariage avec Fama jeune
commerçant etc. Ces expansions, très fréquentes et très longues, visent ici et
surtout à saturer le personnage Sa1imata.
2 -
L'action centrale, quantitativement privilégiée au plan discursif, reste
la vente. Elle se manifeste en deux phases: la première, celle du matin, est
positive alors que celle de midi est négative (les qualifications
positive et
négative se réfèrent à la finalité de l'action /vente/). Trois types d'action
se dégagent de la séquence. Il s'agit du don, de la vente et du pillage qui se
rejettent mutuellement, conférant ainsi à la syntaxe séQuentielle une suite a
priori illogique: le don (entendu comme une action motivée par l'esprit et/ou
le souci de bienfaisance et de générosité) s'oppose par sa gratuité disons, à
la vente qui suppose une contrepartie, un paiement. Le pillage, considéré dans
sa brutalité et sa violence, s'oppose à son tour au don saisi du point de vue
de son pacifisme. Une telle ambiguïté de l'agencement des actions provient, on
le sait, de la double ambiguïté qui caractérise les acteurs:
à une Sa1imata
décidée à faire du commerce s'oppose une Sa1imata tout aussi déterminée à voir
se réaliser, à faire une oeuvre sociale. L'ambiguïté des· ouvriers est nette:
par le pillage, ils remettent en cause le don dont ils sont bénéficiaires tout
simplement. Enfin, on note dans cette séquence l'absence totale de Fama, l'un
des acteurs principaux que la Séquence A mettait en exergue.

- 30 -
3 -
La séquence présente, singulière au niveau du récit global tout comme la
séquence suivante (cf. Séquence C) par l'absence nette parmi les antagonistes
qu'elles définissent de Fama, situe Salimata dans sa lutte quotidienne pour la
survie matérielle et morale du couple. Cette lutte est double. L'action Vente
vise le gain matériel par lequel Salimata peut assurer à Fama une subsistance,
une nourriture quotidienne, alors que l'action Don appelle des voeux pour une
fécondité qui permettrait à Salimata de donner un héritier au prince déchu, au
fils légitime des Doumbouya. Figurativement, le pillage opposé au don traduit
donc l'échec c'est-à-dire l'hypothétique survie matérielle et morale du couple
Doumbouya. En ce sens, la présente séquence - quoiqu'excluant l'agent central
du récit - reste déterminante pour une lecture correcte et judicieuse de toute
l'histoire.

- 31 -
Séquence C
RESUME
INTERACTIONS
MOTIFS
S
M
Salimata, l'épouse stérile
Il
et malheureuse de Fama
j
désire connaître le sort
21
21
DESIR de Salimata
maléfique qui l'habite
l
de connaissance
et va consulter, au sortir
31
31
CONSULTATION par
du marché défavorable, le
Salimata de
marabout Abdoulaye.
marabout
1
Au cours de la cérémonie,
4l---~>22
22
CONVOITISE par
le marabout s'éprend pour
marabout de
la dame
Salimata
1
et tente d'abuser d'elle
32
32
TENTATIVE de
t
marabout d'abus
mais Salimata réagit avec
23~~--- 42
23
LUTTE de Salimata
la plus grande violence,
l
contre marabout
réussit à neutraliser
33
le marabout
l
et s'enfuit sans avoir été
43
41
NON-POSSESSION
possédée par marabout
par marabout de
Salimata

- 32 -
Commentaire
1 -
Il existe, du point de vue de leur rapport, une correspondance linéaire
entre le discours et le récit, au niveau séquentiel. Toutes les fonctions sont
discursivement représentées. On remarque toutefois l'effacement des motifs de
la dernière Transformation (cf. 33, dans le tableau de la séquence). Si l'Etat
initial est connu et se rapporte à la situation de Salimata, l'Etat final est
ou demeure implicite. Il peut cependant être restitué à partir semble-t-il des
diverses situations créées par la Résolution. En ce sens, il est identique ou
conforme à l'Etat initial, la Résolution n'ayant pu modifier alors la totalité
des relation(s) stable(s) définie(s) dans l'Etat initial. Quelques expansions
non-narratives sont à noter. Il s'agit surtout de la description détaillée des
faits et gestes du marabout autant que des précisions sur la place des manes,
et des morts dans le procès de consultation. Ces expansions non-narratives ont
pour but d'informer le lecteur sur une pratique donnée.
2 -
Le récit, dans cette séquence, est centré sur la lutte. On remarque ici
deux types d'action: la consultation ou mieux, la quête du savoir et la lutte
qui se rejettent mutuellement par leur caractère. Au pacifisme de la première
s'oppose la violence de la seconde. C'est que, dans la séquence se développent
deux programmes narratifs de sens (directions) contraires, impliquant dans un
certain sens la personne des acteurs en présence:
l'agent principal Salimata
vise un savoir que seul le marabout possède. A l'inverse le marabout convoite
un objet (marqué /amour/) que seule Salimata détient. Cette totale imbrication
des données narratives a une conséquence sur la finalité de la narration dans
la séquence: les motifs /convoitise/, /lutte/ et /non-possession/ constituant
au regard du double parcours narratif une micro-séquence tenue par Abdoulaye,
le marabout, déterminent la partie résolutive de la séquence tout entière. Ici
comme dans la séquence précédente (cf. Séquence B), on observe la disparition
totale de Fama, l'un des acteurs principaux de la Séquence A.
3 -
La séquence présente, par certains côtés (cf. absence de l'acteur Fama,
sens exact de la séquence etc), ressemble à la Séquence B. En nous fondant sur
son sens, sa place dans le récit entier, nous dirons qu'elle est une séquence
à finalité démonstrative: démonstration de l'impossibilité, pour la dame d'un
stérile époux, de connaître sexuellement un autre homme que son mari, et donc

- 33 -
d'avoir des enfants
de procréer si tant il est vrai que Fama demeure vraiment
f
stérile. On remarquera volontiers qu'au-delà de sa désolidarité évidente avec
les autres séquences du récit global (cf. par exemple l'absence totale de Fama
au niveau actionnel), la Séquence C reste une des plus essentielles du récit.
En introduisant ici la notion de la double quête manquée (cf. quête du savoir,
par Salimata en vue de vaincre son état, quête de l'amour par le marabout aux
fins de modifier cet état de manière positive), la séquence non seulement fait
systématiquement le point sur l'un des acteurs essentiels - et donc sur toute
l'histoire elle-même -, mais aussi et surtout nous suggère des éléments divers
susceptibles d'éclairer la lecture entière du texte.

- 34 -
Séquence D
RESUNE
INTERACTIONS
MOTIFS
F
D
Fama, prince déchu et
(11 )
dernier fils légitime des
Doumbouya
1
choisit d'emprunter, à la
21
21
CHOIX par Fama
gare routière, la voiture
t
de voiture
de Ouedrago.
31
!
Mais, il est en butte à
4 1 - - - - 22
22
REFUS du délégué
un excès d'autorité du
à Fama
délégué du S.N.T
1
qui veut le faire descendre
32
de la voiture.
l
Une vive controverse
23~"",---42
23
LUTTE de Fama
alimentée par Fama éclate
t
contre délégué
entre les deux hommes.
33
!
Le délégué, excédé par les
43
41
ACQUISITION par
invectives, laisse Fama
Fama de voiture
monter dans la voiture de
son choix.

- 35 -
Commentaire
1 -
Le discours et le récit, dans cette séquence, entretiennent une parfaite
correspondance. On remarque, à travers la formalisation séquentielle,
un net
effacement de toutes les Transformations. Le récit est construit notamment sur
le développement des motifs de Perturbation (cf. 21, 22 et 23 dans le tableau
de la séquence). Une seule Résolution, la dernière, est manifestée.
Les Etats
initial et final demeurent implicites mais peuvent être restitués. Le premier
introduit par feed-back se rapporte à Fama et correspond parfaitement à l'Etat
initial de la Séquence A. Le second se pose, en dépit de la Résolution unique
positive jacquisitionj, comme l'équivalent du premier. Une suite d'importantes
expansions non-narratives liées aux pensées de Fama et aux diverses histoires
des voyageurs se développe après la partie résolutive de la séquence. Relation
piquante des malversations politiques en République populaire de Nikinai, dur
constat d'une certaine pratique socio-politique et naïves réflexions d'un rude
apprenti chauffeur constituent l'essence de ces expansions non-narratives qui
ont pour effet, compte tenu de leur contenu sémantique, de stigmatiser en fait
les nouvelles politiques africaines.
2 -
Dans cette séquence, l'histoire est centrée sur la lutte. On note, dans
la syntaxe séquentielle, une suite logique des actions:
au choix s'oppose un
refus auquel succède une lutte sanctionnée elle-même par l'acquisition de cet
objet choisi. Au plan actoriel, on remarque la réapparition de l'agent central
en Séquence A, Fama, et la disparition de cet autre acteur principal dans les
Séquences B et C, Salimata. Ce mouvement disjonctif est une caractéristique de
l'aspect actoriel du récit global. Nulle part dans les séquences du récit, on
ne note la présence simultanée de Fama et Salimata en tant qu'acteurs.
3 -
On passe, des Séquences B et C démonstratives d'un certain nombre de cas
ou de situations créées par l'état de Salimata, à une séouence-test : si nous
nous en tenons uniquement à l'objet acquis (cf. la voiture, en d'autres termes
l'acceptation forcée du choix de Fama) , nous pouvons affirmer que la séquence
présente a pour fonction d'éprouver la qualité ou plutôt un aspect particulier
de cette qualité de Fama, celui de fils légitime par lui-même considéré comme
prince. L'accession à son exigence apparaît pour Fama comme une reconnaissance
totale de sa légitimité par le délégué du syndicat des transporteurs.

- 36 -
Séquence E
RESUME
INTERACTIONS
MOTIFS
F
D
C
Fama, prince déchu et
(11)
dernier fils légitime des
Doumbouya, est plein de
colère à la frontière où
un bâtard de douanier
12
1
lui interdit le passage
22a
2la EMPECHEMENT par
parce que ne pouvant
l
douanier de Fama
justifier de son identité.
32
t
Ne tolérant pas un tel
23a-42
22a LUTTE de Fama
affront, Fama le somme de
1
contre douanier
se répéter.
33
t
le douanier récidive.
43-24b
2lb
+
34
~
Fama réagit énergiquement.
25b-44
22b
~
35
~
Arrive alors le chef de
45
~ 26
23
INTERCESSION de
+
poste qui calme Fama avec
36
chef de poste
~,
les honneurs.
46

- 37 -
Commentaire
l -
La formalisation de la séquence fait apparaître une cor!espondance assez
stricte ou linéaire entre le discours et le récit. Du point de vue du rapport
discours/récit précisément, cette séquence manifeste par bien de côtés de très
nombreuses simi~itudes avec la séquence précédente, la Séquence D. Ainsi nous
notons l'effacement de toutes les Transformations. Le récit ici est uniquement
construit sur les motifs de Perturbation. Aucune Résolution n'est manifestée.
Les Etats initial et final restent implicites. Leur reconstitution nous semble
aisée à réaliser. L'Etat initial, que nous avons restitué par feed-back comme
dans la Séquence D, se ramène aux propriétés de Fama. Quant à l'Etat final, le
manque ou l'absence même de Résolution incite à dire qu'il équivaut de fait à
l'Etat initial. Aucune expansion non-narrative n'existe à ce niveau.
2 -
L'action principale de la séquence, quantitativement privilégiée au plan
du discours, reste la lutte. Les actions se développent en une suite logique,
et de manière répétitive (cf. 2la et 21b, 22a et 22b) conférant donc au schéma
interactif une allure très complexe, complexité inobservée au niveau du récit
même. Les séquences précédentes avaient présenté l'acteur central Fama tentant
à partir des Perturbations dont il est l'agent de réaliser
seul les diverses
Transformations nécessaires. L'intervention d'un tiers (cf. 23 INTERCESSION de
chef de poste) au profit de ce meme Fama suggère, soit un fléchissement de sa
détermination, soit un durcissement des tâches transformationnelles absolument
nécessaires qu'il lui reviennent.
3 -
La séquence présente demeure relativement pauvre au plan figuratif. Son
interprêtation ou sa lecture correcte nécessite la mise en relief préalable de
l'objet qui motive la double réaction, la tentative de transformation de Fama
que nous constatons. Cet objet est donné au premier degré comme /Passage de la
frontière/. Le discours, cependant, reste plus explicite, lorsqu'il précise
" On calma Fama avec les honneurs et les excuses convenables." (p.I04). Ainsi,
l'objet réel pour lequel Fama lutte est l 1honneur , et dans un certain sens la
reconnaissance de sa légitimité personnelle. Perçue de ce point de vue,
cette
séquence a pour but d'éprouver l'identité de Fama et surtout de faire voir la
tenue ou plutôt l'attitude des autres face au prince déchu.

- 38 -
Séquence F
RESUME
INTERACTIONS
MOTIFS
F
B/D
Au village, Fama le prince
Il
déchu, le dernier légitime
Doumbouya qui a retrouvé
les amis et les siens dont
Balla l'affranchi et
Diamourou le griot de la
cour,
doit assumer ses multiples
21
21
DEVOIR de Fama
responsabilités vis-à-vis
de satisfaction
de la coutume.
à coutume
1
Il paie sacrifices et repas
31
31
PAIEMENT par Fama
et autres commodités
l
de commodités
mais très vite, se retrouve
4 1 - - -.... 22
22
MANQUE par Fama
sans ressources. Balla et
j
de moyens
Diamourou volent à son
secours et paient
32
32
AIDE de Balla et
l
Diamourou à Fama
Et Fama réussit ainsi à
(42 )
41
REALISATION par
satisfaire les uns et les
Fama du devoir
autres.

- 39 -
Commentaire
l -
Le discours, dans cette séquence, entretient une correspondance linéaire
avec le récit. Toutes les fonctions sont discursivement représentées mais pas
toujours exprimées par le récit. Si l'Etat initial est spécifié, et correspond
aux propriétés de Fama, .l'Etat final reste comme dans les séquences analysées
fortement implicites. Restitué de manière dialectique,
il semble se rapporter
à l'ensemble des suites d'état qui ont caractérisé précédemment le personnage
Fama. On note ici de très importantes expansions non-narratives qui occupent à
peu près un espace narratif d'une trentaine de pages. Il s'agit notamment des
révélations de Diamourou le griot et de Balla l'affranchi,
des considérations
du narrateur sur la destinée de Fama. Ces expansions non-narratives tendent à
produire divers effets suivant leur nature. Ainsi les révélations de Diarnourou
le griot, tout en insistant sur les nouvelles conditions de vie, d'existence
sociale des habitants de Togobala, ne sont pas moins un réquisitoire contre le
modernisme et les Indépendances. Les micro-récits relatifs aux grands moments
de chasse de Balla insistent sur la puissance de celui-ci dans les armes et la
magie, construisant ainsi le personnage en vue de son exploitation au plan de
l'Action.
2 -
La séquence est très pauvre en actions. Construite sur le devoir, cette
dernière insiste sur les seuls motifs de Transformation (cf. 31 et 32
dans le
tableau séquentiel). La présente séquence, du point de vue de l'Action, donne
quelques poids à nos observations en Séquence E, sur le fléchissement que nous
avons cru déceler dans la détermination de Fama. En Séquence E, Fama lutte ou
tente de lutter mais, pour pouvoir réaliser les diverses transformations qu'il
souhaite il est secondé. Ici, on note que le motif de Transformation décisive
conduisant à la Résolution final ne relève pas de lui. En fait il reste passif
et seuls prennent en charge le processus de transformation Balla et Diamourou.
3
Nous avons ici une séquence idéologiquement très marquée. Le prince Fama
y est défini comme un être vide, incapable d'assumer ses responsabilités dans
le double sens du procès transformationnel et de la réalité sociale en vigueur
dans la fiction. On se rappelle la saturation thématique de Fama prince, fils
légitime des Doumbouya et propriétaire du Horodougou et la définition de Balla

- 40 -
et Diamourou respectivement comme esclave affranchi et griot. Considérée sous
cet aspect actorie1, la séquence met donc en présence des individus/acteurs de
deux classes sociales différentes entretenant primitivement des rapports très
précis de dominant à dominés. L'aide de Balla et Diamourou (les sujets dominés
à vie) à Fama (le maître) ou plus exactement encore la prise en charge totale
par les sujets du procès transformationnel - sans la participation de l'acteur
Fama lui-même - traduit un renversement du monde traditionnel, bouleversement
immédiat et lointain. Dans l'immédiat, c'est la remise en cause fort pacifique
de l'autorité et de l'ordre des Doumbouya qui s'amorce, avec la participation
involontaire de Fama. Dorénavant, les gouvernés deviennent (contre leur propre
gré) les gouverneurs, si tant il est vrai que gouverner c'est avoir à soi les
moyens appropriés. A plus ou moins longue échéance, c'est toute une conception
de l'organisation sociale qui se dégrade notoirement. De fait, la Séquence F
reste l'expression concentrée et implicite de tout ce qui semble inadmissible,
anormal aux yeux de Fama, et justifie a priori tous ses actes.

- 41 -
Séquence G
RESUME
INTERACTIONS
MOTIFS
F
S
B/D
Fama, le prince déchu et
(11)
mari de Salimata, rend,
en compagnie de son griot
l
Di amourou , une visite de
21
21
VISITE de Fama
courtoisie aux veuves du
aux veuves
défunt Lacina.
1
Epris de Mariam, la plus
31
31
SEDUCTION par
jeune des veuves, Fama
Fama de Mariam
se fait. intéressant aux
yeux de la dame
tout en ignorant
41--+ (20)
20
DECONSEIL de
expressément l'hostilité
t
Salimata à Fama
de Salimata.
(30)
1
Appuyé cependant par
(40) -+22
22
SOUTIEN de Balla
Balla et Diamourou,
!
et Diamourou
32
!
23 ,.
42
•33
il réussit à épouser la
•43
41
MARIAGE par Fama
jeune femme.
de Mariam

- 42 -
Commentaire
1 -
Le rapport discours/récit dans cette séquence manifeste une distorsion à
peine voilée c'est-à-dire sensible. En d'autres termes, il n'existe pas comme
dans les séquences précédentes une correspondance linéaire et, stricte entre le
discours et le récit. Les données servant à expliciter l'attitude de Salimata
(cf. 20, 30 et 40 dans le tableau de la séquence) vis-à~vis du mariage de Fama
et Mariam ont été avancées/précisées déjà par le narrateur depuis le début de
la deuxième partie du texte, et particulièrement depuis le monologue intérieur
de Fama entamé après l'histoire de Sery l'apprenti. Ainsi on l i t : Il Que Fama
marie Mariam après les funérailles et retourne dans la capitale, il était aisé
d'imaginer ce que ferait Salimata : hypocrisie le premier jour elle se vêtira
d'une fausse gentillesse ( ••• ). Elle bramera des chants avec des paroles ( .•. )
Et ça continuera. Une atmosphère irrespirable. La querelle, la colère ••• (cf.
p.94-95). Cette distorsion chronologique dans le discours narratif a pour seul
effet de saturer préalablement le personnage Salimata. On note, d'autre part,
l'effacement des Transformations de la séquence sauf la première (cf. 31 motif
SEDUCTION). Les Etats initial et final restent implicites, mais l'invariation
contextuelle autorise à les rapporter au personnage Fama. La Résolution ici se
manifeste au niveau du discours et non du récit.
2 -
L'histoire, dans cette séquence, est centrée sur le motif /séduction/. A
côté de cette remarque, on peut aussi faire observer que les actions du récit
sont agencées en une suite assez logique, quoique certaines demeurent à l'état
des intentions. Ce second aspect explique par exemple l'emploi occasionnel du
futur tel que dans ce segment du discours : Il Mariam sera sa chose Il ou encore
" Balla contraindra les jeunes gens à ne pas tripoter Mariam." (p.135).
Nous
avons fait observer dans le commentaire de la Séquence D que, nulle part (dans
les séquences du récit), on ne note la présence simultanée des deux individus
du couple Fama/Salimata en tant qu'agents. Le démenti (apparent) que semble en
fait apporter la présente séquence ne se vérifie pas dans la mesure effective
où c'est par feed-back que certaines données ont été restituées.
3 -
La séquence suggère avec le mariage l'idée d'une nouvelle vie sociale et
surtout la possibilité pour Fama le prince d'avoir un héritier. Le vrai rôle,
la place sociale que le narrateur confère plus ou moins explicitement à Mariam

- 43 -
est en ce sens révélateur. Ce dernier prépare, en faisant de la seconde femme
le seul élément humain feminin susceptible de procréer, l'éviction de Salimata
comme élément essentiel, jusqu'ici, dans le processus dynamique de l'histoire
entière. Salimata d'ailleurs, par son attitude négative face au second mariage
de Fama, semble amorcer d'elle-même ce processus de rejet ou d'éviction, mais
dans un autre sens. L'opposition qu'elle fait au mariage de Fama et Mariam, en
même temps qu'elle la pose sur un parcours narratif contraire, opposé à celui
de Fama, inverse son rôle social et actantiel. D'une personne qui semble aider
Fama dans la vie, Salimata passe à une personne qui empêche le prince Fama de
réussir. Ainsi, par son contenu actionnel et actoriel, la présente séquence en
fait diverge d'avec les Séquences B et C apparemment similaires. Ici, on note
la présence fictive de l'agent Salimata qui s'oppose au projet de Fama. Là, on
observe la présence effective de l'agent Salimata qui lutte à tout prix pour
transformer ou améliorer la pénible existence de Fama.

- 44 -
Séquence H
RESUME
INTERACTIONS
MOTIFS
F
C
B/D
Fama que Balla l'affranchi
et Diamourou le griot ont
Il
présenté comme le dernier
Il
légitime Doumbouya, un
diseur de vérité spolié de
la chefferie par les Toubab
caresse selon eux
21
DESIR de Fama de
l'espoir secret de vaincre
victoire sur les
les Indépendances.
Indépendances
Le comité du village
22
OPPOSITION de
informé estime la situation
comi té à Fama
assez grave et décide de
réagir.
Il convoque un grand
32
31
AFFRONT de comité
palabre où Fama subit en
à Fama
silence les affronts divers
j
Soutenu par Balla et
42-23
23
SOUTIEN
Diamourou qui vante le
courage et la fougue de
l
leur maitre,
33
t
Fama sauve sa légitimité et
43
41
CONSERVATION par
entre au comité.
Fama de
légitimité

- 45 -
Commentaire
1 -
La formalisation de la séquence indique une parfaite linéarité entre le
discours et le récit. On note toutefois l'effacement des Transformations, sauf
la seconde (cf. 31 motif AFFRONT). Une seule Résolution, la dernière, demeure
effective. Si l'Etat initial est précisé et correspond essentiellement au seul
acteur Fama, l'Etat final reste quant à lui implicite. Reconstitué de manière
dialectique par rapport à l'Etat initial, il demeure conforme à ce dernier. En
fait, l'Etat final ici semble plus complexe à appréhender que ne le laisse en
vérité supposer notre affirmation précédente. La partie résolutive (cf. 41) de
la séquence définissant de nouvelles relations stables, on est tenté de noter
que l'Etat final correspond au contenu inversé de l'Etat initial. Cependant la
nature même des relations définies en El (cf. prince déchu, spolié ou dernier
légitime etc) et leur im~ossible résorption par la Résolution nous imposent de
faire rapporter l'Etat final à l'Etat initial. Aucune expansion non-narrative
n'est à noter ici. La séquence se conçoit comme le développement des motifs de
Perturbation (cf. 21, 22 et 23).
2 -
L'action centrale, quantitativement privilégiée au plan discursif, reste
l'affront. Ce motif /affront/ est, en fait, la manifestation en surface d'une
double action antithétique. En réalité, un même type d'actions, /affrontement/
(entre Fama et le comité), inversement orienté se produit. Et, il serait plus
juste de parler d'une confrontation. En effet, au programme narratif manifesté
par l'agent Fama s'oppose un contre-programme narratif conduit ou soutenu par
les membres du comité. La confrontation (motif sous-entendu ici) traduit selon
le mot de Greimas, " la structure polémique de la narration" (cf. "Entretien
avec A.J.Greimas", in Structures élémentaires de la signification, p.24). Dans
la séquence, les actions s'organisent en une suite logique.
3 -
Si nous nous référons aux relations établies par la Résolution unique de
la séquence, nous·dirons que celle-ci semble situer Fama entre son passé très
glorieux et son devenir incertain ou mieux, tente de saisir dynamiquement Fama
dans son processus d'intégration au nouveau mode d'existence socio-politique,
culturelle. En ce sens, la Séquence H demeure l'exnression manifeste d'un test
de résistance de Fama aux membres du comité de Togobala. La Rpsolution - que
nous dirons positive - prédispose Fama à une meilleure évolution, au nlan réel
de l'action.

- 46 -
Séquence l
RESUl1E
INTERACTIONS
MOTIFS
F
B/D
Parvenus au quarantième
jour de l'enterré cousin
Lacina, Fama, Balla et
Il
Il
Diamourou
l
annoncent pour le disparu
21
21
PROJET par Balla
1
des funérailles grandioses
!
et Diamourou de
et exceptionnelles.
31
grandes fêtes
!
Mais Fama,. le véritable
22 ....- - - 41
22
MANQUE à Fama de
organisateur de la fête
l
moyens
reste fort démuni.
32
l
Balla et Diamourou, très
42---~ 23
soucieux de la réussite de
~
la cérémonie, apportent à
33
31
DON par Balla et
leur maître des présents
Diamourou de
taurillon
qui permettent d'assurer
1
au défunt des funérailles
43
41
REUSSITE par Fama
exceptionnelles.
des funérailles

- 47 -
Commentaire
1 -
La transcription de la séquence laisse voir une correspondance linéaire
entre le discours et le récit. On constate l'effacement total, dirons-nous, de
la première Transformation ainsi que la troisième Résolution. Comme toujours,
l'Etat final reste implicite, alors que l'Etat initial est précis. Celui-ci se
rapporte aux diverses propriétés de Fama énoncées jusqu'ici. Nulle part, dans
la présente séquence, on ne relève des expansions non-narratives.
2 -
Une seule action véritable est ici présente et/ou accomplie. C'est celle
assumée par Balla et Diamourou, et singulièrement par Balla. Il s'agit du don
(cf. 31 dans le tableau de la séquence). Les motifs des Perturbations et de la
Résolution (cf. /projet/, /manque/ et /réussite/) traduisent à notre avis des
intentions plutôt que des actions. En dépit du caractère intentionnel et assez
hypothétique donc de certaines actions, on peut noter qu'elles sont tenues ou
agencées en une suite logique. Nous avons fait observer que la
Transformation
se ramenait à un seul motif, le don assumé par Balla. Cette prise en charge à
peine voilée du processus transformationnel par un agent autre que Fama est en
elle-même intéressante à remarquer. Tout comme dans la Séquence F, Fama reste
passif accréditant ainsi l'idée déjà exposée d'un fléchissement dans sa propre
détermination ou d'une incapacité totale à transformer les diverses relations
posées par la Perturbation.
3 -
L'épreuve essentielle et implicite qui traverse la séquence et tend à se
manifester plus ou moins clairement dans le motif de la première Perturbation
(cf. 21 PROJET de grandes fêtes) confère à celle-ci une finalité démonstrative
et subséquemment un statut de séquence-test. Il s'agit ici, pour le narrateur
du récit, de démontrer la capacité de Fama à opérer de grandes Transformations
à partir des ressources humaine et matérielle dont il dispose. Cette capacité
on le sait peut être doublement interprêtée suivant que nous accordons plus de
poids à l'action de Fama seul ou sécondé par Balla et Diamourou. Elle demeure
pratiquement nulle dans le premier cas. Cependant en intégrant les deux agents
Balla et Diamourou au procès de Transformation, il est possible de noter avec
assurance que, venant après la Séquence H qui marquait la victoire de Fama sur
les membres du comité (cf. 41 CONSERVATION de légitimité), la Séquence l
(que
nous analysons) confirme le mouvement de crescendo des Résolutions positives a
priori attachées à Fama.

- 48 -
Séquence J
RESUME
INTERACTIONS
MOTIFS
F
plp
P
Fama, prince déchu et
(11)
dernier fils légitime des
Doumbouya,
fomente avec d'autres amis
(21)
21
DESIR de
un vaste complot contre le
!
victoire
président et le parti
31
unique.
j
Ces derniers répriment
41-22
22
REPRESSION
avec violence les émeutes.
1
Fama est arrêté et jugé
32
31
ARRESTATION et
JUGEMENT de Fama
puis incarcéré à la caserne
1
de Mayako. Une grâce
42-23
41
CONDAMNATION par
présidentielle lui permet
1
président et
de recouvrer sa liberté.
33
parti de Fama
l43 42 LIBERATION par
président de Fama

- 49 -
Commentaire
l -
Il existe, du point de vue de leur rapport, une correspondance linéaire
entre le discours et le récit, au niveau séquentiel. Cependant, nous percevons
une légère distorsion dans ce même rapport si nous nous situons un instant au
niveau du récit entier. En effet, certains aspects des données narratives dont
se sert le narrateur pour expliciter la première Perturbation ont étp plus ou
moins nettement avancés déjà dans la Séquence H. Ils correspondent aux données
narratives liées à la première Perturbation (cf. 21 DESIR de victoire sur les
Indépendances). On note l'effacement de toutes les Transformations mise à part
la seconde, et la présence des Perturbations et des Résolutions (cf. 21/22 et
41/42). Les Etats initial et final sont, une fois de plus, implicites. Faciles
à restituer, ils peuvent être considérés comme équivalents, similaires à ceux
relevés dans les autres séquences. Une seule expansion non-narrative semble se
développer dans le discours. Il s'agit des pratiques de divination en vigueur
dans l'Afrique d'avant les Soleils des Indépendances que stigmatise autant que
possible le narrateur. Située sur un axe spatio-temporel autre que celui tenu
par le récit, elle a un effet didactique.
2 -
Le récit, dans cette séquence, est centré sur le jugement et surtout sur
la libération. Au plan proprementactionnel, la Séquence J est l'une des plus
riches et en un certain sens des plus complexes du récit. Une telle complexité
provient, semble-t-il, de la manifestation du double program~e narratif assez
imbriqué que met en relief le narrateur et dont il faut nécessairement prendre
en compte. Les actions-ne sauraient être saisies seulement du point de vue de
Fama, mais des deux points de vue du Sujet et de l'anti-sujet. A une tentative
de transformation par Fama des relations stables négatives définies en l'Etat
initial, les Politiciens modernes opposent une anti-transformation. Il y a ici
comme nous le faisions observer dans le commentaire de la Séquence H et selon
le mot de Greimas, " une structure polémique de la narration" (cf. supra). La
suite des actions demeure toutefois très logique.
3 -
Nous avons indiqué qu'un mouvement de crescendo était amorcé depuis les
Séquences H et l avec les diverses résolutions positives successives des dures
transformations tentées par Fama et ses alliés. La résolution négative totale
de la présente séquence vient briser le mouvement et affirmer la suprématie et

- 50 -
la puissance incontestables des Politiciens modernes (cf. Président et parti)
sur Fama. L'octroi de la liberté à Fama, sans aucune tentative individuelle de
transformation de sa part, est à cet égard éloquant. La Séquence J prépare et
conditionne le contenu narratif de la dernière séquence du récit en mettant en
place toutes les données et aussi tous les éléments dont la totale expression
dans la Séquence K, la séquence finale, assurera la pleine expression du récit
du point de vue de son contenu entier. Ainsi, observe-t-on du point de vue de
l'action, la quasi-neutralisation - nous dirons même la double neutralisation,
la double atrophie - de Fama, due à son emprisonnement et à son vieillissement
ou mieux, à sa dégradation physique. Ainsi aussi, l'irruption massive de tous
les personnages coupables de méfaits contre Fama ou à tout le moins concourant
au maintien du système politique moderne qui l'oppresse (les séquences autres
que celle-ci nous ont habitué à voir évoluer individuellement les éléments qui
sont censés soutenir le système politique moderne. Les Séquences D, E et H du
récit entier par exemple mettaient en scène, respectivement le délégué du SNT,
le douanier et son chef, les membres du comité). Dans la séquence présente, on
note l'intervention non seulement du président et du parti (entendus comme un
ensemble de forces constituées) mais aussi des juges, greffiers, dactylographe
et autres traducteurs.

- 51 -
Séquence K
RESUME
INTERACTIONS
MOTIFS
F
B
G
Fama, prince déchu et
11
dernier fils légitime des
Doumbouya, ancien détenu
politique
lassé par une vie précaire
21
21
DESIR de Fama de
et incertaine menée dans
1
retour
la capitale, décide de
31
retourner à Togobala
1
en dépit de la dissuasion
4 1 - 2 2
22
DECONSEIL de
de son ami Bakary.
~
Bakary à Fama
32
!
Il entreprend le voyage.
23-42
23
VOYAGE de Fama
+
33
~
Mais il se retrouve bloqué
43 - - - - - 24
24
EMPECHEMENT par
au poste frontalier par un
l
garde de passage
douanier qui lui refuse
34
le passage.
1
Outre-passant le refus du
25·..- - - 4 4
25
LUTTE de Fama
garde qu'il invective, il
contre garde
tente une traversée forcée.
1
35
Précipité dans une rivière,
il est blessé par un
1
saurien et meurt avant
45
41
MORT de Fama
d'avoir atteint Togobala.

... 52 -
Commentaire
1 -
La formalisation de la séquence montre une correspondance linéaire entre
le discours et le récit. On note l'effacement de toutes les Transformations à
travers le tableau et la manifestation d'une seule Résolution, la dernière. Le
récit au niveau de la séquence est fondé sur le développement exclusif, total
des motifs de la Perturbation (cf. 21, 22, 23, 24 et 25). L'Etat initial reste
manifeste et se rapporte aux propriétés caractéristiques de Fama.
A la suite
du complot et de la libération cet état initial s'est enrichi. Fama n'est plus
seulement un prince déchu, le dernier fils légitime des Doumbouya ou le grand
diseur de vérité, il est aussi et surtout un ex-détenu politique. L'Etat final
non précisé par le narrateur est, à la suite de la résolution négative totale
(cf. 41 MORT de Fama) , aisément déchiffrable. Il est alors une confirmation de
l'Etat initial. Quelques expansions non-narratives traversent ici le discours
du narrateur. Il s'agit surtout d'une rétrospection de la vie sociale du Sujet
Fama, perçu dans ses rapports avec les autres (cf. Bakary, Salimata, Mariam),
et/ou de sa vie politique, ou de la tranche de sa vie politique passée vécue à
Mayako. Ces expansions non-narratives, prises en charge par le long monologue
intérieur, ont pour effet de montrer la solitude dans laquelle finalement Fama
se retrouve.
2 -
L'histoire, dans cette séquence, est centrée sur la lutte. On note, dans
la syntaxe séquentielle, une suite logique des actions
au désir s'opposent
i
le déconseil (en un premier temps) et l'empêchement (en un second temps). Seul
'1,
le motif de la Résolution (cf. 41 MORT de Fama) semble illogique, quelque peu
i
surprenant du point de vue de sa manifestation dans la syntaxe séquentielle. A
la lutte de Fama dont la finalité est de lui permettre de se frayer un chemin
devrait tout logiquement succéder soit le passage, soit le non passage au plan
de la Résolution. La mort, en intervenant, apparaît un peu comme un phénomène
inattendu.
3 -
La séquence présente est idéologiquement très marquée. La volonté que le
prince déchu, l'ex-détenu politique Fama manifeste de retourner à Togobala la
capitale traditionnelle de la dynastie des Doumbouya traduit son abandon de la
lutte. Le discours qui sous-tend la narration reste, à ce sujet, parfois très
explicite: " Fama partait dans le Horodougou pour y mourir le plus tôt" (cf.

- 53 -
p.193). Une telle attitude de Fama n'est guère surprenante si on considère les
situations difficiles qu'il a endurées dans la Séquence J. C'est surtout avec
la mort que la séquence acquièrt une signification véritable. La mort physique
de Fama, du fait qu'elle élimine définitivement de l'histoire l'un des agents
les plus ,essentiels du récit, met définitivement fin au très long processus de
transformation propre à l'ensemble de ce récit. Conséquemment, l'Etat initial
(cf. prince déchu, dernier fils légitime, ancien détenu politique) en d'autres
termes, les relations stables dpfinies en l'Etat initial se maintiennent très
fermement, et donc se figent en Etat final. L'invariation de toutes propriétés
affaiblissantes de Fama constitue la mort physique impliquée en une mort pure
et simple de l'ordre socio-politique défendu par Fama et en la confirmation de
l'ordre nouveau soutenu par les politiciens modernes.
,,

- 54 -
La transcription et les commentaires des séquences qui précèdent ne nous
donnent pas la clé d'une combinaison cohérente des séquences désarticulées du
récit. Mieux, on assiste, tout au moins à première vue, à une dissémination de
ces séquences dans le texte, séquences dont c~acune prise à part semble alors
construire sa propre clôture. Un tel constat qui découle a priori d'une simple
observation des résultats des formalisations opérées, ne peut cependant avoir
·va1eur d'affirmation. Aussi, à travers la problématique de la logique possible
des séquences posée ici, s'agit-il d'estimer l'homogénéité du récit, à partir
de la saisie du mode particulier de combinaison des séquences.
1.2.2
La logique des séquences
La tentative de mise en évidence de la logique séquentielle prendra ici
appui sur les propositions théoriques suggérées par Brémond d'une part, et par
Genot et Larivai1le d'autre part, propositions dont nous donnons, comme suit,
les grands traits.
Pour Brémond, il existe trois types d'enchaînement séquentiel qui sont:
l'enchaînement bout-à-bout, l'enclave et l'accolement. On note également chez
Genot et Larivaille trois types: les enchaînements bout-à-bout, en parallèle,
et en gourmette. Sans rentrer dans les détails d'une approche comparée de ces
types proposés, nous affirmerons tout de même qu'au-delà de la terminologie un
peu démarcative, une certaine équivalence entre ces types peut être dégagée
à l'enclave correspond l'enchaînement en gourmette, à l'accolement se rapporte
le type dit parallèle, l'homologie entre les types bout-à-bout étant établie.
Ces divers types d'enchaînement sont gouvernés par des lois dont nous en
donnons les principales comme suit :
a) - A l'état final d'une séquence donnée correspond l'état initial de
la séquence qui la suit. Soit formellement
EF de S
= El de S
n
n + ~
b) - Le héros se présente résolument comme l'unique facteur de cohérence
inter-séquentielle.
c) - L'inclusion de séquences reste un moyen adapté de développement du
ou des programmes narratifs spécifiques.
d) - A partir d'un même état initial ou d'une même perturbation commence
le développement successif de parcours narratifs alternatifs.
Les lois a et b définissent l'enchaînement bout-à-bout. Une équivoque, à
la limite susceptible d'émerger à partir du syntagme" bout-à-bout ", si nous

- 55 -
nous attardons sur l'aspect superficiel de l'agencement des séquences ou mieux
sur leur disposition sur l'axe syntagmatique du récit et si la loi a n'est en
fait que partiellement respectée, est à dissiper. En effet, l'encha!nement dit
bout-à-bout diffère d'une suite simple. Ce qui identifie le type bout-à-bout,
c'est surtout la causalité. Lorsque nous disons que
EF de S
= El de S
n
n + ~
nous posons toujours S
ou un de ses aspects narratifs (une fonction
n + ~
par exemple) comme causé par S
ou un de ses aspects narratifs. Comme nous le
n
. voyons, il s'agit donc plus d'une question de logique au plan actionnel que de
chronologie. La loi c construit les types homologues Enclave ou Gourmette. La
loi d gouverne les types homologues Accolement ou en Parallèle. Il convient de
préciser que contrairement aux deux paires de type définies par les lois a, b
et c où on note l'unicité du héros, la paire de type construite par la loi d à
la limite se fonde sur plusieurs concurrents.
Après avoir déterminé le cadre théorique des possibles enchaînements, il
convient de passer à leur application systématique à la suite séquentielle du
texte pour en manifester le type d '.enchaînement, le mode précis de combinaison
des séquences de notre récit.
Vérifions la loi a).
La vérification de cette loi se heurte à ce constat constamment relevé à
travers l'analyse séquentielle: l'absence quasi-totale des El et des EF dans
les formalisations de séquence. Pour pouvoir avancer dans la description, nous
allons tenter de construire dialectiquement ou introduire par feed-back comme
suit, les El et les EF possibles de toutes les séquences. Soit:
.
SA
El
Fama, prince déchu, dans la capitale
EF
Fama, prince déchu, déshonoré et humilié
SB
El
Salimata, épouse de Fama et marchande de riz
EF
Salimata, épouse de Fama et marchande de riz, pillée
Sc
El
Salimata, épouse de Fama et femme stérile
EF
Salimata, épouse de Fama et femme stérile
SD
El
Fama, prince déchu, en voyage
EF
Fama, prince déchu, autorisé à poursuivre le voyage
SE
El
Fama, prince déchu, en voyage
EF
Fama, prince déchu, autorisé à poursuivre le voyage
SF
El
Fama, prince déchu, angoissé par les soucis d'argent
EF
Fama, prince déchu, délivré de ses soucis

- 56 -
El
Fama, prince déchu, amoureux de Mariam
EF
Fama, prince déchu, mari de Mariam
El
Fama, prince déchu, au grand palabre
EF
Fama, redevenu légitime, membre du comité
Fama, légitimé et membre du comité, organisateur
Fama, légitimé et membre du comité, organisateur heureux
Fama, légitimé et membre du comité
Fama, condamné politique puis citoyen libre
El
Fama, ancien prisonnier politique
EF
Fama, tué par un saurien
Ainsi se présentent les El et les EF séquentiels. En appliquant à ces El
et EF la formule algébrique
EF de S
= El de S
nous constatons en fait
n
n + ~
que seul l'état initial de SE correspond grosso modo à l'état final de SD· Cet
unique cas peut se traduire autrement . seul l'EF de SD = El de SE. En dehors
de ce cas isolé, la loi a ne se vérifie nulle part.
Considérons maintenant la loi b).
Le héros, que nous assimilerons ici sans démonstration préalable à Fama
ou plus précisément au personnage principal, demeure présent dans plusieurs de
nos séquences. Discursivement mieux pris en charge par le narrateur/locuteur,
il travers le récit d'un bout à l'autre. Cenendant, on note son absence totale
dans les Séquences B et C, d'un point de vue proprement narratif (cf. absence
en tant que acteur). Dans ces deux séquences qui manifestent du point de vue à
proprement parler actoriel une désolidarité apparente avec le reste du récit,
la focalisation de la narration siopère sur Salimata. Ce centrage narratif sur
un autre acteur que nous dénommerons, provisoirement, " substitut narratif du
héros" montre que l'enchaînement des séquences d'après la loi b n'est en fait
que partiel. Autrement dit, la loi b ne gouverne pas la concaténation logique
de l'ensemble des séquences narratives.
Ainsi, les lois a et b que nous venons de soumettre à l'analyse du récit
et de son mode de succession séquentielle détruisent-elles l'hypothèse totale
d'un enchaînement de type bout-à-bout des séquences. En effet, au regard de la
causalité à la fois motivante et organisatrice dont nous venons de parler, il
convient mieux de dire qu'il y a ici une suite séquentielle simple, puisque la
grande caractéristique des séquences du texte reste leur possible mobilité en

- 57 -
tout point de It axe syntagmatique du récit. Le poste qu'occupent les diverses
séquences en général semble modifiable à volonté. Ainsi, rien véritablement ne
s'oppose apparemment à"ce que la SA se place entre les Sc et SD' ou que la SH
s'insère entre les SI et SJ etc.
Ces perturbations dans l'ordre séquentiel du
récit, s'ils venaient à se produire, n'affecteraient en aucun cas la logique,
ou l'intelligence narratives.
Observons à présent les lois c et d.
Il semble d'ores et déjà inutile de les appliquer aux onze séquences. En
effet, celles-ci n'ont aucune expression véritable dans la suite séquentielle
qui nous occupe. Bien entendu, au niveau local (au niveau intra-séquentiel) un
certain nombre d'inclusions ont été relevées. En Sc nous avons montré que par
rapport au programme narratif initial qui était la consultation ou la quête du
savoir, la tentative du marabout d'abuser de Salimata apparaissait comme fait
micro-séquentiel servant à déterminer le contenu de la partie résolutive visée
par le programme narratif initial. A un niveau supérieur, celui du récit, ces
diverses manifestations d'inclusions n'existent pas.
Ni enchaînement bout-à-bout, ni enchaînement en parallèle/accolement, ni
enchaînement en gourmette/enclave, le récit est une suite immotivée, du moins
en apparence, de onze séquences sans lien de causalité. On peut affirmer alors
avec Todorov que" la logique narrative est battue en brêche, tout au long du
récit." (cf. Poétique de la prose, p.75).
La question reste donc de savoir si
notre texte développe un récit dé construit , voire incohérent ou simplement un
assemblage de données narratives hétéroclites, et si à la limite il demeure un
récit. La question est de grande importance car comme l'écrit Brémond, " tout
récit consiste en un discours intégrant une succession d'événements d'intérêt
humain dans l'unité d'une même action." (cf. " La logique des possibles •.. ",
in Communications 8, p.62).
On ne saurait mieux le montrer, notre texte intègre bien une succession
d'événements d'intérêt humain. Il relate avec force intensité toute l'histoire
d'un homme et les temps forts qui la rythment. De plus, le personnage central
nommé ici" héros du récit" est appréhendé à travers ses multiples actions ou
ses nombreux déplacements. Il y a alors un récit, mais un récit dont nous ne
sommes guère convaincus de l'unité actionnelle et de la logique narrative. Des
chemins nouveaux restent à explorer. Ayant tenté en vain de déterminer par le
jeu des possibles enchaînements l'organisation logique du récit, nous sommes à
la fin réduits à une seule hypothèse: voir si les séquences ne se réduisent,
ne se ramènent pas à une macro-séquence narrative définie par un schéma global
synth0tisant toutes les informations d'ordre narratif.

- 58 -
1.3 : La macro-structure narrative :
Les développements du sous-chapitre précédent nous ont, en tout état de
cause, convaincus de la difficulté, de l'impossibilité même de rendre compte à
ce niveau de l'analyse de la structure logique de notre récit par le biais du
jeu des possibles enchaînements. La nécessité de résoudre néanmoins cet énorme
problème nous emmène à envisager le schéma narrat·if global.
1.3.1 : Un schéma défectif
Construire le schéma narratif, dans le cas d'un récit multi-séquentiel,
c'est ramener l'ensemble des schémas séquentiels déterminés à un schéma global
dont on tentera progressivement de découvrir soit par déduction logique, soit
par construction dialectique les divers composants fonctionnels (cf. El, P, T,
R et EF). S'agissant de notre schéma global possible à construire, on perçoit
d'ores et déjà un composant fonctionnel facile à préciser. C'est la Résolution
que, par concision, nous notons R.
Considérons la partie résolutive de la dernière séquence.
Les relations stables qui s'établissent dans cette séquence K traduisent
la mort du personnage central, nommé héros ou supposé tel. Le contenu profond
de R est donc /mort du héros/. Soyons plus explicites.
Au plan théorique, dans tout programme narratif donné considéré selon le
mot de Greimas, dans sa " structure polémique" c'est-à-dire, du point de vue
des interactions du héros et de l'anti-héros, la mort du premier est ressentie
le plus souvent comme le but recherché par le dernier. A l'inverse la mort du
dernier semble être le souhait permanent du premier. Dès lors, se déploient en
ces seules fins toutes les actions du récit. Mais, il arrive heureusement que
cette mort ne soit pas envisagée ou attendue par les acteurs. Il n'empêche pas
moins qu'elle demeure un possible narratif capable - si elle intervenait - de
modifier ou tout au moins d'influencer de manière positive ou négative donc la
fin de tout récit. Pour nous ici, la mort à valeur positive serait celle qui,
intervenant, engendre une fin heureuse du récit dans l'optique particulière du
h~ros. La mort à valeur négative assure le contraire.
Comme on le voit, la mort de tout héros pendant la résolution finale du
programme narratif donné se pose en contenu de la partie résolutive principale
de tout le récit, impose la fonction /Résolution/. A partir de ce qui précède
nous pouvons affirmer que la mort de Fama, tout en mettant fin à l'action très

- 59 -
précise que ce dernier accomplissait dans la séquence finale (cf. Séquence K)
marque aussi la fin négative du développement du programme narratif global. La
Résolution de SK peut et doit être considérée, dans ces conditions, comme une
résolution globale formulable en motif narratif tel que /mort du héros/. Mis à
part celui-ci, un autre composant fonctionnel ~u schéma narratif global reste
tout à fait possible à construire. Il s'agit de la fonction /Transformation/ à
travers laquelle tout récit, de notre point de vue, PTend sa forme dynamique.
Considérons l'ensemble des onze séquences.
A ce niveau général, nous pouvons faire deux observations: l'une sur le
second paragraphe des commentaires séquentiels et l'autre sur l'enchaînement
des séquences dans le récit. Dans le second paragraphe des commentaires de nos
onze séquences, nous avions montré que le récit est centré sur /lutte/, motif
traduisant principalement à travers nos commentaires de séquences, la fonction
/Transformation/. D'autre part, la recherche d'un type spécifique de suite ou
d'enchaînement séquentiel aux fins de dégager la structure logique a conduit à
constater que notre texte objet apparaissait comme le développement récurrent
de séquences de contenu différent n'entretenant aucune homogénéité du moins en
apparence.
A partir de ces deux observations, on peut dire que le texte étudié est
le développement récurrent de séquences à finalité transformationnelle. Or par
déduction logique, toute suite de transformations engendre une transformation.
Dès lors, nous sommes autorisé à ramener à une seule fonction /Transformation/
toutes les suites de transformations manifestées dans le récit, fonction dont
nous ne nous préoccuperons guère de déterminer à ce niveau de notre analyse le
contenu narratif.
Il est à présent possible d'opérer la synthèse des fonctions dégagées et
de donner une représentation du schéma narratif global. Si par abstraction ou
réduction le récit est ramené, comme nous venons de le réaliser, à la séquence
narrative unique souhaitée et dont le modèle de référence a été posé ailleurs
cette séquence narrative alors décrit un schéma formulable ainsi :
S
=
T
+
R
où S représente le schéma séquentiel construit, T la fonction /Transformation/
et R la fonction /Résolution/.
Comparons le schéma de référence (noté S ) et le schéma construit (noté
o
Sct)' donnés comme suit en formules algébriques:

- 60 -
S
El+P+T+R+EF
o
=
=
T + R
On note, par rapport au So' l'effacement en Sct de trois fonctions, les
deux premières (cf. Etat initial, Perturbation) et la dernière de ce schéma de
référence (cf. Etat final). Seules apparaissent dans notre schéma "construit"
les deux fonctions principales, la Transformation et la Résolution. Ainsi, par
rapport au modèle quinaire, le récit manifeste un schéma général lacunaire et
défectif.
Cette défection du schéma rend, quand bien même le contenu narratif des
deux fonctions présentes serait donné, presqu'impossible la lecture logique du
texte. De plus, elle pose à nouveau un certain nombre d'interrogations tout à
fait essentielles auxquelles nous n'avons pu apporter,
jusque-là, des réponses
satisfaisantes. Est-ce à dire que le modèle choisi est impuissant ici à dire,
à rendre compte de la logique du récit? Notre texte se manifesterait-il, même
en structure profonde, imparfaitement? Le narrateur serait-il incompétent ou
insuffisant ?
Bien entendu, il y a naturellement des séquences incomplètes. On est en
droit d'affirmer avec Van Dijk - qui use d'autres concepts pour traduire à peu
près les mêmes réalités narratives que nous - que
" les superstructures n'ont pas toujours une structure
normale ou canonique telle qu'elle est définie par les
règles. En pratique, certaines catégories peuvent être
11
(par
d'un Récit)
f
omises
exemple la Morale
ou l'ordre
d'apparition de certaines catégories peut être modifié
Ce genre de transformations se
présente surtout
dans
les textes littéraires." (cf. Le texte: structures et
fonctions, in Théorie de la littérature, p.??).
Nous avons pu observer à travers le premier paragraphe des commentaires
de séquences le caractère implicite de certaines fonctions et particulièrement
des Etats initial (El) et final (EF). Mais, au niveau même de ces incomplètes
et lacunaires séquences, il était possible de réintroduire dialectiquement les
fonctions manquantes. Cette opération de réintroduction, tentée avec toute la
volonté nécessaire, devient ici difficile et cela pour deux raisons : le récit
est ramené à une séquence unique, ce qui le dépouille de tout contexte précis
susceptible de l'expliciter, d'une part. D'autre part, situés encore au niveau

- 61 -
formel, nous ne connaissons pas avec exactitude le contenu de chaque fonction.
Nous savons que Fama tente une série de transformations. Mais en fait quel est
le contenu inversé en El qu'il veut transformer? Quelles sont réellement, au
plan du contenu, les nouvelles relations stables définies en EF et quel est le
facteur perturbateur qui pousse Fama à l'action? Les incertitudes véritables
que cachent mal ces interrogations essentielles défient tout pronostic sur les
fonctions manquantes, et par là empêchent pratiquement de les réintroduire de
manière dialectique dans le schéma construit.
Si tant est que les fonctions manquantes bloquent une lecture logique du
récit, il convient alors de saturer le schéma en dépassant la conception d'un
enchaînement et même d'une structure de l'Action telle que nous l'appréhendons
au niveau superficiel pour l'envisager dans un cadre macro-structurel.
Notons que le concept de macro-structure renvoie chez Kintsch 1 Van Dijk
(cf. Langages 40, p.101) à la "structure de signification globale d'un texte"
donc au contenu sémantique. Nous utilisons ce terme dans une acception quelque
peu différente, là où précisément Van Dijk seul parle de "superstructure" (cf.
Le texte: structures et fonctions, p.76), et le pensons comme une structure à
la dimension du texte qui manifesterait" l'articulation interne globale" du
discours particulier qu'est le récit.
Dans la recherche de la structure logique du te~te objet notre attention
s'est porté jusque-là sur le récit en tant qu'Action assumée par Fama et tout
le clan des nouveaux pouvoirs. Ce faisant, nous avons délibérément négligé les
unités narratives qui n'entraient pas dans le cadre strict de l'histoire, dès
lors qu'elles se situaient sur un axe spatio-temporel non-conforme à celui sur
lequel l'Action se déroule. Une telle attitude indispensable à une analyse un
peu soucieuse d'éviter la trop grande généralisation nous a fait déboucher sur
un schéma inexploitable. S'agissant de saturer notre schéma narratif défectif
nous nous intéresserons ici à une unité narrative particulière, la U
qui est
17
aussi dénommée Ile mythe de la création de Togoba1a/, dont l'analyse ouvrira,
croyons-nous, de nouvelles voies d'accès au schéma susceptible de favoriser la
saisie totale du texte.
1.3.2
Le mythe de la création
" Le mythe de la création ", discursivement, est un segment du texte qui
part de la page 99 (cf. " A l'heure de la troisième prière ... ") à la page 102
(cf. " Peur de sa peur "). Il se rapporte à la génèse de la puissante dynastie

- 62 -
des Doumbouya. Comme unité narrative déterminée par la grande décomposition ou
segmentation textuelle, il appartient à la classe des Coagulateurs (du récit)
et à la sous~classe des Explicatifs. Dix-septième unité narrative du discours,
ce segment sera considéré ici comme un récit autonome, pour les besoins de la
démonstration. Par souci d'économie, nous n'en ferons pas une analyse vraiment
raffinée. Nous nous bornerons à en extraire les informations attendues.
Commençons d'abord par construire le schéma du mythe.
La construction du schéma narratif, en général, impose à l'analyste deux
démarches préalables de type déductif: d'une part, la réduction des diverses
informations textuelles (cf. le résumé), et d'autre part la formulation de ces
informations minimales en motifs. En nous appuyant sur les règles des résumés
de texte proposées par Kintsch / Van Dijk (cf. Langages 40, p.105), améliorées
par Genot et Larivaille (cf. Analyse et Indexation, p.8 et 22) mais aussi par
Adam (cf. Langue française 38, p.107-108) , et en négligeant volontairement ici
la procédure d'analyse, nous pouvons donner comme suit le résumé du mythe:
" Annoncé depuis longtemps, Souleymane arriva un vendredi à Toukoro.
N'ayant pu être reçu par le chef,
il alla fonder entre deux terres
Togobala. Le village connut un rayonnement total. Et la conquête du
pays par les Malinkés permit, avec l'octroi du pouvoir à Bakary, de
doubler la prépondérance culturelle
et religieuse d'une légitimité
politique.
Vinrent alors la colonisation
et les Indépendances qui
partagèrent le Horodougou."
Le texte réduit du résumé met en exergue, et sur un axe temporel unique,
celui de l'Histoire de la dynastie des Doumbouya, trois principaux agents ici
disjoints, accomplissant des fonctions restreintes. Ces agents successifs dont
Souleymane d'abord, Bakary ensuite, et la colonisation liée aux Indépendances
qui ont suivi enfin, déterminent trois mouvements actionnels qui engendrent le
groupe de motifs narratifs suivant :
a) - FONDATION
par Souleymane de Togobala
b) - ACQUISITION par Bakary de légitimité politique
c) - DESTRUCTION par colonisation et Indépendances de Togobala
A partir d'une telle réduction, le schéma narratif du mythe semble aisé
à construire. Dans ce cadre de pensée, nous commencerons par la découverte ici
de l'Etat initial qui se dessine sous les deux premiers motifs.
Le premier motif, /Fondation/, convertit l'agent Souleymane en fondateur
de Togobala. Le second motif, /ACquisition/, pose l'agent Bakary en acquéreur

- 63 -
de la légitimité politique. A travers les syntagmes /fondateur/ et /acquéreur/
on voit se profiler l'Etat initial. Allons cependant plus en profondeur.
En considérant les deux premiers motifs du point de vue sémantique, nous
noterons que ./Acquisition/ est une amplification/expansion de /Fondation/ dès
lors qu'il complète, par l'introduction du sème /légitimité/ le lent processus
de la fondation de la dynastie. A partir de cette complémentarité, les motifs
/Fondation/ et /Acquisition/, apparaissant ici comme les étapes d'une seule et
unique action, peuvent être reformulés en un macro-motif noté /Construction/.
Ce macro-motif transforme Souleymane et Bakary en fondateurs de la dynastie du
Horodougou. De ce qui précède, on peut déduire que l'état initial du mythe de
la création de Togobala s'énonce /dynastie fondée par Souleymane et Bakary/.
Nous venons de voir à l'instant même que la conjonction des deux motifs
/Fondation/ et /Acquisition/ engendrait un macro-motif noté /Construction/. Si
nous considérons le dernier motif restant, /Destruction/, par rapport à notre
macro-motif, nous constatons qu'il lui est opposé. La destruction, qui vient à
la suite de la fondation et de l'acquisition de la légitimité, désorganise la
dynastie. En termes narratologiques, nous dirons que la destruction modifie la
ou les relations stables définies par le macro-motif /Construction/ et posées
dans l'état initial que ce dernier construit. Le motif /Destruction/ obéissant
aux principes de la fonction /Perturbation/ du modèle séquentiel est alors un
motif de /Perturbation/, fonction qu'il sert à manifester.
La formalisation du mythe engendre donc le schéma suivant
S
=
El
+
P
où S représente le schéma du mythe de la création, El l'état initial, et P la
perturbation subie par la dynastie.
Comparons rapidement le schéma de référence (noté S ) et le schéma de ce
-
0
mythe de la création de Togobala (noté S ), manifestés comme suit en formules
m
algébriques
S
=
El + P + T + R + EF
o
S
=
El + P
m
On note d'emblée, par rapport au schéma du modèle quinaire, l'effacement
de trois fonctions essentielles : la Transformation (T), la Résolution (R) et
l'Etat final (EF) par lesquelles tout récit prend sa valeur réelle. Seules les
fonctions généralement secondaires et implicites, l'El et P, sont manifestées
par le schéma du mythe. Ce dernier est donc incomplet, lacunaire et défectif à

- 64 -
la manière du schéma du récit.
Cette défectuosité même, dans la situation du schéma du mythe, constitue
un problème sérieux, du moins au plan théorique. Nous avons démontré ailleurs
(cf. § 1.3.1) la possibilité naturelle qu'ont les séquences - et conséquemment
les schémas de séquences - de demeurer incomplètes, lacunaires ou défectives.
Cette possibilité reste valable pour les récits dits intelligibles. Cependant,
" paraissent rebelles à tout essai de légitimation les cas où, de
deux fonctions dont l'une implique logiquement l'autre,
seule la
première est donnée." (Brémond : Le message narratif, Com.4 p.24)
Dans le cas du schéma du mythe de la création de Togobala, la fonction P
c'est-à-dire /Perturbation/ (que convoque ici le motif /Destitution/) devrait
logiquement impliquer la fonction T c'est-à-dire /Transformation/ et, au-delà,
les autres fonctions. Et pourtant, il n'en est rien. Le récit du mythe reste,
sous la fo~me que nous lui connaissons et par rapport à l'affirmation suggérée
précédemment, difficile à légitimer, à moins qu'il procède par dissimulations
des fonctions effacées. Car les effacemen~s manifestés ici ne peuvent s'opérer
sans laisser dans le discours narratif des indices capables de faciliter leur
résolution, au risque de voir le récit" mourir" par incohérence de contenu à
la fois syntaxique et sémantique. Ainsi donc, le type d'effacement imposé par
le discours narratif du mythe incite à croire que les fonctions manquantes que
nous évoquons restent de toute évidence dissimulées dans le récit entier.
Observons maintenant le schéma du mythe (noté S ) et le schéma construit
m
(noté Sct)' repris comme suit en formules algébriques:
ri
S
=
EI+P •••••.•.••••
m
f,
T + R ••••
Sct =
Nous remarquons que les fonctions de S
s'achèvent sur la Perturbation,
m
étape ultime dans le développement du programme narratif propre au mythe d'une
part, et d'autre part que les fonctions de Sct commencent par cette
fonction
principale qu'est la Transformation, fonction entamant ici le développement du
programme narratif correspondant au récit global textuel. Au regard du schéma
de référence, Sm et Sct manifestent une compatibilité formelle. La conjonction
de ces deux schémas donnerait, si elle est entreprise, un schéma uniQue, tout
à fait cohérent du point de vue de l'agencement syntagmatique des fonctions de.
manière globale. Nous constatons en outre que le schéma du mythe de Togobala,
en ne manifestant que l'Etat initial et la Perturbation, reflète bien la phase
préparatoire ou l'amorce d'un récit à développer ou en développement mais non

- 65 -
raconté par le narrateur. C'est précisément, on s'en souvient, une telle phase
qui échappait au schéma narratif global.
Ainsi, au niveau strictement formel, le mythe semble disposer des divers
aspects narratifs indispensables à une lecture logique du récit global. Comme
les éléments dont nous disposons le montrent, il y a une possibilité théorique
(qui reste à vérifier) de conjoindre les deux schémas construits jusqu'ici et
par là de tenter d'atteindre la macro-structure narrative.
1.3.3 : Le schéma narratif complexe:
La construction du schéma narratif complexe, que nous définissons comme
la résultante du schéma narratif global et du schéma du mythe, ne se réalisera
pas ici suivant la procédure classique de construction d'un schéma narratif a
priori uniforme. Il ne s'agit pas de découvrir les diverses fonctions rentrant
dans la structuration syntagmatique des deux récits que les deux schémas nous
livrent déjà, mais de vérifier la conjonctibilité et/ou la compatibilité entre
les deux schémas construits du point de vue de leur cohérence disons formelle,
actorielle et actionnelle.
La cohérence formelle étant établie par les observations précédentes sur
le schéma du récit global et le schéma du mythe, les descriptions qui suivent
se préoccuperons des seules cohérences a9torielle et actionnelle. La cohérence
actorielle entre les deux récits doit, pour être vérifiée, reposer de manière
absolue sur l'identité des principaux acteurs. La cohérence actionnelle, quant
à elle, se fondera sur la proximité des deux contenus narratifs.
Dans la séquence unique construite du récit c'est-à-dire dans l'ensemble
des données narratives textuelles organisées en une macro-séquence narrative,
le héros (comme nous nous sommes proposé de le nommer surtout) est Fama. Celui
ci y est présenté comme un fils légitime et un descendant des Doumbouya. Dans
le récit du mythe, Souleymane et plus tard Bakary se présentent successivement
comme les héros. Souleymane est présenté comme l'ancêtre fondateur de la plus
grande dynastie du Horodougou, et Bakary comme son descendant. On observe donc
que, de Souleymane à Famaen passant par Bakary, les héros individualisés par
ailleurs appartiennent tous à une lignée commune. Distincts en tant qu'acteurs
ou agents, Souleymane l'ancêtre, Bakary puis Fama les descendants de celui-ci
se résorbent en notre esprit en un actant que nous désignerons par le syntagme
Iles Doumbouya/. De manière totale, la cohérence actorielle des deux types de
récit se confirme. L'actant doit pouvoir assurer aussi l'unité des actions qui
lui sont assignées.

- 66 -
Nous avons .montré que l'Action de la macro-séquence construite, résultat
d'une réduction substantielle et d'une formalisation complète des actions des
séquences, était /tentative de transformation/ (d'une situation spécifique non
précisée), une tentative qui a abouti à la mort de Fama le dernier descendant
des Doumbouya. Dans 'le mythe dominaient deux actions : la construction par les
Doumbouya (Souleymane puis Bakary) et la destruction par la Colonisation puis
les Indépendances de la dynastie de Togobala. Les actions et dans une certaine
mesure les événements de la macro-séquence et du mythe restent conjugables en
une Histoire unique, celle des Doumbouya à Togobala. Ces diverses actions, ces
événements entretiennent des rapports très étroits, parfaits, et logiques : à
une construction succède une destruction systématique qui provoque, résolument
d'ailleurs, la réaction du possesseur de l'objet détruit. Celui-ci tente, par
une série de transformations, de reconstruire cet objet détruit. Mais la nette
et farouche détermination de ceux qui s'opposent à cette vaste reconstruction
le pousse à la mort. Ainsi, peut-on formuler de manière nette et cohérente les
données actionnelles des deux types de récits.
La cohérence formelle, actorielle et actionnelle du récit entier avec le
mythe étant définitivement établie, il existe à présent une large possibilité
de conjoindre en un schéma narratif complexe, expression totale et parlante de
la macro-structure narrative textuelle, ces pans du discours narratif ainsi

- 67 -
AVANT
E.I ·
Dynastie fondée par Souleymane puis
·
(équi libre)
Bakary le descendant des Doumbouya
à Togobala.
PENDANT
P
· Destruction par Colonisation et
·
(processus
Indépendances de la dynastie des
dynamique)
Doumbouya à Togobala.
T
:
Tentative de reconstruction par
Fama de la dynastie des Doumbouya
détrui te.
R
:
Mort du héros Fama
APRES
E.F :
Dynastie des Doumbouya non
(équi libre)
reconstruite.
Formellement, le schéma narratif complexe auquel nous sommes parvenus ne
contredit pas le schéma narratif global du récit. Plutôt, il l'explicite très
bien en l'élargissant, dévoilant ainsi une sorte de partition du récit entier,
global en deux récits complémentaires frappés par les catégories
/englobant/
et / englobé/.
En effet, le schéma narratif complexe montre une articulation cohérente
et logique du récit, mais une cohérence et une logique absentes disons au plan
de la manifestation de surface. A ce niveau, seule une partie de ce qu'il est
bon de nommer ici le macro-récit (ensemble des données narratives large duquel
se dégagent les deux sous-ensembles qui ne sont rien d'autre que les récits à
travers lesquels se manifestent l'histoire de Fama et le mythe) est totalement
prise en charge par le discours narratif. Le discours trahit de façon notoire
le récit. En d'autres termes, il n'existe pas de correspondance entre Discours
et Récit.

-~-
Nous avons cru déceler dans les commentaires de séquences, précédemment,
une correspondance entre Discours et Récit. Sur un plan général cependant, une
telle correspondance n'existe pas. Le narrateur n'organise pas son récit. Cet
ultime rôle - celui d'organisateur des données déjà proposées -, il le confie,
tout naturellement d'ailleurs, à son lecteur. On notera surtout que ce savant
décalage entre le discours et le récit n'est pas particulier à notre texte. La
narration et notamment la narration dans les textes littéraires écrits, comme
celui que nous étudions, développe généralement un certain nombre de traits ou
de caractéristiques narrativiques dont l'implicite de certaines fonctions. Ce
qui est remarquable dans le cas de notre texte, c'est surtout la dimension que
cet implicite acquièrt. De fait, la saisie effective de l'intrigue n'est donc
possible qu'à un niveau très profond, un niveau que l'actuelle analyse ne peut
atteindre qu'en se réalisant par paliers.
Du point de vue du contenu, nous pouvons affirmer sur la base du schéma
narratif complexe auquel nous sommes parvenus et de la partition du récit dont
nous avons fait état ci-dessus que notre texte-objet est la relation complète
de l'Histoire d'une dynastie, celle des Doumbouya à Togobala, appréhendée dans
son évolution à travers le temps : construction progressive par Souleymane le
fondateur et Bakary son descendant, destruction systématique par les Colons et
les Pouvoirs modernes dits Indépendances et tentative de reconstruction de ce
régime, de ce modèle politique par le dernier des fils Doumbouya, c'est-à-dire
Fama le prince déchu.
Ce contenu situé en structure profonde est pourtant réduit en structure
de surface. A ce niveau, et à la faveur de l'opposition binaire /englobant/ vs
/englobé/ frappant le récit global et le mythe, ce sont les derniers jours de
la dynastie, sa très lente agonie, qui nous sont contés par le narrateur. Tout
entièrement ramenée à un drame personnel que vit Fama, cette longue agonie se
révèle à travers un certain nombre de tests négatifs :
- test de la noblesse et du degré d'honneur rendus par les autres
(cf. Malinkés de la capitale, Représentants de l'ordre nouveau)
au prince en SA ou en SD' et qui finit malheureusement par tant
d'humiliation,
test de la légitimité du prince et du degré d'adhésion possible
à l'ordre politique traditionnel qu'il défend, et qui débouche,
hélas!, sur le constat d'une influence amoindrie due au nombre
des systèmes politiques existants,

- 69 -
test de bonne résistance de l'ancien ordre au nouveau institué,
et qui s'achève par une victoire éclatante et totale du dernier
sur le premier en SR et en SJ.
Ainsi, le prince déchu reste vaincu sur tous les fronts: front social,
économique, et plus spécialement politique. On comprend dès lors la dimension,
le sens historique de sa mort, de sa fin pathétique que seuls les animaux, et
les oiseaux sauvages réussissent à déchiffrer :
" Et comme toujours dans le Horodougou en pareille circonstance, ce
furent les animaux sauvages qui les premiers comprirent la portée
historique du cri de l'homme, du grognement de la bête et du coup
de fusil qui venait de troubler le matin"
(p.200).
Nous venons de nous pencher longuement sur les fonctions narratives dans
le sens d'une définition homogène de l'intrigue du récit que nous avons assez
bien définie comme une tentative de transformation manquée. Ce faisant surtout
la logique du récit sous-tendant la structure narrative manifestée se dévoile
aisément à nos yeux. Nous ferons toutefois remarquer que les événements et les
actions divers que nous avons été amenés à organiser et plus particulièrement
les fonctions que nous avons converties progressivement en motifs susceptibles
de conduire à une formalisation plus poussée des objets narratifs ne sont pas
des données en soi, isolées, qui auraient une existence propre. Les événements
et actions, en tous les cas, se rapportent à des personnages.
Ce concept de personnage voit à travers les propositions et les analyses
critiques récentes s'élargir son champ notionnel et dessine ainsi grosso modo
r
deux perspectives : en tant que simple figure du discours déterminée nettement
par divers traits apparemment épars il sera entendu comme un individu humain,
et en tant que participant d'un projet narratif quelconque il pourrait dans ce
cas surgir comme un individu humain autant qu'un animal, un objet quelconque,
une force naturelle (vent, cours d'eau etc), capables de réactions volontaires
ou involontaires.
En essayant de nous situer dans cette double perspective qui autorise en
fait une double saisie du personnage, du point de vue de ses divers traits de
définition ou plus simplement encore de ses qualifications d'une part et de sa
position particulière au plan narratif d'autre part, nous allons à travers le
chapitre suivant définir extensivement les personnages mis en mouvement par le
texte.


- 71 -
Chapitre Il
Les personnages
conservateurs et progressistes
2.1
Les fonôtions
2.1.1
Les rôles
2.1.2
Les groupes de rôles
2.1. 3
Les actants
2.2
Les qualifications
2.2.1
Définition des acteurs
2.2.2
Les classes de personnages
2.3 .: Le système des classes
2.3.1
Les classes et leurs rapports
2.3.2
Les relations entre actants
2.3.3
Des qualifications aux fonctions

- 72 -
Ces soleils sur les têtes, ces politiciens,
tous ces voleurs et menteurs, tous ces déhontés,
ne sont-ils pas le désert bâtard où doit mourir le
fleuve Doumbouya ? (p.99)

- 73 -
Après avoir étudié dans le chapitre qui précède la catégorie du récit la
plus immédiate - celle des actions - nous nous proposons de construire ici le
système particulier des personnages. Seront dits If personnages du récit" dans
les développements qui suivent, et conformément à l'élargissement substantiel
de leur champ conceptuel par la narratologie à l'heure actuelle, les individus
ou les êtres humains autant que les choses qui contribuent en quelque manière
à l'Action. Le parti pris méthodologique qui est le nôtre dans une telle étude
impose que nous précisions la démarche à suivre.
Nous procèderons en un premier temps à une conversion totale des figures
actorielles en rôles. Le présupposé suspect qui sous-tend un tel procès vient
ou découle de la variété de sens qu'acquiert le personnage à travers le récit,
variété de sens qui ne sera uniformisée qu'à la fin du récit, et conformément
à l'axiologie de ce dernier. Convertir les personnages en rôles, c'est choisir
un point de vue à partir duquel ils sont susceptibles d'une mise en relation,
ou en rapport. En fonction des diverses relations qu'ils entretiennent presque
nécessairement, nous réduirons ces rôles à un petit nombre de classes de rôle
qui, investies des rôles narratifs précis qu'impose la nature des relations ou
des rapports, ne sont rien d'autre que des actants.
En partant du fait que la fonction narrative n'est jamais le seul trait,
la seule caractéristique définitoire du personnage à travers le texte narratif
en général, nous tenterons d'appréhender les acteurs textuels en nous fondant
sur leurs principales qualifications. Autrement dit, en suivan~ no~re ~ex~e de
manière progressive, nous essayerons de découvrir les divers éléments de sens
qui caractérisent les personnages pour en dégager les " axes sémantiques If les
plus essentiels (cf. Hamon: If Statut sémiologique .•• ", in Poétique du récit,
p.129) par lesquels ils seront organisés.
Tout système étant fondé sur l'ensemble des éléments ou encore de toutes
les classes d'éléments qui le constituent, considérés tout naturellement dans
leurs relations, la dernière orientation des développements à venir consistera
surtout en une mise en rapport des classes décrites et en une analyse de leur
mode de fonctionnement. A ce niveau, nous nous efforcerons au mieux de dire la
signification qui ressort de la structuration textuelle des personnages.

- 74 -
2.1 : Les fonctions:
Le sous-chapitre présent ne vise pas - on s'en doute - à une analyse des
fonctions telles que l'entend Barthes (cf. Communications 8, p.7) et que nous
pouvons définir dans la perspective qui est la sienne tout simplement comme un
segment narratif ou plus précisément encore une unité narrative marquée en un
certain sens par sa fermeture. Cet aspect narratif, on se le rappelle, a connu
un traitement assez élaboré au chapitre premier de notre étude d'ensemble. Ce
qui nous préoccupe ici c'est, à travers les verbes, les inéluctables fonctions
syntaxiques ou sémantiques supportées par les divers acteurs textuels et dont
discute Coquet : " autour du pivot verbal prennent place des acteurs, ou mieux
des classes d'acteurs, dénommées actants; ils assument la fonction syntaxique
ou sémantique de sujet et d'objet ou encore de destinateur et de destinataire
du message linguistique" (cf. Sémiotique littéraire, p.151
152). En somme,
il s'agit d'appréhender les acteurs textuels par rapport donc à ce qu'ils font
c'est-à-dire à leur rôle.
2.1.1 : Les rôles:
La nécessité d'opérer sur tous les personnages à partir d'un critère de
pertinence unique nous conduit à fonder notre analyse sur les actions ou mieux
surIes divers rôles. Dumortier et Plazanet font justement observer que " aux
yeux de celui qui ne veut considérer que les structures du récit,
le rôle est
l'essentiel, sinon le tout du personnage" (cf. Le récit, p.63). Celui-ci est
et reste un concept interdisciplinaire (cf. économie, littérature, sociologie,
etc) qui, au sein même de la sémiotique narrative, ne recueille pas les mêmes
définitions. Dans le présent travail, nous l'utiliserons dans tout le sens que
lui confère donc Genot : " un rôle est un poste défini dans une configuration
définie. Les rôles sont les arguments du prédicat synthétisant l'ensemble des
relations d'un état de choses ou d'un procès" (cf. Analyse et Indexation, p.
33). Le rôle se situe au niveau des énoncés linguistiques, et l'on peut parler
ainsi, avec Georges Polti, de " personnes grammaticales du verbe" (cf. L'art
d'inventer les personnages, p.48).
Soit l'énoncé fictif E.
Nous pouvons naturellement poser pour cet énoncé la formule générale de
type f(x, y, z) telle que f représente en tous cas un prédicat constant, noyau
propositionnel de l'énoncé, et x, y, z les arguments de ce prédicat constant.

- 75 -
Les arguments x, y et z restent des variables qui entretiennent des relations
très étroites. Ces relations, d'ordre syntaxique et sémantique, définissent un
ensemble de positions susceptibles d'être spécifiées en rôles primitifs assez
limités tels que agent, patient, objet etc. Si on assigne aux divers arguments
x, y et z une quelconque de ces positio~s précises ou postes, ils se changent
ou se convertissent alors en rôles c'est-à-dire en protagonistes absolus de la
fonction f. Le nombre de rôles est subordonné à. la nature posée des relations
manifestées dans le prédicat. Toute génération de rôle donc, on le voit, passe
par la détermination du prédicat qui est un verbe, des arguments et notamment
des postes occupés par les arguments. Une telle procédure de génération totale
des rôles, très abstraite du reste, mérite une certaine explicitation.
Considérons l'énoncé textuel suivant
11
Salimata distribua des assiettées aux chômeurs"
(p.6l).
En posant, au regard de tout ce qui précède, le prédicat /distribuer/ de
fait comme une fonction et en nous appuyant sur les relations sémantiques, et
syntaxiques unissant les trois arguments, nous pouvons transposer parfaitement
cet énoncé sous la forme logique telle que
f /distribuer/ (a
Salimata, p : chômeurs, 0
:
assiettées)
où a correspond à agent, p à patient et 0 à objet, les termes agent et patient
étant pris ici dans le sens qu'en donne Van Dijk (cf. " Grammaires textuelles
et structures narratives ", in Sémiotique narrative, p.20l). A partir donc des
positions dégagées, et par rapport au contenu du prédicat
/distribuer/, nous
nommons les rôles déductibles comme suit
a
=
distributeur
---. Salimata
p
=
distributaire
- . . chômeurs
o
= objet distribué --.. assiettées
Ainsi précisé, ce principe théorique de génération des divers rôles (cf.
Genot et Larivaille : Analyse et Indexation, p.23 et 36), illustré simplement
par l'unique exemple ci-dessus considéré, est celui sur lequel en tout état de
cause la formulation des rôles s'appuiera.
L'impossibilité, au plan pratique, d'opérer sur la totalité des actions
assumées par les acteurs en général nous impose de reprendre dès lors tous les
motifs narratifs formulés au chapitre précédent. Parce qu'il est et demeure a
priori un constituant narratif qui couvre une sphère d'actions, le motif d'une
manière générale se présente comme une donnée dont l'utilisation nous évitera

- 76 -
une grande dépense dans la description. Une telle solution exclut du champ de
l'analyse, quoiqu'économiquement rentable, certains personnages comme Diakité,
Konaté, Sery etc, qui ne ressortent pas souvent du texte transcrit. Un ou des
personnages qui disparaissent du texte transcrit étant par définition fort peu
importants pour ne pas dire secondaires, nous considèrerons que ces omissions
ne constituent en aucune manière des obstacles à la lecture très judicieuse de
cette catégorie du récit que sont les personnages.
Telle que nous le sous-entendions plus haut, la formulation effective de
tous les rôles ne consistera pas en une activité de construction particulière
ou mieux, de structuration très suivie pour tout rôle considéré. Autrement dit
nous ne nous préoccuperons guère de mettre en évidence le processus très long
et très détaillé de génération des rôles. Nous nous bornerons donc à en donner
de manière extensive, dans les tableaux qui suivent, les principaux résultats
attendus.
S'agissant précisément des tableaux synthétisant les informations posées
ou données, il convient de noter ceci: chaque tableau est composé en réalité
de deux parties. La première partie est celle des motifs narratifs. Ne sont en
fait retranscrits que les motifs qui traduisent des procès effectifs. Nous en
excluons tous ceux qui ont servi à la saturation des séquences narratives déjà
analysées. La seconde partie est celle des rôles. Elle se subdivise - quant à
elle - en deux ou trois colonnes selon que, suivant la nature individuelle des
relations manifestées dans le motif, nous avons à rendre compte alors de deux
ou trois rôles. Les rôles eux-mêmes sont énoncés ou donnés dans chaque tableau
en fonction de leur poste syntaxique. Ainsi, avons-nous par exemple, en terme
/
de rôles grammaticaux, une suite de type agent, patient, objet. Sous les rôles
sont placés le ou les thèmes (cf. Genot et Larivaille) qui les assument. Ceci
a l'avantage de nous permettre de nommer de façon précise, et à tout moment de
l'analyse, les thèmes impliqués dans un rôle donné. Nous introduisons dans la
présente description le concept de " thème " défini par Genot et Larivaille en
effet comme" une figure du monde ( ••• ) couvrant les
variables
que sont les
rôles" (cf. Analyse et Indexation, p.33-34), à la place de celui plus général
de personnage, pour effacer une possible référence au personnage-personne.
Ces précisions étant assurées, nous donnons comme suit - dans une suite
logique des diverses séquences narratives textuelles - les tableaux organisant
l'ensembles des'informations résultant de la formulation implicite des rôles.

- 77 -
Séquence A
MOTIFS
ROLES
Offense
offenseur
offensé
,
(griot)
(Fama)
Demande
demandeur
objet demandé
(Fama)
( explication)
Opposition
opposant
(Bamba)
Lutte
lutteur
lutté
(Bamba)
(Fama)
Agression
agresseur
agressé
(Ba.mba)
(Fama)
Réparation
réparateur
objet réparé
(anciens)
(offense)
Séquence B
MOTIFS
ROLES
,1
Vente
vendeur
acheteur
objet vendu
(Salimata)
(ouvriers)
(riz)
Don
donateur
donataire
objet de don
(Salimata)
(ouvriers
(riz)
mendiants
Attaque
attaquant
attaqué
(chômeurs
(Salimata)
mendiants)
Lutte
lutteur
lutté
(chômeurs
(Salimata)
mendiants)
Pillage
pilleur
pillé
objet pillé
(chomeurs
(Salimata)
(riz, argent)
mendiants)

- 78 -
Séquence C
MOTIFS
ROLES
Consultation
consultant
consulteur
objet de quête
(marabout)
(Salimata)
(enfant)
Convoitise
convoiteur
objet convoité
(marabout)
(Salimata)
Lutte
lutteur
lutté
(Salimata)
(marabout)
Non-possession
non-possesseur
objet
(marabout)
non-possédé
(Salimata)
Séquence D
MOTIFS
ROLES
Choix
choisisseur
objet choisi
(Fama)
(voiture)
Refus
refuseur
objet refusé
(délégué)
(choix)
Lutte
lutteur
lutté
(Fama)
(délégué)
Acquisition
acquéreur
objet acquis
(Fama)
(voiture ou
voyage)

- 79 -
Séquence E
MOTIFS
ROLES
Empêchement
empêcheur
empêché
(douanier)
(Farna)
Lutte
lutteur
lutté
(Farna)
(douanier)
Intercession
intercesseur
bénéficiaire de l'intervention
(chef de
(Farna)
poste)
Voyage
voyageur
(FarDa)
Séquence F
MOTIFS
ROLES
Devoir
obligateur
obligataire
(Farna)
(Farna)
Manque
non-possesseur
objet de
(Fama)
manque
(argent)
Aide
adjuvant
bénéficiaire
(Balla et
de l'aide
Diarnourou)
(Fama)
Réalisation
réalisateur
objet réalisé
(Fama)
(devoir)

- 80 -
Séquence G
MOTIFS
ROLES
Visite
visiteur
visité
(Fama)
(veuves)
Séduction
séducteur
séduit
(Fama)
(Mariam)
Déconseil
déconseilleur
déconseillé
(Salimata)
(Fama)
Soutien
adjuvant
bénéficiaire du soutien
(Balla et
(Fama)
Diamourou)
Mariage
marié
mariée
(Fama)
(Mariam)
Séquence H
MOTIFS
ROLES
Opposition
opposant
(comité)
Affrontement
affronteur
affronté
(comité)
(Fama)
Soutien
adjuvant
bénéficiaire
(Balla et
du soutien
Diamourou)
(Fama)
Conservation
conservateur
objet conservé
(Fama)
(chefferie)

- 81 -
Séquence l
MOTIFS
ROLES
Projet
projeteur
objet projeté
(Balla et
(funérailles)
Diamourou)
Manque
non-possesseur
objet de
(Fama)
manque
(moyens)
Don
donateur
donataire
objet de don
(Balla)
(Fama)
(taurillon)
Réussite
réussisseur
objet réussi
(Fama)
(funérailles)
Séquence J
MOTIFS
ROLES
Adhésion
adhérent
objet adhéré
(Fama)
(complot)
Arrestation
arrêteur
arrêté
(Président
(Fama)
et parti)
Jugement
juge
jugé
(Président
(Fama)
et parti)
Condamnation
condamneur
condamné
(Président
(Fama)
et parti)
Libération
libérateur
libéré
(Président
(Fama)
et parti)

- 82 -
Séquence K .:
MOTIFS
ROLES
Déconseil
déconseilleur
déconseillé
(Bakary)
(Fama)
Empêchement
empêcheur
empêché
(gardes)
(Fama)
Lutte
lutteur
lutté
(Fama)
(gardes)
Mort
tueur
tué
(saurien)
(Fama)
Au terme de cette mise en tableaux des rôles des divers acteurs textuels
et surtout des agents les plus actifs, un certain nombre d'observations assez
précises sont à faire. En ce sens, nous pouvons faire observer par exemple que
les divers rôles auxquels nous sommes parvenus, considérés comme des éléments
de sens dès lors qu'ils posent pour chaque personnage des contenus spécifiques
d'une part et d'autre part comme unités d'analyse, restent très variés. Mieux
encore, une observation systématique des différents tableaux et leurs contenus
montre une récurrence manifeste de certains rôles (cf. tous les rôles générés
par des motifs comme Don, Opposition, Lutte etc). Si, détournant le regard des
r?les en général, nous concentrons l'attention sur les rôles assumés à chaque
moment par un acteur précis, nous constatons une proximité de contenu certaine
entre un certain nombre de rôles d'un même acteur ou d'acteurs distincts. Les
observations ainsi faites à savoir la très grande variété de rôles d'abord, la
récurrence de certains rôles ensuite, et la proximité de contenus entre rôles
enfin incitent à une réorganisation profonde de ces multiples rôles considérés
ici. En clair, il s'agit de procéder à une réduction des rôles énoncés.
2.1.2 : Les groupes de rôles
Nous définissons le groupe de rôles comme un ensemble de un ou plusieurs
rôles équivalents ou compatibles. Le groupe de rôles se situe au niveau de la
séquence et résulte d'une. combinaison intraséquentielle des rôles. Pour opérer

- 83 -
cette combinaison, notons que nous nous servirons de la relation d'équivalence
implicitement posée entre certains rôles. Ici comme dans le cas spécifique de
la génération des rôles (cf. § 2.1.1), l'impossibilité matérielle d'opérer sur
la totalité des données nous impose de préciser la procédure de découverte de
l'ensemble des objets visés, procédure dont nous tentons comme suit une réelle
application pratique à la Séquence A, à titre d'exemple.
Soient les rôles de la Séquence A ainsi couplés :
offenseur/offensé, demandeur/objet demandé, lutteur/lutté, agresseur/agressé,
réparateur/objet réparé, opposant. En nous appuyant sur leur équivalence, nous
pouvons constituer à partir de ces onze rôles considérés comme tels autrement
dit sans rapport avec le ou les acteurs qui les assument donc trois groupes de
rôles que nous définissons comme suit en extension:
groupe l
offenseur, agresseur, lutteur, opposant.
groupe 2
offensé, agressé, lutté.
groupe 3
objet demandé, objet réparé.
Nous constatons, après la formation des trois groupes, qu'il reste deux
rôles qui n'entretiennent avec les autres aucune équivalence fondamentale. Ces
rôles sont /demandeur/ et /réparateur/. Et en effet, un demandeur a priori ne
saurait être considéré comme un offenseur ou comme un offensé, encore moins un
objet, étant donné le contenu sémantique que manifeste le terme" demandeur"
pris ou considéré hors contexte. De même, un réparateur a priori ne saurait se
présenter comme un offenseur ou un offensé ou encore un objet. Il y a donc de
justes raisons que /demandeur/ et /réparateur/ ne figurent dans les groupes de
rôles ci-dessus formés. Cependant, si nous essayons de prendre en compte tous
les thèmes/personnages qui les assument, nous constatons alors qu'une nouvelle
forme d'organisation des rôles indiqués reste tout à fait possible. Ainsi, le
rôle /demandeur/ tenu par Fama qui assume par ailleurs les rôles organisant le
second groupe, dans la mesure où il semble entretenir certaines affinités (ou
proximités) avec quelques rôles et notamment avec le rôle /offensé/, peut être
versé dans le second groupe. Cette procédure reste parfaitement légitime. Car
on le sait, c'est par rapport à sa situation d'offensé que le prince déchu est
demandeur (d'explication). Les rôles /offensé/ et /demandeur/ entretiennent à
travers le texte un rapport logique qui légitime donc la structuration avancée
ou proposée. La situation du rôle /réparateur/ est différente. Celui-ci, dans
le texte, est tenu par les Anciens qui sont des thèmes/personnages entièrement
distincts de ceux assumant les rôles des trois groupes ci-dessus indiqués. De

- 84 -
fai~, le rôle /réparateurJ reste ainsi isolé et peut constituer un groupe tout
à part. Toutes ces précisions supplémentaires permettent alors de réorganiser
l'ensemble des rôles de la Séquence A comme suit:
groupe 1
offenseur, agresseur, lutteur, opposant.
groupe 2
offensé, agressé, lutté, demandeur.
groupe 3
objet demandé, objet réparé.
groupe 4
réparateur.
Cette réorganisation des rôles, notons-le, a été rendue possible par la
prise en considération d'un critère supplémentaire: le critère logique, censé
réunir des rôles à première vue incompatibles d'un même acteur ou des acteurs
distincts. Dans la mesure où celui-ci perfectionne la structuration de ceux-là
nous le posons en second lieu comme moyen de combinaison effective. Autrement
dit, tous les rôles assumés par un ou plusieurs thèmes/personnages et orientés
vers un même but seront considérés ici comme compatibles et constitueront dès
lors un groupe de rôles homogène. Notons que la spécification
"orientés vers
un même but"
sert à éviter - et à corriger surtout chez notre lecteur - une
combinaison de rôles qui ne retiendrait pour seul aspect structurant véritable
que l'unicité du thème/personnage, celui-ci étant susceptible d'assumer on le
sait des rôles contraires ou contradictoires. Tel se présente donc le principe
d'organisation des rôles que nous suivrons dans la présente description. Pour
-
en vérifier profondément la stricte applicabilité, nous allons tenter une fois
encore de le soumettre par exemple aux rôles de la Séquence B.
Soient les rôles de la Séquence B ainsi couplés :
vendeur/acheteur/objet vendu, donateur/donataire/objet de don, lutteur/lutté,
attaquant/attaqué, pilleur/pillé/objet pillé. En nous fondant pratiquement sur
leur équivalence, nous pouvons réduire les rôles ainsi considérés ici à trois
groupes tels que :
groupe 1
attaquant, lutteur, pilleur.
groupe 2
attaqué, lutté, pillé.
groupe 3
objet vendu, objet de don, objet pillé.
Nous constatons ici, comme dans le cas de la structuration des rôles de
la Séquence A, qu'il reste quelques rôles qui n'entretiennent, avec les autres
rôles déjà structurés, aucune relation d'équivalence. L'application totale du
critère logique - en plus de celui d'équivalence - permet de corriger cet état
de chose en favorisant la réorganisation de tous les rôles de cette Séquence

- 85 -
B comme suit:
groupe 1
attaquant, lutteur, pilleur, donataire, acheteur.
groupe 2
attaqué, lutté, pillé, donateur, vendeur.
groupe 3
objet vendu, objet de don, objet pillé.
Le critère d'équivalence et le critère logique ainsi énoncés, autrement
dit le principe de base de la structuration des rôles devant conduire en toute
logique aux groupes de rôles, dans la mesure où ils organisent totalement les
rôles générés précédemment, constituent les fondements certains orientant tout
le travail qui suit.
La construction des groupes de rôles ne sera pas descriptive, comme nous
venons de le faire pour les Séquences A et B. Autrement dit, nous ne viserons
guère à une construction des groupes de rôles, séquence après séquence disons,
qui mettrait en exergue toutes les étapes de l'opération. Nous donnons en ces
tableaux qui suivent les groupes de rôles préalablement constitués. Le tableau
synthétisant les groupes, dans sa présentation générale, comporte en tout cas
trois parties. La première partie est celle des groupes de rôles. Ces derniers
n'ont pas de dénomination formelle. Nous les identifions ici donc au moyen de
lettres (cf. les lettres de A à K désignant de manière formelle d'ailleurs les
séquences textuelles) affectées d'un chiffre. La lettre correspond au code de
la séquence à laquelle appartient le groupe. Le numéro du groupe reste quant à
lui arbitraire. La seconde partie est celle des rôles énoncés et la troisième
celle des thèmes ou " figures du monde ".
La structure des tableaux ainsi projetée obéit à une préoccupation fort
pratique. En effet, pour chaque groupe nous avons instantanément les rôles qui
le composent d'une part, et d'autre part les thèmes qui manifestent ces rôles
assumés. Ainsi, la lecture partielle de la Séquence A par exemple révèle assez
précisément l'existence d'un groupe de rôles noté Al. Ce groupe Al se compose
des rôles /offenseur/, /agresseur/, /lutteur/ et /opposant/. Ces quatre rôles,
consignés dans le tableau en fonction de leur place, sont assumés par Bamba et
le griot. Précisons enfin - détail très utile à la lecture des tableaux - que
le rôle et le thème ou la " figure du monde" qui l'assume sont en regard, ou,
pour tout dire, sont disposés sur la même ligne (cf. dans le groupe Al le rôle
/offenseur/ et le thème /griot/ dont la disposition permet d'affirmer dans la
logique de ce qui précède que Bamba n'est pas à proprement parler l'offenseur)
et, lorsque le thème est unique pour plusieurs rôles, il n'est signalé qu'une
seule fois. Les tableaux des groupes de rôles se présentent donc comme suit

- 86 -
Séquence A
GROUPES de ROLES
ROLES
THEMES
Al
offenseur
griot
opposant
Bamba
agresseur
lutteur
A
offensé
Fama
2
demandeur
agressé
lutté
A
objet demandé
explication
3
objet réparé
offense
A
réparateurs
anciens
4
Séquence B
GROUPES de ROLES
ROLES
TH»lES
BI
vendeur
Salimata
donateur
attaqué
lutté
pillé
B
acheteur
mendiants
2
donataire
ouvriers
attaquant
lutteur
pilleur
B
objet vendu
riz
3
objet de don
riz
objet pillé
riz et argent

- 81 -
Séquence C
GROUPES de ROtES
ROtES
THEMES
Cl
consulteur
Salimata
lutteur
C
consultant
marabout
2
convoiteur
lutté
non-possesseur
C
objet de quête
enfant
3
objet convoité
Salimata
objet non-possédé
Séquence D
GROUPES de ROtES
ROtES
THEr~ES
Dl
choisisseur
Fama
lutteur
acquéreur
D
refuseur
délégué du SNT
2
lutté
D
objet choisi
voiture
3
objet refusé
voiture
objet acquis
voiture/voyage

- 88 -
Séquence E
GROUPES de ROLES
ROLES
TH:E:)1ES
El
emp@cheur
douanier
lutté
E
empêché
Fama
2
lutteur
bénéficiaire
de l'intervention
voyageur
E
intercesseur
chef de poste
3
Séquence F
GROUPES de ROLES
ROLES
THEMES
FI
obligateur
Fama
obligataire
non-possesseur
bénéficiaire de l'aide
réalisateur
F
adjuvant
Balla et
2
Diamourou
F
objet de manque
argent
3
objet réalisé
devoir

- 89 -
Séquence G
GROUPES de ROLES
ROLES
THEMES
G
visiteur
Fama
I
séducteur
bénéficiaire du soutien
déconseillé
marié
G
déconseilleur
Salimata
2
G
visité
veuves
3
séduit
Mariam
mariée
G
adjuvant
Balla et
4
Diamourou
Séquence H
GROUPES de ROLES
Ra LES
THEMES
Hl
opposant
comité
affronteur
H
affronté
Fama
2
bénéficiaire du soutien
conservateur
H
adjuvant
Balla et
3
Diamourou
H
objet conservé
chefferie
4

- 90 -
Séquence l
GROUPES de ROLES
ROLES
THEMES
Il
projetteur
Balla et
donateur
Diamourou
1
non-possesseur
Fama
2
donataire
réussisseur
1
objet projeté
funérailles
3
objet de manque
moyens
objet de don
taurillon
objet réussi
funérailles
Séquence J
GROUPES de ROLES
ROLES
THEMES
JI
adhérant
Fama
arrêté
jugé
condamné
libéré
J
arrêteur
Président et
2
juge
parti unique
condamneur
J
libérateur
Président et
3
parti unique
J
objet adhéré
complot
4

- 91 -
Séquence K
GROUPES de ROLES
ROLES
THD1ES
KI
déconseillé
Fama
empêché
lutteur
tué
K
déconseilleur
Bakary
2
empêcheur
gardes
lutté
gardes
tueur
saurien
Nous sommes parvenus, par intégration successive des rôles, à un nombre
réduit de gr~upes de rôles. Ces derniers ne peuvent cependant constituer ainsi
le stade ultime de l'opération de réduction. Nous observons en effet, lorsque
nous nous situons au niveau de toutes les séquences, des équivalences entre un
certain nombre de groupes de rôles. Or, par définition, tout système donné ou
projeté - ce vers quoi nous tendons ici - est ou doit être fondé naturellement
sur des éléments ou des classes d'éléments distincts. Dans une perspective de
détermination absolue de classes de rôles distinctes, il nous appartient alors
de procéder à une réduction plus ferme des groupes de rôles obtenus. De fait,
une telle démarche est rendue nécessaire et obligatoire pour des raisons en un
sens méthodologiques.
Nous avons situé tous les rôles, on s'en souvient, au niveau. des énoncés
linguistiques lesquels ont été dans la plupart des cas et pour des besoins de
grande exhaustion reformalisés en des sortes de " macro-énoncés" (cf. résumé)
rendant compte de pans entiers du discours textuel et les groupes de rôles au
niveau séquentiel. Autrement dit, nous avons généré les rôles sans référence à
tous les segments du discours, et obtenu les groupes de rôles déjà considérés
par conjonction des rôles locaux de chaque séquence sans tenir compte en effet
des rôles des autres séquences. En somme, nous avons procédé par paliers tout
en partant du niveau inférieur (cf. niveau des énoncés linguistiques textuels)
au niveau moyen (cf. niveau des séquences). Ce faisant, nous avons opéré dans
un certain sens sur le texte entier, mais de manière fragmentaire. On comprend
dès lors la nécessité qui existe à passer à un niveau supérieur (cf. niveau du

- 92 -
discours ou du récit global), pour saisir les acteurs de manière totale.
2.1.3 : Les actants:
Nous nommons Il actant ", à travers la présente description, toute classe
de thèmes (OU" figures du monde ") manifestée évidemment par un ou plusieurs
groupes de rôles solidaires. Notre définition se rapproche de celle de RastieT
(cf. Essais de sémiotique discursive, p.126).
Nous voudrions discuter rapidement, après avoir défini l'actant textuel,
du principe suivi ici pour sa construction, cette activité nous paraissant en
effet particulièrement délicate pour deux raisons : la tentation qui existe de
considérer les groupes de rôles censés définir extensivement l'actant textuel
du point de vue de leur contenu sémantique spécifique exclusivement d'une part
et d'autre part l'obligation à ce niveau de ne tenir compte dans tous les cas
que de leur finalité fonctionnelle.
Soi t un ensemble E fermé tel que
E
= {x, y, z} où x, y et z sont des
actants. Nous disons que ces trois actants sont distincts les uns des autres,
si et seulement si, du point de vue où nous les considérons, ils sont définis,
déterminés par leur entière autonomie. En d'autres termes donc, pour que deux
actants donnés x et y, composés d'éléments appelés groupes de rôles, soient en
tout état de cause distincts, il ne doit exister entre eux des éléments - des
groupes de rôles s'entend - qui entretiennent quelques affinités ou proximités
fonctionnelles. Plus précisément encore l'actant est déterminé, au regard des
autres, par une entière autonomie fonctionnelle. Notre intention précise étant
de parvenir, à travers la variété et la diversité des rôles et des groupes de
rôles, à des actants marqués par une certaine clôture fonctionnelle, nous nous
proposons de considérer ici le facteur " autonomie " comme le principe absolu
par rapport à quoi la construction des actants sera réalisée. Ces précisions à
la limite concerne la définition de l'actant dans ses multiples rapports avec
les autres actants mais n'explicite pas le mode de constitution de celui-ci en
tout cas. C'est ce dernier point qu'il convient de spécifier.
Soient les groupes de rôles des Séquences A et B :
al - Groupes de rôles de la Séquence A :
Al
---~
offenseur, agresseur, lutteur, opposant.
A
--~
offensé, agressé, lutté, demandeur.
2
A
---.
objet demandé, objet réparé.
3

- 93 -
A
:
~
réparateur •.
4
b/ -
Groupes de rôles de la Séquence B :
-.
BI
attaqué, lutté, pillé, vendeur, donateur.
B
- . attaquant, lutteur, pilleur, acheteur, donataire.
2
B
--. objet vendu, objet de don, objet pillé.
3
Ces groupes sont apparemment différents les uns des autres
ils ne sont
guère assumés par les mêmes agents et leur contenu sémantique ne relève point
du même champ. Nous disons" apparemment" car en fait, en faisant abstraction
des deux caractéristiques évoquées plus haut, nous remarquons ici l'existence
d'un certain nombre d'affinités entre groupes. Si nous traduisons, pour rendre
palpables ces affinités, les divers groupes de rôles en termes discursifs (et
non narratifs), nous sommes en mesure de conjoindre les groupes Al et B
en un
2
rôle unique dénommé /bourreau/, et les groupes A
et BI en un second rôle qui
2
sera dit /victime/, par rapport au premier. Les groupes A
et B
expriment, de
3
3
toute évidence, le rôle /objet/. Le groupe A
n'entretenant guère d'affinités
4
avec les groupes mentionnés reste provisoirement isolé. Notons, pour serrer de
plus près les données qui précèdent, que /bourreau/ et /victime/ peuvent être
respectivement considérés comme agent et patient en terme particulier de rôles
grammaticaux.
Considérons maintenant les groupes de rôles des Séquences A, B et C
a/ -
Groupes de rôles de la Séquence A :
Al
---~
offenseur, agresseur, lutteur, opposant.
A
--~
offensé, agressé, lutté, demandeur.
2
A
---~
objet demandé, objet réparé.
3
A
--~
réparateur.
4
b/ -
Groupes de rôles de la Séquence B :
BI
- - .
attaqué, lutté, pillé, vendeur, donateur.
B
---.
attaquant, lutteur, pilleur, acheteur, donataire.
2
B
- - .
objet vendu, objet de don, objet pillé.
3
c/ -
Groupes de rôles de la Séquence C :
Cl
--. consulteur, lutteur.
C
--. consultant, convoiteur, non-possesseur, lutté.
2
C
--. objet de quête, objet convoité, objet non-possédé.

-.94 -
L'observation attentive des groupes de rôles de ces trois séquences nous
dévoile certaines affinités entre groupes. Ainsi, en partant des conjonctions
déjà réalisées pour les groupes de rôles des Séquences A et B, nous sommes dès
à présent en mesure de procéder à des conjonctions telles que le couple A /B
l
2
soit lié au groupe C , le couple A /B
au groupe Cl' le couple A /B
au groupe.
2
2
l
3
3
C • Seul le groupe A , comme dans le cas de structuration précédent, reste en
3
4
tout état de cause irréductible aux autres groupes de rôles lesquels n'ont, en
apparence, aucune affinité fonctionnelle avec lui.
Il aurait été possible de conjoindre ainsi, jusqu'à la dernière séquence
construite, les groupes de rôles mis en relief. Ce faisant, nous nous serions
livrés à un travail fastidieux dont le résultat reste fortement hypothétique à
nos yeux. L'analyse, reconnaissons-le, ne saurait se faire surtout ici sur de
telles procédures de description répétitive. Il nous faut donc fixer nettement
le principe qui sous-tend l'organisation des groupes de rôles manifestée plus
haut, principe à partir duquel les actants seront construits. Revenons sur les
principaux résultats de la structuration partielle.
L'essai de conjonction des groupes de rôles des trois Séquences A, B et
C a débouché sur une série de " classes " à trois éléments auxquelles se joint
une classe à un élément, telles que:
Classe 1
,
Al
B2
C2 ".
Classe 2
A2
BI
Cl·
Classe 3
A
B
3
3
C3•
Classe 4
A
(
4
Ces quatre classes se caractérisent par leur entière autonomie, et tous
les éléments qui les constituent en classes sont absolument liés disons sur la
base de leur équivalence fonctionnelle. C'est précisément ce principe relatif
d'équivalence fonctionnelle qui nous servira de base à l'organisation patiente
de tous les groupes de rôles déjà mis en évidence.
La trop grande dépense que constitue toute description exhaustive de la
procédure de découverte des actants nous impose d'ignorer volontairement cette
phase descriptive et de consigner dans le tableau qui suit tous les résultats
auxquels toute structuration des groupes de rôles nous conduit. Il convient de
remarquer simplement que le tableau comporte trois parties : celle des divers
actants signalés par un numéro (cf. Actant 1, Actant 2 etc), celle des groupes
de rôles constituant l'actant, et celle des thèmes assumant les divers rôles.

- 95 -
ACTANTS
GROUPES de ROLES
THEMES
A
Fama
2 - Dl - E2 - F l - Gl
1
H
- l
- J
- K
2
2
1
l
Bl - Cl
Salimata
A
anoiens
4
E
ohef de poste
3
2
F 2 - G4 - H3 - Il
Balla, Diamourou
J
Président, parti unique
3
Al
griot, Bamba
B
ouvriers, mendiants
2
C
marabout
2
D
délégué du S.N.T
2
3
El
douanier
G
Salimata
2
Hl
oomité
J
Président, parti unique
2
K
Bakary, gardes, saurien
2
A
explioation, offense
3
B
riz, argent
3
C
enfant, S.alimata
3
D
voiture et/ou voyage
3
F
devoir, argent
3
4
G
Mariam, veuves
3
H
ohefferie
4
1
funérailles, moyens
3
taurillon
J
oomplot
4

- 96 -
Nous sommes parvenus à construire, par réduction progressive des divers
rôles du texte narratif, quatre actants entièrement définis par leur autonomie
au plan fonctionnel, actants que nous considérons pour le moment c'est-à-dire
au niveau de l'analyse actuelle comme de simples classes de rôles ou mieux, de
simples classes de thèmes/personnages sans nous préoccuper nécessairement des
positions possibles de chacun par rapport au projet central de tout le récit à
la manifestation duquel ils existent. Ainsi structurés, les quatre actants du
récit appellent quelques observations. C'est donc essentiellement en fonction,
précisons-le, de leur double caractéristique ou encore de leur double aspect,
celui de classe de rôles et celui de classe de thèmes, que nous allons essayer
de les appréhender entièrement.
Du point de vue des rôles, l'observation de tous les résultats consignés
dans la deuxième colonne du tableau synthétique révèle bien que l'Actant 1 se
compose de onze groupes de rôles, lesquels ont été obtenus par conjonctions de
quarante-trois rôles répartis en vingt-deux rôles agis c'est-à-dire appliqués
à un autre individu que celui. qui l'exécute et en vingt rôles subis. La totale
inadéquation entre le nombre total des rôles et la somme restreinte des rôles
dits agis et subis que nous constatons ici - et qui existe aussi pour l~Actant
3 - vient du fait que certains rôles tels que /bénéficiaire de l'intervention/
et /non-possesseur/ n'ont été classés dans aucun groupe de rôles dits agis ou
subis. L'Actant 2 comprend sept groupes de rôles décomposés en huit rôles agis
seulement. De fait, il n'existe aucun rôle subi en un tel actant. Les Actants
3 et 4 sont formés chacun de neuf groupes de rôles mais manifestent des cas de
divisions distincts. Ainsi, l'Actant 3 se divise en vingt-sept rôles répartis
en vingt-et-un agis et cinq subis, alors que l'Actant 4 se décompose nettement
en vingt-deux rôles uniquement subis. Au-delà de ces statistiques qui restent
nécessairement approximatives si on considérait les menues actions du discours
narratif, on note que l'Actant 3, avec un minimum de rôles subis et une forte
amplitude, demeure de loin l'actant le plus agissant des quatre. L'équivalence
manifeste entre rôles agis et rôles subis, par contre, fait nécessairement de
l'Actant 1 un actant nul qui ne se caractérise pas plus comme agent d'ailleurs
que patient. Le fait intéressant au demeurant que l'Actant 2 n'est qu'actif a
priori ne peut recevoir une explication valable, semble-t-il, qu'après un long
investissement sémantique de son contenu. Ceci n'est pas le cas de l'Actant 4
par exemple - actant particulier - qui se pose et s'impose à nous en tout état
de cause comme l'objet.

- 97 -
Du point de vue des thèmes/personnages, de nombreuses variations sont à
observer dans la composition des quatre actants. L'Actant 1 est une classe qui
comprend deux personnages (cf. Fama et Salimata). Comme tel, il se pose comme
l'actant le moins bien composé de tous les quatre. L'Actant 2 résulte, quant à
lui, de l'union de cinq personnages (cf. Anciens, Balla, Diamourou, Président
et chef de poste). L'Actant 3 est la synthèse de treize personnages (cf. griot
Bamba, ouvriers, mendiants, marabout, délégué du syndicat, douanier, Salimata
membres du comité, président, Bakary et le saurien). On constate au niveau des
composants thématiques de l'Actant 3, contrairement à ce qui prévaut dans les
deux premiers actants, l'existence d'un agent non-anthropomorphe. Il s'agit du
saurien. L'Actant 4 enfin résulte de l'intégration de seize thèmes. Comme tel
donc, il reste l'actant le mieux représenté de tous les quatre. Dans la mesure
où ces quatre actants procèdent de l'assimilation de plus d'un personnage, on
peut dire ici que nous avons ce que Hamon appelle" démultiplications ", sorte
de situations où un même rôle actantiel échoit à plusieurs agents. A l'opposé
de ces cas de démultiplications, on observe aussi à travers la présence totale
de Salimata parmi les composants thématiques des Actants 1 et 3, et également
celle du président parmi les composants thématiques des Actants 2 et 3 des cas
de " syncrétisme ", sorte de situations où un même agent assument d'une façon
effective plusieurs rôles actantiels. Ces quelques observations, précisons-le,
ne sauraient être pleinement valorisées qu'intégrées à·une analyse du système
entier des personnages. Ce sur quoi nous projetons de revenir plus loin, et de
manière plus approfondie.
Notre propos, tout au long de la description qui précède, a consisté en
une certaine organisation ou structuration des personnages ou plus précisément
des acteurs textuels du point de vue de leur fonctions. Une telle orientation
" proppienne " de l'analyse ne saurait cependant favoriser une appréhension en
tout cas exhaustive des acteurs, lesquels sont souvent déterminés, doublement
d'ailleurs, dans le " récit écrit" (cf. Barthes: " Analyse textuelle ••• ", in
Sémiotique narrative et textuelle, p.29), par ce qu'ils font et par ce qu'ils
sont. Il convient donc, après les avoir (provisoirement) situés par rapport au
plan actionnel, de tenter de les saisir à partir de leurs qualités.
2.2 : Les qualifications :
La tentative d'appréhension des personnages textuels par le biais précis
de leurs qualifications suivra ici un itinéraire à deux étapes : une première

- 98 -
étape au niveau de laquelle nous nous préoccuperons de définir les personnages
textuels, individuellement et extensivement, et une seconde étape qui sera le
lieu d'une saisie organisée et homogène de ces personnages textuels définis au
préalable.
2.2.1 : Définition des acteurs:
Le découpage du texte global au chapitre premier de notre étude et plus
particulièrement encore l'établissement d'une sous-classe d'unités qui ont été
dénommées " Présentatifs " et définies comme des indices servant surtout à la
présentation ou à la caractérisation rigoureuse des acteurs ou des personnages
en général nous ont permis de mesurer la place considérable au plan discursif
des" parcours figuratifs" manifestant les qualités des personnages. Dans les
développements qui suivent, ces parcours figuratifs qui précisent les acteurs
soit par révélation soit par accentuation d'un ou plusieurs traits et qui sont
le fait autant du narrateur que des personnages eux-mêmes - le locuteur ou le
narrateur se préoccupe de la description explicite des personnages qu'il met à
tout moment en mouvement mais n'en garde pas la priorité car les personnages,
entre eux-mêmes, sont amenés à se définir individuellement et/ou
mutuellement
(cf. Coquet: Sémiotiaue littéraire, p.155 et suite) - nous servirons d'objet
sur lequel nous nous appuierons pour définir progressivement et totalement les
personnages.
La focalisation opérée par le narrateur sur l'acteur Fama, dès le début
du récit, permet de fixer parfaitement l'image de ce dernier en trois points:
'(
1
les origines sociales d'abord, l'état présent c'est-à-dire sa condition ou sa
!
situation d'homme dans le moment précis où le narrateur le perçoit ensuite, et
le comportement caractériel excessif enfin. Appréhendé du point de vue de ses
origines sociales, l'acteur Fama,
" né dans l'or, le manger, l'honneur et les femmes! Eduqué pour
préférer l'or à l'or, pour choisir le manger parmi d'autres, et
coucher sa favorite parmi cent épouses ! ••• "
(p.lO),
est un homme riche et couvert d'honneur, un homme par le destin situé au toute
première place de la hiérarchie sociale, un notable et pour tout dire en fait
un privilégié, libre de ses choix et de ses mouvements. Cette image positive à
volonté et méliorative à l'excès s'oppose pourtant violemment, pourrait-on le
dire, à celle du présent de Fama, un Fama devenu selon les propres révélations
du narrateur un homme fini,

- 99 -
" dernier et légitime descendant des princes Doumbouya"
(p. 9},
" un charognard ••• "
(p. la) ,
" un prince presque mendiant •.• "
(p.ll).
L'image présente donc de l'acteur Fama est celle d'un prince, d'un noble
descendant d'une dynastie puissante et richissime, la dynastie Doumbouya d'un
Horodougou vaste, un légitime héritier fouetté par le triste sort et ravalé au
rang du commun des mortels. Et c'est sans doute ce cheminement catastrophique
imposé par l'horrible destin qui convertit l'acteur Fama en un caractériel, un
déséquilibré profond, toujours en colère et toujours indigné :
" d'un ton ferme, coléreux et indigné, Fama redemanda au griot" (p.12)
Fama ainsi défini par le narrateur s'emploie à son tour à définir aussi
les autres personnages et notamment ceux de son entourage immédiat (cf. griot,
Bamba etc). Et de la bouche de celui-là même qui a été trompé par l'histoire,
ou par le destin, le griot - maître de cérémonie des funérailles - devient, de
fait, un " bâtard de griot" (p.12), une espèce dépravée qui n'aurait en tout
cas aucun rapport avec les vrais griots de temps de guerres glorieuses. Bamba,
le protecteur du griot dans cette empoignade épique, apparaît à Fama comme un
" fils de chien" (p.14). Notons que ces divers personnages au nombre desquels
il faut joindre les Anciens, les réparateurs de l'offense faite à Fama par le
griot et Bamba, sont tous des malinkés musulmans.
Les personnages définis précédemment disparaissent de la narration, avec
la focalisation que le narrateur opère sur Salimata. Celle-ci, épouse de Fama
et malinké comme lui, reste fondamentalement une musulmane pieuse qui passe le
plus clair de s9n temps à la prière et à la méditation:
" elle implorait Allah, l'absoluteur ••. "
(p.43).
Epouse fidèle au demeurant, Salimata traîne comme son mari un destin des
plus sombres marqué essentiellement par une stérilité invincible résultant de
son état de jeune fille excisée et violée :
" elle avait le destin d'une femme stérile •.• "
(p.30)
" elle avait le destin de mourir stérile"
(p. 80).
L'occupation totale du discours par le personnage Salimata, au plan des
fonctions et des qualifications, n'empêche pas quelques précisions du locuteur
sur l'acteur Fama. En effet, les traits définitoires de celui-ci accusent, ou
mieux encore s'enrichissent de deux nouveaux aspects qui concernent surtout sa
vie conjugale et notamment son attitude devant les questions de sexualité. Et
si " rien ne le préoccupait ( ... ), ni l'impuissance ( •.• ) ni le manquement aux

- 100 -
devoirs conjugaux ". (p.3l), c'est que Fama est un impuissant et conséquemment,
un stérile: " la stérilité de l'époux et la fidélité de la femme ••• " (p.43).
Ainsi se présentent Fama et Salimata, un couple soumis aux vifs regards
d'un destin obscur qui leur confère presque les mêmes caractéristiques sociale
et biologique: un passé glorieux dans le bonheur et l'épanouissement absolus
et - envers d'un décor trompeur - un présent qui se consume froidement dans la
misère et l'illégitimité, l'impuissance et la stérilité. Cette image toute en
contraste et surtout dépréciative n'est que la face grossièrement polie et dès
lors repoussante de celle des ouvriers, chômeurs et mendiants de toute sorte,
dépeints par le narrateur comme des affamés, des voleurs et au-dessus de tout,
des nécessiteux sans le moindre soutien.
Le marabout consultant de Salimata est loin de telles figures. " Né dans
le Tombouctou aux portes du désert" (p.66), ce non malinké est présenté tout
simplement par le narrateur comme un homme virile, et surtout un grand sorcier
versé dans la magie :
"
vigoureux et puissant comme un taureau du Ouassoulou ••• " (p.67),
" Abdoulaye cassait et pénétrait dans l'invisible comme dans la case
de sa maman et parlait aux génies comme à des copains" (p.66).
Un homme d'une pareille envergure ne peut avoir que des définitions plus
que méchantes pour l'acteur Fama qu'il trouve" irrémédiablement iml'uissant "
(p.67) et " stérile comme un roc" (p.77). A ce niveau, les qualités propres à
Salimata restent les mêmes. On observe cependant de la part de cette dernière
une reconnaissance explicite de son état de femme stérile
" reste la stérilité qui m'habite et me désole ... "
(p.76).
Restent aussi les mêmes les qualifications de Fama. Et le retour que le
narrateur opère sur lui au début de la seconde partie du roman n'est que d'une
certaine manière pour réaffirmer ce que nous savons déjà à savoir cette vaste
spoliation dont Fama a été victime du temps de la colonisation :
" l'homme qui ( ••• ) avait évincé Fama de la chefferie ••• "
(p.83).
Spolié et chassé du pouvoir, tel se présente l'acteur Fama que le petit
délégué du syndicat national des transporteurs traite ironiquement de " fou de
Malinké" (p.84). Ce syndicaliste, en définissant ainsi Fama, se définit plus
ou moins indirectement comme un non-malinké. Il n'est pas étonnant dans ce cas
que Fama le considère, avec ses pairs, comme des bâtards
" le syndicat de tous les batards, leur père et la mère •.. "
(p.84).
Dans la quête particulière de son identité qu'il entreprend sur la route

- 101 -
à mi-chemin entre la capitale de la République des Ebènes et Togobala la terre
natale, Fama découvre qu'il est surtout" le dernier descendant de Souleymane
Doumbouya " (p.99). Ce triste constat prend un relief particulier. Et, au-delà
de l'identité personnelle du prince Fama se pose tout le problème existentiel
de la dynastie entière des Doumbouya. Les politiciens, dont l'existence impose
à Fama le statut de dernier descendant des Doumbouya, sont dépeints comme des
" voleurs et menteurs" (p.99) et leurs pouvoirs, " bâtards et illégitimes" à
jamais (p.103). La bâtardise, on le voit, reste un trait de définition commun
à tous ceux que Fama est amené à qualifier. Et le petit douanier, " un bâtard,
un vrai, un déhonté de rejeton de la forêt" (p.103), qui s'évertue à bloquer
Fama aux ,postes de douanes n'y échappe guère. A toutes ces images négatives du
monde des politiciens et également du douanier non-malinkés et non-musulmans,
s'oppose celle méliorative du chef de poste, un " Malinké, donc musulman, et à
même de distinguer l'or du cuivre" (p.104).
Le séjour de Fama à Togobala est l'occasion pour le narrateur textuel de
mettre en scène deux personnages essentiels du récit. Il s'agit de l'affranchi
Balla et du griot Diamourou. Ces deux personnages, complémentaires en bien de
points, restent cependant fortement opposés non seulement par leurs idées mais
aussi et surtout par leurs qualifications. Balla est un Bambara - non-malinké
disons -, un féticheur et un incroyant invétéré comme le précise le locuteur :
" le féticheur et sorcier Balla, l'incroyant du village" (p.10B), mais aussi
un " vieil affranchi ( ••• ), un de la famille Doumbouya, un affranchi qui était
resté attaché à ses maitres, à la libération" (p.114), un homme puissant par
la magie et l'argent
.. les fétiches de Balla rengainés, entrés et enfermés,
le soleil réussissait à se libérer" (p.125). Diamourou quant à lui n'est pas
aussi exhaustivement qualifié. Ce que nous savons de lui relève de ses propres
affirmations: .. moi, maitre, moi Diamourou, descendant des griots honorés de
la famille Doumbouya, moi Diamourou par exemple ... " (p.lll). Cette promptitude
à l'identification ou à la qualification de soi accouche d'une seule image et
d'un seul trait, celui d'un" griot" au service des Doumbouya.
A ce niveau du discours, et après les définitions qui précèdent, ni Fama
le légitime descendant, ni Balla son esclave affranchi, ni encore le griot de
la famille c'est-à-dire Diamourou, n'acquièrent des traits supplémentaires. Et
ils n'en perdent pas non plus. Seule Mariam, la veuve désirée de Lacina, nous
est définie. Se posant en véritables conseillers et censeurs, Diamourou et son
compagnon de fortune Balla font de cette dernière un véritable portrait, sans
complaisance ni nuances, où se mêlent éloges

- 102 -
" elle était belle, ensorcelante ••• " (p.134)
et inquisitions:
" elle ment comme une aveugle, comme une édentée, elle vole comme
une toto ••• " (p.134)
et finalement reconnaissent aussi la grande qualité d'une" femme ayant un bon
ventre, un ventre capable de porter douze maternités" (p.135), une femme qui
se distingue en ce point précis de Salimata, l'épouse de Fama le prince déchu,
le légitime descendant des Doumbouya.
Le grand palabre provoqué à Togobala par les membres du comité donne aux
uns et aux autres l'occasion de définir encore Fama. Et, en effet, on assiste
à une qualification contradictoire du prince déchu. Il est présenté d'une part
comme un intrépide par ses partisans dont Balla et Diamourou. De la bouche de
ces derniers, Fama devient" un courageux, un diseur de vérité que les Toubabs
avaient spolié de la chefferie If (p.136). D'autre part, il est désigné par le
comité comme un homme perdu: " Fama ! Il ne pesait pas plus lourd qu'un duvet
d'anus de poule. Un vaurien, un margouillat, un vautour, un vidé, un stérile.
Un réactionnaire, un contre-révolutionnaire" (p.138). Les membres du comité a
priori, malinkés donc musulmans, restent pour Fama des bâtards.
En mettant en regard Fama et les politiciens (cf. Président et parti) le
dur épisode de la détention, et plus tard, de la libération des détenus donne
aux acteurs présents à Mayako l'occasion de se définir réellement. Ainsi, Fama
le prince déchu, au bout de la quête quasi-métaphysique de son identité et/ou
de sa réalité existentielle, arrive à la reconnaissance explicite des diverses
images que les autres ont construites de lui. Ne constate-t-il pas lui-même
" Fama, maintenant il n'y a plus de doute, tu es le dernier 'Doumbouya••• " ( p.
176). Les politiciens sont plus surprenants encore. Jusque-là muets sur leurs
propres déterminations, ils prennent la parole (cf. le discours du président à
Mayako lors des cérémonies de libération des détenus, p.180), pour se définir
comme des conciliateurs :
" le président demandait aux détenus d'oublier le passé, de le
pardonner, de ne penser qu'à l'avenir" (p.180 - 181),
et en définitive, comme des libérateurs généreux
.. tous les prisonniers étaient libérés •.• "
(p.181).
Comme on le perçoit aisément, c'est au moment où Fama investit son image
que les politiciens tentent d'améliorer la leur. Le discours cependant révèle
par la suite que le comportement pour le moins surprenant de Fama c'est-à-dire
sa définition personnelle négative est le reflet d'un désespoir momentané car

- 103 -
si précédemment nous avons cru déceler une acceptation d:s traits sémantiques
caractéristiques qui lui sont malheureusement attribués, nous constatons dès à
présent de la part de Fama une redéfinition positive de lui-même. Celle-ci en
fait consiste à recuser les qualifications que les autres lui ont attribuées à
volonté. Ainsi, clame-t-il aux gardes qui lui bloquent le passage de la seule
frontière à franchir en direction du Horodougou natal :
" regardez le mari légitime de Salimata ! Admirez-moL •• " (p.199)
" regardez Doumbouya, le prince du Horodougou ! ... " (p.199).
L'image de lui-même que Fama emporte donc se dessine sur les bases d'une
alliance totale avec son épouse Salimata et sur son appartenance séculaire et
indestructible à la dynastie des Doumbouya du Horodougou. Cette image s'oppose
à celle qu'il peint des gardes. Ces gardes d'ailleurs ne sont, dans la bouche
du prince du Horodougou, que des" fils de bâtards ", " fils de chiens" et/ou
" fils d'esclaves ", " fils des Indépendances" (p.199). La toute dernière de
ces qualifications reste, sans qu'on ne le soupçonne, la plus violente et elle
est doublement connotée : aux yeux de tout " ancien " comme Fama, tout enfant
ou tout homme dit" fils des Indépendances" est un dépravé, irrespectueux des
valeurs traditionnelles et de l'ordre ancien.
Le parcours progressif de l'ensemble du discours textuel nous a permis à
partir d'une observation méticuleuse des données que ce dernier contient ou à
tout le moins recueille de préciser pour chaque personnage les qualifications,
les traits sémantiques caractéristiques qui les constituent en des individus,
en des figures parfaitement reconnaissables. Ces traits sémantiques sont épars
et variés, et pour cela appelle quelque réorganisation. Notre procédure n'est
guère exceptionnelle, et l'affirmation théorique de Greimas telle qu'elle nous
revient ici le certifie quoiaue de manière voilée :
" le personnage de roman, à supposer qu'il soit introduit, par exemple,
par l'attribution d'un
nom propre qui lui est conféré,
se construit
progressivement
par des notations figuratives consécutives et diffuses
le long
du
texte, et ne déploie sa
figure complète qu'à la dernière
page, grâce à la mémorisation
opérée
par le
lecteur" (cf. Greimas:
" Les actants, les acteurs et les figures"
in
Sémiotique narrative,
p.174).
Les développements qui précèdent ayant eu pour objectif de mettre tout à
nu, dynamiquement, les" notations figuratives" correspondant aux acteurs du
récit, il nous appartient maintenant de donner pour chaque personnage du texte
les" configurations de traits" dont il est le corps. Nous avons donc :

-
104 -
/Fama/
- ma1inké
- musulman
- prince déchu
- dernier légitime descendant des Doumbouya
- respectueux de la tradition
- stérile et impuissant
- pauvre et mendiant
- ancien détenu
/Sa1imata/ :
malinké
- musulmane
épouse de Fama
- respectueuse de la tradition
- fidèle et stérile
/Poli ticiens/
- non ma1inkés
- non musulmans
en exercice du pouvoir
- irrespectueux de la tradition
- illégitimes et réactionnaires
- conciliateurs et libérateurs
- bâtards
/Balla/ :
- non ma1inké
- non musulman
- esclave affranchi
- respectueux de la tradition
- puissant et riche
/Diamourou/ :
- ma1inké
- musulman
- griot des Doumbouya
- respectueux de la tradition
- généreux

1
- 105 -
,/Mariam/ :
- malinké
- musulmane
- jeune et féconde
- menteuse et voleuse
- nouvelle épouse de Fama
/Griot/
- malinké
- musulman
- bâtard
- irrespectueux de la tradition
/B amba/
- malinké
- musulman
- irrespectueux de la tradition
/Anciens/ :
- malinkés
- musulmans
- respectueux de la tradition
- sages
/Bakary/ :
- malinké
- musulman
- opportuniste
/Marabout/
- non malinké
- musulman
lié aux hommes du pouvoir
- puissant et virile
/Délégué du S.N.T/
- non malinké
-
jeune
- irrespectueux de la tradition
- syndicaliste

- 106 -
/Chef de postel
ma1inké
musulman
- respectueux de la tradition
généreux
/Douanier/
non malinké
non musulman
irrespectueux de la tradition
/Gardes/ :
non malinkés
- non musulmans
irrespectueux de la tradition
;Membres du comité/
malinkés
musulmans
poli ticiens
réactionnaires
irrespectueux de la tradition
/Ouvriers et mendiants/
non malinkés
musulmans
- affamés et nécessiteux
voleurs
Nous sommes parvenus à fixer pour chaque personnage les éléments de sens
spécifiques qui le déterminent. Ce faisant, nous l'avons appréhendé, de fait,
en tant qu'individu particulier isolé dans le discours. Le texte discursif, on
le sait, reste un lieu où se meuvent divers acteurs définis aussi par le type
de cohésion ou de cohérence qui les organise. Dans ce sens, les qualifications
individuelles ne sont pas des faits de hasard. Elles se rapportent toujours à
d'autres qualifications pour produire des déterminations plus profondes : dire
de Salimata, par exemple, qu'elle est stérile c'est projeter son incapacité à
modifier la structure du couple qu'elle forme avec Fama. Mieux encore, dire de
Salimata et Mariam qu'elles sont épouses de Fama c'est constituer celui-ci en

- 107 -
polygame, mais aussi poser les trois personnages (cf. Fama, Mari am , Salimata)
comme les éléments d'une classe d'individus que nous dénommons bien volontiers
/foyer conjugal/. C'est ce dernier aspect d'organisation des personnages dont
l'analyse a rendu intégralement compte précédemment qui sera développé dans la
,.
suite de notre présente description.
2.2.2 : Les classes de personnages ~
S'agissant de constituer en classes les divers personnages textuels dont
nous avons parlés, il convient de dégager au préalable" les axes sémantiques
fondamentaux pertinents ( ••• ) qui permettent la structuration de
l'étiquette
sémantique de chaque personnage ( ..• ) comme celle de l'ensemble du système. "
(cf. Hamon
" Pour un statut sémiologique du personnage ",
in
Poétique du
récit, p.129). En ce sens, nous procèderons donc à une réorganisation de tous
les traits sémantiques caractéristiques des personnages en un certain nombre a
priori limité de paradigmes de sens.
Considérons l'ensemble des traits précédents.
Nous constatons, en les parcourant, que les personnages textuels y sont
définis - par le narrateur ou par eux-mêmes -, soit comme malinkés, soit comme
non malinkés. S'agissant de ces traits opposés, les données discursives et/ou
textuelles (cf. la précision du locuteur, p.7) nous apportent ici un éclairage
essentiel et précis.: le terme" malinké " - morphème de base - se rapporte à
un groupe ethnique et/ou linguistique. A partir de ces précisions, nous posons
pour les traits ci-dessus indiqués un paradigme qui sera dit /ethnie/. Ainsi,
on conviendra que dire d'un personnage quelconque qu'il est malinké ou non, ce
sera le situer par rapport à son ethnie. Les traits ou éléments de sens comme
" musulman" et " non musulman ", assez simple à comprendre, s'organisent tout
naturellement en un second paradigme qui sera dénommé /religion/. On remarque
à travers le discours une affinité exceptionnelle entre ces deux paradigmes. A
l'appartenance ethno-linguistique s'attache la religion du personnage indexé,
et le narrateur va jusqu'à instituer entre les deux aspects de personnages une
relation d'implication systématique de sorte que tout malinké, par définition
sommes-nous tentés de dire, demeure un musulman. Ne confie-t-il pas froidement
que" le chef de poste était Malinké, donc musulman, et à même de distinguer
l'or du cuivre Il (cf. p.l04), avec un arrière-fond idéologique assez marquée?
Dans la mesure où la religion des autres n'est jamais explicitée, nous disons
simplement d'eux qu'ils sont non musulmans. Un troisième paradigme qui ressort

- 108 -
des définitions peut s'énoncer Ipolitique/'(au sens d'idéologie politique). Il
résulte de la structuration implicite des traits sémantiques caractéristiques
relatifs à l'option ou à l'orientation politique des personnages. Cette option
est soit explicite, soit implicite dans le discours. Quoiqu'il en soit, toute
une masse de données discursives autorise une telle perception de cet ensemble
de traits. Il s'agit du comportement politique vrai ou supposé des acteurs du
récit (cf. la réaction de Fama en véritable prince, celle du président et donc
des politiciens modernes en hommes tenant le pouvoir réel ou encore celle des
Anciens, proches de Fama et respectueux de la tradition etc), et aussi de tout
le système onomastique mis en place par le discours. Ce dernier point demeure
particulièrement intéressant : tous les personnages du texte - exception faite
de quelques cas isolés comme Diamourou, Mariam, Salimata etc - reçoivent tous
des noms qui restent fortement liés à un système politique. Ainsi,
avons-nous
Fama (qui signifie" prince" en malinké), président, juges, greffiers, griot
(les deux griots du texte), gardes, délégué du syndicat etc. Le paradigme dont
nous venons de rendre compte, au regard des comportements politiques évidents
mais aussi de l'orientation de l'onomastique, se scinde très nettement en deux
ordres: l'ordre ancien et le nouvel ordre politiques. Soit:
al - paradigme 1: lethniel
- malinkés
- non malinkés
bl - paradigme 2: Ireligionl
- musulmans
1
- non musulmans
cl -
paradigme 3
Ipoli tiquel
- prince déchu
- dernier légitime
- respectueux de la tradition
- irrespectueux de la tradition
- ancien détenu politique
- en exercice du pouvoir
- illégitimes
Il est encore possible de dégager quelques paradigmes de l'ensemble des
éléments de sens considérés plus haut. Cependant, s'agissant de parvenir à une
structuration convenable des personnages, nous nous limiterons volontairement

- 109 -
à ces trois paradigmes auxquels. nous sommes parvenus, paradigmes déterminants
que nous posons ici comme" axes sémantiques" définissant les personnages, et
que nous utiliserons à l'appréhension organisée et homogène de ceux-ci. En un
certain sens, la dichotomie interne systématique que manifeste chacun des axes
sémantiques énoncés (cf. malinké/non malinké, musulman/non musulman, et aussi
ancien ordre/nouvel ordre) nous impose de voir d'abord comment chacun organise
individuellement les personnages. En considérant ceux-ci par rapport aux axes
sémantiques /ethnie/, /religion/ et /politique/, nous procèderons simplement à
une classification systématique dont nous donnons comme suit les résultats:
a/ -
paradigme 1
/ethnie/
/malinkés/
• Fama
• Salimata
· Mariam
• Anciens
· Griot
· Bamba
· Diamourou
· Chef de poste
· Bakary
· Membres du comité
- /non malinkés/
· Président
· Délégué du S.N.T
· Douanier
· Gardes
· Marabout
• Balla
· Ouvriers et mendiants
b/ -
paradigme 2:
/religion/
/musulmans/
· Fama
· Salimata
· Mariam

- 110 -
• Anciens
• Griot
• Bamba
• Diamourou
• Chef de poste
• Bakary
• Membres du comité
• Marabout
• Ouvriers et mendiants
- /non musulmans/
• Président
• Délégué du S.N.T
• Douanier
• Gardes
• Balla
c/ -
paradigme 3
/politique/
- /ancien ordre/
• Fama
• Salimata
• Mariam
• Balla
• Diamourou
Anciens
- /nouvel ordre/
• Président
• Délégué du S.N.T
• Douanier
• Gardes
• Marabout
• Membres du comité
Chef de poste
• Bakary
• Bamba
• Griot
• Ouvriers et mendiants

I I I -
Quelques observations sont à faire à l'issue de cette structuration tout
à fait provisoire des personnages, structuration qui s'appuie sur les aspects
antinomiques et/ou opposés (cf. par exemple, /malinkés/ vs /non malinkés/) des
acteurs. En ce sens, nous ferons observer que la structuration, d'une manière
générale, débouche sur la formation de six groupes de personnages. Ces groupes
de personnages appréhendés du point de vue des éléments qui les organisent ou
dont ils sont composés révèlent quelques caractéristiques assez intéressant en
tout cas à considérer. D'abord du point de vue du nombre de leurs composants,
c'est-à-dire de ceux sur lesquels ils sont fondés : avec douze éléments qui le
composent, le groupe /musulmans/ se présente comme le mieux constitué. Il est
suivi de près par le groupe /nouvel ordre/ qui compte onze éléments, le groupe
/malinkés/ avec dix éléments, le groupe /non malinkés/ avec sept éléments, le
groupe /ancien ordre/ avec six éléments, et enfin le groupe /non musulmans/ au
demeurant peu fourni avec cinq éléments. Ces nombres, faut-il donc le dire ?,
ne sont pas absolus, et n'ont de valeur qu'à titre indicatif. Il est nettement
probable qu'une décompte systématique modifie légèrement ou même profondément
les nombres avancés plus haut. Toutefois, en considérant qu'ils constituent un
point d'appui prospectif pour l'analyse - dans la mesure où ils concernent un
lot de personnages ou d'acteurs les plus authentiques et entreprenants de tout
le texte -, nous en déduirons ceci: le récit met en mouvement un monde vaste
et hétérogène, dominé par les musulmans. Autrement dit, le monde représenté au
niveau du récit est avant tout celui de musulmans. Dans ce monde ainsi saisi,
la préoccupation politique des individus est plus tournée vers le nouvel ordre
politique que vers l'ancien ordre, c'est-à-dire vers la dynastie Doumbouya du
Horodougou.
Nous venons de voir comment chacun des axes sémantiques structure assez
facilement les personnages, et un certain nombre d'observations, plus ou moins
ponctuelles, peuvent être faites à ce niveau. On re~arquera toutefois ici que
dans la perspective d'une structuration homogène des personna~es aucune classe
ne saurait sortir de tel mode d'organisation, compte tenu de la permanente et
extrême mobilité de certains personnages d'un groupe à un autre. Il faut alors
passer à un niveau de structuration plus synthétique où seront pris en compte
simultanément les trois axes sémantiques construits. Nous allons reprendre ici
dans le tableau qui suit les résultats consécutifs aux opérations de toute la
structuration effectuée précédemment :

- 112 -
-
Èthnie
Religion
Politique
Personnages
Malink. N- Mal. Musulm. N- Mus. Ancien
Nouvel
Fama
x
x
x
Salimata
x
x
x
Mariam
x
x
x
Diamourou
x
x
x
Anciens
x
x
x
Politiciens
x
x
x
Délégué
x
x
x
Douanier
x
x
x
Gardes
x
x
x
Griot
x
x
x
Bamba
x
x
x
Chef de poste
x
x
x
Bakary
x.
x
x
Comité
x
x
x
Marabout
x
x
x
Ouvriers
x
x
x
Balla
x
x
x
,
lI
Nous voyons se dessiner sur le tableau synthétisant les divers éléments
de sens des personnages, en considérant la totalité des axes sémantiques, cinq
classes de personnages fondées non pas sur un même nombre d'axes - chacun des
personnage relève au moins de ces trois axes - mais sur des traits sémantiques
identiques. La première classe, fondée sur les traits /malinkés/, /musulmans/
et /ancien ordre/, comprend cinq éléments dont Fama, Salimata, Mariam, Anciens
et Diamourou. La seconde classe, organisée à partir des traits /non malinkés/
/non musulmans/ et /nouvel ordre/, recueille quatre éléments dont Politiciens,
Délégué du S.N.T, Douanier et Gardes. La troisième classe, engendrée à partir
des traits /malinkés/, /musulmans/ et /nouvel ordre/, est composée, exactement
comme la première, de cinq éléments dont Griot, Bamba, Chef de poste, Bakary,
Membres du comité. La quatrième classe, constituée surtout à partir des traits

- 113 -
/non malinkés/, /musulmans/ et /nouvel ordre/, contient deux personnages dont
Marabout et Ouvriers. La cinquième classe, constituée à partir des traits /non
malinkés/, /non musulmans/ et /ancien ordre/, est un singleton dont l'élément
unique n'est autre que Balla, le vieil affranchi. Soit, formellement:
Classe 1 : Fama
Salimata
Mariam
Anciens
Diamourou
Classe 2
Gardes
Douaniers
Poli ticiens
Délégué du S.N.T
Classe 3
Griot
Ba.rnba
Bakary
Chef de poste
Membres du comité
Classe 4
IY1arabout
Ouvriers et mendiants
Classe 5
Balla
Ainsi donc, en prenant en compte l'équivalence absolue de leurs diverses
définitions ou mieux encore, de leurs traits définitoires, constatons-nous au
bout de la structuration des personnages sur la base de leurs qualifications à
travers le discours l'émergence de cinq classes de personnages très fortement
marquées par une certaine autonomie. Un tel résultat s'oppose à celui obtenu à
partir de la structuration des personnages, sur les bases fonctionnelles. Là,
nous débouchions sur quatre actants. Ici, nous avons cinq classes dont on peut
dire qu'elles sont pleinement autonomes. Si, abandonnant ce point de vue trop
général, nous nous concentrons sur les résultats présents nous pouvons montrer
que le monde du roman est dominé par les personnages malinkés musulmans, bien
ancrés dans l'ancien ordre politique d'une part et d'autre part aussi, par les

1
f
- 114 -
1j
l
personnages malinkés musulmans, très orientés vers le nouvel ordre politique,
1
l
c'est~à-dire par les personnages des Classes 1 et 3 qui recueillent chacune au
l
moins cinq éléments ou cinq personnages. Quoiqu'il en soit, et sur la base de
ces formes d'organisation des personnages, nous sommes en mesure d'affirmer en
toute liberté que le monde représenté est et reste celui surtout d'acteurs ou
de personnages malinkés musulmans. Dès lors, la présence des autres acteurs ou
des autres personnages non malinkés et non musulmans se révèle d'emblée comme
un accident, mais un accident suspect dont nous ne pouvons dévoiler réellement
la valeur qu'à partir d'une analyse plus profonde, démontant les enjeux.
Nous avons tenté, depuis le début de l'analyse, de saisir le personnage
textuel à partir de ses fonctions et de ses qualifications. Ce faisant surtout
nous sommes plus ou moins parvenus à dévoiler des actants (cf. Fonctions), et
des classes de personnages (cf. Qualifications) dont nous ne nous sommes guère
préoccupés des possibles rapports, explicites ou non, qui soient. Nous savons
pourtant, avec Sorin Alexandrescu, que
"aucune classe de personnages ne peut
j
fonctionner dans le vide; elle doit nécessairement s'en rapporter à d'autres,
suivant des relations qui constituent le système des classes dans l'univers du
discours donné Il (cf. Logique du personnage, p.135). En partant de ce constat
1
j.
j
judicieux, nous allons essayer de découvrir les diverses relations spécifiques
•j
que les actants d'une part et les classes de personnages d'autre part et pour
f
!
tout dire les personnages en général instituent entre eux. En clair, il s'agit
de construire le système particulier des personnages textuels.
1
1
i
1
2.3 : Le système des classes :
1
La détermination du système des personnages comportera ici trois phases
l
que nous spécifions comme suit: une première phase visant une structuration a
f
priori très fine des classes de personnages construites à partir des diverses
qualifications dégagées, une seconde phase se préoccupant d'une réorganisation
ou mieux d'une mise en relation des actants auxquels nous sommes parvenus, et
enfin une troisième phase de structuration synthétique c'est-à-dire prenant en
1
compte dans son procès les résultats des structurations précédentes. En cette
dernière phase, l'analyse tentera de voir s'il existe ou non une conformité de
1
1
fait entre l'état du personnage et son rôle actantiel et inversement. Il sera
ainsi possible de déterminer si un Malinké agit pour ou contre un Malinké dont
on peut dire qu'il est frère, si un individu du nouvel ordre politique aide a
priori un autre du même ordre, etc.

- 115 -
2.3.1 : Les classes et leurs ranports :
Mettre en évidence les relations qui existent entre des classes ou mieux
encore, montrer comment un ensemble .de classes fonctionne bien comme système,
c'est avant tout déterminer un certain nombre de critères qui les constituent,
disons, en objets comparables. De ce point de vue, l'observation attentive et
profonde des classes de personnages dévoile très bien l'impossibilité évidente
de leur mise en rapport sur la base des éléments qui les composent de manière
régulière. Ces éléments, on le sait, restent irrémédiablement distincts. Si de
ce point de vue donc l'analyse ne trouve guère son chemin, il nous revient de
considérer les classes par rapport aux divers traits sémantiques caractérisant
les personnages. Rappelons pour chacune des classes les traits énoncés.
Classe 1
malinkés, musulmans, ancien ordre.
Classe 2
non malinkés, non musulmans, nouvel ordre.
Classe 3
malinkés, musulmans, nouvel ordre.
Classe 4
non malinkés, musulmans, nouvel ordre.
Classe 5
non malinkés, non musulmans, ancien ordre.
Considérons ces classes par rapport aux trois types de traits:
De ce point de vue général des trois types de traits définissant chacune
des cinq classes, nous constatons qu'il n'existe aucun trait commun entre les
classes 1 et 2. De plus, les traits sémantiques apparaissant forcément dans la
classe 1 restent contraires à ceux apparaissant dans la classe 2. Nous notons
également cette contrariété de traits sémantiques entre les classes 3 et 5. De
fait, les classes 1 et 2 entretiennent des relations d'opposition, tout comme
entretiennent des relations d'opposition les classes 3 et 5. En dehors donc de
ces deux cas où des classes manifestent entre elles des relations précises et
facilement nommables, il n'y a plus de relations possibles nommables entre les
classes qui soient générées sur la base des trois types de traits.
Un tel résultat découlant de l'approche comparée des classes, quoiqu'il
nous permette de faire un bond sérieux dans la compréhension très profonde des
formes d'organisation des personnages, ne saurait nous satisfaire normalement
et pour une bonne raison. Il n'intègre point la classe 4 qui, considérée en un
certain sens par rapport à l'ensemble des trois types de traits, manifeste un
cas ou une situation de rapport complexe et irrémédiablement inextricable avec
les quatre autres classes. Nous le savons
avec certaines (cf. les classes 2
et 3), elle manifeste au moins deux types de traits identiques ou similaires a
1

- 117 -
.
a/ - Relations issues des trois axes
- opposition · Classe 1 vs Classe 2
· Classe 3 vs Classe 5
b/ - Relations issues de l'axe politique
- solidarité · Classes 1 et 5
· Classes 2, 3 et 4
- opposition
Classes 1/5
vs
Classes 2/3/4
Les résultats ainsi synthétisés incitent à une découverte nettement plus
fine et plus cohérente des rapports existant entre l'ensemble des classes, et
cela pour une raison majeure : la nécessité surtout de parvenir utilement à un
nombre réduit de relations entre classes, alors que la synthèse ci-dessus est
encore le lieu de démultiplications de relations.
Si dans cette perspective nous considérons les données mises en évidence
plus haut nous constatons l'existence de possibles manipulations. Ainsi donc,
1
dans cet effort de synthèse des résultats des deux séries d'opération réalisée
f
à partir des trois axes d'une part et de l'unique axe d'autre part, il semble
tout à fait possible de fondre la relation d'opposition entre les classes 1 et
5 et la relation d'opposition entre les classes 3 et 5 issues des trois axes,
dans l'unique relation d'opposition dégagée à partir de l'axe politique, cette
dernière relation d'opposition absorbant de fait les deux premières. Les deux
relations de solidarité restent foncièrement irréductibles quant à elles. Tout
ceci nous fait déboucher sur deux relations fondamentales dont la relation de
solidarité (cf. solidarité entre Classes 1 et 5 et solidarité entre Classes 2,
3 et 4) et la relation d'opposition (cf. opposition entre l'ensemble formé en
fait par les classes 1 et 5 et l'ensemble constitué par les classes 2, 3 et 4)
Ces relations se schématisent aisément comme suit :
Classe 2
1
Classe 1 ---------------. 1t
1
1
Classe
,
3
1
Classe 5 ---------------~ 1t
Classe 4
1

lW -
Toutes les opérations qui précèdent manipulent beaucoup des données fort
abstraites pour ne pas rester légitimement incompréhensibles. Essayons par le
biais des données sémantiques de rendre compte logiquement des résultats assez
simples auxquels nous sommes parvenus par abstraction totale des personnages,
et surtout des qualifications de ces derniers. De ce point de vue, il convient
de faire remarquer ceci. Les Malinkés musulmans orientés essentiellement vers
l'ancien ordre politique (cf. Classe 1) s'opposent qualitativement dirons-nous
aux non Malinkés non musulmans - donc des étrangers à la terre de Togobala et
du Horodougou - entièrement tendus vers le nouvel ordre politique radicalement
rejeté par Fama (cf. Classe 2). D'autre part des Malinkés musulmans - et donc
des autochtones du Horodougou - penchant pour le nouvel ordre politique que le
comité a introduit à Togobala (cf. Classe 3) se dressent contre des individus
non Malinkés non musulmans - donc des étrangers au Horodougou - mais soutenant
l'ancien ordre politique. Dans une autre perspective encore, nous observons à
j
travers les relations dégagées que des Malinkés musulmans (cf. Classe 1) en un
,
certain sens sont liés à des non Malinkés non musulmans (cf. Classe 5) tout à
fait proches d'eux politiquement, alors que d'autres Malinkés musulmans qui ne
1
sont plus en harmonie avec l'ancien ordre (cf. Classe 3) s'allient à d'autres
non Malinkés non musulmans relevant quant à eux du nouvel ordre (cf. Classe 2)
ainsi qu'à des non Malinkés musulmans proches du nouvel ordre (cf. Classe 4).
En des termes plus simples encore, nous dirons pour reprendre les divers
éléments de réponse qui précèdent que, dans la perspective particulière de la
relation d'opposition, des authentiques ressortissants de Togobala ne comptant
qu'avec la dynastie des Doumbouya s'opposent à des étrangers au Horodougou ne
jurant qu'avec ou que par les nouveaux pouvoirs républicains. Inversement, des
authentiques étrangers vivant à Togobala et soutenant la dynastie sont contre
certains ressortissants de Togobala qui restent proches des
nouveaux pouvoirs
républicains. Dans la perspective de la relation de solidarité, nous observons
que toute une partie des autochtones s'allient à des étrangers avec lesquels,
disons, ils partagent l'attrait de la monarchie, alors que l'autre partie - le
comité principalement - pactise avec d'autres étrangers soutenant quant à eux
le système républicain.
Nous constatons à ce niveau de la structuration des classes d'acteurs ou
de personnages fondées sur les qualifications diverses que ce qui donne force
d'existence et de fonctionnement correct au système des classes de personnages
c'est en définitive le trait politique inhérent à chacun des personnages. Les
oppositions et alliances - par rapport aux qualifications - ne se réalisent en
1

- 119 -
fait que sur ce plan ou que de ce point de vue. Nous sommes logiquement fondés
à tenter une réorganisation totale des classes de personnages quine s'appuie
que sur le seul axe sémantique réellement opératoire que demeure naturellement
l'axe politique. La dichotomie interne systématique entretenue par un tel axe
qui morcelle les éléments qu'il organise en deux catégories
/nouvel ordre/ et
/ancien ordre/
impose une réduction des cinq classes de personnages textuels
énoncées à deux grandes classes. Si nous désignons par" conservateurs " alors
tous les personnages relevant de l'ordre ancien et par" progressistes" tous
ceux liés au nouvel ordre, nous transcrirons très simplement comme suit ici la
fondamentale opposition qualitative des personnages :
/Conservateurs/
vs
/Progressistes/
Fama
Griot
Salimata
Bamba
Balla
Président
Mariam
Délégué du S.N.T
Anciens
Douanier
Diamourou
Chef de poste
Gardes
Bakary
Marabout
Ouvriers
Membres du comité
Du point de vue des qualifications donc, le roman développe une profonde
opposition entre, non pas des Malinkés et des non Malinkés ou plus simplement
encore des musulmans et des non musulmans, mais des Conservateurs politiques à
jamais emmurés dans leur idéologie attardée et des Progressistes politiques a
priori aveuglés par le modernisme de gestion sociale à laquelle les cloches de
la politique les ont initiés.
Une telle conclusion, portée au niveau de l'analyse globale des acteurs
du récit, n'a en soi aucune valeur profonde dans la perspective d'une parfaite
compréhension de la narration. Dire d'un individu qu'il est Malinké ou proche
de la dynastie des Doumbouya ne suffit pas à le saisir dans la totalité de ses
rapports avec les autres individus qui forment avec lui un milieu apparemment
cohérent. Encore faut-il savoir ce qu'il fait dans ce milieu. Car il arrive en
1

- 120 -
effet, quoique ce ne soit le cas le plus fréquent, que les qualifications des
personnages divergent d'avec leurs actions. Cette situation institue nettement
entre acteurs ce que nous nommons volontiers la traitrise. En un certain sens
les résultats de notre organisation des classes de personnages manifestent, un
peu sournoisement d'a~lleurs, cette traitrise. Nous savons par exemple que le
vieil affranchi Balla, qui n'est ni malinké ni musulman, pactise avec Fama qui
est un authentique Malinké musulman. Nous savons également que les membres du
comité, d'authentiques Malinkés musulmans, composent avec des non Malinkés non
musulmans dont le .. délégué étranger, ignorant des coutumes malinkés ••• " (cf.
p.14l). Or, dans un texte narratif, la fonction du personnage reste sinon plus
importante du moins plus utile à la compréhension de l'acteur. Nous allons de
ce fait tenter d'élucider les rapports entre les actants pour voir dans quelle
mesure la conclusion partielle sur les qualifications gagne en valeur.
2.3.1 : Les relations entre actants:
Nous avions précisé ailleurs (cf. § 2.3.1) que montrer comment un groupe
ou un ensemble de classes distinctes fonctionne comme un système, c'est poser
d'abord des critères qui rendent ces classes comparables. S'agissant ici, pour
nous, de voir les diverses relations entre actants, nous nous appuyerons tout
naturellement sur les rôles par lesquels ils ont été construits. Et, en effet,
dire d'un actant X qu'il assume le rôle /donateur/ d'un objet 0 à un actant Y
c'est instituer à travers l'action /don/ au moins partiellement, a priori, une
relation d'aide entre les actants X et Y.
.. Au moins partiellement .. car, en
un certain sens, l'action /don/ établit ici plus d'un type de rapport, 'si nous
prenons en compte les trois actants 0, X et Y. Nous venons de voir qu'entre X
et Y se pose une relation d'aide. Entre Y le donataire et 0 l'objet de don, se
tisse implicitement une relation de désir. Nous pouvons aussi aller plus loin
et établir entre X le donateur et 0 l'objet de don une relation d'influence ou
de domination. C'est donc par un retour sur les rôles que nous dégagerons les
relations entre les quatre actants auxquels nous étions parvenus en organisant
les fonctions des acteurs. Nous ferons observer, avant de poursuivre ici, que
le grand nombre de rôles constituant chaque actant nous conduit nécessairement
à faire porter toute notre démonstration, par souci d'économie, sur un nombre
relativement faible de rôles. Une telle procédure ne constitue pour nous aucun
problème dans la mesure où les rôles qui composent un actant en général reste
fonctionnellement équivalents, au regard même de la relation d'équivalence qui
1

- 121 -
les organise au sein d'une classe de rôles dénommée Il actant Il
Soient ces quelques rôles des actant~ :
- Actant l
empêché, donataire, choisisseur.
- Actant 2
réparateur, donateur, intercesseur.
- Actant 3
offenseur, déconseilleur, empêcheur.
Actant 4
objet demandé, objet réparé, objet refusé.
Partons des rôles de l'Actant l
L'empêché Fama (Actant 1) subit l'action /empêchement/ perpétrée par le
douanier (Actant 3). Le donataire Fama (Actant 1) bénéficie très généreusement
de l'Action /don/ assumée par Balla et Diamourou (Actant 2). Notons enfin que
le choisisseur Fama (Actant 1) manifeste l'action /choix/ de l'objet /voiture/
(Actant 4).
Considérons les rôles de l'Actant 2 :
Le réparateur qu'est le groupe des Anciens (Actant 2) réalise de manière
désintéressée l'action /réparation/ au profit de Fama (Actant 1). Le donateur
Balla (Actant 2) accomplit l'action /don/ au bénéfice de Fama (Actant 1). Nous
noterons enfin que l'intercesseur qu'est le chef de poste (Actant 2) effectue
l'action /intervention/ au profit de Fama (Actant 1).
Voyons les rôles de l'Actant 3
L'offenseur qui est le griot (Actant 3) perpètre l'action /offense/ tout
à fait consciemment au détriment de Fama (Actant 1). Le déconseilleur acharné
qu'est Bakary (Actant 3) accomplit l'action /déconseil/ au détriment notamment
de Fama (Actant 1). Enfin, l'empêcheur qu'est le douanier (Actant 3) effectue
l'action /empêchement/ contre Fama (Actant 1).
Observons enfin les rôles de l'Actant 4 :
L'objet demandé qui est l'explication (Actant 4) est visé par l'action
·/demande/ assumée par Fama (Actant 1). L'objet réparé qu'est surtout l'offense
(Actant 4) est visé par l'action /réparation/ accomplie spontanément par tous
les Anciens (Actant 2) au profit de Fama (Actant 1). L'objet refusé qui est la
voiture (Actant 4) est visé par l'action /refus/, délibérément commise par le
délégué du syndicat national des transporteurs (Actant 3).
Lorsque nous considérons chacun des rôles constituant chacun des actants
textuels dans la perspective de sa manifestation narrative, nous sommes en un
mot frappés par les diverses implications d'actants que leur formulation et/ou
leur transcription dévoile(nt). Ainsi, les rôles de l'Actant l convoquent-ils
en plus de l'Actant l dont ils relèvent les Actants 2, 3 et 4, tout comme ceux
1

122 -
de l'Actant 2 impliquent l'Actant 1, ceux de l'Actant 3 suggèrent l'Actant 1,
et ceux de l'Actant 4 appellent les Actants 1, 2 et 3. Autrement dit, l'Actant
1 est toujours en rapport avec les Actants 2, 3 et 4, l'Actant 2 avec le seul
Actant 1, l'Actant 3 également avec le seul Actant 1, et enfin l'Actant 4 avec
les Actants 1, 2 et 3. Tout ce qui précède peut se schématiser ainsi :
Actant 1
--. Actant 2, Actant 3, Actant 4.
Actant 2
--. Actant 1.
Actant 3
-. Actant 1.
Actant 4
--. Actant 1, Actant 2, Actant 3.
Nous sommes ainsi parvenus, à partir de l'analyse succincte de quelques
rôles construisant chacun des actants textuels visés surtout sous l'angle très
simple de leur orientation narrative, à découvrir les actants ayant entre eux
des rapports directs. Toutefois, nous ne sommes pas encore en mesure de dire à
quel type de rapports directs nous avons affaire. C'est à la détermination de
ces types de rapports que nous allons nous atteler. Nous essayerons simplement
d'y parvenir en nous appuyant à la fois sur le contenu sémantique minimal des
rôles composant chaque actant et sur les motivations manifestes qui conduisent
1
j
ou incitent les agents à l'action.
1
Soient les quatre réseaux de rapports ainsi définis
- Réseau a
Actant 1
face à
Actant 2, Actant 3 et Actant 4.
1
- Réseau b
Actant 2
face à
Actant 1.
j,
- Réseau c
Actant 3
face à
Actant 1.
- Réseau d
Actant 4
face à
Actant 1, Actant 2 et Actant 3.
f
En essayant, par une abstraction très poussée au demeurant, de ramener à
volonté les divers rôles assumés par les thèmes/personnages composant au plan
actoriel chacun des actants à de plus simples expressions c'est-à-dire, en les
ramenant à des formules générales de type" pour ", " contre" ou même encore
" au bénéfice de ", " au détriment de " etc, nous pouvons transcrire en termes
narratifs les divers rapports qui précèdent comme suit
- Réseau a
Actant 2
agit pour
Actant 1.
Actant 3
agit contre
Actant 1.
Actant 4
objet désiré par
Actant 1.
- Réseau b
Actant 2
agit pour
Actant 1-
- Réseau c
Actant 3
agit contre
Actant 1.
1

- 123 -
- Réseau d
Actant 4
objet désiré par
Actant 1.
Actant 4
objet désiré par
Actant 2
pour
Actant 1.
Actant 4
objet désiré par
Actant 3
contre
Actant 1.
Les rapports entre les divers actants, ainsi formalisés, projettent leur
propre nature. Toutefois, ils restent assez démultipliés à ce niveau pour que
leur définition soit claire. Il nous faut donc les synthétiser c'est-à-dire en
fait produire une résorption de tous ceux de ces rapports qui apparaissent au
moins plus d'une fois, à travers notre formalisation.
Soient l'ensemble des quatre réseaux:
Au niveau général de ces quatre réseaux, nous constatons une équivalence
ou une homologie totale entre l'unique rapport manifesté ici sous le réseau b
et le premier rapport du réseau a (cf. Actant 2 agit pour Actant 1). Une telle
homologie est facilement décelable entre l'unique rapport posé sous le réseau
c et le second rapport du réseau a (cf. Actant 3 agit contre Actant 1). Ainsi,
à ce niveau déjà, nous pouvons affirmer nettement que les rapport's développés
au niveau des réseaux b et c se résorbent dans le réseau a. D'autre p~rt, tous
les rapports du réseaux d, étant donnée leur perspective, s'offrent à quelque
réorganisation synthétique. En effet, si l'Actant 2 agit notamment dirons-nous
sur l'Actant 4 au bénéfice de l'Actant l, et si l'Actant 3 tend à le faire au
détriment de l'Actant l, et si de plus l'Actant 1 affirme son désir de ce même
Actant 4, alors tout ce jeu ou ces faisceaux de rapports peuvent se ramener à
un rapport unique que nous énonçons par la formule " Actant 4 objet désiré par
1
r
Actant 1 ". Ce dernier rapport, synthèse des trois qui sont consignés sous le
réseau d, entretient une équivalence ou une homologie totale avec le troisième
rapport du réseau a (cf. Actant 4 objet désiré par Actant 1). Ainsi réalisée,
la synthèse des divers rapports précédemment mis en évidence nous conduit à un
ensemble limité de rapports que nous donnons comme suit
Actant 2
agit pour
Actant 1.
1
Actant 3
agit contre
Actant 1.
1
Actant 4
objet désiré par
Actant 1.
1
A ce niveau de grande synthèse et d'abstraction, la nature propre et/ou
le type précis de chacun des rapports existant entre les actants se dévoile ou
1
se laisse appréhender aisément. Dans la mesure où l'Actant 2 assume certaines
actions en faveur de l'Actant l, nous disons que l'Actant 2 apporte un secours
1
total à l'Actant l, définissant ainsi entre eux une relation d'aide. Dans une
1
toute autre perspective, l'Actant 3 assume certaines actions fort malheureuses
1

- 124 -
au détriment de l'Actant 1. Nous disons ici que l'Actant 3 s'oppose de manière
délibérée à l'Actant l, déterminant ainsi une relation d'opposition. L'Actant
l, dans la mesure où il convoite l'Actant 4, institue nécessairement entre eux
une relation de désir. Ce faisant, l'Actant 2 se pose en adjuvant de l'Actant
1 au regard de qui l'Actant 3 se situe comme un opposant. Cet Actant 1 se pose
lui-même en sujet du désir, alors que l'Actant 4 s'affirme comme objet. Toute
représentation schématique des diverses relations ainsi dégagées et des divers
actants qui les entretiennent donne :
Actant 4
(objet)
~,,,,!
Actant 2 ----------~ Actant 1 ~-------- Actant 3
(adjuvant)
(sujet)
(opposant)
Nous ferons remarquer ceci avant de poursuivre : le schéma synthétisant
l'ensemble des relations que les actants textuels entretiennent résulte, comme
on peut s'en convaincre aisément, d'une profonde observation d'abord et d'une
méticuleuse réorganisation ensuite des données textuelles qui dévoilent ou qui
découvrent le jeu complexe des rapports de complicité et de désaccord absolu,
des translations obliques dont l'objet visé par le sujet reste le centre. Posé
comme tel, il est l'émanation de notre texte, et rien que cela. Il ne saurait
inciter à une comparaison, de quelque manière, avec le modèle désormais connu,
pour ne pas dire classique du schéma actantiel de Greimas. Il ne sera donc pas
question pour nous de nous interroger sur l'existence ou non des actants dits
greimasiens tels que le " Destinateur" ou le " Destinataire" que n'a pu nous
révélés notre analyse. Et, en effet, dans la mesure où dans un récit" chaque
moment de l'action
constitue
une situation conflictuelle où les personnages
se poursuivent, s'allient ou s'affrontent" (cf. Bourneuf/Ouellet : L'univers
du roman, p.160), on peut prévoir et accepter que le nombre de relations entre
personnages ou acteurs participant à ce récit reste hypothétique.
Le schéma explicatif des rapports entre les divers acteurs textuels que
nous venons de construire se situe, précisons-le, au niveau global du discours
narratif et, en cela, n'est qu'une forme abstraite et globalisante des divers
rapports qu'entretiennent les acteurs à chaque pas de l'évolution narrative. A
ce titre, il cache les variations actantielles et/ou actorielles qui scandent
1

- 125 -
la progression de la narration (cf. par exemple, les moments très particuliers
de l'Action où le Sujet ne rencontre guère d'oppositions ou n'a point d'aides
ou soutiens, où il s'envole complètement, laissant ainsi à ses alliés et à ses
ennemis le vaste champ actionnel déserté, etc). Etant donnée l'importance que
peuvent avoir ces variations sur le plan interprétatif, il convient sans doute
d'appliquer à chacune des séquences narratives ce schéma global des relations
actantielles pour faire ressortir à ce niveau les possibles nuances expansives
ou restrictives manifestées, en vue d'une lecture plus fine des personnages.
Soit le tableau suivant :
Actants
A - B - C - D - E - F - G - H - l - J - K
Sujet
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
Objet
x
x
x
x
rj
x
x
x
x
x
rj
Adjuvant
x
rj
cl
cl
x
x
x
x
x
x
cl
Opposant
x
x
x
x
x
cl
x
x
x
x
x
Ce tableau rendant compte de la fréquence d'apparition des actants et où
les lettres A, B, C, D, etc représentent les séquences narratives exploitées,
très abondamment du reste, au chapitre premier et où les signes x et cl d'autre
part traduisent respectivement la présence (cf. signe x) et l'absence absolue
(cf. signe rj) du ou des actants dans/de la séquence impliquée, ce tableau donc
appellent quelques remarques dignes d'att~ntion.
Du point de vue des apparitions et disparitions, autrement dit du point
de vue des présences et absences des actants à travers les divers moments pour
ne pas dire les deiverses séquences narratives, nous constatons nettement que
l'actant sujet est présent, en permanence, dans tout le récit. Par contre, les
actants objet, adjuvant et opposant y sont absents: deux fois (cf. Séquences
E et K) pour le premier, quatre fois (cf. Séquences B, C, D, K) pour le second
et une fois (cf. Séquence F) pour le troisième. Avec ses quatre absences dans
le cours du récit, l'actant adjuvant reste fondamentalement le plus irrégulier
de tous les actants.

- 126 -
De ces diverses appari~ions et disparitions d'actants, appréhendées par
rapport au schéma explicatif global des relations actantielles manifesté, nous
retenons aisément ceci: le discours narratif se construit très bien au début
du texte en se fondant sur les trois relations dégagées (cf. Désir, Opposition
et Solidarité ou Aide), progresse par des lacunes' notoires dont notamment les
absences un peu trop appuyées de l'Adjuvant, pour finir ou s'achever nettement
sur les seules présences du Sujet et de l'Opposant. Cette dernière situation,
qui reste assez surprenante au demeurant, ne manque pas d'effets, ou à tout le
moins, de conséquences : en instituant telle confrontation trop brutale entre
le Sujet et l'Opposant, le texte narratif découvre une opposition fondamentale
dont l'issue est inéluctablement désastreuse, dans la dernière séquence.
Nous avons analysé séparément, depuis le début de ce chapitre, tous les
acteurs ou les personnages du texte à travers les fonctions qu'ils assument et
les qualifications dont ils sont affublés. Ce faisant, nous avons abouti à un
ensemble de résultats très denses mais épars qu'il convient assez sérieusement
de restructurer de manière homogène et significative. Et en effet dirons-nous
volontiers, dans la mesure où " les fonctions et les qualifications sont comme
le faire et l'être de l'actant" (cf. Coquet: Sémiotique littéraire •• , p.71)
autrement dit, dans la mesure où les fonctions et qualifications tendent en un
mot à constituer l'actant - ou même l'acteur, à un niveau superficiel - en un
tout homogène et déterminé, la nécessité d'envisager le personnage dans toutes
ses dimensions s'impose, et c'est ce qui justifie les développements que nous
abordons comme suit.
2.3.3 : Des qualifications aux fonctions
Tentons un rapide bilan.
L'analyse effectuée dans le premier sous-chapitre, nous a fait déboucher
à partir d'une structuration des rôles et groupes de rôles sur quatre actants
entièrement anonymes. Celle du troisième sous-chapitre nous a nettement permis
de vaincre cet anonymat et préciser pour chaque actant son statut narratif en
même temps que le type de rapport qu'il entretient dans le système des acteurs
ou des personnages. D'autre part, l'analyse du second sous-chapitre a conduit
à la découverte de cinq classes de personnages fondées sur des équivalences ou
homologies de traits. Celle du troisième sous-chapitre a corrigé le nombre de
ces classes en le ramenant à deux. En essayant en fait de faire prédominer les
résultats acquis à travers l'analyse des fonctions sur ceux obtenus par étude
1

- 127 -
d~s qualifications des personnages, nous pouvons reprendre tous les principaux
résultats dégagés jusqu'ici dans ce tableau synthétique qui suit. Soit:
ACTANTS
THmES
Fama,
1 - Sujet
Salimata.
Anciens, Balla, Diamourou,
2 - Adjuvant
Chef de poste, président, parti.
Salimata, Bakary, Bamba, griot,
3 - Opposant
Ouvriers, comité, délégué du S.N.T,
Douanier, gardes, président, parti,
Saurien.
Offense, explication, riz, argent,
4 - Objet
Enfant, Salimata, voiture, voyage,
Devoir, argent, Mari am , veuves,
Chefferie, funérailles, moyens,
Taurillon, complot.
Ainsi livrés, les principaux résultats des investigations qui précèdent
projettent en un certain sens la signification qui se gaze assez difficilement
d'ailleurs sous les diverses structurations opérées. Et en effet il s'agit de
projection car, à ce niveau d'analyse et compte tenu de l'état ou de la nature
des données que nous manipulons, nous ne pouvons légitimement procéder soumis
à la réalité des objets de base qu'à une lecture très abstraite de type: Fama
et Salimata, sujet du désir, bénéficie de la solidarité de l'adjuvant qui est
un ensemble d'individus disparates et épars dont les Anciens, Balla, Diamourou
etc, dans l'intention d'acquérir l'objet apparemment constitué d'individus et
de choses tels que offense, explication, riz, argent, enfant etc, mais restent
confrontés à l'opposant formé d'individus divers dont Salimata, comité etc.
1
1

- 128
Une telle difficulté dans le déchiffrement du sens des divers résultats
consignés dans le tableau synthétique provient, à l'évidence disons, de ce que
les thèmes/personnages constituant chaque actant - qui lui est authentifié et
parfaitement connu dorénavant - restent à ce niveau d'analyse individualisés à
travers leur énonciation. Autrement dit, si les thèmes/personnages formant un
actant donné sont connus en structure de surface, il reste certain que nous ne
savons guère - situés en structure profonde - quel individu (personne, objet,
ou chose) se cache sous les thèmes/personnages ainsi morcelés. S'agissant donc
de parvenir à un déchiffrement homogène et correct des résultats réalisés, il
convient de procéder à une abstraction des thèmes/personnages afin pr~cisément
d'en dégager ce que nous nommerons ici le " noyau thématique" autrement dit,
la figure essentielle du monde ou tout simplement le principe sous-tendant ces
thèmes/personnages impliqués.
Considérons les thèmes de l'Actant 1 :
Ces deux thèmes (cf. Fama et Salimata), au regard des qualifications que
génèrent les trois types de traits considérés donc les trois axes sémantiques
retenus par l'analyse en § 2.2.2, manifestent tout à fait nettement des traits
définitoires équivalents ou homogènes: ils sont malinkés musulmans, orientés
vers l'ancien ordre politique. Dans la logique des classes de personnages, ils
sont dits conservateurs. De plus, s'agissant de Fama, d'autres traits en fait
sont à noter: il est prince déchu, dernier et légitime descendant Doumbouya à
Togobala, etc. S'agissant de Salimata, nous ferons remarquer particulièrement
qu'elle est épouse de Fama. Dès lors, les thèmes de l'Actant 1 ne sont pas qUe
des conservateurs. Ils sont aussi et surtout les représentants (authentiques)
de la monarchie de Togobala, et donc de la dynastie des Doumbouya.
Considérons maintenant les thèmes de l'Actant 2 :
Ces thèmes, dans tous les cas de figures c'est-à-dire envisagés du point
de vue des trois axes sémantiques, s'organisent en deux classes de thèmes. En
privilégian~
l'axe politique, nous pouvons constituer deux classes thématiques
dont la première, organisée autour de Anciens, Balla et Diamourou, des agents
structurellement proches de la dynastie des Doumbouya, sera entièrement donnée
comme étant celle des sympathisants de la monarchie, et la seconde, organisée
autour de Chef de poste, président et parti, des individus sinon animateurs du
proches de la république, sera surtout posée comme étant simplement celle des
sympathisants de la république. Ainsi donc, les thèmes de l'Actant 2 restent a
priori dichotomiques.
1

- 129 -
Observons les thèmes de l'Actant 3 :
Ces divers thèmes, du fait de l'existence en leur sein d'individus comme
Salimata dont nous connaissons l'orientation politique somme toute divergente
et le saurien, décrivent en tous les cas trois classes thématiques évidentes :
une première classe composée de l'unique élément Salimata que nous définirons
comme étant celle des sympathisants de la monarchie (nous préférons parler ici
de " sympathisant" et non de " représentant" de la monarchie, dès lors que,
toute seule sans son époux, Salimata ne porte pas les attributs princiers dont
doit faire preuve tout fils Doumbouya), une seconde classe fondée sur Bakary,
Bamba, griot, ouvriers, comité, délégué du S.N.T, douanier, gardes, président,
parti etc, que nous désignerons comme étant celle des représentants effectifs
du système républicain (il s'agit bien de " représentants" comme l'atteste la
très précise onomastique, et non de " sympathisants ,,) et enfin une troisième
classe constituée de l'unique élément qu'est le saurien que nous poserons, par
rapport à certaines données discursives du texte très explicites au demeurant
(cf.
"Un caï.man sacré n'attaque que lorsqu'il est dépêché par les mânes pour
tuer un transgresseur des lois, des coutumes, ou un grand sorcier ou un grand
chef ", p.203), comme étant le bras du destin.
Observons enfin les thèmes de l'Actant 4
Ces thèmes, avant toute tentative d'abstraction et de structuration ici,
appellent quelques remarques de grande importance. Nous avons, volontairement
d'ailleurs, considéré l'ensemble de ces thèmes énoncés jusqu'ici comme étant à
la limite l'objet. Cette perspective n'est pourtant pas tout à fait juste. Et
en effet, l'actant objet tel qu'il est posé ne saurait se saisir extensivement
comme l'objet du désir de l'actant sujet. A travers les thèmes qui le forment
concrètement, il manifeste des nuances tenaces. Sans rentrer dans les détails,
nous pouvons constituer ces divers thèmes en deux groupes: un premier groupe
organisé autour de offense, riz, taurillon et complot, qui sera très nettement
considéré comme celui de l'Objet vécu (l'offense est une situation totalement
malheureuse vécue par Fama, comme est une situation vécue ici le complot qu'il
a fait) et un second groupe formé de explication, argent, chefferie, voiture,
voyage, enfant, Mariam, Salimata, veuves, moyens, funérailles, devoir etc, qui
sera'défini comme étant celui de l'Objet désiré (la chefferie est désirée ici
comme le sont les funérailles grandioses). C'est donc l'ensemble des thèmes du
second groupe qui peuvent légitimement servir à la définition de l'Objet. Dès
lors, toute structuration des thèmes de l'objet du désir du Sujet Fama ne peut

- 130 -
que considérer ces derniers. Précisément, en considérant ces thèmes, nous nous
r~ndons compte qu'ils décrivent grosso modo trois paradigmes assez importants
à observer. Le premier, que nous dénommerons /héritier/, résulte surtout de la
structuration des thèmes divers comme Salimata, Mariam, veuves et enfant dont
on peut dire qu'ils entretiennent bien un rapport très étroit: la femme objet
est désirée pour engend!er l'enfant qui est chargé d'assurer pleinement toute
la descendance clanique. Le second, que nous désignerons pour diverses raisons
par /dignité/, découle de la réorganisation de thèmes comme choix de voiture,
voyage, explication et devoir, réorganisation qui ne tire son sens que si nous
nous situons à un niveau profond. De fait, on ne peut ignorer assez longtemps
que si Fama demande des explications au griot, exige que son choix propre soit
entériné etc, c'est surtout pour se faire respecter ou imposer aux autres une
reconnaissance de sa dignité personnelle. Le troisième, que nous dénommons ici
à la suite des deux premiers /puissance/, vient d'une structuration de thèmes
comme argent, moyens, funérailles et chefferie dont on peut aisément remarquer
l'entière justesse à travers les thèmes évoqués. De fait, toute recherche des
moyens financiers, l'organisation de funérailles grandioses etc, pour Fama, ne
visent rien d'autre que de lui donner une force peu commune. Ainsi donc, tous
les thèmes définissant l'actant objet peuvent se ramener à trois objets précis
et principaux dont héritier, dignité et puissance. On peut certainement aller
encore plus loin dans la structuration des thèmes constituant l'objet du désir
en prenant appui sur les trois " objets " dégagés à partir de tous les objets
primitifs précédemment considérés. En posant en ce sens l'hypothèse facilement
vérifiable que /héritier/, /dignité/ et /puissance/ sont les attributs ou les
piliers de toute monarchie, nous réduirons très profondément les divers thèmes
organisateurs de l'actant objet à un objet unique noté /pouvoir/.
A partir de ces précisions qui établissent pour chaque actant le " noyau
thématique" qui couvre son champ actionnel (cf. représentant de la monarchie
pour l'Actant 1, sympathisant de la monarchie et sympathisant de la république
pour l'Actant 2, représentant de la république, sympathisant de la monarchie,
et bras du destin pour l'Actant 3, héritier, dignité et puissance et pour tout
dire pouvoir pour l'Actant 4), nous pouvons reprendre toutes les informations
et les données précédentes consignées dans le dernier tableau, améliorées dans
la perspective d'une saisie plus profonde des personnages dans ce tableau qui
suit :

116
priori, et avec d'autres (cf. les classes l et 5)~ elle dévoile au moins deux
types de traits contraires ou opposés. Dans un cas comme dans l'autre, nous le
voyons bien, la classe 4 n'entretient, avec les autres classes, aucun rapport
qui soit basé sur les trois types de traits, et c'est ce qui explique bien son
absence des résultats auxquels nous avons abouti. En un certain sens, tel cas
démontre que les trois types de traits comme principe structurant n'épuise pas
leur objet. La totale nécessité de dégager les rapports possibles entretenus,
développés entre les cinq classes impose que nous soumettions la totale saisie
des rapports de celles-ci à un ou deux types de traits plus opératoires. Mais
quel type de traits est vraiment opératoire ici? Nous sommes portés à dire en
vérité qu'il s'agit du type de traits dit /politique/,. les deux autres types,
à savoir /ethnie/ et /religion/, définissant des rapports assez particuliers:
dire de deux individus qu'ils sont malinkés musulmans, c'est fonder entre eux
une relation d'identité ethno-sociologique, le contraire assurant une relation
de différence ethno-sociologique. Etant donné le caractère désespérément mais
aussi seulement constatif des résultats auxquels ils conduisent - dire de deux
individus qu'ils sont différents du point de vue de la race ne convoque, dans
une situation normale, aucune réaction particulière
les deux types de traits
/ethnie/ et /religion/ restent très peu opératoires.
Voyons donc les classes par rapport au type de traits dit /politique/ :
De ce point de vue particulier, nous remarquons que les classes l et 5
possèdent un type de traits identique noté /ancien ordre/. Les classes 2, 3 et
4 dévoilent quant à elles un type de traits commun dit /nouvel ordre/. Il est
encore possible d'aller plus loin dans cette investigation. Nous ferons saisir
alors ceci : les classes l et 5 manifestent toutes deux un type de traits qui
reste contraire ou opposé au type de traits des classes 2, 3 et 4. A partir de
telles précisions, nous pouvons affirmer que les classes l et 5 entretiennent
une relation de solidarité politique, tout comme entretiennent une relation de
solidarité politique les classes 2, 3 et 4. Nous pouvons également affirmer à
partir des mêmes précisions que les classes l et 5 développent une relation en
tout cas d'opposition politique face aux classes 2, 3 et 4, et inversement.
Ainsi, l'approche des classes de personnages à partir de l'ensemble des
types de traits sémantiques caractéristiques d'abord et à partir de cet unique
type de traits que nous nommons /politique/ ensuite nous a permis de dégager,
entre les classes de personnages, trois relations d'opposition et une relation
de solidarité que nous formulons comme suit:

- 131 -
ACTANTS
THEMES
NOYAUX THEMATIQUES
Fama,
représentants de
l - Sujet
Salimata.
la monarchie.
Anciens, Balla,
sympathisants de
2 - Adjuvant
Diamourou.
la monarchie.
Chef de poste,
sympathisants de
Président, parti.
la république.
Salimata.
sympa. monarchie.
3 - Opposant
Président, parti, comité,
Douanier, gardes, Bakary,
représentants de
Délégué du S.N.T, griot,
la république.
Ouvriers, Bamba.
i
Saurien.
bras du destin.
4 - Objet
Salimata, Mariam,
héritier.
Veuves, enfant.
Devoir, explication,
digni té.
Choix de voiture, voyage.
Chefferie, funérailles,
puissance.
Argent, moyens.
1

- 132 -
Les principaux résultats auxquels nous sommes parvenus autorisent, ainsi
raffinés à ce point, une lecture nettement plus explicite des personnages que
manifeste le discours. En ce sens, nous pouvons affirmer d'une manière absolue
que notre texte met en évidence ou en mouvement un univers de personnages qui
s'organise autour des représentants de la monarchie de Togobala et leurs rares
sympathisants d'une part, et des représentants de la république des Ebènes et
leurs principaux alliés d'autre part.
A partir de cet univers binaire ou bipolaire, et par rapport aux actions
individuelles des personnages appréhendées dans la stricte perspective de cet
acteur principal qu'est le prince déchu du Horodougou, se développent au moins
deux figures actorielles caractéristiques dont celle du fidèle, personnage en
tous les cas conforme à son état et à son option politique de base affirmée au
préalable, et celle du renégat, individu flottant, instable et entretenant en
permanence une duplicité peu commune qui atteint son point culminant disons en
un reniement total des siens et de tout ce qui a constitué son univers.
En effet, on constate à l'analyse comparée de l'appartenance ethnique et
des fonctions des personnages que seuls les Anciens, Diamourou le griot et le
chef de poste assument des fonctions conformes à leur état social. A l'opposé,
le griot, Bamba, Bakary, les membres du comité et même Salimata agissent bien
contre les Malinkés et souvent pour les non Malinkés, en dépit de leur état ou
leur appartenance ethno-linguistique malinké. D'autre part, on observe que le
ou les personnages politiquement conservateurs demeurent conformes, dans leurs
actions, à leur option première. Seul l'agent Salimata, à la fois Sujet (avec
Fama) et Opposant, se trouve dans une situation de duplicité manifeste et fort
surprenante. Les personnages progressistes restent entièrement conformes dans
leurs actes à leur ligne politique de base. Toutefois, un paradoxe est à noter
ici: le président et son parti, en dépit de leur totale opposition au Sujet,
agissent en sa faveur, manifestant ainsi la même fausseté que Salimata. Saisie
dans une certaine perspective, cette" fausseté" révèle - et relève de - une
cinglante ironie: le bourreau, en se muant en sauveteur de sa victime, montre
la dimension insignifiante du Sujet et démontre le caractère dérisoire, somme
toute banal, de son combat face à ce dernier. De fait donc, le texte développe
à partir d'un certain nombre de personnages une duplicité absolue qui confère
au monde représenté un caractère de désordre et de nette incohérence, un monde
où les alliances et les oppositions sont instables. Fidèles et renégats sont,
à l'évidence donc, les figures saillantes de l'univers des personna~es.
,
1

- 133 -
Au-delà de ces traits caractéristiques de l'univers des personnages, ce
qu'il convient surtout de retenir, au plan actantiel, c'est l'opposition entre
représentants de la monarchie c'est-à-dire de l'ordre ancien et représentants
du système républicain autrement dit du nouvel ordre politique mis en pratique
par les Indépendances. Plus explicitement encore, nous pouvons faire observer
que les représentants irréductibles de la monarchie de Togobala, et donc de la
dynastie des Doumbouya, portés vers l'acquisition du pouvoir et aidés en cela
par leurs alliés naturels (cf. griot, esclave des Doumbouya etc), essayent par
tous les moyens d'y parvenir mais doivent faire face à une opposition féroce,
impitoyable des représentants de la république, détenteurs effectifs et disons
absolus de ce pouvoir tant envié par Fama. Dans cette opposition fondamentale
quotidiennement nourrie, le bras du destin venant au secours des représentants
du système politique moderne par la mise à mort du principal représentant des
Doumbouya et de tout ce qu'ils ont cultivé achève dramatiquement un désir fou,
une ambition au demeurant légitime, celui d'un retour à l'ordre traditionnel.
Nous avons considéré jusqu'ici les catégories les plus immédiates et les
mieux observées - en général - du discours narratif que sont ou demeurent les
actions et les personnages. Il faut toutefois se rendre à l'évidence. Ces deux
catégories narratives, quelque importantes qu'elles soient, ne constituent en
aucun cas les seuls objets donnant vie au récit. Mieux, ces deux catégories ne
sont pas les seules dont se préoccupe le texte. On le sait, tout texte saisi,
entendu comme production d'un discours représente des fragments du monde ou de
la société où des acteurs accomplissent des actions spécifiques dans un cadre
naturel, rural ou urbain. Ce cadre que nous pourrions bien nommer avec Poirier
" espace des déplacements" (cf. Essai •• , p.105) parce que mobilisé nettement
pour faciliter la circulation des acteurs soumis aux diverses motivations dont
ils sont sujets se convertit en un espace topologique nécessaire à la mise en
mouvement des actions. Après avoir étudié les actions et les personnages, nous
nous proposons dans les développements qui suivent de voir donc cet aspect du
discours qui ne manque pas de conférer au récit une plus large dimension et de
révéler au demeurant certains traits significatifs cachés.


- 135 -
Chapitre 111
La topologie
un univers bipolaire
3.1
La topographie
3.1.1
Les espaces topologiques
3.1.2
Aspects des lieux
3.2
Propriétés des espaces
\\ L
3.2.1
Mouvements et communication
1
A - Itinéraire de Fama
B - Les moyens de communication
3.2.2
Espaces et actions
3.2.3
Actions des espaces
3.3
Le système des espaces
3.3.1
Les relations entre espaces
3.3.2
Structure spatiale et signification
1

- 136 -
Il était à l'autre bout du pont
reliant la ville blanche du quartier nègre. (p.9)
Le dernier village de la Côte des Ebènes
arriva, et après, le poste des douanes, séparant de
la République socialiste de Nikinai. (p.103)
1

- 137 -
Nous nous sommes intéressé, dans les chapitres qui précèdent, à ce qu'il
convient de nommer le couple narratif c'est-à-dire les Actions et Personnages
du récit dont l'organisation tend vers la manifestation totale de la narration
sans nous préoccuper des modalités narratives telles que l'espace et le temps
dont la présence à travers le discours, d'une manière ou d'une autre, donne ou
1
confère aux faits narrés leur dimension véritable. Nous reviendrons plus loin
au chapitre 4 sur la temporalité. Notre propos concerne ici l'espace, la scène
1
sur laquelle se déploient les acteurs, autrement dit la topologie.
Il s'agira surtout pour nous de tenter d'apporter quelques réponses à un
certain nombre d'interrogations essentielles telles que celles-ci: de quelle
manière la topologie textuelle, entendue comme structure spatiale (cf. Cicerij
MarchandjRimbert : Introduction à l'analyse de l'espace, p.115), s'organise à
travers le discours ? Quelles sont les propriétés des divers espaces possibles
qui la composent ? Quel système ces espaces construisent-ils ici ? De manière
plus explicite, notre démarche consistera en un premier temps ici en une vaste
description de la configuration générale de la topographie et en une profonde
analyse des aspects spécifiques des lieux. Nous essayerons aussi d'appréhender
en un second temps, à travers actions et personnages, la signification ou les
1
valeurs qu'acquièrent les différents espaces topologiques. A partir des lieux,
" '
munis de leurs propriétés ou de leurs qualifications, nous construirons enfin
le système spatial manifesté par le discours textuel.
3.1
La topographie
3.1.1
Les espaces topologiques :
A l'opposé de certains romans qui tendent à nier, à complexifier même le
cadre spatial où se meuvent les acteurs du drame narratif notre texte affirme
dès la toute première page - et même la toute première ligne - cet autre trait
constitutif du discours envisagé d'une manière générale:
" Il y avait une semaine qu'avait fini dans la capitale Koné ..• " (p.7).·
A cette évocation lapidaire et fragmentaire de l'espace jcapitalej (nous
observons que le narrateur ne se préoccupe guère de décrire dans le détail la
capitale) se substituent d'autres évocations tout aussi fragmentaires de lieux
1

- 138 -
distincts comme" le lointain pays ", " le village" etc. Cette amorce timide
de la topographie du roman montre d'emblée que celle-ci est composée d'espaces
ou de lieux géographiques divers.
Ces espaces, ces lieux morcelés, que nous projetons ici comme unités de
lecture (l'approche sémiotique de la topographie, pensons-nous, doit segmenter
d'abord et nécessairement celle-ci en unités d'analyse), seront circonscrits,
déterminés à partir des catégories sémantiques opposées que sont /statique/ et
/dynamique/, et à partir du couple /embrayage/ et /débrayage/ qui traduit une
certaine attitude discursive du locuteur (cf. Greimas et Courtès : Sémiotique,
dictionnaire raisonné, p.79 et 119). S'agissant des catégories sémantiques en
particulier, leur projet d'application vient du fait que nous observons tout à
fait clairement à travers le texte considéré du point de vue des fonctions ou
mieux, du point de vue des activités des personnages liées à leur comportement
somatique, une récurrence lexématique (cf. " allait en retard" (p.9), " Fama
n'avait plus long à marcher" (p.10), " tourna ", ou " monta l'allée" (p. 11)
etc) qui définit l'idée de mobilité, ce qui autorise à poser ici la catégorie
sémantique /dynamique/. De plus, et d'abord de manière théorique, au dynamique
s'oppose logiquement et implicitement un statique qui lui donne véritablement
son entière expression. Dans le texte, des locutions telles" arriva" (p.l1),
" s'assit" (p.15), " fit asseoir" (p.168), " attendit des semaines" (p.173)
etc, rendent explicite la catégorie sémantiqu~ /statique/. S'agissant d'autre
1
part des phénomènes d'embrayage et de débrayage, il convient de remarquer qu'à
1
l'opposé des catégories sémantiques dont l'existence relève d'une activité de
!
: ,1
structuration propre au lecteur, ils ressortissent au narrateur ou au locuteur
qui opère le choix des unités spatiales, les conjoint ou les disjoint en tout
cas les dispose le long de la grande syntagmatique discursive, produisant tout
ainsi une linéarité de l'espace global décrit. C'est d'ailleurs ce que notent
Bourneuf et Ouellet en écrivant que" le romancier fournit toujours un minimum
d'indications géographiques, qu'elles soient de simples points de repère pour
lancer l'imagination du lecteur ou des explorations méthodiques des lieux •.• "
(cf. L'univers du roman, p.99). Faire intervenir ici les faits d'embrayage et
de débrayage, c'est pour nous une manière d'opposer à la précise entreprise de
construction du locuteur une déconstruction qui s'assimile-surtout à un vaste
repérage des bornes spatiales disséminées le long du discours rendant compte à
vrai dire de la spatialisation, c'est-à-dire du grand travail de construction
permanente d'un Ici opposé à un non Ici ou Ailleurs. Ainsi donc se justifie le
choix des critères d'analyse que nous avons retenus.

\\,
- 139 -
1
Considérons les catégories sémantiques.
Appliquées au texte, les catégories sémantiques opposées /dynamique/ et
/statique/ énoncées plus haut nous permettent d'appréhender les personnages et
plus spécialement Fama et Salimata d~ns leurs déplacements et leurs'maintiens
ou mieux, dans leurs mouvements. Ce faisant, elles manifestent les espaces que
ces derniers parcourent. Ainsi, à travers le regard implacable, inévitable du
narrateur, percevons-nous Fama pressé de regagner, absolument, le quartier des
fonctionnaires. (p.ll), parcourir comme un obsédé le pont joignant au quartier
nègre la ville blanche (p.9) et s'immobiliser plus tard dans cette mosquée des
Dioulas (p.25) où se retrouvent les fidèles musulmans. Nous retrouvons un peu
plus loin le même Fama en compagnie de Salimata son épouse à la case conjugale
(p.30). Abandonnant Fama en ce lieu, le regard du narrateur - et celui de ses
lecteurs aussi - se focalise bien vite sur Salimata. Elle est appréhendée dans
ses incessantes et continuelles allées et venues entre la case conjugale donc
le quartier nègre et la ville blanche (p.45), la ville bla~che et le marché du
quartier nègre (p.53), et plus tard chez le marabout (p.65). Fama repeuple le
cadre spatial à partir de l'autogare (p.83) où il amorce une pérégrination qui
le conduit tout d'abord à Bindia (p.96), l'escale obligatoire - et nécessaire
étant donnée la grande fatigue - avant le village natal, et puis à Togobala du
Horodougou (p.lOS), et enfin de Togobala du Horodougou à la capitale ou, pour
être plus concis, de la République des Ebènes à la République de Nikinai et de
la République de Nikinai à la République des Ebènes. De la capitale le prince
déchu, arrêté après le complot manqué contré les nouveaux pouvoirs, est obligé
d'effectuer une ronde infernale qui le conduit ou le mène successivement sans
répit des caves du palais (p.16S) au camp sans nom (p.167), du camp sans nom à
Mayako (p.183), pour se retrouver bien des années plus tard à nouveau dans la
capitale de la République des Ebènes en citoyen libre. Mais, l'appel du destin
le pousse à reprendre son tourbillonnement infini qui le mène à la mort, à la
frontière des deux républiques (p.194), aux portes mêmes de Togobala, en terre
Horodougou.
Condidérons maintenant les phénomènes d'embrayage et de débrayage.
Ces phénomènes qui dévoilent pour une part le comportement du locuteur à
l'égard des matériaux linguistiques dont il se sert permet au narrateur, tout
naturellement, de circonscrire les actions de la première partie du roman tout
entièrement dans la capitale de la République des Ebènes au Sud, celles de la
seconde partie sur la route et à Togobala dans le Horodougou au Nord, et enfin
celles de la troisième partie à nouveau dans la capitale de la République des
1
1

- 140 -
Ebènes, à Mayako et sur la route. La mention de ces espaces est régulièrement
suspendue par l'irruption dans le discours du narrateur d'a~res espa?es liés,
bien évidemment, aux réflexions et souvenirs de certains personnages tels que
Fama et Salimata. Il en est ainsi de l'espace parcouru par le défunt Koné, des
champs de l'excision de Salimata (p.33), des villes sillonnées par le prince,
le jeune commerçant Fama (p.20), de Toukoro le village élu de Moriba (p.99) ou
des lieux de chasse de Balla (p.126), etc. Ces espaces fonctionnent comme des
sortes de disjoncteurs qui viennent briser ou interrompre le flux continuel et
harmonieux que constitue l'esthétisante évocation de l'espace.
Tout ce qui précède nous conduit à découper, en suivant dans un premier
temps le texte de façon linéaire sans nous préoccuper des diverses redondances
spatiales c'est-à-dire les retours fréquents que le narrateur opère toujours,
et nécessairement, sur les mêmes unités spatiales, le cadre topologique fictif
en petites unités comme suit :
/unités topologiques/
- le quartier nègre
(p. 11-25)
- la mosquée
(p. 25-29)
- la case conjugale
(p. 30-48 )
- la ville blanche
(p. 48-53)
- le marché africain
(p. 53-54 )
- la case conjugale
(p. 55-57)
- la ville blanche
(p. 58-64 )
\\,
- la cour du marabout
(p. 65-80)
- l'autogare
(p. 83-84)
- la route
(p. 84-96)
- la halte de Bindia
(p. 96-103)
- la route
(p.103-105)
- la case patriarcale
(p. 106-118 )
- le cimétière
(p.118-l22 )
- la case patriarcale
(p.122-l53)
- la case conjugale
(p.157-l65)
- le camp sans nom
(p.165-l67)
- la caserne de Mayako (p.167-l83 )
- la route
(p.183-l88 )
- la capitale
(p.188-l9l)
- la route
(p.19l-205)
1

- 141 -
Tout au long du parcours discursif, comme semble très bien l'indiquer le
découpage du cadre narratif, certaines unités spatiales sont particulièrement
privilégiées du point de vue de leur n taux de fréquentation n. Si nous posons
que le taux de fréquentation est équivalent au nombre de fois que le locuteur
textuel situe les actions en un espace donné, nous sommes en mesure d'affirmer
que la route - à laquelle nous intégrons toute l'autogare - est sans conteste
l'une des unités sinon l'unité topologique de prédilection du récit. A l'unité
spatiale /route/, il convient de joindre la case conjugale indexée trois fois
par la narration, la case patriarcale et la ville blanche, indexées deux fois,
chacune.
Ges considérations - provisoires du reste - ne concernent pas les unités
spatiales perçues dans leurs rapports avec les actions ou les personnages sur
lesquels nous reviendrons plus loin. Nous avons voulu montrer ici, suivant les
fréquences d'évocation des espaces constatées, les unités topologiques que le
narrateur utilise le plus à la situation de l'Action, ou auxquelles il accorde
une grande place et, de manière indirecte, les nombreuses redondances qu'il y
assume. Ces redondances d'une part et d'autre part les relations logiques (par
exemple, appartenance de diverses unités spatiales à un même espace homogène)
qu'entretiennent la plupart des unités posent la nécessité d'une distribution,
d'une réorganisation formelle des nombreuses unités dégagées. Nous partirons,
pour ce faire, des espaces plus vastes et donc moins structurés-ou moins nets,
aux espaces plus restreints et donc plus complexes. Nous considérons, en tout
état de cause, l'espace /Togobala/, capitale traditionnelle de la dynastie des
Doumbouya, plus structuré que l'espace /Horodougou/, d'allure plus vaste.
En prenant appui sur la relation logique qu'entretiennent certains lieux
entre eux, nous ferons observer que les unités spatiales dégagées s'intègrent
dans deux macro-espaces : la République de la Côte des Ebènes et la République
socialiste de Nikinai, avec à cheval, l'espace homogène nommé Horodougou. Ces
deux macro-espaces se subdivisent en quatre grands espaces : la capitale de la
République des Ebènes, la route, Togobala et Mayako. Ceux-ci se subdivisent à
leur tour en divers sous-espaces qui, rappelons-le, correspondent généralement
aux unités tolérées plus haut. A partir du principe de hiérarchisation établi
plus haut, nous classifions les unités spatiales comme suit:
a) - Deux macro-espaces :
la République de la Côte des Ebènes
- la République socialiste de Nikinai
1
1

142
b) - Quatre grands espaces
la capitale
- la route
Togobala
- Mayako
c) - Divers sous-espaces
la ville blanche, le quartier nègre,
- la mosquée, le marché africain, la
case conjugale, le quartier des
- fonctionnaires, la cour du marabout,
- l'autogare, Bindia, le camp sans nom,
la frontière, la case patriarcale,
le cimétière, etc.
Dans la mesure où les macro-espaces (cf. les Républiques de la Côte des
Ebènes et de Nikinai) manifestent une trop grande généralité, et qu'à l'opposé.
les sous-espaces des espaces topologiques restent morcelés et restreints, les
quatre grands espaces (cf. la capitale, la route, Togobala et Mayako) restent,
au terme de la distribution des unités spatiales, comme les objets pertinents
d'analyse auxquels nous nous intéresserons ici.
Sur ces quatre grands espaces précisément des observations générales ici
sont à faire. Elles ont trait aux rapports entre les espaces précédemment mis
en évidence d'une part et d'autre part entre ces mêmes espaces topologiques et
l'espace narratif. Nous nommons espace narratif le lieu où se manifeste toute
production linguistique, qu'il soit réel (une salle de classe) ou produit (une
feuille de papier). Dans le cas qui nous occupe, ce lieu est un livre, et ses
unités sont des pages. Dégager le rapport existant entre espace topologique et
espace narratif dans le roman revient à définir le nombre de pages nécessaire
à l'expression de cet espace topologique romanesque donné.
Un " suivie " systématique du terie permet de donner des quatre grands
espaces topologiques que restent la capitale, la route, Togobala et Mayako les
lieux narratifs qu'ils occupent comme suit
espace /capitale/
p.7 à 84, p.157 à 165, p.188 à 194.
espace /Togobala/
p.l05 à 153.
1
espace /route/
p.84 à 105, p.153 à 157, p.165 à 167,
. ~.
1
f
1
1

- 143 -
p.184 à 188, p.194 à 205.
espace jMayako/
p.167 à 184.
La capitale, trois fois év~uée, occupe un espace narratif de 95 pages.
Togoba1a, la capitale traditionnelle de la dynastie des Doumbouya et espace de
rêve de Fama, est représenté une seule fois en un espace narratif.de 48 pages
au moins. La route est plus fréquemment indexée, mais n'occupe en tout état de
cause que 45 pages d'espace narratif. Mayako est une seule fois évoqué, comme
Togoba1a, mais en un espace narratif très faible de 17 pages.
Il est intéressant de remarquer ici l'importante représentation, dans le
discours textuel, de la capitale (95 pages) suivie de Togoba1a (48 pages), de
la route (45 pages), et de Mayako (17 pages). Si les espaces comme Togoba1a et
la route s'équilibrent grosso modo au plan discursif, Mayako par rapport à la
capitale qui est discursivement mieux prise en charge reste pour ainsi dire la
dernière préoccupation du narrateur.
Un retour sur la distribution des unités topologiques permet de voir que
du point de vue de leurs composants sous-spatiaux la capitale et la route ici
se décomposent respectivement en sept et cinq sous-espaces, alors que Togobala
et Mayako ne comprennent chacun que deux sous-espaces.
Nous évoquions précédemment la place importante que semblait occuper la
route en nous fondant sur le seul critère de la redondance spatiale, autrement
dit du retour fréquent que le narrateur opère sur un espace donné. Au regard,
semb1e-t-i1, des deux types de rapport dont il a été question déjà la capitale
de la République des Ebènes, à travers une très importante représentation, et
une étonnante diversité - qui justifie peut-être là facilité de mouvements des
acteurs qui la peuplent - se pose comme le cadre privilégié du discours.
Nous nous sommes attachés, jusqu'ici, à la restitution de la topographie
du roman afin d'en rendre l'appréhension plus systématique. Ce faisant alors,
nous avons segmenté la topographie générale en divers espaces topologiques. Au
niveau du discours, faut-il le préciser 1, ces espaces topologiques subissent
de la part du narrateur des traitements qui leur confèrent des spécifications,
des traits particuliers. En effet, qu'il procède à une description en bloc ou
par fragments (cf. Bourneuf
"L'organisation de l'espace dans le roman ", IN
Etudes littéraires, p.86), le narrateur insiste toujours sur une multitude de
traits, d'aspects des lieux qu'il construit. C'est, à travers les descriptions
qui suivent, à la mise en évidence de ces qualifications que nous allons nous
livrer.
1

-~-
3.1.2 : Aspects des lieux:
Nous avons fait des quatre grands espaces (cf. la capitale, Togobala, la
route et Mayako) les objets pertinents de notre analyse. En concentrant notre
attention sur ces quatre espaces retenus, nous en préciserons naturellement le
ou les traits en considérant tour à tour la capitale - de la République de la
Côte des Ebènes s'entend -, la route, Togobala et Mayako. Nous suivrons ainsi,
tout simplement, l'ordre de leur apparition dans la narration. S'agissant des
caractéristiques de ces espaces surtout, il convient de préciser qu'elles sont
très diverses. Ainsi, Rautman note que" lorsqu'on étudie les propriétés d'un
être géométrique, on est amené à distinguer entre les propriétés qui résultent
pour cet être de la considération de sa nature intrinsèque, et celles que lui
confèrent ses relations avec le milieu qui l'entoure" (cf. Essai, p.48). Nous
considèrerons les quatre grands espaces topologiques à étudier sous ce double
aspect naturel et culturel.
a) - la capitale :
Les données formelles synthétisant l'aspect physique ou naturel relatif
à la capitale sont rares. Le narrateur se contente de livrer à son lecteur des
informations de très grande généralité. Ainsi, apprend-on que la capitale est
située au bord de la mer:
" Et plus loin encore la lagune maintenant latérite, la lisière
de la forêt et enfin un petit bleu: la mer commençant le bleu
de l'horizon"
(p.10)
dans un milieu naturel caractérisé par une exceptionnelle pluviosité:
" L'orage était proche. Ville sale et gluante de pluies ! pourrie de .
pluies! Ah
nostalgie de la terre natale de Fama ! " (p.19)
Espace clos - en tant qU'espace construit, toute ville appréhendée dans
son rapport avec une topologie générale sur laquelle elle prend nécessairement
place reste pour nous un espace fermé, et cette fermeture lui est imposée par
l'espace non construit qui l'environne -, la capitale de la Côte des Ebènes en
fait manifeste trois issues qui la mettent en liaison avec le monde extérieur
que constituent la région voisine et les régions lointaines. Il s'agit surtout
de la route, la mer et le chemin de fer. Construite sur une surface inclinée,
une terre courant du plateau vers la mer, la capitale se présente, du point de
vue de sa composition, comme un espace bicéphale, se distribuant parfaitement
entre la ville blanche et le quartier nègre. Ces deux parties, séparées par la
1
1

- 145 -
(Nord)
Ville blanche
Quartier nègre
3
(Sud)
Espace topologique
Capitale
l - la lagune
2 - le pont
3 - la mer
4 - le marché africain
5 - le marché de riz / Débarcadère

-146 -
lagune, restent cependant liées par un pont :
" Il était à l'autre bout du pont reliant la ville blanche au
quartier nègre à l'heure de la deuxième prière"
(p.9)
Comme il semble tout à fait aisé de le constater, les données formelles
relatives à l'aspect physique de la capitale demeurent pauvres. En fait seules
la situation géographique et la composition topologique semblent intéresser à
la limite le narrateur. On retiendra toutefois qu'à côté de l'aspect physique,
il y a aussi l'aspect culturel, autrement dit l'aspect déterminé en tout état
de cause par le comportement des hommes, dont les données semblent par rapport
à celles exprimant l'aspect physique plus abondantes.
La capitale est conçue par le narrateur et posée d'emblée par son exact
toponyme comme un lieu important, la capitale de la République des Ebènes. Dès
lors, il s'agit d'un grand centre politique et commercial, un centre toujours
vivant qui est passé par deux phases historiques différentes, et opposées : la
phase coloniale et celle d'après les Indépendances. La phase coloniale a fait
de la capitale le lieu idéal de la lutte et de l'effort de populations locales
contre les colons français, mais aussi et surtout du commerce qui a exercé un
profond attrait sur Fama et les Malinkés:
" Cette avenue centrale, Fama la connaissait comme le corp de sa
femme Salimata, cette avenue parlait et du négoce et de l'agitation
anticolonialiste"
(p.22).
La phase d'après les Indépendances a maintenu, en les élargissant ou en
les restreignant suivant les situations, ces deux aspects - ou plutôt ces deux
pans - de la dimension culturelle de la capitale. Dorénavant, la capitale des
Ebènes recueille en son sein deux éléments particulièrement importants de tout
le système politique moderne. Il s'agit du palais de la Présidence, ainsi que
des villas de ministres
" Une nuit, alors qu'il sortait de la villa d'un ministre avec
son ami Bakary, tous deux furent assaillis, terrassés, ceinturés,
bousculés jusqu'à la Présidence"
(p.165),
une Présidence et des villas qui font de la capitale le lieu véritable ou réel
de résidence des membres du gouvernement.
Du point de vue commercial, l'acquisition de l'indépendance consécutive
à l'âpre lutte anticolonialiste n'a guère permis à l'effervescente activité de
commerce d'alors de constituer la capitale en véritable pôle économique et/ou
commercial. De la capitale comme ancien espace d'intense activité commerciale,
le locuteur n'en donne, à travers les quotidiennes séances de marché de riz de

- 147 -
Salimata ou l'ambiance du marché africain du quartier nègre, qu'une image bien
altérée. On ne peut espérer saisir valablement la capitale, qui est aussi une
gare ferroviaire et un port maritime, qu'en tentant de l'analyser au niveau de
ses composants sous-spatiaux. De ce point de vue, nous nous intéresserons ici
aux sous-espaces comme la ville blanche et le quartier nègre.
Située sur une hauteur, un plateau:
" Sur le plateau en face, le quartier blanc grossissait, grandissait,
haut et princier avec des immeubles, des villas multicolores" (p.45)
la ville blanche demeure un espace large, vaste dont le paysage essentiel est
celui des immeubles et des gratte-ciel, toutes constructions aux divers traits
particulièrement éclatants
" A gauche les cimes des gratte-ciel ( ••• ), les blancs immeubles de
la ville blanche"
(p.18).
Luxueuse et paisible, la ville blanche manifeste une culture européenne
totale et un statut social de grande richesse et d'aisance
" Le quartier blanc grossissait, grandissait, haut et princier" (p.45)
Logé en contrebas par rapport à la ville blanche, le quartier nègre est,
quant à lui, un espace restreint et étouffant :
" Le cimétière de la ville nègre était comme le quartier noir
pas assez de places"
(p.24),
dont l'environnement physique se caractérise par des cases, mosquée et marché
sale et infecte, pauvres constructions aux toits ternes:
" Le quartier nègre ondulait des toits de tôles grisâtres et lépreux
sous un ciel malpropre, gluant"
(p.25).
Ces constructions reflètent une culture africaine et malheureusement une
pauvreté évidente. Espace populeux et bruyant, régulièrement fouetté par les
pluies et les odeurs, le quartier nègre est le lieu de la laideur, où viennent
s'échouer les populations - les Malinkés comme Fama - ruinés à jamais dans le
commerce de toutes sortes.
Les indications succinctes qui précèdent, parcimonieusement distribuées
à travers le discours textuel par le narrateur, montrent que, sous l'apparente
homogénéité, la capitale cache en fait une hétérogénéité que traduit de façon
systématique l'opposition physique, esthétique et sociale de ses composants
IVille blanche/
/Quartier nègre/
haut
vs
bas
beau
vs
laid

- 148 -
riche
vs
pauvre
La capitale se présente, à l'issue de cette brève description et surtout
au niveau de la manifestation discursive de surface, autrement dit d'un point
de vue général, comme une entité topologique et culturelle, alors qu'au niveau
de la manifestation discursive profonde il s'agit en fait de la somme de deux
univers distincts et fondamentalement opposés.
b) - la route :
Nous avons considéré, on s'en souvient, toutes les escales des nombreux
déplacements ou voyages de Fama comme parties intégrantes de l'espace /route/.
Ainsi, l'autogare, Bindia, le camp sans nom et la frontière ont-ils été nommés
sous-espaces de l'espace /route/. Dans la mesure où ces sous-espaces restent,
fondamentalement disons, irréductibles aux caractéristiques spécifiques d'une
route, la présente description ne portera que sur la route comme voie et lieu
de circulation des acteurs.
Topologiquement, la route reliant la capitale à Togobala - c'est surtout
de cette espace qu'il sera ici question - est une bande géométrique longue de
mille kilomètres qui serpente à travers un paysage fortement diversifié, celui
de la savane des lagunes et de la forêt compacte :
Il
L'ombre était retournée dans la capitale près des restes pour suivre
les obsèques: aller et retour, plus de deux mille kilomètres Il (p.7).
Débordant les limites géographiques de la République des Ebènes la route
comporte, intrinsèquement, deux parties: une partie bitumée et une partie en
terre ferme que nous dirons non bitumée. La partie bitumée prend sa racine, sa
source dans la capitale pour finir quelque part en pleine campagne. La partie
non-bitumée qui achève le parcours est le lieu de la poussière très dense, des
crevasses, le lieu de la dureté et de la misère du voyage et, pour tout dire,
le lieu de l'inconfort:
Il
Après un virage finissait la route bitumée. On entrait dans
la piste et la poussière, la poussière en écran qui bouchait
l'arrière, la poussière accrochée en grappes à tous les arbres,
à toutes les herbes"
(p.94).
Conçue pour la circulation nécessaire des voyageurs, la route se trouve
transformée par ses usagers en véritable piste de rallye :
" Il fallait voir les autres croiser ou dépasser, il fallait voir les
chauffeurs, un bras et la tête hors de la cabine, criant: Il S'en f ..

- 149 -
la mort!"
(p.84).
Il n'est donc pas étonnant qu'elle devienne un lieu dangereux, mortel
" Les abords de la route n'en finissaient pas d'être hérissés de
carcasses squelettiques de camions comme vidées par des charognards "
(p.84) •
Le dernier aspect de la route reste son entière ouverture. La route, par
nature disons, est un espace ouvert au sens où l'attend Bergson, selon Matoré
qui précise" Bergson a assigné une valeur nouvelle aux notions d'ouvert et de
fermé, l'ouverture étant synonyme de liberté, de personnalité et de
déplacement, et s'opposant au caractère rigide et statique de la fermeture"
(cf. L'espace humain, p.178).
De ce qui précède, on peut observer ceci : la route projette finalement
l'étendue du cadre spatial sur lequel prend place le récit, alors que toute sa
constitution en zones bitumée et non-bitumée définit une opposition de classe
/richesse/ vs /pauvreté/, ou encore /modernité/ vs /ancienneté/. La route est,
quelque soit son état physique, un lieu d'insécurité et de non protection. En
considérant la route au niveau de la manifestation discursive profonde et donc
en ses composantes (cf. /partie bitumée/, /partie non bitumée/), nous pouvons
donner un résumé de ses aspects comme suit:
/Partie bitumée/
/Partie non bitumée/
beau
vs
laid
moderne
vs
ancien
riche
vs
pauvre
aisance
vs
malaise
Ainsi donc, comme la capitale qui se présentait à nous de manière tout à
fait paradoxale (cf. entité et diversité d'aspect suivant les divers niveaux,
les diverses plages où on se situe), la route se laisse appréhender facilement
comme un être physique uni d'un point de vue général et bicéphale antipodale,
ou antithétique en ses composants élémentaires.
c) - Togobala :
Tout ce que nous savons de Togobala, topologiquement, se réduit en fait
à la cour patriarcale des Doumbouya, le lieu unique de toute l'action: Fama y
reçoit, palabre et célèbre les funérailles du quarantième jour de Lacina, cet
intrigant cousin de Fama. Ce que nous savons encore de Togobala, mais du point
de vue des autres aspects (aspect physique par exemple), nous le tenons aussi

- 150 -
des considérations générales faites par le narrateur sur la grande province du
Horodougou. C'est donc par le biais de procédures de découverte systématique,
de type déductif, que nous essayerons de saisir Togobala. Les diverses données
relatives à Togobala, conformément à ce qui vient d'être noté, sont de quatre
ordres: l'éloignement, l'état du sol, les conditions climatiques pénibles, et
l'environnement physique:
Togobala est posé par le narrateur, implicitement, comme un lieu éloigné
de la capitale de la République des Ebènes. Cette considération se manifeste,
au niveau du discours, dès la première page du texte concernant le déplacement
du défunt Koné Ibrahima :
" Son ombre se releva, graillonna, s'habilla et partit par le
long chemin pour le lointain pays malinké natal ••• "
(p.7).
Comme tel, il constitue avec la capitale les deux pôles extrêmes de tout
le cadre spatial sur lequel prend place le récit, et le point final de toutes
progressions de Fama vers le Nord.
Implicite aussi l'état du sol. Construit sur le sol de la vaste province
du Horodougou, Togobala en porte la principale caractéristique qui reste d'un
mot celle d'un sol aride. Et en effet, " le sol du Horodougou est dur et ne se
laisse tourner que par des bras solides et des reins souples" (p.23). Un tel
désavantageux état du sol résulte, pour Togobala, de conditions climatiques un
peu morbides. C'est que, une pluviosité presque fatalement inexistante, et un
harmattan rigoureux conditionnent toute la province:
" Les feux de brousse de l'harmattan et le souffle de l'harmattan
avaient tout dénudé. Dénudé même le petit bosquet du milieu du
cimétière. Pauvre petit bosquet démystifié!"
(p. lIB - 119).
L'environnement physique de Togobala est auss1 celui de " cases penchées
vieillottes, cuites par le soleil, isolées comme des termitières dans une
plaine" (p. 105). On est ici loin des blancs immeubles et des gratte-ciel de
la capitale de la République de la Côte des Ebènes, en plein milieu et surtout
en pleine culture africaine, dans une sorte de modèle renforcé du sous-espace
/quartier nègre/. L'état des lieux démontre une pauvreté absolue de Togobala
" Entre les ruines de ce qui avait été des concessions, des ordures
et des herbes que les bêtes avaient broutées"
(p. 105).
Un retour sur tout ce qui précède nous permettent de résumer ainsi tous
les aspects spécifiques (aspects physiques et culturels) de TO?Qbala dont nous
venons très brièvement de rendre compte :

- 151 -
Espace /Togobala/
lointain
laid
pauvre
Nous ajouterons à ces traits, pour terminer, que d'un point de vue plus
général, Togobala demeure la capitale traditionnelle de la grande dynastie des
Doumbouya, et surtout le lieu de naissance de Fama. A ce titre d'ailleurs, il
constitue un pôle important pour le récit en général et pour le " héros" Fama
en particulier.
d) - Mayako
S'agissant de Mayako, il convient de préciser rapidement ceci
quoique
le narrateur parle généralement de Mayako, il ne s'agit pas nécessairement ici
de la ville toute entière de Mayako mais de sa caserne. Le narrateur textuel,
sur ce point, reste formel puisqu'il note clairement: " Ceux-ci lui apprirent
qu'il venait d'arriver dans la caserne de Mayako où s'instruisait l'affaire n
(p.167). Nous maintiendrons néanmoins, comme lui, l'appellation /Mayako/, pour
le cadre spatial spécifique qu'est la caserne.
Topologiquement, Mayako est l'un des espaces du texte les plus précis en
leur description qui soient. Le narrateur, à la faveur du déplacement de Fama
dans la caserne, nous en donne les composants sous-spatiaux de manière précise
et concise. Ainsi, nous apprend-il en observateur convaincu que Fama quittant
sa cellule située à l'Ouest de la dictatoriale caserne militaire pour regagner
la villa des juges doit franchir des baraquements, une villa, la cour d'armes
et un jardin
n
La villa des juges était à l'est de la caserne, Fama et les
gardes passèrent baraquements et baraquements, évitèrent une
villa, traversèrent la cour d'armes et un jardin" (p.167).
Nous avons affirmé plus haut que Mayako est l'un des espaces romanesques
les plus précis du texte qui soient. En fait, le narrateur sacrifie au détail
topologique propre à la structure interne de la caserne, les précisions sur la
situation réelle de Mayako dans le cadre spatial global du roman. Dans le cas
présent, cette situation reste particulièrement difficile à réaliser. Si d'une
certaine manière nous avons pu localiser la capitale de la Côte des Ebènes au
Sud et Togobala au Nord, et préciser que la route court allègrement du Nord au
Sud et inversement, nous sommes impuissant ici à déterminer l'emplacement, ou

- 152 -
(Nord)
4
5
(Sud)
Espace topologique
!Mayako!
(la caserne)
1 - Cellule de Fama
4 - Cour d'armes
2 - Baraquements
5 - Jardin
3
Villa
6
Villa des juges

- 153 -
la localisation parfaite de Mayako, et cette impuissance notoire dommageable,
disons, ést avant tout imputable aux silences du narrateur. Toutes ces limites
de la description narrative constatées, volontaires ou involontaires, ne nous
empêchent cependant pas de relever certains traits intéressants. Au nombre des
traits possibles, il y a d'abord l'homogénéité.
Mayako se présente à travers ses composants sous-spatiaux (cf. cellules
des prisonniers dont Fama, cour d'armes, villa des juges etc, éléments dont la
judicieuse organisation débouche sur un paradigme que nous nommerons, avec le
narrateur, /caserne/ ou /camp militaire/ par extension) comme une surface très
homogène. Autrement dit, la réalité physique qu'il manifeste reste précise et
unie. Il s'oppose alors en cela à la capitale et à la route, espaces complexes
et bicéphales. Un deuxième trait à mettre en valeur est la fermeture.
Par son statut de lieu construit d'une part, et par sa propre structure
interne ou sa composition, Mayako s'impose à nous comme un espace fermé. Et en
effet, la cellule de Fama à l'Ouest et la villa des juges à l'Est ferment cet
espace /Mayako/ et lui confèrent un caractère coercitif, prisonnier. Ainsi, la
topologie de Mayako projette-t-elle la repression sauvage que développe toute
la narration, du moins dans sa phase terminale. Enfin, à travers des détails à
peine explicites Mayako dégage, ou manifeste une culture occidentale. Dans un
certain sens, Mayako s'affirme comme un cadre moderne.
En effet, la caserne, la cour d'armes et les personnages plantés dans ce
décor (cf. les juges, dactylos, interprêtes et garde) constituent en fait une
infrastructure politico-judiciaire directement calquée par ce que le narrateur
nomme" les Soleils des Indépendances" c'est-à-dire les politiciens modernes
sur le modèle occidental. L'étendue des villas, les jardins qui les entourent,
et d'autres commodités encore concourent à créer et à maintenir soigneusement
une image de modernité, de richesse et d'aisance. Subsidiairement, l'espace de
Mayako se pose, à la faveur de la cérémonie de libération des prisonniers, en
capitale effective de la République de la Côte des Ebènes. Ainsi, pouvons-nous
résumer comme suit les caractéristiques de Mayako
Espace /Mayako/
beau
riche
fermé
coercitif

- 154 -
Au terme de cette analyse portant sur les aspects spécifiques de chacun
des espaces considérés une approche plus globale de ceux-ci s'impose. Dans cet
ordre d'idée, nous commencerons par résumer les principaux aspects des quatre
espaces observés précédemment. Nous ferons remarquer, s'agissant ici des lieux
bicéphales comme la capitale et la route, que nous négligerons volontairement
les aspects généraux au bénéfice des aspects particuliers couvrant les espaces
dans leur entièreté. Nous avons en cela une raison : la capitale et la route,
au regard de l'opposition fondamentale existant entre leurs composants (cf. la
double opposition Iville blanche/ vs /quartier nègre/, et /partie bitumée/ vs
/partie non-bitumée/), ne sont pas une entité homogène. Considérer les aspects
généraux de ces espaces conduirait à en cacher la nature intrinsèque.
Espace /Capitale/ :
Iville blanche/
haut
beau
riche
/quartier nègre/
bas
laid
pauvre
Espace /Route/
/partie bitumée/
belle
moderne
riche
/partie non-bitumée/
laide
ancienne
pauvre
Espace /Togobala/
lointain
laid
pauvre

- 155 -
Espace /Mayako/
beau
riche
fermé
coercitif
De ce résumé des aspects, nous pouvons tirer quelques observations. Les
espaces mentionnés semblent en effet construire, à partir de leurs structure
et qualité, un système dont il faudrait rendre compte. De fait, ces remarques
se rapportent aux trois dimensions structurelle, qualitative, et topologique
des individus physiques considérés.
Structurellement, autrement dit du point de vue de leur composition, les
espaces manifestent deux types de rapport, d'apparentement fondé sur diverses
ressemblances. Ainsi, observe-t-on d'une part une homologie de structure entre
les espaces /capitale/ et /route/. Ceux-ci sont tous composés de deux parties
totalement opposées, et donc absolument distinctes, qui ont des allures et des
caractéristiques symétriques. On observe aussi entre Togobala et Mayako, deux
espaces différemment perçus par Fama, une ressemblance d'autre part. Mais à la
différence des deux premiers, la capitale et la route, ceux-ci sont monobloc,
présentent en tout état de cause un semblant d'unité.
Qualitativement, les espaces mentionnés s'organisent au regard de ce qui
précède d'une tout autre manière. A ce niveau, les rapports et ressemblances,
disons-le, n'existent pas forcément entre espace et espace, c'est-à-dire entre
les individus géographiques constitués. Ces rapports et ressemblances tentent
de s'établir - ou s'établissent - aussi bien entre espace et espace (nettement
perçus bloc à bloc) qu'entre espace et composant d'espace. En d'autres termes
un espace X peut ressembler à un espace Y, ou un espace X peut ressembler à b,
partie d'un espace Y. Dans cet ordre alors, le premier réseau de ressemblance
concerne Togobala (qui est un espace monobloc en fait) et le quartier nègre et
la partie non-bitumée de la route (qui sont des composants d'espace), tout un
ensemble d'individus physiques caractérisés par leurs africanité, pauvreté, et
laideur. Le second réseau de ressemblance concerne Mayako (qui est un espace)
et la ville blanche et la partie bitumée de la route (qui sont des composants)
en fait, tout un ensemble d'individus physiques qui, contrairement à ceux qui
composent le premier réseau, se caractérisent avec des traits comme modernité,
beauté et richesse par leur affiliation totale à la culture occidentale.
Topologiquement, on retiendra que la situation de la capitale de la Côte

- 156 -
des Ebènes et Togobala, respectivement au Sud et au Nord c'est-à-dire aux deux
pôles extrêmes du cadre spatial du récit entier d'une-~part, et ~a disposition
de Mayako - sa situation hypothétique du reste à l'Ouest ou à l'Est de cet axe
principal Nord-Sud importe peu - d'autre part, convertissent finalement toute
la route en un espace central et fondamental que fatalement tous les agents ou
les personnages d'une manière générale doivent suivre ou fréquenter.
Notons que les aspects des espaces que nous venons brièvement d'analyser
se rapportent aux caractéristiques topologiques et culturelles des lieux. Ces
aspects, disons, ne sont pas neutres dans le discours que le locuteur performe
et soumet à notre conscience. Ils servent à préciser les divers espaces comme
nous venons de le voir. Les espaces ainsi précisés, à leur tour, ne sont point
neutres. Ils projettent de part leur structure et leurs qualités les actions,
les événements qu'ils vont recueillir. Ces actions et événements, au demeurant
et évidemment, confèrent un contenu ou une signification à ces espaces. C'est
ce contenu que nous allons tenter de préciser dans les pages qui suivent.
3.2 : Propriétés des espaces :
En topologie générale, on nomme" propriété d'un espace ", selon Ciceri/
Marchand / Rimbert (cf. Introduction à l'analyse de l'espace, p.116) et d'une
manière générale, Il ce qui se passe au voisinage de chaque point ". Mieux, une
propriété d'un corps donné, c'est la qualité de ce corps résultant surtout de
sa fonction. Dire les propriétés d'un espace, pour nous, consistera à voir ici
ce qui se passe dans cet espace d'abord et à déduire ensuite les qualités qui
~n découlent. En ce qui concerne le récit, ce qui se passe dans quelque espace
donné du cadre spatial global a nécessairement trait aux personnages perçus a
priori dans leurs déplacements ou mouvements et plus tard dans leurs fonctions
ou actions. Nous fonderons logiquement donc la présente analyse sur ces deux
points, les mouvements et les actions.
3.2.1 : Mouvements et communication:
Les catégories sémantiques /dynamique/ et /statique/ construites dans le
§ 3.1.1 nous ont permis, entre autres choses, de constater qu'il n'y a pas de
fixation définitive des personnages en quelque lieu que ce soit du roman. Bien
mieux, ces derniers s'y déplacent beaucoup et la diversité et la multiplicité
des lieux d'actions tendent très bien à le faire sentir. Cependant, très peu à
vrai dire de personnages se déplacent si on considère l'ensemble assez élargi

- 157 -
d'acteurs qui concourent à l'Action. En fait, le mouvement concerne les agents
plus ou moins proche de Fama tels que Salimata, Bakary et Mariam. De façon un
peu d'libér'e, nous minimisons les d'placements tels ceux effectu's par Balla,
Diamourou et le groupe des accompagnateurs de Fama au d'part de Togobala donc
du Nord, ou ceux de cette masse anonyme de détenus regagnant la capitale après
la libération des prisonniers politiques. De plus, au niveau des personnages,
des agents qui bougent certaines restrictions sont à faire.
Alors que les divers d'placements de Salimata ne s'effectuent que dans
la capitale - principalement entre le quartier nègre et la ville blanche - et
que ceux de Bakary et Mariam leur permettent de relier, respectivement disons,
la capitale à Mayako et inversement, et Togobala à la capitale, Fama parcourt
quant à lui tous les espaces dont il est fait mention dans le discours. Ainsi,
nous pouvons dire de Fama par exemple qu'il manifeste une mobilité absolue et
des autres qu'ils reflètent une mobilité relative.
A l'opposé de ces diverses mobilités, les autres personnages vivent une
immobilité ou un statisme presque total. Une telle situation du reste curieuse
pour l'Action (il semble en effet paradoxal pour l'Action qu'une partie de la
masse des personnages et principalement les Adjuvants de Fama se déplace alors
que l'autre partie, constituée essentiellement des Opposants à Fama, reste en
fait statique) mérite que nous nous y attardons. Pour ce faire, nous tenterons
de voir d'abord la situation des personnages relevant exclusivement disons de
la classe des adjuvants. Au sens strict du terme" adjuvant ", il s'agira donc
des Anciens, de Balla, de Diamourou et de ceux de Togobala favorables à Fama.
Ces personnages sont confinés dans des espaces presque définitifs, soit
par leur état physique (vieillesse), soit par leur idéologie (attachement à un
système de valeurs par exemple). Le narrateur ne dit-il pas de Fama le prince
déchu - mais cela reste vrai pour les autres vieux de la capitale - que: " il
ne peut pas repartir à la terre parce que trop âgé" (p.23) ? Quant à ceux de
Togobala, ne pensent-ils pas comme Fama, avec qui ils entretiennent plus d'une
affinité, que" c'est dans le Rorodougou qu'il fait bon de vivre" (p. 196) ?
L'état physique et l'idéologie imposent l'inertie à certains personnages. Mais
les raisons de cette inertie sont à rechercher aussi et surtout dans toute la
nature du rôle que ces personnages sont appelés à jouer.
Nous le savons, ce rôle" actantiel " demeure celui d'adjuvant de Fama.
D'une manière général, l'adjuvant, quand bien même il serait utile au " sujet
de l'Action ", n'est jamais indispensable à la construction dynamique de toute
l'Action, comme l'Opposant. Dès lors, il n'est en rien obligé de suivre d'une

- 158 -
façon nécessaire. et spontanée le " sujet de l'Action ", pour lui fournir toute
l'aide souhaitée. En ce sens, on comprend pourquoi le déplacement des acteurs
ou agents dits Adjuvants reste absolument inexistant. La situation des acteurs
ou agents dits Opposants, narrativement, est plus complexe. En effet, c'est.à
l'évidence de l'affrontement de ceux-ei avec le " sujet de l'Action" que naît
tout le récit, et il s'agit là de toute une logique totale narrative. Dans la
mesure où " chaque moment de l'action constitue une situation conflictuelle où
les personnages se poursuivent, s'allient ou s'affrontent"
(cf. Bourneuf et
Ouellet : L'univers du roman, p.160), on s'attend tout naturellement donc à ce
que le déplacement de Fama motive celui de ses Opposants. Pourquoi les agents
dits Opposants ne se déplacent pas? De prime abord, nous dirons volontiers de
telle situation qu'elle est éminemment subtile.
Considérons les Opposants de Fama en rapport avec les espaces, les lieux
où ils accomplissent des actions. Pour plus de clarté, ces deux données - les
personnages et les actions - seront figurées par le schéma synthétique suivant
où les points représentent les lieux d'actions, et l'axe principal ou central
Nord-Sud l'espace /route/. Notons que la représentation synthétique (cf. l'axe
unique) des divers parcours obéit à un souci d'efficacité.
(Nord)
t
Togobala
(les membres du comité)
Frontière
(douanier et gardes)
Mayako
(les politiciens et les juges)
Auto gare
(délégué du S.N.T)
Capitale
(Bamba, griot et politiciens)
(Sud)

- 159 -
De ces données ainsi schématisées se dégage une première caractéristique
qui est celle de l'incommutabilité des personnages. Il semble en effet tout à
fait impossible d'imaginer par exemple le délégué du S.N.T à Togobala du moins
dans l'exercice de ses fonctions administratives, tout comme il reste de fait
impossible de renconter les membres du comité du village à Mayako, ou dans les
caves présidentielles. C'est que la fonction administrative - avant tout rôle
narratif - confine les personnages en un espace préalablement posé, déterminé,
ou défini. Une seconde caractéristique de cette schématisation se rap~ortè au
positionnement ou à la disposition spatiale des personnages. Cette disposition
obéit résolument à une intention esthétique du narrateur. En disséminant tous
les agents de l'opposition le long des parcours que Fama emprunte, il permet à
l'actant Opposant (cf. les politiciens modernes et autres) d'être présent sur
tous les fronts, et évite ainsi aux personnages qui construisent cet Opposant,
cette classe de personnages hostiles à Fama une mobilité, leur assurant ainsi
l'économie de l'effort.
Ainsi, à l'errance dépensière de Fama s'oppose l'immobilisme économique,
revitalisant et constructeur de l'Opposant. Puisqu'aussi bien il vient d'être
montré que seul Fama - le " sujet (désigné) de l'Action" - s'épUise, se lasse
fatalement au déplacement, il serait intéressant de savoir son mode précis de
communication. Jean Cloutier précise : " la communication, au sens physique du
terme, consiste précisément pour un homme à se rendre d'un lieu à un autre If
(cf. Il La communication, l'espace et le temps ", IN Sur l'aménagement du temps
{
p.126). Nous ajouterons que pour ce faire, il doit suivre un itinéraire.
/
A - Itinéraire de Fama
Nous aborderons ici, directement, l'itinéraire de Fama, négligeant ainsi
ceux de Bakary, Mariam et Salimata dont l'analyse présente très peu d'intérêt
en somme. Nous savons par exemple que Bakary suit le chemin le plus commun qui
soit pour se rendre à la cérémonie de libération des détenus de la canitale à
Mayako, et en revenir. Mariam n'en fait pas moins en partant - en comna~ie de
Fama - de Togobala à la capitale de la Ré~ublique des Ebènes. L'itinéraire de
Salimata, du quartier nègre à la ville blanche et inversement, peut être perçu
en un certain sens comme un parcours normal (cf. le déplacement d'une zone de
faible activité économique vers un lieu de concentration d'une clientèle assez
nombreuse ou potentiellement nombreuse), quoique certaines réflexions restent
possibles à ce niveau. Nous y reviendrons.

- 160 -
Un itinéraire, rappelons-le brièvement, est un chemin à suivre ou suivi
pour se rendre d'un lieu à un autre. En cé sens, il se réfère nécessairement à
un espace topologique à vaincre. Mais pour un agent donné, appréhendé dans un
mouvement d'actions et de lutte comme la narration nous en propose souvent, le
terme" itinéraire" recouvrira deux sens distincts dits propre et figuré. Un
itinéraire sera autant un parcours physique topologique qu'un parcours social,
par exemple. Il semble que chez le personnage Fama, les deux se côtoient dans
un rapport motivant/motivé. Le parcours social motive ou justifie les parcours
ou l'itinéraire topologique à suivre ou suivi.
La narration, telle qu'elle est vécue dans le roman, pose manifestement
1
~,
~,
la capitale de la République de la Côte des Ebènes comme le point zéro de tout
1
i
l'itinéraire d'ensemble de Fama. L'Action, on s'en souvient, théoriquement se
i
,
développe à partir de la capitale avec un Fama pressé d'arriver à l'heure, aux
cérémonies funéraires de Koné Ibrahima, et s'y maintient jusqu'à la fin de la
première partie du roman. Ce point zéro construit deux phases symétriques dans
l'itinéraire que nous nommerons" parcours d'avant" et " parcours d'après"
Le parcours d'avant décrit un axe unique et simple, un axe Nord-Sud, qui
correspond à la route reliant Togobala du Horodougou à la capitale. Externe à
,
l'Action proprement dite, il est motivé par l'ambition féroce du jeune Fama le
prince spolié à qui il ne reste, pour s'élever socialement, pour confirmer le
f1
destin qui est le sien, que le grand négoce et la lutte anticolonialiste, donc
1
la vengeance de la domination et de la spoliation.
Le parcours d'après décrit, lui, prioritairement, un axe Sud-Nord qui se
1
répète trois fois: Fama part de la capitale à Togobala, en revient et repart
1
à nouveau (notons que nous n'accordons aucune valeur, du moins à ce niveau des
1
développements actuels, à l'inversion de sens de l'axe de l'itinéraire causée
par le retour de Fama dans la capitale, convaincus que nous sommes qu'un axe a
et b est rigoureusement égal à l'axe b et a) et secondairement un axe dont· le
sens reste inconnu. Avec de telles caractéristiques, l'itinéraire découlant du
parcours d'après se présente comme un itinéraire brisé ou fragmenté en divers
parcours.
Le premier parcours, avons-nous dit, mène Fama de la capitale à Togobala
en passant par Bindia, la halte d'une nuit. Et le fait que Fama se présente à
l'autogare (pour emprunter l'un des camions en partance pour le Nord, comme le
dit le narrateur à la page 83), fait la halte forcée de Bindia ou passe aussi
la douane à la frontière des Républiques des Ebènes et de Nikinai, prouve sans
nulle erreur que le parcours de Fama de la capitale à Togobala est un chemin,

- 161 -
un parcours normal et connu, autant du narrateur que des voyageurs. Ce chemin
sera à nouveau suivi par Fama, une seconde fois, lorsqu'il tentera après mille
déboires de retourner définitivement à Togobala.
Le second parcours, ainsi nommé au regard de l'ordre temporel du récit,
conduit Fama de Togobala à la capitale. Ce parcours reste différent du premier
qui était essentiellement routier. Il n'en demeure pas moins connu et normal,
lui aussi : de Togobala, le cortège des accompagnateurs et les voyageurs, Fama
et sa nouvelle épouse Mariam, se rendent à la ville frontière d'où le nouveau
couple partira pour la capitale de la République des Ebènes.
Le troisième parcours, toujours du point de vue de l'ordre temporel qui
est celui du récit, part de la capitale où Fama, appréhendé par les autorités,
les nouveaux pouvoirs politiques après le complot manqué, est précipité assez
sauvagement d'ailleurs dans les caves de la présidence, passe par le camp sans
nom avant d'achever sa course malheureuse à la caserne de Mayako. Les noeuds,
autrement dit les étapes de ce parcours ne doivent pas faire illusion. En fait
la volonté manifeste du narrateur de soustraire le parcours de Fama le prince
de ses propos d'une part et d'autre part, l'anonymat du camp, lui-même confiné
dans un espace anonyme font de ce troisième parcours un chemin singulièrement
triste, anormal et inhabituel qui reste inconnu sinon des détenus, du moins de
Fama.
Le quatrième parcours, celui qui conduit l'ancien détenu politique Fama
de Mayako à la capitale après sa libération, reste parfaitement connu. Et nous
observons même que Bakary, devenu occasionnellement le chauffeur de Fama, s'y
sent bien à l'aise.
Enfin, le cinquième parcours que donne lieu à découvrir l'ultime voyage
c"' est-à-dire le retour défini tif de Fama à Togobala après la l ibératio"n essaie
de reproduire le même parcours que le premier. A ce titre, il en manifeste en
fait toutes lassantes caractéristiques déjà évoquées.
De ces rappels succincts, nous retiendrons ceci: l'itinéraire effectif
de Fama sur lequel nous avons fondé les observations qui précèdent se scindent
en deux types de parcours: un parcours connu, habituel et précis qu'ici nous
nommerons /parcours normal/, et un parcours inconnu, inhabituel et imprécis et
que nous désignerons par le syntagme opposé /parcours anormal/.
Le parcours normal est, en terme géométrique, le plus long. Somme totale
des premier, second, quatrième et cinquième parcours selon notre segmentation
de l'itinéraire global, il correspond à une distance de trois mille kilomètres
grosso modo. Ce ~arcours normal relève des dé~lacements intentionnels de Fama
-
.

- 162 -
(Nord)
1Nikinail
o Togoba1a
~
\\
frontière
• - 1 Horodougou ~ -
\\\\
"' ....
"' ':..o.
. .
\\. .
\\ :
.. ,
\\ "
.. '
\\ '.
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O~,
Mayako
.. ,
\\ '.
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\\ '.
. .
\\
Camp
.
o~.,,,
.. ,,.
. .
\\ .
'- .. ,
. '
......
ICôte des Ebènesl
(caves)
capitale
. (Sud) :
. ' , " "
Itinéraire des personnages
_._._._.+
premier
parcours
(capitale / Bindia / Togoba1a)
~
deuxième
parcours
(Togoba1a / capitale)
~
troisième parcours
(capitale / camp / Mayako)
_ .. _
.. _ .. _ .. +
quatrième parcours
(r.layako / capitale)
- ........ , ...+
cinquième parcours
(capitale / frontière / Togoba1a)

- 163 -:
et se présente comme le chemin qui mène toujours Fama vers les grandes portes
de la liberté.
Le parcours anormal, fondé sur un parcours unique - le troisième issu de
la segmentation de l'itinéraire global -, reste d'un point de Vue topologique
assez bref. Il correspond tout au plus à un cinquième de l'itinéraire suivi en
général par tous les personnages, mais n'en demeure pas moins le plus rugueux
et le plus difficile pour Fama. En fait, le parcours anormal implique de façon
manifeste un déplacement involontaire, obligatoire et forcé. Contrairement au
parcours normal qui mène Fama vers les portes de la liberté et de la plénitude
absolue, le parcours anormal conduit Fama à la séquestration, l'isolement, et
la solitude totale. Autrement dit, le parcours anormal mène inéluctablement et
inexorablement à la perte de la liberté.
Nous venons de voir, de manière détaillée, l'itinéraire des personnages
et plus spécialement l'itinéraire de Fama. Particulièrement long et sinueux de
toute évidence, cet itinéraire qui se scinde en deux parcours antithétiques à
jamais divergents exige pour être suivi quelqu~s moyens. C'est à l'analyse des
moyens utilisés par les personnages pour leur déplacement que nous essayerons
de voir ici.
B - Les moyens de communication
Considérons ce relevé succinct :
.. Il se dépêchait, marchait au pas redoublé .•• "
.. Une chaloupe partait, Salimata y embarqua ..
.. Le bateau souffla rageusement..
(p.53)
.. Fama embarqua dans le camion du chauffeur Ouedrago " (p.83)
" Du train ils débarquèrent dans la capitale ••• "
(p.15?)
" Bakary conduisit en silence, mais lorsque la voiture sortit
de la caserne il recommença à parler ••• "
(p.184)
Il met en relief tous les moyens de transport dont se servent les a~ents
ou, plus généralement encore, les personnages pour leurs déplacements. Nous y
décelons la marche, le bateau, la voiture et le train. Ces moyens indexés ici,
si nous leur appliquons ou si nous les soumettons à un critère de distinction
basé sur l'apparence mécanique, ressortissent de deux classes que nous pouvons
désigner par /homme/ et /machine/. La classe /homme/ recueille, naturellement
donc, l'unique moyen de locomotion qu'est la marche. La classe /machine/ quant
à elle recueille les autres moyens.

- 164 -
Ces moyens ne se rapportent guère à un parcours précis. Sur l'itinéraire
global les personnages sont conduits à utiliser indifféremment les moyens qui
s'offrent à eux. Ainsi, les premier, troisième, quatrième et cinquième chemins
ou parcours sont-ils suivis en voiture, alors que le second parcours se fait,
presqu'exceptionnellement, en train. La marche comme moyen, utilisée surtout à
Togobala (cf. déplacement au cimétière, à la ville frontière, par exemple) et
dans la capitale (cf. déplacement de Fama à la cérémonie des funérailles, tous
les déplacements de Salimata au quartier nègre, par exemple), complète disons
la voiture au bout du cinquième et dernier parcours de Fama.
Ils ne se rapportent pas non plus à chaque personnage spécifiquement. Si
Salimata est seule à emprunter le bateau, il faut dire qu'elle partage aussi,
avec son époux Fama, l'usage de la marche. Quant à Fama il partage avec Bakary
et Mariam, respectivement, l'usage de la voiture et du train. Revenons, après
avoir montré les moyens de communication et leur rapport à l'itinéraire et aux
personnages, sur la division faite plus haut entre homme et machine entendus
comme moyens de locomotion.
Jean Cloutier précise : " les premiers moyens de communication sont les
hommes eux-mêmes" (cf. " La communication •.• ", IN Sur l'aménagement du temps,
p.132). Primitivement donc, les hommes se servent de leur corps pour réaliser
leurs déplacements. Ils marchent. Et la marche reste naturelle. Elle exige, en
un sens, un effort physique intense dont le résultat, dans la loi de mobilité
générale, reste médiocre. La lenteur qu'elle inflige à celui qui la pratique à
tout moment est ce résultat. Et, le retard que prend Fama sur son rendez-vous
au quartier des fonctionnaires, retard perceptible à travers cette séquence du
discours" Fama allait en retard. Il se dépêchait encore, marchait .•• " (p.9),
n'est que plus expressif de cette idée de lenteur que nous développons ici. De
plus et d'une certaine manière, la marche est signe de pauvreté. Ces aspects
de la marche peuvent se résumer comme suit
lIa marchel
naturelle
effort
lenteur
pauvreté
A l'opposé de la marche, la machine qui est surtout un produit culturel,
et le résultat de l'invention des hommes, se caractérise essentiellement par
la rapidité et l'aisance qu'elle procure. En effet, l'abolition d'une distance

- 165 -
pourtant très longue comme celle qui sépare Togobala de la capitale - plus de
mille kilomètres! -, n'est-ce pas la puissance des moyens surtout modernes de
transport qui soustraient l'homme à l'effort et l'installent de telle manière
dans l'aisance et le bien-être? N'est-ce pas surtout la victoire sur l'espace
et le temps? Par son prix à l'achat ou à la location, la machine d'une façon
générale est signe de richesse. Les principaux traits de la machine énoncés se
résument parfaitement ainsi
/la machine/
culture
aisance
rapidité
richesse
Ainsi apparaissent ici les moyens de transport dont font usage certains
personnages du récit. Considérés en rapport avec leurs utilisateurs et surtout
la nature des déplacements de ceux-ci, ces moyens prennent des significations
toutes particulières. Ces significations, rappelons-le, ne découlent guère des
diverses oppositions constatées à travers l'analyse (cf. les oppositions très
comme /marche/ vs /machine/, /effort/ vs /aisance/, /lenteur/ vs /rapidité/ ou
/pauvreté/ vs /richesse/). Les personnages étant souvent conduits, comme Fama
par exemple, à combiner plus de deux moyens opposés, ils ne peuvent manifester
des tendances contradictoires. Autrement dit, on ne peut logiquement affirmer
que Fama est pauvre parce qu'il use de la marche et riche parce qu'il emprunte
le train ou la voiture. Fama ne saurait être à la fois pauvre et riche,toute
chose qui n'a pas de sens. A la vérité, la signification précise des moyens de
communication textuels réside dans la relation entre la destination narrative
des entreprises qui conduisent Fama au déplacement et les aspects d'opposition
/lenteur/ et /rapidité/.
On sait par exemple qu'à la faveur des moyens modernes de transport, les
autorités politiques acheminent Fama et les autres prisonniers à Mayako en un
temps record, après le complot manqué. On sait aussi que, pris entre les flots
de tirs croisés des gardes frontière, Fama qui souhaite poursuivre son voyage
et regagner à pied Togobala en dépit de l'interdiction qui lui était faite par
le garde Vassoko, est facilement rejoint et ne serait pris s'il n'était ainsi
à pieds.
Par la lenteur maladive qu'elle produit, la marche empêche Fama - et les
autres personnages aussi - d'atteindre le point projeté, le point .final et le

- 166 -
point salvateur. Dans un système spatial, une topologie très vaste et complexe
comme celui du roman de Kourouma, le personnage à pieds fatalement réduit aux
lents déplacements n'est plus qu'un animal en cage, condamné à l'errance vide,
inutile et parfois dangereux, un animal à qui est dénié tout échappatoire. A
l'opposé de la lenteur, on observe que la rapidité qu'elle manifeste permet à
la machine de précipiter inexorablement le destin du personnage textuel. Ainsi
donc, le personnage du roman - et principalement Fama - reste-t-il prisonnier
des moyens de locomotion qui lui sont affectés, que ces 'moyens soient naturels
ou culturels.
Nous venons de montrer l'existence d'une vaste activité de mouvement et
de communication dans les espaces définis du texte. A l'issue de telle analyse
la question qui nous vient immédiatement à l'esprit est celle de savoir alors
pourquoi ces déplacements de personnages? On remarquera, bien volontiers, que
Fama se rend au quartier des fonctionnaires pour y célébrer les inévitables,
les immanquables funérailles du quarantième jour du défunt Koné. Salimata part
du quartier nègre à la ville blanche pour y assurer son commerce de riz. Tous
les personnages du roman se déplacent en somme pour accomplir des actions. Et,
en effet" l'espace appelle l'action" (cf. Bachelard: Poétique de l'espace,
p.30). Cette observation de Bachelard s'applique très bien à notre texte objet
d'analyse.
Dans la topologie globale du roman, subdivisée en divers lieux et divers
espaces topologiques, chaque espace reste distinctement, c'est-à-dire en tant
qu'unité spatiale, le théatre d'actions multiples. Il est conçu ou construit a
priori par le narrateur pour manifester quelque parcelle de l'intrigue totale
et, pour tout espace topologique donné, la parcelle de l'intrigue supposée est
susceptible de spécification et d'analyse dans le sens d'une caractérisation
de l'espace-scène sur lequel elle prend place. C'est ce type de rapports entre
espaces et actions que nous nous proposons à présent de voir.
3.2.2 : Espaces et actions
Précisons d'emblée que l'examen des actions ne se préoccuperons guère à
ce niveau de détails. Seules seront prises en compte les gra,ndes fonctions qui
au niveau de chaque séquence narrative (cf. Séquences A à K) ont reçu chacune
une formalisation en motif narratif. Ces fonctions seront saisies non pas dans
leur manifestation mais dans leur finalité autrement dit leurs conséquences à
terme pour les personnages. L'attribution d'un contenu à un espace topologique
par le biais des actions, pensons-nous, ne peut se réaliser qu'au regard des

- 167 -
conséquences résultant de la réa.lisation de ces actions-là. Nous envisagerons
autant que possible les fonctions narratives seulement dans la perspective des
personnages comme Fama et Salimata. Cette attitude permettra, sans nul doute,
d'harmoniser aisément les déductions sur les conséquences d'actions, et autres
événements. Nous allons, dans un premier temps, essayer d'établir ou produire
les correspondances entre espaces topologiques et actions.
Observons d'abord la distribution des séquences narratives à travers la
topographie générale du roman. Nous connaissons la structure spatiale du texte
que le découpage a permis de diviser en quatre grands espaces topologiques et
nommer jcapitalej, jroutej, jTogobalaj et jMayakoj. Nous connaissons également
la structure de l'intrigue. Elle est constituée de onze séquences narratives,
notées de A à K. De plus, nous savons que les actions et événements propres en
fait aux Séquences A, B et C, et une bonne partie de ceux de la Séquence J se
passent dans la capitale. Ceux des Séquences D, E et K se situent sur la route
alors que ceux des Séquences F, G, H et J se déroulent à Togobala. Finalement
seule une partie des actions et événements de la Séquence J se développe en la
caserne de Mayako. Toutes ces informations se schématisent ainsi :
jEspacesj
jSé~uencesj
Capitale
SA - S
- S
- SJ
B
C
Route
SD - S
- SK
E
Togobala
SF - S
- S
- S
G
H
l
Mayako
SJ
En conférant à chacun des quatre grands espaces topologiques définis les
séquences narratives correspondantes, nous avons certes fait un grand premier
pas utile dans la spécification des rapports entre les espaces et les actions,
mais nous demeurons encore à un niveau d'analyse trop général. Il convient de
préciser, pour plus de clarté, le contenu fonctionnel des séquences.
Quelques
brefs rappels en ce cas apparaissent nécessaires.
SA
Offense, Demande, Opposition, Lutte, Agression, Réparation.
SB
Vente, Don, Attaque, Lutte, Pillage.
Sc
Consultation, Convoitise, Lutte, Non-possession.
SD
Choix, Refus, Lutte, Acquisition.

- 168 -
SE
Empêchement, Lutte, Intercession, Voyage. <
SF
Devoir, Manque, Aide, Réalisation.
Sa
Visite, Séduction, Déconseil, Soutien, Mariage.
SH
:
Opposition, Affrontement, Soutien, Conservation.
SI
Projet, Manque, Don, Réussite.
SJ
Adhésion, Arrestation, Jugement, Condamnation, Libération.
SK
Déconseil, Empêchement, Lutte, Mort.
Nous allons prodéder, en nous appuyant sur leur équivalence (on le sait,
toute séquence posée n'est rien d'autre que la somme des fonctions narratives
qui la composent), à une commutation - une substitution disons - des séquences
narratives par les diverses fonctions que nous venons de rappeler, pour avoir
une meilleure idée de se qui se passe en les espaces topologiques choisis pour
conduire l'analyse présente. Ce faisant, nous aurons
jEspacesj
jFonctionsj
Capitale
Offense, Demande, Opposition, Lutte,
Agression, Réparation, Vente, Don
Attaque, Pillage, Consultation,
Convoitise, Non-possession, Adhésion,
Arrestation (la libération se produit
à r.1 ayako ) •
Route
Choix, Refus, Lutte, Acquisition,
Empêchement, Intercession, Voyage,
Déconseil, Mort.
Tbgobala
Devoir, Manque, Aide, Réalisation,
Visite, Séduction, Déconseil, Soutien,
Mariage, Opposition, Affrontement,
Conservation, Projet, Don, Réussite.
?/layako
Jugement, Condamnation, Libération.
Quelques précisions paraissent ici nécessaires à la compréhension de la
commutation que nous venons d'opérer. Les fonctions ci-dessus énumérées sont à
l'évidence celles qui se rapportent à l'ensemble des séquences manifestées en
chaque espace topologique donné. Ainsi par exemple, les fonctions attribuées à
la capitale de la République des Ebènes appartiennent-elles aux SéQuences A ,

- 169 -
B, C et J. Ces fonctions ont été énumérées en évitant au mieux les redondanoes
etaèus, ce q~i explique par exemple la présence d'une seule fonction /lutte/
dans l'ensemble des fonctions correspondant à l'espace /capitale/. D'une façon
générale, notre intention étant d'indiquer les fonctions narratives soutenues
ou assumées par les acteurs dans tel espace précis, nous avons été amenés tout
naturellement à scinder les fonctions de la Séquence J en deux groupes fondés
pour le premier sur les fonctions /adhésion/ et /arrestation/ et le second sur
les fonctions /jugement/, /condamnation/ et /libération/. Ces deux groupes de
fonctions se rapportent respectivement à la capitale et à Mayako.
Il semble difficile à ce niveau d'opérer sur les fonctions énumérées, et
d'en dégager un sens véritable pour l'analyse, étant donné leur nombre tout à
fait considérable et conséquemment leur degré d'abstraction très faible. Toute
tentative de traitement des données sur ces bases reste incertaine donc. Tout
au plus, permettent-elles de voir et de préciser les espaces où par exemple le
" sujet de l'Action" accomplit ou subit des actions. Par souci d'économie et
d'efficacité donc, nous allons reformuler les fonctions indexées à travers une
abstraction très poussée pour en faciliter l'usage.
Considérons les séquences du point de vue de leurs fonctions.
Dans la Séquence A, Fama assume la fonction principale /demande/ (notons
que nous nommons " fonctions narratives principales " - ou mieux - " fonction
principale ", les fonctions par lesquelles les autres arrivent, celles dont la
présence ou l'existence même motive ou engendre les autres). Il cherche ainsi
à acquérir un bien moral, sa dignité de prince que l'inculture du pauvre griot
a contribuée à bafouer. Nous dirons donc de Fama qu'il fait une quête: quête
de la dignité et de l'honneur violés. Cette même fonction de quête est plus ou
moins ce qu'assume Salimata dans les Séquences B et C où, à travers des faits
comme le commerce de riz et la consultation, elle cherche à acquérir des biens
matériels: l'argent, fruit de l'effort commercial et l'enfant, seul objet de
consolation. La fonction principale de Fama dans les Séquences D, E et K reste
/voyage/ et secondairement /lutte/. Le voyage est en effet l'action délibérée
que se propose d'accomplir Fama dans ces trois séquences. Et c'est au cours de
ce voyage qu'il rentre en conflit ouvert avec les représentants de ce nouveau
pouvoir qu'il combat. Dans les Séquences F, G, H et l, Fama assume surtout des
fonctions très typées: il doit se rendre utile à la communauté entière étant
donné son rang social, se marier pour tenter d'échapper à son sort de stérile,
répondre aux provocations des membres du comité et enfin célébrer, en malinké
authentique, le quarantième jour du défunt Lacina. Les fonctions des Séquences

- 170 -
F, G, H et l
se ramènent à quatre fonctions principales dont /accomplissement/
(nous sous-entendons" accomplissement du devoir" ici), /mariage/, /lutte/ et
/fête/. La Séquence J met en scène un Fama subissant les actions malheureuses
de l'Opposant. Il s'agit pour les politiciens modernes de punir l'intrépide et
rebelle Fama de son initiative de complot. Les fonctions de cette séquence J,
l'avant-dernière du récit, sont donc réductibles à une fonction principale qui
sera notée /châtiment/. Tout ce qui précède nous autorise à réécrire donc les
correspondances entre espaces et actions comme suit
/Espaces/
/Fonctions/
Capitale
quête, châtiment.
Route
voyage, lutte.
Togobala
accomplissement (du
devoir), mariage,
lutte, fête.
Mayako
châtiment.
Connaissant de manière précise les fonctions principales assumées par le
ou les acteurs dans les quatre espaces topologiques donnés, nous sommes, pour
pouvoir évoluer correctement dans l'analyse, amenés à répondre soigneusement à
la question suivante: quelles sont, pour tous les personnages - et notamment
pour Fama - les conséquences qui résultent de la manifestation des fonctions?
En nous appuyant sur celles immédiatement perceptibles, celles qui s'imposent
à nous à la lecture du texte, nous essayerons d'en dégager les principales, et
les plus déterminantes.
La quête s'achève d'une part par la déroute totale de Fama, contraint de
quitter précipitamment les lieux de la cérémonie, à cause des vexations qu'il
y a essuyées, et d'autre part par le pillage et la tentative de viol flagrante
du marabout sur la personne de Salimata. Dans tous les cas on constate que la
quête, qu'il s'agisse de celle de Fama ou Salimata, aboutit inévitablement aux
drames comme l'humiliation, le déshonneur, l'indignité du personnage qui agit
ou qui entreprend l'action: dignité du prince atteint en son amour-propre, et
dignité de la femme à l'intimité violée par les mendiants. On remarQuera dans
les deux cas que les conséquences les plus significatives demeurent celles que
subit Salimata. En effet, l'échec du commerce et de la consultation traduit à
la limite l'impossibilité d'une part de mettre fin à la misère matérielle dont
souffre le counle, et d'autre part de vaincre la stérilité de Salimata. Toute
quête aggrave la situation des membres du couple, la rend encore plus pénible,

- 171 -
plus insupportable, au lieu de conduire à la possession ou non, d'ailleurs, de
l'objet désiré.
Le voyage, quant à lui, soustrait Fama à sa vie précaire de la capitale
et surtout débouche sur la mort de celui-ci. Il a deux conséquences de portées
variables : il est le lieu et le temps de la négation de Fama comme prince et
de l'anéantissement physique de ce dernier. C'est au cours du voyage que Fama,
comme pris dans une épreuve générale, rencontre les pires ennuis imaginables,
confronté à l'irrespect des autres, ou que sa qualité naturelle de noble et de
prince propriétaire du Horodougou, de " ce qui se voyait ou ne se voyait pas,
s'entendait ou ne s'entendait pas, se sentait ou ne se sentait pas, tout: les
terres, les arbres, les eaux, les hommes et les animaux... " (p. 103) est mise
à rude épreuve. C'est au cours du voyage enfin qu'intervient le plus grave, le
vrai drame personnel de Fama
la mort, qui met fin à une existence sans joie
et sans couleur. Si la quête occasionnait des conséquences assez malheureuses,
nous dirons ici que le voyage engendre des conséquences dramatiques.
Moins sombres ou, dirons-nous, plus heureuses en apparence du moins sont
les conséquences de la lutte: acceptation du choix de voiture par le délégué
du S.N.T, acceptation du franchissement de la frontière par le chef douanier,
entrée au comité et conservation de la légitimité traditionnelle de Fama, tout
résultat de la lutte qui aurait pu satisfaire le prince. En fait ces diverses
victoires ne sont qu'un leurre. Toute lutte étant une interaction, ses propres
conséquences ne peuvent être légitimement affirmées que si elle est envisagée
du double point de vue de l'agent et du contre-agent. Or en la circonstance la
prise en compte de la réaction du contre-agent permet de voir que Fama n'est
pas, comme ses victoires épisodiques le laissaient penser plus haut, en bonnes
situations, en situations toujours favorables. Exception faite de celle menée
contre le comité à Togobala, et qui s'est achevée par la victoire sur tous' les
plans, la lutte (comme la quête) engendre toujours l' humiliation de Fama. La
perception de cette conséquence reste très subtile. Ici, la psychologie totale
de Fama prend le pas sur la réalité pratique: Fama souffre moralement, et se
sent humilié de n'être qu'un homme ordinaire aux yeux des autres, lui prince à
jamais du Horodougou.
L'accomplissement du devoir débouche sur une image méliorative de Fama.
En effet, en payant sacrifices et repas, en faisant des dons aux griots et aux
frères de plaisanterie, autrement dit, en assumant ses responsabilités toutes
nécessaires, Fama se présente comme un homme de bien, un homme généreux tout à
fait en harmonie avec la tradition malinké, un homme qui sait faire jouer aux
pires moments la solidarité communautaire dans le manque et la misère générale

- 172 -
du clan. L'accomplissement du devoir est donc l'occasion d'une affirmation de
soi. On sait pourtant que cette fonction n'est pas le fait de Fama seul. C'est
le résultat de l'effort supplémentaire de Balla et Diamourou. Considérée sous
cet aspect, celui d'une action concertée, la fonction narrative principale ici
rappelée affirme alors la solidarité conséquente entre le maître de Togobala,
son griot et son esclave, consacre leur cohésion définitive et projette par là
un hypothétique retour à l'ordre ancien.
Le mariage élève socialement Fama, fait de lui un polygame - toute chose
par ailleurs souhaitable et souhaitée pour un musulman -, mais surtout le met
dans une position de totale dignité. On se souvient que Fama était dépeint par
ceux de Togobala qui médisaient comme un dévoyé qui se consumait, fatalement,
dans la stérilité aride de Salimata : " au village, on avait
juré, protesté,
médit de Fama : un légitime,
un fils de chef qui courbait la
tête
sous les
ailes d'une femme stérile, un dévoyé! " (p.93). Se marier, pour Fama, revient
donc à briser cette image négative. De plus, la principale valeur féminine de
la nouvelle mariée (cf. sa fécondité, p.158) autorise à entrevoir une nouvelle
conséquence, non immédiate mais prévisible: la venue probable d'un héritier.
Quoiqu'il en soit, le mariage permet à Fama de poser les bases d'une structure
socio-politique plus solides que ne laisse espérer son alliance compromise et
incertaine avec le prince.
La fête, c'est l'instant de démonstration de la puissance. Par le nombre
de boeufs tués et par la participation humaine aux festivités, en un mot, par
sa conformité au projet de Fama, Balla et Diamourou, elle rappelle en souvenir
les grands moments de la dynastie des Doumbouya. En ce sens, elle contribue à
l'élévation sociale de Fama. A travers l'ample mouvement des hommes (connus et
inconnus), la fête provoQue la réactivation des énergies et forces maintenues
en sommeil à Togobala par les Soleils des Indépendances. A la suite des autres
fonctions comme /accomplissement (du devoir)/ et /mariage/ qui ont clairement
montré le sentiment de grande générosité et le regain de dignité chez Fama, la
fonction /fête/ achève la mise en place des traits définitoires de Fama.
Le châtiment, dans la mesure où il est fondé essentiellement disons sur
des fonctions punitives comme /arrestation/ et /incarcération/, aboutit tout à
fait directement à la privation totale de liberté. Cette conséquence évidente
en raison de la nature de la fonction /châtiment/ n'est pas seule possible. Le
châtiment, en intervenant après une série de fonctions aux conséquences assez
heureuses (cf. les images mélioratives, la dignité, la puissance etc conférées
à Fama par l'accomplissement du devoir, le mariage et la fête) provoque toute

- 173 -
une (re)chute sociale et politique de Fama. Nous savons que c'est au cours de
la période - et à cause - du châtiment que les épouses infidèles du prisonnier
Fama décident de partir, de le quitter. Le châtiment, appréhendé surtout sous
cet angle, occasionne l'éclatement du foyer. Au plan politique, l'arrestation,
et plus tard l'incarcération - en un mot le châtiment -, brisent la carrière
politique qui constituait l'unique raison de vivre de Fama. Le châtiment enfin
est l'occasion d'humiliation profonde.
Telles sont les principales conséquences tangibles des (macro)fonctions
énoncées. Ces conséquences semblent se scinder en deux catégories spécifiques,
très marquées. Ainsi, remarquons-nous que la quête, le voyage, la lutte et le
châtiment sont l'occasion de la négation, de l'humiliation de Fama, le lieu du
déshonneur ou de manque de dignité, alors que l'accomplissement du devoir, le
mariage et la fête restent le moment propice de l'affirmation de soi, de toute
élévation sociale, du respect, de la dignité et de la puissance de Fama. Tout
ce qui précède peut ainsi se schématiser :
/(quête / voyage / lutte / châtiment)/
négation de Fama
humiliation
déshonneur
indignité
faiblesse
/(accomp1issement / mariage / fête)/
affirmation de soi
élévation sociale
respect
dignité
puissance
Connaissant les conséquences des fonctions posées, nous pouvons procéder
à présent à la caractérisation - par les actions - des espaces dégagés. Etant
donné l'extrême élasticité des conséquences (une même conséquence, on le sait,
peut être commune, sous-jacente à plusieurs fonctions), nous sommes poussés à
envisager cette caractérisation de façon générale. Nous préciserons, au besoin
donc, les nuances pour tel ou tel espace donné. Rappelons ici que les grandes
fonctions de /quête/, /voya~e/, /lutte/ et /châtiment/ qui forment la première

- 174 -
catégorie relèvent des espaces topologiques tels que la capitale, la route et
Mayako, alors que /accomplissement (du devoir)/, /mariage/ et /fête/, qui sont
de la seconde catégorie, se rapportent à l'unique espace qu'est Togobala.
Dans la mesure où un espace investit toujours les conséQuences ~irectes
des fonctions qu'il recueille, nous pouvons affirmer au regard précisément des
conséquences déterminées que la capitale, la route et Mayako sont des lieux à
la fois de négation, de déshonneur et d'humiliation de Fama. Plus généralement
encore, les différentes conséquences des fonctions de la première catégorie -
de la première classe de fonctions - convertissent bien la capitale, la route,
et Mayako en espaces des difficultés et du malheur où les actions de l'acteur
Fama aboutissent inéluctablement à des situations dramatiques. Togobala reste,
quant à lui, l'espace de l'affirmation de soi, de l'élévation sociale surtout
et de la dignité, l'espace des facilités et du bonheur effectif, le lieu plein
et propice aux grandes choses, et notamment à l'expression de la plénitude de
Fama, le prince malinké du Horodougou.
On observe d'autre part quelques caractéristiques particulières données
aux espaces par certaines fonctions. Ainsi, par la quête qui s'y manifeste, la
capitale devient le lieu triste des manques caractérisés: manque de qualités
humaines (cf. honneur, dignité, respect, etc), manque de bien social découlant
de la stérilité (cf. enfant) et manque de bien économique (cf. argent), comme
le discours le laisse percevoir. Ce triste manque est lui-même une expression,
une traduction directe et vivante d'un appauvrissement matériel et moral tout
à fait irréductible. Le voyage, lui, en conduisant à la mort, fait de la route
le lieu du principal drame de Fama, le lieu le plus négatif des espaces.
L'analyse qui précède concerne les espaces dans leurs rapports avec les
actions des personnages. Nous allons dès à présent envisager ces mêmes espaces
du point de vue de leurs propres actions sur les personnages. Nous le savons,
l'espace topologique, dans le roman, n'est pas innocent. Il n'est pas non plus
seulement le lieu conçu par le narrateur et destiné à la manifestation totale
des actions des personnages. Il est aussi, dans une certaine mesure, un agent.
Il agit, opère des transformations notoires sur les personnages. Il participe
à la narration ou mieux, prend partie - dès lors que son influence en tout cas
peut être négative ou positive pour tel ou tel agent du récit - d'une manière
ou d'une autre dans la narration. Il nous semble donc possible de l'analyser à
la limite comme tel, et de lui conférer conséquemment un rôle narratif. C'est
à cela que nous nous proposons de nous attacher dans les divers développements
qui suivent.

- 175 -
3.2.3 : Actions des espaces
Lorsqu'on est amené à parler d'un agent non-anthropomorphe, une foule de
projections reste possible. On peut l'envisager soit comme une entité et voir
ce qu'il fait de part sa nature intrinsèque, soit comme une totalité homogène,
fondée sur la somme objective de tous les éléments en relation qui concourent
à son expression véritable. Dans le dernier cas par exemple, l'action - ou les
actions - conférée à l'agent supposé peut n'être, dans les faits surtout, que
celle effectivement accomplie par les éléments vivant en son sein.
De manière analogique, parler d'un espace comme agent souvent suppose au
préalable qu'il est pris comme un individu physique simple ou aussi comme une
totalité métonymique dont le contenu s'articule, en fait, autour de l'ensemble
des acteurs à travers les actions desquels ou de qui il est dit agent. Toutes
ces précisions étant établies, il convient d'ajouter ceci
après avoir fondé,
du reste, l'analyse précédente (cf. § Espaces et actions) sur le tout dernier
aspect, nous nous efforcerons ici de déterminer les actions, et conséquemment,
les transformations qui ressortissent des espaces entendus comme agents. Nous
nous intéresserons - comme nous l'avons fait jusqu'ici - aux quatre espaces de
base dont la capitale, la route, Togobala et Mayako.
Voyons les transformations produites par la capitale
Les transformations opérées par la capitale sur les personnages ne sont
pas immédiatement perceptibles à la lecture. Le narrateur, de ce point de vue,
n'est pas très explicite. Et nous ne pouvons espérer appréhender ces diverses
transformations que de manière dialectique, et à travers trois points précis :
la destination de la capitale c'est-à-dire ce pour quoi elle est faite, ou ce
pour quoi elle existe d'abord, l'état passé ensuite, et l'état présent de tous
les personnages qui y vivent enfin. Ces trois points sont en rapport logique.
Si nous déterminons que la capitale, par exemple, est fondée pour servir ainsi
de lieu d'épanouissement, si de surcroît l'état passé des personnages qui s'y
trouvent était d'épanouissement et que l'état présent est de déchéance, il est
évident que nous devrions conclure à une action ou une transformation pénible
et malheureuse sur les personnages.
L'analyse détaillée des espaces (cf. § 3.1.2) nous a permis au moins de
fixer, pour la capitale, deux éléments particulièrement démonstratifs de toute
sa destination. Il s'agit, exception faite du fait qu'elle est et demeure une
capitale c'est-à-dire en terme administratif un chef-lieu, de la lutte ardente
et/ou de l'effort politique et du grand commerce. La capitale, entendue comme

- 176 -
un espace, était posée par tous les politiciens des Soleils des Indépendances,
dont Fama, comme lieu du rassemblemént et de la lutte glorieuse, et par toute
la horde de commerçants - et de commerçants malinkés en particulier - comme un
point déterminant, une plaque tournante de la vie économique, un lieu de gain
pour tout dire. Et l'attrait initial que cet espace a profondément exercé tout
au long du temps sur les personnages n'est que la concrétisation explicite de
cette destination. Dans tous les cas, la capitale demeure le lieu vivant de la
combativité et de l'ardeur.
D'une manière générale, on peut dire des personnages qui vivent dans la
capitale (cf. Fama, les Malinkés, les politiciens modernes etc) qu'ils étaient
combatifs, courageux, hardis et intrépides dans la mesure où ils ont vaincu à
jamais la colonisation, instauré un nouvel ordre. Cet état des personnages est
complèté chez d'autres personnages tels que Fama et Salimata par une foule de
considérations proprement sociales dont se dégagent quelques traits. Ainsi par
exemple, Salimata fuyant Tiémoko son proposé d'époux pour rejoindre le prince
Fama passe-t-elle de l'état de femme prisonnière et soumise dans le Horodougou
à celui de femme libre et responsable dans la capitale. Quant au prince Fama,
il véhicule dans la capitale tous ses attributs princiers : un prince, un fils
légitime et pour tout dire, un riche notable.
Pourtant, de tous ces attributs, il ne reste rien ou presque à la fin de
la narration, du moins en ce qui concerne Fama principalement. Celui-ci ayant
abandonné la lutte politique ouverte et le négoce, est devenu un individu très
attentiste, et passif: inactivité devant ses adversaires et pire, devant ses
propres responsabilités. De plus, de la richesse avouée Fama est passé avec la
mort du négoce à une mendicité forcenée. Les autres personnages, et notamment
les politiciens, ne connaissent pas de telles vicissitudes, de tels drames. En
réalité, tous les colons vaincus, ces derniers - hier alliés naturels de Fama
et aujourd'hui adversaires farouches - ont transféré avec bonheur leur ardeur,
leur combativité sur leurs opposants dont Fama.
De l'analyse de l'état passé à l'analyse de l'état présent des acteurs,
un constat s'impose: la capitale opère effectivement sur les acteurs textuels
de façon positive ou négative des transformations.
Positivement, la capitale
maintient et même accroît le dynamisme des politiciens modernes. Négativement,
elle éteint l'ardeur combative de Fama et, dans une certaine mesure aussi, de
Salimata. (On se souvient de l'impuissance de la vendeuse devant les mendiants
et les pilleurs). Plus encore, elle convertit le prince Fama en un mendiant à
tout instant féroce, détruit impitoyablement son sens de la tradition ou mieux

- 177 -
encore, la connaissance qu'il a du monde et des choses du Horodougou : Il Après
ces vols d'autres cris retentissaient poussés par
des bêtes dont Fama avait
oublié, digéré les noms pendant ses vingt ans de sottises dans la capitale ••• "
(p.98-99). En un mot, la capitale occasionne son abâtardissement définitif.
Examinons les transformations provoquées par la route.
La route proprement dite exerce sur les voyageurs, dont Fama, une seule
action majeure : elle provoque une fatigue physique ainsi qu'une détérioration
sensible du corps relève le narrateur : Il les fesses se meurtrissaient et les
mollets et les jambes s'alourdissaient comme lestés par des mortiers Il (p.92).
A cette action appliquée à la masse anonyme des voyageurs s'ajoute une seconde
que la route inflige à Fama seul : la dégradation momentanée de sa santé, due
à l'état de la route
Il
Fama fut pris de vertige et de nausées Il (p.87).
Les
transformations opérées par la route, comme il est aisé de le voir, ont trait
au physique de l'acteur. Nous avons cru utile d'imputer les principales formes
d'actions qui précèdent à ce que nous nommons Il la route proprement dite ". A
cela il y a une raison: la route, en tant que réalité topologique textuelle a
été définie comme la somme de la route et des étapes internes aux voyages des
acteurs et surtout de Fama. Après avoir montré donc l'influence de la première
composante définitoire de la route (cf. route comme bande), il convient alors
de voir les transformations qu'opère la seconde composante, autrement dit, les
haltes particulières (cf. auto gare , Bindia, camp sans nom, frontière etc).
Si l'autogare, Bindia et la frontière (sous-espaces de l'espace /route/)
n'agissent pas de façon systématique sur les personnages, nous ne saurions en
dire autant du camp sans nom. Le camp, au demeurant, influence profondément la
conscience des détenus au point de leur faire perdre la notion du temps et de
l'espace précis où ils se trouvent, les déconnectant ainsi de la- réalité toute
vivante qui les entoure et où, inconsciemment, ils baignent :
Il
D'abord on y perdait la notion de la durée. Un matin, on comptait
qu'on y avait vécu depuis des années Il
( p. 165). ( ••• )
Il
En outre,
Fama n'a jamais su dans quelle
région
de la république des Ebènes
le camp était situé Il
(p.166)
et les menant à des contradictions fondamentales consécutives à un système de
réflexion nécessairement perverti :
Il
Puis on y passait des jours plus longs que des mois, et des saisons
plus courtes que des semaines. En pleine nuit le soleil éclatait, en
plein jour la lune apparaissait Il
(p.165-l66).

- 178 -
Bien plus, il provoque, à la faveur de cette perversion de conscience,
des troubles psychosomatiques graves :
" On ne réussissait pas à dormir la nuit, et toute la journée on
titubait, ivre de sommeil"
(p.166).
Cette incapacité à appréhender les phénomènes naturels et sensoriels les
plus élémentaires, c'est le stade ultime d'une aliénation mentale du détenu à
jamais perdu que même les cogitations et divagations comme celles de Fama (cf.
p.166) ne parviennent pas à défaire. Le camp sans nom, nous le savons, est une
étape vers Mayako. S'il provoque à ce stade de telles dégradations, on est en
droit de se demander ce que réserve alors l'espace jMayako/, le point final du
mouvement provisoire de Fama.
Observons les transformations réalisées par Mayako.
Nous projetions de manière catastrophique à l'instant les difficultés et
dégradations possibles que peut occasionner Mayako, en nous fondant toutefois
sur celles observées dans le camp sans nom, ultime étape avant la caserne fort
coercitive. De fait, Mayako, comme par enchantement, efface définitivement en
somme cette aliénation mentale imposée aux détenus par le camp anonyme : " ils
s'arrêtèrent devant une caserne bâtie à l'entrée d'une ville. Là, on voyait
la vie, on entendait le matin" (p.167). Mais, malheureusement, c'est surtout
pour opérer un type de transformation autrement plus grave : on assiste à une
sorte d'entropie, de désorganisation des personnages et plus particulièrement,
de Fama, une entropie faite de vieillissement physique :
" Constamment il desséchait: ses yeux s'enfonçaient dans des orbites
plus profondes que des tombes, ses oreilles décharnées s'élargissaient
et se dressaient
proéminentes comme chez un léporide aux aguets, les
lèvres s'amincissaient et se rétrécissaient, les cheveux se
raréfiaient"
(p.176)
et de maladie :
" Son état de santé se dégradait. Des vers de Guinée poussaient dans
les genoux et sous les aisselles"
(p.176).
Ainsi donc, à l'appauvrissement mental provisoirement enrayé succède une
anémie physique dont l'issue certaine et inéluctable ne peut être que la mort.
Intéressons-nous enfin aux transformations causées par Togobala.
Il semble utile de préciser ici ceci : ce que nous pouvons savoir et/ou
savons de Togobala, en tant qu'individu physique, est imputable au Horodougou,
pour une bonne part. C'est donc par rapport à cette réalité physique ou mieux
encore, par rapport aux actions de cet individu physique dont Togobala en tout

bien n'est que partie intégrante que nous essayerons de découvrir des diverses
transformations possibles occasionnées par Togobala~
Le Horodougou opère sur le plan physique une transformation positive de
l'état de Fama. Il le redynamise et le revivifie. Le narrateur ne dit-il pas:
" Fama se sentit revigoré, enlevé par le bon matin" (p.196) ? De plus sur le
plan social, il restitue Fama à la vie, le resitue dans l'honneur, la dignité,
et la puissance perdus dans la capitale.
" Fama fut salué par tout Bindia en honoré, révéré comme un président
à vie de la République, du parti uniqùe et du gouvernement, pour tout
dire, fut en malinké mari de Salimata"
(p. 97).
L'influence de Togobala proprement dit reste moins explicite. A l'instar
de la capitale, son action sur les personnages - et notamment Fama - n'est en
fait saisissable qu'à travers trois points fondamentaux. Il s'agit précisément
de la destination de Togobala lui-même, de l'état passé, et de l'état présent
des personnages qui y vivent.
La destination de Togobala a toujours été - depuis l'ancêtre Souleymane
jusqu'à Fama l'unique descendant - celle d'être une capitale traditionnelle de
la dynastie des Doumbouya. Cela suppose beaucoup de choses, dont la sécurité.
Conçu pour l'existence de la dynastie, avons-nous dit, Togobala se doit d'être
un lieu de protection contre les forces extérieures, pour sa population d'une
manière générale et plus particulièrement pour les Doumbouya. Il doit offrir à
tous, et à Fama, toutes les garanties qu'une telle fonction exige de l'espace
qui l'assume. Cela suppose ensuite la facilité dans l'Action. En effet, vue la
complicité qu'un espace entretient indéniablement avec les éléments vivant en
son sein, on s'attend logiquement à ce que Togobala facilite au mieux, pour ne
pas dire entièrement, les actions projetées par ceux qui y vivent. Enfin cela
suppose la plénitude morale et matérielle. Il est évident que d'autres aspects
peuvent être dégagés. Nous nous en tiendrons cependant à ceux ci-dessus.
S'agissant des états des personnages, nous préciserons ceci: puisque la
ou les transformations que subissent les personnages vivant à Togobala, comme
Balla, Diamourou etc, semblent plutôt imputables à l'effet du temps qu'à celui
de l'espace, nous nous intéresserons ici aux seuls états de Fama.
L'état passé de Fama, rappelons-le, découle de tous ses traits ou de ses
qualités emmagasimés depuis le départ de Togobala (cf. la jeunesse en négoce)
jusqu'au moment précis où il y retourne (cf. la célébration des funérailles) y
compris le long séjour dans la capitale de la République des Ebènes. Cet état
comporte deux aspects ou deux niveaux: d'une part, Fama y est défini comme un

-
180 -
prince, un légitime fils des Doumbouya et un riche notable, au départ initial
de Togobala (nous entendons par" départ initial ", celui de Fama qui avait en
fait été motivé par le négoce et la lutte anticolonialiste), et d'autre part,
Fama est défini comme un individu attentiste, passif et un mendiant invétéré à
peine reconnaissable.
L'état présent de Fama - l'état dans lequel celui-ci se trouve au moment
où il séjourne à Togobala - est celui d'un vrai prince tenant le pouvoir réel
de la dynastie. Tout, dans le discours, concourt à l'expression de cette image
méliorative. Il y a, entre autres choses, l'environnement physique, et humain
où il vit: le séjour se passe harmonieusement dans la cour des Doumbouya, une
cour où le prince Fama trône, entouré de son griot Diamourou et de son ancien
esclave Balla, et reçoit les autres notables. Cet état présent est aussi celui
d'un heureux marié, mais aussi et surtout d'un intrépide. Fama est devenu, de
l'aveu du griot et de l'affranchi" un courageux, un diseur de vérité ", celui
qui va " tordre le cou aux Indépendances"
(p.136).
Au regard du premier aspect de l'état passé de Fama, Togobala n'opère ni
transformation négative ni transformation positive. Tout au plus, dirons-nous
que Togobala se conforme à sa destination en maintenant l'image méliorative de
Fama : prince et légitime fils des Doumbouya, donc riche et puissant notable,
ce dernier est reçu - et reconnu - par tout Togobala, y compris les membres du
comité, comme tel. Par contre, suivant le second aspect, on constate bien que
venant dans la chronologie de la narration après la capitale, Togobala détruit
tous les traits défavorables acquis par Fama en République des Ebènes. Lui le
féroce mendiant devient un donateur sans limite, lui le dévoyé et stérile mari
sans espoir se transforme en un grand homme plein de sagesse et d'assurance,
lui l'individu attentiste et passif renaît en un adversaire redoutable surtout
pour ses ennemis. Togobala, en se conformant ainsi au Horodougou, resitue ici
Fama dans la dignité, l'honneur et la puissance.
Reprenons en résumé, pour faciliter leur totale appréhension, les divers
faits et actions des espaces topologiques dont nous venons de rendre compte:
la route (au sens le plus large que nous lui donnons ici) et Mayako concourent
à la destruction, à la dégradation de l'état physique de Fama. Togobala, lui,
le revivifie et le redynamise. La capitale maintient et même accroît, dans une
certaine mesure, l'agressivité des politiciens, et éteint l'ardeur combative
de Fama que réactive d'un autre côté Togobala. Enfin, la capitale, à partir de
l'aliénation culturel et l'abâtardissement qu'elle engendre, transforme et/ou
convertit négativement l'image sociale du personnage Fama, alors que Togobala,

- 181 -
la éapitale traditionnelle de la dynastie, la resitue dans toute sa dimension,
dans toute sa plénitude.
Ainsi apparaissent les actions des espaces topologiques. Et de l'analyse
qui précède, trois observations peuvent être faites: d'une part, les actions
accomplies par les espaces échouent presque toujours sur le seul personnage de
Fama. N'observe-t-on pas par exemple que Fama subit, tour à tour, l'influence
permanente des espaces comme la capitale, la route; Mayako ou Togobala ? alors
que de manière explicite, seule la capitale opère une transformation sur tous
les politiciens modernes. Cette situation s'explique, semble-t-il, par tout le
système de mouvement en vigueur (cf. mouvements et communication, au § 3.2.1)
qui convertit certains personnages comme Fama, Bakary, Salimata etc en acteurs
dynamiques, et d'autres comme les politiciens modernes en acteurs statiques
alors que Fama parcourt tous les espaces topologiques, les politiciens nous le
savons se confinent dans la capitale. On notera d'autre part que ces actions,
ces transformations influencent le personnage en général en trois points : son
aspect physique, ses capacités psychomotrices, et son image sociale, qui sont
tous des aspects qui se révèlent tôt ou tard indispensables aux agents et donc
à l'existence même de tout le récit. Enfin, ces actions et transformations se
répartissent en deux catégories: les unes, de toute évidence, influencent les
personnages positivement, les autres les transforment négativement.
Les deux dernières observations nous permettent d'affirmer l'implication
évidente, immédiate et totale des espaces topologiques dans le récit. Dans la
mesure où les actions des espaces influencent le personnage en général, en ses
aspects indispensables au développement des actions et que cette influence en
fait est soit négative soit positive, on peut dire qu'en se manifestant toutes
les actions des espaces topologiques empêchent ou favorisent l'entreprise des
divers agents du récit. Ainsi, Fama, conditionné positivement par Togobala, sa
capitale traditionnelle, y trouve la force nécessaire à la lutte victorieuse,
la constance morale pour ne pas succomber à l'assaut des membres du comité. Le
même Fama, détruit moralement et physiquement par Mayako, s'y sent amorphe et
incapable d'actions et de réactions offensives. Dans tous les cas, les actions
confèrent aux espaces qui les assument des qualités d'agent ou mieux quelques
rôles actantiels qui peuvent se révéler au niveau local ou au niveau global de
tout le récit. C'est à la précision de ces rôles que nous allons procéder.
Revenons aux actions des espaces topologiques.
Nous constatons très nettement que la capitale, la route et Mayako, dans
la perspective du personnage Fama, assument, pour nous résumer, les fonctions

- 182 -
/destruction/ et, dans la perspective des politiciens modernes, les fonctions
/construction/. Quant à Togobala, il assume, dans la perspective de Fama donc,
les fonctions /construction/ et, dans la perspective des politiciens modernes
dont les membres du comité, les fonctions /destruction/. De façon schématique,
nous pouvons résumer ces quelques indications qui précèdent comme suit :
/(capitale / route / Mayako)/
destruction de Fama
construction des politiciens
/Togobala/
construction de Fama
destruction des politiciens
(De fait, seule la capitale de la République des Ebènes produit un effet
positif, directement tangible, sur les politiciens. Il semble alors utile ici
de préciser que les fonctions /construction/ et /destruction/ conférées à tous
••
les politiciens par les espaces comme la route, Mayako ou Togobaia ont été en
fait énoncées sur la base des actions assumées par certains acteurs proches de
cette classe de personnages dénommés /politiciens modernes/. Un tel procès se
justifie dans la mesure où, comme nous l'indiquions ailleurs (cf. § 3.2.3), la
ou les actions d'un agent non-anthropomorphe sont imputable soit à l'individu
physique en tant qu'entité, soit aux éléments qui le composent).
La capitale, la route et Mayako, en détruisant Fama, se comportent bien
en malfaiteurs (de Fama) , comme se comporte en malfaiteur (des politiciens) la
capitale traditionnelle de la dynastie des Doumbouya, Togobala. Au contraire,
en construisant les politiciens, la capitale, la route et Mayako se comportent
vis-à-vis d'eux en bienfaiteurs, comme se comportent en bienfaiteurs de Fama,
les divers sous-espaces qu'il parcourt dans le Horodougou et qui se ramènent à
la limite à Togobala. Projetés au niveau narratif, ces divers rôles changent,
convertissent ou assimilent d'une part la capitale, la route et Mayako en durs
opposants de Fama et en sûrs adjuvants des politiciens, posent Togobala comme
un adjuvant invétéré de Fama et en absolu opposant des politiciens modernes et
notamment des membres du comité.
L'ensemble de l'analyse qui précède a tenté jusqu'ici de répondre à deux
préoccupations essentielles : mettre en évidence et décrire exhaustivement la
totalité des espaces topologiques d'une part, et d'autre part leur conférer un

- 183 -
contenu en essayant de les situer par rapport aux mouvements divers et surtout
aux actions des acteurs et par rapport à leurs propres influences exercées en
permanence sur les personnages. On le sait, chaque espace topologique (en tant
qu'unité spatiale) n'est pas, dans la structure spatiale, un espace en soi ou
isolé. Il fait partie d'un système qui taille, modifie, approfondit et oriente
son contenu, dirons-nous. C'est donc par rapport à ce système que l'espace en
réalité prend tout son sens. C'est aussi par rapport à cet ensemble organisé à
merveille que, d'une manière générale, la topologie du roman acquiert surtout
une signification. Après avoir décrit individuellement les espaces dégagés, la
nécessité s'impose de les envisager dans un rapport global.
3.3
Le système des espaces
3.3.1 : Les relations entre espaces:
La recherche des relations entre éléments d'un système suppose au moins
que ceux-ci sont envisagés d'un même point de vue. S'agissant ici des espaces,
nous nous baserons sur les traits définitoires que sont les propriétés notées
plus haut. Rappelons, pour en donner une vue plus synthétique, ces définitions
ou propriétés des espaces topologiques. Nous commencerons par celles qui sont
engendrées par les actions des personnages.
/(capitale / route / Mayako)/
négation de Fama
humiliation
déshonneur
indignité
faiblesse
/Togobala/
affirmation de soi
élévation sociale
respect
dignité
puissance

- 184 -
Conçues telles quelles, les propriétés ne sont pas très explicites. Et,
en effet, la difficulté existe bien de formuler avec clarté les propriétés des
espaces topologiques issues des actions des personnages. Des notions, plus- ou
moins ·vides du reste, telles que celles qui précèdent méritent, nécessairement
donc, d'être dépasser. En essayant de les abstraire au mieux, nous énoncerons
de nouveau celles-ci comme suit
/(capitale / route / Mayako)/
espaces des difficultés et du malheur
/Togobala/
espace des facilités et du bonheur
Voyons maintenant les propriétés ressortissant des actions des quatre
espaces topologiques considérés comme agents :
/(capitale / route / Mayako)/
opposants de Fama
adjuvants des politiciens
/Togobala/
adjuvant de Fama
opposant des politiciens
Ainsi se présentent les propriétés des espaces topologiques découlant en
fait des deux perspectives sous lesquelles elles ont été déterminées (cf. les
actions des personnages dans les espaces d'une part et les actions des espaces
sur les personnages d'autre part). Ces propriétés, de fait, structurent et/ou
organisent de manière rigoureusement identique les quatre espaces topologiques
indexés. En tous les cas c'est-à-dire, sous l'une ou l'autre ou même sous les
deux perspectives énoncées plus haut, nous constatons l'établissement ferme de
deux classes: une première que nous nommerons pour l'instant et délibérément
Classe d'espaces A comprend la capitale, la route et Mayako et une seconde que
désignerons par Classe d'espaces B se fonde sur Togobala.
Une telle structuration reste empirique. En effet, à la faveur réelle du
facteur d'identité totale observée entre les groupes d'espaces ci-dessus pris

- 185 -
deux à deux, nous étions en droit de constituer en classes les divers groupes
d'espaces homologues, et même identiques, dégagés précédemment. On voudra bien
remarquer cependant que cette structuration empirique, même si elle aboutit à
un résultat fort intéressant, ne saurait satisfaire l'analyse dès lors qu'elle
se fonde essentiellement sur l'état global - la nature intrinsèque même - des
espaces topologiques constituant les groupes ci-dessus énoncés (ne sommes-nous
pas tentés, suivant en cela le bon sens, de dire que Togobala égale Togobala,
la capitale égale la capitale etc). En partant de telles réserves, nous allons
donc, pour rendre la constitution des classes plus rigoureuse, nous servir de
l'ensemble des propriétés des espaces topologiques auxquelles nous sommes tout
naturellement parvenus.
Soit le tableau suivant synthétisant l'ensemble des informations notées
jusqu'ici, où nous posons en abscisse mais de façon abrégée les propriétés des
espaces topologiques et en ordonnée les espaces eux-mêmes :
Propriétés
Espaces
Facilités
Difficultés
Adjuvants
Opposants
Capitale
x
x
Route
x
x
Mayako
x
x
Togobala
x
x
(Le signe x précise la ou les propriétés correspondant à l'espace donné.
Notons que le tableau, construit dans la perspective du personnage central du
récit à savoir Fama, empêche - c'est évident - de faire apparaître quelquefois
certaines propriétés dans leur rapport avec certains espaces. Ainsi, il n'est
pas possible d'appréhender par exemple la capitale, la route etc comme espaces
des facilités pour les politiciens ou de saisir Togobala comme leur opposant.
Ces limites du tableau n'ont, de toute évidence, aucune incidence particulière
sur les résultats généraux qui s'y dégagent).
Ces résultats précisément indiquent la formation de deux classes basées
sur les mêmes qualités: une première, composée de la capitale, la route et de
Mayako, et une seconde dont le seul élément est Togobala, ce qui confirme les
conclusions de la structuration empirique. Quoiqu'il en soit, les types ou les

- 186 -
formes d'organisation des quatre espaces topologiques imposés ici par les deux
catégories de propriétés projettent indéniablement les types de relations qui
existent entre eux, relations qu'il nous revient de préciser dès maintenant en
considérant l'ensemble des données précédentes.
Partons de la Classe d'espaces A.
Nous avons vu précédemment que les trois éléments ou composants de cette
classe (cf. les espaces Capitale, Route et Mayako), du point de vue précis de
l'ensemble des conséquences des fonctions des personnages qu'ils investissent,
et de leurs propres influences sur les acteurs du récit, ont les mêmes traits
sémantiques. Ils se posent comme lieux de l'humiliation et du déshonneur, mais
aussi comme opposants de Fama. Ils entretiennent donc à ce niveau restreint a
priori une relation d'équivalence évidente dont nous aurons l'occasion de dire
quelques mots plus loin. Ces traits équivalents s'opposent à l'évidence à ces
traits constitués de la Classe d'espaces B, où l'unique élément Togobala reste
défini comme lieu de l'honneur et du respect, mais aussi comme adjuvant total
de Fama. Les Classes d'espaces A et B ainsi posées entretiennent naturellement
une relation d'opposition.
Le découpage du cadre spatial général (cf. § 3.1.1) ainsi que l'approche
descriptive de la topographie nous ont permis de situer la capitale au Sud de
la République des Ebènes, Togobala au Nord dans le Horodougou. La situation de
Mayako reste seule imprécise. Cependant, en nous fondant ici sur l'opposition
/Province du Horodougou/ vs /Côte des Ebènes/ que le narrateur institue à tout
moment, nous situerons sans grand dommage Mayako sur la même topographie, sur
la même structure spatiale que la capitale de la République des Ebènes. Il est
évident que la route, serpentant en principe du Sud au Nord, ne saurait de ce
point de vue être distribuer globalement sur telle ou telle région, telle zone
déterminée. Fort heureusement, la dichotomie systématique qui frappe toute la
route en tant qu'entité physique et la décompose entièrement en partie bitumée
et en partie non-bitumée, et les caractéristiques de ces diverses parties qui
s'assimilent facilement à celles des espaces qui leur sont proches permettent,
sans grand risque, de rejeter du côté du Sud la partie bitumée et de conférer
au Nord la partie non-bitumée de la route.
Si nous considérons ici toute cette, spatialisation qui rejette Togobala,
élément de la Classe d'espaces B, au Nord d'une part et au Sud la capitale de
la République des Ebènes, la route et Mayako, éléments de la Classe d'espaces
A d'autre part, en rapport direct avec la relation d'opposition dégagée, nous
dirons qu'à travers le texte se développe une opposition fondamentale entre la

- 187 -
région Nord et la région Sud de la structure spatiale globale du roman. Cette
conclusion partielle reste assez générale et, à la vérité, empêche ou interdit
de faire ressortir valablement un certain nombre de faits, de relations moins
larges et pourtant particulièrement significatifs. L'analyse qui se veut moins
étroite et donc totale dans ses objectifs se propose rapidement de voir aussi
ce niveau des relations possibles entre espaces. Ceci suppose que, d'une façon
ou d'une autre, nous situons les réflexions suivantes au niveau restreint des
composants sous-spatiaux des espaces considérés. En ce cas quelques précisions
sur les propriétés spatiales précédemment dégagées s'imposent.
Evacuons d'ores et déjà une certitude: Togobala et Mayako, en tant que
données spatiales homogènes et monobloc, conservent tous leurs traits ou leurs
propriétés. Togobala reste le lieu des facilités et l'adjuvant de Fama, alors
que pour le même Fama Mayako demeure le lieu des difficultés et l'opposant. Un
tel rappel n'est plus possible dès lors qu'il s'agit de la capitale, et de la
route. Ces espaces, on le sait, restent bicéphales et leurs composants ont des
propriétés distinctes. Le quartier négre par exemple, en tant que cadre où le
personnage Fama vit intensément sa vie, où il est reconnu par tous Malinkés et
notamment les anciens et où coulent les jours sans drame de Salimata, peut en
tout état de cause être considéré comme lieu de facilité et adjuvant du couple
Doumbouya. Au contraire, la ville blanche, en tant que cadre où reste enfermé
le détenu Fama et où Salimata subit le pillage des mendiants, peut en tout cas
être considéré comme lieu de difficulté et opposant du couple Doumbouya. Nous
pouvons également tenter de telles projections de traits à propos de la route,
si nous prenons en compte ces précisions du narrateur qui mentionne : " après
un virage finissait la route bitumée. On entrait dans la piste et la poussière
la poussière en écran ••• " (cf.94). Nous dirons alors que la partie bitumée de
la route, au regard de la relative aisance qu'elle procure, demeure Un lieu de
facilité et un adjuvant de Fama. La partie non-bitumée, en tant que cadre des
épreuves physiques et de la mort de Fama, investit les traits et/ou propriétés
contraires. C'est un lieu de difficulté et un opposant de Fama.
Sur la base de ces nouvelles précisions, nous pouvons reprendre ici même
comme suit le tableau précédent qui synthétisait le rapport entre les espaces
topologiques considérés et leurs propriétés respectives, en y introduisant les
nouvelles données ci-dessus indexées. Pour des raisons de typographie et donc
de place, nous nommons ville, la ville blanche et quartier, le quartier nègre,
tout simplement. Soit :

- 188 -
- " "-
Propriétés
Espaces
Facilités
Difficultés
Adjuvants
Opposants
Capi tale
· ville
x
x
· quartier
x
x
Route
· bitumée
x
x
· non-bitumée
x
x
Mayako
x
x
Togobala
x
x
La lecture du tableau indique la formation de deux classes d'espaces qui
s'appuyent sur des propriétés identiques: une première, structurée autour de
la ville blanche, de la route non-bitumée et de Mayako, et une deuxième fondée
sur le quartier nègre, la route bitumée et Togobala. En tous les cas, chacune
des deux classes s'appuie sur la réunion d'un espace topologique entier, total
avec deux sous-espaces. Ces deux classes, dans la mesure où elles manifestent
des traits contraires et/ou contradictoires, entretiennent très clairement une
relation d'opposition.
Cet aspect de l'analyse, prenant appui non pas sur les caractéristiques
générales de chaque espace entier mais sur celles spécifiques ou particulières
de leurs possibles sous-espaces, introduit des raffinements assez révélateurs
dans la lecture de la toute première relation d'opposition dégagée (cf. supra)
et relative aux espaces en tant qu'entités homogènes. Ainsi, peut-on observer
ceci: si à un niveau d'appréhension général il semble se manifester une seule
relation d'opposition mettant en regard un Sud et un Nord, nous constatons en
fait qu'à un niveau de saisie plus détaillée des espaces, des oppositions plus
discrètes sont à noter. Quelle valeur prennent ces diverses oppositions qu'il
est facile de répérer ? Connaissant les espaces topologiques, leurs ~ropriétés
et surtout le système qu'il constitue, nous allons tenter de dé~a~er dès lors
la signification possible de la topologie textuelle. Nous considèrerons alors,
tour à tour, les espaces en tant que données physiques et en tant Que cadre de
vie et d'existence des"personnages.

- 189 -
3.3.2 : Structure spatiale et signification:
D'une manière générale, lorsqu'on aborde la signification possible d'un
espace topologique réel ou fictif, il est difficile sinon impossible, dans une
certaine mesure, d'échapper à ce doute tenace que traduit cette interrogation
fort judicieuse au demeurant: " Tout espace est-il signifiant? Et si oui, de
quoi? Plus précisément, tout espace ou fragment d'espace ne serait-il pas un
texte social? " (cf. Henri Lefebvre: Le droit à la ville, suivi de Espace et
politique, p.167).
S'agissant de la topologie de notre texte, nous pouvons affirmer dès ici
et sans lui reconnaître nécessairement une dimension sociale - comme l'entend
Lefebvre - qu'elle se présente vraiment comme un texte signifiant profond qui,
sinon construit un certain nombre de signifiés tout à fait supplémentaires au
demeurant, du moins amplifie notoirement les diverses significations découlant
du discours qui la représente. Que dit et/ou signifie donc cette topologie du
roman par nous considérée comme texte ? Pour répondre efficacément à une telle
question, nous partirons de la relation d'opposition que nous avons nettement
mise en évidence précédemment.
La topologie générale du roman, nous l'avons montré, met en évidence un
univers hétéroclite ou hétérogène construit sur une opposition fondamentale et
apparemment irréductible entre les deux principales régions que manifeste ici
la structure spatiale globale du récit ou, pour mieux serrer notre texte objet
de plus près, entre un Sud et un Nord que représentent la capitale de la Côte
des Ebènes et son substitut provisoire Mayako d'une part, et d'autre part, par
Togobala la capitale traditionnelle de la dynastie des Doumbouya. Cette forte
opposition, étant donnée la nature même de tout espace topologique reste avant
tout physique: elle est, au degré zéro des espaces c'est-à-dire au niveau de
tous les espaces considérés comme de simples individus physiques sans aUe nous
prenions en compte à ce niveau leur contenu, purement spatiale, et simplement
cela. Ainsi, dirons-nous, à un Sud s'oppose un Nord. Elle est aussi, en second
lieu, élémentaire en ce sens qu'elle se rapporte aux éléments physiques, à la
fois naturels ou culturels, des espaces topo.logiques analysés, appréhendés ici
du point de vue de leur état physique et surtout de leurs qualités. Pour tout
dire, elle est humaine c'est-à-dire qu'elle se rapporte aux éléments humains à
travers lesquels les espaces vivent. C'est donc, pensons-nous, en essayant de
situer la relation d'opposition dégagée à ces niveaux que nous pouvons espérer
dégager la signification possible de l'organisation topologique.

- 190 -
Ceci suppose, au niveau où nous sommes et compte tenu de l'ensemble des
données ou des informations déjà déterminées, une définition fort extensive de
chacune des régions considérées. Dans la mesure où réellement un espace " est
formé d'éléments distincts: villes, entrepôts, régions considérées séparément
mais aussi groupes sociaux'" (cf. Ciceri / Marchand / Rimbert
: Introduction
à l'analyse de l'espace, p.45) autrement dit, dans la mesure où les véritables
caractéristiques définitoires d'un espace se rapportent d'une part aux divers
éléments physiques - naturels ou culturels - qui le composent, et d'autre part
aux divers éléments humains - ou groupes sociaux - qui y vivent, les quelques
définitions extensives des régions que nous tentons ici prendront bien entendu
appui sur ces éléments désignés.
S'agissant des traits des régions dégagés à partir d'une prise en compte
des éléments physiques, il convient de rappeler que la détermination relative
des aspects des lieux au § 3.1.2 nous avait permis de mettre en relief, autant
pour les espaces que pour les sous-espaces topologiques, un certain nombre de
traits précis dont la réorganisation implicite aboutit à ce tout premier degré
de définition des régions indexées
/région Sud/
/région Nord/
belle
vs
laide
riche
vs
pauvre
moderne
vs
ancienne
oppressive
vs
libérale
(La réorganisation des traits des espaces et sous-espaces qui a conduit
à cette premiè~e définition et qui est restée volontairement implicite ici, il
faut le préciser, a consisté essentiellement en un transfert systématique des
traits des espaces et sous-espaces topologiques à la région qu'ils constituent
ou dont ils sont les composants. Ainsi par exemple, les traits de la capitale
des Ebènes, de Mayako et de la route bitumée servent-ils donc à définir le Sud
alors que ceux de Togoba1a et la route non-bitumée servent à définir le Nord).
S'agissant des traits des régions dégagés à partir d'une prise en compte
des éléments humains, un travail à la fois de rappel et de découverte reste à
faire. En partant du fait évident, étant donnée la pertinence même des données
discursives qui le soutiennent, que le Sud est le monde des politiciens et/ou
des agents du pouvoir moderne et que le Nord est le monde de Fama le prince et
ses alliés dont Sa1imata, nous dirons, en rappelant les divers traits communs

- 191 -
des personnages mis en évidence au § 2.2.1 du second chapitre, que le Nord est
le cadre de vie des musulmans Malinkés soutenant l'ancien ordre politique que
Fama anime et le Sud, le cadre de vie des non-musulmans non~Ialinkés soutenant
p~ur leur part le nouvel ordre politique. Ces éléments humains des deux zones
ou des deux régions Sud et Nord, du point de vue de leur état physique propre,
sont en plus dépeints par le narrateur comme des jeunes et des vieux. En tous
les cas, le Sud reste à travers le discours synonyme de jeunesse, de dynamisme
donc, alors que le Nord n'est rien d'autre qu'un vaste tableau, monstrueux et
catastrophique, dont l'image unique demeure celle de " quatre hommes dont deux
vieillards, neuf femmes dont sept vieillottes refusant de mourir" (p.llO). A
partir de ces quelques observations, nous pouvons établir un second degré dans
la définition des régions considérées comme suit:
/région Sud/
/région Nord/
jeunesse
vs
vieillesse
dynamisme
vs
statisme
nouvel ordre
vs
ancien ordre
La nécessité de parvenir à une définition globale de chacune des régions
considérées ici impose que nous procédions à une synthèse des traits rappelés
ou construits à partir des caractéristiques définitoires des éléments humains,
et des éléments physiques qui investissent les espaces et les sous-es~aces de
la structure spatiale et circonscrivent ainsi les régions indexées. Dans cette
perspective, nous avons :
/région Sud/
/région Nord/
belle
vs
laide
riche
vs
pauvre
moderne
vs
ancienne
oppressive
vs
l ibérale
jeunesse
vs
vieillesse
dynamisme
vs
statisme
nouvel ordre
vs
ancien ordre
Ainsi se présentent les traits ou les éléments de sens définissant mieux
les deux régions Sud et Nord. Considérés comme tels, dans leur globalité, ils
n'ont aucune expression cohérente. Il convient donc, pour les rendre nettement
opératoires, de les envisager de manière synthétique. En ce sens, disons, une

- 192 -
observation attentive de ces traits ou éléments de sens montre qu'ils peuvent
.
.
se regrouper - ou être regroupés - en fonction des affinités effectives que de
toute évidence les uns et les autres manifestent. Et, en effet, divers traits
comme ceux qui sont ainsi couplés à savoir jeunesse/vieillesse, nouvel/ancien,
et moderne/ancienne constituent un paradigme que nous nommerons /temporalité/.
D'autres traits tels que ceux du couple nouvel ordre/ancien ordre définissent
un paradigme qui sera dit /politique/. Enfin, les traits tels que ceux couplés
comme suit à savoir belle/laide et riche/pauvre déterminent un paradigme tout
à fait malaisé à caractériser mais que nous nommerons /société/, par rapport à
l'aspect social des lieux impliqués. Les traits plus généraux comme tous ceux
des couples oppressive/libérale etdynamisme/statisme non classés ici, il faut
le préciser, ne posent aucun problème à l'analyse dans la mesure où - en tout
état de cause - ils relèvent, soit du paradigme /politique/, soit du paradigme
/société/ déjà existant. De ce qui précède, on peut donc dire que les régions
indexées sont visées à travers leurs aspects politique, social et temporel, le
temporel sous-entendant ici l'existentiel.
En leur aspect politique, les deux régions Sud et Nord sont des lieux où
se manifestent, se développent disons deux systèmes contraires. Si le Sud est
régi politiquement par une république c'est-à-dire une" forme de gouvernement
où le pouvoir et la puissance ne sont pas détenus par un seul, et dans lequel
le chef de l'Etat n'est pas héréditaire" (cf. Le petit Robert,
dictionnaire,
p.1679), une république caractérisée essentiellement par son régime politique
à parti unique, le Nord est soumis quant à lui à une dynastie particulièrement
vieille, celle des Doumbouya, ou mieux encore à une monarchie c'est-à-dire un
" régime dans lequel l'autorité politique réside dans un seul individu, et est
exercée par lui ou par ses délégués" (cf. ibid. p.1218).
En leur aspect social, les deux régions Sud et Nord se présentent comme
des lieux antinomiques. Si le Sud, au bénéfice de l'état de tous ses éléments,
naturels et culturels, se présente comme une région distinguée et de qualité,
une zone de villégiature où la noblesse des lieux rivalise évidemment avec les
attraits et la beauté des composants qui le fondent ou pour tout dire donc un
monde prospère, le Nord se pose comme une région grossière et hideuse, un lieu
délabré où règnent la décrépitude et de déchance, un monde qui survit dans un
dénuement total.
En leur aspect existentiel, les deux régions Sud et Nord restent encore
divergentes. Si le Sud, du point de vue existentiel c'est-à-dire par rapport à
sa situation dans le temps, dans l'évolution historique des choses de la vie,

- 193 -
est un monde actuel qui vit intensément le présent et se projette, résolument
dirons-nous, dans le futur, le Nord se présente comme un monde gravement passé
et dépassé dont les individus qui l'animent restent tout orientés, tournés en
tous les cas vers le passé à jamais perdu.
Ainsi se définissent extensivement les deux régions Sud et Nord formant
la structure spatiale globale du texte. Si nous dépassons résolument la notion
ou la dimension purement physique de ces deux régions ici indexées, dimension
sous laquelle l'analyse ne décèle en général aucune signification particulière
et intéressante, pour les appréhender exclusivement sous les trois principaux
aspects politique, social et temporel ou existentiel, nous affirmerons surtout
par abstraction que les régions Sud et Nord, ces lieux disjoints, rejetés aux
pôles extrêmes de la topologie que représente le roman, sont véritablement des
expressions condensées de deux types d'existence ou d'expérience.
Parvenus à ce niveau de définition des régions et conséquemment de leurs
composants spatiaux et sous-spatiaux (cf. espaces et sous-espaces constituant
chacune des régions), nous pouvons attribuer une certaine signification réelle
à la structure spatiale représentée par le texte. Dans cette perspective nous
dirons, en nous situant au niveau général de la topographie romanesque, que la
structure spatiale globale, dans la mesure où elle se constitue, se construit
même en un univers bipolaire et fatalement fragmenté, dévoile l'incohérence et
l'incompatibilité conjoncturelles et structurelles du monde représenté, et au
niveau humain, l'opposition fondamentale entre le monde moderne très vivant et
dynamique et le monde ancien traditionnel ou pour tout dire simplement, entre
le modernisme et la tradition, que ces derniers soient politique, social et/ou
culturel. Une telle signification, dRgagée dans une perspective très générale
visant la manifestation particulière d'ensemble de toute la structure spatiale
romanesque, cache par son poids et sa globale tendance, si on n'y prend garde
toutefois, un certain nombre de significations particulières ou adjacentes qui
ne sont hélas perceptibles que si nous nous situons non plus au niveau global
de la topographie mais au niveau restreint des espaces ou des sous-espaces que
nous avons naguère construits. A ce niveau, c'est essentiellement la capitale
en tant qu'entité circonscrivant en son sein deux sous-espaces contradictoires
qui retient l'attention.
La capitale, en tant qu'entité circonscrivant en son sein effectivement
deux sous-espaces contradictoires comme la ville blanche et le quartier nègre,
respectivement proches du Sud (cf. la ville) et du Nord (cf. le quartier), se
présente comme un modèle condensé de toute la structure spatiale textuelle. En

- 194 -
ce sens, eile ne prend aucune signification spécifique que celle déjà dégagée
à propos de la structure spatiale globale
opposition fondamentale entre deux
mondes divergents, moderne (cf. la ville) et ancien (cf. le quartier) et donc
deux modes d'existence contradictoires. On observera cependant que l'homologie
de forme ou de composition (cf. bipolarité des deux types d'espaces visés que
sont la topographie générale et la capitale) et de déterminations (cf. aspects
ou traits définitoires des deux types d'espaces) qui engendre forcément cette
homologie de signification n'est pas totale. Spatialement, les types d'espaces
visés manifestent un significatif désaccord ou mieux, un signe distinctif qui
est leur organisation interne. Dans le cas de la structure spatiale globale on
constate une disjonction fondamentale ou systématique entre le Sud et le Nord
attestée par la disjonction spatiale entre la capitale et Togobala qui en sont
les représentants. S'agissant de la capitale on assiste en un certain sens il
faut le dire à une conjonction entre les composants sous-spatiaux c'est-à-dire
la ville blanche et le quartier nègre (nous ferons remarquer dès ici qu'on ne
saurait parler de disjonction (intentionnelle s'entend) entre la ville blanche
et le quartier nègre en partant, par exemple, de l'existence absolue de cette
ligne de séparation physique - la lagune - qui isole les sous-espaces indexés,
considérant que la spatialisation opérée par le narrateur à savoir d'une part
la situation de la capitale au Sud et de Togobala au Nord de la topographie et
d'autre part la situation de la ville blanche et du quartier nègre en un même
espace traversé par une ligne naturelle suggère dans le premier cas révélé une
disjonction spatiale intentionnelle et dans le second cas précisé, notamment,
une disjonction spatiale involontaire mais une conjonction intentionnelle). Et
c'est ce trait distinctif (cf. conjonction et disjonction) qui introduit donc
ici une certaine charge signifiante supplémentaire dont nous nous proposons de
dire quelques mots.
La capitale, modèle condensé de la structure spatiale globale, saisie de
telle manière c'est-à-dire sous l'aspect de conjonction de ses composants que
sont la ville blanche et le quartier nègre, se présente ainsi comme un lieu ou
un cadre à la cohésion hypothétique. Dans cet univers apparemment homogène et
pourtant contrasté, le destin de chaque sous-espace et conséquemment de chaque
monde ou mieux encore de chaque ordre qu'il représente semble définitivement,
inexorablement figé par ses propres caractéristiques physiques. Par leur place
ou leur étendue respective, en effet, les sous-espaces topologiques impliqués
explicitent ce destin. Ainsi, la ville blanche très étendue selon le narrateur
et confortablement installée dans son milieu naturel (cf. l'homologie absolue

- 195 -
de traits et de déterminations ou mieux encore la parfaite similitude entre le
Sud et la ville blanche) se pose-t-e11e comme un monde absorbant alors que le
quartier nègre très restreint et inconfortablement circonscrit, rejeté dans ce
milieu étranger (cf. divergence radicale de traits et de déterminations entre
le Sud et le quartier nègre, dissimilitude qui fait du quartier nègre, dans le
Sud, une sorte de bras avancé du Nord) est vu comme un monde absorbé. Dans un
tel rapport, le quartier nègre autrement dit le monde ancien, dont la présence
solitaire en ce milieu défavorable traduirait l'âpre refus de mourir, la très
farouche volonté de survivre, se révèle impuissant et soumis à une disparition
inéluctable devant laquelle tout effort reste vain.
La structure spatiale romanesque ainsi appréhendée et analysée permet de
dire à ce niveau ceci: si l'opposition entre la région Nord et la région Sud
de la topographie textuelle apparaissait simplement comme une ferme opposition
de fait entre deux régions d'abord, deux mondes ou deux types d'expérience et
d'existence ensuite, l'opposition entre la ville blanche et le quartier nègre,
ces représentants acharnés des deux mondes ou des deux types d'expérience, et
d'existence impliqués à savoir le monde ancien et le monde nouveau, dépasse en
tous les cas la dimension proprement spatiale des individus physiques indexés
èt préfigure la fin du monde ou de l'ordre ancien que soutiennent les Malinkés
de Togoba1a, les anciens de la capitale et surtout Fama.
Nous venons de nous pencher longuement sur l'espace, et plus précisément
sur la topologie c'est-à-dire la structure spatiale globale sur laquelle tous
les acteurs du drame narratif se meuvent. Ce faisant, nous avons alors méconnu
volontairement et pour l'efficacité de l'approche actuelle le temps avec qui,
il faut le dire, il entretient une affinité incontestable, justifiée ou non au
demeurant. Dans la mesure où, comme le fait observer Réné Poirier, " l'espace
et le temps sont les cadres mêmes de la connaissance profonde de la nature ••• "
(cf. Essai sur quelques caractères des notions d'espace et de temps, p.226) ,
et que notre intention est ici d'épuiser notre objet par le biais de ce couple
célèbre, il nous reviendra - et nous revient d'ailleurs - d'analyser le temps
que nous avions provisoirement négligé. En somme, il s'agit pour nous de viser
ou d'appréhender la temporalité romanesque dans sa globalité.


- 197 -
Chapitre IV
La temporalité
une période trouble
4.1
Le temps narratif
4.1.1
La durée de l'histoire
4.1. 2
L'enracinement dans le drame
4.2
L'époque évoquée
4.2.1
Les années 60
4.2.2
Une période douloureuse
4.3
Le temps atmosphérique
4.3.1
Les saisons
4.3.2
La symbolique du temps

- 198 -
1
,
Si l'on n'était pas dans l'ère
des Indépendances (les soleils des Indépendances,
disent les Malinkés).
(p. 7 - 8).

- 199 -
Notre propos ici, à la suite de l'analyse de l'espace au chapitre trois,
se rapporte au temps romanesque, et plus spécialement, aux diverses formes de
temps manifestées par le texte. Nous avons en cela quelques raisons.
Au plan théorique, le temps constitue avec l'espace, disons, les cadres
structurateurs du récit. Plus précisément encore, " l'espace et le temps ( ••• )
forment les schèmes gr~ce auxquels l'enchaînement des phénomènes nous devient
intelligible" (cf. René Poirier
Essai sur quelques caractères des notions
d'espace et de temps, p.226).
D'autre part et au plan pratique, nous avons découvert à l'analyse de la
topologie par exemple une opposition fondamentale entre un monde ancien et un
monde moderne disjoints, opposition à travers laquelle tous syntagmes "ancien"
et "moderne", manifestation évidente de l'implication absolue et systématique
de la temporalité dans le texte, exigent pour être clarifiés que soit spécifié
le temps romanesque en général et plus particulièrement encore dirons-nous la
forme temporelle exacte par rapport à quoi l'un des deux mondes est dit ancien
et l'autre moderne.
Quoiqu'il en soit, l'urgence de telles clarifications nous conduit en un
premier temps à faire ressortir et à décrire le temps narratif que déroule le
texte essentiellement du point de vue de la durée de l'histoire développée. En
un second lieu, nous nous préoccuperons de l'époque évoquêe naturellement par
le discours. Enfin, en un troisième temps nous considèrerons le temps cosmique
ou temps atmosphérique dont l'exploitation à des fins de symbole à travers le
discours du locuteur se laisse difficilement voiler.
4.1
Le temps narratif
4.1.1 : La durêe de l'histoire:
La détermination de la durée de l'histoire que le narrateur donne ainsi
à lire suivra ici, à travers notre analyse, trois étapes : nous procèderons en
un premier temps à une division de tout le récit en unités narratives ou plus
exactement constituerons en unités autonomes les actions et les événements qui
marquent une certaine clôture durative (ou simplement temporelle). Un travail

- 200 -
similaire, rappelons-le, a été déjà opéré au chapitre premier de l'analyse que
nous faisons du roman entier. Là, il s'agissait de déterminer les segments du
discours narratif se référant à des données univoques. Ici, il s'agit dans une
certaine mesure de s'intéresser à des actions ou événements dont ces segments
rendent compte, du point de vue proprement temporel. Nous tenterons, en second
lieu, de préciser la durée exacte de chaque action ou événement dégagé et, en
fonction de ces durées morcelées, nous constituerons enfin une véritable durée
de l'histoire soumise à notre appréciation.
Essayons de circonscrire les unités.
Le texte narratif, on le sait, repose sur trois parties. Chaque partie,
grosso modo, correspond à un espace précis. Ainsi, la première, la deuxième et
la troisième partie du roman se rapportent-elles respectivement à la capitale
de la République des Ebènes, à Togobala et à ce que nous dénommerons ici, plus
volontiers, la capitale retrouvée. A chacun de ces trois espaces topologiques
(on remarquera que, de fait, il n'y a que deux espaces que sont la capitale au
Sud et Togobala au Nord au niveau du discours. La capitale retrouvée est donc
ainsi désignée, par rapport à la capitale prise comme telle, dans la mesure où
elle porte en elle des caractéristiques propres au plan actionnel) correspond
un type précis et spécifique d'actions et d'événements: la capitale (première
partie) demeure le cadre de la vie quotidienne de Fama, Salimata, et tous les
Malinkés oisifs, Togobala (deuxième partie) est le lieu du séjour de Fama dans
1
le Nord, la capitale retrouvée (troisième partie) est le champ de l'existence
1
et de la vie politique effective. Chacune de ces diverses classes d'actions ou
d'événements est en soi susceptible de divisions multiples. On observera dans
ce sens que la vie quotidienne de Fama le prince déchu et Salimata son épouse,
par exemple, s'organise autour des funérailles, des scènes de ménage tournant
autour des consultations et commerces de riz. Le séjour à Togobala comporte le
voyage aller et retour et. le séjour proprement dit. La vie politique se fonde
sur la reprise par Fama de l'activité subversive, le complot et la répression,
la libération et plus tard la retraite définitive de Fama.
Plus explicitement encore, la première partie évoque la vie quotidienne
du couple Fama basée sur les funérailles, le commerce de riz, les consultation
et quête diverses; la seconde partie parle des voyages et du séjour de Fama à
Togobala; la troisième partie rappelle la reprise de l'activité politique dure
et difficile, le complot et la répression, la libération de Fama à Mayako, et
la retraite définitive de ce dernier. Soit, formellement

- 201 -
a/ - Première partie: Capitale
• Vie quotidienne :
- funérailles
ménage :
• commerce
• consultation
b/ - Deuxième partie : Togoba1a
• Séjour de Fama :
- voyage aller
- séjour proprement dit
- voyage retour
c/ - Troisième partie: Capitale retrouvée
• Vie politique effective
- reprise de l'activité politique
complot et répression
- libération de Fama
- retraite de Fama
Tentons de dégager les durées partielles.
Disposant dès à présent d'unités narratives ou, comme nous avons essayé
de les définir, d'unités autonomes d'actions et d'événements caractérisées par
leur disjonction spatiale et temporelle totale, et surtout par celle-ci, nous
pouvons tenter maintenant de mettre en relief les durées partielles conduisant
par leur traitement global à la durée exacte de l'histoire. Dans la mesure où
le temps diégétique est donné avec plus ou moins grande précision et abondance
par le narrateur mais manque de clarté, nous sommes conduits à opter pour une
analyse très détaillée des durées partielles, à l'exclusion de toute induction
systématique.
Considérons les événements notés /vie quotidienne/.
Les funérailles du septième jour du défunt Koné Ibrahima auxquelles Fama
assiste durent une journée. Cette durée, sans être vraiment très ex~licite au
niveau du discours, ne lui est pas moins sous-jacente : Fama se rend à pieds à
la cérémonie funéraire" à l'heure de la deuxième prière" (p.9) c'est-à-dire
à seize heures, achève celle-ci par une prière et une méditation personnelle à

- 202 -
la mosquée qu'il quitte au moment où Il la nuit, avec de fines pluies, continua
à ronronner Il (p.29).
Le ménage, ou plus exactement les événements caractérisant la vie et/ou
l'existence sociale du couple s'étalent eux-aussi sur une journée. En cela les
informations d'ordre temporel apportées par le narrateur restent, à ce niveau
du moins, fort indicatives. Abandonnant Fama à la nuit, il opère soigneusement
une focalisation sur Salimata, et surtout sur la journée de celle-ci, journée
qu'il tente de nous faire appréhender aussi précisément que possible: d'abord
le matin (p.48), ensuite à midi (p.58) et enfin l'après-midi (p.80). Toute la
journée consacrée au commerce du riz, autrement dit l'espace temporel total où
le narrateur situe l'action de Salimata, est consécutive à la journée de Fama
le prince déchu visiteur des lieux de funérailles.
Observons les événements dits /séjour de Fama/.
Le voyage aller, entamé par Fama comme le spécifie le narrateur au début
de la journée (" de bon matin il se présenta à l'autogare Il p.83), se suspend
momentanément à la halte de Bindia la nuit tombante (" à cet instant le soleil
tomba ( ••• ). La nuit enveloppa la ville Il p.97), pour reprendre naturellement
le lendemain matin et s'achever dans l'après-midi. Il dure donc deux jours, ce
que confirme bien la notation temporelle donnée par le narrateur
Il
deuxième
jour de voyage. Tout s'accéléra, se précipita Il (p.l02).
Le voyage retour s'effectue du matin du jour de voyage (cf. la précision
que donne Balla le vieil affranchi : Il laissez-moi parler, le soleil commence
à monter Il p.153) au lendemain matin selon les diverses notations du narrateur
(" du train ils débarquèrent ( ••• ). Le matin était couleur petit mil et moite
un matin de sous-bois après une nuit d'orage Il p.157). Il dure essentiellement
vingt-quatre heures, donc une étendue temporelle d'un jour.
Les deux premières tranches du séjour de Fama à Togobala, c'est-à-dire
l'attente des funérailles et les funérailles en soi, sont relativement faciles
à chronométrer. Le locuteur précise: Il déjà cinq soleils de tombés ( ••• ). Il
en restait dix-huit à voir se lever avant qu'arrive la date des funérailles du
quarantième jour du cousin Lacina Il (p.124). L'attente des grandes cérémonies
funéraires, qui correspond à la période séparant le jour de l'arrivée faste de
Fama à Togobala du jour des funérailles proprement dit, dure, pour ainsi dire
donc, vingt-trois jours. La définition de la durée de l'attente autorise aussi
la précision d'une autre durée, celle séparant le jour de la consultation que
Salimata a faite chez le marabout du jour où Fama. entame son voyage à Togobala
du Horodougou, que nous avions provisoirement ignorée par manque d'indices ou

- 203 -
de notations temporelles précises à ce niveau.
Si quarante jours séparent la mort de Lacina du jour de la cérémonie due
ou consacrée à sa mémoire et que l'attente de Fama à Togobala dure comme il a
été démontré vingt-trois jours, alors nous pouvons affirmer que c'est dix-sept
jours après le décès de son cousin que Fama est arrivé au village natal. Dans
la mesure où le déplacement de Fama dans le Nord occupe deux journées, nous en
concluons que ce dernier n'a été informé du décès du cousin Lacina que quinze
jours plus tard. Le temps qui sépare le jour de la consultation du jour où les
Malinkés de la capitale mettent Fama en route, autrement dit, le temps écoulé
entre la première et la seconde partie du roman, est de quinze jours.
Revenons rapidement aux deux premières tranches du séjour de Fama. Nous
avons déjà indiqué que la première occupe un espace temporel somme toute assez
long de vingt-trois jours. La seconde tranche correspondant d'un point de vue
événementiel aux funérailles en soi dure, quant à elle, un jour si on en croit
le narrateur qui affirme ceci : " la mise en place commença après la deuxième
prière" (p.145) ou plus encore, " attirés et affolés par le fumet du sang qui
continuait d'embaumer le village dans la nuit" (p.149). La dite cérémonie du
quarantième jour se déroulant de treize heures à la tombée de la nuit, on dira
que la seconde tranche du séjour dure un jour. Les deux premières tranches du
séjour de Fama à Togobala s'étalent donc sur vingt-quatre jours.
La troisième tranche du séjour dite l'après-funérailles semble difficile
à définir d'un point de vue temporel. Le narrateur se contente simplement ici
de noter: " les jours suivants, pendant des palabres" (p.150). Tout ce qu'on
sait de la troisième tranche du séjour ou de l'après-funérailles c'est, en un
certain sens, qu'elle dure des jours, ce qui reste assez vague.
Voyons les événements notés /vie politique effective/.
Il convient de noter rapidement ici, c'est-à-dire au niveau du troisième
groupe d'événements noté /vie politique effective/, que les divers événements
se caractérisent par une imprécision temporelle notoire que le locuteur semble
vouloir entretenir à travers des indices temporels assez vagues, tels quels:
" une nuit une bombe éclata, des incendies s'allumèrent" (p.163) ou " un jour
ce fut un d'abord, un autre jour deux" (p.164), ou encore, " une nuit, alors
qu'il sortait de la villa d'un ministre" (p.164). L'expérience évidente d'une
telle imprécision se manifeste aisément à travers l'interrogation essentielle
et fondamentale du locuteur lui-même: " combien de nuits y passa-t-il ? Il ne
le savait pas" (p.165).

- 204 -
L'imprécision temporelle dont nous venons de. faire mention, à l'instant,
concerne surtout ce que nous considérons comme grands évenements. Il s'agit du
complot et de la répression (insurrection, arrestations et répression), de la
pénible attente du jugement et de la définition du statut exact de Fama, et de
la vie de condamné de celui-ci. Dela durée de ces é~énements, on retient que
certains s'étalent sur des nuits (cf. arrestation, séjour dans les caves de la
présidence), d'autres sur des semaines (cf. attente du jugement de Fama) mais
aussi sur des années (cf. vie de condamné de Fama). Seule la durée de faits ou
d'événements mineurs tels que les déplacements des prisonniers politiques, la
longue séance de l'interrogatoire etc, reste précise.
Le déplacement des détenus politiques des caves puantes de la Présidence
au camp sans nom, ou du camp sans nom à la caserne de Mayako occupent en fait
un espace temporel d'une nuit. Le narrateur note à cet effet
" une nuit, on
le tira des caves avec d'autres codétenus ( •.• ) au petit matin ils arrivèrent
aux grilles d'un camp" (p.165) ou encore, " une nuit, on appela Fama et on le
fit monter avec quelques autres détenus dans un camion; au petit matin, ils
s'arrêtèrent devant une caserne" (p.167). Cette durée est aussi celle
qui se
rapporte à un événement (très important) comme la retraite de Fama à Togobala
du Horodougou. Quant aux événements tels que l'interrogatoire, le jugement, et
la cérémonie de la libération, ils durent chacun approximativement un jour.
Schématiquement, les informations qui précèdent se présentent ainsi:
1
/(actions ou événements)/
/durées/
les funérailles de Koné
l
jour
le ménage :
commerce et
l
jour
• consultation
le voyage à Togobala
2 jours
l'attente des funérailles
23 jours
les funérailles de Lacina
l
jour
l'après-funérailles
imprécise
le voyage retour
l
jour
- les activités politiques
de Fama
imprécision
le complot et la répression
imprécision
le séjour dans les caves
imprécision
la vie du condamné Fama
imprécision

j
- 205 -
f
1
la libération
1 jour
- la retraite de Fama
1 jour
1
Telles se présentent autant que possible les diverses durées partielles
des actes et événements que nous avons isolés à travers le texte. Il est utile
de rappeler avant de poursuivre que notre intention ici dans ce sous-chapitre
est de définir ou tout au moins de traiter de la durée de l'histoire, la durée
du récit autrement dit la durée de la relation des faits étant, selon Genette
(cf. Figures 3, p.122), relativement difficile à mettre en évidence de manière
précise et satisfaisante.
Néanmoins, parvenus à ce niveau exact de réflexion sur la durée de notre
histoire à analyser, nous pouvons apporter semble-t-il, au regard de quelques
informations d'ordre temporel dont nous disposons, certaines précisions sur le
temps du récit en rapport avec le temps de l'histoire générale. Dans ce cadre
de pensée, nous dirons quelques mots de ce que Genette dénomme" la vitesse du
récit" qu'il tente de préciser ainsi: " la vitesse du récit se définira par
le rapport entre une durée, celle de l'histoire, mesurée en secondes, minutes,
lignes et en pages " (cf. Figures 3, p.123).
Nous avons précédemment essayé de définir tant bien que mal la durée des
actes et événements marquants de l'histoire, sans faire intervenir dans notre
analyse des considérations temporelles propres au récit donc à la relation des
faits et événements. Pour évoluer dans ce sens souhaité, il nous faut surtout
mettre en rapport les durées partielles des événements composant l1histoire et
les espaces narratifs possibles occupés par ces derniers. Soit :
/(actions ou événements)/
/espace narratif/
/durées/
- les funérailles de Koné
22 pages
1 jour
- le ménage
51 pages
1 jour
(soit : . commerce
35
Il
1 demi-journée
consultation)
16
Il
1 demi-journée
le voyage à Togobala
24
"
2 jours
le séjour
47 pages
24 jours et plus

- 206 -
.
(soit . . attente
37· pages
2a jours.
funérailles
8
"
1 jour
après-funérailles)
2
"
des jours
le voyage retour
2
"
1 jour
le complot et le répression
15
"
des semaines
l
la vie du condamné Fama
5
"
des années
la libération
3
"
1 jour
1
la retraite
23
"
1 jour
1
1
j
1
Soit, plus synthétiquement encore
1
j
/(actions ou événements)/
/espace narratif/
/durées/
1
Vie quotidienne
73 pages
2 jours
j
Séjou.r de Fama
71 pages
26 jours et plus
- Vie politique effective
49 pages
des années
1
Ces deux structures homologues de durées (celle très détaillée et celle
fortement synthétique) appellent quelques commentaires que nous voudrons assez
brefs. Nous partirons, pour mieux exploiter les indices intéressants qui nous
\\
préoccupent, de la structure aux données synthétiques ci-dessus, considèrerons
t
celle aux données détaillées qui a précédé, pour revenir enfin à la première,
1
et dégager un certain nombre de conclusions partielles.
L'observation attentive de la structure de durées partielles aux données
1
synthétisées permet de dégager trois types d'amplitude des grandes variations
de la vitesse du récit
une amplitude très faible, propre au récit sur la vie
1
politique réelle de Fama (dernière partie) où des faits et événements qui ont
1
1
duré des années et des années n'occupent qu'un espace narratif restreint de 49
1
pages, une amplitude moyenne qui se rapporte au récit sur le séjour de Fama à
1
Togobala du Horodougou natal (deuxième partie), séjour dont on retient que les
faits qui le constituent durent au moins quatre semaines, et s'étalent sur 71
pages, une amplitude forte correspondant au récit des scènes de la vie de Fama
et Salimata (première partie), scènes de ménage qui durent deux jours et dont
la relation nécessite 73 pages. Ces amplitudes, difficiles à objectiver ici du
point de vue d'un rapport unique, rapport par exemple de type X pages pour Y
1
jours exclusivement, semblent plus nettes et plus significatives dans la toute
\\.

- 208 -
Revenons à la définition de la durée de l'histoire.
Nous avions précisément indiqué ailleurs (cf. début § 4.1.1) que nous ne
parvièndrons à la définition de la durée exacte de l'histoire entière que par
addi tion de ce que nous continuons encore de nommer " durées partielles ".• Si,
connaissant maintenant les durées partielles nous essayons d'en faire surtout
la somme, par partie du texte (cf. première, deuxième, troisième partie), nous
aurons les résultats suivants
Durée des événements de la
première partie
2 jours
deuxième partie
26 jours et plus
- troisième partie
n années
On ne s'étendra pas, nous semble-t-il, sur la durée exacte ou réelle de
l'histoire que le narrateur donne à lire au vu de ces trois éléments temporels
ci-dessus, et notamment des deux derniers. L'imprécision temporelle notoire à
demi voilée de la troisième partie constitue à elle seule la durée possible de
l'histoire en une durée douteuse et imprécise. Tout ce que le lecteur sait de
celle-ci est qu'elle s'étend sur des années. La portée d'une telle imprécision
peut être corrigée par l'exploitation d'un détail temporel apparemment anodin
qu'est le temps ou la durée d'incarcération annoncée de Fama.
La durée d'incarcération annoncée de Fama, on le sait, est de vingt ans
(cf. " Fama était condamné à vingt ans de réclusion criminelle ", p.l75). Dans
la mesure où Fama est libéré avant le terme fixé et que les divers événements
antérieurs durent seulement quatre semaines, on peut logiquement en déduire au
moins que toute l'histoire analysée s'étale sur une période de moins de vingt
ans. Autrement dit, depuis les funérailles du septième jour de feu Koné - donc
depuis le moment où le regard du narrateur a surpris le prince Fama allant de
la ville blanche au quartier nègre - jusqu'à la fin dramatique, ou encore à la
mort de ce dernier aux portes de Togobala, il s'est écoulé une période longue
mais une période qui n'excède guère vingt ans. En posant ici th, a et na comme
symboles de " temps de l'histoire ", " années" et " années non précisées" a
priori, nous sommes en état de formuler en données algébriques l'impossible et
hypothétique durée de l'histoire comme suit:
<
th
=
na
20a

- 209 -
Nous venons de montrer que le temps de l'histoire se caractérise par une
imprécision difficile à vaincre. Une telle imprécision, insistons-y, concerne
le roman dans son ensemble car on observe - et c'est en cela oue l'apuroche de
la durée de l'histoire prend une certaine signification et acouiert notamment
quelque intérêt - un glissement de la précision temporelle stricte (cf. durées
des événements de la première partie) à l'imprécision temporelle systématique
(cf. durées des événements de la troisième partie). De plus, et en considérant
dans le détail la durée incertaine de toute la troisième partie, on peut voir
qu'en dépit du flou temporel général, il existe certaines durées d'événements,
d'épisodes d'événements nettement déterminées. Il s'agit, comme l'indique par
ailleurs la structure détaillée des durées partielles, de la libération de ces
prisonniers malheureux dont Fama et de la retraite de ce dernier. L'ambiguité
temporelle mentionnée, en définitive, ne se rapporte qu'à deux événements ou à
deux séries d'événements-clé: le complot et la répression, et la malheureuse
vie carcérale de Fama à Mayako. Pourquoi ces silences coupables sur la durée à
ce niveau précis de l'histoire? En fait, la question est de grande portée et
mérite ainsi d'être posée tant l'obscurci~sement du temps et le temps lui-même
constituent, par moment, un grand sujet de réflexion obsédante notamment pour
le locuteur textuel. Répondre à une telle question, c'est déjà tenter de faire
une lecture interprétative du temps de l'histoire.
4.1.2 : L'enr~cinement dans le drame:
Nous venons de voir que toute l'histoire fondamentale se caractérise par
une imprécision temporelle qui, si elle n'empêche jamais le lecteur de savoir
que l'Action tient dans une période de vingt ans, n'en demeure pas moins nette
et totale. Cette notion de totalité n'est en réalité qu'un voile. A vrai dire
la durée des événements glisse de la précision à l'imprécision, de la première
à la dernière partie. La précision chronologique stricte concerne directement
l'ensemble des événements de la première et de la deuxième partie, notés alors
/Vie quotidienne/ et /Séjour de Fama/. L'imprécision systématique se rapporte
aux événements de la troisième partie, dits /Vie politique réelle/. Et c'est à
cette imprécision temporelle restreinte qu'il s'agit de conférer un sens.
Toute tentative pour attribuer un sens à cette caractéristi~ue flagrante
ou en termes sémiotiques, à ce signe que constitue le flou temporel discursif
butant sans cesse sur la détermination de sa propre démarche, nous choisissons
de conduire la présente analyse simplement à travers une approche comparée et

- 210 -
comparative des deux catégories d'événements susmentionnées, les événements de
durée précise et les événements de durée imprécise mis en valeur.
Gonsidérons d'abord les conséquences de ceux-ci.
(S'agissant des conséquences des événements, il convient de préciser que
nous exploiterons ici, en version remaniée, les principaux résultats apportés
par notre analyse au § 3.2.2. L'approche interprétative des relations existant
entre les espaces topologiques synthétisés en un Nord et un Sud et les divers
événements convertis en macro-fonctions qui n'en sont en vérité que les noyaux
narratifs, on se souvient, nous y a permis de dégager les conséquences - pour
le personnage Fama notamment - des événements telles que le rappel qui suit en
donne un aperçu).
A/ - Evénements à durée précise
/Vie quotidienne/
déshonneur
humiliation
- négation
- manque de dignité
/Séjour de Fama/
respect
dignité
puissance
affirmation de soi
élévation sociale
B/ - Evénements à durée imprécise
/Vie politique réelle/
- déshonneur
humiliation
- négation
- manque de dignité
(L'identité des conséquences des événements regroupés sous les syntagmes
/Vie quotidienne/ et /Vie politique réelle/ tient au mode particulier de leur
détermination fondée sur des macro-fonctions narratives communes et menée dans

- 211 -
la seule perspective du personnage principal Fama. Ces conséquences analogues
ne reflètent donc guère les particularités événementielles sur lesquelles nous
reviendrons plus loin).
Un regard critique sur les éléments de la transcription ci-dessus impose
1a'nécessité de leur réorganisation. Ainsi, et sans démonstration préalable à
la limite, peut-on structurer les éléments de sens /déshonneur/, /humi1iation/
/négation/ et /manque de dignité/ en un paradigme qui sera dit /Avi1issement/.
Ainsi aussi, les éléments de sens épars tels /respect/, /dignité/, /puissance/
/affirmation de soif et /é1évation socia1e/ se fondent-ils dans un paradigme
qui sera dit /G1orification/.
Du point de vue des paradigmes /Avi1issement/ et /G1orification/, et de
manière dialectique, nous dirons que les événements notés /Vie quotidienne/ et
/Vie politique rée11e/ ont des conséquences malheureuses. Les événements dits
/Séjour de Fama/ ont, quant à eux, des conséquences heureuses.
Les conséquences des trois séries d'événements que nous venons de mettre
en évidence, on le sait, ont été déterminées dans la simple perspective de ce
personnage singulier qu'est Fama. Ce faisant, elles n'autorisent guère en fait
la saisie claire, totale et distincte des séries d'événements indexées et, de
proche en proche, les deux catégories événementielles qui nous intéressent. La
nécessité donc s'impose de dépasser l'étroite perspective de ces conséquences
supportées par Fama, en essayant de les élargir autant que possible aux autres
personnages du récit.
Voyons donc maintenant les conséquences élargies.
(Notons qu'il ne s'agit pas ici de procéder à une découverte ou une mise
en évidence détaillée et systématique de toutes les conséauences mais de voir
très généralement la portée de ces dernières sur les individus • La portée des
conséquences restant à préciser, c'est à travers certaines particularités des
événements que nous tenterons de la saisir. Au demeurant, nous rappellerons un
certain nombre de résultats déjà acquis).
Les événements notés /Vie quotidienne/ et jSéjour de Famaj (la catégorie
des événements à durée assez précise), qu'ils paraissent tristes en apparence
comme les funérailles ou joyeux comme les voyages, demeurent fondamentalement,
par leur apparition fréquente ou régulière et par le consensus social interne
qu'ils réalisent, des formes d'expression vivantes et toujours renouvelées des
moments de la vie ou tout simplement de l'existence, comme nous le précisions
ailleurs au § 4.2.1.
Conçus et exécutés par la collectivité, théoriquement en

- 212 -
tous les cas, pour oublier les sombres moments (cf. funérailles), permettre de
vivre (cf. commerce), rapprocher les hommes (cf. voyages et/ou grand palabre)
mais aussi espérer (cf. consultation), les événements nommés /Vie quotidienne/
et /Séjour de Fama/ ne peuvent engendrer que des conséquences heureuses ou, à
tout le moins non malheureuses, pour la collectivité qui les vit. Pratiquement
les événements indexés ont, dans la logique narrative, peu de retombées ou de
conséquences sur la société décrite. Lorsque ces dernières existent ici, elles
se posent comme non malheureuses.
Les événements dits /Vie politique réelle/ (la catégorie des événements
à durée assez imprécise) affirment, de manière plus nette et plus systématique
aussi, leurs conséquences sur les personnages. L'analyse préalable des divers
événements politiques (cf. notre division ternaire des événements textuels, au
§ 4.2.2) a révélé déjà certaines caractéristiques propres à la présente série
d'événements qui nous occupe, et que nous pouvons rappeler ici pour éviter les
démonstrations précédentes.
Nous avons montré ailleurs que les événements politiQues qui, exception
faite du grand palabre, se réduisent à ce que nous nommons ici
/Vie politique
réelle/ restent le temps et le lieu de l'état de guerre, fait d'émeutes dures
et de sordides conjurations. Marqués par les bombes et les incendies ravageurs
et rageurs, les expulsions et les incarcérations, les suicides bien organisés
et les meurtres cachés; ces événements - les événements que nous dénommons ici
/Vie politique réelle/ -, engendrent dirons-nous des retombées malheureuses.
Tout ce qui précède se résume aisément ainsi :
/Vie quotidienne/
- malheureuse
- non malheureuse
/Séjour de Fama/
- heureuse
- non malheureuse
/Vie politique réelle/
- malheureuse
- malheureuse

- 213 -
L'interprétation dialectique des conséquences de chaque série, de chaque
groupe d'événements ci-dessus· débouche sur des conséquences médianes que nous
qualifierons d'entièrement heureuses, de plutôt malheureuses et de franchement
malheureuses, respectivement pour /Séjour de Fama/,
/Vie quotidienne/,
/Vie
politique réelle/. Ces trois conséquences ouvrent, semble-t-il, la perspective
d'une saisie plus nette des deux catégories événementielles, objets immédiats
de notre préoccupation à ce niveau de notre analyse globale.
En effet si, comme nous l'avons précédemment montré, /Séjour de Fama/ et
/Vie quotidienne/ d'une part, et /Vie politique réelle/ d'autre part, fondent
respectivement les deux catégories d'événements marquées fort différemment par
le temps, et si ces trois séries d'événements engendrent les conséquences que
nous venons de mettre en évidence, alors nous affirmerons que la catégorie des
événements chronologiquement définis qui n'entraînent fondamentalement ici ni
conséquences malheureuses ni conséquences heureuses, provoque des conséquences
non-malheureuses. La catégorie des événements à chronologie confuse manifeste
des conséquences malheureuses.
Perçus par rapport à la spécificité de leurs conséquences particulières,
les événements qui constituent la catégorie des événements à durée. définie et
la catégorie des événements à durée indéfinie se posent, respectivement, comme
des événements non-dramatiques et des événements dramatiques.
Seuls traits distinctifs adéquats, à l'exclusion d'autres insignifiants
par ailleurs pour nos investigations, les éléments de sens /non-dramatique/ et
/dramatique/ semblent le plus justifier l'attitude du locuteur principal face
à l'énonciation du temps chronologique, de la durée réelle des événements dont
il parle. Nous disons "semble", autrement dit nous adoptons là cette attitude
dubitative (d'apparence) car on pourrait se demander tout légitimement si nous
n'occultons pas involontairement ou par insuffisance d'autres traits utiles à
la tentative de saisir profondément les catégories impliquées. Par souci d'une
profonde analyse, nous allons voir de près les durées événementielles.
/(Séries d'événements)/
/Durées/
- vie quotidienne
2 jours
funérailles
1 jour
. commerce
1 demi-journée

- 214 -
- séjour de Fama
26 jours et plus
attente
23 jours
funérailles
l
jour
vie politique réelle
n années
complot
n semaines
• incarcération
n années
Lorsqu'on observe de très près les durées (plus ou moins affirmées), on
est nécessairement frappé par un détail fort intéressant
la durée spécifique
ou individuelle des événements dont la durée est connue se situe parfaitement
entre une demi-journée et trois semaines, alors que de fait la durée partielle
des événements à chronologie imprécise, dans les cas limites où le locuteur à
volonté se propose d'amener son lecteur à en prendre conscience, ou simplement
d'en rendre compte, tient entre" des semaines" et " des années"
Une telle
remarque reste valable, toutes proportions gardées, au niveau des trois séries
d'événements (cf. vie quotidienne, séjour de Fama et vie politique réelle) et
de proche en proche, au niveau des deux catégories d'événements temporellement
marquées.
Si nous considérons simplement les crêtes des durées événementielles que
nous venons de retenir dans la remarque précédente, nous affirmerons de façon
définitive, que la durée des événements à chronologie précisée n'excède jamais
quatre semaines. A l'opposé, celle des événements à chronologie confuse porte
sur des années et des années. Plus précisément encore, les événements textuels
de la première catégorie (cf. chronologie précise) apparaissent nettement ici
comme des événements de courte durée , alors que ceux de la deuxième catégorie
(cf. chronologie imprécise) s'affirment comme des événements de longue durée.
A ce niveau de l'analyse, il semble urgent d'opérer une synthèse de tout
ce que nous avons dégagé précédemment. Dans ce cadre de pensée, on retiendra
de l'approche comparée des deux catégories d'événements textuels distinctement
ou différemment frappés par le temps que celles-ci s'organisent disons autour
des événements à durée affirmée, de courte durée et non-dramatiques d'une part
et des événements à durée niée, de longue durée et dramatiques d'autre part.
Autrement dit, les événements dont la durée est précisée par le narrateur sont
de courte durée et non-dramatiques, alors que les événements dont la durée ne
nous est jamais clairement dévoilée sont immanquablement de durée assez longue
et dramatique. Soit, formellement:

- 215 -
/Evénements à durée précise/
- durée affirmée
de courte durée
- non-dramatiques
/Evénements à durée imprécise/
durée niée
de longue durée
dramatiques
Ces caractéristiques ternaires hautement distinctives et fort puissantes
semble-t-il pour rendre compte des catégories d'événements impliquées ici, de
façon assurée, posent d'ores et déjà dirons-nous les bases süres d'une lecture
de l'imprécision qui frappe certains événements. Partons de l'organisation de
ces trois éléments de sens, d'une manière purement formelle.
On peut proposer une organisation des éléments de sens ci-dessus, sur la
base de la relation implicite ou supposée qui les fait échouer nécessairement
sur les mêmes catégories d'événements, comme suit: du point de vue des divers
événements à chronologie précise, /courte durée/ justifie /durée affirmée/ un
élément de sens central Qui tire sa justification de /non-dramatique/. D'autre
part, et àu point de vue des divers événements à chronologie confuse, /longue
durée/ motive /durée niée/ cet autre élément de sens central, situé sur un axe
opposé, qui n'a d'expression que rapporté à /dramatique/.
Une telle structuration des éléments de sens, quelque formalisante et/ou
schématique qu'elle soit, a le mérite de nous révéler en les rendant précises
les préoccupations esthétiques du locuteur, préoccupations multiples au regard
desquelles nous pouvons espérer saisir la valeur de l'imprécision temporelle,
du flou chronologique qui entoure certains événements.
En effet, lorsque nous démontons les mécanismes générateurs des éléments
de sens à travers la structuration réalisée plus haut nous percevons mieux la
logique sous-tendant le traitement, réfléchi ou spontané, pensé ou inconscient
de la durée des nombreux événements: plus la durée de l'événement est courte
ou longue, plus elle est affirmée ou niée, et elle reste affirmée ou niée, dès
lors que l'événement est non-dramatique ou dramatique. Ainsi pensons-nous, se
manifeste la logique chronologiQue ou temporelle de l'énonciation textuelle de
la durée des événements par le locuteur.

- 216 -
La conscience et le respe~t d'une telle logique de l'énonciation ou tout
au moins de l'expression de la durée événementielle imposent la spécification
ou la précision suivante: l'affirmation et la négation de la durée des divers
événements dépendent de l'aspect dramatique ou non de ceux-ci. Nous avons vu,
ci-dessus, la logique de l'énonciation de la durée des événements. Ce que nous
venons de déduire ici de l'analyse n'est rien d'autre que la motivation de la
singulière énonciation. Les durées précisées et non précisées par le narrateur
sont donc fondamentalement motivées. La question principale qui se pose-reste
de savoir ce qui motive cette attitude chez le locuteur. C'est ce qu'il faut à
présent essayer de voir.
Situons-nous un instant sur le plan théorique.
Le temps chronologique dans le discours en général, que ce dernier soit
énonciatif ou narratif, joue en un certain sens le rôle d'agent rythmique, dès
lors qu'il scande en les rappelant les instants vécus. En ce sens, il demeure
un des modes privilégiés de traduction de tout idée de mouvement, de dynamique
à l'intérieur du texte. Ainsi, c'est à travers le temps chronologique textuel
que nous appréhendons le mieux le caractère statique ou dynamique des diverses
actions, des multiples événements dont la narration se propose, naturellement
presque, de rendre compte. Ainsi aussi, c'est à travers l'affirmation nette et
claire des moments d'une action ou d'un événement que se manifeste en nous la
conscience d'un déplacement.
Théoriquement donc, l'intention avouée ou non de tout locuteur lorsqu'il
énonce ou n'énonce pas le temps chronologique ou simplement encore les durées
partielles constituant le temps chronologique, c'est de suggérer explicitement
ou implicitement l'idée de mobilité et de fixité des situations représentées.
Cette mobilité et cette fixité peuvent être celles du contenu discursif, ou du
contenu narratif. En tous les cas, elles sont celles du mouvement historique,
du déplacement sur l'axe de l'Histoire, cette dernière s'entendant alors comme
une évolution.
Plus explicitement encore, l'affirmation de la durée des événements est
un moyen de suggérer à la conscience des personnages et du lecteur (surtout du
dernier) la mobilité des situations vécues par les premiers, et conséquemment
de soustraire ceux-ci de situations actionnelles ou événementielles premières,
pour les situer en des situations actionnelles ou événementielles secondes. La
négation de la durée des événements, à l'opposé, reste un moyen de suggérer à
ces mêmes consciences la fixité des situations actionnelles ou événementielles
vécues par les personnages, et conséquemment d'enraciner ou de plonger alors,

- 217 -
presque définitivement, ceux-ci en une situation jamais renouvelée.
A partir de ce qui précède, nous pouvons affirmer bien volontiers que le
type ou la catégorie des événements à durée précise et celle à durée vraiment
confuse suggèrent, respectivement, la mobilité et la fixité des situations, et
contribuent naturellement à la soustraction d'une part et au maintien d'autre
part des personnages (dans) des situations qu'ils vivent.
L'imprécision chronologique étant confirmée par l'analyse et les données
textuelles, les caractéristiques particulières ou distinctives, la logique de
l'énonciation des durées et l'intention théorique qui sous-tend toute forme de
mention essentielle du temps chronologique connues, nous pouvons espérer dans
ces conditions apporter une réponse satisfaisante à l'interrogation précédente
et conséquemment, dire la signification prise dans le texte par la volontaire
négation des durées, plus exactement de certaines durées événementielles.
Si les durées affirmées et les durées niées concernent respectivement la
catégorie des événements à chronologie précise définis par leur courte durée,
leur contenu narratif non-dramatique notamment, et la catégorie des événements
à chronologie imprécise définis par leur longue durée,
leur contenu narratif
dramatique essentiellement, et si l'affirmation et la négation des durées, que
celles-ci soient inconscientes ou conscientes, traduisent aux plans théorique
et pratique, respectivement, la mobilité/dynamique et la fixité/statique mieux
la soustraction (des personnages) des situations données, et le maintien (des
mêmes personnages) en des situations jamais renouvelées, alors la négation des
durées des événements textuels apparaît comme une tentative de fixation aussi
définitive que possible dans le temps et dans le drame des personnages sur qui
pèsent les conséquences tristes des événements vécus.
D'une manière plus spécifique, la négation de la durée de l'événement ou
l'imprécision chronologique de l'événement dramatique plonge le personnage en
général., et surtout le personnage principal Fama, dans l'incertitude du temps
qui court autrement dit dans le flou temporel alimentant le sentiment du figé
et de l'inamovible, l'enracine presque définitivement dans le drame du présent
éternel et par là, prolonge son malheur.
Notre regard sur le temps s'est orienté en premier lieu, volontairement,
sur le temps directement lié à la narration. Ce faisant, nous avons surtout vu
le traitement spécial que le narrateur en fait. En essayant de nous démarquer
des diverses formes temporelles souvent proposées à l'analyse (cf. le temps de
l'écriture, de la lecture, etc), nous allons considérer ici l'époque évoquée.

- 218 -
4.2 : L'époque éVoquée
Toute ép9que évoquée pose, en théorie, un double problème au lecteur ou
au critique de l'oeuvre romanesque: celui de sa situation dans l'Histoire que
nous considèrerons de manière figurative comme le vecteur temporel immatériel
symbolisant l'évolution historique d'une part, et celui de son identification,
en tant qu'événement marquant une c~ronologie très particulière d'autre part.
De fait, une époque évoquée et donc spécifiée demeure un moment ou une période
identifiable (tel conseil des oiseaux dans le conte remontera au temps où les
animaux parlaient, l'évocation de la Révolution française par exemple convoque
en notre esprit l'année 1789, etc) qui se loge nécessairement en un des trois
points essentiels du vecteur temporel dont le passé, le présent et l'avenir ou
le futur, que cette époque soit réelle ou fictive. Parler de l'époque évoquée
dans un roman revient donc d'abord à la situer sur le vecteur temporel, et par
rapport au présent du locuteur, et ensuite à l'identifier, ou plus exactement
à la désigner comme phénomène événementiel, et enfin à mettre en relief toutes
ses principales caractéristiques. Tels seront les chemins de notre analyse.
4.2.1
Les années 60
Soient les deux énoncés suivants :
- " Il y avait une semaine qu'avait fini dans la capitale Koné
Ibrahima, de race malinké, ou disons-le en malinké : il n'avait
pas soutenu un petit rhume ••• "
(p.7).
- " Aux funérailles du septième jour de feu Koné Ibrahima, Fama
allait en retard. Il se dépêchait encore •.• "
(p.9)'.
Ces deux énoncés, au regard des informations qu'ils recèlent, paraissent
susceptibles de favoriser la situation de l'époque évoquée sur l'axe temporel,
sans qu'il ne soit nécessaire de nous élever au niveau de tout le texte.
Au plan des données proprement grammaticales, on note l'utilisation par
le narrateur textuel du plus-que-parfait (cf. avait fini, n'avait pas soutenu)
et de l'imparfait (cf. y avait, allait, dépêchait), des temps précis du passé
qui isolent les événements décrits du présent du narrateur (cf. disons-le), et
font se situer presque nécessairement dans le passé l'époque évoquée. Tentons
de rendre plus explicite ce que nous venons d'avancer. Nous commencerons, dans
oe cadre de pensée, par construire comme suit le vecteur temporel d'origine 0

- 219 -
et de but X synthétisant l'ensemble des informations événementielles et aussi
temporelles contenues dans les énoncés précédents :
l
2
3
o --------------+-----+--------------------------------+--------~ X
a b c
où les chiffres l, 2 et 3 représentent les événements ou les actions décrits,
c'est-à-dire respectivement la mort de Koné Ibrahima (1), le déplacement de la
ville blanche au quartier nègre de Fama (2), et la narration, c'est-à-dire le
réel accomplissement de l'acte de narrer (3), et les trois lettres a, b, et c,
les moments précis où ces événements et actions ont lieu.
Le repère a se rapporte au jour du décès de Koné Ibrahima. Le repère b,
marquant le présent de Fama, correspond au septième jour de ce décès, et aussi
au début réel des actions et événements que le narrateur se propose nettement
de nous relater. Autrement dit, les actions et événements dont il est question
entrent en contact avec le présent de Fama, et non avec celui du locuteur. En
fait, par rapport à ce présent, le narrateur se situe dans le futur. Le repère
c, nous le savons de manière pratique, marque le présent du narrateur textuel
(cf. disons-le) et implicitement celui du narrataire. Par rapport à ce présent
qui est selon les termes de Benveniste" proprement la source du temps" (cf.
Problèmes .. , p.83) les actions et événements décrits sont situés dans le passé
nécessairement.
Au regard de ce dernier résultat, on peut sans grand risQue affirmer que
l'époque évoquée se rapporte à une période historique, à un moment tout passé
qui, à en croire le narrateur qui y revient constamment, est celui des soleils
des Indépendances. La question reste maintenant de savoir profondément ce que
c'est que les soleils des Indépendances. Et, en effet, cette question première
est de grande importance dans la mesure où le syntagme nominal comme /soleils
des Indépendances/, résultat de la conjonction de deux notions (cf. soleils et
indépendances) dont la premières, généralement, se réfère à un objet concret,
matériel, désigné comme un astre et la seconde, à un état de chose abstrait et
immatériel, manifeste de fait une illisibilité caractérisée. Pour vaincre une
telle illisibilité, nous allons procéder à l'analyse sémique ou componentielle
du mot" soleils" qui se présente comme le point de difficulté. Ne pouvons à
l'évidence rendre compte de toutes les occurrences de " soleils" à travers le
texte, nous nous fonderons ici sur un relevé très succinct.

- 220 -
Soit les énoncés suivants :
a) - " Si l'on n'était pas dans l'ère des Indépendances (les soleils
des Indépendances, disent les Malinkés) ••• "
(p.7)
b) - " Le soleil des Indépendances maléfiques remplissait tout un côté
du ciel, grillait, assoiffait l'univers ••• "
(p.9)
c) - " Un prince presque mendiant, c'est grotesque sous tous les
soleils"
(p.ll)
d) - " Partout, sous tous les soleils, sur tous les sols, les Noirs
tiennent les pattes"
(p.18)
e) - " Cette période d'agitation a été appelée les soleils de la
politique"
(p.22)
f)
"Le soleil venait de pointer et s'empressait de fondre"
(p.85)
g) - " Il a voulu terrasser les soleils des Indépendances, il a
été vaincu"
(p.175)
h) - " Les lois, les ordres et les circulaires des soleils des
Indépendances étaient aussi nombreux que les poils ••• "
(p.197).
Considérons les occurrences de " soleil " dans ces énoncés.
Nous partirons, dans la perspective d'une analyse sémique intégrale, de
la détermination des divers sèmes possibles réalisés. Dans la mesure où un tel
travail reste purement déductif, seul le contexte total dans lequel se trouve
l'occurrence donnée est susceptible de nous fournir tous les éléments de sens,
tous les traits significatifs recherchés.
En a, le mot " soleil " est une composante lexicale du synta,e:rne nominal
" soleils des Indépendances ", lui-même mis entre parenthèses à la suite de ce
syntagme nominal" ère des Indépendances" qu'il prétend expliciter (en fait,
il s'agit d'une prétention car on assiste là - disons - à une complexification
sémantique du terme" ère" par le locuteur) ou à tout le moins en donner une
traduction en malinké. Cette situation nous autorise à poser précisément entre
" soleils des Indépendances " et " ère des Indépendances " une nette relation
d'équivalence à partir de laquelle nous formulons l'équation suivante: soleil
des Indépendances = ère des Indépendances d'où, par déduction, Soleils = Ere.
Une ère étant définie comme un espace de temps assez long, ayant comme or~g~ne
un point précis de l'Histoire (au sens d'un vecteur temporel), tous les sèmes
afférents à " soleils" s'énonceront donc /temporalité/ et /durabilité/. A ces
deux sèmes, fort évidents du reste, on peut adjoindre un autre, déductible de

- 221 -
la nature abstraite de ce qu'on nomme" ère Il
C'est celui de l'inanimé.
En b, le mot Il soleil Il relève de la locution nominale évidente Il soleil
des Indépendances ". Ce soleil des Indépendances est présenté comme un acteur
très actif. Cet acteur.a des traits, des caractéristiques spécifiques: il est
surtout, dirons-nous en paraphrasant ses actes, brillant, chaud et finalement
bTÜlant. Spatialement, sa situation est précise: il est haut, dans le ciel. A
ces diverses déterminations, nous faisons correspondre les trois sèmes précis
suivants: /luminosité/, /incandescence/ et /altier/.
En c, l'occurrence de Il soleil" semble difficile à analyser, du fait de
son contexte assez vague et imprécis. Pour dégager les sèmes qu'elle renferme
éventuellement, nous suivrons ici un raisonnement ou une démarche analogique a
priori fondée sur les rapports de similitude de construction syntaxique entre
par exemple les syntagmes Il sous tous les soleils Il et Il sous tous les cieux Il
qu'on peut observer aisément. En substituant Il cieux Il à Il soleils ", on peut
avoir deux énoncés tels que: Il c'est grotesque sous tous les soleils ", d'une
part et " c'est grotesque sous tous les cieux ", d'autre part, deux énoncés à
la limite identiques d'où on voit se dégager le sème /spatialité/ que met bien
en relief l'adverbe de lieu" sous ". L'occurrence de " soleils" dont il est
question ici manifeste un individu passif. Nous disons qu'elle traduit donc le
sème /inanimé/.
En d, nous constatons que l'occurrence de " soleil" est intégrée ainsi
à une locution identique à celle à laquelle appartient l'occurrence" soleil"
en c (cf. Sous tous les soleils). Dans ces conditions, les sèmes /inanimé/ et
/spatialité/ conférés à l'occurrence existant en c restent les mêmes ici. Leur
validité - la validité de ces sèmes - est prouvée par l'adverbe de lieu ou de
temps Il partout" et par le syntagme propositionnel" sur tous les sols ", qui
introduisent à l'idée la notion d'espace.
En e, c'est par déduction logique que nous sommes en mesure de parvenir,
semble-t-il, à l'énonciation des sèmes possibles de l'occurrence concernée. On
sait, d'après le narrateur, que Il période d'agitation" équivaut totalement à
" soleils de la politique ", et inversement. Dans l'hypothèse que la politique
est une agitation, " soleils" serait équivalent à " période ". Toute période
s'assimilant plus ou moins à une ère, nous nous retrouvons de fait dans le cas
de l'énoncé a où " soleils" était égal à " ère Il
Nous pouvons donc en toute
liberté attribuer à l'occurrence de Il soleil" ici indexée les trois sèmes que
sont /inanimé/, /temporalité/ et /durabilité/, relevés dans l'énoncé a.

- 222 -
En f, l'occurrence de Il soleil" manifeste un acteur mouvant, exactement
comme en b. Cet acteur a pour préoccupation essentielle de " fondre ". On est
donc en droit de lui conférer des traits sémantiques comme brillant, chaud, et
brulant. Les sèmes qu'elle manifeste sont donc surtout /luminosité/, /animé/,
et /incandescence/.
En g et h, les occurrences de " soleil Il semblent entretenir de fait des
affinités de sens. Aussi, les analyserons-nous ensemble. En ce sens donc nous
ferons remarquer ceci : en g, le narrateur nous apprend que le prince déchu de
Togobala Il a voulu terrasser les soleils des Indépendances Il (p.175). Partant
de ce constat et surtout du verbe Il terrasser Il appliqué à Fama, nous pouvons,
semble-t-il, projeter la détermination de Il soleils ". Nous dirons alors sans
nuances que Il soleils Il désigne des personnes qui ne sont rien d'autre que les
politiciens des Indépendances et au-delà, le système politique général qu'ils
défendent. Une telle détermination de Il soleils" en g n'est guère différente,
en h. Ici, la nature même de ses attributs impose que Il soleils Il soit défini
comme étant .une administration, un gouvernement, un régime ou alors un système
politique, c'est-à-dire finalement un type d'existence socio-politique donné.
Le mot Il soleil Il en g et h serait l'expression d'un certain mode de vie. Nous
lui conférons dans ces conditions les sèmes /inanimé/ et jexistentialité/.
Les divers sèmes de " soleil " se résument ainsi
Les composantes sémiques de /soleil/
- temporalité
- durabilité
- inanimé
- animé
- luminosité
- incandescence
altier
- spatialité
existentialité
Une observation attentive de ces diverses composantes sémiques dégagées
à l'analyse des huit occurrences de /soleil/, occurrences supposées justement,
au départ, représentatives de l'ensemble de celles du texte essentiel, permet
de noter que certains sèmes entretiennent entre eux des affinités de référence
ou encore, se réfèrent plus ou moins aux mêmes réalités. Il semble donc tout à

- 223 -
fait possible dès lors de constituer un certain nombre de paradigmes à. partir
de ces divers sèmes affins.
Considérons les composantes sémiques manifestées.
Nous constatons sans peine qu'il existe une possibilité de constituer à
partir des sèmes jtemporalitéj et jdurabilitéj un paradigme qu'on dénommera au
mieux jtempsj (nous négligeons volontairement le sème jexistentialitéj qui en
un certain sens sous-entend l'idée de temps, sans toujours l'exprimer. De fait
dirons-nous, exister c'est être, avoir une réalité. Et un individu ou élément
des corps solides ou liquides par exemple peut avoir une réalité, c'est-à-dire
être dans le temps sans manifester le temps. On comprend que jexistentialitéj
soit écarté de la présente structuration).
Un autre paradigme qui sera dit jobjetj peut résulter de l'organisation
des sèmes janiméj, jincandescencej et jluminositéj (il semble assez nécessaire
de dire quelques mots de la formulation même du paradigme, qui reste de prime
abord assez surprenante. Si les sèmes jincandescencej et jluminositél de toute
évidence se rapportent à la lumière et justifient a priori l'existence totale
d'un paradigme de même nom, l'adjonction à ces derniers du sème janiméj impose
que les trois sèmes concernés soient référés, non pas au résultat de l'action
de l'agent (cf. la lumière issue de l'action de remplir, griller, fondre etc),
mais à l'agent lui-même. Dans la situation présente, cet agent particulier ne
peut être qu'un objet).
A partir des sèmes laltierj, jinanimél et Ispatialité/, nous constituons
un troisième paradigme que nous nommons jespacej (notons que le sème jinaniméj
que nous avons placé dans le présent paradigme est susceptible de figurer, ou
de se placer dans le paradigme jtempsj, envisagé comme un individu abstraite à
la limite). Enfin, le sème jexistentialitéj forme à lui seul un paradigme qui
sera dit jViej, par rapport à tous ces lois, ordres et circulaires des soleils
des Indépendances dont parle le narrateur, et surtout dans le sens spécifique
d'une certaine manière de vivre, d'être, d'exister ou encore de penser, propre
à une époque donnée.
Nous venons de voir les sèmes constitutifs des occurrences de Il soleil"
et surtout les divers paradigmes auxquels leur structuration donne lieu. Pour
être clair et concis, nous allons consigner dans le tableau synoptique suivant
les résultats essentiels apportés par l'analyse sémique qui nous a, dans tous
les cas, permis de désambiguiser ce concept illisible qu'est Il soleils"

- 224 -
PARADIGMES
/Temps/
/Objet/
/Espace/
/Vie/
temporali té
animé
inanimé
existentialité
durabili té
incandescence
altier
luminosité
spatialité
a , e
b , f
c , d
g , h
(Le tableau ci-dessus se lit, de manière ponctuelle, verticalement. Par
ex~mple, on dira que la colonne une correspond au paradigme /temps/, résultant
de la structuration des deux sèmes /temporalité/ et /durabilité/, lesquels en
fait ont été dégagés à l'analyse des occurrences de " soleil" que manifestent
les énoncés a et e. Une telle recommandation n'est guère nécessaire et utile,
dans le cas d'une lecture globale et comparée de l'ensemble des paradigmes ici
considérés).
Parvenus à la mise en évidence des paradigmes possibles, susceptibles en
tout cas de rendre compte de la notion de " soleil " dans le texte général et
d'expliciter le syntagme nominal/soleils des Indépendances/ qui parcourt tout
le discours du locuteur, il nous faut mettre en rapport les quatre paradigmes
constitués avec le terme de base à analyser, à la seule fin de dire toutes les
significations que ce dernier porte. En ce sens, nous commencerons simplement
par rappeler l'équation principale sous-jacente aux principaux résultats de la
précédente analyse: " soleil ", en termes très expressifs, s'assimile disons
à un temps, un objet, un espace et une vie (au sens de mode d'existence). Soit
formellement :
soleil
=
temps, objet, espace, vie.
Ainsi formalisés, les résultats auxquels nous sommes parvenus tant bien
que mal deviennent-ils faciles à lire: " soleil" comme temps, objet, espace,
et vie correspond respectivement - et déductivement dirons-nous - à une époque

- 225 -
(une ère selon le narrateur), un astre, un univers ou un monde physique précis
et enfin à un mode de vie ou d'existence spécifique. Soit, formellement
/soleils/
=
temps
-----+
époque, ère
objet
------. astre, corps céleste
espace
-----~ univers, monde
vie
------. mode d'existence
Nous avons considéré jusqu'ici le mot" soleil" dans sa valeur absolue,
sans nous préoccuper de ses différentes formes d'apparitions dans notre texte
et notamment sans nous préoccuper de l'opposition entre /soleil/ vs /soleils/,
opposition de nombre, que nous pouvons considérer au plan grammatical textuel
comme l'unique facteur de différentiation entre occurrences. Dans la mesure où
cette opposition /singulier/ vs /pluriel/ semble conditionner, très fortement
d'ailleurs, le résultat final de la présente description, il nous appartient a
priori d'évoluer ou de progresser dans l'analyse par rapport à elle.
Un retour rapide sur le tableau synoptique nous permet de constater que
/objet/, le paradigme dont la mise en rapport avec le terme de base" soleil"
donne lieu à la figure dynamique" astre ", résulte de toute la structuration
ou encore de l'organisation en classe des sèmes des occurrences de " soleils"
dans les énoncés b et f. Ces occurrences diverses sont toutes au singulier et
s'opposent en cela aux autres occurrences qui, elles, sont au pluriel. Dès ici
donc, nous pouvons affirmer qu'il y a une différence de référents pour toutes
les occurrences dès lors qu'elles sont soit au singulier, soit au pluriel. Des
rema~_ues de telle nature nous obligent à réécrire en valeur réelle toutes les
correspondances ci-dessus indiquées comme suit:
/soleil/
=
objet
----~
astre, corps céleste
/soleils/
=
temps
----~
époque, ère
espace
-----~
univers, monde
vie
----~
mode d'existence
Parvenus à ce niveau de précision, nous pouvons procéder à une lecture a
priori homogène des résultats acquis. Ainsi, en nous fondant sur l'opposition
/~ingulier/ vs /pluriel/, l'opposition de nombres qui introduit une dichotomie
entre" soleil" et " soleils ", nous dirons que si " soleil" (au sin,Q:'Ulier)

- 226 -
équivaut à " astre ", alors le soleil des Indépendances n'est rien d'autre que
l'astre ou le corps céleste phosphorescent qui luit naturellement en tout cas
depuis l'avènement des Indépendances autrement dit, depuis la fin heureuse des
luttes anticolonialistes et l'arrivée des pouvoirs modernes. D'autre part, et
déductivement, si " soleils Il (au pluriel) égale à Il époque ", " univers ", et
à " mode d'existence ", alors les soleils des Indépendances s'assimilent tout
simplement à l'époque depuis laquelle sont advenues, et existent régulièrement
les Indépendances, à l'univers ou le monde ou plus concrètement encore à tous
les états où sont manifestées ces indépendances, et enfin au mode d'existence,
de vie qu'elles ont engendré ou motivé. Ainsi, en nous situant nettement dans
la perspective temporelle qui est considérée, nous dirons que l'époque évoquée
par le discours est celle des Indépendances. La question reste de savoir tout
naturellement ce que c'est que cette époque. Autrement dit, à quel moment ou à
quelle période de l'Histoire se rapporte objectivement l'époque indexée ici?
Répondre à telle question suppose au préalable que l'univers représenté soit à
la limite spécifié et mis en rapport avec des réalités objectivables.
Fictivement, le lieu géographique où se sont produites les Indépendances
demeure d'abord et avant tout la République des Ebènes en particulier et ~ de
manière générale - le macro-espace constitué par la République des Ebènes tout
au Sud et par la République socialiste de Nikinai au Nord, ces républiques du
reste étant les espaces socio-politiquement bien organisés dont fait mention à
tout instant le discours. Ce macro-espace étant difficile et même impossible,
tel qu'il se présente, à objectiver, la nécessité de dépasser ce cadre immense
proprement fictif s'impose. Il convient donc de voir sous les indices propres
aux espaces l'univers objectif visé.
Soit les énoncés suivants:
- " Odeurs de tous les grands marchés d'Afrique: Dakar, Bamako, Bobo,
Bouaké; tous les grands marchés que Fama avait foulés ••• " (p.20)
- " Comme une nuée de sauterelles les Indépendances tombèrent sur
l'Afrique à la suite des soleils de la politique" (p.22)
" Mais quand l'Afrique découvrit d'abord le parti unique ••. " (p.23)
" Sans qu'un seul oeil ose ciller dans toute l'Afrique" (p.23)
" Lui, Sery, connaissait le secret du bonheur et de la paix en
Afrique" (p.88)
" Dans toute l'Afrique d'avant les soleils des Indépendances, les
malheurs du village se prévenaient .•• " (p.160)

-
227 -
Ils nous indiquent que, sous l'apparente fiction, se cache véritablement
un réalisme conséquent que le narrateur a du mal à contenir. Ainsi, note-t-on
à travers le relevé qui précède que le narrateur fait constamment référence au
monde noir, à l'Afrique. L'Afrique, on le sait, est une réalité objective ou,
pour être plus précis, un continent à cheval sur l'équateur et caractérisé par
le fait qu'il est essentiellement occupé par les peuples noirs. Mais il n'y a
pas qu'à l'Afrique seule - en tant que continent donc réalité plus large - que
le narrateur fait référence. On constate par exemple, dans le premier énoncé,
qu'il parle de Dakar, Bamako, Bobo et Bouaké qu'il présente comme de grands et
bouillants marchés parcourus par le commerçant Fama. Cette présentation reste
métonymique car il s'agit en fait de villes d'Afrique (capitales dans les deux
premiers cas et villes relativement secondaires dans les deux derniers) que -
dans une certaine mesure - notre expérience personnelle ainsi que nos diverses
connaissances géographiques permettent de situer ou de localiser nettement au
Sénégal, au Mali, en Haute-Volta et en Côte d'Ivoire, quatre pays caractérisés
par leur situation en Afrique et surtout en Afrique de l'Ouest.
En nous fondant sur les deux types d'observation, celui sur l'Afrique et
celui sur les villes, envisagés de manière synthétique, nous pouvons au moins
ramener l'univers réaliste évoqué par le narrateur à l'espace des déplacements
de Fama. Nous dirons alors que ce dernier vit en Afriaue occidentale.
Nous avons vu que, fictivement, le personnage Fama·se meut dans un vaste
macro-espace constitué par la République des Ebènes et aussi celle socialiste
de Nikinai. Nous savons maintenant, par les indiscrétions du narrateur, que le
même Fama se meut réellement c'est-à-dire dans la réalité vivante, objective,
et totale, dans un macro-espace nommé Afrique occidentale. Le personnage étant
le même dans la fiction comme dans la réalité, nous pouvons établir nettement
quelque rapport de similitude entre l'univers fictif et l'univers objectif qui
sont évoqués. En ce cas, nous dirons que les républiques fictives indexées ou
désignées sont des éléments de l'ensemble homogène dénommé Afriaue occidentale
ou mieux encore des états d·Afrique occidentale.
En parlant des quatre états (cf. supra), nous avons dit au'i1s possèdent
une caractéristique commune, leur situation sur le même espace. On peut aller
plus loin que l'homologie du cadre: ces états sont également caractérisés par
le fait qu'ils étaient des colonies françaises, devenues depuis indépendantes
et souveraines. Dans une réalité pratique, l'indépendance de ces quatre états,
sans rentrer dans les détails des quantièmes et des mois, remonte grosso modo
à l'année 1960 (on remara.uera pour mémoire qu'exception faite de la République

- 228 -
populaire et révolutionnaire de Guinée dont l'indépendance est intervenue dès
Septembre 1958, la plupart des états à vocation francophone d'Afrique noire en
réalité ont accédé à l'indépendance dans le courant de l'année 1960). Dans la
mesure où il existe entre l'univers fictif et l'univers objectif un rapnort de
similitude, et que les Indépendances des états objectifs dont se préoccupe le
discours textuel remontent à l'année 1960, nous pouvons valablement considérer
que les soleils des Indépendances évoqués directement par le narrateur ici se
rapportent à l'année 1960, et de manière plus extensive à toute la période qui
s'étend de l'année 1960 (temps ponctuel des Indépendances) au présent de Fama
et même à celui du narrateur.
Nous nous sommes attachés jusqu'ici, à partir de l'analyse sémique de la
locution" soleils des Indépendances ", locution fortement expressive de tout
le temps, l'ère ou la période à laquelle le narrateur fait référence, et de la
confrontation des univers fictif et objectif représentés dans le texte global
soumis à l'analyse, à préciser la véritable époque évoquée. Cette époque, dont
en général la description reste déficiente, inexistante même quelquefois ou à
tout le moins non systématisée par les études théoriques et pratiques diverses
réalisées jusqu'ici, n'est pas neutre dans le discours narratif. Elle se pose
comme un texte dont la signification se répercute nécessairement sur celle des
moments fictifs successifs dont traite le discours. Connaissant donc l'époque
décrite à travers le roman, il convient d'en préciser l'entière spécificité ou
originalité afin de mieux comprendre la dimension temporelle romanesque.
4.2.2
Une période douloureuse
Avant de poursuivre, nous allons très rapidement définir en fonction de
l'optique qui est la nôtre et afin d'en circonscrire assez facilement l'exacte
portée, le terme de " époque ".
De manière générale, une époque est une période de l'Histoire déterminée
par des événements importants. Nous nommons" époque" à ce niveau de l'étude
l'unité temporelle constituée par la série continue d'événements fort notables
qui se produisent à travers (ou dont fait mention) le roman. On observe, dans
les deux définitions, que l'époque en réalité se ramène dans son objectivation
à une suite ordonnée d'événements.
Le constat ci-dessus est de arande importance pour notre démarche. Si en
effet l'époQue n'existe Qu'en tant Que suite ordonnée d'événements, autrement
dit si l'époQue ne se laisse appréhender qu'à travers des événements enchaînés

- 229 -
alors dégager la spécificité d'une époque revient d'abord à relever ou à dire
les qualifications particulières de chaque événement, lesquelles seront par la
suite c'est-à-dire à un niveau supérieur organisées en une totalité intégrale
supposée expressive des qualités ou des qualifications de l'époque évoquée. De
plus, l'époque évoquée apparaissant comme le support réel ou l'infrastructure
de base du temps du récit, à la fois réserve des faits et événements imposants
qui construisent le temps homodiégétique et le temps hétérodiégétique de tout
récit, notre analyse s'efforcera au mieux de tenir compte des événements liés,
en tout cas, aux deux versants temporels du récit soulignés. Dans ce cadre de
pensée, nous commencerons par préciser les événements dont l'ordonnancement en
fait débouche sur le récit proprement homodiégétique, celui-là même qui a été
plus ou moins explicitement posé jusqu'ici comme matériau de base à l'ensemble
de notre étude. Soit, de manière synthétique:
/Evénements du récit premier/
- Première partie :
funérailles de Koné
- commerce
- consultation
Deuxième partie :
voyage aller
grand palabre
- funérailles de Lacina
- voyage retour
- Troisième partie
complot
- répression
- condamnation
- libération
- retraite de Fama
Voyons maintenant les faits et événements fondant le récit second.
Le déchiffrement progressif du texte, du point de vue du récit second ou
récit hétérodiégétique, aboutit à un constat: l'appropriation de la narration
à ce niveau, par les personnages. En d'autres termes, tous les personnages du
texte assuments plus ou moins entièrement la relation d'une histoire. Ainsi et

- 230 -
en considérant seulement quelques unes d'entre elles, note-t-on les relations
~ssez variées de Fama(p.2l-24), Salimata (p.3l-56), Diakité (p.85-87), Konaté
(p.87-88), Sery (p.88-9l), Diamourou (p.llO-114) et Bakary (p.184-l88). Quels
sont les événements qui constituent le fondement de ces récits seconds?
Ce que nous considérons provisoirement comme narration de Fama porte sur
deux périodes bien distinctes : celle de la colonisation et celle des Soleils
des Indépendances. Des événements de cette période des Indépendances qui capte
ici notre attention, la narration de Fama n'en retient qu'un fait de relative
portée que nous nommerons /destitution du cousin Lacina/. Le long monologue de
Salimata, fait d'événements vécus rappelés ici comme souvenirs et expériences
et donc sortant de.la dimension psychologique, insiste avec grande expansivité
et force détails sur un événement fort essentiel que nous désignerons surtout
par le syntagme /excision de Salimata/. L'intervention de Diakité - si elle se
propose de justifier sa propre fuite des mains de fer du socialisme établi au
Nikinai (la République socialiste de Nikinai) - ne se cristallise pas moins au
demeurant dans un événement assez important: l'exécution capitale de Diakité
père, que nous transcrirons simplement /exécution capitale/. D'un point de vue
événementiel, l'essentiel de la brêve intervention de Konaté cet autre voisin
de voyage de Fama se ramène à ce que nous résumerons par /crise économiaue/. A
travers les propos de Sery le troisième compagnon de voya~e de Fama. tendant à
démontrer l'existence et l'insolubilité des problèmes en Afrioue, se profilent
deux événements majeurs à valeur de preuve: l'expulsion des Dahoméens, notée
1
r
/expulsion/, et l'immigration des Nagos, que traduit la locution /immigration/
~
dans une perspective de synthèse. Les informations que Diamourou le griot des
Doumbouya donne à son maître Fama s'appuient sur le mariage mixte que sa fille
Matali et le commandant Tomassini ont notamment contracté, événement que nous
noterons simplement /mariage de Matali/, et dont nous ne considèrerons que les
aspects qui éclairent l'époque évoquée. Les propos de Bakary, au retour de la
ville-prison de Mayako, ont pour but ou finalité de porter nécessairement à la
connaissance de Fama deux événements majeurs. Il s'agit de l'abandon du foyer
conjugal par Salimata et Mariam, et de la mort de Balla le vieil affranchi que
nous reformulons respectivement par /divorce des épouses/ et /décès de Balla/
par souci de concision. Soit, formellement:

- 231 -
/Evénements du récit ·second/
- Première partie :
- destitution de Lacina
excision de Salimata
- Deuxième partie
- exécution capitale
- crise économique
- expulsion des Dahoméens
immigration des Nagos
mariage de Matali
Troisième partie :
divorce des épouses
- décès de Balla
Ayant décidé ici de fonder l'éclairage de l'époque évoquée sur les deux
types de données événementielles qui donnent lieu à la manifestation de ce que
nous avons désigné par" versants du récit" (cf. récit premier d'une part et
récit second d'autre part), rappelons au lecteur, pour lui permettre de suivre
de très près notre développement, les événements des récits homodiégétique et
hétérodiégétique précédemment mis en évidence. Nous aurons alors : funérailles
1
de Koné, commerce, consultation, voyage, grand palabre, funérailles de Lacina
1
1
Doumbouya, complot, répression, condamnation, libération des détenus, retraite
de Fama, destitution de Lacina, excision de Salimata, exécution systématique,
crise économique, expulsion des Dahoméens, ·immigration des Nagos, divorces des
épouses, mariage de Matali et décès de Balla.
Tels apparaissent les événements qui concourent, dans l'optique plus ou
moins explicite de ce narrateur toujours présent, à l'expression de la période
évoquée. En attendant de revenir sur le problème de la temporalité proprement
dit, abandonnons un instant l'idée fondamentale du temps qui sous-tend en fait
l'analyse présente pour considérer les événements dégagés en soi et dans leur
rapport à la signification globale du roman.
Si nous posons l'existence ou l'expérience quotidienne des hommes comme
l'expression conjuguée d'au moins quatre types d'actes, de pensée, d'attitudes
ou d'événements etc que nous qualifierons ici de politiaue, social, culturel,
économique, nous dirons, sans rentrer dê.ns les détails d'une démonstration aux

- 232 -
résultats tout à fait évidents, que les événements signalés se structurent ou
s'organisent en trois paradigmes:
un paradigme des événements d'ordre social
noté /événements sociaux/ (cf. funérailles, consultations, voyages, excision,
expulsion, immigration, mariag~, divorce, décè), un paradigme des faits ou des
événements d'ordre politique noté /événements politiques/ (cf. grand palabre,
complot, répression, condamnation, libération des détenus, retraite, exécution
et destitution), et enfin un paradigme des événements d'ordre économique noté
/événements économiques/ (cf. commerce, crise économique). En considérant tout
ce qui précède, nous pouvons donner l'échelle des événements comme suit:
/Evénements sociaux/
funérailles
consultation
- voyages
excision
- expulsion
- immigration
mariage
- divorce
- décès
!
/Evénements politiques/
i11
grand palabre
- crise politique
- retraite
destitution
- exécution capitale
/Evénements économiques/
- commerce
- crise économique
On constate à travers cette échelle des événements l'abondant traitement
des événements sociaux, la place relativement secondaire (il convient même de
dire très secondaire) de ceux dits politiques et l'inexistence nresoue absolue
des événements économiques.

- 233 -
L'époque évoquée est donc caractérisée par beaucoup d'événements d'ordre
social, en apparence. Nous disons" en apparence" car ces événements, soumis
par le narrateur à l'attention du lecteur, ne sont certainement pas disons les
seuls à avoir eu lieu. On sait en effet que les événements décrits et offerts
dans le texte relèvent d'un choix délibéré du narrateur (nous considérons tout
narrateur textuel responsable de l'ensemble de la narration, au regard de son
poste ou de sa position centrale de régisseur qu'il occupe et qui lui permet à
volonté de conférer aux divers personnages ce que J. Emejulu nomme le " droit
narratif" (cf. Pour une lecture du roman ouest-africain, chapitre 5). Sur ces
problèmes de communication, nous reviendrons plus tard). Quoiqu'il en soit on
sent se dégager de ce choix toute la vision que le narrateur conserve de cette
époque qu'il se propose de décrire, une vision large certes dans la mesure où
elle embrasse à la fois les dimensions politique, sociale, économique etc mais
une vision fortement orientée. En un certain sens, on peut dire que le regard
de ce narrateur régisseur est un regard sociologique surtout, et non politique
ou encore économiqu~, sur la période qui l'intéresse.
Revenons vite, avant de nous laisser aller à ces considérations qui sont
promues à des développements plus ténus ailleurs, sur la dimension proprement
temporelle. La relative multiplicité des événements à traiter ou à analyser en
vue de parvenir à l'éclairage de l'époque impliquée nous oblige à nous situer
d'emblée au niveau des trois séries d'événements (cf. politique, économique et
sociale), niveau plus général donc plus abstrait.
1
Considérons les événements sociaux.
Le narrateur, à ce niveau, nous permet de considérer assez soigneusement
les funérailles, consultation, voyage, mariage, divorce et décès. Si le décès
motivant les funérailles et le divorce constituent à bien des égards et chacun
à son propre niveau des événements douloureux, ils n'en gardent pas moins une
valeur passagère et futile, un caractère quotidien. Ces deux événements dont à
la limite la fréquence d'apparition ou de manifestation régulière d'une part,
et d'autre part la reception par certains individus (certains peuples) en état
de dépassement de soi convertissent en événements banals, rejoignent dans une
certaine mesure des événements aussi communs que quotidiens comme ces voyages,
funérailles, consultation et autres mariages.
Ces quatre types d'événements qui précèdent ou, pour élargir notre champ
d'exemples, les couples d'événements tels que mariage/divorce dont le premier
terme reste assez privilégié dans le roman, décès/funérailles dont le deuxième
terme est plus valorisé, ou consultation/voyage (on peut former un tel couple

- 234 -
sans difficulté dès lors que nous savons la place capitale que la recherche du-
savoir tient dans tout processus de déplacement chez le Malinké : " un voyage
s'étudie: on consulte le sorcier, le marabout, on cherche le sort du voyage"
(p.151) ne sont rien d'autre que l'expression de la vie quotidienne elle-même
appréhendée sans restriction. Ils ne traduisent ni bouleversement, ni désordre
ou changement sociaux, mais une vie (au sens d'animation) sociale ordinaire à
la fois triste (cf. décès, divorce) et joyeuse (cf. mariages, voyage, etc).
Observons maintenant les événements d'ordre économique.
Ceux-ci s'organisent, notons-le, autour du commerce de Salimata et de la
crise économique de la République socialiste de Nikinai, deux événements dont
le nombre restreint autorise à les considérer un peu en profondeur, et surtout
dans les détails. Ces deux événements présentant des similitudes par ailleurs
(mais aussi des différences), c'est par le biais de leur approche comparée que
nous pouvons espérer saisir leur fonction dans l'expression de la période que
le narrateur explicitement ou non nous fait vivre.
D'un point de vue théorique, la crise économique, comme toute crise, est
et reste en elle-même un événement sérieux qui d'emblée attire ou capte notre
attention. Le commerce, entendu comme activité, relève de pratique quotidienne
et ordinaire d'échange. Toutefois, ce second événement prend dans le texte un
relief ou mieux une tournure inattendue qui lui confère une certaine dimension
et le fait se rapprocher de la crise économique: l'un et l'autre débouchent,
malheureusement, sur la ruine. Il s'agit donc de deux événements dramatiques à
la limite, mais deux drames de portées distinctes.
Le commerce de Salimata, en aboutissant au pillage de la recette du jour
et du riz, influence la vie et l'existence d'un seul foyer, de deux individus
en réalité. En ce sens, il reste un fait divers qui, n'eurent été les quelques
conséquences malheureuses de cette déprédation, aurait été des plus banals.
La crise économique, quant à elle, pose des problèmes plus complexes. On
sait, à travers les propos et l'attitude de Konaté, que ses conséquences sont
la ruine des commerçants et indirectement l'exode des jeunes et la contrebande
aux frontières. Elle influence donc, non pas un ménage très réduit comme dans
le cas du commerce, mais la vie sociale et économique de tout un état. On peut
aller plus loin: les systèmes monétaires étatiques étant plus ou moins liés,
interdépendants, on peut penser que la crise économique ici considérée tout en
modifiant les habitudes de change et d'échange, bouleverse immanquablement la
ou les économies nationale et régionale, affecte de proche en proche dirait-on
les systèmes socio-politiques organisés sur de vastes échelles.

- 235 -
A travers les événements d'ordre économique, et principalement à travers
la crise économique de la République de Nikinai, c'est une certaine dimension
dramatique de la période indexée que le narrateur traduit: temps des pilleurs
et des rapaces, mais également temps des banqueroutes, de l'immigration et ~e
contrebandes généralisées.
Voyons enfin les événements politiques.
Lorsque nous tentons d'organiser ces événements sur la base des diverses
portées (individuelles, collectives, nationales etc) de leurs retombées ou de
leurs conséquences, nous constatons très vite qu'ils se structurent simplement
en deux classes: les événements à retombées limitées ou individuelles et les
événements à retombées plus larges ou collectives, nationales, régionales etc,
dont l'analyse dévoile un certain nombre de données significatives.
Les événements de la première classe sont le grand palabre et surtout la
retraite. Ils concernent en grande partie la personne de Fama seule, plus que ~
le premier le second notamment. Le grand palabre est dans l'optique de ceux du
comité qui l'ont déclenché une tentative de destitution définitive de Fama le
prince de la chefferie traditionnelle, et d'établissement forcé de ce que nous
avons nommé ailleurs (cf. notre chapitre deux, § 2.2.2) très simplement alors
" le nouvel ordre politique ". Dans la perspective de Fama qui repond au grand
palabre, il s'agit d'y aller défendre ses privilèges politiques. La retraite,
dans ces conditions, se présente comme l'abandon totale du jeu dangereux, tout
à fait incertain que la politique occasionne.
En tous les cas, le grand palabre et la retraite sont et demeurent dans
le texte l'expression entière, l'alpha et l'oméga d'un phénomène préoccupant:
la lutte politique justifiant les sourdes rivalités, les intimidations et les
empoignades fratricides. On est même fondé à dire qu'ils sont une peinture, un
tableau miniaturisé d'un jeu plus subtil qui se révèle dans la crise profonde
qui a noyé le prince déchu Fama.
Les événements de la seconde classe restent la crise politique profonde,
la destitution et l'exécution capitale. La crise politique connaît deux phases
critiques, expressives du climat général dans lequel celle-ci se développe en
fait: une première phase dite /émeutes/, et qui situe le moment assez crucial
de la manifestation de la colère populaire, et une seconde dite /conjuration/
qui marque l'entrée en scène du président et du parti unique. La phase une est
celle des bombes et des incendies, autrement dit de la révolte et du rejet de
ceux qui gouvernent. La phase seconde est celle des expulsions, des exécutions
de hauts responsables, des incarcérations et même des suicides supposés et/ou

- 236 -
déguisés, autrement dit de la violence et de l'intolérance, de la barbarie des
hommes dits responsables. Les deux derniers événements génèrent ces suites'de
qualifications et en cela restent une manière d'exprimer les réalités décrites
que manifeste la crise politique.
A travers les événements politiques donc, c'est une dimension dramatique
supérieure (en ce sens qu'ils mettent en jeu la vie des hommes mais également
de la société décrite) de l'époque évoquée qui se manifeste à nous: temps des
violences et intolérances, màis aussi temps des supplices et de terreurs, des
bannissements et autres pratiques intolérables.
Parvenus à ce niveau de précisions, nous appréhendons en fait totalement
la période manifestée dans le roman entier. Si, au plan social, cette période
ne connaît ni bouleversements, ni désordre mais la manifestation incessante et
quotidienne des pratiques millénaires, il en va autrement aux plans politique
et économique. Il s'agit de ce point de vue d'une période chargée et en pleine
effervescence.
Economiquement, l'époque décrite est un moment de pillages. et de grandes
rapacités, de contrebandes individuelles, d~ banqueroutes nationales et, pour
tout dire, de désordre financier organisé. Pour résumer, nous dirons que c'est
le temps des scandales économiques, consciemment montés. Politiquement, l'ère
ou la période concernée reste le temps de la violence aveugle et des supplices
injustifiés, des martyres et des bannissements. C'est proprement le moment de
reniement de l'ancien ordre politique par les nouveaux pouvoirs et inversement
( du rejet et de l'inacceptation de ceux-ci par les Anciens. Nous résumerons la
période indexée en disant que c'est le temps des affrontements vifs et ouverts
mais surtout des règlements de compte. Ainsi, politiquement et économiquement
1
l'époque évoquée dans le roman reste un temps trouble et une période perturbée
et incertaine où les valeurs politiques, économiques et humaines subissent en
tout cas une dépravation notoire.
Nous avons considéré jusqu'ici, tour à tour, le temps narratif propre à
l'expression du récit et l'époque possible évoquée par le roman. Nous allons à
présent nous préoccuper ici dans ces développements actuels d'une autre forme
du temps distincte de celle des événements ("temps chronique" selon Benveniste
cf. Problèmes 2, p.70) ou de celle linguistique. Il s'agit du temps physique,
temps atmosphérique dont l'influence sur la vie et l'activité humaines dans la
réalité objective comme dans la fiction peut inf1èchir graduellement, dans un
sens ou dans un autre, la portée des événements et des actions.
f
1r-
i
r.
fr
!

(
t
- 237 -
·1j
il
~
~
4.3
Le temps atmosphérique
1
4.3.1 : Les saisons
1
1
Notre analyse suivra ici.trois étapes
après avoir montré les diverses
}
variations atmosphériques qui traversent le texte, nous en dégagerons ou mieux
i,j
en manifesterons la structure du temps physique qui s'y déploie, structure du
1
temps dont l'étude minutieuse devrait nous permettre de déboucher sur certains
1
traits spécifiques du temps que sont par exemple les saisons climatiaues.
i
Le lecteur attentif aura remarqué à la lecture du roman que le narrateur
l'1
profite toujours d'un projet de déplacement ou tout simplement de déplacement
'~
1
des personnages pour donner des détails descriptifs du temps atmosphérique. En
~
d'autres termes, pour parler du temps cosmique ou physique ponctuel, celui-ci
Î
recourt toujours à deux catégories narratives - celle des personnages et celle
1
1
de l'espace - comme support référentiel total du discours sur le temps. C'est
-l';
f
donc en suivant le cheminement progressif des personnages à travers les divers
1j
espaces que nous allons essayer de mettre en évidence les variations du temps
atmosphérique manifestées par le discours.
1
C'est un temps ensoleillé et chaud que doit supporter Fama au moment où
1
il franchit le pont, sorte de main tendue de la ville blanche au tout miséreux
1
!
quartier nègre. Le narrateur évoque d'ailleurs avec une veine particulière la
~
t
permanence irritante de ce soleil intraitable en ces termes: " le soleil! le
1
soleil!
le soleil des Indépendances
maléfiques remplissait tout un côté du
ciel, grillait, assoiffait l'univers .•. " (p.9).
1
1
Ce temps progressivement se gâte, en passant de l'ensoleillé au maussade
et au couvert, au moment où Fama se retrouve dans la rue, au sortir des lieux
1
des funérailles de Koné Ibrahima, comme le révèle le discours : " A gauche les
j
cimes des gratte-ciel ( ••• ) provoquaient d' autres nuages qui s'assemblaient
t
et gonflaient une partie du ciel. Encore un orage! " (p.18).
1
Cette situation transitoire du temps est vite vaincue. Le temps physique
1
1
,
devient affreux, épouvantable, insupportable même, un temps pluvieux frappant
j
j
l
inlassablement sur la modeste mosquée : " un éclair jaune illumina la pluie et
la mosquée" (p.27), " Un fracas d'enfer dégringola du ciel, balança toute la
terre ", " Sans répit et très tard la pluie tomba" (p.27).
C'est une progression inverse de ce temps vécu par Fama que Salimata son
épouse connaît lors de ses périples au plateau : nuageux et maussade le matin
dans la première phase du marché, ce temps gris naissant fait fondamentalement

- 238 -
de " nuages dorés (qui) bousculaient tout le 'gris du ciel " (p.45), s'améliore
au cours de la seconde phase du marché où éclate avec fermeté le plein soleil.
Du plateau au quartier nègre, le temps ensoleillé mentionné plus haut se
détériore brutalement. C'est un temps épouvantable, qui se manifeste de façon
identique à celui vécu par le prince Fama à la mosquée, que rencontre Salimata
chez le marabout Abdoulaye : " dehors, le vent et la pluie s'enrageaient ••• "
(p.78). La disjonction spatiale, à ce niveau du discours, engendre notoirément
d'autres déterminations au plan climatique.
Et en effet, avec le voyage de Fama à Togobala du Horodougou, le lecteur
est confronté à des données d'une tout autre nature. Ainsi, disons, alors que
ce voyage débute au départ de la capitale par un temps ensoleillé que découvre
un ciel pur débarrassé des nuages, la reprise après la halte forcée de Bindia
se fait dans la brume et le brouillard massif: " le brouillard de l'harmattan
se crut un chef de l'ancien temps et s'appropria montagnes, routes" (p.102).
On assiste à une permanence de la brume et du brouillard à Togobala tout
au long du séjour de quelques semaines de Fama, avec certaines variations, au
jour le jour: froid et brouillard persistent au lendemain de l'arrivée totale
de Fama à Togobala (p.109), mais on note un vent léger et aussi un soleil aux
1.....•
durs rayons lors de la tournée au cimétière (p.119), un soleil empêtré dans le

brouillard, la fumée et les nuages (p.125 et 126) au cinquième jour du séjour
t
du prince, et plus tard après le départ de Fama de Togobala, soleil, nuages et
rl
tonnerres incessants annonçant d'hypothétiques pluies (p.153).
L'arrivée de Fama et sa nouvelle épouse Mariam dans la capitale coincide
1.....'.
avec un matin frais consécutif à une nuit d'orage, comme le relève clairement

le narrateur: " le matin était couleur petit mil et moite,
un
matin de sous
i
bois après une nuit d'orage" (p.157). Le temps atmosphérique que vit surtout
f
r<
le détenu préventif Fama au camp sans nom reste incertain, confus et fortement
t
hypothétique. Il s'agit d'un temps constitué tout à la fois de vent, d'orages
1....'.·
et de tonnerres qui rivalisent avec le soleil et la chaleur, toutes réalités a

priori contradictoires dont l'amalgame crée une sorte de temps cosmique assez
i
imaginaire, fabuleux et pour tout dire mythique.
1
A Mayako, la situation du temps physique est fondamentalement différente
1
"
de celle évoquée plus haut. En dépit de la rareté des informations véhiculées
1
par le discours à ce niveau, on peut définir le temps indexé grosso modo comme
1
celui de l'ensoleillé, à partir de segments discursifs tels que celui cité ou
~
rappelé i c i : " le matin était là, le soleil haut remplissait la cellule" (p.
J
179). C'est donc un temps tout à fait ordinaire qui se produit dans la caserne
f
r
~
t
!.
Î
~

- 239 -
de Mayako, le lieu de détention d~ Fama.
La présence de Fama à la frontière des républiques de la Côte des Ebènes
et du Nikinai, donc dans le Horodougou, de très bonne heure donne au locuteur
l'occasion de nous faire saisir le temps atmosphérique qu'il y fait de manière
dynamique c'est-à-dire progressivement. Ce temps est d'abord brumeux comme le
précise le discours: " toute la vallée était remplie d'une brume fine. Il n'y
avait pas de vent" (p.195). Ces brumes, avec la naissance du jour, cèdent le .
pas au plein soleil après leur dissipation: " le soleil aussitôt pointa" (p.
196). Brumeux et ensoleillé, tel se pose le temps physique qui ferme le récit.
Nous avons essayé, en traversant le texte de part en part, de produire
les indices du temps atmosphérique qui s'y trouvent. Ceux-ci restent, comme on
peut s'en convaincre, divers, variés et parfois incompatibles. De fait, toute
leur appréhension exige, pour être aisée, que soit constituée véritablement la
structure du temps physique tel qu'il a été progressivement décrit. En tenant
compte des espaces où se manifestent les indices temporels, envisagés du point
de vue de l'opposition Nord vs Sud symbolisés par Togobala et la capitale des
Ebènes, nous pouvons très aisément structurer les données temporelles dégagées
du texte comme suit :
/temps atmosphérique/
a) - Capitale ·
soleil
nuages
- pluie
b) - Togobala :
- brume
- soleil
Cl - Capitale ~
- nuages
pluie
soleil
d) - Togobala ·
- brume
soleil

1
i~
- 240 -
1
l
Le temps physique textuel, si on accorde quelque valeur à l'organisation
1
1
,
des .indices, est constitué dans son entièreté de quatre groupes de traits, ou
!l
de phénomènes atmosphériques (cf. a, b, c et d) qui se ramènent assez aisément
à deux séries de phénomènes temporelles que sont le soleil, les nuages et la
1
1
pluie d'une part et d'autre part la brume et le soleil. Autrement dit, on voit
\\
1,
se dessiner à travers la forme d'organisation du temps appuyée sur le mode de
f
1
disposition dès phénomènes atmosphériques textuels deux manifestations en fait
,
1
incompatibles du temps physique: d'une part, une manifestation fondée sur la
j
succession du soleil, des nuages et de la pluie, et d'autre part, une deuxième
1
manifestation basée sur l'enchaînement de la brume et du soleil. Au regard de
j
!
ces deux séries, le temps physique textuel s'affirme comme un temps hétérogène
liî
schématiquement représenté ainsi :
f
j
~
l
/temps atmosphérique/
Jj
Capitale
- soleil
nuages
pluie
Togobala
brume
soleil
Si on considère le rapport étroit existant entre les nuages et la pluie,
et surtout si on pose le fait évident que la pluie est une forme dégradée des
nuages, on peut ramener le groupe de trois traits temporels (soleil, nuages et
pluie) à un groupe de deux traits: soleil et pluie. Dès lors, la possibilité
existe de formaliser le temps physique textuel comme suit:
temps atmosphérique
=
(soleil, pluie) + (soleil, brume)
Dans la succession des phénomènes atmosphériques ou mieux dans l'infini
et continuel écoulement du temps physique, l'apparition du soleil peut et doit
être reconnue, à notre sens, comme un fait banal et ordinaire - tout au moins
pour les espaces topologiques ici considérés - parce que fortement régulier et
susceptible de se manifester en tout lieu. A l'opposé, la pluie, la brume, le
brouillard etc, apparaissent comme des phénomènes plus rares. De plus et on le

- 241 -
sait, le soleil précède ou suit donc fait toujours corps avec tous les autres
phénomènes temporels existants sans aucune exclusive. Il peut être défini dans
ces conditions comme l'élément neutre par excellence de tous les principes ou
de tous les phénomènes atmosphériques. La portée d'une telle déduction demeure
évidente. En effet, elle autorise la réduction de cette formule algébrique du
fi
temps qui précède en une formule, toujours algébrique mais très simplifiée, de
1
type :
1
Temps atmosphérique
= Pluies + Brumes
En langage clair, le temps atmosphérique romanesque reste marqué par le
temps pluvieux et le temps brumeux (exception faite du temps ensoleillé qui se
pose par sa fréquence comme un trait neutre du temps physique). On peut donc,
en prenant en compte les espaces topologiques où ils apparaissent, reprendre à
la limite la formule· précédente et la décomposer comme suit :
/temps atmosphérique/
/espaces topologiques/
pluies
---------~
Capitale
(Sud)
brumes
-------~ Togobala
(Nord)
Le temps atmosphérique tel qu'il se déroule à travers le texte reste un
temps techniquement et tactiquement (point de vue du narrateur) spécialisé. Au
Nord semblent se manifester exclusivement les brumes, alors qu'au Sud surtout
frappent les pluies. On sait toutefois qu'il ne s'agit pas d'une manifestation
unique et furtive de la pluie et de la brume, et notre parcours frénétique du
texte à la recherche des indices temporels l'atteste, mais en fait des retours
cycliques ou mieux encore de récurrences de la pluie et de la brume. Dès lors
donc, ce n'est pas simplement à un temps pluvieux et à un temps brumeux que le
lecteur a affaire. C'est véritablement à des saisons (cf. saison de pluies et
saison sèche) qu'il doit penser ou se fier. Nous dirons en ce cas que le temps
physique textuel s'organise autour de la saison sèche (dénommée harmattan) au
Nord et de la saison des pluies au Sud de la topologie générale du roman.
Connaissant le temps atmosphérique qu'il fait dans notre texte dans ces
moindres manifestations, et surtout la spécialisation à laquelle il est soumis
en permanence, nous sommes en droit de nous demander non sans raison pourquoi
fondamentalement le narrateur situe les événements de l'histoire qui ont cours
au Nord en pleine saison sèche et ceux qui ont lieu au Sud, dans la capitale,

1
1
Î
- 242 -
~
fm
en pleine saison des pluies. On pourrait reprendre autrement l'interrogation, . t
et dire: dans le cadre textuel, quelles significations particulières prennent
i
les diverses saisons? Et la question, en effet, est de grande importance car
t
on ne peut pas ne pas être frappé par la spécialisation temporelle qu'opère le
f
~
narrateur, spécialisation qui n'aurait pu exister comme telle si une certaine
l
intention ne la sous-tendait. Car en effet, comment expliquer facilement qu'en
l
l'espace de vingt ans (cf. durée hypothétique de l'histoire textuelle) aucune

trace de pluie n'a pu transpirer à Togobala et inversement, qu'aucun aspect de
••.
la saison sèche n'a pu se manifester dans la capitale? On peut, semble-t-il,
l
aller encore plus loin et se demander - résultat d'un constat particulièrement
profond - pourquoi en un laps de temps, en passant de la capitale à Togobala,
le personnage principal Fama est-il convié à vivre deux saisons, deux types de
temps radicalement distincts. Les développements suivants seront tout le lieu
de réponse à ces diverses interrogations.
4.3.2 : La symbolique du temps
Résolvons rapidement les quelques problèmes de terminologie que pourrait
poser ce titre immédiat, problèmes qui ne manquent jamais de se poser lorsque
nous embrassons (entrons dans) des domaines aussi mal assurés et aux données à
vrai dire imprécise comme les disciplines nouvelles.
On entendra bien volontiers par " symbolique du temps atmosphérique " le
système constitué de symboles construits et vérifiés comme signes ayant leurs
significations propres à travers le texte, et relatif au domaine spécifique du
temps atmosphérique romanesque. De façon plus pratique la symbolique du temps
atmosphérique sera ici le système des objets ou éléments naturels que sont les
saisons (cf. saison des pluies et saison sèche) choisis par le narrateur pour
marquer une convention vraie ou supposée entre lui et son narrataire.
Si nous posons comme nous l'avons plus ou moins implicitement fait déjà
que les deux saisons dégagées du texte sont des symboles, c'est-à-dire en fait
des éléments susceptibles de certifier une convention, notre tâche principale
ici revient à déterminer les signifiés que symbolisent ces saisons.
Nous tenterons d'atteindre cet objectif à travers un cheminement logique
à trois étapes
une analyse des actions ou des événements propres aux divers
personnages ou à l'ensemble de la communauté décrite, et liés aux saisons (les
actions et événements concernés ne seront pas systématiquement ceux ou celles
qui construisent l'histoire, étant entendu qu'ils ou elles sont contingentees)

- 243 -
et ne sauraient constituer des éléments d'argumentation systématique, pour ne
pas dire convaincante), une analyse des actions des saisons elles-mêmes qui se
préoccupera de l'influence de ces dernières sur les objets et les choses mais
aussi sur les personnages et enfin, une détermination des qualités intrinsèque
et extrinsèque de chacune des saisons.
Lorsque nous nous intéressons de très près aux événements et aux actions
vécus ou assumés par les personnages, individuellement ou collectivement dans
la société, en rapport total avec les saisons, nous sommes frappés directement
par un détail: l'inexistence absolue d'événements ou d'actions relatifs à la
saison des pluies. Autrement dit, aucun événement n'est programmé, projeté, et
exécuté en fonction du temps précis de la saison des pluies
(nous ne parlons
guère à ce niveau d'événements constituant des occasions fortuites manifestées
a priori, sans souci du temps tels que le commerce et la consultation et même
les funérailles, mais d'événements consciemment institués). En revanche et par
rapport à ce vide (très significatif, nous le verrons), on note une floraison
d'événements logiquement ou intentionnellement liés à la saison sèche. Ceux-ci
se répartissent au moins en deux catégories : une première catégorie relative
aux événements tels que l'excision (p.33), les vastes feux de brousse (p.125),
les grandes chasses (p.126), le chômage saisonnier (p.138), divers événements
sociaux itératifs et très programmés dans le temps, et une seconde catégorie à
peine perceptible d'événéments dont le rapport au temps dit physique n'est en
,
effet institué que par le récit. Dans cette dernière catégorie, nous rangerons
l'unique événement noté /reconstruction imaginaire de la dynastie/ (p.113).
1
Essayons de voir maintenant la valeur individuelle des événements donnés
1
dont la lecture collective constituera une première marche vers la découverte
1 .
de ces signifiés que convoquent les symboles, pour l'instant posés ou supposés
1
1
par notre analyse.
j
~
a) - l'excision
1
1
S'agissant de l'événement social fondamental oue représente l'excision,
i
deux affirmations semblent concéder ou livrer au lecteur la valeur (ou le sens
1
1
textuel) attendue. Il s'agit curieusement de celle d'un personnage effacé, en
1
réalité métadiégétique, qui n'est autre que la mère de Salimata ~t de celle du
A
!
narrateur intradiégétique qui clament respectivement alors: " l'excision est
1
la rupture, elle démarque, elle met fin aux années d'équivoque, d'impureté de
1
jeune fille, et après elle vient la vie de femme" (p.33), surtout" trancher
1
1
le clitoris considéré comme l'impureté, la confusion, l'imperfection" (p.34).
ij
~
j
l
1
1
1

- 244 -
La réinterprétation des deux définitions qui précèdent par le biais d'un
ajusteme-nt , d'une reformulation destrai ts définitoires textuels de l'acte de
l'excision en soi autorise à considérer celle-ci comme suit:
/Excision/
- rupture
- démarcation
- clarté
- pureté
- netteté
- perfection
L'observation attentive de cette transcription nous permet de dégager de
la définition textuelle de l'excision au moins trois paradigmes de sens qu'il
convient de rendre explicites.
Aux dires de la mère de Salimata et du narrateur intradiégétique, toute
inexcision est impureté et/ou impropreté. A l'opposé, toute excision est, dans
tous les cas, pureté et/ou propreté. Il s'agit donc avant tout d'acte général
r
d'hygiène. L'unique trait /pureté/ (ou impureté, dans les définitions du texte
narratif) construit un premier paradigme que nous nommerons /hygiène/.
1
Le clitoris, on le sait, est considéré comme la confusion et, chose plus
grave encore, comme imperfection. Dès lors, trancher le clitoris c'est donc a
1
priori parvenir à la netteté, à la perfection du sexe feminin, le
débarrasser
1
~
de tout ce qui le fait ressembler au sexe masculin. C'est distinguer, presque
définitivement, la femme de l'homme, autrement dit l'identifier sans réserve à
elle-même. En ce sens, l'excision est simplement un procès d'identification à
la limite nécessaire. Les traits /netteté/ et /perfection/ (ou aussi confusion
et imperfection, en référence aux définitions textuelles) posent nettement un
deuxième paradigme qui sera dit /édification (de soi)/.
De plus, dans les définitions précédentes et essentiellement dans celle
assumée par la mère de Salimata, l'excision se réduit ou se ramène nettement à
une rupture, une démarcation ou une fin d'une situation durable, ou d'un état
stationnaire manifeste dans le temps. Il s'agit de la situation sociale que la
jeune fille connaît mais aussi de son état physique. Ainsi, si l'excision est
une sorte de brêche volontaire empêchant toute assimilation entre les périodes
pasées et à venir, autrement dit entre le passé et le futur d'une fille, elle
reste un acte essentiel de reconnaissance de la maturité de la fille concernée
'\\

1
j
- 245 -
!
t
!
ï
par cette pratique sociale. Ce saut dans le temps ou ce passage par l'excision
J
de l'immaturité à la maturité et/ou à la maturation, c'est la renaissance~ De
j
fait, les traits /rupture/, /démarcation/ et /clarté/ définissent un troisième
paradigme que nous nommerons /renaissance/.
!
De telle façon, nous appréhendons mieux l'excision qui se dévoile comme
1
un acte d'hygiène, d'édification au sens de re-création et de renaissance. Ces
i
trois piliers de la définition textuelle de l'excision restent importants. On
t
peut aller plus loin dans l'appréhension totale de cet événement important que
l
représente l'excision, en considérant en un second niveau d'analyse les trois
!
paradigmes mentionnés. Notre description se voulant cependant intégrative nous
l
sommes amenés avant tout à jeter un regard tout aussi approfondi sur le reste
1
des événements relatifs à la saison sèche qui se manifeste assez naturellement
dans le Horodougou que sur l'excision.
b) - feux de brousse et grandes chasses
A l'opposé de l'excision qui reçoit à travers le texte une détermination
claire et nette, les feux de brousse et les grandes chasses restent indéfinis
textuellement. Leur saisie s'appuiera donc nécessairement sur certains détails
parsemant le texte, et essentiellement sur une certaine connaissance, limitée
certes mais réelle, de la société dont parle le narrateur.
Les feux de brousse ici ne doivent pas être appréhendés comme l'horrible
conséquence des destructeurs gestes de pyromanes insensés. Ils résultent tout
simplement de comportements, d'actes conscients qui visent deux objectifs dont
les cultures agraires fortement extensives et les grandes chasses de Togobala
du Horodougou. C'est à travers ces deux objectifs que les deux événements dont
il est question (cf. feux de brousse, grandes chasses) acquièrent un sens, et
c'est à travers eux que nous essayerons d'appréhender ces derniers.
La culture et la chasse se définissent respectivement comme" action de
cultiver, l'ensemble des opérations propres à tirer du sol les végétaux utiles
à l'homme et aux animaux domestiques ", et " action de chasser, de poursuivre
les animaux pour les manger" (cf. Le petit Robert, p.436 et p.292). Quoiqu'il
en soit, la culture et la chasse, primitivement et même de tout temps, tirent
leur pratique d'un besoin naturel de nutrition. Cultiver et chasser restent en
fait des gestes qui répondent à l'appel de l'esprit et de l'organisme humains
vivants soumis au rythme indestructible de l'énergie vitale nécessaire. A tout
ce qui précède il convient d'ajouter ceci: les grandes chasses comme fait ou
événement débordent la dimension purement nutritionnelle qui les motive.

1
1
j-
- 246 -
1
J
Jj
L'orientation idéologique qui ressort des descriptions toujours infinies
j
que fait Diamourou des grands moments de chasses de Balla (p.126), ou disons,
1
l'ensemble des jugements de valeur qui sous-tendent tout le récit de Diamourou
l
d'une part, et d'autre part l'attention que porte l'auditoire à tout le récit
1
i
du vieux griot et surtout l'engouement des spectateurs pour les démonstrations
des chasseurs lors des funérailles grandioses du cousin Lacina (p.149), d'une
4
f
1
certaine manière, convertissent la chasse en général en des moments essentiels
de grands exploits individuels. Tout ce qui précède peut être ainsi formulé :
/Feux de brousse/
(
nutrition
/Grandes chasses/
1
t
nutrition
l•i
- exploits
l
c) - le chômage saisonnier
Deux précisions nous paraissent ici nécessaires avant même tout abord de
l'analyse suivante: le chômage saisonnier est compris comme" événement" du
fait de son caractère itératif et programmé, et de la totale conscience qu'ont
de lui, comme événement, les populations malinkés du Horodougou. D'autre part
le syntagme "chômage" ne doit nullement convoquer dans l'esprit du lecteur les
connotations péjoratives et/ou dramatiques qU'un certain usage systématique a
conférées à ce concept, à travers le temps et l'espace.
Le chômage saisonnier est avant tout une interruption assez prolongée de
travaux champêtres motivée par la rigueur du temps atmosphérique. Il convient
toutefois de préciser qu'au-delà de son caractère obligatoire (et en apparence
inévitable), le chômage saisonnier reste un acte proprement intentionnel. Dès
lors, il prend ici une signification spécifique: à la lumière des excitations
collectives de tout Togobala, lors du grand palabre (" un mystère malinké, ou
l'ennui du long chômage saisonnier de l'harmattan? On assemblait les boubous,
on déchaussait les babouches pour s'asseoir dans le palabre de Fama " (p.138)
ou encore It l'assistance exultait et buvait. Elle n'en demandait pas plus: le
palabre pour le palabre! " (p.140), on peut établir que le chômage de saison
est le temps de repos et de récupération des énergies perdues dans les travaux
des champs, et secondairement le temps des vacances et de divertissement. Dès
lors, nous transcrirons les caractéristiques suivantes
/

- 247 -
/Chômage saisonnier/
- repos
récupération
- divertissement
Les événements dont nous venons de rendre compte se rapportent, faut-il
le dire ?, à la catégorie de ces événements soumis à la fréquence d'apparition
de la saison sèche et reconnus comme tels par l'ensemble de la société. Notre
analyse va s'intéresser enfin à l'unique événement digne d'intérêt constituant
la catégorie des événements dont le rapport au temps physique est institué en
fait par le récit lui-même. Autrement dit, cet événement n'est saisi comme tel
que parce que le discours le certifie. Quel est précisément cet événement que
nous avons très rapidement nommé /reconstruction imaginaire de la dynastie/ ?
Ces segments discursifs nous éclairent parfaitement sur la nature et notamment
le contenu narratif dudit événement. Suivons le texte :
" Et Fama trônait, se rengorgeait, se bombait ( ••• ). Au petit de ce
matin d' harmattan, au seuil du palais des Doumbouya , un moment,
pendant un moment, un monde légitime plana. Les salueurs tournaient.
Fama tenait le pouvoir comme si
la mendicité, le mariage avec une
stérile, la bâtardise des Indépendances, toute sa vie passée et les
soucis présents n'avaient jamais existé"
(cf. p. 113
et p. 114).
Ces segments, à les lire de très près, confrontent deux situations : une
situation passée que pose la locution verbale" n'avaient jamais existé" qui
se réécrit en structure profonde c'est-à-dire à l'issue d'une série infinie de
transformations syntaxiques" avaient existé ", et une situation présente (en
fait, il s'agit du présent de Fama) que révèlent les syntagmes divers tels que
" trônait ", " rengorgeait"
"se bombait ", " plana" et " tenait ".
En paraphrasant les données textuelles ci-dessus, nous affirmerons alors
que la situation passée de Fama se caractérise, avant tout, par la mendicité,
la stérilité, la bâtardise et l'illégitimité. A l'opposé de la situation terne
passée, la situation présente de Fama se construit autour de la dynamisation,
de la revitalisation tant physiques que morales, de la légitimité retrouvée et
pour tout dire, de la manifestation plus ou moins effective du pouvoir total.
La situation présente de Fama, fondamentalement, s'oppose à sa terne situation
passée. A la débauche consciente et constamment entretenue, succède un moment

1
- 248 -
1
1
~
i1
de bonheur et de vertu. L'événement que vit Farna en ce matin d'harmattan reste
!
1
avant tout un événement mélioratif, positif pour les Doumbouya. Toutefois, il
1
ne faut pas se leurrer. Rien en cet événement ne relève de la nouveauté, de la
grande innovation, encore moins de hauts faits. Ce monde légitime nouveau que
fait planer le prince n'est en réalité qu'un juste retour des choses, a priori
11
prévisible parce que programmé par le destin (p.193). Le prince déchu Fama ne
crée pas la dynastie. Il la recrée. Il la fait passer ou tenterait de la faire
1
passer du stade de décadence où elle était confinée au stade de progrès. Dans
1
ce sens, l'événement vécu par Fama exprime une renaissance, celle de la grande
dynastie des Doumbouya à Togobala.
Les développements qui précèdent ont eu pour objet la mise en relief des
significations prises par les événements sociaux textuels en relation directe
avec le temps physique. Ces significations, de manière synthétique, peuvent se
résumer ainsi
/Excision/
hygiène
- édification
- renaissance
/Feux de brousse/
- nutrition
/Grandes chasses/
- nutrition
- exploits
/Chômage saisonnier/
repos
- récupération
- divertissement
/Reconstruction/
- renaissance
Nous venons de déterminer avec précision le sens, les valeurs profondes
de chacun des événements qui entretiennent plus ou moins consciemment, dans le
texte, un rapport de proximité ou de contiguité avec le temps dit physique et
principalement, avec la saison sèche ou harmattan. La découverte des signifiés

1
f
- 249
l
r
1
l
que convoquent les symboles étant fondée, non sur le~ valeurs individuelles ou
f
1
singulières mais sur les valeurs collectives des événements, l'analyse disons
!
doit procéder par synthèse des résultats acquis. Dans ce cadre de pensée, nous
1j
commencerons par poser, en une formulation unique ou unitaire, les valeurs ou
1
les sens précédemment produits. Nous aurons alors, de manière synthétique, les
J
éléments suivants :
f
!
1
/traits des événements/
f
'!
hygiène
édification
renaissance
nutrition
exploit
repos
récupération
divertissement
(L'ensemble des éléments étant défini en compréhension non en extension,
les syntagmes /renaissance/ et /nutrition/ qui apparaissent initialement deux
fois, ne sont transcrits qu'une seule fois. De plus, on veillera surtout ici à
considérer /édification (de soi)/ et /renaissance/ au double sens physique et
moral, caractéristique de la personnalité).
Revenons à notre propos initial, et précisément à l'ensemble des valeurs
des événements intégrées, pour faire observer ceci: qu'il s'agisse, de façon
générale, de l'hygiène, de la renaissance, de l'exploit, du divertissement, on
observe que les valeurs signifiantes de tous les événements donnés, autrement
dit les éléments de sens ci-dessus désignés, se rapportent toujours aux hommes
entendus comme individus sociaux. Une telle observation oriente, sensiblement
d'ailleurs, la suite de la présente analyse.
Les éléments de sens /hygiène/ et /nutrition/ se rapportent à l'évidence
à l'aspect physique de l'homme: celui-ci applique les principes d'hygiène ou
se nourrit pour bien se porter physiquement. Les éléments de sens
/repos/
et
/récupération/, par rapport aux deux premiers qui affirment bien leur rapport
à l'aspect physique de l'homme, peuvent et doivent être pensés par association
avec l'aspect mental de l'individu: tout repos est d'abord repos de l'esprit
et le corps ne vit la pleine récupération que parce que l'esprit le concède en
général. Les éléments de sens /exploit/ et /divertissement/ relèvent de cette

- 250 -
autre dimension humaine qu'est l'aspect moral de l'homme: tout exploit fut-il
limité conforte l'individu dans ses aptitudes personnelles, le réhausse. Tout
divertissement le rééquilibre, le restitue entièrement à sa pleine harmonie ou
à sa plénitude. Les éléments de sens /édification/ et /renaissance/ ordonnent
un type particulier de relation à l'homme. Ces éléments de sens ne concernent,
d'une certaine manière, ni l'aspect physique, ni l'aspect mental, ni l'aspect
moral avec lequel il semblerait en apparence entretenir quelques affinités. En
réalité, les deux éléments de sens indexés ont trait aux trois aspects nommés
ou mentionnés, non pas dans un rapport physique ou matériel, comme dans le cas
de la relation
hygiène/corps
ou même
repos/esprit
(mathématiquement notée
ici
hygiène R corps
et
repos R esprit), mais dans un rapport plus vaste. En
d'autres termes, /édification/ et /renaissance/ portent sur l'homme pris dans
son entièreté, et dans toutes ses dimensions imaginables.
Dimensions physique ou mentale, morale ou globale le vaste champ humain
auquel se rapportent les valeurs intégrées des événements ici concernés est un
champ total, mais un champ comportant différents niveaux comme il nous semble
aisé de le constater. En effet, aux dimensions physique, mentale, morale, très
morcelées s'oppose la dimension globale qui les coiffe, posant et imposant de
fait au vaste champ humain total impliqué deux niveaux, inférieur et supérieur
nécessairement. En d'autres termes, les éléments de sens organisant les trois
1
dimensions humaines (cf. dimensions physique, mentale, morale)
définissent un
premier niveau dit" niveau superficiel" et ceux réalisant la dimension dite
globale, celle de la performance c'est-à-dire de la réalisation profonde et/ou
totale des autres dimensions, un second niveau nommé" niveau profond ".
1
Ces éléments de base absolument nécessaires posés, la structuration des
valeurs des événements liés au temps atmosphérique ainsi opérée , nous pouvons
1
à présent rendre compte d'une certaine voie de signification sous-jacente ici
1
à la manifestation simultanée de certains événements sociaux et de l'harmattan
ou saison sèche. Les éléments de sens /hygiènej, /nutrition/, /récupération/,
1
/repos/, /exploit/ et jdivertissement/
s'organisent théoriquement dirons-nous
f
pour maintenir au niveau superficiel l'équilibre physique, mental ou moral de
l'homme, de la société (du corps social) etc. On dira donc de ces valeurs - si
1
on les considère à ce niveau de l'analyse comme simples pratiques sociales ou
f
collectives - qu'elles contribuent dans une certaine mesure à l'édification de
~1
l'homme et, de proche en proche, de tout le corps social. Et la perfection de
édification aboutit, au niveau profond, à la naissance ou à la renaissance (il
nous a semblé utile de distinguer la naissance ou la renaissance du phénomène

1
1
- 251 -
1
de l'édification, en vertu de la catégorie d'opposition
statique vs dynamique
1
qui semble les organiser. En effet, alors que l'édification se présente comme
l
un procès, la naissance ou la renaissance s'affirme comme un fait ou événement
1
t
achevé, entièrement accompli).
1
Nous avons structuré les huit principaux éléments de sens (cf. hygiène,
1
édification (de soi), renaissance, nutrition, exploit, repos, récupération, et
1
!
divertissement) comme s"ils relevaient d'un événement unique. Ce faisant leur
1
apparente cohérence peut sembler très suspecte et problématique dès lors qu'un
~
~
lecteur (notre lecteur) sait par exemple que les événements comme l'excision,
l
1
les feux de brousse, les grandes chasses etc dont parle le texte n'ont au plan
j
j
discursif aucun rapport.
~
4
A la vérité, nous semble-t-il, cette hypothèse d'indépendance
(au sens
11
~
de manque de relation) des événements n'est que masque et illusion capables de
fausser, ou à tout le moins d'obliquer l'argumentation, si on n'y prend garde
ici. On sait en effet que toute incompatibilité entre éléments de sens si elle
existait se serait indéniablement révélée. Il n'en est rien dans la mesure où
la structuration impliquée manifeste une homogénéité et une cohérence absolues
et effectives.
Si le manque, l'absence de relation entre événements sociaux, au plan de
leur manifestation discursive, n'hypothèque en rien les résultats obtenus, la
question qui se pose maintenant reste alors de savoir en quoi les résultats de
la structuration des éléments de sens rendent-ils compte de la signification,
de la valeur que prennent ici les événements liés au temps physique et surtout
quelle est cette signification.
Qu'il s'agisse de l'excision dont les trois éléments de sens /hygiène/,
/édification/ et /renaissance/ intéressent les dimensions physique, globale de
l'homme, ou des feux de brousse et des grandes chasses dont l'élément de sens
unitaire /nutrition/ et la valeur spécifique /exploit/ des dernières (chasses)
se réfèrent aux dimensions physique et morale, ou du chômage saisonnier dont
les éléments de sens /repos/, /récupération/ et /divertissement/ sont liés aux
dimensions mentale et morale de l'individu ou finalement de la reconstruction
fictive de la dynastie dont l'unique élément de sens /renaissance/ concerne la
dimension globale du corps social, on remarque que l'événement qui se produit
de façon programmée ou non en saison sèche, systématiquement, a trait à ou est
en soi une pratique (une attitude aussi) qui vise, plus ou moins directement,
au développement (au sens de croissance et épanouissement)
d'une ou plusieurs
dimensions du corps humain ou du corps social. De manière très générale, et à

1
- 252 -
1
1
t4,
la limite, les événements liés au temps atmosphérique, en tant que pratiques,
t1
se préoccupent de l'amélioration ou du maintien de la santé morale et physique
i
du corps humain et/ou du corps social tout entier. Ces divers événements sont
donc expressifs de la vie, de la vitalité sociale.
La notion de santé à laquelle nous sommes parvenus, et qui constitue la
1
visée première implicite des pratiques sociales considérées, se pose en donnée
1
susceptible de faciliter dès à présent la détermination du ou des signifié(s)
de la saison sèche entèndue comme symbole dans le texte général. Cependant, la
l relation de motivation qui unit, dans le symbole contrairement aux signes, le
symbolisant et le symbolisé, ordonne nécessairement dirons-nous d'analyser les
1
qualités des saisons formant la symbolique du temps cosmique pour en préciser
!
la ou les spécificités. Avant d'y parvenir, nous allons essayer de voir toutes
i
les influences possibles des saisons sur les objets et les acteurs.
L'influence, l'action des saisons sur les objets et/ou les choses et sur
1
l
les personnages restent discursivement moins apparentes, moins manifestes que
ij~
celles que nous avons pu par exemple connaître des espaces ,topologiques (cf. §
3.2.3). Le discours, dans le cas prése~t, semble en effet occulter un état ou
une situation qui, cependant, se révèle par endroits dans le texte, et souvent
offre une certaine possibilité - certes limitée - de saisir cette influence.
Comme il semble aisé de le constater en défrichant profondément le texte
entier, l'influence de la saison des pluies sur les acteurs, et notamment sur
le prince Fama, est négative : elle exaspère et irrite notoirement ce dernier,
aggrave son mal du moment qui est l'impatience. Le discours reste à ce niveau
très explicite:
"Et tout manigançait à l'exaspérer. Le soleil! le soleil!
le soleil des Indépendances maléfiques remplissait tout un côté du ciel ..• "
(p.9). A l'opposé, on note que l'influence de la saison sèche est positive, et
cela est net. Ainsi, rien que le souvenir, la remémoration du temps vécu dans
le Horodougou suffisent à effacer la colère du prince déchu:
"Les souvenirs
de l'enfance, du soleil, des jours, des harmattans,
des matins et des odeurs
du Horodougou balayèrent l'outrage et noyèrent la colère" (p.20). L'harmattan
ou la saison sèche rétablit donc l'individu dans sa logique d'homme autrement
dit l'assagit. Ainsi, à l'exaspération de l'homme occasionnée par la saison de
pluies s'oppose son adoucissement que provoque l'harmattan. Il convient aussi
de préciser que l'action de cette dernière saison va plus loin. En effet, elle
ne se contente pas seulement d'apaiser l'individu, ou de le rendre à lui-même
comme nous venons de le voir. Elle le redynamise, lui redonne forces et espoir
de vivre, d'exister malgré les aléas d'une destinée obscurcie, d'un quotidien

- 253 -
tissé de luttes amères: " Fama se sentit revigoré, enlevé par le bon matin du
Horodougou. C'est dans le Horodougou qu'il fait bon de vivre et de mourir ••• "
(p .196).
Du point de vue de leur action sur les personnages, la saison des pluies
~
et la saison sèche se po~ent comme des variantes antithétiques ou d'évidentes
1
facettes opposées du temps atmosphérique: un pendant, l'harmattan, qui ramène
ou restitue les individus à la ~e et un autre, la saison des pluies toujours
1
présente qui étouffe la conscience, asphyxie l'homme, provoque immanquablement
1
!
la mort lente de l'individu. Cette action néfaste de la saison des pluies sur
les personnages va plus loin. Elle frappe aussi les objets et les choses d'une
1
mortelle manière
"L'orage était proche. Ville sale et gluante de pluies!
1
pourrie de pluies
Ah! nostalgie de la terre natale de Fama ! " (p.19). Nous
l
. constatons, surtout à travers le syntagme " pourri e ", une situation évidente
1
des objets et des choses hautement plus dramatique que celle des acteurs.
î
Il ne s'agit plus d'une perversion de la conscience, stade critique mais
1
rémédiable du processus de dégradation, mais simplement d'une destruction que
l
1
dire, d'un anéantissement systématique de tout ce qui existe. La ville ici est
j
1
un prétexte, un prétexte d'ailleurs fort révélateur: le pourrissement de cet
l1
"Ji
,
objet, de ce vaste corps en un certain sens inanimé témoigne de l'irrésistible
~1
puissance de cette foroe destructrice. La saison des pluies happe, sape et/ou
i
détruit l'animé et l'inanimé, impose aux deux, à plus ou moins longue échéance
la même issue : la mort inéluctable.
Voyons enfin les qualités des saisons.
Intrinsèquement, la saison sèche est définie comme un temps sec et froid
("son sol aride mais solide, les jours toujours secs" (p.19) ou " les nuits
de l'harmattan sont froides et ventées" (p.140), alors que de ce point de vue
la saison des pluies ne reçoit textuellement aucune détermination essentielle
et intéressante. Tout au plan peut-on dire, par paraphrase, qu'elle demeure un
~:
temps gluant et visqueux (" sous un ciel malpropre, gluant" (p.25) ou encore
t
" déroutantes, dégoütantes, les entre-saisons de ce pays mélangeant soleils et
1
pluies" (p.ll). Par rapport à la saison sèche, nous dirons qu'il s'agit d'un
1
,
temps humide et mou, autrement dit un temps pourri.
i'
Extrinsèquement, la saison des pluies se pose comme un temps malpropre,
malsain, déroutant et dégoutant. Du point de vue des qualités extrinsèques, la
1
saison sèche reste indéfinie. Cependant, dans la mesure où cette dernière est
fi
opposée à la première, nous disons qu'elle est propre, saine, rassurante et en
!
1
tous les cas désirable (" Ah ! nostalgie de la terre natale" (p.19) ou alors
1
lt
t
,
1

i1
1
- 254 -
1
~
lt
En vérité, un très bon harmattan ( ••• ') Les grands harmattans, les vrais ••• lt
1
j
(p.126). On peut dépasser ces prédicats particuliers des saisons indexées dont
le caractère fragmentaire empêche en un certain sens de les saisir de manière
1
j
efficace, pour les envisager à un niveau plus général. Pour ce faire nous nous
j
intéresserons principalement aux qualités intrinsèques.
Nous avons montré à l'instant que la saison sèche et la saison de pluies
1
se caractérisaient, respectivement, par le froid et la sécheresse, et surtout
j
1
J
la mollesse et l'humidité. Si nous considérons le froid et la sécheresse comme
t
1
1
des facteurs objectifs de conservation (au sens précis de maintien en un état
j
initial d'un objet concret), et jugeons que l'humidité et la mollesse sont des
i
causes de pourrissement et donc de destruction, nous affirmerons sans réserve
que la saison sèche est un temps conservateur et la saison des pluies un temps
destruction. Dès lors, les diverses qualités extrinsèques qui traduisent pour
la saison sèche et la saison des pluies les résultats respectifs (ou à tout le
moins une certaine idée de ces résultats) de leur manifestation spécifique ou
particulière, apparaissent comme une confirmation des qualités intrinsèques ou
des prédicats déterminant tout naturellement les deux saisons du texte.
Récapitulons.
Dans le cadre des événements en rapport direct avec le temps physique ou
manifestés en fonction du temps qu'il fait, nous avons pu montrer à l'analyse
que, seule période choisie pour exécuter certaines pratiques collectives et/ou
sociales, la saison sèche ou harmattan recueille uniquement des attitudes (au
sens de comportements observés dans la société tels que le chômage donné), des
activités ou pratiques qui visent à l'épanouissement total de l'individu, qui
visent surtout au maintien de la santé morale et physique de la société, et se
pose ainsi comme le temps de la (re)naissance. La saison des pluies qui reste
opposée à la saison sèche sera considérée comme le temps de la non-renaissance
soc;iale.
S'agissant de l'influence des saisons, nous avons pu observer nettement
qu'elle s'applique autant aux lt personnes lt qu'aux objets et aux choses. D'une
manière générale, on constate dans le cas de leur influence sur les personnes
que la saison sèche et la saison des pluies engendrent respectivement une dure
redynamisation et une totale dégradation physiques et morales des personnages
du récit. Dans la perspective d'une certaine synthèse des principaux résultats
nous dirons que la saison sèche et la saison des pluies textuelles provoquent
respectivement euphorie et dysphorie 'chez les personnages. Du point de vue des
influences sur les objets et les choses, on observe ici que seule l'action de

- 255 -
la saison des pluies est discursivement affirmée : celle-ci engendre un total
pourrissement de tout ce qu'elle enveloppe. En dernière analyse nous dirons de
la saison sèche dont rien n'est affirmé, et qui lui reste opposée tout à fait
naturellement qu'elle n'engendre pas de pourrissement des objets et des choses
constituant l'univers des personnages.
Enfin, du point de vue de leurs diverses qualités la synthèse des traits
~1l
particuliers opérée nous a permis surtout de découvrir que la saison sèche ou
il
harmattan est un temps conservateur dans la mesure où elle n'autorise et/ou ne
ii laisse se produire aucune décomposition, aucune putréfaction organique, alors
que la saison des pluies reste inéluctablement un temps destructeur, favorable
j1
à la fermentation et, de proche en proche, à la pourriture des êtres.
1
Résumons tout ce que nous avons montré.
1
i
1
/Saison des pluies/
1
dysphorie
l
~
pourrissement
destructeur
- non-renaissance
/Saison sèche/
euphorie
- non-pourrissement
conservateur
renaissance
Ainsi se présentent les éléments constitutifs de la signification que le
couple de saisons définissant le temps cosmique textuel acquiert. A partir de
ces éléments, il semble aisé de projeter, de produire la ou les significations
prises par les deux saisons. En ce sens la structuration des éléments de sens
/non-renaissance/, /destruction/, /dysphorie/ et /pourrissement/, dirons-nous,
aboutit nécessairement à un paradigme que nous dénommerons /Mort/. Celle des
autres éléments de sens /renaissance/, /conservateur/, /non-pourrissement/, et
/euphorie/ justifie un autre paradigme qui sera dit /Vie/. Soit:
/Saison des pluies/
/Saison sèche/
mort
vs
vie

1
- 256 -
1
Nous nous sommes interrogés, à l'issue de la réorganisation des indices
temporels (les indices du temps cosmique), sur la signification possible de la
spécialisation temporelle des régions qui faisait que la narration romanesque
1
circonscrivait délibérément toutes les actions et tous les événements ou faits
1
ayant lieu au Nord en pleine saison sèche (ou harmattan) et ceux appa~aissant
!~
au Sud en pleine saison des pluies, en dépit de la durée relativement longue a
~
l
f
priori de l'histoire narrée et, en émettant l'hypothèse quelque peu optimist~
1
que les saisons considérées étaient des symboles, avons espéré résoudre telles
interrogations par la définition préalable des saisons. Ce dernier aspect est
f
maintenant connu : la saison des pluies se présente à travers le texte général
1
comme un moment de mort et la saison sèche comme un moment de vie. En partant
t
d'un tel constat, nous comprenons mieux le phénomène de la spécialisation dont
1
nous parlons. Cet acte délibéré du narrateur a dans le roman un sens profonà,
[[
1-
une portée indéniable: la saison des pluies et la saison sèche s'affirment en
~
tous cas comme des sortes de discours consciemment institués par le narrateur
t
en vue de faire partager à son lecteur la convention dont les objets demeurent
1
respectivement la mort et la vie, en relation avec le temps cosmique.
1
Dès lors, on comprend mieux le rapport constamment établi entre certains
événements, certains comportements individuels ou collectifs et ces saisons à
la fois opposées et complémentaires. Ainsi, et d'un point de vue ~énéral, tout
déplacement de Fama du Nord (zone de la saison sèche) vers le Sud (zone de la
saison des pluies) est interprétable comme une descente vers la mort, le néant
insupportable. Inversement, tout mouvement du Sud vers le Nord se présente en
fait comme une remontée vers la vie.
~
Au plan des données proprement discursives, cette convention reste plus
explicite et quelque peu systématique. Ainsi, la saison des pluies sudiste que
1
1
les chômeurs de la capitale ont pour unique bien, aux dires de Salimata (" le
!
k
ciel plein de soleil ou chargé de pluies pour des chômeurs qui n'ont
ni abri
ni lougan. Alors que leur reste-t-il à faire? Il (p.62), est-elle la mort qui
leur reste comme seule issue possible de leur monstrueuse existence. Ainsi, le
mouvement ou le voyage du prince Fama, de Togobala à la capitale
des Ebènes,
t
est-il reconnu par tous les Malinkés comme un maléfique voyage, dans la mesure
où il s'effectue par un temps incertain qui simule la saison des pluies, donc
1
porte les traces de la mort inévitable:
Il
Mais, et cela ne s'était jamais vu
en plein harmattan dans le Horodougou ,des
nuages assombrirent le ciel vers
le milieu du jour, de tonnerres grondèrent et moururent du côté où était parti
Fama. En vérité, un maléfique déplacement
Il
(p.153). Ainsi enfin, la grande
1
f
1

- 257
nostalgie qu'éprouve Fama l'émigré du Nord s'impose-t-elle aux lecteurs comme
un appel du coeur à la renaissance, à la vie heureuse : " Ah ! nostalgie de la
terre natale de Fama ! Son ciel profond et lointain ••• " (p.19). Quoiqu'il en
soit, les saisons prennent dans le texte une valeur et une signification toute
particulière, difficilement négligeable.
L'époque évoquée dans le roman, la chronologie de l'histoire et surtout
le temps atmosphérique étaient les trois aspects, les trois formes temporelles
que l'analyse dans ce chapitre s'est proposées de noter. Nous sommes parvenus
non seulement à mettre ces formes en évidence mais aussi à en manifester assez
facilement les traits essentiels. Ainsi, avons-nous découvert sous le curieux
syntagme " soleils des Indépendances " les traces de la période historique des
années 60, cette sorte d'an zéro des nouveaux états africains. Ainsi surtout,
sommes-nous arrivés à la suite de réductions successives à cette problématique
imprec1s10n temporelle qui marque, dans le texte, un seul événement ou encore
une seule séri~ d'événements (le complot et la répression, et notamment la vie
carcérale de Fama le prince déchu). Ainsi enfin, venons-nous de montrer assez
longuement à travers la saison des pluies et la saison sèche la signification,
la dimension réelle du temps atmosphérique qui régit dans le roman la vie des
1
t
personnages, des acteurs qui peuplent l'univers romanesque.
Notons que si une action a lieu dans le texte, une action assumée par un
certain nombre d'agents en un temps et en un lieu ou en des moments et en des
1
espaces donnés, cette action est essentiellement narrée, autrement dit elle se
pose comme le résultat d'un acte verbal, d'un discours pris en charge par une
figure assez particulière dénommée narrateur (plan narratif) ou locuteur (plan
discursif), une figure censée s'adresser à une autre indexée comme narrataire
1
ou allocutaire suivant le point de vue où on se situe, instituant dès lors une
t
communication dont le récit devient l'objet. Ces deux figures qui prennent en
l
fait toutes les formes possibles, de la manifestation large à la dissimulation
totale et inversement, n'en sont pas moins déterminantes à la saisie parfaite
de l'objet dont elles sont sujets. Partant de telles considérations, nous nous
proposons de dévoiler dans le chapitre qui suit ces figures essentielles.
1


- 259 -
Chapitre V
La communication
un discours universel
5.1
La communication formelle
5.1.1
Les empreintes
5.1.2
Dialogue ou monologue
1
5.1. 3
Une tension manifeste
1
(
5.2
Le locuteur, une figure oblique
5.2.1
Un conteur traditionnel
1
j
5·2.2
Un intellectuel moderne
J
;}
J
1
1
5.3
Un élan universaliste
lj
5.3.1
Des allocutaires étrangers
l
1
l
5.3.2
Un discours de nulle part
l
5.3.3
Une conscience écartelée
J
1
~1
1
ij
1
1
J
~'!'
1
1
f
J

1
- 260 -
.1
~
1
lil].,
1
.j
1
,!
1
j
i.,~!!ï1l,'li.~
1
i
1
1,
!
f
1
1
,
'1
/
1
Vous paraissez sceptique
1
1
~
Eh bien, moi, je vous le jure,
j
et j'ajoute: si le défunt était de
1
caste forgeron •• ,
(p.7)
l
tt
f
1
l
1j
j
f1j
1
!
·1,l
1

- 261 -
1
1
i
Jl
1
Le regard que nous avons porté jusqu'ici sur notre texte objet d'analyse
,j
1
s'est focalisé sur le premier terme du couple EnoncéjEnonciation dont 'l'unité
fl
ou la parfaite cohésion confère au texte, d'une manière générale, sa véritable
expression. Autrement dit, à travers les développements antérieurs nous avons
considéré notre texte comme une séquence signifiante totale en soi, et surtout
comme un récit, succession d'événements qui prennent place en un temps, et en
un lieu precis.
Notre présent propos concerne l'énonciation, le second terme du couple,
perçue dans sa triple dimension/définition c'est-à-dire, comme le surgissement
du sujet parlant d'abord, comme l'attitude du locuteur face à son allocutaire
ensuite, et enfin comme l'attitude du locuteur face à son propre discours. Dès
lors, il s'agira pour nous de répondre sur la base des données textuelles aux
~
questions que soulève toute énonciation, et notamment à celles suivantes : qui
parle ? à qui parle-t-on ? où et quand ?
Dans le cas d'une oeuvre littéraire africaine toute chargée de multiples
1
contingences historiques (cf. problèmes de langue, de diffusion, de reception
etc du message codé), ces questions sont de grande importance, et méritent dès
1
lors une élucidation complète. Nous tenterons d'atteindre cet objectif par le
biais d'une analyse en trois étapes: une observation détaillée des empreintes
de l'énonciation formelle qui permettra d'établir l'existence effective d'une
communication manifeste, une mise en forme systématique de l'image essentielle
du locuteur à partir de laquelle nous dégagerons celle du ou des allocutaires
et enfin une appréhension totale des intentions communicatives du sujet (ou de
1
1
l'ensemble des idées) qui sous-tendent, motivent sa volonté de communiquer.
1
r
i
5.1 : La communication formelle:
*
Sans rentrer dans les détails théoriques qui nous éloigneraient de notre
1
objet, précisons tout de même que, fondée surtout sur un ensemble hétéroclite
d'éléments suggestifs psychologiques et linguistiques, toute communication dès
lors qu'elle est écrite se révèle essentiellement à travers certaines classes
d'indices linguistiques telles les embrayeurs ou déictiques, autrement dit des
termes dont le sens, selon Reboul (cf. Langage et idéologie, p.84), dépend du
destinateur et de sa situation, les performatifs et les termes modalisants, ce

- 262 -
dernier groupe étant considére comme une classe de signes précisant nettement
dans quelle mesure le destinateur assume son énoncé. Plus spécialement encore,
cette communication se révéle à travers les indices de personne dont Je e~ Tu
(les indices de base), les divers pronoms que Benveniste nomme" les individus
linguistiques ", les formes temporelles etc.
S'agissant ici de mettre en évidence la communication dans notre tex~e,
f
f
nous nous appuyerons successivement ou de manière synthetique sur ces élements
1
t
brièvement rappelés. Les interlocuteurs étant de fait" les premiers éléments
constitutifs d'un procès d'énonciation" (cf. Ducrot et TOdorov : Dictionnaire
encyclopédique, p.406), nous commencerons par considérer les quelques indices
1
de personne par lesquels ceux-ci s'inscrivent primitivement dans le discours à
analyser.
1
f
5.1.1
Les empreintes :
1
La mise en évidence des em~reintes de la communication littéraire est en
plusieurs cas rendue difficile, surtout si celles-ci sont réduites comme nous
nous proposons de le faire aux seuls indices de personne, par l'existence dans
tout texte d'une manière générale de plusieurs axes de communication d'inégal
intérêt et que l'approche théorique évite de spécifier comme tels, entretenant
ainsi de probables confusions au plan des indices ou des éléments du discours
textuel manifestant ces communications : un axe Auteur/lecteur dans la plupart
des cas externe au texte, un axe Destinateur/Destinataire interne à l'oeuvre,
une/des relations inter-personnages manifestées essentiellement à travers tous
les discours rapportés ,etc, appréhendés à partir des mêmes indices similaires
dont le Je, Tu, Nous, Vous, par exemple. En prenant soin de distinguer ici ces
divers axes et leurs indices correspondants, nous transcrirons comme suit les
indices de personne liés au couple textuel locuteur/allocutaires.
/Première partiel
p.?
1
vous, je, vous
21
1
je
22
p.8
Il
je, vous
p.ll
1
vous
26
p.22
Il
vous
1
vous
6
p.23
1
vous
5

1
1
263 -
p.29
III
tu
1
114
tu
/Deuxième partiel
i
p.95
1
tu
r
21
i
1
tu
22
t
,~
î
p.144
1
nous
!
3
l-
I
p.147
1
vous
6
l,
i
1
vous
~
7
1
r
III
nous
f,'
1
p.149
1
nous, nous
25
1
p.152
1
tu
4
f
1
tu
6
l
1
tu
t,
7
l,
1
tu
9
fl'
/Troisième partiel
!
ii
p.15b
1
vous
~
24
fr
p.174
1
tu
~
9
~
III
tu
F
,.
p.176
116
tu
1
!'
119
tu
l;
~
p.203
1
tu
21
1
1
tu
f
22
f
1
tu
~
25
1
tu
i"
29
1
i
Un regard attentif porté à ce relevé d'indices de personne nous inspire
tl~
deux types de commentaire: un commentaire détaillé, simplement constatif, des
!fi
1
indices et leur distribution par partie du texte et un commentaire général de
'
:::i;::::t~::i::: ::s~::~e:i:::~~:::::t:::e~'::::::~~l:: :::t:eq::o;:~::t~ ::e !
dessinent à travers les diverses parties. Ce dernier type de commentaire clevra - ~
permettre de déduire certaines informations utiles à l'~pprèhension effective
~1
du mode d'inscription des interlocuteurs dans le discours.
j
1:
-\\

t
264 -
f1
1
Dans la première ~artie, on note la présence de douze indices subdivisés
en trois séries d'indices de personne: les indices impliquant directement la
première personne du singulier, c'est-à-dire finalement le locuteur, le Je qui
,
parle, les indices relevant de la deuxième personne du singulier, les indices
t
correspondant à la.deuxième personne du pluriel, ces deux dernières séries, le
f
Tu et le Vous, manifestant pourrait-on dire à ce niveau de notre réflexion le
t
ou les allocutaire(s), ceux à qui le locuteur parle. D'autre part, on constate
t
t
du point de vue de leur fréquence d'apparition dans le texte que les quelques
t
1
~::~:e:r::~è::r::::i~e: :::~: ;:~i::u:e::i::n:::tn~::: :::v~:n:ê:: :~:::~ ~::s ~ 1.
telle distribution montre ici la forte prédominance des indices de la deuxième
[
f
personne du pluriel Vous, et donc une forte implication du/des allocutaire(s)
r
textuels, pUisqu'à trois Je s'opposent sept Vous. Ce déséquilibre qui se situe
f
:: ~:v:::a::i~:O:r::u:::em:~::P::::~::~e:r:::~:e:ee:~::: ::a~::::tp::t;~~e::e 1
!
très faible dissémination et à l'opposé une forte concentration de ces divers
If.•.
indices, surtout dans les deux premières pages (cf. 7 et 8), restent les seuls
f
traits spécifiques de cette répartition. En effet, sur les quatre-vingt pages
f!
à travers lesquelles s'exprime le locuteur, seules six d'entre elles notons-le
t•..•
constituent les lieux de marquage par les indices de personne mentionnés plus
~
haut des interlocuteurs. On remarquera enfin qu'il n'existe au-delà de la p.29
f
aucun indice de personne de l'axe de communication retenu, ce qui ne signifie
1
pas la disparition des interlocuteurs. Le locuteur par exemple demeure présent
~
dans le texte sous d'autres formes d'inscription.
r
Dans la deuxième partie, on remarque également la manifestation de douze
1
1
indices de personne qui se subdivisent aussi en trois séries d'indices! ceux
exprimant la deuxième personne du singulier, ceux manifestant pour la première
1!1
fois la première personne du pluriel, et ceux traduisant la deuxième ~ersonne
J
du pluriel, c'est-à-dire respectivement Tu, Nous, Vous. Nous pouvons constater
~l
très rapidement la disparition dans cette seconde partie du Je de la première
1
l
partie du texte et l'irruption du Nous, forme syncrétique des interlocuteurs a
1
priori en regard. Du ~oint de vue de leur fréquence, les indices des diverses
j
séries mentionnées plus haut apparaissent différemment. Ainsi, peut-on révéler
j,
l'existence de six Tu, quatre Nous et deux Vous. Il ressort donc de tout ceci
Il
l
une évidente prédominance ces indices de la deuxième personne du singulier Tu, .•
t
j
posée ici avec Vous, et sans discernement aucun, comme marque potentielle du/
des allocutaires. A l'opposé, nous constatons la presque totale disparition de
l
Vous, indice pourtant fortement indexé dans la première partie. En tentant de
1
l
saisir ces indices du point de vue de leur distribution à travers le texte (de
i

~ 265 -
l
i
t
la deuxième partie), on demeure frappé par un déséquilibre manifeste: faible
!
l'
1
dissémination de ceux-ci, et conséquemment forte concentration dans les toutes
1
dernières pages de cette seconde partie. Ceci est d'autant plus frappant que,
sur les soixante-dix pages que compte la deuxième partie, cinq pages seulement
1
recueillent les douze indices dont nous nous occupons ici (contre par exemple
1
i
six dans la première partie).
!
,
1
Dans la troisième partie, on observe des manifestations indicielles très
l
l1
particulières. Un nombre assez réduit d'indices de personne (cf. neuf indices
~
contre douze dans chacune des deux premières parties) se répartissent de façon
précise en deux séries : une première, établie sur huit indices impliquant la
deuxième personne du singulier, voisine avec une seconde fondée sur cet unique
indice rendant compte de la deuxième personne du pluriel. De plus, on note la
totale disparition dans cette troisième partie des indices suggérant nettement
les premières personnes du singulier et du pluriel (cf. Je/Nous) apparaissant
respectivement dans la première et deuxième partie du texte. Si on se situe du
point de vue de leur fréquence d'apparition, on constate la predominance tout
à fait manifeste des indices de la seconde personne du s~ngulier, Tu. Du point
de vue de leur distr~bution à travers le texte de la troisième partie, il est
intéressant de noter la !'aible nissemination des indices de personne à travers
le texte et leur relative concentration dans les derniéres pages. Nous avions
precénemment indique que les indices de personne, toutes les series évidemment
confondues, ne se distribuaient que sur six pages pour un espace narratif qui
en compte quatre-vingt, et sur cinq pages pour un espace narratif relativement
important de soixante-dix pages, respectivement en première et seconde partie
du texte global. Dans cette troisiéme partie, seules quatre pages demeurent le
lieu de marquage des interlocuteurs.
Les quelques observations qui précèdent, apparemment sans importance si
le regard qu'on porte sur l'existence, la fréquence et la distribution dans le
texte des indices ne personne échoue au premier degré, n;ont de l'interët que
nans la mesure où elles devoilent de part en part des données similaires et/ou
en rapport logique. Cette similitude et ce rapport logique entre données sont
loin d'être appréhendes ainsi. Ils nécessitent, pour être établis en vue d'une
possible production de quelque signification, un regard synthétique plus ténu
!
que nous assimilerons ici au commentaire genéral.
D'une manière générale, le discours textuel reunit trente-trois indices
1
ne personne qui se repartissent en quatre ser~es : la premiere serie organisée
autour de Je comporte trois éléments, la deuxième série ornonnee autour de Tu
recueille seize éléments, la troisième structurée autour de Nous compte quatre
éléments, la quatrième série construite autour de Vous comporte nix éléments.
1
ti
i

- 266 -
Les manit'estations indicielles a.emontrent d.onc sur le plan discursif' une
exploitation totale mais désequilibrée des indices de personne ren~ant compte
des interlocuteurs. La conséquence pratique d'un tel désequilibre est évidente
ici: faible place accordée à l'interlocuteur impliqué par les indices à taux
de fréquence d'apparition bas, et à l'opposé large place occupée par cet autre
interlocuteur manifesté par les indices à taux de fréquence a.'apparition tres
élévé. Plus explicitement encore, en maintenant provisoirement unis Je et Nous
d'une part, et d'autre part Tu et Vous comme indices respectifs des locuteurs
et allocutaires, nous affirmerons simplement la forte prédominance des indices
a.e personne impliquant l'allocutaire sur ceux manifestant le locuteur. Mieux,
nous dirons a.eJà à ce niveau que la communication ~extueile est centrée sur le
ou les allocutaires. En elt'et, qu'il soit interpelé exclusivement disons sous
l'indice Tu ou l'indice Vous, ou sous les deux indices à la fois l'allocutaire
se trouve toujours au centre des préoccupations évidentes du locuteur.
Si le nombre et la répartition des indices favorisent l'appréhension de
cette caractéristique de l'énonciation qu'est le centrage communicatif sur des
allocutaires, l'opposition jPrésencej vs jAbsencej (dans l'une quelconque des
trois parties du texte)
qui frappe certains indices semble occulter nettement
d'autres caractéristiques de l'énonciation qu'il serait intéressant de voir.
La synthèse des informations précédentes relatives à la présence ou bien
à l'absence de telle ou telle série d'indices de personne manifestée en l'une
quelconque des trois parties du texte entier permet de faire deux observations
de grande importance : la présence discrête de Je uniquement dans la première
f
j
partie du texte, et conséquemment son absence complète dans les deux dernières
d'une pGrt et d'autre part la présence assez importante de Nous exclusivement
1
1
dans la deuxième partie~ et consequemment son effacement absolu de la première
1
et de la troisième partie du texte. On note, subsidiairement, la permanence-à
1
travers le texte de Tu et Vous, cette remarque confirmant on le voit celle que
j
nous avions faite plus haut à propos du centrage de la communication du texte
1
j
sur le ou les allocutaires. Il est à remarquer utilement qu'en dépit certes de
cette permanence affirmée de Tu et de Vous dans tout le texte, le discours va
1
1
d'une pleine affirmation de Vous au début du texte (cf. Vous sept fois indexé)
1
à une presque totale négation de ce même indice à la fin du texte global (cf.
1
1
l'unique Vous indexé). Inversement, il va d'une faible affirmation de Tu, dans
la première partie (cf. Tu deux fois indexé) à une très forte affirmation
de
1
ce mëme indice dans la troisième partie du texte (cf. Tu huit fois indexé), ce
J
1
qui traduit nettement une sorte de tentative de substitution de Vous par Tu a
1
1
priori, et donc un passage progressif de Vous à Tu. Une telle situation mérite
i:
f
un peu plus d'attention.
f1
1
f!1

- 267 -
En admettant que les modifications indicielles fréquentes constatees ici
reflètent d'une manière ou d'une autre un changement des interlocuteurs, nous
pouvons tenter de formuler ce changement comme suit
Je
- - - + N o u s
Vous --------~ Tu
ce qui, formellement, signifierait en clair le passage d'un locuteur unique à
un locuteur pluriel d'une part, et d'autre part le passage, certes progressif,
d'un allocutaire pluriel à un allocutaire unique. Ce faisant il y aurait dans
le texte deux axes de communication que nous schématiserons comme suit en nous
fondant sur les changements supposés d'interlocuteurs
Je
---------~ Vous
Nous -------+ Tu
ce qui, formellement, confèrerait au texte global l'allure d'~n discours d'un
individu à un groupe et qui, chemin faisant, se transforme en un discours d'un
groupe à un individu, tout à fait paradoxalement.
Cette hypothese, si on serre de très près le texte entier, est pourtant
inacceptable car pour que celle-ci se vérifie, il faut que les transformations
" interlocutives " constatées se réalisent (ou soient réalisées) complètement
au moins. Ur, si nous constatons une transformation mani:feste et achevée du Je
locuteur unique en Nous locuteur pluriel - transformation totale que confirme
l'effacement de Je comme indice de personne de la deuxième et troisième partie
r du texte et son remplacement par Nous - nous ne saurions endire autant de la
transformation de Vous allocutaire pluriel en Tu allocutaire unique. ~n effet,
à l'opposé de Je dont nous avons dit qu'il disparaît totalement du texte pour
1
1
faire place à Nous, Vous se maintient dans les trois parties du texte avec une
1
fréquence d'apparition, toutefois, décroissante (cf. sept, deux, et un indice
respectivement dans la première, deuxième et troisième partie). De plus, le Tu
qui est supposé remplacer le Vous demeure présent dans les trois parties avec
1
une caractéristique opposee â. celle de Vous: sa fréquence d'apparition élévée
"'
ou en croissance au fur et à mesure de l'évolution du texte (cf. deux, six et
huit indices, respectivement dans la première, deuxième et troisième partie du
texte). Cette situation des fréquences d'apparition divergentes de Vous et Tu
1
dont nous venons de rendre compte incite â. croire qu'il y a, formellement tout
au moins, changement de l'allocutaire. Cependant, la permanence du Vous et du
1
j
l
Tu incline à penser que cette trans!"ormation de l'allocutaire pluriel pr~mitif
j
Vous en allocutaire unique 'l'u reste inachevée et impar!ai te.
1
j
Un tel constat limite, on le voit, la prem~ère hypothèse concernant très
1
précisément la double communication avancée plus haut et démontre qu'il n'y a
1
i;l

1
- 268 -
1
l
pas une dichotomie systématique entre la communication Qe Je à Vous et de Nous
1
à Tu. En réalité, par rapport aux informations ci-Qessus et au regarQ du seul
1
mode d'inscription des indices de personne, le texte global génère dirons-nous
i
une communication complexe de type :
l1i
Je
--------. Nous
!
,i
l
1
1

,
Vous - - - - - - - .
Tu
(On notera bien volontiers que dans ce schéma complexe, les traits discontinus
principalement horizontaux correspondent aux transformations "interlocutives"
alors que les traits pleins se rapportent aux axes de communications possibles
du texte entier).
Ce schéma complexe démontre une chose: qu'il y ait ici transformations
ou non du locuteur unique Je en un locuteur pluriel Vous, la communication est
toujours instituée apparemment entre le locuteur et un Vous d'abord fortement
indexé puis faiblement présent d'une part, et entre ce même locuteur et un Tu,
au départ faiblement indexé puis fortement marqué d'àutre part. Autrement dit
le mode d'organisation des indices de personne semble suggérer très clairement
une communication entre Je et Vous/Tu, laquelle se transforme progressivement
en une communication entre Nous et Vous/Tu.
Dans les deux cas on le voit, il y a une co-présence visible de Vous et
Tu à qui une parole est adressée. Cette situation para.doxale pose en elle-même
déjà un certain nombre de problèmes dont celui de l'impossibilité (théorique)
d'avoir sur le même axe de communication un Je ou un Nous parlant à un Vous et
à un Tu à la fois, impossibilité théorique violée par le système communicatif
textuel. La résolution de ces problèmes passe par une véritable élucidation de
ces questions : les transformations "interlocutives" constatées sont-elles au
moins effectives? Les indices couplés Je/Nous, Tu/Vous renvoient-ils vraiment
aux mêmes locuteur et allocutaire? Y a-t-il une diversité de communication à
travers le texte? Plus explicitement encore, la communication textuelle d'une
manière générale est-elle un dialogue, un monologue, un savant mélange de ces
deux formes énonciatives? C'est ce qu'en essayant de dépasser l'aspect formel
strict du discours proprement dit, nous nous proposons ici de voir.
f
5.1.2 : Dialogue ou monologue?
f
Dialogue ou monologue? La question ne semble guère aisée à résoudre, au
1
regard de ce qui précède. Nous tenterons néanmoins d'y parvenir en commençant
par définir pour nous-mêmes un cadre théorique de distinction de ces formes de
1
l
1
!
1

1
- 269
1
communication fondé sur deux points au moins : les indices formels propres en
j
tout cas aux interlocuteurs réellement en rapport d'une part, et d'autre part,
les données spatiales et temporelles ou plus exactement le cadre temporel et
1
spatial possible occupé par les possibles interlocuteurs. Ces critères restent
1
largement ouverts. Autrement dit, ils ne sont pas limitatifs.
l
1
Si nous nous référons à Benveniste quia posé et essayé de résoudre les
problèmes de la communication par le biais des formes linguistiques primitives
c'est-à-dire l'ensemble des indices de base déjà évoqués (cf. supra) il n'est
pas facile d'opérer une distinction systématique entre Dialogue et Monologue a
priori, ces deux formes de communication étant fondées sur les mêmes indices.
Dans un dialogue autant que dans un monologue, un Je locuteur communique avec
un Tu allocutaire, et inversement. Cependant le dialogue dispose selon nous de
moyens formels d'existence et de manifestation que ne peut avoir le monologue
en quelque manière, serons-nous tentés de dire.
Partons d'un constat: le dialogue définit entre les interlocuteurs qui
le manifestent une relation réciproque impliquant un échange de sentiments, de
mots ou de paroles. Le discours est proféré par un individu (cf. le locuteur)
et adressé à un autre individu (cf. l'allocutaire), les deux individus restant
physiquement et structurellement distincts (on notera ici, s'agissant surtout
des chiffres avancés, que le nombre des interlocuteurs n'est pas normatif. Dès
lors, en négligeant volontairement les cas possibles de multiplication de ces
interlocuteurs, il s'agit pour nous de nous intéresser à un dialogue réduit ou
minimal). Le monologue définit, quant à lui, une relation réflexive entre les
supposés interlocuteurs, ceux-ci se résorbant uniment en un individu unique et
indivisible. Dans ce cas, le discours est produit par un individu particulier
souvent en situation conflictuelle avec une réalité externe, et adressé sur le
champ au même individu. Autrement dit, le dialogue s'instaure suivant les cas
entre deux ou plusieurs personnes différentes, l'une ou l'autre accomplissant,
en toute connaissance de cause, le rôle de destinateur ou de destinataire du
message. Le monologue, lui, s'institue toujours et uniquement disons entre une
personne qui se dédouble à tout instant pour mieux jouer les deux rôles qu'il
doit pouvoir assumer sans partage.
Un tel constat inspire une réflexion essenti~lle sur les manifestations
indicielles: dans un dialogue, un Je (locuteur unique) s'adresse on le sait à
un Tu (allocutaire unique). Ceci concerne le plan d'un dialogue restreint car
ce dernier peut aller loin tout en mettant en jeu un Nous (locuteur pluriel ou
multiple) en rapport avec un Vous (allocutaire pluriel ou multiple). A partir
de ces deux cas de mise en relation, on peut développer diverses situations de
rapport: Je à Vous, Je à Nous, Nous à Tu par exemple. Dans un monologue il y

- 270 -
1
a toujours et seulement un Je (locuteur unique) qui s'adresse à un Tu (supposé
allocutaire unique spécifique, mais en fait physiquement égal au dit locuteur
unique). De part l'unicité de l'individu à la fois parlant et repondant toutes
les relations constatées au niveau du dialogue sont ici exclues.
Le cadre spatio-temporel occupé par les interlocuteurs au moment où ces
derniers émettent leur message est plus complexe à préciser au plan théorique,
les situations d'énonciation étant infinies. Nous nous intéresserons donc ici
à des cas théoriques possibles décelables à travers le discou~s : le cas d'une
absence totale des interlocuteurs en un même temps et en un même lieu (ce cas
résulterait par exemple d'une communication par télépathie, par échanges et/ou
messages épistolaires, par télécommunications etc), le cas d'une présence des
interlocuteurs en un même temps et en un même lieu. On distinguera précisément
dans ce dernier cas une présence large d'une presence restreinte, la première
relevant du cadre nécessaire à la manifestation du dialogue et la seconde à la
manifestation du monologue. En effet, si le dialogue peut se satisfaire d'une
présence ou d'une absence d'un des interlocuteurs dans la situation d'émission
et de reception du message, le monologue ne saurait autoriser ces séparations
d'interlocuteurs dont il ne survivrait pas en tant que phénomène communicatif.
Il résulte de ce second constat une infinité de cas ou de situations où
une communication pourra être dialogue ou monologue. De ces divers cas et donc
de ces situations possibles, nous donnons comme suit un aperçu non limitatif.
Tout éloignement physique des interlocuteurs ne suffisant guère, on le sait, à
poser l'existence d'un dialogue ou d;un monologue, cette opération exige pour
être au moins acceptable la prise en considération véritable d'autres eléments
de définition dont par exemple le contenu des messages véhiculés. Nous dirons
1
sans nous préoccuper de ce dernier aspect que
1
1
toute communication entre deux interlocuteurs prenant place en un
!
même temps et en un même lieu est un dialogue,
t
toute communication entre deux interlocuteurs prenant place en un
!
même temps mais en différents lieux est un dialogue,
1
f,,
toute communication entre deux interlocuteurs prenant place en un
même lieu mais en différents moments n'est ni un dialogue ni un
monologue mais une information morte (" information morte Il en un
certain sens suppose une communication émise dans l'espoir d'une
réponse, mais qui ne provoque dans l'immédiat aucune réaction),
toute communication entre deux interlocuteurs prenant place en un
complexe de temps et de lieux distincts n'est ni un dialogue ni
un monologue mais une information morte,

i1
- 271 -
- toute communication entre deux interlocuteurs prenant place en un
i
même temps et en un même lieu où il n'existerait matériellement
r
qu'un seul individu physique est un monologue,
î
f,
etc.
Tous ces éléments ~ét"inissant notre canre théorique relèvent pourrait-on
1
dire de l'èvinence. Leur expression ici n'en est pas moins utile. ~lle permet
r
en tout cas de mieux cerner la réalité obJective à décrire en nous t"ournissant
d'ores et déjà une base de réflexion solide.
1
~[
Après avoir tracé le cadre théorique de notre réflexion, revenons assez
1
vite à notre texte pour voir dans quelle mesure les données énonciatives et/ou
f
discursives se rapprochent ou non des données théoriques, et ce que peut nous
offrir leur organisation sur le plan interprêtatif. Nous commencerons dès lors
tf,
par (re)considérer les indices de personne déjà étudiés, non plus du point de
,
vue de leur manifestation/distribution générale à travers le discours comme il
a été question précédemment mais du point de vue de leur existence spécifique
!
et comme indices définissant par le type de rapport qu'ils manifestent un mode
t
de communication.
[
Un retour sur le relevé des indices de personne établi très précisément
au début de ce chapitre nous permet de faire quelques observations importantes
et d'une tout autre nature. En effet, on note aux p.7 et p.e
une co-présence
de Je et Vous, manifestement mis en rapport. Aux p.ll, 22 et 23, on observe la
présence individuelle de Vous, indice isolé et sans rapport apparent avec des
indices de personne quelqu'ils soient. Cette situation d'apparition spécifique
et individuelle est également observable ici à propos de Tu aux p.29 et p.95,
de Nous à la p.144, de Vous (à nouveau) à la p.147, de Nous (à nouveau) aux p.
147 et 149, de Tu (à nouveau) à la p.152, de Vous (encore) à la p.158, de Tu
(encore et enfin) aux p.174, 176 et 203. Autrement dit, si on considére tout à
1
fait localement les indices de personne du point de vue exact de leur rapport
effectif, c'est-à-dire en tant qU'élements manifestant en fait l'un ou l'autre
des interlocuteurs, on constate que mise à part la première communication que
nous qualifierons de locale (cf. p.7 et p.8), les autres communications ou les
autres situations locales de communication qui suivent ne sont saisissables à
travers le discours qu'à partir des indices de personne évoquant explicitement
un seul des interlocuteurs. En remplaçant par la lettre x
les interlocuteurs
non suggérés par les indices de personne dans les situations de communications
examinées, nous formaliserons ce qui précède comme suit:
1
1
1
1

- 273 -
3 -
Nous -----~ x
4 -
x
-----+ Nous
Si nous tentons de déterminer objectivement, non pas les indices précis
sous-entendus dans ces cas de communications locales par le discours, mais les
indices de personne susceptibles logiquement de se substituer à tout moment à
x, nous nous apercevons qU'en 1 x peut être remplacer par Je ou Nous, en 2 par
Je ou-Nous, en 3 par 1u ou Vous, et en 4 par 1u ou Vous. Soit formellement
1
x
Je, Nous -----~ Vous
2 -
x
Je, Nous -----+ Tu
3
Nous ----~ x : Tu, Vous
.
4
x
Tu, Vous ----. Nous
Ainsi réorganisées, ces micro-communications ou communications locales a
priori offrent indiv~duel1ement l'allure diun dialogue, dans la mesure où les
postes des ~nterlocuteurs admettent une ou p1us~eurs substitutions, et que ces
multiples poss~b~lités de substitu~ion engendrant plus d'une relation (cf. Je
et Tu, Je et Vous, Nous et Vous par exemple) restent comme nous l'avons montré
plus haut une des caracteristiques innicie1les possibles de tout dialogue. Il
est donc impossible de découvrir à travers ces communications rien d'autre que
des dialogues.
Considérons le cadre spatio-temporel occupé par les interlocuteurs lors
de l'émission de leur message. Notons que la définition précise de ce cadre en
vue de son exploitation à la détermination exacte des types de communications
textuelles exige un préalable auquel nous accorderons ici très peu de places :
l'identification partielle (ou totale en d'~utres cas) des interlocuteurs sur
laquelle nous reviendrons plus amplement.
Nous avons émis précédemment, et au regard des changements d'indices de
personne constatés tout au long du texte, l'hypot~èse que ce dernier prenait à
la faveur de la configuration indicielle l'allure d'un discours d'un individu
à un groupe et qui, chemin faisant, se transforme en un discours d'un groupe à
un individu. Nous schématisions cet état de fait ainsi
Je
---------~ Vous
Nous -----~ Tu
Nous savons par le texte que Je et Vous sont respectivement les indices
du locuteur et de l'allocutaire de base de l'énonciation textuelle. Partant de
ceci, nous affirmerons que Nous est la forme syncrétique de Je et Vous, d'une

1
- 274 -
1
manière absolue. S'agissant de Tu, la situation est très légèrement différente
t
de celle des deux indices précédents. Le contexte le pose ici comme substitut
1
du personnage princ~pal Fama. Ainsi, pouvons-nous lire à travers le discours:
t
" Fama, ne te voyais-tu pas en train de pêcher ••• "
(p.29)
" Fama, tu as beau être le dernier des Doumbouya, le maître
1
!
l
de tout le Horodougou, tu ne valais que le petit-fils de
J
Balla"
(p.152)
1
1
Pour revenir au cadre spatio-temporel qu'occupent les interlocuteurs de
la macro-communication textuelle, connaissant plus ou moins bien les référents
des indices de personne manipulés, disons que nous recourrons par nécessité à
des éléments ou résultats déjà acquis. Dans cette perspective nous rappelerons
~
comme suit l'axe spatio-temporel du récit, tel que nous l'avons conçu dans le
i
1
,
l
r
chapitre quatrième (cf. § 4. 2 .1)
~
i
t
1
2
3
t
1
o --------------+-----+------------------------------+------~x
!
a b c
-01
1
t
(les chiffres 1, 2 et 3 représentent les événements ou les actions décrits, et
1
pris en exemple. Il s'agit de la mort de Koné Ibrahima (1), du déplacement de
1
1
t
l
<
Fama de la ville blanche au quartier nègre (2) et de l'accomplissement m~me de
l'acte narratif du narrateur (3). Les lettres a, b et c se rapportent en fait
aux divers moments où les événements et actions indexés ici se sont produit).
De cet axe temporel du récit, nous avons pu tirer certaines conclusions
partielles dont la plus utile à la réflexion que nous avons amorcée ici est la
suivante: les actions et les événements décrits rentrant en contact effectif
avec le présent du personnage Fama, le narrateur textuel - et conséquemment le
narrataire - se situe dans le futur. Nous pouvons inverser la proposition, et
dire que par rapport ~u moment actuel où le locuteur s'adresse à l'allocutaire
textuel, Fama et tous les événements que ce dernier a vécus se situent à tout
jamais dans le passé.
L!exploitation d'un tel constat à des fins pratiques de réflexion reste
ici très bénéfique. En effet, dire que les interlocuteurs se situent nettement
dans le futur ou que Fama et les événements sont situés dans le passé les uns
par rapport aux autres, c'est affirmer indirectement la disjonction temporelle
et spatiale qui les frappent, à jamais. Ceci a une retombée imméd.iate au plan
de la communication textuelle
si Fama et les événements n'entretiennent à la
limite aucune relation de proximité physique et temporelle avec un quelconque
interlocuteur, nous en déd.uisons qu'il existe bel et bien une communication <:Je

1
l
- 275 -
i1~
fait entre Je et Vous, mais non entre Je et Tu ou entre Nous et Tu. Une telle
!
situation isole nécessairement Tu et le pose comme indice de personne relevant
i
t
d'une autre communication.
1
Tout ce qui précède autorise à corriger très légèrement quelques unes de
nos hypothèses et à affirmer qu'il y a au niveau de l'ensemble du texte, deux
Ji
communications dont l'une est figurée par trois séries d'indices (cf. Je, Nous
1
et Vous) et l'autre par une seule série (cf. Tu). A la suite de ce constat et
f
par rapport aux diverses formes de communications définies en fonction du seul
l1,
critère spatio-temporel, nous pouvons affirmer que la communication supportée
-,i
par les trois séries d'indices de personne est un dialogue évident entre Je et
!
Vous, deux interlocuteurs dont la situation respective coincide sur notre axe
temporel au (et/ou avec le) repère c. Quant à la communication soutenue par la
1
t
seule série d'indices, elle ne peut avoir une détermination aussi precise. Si
,1
~
en effet, le critère spatio-temporel a permis d'isoler Tu pour le cerner comme
i
;
indice d'une autre communication, il reste impuissant à dire la forme précise
de cette communication, dans le cadre général de ces deux communications. Nous
allons donc revenir à un cadre spatio-temporel restreint qui concernera cette
fois la communication définie par Tu, uniquement.
Lorsque nous nous situons au niveau très restreint du cadre spatial mais
aussi temporel de la seconde communication, nous constatons deux données fort
essentielles : au plan formel, la présence constamment affirmée du seul indice
de personne Tu, indice singulier requis- tout seul ici à la manit'estation tres
precise de la communication indexée et, au plan objectif " 1'ictivement réel ",
l'absence quasi totale de toute relation ae communication effective, tangible
entre Fama le rêlèrent objectiÏ de 1~ et les personnes qui l'entourent, au cas
où elles existent.
Autrement dit, autant par l'allure de son schéma (cf. vecteur orienté du
t
locuteur à l'allocutaire) qui sout'fre d'un démembrement dommageable ou mieux,
!
ae l'amputation au locuteur (nous savons que quelqu'un s'adresse à Fama indexé
par Tu, sans jamais pouvoir dire sur la base d'indice ae personne et de façon
1
,
objective qui parle) que par son environnement immédiat, la communication très
particulière que nous considérons ici nous impose un unique interlocuteur qui
1
i
n'est rien d'autre que l'allocutaire. Or précisément, le fait qu'il n'existe a
1
priori qu'un seul individu physique en un même temps 'et en un même lieu où se
1
produit apparemment une communication convertissait cette derniere, de manière
f
hypothétique, en un monologue. Nous pouvons donc affirmer très clairement sur
l
la base du critère spatio-temporel que la communication aans laquelle b'ama est
implique est un monologue.
f
1
1
l!
1

1
- 276 -
1
Ainsi, en prenant appui sur les indices de personne disséminés a travers
le texte et sur le cadre spatio-temporel requis par chaque communication dite
!1
locale ou micro-communication, nous dirons très clairement que notre texte est
1
le lieu d'une communication - disons d'un dialogue - entre un locuteur figuré
1
par Je et un/des allocutaires ~anifestés par Vous, et d'un monologue renouvelé
sans cesse que soutient le personnage principal dU recit ~·ama.
!j
D'un tel constat, nous pouvons tirer quelques observations intéressantes
t
et essentielles. La presence simultanée dans notre texte global des formes de
1
l
~
communication constatées confere à l'ensemble du discours textuel un caractère
hétérogène, du point de vue des sources d'énonciation. Dans le discours cible
1
~
(le discours soumis à l'analyse jusqu'ici) coexistent en effet, si on s'appuie
1
1
sur ce qui précède, deux sources ou deux sujets ou mieux encore ici deux voix
i
1
d'énonciation: celle d'un locuteur représenté dans tout le texte et cependant
1
1

1
absent du récit dont il rend compte d'une part, et d'autre part celle de Fama
~1
J
le locuteur-personnage à voix surtout intérieure et pleinement représenté dans
i
le discours et dans le récit.
(
La deuxième voix, celle du locuteur-personnage Fama, emprunte ici à vrai
1
1
,1
dire deux moyens dans sa tentative de mise en forme. Il s'agit de l'intrusion
!
1
que consacre le monologue d'une part, et d'autre part du droit à l'énonciation
[
reconnu dont les formes de manifestation n'ont pu se dévoiler à l'analyse des
indices de personne mais sur lesquelles nous reviendrons
1
à l'instant. Revenant
r
D
à l'intrusion, nous ferons observer que le locuteur-personnage Fama dont nous
f
avons montré le mode d'énonciation favori (cf. monologue) n'attend pas du tout
~
que le locuteur textuel primitif lui cède religieusement ou très concrêtement
1
l
la parole. Il la prend, affirmant ainsi son autorité sur ce dernier mais aussi
r
sa compétence énonciative. Il s'insinue dans le discours premier et finit par
1
en briser la parfaite homogénéité, la totale harmonie des éléments ou segments .1
qui le composent. Avec le monologue, s'instaure entre le locuteur textuel dit
1
i
primitif et le locuteur-personnage Fama une certaine rivalité sourde mais tout
f
à fait réelle. A côté de l'intrusion qui manifeste le caractère insidueux, et
~
pour tout dire autoritaire de ce type d'énonciation qu'est le monologue il y a
aussi le droit à l'énonciation, lequel certifie l'existence d'une relation de
coopération (à l'expression organisée du discours) entre le personnage Fama et
1
le locuteur textuel primitif. Ce dernier est ou devient alors un organisateur
du discours, dèlégant au besoin la parole ènonciative à Fama, et la retirant à
volonté. ilès lors, il recouvre sa relative primauté moyennant une fidélité en
la transcription des paroles-de Fama que révèlent les nombreux discours direct
f
i
et indirect.
1
1
1
1

1
- 277 -
J
r
Autorité pour l'une, primauté pour l'autre suivant les perspectives, les
deux voix - on le constate - rentrent dans un rapport hiérarchique inévitable
et peut-être nécessaire. ~'ormellement, le locuteur textuel primitif s'impose à
nous comme le sujet premier de toute communication du texte dans la mesure où
son discours est le lieu et l'occasion de la manifestation du monologue que le
personnage Fama soutient. Objectivement cependant, on ne peut s'accorder avec
une telle position. En effet, la situation spatiale et temporell~ occupées par
les sujets d'énonciation du dialogue et du monologue impose une hiérarchie et
détermine naturellement, pour ne pas dire logiquement, la place et le poste de
chacun des deux sujets d'énonciation. Dans la mesure ou le récit entier reste
antérieur à l'instance d'énonciation du locuteur textuel primitif, nous sommes
tenus de considérer le sujet du monologue comme sujet premier, et le sujet du
dialogue comme sujet second dans la hiérarchie des formes de communic~tion que
nous avons mises en évidence.
Ce facteur hiérarchique existant entre le locuteur textuel dit primitif
et le locuteur-personnage Fama, respectivement sujet second et sujet premier à
la faveur de leur situation temporelle surtout, confère au système spécifique
d'énonciation textuelle une valeur dont il serait tout à fait intéressant d'en
préciser très brièvement les contours.
Nous venons de montrer à l'instant que le discours du locuteur primitif
est ultérieur au récit qui recueille objectivement l'énonciation du personnage
~'ama. De ce point de vue donc les segments discursifs ou les discours propres
au locuteur--personnage li'ama sont des d~scours rapportés par le locuteur second
c'est-à-dire le locuteur textuel primitif. Ces discours rapportés se refèrent
d'une manière générale à l'histoire de la dynastie sur laquelle se fondent les
réflexions du locuteur-personnage Fama, et plus particulièrement encore à des
aspects de la vie sociale, politique e~c de Fama liés à cette histoire commune
de la dynastie. Nous savons, à la suite au chapitre premier notamment, que le
discours du locuteur textuel primitif (que nous dénommerons aiscours citant au
regara du/aes discours cités ou rapportés) traite implicitement ae l'histoire
de la dynastie des Doumbouya, et de manière explicite de l'histoire soci~le et
politique du personnage li'ama. Comme on le voit, les discours cites de li'ama et
le discours citant au locuteur textuel primitif traduisent finalement une même
réali té.
Partant de ces precisions, nous pouvons poser ceci: si le discours cité
et le discours citant traduisent plus ou moins les mêmes réalités d'une part,
et si d'autre part l'énonciation ~u locuteur-personnage Fama est objectivement
antérieure à l'énonciation du locuteur textuel primitif, alors indéniablement
le discours citant appar~it comme un canal et le locuteur textuel une sorte de
1
~

- 278 -
porte-voix. De manière plus explicite encore, nous dirons que le locuteur ici
se fait fondamentalement l'écho tout à fait fidèle du personnaRe Fama.
La situation complexe du système d'énonciation combinant ostensiblement
deux sources d'énonciation, celle d'un interlocuteur
le locuteur du èiscours
textuel en l'occurrence - et celle d'un personnage qui est Fama le descendant
des Doumbouya, nous a plus ou moins contraint à nous intéresser de plus près à
la relation entre les deux formes d'énonciation constatées ou considérée, une
relation subtile et à tout le moins intéressante. Celle-ci ayant été toutefois
clarifiée, il convient dès à présent de revenir à l'énonciation/communication
du discours proprement dite pour tenter de voir le type de rapports précis que
le locuteur textuel primitif entretient avec le/les allocutaires, et avec son
propre discours. En somme, il s'agit de répondre à cette question importante à
savoir: quelle est fondamentalement l'attitude du locuteur textuel à la fois
vis-à-vis de son ou ses interlocuteurs effectifs et vis-à-vis naturellement de
son énoncé propre ?
5.1.3 : Une tension manifeste:
Nous préciserons d'emblée pour notre démarche que les deux attitudes ici
envisagées ne sont pas systématiquement dichotomiques. Perçues d'une certaine
manière, elles entretiennent même un rapport logique. C'est, en effet, suivant
ses visées personnelles et immédiates réductibles a priori à la communication
d'un savoir à l'allocutaire que le locuteur organise son discours, et c'est de
la façon dont il considère son propre discours qu'il peut prétendre ou non en
faire usage devant l'allocutaire.
C'est donc par rapport à cette relation logique entre les deux attitudes
du locuteur - relation logique fortement marqu~e à travers notre texte, comme
nous le verrons - que sera menée la présente analyse. L'attitude éventuelle du
locuteur face à l'allocutaire. justifümt implicitement celle face au d.iscours
(tout au moins en ce qui concerne notre texte), nous commencerons ici par voir
en quoi celle-ci consiste.
Considérons ces segments du discours :
" Dites-moi, en bon Malinké que pouvait-il chercher encore? "
(p.13)
" Le commandant préféra, vous savez qui ? Le cousin Lê.cina ... "
(p.22)
- " Savez-vous ce qui él,dvint ? Les Indépendances et le parti
unique ont destitué, honni et réduit le cousin •.. "
(p. 22)"
.
1
t

- 279 -
" Le parti unique, le savez-vous 1 ressemble à une société
de sorcières ••• "
(p.23)
- " Avez-vous bien entendu 1 Fama étranger sur cette terre
du Horodougou ! " (p.104)
- " ~1ais le sang, vous ne le savez pas parce que vous n'êtes
pas ~1alinké"
(p.147)
-
Il
Maintenant, dites-le moi
Le voyage de Fama••• " (p.15l)
Représentatifs en un certain sens du mode d'inscription du locuteur dans
le texte, ces segments discursifs inspirent au regard quelques considérations
sur l'attitude que celui-ci trahit devant le ou les allocutaires, attitude que
nous allons tenter de préciser à partir d'une analyse des segments discursifs
du point de vue des temps, des modes, ét surtou.t des verbes qui manifestent la
présence effective dudit locuteur dans le texte.
On notera ici avec raison que quoique l'ensemble des segments discursifs
énoncés soient une production du locuteur, les principales locutions verbales
par lesquelles ce dernier s'énonce évidemment se ramènent, s'agissant de notre
relevé succinct, à de brèves locutions comme /dites-moi/, /vous savez qui 1/,
/savez-vou.s 1/, Ile savez-vous ?/, lavez-vous bien entendu ?/, /dites-le moi/,
et /vous ne le savez pas/. Ces locutions verbales considérées, envisagées par
ailleurs dans une perspective strictement grammaticale, manifestent un certain
nombre de caractéristiques qui projettent l'attitude du locuteur primitif, et
qui paraissent de fait intéressant à dévoiler.
1
Du point de vue des temps grammaticaux, les syntagmes verbaux révélant a
1
priori l'attitude du locuteur face à/aux allocutaires sont en tous les cas au
présent. Ces mêmes locutions verbales se distribuent du point de vue des mod.es
J
sur l'indicatif et li impératif. Autrement dit, le locuteur s'affirme d2ns son
j
.~
discours face à/&uX allocutaires principalement au prpsent de l'indicatif tout
1
v
autant que, disons, au prpsent de l'impératif. Ces caract 6 ristiques ob~ervées
ici, extensibles à l'ensemble des locutions verbales textuelles manit'estant de
manière évidente les empreintes de l'attitude du locuteur, appellent quelques
précisions supplémentaires, notamment sur la valeur des temps.
Les deux présents énoncés, quoique traduisant généralement l'immédiateté
de l'instant d'énonciation du locuteur, acquièrent généralement et/ou suivant
les contextes où ils apparaissent des valeurs ~ndividuelles. Ainsi, et si nous
posons avec Imbs que "l'ornre est toujours donné par le sujet parlant dans le
present absolu" (cf. L'emploi des temps verbaux en français moderne, Troi~ième
section, p.14~), nous dirons que le present de l' ~mpérati!' qui frappe ici par
exemple la locution verbale jdites-moi/ tra.duit l'aspect morr.entané et accompli

- 280 -
de l'ordre donné à/aux allocutaires par le locuteur. Au regard précisément de
l'allocutaire, cet état d'accomplissement total precipite le temps d;exécution
de l'ordre du locuteur. Lorsque nous observons le present de l'indicatif, par
exemple dans le cas de la locution verbale /vous ne le savez pas/, nous notons
nécessairement une différence de valeur avec le présent de l'impératif. Alors
que celui-ci marque, comme nous l'avons vu, un présent momentané immédiatement
achevé, celui-là marque quant à lui un présent non momentané gui affirme dans
sa durée et dans sa permanence un état définitif. Telles sont, très brièvement
rappelées, les valeurs des temps observés, valeurs qui introduisent nettement
une opposition d'aspects /Perfectif/ vs jlmperfectif/ entre les divers énoncés
du locuteur textuel.
Du point de vue de leur structure enfin, les locutions verbales enoncées
- et au-uelà, les énoncés produits par le locuteur et orientés logiquement et
naturellement vers le/les allocutaires - sont ou impératives (cf. /dites-moi/,
/dites-le moi/) ou interrogatives (cf. /vous savez qui ?/, /le savez-vous ?/)
1
ou néc1aratives (cf. /vous ne le savez pas/Jo Il convient de remarquer que les
j
locutions verbales de structure interrogative restent les plus abondamment et
j
l
les plus fréquemment utilisées par le locuteur primitif. Quoiqu'il en soit, et
l
si nous estimons, formellement, avec fiIaingueneau que lien français tout énoncé
suppose le choix obligatoire d'un cadre enonciatif selon lequel la phrase sera
1
de structure soit dec1arative, soit impérative, soit interrogative" (cf. p.40
in Approche de l'énonciation en linguistique francaise), nous affirmerons tout
simplement que le locuteur use de tous les types de structure de phrase.
1
En prenant appui sur ces précisions succinctes sur les évidentes données
1
grammaticales mises à nu à partir de l'observation des locutions verbales par
j
lesquelles le locuteur textuel primitif s'énonce et dévoile nonc son rapport à
1
l'allocutaire, nous affirmerons a.es à présent que la relation instituée entre
les interlocuteurs textuels se fonde essentiellement, ou fondamentalement, sur
une série de contraintes ~mmeuiates tout autant que a.'assertions néterminèes,
absolues et né!ïnitives, de a.outes de la part du locuteur. Ces aft'irmations et
consia.érations, trop génerales du reste, imposent que nous soyons explicites.
Nous sommes parvenus par rea.uction progressive nes séquences discursives
precéa.emment enoncees a des locutions verbales relatives telles
Idites-moij,
jsavez-vous ?/, Ile savez-vous ?j, lavez-vous bien entennu ?/, /n~"es-1e moi/,
/vous savez qui ?/ et jvous ne le savez pas/. Ces locutions veroa1es diverses
nous fournissent au moins trois formes verbales fortement expressives de toute
l'attitude du locuteur textuel face à l'allocutaire. Il s'agit de /dites-le/, .
/savez-vous ?/, et /vous ne le savez pas/, formes verbales qui certifient très

1
- 281 -
,
~1
1
,
bien les structures de phrase impérative, interrogative et déclarative que le
1
t
locuteur emploie à travers son discours. Ces locutions qui restent tout à fait
1
1
l
!
analysables de maniere synthétique pour plusieurs raisons, et surtout à cause
t
1
d'une certaine logique sémantique et grammaticale qui semble ici les organiser
!
1
plus ou moins fondamentalement ouvrent des perspectives d'approche sans doute
l
,1'1i
plus vastes et plus explicites du comportement du locuteur.
Les trois formes verbales considérées en effet, envisagées ici notamment
l,
d'un point de vue sémantique, se posent comme la vive expression én structure
de surface de deux verbes essentiels - parce que structurant très profondément
1
1
1
le/les rapports locuteur/allocutaire au niveau du texte comme nous le verrons
t
1
ci-dessous -, deux verbes qui sont /dire/ et /savoir/, situés naturellement en
f
(
1
structure profonde. Ces deux verbes /dire/ et /savoir/, dans la mesure où ils
t
tl
signifient respect1vement exprimer un/des objets de connaissance par la parole
1
,,
et avoir présent à l'esprit tout un ensemble d'objets de connaissance exacte,
,~
l
suggèrent notamment l'idée d.e connaissance et/ou de savoir ou, de manière plus
1
pompeuse, de science. Cette notion de science nous impose de dire à ce niveau
que le locuteur entretient avec l'allocutaire un rapport régi et/ou dominé par
des préocupations intellectuelles.
Ce constat sur lequel nous fait déboucher l'analyse rapide des quelques
locutions verbales par lesquelles le locuteur trahit le plus son attitude face
à/aux allocutaires explicite les observations faites à partir du point de vue
l
proprement grammatical. Ainsi, dirons-nous, les contraintes immédiates dictées
t
ou imposées à l'allocutaire par le locuteur et les assertions absolues émises
par ce dernier visent-elles les aptitudes intellectuelles du/des allocutaires,
1
individus fortement écrasés par l'autorité du locuteur. La question veritable
1
reste alors de savoir en quoi consiste cette attitude du locuteur vis-à-vis de
,j,
son interlocuteur principal, précisément.
S
En partant du fait que les contraintes imposées à/aux allocutaires, les
doutes et les assertions absolues du locuteur concernent notamment ce que nous
avons nomme la science de l'allocutaire, nous sommes fondés à envisager alors
les trois locutions /dites-le/, Ile savez-vous ?/ et /vous ne le savez pas/ au
moins comme l'expression synthétique du comportement discursif fondamental du
1
locuteur textuel primitif. Ce comportement discursif nettement orienté vers le
tf
ou les allocutaires, nous le traduirons par cette triade de syntagmes verbaux
1
ci-dessus mentionnés, et logiquement structures comme suit:
1
r
t
i
Ile savez-vous ?/ -----. /dites-le/ ----~ /vous ne le savez pas/
1
1
.j
t!
J
-~
~
f-
;
~
~
1
,
i
1
1
1
1

- 282 -
Cette triade de locutions verbales, forme syncrétique et/ou synthétique
arbitrairement constituée-et neanmoins très express~ve de la relative tactique
discurs~ve adoptée par le locuteur devant le/les allocutaires, dans la mesure
où elle concentre ou manifeste les données grammaticales signifiantes (cf. les
1
temps et modes précédemment interprêtés) ainsi que les données sémantiques ou
encore les aspects sémantiques des verbes pris en exemple (cf. dire et savoir)
1
et surtout dans la mesure où elle organise tout ceci d'une manière cohérente,
1
ouvre des perspectives d'approche plus profondes, et plus ténues de l'attitude
du locuteur face à/aux allocutaires.
En effet, si nous partons de la triade de locutions verbales logiquement
1
1
structurée, nous constatons d'une manière générale que le locuteur textuel en
J
!
son comportement discursif fondamental devant le/les allocutaires procède dans
tous les cas en trois étapes : il interroge, ordonne et juge. (On notera très
1
volontiers que cette structure de base du comportement du locuteur textuel que
nous exploitons ici ne se manifeste pas toujours entièrement. Bien plus, elle
est pratiquement défective dans toutes les situations locales de communication
1j
locuteur/allocutaire dans notre texte).
1
1
Le locuteur interroge sur le savoir de/des allocutaires, un savoir très
i
ouvert en apparence puisqu;il est censé se rapporter aux domaines linguistique
(cf. p.15b), culturel (cf. p.22 et 23), sociologique (cf. p.13 et 147) etc. A
1
ces innombrables interrogations, nous ne percevons nullement au plan discursif
1
les réactions du/des allocutaires textuels. Ces derniers se déroberaient-ils,
J
comme cela semble le cas ? Tentent-ils de contester au demeurant le locuteur ?
En tous les cas le locuteur, comme par réaction à un état de faits qui semble
1
1
l'agacer, intime à/aux allocuta.ires l'ordre de répondre, ou de s'expliquer sur
leur propre savoir (cf. l'injonction du locuteur, /dites-le/). A la suite des
injonctions du locuteur qui ne suscitent toujours aucune réaction immédiate ou
1
l
apparente du/des allocutaires, celui-ci décrète que ceux-là ne savent rien du
tout (cf. le jugement sévère du locuteur, /vous ne le savez pas/). En d'autres
termes, le locuteur textuel pose péremptoirement son/ses interlocuteurs comme
des ignorants.
Un tel verdict dont on peut difficilement justifier l'opportunité sur le
plan relationnel (cf. relation inter-personnelle locuteur/allocutaires) n'est
pas innocent. Il obéit à toute une stratégie discursive consciemment montée ou
mise en place par le locuteur. En effet, en définissant ses interlocuteurs de
manière systématique comme des ignorants, il les convertit en un premier temps
par la force évidente du phénomène d'identification en de patents nécessiteux
d'un savoir qu'il serait seul à posséder. De telle façon,
justifie-t-il à tous

- 283 -
égards l'existence de son discours qu'il adresse à/aux allocutaires, discours
auquel il est amené de fait à adhérer, étant donnée la prétention didactique à
peine retenue qui le sous-tend.
Et en effet, le locuteur profère un discours auquel il adhère totalement
et pleinement. Mais cette adhésion n'est pas directement, et systématiquement
affirmée pour l'ensemble du texte, quoique le but ultime est d'y parvenir sans
f
nul doute. Le locuteur use de tactiques discursives fort subtiles et diverses
~1
qui méritent que nous nous y attardions un peu.
1
Le locuteur qui, visiblement ne veut échapper au plaisir de savoir et/ou
de voir son/ses interlocuteurs convaincus de l'intense relation qui le lie en
1
tous les cas à ce qu'il déclare, situe d'emblée ses propos personnels dans les
1
limites d'un cadre de vérité absolue puisque dès la première page du texte il
t
prête serment, pour ainsi dire. Le performatif /je vous le jure/ de la page 7,
1
1
,
réitéré à la page e dont il se sert reste à cet égard révélateur. Révélatrice
aussi cette phrase à modalités logiques, /donc c'est possible, d'ailleurs sUri
l,j
Qe la page 8. On notera dans ce dernier cas d'ailleurs le trébuchement tout à
j
fait suspect du locuteur dans son effort de modalisation (cf. le passage de la
possibilité à la certitude, figuré par /possible/ d'abord et /sur/ ensuite)
~
,

manifestant en un premier temps une certaine retenue à l'égard de ce qu'il dit
1
le locuteur qui ne veut nullement donner l'impression de douter ou de tromper
j
j
après avoir juré, se ressaisit et rassure. Tel est le sens de ce trébuchement
1
que nous avons jugé suspect. Ainsi donc, à travers un énoncé performatif comme
/je vous le jure/ et un complexe discursif à modalités logiques tel que /donc
c'est possible, d'ailleurs sûr/, le locuteur jet~e-t-il les bases formelles de
son comportement à l'égard de ce qu'il énonce. Ces bases formelles concernent
avant tout quelques séquences discursives apparemment quelconques c'est-à-dire
sans rapport direct avec le reste du texte entier.
La conviction dont fait preuve le locuteur, en effet, est convoquée dans
le roman par l'unité narrative notée Dl' et dénommée
/Réflexions sur la mort
de Koné/. Cette unité narrative traite, rappelons-le, de l'hypothétique voyage
ou mieux, du déplacement du défunt Kone Ibrahima du Sud vers le Nord (dans le
Horodougou) et inversement. Envisagée du point de vue précis de ce déplacement
magique, l'~istoire rapportée dans l'unité narrative Dl reste très abstraite.
C'est donc par rapport à une situation abstraite, immatérielle, un ensemble de
faits ou de données inverit'iables que le locuteur se trouve convaincu en tout
état de cause. C'est aussi et surtout à cette histoire abstraite, immatérielle
de déplacement d'un défunt et de cérémonies occultes qui l'entourent toujours
qu1il veut amener son/ses interlocuteurs à adhérer.

1
284 -
r
~
t
j
L'intention ou, à tout le moins, la stratégie discursive adoptée par le
1
locuteur pour exprimer son intime conviction en ce qu'il affirme et convaincre
1
son/ses interlocuteurs est perceptible à travers les lieux narratifs (C1". les
1
pages du texte) d'apparition des catégories par lesquelles cette conviction se
)
1
précise d'une part, et à travers l'objet narratif auquel ces catégories aussi
sont appliquées. En effet, en concentrant énoncé performatif (réitéré en pages
j
7 et 8) et modalités logiques dans les deux premières pages du texte général,
et en appliquant ces catégories à une histoire au contenu très abstrait, sinon
immatériel et invérifiable, le locuteur prépare la conscience analytique - ou
1
supposée telle - de son/ses interlocuteurs à accepter les développements et/ou
l
f
le contenu anecdotique à venir. En criant sa propre conviction en ses énoncés
produits, il influence délibérément la ou les possibles options personnelles
1
à
t
l
la limite perceptibles (cf. /vous paraissez sceptique 1/, p.7 qui suppose des
doutes sérieux) des allocutaires.
Ici se rejoignent l'attitude face au discours et l'attitude, encore plus
!
marquée, face aux allocutaires. Apres avoir pose son/ses interlocuteurs comme
des ignorants, le locuteur s'efforce de leur offrir un savoir c'est-à-dire des
1
j
connaissances auxquelles il croit fonaamentalement. Pour parvenir à ses fins,
il clame la justesse et le caractère véridique des propos qu'il tient et prend
i
pour ainsi dire un engagement personnel (cf. ce que nous avons nommé serment,
1,
à savoir l;énoncé performatif /je vous le jure/) aans l'assurance totale de la
j
vérité, un engagement qui se transforme parfois en une véritable menace comme
t
semble l'indiquer le syntagme /mais attention 1/ (cf. p.8).
Nous avons considéré jusqu'ici la communication textuel1ed;un point de
1
vue strictement formel. Ce faisant, nous nous sommes aperçu que le texte était
1
le lieu d'un système complexe de communication qui mêle inextricablement deux
1
j
axes de communication dont l'un, fondé. sur une relation réflexive, engendre un
1
monologue que soutient le personnage ~'ama et l'autre, appuyé sur une relation
j
réciproque, derinit un dialogue entre un locuteur Je et des allocutaires aussi
·1j
anonymes que possible de prime abord. C'est précisément cet anonymat des deux
1
1
interlocuteurs textuels que nous nous proposons, à travers les analyses ou les
1
développements qui suivent, de vaincre arin de faciliter une certaine lecture
i
de notre texte objet d'étude. Il s'agira en un premier temps de saisir l'image
1
du locuteur, image à travers laquelle transparaît nécessairement celle dU/des
1
allocutaires textuels, comme l'insinue Benveniste (cf. Problèmes ••• , p.82). Il
l1
convient de preciser ici, très rapidement, quelques points théoriques.
ii
1
La construction des figures participantes ae la communication textuelle
j
doit toujours et necessairement spécifier les bases théoriques, les fondements

1
- 285 -
1
de sa procédure. D1une manière générale, la linguistique moderne suggère pour
l
ne pas dire Qffre, à travers la grammaire des cas et la problématique possible
l
f
des places développées par certains critiques, un chemin de réflexion propice
1
et/ou opportun. Dans cette perspective, et plus explicitement encore, Abastado
r
fait observer très justement que" le locuteur et l'allocutaire textuels sont
t
des simulacres. Leur construction n'obéit pas aux lois de la psychologie, mais
aux règles de l'écriture" (cf. " La communication littéraire ••. " , in
Révue
1
d'ethnopsychologie N° 2/3 , p.145).
t
En prenant appui sur ces quelques indications théoriques, nous tenterons
t
de saisir l'image des deux interlocuteurs par le biais diune observation fort
1.
rigoureuse de la forme du discours autrement dit, des phénomènes linguistiques
manifestés, appréhendés dans leur quantité, leur üiversité et leur fréquence.
Au demeurant, nous completerons ces divers aspects formels par quelques traits
sémantiques dont l'observation se revèle intéressante.
5.2
Le locuteur, une figure oblique
5.2.1 : Un conteur traditionnel
Considérons le discours du locuteur dans son ensemble :
De ce point de vue général, le regard prospectif que nous portons sur le
discours entier en parcourant le texte de part en part nous dévoile nettement
un certain nombre de phénomènes linguistiques divers dont use le locuteur pour
donner une forme à sa pensée personnelle. Au nombre de ces phénomènes, de ces
formes diverses qui constituent par eux-mêmes une puissante infrastructure, on
retiendra sans établir une quelconque hiérarchie de valeur ou d'importance et
sans rentrer dans les détails d'analyse complexe
1
!
a) - les contes
1
Les contes, récits de faits fictivement reels pour une grande part mais
t
surtout récits où le merveilleux indéniablement se mêle au vrai (cf. U~ ou U22 1
par exemple: fla fausse grossesse de Salimata/, ou Iles récits de chasse de

Balla/), la légende à l'histoire proprement dite (cf. par exemple:
Ile mythe
t
de la création de Togobala/), constituent dans le texte global les phénomènes
f
et/ou les formes linguistiques les plus essentiels, autant par leur nombre que
par le nombre de ceux qui les énoncent. En parcourant le roman pa.r exemple il
1
est aisé de constater que le locuteur, dans sa tentative de mettre en évidence
le contenu anecdotique fondamental du récit (cf. l'histoire de la dynastie de
1
f
Togobala), passe subtilement par des micro-récits que nous identifierons à des
f
ti
1

- 286 -
contes et au-delà, à des légendes ou à des épopées. Comme on le voit aisément
donc, le discours du locuteur se ramène à un genre fondamentalement marqué par
son caractère oral.
b) - les proverbes
Les proverbes, parce qu'ils" sont l'huile de palme qui fait passer les
mots avec les idées" (cf. Achebe
Le monde s'effondre, p.13), n'échappent en
aucun cas à leur destin discursif dans les oeuvres littéraires africaines, et
1
conséquemment dans notre texte où, sauf omission, nous dénombrons au moins une
quinzaine de ces formes d'expression de la pensée humaine (cf. p. 12, 16, 19,
20, 74, 142, 159, 160, 164, 173, 115, lbl, l~~, 191 et 195). Sans rentrer dans
les détails, il convient cependant de noter que ces proverbes sont énonces ou
produits aUs~i bien par le locuteur (huit), par Fama (cinq) que par les autres
personnages dont le marabout (un) et le président de la République des Ebènes
(un). De plus, on constate qu'ils couvrent, quoique très inégalement répartis,
l'ensemble du texte. Il est à noter enfin que, tant par leur nombre important
que par le nombre de leurs énonciateurs, ces proverbes se posent dans le texte
comme une pratique discursive constante et populaire.
c) - les chants populaires :
Les chants populaires occupent dans le texte entier - et par rapport aux
traitements qui leur sont réservés d'une manière générale dans le roman comme
genre - une place importante, du moins en nombre. De fait, nous en comptons ou
en dénombrons trois à travers tout le roman (cf. p. 105, 192 et 194). Espaces
idéals d'expression de la joie et du bonheur (cf. chant de la page 192), de la
mélancolie et du malheur (cf. chants des pages 105 et 194), ces Œivers chants
populaires, contrairement aux proverbes dont l'énonciation était plus large et
plus démocratique, sont t'rédonnés exclusivement par Fama. Une telle situation
de restriction, notons-le, ne modit'ie en rien la portée discursive intense des
chants considérés. Autrement dit, leur existence dans le texte, bien plus Que
le nombre de leurs énonciateurs, suffit amplement à préciser le genre ~ventuel
(et au-delà, le milieu d'origine) du discours soumis ici à l'?,nalyse.
d) - les évocations :
Les évocations restent dans le texte entier une pratique discursive très
populaire. Sortes de formules expansives de présentation de figures illustres
et de notables individus ou encore de portraits en raccourci, concis à volonté
étant donnée leur finalité laudative très appuyée, elles sont le fait plus ou
moins ô.ssuré d'un large éventail de figures discursives où se retrouve. surtout

1
- 287 -
1
•1!
,
le locuteur qui évoque Fama de maniere pathétique aux pages 9 et 10 ou jouant
?i
~
sur les deux images antithétiques (celle du passé et celle du present) plus ou
j
J
moins irréelles du prince. Au-delà du locuteur, on retrouve dans cet éventail
de ceux qui usent de l'évocation des personnages comme ~'ama dont les relatives
1
préoccupations visent les morts (cf. p.12l), ~alimata qui idéalise sans honte
1
1
le puissant marabout (cf. p.70), le marabout lu~-même qui s'adresse aux génies
et à Allah et Si élève ainsi au-dessus du commun. De t"ai t, chaque pas accompli
dans le cheminement discursif nous révèle l'abondance ·et l'importance ~e cette
forme d'expression et de communication.
e) - les congratulations :
Les congratulations ou plus explicitement encore les saluta.tions forment
des pans considérables du ~iscours soumis ici à l'analyse dont il seréti t Îort
dommage ~'ignorer l'existence e"t au-aelà, l'importa.nce dans une tentative tout
à fait aisée de saisie des caractéristiques ~u discours. Haut lieu de mise en
scène subtile et spontanée, de théatralisation de la vie et d'hypocrisie aussi
contenue ~ue possible, les congratulations en tant que moments et en tant que
discours - mais surtout en tant que discours c'est-à-dire ici ensemble composé
de segments énonciatifs - mettent à nu et/ou dévoilent des séquences vraiment
brèves de la vie quotidienne dans ses manifestations spontanées et naturelles.
En ce sens, leur transcription régulière à travers le texte qui se pose comme
une tentative de re-création de l'univers quotidien convertit systématiquement
le discours qui les porte en un espace où se meuvent des éléments constituant
un monde tout en images.
f) - les jurons :
Les jurons, formes d'expression directe et très spontanée, manifestent à
travers le texte les obsessions diverses des personnages et princi~alement de
Fama. Celui-ci, on le sait, en fait un usage systématique. Dans ce présent cas
d'ailleurs, c'est toujours le syntagme nominal et/ou adjectival /bâtard/ dont
l'analyse aurait pu nous montrer que les récriminations de Fama sont à la fois
dirigées contre les frères malinkés et les politiciens modernes progressistes
qui fournit les bases lexicales à la construction de ces traits de langues. En
locution simple (cf. /bâtard de griot !/ , p.12), ou complexe (cf. /bâtard de
bâtardise !/, p.9), ce juron, très populaire en pays malinké, traverse tout le
texte et y maintient l'atmosphère tendue des grandes joutes oratoires. Qu'ils
tournent autour de la locution adjectivale ou nominale /b~tard/, ou s'étendent
à d'autres syntagmes moins évidents, les jurons ne manquent pas de s'affirmer
comme des phénomènes linguistiques susceptibles de donner au discours quelques

1
- 288 -
1
~
1
colorations particulières.
1
Ces formes d'expression à.e la pensée humaine qui pr~~èdent ou mieux, ces
éléments constitutifs du discours textuel considéré implicitement à·ce niveau
comme une concaténation relative de segments énonciatifs distincts les uns des
1
i
autres par leur nature (cf. les proverbes, les chants populaires, les contes,
les évocations, les congratulations, les jurons etc), quelque relatif que soit
1
1l4
leur nombre, suggèrent par leur constance et leur fréquence de manifestations
1
j
J
dans le texte la nature profonde du discours textuel ainsi que, nécessairement
i•
d'ailleurs, le point d'ancrage ou encore le milieu d'enracinement objectif de
J
~
1
ce dernier.
J
i
Le discours textuel soumis ici à l'analyse, parce qu'il prend appui tout
naturellement sur des manifestations linguistiques propres à la langue orale,
1
"
se présente non pas comme un discours or~l (le discours oral convoque en notre
J
l
esprit la parole entendue comme faculté d'expression d'un ou plusieurs objets
j
de connaissance fondée sur un système homogène de sons articulés) mais surtout
comme un modèle figé de discours oral où les composants élémentaires espèrent
1
pour vibrer leur mise en mouvement par les possibles déchiffrements du lecteur
)
textuel. On peut aller plus loin dans cette caractérisation : la permanence à
J
travers le texte entier des pratiques discursives traditionnelles précédemment
1
1
~
évoquées et au-delà de ces pratiques, l'univers même que celles-ci mettent en
J
jeu et/ou animent, contribuent à enraciner le discours considéré dans un monde
traditionnel, autrement dit à faire du premier l'ém2nation du second.
Le regard d'ensemble que nous venons brièvement de porter sur le système
discursif textuel, s'il nous permet de préciser plus ou moins correctement le
type de discours mis en pratique et de projeter sans grande conviction l'image
hypothétique de son énonciateur, demeure par trop global pour pouvoir aider à
une appréhension totale et plus fine du locuteur, surtout si cette saisie vise
des traits d'identité tels que le statut, le rôle social etc. La nécessité de
parvenir à une approche profonde du locuteur nous impose de considérer plus en
détail son discours et surtout les éléments par lesquels il s'affirme souvent
dans le texte global.
Soit ces segments du discours:
" D'ailleurs faisons bien le tour des choses: Fama pouvait-il
prétendre avoir eu raison sur tous les bords? " (p.20)
- " Parlons-en rapidement plutôt. Son père mort, le légitime Fama
aurait dU succéder comme chef de tout le Horodougou." (p.21)
- " Salimata s'était stabilisée, disons-le, dans une position

1
- 289 -
!
carrément provocante." (p.73)
1
1
1
" L'exploit triomphant lors des funérailles du père de Fama.
!
!
Empressons-nous de le conter." \\p.127)
t
- " Mariam cardait au fond ( ••• ), dans l'attirail de deuil
qui - on ne devait pas le dire - lui seyait à merveille,
l
1
1
comme de l'antimoine sous les yeux du singe hocheur." (p.133)
i
1
- " Toutes les nuits, sauf - faut-il le mentionner? - les deux
l
J
nuits précédant le grand palabre ••• " (p.135)
1
~
- " Récapitulons: donc, exactement quatre à tuer." (p.144)
!
Considérons-les du point de vue des verbes qu'ils contiennent et surtout
1
l
de ceux qui constituent, fondamentalement, les empreintes du locuteur et dont
1
1
l
l'analyse nous permettrait de mettre en évidence la fonction textuelle précise
1
de celui-ci et au-delà, son rôle social possible.
1
!
Un regarn attentif sur ce relevé nous permet d'y découvrir des éléments
r
l
[
ou plus explicitement encore des verbes à travers lesquels le locuteur affirme
f
f
plus ou moins clairement, disons, sa principale fonction dans son discours et
j
également face à/aux allocutaires. Il s'agit de verbes ou de syntagmes verbaux
tels que
Ifaisons bien le tour des choses/, /parlons-en rapiaement/, /disons
!
i
1
1
lei,
/empressons-nous de le conter/,
Ion ne devait pas le dire/, /faut-il le
1
t
j
,
mentionner ?/. Ces verbes et syntagmes verbaux manifestent un élément de sens
~
4
commun que nous traduirons par le verbe Icommuniquer/. Ils constituent donc un
1
paradigme de faits verbaux Que nous dénommerons /communication/.
f
En nous appuyant sur cette structuration rapide des verbe~ et syntagmes
r
verbaux considérés, nous dirons volontiers que le locuteur demeure un individu
dont la preoccupation constante dans le texte est la relation d'une situation
de fait bien précise, la communication de quelque chose. Un tel constat, parce
que trop général et abstrait, ne nous autorise guère à situer le locuteur par
exemple dans une quelconque formation sociale c'est-a-aire a préciser son rôle
personnel. Car en e1t'et, dans le commerce des hommes - et c' es"t en cela aussi
qu'ils se aistinguent singulièrement des autres êtres aits 1nférieurs -, "telle
activité communicative reste la chose principale la mieux partagée et la plus
commune. En ce sens, elle est loin de devenir un trait distinctif fondamental.
Ce qui l'est par contre, c'est ce qui est aft'irmé (nous n'evoquerons pas ici,
par exemple, les aspects tout aussi importants tels que le lieu d"enonciation,
le droit à l'enonciation at"testé par l'aunitoire qui sont évidemment propices
à. une délïni tion exhaustive eJe tout locuteur).
C'est par rapport à son contenu
Qu'un discours permet facilement d'identifier celu1 qui l'enonce.

1
- 290
1
t
1
S'agissant du contenu du discours du locuteur, nous avons déjà noté (cf.
1
~
chapitre premier et .ici même § 5.1.2) que celui-ci se ramène pour 11 essentiel
à l'histoire de la dynastie des Doumbouya, elle-même perçue à travers ceile de
1
Fama le dernier légitime. Nous pouvons tenter de dépasser ce contenu par trop
1
général et aller un peu plus dans le détail. Nous constaterons nettement alors. 1
que le discours du locùteur se rapporte a des histoires propres à Salimata et
t
à Fama mais également à d'autres personnages dont Diakité, Konaté, ~ery, Balla
1
etc. Cette précision sur le contenu autorise à considérer les quelques verbes
f
observés d'une maniere plus profonde.

f
Si, au regard des verbes dont il use souvent, le locuteur assume surtout
une fonction de communication, et si le contenu de cette communication est un
!!
ensemble de micro-recits tendant à constituer une histoire globale, alors nous
1
,
"
pouvons traduire la !onction qU'il assume au plan (nSCUrS~I par cette ÏormUle
f
[:
synthetique: Ile locuteur conte une histoire/. A partir d'une telle fonction,
~f
il semble facile de déterminer le rôle textuel et au-delà, la place sociale à
f
l'
tout moment occupée dans la societé (fictive) du locuteur.
r
En posant très clairement le prédicat /conter/ (la forme syncrétique des
verbes considérer) comme une fonction, et en nous appuyant tout naturellement
1
!
sur les relations syntaxique et sémantique unissant les possibles arguments du
f
f
prédicat, nous transcrirons la formule de la fonction discursive du locuteur,
t
diversément posée en structure de surface, Comme suit en structure profonde
1
f /conterj (a : locuteur, p : allocutaires, 0 : histoire)
!
!'~
(où a, p et 0 correspondent respectivement aux rôles élémentaires dlagent, de
1
patient et dlobjet). A partir des postes occupés par les arguments dlune part,
K
et par rapport au contenu sémantique du prédicat /conter/, nous nommons comme
suit les rales assumés
a
= conteur
---+
locuteur
---+
Je
p
= auditeurs
---+
allocutaires
---+
Vous
0
conte / histoire
Il ressort de la transcription opérée que le locuteur, formellement, est
un conteur, ce qui confère du coup le statut dlauditeurs aux allocutaires. Ce
rôle assumé, dévoilé essentiellement à partir dlune observation des verbes qui
suggèrent plus facilement le locuteur, et dont nous dirons qu'il représente a
priori le premier aspect immédiatement donné de llimage de celui-ci, parce que
saisissable dès qu'il commence à s'énoncer, confirme en les élargissant et en
les explicitant les observations précédentes sur le type de discours qulénonce
le locuteur textuel.

- 291 -
i
Lieu de foisonnement de diverses formes d'expression orale et de verbes
A
1
ou de locutions verbales fort suggestifs, le discours du locuteur reste encore
l
au plan lexical le lieu d'une actualisation permanente d'un important lexique
f
africain, et essentiellement malinké, dont il convient de rendre compte, étant
1
donnée la signif~cation qu'il semble prendre dans le texte. Avant de parvenir
1
à cette signification, constatons très brièvement la manifestation formelle de
-~
1
l
ce lexique dans le texte.
Nous disions plus haut que le texte est le lieu d'actualisation et/ou de
1
,
]
manifestation d'un important lexique malinké. Le relevé exhaustif des mots où
î
termes malinkés, toutes occurrences considérées, démontre l'existence certaine
1
1
de vingt-deux mots malinkés et assimilés. Techniquement, ces mots connaissent
j
j
une mauvaise distribution à travers le texte. Ainsi, note-t-on visiblement par
j
l
exemple la présence de quatre, dix-sept et un mots malinkés respectivement en
1
la première, seconde et troisième partie, et conséquemment la concentration de
ll
ce lexique spécifique dans la seconde partie. Sans prétendre à une analyse de
1
ces mots, nous dirons par expérience linguistique que ceux-ci, du point de vue
1
!
sémantique, sont organisables en des paradigmes définis par un certain nombre
d'éléments de sens tels que
- /humain/
fama (p.9), moussogbê (p.34),
ni, dja (p.123), kala (p.130).
,
- /croyance/
bissimilai (p.27), ourebi (p.lOO)
houmba (p.113), alphatia (p.l2l).
1
1
- /aliment/
tô (p.97, 131 et 145), dolo (p.lOO)
f
foutou, fonio. (p.145).
l
1
/musique/
yagba, n'goumé, n'goni (p.149)
1
- /habitatj
lougan (p.lOO), tara (p.l)8)
/animal/
toto (p.134)
jtransport/
mobili (p.106)
/juron/
gnarnokodé (p.9)
De ces trois points auxquels nous venons très brièvement de faire ainsi
allusion, à savoir l'importance des mots malinkes, leur distribution à travers
le texte et les éléments de sens auxquels ils renvoient, nous pouvons dégager
ou tirer au moins deux observations. On notera alors que le lexique malinké du
texte, au regard des paradigmes constitués et notamment de ceux suggérant par
exemple l'homme, la croyance, la musique ou les éléments nutritionnels, tend à

- 292 -
l'expression ou à la manifestation du monde traditionnel et surtout de ce qui
le constitue. Cette donnée est .confirmée plus ou moins implicitement par cette
caractéristique de la distribution lexicale à savoir la concentration dans la
seconde partie du texte des mots malinkés. On s8,i t, en effet, Que cette partie
correspond à l'espace topologique /Togobala/, et donc au milieu traditionnel.
Tout se passe comme si le locuteur textuel, plongé pour un temps dans le monde
traditionnel malinké de Togobala, veut user de tout ce qui s'y trouve et même
de la langue qu'on y emploie. ~eci Œonne un certain sens à l'usage abondant du
lexique malinké : le locuteur textuel veut êprouver avec force, Œémontrer ici
autant que l aire se peut son a!'filiation ethnique et/ou linguistique. Qu 1 il le
fasse sans cesse à travers Œes precisions (cf. /disons-le, en malinkéj, p. 7)
ou de subtiles insinuations (cf. /qui n1est pas Malinké peut l'ignorer/, p.12)
ou à travers la forme de son discours comme nous venons de le montrer ici, il
reste formel sur cet aspect essentiel de son image : il est Malinké. Il tisse,
à cet égard Œonc des affinités profondes avec le personnage principal Fama et
plus généralement encore avec ceux de Togobala.
·Récapitulons. Le regard prospectif Que nous venons de porter rapidement
sur le discours textuel nous a permis de voir, à travers les formes primitives
d'expression, les éléments verbaux et un certain aspect du lexi~ue utilisé ou
manifesté, le type précis de celui-ci, le rôle social possible de celui qui le
profère et subsidiairement les affinités linguistiques, ethniques pertinentes
de ce locuteur singulier (cf. Je). Plus explicitement encore l'observation des
aspects du discours textuel nous a permis de voir que celui-ci est en fait un
modèle figé de discours oral profondément enraciné dans la tradition créatrice
et généreuse, un discours soutenu par un individu usant de beaucoup de verbes
de communication et de mots malinkés.
A partir de ces données de base, nous pouvons affirmer volontiers que le
locuteur textuel est un conteur malinké traditionnel. Une telle définition ou
identification favorise l'appréhension du discours du locuteur du double point
de vue de sa forme et de sa destination. En tant que conte, il justifie alors
le mélange de genres (cf. l'opposition /réalisme/
vs
/merveilleux/ entre des
segments discursifs) auquel nous assistons à chaque pas dans le décryptage du
texte. Lempert ne note-t-il pas que ft le conte, proche de la légende, présente
une ambiguité qui le fonde: vrai et m~~hiQue, il tend à la fois à la r8alité
et au merveilleux." (cf. Le conte, IN Littérature et genres littéraires, p.70)
comme nous le suggérions? En tant que conte, il se pose enfin comme discours
didactique, transmission è'un savoir ou de multiples expériences de la vie qui
demandent à se perpétuer.

- 293 -
J
Le locuteur textuel, disions-nous sur la base de certains aspects de son
discours (cf. supra), est un conteur traditionnel. Cette place ainsi occupée,
1
1
pour tout dire, ne semble guère assurée et/ou solide. En effet, nous observons
!
très fréquemment à travers le même discours la présence de nombreuses données
1
l
1
sémantiques et la manifestation de phénomènes linguistiques tendant à détruire
!i,
ou, à tout le moins, à corriger sérieusement cette image manifeste. Autrement
dit, le locuteur textuel a beau s'instituer conteur traditionnel malinké comme
cela a été démontré, il ne parvient pas à masquer la place qui est la sienne,
au regard de certains aspects du discours sur lesquels nous reviendrons encore
pour (re)considérer certains points.
5.2.2 : Un intellectuel moderne :
Considérons le discours du locuteur comme une donnée homogène, fragment
d'une langue unique (cf. langue française), du double point de vue fondamental
du lexique et des techniques rhétoriques spécifiques qui s'y manifestent. Ici
comme en 5.2.1, le regard prospectif croise en embrassant la totalité du texte
un certain nombre de phénomènes discursifs fort intéressants à considérer. Au
nombre de ces faits discursifs, on retiendra très volontiers et sans soucis de
grande exhaustion des données telles que :
a) - les néologismes :
Les néologismes lexicaux - par opposition aux locutions néologiques dont
nous dirons quelques mots plus tard -, si on les entend comme des signifiants
ou des mots nouveaux acquis par composition, dérivation ou emprunt, occupent à
travers le texte une place im90rtante. En exceptant la dernière néologie (cf.
l'emprunt, qui concerne en fait les mots malinkés naturalisés dont l'analyse a
pu se préoccuper précédemment), nous remarquerons leur discrétion tout à fait
relative, du moins du point de vue de leur nombre. Formellement en effet, nous
en dénombrons sept, exception faite des réitérations constatées. Il s'agit de
/travaillent/ (p.9),
/cabrin/ (p.16),
/déhontée/ (p.17),
/viandés/ (p. 23),
/bâtardisée/ (p.97),
/nuitez/ (p.98),
/démarabouter/ (p.170). En un certain
sens, ceux-ci se répartissent en deux classes: une première classe constituée
par /travaillent/ et /viandés/ qui sera notée Classe des néologismes de sens,
et une seconde classe fondée sur /cabrin/, jdéhontée/, /bâtardisée/, /nuitezj,
/démarabouter/ qui sera dite Classe des néologismes de forme.
Les néologismes de sens, comme on le constate, sont essentiellement des
prédicats déjà déjà existants dont le contenu sémantique a été moèifié à seule
fin de traduire d'autres réalités. Ainsi, /travaillent/
se vide-t-il de deux

- 294 -
sèmes clé nont /production/ et /effort/, pour signifier dans le contexte donné
/opèrent/. Le mot /viandés/ a un sort plus complexe. Dérivé en effet du verbe
Il
viander" qui est synonyme de " paître Il, il prend ici un sens inattendu. Il
tend à signifier, au regard du contexte discursif (cf. "gras morceaux", p.23)
qui est le sien, que les gras morceaux ont beaucoup de chair.·
Les néologismes de forme se rapportent aux verbes, noms ou adjectifs. Il
aurait été intéressant de les analyser en profondeur, mais le cadre actuel ne
l'autorise guère. On notera néanmoins qu'ils procèaent ne deux types précis de
construction: une construction simple (cf. /cabrin/ et /nuitez/) qui part de
noms existants - en l'occurrence /cabri/ et /nuit/ - et leur adjoint seulement
un suffixe, et une construction complexe (cf. /dëhontée/, /démarabouter/ mais
aussi /bâtardisée/) qui part de noms existants tels que /honte/, /marabout/ ou
/bâtardise/, les convertit implicitement en prédicats, c'est-à-dire en verbes
(cf. /démarabouter/) ou en attributs (cf. /déhontée/ et /bâtardisée/) auxquels
est adjoint dans certains cas le préfixe privatif ou de négation DE. Il faut,
s'agissant du néologisme /dëhontée/, remarquer que le locuteur commet ici très
nettement une faute, par souci de trop grande créativité. Le néologisme censé
traduire la fondamentale idée d'absence de honte dans la manière de s'asseoir,
de se tenir du molosse (cf. p.l?), ou du sans-gêne du douanier (cf. p.103) en
tout état de cause manifeste un élément de sens que traduit l'adjectif correct
et attesté qu'est /éhonté/.
Ce bref parcours des néologismes lexicaux textuels dévoile le travail de
fond que le locuteur, consciemment ou non, accomplit au plan lexical. On peut
dire, sur la base des indications Qui précèdent, Que ce travail reste double:
un travail de dérivation sémantique fondé sur un transfert partiel (ou total)
des traits sémiques du mot (ou de son radical) au néologisme, et un travail de
dérivation morphologique Qui consiste en des préfixations et des suffixations
diverses. Dans ce dernier cas, le travail de dérivation se ramène d'ailleurs à
des transformations adjectivales (cf. /déhontéej, /viandés/, /bâtardisée/) ou
nominales (cf. /cabrin/) ou verbales (cf. /nuitez/, /démarabouter/). Quoiqu'il
en soit, la volonté de création reste ici absolument vivante.
b) - les anagrammes :
Les anagrammes, entendues ici dans une acception étroite et spécialement
comme des mots formés ou obtenus par transposition des lettres d'autres mots,
posent au lecteur et à l'analyste du texte des problèmes théoriques autant que
pratiques d'un autre ordre que les néologismes et cela pour deux raisons tout
à fait évidentes. Celles-ci sont des unités lexicales douteuses et incertaines

f
- 295 -
t
lettres ou membres du signifiant considéré.
1
c) - les parallélismes :
Les parallélismes, auxquels nous ferons suivre plus loin les symétries,
1
t
nous permettent d'amorcer ici une brève analyse des techniques rhétoriques Que
le locuteur expérimente. Notons dès à présent Que le type de parallélisme que
nous considérons ici " repose sur une ressemblance entre des formules verbales
articulées dans des circonstances identiques" (cf. Todorov:
Littérature et
signification, "p.7l), et envisagées du double point de vue syntaxique et aussi
sémantique, ces deux aspects étant du reste extrêmement imbriqués dans ce cas
présent. Notre préoccupation n'étant pas la d.escription exhaustive du discours
mais une mise en évidence des phénomènes observés, nous illustrerons donc les
parallélismes par un seul exemple. Il s'agit du parallélisme constitué dans le
texte par deux segments du discours situés l'un à la page 8 (première partie)
et l'autre à la page 205 (troisième partie), c'est-à-dire séparés par une très
forte amplitude de 197 pages. A la suite de la mort de Koné Ibrahima (dans la
capitale) d;une part, et de Fama (dans le Horodougou) d'autre part le locuteur
textuel note indifféremment
i) - " Des jours suivirent le jour des obsèques jusqu'au
septième jour et les funérailles du septième jour
se déroulèrent devant l'ombre, puis se succédèrent
des semaines et arriva le quarantième jour, et les
funérailles du quarantième jour ••. "
(p.8)
ii) - " Un liIalinké était mort. Suivront les jours jusqu'au
septième jour et les funérailles du septième jour,
puis
se succéderont
les semaines
et arrivera le
Quarantième jour et frapperont les funérailles
du
quarantième jour et ••. "
(p.205)
Ce fait rhétorique, consciemment manit"esté ou non, suggère véritablement
l'idée d'un parallélisme syntaxique (cf. agencement volontaire des segments a
priori identiques) tout autant que d'un parallélisme sémantique (cf. référence
commune des segments discursifs à la mort).
d) - les symétries :
Les symétries que nous considérons ici comme des procédés de rhétoriques
pleins se distinguent des parallélismes auxquels elles tendent à ressembler -
au moins par certains points et surtout par le fait que les uns et les
autres
prennent appui sur des éléments généralement binaires -, et se définissent en

- 296 -
d'une part, et d'autre part elles concernent dans le roman l'onomastique, les
noms de villes plus spécialement. TIans ce dernier cas d'ailleurs, on observera
que seule une certaine expérience socio-culturelle du cadre évoqué
ct qui a
d'ailleurs du mal à se voiler entièrement - peut guider les pas du lecteur, et
du critique. A cette expérience qui constitue une première clé, on veillera à
joindre égalemen~ le ou les procédé(s) de formation anagrammatique qui restent
particulièrement complexes, parce que visant plutôt ici la proximité phonique
entre le mot et l'anagramme - ou ce qui sere. dénommé tel dans le cadre présent
de notre analyse -, mot et anagramme qui n'ont pas toujours une configuration
morphologique identique.
En considérant
/Boudomo/ (p.9l),
/Bindia/ (p.96),
/Toukoro/ (p.99),
/Togobala/ (p.lOO) et fi~ayako/ (p.167)
respectivement comme les anagrammes de
/Band arna/ ,
/Boundiali/,
/Korhogo/,
/Dabakala/,
/Yamoussokro/, on peut dès
à présent essayer de découvrir progressivement les procédés assez particuliers
qui président à leur formation. On constatera, avec le couple Bandarna/Boudomo
qui précède, que ceux-ci consistent dans certains cas en la rature de quelques
lettres (consonnes ou voyelles) et leur remplacement par d'autres lettres. En
d'autres situations, comme dans le cas de Boundiali/Bindia, ce sont évidemment
des pans entiers du mot qui chutent. Ailleurs par contre, par exemple dans le
cas de Dabakala/Togobala, on constate un savant dosage qui aboutit au maintien
d'une partie - disons d'un segment - du mot, et à la modification formelle de
l'autre partie. On pourrait, à partir du relevé ci-dessus, discuter longuement
de la manifestation technologique des anagrammes, et même de la nature réelle
de ces phénomènes linguistiques ou discursifs que nous persistons à considérer
comme tels. Une chose est certaine : il y a tout un jeu volontairement subtil
sur le plan phonique des mots consiàérés, un jeu très significatif pour passer
inaperçu aux yeux du lecteur ot~ èu cri tique avertis.
Le survol rapide des phénomènes ci-dessus indexés, sentis surtout comme
des faits anagrammatiques et sur lesquels il serait (ou aurait été) possible à
la limite de s'étendre, indique bien que certains aspects du discours ne vont
pas de soi et qu'il Y a de la part du loct~teur tout un tréwail systéme,tiQue et
conscient. En l'occurrence, on constate nécessairement une rature parfaite du
signifiant originel ou plus souvent encore un morcellement du corps du mot, et
une réinscription des membres (ou de Quelques membres) du mot ainsi démembré.
Il n'y Ct pas à 'espacement, de " dissémination de la lettre sur la surface" du
texte (cf. Levesque : L'étrangeté du terie, p. 216) comme dans les cas absolus
d'anagrammes au sens large, mais une timide articulation morphologique ou plus
exactement micro-synt~xiQue (au sens de réorganisation interne) des multiples

- 297 -
général comm~ la régularité et l'harmonie dans la Œisposition des segm~nts du
discours semblables. Une telle définition, comme on le voit, insiste fermement
quoique d'une manière implicite sur la spatialisation des segments discursifs
considérés, l'espace impliqué étant bien entendu l'espace narratif.
Le phénomène de symétrie s'observe essentiellement à travers la première
partie du texte, à la faveur de la mise en place des portraits (complets) des
deux personnages clé du roman que sont Fama et Salimata. Toute cette partie du
roman en effet constitue un modèle de construction symétrique digne de servir
d'illustration au fait de rhétorique indexé ici. Si nous prenons en compte les
données sémantiques développées dans tous les quatre chapitres qui fondent la
première partie, nous constatons au plan purement formel trois symétries
une première symétrie entre le texte constitué par les chapitres
1 et 2, qui traitent exclusivement de Fama et que nous nommerons
/portrait de Fama/, et le texte formé par les chapitres 3 et 4 ,
qui parlent exclusivement de Salimata et que nous dpsignerons au
regard de ce qui précède par /portrait de Salimata/.
une seconde symétrie entre le chapitre 1 et le chapitre 4, où il
s'agit respectivement des activités journalieres d.e Fama, et des
activités quotidiennes de ~alimata.
une troisieme symétrie entre le chapitre 2, reservé au monologue
J
et aux souvenirs Œe ~Iama, et le chapitre 3, reservé au monologue
1
et aux souvenirs de Salimata.
3
1
Dans les deux dernières symétries, que nous dénommerons volontiers" symétries
restreintes" par opposition à la première que nous désignerons naturellement
par" symétrie large ", nous pouvons dépasser les sYmétries formelles Œiverses
1
pour ne considérer que les symétries de contenus. Nous verrons alors, dans ce
cas par exemple, l'altercation entre Fama et le couple griot/Bamba au lieu des
1
funérailles, et l'altercation entre Salimata et le couple ouvriers/mendiants,
1
la visite de Fama à la mosquée et la visite de Salimata
1
à
son marabout etc. En
l
représentant les chapitres de la première partie, saisis dans leur agencement
1
logique, par les chiffres l, 2, 3 et 4, nous schématiserons - Œans un souci de
1
j
concision - les observations précédentes sur la symétrie comme suit:
1
!1,
1
1
1
1

lîr,
- 298 -
~f
f;
i~t
,
/portrait de Fama/
/portrait de Salimata/
1
,
l
2
3
4
t;
1
!
J
'1
!
activités
souvenirs
souvenirs
activités
(
(funérailles)
(jeunesse)
(jeunesse)
(commerce)
ti
J
p. 11-17
p. 19-22
p. 31-47
p. 48-64
l
J
~
t
altercation
monologue
monologue
altercation
ï1
1
(griot ,Bamba)
p. 26-~9
p. 35-44
(mendiant s)
~
1
r
p. 12-15
p. 62-64
~
i
ï'
~
t
!
1
visite
visite
1
(mosquée)
1
(marabout)
!
1
.j
~
p. 25-29
p. 65-80
~
f;1
1
1
1
1
!
J
Preuves d 'une grande maitrise des procédés ou techniques rhétoriques (ou
1
littéraires) classiques, les parallélismes et symétries ainsi révélés/indexés
J
1
l
sans grand souci d'épuiser l'objet, à l'instar des faits de discours comme les
it
néologismes et anagrammes précédemment évoqués, démontrent de façon éclatante
(
~
l
le travail que le locuteur textuel accomplit au niveau de son propre discours,
un travail qui, par rapport aux objets dont il est la cause, et à l'attention
1
1
~rofonde qu'il exige, ne saurait être celui d'un conteur traditionnel usant du
1
discours' oral. Nous reviendrons ~lus loin sur ces considérations.
1
l
1
Afin d'appréhender certaines manifestations discursives classiques (cf.
1
néologismes, anagrammes, parallélismes, s:rmétries etc) avec une grande aisance
1
)
nous avons délibérément posé le discours textuel comme une donnée homogène et
J
1
,
1
surtout comme un fragment d'une langue unique, le français. La nécessité dès à
1
1
r
présent de rendre compte d'autres phénomènes linguistiques oblige à dépasser
t
1
j
ce point de vue étroit et à considérer le même discours du locuteur comme une
f
~
donnée hétérogène, fragment de deux langues (cf. langues française et malinké)
i
1
qu'il emploie simultanément. Nous avons en cela quelque raison: le locuteur,
!
1
,
dès les toutes premières lignes du texte, annonce tout à fait explicitement le
1
1
~
l
1
,
parti pris linguistique qui est le sien (cf. "elisons-le, en malinké ••• " p.7)
~
!
j,
et qu'il ne manque pas de reitérer immédiatement après d'ailleurs mais sous un
1
j
!
aspect plus voilé, et donc plus général (cf. " les soleils des Independances,
~1
;
t
1
f
1
~
fi

- 299 -
1
f
1
,
disent les Malinkés " p.8). Dans tous les cas, le locuteur - et cela ne peut à
aucun moment être occulté - use de deux langues de maniere consciente. Un tel
état de duplicité linguistique ne va pas sans appeler absolument de la part du
locuteur textuel un effort d'organisation méticuleuse de son propre discours,
effort dont l'ampleur ne peut se révéler qu'après une très efficace analyse du
texte, et qui, en dépit du cadre restreint de la présente description, mérite
que nous le précisions aans ses grands traits.
Soit les énoncés discursifs suivants:
a)
" Il n'avait pas soutenu un petit rhume ••• " (p.7)
b) - " Assois tes fesses et fenne la bouche! " (p.14)
c)
" N'est-il pas certain que rêvent toujours de
lune ceux qui ont sur leur chemin la grande
fortune, le grand bonheur? " (p.204)
d) - " Fama sur un coursier blanc qui galope, trotte,
sautille et caracole." (p.204)
e) - " Il parla ( ••• ) en happant et écrasant les
proverbes, en tordant les lèvres." (p.13)
f) - " Tous ces assis de damnés de ~lIalinkés se disant
musulmans hurlèrent, se hérissèrent de cros et
d'injures." (p.17)
Homogènes en apparence du point de vue linguistique, ces divers énoncés
présentent en fait, lorsqu'on les consulte très attentivement, des différences
structurelles fondamentales, différences qui, non perçues comme telles au bon
moment, font courir à l'analyste (ou au lecteur innocent) le risque très grand
de ne voir à travers les suites segmentales que d'infinies figures, ou encore
de précieux effets ae style. Ces différences structurelles fondamentales - qui
engendrent suivant les cas soit une lisibilité partaite (cf. énoncés c et d),
soit une lisibilité moyenne (cf. énoncés e et f), soit une illisibilité totale
(cf. énoncé a) d_e certaL'1s énoncés hors contexte et même en contexte précis -
résultent avant tout d'un travail de composition et réorganisation des langues
1
E
ci-C1essus indexées.
1
En partant du fait que le français constitue la langue de base (.tu texte
(on sait que le locuteur prend toujours soin ae spécifier les structures de la
langue malinké qu'il intrOduit de ~emps en temps dans son discours, alors que
1
nous ne sommes jamais informés lorsqu'il utilise les struc~ures langagières du
1
français), nous ferons remarquer que ce trsvail du locuteur textuel comporte,
en quelque sorte, trois divisions:
r
!i

- 300 -
1 - une transposition de certaines structures du malinké en français:
Ce comportement discursif dont nous ne rechercherons pas ici les réelles
1
motivations trouve à travers le texte d'innombrables illustrations. Au niveau
du relevé qui précède, il est trahi par les énoncés a èt b. Ces deux énoncés a
1
et b, contrairement à ce que semble suggérer leur allure esthétique évidente,
l
1
ne traduisent (ou ne sont le lieu de) aucun effet de style particulier, aucune
1~
figure qui résulterait d'un emploi spécifique du français. Si nous savons que
1
1
l'énoncé
fil n'avait pas soutenu un petit rhume/
équivaut, par exemple, à un
j
,~
énoncé comme
fil est mort/, nous ne pouvons logiquement prétendre qu'il y a
~
1
1
figure ou trope pour au moins deux raisons. D'abord, parce que nous sommes ici
~~
prévenus du fait que le locuteur textuel parle en malinké (cf. p.7). Ensuite,
1
.~
,
parce que le rapprochement des termes fondamentaux
/rhume/ et /mort/
ne nous
1
!
permet guère de découvrir ni métaphore, ni synecdoque, ni tout autre trope du
}
1
reste. Le rhume ne saurait être comparé à la mort pour créer les conditions de
:~1
;~
manifestation, d'émergence d'une métaphore. Il ne peut constituer une partie,
1
fut-elle minime, de la mort pour définir correctement une métonymie, ou encore
une synecdoque. En fait, les énoncés impliqués ré~ultent d'une transcription,
pour ne pas dire d'une traduction rigoureuse, de certains segments Quelconques
de la langue malinké.
2 - un emploi constant de locutions proprement françaises
Une telle attitude discursive n'est guère surprena.nte, si on considère a
priori, comme nous l'avons fait plus haut, que le texte est écrit en français
et admis ainsi. Au demeurant, des énoncés comme c et d qui manifestent ce type
d'emploi sont formels: syntaxiques et sémantiques, les aspects précis qu'ils
développent restent dans certains cas distincts de ceux que mettent en exergue
les énoncés transcrits ou tradui t_s du malinké. Ici, l'enchaînement des termes
est logique. Autrement dit, nous savons parfaitement, " dans la série linéaire
du message, quel terme se rapporte à que-l terme li (cf. Cohen
Structure du
langage poétique, p.175), et pourquoi. De plus, le sens d.es divers énoncés est
immédiatement accessible d'une manière générale. Ces quel~ues observations et
1
précisions, toutes relatives du reste, concernent en dernier ressort un nombre
f
important d'énoncés textuels. Il reste que certaines locutions dévoilent tout
l
1
particulièrement ce second comportement discursif. Dans le relev prpcpdent en
~
j
fait, ces derniers types d'énoncés seraient représentés par
/rêvent toujours
1
de lune/, un segment qui, au-delà de ses aspects syntaxioues et sémantiques en
1
J
général, reste une expression bien franç~ise, nous semble-t-il.
l
1
1
1
i
!
1
!
~
:l
[
f

- 301 -
3 - une création permanente de figures et de tropes :
Ce troisième volet du travail du locuteur reste, sans conteste, le plus
important et le plus original. A l'opposé des deux premiers volets où celui-ci
effectue en quelque sorte un travail d'imitation (la reprise telle quelle, ou
mieux l'adoption ,et l'adaptation des structures spécifiques des langues visées
à savoir le malinké et le français, constitue selon nous un mimétisme dont il
serait aisé de mesurer l'ampleur: reproduction systématique de termes et même
de locutions malinkés, reprise intégrale de quelques structures tant malinkés
que françaises etc), ce dernier volet se pose comme le lieu et le moment de la
spécificité linguistique et de l'effort. Et en effet, cet effort resta étendu
si nous considérons l'ensemble du discours textuel, puisqu'il se rapporte à la
fois aux niveaux lexical et syntaxique. Nous ne reviendrons pas ici, de façon
délibéréè, aux néologismes et aux prétendues anagrammes dont nous avons dit au
demeurant quelques mots. Nous concentrerons notre attention sur des traits du
discours un peu moins systématiques. En ce cas, nous remarquerons, partant des
énoncés e et f qui illustrent bien cette création permanente du locuteur, des
phénomènes discursifs intéressants tels que les violations incessantes et très
criardes des catégories sémiques (cf. le sème /matérialité/ conféré à l'objet
/proverbes/, généralement immatériel, par des prédicats tels que /happant/, et
1
/écrasant/ qui sont généralement appliqués à des objets matériels), sources à
la limite disons de toutes les figures sémantiques textuelles (cf. métaphores,
métonymies, synecdoques etc). Ce troisième niveau ouvre ou constitue un vaste
1
champ d'investigation dont la présente description ne peut se préoccuper d'une
manière exhaustive.
1
Récapitulons: la perception du discours textuel du double point de vue
1
de sa spécificité - en tant que donnée homogène, fragment d'une langue qui est
r
le français d'une part, et en tant que donnée hétérogène, produit ou résultat
intertextuel ou encore fragment de deux langues combinées que sont le français
et le malinké - révèle la mise en oeuvre, dans le texte, de divers phénomènes
discursifs dont les néologismes et les anagrammes, les tropes multiples et les
figures hardies, occupant respectivement les niveaux lexical et syntaxique du
i
discours proposé à l'analyse, ainsi que des faits de rhétorique pure comme les
para~lélismes et les symétries de construction.
1
En prenant appui sur ces phénomènes discursifs qui témoignent, de toute
r
J
évidence, de la grande maîtrise des techniques rhétoriques classiques du roman
r
d'une part, et d'autre part du travail d'élaboration très poussé dont il faut
l
reconnaître que le locuteur textuel fait preuve, nous dirons simplement que le
1
1

1

- 302 -
locuteur textuel en question est un intellectuel moderne.
Ainsi donc, ce locuteur textuel qui se posait préalablement à travers le
discours qu'il développe comme un conteur traditionnel malinké versé dans les
coutumes et pratiques sociales malinkés, la religion musulmane et les vieilles
pratiques religieuses locales, la connaissance du monde paysan et celle de la
séculaire histoire de la dynastie des Doumbouya de Togobala, cet individu dont
l'univers favori est le Horodougou (ne fait-il pas dire à Fama son personnage
principal que c'est dans le Horodougou qu'il fait bon de vivre ?), ce locuteur
conteur est aussi, au regard de certains aspects de son propre discours qu'il
tente de privilégier, un intellectuel moderne instruit des choses de la vie et
de pratiques qui débordent la vie ou le cadre de vie traditionnel malinké qui
serait celui d'un conteur traditionnel.
Un tel constat, d'une importance certaine, tout en modifiant le premier
aspect de l'image que nous avons construite précédemment, perturbe notoirement
la conscience que nous avions de l'identité réelle du locuteur textuel donné,
mais surtout projette la visée discursive de ce dernier. En effet, en tant que
donateur d'un discours (ou d'un message) quelconque tout locuteur vise à tout
moment un dessein précis. Que ce discours ait une double orientation ne peut à
l'évidence que laisser entrevoir une large ouverture de celui profèrant en un
mot tel objet.
5.3
Un élan universaliste :
Nous venons d'émettre l'hypothèse que la double image discursive que le
locuteur textuel nous laisse suggère en nous une portée fort large du discours
qu'il manifeste. Cette hypothèse nous semble-t-il exige pour être infirmée ou
confirmée que nous considérions très rapidement l'image de celui à qui en fait
il est censé parler et aussi le lieu où il développe ce discours.
5.3.1 : Des allocutaires étrangers:
Si l'analyse détaillée des indices de personne nous a permis de voir que
le discours opérait un double jeu au plan de la désignation des allocutaires,
par l'usage d'indices comme Tu et Vous, la détermination des deux niveaux très
nets de l'énonciation à savoir le monologue et le dialogue impose logiquement
de considérer que le ou les allocutaires textuels se réalisent dans le Vous. A
partir d'un tel choix, il semble plus aisé textuellement de rendre compte des
allocutaires dans la mesure où ce Vous reste plus ou moins bien explicité dans

- 303 -
l
le texte. Nous essayerons d'atteindre cet objectif par un examen très succinct
1
de l'image sociale et culturelle des allocutaires textuels.
~
Le parcours prospectif du texte nous permet de saisir l'image absolue du
l~
ou des allocutaires textuels.en trois points. Le premier point est relatif au
groupe ethnique. Régulièrement et abondamment défini comme malinké le locuteur
1
textuel définit à son tour ses allocutaires comme des non-malinkés (" mais le
1
sang, vous ne le savez pas parce que vous n'êtes. pas Malinké ", p.147). Ainsi,
les allocutaires sont-ils des individus n'appartenant point à une même racine
1
ou plus simplement à une même communauté ethnique et linguistique fondamentale
1
que le locuteur. Le second point a trait à la communauté nationale et procède
!
,
d'une analyse dialectique de l'image sociale du locuteur textuel lui-même. Cet
f
individu en effet, rendant compte du discours présidentiel marquant le joyeux
i
dénouement du complot (cf. p.lbO), précise: " il expliqua ce qui rendait doux
et acceuillant notre pays If). L'adjectif possessif dévoilant ici, sans bavure
1
1
dirons-nous, la communauté de destin nationale entre le locuteur, le président
et Fama le prince déchu, exclut toute identité nationale entre le locuteur et
ses allocutaires. Le troisième point enfin se rapporte à la culture réelle des
allocutaires par rapport à la société représentée. Nous avons vu ou montré au
§ 5.1.3, dans notre tentative de définition de l'attitude du locuteur face aux
1
allocutaires et face à son propre discours, que le locuteur subordonnait tout
(
son discours à l'ignorance des allocutaires qu'il révélait à travers un procès
discursif triadique de base : interrogation / ordre / affirmation.
Autrement
dit, il interroge sur le savoir des allocutaires, leur ordonne de répondre, et
devant leur incapacité à réagir affirme leur ignorance. Cette ignorance reste
totale. Elle concerne bien les us et coutumes malinkés représentés (cf. " mais
le sang, vous ne le savez pas Il (p.147), ou:
Il
avez-vous déjà couché sur un
tara? (p.158), ou encore: Il le parti unique, le savez-vous? (p.23). Dans un
certain sens, cette ignorance confirme les données de l'image ethnique.
De fait, on peut dire que les allocutaires textuels sont des étrangers à
1
la réalité qui détermine le locuteur. Mais, il convient de le noter, le terme
1
définissant ici cet étranger reste vague car être non-malinké décrit un double
1
aspect de If l'étrangéité If. Un non-Malinké peut être soit un Africain soit un
non-Africain, et le texte malheureusement ne propose aucun trait ou élément de
distinction sérieux à ce· niveau. Nous pouvons toutefois tenter une projection
t
au regard de l'identité du locuteur. Nous dirons en ce sens que si le locuteur
se présente à la fois comme un conteur traditionnel et un intellectuel et que
1
que ses allocutaires sont des non-malinkés ignorants des us et coutumes qui le
fonde, alors l'image possible de ces derniers ne peut être que celle d'hommes
1
1
1
~
~
~
t
1

- 304 -
~
intellectuels de culture étrangère. Une telle précision, on le voit, n'enlève
rien au flou qui voile le terme" étranger ", dans t-a mesure où - nous l'avons
1
noté plus haut - tout non-Malinké est un étranger pour le Malinké, quand bien
même ce non~lalinké serait un Africain ou non. Pour dévoiler ce flou, essayons
de voir l'univers du discours.
5.3.2 : Un discours de nulle part :
i
Il semble très difficile, au plan proprement discursif ou fictionnel, de
prodéder à un ancrage spatial et temporel concret du discours soutenu de fait
1
par le locuteur. La recherche du côté de l'histoire, en ce sens, reste en tous
les cas vaine. Nous avons montré ailleurs (cf. § 4.2.1), à travers le vecteur
d'origine 0 et de but X qui manifeste pour nous la temporalité textuelle en un
certain sens, que le discours du locuteur est proféré bien plus tard après la
fin de l'histoire qu'il prenait en charge. Et, de fait donc, le locuteur comme
son discours se situe hors de l'univers spatial et temporel représenté. On ne
peut logiquement tenter de correler le discours ni à l' es·pace d'évolutions des
personnages, ni à l'époque évoquée. La recherche du côté du discours lui-même
est tout aussi stérile. Obscurcissant volontairement son univers le discours à
jamais n'offre de détails sur ses conditions de production. Pris en charge au
demeurant par un Malinké, se développe-t-il en pays malinké ? Quand? Il reste
ainsi autant de questions que le discours par ailleurs très explicite sur des
points secondaires n'est pas encore permis de nous faire percer. Devant un tel
silence, le discours textuel se pose formellement comme un discours perpétuel
et spatialement de nulle part.
Un tel constat peut être modifié si nous essayons de dépasser simplement
le niveau formel pour nous rapprocher des conditions réelles de production et
de diffusion du roman objet d'étude. Nous avons en cela quelques raisons assez
déterminantes dont par exemple l'identité absolue entre le destinateur précis
1
de l'oeuvre qui est Kourouma et le locuteur textuel: l'un et l'autre sont des
1
1
malinkés, individus donc appartenant à une aire géographique assez facilement
[
1
identifiable, et tous deux restent des intellectuels modernes. Si nous partons
de telles similitudes, nous pouvons établir entre le plan interne et son seul
1
!
pendant des rapports de similitude. Dès lors, nous dirons sur la base parfaite
des informations objectives relatives aux conditions de production du roman à
1
savoir sa date de parution et son lieu de première manifestation ou simplement
f
d'édition (1968 à Montréal d'abord et 1970 à Paris ensuite), et d'une manière
~
générale, que le discours se tient loin de la terre et du pays malinké et plus
1
r
!
1
1

1
- 305 -
t
précisément en Occident, huit ans pleins après les Indépendances de la plupart
des états africains. Ainsi donc, d'un discours qui s'affirme comme n'étant de
nulle part notre roman objet d'étude oonsidéré sous un oertain angle se pose à
partir du temps et du lieu objeotifs de sa produotion oomme un disoours total
produit par et pour des individus autres que oeux que la oulture et l'identité
de base de oelui qui le manifeste auraient pu oonvoquer.
5.3.3 : Une oonsoienoe éoartelée :
Nous avons vu à travers notre analyse de la oommunioation textuelle que
le disoours se présentait à la fois oomme le souffle du ooeur d'un individu ou
. d'un homme meurtri (of. monologue) et les oonfidenoes d'un partioulier sur le
drame d'un homme ou d'un monde à d'autres individus (of. dialogue), le produit
d'une offre nécessaire du locuteur à des allocutaires nécessiteux d'un savoir
qu'ils n'ont pas et les anecdotes récréatives d'un vieil africain, un objet de
nulle part et un objet construit en un endroit précis. Autrement dit, il nous
a été permis de voir que le discours procède presque toujours d'une manière un
peu particulière, alternant ainsi discrétion et indiscrétion, choix définitif
et choix hypothétique. Partant par exemple d'un dialogue affirmée, il évolue à
la limite comme un monologue intérieur. Affirmant sa destination exaote ou en
tout cas souhaitée, celle de parvenir à des allocutaires intellectuels surtout
étrangers, autrement dit procédant à une disqualification préalable et totale
de tout malinké, il fonctionne dans une langue qui rejette a priori disons les
destinataires visés tout en étant familière à l'individu disqualifié.
Discours aux visées contradiotoires, le discours de Kourouma n'échappe à
aucun moment aux contradictions de toute oeuvre romanesque africaine partagée
entre l'envie de s'adresser soit aux africains uniquement (prétention que noua
constatons chez la plupart des écrivains) soit aux étrangers. Dans le premier
cas, et cela est attesté régulièrement, le projet est voué à l'échec net, dans
la mesure où il existe de fait une disjonction entre la langue optionnelle du
romancier qui est généralement le français pour le francophone et le public de
rêve. Mais cette contradiction du discours de Kourouma reste très limitée.
Prenant à contre-pieds la visée généralement admise, il projette de dire
le plus profond de lui-même non pas au Malinké mais au non-Malinké dont en un
certain sens il restreint le plaisir d'être l'élu par la confeotion précieuse,
somme toute efficace, d'une langue qui n'oublie guère le clin d'oeil régulier
au principal disqualifié de la ligne. Ainsi donc, se présentant naturellement,
en fait, comme un discours tranché le texte de Kourouma reste universel.
1
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- 301 -
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1
CONCLUSION
Nous avons exprimé au début de ce travail notre intense désir de lire le
roman de Kourouma par le biais de l'analyse sémiotique et avons dès le départ
spécifié le parti pris qui nous habitait et que nous sous-entendons simplement
à travers la notion de lecture. Ce faisant, nous nous sommes appliquée, comme
il nous semblait possible de le faire, à tourner et retourner en tous les sens
1
le texte objet d'étude pour en déterminer la physionomie, les traits évidents
qui le constituent et surtout le mode particulier de structuration homogène ou
1
supposée telle de ses divers constituants. Au terme de cette longue marche ou
de ce parcours souvent malaisé où l'étincelle inespérée d'une démonstration en
notre conscience lumineuse vient de temps à autre éclairer notre chemin tendu
r
en balayant les soucis de l'indécision, il convient de jeter un regard plus ou
moins large sur l'ensemble du travail accompli pour essayer d'en tirer autant
Î
que possible les éléments les plus essentiels. Dans ce sens, nous commencerons
~
par rappeler les réflexions dégagées au cours de notre étude.
J
Les développements qui précèdent nous ont surtout permis de montrer très
i
précisément, au plan proprement fonctionnel d'abord, que le texte analysé ici
1
est le développement continu d'une tentative de transformation malheureuse. En
1
d'autres termes, et si nous considérons les deux plans du discours narratif
f
le récit et le mythe de la création de Togobala - définis en profondeur par la
!
1
!
~
l
l
catégorie binaire d'opposition englobant vs englobé, notre texte traduit tous
1
les efforts d'un individu particulier, Fama le prince déchu et propriétaire du
1
f
!
Horodougou, en vue de transformer soit son état personnel soit celui de toute
g
t
la dynastie chancelante dont il est la dernière figure, mais des efforts vains
r
t
i
!
qui débouchent sur une fin dramatique du héros. En ce sens, il est surtout la
1
1
t
1
manifestation d'un cheminement catastrophique individuel ou collectif.
t
1
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1
1
1
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1
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- 308 -
1
t
Au plan actoriel, le texte met en mouvement des personnages assez variés
t
et rigoureusement déterminés par les deux catégories complémentaires que sont
f
les fonctions et les qualifications qui les constituent naturellement, peut-on
dire. Appréhendés par rapport à leurs qualifications, ces infinis personnages
!
s'organisent en un monde dichotomique de conservateurs et de progressistes. En
d'autres termes, le roman ordonne un univers humain fondé essentiellement sur
1
les représentants de deux valeurs, de deux voies politiques: les républicains
partisans d'une transformation radicale de la société manifestée en un espace
et un temps de grande démocratie, et les monarchistes très franchement dressés
en vue de la sauvegarde de la dynastie des Doumbouya dont ils sont de manière
absolue les tenants et les animateurs. La perspective actionnelle explicite en
l'élargissant cette dichotomie interne. Le système des relations formelles ou
cardinales entre personnages qui découlent de l'action développe nettement une
opposition fondamentale entre ces deux catégories de figures. Bien plus, nous
pouvons affirmer que les monarchistes portés vers le rétablissement radical de
leur autorité en décomposition se trouvent confrontés, dans leurs tentatives,
à une farouche opposition des républicains à laquelle met fin la mort du héros
Fama, et tout ce qu'il a voulu incarner.
Nous avons également pu montrer qu'au plan de la topologie, le roman que
nous avons eu plaisir à étudier dessine un univers physique bipolaire surtout
fragmenté au niveau macroscopique en deux grandes régions - un Nord et un Sud,
i
figurés par Togobala et la capitale -, et au niveau microscopique en plusieurs
1
espaces, certains éléments des deux niveaux entretenant parfois des affinités
caractéristiques. Saisis d'un point de vue dynamique, ces éléments constituant
1
le monde représenté se révèlent intéressants. Ainsi, en l'espace pratiquement
!l
rejeté du Nord et ses homologues comme le quartier nègre le personnage textuel
,
et surtout le prince Fama trouve un ami, et la nature misérable (la nature et
les hommes qui la composent) vole régulièrement à son secours. Généralement en
un tel espace, le personnage monarchiste se trouve en accord avec lui-même et
avec les éléments de la nature. Bien au contraire, en l'espace du Sud lumineux
mais dramatiquement oppressant et ses substituts, il rencontre un ennemi fort
1
f
viril, là où le personnage républicain croise une main tendue, la main fertile
d'un ami. Et cette rigueur du Sud et ses assimilés comme le plateau et Mayako
1
1
à l'égard du monarchiste ne signifie qu'une chose, son exclusion absolue de ce
monde moderne dont ils sont le porte-flambeau. Si le Nord donc Togobala et le
1
,
quartier nègre demeurent les lieux de la paix intérieure et de l'espoir ou des
f
t
,
attentes silencieuses, le Sud est le lieu des malversations imbéciles.
1
t:1!
J
1

1
- 309 -
L'approche globale de la problématique temporelle no~s a permis au moins
1
de déboucher sur trois aspects du temps. Le premier aspect découle surtout de
~
l'analyse du temps narratif. A ce niveau, le texte se présente très clairement
t
~
comme la relation de l'histoire d'un individu sur une génération au plus mais
aussi et surtout comme la relation des derniers moments particulièrement forts
1~
et difficiles de la vieille dynastie des Doumbouya à Togobala. Le second, qui
1
t
résulte d'une tentative d'objectivation du temps narratif, a trait précisément
l
~
à la période rapportée. Circonscrite autour des années 60, cette période très
!
1
particulière reste des plus incertaines et des plus dures. Temps des vols, des
~
viols et des violences, elle projette les figures hérétiques du temps moderne
et des Indépendances qui étalent aux yeux purs de Fama les dures malversations
1
1
qui l'enragent, le poussent hors de lui et l'incitent à la réaction. Temps de
l'offrande et de l'immolation des hommes sur des autels troub}es, cette époque
1
(
reste définitivement enracinée dans la douleur. Le troisième enfin découle de
t
la projection du temps cosmique comme un monde clos de symboles ou, pour ainsi
~1
dire, de la projection herméneutique du temps cosmique. A ce niveau restreint
f
du temps, l'analyse nous a permis d'établir que la saison sèche symbolisait la
~
1-
vie et la saison des pluies la mort.
t
Enfin, au plan énonciatif ou plus généralement encore communicatif, nous
r
avons pu à l'issue d'une structuration minutieuse des empreintes formelles de
ll...
l'énonciation montrer que le discours fonctionnait comme un monologue et comme
un dialogue. En tant que monologue, il se pose comme le résultat d'un acte de
. '
parole du personnage principal Fama débitant ses réflexions intérieures et, de
)
proche en proche, comme l'expression d'un drame psychologique propre. En tant
.
que dialogue, il s'affirme comme le témoignage d'un intellectuel malinké à son
ou ses homologues intellectuels non malinkés c'est-à-dire étrangers ·sur toute
l'histoire récente d'un univers qui lui est familier ou très proche. En vérité
~
dirons-nous, sous l'apparente disqualification de ses homologues Malinkés, et
plus généralement encore africains, le destinateur du texte construit un grand
1
1
discours à la croisée des chemins, à la faveur du double jeu verbal.
r
l
Î
Ce bref rappel des longs développements qui précèdent laisse transpirer,
1
immanquablement disons, certains aspects ou certains traits sémantiques assez
1i
1
1.
i
profonds du texte analysé. De plus, en passant d'un aspect de notre discours à
i
!
un autre ou, plus clairement encore, en passant d'un niveau à un autre il est
1
1
aisé de constater une certaine harmonie entre ces divers traits. En organisant
i1
ces derniers comme des éléments fondamentaux pertinents, nous conclurons très
1
simplement notre travail de lecture sur trois points :

- 310 -
D'abord, le drame individuel.
En dépit de notre volonté de laisser ouverte notre lecture, nous pouvons
dire, penchés sur la face superficielle du discours, que le texte analysé ici
développe les tribulations d'un vieux commerçant ruiné,.prince authentique qui
n'a jamais parcouru les allées du pouvoir, au soir de son existence sombre et
morne. On peut aller plus loin et dire que déterminé par un double destin dont
1
nous avons souligné les versants plus haut, celui du prince authentique et en
1
même temps du prince authentique qui n'a jamais eu les honneurs du pouvoir, le
personnage principal de notre histoire Fama tente d'harmoniser au mieux cette
1
double qualification contradictoire, autrement dit essaie tant bien que mal de
correler positivement sa situation culturelle de prince déchu du Horodougou à
sa situation naturelle de prince authentique. De vastes tentatives manquées en
longues attentes déçues, il entreprend en ce sens de porter définitivement au
renégat de pouvoir moderne issu des Indépendances le coup de grâce ferme qu'il
a naguère assené au colonisateur. Mais l'homme est seul et son combat le plus
épique contre tout système établi reste dérisoire. Et Fama, personnage anonyme
parmi d'infinis personnages anonymes organisant tout système donné, l'apprend
à ses dépens lorsqu'il se retrouve dans le tourbillon infini des malheurs, des
souffrances inouies, au coeur même de cette terre qui est sa propriété, de ce
monde qui est sa chose, un tourbillon qui le conduit dans les bras vampiriques
du destin maudit et de la mort.
Ensuite, la mort de l'ordre ancien.
Mais la mort vécue n'est pas seulement celle d'un individu quelconque au
plan historique. Fama, quand bien même il serait devenu par la force imbécile
et cynique des choses un individu ordinaire, reste historiquement une parfaite
entité qui draine un certain nombre de déterminations exceptionnelles surtout
princières. Il est avant tout le représentant d'un ordre, l'ordre ancien posté
par la monarchie, et doit fonctionner comme tel. Dès lors, on peut considérer
d'un oeil neuf et profond le discours et inscrire les apparentes tribulations,
les déboires incommensurables de Fama dans un cadre plus large. Nous noterons
alors, situés en amont de son processus évolutif, que les luttes du personnage
Fama contre les pouvoirs nouveaux ne sont pas des excitations frénétiques qui
viseraient la réalisation de désirs égoistes mais un engagement impitoyable du
i
prince en vue de la sauvegarde de la monarchie dont il demeure dramatiquement
f
l'unique représentant. Situés en aval du même processus, nous affirmerons tout
1
simplement que la mort de Fama est aussi et surtout la mort de l'ordre ancien
t,
qu'il a toujours défendu et représenté.

- 311. -
Enfin, l'impossible retour aux sources.
L'extrapolation des deux aspects sémantiques du discours résultant d'une
observation verticale de ce dernier (parcours du niveau superficiel au niveau
profond) autorise une lecture plus poussée de notre texte. Autrement dit, nous
sommes à ce point capables de dégager, à partir de tout ce qui précède, toute
la leçon véhiculée par le roman de Kourouma. De fait, notre texte objet défend
à travers évocations caustiques de drames personnels et mises en scène vastes
et réalis~es du petit monde représenté la thèse de l'impossible retour à notre
monde traditionnel définitivement ébranlé par le conséquent modernisme. Et la
mort de Fama, symbole de ce monde traditionnel à tous égards, ne saurait tirer
son sens que placée dans une telle perspective. Que Fama meurt lamentablement
dirons-nous aux portes de Togobala le lieu de la vie et de l'espoir, comme une
baleine qui vient s'échouer sur les plages fuyant la mer assassine qui ne lui
offre plus les moyens de la survie, ne peut surprendre vraiment, tout comme ne
saurait surprendre aussi la mort de telle Afrique qui voudrait retourner sans
préparations préalables aux sources du monde •. Fardé à jamais dans les infinies
compromissions avec le m~dernisme comme le prince Fama l'a longtemps été avec
les Soleils des Indépendances, là monde ancien ou plus simplement l'Afrique se
trouve à tel point perverti que tout retour à ces rivages abandonnés est vain
ou ne pourrait se produire sans grand dommage. Se produira-t-il d'ailleurs? A
ce point, rien n'est moins possible. Car, résultante de deux échecs nettement
profonds, celui de l'abandon malheureux ou du départ manqué de l'origine et en
un certain sens celui de l'inadaptation à la destination ou au but, le retour
aux sources ne sera jamais qu'un impossible retour.
Le roman de Kourouma s'inscrit-il dans le cadre du grand débat politique
et culturel engagé par certains intellectuels africains dès les Indépendances
sur l'option politique et culturelle de l'Afrique dans le nouveau monde recréé
par la fin de la colonisation (cf. l'authenticité de Mobutu au Zaire, la dure
philosophie du retour aux sources de Zadi Zaourou en Côte d'Ivoire, etc) ? Par
rapport au contenu anecdotique du roman, on est tenté de répondre surtout par
l'affirmative. Quoiqu'il en soit, que Kourouma ait voulu participer à ce débat
ou non, le message qu'intentionnellement ou non son roman véhicule reste très
clair
cet homme en apparence anonyme qui partage avec l'Afrique ancienne les
mêmes déterminations c'est, d'une certaine manière, l'Afrique miniaturisée et
sa mort malheureuse qui intervient dans le hasard et l'inattentu disons-le est
celle de cette Afrique-là ou, à tout le moins', frappe très fort les multiples
tarn-taros annonçant la mort prochaine de cette dernière.

- 312 -
Nous voici au bout de notre marche studieuse et comme un tic découvrant
l'angoisse la question nous monte à la bouche: notre projet est-il réalisé et
le but atteint? Nous osons l'espérer. En tous les cas, nous pensons de notre
point de vue de lecteur avoir fourni aux lecteurs ordinaires tous les éléments
hypothétiques lui permettant d'aborder le texte de Kourouma dans la mesure du
possible et surtout avoir tué sa solitaire investigation. Nous pensons surtout
avoir explicité à ~ravers notre analyse ce qui dans le texte objet d'étude se
i
présentait comme l'évidence pour certains (cf. le contenu narratif textuel, la
l
topologie générale et ses diverses caractéristiques, etc) et corrigé aussi le
ou les présupposés, inhibiteurs d'une bonne lecture. Ainsi, l'analyse a montré
1
en ce qui concerne la temporalité que le texte de Kourouma ne connote pas les
t!
saisons, la saison sèche et la saison des pluies, comme cela se fait très bien
ordinairement. La saison sèche n'est pas la mauvaise saison, et aller avec le
présupposé contraire au texte revient à obliquer sa propre lecture. Nous avons
certainement, et nous le souhaitons, confirmé ce que la lecture ordinaire des
belles pages de notre texte retient d'elle-même, réalisant avec le lecteur dit
ordinaire l'accord que nous recherchons implicitement.
Que reste-t-il à faire? Nous pensons qu'un autre regard critique sur le
r
roman de Kourouma gagnerait à porter rigoureusement sur le discours. Le grand
travail de synthèse linguistique opéré par le romancier mérite une attention à
f
la fois particulière et continue, car les mécanismes producteurs de la langue
J
1
f
de Kourouma, de cette profusion de mots qui prend sa racine dans le terroir ou
1
dans la langue africaine et entretient par des tours et des détours innominés
l
mais évidents une illisibilité excitante doivent être démontés complètement. A
f
ce niveau d'ailleurs, le travail sera passionnante mais rude, et appellera en
f
tout état de cause des développements théoriques importants. Serait-ce l'objet
1
immédiat de nos investigations à court terme. Nous osons l'espérer.
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1
J
1
1

- 314 -
1
1
BIBLIOGRAPHIE
1
1
1
- TEXTE
KOUROUMA (A),
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1
1
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1
11 - OUVRAGES de METHODOLOGIE
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des Indépendances d'Ahmadou Kourouma ", IN Revue
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Linguistique et discours
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Les langages de Jarry : Essai de sémiotique
littéraire, Paris, K1incksieck, 1972.
Lire Jarry, Bruxelles, Editions Complexe, 1976.

272
a)
p.7 et 8
Je
- - - - - . Vous
b)
p.ll , 22 et 23
x
-----+ Vous
c) -
p.29 et 95
x
- - - - - . Tu
d)
p.144
Nous -----+ x
e)
p.147
x
-----~ Vous
Nous - - - - + x
f)
p.149
X
-----+ Nous
g)
p.152
x
----~ Tu
h)
p.158
x
- - - - + Vous
i)
p.174, 176 et 203
x
- - - + Tu
Moyennant quelques ajustements qui n'ont aucune incidence quelconque sur
le résultat final ,à ce niveau tout au moins) de notre démonstration/analyse,
nous pouvons ramener aux fins de favoriser la manipulation des divers éléments
ci-dessus les dix situations locales de communications à une proportion assez
raisonnable de situations de communication fondées sur la grande similitude de
leur structure. Ainsi, avons-nous :
a
Je
----+0 Vous
b, e, h
x
----+0 Vous
c, g, i
x
------+ Tu
d, e
Nous -----+ x
L-
J.
x
-----+ Nous
Des cinq situations locales de communication restreintes auxquelles nous
sommes parvenus, on retient en effet un cas de co-présence des interlocuteurs
(cf. a), trois cas de non-mani!estation du locuteur (cf. b, c, !) et un cas de
non-présentation de l'allocutaire, par indices de personne. ~n dehors du seul
cas flagrant de dialogue que constitue la communication en a, il n'existe plus
alors que des cas de communications locales dont on ne peut affirmer en vertu
de l'inexistence d'indices suggerant l'un ou l'autre interlocuteur qu'ils sont
ou non des dialogues ou des monologues. Notre propos étant précisément ici en
ce sous-chapitre de dire le type de communication textuelle (entendue comme la
synthèse des micro-communications ou communications locales), il nous revient
donc d'élucider ces cas de communications imprécis.
Soit les quatre cas de communications imprécis
l
-
x
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La souche calcinée, Yaoundé, Editions Clé, 1973.
SEMBENE (0),
Les bouts de bois de dieu, Paris, Le livre
contemporain, 1960, 379p.
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0
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1

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1
Table des matières
f1
Introduction.
·
. p. 1
Chapitre 1
L'histoire: une dynastie décadente ••••••••••••••• p. 1
1
1.1
les constituants du récit •.•••••••••••••••• p. 9
1.2
analyse des séquences •..••••••••••••••••.•• p. 23
1
1.3
la macro-structure narrative ••••••••••••••• p. 58
j
Chapitre 11
Les personnages: conservateurs et progressistes •• p. 11
2.1
les fonctions . . . . • . . . • . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . p. 14
2.2
les qualifications ••••••••••••••••••••••••• p. 91
2.3
le système des classes ••••••••••••••••••••• p. 114
Chapitre 111
La topologie: un univers bipolaire .•••••••••••••• p. 135
1
3.1
la topographie
. p. 131
3.2
proriétés des espaces •••••••••••••••••••••• p. 156
3.3
le système des espaces ••••••••••••••••.•••• p. 183
1
Chapitre lV
La temporalité: une période trouble •••••••••••••• p. 197
f
t
4.1
le temps narratif .......................... p. 199
4.2
l'époque évoquée ........................... p• 218
r
4.3
le temps atmosphérique ..................... p • 231
f
.
r
Chapitre V
La communication . un discours universel .......... p. 259
5.1
la communication formelle .................. p • 261
5·2
le locuteur, une figure oblique ............ p. 285
5.3
un élan universaliste ...................... p. 302
Conclusion.
·.............. p. 307
Bibliographie.
·.............. p. 314
Table des matières.
·.............. p. 333
1