'"
L'UNIVERSITE DE CAEN
.
.
U.F.R. DES SCIENCES DE LA VIE
ET DU COMPORTEMENT
Département de Psychologie
THES.E
Présentée en vue de l'obtention du
DOCTORAT D'ETAT
ES LETTRES ET SCIENCES l-lUi\\1AINES
par
TAPE Gozé
1
TOMEI
il
,
l
1
1
i!
Date de soutenance 11 décembre 1987
j
MEMBRES DE JURY
l!
Président:
Le Professeur M. Reuchlin (Paris V)
.,
l'.!
. Directeur de thèse:
Le Professeur 1. Drévillon (CAEN)
Membres
Le Professeur A. Lieury (Rennes Il)
i .
! .
Le Professeur J. Gugluelmi (CAEN)'
J:.
Monsieur 1. Lautrey (CNRS)
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0
l'-~,---- \\
1
~ .
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A V A N T
PRO P 0 S
Cette recherche se propose de préciser le~ condi-
tions du sujet et du milieu qui
sont à la fois favorables ou
défavorables au développement du raisonnement expérimental
en Côte d'Ivoire. Elle n'aurait pas vu le jour sans la dispo-
nibilité, les avis éclairés et les conseils critiques de notre
Directeur de thèse, le Professeur Jean DREVILLON de 1 'Univer-
sité de CAEN. L'attention soutenue qu'il a portée à notre
recherche, les conditions matérielles et psycholoqiques qu'il
nouS a offertes au Laboratoire de Psychologie génétique et en
famille avec son aimable épouse ont constitué pour nous une
source de stimulations et de quiétude. Nous tenons à l'en
remercier.
Nous remercions aussi les Collègues du Département de Psycholo-
gie de l'Université de CAEN, notamment Monsieur Bernard CADET,
Professeur de Méthodologie-statistiques, Monsieur Joseph
GIACALONE, Assistant, pour la disponibil ité avec laquelle ils
m'ont régulièrement reçu pour parler de problèmes de métho-
dologie générale ou spécifique.
Nous voulons également exprimer notre reconnaissance à Mon-
sieur le Professeur Maurice REUCHLIN de l'Université
René
Descartes (Paris V) pour la pertinence des observations qu'il
a eu à nous faire quant au fonctionnement de la pensée natu-
relle.
- 2 -
Nous avons aussi profité des remarques de Monsieur Jacques
LAUTREY, Maître de Recherches au C.N.R.S. dont les suggestions
méthodologiques nous ont permis de progresser dans de bonnes
conditions.
Nous avons trouvé également les appuis scientifiques indis-
pensables auprès de Monsieur le Professeur François LONGEOT
de l'Université de Grenoble et de son équipe de recherche.
Le séjour qulil m'a accordé en famille à Grenoble m'a permis
d'approfondir l'hypothèse des styles cognitifs. Que son épouse
veuille bien recevoir l'expression de ma gratitude.
L'élucidation de notre problématique sur le rôle du
processus de représentation dans le fonctionnement cognitif a
grandement bénéficié de l'apport de Madame le Professeur B.
INHELDER de l'Université de Genève et de son équipe de recher-
che. Nous remercions particuliérement Messieurs Pierre DASEN,
André BODER, Mesdames E. ACKERMANN-VALLADAO, SAADA-Robert et
M. FLUCKIGlR, tous chercheurs au Laboratoire de Psychologie
génétique de Genève pour leur entière disponibilité quant à
la chose psychologique.
Nous sommes aussi redevable à l'égard de Monsieur
PHAN-CHI-CONG pour l'aide qulil nous a apportée, au niveau
du Centre de Calcul de l'Université de CAEN, dans la mise au
pOlnt du programme de Calcul du KHI-2 et de l'analyse facto-
rielle des correspondances.
- 3 -
Des équipes de recherche sont difficiles à constituer en
Côte d'Ivoire faute de motivation à la recherche et de cher-
cheurs. Malgré l'hostilité de l'environnement socio-culturel,
de jeunes collègues ont bien voulu embrasser la carrière de
professeur-chercheur en psychologie et m'ont aidé au niveau
de la passation des épreuves. Il
s'agit de Messieurs KOUUOU
Kessié Raymond et YAPI Yapo, tous deux Maîtres-Assistants au
Département des Sciences de l'Education de l 'E.N.S. ; qui ils
soient vivement remerciés.
Il en sera de même des plonniers de la recherche en Côte
d'Ivoire, ceux qu'on a généralement l'habitude d'appeler les
"grands-frères" et dont nous' avons pa r f o t s été les étudiants
à l'université; nous voulons parler des Professeurs Fotè
MEMEL, de l'Institut d'Ethno-Sociologie, Barthélémy KOTCHY
du Département de Lettres Modernes et Christophe WONDJI du
Département d'Histoire. Leurs sages conseils de "grands-
frères" nous ont permis de persister dans la voie de la re-
cherche malgré les tentations de démission.
En matière de recherche, les discussions entre des chercheurs
de disciplines voisines font évoluer les idées. Nous expri-
mons toute notre amitié à Monsieur Faustin DEDY SERI, Chargé
de recherches à l'Institut d'Ethno-Sociologie, à Messieurs
Jean TANOH, Adrien BASSITCHE, Vincent GUEI KORE, tous Maîtres-
Assistants au Département de Psychologie, et à tous les Col-
lègues du Département des Sciences de l'Education Dour les
- 4 -
échanges fructueux que nous avons développés dans le cadre
des travaux de recherche.
La préparation de la thèse d'Etat nous a obliqé depuis 1983
à abandonner de temps en temps le poste de travail
de lIE.N.S.
pour rejoindre l IUniversité de CAEN. Nous devons cette dispo-
tion particulière au Directeur de l 'Ecole Normale Supérieure,
le Professeur VAKABA TOURE dont nous avons été le proche
Collaborateur et qui
nia cessé de nous encourager dans la
poursulte de nos investiqations.
La dactylographie de la thèse a été réal isée grâce au travail
acharné de Mademoiselle KOUAME Rose, Secrétaire à lIILENA.
Enfin, l'aide matérielle et le réconfort moral apportés par
mon épouse, mes enfants, mes parents et mes amis m'ont permis
de conduire cette recherche à terme.
1 NT RaD U C T ION
- 5 -
1 NT R 0 DUC T ION
L'étude du développement cognitif (le raisonnement
expérimental) au niveau de la pensée formelle répond à une
préoccupation d'ordre théorique.
Les recherches i ntercul turell es ont jusqu'à présent
échoué à découvrir la pensée formelle dans les cultures de
tradition orale en général et dans les cultures néqro-
africaines en particulier. Le constat, slil se vérifie, ne
va pas sans remettre en question la théorie structurale du
développement; il pose un probl ème de fond qu'il faut aborder
avec des moyens de fond. S'il est un fait objectif que la
pensée formelle se manifeste timidement dans les milieux
socio-culturels de l'Afrique traditionnelle, il y aurait là
une piste de recherche pour appréhender le fonctionnement et
la structuration de la pensée humaine
dans la totalité de
ses formes. Si des indivldus parviennent à s'adapter à un en-
vironnement sans éprouver le besoin de construire une pensée
formelle élaborée, il convient d'admettre que, dans la réso-
lution de la variété de problèmes que rencontre 1 'homme à
travers l'espace et le temps, la pensée formelle constitue
un moyen d'adaptation possible parmi d'autres possibles. En-
core faudrait-il
pouvoir fouiller la piste de fond en combe
à l'a ide de concepts opératoires, de méthodologies adéquates permet-
tant, soit de construire une nouvelle théorie du développement
- 6 -
de 1a pensée huma i ne, soi t d' é 1a r g i r 1es bas e s de celle s qui
existent déjà afin qu'elles deviennent plus puissantes. Nous
pensons que les théories actuelles suffisent peut-être à ren-
dre compte de la structure et de la fonction du processus de
pensée. Une théorie renovée, plus heuristique, pourrait résul~
ter de la coordination des théories sectorielles dont chacune
détient une part de vérité.
Si l'on examine quelques théories qui tentent de décrire le
développement psychologique (Wallon, Piaget ... ), on remarque
que l'unanimité se fait autour des facteurs internes liés au
sujet et des facteurs externes inhérents à l'environnement
socio-culturel. Le développement serait influencé à la fois
par 1 'hérédité et le milieu; ce qui pose 1 'hypothèse d'une
double détermination de la conduite. Le problème se pose de
savoir quel est le taux de contribution de chaque groupe de
facteurs.
Avant les psychologues, les anthropologues, par le champ de
leurs travaux, cherchaient déjà à réponde à cette question.
Pour les uns, partisans de la théorie de 1 'hérédité, les
progrès de l' homme seraient inscrits dans son patrimoine géné-
tique. Le développement se réduirait à une réalisation du
programme préformé qui, d'un organisme simple, le
foetus
donne un organisme complexe, l'être humain. La théorie de
l'évolution de Darwin renforce le même schéma de pensée. La
vie se serait manifestée dans l'univers par l'apparition de
micro-organismes dont la complexification progressive aurait
- 7 -
finalement donné l'homme.
Théorie biologique, la théorie évolutionniste a eu des réper-
cussions d'une grande portée dans les sciences de l 'homme, car
elle semblait contenir une explication des différences de
civilisation observées. Les premiers ethnologues (MORGAN,
FRAZER, TYLOR, RIVERS, 1870) s'efforçaient, dans la oerspec-
tive évolutionniste, de retrouver, à travers la structure des
institutions des peuples primitifs, un schéma des origines et
de l'évolution des civilisations. Leurs conceptions étaient
centrées sur la notion de progrès, d'un développement linéaire
allant de la barbarie à la civilisation. La démarche évolu-
tionniste a conduit Levy-Brühl
(1922) à lancer la notion de
"mentalité primitive". Par opposition à la "rnent at i té civilisée",
la" me n ta lit é Pr i mit ive" est "i nd i f f é r e nc i é e . .. pré - log i que" :
"l'activité mentale du primitif n'est pas un phénomène intel-
lectuel ou cognitif pur; c'est toujours un phénomène com~lexe
où la représentation est confondue avec d'autres éléments de
caractère émotionnel ou moteur
. . . . L'idée, l'image, l'émo-
tion, la
passion se fondent avec l'objet dans une essence
commune" (1).
Les adeptes de la thèse de l'hérédité considèrent les "sociétés
primitives" comme des survivances d'étapes antérieures dont
l'analyse devrait révéler l'ordre dans lequel elles seraient
apparues. Mais leur erreur consiste à prendre
l'hérédité comme
1.
LEVY-BRÜHL (L.), La mentalité pnmitive, Paris, Al.can , 1922, p.
35.
- 8 -
un concept abstrait, à penser qu'elle se réalise de la même
façon quelles que soient les conditions de l'environnement.
Pour les autres, les défenseurs du courant culturaliste, l'in-
fluence du milieu sur la formation de la structure psychique
serait prédominante. Ainsi Boas (1911) affirme que les diffé-
rences entre le "p r i rn i t i f " et le "c i v i l i s
ne sont qu'une
é
"
apparence: Il ... les différences entre l 'homme civilisé et
l 'homme primitif sont souvent plus apparentes que réelles
les conditions sociales, à cause de leurs particularités,
donnent facilement l'impression que la pensée de l 'homme pri-
mitif fonctionne de façon très différente de la nôtre, alors
qu'en réalité les caractéristiques fondamentales de la pensée
sont les mêmes ll • Tous les hommes cherchent à connaître leur
univers, et tous procèdent en ordonnant, en classifiant, en
imposant un système à l'information perçue par les sens. On
peut donc affirmer Ill/unité psychique de l'humanité ll
(Kroeber,
1948), malgré la diversité de ses manifestations culturelles.
A l'instar de la thèse de l 'hérédité, la thèse du milieu tend
à expliquer tout le développement par le processus d'encultu-
ration, sur le mode du conditionnement, de la formation des
habitudes avec renforcement positif ou négatif des conduites,
de l'assimilation des modèles culturels (Miller, Dollar, 1941,
Mead, 1929, Benedict, 1934). Le courant culturaliste laisse
peu de place à ce qui revient à l'individu en tant qu'or~anisme
spécifique répondant d'une certaine manière aux sollicitations
- 9 -
d'un milieu. La problématique IIhérédité-milieu" se retrouve
dans les mêmes termes en psychologle.
C. Burt est sans doute le psychologue qui a le plus défendu
la théorie génétique de l'intelligence (Burt, 19t:>9, 1961), en
partant des théories générales de FISCHER (195H). Ses travaux
reposent sur trois idées essentielles:
- Les différences individuelles dans le domaine de
l'intelligence sont massivement innées.
- Il existe une mobilité sociale ascendante et des-
cendante fondée sur l'intelligence, qui fait que les individus
les plus brillants sur le plan intellectuel montent dans la
hiérarchie sociale alors que les moins doués descendent.
- Les dlfférentes classes sociales se caractérisent
par une endogamie assez marquée. Cette tendance fixe les dif-
férences génétiques transmises de génération en génération.
Les conclusions de Burt pèchent par la méthode qui
a pe r mis de les con s t i tue r. Enef f et, dan s cet y p e de probl ème,
rie n n ' a ut 0 ris e à l' t a tac tue l de lac
é
0 nnais san ce,
l e cal cul
de la part des différences individuelles d'intelligence attri-
buable à l 'hérédité ou au milieu. Les recherches sur le déve-
loppement psychologique insistent plutôt sur l'interaction
entre l'individu et son environnement et admettent d1emblée
la double détermination de toute conduite sans s'ingénier à
qua ntif i e r lep 0 i ds de cha c und e s f a c t e urs par un mo d l e additif.
è
- 10 -
La double détermination implique qu'une modification de l 'hé-
rédité ou du milieu entraîne une modification de la conduite.
Ainsi lorsque A. Binet (1911) applique'son Echelle de déve-
loppement de l'intelligence à un échantillon d'écoliers
par i sie ns a l 0 r s que 0e c r 0 l Y et 0e 9and exp é-ri men t e nt lem ê me
test sur des écoliers belges, ils observent des différences
dans les performances. La supériorité des écoliers belges fut
attribuée à leur appartenance à un milieu plus aisé, favora-
ble aux pratiques éducatives libérales. Cette interprétation
suggère que les milieux socio-culturels ne sont pas tous
aussi favorables au développement des différentes formes de
l' i ntell i gence.
Les travaux américains sur les jumeaux homozygotes
élevés ensemble et élevés à part et sur un groupe de jumeaux
hétérozygotes él evés ensembl e , confi rment l' hypothèse de la
double détermination: les jumeaux homozygotes élevés ensemble
se ressemblent plus que les jumeaux homozygotes élevés à part
ce constat vérifie l'influence du milieu socio-éducatif et
culturel. Mais les jumeaux homozygotes élevés à part se res-
semblent plus que les jumeaux hétérozygotes élevés ensemble
ce qui révèle le rôle de l 'hérédité dans la formation des
conduites malgré la différence de milieu.
La théorie constructiviste et interactionniste formulée par
J.
Piaget pourrait servir de cadre à la coordination des ac-
tions du sujet et du milieu. Si cette théorie est vraie, il
- 11 -
doit exister des conditions du sujet et du milieu qui soient
à la fois favorables ou défavorables à la genèse de conduites
intellectuelles propres à la satisfaction de demandes éco-
culturelles. La grande difficulté de la psychologie génétique
est d'avoir postulé l'universalité du modèle" structural à
partir du milieu socio-culturel occidental
s t i l est univer-
sel, la structuration des opérations intellectuelles doit
procéder par étapes ou stades quelle que soit la cu1ture ; si
l'on ni observe pa s ce type de dével oppeme nt, il faut· a lors
reposer le problème en termes de rapports entre les stuctures
opératoires universelles et les fonctions cognitives locales.
Encore faut-il déterminer les conditions de structuration
définitive de la pensée pour justifier cette analyse.
L'orientation de notre travail nous amène à nous interroger
plutôt sur "comment" la pensée se construit et s'organise que
sur "pourquoi" une forme de pensée n'apparaît pas dans un
milieu traditionnel
;en d'autres termes, nous voulons savoir
comment l'adolescent élabore sa pensée dans un environnement
cul tu rel par tic u1i e r. Se u1e de 1a con nais san c e du" co mmen t Il ,
l'on pourra déduire la compréhension du "Pourquoi".
Cette
façon de poser le problème n'est pas neutre; elle relève de
la dominance d'une pensée analytique.
Nous aurons toujours à l'esprit que l'influence du
milieu ne peut se saisir indépendamment de l'interaction en-
tre un sujet actif et un objet signifiant. Il ne sera pas
question de faire un travail simplement descriptif qui vise à
- 12 -
spécifier le rôle de quelques variables du milieu ou du sujet
sans les insérer dans un cadre interprétatif cohérent permet-
tan t de dis tin gue r e nt r e rel at ion s de co var i a t ion et re lat ions
de causalité; car la démarche descriptive, quoique toujours
nécessaire, demeure inappropriée, par son caractère statique,
pour l'étude du dynamisme d'une conduite en formation sous
l'effet d'une double source de variation. Il reste donc à
chercher un modèle heuristique capable de coordonner les va-
riables du sujet et les variables du milieu pour l'explication
d'une totalité comportementale ne relèvant ni du sujet, ni du
milieu, considérés isolément, mais de leur interaction.
Le problème que nous posons est un problème théorique en ac-
__ o.
cord avec l'évolution des connaissinces en psychologie géné-
tique. Pour tenter
de l'aborder, "il convient de nous informer
sur les caractéristiques de la pensée formelle.
B. INHELDER et J. PIAGET ont consacré un ouvr a qe l t )
à l'étude de la pensée formelle qui caractérise la logique de
l'adolescent. Pour les auteurs, la compréhension de la logi-
que bivalente est le résultat d'une longue évolution au cours
de laquelle l'enfant développe ses possibilités intellectuel-
les, d'abord au stade sensori-moteur (0-2 "ans), puis au stade
concret (3-11 ans) par la manipulation d'objets réels. L'avè-
nement de l'intelligence formelle (12-16 ans) marque l'acces-
1. B. INHELDER et J. PIAGET, De la logi~ue de l'enfant à la logique de
l'adolescent, P.U.F., 1955, 314 P.
- 13 -
sion au stade le plus élaboré de la pensée. P~usieurs critères
révèlent ce stade; nous nlen retiendrons que trois pour les
besoins de l'analyse.
Le premier critère est l'inversion du sens entre le réel et
le possible: IIAvec la pensée formelle, une inversion de sens
s'opère entre le réel et le possible
. Au lieu que le
possible se manifeste simplement sous la forme dlun prolonge-
ment du réel ou des actions exécutées sur la réalité, clest
au contraire le réel qui se subordonne au pos s i bl e " (1). La
pensée formelle consiste en une manipulation des possibles
suivant une logique déductive; elle est essentiellement hypo-
thético-déductive : IILa déduction ne porte plus seulement sur
les réalités perçues, mais sur des énoncés hypothétiques,
clest-à-dire des propositions formulant les hypothèses ou
posant les données à titre de simples données, indépendamment
de leur caractère actuel: la déduction consiste alors à lier
entre elles ces assomptions en tirant les conséquences néces-
saires même lorsque leur vérité expérimentale ne dépasse pas
le possible. Clest cette inversion de sens entre le possible
et le réel qui, plus que toute autre propriété subséquente,
caractérise la pensée formelle: au lieu d'introduire sans
plus un début de nécessité dans le réel, comme clest le cas
des inférences concrètes, elle effectue dès le départ la
synthèse du possible et du nécessaire, en déduisant avec
1. B. INHELDER, J. PIAGET, op. cit., p. 220.
- 14 -
rigueur les conclusions des prémisses dont la vérité nlest
admise d'abord que par hypothèse et relève alnsi du possible
avant de rejoindre le r e l ;" (1)
é
Le deuxième critère consiste dans le fait que la pensée for-
melle substitue les énoncés verbaux aux objets t la logique
des propositions à celle des classes et des relations carac-
téristlques de la pensée concrète. L'épreuve de sériation
verbale de Burt est instructive à cet égard: "Edith est plus
blanche que Suzanne; et Edith est plus brune que Hilli
; la-
quelle est la plus foncée des trois ll • Les enfants de 7 ans
qui maîtrisent l 'opération de sériation lorsqu'elle s'appli-
que à des reglettes de différente tail let échouent à cette
épreuve. Il faut attendre un âge voisin de 11-12 ans pour voir
enfin les sujets réussir. C'est que la représentation concrète
s'avere inadéquate pour l'analyse des données t les relations
asymétrlques transitives étant croisées. Il
faut alors pour
rééquilibrer la pensée, changer de niveau logique,substituer
la logique des propositlons à celle des classes et des rela-
tions portant directement sur les objets. Le traitement de
l'épreuve de sériation verbale de Burt requiert la maîtrise
de la pensée formelle qui emprunte essentiellement le véhicule
de traduction conceptuelle t le langage oral et écrit. La
construction de la logique des propositions va donc de pair
avec le développement des outils langagiers.
1.
B.
INHELDER,
J.
PIAGET,
op.
cit., p.
220.
- 15 -
Le troisième critère de la pensée formelle est qu'elle cons-
titue un système d'opérations a la deuxième puissance con-
trairement a la pensée concrète qui comporte une opérativité
de première puissance. Par cette capacité d'opérer a la
seconde puissance, la pensée formelle dépasse le cadre des
transformations portant directement sur le réel, parce qu'-
elle les subordonne à un système de combinaisons hypothético-
déductives simplement possibles: aussi les permutations
sont-elles des sériations de sériations, les combinaisons,
des classifications de classifications.
En définitive, les trois critères utilisés pour définir la
pensée formelle n'en constituent qu'un seul au niveau du
processus de représentation; car comment l'individu pourrait-
il se représenter le possible si ce n'est que sous une forme
verbale, conceptuelle, et faire l linventaire de l'ensemble
des possibles sans construire progressivement une combinatoire
qui leur donne forme? L'étude de la pensée formelle ne peut
donc pas se situer au niveau de l'action directe, mais à ce-
lui de la représentation conceptuelle.
Tout le problème est de pouvoir déterminer les con-
ditions du sujet et du milieu qui sont favorables au dévelop-
pement de la représentation conceptuelle; car c'est par
l'intermédiaire de celle-ci que s'opère l'intériorisation-
retraduction de l'action et que se développe la pensée formelle.
La référence au possible dans la genèse des opérations en
général et des opérations formelles en particulier suscite
-
16 -
quelques questions: l'élaboration d'une pensée fondée sur le
possible n'est-elle pas une réponse adéquate aux incitations
d'un milieu socio-culturel où le projet constitue l'aspect
fondamental de l'adaptation? Il s'agit non pas d'adopter une
position empiriste consistant à définir les associations
e nt rel e sin gré die nt s du mil i eue t leu r s t ra ces men t ale s , ma i s
de se demander si les caractères de certaines sociétés humai-
nes ne sont pas une source de facilitations fonctionnelles en
faveur de la structuration de l'intelligence formelle.
Raisonner du possible au réel, clest prendre de la distance
par rapport à l'objet de connaissance et par conséqu~nt slin-
terdire l'usage de II c i r c u i t s courts Il ; clest projeter son
action éventuelle dans le futur, se la représenter, la dissé-
quer, la traduire sous forme de modèle organisateur - une
prise de distance suppose l'absence d'urgence, la possibilité
de programmer son action dans le temps, de planifier une
véritable stratégie d'intervention, de simuler l'action en
pensée avant de la réaliser effectivement. Cette démarche
contraint le sujet à coordonner la définition des buts et
l'élaboration des moyens.
Les c on dt t i ons de vie dans l'environnement africain traditionnel
laissent-elles à l'enfant la possibilité de prendre réguliè-
rement du recul par rapport au réel ? En l'absence de toute
division du travail, d'un cadre institutionnel d'instruction
formelle, le recul progressif pourrait paraître compromis.
,.
L'idée que le développement de la pensée formelle pourrait
- 17
être compromise par les caractères du milieu traditionnel
entraîne une hypothèse corrélative: le raisonnement expéri-
mental en tant que manifestation particulière de la pensée
formelle y trouverait aussi un champ non adapté à son épa-
nouissement final. Mais qu'est-ce que le raisonnement expéri-
mental? Existe-t-il d'autres types de raisonnement qui se
substituent au raisonnement expérimental dans certaines con-
ditions en fonction du principe de vicariance ? Existe-t-il
un raisonnement expériencé ?
Selon P. Oléron, raisonner "c t e s t combiner, enchaî-
ner des énoncés pour arriver, partant d'un point de départ,
constats de faits ou énoncés "acceptés" à des conclusions qui
peuvent être posées sans recours à de nouveaux constats" (1).
Défini comme t e l ; le raisonnement est une activité de con-
naissance de l'environnement, un moyen d'adaptation; il
s'enracine dans le vécu individuel avant de s'élever à un
certain niveau de généralité.
Il
implique, avec l'apparition
de la fonction sémiotique, l'utilisation d'un symbolisme, le
recours au langage pour s'exprimer. La construction de la
fonction sémiotique se fait pas à pas de même que celle du
raisonnement. Inexistante au départ pendant la formation des
inférences vécues (réactions d'anticipation propres à tous
les organismes vivants en fonction de l'expérience), la fonc-
tion sémiotique préside déjà à l'organisation des raisonne-
ments matériels centrés sur la pensée concrète, aboutissant à
1. P. OLERON, Les activités intellectuelles, P.U.P., 1972, P. 100.
- 18 -
la constitution de modèles élémentaires des situations. Plus
tard vers 11-12 ans, elle jouera un rôle quasi-exclusif dans
l'élaboration des raisonnements formels, de modèles complexes
d'appréhension du réel. L'utilisation d'un système symbolique
comportant ses propres règles de fonctionnement s'avèrera
alors nécessaire. Dans tous les cas, l'inférence vécue, le
raisonnement matériel et le raisonnement formel sont des ins-
truments d'adaptation, une condition de survie de l'homme.
Cette valeur adaptative se traduit par les possibilités
d'anticipation, de prévision auxquelles ils permettent d'accéder.
Le raisonnement expérimental est à la fois un raisonnement
matériel et formel parce que de nature hypothético-déductive.
Il procède de façon analytique, par réduction des choses, par
dissociation de tous les facteurs possibles et par manipula-
tion de chaque facteur "toutes choses égales Dar ailleurs" pour
attribuer les modifications observées au seul facteur manipu-
lé. La démarche expérimentale vise donc à établir la structure
de l'objet à partir de l'analyse de ses éléments. Elle ouvre
la voie de la connaissance objective, théorique. Mais elle
ne comporte pas de stratégies d'intervention sur l'environne-
ment. Diffère-t-elle fondamentalement de la démarche expér i encée?
La démarche expériencée peut s'entendre au sens anglais de "To
experience" où l'employait FlOURNOY (1), c'est-à-dire "éprouver"
1. LALANDE (A), Vocabulaire technique et critique de la philosophie,
P.U.P., 3e édit. 1980, P. 323.
- 19 -
dans le temps. Elle est un effort cognitif de l 'homme pour
donner une certaine cohérence à son
univers en vue de l'ac-
tion. Elle fonctionne comme la démarche expérimentale sur la
base de l'expérience, des faits, mais en diffère par le cadre
épistémologique. En tant que démarche fondée sur l'expérience
naturelle, elle se refuse à toute analyse s'appuyant sur la
décomposition volontaire du réel, sur sa manipulation. Elle
défend par contre l'analyse globale des choses telles qu'elles
sont, des phénomènes tels qu'ils apparaissent, des régularités
telles qu'elles se manifestent. Toute cette activité d'analy-
se macroscopique vise à donner un sens aux objets naturels, à
situer l 'homme dans la chaine des régularités caractéristi-
ques de l'équilibre cosmique.
La démarche expériencée opère aussi au plan du raisonnement
formel.
Il ne s'agit pas du formalisme conventionnel de la
logique bivalente, mais d'un formalisme analogique, d'une
formalisation des significations, de la construction des cor-
respondances entre les signifiants naturels et les signifiés
humains. Le formalisme analogique débouche sur une logique
pragmatique, une logique de l'action; il développera des
définitions par l'usage, la fonction. Ainsi le négro-africain
traditionnel se posera, par exemple, moins de question sur
les conditions de formation dela pluie que sur sa significa-
tion pour l 'homme, sur les éléments constitutuants d'une
terre féconde que sur la signification profonde de cette
terre qui est vivante, généreuse et vitale pour l 'homme. La
- 20 -
terre sera le symbole de la fécondité, de l'expansion de
l'homme dans l'univers.
La pensée négro-africaine reposerait donc sur une démarch~
expériencée beaucoup plus centrée sur la recherche du sens,
du but des choses que sur la connaissance de leurs structures
internes. Quoique sensible à l'explication causale élaborée à
l'aide du raisonnement expérimental, elle lui préfère une
explication finale, celle du pourquoi et non du comment.
Le
sol sableux qui fait pousser le cocotier n'assume qu'une cau-
salité intermédiaire, censée rendre compte de la finalité
première du sable contenue dans la genèse de la création.
Le raisonnement expérimental et le raisonnement
expériencé s'appuient tous deux sur les processus d'induc-
tion et de déduction. C'est à cette double démarche cognitive
qu'il faut se référer pour comprendre leurs mécanismes.
Lorsqu'un individu est confronté à une situation,
il ne répond pas à toutes les stimulations de celle-ci. Il
tend à en dégager certaines régularités qu'il lui substitue
sous un angle donné: Dans un cas, on dit qu'il abstrait;
dans l'autre, il induit. Abstraction et induction sont donc
des activités intellectuelles complémentaires et orientées
car toute induction met forcément en jeu une abstraction;
elle sélectionne toujours d'un objet complexe certaines pro-
priétés au détriment d'autres. Ainsi toute loi scientifique
obtenue par induction est abstraite et consiste à ordonner les
- 21 -
phénomènes naturels à partir de la connaissances des régularités.
L'induction procède du particulier au général; une loi scien-
tifique n'a de sens que dans la mesure où elle comporte un
modèle
puissant s'adaptant à la description
d'un qr a nd nombre de
phénomènes.
L'étude expérimentale de l'induction s'est faite
en psychologie suivant trois axes, selon qu'il s'agit de dé-
gager des lois, des relations ou des concepts (Thurstone,
Spearman). Ce qui est exploité, ce sont les capacités d'abs-
traction du sujet au sens où selon Laporte "a bs t r a t r e , c'est
penser à part, ce qui ne peut être donné à part". Les épreuves
d'induction doivent susciter des conduites d'abstraction consis-
tant à réagir à une situation globale par l'intermédiaire de
quelques-unes de ses propriétés seulement. Les
exemples
d'épreuves
inductives
sont
variés.
Les uns empruntent le
modèle des progressions géométriques impliquant la découverte
d'une ra i son ; en présentant au sujet le début de la progression,
on l'invite à découvrir cette II r a i s onll par la poursuite de
celle-ci. D'autres compatibles avec le modèle de Spearman
s'attachent, à partir de la définition de l'intelligence comme
capacité d'lléduire" des relations, à proposer du matériel
propre à faciliter l'utilisation du raisonnement relationnel.
D'autres enfin exploitent le cadre des classifications et in-
vitent les sujets à dégager le caractère commun à divers élé-
ments. Il peut s'agir soit d'indiquer d'autres éléments qui peuvent entrer
dans la catégorie des objets donnés, soit d'éliminer un élément en disson-
nance avec les autres.
- 22 -
Toutes les épreuves inductives reposent sur l'idée qu'il
existe une " r aison ll , une II r é gul a r i t é ll inhérente aux objets et
en fonction de laquelle on peut les organiser. Cette capacité
d'abstraction, d'appréhension de la similitude dans la diver-
sité s'associe à la mise en oeuvre de moyens de traduction
rendant possible la réduction de l'ensemble à l'unité - le
développement de l'intelligence formelle va accentuer la ten-
dance réductionniste de la pensée en même temps qu'elle
accroit l'univers des possibles analysés et finit ainsi par
palcer 1I1'unique ll sous le "d i ve r s ",
Au point de départ, le raisonnement expérimental et le raison-
nement expériencé s'enracinent dans la démarche inductive. Ce
sont les faits qui sont premiers; et c'est au cours de leur
interaction avec le sujet que celui-ci prend conscience des
constantes qui se révèlent et informent. Les hypothèses inter-
prétatives nlont de sens que par rapport à la recherche de la
cohérence, du sens des régularités pour l t homrne . Quand on sait
que l'efficacité de l'action dépend d'elles, on comprend aisé-
ment pourquoi leur compréhension devient l'une des préoccupa-
tions essentielles de l'homme.
La démarche expérimentale est une démarche inductive propre.
Sa particularité, c'est qu'elle se structure avec la pensée
formelle et ne peut par conséquent se situer au niveau des
inférences vécues ou des raisonnements matériels; elle intèqre
ceux-ci dans un raisonnement hypothético-déductif dont la spé-
cité consiste à émettre une hypothèse, à construire une expé-
- 23 -
rience sur le principe de la dissociation
des f a ct e ur s , à
déduire les conséquences du facteur à manipuler avant l'action
expérimentale.
La démarche expériencée constitue aussi une démarche
inductive
particulière. Elle s'organise à partir des inférence vécues,
des raisonnements matériels conduisant à une modélisation de
l'action directe. Les régularités observées ne sont pas réfé-
rées aux objets en soi , mais interpretées en ce qu'elles
déterminent la vie et comportent donc des significations par
rapport à la survie. Le problème ici est de savoir comment
agir sur la nature en fonction de ce qu'elle est pour que
l'homme continue à rester ce qu'il est.
Il s'agit de doser
l 'action de l 'homme sur la nature pour maintenir l'équilibre
primordial.
La démarche inductive n'est pas un raisonnement coupé de la
déduction. Son élaboration formelle requiert l'utilisation du
raisonnement déductif.
La dichotomie "induction - déduction" n'est qu'une
distinction de forme nécessaire à toute activité d'analyse.
Les études génétiques ont bien montré comment la pensée et les
raisonnements qu'elle comporte
prennent leur source dans
t
l'expérience conquise par le sujet dans un milieu donné. L'in-
telligence opératoire en tant que forme supérieure d'adapta-
tion correspond à un effort de l'individu pour se représenter
son univers en répérant les régularités, les constantes sur
- 24 -
lesquelles il doit s'appuyer pour asseoir une action efficace.
Du point de vue du développement psychologique
on peut dire
t
que l'induction précède la déduction et la prépare. La maîtrî-
se de cette dernière permet en retour de raisonner à partir de
faits.
L'induction et la déduction sont donc des démarches cognitives
complémentaires. La déduction définit tout raisonnement rigou-
reux et achevé; de ce fait
elle construit des vérités uni-
t
verselles et n'admet aucune contradiction dans son
déroulement
normal. Quant à l'induction
elle s'appuie sur des objets
t
desquels elle extrait des propriétés comme bases pour l'inter-
rogation de ceux-ci. Le raisonnement inductif consiste alors à
imaginer la " r aison" de cette communauté de "propriétés" entre
au moins deux événements X et Y
il s'exprime généralement
chez le chercheur sous la forme
"11 doit y avoir un rapport
entre X et Y telle que la propriété de X se
rérercute sur Y".
L'induction pour s'achever utilise le schéma de l'implication
logique.
J.
Piaget souligne la complémentarité des deux types de rai-
sonnement dans son "Introduction à l'épistémologie génétique Il
lorsqu'il écrit que l'induction est tant6t une préparation à
la d duc t i o n , tant6t une méthode qui fait appel à un ensemble
é
de déductions particulières. L'induction est
selon la formule
t
de l.a l a nde , une conduite expérimentale qui consiste à interroger
le réel
sur sa déductibilité. Par son caractère inductif
le
t
raisonnement expérimental apparaît comme un raisonnement hypo-
- 25 -
thétique fondé sur l'univers des possibles, d'une part. Sa
conformité avec les règles de la nécessité logique en fait un
raisonnement déductif, d'autre part.
Il en est de même du raisonnement expériencé qui à son tour
tente de construire une pensée consistante par l'observation
attentive
des régularités naturelles. La dimension temporelle
joue un rôle essentiel dans la sémantisation de celles-ci. Si
un événement X se produit toujours avant un événement Y, c'est
qu'il est destiné à le prédire, à l'annoncer. La signification
de cette liaison est à chercher dans l'acte de création qui
fait que les choses sont ce qu'elles sont et ne peuvent pas
être autrement. Ainsi le soleil qui déqage de la chaleur en
est la cause seconde, la cause première se trouvant dans
l'intention créatrice; la sécheresse ne peut se concevoir
comme un phénomène naturel qui obéirait à de simples lois
physico-chimiques; elle serait une réponse cosmique à des
conduites humaines contre nature. Ici la déduction ne porte
plus sur des relations causales, mais sur l'enchaînement logi-
que des significations finales. Dans les deux cas, l 'opération
logique d'implication fonctionne de la même façon malgré la
différence des contextes auxquels elle s'apolique. Il s'agit
de deux systèmes de pensée générés par une épistémologie par-
ticulière et irréductibles quoique coordonnables dans une
approche systémique comme on le verra par la suite.
Il parait vain dans ces conditions de vouloir saisir les con-
naissances expériencées à l'aide de la méthode expérimentale
- 26 -
sans prendre un recul suffisant. Cette attitude fait courir
le risque de confondre le "comment" et le "pourquoi" des
choses. Répondre à la question "comment fabrique-t-on une
chaise ?", c l e s t inviter l'interlocuteur à prendre connaissance
d'une formation technique oD l Ion dispense les méthodes de
fabrication de l'objet "chaise" ; mais répondre à la question
"pourquoi fabrique-t-on une chai se ?", c'est renvoyer à autre
chose qu'aux méthodes. La réponse doit en effet infor~er sur
la fonction sociale de la chaise, sur la finalité de sa réali-
sation.
Dans les sociétés modernes, les deux points de vue
ne sont pas toujours liés à cause de la complexité des circuits
de production, de distribution et de consommation, de l'absence
d'une articulation rationnelle entre l'offre et la demande,
les moyens et les buts. Sur le plan économique, l'utilisation
de "circuits longs" s'imposent. Les sociétés traditionnelles
ne vivent pas ce problème, la liaison entre l'offre et la
demande étant directe: d'où l'utilisation de "circuits
courts". L'exemple de la "chaise" montre que, malgré la rigueur
1
de sa méthode et de son analyse, le raisonnement expérimental
n'est pas adapté à la définition d'une action immédiate sur
un objet complexe. En revanche, le raisonnement expériencé,
par son caractère global, pourrait révéler une certaine effi-
cacité pour l'encadrement de l'action directe. L'utilisation
préférentielle du raisonnement expériencé amènerait l'individu
à confier la gestion de l'incertitude de l'avenir aux ancêtres
- 27 -
qui ont l'expérience des totalités naturelles, la vie et la
mort, le connu et l'inconnu.
Le raisonnement expérimental et le raisonnement expériencé
seraient conformes aux représentations du monde, aux cosmogo-
nies des sociétés qui les secrètent et les emploient. De par
leurs constructions cognitives, ils alimenteraient l'imaqinaire
des peuples, de la volonté de puissance à la volonté d'im-
puissance face à la nature.
Notre étude ayant pour objet premier le développement du rai-
sonnement expérimental, il nous faut revenir à présent sur
les caractères spécifiques de ce raisonnement pour préciser
notre objectif de recherche au niveau de la conduite observa-
ble. Nous en profiterons pour présenter, au terme de l'analyse,
les différentes articulations du travail.
Le raisonnement expérimental fait partie intégrante
de la pensée formelle.
Il ne peut fonctionner que par l'in-
termédiaire de "c i r c ui t s l onqs " de représentations symboliques
d'objets. Il possède donc les mêmes caractères que la pensée
formelle.
Il s'agit d'un raisonnement essentiellement hYDO-
thético-déductif : il lI e f f e c t ue dès le départ la synthèse du
possible et du nécessaire, en déduisant avec rigueur les con-
clusions de prémisses dont la vérité n'est admise d'abord que
par hypothèse et relève ainsi du possible avant de rejoindre
le réel." (1). Le raisonnement expérimental opère à l'aide
1.
B. INHELDER et J. PIAGET, op. cit., 1955, p. 220.
- 28 -
d'une logique des propositions; or le propre d'une logique
propositionnelle, c t e s t d'être avant tout une logique de toutes
les combinaisons possibles, car "dès le contact avec les pro-
blèmes de faits, au lieu de s'en tenir à une structuration
directe des données perçues ... , elle part de 1 'hypothèse,
c'est-à-dire du possible" et elle lIinsère le réel dans l'en-
semble des hypothèses" compatibles avec les données.
Le "p os s tb l e " est donc la condition du développement de la
pensée formelle et du raisonnement expérimental. Confrontée à
une situation donnée, l'adolescent l'analyse, établit certai-
nes relations, fait mentalement certains calculs correspondant
à des transformations réalisables mais non actuellement réali-
sées. C'est ce que Piaget appelle le "ma t
r i e l l eme nt
possible"
é
c'est-à-dire le possible rélevant de la compétence coqnitive
du sujet. Cependant, il existe en général des opérations que
le sujet n'actualisent pas, mais qu'il pourrait éventuellement
actualiser parce que de même niveau opératoire que celles
qu'il emploie; c t e s t le "structuralement possible". Toutefois
"structuralement possible" et "matériellement possible" sont
en fait en étroite relation, car les opérations manifestes du
sujet sont sous la dépendance d'une structure opératoire laten-
te beaucoup plus vaste; et d'autres opérations de la struc-
ture latente sont susceptibles d'être actualisées dans cer-
taines conditions. (lest que le possible joue un véritable
rôle causal. Le "me t r t e l l e me nt possible" joue tout dlabord
é
ce rôle parce qu'il
permet au sujet
de dépasser le réel par la
formulation d'hypothèses au cours des stades du développement
- 29 -
d'abord au niveau pré-opératoire, le possible se confond avec
le futur éventuel i nd i s pe ns a bl e à l'adaptabil ité de l'action
puis lorsque l'action se .transforme en représentation, le
possible intervient chaque fois qu'il faut "choisir entre deux
ou p~usieurs voies après avoir imaginé où conduise chacune
d ' e l les '1. Enfin a uni ve au for mel, lep 0 s s i bl e c0 ï ncid e a ve c
l'hypothèse qui "intervient dès le contact avec le réel, dans
la mesure où le fait actuel est conçu comme pouvant donner
lieu à plusieurs interprétations" (1).
Le raisonnement expérimental consiste en la capacité de l'ado-
lescent d'émettre des hypothèses à propos d'une situation en
vue de l 'interprèter, de la connaître et d'intégrer cette con-
naissance à la conduite pour affronter les nouvelles situations.
La recherche de la preuve sera l'une des préoccupations essen-
tielles dans la mise au point de l 'expérience. L'ex~érience
doit se dérouler dans des conditions telles que les effets
engendrés par la manipulation d'un facteur, tous les autres
étant maintenus constants, soient attribués à ce seul facteur.
En dehors de cette norme expérimentale, la déduction des con-
séquences de l'hypothèse perd toute sa valeur de vérité. L'u-
til isation du raisonnement expérimental exige un esprit de
rigueur permettant d'accepter les hypothèses comme vraies ou
fausses au terme de l'action expérimentale. L'hypothèse
féconde constitue un modèle organisateur de l'intervention
1. B. INHELDER, J. PIAGET, Op. cit., 1955, p. 231.
- 30 -
scientifique: elle comporte toujours une interprétation
anticipée de l'objet de recherche; elle possède une validité
logique interne avant l'expérimentation qui
en détermine la
validité
empirique.
L'établissement des relations de cause à
effet, des lois scientifiques ne se comprend que replacé dans
le cadre du modèle expérimental.
Notre travail vise à saisir les conditions de
formation du raisonnement expérimental.
Nous
intégrons ce raisonnement au modèle expérimen-
tal qui
le situe dans un contexte et l'organise
Le problème est de savoir comment le sujet
traduit son attitude expérimentale dans un mo-
dèle de connaissance,
invité à
expérimenter
sur un dispositif ou un matériel.
La construc-
tion du modèle implique des connaissances
antérieures en fonction desquelles l'adolescent
émet un ensemble d'hypothèses de
façon verbale
et propose des moyens de
vérification.
Ce qui
permet à l'expérimentateur de contrôler l'or-
ganisation de l'expérience,
de
suivre la mani-
pulation du
fac:teur hypothétique "toutes choses
égales par ailleurs",
de voir comment le euj e t:
conclut relativement à l'hypothèse et aux
faits
observés.
Nous nous attachons essentiel-
lement à
l'étude de la formation du modèle
expérimental.
Il s'agira de voir comment le
sujet élabore ce modèle,
schématise les données
pour obtenir un projet expérimental cohérent
don t
la réa Lis ation effec tive pa s s e
forcément
par la mise en oeuvre de stratégies cognitives
bien définies.
-
31 -
Au terme de notre investigation s'il se trouve que la démarche
expériencée apparaît comme la démarche prédominante dans les
milieux africains traditionnels, la spécificption des condi-
tions du sujet et du milieu favorables au développement du
raisonnement expérimental pourrait conduire à des applications
pédagogiques. Nul n'ignore que la pensée formelle fournit
les moyens cognitifs indispensables à l'acquisition de la
science et de la technologie. Les besoins du développement
moderne en Afrique imposent au politicien de mettre en place
un système éducatif adapté, accordant une place particulière
aux formations scientifiques et techniques. Il
se trouve que
le rendement des systèmes scolaires dans ces disciplines est
très faible. De nos jours, sont rares les pays africains au
Sud du SAHARA qui peuvent s'enorgueillir d'avoir un corps de
professeurs de mathématiques, de sciences physiques ou d'é-
lectronique autochtones. La plus grande partie des formations
est assurée par l'assistance technique étrangère. La question
de savoir que faire pour améliorer la formation scientifique
se pose. Entre autres réponses, la connaissance du fonction-
nement cognitif des élèves et des conditions de leur évolu-
tion vers le raisonnement expérimental pourraient inspirer
les buts et les moyens à mettre en place pour former un nouveau
type d'homme. Il ne paraît donc pas inutile d'oeuvrer pour la
compréhension des processus de pensée.
Le texte s'organise en trois parties composées de
- 32 -
douze chapitres. La première partie, à vocation théorique,
porte sur la recherche d'un modèle d'étude du sujet et du
milieu. Elle s'articule en quatre chapitres. Le premier ques-
tionne les modèles d'études du milieu pour voir s'ils offrent
une contrepartie pour l'étude du sujet. Le deuxième interroge
à son tour les modèles d'étude du sujet afin de savoir s'ils
pourraient convenir à l'étude du milieu. Le troisième évoque
la possibilité d'un modèle véritablement interactionniste
définissant l'activité du sujet et les caractères du milieu
favorables à cette activité comme les conditions du dévelop-
pement intellectuel. Enfin, le quatrième chapitre s'attache
à l'étude des effets de l'école.
Ce lieu d'éducation, par ses
propriétés particulières, notamment l'instruction formelle et
l'utilisation régulière d'une langue hors contexte, serajt le
milieu le plus favorable au développement de la pensée for-
melle et du raisonnement expérimental.
La deuxième partie, à orientation méthodologique, pose les
hypothèses et définit le plan expérimental. Elle se déploie,
elle aussi, en quatre chapitres. Le chapitre cinq comporte le
corps d'hypothèses à même d'expliciter les conditions du sujet
et du milieu favorables au développement. La détermination de
ces conditions ne
peut
se faire sans une connaissance préa-
lable de l'environnement négro-africain; nous avons, dans le
chapitre six, exposé quelques données de la pensée négro-
a f ri ca i ne, sui vi dan s le cha pit r e sep t, de l' t ude compa ra t ive
é
des éducations traditionnelles et modernes. Ces deux chapitres
- 33 -
devraient pouvoir éclairer la formation de la démarche expé-
riencée et aider à l 'opérationnalisation des hypothèses.
Enfin le chapitre huit concerne la traduction opérationnelle
des hypothèses; il
informe sur le plan d'expérimentation.
La troisième partie de l'étude présente les résultats élabo-
rés conformément aux hypothèses. Elle se subdivise en quatre
chapitres. Le chapitre neuf expose les relations entre le
niveau scolaire et le développement cognitif, pour voir si,
dans la période critique de la pensée formelle, le degré de
scolarité n'est pas plus important que l'âge, dans la struc-
turation du raisonnement expérimental. Le chapitre dix s'ef-
forcera d'expliquer les différences entre les performances
des élèves urbains et ruraux. Le retard des ruraux est-il
fonction du niveau général de l'activité de l'adolescent ou
relève-t-il de l'influence de données socio-culturelles sur
la représentation? Au chapitre onze, nous formulerons une
lecture des performances expérimentales suivant une double
approche: l'approche structurale et l'approche fonctionnelle.
Il s'agit de savoir si la construction des connaissances cor-
respond à leur utilisation. Enfin le chapitre douze comporte
une contribution à l'étude de la pensée formelle; nous nous
y efforcerons de préciser les conditions du sujet et du milieu
qui
provoquent le développement du raisonnement expérimental.
PREMIERE
PARTIE
RECHERCHE D'UN. MODELE D'ETUDE
- 34 -
CHAPITRE 1
RECHERCHE D'UN MODELE D'ETUDE DU MILIEU
Quelles sont les conditions du milieu et du sujet
qui sont favorables au développement du raisonnement eXQéri-
mental? Cette question implique que le déveloopement cognitif
individuel dépend, d'une part, des caractères du milieu et
d'autre part, des caractères du sujet. Voyons d'abord s'il
existe un modèle d'étude du milieu.
Les travaux empiriques consacrés à l'influence du
milieu sur le développement coqnitif détachent soit les fac-
teurs socio-économiques, soit les pratiques éducatives, soit
les facteurs linguistiques comme variables indépendantes. Mais
la divergence des conclusions auxquelles aboutissent les cher-
cheurs renvoie à la difficulté initiale d'ooérationnaliser
celles-ci.
1 - FACTEURS SOCIO-ECONOMIOUES ET DEVELOPPEMENT CO~NITIF
Ou'entend-on par facteurs socio-économiques? Il
faut se placer d'un point de vue historique pour comprendre l'évolution
de cette notion. Les facteurs socio-économiques ont d'abord été assimi-
lés à un indice synthétique des informations apportées Dar un
ensemble de variables tels que la profession des oarents,
leur niveau de culture, les conditions de logement ... Les
informations ainsi recueillies sont regroupés sous un indice
global qualifié de facteurs socio-économiques. Cette acceo-
tion fondée
sur les conditions matérielles de vie constitue
- 35 -
la base méthodologique de l'enquête de Lauqier
Weinberg et
t
Cassin (1940). Mais son caractère arbitraire limite par le
fait même la portée scientifique des résultats.
M.C. Hurtig et B. Zazzo (1969) proposent la notion
de "Cote sociale".
Il
s'agit d'un indice quantifié constitué
sur la base des informations recueillies aUDrès des mères
d'enfants par la technique du questionnaire. Selon les auteurs,
l'établissement de la Cote
répond aux objectifs suivants:
- préciser les limites des trois échantillons de
milieu
- reconsidérer, en intégrant des informations au-
tres que la seule indication de la profession des parents,
l'appartenance de chaque famille à l'un des trois milieux;
- permettre de situer chaque famille à l'intérieur
de son propre milieu;
- établir entre les familles une hiérarchisation
continue relativement indépendante des définitions structura-
les des milieux;
-
à partir des deux points
précédents, permettre
les premières comparaisons d'ordre psycholoqique en fonction
du milieu.
La Cote sociale est un indice composite qui tient
compte à la fois d' informations de caractère socio-professionnel
et culturel.
Elle a l'avantage de fournir une différenciation
fine du milieu en dépassant sa simple caractérisation par la
- 36 -
prof essi 0 n duc he f de fa mil le. Mai s co mm e laC 0 tes 0 c i ale q l 0 -
bale s'obtient par l'addition d'une note socio-professionnelle
et d'une note culturelle à poids égal, un même résultat quan-
titatif peut traduire différentes réalités. Conscients de ce
problème, les auteurs proposent de décrire les milieux par la
Cote sociale globale, puis par les éléments qui la comoosent.
Les travaux de l'enquête de Berkeley sur le dévelop-
pement de l'enfant (1928) se fondent sur de tels indices:
Bayley et Jones (1937), Lesser et Coll
(1965). L'arbitraire
de la métrique réduit la valeur de la méthode.
Havighurst et Janke (1944) distinguent deux méthodes
pour décrire la structure sociale:
la méthode "socio-
économique" dont i l a été question, et la méthode du "Statut
social" fondée sur l'étude de la "participation sociale"
c'est-à-dire les fréquentations des individus, leurs activités
et leur réputation au sein de la communauté.
Le statut social
apparaît dans ce cas comme la variable indépendante dont l'ac-
tion se manifeste sur le développement intellectuel. On peut
adopter une démarche inverse en accordant le statut de varia-
bles dépendantes aux facteurs
socio-économiques alors que le
développement intellectuel constitue la variable indépendante.
C'est ainsi que Bradway (1931,1941,1956) cherche à détermi-
ner les facteurs associés aux élevations ou aux chutes du 01 ;
entre autres facteurs,
il
souligne l'intervention de la Dro-
fession des ascendants et de certaines pratiques éducatives
- 37 -
(Bradway 1945, Bradway et Robinson, 1961) - Wohlwill
(1966)
s'interroge sur les lIingrédients critiques ll de l'environne-
ment qui différencient les sujets chez lesquels le développe-
ment de l a pensée opéra toi re est pl us rapi de (avance de 2 ans).
Cette approche revient à formuler des hypothèses sur l'organi-
sation du milieu à partir de ses effets sur le développe~ent
intellectuel.
Le code des catégories socio-professionnelles de
l'I.N.S.E.E.
(Institut National de la Statistique et des
Etudes Economiques 1962), repose sur la même idée. Il se oro-
pose de construire des catégories présentant chacune une
certaine IIhomogénéité s oc i a l e :", c'est-à-dire regroupant des
personnes présumées «être susceptibles d'entretenir des
relations personnelles entre elles, avoir souvent des compor-
tements ou des opinions analogues, se considérer elles-mêmes
comme appartenant à une même catégorie, et être considérées
par les autres comme appartenant à une mê~e catégorie». On
retrouve là l'idée de "Statut social" des s o c i o l o cu e s améri-
cains.
LiU n des
"b ut s pra t i Cl ue s Il duc 0 de a été d 1 <<'0 bte ni r
une classification qui donne des corrélations assez fprtes
avec les diverses caractéristiques étudiées dans les
travaux
qui utilisent cette classification». Un deuxième objectif
prédit une stabilité comportementale à l'intérieur de chaque
catégorie, stabilité qui est le produit d'un ensemble de
- 38 -
variables intercorrelées. Dans cet amalgame de variables, le
problème est de savoir comment répérer celles qui déter~~ent
la différenciation intellectuelle des sujets.
La même utilisation des indices synthétiques se
retrouve dans les travaux de Werner (1949). L'indice de Werner
adapté par Eels et collaborateurs a servi de base méthodolo-
gique à un grand nombre de recherches aux Etats-Unis.
Il
classe les familles sur une échelle à sept points en fonction
de quatre éléments combinés (profession, revenu, type d'habi-
tation, quartier), le poids de chaque élément ayant été défini
par regression multiple selon le statut social estimé par des
informations d'interviews. Eeels et collaborateurs ont rem-
placé le revenu par le niveau d'études des parents pour la
commodité des observations (questionnaire) et chanqé la pon-
dération. Mais cette adaptation n'apporte pas de grande modi-
fication quant au sens de la métrique.
De nombreux travaux confirment l'existence d'une
liaison entre les facteurs socio-économiques et le développement
intellectuel. Sans vouloir prétendre à une analyse exhaustive,
ce qui déborderait les limites de notre objectif, nous nous
bornerons à mentionner les grands domaines d'investioation qui
ont permis de mettre en évidence une telle liaison: les don-
nées militaires, les enquêtes en milieu scolaire, l'étalonnage
des tests et les études longitudinales.
- 39 -
1 - LES DONNES MILITAIRES
Les recherches psychométriques effectuées dans
l'armée américaine pendant la seconde guerre mondiale appor-
te nt des informations convergentes. Les recrues étaient exa-
minées à l'aide d'une épreuve c omo o s i t e , l'A.G.C.T.
(ARMY
GENERAL CLASSIFICATION TEST) décrite par Binqham (1946).
Il
s'agit d'une épreuve classique (compréhension de phrases,
arithmétique, épreuve sur données spatiales) présentée en
versions variées en quarante minutes sous la forme de questions
à choix multiples.
En cinq ans, l'expérience a porté sur un
effectif de dix millions de sujets non représentatifs de la
population masculine des Etats-Unis. Stewart (1947) a étudié
un sous-échantillon de plus de 80.000 hommes reDrésentatifs
de simples soldats blancs (les officiers sont exclus de
l'étude) distingués par les catégories professionnelles. On
constate une hiérarchie des performances deDuis les comptables
et les enseignants (notes médianes comprises entre 120 et 130)
jusqu'aux mineurs et ouvriers agricoles (notes médianes
rieures à 90), en passant par les maçons et menuisiers-
charpentiers (médianes juste supérieures à 100) et les ven-
de urs, r e pré sen tan t set e mDl 0 Yé s de bu r eau (e nt r e 110 et 120 ).
- 40 -
Groupes professionnelles
(effectifs)
360
Enseignants
859
Vendeurs
Représentants
1004
'lenuisiers
Charpentiers
1
1
1
1
1i
7675
1
Ouvriers
-.J
Agricoles
1
i
\\
\\
~
60
70
80
90
100
11 0
120
130
140
Notes s ta nc a r d t s e s à l'A.G.C.T. (movenne = 100
é
écart tyoe
20).
:0
Fig.
1 - Données militaires étudiées par Stewart
(D'après ANASTASr, 1958, o. 16).
Ete~due de la distribution des notes obtenues dans
divers groupes professionnels (du oremier au neuviè-
me décile, avec indication de la médiane).
- 41
-
On constate que la distribution des notes est plus
étendue dans les groupes à gros effectifs et faible moyenne,
qui sont donc moins homogènes que les groupes à faibles ef-
fectifs et forte moyenne. On observe aussi des recouvrements
importants des distributions; ce qui signifie qu'une partie
des individus appartenant aux catégories inférieures aurait
pu
fa ire des
t udes p'1 USD
es des pro f ession s
é
0 USsée set
ex e r c é
exigeant une plus grande qualification. Nous touchons là le pro-
blème des "réserves d1aptitudes" estimées par le nombre d'in-
dividus ~ui dépassent le niveau minimum requis pour la pour-
suite de certaines études sans pour autant poursuivre les
études considérées (Bacher et al , 1971)
(1).
Les travaux de M. Montmollin sur le niveau intel-
lectuel des recrues du contingent (1958, 1959) aboutissent
aux mêmes résultats. Appliquant une batterie de 14 tests à
plus de 257.000 recrues non représentatives de la population
de 20 ans.
(8 tests d'aDtitudes, 2 tests de connaissances
scolaires et 4 tests de connaissances professionnelles),
l'auteur compose un indice de mesure globale du niveau intel-
lectuel à partir de 6 tests fortement saturés en "facteur
général". Cet indice a ppe l
"niveau général" a servi de
é
variable dépendante par rapDort à laquelle l'action des caté-
gories professionnelles a été estimée. Il aoparaît que la
Ré eervee d 'crotitudes
Z. "eneei.anemen t , BINO?,
197], 27, 17-29.
- 42 -
répartition professionnelle la plus défavorable est celle
des professions agricoles, la plus favorable, celle des pro-
fessions mécaniques et activités tertiaires.
Les enquêtes réalisées en milieu scolaire présen-
tent le même panorama.
2 - LES ENQUETES EN MILIEU SCOLAIRE
Laugier (H.), Weinberg (O.) et CASSIN (C.)
(1936-
1937) entreprennent une enquête sur le thème "Niveau de vie
et caractère" (1).
Ils examinent 650 garçons de 9 à 11 ans en fonction
de 31 caractères biologiques mesurables. Le but des auteurs
était de mettre en évidence les effets liés à un état de pau-
vreté accentué. L'effectif examiné concerne les sujets
sélectionnés dans le 13è arrondissement de Paris reputé à
l'époque pour la faiblesse de son niveau de vie. ~a partition
des familles s'est faite sur la base de quatre critères:
type d'alimentation, budget familial, conditions d'habitation,
travail de la mère. Ainsi est déterminée une échelle ordinale
en 5 classes. La représentation graphique des résultats fait
apparaître deux types de courbes sensiblement linéaire:
les
courbes à plateau (force musculaire, épreuve verbale) et les
courbes sensiblement linéaires (Intelligence non verbale).
L'interorétation des deux types de courbes amène les auteurs
à distinguer entre les caractères anthropolo~iques et ohysio-
( 1)
Tvaoai. Z humai.n , Séi-ie A, n 0 Tl ,
]940.
-
43 -
logiques d'une part (7/10 tendent vers une courbe en plateau)
et les caractères psychologiques d'autre part (9/12 sont
d'allure linéaire). La présence d'un plateau correspond à
l'arrêt des effets bénéfiques d'un meilleur niveau de vie
sur le développement du caractère considéré. Mais la valeur
moyenne du caractère augmente lorsqu'on passe des niveaux de
vie les plus bas à ceux qui leur sont supérieurs. Les auteurs
retiennent "l'idée d'un optimum au-delà Juquel
les modifica-
tions du niveau de vie ne seraient plus associées aux varia-
tions des caractères mesurés, cet opti~um apparaissant lui-
même à des niveaux de plus en plus élevés à mesure que l'on
passe à des fonctions dépendant d'une organisation neurocor-
ticale de plus en plus complexe.
Les rapports des caractères biologiques et des
facteurs socio-économiques se maintiennent constant à un
certain niveau de bien-être.
Il
n'en est pas de même des ca-
ractères psychologiques dont les variations s'ordonnent sur
toute la hiérarchie des catégories socio-professionnelle.
Eels et collaborateurs mènent une recherche
analogue (1951) utilisant comme variable dépendante, diffé-
rents tests d'intelligence, et comme variable indépendante,
l'indice de Werner amélioré.
Plus de 5.000 enfants de deux
classes d'âge (9 - 10 ans et 13 - 14 ans) de la ville de
Rockford, ont été examinés à l'aide des épreuves intellectuel-
les et un questionnaire permettant de recueillir des informa-
- 44 -
tions nécessaires à l lélaboration de l'échelle de statut
social; chaque enfant est caractérisé par un indice allant
de 4 à 28 selon son origine familiale.
Les auteurs définis-
sent ainsi une échelle d'interva1le et de ce fait peuvent
comparer les tests d'intelliGence et l ',échelle de statut
socio-économique. Les résultats révèlent des corrélations si-
gnificatives entre les variables socio-économiques et les
variables psychologiques.
Ils mettent aussi en évidence une
relation globale entre le contenu des épreuves et la force de
la liaison avec le statut socio-économique; par exemple les
corrélations sont plus élevées dans les épreuves verbales que
dans les épreuves spatiales. Les auteurs considèrent que les
différents tests ne mesurent pas une aptitude intellectuelle
innée, mais un composé de cette aotitude et d'un certain
nombre d'avantages d10rdre culturel. Se fondant sur ce consta~
ils émettent plusieurs hypothèses pour expliquer la liaison
entre le QI et l'indice socio-culturel. Les différences oeu-
vent être dues
-
à des facteurs génétiques
;
au caractère plus ou moins stimulant du milieu
-
à des différences de motivation;
-
à l linégalité des occasions offertes aux enfants
de se familiariser avec le type de matériel
uti-
lisé dans les tests.
Les auteurs retiennent la dernière hypothèse. Le
- 45 -
statut social t disent-ils
«s'assortit de valeurs culturel-
t
les relativement distinctes d'une classe à l'autre. A chaque
niveau social correspond un type de pensée prédominant t
l'emploi d'un certain vocabulaire, des habitudes intellec-
tuelles, en un mot, un langage qui lui est propre. La réponse
donnée par un sujet à une épreuve psychométrique dépendra de
la correspondance entre le langage employé dans le test et
celui qui est le s i e n , selon son origine sociale»
(1).
Les différences intellectuelles entre enfants issus
de milieux socio-économiques différents ne sont que des sor-
tes d'artefacts explicables par un choix très particulier de
l'instrument de mesure. D'où la tentative de l'équipe de Eels
de mettre en place une méthode de construction du test qui
pri vil é g i e les items cul tu r e - f r e e 0 u cul tu r e - f air, c ' est - à - d ire
indépendants
du climat culturel de l'individu. On connait la
suite de ce pari.
Malgré la difficulté que représente l'inégalité des
qualités métriques des tests, la liaison entre facteurs socio-
économiques et variables psychologiques appelle toujours une
explication. Une information sur l'étalonnage des tests pour-
rait certainement constituer un pas au niveau de la comoré-
hension du phénomène.
i l ), M. REUCHLIN, 0,dtUY'88 87; conduites, P.U.F., 1978, F.
oc.
- 46 -
3 - L'ETALONNAGE DES TESTS
Les étalonnages de l'échelle de Standford cités par
Terman-Merril
(1937) ou Mac Nemar (1942) font apparaitre un
échelonnement des moyennes de QI dans les diverses catégories
sociales depuis les manoeuvres jusqu'aux professions l ibéra-
les et pour divers niveaux d'âge des enfants: de 94 à 116
pour une tranche d'âge de 2 à 5 ans 6 mois; de 96 à 115 pour
les 6 - 9 ans; de 97 à 117 pour les 10 - 14 ans; de 98 à
116 pour les 15 - 18 ans.
La stabilité de la différenciation établie entre
diverses catégories socio-professionnelle renvoie à l'éternel
problème des " effets" de l'hérédité ou du milieu sur les con-
duites cognitives, sans qu'il
soit possible de conclure.
Terman (1919) observait déjà que la catégorie "su-
périeure" avait en moyenne 6 mois et
an
d'avance respecti-
vement à 7 et 14 ans et la catégorie "inférieure" 6 mois et
an de retard aux mêmes niveaux d'âge. Ce retard correspondrait
à un écart constant de 7 points exprimé en quotient intellectuel.
Les enquêtes françaises de 1944 et 1965 (I.N.E.D.)
sur le niveau intellectuel des enfants d'âge scolaire à l'aide
de Test-Mosaïque de Gille, aboutissent à des résultats simi-
laires. Les catégories socio-professionnelles se distinguent
par un décalage initial à 6 ans, décalage qui persiste jus-
qu'à 12 ans. Le graphique suivant montre l'évolution des deux
courbes.
- 47 -
Nombre de points
obtenus
150
(Enfants de cadres,
industriels, commerçants)
140
130
B
(Enfants de cultivateurs).
120 T
110
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
t - - -
~
6
7
8
9
1a
11
, 2
âges
(en années)
Fig. 2 - Enquête française de 1944
in cul tures et conduites, P.U.F., 1976, P. 26.
- 48 -
Le parallél isme des deux courbes de performances
incitent à penser que le développement se déroule à un rythme
analogue dans les diverses catégories professionnelles malgré
la persistance de la différence des moyennes de 6 à 12 ans.
Faut-il alors étalonner les tests suivant les milieux? Les
auteurs arrivent à cette proposition afin de corriger le
handicap lié à la catégorie professionnelle et de relativiser
les performances.
A la même période, l'étalonnage de l'Echelle d' In-
télligence de Wechsler pour enfants (Seashore, Wesman,
Doppelt,
1950) confirme les faits antérieurs. Les principaux
groupes professionnelles s'ordonnent selon leur note moyenne
en QI Standard (moyenne = 100, écart - type = 15), quel
que
soit l'âge et le type d'épreuves.
L'ordination des notes moyennes de qI
suivant les
catégories socio-professionnelles constituent un fait
inéluc-
table, vérifiable d'un pays à un autre, d'une période à une
autre. La stabilité de ces résultats indique que les facteurs
socio-économiques pourraient exoliquer le développement co-
gnitif si l'on dépassait le cadre de simples constats empiri-
ques. La recherche d'autres informations dans l'aporoche
longitudinale permettra de baliser la période sensible durant
laquelle l'action du milieu est optimale.
- 49 -
4 - LES ETUDES LONGITUDINALES
Les recherches réal isées dans ce domaine situent
l'apparition d'une corrélation entre facteurs socio-économi-
ques et niveau de développe~ent aux environs de 18 - 24 mois.
Entre ces deux âges, la corrélation du test avec l'éducation
de la mère passe de .12 à .52 ; avec l'éducation du père de
.05
à .35 ; avec le revenu du père de
.07 à .20 ; avec
"l'estimation sociale" de .05 à .29.
Pour l'échelle socio-
é con 0 mi que g lob ale, e l lep a s se de. 10 à ·3 4 .
En France, Brunet (1956, 1958) examine avec
l'échelle Brunet-Lezine trois échantillons d'une trentaine
d'enfants chacun: enfants d'étudiants, d'ouvriers, en place-
ment familial.
Le retard du troisième groupe apparaît vers un
an, celui du deuxième groupe vers deux ans.
La corrélation observée croît-elle avec l'âge? Les
données de Bay1ey (1954) soutiennent ce fait.
Il examine 38
fois un échantillon de 50 enfants de 1 mois à 18 ans et
observe à 3 ans une liaison de .50 entre l'éducation des pa-
rents et les résultats de l'enfant. Entre 3 et 18 ans, elle
croît réqu1ièrement jusqu'à franchir.60.
Les études de
Honzik (1957) corroborent les résultats de Bay1e~ enquêtant
sur 200 enfants testés 13 fois entre 21 mois et 16 ans. Mais
la période de croissance accélérée paraît se situer ici vers
5 ans.
- 50 -
La force de la liaison est-elle aussi liée aux
types d'épreuves intellectuelles ou seulement aux variables
du milieu? Deutsch (1965) réoond à cette question dans une
étude de corrélation entre les facteurs socio-économiques et
52 sous-épreuves verbales différentes, corrélation estimée
deux fois, en première et en deuxième année de scolarité
élémentaire sur des enfants défavorisés.
Il soul igne une ac-
centuation du déficit lorsqu'on passe des tâches verbales
simples aux tâches verbales complexes dans l'ordre: dénommer,
établir une relation, établir une catégorie.
L'élévation de la corrélation en fonction de l'âge
entre types d'épreuves et variables socio-économiques est
aussi confirmée par les performances aux tests.
Avec le Terman,
la
corrélation passe de
.35 à 10 ans à
.43 à
14
ans;
alors qu'avec les tests non verbaux, elle est de
.28 à 10
ans et de
.26 à 14 ans. Ces données suscitent l'hypothèse
selon laquelle la liaison avec le niveau socio-économique
augmente avec l'âge pour l es tests verbaux et reste stable pour
les tests non verbaux.
R.S. MC Arthur et W. B. Elley (1963)
comparent de ce point de vue, un test à support verbal, le
"CALIFORNIA TEST OF MENTAL MATURITY" et un test de raisonne-
ment sur figures, le "Progressive Matrix" de Raven.
Ils exa-
minent deux fois, au 3è et au 7è grade, 271 enfants des écoles
publiques d'Edmonton (CANADA) avec deux versions du C.T.M.M.
et deux versions du Matrix, la version colorée
la
première
- 51 -
fois, la version classique (P.M. 38) quatre ans plus tard. La
corrélation avec le niveau socio-économique du C.T.M.M. passe
de .215 à-323 (différence significative à P = • 05) tandis
que la corrélation du Matrix reste identique (.215 et .228).
Whiteman, Brown et Deutsch (1967) entreprennent un
travail
semblable sur 292 sujets blancs et Noirs des premier
et cinquième "grades", issus de trois quartiers de New York
différ?cnt par le niveau socio-économique. Les auteurs analy-
sent la variance des notes obtenues au test de vocabulaire du
WISC et à un test d'intelligence non verbal, le LORGE -
THORNDIKE, en fonction de la race, le niveau social et l'âge.
Il ressort que la liaison entre l'âge et la classe sociale,
non significative pour le test non verbal est significative
pour le test de vocabulaire: le vocabulaire varie selon les
classes sociales et favorise les classes aisées; la diffé-
rence observée est plus importance au cinquième "grade" qulau
premier.
Ces conlusions renforcent 11 hypothèse du rapport
étroit entre l'intelligence verbale et la catégorie socio-
économique des parents. L'intelligence verbale augmente avec
le niveau socio-économique et l lâge contrairement à 11 intel-
ligence non verbale dont le temps de stabilisation est rela-
tivement court. On pourrait raisonner autrement si l'on
intégrait ces informations dans une théorie générale du déve-
loppement de l'intelligence fondée sur la capacité du sujet
- 52 -
à traiter toute situation au moyen d'opérations.
Il
faudrait
pour ce faire,
replacer l 'opérativité du sujet dans le cadre
général de l'évolution des fonctions de l'action et de la
représentation. Tout comme l'action directe est la condition
du développement de l'intelligence sensori-motrice, la repré-
sentation en tant qu'action intériorisée constitue la condi-
tion du développement de la pensée opératoire. Comme nous le
verrons, c'est par rapport à l? fonction de représentation
dans ses modalités de construction et de conservation de
l'information que nous pouvons comprendre le fonctionnement
cognitif du sujet dans une situation réelle.
L'intelligence verbale croît régulièrement avec le niveau
socio-économique et l'âge parce qu'elle est influencée par le
langage, par la maîtrise des moyens de traduction ~e l'objet
indispensables pour le traitement formel
de celui-ci. L'appli-
cation des opérations à des objets de plus en plus distants
du sujet requiert une activité de modélisation qui ne peut se
faire sans le langage. Cette perspective suppose que les
caractères des milieux qui sont favorables au développement du
l~ngage,
le sont aussi pour le développement cognitif. Les
adolescents issus des milieux socio-économiques favorisés ne
seraient pas confrontés très tôt à des problèmes d'adaptation
vitale. Les pratiques éducatives de leur famille tendraient à
être de plus en plus formelles, solliciteraient l'usage de
"circuits longs ll nécessaires à la mise en oeuvre du raisonne-
ment expérimental. On pourrait penser que les facteurs socio-
-
53
-
économiques agissent sur le développement de la pensée for-
melle et du raisonnement expérimental par l'intermédiaire des
pratiques éducatives.
II - PRATIOUES EDUCATIVES ET DEVELOPPEMENT COGNITIF
1 - LIAISON ENTRE FACTEURS SOCIO-ECONOMIQUES
ET PRATIQUES EDUCATIVES
Les recherches consacrées aux relations entre fac-
teurs socio-économiques et pratiques éducatives sont nombreu-
ses et d'inégales valeurs. Nous nous bornerons à ~uelques
exemples pour illustrer notre propos avant de soul iqner les
difficultés inhérentes à ce type de travaux à cause de la
polysémie des concepts.
Dans la "FELS RESEARCH INSTITUTE", Baldwin et col-
laborateurs (1945, 1948, 1949) utilisent une échelle de 30
variables permettant de traiter les pratiques éducatives. Des
analyses en clusters pratiquées en 1945, ils dé0agent trois
clusters : démocratie familiale, acceptation de l'enfant,
indulgence. Par rapport à ces dimensions, les familles sont
classées en trois catégories caractérisées Dar une attitude
d'acceptation, une attitude de rejet, une attitude variable.
Les résultats montrent que les familles qui ont reçu l'éduca-
tion
la plus longue sont plus souvent acceptantes et démocra-
tiques, alors que les moins éduquées manifestent une attitude
de rejet et d'indulgence.
- 54 -
Davis et Havighurst (1946) s'entretiennent avec 200
mères d'enfants de 4 à 6 ans,
issues de deux classes sociales
(classe ~oyenne, classe inférieure), et proposent une des-'
cription des pratiques éducatives en fonction de plusieurs
critères: l'alimentation, la proprété, les relations parents-
enfants, les aspirations des parents, l'apprentissage des
responsabilités. "La classe ~oyenne procède plus tôt au
s e vr age, a d0 pte des r è g1e s plu s s tri c tes pou r l' a.1 i men t a t ion,
pratique plus tôt l'apprentissage de la propreté, consacre
plus de temps aux enfants et a pour eux des ambitions plus
élevées, enseigne plus tôt les responsabilités" (1).
La "Berkeley Growth Study" tire les mêmes conclu-
sions. Les animateurs de cette recherche E.S. Schaefer, Bell
et Bay1ey (1959) ont recueilli des informations sur les pra-
tiques éducatives auprès de la mère pendant deux périodes:
de 0 à 3 ans et de 9 à 14 ans.
L'analyse factorielle des don-
nées obtenues a permis aux auteurs de dégager un modèle théo-
rique, le circumplex de Guttman (1955) sur lequel
deux fac-
teurs bipolaires orthogonaux apparaissent; hosti1 ité - amour,
autonomie - contrôle.
(1).
M.
REUCHLIN, MiUeu et dével.oppementi, P. U. F.,
19?2, P.
93.
- 55 -
AUTO~WMIE
•
Démocratie
Détachement.
100
Indifférence.
80
60
Négligence.
•
Coopéra t i on
40
20
80
60
40
20
20
40
60
80
100
HOSTI LI TE",",,~_-,10L-0_~_~_~_~_f--_~_~_~_~_~~---Mo
.,..
If Amour
Rejet
Acceptation
20
Excès dl i n-
dulgence
40
Exigence
•
agressive
Protection
60
Indulgence
fi
Auto- 80
ritarisme
" Surprotection
100
Comportement
Possessif
~ ~ONTROLE
Fig. 3
Modèle théorique des pratiques éducatives
(selon Schaefer)
Ce modèle théorique des pratiques éducatives est
compatible avec les variables socio-économiques: la variable
"difficultés financières" présente des corrélations positives
avec les variables les plus proches du pôle hastil ité et des car-
rélatians négatives avec les variables éducatives situées entre
- 56 -
le pôle Amour et le pôle Contrôle. Schaefer (1960) trouve des
corrélations positives entre un indice socio-culturel et
une
attitude éducative favorable à l'autonomie, la coopération,
l'égalitarisme, l'expression de l'affection.
Kagan et Moss (1962) entreprennent une étude longi-
tudinale pendant vingt ans, sur les pratiques éducatives.
Ils
évaluent trois fois le comportement éducatif de la mère alors
que l'enfant a moins de 3 ans, de 3 à 6 ans, de 6 à 10 ans.
La description se fait suivant quatre dimensions:
- mère protectrice maintenant l'enfant dans un état
de dépendance ;
- mère restrictive imposant ses normes et ses va-
leurs à l'enfant
- mère hostile exprimant ses critiques, son insatis-
faction
;
- mère accélératrice, très préoccupée des progrès
de son enfant et s'efforçant de les accélérer.
L'étude montre que les mères de niveau éducatif
élevé tendent à être moins restrictives, plus tenter rl'accélé-
rer les pro~rès de leur enfant.
Nous ne terminons pas ce tour d'horizon sur les pra-
tiques éducatives sans mentionner les travaux qui associent
les facteurs socio-économiques et le langage. L'étude de
SMITH (1935) est remarquable à cet égard. Celui-ci enregistre
- 57 -
les communications verbales spontanées des enfants de 18 à 72
mois appartenant à 3 classes sociales, lorsqu'ils oarlent à
d'autres enfants ou à des adultes. L'analyse statistique com-
parative montre que les enfants favorisés construisent des
Dhrases plus longues et posent plus de questions.
Le travail
le plus i~portant dans la signification
des effets du langage reste celui de Bernstein (1958, 1962).
Il distingue deux types de "codes linguistiques"
: un code
"élaboré", formel, riche en classifications logiques,
impli-
quant la mise en oeuvre d'opérations logiques avancées, et un
code "restrei nt", publ ic, stéréotypé, i mp r c i s dans l a forma-
é
tion des concepts. La comparaison de deux grouoes d'adoles-
cents issus de deux classes
différentes (moyenne, inférieure)
au Dlan du langage, confirme ~ue les classes moyennes utili-
sent le code élaboré et les classes inférieures le code
restreint.
Prolongeant ses travaux dans la direction du ren-
dement scolaire, l'auteur trouve une liaison entre le tyoe de
code et le rendement de l' él ève. L' écol e dans son-fonc t ionnenent
emploi
le code élaboré pour tr-ansme t tre l'information pédaqoq ique .
Il est donc normal que les élèves nes classes inférieures
échouent massivement. On est en droit de se demander si le
langage détermine le niveau d'opérativité de l'élève. Les
commentaires de Bernstein incitent à le penser. Mais les travaux
de Piaget ont bien montré que le langage n'est pas la source
de la logique du sujet, mais joue un rôle d'accélérateur à
l'égard des structures opératoires, rôle nécessaire mais non
suffisant.
- 58 -
Lem 0 dè 1e de Be r nste i n
a fa i t l' 0 bjet d 1 U n t r a va i 1
expérimental avec Hess et Shipman (1965).
Ils étudient 160
mères et leur enfant de 4 ans dans quatre mil ieux différents.
Les mères sont invitées à enseigner trois tâches simples à
leur enfant et l'on enregistre simultanément les communica-
tions verbales. Les conclusions correspondent au modèle de
Bernstein en ce sens que le code restreint des mères défavori-
sées induit un style éducatif prol ixe en phrases courtes dont
les possibilités sémantiques sont limitées.
La liaison entre les facteurs socio-économiques et
les pratiques éducatives ne souffrent d'aucun doute. Mais la
plasticité des concepts associés à la description des pratiques
éducatives rend les comparaisons hasardeuses. On soul ianera à
cet effet la polysémie de la dimension "Amour - Hostilité".
D'un
côté les auteurs signalent l'intérêt éducatif des rela-
tions oe r s o nn a l i s e s "Enfant-adulte affectueux" (Skeels,
é
1966);
de l'autre, ils notent les effets néfastes de la richesse et
de la chaleur des relations sociales observées dans les famil-
les défavorisées (ANASTASI et JESUS 1953), citant l'exemple
des familles Porto-Ricaine$' qui vivent aux Etats-Unis. Ces
remarques appellent la définition d'une base conceotuelle
commune si 1 Ion veut préserver la valeur comparative des re-
cherches et fonder une liaison objective avec le développement
i ntell ectuel .
- 59 -
2 - PRATIQUES EDUCATIVES ET DEVELOPPEMENT INTELLECTUEL
0uatre critères de développement intellectuel
sont
généralement retenus pour être corrélés avec les pratiques
éducatives:
le quotient intellectuel, le style cognitif, la
réussite scolaire et le stade opératoire. Nous limiterons
notre analyse aux trois premiers, quitte à reprendre le ~ua
trième dans une phase ultérieure.
a)
Pratiques éducatives et quotient intellectuel
Les pratiques éducatives entretiennent des raPDorts
évidents avec le développement du QI sans pour autant fonder
l'existence d'un lien causal. Dans la "Be r ke l ey Growth St udy ''
Bayley et Schaefer dégagent une liaison entre la dimension
"Amo u r lios t i l t t
et le Ol . A 4 ans l'affection maternelle
e
é
"
est positivement corrélée avec le QI des garçons; mais l'ab-
sence d'une corrélation siqnificative avec le 01 des filles
complique l'interprétation des données. L'hypothèse de l' iden-
tification du garçon à l'image maternelle ne résiste pas à la
théorie psychanalytique. Partant de cette théorie, N.
Radin
(1974) examine un échantillon d'enfants de 4 ans des deux
sexes et trouve une corrélation positive entre l'affection
maternelle et le QI des filles
(.43), mais pas avec celui des
garçons. L'observation d'une corrélation positive entre l'af-
fection paternelle et le 01 des ~arçons renforcent cette hypo-
thèse; mais l'absence d'identification du qarçon aux rôles
masculins (estimée par une corrélation nulle à une épreuve
- 60 -
d'identification) la rend caduque. L'auteur considère alors
la motivation comme variable intermédiaire entre les pratiques
éducatives et le QI.
Bernstein (1959) dans l'examen des imolications
psychologiques de sa théorie sur les codes linguistiques com-
pare les 01 de deux groupes d'adolescents issus de la classe
laborieuse et de la classe moyenne, QI calculé sur une épreuve
verbale et une épreuve non verbale. Il
note des 01 comoara-
bles dans les deux groupes au test non verbal.
La différence
observée au test verbal
renforce son modèle des styles éduca-
tifs associés à des pratiques linguistiques. Les prati~ues
éducatives entretiennent aussi des relations avec les styles
cognitifs.
b) Pratiques éducatives et styles cognitifs
Les observations empiriques sur la conduite des
individus font apparaître des variations sensibles de traits
psychologiques suivant l'éducation vécue. Au lieu de faire
porter les études sur les dimensions psychologiques vastes
,
comme l'intelligence, il
serait plus méthodique de s'intéresser
aux aspects spécifiques du comportement cognitif:
les styles
cognitifs. Le problème revient à détecter les pratiques édu-
catives qui se rapportent au développement d'un style. C'est
dans cette perspective que BING (1963) aborde l'étude de 60
sujets du 5è grade (CM2) en les distinguant par leur performance
à deux groupes d'épreuves:
verbales (V), Numériques (N) et
- 61
-
Spatiales (S), telles que
v > N et S
et N et S > V
Confrontant les résultats obtenus aux pratiques
éducatives, l'auteur constate que le pa~tern V > N et S est
associé à un rapport étroit avec une mère exigeante, alors
que le pattern N et S > V se rencontre chez les enfants dont
les mères exercent une autorité démocratiaue (assez grande
marge de 1 iberté pour faire ses propres expériences).
Le travail
le D1us imDortant dans ce domaine reste
celui de Witkin.
Il
tire ses hypothèses d'une théorie générale
de la différenciation psychologique dont l'analyse aboutit à
deux styles cognitifs
le style "indépendance à l'égard du
champ", caractéristique des individus très différenciés, peu
inhibés par les propriétés affectives des stimuli; et le
style "dépendance à l
qa r d du champ"
inhérents aux individus
t
é
peu différenciés et très inhibés Dar les propriétés des si-
tuations. Le degré de "dépendance - indépendance à l'égard du
champ" est évalué par des épreuves perceptives où le sujet
doit structurer un contexte dont les éléments sont intriqués.
Le style cognitif parait lié aux oratiques éducatives. Compa-
rant deux groupes d'enfants contrastés par les pratiques
éducatives des mères (démocratiques / autocratiques), Witkin
et Al
(1962) trouvent une corrélation positive (0 bis = .85)
entre les pratiques éducatives démocratiques et le style
- 62 -
"indéoendance à l'égard du champ". Le travail
de Dawson (1963,
1967) sur les sociétés ouest africaines, les TEMNE et les
MENDE, fut la première tentative de vérification intercultu-
relle de cette hypothèse. Le contraste entre les pratiques
de socialisation de ces deux peuples - Sévérité des pratiques
éducatives, renforcement des conduites confirmistes, prédo-
minance éducative de la mère - a conduit cet auteur à prévoir
une grande "dépendance à l'égard du champ" chez les TEMNE. Sa
prédiction fut confirmée par la comparaison des sujets TEMNE
et MENDE aux épreuves de Cubes de KüHS et de la fi~ure ~éomé
trique incorporée. Poursuivant la vérification de la même
hypothèse, Berry (1966) a comparé les capacités perceptives
des mêmes TEMNE, des ESKIMO (illetrés - Ruraux, Scolarisés -
Citadins) et d'un groupe de contrôle Ecossais. La nette
supériorité des enfants ESKIMü par rapport aux enfants TEMNE
a été attribuée d'une part à leurs pratiques éducatives
libérales favorables au déveloDDement de l'autonomie, de
l'ingéniosité et des compétences individuelles, d'autre part,
aux exigences de discrimination perceptive
imDosées par des
tâches économiques précoces dans un milieu écologique incom-
parablement moins structurés (champ de neige) que l'environne-
ment naturel des africains (brousse tropicale). L'auteur note
par ailleurs que l'acquisition d'un vocabulaire spatio-
géométrique complexe renforce considérablement les caDacités
d'a r tic u1a t ion de l' es pa c ed e s enfants ES KIM O qu' i 1 j uq e
"actifs, indépendants analytiques". Les styles cognitifs sont
- 63 -
liés avec les pratiques éducatives. En est-il de même de la
réussite scolaire?
3 - PRATIQUES EDUCATIVES ET REUSSITE SCOLAIRE
Un certain nombre de travaux se sont centrés sur
les rapports entre les attitudes et pratiques parentales
(cl imat familial) et le développement cognitif, malgré les
difficultés méthodolo~iques inhérentes à ce type de question.
Les auteurs attribuent des connotations variables aux concepts
utilisés pour déterminer les variables indépendantes du cl i-
mat famil ial
: autorité,
indulgence, hostilité ... Pour cer-
tains,
la définition de la performance scolaire correspond à
la note moyenne obtenue aux compositions classiques ou aux
tests de connaissances; pour d'autres, la performance sco-
laire n'a de sens que comparée aux possibilités intellectuel-
les du sujet; selon qu'elle est inférieure ou supérieure aux
possibilités intellectuelles de l'élève, on parlera de sous-
réalisateur (undeachiever) ou de sur-réalisateur (overachie-
ver). Les recherches de M. Gilly (1969) et de Rousson t 1970)
permettent de caractériser cette double tendance.
M. Gilly étudie les relations entre le climat fami-
l ial et la réussite scolaire sur une population de 22 couples
de garçons associés en bons et mauvais élèves. Les bons et
les mauvais élèves sont respectivement définis par leur appar-
- 64 -
tenance pendant toute l'année au premier tiers et au dernier
tiers de la classe. L'appariement des couples se fait sur la
base de la classe fréquentée (C.M.I.J, de la catégorie socio-
professionnelle du père, et de l'âge mental
(N.E.M.!.).
Un
questionnaire hétérogène (ou hoche-pot) soumis aux ~ères est
destiné à fournir une appréciation d'ensemble du climat fami-
lial. Le questionnaire aborde les thèmes suivants:
la parti-
cipation du père à l'éducation de l'enfant; l'accord ou le
désaccord entre les parents à propos de l'éducation; le
~anque de calme et de stabilité des comporte~ents parentaux
l'intolérance parentale à certains comportements de l'enfant
les modes d'intervention; les réactions aux diverses pres-
sions de l'enfant; l'autorité. L'enquête menée auprès des
mères a permis de dégager un profil du climat familial
sus-
ceptible
d'influencer la réussite scolaire. Il appara,t que
les mères des mauvais élèves (M.E.)· sont souvent plus "mania-
ques" pour 1e respect des heures de repas et pour 1es rations,
instables vis-à-vis de l'enfant, plus tolérantes pour la
désobéissance et le manque de respect, moins autoritaires.
Les pères des mauvais élèves ne s'occupent pas fréque~ment de
l'éducation de l'enfant. Les parents des mauvais élèves sont
plus souvent en désaccord entre eux sur les normes de conduite
à tenir vis-à-vis de l'enfant.
Les parents des bons élèves
(8.E.) manifestent des conduites inverses. Mais il
existe des
zones de recouvrement entre les deux types de familles quant
aux modes d'intervention auprès de l'enfant. Les châtiments
- 65 -
corporels sont peu utilisés dans les deux cas.
Le climat familial
serait-il
la cause de la perfor-
mance scolaire? GillV réfute l'idée d'une causalité linéaire
et penche pour une "causalité circulaire". Si le climat fami-
lial
peut inhiber ou faciliter le résultat scolaire, le
résultat scolaire à son tour peut modifier le climat familial.
La recherche de Rousson slattache aux attitudes et
comportements des parents qui se rapportent au travail
sco-
laire, et compare les sur-réalisateurs et les s ous-o-éat is ateurs ,
Il évalue les aptitudes intellectuelles à llaide d l un e batte-
rie, la B.A.S.C. créée par lui-même en collaboration avec J.
Cardinet, et le climat familial avec un questionnaire adressé
aux élèves. L'examen porte sur une population de 136 garçons
de 116 filles de 11-12 ans.
Les résultats obtenus
au questionnaire sont soumis
à deux analyses
factorielles successives au bout desquelles
les facteurs des relations parentales sont retenus
- demande de renseignements et d'aide
soutien accordé par le père
soutien accordé par la mère
- parents opposant à l'enfant un modèle extérieur
- critiques
- exigences des oarents
;
- fierté des parents pour la valeur de l'enfant
- récompense des efforts par les parents;
- 66 -
- conseils et indépendance
- attitude d'encouragement des parents
- projets d'avenir;
- sévérité de la discipline.
Rousson compare d'abord globalement les sur-
réalisateurs et les sous-réalisateurs. Ensuite,
il dissocie
les sexes et compare les sur-réalisateurs et les sous-
réalisateurs par sexe; enfin, il distingue sur l'ensemble de
la population étudiée deux classes sociales, et compare les
sur-réalisateurs et les sous-réalisateurs de la même classe
(classe supérieure, classe laborieuse). Rousson observe que
les sous-réalisateurs expriment plus souvent l'aspiration à
recevoir plus d'aide de la part des parents, leur attribuent
plus souvent un niveau d'exigence plus élevé. Dans le cas des
filles, les sous-réalisatrices décrivent aussi plus souvent
leurs parents comme très critiques à leur égard. Les qarçons
sur-réalisateurs pensent que leurs parents manifestent un
sentiment de fierté et une attitude éducative libérale. Le
sens des différences est conservé à l'intérieur des classes
sociales.
Les travaux de Gilly et Rousson comportent quelques
faiblesses méthodologiques. En effet rien ne nous permet
d'affirmer que les déclarations verbales des mères ou des élè-
ves correspondent effectivement à la réalité du climat fami-
lial.
Il faut admettre qu'il s'agit d'une limite des sciences
humaines.
- 67
En définitive, l'ensemble des recherches que nous
venons d'évoquer témoignent de l'existence d'une corrélation
entre les facteurs socio-économiques, les pratiques éducati-
ves et le développement cognitif. le problème se pose alors
de définir le sens de la liaison. Sont-ce les facteurs socio-
économiques qui déterminent les pratiques éducatives qui à
leur tour suscitent le développement cognitif? Une telle
hypothèse supposerait que les pratiques éducatives constituent
des variables intermédiaires entre les facteurs soc io-économtoue s
et le développement cognitif. Mais rien ne permet de
valider
cette imputation tant qu'une théorie du développement cognitif
n'a pas préciser les caractè:es du milieu qui soient plus ou
moins favorables à ce développement.
On pourrait émettre la même hypothèse à propos du
langage. Les facteurs socio-économiques susciteraient
des
types spécifiques de pratiques éducatives qui à leur tour
favoriseraient une certaine maîtrise de la langue.
Entre le
degré de formalité des pratiques éducatives et le développe-
ment cognitif s'intercale une variable intermédiaire, le lan-
gage. L'utilisation régulière de celui-ci dans la mise en
forme de l'activité cognitive pourrait être la condition de
l'émergence de la pensée formelle et du r a i s onnemen t hvpo thé t i co-
déductif.
Il
jouerait donc un rôle essentiel dans toutes les
formes de raisonnement portant sur le possible. Qu'en est-il
dans les faits?
- 68 -
III - LANGAGE ET DEVELOPPEME~IT COGN l TIF
Le langage est un outil social
de co~munication
interindividuelle. Est-il
en relation avec le développement
cognitif?
1 - LES FAITS
Trois ordres de faits confirment l'existence d'une
liaison entre le langage et le développement ~ental : les
faits de développement, les études corrélationnelles et les
cas pathologiques.
1.1. - LES FAITS DE DEVELOPPEMENT
--------------------------
L'observation attentive du développement montre que
l'enfant qui ne maîtrise pas suffisamment le langage n'est pas
capable de réussir certaines tâches, de résoudre
certains
problèmes. Mais l'enfant plus âgé qui possède les formes les
plus élaborées du langaqe est capable de traiter ces situa-
tions. Ce constat incite à penser que l'acquisition du l anqaqe
accroît l 'opérativité de l'enfant, que le lan~age est la
cause du développement cognitif.
L'interprétation serait convaincante si les premières mani-
festations intellectuelles intervenaient après l'arparition
du langage. Or l'intelligence sensori-motrice préexiste au
langage. Le langage n'est certainement pas la cause du déve-
loppement ; il serait seulement en progression concomitante
- 69 -
avec l'évolution des autres capacités.
Cette erreur d'interprétation qui considère une relation de
covariation comme une relation de cause a effet se rencontre
aussi dans les études qui comparent le développement de jeu-
nes enfants et de jeunes sinqes (Travail de Kellogg, 1933).
Le développement de l'animal apparaît plus précoce
mais par
la suite, l'enfant dépasse très nettement celui-ci dont les
performances finissent par stagner. Comme les proarès sou-
dains de l'enfant coïncident généralement avec l'avènement du
langage, les auteurs imputent la supériorité de celui-ci à
l'influence de celui-là. Il est pourtant clair que l'acquisi-
tion du langage s'enracine dans une évolution psychologique
plus générale. Les fonctions cognitives entretiennent avec le
langage de multiples interactions qui se manifestent dans la
représentation des situations.
Les faits de développement ne sont pas les seules sources qui
informent sur le rôle du langage; les études corrélationnel-
les y contribuent de façon particulière.
L'existence d'une liaison entre le niveau de déve-
loppement et le niveau de langage est confirmée par un certain
nombre d'études. L'apprentissage du langage est plus rapide
chez les sujets dont le QI est élevé et lent chez ceux dont
le QI est bas (cf. Leroy-Boussion, 1971). Les difficultés
s'accroissent au fur et à mesure que l'on descend dans
- 70 -
l'échelle de la déficience mentale. Les tests de développe-
ment et les tests de langage sont positivement corrélés. Mais
quelle est la signtfication de ces corrélations? sont-ce les
capacités cognitives qui déterminent l'acquisition du langage
ou le langage qui amplifie les capacités cognitives? Les
deux orientations sont possibles; et dans ces conditions, il
devient difficile de spécifier le rôle du langage dans la
construction et le fonctionnement des outils cognitifs.
Le problème de l'approche corrélationnelle, clest qu'elle
indique une liaison logique non orientée. Il va sans dire que
le sens de la corrélation dépend de la délimitation des va-
riables soupçonnées par le chercheur d'être en liaison causale.
Les corrélations n'ont
de sens que par rapport aux connais-
sances préalables des situations.
Si les études corrélationnelles ne permettent pas d'élucider
le rôle du langage dans le développement psychologique, on
pourrait pour ce faire, recourir à la pathologie des fonctions
intellectuelles pour voir en quoi ceux qui en souffrent, dif-
fèrent des sujets normaux sur le plan langagier.
On sait par expérience que les déficits intellec-
tuels les plus profonds à l'exemple de l' idiotie s'accompagnent
d'une absence de langage. Certains cliniciens utilisent cette
absence comme le critère de diagnostic. Ce constat suggère
que l'acquisition et l'emploi du langage dépendent d'un niveau
- 71
-
suffisant de développement des capacités cognitives.
L'examen des déficits moins évolués comme l 'imbécilité four-
nit"cependant des indications orientées dans la direction
inverse. A' Connor et HERMELIN (1963) ont remarqué que les
imbécil~s emploient moins le langage que les sujets normaux
dans le traitement des tâches que l'environnement leur rropose.
Ce comportement caractéristique contribue a diminuer leur
réussite. Lorsqu'on les entraîne a l'usage d'un codage verbal,
ils améliorent leurs performances. Ce qui confirme le fait
que le langage n'est pas seulement la conséquence de l'évolu-
tion des capacités cognitives, mais qu'il contribue à l'or-
ganisation de celles-ci, a leur actualisation et application.
La littérature psychologique abonde sur ce terrain
de travaux aux conclusions contradictoires. Certains auteurs
comme OMBREDANE (1951) admettent que le déficit intellectuel
est la conséquence de l'atteinte de l'instrument verbal en
particulier et de la fonction symbolique en général. D'autres
comme Goldstein (1948) se réfèrent a un trouble plus fondamen-
tal de l'attitude catégorielle entraînant des perturbations
sur le plan verbal. On peut coordonner ces deux points de vue
sous l'idée d'une causalité circulaire dans laquelle les
capacités cognitives de base déterminent l'acquisition du
langage d'une part, et d'autre part, le langage développe les
capacités cognitives en aidant l'individu à construire des
circuits longs. Ainsi les enfants qui évoluent dans un univers
linguistique pauvre auront tendance à privilégier l'utilisa-
tion de circuits courts.
- 72 -
Les cas extrêmes d'enfants élevés dans un univers linguisti-
que pauvre sont ceux d'enfants complètement isolés du milieu
humain ou d'enfants sourds. Les Il e nf a nt s sauvages" comme
Victor de l'Aveyron minutieusement examiné et élevé par
ITARD manifestent un très faible niveau d'apprentissage ver-
bal
et un quotient de développement mental négligeable.
L'éducation humaine se transmettant généralement par la mé-
diation du langage, l'auteur expl ique le déficit intellectuel
par l'influence du milieu culturel sous son aspect langagier.
Mais ce qu'on ne sait pas à propos de Victor de L'Aveyron,
c'est la raison de son abandon. Peut-être a-t-il été abandon-
né de façon consciente par ses parents à cause des anomalies
de ses conduites générales à l'intérieur desquelles se situe
le problème du langage. Faute d'informations orécises sur le
passé de cet enfant, il est hasardeux d'expliquer ses condui-
tes intellectuelles par le langage.
Le recours aux enfants sourds pourrait constituer
une source d'information privilégiée. La surdité
dans la mesure
où elle dissocie naturellement les facteurs langagiers et les
facteurs cognitifs offre une possibilité d'analyse du rôle de
chaque groupe de facteurs. L'enfant sourd n'apprend pas le
langage parce qu1il
n'entend pas le modèle linguistique que
lui présente l'entourage humain. La lésion en cause concerne
les éléments récepteurs ou t r a ns me t t e ur s de l'ouïe; elle
n'est pas sensée toucher les centres corticaux responsables
des activités intellectuelles. Ainsi les différences dévelop-
- 73 -
pementales observées entre les enfants sourds et les enfants
normaux peuvent être logique~ent rapportées à l'absence de
l'instrument linguistique.
Ces considérations ne suppriment pas pour autant
toutes les objections; car en supposant même que les sourds
ne souffrent d'aucune autre lésion à l'exception de celle des
voies auditives, rien n'empêche de penser, d'une part, que
les enfants sourds entretiennent avec leur entourage des rela-
tions particulières faites de surprotection et qui rétentissent
sur le développement cognitif en même temps que l'absence de
langage. D'autre part, la privation du langage limite l'expé-
rience sensorielle de l'enfant. L'oule ne permet pas seulement
d'entendre la parole d'autrui
elle intervient dans l'appren-
tissage de différents signaux sonores (bruits, klaxons, chants
d'oiseaux ... ) qui enrichit l'expérience individuelle et rem-
plit à certains moments une fonction adaptative par anticipa-
tion d'événements probables. Les conduites intellectuelles
atteintes par l'enfant sourd s'expliqueraient plus par la
privation de l'expérience d'un certain nombre de siqnifications
symboliq~es dont le langage, que par le langage seul.
L'effort de spécification du rôle du langage gagnerait en
précision dans le cadre d'une analyse théorique destinée
d'abord à cerner la nature du processus en cause et ensuite à
vérifier sa manifestation sur le plan expérimental.
- 7~· -
2 - LES THEORIES ET LES TRAVAUX SUR LE LANGAGE
Nous évoquerons dans ce volet les travaux des psy-
chologues soviétiques et ceux de Piaget pour l'original ité
des informations qu'ils apportent.
2.1.
- LES TRAVAUX RUSSES
------------------
Ici les contributions de L.S. Vygotsky et de A.R.
Luria retiendront notre attention. Il y a plus d'un
demi
siècle que le psychologue Vygotsky (1896-1934) proposait une
description du fonctionnement mental. Ses travaux comportent
une idée fondamentale selon laquelle, chez l'être humain, les
processus mentaux supérieurs sont profondément influencés par
les moyens socio-culturels qui les médiatisent. S'appuyant
sur les travaux de MARX, les recherches des linguistes, des
anthropologues et des psychologues de l'époque, Vygotsky a
examiné les systèmes d'instruments et de signes qui jouent un
rôle dans l'organisation des processus psychologiques de
l'homme.
Influencé par les travaux de Pavlov sur le double
système de signalisation dont dispose l'homme, il a retenu la
notion de médiation sémiotique comme l'élément central de sa
théorie psychologique: "Le fait central dans notre psycholo-
gie est le fait de la médiation" (1).
( 1)
J.
V. WERTSCH et Al) VYGOTSKY Aujourd 'hui) Del.acheux et Niestlé,
1985, P. 139, 140) 141.
- 7 5 -
Vygotsky affirme d'abord que la maîtrise du système
de signes culturels passe par la transformation des processus
mentaux de l'individu. Elle transforme les formes premières
du fonctionnement mental, les "orocessus mentaux élémentaires",
héritées du capital génétique de l'espèce et structurées par
1a ma tu rat ion b i 01 0g i que et lie xpé rie ncep ers 0 nnelle de l' en -
fant : "Partons du principe qui nous paraît fondamental dans
cette analyse des fonctions ~entales supérieures à savoir que
les formes culturelles du comportement ont des fondements culturels.
La culture ne crée rien, elle modifie seulement les données naturelles en
les rendant conformes aux buts que se forgent les êtres humains" 2.
La maîtrise des signes ou des "instruments psychologiques"
modifie donc qualitativement le fonctionnement mental; 1 'on-
togenèse des p~ocessus mentaux supérieurs dépend plus de l'or-
ganisation des systèmes de signes que des principes biolo~iques
généraux tels que l'assimilation ou l'accommodation au sens
piagétien : "Intégré dans le processus comportemental, l'ins-
trument psychologique modifie le déroulement et la structure
des fonctions psychiques, en déterminant, par ses prooriétés,
la nature du nouvel acte instrumental, tout comme l'instrument
technique modifie le processus d'adaptation naturelle en dé-
terminant les formes des opérations de travail" 2
Par la notion de médiation sémiotique, Vygotsky
détermine la place primordiale qu'occupe le lanqa~e dans le
d ve 10ppe men t de 1
é
1 i n tel l i ge nce:
"... l e mome nt lep 1us s i qni -
(1),
(2)
J. V. WERTSCH et al ,
Vygotsky Aujourd'hui, Delacheux et
Ni eet.Lé , 1985, p.
139, 140, 141.
- 76 -
ficatif au cours du développe~ent intellectuel, qui donne
naissance aux formes purement hu~aines de l 'intell iqence pra-
tique et de l'intelligence abstraite, se produit lorsque
convergent le langage et 11 a c t i vi t é pratique, deux cO~Dosantes
du développement jusque-là complètement indépendants" (1).
Par son approche socio-historique, Vygotsky affir~e ensuite
que le fonctionnement mental de l'individu prend ses racines
dans les processus sociaux: " ... toutes les fonctions menta-
les supérieures sont des relations sociales intériorisées ...
leur organisation, leur structure génétique et leurs moyens
d'action, en un mot, leur nature entière, est sociale" (2).
La première forme de fonctionnement des processus mentaux in-
dividuels est le fonctionnement mental élémentaire; il
ré-
sulte du capital génétique de l'espèce, de la maturation
biologique et de l'expérience individuelle. Ce type de fonc-
tionne~ent se transfor~e par l'intégration de la médiation
sémiotique dans l'activité du sujet. Cette transformation
commence sur le plan interindividuel pour ensuite, grâce à la
maîtrise et à l'intériorisation, se déplacer au plan
individuel.
Le passage du fonctionnement élémentaire au fonctionnement
mental supérieur comporte donc deux étapes: passaqe de l'ac-
tivité individuelle à l'activité sociale, puis retour à
l'activité individuelle.
L'analyse de l'élaboration du fonctionnement mental supérieur
(1) - (2) J. V. WERTSCH, op. cit., P. 141, 143.
.1
- 77 -
grâce à 11 intervention du langage a conduit Vygotsky à dégager
deux propriétés fondamentales des moyens de médiation.
Le langaqe remplit d'abord une fonction de communication
sociale en contexte: Il ••• il
permet le contact social, l'in-
teraction sociale et la coordination sociale des comportements.
Ce n'est que plus tard, en appliquant à eux-mêmes ce mode de
comportement, que les êtres humains développent le lanaage
intérieur ... 11 (1). Sur ce point, Vygotsky donne une interpré-
tation originale du langage égocentrique qu'il décrit comme
un 1I1angage intérieur dans sa fonction psychologique, et un
langage externe dans sa forme physiologique ll (2). Le langage
égocentrique est un stade intermédiaire entre le lan~age ex-
tériorisé et le langage intérieur. Sa disparition coîncide
avec son intériorisation et non avec sa socialisation.
Le langage remplit ensuite une fonction d'abstraction de la
pensée. L'étude du développement de l'activité conceptuelle
et catégorielle, de la formation du raisonnement scientifique
fournit une preuve à l'appui de cette thèse. Le langaqe ouvre
la possibilité de décontextualiser la pensée.
A.R. Luria défend la même thèse que Vygotsky. Pour lui, le
langage opère au moins sur deux plans. Sur un plan général, il
remplit le rôle de l'information culturelle en assurant la
participation de l'être humain à la culture sociale. Sur un
plan spécifique, le langage joue aussi un rôle cognitif, car
(1) - (2) J.V. WERTSCH, op. cit., P. 152, 153.
- 78 -
il permet d'abstraire, de conceptual iser, de représenter le
rée l .
Les travaux empiriques de Vygotsky et de Luria ont-ils con-
firmé le rôle cognitif du langage qui nous intéresse particu-
lièrement dans le cadre de notre étude?
Concernant le dévelopoement de la réflexion abstraite, décon-
textualisée, les conclusions des travaux réalisés en Asie
centrale parlent d'elles-mêmes. Comparant les performances
d'adultes analphabètes dans une série de tâches de raisonne-
ment (catégorisation d'objets famil iers) à celles ~es sujets
qui avaient
appris à lire au cours de la période de collec-
tivisation dans les années 30, les auteurs ont trouvé quelques
différences notables entre les analphabètes et les instruits
quant à l'utilisation du raisonnement abstrait décontextualisé.
Les sujets instruits dans les situations d'éducation formelle
parvenaient à élaborer des catéqories abstraites alors que
les autres éprouvaient
des difficultés à le faire:
IILa
tendance à s'appuyer sur les actions exécutées dans la vie
pratique a été le facteur de contrôle des réponses chez les
analphabètes et les sujets non scolarisés ... Les sujets un
peu plus éduqués ont employé la classification catégorielle
comme méthode de grouoement des objets ... Il
(Luri a , 1971).
Le travail de Luria et Yudovich (1959) sur les jumeaux YURA
et LIOSHA appelle la même interprétation. Ceux-ci vivaient
repliés sur eux-mêmes avec très peu de communication avec
l'entourage.
Ils accusaient un retard de langage. Une réédu-
- 79 -
cation séparée dans le milieu scolaire et une rééducation
verbale (pour l 'un dieux) rétablirent une évolution normale.
Partis au départ d'un niveau de langue peu précis, et éprou-
vant des difficultés à abstraire l'idée de son contexte, à
formuler des règles au cours de l'activité ludique, la réédu-
cation a compensé ces lacunes:
les jumeaux sont parvenus à
abstraire, à formuler des idées, à planifier leurs projets.-
Les analyses de Luria insistent sur le fait que la maîtrise
du langage conditionne l'activité d'abstraction et la prise
de distance par rapport à la réalité immédiate. Le langage
développe l'imagination et la représentation de l'enfant.
Confronté à un problè~e, il nlagit plus directement, mais
réfléchit, élabore le plan directeur de son action et l'exécute.
Les travaux de Vygotsky et de Luria apportent des informations
précieuses quant à la connaissance du rôle du langage dans le
développement des fonctions mentales supérieures. La question
reste cependant posée de savoir si les effets qu'ils attribuent
au langage ne sont pas la conséquence du développement général
des processus cognitifs. A titre d'exemple, on peut se deman-
der si la représentation se confond avec le langage ou si
celui-ci fournit des moyens dlélaboration et de codage à un
type de représentation, la représentation conceptuelle. Si
oui, la représentation en tant que traduction interne des
situations dépasse le langage et englobe aussi les instruments
intellectuels du sujet, le niveau de traduction atteint étant
fonction du niveau intellectuel. ~algré ces remarques, nous
/
.,
- 80 -
retiendrons l 'idée du développement de la pensée catégorielle
en relation avec l'éducation formelle.
La pensée catégorielle
ou pensée formelle constitue la base du raisonnement expéri-
mental. Si l'éducation scolaire accentue sa formation, on peut
s'attendre à ce qu'elle favorise dans le même temps la struc-
turation du raisonnement expérimental. Est-ce le point de vue
des partisans de la théorie opératoire de l 'intelligence ?
2.2.
- LANGAGE ET PENSEE OPERATOIRE
Tout le travail de Piaget a consisté à montrer com-
ment l'intelligence prend sa source dans l'action avant de se
construire progressivement sur le plan formel.
Il
va sans
dire que l 'origine des opérations nlest pas dans le langage,
mais dans l'action : "Les structures qui caractérisent (la
pen sée) plo nge nt leu r s ra c i ne s dan s l' a ct ion e t dan s les mé ca-
nismes sensori-moteurs plus profonds que le fait linguistique" (1)
Ma i s l'auteur admet que "1 e langage ... est une condition néces-
saire mais non suffisante de la construction des opérations
logiques" (2)
; et "plus les structures de la pensée sont
raffinées et plus le langage est nécessaire à l 'achp.vement de
leur élaboration".
L'intervention
du
lan9age
est
donc
né ces s ai r e
à
1 1 achèvement
de
leu r
é l a b0 rat ion" :
El l e
(1) J. PIAGET, Six études de Psychologie, Genève, Gonthier, 1964, CH. 3,
P.
112.
( 2 ) Op. ci t., P.
113.
/
- 81 -
est
nécessaire
"car sans le système d'expression symboli-
que que constitue le langage, les opérations demeureraient à
l'état d'actions successives sans jamais Si intégrer en des
systèmes simultanés" ; par ailleurs elles "resteraient indi-
viduelles et ignoreraient par conséquent ce réglaae qui
résulte de l'échange inter-individuel et de la c oop r a t t on l t ) .
é
v
Piaget admet donc une interaction circulaire entre le langage
et la pensée. Mais en dernière analyse, il fait déDendre le
langage et la pensée de l'intelligence.
y a-t-il
des arguments qui justifient cette relation de dé-
pendance ? On peut en évoquer trois.
Le premier argument, c'est que l lintelligence s'enracine
dans l'action; dans sa forme sensori-motrice, elle préexiste
au langa~e. Les opérations concrètes elles-mêmes sont "des
actions proprement dites avant d'être des opérations de la
pensée". Le langage ne peut par conséquent être l a cause de
la naissance de l'intelligence.
Le deuxième argument considère que l'apparition du langage
dépend dlune fonction intellectuelle de base, la "fonction
sémiotique", L'enfant de 2-3 ans diffère de celui de 8-10
mois par le langage. Mais l'avènement du langage en tant que
forme de symbolisme interindividuel achève le développement
de la représentation qui se manifestait déjà dans les formes
t l ) Op• ci t., P.
11 3 .
- 82
de symbolisme de nature individuelle telle que le jeu symbo-
lique, l'imitation différée, 1 'image mentale. La fonction
sémiotique coordonne donc le langage et les symboles indivi-
duels.
Enfin, le troisième argument porte sur les opérations formel-
les (11-12 ans). La maîtrise de celles-ci dépend d'un système
opératoire complexe, la combinatoire qui élève les classifi-
cations et les sériations au second degré et permet le dérou-
lement de la logique des propositions. Le langage n'est pàs la
source des opérations formelles.
Les investigations menées Sur le terrain donnent-elles raison
à Piaget? L'une des tentatives de validation, celle de
Sinclair De Zwart (1967) emploie l'approche corrélationnelle.
L'auteur évalue d'une part le niveau opératoire par une
épreuve de conservation et d'autre part les capacités verba-
les. Il apparaît que les deux groupes de mesure sont liés,
les formes verbales les plus élaborées étant le fait d'enfants
conservants. Cette expérience comme toutes celles qui font
appel aux corrélations ne permet pas d'orienter la relation
entre le langage et le développement opératoire. L'auteur
organise en guise de démonstration une expérience d'entraîne-
ment à la conservation faisant intervenir le langage. Celle-
ci aide très peu les sujets de niveau préopératoire à attein-
dre la conservation. Elle prouverait que le langaqe dépend de
l'intelligence. En réalité, la valeur démonstrative de cette
étude est très faible, car le temps de formation pour que
-
83 -
l'acquisition de la langue puisse transformer la représenta-
tion varie suivant les enfants et les types d'éducation
(formel-informel). Le langage ne devient un instrument de
pensée que lorsqu'il est capable de traduire sur le plan ex-
terne la représentation interne du sujet. Il faut de longues
années de formation pour atteindre cet objectif.
Les recherches sur les enfants sourds pourraient éclairer les
rapports entre le langage et la pensée. Si les sourds attei-
gnent le niveau opératoire, cela démontre l lindépendance du
développement cognitif par rapport au langa~e. Dans cette
perpective, des épreuves de conservation (liquide, roids)
appliquées par Oléron et HERREN (1961) à des enfants sourds
et entendants révèlent un retard de 6 ans chez les sourds.
Dans les épreuves de sériations (simple et double), Borelli
(1951) note peu de différences entre les sujets sourds et
les sujets normaux quoique les premiers manifestent un retard
dans la double sériation. Youniss et Furth (1965) ont comparé
les mêmes populations aux épreuves de sériations faisant in-
tervenir la transitivité; ils obtiennent des performances
comparables. Ce qui démontre une fois de plus que le niveau
opératoire est indépendant du langage.
Si les opérations intellectuelles sont indépendantes du lan-
gage dans les épreuves citées, c'est peut-être parce qu'elles
relèvent des opérations concrètes. Que se passerait-il si
T' on avait affaire aux situations inductrices
des opérations
formelles?
- 84 -
La pensée formelle porte Sur des énoncés verbaux, sur la
logique des propositions différente de la logique des clas-
ses. Elle devrait entretenir des rapports étroits avec le
langage. Mais pour Piaget, l'essentiel se trouve dans la
construction de la combinatoire permettant d1insérer le
réel dans le réseau des combinaisons possibles.
Par hypo thès e ,
on pourrait soumettre les adolescents sourds aux épreuves de
pensée formelle sans rencontrer trop de difficultés.
Appliquant une épreuve de probabilité inspirée des expérien-
ces d 1 l nhe 1der et Pia 9e t (1 955) à deux é cha nt i 110 ns des 0 urds
et d1entendants de 11-15 ans, Ross (1966) observe des réus-
sites comparables. Furth (1971) examine une population de
sourds âgés de 14 à 20 ans, à l'aide de la même épreuve.
Il
note des performances comparables d'une part, entre les su-
jets entendants ruraux de même âge moyen, et d'autre part
des performances inférieures des sourds par rapport à celles
d'entendants du milieu urbain.
Ces quelques résultats tendent à montrer l'indépendance du
développement cognitif et du langage. Mais on peut s'interroger
sur la réalité p~ychologique de cette indépendance. N'est-il
pas plus pertinent de poser le problème en terme d'interdé-
pendance; d'intégrer les connaissances, les opérations et le
langage du sujet dans le processus de représentation qui en
assure le fonctionnement suivant les buts inscrits dans des
contextes signifiants?
-
85 -
En attendant de reprendre cet aspect dans le déve-
loppement ultérieur, il faut déjà souligner le rêle instru-
mental du langage dans l'élaboration de la pensée; il est un
élément actuel de celle-ci et en fournit le ~odèle. L'utili-
sation d'une lange crée donc des habitudes de pensée, qénère
un fonctionnement cognitif particulier. Le langage instaure
la mise en oeuvre de circuits longs, favorise la prise de
distance par rapport aux objets perçus. Son emploi ré0ulier
en situation d'apprentissage constitue un entraînement à
cette prise de distance.
Il devrait jouer un rôle important
dans la formation de la pensée formelle et du raisonnement
expérimental.
En définitive, les facteurs socio-économiques, les
pratiques éducatives et les pratiques langagières sont en
corrélation avec le développement de la pensée. Sans préjuger
du sens de la liaison causale, nous pouvons déjà dire que le
milieu culturel exerce une influence sur le développement
cognitif. Mais le modèle du milieu seul, consi,déré indépendam-
ment du sujet, ne peut nous révéler son mécanisme d'action sur
la pensée. L'élaboration d'un modèle d'étude du sujet devient
alors nécessaire si l Ion veut dans une troisième démarche
tenter une description du sujet et du milieu à llintérieur
d'un même cadre théorique capable d'informer sur les conditions
de formation du raisonnement expérimental.
- 86 -
CHAPITRE
II
RECHERCHE D'UN MODELE D'ETUDE DU SlJJET
Quels sont les caractères des sujets qui manifes-
tent un développement cognitif optimal? Si l'on connaissait
ces caractères, on pourrait prévoir à partir de leur présence
ou absence, les capacités opératoires de l'enfant. Pour ré-
pondre à cette question, nous allons avoir recours au modèle
constructiviste et structural de J. Piaget et aux différentes
théories des styles cognitifs. Nous opérons ce choix pour les
besoins de la présentation analytique, car à l'intérieur même
de ces cadres notionnels, les faits de dévelopoement s'expli-
quent par les caractères du sujet et du milieu - Mais l'accent
y est particul ièrement mis sur l'organisation du sujet en
tant que pôle intégrateur de l'activité psychologique.
1 - LE MODELE CONSTRUCTIVISTE ET STRUCTURAL
Le modèle constructiviste répond à une préoccupation
épistémologique. Comment le sujet parvient-il
à connaitre ?
Rejetant les théories empiristes, intellectualistes et oprio-
ristes, le constructivisme pose l'idée d'une genèse des con-
naissances - son originalité, c'est de considérer l'activité
cognitive comme un système de régulation et d'en avoir précisé
la fonction et la structuration progressive.
Le constructivisme génétique est d'abord une théorie fonc-
- 87 -
tionnelle de l'intelligence. L'activité cognitive se carac-
térise par la recherche d'un état d'équilibre entre l'orga-
nisme et son environnement
ceci n'est possible que grâce
aux transformations que le sujet effectue sur son mil ieu et
son état de connaissances internes en vue de compenser les
perturbations. Au cours du développement de l 'individu~ cette
régulation aboutit à une majoration de ses capacités~ ce qui
accroît la stabilité et la mobilité de ses conduites et le
rend capable de résoudre des problèmes de plus en plus com-
plexes.
Il faut cependant noter que le système cognitif dans sa dyna-
mique n'atteint que des états d'équilibre relatifs~ l 'organis~
se trouvant toujours confronté à de nouveaux problèmes; et
ses problèmes constituent des situations nouvelles dont l'ap-
préhension exige la mise en oeuvre d'instruments cognitifs
maîtrisés ou l'élaboration d'instruments nouveaux. Le dévelop-
pement de l'intelligence résulte donc de l'activité du sujet
sur les objets.
Le constructivisme génétique est ensuite une théorie structura-
le de l'intelligence. Au fur et à mesure que l'enfant se
développe. il construit des opérations intellectuelles qui
s'organisent en structures obéissant. suivant l'expression de
F. Longeot (1976). à une homogénéité par équivalence intra-
stade et à une homogénéité par implication interstade.
Les recherches psychogénétiques menées en milieu africain
- 88 -
confirment-elles la position constructiviste au double plan
du fonctionnement et des structures? Seule une analyse de
quelques travaux de référence permettra d'apporter des
élé-
ments de réponses. Nous avons à cet effet sélectionné les
travaux comparatifs s'efforçant de confirmer les thèses de
1 'école de Genève, Travaux qui portent notamment sur l'intel-
ligence sensori-motrice, sur l'acquisition des conservations
et sur la pensée formelle.
1 - LE DEVELOPPEMENT DE L'INTELLIGENCE SENSORI-MOTRICE
Une étude sur "l e s étapes de l'intelligence sensori-
mo t r i c e chez l'enfant baoulé" (Côte d'Ivoire 1972) a été
menée par une équipe de psychologues genevois (Fondation
Ne s t l
sous la direction de Barbël INHELDER. "Le but de
é
)
,
cette recherche est de trouver un instrument qui permette
l'étude, dans un milieu non occidental, de l'influence de la
malnutrition dite modérée sur le développement cognitif d'en-
fants très jeunes d'une part, et d'autre part de formuler des
hypothèses sur la relation entre le milieu culturel et le
développement".
L'étude a porté sur les enfants de Kpouébo, villaqe tradition-
nel
situé à environ 200 kilomètres au Nord d'Abidjan. Les
résultats se rapportent à un échantillon de 73 enfants âgés de
6 à 24 mois.
Les auteurs ont utilisé les épreuves de l'échelle de CASATI-
- 89 -
LEZINE (1968) qui permettent d'analyser les processus de
l'intelligence sensori-motrice. L'échelle porte sur les do-
maines suivants:
- la recherche de l'objet disparu;
- l'utilisation des intermédiaires
- l'exploration des objets
- la combinaison d'objets.
Au niveau de l'interprétation des résultats, les auteurs
observent des avances de l 'enfant baoulé pour toutes les si-
tuations qui
nécessitent une mise en relation directe spatiale
ou temporelle, soit entre deux objets, soit entre les mains
de l'enfant et un objet.
Des retardsoapparaissent pour l'échantillon baoulé dans deux
épreuves. Dans l 'exploration~ il s'agit de la situation où
l'enfant doit essayer d'entrouvrir la boite (par gliGsement),
et dans l'épreuve des supports, la difficulté consiste à
faire pivoter le support.
En ce qui concerne les avances, deux aspects de la manière
dont sont traités les bébés de l'échantillon africain sont
évoqués en guise d'explication. D'une part, les bébés sont
portés sur le dos de la mère très précocément. Cette position
entrainerait une structuration posturale plus précoce que
chez les enfants occidentaux couchés dans le berceau. Irène
Lézine suggère que le développement de l'axe postural favorisé
- 90 -
par la position de l'enfant porté au dos, pourrait déclencher
une latéralisation précoce; ce fait pourrait expliquer l'a-
vance importante observée dans les épreuves de Tube-Râteau et
de Tube-chaine, où les enfants africains montreraient une
habileté manipulatoire très différenciée. D'autre part, jus-
qu'au sevrage la nutrition présente la particularité d'être
dirigée de façon active par l'enfant lui-même. En effet, dès
qu'il a faim, l'enfant s'agite sur le dos de sa mère, cherche
à passer du dos
au buste Dour atteindre le sein. Cette situa-
tion est très différente de celle de l'enfant européen qu~
est souvent nourri selon un horaire imposé, et qui
reçoit le
biberon ou le sein d'une manière qui le laisse très passif.
L'enfant ne peut guère que pleurer pour manifester son besoin;
il n'est pas incité à une recherche active, ne peut effectuer
les gestes efficaces tels que ceux du bébé africain. Ainsi
les auteurs pensent que l'expérience précoce de recherche du
sein par orientation du corps, par gestes "vers" pourrait
expliquer partiellement les avances observées concernant la
manipulation des objets en contact direct et en particulier
la recherche d'un objet placé à proche portée. A l'égard des
retards rencontrés pour l'exploration dès qu'il s'agit d'ou-
vrir la boite, et pour les supports lorsque l'enfant doit
effectuer une rotation du support pivotant, il pourrait s'agir
d'une difficulté d'ordre spécifiquement culturel. En effet,
ces deux situations requièrent des manipulations techniques
qui ne sont pas sollicitées dans le milieu africain en jeu.
- 91
-
Peu ou pas d'objets comportant un axe de rotation existent
aux alentours de ces bébés alors que les enfants de la popu-
lation occidentale manipulent ou observent précocément des
objets ou jouets à roues (voitures t toupies ... ). D'autre
part t la manipulation de "faire glisser" est sans doute très
liée à des expériences telle que de tirer un tiroir, pousser
et entrouvrir une portet emboîter des objets de dimensions
diverses[' ..J expériences très courantes dans un milieu occi-
1
dental et absentes du mil ieu africain de l'étude.
Ce travail conforte le modèle constructiviste au
plan fonctionnel. Le développement de l'intelligence sensori-
motrice de l'enfant africain est comparable à celui de l'en-
fant occidental. Les avances ou les retards constatés sont en
rapport avec les possibilités d'exercices fonctionnels que
l'environnement culturel propose à l'enfant dans les domaines
cognitifs examinés. Faut-il alors en conclure que la fonction
dé ter mi ne 1a st ru c t ure et que l' ab sen c e de 1a pre mi ère en t ra i-
ne l'absence de la seconde? Si oui t le problème de l'univer-
salité du modèle structural se pose vu la diversité des objets
culturels en fonction des~uels les schèmes cognitifs s'élabo-
rent. Ne pouvant tirer une conclusion définitive des résultats
d'une seule recherche, examinons les données des expérien~es
de conservations.
2 - L'ACQUISITION DES CONSERVATIONS
L'acquisition des invariants de conservation s'ef-
- 92 -
fectue suivant la séquence "substance - poids - volume".
Piaget (1941) écrit è ce propos: "si nous insistons sur
l 'ordre de construction des notions de conservation de la
substance, du poids et du volume physique, ce n'est pas pour
le vain plaisir de constater que nos résultats se retrouvent
ailleurs; c'est parce que cet ordre de succession présente
une signification à la fois logique et psychologique qui est
digne de remarque" (1941, D. XV).
Quelles sont les raisons logiques invoquées par
Piaget? Il affirme d'une part que "logiquement en effet, le
poids est attaché à une matière et pour concevoir la conser-
vation du poids, il est nécessaire de posséder au rréalable
la notion de conservation de la ~atière. D'autre part, la
conservation d'un volume physique suppose la non dilatation
et la non compression de la matière de l'objet dont on modifie
la forme, ce qui
implique une certaine résistance, ou une
certaine concentration stable qui, au niveau des notions élé-
me nt a i r e s , sont liées à la notion de poids" (1941, p. XV).
Sur le plan psychologique Piaget souligne que: "Psychologi-
quement, cette soumission à la logique présente dans le cas
particulier un caractère remarquable et même surprenant,
car
le poids
et le
volume sont des
notions
directe~ent
suggérées
par la
perceDtion,
tandis que la conservation
d'une matière dont le poids et le volume ne sont point encore
(
- 93 -
considérés comme invariants ne peut faire appel à aucune
donnée perceptive et ne se refère qu'à ce concept essentiel-
lement abstrait et vide de contenu désigné par nous sous le
terme de substance. Le fait que la conservation de la substance
conditionne celle du poids et du volume au lieu d'en dériver,
exprime donc clairement le primat de l'opération par rapport
à la perception dans la constitution des notions de conser-
vation (1941, p. XV).
Les explications logiques et psychologiques avancées par
Piaget constituent-elles une théorie générale permettant une
prédiction systématique de la séquence "substance - poids -
volume" ? Si oui, alors on doit s'attendre à observer des
résultats homogènes quels que soient les milieux culturels.
Price-Wi11iams (1961) étudie la conservation des quantités
continues chez les TIV non scolarisés du Nigéria. Il trouve
des résultats comparables à ceux de Genève, surtout dans
l'épreuve de conservation du nombre où le sujet doit comparer
deux rangées comportant un nombre égal de noix, mais pouvant
différer par la longueur. Price-Wi11iams explique cette per-
formance par l'expérience acquise au plan socio-cu1ture1. En
effet, les enfants Tiv pratiquent un jeu qui consistent à
aligner deux rangées de cailloux dans des trous. La réussite
des enfants serait due à l'entraînement acquis Dendant ce jeu.
Il existe donc des domaines de connaissances dans chaque mi-
1
lieu où l'activité cognitive s'exerce de façon optimale qrâce
aux facilitations fonctionnelles des pratiques socio-culturelles.
- 94 -
L'urbanisation est un des facteurs dont l'influence sur le
déveloprement cognitif a fait l'objet de plusieurs publica-
tions. Parmi celles-ci, on peut retenir le travail de POOLE
(1968). Voulant évaluer l'effet du degré d'urbanisation sur
l'évolution de la conservation, il constitue trois échantil-
lons de 150 enfants Hausa et scolarisés (Nigéria du Nord)
:
- le premier comprend les sujets issus de localités rurales
très éloignées;
- le deuxième comporte des sujets de statut intermédiaire;
- enfin le troisième rassemble les enfants de zones urbaines
- il a par ailleurs formé un quatrième groupe composé d'en-
fants anglais.
L'auteur retrouve l'ordre habituel des stades
mais des re-
tards apparaissent lorsqu'on passe de la zone urbaine à la
zone rurale; ce qui entraîne le classement suivant: Rural
< Intermédiaire < Urbain < Anglais. La plupart des travaux
qui compare la ville et la campagne abonde dans ce sens. Mais
une telle approche comporte des risques méthodologiques évi-
dents.
En effet l'urbanisation constitue une variable composite;
elle englobe 1 'habitat, le niveau. socio-culturel et socio-
économique des familles, le contact avec d'autres cultures,
l'école ... Le r6le de chacune de ses variables doit être pré-
cisé si l'on veut élaborer une théorie générale du développe-
ment cognitif.
- 95 -
Le travail de B. Lloyd (1971) va dans le sens de la spécifi-
cation des variables environnementales.
Il se propose de
préciser le rôle du niveau socio-culturel sur les enfants
Yoruba d'IBADAN (NIGERIA). Il compare de ce fait deux groupes
d'enfants Yoruba.
L'un issu de l'élite yoruba (mère ayant au moins une éduca-
tion secondaire, et le père davantage).
- L'autre constitué d'enfants de milieux populaires vivant
dans le quartier du marché d'Ibadan (mère illettrée et
scolarité négligeable pour le père).
Les tâches portent sur la conversation du nombre et la con-
servation des liquides. L'analyse de la variance effectuée
sur les scores moyens montrent un effet significatif du ni-
veau socio-culturel sur le développement cognitif
(F = 9,57 ; ddl
=
1/59 ; P. 01).
En comparant ses résultats à ceux de ALMY et al
(1966) aux
Etats-Unis, B. Lloyd trouve que les enfants de l'élite Yoruba
ont des résultats équivalents ou même supérieurs à ceux des
enfants de la middle-class américaine. Les enfants de milieux
populaires réussissent moins bien dans les épreuves de con-
servation du nombre, mais réussissent mieux que les enfants
de l'élite yoruba et les enfants américains dans l'épreuve de
conservation des liquides (X2 = 4,22
DD = 1 ; P. 05).
Le travail de B. Lloyd, appelle les mêmes remarques que celui
de Poole, le niveau socio-culturel pouvant se combiner aux
- 96 -
facteurs socio-économiques, ~ la qualité des écoles fréquen-
tées par les enfants ...
Ces raisons incitent ~ la prudence dans la mise en forme des
liaisons causales.
La deuxième remarque concerne l'explication de l'avance ou du
retard des enfants favorisés ou défavorisés .. Là aussi, l'idée
d'une facilitation fonctionnelle des milieux cultivés pour le
nombre et des milieux porulaires pour les liquides, fait son
chemin; et on en vient à l 'hypothèse de l'influence du mi-
lieu culturel sur le rythme de développement sans une modifi-
cation de la structure des stades.
La recherche doctorale d'Ismaël ABOUBAKAR (1980, NIGER) ex-
ploite l'idée de la variabilité des facilitations fonction-
nelles selon les milieux professionnels. L'auteur effectue
une étude comparée de l'apparition des invariants de quanti-
tés chez les enfants non scolarisés appartenant à différents
milieux: commerçant, potier, éleveur. Le choix de ces milieux
est guidé par l 'hypothèse selon laquelle la précocité de la
formation des invariants de quantité dépend des domaines
d'activité de chaque milieu professionnel.
Au Niger, les potiers confectionnent des jarres
ce qui
nécessite une manipulation régulière de quantités d'argile
selon le modèle à reproduire.
1
1
- Le commerçant mesure la quantité de marchandise correspon-
dant à un prix donné.
- 97 -
- Les éléveurs maîtrisent l'évaluation des quantités de li-
qui de dis tri buée s dan s des r c i pie nt s de dime ns ions dis parates .
é
D'après ABDUBAKAR, ces tâches comportent non seule-
ment un caractère signifiant pour les populations concernées,
mais aussi un caractère " vital" en ce que chacune de ces ac-
tivités pose le problème de la survie et des moyens de sub~
sistance : les jarres vendues représentent une source de
revenu substancielle ; le commerce des objets de toute nature
constitue le premier moyen de subsistance pour le commerçant
enfin, la rareté du lait impose une rationalisation de son
utilisation. Très tôt l'enfant doit en faire l'apprentissage
et vaincre les difficultés rencontrées avec l'aide de lladulte.
Suivant l Ihypothèse de l'auteur, on devrait observer une
précocité des sujets dans la sphère d'activité qui les carac-
térisent. Ainsi les potiers devraient mieux réussir que les
autres groupes expérimentaux à la conservation de la
substance,
de même que les commerçants à la conservation du liquide.
A la conservation de la substance, les enfants potiers mani-
festent une avance non significative sur les enfants commer-
çants et une avance significative sur les éleveurs. Par
ailleurs les résultats des potiers sont relativement supérieurs
à ceux des
enfants genevois dont les performances correspon-
dent à celles des commerçants.
A la conservation du poids, les performances sont équivalen-
tes entre 6 et 8 ans. Une légère di fférence appara i t en faveur
- 98 -
des commerçants aux environs de 9 ans. Dans l'ensemble. les
performances des commerçants sont légèrement suoérieures ~
celles des enfants genevois.
A la conservation du liquide. les éléveurs présentent une
légère supériorité entre 7 et 8 ans
; ~ partir de 9 ans, les
performances se confondent.
D'une façon générale les résultats obtenus confirment l 'hypo-
thèse d'une relative précocité des acquisitions cognitives en
fonction des spécialisations socio-professionnelles. Ils cor-
roborent aussi l'idée de l'ordre constant d'acquisition des
invariants "Li qu t de < substance < poids, quel que soit le
domaine professionnel.
Dans l'ensemble, jusqu1au stade des conservations, le modèle
structural semble se confirmer malgré les avances ou les
retards produits dans certaines situations par l'exercice
des fonctions cognitives. L'activité du sujet est la condi-
tion nécessaire de son développement; pour qu'elle suffise,
le milieu socio-culturel doit comporter des objets ohysiques
sur lesquels elle s'exerce. Cette façon de voir les choses
convient certainement pour décrire la structuration des opé-
rations concrètes, de toute forme de pensée fondée sur une
abstraction empirique. Elle ne paraît pas pouvoir rendre
compte des opérations formelles issues d'une abstraction ré-
fléchissante et qui exigent des formes de facilitations
fonctionnelles autres que l 'action directe sur un objet phy-
- 99 -
sique. Si l'action directe était suffisantes on devrait alors
observer l'universalité de la pensée formelle.
3 - LA PENSEE FORMELLE
A 1 'heure actuelle on ne recense aucune référence
bibliographique sérieuse sur le développement de la pensée
formelle en milieu africain. Mais de rares travaux intercul-
turels ont abordé la question sur d'autres continents. Citons
à cet égard l'étude de Goodnow (1967)
qui administre des
tests de combinaisons et de permutations à des adolescents
chinoix de Hong-Kong s scolarisés en Anglais. Elle observe de
meilleures performances comparativement aux enfants anglais,
mais sans préciser l'origine sociale de son échantillon.
Were (1968) administre des tests de logique verbale à des
adolescents de 14 à 16 ans en Nouvelle-Guinée.
Il n'observe
aucune manifestation de la pensée formelle.
Le travail de
Kelly (1970) corrobore ce résultat.
La plupart des auteurs nlont pas réussi à mettre en évidence
l'existence de la pensée formelle dans les cultures non-
occidentales. Dans un article important, Piaget (1966) pense
que le développement cognitif pourrait s'arrêter aux opéra-
tions concrètes: 1111 est en particulier fort possible qu'en
bien des sociétés, la pensée adulte ne dépasse Das le niveau
des opérations concrètes et ne parvient donc pas à celui des
opérations propositionnelles qui s'élaborent entre 12 et 15
ans dans nos milieux: il serait alors d'un haut intérêt de
- 100 -
savoir si les stades antérieurs se déroulent plus lentement
che z les en fan t s de tel les soc i été s,ou sil e pal i e rd' éq ui -
libre qui
ne sera pas dépassé est atteint comme chez nous
vers 7 ou 8 ans ou seulement avec un fa-ible retard" (1).
Des travaux récents ont révélé que les adultes des sociétés
occidentales atteignent le stade formel dans 25 % des cas
environ. Piaget (1972) nuance sa position en maintenant que
D
les adul tes a c c è den tau s t ade for me l e nt r e 15 e t 20 ans, ma i s
qu'ils l'atteindraient dans différents domaines selon leurs
aptitudes et leurs spécialisations professionnelles; mais
il n'écarte pas l 'hypothèse que la pensée formelle pourrait
être spécifique aux sociétés industrielles. Buck-Morss (1975)
soutient cet argument et stipule que le formal isme abstrait
reflète les structures sociales du capital isme industriel
occidental. Piaget a pris comme stade final
les structures
de la science occidentôle, mais celle-ci ne représente pas
nécessairement la forme de pensée valorisée dans d'autres
cultures.
Le problème de la construction de la pensée formel-
le dans toutes les cultures reste un problème
d'actualité sur
le plan psychologique. Son dépassement exige un nouveau corps
d'hypothèses à même de fournir un cadre théorique aux données
empiriques. Les essais d'hypothèses tournent autour de trois
axes inégalement heuristiques.
(
1
( 1)
PIA GET (J.), Nécessité et signification des recherches comparati-
ves en peuchal.oœie génétique, Int. J. PS!7ch., l, 1,
1966, p.
13.
- 101
-
Le premier axe s'attache a souliqner l'inadaptation des maté-
riels expérimentaux aux populations étudiées.
Les performances induites, loin de réflèter une réalité psy-
chologique, dépendraient d'un artefact méthodologique.
On connaît les multiples tentatives pour adapter la situation
expérimentale à l'environnement culturel. Malgré le bien fondé
de l 'hypothèse et les efforts d'adaptation entrepris, aucune
étude inter~ulturelle ne mentionne l'acquisition de la pensée
formelle dans un milieu traditionnel entre 12 et 15 ans. Il
s'agit donc d'une hypothèse a portée heuristique limitée. Le
deuxième axe repose sur la distinction entre "compétence" et
"performance". La compétence d'un sujet correspond à l'effi-
cacité opératoire atteinte par son stade de dévelonpement.
Elle est liée à l'utilisation des structures intellectuelles
conquises pour résoudre des tâches que le stade opératoire
permet d'exécuter. La conséquence théorique de cette défini-
tion, c'est qu'on peut prévoir le rendement d'un sujet dans
une tâche, connaissant sa compétence ou son ni.veau opératoire.
Mais les choses ne se passent pas toujours comme cela en réa-
lité. Confronté à une situation particulière, 11 individu peut
seulement mobiliser une partie de sa compétence pour produire
un rendement observable. L'évocation et l'activation des opé-
rations pertinentes dépend de la signification qu'il attribue
à la situation.
Selon que cette signification est conforme ou
non aux vues du psychologue, on parvient à une adéquation ou
!,
à
une inadéquation entre compétence et rendement.
- 102 -
Le rendement d'un individu ou sa performance représente le
résultat objectif acquis lors de la résolution d'une tâche. Du
point de vue pédagogique, la performance réfère directement à
la compétence. Mais combien de fois n'a-t-on pas vu des péda-
gogues deçus par l'échec de leur meilleur élève? Une distor-
sion peut donc apparaître entre la compétence et la perfor-
mance, distorsion qui s'explique par l'état psychologique de
l'élève, la signification de la situation ...
5 1il en est ainsi, on peut estimer sans le prouver que
l'adulte africain manifeste la compétence formelle dont la
performance actuelle ne rend pas compte. L'argumentation est
soutenable; et l 'hypothèse garderait sa portée explicative,
si en multipliant les situations expérimentales isomorphes,
on accroissait la force de la liaison entre compétence et
performance, les sources d'erreurs étant minimisées.
Les tentatives de recherches guidées par ce souci méthodologi-
que n'ont pas donné les résultats escomptés. Dans ces condi-
tions la perspective d'exploration de nouveaux axes reste
ouverte.
Le troisième axe, d'ordre écologique, voit dans la
variété des milieux culturels la source des différences intel-
lectuelles. Pour ce courant ouvertement fonctionnaliste, le
développement cognitif dépend des pressions que le milieu
exerce sur l'individu et auxquelles celui-ci répond en élabo-
(
rant des opérations adaptées au contexte écologique particulier.
-
103 -
Berry (1976), Dasen (1975) parlent d'une valorisation éco-
culturelles de domaines particuliers, comme le domaine spatial
chez les nomades chasseurs ou les comparaisons de quantités
chez les agriculteurs.
Les implications de ce modèle fonctionnel sont lourdes de
conséquences car elles remettent en question la notion même
de structure d'ensemble, le développement des concepts se
faisant selon un ordre fonctionnel suscité par le système éco-
culturel. Il devient alors indispensable de concevoir un
autre modèle théorique qui intègre le constructivisme struc-
turaliste et le contextualisme mésologique.
Dasen, Harris et Heelas prorose le constructivisme local.
Ta bl eau 1 : Car a c té ris t i que s de t roi s m0 dè les
Théorique (1)
Constructivisme
Constructivisme
Modèl es théori ques Contextualisme
1
l ocal
structural
Auteurs
Cole et Bruner
Harris et Hee las, Hall pi ke
Cole et Scribner
Dasen
Pi aqe t
1
Mécanismes
Invariants
Construits
Construits
cognitifs
1
Contextes
Imperméables
Imperméables
Perméables
(plus ou moins)
1
Systèmes cogni-
"Vallées de cons- Structure
Modèles
tifs fonctionnels
truction"
d'ensemble
(1)
DA5EN, Aspects fonctionnels du développement opératoire: les recher-
ches inter-cuZtureZ~s, Archives de Psycr~Zogie, 1983, 51, p. 56.
-
104 -
"En retenant du constructivisme la notion fondamentale d'on-
togénèse, et du contextualisme l'importance du milieu cultu-
rel, c'est une synthèse des deux positions qui semble le
mieux tenir compte des données actuelles. Selon ce modèle
"constructivisme local" (Harris, Heelas, 1979), le dévelop-
pement opératoire n'aurait pas le caractère global d'une
structure dlensemble, mais évoluerait différemment selon les
domaines ou "vallées de construction" (1).
L'hypothèse selon laquelle le développement cognitif s'effec-
tue suivant des vallées de construction ne résoud pas la
question de la présence de la pensée formelle en milieu
afri-
cain traditionnel. Si la pensée formelle ne s'y manifeste
pas réellement, il en sera de même pour sa composante, le
raisonnement expérimental. Le problème de la détermination
des caractères du sujet et du milieu favorables au développe-
ment du raisonnement expérimental reste toujours posé, même
si nous retenons du constructivisme la notion d'activité du
sujet.
On pourrait articuler le modèle constructiviste sur les théo-
ries des styles cognitifs pour saisir la conduite du sujet
en fonction des caractéristi~ues de sa personnalité. Cette
démarche pourrait susciter une perspective nouvelle.
Notre analyse portera essentiellement sur le style
"Dépendance-Indépendance à l'égard du champ" ou "D l C",
.r
f
formalisé pour Witkin (1962), Darce qu t i l constitue
une théo-
(1)
DA5EN (P.),
op. cit., 1983, D. 59.
- 105 -
rie des différences individuelles dont les liaisons avec les
concepts piagetiens pourraient éclairer des questions jusqu'-
ici restées en suspens. Elle sera complètée par le modèle des
opérateurs constructifs de Pascal-Léone et le modèle de la
pensée naturelle de M. Reuchlin.
II - LE STYLE "DEPENDANCE-INDEPENDANCE A L'EGARD DU CHAMP
OU D I C
Il est courant de voir que, placés dans une même
situation, deux individus réagissent différemment en fonction
de leur personnalité. Il en découle l'hypothèse que chaque
individu dispose d'une organisation psychologoque particulière
qui induit une modalité de fonctionnement en rapport avec sa
conduite. Les styles cognitifs définissent de larges dimen-
sions de la personnalité intégrant les aspects cognitifs et
socio-affectifs de la personne. Pour Witkin, «les recherches
récentes ont montré que les gens ont un mode de fonctionne-
ment caractéristique et cohérent dans leurs activités intel-
lectuelles et perceptives, ces styles cognitifs, comme on les
a appelés, sont des manifestations dans la sphère cognitive
de dimensions encore plus larges du fonctionnement personnel,
dimensions que l 'on retrouve dans les divers secteurs du
psychisme»
(1965). Le style cognitif "Dépendance-Indépendance
à l'égard du champ" est une théorie différentielle de la per-
sonnalité. Elle vise à rendre compte des différences indivi-
- '06 -
duelles qui caractérisent la personnalité
par son degré de
différenciation (Witkin, 1962). La différenciation se raooor-te
à l'articulation des
fonctions Dsychologiques du sujet, aux
conduites suscitées par l'organisation de ces fonctions, dé-
finissant ainsi une façon de percevoir, un raprort au milieu.
Avecu ne pers 0 nna lit é bi end i f f é r e nci é e Il Les pe r ce 0 t ion s son t
peu inhibées par les propriétés affectives des stimuli ... la
séparation entre le sujet et l'extérieur (le moi et le non-
moi) est plus marquée. Au plan du fonctionnement psychologiqu~
les sujets bien différenciés sont ceux qui util isent plutôt un
système de références internes. On dit que les premiers ont un
style cognitif lIindépendant du champ" et les seconds un style
cognitif "dépendant du champ" (1).
Ces particularités sur le plan du fonctionnement nsycholoqique
ont des répercussions dans les domaines des conduits relation-
nelles et cognitives: IIl e s sujets plutôt indépendants du
champ adoptent une attitude active dans les tâches percepti-
ves et dans la résolution des nroblèmes; ils manifestent une
bonne capacité de structuration-restructuration des données
qui leur sont présentées, mais ils sont relativement peu sen-
sibles à l'information sociale en provenance d'autrui. Les
sujets plutôt dépendants du champ, par contre, recherchent
(1) BUTEAU (M.J, Dépendance-Indépendance, à l'égard du champ et développe-
ment de la pensée opé rat oi.ve . Archives de Psychologie, 1980, 48, p. 2.
- 107 -
cette information sociale et ont une bonne sensibilité aux
stimuli sociaux, tandis que leur capacité de structuration-
restructuration sont relativement moins développées. les in-
dividus ont donc un pattern de capacités variables selon leur
style cognitif" (1). La D 1 C est révélée par des épreuves
perceptives. Citons le R.F.T.
(Road and Frame Test) épreuve
au cours de laquelle le sujet en position déséquilibrée dans
une chambre noire doit ajuster une baguette à la verticale à
l'intérieur d'un cadre carré en position variable; et l'E.F.T.
(Embedded Figures Test) où il s'agit de retrouver un dessin
géométrique simple dans une figure comportant un ensemble
complexe de sous-figures intriquées.
Au R.F.l. le modèle théorique présume que les sujets
indépendants compte tenu de leurs systèmes de références in-
ternes placent la baguette à la verticale sans être perturbés
par la position du carré; tandis que les sujets déDendants
se fixant un système de références externes, notamment les
côtés du carré, s'écartent beaucoup plus de la verticale. De
même pour l IE.F.l., les indépendants retrouvent facilement la
figure simple, alors que les dépendants se laissant impres-
sionner par les diverses informations de la figure complexe
éprouvent du mal à extraire la figure simple. Dans les deux
cas, la performance du sujet dépend de ses capacités de réor-
ganisation du champ perceptif, source de perturbations, donc
d'erreurs.
(1) BUTEAU (M.) op. cit., p. 2.
- 108 -
Du point de vue de l'organisation de champ perceptif,
les sujets dépendants diffèrent des indépendants. On peut
alors s'interroger sur l 'oriqine des différences individuel-
les constatées.
1 - ORIGINE DES DIFFERENCES INDIVIDUELLES
DANS LA D l C
on v
ra l eme nt deux sou r ces pou r r end r e c
é
0 que Il é né
0 mpte
des différences individuelles dans la D l C : l 'hérédité et /
ou le milieu.
La dimension DIC pourrait avoir une base bio l oo ique ,
car les expériences classiques de comparaison de jumeaux mono-
zygotes et des jumeaux dizygotes, élevés ensemble confirment
l 'hypothèse. Les monozygotes se ressemblent plus que les
dizygotes au RFT (Vandenberg 1962), et aux EFT (Stuart et Al,
1965).
Lam an i pu lat ion du mil i eue nt rai ne des m0 d i fi ca t i on s
de conduites similaires. L'accent est particulièrement mis
sur les pratiques éducatives familiales.
Par ses caractéris-
tiques psychologiques personnelles, ses modalités d'échange
avec l'enfant, la mère peut susciter ou inhiber la différen-
ciation de la personnalité de celui-ci. Parmi les caracté-
ristiques de la mère, Witkin et Al
(1962), Dyk et Witkin
(1965) citent la réalisation de soi
(Self-realisation) et la
confiance en soi (self-assurance). On suppose que les mères
- 109 -
auront des conduites éducatives d'autant plus stables qu'elles
éprouveront un sentiment d'accomolissement personnel dans
leurs rôles familiaux et que ces conduites seront favorables
au développement de l'autonomie chez l'enfant. Eduquer l'en-
fant en vue de l'autonomie, c'est susciter le " s e ns de l'iden-
tité séparée" et la maîtrise des pulsions. L'étude des pra-
tiques éducatives familiales réalisées par entretien et
questionnaire permet de classer les conduites et les attitudes
parentales qui sont favorables ou défavorables à la différen-
c i a t ion ps yc h0 log i que. ee t yPe d' i nve s t i ga t ion p0 sel e probl ème
de l'objectivité des informations recueillies et des
catégories
sous-jacentes, sans négliger les questions de l'interprétation
de la corrélation observée; traduit-elle une relation de
cause à effet ?
Une autre démarche consiste à poser le problème en
termes d'hérédité sociale: les enfants peuvent hériter oar le
biais de l'éducation, du style cognitif de leurs oarents. On
considère que le mil ieu éducatif mis en place par les parents
découle de leur style cognitif et qu'il contribue à modeler
chez l'enfant un style cognitif identique. Les corrélations
ainsi estimées sont directes. Mais rien n'empêche de les im-
puter à l 'hérédité biologique.
Une dernière voie empruntée pour cerner l'origine
des différences individuelles dans la Ole est l'étude des
différences intersexes. Les travaux mentionnent ~ue les ado-
lescents et les hommes sont en moyenne plus indépendants que les ado-
- 110 -
lescentes et les femmes.
Les explications de cette observation
sont de deux ordres: l'un bi o l o oi qu e , et l t a ut r e , social.
Le côté biologique offre trois tentatives d'explication. La
première
génétique
suppose que l'indépendance à l'égard du
t
t
champ est contrôlé par un gène recessif porté par le chromo-
sorne x ; la seconde et la troisième d'ordre physiologique
s'appuient sur le rôle des hormones sexuelles et de la spé-
cialisation des hémisphères cérébraux. Brovermon et Al
(1968)
estiment que ce sont les hormones sexuelles qui par leur ac-
tion sur l'équilibre des systèmes adrénergiques et choliner-
giques rendraient compte des différences entre les sexes:
"les hormones oestrogènes, en inhibant la production de cho-
linesthérase
et en facilitant davantage que les hormones
t
androgènes, la production de substance augmentant l'activité
adrénergique, conduiraient à une supériorité relative des
filles dans les épreuves perceptivo-motrices et des garçons
dans les éoreuves de structuration spatiale" (1). Quant à la
dominance des hémiphères cérébraux, elle a fait l 'objet de
plusieurs publications (Maccoby et Jacklin, 1972). La spécia-
l isation des hémisphères, dominance de l 'hémisphère droit pour
les aptitudes spatiales et de l 'hémisphère gauche pour les
aptitudes verbales s'accomplit au cours du développement.
Celle de l 'hémisphère gauche serait plus précoce chez les
filles; et cela amoindrirait le développement des fonctions
de l'hémisphère droit.
(1) HUTEAU (M.), un style sognitif : la Dépendance-Indépendance à l'égard
du champ ~ Année Psychologique, 1975, 75, p. 244.
- ", -
L'absence de différence intersexe chez les enfants
avant deux ans limite la portée des hypothèses biologiques.
Les auteurs ne disent pas clairement si cette période inaugure
la période critique où l'effet de la spécialisation des
hémisphères devient siqnificatif.
Le second facteur évoqué pour saisir l'oriqine des
différences individuelles dans la 0 l C
concerne le milieu
social. Comme dans tous les travaux de ce genre~ on essaie
d'appréhender l'action des
pratiques éducatives dans la pre-
mière e nf a nc e , d'une pa r t , et d'autre pa r t , le rôledu processus
d'identification. On suppose que les pratiques éducatives
parentales seraient variables suivant les sexes; c'est ainsi
que les parents auraient spontanément tendance à maintenir
chez les filles un plus faible degré de différenciation que
chez les garçons.
Malgré l'absence d'analyse fine de l'effet des con-
duites parentales, due à la multiplicité des variable en jeu~
les résultats des recherches interculturelles à propos de
l'influence des pratiques éducatives sur la 0
C
concordent
dans leur ensemble. Dans un chapitre antérieur, nous avions
souligné une influence similaire de l'éducation sur le déve-
loppement cognitif. Peut-on en inférer que la DIC entretient
des rapports avec le développement cognitif? Si une telle
articulation venait à se faire jour entre une théorie diffé-
rentielle de la personnalité et une théorie générale du
-
, 12 -
développement, elle pourrait être source d'hypothèses pour
analyser les différences inter et intra-individue11es obser-
vées au cours des stades. Du coup les avances ou les retards
de développement, les phénomènes de déca1aqes n'auraient de
sens que rep1 acés dans un cadre conceptuel structuro-fonctionne1.
Depuis 1975, les travaux de Huteau (M.) se consacrent à la
réalisation de cet objectif.
2 - DIC ET THEORIE OPERATOIRE DE L'INTELLIGENCE
Dans un article récent, Huteau (1980), souligne les
articulations de la DIC avec la théorie opératoire. Selon
l'auteur, les deux modèles ~uoique différents se rejoignent
par deux caractères: le processus de différenciation et le
conflit cognitif. Dans la théorie opératoire, la croissance
est conçue comme une différenciation progressive des structures
intellectuelles au cours d'un long processus d'équilibration
et d'autorégulation assurant l'interdépendance des facteurs
du développement. Sur le plan intellectuel, l'enfant se déve-
loppe s'il assimile les données de son milieu et accommode en
conséquence. Les instruments opératoires confrontés à de nou-
velles situations sont constamment modifiés par l'activité du
sujet et organisés en structures. Chaque niveau de développe-
ment constitue un palier d'équilibre correspondant à une
différenciation et à une intégration d'opérations.
Dans le modèle de Witkin, la différenciation se
/
-
11 3 -
rapporte à la personnalité dans son ensemble dont elle repré-
sente une dimension. Dire d'un individu qu 1il est plus ou
moins différencié, c'est présumer qu'il manifeste une conduite
stable et cohérente dans n'importe quelle situation compte
tenu de son fonctionnement rsychologique, plus ou moins dépen-
dant à l'égard du champ.
Au niveau fonctionnel, les deux modèles présentent
une caractéristique commune: le conflit cognitif. Dans la
théorie piagétienne, l'enfant se développe s'il domine les
aspects figuratifs des situations au moyen de ses capacités
opératoires; de même dire qu'un individu est plutôt indépen-
dant du champ au niveau cognitif, c'est s'assurerqu'il dispose
de capacités de structuration-restructuration lui permettant
de vaincre les aspects figuratifs des situations.
La coordination des deux cadres notionnels a pour
avantage d'éclairer les différences individuelles dans le
traitement des situations exigeant du point de vue théorique,
la même compétence opératoire. De ce point de vue, l'affir-
mation du retard ou de l'avance des capacités cognitives
globales du sujet perd tout son sens à cause des phénomènes
d'hétérocromie individuelle qui
jalonnent le déveloroement.
L'un des exemples d'hétérochromie le plus fréquemment cité
concerne les décalages horizontaux que Piaget explique par
plusieurs facteurs dont le poids des facteurs figuratifs dans
les différentes situations et la résistance de l'objet aux
- 114 -
schèmes d'assimilation du sujet. L'auteur écrit à ce propos
que "pour juger du niveau opératoire des sujets, il convient,
en effet, de leur soumettre des oroblèmes dont la solution ne
peut être trouvée par simple lecture perceptive: en ce cas,
la configuration perceptive du dispositif joue naturellement
un rôle de résistance à vaincre et celle-ci peut varier con-
sidérablement d'une situation à l'autre sans qu'on puisse en
calculer d'avance les effets" (1). Les variations des perfor-
mances opératoires peuvent être imputées, dans ce cas, à la
cap a c i té des su jet s à Il va i ncre" l a Il rés i st an ce" des
si tua t ion s ;
et la dimension IIdépendance-indépendance à l'égard du champll
est un indicateur de cette capacité.
L'articulation du modèle de Witkin sur la théorie
piagetienne suscite de nouvelles hypothèses explicatives des
différences individuelles. Dans la mesure où les tâches révé-
latrices des structures opératoires varient par leur contenu,
on peut slattendre à voir des performances comparables chez
les sujets indépendants et dépendants dans les situations
discrètes de type logico-mathématique qui exigent de faibles
capacités de structuration dlune part, et d'autre part à cons-
tater des performances supérieures chez les sujets indépendants
dans les situations physiques ou spatio-temporelles complexes
qui nécessitent de grandes capacités de structuration pour
être traitées. Dans l'ensemble, les travaux réalisés dans
(1) PIAGET (5), Introduction à Mr. Laurendeau et A. Pinard, les premièree
notions spatiales (chez l'enfant, 1968, p. 8).
- 11 5 -
cette perspective à l'aide d'épreuves opératoires variées
corroborent l 'hypothèse, quel que soit le niveau de dévelop-
pement.
2.1. LES OPERATIONS CONCRETES
L'étude des performances dans les différents domai-
nes d'actualisation de la pensée concrète (domaine 109ico-
mathématique, domaine physique, domaine spatial) est nécessaire
pour tester la stabilité de la dimension "0.1. C.".
Les classifications, les sériations et la numération
se construisent vers 7 ans. Classer c'est regrouper les objets
suivant une propriété commune et manipuler la relation d'in-
c lus ion sur les e nsembles a i ns i dé fin i s. Cet t e a c t i vit é me t en
jeu une relation d'équivalence contrairement à la sériation
qui opère sur la base d l une relation d'ordre. Quantau nombre,
il constitue une syntthèse opératoire de la classe et de la
série. Les situations de classification et de sériation quoi-
que s'appuyant sur un matériel concret, donc figural, sont
des situations discrètes. Les éléments à manipuler sont sé-
parés et n'exigent pas de capacités de structuration particuliè-
res. Llabsence de conflit entre l'opératoire et le figuratif
devrait réduire les écarts entre les sujets indépendants et
les sujets dépendants à l'égard du champ.
- 11E.-
Les travaux de GRIPPIN et Al
(1973), ceux de Finly
et Al
(1977) mentionnent des corrélations non significatives.
Huteau et Rajchenbach (1978), n'observent aucune différence
significative dans la dimension psychologique étudiée chez
les enfants de 6, 7 ans soumis à la sériation des bâtonnets.
Par contre, Baber (1976) trouve une liaison significative
entre l'I.C. et la capacité à multiplier les classes entre 7
et 10 ans. La mobilité des attributs d'équivalence est modé-
rément liée à lII.C .. Pascual-Leone (1969) s'attache à cette
conduite dans une épreuve de classement axé sur le changement
de critère entraînant une restructuration du matériel
; il
obtient une liaison moyenne chez les enfants et nulle chez
les adultes.
Malgré les divergences légères qui ne sont oas
souvent sans rapport avec les méthodologies utilisées, la
plupart des recherches trouve une corrélation non significa-
tive entre la D.I.C. et les opérations logico-arithmétiques.
En est-il de même des ooérations physiques?
b)
Q~!~Ç~_~!_92~~1~~_~~~~!g~~
Dans les situations de conservation, l'expérimenta-
teur déforme la configuration spatiale de l lune des deux bou-
les de plasticine considérées au départ comme égales par le
sujet. Il y a conservation si celui-ci maintient le jugement
de constance des boules malnré la transformation figurale
- 11 7 -
de l "urie. On peut pré s ume rq ue 's ' i l Y parvient, cie s t parce
qulil a dominé les aspects figuratifs de la situation. Les
sujets indépendants du champ devraient manifester une avance
opératoire dans ce domaine par rapport aux dépendants.
Les recherches de Nodelman (1965), de Fleck (1972),
celles de Dolecki (1976), de Huteau et Rajchenbach (1978) mon-
trent une liaison significative entre le score de conserva-
tion des quantités physiques et l'indépendance à l'égard du
champ.
Le même constat apparaît dans les études intercul-
turelles ; Berland (1977) observe une liaison similaire dans
ôes groupes de jeunes pakistanais vivant dans des conditions
écologiques différentes pour la conversation des quantités
continues et discontinues.
Les conclusions sur l'existence d'une liaison si-
gnificative entre conservation et indicateurs de Ole conver-
gent assez largement. L'accession aux opérations de conserva-
tion dépend
du style cognitif.
c)
g:I:ç:_€!_QQ~~2~~_~g~!2~l
La construction de l'espace exige la mise en place
successive des opérations topologiques, projectives et eucli-
diennes.
L'espace topologique est fait de voisinage, de sépa-
- 118 -
ration, de rapport d'ordre, d'enveloppement; les rapports
entre figures s'établissent de proche en proche. Dans l'espace
projectif, l'objet est signifié relativement à un point de
vue ou système de référence. L'accession à ce niveau opéra-
toire suppose le déclin de "l'égocentrisme s pa t t a l ? • Quant à
l'espace eucl idien, il permet grâce à ses composantes hori-
zontales et verticales de situer un objet dans un système
tridimensionnel.
Le traitement des situations spatiales met en
oeuvre les capacités de décentration permettant des réorgani-
sations perceptives ou des intégrations de structures dans
des ensembles plus vastes. On peut espérer que les sujets
indépendants du champ fourniront les meilleures performances.
Les travaux de Bowd (1975, de Okonji et Olagbaiye
(1975), de Satterly (1976) remarquent une liaison significa-
tive entre les scores d'égocentrisme spatial
indiquée par
l'épreuve des trois montagnes et les scores d'indépendance du
champ évaluée par les EFT ou les cubes des échelles de
Wechsler, quel que soit l'âge.
Concernant l'espace euclidien, les études de
Pascual-Leone (1969) sur l 'horizontalité soulignent la supé-
riorité des sujets indépendants quant à la précision avec
laquelle ils représentent l'horizontal. L'auteur suggère que
l'épreuve du niveau d'eau pourrait être considérée comme un
bon indicateur de D.I.C.
- , 19 -
En définitive, le style cognitif agit sur le développement
opératoire. Mais cette action est modulée par les tâches
révélatrices des opérations. C'est ainsi que les différences
entre les sujets indépendants et les sujets dépendants, né-
gligeables dans les situations logico-mathématiques, appa-
raissent significatives dans les situations physiques et
spatiales qui sollicitent de solides capacités de structuration.
Les sujets indépendants qui les possèdent, réussissent mieux·
que les dépendants. La théorie du style cognitif de Witkin se
trouve donc confirmée au vu des résultats de la période des
opérations concrètes. Voyons maintenant si la différence se
maintient lors des opérations formelles.
La pensée concrète pour s'exprimer a besoin de
slappuyer sur du matériel concret. La pensée formelle au con-
traire consiste en opérations sur des opérations; elle se
manifeste par un discours abstrait de type hypothético-
déductif et transforme le réel en un cas particulier du pos-
sible. C'est la période où, selon Piaget, l ladolescent est
capable de constituer des combinaisons entre objets et juge-
ments, d'articuler les deux types de réversibilité jadis,
séparés, la négation et la réciprocité. Toute cette évolution
aboutit a la mise en place des schèmes de proportionnalités,
de probabilité et de double systèmes de références. Le style
cognitif a-t-il une incidence sur le développement de la
-
'20 -
pensée formelle?
a)
~~l~Ç~_~!_ÇQ~~~~!~_lQgl~Q:~~!b~~~!lg~~~
Par hypothèse, les données logico-arithmétiques de
la pensée concrète devraient coïncider avec les données
logico-mathématiques de la période formelle. Ainsi, il faut
espérer une liaison non significative entre la D.l.C. et le
raisonnement combinatoire. Les études de Neimark (1975) sur
les combinaisons deux à deux de six couleurs différentes et
sur les permutations possibles de quatre objets témoignent
d'une corrélation non significative malgré la supériorité des
sujets indépendants dans les scores moyens évaluant la métho-
de suivie.
b)
Q~!.f~_~!_çQ~~~~!~_~b~~ig~~~
La conservation du volume apparaît vers 10 - 11 ans.
Ce décalage par rapport aux autres notions physiques provient
du f ait que lac 0 ns t r uc t ion de ce con cep t i mpli que l a ma ît ris e
de la proportionnalité. Les études de GHUMAN (1977), de Huteau
et Rajchenback (1978), de OHLMAI'JN et MENDELSOH,N (1982) révè lent
une corrélation significative entre indépendance et conserva-
tion
du volume. Cette conclusion renforce la corrélation
significative déjà observée entre l'indépendance à l'égard du
champ et les autres conservations.
c)
Q;l~Ç~_~!_r~i~Q~~~~~~!_~~~~ri~~~!~l
1
Le raisonnement expérimental consiste à manipuler
- 121
-
un facteur d'une situation pour estimer son effet sur une
variable, "t ous choses égales par a i l l e ur s ". Existe-t-il une
liaison entre le style cognitif et ce type de raisonnement?
Les recherches sur la flottaison des corps (SAARN 1971, 1973),
la flexibilité des tiges (Lawson 1976), l'équilibre de la
balance (Lawson, 1976, Lawson et Wollman, 1977) donnent à 13
ans des corrélations significatives avec l'indépendance à
l'égard du champ. D'autres recherches comme celles de Black
(1976) trouvent une corrélation nulle.
La forme des liaisons rencontrées lors de la pensée
concrète entre DIC et domaines opératoires se conservent glo-
balement au niveau formel: les corrélations non significatives
entre DIC et activités logico-mathématiques deviennent signi-
ficatives avec les activités physiques et expérimentales. Ces
données recoupent la distinction que Piaget a établi entre le
domaine 10gico-mathématique et le domaine infralogique pour
rendre compte des décalages horizontaux. L'équivalence des
indépendants et des dépendants dans les épreuves 10gico-
mathématiques et la supériorité des premiers dans les épreuves
infra10giques permet de prévoir une plus grande homogénéité
du stade global des sujets indépendants. Les travaux de
OHLMANN et MENDELSOHN (1982) corroborent ces vues et précisent
que II c ' e s t surtout dans la phase de préparation des stades
que se manifestent le style cognitif ll •
(1)
J
(7) OHLMANN (T.) et MENDELSOHN (P.),
Variabilité intr-individuelle des
activités opératoires et dépendance-indépendance à l'égard du Chflmp,
année psychologique 1982, 82, p. 152.
-
122 -
Le style "indépendance à l'égard du champ" aurait une incidence
favorable sur la structuration du raisonne~ent expérimental.
Est-ce à dire que les individus indépendants en milieu afri-
cain traditionnel, car il en existe, seraient plus aptes au
raisonnement expérimental que les autres? Aucune étude jus-
qu'à ce jour ne nous permet de répondre à cette question. Mais
il est fort probable que le style c oqn t t i f
lui seul ne s uf -
r
à
fise pas pour susciter le raisonnement formel dans un contexte
culturel donné, indépendamment des variables éducationnelles.
Les styles cognitifs de Witkin proposent un modèle
du sujet qui
réagit aux tâches en fonction des caractéristi-
ques de sa personnalité. Mais ce modèle n'indique pas comment
se produit l'activation des schèmes pertinents. La théorie
des opérateurs constructifs de Pascual-Leone tente de combler
cette lacune.
III - LA THEORIE DES OPERATEURS CONSTRUCTIFS DE PASCUAL-LEONE
Le modèle de Pascual-Leone s'enracine dans la théo-
rie structurale de Piaget; il affirme que le développement
constitue un processus de construction progressive, régulé
par des facteurs spécifiques à l'organisme. Les formes succes-
sives conquises, les stades, sont des structurations mentales
qualitativement différentes. Mais pour ptendreen compte les
,
/
différences individuelles dans la croissance structurale, la
théorie des opérateurs constructifs (Theory of constructive
- 123 -
operators ou TCO) exprime de nouveaux concepts.
La T C a
postule que le II s ys t è me psychologique ll
s'organise suivant deux niveaux hiérarchisés, en constante in-
teraction, différant par leurs contenus et leurs mécanismes
fonctionnels: ce sont d'une part, le II s y s t è me subjectif des
s c h me s " et d'autre part le " s y s tëme des opérateurs silencieux".
è
Le premier niveau, le "système subjectif" comporte
des schèmes, c'est-à-dire des unités assimilatrices actives
que l'organisme construit lors de ses interactions avec le mi-
lieu. L'auteur décrit trois modalités de schèmes: les schèmes
affectifs "activés par les états globaux de l'organisme Il et
dont les effets consistent en réactions émotionnelles; les
schèmes personnels qui coordonnent les schèmes affectifs et
ies schèmes cognitifs; enfin les schèmes cognitifs qui revê-
tent une importance particulière pour la T.C.O. Ils se présen-
tent sous quatre formes: les schèmes d'action (schèmes figu-
ratifs et op r a t i f s ) ; les schèmes exécutifs (schèmes opératifs
é
complexes) "qui correspondent aux structures de planification
et de contrôle de T' o r qan t s me " ; les opérations et le système
opérationnel qui recouvrent les concepts d'opérations et de
structures opératoires dans la terminologie piagétienne.
Tous les schèmes qui participent à la création d'un
"champ d'activation" n'interviennent pas toujours dans la pro-
1
duction de la performance. Seuls les schèmes compatibles
1
(pertinents) et dominants (fortement activés) s'appliquent.
- 124 -
Pascual-Leone caractérise ce fonctionnement par le II principe
de surdétermination schématique des performances ll (Principle
of schematic overdetermination of performance ou principe
S.G.P.).
Le deuxième niveau représente le système des opéra-
teurs silencieux.
Il
s'agit d'un ensemble d'opérateurs dont
la fonction est comparable à celle des mécanismes régulateurs
responsables de l'équilibration des structures cognitives.
Les opérateurs silencieux fonctionnent comme des "activateurs ll
ou des IIdésactivateurs ll capables de modifier la force assimi-
latrice des schèmes. Selon l'importance qu'ils prennent dans
le sujet et/ou dans la tâche, ces opérateurs jouent un rôle
essentiel dans la détermination de la performance. Connaissant
les conditions de leur mise en oeuvre, il est possible d'éva-
luer leur rôle en fonction des situations par le biais des
"a na l y s e s mé t a s ubj e c t i ve s ? • Les analyses de l'interaction
II s ujet-tâche" inaugure un cadre permettant "d'inférer les
processus sous-jacents aux performances dans la tâche, en
termes de schèmes activés et des opérateurs silencieux o,ui s'y
appliquent.
Pascual-Leone a distingué sept opérateurs (M, L, C,
F, 1, P.etB) dont les cinq premiers ont fait l'objet de travaux
expérimentaux.
1
L'opérateur M consiste en une réserve d'énergie men-
1
tale permettant de gérer l'activation des schèmes pertinents
- 125 -
pour la résolution d'un problème. Cette énergie croit avec
l'âge, sous l'effet de la maturation. Pour Pascual-Leone,
"l e s processus psychologiques sous-jacents à cette croissance
sont probablement continus, mais ils ne peuvent se
manifester
psychologiquement que par l'activation d'un schème additionnel,
autrement dit de façon discontinue". Les données empiriques
amènent l lauteur à définir à partir de 3 ans, des stades M
d'une durée de 2 ans correspondant aux sous-stades de Piaget.
Tableau 2
Développement de la capacité M maximale avec l'âge.
.
AGE CHRO~IOL OG l(1UE
PUISSANCE MAXIMALE
M
SOUS-STADES PIAGETIENS
MOYEN
1
Sous-stade inférieur de
E + 1
la période pré-opéra-
3 - 4 ans
toire
Sous-stade supérieur de
E + 2
la période oré-opéra-
5 - 6 ans
toi re
1
Sous-stade inférieur
E + 3
de la Dériode des opé-
7 - 8 ans
rations concrètes
Sous-stade supérieur de
E + 4
Ja oériode des opéra-
9 - 10 ans
1
tions concrètes.
(
- '26 -
(Suite) Tableau 2
E + 5
1
Sous-stade préformel
11 - 12 ans
Sous-stade inférieur de la
E + 6
période des opérat ions
13 - 14 ans
forme 11 es
1
i
Sous-stade suoérieur de la
E + 7
période des opérat ions
15 - adultes
formell es
1
1
Il est possible d'ordonner les épreuves en fonction
de leur demande en M. Les "a na l y s e s mé t a s ubj e c t i ve s " qui y
conduisent, permettent de prédire l'âge de résolution des
différentes tâches.
Les opérateurs L et C entraînent deux types d'ap-
prentissage : les apprentissages de contenu (C) et les appren-
tissages logiques (L).
Ils présentent une analogie avec les
concepts piagétiens d'abstraction simple et d'abstraction
réfléchissante. L'application de ces opérateurs enqendre la
construction de nouveaux instruments cognitifs.
L'opérateur F rend compte des facteurs figuraux,
c'est-à-dire de la manière dont le sujet réagit aux propriétés
/
prégnantes des situations. Il peut exercer une influence fa-
/
vorable ou défavorable dans la solution des épreuves s'il
- 127 -
active les schèmes pertinents ou non.
Il s'agit là d'un fac-
teur dont l'effet devrait se manifester dans les décalaqes
horizontaux et dans les épreuves de DIC. Si les aspects sen-
soriels de F l'emportent Sur les aspects fiquratifs ou
opératifs chez l'individu, on doit s'attendre à le voir dépen-
dant du champ et manifester une certaine hétérogénéité dans
les conduites cognitives.
L'opérateur 1 règle le principe de surdétermination
schématique des performances. Il représente la capacité du
système à inhiber les schèmes non pertinents ou incompatibles.
Il découle de l'analyse des éléments constitutifs
de son organisation structurale que le métasujet comprend un
système de schèmes et un système d'opérateurs silencieux. Sur
le plan fonctionnel, ces opérateurs ne sont pas séparés, mais
agissent en interaction suivant des séquences multiples pour
assurer la croissance psychologique du métasujet. Celle-ci
dépend d'abord de la croissance des opérateurs M et l et
ensuite des opérateurs F, L et C. L'augmentation quantitative
de la puissance M va entraîner des changements qualitatifs
dans la conduite de l'individu grâce à la plus grande com-
plexité des structures que la majoration de M permet d'élabore~
Dans le cadre d'une psychologie des différences in-
dividuelles, il est possible d'utiliser les multiples inter-
1
actions des opérateurs, pour définir des types de sujets et
des classes de situations, car pour Pascual-Leone, "les méta-
- 128 -
construits ont un point d'ancrage aussi bien dans l'organisme
que dans les indices figuraux des situations" (1). Bien que
cachés dans l 'organisme
les opérateurs silencieux sont dé-
t
clenchés par des aspects des situations: par exemple une
tâche de DIC activera plus fortement l'opérateur F que l 'opé-
rateur. L. On peut donc prévoir le niveau de performance d'un
sujet à partir de l'analyse des tâches en termes de schèmes
et d'opérateurs indispensables à son exécution d'une part
pt
t
d'autre part
à partir de l'analyse du sujet lui-même en
t
termes des interactions probables des opérateurs silencieux.
Les analyses des épreuves de DIC effectuées par
Pascual-Leone (1969
1974) concrétisent cette démarche. L'au-
t
teur constate par exemple que toutes les épreuves de DIC
présentent une structure fonctionnelle commune, en ce qu'elles
constituent des tâches déroutantes déclenchant un ensemble de
schèmes conflictuels dont une partie seulement est pertinente.
La résolution du problème obéira au principe de surdétermina-
tion schématique des performances en fonction duquel l'ensemble
pertinent devra présenter une force d'activation telle qu'il
s'impose à l'ensemble déroutant.
Les épreuves de DIC, de conservation, l'épreuve de
l 'horizontal présentent la même structure fonctionnelle et
( -; i
.s: /
ANICK de RIBAUPIERRE, un modèle néo-piagetien du développement : la
r
!
théorie des opérateurs constructifs de Pascual-Leone, Cahiers de psy-
chologie cognitive, 1983, 3, 3, P. 342.
-
'29 -
sont associés au style cognitif. Pour Pascual-Leone, à stade
égal, les sujets indépendants et les sujets dépendants dispo-
sent de la même réserve d'énergie M. Mais les différences de
style cognitif sont imputables aux facteurs suivants:
a) les sujets dépendants du champ disposeraient d'un
système exécutif plus faible que les sujets indépendants du
champ. Ceux-ci semblent en effet posséder un répertoire de
schèmes exécutif et de structures LM plus développé qui permet
de mobiliser M et de diriger son attribution de façon efficace;
b) les sujets dépendants du champ présenteraient un
facteur LC très fort, qui introduirait des activations F et
LC importants dans les situations de DIC ; par conséquent les
schèmes déroutants seraient plus fortement activés chez ce
type de sujets ;
c ) les sujets
dépendants présenteraient un facteur
affectif A fort, mais un répertoire de schèmes motivationnels
assez pauvre, de telle sorte que les émotions interfèreraient
facilement avec les réponses oertinentes dans les tâches co-
gnitives, alors que, comme Witkin l la démontré, les sujets
indépendants du champ ont des structures affectives plus éla-
borées et contrôlent mieux leurs émotions
d) enfin, les sujets dépendants du champ présente-
raient une fonction d'interruption (1) relativement faible,
1
probablement en raison du moindre développement des schèmes
exécutifs.
- 130 -
Les différences de style cognitif ont conduit
Pascual-Leone à définir des épreuves IIdistrayantes" types Ole
qui
mettent simultanément en jeu des schèmes compatibles et
i nco mpat i bles, et des é pre uve s "f a cil i tan tes 1. a na log ue s a ux
tâches discrètes de type logico-mathématique.
La théorie des opérateurs constructifs apparaît
comme un modèle achevé de la personnalité qui
prend en compte
les dimensions structurale et fonctionnelle. Mais elle n'échappe
pas aux critiques des grandes théories qui
échaffaudent réguliè-
rement de nouveaux concepts chaque fois qu'une lacune apparente
se fait jour en leur sein. L'inconvénient de cette démarche,
c'est d'accroître considérablement la quantité de données sans
avoir le temps de multiplier les recherches nécessaires à son
objectivation. Après tout, l'essentiel
n'est-il pas d'ouvrir
de nouvelles pistes d'exploration? Des questions restent
toujours en suspens.
Le modèle de Pascual-Leone à l'instar du modèle piagétien
suppose l'existence d'une forme de pensée descriptible sur
l'axe de la formalisation, quels que soient les types d'édu-
cation. Or les recherches interculturelles n'ont jamais obser-
vé un seul adolescent du milieu africain traditionnel manipu-
1er le raisonnement expérimental à la manière d'un scientifique
formé à l 'école. L'élabo~ation des opérations formelles se
produiraient chez des sujets éduqués dans un milieu particulie~
1
/
1
notamment le milieu scolaire. Il conviendrait dans ces conditions
- 131 -
d'imaginer un modèle de sujet réel utilisant les aspects
formels ou non formels de la pensée dans la résolution de
problèmes. Le modèle de la pensée naturelle proposée par M.
Reuchlin (1973) retiendra notre attention.
l V - LE MODELE DE LA PE~ISEE NATURELLE
Le courant de recherche de la pensée naturelle s'est
développé à Genève dans les années soixantes. Il se propose
d'étudier la pensée dans sa totalité, de la logique formelle
à la logique naturelle.
Cette ouverture exprime la volonté des
initiateurs (Piaget, Grize, Matalon, 1962) de donner un statut
aux conduites qui
s'écartent de la logique formelle. La pensée
formelle est un type de pensée possible; à côté d'elle et
peut-être en interaction avec elle, fonctionnent d'autres
types de pensée qui
ne semblent pas cohérents au regard de la
logique formelle et dont il faut étudier les caractéristiques.
Il va sans dire que l'approche en termes de " pe nsée naturelle"
a pour conséquence d'élargir le champ d'étude des conduites
humaines, par l'étude systématique de toutes les réponses du
sujet. Il s'agit d'initier une nouvelle lecture de l'interaction
"s ujet-objet". L'objet de la psychologie génétique classique
consiste en un objet "épistémique" dépouillé de toute référence
symbolique et identique pour tous les sujets de niveau opéra-
/
toire équivalent. Son rôle est de susciter un conflit que
;
l'individu doit résoudre pour parvenir à un progrès. Il faut
- 132 -
dire que "l·objet épistémique" se laisse facilement traverser
par les structures opératoires malgré quelques résistances.
Mais les situations dans lesquelles fonctionne la pensée
naturelle diffèrent des situations épistémiques. La première
observation, c'est que la pensée naturelle travaille sur des
situations porteuses de significations particulières pour les
sujets; et ces significations induisent des cheminements
cognitifs spécifiques. Pour la saisir dans sa polysémie, il
faut recourir non seulement à la logique formelle, mais aussi
à la "logique des
significations". L'étude du fonctionnement
psychologique doit désormais se faire en rapport avec les
contextes qui les suscitent.
La deuxième observation ressort de la définition
que propose M. Reuchlin de la pensée naturelle (Reuchlin 1973).
Pour l'introduire, il faut distinguer entre forme et contenu.
Les "contenus" seraient le support de l'activité mentale et
les "formes" les produits finaux de cette activité. Dans. la
perspective génétique, le développement de la pensée consti-
tue un processus dynamique et Piaget définit les contenus par
rapport à l'activité de formalisation:
"ce qui était sur le
plan inférieur instrument ou opération de la pensée devient
sur le plan supérieur, objet ou thème de pensée; la réorga-
nisation de ces objets ou thèmes exige la construction de
nouvelles formes; celles-ci à leur tour fournissent après
)
!
- 133 -
réflexion les contenus du niveau supérieur " (1). Les relations
"forme - contenu" amènent t'iaget ~ appeler structures, "toute
liaison logique susceptible de jouer alternativement ou simul-
tanément le rôle de forme et
celui de contenu ... Chaque
structure est A la fois construction (forme) A l'égard des
formes inférieures, et application (contenu) par rapport aux
supérieures". Dans la démarche piagétienne, le recours à un
processus différent de la formalisation pour expli~uer le
fonctionnement de la pensée naturelle apparaît inutile.
Le problème se pose en d'autres termes si, comme M.
Reuchlin, on définit la pensée naturelle par deux processus
constamment à l'oeuvre dans toute activité du sujet: la for-
malisation et la réalisation. Le premier aurait pour "fonction
d'édifier des formes nécessaires à la résolution de certains
problèmes que posent l'activité et l'adaptation de l'indivi-
du" (2)
; et l'oeuvre de Piaget en fournit le modèle de base.
Le second "a ur ait pour fonction de générer des contenus,
c'est-à-dire des blocs unitaires d'informations, non articulé~
non sécables, susceptibles de fournir dans certains cas des
modalités d'adaptation plus économiques que celles qui
sont
réglées par la formalisation, et chargées dans tous les cas
de fournir à celle-ci des données auxquelles elle puisse
s'appliquer" (3).
/
1
Cl), (2), (3) M. REUCHLIN "Pormal.ieat ion et i-éal.i.eai-ion dans la pensée
naturel.le : une hypothèse", Journal de Psychologie, 1973, N° 4,
P. 391, 392, 393.
- 134 -
Il n'y a pas de hiérarchie au niveau du développe-
ment entre la formalisation et la réalisation. Le modèle
formel bien que coOteux donne lieu à des résultats sOrs
a)ors que les éléments d'information libérés par la réalisa-
tion comportent des risques d'erreurs à cause des blocs
"amalgamés" et "immédiatement accessibles".
Le poids de chaque processus dans le fonctionnement
cognitif des sujets peut rendre compte des variations inter
et intra-individuelles : "Il est possible que les individus
se différencient les uns des autres en ce qui
concerne leur
tendance à utiliser la formalisation ou de préférence la réa-
lisation~ tendance pouvant éventuellement s'expliquer par un
fonctionnement plus efficace~ chez chaque individu~ de llun
ou de l'autre de ces deux processus" (1). Les deux processus
pourraient être mis en rapport avec les styles cognitifs de
Witkin~ 11 indépendance à l légard du champ correspondant à une
dominance de la formalisation~ la dépendance à une dominance
de la réalisation.
Le modèle de Reuchlin constitue une innovation
conceptuelle; mais il
reste à lui donner une validation empi-
rique.
Le fait de l'existence de processus cognitif diffé-
rant de la formalisation dans la pensée naturelle a fait
(1)
M. REUCHLIN, op. cit., p. 406.
- 135 -
l'objet d'un certain nombre de publications ces dernières
années. Citons à ce propos les travaux du laboratoire de psy-
chologie expérimentale de Grenoble (Longeot, Carbonnel, et Al
1978,1979,1982). S. Carbonnel
(1978), émet l'hypothèse qu'il
existe deux modalités de classements autonomes: les classes
collectives dont l'existence réfère à un tout empirique et
les classes logiques définies par la relation d'équivalence et
la quantification de l'inclusion. L'idée de classe collective,
concept tiré de la méréologie. remonte au logicien polonais
Lesniewski. Dans la classe collective, la relation de partie à
tout est interprétable en termes de lIingrédient deI!. Les élé-
ments d'une classe collective sont ingrédients d'un tout ou
d'une partie de ce tout.
Donnant différents objets à classer à des enfants
de 5 à 10 ans, l'auteur constate. d'une part, que les sujets
construisent en général plus de classes collectives que de
classes logiques. Mais parmi les premiers. une faible minori-
té atteint le niveau de la quantification de l'inclusion.
alors que parmi les seconds. une majorité effectue l'opéra-
tion. D'autre part. on trouve des sujets qui font spontanément
les deux types de classification; ceux-ci réussissent la
quantification de l'inclusion. Ces résultats confirment l 'hy-
pothèse de la coexistence des classes collectives et des
classes logiques. Le passage d'une modalité à l'autre consti-
tue un changement de registre en fonction de la situation et
du but visé et non une erreur de jugement.
- 136 -
L'article "Inclusion, appartenance et pensée naturelle" (5.
Carbonnel, F. Longeot, 1979)
abonde dans le même sens. Repre-
nant les données sur la pensée naturelle (Reuchlin, 1973),
les auteurs font l 'hypothèse selon laquelle "la distinction
de l lappartenance et de l'inclusion n'est pas vraiment maî-
trisée par la pensée naturelle même chez l'adulte sauf dans le
cas d'une formation mathématique prolongée, parce qu'elle
n'est pas pertinente pour elle" (p. 89). La pensée naturelle
portant sur les articulations des objets complexes et de leurs
morceaux, on
peut s'attendre à ce qu'elle traite l'apparte-
nance et l'inclusion comme une sorte d'appartenance inclusive.
Les distorsions observées entre compétence et performance
lors d'exercices de mathématiques pourraient résulter d'un
conflit entre la formalisation et la réalisation.
Les expériences menées sur une population d'élèves
de 6e et Se révèlent l'existence des classes ensembl istes.
Donnons-en un exemple:
- soit W~Nice, Lyon, Bordeaux)
- M. Bernard habite Lyon.
Question
M.
Bernard est-il élément de l'ensemble
W ?
Des élèves de 6ème du niveau pré-formel ou formel répondent
que M. Bernard est un élément de W "parce que Bernard habite
à Lyon et commé Lyon est dans l'ensemble W,
il appartient à
- 137 -
l'ensemble WII • M. Bernard est considéré comme inqrédient d'un
ensemble plus vaste, la ville de Lyon.
La justification obte-
nue s'inscrit donc dans la logique de l'objet concret et de
ses morceaux.
Le fonctionnement de la pensée naturelle permet de
comprendre les difficultés logiques qu'éprouvent les élèves
qui, en principe, devraient les avoir dépassées compte tenu
de leur stade de développement.
Il éclaire aussi le statut de
l'objet. Celui-ci n'est plus une réalité neutre sur laquelle
viendrait s'appliquer les opérations toutes constituées du
sujet. Il. apparait comme un réseau de significations par rap-
port auquel l'individu actualise ses capacités opératoires.
L'objet joue le rôle d'inducteur de l'activité cognitive. Il
faut dire avec MOUNOUD (1979) que le fonctionnement cognitif
dépend non seulement de l 'organisation interne du sujet, mais
aussi des contenus, c'est-à-dire des caractéristiques parti-
cul ières de l'environnement.
Les styles cognitifs décrits dans le modèle de
Reuchlin fournissent de nouvelles données sur le fonctionne-
ment de la pensée naturelle. Mais des difficultés restent à
surmonter. La première concerne l 'opérationnalisation du pro-
cessus de réalisation. La réalisation correspond-elle à un
processus particulier ou constitue-t-elle une tentative de
formalisation? Peut-on l'appréhender autrement qu'à l'inté-
rieur d'un cadre formel? La deuxième difficulté se rapporte
-
138 -
au caractère typologique des styles cognitifs. On a l'impres-
sion que les typologies psychologiques font de nouveau surface.
Cette inquiétude s'estompe rapidement si l'on tient compte
nu
fait
que
les
styles
cognitifs se situent sur un con-
tinuum. Mais les zones les plus significatives dans la dis-
tribution des individus sur ce continuum sont les zones
extrêmes. Peut-on alors décrire les individus par deux ou
trois processus au maximum: formalisateurs, réalisateurs, ou
mixtes? Le problème reste posé.
Malgré ces réserves, le modèle de la pensée naturelle présente
un grand intérêt pour l'étude de la pensée négro-africaine.
On ne sera plus surpris si le raisonnement expérimental ne
Si Y rencontre
pas faute dl une pensée formell e très structurée.
Mais on pourra y observer un raisonnement expériencé détermi-
né par le processus de réalisation. Tout le problème sera de
saVOlr dans quelles conditions du milieu et du sujet se for-
ment les processus de formalisation et de réalisation.
Le modèle du milieu met en évidence l'influence
des facteurs socio-économiques, des pratiques éducatives ou
des pratiques langagières sur le développement cognitif. Quant
aux modèles
du sujet (modèle constructiviste ou styles
cognitifs), ils insistent sur l'activité ou la personnalité
du sujet dans la structuration des connaissances. N'est-il pas
possible à partir de cette double source d'information de bâtir
/,
un modèle interactionniste fondé
sur le processus d'équlibra-
tion et qui tienne en même temps compte des caractères du sujet
et du milieu dans le développement cognitif.
- 139 -
CHAPITRE III
RECHERCHE D'U~ MODELE INTERACTIONNISTE
D'ETUDE DU SUJET ET DU MILIEU.
Le modèle du milieu et le modèle du sujet pris
jsolément ne donnent que des informations partielles sur le
développement mental.
Il est donc nécessaire de recourir à un
modèle intégrateur faisant dépendre toute conduite de l'in-
teraction du sujet et de l'objet. Les travaux sur l t e ppr e n-
tissage des structures logiques, les implications du processus
d'équilibration et les stratégies pourraient fournir un tel
modèle.
1 - L'APPRENTISSAGE DES STRUCTURES LOGIQUES
Le développement psychologique consiste en une
acquisition de conduites nouvelles au fur et à ~esure que
l'enfant prend de l'âge et fait son expérience du ~ilieu. Le
développement pourrait alors se confondre avec l'apprentissage
en tant qu'il consiste en une modification systématique du
comportement de l'individu lorsqu'il est confronté aux réou-
larités de l'environnement. Tout le problème est de savoir
comment s'explique cette modification.
Parmi toutes les interprétations possibles (théorie emp~ris
te,
innéiste), l'approche expérimentale de l'aoorentissaCle
. .
-
1
,/
initiée par l'école de Genève depuis 1959 constitue un pas
1
décisif dans la connaissance des relations entre a~prentissage
-
140 -
et développement.
1 - APPRENTISSAGE ET DEVELOPPEMENT
L'apprentissage constitue-t-il la source du déve-
loppement ?
Est-il seulement une modification du développement?
En d'autres termes comment s'acquièrent les structures logi-
ques lorsqu'on soumet le sujet à une expérience spécifique
d'apprentissage: parvient-on en ce cas, à les engendrer ou à
en produire une sorte d'incitation grâce aux seuls effets de
l'expérience acquise par le sujet et quelle est alors la si-
gnification d'une telle expérience?
Les recherches de Gréco (1959) se proposent de répondre à ces
interrogations en essayant de saisir les relations entre la
logique du sujet et l'apDrentissage.
L'analyse conceptuelle amène l'auteur à distinguer deux types
d'apprentissage: l'apprentissage au sens strict qui correspond
à des acquisitions en fonction de l'expérience
et l'appren-
tissage au sens large résultant de l'union de l'apprentissage
au sens strict et des processus d'équil ibration. Ces deux ty-
pes d'apprentissage peuvent prendre deux valeurs chacun suivant
le domaine d'application; ce qui permet de différencier
l'apprentissage des formes et celui rles contenus. L'appren-
tissage des formes procède de l'abstraction
réfléchissante
qui tire ses informations de la coordination des actions que
le sujet exerce sur l'objet.
- 141
-
C'est le cas des formes qui se détachent de leur contenu
(déduction) ou de celles "qui acquièrent une généralité suf-
fisante pour s'appliquer à n'importe quel contenu" (Méthode
de preuve dans l'induction). L'apprentissage des contenus
quant à lui opère par abstraction empirique. Cette dernière
extrait de l'objet ses propriétés pertinentes à une connais-
san cep art i cul i ère e t
car t e cel les qui ne les
é
0 nt
pas ; -el l e
tire son information des objets eux-mêmes, bien que la lecture
des observables sur l'objet suppose une part minimale d'abs-
traction réfléchissante due à l'intervention des activités
logiques du sujet.
Ces définitions nous amènent à prévoir l'inefficacité de
l'apprentissage des formes au sens strict dans la mesure où
les formes résultent d'une construction intellectuelle et non
d'une simple lecture de l'expérience.
Les expériences de Gréco sur l'apprentissage dans une situa-
tion à structure opératoire concrète" (les inversions succes-
sives de l'ordre linéaire par des rotations de 180°) aboutis-
sent à trois constants:
- il est possible d'accroître les connaissances des sujets
par un entraînement approprié;
- ces connaissances s'acquièrent en fonction de l'expérience,
mai sne sel i mit e nt pas à une s i rn pl e l e c t ure de l' exp é rie ncet
à une "thésaurisation de constats"
;
les connaissances ainsi acquises ne sont pas toujours aussi
- 142 -
stables et aussi mobiles que les opérations normalement élabo-
rées par les sujets à un niveau de développement donné.
Les recherches de SMEDSLUND (1959, 1962) sur la notion de
conservation du poids et de la transitivité, celles de
W0HLWILL (1 959 ), sur lac 0 ns e r vat ion du nom b r e, de ·M 0 r f t 1959)
sur l 'inclusion logique des classes, de M. Laurendeau et A.
Pinard (1965) sur la conservation des surfaces, confirment les
conclusions acquises. Elles montrent «que si les constats
empiriques peuvent dans une certaine mesure favoriser, par
voie d'abstraction simple, l'apprentissage de la connaissance
de certains contenus physiques, ils sont toutefois insuffisantes
pour engendrer la formation des structures opératoires elles-
mêmes. Celles-ci résultent de la coordination des actions du
sujet par voie d'abstraction réfléchissante»
(1). On ne sau-
rait donc réduire le développement à l'apprentissage au sens
strict: car "les notions de niveau et de compétence s'imposent
à
titre de conditions préalables". (2)
La seconde question s'attache à vérifier si l'apprentissage
entraîne une modification du développement. Elle est induite
des
variations interindividuelles observées lorsqu'on fait
passer des tests d'intelligence à des sujets issus de catégo-
ries socio-économiques ordonnées. On en déduit que l'environ-
( l ) - (2) INHELDER (B.), Sinclair (H.) et Bovet (M.)
: Apprent ieeaqe et
structure de la connaissance, Paris, PU?, 1974, p.
27, 9.
(
l'
-
143 -
nement des catégories supérieures, par les conditions accélé-
ratrices qu'il
propose, est plus favorable à l'éclosion de
l'intelligence.
~e problème est de savoir comment le sujet entre en interaction
avec ces conditions.
Les t r a vau x de l'é qui pe de B. IN HEL 0 ER (1 974) sur l' a ppre nt i s-
sage des structures logiques actualisent la question. L'hypo-
thèse directrice projette que sous certaines conditions une
accélération du développement cognitif serait possible; cette
accélération serait une manifestation des mécanis~es respon-
sables du développement ...
Les procédures d'apprentissage élaborées sont guidées d'une
part par la théorie psychogénétique et mettent l'accent sur
l'activité du sujet dans la construction des structures, la
coordination des schèmes et l'intégration des structures
indispensables à tout pro~rès cognitif, le respect des étapes
nécessaires de l'évolution liées à la structuration des
schèmes intellectuels; d'autre part, les situations d'anore~
tissage sont organisées de telle manière qu'elles déclenchent
des conflits entre plusieurs schèmes et que cette confrontation
suscite des coordinations nouvelles.
Sur le plan méthodologique, les sujets de l'enquête ont été
sélectionnés à l'aide d'un Dré-test qui estime leur niveau
d'opérativité avant l'apprentissage. A la fin de l'entraînement,
un post-test vient évaluer les orogrès réalisés. L'apprentissage
- 144 -
porte sur les notions de conservation de quantités continues.
L'échantillon comporte deux qroupes : le premier groupe G1
(n = 15) composé de sujets préconservatoires et le deuxième
grouoe G2 (n = 19) composé de sujets intermédiaires entre la
non conservation et la conservation.
Au niveau des résultats, on note qu'aucun sujet du qroupe G1
n'atteint le niveau de la conservation. En revanche, sur les
19 sujets du groupe G2, 16 proqressent dont 10 parviennent à
la notion de conservation.
Selon les auteurs, l'imperméabilité des sujets Gl \\là llexoé-
rience serait due à un manque de compétence à effectuer par
eux-mêmes les mises en relations correspondant aux observables
fournis par le déroulement physique de l'expérience ... La
sensibilité aux inducteurs, et par conséquent le progrès réa-
lisé en situation d'apprentissage dépend des niveaux du déve-
loppement des sujets.
Ces conclusions corroborent la distinction de deux phases que
Longeot (1978) opère dans la construction d'une structure: une
phase de préparation et une phase d'achèvement respectivement
caractérisées par des homogénéités minimale et maximale. Les
apprentissages cognitifs ne produisent des accélérations que
dans la mesure où ils interviennent pendant la phase de prépa-
ration de la structure qu'ils sollicitent.
Les données sur l'accélération des structures intellectuelles
/1
par une situation s p c i f i q ue d'apprentissage laissent entrevoir
é
- 145 -
le modèle de l'action éventuelle de l'environnement sur le
développement cognitif.
En supposant l'isomorphisme de la situation d'apprentissage
et des conditions du milieu, on peut espérer une action accé-
lératrice de celui-ci sur le développement s'il favorise les
conflits cognitifs et la coordination des schèmes nécessaires
à leur dépassement. Mais l'effet du milieu n'est·sensible que
pendant la période critique où l'enfant se trouve dans la
phase de préparation de la comoétence sollicitée (DRSINI-
Bouichou et al. , 1975, 1980).
En définitive, c'est l'apprentissage au sens large, combiné
au processus d'équilibration qui s'identifie avec le dévelop-
pe men t. l l pré sen tel ' a van t age de mie ux pré c i s e r les mé ca ni sme s
de l'interaction sujet-objet.
Les recherches structurales ont surtout insisté sur le rôle
du sujet dans l'acquisition des connaissances. L'innovation
actuelle se situe du côté de l'objet, du milieu qui prend le
statut de partenaire de l'enfant: selon l'expression de
Reuchlin, le développement de l'intelligence de celui-ci
dépend de l'intelligibilité de celui-là.
Tout le problème est de savoir si le milieu africain tradi-
tionnel est suffisamment intelligible pour le dévelopoementde
de la démarche expérimentale.
Les expériences d'apprentissage cognitifs mettent l'accent
sur l'interaction d'un sujet et d'un environnement structuré
- 146 -
dans la construction des opérations logiques. Mais cette in-
teraction ne devient effective que si le sujet perçoit le
conflit suscité par le milieu. L'apprentissa~e cognitif
dépend donc du processus d'équilibration.
2 - APPRENTISSAGE ET EQUILIBRATION
La théorie Dsychogénétique démontre l'interdépen-
dance des facteurs du développement et accorde un pouvoir
explicatif général au processus d t qu t l t br a t t o n . Si l'aspect
é
structural des notions et opérations délimite les niveaux de
la construction cognitive~ il faut recourir au modèle régula-
toi r e pou r sai sir lac 0 nt i nui té
f 0 nc t ion ne l l e du développement.
Le processus d'équil ibration présuppose que l'action adaptative
est toujours finalisée~ que «le sujet ne recherche nullement
l'incohérence et tend donc toujours vers certaines formes
d'équilibre~ mais sans jamais les atteindre~ sinon parfois à
titre provisoire»
(1). Ouel est alors le mécanisme psycholo-
gique responsable des améliorations progressives des formes
successives d'équilibre que Piaget appelle «équlibration
majorante»
?
La source des progrès se situe dans les déséquilibres dont le
dépassement amène le sujet à élaborer des instruments intel-
lectuels nouveaux et efficaces. Les conflits cognitifs cons-
tituent donc le point de départ de toute construction intel-
lectuelle mais à condition qu'ils soient réqulièrement comoensés .
..
.
(1), INHELDER et all, OP. cit., D. 320.
/
- 147 -
Les travaux de SMEDSLUND (1959) ont inauguré cette approche
et situent les progrès de l'apprentissage è l'intérieur des
facteurs du développement. Repoussant les modèles classiques
d'apprentissage par constatation empirique, l'auteur postule
l'intervention du processus d'équilibration dans le développe-
ment comme dans l'apprentissage. Dans ses recherches sur
l'acquisition de la conservation du poids et de la transitivité,
il décide de manipuler ce processus grâce à la mise en place
de procédures d'apprentissage fondées sur le " conflit cognitif".
Les résultats acquis sont positifs et amènent l'auteur à con-
clure que le conflit sous-jacent à toutes les situations
d'apprentissage "induit une réorganisation cognitive dont le
concept de conservation résulte".
Malgré leur intérêt heuristique, les travaux de SMEDSLUND
n'ont pas eu d'écho immédiat. Mais ils ont fini par ouvrir la
voie à des recherches de plus en plus variées sur le rôle des
conflits cognitifs dans le développement (Lefebvre et Pineaud,
1971, INHELDER et
a~, 1974, Lautrey 1976, Drevillon 1976).
Les travaux de INHELDER et al
(1974) sur la conservation de
la longueur (CH. VI) se fondent sur 1 'hypothèse du conflit
cognitif dans la construction des concepts. Un pré-test sur la
conservation numérique élémentaire a permis de sélectionner un
groupe d'enfants de 6 à 8 ans qui seront soumis à l'apprentis-
sage de la conservation d'ensemble discrets. Le sondage a
retenu trois situations d'apprentissage dont le propre est de
susciter des conflits entre des schèmes numériques et des
-
148 -
schèmes spatiaux.
On demande à l'enfant de construire un chemin de "méme lon-
gueur ... la même chose long ... " qu'un trajet modèle construit
par l "e xp r i me n
é
t a t e ur , à l'aide d'allumettes dont les unes
sont deux fois plus longues que les autres.
La première situation est celle d'une superposition complexe
(a) ~ la seconde~ celle d'une disposition séparée (b) et la
troisième~ celle d'une superposition simple (c).
Ces situations déclenchent un conflit cognitif entre un schème
spatial d'ordre des extrémités qui
conduit à un type de réponse
e t uns c hème numé r i que de c0 mpt age qui mè ne à une a ut r e ré po nse.
Les sujets qui manifestent des conduites conflictuelles finis-
sent par prendre conscience de la difficulté et se rendent
compte que le nombre est compensé par la longueur. La relati-
visation des deux schèmes apparemment opposés par leur
dépendance réciproque entraîne un progrès cognitif.
Le post-test confirme les résultats. Lorsqu'on redonne l'épreu-
ve de
conservation de la longueur~ les sujets affirment des
progrès de leur pensée logique dus à cette forme d'entraînement
cognitif. Dans le groupe témoin aucun progrès notable de ce
type n'a été observé.
La réformulation de la théorie opératoire et de la place cen-
trale qu'elle réserve à l'équilibration présente l'avantage
d'intégrer les différents facteurs de développement. C'est
'/
ainsi que la maturation intervient dans les mécanismes d'assi-
- 149 -
milation et d'accommodation par les possibilités fonctionnel-
les de l'organisme pendant la croissance. Ces possibilités
entraînent une sensibilité optimale de l'organisme à des
informations spécifiques de l'environnement à un moment donné.
Les expériences d'apprentissage cognitif et notamment celles
qui procèdent par induction opératoire (Orsini-Bouichou 1Y75-
1980) montrent que l'exploitation de la période critique où
commence la mise en place d'opérateurs-organisateurs d'un
niveau de développement donné, produit une accélération des
plus remarquables. L'accélération ainsi obtenue traduit une
rencontre opportune du processus d'équilibration avec la matu-
ration.
Les facteurs sociaux de coordination interindividuelles et de
trans~issions éducatives ont inspiré une approche psychosocio-
logique du développement cognitif (Anne-Nelly Perret-Clermont,
G. Mugny, W. Doise 1973). Selon Piaget (1947) l'être humain
est plongé dès sa naissance dans un milieu social qui agit
sur lui au ~ême titre que le milieu physique. Les échanges
interindividuels contribuent au développement cognitif en tant
que cadres de co-opérations. Malgré la formulation de synthèse
des relations entre les échanges sociaux et le développement,
il faut noter, à l'exception du jugement moral
(Piaget 1932)
et du lien entre coopérations et niveau intellectuel
(Nielsen,
1951), la rareté des publications expérimentales qui
lui sont
consacrées. L'approche psychosociologique de l'intelligence
J
!
vient combler cette lacune en montrant ~ 'effet de certaines
- 150 -
interactions sociales sur le développement opératoire. Son
évolution couvre quatre directions de recherche.
La première (Doise, 1973) beaucoup plus générale, s'attache ~
caractériser le niveau d'opérativité du groupe ou de l'indi-
vidu devant un matériel à organiser. Il
ressort de l'étude
que le groupe (trois enfants) h~érarchise davantaqe les cri-
tiques, manifeste plus de flexibilité mentale que l'individu
isolé. Ce résultat n'a de sens que dans la mesure o~ tous les
membres du groupe participent à la tâche et possèdent des
capacités d'autodiscipline nécessaires à la collaboration.
Dans la deuxième direction, les auteurs ont poursuivi deux
objectifs:
- montrer que des enfants qui en sont à un stade
d'élaboration des instruments cognitifs intervenant dans la
résolution d'une tâche réussissent mieux cette tâche quand
ils peuvent coordonner leurs actions avec celles d'autrui que
lorsqu'ils sont seuls;
- montrer de plus que des enfants ayant participé ô
une telle interaction suscitant une coordination sociale de
leurs actions arrivent à réactualiser cette coordination quand
ils agissent seuls.
Les travaux de Doise, Mugny et Perret-Clermont (1975) sur la
représentation spatiale et sur la conservation des liquides et
du nombre confirment les hypothèses.
La troisième direction groupe les expériences qui ont pour
- 151
-
but de relier l'interaction sociale à la conception construc-
tiviste. L'articulation du social et de l'individuel ne
signifie pas une simple projection de l'une de ces instances
sur l'autre, mais une appropriation active par l 'individu du
donné social. La coordination interindividuelle suppose la
résolution d'un conflit socio-cognitif inhérent aux différents
points de vue en présence.
Elle s'oppose donc aux hypothèses du type "mo de l l ing effect"
qui rendent compte de l'apprentissage social par l'imitation
du modèle extérieur. La coordination interj~dividuelle suscite
des constructions nouvelles dont les individus seuls n'étaient
pas encore capables.
La quatrième direction de recherche s'attache à expliciter
comment le conflit de centration, vécu en groupe, devient fac-
teur de développement. Le paradigme expérimental consiste à
étudier des sujets de niveaux différents.
La méthode des pairs
appliquée à la conservation du nombre entraîne des progrès
plus importants lorsqu'un sujet non conservatoire travaille
avec un conservatoire qu'avec un intermédiaire, alors qu1aucun
progrès n'apparaît lorsque les non-conservatoires travaillent
entre eux. Ce résultat porte à croire que les progrès réali-
sés sont proportionnels à la force du conflit si le sujet en
prend conscience.
La méthode du "c ornp r e " (1976) permet de maîtriser certains
è
facteurs liés au déroulement même de l'interaction. Le compère,
un adulte utilise diverses conduites avec contre-sugqestions
-
.
- , 52 -
soit "majorantes" (solution opératoire), soit "siMilaires"
mais avec centrations différentes.
L'expérience de la conservation des longueurs
révèle une
forte progression des sujets et une stabilité des conduites
acquises.
Llobjection majeure suscitée par ce type de recherche, clest
que les situations expérimentales évoquées ici sont artifi-
cielles et très différentes des situations sociales réelles
ce qui a pour effet de limiter la portée des résultats. Mais
il faut nuancer la critique dans la mesure où toute expérimen-
tation impose un recul
par rapport au réel total, une parti-
tion de ce réel
pour en étudier les connexions. Toute expé-
rience de simulation dans les sciences exactes ne recouvre pas
intégralement la situation réelle, mais la représente avec une
marge d'erreur acceptable.
La généralisation reste donc pos-
sible.
La théorie de l'équilibration permet d'attribuer un effet
causal sur le développement à l'interaction sociale et aux
transmissions éducatives, pourvu que celles-ci provoquent des
confl its cognitifs et que l'individu élaborent de nouveaux
concepts qui englobent les différents points de vue en les
relativisant.
En définitive, les expériences d'apprentissage cognitif ont
mis en évidence le rôle formateur des conflits cognitifs et
par là-même éclairé les mécanismes de construction intellec-
tuelle. Elles ont ainsi montré comment un organisme et un
- 153 -
milieu peuvent @tre plus ou moins favorables au développement
cognitif.
Il devient donc possible dans le cadre de la théo-
rie interactionniste de concevoir le modèle d'un milieu
favorable à l'activité du sujet à partir du concept d'équili-
bration. L'étude de J. Lautrey (1980) sur les types de
structuration de l'environnement familial
apporte une réponse
adéquate à cette préoccupation.
II - LES TYPES DE STRUCTURATION DE L'ENVIRONNEMENT FAMILIAL
Il s'agit d'une approche différentielle des milieux
socio-culturels initiée par M. Reuchlin (1973) à partir d'une
théorie générale du développement et susceptible de rendre
compte des différences individuelles: « ... Les différences
de développement entre individus ou entre groupes d'individus
ne peuvent s'expliquer que par les mécanismes généraux du
développement. On doit donc chercher en quoi ces mécanismes
peuvent se diversifier sous l'effet de facteurs diversifiant
les individus et les groupes; en quoi des mécanismes iden-
tiques fonctionnant dans des conditions différentes ou des
organismes différents peuvent produire des réponses différen-
tes. C'est là un moyen d'expliquer les différences ... »
(1).
Plus loin, l'auteur continue: «
si ce développement résulte
(1) REUCHLIN (M.), in Lautrey (J.), Classe sociale, milieu familial,- in-
telligence, Paris, P.U.P., 1980, Préface, P. 8.'
- 154 -
d'une construction
effectuée par le sujet à partir de son
activité dans un certain milieu, on peut certes s'attendre à
ce que les différences de milieu suscitent des différences
dans la rapidité de la construction ou dans l'efficience des
structures construites»
(1).
La position théorique de la psychologie différentielle a con-
duit J. Lautrey à montrer que les progrès et les différences
observées dans l'acquisition des outils cognitifs s 'expl iquent
par les lois générales du développement. Il convient
.alors
d'inférer les caractéristiques d'un milieu favorable ou défa-
vorable au développe~ent des implications théoriques du
processus d'équilibration, facteur central de la théorie cons-
tructiviste.
Selon Piaget «les premières conditions pour qu'un objet se
~ontre assimilable sont qu'il
soit consistant, continu dans le
temps et dans l'espace, que ses parties se tiennent, qu'il
soit isolable et accessible à la rna ni pul a t t on>
(2).
En d'au-
tres termes, «pour être assi~ilable, un objet doit avoir des
propriétés, autrement dit, être le siège de régularités»
(3).
En l'absence de régularités, les événements sont aléatoires
et aucune connaissance ne parait possible: «une condition
(1J REUCHLIN (M. J, &n Lautrey (J. J, Classe sociale, milieu familial, in-
telligence, Paris, P.U.F., 1980, Préface, P. 8.
(2) PIAGET (J.J, L'équilibration des structures cognitives, h'oblème
j
central du développement, Paris, P.U.F., 1975, P. 106.
(3) LAUTREY (J. J,
op. cit., P. 62 et 63.
- 155-
nécessaire au développement cognitif est donc l'existence de
régularités dans l'environnement»
(1). Selon les formes que
prend l'organisation des régularités «nous conviendrons de
parler d'environnement faiblement structuré lorsque celui-ci
se rapproche de la situation aléatoire, de structuration r irrioe
lorsque les relations entre événements sont indépendants entre
elles, et de structuration souple lorsque la relation entre
événements est modulée par d'autres plus périphériques'> (2).
La théorie de l'équilibration permet-elle vraiment de déduire
les types de structuration de l'environnement familial? J.
Lautrey utilise les idées directrices des récents travaux de
J.
Piaget (1975) pour soutenir sa méthode. La première idée
informe sur le rôle des perturbations et des compensations
dans toute construction opératoire: «Il est clair en effet
qu'en une perspective d'équilibration l'une des sources de
progrès dans le développement des connaissances est à chercher
dans les déséquilibres comme tels, qui seuls obligent un sujet
à dépasser son état actuel et à chercher quoique ce soit en
des directions nouvelles. Seulement il n'en est pas moins évi-
dent que, si les déséquilibres constituent un facteur essen-
t i e l , mais
en premier lieu mo t i va t t o nne l , ils ne sauraient
tous jouer .l e même rôle formateur, et ils n'y parviennent qU'à
la condition de donner lieu à des dépassements, donc d'être
(])
LAUTREY
(J.),
op.
c i t , ,
P.
62
et 63.
!
,
(2)
LAUTREY
(J.),
op.
c i t , , p.
64.
- 156 -
surmontés et d'aboutir ainsi ~ des rééquilibrations spécifi-
ques»
(1).
Les rééquilibrations spécifiques sont des constructions qui
vie nne ntac c r 0 î t rel e s con nais san ces a c tue l les du' s ujet ; d'où
la deuxième idée: «Le concept central qui nous paraît s'im-
poser dans l'explication du développement cognitif
est
donc celui d'une amélioration des formes d'équilibre, autre-
ment dit d'une "équilibration majorante" (2).
L'extension du champ d'interprétation de l'équilibration a
conduit J. Lautrey à spécifier les deux conditions d'un milieu
favorable au développement: «un environnement sera d'autant
plus favorable au développement cognitif qu'il présentera à
la fois les deux caractéristiques générales: être source de
perturbation, c'est-à-dire de résistance aux schèmes d'assi-
milation du sujet; offrir les conditions nécessaires aux
rééquilibrations, donc aux constructions»
(3).
Comment identifier les types de structuration de
l'environnement familial? Il faut partir de l'organisation
de la vie familiale.
Dans la vie de la famille, dit J. Lautrev
«les événements ne se produisent pas plus au hasard que dans
le monde physique.
Ils sont liés entre eux de manières plus
(1) PIAGET (J. ), op.
' . L
e1, v. , 1975, p. 17.
(2 )
PIAGET (J. .• op. eit, 1975, p.
170.
r
(3)
1
LAUTREY (J. ) , op. eit. , 1980, P. 67.
j
-
157 -
ou moins stables par des règles pouvant être explicit~s (rè-
gles de comportements) ou implicites (habitudes). Rèqles de
comportements et habitudes introduisent dans l'environnement
familial des régularités qui permettent à l'enfant de prévoir
les résultats de ses actions s du moins dans une certaine
mesures variables selon les familles. On peut donc envisager
de situer les familles par rapport aux trois grandes formes
de structuration définies à propos du milieu physique»
(1).
La variable "type de structuration" ne prend pas en compte le
contenu du mt l i e u , mais exprime "les propriétés formelles de
l'environnement familial".
Elle est appréhendée par la tech-
nique de l'entretien et du questionnaire portant sur les dif-
férents aspects de la vie de l'enfant: l'organisation du
t e mp s , de l'espace, la vie physique de l'enfant, la vie sociale
de l'enfant ...
Il
résulte des expériences réalisées que le type de structura-
tion est en re ooort
avec la classe sociale (définie par la
catégorie professionnelle, le niveau d'étude du père ... ) ;
plus la profession du père se situe aux niveaux élevés de la
hiérarchie sociale, plus le type de structuration de l'envi-
ronnement familial
proposé à l'enfant est souple: «Il est
en effet plus rare dans ces milieux (familles aisées) qu'une
nécessité
i~périeuse restreigne d'avance de multiples possi-
bilités. En somme, la famille répercute dans ses formes de
/
/
(1) LAUTREY (J.), op. cit., 1980, p. 67.
-
158 -
structuration, le niveau de contrainte qu'elle reçoit de la
société
. . . . Le type de structuration parait être la résul-
tante des régulations par lesquelles la famille adaDte son
fonctionnement à ses conditions de vie.
Il vise à maintenir
une certaine cohésion dans les interactions entre les membres
de la cellule familiale et une certaine intégration de celle-
ci dans l a s oc i
t
Il traduit le niveau d'équilibre que ces
é
é
•
différe~tes interactions peuvent atteindre à l'intérieur de
la marge d'initiative que laisse le système écono~ique et
social»
(1).
Cherchant à s'informer sur la détermination idéolo-
gique des pratiques éducatives dans un deuxième temps, l'au-
teur étudie le rôle des valeurs en tant que "désir qui oriente
l t a c t t on" (Combessie, 1969). L'interview des parents sur les
qualités qu'ils souhaitent développer chez l'enfant et sur
les principes éducatifs constitue un moyen d'accès facile
aux systèmes de valeurs. Là aussi, on constate l'existence de
rapports multiples entre le systè~e de valeurs, la classe
sociale et le type de structuration: «Les milieux où l'on
met davantage l'accent sur la conformité à un modèle extérieur
ont davantag,e recours à un contrôle externe et immédiat du
comportement de l'enfant. Par contre, les milieux q ui
parais-
sent davantage chercher à développer l'initiative, l'originali-
té, adoptent des formes de contrôle du co~portement ~oins
(1J LAUTREY (J.J, op. cit., 1980, p. 142.
- 159 -
immédiates, laissant plus de place à cette initiative»
(1).
Et l'auteur ajoute: «tout se passe comme si les membres des
différentes couches sociales cherchaient à développer chez
leurs enfants les qualités correspondant aux exi~ences de la
situation professionnelle qu'ils connaissent eux~mêmes»
(2).
Le IItype de structuration ll et le II s y stème de valeurs ll consti-
tuent le "s y s t me
duc a
è
t i f " de la famille.
Comment les deux
é
variables s'articulent-elles au sein du système éducatif?
L'action du type de structuration a été spécifiée par la
vérification de l'hypothèse générale.
Il
reste à expl iquer
l'influence du système de valeurs. La perspective piagétienne,
dans la mesure où elle accorde un rôle moteur à l'activité du
sujet dans la construction des structures cognitives suffit à
répondre. On peut dire que le mi;ieu qui en aopelle constam-
ment aux qualités comme la curiosité d'esprit, l 'esprit cri-
tique, valorise l'activité propre du sujet, tandis que celui
qui insiste sur l 'obéissance, la soumission aux adultes
valorise des formes d'activité commandées de l'extérieur
«Le système éducatif familial
influencerait le développement
cognitif par deux sortes de mécanismes, l'un jouant sur l'é-
quilibre entre assimilation et accommodation par llintermédiaire
du rapport entre perturbations et régularités (tyoe de struc-
turation), l'autre intervenant sur l'activité spontanée du
sujet (notamment par 11 intermédiaire du système de valeurs),
(1) -
(2) LAUTREY (J.), op. cit., P.
151, P.
153.
-
160 -
le jeu de ces deux mécanismes pouvant prendre des formes
différentes selon la manière dont le système de valeurs et le
type de structuration s'articulent au sein du système éduca-
tif> > (1).
L'examen psychologique des enfants relevant des différents
types de structuration de l lenvironnement familial à l'aide
d1épreuves opératoires révèlent que ceux-ci présentent deux
différences du point de vue cognitif: -- des différences
fonctionnelles
les enfants dont l'environnement correspond
au type "souple" revisent et réorganisent plus facilement une
idée pour intégrer une perturbation si la nécessité s'en fait
sentir
-- des différences d'ordre structural; ces mêmes sujets
(type souple) atteignent les stades opératoires de façon plus
précoces.
Pour J. Lautrey, cette différenciation s'explique par le fait
qu'un environnement de type souple provoque des facilitations
fonctionnelles qui, par des réactions en chaînes augmentent
la probabilité des réorganisations internes. L'avance struc-
turale qui en découle, renforce les facilitations fonction-
nelles de départ et ainsi de suite ...
Le travail de J. Lautrey propose un modèle inter-
actif d'étude du sujet et du milieu. Le développement intel-
lectuel déoend non seulement de l'activité de l'enfant, mais
. /
(1) LAUTREY (J.J, op. cit., P. 225.
- 161 -
aussi de la capacité d'un milieu à susciter cette activité.
Suivant la manière dont il est structuré, un milieu peut être
plus ou moins favorable au développement.
Il faut rélever que le concept de conflit cognitif en fonction
duquel
l lauteur distingue les types de structuration de l'en-
vironnement familial
ne s'appuie pas sur une théorie du fonc-
tionnement cognitif capable de décrire les conduites en
termes de démarches stratégiques d'un sujet cherchant à
résoudre un problème. Or la démarche expérimentale constitue
une démarche stratégique visant la connaissance objective
d'une réalité donnée; elle est représentation, c'est-à-dire
hypothèse, avant d'~tre action, c'est-à-dire vérification
expérimentale. C'est pourquoi, il convient de faire appel aux
travaux de Genève sur les stratégies afin d'intégrer le con-
flit cognitif dans un modèle articulant l laction et la repré-
sentation dans une démarche de recherche.
III - STRATEGIES ET FONCTIONNEMENT COGNITIF
L'étude du fonctionnement cognitif Dar le biais des
stratégies, c'est-à-dire de "tout système et séquence de pro-
cédures finalisées, répétables et transférables, constituant
des moyens pour atteindre le but visé par le sujet" (Inhelder,
1976), est une préoccupation fort ancienne. Dans sa recherche
sur les attitudes expérimentales et le raisonnement inductif,
B. 1nhe l der (1 954) po se dé j à de fa ç 0 n ex 0 l ici tel es problèmes
- 162 -
fonctionnels de l'intelligence lorsqu'elle s'interroge: com-
ment l'enfant va-t-il
utiliser les instruments intellectuels,
les notions et opérations mentales en présence des situations
expérimentales, c'est-à-dire de situations où il aura lui-
même à expérimenter ... ? Comment va-t-il utiliser les struc-
•
tures et quel rôle chaque raisonnement particulier va-t-il
jouer dans l'ensemble du processus? Le travail d'analyse
opératoire appelle ainsi
un essai de synthèse fonctionnelle.
La même préoccupation anime B. Inhelder et collaborateurs
(1974) dans les travaux sur les apprentissages cognitifs dont
l'objectif consiste à mettre en évidence les mécanismes psy-
chologiques indispensables à la formation et à l'évolution
des connaissances. A cet effet, les auteurs ont insisté sur
le rôle des confl its cognitifs dans la genèse de nouveaux
concepts et l'importance des situations dans le déclenchement
de ceux-ci.
Une série de recherches systématiques ont été ini-
tiées par l'école de Genève sur le thème des stratégies de
résolution de problèmes chez l'enfant depuis 1976 (B. Inhelder,
A. Blanchet, E." Ackermann-Valladao, A. Karmiloff-Smith, H.
Kilcher, M. Saada-Robert, A. Boder). Elles visent surtout à
rendre compte de l'utilisation des connaissances dans des
contextes particuliers:
"Comment se fait-il
qu'un sujet qui
agit dans une situation particulière n'applique pas nécessai-
rement l'ensemble de ses potentialités cognitives mais peut
n'en actualiser qu'une partie? Comment se fait-il que le même
-
163 -
sujet puisse par
ailleurs dans certaines situations privilé-
g~ées, élaborer è partir d'un ensemble de possibles donnés,
des solutions nouvelles qu'il n'avait pas envisagées au
départ ?" (1). Cette double question d'Ackermann-Valladao
porte sur les aspects fonctionnels de l'utilisation des con-
naissances. Il Y a là un changement d'orientation qui
se
traduit par une sorte de désintérêt è l'égard du "s ujet
épistémique" c'est-è-dire lice qui est commun aux structures
de la connaissance des sujets de même niveau" et un regain
d'intérêt è l'égard du " s ujet psychologique" c'est-è-dire lice
qui est commun aux sujets individuels" (2). Ce changement de
centre d'intérêt ne remet pas en question la problématique
épistémologique des catégories de la pensée sous-jacente aux
structures générales, mais tente de complèter l'approche
structurale par l 'approche fonctionnelle, la coordination des
deux démarches caractérisant le sujet psychologique.
Le problème central de l'étude des stratégies est
celui de la définition et de la programmation des buts et
moyens dans une tâche particulière en vue de parvenir è un
résultat satisfaisant pour l'organisme. Dans cette optique
ouvertement fonctionnaliste, le caractère "t l onom i oue de
é
é
(1) Edith ACKERMANN-VALLADA 0, Statut fonctionnel de la représentation dans
les conduites finalisées chez l'enfant, thèse de psychologie, N° 107,
Génève , 1981, P. 11.
(2) INHELDER (B.),
De l'aDProche structurale à l'approche procédurale :
introduction à l'étude des stratégies, Actes du XXIème Congrès Inter-
national de Psychologie (1976) Paris, PUF, 1978, P. 100.
-
164 -
l'activité du sujet importe plus que l'activité cognitive en
soi t considérée comme l'ensemble des transformations effec-
tuées; et ceci parce que l'activité cognitive prend un carac-
tère finalisé et que chaque transformation effectuée acquiert
le statut de moyen ayant une valeur et une signification par
rapport au but fixé.
Pour Piaget et Inhelder, le couple Procédure /St ructure
consiste en des mécanismes indissociables quoique différents.
La poursuite d1un objectif précis ,dans une situation spéci-
fiée implique l'utilisation de procédures orientées vers la
réussite; mais "Te s systèmes d'interprétation de l'enfant
qui sous-tendent chacune de ses actions ll relèvent des struc-
tures.
Il y a une "s or t e d'alternance cyclique entre les
démarches procédurales précursives ou proactives (donc orien-
tées vers un but) et les efforts de compréhension rétroacti-
vell (1). La notion de finalité ne suffit donc pas à expliquer
la majoration propre à l'activité cognitive.
Seule l'équil"ibration permet de rendre compte de la
construction structurale. Pour éclairer la question, Piaget
fait correspondre à la distinction entre "r us s ir " et "c om-
é
pr e ndr e :", celle entre "f t na l i t
et "é qu i l i br e
é
"
t i on" de la
manière suivante: IIl e s étapes et les réussites de llaction
sont toujours fonction de rapport de finalité, autrement dit
de projets ou de plans à courte ou longue échéance (finalité),
(1J INHELDER (B.J, op. cit.) p. 103.
- 165 -
tandis que comprendre, en trouver les raisons constitue bien,
si l'on veut, une fin permanente et globale mais dont l'in-
fluence se traduit par des processus d'équil ibration d'ensemble,
bien plus que par un finalisme différencié dans le détail
(Piaget, 1974). La distinction entre finalité et équilibration
est pertinente pour caractériser l'évolution des connaissances
aux niveaux microgénétique et macrogénétique. La théorie
structurale de l'intelligence fournit un modèle macroqénétique
contenant les "universaux" de la connaissance; mais l'uti-
lisation de la connaissance générale dans un contexte particulier
impose une microgenèse, une reconstruction du savoir en fonc-
tion de l'originalité des données.' Cependant, cette distinction
ne permet pas en elle-même une analyse des processus par
lesquels un individu placé dans une situation donnée actualise
une partie de ses connaissances pour résoudre un problème.
Pour pallier cette insuffisance, il convient d'organiser une
théorie intentionnelle de l'intelligence, d'essayer de com-
prendre comment à partir d'un but projété, le sujet constitue
un plan d'action, l'exécute pas à pas en exerçant un contrôle
à toutes les étapes de sa
réalisation. Pour ce faire, il
convient de situer l'approche fonctionnelle dans deux cadres
théoriques complémentaires: la psychologie génétique et le
courant cognitiviste.
La psychologie génétique et la science cognitive
a pp.o rte nt des é l é men t sin dis soc i a bles à une me i l leu r e dé fin i -
tion de la problématique des stratégies. L'idée centrale qui
-
166 -
anime la démarche psychoC'jénétique postule que "la pensée
rés u1te d' une i nt rio ris a t ion de lia c t i on , et par con s que nt
é
é
que la connaissance, au sens du savoir, se dégage et se cons-
truit progressivement à partir d'un savoir-faire sensori-
moteur sous-jacent et préalable" (1). Selon cette optique,
toute connaissance possède une genèse; il est donc possible
d'étudier la formation progressive des connaissances à partir
de l'action. Les formes d'organisation que prennent les con-
naissances au cours du développement sont définies en termes
de structures et les mécanismes assurant le passaqe de l'ac-
tion vers la connaissance en termes d'assimilation-accommodation,
d'abstraction réfléchissante ... La théorie génétique présente
donc un aspect structural et un aspect fonctionnel.
Dans les
deux cas, Piaget privilégie toujours la direction menant de
l'action vers la connaissance que G. Cellerier appelle la
"transformation épistémique"
; il laisse de côté les conditions
d'appl icabil ité de ces connaissances dans un contexte particulier;
c'est-à-dire "1 'a_spect accommodateur de l'activité cognitive".
Pour sa part, la science cognitive (psychologie
cognitive, intelligence artificielle et simulation des proces-
sus cognitifs), s'inspire du cadre de la cybernétique. Son
intérêt réside dans l'étude du traitement de l'information par
un organisme réel ou formel
(sujet ou automate), placé en
(1) CELLERIER (C.), Structùres cognitives et schèmes d'action, Archives
de Psychologie, XLVII,
180, 19?9, P. 8?
- 167 -
situation de résolution de problème. Selon G. Cellerier ; cet
organisme est assimilé à "une machine à flux d'informations
dont il s'agit d'étudier le logiciel
(software) c'est-à-dire
les programmes", la physiologie prenant en compte l'étude de
son matériel
(Hardware). La science cognitive se donne ainsi
pour objet d'étude, les structures et le fonctionnement de
ces programmes dont la comoosition permet de simuler une acti-
vité cognitive particulière. Dans cette perspective, les
tenants de l'intelligence artificielle travaillent à définir
un processus cognitif concret (résolution de problèmes) de
façon opérationnelle afin de pouvoir le programmer et le
simuler à l'aide d'une "machine" adaptée.
Lorsque le programme ainsi élaboré fonctionne bien,
il constitue une théorie psychologique de l'activité qu'il
simule. Cette position est d'autant plus critiquable que le
programme ne contient que ce que l'informaticien y a mis. Il
ne constitue pas lui-même une théorie, mais un modèle de
fonctionnement cognitif possible dont la théorie psychologi-
que reste à faire.
Il faut rappeler avec G. Cellerier que con-
trairement au programme, le système cognitif remplit deux
fonctions adaptatives complémentaires: une f oncti on "morpho-
génétique" qui
porte sur la production de formes nouvelles et
une fonction "morphostatique" qui s'attache à "la conservation
active et la réorganisation des acquis en vue de leur utili-
sation ultérieure". Ces deux fonctions caractérisent d'une
part l'aspect "mouvant" et n n r a
é
é
t eu r de la pensée, et d'autre
- 168 -
part, son aspect "invariant" et conservateur. Le programme n'a
ni cette capacité de générer de nouvelles idées, ni celle de
réorganiser ses données internes en fonction d'un problème
pour lequel il n'a pas été conçu. La réduction du système
cognitif à un programme d'ordinateur bien qu'elle apporte des
informations précieuses quant aux mécanismes d'actualisation
des connaissances, ne fait que reporter la question de l'ex-
plication de 1 'inte11igence huma~ne.
L'optique cognitiviste privilégie la direction qui
va des connaissances acquises vers leur utilisation effective
en tant qu'instruments de résolution de problèmes particuliers
et que G. Ce11erie appelle la "transformation'pragmatique".
Le problème du cognitivisme comme le soulignent Miller,
Ga1anter et Pribram est de décrire comment les actions sont
contrôlées par la représentation interne de son univers que
possède un organisme.
L'étude des stratégies et de l'approche fonctionnel-
le qu'elle sous-tend, impose le choix d'un double cadre de
référence: le cadre psycho-génétique et le cadre cognitiviste.
Le premier, par son analyse structurale fournit une excellente
description des possibilités cognitives du sujet à chaque
étape de son développement. Cette démarche permet d'une part,
de délimiter chez le sujet ce que B. Inhe1der (1974) appelle
une " zone d'assimilation et d'accommodation optimale" au sein
de 1aque 11e 0 n peu t pré v0 i r l' é ven t ail des con du i tes po ssi b1es
- 169 -
dans un contexte donné; elle permet d'autre part d'avoir une
vue globale du développement cognitif malgré la diversité des
actions qui le génèrent) donc de rendre compte de la parenté
structurale des conduites.
Le second cadre) celui de la science cognitive)
cherche à élucider la ~anière dont les sujets procèdent pour
résoudre un problème particulier. Cette démarche exige la
décomp6sition analytique systématique des processus en leurs
règles de production; elle présente l'avantage d'opérationna-
liser et de simuler les représentations et les stratégies
produites par les sujets.
La critique des cognitivistes à l'égard de la psy-
chologie génétique porte essentiellement sur le fait que les
concepts piagétiens d'assi~ilation, d'accommodation) d'abs-
traction) d'équilibration ou de schèmes) ne constituent pas
des procédures effectives, c'est-à-dire des processus psycho-
logiques programmables. Moore et Newell éprouvent cette même
impression lorsqu'ils écrivent: "bien que les termes d'assi-
mil a t ion e t d' a c c 0 mm0 da ti 0 n aie nt été pro dui t spa r l' a na lys e
piagétienne des conduites de l'enfant) les notions théoriques
qu'ils recouvrent (celle de schème par exemple) ont fort peu
de substance en terme de structure informatique" (1).
Les psycho-généticiens reprochent à leur tour aux
(1)
Traduction de G. CELLERIER, op. cit., P. 211.
- 17 0 -
théories cognitivistes d'être très peu explicatives quant a
l'élaboration des connaissances, car le sujet n'utilise que
ce qu'il sait ou ce qu'il
lui est possible de savoir. Le
pro blè me pr i m0 r dia les t don c des av0 i r comme nt se fa i t l'a cqui si -
tion des connaissances.
Il faut dire que "si la théorie psy-
chogénétique est non effective, les modèles cognitives sont
non explicatifs; cela tient sans doute à ce que la première
cherche à comprendre, les seconds à réussir, la réussite pra-
tique étant alors confondue avec la validité et l'intelliqibilité"
(G. Cellerier, 1979). Les deux démarches doivent reconcilier le
"sujet épistémique" et le "sujet pragmatique" dans le sujet
ps yc h0 log i que i ndiv i due l con f r 0 nt é à l a rés 0 lut ion d' un probl ème
particulier: il coordonne les notions de schèmes, de struc-
tures opératoires et celles cognitivistes de procédure, de
modèle interne du milieu.
Les deux approches sont donc complémentaires et leur
articulation promet des hypothèses fécondes.
Nous avons choisi de concrétiser cette double approche par la
présentation de deux travaux de recherche pour la fécondité
de leurs concepts relativement à notre investigation. Il s'agit
du travail d'Ackermann-Valladao (1981) pour le concept de
"représentation" dans la résolution de problème et de celui
de A. Boder (1982) pour les concepts de "schèmes famil iers"
dans l'attribution de siqnification à une tâche et d'''effet
secondaire"dans le dépassement du conflit cognitif.
- 17 1 -
1 - LA THE5E D'ACKERMANN-VALLADAD (GENEVE~
1981)
Le travail d'Ackermann-Valladao,s'attache à carac-
tériser le "statut fonctionnel
de la représentation dans
les conduites finalisées chez l'enfant" (1). Il pose la oro-
blématique du fonctionnement des connaissances chez l'enfant
e n s i tua t ion der é sol ut ion de pro bl ème spa r tic ulie r s. L'a ute ur
tente de faire la lumière sur le rôle central des représen-
tations dans l'organisation et dans le guidage de l'activité
cognitive à l'épreuve.
L'utilisation des connaissances dans un contexte
particulier suppose toujours une double coordination entre le
savoir du sujet et les données de la situation. Celui-ci
devra d'une part spécifier les transformations qu'il désire
opérer en fonction des contraintes de la situation; et
d'autre part~ sélectionner au sein des données~ les supports
de ses transformations en vue d'atteindre le but recherché.
Cette double activité correspond aux IIprocessus d'instancia-
tions et de sémantisation des connaissances" (2) et constitue
le IIprocessus d'attribution de signification"~ processus
central dans l'étude du traitement des connaissances.
Toute résolution de problème entraîne la mise en
oeuvre complémentaire de l'action et de la représentation.
(1) Thèse de doctorat en psychologie N° 1°0, Genève,
1981.
(2) ACKER~NN-VALLADAO (F.), 1980, P. 62.
- 172 -
L'action peut être conçue comme la lIfonction transformatrice
de l'activité cognitive, lorsque celle-ci se déroule dans la
recherche de solutions nouvelles". Elle se rapporte ~ "toute
connaissance en train de se dérouler dans un contexte fonc-
tionnel donné à titre d'outil" en vue d'atteindre un but. Elle
concerne donc l'aspect de traitement de l'information (fonc-
tion morphogénétique de l'activité cognitive).
Quant à la représentation, elle s'identifie avec la
f 0 nct ion "0 r gan i sa tri ce" , et Il cri ta 11 i sa tri ce" de l' act i vi té
cognitive en vue de sa réorganisation à court ou à long terme.
Toute représentation se réfère à "toute connaissance utilisée
à titre de cadre organisateur (modèle ou description)", et
permettant de construire une démarche de résolution de problè~.
Elle correspond à l'aspect de codage de l'information (fonc-
tion morphostatique de l'activité cognitive).
L'action et la représentation en tant qu'activités
du sujet, intègrent le "processus d'attr-ibution de significa-
tion" c'est-à-dire la capacité de "donner un sens aux diffé-
rents composants du problème" afin de les spécifier et de
leur appliquer des connaissances pertinentes.
Les expériences d'apprentissage des structures
logiques ont montré le rôle des perturbations et de la coordi-
nation des points de vue dans le progrès cognitif. L'apparition
d'un conflit indique que le sujet ne possède pas encore les
instruments cognitifs nécessaires à la résolution de la tâche
- 173 -
proposée; cela veut dire en d'autres termes qu'il lui manque
un modèle suffisant pour comprendre l 'univers problématique
auquel il se trouve confronté. Pour remédier à cette faiblesse
de son cadre assimilateur, le sujet adoptera une attitude
d'exploration et de recherche actives caractéristique d'une
accommodation optimale. Par l'exploration active de l'objet,
le sujet vise d'une part, à agir et à modifier ses actions
"pour voir"
; les effets constatés lui permettront d'évaluer
et de remanier ses actions en vue de la réussite
le problème
central est de pallier "l'inadéquation du bagage cognitif
(offre) et des connaissances requises par la tâche (demande)".
D'autre part, par l'exploration, le sujet tentera en plus de
son activité "pour voir", de mettre sur pied une stratégie
complémentaire consistant à "fixer pour retenir" (1), c'est-à-
dire à sélectionner les propriétés pertinentes parmi les
procédures effectuées et les données de llexpérience : "le
sujet construira ainsi, pour canaliser son exploration, de
véritables systèmes de répérage dans lesquels figurent les
conditions et les traces de son action, et au moyen desquels
il
pourra réattribuer une signification à chaque étape de sa
procédure et procéder à l'évaluation pas à pas nécessaire à la
réussite. Or,
l'une des conséquences qui semble se dégager de
cette alternance "agir pour voir" et "fixer pour retenir",
clest que moins le sujet possède de connaissances adéquates
(1J ACYERM4NN-VALLADAO (E.J, op. cit., P. 28.
-
'74 -
bien structurées (ou d'un modèle fort) par raDport ~ une
finalité particulière ~ atteindre, plus il devra organiser et
structurer son environnement comme ses actions, en
construisant
et en ayant recours à des cadres organisateurs externes ser-
vant de support à sa propre structuration t ns uf f t s an t e " (1).
Les cadres organisateurs externes ou systèmes de
répérage utilisent les procédés de marquage (ou de signalisa-
tion) et de notation (ou de schématisation) et permettent au
sujet de réformuler son modèle théorique.
L'étude de la représentation chez l'enfant dans les
conduites finalisées implique la mise en évidence des rela-
tions -entre le modèle (ensemble de signifiants intériorisés)
et la réalisation du modèle (supports externes). Le modèle ou
schéma constitue un cadre mental d'appréhension du problème
alors que la réalisation de ce cadre par le biais de langages
ou cadres externes donne lieu à une modélisation ou schémati-
sation.
La distinction entre les cadres mentaux d'appréhen-
sion du réel et leurs réalisations repose sur le fait que
ceux-ci ne se prêtent pas directement à l 'observation. De ce
fait, l 'expérimentateur met à profit les indicateurs que sont
les langages ou véhicules de représentations externes à l 'oeu-
vre dans l'acte du sujet. Ces considérations amènent l'auteur
(1) ACKERIv'JANN- VALLADAO (E),
op. cit., P. 28-29.
- , 75 -
à appeler "modes ou modalités de représentation" les canaux
ou véhicules de traduction internes aboutissant à la constitu-
tion du modèle, et "modes ou modalités de présentation", les
canaux de traduction externes permettant la réalisation du
modèle sous forme de schématisation.
Les modalités de représentation sont au nombre de
trois: la modalité figurale ou iconique (image), la modalité
cinétique ou proprioceptive (action) et la modalité concep-
tuelle ou algébrique (langage intériorisé). Ces différentes
modalités correspondent sur le plan externe à plusieurs
modal ités de présentation: le dessin, le graphe, l'organi-
gramme, la figure, la carte pour la représentation figurale
le geste ou la simulation (ou le film) pour la représentation
cinématique
et l'écriture ou la parole, l'a19èbre, le
programme (ou le mode d'emploi) pour la représentation conceptuelle.
Ackermann-Valladao explicite les articulations entre modèle et
modelisation au moyen de la traduction graphique suivante:
- 176 -
Figure 3
Modèle et modalités (P. 37)
Modalités de
Modalités de Réalisation
Représentation
ACTION
LANGAGE
1
IMAGE
TRADUCTION INTERNE
TRADUCTION EXTERNE
Ces différentes modal ités possèdent une "grammaire" or opr e et
privilégient de ce fait un codage particulier des propriétés
et relations d'une situation. En effet, il ne revient pas au
même de représenter une réalité au moyen d'une image, d'un
mot ou d'un geste. Les mêmes informations sont traduites dif-
féremment, chaque modalité de traduction prooosant des types
de "descriptions" différentes. A titre d'exemple, nous pou-
vons souligner que la fonction d'une image "consiste Drincipa-
- 177 -
lement à coder l'information en un réseau d'ensemble qui
capte surtout les relations de simultanéité (états) alors que
la fonction du geste (ou du rituel) consiste surtout à coder
l'information sous forme d'un enchaînement linéaire qui capte
surtout le déroulement ou le parcours" (1).
Même si dans les deux cas. la finalité des codages est de
"fixer pour retenir". il faut reconnaître que chaque véhicule
de traduction comporte son code propre et joue le rôle d'une
"grille de lecture" partielle du réel.
La thèse d'Ackermann-Valladao aborde les hypothèses
générales sur la représentation dans les procédures de réso-
lution de problèmes. L'auteur tente de déterminer les rôles
respectifs des modèles implicites et des modélisations
volontaires (ou système de référence et système de répérage)
d'une part; et d'autre part, les dépendances ainsi que le
rôle en retour (ou l'utilisation faite par les sujets) de ses
modèles sur la compréhension du problème à résoudre (cons-
truction d'invariants transformationnels).
Ces deux expériences de vérification, l'épreuve de
l 'horizontal et l'épreuve de construction de chemin confir-
ment les hypothèses. Les faits montrent qu'en plus du modèle
implicite qu'il a d'une situation, modèle qui correspond à
l'ensemble des connaissances réactivées. le sujet construit
toujours. lorsqu'il est copfronté à un blocage lors de la
(]) ACKERMANN-VALLADAO, 1981, P. 37.
-
178 -
résolution de problème, "de véritables systèmes de répérage
pour organiser sa tâche et pour pouvoir procéder ~ l'évalua-
tion et au choix des procédures conduisant à la réussite" (1J.
L'absence de modèle puissant chez le sujet entraîne le recours
à des
ca dr es 0 r gan i sa te urs ex ter ne's a fin de" rel ev e r et de
mettre en évidence les choses nouvelles recherchées". La re-·
présentation comporte donc deux types de modèles ou "descrip-
tions"
: le système de répérage et le système de référence. La
mise en place du premier est volontaire et constitue une
heuristique permettant aux sujets d'optimal iser ses chances
der us s ; tes ; qua ntau sec
é
0 nd s ys t ème,
i 1 r e pré sen t e un cadre
organisateur de type "réseau sémantique" (ou frame). qui est
réactivé lors de la rencontre d'un problème. La description
d'un objet dépend également de son usage (finalité du sujet,
et expériences acquises). Elle varie aussi en fonction de
l'âge et des modalités de représentation ou de présentation.
Pour terminer, l'auteur souligne l'existence de
mécanismes d'autogestion des représentations par le sujet,
grâce à un "dialogue" entre modèles partiels, d'abord en con-
flit entre eux et dont la coordination engendre des modèles
"à fort
pouvoir de générabilité (invariants transformationnels
transférabl es).
La recherche d'Ackermann-Valladao met l'accent Sur l'inter-
vention de la représentation dans le fonctionnement cognitif
(1) Ibidem, P. 266.
- 179 -
d'un sujet psychologique. Mais la conception de la représen-
tation que l'auteur dégage diffère totalement de celle de
Piaget. Le modèle piaqétien s'est sutout centré sur les
rapports entre l'assimilation et l'accommodation au cours du
développement des schèmes d'action. La nécessité d'introduire
la notion de représentation s'est faite ressentir vers la
phase ultime du stade sensori-moteur pour expli~uer le con-
trôle des déplacements invisibles de l'objet: la maîtrise
de ce problème exige que le bébé possède une représentation
mentale de l'objet assurant sa permanence dans l'espace et le
temps. C'est dans son ouvrage "La formation du symbole chez
l'enfant" (1972) que Piaget aborde la genèse de la représen-
tation et distingue la représentation au sens large et la
représentation au sens étroit.
Au sens large, la représentation coincide avec la pensée
au sens étroit, elle se réduit à l'image mentale ou au souve-
nir-image, c'est-à-dire à l'évocation symbolique des réalités
absentes. Qui dit représentation, dit par conséquent réunion
d'un "signifiant" permettant l'évocation et d'un "signifié"
fourni par la pensée. Pour Piaget, il n'y a pas véritablement
de signifiants au stade sensori-moteur, mais des indices
présentant la caractéristique générale d'être indifférenciés
des signifiés et de n'être actualisables qu'en situation. Les
deux critères
importants qui définissent la représentation
dans la théorie piagétienne sont l'évocation à distance et
l'abstraction.
-
180 -
L'auteur fait donc l'économie du concept de représentation
au stade sensori-moteur grâce au postulat de la construction
des schèmes par l'assimilation et l'accommodation.
La limite importante de la théorie piagétienne réside dans le
fait que la représentation est supposée intervenir seulement
dans l'activité d'évocation de l'objet et non dans celle de
reconnaissance ou d'identification comme préalable à toute
sémantisation des si~uations et à toute élaboration de straté-
gies. Dans cette approche, les schèmes et les opérations à
eux-seuls suffisent pour signifier les contextes pour lesquels
ils sont pertinents. L'existence de décalages horizontaux
dans le développement plaide en faveur du concept de représen-
tation.
Il est possible que le sujet échoue à des tâches rele-
vant de son niveau opératoire faute d'un cadre représentationnel
adéquat lui permettant de signifier celles-ci.
Le concept de représentation développé par J.S. Bruner (1966)
et repris ici par Ackermann-Valladao, apparaît plus adéquat
parce qu'il couvre toutes les périodes du développement psy-
chologique. La représentation n'apparaît plus vers deux ans
avec l'avènement du langage, car il existe déjà au niveau
sensori-moteur une représentation "enactive", cinématique,
dans laquelle les perceptions de l'enfant sont définies par
ses actions; ce qui se traduit par une description des réa-
lités sous forme de "schémas moteurs". C'est par rapport à ce
schéma ou modèle que le bébé attribue une signification aux
objets et les traite. Cette première forme de représentation
- 1fJ1
-
est chronologiquement suivie par deux autres: la représenta-
tion iconique et la représentation symbolique. Représentation
et symbolisation ne constituent donc pas des phénomènes
interchangeables; ce sont des concepts hiérarchiques, la sym-
bolisation étant un type particulier de représentation.
On peut cependant reprocher à Bruner d'avoir réduit l'étude de
la représentation symbolique (conceptuelle) à celle du langage,
Il explique ainsi les retards de conceptualisation chez l'en-
fant rural par l'influence des lacunes conceptuelles des
langues africaines. Cette position semble évacuer le problème
des demandes éco-cu1ture11es des fonctions cognitives: l'in-
telligence se structure en fonctionnant dans des milieux
socio-cu1ture1s particuliers. Si le négro-africain ne développe
pas de façon optimale la représentation conceptuelle, il con-
vient de s'interroger sur les formes de représentation qu'il
valorise et sur les raisons de cette orientation. Il
semble
que le développement de la représentation conceptuelle et de
l'intelligence formelle repose sur une éducation scolaire
formelle faisant toujours précéder l'action éventuelle par
son modèle théorique. L'école accroît les possibilités de
traduction du réel parce qu'elle opère hors contexte.
L'étude de Boder nous permettra de préciser comment
la représentation initiale du sujet signifie la tâche - pro-
blème à partir de schèmes familiers.
-
182 -
2 - LA THE5E D'ANDRE BDDER (GENEVE, 1982)
Let r a va i l de B0 der s' a t t è l e à l'
t ude du
é
Il
r ô l e
orqanisateur du schème familier en situation de résolution de
problèmes ll • L'auteur se propose de spécifier les relations
entre les caractéristiques d'une tâche et la représentation
construite par le sujet au moment de son traitement. La réso-
lution de problème apparaît comme une II mi c r oge nè s e li dans la-
quelle les schèmes familiers jouent un rôle organisateur par
l'intermédiaire de directions de recherche privilégiées et
attribuent une signification particulière. Mais avant d'en
venir aux hypothèses de recherche proprement dites, commençons
par définir quelques notions de base, notamment celles de
problème, de schèmes familiers, d'idée directrice et d'effet
secondaire, notions nécessaires à leur compréhension.
On dit d'une situation qu'elle "f a i t pr obl me " pour
è
le sujet lorsqu'elle comporte des difficultés que celui-ci
n'arrive pas à surmonter à cause de l'inadéquation de ses
schèmes par rapport à cette situation. La réussite dépendra
alors de la modification de la représentation initiale; il
en résulte une nouvelle représentation capable de supporter
les transformations pertinentes. Reprenons, pour concrétiser,
le diagramme proposé par Boder (1), faisant état des étapes
successives de la résolution d'un problème.
(1) BODER (A), Le rôle organisateur du schème familier en situation de
résolution de problème, thèse de doctorat, Genève, 1982, P. 21.
-
'83 -
3
9
Présentation de 1a
Première représen-
Etat visé
consigne
0
>-
tation du but
attei nt
2
5
Situation où la
la situation ne
tâche "fait pro-
fait plus pro-
blème"
blème
1
t '
6
Lorsque la consigne est présentée au sujet (1), il doit l'in-
terpréter en fonction du matériel
présenté (2). Cette refor-
mulation de la consigne constitue une prew.ière représentation
du but à atteindre (3). Cette représentation peut tout d'abord
se traduire en une série de transformations (4) jusqu'à ce
que le sujet ne sache plus comment agir (5).
Enfin, aorès
avoir passé par une phase (6) où il cherche à résoudre ce qui
"fait problème", le sujet effectue les dernières transforma-
tions (8) faisant suite à la découverte (7) du che~in menant
à la solution (9).
L'étape 6 est la plus importante en situation de
résolution de problèmes puisqu'elle représente la phase de
résorption de la difficulté soit Dar construction ou par
activation d'instruments cognitifs pertinents. Le Droblème
est de savoir comment se constitue une nouvelle représentation
- 184 -
du but à atteindre, la représentation initiale s'étant révélée
inadéquate. La prise en considération de l'étape 2 (traduction
de la consigne) s'avère indispensable dans la mesure où, se
situant au point de départ de la première représentation, elle
pourrait expliquer comment s'effectue l'évolution de la re-
présentation du sujet qui conduit au succès.
La deuxième notion à définir est celle de schème
familier. Dans la perspective piagétienne classique, les
schèmes sont à l'origine de toute activité de connaissance
chez l'enfant (Piaget, 1976). Clest seulement par la suite
qu'ils " s ont remplacés par des systèmes d'opérations capables
de donner une cohérence à des contenus de plus en plus com-
plexes et abstraits. Les schèmes ne sont plus alors que la
manifestation particulière d'une structure d'ensemble"
(Blanchet, 1981). Il va sans dire que lors de la structuration
pro gr e s s ive de l ' i ntel l i 9e nce, 1er ô l e dus c hème s 1 amo i ndrit.
1"1 ais
Pia ge t dan s Il l a pris e de con sei en ce Il dé 9a qe un
autre rôle du schème qui est celui d'assumer "1 a direction
générale de l'acte". Ce rôle d'organisation de la connaissance
prend une importance particul ière dans les situations de ré-
solution de problèmes:
"le schème n'est plus seulement
l'élément qui assimile, mais en même temps l'élément qui guide,
qui canalise les motivations
il constitue donc la for~e par
laquelle l'aspect téléonomique de l'action est actualisé" (1).
(1) BODER (A.), op. cit., D. 68.
-
185 -
Le schème joue donc un rôle au niveau de l'organisation
initiale de la tâche; mais cette fois
il s'agit du schème
t
familier activé de façon sélective dans un contexte particu-
lier: "un schème familier est un schème qui a les qualités
requises pour jouer le rôle de guide dans l'organisation
d'une tâche. Ces qualité sont inhérentes au schème lui-même.
Lorsqu'il est appliqué à un pr o bl me , un schème familier
è
attribue alors sa finalité intrinsèque au problème
ce qui a
t
pour conséquence de faire apparaître la situation comme fami-
lière aux yeux du s uj e t " (1).
Le schème familier définissant une direction nlobale
de travail t il convient de l'associer à un cadre de référence
dans lequel se situent les actions actualisables du sujet. Ce
.cadre est l'idée directrice.
Piaget propose une définition de l'idée directrice
dans "r us s i r et comprendre
é
Il
:
Il
• • •
l'intervention nécessaire
d'une direction au sens vectoriel et non pas anthropomorphi-
que de ce terme ll (2). La direction au sens vectoriel réfute
d'emblée le finalisme (téléologie). La réalisation d'un but
peut se faire de différentes manières compte tenu de l'acti-
vation d'un certain nombre de comportements: 1I1'idée direc-
trice est à concevoir comme un cadre de référence déterminant
un ensemble d'actions favorables aux yeux du s uj e t " (3). Ivla;s
(1) -
(3) BODER (A.)t op. cit., P. 69, P. 74.
(2)
PIAGET (J.), Réussi~ et Comprend~e, Paris, P.U.F., 1974, P. 248.
- 186 -
quelle est son origine et sa nature exacte?
Pour Piaget, utiliser un objet selon un but revient
à assimiler cet objet à un schème antérieur.
Ce schème équi-
vaut au schème familier qui est à la base de l'idée directrice.
Enfin, pour terminer abordons la notion IId'effet
s e conde i r-e ? • Il faut recourir au double statut de l'action
déterminé par A. Blanchet (1981) pour en fournir une meilleure
compréhension. L'action est "c o ns t i t ut i ve de l t t nt e r a c t i on"
entre le sujet et l'objet. Pourtant, elle a toujours été en-
visagée du point de vue du sujet comme le moyen pour lui
d'agir en fonction de la connaissance de l'objet, le rôle de
ce dernier se l imitant à résister à l'action si ce l l e -c i n'est
pas adéquate à ses propriétés.
Considérer l'action de ce seul point de vue, c'est
faire table rase de son second statut, celui de IIfaire parler
l'objet ll pour révéler certaines de ses caractéristiques per-
tinentes quant à la solution du rroblème. Le double statut de
l'action instaure donc "un dialogue véritable se déroulant
dans les deux sens, et donne ainsi un caractère positif au
rôle de l'objet, limité jusque-là à celui de censeur (qui se
laisse faire ou dit non ) ", (1)
Dans l'approche de Boder, lleffet secondaire c o n-
î
cide avec le second statut de l'action, c'est-à-dire l'inter-
vention d'un effet nouveau que le sujet n'avait pas perçu
(1) BLANCHET (A.), Etude génétique des significations et des modèles uti-
lisés pour l'esprit lors de résolutions de problèmes, thèse de docto-
rat, Genève, 1981, P. 80.
-
187 -
lors de sa représentation initiale et qui se révèle pertinent
pour la solution finale.
Les définitions notionnelles permettent à l'auteur
d'introduire deux hypothèses de recherche.
La première hypothèse traite du rôle du schème fa-
milier
"le schème à la base de l'idée directrice qui rend
compte de l'orientation du travail a été défini par nous
comme étant familier ... au sens o~ sa finalité intrinsèque
représente particulièrement bien la finalité du problème aux
yeux du sujet; et si ce schème se révèle orienter le travail
dans une direction inadéquate, alors nous dirons que la "tâche
fait problème".
La deuxième hypothèse se rapporte à 11 e f f e t secon-
daire : "Nous suggérons que lors de la réalisation (ou tenta-
tive de réalisation) d'une action déterminée dans le cadre de
l'idée directrice initiale le sujet accorde à l'action ou à
un élément en cause dans cette action -- une signification
outre que celle qu'il
avait acquise dans le cadre de l'idée
directrice initiale. Nous appellerons ce processus "l'effet
secondaire" pour signifier qu'au moment même de la réalisation
d'un plan par l'intermédiaire d'une action, le sujet découvre
un effet nouveau constitué par l'orientation nouvelle induite
par la nouvelle fonction -- ou signification fonctionnelle
attribuée à l'action en cours (ou à l'objet en cause dans
l'action)".
- 188 -
La vérification expérimentale de ces hypothèses est
fondée sur l'analyse de la résolution de quatre problèmes (les
expériences de la Rivière (1), de l'incendie (2), etes récipients
inégaux (3) et de l'inversion d'ordre (4)). Cette analyse
montre que lice qui fait problème" dans une situation résulte
du conflit généré par la non-adéquation d'une idée directrice
famil ière et de ses procédures de réal isation : " si le problème
est assimilé à un schème familier qui est tel que la situation
a un degré de familiarité élevé et que cet i ns t r une nt cognitif
est insuffisant à lui seul pour rendre compte du processus de
résolution -- c'est-à-dire que l'idée directrice qu'il engen-
drera, devra être différenciée -- alors le problème sera
difficile à résoudre; le sujet aura du mal à distinguer la
finalité intrinsèque du schème de la finalité du pr obl èma v.Lt )
Comment alors rendre compte de l'évolution de la
conduite qui amène le sujet à dépasser le conflit? Il est
évident que celui-ci produit une idée nouvelle qui coordonnera
les différents points de vue et entraînera l~ orogrès de la
pensée. Mais quelle est l'origine de cette idée nouvelle?
C'est par le biais du processus d'effet secondaire que l'au-
teur rend compte de l'évolution de la représentation du sujet
qui conduit à la solution. Pour cela, il ~nvoque un double
phénomène susceptible de rendre explicatif le processus
d'effet secondaire: lises composants sont d'une part, le rôle
(1) BODER (A.), op. cit., P. 425.
- 189 -
du savoir -
faire procédural autonome par rapport à l'idée
directrice en cours. et d'autre part. la possibilité qu'a le
sujet d'intégrer à son raisonnement actuel les informations
nouvelles générées par cet aspect procédural" (1).
L'auteur conclut sur un modèle de l'auto-organisation
et de l'évolution en situation de résolution de problèmes.
jusqu'ici absent des théories de l'intelligence artificielle.
L'intérêt du travail de Boder pour nous, réside dans l'inter-
vention du schème familier dans la définition d'une situation
qui fait oroblème. Une situation fait problème à partir du
moment où elle déclenche un conflit cognitif, où le sujet en
forme une représentation partielle. Il dispose donc de schèmes
familiers par rapport auxquels la situation est jugée plus
ou moins familière. Une exploration complémentaire s'avère
a l 0 r s né ces sai r e pou r Il fa ire par 1er l' 0 bjet ", a fin de mod if i er
le cadre assimilateur initial par l'intégration de l'effet
secondaire.
La notion de problème se définit donc dans le cade de l'in-
teraction du sujet et de l'objet. Il reste à savoir si les
épreuves opératoires appliquées dans les travaux intercultu-
rels ,aux populations rurales constituent des problèmes pour
celles-ci. Ces épreuves sont-elles assez famil ières pour
constituer un problème, c'est-à-dire susciter un conflit
cognitif?
(1) BODER (A.), op. cit., P. 8?
- 190 -
Le concept de familiarité des situations pour le sujet pour-
rait informer les phénomènes de décalage dans 'la construction
opératoire: un adolescent peut ne pas produire le raisonne-
ment expérimental, non pas à cause de l'insuffisance de son
bagage structural, mais de la non familiarité de la situation
lui enlevant toute siqnification dans le contexte culturel.
L'introduction de la notion de représentation en psychologie
génétique renouvelle la conception du fonctionnement cognitif
du sujet en situation de résolution de problème. Elle informe
que les situations sont chargées de significations par rapport
auxquelles s'effectue le choix des opérations à appliquer.
Mais cette notion ne nous renseigne pas sur toutes les -cond i t ions
de formation de la pensée formelle nécessaire à la mise en
oeuvre du raisonnement expérimental. La scolarisation ne
s e rai t - e l lep a s l 1 une des con dit ion ses sen t i e l les ?
-
191
CHAPITRE IV
MILIEU,SCOLAIRE ET DEVELOPPEMENT COGNITIF
Le milieu scolaire exerce-t-il
une influence sur
la pensée opératoire en général et sur la pensée formelle en
particulier? Les recherches consacrées à ce problème ont
jusqu'à présent fournit un bilan hétérogène: tandis que les
unes concluent à une absence d'influence, les autres relèvent
une influence significative.
La théorie opératoire de l'intelligence permet-elle de tran-
cher la question? L'hypothèse piagétienne de l'universalité
des structures opératoires comporte sans le dire l'idée de
l'absence d'influence du milieu scolaire sur le développement
de l'intelligence, car quatre groupes de facteurs agissent
sur celui-ci:
le premier groupe, les facteurs biologiques connus sous
le vocable de "maturation" sont communs à tous les individus
de l'espèce humaine et "ne doivent sans doute rien à la
société". Ils seraient responsables de l'ordre séquentiel des
stades.
-- le second groupe, les facteurs d'équilibration des actions
jouent dans la coordination des actions. Selon Piaget, "cette
coordination générale des actions suppose alors des systèmes
multiples d'autorégulation ou d'équilibration qui déoenctent
des circonstances autant que des potentialités
pi q n t i qu e s ".
é
é
é
- 192 -
Dans leurs interactions avec le milieu, ces facteurs condui-
sent à la construction des invariants de conservation, et
entraînent forcément un type universel de développement par
stade. Il reste toutefois possible que le rythme de dévelop-
pement soit influencé par le milieu.
-- le troisième groupe, les facteurs sociaux de coordination
interindividuelle renvoient aux formes de conduites sociales
d'échan~e indépendamment de leur contenu. Ce sont des facteurs
inhérents à tout processus de socialisation (collaborer,
s'opposer, s'informer) qui
interfèrent avec le processus
d'équilibration pour assurer aux stades leur caractère d'uni-
versalité.
-- Enfin le dernier groupe, les facteurs de transmission
éducative et culturelle comportent les contenus pédagogiques
dont la variation d'une culture à l'autre est bien connue. Si
l'influence de la culture et de l'éducation est prédominante,
on doit s'attendre dans les recherches interculturelles à
observer soit des différences dans les rythmes de développe-
ment, soit même dans le développement des structures cognitives.
Il est bien entendu que dans l'esprit de Piaget, le rôle des
facteurs de transmission éducative et culturelle ne saurait
être dominant, le développement dépendant essentiellement de
l'activité du sujet. La voie était alors ouverte aux études
interculturelles pour vérifier l'objectivité des premières
conclusions de la psychologie génétique. Seul l'examen de
trois groJpes de travaux mentionnant soit l'absence d'influence
- '93 -
de l'école, soit l'influence notoire de l'école, soit l'in-
fluence des pédagogies scolaires, sur le développement
cognitif, pourrait nous conduire vers une solution de dépas-
sement.
l - L'ABSENCE D'INFLUENCE DE L'ECOLE SUR LE DEVELODPEMENT
OPERATOIRE
Les travaux comparatifs se sont surtout attachés à
l'étude des opérations concrètes. La variable indépendante
retenue est la présence ou l'absence de scolarité.
F.. MERMELSTEIN et L.S.
SHULMAN étudient l'acquisition du prin-
pe de conservation chez quatre groupes de garçons et de filles,
en nombre égal dans chaque groupe.
Ils sélectionnent trente
enfants noirs de 6 ans et autant de 9 ans qui n'ont ras eu de
scolarité régulière pendant quatre ans (1959-1963) à Prince
Edward (Virginie)
Deux autres groupes d'enfants noirs (6 ans
et 9 ans) dont la scolarité est normale sont échantillonnés
dans une ville moyenne industrielle du nord des Etats-Unis.
Les âges retenus correspondent à la période sensible d'acqui-
sition de la conservation. Les auteurs observent que quels
soient l'âge et le type d'épreuve, les enfants de la ville
industrielle (scolarisés de 9 ans) ne réussissent pas
mieux
que ceux de Prince Edward (non scolarisés de 9 ans). Comme on
r
le voit, la scolarité n'exerce aucune influence sur la pensée
opératoire.
-
194 -
La difficulté de cautionner cette conclusion provient du fait
que les enfants de Prince-Edward ont suivi une scolarité de
quelques mois (8 mois) avant la passation de ces épreuves. Ce
rattrapage n'a-t-il
pas comblé le handicap associé à l'absence
de scolarisation? D'autres questions restent posées: les
conditions de vie en milieu citadin ne compensent-elles pas
une partie de l'influence de l'école? Il est possible que
les enfants non scolarisés de la ville ne se co~portent pas
comme les enfants non scolarisés de la campagne. La variété
des problèmes qu'ils ont à résoudre peut susciter une diver-
sité d'instruments intellectuels; or les problè~es de la
ville se réflètent dans les situations pédagogiques scolaires
ainsi l'enfant urbain non s c o l a r i s
par la
na t ur e
des
é
,
problèmes qu'il rencontre~ serait plus proche de l'école que
l'enfant rural
non scolarisé. On- peut encore objecter que
l'absence de différences entre les enfants scolarisés et les
non scolarisés à propos des épreuves de conservation est due
- à la nature de l'opération sollicitée.
La conservation est
une 0 pé rat ion con c r è t e don t l' e nfan t peu t con s t r u ire 1e sc hème
à travers les situations adaptatives que 1 'environne~ent
socio-cu1ture1 lui propose (cf. ABOUBACAR, 1980).
Il en serait autrement s'il
s'agissait d'opérations à la
seconde puissance telles que les opérations formelles.
Un
certain niveau d'instruction formelle est pe ut
t r e nécessaire
v
ê
pour la fnrmation et la prise de conscience de celles-ci.
- 195 -
J. GOODNOW ('962)
veut également étudier l'influence de milieu
scolaire sur quelques épreuves piagétiennes à Hong-Konq.
La
situation de cette ville offre des conditions favorables à
l'étude des effets du mil ieu suivant deux variables: la na-
tionalité et la scolarité. L'opérationnalisation de la
variable "nationalité" ne pose pas de problème parce que Hong-
Kong abrite une colonie anglaise dont le milieu culturel
ressemble 'à celui de Genève d'une part, et une population
chinoise de niveau socio-économique et culturel variable,
d1autre part. C'est la population chinoise qui permet d'esti-
mer l'influence de la scolarité.
L'auteur constitue une série de quatre échantillons caracté-
ristiques de quatre milieux différents
Le milieu
(M1) se compose de 148 européens, surtout
anglais.
Il s'agit d'enfants scolarisés de classe moyenne.
Le milieu 2 (M2) comporte 151 chinois des six meilleures
écoles anglo-chinoises.
Ils sont de classe moyenne.
Le milieu 3 (M3) regroupe 80 chinois de niveau socio-
économique faible.
Ils fréquentent une institution pour
apprendre à lire, écrire et compter.
Enfin le milieu 4 compte aussi 80 chinois semblables à M3,
mais semi-scolarisés.
Les épreuves retenues sont de deux sortes :
1
,.
Les tâches classiques de conservation (poids, volume, sur-
face).
-
196 -
Les "t c be s de type f a c t o r i e l " dont l'une, l'épreuve de
ê
co~binaison de jetons deux à deux est empruntée à Piaget
et dont l'autre, le MATRIX sert à sélectionner les sujets.
Aux tâches de conservation, les résultats obtenus par les
quatre groupes d'échantillons sont comparables.
Il
semble que
la scolarité n'ait pas d'influence sur l'acquisition des con-
servations. Par contre, l'influence de la scolarité se fait
sentir à l'épreuve du MATRIX. Les sujets M1 et M2 obtiennent
les meilleurs résultats
ils sont suivis d'assez loin par
les sujets M3, puis M4. A l'é[)reuve de combinatoire, tous les
sujets se comportent de la mê~e façon qu'au matrix. Com~e le
groupe M4 faible dans la construction des combinaisons est
aussi faible au MATRIX, on ne sait pas s'il faut imputer la
mauvaise performance enregistrée dans la co~binatoire à l'ab-
sence de scolarisation ou à la faiblesse de l 'intelli~ence
estimée par le Matrix.
Il faut noter que dans la théorie opératoire de l'intelliqence,
l'acquisition des opérations combinatoires relève de la censée
formelle. La construction des combinaisons met donc en jeu
l'intelligence à son niveau le plus élaboré.
Il
se pourrait
que la liaison entre le matrix et la tâche de combinaison
s'explique par la n i s e en oeuvre d'opérations intellectuelles
du mê~e stade, le stade for~el. Il
serait donc logique que
les sujets réussissent mieux les conservations que les combi-
naisons, les premières appartenant à la structure des opéra-
-
'97 -
tions concrètes. Un entraînement dans le milieu naturel uti-
lisant l'expérience concrète de l'enfant suffirait à struc-
turer les schèmes de conservation. En revanche, l'application
de la co~binatoire à un contenu exige une représentation
mentale des opérations et du résultat, un plan de travail
avant toute manipulation. Elle supposerait l'utilisation de
la représentation conceptuelle et de tous les véhicules de
traduction externe dont la formation scolaire développe
l'emploi grâce aux apprentissages décontextual i s s .
é
La scolarisation n'influencerait pas l'acquisition des opé-
rations concrètes mais elle interviendrait de façon signifi-
cative dans la construction des opérations formelles. C'est
certainement sur le processus de formalisation que l'école
exercerait une influence dominante. Avant de revenir sur
cette idée directrice, il convient d'examiner les travaux
qui observent une influence positive de la scolarisation sur
le développement cognitif.
II - L'INFLUENCE POSITIVE DE L'ECOLE SUR LE DEVELOPPEMENT
COGNITIF
L'influence de la scolarisation sur le déveloDpe-
ment cognitif a été soulignée Dar les travaux de l'école de
Harvard portant sur les classifications et les
conservations.
-
198 -
1 - LES CLASSIFICATIONS
Les travaux de Greenfield et Olver au Sénéoal
(1966) comparent les performances d'écoliers citadins, d'éco-
liers ruraux et d'enfants illetrés dans la tâche classique
qui exige de ·classer les objets selon la couleur, la forme ou
la fonction.
Partant de là, les auteurs vérifient avec plus ou moins de
rigueur une série d'hypothèses. Celle de la codabilité ne
résiste pas, disent-ils, aux données de l'expérience. Pour
certaines couleurs (bleu, orange, jaune), la codabilité est
plus faible en langue wolof qu'en français, tandis que pour
la fonction (pour manger, pour s'habiller avec ... ), elle est
la même dans les deux langues. Or les ruraux monolingues nlen
choisissent pas moins la couleur comme attribut d'équivalence
au détriment de la fonction.
L'étendue du champ lexical ne
détermine pas le choix des attributs, elle est tout au plus
à l 'origine de certaines erreurs de discrimination (confusion
jaune-orange) qui sont fréquentes chez les monolingues wolof.
Ces erreurs décroissent avec l'âge; "les contraintes de la
réalité dominent de plus en plus celles de la langue".
La hiérarchie lexicale influe, en revanche, sur la formation
des concepts. Lorsque l'expérience est faite en français,
l'utilisation des termes surordonnées comme "forme" et "cou-
leur" qui n'exist:ent pas en wolof, est positivement corrélée
avec les attributs d'équivalence. Ces termes oermettraient
- 199 -
l'accès à une hiérachie conceptuelle plus abstraite et favo-
riseraient l'intégration des différents niveaux de l'expé-
rience, mais à condition d'avoir préalable~ent été maîtrisés
dans toute leur insertion sémantique.
Ces conclusions tendraient à démontrer l'influence
de certaines lacunes conceptuelles des langues africaines
sur le développement cognitif. Enfin sur le plan ~rammatical,
les auteurs distinguent trois modes de référence symbolique
- les réponses ostensives (pointer sans paroles) qui dispa-
raissent avec l'âge chez tous les sujets;
- les réponses dénominatives (cela rouge) qui prédominent de
plus en plus chez les enfants illetrés ;
- les réponses propositionnelles (cela est rouqe, ils sont
ronds) qui l'emportement progressivement chez les écoliers
et deviennent quasi exclusives vers 11-13 ans lorsque
l'expérience est faite en Français.
Là encore, les auteurs ne donnent pas les équivalents wolof
des réponses dénominatives et propositionnelles. Pour qui
connaît les langues africaines la distinction entre "cela
rouge" et "cela est rouge" ne semble pas évidente. Il est
fort probable que ces deux conduites relèvent du même niveau
cognitif.
Pour terminer, les auteurs estiment que la scolarisation
favorise l'insertion des déno~inations dans les structures
propositionnelles
et que l'utilisation de celles-ci permet
- zoo -
d'accéder aux structures conceptuelles surordonnées. Si la
scolarisation développe la pensée abstraite, quels sont les
ressorts essentiels de son action? C'est, disent les auteurs,
d'abord l'instruction forme11e dont le premier effet est le
développement de la perception analytique; c'est ensuite la
pratique de la langue en dehors du contexte et des référents
immédiats de l'action et du la perception, dans l'écriture
et le langage parlé. L'école interdit le mode ostensif et la
dénomination qui supposent ce contexte et ces référents; elle
oblige l'enfant à se référer à un univers linguistique auto-
nome.
L'école, par l'intermédiaire de l'instruction formelle et de
la langue exerce donc un effet favorable sur la formation des
classifications. Cet effet s'étend-il aux conservations?
z - LES TACHES DE CONSERVATION
Greenfield (1967) étudie le concept de conservation
sur des échantillons de sujets contrastés quant au niveau
d'urbanisation et à la scolarité. Elle compare les scolarisés
(groupe 1) et les non scolarisés (groupe Z; de la brousse, puis
les scolarisés de la brousse (groupe 1) et ceux de Dakar
(groupe 3). Trois niveaux d'âge sont retenus: 6-7 ans, 8-9
ans, 11-13 ans. Tous les sujets scolarisés (groupes 1 et 3)
suivent les mêmes programmes de formation et toute différence
constatée entre eux est attribuable au facteur d'urbanisation;
tout comme les différences observées entre les ruraux (scola-
-
201
-
risés et non scolarisés) seront imputables au facteur de
scolarisation.
La variable dépendante consiste en une tâche de conservation
des liquides. Toutes les pr~cautions sont prises pour faire
comprendre la consigne de passation soit en Français, soit en
wo lof.
La figure suivante présente les résultats obtenus par les
groupes 1 et 2 en fonction de l'âge et de la classe.
l%~
1 0
-
~
Groupe 1
. /
/
. /
80 -
, /
.1'
/
/
60 -
/
/
fi
Groupe 2
40 -
20 -
o f----.----;----~.~.-----=------=---------=------,-----;..:
Age
>6-7
8-9
11- 13
Grade ----t
l
l l l
Vl
Figure
4
Pourcentage, par âge, d'enfants de la
brousse (scolarisés - non scolarisés) at-
teignant la conservation des quantités
conti nues ( Extra i t de P. M.
Gre e nfie l d, 1967).
- 202 -
D'une façon générale, le groupe des scolarisés de brousse
obtient des résultats nettement supérieurs à ceux des non
scolarisés. Alors que le développement est rapide chez les
scolarisés (50 % à 6-7 ans, 80 % à 8-9 ans,
100 % à 11-13
ans), il se caractérise par une certaine lenteur chez les non
scolarisés (20 % ~ 6-7 ans, 40 % à 8-9 ans, et 50 % à 11-13
ans).
Les résultats des scolarisés de brousse et des scolari-
sés de Dakar sont comparables.
La scolarisation aurait un effet accélérateur sur l'acquisi-
sition de la conservation des ~uantités continues; elle
contribuerait à la structuration définitive des opérations
intellectuelles. La preuve en est fournie par l'arrêt nrécoce
du développement de l'enfant du milieu traditionnel anrès 9
ans. Selon l'école de Harvard, les progrès cognitifs de l'en-
fant africain s'expliqueraient par l'instruction formelle et
par III 'exercice prolongé d'une langue d'instruction qui con-
traindrait l'enfant à faire l'analyse et la synthèse de ses
expériences loin de la réalité perceptive, loin du monde de
lia c t ion Il (A. Zempl en i , 1972). Mai s , s' i l en est ai nsi, l' a p-
prentissage de la langue d'instruction formelle, l'Anqlais
ou le Français, constitue-t-il
un facteur clé? Manifestement
oui, car dans toutes les tâches opératoires examinées, les
élèves produisent les réponses les plus abstraites.
La démonstration de Greenfield et ülver aurait été encore
/
plus convaincante si
l'enquête avait aussi
porté sur des su-
jets instruits en langue nationale tel
que le Swahili en
- 203 -
TANZANIE à l'heure actuelle. Mais de tels sujets n'étaient
pas disponibles au Sénégal au moment de la recherche.
M. M. De Lemos étudie également l'influence de la scolarisa-
tion sur l'acquisition des conservations en Australie. Son
expérience porte sur145 enfants scolarisés dont 80 de
HERMANNSBURG et 65 dans l'Ile d'ELCHO. Ils sont âgés de 8 à
15 ans. Le deuxième groupe non scolarisé comprend des enfants
d'ELCHO et des adultes d'un village agricole du centre de
l'Australie. Les tâches proposées concernent la conservation
de la quantité
et
de la longueur. L'auteur hiérarchise les
réponses suivant trois niveaux: conservation, non-conservation,
transition. Les pourcentages de réussite révèlent les infor-
mations suivantes.
Tabl eau
3
Pourcentage de réussite en fonction de l'habitat
et de la scolarité.
Conservation
Quantité
LonClueur
Hermannsburg
28 %
Scolarisés
f_-_---\\-_ _+----------;
ELCHO
28 %
36 %
l-
Non scolarisés
1 a %
16 %
ELCHO
- 204 -
On observe dans l'ensemble que le pourcentage de réussite est
plus faible chez les enfants non scolarisés d'une part. Une
analyse détaillée montre d'autre part que les non scolarisés
présentent un retard moyen de deux à quatre ans par rapport
aux autres.
Il apparaît aussi que les adultes non scolarisés
obtiennent des
résultats intéressants (26 % pour la quantité,
75 % pour la longueur). L'augmentation du pourcentaqe de con-
servation est assez sensible quand on passe du grouoe des
enfants non scolarisés aux adultes non scolarisés. L'hypothèse
de P.M. Greenfield selon laquelle le dévelopoement intellec-
tuel en milieu traditionnel s'arrêterait vers 9 ans se trouve
ainsi remise en question malgré la réduction de la taille de
l'échantillon d'adultes.
Il est fort probable que l'école exerce un effet facilitateur
sur le développement cognitif. Mais la difficulté de dissocier
les facteurs de l'expérience donne au résultat un caractère
ambigu.
Parmi les facteurs soupçonnés responsables de l'ac-
tion de l'école, on cite qénéralement l'instruction formelle,
la langue, dans leur rapport avec la construction de la re-
présentation conceptuelle. Les pratiques pédagogiques scolai-
res jouent-elles un rôle particulier dans le développement
cognitif?
(
III - PRATI QUE S PEDAGOG 1QUE S SCOLAIRE S ET DEVE LOPPE MHIT
1
COGN Ir l F
La pédagogie est la science de la transmission des
- 205 -
connaissances. Elle comporte deux aspects complémentaires
les contenus de l'enseignement qui ont la particularité
d'exercer certains domaines cognitifs et le système de rap-
ports qui dynamise et organise les différents éléments de la
situation d'apprentissage (~aître, élèves, contenus, cadre
institutionnel) en fonction d'un but.
L'idée que les contenus scolaires peuvent structurer des
instruments intellectuels fait son chemin. Des auteurs comme
J.
Goodnow (1962), Priee-Williams (1961), Aboubacar (1980)
soulignent que l'enfant peut acquérir le principe de conser-
vation dans le cours naturel de son développement suivant la
nature de ses activités spontanées: manipulation de petits
cailloux pour la conservation du nombre, transvasement de
liquide pour la conservation des liquides
S'il en est
réellement ainsi, il ne fait pas de doute que la scolarisa-
tion par l'intermédiaire d'entraînements spécifiques peut
avoir une influence facilitatrice sur l'acquisition des outils
intellectuels. Goodnow (1962; explique ainsi la supériorité
des européens scolarisés dès 12-13 ans, à la conservation du
volume, par l'enseignement du volume en "High School". La
recherche effectuée par J.R. Prince (1968) en Nouvelle-
Guinée confirme l'effet facilitateur de l'entraînement sco-
laire. Ayant comparé deux groupes d'élèves qui diffèrent par
les programmes scolaires et la langue util isée à propos de la
conservation des quantités "poids", surface et volume",
l'auteur enregistre la meilleure réussite dans une école où
- 206 -
le programme comprend un peu de mathématiques modernes et
surtout une initiation aux mesures. Le faible niveau de réus-
site rélevé dans l'autre classe où les élèves apprennent les
mathématiques modernes, sans être initiés aux mesures, démon-
tre que c'est 1 linitiation aux mesures qui est responsable de
l'acquisition des conservations.
La seule réserve que l'on peut faire à propos des recherches
relatives aux effets facilitateurs des apprentissages scolai-
res sur le développement intellectuel, clest ~u'elles ne
prennent pas en compte les relations pédagogiques qui favori-
sent plus ou moins l'activité constructrice de l'élève. Lorsque
M.t~.
De Lemos attribue la supériorité des écoliers plus jeunes
aux nouvelles méthodes pédagogiques qui laissent une large
pla c e à l' a c t i vit é exp 10 rat 0 ire, à 1a man i pu1a t ion de ma té rie l s
concrets, c'est sur les rapports "enseignant-enseignés-contenu"
qu'il centre son analyse. L'école influencerait le développement
cognitif par le biais des relations pédagogiques qui structu-
rent le processus d'apprentissage.
La recherche de H. AEBLI
(1) sur l'application à la didactique
de la psychologie de Jean Piaget, présente une analyse des
actes didactiques susceptibles d'activer la construction des
structures opératoires.
(]) AEELI (H.),
AvvI-ication à la di dact.i oue de la psychologie de Jean
Piaget, Thèse N~ 139, Neuchâtel et Paris, De Lachaux et
Ni.eet lé ,
1951,
FIII,
163 P.
- 207
-
L'auteur montre que les élèves qui bénéficient d'un enseigne-
ment soutenu par une pédagogie " moderne" tirée de la théorie
ps y c hog n t i que
rat
é
é
Il 0 nt
a t t e i nt l e nive a u 0 pé
0 ire
vou lu" .
Au lieu de mesurer l'effet d'une pédagogie à partir de la
théorie de J. Piaget, on pourrait éprouver cette dernière
dans le milieu scolaire en y dégageant les ingrédients intel-
lectuels qui lui soient compatibles. Loin de penser que les
propriétés du milieu se réflètent dans les structures menta-
les du sujet, nous estimons ~ue l'effet des premières sur les
secondes relève de "facilitations fonctionnelles".
Les études classiques relatives à l'influence des oratiques
éducatives sur les conduites intellectuelles ont surtout oorté
sur le milieu familial. Malgré quelques réserves méthodologi-
ques, les conclusions concordent généralement pour dire qu'une
éducation démocratique, propice à l'expression de l'autonomie
de l'enfant, conduit à un développement intellectuel
plus
élaboré qu'une éducation stricte dans un environnement
fruste.
Les conclusions de ces investigations nous amènent à renser
que les pratiques pédagogiques pourraient libérer l'activité
con s t r uc t ri c e de l ' é l è ve.
l l fa ud rai t pou r cel a que l e ma itr e
soit suffisamment ouvert et tolérant pour laisser à l'élève
le temps d'explorer l'objet de différentes manières.
Il faut
donc entendre par pratiques pédagogiques l'ensemble des rap-
ports qui lient les partenaires du groupe-classe et détermi-
- 208 -
ne nt le niveau de participation de l'élève à la vie du groupe
dans le cadre des objectifs de l'éducation.
Il va sans dire
que la structuration des instruments cognitifs du sujet
dépendra de ce niveau de participation.
Les travaux de J. Orévillon (1976)
exploite cette probléwati-
que. Se situant à l'intérieur du modèle Dia0étien, l'auteur
prélève des échantillons d'enseignement dans quelques classes
des établisseme~ts pri~aires et secondaires de la Basse-
Normandie. L'application de la méthode d'analyse de contenu à
ce donné a Qermis de déqager cinq unités d'enseigne~ent pos-
sibles :
- actives-flexibles;
actives systématiques
- mixtes;
impositives-rigides
- impositives-flexibles.
Les catégories ainsi élaborées ont la particularité de oré-
senter des parties co~munes, des recouvrements; ce qui signi-
fie que les pratiques pédaqogiques sont nuancées. Néan~oins,
cette remarque n'élimine pas l'importance que prennent les
catégories extrêmes dans ce genre d'investigation. Le contraste
des pratiques éducatives facilite la mise en place d'une obser-
vation rigoureuse; il
permet aussi de prévoir des résultats
significativement différents entre les caté00ries et de se
prononcer de façon claire sur la liaison que l'on souoconna i t
- 209 -
entre les styles pédago~iques et le développement intellectuel.
Ces raisons nous déterminent, parmi la multiplicité des
variables indépendants prises en compte par l'auteur, à cen-
trer notre analyse sur les rapports entre les styles pédago-
~iques extrêmes, nota~ment les unités actives-flexibles et
impositives-rigides, et les variables opératoires.
Selon J. Drévillon, les unités d'enseigne~ent actives-flexibles
se déroulent dans un style pédagogique "indirect". Les élèves
ont alors le loisir de déployer leurs activités d'exploration,de
traiter l'objet suivant les di~férentes modalités de présen-
tation dont ils disposent, d'aboutir avec le concours du
maître à l'objectif cognitif poursuivi, la structuration des
données de l'apprentissage. Ce style correspond globalement
au palier supérieur des pédagogies dites "actives" dans les-
quelles le ~aitre est généralement défini com~e un animateur
chargé de guider et de promouvoir les activités des élèves en
vue de parvenir à une autonomie des conduites.
Les attitudes et les conduites qui se manifestent
en classe sont dites "actives-flexibles" parce qu'elles com-
portent plusieurs niveaux de régulation, selon la proaression
des élèves, la réorientation des objectifs, le niveau d'in-
for~ation
si le groupe est bloqué à un mo~ent de son évolu-
tion pour insuffisance d t i nt or na t i ons , le maître doit introduire
une séquence impositive. On s'éloigne là du do~aine de
l'animation idéale dont la mlse en oeuvre libèrerait le
potentiel naturel de chaque individu.
- 21 0 -
A l'opposé se situent les unités d'enseignement dites
"impositives-rigides". Comflle leur appelation l'indique, leur
caractère principal consiste en l'imposition des activités
du groupe-classe par le flla'tre~ Celui-ci monopolise le temps
de parole. arrête les contenus et les procédures. pose des
questions de surface pour ensuite intervenir en profondeur et
apporter des données "pré-structurées". L'essentiel c'est
d'amener les élèves à assimiler les connaissances de leur
époque. de leur donner des moyens. des systèmes d'algorithmes
destinés à résoudre des types de problèmes. d'en étendre le
champ d'application.
Le style "impositif-rigide" contient la description de la
pédagogie traditionnelle. Centrée sur les contenus. elle déve-
loppe un type de communication dans le groupe-classe qui à
son tour se
répercute sur les conditions de travail. Cette
communication est à sens unique et offre rarement la possibi-
lité d'un feed~back
le maître décide des mé t no de s de travail.
définit les objectifs des tâches et les procédures à utilise~
les méthodes d'évaluation.
Le comportement du maître dans le style "ifllPositif-riqide"
repose sur une conception de la réal ité enfantine: l'esprit
de l'enfant étant malléable et vide. il convient très tôt de
le meubler par référence à l'esprit adulte en lui donnant des
habitudes de pensée conformes à la réal ité sociale.
/
Les deux variables indépendantes contrastées.
- 211 -
décrites en termes de styles pédagogiques produisent-elles
des effets différents sur ~e développement opératoire?
Les conclusions de J. Drévillon sont catégoriques:
l'homogénéité des opérations [Jar équivalence, donc leur degré
de structuration est plus qrande dans les classes à pédagogie
lI a c t i ve - f l e x i bl e ll
:
IIDans les situations pédagogiques des-
criptibles en termes d'activité mais aussi de flexibilité (ce
qui signifie bien qu'en fonction des problèmes et au moment
opportun, du temps peut être consacré tout autant à l'acqui-
sition d'instruments, à la construction d'algorithmes écono-
miques qu'à l'exploration active des données par l'élève),
l'élève est amené à étudier un problème sous différents
angles, à multiplier les modes d'approche et en quelque sorte
à lI a c t i ve r ll des schèmes mentaux très variés, ne serait-ce que
par L' us a qe de multiples "c oor do nna t eu r s " qui marquent les
articulations de la pensée opératoire. Dans le cadre de leur
activité opératoire et constructrice, les élèves sont sans
doute amenés à intensifier l'usage de divers
foncteurs
(permutateurs, substituteurs, ~ssociateurs etc ... J qui faci-
litent l'exercice d'une abstraction réfléchissante; car ils
conduisent à mettre en évidence des régularités de formes
malgré la diversité des contenus qu'ils distinguent pour les
relier ensuite par une o p r e t i on" (1).
é
(
t.
(1) J. DREFILLON, Pratiques éducatives et déveLoppement de Za pensée
opérat.oi.re ç . thèse d'état de Peucho ioçi.e, Paris 11, 1976,
F.
705.
- 21 2 -
Les interventions pédagogiques qui sollicitent
l'activité des élèves, multiplient les occasions de connais-
sances et les méthodes d'approche II c o n s t i t ue nt un ensemble
de conditions optimales sinon nécessaires à une évolution de
la pensée opératoire dans le sens d'une structuration ll (1.J.
En contraste, on notera une hétérogénéité du niveau opératoire
des é l è ve s for mé s dan sun e pé da go 9 i e Il i mpo s i t ive - ri 9 ide Il • Ma i s
les performances obtenues dans les épreuves de loqique des
propositions sont meilleures que celles du groupe opposé.
Comment rendre compte de ce phénomène? J. Drév i 11 on exol ique
cette supériorité par le caractère probablement stéréotypé
des méthodes requises pour résoudre les problèmes de logique
des propositions, ~ui renforcent tel
type de sé~uence opéra-
toire au détriment d'autres.
Il apparaît que "p l us l'enseignement est de type
flexible, plus les schèmes opératoires ont tendance à être
interaction et à s'organiser en noyau:
ce qui
pourrait
signifier une structuration. Alors les schèmes de combina-
toire prennent une position nucléaire, phénomène que l Ion ne
retrouve pas dans les autres situations pédagogiques; ceci
pourrait bien être le signe de l 'importance de l'activité
fonctionnelle des combinateurs" (2).
(]) Ti • .,
p. 705 .
/
.L tn.aem,
f,
( "
1
c/ Ibidem,
D.
70 Î.
- 213 -
Inversement II pl us l'enseignement a un caractère systématique
et particulièrement impositif, plus les schèmes permettant
l'emploi d'une logique interpropositionnelle à support néces-
sairement verbal prennent une position centrale dans le
réseau des interactions: cette position manifeste sans doute
le primat du discours logique sur les autres formes de pensée
opératoire" (1).
En définitive, les pratiques éducatives exercent des
influences
variées sur la structuration
des activités opératoires. Les
pédagogies de style "actif-flexible ll par leur approche multi-
dimensionnelle des données "exerceraient en quelque sorte une
fonction intégratrice". Confronté à un problème qui résiste à
ses schèmes d'assimilation, l'élève serait amené à essayer
différents registres opératoires jusqu'à l'identification du
registre le plus pertinent.
Par contre, les pédagoqies de style "irnpositif-riCjide" four-
niraient des modèles de pensée tout structurés; elle privi-
légieraient le canal
linCjuistique dans l'appréhension et la
transmission des connaissances. La pédagogie impositive aurait
"une fonction modél isatrice".
Dans les deux cas, les élèves parviennent avec le
temps à construire les schèmes opératoires.
La tendance vers l 'homogénéisation des performances dans la
/
i
'7
( ~ '/
- 214 -
phase d'achèvement du stade en constitue la preuve. Ce constat
pourrait signifier deux choses: d'abord le fait qu'il existe
une variété de trajectoires qui conduisent à la structuration
définitive des opérations; ensuite que l'effet différenciateur
des pratiques éducatives se manifeste plus efficacement pen-
dant la phase de préparation du stade.
Les effets des pratiques éducatives s'annulent-ils
lorsque les élèves atteignent le niveau de la pensée formelle?
On peut raisonnablement supposer que les différences persis-
tent dans l'util isation des connaissances, en ce qui concerne
la vitesse d'application des schèmes et leur mobilité.
En
effet, il
paraît possible que des individus dotés de structures
opératoires identiques se comportent différemment dans une
même situation. L'adéquation entre structures et données
pourrait dépendre du style pédagoqique. Dans la mesure où une
pédagogie "active-flexible" propose à l'élève une aDproche
multidimensionnelle des objets, elle devrait donner lieu à
l'élaboration de schèmes fortement exercés et facilement évo-
cables dans des contextes divers.
En favorisant l'élargisse-
ment du champ des connaissances, la pédagogie "active-flexible"
déclencherait la formation d'un système de schèmes familiers
dont Boder (1981) a souligné l'importance dans la résolution
de problèmes. Les schèmes familiers dont le pouvoir d'assimi-
lation permet de rendre la tâche familière aux yeux du sujet
/
sont à la base de son modèle; plus leur nombre croît, plus
le champ opératoire du sujet s'étend.
- 215 -
L'action des styles pédagogiques sur la vitesse d'opérativité
et la mobilité de la pensée continuerait donc à persister une
fois le développement achevé. Ceci pourrait certainement
expliquer Dourquoi, à niveau intellectuel éqal, la compétence
interdividuelle varie.
Le travail de J. Drévillon apporte une contribution essentielle
quant à la spécification du rôle des pratiques éducatives:
actives-flexibles, elles exercent "une fonction intégrante",
impositives-rigides, "une fonction modélisatrice". Le problème
est de savoir si ces différentes fonctions résultent des
styles pédagogiques seuls ou des styles pédagoQi~ues et de la
représentation conceptuelle cultivée par l'école de façon
prédominante.
Les acquis des recherches interculturelles en milieu africain
nous autorisent à écarter la première hypothèse; car si la
mise en place d'une Dédafloqie "active-flexible" suffisait à
produire l'effet d'intégration des structures dans tout
milieu, on devrait observer les structures de la pensée for-
melle dans les villages de l'Afrique traditionnelle, pui s qu e
certains de ses habitants pratiquent ce type de pédagogie
dans le cadre des apprentissaqes en situa'tion. Or il
n'en est
rie n ; etc 1 est pré c i s men t en mil i eus col air e, lie u dia
é
p pre n-
tissage hors contexte par excellence, parmi les élèves, c'est-
à-dire des sujets formellement instruits que l'intégration
des opérations intellectuelles au niveau le plus élevé se révèle.
C'est pourquoi
nous pensons que la transition de l'action par
-
216 -
la représentation conceptuelle dans le milieu scolaire cons-
titue le moment décisif du développement de la pensée formelle
et du raisonnement expérimental.
DEUXIEME PARTIE
HYPOTHESES ET PLAN D'EXPERIMENTATION
- 217 -
CHAPITRE V
HYPOTHESES nE RECHERCHE
Les cultures africaines traditionnelles sont des
cultures de l'oral i t
elles diffèrent des cultures occiden-
é
;
tales écrites, non pas directement par l'action par l'intermé-
diaire de laquelle l 'homme construit des connaissances au
contact d'un environnement, mais par les modes de représentation
de celles-ci qui en déterminent la reconstruction au plan
symbolique, la conservation et l'utilisation comme outils d'a-
daptation. L'action ne spécifie les cultures que référée aux
modes de représentation du réel qui en donnent une traduction
originale et en retiennent les schèmes en fonction de leurs
cadres.
Dans la perspective d'une théorie constructiviste et interac-
tionniste de l'intelligence, la référence à l'action seule ne
suffit pas pour expliquer le développement des opérations
formelles et leur organisation en structures; car si elle
suffisait à générer de telles organisations opératoires, les
structures de la pensée formelle devraient se rencontrer dans
toutes les cultures et confirmer ainsi l'existence de stades
universels. S'il en est autrement, c'est que la modélisation
de l'activité cognitive varie en fonction des cultures suivant
le principe de la dominance fonctionnelle des modes de repré-
r
sentation.
Nous ne voulons pas insinuer par là que toute action est
- 218 -
toujours guidée par la représentation, puisque cette dernière
peut se laisser modifier par la première dans des situations
de conflit cognitif où le sujet ne dispose pas d'un modèle
adéquat; mais nous voulons simplement souligner que toute ac-
tion appliquée à l'objet de façon indirecte comme dans le
cadre scolaire procède d'une représentation particulière d'où
elle reçoit un sens.
Les travaux antérieures sur le développement cognitif en milieu
africain montrent que les sujets scolarisés ~anifestert une
intelligence plus formelle que les non scolarisés; il faut
alors admettre par hypothèse que l'école joue un rôle spécifi-
que dans la ~tructuration des outils cognitifs: d'où":
Hypothèse principale
L'école apparaît comme le milieu éducatif le plus favorable à
l'éclosion de la pensée f or ae l l e parce qu'elle forme l'élève
"hors contexte" et valorise ce faisant l'util isation de "cir-
cuits longs". L'attitude expérimentale et le raisonnement
hypothético-déductif liés à ce niveau de pensée devraient y
trouver les conditions optimales à leur dévelopDement.
Du fait qu'elle opère en dehors des situationsadap-
tatives, l'école doit forcément représenter le réel Dqur le
faire étudier à l'élève de façon évoquée. Cette renrésentation
r
consiste à développer chez celui-ci le sens des substituts
formels des objets. L'adaptation de l'élève à l'institution
- 219 -
scolaire sera donc déterminée non pas par l'action directe sur
l 'objet, mais par l'action indirecte consistant en une mani-
pulation symbolique de la réalité. Dans ce cas de l'action au
second de~ré, il parait difficile de dissocier celle-ci de ses
moyens de traduction.
L'école comporte un nouveau projet d'initiation à la vie
elle ne peut le réaliser que par la coordination des morles de
représentation du réel.
1 - L'ECOLE, UN NOUVEAU PROJET D'INITIATION A LA 'lIE
L'école suspend la spécialisation professionnelle
précoce propre aux sociétés traditionnelles où l'enfant appre-
nait à travailler au contact de ses parents. Elle se fonde sur
une nouvelle philosoohie de l'éducation centrée sur le déve-
loppement des capacités intellectuelles de base. Pour ce faire,
elle propose une variété d'objets de connaissance susceptible
d'amener l'élève à se poser des questions qu'il ne se serait
jamais posées dans son environnement immédiat narce que non
pertinentes. La distribution des contenus en termes de matières
d'enseignement entraîne une certaine redondance au niveau de
l'acquisition des notions, le même objet pouvant être aopré-
hendé de différentes façons.
/
Le concept d'interdisciplinarité résulte de la oréoccunation
des p daooque s à assurer l'efficacité de l "e ns e i qneme nt par une
é
coo rd i na t ion des po i nt s de vue. L1 i nt e r dis ci pli na rit é théma t i -
- 220 -
~ue s'efforce de présenter à l'élève dans une période détermi-
née un problème sous différents angles: Mathématique, Biologie,
Géographie ... Elle vise à relier les différents aspects d'un
domaine de connaissance et à fournir l'approche globale d'un
problème. Quant à l'interdisciplinarité structurale, plus
artificielle, elle se consacre à l'étude des concepts communs
à plusieurs disciplines.
Cette technique rend possibles les
comparaisons de concepts, leur sDécification en fonction des
objets d'enseignement et leur relativité.
Toute la gymnastique intellectuelle inhérente aux démarches
interdisciplinaires ne devient possible que grâce au caractère
non adaptatif de l'école. J. Drévillon exprime ce même no i nt
de vue 10 r s qu' i 1 é cri t : <<C ' est D rob a b1emen t à l' écol e, e n
classe, qu'il (l'enfant) trouve le plus grand nombre d'occa-
sions d'exercer le pouvoir de son intelligence, précisément
parce qu'il peut l'essayer sans risques. L'adaptation vitale
n' y est pas en cause et il peut se permettre d'exolorer "L' objet"
de multiples manières et même de s'exercer à l'usage cie " cir-
cuits longs"»
(1).
L';nitiatiol précoce de l'élève aux "circuits longs", à l'ana-
lyse répétée de problèmes virtuels constitue un exercice des
capacités de formalisation. La théorie interactionniste de
Piaget se doit de redonner au milieu la place qui lui revient,
Î
(1) J.
DREVILLON, Pratiques éducatives et développement de la pensé opéra-
toire, PUF, 1980, P. 12.
- 221 -
car "s i le fonctionnement de l'intelligence est le produit à
la fois des stimulations de l'environnement et d'un potentiel
naturel ~ il n'y a aucun doute que fournir des occasions d'ex-
périences systématiques à une influence sur le développement
de l 'organisation cognitive~ et pour cette raison sur la capa-
cité de reconnaître des relations~ de raisonner~ de résoudre
des problèmes et de f1énéraliserll. (1). Le dévelppoement de
l'intelligence ne dépend pas seulement des facteurs endogènes~
mais également des multiples activités par lesquelles le sujet
échange avec son milieu. On peut donc rendre compte des carac-
téristiques du développement de la pensée formell~ et du rai-
sonnement expérimental à partir des caractéristiques du sujet
et du milieu scolaire.
Les vues de R. Zazzo s'accordent avec cet interactionnisme
intégral lorsqu'il affirme: "Le milieu intervient Dour déter-
miner non seulement l 'âge d'apparition des stades du dévelop-
peme nt , mais dans certains cas leur existence fTlême ll (2). On
comprend dès à présent pourquoi certains individus n'accèdent
pas à toutes les structures de la pensée dans leur environne-
ment: 1111 est patent que bon nombre d'adolescents ne Darvient
pas au stade des opérations formelles car l'accès à ce niveau
(1) H. TAABA, Curriculu~ development. Theory and Pratice, New York,
Harcourt, Brace and woi-id, 1962, XIIi, 526 P, P. 112, (Tra-
duction de
J. Di-évi.Tlon ) ,
(2) R. ZAZZO, Le problème des stades en psychologie de l'enfant, &n
OSTERRIETH et all, Paris, P.U.F., 1956, p. 70.
222 -
de structure opératoire achevée nécessite peut être un appren-
tissage
une série d'incitations à structurer dont tous ne
t
sont pas bénéficiaires" (1) ..
La question de savoir comment fonctionnent les ado-
lescents ou les adultes qui n'ont pas atteint la pensée for-
melle reste posée. Leur niveau de réflexion s'arrête-t-il au
stade de la pensée concrète ou disposent-ils d'une logique
particulière?
Par hypothèse
toute forme de pensée serait liée de façon pré-
t
férentielle à un mode de représentation. Ainsi la représenta-
tion conceptuelle fournirait une meilleure traduction du
processus de formalisation et la représentation f i qu r a l e , celle
du processus de réalisation. L'école privilégierait la repré-
sentation conceptuelle, le milieu africain traditionnel, la
représentation figurale.
2 - LES MODES DE REPRESENTATION DU REEL
L'identification d'une tâche et sa signification
dépendent de la représentation que s'en donne le sujet. Celle-
ci génère un modèle ou cadre mental d'appréhension de la si-
tuation. L'application de ce cadre implique l'emploi de langa-
ges externes, de véhicules de présentation entraînant une
activité de modélisation. Nous entendons par modélisation non
(1)
R.
ZAZZO,
Les Jumeaux,
le couple et
la p e r e o n n e ,
Paris,
P. u. F.,
1960,
Tome
II,
P.
309.
- 223 -
pas une reproduction des connaissances antérieures, mais une
actualisation de celles-ci en fonction des contraintes d'un
contexte. Il s'agit donc d'une activité de construction des
connaissances à partir du
bagage cognitif actuel du sujet.
Que se passe-t-il lorsque l'enfant est appelé à résoudre un
problème? Son action se déroule suivant trois possibîlités de
réponses
Ou bien ses connaissances actuelles suffisent am-
plement pour traiter la question et la situation ne fait plus
problème, l'enfant appliquant un modèle fort; ou bien ses
connaissances en tant qu'offre apparaissent nettement infé-
rieures à la demande et dans ce cas, la situation ne fait plus
problème, l'interaction "sujet-objet" ne pouvant générer de
conflit; ou bien le sujet possède des connaissances capables
de structurer la tâche, moyennant la construction de nouveaux
repères, de nouvelles relations. La situation fait alors pro-
blème parce qu'elle suscite un conflit cognitif. Une micro-
genèse des connaissances est nécessaire pour que le sujet
parvienne à une adéquation de ses schèmes avec les contraintes
de la tâche.
La construction des connaissances procèdent donc d'une coordi-
nation de l'action et de la représentation. Lorsqu'il y a
équilibre entre ces deux fonctions, l'absence de perturbation
bloque le déroulement de l'activité constructive. Mais lors-
qu'un déséquilibre se crée, dont l'individu prend conscience
grâce à son équipement intellectuel actuel, une majoration des
connaissances se produit. Dépasser un conflit cognitif revient
224 -
end e rn i ère a na lys e à a jus ter l' a c t ion et 1are pré sen ta t ion
jusqu'à la découverte de la solution recherchée.
L'activité de modél isation s'intègre dans le processus d'équi-
libration et contribue ainsi à l'explication du développement
de la pensée; car comment le sujet se rendrait-il compte du
conflit cognitif si ce n'est par rapport au modèle qui dirige
son activité? Et comment concevoir le dépassement du conflit,
donc l'émergence de l'idée nouvelle si ce n'est par rapport aux
différentes modélisations de l'activité du sujet?
L'interprétation que nous suggérons du rôle amplifié de l'équi-
libration nous conduit à combiner structuration et modelisatio~
action et représentation dans le développement de la pensée
formelle.
L'intérêt de cette combinatoire, clest qu'elle nous
permettra de mettre en évidence des dominances cognitives dans
des milieux particuliers relativement
aux modes de représen-
tation privilégiés, étant bien entendu que des changements
qualitatifs et quantitatifs interviennent lorsqu'on passe d'un
mode à un autre ou lorsqu'on coordonne tous les modes.
Dans notre esprit, ce qui différencie les sociétés africaines
traditionnelles et les sociétés occidentales sur le plan du
développement cognitif, ce n'est pas comme le croyait J.S.
Bruner la dominance de l'action d'un côté et celle du langage
de l'autre. Car d'une telle position, on pourrait déduire des
conclusions erronnées comme le font Greenfield et Olver (1966)
"
!
lorsqu'ils affirment que l'introduction des langues étrangères
- 225 -
(le français ou l'anglais) à llécole, dans la mesure où elles
sont riches en notions abstraites, déclenchent toutes seules
le développement intellectuel. Nous disons que l'action éduca-
tive scolaire, car il s'agit dlune action, par le biais des
langages enseignés à l lécole développe les possibilités de
représentation qui, à leur tour, amplifient les capacités co-
gnitives de l'élève
par conséquent il est normal que l'ado-
lescent scolarisé et l'adolescent non scolarisé ne disposent
pas des mêmes possibilités de modélisation de l'activité
cognitive.
2.1. - L'ECOLE ET LA REPRESENTATION CONCEPTUELLE
-----------------------------------------
La représentation conceptuelle s'actualise au travers
d'un langage systématique, dlun "code élaboré" pour employer
l'expression de Bernstein. Dans la mesure où en situation
scolaire, l'élève est régulièrement invité à évoquer les objets
de connaissance par le langage, il devient nécessaire de déli-
miter les mots, de leur donner un contenu précis et univoque à
l 'intérieur des disciplines. Les apprentissages scolaires con-
sistent ainsi à construire un discours cohérent sur les arti-
culations du réel
: ici le II s a vo i r dire" précède le II s a vo i r
faire ll • C'est un renversement de perspective par rapport à
l'éducation traditionnelle. Désormais, agir pDur l'élève ne
revient plus seulement à opérer une transformation réelle sur
un objet, mais une transformation symbolique.
- 226 -
On comprend l'importance que revêtent la représentation con-
ceptuelle et ses véhicules de traduction, notamment la langue
orale et écrite dans le codage, la conservation et l'actuali-
sation des connaissances acquises. La position de J. Piaget à
l'égard des théories linguistiques qui faisaient de la langue
la source de la pensée est bien connue. Le langage n'est pas
la source des opérations; celles-ci résultent des actions du
sujet. Il constitue cependant une condition nécessaire quant à
l'achèvement des structures opératoires mais non suffisante
quant à leur construction. Les travaux de P. Oléron sur le
développement opératoire des sourds-muets (1957) confirment ce
point de vue. Les sourds-muets réussissent les mêmes classifi-
cations élémentaires que les enfants normaux
mais ils éprou-
vent du mal à former des classes complexes.
Notre thèse sur le rôle du langage dans le développement de la
pensée formelle coordonne les points de vue de Piaget et de
Bruner. On ne peut dissocier l'action et les modes de repré-
sentation qui lui donnent forme et sens; car le passage de
l'action à la pensée transite forcément par la représentation.
Il paraît donc impossible d'étudier l'intelligence opératoire
abstraction faite de sa structuration par le langage.
Le langage est le plus puissant "amplificateur" des capacités
rationnelles. Se substituant aux événements, il simulerait
"un ensemble d'essais vicariants de la réalité". Dans la mesure
où il permet un "désengagement par rapport à l'action directe
sur les choses", le langage facilite la "r-é -f l exi on" de ces
- 227 -
choses sous forme de modèle. Sa valorisation excessive dans la
formation est le fait des sociétés modernes. La division du
travail et la spécialisation qu'elle entraîne
provoque une
t
coupure entre l'univers de l'adulte et celui de l'enfant.
L'école vient rétablir le pont par un enseignement systémati-~
que essentiellement transmis par le langage. Ici t
les actions
cie l "e nf a nt ne prennent forme que par l'intermédiaire de leur
codage linguistique. Clest donc l 'intériorisation de l'action
qui est source de pensée. Il va sans dire que la pensée nlest
pas indépendantes de ses supports langagiers. Ainsi M. Richelle
put écrire: IILa théorie piagétienne sous-estime le rôle de la
culture et de son principal instrument de transmission
le
t
langage
dans l 'élaboration des structures de l'intelligence
t
t
au profit des mécanismes d'adaptation individuels. Une part de
ce qui t chez Piaget, est présenté comme histoire naturelle de
la cognition revient probablement en fait à l 'histoire cultu-
relle qui se répercute sur la génèse de l'individu ll (1).
Si la représentation const~tue une variable intermé-
diaire entre l'action et le développement de la pensée formel-
le, on ne peut plus situer l 'opérativité du sujet en dehors de
la représentation et affirmer que clest elle qui structure le
langage; car le langage à son tour structure l'opérativité.
( 1 )
M.
RICHELLE,
Lanaaae
Psycho Loai.e du Lanoaqe II,
....1
....'
,
Bruxelles, Dessart, 1977, CH. VI, 5, P. 157.
- 228 -
Il convient de terminer la spécification du rôle du
langage en insistant sur sa modalité écrite qui distingue les
cultures de tradition orale et celles de tradition écrite.
L'écriture remplit plusieurs fonctions dont trois retiendront
notre attention. Elle est d'abord un moyen sûr de conservation,
de cristallisation de l'expérience humaine
elle permet de
rassembler les connaissances acquises en une série de documents
accessibles aux initiés. Les adultes du milieu africain tradi-
tionnel font souvent remarquer que les intellectuels oublient
vite et par conséquent possèdent une mémoire limitée. Cela
s'explique certainement par le fait que l'écriture procure une
seconde mémoire à ceux qui la maîtrisent; cette mémoire ex-
terne libère les capacités de la mémoire interne dont la fonc-
t ion con sis te cet t e foi s à r ete ni r l 1 a c tua lit é , le passé étant
archivé. L'écriture est ensuite un moyen d'objectivation des
idées. Elle offre à l'individu la possibilité de projeter ses
idées dans l'espace, de les manipuler dans tous les sens, d'en
arrêter une formu~ation pertinente: elle invite à formuler, à
organiser sa pensée. Enfin, l'écriture remplit une fonction de
médiation entre les hommes; elle instaure une nouvelle manière
de communiquer à distance par le moyen du courrier, du livre ...
Elle favorise ainsi une meilleure circulation de l'information.
La représentation conceptuelle par les canaux des langages oral
et écrit offre un cadre mental
propice au développement de la
pensée formelle et de la démarche analytique.
- 229 -
Qu'en est-il de la représentation figurale ?
2.2. - LA REPRESENTATION FIGURALE
L.S. Senghor poète de la négritude a écrit
la pensée négro-
africaine est "e nc e i nt e d'images". Pour lui, c'est au moyen de
l limage que le négro-africain arrive à traduire sa vision du
monde, à cristalliser sa sagesse. On ne saurait donc comprendre
l a pen sée a f r i c a i net rad i t ion ne l l e a bs t r a c t ion fait e des i ma ges
qui la révèlent.
L.S. Senghor a aussi été l'auteur de la formule célèbre:
"L'émotion est nègre, la raison ne t l ëne ? •
Il précise que l'émo-
tion renvoie à une connaissance globale par l'intuition et la
raison, à une connaissance analytique. La formule a fait couler
beaucoup d'encre puisqu'elle semblait s'accorder avec les pos-
tulats de la pensée primitive. Elle contenait aussi l'hypothèse
d'une nature négro-africaine spécifique qui résist~rait à toute
modification de l'environnement; ce que les faits historiques
infirment. Mais l'idée de différence peut être reprise au ni-
veau des modes de représentation du réel.
Nous partons du principe que la représentation figurale est
universelle mais qu'elle ne constitue qu'une dominance de la
pensée africaine. En effet, les pensées scientifique; et poéti-
que de l'Occident foisonnent d'images, de graphiques, de sché-
mas ... Mais le primat du figural fait que pour conceptualiser,
formuler des idées abstraites comme celle de grandeur, de
- 230 -
liberté, d'équilibre par exemple, le négro-africain part tou-
jours d'un support imagé: l'image est le point de départ de
l'activité conceptuelle. Toute la technique des proverbes
comme nous le verrons est fondée sur ce principe. C'est le
mouvement inverse que nous observons pour la représentation
conceptuelle où le concept se projette sous forme de graphique,
de schéma pour être visualisé et concrétisé.
Ces différents cheminements ne sont pas sans rapport
avec la vision du monde de chaque peuple: la vision globale
du négro-africain s'articule bien avec la représentation figu-
rale, comme la vision analytique de la science moderne avec la
représentation conceptuelle. Les deux modes de représentation
utilisent deux types de circuits: les circuits courts et les
circuits longs, définissables en termes de distance par rapport
à l'objet de connaissance. L'utilisation de circuits courts
s'effectue à proximité de l 'objet ; le sujet maîtrise les sché-
mas et procédures permettant d'opérer des transformations di-
rectes, sans délai. Dans le cas des circuits longs, la distance
à l'objet est telle que le passage à l'action nécessite une
phase de modélisation des procédures suivie de celle de leur
exécution.
Dans tous les cas, la possibilité de passer d'un mode de re-
présentation à un autre existe; mais l'absence d'écriture
dans les sociétés traditionnelles limite les possibilités opé-
ratoires de la représentation conceptuelle.
- 231 -
-'j:-,
En définitive, le milieu scolaire par la valorisa-
tion de l'activité représentationnelle réunit les conditions
favorables au développement de la pensée formelle et du raison-
nement expérimental.
Quelles conséquences peut-on tirer de la vérification de l 'hy-
pothèse principale. Les conséquences arrêtées dans le cadre de
notre étude s'ordonnent en trois
hypothèses secondaires.
HYPOTHËSE SECONDAIRE UNE
Si l 'hypothèse principale se confirmait, alors dans
la tranche d'âge de 12-16 ans qui caractérise l'échantillon de
sujets, le développement de l'attitude expérimentale devrait
se rapporter beaucoup plus au niveau scolaire atteint par l'é-
lève qu'à l'âge seul considéré comme facteur de maturation.
Nous ne voulons pas exclure l'âge du concours des variables
dé ter mina nt l' a cqui s i t ion des s t a des 0 pé rat 0 ire s. Not r e po s i t ion
s'éloigne sur ce point de celle des tenants du "learning" pour
qui on peut faire apprendre n'importe quoi à n'importe quel
âge sous certaines conditions. Nous estimons tout simplement
qu'à l'intérieur de la période critique d'élaboration des
structures formelles (12-16 ans), l 'opérativité des instruments
cognitifs dépend plutôt du temps d'interaction de l'élève avec
la situation scolaire considérée comme favorable, que de l'âqe.
Le niveau scolaire informe généralement sur le temps passé à
l'école.
- 232 -
L'hypothèse secondaire une ne suffit pas à vérifier
l'hypothèse générale de façon totale; car l'école n'aurait
peut-être pas le monopole de l'activation des structures opé-
ratoires formelles chez l'adolescent. Rien n'interdit en effet,
d'imaginer en dehors de l'école, des structures de formation
qui suscitent ce type de construction. Le problème reste donc
de savoir si les structures de formation en "question possèdent
les mêmes propriétés que l'école, si elles constituent :j1autres
écoles.
Le dépassement de l'objection recommande' 'adjonction d'une
a ut r e hy pot hè-s e sec 0 ndair e don t l' 0 bj ec tif con sis t e à co mpar e r
deux populations contrastées par la réalité scolaire; d'où:
HYPOTHÈSE SECONDAIRE DEUX
Si l 'hypothèse principale est vraie, les conduites
expérimentales des élèves devraient différer de celles des
adultes de leur environnement immédiat qui n'ont jamais fré-
quenté l'école, à cause des différences dans la structuration
de la représentation et des modèles de connaissance de réfé-
rence.
Nous avons supposé dans l 'hypothèse principale que
l 'école valorise la représentation conceptuelle qui facilite
la genèse de la pensée formelle et du raisonnement expérimen-
tal. Notre démarche actuelle vise à montrer que la spécificité
des conditions d'apprentissage en milieu traditionnel valorise à
- 233 -
son tour la représentation figurale indispensable au codage
du processus de réalisation. Nous posons le problème en termes
de prédominance fonctionnelle car logique formelle et logique
réalisatrice sont complémentaires dans l'activité humaine,
quoique différent par leur objet, l'organisation des "f ormes "
et des II c ont e nus ll•
On ne saurait comprendre le fonctionnement de la logique réa-
lisatrice sans prendre en considération les conditions sociales
de son élaboration. Dans un environnement socio-culturel où la
formation de l'enfant se déroule dans des situations adaptati-
ves r e l l e s
l e "s a vo i r f a i r e " importe plus que le "s avo i r-
é
j
v
e
d i r e ". La réduction de l'univers des possibles due à une spé-
cialisation professionnelle précoce impose à l'enfant de rete-
nir les schémas des activités habituelles du groupe. Pour lui,
actualiser une connaissance consiste à appliquer dans les
meilleurs délais le modèle correspondant à l'activité souhaité.
Seules les propriétés d'un modèle iconique permettent de rendre
compte de la stratégie présente. En effet, la logique réalisa-
trice porte sur des contenus, c'est-à-d:ire "d e s blocs unitaires
d'informations
susceptibles de fournir dans certains cas
des modalités d'adaptation plus économiques que celles qui sont
reglées par la formalisation".
La structure de "b l oc " que revêtent les informations
rappelle les propriétés de la modalité iconique. L'image con-
dense, schématise les informations relatives à un objet et les
délivre de façon simultanée; elle suggère une approche globale
- 234 -
des situations par opposition aux démarches conceptuelles
ana-
t
lytiques. L1image représente à notre avis le moyen de modélisa-
tion des informations en IIblocs unitaires".
On devrait observer
avec une telle représentation
t
t
que certaines questions formelles n'aient pas de sens
que les
t
adultes africains non scolarisés cherchent à prendre des rac-
courcis dans des situations particulières
compte tenu de leurs
t
pratiques adaptatives et de leurs schémas de pensée.
Si l'utilisation préférentielle du processus de réali-
sation se vérifie dans le milieu traditionnel. elle appelle une
question essentielle concernant la confrontation des systè~es
cognitifs en présence. La logique réalisatrice pourrait entre-~
tenir des rapports conflictuels avec la logique formelle et
ainsi perturber son déroulement normal. D'où:
HYPOTHÈSE SECONDAIRE TROIS
A niveau de scolarisation égal. les performances expérimentales
des élèves devraient varier en fonction de leur appartenance
socio-culturelle. On peut rendre compte de cette variation:
1)
par le type de structuration de l'environnement f arn i l ial et/
ou 2) par les démarches cognitives propres à la culture tradi-
tionnelle.
Nous aurions pu rel ier les différences entre les
élèves ruraux et leurs pairs citadins au caractère "rural" ou
- 235 -
"urbain" de leurs conduites. La possibilité nous était donnée
par la suite d'inférer les porpriétés de la ville ou de la
campagne qui sont plus ou moins favorables au développement du
raisonnement expérimental. Les recherches antérieures en milieu
africain
empruntent cette voie et désignent généralement l'ur-
banité, les facteurs socio-économiques, les pratiques éducati-
ves ... comme responsables des rythmes du développement.
La démarche comparative descriptive comporte deux inconvénients.
Le premier consiste à prendre de simples relations de covaria-
tion pour des imputations causales, faute de les situer dans
un cadre théorique de référence permettant au chercheur d'impo-
ser aux faits une validation hypothético-déductive. Le deuxième
porte sur le postulat de l'unicité du fonctionnement individuel
débouchant forcément sur l'utilisation d'une logique formelle
si le psychologue affirme le retard des élèves ruraux sur les
élèves citadins, c'est qu'il suppose que toute construction
intellectuelle conduit obligatoirement à la structuration d'une
seule logique, la logique formelle ...
Nous pensons que la constance du fonctionnement psy-
chologique de l'individu détermine une attitude cognitive de
base. Cette attitude cognitive variable d'un enfant à l'autre
et qui
se manifeste aussi bien dans la relation à l'objet que
dans la relation à l'entourage humain pourrait dépendre des
types de structuration de l'environnement familial
(Lautrey,
1980). Les différences de oerformances constatées entre les élèves
- 236 -
urbains
et l.es élèves ruraux s'exnliqueraient nar les diffé-·
rences
de ~ilieux relatives aux tyoes de structuration et
aux
attitudes cognitives qu'elles d~terwinent.
1 - LES TYPES DE STRUCTURATION DE L'ENVIRONNEMENT
FAMILIAL
Nous présumons dans le cadre de notre étude que les performan-
ces des élèves devraient s'ordonner en fonction des types de
structuration quel que soit le milieu socio-culturel. Mais la
différenciation introduite dans les milieux urbain et rural
par les types de structuration pourrait rendre compte de l 'in-
fériorité des performances moyennes des élèves ruraux par rap-
port aux élèves urbains.
Il se pourrait aussi que les élèves
ruraux et urbains appartenant au même type de structuration
présentent des différences dans les performances moyennes
comment les interprèter ? Nous émettons l'hypothèse d'une autre
source de variation en liaison avec les modèles de connaissances
en place. Les modèles de connaissance traditionnelle en tant
que cadres organisateurs de llactivité cognitive propres à
l 'environnement rural pourraient influencer les démarches in-
tellectuelles des élèves ruraux qui participent en dehors des
périodes de cours, aux activités adaptatives locales (pêche,
chasse, agriculture, construction ... ).
- 237 -
2 - LES MODELES DE CONNAISSANCE TRADITIONNELS
Comment répérer l'influence des modèles de connais-
sance traditionnels sur les démarches intellectuelles des
élèves ruraux? La méthode consiste à partir d'un cadre de ré-
férence, les modèles de connaissance construits sur la base
des réponses des adultes. Il s'agit de reconstituer le cadre
organisateur de l'activité cognitive des adultes en se fondant
sur les régularités comportementales observées au cours du
traitement des tâches.
Nous supposons que les modèles de connaissance des adultes
ruraux devraient différer des modèles formels et analytiques à
cause des réalités socio-culturelles. Il ne s'agit pas de com-
prendre l'action de la culture dans une perspective empiriste
consistant à voir dans ce processus la répercussion de la
copie de l'objet dans le psychisme humain. Une position de
cette nature n'aurait pas de sens au regard de la théorie de
l'adaptation qui implique une interaction entre un organisme
et un milieu. L'effet de la culture s'insère dans cette inter-
action. Sous cette condition, il devient possible d'examiner
les formes que prend le développement de l'intelligence dans
des milieux privilégiant tel ou tel mode de représentation.
L'interprétation comporte l 'idée~de l'identité des instruments
cognitifs de base dont l'évolution dépendrait des possibilités
de représentation offertes à l'individu. Dans ces conditions,
il s'avère ~ormal de voir les ressemblances intellectuelles
238 -
diminuer d'une culture occidentale à une culture africaine
traditionnelle si l'on compare les individus uniquement sous
l'angle de la pensée formelle.
L'avènement de la thèse suivant laquelle l'interaction du
sujet et de l 'objet au niveau de la représentation dans cer-
taines situations éducatives, notamment les situations scolai-
res, favorise le développement de la formalisation, implique
une thèse corrélative: si le niveau de représentation struc-
turé par une éducation naturelle ne permet pas à l'individu de
prendre beaucoup de recul par rapport à l'objet, de le modéli-
ser à l'aide de symboles conventionnels, alors il pourrait
développer une pensée pragmatique, utiliser fréquemment les
contenus de la réalisation pour résoudre les problèmes. L'examen
de la formation des processus de formalisation et de réalisa-
tion et des modalités de leur interaction devrait déboucher sur
la solution éventuelle du problème.
En définitive, l'école semble le milieu le plus fa-
vorable au développement de la pensée formelle et du raisonne-
ment expérimental parce qu'elle "décontextualise" les situations
d'apprentissage et par conséquent favorise la " prise de dis-
tance" de l'élève par rapport à l'objet de connaissance. Il en
résulte le développement des différents modes de représenta-
tion et des langages permettant de coder la variété des contenus
évoqués.
Comme ces modes de représentation et ces langages se complexi-
239 -
fient suivant les niveaux scolaires, on devrait alors observer
une amélioration des résultats aux épreuves expérimentales
lorsqu'on passe d'une classe de cinquième à une classe de qua-
trième, où les âges des élèves se situent dans la période sen-
sible de l'acquisition des opérations formelles.
Si l'école est vraiment le lieu privilégié pour le
développe-
ment de la pensée formelle et du raisonnement expérimental, on
peut supposer qu'un milieu non scolaire comme le milieu afri-
cain traditionnel soit moins favorable à l'éclosion de cette
forme de pensée et suscite peut-être pour compenser celle-ci
une autre logique.
Ainsi l'école et le milieu traditionnel différencièraient les
individus quant au type de logique; il se pourrait alors que
l'environnement socio-culture1 global
(traditionnel ou moder-
ne) dans lequel se situe le milieu scolaire ait une incidence
sur les performances expérimentales. Il faudrait, pour saisir
cette influence, interroger les pratiques éducatives familia-
les et les modèles de connaissances disponibles.
Il reste maintenant à donner une traduction opéra-
tionnelle à ce corps d'hypothèses avant de passer à l'expéri-
mentation proprement dite - une approche préliminaire des
milieux africains informera le cadre de l'opérationnalisation.
• 240·
CHAPITRE VI
LA PENSEE NEGRO-AFRICAINE
y a·t·il
une pensée né~ro-africaine particulière?
Si oui ~ comment se manifeste-t-elle ? Ces interroqations impo-
sent la délimitation du concept de pensée.
Pour la théorie piagétienne~ la pensée est un ensem-
ble
d'opérations qui résulte de l'action du sujet sur l'objet:
elle consiste en une intériorisation de l'action: "La pensée
procède de l'action." Le passage de l'intelligence sensori-
motrice à l'intelligence opératoire montre comment se réalise
la réélaboration de l'action sur le plan représentatif. L'ap-
parition de la fonction symbolique et du langa~e vers deux ans
va permettre l'intériorisation de l'action et marquer le
départ d'une véritable pensée. Dans cette première approche,
la pensée se confond avec l'intelligence, c'est-à-dire la
capacité du sujet à agir sur l'objet à 1 laide de stratégies.
Mais la pensée n'est Das qu'.intelligence ; elle est
aussi vision du monde,
(Weltanschauung) qui caractérise chaque
peuple. Les différences culturelles ne s'éclairent que référées
aux multiples modalités suivant lesquelles les peunles se
posent par raoport à 1 'univers en termes de relation à Dieu,
de relation à la nature, à la société ... Il s'agit d'une
recherche de la signification de 1 'univers et de la présence
de l'homme en son sein.
Les deux aspects de la pensée (intelligence et
241 -
vision du monde) sont complémentaires et en interaction cons-
tante: la vision du monde d'un peuple appara't COMme une
tentative de définition des finalités de 1 'homme et de ses
actions, les opérations comme des moyens pour réaliser
celles-ci. Toute pensée comporte suivant l'expression de B.
Inhelder un aspect téléonomique et un aspect causal ou cons-
tructif.
Ce chapitre se subdi vise en quatre oarties : la
première partie se consacre à l'appréhension de la notion de
l'intelligence en milieu africain; la seconde expose la pen-
sée africaine en ce qu'elle comporte des éléments réflétant
une vision du monde; la troisième présente une analyse du
concept d'équilibre en tant que concept central de la pensée
africaine; enfin, la quatrième partie contient une brève
analyse de la catégorie de causalité, pour montrer comment
elle se structure suivant que l'individu priviligie l'aspect
causal ou l'aspect téléonomique de l'activité cognitive dans
sa culture. La question est de savoir si les données de la
pensée négro-africaine traditionnelle concordent avec les exi-
gences de la démarche expérimentale.
l - LA PENSEE NEGRO-AFRICAINE COMME INTELLIGENCE
La définition de l'intelligence est le reflet d'une
société, car elle permet d'accéder à son système de valeurs.
- 242 -
La philosophie occidentale depuis l'antiquité
grecque considère l'intelliqence comme une faculté de conna'-
tre et de comprendre dont chaque individu est plus ou moins
doté.
Les approches de l'intelligence mettent générale-
ment l'accent sur la pensée rationnelle, l'abstraction, sur
les capacités cognitives par opposition aux capacités affec-
tives du sujet. L'intelligence opératoire s'inscrit dans cette
tradition; elle est adaptation, c'est-à-dire équilibre entre
un organisme et son environnement grâce au cycle de l'activité
fonctionnelle des processus d'assimilation et d'accommodation.
Il devrait normalement découler de cette définition l'hypothèse
d'une pluralité de formes d'intelligence liées à la diversité
des milieux. Force est de constater qu'il n'en est rien; car
ce qui importe pour Piaget, c'est plutôt la structure de
l'action
que les contextes spécifiques sur lesquels elle
porte. L'intériorisation des actions génère la construction
opératoire dans le sens d'une complexification croissante des
f o rme s .
Malgré cet effort de définition, une question reste
posée: la conception de 1 'intell igence est-elle universelle?
Il faudrait peut-être prendre en compte les suggestions de
Cole et Scribner (1974) demandant d'étudier l'intelligence à
partir de la définition qu'en donne chaque peuple. Cette mé-
thode présenterait l'avantage de constituer une psychologie
• 243 •
gênêtique propre à chaque culture et de voir ses rapports
avec la psychologie génétique occidentale. Pour ce faire, les
concepts d'étude "émique" et d'étude "étique" empruntés à la
linguistique et à l'anthropologie par Berry (1969) furent
repris. Une recherche lIémique ll étudie une seule culture en
décrivant le comportement avec des catégories propres à cette
culture t c'est l'approche idéograohique en ethnologie ou
celle de l 'ethnoscience dans l~quelle on essaie de com~rendre
comment un individu d'une culture donnée structure sa connais-
sance du monde sans aucune référence à des modèles extérieurs ...
Un chercheur qui approche une autre culture avec des catégo-
/
ries, hypothèses ou théories de sa propre culture impose une
méthode "étique ll •
La tentative de mettre en chantier des études "émi-
ques" est louable, mais en réalité irréalisable, car chaque
individu ne peut connaître que Dar les catégories de sa propre
cul t ure. Lad marc he
é
Il é t i que Il
sembl e l a plu s réa lis a ble; ma i s
au fur et à mesure du développement des recherches, l'effort
de compréhension des phénomènes par rapport au cadre de réfé-
rence psycho-sociologique global doit s'imposer.
L'une des études les plus riches sur le plan ethno-
graphique est celle de Bisiliat, Laya, Pierre et Pidoux (1967)
portant sur la notion de "La kha l" dans la culture DJERMA-SONGHAI
du Niger. Le Lakhal se traduit en français par intelligence,
.
mais recouvre à la fois le discernement, le savoir-faire, le
- 2~~ -
savoir-vivre, c'est-A-dire l'obéissance aux normes sociales:
"Le Lakhal" est un don de Dieu qui est présent A la naissanc~
mais ne peut pas se voir avant sept ans environ. Si l'enfant
n'a pas de Lakhal A cet 8ge, il n'en aura jamais, quoique le
marabout puisse administrer certains médicaments pour l'aug-
menter. Un enfant qui a du Lakhal comprend bien les choses, a
une bonne mémoire; il est obéissant, patient, honnête et fait
ce qu'on lui demande rapidement ou même spontanément; il
témoigne ai ns t de respect envers les vieux, et en général,
observe les règles et les interdits. Pour un adulte le lakhal
permet d'acquérir du prestige social
pour une femme, il
signifie aussi soumission, et pour les vieux, saqesse.
La notion de lakhal possède une double polarité
elle est aptitude et savoir-faire d'un côté, et compétence
sociale de l'autre. Elle diffère de l'intelligence au sens
occidental du terme par sa forte implication sociale, quoique
pRr extension, elle désigne aussi curiosité d'esprit, désir
de s'instruire.
Dans la culture Bété (Centre-Ouest de la Côte
d' Ivoire), plusieurs termes circonscrivent la notion d'intel-
ligence : NAGUEU, DABLI, SRE, NEKPE. le NAGUEUGNON, le parte-
naire de l'intelligence, l 'homme intelligent, se caractérise
par son habileté, ~a capacité à trouver des solutions A des
problèmes inédits, à innover en matière de solutions adapta-
tives. Dans le domaine de la construction par exemple, le
.. 245 ..
NAGUEUGNON saura tresser un to1t étanche et durable. dans
celu1 de la pêche. 11 saura confeitionner des nasses normales.
Le "NAGEU"
correspond ~ l'intelligence de l'ingé-
nieur. à la capacité de trouver des solutions adaptées aux
problèmes vitaux. Il est le propre de tous les êtres humains
et opère dans un univers objectif.
La deux i ème not i on, 1e "D AB LI", c ' est l' i nte 11 i gcnce
féMinine, c'est la ruse. Cette forme d'intelligence trouve
son champ d'application dans l'organisation des hommes, dans
l'exercice du pouvoir politique. Elle suppose l'utilisation
de l'astuce, de la finesse d'esprit en vue de mener les
hommes. Le IIDABLI II repose sur la puissance du verbe. C'est
pourquoi le chef doit maîtriser la parole pour persuader,
convaincre, entraîner l'adhésion du peuple. Le "DABLI II, par
l'idée de machination qu'il véhicule, comporte un aspect
négatif. Malgré cela, le IIDABLI II, dans la mesure où il con-
tribue au renforcement de la concorde sociale demeure une
capacité nécessaire aux hommes politiques.
Le "DABLI II, c'est l'intelligence du faible pour
vaincre le fort, du chef pour diriger la société.L'araionée
dans les contes populaires symbolise le "DABLI II (1).
Le troisième vocable, le "SRE II traite de l'intel li-
(1)
Voir G. TAPE, La chanson populaire en Côte d'Ivoire, Présence Afri-
caine, 1986,
• 246 •
gence en tant que capacité à imprimer une forme esthétique a
un objet. C'est l'intelligence artistique. spécifique au
cha nt e ur. au da ns e ur. au sc u1pte ur. .. E11 e t ra va i 11e à lac réa-
tion du beau.
Les trois formes d'intelligence (NAf;EU. DABLI. SRE).
quoique distinctes s'intègrent dans la notion de "NEKPE II • de
1 ' Homm e. de 1a Pers 0 nne. Le" NEKPE", ce nt r e d' i nt qrat ion des
é
intelligences. se caractérise d'abord par sa sociabilité, son
esprit d'hospitalité. Clest un être social par essence. Les
attributs intellectuels lui permettent d'assumer le statut
d'être social: technicien, il peut résoudre un problème con-
cret que pose l'adaptation vitale; sage, il est capable de
régler un litige entre des individus; artiste ou ami de
l'art, il maîtrise les canons de beauté de son groupe culturel
et peut porter un jugement esthétique.
La culture Bété valorise la dimension sociale de
l'intelligence, car dire d'un individu qu t i l est un "NEKPE",
c'est lui reconnaître une existence humaine, l'insérer dans la
multiplicité des rapports sociaux. Toute l'éducation visera à
former l'enfant en vue de le transformer en "NEKPE" à compter
de l'adolescence (16-18 ans).
Le travail de A. Bouya (1) au Co nq o aboutit aux
mêmes conclusions. Quelle notion les Congolais se forgent-ils
(1) A. BOUYA
Contribution à l'éLabo~ation de la notion d'intelligence au
Congo, in : Présence Africaine, N° 136, oct. déc. 1985,
pp. 95-123.
• 247 •
de l'intelligence? Quels sont les facteurs qui contribuent a
son développement?
Au Congo, l'intelligence se traduit par le terme
IImayelell en 1ingala, "mayela" en kikongo, " ayeli" en mbochi et
en Téké, et "liéla" en vili. Ces différents termes désignent
le savoir-faire, le savoir-vivre ou le savoir-être ~ l'inté-
rieur des normes sociales. L'intelligence à son niveau le plus
élaboré coïncide avec la sagesse; c'est l'art de parler, de
se maîtriser, d'affronter avec sagesse toutes les situations
de la vie, en faisant la part du bien et du mal. Un adulte
intelligent, c'est-à-dire sage, sera celui qui sait trancher
équitablement les conflits, les palabres entre les membres du
groupe. On reconnaît l'intelligence chez l'enfant A l'appari-
tion précoce des signes de sociabilité: reconnaissance de la
mère, des membres de l'entourage. L'adolescent est intelligent
s'il manifeste des capacités d'autonomie personnelle permet-
tant à l'adulte de lui confier quelques responsabilités.
L1 i nt e11 i ge nces' 0 bse r ve che z lui, par 1a cap aci té A bi en fa i re
les choses: Dar exe~ple, fabriquer des nasses nour capturer
des poissons, tendre des pièges rour attrarer du gibier. D'au-
tres capacités comme l'aide des parents au travail, la mémoire
des contes, des récits et des devinettes, l'écoute des Anciens,
constituent des indicateurs de l'intelligence de l'adolescent.
Comment les capacités intellectuelles se déve1oppen~
elles? Certains adultes congolais du milieu rural pensent que
.. 24~ -
baigner l'enfant avec certaines plantes, des os de ~orille,
des peaux d'antilopes, de singes, des plumes de perroquets ou
de rossignols, est favorable au développement de l'intelli-
gence de l'enfant j d'autres disent que lui faire manger des
têtes de poissons ou de gibier, le soumettre ê des ~blutions
chez le tradi-praticien qui lui administre des décoctions de
plantes, augmentent l'intelligence.
~ême si l'on peut douter de l'efficacité scientifi-
que des pratiques citées. il faut admettre en revanche que la
mise en scène éducative parsemée de paroles douces. instaure
un climat affectif intense entre les partenaires de l'éduca-
tion, cl imat qui pourrait motiver
chez l'enfant l'apprentis-
sage des relations sociales.
L'intelligence, pour le Congolais rural, se définit
par
des attitudes socialement adaptées; elle est reconnais-
sable à la qualité de son utilisation sociale. L'asoect
social de l'intelligence l'emporte sur l'asoect technologique.
L'étude de P. Dasen et collaborateurs sur le
IlN 'Glouêlè ll , terme baoulé (ethnie <tu centre de la Côte d'Ivoire)
pour désigner l'intelligence, abonde dans ce sens. L'auteur
s'attache à la définition du "N'GLOUELE" et de ses composantes
par des interviews d'adultes du village (étude émique). L'ana-
lyse de contenu a permis de dégager les différentes connotations
de la notion de "N'GLDUELE". Celle-ci englobe deux grandes
formes d'intelligence: l'intelligence sociale et l'intelli-
• 249 •
gence technologique (1).
Le "N'GLOUELE II ,
intelligence sociale, est défini
par quatre composantes :
• 0 ti kpa, la serviabilité, consiste à exécuter
des tâches qui augmentent le bien-être de la famille; elle
suppose le sens de la responsabilité sociale, de l'initiative
ainsi que du savoir-faire.
- A gnyhié, le respect, représente la capacité
d'obéir aux ordres des parents, des a'nés en général, parce
que conformes aux traditions.
- 0 - si hi dj o , l'aptitude verbale indique l'aisance
à parler en public, la capacité d'employer des proverbes A bon
escient.
Angundan, la sagesse, caractérise l'adulte; mais
on peut la dépister de façon précoce chez l 'enfant, 9r~ce à
la clarté de sa réflexion, à ses possibilités de orévision et
d'anticipation, à sa diplomatie.
Le "N'glouêlé". intelligence technologique, comporte
aussi quatre composantes
-
1 GNI TI KLE, l'attention, s'applique A l'enfant
attentif qui a le sens de l'observation et la rapidité de ré-
(1) P. DASEN et al , N'GLOUELE, L'intelligenae ahez les Baoulé, Arahives
de PsyahoLogie, 1985, 53, 293-324.
• 250 •
tention des choses observêes,
- 0 S1 FLOVA, l lin tel l 19e nces col air e , s e ra pporte a
la réussite scolaire, à l'alphabétisation.
- 1 SA SI N'r,LOUELE, l 'habileté manuelle, correspond
à la capacité de fabriquer des outils, des jouets
~ elle est
d'usage courant.
- Enfin l - TI - TI KPA, la mémoire, est une capacité
importante dans une tulture de tradition orale.
Elle y tient
lieu de bibliothèque. Si les adultes sont plus sages que les
enfants, c t e s t parce qu'ils ont mémorisé beaucoup dlexpériences
qui en font de véritables bibliothèques vivantes' c'est le
sens de la formule célèbre de A. HAMPATE BAH: "Lorsqu'un vieux
meurt, clest une bibliothèque qui brûle".
Dans l'ensemble, l'entourage adulte attribue favora-
blement les deux formes de Nlglouelé aux enfants. Cette atti-
tude participe d'une tradition africaine spécifique ~ car
l'enfant est devenir, intelliqence potentielle: on ne peut se
prononcer sur son sort avant l'adolescence ou même l'âge adulte.
La participation sociale constitue le critère observable des
capacités intellectuelles de l'individu.
L'intelligence telle qu'elle est définie en milieu
africain traditionnel, entretient-elle des rapports avec la
pensée opératoire en général et le raisonnement expérimental
en particulier? En d'autres termes, les sujets reconnus plus
• 251 •
ou moins intelligents par les adultes de l'entourage conservent-
ils leur deQré d'intelligence lorsqu'on les soumet aux épreuves
opératoires (opérations spatiales, opérations physiques ..• ) 7
Le travail de P. Dasen (1983) montre que les épreuves
opératoires ne corrèlent pas avec l'intelliqence telle qu'elle
se définit en pays baoulé: "Le N'glouelé tl et ses différents
aspects sociaux et technoloqiques semblent bien signifier au-
tre chose que l'intelligence opératoire
. . . . Le "N'glouêlé ll
est avant tout intelligence sociale, et les aptitudes plus
intellectuelles n'en font partie que pour autant qu'elles
servent un but social. L'enfant doit avoir des connaissances,
un savoir-faire, une bonne mémoire, de l 'habileté manuelle,
Mais seulement pour les utiliser à bon escient dans un contexte
particulier, pour le bien de la famille et de la c ommunauté" (1).
Il n'est donc pas évident que le sujet intel1 igent du mil ieu rural
aprlique systématiquement une méthode expérimentale aux situa-
tions qu'il veut connaître.
La pensée négro-africaine comme vision du monde
apporte-t-elle des informations nouvelles par rapport à celles
induites de ses manifestations intellectuelles?
II - LA PENSEE NEGRO-AFRICAINE
UNE VISION DU MONDE
J
Comment le négro-africain se représente-t-il le
(1) P. DASEN, op. cit., pp. 26-30.
-
l'~l' -
monde dans lequel il vit? En l'absence d'êcriture, donc de
traces matérielles d'un corps d'idées, est-il possible de re-
constituer cette pensée et par quelle méthode? L'approche
ethnographique par les connaissances qu'elle a permis d'élaborer,
par a , t 1ami eux 1ndi qué e pour dé duire la pen sée né 9r 0 - a f r i ca i ne
des pra t i que s soc i 0 - cul tu rel 1es pro pre s à l' Af ri que. Mai s poser
le problème de la pensée négro-africaine revient à supposer
1 'homogénéité du champ culturel négro-africain. Or on sait que
l'Afrique Noire regroupe une mosaïque d'ethnies, de cultures,
de traditions, chacune mettant en oeuvre une certaine idée de
1 'homme et de son rapport au monde. Malgré la diversité des
ensembles culturels, il est rationnel de classer toutes les
cultures négro-africaines dans une seule catégorie grâce au
caractère oral des transmissions éducatives. Sous cette pro-
priété, les pratiques pédagogiques et les canaux de traduction
des idées s'homogénéisent et prennent soit la forme de l'ini-
tiation rituelle, soit celle du conte ou du proverbe.
Nous nous servirons essentiellement de deux ouvrages
pour analyser la vision du monde du négro-africain; il s'agit
de" l a phi los 0 phi e ban t 0 ue" de P. Tempe l s (1 949) et de" l a
philosophie bantu-rwandaise de l'être" de A. Kagamé (1956).
1 - LA PHILOSOPHIE BANTOUE DE P. TEMPELS.
La Philosophie bantoue tente de reconstruire une
vision du monde du peuple bantou à partir de l'interprétation
- 253 -
des diverses manifestations de sa vie culturelle (coutumes,
traditions, proverbes, institutions ... ).
Quelles sont les idées directrices de cette Philoso-
phie ? Pour Tempels, l'ontologie bantoue est essentiellement
une théorie des forces: llêtre est force.
Il ne faut pas con-
cevoir la force comme un attribut de l'être, mais comme l'essence
même de l' ê t r e. La for ce, Il c ' est l' es sen ce mê me de lié t r e en
soi"
. . . . C'est l'être même tel qu'il est, dans sa totalité
réelle actuellement réalisée et actuellement capable d'une
réalisation plus intense" (1).
La philosophie bantoue présente une conception dyna-
mique de l'être. Pour Tempels, elle se distingue sur ce plan
de l 'ontologie occidentale qui en donne une représentation
statique: "Notre notion d'être, clest ce qui "est", la leur,
"la force qui e s t ", Là où nous pensons le concept "être", eux
se servent du concept "force". Là où nous dirions que les êtres
se distinguent par leur essence ou nature, les bantous diraient
que les forces diffèrent par leur essence ou roture" (2).
On peut saisir l'être-force à travers trois pr i nc i pes.
Le premier énonce que toute force est susceptible d'accroissement,
de diminution ou de renforcement. La finalité de l'être, c'est
d'accroître sa force; aucun individu ne le peut tout seul sans
(1) P. TEMPELS, La Philosophie bantoue, Présence Africaine, Paris, 1949,
p. 35.
(2) Ibid. pp~ 35-36.
- 254 -
la bénédiction de ses parents, de ses Ancêtres qui
sont inves-
tis d'une grande force vitale par Dieu et disposent de la
capacité d'accro~tre la force vitale de la lignée.
La morale bantoue est fondée sur cette représenta-
tion du monde: ce qui est bon, c'est ce qui
accro~t la force
vitale. Ce qui est mauvais, c'est ce qui
la diminue. Il y a
des actes qu'il faut éviter de poser parce qu'ils créent le
désordre, détruisent l'ordre social et par conséquent diminuent
la force vitale. Il y en a d'autres, par contre, qu'il faut
démultiplier parce qu'ils sont bons et permettent d'accroitre
la force.
Le deuxième principe traite de la hiérarchie des
forces qui fondent l'ordre social et en forment le soubasse-
ment métaphysique. La hiérarchie des forces décrit en quelque
sorte une pyramide: Au sommet, se trouve Dieu, l'esprit créa-
teur de toutes les forces; puis suivent les Ancêtres, les
pères fondateurs des clans à qui Dieu insuffla la force vitale
primordiale; viennent ensuite les défunts suivant leur degré
d'ancienneté, médiateurs entre les vivants et les morts, par
qui s'exerce la force vitale de l'être: chefs, parents, aînés,
cadets ... ; au bas de l'échelle, se situent les forces infé-
rieures animales, végétales et minérales.
La hiérarchie des vivants obéit, selon Tempels, à un
ordre de subordination métaphysique. La représentation de
1 'homme dans le clan, l'organisation des rapports sociaux ré-
- 255 -
flèteraient cette dépendance métaphysique.
Le troisième principe de la philosophie bantoue
affirme que la création est centrée sur l'homme vivant: "La
génération humaine vivante, terrestre, est le centre de toute
l'humanité, y compris le monde.des défunts". C'est Dieu qui
donne la force vitale, mais l 'homme, selon sa dotation et les
mérites qu'il s'est acquis dans l'initiation, dans l'action, a
la capacité d'agir sur les autres, de les organiser, d'assumer
le pouvoir. Allassane N'Daw fait découler de cette conception,
la relation entre le chef et le village: "La force du chef,
sa personne et toutes ses possessions font vivre le village,
et le village, en même temps, constitue, pour ainsi dire, une
extension et donc un renforcement de sa propre vie" (1).
La Philosophie bantoue débouche ainsi sur un huma-
nisme. L'univers manifeste une grande unité et solidarité:
"Le monde des forces, dit Tempels, se tient comme une toile
d'araignée dont on ne peut faire vibrer un seul fil
sans
ébranler toutes les mailles" (2).
L'oeuvre de P. Tempel s consti tue une théori e qénérale
de la vision du monde négro~africaine ; l'auteur parle d'une
véritable philosophie et ce faisant, met l'accent sur le carac-
tère systématique de la pensée négro-africaine. En cela, il
Cl) ALLASSANE, op. oi.t . , p. 241.
(2) TEMPELS (P.), op. c:it., p. 30.
- 256 -
détruit la thèse de la pensée primitive de Levy-Brühl, incapa-
ble de logique. Il ne fait oa s que réhabiliter la pensée négro-
africaine, il dégage aussi une oerspective de civilisation
fondée sur ce savoir.
Dans un article publié dans la revue Dioqène (1),
Paulin HOUNTONOJI
développe une critique en trois points. Il
fait d'abord une critique méthodologique sur le caractère
abusif de la généralisation du système ontologique bantou
à
toute l'Afrique. En effet, rien ne permettait en 1949 au père
Tempels de déduire la vision du monde des peuples néqro-afr i catns
d'une recherche locale sur les bantous. La seconde critique à
visée idéologique, adopte la position d'Aimé Césaire; non
seulement la philosophie bantoue est une tentative de diversion
face aux problèmes posés par la domination coloniale du peuple
bantou, mais elle constitue une recherche-action au service du
pouvoir colonial; en effet, connaître les ressorts de la
pensée néqro-africaine ne permet-il pas de mieux ajuster l'ac-
tian coloniale? La hiérarchisation des forces de Dieu aux
hommes vivants entraîne l'idée d'un monothéisme culturel chez
les bantous; il ne reste plus qu'à les christianiser. Comme
le souligne Allassane N'Daw, en son fond, l 'oeuvre du oère
Tempels se veut récupératrice au plan religieux, certains élé-
ments de la pensée bantoue pouvant être considérés comme une
préfiguration du c hr i s t t a ni s me " (2).
(1) HOUNTONDJI
Remarques sur Za phiZosophie africaine contemporaine,
Diogène, nO 71, 1970, pp. 120-140.
(2) ALLASSANE N'DAW : La pensée africaine, NEA, Dakar, 1983, p. 241.
- 257 -
La troisième critique enfin, d'ordre théorique,
concerne l'emploi du concept de "Philosophie". Peut-on parler
d'une philosophie bantoue avec rigueur? Une philosophie se
définit-elle par une pensée commune à un groupe socio-culturel ?
Le vécu d'un peuple constitue-t-i1 une philosophie? Les re-
cherches ethnologiques réalisées dans différentes régions de
l'Afrique ont montré que les Africains avaient une base cultu-
relle commune. Il en est résulté l'idée d'une philosophie,
plus exactement d'une ethno-philosophie "collective, immuable,
commune à tous les africains, quoique sous une forme incons-
ciente" (1). Or la philosophie est conscience au plus haut
niveau, réflexion sur la pensée. La pensée africaine collective
n'est donc pas une philosophie.
Malgré les attaques en règles contre la philosophie
bantoue, force est de constater que les concepts de l'oeuvre
de Tempels font leur chemin. L.S. Senghor partage la ~énérali
sation de l'ontologie bantoue à l'Afrique Noire: "C'est le
lieu de noter les deux traits fondamentaux de 1 'ontolo~ie
négro-africaine. Le premier est que la hiérarchie des forces
vitales ne fait qu'exprimer l'intégration de l'univers à la
famille ou, peut-être plus exactement, la dilatation de la
famille aux dimensions de l'univers ( ... ). Le second trait de
cette ontologie est la place éminente qu'occupent les forces.
L'homme vivant est le centre de l'univers qui n ' a d'autre but
(1) HOUNTONDJI (P.J, op. cit., p. 128.
- 258 -
que de renforcer sa force, de le rendre plus vivant et exis-
tant, de le réaliser en personne" (1).
La philosophie bantu-rwandaise de l'être d'Alexis
Kagamé conforte-t-elle la thèse de Tempels ?
2 - LA PHILOSOPHIE BANTU-RWANDAISE DE L'ETRE D'ALEXIS
KAGAME
Le travail est un essai de vérification de la théo-
rie de l'être-force élaborée par P. Tempels. A. Kagamé,
autochtone de l'Afrique bantu (2) se propose d'analyser la
pensée à partir des structures linguistiques bantu. L'étude de
la langue "kiryarwandais" lui a Dermis de mettre en évidence
une conception du monde. Du point de vue de la méthode, l'au-
1
teur se sert de la langue comme grille de lecture pour ~ppré-
hender le ~odèle de l'univers propre à la culture. A l'instar
d'Aristote, il tente de dresser la table des catégories
ontologiques bantoues. L'hypothèse de recherche sous-jacente à
la méthodologie utilisée postule que les articulations du réel
sont déductibles de la grammaire et des catéqories grammatica-
les de la langue bantu. Par ce biais, il dégage quatre catégories
métaphysiques correspondant aux dix catégories d'Aristote.
La première catégorie, l'être-intelligent, l'homme,
1
c'est l'UMUNTU.
r
(1) L. S. SENGHOR, Liberté I, p. 266.
(2) KAGAME (A.) écrit "bantu" au lieu de "bantou".
- 259 -
La deuxième catégorie, 1 'IKINTU, ce sont des êtres
privés d'intelligence.
Ces deux catégories correspondent à la substance ou
réalité dans le système d'Aristote.
La troisième catégorie, le HANTU, exprime les caté-
g0 rie s de lie u et de te mps. Le ban t une s pare pas l' e spa ce
é
et le temps; il les désigne par le même terme.
La quatrième catégorie est l'UKUNTU, c'est-à-dire,
la modalité qui regroupe les autres catégories citées par
Aristote: quantité, qualité, relation, action, passion,posi-
tion et possession.
L'analyse des faits de langue a conduit Kaqamé à
extraire le sens générique de IINTU II, un IIquelque chose ll ,
un
"è t r e " que les divers déterminatifs signifient dans une classe.
Ainsi UMUNTU (singul ier) ou ABANTU (pluriel) désigne l'être
sans intelligence, "Te s existants autres que l I hcmrne " ; ils
sont des c r i pt i bl e s en termes d'êtres "f i q s " sans principe de
é
vie: c'est le régime minéral; il existe aussi des
êtres
lI a s s i mi l a t i f s ll
sans principe vital: c'est le régime végétal
caractérisé par la germination, la naissance et la mort; en-
fin vie nne nt les ê t r e Il sen s i tif s ", les an i ma ux qui ne diffèrent
/
de l'homme que par l'intelligence.
L'auteur porte aussi à notre connaissance que le
IINTU II peut être déterminé par le temps et le lieu dans l'ex-
- 260 -
pression IIAHUNTU II. Enfin UKUNTU, c'est-à-dire IINTU II relié à un
adverbe, t radu i t 1es modes de 1 1 être.
Le IINTU II permet de décrire les diverses manifesta-
tions de la réalité sensible. Il est le principe orqanisateur
et unificateur des lI e x i s t a nt s ll qui composent 1 'univers.
Le travail de A. Kaqamé comporte des points de con-
vergence et de divergence avec celui de Tempels. Les Doints de
convergence sont multiples. Les auteurs partagent l'idée d'une
philosophie collective: IILes principes philosoohiques, écrit
Kaga~é ( ... ) sont invariables: la nature des êtres devant
rester ce qu'elle est, leur explication profonde est fatalement
immuabl ell (1).
Le second point d'accord concerne l'ooposition entre
la philosophie occidentale et la philosophie négro-africaine.
La première, statique, immobilise l'être pour le connaître
la seconde, dynamique, tente de signifier le réel dans sa
complexité. Il Y a là un début d'opposition entre pensée ana-
lytique et pensée synthétique.
Un autre point de convergence est la conception de
1 'homme. La philosophie occidentale scinde 1 'hom~e en éléments
simples; la philosophie négro-africaine, synthétique, appré-
/
hende l'homme comme une unité indivise et signifiante. L'homme
r
est un destin potentiel créé par Dieu, le géniteur pri~ordial.
(1)
KAGAME (A.), op. cit., p. 9.
- 261 -
Son statut M'être d'intelligence parmi les autres être lui con-
fère le pouvoir de décoder l'univers et de retrouver le sens de
cet
"o r qe n i s me ", L'homme vivant occupe une position centrale
dans l'ontologie bantu-rwandaise.
Malgré l'émergence d'un certain nombre d'idées com-
munes, le travail de Kagamé conserve des distances par rapport
à
celui de Tempels. Les diver~ences apparaissent à plusieurs
niveaux. D'abord au plan méthodologique, l'exploitation des
structures grammaticales de la langue bantu est une nouveauté.
Cette démarche nous confirme dans l'idée que 1 'homme pense
toujours. un univers que sa 1anque a model é : "Dn discerne,
écrit E. Benveniste, que les catégories mentales et les lois
de la pensée ne font, dans une large mesure, ~ue réfléter
l'organisation et la distribution des catégories linguistiques
( •.. J.
Les variétés de l'expériences ohilosophique et spiri-
tuelle sont sous la dépendance inconsciente d'une classifica-
tion que la langue opère du seul fait qu'elle est langue et
qu'elle s ymbol t s e " (1). Pour A. Martinet lIà chaque langue
correspond une organisation particulière des données de l'ex-
périence ... Une langue est un instrument de communication
selon lequel l'expérience humaine s'analyse différemment dans
chaque commu na ut
(2).
é
"
(1) BENVENISTE (E.)
: Tendances récentes en linguistique générale, journal
de Psychologie normale et pathologique, 1934, nO 1-2, pp. 130-145 ;
133-134.
(2) MATINET (A.)
Eléments de Linguistique générale, Paris, Colin, 1960,
p.
16.
- 262 -
La déduction de la vision du monde d'un
peuple des
structures grammaticales de la langue présente un grand intérêt
et rlémontre que chaque langue se comporte comme un véhicule de
traduction du réel. La spécificité des formes de représentation
inhérentes li la multiplicité des langues pousse Kagamé~. soul i-
gner la portée locale de ses conclusions. Seule la réalisation
de travaux similaires dans d'autres régions de l'Afrique
pourra déboucher sur une étude comparative capable d'informer
sur la généralisabilité du modèle de la pensée bantu li toute
l' Afri que Noi re.
Une autre particularité de l'oeuvre de Ka qamé , c'est
son ouverture sur les autres cultures. La philosophie bantu
n'est pas catégoriquement distincte de la philosophie occiden-
tale: IILa logique formelle est la même dans toutes les cultu-
res. ( ... ). Ce qui est exprimé à ce sujet, en n'imoorte quelle
langue du système européen ou asiatique, américain ou africain,
est toujours transposable
dans toute autres langue appartenant
aux cultures di f f r e nt e s " (1). Il est possible d'observer des
é
nuances de forme d'une cul ture à l'autre, ma i s dans 1 1 ensembl e,
toute traduction reste faisable. L'auteur notait à ce propos
qu'en culture bantu, le syllogisme est toujours elliptique:
On forme parfois l'une des prémisses et on passe à la conclu-
sion. Lors d'un sondage sur la quantification de l'inclusion
r
chez l'adulte ivoirien du milieu traditionnel
(1976), nous
1
(1)
KAGAME (A.), op.
ait., D. 39.
- 263 -
avions remarqué ce même phénom~ne.
Dans une situation compor-
tant un ensemble d'images d'animaux composé de quadrup~des et
de quadrumanes, et reconnue comme telle par l'adulte, on lui
demande: "y a-t-il plus d'animaux ou plus de singes? Il
répond: "ce sont tous des animaux".
Comment qualifier cette réponse? Contient-elle une
quantification de la relation d'inclusion? En posant des
questions complémentaires en vue d'obtenir une explication,
on s'aperçoit que pour l'adulte non scolarisé, la réponse:
"ce sont tous des animaux", signifie que les singes font par-
tie des animaux; mais cette formulation est si évidente qu'-
elle ne mérite pas d'être totalement dite.
Il s'a~it d'un
discours elliptique dans lequel l'émetteur exploite la compli-
cité du récepteur, lui laisse la possibilité de conclure compte
tenu de l'évidence de l'énoncé. Il en résulte un gain de temps.
La science qui se veut raisonnement explicitée, évite ce
discours économique; mais on le retrouve à un autre niveau
dans la communication interpersonnelle quotidienne.
Une autre source de divergence avec le père Tempels
existe dans l'identification des transformations opérées par
la philosophie bantu'
au contact de 1 'Occident : "Vous ne
trouverez actuellement en notre pays, que peu de personnes
n'ayant pas encore corrigé leurs vues traditionnelles sur le
monde et sur l'ambiance des temps héroïques du passé (1).
(]) KAGAME (A.), op. cit., p.
2?
- 264 -
L'auteur reconna1t donc le dynamisme de la pensée bantu et sa
capacité A se développer en assimilant de nouvelles données.
On peut alors s'étonner de ses affirmations sur l'immobilité
des principes philosophiques bantu. Sur ce point, les vues de
Tempels sont plus cohérentes, car non seulement il postule
l'immuabilité des principes, mais il en déduit que toute "ac-
culturation" n'est qu'un vernis en ce sens qu'elle ne modifie
pas la pensée traditionnelle dans son essence.
Enfin la dernière divergence et la plus fondamentale
a trait à l'interprétation du contenu de la philosophie bantu.
Pour Tempels, les fondements de l'ontologie bantu repose sur
l'identité des concepts d'être et de force. Ce modèle intro-
duit une dichotomie entre la philosophie bantu, dynami~ue et
la philosophie occidentale, statique. Kagamé refute cette
thèse, car caractériser la philosophie occidentale nar une
conception statique de l lêtre et la philosophie négro-africaine
par une conception dynamique, c'est refuser de reconnaître la
complémentarité de ces deux aspects dans n'importe quel type
de pensée
"Dans l'un et l'autre système philosophique, en
effet, il y a fatalement l'aspect statique et dynamique à la
fois:
«- N'importe quelle structure, considérée en tant
que telle, abstraction faite de sa finalité nous présente son
aspect statique.
- Si ensuite vous considérez cette structure, en
- 265 -
tant que destinée ~ telle fin, en tant qu'orientée structurel-
lement à agir ou à être utilisée en vue d'un but, alors elle
vous présente en ce cas son aspect dynamique»
(1).
Les travaux de P. Tempels et A. Kaqamé renrésentent
des tentatives pour définir la philosophie du peuple bantu,
son système de pensée propre. Mais à force de vouloir trouver
des différences dans la structure de la pensée, les auteurs
finissent par dégager des dichotomies du type II vi s i on stati-
que/vision dynam i que " de l'homme dont Ke qamé a perçu la limite,
et qui sont loin d'expliquer dans le cadre de notre travail
pourquoi une pensée aussi dynamique que la pensée formelle,
support du raisonnement expérimental, s'est plus développée
chez les peuples à "v i s i on s t a t i que " qu'ailleurs. Il semble
que c'est par rapport au problème de l'adaptation de l' indi-
vidu à son milieu en tant que recherche d'un équilibre dyna-
mique, qu'il faut caractériser l'attitude cognitive de celui-ci
face à l'objet. Le concept d'équil ibre apparaît donc comme le
concept-clé dans la description de l'activité humaine. Sa
forme varie suivant que l'adaptation est i~médiate ou médiati-
sée.
(1) KAGAME (A.), op. cit., pp. 121-122.
- 266 -
III - LE CONCEPT n'EQUILIBRE, CONCEPT CENTRAL DE LA PENSEE
HUMAINE
Toute pensée humaine tire sa stabilité des régulari-
tés de l'univers, des formes d'équilibre que celui-ci offre en
spectacle. Les premiers hommes ont dû être émerveillés par la
rigueur qui marque l'organisation des phénomènes naturels;
tout y est équilibre: le jour est balancé par la nuit, le
chaud par le froid, l 'humide par le sec, la vie par la mort.
Toutes les organisations cosmiques se conservent ou évoluent
par le maintien ou la transformation des formes d'équilibre.
Empruntons deux exemples à la biologie et à la sociologie pour
illustrer notre propos.
Dans le domaine de la biologie, Claude Bernard sou-
lignait dans son IIIntroduction à la médecine expérimentale ll
(1865)
que la constance du milieu intérieur était la conditinn
essentielle d'une vie libre. L'équilibre de l'organisme, con-
dition de son fonctionnement, consiste au maintien à un taux
constant de concentration dans le sang de certaines substances
chimiques, et le maintien à une valeur déterminée de certains
paramètres physiques telle que la température, et ceci quelles
que soient les modifications de llenvironnement. Cette capaci-
té de l'organisme à s'autoréguler n1est possible que grâce à
un mécanisme de contrôle comprenant un détecteur, un compara-
teur et une mémoire dans laquelle sont inscrites les normes
biologiques.
- 267 -
Le physiologiste américain Walter CANNON, impressionné par la
"sagesse de l'organisme" (The wisdom of body, 1932), capable d'auto-régu-
lation caractérise ce fonctionnement par le concept d'homéostasie.
Toute analyse faite, 1a "petite saqesse" de l' or qan i sme ne
fait que reproduire la "qrande saoesse" du cosmos; l'organisme apparaît
comme un modèle réduit du cosmos ; et toute pensée à propos du COSplOS ne
consiste qu'en une activité de décodage des formes d'équilibre de celui-
ci. Le problème épistémologique est de savoir comment on procède pour at-
teindre cette finalité.
Le deuxième exemple relève de la sociologie; il porte sur
l'apparition des classes d'âqes dans quelques groupes ethniques AKANS du
sud de la Côte d'Ivoire (AKYE, ABEY, EBRIE, M'BATTO, ALLANDIAN, ADJOU-
KROU). Du point de vue pol itique, les AKANS pratiquent des pouvoirs mo-
narchiques. L'apparition des classes d'âges chez une fraction de ce grou-
pe inaugure un nouvel équilibre politique.
Qu'est-ce qu'une classe d'âge? Dans le dictionnaire de l'eth-
no 1ogie (1), M. Panoff et M. Perri n défi ni ssent 1a cl asse d'âges comme "un
ensemble d'individus ayant approximativement le même âge, de 1'un ou l'au-
tre sexe et qui sont organisés de manière cohérente en un groupe sociale-
ment reconnu soumis aux mêmes rites de passage, ayant le même statut dans
la société globale et exerçant les mêmes activités ll •
Dans les sociétés de type monarchique, l'avènement
des classes d'âges véhicule de nouvelles formes de régulation
(
/
du pouvoir politique. H.F. MEMEL relève trois idées qui mar-
quent cette évolution. La oremière est celle d'un oolycentrisme
(1) Dictionnaire de l'ethnologie, Petite Bibliothèque, Payot, NU 224, 19?3.
- 268 -
politique: "Chaque classe d'âge est un centre autonome et
complémentaire de vie politique. La politique réside dans la
dialectique de ces groupes organisés" (1).
La seconde idée, celle de mouvement, "implique le
rajeunissement constant du système et la mobilité fonctionnelle.
Le système est ouvert, il reçoit, il doit recevoir périodique-
ment de nouvelles recrues, en même temps que d'anciennes
classes cèdent à la mort"; il y a donc un renouvellement cons-
tant des hommes, une compensation des départs par des arrivées.
La troisième idée est celle de l 'historicité de la
fonction politique: "Du mouvement perpétuel des arrivées et
des départs découle la mobilité dans la fonction politique ( ... ).
Face à la tradition de l'inamovibilité ou de l'hérédité, voici
postulé un déplacement des citoyens dans les fonctions politi-
ques ( ... ) dépersonnalisées, bref, davantage socialisées" ...
L'organisation en classes d'âges entraîne une nou-
velle vision des rapports sociaux fondés sur l'équilibre
politique. Les sociétés monarchiques étaient aussi des socié-
tés équilibrées, mais la nouvelle conception déplace le centre
du pouvoir, le transforme en une activité humaine sociale.
L'analyse des modèles d'équilibre montre
que le problème initial que l'homme doit
r
résoudre pour s'adapter à son milieu, c'est
Î
(1) MEMEL (;H.F. )
: La démocratie des classes d'âge au confluent des socié-
tés AKAN et KROU dans le Sud-Est de la Côte d'Ivoire, Actes du Col.loque
Inter-universitaire Ghana-Côte d'Ivoire, Les populations communes de la
Côte d'Ivoire et du Ghana, Bondoukou 4-9 Juillet 19?4, pp. 124-169.
- 269 -
celui de savoir comment s'insérer par son
action dans l'équilibre dynamique de l'univers.
Cette problématique débouche sur une double·
attitude soutenue par deux méthodes d'approche
différentes et complémentaires.
La première,
analytique, cherche à connaitre la nature en
procédant par morcellement, par décomposition
du tout en parties;
la seconde,
globale,
cher-
che à décoder les significations des configura-
tions, à capter les intentions de la nature.
Les attitudes cognitives varient de l'esprit de
conquête à l'esprit de soumission· suivant la démarche privilé-
giée. L'étude des représentations de l'équilibre dans la pensée
occidentale et dans la pensée négro-africaine sera informative à
cet égard.
1 - L'EQUILIBRE DANS LA PENSEE OCCIDENTALE
L'attitude de domination adoptée à l'égard de la
nature en vue de construire un nouvel équilibre géré par
1 'homme, est solidaire d'une représentation de la nature et
de l 1 homme.
La nature apparaît comme une totalité organisée
-r:
dont les éléments sont en interaction. Sa structure,
rigou-
J
;-'
reusement ordonnée, est traduisible sous un modèle mathématique.
Le rapport de connaissance orienté de l 'homme vers la nature
- 270 -
impl ique une rupture épistémologique entre le sujet et l'objet,
rupture indispensable à l'application de la méthode analytique.
Cette méthode, réductionniste, revient à décomposer l'objet en
autant d'éléments qu'il est possible, à déterminer au moyen
de l'expérimentation le rôle de chaque élément dans la struc-
ture de l'objet et à en saisir le mécanisme fonctionnel.
La science se donne ainsi pour objet d'étude la
nature. Elle vise à construire une banque de données sur
celle-ci, à les tenir disponibles pour toute utilisation éven-
tuelle. Les avantages d'une telle démarche sont évidents.
L'étude détaillée des potentialités de la nature permet à
l 'homme d'avoir une vision prospective du monde.
Il n'est plus
enfermé dans le présent, parce que capable de fonctionner sur
le mode du projet, de planifier son existence. La nature mani-
pulée se réduit à de la matière, à de l'énergie .... Elle est
démystifiée, colonisée; ainsi l'homme lui "impose sa suprématie
et prend conscience de son humanité: "L'homme en tant qu'homme,
écrit Hégel, s'oppose à la nature et c'est ainsi qulil devient
homme" (1). LI homme occidental adopte une attitude prométhéenne
à
l'égard de la nature. L.S. Senghor a très bien exprimé cette
attitude quand il relate: "Considérons l'homme blanc dans sa
confrontation avec l'objet, le monde extérieur, la nature ( ... ).
Plein de détermination, c'est en guerrier, en oiseau de proie
doué d'un regard innocent que cet homme se distingue de son
(1) HEGEL: La raison de l'histoire, p. 191.
- 271 -
objet. Il le tient à distance; il l'immobilise; il le fixe.
Armé d'instruments de précision, il le dissèque dans une ana-
lyse impitoyable". (1)
On retrouve
là, la dualité entre l 'homme et la
nature, l'esprit et la matière, qui spécifie la philosophie
occidentale, ordonne les rapports de connaissance et situe
l'homme.
Dans toute culture, l'équilibre de l Ihomme dépend
de ses rapports dynamiques avec la société. L'originalité des
cultures occidentales, c'est d'avoir posé le principe de
l'autonomie de l'individu par rapport à la société, d'avoir
confondu l'équilibre de l 'homme avec la réalisation de sa pro-
pre personne, avec l'épanouissement de l'ensemble de ses capa-
cités psychologiques. L'individualité de la personne constitue
une valeur en soi que l'éducation s'efforce de développer:
l'individu doit se distinguer. Ainsi s'ouvre 1 1ère de la com-
pétition pour acquérir une place au soleil.
Au plan économique, la libre entreprise laisse à
chacun la possibilité d'affirmer sa compétence, de créer de
la nouveauté. L'institution du brévet d'invention ou de droits
d'auteurs est instructive à cet égard: la création indivuelle
- 272 -
donne plus d'existence à la personne.
En définitive, l'équil ibre de l'homme devient une
conquête sur lui-même, conquête grâce à laquelle, il échappe
à la nature, acquiert une foi
inébranlable en ses propres ca-
pacités. La pensée négro-africaine épouse-t-elle la même
représentation des choses?
2 - L'EQUILIBRE D~NS L~ PENSEE ~FRIC~INE
Le négro-africain manifeste une attitude de soumis-
sion à l'égard du cosmos compte tenu de la représentation
Les travaux récents de l'ethnologie montre que la
manière dont le négro-africain traditionnel perçoit le monde
et réagit à son égard présente un certain degré d'homogénéité
à travers le continent. On peut regrouper les données recueil-
lies en trois points
Le premier déjà développé, considère la nature comme
un système de forces en équilibre; nous n'y reviendrons pas.
Le deuxième traite la nature comme un système de
significations. Celle-ci représente le canal par lequel le
/
"Grand Créateur" communique avec l'humanité. La réception du
message impose que 1 'homme pratique une observation attentive
- 273 -
de la nature, modèle vivant d'équilibre
ce modèle doit in-
former la vie sociale.
La connaissance consiste donc en une activité de
captage des informations naturelles. A cet égard, il faut
noter l'analogie entre la nature et l'homme. L'homme possède
une tête; la nature aussi; clest le IIGrand Créateur ll qui en
est la tête pensante. L'homme possède des jambes~ se déplace
dans le temps et dans l'espace; la nature aussi; sa marche
en fonction du temps détermine l'espace de saisons. L'homme
est mû par des sentiments de joie, de tristesse et de colère
la nature aussi: elle est musique à certains moments, tris-
tesse à d'autres; elle laisse exploser sa colère de temps à
autre par le vent, le tonnerre ... La nature apparaît donc
comme un grand portrait de l'homme et inversement. Le "conna i s-
toi toi-même ll de Socrate invite l 'homme à une réflexion sur
lui-même. Le négro-africain dirait à la place de cette formu-
le : "Ap pr e nd à connaître la nature, ton do ub l e ". Déduis de la
nature les informations nécessaires à l'organisation d'une vie
personnelle et sociale équilibrée.
Par quelle méthode le négro-africain parvient-il à
décoder la nature?
Le mythe raconte qu'au départ, il y avait une rup-
ture entre l 'homme et la nature; chacun parlait un langage
différent. Un jour, le Grand Créateur donna vie au langage de
l'intelligence commun à l'homme et à la nature; et la commu-
- 274 -
nication débuta. Dans son effort de décodage, l 'homme perçut
quelques secrets de la nature.
Il reçut par la suite l'ordre
de poursuivre les investigations pour approfondir sa connais-
sance, dans le respect des équilibres établis.
La méthode d'investigation " révélée ll est la méthode
symbolique. Celle-ci procède par une approche globale de la
réalité et évite de ce fait la décomposition de l'objet: le
sens n'est pas dans la partie, mais dans le tout. La méthode
symbolique vise à dégager les analogies, les correspondances
entre les faits naturels et les faits humains, à saisir leur
cohérence signifiante. Elle ràppelle les expériences modernes
de simulation à la différence que celles-ci sont provoquées
par l'homme. La grande expérience de simulation pour le négro-
africain, c'est l'expérience naturelle. A titre d'exemple, un
guérisseur Bété (1) raconte comment la nature lui a appris à
soigner les .. morsures de serpents: IIUn jour, alors que je me
promenais en forêt, l'occasion me fut donnée d'assister àun
combat entre deux serpents mambas. Après plusieurs minutes
dia f f r 0 nt e men t, l 1 und e s s e r pen t s, é Pui s é,
r est a i na ni m
Le
é
,
vainqueur alla chercher une petite branche d'un arbuste qulil
déposa sur le vaincu; quelques instants après, celui-ci se
ranima et les deux répartirent ensemble. J'ai identifié par la
suite cet arbuste; et c'est avec ses feuilles que je soigne
les morsures de serpents; elles contiennent une puissance
(1) Groupe ethnique du Centre-Ouest de la Côte d'Ivoire.
- 275 -
capable de détruire le vénin ll • Le remède est un don de la
nature que l'observation a permis d'identifier. La nature dé-
~oile ses secrets à celui qui lui prête attention; elle
1 'instruit.
C'est pourquoi il convient de développer progressi-
vement l'attention del'être humain, de l'intégrer dans la
nature par les rites d'initiation. L'initié accède à des
secrets naturels pendant sa formation; sa force personnelle
peut l'amener à dépasser ce niveau minimum, à se hisser au
rang de devin. La divination est l'art de découvrir ce qui
est caché par des moyens qui ne relèvent pas d'une connaissance
naturelle. Pour le négro-africain, la rationalité divinatoire
ne forme pas un secteur de connaissance à part; elle parti-
cipe de l'ensemble de la pensée sociale. Le devin possède un
statut social; sa compétence lui donne le pouvoir de déchif-
frer l'invisible par rapport à un type de rationalité de
nature symbolique.
Il fonctionne comme un sémiologue, un ex-
pert de l'interprétation des signes. La divination est donc un
moyen de connaissance parmi d'autres, fondée sur une véritable
herméneutique.
La typologie de G. Balandier (1) distingue plusieurs
modes de connaissances en Afrique Noire: l'ordre du savoir
caché, l'ordre du savoir communiqué et l'ordre de l'action.
(
Le savoir caché lui-même se subdivise en pensée mythique qui
(1) Colloque de Sèvres, Septembre 1964.
- 276 -
constitue l'instrument sacralisant l'ordre des choses, et en
savoir mystique qui fait une part à la révélation personnelle.
L'ordre du savoir communiqué est constitué par les cérémonies
d'initiation, par les littératures orales et les arts. Enfin,
dans 1 'ordre de l'action, nous trouvons la pensée utilitaire,
les techniques, l'art militaire, la pharmacopée et surtout les
organisations pol i t i que s v •
Les trois formes de connaissance en tant que facet-
tes dlune même réalité cosmique interfèrent. Clest ainsi que
dans certaines situations, 1 ladministration du médicament au
patient exige la mise en place d'un rituel dans lequel la
parole du guérisseur accroît la force du médicament, le sacra-
lise; que des cérémonies destinées à maintenir la fécondité
de la terre sont organisées avant l'implantation d'un nouveau
champ.
La représentation symbolique unifie les domaines de
connaissance sans les confondre, s'attache à les intégrer dans
des systèmes plus signifiants: IILes significations s'asso-
cient les unes aux autres de telle sorte que l'univers appa-
raît comme un vaste tissage dont chaque élément est relié par
les fils de la trame et les fils
de la chaîne à une infinité
d'autres éléments ll (1).
Le troisième point, enfin, considère la nature comme
(1) Pierre ERNY, op. ait., p. 18?
- 277 -
un modèle de religion. L'idée que la nature est un organisme
vivant doué de force conduit le négro-africain à placer Dieu
derrière toute cette organisation. Chaque créature est por-
teuse de sens; elle est manifestation d'une fonction parti-
culière. L'homme doit rechercher à réduire ses antagonismes
avec la nature, à vivre en symbiose avec elle. Sa provocation
doit faire l'objet d'un rite; un chasseur digne de ce nom ne
tue pas un animal sans solliciter ~ne autorisation auprès des
Ancêtres, auprès de la lignée de l'animal. Le chasseur n'est
pas l'ennemi du chassé: liA l'égard du chassé, il n'exprime
que louange et respect. Le chasseur et le chassé jouent sim-
plement leur rôle dans le drame de l'existence. L'homme de
brousse compose des chants pleins de charme et de sensibilité
à la gloire de l'antilope, qu'il chante et danse en l'honneur
de la mise à mort ll (1).
La nature n'est pas un ennemi qulil faut vaincre.
L'Africain sent qulil fait lui-même partie de celle-ci et qu'-
il est pris dans un réseau de relations avec l 'univers animé.
Lorsque les choses vont mal, c'est parce que les relations ont
été faussées, qu'elles ont perdu leur harmonie. Il faut faire
un sacrifice pour renouveler la confiance naturelle,
renforcer
la solidarité.
Le respect de la nature entraîne le respect de
l'homme, de l'ordre établi, de la hiérarchie des forces. Le
(1) ALLA55ANE N'DAW : op. ait., page 85.
- 278 -
chemin de l 'homme à Dieu passe forcément par les parents, les
Ancêtres. Dans cette quête de médiation la pensée animiste
recourt aussi au fétiche pour atteindre le Dieu lointain. Chez
les Bambara du Mali, on s'adresse à Dieu ou Massa Dambali par
l'intermédiaire IIdes fétiches ayant charge de transmettre des
doléances ou de recevoir de lui des ordres ll • La notion d'in-
termédiaire, de relais revêt une importance particulière dans
les échanges humains
à haute signification.
Le recours à une
personne relais de la communication, capable de réguler l'in-
formation permet d'équilibrer les échanges, de leur garder une
hauteur spirituelle, et surtout d'éviter la confrontation
directe des forces vitales en présence.
L'animisme est une religion, une philosophie de vie~
Contrairement aux religions révélées qui distingue matière
inerte et matière vivante, la religion animiste proclame la
continuité de la matière: Toute matière est vivante et en
expansion; elle contient des informations cachées qu'il faut
découvrir pour la connaitre, car rien ne se fait au hasard
dans la nature. La théorie de l'évolution biologique tend de
plus en plus vers la même conception des choses. La thèse
démontre que les particules se sont assemblées pour donner les
atomes, la combinaison des atomes a produit les molécules et
celle des molécules, le premier être vivant. L'évolution de la
vie jusqu'a 1 'homme apparait donc comme un processus de com-
/
plexification progressive de la matière informée. La frontière
entre la matière inerte et la matière vivante s'estompe d'elle-
- 279 -
même. Cette convergence n'élimine pas la divergence fondamen-
tale relative ~ la création de la matière. Pour l'animiste,
la "matière vivante" est créée et gérée par Dieu; l'homme
doit lui adresser son message s'il veut prospérer. Ne voit-on
pas l'animiste Dogon (Mali), après les semailles, le visage
levé vers le ciel dire: "Mânes de mes Ancêtres dites ~ AMMA
~Dieu) que j'ai fait ce qui est de mon pouvoir: ouvrir un
trou dans la terre et y enfouir la semence. A AM MA de la faire
germer par sa force providentielle et de la faire mûrir pour
me nourrir".
(1).
L'animisme est-il une religion fataliste? Oui, la
conception animiste apparaît à première vue fataliste; mais
le fatalisme n'est pas définitif; il peut être modifié par
un sacrifice, une cérémonie rituelle; le rite peut changer le
cours de l 'histoire. La perfection spirituelle de l'homme mo-
difie son destin.
Dan s l are pré sen t a t ion né gr 0 - a f r i ca i ne, l 1 homm e forme
un tout signifiant avec la nature.
2.2. - LA REPRESENTATION DE L'HOMME
--------------~-------------
La vision globale de l'univers signifie l'élément
par rapport à l'ensemble. L'homme en tant qu'élément de l'uni-
(1) Les religions africains traditionnelles, Rencontres Internationales de
Bouaké, Paris, Ed. du Seuil, 1968, p. 38.
- 280 -
vers ne représente rien tout seul. Il.f,;ltJt le resituer dans le
cadre de référence général
pour décoder son sens. Il résulte
de cette conception que la société est une image réduite de
la nature, et l 'homme, une image réduite de la société. La
connaissance de la société implique la connaissance préalable
de la nature, tout comme la connaissance de l 'homme implique
celle de la société.
La liberté de l 'homme ne se conçoit pas indépendam-
ment de celle de la société: une société libre produit un
homme libre; comme dit le proverbe balari : "c'est à son père
ou à sa mère que le rat doit sa longue queue"
.il
l'a héritée
J
de sa lignée.
L'homme est rattaché à son groupe d'appartenance par
un cordon ombilical; sa rupture symbolise la mort, le néant.
On comprend alors l'importance de la famille, du clan dans
i 'existence de l'individu, dans l'expression de sa force vitale.
La culture africaine développe une représentation
plus sociale qu'individuelle de la personne: "Gamba tout
seul ne saurait jamais soulever sa case" affirme un proverbe
sérère (1). L'autre se présente au négro-africain comme une
nécessité sans laquelle les tâches quotidiennes ne sauraient
être
exécutées. L'individu fait partie intégrante d'une so-
ciété des vivants et des morts en dehors de laquelle il ne
(1) Les SeY'èY'es sont une ethnie du Sénégal.
- 281 -
saurait conserver quelque consistance ontoloqique que ce soit.
La société est constitutive de la personne; elle l'implique
dans une multitude de structures: la famille, le lignage, la
tri bu ....
Il n'est donc pas étonnant de voir, dans ce contexte
d'absorption de l'individu par la société, la prolifération
d'institutions éducatives destinées à la socialisation. Les
rites d'initiation, les classes d,âqe représentent de telles
institutions. La' formation de l'élève s'y déroule suivant une
philosophie précise: "On éduquera donc l'enfant d'abord et
avant tout en fonction de la vie qu'il est destiné à mener au
sein de la collectivité familiale, comme membre d'un groupe
chez qui
les motifs d'actions sociaux devront toujours l'em-
porter sur ceux qui lui sont personnels et qui ne Dourra se
concevoir lui-même qu'en fonction de l'ensemble auquel il est
intégré" (1).
Par son orientation, la formation traditionnelle met
moins l'accent sur la distinction individuelle que sur
la ressem-
blance au groupe. La réussite personnelle suscite souvent des
interrogations; car elle peut résulter de la manipulation de
forces cosmiques en faveur de l'individu. Le remède réside
dans la restitution de l'oeuvre réalisée à la société: la
création individuelle se transforme alors en oeuvre collective.
/
( 1)
Pierre ERNY, op. cit., p. 56.
- 282 -
Dès lors, on comprend aussi pourquoi les oeuvres d'art ne sont
pas la propriété de leurs auteurs. On va même plus loin dans
certaines contrées de l'Afrique où l'introduction de la mon-
naie n'a pas modifié les coutumes. Il est socialement admis
que l'artiste ne profite pas des devises de son art sous peine
de se voir dépossédé de celui-ci par les Ancêtres. L'art est
un héritage social, un don de Dieu par lequel 1 'homme accède
au beau; seule la société doit le récolter parce qu'elle
seule le sème.
En définitive, la pensée occidentale et la pensée
négro-africaine développent des représentations particulières
de la nature et de 1 'homme. Elles abordent le réel selon deux
méthodes appropriées qui ne sont pas également favorables au
dévelo~pement du raisonnement expérimental: la méthode analy-
tique et la méthode symbolique conduisant à l'explication cau-
sale et à l'explication finale. On peut en déceler les effets
dans la structuration de la catégorie de causalité.
IV - REPRESENTATIONS DU MONDE ET CATEGORIE DE CAUSALITE
Le mode de connaissance scientifique et le mode de
connaissance symbolique anpréhendent différemment le réel,
l'un mettant en oeuvre l'explication causale et l'autre, l'ex-
/
plication finale.
La causal ité est l'axiome en vertu duquel tout phé-
- 283 -
nomène a une cause. Elle repose sur le principe du déterminisme
clest-à-dire d'un ordre des faits suivant lequel les conditions
d'existence d'un phénomène sont rigoureusement déterminées et
fixées de telle façon que, ces conditions étant Dosées, le
phénomène se produit systématiquement. Le déterminisme consti-
tue le fondement de l'induction.
La démarche causale impose la séparation du sujet et
de l'objet
elle suppose que les objets existent extérieure-
ment à lui et qu'ils agissent les uns sur les autres indépen-
damment de lui. La causalité est un système d'opérations
attribuées aux objets. Sa construction entretient une inter-
action constante avec les opérations du sujet: le développement
de l'une entraîne le développement des autres. Aux opérations
déductives de la raison construites par abstraction refléchis-
sante s'associent les opérations inductives à base d'abstraction
simple et dont le point de départ se trouve dans l'expérience.
La connaissance par le mode causal implique l'emploi
d'une démarche expérimentale analytique. La méthode analytique
permet d'atteindre un certain degré d'objectivité; elle reste
surtout efficace pour rendre compte de la causalité linéaire:
mais elle pêche par son réductionnisme, son incapacité à saisir
la complexité.
/
Le progrès réside dans l'idée d'une causalité circu-
laire où cause et effet sont confondus et ne sont pas séparés
dans le temps. La causalité des ohénomènes Dsychologiques est
- 284 -
de cet ordre: on sait par exemple que les pratiques éducati-
ves des familles expliquent le développement cognitif observé
dans un milieu donné; mais le développement c09nitif explique
à son tour l'évolution des pratiques éducatives.
Pour sortir
du cercle vicieux, le psycholoque épris de rigueur coupe
arbitrairement le cercle en un point, l'étale le lonq de la
.
"
flèche du temps et déduit la relation familière d'avant et
d'après entre la cause et l'effet.
Oans l'ordre de la connaissance, l'explication cau-
sale assure le développement d'une pensée divergente. De"
jour en
jour, la science abat les cloisons de l'univers et les horizons
de l'homme s'élargissent.
La pensée négro-africaine révèle une conception
différente de la causalité correspondant à sa vision du monde.
L'univers est un ensemble de forces interconnectées, douées
d'un princige interne de direction, d'une finalité. Rien ne
s'y produit au hasard, toute cette organisation obéissant à
des lois intentionnelles de création.
L'explication des phénomènes s'élabore à deux niveaux
en fonction de la hiérarchie des forces vitales: le niveau de
la cause première et le niveau des causes secondes. La cause
première questionne sur l'origine de l'être; elle postule
l 'e x i ste nc e d' unD i e u i nc réé, c réa t e ur d u mon de e t de l ' h0 mm e '.
C'est la cause essentielle, celle qui provoque l'existence de
l 'univers, détermine l'ordre naturel des choses.
- 285 -
Les causes secondes sont une réplique de l'esprit
humain pour comprendre les réaularités de la nature. Elle re-
lèvent de l'expérience et constituent le point de départ de
1 'expl ication scientifique. Si par exemple
au cours de l'his-
t
toire
1 'homme a su dist1nguer les champignons comestibles des
t
champignons vénéneux
il le doit à sa capacité à poser une
t
relation stable entre la consommation du champignon et la réac-
tion de l'organisme. La connaissance de cette relation permet
à la science d'identifier la toxine et d'étudier son mode
d'action sur l'organisme en termes de comment a9it-elle ?
Le négro-africain donne de cette relation une inter-
prétation particulière centrée sur le pourquoi. Pourquoi le
créateur a-t-il doté ces champignons de toxines? Ouelle était
son intention initiale? Finalement
l'effort d'explication
t
s'oriente plutôt vers la cause première. Le pourquoi pousse
l'individu à s'interroger sur 11 intention qui est ~ortée à son
attention
à remonter la filière jusqu'à la cause première
t
t
les causes secondes ou causes - relais ne rendant nas compte
de l'être.
La science dans son effort de connaissance ne dépasse
pas le niveau des causes s e conde s , de l'explication causale.
Quant à la rationalité négro-africaine
elle s'efforce de sai-
t
sir directement le message du créateur et priviléqie de ce
fait l'explication finale.
La notion de cause-relais (intermédiaire) occupe une
- 286 -
place de choix dans les tentatives d'explication finale. La
cause-relais n'est jamais la vraie cause, la cause essentielle
elle réalise une intention causale plus lointaine. Ainsi une
mort accidentelle (accident d'automobile par exemple) réfère A
autre chose qu'A l'automobile-relais. Il peut s'aqir pour le
défunt d'une punition divine consécutive A la transgression des
normes sociales ou des interdits collectifs. Dans un tel con-
texte, la mort d'un homme n'est pas un phénomène aléatoire;
elle a toujours un sens; et ce sens est d'autant plus diffi-
cile A cerner que le défunt est jeune. Seule la mort d'une
personne âgée ob~it aux règles de la nature ~ mais une vieil-
lesse excessive pose aussi problème; car on peut émettre
l'hypothèse de la monopolisation de la force vitale par la
personne âgée. Ce monopole diminuerait la force vitale des
jeunes et les rendrait plus vulnérables. Dans ces conditions,
la maladie expliquerait le décès en tant que cause-relais ~ la
vraie cause se trouverait dans la thésaurisation à titre indi-
viduel de la force vitale destinée à la lignée: la maladie
tue lorsque l'individu n'a plus la protection sociale requise.
La notion de cause-relais apparaît aussi dans une
étude que nous avons réalisée sur ilLe langage des amulettes
en pays M'Batto" (Côte d'Ivoire) (1).
Après avoir constaté que, dans le pays M'Batto, les
(1) TAPE (G.), Le langage des amulettes en Pays M'Batto, Annales de l'Uni-
versité d'Abidjan, Série D Lettres, X, 19??, pp. 121-152.
- 287 -
personnes atteintes de troubles affectifs (enfants. adoles-
cents) portent des amulettes visibles à différentes parties du
corps. nous avons présumé que les amulettes constituent des
codes par l'intermédiaire desquels l'entourage humain r p r e
é
è
les troubles de l'enfant et adopte des conduites favorables à
la résorption de ceux-ci. La recherche a confirmé l'hypothèse;
mais l'interprétation scientifique diffère de celle des habi-
tants du milieu traditionnel; pour eux, l'amulette contient
la puissance des Ancêtres; c'est pourquoi elle est efficace.
Les conduites positives qu'ils produisent eux-mêmes à la lec-
ture de l'amulette ne jouent qu'un rôle de catalyseurs; la
vraie cause de la guérison passe par l 'ammulette-relais de la
puissance ancestrale.
La différenciation des causes en cause oremière et
en causes secondes introduit des niveaux dans la connaissance.
La connaissance idéale c'est celle qui découle de la cause
première qui signifie l'univers. Tous les hommes n'ont pas
accès à ce niveau élevé; seuls les gens surdoués, maîtres de
la rationalité divinatoire l'atteignent. Ils disposent de
techniques symboliques adaptées au déchiffraqe de l'invisible
à la demande des
consultants. Au niveau moyen, juste après le
devin, se situent le féticheur et le sorcier, respectivement
représentants du bien et du mal. Ils utilisent aussi des tech-
niques de déchiffrage symbolique moins développées que celles
du devin, mais les associent à des connaissances empiriques
pour accroître la force de leur intervention. Ainsi le féti-
- 288 -
cheur consulte les Ancêtres, s'informe sur le sort du patient
avant de lui administrer le médicament; il
pratique une
médecine psychosomatique censée soigner l'être dans toute sa
totalité. Le sorcier exerce un rôle contraire; il utilise la
même démarche, sélectionne les points faibles par lesquels
attaquer l'individu pour le détruire. Au niveau inférieur,
nous avons la connaissance commune, celle de l'artisan, du
technicien ... Elle s'acquiert au terme de plusieurs années
d'apprentissage.
Les niveaux supérieur et moyen de la connaissance
sont plus valorisés dans les milieux négro-africains parce
qu'ils s'héritent, témoignent de la force vitale de la lignée.
Cette rerrésentation de la connaissance entraîne des conduites
de fuite en avant: l'artisan qualifié finira par créer un
rite pour mystifier son art; le bon guérisseur se mettra ra-
pidement à décoder dans l'environnement du patient des indices
signifiants pour donner une certaine hauteur à son explication,
unifier les plans visibles et invisibles de la personne.
Dans la vision négro-africaine du monde, l'explica-
tion finale est dominante.
Que 11 es s 0 nt 1e s retombée s de l' é t ude c0 mpa ra t ive
de la pensée occidentale et de la pensée négro-africaine sur
1
/
notre recherche? Il ressort de l'analyse que les deux formes
de pensée diffèrent quant à la reDrésentation de la nature et
aux méthodes d'élaboration des connaissances.
- 289 -
Pour le négro-africain, la nature n'est pas un objet inerte,
mais un organisme vivant, doué d'intentions. Elle nropose à
l 'homme un modèle d'équilibre capable de l'inspirer dans la
mise en place d'une organisation sociale solide. L'homme doit
donc se comporter comme la nature, se mettre à son école. Cette
représentation entraîne le choix d'une démarche expériencée
fondée sur l'observation macroscopique des faits en vue d'ajus-
ter lia ct ion huma i ne.
La pensée occidentale développe une représentation
particulière qui fait de la nature un simple objet de connais-
sance. Cet objet sans âme peut être décomposé et faire l'objet
d'une analyse microscopique. Cette vision des choses autorise
la manipulation de la nature pour voir, l'application de la
démarche expérimentale pour élaborer la connaissance théorique
sans forcément avoir une idée précise de son utilisation dans
l'action concrète.
On peut donc s'attendre à ce que la pensée négro-africaine
plus centrée surl 'action (la finalité, le but, la fonction
des choses) éprouve du mal à utiliser le raisonnement expéri-
mental fondé sur le possible. Le milieu socio-culturel de
l'Afrique traditionnelle serait moins favorable que le milieu
occidental au développement d'une pensée formelle détachée de
lia c t ion. Au s sis e rai t - i l né ces 5 air e de voi r s' i 1 ex i ste d' au -
tres logiques en dehors de la logique formelle pour décrire le
fonctionnement de la pensée naturelle.
- 290 -
L1étude comparative des éducations africaines traditionnelles
et moderne permettra de spécifier dans quelles conditions édu-
catives les deux formes de pensée s'élaborent.
• 291 •
CHAPITRE VII
DE L'EDUCATION A~RICAINE TRADITIONNELLF.
AL'EDUCATION MODERNE,
L'avènement du machinisme, de l'industrie et des
concentrations humaines que celle-ci entra~ne, ~arque la
démarcation entre l'éducation traditionnelle et l'éducation
moderne. L'expansion du machinisme industriel a non seulement
transformé les conditions ~atérie11es de vie, Mais aussi les
modalités de la pensée. La machine a bouleversé les Méthodes
de production artisanales, renversé les traditions, ~is en
contact des sociétés de plus en plus diverses.
Les conquêtes coloniales entreprises en Afrique, au
siècle dernier, sous les impératifs de l'industrie, ont pro-
voqué une rupture dans la société et le système éducatif
traditionnel. L'industrialisation, l'urbanisation et la
création d'écoles ont scindé le continent en deux: l'Afrique
traditionnelle et l'Afrique moderne, avec chacune son système
éducatif spécifique, fondé sur un projet de société propre.
Quels sont alors les valeurs et les principes qui
sous-tendent respectivement l'éducation traditionnelle et
l'éducation moderne, principes et valeurs au nom desquels
chaque groupe oriente l'action éducative?
i
/
Le chapitre s'articule en trois volets
- Dans le
premier. nous essayerons, par l'exo1i-
• 292 •
cation des textes traditionnels (proverbes. contes) et des
textes officiels (éducation moderne). de mettre en évidence
les principes et valeurs qui ~u1dent l'action éducative .
• Dans le second, il s'agira de cerner les caracté-
ristiques pédagogiques des deux types d'éducation, caracté-
ristiques pouvant influer sur les compétences cognitives.
- Enfin, dans le troisième volet, nous centrerons
l'analyse sur les moyens pédagogiques des éducations africaines
traditionnelle et moderne.
1 - PRINCIPES ET VALEURS DE L'EDUCATION
Qu'entend-on par Education? Pour E. Durkheim,
l'éducation est «l'action exercée par les générations adultes
sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale.
Elle a pour objet de susciter et de développer chez l'enfant
un certain nombre d'états physiques, intellectuels et moraux
que réclament de lui et la société politique dans son ensemble
et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné» (O.
Cette définition a le mérite de souligner la dimen-
sion sociale et culturelle de l'éducation ~ mais elle limite
la portée de l'action éducative à la jeunesse. Avec les
progrès de la science et de la technologie, force est de cons-
(1) E. DURKHEIM, Education et Soci.oloqi e , Paris, P.U.F., 1975,
• 293 •
teter que l'êducation permanente est une réalité pour tout
homme. La définition de G. Mialaret, plus englobante, propose·
trois sens au concept d'éducation:
En première approximation,
le mot "éducation" a trois sens principaux. Il correspond
tout d'abord à une réalité sociologique; c'est le sens qu'il
a dans des expressions telles que "l'éducation française",
"l'éducation américaine", ou 1I1'éducation an t i qu e ", Dans cette
perspective, c'est un systèfTle d'ensemble qlli est considéré
avec toutes ses coordonnées politiques, économiques, philoso-
phiques, technologiques, démographiques ...
Le mot "é du c e t i cn ", dans un second sens, exprime le
po in t d'a r r i v e et 1e rés u1ta t d' un pro ces sus. 0n a un certa in
é
niveau d'éducation (primaire, secondaire ou supérieur) et l'on
dit couramment que les parents sont responsables de L' duc a-
é
tion de leurs enfants.
Avec cette seconde signification, on débouche immé-
diatement sur la troisième, qui est la plus courante; éduca-
tian ayant le sens de "e qi r " ; éduquer un sujet, c'est agir
sur lui de telle sorte qulà la fin du processus il soit autant
que faire se peut, à 11 image que l'on s'est faite de 1 'homme
L'éducation recouvre plusieurs réalités: le système
éducatif avec ses final ités et ses moyens; l'action éducative
t t ) G. MIALARET : Traùté des sciences pédagogiques, Tome IV, PUF, 1973,
p. 13.
• 29~ •
des me'tres sur les êlèves ; le bilan de l'action éducative.
Il est bien entendu que toutes ces réalités prennent toutes
leurs significations dans un contexte culturel. L'éducation
en dernière analyse vise le développement optimal de toutes
les ressources de chaque individu membre d'une société ...
Nous prenons ici le concept d'éducation au sens de
l'action éducative, afin d'étudier les principes et valeurs
qui la guident, lui donnent un sens. L'analyse s'appuie sur
les textes des proverbes pour l'éducation traditionnelle et
les textes officiels pour l'éducation moderne. L'objection
majeure que suscite cette démarche porte sur l'opportunité de
la technique choisie. Les principes et les valeurs inférées
de l'analyse de contenu des textes correspondent-ils ~ une
réalité vécue? Les principes et les valeurs constituent-ils
des idéaux qui règlent les conduites individuelles et les
rapports sociaux? Le problème n'est pas de savoir si le
groupe social vit réellement ces idéaux auxquels il s'identifi~
mais d'interroger le milieu sur ce qui est désirable pour
l'éducation de l'enfant et la pédagogie, sur ce qui est fait
pour tendre vers la réalisation de ce désir. L'étude des
principes et des valeurs par la médiation des proverbes et
des textes officiels permet d'atteindre cet objectif.
• 295 •
, • LES PRINCIPES ET LES VALEURS DE L'EDUCATION
TRADITIONNELLE
(1).
La lecture des proverbes révèle trois principes es-
sentiels
Le respect des institutions
La solidarité et l'entraide
- L'action personnelle.
Principe 1 : Les respect des institutions
La conservation de l'ordre du monde
t e bl i apparait
é
comme la préoccupation primordiale du négra-africain. Le monde
est si bien organisé que l 'homme se doit de profiter de cette
harmonie pré-établie, d'organiser sa société li l'image de
celui-ci. Une telle orientation des rapports au monde impli-
que la mise en place de sociétés fondées sur des rapports
stables. Comment y parvenir? Il faut interroger l'expérience t
les gens qui observent la nature depuis des années; il faut
les écouter, car leur parole rend la sagesse qu'ils yont
capturée.
Que disent alors les sages, ces piliers de la société
africaine traditionnelle? Le premier principe qu'ils portent à
l'attention des membres de la société, c'est le respect des
(1)
Les proverbes cités dans ces textes sont d'origine Nt Zema , une ethnie
du groupe AKAN du sud de Û1 Côte d'Ivoire. Ils ont été recueillis par
P. N'DA (1971).
- 296 -
institutions qui ont fait leur preuve depuis plusieurs géné-
rations. Les institutions sociales organisent les rapports
sociaux et permettent à chaque individu de profiter des bien-
faits de la société. Que dit le proverbe à cet effet? "Le
poussin qui suit sa mère, mange la patte du cancre1at". Les
distances qu'on prend à l'égard de la vie sociale constituent
un risque. Les proverbes préviennent: "Qui perd son père est
sans protection" ; " si ten père et ta mère te donnent des
conseils que tu n'écoutes pas, les souches de la route t'en
donnent". (Les tracas de la vie t'apprennent à vivre). Le
repli sur soi conduit à l'iMpasse; l'enfant doit apprendre à
écouter.
Le proverbe ne prévient pas seulement les éventuels
rebelles du danger qu'ils courent; il leur présente l'enfant
idéal, celui qui a accepté sa société et ses normes et qui en
retour est tout accepté par celle-ci: "L'enfant qui sait se
laver les mains, mange avec les adultes". La pratique de la
propreté introduit l'enfant dans le monde des adultes; elle
lui confère le statut d'initié, de sage en herbe. L'intégra-
tion sociale est au prix d'un apprentissage précoce des normes
sociales.
Il n'est d'aucun intérêt de lutter contre les siens,
contre les lois de sa société; on y perd toujours.: "Si tu
te fâches contre le féticheur de chez toi, dit le proverbe, ton
enfant meurt sans soin". Il faut toujours avoir en tête que
• 297 •
tout comme la mère, la société ne peut vouloir que du bien à
ses membres, malgré les contraintes qu'elle impose. la preuve
en est que "la patte de la poule-mère n'écrase jamais son
petit".
Il faut donc savoir défendre et protéger sa société
et ses normes envers et contre tout; en effet, "on n'indique
pas malicieusement de la main gauche, le chemin de la maison
de son père, à qui vient le tuer". Le devoir familial ordonne
la protection de la vie des parents.
Il importe de savoir respecter l'ordre des choses,
la hiérarchie sociale. Enfants, souvenez-vous que "tant que
la tête est sur le cou, le genou ne porte pas le chapeau",
que "la poule connaît l'aurore, mais c'est le coq qui chante"
et sachez qu'il y a un ordre naturel des choses.
L'éducation traditionnelle vise à faire acquérir le
respect des institutions établies. la nature de ce principe
permet de déduire les valeurs adaptées au fonctionnement du
système éducatif suivant le principe de la cohérence logique.
En effet, il serait incohérent qu'une éducation centrée sur
le respect des pratiques coutumières prêche dans le même temps
une valeur comme l'esprit critique supposant une remise en
question permanente de ce qui est. La cohérence du système se
remarque dans l'éclosion des valeurs comme la politesse,
l'obéissance, la soumission à l'égard des parents et de la
société qu'ils symbo1isent.
• 298 •
le respect des institutions,facteur de l'unitê du
groupe, appelle le principe de la solidarité et de "entraide.
Principe 2 : La solidarité ét "entraide
Le second principe de l'éducation traditionnelle
affirme la solidarité et l'entraide des membres de la commu-
nauté. Voyez "Les Fourmis magnans se tiennent pour traverser
l'eau" et corrprenez "qu'une tête est un campement" de par ses
limites. La collectivité a d'énormes possibilités qu'elle
tient de la diversité de ses membres. Tenez, "la main droite
lave la main gauche, et la main gauche lave la main droite"
aclest l 'oreille qui apprend la bonne nouvelle du rémède
guérisseur, mais c'est la main droite qui
le prend". Pourquoi
les hommes ne pourraient-ils pas coordonner leurs oossibilités
alors qu'un organisme vivant le fait.
La solidarité ne doit pas seulement se situer au
niveau horizontal, entre enfants, mais aussi au niveau verti-
cal, entre adultes et enfants
et le proverbe constate: "La
main de l'adulte ne passe pas à travers le col étroit du pot
de même la main de l'enfant nlatteint pas le haut du séchoir
à a l i men t s '". Sil Ion a sou ven t be soi n d' un plu s gra nd que soi,
on a aussi besoin dlun-plus petit que soi.
Solidarité et entraide appliquent la règle de com-
plémentarité à tous les membres de la communauté. Mais elles
ne doivent en aucun cas entraîner la suppression de tout
• 299 •
esprit critique au point de ne pouvoir se désolidariser quand
c'est indispensable. Il faut éviter de suivre les autres c~
un mouton de Panurge
1151 la viande crue est tabou pour toi t
ne te lie pas d'amitié avec la panthère ll • Le choix du parte-
naire doit se faire en fOAction des possibilités et des limi-
tes personnelles.
Le deuxième principe de l'éducation inaugure de
nouvelles valeurs. Dans une société autocentrée où l'être est
plus important que 1 lavoir, on ne peut s'étonner du désir de
développer l'esprit coopératif, le sens de la solidarité dans
le bonheur et dans le malheur. L'équilibre et la survie du
groupe en dépendent. L'élan de solidarité est d'autant plus
fort que les cultures négro-africaines sont de tradition
orale. La préservation de celles-ci appelle le développement
des rapports humains, la multiplication des échanges inter-
personnels.
Un fait nouveau, l'esprit critique que sembl~it
bannir le premier principe, refait ici surface. La société
traditionnelle encourage l'épanouissement d'un certain esprit
critique. Cette apparente contradiction se comprend resituée
dans le cadre des problèmes d'adaptation vitale
quotidiens
que les gens rencontrent. Il faut avoir l'esprit crttique
pour aborder les problèmes qui n'ont pas encore fait l'objet
d'une expérience séculaire. L'exercice de l'esprit critique
se réalise dans les limites du respect des institutions éta-
• 300 •
b11es. L'act1on personnelle obê1t·elle & la même contra1nte 7
-
Pr1nc1pe 3
L'act1on personnelle
L'homme n'est pas v1ct1me d'un déterminisme absolu
qui le condamne à être prisonn1er de son héréd1té ou du jour
de sa naissance
"Assouan ne réussit pas; il prétend que
c'est parce qu'il est né la nu i t ", Chacun est responsable de
ses actes et les prétextes ne tiennent pas. La réussite dans
la vie vient du travail personnel. L'action personnelle donne
de bons résultats; ce qui est donné reste toujours insuffi-
sant et peu satisfaisant: ilLe sel mendié ne suffit pas pour
assaisonner un repas à point". Il faut éviter grâce au travail
personnel, la dépendance qui enchaîne et avil it ; car l'homme
dépendant ressemble à l'aveugle: "L'aveugle ne se fâche pas
en pleine forêt" ; comment sortirait-il de la forêt si celui
qui le guide 1 'y abandonne pour ses agissements.
Mais quels sont les ressorts de l'action personnel-
les? L'intérêt est un élément important; en effet "qui
travaille pour soi ne se fatigue pas". Il faut ensuite de la
volonté: la volonté de commencer: "Si tu veux aller au ciel
et que tu montes sur tes sandales, tu as déj~ pris le départ"
la volonté de continuer, de persévérer dans l'effort: "Tant
que celui qui te poursuit ne dit pas qu'il est fatigué, tu n'a
pas à dire que tu es fatigué ll •
Intérêt, volonté certes, mais avant d'entreprendre
- 301 -
une action, il faut définir les buts et les moyens, la prfpa-
rer. Regardez: "Avant de
oogner des cornes, le mouton recule".
Il convient de refléchir, de prendre en considération ses
possibilités et ses limites. Cela est si vrai que "c'est la
nuit que le manchot commence a s'habiller", que "quand les
animaux se rassemblent pour le départ, la tortue a déjà pris
les devants".
Le développement de l'action personnelle constitue
l'un des objectifs majeurs de l'éducation traditionnelle;
car non seulement cette action conditionne la vie matérielle
du groupe, mais elle est source d'expériences, de connaissan-
ces, de sagesse. L'homme sage observe et capte les régularités de
la nature, puis essaie d'en transférer le schéma au contexte
social. Il travaille à articuler les forces sociales sur les
forces cosmiques; il est de ce fait doté d'un esprit de syn-
thèse.
Dans ses principes et valeurs, l'éducation africaine
traditionnelle met surtout l'accent sur le respect des insti-
tutions grâce à leur conformité aux lois de la nature
elle
insiste aussi sur les valeurs de solidarité conformes à l'es-
~rit communautaire et sur la participation laborieuse de
chacun à la survie du groupe. Diffère-t-elle en cela de l'édu-
cation moderne?
2 - PRINCIPES ET VALEURS DE L'EDUCATION MODERNE
L'action éducative moderne s'exerce principalement
• 302 ~
par l'êcole. 11 faut questionner les textes officiels qui
fixent les objectifs de cette institution pour en extraire les
principes et les valeurs. L'analyse de contenu partira de
quelques articles de la loi du '6 AoOt '977, portant réforme
de l'enseignement en COte d'Ivoire.
-- Article 2 : Les institutions éducatives ont pour
mis s ion de dé ve 10 pp e r l' es prit d' i nit i a t ive, l' e s prit cri t ique
et le goût de l'action, d'assurer une éducation, un enseignement
et une formation fondés sur les objectifs nationaux du déve-
loppement, et de réaliser l'intégration sociale et culturelle
des citoyens tant dans la communauté nationale que dans les
grands
courants de la civilisation universelle.
-- Article 7 : Les établissements d'enseignement
doivent contribuer au développement national, ainsi qu'à
l'a ni mat ion cul t ure 11 e et s po r t ive du vil 1age e t de 1a région.
Ils doivent stimuler les vertus
civiques, et initier aux
responsabilités par la participation des élèves et des étu-
diants à leur fonctionnement.
-
Article 9: Les programmes et les méthodes d'en-
seignement doivent s'appuyer sur la tradition et la connais-
sance du milieu. Ils doivent permettre de développer l'esprit
de recherche et l'ouverture aux réal ités du monde rural et du
monde contemporain. Ils doivent faire prendre conscience de
la culture nationale et du rôle de l'Etat dans la construction
de la Nation.
• 303 •
Ces articles dégagent les finalités de l'éducation
ivoirienne et en révèlent les principes et les valeurs. Nous
retiendrons trois principes pour soutenir notre argumentation ..
Principe
Une éducation pour le changement
et le développement.
Un changement d'orientation s'opère par rapport ~
l'éducation traditionnelle avec la nouvelle conception du
développement. L'homme moderne ne se reconnaît pas seulement
comme un observateur attentif de la nature, mais comme un
agent de transformation de celle-ci
et l'institution scolaire
lui en donne les moyens. On comprend, après les indépendances,
le sens de l'effort consenti par les pays d'Afrique noire dans
l 'édif7ication de leurs systèmes éducatifs. On a fondé l'espoir
de consolider l'unité nationale, d'accélérer le processus du
développement dans la formation d'un nouveau type d'homme ayant
l'esprit d'initiative, le goût de l'action, le sens des res-
ponsabil i t s .
é
La nouvelle éducation est axée sur le changement par
la remise en question des acquis antérieurs. En cela, elle
s'oppose fondamentalement à l'éducation traditionnelle.
-
Principe 2
Le développement des capacités ind~
viduelles en vue de l'action per-
sonnelle.
Les caractéristiques de la société moderne déterminent le
• 304 •
profil de l'élève:
• Au niveau social, 18 société moderne est en pleine
mutation grâce au progrès de la science et de la technologie.
La formation doit faire de l'élève un agent de développement •
• Au niveau culturel, le rythme d'évolution des
connaissances scientifiques et des réalisations technologi-
ques est si rapide que toute formation doit préparer à 1'auto-
formation. L'école doit aussi tenir compte des autres moyens
de la culture que sont les média.
- Au niveau psychologique, 1 'homme d'aujourd'hui
est appelé A fournir dans sa vie quotidienne, un type d'effort
qui se caractérise par une adaptation continue. Il doit être
un homme apte à réfléchir et à découvrir; cela implique la
mise en oeuvre d'une intelligence malléable, très ouverte,
constamment à la recherche de solutions nouvelles qui répon-
dent au changement de l'environnement.
Les contraintes de la société moderne impose à
l'éducateur de développer les aptitudes générales de l'élève.
Ceci n'est possible que dans la mesure où le sujet acquiert
rapidement des capacités de formalisation susceptibles de
s'appliquer à n'importe quel contexte professionnel. La forma-
tion professionnelle spécialisée sera d'autant plus valorisée
qu'elle arrive après une bonne formation générale qui s'attache
à développer l'esprit critique, l'esprit de recherche et
d'équipe.
• 305-
Une fa 111 e a pp8 ra' t , auni ve au de cep r 1nc 1pe , ent re
l'éducation traditionnelle et l'éducation moderne. la société
moderne n'ayant posé aucune barrière pour contrôler le dérou-
lement de l'esprit critique, la remise en question permanente
de l'ordre établi ne pourrait-elle pas provoquer le chaos?
la science défend une position contraire ~ seule la connais-
sance de la structure des choses permettra à l 'homme de gérer
la nature. Cette différence du rapport de l'homme à la nature
distingue les deux types d'éducation.
Principe 3
L'ouverture sur le monde extérieur
et la coopération
Les moyens de communication ont rapproché tous les
points de la terre; l'information circule chaque jour entre
les continents; il n'est plus possible qu'un aVlon s'écrase,
qu'une élection se déroule quelque part, sans que le message
soit répercuté dans le monde entier. La science et la techno-
logie ont considérablement réduit les distances qui séparent
les pays. Il en découle une certaine homogénéisation des
bases matérielles de la culture: l'automobile, les média, la
machine, sont autant d'objets qu'on retrouve sous toutes les
latitudes et qui modèlent le rapport de l 'homme au monde.
Devenu réalité, l'interdépendance des Etats fonc-
tionne à un double niveau économique et culturel. Au niveau
économique, les échanges commerciaux assurent une complémen-
tarité entre les pays; la production n'est plus seulement
.. 306 ..
fonction des besoins locaux, mais aussi de ceux des autres
pays. Cette nouvelle philosophie de la production exige une
concertation permanente entre les Etats partenaires pour
fixer les modalités des échanges, établir une coopération
économique. Au niveau culturel, 1 'hétérogénéité des peuples
quant à la na l t r t s e de la science et de la technologie requiert
des échanges au plan de la formation.
En quête de savoir et
de savoir-faire, les pays du Tiers-Monde envoient leurs étu-
diants s'initier dans les écoles et les universités occidentales.
En attendant le retour de ceux-ci, ils recoivent des
coopérants
à même d'encadrer des activités de développement.
L'ouverture sur le monde devient un impératif caté-
gorique pour toute nation. Il faut y préparer le citoyen par
l'apprentissage des langues étrangères, le développement de
l'esprit de coopération et de solidarité.
L'ouverture sur le monde suppose enfin l'accepta-
tion et le respect de la différence. La différence avec l'au-
tre n'inspire plus mépris comme par le passé; elle est
richesse. On passe ainsi de la période de la hiérarchisation
des civilisations à celle de leur relativisation.
L'éducation moderne poursuit comme objectifs, le
développement des principes et des valeurs liés au changemen~
à l'innovation, à l'ouverture sur le monde.
Elle vise à fonner
des hommes capables de s'auto-déterminer en fonction des axes
de l'efficacité et non des normes groupales.
• 307 •
le probl~me se pose alors de savoir si les principes
et les valeurs des fducations africaines traditionnelle et
moderne sont en adéquation avec les sociétés qu'ils carattf-
risent.
3 - EDUCATION ET SOCIETE
L'éducation entretient des rapports dialectiques
avec la société. En tant que véhicule d'une culture, l'éduca-
tion incarne le moyen par lequel la société forme ses membres
en vue de leur intégration. A chaque société correspond une
éducation particulière en rapport avec son environnement
physique. social et culturel; en ce sens la société secrète
son éducation. En retour, l'éducation peut féconder la société
si elle dépasse le cadre de la seule transmission; .si elle
devient une activité de formation d'hommes nouveaux capables
de "re-créer" la société.
l'éducation constitue donc un véhicule de transmis-
sion de la culture et un moyen d'innovation de la société;
et c'est à l'importance que prend la transmission du oatrimoine
culturel ou l'innovation de celui-ci dans le système éducatif
qu'il faut saisir l'articulation de ce dernier sur la société.
3.1. - ARTICULATTON DE L'EDUCATION TRADITIONNELLE
------------------------------------------
Il s'agit de s'interroger sur les liens Qui existent
• 308 •
entre les principes de l'éduc8tion trad1tionnp.lle et les
caractér1st1qup.s de la soc1été traditionne'le. Les principes
découlent-11s de la soc1été ? Pour répondre l cette quest1on,
nous allons considérer les pr1nc1pes éducat1fs et les ex1aen-
ces des soc1étés.
Principe
Respect des 1nstitut1nns et de
l'ordre du monde établ i
Dans une société relativement stable avec les an-
ciens qui détiennent le pouvoir réel, la stabilité des habi-
tudes, des coutumes, de ce qui a déjà fait ses preuves, est
une valeur trop précieuse pour qu'on ne la protège pas à
l'aide de sentinelles. Non seulement on menacera l'éventuel
déviant de finir sa vie II s ur une peau de singe noire ll , aban-
donné des siens, mais on prêchera qu'on est toujours au mieux
dans le respect de l'ordre établ t , En effet, "quand on est
assis à un endroit, on est assis sur son bien ll , autrement
dit, quand on est installé dans l'ordre des choses, on est
tranquille, et on n'a rien à craindre tout comme II c e l ui qui
est étendu au sol n'a pas peur de tomber". Tous les enfants
doivent comprendre qulen réalité, les prétendus bouleverse-
ments, les innovations n'apportent pas grand'chose de nouveau.
Les a nc ê t r es s a ven t qu' i l n 1 y a rie n den 0 uvea u sou s l e solei l
qui affirment: IIAutrefois, quand les gens d'Akatatché
n'avaient pas encore appris à aller en mer, les petites mou-
ches du bord de la mer subvenaient à leurs besoins el imente ires ";
• 309 •
elles n'ont pas attendu l'organisation de la pêche par les
hommes. Non.qu'on ne nous raconte pas des histoires avec des
apparences, l'illusion du nouveau; car enfin, "quand il y
avait du sucre chez les Blancs, il y avait du miel sauvage
chez les Noirs" ; ceux-ci n'ont pas attendu le Sucre pour
conna'tre le sucré.
Le principe du respect des institutions et de l'or-
dre du monde établi découle bien de la vision du monde de la
société traditionnelle. L'homme doit vivre en s'insérant dans
l'équilibre de la nature. Les Anciens, les mieux placés pour
le savoir, compte tenu de leur expérience, disposent du pou-
voir politique nécessaire pour faire respecter le principe.
Les vues de l'éducation traditionnelle sont rétros-
pectives ; les modèles d'organisation de la société se choi-
sissent dans le passé, dans le IIdéjà réalisé" et non dans
"l'éventuellement r a li s a bl e ", C'est autour des acquis anté-
é
rieurs que doit se construire la solidarité du groupe.
-
Principe 2
La solidarité et l'entraide
L'individu ne peut se concevoir comme un être
indépendant, mais comme un être solidaire des autres. La so-
lidarité africaine vise la personnification et la socialisa-
t ion de l 1 i ndiv i du; 0 n peu t r e pré sen ter cet t e doubl e fi na l Hé
dans un système de coordonnées. L'axe vertical, celui des
ordonnées traduit la personnification: se définir comme
• 310 •
apersonne". c'est se situer à l'intérieur d'une lignée géné-
ratrice de force vitale; c'est s~affilier au courant énergé-
tique des ancêtres. .a f f i t-me r sa dépendance ontologique. Dans
une structure sociale de ce type, l'obéissance et la soumission
des descendants vis-~-vis des ascendants et des Ancêtres
paraissent les seules attitudes normales. La faute morale la
plus grave. celle qui "dépersonnifie". consiste à ne pas
r ec onna t t r e l'autorité des "Anc i e ns ", L'axe horizontal, celui
de l'abscisse représente la socialisation. Devenir "personne".
c'est entrer dans la communauté des hommes; c'est participer
aux réseaux de relations sociales. L'éducation de l'enfant
sera organisée de telle sorte qu'elle aboutisse à son inser-
tion au sein de la communauté familiale; on tâchera de
promouvoir non pas des valeurs d'indépendance mais d'interdé-
pendance.
L'intégration par l'initiation en classes d'âges
vise à renforcer la solidarité de tous ceux qui, par leur
degré de maturité, occupent une position identique vis-à-vis
de la société, jouissent des mêmes privilèges et remplissent
les mêmes fonctions sociales.
-
Principes 3
L'action personnelle
L'insistance sur l'action personnelle répond à une
double préoccupation: l'action personnelle entraîne d'abord
l'autonomie de l'individu et du groupe; elle détermine
ensuite le statut social. Dans une société communautaire où
.. 31 1 ..
chaque membre se conçoit comm un maillon d'un tout dont la
survie dépend de l'activité de chacun, il est indispensable
que l'on travaille. les proverbes disent à cet effet:
- "Ce n'est pas celui qui a faim qui mange, c'est
celui qui a sa nourriture".
- "Si ton ventre n'est pas plein, interroge ta
main".
Le proverbe introduit dans un univers de référents
culturels. L'image de la main figure le travail manuel agri-
cole. Elle situe la société dans un environnement favorable
à l'agriculture et dans une économie de subsistance. L'éduca-
tion traditionnelle condamne le parasitisme qui rend l'individu
irresponsable devant ses pairs, devant l'ordre de la nature
seul le travail permet d'accéder à un statut social; le
parasite n'est pas nommé; son absence aux cérémonies offi-
cie11es n1est pas remarquée.
Les principes et les valeurs de l'éducation tradi-
tionnelles sont bien en accord avec la société traditionnelle.
Observe-t-on la même articulation entre l'éducation moderne et
la société moderne?
3.2. - ARTICULATION DE L1EDUCATION MODERNE SUR LA SOCIETE
--------------------------------------------------
MODERNE
La société moderne a modifié la vision du monde du
négra-africain et transformé son rapport au monde Dar l'intro-
• 312 -
duc t ion de for mes noUve 11e s de dé ve10 ppe men t ê con 0 mi que. sod a1
et culturel.
Principe
Une éducation pour le ch~ngement
et le développement
Les Etats modernes manifestent le désir d'atteindre
un niveau de développement scientifique et technologique capa-
ble de soutenir le développement économique, social et culturel.
Il va sans dire que les structures de formation mises en place
(écoles, universités) sont en rapport avec les besoins de
développement. L'éducation doit armer chaque élève afin qu'il
réponde efficacement aux nouveaux besoins de la société.
Principe 2
Le développement des capacités
individuelles
Compte tenu des impératifs du développement, l'édu-
cation moderne s'attache à promouvoir les capacités indivi-
duelles de l'élève. Désormais le meilleur élève ne sera plus
celui qui ressemble à ses pairs, mais celui qui se distingue,
qui peut faire plus pour le progrès. La formation tradition-
nelle, par son esprit communautaire se gardait d'attribuer
des titres aux élèves, quoique des statuts individuels
spécifiques se distribuaient après l'initiation. L'essentiel
était de passer, moyennant une certaine dose de courage, d'une
étape de la vie à une autre, de renaître à une nouvelle vie
avec plus de forces. La formation par l'école utilise une
• 313 -
voie différente. Le passage d'un niveau' un autre ne dépend
plus seulement de l'Age, mais de la compétence individuelle.
Cette nouvelle conception des choses donne au groupe-classe
un caractère particulier t la classe n'est pas un centre de
solidarité comparable au camp d'initiation; elle est le lieu
privilégié de la compétition où chacun doit révéler sa per-
sonnalité. Dans une société fondée sur la division du travail.
une telle pratique se conçoit car le statut social dépend du
niveau de formation individuelle.
-- Principe 3
L'ouverture et la coopération
L'ouverture sur le monde extérieur résulte de l'in-
terdépendance effective des nations. Dans un monde construit
autour des échanges commerciaux et culturels toute forme de
perturbation dans un pays se répercute sur les autres. Tout
se passe comme si l'évolution socio-culturelle des hommes
leur assignait un même destin, comme si l 'humanité devenait
de plus en plus solidaire malgré les problèmes qui la divisent.
Il ressort de l'étude que les principes et les
valeurs d'éducation correspondent aux caractères ses sociétés
qui les secrètent. Ils assurent la cohérence interne des pra-
tiques éducatives et contribuent ainsi au maintien de l'équi-
libre social. C'est dire que l'éducation traditionnelle
s'accommode des valeurs traditionnelles comme l'éducation
moderne, des valeurs modernes. Elles constituent toutes deux,
les pôles extrêmes du processus d'éducation. Possèdent-elles
•
"1'+
•
1es mêmes caractêrist1ques pédagogiques?
II - LES CARACTERISTIQUES PEDAGOGIQUES DES EDUCATIONS
AFRICAINES TRADITIONNELLE
n MODERNE
Elles sont liées aux formes d 'êducat1ons. On dis-
tingue généralement deux formes d'éducation en fonction de
leur degré de formalité:
l'éducation formelle et l'éducation
informelle.
L'éducation formell~ se manifeste par une transmis-
sion explicite des savoirs et savoir-faire. Le maTtre agit
sur l'élève et son habileté est fonction de ses connaissances
et de son aptitude pédagogique. Le mode d'apprentissage
atteint le plus haut degré de conscience.
L'éducation informelle représente le monde de la
coutume, de la tradition. Elle s'identifie aux yeux des tra-
ditionnalistes avec les vertus de la nature, notamment
l'équilibre du monde établi. Dans cette optique, l'influence
du passé prime sur les exigences du présent et du futur. La
rigidité qui en découle, pr oc ur e à l'individu une vision
claire de son statut et de son rôle dans la communauté. Mais
sa résistance au changement est telle que toute innovation
oarait
difficile.
La dichotomie "éducation formelle/informelle" ne
- 315 -
nous empêchera pas de considérer l'éducation comme un processus
dynamique et continu allant du pOle informel au pOle formel,
Le choix de cette typologie para't heuristique si l'on veut
faire ressortir les contrastes entre l'éducation scolaire et
l'éducation traditionnelle. Mais il convient de faire remar-
quer qu'aucun terme de cette dichotomie ne suffit lui seul à
caractériser un type d'éducation, car toute éducation comporte
des aspects formels et informels. Chaque terme désigne donc
une dominance. A titre d'exemple, l'éducation scolaire répond
aux critères d'une éducation formelle; à côté d'elle, fonc-
tionne une éducation informelle comme apprendre à son enfant à
faire la cuisine par participation aux activités culinaires.
Compte tenu de la dominance dans la formation, on peut dire
que l'éducation moderne est plutôt formelle alors que l'éduca-
tion tradi~ionnelle est plutôt informelle.
Quels sont les caractères spécifiques des deux
formes d'éducation?
Les études antérieures (G. Tapé et al, 1977, P.
Greenfield et J. Lave, 1979)·permettent de dégager cinq carac-
tères distinctifs résumés dans le tableau ci-dessous.
• 316 •
Tableau
4
Etude
comparative de l'éducation informelle
et de l'éducation formelle.
_-----------------T"--------------~I
Education informelle
Education formelle
1- Activités intégrées à la
1- Activités séparées du
vie courante.
texte de la vie courante.
2- Apprentissage personnalisé.
2- Apprentissage impersonnel::
Les personnages de l'entou-
Les ma ît re s ne sont pas habi-
rage sont les ma1tres.
tuellement des parents.
3- Peu ou pas de programmes
3- Pédago g,i e et programme
explicites.
explicites.
f-
4- Apprentissage pa r observa-
4- Apprentissage par échanges
tion et imitation.
verbaux et
questionnement.
5- Motivations trouvées dans
5- Motivations sociales moins
la contribution sociale des dé-
fortes.
butants ; leur participation au
monde adulte.
Essayons de commenter ces différents caractères
- Caractères 1 et 4 : De l'apprentissage en situation à
l'apprentissage hors contexte.
• 317 -
L'éducation informelle. dans sa partie commune.
dispense une formation centrée sur les activités intégrées &
la vie courante; et l'adage dit bien que "c'est en forgeant
qu'on devient forgeron/l. L'enfant apprend par le contact avec
l'adulte. par observation et imitation de ses modèles compor-
tementaux. La situation concrète d'apprentissage fait que le
questionnement de l'adulte ou de l'enfant occupe une place
secondaire; ce qui
importe, c'est 1 'ad~ption des co~duites de
celui qui sait. Les interactions verbales adulte-enfant sont
assez rares et lorsqu'elles existent, elles utilisent le canal'
du "co de r e s t r e i nt " ; l'adulte explique l'activité à l'enfant
par démonstration en disant: "f a t s comme mo i " ; r'éva1uation
s'exprime aussi par des phrases courtes: "c t e s t çà, continur!'.
L'éducation informelle, sous sa forme commune, vise essentie1-
'lement à monter et à coordonner les schèmes perceptivo-moteurs
indispensables à la réalisation d'activités adaptatives à
orientation technique:, construire une case, forger une daba ...
Elle est complétée par une éducation spécialisée à vocation
morale. Il s'agit cette fois-ci, non pas de faire de l'adoles-
cent un simple technocrate, mais un être moral, sociable,
capable de résister aux multiples difficultés de la vie. La
formation par l'initiation en classes d'âges et toutes les
formations ésotériques traduisent cette finalité dans les
faits. Elles se déroulent généralement dans les centres spé-
cialisés, encadrés par des formateurs reconnus à cet effet. La
communication verbale y occupe une place de choix; ce qui
souligne à nouveau la prédominance des énoncés verbaux dans
·r
les apprentissages hors contexte; mais les langues initiati-
ques ont essentiellement pour fonction de coder et de conser-
ver secrètes les acquisitions faites pendant le staqe afin de
distinguer les initiés des non initiés.
Quant à l'éducation formell e , elle opère au travers
des activités séparées du contexte dela vie courante. L'école
constitue son véhicule de prédilection. COMpte tenu du fait
Qu'elle se déroule en dehors des contextes d'adaptation vitale,
les apprentissages portent sur les formes et les contenus;
ils se réalisent par le biais des échanges verbaux; le ques-
tionnement y est de rigueur dans la mesure où l'élève a besoin
de comprendre abstraitement, d'imaginer les contours du
contenu par l'intermédiaire des seuls concepts que le maître
présente. L'absence de l'objet réel dans la situation d'ap-
prentissage suppose l'emploi d'un discours exolicite, monosé-
mique, supporté par un code élaboré. L'apprentissage scolaire
passe par le canal des différentes modalités de présentation
conceptuelle. Des caracètres 1 et 4 des éducations formelle
et informelle, découle 1 'hypothèse suivant
laquelle l'éduca-
tion informelle, par ses pratiques, devrait favoriser le
dé ve 10 ppeme nt du pro ces sus der éa lis a t ion et l' éd uca t ion
formelle, celui du processus de formalisation.
~ Caractère 2
De la relation personnalisée à la relation
impersonnelle.
L'éducation informelle se déploie dans le milieu
• 319 •
naturel de l'enfant, dans le village, la famille. Les encadreurs sont les
personnages de l'entourage immédiat: le p~re, la m~re, l'oncle, la tan-
te ... Grâce aux liens de parenté, la relation ma~tre-é1ève est d'abord une
relation de connaissance affective avant d'être ensuite une relation de
connaissance cognitive. La personnalisation des rapoorts oéda90giques
a
pour finalité de sauvegarder la primauté du social sur le cognitif: c'est
l'occasion pour le formateur d'enseigner les convenances so-
ciales dans la relation "face A face", d'enregistrer les réac-
tions de l'éduqué en vue de les remodeler en fonction des nor-
mes communautaires.
La relation pédagogique traditlonnelle atteint le
double objectif de toute éducation, A savoir la formation hu-
maine et la formation technique, la première conditionnant la
seconde. La prise en charge dela personnalité totale de l'é-
lève par le maitre-parent s'inscrit dans la vision d'ensemble
de la philosophie négro-africaine de l'éducation. La différence
de celle-ci avec la philosophie occidentale entraine une modi-
fication des rapports maitre-élève dans l'éducation scolaire.
A l'école, la relation maitre-élève prend une forme
impersonnelle. Le maitre n'est olus un membre de l'entourage
de l'enfant comme dans l 'éducation traditionnell~, mais
un
agent formé à cet effet. Celui-ci est en principe responsable
de la formation complète de l'élève; mais en réalité, sa fonc-
tion se limite généralement à la transmission des contenus
dans une ou plusieurs disciplines.
• 320 •
La relation pédagogique im~ersonne11e aurait pour
conséquence d'accro~tre l'intérêt de l'élève pour le raisonne-
ment logique, l'exploitation du Monde des objets, et de le
réduire au niveau des contacts affectifs. Le résultat, c'est
que les élèves formés dans le cadre de l'éducation formelle
devraient manifester une certaine autonomie des conduites,
alors que les autres seraient plus dépendants de l'entourage.
Les principes et les valeurs d'éducation auraient
donc une incidence sur la relation pédagogique et par consé-
quent sur le développement cognitif.
- Caractère 3
Des programmes implicites aux programmes
explicites.
Toute éducation suppose la réalisation d'objectifs
spécifiques et l'élaboration de programmes de formation adap-
tés. L'observation attentive de l'éducation traditionnelle
révèle une double particularité au niveau des finalités:
alors que les finalités de la formation morale sont explicite-
ment définies et traduites de façon opérationnelle dans les
textes des contes et des proverbes, celles de l'éducation
scientifique et technique demeurent implicites, non verbalisées.
Il est par exemple impossible de voir un adulte élaborer un
discours sur la manière de construire une case ou de fabriquer
une pirogue à l'adresse d'un groupe d'adolescents. Le programme
de formation qui conduit à l'acquisition de ces comportements
ne s'énonce pas; il s'exécute au contact de l'adulte passé
• 321 -
ma'tre dans les arts c1tês. lc1, l 'apprentisseqe ne se décom-
pose pas. il forme un tout que l'apprenant doit saisir pour
en avoir une vue d'ensemble, en conserver le schéma. l'activité
de schématisation pourrait constituer ainsi la caractéristique
dominante des apprentissages techniques dans l'éducation
traditionnelle. le ma,tre s'efforce d'amener l'élève à former
la représentation la plus exacte possible de l'objet fabriqué
pour être ensuite capable d'en produire un autre de façon
autonome. le programme de formation se réduit donc ~ l'imita-
tion des conduites du ma~tre.
l'éducation moderne propose une stratégie opposée.
Le décalage entre le monde du travail et le milieu scolaire
élimine de lui-même les modèles d'imitation en situation
réelle. L'allongement du temps de la scolarité éloigne la
préoccupation de la formation professionnelle à court terme.
Le maître dispense alors une formation centrée sur un Drogra~
reconnu à long terme, comme éducatif. Nous passons là des
maîtres occasionnels de l'éducation informelle aux maîtres
institutionnels de l'éducation formelle. la différen~e qui
sépare les deux corps réside
dans la formation scientifique
et pédagogique explicite des derniers. L'institution scolaire
recrute à partir d'un niveau de compétence scientifique; elle
fixe les grandes lignes de la formation pédagogique en liai-
son avec les lois du développement psycho-biologique de l'en-
fant.
• 322 -
Le caractère des proqrammes de formation appliquês
dans les deux formes d'éducation laisse présager que l'êduca-
tion informelle est plutOt favorable au développement de la
représentation figurale et du processus de réalisation et
l'éducation formelle plutôt à celui de la représentation con-
ceptuelle et du processus de formalisation. Utilisent-elles
les mêmes ressorts motivationnels ?
- Caractère 5
De la motivation sociale à la motivation
cognitive.
La psychologie moderne place la motivation au point
de départ de toute conduite; en effet, l'être humain ne se
comporte pas au hasard; son activité répond à la satisfaction
d'un besoin, à la résolution d'une tension générée par le
milieu: On dit que sa conduite est motivée, c'est-à-dire dé-
clenchée par la recherche de l'objet capable de satisfaire le
besoin.
On distingue deux groupes de besoins: les besoins
primaires ou vitaux qui correspondent à des motivations pri-
maires et les besoins secondaires ou culturels reliés à de~
motivations secondaires. Les motivations sociale et cognitive
sont d'ordre secondaire~ La question est de savoir comment
l'éducation les utilise suivant la forme qu'elle emprunte.
L'éducation informelle met en jeu une motivation
sociale fondée sur la contribution des apprenants, leur parti-
.. 323 ..
cipation aux activités du monde adulte. Dans le contexte
négro-africain, le jeune adolescent qui aide ses parents au
t r a va i l fa i t l' 0 bjet d' une a t te nt ion par t ; cul i ère : 0 n l'écoute
quand il parle, on s'empresse de lui apprendre ce qu'il veut
savoir sur le plan technique, on lui confie quelques respon-
sabilités. L'envie de participer à la vie sociale, de se
montrer utile à son entourage le pousse à s'informer, à tra-
vailler davantage. La motivation sociale a donc une origine
exogène; c'est la prise de conscience des états affectifs
positifs de l'entourage à son égard qui suscite et soutient
l'activité de l'adolescent; il agit pour se faire aimer par
le groupe d'appartenance et non pour maîtriser l'activité
pour elle-même.
Les motivations scolaires procèdent de la même
démarche au début de la scolarité, lorsque les élèves sont
encore très jeunes; l'enfant peut bien travailler à l'école
pour plaire à la maîtresse ou aux parents. Mais au fur et à
mesure qu'il progresse dans l'échelle de la scolarité, les
motivations sociales font place aux motivations cognitives. Il
faut recourir à la notion de conflit cognitif pour comprendre
comment la résistance de l'objet aux schèmes d'assimilation
du sujet provoque une perturbation; pour compenser celle-ci,
le sujet engage une recherche active qui se termine générale-
ment par la découverte de la solution et le rétablissement de
l'équilibre. L'inadéquation des activités intellectuelles face
au problème ~ résoudre est donc source de motivation cognitive;
- 324 -
mais celle-ci finit par s'émousser rapidement si 1es recherches
de solution s'avèrent totalement infructueuses.
L'analyse des types de motivation montre que l'édu-
cation informelle se préoccupe plutOt de la formation socio-
affective de l'apprenant. de son insertion dans la structure
du groupe 1i qne qe r , alors que l'éducation formelle se cantonne
plutôt dans la formation intellectuelle. la ma'trise des rai-
sonnements déductifs et inductifs.
L'étude comparative des caractères pédagogiques des
éducations formelle et informelle corrobore l'idée selon laquelle
celles-ci constituent les pôles extrêmes du même processus
d'éducation. Suivant les principes et les valeurs adoptés par
chaque culture. les domaines de connaissances valorisés à
cha que é po que, t ou tes 0 c i été peu t te ndr e ver s l 1 U n 0 u lia ut r e
pôle.
L'éducation africaine moderne tend aujourd'hui vers
le pôle formel.
Il s'agit d'un choix de société et de valeurs
qui modifie fondamentalement la mani~re-d'être-au monde. Il
s'en suit le développement des capacités de formalisation
dans les écoles, d'autonomisation des conduites individuelles.
Aussi est-il logique d'espérer que le raisonnement expérimental
se manifeste avec plus de rigueur dans les environnements où
l'éducation moderne domine.
En définitive, le degré de formalité d'une éducation
a
325 a
se mesure par son recul par rapport l la réalité et par sa
systématicité t plus les situations de formation s'élaborent
hors contexte, plus l'éducation se formalise. les moyens péda-
gogiques dépendront de la forme de l'éducation.
III - LES MOYENS PEDAGOGIQUES
L'examen des moyens pédagogiques portera d'une part,
sur la formation morale de l'éduqué, et d'autre part, sur la
formation scientifique et technique.
1 - LES MOYENS PEDAGOGIQUES DE L'EDUCATION AFRICAINE
TRADITIONNELLE
Comment l'éducation traditionnelle assure-t-elle la
formation intellectuelle, morale et technique des élèves?
1.1. - LA FORMATION MORALE
-------------------
Dans les sociétés négro-africaines traditionnelles,
la morale apparaît comme un attribut de l 'intell igence sociale,
celle qui fixe les finalités de l'intelligence technique et
par conséquent prime sur elle.
La formation morale occupe une position centrale.
Elle passe par plusieurs moyens dont le conte, le proverbe et
l'initiation.
... 326 ...
1.1.1 • ... le Conte
Les contes sont des récits assez courts d'aventures
imaginaires dont les objectifs sont variés. Nous nous attache-
rons ici aux intentions morales de ceux-ci et aux techniques
pédagogiques mises en oeuvre pour les réaliser.
Le conte est un conseil indirectement adressé à
l'enfant ou à l'adolescent, sous un certain nombre de thèmes
la bonté, la grandeur, la vanité, l'orgueil, l'indiscipline,
la bëtise ... Pour traduire ces thèmes, le conteur sélectionne
des symboles appropriés; c'est ainsi que le lion symbolise
la puissance, l'araiqnée, la rùse, l 'hyène, la bëtise, le
bélier, la sagesse ... Le discours des contes va s'appuyer sur
les symboles pour stimuler l 'imaqination de l'auditoire, sus-
citer sa motivation en vue de faire passer le messaqe didac-
tique.
Ecoutons ce bref conte de l'enfant voleur
"Il était une fois un enfant
qui a volé deux graines palmistes à sa mère,
qui a volé deux graines palmi.etiee à son père.
Sa mère le maudit et lui dit :
"File dans la forêt et que le serpent python t'avale".
Son père le maudit et lui dit :
"File dans la forêt et que le serpent python t'avale".
L'enfant fi la a lors dans la forêt.
Il rencontra d'abord une biche qui lui demanda :
"Où vas-tu petit enfant ?"
L'enfant répliqua en chantant l'objet de son excursion
forcée.
• 327 •
"QuB C'BSt dOmrrK:l(1e 1" dit z.a biche.
Il renoontna encore d'autres animaux et reproduisit le
m~me so~nario.
Enfin, il ~~noontna te python qui lui demanda
"Où Vas-tu petit enfant ?"
Il chanta :
"J'ai vol~ deux graines palmistes d ma m~re.
J'ai vol~ deux graines paVnistes d mon p~re".
Ma mère me maudit: et me dit:
"fiZe dans ta forêt et que le python t'avale".
Mon père en fit autant.
C'est pourquoi je suis venu dans ta forêt me faire
avaler par le python.
Le python compr-it: et appliqua la sentence."
Ce conte montre que L' e nf a nt qui offense la société
sur le plan moral nia pas de protection; il est fatalement
condamné à mort, exécuté sans pitié. Il n'y a donc pas de
place pour ceux qui s'insurgent contre les valeurs morales
érigées par les Ancêtres.
Le conteur fait appel à une variété de techniques
pédagogiques pour atteindre sa cible. Parmi celles-ci, on peut
retenir la technique inductive, la dramatisation, llanimation
par le chant et le rythme.
Le raisonnement inductif suppose la démarche expé-
riencée ; son principe consiste à étendre les connaissances
d'un objet particulier à une classe d'objets, ce qui débouche
sur l'élaboration de lois.
• 328 -
La démarche inductive s'adapte parfaitement au con-
texte du conte. Dans le récit de l'enfant voleur, le conteur
part d'un enfant particulier, le présente comme un voleur,
met en exer.gue la sentence capitale comme pour dire à tous
les enfants de se garder d'emprunter la voie du vol. Le dis-
cours emprunte la forme indirecte; mais chaque enfant doit
1e fa ire sie n ; pou rob t e ni r sac ris ta 11i sa t ion dan s 1a mémo ire
individuelle, le conteur recourt A la force du symbole: c'est
le python, l'animal monstrueux qui avale l'enfant asocial
avec tous les fantasmes que cette image provoque dans le psy-
chisme enfantin.
b)
~~_2r~~~!~~~!!Q~_~!_1~_r~e~!!!!Q~
Le conteur doit rendre le récit vivant; pour ce
faire, il procède à une mise en scène du conte en vue de lui
donner un caractère théâtral. La théâtralité du conte de
l'enfant voleur réside dans le fait qulayant conscientisé sa
faute, celui-ci en parle à tous les personnages qu li1 rencon-
tre dans la forêt, sur le mode de la chanson; et chaque fois
la réponse de l'interlocuteur mentionne son impuissance à
modifier la sentence. L'effet escompté, clest de faire Dasser
le message moral par l'activation optimale de la sphère émo-
tionnelle.
Il Y a une progression dans le conte signifié Dar
la succession des personnages rencontrés. Les répétitions
viennent fixer le message. A chaque rencontre, l'enfi3nt chante
• 329 •
la raison de sa malêdiction • ce qui a pour effet de susciter
1a pitié et le pardon. Malheureusement. la société tradition-
nelle ne pardonne pas à ceux qui déshonorent les ancêtres.
c)
~:!~!~~!i~~_e~r_l~_r~!b~~_~!.l~_~b!~!
Comment so11 iciter l'attention des enfants au cours
des veillées de contes? La souplesse de la structure du conte
a pour avantage de rendre possible la coordination de l'inten-
tion pédagogique avec une technique attrayante: la chanson
rythmée par le tam-tam ou par les battements de mains. Le
chant permet à chaque sujet de participer au déroulement du
récit; par sa mélodie, il touche la sensibilité de l'auditoire
et le prépare à la réception du message moral. On peut dire
sans risque de se tromper que les enfants aiment les contes
parce qu'ils se déroulent essentiellement dans un contexte
d'animation où le verbe chanté et rythmé domine.
Le conte par la mise en oeuvre d'une pensée analo-
gique fondée sur l'image atteint son objectif, à savoir la
format ion mora le de 11 enfant. Peut-on di re autant du proverbe?
1.1.2. - Le Proverbe
Le proverbe est une vérité d'expérience, un conseil
pratique et populaire commun à tout un groupe social, exprimé
par une formule elliptique généralement imagée et figurée.
Cette forme de discours caractérise essentiellement le monde
paysan. Le proverbe introduit dans l'univers de la sagesse:
• 330 •
un adolescent qui sait dire des proverbes est déjà un adulte;
on l'écoute lorsqu'il prend la parole. on l'invite aux réunions
publ i que s .
A quelques variantes près. le proverbe utilise les
mêmes techniques pédagogiques que le conte: technique induc-
tive. redondance. technique de découpage symétrique.
Le proverbe part des objets concrets, des éléments
de la nature, de l'homme et de son vécu pour s'élever aux
idées générales. Quand on cite le proverbe suivant:
"La larve du fourmillon d.clare que si cela ne
dévendait que d'elle,
il ne pl~vrait jamais afin que la gre-
nouille ne puisse pas s'ébattre dans l'eau pour la narguer".
On utilise, pour piquer l'être au vif, deux êtres
familiers que tout le monde connaît et deux conditions de vie
spécifique (souterraine et aquatique). La saison sèche arrive
avec le bonheur du fourmillon et la saison des pluies avec
celui de la grenouille. Le langage du proverbe dépouillé de
tout son symbolisme renvoie à la traduction suivante: "Le
malheur des uns fait
le bonheur des autres".
Les images ren-
dent le proverbe plus vivant; elles orientent le décodage du
sens. L'objectif poursuivi ne consiste-t-il pas à amener le
sujet à reconstituer le sens chaque fois qulil entend un pro-
verbe.
• 331 •
b) la redondance
.--
.
Les adultes savent bien que l'acquisition des prin-
cipes moraux que véhiculent les proverbes ne se réalisent pas
en une seule fois. L'utilisation de la redondance devient
nécessaire pour consolider les apprentissages. Ainsi, l'idée
de solidarité peut se traduire et s'enseigner sous plusieurs
proverbes
:
- "La ma7-n droite
lave la ma i n gauche,
La main gauche lave la main droite."
-
"Pour traverser l'eau,
les fourmis ma ç nan e se
tiennent."
-
"Lorsqu'on blesse la tête,
c'est sur le cou que
ruisselle le sang."
- "C'est l'oreille qui entend la nouvelle du remède
guérisseur,
c'est la main qui le prend."
Ces différentes formulations renforcent l'idée de
solidarité, de coopération.
Le proverbe se caractérise généralement Dar une
musique à deux temps :
-
"Le chiot ne veut pas vivre /
il porte sa plaie
sur la tête".
-
"Avant de cogner /
le mouton recule".
- "L'enfant sait monter / il ne sait pas descendre".
• 332 •
La régularité des deux temps dans l'énoncé du pro·
verbe exerce une influence facilitatrice sur la mémorisation
et la rétention. La forme elliptique des informations laisse
ouvertes les possibilités d'interprétation en fonction des
contextes. Pourquoi par exemple. le chiot qui Dorte sa plaie
sur la tête ne veut pas vivre? Parce qu'il porte la plaie au
point le plus vulnérable de son corps· il ne pourra pas laper
sa blessure. Par extension, l'enfant qui ouvre une faille dans
la société prépare sa propre tombe.
Le proverbe constitue donc un outil didactique oral
au service de la formation humaine. L'initiation par classes
d'âges vient complèter l'éducation
de
base dans un cadre
institutionnel.
1.1.3. - L'initiation par classes d'âge
L'initiation est le lieu de manifestation de la
solidarité groupale. Les rites initiatiques jalonnent la vie
de l'individu. A la naissance de l'enfant, il yale rite
d'identification pour nommer celui-ci dans la lignée. Ouelques
jours après la naissance, il yale rite d'entrée dans le
village. Malgré leur signification sociale, les rites d'iden-
tification et d'entrée dans le village ont un caractère fami-
lial privé. Il faut attendre l'âge de raison ou l'adolescence
pour voir apparaître de véritables institutions éducatives
dirigées par des ma~tres.
- 333 -
Qu'apprend-on au cours des rites initi8ti~ues ?
Pour C. Rivière, les rites initiatiques sont «à la
fois épreuve physique, stage de formation à la vie adulte,
modes d'accès aux vérités secrètes, permis d'entrée dans la
vie sexuelle, intégration à la communauté des vivants et des
morts»
(1).
l'initiation est une épreuve physique dont la nature
varie en fonction des groupes ethniques. Tandis que les
Bambara imposent aux initiés des fustigations destinées ~ la
maîtrise de soi, les Bobo, le franchissement d'un barrage de
masques ar~ées de fouet, les Somba entreprennent des scarifi-
cations abdominales, rectorales et l'appointage des incisives,
les Nowdeba, les scarifications de la face et des épaules, les
Malinké, la circoncision.
l'initiation est aussi un stage de formation ~ la
vie adulte. Etre adulte, c'est être maître de soi, c'est être
responsable. Ainsi chez les Malinké, c'est la circoncision qui
transforme les soliman-lu (les futurs circoncis) en kamarin-
olu (les adultes).
L'initiation est encore un mode d'accès aux vérités
secrètes. L'apprentissage des langues secrètes, l'accession
aux révélations cosmogoniques ou mystiques s'effectue pendant
(1) C. RIVIERE, Fétichisme et Démystification, l'exemple guinéen, Afrique
Document 102-103. 2 0 et 3 0 Cahiers, 1969.
• 334 •
cette période
les acquisitions sont soumises a la 101 du
sllence.
L'initiation est en plus un permis d'entrée dans la
vie sexuelle. C'est elle qui donne généralement accès au ma-
riage et A la reproduction. L'enfant qui na î t avant l'initiation
des parents ne peut avoir de statut ontologique, les qéniteu~
eux-mêmes ne possédant pas le statut de parents.
L'initiation est enfin intégration à la communauté
des vivants et des morts. Elle ouvre à la plénitude de la vie
vie terrestre parmi les vivants, vie éternelle auprès des
ancêtres. Elle rassemble les vivants en une communauté, relie
les vivants et les morts. Il faut dire avec J. KI-ZERBO (1)
que la société négro-africaine est essentiellement une société
initiatique de classes d'âge,· de préparations et d'intégrations
successives des générations les unes après les autres. Tout
est mis en oeuvre pour subordonner l"individu à la société à
la lumière des enseignements de la nature: l'élément n'a de
sens que par rapport au tout.
La finalité de l'éducation morale, c'est de susciter
le développement d'une intelligence sociale fondée sur la
capacité du sujet à décoder les rapports humains et à servir.
L'éducation scientifique et technique vient complèter la for-
mation morale.
(1) KI-ZERBO (J.), Tradition et modernité, Colloque de Bouaké (Côte
d'Ivoire), Paris, Editions Seuil, 1965.
- 335 -
La formation scientifique et technique est adaptée
aux exigences d'une société préoccupée par le respect des
équilibres naturels. Dans cette perspective, donner une éduca-
tion scientifique à l'enfant, c'est développer chez lui une
démarche expérie~cée centrée sur l'observation et l'interpré-
tation symbolique des expériences naturelles. La formation
scientifique traditionnelle développe la connaissance des
régularités des phénomènes de la nature en tant que cette
connaissance constitue une condition de l'efficacité de llac-
tion humaine. Elle se "réalise suivant trois objectifs entra'-
nant la construction d'opérations particulières.
(1) Nous parLons de formation scientifique au sens d'activité de connais-
sance, même si celle-ci ne s'appuie pas sur une démarche expérimentale.
- 336 -
Tebleau
5
Correspondance entre objectifs spécifiques
et opêrat1ons.
1
Déta 11 des opérat i ons que l' é-
Objectifs spécifiques
ducation s'efforce d'apprendre
&. l'enfant.
- identifier
- comparer
1 - Apprendre à observer
- ordonner
- classer
- distinguer fait et sens
2 - Savoir interprèter
- décoder le sens sous le fait
une expérience natu-
- interprèter de façon symboli-
relle.
que antécédent et conséquent
- s'exprimer oralement
- savoir utiliser les moyens
3 - Maîtriser les moyens
d'expression
d'expression symbolique. le
mot, l'image, le geste, le
rituel, le conte, le proverbe ...
La formation scientifique en Milieu traditionnel vise l'ac-
quisition de la démarche expériencée fondée essentiellement
sur l'observation et l'interprétation symbolique des phéno-
mènes.
Quant ~ la formation technique, elle poursuit lin
.. 337 ..
but pratique, l'adaptation de l'homme & son environnement par
la ma'trise des moyens permettant l'exploitation des ressour-
ces naturelles et culturelles. Ainsi, apprendre a construire
une case, a tisser un filet, à forger une daba, constituent
des acquisitions techniques, de même que l'apprentissage de
la médecine et de la pharmacopée traditionnelle.
la formation technique s'effectue au travers des situations
adaptatives.
Comme nous l'avons déjà souligné, l'enfant apprend
sur le tas, par imitation des modèles d'objet produits par
les parents. Cette formation pratique commence au début de
l'adolescence, aux environs de 10 ans, au moment où, en fonc-
tion du sexe, l'éducation revient de droit au père pour le
garçon ou à la mère pour la fille. Mais ce premier aspect de
l'éducation africaine commune ne doit pas nous faire perdre
de vue l' éd uc at ion tee hni que s péc i al i sée, celle de 1a médec i ne,
de la pharmacopée, des sciences occultes ... où l'adolescent
est généralement confié à un IIsavantll en dehors du cadre
familial, pendant une période assez longue (10 ans environ).
C'est pendant ce temps qulil subira un
certain nombre d'é-
preuves relatives à la moralité, à la maîtrise de soi, avant
d'être définitivement intégré
dans la corporation. Là aussi,
le processus d'apprentissage se déroule en situation; l'élève
suit quotidiennement son maître, joue le rôle d'assistant
avant de recevoir une certaine autonomie s'il est jugé moral
• 338 •
et compétent. le mattre délivre les informations les plus im-
portantes de la formation après ce jugement ultime.
l'éducation moderne ut1l1se-t-elle des moyens péda-
gogiques équivalents?
2 - LES MOYENS PEDAGOGI0UES
1
DE L'EDUCATION MODERNE
L'éducation moderne s'effectue dans l'institution
scolaire. Réflet des valeurs des sociétés
i ndus t r i ell es,
l'école poursuit un double objectif: la formation scientifi-
que et technique des individus d'une part, et leur formation
humaine d'autre part.
La formation scientifique et technique découle des
exigences d'une société tournée vers l'industrialisation.
Former l'enfant sur le plan scientifique consiste pour le
pédagogue à faire acquérir un certain nombre d'opérations re-
levant de l'observation, de l'hypothèse et de l'expérimenta-
tion, avec ce que cela suppose comme maîtrise des techniques
de traitement de données.
La formation scientifique poursuit essentiellement
quatre objectifs spécifiques liés au développement d'opéra-
tions intellectuelles appropriées. Dans le tableau ci-dessous,
figurent les correspondances entre objectifs et opérations.
• 339 •
Tableau 6
Correspondances entre objectifs spécifiques
et op~rat1ons.
D~tails des op~rations que le profes-
Objectifs sp~cifiques .
seur s'efforce de faire pratiquer par
les élèves lors des différents thèmes.
, - Apprendre à observer .
- Analyser
- Mesurer
- Comparer
- Ordonner
- Classer (réunir, inclure, exclure,
choisir un critère de classement).
2 - Savoir expérimenter .
- Définir un problème partant d'un fait
ou d'une relation.
- Elaborer des hypothèses fécondes (pré-
cises, vérifiables, utilisables).
- Observer objectivement un résultat.
- Distinguer un fait et son interpréta-
tion.
- Préparer l'intervention expérimentale.
- Manipuler correctement.
- Ne faire varier qu'un seul facteur à
la fois.
- Contrôler les résultats par des con-
tre-épreuves :
- telle cause, tel effet;
- suppression d'une cause
étrangère, non-suppression de
l'effet.
- Rechercher la quantification des don-
nées chaque fois que cela est possibl~
• 340 •
3 • Apprendre à travailler
Organiser son travail.
• Ordonner selon un plan, un compte-
rendu ou un devoir écrit.
• Préparer et réaliser un projet
d'expérience.
• Orqaniser matériellement un travail
expérimental.
- Orqaniser son travail dans le temps.
Faire une documentation
- Etre capable de consulter des docu-
ments.
- Lire efficacement.
Collecter et résumer des renseigne-
ments.
4 - Maîtriser les moyens
- S'exprimer oralement
d'expression:
- S'exprimer par écrit
- Savoir prendre des notes.
- Savoir utiliser des moyens d'expres-
sion graphique :
. le dessin
. le schéma
le diagramme
le graohe.
La formation scientifique insiste sur l'acquisition
de la méthode expérimentale, des mé}hodes de travail, de la
maîtrise des moyens d'expression. L'inventaire des opérations
inhérentes aux moyens d'expression mentionne les traductions
orale, écrite, conceptuelle, figurale ..• Le passage d'un mode
de représentation du réel à un autre fait l 'objet d'un appren-
• 341 •
tissege. 11 en résu1te une mob111tê des structures coqn1t1ve~
des systèmes de référence permettent de changer de point de
vue sur 1'objet.
Le départ entre 1 'éducation traditionnelle et 1'é-
ducation moderne se situe au niveau de la prise de conscience
des actes et des stratégies de formation propres aux sociétés
actuelles.
La formation technique s'effectue aussi dans le
cadre scolaire. Son objectif est d'initier l'élève à la com-
préhension, à la création et au maniement de l'objet techni-
que. Dans une société tournée vers l'industrialisation où la
olupart des marchandises correspondent à des objets technique~
le développement chez l'élève de l'aptitude à fabriquer, à
créer et à utiliser des outils technologiques s'avère indis-
pensable. Il importe à cet effet de souligner le rôle du
jouet dans l'initiation technique de base. Ici, le jouet
n'est plus de fabrication enfantine, mais intention pédagogique
de l'adulte. A l'instar des activités scolaires, il sollicite
l'exercice des schèmes non immédiatement util isables, valorise
l'emploi de "circuits longs". Les jeux modernes cultivent
donc les valeurs des sociétés industrielles et préparent
l'enfant à une intégration du système scolaire.
Dans un article sur les "Jeux et Jouets chez l'enfant
• 342 •
africain" (1), P. Oasen étaie ce constat en établissant une
distinction entre "Etre ou avoir", une différence fondamentale
entre le système de valeurs de la société africaine et celui
de notre société de consommation. Les jeux et les jouets en
sont un reflet fidèle.
Dans les sociétés industrielles, les jouets consti-
tuent un médiateur entre 1 "e dul te et l'enfant. Lorsque
l'enfant s'ennuie, on lui tend un jouet i "s a possession
devient le symbole de la personne qui 1 la donné et de son af-
f ec t i on" (2). le don du jouet fait l'objet d'un véritable
échange affectif et compense l'absentéisme des parents dû aux
contraintes professionnelles. Pour l'enfant, être aimé de ses
parents, signifie alors lI a voi r ll beaucoup de jouets.
Dans le milieu africain traditionnel, le jouet ne
compense pas la relation humaine. lorsque l'enfant pleure. la
mère accourt, lui donne le sein, le caresse. le contact ohy-
sique y prend une importance primordiale : IIC'est cette
primauté de la relation humaine, de la communication, du
social sur le technologique qui caractérise la société africaine
t rad i t ion ne 11e : ~I 1 'ê t r e plu tôt que l' a v0 i r Il •
l'analyse de P. Dasen dépeint les pôles extrêmes
(lJ
DASEN (P.J, Jeux et jouets de l'enfant africain, Educateur, N° 9,
Décembre, 1983.
(2J
DASEN (P.J, op. cit., 1983, P. 10.
• 343 •
des éducations moderne et traditionnelle pour marquer les
différences. mais il faut dire que dans toute société. les
jouets ont une double fonction affective et cognitive avec de
nos jours. un intérêt plus porté sur les aspects cognitifs
explicites.
La formation scientifique et technique est complétée
par une formation morale.
La formation morale repose sur une hypothèse cogni-
tive suivant laquelle une bonne formation humaine dépend de
l'acquisition d'une rigueur d'esprit, du sens de l'harmonie,
consécutive A l'apprentissaqe des sciences, des techniques et
des lettres. Ainsi, le développement des capacités logiques
et expérimentale devrait entraîner chez l'élève une certaine
formation morale fondée sur la rigueur et l'honnêteté; l'en-
seignement des lettres et des arts devrait faire acquérir, le
sens de l'équilibre, de l'harmonie des choses. Ici, contrai-
rement A la conception négro-africaine, ce sont les aspects
cognitifs qui structurent la morale et déterminent l'intégra-
tion de l'individu dans la société. On comprend pourquoi
l'éducation moderne insiste surtout sur la formation intel-
lectuelle.
L'initiation aux normes sociales vecues ne fait
l'objet d'aucune formation scientifique. Par contre, l'intro-
• 344 •
duction de 1 'instruction chique comb1e en partie cette lacune t
c 8 r il ne s' agi tp a s dia ppre ndrel l'adolescent des conduites
morales pratiques dans les situations spécifiées, mais de
renforcer sa capacité de réflexion sur des concepts d'organ;-
s a t ion colle c t iv e
1a nat ion, l' Et a t,le pouv0 ; r , 1e droi t ,
L'école enseigne une morale ouverte, abstraite qui
échappe à la pratique quotidienne. Dans ce contexte, l'exemple
du formateur peut-il jouer un rôle déterminant dans la promo-
tion des valeurs morales chez l'élève? Non, car l'éducation
moderne établit la démarcation entre la conduite du ma'tre et
le contenu de son message pédagogique; l'élève ne doit pas
se comporter comme le ma,tre, mais construire sa oropre per-
sonnal ité en interaction avec le message pédagogique théorique.
La valorisation de la théorie par opposition à la pratique à
tous les niveaux de la formation, constitue l'un des caractères
essentiels de l'éducation moderne.
En définitive, l'étude comparative des éducations
africaines traditionnelle et moderne permet de faire quatre
constats :
-
le premier, c'est que les deux formes d'éducation
correspondent à des sociétés différant par les principes édu-
catifs et le système des valeurs. Seule l 'histoire de ces
sociétés est à même de fonder ces valeurs et de nous faire
comprendre comment on passe d'une éducation centrée sur le
groupe à une éducation centrée sur l'individu.
• 345 •
-
le deuxiême constat découle du premier et renforce
le principe de cohérence qu1 1ie les principes éducatifs et les
syst~mes pédagogiques élaborés pour les transmettre. L'initia-
tion dans les classes d'âge ou 1 'école, refl~te les caractè-
res des sociétés qui les ont instituées.
-
le troisième renvoie précisément a l'une de nos
hypothèses relatives aux types de structuration de l'environ-
nement famil i a l . Le mil ieu coutumier est attaché à 1 'harmonie
du monde établi et le milieu moderne au chanaement ; cette
différence pourrait susciter des types de structuration rigide
ou souple, agir sur le fonctionnement cognitif des élèves et
expliquer en partie les niveaux de performance atteints. L'in-
fluence de l'école serait alors modulée par la variable "type
des t r uct urat ion de lie nvi r 0 nne me nt fa mil i al" .
Enfin le dernier constat se rapporte au support de
la pensée africaine tel qulil apparaît dans les moyens éduca-
tifs comme les contes, les proverbes, les devinettes. Cette
pensée s'exprime de façon prépondérante par le symbole qui est
image. Ce codage de la réalité réfèrerait à une représentation
figurale.
Il convient d'analyser les implications théoriques
de ce mode de représentation par rapport aux autres, afin
de
spécifier la manière dont les connaissances négro-africaines
traditionnelles s'actualisent dans un contexte particulier.
L'opérationnalisation des hypothèses prendra en compte les
données de la pensée et des pratiques éducatives mises en évi-
dence.
- 346 -
CHAPITRE VlIr
HYPOTHESES OPERATIONNELLES ET PLAN
D'EXPERIMENTATION
La mise à l'épreuve des hypothèses de travail
requiert leur traduction en termes de variables susceptibles
de supporter un traitement opérationnel. Nous nous attache-
rons à deux groupes de variables: les variables dépenrlantes
ou variables-critères et les variables indépendantes ou
variables prédictives.
1 - LES VARIABLES DËPENDANTES
Le groupe des variables dépendantes est constitué
par les évaluations du niveau ooératoire des adolescents aux
épreuves expérimentales. Le choix des épreuves dénend d'une
double exigence; d'une part, elles ont été sélectionnées de
telle sorte que le sujet ait la possibilité d'analyser la
situation, de dissocier les facteurs qui
la composent, de
vérifier respectivement le rôle de chaque facteur compte tenu
des contraintes de l'expérimentation. Le niveau de performan-
ce constitue un indicateur de la maîtrise de la pensée
hypothético-déductive. La deuxième exigence tient, d'autre
part, aux exigences de l'approche fonctionnelle de la Densée.
,
Les épreuves doivent offrir des possibilités de manipulation
à même d'informer l'adolescent, de modifier ses conduites in-
tellectuelles inadéquates, de suggérer de nouvelles voies
- 347 -
d'investigation. Elles doivent permettre d'analyser les pro-
cessus d'actualisation des connaissances, de guidage et de
contrôle de l'activité cognitive. Il s'agit donc de répérer
les constances d'une ~ensée en fonctionnement.
Les épreuves répondent donc à la double exigence de l'analyse
des conduites en termes structural et fonctionnel conformé-
ment aux cadres théoriques de la psychologie qénétique et de
la science cognitive.
Au regard de ces contraintes, trois épreuves expé-
rimentales ont été retenues: la flexibilité des tiqes, le
pendule et les permutations.
1 - LA FLEXIBILITE DES TIGES
C'est l'épreuve classique utilisée dans les études
piagitiennes pour évaluer la manière dont l'adolescent aborde
le problème de la dissociation des facteurs dans une situation
expérimentale. En effet, la flexibilité d'une tige dépend de
sa matière, de sa longueur, de son épaisseur, de sa forme de
section et, à conditions égales, ses inclinaisons varient en
fonction du poids que l'on place à son extrémité. L'épreuve
présente donc un intérêt évident pour étudier les raisonne-
ments intervenant dans la dissociation des facteurs et dans
la mise en évidence de leurs rôles respectifs; elle comporte
une difficulté d'ordre expérimental en ce sens que la pensée
hypothético-déductive utilise le schéma "t out e s choses égales
- 348 -
par ailleurs", c'est-à-dire la technique consistant à faire
varier un seul facteur à la fois, les autres étant contrôlés.
Dans la mesure où l'épreuve de flexibilité combine cinq fac-
teurs, il va sans dire qu1elle crée une situation expéri~en
tale particulièrement favorable à l'étude du schéma expéri-
mental en formation.
Le matériel comprend un ensemble de vinQt éléments
dont deux groupes de huit ti~es chacun, différant par les
caractères suivants:
- la matière (acier et laiton)
;
la longueur (ti~es longues et courtes)
l'épaisseur (tiges épaisses et minces)
- la forme de section (carrée et ronde).
Il comporte aussi deux paires de masses cylindri-
ques en fer et en aluminiu~, de même forme et de Doids
différent dont l'application produit la flexion de la tige.
Tous les éléments de la situation offrent un certain nombre
de possibilités parmi lesquelles le sujet choisi en fonction
de ses hypothèses.
La technique expérimentale est la suivante: le
sujet dispose des tiges et des masses ci-dessus décrites,
d'un appareil comportant deux pieds verticalement fixés au
bord d'une table par deux écrous et supportant une barre ho-
rizontale percée de trous destinés à recevoir les tiges paral-
- 349 -
lèlement à la surface de la table. Des jeux de vis permettent
de fixer les tiges avant de leur appliquer les masses. L'in-
clinaison obtenue par rapport à la surface de la table indi-
que l 'influence du facteur manipulé sur la flexion de la
tige (1).
La précaution initiale à prendre consiste à faire
comprendre au sujet la notion de plus ou moins flexible.
Il
suffit d'expérimenter avec lui l 'action du poids sur la tige
pour expliciter cette notion. On demande au sujet de formu-
ler son hypothèse avant toute manipulation. Cette Drécaution
permet de suivre la réalisation du modèle conceptuel de base,
les modifications qu'il peut subir compte tenu des résultats
observés par rapport aux résultats attendus.
Lorsque le sujet ne trouve pas d'hypothèse, l'expé-
rimentateur peut lui en suggérer une et voir si celui-ci se
montre capable de lui donner une traduction exoérimentale.
Cette technique conduit à lever certains blocages psychologi-
ques. à libérer le sujet afin qu'il découvre d'autres hypo-
thèses.
A la fin de l'exoérience, un demande à l'enquêté de
conclure; il s'agit de faire une récapitulation de tous les
facteurs dont l'effet sur la flexibilité est expérimentale-
ment vérifiée.
(1) Nous tenons à remercier Madame M. FLUCKIGER (Université de Genève)
qui nous a initié à cette épreuve.
• 350 -
2 . L'EPREUVE DU PENDULE
Le pendule est aussi une épreuve de dissociation de
facteurs. La fréquence des oscillations pourrait A première
vue dépendre de la longueur de la tige, du poids, de la hau-
teur de chute (amplitude de l'oscillation) et de l'élan im-
primé au dispositif par le sujet lui-même. Mais contrairement
A la flexibilité où les facteurs se combinent pour produire
l'effet de flexion, la fréquence du pendule dépend exclusive-
ment de la longueur de la tige. Le sujet doit donc dissocier
les facteurs, procéder à l lélimination des facteurs inopérants
et ne retenir que le seul facteur efficace. L'épreuve du
pendule introduit une particularité que les chercheurs ren-
contrent dans les investigations quotidiennes; toutes les
hypothèses émises ne sont pas toujours vérifiées; la rigueur
scientifique exige alors de les écarter du champ d'expl ica-
tion des phénomènes étudiés et de chercher la solution dans
d'autres directions.
Nous avons utilisés pour cette épreuve le matériel
de la Pensée Logique élaboré par F. Longeot (1). Il comporte
un pendule que l'on fixe sur le bord d'une table à l'aide
d'un étau prévu à cet effet, la potence étant tournée vers
l'extérieur et la ficelle réglée à mi-hauteur .. Plusieurs
masses cylindriques de poids différent peuvent être suspendus
(1) F. LONGEOT, Echelle de développement de la pensée logique, Issy-les-
Moulineaux, Editions Scientifiques et Psychotechniques, 1974.
- 351
-
à la ficelle par un crochet. L'application d'un élan à ce dis-
positif permet d'observer la fréquence des oscillations. Le
problème est de savoir de quels facteurs dépend cette fréquen-
ce ou vitesse des oscillations.
Pour éviter les erreurs d'évaluation, l'expérimen-
tateur doit apprendre au sujet à dénombrer les fréquences du
pendule chaque fois que celui-ci passe à la verticale. Un
chronomètre permet de quantifier les fréquences oroduites en
vingt secondes. Si le sujet ne formule aucune hypothèse,
l'expérimentateur l laide à le faire et observe attentivement
la stratégie de vérification mise en place ~ puis il l'encou-
rage à trouver une autre.
Pour s a v0 i r s i l 1 ad 0 les c e nt se r e pré sen tel e modèle
expérimental, on lui demande d'anticiper ce qu'il va faire en
fonction de l'hypothèse. Ainsi s'il pense que la vitesse du
pendule dépend du poids des masses qu'il porte, il doit an-
noncer : IIje vais accrocher des masses Cie poids différent pour
voir si la vitesse c he nqe!". L'identité des fréquences en vingt
secondes lui permet de rejeter l'hypothèse de l'influence des
masses sur la vitesse.
Comme dans le cas de la flexibilité, la réussite à
l'épreuve du pendule suopose l'acquisition de la pensée for-
melle. Faute de cette forme de pensée, l'adolescent ne peut
soutenir un raisonnement expérimental, anticiper les expérien-
ces à réaliser à partir d'hypothèses, conclure en connaissance
- 352 -
de cause.
3 - LES PERMUTATIONS
Les permutations sont une épreuve logico-mathémati-
que à proprement parler, car le nombre de permutations Dour n
éléments est donné par une formule mathématique n:. Il va de
soi que notre but n'est pas de faire découvrir la formule
mathématique aux adolescents, mais d'analyser le processus
conduisant à la découverte d'une méthode de travail
permet-
tant l'inventaire de toutes les permutations possibles sur
2, 3, 4 éléments. Cette méthode se rapproche de la démarche
expérimentale en ce que son efficacité dépend de la manipula-
tion (déplacement) d'un ou de deux éléments, les autres étant
maintenus à la même place. La stratégie de recherche succes-
sive de toutes les positions possibles d'un seul élément par
rapport aux autres, mène rapidement à la solution du problème.
La résolution des permutations implique l'utilisation du
schéma expérimental et explique en première considération le
sens de notre choix.
La deuxième considération solidaire de la première,
relève du fonctionnement de la nensée hypothético-déductive.
Lorsque l'adolescent effectue les permutations sur
.2, 3,
4 objets, il se rend compte de llexistence d'une régularité
logique dans la progression du nombre de permutations; ce
qui lui permet de dégager le mécanisme opératoire de ce con-
• 353 -
texte formalisé par la loi Pn = 2 x 3 x 4 x n ... La compré-
hension de la loi de progression laisse apoaraftre une véri-
table démarche hypothético-déductive; après avoir permuté 2,
3 t 4 objets t le sujet devient capable de prédire le nombre de
permutations qu'on obtiendrait avec 5 ou 6 éléments.
Le matériel de l'expérience comporte quatre lettres
en plastique de couleurs différentes: A (rouge)t B (bleu)t
C (orange)t et D (vert). Afin d'introduire l'idée d'une règle
de progression t on commence par nermuter deux lettres t trois
lettres et enfin quatre lettres. Ainsi les sujets ~erspicaces
s'aperçoivent au terme de la manioulation de trois lettres que
la progression s'organise à raison de 2 x 3 ... Cette élabora-
tion logique les conduit à anticiper le nombre de rermutations
avec quatre objets avant de les réaliser. L'épreuve se termine
sur l'anticipation du nombre de permutations avec cinq et six
objets.
Il faut noter que le modèle expérimental occupe deux
positions différentes dans les trois épreuves ci-dessus dé-
crites : il s'élabore soit avant l'expérience (cas de la
flexibilité et du pendule)t soit pendant l 'expérience t en
cours d'activité (cas des permutations). Il s'agit là d'une
variable à prendre en compte dans l'observation des conduites
en plus des explications fournies par le sujet pour justifier
les résultats.
Dans les études piagétiennes t l'élaboration du rai-
- 354 -
sonnement expérimental se fait proqressivement. Pendant la
période des opérations concrètes (7-11 ans). l'enfant ne sait
pas ~onter une expérience à partir d'hypothèse. La lecture de
l'expérience brute devient possible. mais cela ne suffit nul-
lement à pratiquer la dissociation des facteurs. faute de la
maîtrise de l'ensemble de la combinatoire internroposition-
nelle.
Au stade pré-formel
(11-13 ans) on assiste à la mise
en oeuvre de l'implication; mais l'enfant demeure incapable
d'or~aniser une preuve systématique conformément au schéma
"toutes choses égales par ailleurs".
Il le fait dans certains
cas compte tenu de la signification du matériel et non dans
l'ensemble des cas. L'avènement du stade formel
(13-16 ans)
marque l 'apparition de deux nouvelles conduites: l 'h~pothèse
qui consiste à faire l'inventaire des possibles et la preuve
qui s 'attache à déterminer l'effet de chaoue facteur. Le rai-
sonnement hypothético-déductif atteint son niveau ootimal
désormais l 'analyse est quidée par l'opération loqique d'im-
plication selon laquelle l 'adolescent suppose ~u'un facteur
donné entraîne toujours la même conséquence. I.e schéma expéri-
mental est maîtrisé ainsi que la relation de cause à effet.
L'intérêt de notre travail ne se réduit pas seule-
ment à dénombrer les sujets qui parviennent au stade de la pensée
formelle, mais d'étudier "les processus structurants" c'est-à-
dire la dynamique opératoire de la pensée confrontée à une
situation expérimentale.
Il imoorte
.
dans cette oersoective
.
.
- 355 -
d'insister ~art;culièrement sur les aspects micro~énétiques
des connaissances. La tranche d'âge de 12-16 ans couverte par
notre étude, dans la mesure où elle se situe aux frontières
de la pensée formelle se ~rête bien à ce type d'analyse. Nous
espérons aussi que la combinaison des trois énreuves donnera
une évaluation fiable de la démarche expérimentale. La variété
des situations favorisera une analyse fine des connaissances
en fonctionnement et permettra de conclure sur le rôle des
contextes dans le processus d'actualisation de celles-ci.
Il - LES VARIABLES INDËPENDA~TES
Le choix des variables indépendantes s'associe tou-
jours à celui des variables dépendantes dans la mesure où par
hypothèse celles-ci expliquent celles-là. Il faut noter avec
Oe Landsheere que le statut des variables n'est pas figé:
"une variable n'est pas indépendante ou déDendante par elle-
même, mais bien par le rôle qu'elle joue dans une relation
donnée" (1).
Notre travail s'attèle à spécifier le rôle de l'éco-
le dans le développement du raisonnement expérimental. Les
recherches initiales en milieu africain (Jahoda 1964, Price-
Williams, 1967) ont surtout comparé des populations citadines
scolarisées et des populations rurales non scolarisées. L'a-
(1) De LANDSHEERE, Introduction à la recherche en éducation, Paris, Colin-
Bourrelier, 19?2, 312 p., p. 12.
-
356 -
vance des premières est interprétée en termes d'influence de
l'école favorable à l'éclosion de la pensée analytique, de
l'abstraction. Mais l'intervention probable de variables
étrangères à l'école dans la détermination du raisonnement,
amène les auteurs à centrer leurs recherches sur la comparai-
son de sujets ruraux scolarisés et non scolarisés. Cette ap-
proche a le mérite de réduire effectivement la marge d'erreur
quant à l'action des variables parasites; mais elle se fonde
sur une position a priori consistant à croire d'emblée à
1 'universalité du développement structural. De ce fait, le
changement de la méthode n'améliore pas le modèle interpréta-
tif, car les différences cognitives constatées sont référées
soit aux lacunes conceptuelles des langues africaines, soit à
la rareté des incitations intellectuelles dans le milieu tra-
ditionnel.
Une autre tendance des recherches interculturelles
(Dasen, Cole, Scribner, 1973) recommande d'étudier le dévelop-
pement génétique des concepts dans chaque espace culturel et
d'ériger une psychologie génétique propre à la culture. La
comparaison des diverses psychologies génétiques pourrait
ainsi déboucher sur une psychologie génétique universelle.
L'étude comparative de la pensée négro-africaine et de la pen-
sée occidentale que nous avons esquissée au chapitre cinq mon-
tre que la pensée humaine fonctionne en intégrant les diffé-
rents modes de représentation du réel, quoiqu'en fonction des
cultures, un mode puisse dominer; et cette dominance a une
- 357 -
incidence sur la vision analytique ou synthétique du monde et
sur les formes d'explication causale ou finale mises en place
pour le comprendre. L'activité de structuration du
réel est
identique chez tous les hommes, mais 1 'organisation des don-
nées liées à la modalité de présentation privilégiée influe
sur l'actualisation des connaissances.
Nous pensons que l'école offre l'environnement le
plus favorable au dévelopDement du modèle de connaissance
formel et des possibilités logiques qu'il ouvre. C'est donc
dans le contexte scolaire, chez les élèves qu'il convient
d'appréhender l'influence de l'école sur le développement co-
gnitif. La variable "é c ol e " a été opérationnalisée par le
biais du niveau scolaire.
1 - LE NIVEAU SCOLAIRE
Le rôle du facteur âge dans l'acquisition des struc-
tures opératoires n'est plus à vérifier. La psychologie géné-
tique a démontré comment les possibilités intellectuelles de
l'enfant et de l'adolescent s'accroissent avec l'âfle (grâce à
la maturation) jusqu'à la construction finale de la pensée
formelle. Sans nier l'importance de ce facteur ~ui, suivant
1 'heureuse expression d'Inhelder, définit une zone d'assimila-
tion optimale, nous estimons que pendant la période de douze
à seize ans, le niveau intellectuel de l'adolescent dépend
surtout du niveau scolaire atteint IItoutes choses él"jales par
ailleurs ll •
~ 358 ~
Une étude comparative des performances expérimenta-
les de deux groupes de sujets de même âge, de même milieu
socio-économico-culturel, différant seulement par le niveau
scolaire dans la mesure du Dossible, devrait confirmer cette
hypothèse. L'expérience a porté sur deux niveaux scolaires de
l'enseignement secondaire: les classes de cin~uième et de
quatrième sélectionnées en zones urbaine et rurale.
La comparaison des performances s'effectuera par
niveau à l'intérieur de chaque zone et entre les zones. Cette
démarche rendra compte des différences par niveau à l'inté-
rieur des zones et entre les zones. La démonstration du rôle
de l'école aurait encore été plus convaincante si l'on pou-
vait mettre en évidence dans un milieu non scolaire un modèle
de connaissance distinct du modèle formel et qui donnerait
aux individus qui l'utilisent un moyen d'appréhension du réel
et de traitement de l'information. Nous avons tenté de cher-
cher ce modèle du côté de la culture africaine traditionnelle.
2 - LES MODELES DE CONNAISSANCE TRADITIONNELS
L'idée de l'existence de références culturelles qui
pourraient rendre compte de la modification des performances
lorsqu'on passe des cultures occidentales
aux
cultures
africaines traditionnelles fait son chemin. La variable cul-
turelle entra'nerait l'élaboration de modèles de connaissance
spécifiques que l'on peut mettre en évidence chez un adulte
• 359 •
du milieu traditionnel lorsqu'on le soumet aux fpreuves expé-
rimentales. Le problême se pose-t-11 de la même maniêre pour
les adultes instruits du milieu urbain? Nous pensons que non
pour trois raisons: d'abord, ils n'appartiennent pas à la
même culture ethnique; ensuite leur niveau de connaissance se
situe à la licence universitaire pour les hommes et au bacca-
lauréat pour les femmes; enfin dans une situatiin inhabituel-
le à l'instar de celle que nous présentons (dans un contexte
d'instruction scolaire), il~ orivilégient d'emblée le mode de
re~résentation conceptuelle. Dans une pré-en~uête pour voir,
nous avions proposé les épreuves expérimentales à dix adultes
urbains instruits, parents de quelques élèves de l'échantil-
lon d'Abidjan. Leur démarche cognitive ne présentait Das de
particularité par rapport au schéma expérimental. Cela ne si-
gnifie en rien qu'ils fonctionnent tous sur un seul re~istre
cognitif car les mêmes intellectuels pourraient éventuellement
consulter un charlatan dans une situation donnée, croire en
l'existence des esprits des ancêtres dans un cours dleau, mais
qu'ils adaptent leur registre au contexte situationne1 (iden-
tifié ici par eux comme étant scolaire).
Toutes ces raisons nous ont déterminé à ne retenir
que les adultes du milieu traditionnel; ils se orêtent le
,
mieux à ce genre d'investigation grâce au caractère univoque
de leur conduites cognitives.
L'orientation ainsi définie nous interdit de nous
· 360 -
enfermer dans l'approche structurale; celle-ci paraTt insuf-
fisante au départ car nous ne savons pas comment procède la
oensée négro-africaine aux prises avec une tâche particulière.
A priori il ne faut pas s'attendre A en rencontrer une formu-
lation organisée sur le mode formel. Par contre, l'approche
fonctionnelle se révèle efficace dans le répéraqe et la fixa-
tion des mécanismes d'une pensée en oeuvre, confrontée à un
problème. Elle permet d'analyser les conduites du sujet par
rapport à elles-mêmes, de proposer si besoin est, un modèle de
connaissance original.
Afin d'identifier et d'élaborer ce modèle, nous
avons examiné les adultes du milieu traditionnel à l'aide des
épreuves expérimentales retenues. Nous partons du principe que
ceux-ci cultivent des stratégies oarticulières de résolution
de problème en liaison avec leur milieu, différant des straté-
gies scolaires. Si une hypothèse aussi divergente se vérifiait,
elle témoignerait indirectement de la spécificité des incita-
tions scolaires, les conduites nouvelles suscitées chez les
élèves ruraux étant des indicateurs de ces incitations. Corré-
lativement, les difficultés inhérentes à l'acquisition de la
démarche expérimentale pourraient être liées aux contrastes
des modèles de pensée pr o pos s à l'élève par l'école et par le
é
milieu traditionnel.
Dire que le modèle de pensée formelle n'est pas le
seul modèl e suppose nécessa i rement l'ex i s tence dl autres modè-
- 361 -
les. Avant d'entreprendre la vérification d'une telle hypo-
thèse, il importe de resituer la construction de tout modèle
coonitif. La position interactionniste nous
i~pose, au plan
méthodologique, de définir clairement quels sont les proces-
sus constructeurs des instruments intellectuels. Par rapport
à notre hypothèse générale et au rôle présumé de la représen-
tation dans le développement de la pensée formelle, nous pou-
vons disti:lguer deux processus constructeurs intervenant dans
n'importe ~uel milieu culturel: il y a d'abord l'action dont
le résultat procure à l 'intelliqence des contenus schématiques,
c'est-à-dire des systèmes de schèmes structurés, Dour son
fonctionnement et pour la formation des cadres organisateurs
de l'activité cognitive. Piaget désigne ce niveau de dévelop-
pement par le stade de l'intelligence sensori-motrice : il y
a ensuite la représentation qui transforme l'action en ooéra-
tion et permet l'élaboration des contenus sémiotiques élémen-
taires et des contenus sémiotiques élaborés. Dans le système
de Piaget, les contenus sémiotiques élémentaires relèvent de
l'intelligence concrète et les contenus sémiotiques élaborés,
du stade de l'intelligence formelle.
Notre thèse considère la représentation comme une
variable intermédiaire entre l'action et le développement de
la pensée en général et le développement de la pensée formelle
en particulier. Si une différence de développement apparaissait
entre les sujets scolarisés et les non scolarisés quant au
raisonnement expérimental, elle pourrait être imputable à la
- 362 -
différence des moyens de représentation de l'objet disponibles
dans chaque milieu. Plus ces moyens ou lan~a0es sont nombreux
et variés, olus ils facilitent l'activité de traitement des
données et accroissent les possibilités d'abstraction empiri-
que et réfléchissante.
A partir de ce préambule, si nous reDrenons l 'hypo-
thèse de la pensée naturelle (M. Reuchlin, 1973) fonctionnant
suivant deux processus, la formalisation et la réalisation,
on peut alors se demander à quel niveau processuel s'élaborent
les contenus de la réalisation. Ne pouvant identifier ce
niveau, nous reprenons à notre compte l'idée de Reuchlin selon
laquelle les contenus de l a formalisation passeraient sous le
contrôle de la réalisation pendant les périodes d'équilibre
cognitif, pour la généraliser et présumer que tous les conte-
nus élaborés par l'intelligence se comporteraient de la sorte.
Aussi les périodes favorables au développement des instruments
et des contenus sont-elles les périodes de conflits c00nitifs,
les rééquilibrations entraînant des constructions. Ce point de
vue conforme à la théorie de l'équilibration, enlève toute
possibilité de construction au processus de réalisation.
Faut-il alors renoncer à la notion de réalisation ou
faire de celle-ci un processus permettant de stocker les con-
tenus produits par l'action et la représentation en période
d'équilibre, et de les actualiser dans des situations particu-
lières ? Ainsi conçu, le processus de réalisation comporterait
- 363 -
trois types de contenus: les contenus schématiques, les con-
tenus sémiotiques élémentaires et les contenus sémiotiques
élaborés. C'est aux moyens de ceux-ci que l 'individu or~anise
l'objet, lui attribue une si~nification et spécifie les opé-
rations à appliquer. C'est sur cette base qu'un objet appara1t
"f am i l i e r " ou linon f a mi l i e r " au sujet.
Lorsque l'objet est
familier la mise en oeuvre du processus de réalisation seul
suffit à l'appréhender; mais lorsqu'il est linon f ami l f e r
le
v
,
sujet doit dépasser son modèle d'appréhension initial Dar la
construction de schèmes (action) ou de concepts (représenta-
tion) adéquats, pour comoenser les perturbations éorouvées.
Le concept de réalisation conserve une portée opé-
ratoire ; son articulation sur l'action et la formalisation
rend compte des constructions et du fonctionnement coqnitif
la dominance de l 'un traduit soit une situation d'équilibre
(réalisation) soit une situation de déséquilibre (action cons-
ciente et formalisation).
L'analyse du fonctionnement cognitif nous conduit à envisager
la dominance du processus de réalisation dans les sociétés
traditionnelles à cause de la stabilité des acquisitions
scientifiques et techniques, des structures sociales, des sys-
tèmes de valeurs; ce qui laisserait peu de place à l'éclosion
de conflits cognitifs. Au contraire, les sociétés modernes
favoriseraient la dominance de la formalisation grâce à l'évo-
lution rapide des sciences et des techniques, des modes de vi~
des systèmes de valeurs.
- 364 -
Par hypothèse, les adultes ruraux devraient manifester une
pensée stable dominée par des modèles pragmatiques par opposi-
tion aux modèles formels. Cette vection du développement
serait impulsée par l'environnement socio-culturel désigné ici
sous le terme d'habitat. Toutes choses égales par ailleurs,
1 'habitat pourrait expliquer la supériorité des élèves urbains
sur les élèves ruraux.
3 - L'HABITAT
Les civilisations africaines traditionnelles domi-
nent dans les campagnes dont l'évolution se réalise avec une
certaine lenteur du fait des sentinelles idéologi~ues consti-
tuées par les valeurs ethniques. Dans les villes, au contraire,
se produisent de véritables ~utations. L'industrialisation de
par ses besoins en main-d'oeuvre a entraîné de grandes concen-
trations humaines, privilégié la formation scolaire et déve-
loppé par le fait même la rationalité scientifique. On peut
raisonnablement supposer que les incitations scolaires n'ont
pas la même efficacité dans les deux environnements: plus
efficaces en milieu urbain compte tenu du de~ré d'intégration
de l'école, elles seraient régulées d'une autre manière par
les caractères du milieu rural.
L'évidence de ce constat ne pouvant constituer une
explication scientifique. il importe de rechercher des varia-
bles intermédiaires par lesquelles tout milieu est susceptible
- 365 -
d'agir sur le développement cognitif de l'enfant et de l'ado-
lescent. ~ous en avons retenu deux :
- la première est relative aux types de structura-
tion de l'environnement familial. Les principes et les valeurs
des éducations africaines traditionnelle et moderne s'opposant
sur les axes II c onf or mi s me - c ha ngeme nt ll ou II r i g i d i t é - s oupl e s s e "
des attitudes éducatives, nous nensons qu'ils devraient intro-
duire une différence significative entre les deux milieux
quant aux types de structuration de l'environnement familial.
Cette différence serait certainement responsable de la varia-
tion des Derformances.
- la deuxième variable concerne les modèles de con-
naissance en vigueur dans le milieu. Si les adultes ruraux
développaient des modèles de connaissance particuliers, ils
devraient en principe les transmettre par l'éducation aux
jeunes générations. Cette variable serait susceptible d'éclai-
rer les différences entre élèves urbains et ruraux.
Comment opérationnaliser les deux variables?
L'observation des régularités qui caractérisent les
pratiques éducatives familiales peut s'effectuer par deux mé-
thodes: l'observation directe et l'observation indirecte.
L'observation directe peut se pratiquer en milieu
- 366 -
naturel. Dans ce cas, les observateurs se rendent dans les
familles A un rythme déterminé et notent les faits dont ils
sont témoins. Les travaux de Baldwin (1949), ceux de Radin
(1971) utilisent cette techni~ue. Ses inconvénients se mani-
festent de deux façons. D'abord au niveau déontoloqique, la
présence des observateurs ~ui posent des questions intruses,
perturbe la vie intime de la famille. Ensuite, au niveau mé-
thodologique, la présence de personnes étranqères dans la
famille modifie les conditions de vie habituelles et introduit
de ce fait une variable parasite dans l'environnement, varia-
ble difficile à juguler malgré les efforts pour la réduire.
L'observation directe peut aussi se faire en laboratoire. Les
familles sont alors placées dans une situation d'interaction
définie par le chercheur (Bayley-Schaefer, 1964, HESS et
SHIPMAN, 1965). Des techniques sophistiquées ont été élaborées
pour réduire l'influence perturbatrice de l'observateur, no-
tamment les salles à vision unilatérale ou l'utilisation de
circuits fermés de télévision. La situation de laboratoire
permet le contrôle des variables de l'expérience; mais elle
est si particulière qu'elle risque de ne jamais déboucher sur
une quelconque généralisation.
La deuxième méthode est l'observation indirecte.
Elle se fonde sur le principe que tout individu possède une
représentation assez objective et consciente de ses conduites,
représentation à laquelle on peut accéder par les techniques
de l'interview ou du questionnaire.
• 367 -
Par l'interview. l'enquêteur demande aux parents de
décrire leurs pratiques éducatives (Bayley-Schaefer, 1964).
Les informations sont recueillies soit par écrit. soit à l'ai-
de d'un magnétophone. Leur interorétation en fonction des
hypothèses directrices révèle les pratiques privi1éqiées Dar
la famille.
Une autre technique de l'observation indirecte est
le questionnaire. Le questionnaire s'adresse généralement aux
parents. On leur demande de se situer par rapoort à une échel-
le de conduites présentées (Crandal1, Preston, 1935).
L'interview et le questionnaire présupnosent la sin-
cérité de l'observé. Or les études sur la désirabilité sociale
(tendance à adopter devant les autres les comoortements suppo-
sés conformes à leur attente) mettent en évidence le caractère
subjectif des informations émises. Les individus ont souvent
tendance à se comporter publiquement en fonction des normes
dominantes alors que les conduites intimes sont autres.
Peut-on hiérarchiser les méthodes d'observation par
rapport à un critère d'objectivité?
Les recherches réalisées insistent sur le manque
d'objectivité des méthodes d'observation: Ichoisir entre elles,
c'est en effet choisir entre deux inconvénients.
Les travaux de Yarrow et al.
(1968), ceux de Bining
(1963) trouvent une fidélité comprise entre .30 et .40 concer-
·..~~ ':~"~' .-",_..:;:~<,....
,·:~..k<_:--~ ~~~~~~~"~~
- 368 -
nant les deux méthodes. Selon les auteurs, la faiblesse du
coefficient de fidélité s'explique par la subjectivité de la
méthode indirecte. Les conclusions des études sur l'homoqénéi-
té des réponses des partenaires de l'éducation interviewés
séparément, plaident en faveur de cette thèse. Kohn et Caroll
(1960) relèvent moins de 50 % de cas d'accord entre le père,
la mère et l'enfant lorsque les entretiens se déroulent sur le
mode individuel.
L'observation directe n'est pas non plus une garan-
tie d'objectivité. Patterson et Raid (1969) montrent que les
conduites oos i t i ve s du père à l'égard de l'enfant .doub l e nt en
fréquence en présence d'observateurs extérieurs à la famille.
Il convient donc de multiplier les a~proches Dour
essayer d'obtenir leur validation réciproque.
Le recours à une validation hypothético-déductive
fondée sur une théorie du dévelopoement intellectuel Dourrait
dégager une nouvelle perspective: IIlorsque les faits observés
sont conformes à ce que la théorie permettait d'attendre, cela
constitue à la fois une validation de la méthode d'observation
et du cadre théorique dont sont issues les hy pot h s e s "
è
(1).
Les types de structuration de l'environnement étant
déterminés dans le cadre de la théorie piagétienne, nous avons
{])J.
LAUTREY,
op. ei.t , p. 85-86 .
...,;-::.,: -:
., -:......
- 369 •
opté pour la technique du questionnaire malgré les imperfec-
tions soulignées. Le problème est celui de 1 'ord1nation du
développement intellectuel suivant les types de structuration.
S; les niveaux de développement relevés s'ordonnent en fonc-
tion des types de structuration quel que soit 1 'habitat, alors
le questionnaire et les tyoes de structuration sont validés,
la concordance des résultats ne oouvant s'expliquer Dar le
seul hasard.
Le contenu des questionnaires recouvre les différen-
tes rubriques analysées Dar J. Lautrey : 1 'orqanisation du
temps, l'organisation de l'esnace, la vie physique de l'enfant,
la vie sociale ... Le questionnaire comporte vingt items.
Compte tenu des environnements culturels de l'enquête, quel-
ques modifications ont été introduites dans le questionnaire.
Chaque item donne lieu à trois modalités de réponse numérotées
de 1 à 3 : souple, ri~ide, faible. La population d'étude étant
composée d'adolescents de 12 à 16 ans nous lui avons fait pas-
ser directement le questionnaire. Il s'agit pour nous de con-
tourner la difficulté que J. Lautrey (1976) pressentait quant
à la correspondance entre la structuration objective et la
structuration vécue. Du coup nous évitons l'effet de la désira-
bilité sociale qui fait, qu'en milieu africain, le père a tou-
jours tendance à se noser en maître de l'éducation.
Ce choix nous a aussi éDargné une difficulté majeure
concernant la traduction de toutes les nuances des items en
• ;,J70 •
m111eu rural par 115 serv1ctS d'un 1nterpr~te. Nous aur10ns eu
beaucoup de mal l fvaluer ,. f1dfl1te de 'a traduct1on.
le quest1onna1re se présente comme su1t :
gUESTIONNAIRE
~ Nom :
Prénoms
Date et lieu de naissance
Nom de l'école fréquentée
Classe fréquentée
Noms et adresse des parents (ou des tuteurs)
Monsieur
Adresse
Age des parents
- le Père
- la Mère
- Profession des parents - le Père
- 1a Mère
- Niveau d'études des parents:
- le Père
- la Mère
(N'a pas fait l'école)
1- Depuis combien de temps habitez-vous
? 1;----
2- Combien de pièces principales comporte votre
l oçement
(comptez le salon. les chanbres et la cuis ine]
• 371 •
3 • Combien de personnes vivent habituellement dans
votre maison
?
Au total
- dont les grandes personnes
- dont les enfants et adolescents
4 - Combien as-tu de frères et soeurs ?
-----------------------------------
5 - Quel est ton rano dans la communauté de frères et
-------------------------------------------------
soeurs?
6 - Ç2~~~~!_f2~!_!~~_e~~~~!~_~~~~9_11~_!~~~~~!~~!
des habits?
1. La plupart du temps, ils te laissent choisir
ce que tu veux.
2. En général ce sont les parents qui choisissent
pour toi.
3. Tu discutes avec eux de tes choix et clest fina-
lement eux qui décident.
1. Les parents te laissent parler autant que tu
veux pendant le repas, ~ême si ce que tu dis
dis n'est pas intéressant.
2. Tu parles lors~ue ce que tu as à dire est en
r a ppor t avec la conversation, ou l or s qu t i l y a
quel~ue chose d'intéressant à raconter.
3. Dans la mesure du possible, les parents essaye~t
d'éviter que tu parles pendant le repas.
~.
• 372 •
1- Mes parents m'ont appris a ne pa s intervenir
da ns l a conversation des adultes.
2 . Je peux intervenir comme je veux dans la conver-
sation des adultes.
3. Mes parents me permettent d'intervenir si ce que
j'ai.à dire est en rapport avec la conversation.
1. Les parents t'ont fixé une heure de retour assez
précise, mais ils acceptent que tu t'attardes à
certaines occasions (par exemple quand tu fais
un détour pour accompagner un camarade)
2.
Il t'arrive souvent de t'attarder en route parce
que tu nias pas de contrainte à ce sujet.
3. Tes Darents t'ont fixé une heure de retour assez
précise et tu la respectes de façon oonctuelle.
1. Les parents choisissent les clubs auxquels tu
dois adhérer.
2. Tu peux adhérer au club que tu veux.
3. Les parents t'aident à choisir ton club.
11- Le choix des camarades
1. Les
oa r e nt s r erne t t e nt en question certains de
tes choix d'a~is.
• 373 •
2. Une fois que tu as choisi tes amis, les parents
ne disent plus rien.
3. Les parents se chargent de te donner des amis.
12 - Les acti vi t s du week-end ou des vacances
é
--- -------------------------------------
1. Tes activités sont assez variées, mais dans la
mesure du possible, tu prévois d'avance ce que
tu vas faire.
2. Tes activités sont assez variées et en ~énéral
imprévisibles. Tu décides toujours au dernier
moment ce que tu dois faire.
3. Tes activités ne sont pas assez variées (soit
parce que tu restes la plupart du temDs chez
toi, soit parce que tu vas toujours au même
end roi t. )
13 - ~~~e~~!~~:~~_~e2~~~~~~~~!_1~~_r~gl~~_2~_~1~_~!~:
blies à la maison?
1. Je les respecte presque toujours spontanément,
sans qu'on ait à me les rappeler.
2. Il faut qu'on me les rappelle chaque fois.
3. Je les respecte assez souvent de moi-même, mais
il faut tout de même qu'on me les rappelle un
certain nombre de fois.
• 374 •
14 • Le travail a domicile
.......••....•...•...
1. Ton programme de travail est fixé d'avance pIl r
tes parents et tu le respectes à l a lettre.
2 • Tu n'as pas de programme de travail fixé
.
d'avance
tu l'établis chaque soir.
•
3 . Ton programme de trava i l est fixé d'avance. Mais
il peut être modifié de temps à autre.
1.
Les parents ne te donnent pas d'argent de p~
che par principe.
2. Les parents t'accordent un peu d'argent de
poche en fonction de tes besoins.
3. Chaque fois que tu as besoin d'argent, tes
parents te le donnent.
16 - Les loisirs
1. Tu prends toujours des loisirs qui
te plaisent.
2. Les pàrents essayent de te faire aimer les loi-
sirs nécessaires.
3. Ce sont les parents qui décident des loisirs
que tu dois prendre.
1. Oui, mes parents pensent à une profession
précise pour moi .
..
- 375 -
2. Mes parents me verraient bien dans une certaine bran-
che. mais ne pensent pas pour le moment à une pro-
fession précise.
3. Mes parents et moi n'avons aucune idée à ce sujet.
18 - Dans le cas où tu as répondu 1 ou 2 à la question 17
précise la profession ou la branche dont il s'agit
I==:J
19 - ~~~_Q1ff1ç~1~~~_~çQl~~r~~
1. Mes parents accepteraient bien volontiers que je
change d'orientation professionnelle si j'avais
des difficultés scolaires.
2. Mes parents maintiendraient l'orientation même si
je devais doubler des classes.
3. Mes parents ne sauraient plus que faire.
20 - ~~~_j~~~_Q~~?_1~_g~~~!1~r
1. Tu peux jouer quand tu as des heures libres.
2. Tes heures de jeux sont définies avec l'aide de
tes parents compte tenu de ton programme de
travail.
3. Tes parents t'ont tracé un programme d'activité que
tu dois suivre rigoureusement.
*
*
*
• 316 •
La passation est collective. Les élèves sont rassem-
blés
dans une classe par nroupe de trente et par niveau pen-
dant une heure environ pour répondre aux questions sous la
supervision de l'enquêteur qui anporte les informations néces-
saires à la compréhension du texte.
La réponse à chaque item est codée 1, 2 ou 3 selon
que l'éventualité choisie correspond à un type de structura-
tion souple, rigide ou faible. On convient qu'un type de
structuration caractérise une famille lorsque la majorité des
réponses choisies par l'adolescent relève de ce type. Ouand
deux types de structuration apparaissent avec une fréquence
équivalente chez le sujet, ce qui est rare, on procède par
entretien individuel pour faire le départ.
Le type de structuration n'épuise pas l'explication
des différences individuelles consécutives aux différences de
milieux. La persistance de la variation des performances à
types de structuration, âge et niveau scolaire constants,
lorsqu'on passe de la ville à la campagne, témoigne de la jus-
tesse de ce point de vue. L'examen des modèles de connaissance
disponibles dans la culture nourrait certainement élargir
l'éventail des explications.
3.2. LES MODELES COGNITIFS TRADITIONNELS
-----------------------------_._----
En plus de l'influence des types de structuration~
l'adolescent rural pourrait ëtre soumis à une seconde influenc~
· 377 •
celle des modèles de connaissance traditionnels. Dans 1a
mesure où nous tenterons de dégager ces modèles l proros des
conduites manifestées par les adultes ruraux aux épreuves ex-
périmentales, nous pourrions par la suite analyser les diffi-
cultés opératoires des élèves à la lumière de la structure de
ceux-ci (modèles). Les modèles de connaissance traditionnels
constitueraient alors un cadre de référence par raoport auquel
on pourrait caractériser le cOMportemen~ de l'adolescent.
Celui-ci pourrait, en effet, avoir assimilé les conduites lo-
cales. Il en résulterait une oscillation dans certaines si-
tuations, entre deux types de démarches: les démarches cogni-
tives scolaires, expérimentales, et les démarches c09nitives
traditionnelles, expériencées. La prédominance des secondes
sur les premières pourrait inhiler les conduites expérimenta-
les sollicitées par l'expérimentateur. Ainsi à type de
structuration égal, la supériorité des élèves urbains sur
leurs pairs ruraux s'expliquerait en partie par le conflit
généré par les deux méthodes d'investigation :~l lune, expéri·
mentale et analytique, amplifiée 9ar la représentation con-
ceptuelle, l'autre, expériencée et globale soutenue par la
représentation figurale. Les élèves ruraux, à cause de leur
attitude cognitive à prédoMinance rigide, éprouveraient des
difficultés à varier de stratégies; ce qui
indique un fonc-
tionnement centré sur le processus de réalisation. Inversement,
les élèves urbains qui manifestent une attitude cognitive
flexible devraient pouvoir remanier leurs stratégies, reformu-
ler leurs procéaures ; ce qui révèle un fonctionnement dominé
• 378 •
par la forMalisation.
Les processus co~nitifs sont donc inti~e~ent liés
..
aux caractéristiques des milieux socio-cultureTs qui favori-
sent leur construction et leur utilisation.
Il reste à définir les méthodes d'investigation et
, 'échantillonnage pour clore le volet méthodologique.
III - MËTHODES DE PASSATION ET ËCHANTILLONNAGE
1 - LES METHODES DE PASSATION
Nous avons utilisé deux méthodes de passation: la
méthode clinique en milieu scolaire et l'entrevue interactive
avec les adultes ruraux.
,.,. LA METHODE CLINInUE
----------------~--
La méthode clinique ou méthode d'observation criti-
que possède une histoire en psychologie génétique. Elle a été
utilisée dans un premier temps par J. Piaget (1926-1927) Dour
étudier les représentations enfantines relatives aux lI ul t r a -
c ho s e s " (l'origine du ve nt , des nua qe s , de la pl u i e , du rêve).
L'expérimentateur établit une conversation avec l'enfant
pose
t
des questions. Les réponses recueillies permettent d'éclairer
les dédales de la pensée enfantine. Il s'aqit de reconstituer
les modèles des phénomènes qui ne sont pas directement acces-
sibles à l'expérimentateur.
• 379 •
Dans une seconde pfr1ode. P1aget (1936-1937) a pra-
tiqué la méthode clini~ue Sur ses propres enfants durant les
deux pre~ières années de la vie; l'observation de leurs
activités spontanées ou provoquées a débouché sur la mise en
évidence des premiers invariants de la connaissance.
Enfin dans une dernière phase, la méthode clinique
s'est dotée d'une dimension expérimentale. Tous les travaux
sur la construction des opérations loqico-mathématiques ou
spatio-temporelles mettent en jeu une véritable expérimenta-
tion. Les sujets sont invités à raisonner à partir de la mani-
pulation d1un matériel; ce qui permet d'analyser les divers
processus cognitifs utilisés lors du traitement du problème
posé.
L'évolution de la méthode clinique montre, ~uoique
centrée sur l'individu, qu'elle ne s'oppose pas à la méthode
expérimentale. Elle est d'abord destinée à déblayer un domaine
nouveau; grâce à la flexibilité de ses procédures, elle se
laisse modifier par l'originalité des conduites enfantines.
Elle donne ensuite à l'expérimentateur une certaine marge de
manoeuvre lui permettant d'émettre des hypothèses sur le vif
à
propos des diverses significations des conduites observées.
Nous avons choisi la méthode clinique grâce à ses
différentes qualités tout en lui adjoignant une dimension
expérimentale. En effet, l'étude du raisonnement expérimental
part de la manipulation d'un matériel concret indispensable à
.. 3BO ..
son induction. L'interroQatoire clinique permet de voir com-
ment chaque adolescent opère, comment il réagit à une orienta-
tion particulière qu'on lui propose lorsqu'il est bloqué. Il
devient alors possible de dégager au terme de ce travail des
axes généraux du développement en regroupant les observations
individuelles.
'.2. L'ENTREVUE INTERACTIVE EN MILIEU TRADITIONNEL
~---------------------------------------------
L'étude de la loqique des adultes ruraux impose la
mise en place d'une méthode qui s'inspire des styles de commu-
nication en vigueur dans le milieu. Il est évident qu'un
interrogatoire clini~ue tel que nous l'avons employé avec les
élèves aurait été inapproprié dans un environnement coutumier.
En effet
on y conçoit mal qu'un enquêteur étranger s'enferme
t
dans une salle avec un adulte pour lui soutirer des informa-
tions à la manière d'un espion. Nous avons pensé qu'un entre-
tien public sous un préau pourrait dissiper cette inquiétude
et décidé
de l'utilisation de l'entrevue interactive comme
méthode d'investigation.
L'entrevue interactive se présente comme une méthode
de travail en groupe. Elle vise à promouvoir la portée sociale
de toute activité humaine: l'homme vit en communauté; ses
décisions doivent résulter d'une concertation permanente des
membres du corps social. Elle met l'accent sur le travail en
groupe et les qualités qu'il développe.
• 381 •
L'entrevue interactive est aussi le lieu d'objecti-
vation de l'information pour tous. Elle situe la compréhension
du message au centre des préoccupations du groupe ; pour réa-
liser le transfert du message sans déformation, ~lle entretient
un schéma de communication particulier descriptible en termes
d'Emetteur (E) de Relayeur (Re) de Récepteur (R).
E- - - 3 Re --~;{R
Lorsque l'émetteur (ici l~ chercheur) adresse un
message au récepteur (le groupe), celui-ci transite par le
relayeur (un membre du groupe) qui le retraduit en d'autres
termes suivant la compréhension qu'il en a et le répercute à
haute voix sur le groupe. L'information en retour utilise le
même cheminement. Le relayeur permet ainsi à l'émetteur et au
récepteur de s'assurer de la compréhension des messages émis.
Dans le cadre spécifique de cette étude, l'entrevue interacti-
ve comporte trois moments
l'introduction, la concertation et
l'expérimentation.
- Pendant la phase d'introduction, l'expérimentateur
réunit trois à quatre adultes, slinsère lui-même dans le groupe
avec le traducteur, et informe ces derniers de l'activité à
réaliser. L'un des adultes se charge de relayer le messaqe.
Suivant les pratiques coutumières, l'expérimentateur doit ap-
prouver la traduction ou la complèter s'il Dense qu'une infor-
mation majeure a été omise.
- 382 -
- Le deuxiême moment est celui de la concertation.
Chaque membre du groupe donne son point de vue sur la question.
L'expérimentateur se montre particulièrement intéressé. Une
discussion s'engage qui se termine toujours par un compromis.
- Le troisième moment concerne l'expérimentation
proprement dite. Malgré le caractère un peu artificiel des si-
tuations présentées, un adulte essaie de réaliser à sa façon
le point de vue du groupe. S'il est contredit, le contradic-
teur présente à son tour sa manière de voir les choses. C'est
de l 'interprétation des conduites observées que devraient
découler les modèles de connaissance utilisés en milieu tradi-
tionnel.
1
La méthode de l'entrevue interactive s'accorde avec
j
c . . .
l'objectif de l'enquête, à savoir l'élaboration de modèles de
connaissance propres à la culture traditionnelle. Elle permet
de capter les démarches cognitives propres d'un grouoe d'indi-
vidus dans un milieu donné. Les démarches formalisables en
termes de modèles constituent des cadres de référence permet-
tant de situer et d'expliquer les conduites de l'adolescent.
2 - L'ECHANTILLONNAGE
L'échantillonnage doit tenir compte des variables de
l'étude, à savoir le niveau scolaire et l'habitat défini par
le type de structuration de l'environnement familial et les
modèles de connaissance. La variable "style pédagogique"
/
• 383 •
dêterminant la nature des rapports "ensei9nant-enseignê-
matière" n'est pas retenue. parce qu'elle agit par l'intermé-
diaire de la représentation. Il convient donc d'annuler les
effets de celle-ci.
2.1. EGALISATION DES ECHANTILLONS PAR RAPPORT
----------------------------------------
A LA VARIABLE "STYLE PEDAGOGIOUE II
-----------------------------~---
L'influence de l'école ne se manifeste pas seule-
ment par le niveau scolaire, mais par l'ensemble des relations
pédagogiques qui se nouent au sein du groupe-classe. Comme
nous avons sélectionné le niveau scolaire comme indicateur de
l'effet de l'école, il était nécessaire, sur le plan méthodo-
logique, d'annuler l'action des styles pédagoqiques pour l'en-
semble des groupes d'échantillons. Pour ce faire, nous avons
utilisé la concordance de deux sources d'information
une
source pédagogique et une source Dsychosociale.
La source pédagogique regroupe l'ensemble des infor-
mations rédigées par les inspecteurs de l'enseignement s eccn-
daire de trois disciplines (sciences naturelles, sciences
physiques, mathématiques) à propos des professeurs de l'ensei-
gnement public.
L'analyse de contenu appliquée à ces rapports permet
d'identifier l'orientation du style pédago~ique du professeur:
• 384 •
"Encourage les élèves, suscite la synthèse, donne de l'infor-
me t t on , évalue les travaux des élèves .•. '", les unités d'infor-
mation de ce type décrivent un style pédago~1que. Nous nous
sommes servi de la source pédagogique (étude de trente
rapports d'inspection) pour porter. le choix sur deux établis-
sements : le collège moderne de Cocody (Abidjan) et le collège
d'enseignement général d'Alépé (zone rurale). C'est là que
nous avons exploité la source psychosociale.
La source psychosociale se fonde sur les théories de
la communication et de l'information. Lorsque plusieurs per-
sonnes forment un groupe centré sur une tâche, à l'instar du
groupe-classe, l'attitude de l'animateur influe sur le niveau
de communication et de participation. Pour favoriser le
pro ces sus de co mm uni ca t ion, l' a ni mat e u r do i t ce nt rer sa f 0 nc -
tion sur l'organisation du travail en vue de faciliter la
productivité du groupe. Dans le groupe-classe, on peut distin-
guer trois types d'intervention du professeur en rapport avec
l'activité du groupe: l'intervention sur le contenu de la
tâche, l'intervention sur la orocédure et l'intervention sur
l'organisation de la tâche.
2.1.2.1. L'intervention sur le contenu
Le contenu représente le savoir inhérent à une dis-
cip1ine scolaire. Dans sa mission d'enseionant, le professeur
• 385 •
peut se donner comme objectif de transmettre le contenu sans
se préoccuper de la manière dont les élèves le reçoivent. Une
relation de ce type qui ne pose pas l'activité de l'élève au
point de départ de sa propre formation caractérise une pédago-
gie à orientation traditionnelle.
Une procédure est un ensemble de cheminements, de
modalités d'approche capables de faciliter la solution d'un
problème. Intervenir sur la procédure, c'est donner une infor-
mation de base sur les modalités de travail. Cette information
est nécessaire au démarrage de l'activité et ~ la mise en
oeuvre des stratégies de résolution. Dire aux élèves lice qu'il
y a ~ f a i r e ? , c'est déj~ les préoarer à imaginer "c omme nt le
t e i r e "; activer leur réflexion. Ce type d'intervention est
fréquent en pédagogie dite active.
Llorganisation du contenu porte sur la construction
des connaissances et l'activité de synthèse. Il arrive que le
professeur aide l'élève à réorganiser ses connaissances anté-
rieures en vue de formuler une hypothèse et de monter une
expérience vérificatrice. Il arrive aussi, après olusieurs
questions visant à cerner un problème, que le professeur de-
mande à l'élève de proposer une synthèse slil juge que les
- 386 -
rêponses sont suffisantes. L'intervention Sur 1 'orqanisation
des connaissances est centrée sur le groupe-classe. Elle appa-
ra't comme une manifestation des pratiques pédagogiques dites
actives.
Les différentes formes d'intervention analysées
déterminent deux types de fonctionnement du groupe-classe: un
fonctionnement centré sur le professeur et un fonctionnement
centré sur les élèves. Nous avons en dernière analyse, sélec-
tionné des classes où les professeurs animent une pédagogie
centrée sur les élèves, utilisant de façon équilibrée les
trois types d'interventions en fonction des besoins de ceux-ci.
En définitive, quatre classes (deux cinquièmes et deux qua-
trièmes) ont été retenues dans chaque établissement (4 x 2)
respectivement encadrées par trois professeurs à Abidjan et à
Alépé (3 x 2)*. Chaque professeur a été observé trois fois en
trois mois pendant une durée
d'une
heure.
L'échantillon
urbain et l'échantillon rural ne diffèrent oas significative-
ment sur le plan des styles pédagogiques des professeurs.
2.2. LA POPULATION EXPERIMENTALE
L'étude a porté sur un effectif de deux cent quatre
(N = 240) adolescents âqés de douze à seize ans (12-16 ans)
>t C'est
Le même professeur qui encadre les deux cinquièmes et Les deux
quatrièmes
dans Les trois sciences fondamentales : mathématiques,
sciences physiques, sciences naturelles.
- 387 -
et subdivisé en deux groupes égaux: les élèves urbains
(N = 120) et les élèves ruraux (N = 120). Tous les élèves
suivent une classe de cinquième ou de quatrième. Nous présen-
tons dans les tableaux suivants la distribution des effectifs
par âge et par niveau scolaire.
Tableau
7
Echantillon urbain.
Niveaux
5°
4°
Total
1
Ages
12,6-13,6 ans
30
30
13,7-14,6 ans
30
30
60
14,7-15,6 ans
30
30
Total
60
60
120
1
Tableau 8
Echantillon rural.
Niveaux
1
5°
4°
Total
Ages
13,6-14,6 ans
30
38
14,7-15-6 ans
30
30
60
15,7-16,6 ans
30
30
Total
60
60
120
1
Au niveau de la scolarité, il faut noter que les
élèves ruraux (13-16 ans) ont un an de plus ~ue ieurs confrères
- 388 -
de la ville (12-16 ans). Dans chaque milieu les sujets ont été
choisis de sorte qu'ils présentent une différence d'un an à
chaque niveau scolaire et entre les niveaux. Ce procédé permet
de vérifier l'influence de l'école dans les meilleures condi-
tions. En effet, si dans la tranche d'âge comprise entre douze
et seize ans, l'action des pratiques éducatives scolaires est
plus déterminante que 11 influence de l'âge dans l'acquisition
du raisonnement expérimental, lé oourcent açe de réussite devrait va-
rier en fonction rlu niveau scolaire et non de l'âge.
Les effectifs citadins et ruraux ont respectivement
été sélectionnés à Abidjan, capitale de la Côte d'Ivoire et à
Alépé, village d'environ cinq mille habitants, transformés en
sous-préfecture depuis une dizaine d'années et situé à soi-
xante kilomètres à l'est d'Abidjan.
Situé au sud ae la Côte dl Ivoire sur l'océan atlan-
tique, Abidjan réunit les caractères d'une ville moderne par
ses industries, sa population, la nature de ses problèmes.
La ville d'Abidjan remplit plusieurs fonctions:
politique, économique et culturelle. En tant que capitale de
la Côte d'Ivoire, elle abrite le gouvernement, les grandes
i ns t i tut i ons de l ' état . El l e est a us s i un pô 1e cul t ure l pa r
- 389 -
son université et ses grandes écoles. Mais avant tout, Abidjan
se distingue par sa fonction économique; 80 % des entreprises
nationales et internationales y ont leur siège; elle dispose
de l'un des plus grands port et aéroport de l'Afrique de
l'ouest.
La concentration de l'activité économique à Abidjan
s'associe à une concentration humaine. En effet, cette ville
compte près de deux millions d'habitants soit le quart de la
population du pays. La population est cosmopolite; en dehors
des soixante-trois ethnies de la Côte d'Ivoire, toutes les
ethnies ouest africaines y sont représentées: malinké,
haoussa, mossi, ashanti .,. Toute cette évolution génère des
problèmes propres à la vie moderne.
L'ivoirien de la ville est confronté à un ensemble
de problèmes nouveaux par rapport aux contexte traditionnel
problème de travail, de transport, de famille, d'habitat ...
L'éloignement du lieu de travail par rapport au domicile exige
l'apprentissage de conduites planifiées: heure du coucher, du
lever, du départ au travail ... sans cette planification, les
,
retards répétés au travail se soldent par une exclusion de
l'entreprise. L'exercice d'une activité professionnelle donne
droit à un salaire. Il se Dose alors le problème de la gestion
rigoureuse de ce salaire dans un milieu où jadis la gestion
- 390 -
des biens n'était pas rigoureuse compte tenu de la solidarité
sociale. S'adapter ~ la ville devient ainsi synonyme de savoir
gérer; on passe d'un style d'adaptation immédiate ~ une adap-
tation médiate systématisée.
Le niveau des salaires distribués impose le remanie-
ment de la structure familiale.
La grande famille africaine se
désagrège sous le poids de contraintes matérielles et cède
progressivement la place à la famille nucléaire plus adaptée
au contexte moderne. Il est en effet impossible de supoorter
une famille de trente personnes en ville. Une nouvelle morale
de vie s'élabore, fondée sur la responsabilité et l'effort
personnels. La ville suscite une transformation rsychologique
des individus, transformation dont les conséquences sont mul-
tiples.
L'évolution vers la modernité comporte deux aspects
indissociables: l'un positif, l'autre négatif. L'aspect posi-
tif de l'évolution se reconnaît au développement des capacités
d'organisation de l'homme. Au lieu d'attendre tout de la nature,
il prend désormais l'initiative, fait l'inventaire des res-
sources de son environneemnt en vue de leur gestion. Il s'agit
d'un changement d'orientation quant à la conception des rela-
tions de l'homme avec la nature; à l'idée d'harmonie naturelle
avec le cosmos, succède l'idée de conquête, de maîtrise de
- 391
-
celui-ci. On assiste è une sorte de libération des capacités
individuelles de création.
La plus grande acquisition liée è l'esprit d'orga-
nisation est la ma'trise du temps quantifié. Le temps devient
le critère d'évaluation de l'efficacité d'une activité; il
contribue è définir le rendement. Les activités de prévision
et de planification ne prennent un sens que par référence à la
dimension-temporelle. L'homme de la ville est en général orga-
nisé ; il sait ce qu'il a à faire parce qu'il possède un
programme d'activités. Mais l'évolution présente aussi un as-
pect négatif.
L'aspect négatif découle du conflit des nouvelles
valeurs avec les anciennes. La recherche effrenée du bien-
être matériel conduit inévitablement à la modification des
rapports sociaux. Sur le plan familial, la centration des pa-
rents sur le travail salarié entraîne le relâchement des pra-
tiques éducatives. Il s'ensuit une délinquance juvénile qui
préoccupe les responsables des grandes métropoles africaines.
Parmi
les causes qui la provoquent, on cite principalement le
manque d'encadrement familial, les média et l'échec scolaire.
En dehors de l'institution scolaire, les enfants des
quartiers populaires sont livrés à la rue en l'absence des
parents. Ils y mènent une vie de band~ et apprennent souvent
des conduites inadaptées (vols, drogue ... ). Quand aux média et
particulièrement à la télévision, elle véhicule de temps en
- 392 -
temps des modèles d'identification qui incitent à la délin-
quance ~ un voleur peut jouer le rôle d'un héros dans un film
par exemple et apparaître fort sympathique aux enfants. Enfin
l'échec scolaire dans la mesure où il entraîne l'exclusion de
l'école prédispose à la délinquance. L'enfant oisif n'aura
d'autres recours que la rue pour dépenser son énergie. Des
structures de régulation sont mises en place pour recycler les
jeunes en vue de leur réinsertion. Mais la véritable régula-
tion se situe dans le système éducatif dont l'adaptation
devrait réduire les déchets. En définitive le milieu urbain
par son caractère industriel, sa forte population, son système
d'organisation représente le modèle de milieu moderne.
2.2.1.1. L'échantillon urbain
Dans la ville d'Abidjan, le quartier résidentiel de
Cocody nous a paru le mieux répondre aux exigences de l'étude.
En effet, non seulement la plupart des hauts fonctionnaires de
la Côte d'Ivoire y habitent, mais les conditions de vie sont
de type occidental: contraintes professionnelles, familles
nucléaires, espace de vie délimité ... Tous les sujets de
l'échantillon fréquentent le collège moderne de Cocody ; ils
vivent à l'externat dans la famille. Le père de famille a une
formation universitaire du niveau de la licence (médecin,
magistrat, professeur, administrateur ... ), la mère, un niveau
moyen équivalent au baccalauréat de l'enseignement secondaire
(sage-femme, assistante sociale, institutrice ... ). Les deux
• 393 -
parents exercent une profession précise. Ils disposent au
moins d'une voiture.
Les adolescents examinés parlent leur langue ethni-
que avec difficulté compte tenu de l'appartenance interethni-
que des parents, des relations qui se nouent entre les diffé-
rentes ethnies dans le quartier, de la rareté des visites aux
parents qui résident au village, là où la lan~ue ethnique est
d'usage courant.
Le volume de la famille tourne autour de huit
personnes et le coéfficient d'habitabilité de deux personnes par
chambre. Les sujets bénéficient de toutes les commodités de la
vie moderne: eau courante, électricité, voiture, télévision,
espace de rangement ... Sur le plan sanitaire, la disponibilité
des centres hospitaliers aussi bien dans le secteur public que
dans le secteur privé est une garantie pour la santé physique.
L'alimentation présente la particularité d'être bien équili-
brée grâce au niveau de formation des parents. On peut affirmer
sans risque de se tromper que les adolescents de ce milieu ont
échappé aux maladies de malnutrition qui ravagent certaines
régions de l'Afrique. Les statistiques de la protection mater-
nelle et infantile révèlent qu'en Afrique noire, 15 % des
enfants de moins de trois ans souffrent de kwashiokor, trouble
résultant d'une déficience de l'alimentation en protéines. Il
entraîne un ralentissement de la croissance du cerveau, du
développement psychomoteur et des capacités d'exploration du
- 394 -
milieu. Les enfants de la ville qui n'ont pas souffert de ces
perturbations ont plus de chance d'avoir un développement
cognitif normal. Mais plutôt que la nutrition, nous avons re-
tenu le critère de régularité de la scolarité comme indicateur
de la normalité intellectuelle de l'élève.
La région d'Alépé se situe en pays "Ak a n" (1), au
sud de la Côte d'Ivoire.
Elle est habitée par deux ethnies
parentées, les llAkyé ll et les llM'bato ll. Ce sont des paysans
spécialisés dans la culture du café, du cacao et du palmier à
huile depuis le début du siècle. Ils appartiennent à un milieu
coutumier en pleine évolution, dans lequel le phénomène moné-
taire fonctionne normalement, contrebalancé de temps à autre
par le troc. La région d'Alépé n'est donc pas assimilable aux
milieux africains traditionnels décrits par l'ethnologie ou
l'anthropologie, dans leur originalité culturelle. Elle est
fortement acculturée grâce aux contacts interethniques, aux
échanges commerciaux. En effet, les fonctionnaires (institu-
teurs, professeurs, rersonnels administratifs) et commerçants
qui exercent dans cette localité proviennent de toute la
Côte
d'Ivoire. [lest un milieu transitionnel.
La différence avec la ville, c'est qu'Alépé vit à
(]) Les Akan constituent Le grand groupe ethnique de l'est de la Côte
d'Ivoire.
- 395 -
un rythme traditionnel. I.a souplesse des activités anr i c ol e s
n'imrose aucune organisation te~porelle rigide de façon quoti-
dienne. La faible concentration humaine_ personnifie les rapports
sociaux. Alépé fait donc face aux problèmes du milieu tradi-
tionnel.
Les groupes sociaux vivent en milieu rural suivant
les indications des valeurs traditionnelles. L'accent est
particulièrement mis sur l'intégration de l'individu dans le
li~nage. Dans les deux ethnies de la région d'Alépé (Akyé,
Mbato), on pratique les mêmes rites d'intégration. Contraire-
ment à certaines ethnies ~ajoritaires du grouDe Akan (Baoulé,
Agni ... ),
qui ont adopté une organisation monarchique, d'au-
tres (Akyé, Mbato, Ebrié, Alladjan, Adioukrou ... ) ont mis en
place une organisation sociale fondée sur les classes d'âge.
Selon Harris Memel F6té, la classe d'âge est un groupe social
de type communauté ou réunion; elle se définit par six carac-
tères : Ila terminologie, le nombre, la composition, le mode de
recrutement, le mode de fonctionnement et les fonctions sociales.
Sur le plan de la terminologie, les classes d'âge ont
une d nom i na t i on connue dans la région d'Alépé : IIFokwé". chez
é
les Akyé, "giefo" chez les M'bato. Leur nombre, délimité, varie
d'une société à l'autre:
- trois chez les Akyé (Breswe, Niado, Dyigbo)
- 396 -
- quatre chez les Mbato (Dugbo. Niado. Breswe.
Cogba ou Monakwa).
Le mode de recrutement dépend des conditions sociales_
et culturelles. La condition principale d'accès à la classe
d'âge est l'appartenance à un patrilignage ; la seconde con-
dition, variable d'une ethnie à l'autre est l 'aopartenance à
la tranche d'âge requise pour être membre de la classe. Cette
unité varie de cinq à vinqt-cinq ans suivant le nombre de
classes à franchir.
Elle slélève à seize ans chez les Akyé et
les M'bato.
Le fonctionnement des classes d'âge ressemble à
celui des institutions démocratiques. Tous les membres dispo-
sent des mêmes statuts et profitent de la même durée d'initia-
tion : quarante-huit ans chez les Akyé (16 ans x 3 classes),
soixante-quatre ans chez les M,bato (16 ans x 4 classes). Mais
il arrive que des responsabilités particulières soient confiées
à certains patrilignages ou matrilignages. Ainsi chez les Akyé,
la direction politique (fokwego) et la direction militaire
(safwê) reviennent de droit à certains matrilignages.
Enfin sur le plan social, les classes d'âge sont
multifonctionnelles
elles assurent l'ordre social, jouent
des rôles économique, politique, culturel ...
La pédagogie initiatique vise à dévelo~per l'intel-
ligence sociale chez l'individu, intelligence indispensable à
- 397 -
la structuration et à la compréhension des problèmes sociaux.
Elle pose le primat du groupe sur l'individu. Dans un système
éducatif centré sur le groupe, les déviations par rapport aux
normes collectives ne sont pas tolérées. On comprend pourquoi
la délinquance juvénile s'y manifestent rarement. La pratique
de l'éducation communautaire fait que chaque adulte, chaque
aîné se transforme en éducateur à toute occasion placé en si-
tuation d'interaction avec les plus jeunes.
On peut estimer qu'un adolescent qui est élevé dans
l'environnement culturel d'Alépé relève d'une éducation tradi-
tionnelle. Cela est d'autant plus vrai que même les hauts
fonctionnaires de l'état issus de ce milieu aopartiennent à
une classe d'âge et exécutent les mêmes obligations que leurs
pairs paysans. Tous les actes significatifs de leur vie comme
le mariage, le divorce ... sont subordonnés à la décision impé-
rative de la classe. Celui qui enfreint celle-ci doit tirer
toutes les conséquences de ses actes -et s'attendre, compte
tenu des lois modernes à l'exclusion de la classe d'âge ; ce
qui correspond symboliquement à l'anéantissement de l'identité
personnelle, à la mort de l'individu pour le groupe de référence.
Malgré la force des coutumes, on note une lente évolution du
milieu traditionnel.
2.2.2.2. L'évolution du milieu traditionnel
----------------------------------
Le milieu traditionnel subit une évolution inélucta-
b1e. L'économie marchande en constitue le moteur principal. Le
- 398 -
bouleversement des hiérarchies socio-po11tiques traditionnelles
a redistribué les chances des individus devant l'avenir. Le
nouveau statut social de l'individu se trouve au bout de
l'effort personnel et se confond avec la possession de biens
matériels. Rapidement le rôle de l'école dans la détermination
du statut social fut perçu, les hauts fonctionnaires de l'état
étant les nersonnes les plus instruites. Les paysans entrepri-
rent à leur propre frais de construire des écoles dans les
villages. Le résultat parle de lui-même puisque le taux de
scolarisation atteint 90 % dans la région d'Alépé. La prise de
conscience du rôle de l'instruction était telle que jadis en
1946, les groupes sociaux avaient décidé d'un système de coti-
sation pour couvrir les frais de scolarité des premiers élèves
envoyés en France. Mais dix ans plus tard, les cotisations
communautaires furent abandonnées à cause du comportement in-
dividualiste des premiers cadres formés par ce biais.
Les faits montrent que le milieu rural asrire à la
modernité sans pour autant abandonner les structures de l'édu-
cation coutumière qui
soutiennent la culture.
2.2.2.3. L'échantillon rural
-------------------
Les élèves ruraux fréquentent les classes de cin-
quième et de quatrième du collège d'enseignement général
d'Alépé. Faute d'internat, ils vivent tous dans leur famille.
Les parents sont des planteurs et n'ont jamais fréquenté l'école.
- 399 -
Les couples matrimoniaux sont généralement homogènes sur le
plan ethnique de telle sorte que tout le monde parle la langue
de son groupe d'appartenance. Les familles sont polygamiques
dans la plupart des cas et leur volume oscille autour de quinze
personnes. Compte tenu de la disponibilité de l'espace, le
chef de famille peut construire des cases au fur et à mesure
qu'il
procrée. Le coefficient d'hatitabilittS
est difficile à cal-
culer à cause de la mobilité des membres de la grande famille.
Les habitants d'Alépé bénéficient de quelques commo-
dités de la vie moderne. notamment de l'électricité, ce qui
nlest pas le cas des autres villages qui l'entourent dans un
rayon de se Dt kilomètres et qui reçoivent la majorité des
élèves à la fin des cours. Les paysans disposent en général
d'un poste radio pour écouter les émissions en lan~ue ethnique
et la musique populaire.
Avec sa population d'environ trente mille habitants,
la région d'Alépé est dotée d'un dispensaire et d'une materni.-
té équipés de façon légère. La mortalité infantile y est infé-
rieure à la moyenne nationale; mais la malnutrition existe à
cause des habitudes alimentaires traditionnelles.
Les élèves ruraux retenus ont une scolarité régulière.
2.2.3. L'échantillon d'adultes ruraux
------------------------------
L'échantillon des adultes a été recruté dans deux
- 400 -
villages distants de cinq kilomètres: Alépé (villaqe Akyé) et
Akouré (village Mbato). Il comrorte trente-six (36) adultes
âgés de 35 à 45 ans, distribués en six groupes de trois par
village.
Nous avons choisi les deux villages pour tenir compte
de la représentation des deux langues ethniques. Mais nous
avons constaté que grâce à la parenté des ethnies (Akyé et
Mbato) et aux échanges matrimoniaux, les deux langues fonction-
nent dans chaque village.
Au niveau de la passation des épreuves, nous avons
utilisé les services de deux interprètes issus des villages
(instituteurs) pour traduire la consigne. Pour assurer une
certaine fidélité à la traduction, nous l lavons élaborée en
groupe avec l laide de quatre professeurs de lycée originaire
de la région. L'interprète communique cette traduction.
La passation s'est achevée dans chaque village au
terme de quatre séances de travail d'une durée moyenne de six
heures, soit deux heures par séance.
Toutes les épreuves ont été passées entre Décembre
1984 et Juin 1985.
- 4 01 -
Le tableau
synoptique
de rappel peut se présenter sous la for-
me suivante :
Milieu urbain
- Représentation concep-
tuelle (Modèle formel)
Formalisation
- Tyoes de structuration
?
Mil ieu
scolaire
Raisonnement
expérimental
?
Milieu rural
Réalisation
- Représentation figura-
le
(Modèle pragma-
tique)
- Types de structuration
L'action du milieu scolaire sur le raisonnement ex-
périmental serait plus favorable en zone urbaine grâce à la
dominance de la représentation conceptuelle, des modèles de
connaissance formels et peut-être du type de structuration
souple; alors qu'elle serait moins favorable en zone rurale à
cause de la dominance de la représentation figurale, des modè-
les de connaissance praqmatiques et peut-être un type de
structuration rigide.
Quels sont les résultats obtenus?
TROISIEME PARTIE
ELABORATION DES
RESULTATS
,/
L'UNIVERSITE DE CAEN
U,F.R. DES SCIENCES DE LA VIE
ET DU COMPORTEMENT
Département de Psychologie
THESE
DOCTORAT D'ETAT
ES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
par
fCONSE1tAFRICAIN ET M-~L-GAëH-Ë'
TAPE Gozé POUR L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
1 C. A. M. E. S. -
OUAGADOUGOU
1Arrivée 2· 6· JtHN· ·1995··
.
TOME ~J:nregi~~ré ~~_us~n1t.C:J'lr 8' 4"8' .. !
-'
-
--#\\'-
Dale de soutenance 11 décembre 1987
MEMBRES DE JURY
Président .-
Le Professeur M. Reuchlin (Paris V)
Directeur de thèse .-
Le Professeur J. Drévillon (CAEN)
Membres
Le Professeur A. Lieury (Rennes JI)
Le Professeur 1. Gugluelmi (CAEN)
Monsieur J. Lautrey (CNRS)
. (
1
- 4D2 -
CHAPITRE IX
MILIEU SCOLAIRE ET DEVELOPPEMENT
DU RAISONNEMENT EXPERIMENTAL,
Le problème de l'influence du milieu scolaire sur le
déveloDpement de la pensée formelle et du raisonnement exoéri-
mental semble rélever d'une évidence; mais replacé dans le
cadre théorique de la psychologie génétique, il reprend tout
son intérêt. En effet, l'influence de l 'école intè~re celle
plus globale des facteurs de transmissions éducatives et cul-
turelles dont Piaget a souligné le caractère imoositif. Elle
s'oppose de ce fait au postulat du constructivisme osychogéné-
tique qui insiste sur l lactivité du sujet dans l'élaboration
des connaissances. Les connaissances scolaires dans la mesure
où elles constituent des modèles pré-structurés que le maître
imrose à l'élève, joueraient un rôle secondôire dans le déve-
loppement cognitif. Il faudrait olutôt se référer aux facteurs
généraux comme la maturation, la coopération ou l'équilibra-
tion pour comprendre l'évolution de la pensée.
Depuis 1974, la réinterorétation des facteurs
d1équilibration à partir des exrériences d'apprentissa~e a
inauguré une conception nouvelle: l'équilibration devient le
orocessus central de la théorie du développement, celui qui
assure l'interdépendance de tous les facteurs. ('est ainsi que
les travaux de J. Lautrey (1976) ou ceux de J. Drévillon (1976)
ont montré que 1 Ion pouvait différencier les milieux éducatifs
- 403 -
en plus ou moins favorables au développement en fonction des
implications du modèie de l'équilibration. Les pratiques et
les transmissions éducatives, selon la manière dont elles se
déroulent, peuvent susciter le développement. Dans cette pers-
pective, nouS pensons que l'école différencie les élèves en
fonction du niveau scolaire; celui-ci traduit le temDs d'ex-
position de l'élève aux formes d'action et de représentation
que privilégie le milieu scolaire. Voyons si les faits con-
firment l'influence du niveau scolaire, en tant que variable
indépendante, sur le développement cognitif indiqué par la
réussite aux épreuves expérimentales (variables dépendantes).
1 - NIVEAUX SCOLAIRES ET DEVELOP~EMENT COGNITIF
Si le niveau scolaire influence le développement
cognitif dans le sens d'une structuration croissante, on
devrait, dans les conditions de notre étude, observer deux
choses: d'une part des réussites comparables chez les élèves
de même niveau scolaire, différant seulement par l'âge (un an
d'écart), et d'autre part une augmentation ré~ulière du nombre
de réussites (Effectifs) lorsqu'on rasse de la classe de 5e à
la classe de 4e, à âge égal, et de façon générale.
- 404 -
Tableau
9
Nombre d'élèves citadins de Se ayant réussi
aux épreuves expérimentales.
Epreuves
Pendule
·Flexibilité
Permutations
1
Ages
13 ans
1S
8
9
n = 30
14 ans
14
9
9
n = 30
1
Le nombre de réussites dans les deux classes d'âge
(13 ans et 14 ans) de Se est comparable (KHI-2 = 0,093,
NU = 2 ; au seuil
P = .OS, KHI-2 = S,99). Le décalaqe d'un
an nIa pas suffi à assurer une olus grande compétence aux
~.
élèves de 14 ans par rapport à ceux de 13 ans.
- 40S -
Tableau
10
Nombre d'élèves citadins de 4e ayant réussi
aux épreuves expérimentales.
Epreuves
1
Pendule
Flexibilité
Permutations
Ages
14 ans
18
13
11
n = 30
15 ans
20
12
11
n = 30
1
L'âge ne différencie pas non plus les élèves de 4e quant à la
formation du r a i s o nneme nt expérimental
(KHI-2 = 0,133, Nu= 2 ;
au seuil P = .05, KHI-2 = 5,99).
Tableau
1 1
~ombre d'élèves ruraux de Se ayant réussi aux
épreuves expérimentales.
r
Epreuves
Pendule
[- Flexibilité
Permutations
1
1
Ages
1
1
1
1
1
1
1
14 ans
1
12
6
7
1
1
n = 30
1
1
1
1
1
1
15 ans
1
1
10
8
7
1
1
n = 30
1
L
1
1
- 406 -
Ici comme dans les cas précédents, les deux classes d'â~e de
5e (zone rurale) sont homogènes quant au nombre de réussites
aux épreuves expérimentales (KHI-2 = 0,467, Nu = 2 ; au seuil
P = .05, KHI-2 = 5,99).
Tableau
12
Nombre d'élèves ruraux de 4e ayant réussi
- - - - - -
aux épreuves expérimentales.
Epreuves
Pendule
Flexibilité
Permutations
1
Ages
15 ans
15
9
8
n = 30
16 ans
17
1°
9
n = 30
Ces résultats ne permettent pas de conclure à une
(
différence significative entre les deux classes d'âge de 4e
(KHI-2 = 0,001, Nu = 2 ; au seuil P = .05, KHI-2 = 5,99).
Il apparaît que pendant la période sensible de cons-
truction des opérations expérimentales (12-16 ans), le niveau
scolaire atteint par l'élève importe plus que son âge chrono-
logique dans la structuration de ses outils cognitifs. Mais
cette interprétation serait plus valide si le passage d'un
niveau inférieur (5e) à un niveau supérieur (4e) améliorait le
nombre de réussites à âge égal.
- 407 -
Tableau
13
Comparaison du nombre d'élèves citadins de 5e
et 4e ayant réussi aux épreuves expérimenta-
les à âge égal.
Epreuves
Pendule
Flexibilité
Permutations
Ages
14 ans (5e)
14
9
9
n = 30
14 ans ( 4e )
18
13
1
11
n = 30
1
On observe une avance sensible des élèves de qua-
trième âgés de 14 ans sur ceux de cinquième du même â~e. Le
niveau de réussite augmente régulièrement lorsqu'on passe de
la cinquième à la quatrième. Mais la différence constatée
n'est pas significative du point de vue statistique (KHI-2 =
0,077, Nu = 2 ; au seuil P = .05, KHI-2 = 5,99).
•
- 408 -
Tab,leau
14
Comparaison globale des réussites des élèves
urbains de 5e et de 4e.
Epreuves
Pendule
Flexibilité
Permutations
Ages
5e
29
17
18
n = 60
4e
38
25
22
n = 60
Sur le plan des résultats globaux, les groupes de niveau ne
diffèrent pas significativement, (KHI-2 = 0,176, Nu = 2).
Mais dans l'ensemble, les performances des élèves de quatrième
sont supérieures à celles des élèves de cinquième. Il y a un
début de différenciation dans le sens d'une structuration
croissante des instruments cognitifs.
Tableau
15
Comparaison du nombre d1élèves ruraux de
5e et de 4e ayant réussi aux épreuves
expérimentales, à âge égal.
- 409 -
Epreuves
Pendule
Flexibilité
Permutations
Ages
15 ans ( 5e )
10
8
7
n = 30
15 ans ( 4e )
15
9
8
n = 30
1
1
Malgré l'absence de différence significative, (KHI-2 = 0,270,
Nu = 2), on note une lég~re avance des él~ves de quatri~me
sur ceux de cinqui~me. Là, comme dans les cas précédents, les
résultats sont orientés en fonction du niveau scolaire.
·Tableau
16
Comparaison globale des réussites des él~ves
ruraux de 5e et de 4e.
Epreuves
Pendule
Flexibilité
Permutations
1
Niveaux
1
5e
22
14
14
1
n = 60
1
1
4e
1
37
19
1
17
n = 60
1
1
-
1
- 4·10 -
<-
Le niveau scolaire reste à l'origine de la relative supério-
rité que manifeste le 9roupe d'élèves de quatrième, même si
les niveaux de réussites ne présentent pas de différence
significative (KHI-2 = 0,581, Nu = 2).
Dans l'ensemble, il n'y a pas de différence signifi-
cative entre les élèves relevant du même niveau (Se ou 4e)
lorsque l'âge varie. Une légère différence apparaît de façon
stable entre les élèves de niveaux scolaires différents (Se et
4e) lorsque l'âge reste constant. L'absence de différence en-
tre les deux classes d'âge du même niveaij scolaire confirme
l 'hypothèse de la structuration des outils coqnitifs en fonc-
tion du niveau scolaire. Le début de différenciation constatée
lorsqu'on' remonte la hiérarchie des niveaux scolaires (Se et
4e) témoigne à son tour de l'influence du niveau scolaire sur
le développement du raisonnement expérimental. En effet, les
différences auraient été plus significatives si l'expérience
1
/
avait porté sur des élèves de cinquième et de troisième Dar
exemple, séparés par deux niveaux. Mais ce choix nous aurait
empêché d'évaluer la variation des performances d'une classe
à l'autre, à âge égal, faute d'une zone de recouvrement par-
tiel des âges.
Il n'est pas question pour nous, dans le cadre de l'interpré-
tation des faits, de prétendre que la pédagogie peut faire
apprendre n'importe quoi à n'imDorte quel âqe, comme le pen-
saient certains behavioristes, mais d'identifier quelques-uns
- 411 -
des mécanismes Dar lesquels l'école suscite et active le dé-
veloppement de la pensée formelle et du raisonnement expéri-
mental.
Si l'école est l'environnement le plus favorable au
développement de la pensée formelle et des modèles de connais-
sance qui
la caractérisent, on devait pouvoir observer dans un
milieu non scolaire, la manifestation d'une pensée différant
de la pensée formelle par son mode opératoire. Un tel constat
tendrait à démontrer qu'il existe d'autres modèles de connais-
sance en dehors des modèles formels privilégiés par l'école et
que chaque société instruit ses membres en développant des
formes de représentation conformes à ses besoins.
L'analyse des conduites mises en oeuvre par les adultes du
milieu rural confrontés aux épreuves expérimentales devrait
apporter un nouvel éclairage à la question.
II - MILIEU TRADITIONNEL ET MODELES DE CONNAISSANCE
r
"
L'approche des conduites cognitives des adultes du
milieu traditionnel reste à un niveau qualitatif. Il ne s'agit
pas d'évaluer le niveau de performances atteint par l'adulte
non scolarisé sur l'axe de la formalisation, mais de tenter de
capter la représentation qui organise son activité. Nous par-
tons de l 'hypothèse de la psychologie cognitive suivant
laquelle toute réalisation d'une tâche suppose la mise en
oeuvre de la représentation qui en fournit le modèle et la mo-
- 412 -
délisation. Clest ce cadre organisateur qui donne un sens à
l'activité cognitive, en assure le guidage et le contrôle.
La mise en évidence des modèles dont dispose l'adulte
non scolarisé pour traiter une situation expérimentale permet-
tra de bien spécifier l'influence de l'école. En effet si les
modèles de pensée formelle et de pensée dite II na t ur e l l e li co;n-
cidaient, il nly aurait plus de raison de conclure à un effet
spécifique de l'école sur le développement intellectuel. Par
contre, si les deux modèles différaient par quelques facettes,
alors l'effet modélisateur des incitations scolaires sur la
pensée formelle serait hautement probable.
1 - ANALYSE DES CONDUITES DES ADULTES RURAUX
AUX EPREUVES EXPERIMENTALES.
La méthode de l'entrevue i nteract ive ut il i sée dans
le cadre de cette investigation s'est révélée pertinente. En
effet, elle a suscité une atmosphère naturelle d'échange entre
r
les membres du groupe. Dans l'ensemble, ceux-ci discutent,
s'entendent sur un projet avant que l' un d'entre eux ne tente
de faire une expérience. Mais comme nous le verrons, il ne
s'agit pas d'une expérimentation au sens scientifique du terme,
suivant le principe de la dissociation des facteurs et de la
manipulation d'un seul facteur "toutes choses é9ales par ail-
leu r s ". 1l f a ut s e réf é r e r a ux m0 dè les de con nais san cep ropres
au milieu traditionnel pour saisir les démarches coqnitives
observées.
- 413 -
De quo i dé Den d l a vHe sse dl un
pen dule? Sur lep l an
formel, elle dépend uniquement de la longueur de la tige à
l'exclusion de tous les autres facteurs.
La concertation entre adultes a permis de dégager d'abord
l'élan comme le premier facteur qui détermine la vitesse du
pendule (fréquence). La raison généralement invoquée est qu'il
n1y a pas de vitesse sans mouvement; or pour produire le mou-
vement, il faut appliquer un élan à la tige; ce qui permet
d'observer l'oscillation du pendule. Mais en plus de l'élan 8
groupes sur 12 introduisent le facteur IILongueur de la ficel-
l e ", Le facteur est évoqué dans un premier temps par un seul;
compte tenu du fait que les échanges aboutissent ~énéralement
à un accord sur le critère, le résultat est attribué à tout le
groupe. Dans ces huit groupes, la lenteur est associée à une
II gr a nde longueur ll et la rapidité à une II petite longueur ll
i
IIPlus clest long, plus ça va loin, moins ça revient vite ll •
1
Est-ce la longueur de la ficelle ou l'élan qui détermine la
vitesse du pendule?
C'est l'élan ; parce que si la ficelle est courte et qu'on
ne lui imprime pas d'élan, on ne peut pas observer de mou-
vement.
Il se pose ici le problème de la dissociation des
effets de l'élan et de la longueur de la ficelle. Tout laisse
- 414 -
à penser que s dans le contexte du pendules ces deux facteurs
fonctionnent comme un b10c d'informations. Mais l'analyse ré-
vèle que les informations contenues dans les deux facteurs
sont ordonnées; la vitesse du pendule (VP~ dépend d'abord de
l'élan (E) et ensuite de la longueur de la ficelle (1)
:
vp = f [E(1)J (1). Dans cette équation, l'élan (E) désigne le
facteur déclenchant principal dont l'action est modulée par
un facteur secondaire, la longueur de la ficelle. On ne spéci-
fierait pas le rôle de la longueur si on ne la couD~ait avec
l'élan qui la dynamise et rend son effet manifeste.
Il faut noter que l'effet de la longueur est facilement obser-
vable, les rythmes du dénombrement des oscillations y aidant.
Il n'en est pas de même pour l'estimation de l'influence des
masses sur la fréquence du pendule.
Tous les groupes s'attendaient spontanément à ce que les mas-
ses aient un effet positif sur l'augmentation de la vitesse.
Mais la vérification siest avérée difficile à cause des con-
Î
traintes temporelles. L'utilisation du chronomètre pour déli-
miter un nombre de fréquence en fonction d'une durée arbitrai-
rement fixée ne va pas sans soulever de problème; car pour
ces groupes, il est plus juste de compter le nombre de_fréquences
jusqu'à l'arrêt définitif du pendule que de découper une durée
de vingt secondes.
(1)
Nous écrivons étan, E majuscule, et longueur, l minuscule pour indi-
quer qu'ils représentent respectivement le facteur principal et le
facteur secondaire.
- 415 -
Nous avons essayé de suivre leur procédure pour voir
comment ils ~éagiraient aux nouvelles contraintes temporelles.
Ils se sont vite aperçus que le pendule ne s'arrête pas de
sitôt et que l'utilisation d'une durée arbitraire constituait
une solution économique. Mais comment contrôler le pouvoir de
celui qui manipule le chronomètre? Il peut faire varier le
temps à volonté et induire les gens en erreur s'il le désire.
Après avoir été convaincu par l'expérimentateur que le temps
est le même pour les deux essais (masse lourde, masse légère),
les groupes concluent à l'influence manifeste de l'élan et
peut-être à l'absence d'influence des masses. La raison invo-
qué e est quillon ne voit pas
bien la différence". Dans la cul-
ture locale, cette expression traduit un état de doute face à
un événement qu'on ne maîtrise pas faute d'exoérience anté-
rieure.
Il faut noter qu'un autre bloc d'information était
en train de se constituer; si les masses avaient eu un effet
observable, on aurait pu écrire une équation similaire
vp = f [E(m)l où l'élan (E) représente le facteur principal et
la masse (m) le facteur secondaire.
Examinons quelques protocoles de l'expérience pour
soutenir notre argumentation.
Premier exemple N'chot, 37 ans, groupe 2.
N'Chot pense que le poids intervient sur la vitesse du pendule
"Plus c'est lourd, plus ça va vite".
- 416 -
Tout le groupe partage son point de vue. Pour vérifier cette
hypothèse, il manipule correctement le facteur poids. En vingt
secondes, il dénombre 18 battements pour les deux masses et
conclut: II c'est faussé parce qu'on nia pas attendu l'arrêt
définitif du pe ndul e ? • Le groupe l'approuve.
Pour N1Chot comme pour le groupe, les effets des facteurs se
combinent suivant l'équation Vp = f CE (lm)], équation dans
laquelle E, le facteur principal est le facteur déclehchant,
l, la longueur de la ficelle et m, les masses, sont des fac-
teurs modulateur~.
Deuxième exemple
Djédji, 40 ans, groupe 10.
Djédji fait partie des quatre groupes qui n'ont pas spontané-
ment évoqué la longueur de la ficelle, mais qui la prennent en
compte sous l'influence de l'expérimentateur. Il affirme que
la longueur agit sur la vitesse du pendule parce que: IIQuand
c'est long, ça va loin et ça ne revient pas.vite ll • Dans sa
représentation de la tâche, il utilise son expérience du mi-
Î
l ieu. En effet, on se sert de temps en temps de dispositifs
semblables au pendule pour franchir des voies d'eau; pour
cela, il faut avoir un arbre d'une grande taille en bordure du
fleuve et une liance fixée sur une de ses branches; l'exerci-
ce consiste à s'agripper à la liane, à prendre un élan, à se
bal a ncers url e f leu ve e t à a t t é r i r de ·1 1 a ut r e côté de l a r ive.
La longueur de la liane et le temps du voyage sont proportion-
nels à la largeur du fleuve.
- 417 -
Cette expérience permet à Djédji de bien circonscrire le pro-
blème et de maintenir intégrés les blocs d'informations, car
même si la longueur influence la vitesse, clest 1 lélan qui la
produit.
Les conduites manifestées à l'épreuve du pendule montrent que
les adultes du milieu rural disposent d'une approche particu-
lière du réel. Les propriétés des objets sont groupés en blocs
unitaires d'informations évoqués par le facteur princiral dont
llaction paraît la plus déterminante. Les facteurs associés à
chaque bloc d'information sont donc ordonnés et exercent une
influence en rapport avec leur position centrale ou périphé-
que. Observe-t-on des conduites analogues à l'épreuve de
flexibilité?
1.2. LA FLEXIBILITE
Les conduites des adultes ruraux sont homogènes en
ce qui concerne l'épreuve de flexibil ité. Pour tous les grou-
r
pes, la flexibilité d'une tige quelconque dépend d'abord de sa
matière. Comment procèdent-ils pour mettre en évidence l'effet
de la matière?
AHOUA t38 ans, groupe 1)
Apr è s lIe xpli ca t ion du m0 de 0 pé rat 0 i re, AHOU A t e nt e des 1 i n-
former; il prend successivement deux tiges de matière diffé-
rente entre les deux mains, leur applique une force "pour voir"
quelques membres du groupe essaient d'en faire autant. Ensuite,
- 418
il introduit les deux tiges dans le dispositif et leur appli-
que deux masses identiques. Les faits lui permettent de tirer
une conclusion hypothétique: "C'est certninernent
celle-ci
(laiton) qui est la plus flexible; c'est elle qui oenche le
plus".
N'en êtes-vous pas sûr?
Je ne suis pas très sûr, rarce que c'est rapide. On ne sait
pas si cette tige qui penche le plus va être droite après
plusieurs jours, ou si c'est l'autre qui penche le moins
qui sera droite.
Le groupe approuve sa démarche et la question de savoir si
ce qui est flexible maintenant continuera à être flexible
demain si lion maintenait le dispositif en place, reste posée.
"
Oui, ça dépend aussi de la grosseur de la tiqe. Plus c'est
mince, plus c'est souple. Mais la grosseur est importante
quand elle caractérise une matière déjà souple.
Le groupe partage cet avis.
La souplesse dépend-elle aussi de la longueur de la tige?
Oui, la souplesse dépend de la longueur de la tige: plus
c'est long, plus c'est souple, mais à condition
que la
- 419 -
matière elle-même soit déjà souple.
Il fait le même raisonnement pour la forme de section.
Cet exemple réflète globalement les conduites que nous avons
rélevées dans l'ensemble des groupes. Il ressort que Dour les
adultes ruraux, la flexibilité dépend d'abord de la matière
de la tige (Ml et ensuite des auteurs facteurs (épaisseur,
forme de section, longueur ... ). Toutes ces propriétés ne se
situent pas au même plan du fonctionnement cognitif; elles
s'ordonnent suivant deux niveaux: le facteur principal
lM) et
les facteurs secondaires ri , e , f ... ). Comme pour le pendule
on peut écrire l'équation.
Ft = f LM(len]
Pour connaître l'objet, la pensée naturelle orocède
par le regroupement de ses propriétés en blocs d'informations
elle diffère par cet aspect de la pensée formelle. -Elle n'est
pas le résultat d'une élaboration logico-mathématique, mais le
lieu de cristallisation, de condensation d'une expérience sé-
culaire.
Dans ces conditions, on comprend le rôle tenu par la dimension
temporelle dans l'organisation des blocs. La formation par
l'expérience exclut tout réductionnisme, tout découpage arbi-
traire de la réalité pour les besoins d'une science. Elle uti-
lise une approche globale dans laquelle l 'observation joue un
rôle fondamental: le sage en milieu africain traditionnel
n'est-il pas celui qui
prête attention à la nature, qui saisit
- 420 -
les modèles de comportements que celle-ci lui offre en spec-
tacle ?
L'utilisation rigoureuse de la méthode expérimentale pose
problème parce qu'elle repose. sur une vision analytique des
choses. La preuve est apportée par le fait que les adultes ne
comprennent pas, d'une part, pourquoi on fait abstraction du
temps pour étudier la flexibilité. Dans leur expérience quoti-
dienne de piégeurs, ils emploient des tiges de bois spécifi-
ques dont la flexibilité a été mise à l'épreuve du temps: ces
tiges possèdent encore une détente après un mois d'utilisation.
Ils ne comprennent pas, d'autre part, pourquoi on veut traiter
tous les facteurs de flexibilité de façon formelle sur le
même plan. Lorsqu'on veut avoir une tige flexible, on ne la
sélectionne pas parce qu'elle a telle forme, ou telle éoais-
seur, ou telle longueur. On la sélectionne d'abord en fonction
de sa matière; ensuite on tient compte des autres facteurs
qui
interviennent pour améliorer une flexibilité de base. Tout
se passe pour eux comme si, sur le plan expérimental, le fait
d'égaliser les facteurs pouvait déboucher sur une conclusion
vraie ou fausse:
-- vraie si la tige la plus inclinée actuel-
lement est effectivement la plus flexible; -- fausse si elle
ne l'est
que momentanément.
Dans l'épreuve de flexibilité, la pensée naturelle a recours
à une logique modale temporelle;
ici le critère de vérité
est toujours: une propriété détermine essentiellement la
- 421
-
flexibilité d'une tige si son action persiste dans le temps.
rel est le cas de la matière (facteur principal) et non des
autres propriétés (facteurs secondaires).
Il existe donc un
ordre de l'expérienciation.
La notion de "bloc unitaire d'informations" employé
par Reuchlin (1973) pour rendre compte des contenus du proces-
sus de réalisation convient bien à la description des condui-
tes observées chez les adultes ruraux aux épreuves expérimen-
tales soutenues par un matériel physique. Face au matériel du
pendule ou de la flexibilité, ils actualisent des "blocs
unitaires d'informations" présentant une structure minimale.
Celle-ci se caractérise par un noyau central autour duquel
gravitent des noyaux satellites. L'analyse fonctionnelle de
la pensée naturelle formulée par Wermus (1976) (1) en termes
de "prédicats amalgamés" comporte deux notions par l' intermé-
diaire desquelles on peut décrire la structure du bloc: ce
sont les notions de composante contextuelle principale et de
composantes contextuelles périphériques. La composante contex-
tuelle principale définit la propriété de l'objet qui influe
de manière décisive sur la représentation que le sujet s'en
forme. Quant à la composante contextuelle périphérique, elle
est la propriété de l'objet qui agit de façon secondaire sur
la représentation du sujet.
(1)
H. WERMUS, Essai de représentation de certaines activités cognitives
.à ~'aide de prédicats amalgamés avec composante contextuelle, Arch.
Psych., XLIV, 171, 205-221, 1976.
422
-
Les contenus élaborés par l'action et la représentation dans
une situation naturelle s'organisent en blocs unitaires d'in-
formations avec une composante contextuelle principale et des
composantes contextuelles périphériques. Lorsque le sujet se
trouve dans une situation qui
lui est assez t am t l i r e , l'évo-
è
cation immédiate de la composante principale constitue dans la
plupart des cas la solution du problème: d'où le qualificatif
d'économique qu'on attribue à cette démarche cognitive parti-
culière.
Si nous reprenons maintenant l'èxemple du pendule, les facteurs
de la vitesse s'organisent en bloc unitaire d'informations' dans
lequel
l'élan représente la composante principale et les au-
tres facteurs, les composantes périphériques: ainsi pour les
adultes, on obtient la vitesse en agissant seulement sur
l 'élan ; mais si l 'on veut moduler la vitesse, lui accorder
des valeurs variables, alors on peut en second lieu agir sur
les autres variables. De même la oropriété "flexibilité" cons-
titue d'abord un attribut de la matière; celle-ci correspond
donc à la composante principale. Les autres facteurs (longueur,
forme, section ... ] sont des composantes périphériques; elles
viennent modUler la flexibilité prbpre à la matière.
Comment le bloc unitaire d'information fonctionne-
t - i l du poi nt de vue co gnit if? 0n peu t r ete ni r de ux des règ les
de traitement des prédicats amalgamés que définit WERMUS
l 'activation et la centration. Lorsque le contexte est défini,
- 423 -
l'activation des différentes composantes va du centre à la pé-
riphérie ; ciest d'abord la composante p~incipale qui est ac-
tivée et qui entraîne ensuite dans son activation les compo-
santes périphériques. Ce fonctionnement n'admet qu'une seule
possibilité de centration initiale:
la centration sur la
composante principale du bloc unitaire d'informations.
Les
autres centrationssecondaires ne viennent que moduler la cen-
tration première.
En définitive, la pensée naturelle opère dans des
contextes signifiants en dehors desquels elle perd de son ef-
ficacité. La technique de l'organisation de l'information en
blocs unitaires guidés par une composante contextuelle prin-
cipale permet, comme le soul igne Reuchlin, l'accès immédiat à
l'information pertinente lors de la résolution de problèmes.
C'est un avantage considérable sur le plan de la mobilisation
immédiate des moyens cognitifs. Mais une telle représentation
des choses CQuvre des domaines limités à cause de son faible
pouvoir de transférabilité. Dans les milieux africains tradi-
tionnels caractérisés par l'économie de subsistance et le troc,
la pensée naturelle suffit certainement à résoudre les problè-
mes d'adaptation que rencontrent les individus.
L'organisation des données en blocs unitaires d'in-
formations s'étend-elle aussi aux permutations logiques?
- 424 -
1.3. L'EPREUVE DE PERMUTATIONS
La situation présentée aux élèves comporte quatre
lettres A, B, C, D de différentes couleurs. Cette situation ne
convient pas aux adultes à cause de la nature du matériel et
du problème posé. En ce qui concerne le matériel, si la cou-
leur ou la forme des lettres permet seulement de retenir les
permutations réalisées avec deux lettres, les choses commen-
cent à se compliquer à partir de trois lettres où après trois
ou quatre permutations l'activité s'arrête, faute de guidage à
l' i ntéri eur dl un cadre organisateur
"Pourquo t dëo l ace-t-bn les l et-
tres les unes car rapport aux autres" ? Questionnent les adultes.
Du point de vue de la logique formelle, il s'agit d inventor ter
t
l'ensemble des possibles. Mais du point de vue de la logique
pragmatique des adultes, l'ensemble des possibles ne corres-
pond pas à un but. Le problème est donc de savoir dans quel
but précis on permute les objets. Cette attitude pragmatique
réflète déjà l'une des différences fondame~tales entre le mi-
lie u s col air e e t lem i lie u t rad i t ion nel: s i par l a pe rmu ta t ion
des objets, l'élève poursuit un but cognitif qui se suffit à
lui-même, l 'adulte ne voit pas bien ce qui est derrière l'ac-
tivité de permutation, à quoi elle sert sur le plan de l'action.
Afin de donner un sens à l'épreuve de permutations; nous avons
été obl igé de modifier la situation expérimentale proDosée aux
élèves en la reformulant sous forme de jeu logique. La situation
nouvelle adaptée à la compréhension locale comporte quatre
- 425 -
images de cyclistes appelés Adou, Brou, Assi, Yopo.
Situation 1
Adou et Brou font une course
cycliste~ Si
Adou arrive premier,
Brou arrive deuxième.
Mais si
Brou arrive premier,
Adou arrive deuxième.
De combien de façons peuvent-ils arriver?
De deux façons.
Situation 2
Adou, Brou et Assi font une course cycliste.
-- De combien de façons peuvent-ils arriver?
La troisième situation comprenant les quatre cyclistes est
construite sur le même modèle.
L'intérêt de ce modèle, c'est qu'il présente une analogie avec
le contexte des devinettes en vigueur dans le milieu. On y
distingue deux types de devinettes: les devinettes ouvertes
et les devinettes fermées. Le premier type ne renvoie à aucune
réponse précise, mais vise le développement d'une argumenta-
tion interindividuelle. En voici un exemple: Trois frères
doués d1un pouvoir exceptionnel sont en voyage lorsque leur
père meurt.
Le premier par son pouvoir de "télé-vision" informe les
autres du décès du père ;
426 -
le second met en oeuvre son pouvoir de transport rapide et
ramène la fratrie à domicile;
arrivé auprès de la dépouille mortelle du père, le troi-
sième fils le ranime par son pouvoir de revitalisation.
Si le père devait attribuer son héritage à l'un de ses trois
fils, lequel d'entre eux mériterait le plus cet héritage?
Une telle devinette déclenche une discussion dans le groupe.
Chacun argumente son choix en espérant convaincre les autres,
mais en définitive, aucune réponse ne s'impose sur le plan lo-
gique.
Le deuxième type de devinettes, ce sont les devinettes fermées
elles requièrent une réponse précise. L'exemDle le plus cou-
rant est le problème de la panthère, du mouton et du riz: un
voyageur disposant d'une panthère, d'un mouton et d'un paddy
de riz, doit traverser un fleuve
mais sur sa pirogue, il ne
peut embarquer que deux objets à la fois; sachant qu'en son
absence, la panthère peut tuer le mouton ou que le mouton peut
manger le riz, comment doit-il procéder?
ln respectant le jeu des incompatibilités, le sujet construit
la solution du problème au terme du quatrième tour.
Le problème des permutations se classe dans le deuxième type
de devinettes car, malgré la diversité des procédures, il n'y
a qu'une seule solution possible.
- 427
-
Les conduites de permutations sont très homoqènes. Les adultes
procèdent généralement par tâtonnement pour aboutir à la solu-
tion ; ce qui
ne pose pas de problème avec deux ou trois
objets. Les véritables difficultés commencent avec quatre ob-
jets où seulement 2 groupes atteignent 10 permutations, 3
groupes, 12 permutations, et 7 groupes, 16 permutations.
Il
faut noter que la performance groupale est surtout fonction de
la motivation du membre de service. Clest lui qui entretient
l'activité du groupe, maintient son attention en proposant des
nouveautés. Dans certains groupes, il finit d'ailleurs par se
faire remplacer quand un autre membre a une nouvelle idée qu'-
il désire appliquer lui-même. Des comportements de cette natu-
re pourraient faire l'objet d'une étude particulière pour
spécifier le statut du coordonnateur spontané du groupe.
Comment s'explique le niveau de performance atteint? Il faut
noter que l'utilisation de la méthode de tâtonnement indique
que les adultes n'ont aucune représentation spécifique de ·la
tâche qui leur est proposée. Comme l'action sur le matériel
discret des permutations ne leur renvoie pas d'information en
retour pour modifier l~ procédure initiale, le tâtonnement
persiste.
On pourrait évoquer deux facteurs pour tenter de rendre compte
des conduites observées. Le premier facteur concerne le milieu
culturel. Les adultes ruraux ne disposent pas de contenus dans
leur bagage cognitif capables d'induire une représentation
428 -
adéquate de la situation. L'absence d'idée directrice entraîne
le tâtonnement, l'activité intellectuelle ne pouvant être
guidée. La situation de permutations apparaît donc comme une
situation "peu familière". Le deuxième facteur est lié aux mo-
dalités de présentation des permutations. La progression dans
la découverte des permutations est non seulement liée à la
méthode de travail, mais aussi à la mémoire des permutations
déjà réalisées. Or que ~e passe-t-il avec les ~dultes au bout
d'une dizaine de permutations? Ils commencent déjà à oublier
les permutations effectuées et s'interrogent sur la nouveauté
de celles qu'ils découvrent maintenant. C'est là que l'on se
rend compte que l'écriture aurait joué le rôle de "mémoire ex-
terne". Si les permutations avaient été écrites, le contrôle
des réalisations serait plus efficace et par rapport à celles-
ci, les adultes se seraient orientés vers des nouveautés.
Dans le mode de représentation conceptuelle, l'écriture qui
capte et cristallise la pensée dans son d r ou be me n
é
t ,
joue un
rôle fondamental. Elle permet une meilleure conservation des
connaissances et favorise le va-et-vient entre une tâche et
son modèlt de résolution. L'écriture peut même induire une nou-
velle représentation des choses: la relecture des permutations
déjà réalisées, l'observation de régularités dans celles-ci,
peut susciter une méthode de travail que l'individu n'avait pas
au départ.
Les modes de représentation du réel influencent certainement
- 429 -
les démarches intellectuelles des individus, car la structu-
ration et la conservation des contenus varient selon qu'ils
traduisent les objets de façon multimodale ou privilégient
l'emploi d'une seule modalité.
III - LES MODES DE REPRESENTATION DU REEL EN MILIEU AFRICAIN
TRAD IT 1ONN EL
Au cours de l'analyse des conduites des adultes ru-
raux aux épreuves expérimentales, nous avons relevé deux pro-
cédures de traitement de données :
Le traitement en blocs unitaires d'information avec une
composante contextuelle principale et des composantes con-
textuelles périphériques, lorsque l'expérience porte sur un
matériel physique
le traitement par la méthode des t~tonnements sans straté-
gie manifeste quand l'expérience porte sur le matériel
discret des permutations.
1 - LES BLOCS UNITAIRES D'INFORMATION
L'organisation des données en blocs unitaires d'in-
formation traduit la prédominance de la représentation figu-
rale. Est-ce à dire que tout IIBUI II implique une représentation
figurale ? Oui, puisque le BUI résulte de l'activité de sché-
- 430 -
matisation et utilise par conséquent les véhicules de traduc-
tion figurale.
Il arrive des moments où la pensée formelle
fait appel à ces véhicules figuraux lorsqu'elle doit descendre
au niveau de l'action, s'appliquer à un objet précis. Nous
reviendrons sur ce point précis dans le développement de l'ana-
lyse.
La représentation figurale correspond à une carto-
graphie mentale de la réalité. Elle capte les relations de
simultanéité et propose une vision d'ensemble du problème. Elle
fournit à l'individu qui agit par son canal une quantité im-
portante d'information dans un temps réduit. Elle résulte de
l'expérience directe de l'homme au contact de la nature et
donne lieu à une connaissance expériencée organisant les don-
nées suivant des configurations finalisées, sorte de schèmes
directeurs immédiatement applicables à la situation-problème.
Les contenus de la représentation figurale sont
élaborés par l'action directe de l 'homme sur l'environnement.
Comme cette action n"est pas analysée, ses résultats s'inté-
riorisent de façon globale sous forme de bloc présentant une
structure en composantes principale et périphérique. Lorsque
l'individu est confronté à un problème, c'est la composante
principale qui lui sert d'idée directrice pour organiser son
activité; son identification permet de prendre un raccourci,
d'aller directement à la solution sans tenir compte de l'ensem-
ble des possibles, quitte à sélectionner par la suite quelques
facteurs modulateurs.
431 -
Avec le dévelorpement des apprentissages scolaires,
la représentation figurale de base se transforme en représenta-
tion conceptuelle. L'individu ne cherche plus à se servir
d'images sensibles pour soutenir la pensée abstraite; mais il
construit des images conventionnelles, des signes-images, et
les utilise pour présenter la pensée conceptuelle. C'est l'avè-
nement de l'écriture qui jouera un rôle fondamental à ce niveau;
car en f 0 nc t ion de l a réa lit é à t rad u ire, e l leva dé mul t i pl te r
les modalités de présentation fiqurale. Ainsi l'histogramme,
le graphe ... fournissent des traductions variées des proprié-
tés de l'objet; ils apparaissent comme des moyens de conden-
sation et de schématisation des données. Présenté sous cette
modalité, l'objet se prête à une lecture globale; ce qui
permet à l'observateur
d'en avoir une vue d'ensemble abstraction
faite des détails.
La traduction mutuelle des différents modes de repré-
sentation du réel se développe progressivement. Elle commence
avec l'action qui élabore les schèmes au contact des objets
pendant le stade sensori-moteur ; elle se poursuit au stade de
l' intell igence concrète avec la transformation des schèmes en
configurations, en contenus de pensée imagés, puis en opéra-
tions élémentaires difficilement détachables des contextes de
l'action immédiate; enfin, elle s'achève au stade de l'intel-
ligence formelle lorsque la conceptualisation transforme
virtuellement le réel en un ensemble de possibles et schématise
l'action avant de l'exécuter. Cette schématisation ou modél i s a-
- 432 -
tion exige de transformer le concept en plan de travail, en
organigramme, en courbe ... , bref de privilégier 1 'asnect figu-
ral de la pensée
ce qui signifie que le mode fiqural a_ la
propriété de mieux cerner les contextes de l'action, d'assurer
le relais biunivoque obli~atoire entre la pensée et l'action.
En effet, le passage de la pensée formelle à l'action requiert
une traduction figurale de l'objet; la démarche de l'archi-
tecte est instructive à cet égard; de même le passage de
l'action directe à la pensée formelle impose aussi une traduc-
tion figurale
; la psychologie génétique en fournit l'illus-
tration.
L'activité de schématisation vient donc assurer la médiation
entre l'action et la pensée opératoire. C'est le point de vue
de E. FISCHBEIN (1978) pour qui la médiation s'opère grâce à
la construction d'une structure accommodative. Cette activité
s'appuierait de préférence sur des modèles figuratifs qui se
présentent sous forme de diagramme, de plans ... Ces modèles
seraient capables d'activer les schèmes opératoires latents et
de réguler en retour les actions effectives.
Pour J. Drévillon (1985) la fonction de schématisation en tant
que processus serait une fonction intermédiaire entre les fonc-
tions de réalisation et de formalisation.
Elle
comporterait
deux phases: une phase de condensation permettant de décanter
les différentes composantes de la situation, de les hiérarchi-
ser en composante centrale et en composante périphérique. Cette
décantation constituerait un préalable à la formalisation puis-
qu'elle ordonne les propriétés de l'objet jusque-là amalqamées.
- 433 -
Cette phase correspondrait à notre avis à la période de cons-
truction des formes et des contenus.
Une deuxième phase du processus de schématisation apparaît
lorsque les nécessités de l'adaptation requièrent la traduction
de la formalisation en projets réalisables. Ici la schématisa-
tion consiste en une planification de l'action. Ce serait à
notre avis la période d'utilisation des formes et des contenus.
Dans tous les cas~ qu'il s'agisse de la période de construc-
tion ou de la période d'utilisation des formes et des contenus,
le recours aux véhicules de traduction flgurale s'avère néces-
saire pour visual iser les relations de la situation.
La représentation figurale constitue donc une représentation
intermédiaire entre la représentation cinématique et la repré-
sentation conceptuelle. On comprend que les adultes ruraux
formés dans une situation éducative particulière puissent modé-
liser leurs activités cognitives par son canal sans trop se
distancier de l 'objet.
La deuxième méthode de traitement des données est la méthode
des tâtonnements.
L -
LA METHODE DES TATONNEMENTS
L'épreuve de permutations induit des conduites de
tâtonnement chez les adultes. Cette hésitation cognitive pose
le problème de la compréhension de la tâche. A quelle référence
- 434 -
culturelle raccorder ce type d'exercice? Quoique se rappro-
chant des devinettes, il n'entraîne aucune motivation particu-
l ière. C'est certainement un "jeu de l'école" comme le disent
certains adultes.
L'activité de permutations apparaît comme une activité fort
caractéristique de l'école et de la pensée formelle.
Ici on se
préoccupe beaucoup plus de la découverte des possibles en soi
que de l'utilisation qu'on peut en faire. Le mode de représen-
tation figurale n'est plus pertinent pour structurer cette
tâche qui se déroule hors contexte et par conséquent se prête
difficilement à une sémantisation locale. Par contre, le mode
de représentation conceptuelle dans sa modalité de traduction
écrite semble le plus efficace. La preuve est apportée par le
fait qu'après avoir réal isé 8 à 14 permutations, les adultes
ne se souv~ennent plus des permutations effectuées et donnent
l'impression d'avoir épuisé l'ensemble des possibilités. Or la
réalisation du modèle par le canal de l'écriture aurait permis
de conserver les permutations réussies, de contrôler la pro-
gression de l'activité. L'écriture permet la ré-flexion de la pensée
en ce qu'elle "fait parler les idées" en les manipulant, enles
retournant dans tous les sens à la manière du logicien pour
saisir l'existence éventuelle d'une contradiction dans les
propositions énoncées.
L'activité d'anticipation du nombre de permutations avec cinq
et six objets que l'on devrait inférer des régularités obser-
vées sur deux, trois ou quatre objets, paraît difficilement
.. -:~. '. ~i~
435
.s:-.~,
~
concevable sans écriture. En effet, chercher à trouver une
régularité entre 2, 6 et 24 permutations lorsqu'on permute
successivement 2, 3 et 4 objets signifie découvrir que:
2 x
=
2
2 x j
=
6
6 x 4 = 24
Ainsi avec 5 et 6 objets on aura la suite
24 x 5 = 120
120 x 6 = 720
Quelques élèves de cinquième et de quatrième par-
viennent à ce résultat à force de calcul, de recherche de la
preuve. Il en est autrement des adultes qui fonctionnent très
peu dans l 'univers des chiffres.
Les conduites des adultes ruraux à l'épreuve de permutations
recommandent une réflexion sur les décalages horizontaux. Les
auteurs (Piaget, 1968, Longeot, 1976) ont généralement conclu
à une avance des
opérations logico-mathématiques à support dis-
cret, sur les opérations physiques et spatio-temporelles dont
le contexte résiste
aux schèmes d'assimilation des élèves.
Cette conclusion en même temps qu'elle conforte notre thèse, en
reçoit en retour une nouvelle interprétation. En effet, les
performances des adultes suggèrent un nouveau commentaire des
faits. Dans un environnement socio-culturel où la représenta-
tion figurale est dominante, le traitement des situations phy-
- 436 -
siques parait plus familière que celui des situations discrètes.
La raison en est que les contraintes de l'adaptation vitale
ont amené les individus à explorer les objets physiques, à dé-
velopper des instruments intellectuels et des connaissances
propres à créer la familiarité avec ceux-ci. En dehors des
jeux de stratégies où les opérations intellectuelles fonction-
nent sur un matériel discret, mais signifiant pour le milieu,
la sémantisation du contexte des permutations fait problème.
Il en résulte la difficulté de constituer un cadre d'appréhen-
sion mentale de la tâche et de spécifier les connaissances
adéquates en connaissance de cause.
Les contextes discrets sans signification particuljèr~ sont les
plus favorables à l'induction de la pensée formelle qui se dé-
finit comme une pensée hors contexte.
Il est donc normal que
les élèves formés dans une structure d'éducation elle-même
formelle s'adaptent mieux à la structuration des contextes
discrets et éprouvent du mal à appliquer leurs opérations à
des objets physiques. En revanche, les adultes ruraux qui ont
reçu une éducation informelle au contact de l'expérience immé-
diate utilisent, pour traiter les objets physiques, des modèles
pragmatiques. Il est aussi normal qui ils soient à leur tour
désarmés devant des situations discrètes.
Notre travail
sur les activités de classification
chez l 'enfant ivoirien (1976) peut être reformulé dans l'opti-
que de la logique pragmatique différente de la logique formelle.
- 437 -
3 - LES ACTIVITES DE CLASSIFICATION CHEZ L'ENFANT
IVOIRIEN
L'étude sur les activités de classification portant
sur les images d'animaux apporte des informations analogues à
celles recueill ies lors des épreuves expérimentales à supoort
physique. Voulant constituer un cadre de référence par rapport
auquel on pouvait comprendre les conduites logiques des enfants
(6-9 ans) ruraux interrogés dans leur langue maternelle, quel-
ques adultes furent au préalable invités à classer le matériel
et à formuler un raisonnement de quantification de 1 'inclusio~
Le matériel animalier consiste en images comportant les sous-
classes suivantes:
- sous-classe des quadrupèdes
- sous-classe des quadrumanes
- sous-classe des oiseaux
sous-classe des poissons.
En général la partition en classe ne pose pas problème. Mais
le problème naît au niveau de la quantification de l'inclusion
dans certains cas.
Devant une première classe d'animaux composée de deux sous-
classes (quadrupèdes et quadrumanes), si lion pose la ques-
tion d'inclusion: y a-t-il plus d'animaux ou plus de
quadrupèdes ?
- 438 -
La réponse des adultes est claire: "Il y a plus d'animaux,
parce que ce sont tous des animaux à poils ll • On a la certi-
tude que la quantification de l'inclusion s'inscrit dans le
cadre de la logique formelle.
En réalité, il n'en est rien,
car la modification des sous-classes va déplacer le problème
sur le terrain de la logique pragmatique.
Devant une deuxième classe d'animaux composée de deux sous-
classes (quadrupèdes et oiseaux), si l'on pose la même
question d'inclusion, les réponses sont variables
- 1111 Y a plus d'oiseaux que d'animaux parce que les oi seaux
font beaucoup de petits en même temps"
;
- "1 l Y a plu s d a ni ma ux que d'
t
0 i s eau x par c e que
les a n i ma ux
comprennent des quadrupèdes et des quadrumanes".
Lorsqu'on pose la question:
IILes oiseaux et les poissons
sont-ils aussi des animaux ?II.
La réponse est oui
mais disent-ils "lorsqu'on parle d'a-
nimaux, on ne pense pas souvent aux oiseaux ou aux poissons
on pense généralement aux animaux à poils (quadrupèdes,
quadrumanes).
Nous assistons là au fonctionnement d'une classe
définie par une composante contextuelle principale (les ani-
maux à poils) et des composantes contextuelles périphériques
(les oiseaux, les poissons). Il s'agit d'une classe flexible
avec un noyau central stable et des noyaux satellites mobiles.
- 439 -
Lorsque le raisonnement inclusif porte sur deux sous-classes
i nhé r e ntes à lac 0 mp0 san tep r i nc i pal e (q ua dru p des - qua druma nes) ,
è
on a l'impression que les adultes raisonnent sur le mode for-
mel
; mais lorsque 11 inclusion requiert la comparaison numéri-
que de la composante principale et d'une composante périphéri-
que (quadrupèdes-oiseaux), le contexte supprime la possibilité
d'expression du raisonnement inclusif, la
comparaison s létalissant
entre la composante principale (les animaux à poils ~ les
animaux) et la composante périphérique (les oiseaux =F des
animaux) . La classe des animaux fonctionne donc suivant une
double référence symbol ique : une référence formelle et une
référence pragmatique. La référence formelle renvoie à l'in-
ventaire théorique de tous les éléments de la classe
quant à
la référence pragmatique, elle ne retient que la partie réel-
lement fonctionnelle au détriment des autres.
Comment cette hiérarchie entre composante principale et compo-
sante périphérique s~est-elle constituée? Il faut se référer
aux pratiques sociales en vigueur dans le mil ieu pour compren-
dre l'élasticité du conceDt d'animal. Dans un environnement
traditionnel qui tire sa subsistance de l'activité de chasse
et non d'élevage, la notion d'animal renvoie d'abord aux pro-
duits de la chasse. Le foisement du gibier est tel dans la
contrée que le chasseur traditionnel se garde bien d'abattre
des oiseaux; il s'intéresse surtout aux quadrupèdes et aux
quadrumanes. Ainsi lorsqu'on aporend dans le village qu'un
chasseur a abattu un animal, personne ne pense à un oiseau ou
- 440
-
à
un poisson, mais plutôt à une biche, à une antilope, à un
animal d'une certaine taille qui
peut faire l'objet d'un par-
tage communautaire: informer sur l'abattage d'un animal, cest
déjà inviter chaque membre du groupe à recevoir sa part de
viande. Les petits animaux qui! ne se prètent pas à cette pra':"
tique sociale sont relayés à la périphérie.
L'analyse des activités expérimentales et des acti-
vités de classifications révèle que la pensée naturelle
déborde le cadre de la logique formelle. On ne peut la saisir
dans sa totalité indépendamment de l'articulation de la logique
pragmatique et de la logique formelle.
IV - DE LA LOGIQUE PRAGMATIQUE A LA LOGIQUE FORMELLE
L'analyse de la pensée naturelle des adultes ruraux
de notre expérience n'aurait pas posé problème si nous nous
étions résolument fixé au début de la recherche, dans le cadre
théorique de la psychologie génétique. Les conduites observées
auraient été systématiquement interprètées en fonction des
normes psychogénétiques, quitte à recourir a posteriori à
l'éventail des facteurs du développement pour Tes expliquer en
termes de faiblesse du niveau général d'activité, des coordi-
nations interindividuelles, ou en termes de tendance impositive
des transmissions éducatives et culturelles. Cette position
statique contraire à la dynamique interactionniste et cons-
tructiviste bloque les démarches interprétatives au lieu de
- 441 -
les faire progresser. La seule façon de dépasser le débat,
c'est bien de se situer à l'intérieur et à l'extérieur de la
théorie génétique, de s'interroger sur l'existence d'autres
organisations logiques à côté de la logique formelle et peut
être en interaction avec elle.
En Psychologie, le cadre des logiques modales étudié par
Pierault-le Bonniec dans son travail sur le raisonnement modal
(1974) ouvre des perspectives heuristiques. Partant du fait
que la modalité trouve une expression en philosophie (Descartes),
en linguistique tDubois, 1~69) et en logique (Aristote, LEWIS,
1~32),
l'auteur s'interroge sur le statut de la modalité en
psychologie, sur son éventuelle intervention dans le fonction-
nement de la pensée. Ses préoccupa\\ions visent à rendre compte
des mécanismes fonctionnels d'une pensée totale qui ne se
limite pas à la pensée formelle. Des expériences réalisées,
elle dégage trois modalités dans le fonctionnement de la
pensée naturelle:
une modalité pragmatique relative aux conditions d'effi-
cience de l'action ;
une modalité aléthique propre aux valeurs de vérité des
propositions de la pensée
et une modalité déontique ou normative introduisant des
règles ou des normes dans l'utilisation des objets.
La seule référence à la logique formelle n'épuise donc pas les
possibilités fonctionnelles de la pensée naturelle. D'autres
- 442 -
modalités de raisonnement existent qui prennent en considéra-
tion le temps, le lieu, les circonstances de l'action sur
l'objet, lui donnent un sens. Les logiques modales ouvrent des
possibilités d'interprétation beaucoup plus riches quoique la
multipl icité des systèmes leur confèrent le statut de logiques
affaiblies.
Comment réinterprèter les conduites des élèves et
des adultes à l'intérieur du cadre des logiques modales? Il
faut partir des méthodes d'investigation du réel mises à profit
dans chaque environnement pour bien comprendre la nécessité de
l'approche modale et dépasser la perspective strictement for-
melle. Comme nous l'avons déjà souligné, les adultes ruraux
procèdent par une démarche expériencée pour élaborer les con-
naissances. Il s'agit pour eux, avec l'expérience, d'intérioriser
les actions susceptibles de résoudre leurs problèmes spécifique~
Cette intériorisation qui conduit d'abord aux opérations con-
crètes et ensuite aux opérations formelles dans le système de
Piaget, ne peut se réaliser ici qu'à propos d'activités parti-
culières généralement liées à l'adaptation vitale. Elle entraîne
la constitution d'un cadre organisateur de l'action à mi- chemin
entre l'action effective et la représentation formelle; ce
cadre fournit la compréhension des conditions d'efficacité de
l'action mises à l'épreuve du temps. Le modèle pragmatique
contrairement au modèle formel n'est pas le produit d'un rai-
sonnement hypothético-déductif
coordonnant le possible et le
nécessaire; il comporte une logique modale faisant dépendre
- 443 -
le possible et le nécessaire des conditions de faisabilité de
la tâche. Dans une situation particulière, les possibles fami-
liers considérés comme peu pertinents sont d'emblée écartés
même si du point de vue formel, leur intervention est censée
modifier le résultat de l'action. L'essentiel, c'est d'aller
vite, d'utiliser des raccourcis, d'opérer des transformations
rapides sur l'objet en vue de parvenir au but escompté. Il va
sans dire que les possibilités de transférabilité des condui-
tes formées par cette démarche sont limitées, vu la spécifi-
cité des instruments cognitifs et des contenus' élaborés. Il
est donc conforme à la raison que les élèves urbains qui n'ont
jamais effectué d'apprentissage adaptatif en situation réelle
n'organisent pas leur activité intellectuelle sur ce ~odèle.
Par contre, la démarche expérimentale propose une autre métho-
de d'investigation essentiellement fondée sur l'activité
représentationnelle. La distance à l'objet d'étude exige au
préalable une activité d'analyse, une description des caractères
de celui-ci, permettant de l'évoquer dans les meilleurs con-
ditions.
Ici, l'action de l lindividu sur l'objet se Drépare,
se programme en pensée: il définit à quel niveau il intervient,
comment et pourquoi il intervient. La démarche hypothécio-
déductive est de règle. Il paraît conforme à la raison que les
adultes ruraux qui nlont jamais appris à travailler hors-
contexte sur des objets virtuels, éprouvent quelques difficultés
à formuler leur pensée de façon conceptuelle, en dehors des
conditions effectives de réalisabilité de l'action.
- 444 -
Est-ce à dire que la démarche expériencée et la démarche
expérimentale constituent deux approches irréductibles du
réel? Si oui, il faudrait du même coup dire que l'action et
la pensée sont aussi irréductibles. En fait, il s'agit de deux
démarches différentes mais complémentaires faisant appel à des
registres cognitifs spécifiques, à des modalités d'interven-
tion sur l'objet qui sont soit pragmatiques, soit déontiques,
soit aléthiques. La démarche expériencée est marqué par le
primat des modalités pragmatique et déontique. L'action trans-
forme directement l'objet pour atteindre un but suivant cer-
taines règles; elle constitue le pôle régulateur de l'activité
cognitive. Alors que la démarche expérimentale est en partie
dominée par la modalité aléthique. La pensée modélise l'objet
afin de planifier sa transformation; elle rallonQe les cir-
cuits cognitifs et précise les procédures de l'action. Ici,
c'est la représentation qui
assure la régulation de l'activité
cognitive.
La démarche expériencée n'est donc oas opposée à la
démarche expérimentale; dans l'ordre chronologique du savoir,
elle précède la seconde, la prépare en lui apportant les con-
tenus primordiaux; mais au lieu d'aller directement au but,
la dém~rche expérimentale procède de façon hypothético-
déductive, propose les moyens nécessaires à l'élaboration de
connaissances analytiques vraies. Le lieu privilégié de son
développement, c'est l'école, le lieu des actions hyoothéti-
ques et virtuelles par excellence.
- 445 -
L'analyse des résultats de l'épreuve de flexibilité
vient renforcer l'argumentation théorique. Les élèves urbains
soit réussissent, soit échouent à l'épreuve de flexibilité.
Ce résultat sans équivoque présente une cohérence par rapport
à la logique formelle.
Dans la mesure où les contenus sémioti-
ques structurés par l'élève en interaction avec les milieux
faMilial
ou scolaire sont formels, il n'est pas surprenant
qu'il s'en serve pour sémantiser les situations expérimentales
de façon univoque. Le problème se pose autrement pour les élè-
ves ruraux. Le milieu traditionnel, par ses pratiques éducati-
ves, suscite de prime abord le développement de la logique
pragmatique. Vers 7 ans, l'enfant va à l'école où la logique
pragmatique est abandonnée au profit de la logique formelle.
Dans le même temps, l'action du milieu traditionnel
se pour-
suit, puisque l'élève rural aide ses parents au travail et par
conséquent acquièrent des conduites intellectuelles différentes
par leurs contenus de celles que propose l'école. Confronté à
un problème donné, l'élève rural dispose d'un double registre
fonctionnel:
il se comporte comme lIà l'école ll et suit une
démarche expérimentale, ou il se comporte comme "au vi l l a qe "
et met en oeuvre une démarche expériencée.
L'évaluation des conduites intellectuelles des élèves ruraux
est donc délicate, car il faudrait savoir au préalable sur
quel registre cognitif ils fonctionnent avant de statuer sur
leurs performances. Notre méthode d'approche qui a prévu l'al-
ternance des deux registres note zéro lorsque l'élève utilise
- 446 -
la modalité pragmatique. Mais elle corrige cette évaluation
arbitraire par la constitution du sous-groupe d'élèves ruraux
soumis aux influences des modèles traditionnels, afin de voir
comment leurs conduites se transforment et évoluent vers le
raisonnement expérimental. Nous reviendrons sur ce problème
au chapitre X.
Si nous considérons maintenant les conduites des adultes à
l'épreuve de flexibilité, nous assistons à la mise en oeuvre
de la modalité pragmatique, la modalité du faire.
Les condi-
tions de production de la flexibilité d'une tige sont définies
une tige est d'abord flexible grâce à sa matière
mais la
mise en évidence de cette propriété ne se fait pas de façon
instantanée; il faut tenir compte de la dimension temporelle,
de l'épreuve du temps. Les autres propriétés de la tige inter-
viennent sur la flexibilité; mais leur choix dépend des cir-
constances dans lesquelles la tige va être employée; est-ce
dans la construction d'une case? ; alors la tige sera choisie
en fonction des dimensions de la case. Est-ce dans la confec-
tion des pièges? Alors la tige sera choisie en fonction de la
force de l'animal qu'on désire piéger: une tige moyenne et
longue pour une biche, une tige épaisse et un peu longue pour
un buffle.
La modalité pragmatique fournit le cadre organisateur de l'ac-
tion. A certains moments, elle se combine avec la modalité
déontique pour indiquer ce qu'il faut ou ce qu'il ne faut pas
- 447 -
faire:
il faut par exemple faire de la propriété llflexibili-
t
un attribut de la matière; l'utilisation de celle-ci
é
"
obéit à des normes liées aux conditions spatio-temporelles dé-
.
terminant le problème à traiter. C'est dans le cadre de ces
conditions qu'une proposition peut prendre une valeur de véri-
té. Tout raisonnement qui sort de ce cadre de l'action n'est
que pure spéculation.
Nous présentons ci-dessous le schéma-type de la flexibilité
d'une tige sous forme de llbloc unitaire d'information ll dont
les composantes sont ordonnées.
d
Dans ce schéma~ le cercle intérieur désigné par la lettre A
figure le facteur "ma t i è r e !", le noyau central, la composante
contextuelle principale qui
détermine essentiellement la flexi-
bilité d'une tige. Les petits cercles extérieurs désignés par
les lettres b, c, d, représentent respectivement la longueur
de la tige, l'épaisseur, la forme de section; ce sont des
- 448 -
noyaux satellites, des composantes contextuelles périphériques.
Ils n'interviennent que de façon secondaire sur la flexibilité
suivant les exigences de l'action dans un contexte particulier.
En définitive que pouvons-nous conclure de l'influ-
ence de l'école sur le développement de la pensée formelle et
du raisonnement expérimental? L'école est l'espace culturel
le plus favorable à l'éclosion de la pensée hYDothético-
déductive. La preuve est établie par la concordance des résul-
tats de deux expériences complémentaires. Ceux de la première
montrent que dans la période critique de l'acquisition de la
pensée formelle (ici 12-16 ans), la maîtrise du raisonnement
expérimental croit régulièrement, mais de façon non signifi-
cative, avec les niveaux scolaires, lorsqu'on compare à âge
égal, les élèves de cinquième et ceux de quatrième. Les résul-
tats de la deuxième exrérience démontrent que les adultes
ruraux non scolarisés utilisent un raisonnement expériencé
directement centré sur l'action. L'école favorise donc le dé-
veloppement de la représentation conceptuelle et du processus
de formalisation, le milieu traditionnel, celui de la repré-
sentation figurale et du processus de réalisation. La question
est a l 0 r s des a v0 i r sil Ion peu t r end r e co mpte de lad iff re nc e
é
des performances constatées entre les élèves urbains et les
élèves ruraux par la variété des styles éducatifs ou des modè-
les cognitifs propres aux deux environnements culturels.
- 449 -
CHAPITRE X ELEVES URBAINS ET ELEVES RURAUX
LE SENS
DE LA DIFFERENCE.
1 - LES HYPOTHESES TRADITIONNELLES
L'influence de l 'habitat sur le développement cogni-
tif a fait l'objet d'un certain nombre de publications en
milieu négro-africain. La variable généralement traitée con-
cerne la dichotomie "milieu urbain/milieu rural". L'opération-
nalisation de celle-ci s'effectue suivant deux orientations
distinctes, l'une cognitive, l'autre sociale.
Les partisans de l 'orientation cognitive diffèrent aussi entre
eux quant à l'appréhension de la variable "habitat". Pour cer-
tains, le milieu urbain se confond avec le milieu scolaire et
le milieu rural avec le milieu traditionnel non scolaire. Le
niveau de oerformances atteint par les deux groupes de sujets
examinés renvoie à certaines données de ces milieux. Ainsi
Jahoda (1956), appliquant pour la première fois les tests de
pensée conceptuelle du type Goldstein-Scheerer aux adolescents
ghanéens instruits (urbains) et illettrés (ruraux) note une
différence significative dans les performances; les adoles-
cents urbains et instruits se montrent supérieurs. L'auteur
explique les résultats des ruraux par des difficultés d'abs-
traction, d'analyse et de synthèse des langues et de la pensée
africaine; par contre, la supériorité des élèves urbains est
imputée à l lapprentissage d'une langue étrangère riche en
- 450 -
notions abstraites qui favorise le développement de la pensée
conceptuelle.
Ce travail pèche par sa méthode d'investigation. En
effet, le milieu urbain et le milieu rural ne diffèrent oas
seulement par la variable "école", mais par une multitude de
variables relatives aux facteurs socio-économiques et culturels,
aux pratiques éducatives, aux modes de vie ... une étude compa-
rative des élèves ruraux et des enfants ruraux non scolarisés
pris dans le même milieu aurait permis de réduire le nombre de
variables parasites.
Pour d'autres, l 'opérationnalisation de la vàriable "habitat"
revient à établir une comparaison entre les élèves urbains et
les élèves ruraux
étant tous des élèves, les différences
rélevées dans leurs performances devraient être rapportées aux
facteurs socio-économiques responsables de la richesse ou de
la pauvreté d'un milieu en objets à manipuler (jeux, jouets ... ).
Clest la position de M. Maistriaux (1955) et de M.T. KnaDen
(1962) (1), pour qui 11 infériorité des élèves ruraux prend ses
racines dans la pauvreté du milieu familial traditionnel en
jeux éducatifs et en échanges verbaux.
(1) MAISTRIAUX (M.) - L'intelligence noire et son destin, Le Havre, 1955.
(1) KNAPPEN (M.T.) - L'enfant monkongo, orientations de base du système
éducatif et développement de la personnalité.
Louvain-Paris, Nauwelaerts, 1962, 202 P.
-
451
-
En effet, les quelques jouets qui existent sont rudimentaires
parce que de fabrication enfantine et ne r~pondent pas a une
préoccupation éducative. Dans le même temps, on observe une
coupure entre le monde des adultes et celui des enfants; au-
cun soutien verbal de l'adulte ne vient renforcer la conduite
de l'enfant pendant ses activités spontanées, l'intervention
du premier se limitant essentiellement à la surveillance des
normes sociales en vigueur. C'est ainsi que M. Maistriaux
écrit: "L'enfant noir ne dispose pas de jouets. Il ne trouve
autour de lui, parmi ses proches et ceux qui
l'entourent, au-
cune occasion d'évocation intellectuelle. Les spectacles qui
se déroulent à ses yeux d'habitant de la brousse ne sont pas
den a tu r e à cul t ive r son e s prit. Nira d i 0, nici né ma, n i réc l a-
mes, ni presse illustrée ne viennent le famimiariser avec la
vie de l'esprit ... n (1).
Le milieu urbain procède autrement. L'industrialisation yen-
traine un accroissement des moyens matériels; la nucléarisa-
tion de la famille et la réduction de son volume conduit à un
resserrement des liens familiaux, à un contrôle positif des
activités de l'enfant. Cette évolution vers le progrès écono-
mique et social, soutenue par la scolarisation, serait le
moteur des progrès coqnitifs de l'enfant africain.
Les auteurs évoquent les expériences de privations sensorielles
(1) AMISTRIAUX (M.), op. cit.
p. 186.
.;-
- 452 -
(Ri e s zn , 1947,1951, Hebb, 1961, Hatwell, 1Y66) pour expliquer
les différences de milieu. L'idée d'un milieu pauvre en objets
à manipuler et en relations humaines, rappelle les expériences
sur les animaux cobayes élevés dans des milieux riches ou pau-
vres en stimulations visuelles ou affectives. Selon H. Piéron,
les privations sensorielles influencent considérablement le
développement du cerveau. Faute des incitations fonctionnelles
de l'univers sensible, les circuits nerveux nécessaires à
l'expression des capacités psychologiques normales ne se cons-
truisent pas. L'extension de cette théorie au milieu socio-
culturel africain ouvre une voie susceptible de rendre compte
de l'infériorité des enfants ruraux sur les urbains. Celle-ci
proviendrait de la pénurie des incitations cognitives dans le
milieu africain traditionnel. Ainsi M. Maistriaux peut écrire
"L'état présent du développement des noirs peut s'expliquer
par l'influence mentale débilitante du milieu dans lequel se
passe la première enfance" (1).
Quel que soit son degré d'organisation et de pauvreté, tout
environnement humain comporte un minimum de stimulations intel-
lectuelles favorables au développement. L'enfant rural possède
des jeux et des jouets qui ne ressemblent pas du point de vue
des contenus à ceux de l'enfant occidental, mais qui
remplissent
des fonctions équivalentes: jeux psychomoteurs, jeux symboli-
ques, jeux de règles. Les jouets sont le pur produit de l'ac-
(]) MAISTRIAUX (M.), op.
ci t .
D.
186.
- 453 -
tivité enfantine et consistent en fabrication d'objets intéres-
sants pour lui-même: roulotte, voiture, arc, Dirogue ... Dans
le cadre d'une conception constructiviste du développement, le
bénéfice cognitif tiré des jouets auto-construits devrait être
supérieur.
Les occasions d'évocation intellectuelle
ne font pas
défaut
t 0 ut l' ars e na l des con tes, des de vin e t t'e set des pro-
verbes suscite la réflexion de l'enfant, éveille son sens
moral. Par l'observation de la nature, l'enfant apprend à clas-
ser les objets de son environnement. M. Griaule nous en fournit
un exemple lorsqu'il décrit l'apprentissage d'une taxonomie
zoologique chez l'enfant dogon: IIAu moment de la récolte
notamment, les enfants recueillent de nombreux insectes; en-
filant par l'abdomen dans Un éclat de tige de mil les saute-
relles, les mantes, les insectes aquatiques ou les grillons,
remplissant une calebasse de vers et de chenilles, tenant les
papillons par les ailes ou les petits insectes dans la main,:
ils vont les présenter aux adultes pour recevoir sur l'heure,
surtout de leur père et mère, les renseignements généraux
utiles touchant la dénomination, la mythologie etc ... Les in-
téressés aprrennent assez tôt l'existence d'un classement en
22 caté~ories, mais l'ordre traditionnel ne leur est révélé
qu'après la circoncision" {1). Selon l'auteur, l'étude séman-
tique des dénominations d'insectes montre que la forme même
(1) GRIAULE (M.), Le savoir dogon, Journal de la Société des africanistes,
XXII, 1952, P. 35.
- 454 -
des signifiants est telle qu'elle met en évidence des corres-
pondances entre les signifiés appartenant aux grands IIgenresll
qui forment la catégorie lIinsecte ll (coléoptères, sauterelles,
papillons ... ) et d'autres signifiés appartenant à d'autres
catégories de l'univers. Le monde des humains, son or qa rrisat i on
sociale, ses institutions religieuses etc ... se trouvent en
quelque sorte reflétés dans le monde des insectes qui en cons-
titue, pourrait-on dire, une préfiguration ou un modèle.
Les taxonomies traditionnelles sont donc régies par une logi-
que interne qui s'applique à plusieurs plans de la réallté.
Cet exemple tiré des recherches ethnologiques montre bien que
les incitations intellectuelles par le biais des jeux ou des
interactions verbales adultes-enfants, ne font pas défaut en
milieu africain. L'opérationnalisation de la variable "h ab i ta t"
suivant l'orientation sociale pourrait certainement apporter
un autre éclairage.
Les partisans de l'orientation sociale voient dans les varia-
bles de socialisation, la cause principale de la faiblesse du
développement intellectuel en milieu rural. Les pratiques
éducatives de l'Afrique traditionnelle auraient tendance à
cultiver la dépendance de l'enfant vis-à-vis du groupe; elles
entraîneraient sur le plan psychologique une indifférenciation
entre le "rno i " et le "nous"
; un sujet élevé dans cè s conditions
n'aurait pas d'individualité propre. Clest la thèse que sou-
tient MANNONI dans son ouvrage "Psychologie de la col cni sat ton''
455 -
lorsqu' il compare 1es conduites de l'européen et du malgache
liEn présence d'une difficulté sérieuse, l'européen le plus
typique réagit en faisant appel à sa confiance en lui-même ou
à
son habileté technique. Son grand souci, c'est de ne pas
être inférieur soit à l'idée qu'il se fait de lui-même, soit à
la situation
Mais le grand souci du malgache typique,
s'il s'agit de protéger sa sécurité, c'est de ne pas se sentir
abandonné. Il ne compte guère sur lui-même et très peu sur la .
technique; il compte sur des puissances protectrices sans
lesquelles il se sentirait perdu Il
(1).
En somme, confronté à une difficulté à surmonter,
l'européen recourrait à des procédés d'affirmation de la per-
sonnalité et le négro-africain à une attitude de déoendance
vis-à-vis du groupe protecteur. O. Mannoni voit dans la thèse
du complexe de dépendance la "clé ll de la psycholoqie des "po-
pulations attardées Il • Elle rendrait compte de leur manque
d'initiative, de l'absence partielle du sens des resDonsabili-
tés ainsi que de leur attachement aux croyances ~agiques. Elle
expliquerait "ce qulil ya pour nous d'incompréhensible à pre-
mière vue dans leurs réactions psychologiques, ce qu'on a pris
longtemps pour une me nt a l t t
inassimilable à la nôtre"
(2).
é
L'approche par l'hypothèse de la dépendance psychologique
(1) MANNONI (O.), Psychologie de la colonisation, Editions du Seuil, Paris,
1950, p.
43.
(2) .MANNONI (O.), op. cit., p. 32.
~~.;:' .;jr,
- 456 -
':'l
n'est-elle pas en contradiction avec l'importance que certains
auteurs (Maistriaux, Jahoda) attribuent au rôle de la pensée
conceptuelle dans le développement mental des négro-africains?
Il pourrait y avoir une liaison entre la dépendance et le dé-
veloppement intellectuel. Tout le problème est de savoir dans
quel sens opère cette liaison. Est-ce l'insuffisance du déve-
loppement intellectuel qui entraîne la dépendance de l'enfant
ou l'inverse?
Pour M. Maistriaux, il existe une corrélation des
plus significatives entre les capacités d'abstraction d'une
part, et de l'autre les qualités qui expriment le dynanisme,
l'audace, la créativité, la volonté de s'affirmer et de pren-
dre des initiatives. Les difficultés conceptuelles du négro-
africain sont de nature à entraîner chez lui un sentiment
d'impuissance qui justifierait à lui seul l'adoption de con-
duites dépendantes. La dépendance psychologique serait donc la
conséquénce de capacitès intellectuelles insuffisantes.
Pour O. MANNONI, l'origine de la dépendance se situerait dans
les pratiques éducatives de la mère pendant les premières an-
nées de la vie. La durée prolongée de l'allaitement maternel
fait que la mère devient le seul objet intéressant pour l'en-
fant ; cette centration entraînerait un certain désintérêt
pour la manipulation des objets physiques avant trois ans. La
connaissance résultant de l'interaction du sujet et de l 'obje~
la substitution de la relation "mère-enfant" à celle-ci rendrait
- 457 -
compte des difficultés de conceptualisation propres à l'enfant
africain et du sentiment d'impuissance qu'il éprouverait face
à une réalité insensible.
La même orientation de recherche guide les études qui tentent
d'établir des corrélations entre le développement cognitif et
les caractères des pratiques éducatives africaines - s'appu-
yant sur la méthodologie des travaux américains (Bayley,
Schaeffer, 1960) les auteurs pensent que l'éducation africaine
traditionnelle susciterait des valeurs comme 1 'obéissance, le
respect des adultes et des aînés, la solidarité avec la lignée ...
Ces valeurs favoriseraient le conformisme et non l'esprit
critique: ce que l'adulte demande à l'enfant, ce n'est pas de
se distinguer, mais de ressembler aux autres
ce comportement
éducatif ne permettrait pas à l'éduqué de se forger une iden-
tité séparée.
Les pratiques éducatives induiraient des styles co-
gnitifs particuliers. C'est par ce biais que les tenants des
styles cognitifs de Witkin (1962) ont abordé le problème de
l'intelligence africaine (oawzon, Berry, 19b6). Ils sont
démontré que les pratiques éducatives se situent sur un conti-
nu umal l a nt de lad é pen dan ce à l i ndép end a nc e dan s t
1
0 ut sys t ème
éducatif. Il est erronné de croire à une homogénéité des formes
d'éducation dans toute l'Afrique traditionnelle. Du postulat
d'homogénéité, conclure à l'inexistence du sentiment d'affir-
mation de soi, il n'y a qu'un pas d'ailleurs vite franchi. Or
- 458 -
dire que le sentiment d'affirmation de soi n'existe pas chez
le négro-africain traditionnel, c'est supposer qu'il n'y avait
aucune compétition dans cet environnement. Les occasions de
compétir sont pourtant nombreuses et organisées. Dans certaines__
contrées, le statut d'artiste-chanteur s'acquiert au terme d'un
concours pendant lequel le meilleur est désigné pour représenter
la classe-d'âge. Dans d'autres, des adolescents s'affrontent
dans des compétitions de labour sous le contrôle des adultes
le résultat obtenu peut servir au moment du mariage, car on ne
refuse pas sa fille en mariage à un champion du labour. La
formation militaire procède de la même stratégie; on ne s'im-
provise pas chef militaire; on le devient à force d'audace,
de courage et de bravoure. La prétendue homogénéité des prati-
ques éducatives en milieu africain n'est qu'une façade derrière
laquelle se cache une multitude de variantes.
Il en est de même des études qui décrivent tout européen comme
un être essentiellement rationnel, chez qui la logique mathé-
matique l'emporte sur l'émotion. On se pla,t ainsi à représen-
ter l'européen-type par l'ingénieur en faisant fi du paysan ou
de l'ouvrier non qualifié dont le raisonnement souvent naîf
ressemble à celui du négro-africain traditionnel. On oublie
souvent que l'européen est aussi poète et que l'émotion n'est
pas l'apanage du négro-africain. Le discours poétique comporte
une logique différente de la logique mathématique; logique du
symbole, elle éveille la sensibilité par la structure des ima-
ges, des sonorités ....
- 459 -
L'intelligence et l'émotion sont donc des attributs
de tout être humain. Le problème n'est pas de savoir si les
stimulations intellectuelles ou affectives sont disponibles ou
non en milieu africain, mais d'appréhender celles-ci dans leur
organisation en tant que cette organisation peut être plus ou
moins favorable à l'activité de l'enfant, à son esprit d'ini-
tiative et de créativité. Il s'agit de replacer l'influence du
milieu dans une théorie qénérale du développement intellectuel.
C'est dans cette perspective que nous avons eu recours au mo-
dèle de structuration de l l e nvi r onne me nt familial
lLautrey,
1976) pour tenter d'expliquer les différences de dévelopoement
entre les élèves urbains et les élèves ruraux. Si ce facteur
était le seul à les rendre compréhensibles, l lapoartenance au
même type de structuration devrait gommer celles-ci quel que
soit l 'habitat. Si les différences s'ordonnent suivant les
types de structuration, mais ne s'annulent pas, il faut admet-
tre que ceux-ci ne constituent pas le seul facteur explicatif.
Leur contribution couvre peut être les effets des variables
socio-économiques et des pratiques éducatives mais non ceux
des modèles de connaissance propres à chaque milieu. Voyons si
les faits confirment les hypothèses.
ë
-
LES FAITS
L'école exerce une influence positive sur le déve-
loppement de la pensée formell e et du rai sonnement expérimental
- 460 -
mais cette influence varie en fonction de 1 'habitat. A toutes
les épreuves expérimentales, les élèves urbains réussissent en
moyenne mieux que leurs paires de la campagne.
Tableau
17
Comparaison qlobale des réussites des élèves
urbains et ruraux (Effectifs)
Epreuves
Pendule
Fl exi bi 1ité
Permutations
Total
Ages
Urbain
67
42
40
149
n = 120
Rural
54
33
31
118
J
n = 120
Total
122
75
71
'(.67
Les réussites des élèves urbains et des élèves ruraux
sont comparables mais orientées. Les élèves de la ville mani-
festent une avance régulière à toutes les épreuves expérimen-
tales. Cette différence constante mais non significative
(KHI-2 = 0,018, Nu = 2), ne peut s'expliquer par le fait sco-
laire puisque les deux échantillons sont constitués d'élèves.
Nous pensons qu'elle pourrait correspondre à un effet des
types de structuration de l'environnement famil ial ou des
modèles cognitifs spécifiques du milieu traditionnel.
- 461 -
Les travaux de J. Lautrey (1976) ont dégagé le fac-
teur "type de structuration" comme variable intermédiaire
entre les facteurs socio-économiques et le développement cogni-
t i f : les facteurs socio-économiques agissent sur l'intelli-
gence par la médiation des types de structuration de l'envi-
ronnement familial. L'utilisation de cette variable est
susceptible d'affiner
l'expl ication des différences en évitant
de les imputer globalement au caractère urbain ou rural des
é 1è ves; e ncor e fa udrai t - i l qui e l l e dis tin gue les deux mil i eux.
Tableau
18
Habitat et types de structuration de l'envi-
ronnement familial.
Types de structuration
Souple
. Rigide
Faible
Total
Habitat
j
Urbain
b3
36
2 1
120
1
Rural
55
59
6
120
1
Total
11 8
9~
27
~40
i1
KHI-2 = 12,35
Nu = 2
Au seuil P = .05
KHI-2 = 5,99
- 462 -
Il existe une différence significative entre le milieu urbain
et le milieu rural quant aux types de structuration de l'envi-
ronnement familial; alors que l'éducation des villes tend
vers une structuration souple (n = 63/120), l'éducation tradi-
tionnelle propose une structuration à dominance rigide
(n = 59/120). Le type de structuration faible est rare en zone
urbaine (21/120) et surtout en zone rurale (6/120).
[Jans le cadre de l' hypothèse de l' i nfl uence des
types de structuration sur le développement cognitif, on doit
s'attendre à ce que les réussites expérimentales des élèves
urbains soient en moyenne supérieures à celles des élèves
ruraux. C'est ce fait qui a été observée. Il reste à montrer
que l'action de la structuration souple est plus favorable
au
développement cognitif que les autres, quel que soit l'habitat,
pour affirmer le caractère général de l'hypothèse.
Tableau
19
Types de structuration et réussite à la flexi-
bilité chez les élèves urbains.
1
Types de structuration
1
1
!
Souple
Rigide
Faible
Epreuve
n = 63
n = 36
n = 21
1
1
Flexibilité +
28
11
3
Flexibilité -
35
25
18
- 463 -
KHI-2 = 6,74
Nu = 2
Au seuil P = .05
KHI-2 = 5,99.
On rejette 1 'hypothèse nulle pour affirmer qulil y a une dif-
férence significative dans les réussites des élèves urbains ~
l'épreuve de flexibilité en fonction des types de structura-
tion. A la structuration souple s'associent des niveaux de
réussite élevés. Les deux autres types de structuration exer-
cent une influence moins favorable puisqulils induisent des
niveaux de réussite plus faibles
on ne peut pas en déduire
qu i i l s sont équivalents, puisque le type "r i qi de " llemporte
sur le type IIfaible ll • Ce constat mériterait d'être analysé
slil reflétait la tendance générale des résultats.
Tableau
20
Types de structuration et réussite
à
11 épreuve du pendul e chez 1es él èves urbains.
Type de structuration
Souple
Riaide
Faible
n = 63
n = 66
n = 21
Epreuve
1
1
Pendule +
39
21
7
1
Pendule -
24
1 5
14
KHI-2 = 5,34
Nu = 2
Au seuil P = .05
KHI-2 = 5,99
- 464 -
On accepte 1 'hypothèse nulle. Il n'y a pas de différence si-
gnificative dans les réussites des sujets urbains à l'épreuve
du pendule en fonction des types de structuration de l'envi-
ronnement familial. Cette différence aurait pu être
significa-
tive si nous avions pris une marge d'erreur beaucoup plus
grande de l'ordre de P = 10. Malgré cela, on observe la même
hiérarchie que précédemment; les performances s'ordonnent de
façon descendante de la structuration "souple" aux structura-
tions "rigide" et "faible".
Ta bl.ea u
21
Types de structuration et réussite à l'épreuve
de permutations chez les élèves urbains.
Types de structuration
Souple
Rigide
Faible
Epreuve
1
Permutations +
26
12
2
Permutations -
37
24
19
KHI-2 = 7,14
Nu = 2
Au seuil P = .05,
KHI-2 = 5,99
La réussite varie significativement en fonction des
types de structuration; plus accentuée avec le type souple,
elle décroît progressivement avec les types rigide et faible.
- 465 -
En zone urbaine, il existe donc une relation causale stable
entre les types de structuration de l'environnement familial
et la construction du raisonnement expérimental; plus la
structuration est souple, plus elle suscite le développement
intellectuel conformément aux implications du processus
d'équilibration. La même liaison se manifeste-t-elle sous cet-
te forme en zone rurale?
Tableau
22
Types de structuration et réussite
à
la flexibilité chez les élèves ruraux.
Types de structuration
Souple
Rigide
Faible
n = 55
n
Epreuve
=
59
n = 6
Flexibilité +
18
14
1
1
1
1
1
Flexibilité -
37
45
5
1
•
1
KHI-2 = 1,52
Nu = 2
Au seuil P = .05,
KHI-2 = ~,99
Le KHI-2 n'est pas significatif.; mais du point de vue du
niveau de réussite, les sujets issus de la structuration sou-
ple possèdent une avance par rapport aux autres. La hiérarchie
,u sou pl e
> r i gide > f a i ble" est mai nt e nue .
- 466 -
Tableau 23
Types de structuration et réussite à l'épreuve
du pendule chez les élèves ruraux.
Types de structuration
Souple
Rigide
Faible
n
Epreuve
= 55
n = 59
n = 6
Pendule +
29
23
2
Pendule -
26
36
4
1
KHI-2 = 2,52
Nu = 2
Au seuil P = .05,
KHI-2 = 5,99
On accepte l'hypothèse nulle. La réussite à l'épreuve
du pendule est indépendante du type de structuration de l'en-
vironnement familial. L'analyse détaillée des résultats montre
une légère supériorité des élèves appartenant à une structura-
.r
tion souple sur les autres.
,
"
Tableau
24
Types de structuration et réussite à l'épreuve
des permutations chez les élèves ruraux.
1
Types de structuration
Souple
Riaide
Faible
Epreuve
n = 55
n = 59
n = 6
Permutations +
17
14
0
1
Permutations -
J8
45
6
457 -
KHI-2 = 2,96
Nu = 2
Au seuil P = .05,
KHI-2 = ~,9~
Dans ce cas aussi, on accepte l 'hypothèse nulle. Les perfor-
mances acquises ne permettent pas de conclure ~ u~e action
différenciatrice des types de structuration sur le développe-
ment cognitif. Sur le plan analytique, on note toujours une
avance des sujets IIsouplesll sur les autres.
Pl usieurs remarques ressortent de l' étude des per-
formances des élèves urbains et ruraux suivant les types de
structuration de l'environnement familial:
La première remarque confirme la conformité des résultats
obtenus avec ce que l 'hypothèse permettait de déduire;
quel que soit l'habitat, les performances des sujets rele-
vant du type de structuration souple sont supérieures ~
/ '
•
celles de leurs pairs appartenant aux autres types de
structuration;
La deuxième remarque révèle que malgré l'appartenance au
type de structuration souple, les élèves urbains continuent
~ réussir relativement mieux que les élèves ruraux. y
aurait-il des degrés dans la "souplesse" d'un environnement
familial? Ou faudrait-il
évoquer d'autres variables expli-
catives ?
- 468 -
Lat roi s i ème r e ma r que porte sur l' i nt e r pré t a t ion de l ' action
des types de structuration rigide et faible. Les sujets du
type de structuration rigide produisent des performances
intellectuelles supérieures à celles des tenants de la
structuration faible. Que signifie le phénomène du point de
vue du pr6cessus d'équilibration?
La quatrième concerne l'action différenciatrice des· types
de structuration sur le développement cognitif; celle-ci
est plus importante en ville qu'en campagne.
Examinons de plus près toutes ces remarques.
Les types de structuration de l'environnement familial cons-
tituent-ils une traduction véritable du processus d'équilibra-
tion ? Autrement dit l'efficacité des processus d'assimilation
et d'accommodation dans la construction de la pensée opératoire
dépend-elle du degré d'organisation d'un milieu? En d'autres
t e r me s , un milieu socio-économique et culturel
ne ut i l être
v
plus ou moins favorable à l'activation et à la coordination des
schèmes d'assimilation et d'accommodation? Si oui~ il faut
alors admettre que la construction et le fonctionnement de la
pensée ne dépendent pas seulement des facteurs internes du sujet
mais aussi de son environnement par l'intermédiaire de l'in-
fluence qu'il exerce sur le processus d'équilibration.
- 469 -
Les faits corroborent l'hypothèse; le type de structuration
souple est plus favorable au développement cognitif que les
deux autres pris s pe r éme nt , quel que soit l'habitat de l'élève
é
(urbain ou rural). La structuration souple joue donc un rôle
facilitateur dans la construction des opérations intellectuel-
les alors que les structurations rigide et faible génèrent un.
effet inhibiteur.
Il résulte de cette analyse que le facteur d'équilibration en
tant que facteur général du développement n'explique pas seule-
ment les ressemblances intellectuelles des individus~ mais aussi
les différences. On ne peut plus dire, comme le pensait J.
Piaget (1966) que ce facteur ne doit rien au milieu socio-
culturel dans la mesure où il fonctionne de la même manière chez
tous les individus; il peut être influencé [Jar l'environnement
familial.
Une série de travaux ont impulsé cette orientation nouvelle.
--1
Déjà en 1970~ l'article de M. Reuchlin sur les facteurs socio-
économiques du dévelo[Jpement cognitif s'interrogeait sur le
bien fondé de l'analyse piagétienne des facteurs du développe-
ment intellectuel en termes de facteurs universels et de fac-
teurs spécifiques. Ainsi les facteurs de maturation~ d'équili-
bration des actions et de coordination interindividuelle
considérés comme facteurs universels rendaient compte de l'uni-
versalité des structures intellectuelles alors que les facteurs
de transmission éducative et culturelle, facteurs relatifs à
- 470 -
chaque milieu, expliquaient le rythme du développement de mëme
que la présence ou l'absence de certaines structures. M.
Reuchlin a montré comment les facteurs universels sont eux
aussi sous la dépendance du milieu et esquissé le modèle d'un
milieu plus ou moins favorable au développement cognitif dans
le cadre de l'interaction II s uj e t - obj e t li •
Les travaux de l'équipe de Genève (Inhelder et al , 1974,
Piaget et all, 1975) ont centré leur analyse sur le processus
d'équilibration en tant que facteur central qui assure l'inter-
dépendance de tous les facteurs du développement et caractérisé
celui-ci par le concept de conflit cognitif. C'est le conflit
cognitif qui se situe au point de départ de toute activité et
de tout progrès intellectuel du sujet. Prolongeant cette pro-
blématique, les publications de W. Doise, G. Mugny et Perret-
Clermont (1975) ont tenté d'explorer les implications psycho-
sociales du conflit cognitif. Le meilleur cadre d'éclosion de
celui-ci est le contexte groupal où la confrontation entre
deux ou plusieurs individus sous forme d'interaction sociale
engendre des perturbations; la production d'une idée plus
générale qui englobe les idées particulières permet à chacun
de relativiser son point de vue et d'accéder au progrès intel-
lectuel. Un milieu socio-culturel peut donc susciter des
conflits cogntifs et favoriser les rééquilibrations nécessaires
à toute construction intellectuelle.
Le travail de J. Lautrey (1976) se situe dans le prolongement
471 -
de ce courant de recherche qui fait découler le développement
d'un interactionnisme intégral entre le sujet et le milieu. Le
milieu apparaît donc comme un partenaire de l'enfant; en
paraphrasant M. Reuchlin, on peut dire que le développement de
l'intelligence de celui-ci, dépend de l'intelligibilité de
celui-là.
Les types de structuration de l'environnement famil i a l repré-
sentent une traduction opérationnelle du processus d'équili-
bration.
Il est établi que la structuration souple est plus favorable
au développement intellectuel que les autres types de structu-
ration considérés isolément, que l'on se trouve en milieu
urbain ou en milieu rural. Mais qu'observe-t-on lorsqu'on com-
pare les niveaux de réussite des sujets urbains et ruraux ca-
...'
ractérisés par la structuration souple?
Tableau
25
Niveaux de réussite des élèves urbains
et ruraux appartenant à la structuration souple.
Milieux
1
Urbain
Ru ra l
épreuves
1
1
1
Flexibilité
28
28
Pendule
39
29
Permutations
26
17
- 472 -
KHI-2 = 0,176
Nu = 2
Au seuil P. . 05
KHI-2 = 5,99
On accepte l 'hypothèse nulle. Il n'y a pas de différence si-
gnificative dans les niveaux de réussite des élèves urbains et
ruraux appartenant à la structuration souple. Mais comment
s'explique l'avance régulière des citadins "souples" sur les
ruraux "souples" ? On peut penser que chaque type de structu-
ration ne correspond pas à une valeur fixe, mais représente
une marge de variation comportant un certain nombre de degrés.
Aussi est-il possible d'avoir deux environnements répondant au
type de structuration souple dont l'un s'avère plus souple que
l'autre. Les performances des sujets issus de ces milieux
seraient meilleures que celles des sujets appartenant aux
structurations rigide ou faible; mais il y aurait entre ceux-
ci des différences dues au degré de souplesse de la structura-
tion de l'environnement familial.
Les considérations de cette nature avait conduit J.
Lautrey (1976) a tenir compte des patterns des types de struc-
turation, puisqu'il y a plusieurs façons d'appartenir à une
structuration souple, rigide ou faible.
En codant les types de
structuration par:
S = Souple
K = Rigide
F = Faible
o = Absence de S ou R ou F,
- 473 -
Les patterns possibles sont les suivants
SOO
ROO
FOO
SRF
RSF
FSR
SFR
RFS
FRS
SRO
SRO
FSO
SOF
ROF
FOR
Dans le déroulement de notre étude, nous n1avons rencontré
aucun type de structuration pur de la forme SOO ou ROO ou FOO.
Par contre tous les autres apparaissent avec des dominances
suivant l 'habitat. En ce qui concerne la structuration souple
tn = 63), le pattern SRF est dominant en ville t76 %) suivi de
SRF t 19 %) et de SRO t5 %). La distribution des patterns de
souplesse en milieu rural
tN = 55) est différente; on note la
prédominance du pattern SRO (90 %) suivi de SRF (10 %).
La différence qualitative des patterns IIsouplesll serait-elle
responsable de la différence quantitative observée dans les
deux groupes d'échantillons? Si oui, il conviendrait de défi-
nir des degrés dans les types de structuration en procédant de
la même façon que J. Drévillon (1976), lors de la distinction
des styles pédagogiques. Convaincu qu'il n1y a pas dans les
faits, une pédagogie active opposée à une pédagogie tradition-
nelle, l'auteur a prii soin de différencer les styles pédago-
giques sur un continuum allant de l'activité exploratoire de
l'élève à l'imposition des connaissances par l'adulte. Aussi
dissocie-t-il des unités d'enseignement lI a c t i ve s - f l e x i bl e s ,
- 474 -
actives-systématiques, mixtes, impositives-rigides, impositives-
flexibles", dont les unes exercent une action d'intégration,
les autres, une action de modélisation des structures cogniti-
ves.
On pourrait dans le même ordre d'idée distinguer trois degrés
dans chaque type de structuration de l'environnement familial.
A titre d'exemple, pour le type souple, on aurait le type sou-
ple pur (SOO), le type souple-rigide (SRF ou SRO), et le type
souple-faible (SFR ou SFO). Suivant cette méthode d'approche,
les patterns SRF et SRO qui départagent les milieux urbain et
r ur al, pou rra i e nt a ppar t e nira u m me de gré "s
ê
0 upl e - r ig ide ". Il s
ne devraient en principe entra1ner aucune différence régulière
dans les performances des sujets. Clest pourquoi une seconde
hypothèse comme celle de l'influence des modèles de connais-
sance propres à chaque milieu socio-culturel devrait faire son
chemin. Nous y reviendrons plus loin.
2.2.3. I~~~~_~~_~!~~~!~~~!iQ~_~igi9~_~!_f~j~!~
~!_9~~~IQ~~~~~~!_9~_!~_~~~~~~_2~~~~!2j~~
Par hypothèse, seul le type de structuration souple est plus
favorable au développement cognitif que les autres. Cela vou-
drait-il dire que les deux autres types de structuration pro-
duisent des effets identiques sur l 'intell igence ? On serait
tenté de le croire dans la mesure où c'est la recherche d'un
équi lib r e con tin ue l e nt relia s sim i lat ion e t lia cc0 mmo dat ion qui
- 475 -
engendre le développement. Le primat de l'assimilation (struc-
turation rigide) ou de l'accommodation (structuration faible)
dans l 'activité du sujet serait alors préjudiciable au fonc-
tionnement du processus d'équilibration et devrait en principe
aboutir au même résultat, à savoir l'absence de construction
opératoire. Les faits confirment-ils cette analyse?
Les choses se présentent autrement: le niveau de réussite
décroît progressivement de la structuration souple à la struc-
turation rigide, puis de cette dernière à la structuration
faible. Quel que soit l 'habitat, les sujets de structuration
faible réussissent moins bien que ceux de structuration rigide.
Comment rendre compte de ce fait?
Dans la structuration rigide, le milieu possède une organisa-
tion stricte; lorsque l'enfant y rencontre un problème, au
lieu de lui donner le temps de le résoudre par lui-même, les
parents proposent une solution toute faite, un modèle de réso-
lution tout formé. La moindre perturbation finit toujours par
être compensée; mais les constructions qui en découlent nlont
pas la même texture que celles qu'on obtiendrait avec une
structuration souple.
Quant aux effets de la structuration faible,
ils sont beaucoup
plus difficiles à expliquer, compte tenu du manque d'orqanisa-
.
.
tion de l 'environnement. On peut penser que la soumission per-
pétuelle du sujet à des perturbations rarement compensées cons-
titue un facteur de désintégration des instruments cognitifs
476 -
dans la mesure où le milieu n'incite pas l'enfant ~ se dépasser,
ne lui propose ,pas de modèle de connaissance susceptible de
guider sa démarche intellectuelle.
Les travaux de l'école Lewinienne t1938-185~) sur le leader-
ship aboutissent à des résultats similaires. Lipitt et White
(1952) ont constaté que la production des élèves de 10-1ë ans
soumis au style de commandement démocratique était supérieure
à celle des élèves du même âge soumis au commandement auto-
cratique ; les seconds l lemportaient à leur tour sur les
élèves organisés sur le mode "Te t s s e r t e t r-e
c
?
•
Si cette expé-
rience est évoquée, c'est qu'elle ressemble d'assez près aux
types de structuration de l'environnement familial.
Ici le
style de commandement qui structure les enfants est induit par
le moniteur responsable de la conception et de la programma-
tion des activités.
On rencontre la même difficulté sémantique avec le type de
structuration "f a i bl e " qu'avec le style de commandement
IIl a'isser-faire ll • La structuration "f a i bl e " est-elle à la limite
une absence de structuration, un désordre? Le commandement
IIl aisser-faire ll correspond-il à l'anarchie?
Dans tous les cas, les types de structuration souple et rigide
conduiraient à une construction opératoire spécifique. La
structuration souple favoriserait l'intégration des structures
opératoires assurant ainsi à la pensée plus de mobilité et de
flexibilité. A son tour, la structuration rigide exercerait
- 477 -
une action de modélisation sur les outils cognitifs; elle
susciterait l'éclosion d'une pensée reproductrice capable de
s'approprier les modèles connus.
En définitive, les types de structuration de l'environnement
famil ial agiraient non seulement sur la construction des struc-
tures intellectuelles mais aussi sur 1 'opérativité de celles-
ci.
2.2.4. ~~~~!~!_~!_~~!!2~_9~ff~~~Q~~~!~~~~_~~~_!~e~~
de structuration
L'application du test de KHI-2 montre que les types
de structuration de l'environnement familial apparaissent
beaucoup plus différenciateur en ville qu'en zone rurale. Le
problème est de savoir si la
différenciation
observée est le
fait des seuls types de structuration ou de variables complé-
mentaires.
On pourrait à cet effet évoquer le second facteur du
système éducatif familial
(Lautrey, 1976), c'est-à-dire le
système de valeurs. L'environnement familial
urbain est peut-
t r e plus différenciation
parce qu'il favoriserait une certaine
ë
adéquation entre les types de structuration et les systèmes de
valeurs de la famille:
à la structuration souple s'associe-
rait des valeurs modernes comme l'esprit critique, la curiosité,
l'indépendance ... , et à la structuration rigide ou faible des
valeurs traditionnelles telles que la politesse, l'obéissance,
- 478 -
la bonté ... Si cette correspondance systématique était plus
fréquente en ville, elle aurait pour conséquence de susciter
l'activité spontanée de l'enfant dans la structuration souple
et de la réduire dans la structuration rigide ou faible. Elle
accentuerait ainsi le fossé qui sépare les élèves suivant les
types de structuration auxquels ils appartiennent. Dans ces
conditions, la faible différenciation des sujets ruraux pour-
rait être liée au primat des valeurs traditionnelles favora-
bles au conformisme.
A l'action des types de structuration se combinerait celle du
système de valeurs de la famille. La composition de la struc-
turation souple avec des valeurs modernes serait plus favorable
au développement cognitif que celle de la même structuration
avec les valeurs traditionnelles. Ceci expliquerait pourquoi
à type de structuration égal, les performances sont plus éle-
vées ~n ville qu'en campagne.
Il convient de souligner qu'il s'agit là d'une interprétation
hypothétique fondée sur l'étude comparative des éducations
africaines traditionnelle et moderne. Elle n'exclut pas l'éven-
tualité d'une autre hypothèse explicative, par exemple celle
de l'influence des modèles de connaissance traditionnels sur
la réussite des activités expérimentales.
3 - L'INFLUENCE DES MODELES DE CONNAISSANCE TRADITIONNELS
Le milieu urbain n'exerce aucune influence spécifi-
- 479 -
que sur les élèves par l'intermédiaire de modèles de connais-
sance qui seraient particuliers.
En revanche, l 'influence du milieu rural sur les
conduites expérimentales est manifeste. En dehors de la situa-
tion de permutations qui n'induit aucune représentation spéci-
fique à cause de sa non familiarité, les autres épreuves
suscitent chez les adultes des démarches expériencées, pragma-
tiques. Celles-ci s'actualisent dans la hiérarchisation des
facteurs de la situation expérimentale en fonction de leur poids
respectif quant au déroulement de l'action. Cette procédure de
traitement de l'information nous a amené à décrire les facteurs
en termes de "composante contextuelle principale" et de "com-
posantes contextuelles périphériques" lWermus, 1976). La
dominance de la représentation figurale dans le guidage de la
démarche expériencée conduit l'élève qui s'y réfère à considérer
son expérience terminée lorsqu'il a fini de manipuler la com-
posante principale, les composantes périphériques n'interve-
nant que pour moduler le résultat, sans le modifier fondamen-
talement. C'est le cas du facteur "matière" dans l t pr e uve de
é
flexibilité; en tant que composante principale, il suffit à
lui seul à déterminer la flexibilité d'une tige; les autres
facteurs (longueur, forme, épaisseur) ne jouent qu'un rôle de
second ordre. On peut minimiser leur effet, car 0 eux seuls,
ils ne sauraient déterminer la flexibilité d'une tige dans le
contexte spatio-temporel de l'action; en d'autres termes, la
flexibilité peut bien dépendre des facteurs secondaires, mais
- 480 -
de façon temporaire et non définitive. Le seul facteur qui
agit sur la flexibil ité de façon permanente, c'est la matière.
C'est aussi le cas du facteur "é l a n" dans l'épreuve du pendu-
le. L'élan constitue la composante principale de la vitesse
du pendule, la longueur de la ficelle, la composante périphé-
rique. Il n'est pas question pour les adultes ruraux de dis-
socier ces deux facteurs qui forment un IIbloc ll car leur dis-
sociation entra'nerait l'annulation de la vitesse du pendul~.
Les démarches expériencées peuvent donc influencer les con-
duites des élèves du milieu rural et entraver la mise en
oeuvre du raisonnement expérimental. Clest ce fonctionnement
suivant les modèles pragmatiques que nous avons cherché à
jdentifier parmi les élèves ruraux. Donnons-en des exemples
pour soutenir l'argumentation.
N'Chot, 14 ans, Se, C.E.G. dlAlépé.
A l'épreuve de flexibilité, N'Chot sélectionne le
facteur "ma t t r e " (Les métaux en présence) et réal ise parfai-
è
tement l'expérience en prenant une tige d'acier et une tige de
laiton IItoutes choses égales par ailleurs".
Peut-on trouver un autre facteur qui détermine la flexibi-
lité?
Non, il n'y a pas d'autres facteurs.
Et la longueur des tiges?
Non, elle ne détermine pas la flexibilité.
- 481 -
Peux-tu faire l'expérience?
Il fait correctement l'expérience et argumente:
la tige longue est plus souple que la tige courte parce
qu'elles sont toutes deux de la même matière; c'est la ma-
tière qui est importante. Il tient le même raisonnement
pour les autres facteurs.
La démarche de N'Chot réflète celle des adultes ruraux. La
flexibilité est, pour lui, essentiellement un attribut de la
composante contextuelle principale; si elle est présente dans
une lI ma t i è r e " , elle peut varier suivant les formes que prend
celle-ci. Les différentes interrogations de l'expérimentateur
amène N'Chot à préciser sa pensée et à accépter l'intervention
des autres facteurs dans la détermination de la flexibilité,
mais à titre secondaire.
Kacou, 16 ans, 4e, C.E.G. d'Alépé.
il insiste d'emblée sur le rôle de l'élan dans la
production du mouvement des oscillations.
Comment peux-tu le vérifier?
Il exécute l'expérience en appliquant une poussée à la
masse fixée au bout de la ficelle et conclut: j'ai provo-
qué les oscillations du pendule en poussant le poids.
La vitesse du pendule peut-il dépendre d'un autre facteur?
Elle peut dépendre de la longueur de la ficelle:
il fait
l 'exnérience en faisant varier la longueur de la ficelle et
en imprimant une poussée.
- 4H2 -
Que peux-tu conclure de cette expérience?
Je peux dire que la vitesse du pendule dé rend de la poussée
exercée sur le pendule; elle est accélérée par la longueur
de la ficelle: si elle est courte et on pousse~ les oscil-
lations sont plus rapides que si elle est longue et puis on
pousse.
Dans l'esprit de Kacou comme chez les adultes ruraux~ l'élan
génère les oscillations. Le bloc unitaire d'information "élan-
longueur" est le meilleur inducteur de la vitesse du pendule.
L'utilisation de la démarche expérimentale impose la
dissociation des facteurs "élan et longueur" et la mise en
évidence de l'effet de chacun sur la vitesse; elle exige
l'application d'une démarche analytique rigoureuse. L'approche
de Kacou diffère de celle-ci ~ car elle procède simultanément
par différenciation et intégration; le facteur "élan" est
bien isolable du facteur "longueur de la ficelle" dans des con-
ditions statiques~ sans mouvement. ('est la transformation des
conditions statiques en conditions dynamiques par l'intégration
des facteurs "élan et longueur" qui modifie l'accélération de
la vitesse.
Il convient dans l'interprétation de la démarche cogni.tive de
Kacou de distinguer entre le mouvement et la vitesse. Le mou-
vement est un attribut de l'élan, de la poussée; il ne peut
se produire autrement, quoique d'autres facteurs puissent
intervenir pour l'accélérer ou le ralentir = ainsi la longueur
- 483 -
IIcourtell l'accélère, alors que la longueur IIlonguell le ralen-
tit. La vitesse résulte de l'intégration de l'élan et de la
longueur dans un contexte dynamique.
La démarche de cet élève s'oriente plutôt vers une
approche systémique qu'analytique. Selon J. de Rosnay (1975)
l'approche systémique est une "nou ve l l e méthodologie permet-
tant d'organiser et de rassembler les connaissances en vue
d'une plus grande efficacité de L' e c t t on" (1) ; elle vise
l'action et en cela, elle s'oppose à la méthode analytique
caractérisée par son aspect théorique. La notion de système
sous-tend un pouvoir d'unification et d'intégration; elle ou-
vre sur une vision globale et dynamique de la réalité.
Historiquement l'approche systémique semble plus récente que
l'approche analytique expérimentale. C'est l'avènement de
l'ordinateur et de la simulation qui a favorisé sa mise en
oeuvre. Désormais, les chercheurs avaient la possibilité de
con s t r u ire un m0 dè l e de l a réa l it é à par tir des 0 n a na lys e
exhaustive, de la simuler en manipulant simultanément olusieurs
variables à l'exemple de la nature. En effet les phénomènes
naturels forment une combinatoire que la science s'efforce de
décombiner pour en connaître la structure. La perte d'informa-
tion qui découle de cette opération est évidente"car toute
décomposition détruit la structure et le fonctionnement. Or la
(1) J. De ROS~~Y,
Le macrocospe, vers une vision globale, Editions du Seui4
1975.
- 484 -
pensée négro-africaine traditionnelle se préoccupe d'éviter la
mutilation des phénomènes par la manipulation, de comprendre
la signification des faits à l'intérieur du fonctionnement
général du cosmos. Faute d'une analyse préalable de tous les
facteurs en jeu, l'interprétation ne peut être qu'approximati-
ve, les liaisons causales soupçonnées et non établies de façon
systématique. Cèt inconvénient de la pensée négro-africaine se
retrouve dans l'approche systémique. Les résultats scientifi-
ques qufelle permet d'obtenir sont approximatifs dans la mesure
où elle ne donne d'information que sur le fonctionnement pro-
bable d'un système réel.
L'analyse des protocoles expérimentaux conduit à distinguer
deux types de modèles: les modèles pragmatiques construits au
contact direct de l'expérience et les modèles formels élaborés
par abstraction réfléchissante. Le problème est de savoir si
les modèles pragmatiques (ou traditionnels) perturbent de temps
à autre le fonctionnement du raisonnement expérimental.
Tableau
26
Nombre d'élèves ruraux soumis à l'influence
des modèles pragmatiques à l'épreuve de flexi-
bilité.
Souple
Types de structuration
1
Rigide
\\
Faible
1
1
1
n = 55
1
n = 5~
n = 6
Effectifs
12
22
3
- 48S -
Si nous comparons les sujets soumis aux influences culturelles
par type de structuration (Souple 12/~5, Rigide (2/~9, Faible
3/6), nous constatons que les plus atteints sont les élèves
appartenant à la structuration faible (50 %), suivis de ceux
de la structuration rigide (37,2 %) et en dernier lieu de ceux
de la structuration souple (21,8 %). Le .problème pour nous est
de savoir dans quelle mesure les conduites pragmatiques sont
susceptibles d'évoluer vers les conduites expérimentales lors-
que l'expérimentateur incite l'élève, le questionne pour
l'aider à prendre conscience du phénomène de la dissociation
et de l'égalisation des facteurs.
Tableau
27
Evolution des conduites pragmatiques des élèves
vers le modèle expérimental à l'épreuve de
flexibilité après incitation.
Types de structuration
r-
Souple
Rigide
Faible
(n = 55)
(n = 59)
(n = 6)
Performances
1
Flexibilité +
4
6
0
1
Flexibilité -
8
16
3
1
Total
12
22
3
1
1
- 486 -
Avec l'aide de l'expérimentateur, on note une cer-
taine évolution vers la démarche de dissociation de facteurs
(structuration faible = 0/3,
Rigide = 6/22 et
Souple = 4/12).
En proportion, les élèves appartenant à la structuration sou-
ple sont un peu plus réceptifs que les autres quant aux sugges-
tions de l t expé r t me nt a t eu r pour modifier leurs conduites. La
structuration souple exercerait donc une influence facilita-
trice sur la mobilité de la pensée. Cette influence se traduirait
par la capacité du sujet à changer de registre fonctionnel, à
percevoir les confl its cognitifs et à les dépasser par l'élabo-·
ration d'un modèle conforme au schéma expérimental.
Tableau
28
Nombre d'élèves ruraux soumis à 1 'influence
des modèles pragmatiques à l'épreuve du pendule.
Souple
Rigide
Faible
Types de structuration
n = 55
n = 59
n = 6
Effectifs
19
26
3
1
1
On peut faire les mêmes remarques que précédemment; l'influ-
ence s'ordonne de façon descendante de la structuration faible
(3/6) aux structurations rigide (26/59) et souple (19/55).
- 487 -
Tableau
29
Evolution des conduites pragmatiques des élèves
vers le modèle expérimental à l'épreuve du pen-
dule après incitation.
Types de structuration
Souple
Rigide
Faible
Performances
t n = 55)
( n = 59)
( n = 5 )
Pendule +
,
7
9
0
Pendule -
12
1 7
3
Total
19
L6
3
Le questionnement de l'expérimentateur modifie les conduites
dans les propositions suivantes: structuration faible (0/3
soit 0 %J, structuration rigide t9/L6 soit 34,6 %), structura-
tion souple t7/19 soit 36,~ %).
Il y a un peu plus de changement dans l'attitude cognitive
chez les sujets "souples" que chez les autres. L'hypothèse de
l'influence facilitatrice du type de structuration souple sur
la flexibilité mentale
semble se confirmer une fois de plus.
Les démarches intellectuelles de quelques élèves ruraux intè-
grent le mode de représentation dominant dans la culture locale
pour aborder des problèmes particuliers. Ce mode induit des
modèles pragmatiques qui ne coïncident pas avec les exigences
de la démarche expérimentale, c1est-à-dire l'approche analyti-
- 488 -
que formelle. Le problème pédagoqique fondamental est de savoir
comment passer des modèles pragmatiques aux modèles formels.
Le passage implique une modification globale de la
conception du monde du négro-africain et de son rapport au mon-
de en tant qu'ils influencent de façon décise l'action, la
pensée et les pratiques éducatives. Il requiert aux niveaux
social et individuel, le développement d'au moins trois opéra-
tions :
La première est une opération de décontextualisation ; elle
consiste pour la société à organiser les apprentissages en
dehors des contextes adaptatifs afin de permettre à l'enfant
de penser l'objet, d'analyser théoriquement toutes ses fa-
cettes. Cette action mentale passe par l'utilisation de la
représentation conceptuelle dans ses aspects oral et surtout
écrit; car seule l'écriture plus que tout autre canal de
traduction du réel amène l'élève à prendre du recul par
rapport aux situations concrètes. La représentation concep-
tuelle favorise le développement de la pensée analytique
indispensable pour le fonctionnement du raisonnement expé-
rimental.
La deuxième opération est celle de la dislocation des blocs
unitaires d'information conduisant à la dissociation des
facteurs. La démarche expérimentale est essentiellement une
démarche analytique, c'est-à-dire une démarche de décompo-
sition du tout en parties élémentaires. Approche réduction-
- 489 -
niste, elle permet au scientifique de spécifier le rôle de
chaque facteur dans la structure de l'objet total et d'éla-
borer une connaissance objective par la causalité. Pour ce
faire, l'activité intellectuelle doi-t acquérir le statut de
jeu de connaissance qui n'ait plus d'autre but que la con-
naissance elle-même.
La troisième opération concerne 1 légalisation des facteurs
de la situation expérimentale. Elle suppose la connaissance
préalable de l'ensemble des facteurs hypothétiques détermi-
nant la situation expérimentale. La conduite du raisonne-
ment hypothético-déductif n'est pertinente qu'à ce prix .
. Elle demande la construction d'un modèle théorique de l'ac-
tion expérimentale à réaliser comportant une planification
des hypothèses et de leurs moyens de vérification. La cen-
tration sur un seul facteur à la fois, les autres étant
maintenus constants garantit la vérité de la déduction et
informe le sujet de la nécessité de relier l'effet observé
à la cause manipulée.
Il se trouve que les structures de l'éducation traditionnelle
à l 'état actuel des choses nlont pas réussi à situer les ap-
prentissages hors contexte, ce qui aurait favorisé la décon-
textualisation de l'objet, la dislocation de ses facteurs et
leur manipulation suivant le schéma expérimental. La. seule
esquisse des apprentissages hors contexte rélevée, en dehors
des jeux de stratégies, concerne les apprentissages lors des
rites initiatiques; ici. les sociétés africaines tradition-
- 490 -
nelles ont jugé de l'opportunité de sortir leurs futurs membres
du cadre habituel de vie, de les placer, sous la tutelle de
maîtres qualifiés, dans un environnement pédagogique approprié
afin de les initier à-la maîtrise de soi par les épreuves phy-
siques, aux langages et aux connaissances ésotériques. C'est
donc l'école moderne qui va jouer le rôle de moteur de l'évolu-
tion de la pensée par le développement de l'activité représen-
tationnelle. Ce rôle sera assumé grâce à l'enseignement métho-
dique de contenus variés aux moyens de différents langages
contribuant à l'amplification des capacités intellectuelles des
élèves. Il faut donc dire avec Bruner t1966) et Vygotsky (1956)
que la décontextualisation des apprentissages favorise forcément
l'utilisation majorée du langage et le développement de la pen-
sée formelle.
En définitive, les différences constatées entre les
élèves urbains et les élèves ruraux s'expliquent au moins par
deux facteurs: les types de structuration de l'environnement
familial et les modèles cognitifs propres à chaque milieu
socio-culturel. Cette conclusion concorde-t-elle avec les don-
nées de l'analyse factorielle des correspondances?
4 - LES DONNEES DE L' ANALYSE FACTORI ELLE DES CORRESPONDANCES
Nous avons au cours de cette étude couramment utili-
sé le IIKHI-2 11 pour effectuer des croisements simples entre une
variable indépendante et une variable dépendante. Il s'a~issait
par exemple de savoir si les niveaux scolaires, ou les types
- 491
-
de structuration de l'environnement familial, ou les habitats
introduisaient des différences significatives entre les sujets
quant à la maîtrise du raisonnement expérimental. Cette démar-
che statistique excluait d'emblée la possibilité d'émettre
des conclusions subjectives à partir de différences numériques
constatées. Mais l'inconvénient de ce test statistique, c'est
de ne pas pouvoir tenir compte de l'organisation structurale
des variables et des sujets. L'analyse factorielle des corres-
pondances de Benzécri vient pallier cette lacune; car au lieu
d'analyser séparément la relation entre une variable indépen-
dante et une variable dépendante, elle traite toutes les in-
teractions entre les sujets et les variables. Au bout du
compte, on obtient une série de facteurs rendant compte des
variations constatées.
Les variables prises en compte sont les suivantes
- 4. Le niveau scolaire
{ 5e
,-
2
4e ( 1)
- §. Les âges
13 ans
2
14 ans
3
15 ans
4
16 ans
- 6 • Le milieu
C Urbain
Rural
(1) L'immatricu~tion des variables commence à 4, parce ~ue les trois
premiers chiffres (1, 2, 3) servent à coder les sujets.
- 492 -
- 7. Les types de structuration
souple
2
rigide
3
faible
- 8 . La performance à l'épreuve du pendule
{: succès
Echec
- 9 . La performance à 1 1 épreuve de flexibilité
succès
{:
Echec
- 10 • La Performance à 1,1 épreuve de permutations
{: succès
Echec
- 11. L'influence du modèle pragmatique sur la flexibilité
Absente
2
3
Présente
- 12. L'influence du modèle pragmatique sur le oendule
Absente
2
faible
3
Présente
La répartition des sujets est la suivante
de 001 à 120 : les sujets urbains dont les élèves de Se
(de 001 à 060) et les élèves de 4e (de 061 à 120).
- 493 -
De 121 à 240 : les sujets ruraux dont les élèves de 5e (de
121 à 180) et de 4e (de 181 à 240).
Les variables et les sujets de l'étude ont été soumis à l'ana-
lyse factorielle des correspondances. Les quatre premiers fac-
teurs représentent 58,845 % du taux d'inertie (22,261; 18,105;
9,865
8,793). Nous centrerons notre analyse sur les facteurs
dont le taux d'inertie est supérieure à 10 % ; il s'agit des
deux premiers. Essayons de voir si les infor~ations qu'ils
véhiculent, améliorent l 'interrrétation des résultats.
4.1. LE PREMIER FACTEUR
LE MODELE COGNITIF.
------------------
Au pôle négatif se trouvent les sujets ruraux
de 16 ans
soumis à l 'influence du modèle pragmatique
par rapport aux épreuves de flexibilité et du pendule. Au pô-
le positif se situent les sujets urbains de 13 ans soumis à
l'influence du modèle formel
~uant aux épreuves de flexibili-
/
té et du pendule.
Le facteur 1 traduit l'influence des modèles c00nitifs sur
les épreuves expérimentales (flexibilité, pendule).
Il oppose
les élèves ruraux de 16 ans qui font appel à un modèle prag-
matique et les élèves urbains de 13 ans qui mettent en oeuvre
un modèle formel, pour appréhender une situation expérimenta-
le.
En milieu rural, l'influence des modèles pragmatique semble
- 494 -
croître avec l'expérience au fur et à mesure que les adoles-
cents intègrent les activités des adultes. Ces modèles per-
sistent chez l'élève rural alors qu'il développe
en
même
temps le raisonnement formel. Les registres pra~matique
et
formel fonctionneraient alternativement en fonction des pro-
blèmes posés, comme des systèmes de pensées autonomes évoluant
de façon interne lors de conflits cognitifs.
4.2. ~~_~~ÇQ~g_E~ÇI~~~ : ~~_IY~~_Q~_~IB~ÇI~B~I!Q~_g~_~~~~y!
RONNEMENT FAMILIAL.
Ce facteur oppose les élèves en fonction de leur
appartenance aux différents types de structuration de l'envi-
r 0 nn'e men t f ami lia 1. Au pôl e n qat if, n
é
0 usa von s
let y pe sou-
ple qui
s'associe généralement à une réussite aux épreuves
expérimentales (pendule, flexibilité, permutations). La réus-
site est d'autant plus élevée à l'épreuve de flexibilité et
/
/ '
du oendule que l'influence du modèle pragmatique est nulle.
Au pôle positif, nous trouvons le type rigide et le type fai-
ble. Ces deux types de structuration affaiblissent générale-
ment le niveau du rendement; "ils se combinent plus facile-
ment avec l 'influence du modèle pragmatique (flexibilité,
pendule) lorsqu'elle fonctionne.
Ces informations recoupent celles que nous avons
élaborées à l laide du test du KHI-2.
Examinons maintenant les informations que lion ob-
- 495 -
tient en croisant les facteurs 1 et 2.
4.3. LE CROISEMENT DES FACTEURS: DIVERSITE DES RENDEMENTS
INDIVIDUELS SELON LE MODELE COGNITIF ET LE TYPE DE
STRUCTURATION.
La position des sujets et des variables dans l'es-
pa ce créé
par les deux facteurs orthogonaux ( f i q • 5) permet
dlobtenir quatre quadrants:
1. A la conjonction des pôles "modèle pragmatique t-) et
" structuration rigide et faible t+)" se trouvent les élè-
ves ruraux qui échouent ~énéralement aux épreuves exoéri-
mentales (Rendement 13/65 soit 20 %). Le premier quadrant
rassemble les caractères dlun milieu défavorable au déve
loppe~ent du raisonnement expérimental.
II. Le quadrant "modèle pragmatique (-)" et "type de structu-
ration souple (-)" regroupe l'autre partie des élèves ru-
raux de 5e et 4e. Clest le quadrant qui présente les ca-
ractères d'un milieu sémi-favorable au développement du
raisonnement expérimental
(Rendement 17/55 soit 31 %).
III. Dans le quadrant "modèle formel
(+)"
et "types de struc-
turation rigide et faible (+)" sont placés les sujets
urbains
surtout âgés de 13 ans et en classe de 5e, qui
manifestent une réussite variable aux épreuves expérimen-
-,-
"'...
>,
- 496 -
tales. Ils appartiennent a un milieu semi-fav~rable à
l léclosion du raisonnement expérimental
(Rendement 12/57
soit 21 %).
IV. Enfin dans le quadrant "modèle formel
(+)"
et "type de
structuration souole"(-)", nous observons les sujets dont
la réussite aux épreuves expérimentales est réqulière
(Rendement 26/63 soit 42 %). Ce quadrant réunit les carac-
tères d'un milieu favorable au développement du raisonne-
ment expérimental.
Visualisons la projection de quelques sujets et de quel-
ques variables dans l'espace des facteurs 1 et 2.
-
497 -
Riqide - faible
1
+
Structuration
III
, faible
Modèle pragmatique
Echec
(pendule)
(pendule)
Modèle pragmatique
Echec
(f l exi bi l i té )
(flexibi-
lité)
13 ans
Echec
(permuta-
tion)
5e
Elèves urbains
Modèl e
formel
(pendule et
Structuration
flexibilité)
rigide
Modèle
.Modèl e
pragP.latique
formel
16 ans
15 ans
Structuration
Modèle
souple
formel
4e
Modèle
pragmatique
faible
succès (pendule,
flexibil ité,
permutation),
Souple
II
IV
Fi g, 5
Croisement des axes 1 (Modèles cognitifs praçmat iqus et
formel
et 2 (types de structuration souple - rigide et
faible),
- 498 -
Le croisement des axes 1 et 2 met bien en évidence les carac-
tères d'un milieu favorables ou défdvorables au développement
du raisonnement expérimental
un milieu sera d'autant plus favorable au dé-
veloppement du raisonnement expérimental qu'il
mettra en interaction un sujet actif (structu-
ration souple) et des situations d'apprentis-
sage privilégiant l'emploi de
la logique for-
melle
(Quadrant IV,
42
% de
réussite).
Inver-
sement, un mi l i eu sera d'autant plus défavorable
au développemp-nt cu raisonnement expérimental
qu'il mettra en interaction un sujet passif
(structuration rigide ou faible)
et des situa-
tions
d'apprentissage valorisant la logique
pragmatique
(Quadrant I,
20 % de
réussite).
La différence de réussite entre les quadrants 1 et IV va du
simple au double.
Les espaces factoriels II et III représentent les milieux
semi-favorables. Ici le type de structuration souple se combi-
ne avec le modèle pragmatique (Quadrant II~ taux de réussite
31 %) et les types de structuration rigide-faible avec le mo-
dèle formel
(Quadrant III~ 21 % de réussite). Les taux de
réussite sont comparables malgré le niveau scolaire et la re-
lative jeunesse des sujets du quadrant III (5e et 13 an s') ' par
opposition à ceux du quadrant II (4e et 15-16 ans).
Les caractères du milieu agissent sur le développe-
ment cognitif de façon globale; mais en dernière analyse la
- 499 -
contribution des modèles cognitifs est décisive. Ainsi la
combinaison de la structuration souple et du modèle pragmati-
que ne conduit au raisonnement expérimental en milieu rural
que dans la mesure où les élèves suivent une formation sco-
laire. Les adultes ruraux non scolarisés confrontés aux mêmes
stimulations ne changent pas de registre cognitif.
En définitive, les différences intellectuelles entre
les élèves urbains et les élèves ruraux s'expliquent essen-
tiellement par deux facteurs:
l'influence des modèles cogni-
tifs sur la représentation des situations et celle des types
de 'structuration de l'environnement familial sur l'activité du
sujet. L'action et la représentation constituent donc les deux
processus qui structurent l'intelligence et en assurent le
fonctionnement.
Il convient dans le chapitre suivant, pour ap-
préhender lJintelligence dans sa réalité, de coordonner l'ap-
proche structurale et l'approche fonctionnelle .
./
500
CHAPITRE XI
APPROCHE STRUCTURO-FONCTION~ELLE DES CONDUITES
EXPER Ir~Ern AI_ES 1
Quelles sont les différentes étapes du raisonnement~
exrérimental dans la tranche d'âge rle 12-16 ans nui caracté-.
risent les sujets de notre étude? 0uels sont les cheminements
c00nitifs 1U'ils manifestent, confrontés aux situations ex~é
rirnentales ? Seule la coordination des approches nS\\lcho~éné
tinue et c01nitiv~ste est susceptible de fournir une analyse
de la micro~enèse du raisonnement en jeu et d'élucider le
rôle des contenus antérieurs dans la construction du modèle
expérimental.
L'apDlication de la démarche exoérimentale à un objet SUDDose
la prise de conscience des opérations de dissociation des
facteurs, de formulation d'hvDothèses et de néduction de leurs
conséquences, de conception et de olanification de l'emérieflce
vérificatrice. Elle exine l'élaboration d'unereDrésentation
SI) é c i fi que de l a t âche que l 'on cl é s i l"1 ne sou s l e t e r ne
de
modèle. Ici le modèle s'opoose aux schèmes et aux structures:
Il a no ur car a c t ère es sen t i el d 1 ê t r e f 0nc t ion ne l,
en co rrs -
truction actuelle et a nour fonction de rÉoondre à la résolu-
t ion d 1 unD rob l e me p 0s é sur '1 e 111 0Ple nt.
Il convient cependant de souliqner le caractère ambinu de
cette notion qui véhicule a u ino i ns deux sens. Dans les sciences
exactes, il d s i qn e une réalisation ou finuration na r
é
t i cul i èr e
501
d 1 une thé 0rie 9é né r ale env ue d' une a ppli c a t ci 0 n.
Ens cie nces
hu~aines, le modèle se caractérise au contraire Dar son
caractère abstrait vis-à-vis de la, réalité dont il doit rendre
compte; il est un sché~a directeur permettant d'élaborer les
\\ .
faits.
c~ double sens du ter~e de modèle, 1pin de consti-
tuer une confusion du !langage, semble mettre en évidence à la
fois son statut épistémologique et psycho10nique, sa fonction
de médiation entre le concret et l'abstrait dans l'activité
de connaissance - Ainsi Piaget oeut écrire : "~1ais si un mo-
dè1e doit éoouser les contours de la réalité à représenter,
il va de soi qu'il n'en constitue nullement une simple "copie'"
et ~ue sa fonction d'assi~i1ation aux systè~es notionnels et
opératoires du sujet est aussi importante que son accommoda~
tion aux données de l'exoérience. On peut même dire que c'est
sur le terrain de la construction des modèles que l'interaction
entre les apports de l'objet et du sujet est la plus intime,
car si le rôle du premier l'emporte évidemment dans la cons-
tatation des faits et l'établissement des lois, le rôle du
second est prépondérant dans la déduction mathémati~ue, les
deux conditions de tout modèle adéquat, qui sont d'être à la
fois conforme à la légalité et déductible, exigent un ajuste~
ment réciproque particulièrement étroit entre les deux sources'
objective
et subjective de la connaissance phy s iqu e " (1).
(1) PIAGET (J:), Les relations entre le sujet et l'objet dans la connais-
sance physique, t.n Piaget ,T., Logique et connaissance scient.iî-ioue ,
Encuc Lopédi.e de la Pléiade, Gallimard, 196?, p.
775.
502 ~
Ici Piaget aborde le problème général de la connaissance
physique et ~e situe dans une perspective énistémologique.
Dans le ~ême sens~ Gréco précise~ à pronos de l lexemole clas-
sique d'un planétaire: " ... Clest la structure du modèle
qu'il faut "interprèter"~ au lieu de "r.é a l i s e r " chacun de ses
éléments figuratifs~ ~atériels ou abstraits. Inter~rèter un
modèle~ clest donc~ en psychologie comme ailleurs~
élucider
ses conditions de conqruité, c'est-à-dire expliQuer les con-
ditions qui
rendent le
modèle adéquat (fût-ce oartielle~ent)
-
aux phénomènes observés - et non pas II pr o j e t e r " en liaisons'
réelles chacune des liaisons idéales (ou symboli~ues) du mo-
dèle" (:1).
Ce sont ces représentations concrètes de la connaissance au-
tant que de l lobjet utilisant la forme d'un schéma que nous·
appelons modèles puisqu'elles indiquent le niveau de compré-
hension du sujet .
--.
Le modèle est donc un instrument cognitif et en tant que tel,
'
il remplit deux fonctions psychologi~ues dans la réso'ution~
d'un problè~e
1111
organise l' information dispon'ibl~' en- ser··
.
.
vant de cadre assimilateur permettant d'assi0ner des signifi-'
cations aux éléments de la situation comme aux actions du
sujet: il guide et contrôle l'activité du sujet,' à la fois
( 1)
GRECO (P.)
Epistémolorie de la psychologie, in Piaget J., Lorique
et connaissance scientifique, Paris; Gallimard, 1967,
p.
979.
503
au niveau de ses représentations et de ses actions" (1)
C'est par rapport à la notion de ~odèle que nous analyserons
les étapes de la construction du raisonnement eXQéri~ental.
Dan s lIe nsem b l e, les con du i tes 0 bs e r vées s 1 0 r fJ a ni sen t en t ro i s
étapes :
Le modèle expérimental non formé
Le modèle expéri~ental en formation
- Le modèle expéri~ental formé.
Il s'agit d'étapes qui révèlent les possibilités structurales
sous-jacentes au fonctionne~ent cognitif.
LaD remi ère é ta pe, cel l e du m0 dè l e exp é r i men ta l non -f 0 r mé
correspond à l'absence d'une représentation particulière de
la tâche à traiter. Le sujet se cantonne dans une attitude de
passivité ou manipule
le matériel sans idée directrice ~ ce
qui crée une atmosphère d'ennui ~ui se stabilise rapidement
quelles que soient les interventions de l'expérimentateur
pour relancer l'activité.
La deuxième étape et la plus heuristique concerne
le modèle expérimental en formation. Les conduites inhérentes à
cette étape sont variées et témoignent d'une structuratio~
progressive du possible et du nécessaire indispensables à
(1)
E. ACKERM..4.NN-VALLADAD et al l , , Formation et act.ual.ieat.i.on des modèl.ee .
du sujet en sitaution de réso~ution de prob~èmes. Archives de Psycho-
~ogie, 1983, 51, 61-?0 .
.
1
.1
"
- 504--
\\
.
l'élaboration du raisonnement hypothético-dédu~tif. Elle
rassemble les sujets qui manifestent une conduite expérimen~
tale adéquate à un'e épreuve donnée et la perdent àu ne autre
épreuve; ce sont des sujets qui présentent des décala~es
horizontaux. L'efficacité des instruments cognitifs dont ils
disposent varie en fonction des contenus. Du point de vue
psychogénétique, cela si~nifie que les structures en forma-
tion ne sont pas encore fermées.
La troisième étaQe est celle du modèle expérimeht~~
formé. Tout montre que le sujet possède une représentation
1
exacte des actions à effectuer; il dispose d'un modèle expé-
rimental fort. La maîtrise de la combinatoire interpronosi-
tionnelle .va générer la capacité déductive du raisonnement
démonstratif et la capacité expérimentale de la dissociation
des facteurs. Le sujet est d s o rm a is capable de faire l'in-
é
ventaire des possibles, de les associer de différentes
manières afin d'en tirer des rapports d'implication, de dis-
jonction ou d'exclusion.
Le schéma expérimental "toutes choses égales par ailleurs"
fonctionne de façon ortimale ; l'adolescent est désormais
capable de manipuler un facteur de l'expérience en maintenant
les autres constants et de tirer les conséquences nécessaires
des résultats obtenus. On soulignera à cet effet le rôle ma-
jeur joué Dar l'opération formelle d'implication en fonction
de laquelle le sujet sunpose qu'un facteur déterminé entraîne
,
"
1
\\1
- 505 -
nécessairement la même conséquence et que la surpression de
celui-ci entraîne la suppression de celle-là ~ c'est bien la
preuve que l'effet est lié à la cause.
Il faut souligner la flexibilité mentale qui caractérise
l'adolescent de cette étaoe et sa capacité à utiliser les in-
formations nouvelles venant de l'objet ou de l'expérimentateur
pour remanier ses démarches cognitives.
Du point de vue de la démarche méthodolo0iQUe, nous
utiliserons les bordereaux de perforation deSdonnées de l'ana-
lyse factorielle des correspondances pour extraire les patterns
de réponses obtenus aux trois énreuves expérimentales en ter-
mes de réussite ou d'échec (Pendule: variable 81 ou 82 ;
Flexibilité: variable 91 ou 92 ; Permutations: variable 101
ou 102). Les patterns de réponses observés sont les suivantes:
111
le sujet réussit aux trois épreuves
112
le sujet réussit aux deux premières épreuves
(pendule et flexibilité) et échoue à la troi-
sième (permutations)
;
121
le sujet réussit au pendule, aux oermutations
et échoué à la flexibilité.
122
le sujet réussit au pendule et échoue aux
deux autres épreuves ;
222
le sujet échoue aux trois éoreuves.
- S06 -
Comment les élèves urbains et ruraux de cinquième et de qua-
trième (1) se distribuent-ils en fonction de ces natterns ?
Tableau 30
Distribution des élèves urbains en fonction
des patterns de réponses.
Classes
1
1
Se
4e
Patterns
111
16
22
1
11 2
1
3
121
0
0
1
1
1
1
12
13
1
122
1
1
,
1
222
31
22
Il apparaît que 16 élèves de cinquième et 22 de Quatrième
réussissent simultanément aux troix épreuves; à l 'oDDosé,
nous avons 31 élèves de cinquième et 22 de ~uatrième qui
échouent totalement à l'ensemble des épreuves. Dans la Zone
i nter mé dia ire, 0 n rema r que des é l è ve s a ux con du i tes i nsta bles :
(1) Nous avons retenu le niveau scolaire av. détriment de l'âCe puisque
notre hypothèse de départ soutient que dans la période sensible des
opérations formelles,
le niveau scolaire atteint par l'élève est plus
décisif oue l'âge.
- 507 -
1 de cinquième et 3 de quatrième qui réussissent à deux
épreuves (pendule, flexibilité) et échouent à la troisième
(permutations) ; 12 élèves de cinquième et 13 de quatrième
réussissent à une seule épreuve (pendule) et manquent les
deux autres (flexibilité et permutations).
Tableau
31
Distribution des élèves ruraux en fonction
des patterns de réponses.
1
1
Classe
1
1
5e
4e
1
Patterns
1
111
13
17
1
1
1
11 2
1
2
1
1
l-
121
a
122
7
13
1
~----------t------t----~
222
38
28
1
j
1
Les patterns de réponse~ se distribuent de la façon suivante:
.13 élèves de cinquième et 17 de quatrième maîtrisent absolu-
ment le raisonnement expérimental. contre 38 élèves de cin-
quième et 28 de quatrième qui
ne l'atteignent pas du tout.
Les conduites intermédiaires correspondant au pattern (122)
caractérisent 7 élèves de cinquième et 13 de quatrième; les
- S08 .
autres patterns (112, 121) sont assez rares.
Nous partirons de ces patterns de réponses pour
distinguer les différentes étapes de développement du raison-
nement expérimental chez l'adolescent ivoirien: le nattern
(111)
indique le modèle expérimental formé, les patterns
(112,
121, 122), le modèle expérimental en formation et le
pattern (222), le modèle expérimental non formé.
Tableau
32
Les étapes du modèle expérimental.
HABITAT
URBAIN
RURAL
Classes
1
~
Se
4e
Se
4e
1
1
Etapes
1
31
22
38
28
1
1
!
1
2
13
16
9
1S
1
1
3
16
22
13
1 7
1
La structuration du modèle expérimental est fonction
de l 'habitat et du niveau scolaire. Les différences des réus-
sites constatées (entre les habitats
et entre les niveaux
scolaires) ne sont pas significatives, mais stables: à ni-
veau scolaire égal, les élèves urbains réussissent toujours
- 509 -
mieux que les élèves ruraux qui sont par ailleurs plus âgés
et à niveau scolaire variable (Se et 4e) les élèves de qua-
trième l'emportent constamment sur ceux de cinquième quel que
soit l'âge.
Ces observations permettent de tirer une double
conclusion. La première montre que les incitations du milieu
urbain sont plus favorables au développement du raisonnement
expérimental que celles du milieu rural. La seconde souligne
que pendant la période sensible des opérations formelles (12-
16 ans), le niveau scolaire de l 'élève importe plus que son
âge. Le niveau scolaire va accroître la quantité et la quali-
té des contenus stockés dans le processus de réalisation; la
pensée s'appuiera sur ceux-ci pour identifier et traiter les
nouveaux objets à l laide des opérations intellectuelles adé-
quates.
Nous nous oroposons de mener une ~nalyse variée des
différentes étapes de construction du modèle expérimental.
Pour ce faire, nous utiliserons successivement l'approche
structurale et l 'approche fonctionnelle comme modèles inter-
prétatifs.
l - L'APPROCHE STRUCTURALE
La lecture des étapes du raisonnement expérimental
au travers de la grille structurale montre que les opérations
intellectuelles se forment progressivement en fonction de
- 510 -
l'âge et surtout du niveau scolaire dans le cas de notre
étude. Analysons ces différentes étapes.
1 - L'ETAPE 1
LE MODELE EXPERIMENTAL NON FORME.
53 élèves urbains se situent à cette étare (31 en
5e et 22 en 4e) de même que 66 élèves ruraux (38 en 5e et 28
en 4e). Dans l'ensemble près de 50 % des effectifs de l'étude
(119/240) ne maîtrisent pas le raisonnement exoérimental.
L'examen de quelques extraits de protocoles caractéristiques
de l'étape permettra de fixer les idées.
1.1. L'EPREUVE DE FLEXIBILITE
Koré (13 ans, sujet urbain, 5e)
Il examine attentivement le matériel et dit:
"t e
sont les tiges longues qui sont souples". Pour le montrer, il
prend une tige longue en laiton, l'introduit dans le disposi-
tif et lui applique successivement une masse légère, puis une
masse lourde et conclut: IIVoilà 'luand c'est long, ça plie
plus; la tige longue p l i e même avec. un poids l ne r
é
?
•
- Que viens-tu de montrer 7
- J'ai montré qu'une tige longue est plus souole qu'une tige
courte.
- Les as-tu comparées 7
- Non
- 511 -
- Mais comment sais-tu qu'une tige longue est plus souole qu l -
une tige courte?
- Je sais, parce que si tu COUDes une tige en deux morceaux,
une lonque et une courte, la longue est plus souple que la
courte.
- Peux-tu montrer cela en utilisant les tiges présentes?
Koré essaie, mais n'arrive pas à concevoir l'expé-
rience.
Ahoua, (14 ans, zone rurale, Se), pense que clest le poids
qui fait que la tige est souple. Mais au lieu d'expérimenter
sur le dispositif, il préfère procéder à une vérification
empirique. Prenant successivement les tiges à chaque bout, il
leur applique une force pour éprouver leur souplesse. A la
fin de cet exercice, il dit: IILes longues sont plus souoles
elles plient plus lorsque j'essaie de les t or or-e ."
- Maintenant comment vas-tu faire oour montrer qu'elles sont
plus souples (par llintermédiaire du dispositif ) ?
- 1l introduit deux tiges longues, de matière et de llrosseur
différentes, dans le dispositif
et leur arplique deux mas-
ses de même poids.
Il conclut
IILes tiges longues plient pl us ."
Le comportement de Ahoua ne change pas quelles que
soient les questions de l'expérimentateur pour le guider sur
la voie de la dissociation des facteurs.
- 512 -
Il faut retenir dans les deux exemples que les sujets exploi-
te nt leur expérience des situations de flexibilité.
Ils savent
de façon empirique énumérer quelques facteurs familiers qui
déterminent la flexibilité d'une tige, mais se montrent inca-
pables d'organiser ces connaissances dans le cadre de schéma
expérimental. Il en découle que chaque expérience mise sur
pied pour démontrer l'effet d'un facteur débouche sur une
expérimentation non en rapDort avec les implications de l 'hy-
pothèse. En réalité, il n'y a pas d'expérimentation propre-
ment dite, faute de la maîtrise du raisonnement hypothético-
déductif chargé de guider l'action expérimentale.
1.2. L'EPREUVE DU PENDULE
Koré (13 ans, 5e, Cocody)
- Comment faire pour augmenter la vitesse du pendule pour
qu'il ait des battements plus rapides?
- 1111 faut po us s e r " ; il
donne un élan conséquent et dit
'ça va vite. 1I
- Comment le sais-tu?
- IIJe vois que ça va vite".
Comment faire pour montrer le rôle de la poussée, de
l'élan?
- 1111 faut pousser f o r t "
- Si tu pousses faiblement, est-ce que tu auras une vitesse
lente?
- 513 -
"Oui ;" il pousse faiblement et croit avoir raison.
- Maintenan~, pour savoir si ça va vraiment vite, nous allons
compter le nombre de battements en vingt secondes; toi tu
comptes et moi je chronomètre. Tu arrêteras de compter
quant je dirai TOP.
- Sur ce, il pousse fort et compte 18 battements en vingt se-
condes: "ça va très vite".
- Est-ce qu'on aura le même résultat si tu oou s s e s faiblement?
- Non; il pousse faiblement et compte 18 battements. Il
s'inquiète et pense que j'ai mal chronométré.
- Et quelle conclusion devrait-on tirer si j'avais bien chro-
nométré ?
- "On doit trouver qu'en poussant fort, ça va plus vite. 1l
- Est-ce que tu peux trouver d'autres facteurs qui augmentent
la vitesse du pendule? ... Et le poids par exemple?
- Il accroche un poids à la corde, balance et observe.
- Qu'en penses-tu?
- Je ne sais pas.
- Comment vas-tu faire pour montrer que le poids augmente ou
n'augmente pas la vitesse du pendule?
Jlaccroche un poids à la corde et je balance pour voir si
ça va vite.
Il n'arrive pas à organiser une expérience juste pour l'en-
semble des facteurs en jeu.
Le sujet Koré n'adopte aucune attitude de preuve susceptible
de guider l'expérience. La démarche "faire varier un facteur
- 514 -
en maintenant les autres constants", si elle était acquise,
lui aurait permis de manipuler l'élan en imprimant deux élans
d'inégales valeurs, pour observer la variation de la vitesse.
Tous les sujets soumis ~ l'étude n'éorouvent aucune
difficulté particulière à permuter deux ou trois éléments. Il
s'agit donc de deux situations qui
ne donnent pas d'informa-
tion sur l'appl ication du schéma expérimental. Le simple tâ-
tonnement suffit à construire les deux ou six permutations
possibles. M~is ces exercices de départ sont nécessairs pour
éprouver le raisonnement hypothético-déductif de l'adolescent.
En effet, ce -sont les régularités observées entre les permu-
tations possibles de deux, trois, quatre éléments, qui per-
mettent de déduire celles qu'on obtiendrait avec cin~ ou six
éléments. L'épreuve de permutations ne devient un problème
pour les sujets qu'à partir de quatre éléments.
Nous codons les cinq situations de permutations de la façon
suivante:
- Situation 2 - - ) deux éléments
- Situation 3 ~trois éléments
- Situation 4 - - ) q ua t r e éléments
- Situation 5 ~
cinq éléments
- Situation 6 - - )
six éléments.
- S1S -
Les verbalisations étant réduites dans cette expérience, nous
prendrons en compte les réalisations effectives de l'adoles-
cent pour fonder notre analyse.
Koré, 13 ans, collège de Cocody, Sème.
Réussit les situations 2 et 3. A la situation 4, il
orocède avec une certaine méthode, mais n'épuise pas le nom-
bre de permutations possibles lorsqu'il fixe une lettre en
première position
AEID
AIDE
ADEI
EIDA
EDAI
EAID
IDEA
IEAD
IADE
DAEI
DIAE
DElA
Il atteint ainsi douze permutations et croit avoir épuisé
l 'ensemble des possibilités.
Lorsqu'on lui suggère la permutation AEOI, il se rend compte
qu'elle représente une nouvelle possibilité. Il en cherche
d'autres, commençant Dar les autres lettres et en trouve
trois:
ElA D
DAI E
IDA E
Il parvient ainsi à réaliser au total quinze permutations Sur
vingt-quatre.
- 516 -
Dans la méthode de permutations de Koré, une seule lettre
reste stable et trois varient en même temps, ~ais sans répon-
dre à une règle précise de variation.
Il n'utilise nas d'al-
gorithme en tant que règle de permutations des élé~ents en
jeu.
L'écriture joue un rôle fondamental dans le contrôle de l'ac-
tivité de permutations. Les sujets qui en font l'économie
pour la notation de leurs prestations ne dépassent pas huit
possibilités. N'ayant pas en mémoire toutes les réalisations
antérieures, ils finissent par ne plus se souvenir des possi-
bles actualisés; ce qui freine la constitution de nouveaux
possibles. Ceux qui
se rendent compte de cette limitation
rerrennent la démarche au point de départ; l'emoloi de
l'écriture les amène à concevoir d'autres possibles par com-
paraison successive, de proche en proche ; ~ais l'écriture ne
co~pense pas l'absence d'une règle précise de traitement des
données quoiqu'elle renforce l'activité de contrôle.
La résolution des situations 5 et 6 fondée sur la
prise de conscience des régularités inhérentes aux situations
2, 3 et 4 fait problème. Le nombre de permutations obtenus
avec ces trois dernières situations, c'est 2, 6, 24. Pour an-
ticiper le nombre de permutations qu'on peut obtenir avec cinq
éléments, il faut dégager la raison de la progression lorsqu'-
on passe de deux à quatre éléments. Les sujets de l'étape 1 ne
peuvent dégager une telle raison faute d'avoir réussi à permu-
- 517 -
ter quatre éléments.
Il faut attendre l'étape du modèle expérimental en.t orma t i on
pour observer des réussites oartielles.
2 - LE MODELE EXPERIMENTAL EN FORMATION
Nous venons, dans les pages précédentes, de montrer
que le modèle expérimental en formation est révélé par les
patterns de réponses suivantes:
112, 121, 122. Le sujet
réussit à une ou à deux épreuves et échoue à la deuxième et/
ou à la troisième. Ces conduites hétérogènes posent problème
quant à la conception structurale des stades. Nous nous ser-
virons des exemples de Koffi
(13 ans, 5e, zone urbaine) et
de Yapo (16 ans, 4e, zone rurale) pour illustrer la deuxième
étape.
2.1. L'EPREUVE DE FLEXIBILITE
Koffi
(13 ans,
5e, zone urbaine)
"Si on accroche un poids lourd au bout d'une tige mince,
on peut la faire plier". Pour vérifier l'effet du poids,
il sélectionne deux tiges minces en laiton, de section
ronde et accroche deux poids différents à leur extrémité.
"C'est vrai ce que j'ai dit; la tige qui porte le poids
le plus lourd penche plus."
Est-ce vrai qu'une tige mince plie plus qu'une tige épais-
se ?
- 518 -
- Oui~ il organise l'expérience conformément aux normes et
vérifie l'effet de 1léraisseur.
- y a-t-il
d'autres facteurs qui jouent sur la souo1esse ?
Ne trouvant rien~ on lui suggère la matière des tiges~ le
type de métal. Mais aucune idée ne lui vient de comparer
les métaux. Il essaie de voir successivement si le laiton
ou si l'acier est flexible:
Ille laiton est s ouo l e ; l'a-
cier est souple aussi ll •
- Peut-on savoir lequel des deux est le plus souple?
- les deux sont souples.
Koffi utilise le schéma expérimental pour traiter les pre-
miers facteurs et le perd en cours de route; aussi n1arrive-
t-il pas à l'appliquer à la matière.
Yapo (16 ans, 4e, zone rur al e) ~ pe ns e qu' il y a un mé t a 1 sur 1es
deux qui
doit être plus souple que l'autre. Il fait donc
varier la matière " t out e s choses égales par a i l l e ur s ? ,
réali-
se 1 lexpérience et tire les conséquences conformes aux imo1i-
cations de l'hypothèse: "La tige en laiton plie plus que la
tige en acier; le laiton est plus souple que 1 lacier
mais
on ne peut pas savoir exactement parce que 1 lexpérience ne
dure pas longtemps; on ne sait pas si la tige en laiton va
rester souple si l'expérience dure un j ou r ? •
Après le facteur "ma t i r e
ë
?
,
Yapo n'évoque plus rien. On lui
suggère la longueur de la tige: Est-ce que les tiges longues
sont plus souples que les tiges courtes?
- 51 9
Il monte_ l'expérience: une tiae en laiton, mince, lonnue,
de section ronde, contre une tige en laiton, mince, courte
et
de section ronde.
Il conclut de cette expérience que la IIl on-
gueur de la tige augmente sa souolesse, si la ti~e ~ême est
déjà souple ll •
Le facteur "ma t i r e " apoaraît chez Vapo c omrne la composante
è
contextuelle principale
toute sa démarche cognitive est
orientée par ce facteur à l'instar des conduites que nous
avons observées chez les adultes du milieu rural. Malgré cet-
te orientation, il respecte les exigences du schéma exoéri-
mental lorsqu'il montre les expériences suggérées et réussit
de ce fait à l'épreuve de flexibilité.
2.2. L'EPREUVE DU PENDULE
Koffi
(13 ans, 5e, zone urbaine)
Pour Koffi, le nombre de battement dépend du poids.
Il aoplique deux poids différents, compte successivement le
même nombre de battements et conclut:
le nombre de battements
ne dépend pas du poids.
- De ~uoi
peut-il dépendre d'autre en dehors du poids?
- Si je pousse fort, il peut aller vite; sur ce, il accroche
une masse lourde, pousse fort et dénombre les battements en
vingt secondes; puis il pousse faiblement et trouve le
même nombre de battements (18). Il écarte donc l'influence
de l'élan.
- 520 -
- Le nombre de battement peut-il dépendre de la longueur de
la ficelle?
- Oui, c t es t possible. Il allonge la ficelle, suspend une
masse en acier et balance le dispositif. Il dénombre 18
battements en 20 secondes. Lorsqu'il raccourcit la ficelle
et refait l'expérience, il en dénombre 32 en 20 secondes.
Ainsi de suite, la conduite de Koffi montre qu'il maîtrise
le schéma expérimental alors qu l i l vient d'échouer à l'é-
preuve de flexibilité.
Yapo (16 ans, 4e, zone rurale).
Yapo manipule le dispositif en silence. Il accro-
che successivement des masses différentes au crochet de la
ficelle et observe attentivement. Il imprime ensuite plusieurs
élans. Toute cette activité pour voiredébouche
sur quelques
hy pot hè ses : Il Cie s t lep 0 i ds qui au 9men tel a vit e s se? Il -
l l
réalise l'expérience dans des conditions rigoureuses et
écarte le poids comme cause de la vitesse.
- Il pense ensuite que c'est l'élan: il définit deux élans
d'intensité variable, les applique et compte le nombre
d'oscillations:
linon ce n'est pas l'élan ; on trouve la
même vitesse".
- Et la hauteur de chute?
liNon, ça ne doit pas intervenir parce que ça ressemble à
l'élan ~ si on lâche la ficelle très haut, l'élan est plus
grand."
- 521
-
- Et la longueur de la ficelle?
"ça nia rien à voir avec la vitesse".
- Pourquoi?
Parce qu'une ficelle non en mouvement ne oroduit jamais de
la vitesse.
- Peux-tu faire une expérience pour mettre en évidence le
rôle de la longueur de la ficelle?
- "Jlaccroche le même poids à une ficelle lonaue et à une
ficelle courte et je balance pour provoquer le mouve~ent
je dénombre respectivement 18 et 32 battements. La longueur
de la ficelle joue sur la vitesse mais à condition de ba-
lancer".
Comme à l lépreuve de flexibilité, Vapo réussit au pendule. Il
sait dissocier tous les facteurs de la situation, les manipu-
ler sur le plan expéri~ental malgré l'influence apparente des
modèles cognitifs traditionnels.
Llanalyse des protocoles expérimentaux relatifs à l'éoreuve
des permutations nous per~ettra de conclure sur l'étape du
modèle expérimental en formation.
2.3. L'EPREUVE DES PERMUTATIONS
Koffi
(13 ans, 5e, zone urbaine)
Koffi réussit sans difficulté les situations de
permutations caractérisées par 2 ou 3 éléments. Avec 4 élé-
ments, il adopte le schéma de réalisation suivant:
- 522 -
>
A E l a
A E a 1
AIE a
A 1 a E
A OIE
A a E 1
E A 1 a
E A a 1
1 E A a
1 A a E a AIE
a 1 A E
1 E A a
a E A
E
A a
a ElA
A E a
E a A 1
a
E A
a E A
a E A 1 Ela A E a 1 A 1 a E A
A partir du nombre de permutations possibles avec la lettre
A en tête, Koffi constitue une table à double entrée. Cette
procédure le conduit à faire l'inventaire des autres possi-
bilités.
A-t-il compris pour autant la règle logique qui détermine la
progression lorsqu'on passe de deux à trois et quatre élé-
ments ? Non puisqu'il pense que pour trouver le nombre de
permutations avec cinq et six objets, il faut multiplier:
5 x 6
30
6 x 7
=
42.
Koffi est influencée par la comparaison des situations 2 et
3 abstraction faite de la 4.
En effet deux éléments donnent deux permutations et trois
éléments, six permutations, ce qui donne l'impression de la
multiplication de deux éléments par trois. Le sujet se serait
rendu compte de son erreur s t i l avait généralisé son raison-
nement à la situation 4 qui devrait donner par hypothèse
douze permutations (3 x 4) au lieu de vingt-quatre. Dans le
même sens, la situation 5 devrait comporter vingt per~uta-
- 523 -
tions (4 x 5) et non trente. L'hypothèse 5 x 6 = 30 ou
6 x 7 = 42, provient certainement du fait qu1ayant déjà dé-
nombré vingt quatre permutations pour quatre éléments, il ne
peut logiquement en dénombrer moins avec cinq éléments. Cette
volonté de cohérence entraîne la modification de la rè~le
formulée initialement.
L'adoption d'une méthode rigoureuse pour réaliser l'ensemble
des permutations avec quatre éléments ne suffit pas pour con-
clure à la maîtrise totale de la pensée formelle et du rai-
sonnement hypothético-déductif.
Il faut que l'adolescent
comprenne en plus le sens des régularités qui
lient les clas-
ses d'éléments à permuter au cours de son activité. L'anti-
cipation des possibles et leur déduction est à ce prix.
Yapo, 16 ans, 4è, zone rurale.
Le schéma de permutations de Yapo sur quatre élé-
ments est le suivant:
A E
0
E A 0
l 0 A E
OIE A
A E 0
E A
0
o E A
o
A E
A
0 E
E l OA
E A 0
o A E
A
E 0
E
A 0
E 0 A
o A E l
A ü
E
t 0 A
A 0 E
o E A
A 0 E
E 0 l A
A E 0
o E
A
Yapo justifie sa méthode en disant: "j 'ai trouvé que chaque
lettre doit être placé six fois en tête; ensuite les trois
- 524 -
autres lettres doivent être placées deux fois en deuxieme
position chacune de la manière suivante:
AE
AE
AI
AI
AD
AO
A chaque fois, je permute les deux lettres restantes et j'ob-
tiens toutes les possibilités".
- Peux-tu dire à l'avance combien de possibilités on obtien-
drait avec cinq et six éléments?
L'examen de la progression ne lui suggérant aucune hypothè-
se, Yapo décide de constituer par la manipulation tous les
arrangements possibles.
Cette fois, il ne peut atteindre son objectif à cause du nom-
bre élevé de permutations (120 et 720 au total).
En définitive Koffi et Yapo manifestent des con-
duites hétérogènes aux épreuves expérimentales (Patterns de
réponses 122 et 112). Cette observation
montre que le degré
d'applicabilité du modèle expérimental
varie suivant les
situations, ce qui signifie du point de vue structural ~ue
l'étape du modèle expérimental en formation représente le mo-
ment où les instruments cognitifs nécessaires à l 'exercice du
- 525
raisonnement expérimental se mettent progressivement en
place. Elle correspond à la période intermédiaire dans les
stades classiques de Piaget où par hypothèse, la non fermetu-
re des structures opératoires donnent lieu à des conduites
instables. Ces conduites seront dépassées à l'étape 3, celle
du modèle expérimental formé.
3 - L'ETAPE DU MODELE EXPERIMENTAL FORME
Les conduites propres à cette période sont sans
équivoque; l'action de l'adolescent est guidée par une re-
présentation exacte du schéma expérimental. La manipulation
de toute variable ne pose plus problème, même si quelques
fois le problème de son isolement se pose; mais une fois
isolée, son traitement expérimental ne fait l'objet d'aucune
difficulté.
Le seul exemple de Yao (14 ans, 4e, zone urbaine)
permettra de saisir les réactions caractéristiques de l'éta-
pe 3.
Yao (14 ans, 4e, Collège de Cocody), Classe le matériel en
deux groupes :
les tiges en laiton et les tiges en acier
- puis les masses lourdes et les masses légères.
- 526 -
- A l'intérieur des deux classes de tiges, il distingue deux
sous-classes en fonction des formes de section (ronde ou
carrée), puis dissocie les longues et les courtes, les
minces et les épaisses. Cette classification lui permet de
faire l'inventaire des possibles; ce qui a pour conséquence
de faciliter la formulation des hypothèses et la manipulation
l.
du schém'~ expérimental.
- Dites-moi quels facteurs interviennent?
- Il yale type de métal, la longueur de la baguette, son
épaisseur, sa forme, le poids.
- Peux-tu le prouver?
- Il applique deux poids différents à deux baguettes de lai-
ton identique et attribue les inclinaisons observées au
poids.
- Pour le type de métal, il compare deux tiges différant par
la matière "toutes choses égales par ailleurs" et tire la
conclusion conséquente.
- Il en fait autant pour la forme, la longueur et l'épaisseur,
en tirant toujours de façon opportune les implications des
hypothèses formulées. La synthèse est claire: "la matière
du métal, la longueur, l'épaisseur, la forme de section et
le poids agissent sur la flexibilité des tiges".
3.3. L'EPREUVE DE PENDULE
Yao (14 ans, 4e, zone urbaine)
- La vitesse du pendule dépend de la poussée (élan). Il
pro-
- 527 -
qr amme son expérience en faisant varier l'élan, "t out e s
choses éClales par ailleurs ll et constate que la vitesse ne
dépend pas de la poussée.
- Elle dé~end peut-être du poids. Il entreprend la vérifica-
tion en respectant la procédure expérimentale ., quel flue
soit le poids, il c omp t e dix-huit battements en vinqt secon-
des: "Le poids n'intervient pas parce que c'est la même
v t t es s e ;."
Clest la longueur de la ficelle qui joue un rôle. Il mani-
pule la longueur de la ficelle, les autres éléments étant
maintenus constants. Il dénombre successivement dix-huit
battements avec une ficelle longue et trente deux battements avec
une ficelle courte: IILa longueur de la ficelle joue sur la vitesse;
la vitesse est plus grande avec une ficelle courte."
-
y a-t-il
d'autres facteurs qui augmentent la vitesse? Ne
trouvant rien, on lui suggère la hauteur de chute.
Il fait l'expérience et conclut à la non-intervention de ce
facteur.
Que peux-tu conclure de cette expérience?
On peut conclure que la vitesse du pendule ne dépend pas de la
poussée, du poids, de la hauteur de chute, mais dépend seule-
ment de la longueur de la ficelle.
La démarche expérimentale de Yao est stable. Son attitude con-
sistant à écarter nécessairement les variables non pertinentes
du concours des variables exolicatives témoigne de la maîtrise
- 528 -
du raisonnement hypothético-déductif.
3.3. L'EPREUVE DES PERMUTATIONS
Yao (14 ans, 4ème, Cocody), adopte une démarche originale
consistant dans la situation 4 à combiner les éléments deux à
deux
les permutations opérées sur les couples ainsi obtenus
sont à nouveau combinées pour aboutir à l'ensemble des possi-
b i l i t
s .
é
Soit AEIO ~
AE,
AI,
AD,
El,
EO,
10.
Avec chaque couple, il écrit deux permutations
AE
)
EA
AI
)
lA
AD
)
DA
El
)
l E
EO
)
DE
ID
)
DI
A
AE,
i l ajoute les permutations des lettres suivantes
AE - ID
AE - DI
Ain sic ha que cou pl e don ne "1 i e u à deux pe r muta t ion set avec
les douze couples, il dénombre rapidement les vingt-quatre
possibilités.
A la situation 5 dont il faut anticiper le nombre de permuta-
tions par rure déduction, Yao examine la progression obtenue
- 529 -
de deux à quatre éléments
Eléments
2 ---?) 3
- - - 7 )
4
~
.J,
~
Permutations 2 ----'7) 6
- - - ' 7 )
24
Il découvre les liaisons
2 x 3 = 6 x 4 = 24 :
1
"Pour trouver le nombre de permutations de
trois éléments,
il faut multiplier le nombre de permutations de deux élé-
ments par 3 ; pour ~uatre éléments, on multiplie 6 x 4 ;
donc pour cinq éléments, il faut multiplier 24 x 5 = 120,
et pour six éléments 120 x 6 = 720".
Non seulement Yao adopte un schéma de travail métho-
dique, mais met en oeuvre une aptitude numérique permettant
d'anticiper la suite des permutations suivant un raisonnement
hypothético-déductif. Mais il n'aurait pas pu achever ce rai-
sonnement sans l'écriture qui a permis la représentation gra-
phique de la situation dans les meilleurs délais, l'amplifi-
cation des informations extraits des manipulations et leur
réflexion. L'écriture en tant qu'outil de traitement symboli-
que du réel, rend possible le recul par rapport à l'objet. Le
problème reste de savoir si un raisonnement hYDothético-
déductif complexe dépassant les cadres de la mémoire immédiate
peut se dérouler abstraction faite de sa traduction écrite. Le
comportement des adultes ruraux à l'épreuve de permutations
révèle qu'en l'absence de toute notation écrite des possibilités
actualisées, on atteint rapidement le palier de l'oubli; les
procédures mises en route au début de l'activité se perturbent,
- 530 -
ce qui entraîne un blocage. L'écriture stabilise les procé-
dures, suscite de nouvelles stratégies au cours du traitement
des données. Elle assure donc la mobilité de la représenta-
tion des situations.
Que conclure de l'analyse structurale des étapes de
formation du modèle expérimental? Cette analyse suscite
quelques interrogations à cause des cas d'hétérogénéité des
conduites individuelles. En effet, comment se fait-il que les
conduites d'un même sujet varient en fonction des tâches de
même
niveau opératoire? En d'autres termes, pourquoi le
sujet n'arrive-t-il pas à appliquer le schéma expérimental à
toutes les situations?
L'hypothèse selon laquelle les décalages décroissent en fonc-
tion du niveau de structuration des stades peut ·être retenue
plus importants pendant la phase de préparation, ils tendent
vers zéro pendant la phase d'achèvement (M. Nassefat, 1963,
B.
INHELDER, 1974, F. Longeot, 1976, J. Drévillon, 1976).
Cette hypothèse suppose aussi l'existence d'une variété de
trajectoires que les sujets emprunteraient dans la phase in-
termédiaire, trajectoires les conduisant en dernier lieu à la
construction des mêmes structures opératoires du stade. Mais
il faut noter qu'entre la phase de préparation du stade (11-
12 ans) et la phase d'achèvement (15-16 ans) l'âge des sujets
a augmenté de même que leur niveau d'opérativité et les conte-
nus stockés dans le processus de réal isation. Si les décalages
.;
- 531
-
sont moins importants chez les élèves à la phase d'achèvement,
on doit en chercher la cause à la fois dans le niveau opéra-
toire atteint par le sujet et dans la variété des contenus
dont il dispose; car c'est à partir de ces contenus que
l'adolescent modél ise son activité cognitive dans une situation
donnée. On ne comprendrait pas comment il
identifie et caté-
gorise un objet avant de le traiter si ce n'est que par réfé-
rence à l'ensemble des connaissances qu'ils possèdent su~ des
objets voisins. L'attribution de signification à un objet et
la spécification des opérations à appliquer ne peuvent se
concevoir qU'à l'intérieur de cette démarche. C'est pourquoi,
il importe de placer l'étude du raisonnement expérimental
dans un double cadre de référence, la psychologie génétique
et la science cognitive afin d'élargir le champ d'interpréta-
tion des performances intellectuelles.
Le modèle structural nous avait habitué à analyser
la performance du sujet du seul point de vue de son niveau
opératoire. Dans cette perspective, l'échec à une épreuve ne
pouvait se comprendre que référé aux structures intellectuel-
les nécessaires à son traite~ent, la réussite simultanée aux
trois épreuves expérimentales témoignant bien de l'idée d'une
organisation des opérations en structures capables de s'appli-
quer à des tâches de même niveau, abstraction faite de leurs
contenus. En revanche, la réussite préférentielle à telle
épreuve et non à telle autre de même niveau opératoire, impli-
que que l'actualisation du raisonnement expérimental dépend
:;."..
- 532 -
aussi des contextes sur lesquels il porte. Les structures
opératoires indiquent seulement l'ensemble des possibilités
intellectuelles de l'individu; mais elles ne suffisent pas
à rendre compte du fonctionnement d'un sujet réel
placé en
situation de résolution de problème. Le fonctionnement struc-
tural du sujet épistémique laisse de côté la spécificité de
l'interaction d'un sujet psychologique et d'un objet particu-
lier. Pour pallier à cette insuffisance, nous proposons, en
guise d'hypothèse, une deuxième lecture des conduites expéri-
mentales dans une approche fonctionnelle; ce modèle hypothé-
tique est destiné à faire ressortir le~ différentes significa-
tions fonctionnelles que peut prendre un mène résultat structural.
II - L'APPROCHE FONCTIONNELLE
Dans la distinction des étapes de la construction du
modèle expérimental, nous avons situé les sujets sur une
échelle à trois niveaux suivant leurs performances, la réussite
de l'épreuve coïncidant avec l'étape 3. En réalité, les choses
ne se pas~ent pas aussi simplement, puisque le sujet qui se
trouve à l'étape 3 dans une épreuve peut bien se classer à
l'étape 2 dans une autre. Cela signifie que fournir la bonne
performance dans une épreuve particulière dans un lot d'épreuves
équivalentes, ne correspond pas forcément à l'actualisation
d'opérations de même niveau.
Le déve~oppement
des opérations intellectuelles
- 533 -
procède de la représentation. Or se représenter un objet
signifie deux choses sur le olan du fonctionnement cognitif
d'abord cela signifie le situer par rapport aux connaissances,
aux contenus stockés dans le processus de réalisation; cela
signifie ensuite l'appréhender à 1 laide d'opérations consé-
quentes en vue d'atteindre un résultat précis. Il se trouve
que situer un objet par rapport aux connaissances antérieures
relève du processus d'attribution de signification indispen-
sable au démarrage de l'activité cognitive. L'attribution de
signification à l'objet, ou en d'autres termes sa sémantisa-
tion, le rend "f am i l i er-" ou linon f ami l t e r " au sujet et solli-
cite l'intervention des instruments intellectuels adéquats.
Si la démarche investigatrice présidant à la
séparation des opérations et des contenus ne pose pas de pro-
blèmes particuliers du point de vue de l'épistémologie géné-
tique, sauf celui des décalages, elle en soulève par contre
sur le terrain de la psychologie
car le fonctionnement de
l'intelligence opératoire dans une situation concrète dépend
de la qualité et de la variété des contenus stockés, activés
par des stimuli externes et réutilisés. ('est aux moyens de
ceux-ci que le sujet construit le modèle d'appréhension de la
situation. Le modèle en tant qu'intermédiaire entre le réel
et la pensée exprime clairement la relation interactive du
sujet et de l'objet.
La régulation de l'activité cognitive suppose ce va-et-vient
· 534 -
entre les instruments intellectuels, les connaissances des
sujets et les propriétés de l'objet. Si les connaissances
actuelles de celui-ci ne lui permettent pas d'identifier
quelques propriétés de celui-là, le traitement opératoire
reste bloqué, même si les opérations sont disponibles. C'est
pourquoi nous nous référons au modèle d'Ackermann-Valladao
pour la pertinence de l'analyse qu'il comporte quant à la
coordination des connaissances et des opérations dans un con-
texte donné (1). L'auteur caractérise le modèle du sujet par
son degré de formation (structuration) et par son deqré
d1adéquation (applicabilité)
à la tâche. Si nous attribuons
différentes valeurs à ces variables, nous constatons qu'une
même conduite peut recevoir des interprétations fonctionnelles
multiples. A titre d'exemple, caractérisons le degré de struc-
turation du modèle expérimental par deux valeurs (modèle non
formé et modèle formé) et le degré d'applicabilité par deux
valeurs (modèle adéquat et modèle non adéquat). Le croisement
des deux dimensions dans une table à double entrée donne qua-
tre possibilités de fonctionnement
(1) E. ACKERMANN-VALLADAO et al J Formation et actualisation des modèles
du sujet en situation de résolution de problèmes. Archives de Psycho-
logie, 1983, 51, 61-70.
-
535 -
Degré de structuration
Modèle non
Modèle
Degré d'applicabilité
formé
formé
Modèle non adéquat
1
3
Modèle adéquat
2
4
Parmi les quatre cas de fonctionnement possibles~ les cas 1 et
4 sont conformes aux implications de l 'hypothèse structurale.
Les deux autres cas (2 et 3) posent problème. Une analyse de
ces quatre cas s'avère indispensable pour mettre en évidence
l'apport de l'approche fonctionnelle.
a) Les cas 1 et 4
Il s'agit de deux cas cohérents au regard du modèle
structural ~ car si le schéma général du fonctionnement cogni-
tif ne révélait que ces deux possibilités, alors le degré de
,
structuration des opérations coinciderait avec leur degré
d'applicabilité à toute tâche.
-- Le cas 1. Le modèle est non adéquat à la tâche parce qu'il
n'est pas formé; ce qui est conforme à toute logique. L'échec
aux trois épreuves expérimentales est général
(patt2rrs de ré-
ponses 222). Les adolescents relevant de ce cas (N = 119 dont
53 urbains et 66 ruraux) ne disposent pas d'outils intellec-
tuels capables de supporter le raisonnement expérimental. Le
- 536 -
modèle structural suffit à expliquer leurs conduites.
-- Le cas 4 : Lorsque le modèle est formé et adéquat, le
sujet résoud facilement l~ problème et manifeste des conduites
d'une grande cohérence
Il anticipe toujours les transformations à effectuer pour
atteindre le but.
- Il respecte les contraintes de la consigne au cours de son
travail, ce qui
permet d'opérer uniquement des transforma-
tions admises.
- L'efficacité de son action développe chez lui un sentiment
de ma'trise et de domination du problème.
Il ne fait aucun doute que l'ensemble de ces con-
duites se fonde sur une représentation claire de la situation.
Le sujet se montre capable de planifier son action grâce à
une bonne différenciation et coordination des buts et des
moyens.Le modèle exerce un contrôle descendant sur les con-
duites de résolution.
Il n'y a pas de véritable problème pour
le sujet puisque le cadre conceptuel actuel suffit à le ré-
soudre sans rencontrer de difficultés majeures.
Du point de vue des cognitivistes, les sujets du cas 4 se
comportent comme des experts (Simon, 1982) (1). Dans la théo-
rie piagétienne, ce niveau de compétence est l'expression
(1) SIMON, H.A., Cognitive process : Experts and novices. Cahiers de la
Fondation, Archives J. Piaget, 1982, N° 2-3, 155-178.
- 537 -
d'un sujet épistémique parvenu à un développement intellectuel
caractérisé par la fermeture de la structure. Clest la phase
d'achèvement du stade définie par la structuration de tous
les cheminements cognitifs possibles. Il correspond en termes
fonctionnels à l'étape 6 de l'équilibration (Piaget, 1976) et
regroupe 68 sujets de notre étude, dont 38 urbains et 30 ru-
raux.
Examinons maintenant les cas problèmes, les cas 2 et 3 qui
échappent à l'explication de la théorie structurale.
-- Le cas 2
Le sujet n'a pas encore construit les opérations
nécessaires à la résolution de la tâche, mais il réussit
quand même, comme slil appliquait un modèle adéquat. On peut
par hypothèse, rendre compte de cette performance par le degré
de familiarité de la tâche pour le sujet. Il a certainement
l 'habitude de travailler dans ce secteur d'activité; ce qui
l'amène à réussir sans comprendre, usant du processus de réa-
lisation. L'individu travaille efficacement sans dépenser
beaucoup d'énergie mentale. Mais le seul problème à résoudre
est celui de l'identification des conduites de succès qui
relèvent du cas 2. A partir de quel critère peut-on dire d'un
individu qui a réussi à une épreuve expérimentale que son mo-
dèle n'est pas encore formé?
-- Le cas 3
indique que. le modèle du sujet est formé
il
- 538 -
doit en principe être capable de traiter la tâche puisqulelle
correspond à son niveau opératoire; malgré cela, le modèle
est non adéquat. Dire que le modèle est formé et non adéquat,
c'est imaginer que l Ion peut disposer des instruments cogni-
tifs nécessaires à la résolution d'un problème sans pour
autant être capable de les actualiser dans un contexte parti-
culier. Ce comportement révèle que le modèle du sujet a été
construit dans des contextes antérieurs pour lesquels il était
adéquat. Les conduites des individus de ce niveau sont variées:
Blocage et arrêt de l'activité accompagnés d'une attitude
de réflexion comme si le sujet faisait le point de ses
connaissances par rapport aux contraintes de la situation.
Abandon de la première manipulation et passage à une autre;
le sujet n'informe pas llexpérimentateur de ce changement,
mais donne l'impression de vérifier les effets de l'appli-
cation de quelques procédures.
Changement conscient de stratégie; la non pertinence du
modèle initial amène le sujet à modifier sa stratégie en
construisant un modèle différent du premier.
Les sujets de la présente étape ont le sentiment d'avoir les
connaissances requises pour traiter la tâche. Mais ils n'ar-
rivent
pas encore à ajuster leurs représentations avec les
contraintes de la situation qui apparait peu familière.
Llévolution ne sera possible que si le sujet prend conscience
- 539 -
de l'impasse et analyse les feed-back négatifs reçus à partir
de son action sur l'objet. Une possibilité s'offre à lui pour
dépasser le cadre actuel
: former un nouveau modèle pertinent
par abandon ou rectification du modèle initiatl. Comment y
parvient-il? Dans l'interaction du sujet -et-de l'objet,
lorsque
le modèle ne contient pas suffisamment d'information pour
résoudre un problème, il peut être informé par l'objet au
terme de l'activité exploratoire: c'est l.'heuristique "faire
parler l'objet" consistant à utiliser celui-ci comme support
extérieur pour y "faire apparaître des propriétés, relations,
configurations que le sujet peut reconnaître" (1), bien qu'il
soit incapable de les produire. Une deuxième heuristique con-
siste à "faire parler le modèle", c'est-à-dire à contrôler
l'enchaînement des procédures de réalisation dans le modèle.
Ces deux heuristiques peuvent être remplacées par un processus
que Boder (1982) appelle "l'effet secondaire" : à la suite
d'un résultat inattendu de l'action sur l'objet, une nouvelle
signification est attribuée à l'action ou à l 'objet et un
nouveau cadre de représentation est évoqué.
Dans leur e ns emb l e , les conduites relatives au cas 3 impl iquent
un contrôle de type descendant, allant des représentations du
sujet vers son activité. Mais ce contrôle doit générer des
informations ascendantes capables d'amener le sujet à mooifier
(])
E. ACKERM4NN-VALLADAO, op. cit., 1981, p. 27.
'- 540 -
la représentation première. Le succès est à ce prix. Les con-
duites observées relèvent de 1 'étape ~ ou m de T' qui l ibra-
é
tion.
La description des conduites relatives au modèle formé et non
adéquat correspond dans notre approche génétique, à l'étape
de modèle expérimental en.f or ma t i on . Ici, le modèle expérimen-
tal est adéquat pour certaines épreuves et non adéquat pour
d'autres.
Nous ne terminerons pas la présentation des conduites
expérimentales dans le cadre structuro-fonctionnel sans insis-
ter particulièrement sur l'intérêt de cette nouvelle lecture
des données.
III - INTERET D'UNE LECTURE STRUCTURO-FONCTIONNELLE
DES DONNEES
L'analyse fonctionnelle montre que sous une même
apparence structurale se cache une multitude de procédures.
Décrire les conduites intellectuelles sous le seul aspect
structural, clest faire abstraction de toutes les trajectoires
possibles que peut emprunter l'enfant d'un stade donné pour
traiter une tâche. L'approche fonctionnelle enrichit donc
1 lapproche structurale et ouvre de nouvelles perspectives
elle permet de réinterprèter la notion de décalage d'une part
- 541 -
elle constitue d'autre part un moyen efficace d'analyse des
processus cognitifs intervenant dans la microgenèse des opé-
rations et des connaissances.
1 - LA NOTION DE DECALAGE
L'hypothèse centrale de la théorie structurale~
c'est de postuler que le sujet épistémique d'un stade donné
réussit toutes les épreuves de ce stade et des stades infé-
rieurs. Le développement intellectuel serait alors marqué par
une homogénéité par équivalence intrastade et une homogénéité
par implication interstade (Longeot~ 1978). Dans ces condi-
tions les décalages observés dans l'acquisition des notions
(décalages horizontaux~ décalages verticaux) remettent en
question la notion même de stade. Piaget tente de les expliquer
par la résistance de l'objet aux schèmes d'assimilation du
sujet: ainsi les objets discrets utilisés aux fins d'induire
les opérations logico-mathématiques seraient moins résistants
que les objets physiques et spatio-temporels.
L'analyse fonctionnelle apporte une nuance à l'interprétation
piagétienne ; car le niveau d'opérativité du sujet dépend de
la nature des contenus élaborés et stockés dans le processus
de réalisation. Lorsque l'éducation se déroule dans des situa-
tions adaptatives réelles~ l'enfant dispose d'une variété de
contenus physiques relatifs aux objets de son environnement.
Les objets physiques susciteront chez lui~ une meilleure
- 542 -
représentation. En revanche, la formation de l'enfant dans
une éducation formelle a pour conséquence de le dégaqer du
cadre de l'activité concrète sur des objets réels, de lui ap-
prendre à travailler sur ceux-ci par l'intermédiaire des signes,
des modèles; il en résulte le développement d'une variété de
contenus sémiotiques adaptés à la structuration des
situations
discrètes qui sont elles-mêmes semblables aux situations d'ap-
prentissage formel.
Il va sans dire que le degré d'applicabilité des connaissances
à un contexte particulier dépend de l'exercice qui détermine
la famil iarité de l'interaction "sujet-objet". Le problème de
l'utilisation des contenus et des opérations dépasse donc le
cadre de la simple acquisition des structures opératoires
car le fonctionnement de celles-ci se situe dans un univers
chargé de signification (référentiels sémantiques, instrumen-
taux dans lesquels sont inscrits les objets). Une situation
problématique apparemment abordable peut s'avérer difficile
pour le sujet s'il ne parvient pas à la sémantiser parce que
non familière.
L'hypothèse de Piaget (1966) cherchant à établir une relation
entre la formation de certaines opérations et la spécialisa-
tion professionnelle se justifierait à l'intérieur du cadre
fonctionnel. En effet, il est possible que les individus at-
teignent les niveaux de pensée les plus élevés dans le domaine
de leurs activités professionnelles. Cette conception suggère
- 543 -
l'idée d'un développement sectoriel par "construction locales"
ou "vallées de c ons t r uc t i on " (Dasen et al.
1983), en fonction
de la nature des contenus qui participent à la formation du
modèle opératoire. Le travail de Boubacar (Niger, 1980) corro-
bore ce point de vue. L'auteur montre comment la réussite aux
notions de conservation dépend de la spécial isation profes-
sionnelle des familles:
les enfants des potiers réussissent
mieux la conservation de la substance que ceux des éléveurs
qui, à leur tour l'emportent à la conservation des liquides
sur les premiers. Il en est de même des petits commerçants qui
ont une meilleure maîtrise des quantités discontinues. La même
observation peut être faite à propos de l'étude sur l'intel-
ligence sensori-motrice chez l'enfant baoulé (Côte d'Ivoire,
1974), réalisée par l'équipe de B. INHELDER. Compte tenu des
caractéristiques des objets de leur milieu socio-culturel ,les
enfants baoulé réussissent mieux les épreuves de Tube-Râteau
et de Tube-chaîne que celles de l'exploration et des rapports.
Les auteurs se réfèrent à la particularité des objets à mani-
puler pour rendre compte des avances ou des retards. En consi-
dérant ici les retards seulement, il semble que ce soit la non
familiarité des situations proposées dans l'expérience qui
bloque la mise en oeuvre de schèmes adéquats.
Les décalages jalonnent donc tout le développement,
mais ils revêtent une importance particulière pendant la pé-
riode opératoire grâce à l'influence que le mil ieu socio-
culturel exerce sur la représentation par la médiation des
,~;~,
,~
- 544 -
:#'
langages. Plus les apprentissages sont informels, pJus la
représentation figurale est sollicitée pour la modélisation
de l'activité cognitive; et plus la capacité du sujet à ap-
pliquer l'action directe aux situations matérielles (donc
résistants) se développe et s'oriente vers une logique pragma-
tique. Les propositions corrélatives sont aussi vraies: Plus
l'apprentissage se déroule en situation formelle, plus la
représentation conceptuelle est sollicitée. La formation des
opérations en dehors des situations matérielles auxquelles
elles devraient en principe pouvoir s'appliquer impose au sujet
une reconstruction de ses connaissances dans le sens d'une
accommodation optimale à l'objet. La logique formelle prend le
relais de la logique pragmatique.
Il est donc normal que des décalages apparaissent chez les
sujets "pragmatiques" soumis aux épreuves soutenues par un ma-
tériel discret, et chez les sujets "f or me l s " lors d'épreuves
portant sur un matériel physique ou s pa t i o t ernp or e l . Les déca-
s
lages s'expliquent à la fois par le degré de formation des
opérations et par leur degré d'adéquation à la tâche. Dans
l'interaction "s uj e tvob j e t ? ,
le degré de formation des opéra-
tions relève du niveau d'opérativité du sujet; par contre le
degré d'adéquation à la tâche dépend plutôt de la nature des
situations, de la familiarité qu'elles présentent Dour le
sujet. La performance expérimentale résulte non seulement des
structures opératoires, mais aussi de la sémantisation des
objets dans le cadre de l'élaboration d'un modèle hypothétique
- 545 -
capable d'organiser, de guider et de contrôler l'activité
intellectuelle.
En plus de la nouvelle lecture des décalages qu'elle véhicule
l'approche structuro-fonctionnelle propose une compréhension
renovée de la microgenèse des connaissances (instruments co-
gnitifs et contenus).
2 - LA MICROGENESE DES CONNAISSANCES
Dans le schéma du degré de structuration du modèle
et de son degré d'applicabilité à la tâche, nous avons évoqué
quatre possibilités de fonctionnement dont certaines sont ins-~
tructives pour l'étude de la microgenèse des conduites, notam-
ment le cas 3, ctest-à-dire le cas nécessitant une véritable
reconstruction des connaissances en fonction des contraintes
de la tâche. Les autres cas (1, 2, 4) ne sont pas pertinents.
En effet, le cas 1 correspondant à la non formation et à la
non adéquation du modèle expérimental et le cas 4 caractéris-
tique d'une conduite d'expert ne requièrent pas une véritable
réorganisation des connaissances dans l ·optique du but visé
parce que trop difficile ou trop facile à atteindre. Le cas 2
n'entraine pas de construction non plus dans la mesure où le
sujet réussit avec un modèle non formé parce ~u'il utilise
des schèmes familiers. En revanche le cas 3 présente la con-
duite d'un sujet en acte, en train de réélaborer les connais-
sances acquises en vue d'appréhender un objet problématique.
546 -
:i
Il n'en maîtrise pas tous les contours, mais cherche, applique
son modèle de base, le modifie en cas de non adéquation par
l'utilisation des heuristiques "faire parler l'objet" ou
"f a i r e parler le modèle".
Il s'en suit une amélioration pro-
gressive du modèle dont l'application peut éventuellement
conduire au succès.
Noter le niveau de performance expérimentale atteint sans se
préoccuper de savoir comment on y parvient, c'est supooser
que l'élève peut émettre des hypothèses, en tirer les consé-
quences nécessaires sans connaissances antérieures. Or le
propre de tout modèle hypothétique clest d'articuler les
connaissances sur les propriétés d'un objet précis et signi-
fiant.
Plus que la macrogenèse, clest la microgenèse qui
informe sur le développe~ent progressif du savoir. Les études
sur l'apprentissage des structures logiques (INHELDER et al
1974) ont révélé le rôle du conflit dans l'élargissement du
champ cognitif de l'individu.
Il se trouve que la prise de
conscience de ce conflit suppose la mise en oeuvre d'une com-
pétence minimale (opérations et contenus) sans laquelle la
perturbation n'est pas perçue; cette compétence de base ali-
mente l'élaboration des représentations nouvelles, des modèles
hypothétiques susceptibles de surmonter le conflit par la
construction de concepts intégrateurs et majorants.
La notion de microgenèse s'avère pertinente pour la descrip-
tion des aspects processue1s de la pensée. Elle révèle, d'une
- 547 -
part, le dynamisme du processus d'actualisation des connais-
sances dans un contexte particulier. Jusqu'à nrésent, on at-
tribuait cette propriété essentiellement aux opérations,
la
structuration des tâches allant de soi lorsqu'on a formé les
structures opératoires requises. En réalité, les choses pro-
cèdent autrement; car l'activité de traitement des
tâches
requiert l'utilisation de connaissances antérieures (opéra-
tions et contenus) en fonction d'un but nouveau. La notion
de microgenèse informe, d'autre part, sur la variété des pro-
cédures que le sujet emploie pour produire une performance.
Ces procédures indiquent que l'utilisation des connaissances
emprunte une multitude de voies, des plus économiques aux
plus coûteuses. La vitesse d'exécution d'une tâche et la ~ré
cision dépendront alors des voies sélectionnées, des modes de
représentation privilégiés.
L'hypothèse suivant laquelle la pensée naturelle comporte
deux processus, la réalisation et la formalisation semble se
confirmer (Reuchlin, 1973). L'intelligence sensori-motrice
est à dominance réalisatrice; elle élabore des schèmes (es-
quisse de formalisation) qui passent rapidement sous le con-
trôle de la réalisation sous forme de contenus schématiques.
L'intelligence représentationnelle est à dpminance formalisa-
trice ; elle génère des opérations et des contenus sémioti-
ques.
L'évocation des connaissances dans
le
développement d' une
représentation
coordonne
toujours
les
deux
processus en
- 548 -
tant qu'opérations et contenus permettant la sémantisation
des tâches et l'intégration des propriétés de celles-ci au
modèle du sujet. L'analogie du processus de formalisation avec
le logiciel
(mémoire morte) et de réalisation avec la mémoire
vive d'ordinateur pourrait être retenue. L'efficacité du
logiciel dépend de l'étendue des informations en mémoire, des
contenus disponibles en tant que significations. Ainsi la
diminution des décalages pendant la phase d~achèvement des
stades s'expliquerait à la fois par le nombre d'opérations
construites et par la variété des contenus structurés par
l'école à travers l'enseignement des disciplines. La familia-
rité des situations expérimentales pour l'élève proviendront de
la variété des contenus disciplinaires par rapport auxquels
il catégorise l'objet d'étude. Là où l'éducation n'a pas dé-
veloppé les apprentissages formels, la restriction des conte-
nuS due à l'ampleur des activités reproductrices limite la
constructivité opératoire, la transférabilité à d'autres con-
textes, des opérations et des contenus élaborés dans des
domaines spécialisés. La variabilité intraindividuelle des
performances aux différentes épreuves expérimentales se com-
prend replacée dans le cadre d'une théorie structura-fonctionnelle
du développement cognitif prenant en compte la double déter-
mination de toute conduite: une détermination interne et
externe, subjective et objective, individuelle et sociale.
Cette conception des choses nous autorise à regarder du côté
de l'école, de l'instruction formelle qu'elle dispense, des
- 549 -
moyens de représentation du réel qu'elle met en jeu pour voir
si sa contribution n'est pas décisive quant au dévelopDement
de la pensée formelle et du raisonnement expérimental.
- 550 -
CHAPITRE XII
CONTRIBUTION A L'ETUDE DE LA PENSEE FORMELLE
ET DU RAISONMEMENT EXPERIME~TAL EN MILIEU
AFRICAIN.
Quelles sont les idées maîtresses qui se déqa~ent
de l'étude du raisonnement expérimental en milieu africain
par rapport à notre corps d'hypothèses? L'école est-elle
vraiment le mil ieu le plus favorable à l'éclosion de la pen-
sée formelle et de la démarche expérimentale? Si oui quels
sont les ressorts de son action?
Notre contribution comportera trois volets: le premier est
consacré à l'élaboration générale des résultats en fonction
des hypothèses de base; le deuxième consiste en un essai de
dépassement visant à éclairer les résultats actuels par la
mise au point d'un modèle de régulation de l'activité cogni-
tive ; et enfin le troisième propose une lecture de quelques
travaux antérieurs, notamment ceux portant sur les styles
cognitifs à la lumière du modèle de régulation de l'activité
cognitive.
1 - MILIEU SCOLAIRE ET DEVELOPPEMENT COGNITI~
Dans notre étude, la spécification du rôle de l'é-
cole a été faite par l'intermédiaire de deux hypothèses se-
condaires. La première nous a conduit à exploiter l'influence
du niveau scolaire sur le développement du raisonnement
- 551 -
expérimental dans la oériode sensible de 1 lacquisition de la
pensée formelle. Dans la tranche d1âge de 12-16 ans, le ni-
veau scolaire est plus différenciateur que 1 lâ~e (les KHI-2
calculés ne sont pas significatifs, mais les performances
des élèves sont orientées, les niveaux supérieurs l'emportant
toujours sur les niveaux inférieurs à âge égal). Ce constat
indique que le niveau scolaire accroit les caoacités de for-
ma1isation de l'élève et l'équipe sur le plan coqnitif pour
l'actua1 isation du raisonnement expérimental.
La deuxième hypothèse secondaire se préoccuoe de savoir s'il
existe un seul processus de pensée ou des processus de pensée
en interaction constante et fonctionnant de façon a1ternati-
..
.'
'
vement dominante suivant les caractères du milieu socio-
éducatif et la nature des activités cognitives sollicitées
chez le sujet. Au lieu d'enquêter sur un échantillon d'ado-
1escents ruraux non scolarisés et encore en développement,
nous avons centré la vérification de cette hypothèse sur un
échantillon d'adultes ruraux non scolarisés pour la bonne
raison que leur déve100pement est achevé et qu'ils fonction-
nent de façon exclusive dans les pratiques socio-cu1ture11es
traditionnelles. Le problème est de savoir si ces adultes
présentent quelques particularités cognitives par rapport à
la pensée formelle. Cette démarche méthodologique vise à
répérer les modèles de connaissance propres au milieu tradi-
tionnel, s'ils existent, et à déterminer dans quelles
situations d1apprentissage ils se forment.
.':.
- 552 -
La vérification de l 'hypothèse secondaire deux nous a permis
d'observer que les adultes ruraux manifestent une démarche
expériencée différente de la démarche expérimentale. Celle-
ci n'est pas "atemporelle" et "aspatiale" comme celle-là
car elle se développe dans un contexte spatio-temporel donné
..
-c..
ce qui
limite son application aux domaines connus. Le rai-
sonnement expériencé n'est pas
le produit de la loqique
formelle, mais celui du processus de réalisation et de la
logique pragmatique. L'organisation des données en blocs
unitaires d'information avec une composante contextuelle
principale et des composantes contextuelles périphériques
constitue le moyen de codage et de conservation de l'infor-
mation caractéristique de ce processus. La représentation
fig ura l e 0 uvr e cet tep 0 s s i b i lit é des toc ka 9e de l ' i nf 0 ma t ion
et permet de l'évoquer de façon immédiate pour la résolution
d'un problème.
Le milieu scolaire apparaît donc comme le milieu le plus fa-
vorable au développement du processus de formalisation et du
raisonnement expérimental, tandis que le milieu traditionnel
(non scolaire) se montre plutôt favorable au développement
du processus de réalisation et du raisonnement expériencé.
Le raisonnement expérimental et le raisonnement expériencé
procèdent tous deux de la démarche hypothético-déductive,
mais diffèrent par la méthode d'approche de l 'objet. Dans le
cas du raisonnement expérimental, l'util i s a t i on d 'une appro-
che analytique conduit au principe de la dissociation des
. j.~
-
553
-
facteurs, entraîne une nette circonscription de la structure
de l'objet et des liens qui unissent ses différents éléments.
Cette connaissance détaillée permet d'accéder objectivement
-,?"
à
l'imputation causale. 0uant au raisonnement expériencé, il
s'appuie sur une approche globale conforme à la nature des
.
,
i- .
:....
objets tels qu'ils se présentent à la perception immédiate.
t ~::~:~~.:
z .
-;-
?'~' ~ :.. ;.
Les imputations causales s'organisent dans le temps en fonc-
tion des régularités constantes observées dans l'apoarition
....
consécutive de deux phénomènes naturels. Le raisonnement
expériencé consiste en un effort d'élaboration cohérente et
.:..:
de schématisation de l'expérience vécue.
!. -
'"
"
Si la formation scolaire développe de façon domi-
nante le processus de formalisation et la formation tradi-
. , .....
~,
tionnelle, le processus de réal isation, il convient d'en
rechercher l'explication dans les variables qui à première
vue les départagent: d'une part, l'instruction formelle et
d'autre part, la décontextual isation de l'action nécessitant
sa réélaboration sur le plan de la représentation.
, - LI INSTRUCTION FORMELLE
L'interprétation de la variable "instruction for-
melle" ne peut se faire indépendamment d'une théorie de la
connaissance et d'une conception du psychisme. Comment l' in-
dividu acquiert-il des connaissances? Cette question peut
recevoir trois types de réponses à l'intérieur de trois
théories psychologiques.
- 554 -
La première théorie communément dénommée " e mpiriste" voit la
supériorité du milieu scolaire à développer le raisonnement
expérimental dans sa capacité à fournir aux élèves des mo-
.;,~ '...
"
dèles de connaissance qui y conduisent. Ceux-ci n'auraient
>~ ,
plus qu'à conserver des copies de ceux-là en mémoire et qu'à
les appliquer dans des situations voisines par association.
Si la connaissance s'élaborait réellement ainsi, tous les
élèves dotés d'organes de sens comparables devraient appren-
dre à un rythme donné les mêmes situations; ce qui n1est
\\ ...
pas le cas; et nous n'y insistons pas puisque la théorie
. ".,
empiriste n'est plus d'actualité du point de vue épistémolo-
gique.
La deuxième théorie initiée par les psychologues russes
(Luria,1961
; Vygotsky, 1962 ; Landa, 1966 ; Ga'lpérine, 1966),
assigne un rôle décisif à l'instruction scolaire. Conformé-
, ,
ment à la théorie du réflet, car clest de celle-là qu'il
t .~
s'agit, le modèle de l'action cognitive se trouve dans 1 1_
t- .
"objet"
et l 'objectif de l'instruction scolaire consiste à
entraîner l'élève à construire en " réflet" la série des ac-
t ion s qui pe r met des' a ppro prie r cet 0 bjet. Led vel
é
0 ppeme nt
intellectuel se fait dans le sens d'une appropriation des
"objets" représentatifs de la société du moment ~râce à la
\\.
maîtrise des instruments cognitifs nécessaires à la cons-
'-1
~
i
truction "d'algorithmes pour le sujet". Ainsi l'instruction
scolaire serait la source des progrès cognitifs constatés
: ."
,
.."
. '/
chez les élèves.
i
r
-. ~. .
(~~ ~~;;
-
555
-
Les travaux réalisés par Greenfield et Ol ve r en milieu afri-
cain (Sénégal, 1966) s'inspirent en partie de cette base
théorique pour rendre compte
des transformations intellec-
tuelles opérées chez les élèves par l'instruction scolaire,
comparés aux enfants non scolarisés. En se référant aux
travaux de Vygotsky (1962)~ les auteurs affirment que l'ins-
truction formelle, par la pratique de la langue, en classe,
en dehors du contexte et des référents immédiats de l'action
et de la perception, dans l'écriture et le langage parlé,
serait responsable du développement de la pensée abstraite
chez l'élève africain. Comme il
se trouve que les langues
d'apprentissage scolaire sont généralement des langues étran-
gères (l'Anglais ou le Français), ils prétendent que l'uti-
lisation régulière de celles-ci constitue un atout décisif
pour l'accession à l'intelligence conceptuelle. La démons-
tration aurait été plus convaincante si les auteurs avaient
examiné les conduites intellectuelles d'élèves instruits dans
une langue africaine comme cela se passe présentement en
TANZANIE avec le SWAHILI. Mais de tels élèves n'étaient ~as
disponibles à l'époque de la recherche (1966).
La théorie du réflet place donc le processus d'en-
seignement au point de départ du développement cognitif. Le
travail de E. FISCHBEIN et al.
t 1974) sur
l'acquisition des
stratégies
expérimentales
par les
adolescents
roumains
contribue à la confirmation de cette position théorique. Le
corps des hypothèses comporte deux idées
essentielles
qui
sont les suivantes: a) les disponibilités de
l'adolescent
-
556
-
en ce qui concerne le raisonnement hypothético-déductif ne
sont pas suffisantes pour lui donner la possibilité de réa-
liser une démarche expérimentale authentique. On doit y
ajouter un ensemble de stratégies mentales et pratiques qui
incluent les procédés de "feed-back" et qui ne peuvent se
former que par un exercice approprié, destiné à mettre en
va l eu r ce s s c hèmes gé né ra ux dans une s i tua t i 0 ne xpér i me nta le
concrète; b) cet exercice doit être commencé dans les pé-
riodes de formation de la pensée, dans la période des opé-
rations concrètes ou le plus tard dans l'adolescence.
L'expérience réalisée à l laide d'un modèle expé-
ri~ental constitué de circuits électriques figurant les
opérations logiques fonda~entales (conjonction, disjonction,
négation, implication) confirme les hypothèses. Les auteurs
concluent
"
Les schèmes intellectuels caractérisant
la pensée formelle (surtout la combinatoire et le raisonne-
ment hypothético-déductif) ne constituent que des virtualités
quant à leur util isation dans une situation expérimentale
réelle, par les adolescents. Pour qu'ils puissent intervenir
d'une manière efficace, dans une telle situation, un exercice
approprié est nécessaire. A l'aide d'un tel exercice l'ado-
lescent arrive non seulement à émettre et ~ inventorier des
hypothèses plausibles mais bien aussi ~ les utiliser prati-
quement dans une stratégie expérimentale efficace" (1).
(1) E. FISCHBEIN, I. MANZAT, ILEANA BARBAT, L'acquisition des stratégies
expé~imentales pa~ les adolescents, Rev. Roum. Sci. Sociales, Sé~ie
Psychologie, 18, 2, p. 148, 1974, B~UCaI'e8t.
:.,
- 557 -
A première vue, on pourrait croire que la théorie du réflet
et les travaux qui tentent de la valider, ouvrent une voie
d'explication possible des conduites intellectuelles rele-
vées dans les cultures négro-africaines traditionnelles. Si
les conduites expérimentales n'y sont pas actualisées comme
on le souhaiterait parce que seulement virtuelles, on peut
.....
.~
les développer par une éducation appropriée et systématique
.:~ ._
'. -,i
à partir d'une volonté politique. L'élevation des compéten-
ces expérimentales des élèves en rapport avec les Dro~rès
dans les niveaux de scolarité, témoignerait du bien fondé de
ce cadre interprétatif.
Mais ce cadre comporte deux difficultés d'ordre théorique.
D'abord, il n'explique pas pourquoi les élèves soumis aux
mêmes pratiques éducatives ne parviennent pas tous aux mêmes
résultats en classe ou dans les épreuves opératoires; en-
suite, il ne rend pas compte des dépassements, c'est-à-dire
de ce qui fait que l'élève sait toujours plus qu'on ne lui
apprend. Il faut admettre que 11 hypothèse du réflet majore
excessivement l t i mpo r t an ce de l t t ns t r uc t i o n scolaire cians le
développement intellectuel de l'enfant. Elle n'insiste pas
suffisamment sur les coordinations intra-individuelles des
actions qui sont capables de créer des nouveautés par rap-
port aux acquis antérieurs.
Ces remarques nous autorisent à examiner une troi-
sième théorie qui fait de l'instruction scolaire une condi-
\\~i~~
_':l:4~
- 558 -
tian favorable du développement intellectuel. Mais les
progrès réalisés obéissent à des lois psychologiques qui
leur sont propres. La mise en valeur de schèmes oDératoires
de plus en plus complexes et leur coordination en structures
relèvent de l'activité du sujet et non de la seule instruc-
tion. Ce point de vue défendu par les piagétiens, reconnaît
une influence indirecte de l'instruction sur le rythme de
formation des outils cognitifs sous forme d'ingrédients in-
tellectuels à assimiler, de prises de conscience fréquentes
des démarches à mettre en place dans le traitement d'une
t âche. Les mil i eux cul tu rel s qui ne pro po sen t pas ces i n9ré-
dients à leurs partenaires co~me les mil ieux africains tra-
ditionnels, exerceraient une influence inhibitrice sur le
développement. Clest ainsi J. Piaget et B. Inhel der écr-ivent
IILa constitution des structures formelles dépend aussi du
milieu social. L'âge de 11-12 ans qui caractérise ces débuts
dans nos sociétés est sans doute très relatif, puisque la
logique des sociétés dites primitives semble ignorer de
telles structures et que celles-ci ont une histoire liée à
l'évolution de la culture et des représentations collectives
autant qu'une histoire ontogénétique
. . . . L'âge actuel de
11-12 ans serait donc, en plus des facteurs neurologiques,
le produit d'une accélération progressive du développe~ent
individuel sous L' t nf l ue nce de l'éducation et rien n'exclut
que dans un avenir plus ou moins éloigné, cet âge moyen ne
-
559
soit encore diminué." (1)
L'idée de l'ignorance des structures formelles dans les so-
ciétés traditionnelles aurait dû inciter les auteurs à reposer
le problème de la composition de la pensée naturelle; ne
comporterait-elle pas un autre processus structurant diffé-
rent du processus de formalisation, et en oeuvre de façon
dominante dans les activités intellectuelles des populations
concernées? L'hypothèse de l'existence d'un second processus,
celui de la réalisation dans la pensée naturelle ne signifie
nullement qu'aucune opération formelle ne fonctionne dans
les sociétés traditionnelles. L'examen attentif du déroule-
ment discursif des palabres africaines met en évidence
l'utilisation régulière de l'opération d'implication dans
le cadre de la logique déontique reglée par les normes so-
ciales et non plus seulement par la vérité formelle des
propositions: les conséquences tirées des prémisses ne sont
démonstratives que référées à ce qui est socialement admis-
sible. De même l'analyse des séquences du jeu de l'Awalé
montre comment les joueurs coordonnent les buts et les moyens
en vue de développer des stratégies: ces conduites straté-
giques ne sont possibles que grâce au maniement permanent de
l'opération d'implication permettant de déduire les consé-
quences des stratégies de l'adversaire et de les contrer en
posant les siennes propres.
(1) B. INHELDER et J. PIAGET, De la logique de l'enfant à la logique de
l'adolescent, Pari8, P.U.F., 1970, p. 300.
-
560 -
Une a ut r e r e ma r que rel a t ive à l' a bsen c e de l a pen sée forme 11 e
en milieux traditionnels renvoie aux notions de virtual ité,
de potentialité. Le fait de nly avoir pas observé les mani-
festations de la pensée formelle traduit-il une incapacité
des sujets à assimiler celle-ci? Sinon, il
faut, dans le
cadre de la théorie interactionniste, situer le déveloDpement
dans une relation d'échange permanent entre un sujet actif
et un milieu plus ou moins favorable. Mais faudrait-il en-
cor e pré c i s e r dan s que l lem e sur e un mil i eue s t plu sou mo i ns
favorable au développement, et au développement de quels
processus ?
Nous disons que le milieu scolaire est favorable au dévelop-
-p e me nt
de la pensée f or-me l l e et du raisonnement expérimental
grâce à l'instruction qu'il dispense et dont l'assimilation
approvisionne la pensée de l lélève en contenus sémiotiques
variés. Ce sont ces contenus qui alimentent le orocessus de
réalisation en tant que connaiss~nces et vont intervenir
dan s lia c t i vit é de m0 dé lis a t ion l 0 r s que les ujet do i t ré sau-
dre un problème. La démarche consiste dans un premier temps,
à mobiliser les données pertinentes de
l'exoérience anté-
rieure pour identifier le problème, lui donner un sens afin
de déterminer dans un second temps les moyens opératoires
de sa résolution. L'activité cognitive apparaît donc tribu-
taire des savoirs constitués par l'individu dans une culture.
Clest relativement à ces savoirs que les situations devien-
nent plus ou moins familières pour le sujet.
~j:~;t~~
f';*;~~
- 561 -
Certains chercheurs dont les travaux ont porté sur le déve-
loppement cognitif en milieu africain traditionnel
(Price-
Williams, 1962, Jahoda, 1954, Dasen, 1974) ont déjà posé le
problème de l'adaptation des épreuves et du matériel au
contexte cul turel en question. Conscients de cette difficulté
méthodologique, ils ont tenté de sélectionner le matériel
dans l'environnement immédiat de l'enfant pour le rendre
familier.
Ils ont donc perçu, sans la formaliser,
l'impor-
tance de l'expérience quotidienne, des acquisitions anté-
rieures dans l'appréhension des tâches. Cet effort méthodolo-
gique louable ne les a pourtant pas empêchés de passer
l'essentiel sous silence, à savoir l'existence d'une loqique
pragmatique distincte et complémentaire d'une logique formelle.
Rechercher les manifestations de la seule logique formelle
dans un contexte culturel où la logique pragmatique est
privilégiée, c t e s t admettre sans le prouver que
la régulation
s'effectue uniquement par la représentation. Et comme le
problème de l'investigation de la pensée opératoire ne va
pas sans soulever de questions à teneur idéoloqique, la
plupart des recherches interculturelles
ont souvent oorté
sur les périodes sensori-motrice et opératoire concrète, là
où les ressemblances entre les cultures se manifestent en-
core de façon significative. Elles se sont bien gardées,
dans la plupart des cas, d'aborder l'étude de la pensée
formelle faute d'un modèle interprétatif adéquat susceptible
de leur éviter le dérapaqe idéologique classant les peuples
- 562 -
en primitifs et évolués.
Il semble que ce modèle se dessine
aujourd'hui, qui situe le développement de la pensée for-
melle et du raisonnement expérimental à l'intérieur du cadre
scolaire grâce à 1 1instruction formelle et aux modes de
représentation du réel valorisés. L'instruction formelle
alimente le processus de réalisation en contenus sémiotiques
élaborés; ce qui a pour conséquence de préparer l'activité
de formalisation en cas d'apparition d1un conflit cognitif,
la situation-problème étant abordable parce que familière
sous un angle donné.
Le rôle de l'instruction formelle se comprend mieux, inscrit
dans une théorie cognitive de l'utilisation des connaissances
privilégiant ce que Ce11erier appelle la "transformation
pragmatique" (1979). Il s'aait d'aborder le problèmes des
connaissances non pas dans le sens constructif (Piaqet) al-
lant de l'action à la pensée, ma i s dans une direction inverse
partant de la pensée à l'action. La coordination de la dé-
marche pr a qma t i que avec la démarche épistémique devrait oouvo ir
rendre compte du fonctionnnement général de l'intelligence.
L'uti1isat~on des connaissances dans un contexte particulier
requiert leur réorganisation par la représentation qui en
forme le ~odè1e ou cadre mental d'appréhension de l'objet.
Les connaissances antérieures ne sont donc pas étrangères à
l'attribution de signification aux objets, à leur identifi-
cation et ~ la spécification des transformations pertinentes
à opérer.
L'instruction scolaire dans la mesure où elle
-
563 -
fournit à l'élève des connaissances variées, élargit néces-
sairement le champ de la représentation et amplifie par
conséquent la capacité de modélisation du sujet.
Il faut
rappeler que la compensation dlun conflit cognitif imolique
toujours la mobilisation des savoirs disponibles chez l'in-
dividu. (lest une illusion de croire que le dépassement du
conflit se fait ex nihilo; il n'est le plus souvent que
coordination en une synthèse nouvelle de connaissances ac-
.~
quises. La première cause de l'échec aux tests ou aux
,
épreuves opératoires pourrait ainsi être le fait de l' in-
suffisance du répertoire des connaissances entraînant l'in-
suffisance du cadre organisateur de l'activité cognitive ou
m0 dè le. Led e gré de fa mil i a rit é de 1 lob jet j 0 ue don c un rô le
important dans son aopréhension par le sujet. Aussi Oléron
a-t-il raison d'écrire: "L'observation d'un sujet devant
un problème montre qulil essaie de mettre en oeuvre des
modes de réponses qui lui sont familières et q u t i l a l'ha-:-
bitude de mettre en oeuvre devant des objets ou des situations
analogues à celles auxquelles il se trouve confronté" (1 J.
La capacité de mobiliser les connaissances acquises, de les
adapter à la situation actuelle constitue l'une des manifes-
sÔ,
tations de l'intelligence.
La différenciation et la coordination des processus
(1) OLERON (P.). Langage et développement mentaL. BruxeLLes. Dessart,
19?2. p.
188.
,'.
' ....:
-- ,
-
564 -
~;':'
- '
~l:',
,Ji
':.
de réalisation et de formalisation dans le fonctionnement
de la pensée naturelle élargissent les bases de la théorie
constructiviste et lui permettent d'intégrer la théorie du
c.
: .
-_.
réflet. En effet les psychologues russes ont en partie raison
':.
.;~: .
lorsqu'ils définissent le développement comme le résultat de
l lenseignement, c'est-à-dire un processus d'approDriation
individuelle des connaissances sociales. Ils décrivent par
ce biais l'aspect réal isateur de la pensée révélé par les
contenus de connaissance disponibles dans une culture à un
moment donné de l 'histoire.
Ils n'atteignent pas le dévelop-
~.. '. "; ..:.
pement lui-même dans son mécanisme fondamental, le conflit
cognitif, dont la compensation déclenche un fonctionnement
suivant le processus de formalisation. Dans la compréhension
-; .~::/
;).~~ .~: :.:~;
du fa i t d ve l
é
0 PPe men t al,
l e con cep t de con fl i t cognit if deme ure
-
-
incontournable.
"/.
L'école contribue donc au développement des capa-
cités intellectuelles par l'intermédiaire de l'instruction
-,
formelle; elle y contribue aussi par la décontextualisation
- -.
de l a for mat ion qui
i mp0 sel 1 ut i lis a t ion ma j 0 rée de lare pré-
.',
"
sentation conceptuelle au détriment de l'action directe.
;.:
2 - LA DECONTEXTUALISATION DE LA FORMATION
'..;
Toute adaptation consiste en un processus d'inter-
"."
action entre un organisme et un milieu; et la survie de
l'organisme dépend de 11 issue de celui-ci. Si par son action,
il parvient à compenser les tensions éprouvées, alors il
"
~ . .
.~: ~:..~.'
- 565 -
reste en équilibre avec le milieu. La rupture d'équilibre
consécutive à une nouvelle tension va l'inciter à produire
de nouvelles actions susceptibles de satisfaire le besoin
ainsi créé. L'organisme entretient donc un équilibre dynami-
que avec le milieu.
L'intelligence en tant que forme supérieure d'adaptation
utilise les mêmes invariants fonctionnels. En effet, toute
connaissance résulte de l'interaction du sujet et de l'objet.
Le sujet se développe sur le plan cognitif lorsque les schè-
mes construits au cours de l'interaction s'intériorisent et
deviennent progressivement opérations à partir de 5-6 ans:
l'action directe sur l'objet se transforme en représentation,
c'est-à-dire en action indirecte, médiatisée. Le développe-
ment cognitif s'explique donc par l'activité du sujet (ac-
tion et représentation) dans un mil ieu socio-culturel donné.
La nature des processus cognitifs élaborés dépendra des si-
tuations d'apprentissage privilégiées, selon qu'elles se
déroulent en contexte et valorisent l'action directe ou hors
contexte et privilégient la représentation conceptuelle. Le
problème des études piagétiennes, c'est d'avoir insisté de
façon particulière sur le rôle de la coordination des ac-
tions dans le développement cognitif sans prendre en comote
celui de la représentation dans une culture.
Comment a-t-on saisi l'effet de la variable
" a ction" sur le développement cognitif? L'influence de
- 566 -
l'activité du sujet a été appréhendée de trois façons diffé-
rentes et complémentaires
d'abord~ par rapport à la variété des objets que
l'enfant manipule;
ensuite, par rapport aux réseaux de relations
interpersonnelles dans lesquelles il évolue;
- enfin par rapport aux implications théoriques du
processus d'équi1 ibration dans un environnement
social global.
~r :. ".•.
~" ..
Il est bien entendu que dans 1 'orientation génétique~ la ma-
.~ ~,..
turation biologique conditionne le niveau de l'activité
structurante.
2.1. ~ÇIl~lI~_Q~_~~~~I_~I_~~~lr~b~IlQ~_Q~~_Qê~~I~
r~Y~lQ~f~
_.. "
~.
:':
;.....
Selon Piaget (1966) ~ le développement cognitif de
l'enfant est fonction d'activités multiples en leurs aspects
d'exercice, d'expérience ou d'action sur les objets. Encore
faudrait-il que le milieu socio-éducatif offre une variété
d'objets physiques capables de supporter la construction de
schèmes multiples et coordonnés.
Le travail de N. MOHSENI (1966) est intéressant à
cet égard. L'auteur soumet les enfants scolarisés de la vi1-
le de TEHERAN et de jeunes analphabètes de la campagne aux
....
~.~~.;.
-
567 -
épreuves de conservation d'une part, et aux tests de perfor-
mances (Porteus,
épreuves graphiques, etc ... ) d'autre part.
Les sujets examinés ont un âge compris entre 5 et 10 ans.
Les trois principaux résultats obtenus sont les suivants
a) on retrouve dans les grandes lignes, les mêmes stades de
développement en ville et à la campagne, à TEHERAN et à
Genève (Ordre séquentiel substance-poids-volume, constant)
b) On retrouve un décalage systématique de 2-3 ans pour les
épreuves opératoires entre les villageois et les citadins,
mais à peu près les mêmes âges à TEHERAN et en EUROPE;
c) Le retard est plus important (4-5 ans) pour les épreuves
de performances entre villageois et citadins, au point ~ue
les premiers apparaitraient comme des débiles mentaux sans
les épreuves opératoires.
Par le truchement de ces résul{ats, MOHSENI dérnon-
tre l'universal itê de tous les facteurs de développement éla-
borés par J. Piaget à l'exception des facteurs de transmis-
sion éducative et culturelle qui rendraient compte du retard
des ruraux dans les épreuves de performances. Dans le même
temps, l'auteur explique le retard des enfants de la camoagne
sur ceux de TEHERAN dans les éoreuves opératoires par les
facteurs d'activité et d'équilibration des actions.
Il note
la carence étonnante d'activité des petits campagnards qui,
non seulement ne disposent pas d'école, mais encore de jouets
susceptibles de faciliter la construction de schèrœs coqnitifs
variés:
les enfants ruraux n'ont que des cailloux ou des
- 568 -
bouts de bois et témoignent d'une passivité et d'une apathie
,'.
assez permanentes; d'où le faible développement des coor-
dinations individuelles des actions.
Les conclusions de MOHSENI seraient inattaquables si l'au-
teur maîtrisait parfaitement les variables qui caractérisent
les élèves de TEHERAN et les sujets ruraux. Diffèrent-ils
seulement par l'école, la ville? Les deux mil ieux suscitent-
ils le développement des mêmes processus cognitifs? Si non
les matériaux locaux (cailloux, bouts de bois ... ) suffisent-
ils pour développer les schèmes indispensables au tYDe
d'adaptation en jeu?
,-,
~-.
l' . .
Il semble que le postulat de l'universal ité de l'ordre sé-
quentiel des stades se confirme dans les mil ieux traditionnels
lorsque les recherches util isent surtout des épreuves car-ac-
téristiques de l'intelligence sensori-motrice. Au niveau de
la pensée concrète déjà, les problèmes commencent à se poser
en ce qui concerne les épreuves de conservation en général
et de conservation du volume en particul ier (.Aboubacar, 1980).
Ceci pourrait signifier que la progression de la pensée vers
les structures formelles dans la mesure où elle nécessite
une anticipation de l'action par la représentation, varie
considérablement suivant les cultures. Même à ne considérer
que l'étude de l' intell igence sensori -motri ce chez l'enfant,
rien ne nous empêche de penser que les schèmes des actions
se structurent suivant la nature des objets que l'enfant
- 569 -
manipule; des différences de développement ne sont pas
totalement à exclure à ce niveau, d1un milieu culturel à un
au t re .
Le travail de Dasen, Inhelder et collaborateurs
sur l'intelligence sensori-motrice chez l'enfant baoulé
(1974) corrobore ce point de vue. Les enfants baoulés exa-
minés (6-24 mois) à 1 laide de l'échelle de CA5ATI-LELINE
(1968) présentent par rapport à un échantillon genevois
équivalent, une avance dans toutes les situations qui exi-
gent une mise en relation directe spatiale ou temporelle,
soit entre deux objets, soit entre les mains de l'enfant et
1 'objet (épreuve tube-râteau, tube-chaîne)
; des retards
apparaissent dans l'échantillon baoulé dans les épreuves de
l'exploration (entrouvrir une boîte par gl issement) et des
supports (faire pivoter le support). Les auteurs exo1iquent
l'avance des enfants baoulés par la latéralisation précoce
provoquée par le port de l'enfant au dos. Quant aux retard~
ils seraient d'ordre culturel: les deux situations requiè-
rent des manipulations techniques qui ne sont pas sollicitées
dans le milieu africain en jeu; peu ou pas d'objets compor-
tant un axe de rotation existent aux alentours de ces bébés
alors que les enfants de la population occidentale manipulent
ou observent précocement des objets ou jouets à roues. Le
retard intellectuel de l'enfant baoulé est donc la consé-
quence des schèmes de IIfaire glisser ou d'entrouvrir une
bo i t e " qui ne font pas partie de leurs expériences familières.
- 570 -
La différence fondamentale entre les travaux de N. MOH5ENI
et de P. DA5EN (et al
) nor t e sur la conception de l'activité
du sujet à partir des résultats atteints. Le premier constate
un faible niveau général d'activité auquel sont imoutés les
résultats obtenus dans le village rural de l'IRAN. Le second
observe en pays baoulé rural, des constructions cognitives
variables en fonction des multiples interactions du sujet
et des objets. Là où les objets adéquats existent, le sujet
construit des schèmes correspondants et se développe en
conséquence
là où ils n'existent pas, les difficultés
opératoires surviennent faute de l'élaboration de schèmes
familiers; le sujet accuse du retard dans le domaine concerné.
Il n'est pas juste dans ces conditions de conclure à une
faiblesse du niveau général d'activité, mais de soutenir
l'idée de constructions intellectuelles sectorielles, de
"vallées de construction" suivant les demandes éco-culturelles.
Un mil ieu physique peut donc favoriser un certain dévelop-
pement cognitif en fonction des objets qu i l livre
t
à l'action
du sujet par l'intermédiaire du milieu social. Le milieu
social constitue dans ce cas une variable intermédiaire en-
tre le milieu physique et le développement intellectuel.
L'enfant ne manipule généralement que des objets insérés
dans la culture et signifiés par elle. Les relations de
l 'e nfan t e t de lie nt 0 ur a <] e hum a i n von t a l 0 r s pre ndr e de l' i m-
portance vers deux ans, lors de l'avènement de la fonction
sémiotique et accélérer la construction de la représentation.
- 571
-
2.2. ACTIVITE DU SUJET ET RELATIONS INTERINDIVIDUELLES
-------------------------------------------------
Dans tout environnement culturel, les relations
interindividuelles se développent entre les membres du corps
soc i al, d 1 une par t e nt rel e sad ul tes e t les e nfan t s, dia ut re
part, entre les enfants eux-mêmes. Le milieu peut être vécu
comme motivant pour l'enfant si les adultes ou les aînés
s ' i nté r es sen t à ses act i vit é s , les en ca dr en t , l 0 r s que ce11 es-
ci font l'objet de véritables échanges entre les partenaires
de l'éducation. C'est ce modèle de milieu éducatif qui est
souvent évoqué pour rendre compte, à âge éga l, du retard des
enfants africains non scolarisés sur leurs pairs européens
scolarisés. La faiblesse des constructions cognitives des
premiers est imputée à leur passivité dans un environnement
fruste où l'adulte échange très peu avec l t e nf a nt
lors de
ses activités, pour les renforcer, les contrôler, les évaluer.
Les psychologues ont noté à cet effet, la rareté des ques-
tions de l'enfant à l'adulte. Des parents KPELLE au Libéria
considèrent comme un fait négatif les que~ti0ns de l'enfant
(ERCHACK, 1977). E. GOOOY (1977) a observé que les apprentis-
tisserands de GONJA au GHANA, posent très peu de questions.
Une analyse détaillée de l'emploi des questions dans cette
communauté lui a permis de constater que le questionnement
peut constituer un défi implicite à la personne interrogée,
et que ces défis sont tout à fait réprouvables de la part
d'une personne de statut inférieur. Le processus de socia-
lis a t ion t rad; t ion nel l e che z les KI PSI GI en cou ra gel e si l ence
- 572 -
en présence de personnes plus agées ou de statut plus élevé
(HARKNESS et SUPER, 1977).
Les apprentissages en situation et le respect des normes
collectives d'éducation limiteraient le nombre de communi-
cations verbales adulte-enfant dans le processus de formation.
La passivité de l'enfant serait donc la conséquence de pra-
~.
tiques éducatives particulièrement défavorables à l'éveil de
la motivation dans les situations d'apprentissage. Pour les
chercheurs, il n'est pas étonnant que la même attitude pas-
sive s'observe pendant les épreuves opératoires au cours
desquelles l'enfant n'ose pas parler ou manipuler.
En contraste, l'encadrement pédagogique de l'enfant
européen serait de nature à susciter l'activité. Les parents
sont généralement attentifs aux questions de celui-ci; ils
apportent des informations conséquentes en usant de la com-
munication verbale- ; ils se donnent le temps d'assister
l'enfant au travail, de le guider, de l'évaluer. Le milieu
occidental exercerait une influence facil itatrice sur l'ac-
tivité de l'enfant; il accèlererait le développement cogni-
tif a l or s que le milieu africain traditionnel le ralentirait.
"
.
"
~
.
Le niveau d'activité de l'individu dans un milieu culturel
donné rendrait ainsi compte de la vitesse de structuration des
opérations.
La démarche explicative suivie lci, exploite l'influence des
facteurs sociaux de coordination interindividuelle. C'est
.:~~~~:~
> .:::>~:;-{
- 573 -
bien le faible développement des coordinations interindivi-
duelles consécutif au faible niveau d'échange et de coopé-
ration dans le milieu social qui serait la cause du niveau
des outils cognitifs construits.
Doit-on accorder la m~me valeur heuristique à toutes les
coordinations interindividuelles? En d'autres termes, les
échanges interindividuels visant le maintien des équilibres
affectifs ont-ils la même valeur cognitive que les échanges
informationnels où l'individu n'est pas subjectivement im-
pliqué? Dans le premier cas, la motivation est centrée sur
le désir de relation, le désir d'être avec l'autre. Les
échanges des partenaires tendent généralement vers un con-
sensus ; les précautions subjectives sont prises en fonction
des normes sociales en vigueur pour ne choquer personne, de
telle sorte que les interlocuteurs peuvent en arriver à une
situation de fausse communication où domine le désir de
plaire, de prolonger le contact humain. Certaines habitudes
de salutation africaine rempl issent cette fonction affective:
dans l'ethnie AGNI du groupe AKAN de Côte dl Ivoire, on salue
au moins quatre fois à chaque nouvelle rencontre; on s'in-
forme plusieurs fois sur la santé des membres de la famille
du visiteur. Ce rituel est tout simplement destiné à entre-
tenir l lintérét de la relation humaine pour la communauté.
Dans le second cas, la relation à autrui accroîtrait la
qualité et la quantité de l'information, multipl ierait les
possibilités d1approche de llobjet. Les échanges informa-
- 574 -
tionnels, dans la mesure où ils visent l'accroissement de
l'information génèrent des conflits socio-cognitifs qui
entretiennent l'activité cognitive. Clest ce que confirment
les travaux de W. Doise, G. Mugny et A.N. Perret-Clermont
(1975). Ces auteurs soul ignent l'importance de l'interaction
sociale et du conflit socio-cognitif inhérent aux différents
points de vue en présence dans la construction des connais-
sances. La coordination des points de vue à propos de si-
tuations neutres pour les individus, entraîne la formation
de nouveaux concepts. Il
va sans dire que les échanges
"
interindividuels agissent sur la structuration des processus
cognitifs, non seulement par leurs formes, mais aussi par
leurs contenus. Le processus d'échange lui-même indique le
transfert de l'activité cognitive au niveau de la reorésen-
tation conceptuelle et de l'utilisation de son véhicule
privilégié, le langage. Un milieu culturel qui favorise les
échanges, la coopération entre individus dans des situations
formelles suscite par le fait même le développement des
différents modes de représentation du réel et leur coordi-
nation.
Il est normal qu'il soit plus favorable à l'épanouis-
sement du processus de formalisation que les autres.
Les facteurs de coordinations interindividuelles des actions
expliquent le développement cognitif plutôt par l'intermédiaire
de la représentation que de l'action directe. L'opération-
nalisation du processus d/équilibration doit prendre en
compte le niveau de l'action directe et le niveau de la re-
- 575 -
présentation; car les différences individuelles liées aux
différences d'éducation et de culture sont imputables aux
(.
différences dans les modes de représentation du réel et
.'
,',
dans les langages qui en assurent la traduction sous forme
....;
de modèles.
" .
..:.:
"v. '-.
~.~ _:~
2.3. ACTIVITE DU SUJET ET PROCESSUS D'EOUILIBRATION
----------------------------------------------
Comme nous l'avons déjà souligné, toute élabora-
} .
tion de conduites intellectuelles résulte d'une rééquilibra-
t i on . Cette tendance naturelle du comportement à s autoré qu-
t
1er pourrait être activée par des conditions du milieu:
d'abord, le milieu pourrait comporter lui-même des situations
.,~ .
perturbatrices qui résistent à la compréhension du sujet, à
propos desquelles celui-ci devra développer une stratégie
de recherche appropriée; ensuite, le milieu pourrait faci-
liter les rééquilibrations, c'est-à-dire les constructions
, .
r-
en proposant des types d t c ha nc e s , de relations avec l'enfant
é
à propos de ces situations (J. Drévillon, 1976, J. Lautrey,
1976).
L'analyse des différentes traductions opérationnelles
du facteur d'équilibration permet-elle d'affirmer que l'ac-
tion constitue la condition nécessaire et suffisante du
développement des processus cognitifs en général et parti cu-
lièrement de la pensée formelle et du raisonnement expéri-
mental? Si oui, alors la faiblesse du niveau général
d'activité constatée chez les élèves ruraux devrait effec-
... .~
.I~~.~"'~
- 576 -
tivement entraîner un retard du développe~ent coqnitif. Mais
cette hypothèse explicative ne peut donner lieu à une véri-
fication objective que si l Ion définit avec précision ce
qu'est la faiblesse du niveau général d'activité. Slagit-il
d'une faiblesse en rapport avec les facteurs sociaux de
coordinations interindividuelles ou avec les facteurs de
coordinations individuelles des actions, ou avec les deux
groupes de facteurs en ~ême temps? Les études réalisées
évoquent a postériori les deux groupes de facteurs, faute de
ne pouvoir les dissocier et insérer dans un plan expérimental.
Malgré cette limitation méthodolo~ique, les conclusions des
travaux auraient été plus crédibles si les interprétations
des observations faites sur les enfants africains étaient
concordantes; en fait, elles étalent une toile de données
contradictoires. A titre dlexemple, les études de GOODY
(1977) et de ERCHACK (1977) soulignent la rareté des questions
chez les tisserands Gonja (Ghana) et en pays Kpellé (facteurs
sociaux de coordination interindividuelle néqatif). Dans le
même temps, les recherches de MUNROE et MUN~OE (1972, 1975),
celles de WHITING (1975) mentionnent que dans les sociétés
agricoles et pastorales où des enfants accomplissent des tâ-
ches économiques importantes, le bilan prend la forme dlune
communication verbale dans laquelle l'enfant décrit ses
réalisations et répond aux questions posées par lladulte.
Les échanges verbaux l'enfants-adultes" y sont suffisants
pour que lion puisse espérer le déroulement normal des coor-
dinations interindividuelles (facteurs sociaux de coordina-
tions
interindividuelles
positifs).
En
principe, con-
- 577 -
formément à la théorie constructiviste, cette différence
des pratiques éducatives devrait eiltrainer une avance déve-
loppementale des enfants kenyans (MUNROE, WHITING,
1975)
sur les tissérands GONJA (Goody, 1977). En réalité, il n'en
est rien, pu i s que leurs performances respectives aux épreuves
opératoires restent comparables.
Il ne parait pas non plus pertinent de penser que
la structure du développement opératoire de l'enfant rural
est la conséquence de la pauvreté de son environnement en
objets à manipuler
car quelle que soit sa pauvreté brute,
.i;
tout milieu culturel oropose toujours des objets variés au
".
contact desquels l'enfant construit des schèmes cognitifs
adaptés. L'environnement culturel de l lenfant africain ru-
ra ln' est pas pau vr e en soi
; dan s l' es prit des che r che urs,
il serait pauvre par rapport au milieu occidental où llen-
fant bénéfice de jeux, de jouets éducatifs, où l'acquisition
du pro ces sus de for mal i s a t ion est val 0 ris
San s l e f
é
•
0 rmu 1er,
une telle analyse pose la for~alisation comme la seule ma-
nifestation de la pensée naturelle. Or, il existe un autre
processus dominant en milieu rural, celui de la réalisation.
Les objets physiques qu'on y trouve suffisent certainement
pour que l'enfant construise des instruments coqni t i f s ao-
propriés.
Que l que soi t lem i lie u , l' i nter a c t ion dus ujet et de l 1 objet
conditionne nécessairement la construction de tout processus
- 578 -
. . . . ;
cognitif. L'action du sujet sur l'objet ne distingue pas
fondamentalement le sujet urbain du sujet rural.
Faut-il alors recourir à l'organisation générale
des styles pédagogiques ou de la vie familiale? Là aussi,
il convient de noter que les pratiques pédagogiques de
toute forme ou les différents types de structuration de
l'environnement famil ial se rencontrent dans tout milieu
social. Ainsi notre travail montre que le milieu urbain
diffère significativement du milieu rural sur l'axe des ty-
pes de structuration de l'environnement familial; mais ce-
la nia pas empêché d'observer 63 cas de structuration souole,
36 rigide en milieu urbain contre 55 souple et 59 ri~ide en
milieu rural. Les types de structuration se distribuent
normalement dans tous les milieux. Si la structuration sou-
ple expliquait le développement optimal de tous les processus
cognitifs, les adultes ruraux relevant de celle-ci devraient
en principe util iser de véritables s t r a t o i e s exoér imental es
é
pour traiter les épreuves proposées, à l'instar de certains
élèves du même milieu, la condition essentielle étant réunie.
Les faits infirment l'hypothèse; les adultes ont plutôt
actualisé une démarche expériencée conforme au modèle de
traitement des données par le processus de réalisation. Ce
constat incite logiquement à admettre que l'action du sujet
sur l 'objet est une condition nécessaire du développement
de tout processus cognitif; mais elle n'est pas suffisante.
Une autre condition intervient, en liaison avec les situa-
r"
- 579 -
~'.
";.-.
~"
:1;:' -:' :
') ..
~
,
tions d'apprentissage caractéristiques du milieu. Ces si-
tuations comportent des relations particul ières à l'objet,
des moyens de représentation des données qui régulent
l'activité cognitive. On peut regrouper ce nouveau type de
relation, ces moyens sous la variable représentation:
c.
~l~:'_"" .. '.
c'est elle qui différencie fondamentalement les mil ieux
~
._,.• J.
_
"r"'
•
~~.·'3 _~~~~
-:»,
socio-culturels.
t:·
..i::-
~.
: .', ':
:., ' -
.~ ~:. "'.'
'V.
'':.• '
L'action du milieu culturel se répercute sur le
-e
:':,,~
développement cognitif Dar l'intermédiaire de la représen-
J ' . "
• • • •
tation. Comme l'action, la représentation constitue un
processus constructif; elle assure deux fonctions:
une
"fonction morphostatique" propre au processus de réalisation
consistant à la conservation des contenus construits; ces
contenus sont prêts à informer les situations rencontrées
par le sujet; et une "fonction morphogénétique" caracté-
'~" ...
ristique du processus de formalisation, qui se manifeste
par la production de nouvelles formes de pensée, d'opérations.
C'est ici que l'analyse des modes de représentation du réel
proposée par Bruner (1967) éclaire la théorie constructiviste
sans la remettre en question de façon fondamentale.
Il con-
vient pour cela de la replacer à l'intérieur du cadre no-
tionnel de la science cognitive. En effet les modes de re-
présentation du réel (enactive, iconique, symbolique)
- 580 -
.Ô»
','
fournissent le cadre organisateur de l'activité cognitive
et correspondent ainsi à la fonction morphostatique. Si
les capacités de la représentation humaine se limitaient à
':-,:
,.
. ~~
s >,
.. - ~.
cette fonction, elle serait en tous points semblable à
celle des automates à l l e xemo l e de l'ordinateur. Cette fonc-
tion de réalisation est nécessaire pour la sémantisation
des situations et leur identification. Chez l 'homme, la re-
présentation remplit une deuxième fonction, la fonction
morphogénétique, celle qui consiste à générer de nouvelles
formes en vue d'agir sur les situations adaptatives de façon
.~
indirecte, en usant de circuits cognitifs longs,
par
llin-
,;
.
-•.~
termédiaire des modèles. Clest là que la représentation
..
~i:
conceptuelle va jouer un rôle fondamental
dans le développe-
~t~~ " .
t ".
ment des capacités intellectuelles en permettant la prise
de distance du sujet par rapport à l'objet.
~'
·f'..
La notion de distance du sujet à l'objet peut prendre deux
valeurs: une distance courte et une distance longue. Quels
sont les critères qui président à la délimitation de ces
valeurs? En d'autres termes à partir de quel moment un ob-
jet peut-il être dit à une "distance courte" ou à une "dis-
tance longue ll du sujet? On pourrait se référer à trois
niveaux d1analyse pour éclairer la question.
Le premier niveau relève du plan cognitif; un objet est à
une "d i s tan ce cou rte" dus u jet sic e lui - cid i s po s e de maye ns
intellectuels appropriés pour l'appréhender. L'objet en
- 581 -
..~ -.-.,..
.
.. ::....
question correspond au niveau opératoire de l'enfant. Dans
le cas où il excède ce niveau, il sera dit à une "distance
longue ll • La distance cognitive optimale sera la IIdistance
'i nt e r mé d i a i r e :", celle à laquelle le sujet possède une con-
naissance partielle de l'objet lui permettant de construire
progressivement la solution. ('est la distance convenable
pour l'étude des aspects micro-génétiques des connaissances.
Malgré son intérêt, cette approche ne nous apoorte pas
d'information nouvelle quant à la mise en évidence du rôle
des situations d'apprentissage et des modes de représentation
dans la régulation de l'activité cognitive.
Le deuxième niveau d'analyse renvoie au plan affectif. Un
objet se situe à une IIdistance ll olus ou moins longue du su-
jet suivant le degré d'implication de celui-ci dans celui-
là ; elle est "c cu r t e " si le sujet est ·impliqué, suivant la
signification personnelle ou sociale de l'objet; elle est
"Ton que " si l'objet est neutre pour l'individu; pour le
traiter, il n'aura recours qU'à des circuits stricte~ent
intellectuels et non affectifs, La motivation est alors dé-
clenchée au vu de l'objet par l'activation des schèmes co-
gnitifs.
La seconde approche de la notion de distance indique la
nécessité de la neutralisation de l'affectivité dans les
rapports de connaissance; mais elle ne pourrait rendre
compte de la formation optimale du processus de formalisation
,
.r
- 582 -
lorsqu'on passe du milieu traditionnel au milieu scolaire.
Enfin, le troisième niveau d'analyse se déroule au plan
symbolique; il fait appel aux moyens de codage du réel
aux langages en tant qu'ils construisent des correspondances
entre des signifiants et des signifiés et par conséquent
permettent
de décoller de la réalité perceptive en vue de
-;
la dominer. L'utilisation privilégiée de ces véhicules de
traduction allonge progressivement la distance spatiale à
l'objet dans le méme temps qu'elle
réduit la distance men-
tale par la représentation; elle amène le sujet à ne plus
travailler directement sur un réel concret, mais à opérer
sur un réel hypothétique. C'est ce changement d'orientation
du système éducatif indiqué par l'organisation des aopren-
tissages hors contexte et l'intégration des différents
langages qui serait à la base de la mise en valeur du oro-
cessus de formalisation.
Sur le plan symbol ique, la distance à l'objet renvoie aux
notions de lIdistance courte ll et de "distance lonCJue ll en-
traînant au niveau de l'activité cognitive, l'utilisation
de lI circuits courts ll et de lI circuits longs ll • Nous convien-
't-: .'.
drons d'appeler lIapprentissages informels ll , les aoprentis-
sages au cours desquels le sujet se trouve à une lIdistance
cou r t e " de l'objet, donnant lieu à une interaction "sujet-
objet" directe. Quant aux "apprentissages formels",
ils
caractérisent les situations où le sujet est à une "distance
-
583 -
longue" de 1 'objet, où la connaissance de celui-ci se fait
nécessairement par l'évocation, la construction d'un modè-
le aux moyens de langages pertinents.
Ainsi on dira que le sujet aoprend de façon in-
formelle lorsque son action directe lui per~et de se cons-
':'.
tituer un ~odèle de l'objet sans éprouver le besoin de
recourir à des formes complexes de médiations.
Il
s'a0it
généralement d'apprentissage en situation où le lieu de la
formation colncide avec celui de l'emploi. Le formateur,
c t e s t l'employeur lui-même qui développe progressivement
les capacités professionnelles de l'apprenant par la tech-
nique p da qo q
é
i q ue de l'imitation:
"Regardes et fais c c mme
flloi". Le montage des séquences cOfllportementales nécessaires
à la maîtrise du métier s'effectue au bout d'un te~ns varia-
ble d'un élève à l'autre, d'une profession à l'autre, grâce
aux méc9nismes de répétition et de renforcement utilisés
par le ma it re. L'insistance su r l "a c t i vt t é
reproductrice de
l'élève laisse penser que cette orientation de 11 action
pédagogique répond à des demandes éco-culturelles précises
dans les sociétés à faible division du travail, la forrna t inn
professionnelle de l'enfant se déroule au sein de la cellule
familiale; l 'héritier collabore régulièrement avec son
père jusqu'à l'intégration finale des comportements essen-
tiels. Les statuts et les rôles sont définis à la naissance
et aucun bouleversement inattendu ne saurait remettre en
question cet état de chose. Le changement social n'est donc
~\\t: '
~~~~i
- 584 -
pas la préoccupation majeure des groupes humains concernés.
Les situations d'apprentissage informel favorisent
1 'utilisation de circuits cognitifs courts caractéristiques
du processus de réal isation. Le rapprochement de l'objet
est tel que la recherche des divers moyens de sa traduction
se limite généralement au mode de représentation cinémati-
que ou figural. La représentation cinématique conduit le
sujet à construire un -modèle pratique de son action sur
l'objet, des diverses transformations à opérer dans un dé-
roulement temporel. A son tour, la représentation figurale
organise et conserve l'information élaborée en blocs uni-
taires d'information immédiatement activés dans une situation
adéquate. L'opérativité du sujet, grâce au processus de
réalisation, parvient à construire une intermodalité fondée
sur la traduction mutuelle des modes cinématique et figural.
Le processus de réalisation constitue le dénomi-
nateur commun des démarches cognitives des adultes ruraux
confrontés aux épreuves expérimentales. Des individus appar-
tenant à d'autres espaces culturels, éduqués dans des envi-
ronnements pédagogiques comparables se comporteraient de la
méme facon. Cela voudrait-il dire qu'ils sont insensibles
aux opérations formelles? Non, car la dominance du processus
de réalisation dépend de la nature des situations d'appren-
tissage au sein desquelles l'interaction du sujet et de
l'objet s'organise. Le vrai problème est de savoir si un
-
585 -
environnement socio-éducatlf peut n'offrir qu'un seul type
de situations d'apprentissage à ses partenaires. L'analyse
des apprentissages formels nous donnera l'occasion de reve-
nir sur cette question.
Les apprentissages formels correspondent au grou-
pe des apprentissages hors contexte. Ici, l'activité cogni-
tive porte sur un objet symbolique, évoqué; celle-ci ne
peut progresser indépendamment de l'activité de symbolisation,
de représentation. L'éducation scolaire fournit le prototype
des situations d1apprentissage formel. Les élèves vont à l'-
école non pas pour résoudre des problèmes relatifs à l'adap-
tation immédiate, mais pour apprendre à réfléchir en soi, â
raisonner, à travailler avec méthode sur des objets virtuels,
sur des représentations d'objets. Ce recul
stratégique par
rapport à la réalité concrète va faire que la formation sco-
laire privilégiera le développement de multiples langages
capables d'assurer le codage des propriétés des objets à par-
tir de la représentation conceptuelle. Ces langages corres-
pondent aux trois modes de représentation du réel: les modes
conceptuel, figural et cinématique. C'est par rapport à ces
modes que l'élève construit les modèles devant guider et con-
trôler son activité.
L'éducation scolaire développe de façon
dominante
la repré-
sentation conceptuelle et le processus de formalisation. Nous
insistons
sur le
fait de
la
dominance
pour
souligner
que tout environnement socio-culturel propose des situations
-'.
.,,>
.. ,~ .".-
- 586 -
d'apprentissage formel et informel; tout dépend de la
manière dont les groupes humains, en fonction de final ités
adaptatives précises, valorisent telle situation d'appren-
tissage plutôt que telle autre.
En définitive, la référence à l'action directe
seule ne suffit pas à expliquer les différences de dévelop-
pement.
Il faut aussi faire appel à la notion de représen-
tation.; c'est par rapport à celle-ci que nous avons DU
vérifier en partie la troisième hypothèse secondaire relative
à l'explication des différences constatées entre les élèves
urbains et les élèves ruraux. Le recours à la notion de
représentation pour l'étude des conduites des adultes ruraux
aux épreuves expérimentales nous a permis de mettre en évi-
dence l'existence de modèles pragmatiques différents des
modèles formels et pouvant, par hypothèse influer de façon
négative sur la démarche expérimentale en construction. Il
se trouve effectivement que des élèves ruraux démarrent leur
activité en mettant en oeuvre un modèle pragmatique qu'ils
conservent, ou qu'ils abandonnent au profit du modèle expé-
rimental formel.
Ces observations nous conduisent à distinguer
deux types de conflits cognitifs par rapport aux systèmes
de connaissance pragmatique et formel:
les conflits intra-
systèmes et les conflits intersystèmes. Dans les conflits
intrasystèmes, le sujet traite le problème à l'aide d'un
- 587 -
seul système de connaissance
s'il se situe dans le systè~
formel, il utilisera des contenus sémiotiques élaborés pour
appréhender la situation ~ s'il s'agit du système pragmati-
que, les contenus schématiques ou les contenus sémiotiques
élémentaires seront évoqués. Dans le cas des conflits in-
t e r s y s t ème s , le sujet emploie des moyens cognitifs propres à
un système cognitif pour atteindre un but qui relève d'un
autre système. Par exemple, on lui demande d'émettre un
raisonnement expérimental
au lieu de faire appel à des
contenus sémiotiques élaborés qui sont adéquats à ce niveau,
il évoque des contenus schématiques ou des contenus sémio-
tiques élémentaires adaptés à l'expression du raisonnement
expériencé.
La solution des conflits intersystèmes se trouve dans le
choix d'un système unique par abandon de l'autre en fonc-
tion du but poursuivi. C'est à l'intérieur d'un seul sys-
tème cognitif que le dépassement des connaissances anté-
rieures est possible par la construction de connaissances
nouvelles.
Il faut donc recourir aux notions d'action et de
représentation pour comprendre l'influence du milieu socio-
culturel sur le développement cognitif. Ici, nous nous
intéressons particulièr~ment à 11 influence du milieu sco~
laire. La décontextualisation des apprentissages qui s'y
déroulent requiert la traduction de l'action par la repré-
- 588 -
sentation conceptuelle. Aussi le développement de la pensée
naturelle ne peut-il se comprendre que référé
au niveau de
régulation de l'activité cognitive. Il convient pour iden-
tifier ce niveau de proposer un modèle de régulation axé
sur l'action et la représentation.
II - VERS UN MODELE GENERAL DE REGULATION DE L'ACTIVITE
COGNITIVE
L'élaboration d'un modèle général de régulation de
l'activité cognitive apparait comme une nécessité, si l'on
veut tenter d'intégrer en une totalité cohérente, les aspects
structural et fonctionnel du développement.
1 - LES MODALITES DE REGULATION DE L'ACTIVITE COGNITIVE
Le modèle de l'école de Genève repose sur la régu-
lation de l'activité cognitive par l'action.
Il réserve une
place importante à la représentation et à l'équilibration
des structures opératoires lors de l'accession de l'intelli-
gence au stade de la pensée; mais l'analyse qu'il comporte
n'est pas suffisamment explicite quant au rôle des divers
moyens de représentation du réel, dont le langage oral et
l'écriture, dans le processus d'intériorisation des actions
et l'accession à une pensée opératoire de haut niveau.
- 589 -
L'apport de la science cognitive, c'est d'avoir opération-
nalisé le concept de représentation. Celle-ci conduit à la
formation d'un modèle de connaissance. Le traitement des
données par le modèle implique forcément que la conceptua-
l isation précède l'action, que l'action elle-même transite
par la représentation pour être traduite au plan symbolique,
guidée, planifiée et contrôlée. Dans ces conditions, la re-
présentation constitue une variable intermédiaire entre
l'action et le développement cognitif: celle-ci influence
le développement de la pensée formelle par la représentation.
Du coup la notion de représentation prend des sens
différents en psychologie génétique et en science cognitive.
Du point de vue psychologique, la représentation n'est pas
un modèle programmé à l'avance; elle constitue un puissant
outil de construction intellectuelle, un "amplicateur" des
capacités cognitives permettant à l'enfant d'accéder aux
opérations formelles vers 11-12 ans. La représentation par-
ticipe donc de la "fonction morphogénétique" de l'activité
cognitive.
Ces prémisses nous autorisent à déduire trois
modalités de régulation suivant que la régulation s'effec-
tue par l'action ou par la représentation ou de façon al-
ternative par les deux instances.
La première modalité concerne la régulation de l'activité
cognitive par l'action. L'action du sujet atteint directe-
- 590 -
ment son but sans passer par des médiations complexes. Toutes
les conduites professionnelles qui procèdent par répétition
régulière des mêmes actes sont soumises à ce niveau de ré-
gulation, sauf lorsqu'il faut opérer des changements. Le
processus cognitif engagé est la réalisation: le sujet
conna,t les buts habituels et les séquences de procédures
qui y conduisent sans problème; ce qui donne l'impression
d'une certaine compétence, d'une ma'trise du secteur d'ac-
tivité.
La deuxième modalité de régulation, c'est la représentation.
Elle inaugure une nouvelle attitude cognitive. Confronté à
une tâche problématique, le sujet ne passe pas directement
à l'action sans idée directrice.
Il prend son temps pour se
donner un modèle par rapport au but; ce qui suppose qu'il
dispose d'une marge de manoeuvre temporelle. La mise au
point d'un modèle hypothétique pr ép a r a nt l'appréhension de
l'objet indique d'une part, que le sujet prend de plus en
plus de recul et de hauteur par rapport au réel et, d'autre
part, qu'il a conscience de l'efficacité de la démarche
épistémologique déployée. Sinon on ne comprendrait pas le
sens de la motivation qui suscite les conduites représenta-
tionnelles. C'est dans le cadre de la conscience de l'effi-
cacité que le processus de formalisation acquiert un statut
adaptatif et répond par conséquent aux besoins de l'homme.
Le comportement le plus instructif à cet égard est celui du
- 591 -
chercheur des laboratoire5 modernes. Un bon chercheur se
reconnaît ~ sa capacité de construire des hypothèses fécon-
des, c'est-à-dire des modèles d'explication possibles d'un
secteur du réel. Son activité procède surtout de la repré-
sentation symbolique et de la modélisati~n o~ératoire. C'est
pourquni l'infirmation d'un morlèle hypothétique entra1n~
t o uj our s la recherche de la r a i s o n de l'échec, l'élaborntion
d'un autre modèle plus heuristique, capable de soutenir l'ac-
tion expérimentale.
La régulation de 1 'activité cognitiv~ par la représentation
comporte deux paliers distincts. Le premier est celui de la
régulation par la représentation figurale. La coordination
des activités intellectuelles par cc palier débouche chez
l 'individu s~r l'adoption de conduites économiques, sur la
formation de blocs unitaires d'information non éloignés des
contexte~ d'action. Quel que soit son ~ilieu socio-culturel,
tout être huma i n normal
parvient à ce niveau de développement
caractéristique de la ~ériode pré-opératoire et opératoire
concrète dans le système riagétien. Le deuxième palier de
régulation, c'est l~ représentation conceptuelle. La coordi-
nation des activités intellectuelles par cette instance en-
traîne la construction de conduites coûteuses, mais précises
srâce à la mise en oeuvre de la démarche analytique.
Il
s'agit d'une régulation au second degré conduisant à une. in-
termodalité généralisée et or t e nt e par la conceptualisation.
é
Les actions et les images produites à partir rle cet instant
- 592 -
sont préalablement analysée~ et conceptualisées malgré la
conservation de leurs caractères oropres. Ainsi l'organi-
gramme reste un moyen de présentation figurale dans la
mesure où il fournit une vision globale des relations inhé-
rentes à un système complexe; mais ce ~oyen est d'abord
analysé
pensé de façon conceptuelle avant de recevoir une
t
traduction figurale pour les besoins de l'action. Le palier
de la représentation conceptuelle est caractéris~ique ctu
stade de la pensée forme1le. L'élaboration définitive des
opérations qui le spécifient
présuppose l'existence dans le
t
milieu socio-culturel de situations d'apprentissage formel
au sein desquelles l'élève construit res connaissances aux
moyen~ d'une multitude de langages dont l 'éc~iture.
La troisième modalité se rapporte à la régulation alternati-
ve assurée par l'action et l a représentation.
Il s'agit d'une
~odalité intermédiaire; ici les de~x composantes de l'acti-
vité cognitive sont si solidaires que toute perturbation
intellectuelle est compensée soit par une modification de
l 'action
soit par u~e modification de la représentati~n. La
t
modalité alternative évo~ue surtout les conduites des cher-
cheurs des sciences expérim~ntales par opposition aux théo-
riciens. Le bon expérimentaliste, c'est bien celui qui "fait
parler la théorie, le modèle" ; mais c'est aussi celui qui
"fait parler l'objet", qui intègre à son modèle initial les
propriétés de l 'objet pour le rendre plus opérationnel. On
en arrive à une s i t ua t i on d'articulation optimale du processus
- 593 -
de formalisation sur la réalisation. Les connai~sances éla-
borées par la formalisation sont transformées en ccntenus
et gérées par la réalisation. Mais leur utilisation dans une
situation-problème requiert 1eur réélaboration au plan for-
mel. Le recours à la formalis~tion dans des situations
familières n'est pas nécessaire grâce à l 'autor.omie fonc-
tionnelle de la réalisation; mais la formalisation reprend
le relais lors de l'avènement d'un confl it c oqn i t i f et assu-
re la direction des activités intellectuelles jusqu'à la
rééquilibration. Ainsi la formalisation et la réalis3tion
fonctionnent de façon alternative.
Le schéma du fonctionnement des deux processus cognitifs
fondamentaux pourr2it expliquer pourquoi dans ~es sociétés
traditionnelles conservatrices, le processus de réalisation
domine dans les démarches cognitives des individus. La lente
évolution des structures sociales, des connaissances et des
techniques tend à figer le processus de pensée.
Il
ne reste
plus au sujet intelligent qu1à appliquer les savoirs et les
savoir-faire séculaires pour s'adapter. La situation d'é-
quilibre étant quasi permane~te, le contrôle de la pensée
s ' e f f e c tue par l erp roc e s sus der a lis a t ion .
é
La conception de la régulation de l'activité cognitive par
l'action ou par la représentation permet aus~i de mieux dé-
finir les notions de "rl i s t a nc e " du sujet à l'objet de con-
naissance et de "c t r c u i t cognitif". Pour ce faire, utilisons
- 594 -
les trois niveaux de contenus propres au processu~ de réali-
sation et sur lesquels se fonde la formalisation pour modé-
liser: les contenus schématiques pour l'action, les contenus
sé~iotiques élémentaires oufiguraux pour la représentation
figurale et les contenus sémiotiques élab0rés pour la repré-
sentation conceptuelle. Ces contenus structurés par l'action
ou par la représentation (en tant que formes) sont stockés
dans la réalisation, puis évoqués et actualisés pour la
programmation d'une action et son exécution. La distance du
sujet à l'objet sera fonction du niveau de régulation de
l'activité cognitive
d
(s <--> 0) = f
(n.
r . a. c.).
Lorsque la régulation s'opère au plan de l'action, la dis-
tance est "courte" ; ce qui entraîne l'utilisation de
"circuits courts". L'enfa!"'t emploie des contenus schémati-
ques po ur traiter l'objet sans avoir besoin de s'appuyer
sur un modèle anticipé de l'action. Clest le prototype de la
conduite du travailleur manuel.
Lorsque la régulation s'effectue au plan de la représenta-
tion, deux cas se présentent. D'une part, si elle dépend de
la représentation figurale, la distance est "moyenne" da'1s
la mesure où celle-ci part de 1 "a c t i on immédiate et pénètre
dans la couche périphérique de la représentation, celle qui
est la plus exposée aux données de l'environnement. L'enfant
amorce un décollage de la réalité par la mise en jeu de
- 595 -
"c i r cuit s m0 yen s", [l'a ut r e par t , s i l a r é gulat 10 n s e réalis e
par la représentation conceptuelle, la distance est "l cnqua? ,
elle part de l'action ou du figur~l, ~énètre dans la couche
centrale de la représentation 1]râce au langage, aux systèmes
de signes conventionnels qui se substituent aux objets; ce
qui entraîne l'utilisation de "circuits longs",
L'adolescent
s'appuie sur les contenus sémiotiques élaborés pour cons-
truire un modèle hypothético-déductif capable de rendre
compte de la structure du réel, C'est le prototype de la
conduite du mJthématicien.
Lorsque la régulation procède de façon alternative de l'ac-
tion à la représentation, la distance est "variable" ; ce
qui conduit à la mise en oeuvre de "tous les circuits". Le
,
sujet a recours à la totalité des contenus pour bâtir une
démarche de connaissance. C'est le prototype de la conduite
du spécialiste des sciences expérimentales.
Les schémas suivants présentent les différentes
modalités de régulat~on de l'activité cognitive.
Schéma 1
Modalité de régulation par l'action.
1-
Application de l'action
"
ACTION
BUT
?-
Feed-back
+
<
-
i
- 596 -
La modalité de régulation de T' e c t i vi t
cognitive par l'ac-
é
tion est la plus simple. En fonction d'un but. le sujet
e ppl ique une action à 'l'objet. Le résultat e nt r a ne un feed-
î
back positif s'il y a réussite et un feed-back négatif dans
le cas contraire. La réussite dépend de l'utilisation de
contenus schématiques préstructurés dans le cas d'u~ objet
familier ou de la construction de schèmes nouveaux dans le
cas d'un objet peu familier.
Schéma 2
Modalité de régulation par la représentation.
Modèle
3
But
~résentat~
( 1 ,2)
5
Feed-back
La modalité de régulation par la représentation est la plus
complexe du point de vue formel .En fonction d'un but (flè-
ches 1 et 2), le sujet élaborp un modèle (3) ; il procède à
la modélisation par l'emploi de5 divers langages de traduc-
tion externe (concept, écriture, schéma ... ), puis l'applique
-597 -
à l'objet pour atteindre le but (4), Slil
réussit, le feed-
back est positif (5+)
; s'il échoue, le feed-back est néga-
tif (5-). Il procède alors à une réformulation du modèle
(6),
puis l'applique à nouveau (7) et ainsi de suite ...
La démarche hypothético-déductive est la caractéristique
essentielle de cette modalité. La formalisation qui
le sou-
tient, opère à partir de contenus sémiotiques élaborés; ce
qui signifie que les données à traiter sont peu familières.
La régulation de l'activité cQgnitive par la représentation
nia donc de sens qu'en situation de conflit cognitif.
Sc~éma 3 : Modalité de régulation alternative.
Clest le s~héma intégrateur des schèmes 1 et 2,
MODELE
1 0
r - - - - - - - -
1
1
2 et 3
ACTION
REPRESENTATION
BUT
,
----.-
1- - - - - - - - - - - ~L__
.___----J<--~)L..----,--_-,--._i
+
-
+
-
6
Feed-back
7
Feed-back
- 598 -
La modalité de régulati~n alternative définit mieux le con-
cept d'interactionnisme i~tégral. Voulant agir (1) pour
atteindre un but lointain (2, 3), ~e sujet élabore un modè-
le ~4), puis l'applique à l'objet (5). 5'il ya réussite,
on observe un double feed-back positif (6 et 7+) ; ce qui
traduit l'adéquation entre le modèle élaboré et les faits.
5'il y a échec, on constate aussi un double feed-back néga-
tif (6 et 7-), indiquant l'inadéquation du modèle et des
faits. Le sujet peut alors exploiter de~x possibilités: ou
bien il modifie le modèle par l'adjonction ou le retrait
d'information (8) et l'applique à nouveau (9)
; on dit qu'il
IIfait parler le modèle ll ; "u bien ne sachant quoi modifier
dans le modèle, il procède à l'exploration de l'objet (10)
pour retenir quelques-unes de ses propriétés en fonction du
but (il fait parler l'objet), afin d'alimenter le modèle
par de nouveaux cont2nus jusque-là non exploités (8).
La modalité de régulation alternative fonctionne avec l'en-
semble des contenus. Elle comporte deux cadres organisateurs
correspondant à des niveaux de guidage et de contrôle:
l'action et la représentation. La méthode expérimentale
constitue esse~ticllement sa démarche de c0nnaissance ; et
la nécessité du raisonnement expérimental se f~it sentir
lors de confli~s ccgnitifs.
Dans les trois schémas de régulation, le confl it cognitif
appara't comme la conditian nécessaire du développement des
- 599 -
instruments cognitifs. Mais la conduite de compensation
inaugure le stade des opérations formelles et détient par
conséquent la condition suffisante de 1 'achèvemert des struc-
tures.
Il Y a un double mouvement biunivoque qui lie
l'action et la conceptual i s a t t on , mou ve me nt que l'on peut
schématiser de la façon suivante.
Vection N° 1
_______
ACTION
~---)I
I~(
2
FIGURATION
)I CONCEPTUALISATION
Vection N° 2
Dans la démarche "épistémique", celle qui va de
l'action à la connaissance, le cheminement "action-figuration-
con cep tua lis a t ion" est i nvar i a bl e che z t 0 us les êt r e s huma i ns.
Il constitue un ordre d'acquisition et indique par conséquent
la vecticn du développement tVection N° 1).
Dans la démarche "pragmatique", celle qui va des connaissances
à
l'action, le cr.eminement inverse "conceptual i s a t i o n-
figuration-action ll e~t aussi invariable chez tous les indi-
vidus ; car un concept ne oeut être directement appliqué à
un objp.t p~rticulier sans subir une traducti9n figurale, une
schématisation en fon,tion du but poursuivi. Le chemirement
de la conceptualisation à 1 lact~on, fournit une bonne des-
criptio~ de la démarche exoérimentale. L'hypothèse consiste
- 600 -
en une activité de conceptualisation; son opérationnalisa-
t i on relève de l'activité de s hc éma t i s a t i o n ou modélisation,
et sa vérification de l'action, c'est-à-dire de l'applica-
tion du modèle à un 0bjet réel. La vection 2 caractériso. le
processus d'util isation des connaissances dans un contexte
particulier. Mais la particularité du conte~te, donc son
degré de famil iarité pour le sujet entraîne toujours la
construction de nouveaux possibles.
Nous ne terminerons pas ce chapitre de contribution
sans tenter de dégager les implications du modèle de régula-
tion de l'activité cognitive en liaison avec les travau~
an t
rie urs. No us ce nt r e r
é
0 ns no t r e a na lys e de
fa ç 0 n spéc i fi que
s~r les recherches relatives aux styles cognitifs.
III - NIVEAUX DE REGULATION ET STYLES COGNITIFS
Il s'agit de savoir si l'or. peut bâtir un modèle
de fonctionnement cognitif qui
intègre les styles et les
modalités de régulatior.
Une tentative de ce genre a été i na uqur-ée par Reuchlin (1973)
lo~squ'il relie les processus cognitifs fondamentaux et les
s t y les deI,! i t ki n (1 962
1l é met l' hy p
ï
,
1) t hè s e
de f air e cor-
respondre l e style "indépendance à l'égard du champ" à une
dominance de la formalisation et le style "dépendance" à
celle de la r e l i s e t i on . Dans l'esprit de l'auteur, l~ réa-
é
- 601 -
lisation entretient avec la f0rmalisation des interactions
diverses descriptibles suivant trois modalités. Dans la pre-
mière. l'un des processus peut-être dominant et assurer la
régulation de la conduite de façon quasi-exclusive; ainsi
le processus de réalisation suffit à assumer le contrôle de
l'activité adaptative lorsque la ~ituation ne pose pas pro-
blème. Mais lorsqu'un problème survient, la formalisation
tend à prendre le relais de la réalisation en fonction des
contraintes temporelles que la situation impose au sujet.
La deuxième modalité d'interacti~n est la complémentarité
des deux processus. La pensée formelle pour devenir adaota-
tive a besoin de s'informer sur des contenus, de s'appliquer
à des situations où le sujet est impliqué:
"Ce s informations
ne sont autre chose quo des contenus constamment produits
par la réalisation, dont le rôle essentiel est donc de four-
nir à la formalisation les données, l'input, à partir de quoi
elle ~ourra procéder à des traitements extrêmement variés
selon des règles op~ratoires dont le développement chez
l'enfant a été étudié par Piaget" (1). Inversement, les con-
naissances acquises aux moyens de la formalisation peuvent
être stockées sous forme de contenus ; ce s t oc ka ce permettrait
de libérer les capacités de la formalisation.
Enfin la troisième modalité d' interaction consis~e en un
éventuel antagonisme des deux pr oce s s us : "l'analyse formelle
(1) M. REUCHLIN, op. cit., 1913, p. 404.
- 602 -
d'un phénomène peut-être genée par la persistance de sa re-
présentation immédiate et concrète" et inversement.
Tout le problème est de ~avoir comment la pensée naturelle
dépasse ces contradictions. Fi~it-elle par privilégier un
seul processus? Trouve-t-elle des s ol ut i ons intermédiaires?
Notre modèle de régulation de l 'activité cognitive est con-
forme aux trois modalités d'interaction des processus cogni-
tifs et apporte des éléments d'explication.
Dans la première modalité d'interaction, la dominance d'un
processus entraîne deux types de conduites: d'une part, la
primauté de la réalisation déclenche une conduite cognitive
équilibrée, l'individu se trouvant dans une situation non
co~flictuelle ; il fait appel
pour ses besoins du moment aux
contenus schématiques ou sémiotiques; d'autre part, la pré-
pondérance de la formalisation est la conséquence d'une in-
teraction "sujet-objet" conflictuelle. L'individu manifeste
une conduite déséquilibrée rarce que les contenus de la
r a l i s a t i on ne suffisent plus pour appréhender l'objet
de
é
nouvelles constructions opératoires s'imposent.
La deuxième modalité traite de la complémentarité des deux
processus. Le ~odèle de régulation de l'activité cognitive
pose la complémentarité com~e la condition siné qua non du
fonctionnement cognitif; car comment l'individu se compor-
teràit-il dans une situation particulière s'il ne pouvait
- 6U3 -
s'appuyer sur les contenus anciens pour identifier l'objet.
Le recours ?ux contenus ouvre trois possibilités de condui-
tes: ou bien l 'objp.t est totalement identifié et il ne pose
pas problème; une conduite réalisatrice suffit à le ~ircons-
crire ; ou bien il n'est pas du tout identifiable et
ne
po~e pas problème au niveau cognitif, quoiqu'il puisse en
poser su~ le plan affectif; le sujet n'émet aucune conduite
ou bien l'objet est partiellement identifié et il pose pro-
blème ; le sujet cherche à en connaître la partie cachée
la rééquilibration va consister en la construction d'une
connaissance totale.
La troisième modal ité décrit les p0ssibilités d'antagonisme.
Le modèle de régulation de l 'activité cogn~tive l'intègre
aux deux premières; car l'antagonisme révèle une situ?tion
,
de conflit cognitif que le sujet doit dépasser; s'il se
contente des contenus de la réal isation, le blocage cognitif
persistera; s'il élabore un n0uveau concept plus opératoire;
la contradiction sera levée. L'antagonisme ou le conflit ne
peut donc pas se concevoir en dehors de la co~plémentarité
ou de l'alternance fonctionnelle des deux processus, car
c'est lorsque les contenus de la réalisation ne répondent
pas parfaitement aux besoins de la signification et de l'or-
ganisation de la tâche que celle-ci pose problème.
En dehors de cette première différence, une seconde
liée d'ailleurs ~ la première, apparaît quant à la fonction
- 604 -
du processus de réalisation. Pour notre part, la réalisation
remplit une fonction de sémantis?tion et d'organisation des
con~aissances nécessaires ou traitement ne l'information par
l'action ou la représentation; mais elle ne qénèrc Das de
contenus, ~uisque la genèse suppose un conflit cognitif en-
gendrant une rééquilibration, donc une constructior. Si
construction il y.a, elle se dér0ule au niveau de l'action
ou de la représentation et produit des contenus schématiques
ou sémiotiques. L'apr>lication d'une action ~ un objet évoque
et utilise des contenus schématiques, tout comme l'applica-
tion d'une représentation (modèle) à un contexte évoque et
utilise des contenus sémiotiques.
Le problème qui reste encore à éclaircir, c'est celui du
statut de la réalisation et de son intégration dans une théo-
rie du fonctionnement cognitif. Que1le est la nature de ce
processus qui, à première vue, se montre dépendant et fonc-
tionne sous sor propre contrôle jusqu'à la rencontre d'une
situation-problème? L'hypothèse de Reuchlin faisant d? la
réalisation une modal ité d'adaptatio~ plus économique que la
formalisation ~ous certaines conditions retient l'attention.
La réalisation serait un processus vicariant, capable de
su~pléer la formalisation dans des contextes familiers ou
vitaux. Sa fonction consisterait d'une part, à délivrer les
contenus de façon instantanée dans les sit~ations familières
ou catastrophiques, et d'autre part, à fournir un cadre or-
ganisateur de base nécessaire au bon déroulement de l'action
- 605 -
ou de la représentation dans dps situations peu familières.
CP. processus vicariant serait le propre de la régulation de
l'activité cognitive chez l'être humain. Articulé sur la
formal isation, il rendrait compte du passage d'une oensée
statique fondée sur des contenus séculaires ~ une pensée
opératoire dynamique, en quête de nouvelles formes et struc-
tures.
La manière dont un sujet psychologique utilise et
dépasse les sontenus de la réalisation dans nes situations
particulières pourrait correspondre à des styles cognitifs,
notamment à ceux formalisés par WITKIN (1962)
; en d'autres
term~s, les styles cognitifs entretiendraient des rapports
=vec les niveaux de régulation de l '?ctivité cognitive. On
pourrait dégager trois styles cognitifs en relation avec les
trois moda~ités de régulation.
Le premier style, c'est la "dépendance à l'égard du champ".
Selon Witkin, les individus dépendants du champ sont très
peu différenciés au pla~ psychologique et utilisent un sys-
tè~e de référence externe. L'absence d'u~e ligne de démar-
cation entre le moi et le non-moi introduit des possibilités
de contamination entre l'objectif et le subjectif. Ce style
serait associé à une dominance du processus de réalisation
dans le fonctionnement cognitif. Souvent confronté à des
s;tuations familières qui engendrent peu de conflits, le
sujet se cc.ntenterait d'employer les contenus anciens pour
maintenir son équilibre avec le milieu. Il n'aurait pas be-
- 606 -
soin de déployer des capacités de structuration-restructuration
co~pte tenu de la nature de son interaction avec les situa-
tions. c~ qui laisse à penser qu'en cas de changement radi-
cal de l'environnpment
les individus seraient désorientés
t
du fait de la limitation des possibilités de rééquilibration.
La régulation de l'activité cognitive se situe au niveau de
l'action immédiate ou au plus, à celui de la représentation
figurale donnant lieu à une pensée analogique.
Par hypothèse, les milieux traditi0nnels, de par leurs ca-
ractè~es conservateurs offriraient les conditions favorables
au développemert du style "dépendance à l'égard du champ".
A l'autre pôle du continuum, nous avons le style
"{ndé pe nd enc e à l'égard du champ". Les sujets
indépendants
sont bien différerciés sur le plan psychologique et utili-
sent un système de références internes; ils traitent de
façon opératoire les données de , 'environnement sans se lais-
s e r i rn pre s s ion ne r par 1e s pro p r i été s a f f e c t ive s des st i mu 1i .
Ce style pourrait correspondre à u~e dominance de la forma-
lisation.
Confrorté à un objet inhabituel que les contenus de la réa-
l isation ne parviennent pas à restructurer, le sujet l'atta-
que à un niveau supérieur, mettant à profit sa représentation
pour en construire le modèle. Il est bien entendu que le
modèle s'organise scr la base des contenus disponibles; mais
il comporte aussi les idées hypothétiques du sujet destinées
- 607 -
à résoudre le conflit; ce qui
signifle que celui-ci a cons-
cience de l'insuffisance de son cadre organisateur initial.
Il exploite alors le~ ressources de ses capacités de struc-
turation-restructuration pour parvenir ~u but. Ce chemine-
ment long, coûteux, mais précis caractériserait la conduite
intellectuelle du sujet indépendant; il en expliquerait la
flexibilité. Ce style est donc déterminé par la dominance
de la représentatiJn conceptuelle dans la régulation de
l'activité cognitive.
Par hypot hè se, les soc i été sin dus tri el l ~ s 0 fI l' é vol ut ion des
sciences et de~ technologies impose un rythme de crangement
rapide, fourniraient lp.s conditions favorables au développe-
ment du style lIindépendancc à l'égard du champ".
,.
Le troisième style coordonne les deux premiers en
un style "mixte". Les individus II mi xt e s ll ont une différen-
ciation psychologique normale leur permettant d'alterner
constamment l'emploi des processus de réalisation et de
formalisation suivant la nature des problèmes qu'ils rencon-
trent.
Ils ne sont ni allergiques à l'action directe, ni à
son anticipation p~r le circuit de la représentation et du
modèle. Le style "mixte"
caractériserait l'être humain
normal et
qu i l ibré, capable de formal iser à partir de con-
é
tenus ou de réaliser à partir de formes. La régulation cogni-
tive est alternative dans ce cas.
Pèr hypothèse, les sociétés industrielles réuniraient les
- 608 -
conditions optimales du développement des styles mixtes.
S1 les styles cognitifs et l'intelligence se dis-
tribuent suivant une courbe normale de Gauss t comme le pos-
tulent certains psychologue~t on devrait s'attendre à ce que
50 % de sujets d'une population normale fonctionnent au
moyen d'un style "mixte"t 25 % respectivement au moyen d'un
style "dépendant" ou "indépendant". L'intelligence moyenne
dans une société donnée devrait se définir par rapport à la
norme de 50 % qui maîtrisent simultanément la réalisation et
la formalisation à un certain niveau. Les 25 % "dépendants"t
spécialisés dans la réalisation auraient du mal à décoller
du réel et rechercheraient l'exercice d'activités concrètes.
Les 25 % "indépendants" t versés dans la formal i s at i on , échap-
peraient facilement à la réalité perceptive et se hisseraient
à des niveaux de théorisation de pointe.
Le problème est alors de savoir s'il y a avantage à se situer
à tel
ou tel niveau de régulation de l'activité cognitive et
d1appartenir? tel ou tel style cognitif. En d t e ut r e s termes,
les individus respectivement caractérisés par un styl~ sont-
ils aussi utiles et aussi importants sur le plan social?
On peut présumer que l 'avanta~e d'un style cognitif dépend
des demandes éco-culturelles. Si le célèbre microbiologiste
français Louis Pasteur avait été affecté dans un milieu
africain traditionne1 du dix-neuvième siècle t à la fin de
ses études universitaires t il a~rait certainement eu du mal
- 6U9 -
à fonctionner sur la base de circvits
intellectuels longs à
cause d'une raison évidente parmi tart d'autres, la faible
division du travail. Devant lui-même subvenir à tous ses
besoins fondamentaux, 0n ne voit pas comment il aurait pu
formaliser dans les contraintes adaptatives que lui impose
l'environnement. Les individus qui utilisent de préférence
le processus de réalisation seraient avantagés par la nature
des problèmes à résoudre.
Le style de l'argumentation montre que la société moderne
valorise les styles cognitifs "mixte~ et indépendants" ;
parce que, par hypothèse, si l'on construisait une hiérar-
chie des emplois, les travailleurs manuels et les ouvriers
non spécialisés se recruteraient parmi les "dépendants du
cha mp", les 0 uvrie r s s pé c i a lis é s , les c a dr e s m0 yen set supé-
rieurs, les ingénieurs, les ch~rcr.eurs expérimentalistes,
parmi l e s "mixtes", les scientifiques de qé ni e , parmi les
"indépendants du champ".
Un style cognitif n'est donc ni utile, ni valable en soi
car il ne dépend ni des individus en ~oi, ni des situations
en soi, mais de leurs interactions en fonction des besoins
de l'adaptation.
Le modèle de r qu l a t i on de l'activité cognitive s'accorde
é
bien avec les styles cognitifs de WITKIN ; et la démarche
exp~rimentale en tant que démarche procédant èlternativement
de la régulation par l'action ou par la représentation s'ins-
- 610 -
crit dans un style "mixte".
~n définitive la démarche expérimentale appara1t
comme une démarche stratégique qui ne peut s'épanouir ~u'à
l'intérieur de l'activité de représentation intégrant les
contenus et les langages (o p r a t eur s ) dans une pensée totale.
é
Il n'est plus opportun dans ces conditions de poser la ques-
tion de l~ primauté de la pensée ou de la langue; car le
développement de l '2ctivité langagière dans les situations
d'apprentissage formel
traduit corrélativement le développe-
ment de la pensée et "de l 'activité conceptuell~. Le niveau
de langue de l'individu réflète donc son niveau de concep-
tu~lisation, à condition bien sûr qu'il ne s'agisse pas de
psittacisme.
Notre contribution laisse apparaître, en dehors de la m~tu
ration dont l'importance n'est plus à démontrer dans la
détermina~ion d'une "zone d'assimilation et d'accommodation
optimale" comportant l'ensemble des conduites possibles
d'un sujet psychologique, que d'autres facteurs, et parmi
les plus décisifs, interviennent sur le développement de la
pensée formelle et du raisonnement expérimental: ce sont
d'abord l 'instruction form~lle, source de contenus variés,
ensuite l'action et la représentation, sources de formes et
de langages, enfin 1= différenciation et coordination des
aspects téléonomique et constructif de la pensé9, source de
l'activité régulatoire.
- 611
-
D'abord l'instruction formelle. Quel que soit le niveau
de l'activité de l'élève, le degré de structuration des
instruments cognitifs et leur degré d'applicabilité à un
contexte particul ier dépendront de l'instruction formelle;
c'est elle qui alimente le processus de réalisation en
contenus riches et variés par l'intermédiaire des disci-
plines scolaires et détermine par conséquent la f?milia-
r i t
des objets. Pour l'élève, elle facil ite la sémanti-
é
sation des tâches préalable à la sppcification des
opérations à leur arpliquer = avoir des connaissances
dans des domaines divers, c t e s t être prêt à affronter ces
domaines de façon adéquate, c'est être armé pour modéliser
la démarche d'investigation de l'objet. Un milieu socio-
culturel sera d'autant plus favorable au développement
optim~l de la pensée qu'il propose à l'enfant une ins-
truction formelle.
Ensuite l'action ·et la représentation. L'action est la
condition primitive du développement des ~tres vivants.
Elle permet à l 'homme de construire les premiers instru-
ments de l 'adaptation intellectu~lle. Aux environs de
deux ans, l'action se transforme en représentation sous
l'effet de la fonction sémiotique. La prise de distance
du sujet par rapport à l'objet entraîne progressivement
la structuration de conduites stratégiques, médiatisées
par des procédures formulées et prcgrammées à l'aide de
modèles hypothétiques. La généralisation de l'intermodalité
- 612 -
lors de l'avènement de la représentation conceptuelle v~
contribuer A l'instrumentation de l'intelligence, assurer la
mobilité de la pensée indispensable A tout comportement de
recherche.
Du point de vue de la genèse, Piaget souligne la continuité
fonctlonnelle entre le symbole individuel, analogique, et le
signe social, arbitraire. Il pose une imputation causale
entre la reprAsentation figurale,
analogique ~t le repré-
sentation conceptuelle, conventionnelle: c'est la construc-
ti0n des symboles individuels qui déterminent l'acquisition
du lang~ge social. Dans l'ordre chronologique des faits, la
représentation serait d'abord un phénomène i~dividuel avant
de se transformer e n un phénomène socio-culturel qui, à son
tour, reconstruit les images de départ sur un autre plan après
les avoir analysées. Ce cadre de la causalité circulaire
s'inscrit en droite ligne dans la théorie i nt e r a c t i onn t s t e
intégrale que nous défendons et qui implique qu'à ressources
symboliques égales dès le départ, certains milieux ~euvent
être plus favorables que d'autres au développement de la
pensée formelle par la variété et la ~ichesse des langages
qu' ils proposent à l'enfant au cours des a p pr e nt i s s e qe s . Le
milieu scolaire présente plus de contenus et plus de langa-
ges à l'élève que le milieu traditionnel.; il l'incite à
s'en servir pour cnder différents aspects de la réallté,
pour construire des modèles. On comprend pourquoi la régula-
tion de l'activité cognitive s'y effectue au niveau de la
- 613
représpnt?tion conceptuelle après quelques années de
formation.
Il en résulte le développement optimal du
proce~sus de formalisation et du raisonnement expérimen-
tal chez l'adolescent scolarisé.
Enfin la différenciation des fonctions téléonomiques et
constructrices de la pensée. Ce n'est pas un fait ~e
hasard si l'homme a toujours tenté de comprendre l'uni-
vers p~r la causalité ou par la finalit p • Le choix épis-
témologique se justifie dans la perspective d'une orga-
nisation et d'une r a t t onne l i s a t i on de l'action; il s'agit
de la recherche de l'efficacité de celle-ci.
La différenciation des aspects téléonomiques et cons-
tructifs de l'activité cognitive suppose l'application
de la méthode analytique pour définir les buts et élaborer
les moyens correspondants. La coordination de ces aspects
implique l'application de la méthode systémique en vue
d1articuler les moyens sur les buts. La différenciation
et la coordination des buts et des moyens entraînent une
démarche cognitive stratégique: planification des moyens
en fonction des buts, programmation séquentielle des
actions par anticipation ... Ce fonctionnement cognitif
développe le sens de la rationalité, de l'organisation,
de la prévision; il renforce l'esprit de
projets.
C'est pourquoi il reste logiquement soumis au contrôle
de la représentation conceptuelle.
- 614 -
Un milieu s oc i o c ul t ur e l q1IÏ incite l'adolescent
e
à développer
des capacités d'Organisation, à fonctionner par la coordi-
nation des buts et des moyen~, c'est-à-dire à rééquilibrer
ses propres conduites au plan de la représentation concep-
tuelle, ~st plus favorable qu'un autre au développement de
la pensée formelle et du raisonnement p.xpérimental.
La théorie constructiviste et interactionniste est
donc heuristique à un double titre; car elle comporte, d'une
part, un modèle d'étudo. du sujet, et d'autre part, un modèle
d'étude du milieu. Elle réunit les conditions du sujet et du
milieu en fonction desquelles toute conduite s'explique.
-r
CON C LUS ION
G E N E R ALE
1
r /
)/
'/
';:
.
.... . ~~.... ,.
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.~,:. ~ ~ :."." . ·
- 615 -
CONCLUSION GENERALE
Au terme de cette étude, nous croyons avoir répondu
à la question qui faisait l'objet de notre préoccupation, à
savoir quelles sont les conditions du sujet et du milieu sus-
ceptibles de provoquer le développement de la pensée formelle
et du raisonnement expérimental. Il appara't que les niveaux
d'élaboration auxquels parviennent l'action et la représenta-
tion chez un sujet dans un milieu socio-culturel donné, sont
responsables de la construction optimale de la pensée. Slil
s'avère à première vue difficile de mesurer le degré de v~ria
bilité de llaction chez les individus d'une culture à l'autre,
les choses se présentent sous un angle différent avec la repré-
sentation. En effet, on peut évaluer le niveau -de 'la r e pr sen-
é
1
(
/
tation de llenfant dans un environnement culturel aux moyens
)
de deux indicateurs: un indicateur objectif consistant en la
recherche de tous les moyens de traduction d~ réel présents
dans la culture (langage oral, écrit, dessin, image ... J ; et
un lndicateur subjectif correspondant au degré de maîtrise de
11 individu dans la modél isation de l'activité cognitive. Cette
maîtrise peut atteindre le palier de la représentation fiqu-
rale et se traduire par des modèles en blocs unitaires d'in-
formations avec une composànte contextuelle principale et des
composantes contextuelles .p r i phé r t que s ( cas des iadul tes ruraux};
ë
elle peut s'élever au niveau .de la représentation conceptuel te
- 616 -
et s'exprimer par des modèles hypothético-déductifs puissants
(cas de certains élèves de Sè et 4è).
La référence à l'indicateur objectif n'est pas très informative
puisqu'elle entra'ne chez le chercheur une démarche statique,
figée. Rien ne permet en effet de penser que la présence de
l'écriture dans une culture suppose son intégration homogène
au plan de la représentation chez tous les membres de la socié-
té. En revanche, l'indicateur subjectif comporte une perspec-
tive dynamique. La formulation verbale du modèle organisateur
de l'activité cognitive informe l'expérimentateur sur les buts
poursuivis par l' adol e s cente t les moyens pour y par ven i r. La
connaissance des fonctions téléonomiques et constructrices de
l'activité cognitive permet ainsi de suivre pas à pas l'exé-
cution de l'expérience.
Si la représentation est la condition du sujet et du milieu
favorable au développement du raisonnement expérimental, il
faut alors admettre que les différences introduites dans les
milieux socio-culturels par le degré de structuration des lan-
gages qui constituent des modalités de présentation de la pen-
sée, entraînent forcément des différences dans le développe-
ment cognitif des sujets et des groupes correspondants. Aussi
les logiques humaines subissent-elles une variation intra ou
inter - individuelle ou culturelle suivant le degré de struc-
turation de la représentation en liaison avec le niveau de
régulation dominant. Dans les milieux africains traditionnels
- 617 -
où la régulation de l'activité cognitive s'effectue essentiel-
lement par l'action ou par la représentation figurale. les
adultes construisent des modèles figuraux adaptés au fonction-
nement d'une logique pragmatiq~e. Par contre. la décontextua-
lisation des apprentissages en milieu s col a t r a la désambiguïsa-
tion des notions au cours d'une instruction formelle passant par
le canal du langage oral et écrit. amènent les élèves à se
distancier des oQjets réels, à découvrir une motivation cogni-
tive particulière dans la manipulation mentale des symboles
conventionnels. Il en résulte le développement final de la
représentation conceptuelle et des "circuits longs" ; ce qui
incite l'adolescent scolarisé à bâtir des modèles hypothétiques,
confronté à une tâche particulière: d'où la prédominance de
la logique formelle.
Le sprat i que s éd uc à ti ve s -forme 11 es (é ducat ion moderne )
exercent donc une influence décisive sur la construction défi-
nitive de la représentation conceptuelle et du raisonnement
expérimental. Elles se distinguent des pratiques éducatives
.
'.
informelles (éducation traditionnelle), non seulement sur
l'axe de la représentation, mais aussi sur celui des types de
structuration de l'environnement éducationnel. Par sa dominance
en types de structuration souple, l'éducation moderne suscite
les con f lit s c 0 9nit ifs che z l' e nfan t e t lui pro posel e s moyens
de les compenser; elle prépare plus efficacement le psychisme
enfantin à la cons t ruc ti o'n du processus -de représentation.
C' est ce t t e ca pa c i té de bas eq ue ·l'·é col e va dé ve l 0 ppe r par l a
i,
. '
. " ~"';' ......
.... ...
.,-.
"
."
.-<,
,
- 618 -
création de situations d'apprentissage hors-contexte, par
l'instruction formelle dans une langue désambiguTsée.
L'insistance sur la représentation dans l'émancipation de la
pensée formelle ne va pas sans poser le problème du fonction-
nement cognitlf chez le sujet psychologique réel. La repré-
sentation est à la fois un processus de construction et de
conservation des connaissances. Lorsqu'elle construit, on dit
qu'elle "for-ne l t s e " ; l or s qu I e l l e utilise les connaissances
stockées pour façonner 11 ossature d'un modèl e, on dit qu' ell e
"réalise", qu'elle réorganise l'information disponible dans
l'optique d'un problème donné. Pour fonctionner, la représen-
tation articule donc deux processus: la formalisation et la
réa lis at ion. C' est dan s l e ca dr e de l' i nt e r a ct ion de ces pro-
cessus que l'activité modél isatrice prend un sens; car le
~
sujet èonstruit toujours son modèle à partir de deux sources
1
.J
d'information, une source personnelle relative au niveau de
connaissances de l'objet; et une source objective inhérente
aux propriétés physiques de celui-ci. Sans une connaissance
pré a l ab l e dan sun d0 ma i ne donné, l "a t tri but ion des i 9nif i ca -
tion aux choses est impossible de même que la spécification
des opérations adéquates. La construction opératoire suppose
donc la maîtrise de connaissances de base à partir de quoi
l'individu progresse.
La régulation de l'activité cognitive ne peut se concevoir en
dehors d'un modèle bi-processuel du fonctionnement cognitif:
- 619 -
les processus de formalisation et de réa11sation. Quels sont
les avantages de ce modèle au plan de l'explication psycholo-
gique ? On peut déjà en dénombrer trois; il permet la com-
préhension
- de la genèse du confl it cognitif et du mécanisme
de la régulation;
des décalages horizontaux
- de l'influence des situations d'apprentissage sur
la pensée.
D'abord! la genèse du conflit cognitif et du mécanisme de la
régulation.
On insiste aujourd'hui sur le rôle du conflit cOgnitif et de
la rééquilibration dans la genèse des instruments intellec-
tuels. Le sujet ne construit pas des connaissances à n'importe
quel moment; il le fait de façon motivée lorsque son bagage
cognitif actuel ne suffit pas pour résoudre un problème. Mais
comment se rend-il compte de l'insuffisance de son niveau co-
gnitif ? L'hypothèse suivant laquelle l'information lui vient
de l'échec de son modèle initial constitué à partir des con-
naissances antérieures sur le problème est la seule à pouvoir
retenir l'attention. C'est par rapport aux contenus du proces-
sus de réalisation que le sujet interprète et traite la tâche.
Si èlle résiste à ses schèmes d'assimilation, alors le conflit
co gni Ci f sem an i f est e ; .sa corn pen s a t ion va déc l en che r 1ami se
<:
.en vo euv r e du processus~e formalisation.
Ici le processus de
.'
, :
::. ."
- 620 -
réalisat10n peut être assimilé à un comparateur dont le rôle
est d'informer le sujet sur la suffisance ou l'insuffisance
des contenus par rapport à la norme de résolution du problè-
me posé. En cas de suffisance de l'information ou cas d'équi-
libre. la régulation se fait par la réalisation; en cas
d'insuffisance de l'information ou cas de déséquilibre. la
régulation se fait par la formalisation. De nouveaux schèmes
ou de nouvelles opérations nécessaires à la rééquilibration
sont produits.
le modèle de régulation de l'activité cognitive débouche sur
la théorie d'un fonctionnement cognitif bi-processuel. Ce type
de fonctionnement exige de considérer en plus de la mat~ration,
l'instruction formelle, l'action et la représentation, la dif-
férenciation et la coordination des fonctions té1éonomiques et
constructrices de la pensée comme des facteurs du développe-
ment cognitif.
Ensuite la compréhension des décalages horizontaux
le fait de savoir que 1a t.rop grande famil t ar i t
ou 1a non
é
famil iarité de l'objet peut bloquer l'opérativité du sujet
constitue une information nouvelle. Un objet trop familier
pour le sujet est traité par le processus de réalisation
un objet un peu familier dans la mesure où il suscite un
conflit 'cognitif est appréhendé par le processus de forma-
lisation ; un objet non familier n'est pas du tout traité
même si le sujet possède les capacités cognitives requises,
parce que non signifié. les décalages horizontaux peuvent
."_,: -
• 621 •
alors s'expliquer par des distorsions éventuelles entre le
degré de structuration des opérations et leur degré d'adéquation à la
tâche, suivant que celle-ci est familière ou non familière.
Enfin, la compréhension de 11 influence des situations sur
la pensée.
Le développement des processus cognitifs est à la fois dé-
terminé par les caractères propres à l'individu et aux si-
tuations d'apprentissage
d'une part, plus les situations d'apprentis-
sage sont informelles, plus les sujets utili-
sent des "circuits courts" ; et plus le pro-
cessus de réalisation assume
le contrôle de
l'action de facon dominante.
D'autre part,
plus les situations d'apprentissage se rap-
prochent du pôle formel,
plus les sujets
tendent cl mettre en oeuvre des "circuits
longs" ; et p lus le pr oc e s sus de formalisation
exerce de facon quasi-exclusive le contrôle de
l'action'par l'intermédiaire du mod~le.
La coordination des apprentissages formels et des apprentis-
sages informels est propice au développement d'une pensée
humaine équilibrée. Mais si l'on choisit délibérément dans le
cadre d'une politique d'éducation de développer la pensée
formelle,
il convient alors de mettre en place une pédagogie
centrée sur des situations d'apprentissage formelles, neutres
pour l'élève, qui
incitent celui-ci à prendre de plus en plus
.' de vd i s t anc e cp e r rapport à l'objet. On comprend alors pourquoi
. . .~'~. .
- 622 -
le matériel discret proche des situations udécontextua11sées u
s'avère plus adéquat pour l'induction des opérations formel-
les que le matériel physique. On comprend aussi l 1 inefficacité
de la logique pragmatique dans les situations discrètes
(permutations) et sa relative efficacité dans les situations
physiques (flexibilité. pendule) dont les contenus ressemblent
aux contenus schématiques ou figuraux par l'intermédiaire
desquels elle schématise la démarche investigatrice.
La caractérisation de la pensée négro-africaine
traditionnelle par une dominance de la logique pragmatique. du
processus de réalisation et de la représentation fiqurale si-
gnifie-t-elle que le développement cognitif s'arrête au stade
des opérations concrètes? Assurément non. car Al' instar .de
toute pensée humaine. elle continue à construire des contenus
/
sémiotiques analogiques élaborés.
r
,-'
Tout au long de l'étude, nous avons évoqué la représentation
figurale consistant en une intériorisation des images sensi-
bles (2-6 ans), dépassée vers 7-8 ans par la représentation
conceptuelle, celle qui accorde une place plus importante au
l an gag e dan s l ami se en for me de l' act i vit é cognit ive. Cet t e
description des choses donne l'impression que le développe-
ment de la représentation fiqurale s'estompe une fois qu'elle
se transforme en représentation conceptuelle sous l'effet du
milieu socio-culturel. En réalité, il n'en est rien. Tout
comme l'action, la représentation figurale poursuit un déve-
• 623 -
loppement autonome et entra1ne l'éclosion d'une pensée analo-
gique de niveau supérieur. Il sur r t t de se référer à T' un t ver-s
des contes, des proverbes, des devinettes qui foisonnent dans
toute éducation de tradition orale, quels que soient le temps
et l'espace, pour s'en convaincre. Si aujourd'hui, la pensée
occidentale ne s'appuie plus sur les contenus imagés des pro-
verbes ou des contes, elle le
doit
A la pratique d'une ins-
truction formelle fondée sur un héritage de concepts monosé-
miques orthographiés. LIAge des proverbes tel que "Pierre qui
r 0 ul e nia mas sep a s mou s s elle s t bel e t bi e n r é vol u , Par con t r e,
les négro-africains ruraux qui sont encore sous le contrôle
de l'éducation traditionelle, développent suivant l 1 expression
de L.S. Senghor, une pensée "e nce i nt e d'images"
ce qui n'est
plus le cas de la plupart des intellectuels qui ont fini par
adopter des habitudes de conceptualisation scolaire. Il est
donc normal que les contes et les proverbes regressent lors-
que l'école et la représentation conceptuelle progressent.
Le recul des contes et des proverbes signifie-t-il que la re-
présentation figurale regresse aussi avec l 'av~nement de
l'école? Non, elle continue à s'épanouir de façon autonome
jusqu'à atteindre des niveaux d'imagination qui échappe à une
intelligence ordinaire. Il suffit pour cela, dans le contexte
de l'éducation moderne, de lire les poésies symboliques pour
comprendre. La référence symbolique des écrivains est si abs-
traite que l 'herméneutique nécessite une initiation par un.
"p r-o f e s s eu r vd e vt n? • Les sociétés modernes ont donc leurs devins,
- 624 -
leurs experts dans l'interprétation des signes. Mais la dis-
tinction de la science et de la poésie ou de la religion
entra'ne celle des registres du fonctionnement cognitif. On
n'ira pas voir un poète ou un curé pour deviner la propaga-
tion actuelle du SIDA dans le monde contemporain. L'absence
de cette démarcation stricte dans les sociétés africaines
t rad i t ion ne11es a bat 1a cl 0 i son qui s par e lia r t,la rel i gi on
é
et la science. Ici, le devin n'est pas seulement un artiste,
un prophète versé dans l'observation, la description et 11 in-
terprétation des phénomènes naturels, mais un savant de réfé-
rence chez qui les individus ou les groupes accourent lorsqu'-
ils se savent désarmés face à un problème singulier. En
Afrique traditionnelle, seul le devin aurait pu expliquer le
SIDA par rapport à la cosmogonie animiste, à la conception de
,1 1 uni ver s Il toi 1e - d'a rai gnée Il 0 Ù t 0 ut vit e t set i en t . Subi r
:/
1'épreuve du SIDA serait interprèté par le devin comme une
./
malédiction de Dieu répercutée sur le groupe social pa~ les
ancêtres. Cette malédiction serait la conséquence de conduites
néfastes produites par 11 homme et génératrices de déséquilibre.
Le problème consiste donc à ramener l'harmonie initiale, à
supplier les ancêtres pour qu'ils revitalisent la lignée. en
accroissent la consistance ontologique. La mise en place de
cérémonies rituelles par le devin. sorte de II ps yc ho- s oc i o-
drame ll au cours duquel chaque individu se confesse publique-
ment, se fait pardonner par la communauté des morts et des
vivants du mal fait en cachette. La confession publique aurait
- 625 -
par exemple permis de savoir que les malades du SIDA se re-
crutent parmi les homosexuels, les drogués ... la réconc111a-
tion avec le cosmos acquise au terme de la cérémonie ~ituelle
aurait permis de pardonner à ces déviants, tout en les menaçant
de mort, au nom des ancêtres, en cas de récidive. le résultat,
c'est que tout le monde s'aligne sur les normes sociales pen-
dant un temps plus ou moins long, les fauteurs de troubles
n'ayant plus droit à l'erreur.
la démarche expérimentale et la démarcheexpériencée posent
donc un problème épistémologique, celui du choix du modèle
interprétatif de la nature: Faut-il opérer du signifiant à
l'objet-signifié ou de l'objet-signifiant tel qu' 11 est à sa
signification? Opérer du signifiant à l'objet-signifié, c'est
déjà poser 1 'activité d'analyse comme le fondement de toute
connaissance, se donner pour tâche de faire l'inventaire de
"
,
r
('
tous les objets possibles et le temps de les traiter en leur
absence. La connaissance sera alors de l'ordre de ce qui est
verbalisable : d'où le primat du mode de représentation con-
ceptuelle.
Procéder de l'objet-signifiant à sa signification, c'est
d'emblée opter pour une démarche globale qui cherche à signi-
fier les apparences, à capter les informatio~s qu'elles véhi-
culent afin d'élaborer des réponses en conséquence. C'est
induire l'idée abstraite d'une référence externe, sensible,
ado pt e rnour une mcda l i té de traduction
figurale ayant pour fonction
- 626 -
d'écourt~r le d1scours descript1f grâce ~ la force de l'image.
La tendance au discours elliptique propre ~ l'univers des
contes et des proverbes trouve sa ju~tification dans la domi-
nance de la représentation figurale et du symbolisme analogi-
que. Par les énoncés imagés, l'éducateur secoue l'imagination
de l'enfant et fait passer le message moral. L1image seraitle
moyen de traduction le plus adapté à la transmission des va-
leurs moral~s. On peut donc émettre 1 'hypothèse que la forma-
tion à la définition des final t t s passe beaucoup plus 'facilement
é
par le canal de la pensée imagée, tout comme la formation à la
détermination des moyens emprunte de préférence la voie de la
pensée conceptuelle.
Le raisonnement expérimental et le raisonnement expériencé
sont intimement liés dès le départ dans la r s ol ut i on des orc-.
é
blèmes
adaptatifs de l'enfant. Pendant cette période de sol t-
darité, la régulation de l'activité cognitive se fait par
l'action. Mais les deux formes de raisonnement divergent pro-
gressivement, sous l'effet des milieux socio-culturels, dans
le choix du modèle interprétatif de la nature. La régulation
de l'activité cognitive est alors soumise au contrôle de la
représentation.
La démarche expérimentale tente de répondre à la question du
"c omme nt " permettant de connaître la structure de l'objet. La
démarche expériencée essaie de répondre à la question du
"Pourquoi", du but, de la fonction des objets qui se manifes-
- 627 -
te nt dan s l' uni ver set son t porte urs d' 1nfor mat ion : l 1 homm e
doit s'informer, et pour ce faire, chercher l'information là
où elle se trouve, dans la signification de l'objet.
Les deux types de raisonnement déterminent la pensée, le rap-
port à l'univers, le rapport à l'homme, les structures socia-
les. Les chapitres VI et VII sur l'étude comparative de la
pensée et de l'éducation traditionnelle et moderne corroborent
le fait. Les démarches épistémologiques sont donc en interac-
tion régulière avec les sociétés qui les secrètent
et -les
utilisent. Dans les sociétés industrielles, une attention par-
ticulière est portée à la pensée formelle, au
raisonnement
expérimental, à la méthode analytique, parce que
condition
,
sine qua non de la conquête de la nature. L'institution sco-
laire vient réaliser cet objectif. Dans les sociétés tradi-
tionnelles d'Afrique, on a recours au raisonnement expériencé.
L'individu cherche à comprendre le fonctionnement de la na-
ture par une approche globale; il tente de mettre en place
une explication finale: pourquoi la nature fonctionne-t-elle
ainsi? Que veut-elle apprendre à l'homme? Quelles sont ces
intentions? Le style de ces questions montre que la nature
est vivante et se comporte comme un organisme intelligent. Vu
son gigantisme, sa puissance, il nlest pas question de la
conquérir, mais plutôt de se soumettre à l'ordre naturel des
choses, de pact~ser avec elle, c'est-à-dire d'intégrer
.ses
structures aux places prédéterminées.
- 628 -
La démarche expériencée essaie de saisir de façon intuitive
le fonctionnement des êtres naturels. Elle postule que tous
les êtres sont vivants dans la mesure où ils représentent des
organes de la nature vivante. Malgré leur inertie
apparente,
ils comportent des forces potentielles généralement bénéfi-
ques pour 1 'homme; mais celles-ci peuvent devenir maléfiques
si le pacte cosmique est unilatéralement rompu par celui-ci;
des cataclysmes peuvent alors survenir: ce serait le fonde-
ment épistémologique des rites africains destinés à accroTtre
la force vitale, à renforcer la consistance ontologique de
l'individu et du groupe.
Le postulat d'une natutre vivante entraTne celui de la matière
vivante. Pour le négro-africain traditionnel, toute matière
est vivante; ce serait la raison de l'absence de démarcation
/
entre le vivant et 11 inerte parce que la matière vivante peut
,
'f'
se transformer en matière inerte, tout comme la matière inerte
peut muter en matière vivante: c'est le fondement épistémo-
logique de certaines croyances telles que la génération spon-
tanée, la transformat i on dl un ma l fa i teur en rocher ... Pour
l iépistémolngie négro-africaine, tout est possible pour la
nature.
La culture scientifique et la culture négro-africaine tradi-
tionnelle expliquent les phénomènes naturels sur des registres
cognitifs différents: l'une privilégie la causalité et la
logique formelle, l'autre la final ité et la logique pragmatique.
- 629 -
Au vu de ce constat. qlJ 'en est-il du développement des struc-
tures intellectuelles décrites par Piaget comme universelles?
Il ne fait aucun doute que les possibilités intellectuelles
se distribuent normalement dans l'espace t mais leur expres-
sion varie d'une culture à l'autre en fonction du niveau de
régulation de l'activité cognitive et de la nature des conte-
nus qui alimentent le processus de réalisation. Ces contenus
constituent une information disponible prête à être utilisée
en cas de nécessité. Le développement intellectuel ne corres-
pond donc pas au seul développement des capacités de formali-
sation mais aussi à celui des capacités de réalisation, d'or-
ganisation des contenus sur lesquels la pensée doit s'appuyer
pour opérer.
Dans son fonctionnement, l'intelligence .produit plusieurs lo-
.
,
"
giques suivant les caractères de l'environnement: une logi-
que formelle là oD les apprentissages hors-contexte sontpos-
sibles, et une logique pragmatique là où les contraintes de
l'adaptation immédiate n'autorisent pas le recul par rapport
à l'objet. Ces deux logiques se construisent progressivement
et les travaux de Piaget ont mis en évidence l'acquisition de
la logique formelle en insistant particulièrement sur la
coordination des actions du sujet mais sans les relier aux
contenus du processus de réalisation; ce qui a pour effet de
réduire l'importance de l'éducation dans le développement in-:-
te11ectue\\ et le fonctionnement cognitif, aux processus géné-
;'.
- 630 -
raux d'assimilation et d'accommodation non à même d'expliquer
les différences individuelles. Nous avons montré au cours de
cette recherche, dans le cadre d'une théorie interactionnist~
combien l'action du sujet et les caractères du milieu socio-
culturel étaient aussi importants dans la genèse des instru-
ments cognitifs. Dans la ligne des études piagétiennes, il
reste à appl iquer l'approche génétique au développement de la
logique p~agmatique pour en connattre les différentes étapes.
Si le raisonnement expérimental procède de la logi-
que formelle et le raisonnement expériencé de la logique
pragmatique, il est évident que le passage d'un type de rai-
sonnement à l'autre constitue une rupture épistémologique:
c'est un changement d'attitude, une nouvelle façon de voir et
d'aborder l'objet propre à l'individu et à la culture. Il va
sans dire que la création des écoles à elle seule ·ne suffit
pas pour imposer définitivement ce changement; il faut en
plus impulser le développement économique et social entra'-
na nt 1a recherche de 1 1 0 r ga ni sa t i on et de l' e f fic ac i té . Si
l'école est plus performante en milieu urbain qu'en milieu
rural en ce qui concerne l'acquisition du .raisonnement expé-
rimental, elle le doit surtout au degré d'organisation de la
ville, degré que l'on peut appréhender dans la structuration
des actes éducatifs, la planification des actions futures ...
La pensée formelle expérimentale en tant que forme d'adapta-
tion médiate est donc une réponse adéquate de l'intelligence
631 -
humaine aux mult1ples sollicitations des sociétés modernes.
La mise en oeuvre des processus biologiques d'ass1m1lation
et d'accommodation caractéristiques de l'activité fonctionnel-
le du "sujet épistémique" ne peut rendre compte à elle seule
de sa genèse; car il s'agit d'une démarche stratégique qui
se construit au cours d'une interaction intégrale entre un
"sujet psychologique" actif et un environnement socio-culturel
doté d'une intelligibilité particulièr~.
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151-213.
{
(
A N N E X E
1
• 675 •
1 . EGALISATION DES ECHANTILLONS PAR RAPPORT A LA VARIABLE
"STYLE PEDAGOGIQUE"
1 - La source pédagogique
Les rapports d'inspection CfS ~ix professeurs rete-
nus (trois à Abidjan, trois à ALEPE)
comportent les unités
d'information suivantes:
- Objectifs pédagogiques clairs.
- Bonne progression par rapport aux objectifs.
- Dispose de matériels pédagogiques adaptés et suf-
fisants.
- Maîtrise le contenu.
- Encourage les élèves.
- Pose des questions simples, des questions de fait.
- Pose des questions complexes, des questions de ré-
flexion.
- Suscite des synthèses.
- Donne de 11 information à bon escient.
- Evalue les réponses des élèves.
- E~alue les travaux des élè~es.
- Manifeste les qualités d'un bon animateur.
2 - La __ source psycho-sociale
Les trois types d'interventions du professeur (sur
le contenu, 1 'organisation du contenu et la procédure) sont
représentés sous forme d'histogramme afin d'en permettre la
visual isation.
L'histogramme de chaque professeur représente la
moyenne de ses interventions en cinquième et quatrième sur
trois observations consécutives par niveau scolaire.
- 676 -
La quantité moyenne d'interventions est plus élevée
en milieu rural qu'en milieu urbain (48 contre 38 pendant une
heure de cours).
Les types d'interventions varient en fonction de la
discipline scientifique enseignée. L'intervention sur le con-
tenu est beaucoup plus importante avec les mathématiques:
viennent ensuite les sciences physiques et enfin les sciences
naturelles. Les autres types d'interventions (or~anisation du
contenu et procédures) sont plus fréquents dans les sciences
expérimentales qu'en mathématiques; ils indiquent que le pro-
fesseur suscite l'activité de l'élève, l'incite à synthétiser
sa pensée, à chercher les moyens de la vérification d'une hy-
pothèse. De telles conduites sont révélées par les questions
du type: "Que conclure de cette observation? Comment faire
pour mettre en évidence le rôle de la lumière sur la crois-
sance de la plante ?". Les questions s'adressent à l'ensemble
de la classe et s'inscrivent dans le contexte de la pédagogie
active.
Dans un cadre strictement interactionniste il aurait
fallu observer les conduites des élèves en réponse à celles du
professeur suivant la même méthode d'analyse. Nous avons sim-
plifié notre approche en nous limitant à l'observation des
condui~es du professeur, car en dernière analyse, il demeure
l'organisateur de la relation pédagogique. L'activité de l'é-
lève dépend du style pédagogique qu'il privilégie dans la
classe.
- 677 - .
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IXE HORIZONTAL \\ 1) --AXE VERTICAL (2) --TITRE
TAPE
1l JUIN 85
IOi~BRE DE POl NTS
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ANNEXE
III
Index des noms d'auteurs cités
- 686 -
INDEX DES NOMS D'AUTEURS CITES
ABOUBAKAR, 96, 97, 194, 205, 543, 568.
ACKERMANN-VALLADAO, 162, 163, 170, 171, 175, 177, 178, 180,
534.
AEBLI,206.
ALI'~Y, 95.
ANASTASI, 40.
BABER, 116.
BACHER, 40.
BALANDIER, 275.
BAYLEY, 36, 49,
54, 59, 366, 367, 457.
BELL. 54.
BENEDICT, 8.
BENVENISTE, 261.
BENZCRI,491.
BERLAND, 117.
BERNSTEIN, 57, 58, 60, 225.
BERRY, 62, 103, 243, 457.
BINET, 10.
BING, 60.
BINGHAM, 39.
BINING, 367.
BISILIAT, 243.
BLACK, 121.
BL~NCHET, 162, 184, 186.
BOAS, 8.
- 687 -
BODER,
162, 170, 181,
182, 186. 189, 214.
589.
BORELLI, 83.
BOUYA. 246.
BRADWAY, 36.
BROVERMON,
110.
BR0\\~ D. 118 •
BRUNER,
180, 181,226, 490. 579.
BRUNET.
49.
BUCK-MORSS,
100.
BURT. 9,
14.
CANNON. 267.
CARBONNEL,
135, 136.
CARDINET,
65.
CAROLL, 368.
CASSIN, 35, 42.
CELLERIER,
166, 167, 168,
170, 562.
CESAIRE, 256.
CLAUDE BERNARD, 266.
COLE, 242,356.
CRANDALL, 367.
DARWIN, 6.
DASEN,
103, 251, 342,
356,
543,
561, 569, 570.
DAVIS, 54.
DAWSON, 62, 457.
DECROLY,
10.
DEGAND,10.
DE LANDSHEERE, 355.
o
- 688 -
DE LEMOS.
203. 206.
DE ROSNAY. 483.
DEUTSCH, 50.
D01SE,
149, 150, 470,
574.
DOLECK1, 117.
DOLLAR, 8.
DOPPELT, 48.
DREV1LLON,
147, 208,
209, 211,
220,
402, 432, 474, 530,
575.
DURKHEIM, 292.
DYK, 108.
EELS,
37, 43, 45.
ELLEY, 50.
ERCHACK, 571, 576.
FLECK,
117.
FINLY,
116.
FISCHBEIN, 432, 555.
FISCHER,
9.
FLOURNOY, 18.
FRAZER, 7.
FURTH, 83, 84.
GALANTER,
168.
GALPER1NE, 554.
GHUMAN,
120.
GILLY, 63, 65, 66.
GOLDSTEIN,71.
GOODNOW, 99,
195, 205.
GOODY,
571,
576,
577.
- 6H9 -
GRECO, 140, 502.
GREENFIELS, 198, 200, 202, 204, 224, 315, 555.
GRIAULE, 453.
GAIPPIN, 116.
GRIZE, 131.
HARKNESS, 572.
HARRIS, 104.
HATWELL, 452.
HAVIGHURST, 36, 54.
HESB, 452.
HEELAS, 104.
HEGEL, 270.
HERMELIN, 71.
HERREN, 83.
HESS, 9.
HONZIK, 58.
HOUNTONDJI, 256, 257.
HURTIG, 35.
HUTEAU, 106, 112, 116, 117, 120.
INHELDER, 84, 88, 142, 143, 147, 161, 162, 164, 168, 241, 470,
530, 543, 546, 558, 559.
JACKLIN, 110.
JAHODA, 335, 449, 561.
JANKE, 36.
KAGAME, 252, 258, 260, 261, 262, 264, 265.
KAGAN, 56.
KARMILOFF-SMITH, 162.
- F,90 ..
KELLOGG, 69.
KELLY,
99.
KILCHER, 162.
KI-ZERBO,
334.
KNAPEN,
450.
KROEBER, 8.
LANDA,
554.
LAPORTE,
21.
LAUGIER, 35, 42.
LAURENDEAU,
142.
LAUTREY,
147, 153, 154, 155, 156, 160, 368, 369, 402, 459,
469, 470.
LAVE, 315.
LA WSON, 12 1 •
LAYA, 243.
LEFEBVRE,
H·7.
LESSER,
36.
LEVY-BRUHL,
7, 25.
LEZINE,
36.
LlPITT, 476.
LLOYD, 94.
LONGEOT, 87,
135, 136, 144, 435, 530, 541.
LURIA,
74, 77, 78, 79, 554.
MAC ARTHUR, 50.
MARLOBY,
110.
MAC NEr~ AR, 4 6 •
MAISTRIAUX, 450, 451, 452, 456.
- 691 -
MANNONI,454.
MARTINET,161.
MARX, 74.
MEAD, 8.
MEMEL, 355.
MENDELSOHN, 120, 121.
MERMELSTEIN, 193.
MIALARET, 293.
MILLER, 8, 168.
MONTMOLLIN, 40.
MOORE, 169.
MORF, 142.
MORGAN, 7.
MOSHENI, 566, 567, 568, 570.
MOSS, 56.
MOUNOUD, 131.
MUGNY, 149, 150,470, 574.
MUNROE, 576, 577.
NASSEFAT, 530.
NID A\\~, 255, 256 .
NEIMARK, 120 .
NEWELL, 169.
NIELSEN, 149 .
NODELMAN, 11 7 .
O'CONNOR, 71.
OHLMANN, 120, 121.
OKONDJI, 11 8.
- 692 -
OLAGBAIYE, 118.
OLERON. 83, 226, 563.
OLVER, 198, 202, 224, 555.
OMBREDANE, 71.
ORSINI-BOUICHON, 145, 149.
PAS CUA L- LEON E, 10 5, 116, 11H, 1L 2, 124, 125, 127, 128, 129, 130 .
PAVLOV, 74.
PERRET-CLERMONT, 149, 150, 470, 574.
PIA GE T, 6, 10, 12, 57, 74, 80, 81, 82, 84, 86, 92, 93, 99, 100,
114,
119,
131,
133, 149,
154,
155,
164,
165,
166,
179,
184, 191, 192, 206,
207,
226, 227, 242,
361,
378, 379,
402, 435, 442, 469, 470,
501, 502,
541, 542, 558, 559,
562, 566, 567, 601, 612, 629.
PIDOUX, 243.
PIERON, 452.
PIERRAULT-LE-BONNIEC, 441.
PINARD, 142.
PINEAUD, 147.
POOLE, 94.
PRESTON, 367.
PRIBRAM, 168.
PRICE-WILLIAMS, 93, 205, 355, 561.
PRINCE, 105.
RADIN, 59.
RAID, 368.
RAJCHENBACK, 116, 117, 120.
REUCHLIN, 105, 131, 132, 133, 134, 136, 137, 153,362,469,
470, 471, 547, 600, 604.
RICHELLE, 227.
- 693 -
RIVIERE, 3337
ROBINSON, 37.
RO SS, 84.
ROUSSON, 65, 66.
SAADA-ROBERT, 162.
SAARN, 121.
SATTERLY, 118 .
SCHAEFER, 54, 59, 366, 367, 457.
SCRIBNER, 242, 356.
SEASHORE, 48.
SENGHOR, 229, 257, 258, 270, 623.
SHIPMAN, 58, 360.
SHULMAN, 193 .
SINCLAIR DE ZWART, 82.
SMEDSLUND, 142, 147.
SMITH, 56.
STEWART, 39.
STUART, 48.
SUPER, 572.
TAABA, 221.
TAPE, 286, 315.
TEMPELS, L52, 253, 254, 255, 256, 257, 258, 260, 261, 262,
264, 268.
VANDENBERG, 108.
VYGOTSKY, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 490, 554, 555.
WALLON, 6.
WEINBER, 35, 42.
- 694 -
WERE, 99.
VERMUS, 4797
WERNER, 37.
WESMAN, 48.
WHITE, 476.
WHITEMAN, 57.
WHITING, 576,
577.
WITKIN, 62,
104,
105,
1U6,
108,
112,
114,
119,
122,
134, 457,
600,605,609.
YARROW, 367.
YOUNISS, 83,
YUDOVITCH,
78.
ZAZZO, 35, 221,
222.
ZEMPLENI, 202.
- 695 -
TABLE
DES
MATIERES
Pages
AVANT-PROPOS .. . . .... . . . . . . . . . . . . . .. . . . ....... ... . . . . . .
INTRODUCTION
5
PREMIERE PARTIE : RECHERCHE D'UN MODELE D'ETUDE
CHAPITRE 1 : RECHERCHE D'UN MODELE D'ETUDE DU MILIEU
34
1 - FACTEURS SOCIO-ECONOMIQUES ET DEVELOPPE-
MENT COGNITIF
.
34
- LES DONNEES MILITAIRES
39
2 - LES ENQUETES EN MILIEU SCOLAIRE
.
42
:J
~
3 - L'ETALONNAGE DES TESTS
46
i~
.J:.
.s"{
4 - LES ETUDES LONGITUDINALES
.
"
49
II - PRATIQUES EDUCATIVES ET DEVELOPPEMENT
COGNITIF..................................
53
1 - LIAISON ENTRE FACTEURS SOCIO-ECONOMI-
QUES ET PRATIQUES EDUCATIVES..........
53
2 - PRATIQUES EDUCATIVES ET DEVELOPPEMENT
1NT ELLECTU EL. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
59
a)
Pratiques éducatives et quotient
i ntell ectuel
59
b) P~atiques éducatives et styles co-
gni tifs
60
3 - PRATIQUES EDUCATIVES ET REUSSITE SCO-
LAIRE.................................
63
- 696 -
Pages
III - LANGAGE ET DEVELOPPEMENT COGNITIF
68
1 - LES FAI T5
68
1.1. LES FAITS DE DEVELOPPEMENT..........
68
1.2. LES ETUDES CORRELATIONNELLES
69
1.3. LA PATHOLOGIE DES FONCTIONS PSYCHO-
LOGIQUES............................
70
2 - LES THEORIES ET LES TRAVAUX SUR LE
LANGAGE
.
2.1. LES TRAVAUX RUSSES..................
75
2.2. LANGAGE ET PENSEE OPERATOIRE
80
CHAPITRE II : RECHERCHE D'UN MODELE D'ETUDE DU SUJET,
86
1 - LE MODELE CONSTRUCTIVISTE ET STRUCTURAL "
86
1 -
LE DEVELOPPEMENT DE L1INTELLIGENCE
SENSO RI-MOT RI CE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
88
2 - L1ACQUISITION DES CONSERVATIONS
91
3 - LA PENSEE FORMELLE...................
99
II - LE STYLE HDEPENDANCE-INDEPENDANCEH
A L'EGARD DU CHAMP OU D,I,C,
105
- ORIGINE DES DIFFERENCES INDIVIDUELLES
DANS LA D.I.C.
108
2 - D.I.C. ET THEORIE OPERATOIRE DE L1IN-
TELLIGENCE
112
2.1. LES OPERATIONS CONCRETES . .•.
115
- 599 -
Pages
HYPOTHESE SECONDAIRE UNE
···..
231
HYPOTHESE SECONDAIRE DEUX
··...
232
HYPOTHESE SECONDAIRE TROIS
··
234
1 - LES TYPES DE STRUCTURATION DE L'ENVIRON-
NEME NT FAM 1L1AL
236
2 - LES MODELES DE CONNAISSANCE TRADITIONNELS
237
CHAPITRE VI
LA PENSEE NEGRO-AFRICAINE
.
240
1 - LA PENSEE NEGRO-AFRICAINE COMME INTELLI-
GENCE
241
II - LA PENSEE NEGRO-AFRICAINE, UNE VISION DU
MO ND E
.
251
- LA PHILOSOPHIE BANTOUE DE P. TEMPELS
252
2 - LA PHILOSOPHIE BANTU-RWANDAISE DE
L'ETRE D'ALEXIS KAGAME
258
III - LE CONCEPT D'EQUILIBRE, CONCEPT CENTRAL
DE LA PENSEE HUMAINE
266
1 - L'EQUILIBRE DANS LA PENSEE OCCIDENTALE
269
j.t. LA REPRESENTATION DE LA NATURE
L69
1.2. LA REPRESENTATION DE L'HOMME
271
2 - L'EQUILIBRE DANS LA PENSEE AFRICAINE.
272
2.1. LA REPRESENTATION DE LA NATURE
272
2.2. LA· REPRESENTATION DE L'HOMME
279
- 698 -
Pages
2 - LA THESE D'ANDRE BDDER (Genève,
1~8')
182
CHAPITRE IV
MILIEU SCOLAIRE ET DEVELOPPEMENT CO-
GNITIF
191
1 - L'ABSENCE D'INFLUENCE DE L'ECOLE SUR LE
DEVELOPPEMENT COGNITIF
191
II - L'INFLUENCE POSITIVE DE L'ECOLE SUR LE
DEVELOPPEMENT COGNITIF...
197
- LES CLASSIFICATIONS.
198
2 - LES TACHES DE CONSERVATION
200
III - PRATIQUES EDUCATIVES SCOLAIRES ET DEVELOP-
PEt/lENT COGNITIF..........................
204
DEUXIEME PARTIE
METHODES ET PLAN D'EXPERIMENTATION
CHAP 1TRE V : HYPOTHESES DE RECHERCHE
217
HYPOTHESE PRINCIPALE
218
1 - L/ECOLE~ UN NOUVEAU PROJET D'INITIATION
A LA VIE...............................
219
2 - LES MODES DE REPRESENTATION DU REEL....
222
2.1. L'ECOLE ET LA REPRESENTATION CONCEP-
TUE LLE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
225
2.2. LA REPRESENTATION FIGURALE ..•.........
229
- 700 -
Pages
IV - REPRESENTATIONS DU MONDE ET CATEGORIE
DE CAUSALI TE
282
CHAPITRE VII
DE L'EDUCATION AFRICAINE TRADITION-
NELLE A L'EDUCATION MODERNE ..... ...
291
1 - PRINCIPES ET VALEURS DE L'EDUCATION
1 - LES PRINCIPES ET LES VALEURS DE L'EDU-
CATION TRADITIONNELLE.................
295
2 - PRINCIPES ET VALEURS DE L'EDUCATION
MODERNE...............................
301
3 - EDUCATION ET SOCIETE
307
3.1. ARTICULATION DE L'EDUCATION TRA-
DITIONNELLE SUR LA SOCIETE TRADI-
TIONNELLE
307
3.2. ARTICULATION DE L'EDUCATION MODER-
NE SUR LA SOCIETE MODERNE
311
II - LES CARACTERISTIQUES PEDAGOGIQUES DES EDU-
CATIONS TRADITIONNELLE
ET MODERNE
314
III - LES MOYENS PEDAGOGIQUES
325
1 - LES MOYENS PEDAGOGIQUES DE L'EDUCATION
AFRICAINE TRADITIONNELLE
325
1.1. LA FORMATION MORALE
325
1.1 .1. Le conte
326
a) La technique inductive
327
b) La dramatisation et la répétition
328
c) L'animation par le rythme et le
chant
329
- 701
-
Pages
1.1 .2. Le Pro ver be ...•...................
329
a) La technique inductive ..... ....
330
b) La redondance..................
331
c) La technique du découpage symé-
t r i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
331
1.1.3. L'initiation par la classe d'âge..
332
1.2. LA FORMATION SCIENTIFIQUE ET TECHNI-
QUE
335
2 - LES MOYENS PEDAGOGIQUES DE L'EDUCATION
MODE RN E
338
2.1. LA FORMATION SCIENTIFIOUE ET TECHNI-
QUE
338
2.2. LA FORMATION MORALE
.
CHAPITRE VIII
HVPOTHESES OPERATIONNELLES ET PLAN
D'EXPERIMENTATION.
346
1 - LES VARIABLES DEPENDANTES.
346
- LA FLEXIBILITE DES TIGES.............
347
Z - L'EPREUVE DU PENDULE.
350
3 - LES PERMUTATIONS.....................
352
II - LES VARIABLES INDEPENDANTES
355
- LE NIVEAU SCOLAIRE...................
357
2 - LES MODELES DE CONNAISSANCES TRADI-
TI ONN EL S
358
3 - LI HAB l TAT
364
- 702 -
Pages
3.'. LE TYPE DE STRUCTURATION DE L'ENVI-
RONN EM ENT FAM 1L1AL .............•....
365
3.2. LES MODELES COGNITIFS TRADITIONNELS.
376
III - METHODES DE PASSATION ET ECHANTILLONNAGE,
378
1 - LES METHODES DE PASSATION
378
1.1. LA METHODE CLINIqUE.................
378
1.2. L'ENTREVUE INTERACTIVE EN MILIEU TRA-
DITIONNEL
380
2 - L' EC HANT 1LLO NNAGE
382
2.1. EGALISATION DES ECHANTILLONS PAR RAP-
P0RT A LA VARIA BLE -s TyLEP E0AGOG 10UE"
383
2.1 . 1. La so urce péda gog i q ue
.
383
2. 1.2. La source psyc hoso ci ale
.
384
~1
~,
~
2.1.2.1. L'intervention sur le contenu ...
384
"i
{~
2.1.2.2. L'intervention sur la procédure.
385
2.1.2.3. L'intervention sur l'organisation
du conte nu
.
385
2.2. LA POPULATION EXPERIMENTALE
386
2.2.1. Abidjan, un milieu urbain
388
2.2.1.1. Industries et population
.
388
2.2.1.2. Les problèmes de la vie moderne
389
2.2.1.3. L'évolution et ses conséquences.
390
2.2.1.4. L'échantillon urbain
..
392
2.2.2. Alépé, un milieu rural
394
2.2.2.1. Les problèmes de la vie tradi-
t i on ne 11 e ...•...................
395
2.2.2.2. L'évolution du milieu tradition-
nel
.
397
2.2.2.3. L'échantillon rural.
398
2.2.3. L'échantillon d'adultes ruraux.........
399
- 703 -
Pages
TROISIEME PARTIE : ELABORATION DES RESULTATS
CHAPITRE IX : MILIEU SCOLAIRE ET DEVELOPPEMENT
DU RAISONNEMENT EXPERIMENTAL.
402
1 - NIVEAUX SCOLAIRES ET DEVELOPPEMENT
COGNITIF...............................
403
II - ~ILIEU TRADITIONNEL ET MODELES DE CON-
NAISSANCE
411
1 - ANALYSE DES CONDUITES DES ADULTES
RURAUX AUX EPREUVES EXPERIMENTALES
412
1. 1. LEP ENDU LE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
413
1.2. LA FL EX 1B1LITE
417
1.3. L'EPREUVE DE PERMUTATIONS
424
III - LES MODES DE REPRESENTATION DU REEL EN
MILIEU AFRICAIN TRADITIONNEL
·..
429
- LES BLOCS UNITAIRES D'INFORMATION
429
2 - LA METHODE DES TATONNEMENTS ..
433
3 - LES ACTIVITES DE CLASSIFICATION CHEZ
L'ENFANT IVOIRIEN...................
437
IV - DE LA LOGIQUE PRAGMATIQUE A LA LOGIQUE
FORMELLE
440
CHAPITRE X
ELEVES URBAINS ET ELEVES RURAUX :
LE SENS DE LA-DIFFERENCE
449
- LES HYPOTHESES TRADITIONNELLES
449
2 - LES FA ITS .........•.................
459
- 704 -
Pages
2.1. TYPES DE STRUCTURATION ET PERFORMAN-
CES EXPERIMENTALES..................
461
2.2. L'INTERPRETATION DES FAITS...
467
2.2.1. Types de structuration et processus
d' éq uil i bra t i on •..................
468
2.2.2. Type de structuration souple et
habitat...........................
471
2.2.3. Types de structuration rigide et
faible et déve10ppement de la pen-
sée opératoire....................
474
2.2.4. Habitat et action différenciatrice
des types de structuration
477
3 - L'INFLUENCE DES MODELES DE CONNAISSAN-
CE TRAD 1T1aNNE LS
478
4 - LES DONNEES DE L'ANALYSE FACTORIELLE
DES CORRESPONDANCES
490
4.1. LE PREMIER FACTEUR: LE MODELE COGNI-
TIF.................................
493
4.2. LE SECOND FACTEUR: LE TYPE DE STRUC-
TURATION DE L'ENVIRONNEMENT FAMILIAL.
494
4.3. LE CROISEMENT DES FACTEURS: DIVER-
SITE DES RENDEMENTS INDIVIDUELS SE-
LON LE MODELE COGNITIF ET LE TYPE DE
STR uc-ru RAT ION
495
CHAPITRE XI
ApPROCHE STRUCTURO-FONCTIONNELLE DES
CONDUITES EXPERIMENTALES.............
500
1 - L'APPROCHE STRUCTURALE
509
1 - L'ETAPE 1 : LE MODELE EXPERIMENTAL
NO N FORM E
510
- 705 -
Pages
1.1. L'EPREUVE DE FLEXIBILITE
5'0
, .2. L' EPREUV E 0U PEND UL E
512
1.3. L'EPREUVE DE PERMUTATIONS...
514
2 - LE MODELE EXPERIMENTAL EN FORMATION..
517
2.1. L'EPREUVE DE FLEXIBILITE
517
2.2. L' EPR EUV E DU PEND ULE. . . . . . . . . . . . . . . .
519
2.3. L'EPREUVE DES PERMUTATIONS....... ...
521
3 - L'ETAPE DU MODELE EXPERIMENTAL FORME.
525
3.1. L'EPREUVE DE FLEXIBILITE
525
3.2. L'EPREUVE DU PENDULE
526
3.3. L'EPREUVE DES PERMUTATIONS..........
528
II - L'APPROCHE FONCTIONNELLE
532
III - INTERET D'UNE LECTURE STRUCTURO-FONCTION-
NELLE DES DONNEES
540
, - LA NOTION DE DECALAGE............ ....
541
2 - LA MICROGENESE DES CONNAISSANCES.....
545
CHAPITRE XII
CONTRIBUTION A L'ETUDE DE LA PENSEE
FORMELLE ET DU RAISONNEMENT EXPERI-
ME NTALE N MIL 1EU AFR1CAl N
.
550
1 - MILIEU SCOLAIRE ET DEVELOPPEMENT COGNITIF.
550
- L'INSTRUCTION FORMELLE
553
2 - LA DECONTEXTUALISATION DE LA FORMATION
564
2.1. ACTIVITE DU SUJET ET MANIPULATION DES
OBJETS PHySIQUES....................
566
- 706 -
Pages
2.2. ACTIVITE DU SUJET ET RELATIONS
l NT ERl ND IV lOUE LLES •...............
571
2.3. ACTIVITE DU SUJET ET PROCESSUS
D' EQU ILl BRAT l ON
575
2.4. LA REPRESENTATION
579
II - VERS UN MODELE GENERAL DE REGULATION
DE L'ACTIVITE COGNITIVE
·.
588
1 - LES MODALITES DE REGULATION DE L'AC-
Tl VIT E COGN l TIVE
588
-- Schéma 1 : Modalité de régulation
par l'action.........
595
-- Schéma 2
Modalité de régulation
par la représentation.
596
-- Schéma 3
Modalité de régulation
alternative
.
597
III - NIVEAU DE REGULATIQN ET STYLES COGNITIFS
600
CONCLUSION GENERALE
615
BIBLIOGRAPHIE........................................
632
l\\N~IEXE S
675
TABLE DES I1ATIEBES
695
- 697 -
Pages
a) D.LC. et domaine logico-
mathématique.....................
115
b ) D.LC. et domaine physique
•••••..
116
c ). D. l .C. et.domaine spatial
117
2.2. LES OPERATIONS FORMELLES
a) O.I.C. et Concepts Logico-mathé-
matiques
: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
120
b)
D.I.C. et concepts physiques. .••.
120
c ) D.I.C. et raisonnement expérimen-
tal
•••••••••••••••••••••••••.•.•.
120
III - LA THEORIE DES OPERATEURS CONSTRUCTIFS
DE PASCUAL-LEONE
.
122
IV - LE MODELE DE LA PENSEE NATURELLE
.
131
CHAPITRE III
RECHERCHE D'UN MODELE INTERACTIONNISTE
D'ETUDE DU SUJET ET DU MILIEU
.
139
1 - L'APPRENTISSAGE DES STRUCTURES LOGIQUES
139
- APPRENTISSAGE ET DEVELOPPEMENT
140
2 - APPRENTISSAGE ET EQUILIBRATION
146
II - LES TYPES DE STRUCTURATION DE L'ENVIRONNE-
MENT FAMI LIAL
153
, III - STRATEGIES ET FONCTIONNEMENT COGNITIF ....
161
1 - LAT HESEDIA CKERMANN- VAL LAD A0 (G en è v e ,
1981)
••••••••••••••••••.•••••••••••••
171